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Full text of "Histoire universelle"

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in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/liistoireuniverse06aubiuoft 


HISTOIRE  UNIVERSELLE 


AGRIPPA  D'AUBIGNE 


IMPRIMERIE  DAUPELEY-GOUVERNEUR 
A   NOGENT-LE-ROTROU. 


HISTOIRE 

UNIVERSELLE 

PAR 

AGRIPPA  D'AUBIGNÉ 

JÎDITION   PUBLIEE   POUB  LA   SOCI^Té   DE   l'HISTOIRB   DE   FBÂRCB 

PÂB 

Le  Baron  Alphonse  DE  RUBLE 


TOME    SIXIÈME 
1579-1585 


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À  PARIS 

LIBRAIRIE    RENOUARD 

H.    LAURENS,    SUCCESSEUR 

LIBRAIRE     DE     LA     SOCIÉTÉ     DE     l'hISTOIRE     DE     FRAHGB 

RCE   DE   TOURMON,   N*  6 

M  DCCC  XCII 
258 


EXTRAIT   DU   REGLEMENT. 

Art.  h.  —  Le  Conseil  désigne  les  ouvrages  à  publier,  et 
choisit  les  personnes  les  plus  capables  d'en  préparer  et  d'en 
suivre  la  publication. 

Il  nonune,  pour  chaque  ouvrage  à  publier,  un  Commissaire 
responsable,  chargé  d'en  surveiller  l'exécution. 

Le  nom  de  l'éditeur  sera  placé  en  tête  de  chaque  volume. 

Aucun  volume  ne  pourra  paraître  sous  le  nom  de  la  Société 
sans  l'autorisation  du  Conseil,  et  s'il  n'est  accompagné  d'une 
déclaration  du  Commissaire  responsable,  portant  que  le  travail 
lui  a  paru  mériter  d'être  publié. 


Le  Commissaire  responsable  soussigné  déclare  que  le  tom£  VI 
de  l'édition  de  l'Histoire  universelle  d' Agrippa  d'Adbigné  pré- 
parée par  M.  le  Baron  Alphonse  de  Rdble  lui  a  paru  digne 
d'être  publié  par  la  Socie'tb  de  l'Histoire  de  France. 

Fait  à  Paris,  le  25  août  4  892. 

Signé  :  Lud.  LALANNE. 


Certifié  : 
Le  Secrétaire  de  la  Société  de  rUistoire  de  France, 
Â.    DE  BOISUSLE. 


LES  HISTOIRES 

DU 

SIEUR   D'AUBIGNÉ 
LIVRE  NEUVIÈME 

{Swte) 

(LIVBE  IV  DU  TOME  II  DES  ÉDITIONS  DE  1616  ET  DE  1626). 


Chapitre  VI. 

Prise  des  armes  à  la  guerre  qu'on  appella  de  Montaigu. 

Pource  qu'à  la  main  gauche  de  ce  département  le 
feu  s'esprit  le  plus,  nous  vous  dirons  de  cette  branche 
que  Pons^  et  Sainct-Jean-d'Angéli  receurent  le  com- 
mandement rejette  des  Rochelois,  comme  vous  verrez. 
L'advertisseur^,  tombé  malade  à  Sainct-Jean,  s' estant^ 
fait  donner  des  pilules  pour  le  contrefaire,  ne  laissa 
pas  d'aller  à  l'exécution  de  Montaigu,  qui  fust  prise 
par  un  moyen  assez  nouveau.  Le  gascon  de  Pommiers*, 

1.  Pons  (Charente-Inférieure),  sur  la  Seugne. 

2.  Aubigné? 

3.  Ce  membre  de  phrase  jusqu'à  7ie  laissa  pas...  manque  à  l'édi- 
tion de  1618. 

4.  Peut-être  Philippe  de  Guillet,  s.  de  Pomiers,  enseigne  de  la 
compagnie  d'Albert  de  Gondy,  duc  de  Retz  (Montre  du  15  juillet 
1578,  f.  fr.,  vol.  21537). 

VI  i 


%  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1579 

duquel  nous  avons  parlé  au  discours  de  Luçon,  avoit 
familiarité  avec  les  mortes-payes  de  Montaigu.  Ils  le 
convièrent  à  quelques  voleries  sur  les  chemins  de 
Nantes,  ce  qu'il  accepta  par  le  conseil  des  entrepre- 
neurs, et  qui,  plus  est,  se  trouva  à  destrousser  un 
marchand  de  deux  cents  escus,  qui  depuis  lui  furent 
rendus. 

Ce  compagnon,  rusé  et  persuasif,  exhorta  les  mortes- 
payes  à  ne  faire  plus  ces  petits  coups,  par  lesquels  ils 
pouvoyent  estre  descouverts  et  ruinez,  comme  par  un 
plus  grand.  Pourtant  il  leur  promit  de  les  tenir  adver- 
tis  d'un  marchand,  qui,  au  retour  de  la  foire  de  Fonte- 
nay  ^  logeoittousjours  à  Vieille-Vigne  2,  près  la  demeure 
de  Pommiers. 

Il  les  advertit  donc  à  poinct  nommé,  adjoustant 
qu'ils  estoyent  quatre  marchands  ensemble,  et  par 
ainsi  qu'il  faloit  venir  pour  le  moins  autant.  A  ce  man- 
dement ne  faillit  de  se  trouver  Urban,  qui  comman- 
doit  au  chasteau,  accompagné  de  cinq  autres.  Tout 
cela  estant  au  guet  en  la  forest  de  Grala  fut  investi  par 
Vrignaye^  et  Goupilière,  accompagnez  de  huict  ou 
neuf.  Ces  voleurs,  menacez  de  mort  s'ils  ne  faisoyent 
ouvrir  la  poterne  du  chasteau  à  l'heure  et  en  la  façon 
qu'ils  avoyent  accoustumé  d'y  rentrer,  donnèrent  le 
mot  de  Matelot^ f  qu'ils  avoient  laissé  pour  faire  ouvrir 
la  porte.  Tout  cela  fut  gardé  en  une  maison  jusques  à 


i.  Fontenay-le-Comte  (Vendée). 

2.  Vieille- Vigne  (Loire-Inférieure),  sur  les  bords  de  l'Ognon. 

3.  Le  s.  de  la  Vergnaye,  gentilhomme  poitevin  cité  dans  une 
lettre  du  comte  du  Lude  (Arch.  hist.  du  Poitou,  t.  XIV,  p.  140, 
note). 

4.  L'édition  de  1618  ne  donne  pas  ce  mot. 


1579]  LIVRE   NEUVIÈME,    CHAP.    VI.  3 

la  nuict  d'après  que  La  Boulaye,  Bastarderaie  et  celui 
qui  leur  faisoit  prendre  les  armes,  ayant  donné  à 
Pommiers  cinq  bons  hommes,  mènent  Urban  lié.  Et 
ne  furent  si  tost  à  la  poterne,  qu'ayant  respondu  au 
«  qui  va  là?  »  —  «  Matelot  »  —  et  faict  parler  Urban, 
que  Pommiers  se  jetta  dans  le  guichet  demi-ouvert. 
Ainsi  fut  pris  le  chasteau*,  où  La  Boulaye  fut  bien 
estonné,  quand,  de  tant  d'amis  qu'il  avoit  conviez,  il 
se  trouva  dix-septiesme.  Encor  falut-il,  de  ce  petit 
nombre,  saisir  la  ville,  dans  laquelle  il  y  avoit  un  assés 
grand  peuple  ;  et,  entre  cela,  plus  de  six  vingts  capables 
de  tirer  une  arquebuzade.  Il  fut  bon  aux  entrepreneurs 
de  donner  en  la  ville  avant  jour,  pource  qu'estans 
contez  ils  estoyent  perdus.  Ainsi  le  bruit  fut  partisan 
du  petit  nombre,  et,  presque  tous  les  hommes  s'en 
estant  fuis,  on  se  trouva  plus  empesché  à  garder  qu'on 
n'avoit  esté  à  conquérir^. 

Je  ne  veux  point  desmordre  cette  prise  que  je  ne 
m'estende  un  couple  de  mois  dans  le  bas  Poictou,  tant 
pour  n'interrompre  trop  souvent  mes  discours  que 
pour  vous  faire  en  ce  lieu  une  leçon  de  guerre  civile. 
Le  pays,  estonné  de  la  prise  de  Montaigu,  sçeut  en 
mesme  temps  que  les  Rochelois  observoyent  la  paix. 
Un  bruit  court  que  ceux  qui  s'estoyent  jettez  en  cette 
forteresse  n'y  estoyent  que  pour  garentir  leurs  vies 
contre  les  prévosts  qui  les  couroyent  de  tous  costez, 

1.  Le  château  de  Montaigu  fut  pris  par  les  réformés  vers  le 
15  mars  1580  (Chroniques  fontenaisiennes,  p.  206). 

2.  La  ville  de  Montaigu  fut  surprise  par  les  réformés  peu  après 
le  château.  Une  lettre  du  roi  au  s.  du  Lude,  en  date  du  28  avril 
1580,  signale  le  fait  comme  un  fait  récent  et  discute  les  moyens 
de  reprendre  la  ville  (Copie;  coll.  Anjou  et  Touraine,  vol.  11, 
n"  4648). 


L 


4  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1579 

à  cause  du  faict  de  Limoges,  où  la  plus  part  esloyent 
exécutez  en  effigie,  leur  procès  ayant  esté  faict  avec 
celui  de  Prinçai  et  de  Bouschet.  Outre  cela,  il  y  en 
avoit  d'appelez  aux  grands  jours  de  Poictiers,  qui  lors 
achevoyent*  et  qui  se  retiroyent  en  grand  effroi  sur  la 
prise  des  armes. 

Ces  bruits  intimidèrent  si  bien  le  pays  que  Taba- 
rière*,  qui  avoit  promis  à  La  Boulaye  de  prendre  sa 
lieutenance,  demeura  coy  en  sa  maison.  Tant  y  a  que 
les  preneurs,  ayans  esté  quinze  jours  sans  pouvoir 
amasser  trente  hommes,  tindrent  conseil,  où  presque 
tous  résolurent  de  se  maintenir  sagement,  comme 
ils  disoyent,  sans  prendre  prisonniers  ni  faire  acte 
d'hostilité.  «  Par  là,  disoyent-ils,  le  pays  sera  pour 
nous  et  on  ne  nous  attaquera  point.  »  La  Valière  et 
un  autre^  furent  seuls  de  contraire  opinion,  disans  : 
«  Ou  quittons  ceci  comme  canailles  et  gens  qui  ont 
fait  une  grande  sottise,  ou  faisons  la  guerre  à  toute 
outrance.  Et,  pour  la  faire,  appelons  des  gens  de 
guerre,  lesquels  ne  nous  viendront  jamais  trouver 
pour  estre  compagnons  de  la  sagesse,  qu'ils  nomme- 
ront peur.  Les  gens  de  bonne  maison  ne  se  vou- 
dront point  associer  avec  des  gibbiers  de  prévost,  qui 
monstrent,  à  leurs  actions,  ne  se  sentir  pas  avouez.  » 

Ces  deux  voix  furent  estoufifées  et  les  principaux 
gentilshommes  de  cette  bande  firent  porter  leurs  licts 
sur  les  tours  pour  y  prendre  leur  repos  et  repas,  et, 
quant  aux  munitions  de  gueule  et  de  guerre,  ils  y 

i.  C'est-à-dire  qui  se  terminaient. 

2.  Le  s.  de  la  Tabarière,  capitaine  d'origine  poitevine,  honora- 
blement cité  dans  les  Lettres  de  Henri  IV,  t.  IX,  p.  316. 

3.  Cet  autre  est  d'Aubigné  lui-même. 


1579]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    VI.  & 

mirent  ordre  par  leur  bourse,  c'est-à-dire  *  povrement 
et  misérablement. 

II  vous  peut  souvenir  comment,  l'entreprise  de 
Limoges  estant  descouverte  fausse,  on  vint  en  dili- 
gence rompre  celle  qui  estoit  lors  sur  Montaigu,  et, 
pource  que  les  entrepreneurs  de  ce  temps -là  vou- 
lurent, de  peur  d'estre  investis  promptement,  porter 
leurs  munitions  avec  eux,  ils  avoyent  dès  lors  caché 
dix  caques  de  poudre  dans  un  moulin  à  vent  ruiné. 
Cela  fut  trouvé  sec  et  entier  sept  mois  après  et  com- 
mença le  magazin. 

Il  y  avoit  dans  la  ville  quinze  ou  seize  gentilshommes 
de  moyens  2,  qui  avoyent  plusieurs  pièces  de  grands 
chevaux.  Ils  en  envoyèrent  pour  deux  mille  escus  à 
la  Rochelle,  pour  les  vendre  et  achepter  des  munitions  ; 
mais  la  Rodlielle  avoit  des  pensées  bien  différentes. 

Le  maire  Thévenin,  assisté  de  plusieurs  riches, 
estoit  en  combustion  avec  le  peuple;  toute  la  ville 
divisée  en  deux  partis,  asçavoir  de  ceux  qui  vouloyent 
obtempérer  aux  princes  en  prenant  les  armes  et  de 
ceux  qui  se  résolvoyent  à  maintenir  la  paix.  Ils  en 
vindrent  aux  mains ^,  mais  la  dernière  opinion  fut  la 
plus  forte,  et  Thévenin  mit  en  prison  ceux  de  Montaigu 
qui  estoyent  venus  à  l'emploite*.  Cela  despleut  aux  par- 
tisans du  roi  de  Navarre,  qui  s'esmeurent  là-dessus 
encores  une  fois.  Ceux-là,  estans  assemblez  devant  la 

1.  Ces  mots  jusqu'à  la  &n  de  l'alinéa  manquent  à  l'édition  de 
1618. 

2.  C'est-à-dire  :  riches. 

3.  Cette  escarmouche  eut  lieu  le  mardi  11  octobre  1579.  On 
appela  ce  jour  le  mardi  de  Ut  folie  (Délayant,  Hist.  de  la  Rochelle, 
1870,  t.  I,  p.  315). 

4.  Emploite,  emplette. 


6  mSTOIRE  UNIVERSELLE.  [1579 

maison  du  maire,  demandèrent  qu'on  mist  hors  les 
prisonniers  et  d'entrer  en  garde  tambour  battant, 
Thévenin,  voyant  que  les  plus  forts  de  la  ville  avoyent 
accouru  à  son  logis,  se  moqua  des  autres,  disant  : 
«  Qu'a  faict  ce  tambour  pour  le  battre?  Il  n'a  point 
failli,  mais,  s'il  avoit  battu  la  quaisse,  il  seroit  battu.  » 
Pourtant  le  peuple,  aidé  des  ministres,  fit  délivrer  et 
renvoyer  vuides  les  prisonniers. 

En  cet  estât  furent  ceux  de  Montaigu  six  sepmaines, 
sans  pouvoir  amasser  plus  de  trente-six  hommes  de 
guerre.  Ils  vindrent  donc  par  force  à  essayer  le  conseil 
de  La  Valière  et  son  compagnon*,  qui  eust  permission 
de  mener  a  la  guerre  vingt  sallades  et  dix  arquebu- 
ziers  à  cheval,  ne  laissant  dans  la  ville  que  La  Boulaye, 
cinq  maistres  et  la  vailletaille.  Nos  trente  chevaux, 
partis  devant  jour,  enfilent  en  trois  troupes  trois  che- 
mins de  Nantes,  un  jour  de  marché.  Puis,  s'estant 
ralliez,  trouvent  qu'ils  avoyent  soixante  et  tant  de 
prisonniers  à  cheval.  Ils  rompent  trois  ou  quatre 
églises,  arborent  deux  bannières  en  cornettes  et  vont 
mettre  dans  la  prairie,  à  main  droicte  de  PillemiP, 
leurs  prisonniers  en  bataille,  gardez  par  lesdits  arque- 
buziers  à  cheval  et  un  de  deux  trompettes  qu'ils 
avoyent.  Les  vingt  salades,  qui  venoyent  de  prendre  la 
Janière  et  un  procureur  du  roi,  ayans  appris  par  eux 
que  quelques  gentilshommes  de  la  compagnie  de  Vau- 
drez se  sauvoyent  dans  le  fauxbourg,  renfi;lèrent 
tout  du  long,  quelques-uns  passans  la  tour  de  Pillemil 
jusques  au  commencement  du  pont;  et  furent  long 

!•  Le  compagnon  de  La  Valière  était  d'Aubigné  lui-même. 

2.  Pirmil  (Loire-Inférieure),  au  sud  de  Nantes. 

3.  Le  capitaine  Vaudrey  appartenait  à  la  maison  de  Mouy. 


1579]       UVRE  NEUVIÈME,  CHAP.  VI.  7 

temps  là  avant  que  ceux  de  la  tour  leur  envoyassent 
quelque  mauvaise  arquebuzade.  Ce  butin  amené  à 
Montaigu,  cette  mesme  troupe  ne  fît  que  changer  de 
chevaux  pour  faire  une  autre  course  sans  passer  la 
Sèvre.  A  ceste  fois,  ils  adjoustèrent  au  pillage  le 
bruslement  de  six  ou  sept  églises.  Sur  cette  nouvelle, 
Montaigu  se  vid  dans  dix  jours  quatorze  cents  soldats. 
Landereau,  avec  les  Roches-Bariteaux  et  la  troupe  du 
bas  Poictou,  qu'ils  appelloyent  la  Ligue,  ne  se  vint 
plus  pourmener  devant  Montaigu  pour  monstrer  des 
cordeaux  à  ceux  de  la  garnison,  comme  ils  faisoyent 
auparavant. 

Voilà  cette  ville  esquipée  en  guerre.  On  ordonne 
en  la  ville  les  compagnies  du  gouverneur  de  Jarrie, 
celui  duquel  nous  avons  parlé  dans  le  siège  de  Poic- 
tiers,  de  Mosquart,  de  Nesde*,  de  la  Serpente  et 
Jamoneau,  desquels  quelques-unes  ne  se  parfirent 
pas.  Au  chasteau  fut  mis  Vrignais  avec  une  compagnie 
de  six  vingts  hommes,  quelques  autres  petites  troupes 
mal  complettes,  comme  celle  de  chevaux  légers  de 
Grand-Ri^,  et  les  arquebuziers  à  cheval  de  Deflfites. 
Tout  cela,  comme  aussi  tout  le  reste  de  la  garnison, 
presta  serment  de  rendre  obéissance  hors  les  murailles 
à  Aubigné,  qui  n'avoit  nulle  charge  au  dedans.  Lande- 
reau avoit  commencé  à  fortifier  Sainct-Georges^  Ceux 
de  Montaigu,  ayans  mis  leurs  forces  aux  champs, 
firent  quitter  cela  premièrement.  De  là*,  ils  se  ren- 

1.  Le  capitaine  Nesde,  commandant  à  Montaigu,  se  nommait 
Pidou. 

2.  Guillaume  de  Grandris,  s.  de  Grandchamp. 

3.  Saint-Geo rges-de-Montaigu  (Vendée),  au  sud  de  Montaigu. 

4.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «...  de  là  ils  prennent  d'effroi,  le 
château  de  l'Abergement,  grand  et  assez  bon  ;  puis  ils  tournent 


8  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

dirent  redoutables  à  la  campagne.  En  cet  estât  nous 
les  lairrons,  ayant  changé  leurs  discrétions  ruineuses 
en  une  insolente  et  nécessaire  témérité. 

Chapitre  VII. 
De  la  Gascongne  et  prise  de  Cahors. 

Bien  estonnez  furent  les  princes,  quand  d'une  si 
grande  quantité  d'entreprises  rien  ne  réussit  que  Mon- 
taigu  et  la  Fère*,  de  laquelle  nous  parlerons  avec  son 
siège,  quand  nous  aurons  compté  de  la  Guyenne. 
Voici  les  premières  nouvelles  de  ces  pétards  qui  ont 
tant  faict  parler  d'eux,  et  qui  n'avoyent  encor  esté 
essayez,  sinon  en  un  meschant  chasteau  de  Rouargue, 
qui  n'a  peu  nous  donner  son  nom.  Nous^  avons  aussi 
Challar^  en  Givaudan,  où  on  fit  pétard  d'une  sonaille 
de  vache.  J'ai  ouy  dire  aux  premiers  pétardiers  qu'ils 
avoyent  inventé  cette  machine  en  contemplant  des 
tapisseries,  où  ils  voyoyent  des  petites  artilleries  r'ac- 
courcies,  bandées  de  cercles  de  fer,  comme  de  faict 
les  premiers  que  nous  eusmes  estoyent  ainsi  faicts  ;  les 
uns  pour  pendre  à  l'estrier  avec  le  tirefonds,  les  autres 

vers  Mortagne,  escallent  de  nuit  le  château  ;  et  ces  troupes  se 
parfirent  et  rafraischirent  dans  la  ville.  En  mesme  temps,  ils 
marchent  vers  la  Garnache,  où  quelques  gentilshommes  s'estoient 
retirez,  escallent  la  ville,  prennent  le  chasteau  d'effroi  ;  et  de  force 
prisonniers  (qu'ils  espéroient  y  trouver)  n'empoignèrent  rien  que 
le  ministre.  En  cet  estât...  » 

1.  La  Fère  (Aisne),  sur  l'Oise. 

2.  Cette  phrase,  jusqu'à  :  J'ay  ouy  dire...,  manque  à  l'édition 
de  1618. 

3.  Entreprise  du  capitaine  Mathieu  Merle,  baron  de  Salavas, 
sur  Chanac  (Lozère),  mai  1580  (De  Thou,  liv.  LXXII).  i: Histoire 
du  Languedoc  (t.  V,  p.  381)  complète  le  récit  de  de  Thou. 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,   CHAP.    VII.  9 

à  la  fourchette  en  contrepoussant.  Depuis  on  les  a 
faicts  simplement  de  fonte  bien  choisie.  On  en  a  faict 
d'estaing  et  de  plomb,  meslez  d'une  autre  drogue,  et 
ceux-là  ne  sont  pas  les  pires.  On  a  aussi  inventé 
diverses  sortes  de  mesches,  desquelles  je  trouve  le 
papier  artificiel  la  meilleure,  pource  que  vous  retenez 
un  conterolle  de  mesme  papier,  qui  vous  marque  le 
poinct  du  coup;  cette  invention  du  capitaine  Chanson, 
lieutenant  de  l'artillerie  en  Poictou.  De  plus,  on  a 
apporté  le  madrier  pour  les  barrières,  et  les  crapaux 
pour  les  grilles  ;  et  encor  ont  appris  les  pétards  de  se 
jouer  à  faire  sauter  les  tours  et  les  murailles,  aussi 
bien  que  les  portes  et  les  fenestres.  De  mesme  pays 
encores  sont  sorties  les  saucisses  et  autres  artifices, 
qui  ont  porté  malheur  à  ceux  qui  à  leurs  despens  les 
ont  essayez. 

Celui  qui  en  a  faict  le  premier  coup  de  marque  a 
esté  le  roi  de  Navarre  sur  Cahors  ;  surprise  honorable 
sur  toutes  celles  de  ce  siècle,  pource  que  le  combat 
y  dura  cinq  jours  et  cinq  nuicts.  Ceux  qui  ont  escript 
cette  histoire  y  en  mettent  un  d'avantage,  et  partant 
la  déduction  y  estant  bien  utile,  autant  que  celle  d'une 
moyenne  bataille. 

Ce  prince,  irrité  du  mauvais  succès  de  tant  d'entre- 
prises, mais  bien  plus  de  quoi  les  deux  tiers  de  son 
parti  ne  vouloyent  aggréer  sa  prise  d'armes,  pour 
relever  les  cœurs  des  siens,  fit  recognoistre  Cahors 
par  un  capitaine  du  vicomte  de  Gourdon^,  et  par  les 

1.  Antoine,  vicomte  de  Gourdon,  baron  de  Puylagarde,  d'une 
ancienne  famille  du  Quercy,  fils  de  Flotard  de  Gourdon  et  de 
Marguerite  de  Gardaillac,  chevalier  de  l'ordre,  capitaine  de  cin- 
quante hommes  d'armes  des  ordonnances,  mort  en  1616.  Il  avait 


10  raSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

capitaines  Gendarme  et  Jean  Robert,  le  premier  de 
Rouargue,  et  le  second  de  Cajard^  l'un  et  l'autre 
pétardiers. 

Geste  ville  capitale  de  Querci,  assise  sur  la  rivière 
du  Lot,  fors  du  costé  de  la  Barre,  est  toute  environnée 
d'eau,  à  peu  près  de  l'assiete  de  Poictiers.  Elle  a  trois 
ponts  sur  la  rivière,  l'un  qui  porte  le  nom  de  Ghe- 
landre,  qu'on  tient  pour  certain  basti  entièrement  par 
Gaesar,  un  autre  du  costé  de  Montauban,  qui  s'appelle 
le  Pont-Neuf,  le  troisiesme  estant  hors  de  commodité. 
Les  entrepreneurs  débatirent  sur  le  dessein.  Enfin  ils 
se  résolurent  sur  le  Pont-Neuf,  qui  a  à  chasque  bout 
de  soi  un  portail,  bien  accommodé  d'ailleurs,  mais 
sans  pont-levis.  A  cause  de  cela  on  avoit  basti  au 
milieu  du  pont  deux  demi-esperons,  qui  se  flanquoyent 
bien. 

11  y  avoit  autour  du  roi  de  Navarre  force  capitaines 
de  mérite,  qui  le  destournoyent  tant  qu'ils  pouvoyent 
de  ceste  entreprise  grandement  périlleuse,  tant  pour 
estre  besoin  de  rompre  deux  portes  et  une  barrière, 
avec  deux  pétards  seulement,  que  pour  y  avoir 
dedans  quinze  cents  soldats,  et  une  compagnie  de 
gend'armes,  qui  fit  monstre  le  jour  devant  l'entreprise. 
Ils  adjoustoyent  à  cela  la  grande  valeur  et  créance  du 
lieutenant  de  roi,  nommé  Vezins^,  lequel  nous  vous 

épousé  successivement  Paule  de  Goste,  Marguerite  du  Maine  et 
Isabeau  de  Montbartier. 

1.  Gajarc  (Lot),  sur  le  Lot. 

2.  Jean  de  Vesins,  seigneur  de  Roddier  -  Charri,  frère  d'An- 
toine de  Vesins,  capitaine  protestant,  sénéchal  de  Quercy,  gou- 
verneur de  Gahors,  et  lieutenant  d'Honoré  de  Savoie,  marquis  de 
Villars.  Une  lettre  de  ce  capitaine  au  roi,  antérieure  de  quelques 
semaines  aux  événements,  de  Gahors  et  du  16  février  1580,  trace 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   VU.  11 

avons  faict  cognoistre.  En  un  mot,  ils  lui  faisoyent 
voir  le  dedans  plus  fort  que  le  dehors. 

A  tout  cela  le  roi  de  Navarre,  de  qui  la  vertu  et 
l'honneur  guerrière  commença  à  se  démonstrer  en  ce 
temps-là,  s'opiniastra  en  son  dessein;  et  s'y  achemina 
le  cinquiesme  de  may^,  mit  pied  à  terre  à  un  quart  de 
lieue  de  la  ville,  fit  son  ordre  ainsi^  : 

Il  donna  aux  pétard iers  six  soldats  de  ses  gardes 
bien  choisis,  A  trente  pas  d'eux  marchoit  le  baron  de 
Salignac^,  accompagné  de  Sai  net -Martin'^,  capitaine 
des  nouvelles  gardes,  et  de  dix-huict  bons  hommes. 
Roquelaure^,  commandant  une  troupe  gaillarde,  la 

un  lamentable  tableau  de  l'état  de  la  province  et  des  environs  de 
la  ville  (Copie;  f.  fr.,  vol.  15562,  f.  50). 

i .  Beaucoup  d'historiens  se  sont  trompés  à  la  suite  de  de  Thou 
et  de  d'Aubigné  en  fixant  au  4  et  5  mai  1580  la  date  de  l'assaut  et 
de  la  prise  de  Gahors  par  le  roi  de  Navarre.  La  correspondance  de 
ce  prince  a  éclairci  les  doutes  accumulés  par  des  assertions  con- 
tradictoires. La  vérité  est  qu'il  parut  le  28  mai  1580  sous  les  murs 
de  Gahors  et  qu'il  prit  la  ville  le  31  après  un  combat  acharné.  Il 
demeura  à  Gahors  jusqu'au  9  juin  (Lettres  de  Henri  JV,  1. 1,  p.  302). 

2.  Sully  {OEconomies  royales,  liv.  XI)  donne  de  grands  détails 
sur  le  siège  et  la  prise  de  Gahors,  à  laquelle  il  assistait.  De  Thou 
n'est  pas  moins  détaillé  (liv.  LXXU). 

3.  Armand  de  Gontaut,  baron  de  Salignac  par  sa  femme,  Jeanne 
de  Salignac,  ou  plus  probablement  leur  fils,  Jean  de  Gontaut,  né 
en  1553,  capitaine  et  négociateur  au  service  du  roi  de  Navarre, 
mort  le  11  octobre  1610.  Le  comte  Théodore  de  Gontaut-Biron  a 
publié  VAmbassade  en  Turquie  de  Jean  de  Gontaut-Biron,  baron  de 
Salignac,  in-8°,  1878.  M.  Berger  de  Xivrey  et  son  successeur 
confondent  souvent  Jean  de  Gontaut-Salignac  avec  la  Mothe- 
Fénelon-Salignac. 

4.  Gharles  Le  Glerc-Saint-Martin,  capitaine  protestant. 

5.  Antoine  de  Roquelaure,  fils  de  Géraud  de  Roquelaure  et 
de  Catherine  de  Bezolles,  né  en  1543,  était  maître  de  la  garde- 
robe  du  roi  de  Navarre,  et  chevalier  de  ses  ordres  en  1595. 
Quelque  temps  avant  la  mort  de  Henri  IV,  en  1610,  il  devint 


12  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

plus  part  de  la  maison  du  roi  de  Navarre,  soustenoit 
Salignac  ;  lui  l'estoit  de  Terrides^  et  du  vicomte  de 
Gourdon  avec  mille  arquebuziers.  L'entreprise  faillit 
d'estre  rompue  par  un  grand  orage,  et  les  furieux 
esclairs  et  coups  de  tonnerre  qui  survindrent. 

Le  premier  pétard  ayant  joué  à  la  première  porte, 
le  trou  s'y  fit  plus  bas  que  la  barre,  si  mal  à  propos 
qu'il  falut  rompre  les  bandes  qui  demeurèrent,  mais 
en  fin  les  soldats  les  esbranlèrent  si  bien  avec  haie- 
bardes  qu'estant  entrez,  le  baron  de  Salignac,  joinct 
à  eux,  emporta  la  garde  des  deux  ravelins;  et  pour- 
suivit si  bien  sa  poincte  que,  malgré  les  arquebuzades 
qu'on  tiroit,  Jean  Robert  porta  le  dernier  pétard  à  la 
dernière  porte  de  la  ville.  Gettui-là  joua  si  bien  qu'il 
coucha  la  porte  tout  de  son  long  sur  le  pavé.  Ce  grand 
bruit  mit  toute  la  ville  en  armes,  horsmis  ceux  qui 
firent  les  paresseux,  croyans  que  ce  fust  le  tonnerre. 
Cette  première  troupe  des  six  courut  devant  le  baron 
de  Salignac,  comme  pour  recognoistre,  mais  ils  furent 
arrestez  au  premier  canton  ;  et  là  un  des  six,  nommé 
de  Court^,  duquel  nous  avons  parlé,  mis  par  terre. 

maire  de  Bordeaux  et  maréchal  de  France.  Il  mourut  à  Lectoure 
le  9  juin  1625. 

1.  Géraud  de  Lomagne,  vicomte  de  Terride,  frère  d'Antoine  de 
Lomagne,  commandant  pour  le  roi  de  Navarre  dans  le  bas  Quercy- 
et  le  Lauraguais. 

2.  Probablement  un  des  membres  de  la  maison  de  Cours,  dont 
le  chef,  François  de  Cours,  s.  de  la  Salle,  était  le  fidèle  serviteur 
du  roi  de  Navarre.  Voyez  Maisons  historiques  de  Gascogne,  t.  I, 
p.  293.  M.  Tamizey  de  Larroque  a  consacré  à  ce  capitaine  une 
savante  note  (Documents  relatifs  à  l'hist.  de  l'Agenais,  1875,  p.  153). 
Berger  de  Xivrey  cite  un  s.  de  la  Salle,  gentilhomme  gascon, 
qu'il  appelle  aussi  M.  de  les  Bartes  (Lettres  de  Henri  IV.  1. 1,  p.  111). 
Peut-être  est-ce  le  même. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   VH.  13 

A  cent  pas  de  là  parut  Vezins  avec  quarante  gentils- 
hommes et  trois  cents  arquebuziers*.  Roquelaure, 
ayant  doublé  le  pas,  ne  fît  plus  que  mesme  troupe  avec 
le  baron.  Ce  fut  des  deux  costez  à  qui  porteroit  les 
arquebuzades  à  bout-touchant.  Des  coups  de  traict  il 
falut  venir  aux  coups  de  picques.  Là  Vezins  blessé  ^, 
ceux  de  la  ville  s'estonnoyent  et  estoyent  en  route 
sans  les  blessures  des  trois  capitaines  assaillans,  Sali- 
gnac,  Roquelaure  et  Sainct-Martin,  et  aussi  sans  un 
renfort  d'hommes  armez  et  de  bons  arquebuziers,  du 
costé  de  la  ville.  Aussi  les  assaillans  furent  bien  à  pro- 
pos rafraîchis  par  Terride  et  le  vicomte  de  Gourdon. 
L'opiniastreté  des  attaquez  apporta  de  l'estonnement 
à  ceux  du  vicomte  de  Gourdon,  si  bien  que  plus  de 
cinq  cents  estoyent  rassortis  de  la  ville.  Le  peuple  de 
Cahors,  à  tel  spectacle,  reprit  un  merveilleux  courage, 
si  bien  que,  se  resserrans  et  reschauffans  l'un  l'autre, 
ils  poussoyent  rudement  vers  la  porte  Terride  et  ^  les 
siens. 

Le  roi  de  Navarre  estoit  desjà  pressé  par  ses  con- 
seilliers  de  remonter  à  cheval,  quand  les  forces  de  la 
vicomte  de  Turenne  arrivèrent,  harassées  d'avoir  faict 
quatorze  lieues  en  deux  traictes.  Aussitost  Chouppes*, 

1.  L'édition  de  1618  porte  3,000  arquebusiers. 

2.  Jean  de  Vesins  fut  tué  d'un  coup  d'arquebuse  au  plus  fort 
du  combat  (De  Thou,  liv.  LXXJI). 

3.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  « ...  Terride  et  le  vicomte  de  Gour- 
don. Le  roi...  s 

4.  Pierre  de  Chouppes,  seigneur  de  Chouppes,  conseiller  et 
chambellan  du  roi  de  Navarre,  gentilhomme  ordinaire  de  sa 
chambre,  époux  de  Jeanne  de  Ségur-Pardaillan ,  en  1588.  Il 
devint  plus  tard  lieutenant  général  du  roi  de  Navarre  en  l'absence 
de  Turenne  en  Limousin.  L'instruction  qui  lui  fut  confiée  au 
commencement  de  sa  charge  est  conservée  dans  le  vol.  15563, 


44  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

qui  les  conduisoit,  eut  commandement  de  donner  par 
le  trou  du  pétard,  où  il  eut  pour  premier  obstacle  la 
foulle  des  fuyards,  qu'il  falut  rompre  et  forcer.  Mesmes 
les  capitaines  qui  se  vouloyent  sauver  lui  crièrent  qu'il 
s'alloit  perdre  pour  néant,  et  que  tout  estoit  perdu. 
Chouppes,  leur  ayant  respondu  des  injures,  s'avance 
dans  la  ville,  voit  ensemble  six  cents  arquebuziers  des 
ennemis,  lesquels  à  la  veue  de  ce  rafraîchissement  se 
veuUent  couvrir  d'une  barricade.  Il  fallut  faire  pose, 
tant  pour  démesler  les  nouveaux  venus  de  la  route  des 
autres,  comme  aussi  pour  prendre  haleine.  Le  roi  de 
Navarre,  pressé  plus  que  devant  de  faire  retraicte, 
après  avoir  respondu  que  la  mort  lui  seroit  plus  douce 
avec  les  siens,  en  faisant  son  devoir,  qu'après  les  avoir 
abandonnez  estre  couvert  de  déshonneur,  marcha  avec 
son  reste.  Et  cependant  Chouppes,  avec  cinquante  gen- 
tilshommes et  trois  cents  arquebuziers  qu'il  avoit 
amenez,  donne  furieusement  à  la  barricade,  où  il  fut 
attendu  jusques  aux  coups  d'espée.  Les  habitans 
ployèrent  à  cet  effort  et,  poursuivis  l'espée  dans  les 
reins  jusques  dans  la  maison  de  ville  ^  ne  la  peurent 
garnir  en  leur  désordre  ;  si  bien  qu'avec  peu  de  résis- 
tance, ils  la  perdirent,  et  avec  elle  trois  canons  et  une 

f.  300  du  fonds  français  (copie  sans  date).  Pierre  de  Chouppes  a 
écrit  des  Mémoires,  encore  inédits,  que  nous  nous  disposons  à 
publier. 

1.  Le  souvenir  des  meurtres  perpétrés  à  Gahors  en  i572,  après 
la  Saint -Barthélémy,  excita  tellement  les  troupes  du  roi  de 
Navarre  qu'elles  commirent  de  cruelles  représailles.  Voyez  le  récit 
de  de  Thou  (liv.  LXXH)  et  celui  de  Brantôme  (t.  I,  p.  273).  Une 
lettre  de  l'évêque  de  Rodez  au  roi,  du  3  juin  1580,  certifie  les  pil- 
lages, les  meurtres,  les  crimes  des  vainqueurs  (Orig.,  f.  fr., 
vol.  15563,  f.  52). 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,    CHAP.    VU.  15 

coulevrine.  Chouppes,  y  ayant  jette  quelques  hommes, 
mande  au  roi  de  Navarre  que  tout  se  r'allioit  vers  le 
collège,  et  qu'il  s'y  avançoit.  Le  messager  ne  porta 
l'advis  guères  loin,  car  ce  prince  ne  perdit  plus  de  veue 
Chouppes.  A  l'abri  du  collège,  les  habitants,  qui 
estoyent  encoresde  2,000  à  2,500  hommes  ensemble*, 
tenoyent  plus  des  deux  tiers  de  la  ville  ;  et  cela  barri- 
que, et  retranché  durant  les  autres  combats,  si  bien 
que  les  attaquans  ne  purent  faire  pour  le  reste  du  jour 
que  se  loger  devant  le  collège  et  faire,  la  nuict,  quelques 
approches  en  perçant  les  maisons.  Il  y  avoit  un  grand 
diflférent  d'avantages  entre  les  deux  partis,  en  ce  que 
ceux  de  la  ville  se  resserroyent  par  nécessité,  et  les 
autres  s'espandoyent  pour  le  pillage,  si  bien  que,  sous 
un  moindre  capitaine  que  ce  roi,  la  moitié  des  deffen- 
dants  eussent  faict  sauter  les  murailles  à  leurs  pillards. 
Mais  ce  prince,  présent  à  tout,  appelloit  et  nommoit 
chacun  par  son  nom,  envoyoit  des  capitaines  par  la  ville 
r'amener  leurs  hommes  à  coups  d'hallebardes,  et  non 
sans  en  tuer  quelques-uns,  se  souvenant  bien  des  com- 
mandements qu'il  avoit  donnez,  et  à  qui. 

Au  matin  du  second  jour,  on  gaigna  jusques  à  dix 
pas  de  la  porte  du  collège,  et  falut  employer  la  jour- 
née et  la  nuict  suivante  en  approches  assez  dange- 
reuses, pour  les  grandes  escoupeteries  que  faisoit  ceste 
multitude. 

Le  troisiesme  jour,  à  soleil  levant,  fut  monstre  au  roi 
de  Navarre  un  secours  de  quatre  cens  hommes  qui 
gaignoyent  pais  vers  la  porte  de  la  Barre,  fauxbourg 
séparé  de  la  ville,  et  aussi  fort  qu'elle.  A  cet  accident 

i.  L'édition  de  1618  porte  1,200  ou  1,300  hommes. 


16  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

le  conseil  fut  court,  et  la  résolution  prompte  :  asçavoir 
de  combattre  ces  nouveaux  venus  encores  séparez,  et 
avant  qu'ils  approchassent  du  collège.  Chouppes  eut 
ceste  commission,  qui  ne  put  r'allier  des  siens  que  cent 
arquebuziers  et  vingt  gentilshommes,  ce  qui  estonna 
beaucoup  de  reffbrmés;  lesquels,  voyans  leur  salut 
consister  en  un  combat  tant  inégal  pour  eux,  pres- 
sèrent plus  que  jamais  leur  chef  de  quitter  le  jeu,  mais 
les  responses  furent  pareilles  aux  premières.  Chouppes, 
voulant  aider  sa  foiblesse  de  quelque  ruse,  passe  le 
pont  de  Chelandre,  et  se  met  sur  la  piste  des  ennemis 
pour  approcher  d'eux  en  guise  d'un  secours  nouveau, 
et  pour  mieux  faire  poussa  devant  un  capitaine  Cas- 
sinat,  qui,  approché  à  quatre-vingts  pas,  respondit 
Vezins  au  qui-vive.  Cette  confiance  dura  jusques  à  dix 
pas  du  voisinage,  où  les  katholiques  commençans  de 
s'allarmer,  les  refformés  chargèrent  les  deux  cents,  qui 
n'estoyent  pas  encore  entrez  au  faubourg,  si  vivement 
qu'il  en  demeura  plus  du  tiers  sur  la  place  ;  et  puis 
donnèrent  au  reste,  entre  les  maisons,  dans  une  rue 
estroicte,  où  les  autres  deux  cents,  ayans  eu  loisir  de 
prendre  quelque  ordre  et  mesmes  renforcez  par  ceux 
du  lieu,  arrestèrent  au  commencement  sur  le  cul  les 
refiFormés.  Mais,  dans  l'espesse  fumée  qui  s'amassoit 
en  lieu  serré,  et  mesmes  pour  s'estre  mis  le  feu  en 
quelques  fourniments  à  cause  de  la  presse,  le  capi- 
taine Nesde  et  un  sergent,  qui  y  mourut,  firent  quelque 
jour  dans  ceste  foule  à  coups  de  hallebarde,  ceux-là 
bien  suivis  par  les  gentilshommes.  Ceux  du  secours, 
après  avoir  perdu  les  plus  opiniastres,  quittèrent  le 
fauxbourg.  Sur  cet  effroi  Chouppes  fit  gagner  à  ses 
gens  deux  monastères,  l'un  de  Chartreux,  et  l'autre 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,    CHAP.    VH.  17 

de  religieuses  ;  là  où  ils  prirent  haleine  en  s'accommo- 
dant  pour  garder  ce  qu'ils  avoyent  acquis. 

Le  quatriesme  jour,  le  roi  de  Navarre,  ayant  tous- 
jours  cependant  travaillé  comme  il  pou  voit,  sur  le  soir 
tint  conseil,  pour  emporter  au  matin  le  collège;  ce 
qui  se  fit  plus  rudement  qu'auparavant.  Le  feu  fut  mis 
aux  deux  portes  de  devant  et  derrière,  aussitost  à  celle 
de  devant,  sous  la  fumée  de  celle  de  derrière.  Nesde, 
se  doubtant  que  le  feu  auroit  chassé  d'une  fenestre 
qu'il  voyoit  ceux  qui  la  deffendoyent ,  y  porte  une 
eschelle,  et  estant  entré,  lui  troisiesme,  fit  quitter  la 
porte  à  ceux  qui  tuoyent  le  feu,  puis  l'ouvre  et  donne 
moyen  à  ses  compagnons  d'entrer.  Ce  fut  à  sauter  les 
murailles  du  collège  du  costé  de  la  grand'rue  pour 
gaigner  quatorze  barricades,  qui  y  estoyent  faictes  avec 
quelque  loisir.  Le  roi  de  Navarre,  s' estant  reposé  dans 
le  collège  et  r'allié  ce  qu'il  avoit  espars  cà  et  là,  prend 
résolution  avec  tous  les  capitaines  d'emporter  ceste 
grand'rue  à  quelque  prix  que  ce  fust.  Ceux  qui  avoient 
deffaict  ce  secours  en  voulurent  la  poincte,  où  ils  don- 
nèrent fort  brusquement,  jusques  à  ce  que  leur  chef 
fût  porté  par  terre  d'un  coup  de  pierre.  Là  trop  de 
gens  faisans  les  officieux  pour  le  relever,  ce  roi,  qui 
menoit  la  première  troupe  après,  n'ayant  que  ses 
gardes  devant  soi,  et  en  pourpoint  comme  eux, 
emporta  la  meilleure  de  leurs  barricades.  Sur  la  perte 
de  laquelle,  la  nuict  et  le  matin  d'après,  qui  fut  le  cin- 
quiesme  jour,  tout  s'estonna  et  gaigna  le  dehors  de 
la  ville,  la  laissant  paisible  aux  conquérans,  si  abbatus 
du  combat  de  cinq  jours  qu'ils  ne  pouvoyent  plus 
desmarcher  ^. 

1.  Une  lettre  de  Biron  au  roi,  en  date  du  \2  juin  1580,  fournit 
VI  2 


18  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

Le  roi  de  Navarre  monstra  ses  pieds  à  plusieurs, 
tous  fendus  et  saignants  en  quelques  endroits.  II  eut 
soin  de  faire  enlever  ses  morts,  qui  estoyent  en  tout 
septante  hommes.  Entre  les  plus  regrettez,  pour  avoir 
bien  faict  à  tout,  fut  la  Motte-Bregion,  de  Poictou. 

Chapitre  VIII. 

Suitte  de  guerre  en  Guyenne. 

De  Gahors,  le  roi  de  Navarre  vint  faire  la  guerre  aux 
forces  qui  se  levoyent  en  Armagnac  pour  joindre  le 
mareschal  de  Biron*,  et  pour  les  incommoder  estoit 
jour  et  nuictà  cheval.  Il  deffit  quelques  troupes  nais- 
santes auprès  de  Vic-Fezançac^,  et  de  là  à  quelques 
jours,  passant  près  Beaumont-de-l'Aumagne^,  où  il 
avoit  fait  quelques  légères  charges  auparavant*,  il  ren- 
contra deux  compagnies  de  gens  de  pied  qui  furent 

des  détails  nouveaux  sur  le  siège  et  la  prise  de  Gahors  (Orig., 
f.  fr.,  vol.  15563,  f.  83). 

1 .  Bien  que  le  maréchal  de  Biron  fût  le  représentant  du  roi  en 
Guyenne,  il  n'avait  encore  officiellement  que  le  titre  de  lieutenant 
du  roi  de  Navarre.  Ce  fut  le  21  juillet  1580  qu'il  reçut  le  titre  de 
lieutenant  général  et  commandant  en  chef  pour  le  roi  en  Guyenne 
(Gopie  auth.  sur  parchemin;  coll.  Glairambault,  vol.  955,  f.  127). 

2.  Vic-Fezensac  (Gers),  sur  la  Losse. 

3.  Le  roi  de  Navarre  était  à  Gasteljaloux  le  30  avril  1580,  à 
Lectoure  le  9  mai  et  était  revenu  à  Nérac  le  12  mai.  Ce  fut  pro- 
bablement entre  le  30  avril  et  le  9  mai  qu'il  passa  à  Vic-Fezensac 
et  à  Beaumont-de-Lomagne. 

4.  La  ville  de  Beaumont-de-Lomagne  fut  punie,  au  mois  de 
décembre  de  cette  même  année,  de  la  résistance  que  par  deux 
fois  elle  avait  opposée  au  roi  de  Navarre.  Elle  fut  prise  et  pillée 
par  des  partisans  huguenots  et  une  partie  des  habitants  fut  mas- 
sacrée. Le  Journal  de  Faurin  fixe  la  date  de  la  prise  de  Beaumont- 
de-Lomagne  (édit.  Pradel,  p.  114)  au  mois  de  décembre  1580.  Le 
Journal  de  Syrueilh  (1873,  in-4»)  donne  quelques  détails. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.    VIO.  19 

promptement  chargées  par  ses  coureurs.  Mais,  pource 
que  les  hayes  et  voisinage  de  la  ville  donnèrent  avan- 
tage aux  arquebuziers  et  moyen  de  se  r'allier,  mesmes 
que  quelques  soldats  du  lieu  parurent  au  secours  des 
autres,  le  prince  y  donna  en  personne  et  en  gros,  et 
mena  battant  et  tuant  les  plus  paresseux  à  gaigner 
le  fossé. 

Telles  diligences  se  firent  tellement  redouter  que  le 
mareschal  de  Biron,  prest  à  se  mettre  aux  champs*, 
dressa  le  corps  de  son  armée  dedans  Marmande^,  et 
le  roi  de  Navarre,  pour  l'approcher,  vint  se  jetter  à 
Tonins^.  Et  de  là,  s'estant  résolu  de  cercher  le  coup 
d'espée,  il  marche  avec  trois  cents  bons  chevaux,  et 
rien  que  ses  deux  gardes,  qui  faisoyent  soixante  arque- 
buziers. 11  alla  dresser  son  embuscade  à  la  garenne  de 
Tonnins,  où  ayant  logé  ses  bandes,  il  découple  le 
baron  de  Lezignan*,  avec  vingt  gentilshommes  choi- 
sis, qui  va  donner  des  coups  d'espée  jusques  dans  les 
portes  de  Marmande,  et  ne  perd  la  ville  de  veue  que 
chassé  d'arquebuzades,  avec  quelques  gentilshommes 
blessez. 

1.  Le  maréchal  de  Biron  était  parti  de  Bordeaux  le  20  juin  1580 
et  s'était  mis  en  campagne.  Il  attendit,  aux  environs  de  la  Réole, 
la  réunion  de  toutes  ses  troupes  (Journal  de  Syrueilh,  publié  par 
M.  Simon,  p.  80). 

2.  Le  8  juillet  1580,  le  maréchal  de  Biron  était  à  Marmande 
avec  son  armée.  Le  13,  il  s'empara  de  Gontaut  (Ibid.). 

3.  Tonneins  (Lot-et-Garonne).  Le  roi  de  Navarre  y  arriva  entre 
le  2  et  le  8  juillet  1580.  Il  y  passa  la  journée  du  9  juillet. 

4.  Henri  de  Lusignan,  fils  de  Jean  de  Lusignan,  capitaine  de 
cinquante  hommes  d'armes  des  ordonnances,  plus  tard  gouver- 
neur de  la  ville  de  Puymirol.  M.  Tamizey  de  Larroque  a  pubUé 
plusieurs  lettres  de  ce  capitaine  et  lui  a  consacré  une  savante 
note  (Documents  inédits  sur  Vhistoire  de  l'Agenais,  p.  178  et  suiv.). 


ÎO  raSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

Yollet^  avec  un  valet  de  chambre,  sans  sçavoir  le 
dessein  de  son  maistre,  s'estoit  avancé  pour  sçavoir 
le  premier  des  nouvelles  de  Lezignan.  En  peu  de  temps 
il  le  void  revenir  un  peu  viste,  et  après  lui  une  pous- 
sière, qu'il  estima  ne  pouvoir  estre  que  de  l'armée. 
Croyant  donc  que  le  mareschal  auroit  esté  trouvé  en 
bataille,  il  dépesche  le  valet  de  chambre  au  roi,  et  lui 
mande  sous  le  nom  de  Lezignan  qu'il  avoit  l'armée 
sur  les  bras  et  qu'il  estoit  perdu,  s'il  ne  se  retiroit  en 
toute  diligence.  Les  meilleurs  capitaines  d'auprès  de 
ce  prince  le  forcèrent  à  prendre  cet  advis.  Et  partant, 
commanda  promptement  de  marcher,  et  à  ses  deux 
gardes,  veu  l'avantage  du  pays,  de  demeurer  derrière 
et  le  suivre;  ce  que  fit  Divetière,  commandant  la  nou- 
velle garde.  Mais  La  Porte,  vieil  et  ferme  soldat,  pria 
quelqu'un  de  dire  à  son  maistre  qu'il  estoit  mieux  logé, 
pour  son  service,  qu'il  ne  seroit  ailleurs  à  cheval,  et 
en  confusion  ;  et  ainsi  ne  partit  point.  Sur  ce  poinct, 
arrivoit  de  Languedoc  Constans,  pour  les  affaires  que 
nous  déduirons  au  chapitre  suivant,  qui  conseilla  de 
laisser  une  vingtaine  de  bons  hommes  pour  tendre 
la  main  à  Lezignan.  Il  fut  creu  et  envoyé  à  Lons,  pour 
l'assister  et  trier  les  vingt  à  cest  effect.  Geste  troupe 
n'eut  pas  loisir  de  brider  le  casque  qu'ils  voyent  arri- 
ver Lezignan,  meslé  de  ceux  de  Biron.  Eux  vont  pour 
le  desgager,  selon  que  le  chemin  assez  large  le  permet- 
toit.  Mais  tout  cela  estoit  crevé  de  ceste  fleur  de  gen- 

1.  Pierre  de  Malras,  baron  d'Yolet,  frère  de  François  de  Mal- 
ras,  époux  de  Gasparde  de  Taillac,  fille  de  Balthazar,  s.  de  Mar- 
gerides,  en  1572,  gentilhomme  ordinaire  du  duc  d'Alençon  en  1576, 
maître  d'hôtel  de  Catherine  de  Navarre  en  1578,  maréchal  de  camp 
eu  1580,  mort  le  25  août  1586. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    VIE.  21 

tilshommes  gascons,  qui,  tous  frais  venus,  avoyent 
eu  commandement  de  mesler  sans  taster;  et  aussi  sen- 
toyent-ils  à  leurs  trousses  cinq  ou  six  cents  chevaux, 
pour  succéder  à  leur  gayeté.  Mais  le  capitaine  La  Porte, 
avec  trente  soldats  des  meilleurs  de  la  France,  atten- 
dit à  bout-touchant  les  plus  importuns  de  ces  coureurs, 
et  se  meslant,  pour  trier  les  siens  d'avec  les  autres, 
arresta  sur  le  cul  toute  ceste  colère,  service  pour  lequel 
il  ne  fut  jamais  aimé  de  son  maistre  depuis,  pource 
que  Lezignan,  irrité  de  n'avoir  pas  trouvé  l'embuscade 
au  lieu  promis,  parla  de  cet  affaire  hautement;  main- 
tenant que,  sans  ce  coup  de  soldat,  la  retraicte  d'un  roi 
estoit  fuitte,  et  les  portes  de  Tonnins  le  premier  arrest. 
Biron  y  perdit  quelques  gentilshommes,  entr'iceux  le 
jeune  Fumel^  et  un  des  L'Estelles^,  sept  ou  huict  che- 
vaux morts,  et  les  blessez  ayans  fermé  le  chemin. 
Lezignan  y  perdit  le  baron  de  Moncaut^.  YoUet,  appelle 
pour  recevoir  réprimende,  s'excusa  sur  le  soin  de  la 
personne  royale,  et  que  de  son  temps  les  rois,  se  gar- 
dans  pour  la  fin,  laissoyent  aller  aux  embuscades  les 
fols  et  les  chevaux-légers*. 


{.  D'Aubigné  commet  ici  une  erreur,  ou  le  jeune  Fumel  avait  un 
frère,  François  de  Fumel,  lieutenant  du  maréchal  de  Biron,  en 
place  de  Pierre  de  Masses,  s.  de  Condom  (Montre  du  20  octobre 
1580,  f.  fr.,  vol.  21537). 

2.  Sur  ce  capitaine,  Tamizey  de  Larroque  émet  diverses  hypo- 
thèses {Notice  sur  Marmande,  in-S®,  p.  80,  note). 

3.  Biaise  de  Laurière,  seigneur  et  baron  de  Montcaut  et  de 
Sainte-Culombe,  gentilhomme  de  la  chambre  du  roi,  mestre  de 
camp  d'un  régiment  d'artillerie,  gouverneur  de  la  ville  et  cita- 
delle de  Layrac.  "Voyez  sur  ce  personnage  une  note  de  M.  Tami- 
zey de  Larroque  {Notice  sur  Marmande,  1872,  p.  80,  note). 

4.  Cette  escarmouche,  livrée  aux  portes  de  Marmande,  est 


a!l  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

Chapitre  IX. 
De  Languedoc. 

Constans  arrivant,  comme  nous  avons  dit,  de  Lan- 
guedoc, rendit  conte  de  sa  charge,  ainsi  que  nous 
dirons.  C'est  qu'ayant  trouvé  Chastillon,  retiré  à  Mil- 
laut,  à  cause  de  la  peste  de  Montpellier*,  il  le  fit 
retourner  à  Sommières,  à  une  assemblée  qui  fut  con- 
voquée en  ce  lieu*,  pour  les  affaires  qui  couroyent. 
Là  ayant  donné  ses  lettres  et  desduit  les  nécessitez  qui 
contraignoyent  le  roi  de  Navarre  à  prendre  les  armes, 
les  raisons  du  jour  qu'il  avoit  choisi,  le  péril  où  estoit 
sa  personne  et  tout  le  parti  si  on  l'eust  voulu  différer 
d'avantage,  l'ordre  qu'il  avoit  donné  tant  dehors  que 
dedans  le  royaume  pour  informer  chacun  de  la  justice 
de  ses  armes,  sommé  tous  les  partisans  de  se  joindre 
à  lui,  comme  le  seul  moyen  pour  garentir  de  ruine  iné- 
vitable les  églises  en  général,  et  chacun  en  particulier. 

Ceste  harangue  fut  diversement  receue  selon  la  dif- 
férence des  esprits  qui  composoyent  l'assemblée.  Les 
pasteurs  et  gentilshommes,  qui  avoyent  assisté  aux 
traictez  faicts  avec  la  roine  mère,  et  ceux  qui  avoyent 
esté  aux  assemblées  générales  convoquées  par  le  roi 
de  Navarre,  estoyent  instruits  comment  on  vouloit 
arracher  les  villes  aux  refformés  pour  les  désarmer, 
et  venir  plus  facilement  à  bout  de  ce  qui  restoit. 

racontée  avec  beaucoup  d'autres  détails  par  Sully  qui  y  assistait 
{OEconomîes  royales,  liv.  XII). 

1.  La  peste  dura  à  Montpellier  jusques  en  août  1580. 

2.  Assemblée  de  Sommières  (avril  ou  mai  1580). 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   IX.  23 

Ceux-là  se  r'allyoyent  avec  Chastillon,  LecquesS  Por- 
querez^,  Chambaut^,  presque  toute  la  noblesse  du 
pays,  les  principaux  pasteurs,  comme  Payen*  et 
Casques^,  avec  tout  le  tiers  estât,  pour,  sans  contre- 
dict,  approuver  la  prise  des  armes  et  les  résolutions 
qu'on  leur  envoyoit. 

Pour  la  dernière  paix  de  l'année  1 577,  les  reff ormes 
avoyent  choisi  les  plus  capables  de  leurs  jurisconsultes 
pour  composer  la  chambre,  mi-partie  en  Languedoc, 
entre  ceux-là  Clauzonne^  et  VignoUes"'' ;  le  premier 
desquels  avoit  eu  grande  réputation  entre  les  fronts 
d'airin.  Ces  deux,  et  avec  eux  tous  ceux  qui  avoient 
quelque  estât  en  la  justice,  firent  une  brigue  ouverte 
par  toute  la  province,  et  par  le  moyen  de  Serres*, 

1.  Antoine  du  Pleix,  s.  de  Gremian  et  de  Lecques. 

2.  Hérail-Pagès,  s.  de  Porcairez. 

3.  Jacques  de  Ghambaud,  vicomte  de  Privas,  s.  de  VacheroUes 
et  autres  lieux,  gentilhomme  de  la  chambre  du  roi,  mestre  de 
camp  de  cavalerie,  souvent  nommé  dans  les  Mémoires  d'Eustache 
Piémond. 

4.  Jean  Payen  était  ministre  de  l'église  de  Montpellier. 

5.  Une  lettre  du  roi  de  Navarre,  datée  du  16  décembre  1588, 
nous  fait  connaître  que  le  s.  de  Gasques  était  député  du  bas  Lan- 
guedoc [Lettres  de  Henri  IV,  t.  II,  p.  406). 

6.  Guillaume  Roques,  seigneur  de  Glausonnes,  un  des  chefs 
du  parti  protestant  dans  le  haut  Languedoc  [Hist.  du  Languedoc, 
t.  V,  330  et  suiv.).  On  le  retrouve  en  1583  à  Montauban  [Lettres 
de  Henri  IV,  t.  I,  p.  508). 

7.  Benjamin  de  VignoUes,  fils  de  Paris  de  VignoUes,  et  de 
Jacqueline  de  Constant,  est  signalé  dans  une  note  de  M.  Berger 
de  Xivrey  comme  chevalier  de  l'ordre  du  roi  et  maître  d'hôtel 
du  comte  de  Soissons  [Lettres  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  586). 

8.  Jean  de  Serres,  ministre  de  Nîmes,  historien  que  nous 
avons  souvent  cité,  frère  d'Olivier  de  Serres,  le  grand  agronome. 
M.  Dardier,  qui  lui  a  consacré  une  savante  notice  biographique, 
a  publié  une  lettre  de  Jean  de  Serres  au  roi  de  Navarre,  du  15  avril 


24  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

ministre,  qui  avoit  dix  mille  escus  à  solliciter  en  cour, 
gagnèrent  grande  quantité  de  pasteurs,  pour  s'oppo- 
ser à  la  prise  des  armes.  Et  fut  si  puissante  cette  fac- 
tion que,  trois  mois  et  demi  durant,  il  n'y  eut  au  bas 
Languedoc  que  Aigue-Mortes ,  Lunnel  et  Sommières 
qui  fissent  la  guerre  avec  Chastillon.  Ces  deux  partis 
s'eschauffans  dans  le  parti  donnèrent  un  grand  avan- 
tage au  mareschal  de  Montmorenci,  mais  il  ne  s'en 
prévalut  point;  ce  que  plusieurs  attribuèrent  à  ce  que 
ses  affaires  n'estoyent  pas  bien  à  la  cour. 

Sur  ce  rapport  faict  à  Tonnins,  Constans,  redespes- 
ché  pour  courir  aux  remèdes  du  Languedoc,  le  trouva 
en  Testât  que  nous  dirons.  Nismes  demeuroit  non  seu- 
lement neutre,  mais  panchoit  du  costé  du  mareschal 
contre  Chastillon,  à  la  persuasion  des  justiciers  et  de 
la  pluspart  du  consistoire.  Il  arriva  que  les  katholiques 
surprirent  un  petit  fort  nommé  la  CalemetleS  d'où  ils 
faisoyent  des  courses  dommageables  jusques  dans  les 
portes  de  Nismes  sans  respect  de  la  neutralité.  Cela 
mettant  en  colère  ceux  qui  perdoyent  à  ce  passetemps, 
fit  résoudre  les  plus  mauvais  garçons  de  la  ville  de 
tendre  la  main  à  Chastillon  ;  à  cela  aidant  une  assem- 
blée que  Constans  fit  convoquer  en  Alez^.  Tant  y  a  que 


1580,  relative  aux  événements  qui  nous  occupent  {Revue  histo- 
rique, juillet  1883,  p.  317). 

i.  La  Calmette  (Gard),  sur  la  route  de  Nîmes  à  Alais. 

2.  L'assemblée  convoquée  à  Alais  fut  réunie  au  mois  de  mai  1580 
et  non  au  mois  d'août  comme  le  porte  V Histoire  du  Languedoc,  t.  V, 
p.  383.  L'assemblée  reconnut  la  prédominance  du  roi  de  Navarre 
et  la  lieutenance  de  François  de  Chastillon.  Le  procès-verbal  de 
la  réunion,  daté  du  mois  de  mai,  est  conservé  en  copie  dans  le 
vol.  15563  du  f.  fr.,  f.  51.  Les  résolutions  de  l'assemblée  ont  été 
publiées  par  le  comte  Delaborde  {François  de  Chastillon,  p.  442). 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,    CHAP.    IX.  215 

les  soldats,  tous  despitez  de  s'estre  bandez  contre  leur 
mestier,  receurent  en  leur  ville  Chastillon,  lequel,  sans 
y  faire  longue  demeure,  assiège  la  Galemette  et  la  prit 
en  trois  jours'.  Ce  fut  ce  qui  donna  branle  à  tous  les 
diocèses,  et  qui  les  mit  à  la  guerre  et  à  la  réunion. 

Par  ainsi  le  marescbal  de  Montmorenci,  n'ayant  plus 
de  couverture  pour  se  tenir  coi,  résolut  de  se  mettre 
aux  champs  avec  forces.  Il  assembla  de  cinq  à  six  mil 
hommes  de  pied,  tira  quatre  canons  et  deux  coule- 
vrines  de  Béziers ,  et  son  armée  estant  composée ,  il 
l'employa  premièrement  pour  le  siège  de  Villemane  ^. 
De  quoi  Chastillon  adverti  mit  en  quatre  jours  quatre 
cens  cinquante  chevaux  et  cinq  mille  hommes  de  pied 
aux  champs.  Et  s'estant  avancé  vers  Cornon-TerraiP, 
il  y  fit  ferme  pour  joindre  autres  troupes  qu'il  atten- 
doit  de  divers  lieux.  Durant  tel  séjour  le  régiment  de 
Monthazin^*,  qui  estoit  à  Fabregues^,  entre  Montpelier 
et  Gigean,  fut  mandé  par  le  duc  de  Montmorenci  pour 
aller  joindre  l'armée  à  Villemane.  De  Cornon-Terrail, 
comme  on  ouyt  le  bruit  des  tambours,  qui  battoyent 
aux  champs,  par  confiance  à  la  force  du  régiment, 
Chastillon  commanda  Constans,  auquel  il  venoit  de 
donner  sa  cornette  blanche,  de  prendre  quelques-uns 
pour  aller  voir  que  c' estoit.  Comme  il  fut  sixiesme, 
entre  ceux-là  Carlincas,  LaTour  etLarrois,  le  régiment, 
se  hastant  de  passer  la  plaine,  pource  qu'ils  voyoyent 

1.  Prise  de  la  Calmette  par  les  réformés,  juillet  ou  août  1580 
(Hist.  du  Languedoc,  t.  V,  p.  383). 

2.  Villemagne  (Hérault),  non  loin  de  l'Orb. 

3.  Gournonterral  (Hérault),  sur  le  Gaulason. 

4.  Guillaume  de  la  Vergne,  s.  de  Montbazin,  plusieurs  fois  cité 
dans  les  Lettres  de  Henri  IV. 

5.  Fabrègues  (Hérault),  sur  le  Gaulason. 


86  fflSTOlRE   UNIVERSELLE.  [1580 

Chastillon  à  cheval,  les  six  passent  et  repassent  les 
rangs  à  travers  d'iceux,  où  ils  blessent  et  tuent  quel- 
cun.  Deux  sergens  donnèrent  aux  chevaux.  Larrois  y 
fut  blessé;  et  tout  le  régiment,  avec  perte  de  la  moi- 
tié des  armes,  se  jettent  dans  les  fossez  de  Gigean,  et 
la  nuict  d'après  se  rendit  au  camp.  Le  lendemain,  les 
forces  qu'attendoit  Chastillon  estans  arrivées,  et  lui 
ayant  disposé  de  son  ordre,  comme  croyant  trouver 
l'armée  en  chemin,  marche  droit  à  Villemane.  Mais  le 
mareschal  pressoit  sa  batterie,  pour  donner  l'assaut 
avant  l'arrivée  de  son  ennemi  ;  et  cela  mesmes  fit  dou- 
bler le  pas  aux  secourans,  auxquels  l'armée,  laissant 
la  moitié  de  la  ville  desgarnie,  permit  de  gagner  la 
ville  et  quelques  environs  pour  leur  logis. 

Chastillon  entre  en  conseil  pour  se  résoudre  s'il  atta- 
queroit  le  camp,  assez  bien  retranché,  dès  ce  jour-là, 
ou  s'il  remettroit  au  lendemain.  Entre  ce  camp,  qui 
estoit  en  lieu  eslevé,  et  le  logis  des  réformés,  y  a  un 
grand  vallon  duquel  le  fonds  est  assez  plein.  Ceste 
petite  pleine  convia  quelques-uns  des  nouveaux  venus 
à  s'y  aller  pourmener,  sans  ordre  et  sans  commande- 
ment. Les  katholiques  aussi  s'y  en  vont  pour  faire  la 
bien  venue.  L'escarmouche  commencée,  les  uns  et  les 
autres  furent  tellement  soustenus  qu'il  en  demeura  peu 
aux  drapeaux.  Voilà  en  peu  de  temps  plus  de  quatre 
mille  arquebuzades  et  force  gens  morts  et  blessez.  A 
ce  bruit  il  falut  quitter  le  conseil  et  trouva-t-on  que 
les  refformés  avoyent  congné  les  autres  dedans  leurs 
retranchements,  tous  sans  ordre,  jusques  à  donner  du 
ventre  aux  gabions  et  s'en  couvrir  pour  tirer  entre- 
deux. Les  chefs  coururent  pour  rompre  les  chiens, 
mais  la  nuict  les  sépara  plus  que  leurs  commande- 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.   IX.  27 

ments,  en  laquelle  Chastillon,  rentré  en  conseil,  résolut 
de  donner  aux  tranchées  au  poinct  du  jour  et  adjouster 
la  conduicte  à  la  gayeté  des  siens.  Le  mareschal  de 
Montmorenci  prit  un  autre  conseil  de  son  costé.  Car, 
ceste  gayeté  huguenotte  lui  ayant  faict  craindre  le 
succès  du  lendemain,  il  fit,  dès  la  nuict  et  sans  bruit, 
desloger  son  artillerie  au  chemin  de  Meze*,  où,  vou- 
lant retirer  son  reste,  il  observa  la  bienséance  ;  car, 
ayant  passé  un  petit  ruisseau,  quelques  costeaux  et 
chemins  estroits,  il  prit  une  commode  place  de 
bataille.  Chastillon  bat  aux  champs  au  poinct  du  jour, 
pensant  exécuter  sa  résolution,  puis,  ne  trouvant  que 
le  nid,  il  se  met  sur  les  pas  de  l'armée,  laquelle,  en 
peu  d'heures,  il  affronta  ;  mais,  en  lieu  où  les  uns  ne 
pouvans  aller  aux  autres,  il  se  falut  contenter  de 
quelque  légère  escarmouche  et  aller  cercher  logis-. 

Au  ^  commencement  des  choses  déduictes  en  ce  cha- 
pitre, Chambaut*  prit  le  temps  des  affaires  de  Langue- 
doc pour  refaire  à  Sainct-Greve  ^  les  mesmes  choses 
que  nous  vous  avons  contées  de  lui  aux  guerres  pré- 
cédentes. Il  barriqua  et  retrancha  la  place,  de  laquelle 
il  avoit  cognu  les  défauts  plus  à  propos  qu'à  la  pre- 
mière fois,  mais  à  moins  de  loisir  et  de  plus  foibles 

1.  Mèze  (Hérault),  sur  les  bords  de  l'étang  de  Thau. 

2.  L'escarmouche  de  Villemagne  eut  lieu  au  mois  de  sep- 
tembre 1580,  car  elle  est  racontée  au  roi  par  le  maréchal  de 
Montmorency  dans  une  lettre  du  2  octobre,  conservée  à  la  biblio- 
thèque de  Toulouse  {Mémoires  de  Gâches,  p.  285,  note  de  M.  Pra- 
del).  C'est  par  erreur  que  l'Hist.  du  Languedoc  la  date  du  mois 
d'août  (t.  V,  p.  383). 

3.  Le  reste  du  chapitre  manque  à  l'édition  de  1618. 

4.  Le  s.  de  Ghambaud  était  gouverneur  de  Saint-Agrève . 

5.  Saint-Agrève  (Ardèche),  sur  l'Érieux. 


28  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

parapets;  car  le  gouverneur  de  Lyon^  qui  avoit  aussi 
esprouvé  de  quelle  diligence  il  estoit  besoin  pour  s'op- 
poser à  telles  entreprises,  esmeut  quant  et  quant  tout 
le  pays,  et,  assisté  de  Montlor^  et  Montréal  ^  chefs  de 
la  ligue,  dans  quatorze  jours,  eut  formé  le  siège  de  la 
Grève*. 

Chambaut  avoit  dedans  quatre  cents  hommes  sous 
les  capitaines  Sautel,  La  Blache^,  Bayernel  et  Thierry, 
une  compagnie  à  lui  et  quelques  gentilshommes  volon- 
taires. 


1.  François  de  Mandelot,  fils  de  Georges  de  Mandelot  et  de 
Charlotte  d'Igny,  né  à  Paris  le  20  octobre  i529,  époux  d'Éléonore 
Robertet,  mort  à  Lyon,  le  24  novembre  1588.  Il  était  déjà  gou- 
verneur de  Lyon  en  1572.  La  correspondance  de  ce  personnage 
est  très  nombreuse.  Nous  citons  ici  quelques  manuscrits  conser- 
vés à  la  Bibliothèque  nationale  :  f.  fr.,  vol.  2704  (gros  recueil  de 
copies  qui  semble  avoir  été  à  son  usage),  3320,  3379,  3408,  4631, 
6628,  6629,  15550,  15551,  15555,  15567,  15568,  16016,  Vc  de  Gol- 
bert,  vol.  8  et  9,  coll.  Glairambault,  vol.  1116. 

2.  Louis-Guillaume  de  Raymond-Mourmoiron,  baron  d'Aube- 
nas,  de  Maubec  et  de  Modène,  comte  de  Montlord,  gendre  de 
Laurent  de  Maugiron,  capitaine  catholique,  souvent  nommé  dans 
les  Mémoires  d'Eustache  Piémond. 

3.  Guillaume  de  Balazuc,  s.  de  Montréal,  Senillac,  Chazeaux 
et  Lanas,  gentilhomme  de  la  chambre  du  roi,  maréchal  de  camp 
et  gouverneur  du  Vivarais,  souvent  désigné  dans  les  documents 
du  temps  sous  les  noms  de  Gherillac  ou  de  Serillac  ou  de  Ghem- 
lac  [Mémoires  de  Piémond,  p.  583). 

4.  François  de  Mandelot,  gouverneur  de  Lyon,  secondé  parles 
capitaines  de  la  Tour-Saint- Vidal,  gouverneur  du  Vêlai,  et  Tour- 
non,  gouverneur  du  Vivarais,  investit  Saint-Agrève  le  16  sep- 
tembre 1580  (Hist.  du  Languedoc,  t.  V,  p.  383). 

5.  Jean  de  la  Blache,  nommé  par  le  prince  de  Gondé  en  1577 
gouverneur  de  Gharmes  (Ardèche),  capitaine  huguenot,  ne  doit 
pas  être  confondu  avec  François  de  Vallin,  s.  de  la  Blache,  capi- 
taine cathoUque,  un  des  lieutenants  de  Laurent  de  Maugiron. 
Les  deux  capitaines  sont  cités  dans  les  Mémoires  de  Piémond. 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,    CHAP.    IX.  89 

Lyon  ayant  fourni  de  canon  à  bon  escient,  les  for- 
tifications tumuituaires^  furent  bien  tosten  poudre,  et 
mesmes  les  maisons  de  ceste  villette  estans  percées 
tout  à  travers,  les  soldats  n'avoyent  logis  que  de  petits 
fossez,  desquels  pourtant  ils  sortoyent  aux  assauts, 
quand  les  canons  des  assiégeans  eussent  tué  des  uns 
et  des  autres.  Ils  soustindrent  par  six  fois  attaque 
générale;  à  la  cinquième  desquelles,  Chambaut,  blessé 
d'un  esclat,  ne  laissa  pas  de  se  faire  porter  dans 
une  chaire  à  toutes  occasions.  Et,  avant  descouvert 
quelques  gens  mal  menez  et  estonnez,  qui  practi- 
quoyent  un  parlement,  après  avoir  faict  les  braves 
défenses  nécessaires  en  tel  cas,  ayant  prolongé  le  siège 
jusques  à  six  sepmaines  contre  toute  apparence,  et  lui 
estant  guéri ,  il  prit  encores  la  résolution  du  premier 
siège,  met  à  sa  teste  un  de  ses  meilleurs  hommes,  et 
l'autre  au  cul;  il  fausse  les  tranchées  de  nuict,  perce, 
fait  fuir  la  cavallerie  qui  estoit  en  garde;  et,  ayant 
gagné  la  vallée  Sainct-Martin^,  refaict  son  ordre  et 
entre  au  Ghelat^  au  point  du  jour. 

Le  gouverneur  de  Lyon,  ayant  appris  que  les  places 
qui  doivent  plus  à  la  nature  qu'au  labeur  se  doivent 
plustost  garder  que  razer,  mit  Sainte-Grève*  entre  les 
mains  du  comte  de  Tournon^,  à  qui  elle  appartient. 

1.  Tumultuaire,  construit  avec  précipitation. 

2.  Saint-Martin-de-Valanias  (Ardèche),  sur  la  Saliouve. 

3.  Le  Ghailard  (Ardèche),  au  confluent  de  l'Érieux  et  de  la 
Dorne. 

4.  Prise  de  Saint-Agrève  par  les  catholiques,  25  septembre  1580 
(Hist.  du  Languedoc,  t.  V,  p.  384).  Dom  Vaissette  cite  un  récit  du 
siège  de  Saint-Agrève,  imprimé  à  Lyon  en  1581,  petit  in-8'. 

5.  Just-Louis,  comte  de  Tournon,  bailli  du  Vivarais  et  séné- 
chal d'Auvergne.  Il  était  cousm  germain  du  vicomte  de  Turenne 


30  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

Chapitre  X. 

De  l'entreprise  de  Blaye  et  autres. 

Si  les  entreprises  traversées  de  plusieurs  accidents 
sont  capables  d'instruire  les  jeunes  capitaines,  je  n'ai 
peu  leur  desrober  celle  de  Blaye,. bien  que  faillie  par 
moi,  qui  en  cela  me  soubmets  aux  gens  de  guerre  et 
à  leur  jugement.  Trois  gentilshommes  ou  soldats  de 
marque,  nommez  Nivaudière,  Turtrie  et  La  Leu, 
nourris  en  la  maison  du  baron  d'Hervaux^  lors  gou- 
verneur de  Blaye,  sur  quelques  mescontentements 
receus  de  lui  et  ayans  ouy  estimer  la  garnison  de  Mon- 
taigu,  s'y  en  viennent.  Et,  comme  voisins  de  La  Bou- 
laye,  à  cause  de  la  Tour  d'Oiré^,  lui  parlent  du  moyen 
de  prendre  Blaye,  eux  estans  renvoyez  pour  cet  affaire 
à  Aubigné.  La  Boulaye  et  lui  en  lieu  secret  les  enten- 
dirent, disans  qu'ils  estoyent  de  naguères  à  Blaye 
comme  familiers  amis,  et  l'un  d'eux  parent  de  Villiers 
y  commandant  et  lieutenant  du  baron  ;  qu'il  n'y  avoit 
dans  le  Petit  Chastellet^  que  huict  soldats  d'ordinaire 
pour  le  plus,  et  tels  quels,  si  bien  qu'eux  trois  entre- 
prendroyent  bien  d'en  venir  à  bout,  pourveu  qu'as- 
seurez  d'estre  secourus  à  propos;  d'avantage  qu'en 
discourant  avec  Villiers,  ils  lui  avoyent  faict  quelque 
envie  de  servir  le  roi  de  Navarre,  soit  pour  l'estime 

et  beau-frère  du  comte  de  la  Rochefoucauld,  principaux  amis  du 
roi  de  Navarre. 

1.  Le  baron  d'Hervaux,  gouverneur  de  Blaye,  est  nommé  le 
baron  d'Arnault  dans  une  relation  que  nous  citons  plus  loin  et 
qui  est  tirée  du  f.  fr.,  vol.  15563,  f.  90. 

2.  La  Tour  d'Oiré  (Vienne),  sur  les  bords  de  la  Vienne. 

3.  Le  Petit-Châtelet  (Gironde),  près  de  Blaye. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    X.  31 

de  ce  prince  ou  pour  son  parti,  dans  lequel  les  soldats 
faisoyent  mieux  leur  profit  qu'en  l'autre.  Ils  adjous- 
toyent  que  cet  homme  leur  avoit  donné  espérance  de 
s'y  joindre  avec  eux,  pourveu  qu'ils  eussent  fait  leur 
condition  bonne  avec  quelque  chef  des  réformés  ;  par 
ainsi  que,  si  on  vouloit  entendre  à  les  soustenir  bien 
au  péril  de  leur  vie,  ils  se  rendroyent  les  plus  forts 
dans  le  Chastelet.  Aubigné  ne  leur  fit  pas  tant  de  ques- 
tions comme  il  avoit  fait  au  capitaine  Mas,  seulement 
fut  d'advis  de  commencer  cet  affaire  après  s'estre 
asseuré  du  temps ^  et  de  la  façon  d'y  donner,  en  fai- 
sant resouvenir  Viiliers  de  leur  proposition  pour  entrer 
au  service  du  roi  de  Navarre  ;  que,  sur  ce  qu'il  leur 
en  avoit  dit,  ils  s'estoyent  avancez  d'asseurer  leur 
condition  avec  quelques  chefs  reff ormes,  que,  s'ils  le 
trouvoyent  en  mesme  résolution,  leur  affaire  estoit 
très  aisée  ;  et,  s'il  estoit  changé,  qu'ils  advisassent  à 
la  seureté  de  leur  vie  et  de  l'entreprise;  que  lui,  ayant 
ceste  commission,  neleur  manqueroit  pas  d'une  minute, 
estant  observateur  de  ses  paroles,  mesmes  au  péril 
de  la  mort.  La  Boulaye  ayant  certifié  cela  mesme  par 
son  serment,  ils  remettent  cela  à  une  autre  fois  pour, 
après  avoir  bien  étudié  les  circonstances,  venir  toucher 
à  la  main. 

Deux  entreprises,  qui  furent  à  peu  de  temps  l'une 
après  l'autre  sur  Montaigu^,  retardèrent  le  parlement 

1.  D' Aubigné,  dans  ses  Mémoires,  mentionne  l'entreprise  de 
Blaye,  mais  il  ne  donne  aucun  détail  nouveau. 

2.  Montaigu  (Vendée).  Les  réformés  prirent  Montaigu  au 
milieu  de  mars  1580  (Ghron.  Fontenais.,  p.  206).  Tous  les  histo- 
riens du  temps  sont  unanimes  sur  cette  date.  C'est  par  erreur  que 
les  Arch.  hist.  du  Poitou  (t.  XTV,  p.  Mb)  ont  attribué  à  l'an- 
née 1579  une  lettre  de  Henri  III  qui  rapporte  cette  surprise. 


321  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

pour  exécuter  ce  qui  se  présentoit  de  plus  pressé.  La 
première  fut  par  un  gentilhomme  nommé  de  Butterie, 
enseigne  de  Jarrie^ .  Cestui-ci,  esperduement  amoureux 
de  la  sœur  de  Pelissonnière^,  ne  refusa  point  d'acheter 
sa  maistresse  par  la  trahison  de  Montaigu;  donna 
rendez-vous  à  toute  la  ligue  de  bas  Poictou  pour  se 
trouver  devant  le  chasteau  deux  heures  après  minuict, 
promettant,  avec  l'aide  de  quatre  soldats,  desquels 
deux  estoyent  de  Genève,  de  couper  la  gorge  au  corps 
de  garde  du  chasteau,  demandant  d'estre  secouru 
quand  il  auroit,  à  la  veue  des  entrepreneurs,  jette  les 
morts  par  dessus  les  murailles  et  non  plutost.  Sur  le 
soir  de  l'entreprise,  quelcun  ayant  cognu  à  la  mine  de 
ce  jeune  homme  qu'il  avoit  un  grand  débat  en  son 
âme  et  mesmes  qu'il  avoit  un  pourpoint  de  maille, 
cestui-là  mesmes,  qui  avoit  accoustumé  de  mener  les 
compagnies  à  la  guerre,  commanda  à  La  Butterie  de 
tenir  prests  six  bons  hommes  et  qu'il  se  faloit  desro- 
ber  par  la  poterne  du  chasteau.  De  Butterie,  saisi  par 
Bastardraye,  son  cousin  germain,  par  lui-mesmes 
interrogué  et  pressé,  confessa  tout  et  sans  que  son 
cousin  lui  promist  la  vie,  bien  qu'il  en  eust  pouvoir. 
Des  six  qu'il  avoit  menez  il  n'avoit  pas  failli  de  choisir 
quatre  des  exécuteurs.  La  Boulaye,  ayant  fait  prendre 
tout  cela,  n'oublia  pas  de  faire  exécuter  tous  les  signaux 
que  ces  marchands  descouvrirent  :  de  sonner  contre 


1.  Jairie,  capitaine  de  gens  de  pied,  appartenait  au  parti  catho- 
lique. Il  est  nommé  dans  un  état  présenté  au  roi  par  le  comte  du 
Lude  (Arcli.  hist.  du  Poitou,  t.  XII). 

2.  Le  s.  de  Pélissonnière  ou  de  la  Pélissonnière ,  capitaine 
catholique,  portait  la  cornette  blanche  du  duc  de  Mayenne  (Aubi- 
gné,  Mémoires,  ann.  1580). 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.    X.  àS 

une  grille,  d'allumer  un  feu  sur  le  haut  du  donjon. 
Et,  à  l'arrivée  des  conjurez,  qui  ne  manquèrent  pas, 
les  quatre  soldats  poignardez  furent  précipitez  du  haut 
du  chasleau.  Là  de  Butterie,  attaché  par  un  pied,  se 
pourmenoit  à  leur  veue,  les  encourageant.  Toute  la 
garnison,  horsmis  quelques-uns  sur  la  muraille,  faisoit 
semblant  de  présenter  l'escalade  au  chasteau,  mettoyent 
le  feu  au  pont-levis  ;  ceux  de  dehors  voyans  les  morts 
et  les  blessez  contrefaits  comme  on  les  traînoit  dessus 
la  contrescarpe.  Mais,  quoiqu'ils  vissent  une  farce  bien 
jouée,  ils  firent  sagesse  de  froideur,  et  de  Butterie  fut 
jette  après  les  autres. 

La  seconde  entreprise  sur  Montaigu  fut  de  Vrignez, 
qui,  pour  cinquante  mille  francs  asseurez  par  le  mares- 
chal  de  Rets\  devoit  mettre  le  chasteau,  où  il  com- 
mandoit,  entre  ses  mains.  La  Boulaye  adverti  envoya 
quérir  Vieillevigne  ^  et  Sainct-Estienne^,  et,  leur  ayant 
communiqué  l'affaire,  quoiqu'ils  fussent  parents  de 
Vrignez,  quelcun  ayant  saisi  le  corps  de  garde  habi- 
lement, le  marchand  fut  poignardé*. 

Ces  deux  accidents  et  le  dernier  faict  de  Limoges 

1.  Albert  de  Gondi,  duc  de  Retz. 

2.  Jean  de  Machecou,  s.  de  Vieille- Vigne,  capitaine  huguenot, 
signalé  pour  ses  pillages  et  ses  excès  dans  le  diocèse  de  Luçon 
(Hist.  du  Poitou,  par  Thibaudeau,  t.  III,  p.  521).  Il  est  plusieurs 
fois  nommé  dans  le  Journal  de  Généraux. 

3.  Le  s.  de  Saint-Étienne,  capitaine  huguenot,  était  le  fils  du 
8.  de  Vieille- Vigne  (Journal  de  Généraux,  p.  114).  D  commandait 
à  Montaigu  une  brigade  de  cavalerie  [Mémoires  de  d'Aubigné, 
édit.  Charpentier,  p.  57). 

4.  Le  s.  de  la  Vergnaye  fut  tué  par  le  s.  de  la  Boulaye  avant 
le  27  mai  1580,  ainsi  que  nous  l'apprend  une  lettre  du  comte  du 
Lude  au  roi,  de  cette  date,  qui  rend  compte  de  cette  affaire 
(Arch.  hist.  du  Poitou,  t.  XIV,  p.  140,  note). 

VI  3 


34  raSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

refroidirent  quelque  peu  les  entrepreneurs  sur  Blaye. 
Mais  enfin  la  valeur  de  l'affaire  les  fit  passer  outre  et 
résouldre  qu'Aubigné  prendroit  de  Montaigu  quarante 
gentilshommes  et  deux  fois  autant  d'arquebusiers  à 
cheval,  meneroit  avec  lui  les  trois  qui  le  quitteroyent 
auprès  de  Sainct-Jean-d'Angeli  pour  aller  à  la  besongne  ; 
et  que  là,  il  se  prépàreroit  les  forces  du  pays,  où  il  avoit 
crédit,  pour  se  trouver  sur  la  contrescarpe  du  chas- 
teau  le  premier  mercredi  de  juillet,  à  six  heures  du 
soir  à  point  nommé,  plustost  tardant  qu'avançant,  y 
ayant  bien  plus  de  péril  de  paroistre  un  quart  d'heure 
avant  le  coup  faict  qu'une  heure  après.  Les  trois  pro- 
mirent de  jetter  les  morts  par-dessus  la  muraille  et  le 
gouverneur  mesmes  s'il  les  refusoit,  et  puis  qu'un  des 
trois  descendroit  du  bastion,  qui  est  devant  le  Ghaste- 
let,  pour  donner  asseurance  aux  secourans.  Le  jectdes 
morts  ne  fut  conté  que  pour  rien,  veu  la  leçon  de  Mon- 
taigu. Mais,  sur  la  descente  d'un  des  trois,  tout  fut  juré 
et  conclud,  à  la  charge  que  la  moitié  des  utilitez  du 
gouverneur  appartiendroyent  à  La  Boulaye,  bien  qu'ab- 
sent, pource  qu'il  faisoit  la  pluspart  des  frais. 

En  accomplissant  tout  ce  que  dessus,  la  troupe  que 
nous  avons  dite  s'achemine .  Les  trois  la  laissent  à  Briou  ^  ; 
s'en  vont  passer  à  Angoulesme,  oùNivaudière  demeure 
malade.  Les  autres  deux,  poursuivans  leur  chemin  et 
leur  dessein,  furent  pris  dans  la  garenne  de  Mon- 
tendre^,  et  menez  prisonniers  à  Pons^  Aubigné,  avec 
le  tiers  de  sa  troupe,  s'y  en  court,  et,  comme  il  vou- 

1.  Brie  (Charente-Inférieure),  sur  la  route  de  Saint-Jean- d'An- 
gély  à  Angoulême. 

2.  Montendre  (Charente-Inférieure). 

3.  Pons  (Charente-Inférieure),  sur  la  Seugne. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   X.  35 

loit  payer  deux  cents  escus  pour  la  rançon  de  ces  deux 
prisonniers,  et  les  faire  passer  outre,  le  capitaine  des 
preneurs  lui  demanda  pardon  du  malheureux  coup 
qu'il  avoit  faict,  par  lequel  il  avoit  rompu  ou  eslon- 
gné  le  plus  grand  service  qu'on  peust  rendre  à  la 
cause  de  Dieu.  Vous  pouvez  penser  si  ceste  honnesteté 
fut  bien  receue,  joint  à  cela  que  tout  le  bruit  de  Ponts 
et  du  pays  estoit  desjà  commun,  qu'on  avoit  pris  des 
hommes  qui  alloyent  pour  surprendre  Blaye.  Sainct- 
Mesme^  escrivit  de  Sainct-Jean  le  mesme  bruit,  et 
qu'il  n'estoit  plus  d'advis  de  prester  des  hommes  pour 
faire  jouer  une  mine  es  ventée.  Sur  ce  point,  les  deux 
prisonniers  reçoivent  un  billet  de  Nivaudière,  guéri 
et  arrivé  à  Blaye,  par  lequel  il  conjuroit  ses  compa- 
gnons de  chevir  de  leur  rançon;  que  Villiers,  qui  bien 
avoit  sçeu  leur  prise,  la  payeroit;  que  jamais  ils 
n'avoyent  estimé  leur  affaire  si  facile  qu'il  estoit,  qu'il 
falloit  seulement  prolonger  de  huict  jours  et  renouer 
le  dessein  comme  il  estoit.  Sur  ce  billet  les  prisonniers, 
avec  serments  exécrables,  promettent  plus  que  jamais 
et  sollicitent  leur  chef  pour  l'exécution.  Lui  leur 
remonstre  leur  péril  d'entrer  seulement  dans  le  chas- 
teau,  sur  le  renom  qu'ils  avoyent  dans  tout  le  pays, 
d'y  entrer  pour  le  trahir.  Au  contraire,  ils  se  font  forts 
d'une  telle  amitié  avec  Villiers  qu'ils  l'auroyent  trahi 
dix  fois  avant  qu'il  en  eust  creu  l'une.  Toutes  ces  asseu- 
rances ,  outre  raison ,  donnoyent  autant  de  crainte  à 
l'entrepreneur,  car  ceste  grande  amitié  lui  debvoit  cau- 
ser autant  de  doubtes  qu'elle  donnoit  aux  autres  de 

i.  Jean  de  Rochebeaucourt,  seigneur  de  Sainte-Mesme,  capi- 
taine huguenot  et  gouverneur  de  Saint-Jean-d'Angély  pour  le 
prince  de  Gondé. 


36  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

seuretez.  Les  gouverneurs  de  Sai net-Jean  et  de  Pons^ 
protestoyent  de  ne  lui  donner  point  d'hommes.  Ber- 
tauville,  qui  avoit  grande  créance  au  pays,  fut  le  pre- 
mier qui  conforta  Aubigné  en  la  résolution  d'y  donner; 
et  les  garnisons  de  Saincl-Jean  et  de  Pons  desfon- 
cèrent maugré  leur  gouverneur  pour  suivre.  Celui  de 
Pons,  nommé  Usson^,  s'y  achemine.  Les  compagnons 
en  partant  adjoustèrent  que  les  coureurs  s'arrestassent 
au  moulin  de  la  Garde-Rolland,  et  que  là  on  feroit  du 
chasteau  un  signal  d'un  linceul  attaché  à  une  picque 
droicte,  si  les  preneurs  du  chasteau  estoyent  fort  pres- 
sez et  abbatus,  si  les  mortes-payes  estoyent  ignorans 
ou  estonnez.  Les  troupes  de  l'entreprise  ayans  mar- 
ché toute  la  nuict,  se  rafraîchissent  à  Croupignac^ 
jusques  après  midi.  Aubigné,  menant  ses  coureurs, 
arrive  un  peu  avant  six  heures  au  moulin  susdit,  mais 
tant  s'en  falut  qu'il  pust  voir  le  signal,  qu'ils  ne  pou- 
voyent  discerner  une  tour  d'avec  l'autre,  à  cause  d'une 
vapeur  qui  se  lève  presque  tous  les  jours  une  fois  à 
la  rencontre  de  tant  d'eaux  que  douces  que  salées. 
Plusieurs  chefs  de  trouppes  s'escrièrent  lors  qu'il  ne 
faloit  pas  aller  plus  avant  sur  la  parole  de  personnes, 
ou  très  infidelles  à  leur  ancien  ami,  ou  à  ceux  qui  les 

i.  La  ville  de  Pons,  depuis  1576,  avait  toujours  eu  une  garnison 
réformée.  Elle  fut  successivement  gouvernée  par  le  s.  d'Usson,  dont 
nous  parlons  plus  bas,  par  Jean  de  Pons,  s.  de  Plassac,  et  par 
Nicolas  de  Bonnefoy,  s.  de  Bretauville  (Audiat  et  Valleau,  Un 
paquet  de  lettres,  1881,  in-8%  p.  12,  note). 

2.  Jean  de  Rabaine,  s.  d'Usson,  capitaine  huguenot,  gendre  du 
baron  de  Mirambeau.  En  1574,  il  avait  pris  part  aux  surprises  de 
Pons,  Royan,  Tonnay-Gharente,  Talmont,  Saint-Jean-d'Angély, 
Rochefort  et  autres.  II  avait  reçu  le  gouvernement  de  Pons  (Ibid.). 

3.  Gourpignac  (Charente-Inférieure). 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,    CHAP.    X.  37 

employoyent  maintenant,  adjoustans  que  les  manque- 
ments qui  paroissent  dès  le  commencement  estoyent 
autant  d'advertissements  pour  se  garder  d'estre  empoi- 
gnez. Celui  qui  conduisoit  la  besongne,  engagé  de  sa 
foi,  marchoit  cependant  et  rencontra  trente  ou  qua- 
rante laquais  messagers  et  escholiers  ;  c'estoit  une  bat- 
telée  qui  venoit  d'estre  deschargée  dans  les  faux- 
bourgs  de  Blaye.  Tous  ceux-ci  interroguez  asseurèrent 
qu'il  n'y  avoit  aucune  esmotion  dans  la  ville.  Cela 
donna  encores  à  crier  contre  le  dessein,  car  tous  ces 
gens  mentoyent,  l'affaire  estant  au  point  que  nous 
allons  dire.  Aussitost  que  les  deux  compagnons  furent 
arrivez  et  mesmes  dès  le  jour  devant,  de  la  part  d'Al- 
ias*, de  Xainctes,  et  de  Congnac,  estoyent  venues 
lettres  et  messagers  exprès,  pour  advertir  comment 
les  prisonniers  n'avoyent  rien  payé  à  Pons ,  mais 
estoyent  partis  ayant  donné  espérance  de  faire  un 
coup  dont  il  seroit  parlé;  d'ailleurs  que  les  forces  de 
Sainct-Jean,  Pons  et  Royan,  joinctes  à  celles  de  Mon- 
taigu,  marchoyent  à  l'entreprise.  Il  ne  passoit  aucune 
heure  sans  billets  qu'on  donnoit  à  Villiers,  et  lui  à 
Turtrie  pour  les  lire,  pource  qu'il  ne  lisoit  pas. 
Quelquesfoislesadvisiui  estoyent  desguisez  ;  quelques- 
fois  on  lui  faisoit  sçavoir  l'entreprise,  mais  en  termes 
généraux;  tout  cela  mesprisé  pour  la  confiance  de 
Villiers  en  ses  hostes.  Mais  ceux  de  la  ville,  n'estans 
pas  tant  aveugles,  vindrent  au  chasteau  sur  les  neuf 
heures,  pour  presser  le  gouverneur  de  regarder  à  ses 
affaires,  lui  déclarans  que  pour  eux  ils  estoyent  tous 
en  armes.  Ceux-là  estans  renvoyez,  Villiers,  qui  avoit 

\.  Âllas-Bocage  (Charente-Inférieure). 


38  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

disné  de  bon  matin,  se  vint  asseoir  sur  un  lict,  et 
Turtrie,  se  mettant  auprès  de  lui,  le  fit  resouvenir  des 
propos  qu'ils  avoyent  eus  ensemble  pour  se  mettre  au 
service  du  roi  de  Navarre.  Villiers  n'eut  pas  si  tost 
respondu  qu'il  estoit  fort  eslongné  de  cela,  que  Tur- 
trie le  tua  de  quatre  coups  de  poignard,  et  en  mesme 
temps  Nivaudière  et  Laleu  en  vont  faire  autant  à  trois 
qui  estoyent  à  la  porte.  Il  n'en  restoit  plus  dans  le 
Chastclet  que  trois,  desquels  l'un,  qui  estoit  de  leur 
ancienne  cognoissance,  leur  promit  fidélité,  les  autres 
deux  furent  mis  dans  une  basse  fosse.  Cela  achevé  dès 
les  dix  heures  du  matin,  ceux  de  la  ville,  où  quelques- 
uns  de  Groupignac  estoyent  arrivez,  ayans  veu  les 
forces,  s'en  allèrent  vers  le  chasteau  environ  midi,  et 
demandèrent  d'entrer.  On  leur  fit  respondre  par  le 
soldat  nouvellement  gaigné  que  la  porte  ne  leur  seroit 
point  ouverte,  et  qu'on  sçavoit  bien  qu'ils  vouloyent 
surprendre  le  Ghastellet  pour  le  remettre  entre  les 
mains  de  Lansac.  Ceux  de  la  ville,  qui  s' estoyent 
assemblez  au  matin  pour  dépescher  à  Bordeaux,  se 
voyent  encore  ensemble,  et  résolurent  de  forcer  le 
chasteau.  Comme  ils  l'essayèrent  entre  deux  et  trois 
heures,  font  venir  quelques  charrettes  chargées  de 
fagots,  mettent  le  feu  au  pont-levis,  et  firent  leurs  efforts 
jusqu'après  quatre  heures.  Mais  les  trois  compagnons 
et  le  quatriesme  adjoinct,  qui  faisoit  son  devoir  en 
apparence,  les  firent  desmordre,  et  sur  les  cinq  heures 
estant  renforcez  de  ceux  de  Bourg,  deSainct-Andreaux, 
de  Vitrezez  et  de  Medo^,  ils  se  préparoyent  à  un  plus 

1.  Bourg-sur-Gironde;  Saint-André  (Gironde),  sur  la  Dordogne; 
Guitres  (Gironde),  sur  le  Palais  ;  le  fort  de  Médoc  (Gironde). 


1580]  LIVRE   PTEUVIÈME,    CHAP.    X.  39 

grand  efifort,  quand  l'alarme  du  dehors  et  la  crainte 
que  les  fauxbourgs  ne  fussent  pillez  les  firent  employer 
aux  barricades.  A  quoi  ils  eurent  une  heure  seulement 
de  loisir  ;  paroissant  incontinent  après  six  heures 
une  grosse  troupe  de  cavallerie  au  visage  du  plus 
proche  des  fauxbourgs,  où  Aubigné,  se  voyant  accablé 
de  reproches  que  son  ambition  l'aveugloit  à  faire 
perdre  force  gens  de  bien,  se  desrobba  seul  pour 
essayer  à  prendre  prisonnier  quelque  soldat,  de  sept 
qui  s'avançoyent  fort  dans  le  chemin.  Il  s'approcha  si 
près  qu'ils  le  tirèrent  et  il  en  entreprit  un  qui  com- 
mandoit,  en  sautant  un  grand  fossé,  que  guères  de 
chevaux  n'eussent  osé  franchir.  Ce  soldat  s'opiniastra 
de  façon  qu'il  ne  put  estre  amené,  aimant  mieux 
demeurer  sur  la  place.  Durant  cette  course,  le  conseil 
se  tint  entre  tous  les  chefs  de  troupe,  où,  après  avoir 
discouru  sur  les  fauxbourgs  retranchez,  et  jugé  que 
si  les  Blayois  eussent  eu  peur  de  leur  chasteau  ils  ne 
se  fussent  pas  amusez  à  cela,  il  fut  résolu  de  tourner 
visage,  et  Ber  tau  ville  envoyé  pour  en  advertir  Aubi- 
gné. Lui,  au  contraire,  se  tournant  vers  la  première 
troupe  où  estoyent  les  siens  et  quelques  autres  gen- 
tilshommes de  bonne  volonté  ;  après  avoir  dict  :  «  Que 
ceux  qui  sont  venus  ici,  pour  l'amour  de  moi,  facent 
comme  moi  ;  il  faut  que  ma  vie  aille  quérir  ma  foi,  où 
elle  est  engagée,  »  ils  mettent  pied  à  terre.  Et  fit  là 
son  unique  faute  :  c'est  qu'il  se  contenta  de  dire  qu'on 
fist  marcher  son  esquippage,  et  ne  fit  pas  mettre  dans 
sa  troupe  les  deux  eschelles,  qu'il  avoit  fait  porter 
jusques-là,  et  qui  y  demeurèrent,  sur  l'opinion  qu'on 
n'alloit  plus  que  piller  les  fauxbourgs. 

Bertauville,  voyant  qu'on  alloit  donner  aux  barri- 


40  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

cades,  s'y  en  vint,  et  à  son  exemple  les  deux  Bois- 
Ronds  S  tous  en  pourpoint  et  achevai.  Tout  cela  vint 
essuyer  les  costez  d'Aubigné,  qui  leur  cria  :  «  Vous  y 
arriverez  et  retournerez  les  premiers.  »  Ceux-là  don- 
nèrent de  la  teste  de  leurs  chevaux  à  la  première  bar- 
ricade, et  puis  firent  place  aux  gens  de  pied,  qui 
l'emportèrent  de  plein  saut,  comme  estant  la  dernière 
entreprise  et  la  plus  mal  défendue.  11  ne  s'y  perdit 
que  deux  hommes,  et  les  capitaines  Gercé  et  Mou  vans, 
blessez.  A  l'autre  se  trouva  deux  cents  qui  la  mainte- 
noyent,  outre  qu'on  fist  avancer  par  les  costez  deux 
bonnes  troupes.  Il  en  resta  encores  une  plus  près  de 
la  ville,  où  ceux  de  Pons,  menez  par  le  capitaine  Mar- 
çaut,  donnèrent  si  gaillardement  qu'ils  la  firent  quit- 
ter, et  retirer  une  grosse  troupe  d'arquebuzerie 
jusques  par  de  là  la  porte.  Cependant,  après  la  seconde 
barricade,  Aubigné  huictième  sort  du  fauxbourg,  et 
s'en  vint  sur  le  bord  du  fossé  à  l'endroit  du  petit  Ghas- 
tellet,  et  là  ayant  deschargé  sa  rondache  et  son  casque, 
qu'il  ne  pouvoit  plus  porter,  sur  un  petit  fumier,  il 
prenoit  autant  d'haleine  qu'il  lui  en  faloit  pour  s'en 
retourner,  ayant  accompli  sa  promesse,  comme 
croyant  avec  les  autres  n'y  avoir  plus  rien  dans  le 
chasteau  qui  fust  à  eux.  Comme  donc  quelques  arque- 
buzades  l'ennuyoyent,  il  reprenoit  son  casque  pour  le 
retour  quand  Nivaudière  l'appela,  lui  criant  qu'il  fîst 
ses  affaires  à  son  aise,  et  qu'ils  n'avoyent  point  de 
haste  jusques  à  minuict,  qu'il  envoyast  une  eschelle 
au  bastion  par  laquelle  un  d'eux  descendroit,  et  que 

1.  L'un  des  deux  frères  est  Jacob  de  Saint-Léger,  s.  de  Bois- 
rond,  qui  se  signala  au  siège  de  Jonzac  en  1570.  Il  commandait 
un  régiment  en  1585  au  siège  de  Brouage. 


4580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.   X.  if 

cependant  on  jetteroit  le  gouverneur  naort.  Ce  fut  à 
souspirer  pour  les  eschelles  laissées  et  à  promettre 
deux  cents  escus  à  deux  soldats  pour  les  aller  quérir. 
Il  prit  lors  un  effroi  aux  mortes-payes  et  habitans  qui 
gaignoyent  les  bateaux  pour  s'enfuir,  sans  quelques 
vieux  soldats  qui  les  ramenèrent  à  l'attaque  du  chas- 
teau.  Ceux  de  dehors  estans  fortifiez  sur  la  contrescarpe 
deffendoyent  les  trois  parts  de  ce  carré,  disans  tou- 
jours aux  quatre  compagnons  qu'ils  n'eussent  soin  que 
du  devant.  Aussi  firent-ils  quitter  l'escalade  après  y 
avoir  tué  du  dehors  quelques-uns  des  assaillans.  Sur 
ce  point  arrivent  les  deux  eschelles,  et  Aubigné,  ayant 
pris  un  pennache  blanc  pour  marque,  enflé  de  vanité, 
s'escria,  en  descendant  dans  le  fossé  et  en  jurant  Dieu, 
qu'il  estoit  roi  de  Blaye.  Voilà  ce  que  je  dis  pour  n'es- 
pargner  point  l'autheur,  car  Dieu  le  paya  de  sa  folie, 
en  ostant  tout  d'un  coup  le  courage  à  ces  mauvais  gar- 
çons, desquels  Laleu  se  jetta  le  premier  dedans  le  fossé, 
si  esperdu  que,  jettant  ses  armes,  Aubigné  ne  le  put 
arrester;  et  s'en  courut  sans  prendre  haleine  à  une 
grosse  troupe  de  cavallerie  que  Husson  tenoit  dans  les 
champs  à  huit  cents  pas  de  la  place.  Aubigné,  qui 
avoit  creu  au  commencement  qu'il  se  fust  jette  pour 
lui  tenir  promesse,  ayant  recognu  l'effroy,  passoitvers 
le  bastion  quand  les  autres  deux  firent  le  mesme  saut  ; 
Turtrie  le  dernier  avec  les  clefs  du  chasteau  en  la  main. 
Cettui-ci,  détestant  contre  ses  compagnons,  s'offrit  à 
remonter  le  bastion  ;  et  cela  se  faisoit  sans  que  le  qua- 
triesme,  qui,  ayant  fermé  la  poterne  du  bastion,  fit 
cognoistre  à  force  d'arquebuzades  que  le  nid  estoit 
pris.  Ce  fut  à  retirer  les  morts  et  les  blessez*. 

1.  On  conserve  à  la  Bibliothèque  nationale,  dans  le  fonds  fran- 


42  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

Chapitre  XI. 

Envoy  du  vicomte  de  Turenne  en  Languedoc; 
escarmouche  de  Nérac. 

Quoique  le  roi  de  Navarre  vit  le  mareschai  de  Biron 
en  estât  de  lui  faire  quitter  la  campagne,  si  est-ce 
qu'il  fut  contraint  de  despescher  le  vicomte  de  Turenne 
en  Languedoc,  pour  les  brouilleries  qui  s'y  passoyent*. 
La  première  besongne  que  le  vicomte  trouva  en  son 
chemin  fut  Sorèze^,  surprise  par  les  katholiques  pource 
que  la  division  estoit  telle  en  ces  pays-là,  notamment 
la  noblesse  et  le  tiers  estât,  qu'armez  et  veillans  les 
uns  contre  les  autres,  ils  estoyent  nuds  et  endormis 
contre  leurs  ennemis.  Voilà  pourquoi  il  falut  que  le 
vicomte  mist  l'ordre  entr'eux  avant  qu'essayer  quelque 
désordre  de  l'autre  costé.  Il  s'estoit  faict  une  assem- 

çais,  vol.  15563,  f.  90,  une  relation  des  événements  de  Blaye  qui 
ajoute  quelques  détails  au  récit  de  d'Aubigné.  Cette  relation  nous 
apprend  la  date  de  la  tentative  de  surprise  de  Blaye,  17  juin  1580. 
Voyez  aussi  sur  cet  événement  deux  lettres  du  maire  et  des  jurats 
de  Blaye  à  Biron  en  date  du  8  et  du  26  juillet  1580  {Arch.  de  la 
Gironde,  t.  Xin,  p.  468  et  469). 

1.  Le  vicomte  de  Turenne,  nommé  lieutenant  général  du  roi 
de  Navarre  en  Albigeois,  Lauraguais  et  bas  Languedoc,  arriva  à 
Castres  le  17  avril  et  y  réunit  une  assemblée,  qui,  le  22  avril  1580, 
le  reconnut  pour  chef  du  parti  réformé.  De  Castres,  Turenne  se 
mit  en  campagne  le  15  juin  (Hist.  du  Languedoc,  t.  V,  p.  382). 
Sur  l'expédition  de  Turenne  en  Languedoc,  voyez  les  Mémoires 
de  Bouillon,  édit.  Buchon,  p.  421,  et  le  Journal  de  Faurin,  dans  la 
réimpression  du  tome  LII  des  Pièces  fugitives  d'Aubais,  p.  102  et 
suiv.,  par  M.  Gh.  Pradel. 

2.  La  ville  de  Sorèze  (Tarn)  avait  été  prise  par  les  catholiques, 
le  3  mars  1580,  et  fut  reprise  par  les  réformés  le  14  septembre 
[Journal  de  Faurin,  édit.  Pradel,  p.  98  et  IH). 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,    CHAP.    XI.  43 

blée  au  bas  Languedoc,  où  il  arriva  que  ceux-là  mesmes, 
qui  n'avoient  pas  voulu  recevoir  la  guerre  au  commen- 
cement, s'opposèrent  à  la  paix  sur  l'espérance  de  cette 
armée  d'Allemagne*.  Telle  résolution  hasta  le  prince 
de  Condé  de  venir  dans  le  pais  2,  mais  les  serviteurs 
du  roi  de  Navarre,  et  entre  ceux-là  Gonstans,  mesna- 
gèrent  tellement  que,  ce  prince  ayant  amené  Clervant^ 
pour  le  mettre  dans  Aiguemortes,  et  Butrich*  pour 
Pequais%  tout  demeura  en  incertitude  jusques  à  l'ar- 
rivée du  vicomte,  lequel,  en  une  assemblée,  ramena  à 
soi  les  esprits  divisez,  fit  résoudre  tous  aux  volontez 
du  roi  de  Navarre,  establit  une  grande  police  pour  la 

1.  Le  prince  de  Condé  avait  été  chercher  du  secours  en  Alle- 
magne, le  22  mai  1 580,  et  en  Angleterre  un  mois  après  (Mémoires 
de  La  Huguerye,  t.  Il,  p.  55  et  suiv.).  Voyez  le  chapitre  suivant. 

2.  Condé  n'arriva  en  Languedoc,  après  un  voyage  aventureux 
en  Dauphiné  (que  La  Huguerje  raconte  en  détail,  Mémoires,  t.  II, 
p.  65  et  suiv.),  que  le  14  novembre  1580  (Aubais,  Pièces  fugitives, 
t.  II;  Mémoires  de  Merle,  p.  18). 

3.  Claude -Antoine  de  Vienne,  seigneur  de  Clervant,  gentil- 
homme huguenot  et  agent  dévoué  du  roi  de  Navarre,  souvent 
nommé  dans  les  Mémoires  de  La  Huguerye. 

4.  Pierre  Beutterich,  conseiller  et  favori  du  duc  Casimir  de 
Bavière,  mort  le  12  février  1587,  souvent  nommé  dans  les  Mémoires 
de  La  Huguerye  et  dans  les  Archives  de  Nassau,  de  Groen  van  Prins- 
terer.  En  ce  moment  même,  il  négociait  à  Phalsbourg,  à  Nancy, 
à  Strasbourg,  etc.,  au  nom  du  parti  réformé,  sous  le  nom  de  la 
Chouette  et  signait  de  ce  nom  ses  lettres  diplomatiques.  On  con- 
serve dans  le  f.  fr.,  vol.  3902,  f,  212  et  suiv.,  la  copie  de  dix  lettres 
écrites  par  lui  pendant  la  guerre  de  1580.  Ces  lettres,  écrites  à 
mots  couverts  et  où  les  personnages  sont  désignés  sous  des  noms 
supposés,  sont  presque  impossibles  à  comprendre. 

5.  Peccais  (Gard).  Toutes  les  salines  du  littoral  de  la  Méditer- 
ranée avaient  été  affermées,  le  11  juin  1579,  pour  deux  ans,  par 
ordre  du  roi,  à  Jean  Richemer,  citoyen  de  Bâle.  On  conserve 
dans  le  vol.  4597  du  f.  fr.  un  recueil  de  lettres  du  roi  et  de  pièces 
relatives  à  cette  afifaire. 


44  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

guerre,  par  laquelle  il  trouva  moyen,  les  garnisons 
bien  payées,  d'entretenir  à  la  campagne  trois  mil 
hommes  de  pied,  quatre  cents  chevaux,  trois  canons 
et  une  coulevrine.  Avec  cet  équipage,  il  gaigna  la  cam- 
pagne sur  Cornusson^  la  lui  ayant  faict  quitter  après 
quelque  léger  combat,  reprit  Sorèze  et  Briteste^,  qui 
avoit  encores  esté  perdue  depuis.  A  quoi  il  adjousta 
quelques  maisons  de  gentilshommes  qui  faisoyent  la 
guerre;  toutes  ces  places  indignes  de  nom^. 

Le  roi  de  Navarre,  cependant,  ne  faisoit  pas  ses 
affaires  si  aisément;  car  il  fut  contrainct,  la  campagne 
perdue,  de  se  retirer  à  Nérac*,  où  il  n'avoit  pas  cent 
chevaux,  sans  l'arrivée  du  comte  delaRochefoucaut^, 
qui  lui  en  amena  quelques  quatre-vingts  et  deux  cents 
arquebuziers  à  cheval  en  sept  compagnies.  Le  mares- 
chal  de  Biron,  pour  monstrer  davantage  le  mauvais 
estât  de  ce  prince,  se  vint  loger  sur  le  bord  de  Garonne, 
ayant  passé  l'eau  aux  ports  de  Saincte-Marie  et  d'Agen. 
A  son  desloger,  se  fit  rencontre  auprès  de  La  Plume  ^ 
de  la  troupe  du  comte  de  La  Rochefoucaut,  qui  estoit 
allé  à  la  guerre,  et  de  celle  de  Saint-Orins''',  avec 
quelques  volontaires  qui  faisoyent  le  mesme  devoir. 

1.  François  de  la  Vallette,  s.  de  Gornusson,  sénéchal  de  Tou- 
louse. 

2.  Briatexte  (Tarn),  sur  l'Adou.  —  Reprise  de  Sorèze  et  de  Bria- 
texte  par  Turenne,  14  septembre  1580  (Hist.  du  Languedoc,  t.  V, 
p.  384). 

3.  Voy.  VHist.  du  Languedoc,  t.  Y,  p.  382  et  384. 

4.  Le  roi  de  Navarre  arriva  à  Nérac  le  15  août  et  y  resta  jus- 
qu'à la  fin  du  mois. 

5.  François  IV,  comte  de  la  Rochefoucauld,  fils  de  François  III 
tué  à  la  Saint-Barthélémy,  mort  à  Saint- Yrieix  le  15  mars  1591. 

6.  La  Plume  (Lot-et-Garonne). 

7.  François  de  Gassagnet  de  Tilladet,  s.  de  Saint-Orens. 


4580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XI.  45 

A  une  traverse  de  chemin,  les  coureurs  du  comte  arri- 
vèrent dans  le  gros  des  autres  les  premiers,  et,  char- 
geans,  mirent  la  troupe  en  confusion.  Mais  leurs 
coureurs,  ayans  pris  à  travers  les  champs,  donnèrent 
si  résoluement  sur  les  refformez  qu'ils  les  mettoyent 
en  désordre  sans  les  arquebuziers  qui  arrestèrent  tout. 
A  cela  y  eut  sept  ou  huict  gentilshommes  blessez,  deux 
tuez,  neuf  ou  dix  prisonniers.  Entre  ceux-là,  un  des 
Montcassins*,  qui  fut  après  maistre  de  camp  de  Cham- 
pagne. Le  lendemain,  le  mareschal  de  Biron  marcha 
devers  Francisquas^,  et,  avec  quatre  mil  hommes  de 
pied,  six  cents  chevaux  et  deux  coulevrines,  vint 
prendre  place  de  bataille  sur  le  haut  des  vignes  de 
Nérac^,  et  se  logea  en  croissant  dans  un  champ  fort 
incommode,  pource  que,  de  la  ville,  on  alloit  par 
rideaux  de  cent  pas  en  cent  pas  jusques  aux  pieds  de 
ceste  cavalierie.  Mais  cet  avantage  ne  fut  point  pris 
pour  je  ne  sçai  quelle  épidémie  de  crainte,  qui  partout 
afflige  les  armées  quelquesfois.  Quelque  gentilhomme  *, 

1.  René  de  Lussiac,  seigneur  de  Moncassin,  parent  du  duc 
d'Épemon,  plus  tard  gouverneur  de  Metz  et  du  pays  Messin  (1581). 

2.  Francescas  (Lot-et-Garonne). 

3.  La  date  de  l'escarmouche  de  Nérac  ne  nous  est  pas  exac- 
tement connue  ;  cependant  on  peut  la  fixer  approximativement 
aux  premiers  jours  de  septembre  1580.  Le  roi  de  Navarre  revint 
à  Nérac  le  15  août  et  en  repartit  le  l*'  du  mois  de  septembre 
(Itinéraire  de  Henri  IV  dans  le  tome  II  des  Lettres).  A  cette  nou- 
velle, le  maréchal  de  Biron,  qui  était  à  Auvillars  depuis  quelques 
jours  (Arch.  de  la  Gironde,  t.  XJV,  p.  172),  s'approcha  de  Nérac  et 
livra  le  petit  combat  que  d'Aubigné  raconte.  Biron  en  fait  le  récit 
au  roi  dans  sa  lettre  du  7  septembre  1580  {Ibid.,  p.  173).  Sa  lettre 
confirme  en  tout  point  la  relation  de  VHist.  universelle.  Le  Jour- 
nal de  Syrueilh  (Bordeaux,  1873,  in-4»,  p.  85)  donne  quelques 
détails  sur  ce  fait  d'armes. 

4.  Quelque  gentilhomme  désigne  ici  d'Aubigné  lui-mâme.  Il  parle 


46  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

qui  estoit  venu  de  Montaigu,  où  la  maladie  estoit  au 
rebours,  rallia  quelques  quarante  soldats.  Ceux-là, 
ayans  receu  l'armée  de  plus  loin  que  du  costau,  furent 
réduits  à  force  d'infanterie  à  un  des  rideaux  que  nous 
avons  dit,  et  l'opiniastrèrent  deux  heures  durant.  Au 
bout  desquelles  le  mareschal,  ayant  fait  tirer  sa  volée 
dans  la  ville,  desmarcha  pour  aller  prendre  logis  à 
Mezin*.  La  roine  de  Navarre,  Madame  2,  et  les  filles  de 
la  cour,  estans  venues  dans  des  guérites  pour  avoir 
le  plaisir  d'une  escarmouche,  s'en  allèrent  mal  édifiées 
et  de  la  froideur  de  leurs  gens  et  d'un  coup  de  canon 
qui  avoit  donné  demi  brasse  à  la  muraille,  sous  les 
pieds  de  cette  roine  ^.  D'autre  costé,  l'armée  se  con- 
tenta de  fort  peu,  comme  de  la  prise  de  Mezin  et  de 
deux  autres  bicocques,  où  ils  n'osèrent  laisser  gar- 
nison*. 

Je  ne  puis  laisser  en  arrière  une  maladie  qui  régna 
trois  mois  de  ceste  année-là,  nommée  la  coqueluche^, 

dans  ses  Mémoires  (année  1580)  de  l'escarmouche  de  Nérac.  Sully 
y  combattit  aussi  en  simple  volontaire  à  pied  malgré  la  défense 
du  roi  de  Navarre.  Voy.  le  récit  des  OEconomies  royales,  ch.  xiii. 

1.  Mezin  (Lot-et-Garonne),  entre  les  deux  rivières  de  Losse  et 
Lauboue.  Le  Journal  de  Syrueilh  dit  que  Biron  se  retira  à  Mon- 
tagnac  (p.  86),  et  la  lettre  de  ce  capitaine,  citée  plus  haut,  confirme 
cette  indication  {Arch.  de  la  Gironde,  t.  XIV,  p.  173). 

2.  Catherine  de  Bourbon,  sœur  du  roi  de  Navarre. 

3.  Ce  coup  de  canon  offensa  la  reine  Marguerite  plus  qu'il  ne 
lui  fit  de  mal.  Voy.  ses  plaintes  contre  Biron  dans  ses  Mémoires, 
édit.  Guessard,  p.  169. 

4.  Le  Journal  de  Syrueilh  dit  que  Biron  s'empara  de  Francescas, 
Montagnac,  Monréal,  Mezin,  Sos,  Vic-Fezensac,  Gazenove,  Astaf- 
fort,  Fieurance  et  Montfort  (p.  86).  Sa  correspondance,  contenue 
dans  le  t.  XIV  des  Arch.  de  la  Gironde,  énumère  les  villes  prises. 

5.  La  maladie  dite  la  Coqueluche  ou  Trousse-galant  parut  en 
Gascogne  et  en  Languedoc  dans  le  milieu  de  l'été  1580.  A  Castres, 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XII.  47 

laquelle  plusieurs  estiment  estre  marque  infaillible  de 
la  peste  pour  l'année  d'après,  comme  de  faict  elle  n'y 
manqua  pas.  La  vérité  est  que  ceste  corruption  rendoit 
les  villes  toutes  entières  sans  garde;  et  est  chose  très 
avérée  que,  si  à  Montaigu  il  y  eust  eu  trente  hommes 
sains,  ils  pouvoyent  prendre  Nantes  et  son  chasteau; 
et,  si  à  Nantes  y  eust  eu  dix  hommes  entiers,  ils  pou- 
voyent rendre  le  semblable  à  Montaigu. 

Chapitre  XII. 

Surprise  de  la  Fère^. 

On  se  servoit  à  la  cour  de  la  division  des  refformez 
pour  en  retenir  plusieurs  en  leurs  maisons  et  en  avoir 
moins  à  combattre.  Mais  aussi,  deleur  costé,  ils  tiroyent 
de  telles  diversitez  ces  esmoluments,  que  plusieurs  pre- 
noyent  le  temps  à  propos  pour  faire  quelque  coup*. 
Entre  ceux-là  fut  le  prince  de  Condé,  qui^,  avant  que 
se  retirer  à  Sainct-Jean,  séjourna  par  ses  maisons 

elle  se  manifesta  le  24  juillet,  atteignit  Damville  et  800  hommes 
de  son  armée  (Journal  de  Faurin,  édit.  Pradel,  p.  108  et  note). 
L'épidémie  dura  plusieurs  mois  et  disparut  après  avoir  fait  d'in- 
nombrables victimes.  Voy.  le  récit  de  de  Thou  (liv.  LXXII),  les 
Mémoires  de  d'Antras,  p.  73  et  165,  et  le  chap.  xin  des  OEconomies 
royales  de  Sully.  On  trouve,  dans  le  t.  IX  des  Archives  curieuses 
de  Gimber  et  Danjou,  une  pièce  sur  l'épidémie  de  coqueluche 
de  1580. 

1.  Surprise  de  la  Fère  par  Condé,  29  novembre  1579.  On  con- 
serve à  la  Bibliothèque  nationale  (V«  de  Golbert,  vol.  29,  f.  433) 
un  récit  de  la  prise  et  de  la  reprise  de  cette  ville.  Voy.  aussi  les 
Mémoires  de  La  Huguerye,  t.  II,  p.  29  et  suiv. 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  quelque  coup  en  se  déclarant;  entre 
ceux-là...  » 

3.  Les  mots  suivants,  jusqu'à  séjourna... y  manquent  à  l'édition 
de  1618. 


48  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

depuis  may  jusques  en  novembre.  A  cela  lui  aidant  la 
négociation  de  la  roine  mère  qui  voulut  mettre  en 
usage  la  discorde  semée  entre  les  deux  cousins,  et,  sur 
diverses  espérances,  attirer  le  prince  à  la  cour. 

Mais  lui,  résolu  à  la  guerre,  sur  quelques  promesses 
que  lui  avoyent  faites  des  gouverneurs  de  Picardie, 
estima  s'y  pouvoir  cantonner,  assisté  d'une  brave 
noblesse,  qui,  encores  pour  lors,  y  tenoit  son  parti. 
Rien  ne  lui  succéda  que  la  Fère,  la  prise  de  laquelle  se 
passa  comme  s'ensuit*. 

Le  prince  estant  venu  à  Sainct-Jean-d'Angeli ,  en 
partit  déguisé  avec  La  Place  ^  et  un  autre.  Et^  de  là 
se  trouva  au  rendez-vous  à  Mouy  *  où  se  rencontrèrent 
Jumelles ^  Gènes,  Liramont  et  plusieurs  autres  gentils- 
hommes, jusques  au  nombre  de  quatre  vingts  ;  pour  de 
là  se  rendre  au  poinct  du  jour  en  une  ferme  d'abbaye, 
nommée  les  Loges,  qui  est  entre  Gompiègne  et  Goussy  ®. 
Le  prince,  partant  de  Rieux*^,  maison  de  Haucourt^, 

1.  Cette  phrase,  jusqu'à  et  de  là...,  manque  à  l'édition  de  1618. 

2.  Le  s.  La  Place  est  le  personnage  qui  donna  un  soufflet  à 
La  Noue  à  la  Rochelle  (Arcère,  Hist.  de  la  Rochelle,  t.  I,  p.  477, 
note).  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  Jean  de  la  Place,  ministre 
protestant  à  Montpellier. 

3.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  Le  rendez-vous  fut  donné  à  Mouf, 
Jumelles...  » 

4.  Mouy  (Oise),  sur  le  Thérain. 

5.  Le  s.  de  Jumelles,  capitaine  huguenot,  commandait  huit 
enseignes  dans  l'armée  conduite  par  Jean  de  Hangest,  s.  de  GenUs, 
devant  Mons,  en  1572.  Il  est  plusieurs  fois  cité  dans  les  Mémoires 
de  La  Huguerye. 

6.  Goucy-le-Ghâteau  (Aisne). 

7.  Rieux  (Oise). 

8.  François  de  Mailly,  seigneur  d'Haucourt,  de  Saint-Léger  et 
de  Rieux,  nommé  dans  les  Lettres  de  Henri  IV,  fut  tué  d'un  coup 
de  canon  au  siège  de  la  Fère. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XH.  49 

ne  faillit  pas  d'y  estre  des  premiers  arrivez.  De  là  il 
fait  marcher  devant  Gènes  avec  cinq  chevaux,  qui 
estoit  son  train  ordinaire.  Cestui-ci,  arrivé  à  la  porte, 
y  trouva  neuf  mortes- payes,  lesquels  il  arraisonna 
jusques  à  ce  qu'ils  vissent  paroistre  Liramont,  lui 
vingtiesme.  Ce  fut  lors  que  les  gardes  coururent  à 
leurs  armes,  mais  trop  tard,  pource  que  les  cinq  les 
meslèrent  si  résoluement,  qu'encores  qu'ils  rendissent 
du  combat,  ils  ne  peurent  lever  le  pont,  et  Liramont 
se  jetta  dessus  au  poinct  que  ceux  de  la  ville  arrivoyent 
au  secours.  Le  prince  mesmes  vint  assez  à  temps  pour 
porter  la  frayeur  aux  bourgeois  et,  donnant  jusques 
à  la  place  du  chasteau,  l'empescher  d'estre  gaigné  par 
eux.  Donc\  quand  il  s'en  fit  maistre,  il  fit  appeler  les 
principaux,  les  rasseura,  leur  fit  entendre  que,  par  le 
commandement  du  roi  et  permission  du  roi  de  Navarre, 
ceste  place  lui  avoit  esté  ordonnée  pour  sa  demeure, 
leur  donnant  avec  cela  communication  des  lettres  du 
roi^.  Ce  peuple  appaisé,  après  les  gardes  posées  aux 
portes  et  remparts,  le  prince  fit  curieusement  porter 
toutes  les  armes  au  chasteau,  où  il  prit  son  logis. 

Dans  peu  de  jours  furent  dressées  en  la  ville  les 
huict  compagnies  de  Cormont^,  La  Sale,  sergent-major, 

i.  Ce  membre  de  phrase  jusqu'à  il  fit  appeler  ...  manque  à  l'édi- 
tion de  1618. 

2.  Une  lettre  du  roi  de  Navarre  à  Henri  III,  datée  du  24  janvier 
1580,  rappelle  que  la  ville  de  la  Fère  avait  été  accordée  par  le  roi 
au  prince  de  Gondé  pour  sa  sûreté  (Lettres  de  Henri  IV,  t.  VIII, 
p.  157). 

3.  Antoine  de  Cormont,  s.  des  Bordes,  gentilhomme  huguenot 
et  serviteur  du  prince  de  Gondé.  G'est  lui  qui  négocia  la  capitu- 
lation des  reitres  après  le  combat  d'Auneau  (1587).  Sous  Henri  IV, 
il  devint  gentilhomme  de  la  chambre  et  capitaine  d'une  compagnie 

YI  4 


50  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

La  Personne,  fils  du  gouverneur  de  mesme  nom  *,  Her- 
vilé,  Persagni,  Guitri^,  Jonquè^es^  Rancogne  et  Lou- 
vancourt.  Cette  action  estant  sçeue  à  Paris,  la  roine  y 
fit  aller  le  prince  de  Conti*  pour,  sous  cette  ombre, 
faire  recognoistre  Testât  de  la  place  par  un  Fougasse  ^, 
gouverneur  de  ce  prince.  Et  puis  elle  mesme  s'ache- 
mina jusques  à  Ghoni  ^  pour  commencer  un  parlement 
qui  dura  deux  mois,  mais  inutilement^. 

En  febvrier  le  prince,  voyant  qu'il  n'avoit  autre 

de  chevau-légers.  Il  mourut  après  1612  (Mémoires  de  La  Huguerye, 
t.  I,  p.  112). 

1.  François  de  la  Personne  était  grand  maître  de  l'artillerie  au 
camp  des  confédérés,  en  1576.  Il  fut  nommé  gouverneur  de  la  Fère, 
après  la  seconde  fuite  de  Gondé  en  Allemagne.  Voyez  plus  loin, 
p.  51. 

2.  Jean  de  Ghaumont,  s.  de  Guitry,  fils  aîné  d'Antoine  de  Ghau- 
mont  et  de  Jeanne  d'Assy,  chevalier  de  l'ordre,  capitaine  de  cin- 
quante hommes  d'armes,  en  1590,  et  lieutenant  général  des  armées 
du  roi,  mort  en  1592. 

3.  Anne  de  Dompierre,  s.  de  Jonquières,  gentilhomme  de 
Picardie  et  capitaine  protestant,  fils  d'Antoine  de  Dompierre, 
premier  page  du  roi  de  Navarre,  capitaine  au  régiment  de  Para- 
bère,  en  1582,  et  maître  de  camp  de  ce  même  régiment  en  1592. 

4.  François,  prince  de  Gonti,  troisième  fils  de  Louis  de  Bour- 
bon, prince  de  Gondé,  et  d'Éléonore  de  Roye,  époux  de  Jeanne  de 
Goesme,  dame  de  Bonnestable,  en  1582,  et  de  Louise  Marguerite 
de  Lorraine  en  1605,  mort  le  3  août  1614. 

5.  François  de  Fougasse,  s.  de  Bertelasse,  gouverneur  du  prince 
de  Gonti,  agent  secret  de  la  reine  mère  (Lenglet-Dufresnoy,  Jour- 
nal de  L'Estoile.  t.  V,  p.  426). 

6.  Ghauny  (Aisne),  sur  l'Oise.  Gatherine  de  Médicis  y  était  le 
18  décembre  1579  (Lettre  de  cette  date  au  roi;  f.  fr.,  vol.  3300, 
f.  20). 

7.  Dans  son  désir  de  reprendre  la  place  de  la  Fère  au  prince  de 
Gondé,  la  reine  mère  chargea  le  cardinal  de  Bourbon  de  proposer 
au  prince  mademoiselle  de  Vaudémont,  propre  sœur  de  la  reine 
Louise  de  Lorraine  (Lettre  de  Gatherine  à  Henri  UI  du  1 8  décembre 
1579;  copie,  f.  fr.,  vol.  3300,  f.  20). 


1580]       UVRE  NEUVIÈME,  CHAP.  XÏI.         51 

place  en  Picardie  et  que  dès  lors  on  la  menaçoit  de 
siège,  la  voyant  encores  hors  d'espoir  de  secours*, 
estima  n'estre  point  là  sa  place,  et,  avec  espoir  de 
faire  mieux  parmi  les  estrangers,  entreprit  le  voyage 
d'Allemagne  par  la  Flandre^,  duquel  nous  parlerons 
en  son  lieu  ;  ayant  auparavant  tracé  et  commencé  à  la 
Fère  quelques  nouvelles  fortifications,  comme  un  rave- 
lin  devant  la  porte  de  Laon,  un  autre  devant  celle  de 
Sainct- Quentin,  un  tiers  devant  la  porte  du  parc  et 
le  quatriesme  le  long  de  la  courtine,  qui  est  entre  le 
parc  et  le  bastion  de  Luxembourg^.  Toutes  ces  pièces 
destachées,  peu  eslevées,  peu  espesses,  plus  enflées 
de  bois  que  de  terre,  et  qui  n'eurent  guères  qu'un 
gratis  au  lieu  de  fossé.  Encores  avant  ce  partement 
fut  déclaré  Mouï*  lieutenant  de  roi,  demeurant  La 
Personne  tousjours  gouverneur  particulier. 


1.  Condé,  dénué  de  tout  secours  et  de  toute  influence,  s'adressa 
à  la  duchesse  d'Uzès  et  la  supplia  de  le  recommander  à  la  reine 
et  d'intercéder  en  sa  faveur  auprès  du  roi.  Voyez  deux  curieuses 
lettres  qu'il  écrivit  à  cette  dame  les  6  janvier  et  14  février  1580 
(Autog.;  f.  fr.,  vol.  3387,  f.  15  et  38). 

2.  Le  prince  de  Condé,  craignant  d'être  assiégé  dans  la  Fère, 
partit  subitement  le  22  mai  1580  avec  trois  gentilshommes,  après 
avoir  adressé  au  roi  une  sorte  de  manifeste  qui  est  conservé  en 
copie  dans  le  vol.  29  des  Vc   de  Colbert,  f.  430. 

3.  Avant  de  partir  pour  l'Allemagne,  Condé  constitua  un  con- 
seil de  guerre,  distribua  des  pouvoirs,  prit  des  mesures  pour  la 
défense  de  la  ville.  Les  copies  de  ces  pièces  et  le  procès-verbal 
du  conseil  de  guerre,  du  23  mai  au  4  juillet  1580,  sont  conservés 
dans  le  vol.  4047  du  fonds  français. 

4.  Isaac  de  Vaudrey,  s.  de  Mouy,  plus  tard  représentant  du  roi 
de  Navarre  à  Sedan,  et  lieutenant  de  Chastillon.  Les  lettres  du 
prince  de  Condé  qui  lui  donnent  le  gouvernement  de  la  Fère, 
datées  du  22  mai  1580,  sont  conservées  en  copie  du  temps  dans 
le  vol.  29  des  Vc  de  Colbert,  f.  432. 


5$  fflSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

De  plus,  estoit  arrivé  La  Motte  Juranville,  capitaine 
d'aage  et  d'expérience  avec  cinq  compagnies,  la  sienne 
et  celle  d'Estivaux  ^  Vaudizière,  Attis  et  La  Motte 
Sainct-Mars. 

Cambrai  estoit  lors  en  Testât  que  nous  marquons 
au  discours  du  Pais-Bas  ;  et  y  commandoit  Inchi^,  que 
le  prince  alla  visiter.  Et  lui  donna  les  compagnies  de 
Hervilé  et  de  Persagni  pour  mettre  dans  Bouchin^, 
ce  qui  servit  à  l'asseurance  de  son  passage,  quand  il 
vouloit  partir,  mais  afFoiblit  la  Fère  de  deux  bonnes 
compagnies  et  d'une  grande  commodité  pour  couver- 
ture et  retraicte  à  ceux  à  qui  le  siège  estoit  de  dure 
digestion. 

Tant  que  le  printemps  dura,  tous  les  coins  de  Picar- 
die, de  Champagne  et  de  l'Isle  de  France  furent  pleins 
de  coureurs,  qui  mesmes  prirent  des  prisonniers  au 
bout  des  fauxbourgs  Sainct-Martin.  L'ecclésiastique 
crioit  contre  ceste  tolérance.  Les  jeunes  gens  de  la  cour 
se  battoyent  à  la  perche.  Mais  deux  choses  tiroyent 
en  longueur  le  dessein  du  siège  :  premièrement,  la 
crainte  de  la  despense,  laquelle  lors  se  faisoit  exces- 
sive par  le  roi  en  dons  desmesurez,  quelque  partie  à 
maintenir  des  capitaines  contre  les  Guisards  et  à  cor- 
rompre de  ceux  qu'ils  avoyent  gagnez  ;  mais  beaucoup 


1.  Le  8.  d'Estivaux,  capitaine  du  duché  de  Bouillon,  servit  plus 
tard  à  Jametz,  sous  les  ordres  de  Robert  de  Schelandre,  s.  de 
Soumasane  {Mémoires  de  La  Iluguerye,  t.  III,  p.  217). 

2.  Baudouin  ou  Charles  de  Gavré,  baron  d'Inchy,  fils  du  comte 
de  Frezin.  Le  voyage  de  Marguerite  de  Valois  à  Cambrai  l'avait 
attiré  au  parti  du  duc  d'Anjou.  Voy.  le  portrait  que  Marguerite 
de  Valois  trace  de  ce  seigneur  flamand  (Mémoires,  édit.  Lalanne, 
p.  91). 

3.  Bouchain  (Nord),  sur  l'Escaut. 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,    CHAP.    XIII.  53 

davantage  en  la  splendeur  des  mignons,  auxquels  il 
faschoit  de  voir  employer  leurs  menus  plaisirs  en 
grosses  nécessitez,  et,  partant,  sollicitèrent  les  traictez 
de  paix  et  le  temps  propre  pour  leur  règne.  L'autre 
raison  estoit  pource  que  le  morceau  de  la  Fère  n'estoit 
pas  trop  aisé,  à  cause  de  son  assiète  et  qu'il  faloit 
attendre  la  seicheresse  et  l'esté.  Mais  enfin  il  falut 
oster  ce  déshonneur,  et  les  mignons  mesmes,  lassez  de 
reproches,  se  convièrent  à  y  marcher  au  mesme  temps 
que  la  paix  se  concluoit  avec  le  roi  de  Navarre,  telle- 
ment que  le  siège  fut  achevé  quelque  temps  après  la 
conclusion.  Mais,  le  prince  de  Condé  n'estant  pas  à 
un  avec  son  cousin  ',  les  effects  de  ceste  paix  trainèrent 
après  sa  promulgation  quelque  temps  que  nous  embras- 
serons dans  ce  livre,  pour  despescher  le  suivant  des 
matières  qui  ne  lui  appartiennent  point. 

Chapitre  XIII. 
Siège  et  reprise  de  la  Fère^. 

Pour  chef,  au  siège,  fut  choisi  le  mareschal  de  Mati- 

1.  D'Aubigné  insinue  ici  que  le  prince  de  Condé  n'était  pas 
d'accord  avec  le  roi  de  Navarre,  son  cousin  germain.  Les  Mémoires 
de  La  Huguerye  font  de  fréquentes  allusions  aux  différends  des 
deux  princes. 

2.  La  Fère  fut  assiégée  le  7  juillet  1580,  mais,  jusqu'au  22  du 
même  mois,  il  n'y  eut  que  de  légères  escarmouches  à  l'attaque 
des  faubourgs  (De  Thou,  liv.  LXXII).  Une  note  de  M.  Berger  de 
Xivrey  {Lettres  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  314)  place  l'investissement  du 
siège  à  la  fin  de  juillet,  et  La  Huguerye,  au  18  du  même  mois 
(t.  II,  p.  58).  Ce  dernier  annaliste  donne  d'amples  détails  sur  la 
reprise  de  la  ville.  Le  Journal  de  L'Estoile  donne  la  même  date 
que  La  Huguerye. 


54  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

gnon\  auquel  on  donna  quatre  principaux  régiments 
de  gens  de  pied  :  asçavoir  celui  des  gardes  commandé 
par  Beauvois  de  Nangi^,  celui  de  Picardie,  par  Sérillac', 
celui  de  Champagne,  par  le  jeune  La  Vallette,  depuis 
duc  d'Espernon,  et  celui  de  Jouannes,  serviteur  par- 
ticulier de  la  maison  de  Guise,  comme  aussi  estoit 
Sérillac.  Car  dès  lors  ceux  de  la  Ligue  avoyent  obtenu 
que  les  forces  qu'on  employeroit  seroyent  mi-parties. 
On  adjousta  à  ces  gens  de  pied  quatorze  compagnies 
d'ordonnances,  quelques  autres  compagnies  de  toutes 
sortes  qui  n'estoyent  point  sous  régiments,  grande 
quantité  de  pionniers,  quarante  pièces  de  batterie  con- 
duictes  par  le  grand  maistre  La  Guische*.  Grèvecœur^, 
lieutenant  de  roi  en  Picardie,  et  le  comte  de  Chaune® 
marchèrent  au  camp,  comme  aussi  de  la  cour  le  comte 
de  Gramont"'',  qui  y  fut  tué;  Arques^,  depuis  duc  de 


1.  Jacques  de  Goyon,  comte  de  Matignon,  né  le  26  septembre 
1525,  maréchal  de  France  et  chevalier  du  Saint-Esprit  en  1579, 
lieutenant  général  en  Normandie  et  plus  tard  en  Guyenne,  mort 
le  27  juin  1597. 

2.  Antoine  de  firichanteau,  seigneur  et  marquis  de  Beauvais- 
Nangis,  chevalier  des  ordres  du  roi,  né  en  1552,  mort  le  9  août  1617. 

3.  Ce  Sérillac  ne  peut  être  François  de  Faudoas,  s.  de  Sérillac, 
souvent  nommé  dans  les  Lettres  de  Henri  IV,  qui  appartenait  à  la 
Réforme. 

4.  Philibert,  s.  de  la  Guiche  et  de  Ghaumont,  fils  aîné  de 
Gabriel  de  la  Guiche,  grand  maître  de  l'artillerie  de  France  (1578- 
1596),  gouverneur  de  Lyon  en  1588.  Il  mourut  en  1607. 

5.  François  GoulCer,  s.  de  Grèvecœur,  frère  de  François  Gouf- 
fier,  fils  de  l'amiral  Bonnivet,  mort  en  1594. 

6.  Louis  d'Ongnies,'  comte  de  Ghaulnes. 

7.  Philibert,  comte  de  Gramont,  né  en  1552,  eut  le  bras  emporté 
durant  le  siège,  en  août  1580,  et  mourut  peu  après  de  sa  blessure. 
U  avait  épousé  Diane  d'Andouins,  dite  la  belle  Corisande. 

8.  Anne  de  Joyeuse,  s.  d'Arqués,  duc  de  Joyeuse,  né  en  1561, 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.    XUI.  55 

Joyeuse,  qui  eut  les  dents  brisées  d'une  mousquetade. 
Toute  la  noblesse  de  la  cour  y  fut  chassée  et  n'y  souffrit 
pas  beaucoup  d'incommoditez,  tant  pour  la  belle  saison, 
assavoir  en  juin,  que  par  l'abondance  de  toutes  choses, 
comme  aussi  n'ayans  à  craindre  aucun  secours  ni  courses 
du  dehors;  aussi  l'appelloit-on  le  siège  de  velours. 

Le  vingtiesme  de  juin,  l'armée  marchant  en  bonne 
ordonnance  partit  de  son  logis  pour  se  faire  voir  à  la 
ville  du  costé  de  Laon.  Les  refformez  les  vindrent  rece- 
voir un  peu  loin,  et  opiniastrèrent  tous  les  rideaux  et 
petits  avantages,  tant  qu'ils  y  perdirent  douze  hommes, 
et,  parmi  eux,  le  capitaine  Rancongne,  La  Motte- 
Juran ville  blessé  et  inutile  pour  le  siège.  Le  mareschal, 
sous  la  faveur  d'une  escarmouche,  recogneut  son 
gibier,  remarqua  entr'autres  que  le  marets  n'estoit 
point  encores  en  estât  d'y  pouvoir  travailler,  et  dit 
à  ses  plus  familiers  que,  si  cette  ville  eust  esté  garnie 
d'artillerie,  que  c'eust  esté  une  dure  besongne  ;  aussi 
estoit-elle  inaccessible  partout,  hors-mis  par  les  deux 
poinctes,  car  elle  est  en  ovalle.  A  la  vérité,  les  terres 
qui  affrontèrent  les  deux  portes  de  Laon  et  de  Saint- 
Quentin  ne  sont  qu'à  la  mousquetade,  et  c'est  le  seul 
moyen  qui  rend  la  place  prenable.  Le  chef  de  l'armée 
donc  alla  reposer  deux  jours  dans  son  logis,  pour  reve- 
nir à  bon  escient  former  le  siège,  qui  commença  par 
l'attaque  du  fauxbourg  de  Saint-Quentin.  Mouï,  qui 
commandoit  en  la  ville,  prit  à  veiie  de  l'armée  un  défit 
de  garder  ce  fauxbourg,  qui  eust  bien  donné  de  la 
peine  si  cette  résolution  eust  esté  prise  à  temps.  Les 
assiégez  donc  firent  tumultuairement  une  petite  tenaille 

mignon  de  Henri  III,  époux  de  Marguerite  de  Lorraine,  sœur  de 
la  reine  Louise,  tue  à  la  bataille  de  Coutras,  le  20  octobre  1587. 


56  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

à  la  teste,  se  contentans  d'un  fossé  de  neuf  pieds,  qui 
fournissoit  les  deux  costez.  Et,  pource  que  cette  riie  du 
fauxbourg  estoit  à  la  merci  d'une  montagnette,  qui  le 
commandoit  à  deux  cents  pas,  il  falut  l'entrecouper 
de  petites  traverses,  qui  couvroyent  chascune  le  cré- 
neau et  le  passage  de  l'autre.  Cela  s'exécuta  tellement 
quellement,  par  les  mains  des  soldats,  qui  avoyent 
pourchassé  avant  les  canonnades. 

Voilà  donc  le  premier  employ  de  l'artillerie,  à  battre 
en  batterie  la  petite  tenaille^  et  en  ruine  toutes  les 
petites  traverses.  Tout  cela  estant  mis  en  assés  mau- 
vais estât,  on  y  donna  plus  pour  recognoissance  que 
pour  assaut.  Les  assiégez  eussent  renvoyé  cela  sans 
un  faux  commandement  porté  par  quelcun  à  qui  l'af- 
faire ennuyoit,  et  perdirent  en  se  retirant  un  de  leurs 
capitaines,  fils  du  sergent-major,  avec  six  ou  sept  de 
leurs  soldats.  Voilà  quand  et  quand  les  régiments  des 
gardes  de  Picardie  logez  à  couvert  dans  ce  fauxbourg. 
Celui  de  Champagne  tint  sa  place  au  fauxbourg  de 
Laon;  Jouannes,  derrière  le  chasteau.  Les  advenues 
plus  esloignées  furent  remplies  des  compagnies  sans 
régiment.  Le  principal  et  plus  utile  accès  se  trouva 
du  costé  de  Saint -Quentin,  pour  attaquer  le  vieux 
ravelin  qui  couvroit  la  porte  et  empeschoit  toutes 
approches  au  bastion  de  Vendosme^.  A  cela  fut  com- 
mencée une  tranchée  au  commencement  dans  la  terre 
ferme,  mais  après  il  n'y  eut  plus  qu'une  longue  suitte 
de  gabions,  qui  ne  purent  être  remplis  pource  que  la 

1.  Tenaille,  terme  de  fortification,  ouvrage  composé  de  deux 
faces  qui  présentent  un  angle  rentrant  vers  la  campagne  et  qui 
sert  à  couvrir  une  courtine. 

2.  Le  bastion  de  Vendôme  était  le  fort  qui  protégeait  les  écluses 
de  la  ville  (De  Thou,  Uv.  LXXU). 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.  XIH.  57 

terre  qu'on  eust  pris  dans  le  noarets  eust  mis  le  chemin 
en  eau.  Cela  bien  recognu  par  les  assiégez,  ils  délibé- 
rèrent une  sortie  pour  mettre  le  feu  aux  gabions,  ce 
qu'ils  firent  à  quelques-uns  qu'ils  eurent  loisir  de  goul- 
dronner.  Mais  cela  estant  mal  aisé,  ils  se  contentèrent 
d'en  verser  quelque  vingtaine,  et  puis  furent  hazardeu- 
senient  pressés  sur  leur  retraicte  ;  et  les  assiégeans  les 
ayans  congnez  rudement  jusques  au  bord  du  fossé, 
non  sans  perte  d'une  part  et  d'autre,  de  là  en  avant 
ils  y  travaillèrent  plus  à  leur  aise,  mais  pourtant  tous- 
jours  troublez,  et  principalement  la  nuict,  de  fausses 
sorties  qui  contraignoyent  les  gens  de  guerre  d'être  en 
la  place  des  pionniers.  Et  par  ainsi  les  approches 
demeurèrent  longtemps  à  baiser  la  contr'escarpe,  où 
ils  n'avançoyent  plus  rien  que  de  nuict.  De  là  advint 
chose  qui  ne  s'est  guères  veûe  ailleurs;  c'est  que, 
comme  les  assiégez  jettoyent  des  torchons  d'artifice 
pour  tirer  aux  pionniers,  on  jeltoit  au  loing  ces  feux  à 
coups  de  canon.  Le  ravelin  de  Sainct-Quentin  estant 
fait  à  la  mode  que  nous  avons  dict,  le  fossé  demi  faict 
et  sans  contr'escarpe,  les  refformez  furent  contraincts 
de  faire  une  petite  avance  en  terre  pour  flanquer  de 
plus  près  le  fossé  du  ravelin  en  tirant  à  celui  de  la 
ville.  Ce  petit  logis,  qui  n'estoit  que  pour  sept  ou  huict 
soldats,  estoit  de  si  peu  de  montre  que  le  canon  ayant 
en  vain  essayé  de  l'oster,  il  y  falloit  venir  pied  à  pied 
et  y  conduire  leurs  tranchées  ;  desquelles  à  mesme  ins- 
tant ils  tirèrent  encor  deux  branches,  l'une  pour  faire 
joindre  le  chemin  commencé  au  ravelin,  et  l'autre  pour 
tourner  au  bastion  de  Vendosme,  qui  estoit  revestu 
jusques  au  niveau  de  l'eau  et  pièce  attachée,  et  pour- 
tant à  laquelle  tendoyent  les  principaux  desseins.  Ceux 


58  HISTOraE   UNIVERSELLE.  [1580 

qui  defferidoyent  le  ravelin  le  réduisirent  en  sa  mesme 
forme  r'acourcie  par  le  dedans,  avec  un  fossé  assés 
creux,  et  lequel,  pour  entreprendre  moins,  tiroit  un 
flanc  plus  gras  de  la  courtine  de  la  ville  ;  et  encor,  pour 
ruer  de  plus  près,  gaignèrent  à  la  mesure  que  venoit  le 
fossé  de  la  ville  une  barricade,  que  la  première  ruine 
du  ravelin  devoit  couvrir. 

Quant  à  ceux  qui  gardoyent  le  bastion  de  Vendosme, 
ils  le  partagèrent  en  escharpe  de  bonne  heure,  et  l'es- 
paule  qu'ils  y  firent  estoit  assés  avantageuse.  La  bat- 
terie commença  au  ravelin,  où  ils  tirèrent  douze  cents 
coups  de  canon  le  premier  jour,  le  despouillèrent  de 
defifenses.  Mais,  pource  qu'il  n'y  en  avoit  point  à  l'en- 
droit de  la  petite  casematte  de  barriques,  ils  ne  la 
peurent  ni  faire  quitter  ni  aveugler;  et  pourtant,  à 
l'attaque  qu'ils  firent  pour  l'emporter  ou  se  loger,  ils 
n'y  peurent  faire  ni  l'un  ni  l'autre,  contraincts  d'avoir 
recours  à  la  maneuvre  par  laquelle,  avec  des  fascines 
à  foison,  ils  comblèrent  le  premier  fossé  et  firent  des 
gabions  tellement  renforcez  que  leurs  cavaliers  estoient 
de  trois  l'un  sur  l'autre  capables  de  chascun  quatre 
coulevrines.  De  cette  façon,  ils  en  firent,  pour  gour- 
mander,  l'un  le  bastion  de  Vendosme  et  tous  les  deux  le 
ravelin.  Mais  ce  qui  fut  le  plus  meurtrier  fut  la  grande 
machine  qui  fut  eslevée  aux  despens  de  la  Valette 
vers  la  porte  de  Laon,  du  dessus  de  laquelle  les  cou- 
levrines choisies  voyoient  et  tiroyent  par-dessus  la 
ville  au  derrière  de  ceux  qui  deffendoyent  le  bastion 
de  Vendosme.  G'estoyent  Jumelles,  La  Motte  Sainct- 
Mars  et  Vignelles*,  qui  avoyent  quelques-uns  des  gardes 

1.  Benjamin,  s.  de  Vignoles,  chevalier  de  l'ordre  du  roi  et 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XIII.  59 

du  prince.  Pour  le  ravelin,  Jonquère,  Louvancourt  et 
Roquehort  en  avoyent  la  defifense.  Du  bastion  de 
Luxembourg  \  qu'on  ne  vouloit  et  ne  pouvoit  bien 
attaquer,  le  flanc  tiroit  une  ligne  de  deffense  à  tout  le 
costé  du  ravelin.  On  se  contenta  de  mettre  espaule  et 
orillon  en  pouldre  et  d'emboucher  de  mesme  façon 
l'autre  flanc  du  bastion  de  Vendosme,  qui  deflfendoit 
l'autre  courtine.  Ce  fut  là  que  parut  la  mauvaise  estoffe 
de  ces  espaules,  qui,  à  chaque  canonnade,  faisoyent 
sauteler  ceux  qui  estoyent  dessus.  Pour  un  coup 
remarquable,  Jonquère  estant  entre  le  capitaine  Pré, 
son  enseigne,  et  un  caporal,  un  coup  de  canon  tua  le 
premier  et  le  dernier  ;  peut-être  que  la  petite  stature 
sauva  celui  du  milieu. 

Le  grand  ravelin  estant  tout  ruiné  et  quitté,  on 
trouva  moyen  de  loger  dans  la  ruine  quelques  petits 
canons  r'acourcis  et  faits  exprès.  Avec  cela  fut  mis  en 
tel  équipage  le  second,  qui  estoit  petit,  qu'il  le  falut 
quitter,  mais  non  tant  qu'il  y  eust  place  pour  loger 
six  honmies.  Les  derniers  qui  le  quittèrent  furent  Jon- 
quère, Montglas^,  Des  Rosiers^,  les  capitaines  Belon, 

maître  d'hôtel  du  comte  de  Soissons  (Lettres  de  Henri  IV,  t.  I, 
p.  586).  11  est  souvent  nommé  dans  les  Mémoires  de  La  Huguerye 
comme  attaché  au  prince  de  Gondé. 

i.  Les  assiégeants  attaquèrent  le  bastion  de  Luxembourg,  le 
15  août  1580  (De  Thou,  liv.  LXXU). 

2.  Robert  de  Harlay,  baron  de  Monglas,  troisième  fils  de  Robert 
de  Harlay,  s.  de  Sanci,  capitaine  dévoué  au  roi  de  Navarre.  Sa 
femme,  Françoise  de  Longuejoue,  fut  gouvernante  des  enfants  de 
France,  et  lui-même  devint  premier  maître  d'hôtel  du  roi  Henri  IV, 
après  son  frère  aîné,  Nicolas  de  Harlay,  s.  de  Sanci.  11  mourut 
en  1607. 

3.  Le  s.  de  Rozières,  capitaine  protestant  et  conseiller  d'Etat, 
nommé  dans  les  Lettres  de  Henri  IV. 


60  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

La  Tour*  et  Montigni.  Le  moumon  s'adressoit  lors  au 
bastion  de  Vendosme,  duquel  le  fossé  estoit  comblé 
de  fassines  seulement,  qui  ne  purent  estre  bruslées, 
tant  à  cause  de  l'eau  que  de  la  pauvreté  des  feux  arti- 
ficiels. Sur  ces  remplissages  se  représenta  l'assaut  à 
midi*,  auquel,  encore  que  La  Personne,  gouverneur, 
avec  le  choix  de  ses  hommes  y  fust,  il  falut  céder, 
principalement  pour  le  meurtre  en  eschine  que  faisoit 
le  grand  cavallier  de  delà  la  ville. 

Or,  on  a  blasmé  les  assaillants  de  n'avoir  poursuivi 
davantage  leur  poincte,  qui  eust  peu  les  rendre 
maistres  de  la  ville,  voyans  le  retranchement  aban- 
donné. Mais  les  canonnades  de  leur  parti  avoyent  tué 
des  plus  avancez  dans  le  bastion,  et  cela  fit  contenter 
le  gros  de  faire  un  petit  logement  à  la  faveur  de  l'es- 
paule;  tout  cela  faute  des  signaux  qu'on  devoit  avoir 
ordonnez  aux  canonniers  pour  tant  de  tirer  et  de  ces- 
ser. Là  demeurèrent  sur  la  place  trente-quatre  hommes 
de  la  ville  ;  entre  ceux-là  La  Motte  Sainct-Mars  et  Bor- 
dage,  de  Bretagne.  L'eschec  tomba  sur  la  compagnie 
de  Jonquère. 

Mouy,  estant  conseillé  de  faire  reveue  des  hommes  de 
deffence  qu'il  avoit  de  reste,  ne  trouva  plus  que  qua- 
rante nobles  ou  volontaires  et  trois  cents  trente  sol- 
dats. Cela  et  avoir  perdu  ses  flancs,  nulle  espérance  de 
secours  et  le  manque  de  munitions  apprirent  aux  assié- 
gez qu'il  étoit  temps  de  parler.  Et,  comme  Pui-Gaillard% 

1.  Le  s.  La  Tour  est  nommé  dans  les  Mémoires  de  La  Huguerye 
(t.  III,  p.  103)  comme  un  des  capitaines  de  la  compagnie  de  Guitry. 

2.  Assaut  et  prise  du  bastion  de  Vendôme,  19  août  1580  (De 
Thou,  liv.  LXXII). 

3.  Jean  de  Léaumond,  seigneur  de  Puy-Gaillard,  précédem- 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XIH.  61 

mareschal  de  camp  général  des  armées  de  France,  leur 
en  donnoit  tous  les  jours  occasion,  ils  se  laissèrent 
induire  à  ce  qu'ils  désiroient.  Et  fut  conclue  la  capitu- 
lation le  dernier  jour  d'aoust  *  ;  par  laquelle  ils  sor- 
tirent vie  et  bagues  sauves,  enseignes  laissées,  mesche 
esteinte,  la  caisse  desbandée,  avec  permission  à  ceux 
qui  voudroyent  aller  trouver  le  prince  de  Condé  de 
marcher  vers  Sedan,  conduits  par  deux  compagnies 
de  gens  d'armes,  jusques  à  la  frontière.  A  ceux  qui  se 
voudroyent  retirer  en  leurs  maisons,  promesse  de  toute 
seureté  et  jouissance  du  bénéfice  des  édicts  du  roi 
comme  s'ils  n'avoient  point  pris  les  armes. 

A  la  sortie  de  la  ville,  quelques  soldats  eschappèrent 
et  commençoyent  à  piller  et  frapper,  mais  les  chefs 
de  l'armée,  et  sur  tous  Pui-Gaillard,  se  mirent  à  jouer 
de  l'espée,  si  bien  que  ceste  capitulation  se  peut  con- 
ter entre  celles  qui  ont  été  observées  loyaument^. 

Je  ne  puis  vous  desrober  deux  accidents  un  peu 
estranges  arrivez  durant  le  siège.  L'un  est  du  capitaine 
Atis,  lequel  estant  fort  bon  ami  et  compagnon  de  lict 
de  Du  Temps,  avec  lequel  il  profitoit  en  plusieurs 
sciences,  notamment  aux  mathématiques.  Ce  jeune 
homme  ayant  esté  tué  au  ravelin,  enterré  le  même 

ment  maréchal  de  camp  au  siège  de  la  Rochelle,  mort  en 
décembre  1584. 

1.  Reprise  de  la  Fère  par  le  maréchal  de  Matignon,  12  sep- 
tembre 1580.  D'Aubigné  se  trompe  en  plaçant  cet  événement 
au  31  août.  De  Thou  (liv.  LXXII),  L'Estoile  et  tous  les  historiens, 
Berger  de  Xivrey  (Lettres  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  314)  sont  d'accord 
sur  la  date  que  nous  indiquons.  Une  copie  de  l'acte  de  capitula- 
tion est  conservée  dans  le  vol.  4047  du  f.  fr.,  f.  103. 

2.  Le  duc  d'Aumale  et  le  s.  de  la  Valette  voulaient  qu'on  trai- 
tât la  ville  avec  plus  de  rigueur,  et  blâmèrent  cette  capitulation 
(De  Thou,  liv.  LXXU). 


621  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

jour  avec  les  cérémonies  des  soldats.  La  nuict,  Du 
Temps,  estant  dans  son  lict,  s'éveille  au  bruit  de  la 
fenestre  qu'on  avoit  poussée,  void  Atis  qui  entre  par 
là.  En  sursaut  il  se  veut  lever.  Atis  l'en  empesche  et 
se  jette  entre  les  linceuls.  Du  Temps,  ravi  d'estonne- 
ment,  s'efforce  à  croire  avoir  songé  la  mort  et  l'en- 
terrement, et  toutesfois  demanda  à  son  camerade  : 
«  Est-il  possible  que  vous  ne  soyez  point  mort  et  que 
nous  ne  vous  ayons  point  enterré?  »  L'autre,  ayant 
respondu  à  cela  par  mespris,  convia  son  compagnon 
à  dormir.  Mais  Du  Temps,  ayant  touché  une  de  ses 
jambes,  plus  asprement  froide  qu'un  glaçon,  sauta  du 
lict  en  s' écriant  :  «  Capitaine  Atis,  que  vous  estes  froid  !  » 
Après  avoir  esté  une  heure  et  demie  en  dispute,  Atis 
repasse  la  fenestre  disant  qu'on  lui  reprochoit  son  cou- 
cher. Voilà  comment  nous  l'a  raconté  Du  Temps,  plein 
de  vie  et  d'honneur.  D'autres  y  adjoustent  que  les 
valets  virent  entrer  et  sortir  Atis,  et  d'autres  qu'il  y 
retourna  plus  d'une  fois.  J'en  laisse  dire  l'advis  aux 
théologiens. 

L'autre  conte  est  d'un  de  Meaux  qui  avoit  amené 
quelques  pionniers.  Cestui-ci,  passant  le  quinziesme 
d'aoust  devant  la  place  et  portant  quelques  pastez  à 
un  commissaire,  fut  tellement  estonné  de  trois  arque- 
buzades,  qu'on  lui  tira,  qu'il  quitta  son  chemin  pour 
venir  droit  dans  le  ravelin.  Puis,  estant  recueilli  fort 
joyeusement  à  cause  de  ce  qu'il  portoit,  il  menaça  de 
M.  le  commissaire  ceux  qui  prenoient  sa  serviete.  Jon- 
quère  l'ayant  mené  au  logis  de  Mouy,  qui  en  espéroit 
tirer  force  nouvelles,  il  n'en  sçeut  jamais  tirer  un  mot. 
Si  tost  que  cestui-ci  fut  cognu  et  nommé  et  qu'il  se  vid 
entre  les  mains  de  deux  jeunes  hommes  desquels  il 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.   XIV.  69 

avoit  tué  l'oncle  et  la  tante  aux  massacres  de  Meaux 
(c'estoit  un  misérable  qui  à  ce  jour-là  recevoit  avec 
une  dague  ceux  qu'on  lui  amenoit  pour  précipiter  dans 
le  fossé  duquel  nous  avons  parlé,  et  mesme  fut  remar- 
qué pour  avoir  exécuté  quelques  enfans  et  femmes,  qui 
faisoyent  pitié  aux  autres  massacreurs) ,  il  fut  passé  par 
les  armes  et  jette  dans  le  fossé  du  ravelin.  On  conte  à 
ce  siège  de  morts,  du  dedans,  à  huict  cents  soldats  et 
trente  gentilshommes,  du  dehors,  à  deux  mille  tuez  et 
presque  autant  que  la  maladie  emporta. 

Chapitre  XIV. 

Surprise,  siège  et  reprise  de  Menerbe. 

Menerbe^  petite  ville  au  pied  des  Alpes,  entre  La 
Coste  et  Meaubec^,  forte  d'assiette  comme  estant  pré- 
cipiteuse^  en  la  pluspart  de  sa  closture,  fut  surprise*, 

1.  Menerbes  (Vaucluse),  au  pied  des  monts  de  Leberon. 

2.  La  Coste  et  Maubec  (Vaucluse),  sur  les  bords  du  Gaulon. 

3.  Précipiteuse,  environnée  de  précipices. 

4.  D'Aubigné  commet  ici  plusieurs  inexactitudes.  La  ville  de 
Menerbes  appartenait  au  parti  réformé,  non  pas  seulement  depuis 
noitre  dernière  paix,  expression  par  laquelle  il  ne  peut  désigner 
que  le  traité  de  Bergerac  (17  septembre  1577),  mais  depuis  le 
2  octobre  1573  (note  du  marquis  d'Aubais  dans  les  Pièces  fugitives, 
1. 1,  p.  370).  Elle  était  commandée  par  le  capitaine  Ferrier,  qui, 
moitié  de  gré,  moitié  de  force,  était  à  peu  près  résigné  à  la  livrer 
au  parti  catholique  au  mois  de  septembre  1577  (De  Thou,  liv.  66), 
lorsque  le  capitaine  Saint- Auban  pénétra  dans  la  place,  le  28  sep- 
tembre 1577,  s'empara  du  commandement  et  blessa  gravement, 
à  la  suite  d'une  querelle  personnelle,  son  coreligionnaire  Ferrier 
(Perussiis,  dans  le  t.  I  des  Pièces  fugitives,  p.  205  et  suiv.).  De 
Thou  dit  même  qu'il  le  tua,  mais  la  suite  du  récit  prouve  que  le 
grand  historien  s'est  trompé. 


64  mSTOiRE  UNIVERSELLE.  [1580 

incontinent  après  nostce  dernière  paix,  par  les  menées 
de  Sainct-Auban  •  et  du  capitaine  Ferrier^.  Ce  dernier, 
par  intelligences  de  deux  soldats  frères,  qui  s'appe- 
loyent  les  Rochelles,  et  de  son  curé,  corrompit  quel- 
ques autres  hommes  de  main;  lesquels,  ayans  mené 
yvrongner  un  mareschal  qui  se  tenoit  près  de  la  porte, 
partie  par  force,  partie  par  le  vin,  se  servirent  des 
marteaux  de  sa  boutique  et  de  lui-mesmes  pour  briser 
les  barres  du  portail  ;  ce  qui  se  trouvant  plus  dur  et  de 
plus  de  bruit  à  exécuter  que  l'on  n'avoit  pensé,  le  gou- 
verneur, assez  accompagné,  y  accourut  et  y  fut  tué^, 
par  le  secours  que  ceux  de  Sainct-Auban  y  apportèrent 
à  propos,  estant  entrez  par  un  trou  qu'ils  avoyent  faict 
à  un  flanc,  et  cela  par  le  moyen  du  rat,  lequel,  comme 
nous  avons  faict  du  premier  pétard,  nous  despeindrons 
à  ceste  première  occasion.  C'est  un  engin  composé  de 
cinq  pièces,  et  lequel  se  peut  porter  en  un  sac  ou  estui 
fait  exprès.  Il  a,  premièrement,  un  fer  courbé  en  forme 
de  faucille,  ou  plustost  de  ce  qu'aux  marets  du  Poictou 

1 .  Albert  (suivant  de  Thou),  Jacques  (suivant  Perussiis  et  Pié- 
mond)  Pape  de  Saint- Auban,  capitaine  protestant. 

2.  Probablement  Etienne  Ferrier,  capitaine  protestant,  dont  oa 
trouve  la  signature  à  côté  de  celle  de  Lesdiguières  dans  une 
requête  au  parlement  de  Dauphiné  du  5  août  1575  (Roman,  Actes 
et  correspondances  de  Lesdiguières,  t.  I,  p.  5).  Un  capitaine  du 
même  nom,  peut-être  le  fils  de  celui  dont  parle  d'Aubigné,  capi- 
taine protestant,  devint,  sous  Henri  IV,  gouverneur  de  Menerbes. 
Une  lettre  du  roi  de  Navarre,  datée  du  19  août  1591,  témoigne 
des  bons  services  qu'il  rendait  au  Béarnais  (Lettres  de  Henri  IV, 
t.  m,  p.  467). 

3.  D'Aubigné  raconte  ici  l'entrée  de  Saint-Auban  à  Menerbes, 
mais  son  récit  est  très  inexact,  à  moins  que,  par  une  confusion 
possible,  il  ne  raconte  les  incidents  de  la  première  prise  de 
Menerbes  par  les  réformés  (2  octobre  1573). 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   XIV.  65 

on  appelle  un  taillant.  Ce  fer,  bien  acéré,  est  propre  à 
commencer  par  défaire  le  mortier  qui  est  entre  les 
pierres,  et  la  pluspart  en  portent  deux,  usant  du  plus 
petit  le  premier,  selon  que  la  maçonnerie  est  plus  ou 
moins  joincte.  Le  second  engin  est  le  ciseau  bien  acéré 
et  le  tranchant  droict  d'un  des  costez,  avec  son  talon 
en  arrondissant.  Le  troisiesme  est  une  barre  faite  en 
pince  par  un  bout  et  par  l'autre  en  douille,  pour  loger 
un  pau  avec  lequel  elle  a  plus  de  bransle,  le  pau  et  elle 
de  chacun  de  deux  pieds.  Le  quatriesme  est  une  tarière 
en  pierre  et  le  cinquiesme  une  tenaille  ou  pincette  bien 
acérée,  faicte  presque  comme  celles  que  les  Parisiens 
et  Lyonnois  sont  curieux  d'avoir  en  leur  foyer.  Ceux 
qui  ne  vont  pas  loin  y  portent  une  longue  barre  de  fer, 
d'un  costé  en  pince  et  l'autre  en  poincle  ronde,  pour 
entrepousser  le  dernier  rang  de  pierres  au  dedans. 
Ceux  qui  usent  du  rat  portent  aussi  avec  eux  des  limes 
sourdes,  par  le  moyen  du  plomb  qui  les  endosse,  et 
quelque  petit  pétard  d'une  livre,  quand  leur  pertuis 
se  faict  en  des  caves  ou  chambres  qui  ferment  par  le 
dedans. 

Si  quelcun  dit  que  j'instruis  à  mal  faire,  je  réponds 
que  c'est  plustost  pour  s'en  garder. 

La  ville  donc  prise  en  ceste  façon,  après  quelque 
léger  pillage,  s'accommoda  comme  estant  eslongnée  de 
ceux  de  son  parti.  Tout  le  pays,  et  surtout  le  Comtat 
de  Venise^,  fut  merveilleusement  esmeu,  tant  par  la 
sollicitation  des  parents  du  gouverneur  mort  que  par 
les  fugitifs  de  la  ville,  et  encore  plus  pour  l'intérest  de 
tout  le  voisinage. 

i.  Le  comté  Venaissin. 

VI  5 


66  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

En  peu  de  temps  il  y  eut  force  jalousies  et  change- 
ments au  gouvernement.  Vala voile ^  avoit  fourni  du 
prestre  qui  avoit  commencé  la  menée.  Le  baron  d'Alle- 
magne ^  y  avoit  mené  les  premières  forces  et  voulut 
chasser  le  capitaine  piémontois,  que  Sainct-Auban  y 
avoit  laissé;  mais  lui  fut  mis  dehors  avec  grand  risque  de 
sa  vie.  Les  gens  de  guerre  esleurent  Ferrier,  que  Mont- 
brun  ^  en  tira  pour  estre  trop  exact  et  rude  au  gré  du 
pays  à  bien  munitionner  sa  place,  et  cela  par  les  menées 
de  Sainct-Auban,  qui  voulut  quitter  ses  autres  places 
pour  estre  gouverneur.  Les  soldats  y  r' appelèrent 
Ferrier. 

Toutes  ces  divisions  furent  appaisées  par  le  siège*. 
Mais  auparavant  y  eut  diverses  petites  rencontres, 
pource  que  les  Provençaux  estoyent  sans  cesse  aux 
embuscades  à  la  veue  de  la  ville,  desquelles  la  plus 
notable  fut  entre  Grillon^,  frère  aisné  du  maistre  de 
camp,  et  Estoublon^,  venant  de  Menerbe,  où  il  avoit 
mis  Valavoile   en   la  place  du  capitaine  Pontenet''^. 

1.  Antoine  de  Valavoire,  s.  de  Valavoire,  gouverneur  de  Saint- 
Maximin. 

2.  Le  s.  d'Allemagne,  que  nous  avons  déjà  cité,  appartenait  à 
la  maison  du  Mas.  La  seigneurie  d'Allemagne  est  près  dR  Digne. 

3.  Charles  du  Puy,  s.  de  Montbrun,  était  mort  à  Grenoble 
le  13  août  1575.  Son  fils,  Jean  du  Puy,  s.  de  Montbrun,  capitaine 
protestant  comme  son  père,  n'est  né,  suivant  les  généalogistes, 
qu'en  1568.  Mais  on  trouve,  dans  les  Mémoires  de  Piémond,  un  capi- 
taine Montbrun,  du  Pont,  qui  guerroyait  en  1576  (p.  44). 

4.  Siège  de  Menerbes  par  l'armée  catholique,  septembre  1577 
(Aubais,  Pièces  fugitives,  t.  I,  p.  206,  Journal  de  Perussiis). 

5.  Le  capitaine  Grillon,  frère  de  Louis  de  Balbes  de  Berton, 
s.  de  Grillon,  le  fidèle  serviteur  de  Henri  IV. 

6.  Le  capitaine  Grille,  seigneur  d'Estoublon  en  Provence. 

7.  Nous  croyons  qu'il  faut  lire  Poncenat.  Jean  Borel,  s.  de  Pon- 
sonnas,  ancien  lieutenant  de  des  Adrets,  se  fit  plus  tard  catho- 


1S80]  LITRE  NEUVIÈME,   CHAP.   XIV.  67 

Cestui-ci  se  destournant  par  Mure^  pour  esquiver  les 
embuscades,  quoiqu'il  fust  accompagné  de  deux  cents 
chevaux,  vid  trois  compagnies  du  Comtat  à  la  main 
droicte  de  son  chemin  et  deux  à  la  gauche.  Quelques- 
uns  lui  conseillans  de  regagner  Mure,  il  aima  mieux 
essayer  le  combat,  où  tout  se  mesla  sans  grande  façon. 
Grillon  estant  tué  d'abordée,  l'effroi  se  mit  par  toute 
sa  troupe,  premièrement  par  les  Italiens,  et  puis  sur 
le  reste.  Estoublon  ne  fit  pas  grande  poursuite;  se 
contentant  de  laisser  sur  la  place  trente  hommes 
d'armes  des  deux  nations,  de  huict  prisonniers  et  de 
deux  drapeaux  qu'il  emporta.  Quelques  forces  d'Italie 
avancées  qui,  avec  ceux  du  Comtat,  faisoyent  quatre 
mille  hommes,  deux  mille  cinq  cents  Provençaux 
joincts,  le  tout  par  les  menées  du  cardinal  d'Arma- 
gnac-, on  marcha  au  siège  de  Menerbe  avec  quinze 
pièces  de  toute  artillerie  ;  ceux  de  dedans  estans  encores 
en  division  et  voulans  avoir  Gouvernet^  pour  y  com- 
mander. Les  assiégeans,  aussi  peu  unis,  sans  ordre  et 
commandement,  reserrèrent  à  l'envi  la  garnison  dedans 
ses  murs,  firent  diverses  batteries  de  grands  frais 
mais  inutiles,  si  bien  que  les  Provençaux  s'y  ennuyans 
laissèrent  le  commandement  et  la  besongne  entre  les 
mains  de  Grimaldi'^,  qu'on  appelloit  recteur  de  Car- 

lique  et  servit  en  1580  sous  les  ordres  du  duc  de  Mayenne 
(Mémoires  de  Piémond,  passim). 

1.  Murs  (Vaucluse). 

2.  Georges  d'Armagnac,  né  vers  1501,  fut  successivement 
évêque  de  Rodez  en  1529,  cardinal  en  1544,  archevêque  de  Tou- 
louse en  1562,  puis  d'Avignon  en  1576.  Il  mourut  le  2  juin  1585. 

3.  René  de  la  Tour-du-Pin-Gouvernet,  marquis  de  la  Gharce, 
capitaine  protestant,  lieutenant  de  Lesdiguières,  né  en  1543  à 
Gouvernet  (Drôme),  mort  en  décembre  1619. 

4.  Dominique  Grimaldi,  abbé  de  Montmajour-lès-Arles,  fils  de 


68  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

pentras.  Cestui-ci  marcha  avec  patience  et  à  pied  de 
plomb,  fit  des  tranchées  autour  de  la  ville  avec  des 
ridottes  de  cent  pas  en  cent  pas  ;  quelques-unes  capables 
de  loger  cinq  cents  hommes. 

Durant  ce  siège,  qui  fut  de  quinze  mois  et  de  vingt 
et  un  jours,  se  fit  la  paix  de  l'an  septante  sept*,  de 
laquelle  les  Italiens  ne  se  vouloyent  pas  servir  au  com- 
mencement. Mais  les  assiégez,  abandonnez  de  tout  le 
monde,  franchirent  un  soir  les  retranchements  avec 
une  invention  de  pont  léger,  forcèrent  quelque  corps 
de  garde,  seulement  pour  faire  passer  des  messagers. 
Par  là,  le  cardinal  d'Armagnac,  cognoissant  que  les  vies 
des  assiégez  n'estoyent  pas  désespérées,  et  d'ailleurs 
sachant  par  Grimaldi  qu'il  faloit  rafraîchir  l'armée  de 
la  moitié,  tant  à  cause  des  maladies  que  de  l'envie  de 
ceux  qui  y  commandoyent,  ceux  d'Avignon  et  Grimaldi 
mesmes  requirent  le  roi  d'interposer  son  authorité, 
quoiqu' auparavant  ils  eussent  promis  d'en  faire  une 
justice  exemplaire,  si  autres  qu'eux  ne  s'en  mesloyent^. 

Le  roi  donc  escrivit  à  Ghastillon  pour  y  mettre  ordre 
et  lui  en  donna  la  commission  à  Mure.  Les  assiégez, 
abandonnez  du  parti  refformé,  se  mocquèrent  de  l'as- 
seurance  de  leur  vie  qu'on  leur  portoit  ;  et,  après  s'estre 
faicts  prier,  composèrent-  à  sortir  femmes  et  tout 
bagage,  une  sepmaine  de  loisir  pour  le  sortir,  la  mesche 
allumée,  le  tambour  battant,  enseignes  desployées, 

Jean-Baptiste,  seigneur  de  Montaldeo,  plus  tard  évêque  de  Savone 
et  enfin  archevêque  d'Avignon  en  1584,  mort  en  1592. 

1.  Paix  de  Bergerac,  17  septembre  1577, 

2.  Capitulation  de  Menerbes,  8  novembre  1578  (De'Thou, 
liv.  LXVI).  Le  18  novembre,  le  roi  approuva  l'acte  de  capitula- 
tion à  OUinville,  et  le  9  décembre  suivant  la  paix  fut  publiée  dans 
la  ville  (Aubais,  Pièces  fugitives,  t.  I,  p.  380). 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.    XV.  69 

ayans  pour  pleiges  dans  Mure,  Ambres ^  le  jeune  Gril- 
lon, Blagnac^  et  La  Grâce  ^,  et,  de  plus,  la  somme  de 
soixante  mille  livres  distribuables  à  Sainct-Auban  et  à 
ses  compagnons,  et,  outre  cela,  les  biens  de  quelques 
povres  soldats  du  Comtat,  qui  n'y  vouloyent  pas  retour- 
ner, payez  contant  presque  à  leur  estimation.  Cela  payé 
sur  les  quittances  de  vingt-huict  qui  estoyent  en  cette 
qualité.  Tout  achevé  d'exécuter  le  vingtiesme  de  dé- 
cembre mille  cinq  cents  septante  huict.  On  excusera 
bien  si  nous  avons  osé  sortir  de  l'année  du  livre  pour 
ne  retourner  point  en  lieu  tant  esgaré. 

Chapitre  XV. 

De  ce  qui  se  passa  en  Poictou  jusques  à  la  paix. 

Blaye  estant  faillie  et  les  troupes  de  Montaigu  s'es- 
tans  retirées,  ils  se  trouvèrent  en  peu  de  temps  dans 
ceste  ville  jusques  à  quinze  cents  hommes,  avec  lesquels 
ils  délibérèrent  d'estendre  leurs  bordures,  première- 
ment par  un  fort  à  Sainct-Georges  *,  puis  après  par  la 
prise  de  l'Abergement^,  assés  grand  chasteau,  qui  fut 
emporté  par  le  moyen  de  deux  soldats  hazardeux,  les- 

1.  Probablement  François  de  Voisins,  s.  d'Ambres,  lieutenant 
de  la  compagnie  de  Louis  de  Glermont  de  Bussy  d'Amboise 
(Montre  du  30  mai  1569,  f.  fr.,  vol.  21530). 

2.  Blagnac  nous  paraît  une  faute.  Il  faut  probablement  lire 
Blagneux.  On  trouve  dans  la  province  une  famille  Rivail  de  Bla- 
gneux  d'où  sont  sortis  plusieurs  capitaines. 

3.  Guillaume  de  Patris,  abbé  de  la  Grâce. 

4.  Saint-Georges  (Vendée),  sur  la  Maine. 

5.  L'Hébergement  (Vendée),  sur  la  ligne  de  Montaigu  à  Bour- 
bon-Vendée. 


70  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

quels,  se  jettans  de  plein  jour  sur  le  pont-levis,  l'em- 
peschèrent,  et,  bien  suivis,  emportèrent  le  reste.  De  là 
ils  s'estendirent  à  Mortagne*,  qu'ils  prirent  par  une 
escalade  mise  sur  des  rochers  devers  la  rivière  en  une 
nuict  fort  noire,  et,  la  sentinelle  ne  pouvant  les  ouyr  à 
cause  des  freins  de  l'eau  et  du  grand  bruict  qu'elle  fait 
en  cet  endroict,  ils  trouvèrent  dans  la  ville  plusieurs 
commoditez  qui  leur  firent  grand  bien  au  siège.  Puis 
après  ils  emportèrent  d'escalade  la  ville  de  Garnache  ^ 
et  le  chasteau  par  effroy,  tout  se  sauvant,  hormis  le 
ministre  du  lieu,  qui  fut  seul  leur  prisonnier  et  quitte 
pour  leur  prescher,  ce  qui  leur  estoit  nouveau,  car  le 
roi,  permettant  lors  plus  que  jamais  toute  liberté  en 
France  pour  les  presches,  les  ministres  estoyent  contre 
eux,  si  bien  qu'en  estans  dépourveus  ils  vindrent 
prendre  par  force,  à  Sainct-Fulgent^,  La  Touche*, 
ministre  de  Monschant^,  et  l'emmenèrent  à  Montaigu, 
où  lui,  ayant  vendes  gens  de  guerre  sans  blasphèmes, 
sans  garses,  sans  dez,  sans  querelles,  sans  pilleries, 
hormis  ce  qu'ils  faisoyent  au  loing  et  sur  leurs  enne- 
mis avec  le  droit  de  guerre,  les  prit  en  amitié  et  vou- 
lut demeurer  jusques  au  siège.  J'ai  dict  au  loing,  pource 
que  les  chevaux  légers  de  cette  garnison  l'ont  renvié 
par-dessus  tous  les  coureurs  du  siècle  courans  vers 

1.  Mortagne  (Vendée),  sur  la  Sèvre-Nantaise. 

2.  La  Garnache  (Vendée),  sur  la  route  des  Sables-d'Olonne  à 
Nantes. 

3.  Saint-Fulgent  (Vendée),  sur  la  ligne  de  Fontenay  à  Montaigu. 

4.  Dominique  de  Losse,  dit  La  Touche,  ministre  protestant  de 
Saint-Fulgent  et  de  Monchamps.  Sur  ce  personnage,  qui  exer- 
çait son  ministère  dans  les  deux  paroisses,  voyez  Lièvre,  Hist. 
des  protestants  du  Poitou,  p.  203. 

5.  Monchamps  (Vendée),  sur  la  Lay. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XV.  71 

Rouan  et  Paris  familièrement,  si  adextres  et  si  discrets 
où  il  faloit  qu'ils  ont  une  fois  logé  vingt-sept  chevaux 
en  une  maison  de  laquelle  le  devant  faisoit  front  de 
veue  en  un  fauxbourg,  à  soixante  pas  de  la  porte  de 
la  ville,  trouvans  moyen  d'enfermer  en  une  chambre 
quatorze  personnes  de  la  maison,  les  tenir  sans  bruit, 
et  enserrans  encore  ceux  de  la  ville  qui  y  arrivoyent 
pour  affaires,  jusques  au  soir  que  les  compagnons, 
ayans  veu  passer  Pelissonnière,  leur  ennemi  particu- 
lier, pour  avoir  quelques  jours  devant  chargé  et  tué 
de  sang  froid  Grand-Ri  (il  portoit  la  cornette  blanche 
du  duc  du  Maine),  ils  se  mettent  sur  ses  erres  et  le 
viennent  charger  dans  le  village  de  Ruperoux,  où  ils 
tuèrent  la  pluspart  des  siens.  Il  se  sauva  sur  un  che- 
val qui  avoit  un  coup  de  pistolet  au  travers  la  jambe, 
et  lui  qui  d'un  autre  avoit  le  bras  en  pièces. 

J'ai  voulu  vous  monstrer  à  ce  logis  la  dextérité  des 
galans.  Mais  encores  ne  peux-je  vous  taire  qu'estans 
auprès  de  Glené*  et  qu'ayans  veu  de  loing  vingt  che- 
vaux qui  marchoient  serrez,  le  capitaine  de  ces  cou- 
reurs' en  choisit  six  pour  les  engager;  mais,  comme  il 
voulut  mesler,  trouva  des  gens  qui  eurent  bien  plus- 
tost  la  main  au  chapeau  qu'au  pistolet,  qu'ils  avoyent 
presque  tous.  C'estoit  un  synode  d'où  ils  venoyent  de 
s'assembler  et  les  emmenoyent  sans  qu'eux  osassent 
se  déclarer.  Enfin,  estans  recognus,  ils  en  furent  quittes 
pour  reproches.  Ces  mesmes  estradiots  chargèrent 
deux  compagnies  de  Ré  et  de  la  Rochelle,  qui  mar- 
choyent  avec  enseignes  desployées  à  la  foire  de  Sainct- 

1.  Glénay  (Deux-Sèvres),  sur  les  bords  de  la  Thouare. 

2.  D'Aubigné  ? 


^%  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

Benoist^  ;  ils  y  laissèrent  les  armes  et  drapeaux.  Telle 
estoit  la  division  entre  les  refiformés. 

Le  comte  du  Lude*  eut  lors  commission  de  lever 
armée  pour  resserrer  ces  mal-faisans  et  commença  par 
le  régiment  de  Lancosme^,  lequel,  ayant  esté  supplanté 
de  Brouage,  en  tira  ses  bandes  et  dressa  un  régiment 
de  deux  mille  hommes*. 

A  ce  mot,  je  m'attacherai  plus  à  l'occasion  qu'au 
temps,  pour  vous  dire  comment  Sainct-Luc%  nourri 
chèrement  par  le  roi  Charles,  s'estoit  rendu  le  troi- 
siesme  entre  les  mignons  du  roi  Henri  III.  Sa  grande 
faveur  se  changea  en  haine  mortelle  par  un  accident 
qui  a  esté  conté  diversement  et  duquel  il  s'est  confessé 
à  moi  estant  son  prisonnier.  Je  ne  veux  estouffer  l'acte 
notable,  mais  bien  les  particularitez  les  plus  honteuses 
et  les  termes  les  plus  fascheux.  Ces  mignons,  car  c'est 

1.  Saint-Benoît-sur-Mer  (Vendée). 

2.  Gui  de  Daillon,  comte  du  Lude,  capitaine  catholique,  mort 
à  Briançon,  le  H  juillet  1585.  Le  comte  du  Lude  reçut  les  ordres 
du  roi  en  juin  1580.  Voyez  les  nombreuses  lettres  du  roi  à  ce 
capitaine  pendant  la  guerre  des  Amoureux  (Arch.  hist.  du  Poitou, 
t.  XIV). 

3.  Jacques  Savary,  s.  de  Lancoéme,  capitaine  catholique,  chef 
de  bandes,  puis  colonel  de  gens  de  pied,  figure  en  cette  qualité 
dans  le  Journal  de  Le  Biche,  p.  329  et  suiv.,  et  dans  la  correspon- 
dance du  comte  du  Lude,  de  1576  à  1580  (Arch.  hist.  du  Poitou, 
t.  XIV,  passim).  Nous  croyons  qu'il  ne  doit  pas  être  confondu 
avec  Claude  Savary,  s.  de  Lancosme,  lieutenant  du  capitaine 
Villequier  (Montre  du  13  avril  1581  ;  f.  fr.,  vol.  21537).  C'est  pro- 
bablement  ce  dernier  qui  est  cité  dans  les  Lettres  de  Henri  IV. 

4.  Lancosme  commandait  en  outre  une  cornette  de  cent  chevau- 
légers  [Journal  de  Le  Riche,  p.  332). 

5.  François  d'Espinay,  s.  de  Saint-Luc,  né  en  1554,  un  des 
mignons  de  Henri  III,  plus  tard  un  des  fidèles  serviteurs  de 
Henri  IV,  qui  le  nomma  grand-maître  de  l'artillerie,  tué  le  3  sep- 
tembre 1591,  au  siège  d'Amiens. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.    XV.  73 

le  terme  du  siècle,  avoyent  des  familiaritez  avec  leur 
maistre  que  je  ne  veux  ni  ne  peux  exprimer.  Geste 
vie  estant  odieuse  à  un  gentil  courage  comme  Sainct- 
LucS  un  jour,  prenant  Arques,  depuis  appelé  Joyeuse, 
à  part,  ils  entreprirent,  avec  le  conseil  de  la  dame  de 
Rets^,  de  percer  un  cabinet  et  de  faire  couler  par  la 
ruelle  du  lict,  entre  la  contenance^  et  le  rideau,  une 
sarbatane^  d'airain,  par  le  moyen  de  laquelle  ils  vou- 
loyent  contrefaire  un  ange  et  faire  couler  en  l'aureille 
de  ce  roi  des  menaces  du  ciel  et  quelques  terreurs 
encontre  son  péché.  Ils  entreprenoyent  cela  sur  un 
esprit  affoibli  par  bigotteries,  par  songes  estranges  et 
terreurs  ordinaires,  qui  le  faisoyent  cacher  sous  les 
licts,  cercher  les  basses  voûtes  du  Louvre  au  moindre 
tonnerre  qu'il  oyoit.  Arques^,  voyant  l'esprit  de  ce 
prince,  accablé  par  ceste  invention,  en  danger  de  se 
troubler  ou  blesser  le  corps,  appréhenda  la  ruine  de 
sa  fortune,  et,  trompant  ses  compagnons,  donna  advis 
à  son  maistre;  de  quoi  il  s'est  excusé  depuis  sur  la 
crainte  d'esteindre  par  la  peur  une  âme  que  desjà 
toutes  choses  espouventoyent.  Le  roi  ne  put  préparer 
sa  vengeance  si  discrettement  que  le  mareschal  de  Rets 

1.  Voyez  le  curieux  récit  de  la  confession  de  Sancy,  chap.  vn 
(Journal  de  L'Estoile,  1744,  t.  V,  p.  220).  Saint-Luc  y  est  présenté 
comme  une  victime  des  débauches  de  Henri  III. 

2.  Claude-Catherine  de  Clermont,  veuve  de  Jean  Annebaut, 
baron  de  Retz,  épousa  en  1565  Albert  de  Gondi,  plus  tard  duc 
de  Retz,  morte  le  25  février  1603.  Elle  était  cousine-germaine  de 
Brantôme. 

3.  On  appelait  «  contenance  i  un  rideau  étroit  placé  au  chevet 
du  lit  pour  préserver  du  froid.  (V.  Gay,  Glossaire  archéologique.) 

4.  Sarbacane. 

5.  Cette  partie  de  phrase,  jusqu'à  ces  mots  et  trompant..., 
manque  à  l'édition  de  1618. 


71  HISTOIRE  UINTVERSELLE.  [1580 

ne  fist  dire  en  la  salle  du  bal  un  mot  dans  l'oreille  à 
Sainct-Luc.  Ce  mot  lui  fit  gaigner  les  chevaux  de  poste, 
et  avec  eux  Brouage  en  deux  jours  et  demi,  c'est-à- 
dire  deux  heures  devant  le  courrier  qui  venoit  faire 
armer  les  bandes  de  Lansac  et  de  Lancosme*  contre 
lui-.  Il  fut  habile  à  succéder,  et  depuis  opiniastre 
contre  les  grandes  menaces  qu'il  receut.  Le  roi  des- 
pescha  par  toute  la  France  lettres  jusques  aux  moyens 
capitaines,  pour  les  sommer  d'amitié  contre  Sainct- 
Luc.  Il  se  maintint  par  la  réputation  de  la  place  et  par 
la  faveur  de  la  Ligue,  à  laquelle  il  commença  de  tendre 
la  main^. 

Si  j'ai  laissé  un  peu  longtemps  Lancosme,  son  nom 
m'a  empesché  d'oublier  ce  conte;  et  puis,  cependant, 
il  aura  dressé  son  régiment  pour  s'en  venir  le  mons- 
trer  à  Sainct-Jean-d'Angéli  *,  où,  du  pont  Sainct- 

1.  Le  roi,  en  disgraciant  Saint-Luc,  avait  donné  le  gouverne- 
ment de  Brouage  au  s.  de  Lancosme.  Voyez  l'Hist.  de  Saintonge, 
par  Massiou,  t.  V,  p.  4. 

2.  La  plupart  des  historiens  du  temps  ont  raconté  cette  anec- 
dote et  fixé  à  l'année  1579  la  disgrâce  de  Saint-Luc.  Ge  ne  put 
être  qu'à  la  fin  de  l'année,  car  le  roi,  dans  une  lettre  au  s.  du 
Lude,  du  8  février  1580,  parle  de  la  «  perfidie  et  ingratitude  »  de 
Saint-Luc  comme  d'un  fait  tout  récent  (Coll.  Anjou  et  Touraine, 
vol.  XI,  n*  1659). 

3.  D'Épinay  Saint-Luc,  retiré  à  Brouage,  s'efforça  de  s'y  rendre 
redoutable  et  se  dévoua  à  ses  fonctions  de  gouverneur  comme  le 
meilleur  des  capitaines.  Partie  de  sa  correspondance  officielle 
pendant  l'année  1580  est  conservée  dans  les  vol.  15562  et  15563 
du  fonds  français.  Enfin,  le  6  juin  1580,  intervint  une  sorte  de 
convention  aux  termes  de  laquelle  le  roi  lui  pardonna,  fit  relâ- 
cher sa  femme  et  lui  accorda  en  dédommagement  un  don  de 
20,000  livres.  Cette  pièce  est  conservée  dans  le  vol.  15563  du 
f.  fr.,  f.  79. 

4.  Le  roi  avait  ordonné  au  comte  du  Lude  de  mettre  le  siège 
devant  Saint-Jean-d'Angély,  place  forte  qui  appartenait  au  prince 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   XV.  7S 

Julien  S  qui  estoit  son  logis,  passer  trois  jours  durant 
les  après-disnées  en  assez  gaillardes  escarmouches  ;  à  la 
dernière  desquelles  il  fit  quitter  le  champ  le  plus  près 
du  fauxbourg  de  Matta^  à  ceux  de  Sainct-Jean,  si  avant 
qu'il  emplit  des  siens  le  fossé  des  jardins.  Mais  les  reffor- 
mez,  ayans  repris  courage,  resortirent  par  le  bas  du 
fauxbourg,  et,  enfilant  le  fossé,  y  tuèrent  dix-huict 
hommes.  A  la  vérité,  il  y  en  avoit  lors  plus  de  douze 
cents  dans  Sainct-Jean.  Ce  régiment  donc^  s'achemina 
à  petites  journées  pour  se  rendre  à  Pouzauges*,  à  la 
fin  de  septembre^,  au  rendez-vous  qu'avoit  pris  en  ce 
lieu  pour  son  armée  le  comte  du  Lude  ;  lequel,  ayant 
joint  d'autres  compagnies  de  gens  de  pied,  mais  non 
en  forme  de  régiment,  sa  compagnie  de  gens  d'armes, 

de  Condé.  Lancosme  passa  près  de  Saint-Maixent  le  1"*  sep- 
tembre 1580,  en  se  rendant  au  camp  des  assiégeants.  Le  7,  les 
assiégés  firent  leur  première  sortie.  Ces  deux  dates  fixent  à 
peu  près  la  date  du  commencement  du  siège  (Journal  de  Le  Ridie, 
p.  332  et  333). 

1.  Saint-Julien  (Charente-Inférieure),  sur  l'affluent  de  la  Bou- 
tonne. 

2.  Matha  (Charente-Inférieure),  sur  la  ligne  de  Saint-Jean- 
d'Angély  à  Angoulême. 

3.  D'Aubigné  oublie  d'expliquer  ici  que  le  comte  du  Lude  avait 
renoncé  au  siège  de  Saint -Jean -d'Angély  pour  entreprendre 
celui  de  Montaigu.  L'ordre  du  roi  qui  approuve  ce  changement 
de  plan  de  campagne  est  daté  du  14  septembre  1580  [Arch.  hist. 
du  Poitou,  t.  XIV,  p.  148). 

4.  Pouzauges-la- Ville  (Vendée). 

5.  Cette  date  est  une  des  rares  dates  exactes  données  par 
d'Aubigné.  Le  comte  du  Lude  avait  en  effet  donné  rendez-vous, 
à  la  fin  de  septembre  1580,  à  Pouzauges,  aux  gentilshommes  du 
pays  désireux  de  prendre  part  au  siège  de  Montaigu  (Lettre  du 
comte  du  Lude  au  roi  du  25  septembre  1580;  Arch.  hist.  du  Poi" 
tau,  i.  XIV,  p.  150  et  152  et  notes). 


76  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

celle  de  Mortemar*,  des  Roches-Bariteaux^,  de  Che- 
meraux^  et  quelques  autres,  s'achemina  à  Sainct- 
Fulgent.  En  mesme  temps,  La  Hunaudaye*,  avec  sa 
compagnie  de  gens  d'armes,  celle  du  duc  de  Montpen- 
sier^,  de  Goulennes^,  de  Vaudré''^  et  autres,  huict  com- 
pagnies d'arquebuziers  et  quelques  chevaux  légers, 
passa  Loire  à  Nantes,  le  tout  pour  se  rendre  au  siège 
de  Montaigu. 

Chapitre  XVL 

Du  siège  de  Montaigu^. 

Toutes  les  petites  conqu  estes  de  La  Boulaye  et  leurs 
garnisons  prenoyent  l'effroi  et  commençoyent  à  se 
desrober,  quand  il  envoya  une  bonne  troupe  pour  les 
lever  honorablement  et  les  conduire  seurement.  Il  est 
bon  de  sçavoir  comment  Landreau  et  ses  amis  avoyent 

1.  René,  baron  de  Mortemart,  capitaine  poitevin,  né  en  1528, 
chevalier  du  Saint-Esprit  en  1580,  mort  en  1587. 

2.  Philippe  de  Chateaubriand,  seigneur  des  Roches-Baritaud. 

3.  Mery  de  Barbezières,  s.  de  Ghemerault,  mort  le  5  mai  1609. 

4.  Pierre  de  Tournemine,  seigneur  de  la  Hunaudaye,  lieutenant 
de  roi  en  Bretagne. 

5.  Louis  de  Bourbon,  duc  de  Montpensier,  né  le  10  juin  1513, 
mort  le  22  septembre  1582. 

6.  Le  s.  de  Goulaines,  capitaine  catholique,  originaire  des  envi- 
rons de  Nantes. 

7.  Probablement  Vaudray. 

8.  La  ville  de  Montaigu  appartenait  à  Claude  de  la  Trémoille, 
duc  de  Thouars,  alors  mineur.  Jeanne  de  Montmorency,  dame 
de  la  Trémoille,  sa  mère,  avait  fait  de  vains  efforts  auprès  du  roi  de 
Navarre  pour  obtenir  la  restitution  de  la  ville.  Les  pièces  rela- 
tives à  cette  revendication  ont  été  publiées  par  M.  Marchegay 
dans  V Annuaire  de  la  Société  d'émulation  de  la  Vendée,  1857,  p.  233. 


i580]      UVRE  NEUVIÈME,  CHAP.  XVI.         77 

en  six  mois  ou  jette  ou  gagné  des  hommes  dans  Mon- 
taigu  jusques  à  dix  entreprises;  desquelles  chacune 
cousta  la  mort  à  quelques-uns*.  Après  la  neuviesme 
et  sur  le  bruit  du  siège,  le  conseil  de  la  ville  se  résolut 
de  juger,  à  la  mine  et  à  la  façon  de  vivre,  tous  ceux 
qu'ils  trouvoyent  tristes,  pensifs,  conférans  ensemble; 
et  de  ceux-là  en  choisirent  trente  qu'ils  jettèrent  sous 
la  charge  d'un  capitaine  Chesne  dans  l'Abergement. 
Ils  choisirent  si  bien  que  Le  Chesne,  voyant  qu'on  lui 
avoit  donné  tous  ceux  de  sa  faction  et  un  autre,  nommé 
La  Bourgongne,  envoyé  là  mesme,  et  y  trouvant  tous 
les  siens,  s'estans  confessez  l'un  l'autre  et  s'estans 
recongnus  vingt-neuf  traistres,  ils  chassèrent  le  tren- 
tiesme  qui  estoit  un  boulenger,  lequel  ne  se  trouva 
pas  de  leur  menée,  et,  avec  un  coup  d'espée  sur  la 
teste,  l'envoyèrent  à  Montaigu.  L'abandon  que  l'on 
faisoit  de  ces  petites  places  refroidit  si  bien  le  courage 
des  compagnons  qu'il  n'en  arriva  pas  le  tiers  dans  la 
ville,  où  encor,  s'estans  mis  l'effroi  par  les  remons- 
trances  des  gentilshommes  du  pays,  quelques  capi- 
taines prindrent  leurs  quaisses  et  leurs  tambours  et 
firent  un  ban  en  ces  termes  :  «  A  tous  poltrons,  à  qui 
le  siège  faict  mal  au  cœur,  qu'ils  ayent  à  vuider  et 
on  leur  donnera  passeport  pour  s'en  aller  à  tous  les 
diables.  »  Tant  y  a  que,  de  quinze  cents  hommes  qu'il 
y  avoit,  il  n'y  demeura  que  trois  cents  cinquante  arque- 
buziers  et  quarante-cinq  sallades.  Le  conseil  de  la  ville 
partagea  la  noblesse,  qui  y  estoit,  en  trois  escouades, 

1.  Charles  Rouault  du  Landreau  avait  déjà  commencé,  à  la  date 
du  14  mai  1580,  quelques  mouvements  de  troupes  pour  surprendre 
la  ville  de  Montaigu  (Lettre  du  comte  du  Lude  au  roi  de  cette 
date;  Arch.  hist.  du  Poitou,  t.  XIV,  p.  137), 


7$  fflSTOmE   UNIVERSELLE.  [1580 

pour  avoir  tousjours  un  corps  d'hommes  armez  au 
secours  de  ce  qui  seroit  attaqué,  sous  les  charges  du 
gouverneur  de  Sainct-Estienne  et  d'Aubigné.  Lequel 
aussi  fut  esleu  lieutenant-colonel  des  compagnies  de 
gens  de  pied  :  asçavoir  de  celle  de  Vrignez,  poignardé, 
comme  nous  avons  dit,  à  une  des  entreprises  pour  avoir 
vendu  le  chasteau  au  maréchal  de  Rets  ;  ceste  compa- 
gnie donnée  après  à  Goupilière  ;  celle  de  Jarrie,  qui 
en  avoit  une  dedans  Poictiers  au  siège,  et  qui,  au  lever 
du  siège,  fit  encor  monstre  de  trois  cents  hommes; 
celle  de  Grand-Ri,  laissée  à  son  lieutenant  ;  celle  des 
capitaines  Moquar,  Jean  Monneau,  Nesde,  et  celle  du 
gouverneur,  que  je  mets  la  dernière  pour  avoir  esté 
la  moins  complette. 

Gomme  les  troupes  approchèrent  S  il  y  eut  peu  de 
nuicts  qu'il  n'y  eust  quelque  corps  de  garde  enfoncé. 
Aubigné  partit  avec  quarante  chevaux  et  alla  charger 
une  compagnie  du  régiment  Des  Bruères,  comme  il 
venoit  au  siège,  tout  contre  le  puits  Nostre-Dame,  avec 
quelques  autres  petits  exploits.  Tant  y  a  que,  ayant 
appris  d'un  capitaine  Des  Bruères,  prisonnier,  qu'on 
leur  donnoit  huict  jours  de  loisir  pour  venir  au  siège, 
lui  aussi  ne  hasta  point  son  retour.  Et  lui  arriva  un 
soir  chose  qui  sera  attestée  par  six  ou  sept  hommes 
d'honneur  encores  vivant  :  c'est  que,  estant  couché  sur 
la  paillasse  entre  Beauvois  de  Ghastelleraudois  et  Les 
Ouches  de  Melle,  il  fit  la  prière  selon  leur  mode,  en 
achevant  laquelle,  sur  ces  mots  :  ne  nous  indui  point  en 

1.  Un  régiment  de  gens  de  pied  passa,  le  29  septembre  1580, 
sous  les  murs  de  Saint-Maixent  en  se  rendant  au  siège  de  Mon- 
taigu  (Journal  de  Le  Riche,  p.  333).  Son  passage  fixe  à  peu  près 
la  date  du  commencement  du  siège. 


4580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.   XVI.  79 

tentation  j  il  receut  trois  coups  d'une  main  large, 
comme  il  en  jugeoit  au  sentiment  ;  ces  trois  coups  bien 
distinguez,  si  résonnans  que  toute  la  compagnie,  à  la 
lueur  d'un  grand  feu,  eut  les  yeux  fichez  sur  lui  dès 
le  premier  coup.  Les  Ouches,  encor  en  vie  quand  j'es- 
cris,  le  pria  de  recommencer  la  prière,  ce  qu'il  fit;  et, 
sur  les  mesmes  mots,  il  receut  trois  autres  coups  plus 
grands  que  les  premiers,  aux  yeux  de  tous,  et  quelques- 
uns  s'estans  approchez  pour  voir  le  prodige.  J'eusse 
supprimé  cet  accident  s'il  eust  esté  sans  tesmoins.  J'en 
garder-ai  les  diverses  interprétations  pour  les  familières 
instructions  de  ma  maison,  estant  la  vérité  que,  le 
mesme  soir,  le  capitaine  Aubigné*,  mon  cadet,  venoit 
d'estre  tué  comme  nous  vous  dirons. 

Landereau,  ayant  sçeu  que  la  troupe  la  plus  redou- 
tée de  Montaigu  en  estoit  dehors,  pria  Briandière^,  chef 
de  soixante  gentilshommes  liguez  et  de  la  meilleure 
troupe  de  l'armée,  de  lui  aider  à  presser  le  comte  du 
Lude^,  pour,  avec  les  forces  qu'ils  avoyent,  aller  com- 
mencer le  siège  et  brider  toutes  les  advenues  pour 
n'avoir  à  faire  qu'à  ce  qui  étoit  dedans.  Ceux-là  pres- 
sèrent tellement  le  siège  que,  le  dernier  samedi  de  sep- 
tembre, l'armée  gaigna  le  logis  de  Sainct-Georges*, 

1.  Jean  d'Aubigné,  fils  de  Jean  d'Aubigné,  père  de  Thistorien, 
et  de  sa  seconde  femme,  Anne  de  Limours. 

2.  Le  s.  de  la  Briandière  est  signalé  parmi  les  gentilshommes 
poitevins  qui  marchèrent  au  siège  de  Montaigu  (Arch.  hist.  du 
Poitou,  t.  XIV,  p.  157,  note).  Peut-être  appartenait-il  à  la  maison 
de  Bernardeau,  qui,  au  xvn*  siècle,  possédait  la  seigneurie  de  la 
Briandière. 

3.  Le  comte  du  Lude  parut  lui-même  sous  les  murs  de  Montaigu 
à  la  fin  de  septembre  1580  (Arch.  hist.  du  Poitou,  t.  XJV,  p.  157, 
note). 

4.  Saint-Georges-de-Montaigu  (Vendée). 


80  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

la  Barrillère,  Mateflon,  la  Lande,  la  Bretonnière,  la 
Borderie,  les  Oulières  et  la  Pâtissière*  ;  Sainct-Georges 
pour  le  général,  avec  trois  compagnies  de  cavallerie  et 
six  de  gens  de  pied  ;  à  la  Barrillère  cinq  compagnies, 
asçavoir  de  Derville,  Chemaux,  le  capitaine  Jouannes, 
La  Brosse-  et  Mespieds.  Ces  cinq  compagnies  sont 
nommées  pource  que  les  autres  ne  se  battoyent  pas 
souvent,  estans  distribuées  trois  à  trois  ou  deux  à  deux 
en  tous  les  lieux  que  nous  avons  nommez,  le  gros 
s'estant  avancé  vers  le  fauxbourg  de  la  porte  Jaillez. 
Les  reflFormez  s'amusèrent  de  ce  costé-là  à  une  escar- 
mouche assez  froide  ;  ce  qui  fut  cause  que  tous  les  autres 
logements  se  firent  sans  combat. 

Le  dimanche,  les  assiégez  ayans  mis  le  feu  dans  le 
fauxbourg,  le  comte  marcha  pour  le  faire  esteindre;  et 
là  on  se  vid  de  plus  près.  Mais  il  n'y  eut  point  moyen 
de  gaigner  les  jardins  du  fauxbourg  pour  estre  opinias- 
trez.  Le  lundi,  l'armée  estant  venue  à  la  Barillère,  s'at- 
taqua une  meilleure  escarmouche,, reschaufFée  par  le 
capitaine  Péricart,  qui  amenoit  au  siège  près  de  trois 
cents  hommes.  Le  baron  de  Neubourg,  son  enseigne, 
donna  si  brusquement  à  la  queue  de  l'estang  qu'il 
enferma  Sainct-Estienne  avec  vingt-cinq  gentilshom- 
mes; mais,  comme  ils  estoyent  prest  de  se  rendre, 
l'enseigne  de  Jarrie,  avec  trente  des  siens,  perça  tout 
pour  les  desgager,  et,  comme  il  faisoit  sa  retraicte, 

1.  La  Barillière,  Mateflon,  la  Lande,  la  Bretonnière,  la  Bor- 
derie, les  Oulières  et  la  Patinière,  villages  autour  de  Montaigu 
(Vendée). 

2.  Peut-être  Jean  de  la  Brosse,  d'une  ancienne  famille  d'An- 
jou, qui  appartenait  au  parti  catholique.  Son  chef,  Jacques  de  la 
Brosse,  avait  été  lieutenant  du  duc  François  de  Guise.  Ce  per- 
sonnage n'est  point  nommé  dans  l'édition  de  1618. 


4580]  LrVKE  NEUVIÈME,    CHAP.    XVI.  81 

Landereau  et  Briandière,  avec  leurs  troupes,  prindrent 
la  charge.  Un  vieil  soldat,  pressant  l'enseigne  de  se 
retirer,  lui  cria  :  c  Voici  de  la  cavallerie.  >  La  réponse 
fut  :  <  Ce  ne  sont  que  des  bestes  de  plus.  »  Ce  jeune 
homme  fit  bien  sauter  la  haye  à  tous  ses  arquebuziers. 
Mais  lui,  ne  daignant  quitter  le  chemin,  eut  Landereau 
sur  les  bras,  lequel  il  abbatit  par  terre  d'un  coup  d'es- 
pieu,  son  cheval  pris  par  ceux  de  la  ville.  Et  puis 
ceux  qui  suivoyent  Landereau  vengèrent  sa  cheute  de 
quelques  coups  d'espée  à  travers  le  corps  du  jeune 
Aubigné,  qui,  estant  recouru  mais  mort,  fut  enterré 
dans  les  sépultures  des  ducs  de  Thouars;  chose  qui 
a  depuis  esté  agréable  aux  seigneurs.  J'en  dis  beau- 
coup, mais  c'est  un  frère;  duquel  vous  sçaurez  encor 
qu'au  premier  jour  que  La  Hunaudaye^  avoit  paru 
avec  deux  cents  lances  et  six  vingts  arquebuziers, 
cestuy-ci,  avec  trente  hommes,  encores  soustenu  de 
dix  sallades,  avoit  apporté  tel  désordre  aux  six  vingts 
arquebuziers  et  les  avoit  si  rudement  menez  entre  les 
jambes  de  leur  cavallerie,  que  ces  lanciers,  ne  pou  vans 
pas  venir  à  la  charge  à  cause  d'une  haye,  et  se  voyans 
desjà  plusieurs  hommes  et  chevaux  blessez,  pour 
prendre  une  place  plus  favorable,  gagnèrent  le  chemin, 
que  les  dix  chevaux  enfilèrent  à  leur  cul  ;  et  les  trente 
arquebuziers,  qui  avoyent  mis  en  fuite  les  six  vingts, 
gaignèrent  les  costez  des  hayes  et  mirent  tel  effroi  que 
tout  s'en  courut  au  galop  demi  lieue  et  plus  ;  et  les  dix 
qui  meslèrent  dans  le  désordre  en  tuèrent  plus  qu'ils 

1.  René  de  Toumemine,  s.  de  la  Hunauldaye,  partageait  avec 
le  comte  du  Lude  le  commandement  de  l'armée  assiégeante 
(Lettre  du  roi  du  5  décembre  1580  ;  Arch.  hist.  du  Poitou,  t.  XIV, 
p.  457  et  suiv.). 

YI  6 


I 


821  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

n'estoyent  et  emmenèrent  six  prisonniers.  Pour  ce 
traict  et  quelques  autres,  l'aisné,  partant  pour  aller  à 
la  guerre,  dit  à  son  cadet  :  «  Tu  as  gaigné  réputation 
de  soldat,  ne  sois  pas  avare  de  ta  vie,  mais  mesnager.  » 
La  response  fut  :  «  J'aurai  bien  tost  le  plaisir  d'estre 
honoré  ou  celui  de  n'estre  point.  » 

Durant  ces  choses,  les  quarante,  ayans  appris  à  Che- 
milli^  par  leurs  prisonniers  que  le  siège  estoit  com- 
mencé, se  résolurent  de  s'y  venir  jetter,  et,  pour  cest 
effect,  vindrent  repaistre  à  Villiers-Boivin^,  où  ils 
prindrent  quelques  gens  d'armes  de  Chemeraut  et 
puis  arrivèrent  à  veue  de  la  ville  sur  la  minuict.  Le 
chef  de  ces  estradiots^,  l'ayant  veue  bien  ceinturée  de 
feux,  partagea  à  Davers  et  à  Charbonnières*,  qui  fai- 
soit  lors  son  apprentissage,  à  chascun  dix  soldats;  et 
lui  mit  pied  à  terre  avec  dix  autres  et  autant  de  cara- 
bins, laissant  entre  les  mains  de  leurs  valets,  qui 
estoyent  bien  armez,  les  chevaux  et  les  prisonniers 
qu'ils  avoyent.  En  cet  équipage,  il  prent  résolution 
d'aller  sentir  les  corps  de  garde  de  la  Barillère  ;  mais, 
les  trouvant  trop  bien  garnis,  il  prit  à  main  droicte  du 
costé  de  Mateflon,  où  il  n'y  a  voit  que  deux  compagnies, 
donna  de  teste  baissée  sur  celle  qui  estoit  en  garde  à 
sa  main  droicte.  Le  corps  de  garde,  après  fort  peu 
d'arquebuzades,  gagna  bien  tost  la  maison.  Avant  qu'ils 

1.  Chemillé  (Maine-et-Loire). 

2.  Vihiers  (Maine-et-Loire). 

3.  Le  chef  de  ces  estradiots  est  d'Aubigné  lui-même. 

4.  Peut-être  Jean  de  Carbonnières,  s.  du  Plessis,  enseigne  de 
Biron,  en  place  de  Charles  de  Saint-Angel  (Montre  du  20  oc- 
tobre 1580,  f.  fr.,  vol.  21537).  On  trouve  aussi  un  capitaine 
huguenot,  de  la  maison  de  Beauchamp,  seigneur  de  Grand-Fief 
en  Charbonnières  (note  de  M.  Audiat). 


I 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   XVI.  83 

fussent  secourus,  lui  et  ceux  qui  estoyent  à  pied 
ouvrirent  une  claye  et  ostèrent  quelques  branches 
pour  enfiler  le  chemin,  qui  le  mena  sans  contredict 
jusques  à  la  contr'escarpe.  Là  il  fut  receu  d'une  senti- 
nelle perdue,  qui,  sans  parler,  lui  planta  une  arque- 
buzade  dans  l'estomach  de  sa  cuirasse;  et,  comme  il 
le  recognut,  lui  apprit  la  mort  de  son  frère. 

Le  conseil  empescha  toutes  sorties  jusques  au  diman- 
che; mais,  ce  jour-là,  le  comte  du  Lude  vint  faire  la 
monstre  générale  de  son  infanterie  dans  le  champ 
de  la  Barillère.  Estant  permis  aux  nouveaux  venus 
de  sortir,  six  soldats,  bien  en  poinct,  se  coulent  par- 
dessous  le  rocher,  montent  dans  le  champ  de  la  Baril- 
lère, demandent  si  on  les  vouloit  recevoir,  et  quand 
et  quand  donnent  chascun  une  arquebuzade  dans  le 
bataillon.  Vingt  ou  trente  gentilshommes,  qui  estoyent 
là,  mettent  les  espées  à  la  main  et  courent  confusément 
aux  six.  Nesde,  qui  s'estoit  avancé  avec  quinze,  ayant 
tiré  aux  plus  proches,  reprent  la  pente  du  roc  pour 
recharger.  Lancosme^  demande  quatre  cents  arquebu- 
ziers  ;  c'est-à-dire  que  tout  s'esbranla,  et  voilà  près  de 
trois  mil  hommes  de  pied  qui  prennent  la  course  dans 
la  vallée,  au  fond  de  laquelle  ils  trouvent  vingt  gen- 
tilshommes la  halebarde  en  la  main,  six  vingts  arque- 
buziers  triez,  et,  un  peu  plus  haut  en  gaignant  vers 
la  ville,  Jarrie  avec  quatre-vingts  en  un  lieu  plus  avan- 
tageux. Tous  ces  capitaines,  qui  avoyent  pris  leur 
course,  ne  se  peurent  ou  ne  voulurent  pas  s'arrester, 

4.  Le  8.  de  Lancosme  avait  été  adjoint  au  comte  du  Lude  et 
détaché  du  siège  de  Saint-Jean-d'Angéiy  par  ordre  du  roi  (Lettre 
du  comte  du  Lude  au  roi  du  25  septembre  1580;  Arch.  hist.  du 
Poitou,  t.  XIV,  p.  150,  note). 


84  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

que  dix-huict  ou  vingt  qu'ils  estoyent,  n'ayans  armes 
que  le  satin,  avec  plus  de  quatre  cents  arquebuziers, 
ne  meslassent  les  six  vingts.  Là  se  donnèrent  force 
coups  d'halebarde  et  coups  d'espée.  D'abordée  le 
maistre  de  camp  des  refîormez  fut  porté  par  terre 
entre  les  capitaines  Ghemaux  et  Jouannes,  relevé  par 
Charbonnière  et  Nesde,  Derville  et  Courtigni  blessez 
avec  quinze  ou  seize  des  leurs  croisez  sur  la  place.  Tout 
ce  qui  avoit  couru  gayement  perdit  sa  colère  au  bout 
des  espées  des  autres,  si  bien  qu'ils  leur  donnèrent  loi- 
sir de  repasser  le  pré  et  se  partager  aux  deux  costez 
du  chemin.  Lors,  toute  la  foule  de  l'armée  estant  arri- 
vée, tout  donne  à  l'envie  les  uns  les  autres,  et  au  che- 
min et  aux  deux  costez.  Là  fut  blessé  à  mort  Goupi- 
lières,  et  quatorze  ou  quinze  de  dedans  tuez  ou  blessez, 
mais  les  hommes  de  main,  qui  estoyent  là,  bien  sous- 
tenus  par  leurs  arquebuziers,  vindrent  aux  mains  si 
heureusement  que  d'abordée  ils  mirent  à  leurs  pieds 
trente  mauvais  garçons  :  entre  ceux-là  les  capitaines 
Ghemaux  et  Jouannes,  frère  du  maistre  de  camp.  Et, 
sur  cette  bonne  bouche,  remontèrent  encores  vers  la 
ville  quelques  quarante  pas,  et  puis,  à  un  ormeau,  qui 
estoit  abbatu  au  chemin,  fermèrent  leur  retraicte.  Sur 
cet  arbre  les  uns  et  les  autres  mirent  les  pieds.  Un 
sergent  de  La  Brosse,  nommé  La  Borde,  seul  le  passa 
et  s'en  desmesia  en  bon  compagnon. 

Les  assiégeans,  ayans  recogneu  l'opiniastreté  et  ver- 
deur de  leurs  ennemis  et  voyans  qu'ils  ne  pouvoyent 
avoir  que  quatre  mil  hommes,  changèrent  le  dessein 
de  siège  en  blocus  seulement  et  refusèrent  le  canon 
qu'on  leur  préparoit  à  Nantes,  ne  pensans  peut-estre 
pas  avoir  affaire  à  si  peu  de  gens. 


4580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   XVI.  85 

En  ce  siège  de  blocus  se  passèrent  en  quatre  mois 
quarante  ou  cinquante  escarmouches,  fort  peu  des- 
quelles se  desmesièrent  sans  coup  d'espée,  et,  pour  ce 
qu'il  n'y  va  que  de  quatre  cents  hommes  d'un  costé, 
je  n'en  oserai  particulariser  que  quatre*.  Quelques 
gentilshommes,  estans  allé  voir  les  capitaines  Ponts*  et 
Ages^  à  la  Bretonnière,  leur  demandèrent  moyen  de 
donner  un  coup  d'espée.  Ceux-là  vindrent  avec  qua- 
rante arquebuziers  de  chaque  compagnie  choisis  auprès 
de  la  Lande,  la  rivière  entre  deux.  Et  là  se  mirent  à 
l'escoupeterie  avec  Les  Ouches,  Nivaudière  et  quelques 
soldats  qui  estoyent  de  l'autre  costé.  Un  des  chefs 
de  la  ville '^  mande  à  Nesde  qu'il  le  suivist  avec  vingt 
arquebusiers,  et  lui  neuviesme  passe  l'eau.  Et,  s' estant 
coulé  jusques  où  les  capitaines  Ponts  et  Ages  estoyent, 
se  voyant  descouvert,  il  va  aux  mains  avec  ses  neuf, 
mesle  la  première  troupe  qui  estoit  sur  le  bord  de 
l'eau,  et,  sans  la  desmordre,  va  mesler  à  l'entrée  d'un 
chemin  quelques  espées  dorées  qui  firent  ferme. 
Comme  ils  estoyent  aux  mains  et  que  les  premiers 
qui  avoient  fui  se  ralioyent  pour  venir  au  combat, 
Nesde  arriva  avec  ses  vingt  bien  à  propos,  et  lors  les 
assiégez,  rompans  tout,  ne  laissèrent  sur  la  place  que 
deux  morts,  mais  emmenèrent  ou  tuèrent,  pour  espar- 
gner  le  foin,  quarante-six  chevaux,  que^  perdirent 

1.  L'édition  de  1618  n'en  particularise  que  trois. 

2.  Peut-être  Charles  d'Argye,  s.  de  Pons,  guidon  de  la  com- 
pagnie du  marquis  de  Villars  (Montre  du  5  septembre  1572,  f.  fr., 
vol.  21532). 

3.  Ce  personnage  est  nommé  Arragon  dans  l'édition  de  1618. 
i.  Un  des  chefs  de  la  ville  est  d'Aubigné  lui-même. 

5.  La  fin  de  l'alinéa  manque  à  l'édition  de  1618. 


b 


86  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

autant  de  volontaires  qui,  à  i'ouyr  de  Tescarmouche, 
s'estoyent  venus  convier  d'y  prendre  part. 

Du  mesme  costé  de  la  Lande,  soixante  arquebuziers 
de  la  ville  ostèrent  à  cinquante  arquebusiers,  conduits 
par  le  capitaine  Arragon',  dix  chartées  de  munitions 
et  les  vindrent  passer  à  cent  cinquante  pas  de  la  Lande. 
Les  compagnies  des  blocus  y  accoururent.  Les  soixante, 
estants  renforcées  d'encor  autant,  font  teste  à  droicte 
et  à  gauche  à  ceux  qui  s'avançoient  et  emmènent  tout 
à  Montaigu. 

Il  y  eut  une  autre  gaillarde  escarmouche  à  la  porte 
Jaillet,  où  l'ordre  de  dix  hommes  de  commandement, 
qui  en  avoyent  chacun  vingt  affidez  et^  marchoyent 
séparez  pour  recevoir  les  commandements,  renversa 
plus  de  huict  cens  hommes  jusques  derrière  leur  blo- 
cus, pource  que,  dans  le  milieu  de  la  confusion,  ces 
dix  faisans^  un  corps  de  deux  cens  bien  serrez,  avec 
une  menace  de  vingt-cinq  chevaux  que  La  Boulaye  et 
Sainct-Estienne  amenèrent.  A  mesme  temps,  tout  ce 
qui  estoit  confus  fut  réduict  à  la  fuite. 

La  dernière  des  escarmouches  fut  la  plus  glorieuse, 
pource  qu'elle  se  fit  contre  raison,  sur  le  dessein  de 
l'ennemi.  Car  telle  estoit  l'audace  des  assiégez  sur  les 
autres  qu'ayans  veu  de  dessus  une  tour  loger  sur  le 
ventre  quatre  cents  arquebuziers  dans  un  bois  à  leur 
gauche,  comme  on  va  à  la  Barillère,  et  puis  voyans 
venir  Mespieds  avec  sa  compagnie  pour  attaquer  à  la 
mode  accoustumée  en  se  retirant,  les  assiégez  se  plai- 
gnoyent  de  ne  venir  plus  aux  coups  d'espée.  Mais 

1.  Voyez  la  note  2  de  la  page  précédente. 

2.  Ce  passage,  jusqu'à  renversa,  manque  à  l'édition  de  16t8. 

3.  Faisans;  le  sens  exige  faisaient. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XVI.  87 

celui  qui  commandoit  aux  sorties^,  ayant  choisi  cent 
cinquante  hommes,  parmi  cela  quinze  ou  seize  armez, 
ayant  envoyé  les  capitaines  Paillez  ^  et  Mocquart  avec 
soixante  convier  Mespieds  à  se  retirer,  lui  prent  sa 
course  dans  le  bois  et  mesle  tellement  ceste  embuscade 
qu'en  faisant  demeurer  trente  sur  la  place,  il  mène  le 
reste  dans  le  fossé  de  la  Barillère  ;  et,  pource  que  les 
valets  de  la  ville  estoyent  courus  pour  butiner  au  bois, 
on  leur  fit  emporter  le  capitaine  Sourcil,  qui,  pour 
avoir  rendu  plus  de  combat  que  les  autres,  fut  enterré 
par  les  assiégez  hors  de  la  ville  avec  les  enseignes  et 
beaucoup  d'honneur. 

Les  coureurs  de  Montaigu  ne  laissoyent  pas,  pour  le 
siège,  de  faire  des  équipées  assez  loing;  comme  en  ce 
temps-là  neuf  des  leurs  deffirent  deux  compagnies  de 
gens  de  pied  marchans  dans  un  chemin  creux,  auprès 
de  Pont-Rousseau^.  Et  les  mesmes  furent  chargez  par 
dix-huict  chevaux  de  l'armée  que  les  neuf  tuèrent  tous, 
horsmis  le  capitaine  La  Coste*,  qui^,  pour  avoir  porté 
le  chef^  par  terre,  et  avoir  très  bien  faict,  fut  sauvé 
par  lui.  Il  a  depuis  servi  à  Fontenai.  Tous  les  traits 
que  nous  disons  faits  hors  d'apparence,  par  l'estime 


i.  D'Aubigné  lui-même. 

2.  Ce  capitaine  ne  doit  pas  être  confondu  avec  Biaise  de  Vil- 
lemur,  baron  de  Pailhès,  gouverneur  du  comté  de  Foix. 

3.  Pont- Rousseau  (Loire- Inférieure),  sur  la  route  de  Montaigu 
à  Angers. 

4.  Un  capitaine  du  nom  de  Lacoste  est  cité  dans  les  Lettres 
de  Henri  IV  (t.  I,  p.  491)  comme  maréchal  des  logis  du  roi  de 
Navarre, 

5.  Ce  membre  de  phrase,  jusqu'à  ces  mots  :  tl  a  depuis  servi..., 
manque  à  l'édition  ide  1618. 

6.  Le  chef  dé&ïgné  ici  est  d'Aubigné. 


88  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

en  laquelle  estoyent  les  refformez  de  ce  costé-là  envers 
leurs  ennemis.  Mais,  parmi  ces  choses  qui  seront 
louées,  j'en  ai  une  à  dire  qui  sera  blasmée  des  plus 
judicieux.  C'est  que  Guébriand  * ,  du  costé  de  La 
Hunaudaye,  ayant  envoyé  demander  un  coup  de  lance, 
il  arriva  que  celui  qui  receut  le  trompette^,  comme 
estant  fortuitement  préparé  à  cela,  s'avança  avec  lui 
et  lui  mit  le  marché  au  poing,  ce  qui  ne  s'exécuta  pas, 
pource  que  le  chef  de  ce  costé  l'empescha.  Les  Poic- 
tevins  de  Sainct-Georges  se  firent  de  feste  pour  répa- 
rer ce  deffaut.  Cela  vint  par  divers  cartels  que  je  sup- 
prime jusques  là  que,  les  assiégez  estans  deffiez  pour 
se  trouver  dix  des  principaux  dans  le  champ  de  la 
Barillère,  qui  est  à  dire  entre  les  mains  de  leurs  enne- 
mis, avec  espée  et  poignard,  ces  gens  furent  si  francs 
du  coHier  qu'ayans  pris  la  parole  de  La  Brosse  et  Mes- 
pieds,  ils  se  vindrent  mettre  dix  en  chemise  entre 
deux  rangs  de  leurs  ennemis,  qui  faisoyent  six  cents 
hommes  au  Heu  dit  et  une  heure  avant  l'assignation. 
Or,  comme  le  cartel  étoit  signé  par  le  comte  et  son 
conseil,  aussi  furent  envoyés  Lagot  et  Guimenière 
dudit  conseil  pour  conter  et  visiter  les  combatans,  et 
puis,  ayant  aggréé  toutes  leurs  conditions,  ils  s'en 
retournèrent,  comme  ils  disoyent,  pour  leur  envoyer 
de  quoi  passer  le  temps.  Mais,  ayans  demeuré  là  cinq 
heures,  ils  receurent  une  lettre  d'excuse.  Les  soldats 
des  compagnies,  frémissans  et  crians  la  honte  la  plus 
évidente  que  jamais  armée  eust  receu,  se  convièrent 

1 .  François  de  Felles,  seigneur  de  Guébriant,  fils  de  François 
de  Felles,  seigneur  de  Guébriant  et  de  la  Gornillière,  et  de  Claude 
Glé,  dame  de  Saint-Thomas. 

2.  Celui  qui  reçut  le  trompette  est  d'Aubigné  lui-même. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XVI.  89 

à  tenir  la  place  de  leurs  chefs,  et,  comme  ils  furent 
acceptez,  les  capitaines  La  Brosse  et  Mespieds  se  jet- 
tèrent  entre  deux  et  jurèrent  avant  se  départir  de  se 
venir  mettre  dans  le  régiment  de  La  Boulaye,  que  Mon- 
sieur avoit  desjà  prattiqué  pour  la  guerre  de  Flandres  ; 
ces  promesses  leur  estans  permises  pour  le  bruit  cer- 
tain de  la  paix. 

Aussi  fut-elle  receue  par  le  comte  du  Lude  le  len- 
demain, et,  comme  on  disputoit  à  qui  la  feroit  publier* 
le  premier,  le  comte  fit  cet  honneur  à  un  capitaine 
des  assiégez-  d'en  vouloir  prendre  son  advis;  et  pour- 
tant mit  Roussière-Gul-de-Braye^  en  ostage  pour  lui. 
Le  capitaine  fit  voir  deux  choses  :  l'une,  que  tous  les 
mouvements  et  commencements  de  trevfes  et  parle- 
ments estoyent  bien  séans  aux  maistres  de  la  campagne 
et  non  aux  autres  ;  d'ailleurs  que  par  la  paix  les  assié- 
gez entroyent  en  l'obéyssance  du  comte,  ne  lui  devant 
rien  auparavant;  que,  pour  leur  première  recognois- 
sance,  il  estoit  bien  séant  qu'ils  receussent,  non  seu- 
lement la  paix,  mais  encores  de  lui  l'exemple  de  la 
paix.  Entre  autres  discours,  on  lui  demanda  s'ils  se 

1.  L'ordonnance  d'exécution  par  le  duc  d'Anjou  du  traité  de 
Fleix,  en  vertu  duquel  la  ville  de  Montaigu  devait  être  rendue  au 
roi,  fut  criée  sous  les  murs  de  la  ville,  par  ordre  du  comte  du  Lude, 
le  21  janvier  1d8L  Cette  pièce  est  publiée  dans  les  Arch.  hist.  du 
Poitou,  t.  XIV,  p.  162. 

2.  Le  capitaine  des  assiégez  est  d'Aubigné  lui-même. 

3.  René  Girard  de  la  Roussière,  capitaine  catholique,  avait  pris 
part  aux  guerres  de  religion  du  règne  de  Charles  IX.  En  1587,  il 
était  gouverneur  de  Fontenay  pour  la  Ligue  lorsque  le  roi  de 
Navarre  s'empara  de  cette  ville.  René  de  la  Roussière  était  neveu 
par  alliance  du  comte  du  Lude  et  avait  été  pendant  quelque  temps 
lieutenant  de  sa  compagnie  (Documents  communiqués  par  M>°*  la 
marquise  de  Gumont). 


90  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

prévaudroyent  de  l'appel  des  dix.  Cestui-ci  (quoique 
principal  de  la  partie,  comme*,  depuis  le  coup  de 
lance  accepté,  ayant  maintenu  la  querelle  seul  et  def- 
fié  Landereau,  lui  à  pied  et  armé  en  capitaine  de  gens 
de  pied,  contre  l'autre  monté  et  armé  en  capitaine  de 
gens  d'armes)  respondit  :  «  Si  nostre  chef  nous  traie- 
toit  à  la  rigueur  des  anciennes  loix,  n'ayant  pas  tenu 
à  nous  que  la  place  ne  soit  perdue  pour  nostre  gloire 
particulière,  il  nous  feroit  trancher  la  teste  à  tous 
dix  2.  > 

Il  est  temps  d'aller  où  nous  sommes  obligez  par 
nostre  ordre  accoustumé,  après  un  mot  du  Daulphiné, 
où  le  duc  de  Mayenne^,  ayant  receu  ses  commissions, 
s'acheminoit*  sur  la  fin  de  ceste  guerre,  avec  peu  de 
forces,  pource  que  l'on  estoit  bien  instruit  à  la  cour 
de  la  division  générale  où  estoyent  les  refformez  de 
ceste  province,  qui  s'employoyent  les  uns  contre  les 
autres.  Et  par  là  donnèrent  de  la  besongne  bien  facile 
et  de  grande  réputation  à  ce  prince,  comme  nous  ver- 

1 .  La  suite  de  la  phrase,  jusqu'à  respondit,  manque  à  l'édition 
de  1618. 

2.  Le  duc  d'Anjou,  par  lettres  du  27  janvier  et  du  2  février  1581, 
avait  prescrit  au  s.  de  Tilly,  gouverneur  d'Anjou,  de  prendre  pos- 
session de  Montaigu,  de  livrer  la  ville  au  comte  du  Lude,  qui  était 
chargé  par  le  roi  de  la  démanteler  (Arch.  hist.  du  Poitou,  t.  XTV, 
p.  163,  164  et  notes).  L'opération  subit  des  retards  par  suite  de  la 
mauvaise  volonté  des  réformés,  et,  à  la  date  du  21  février,  le  traité 
de  Fleix  n'était  pas  encore  exécuté  à  Montaigu  (Ibid.,  p.  168). 

3.  Charles  de  Lorraine,  duc  de  Mayenne. 

4.  Le  duc  de  Mayenne  arriva  à  Lyon  avant  le  24  juillet  1580  et 
en  partit  le  23  août  pour  Grenoble.  II  entra  en  campagne  au  com- 
mencement de  septembre,  fut  blessé  à  l'œil,  se  retira  à  Romans, 
puis  à  Grenoble,  partit  de  Grenoble  le  29  septembre  et  mit  le 
siège  devant  la  Mure  le  28  octobre  (Mémoires  d^Eustache  Piémond, 
passim). 


1580]  LIVRE  PŒUVIÈME,   CHAP.    XVII.  91 

rons.  Et,  quelques  remonstrances  qu'on  leur  fist,  ils 
aimoyent  mieux  devenir  esclaves  de  leurs  ennemis  que 
compagnons  de  leurs  frères;  regardans  plustost  d'où 
estoit  Lesdiguières  \  médiocre  en  moyens  mais  bon 
gentilhomme,  que  quel  il  estoit  et  quel  il  se  montra, 
quand  la  nécessité  chastia  les  orgueilleux,  et  quand  ils 
eurent  senti  leur  péril  et  leur  devoir  par  leurs  accidents 
et  par  l'industrie  du  vicomte  de  Turenne,  comme  nous 
vous  dirons  au  livre  suivant. 

Chapitre  XVII. 

Liaison  des  troubles  de  France  avec  ceux 
des  quatre  voisins. 

N'y  ayant  plus  de  seureté  en  Picardie  pour  le  prince 
de  Condé,  dès  qu'il  vid  les  préparatifs  du  siège  de  la 
Fère,  il  passa  en  Angleterre  %  où  il  fut  favorablement 
recueilli  par  la  roine,  et  de  là,  pour  prendre  le  chemin 


1.  Lesdiguières  appartenait  à  une  famille  de  petits  gentils- 
hommes qui,  de  temps  immémorial,  exerçait  une  charge  de 
notaire.  Voilà  la  cause  de  la  jalousie  passionnée  que  la  haute 
noblesse  du  Dauphiné  portait  à  ce  capitaine  (Roman,  Actes  et  cor- 
respondance de  Lesdiguières,  introd.,  p.  xxi).  La  jalousie  alla  si  loin 
qu'une  assemblée  de  réformés  tenue  à  Bordeaux,  près  de  Crest, 
en  Dauphiné,  au  milieu  de  1580,  investit  le  jeune  Montbrun,  alors 
âgé  de  douze  ans  seulement,  du  commandement  général  du  parti 
huguenot  en  Dauphiné,  au  détriment  de  l'illustre  Lesdiguières 
(Mémoires  de  Piémond,  p.  109,  note). 

2.  Le  prince  de  Condé  se  mit  en  route  pour  l'Angleterre  un  peu 
avant  le  24  juin  1580,  accompagné  de  neuf  serviteurs,  dont  La 
Huguerye  était  l'un.  Voyez  les  Mémoires  de  La  Huguerye,  t.  U, 
p.  61. 


98  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

d'Allemagne  \  vint  aborder  à  l'Escluse*,  si  bien  qu'es- 
tant arrivé  à  Gand,  le  treizième  juillet  1579^,  il  y 
receut  comme  une  espèce  d'entrée,  et,  le  mesme  soir, 
se  fit  l'entreprise  de  Gand  par  le  marquis  de  Roubay*. 
Nous  en  parlerons  en  son  lieu.  Seulement,  en  suivant 
le  voyage  du  prince,  nous  dirons  de  lui  qu'il  se  trouva 
une  picque  à  la  main  des  premiers  à  repousser  les 
entrepreneurs,  et  que,  deux  jours  après,  estant  parti 
pour  Anvers,  il  ramena  à  Gand  ^  les  forces  qui  le  con- 
duisoyent  pour  se  trouver  à  une  seconde  entreprise; 
et  puis  d'Anvers,  après  avoir  conféré  amplement  avec 
le  prince  d'Orange  et  avoir  recognu  qu'il  ne  se  pouvoit 
impétrer  de  secours  pour  la  Fère,  à  cause  des  fusées 
que  les  Estais  avoyent  lors  à  desmesler,  il  tira  à  Franc- 
fort®, pour  y  estre  avant  la  foire  d'automne.  Là  il 
traita  avec  le  duc  Casimir'  et  autres  AUemans,  pour 

1.  N'ayant  rien  obtenu  de  la  reine  d'Angleterre,  Condé  passa 
peu  après  en  Allemagne  (Mémoires  de  La  Huguerye,  t.  Il,  p.  62). 

2.  L'Écluse,  port  du  comté  de  Flandre. 

3.  D'Aubigné  se  trompe  de  date.  Nous  sommes  en  1580.  Condé 
arriva  dans  les  Pays-Bas  le  7  juillet  1580  {Mémoires  anonymes 
publiés  par  M.  Henné  dans  la  coll.  de  la  Société  de  l'hist.  de  Bel- 
gique, t.  V,  p.  292). 

4.  Robert  de  Melun,  marquis  de  Roubaix,  seigneur  de  Risbourg, 
plus  tard  lieutenant  du  prince  de  Parme,  tué  au  siège  d'Anvers 
en  1585. 

5.  Le  prince  de  Condé,  arrivé  à  Gand  le  7  juillet  1580,  défendit 
la  ville  contre  les  malcontents  et  en  partit  le  8  pour  Anvers.  Le 
18  juillet  1580,  il  se  mit  en  route  pour  la  Hollande  et  pour  l'Alle- 
magne. Ses  exploits  à  Gand  sont  racontés  dans  le  tome  V  des 
Mémoires  anonymes,  p.  295  et  suiv. 

6.  Le  prince  de  Condé  arriva  à  Francfort  en  septembre  1580 
(Mémoires  de  La  Huguerye,  t.  Il,  p.  64). 

7.  Jean-Casimir  de  Bavière,  frère  de  l'électeur  palatin.  Les 
négociations  du  prince  de  Condé  avec  lui  sont  racontées  dans  les 
Mémoires  de  La  Huguerye,  t.  Il,  p.  64. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.    XVII.  93 

avoir  une  armée  au  printemps  suivant,  avec  des  con- 
ditions nouvelles  qui  semblèrent  dures  au  pays.  Ces- 
toit  que  le  duc  Gazimir  auroit  pour  seureté  et  gage  de 
ses  payements  entre  ses  mains,  ou  de  gens  à  lui  con- 
fidents, la  ville  d'Aiguemortes,  avec  le  fort  de  Pecais. 
Cela  estant  ainsi  conclud,  il  s'en  revint  par  Genève,  et 
puis  par  le  Daulphiné,  accompagné  de  Clervant  et  puis 
du  docteur  Beutrich.  Nous  verrons  en  suitte  comment 
ce  labeur  fut  rendu  inutile  par  les  mauvaises  intelli- 
gences des  deux  cousins^. 

D'Italie  on  fit  couler  des  forces  dans  Avignon,  sur 
la  jalousie  que  donna  le  passage  du  prince-.  Depuis, 
ces  mesmes  bandes  repassèrent  par  la  Provence  en 
Piedmont  et  de  là  à  Insprug^,  pour  aller  trouver  le 
duc  de  Parme  aux  Pays-Bas*. 

Le  pape  Grégoire  XIII,  sur  ses  derniers  jours  ^, 
receut  par  les  mains  de  ceux  de  Lorraine  la  ligue  de 
Péronne"  renouvellée  aux  termes  que  nous  avons 
déclarez.  Tous  les  cardinaux  partisans  d'Espagne, 
ayans  pris  leur  concert  ensemble  au  logis  du  cardinal 

1.  Le  roi  de  Navarre  et  le  prince  de  Gondé. 

2.  Condé,  de  retour  d'Allemagne,  passa  en  Dauphiné  au 
commencement  de  novembre  1580  et  arriva  à  Nîmes  le  14  du 
même  mois  (Aubais,  Pièces  fugitives,  t.  Il;  Mémoires  de  Merle, 
p.  18). 

3.  Inspruck. 

4.  Alexandre  Farnèse,  duc  de  Parme,  fils  d'Octave  Farnèse  et 
de  Marguerite  d'Autriche,  fille  naturelle  de  Charles-Quint,  né  en 
1546,  mort  le  3  décembre  1592. 

5.  D'Aubigné  se  trompe  de  date.  Le  pape  Grégoire  XIII  ne 
mourut  que  le  13  avril  1585. 

6.  La  ligue  de  Péronne  est  bien  postérieure  à  l'année  1580. 
Voyez  le  livre  suivant. 


94  fflSTOlRE   UNIVERSELLE.  [1580 

Borromé^  firent  ligue  dans  le  consistoire,  pour  faire 
au  commencement  approuver  simplement,  et  puis 
authoriser  celle  de  France.  Mais  le  pape,  assisté  de 
fort  peu  de  François  et  d'Italiens,  refusa  entièrement 
ce  présent,  de  quoi  il  acquit  beaucoup  de  haine  du 
clergé.  A  ceste  occasion,  quand  la  nouvelle  du  désastre 
d'Affrique  vint,  on  le  chargea  d'avoir  favorisé  l'entre- 
prise de  don  Sébastien  et  d'avoir  destourné  les  com- 
pagnies qui  devoyent  commencer  la  guerre  en  Irlande, 
pour  les  employer  là.  De  mesme  temps  on  fit  courir 
partout  un  concordat  de  Magdebourg*,  mesnagé  par 
ceux  que  nous  alléguerons,  mais  le  pape  ne  se  désunit 
point  ^. 

Monsieur  estoit  lors  à  Tours,  où  lui  furent  envoyez 
nouveaux  députez  des  Pays-Bas^,  pour  lui  faire  accep- 
ter ce  qu'il  fit  après.  Mais  il  fut  conseillé  par  Fervaques 
et  Bussi^  de  ne  desmarcher  point  hors  de  France,  en 
laissant  le  roi  de  Navarre  et  son  parti  ennemis  comme 
ils  estoyent;  que  les  refformez,  engagez  à  la  haine  des 
Espagnols  et  des  ligués,  estoyent  seuls  capables  de  rele- 

1.  Saint  Charles  Borromée,  cardinal  et  archevêque  de  Milan, 
fils  du  comte  Gilbert  Borromée  et  de  Marguerite  de  Médicis,  sœur 
de  Pie  IV,  né  le  2  octobre  1538,  mort  le  4  novembre  1584. 

2.  Transaction  entre  l'empereur  et  Joachim-Frédéric  de  Bran- 
debourg, archevêque  de  Magdebourg,  qui  s'était  marié  avec  sa 
cousine  de  Brandebourg  sans  vouloir  renoncer  à  son  archevêché. 

3.  C'est-à-dire  ne  se  démentit  pas. 

4.  Le  duc  d'Anjou,  sur  le  conseil  du  prince  d'Orange,  avait  été 
choisi  comme  duc  de  Brabant  par  les  états  des  Flandres  (juin 
1580).  Le  12  août,  les  états  résolurent  de  lui  envoyer  une  députa- 
tion  solennelle.  Le  19  septembre,  les  députés  du  prince  français 
et  des  états  signèrent  avec  lui,  au  Plessis-lès-Tours,  une  conven- 
tion qui  est  imprimée  par  Dumont,  Corps  diplomatique,  t.  V,  p.  380. 

5.  Bussy  était  mort  depuis  le  19  août  1579. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   XVH.  95 

ver  son  authorité  en  France,  si  besoin  y  eschéoit.  Et 
ce  fut  pourquoi  Monsieur  se  voulut  mesler  de  ceste 
paix,  comme  d'ailleurs  le  roi  aimoit  mieux  lui  en  lais- 
ser l'envie  qu'à  soi.  Voilà  sur  quoi  se  fit  le  voyage  de 
Libourne  et  de  Goutras*.  Et  cependant,  craignant  que 
les  Flamans  cerchassent  un  autre  chef,  comme  plusieurs 
avoyent  l'œil  sur  la  maison  palatine  et  ailleurs,  il  fit 
marcher  les  forces  qu'il  avoit  les  plus  prestes,  dont 
quelques-unes,  logées  autour  de  Meulan^  près  Paris, 
furent  chargées  par  les  gardes  du  roi,  qui,  importuné 
et  menacé  par  l'ambassadeur  d'Espagne^  et  les  chefs 
de  la  Ligue,  print  couleur  pour  les  deffaire  de  quelques 
pilleries,  comme  ils  en  donnoyent  assez  d'occasion, 
mais,  d'autre  costé,  pensa  mériter  la  bonne  grâce  de 
ceux  qui  le  pressoyent  en  faisant  pendre  quelques  pri- 
sonniers devant  le  Louvre. 
Le  régiment  de  Combelle*  fut  le  premier  qui  arriva 

1.  Le  duc  d'Anjou  fut  envoyé  par  le  roi  à  Libourne,  à  Coutras 
et  en  Guyenne  «  pour  écouter  les  plaintes  et  remontrances  qui 
luy  seront  adressées.  »  Les  lettres  de  commission  du  roi  sont 
datées  du  9  juillet  1580  et  conservées  en  copie  du  temps  dans  le 
vol.  15553,  f.  234  du  fonds  français.  Partie  de  la  correspondance 
du  prince  pendant  cette  mission  est  conservée  dans  ce  même 
recueil  et  dans  le  vol.  6003  des  nouv.  acq.  du  f.  fr. 

2.  Meulan  (Seine-et-Oise),  sur  la  Seine. 

3.  L'ambassadeur  d'Espagne  auprès  de  la  cour  de  France  était 
don  Juan  de  Vargas  depuis  près  de  neuf  ans.  En  juin  1580,  Var- 
gas  mourut  à  Paris  de  la  coqueluche  (Rapport  au  roi  d'Espagne 
de  juillet  1580;  Arch.  nat.,  K.  1558,  n°  142)  et  fut  momentané- 
ment remplacé  par  don  Diego  de  Maldonado,  son  premier  secré- 
taire. La  correspondance  de  Maldonado  est  conservée  aux.  Archives 
dans  les  cartons  K.  1558  et  suiv. 

4.  Gombelles,  capitaine  au  service  du  duc  d'Anjou,  avait  été 
lieutenant  de  la  compagnie  colonelle  de  Martinengo.  La  Hugue- 
rye  parle  de  lui  dans  ses  Mémoires,  1. 1,  p.  7.  Il  était  le  frère  cadet 


96  mSTOiRE  UNIVERSELLE.  [1580 

en  Hainaut  avec  quelque  troupe  de  noblesse,  qui  mar- 
cha sous  son  aisle.  Les  bandes  espagnoles,  qui  tenoyent 
le  pied  sur  la  gorge  au  pays,  se  rallièrent,  et,  sachans 
que  les  François  estoyent  logez  à  Barlemont^,  les  vin- 
drent  attaquer  le  dix-huictiesme  de  may.  Mais  ces 
nouvelles  bandes,  ayans  soustenu  le  premier  effort, 
sortirent  sur  leurs  assaillans,  passèrent  sur  le  ventre 
à  ceux  qui  estoyent  pied  à  terre  et  menèrent  le  reste 
deux  lieues  fuyant,  avec  perte  de  quatre  cents  hommes, 
la  pluspart  Espagnols  naturels. 

Chapitre  XVIII. 

De  r  Orient, 

Émir  Evizamizire^,  fils  du  roi  de  Perse,  despesché 
au  Servan  par  son  père  avec  quinze  mille  chevaux, 
assisté  de  Salmas',  premier  vizir,  au  commencement 
de  l'an  1578,  rencontra  à  l'entrée  de  Servan  le  bâcha 
Caietas*,  gouverneur  d'Ères,  qui  s'estoit  mis  à  la  cam- 
pagne pour  quelque  convoi  de  vivres.  Ces  quinze  mille 
chevaux  tuent  le  bâcha  et  tout  ce  qu'il  avoit,  empor- 
tent d'emblée  Émir,  deux  cents  canons^  dedans,  et 

de  Jean  de  Combelles,  membre  du  conseil  du  duc  d'Anjou  {Mémoires 
de  Nevers,  t.  I,  p.  596). 

1.  Barlaimont,  dans  les  Pays-Bas,  sur  la  Sambre. 

2.  Émir-Hamze  (c'est  ainsi  que  le  nomme  de  Thou),  fils  aîné  du 
roi  de  Perse,  Mohamed-Hodabendes,  partit  de  Gasbin  pour  se 
rendre  dans  le  Schirvan  (liv.  LXVII). 

3.  Mizize-Salmas,  grand  vizir. 

4.  Le  bâcha  Ghaïtas,  à  qui  Mustapha  avait  donné  le  gouverne- 
ment d'Ères. 

5.  Émir-Hamze  envoya  à  Gasbin  les  pièces  d'artillerie  dont  parle 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,   CHAP.    XVHI.  97 

prennent  cet  équipage  pour  aller  assiéger  Sumachie. 
Souvenez-vous  que  nous  avons  laissé  Abdith  Gheray*, 
Tartare,  après  ses  victoires  se  plongeant  en  délices  aux 
plus  agréables  endroicts  de  la  Perse,  qui  lui  semblèrent 
si  doux  au  pris  des  Palus  Méotides,  d'où  il  estoit  parti, 
que  lui  et  les  siens  à  son  exemple  ne  faisoyent  plus 
aucunes  factions.  Il  en  advint  que  le  prince  de  Perse, 
prenant  son  chemin  par  le  logement  des  Tartares, 
enfonça  les  quartiers  sans  deffense,  et,  donnant  au  logis 
du  général,  l'emporta  avec  son  reste  et  l'envoya  pri- 
sonnier au  roi  son  père  à  Casbin^.  De  là  il  assiège 
Sumachie^  et  Osman  le  bâcha  dedans;  lequel,  ne  se 
voyant  point  capable  de  deffense,  entendit  à  capituler 
dès  la  première  sommation  ;  demanda  seulement  trois 
jours  par  courtoisie,  pour  disposer  de  son  équipage, 
à  lui  accordez  par  la  capitulation.  C'estoit  que  dans 
ce  terme  il  attendoit  le  secours  des  Tartares,  mais, 
cognoissant  le  malheur  qui  leur  estoit  arrivé,  pensa 
diminuer  le  sien  par  une  fuitte  de  nuict  à  Demi- 
carpi%  si  forte  d'assiète  et  d'artifice  qu'il  délibéra 
d'y  attendre  le  prince  Mirize,  lequel,  se  contentant 
du  recouvrement  du  pays  perdu,  ou  de  la  plus- 
part,  ayant  mis  bonne  garnison  en  ses  conquestes 
et  puni  quelques  habitants  de  leurs  laschetez^,  s'en 


d'Aubigné  pour  en  faire  hommage  au  roi  son  père  (De  Thou, 
Uv.  LXVH). 

1.  Abdil-Chirai,  frère  de  Cumans,  roi  de  Tartarie. 

2.  Gasbin,  en  Perse,  dans  l'Irac,  près  du  mont  Elwend. 

3.  Scamachie,  capitale  du  Schirvan. 

4.  Temir-Capi,  ville  près  de  Scamachie. 

5.  Émir-Hamze,  prince  de  Perse,  traita  les  habitants  d'Eres  et 
de  Sechi  avec  plus  de  sévérité  que  ceux  de  Scamachie  parce  qu'ils 
s'étaient  rendus  aux  Turcs. 

VI  7 


98  fflSTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

retourne  à  Casbin,  où  le  père  le  receut  triomphante 
Là  estoit  prisonnier  dans  le  serrail  Abdith  Cheray, 
prisonnier  de  nom,  mais  en  effect  honoré  de  tous  et 
caressé  de  toutes  les  princesses  et  autres 2,  poussées  à 
son  amour  par  deux  grands  commandements  ;  le  plus 
grand,  de  son  extrême  beauté  et  adresse  de  corps  et 
d'esprit;  l'autre,  par  l'ordonnance  expresse  du  roi,  qui 
ne  vouloit  rien  oublier  à  gagner  ce  cœur,  et  par  lui 
le  roi  de  Tartarie,  et  ainsi  destourner  un  puissant 
secours  à  son  ennemi,  pour  le  faire  sien  en  ces  néces- 
sitez. Il  n'espargna  rien  à  cela,  jusques  à  l'offre  de  sa 
fille  en  mariage.  Mais  un  autre  amour  aveugla  le  pri- 
sonnier et  l'attacha  à  la  roine  de  Perse  ;  elle  de  mesme 
à  lui,  avec  des  privautez  si  descouvertes  que  les  sultans 
et  grands  du  royaume,  les  uns  jaloux  de  l'honneur  de 
leur  maistre,  les  autres  rivaux  de  mesme  affection, 
conjurèrent  la  mort  de  ce  jeune  prince  ;  l'exécutèrent 
dans  le  serraiP.  De  là  vont  poignarder  la  roine  et  la 
jettent  par  les  fenestres*.  Et,  pource  qu'après  cette 
action  ils  ne  se  cachèrent  point,  on  a  présumé  que 
celui  qui  avoit  le  principal  intérest  en  cet  affaire  y  eust 
donné  consentement.   Ce  fut  à  la  fin  de  l'année  à 


1 .  Émir-flamze  revint  à  Casbin  suivi  de  sa  mère,  la  princesse 
Begum,  qui  l'avait  accompagné  dans  son  expédition  (De  Thou, 
liv.  LXVII). 

2.  Abdil-Chirai  se  disait  frère  du  kan  des  petits  Tartares  et 
s'était  attiré  les  bonnes  grâces  de  Mohamed-Hodabendes,  surtout 
celles  de  la  princesse  Begum  (De  Thou,  liv.  LXVII). 

3.  a  Notre  langue,  »  dit  de  Thou  (liv.  LXVII),  t  n'a  point  de 
termes  pour  exprimer  son  supplice.  » 

4.  De  Thou  révoque  en  doute  la  mort  de  la  princesse  Begum 
immédiatement  après  celle  d'Abdil-Ghirai.  Ce  qu'il  tient  pour  cer- 
tain, c'est  qu'elle  ne  paraît  plus  depuis  au  sérail  (liv.  LXVII). 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XVIII.  99 

laqueUe  Mustapha  s'estoit  retiré  dans  Erzeron\  laissant 
faire  la  guerre  aux  autres  bâchas  et  se  reposant  de  ses 
labeurs. 

Au  commencement  de  la  suivante,  ce  général,  ren- 
forcé de  plusieurs  bandes,  qui  vindrent  devers  Alep^ 
et  devers  le  Caire,  s'en  alla  à  Chars ^,  sur  le  fleuve 
Euphrate;  où  il  battit  une  forteresse  de  quatre-vingts 
tours,  pour  la  perfection  de  laquelle,  après  la  force, 
il  n'oublia  rien  des  délices,  comme  force  canaux  tirez 
du  fleuve,  des  lieux  pour  les  jeux  publics  et  des  estuves, 
avec  toutes  sortes  de  voluptez'*.  Cependant  avoit  esté 
despesché  Assam  bâcha  ^,  pour  secourir  Tifli^,  assiégé 
par  les  Perses.  Aliculi-Cham ''^  et  Simon  ^  allèrent  au- 
devant  et  firent  un  grand  escarre  à  la  teste  d' Assam. 
Mais,  le  gros  des  Turcs  arrivant  au  combat^,  Aliculi 
fut  pris  ;  qui  servit  bien  puis  après  de  bon  guide  à  un 
retranchement  que  Simon  fit  entre  les  montagnes,  où 
il  arresta  sur  le  cul  l'armée  d' Assam,  et  le  ruinoit  sans 
un  passage  que  lui  monstra  son  prisonnier. 

1.  Erzeroum,  dans  la  Turquie  d'Asie,  sur  l'Euphrate. 

2.  Alep,  en  Syrie,  sur  le  Marsgras  ou  Goié.  Elle  passait  pour 
la  troisième  ville  de  l'empire  ottoman. 

3.  L'armée  de  Mustapha,  en  quittant  le  Caire,  fit  route  vers  la 
forteresse  d'Hassan-Chalassi  et  arriva  enfin  à  Chars  en  douze  jours 
(De  Thou,  liv.  LXVII). 

4.  L'armée  de  Mustapha^rmina  les  fortifications  de  Chars  vers 
le  25  août  1579  (De  Thou,  liv.  LXVH). 

5.  Hassan,  hacha  de  Damas,  fils  de  Mechmet,  qui  avait  exercé 
à  la  Porte,  pendant  plusieurs  années,  la  charge  de  grand  vizir. 

6.  Tiflis,  dans  le  Gurgistan,  capitale  de  la  Géorgie,  sur  la  rive 
droite  du  Kur. 

7.  Alyculi-Chan,  officier  persan. 

8.  Simon-Chan,  officier  persan. 

9.  Le  combat,  engagé  entre  les  Turcs  et  les  Persans,  se  livra 
dans  la  forêt  de  Tomanis  (De  Thou,  liv.  LXVII). 


100  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

Or,  durant  que  Mustapha  se  reposoit  à  Erzeron,  les 
courtisans  de  Constantinople  lui  taillèrent  de  la  beson- 
gne,  entr'autres  Sinam  hacha*,  qui,  cognoissant  Amu- 
rath  pour  le  plus  inconstant  prince  qui  ait  esté  en 
plusieurs  siècles,  fit  sçavoir  à  la  Porte  comment  Mus- 
tapha, par  son  mauvais  soin,  avoit  fait  périr  plus  de 
60,000  hommes,  plus  de  morts  de  faim  et  de  noyez 
que  de  péris  en  combat;  de  plus  que  cet  homme,  libé- 
ral de  vies  et  avare  de  l'or,  avoit  faict  trafic  de  toutes 
choses  publiques,  et  sur  tout  des  charges  de  l'armée, 
qu'il  avoit  fournies  de  gens  mieux  garnis  de  bourse 
que  de  cœur  et  d'entendement.  Premièrement,  on  mit 
prisonnier  le  Desterdar,  qui  est  le  thrésorier,  et  le  Nis- 
cangi-,  qui  est  le  chancelier  de  l'armée.  Ceux-ci  ayans 
esté  ouys  et  lui  mandé,  fut  déclaré  Mansul,  qui  est  à 
dire  sans  charge;  dont  advint  que  cettui-ci,  ayant 
passé  quelque  temps  à  crier  et  à  hurler,  en  détestant 
les  cruautez  de  Cypre,  s'empoisonna  et  mourut  enragé, 
son  bien  acquis  au  casena  de  l'empire^. 

Durant  la  guerre  de  Perse,  Mahomet,  bâcha  et  grand 
vizir,  celui  mesmes  qui  causa  la  paix  des  Vénitiens, 
avoit  empesché  les  efforts  de  la  guerre  qu'on  avoit 
préparée  en  l'Europe,  et  en  cela  soulagé  la  dernière 
vieillesse  de  Maximilian  et  le  désavantage  que  sa  mort* 
porta  aux  frontières  chrestiennes.  Ce  bâcha  estoit  fort 
porté  au  soulagement  de  l'Europe  ;  causa  la  paix  avec 

1.  Sinam,  bâcha  de  la  Porte,  rival  de  Mustapha. 

2.  Le  dephterdar  et  le  nischanzin,  trésorier  et  chancelier  de 
Mustapha. 

3.  Mustapha,  né  en  1535,  mourut  le  7  août  1580,  Voyez  dans 
de  Thou  quelques  détails  sur  sa  mort  (liv.  LXXIII). 

4.  Mort  de  Maximilien  II,  fils  de  Ferdinand  I«',  12  octobre  1576. 
Il  était  né  le  1"  août  1527. 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,    CHAP.    XVIU.  101 

l'empereur  et  le  roi  d'Espagne.  Mais,  encor  plus 
curieux  de  faire  du  bien  aux  François,  il  avoit  empes- 
ché  de  nouveau  une  querelle  d'Allemagne  contre  les 
Vénitiens,  à  cause  de  du  Bourg',  qu'ils  avoyent  pris 
et  donné  à  l'ambassadeur  François  2;  Monsieur  l'ayant 
despesché  vers  Amurath,  durant  son  esloignement,  et 
depuis  estant  content  par  ses  appennages,  l'ayant  lui- 
mesmes  décelé  pour  le  faire  prendre.  Le  mesme  Maho- 
met chassa  de  Constantinople  un  autre  du  Bourg,  qui, 
en  récompense  du  tort  faict  à  son  parent,  avoit  impé- 
tré  un  tribut  sur  les  marchandises  des  chrestiens.  Or, 
il  arriva  que  ce  Mahomet  avoit  faict  casser  les  troupes 
qu' Amurath  à  son  entrée  avoit  descouplées  vers  la 
Transylvanie,  et  mesmement  retrancher  les  janissaires. 
Un  des  cassez,  jurant  la  mort  du  bâcha,  se  mit  dervis, 
qui  sont  religieux  fort  austères  et  vivent  de  l'aumosne 
des  passants.  Il  se  donna  familiarité  dans  l'hostel  de 
Mahomet,  par  les  aumosnes  qu'il  en  recevoit.  Et  ainsi, 
un  jour  d'audience,  ce  dervis  se  coula  à  la  presse,  et, 

1.  Le  s.  du  Bourg  était  un  intrigant  qui,  après  avoir  longtemps 
habité  Constantinople,  s'était  mis  au  service  du  roi  de  Navarre  et 
lui  avait  proposé  de  décider  les  Turcs  à  envahir  l'Espagne  et  peut- 
être  la  France  à  la  suite  d'une  descente  à  Aigues-Mortes.  Le 
Béarnais  ne  fut  pas  longtemps  la  dupe  de  ce  personnage.  M.  Ber- 
ger de  Xivrey  lui  a  consacré  une  assez  longue  note  d'après  les 
Mémoires  de  Mad.  de  Mornay.  (Lettres  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  133.) 
Partie  de  la  correspondance  de  ce  personnage  et  de  celle  des 
ambassadeurs  espagnols  à  son  sujet  est  conservée  aux  Archives 
nationales  dans  le  carton  K.  1542. 

2.  Jacques  de  Germigny,  baron  de  Germoles,  maître  d'hôtel 
ordinaire  du  roi,  ambassadeur  de  France  à  Constantinople  après 
les  deux  frères  François  et  Gilles  de  Noailles.  Partie  de  ses  négo- 
ciations est  imprimée  dans  le  tome  I  de  l'Illustre  Orbandale, 
in-40,  1662.  Partie  est  encore  inédite,  f.  fr.,  vol.  4125,  4631, 6628, 
16143;  Vc  de  Colbert,  338. 


102  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

se  prosternant,  présenta  un  papier.  Le  bâcha,  croyant 
qu'il  demandast  une  aumosne,  se  baissa  pour  tirer  sa 
bourse,  et  l'assassin  tira  de  sa  manche  un  cousteau, 
duquel  il  lui  donna  dans  le  petit  ventre.  Cestui-ci, 
appliqué  à  diverses  géhennes  et  menédevant  Amurath, 
qui  le  voulut  interroger  lui-mesmes,  et  encores  à  la 
mort,  ne  confessa  jamais  rien,  sinon  qu'il  avoit  eu  une 
particulière  vision  du  ciel  pour  tuer  Mahomet,  comme 
fauteur  des  chrestiens  et  qui  avoit  espargné  leurs  vies 
en  plusieurs  endroits.  Cette  mort  arrivant  au  poinct 
que  le  général  Mustapha  fut  dégradé*,  Sinam  fut  eslevé 
sans  peine  à  Testât  de  grand  vizir  de  l'empire^;  et 
puis,  comme  Gadislequier,  receut  l'enseigne  impériale 
de  la  main  d'Amurath  pour  aller  en  Perse  ^  en  la  place 
de  Mustapha*,  où  il  arriva  au  commencement  de  juin. 
Sa  première  action  fut  de  faire  une  monstre  générale 
à  Ci  vas  ^,  où  il  trouva  l'armée  fort  débiffée,  et  pour- 
tant, ayant  despesché  à  Constantinople  pour  demander 
des  forces  de  l'Europe,  Amurath  fit  tenir  un  conseil 
notable  et  pour  grands  affaires,  qu'ils  appellent  Ajac- 
Tiphan.  Là  fut  conclud  de  continuer  la  guerre  de  Perse, 
et  Sinam,  ayant  receu  les  forces  demandées,  les  mena 
à  Erzeron. 

1.  Mustapha,  après  la  mort  d'Achmet,  aspirait  à  la  charge  de 
grand  vizir,  mais  il  fut  disgracié  à  la  suite  d'intrigues  du  sérail. 

2.  Amurath  envoya  le  Gapigi-Bachi  vers  Sinam  pour  lui  por- 
ter la  nouvelle  de  sa  promotion  à  la  charge  de  grand  vizir.  Sinam 
se  rendait  alors  à  Archichelec  pour  gagner  Tomanis  (De  Thou, 
liv.  LXXni). 

3.  Sinam  était  parti  de  Constantinople  le  25  avril  1580  pour 
se  rendre  en  Perse  (De  Thou,  liv.  LXXIII). 

4.  Mustapha  avait  été  rappelé  à  Constantinople  et  y  arriva  au 
moment  du  départ  de  Sinam. 

5.  Sivar,  l'ancienne  Sébaste,  dans  l'Anatolie. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   XVIH.  103 

Le  Perse,  désireux  de  repos  et  adverti  de  la  résolu- 
tion que  nous  venons  de  dire,  envoya  un  ambassadeur 
nommé  Maxat^  demander  la  paix  2,  en  quittant  Tiflis 
et  Chas  et  en  sauvant  pour  soi  le  Servan.  Tel  fut  le 
desdain  de  la  paix  du  costé  du  Turc,  qu'il  mit  en  pri- 
son Maxat,  et,  par  la  crainte  de  la  mort,  lui  fit  pro- 
mettre ce  qu'il  vouloit.  Le  maistre  de  l'ambassadeur, 
sçachant  qu'il  avoit  sauvé  sa  vie  aux  despens  de  son 
honneur,  envoya  quinze  hommes  au-devant  de  lui, 
pour  le  prendre  en  une  sienne  maison ,  où  il  s'estoit 
relaissé  pour  la  crainte  ou  pour  le  travail.  Ces  hommes, 
bien  receus  et  festoyez,  furent  pris  la  nuict  dans  leurs 
licts  et  dévalez  dans  un  puis  sec  par  Maxat,  qui,  ayant 
ployé  bagage,  gagna  un  bateau  et  puis  Constantinople, 
où  il  se  rendit  serviteur  d'Amurath^. 

Sinam,  de  ce  temps  ayant  l'armée  du  roi  de  Perse 
sur  les  bras,  campée  à  Carachac*,  print  place  de 
bataille  à  Ghialder,  d'où,  se  contenant  en  ses  avantages, 
il  despescha  au  roi  de  Perse  ^  pour  l' ad  ver  tir  que  par 
ses  conseils  les  choses  estoyent  mieux  disposées  à 
Constantinople  pour  la  paix  que  de  coustume  ;  ce  qui 


1.  Mehemet  -  Hodabendes  envoya  à  Sivas,  où  Sinam  avait 
campé  son  armée,  l'ambassadeur  Maxud-Chan,  sur  les  conseils 
des  ministres  Levent-Ogli  et  Salmas. 

2.  Voyez  dans  de  Thou  (liv.  LXXIU)  le  discours  de  l'ambassa- 
deur pour  demander  la  paix,  et  la  réponse  de  Sinam. 

3.  De  Thou  donne  quelques  détails  sur  la  trahison  de  l'am- 
bassadeur persan  (liv.  LXXIII).  Lorsque  la  guerre  de  Perse  fut 
terminée,  Amurath  donna  à  Maïud-Ghan  le  gouvernement  d'Alep, 
où  il  passa  le  reste  de  ses  jours. 

4.  Garachach,  non  loin  de  Tauris. 

5.  Sinam  renvoya  à  Mehemet>Hodabendes,  roi  de  Perse,  l'am- 
bassadeur Haider. 


104  fflSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

fit  despescher  Hébrain-Gham* ,  ambassadeur  vers  Amu- 
rath,  auquel,  de  mesme  temps,  Sinam  demanda  congé 
de  se  trouver  au  traicté,  comme  voyant  plus  clair 
qu'aucun  autre  ce  qui  concernoit  la  paix  ou  la  guerre. 
Durant  qu'Hébrain  traictoit,  on  fit  à  Constantinople 
de  grandes  magnificences  pour  circoncir  les  enfans  du 
Grand  Seigneur^  ;  et  avoit-on  dressé  un  eschafifaut  pour 
l'ambassadeur  de  Perse  et  sa  suite,  quand  la  nouvelle 
d'une  grande  deffaicte  de  Turcs,  en  l'absence  de 
Sinam,  arriva,  sur  laquelle  on  mit  en  pièces  l'eschaf- 
faut,  et  Hébrain  avec  sa  suite  dans  un  logis  pestiféré, 
où  la  pluspart  moururent. 

Sinam  avoit  faict  tout  ce  mesnage  pour  parvenir  à 
estre  grand  vizir,  plus  courtisan  que  capitaine,  et  en 
vint  à  bout  ;  mais  receut  ce  desplaisir  de  voir  mettre  en 
sa  place  Mahomet  bâcha ^,  qui  n'estoit  pas  son  ami. 
A  l'arrivée  de  cettui-ci,  comme  il  faisoit  passer  l'armée 
une  rivière,  sur  l'intelligence  d'un  Géorgien  renié, 
nommé  Manuchiar*,  il  fut  chargé  au  pays  de  la  Vefve^, 

1.  Ibrahim -Ghan,  ambassadeur  persan,  arriva  à  Constanti- 
nople le  29  mars  1582,  suivi  d'un  nombreux  cortège  (De  Thou, 
liv.  LXXVII). 

2.  Mahomet,  fils  d'Amurath,  avait  près  de  seize  ans  lorsqu'il  fut 
circoncis  le  28  mai  1582.  Le  9  juillet  suivant,  les  autres  enfants 
du  sultan  furent  circoncis.  Voy.  dans  de  Thou  les  détails  de  la 
fête  (liv.  LXXVII). 

3.  Mahomet  hacha,  proche  parent  de  Mustapha,  assassiné  le 
7  août  1580.  Le  sultan  Amurath  l'avait  chargé  du  ravitaillement 
de  Tiflis  à  la  place  de  Sinam  son  ennemi  (De  Thou,  liv.  LXXVII). 

4.  Le  Géorgien  Mustapha-Manuchiar  avait  abjuré  la  religion 
chrétienne  pour  exclure  son  frère  de  la  succession  à  la  couronne 
(De  Thou,  liv.  LXXVII). 

5.  Mustapha  était  fils  d'une  veuve  très  âgée  qui  régnait  dans 
une  province  voisine  de  la  Géorgie.  Cette  expression,  le  pays  de 


1580]  LrVRE   NEUVIÈME,    CHAP.   XVIII.  105 

principalement  par  les  Géorgiens  que  menoyent  Tocho- 
maqui,  Émir  et  Cimero.  Ces  trois  portants  le  tiltre  de 
Cam  et  de  chrestiens.  Les  Turcs  y  perdirent  douze 
mil  hommes,  tout  leur  esquippage  et  30,000  escus 
pour  payer  les  garnisons  de  Tiflis,  qui  n'en  pouvoit 
plus^.  Mahomet,  attribuant  son  désastre  au  Géorgien 
renégat  et  ayant  résolu  de  le  faire  mourir,  le  fit  venir 
en  sa  tente,  ayant  aposté  des  hommes  pour  lui  sauter 
au  collet.  L'autre,  qui  s'en  doubta,  se  fit  suivre  par 
une  liste  de  mauvais  garçons,  auxquels  il  commanda 
de  se  jetter  à  lui,  s'ils  l'entendoyent  crier.  Manuchiar 
donc  entre  en  la  tente,  receut  une  froide  révérence, 
en  rendit  une  plus  froide,  puis  tourna  vers  l'entrée.  Et, 
comme  le  bâcha  de  Caramit^  et  le  sechaja^  de  Maho- 
met le  voulurent  forcer,  il  jetta  un  cri  et,  à  mesme 
temps,  d'un  coup  d'espée,  fendit  la  teste  à  ce  dernier  ; 
d'un  autre  coup  sur  la  teste  aussi,  abbatit  à  ses  pieds 
le  bâcha ^  et  mit  Mahomet  sur  le  pavé  de  cinq  coups 
d'espée,  le  laissant  comme  mort^.  Puis,  à  la  faveur 
des  siens  qui  estoyent  entrez,  se  retira. 

Tels  discours  arrivez  vers  Amurath  le  mirent  en 
cholère  contre  Sinam;  lui,  de  se  descharger  contre  le 

la  veuve,  est  claire  dans  de  Thou,  qui  donne  de  longues  explica- 
tions (liv.  LXXVII).  Elle  est  incompréhensible  dans  d'Aubigné. 

1.  De  Tbou  donne  quelques  détails  sur  la  défaite  des  Turcs 
devant  Tiflis  (liv.  LXXVU). 

2.  Le  bâcha  de  Cara-Hemid  faisait  partie  de  l'expédition  de 
Tiflis,  commandée  par  le  hacha  Mahomet. 

3.  Le  Kihaïa  dont  parle  d'Aubigné  était  le  capitaine  des  gardes 
du  hacha  Mahomet.  Il  fut  tué  au  Divan  par  Mustapha-Manuchiar. 

4.  De  Thou  rapporte  que  Mustapha-Manuchiar  ne  fit  qu 'effleu- 
rer l'oreille  et  la  mâchoire  inférieure  de  l'eunuque  Hassan,  bâcha 
d'Amide. 

5.  Le  bâcha  Mahomet  guérit  de  ses  blessures. 


106  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

général  Mahometh  et  de  remémorer  combien  de  fois, 
lors  de  son  envoy,  il  l'avoit  déclaré  indigne  de  com- 
mander. Et  puis,  en  passant  oultre,  dict  hardiment  à 
l'empereur  que,  s'il  ne  vouloit  voir  ses  affaires  ruinées 
en  Perse,  il  faloit  avancer  sa  personne  vers  Alep,  et 
encor  plus  près  du  Persan,  que  telle  approche  con- 
traindroit  à  la  paix,  pour  la  vigueur  que  ses  forces  en 
recevroyent^.  Mais,  à  la  vérité,  c'estoit  pour,  en  l'ab- 
sence d'Amurath,  commencer  un  dessein  d'eslever 
Mahometh  sur  le  throsne  de  son  père.  Or,  la  femme 
de  Sinam  n'eust  pas  plustost  ce  dessein  au  cœur  qu'elle 
l'eut  à  la  bouche  et  Amurath  aux  oreilles,  par  un  rap- 
port incertain,  qui,  espérant  en  son  inconstance,  lui 
fit  despouiller  Sinam  de  ses  honneurs^  et  le  bannit 
tost  après  ^. 

Un  mesme  soupçon  du  roi  de  Perse  contre  son  fils 
Abbas  Mirizi*  n'eut  pas  un  succès  pareil,  car  cette 
crainte,  lui  estant  donnée  par  Salmas,  vizir  ^  de  Perse, 
fit  mettre  le  roi  aux  champs  avec  quatre  vingt  mil 

1.  Voyez  dans  de  Thou  la  réponse  arrogante  de  Sinam  aux 
reproches  du  sultan  Amurath. 

2.  Le  sultan  Amurath  déclara  Sinam  «  mansul,  »  c'est-à-dire 
déchu  de  tous  ses  honneurs,  notamment  de  la  dignité  de  grand 
vizir,  et  confisqua  ses  biens  (De  Thou,  liv.  LXXVII).  Il  donna  sa 
place  à  Siasnes  hacha,  Hongrois,  qui  avait  épousé  une  sœur 
d'Amurath. 

3.  Sinam  fut  d'abord  relégué  à  Damotica,  près  d'Andrinoples, 
et  transporté  ensuite  à  Marmara,  dans  la  Macédoine,  sur  le  che- 
min de  Constantinople  à  Raguse  (De  Thou,  liv.  LXXVII). 

4.  Abas  Mirize,  fils  et  successeur  de  Mahomet-Hodabendes,  roi 
de  Perse,  vice-roi  de  Heri,  l'ancienne  Aracosie,  sur  les  bords  de 
la  mer  Caspienne. 

5.  Mirize-Salmas-Chan,  premier  ministre  de  Mahomet-Hoda- 
bendes, ennemi  juré  d'Abas-Mirize,  avait  marié  sa  fille  à  Émir- 
Hamze,  fils  aîné  du  roi  de  Perse. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XVHI.  407 

hommes,  le  poussa  à  faire  mourir  le  gouverneur  du 
Servan  et  deux  sultans,  et  s'en  alloit  rendre  tous  les 
plus  grands  piliers  de  son  royaume,  premièrement 
criminels  du  soupçon  et  puis  de  l'accusation  et  en  tiers 
lieu  de  la  prison,  qui  est  le  crime  de  prophétie  et  ne 
se  pardonne  point.  Mais,  tous  les  sultans  et  conseil- 
hers  d'estat  qui  suivoyent  ce  prince  l'amenèrent  par 
une  sage  remonstrance,  premier  que  juger  la  question 
du  droict  et  la  mort  méritée  par  son  fils,  à  esplucher 
celle  du  faict.  En  cette  recerche  ils  apprirent  que  jamais 
le  prince  Abbas  n'avoit  pris  authorité  ni  tiltre  que  de 
vice-roi.  Et  puis  s'offrirent  à  maintenir  par  la  prison 
de  tous  que  le  vizir  Salmas  avoit  forgé  telle  calomnie 
pour  faire  place  par  la  mort  de  l'aisné  au  second  son 
gendre,  qui  estoit  le  prince  Émir.  Cela  bien  recerche, 
Godobande^  reprit  son  fils  en  grâce,  dégrada  Salmas 
et  le  fit  pendre. 

D'autre  costé  Amurath  l'inconstant,  ayant  encores 
esté  l'armée  de  Perse  au  bâcha  Mahomet,  à  son  arri- 
vée, envoya  30,000  ducats  pour  faire  un  fort  à  Rei- 
nan  et  conserver  Cars^.  Mais  nostre  Manuchiar,  après 
les  coups  que  nous  avons  dict,  se  repentant  d'estre 
révolté,  signala  son  retour  aux  chrestiens  en  chargeant 
Capigi^  et  un  chaoux,  qui  conduisoit  l'argent,  et  tua  le 
convoy.  Cela  fut  cause  que  Ferrand*  pilla  tout  le  pays 

1.  Mehemet-Hodabendes,  roi  de  Perse. 

2.  Le  bâcha  Ferhates  avait  reçu  la  mission  de  fortifier  Reivan 
et  d'assurer  la  route  de  Chars  à  Reivan. 

3.  Gapigi  bachi  ou  Gapitzilar  kikaia. 

4.  Le  bâcha  Ferhates  avait  été  nommé  généralissime  de  l'armée 
turque  pour  l'expédition  contre  les  Perses  sur  la  fin  de  l'an- 
née 1582  (De  Thou,  Uv.  LXXVU). 


108  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

de  Manuchiar,  et,  par  intelligence  qu'il  eut  avec  les 
Turquomans  de  Perse,  gastoit  tout  le  pays,  sans  l'ar- 
mée que  le  roi  assembla  à  Tauris^  qui  effraya  les  Tur- 
quomans par  la  prise,  aveuglement  et  mort  de  leur 
chef  Émir  Gham. 

Sous  ce  trouble,  Ferrand,  qui  avoit  entrepris  d'aller 
à  Naecinan^,  fortifia  en  Géorgie  Tamanis  et  Lori,  où 
il  laissa  le  bassa  Hali.  Manuchiar  et  Hali,  avec  peu  de 
gens,  mais  bons  et  braves,  combattirent  au  partir  de 
là  Ferrand,  lui  troussèrent  une  grand'partie  de  son 
avant-garde,  et  puis,  ne  pou  vans  avec  quatorze  mille 
faire  impression  dans  80,000,  se  démeslèrent  sans  con- 
fusion et  laissèrent  leurs  ennemis  assés  contents  de 
rompre  le  voisinage. 

Ferrand  voulut  contenter  ses  troupes  par  le  pillage 
de  Géorgie^.  Mais,  au  contraire,  la  licence  les  rendit  si 
effrénez  que,  s'estans  mutinez,  ils  le  voulurent  tuer. 
Et,  après  lui  avoir  faict  souffrir  toutes  sortes  d'outrages 
et  d'injures  près  de  Cliqua,  coupèrent  les  cordes  de 
ses  pavillons,  pillèrent  ses  thrésors,  emmenèrent  ses 
fanâmes  et  ses  eunuques,  et  le  contraignirent  de  se 
sauver  à  Erzeron,  où  il  ne  demeura  guères  sans  sentir 
l'inconstance  de  son  prince,  qui  le  despouilla  de  sa 
charge  et  de  son  honneur,  pour  envoyer  en  sa  place 
Osman  bâcha,  que  nous  avions  laissé  à  Sumachie  et 
Demicarpi.  Cela  au  terme  que  nostre  livre  prend  fin. 

1.  Tauris,  en  Perse,  capitale  de  la  province  d'Adherbijan. 

2.  Nacchivan,  capitale  de  l'Arménie  persane. 

3.  Mustapha-Manuchiar,  sur  les  instances  de  son  beau-frère 
Simon-Ghan,  venait  d'abjurer  le  mahométisme.  A  cette  nouvelle, 
le  bâcha  Ferhates  ravagea  son  pays,  pour  venger  l'injure  qu'il 
avait  faite  à  la  religion  musulmane  (De  Thou,  liv.  LXXVU). 


1580]      UVRE  NEUVIÈME,  CHAP.  XIX.        109 

Chapitre  XIX. 
Du  Midi. 

Vous  ne  me  sçauriez  point  de  gré  de  vous  amuser 
aux  pirateries  de  la  coste  de  Barbarie,  ni  à  vous  comp- 
ter les  desseins  inutiles  qu'avoit  eu  Juan  d'Austrie  sur 
Tunis.  Mais  vous  et  moi  bandons  sur  le  traict  pour 
venir  à  ceste  grande  bataille  des  trois  rois^. 

Sébastien  de  Portugal  ^  voua  le  jour  de  Sainct-Jean 
à  l'embarquement  de  son  armée,  qu'il  se  vid  ensemble 
le  vingt-sixiesme  de  juin,  composée  de  treize  cents 
voiles  et  entre  autres  douze  galères  pleines  de  noblesse, 
soixante  vaisseaux  chargez  de  gens  de  guerre,  et  de 
près  de  sept  cents  autres  de  charge^. 

Quelques  jours  furent  employez  en  dévotions*,  selon 
les  ordonnances  d'un  légat,  exprès  envoyé  par  le  pape^, 

1.  Dom  Sébastien,  roi  de  Portugal,  Mulei-Méluc,  oncle  de  Mulei- 
Mahomet  et  roi  de  Maroc,  et  Mulei-Mahomet,  surnommé  le  Noir, 
qui  prétendait  être  aussi  roi  de  Maroc. 

2.  Sébastien,  roi  de  Portugal,  né  à  Lisbonne  le  20  janvier  1554, 
fils  du  prince  Joào  et  de  Juana,  fille  de  Charles-Quint,  régnait 
depuis  le  mois  de  juin  1557.  Il  avait  conçu  le  projet  de  recommen- 
cer les  croisades  et  de  reconquérir  le  tombeau  du  Christ.  Le  Maroc 
étant  en  proie  à  la  guerre  civile,  Sébastien  avait  résolu  de  com- 
mencer la  guerre  aux  Musulmans  par  l'Afrique. 

3.  Le  25  juin  1578,  dom  Sébastien  embarqua  sa  flotte.  Ses 
troupes  étaient  composées  de  10,000  Portugais,  1,000  Espagnols, 
3,000  Allemands,  500  Italiens  et  un  grand  nombre  de  gentils- 
hommes volontaires  (De  Thou,  liv.  LXV). 

4.  La  cérémonie  de  la  bénédiction  de  l'étendard  royal  avait  eu 
lieu  le  14  juin  1578  dans  la  cathédrale  de  Lisbonne.  Voy.  le  récit 
de  Rebello  da  Silva,  Invasion  du  royaume  de  Portugal,  in-S»,  1864, 
trad.  franc.,  p.  162. 

5.  Grégoire  XIU. 


HO  HISTOraE  UNIVERSELLE.  [1580 

bien  garni  d'indulgences  pour  ceux  qui  feroyent  le 
voyage.  Ce  temps  encores  employé  à  establir  sept  gou- 
verneurs* dans  le  royaume  de  Portugal,  pource  que 
l'oncle  cardinal  en  avoit  refusé  l'administration*. 

L'armée  vint  mouiller  à  Cadis^  le  second  de  juillet. 
Et  là  séjourna  quinze  jours  pour  se  fournir  de  ce  qu'on 
trouva  manquer  après  les  ancres  levez,  et  aussi  pour 
recevoir  deux  régiments  d'Andalouzie*,  qui  s'estoyent 
enroollez  pour  l'embarquement  avec  la  permission  du 
roi  Philippe.  Ëstans  embarquez  à  la  mi-juillet,  il  envoyé 
sa  grand'flotte  en  Arzille^,  et  lui,  avec  les  galères  seu- 
lement, prend  la  route  de  Tanger,  où  il  sçavoit  que 
Mulei-Hameth  l'attendoit  en  bonne  dévotion^.  Je  n'ai 
que  faire  de  vous  monstrer  comment  ce  prince  nègre 
envoya  son  fils  au-devant,  ni  quelles  furent  les  récep- 
tions et  aussi  peu  les  grands  et  longs  discours,  par  les- 
quels le  roi  deschassé  mesla  aux  remerciements  tout 
ce  qui  faisoit  pour  son  droict,  et  à  la  conclusion  lui 
offrant  son  frère  en  ostage.  Mais  Sébastien  aima  mieux 
pour  lors  le  voir  à  la  teste  des  bandes  par  terre  jus- 

1.  Dom  Georges  d'Almeyda,  archevêque  de  Lisbonne,  dom 
Pedre  d'Alcaçova,  dom  François  de  Saa  et  dom  Juan  de  Masca- 
rennas  furent  chargés  de  la  régence  du  royaume  en  l'absence 
de  dom  Sébastien. 

2.  Le  cardinal  Henri,  oncle  du  roi  de  Portugal,  avait  refusé  la 
régence  du  royaume,  s'exCusant  sur  son  grand  âge. 

3.  Don  Alfonse  Perez  de  Gusman,  duc  de  Medina-Sidonia,  fit 
au  port  de  Cadix  une  magnifique  réception  au  roi  de  Portugal. 

4.  Les  deux  régiments  d'Andalousie  étaient  commandés  par 
don  Alfonse  d'Aguilar. 

5.  Arzille,  dans  le  royaume  de  Fez,  à  trente-cinq  lieues  nord- 
ouest  de  Fez. 

6.  Mulei-Hamet,  vice-roi  de  Fez,  attendait  la  flotte  portugaise 
dans  un  lieu  appelé  la  Fiera  del  Giovedi. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.    XIX.  M  4 

qu'en  Arzille,  d'où  il  envoya  ce  jeune  prince  à  Maza- 
gan*,  place  donnée  entre  les  mains  des  Portugais,  non 
toutesfois  en  qualité  d'ostage,  mais  bien  de  seureté. 
Ce  fut  auprès  d' Arzille  que  l'armée  campa  avec  ordre 
et  retranchement^. 

De  tout  ceci,  le  roi  Abdel-Melech,  bien  adverti, 
après  avoir  discouru  parmi  ses  privez  sur  le  mauvais 
dessein  de  Portugal,  pour  l'infidelle  et  foible  société 
de  Mulei-Mahameth,  il  fit  publier  quelques  édicts  pour 
le  pays  contre  les  chrestiens,  et  puis  déclaration  de 
guerre  contre  tous  ceux  de  ce  nom-là,  au  grand  con- 
tentement des  Mores.  Ayant  faict  les  apprests  de  son 
armée  à  la  mi-avril,  il  fit  son  rendez-vous  général  à 
une  mosquée  nommée  Temosena,  lui  marchant  en 
litière,  pour  une  grande  débilité  d'estomach  qui  l'ac- 
compagna jusques  à  la  mort.  Il  acheva  de  joindre  ses 
forces  à  une  journée  d'Alcaçar,  et  là  fit  reveue  de  cinq 
mille  arquebuziers  choisis,  dix  mille  lanciers  mores 
tels  quels,  deux  mille  argolets,  et  de  24,000^  chevaux 
arabes,  tout  cela  faisant  près  de  60,000  hommes  de 
combat,  mettant  la  principale  espérance  de  ceste  grande 
foule  aux  cinq  mille  arquebuziers.  Tout  cela  s'avança 
fort  lentement  et  en  faisant  plusieurs  séjours  jusques 
à  tant  qu'ils  vindrent  camper  à  Alquazarquibir*. 

D'autre  costé,  l'armée  des  deux  autres  rois  desploya 
à  une  monstre  générale  à  deux  journées  d' Arzille  qua- 

1.  Dom  Sébastien  alla  lui-même  à  Mazagan,  suivi  de  Martin 
Correa  de  Silva. 

2.  Dom  Sébastien  perdit  à  Arzille  environ  18  jours  (Rebella  da 
SUva,  p.  182). 

3.  L'édition  de  1718  porte  2,400  chevaux. 

4.  Alcazar  Quivir,  sur  la  côte  de  Barbarie,  dans  le  royaume  de 
Fez. 


112  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

torze  mille  hommes  de  pied  et  deux  mille*  gens 
d'armes,  pour  tout  ce  qui  a  voit  passé  l'eau,  avec  trente 
six  pièces  de  campagne  bien  attelées.  Les  autres  ont  mis 
en  ce  compte  un  bagage  desmesuré  et  plusieurs  com- 
pagnies de  garses,  de  quoi  nous  n'avons  que  faire.  Ces 
gens  de  pied  estoyent  composez  de  trois  mille  Allemans 
restans  des  cinq  mille,  de  deux  mille  Espagnols,  six 
cents  Italiens,  autant  de  la  garnison  de  Tanger  et  les 
deux  mille  cinq  cents  avanturiers  desquels  il  se  fioit.  Le 
reste  estoyent  Portugais,  picques  seiches  et  bisongnes^. 
Mulei-Mahamet  et  ses  conseilliers  tendoyent  à  tempo- 
riser près  de  l'Arache^,  tant  pour  estre  favorisez  d'une 
armée  de  mer,  laquelle,  avec  la  garnison  de  Mazagan, 
amusoit  trois  mille  bons  hommes,  que  pour  une  espé- 
rance qu'avoit  tousjours  Mahameth,  que  les  forces  de 
son  ennemi  se  donneroyent  à  lui  s'il  les  hallenoit. 
Abdel-Melech ,  de  son  costé,  trouva  moyen  de  négo- 
cier* avec  don  Sébastien  et  lui  vouloit  laisser  prendre 
l'Arache,  afin  qu'il  s'en  retournast  ayant  faict  quelque 
chose,  mais  les  froideurs  de  son  compagnon  et  de  son 
ennemi  ne  peurent  l'attiédir;  si  bien  que,  s'estant 
avancé  le  long  du  fleuve  d'Alcaçar  jusques  au  lieu  où 
il  joinct  la  rivière  d'Arache,  sans  s'approcher  de  la 
ville,  pour  la  crainte  qu'avoit  Mulei-Mahamet  du  con- 
tentement que  son  ennemi  avoit  espéré,  la  rivière 

1.  L'édition  de  1618  porte  200  gens  d'armes. 

2.  Bisongnes,  recrues. 

3.  Larache,  au  royaume  de  Fez,  à  l'embouchure  de  la  rivière 
de  même  nom. 

4.  Les  deux  princes  Maures  offraient  au  roi  de  Portugal  une 
partie  du  Maroc,  ce  qu'ils  possédaient  et  ce  qu'ils  ne  possédaient 
pas.  Le  message  de  Mulei-Moluk  est  daté  du  22  juillet  1578,  Voy. 
le  récit  de  Rebelle  da  Silva  qui  a  analysé  ces  négociations  (p.  174), 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   XIX.  413 

empescha  le  combat  le  dimanche,  comme  aussi  le 
temporisement  perpétuel  d'Abdel-Melech,  lequel  eust 
encores  dilayé  la  bataille  sans  la  peine  qu'il  avoit  d'em- 
pescher  ses  Mores  de  se  révolter,  et  mesmes  qu'il  lui 
avoit  falu  estre  toute  la  nuict  à  cheval  pour  tenir  en 
prison  les  compagnons. 

Mais,  le  lundi,  quatriesme  d'aoust,  on  commença 
au  poinct  du  jour  à  voir  les  Mores  ^  avancez  sur  un 
haut  terrier,  plus  pour  recognoistre  la  contenance  de 
l'armée  chrestienne  que  pour  la  presser  au  combat.  A 
leur  veue,  l'artillerie  des  chrestiens  passa  le  gué  en 
diligence,  comme  aussi,  le  passage  estant  large,  les 
bataillons  passèrent  presque  tous  formez.  Et  ce  fut 
pourquoi  on  les  fit  oblongs,  à  la  charge  de  faire  front 
de  file  pour  les  mettre  en  l'ordre  que  nous  allons  dire. 

Toute  l'infanterie  ne  fit  qu'un  corps  carré,  faisant 
pourtant  à  chaque  bataillon  face  diverse,  car,  le  pre- 
mier avancé  s'estendit  en  front,  faisant  la  corne  gauche 
et  y  fournissant  les  deux  parts.  L'autre  s'estendit  en 
file,  faisant  de  sa  teste  et  de  son  estroit  le  tiers  du 
front,  et  de  son  long  les  deux  tiers  de  la  face  de  main 
droitte.  Les  autres  deux,  faisans  tout  de  mesme,  ache- 
vèrent le  quarré,  laissans  au  milieu  un  champ  où  print 
place  le  général  accompagné  de  ce  qu'il  avoit  d'esHte. 
Le  bataillon  de  main  gauche  estoit  des  AUemans  et  Ita- 
liens, commandez  par  le  comte  d'Irlande^;  celui  de 
main  droicte  estoit  des  garnisons  de  Tanger  comman- 
dées par  Alvaro  Ferez  de  Tavora.  Le  bataillon  qui  fai- 

1.  Les  Maures  avaient  à  leur  tête  les  capitaines  Dogali-Algori 
de  Grenade  et  Osarin  de  Raguse. 

2.  De  Thou  dit  que  les  Allemands  étaient  commandés  par  Mar- 
tin de  Bourgogne,  seigneur  d'Amberg. 

VI  8 


114  mSTOlRE  UNIVERSELLE.  [1580 

soit  le  coin  de  main  gauche  en  arrière  estoit  d'Espa- 
gnols et  Italiens,  sous  Alonzo  d'Aquilar  ;  le  quatriesme 
estoit  tout  de  Portugais,  où  commandoit  Loys  Csesar; 
chascune  forme  estoit  de  trois  mil  hommes  pour  le 
moins  ;  les  quatre  maistres  de  camp  recognoissans  pour 
colomnel  Duarté  de  Menezès,  gouverneur  de  Tanger. 
Les  deux  mil  hommes  d'armes  furent  partagez  en  quatre  ; 
à  chascune  cinq  cents  chevaux  au  milieu  des  lattes, 
horsmis  celle  de  devant,  qui  avoit  pris  place  à  l'aile 
droicte,  pource  que  tout  le  front  estoit  garni  d'artil- 
lerie, au  nombre  de  trente-six  pièces.  Nous  avons  laissé 
au  roolle  de  l'armée  Mulei-Mahameth  et  les  siens  en 
arrière;  c'est  pource  que,  n'ayant  que  mil  hommes, 
moitié  arquebuziers,  moitié  lanskenets,  il  print  sa  place 
en  arrière  le  plus  hors  du  combat  dans  le  chemin  où  les 
deux  rivières  s'assemblent;  desquelles  celle  de  l'Arache 
fermoit  le  derrière  de  l'armée  chrestienne,  et  celle 
d'Alcaçar  costoyoit  les  deux,  mais  celle  des  Mores  de 
si  près  qu'elle  leur  servoit  de  fossé. 

Abdel-Melech,  bien  que  demi-mort  en  sa  lictièreS 
aida  2  pourtant  à  son  frère  à  former  son  armée  et 
mettre  la  teste  en  un  grand  croissant,  duquel  les  cornes 
s'estendoyent  près  de  demi-lieue.  Ce  croissant  du  grand 
corps  de  ses  Mores  entremeslez  de  quelques  files  de 
gens  de  pieds  ;  la  pointe  de  main  droicte  estoit  con- 
fortée par  un  quarré  de  1,000  chevaux,  lanciers,  qui 
avançoyent  encores  à  leur  droicte  ;  mille  arquebuziers 
à  cheval  pour  leur  servir  de  carabins  et  ausquels  ils 

i.  Abdel-Melech  avait  été  empoisonné  quelques  jours  aupara- 
vant. Voy.  le  récit  de  Rebello  da  Silva. 

2.  Mulei-Méluc  quitta  son  canap  le  2  août  1578  pour  joindre  ses 
forces  à  celles  de  son  frère  Mulei-Hamet. 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,    CHÂP.    XIX.  H  5 

se  fioyent  beaucoup  ;  tout  cela  commandé  par  Mulei- 
Hameth^,  frère  du  roi.  L'autre  corne,  qui  faisoit  la 
gauche,  avoit  mille  arquebuziers  à  cheval  d'avantage, 
qui  estoyent  en  mesme  posture  que  les  autres,  com- 
mandez par  Mahameth  Zarer,  vice-roi.  Au  milieu  du 
croissant  et  en  arrière  estoit  le  grand  bataillon  de  tous 
les  arquebuziers  à  pied  ;  au  milieu  de  cela  le  roi  gardé 
de  deux  cents  renégats  halebardiers  ;  aux  costez  et  der- 
rière du  roi  y  avoit  dix  scadrons  de  chacun  deux  mille 
chevaux  pour  partir  de  la  main  aux  occasions.  L'artil- 
lerie estoit  de  mesme  celle  des  chrestiens,  mais  plus 
retirée  dans  le  creux  du  croissant.  Et  ainsi  les  deux 
armées  se  trouvèrent  en  estât  de  parler  ensemble  en 
un  sable,  sans  advantage,  entre  onze  heures  et  midi, 
plustost  que  Mulei-Mahameth  et  son  conseil  n'eussent 
voulu;  car,  n'ayant  peu  obtenir  du  roi  chrestien  de 
gagner  la  coste  de  la  mer  pour  tirer  flanc  des  navires, 
ils  essayèrent  de  faire  marcher  si  froidement,  que  le 
combat  ne  put  commencer  que  sur  le  soir  ;  mais  à  tous 
ces  advis  nostre  roi  soldat  crioit  au  poltron. 

Sur  le  point  que  les  armées  approchoient  du  costé 
des  chrestiens,  don  Sébastien  fit  une  longue  harangue 
à  ses  soldats  sur  les  incommodité/  qu'ils  avoyent 
receues  pour  parvenir  au  champ  du  combat,  et  sur 
celles  qui  les  presseroyent  plus  rudement  au  cas  qu'ils 
oubliassent  leur  vertu,  le  pays  ne  leur  permettant  point 
de  refuge,  ni  les  ennemis  de  pitié;  et  puis  il  acheva 
par  la  bonne  espérance  de  la  victoire  à  l'exultation  de 
la  religion  chrestienne. 

En  marchant  pour  le  combat,  le  propos  du  roi  fut 

i.  Mulei-Hamet,  vice-roi  de  Fez,  avait  rejoint  son  frère  Mulei- 
Méiuc  le  4  juillet  1578  (De  Thou,  liv.  LXV). 


116  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1680 

suivi  par  les  prélats  qui  assistoyent  en  ce  voyage  :  pre- 
mièrement par  un  nonce  du  pape*,  commissaire  pour 
ceste  expédition;  par  les  évesques  de  Gonimbre*  et 
de  Porto,  et  puis  par  grande  quantité  de  moines  de 
tout  ordre  qui  portoyent  de  grandes  croix,  et,  en 
exhortans  au  mespris  de  la  mort,  accompagnèrent  les 
combattans  jusqu'à  lances  baisser. 

Abdel -Melech,  que  son  conseil  avoit  voulu  faire 
couler  à  Maroco  comme  paralitique  et  n'en  pouvant 
plus,  contraignit  ses  gens  de  lui  amener  un  cheval, 
monta  dessus,  et,  pour  s'y  pouvoir  tenir,  fit  attacher 
quelques  courroyes  de  la  selle  à  sa  ceincture,  quoi 
qu'il  n'eust  monté  à  cheval  il  y  avoit  deux  mois.  11  se 
fit  couvrir  d'un  drap  d'or  tout  parsemé  de  grands 
diamens  et  de  perles  par  l'aide  de  deux  stafiers,  qui, 
avec  deux  fourchettes,  soustenoyent  le  manteau,  cet 
esclat  corrigeant  en  quelque  façon  sa  palleur  et  sa  jau- 
nisse. Il  ne  harangua^  que  de  promesse  et  de  grands 
dons  à  ceux  qui  se  signaleroyent ,  et,  pource  qu'il 
estoit  prince  de  foi,  on  tient  que  ses  propos  arres- 
tèrent  plusieurs  Mores  et  Arabes  qui  bransloyent  pour 
lui  faire  un  mauvais  tour.  Ce  fut  lui  qui  livra  de  chance, 
en  criant  :  «  Haut  les  bras  !  »  Mais  son  artillerie  n'eut 
pas  achevé  sa  volée  que  l'arquebuzerie  des  deux  armées 
joua,  quoi  que  d'assez  loing.  De  mesme  temps,  Alvaro 
Ferez*  part  de  la  droicte  des  chrestiens  avec  ses  cinq 

1.  Alexandre  Formento,  nonce  du  pape  Grégoire  XIII. 

2.  Emmanuel  de  Menesès,  évêque  de  Coïmbre.  Arias  de  Silva, 
évêque  de  Porto. 

3.  La  harangue  prêtée  par  de  Thou  à  Mulei-Méluc  (liv.  LXV) 
est  une  harangue  supposée. 

4.  Dom  Alvaro  Parez  de  Tavora  était  frère  de  dom  Christophe 
de  Tavora. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.  XIX.  117 

cents  chevaux  et  donne  à  la  gauche  au  vice-roi  Zarer. 
Cestui-ci,  emporté  par  les  siens  après  la  perte  de  deux 
cornettes,  se  mit  en  route,  et  quelques-unes  de  ses 
troupes  allèrent  contre  la  victoire  des  chrestiens  à  huict 
lieues  de  là.  Abdel-Melech,  voyant  cela,  demanda  son 
cheval  que  par  foiblesse  il  avoit  laissé  ;  et,  comme  ses 
gardes  le  voulurent  arrester  pour  la  mesme  cause  et 
qu'ils  tinssent  les  rennes  pour  l'empescher  d'aller  à  la 
charge,  il  voulut  mettre  la  main  au  cimeterre,  pour 
tuer  ceux  qui  l'empeschoyent,  mais,  sa  paralysie  lui 
ayant  monstre  qu'il  estoit  sans  main,  il  perdit  la 
parole  et  tomba  sur  l'arçon.  Puis,  comme  on  l'eut 
remis  en  sa  lictière,  il  s'efforça  de  dire  :  «  Marchons 
plus  avant!  >  Et  dans  un  quart  d'heure  rendit  l'esprit*, 
ce  que  ses  gardes  cachèrent  habilement. 

La  moitié  des  2,000  chevaux  que  nous  avons  par- 
tagez en  dix  bandes,  ne  voyans  que  500  chevaux  chres- 
tiens à  la  poursuite  des  leurs,  font  leur  charge  ;  et  à 
ceste  charge  se  rallie  ce  qui  estoit  le  plus  pesant  à  fuir. 
Cela  ramena  nos  500  chevaux  si  rudement,  qu'ils  les 
poussèrent  sur  le  bataillon  des  chrestiens,  de  main 
droicte,  et  cela  commença  la  première  confusion. 

Le  roi  de  Portugal,  qui  jusques-là  avoit  demeuré 
dans  son  chariot  retenu  par  les  siens,  saute  à  cheval 
couvert  d'armes  vertes,  et  alla  à  la  charge  entre  le  duc 
d'Alvero^  et  le  jeune  comte  de  Virmiose,  qui  depuis 
fut  connestable,  et  mit  encores  en  route  tout  ce  qui 

1.  Le  courage  et  la  mort  de  Mulei-Méluc  au  milieu  de  son 
triomphe  ont  excité  l'admiration  de  presque  tous  les  écrivains  du 
temps.  Montaigne  {Essais,  liv.  II,  chap.  xxi)  en  a  tiré  l'un  de  ses 
plus  beaux  récits. 

2.  Dom  George  de  Blencastro,  duc  d'Aveiro. 


i18  fflSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

îjvoit  chargé  les  siens.  Mais  les  autres  mille  chevaux 
qui  ne  voyoyent  pas  le  combat  de  leur  main  droicte 
si  eschauffé,  vindrent  encores  fondre  sur  les  Portugais 
et  renversèrent  tout  ce  qui  estoit  à  la  gauche.  Il  y  eut 
une  troupe  de  chrestiens  à  droicte  qui,  ne  trouvant 
rien  qui  se  ralliast,  poursuivirent  les  fuyards  si  avant, 
que  la  besongne  fut  vuidée  avant  leur  retour  ;  et  parmi 
ceux-là  estoit  le  comte  de  Virmiose. 

J'ai  tardé  à  vous  rendre  compte  de  la  main  droite 
des  Mores,  pource  que  ceux-là  marchoyent  à  pied  de 
plomb  et  ne  meslèrent  que  le  roi  don  Sébastien,  de 
qui  le  cheval  avoit  esté  tué  auprès  du  duc  d'Alvaro 
mort.  Estant  remonté  d'un  frais,  il  se  vint  jetter  à 
l'endroit  où  Mulei-Hameth  faisoit  sa  charge,  lequel  il 
renversa  et  mit  en  fuite  demi -lieue.  Cependant  les 
Mores,  de  leur  main  gauche  ralliez,  comme  nous  avons 
dit,  avoyent  suivi  leur  bonne  fortune,  emporté  l'artil- 
lerie des  chrestiens  et  percé  jusques  à  Mulei-Mahomet, 
qui,  s'enfuyant  d'effroi  et  cerchant  un  gué  à  la  rivière 
de  Larache,  estoufïa  dans  le  bourbier.  Ce  fut  lors 
que  toutes  les  bandes  des  Mores,  et  mesmes  celles 
qui  estoyent  campées  loing  pour  troupes  de  réserve, 
vindrent  de  tous  costez  accabler  les  restes  des  Portu- 
gais qui  mouroyent  en  foule,  servans  leurs  corps 
comme  d'un  rempart,  au  lieu  où  estoit  leur  roi,  qui 
n' avoit  plus  auprès  de  soi  que  quelques  gens  d'armes 
de  Tanger. 

Les  Portugais,  voyans  tout  désespéré,  prindrent  la 
route  d'Arzile^,  et,  comme  ils  trouvèrent,  sortans  de 

1.  Mulei-Mahomet  le  Noir,  fils  aîné  de  Mulei-Abdalla,  fuyant 
avec  le  reste  des  Portugais  vers  Arzille,  se  noya  au  passage  du 
Mucacen. 


1580]  LIYRE  NEUVIÈME,   CHAP.    XIX.  M9 

l'armée,  le  comte  Virmiose  venant  de  sa  poursuite 
et  cerchant  nouvelle  occasion ,  ils  Tasseurèrent  de  la 
mort  du  roi  pour  l'emmener  honnestement.  Cepen- 
dant ce  prince  remonté,  comme  nous  avons  dit,  com- 
batit  encores. 

Ceux  qui  ont  escrit  en  faveur  des  Espagnols  de  ce 
que  devint  don  Sébastien,  veulent  qu'on  lui  ait  coupé 
les  courroyes  de  son  armet  pour  lui  donner  deux  coups 
en  la  teste  et  autant  en  la  face,  et  puis  le  font  tomber 
de  cheval  et  mourir  auprès  du  lieu  où  fut  commencée  la 
bataille.  Ceux  qui  sçavent  combien  il  est  aisé  à  coupper 
les  courroyes  d'un  homme  bien  monté,  croyent  plustost 
ce  que  le  comte  Virmiose  m'en  dit  quelque  temps 
après,  asçavoir  que  ce  roi  s'estoit  perdu  vif  ou  mort 
dans  la  foule  de  la  cavallerie  sans  avoir  esté  recognu^. 

Mulei-Hameth,  nouveau  roi,  r'emmena  ses  forces  et 
ses  esclaves,  fit  le  lendemain  publier  la  mort  de  son 
frère,  print  possession  du  règne,  adoucissant  les  regrets 
du  deffunct,  quoi  que  moindre  fust  l'espérance  qu'on 
avoit  de  lui.  Il  mourut  en  ce  combat  14,000  hommes  ; 
entre  ceux-là,  le  roi  Sébastien,  tenu  pour  mort*,  le 

4 .  De  Thou  a  raconté  les  diverses  versions  qui  couraient  de  son 
temps  sur  la  mort  mystérieuse  de  dom  Sébastien  (liv.  LXV). 
Rebello  da  Silva  a  examiné  savamment  la  question,  et,  après 
avoir  analysé  les  nombreuses  relations  de  cet  événement,  conclut 
que  le  roi  de  Portugal,  entraîné  par  son  ardeur  au  milieu  des 
escadrons  ennemis,  périt  obscurément  comme  un  simple  capitaine 
(Invasion  du  royaume  de  Portugal,  p.  240).  Plusieurs  faux  dom 
Sébastien  parurent  en  Portugal,  en  Espagne,  en  Italie  et  même 
en  France  dans  le  cours  des  années  suivantes.  Leur  vie  et  leurs 
aventures  ont  donné  lieu  à  des  études  historiques  qui  sont  analy- 
sées par  M.  Francisque  Michel  dans  les  Portugais  en  France  et  les 
Français  en  Portugal,  in-8',  1882. 

2.  Bataille  d'Alcazar  et  mort  de  dom  Sébastien,  roi  de  Portu- 
gal, 4  août  1578. 


iSlO  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

duc  d'Avero  et  les  évesques  de  Gonimbre  et  de  Porto, 
le  nonce  du  pape,  le  comte  d'Irlande,  Christofle  de 
Tavora^  et  son  frère  Alvaro  Perés. 

Mulei-Hameth^  fit  enterrer  son  roi  à  Fez  dedans  ses 
riches  vestements.  Mon  lecteur  pourra  voir  ceste  his- 
toire d'un  Espagnol  ^,  qui  conte  comment  plusieurs  cap- 
tifs voulurent  racheter  le  corps  du  roi  pour  1 0,000  du- 
cats. Gela  est  estrange  à  des  captifs  qui  sont  bien  en 
peine  pour  eux-mesmes,  et  l'on  dit  que  les  prisonniers 
d'amour  ou  de  guerre  ne  content  pas  leurs  richesses 
de  mesme  façon.  Gela  ne  s'accorde  pas  avec  l'enterre- 
ment honorable  d'Alcaçarquibir,  veu  que  l'autre  roi  '^, 
Mulei-Mahomet,  fut  escorché  et  sa  peau  remplie,  por- 
tée par  les  provinces.  Et  puis,  pour  remplir  leurs 
romans,  y  mettent  les  trois  corps  morts  dans  une 
tente.  Il  y  a  force  autres  contrariétez^  qui  descouvrent 
ceste  histoire  avoir  esté  expresse  pour  prouver  comme 
on  pouvoit  la  mort  du  roi  Sébastien.  Pour  moi,  les 
diverses  doubtes  que  nous  y  verrons,  et,  plus  qu'elles, 
la  qualité  d'historien,  m'en  défendent  le  jugement. 

Il  est  temps  de  laisser  Mulei-Hameth  partager  ses 
esclaves  et  le  bagage  que  l'autheur  espagnol  met  à 
400,000^  ducats,  ne  se  souvenant  pas  d'avoir  estimé"' 

1.  Dom  Christophe  de  Tavora,  grand  écuyer  du  royaume  de 
Portugal,  commandait  les  gens  d'armes,  corps  composé  de  la 
noblesse  portugaise. 

2.  Mulei-Hamet,  frère  de  Mulei-Méluc. 

3.  Antonio  de  Tordesillas,  dit  Herrera,  auteur  d'une  Histoire  du 
Portugal  et  de  la  conquête  des  îles  Açores,  Madrid,  1591,  in-A". 

4.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  l'autre  roi  son  compagnon  fut 
escorché...  » 

5.  Contrariétez,  contradictions. 

6.  L'édition  de  1618  porte  14,000  ducats. 

7.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «...  d'avoir  estimé  à  plus  de  10,000 


1580]  UVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   XX.  124 

au  contraire  de  ce  qu'il  avoit  faict  ci-devant;  et  en 
cela  le  jugement  du  lecteur  sera  plus  à  propos  que 
le  mien. 

Hameth,  donc,  ayant  contenté  les  siens  de  la  des- 
pouille,  au  lieu  d'aller  assiéger  Tanger  et  Arzille,  comme 
les  plus  advisez  vouloyent,  aima  mieux  s'aller  faire 
recevoir  à  Fez^  et  à  Marroque,  où  nous  le  verrons 
ci-après  fort  eslongné  des  vertus  d'Abdel-Melech,  qui 
estoit  beau  de  visage  par  dessus  sa  nation.  Son  esprit, 
excellent  de  nature,  avoit  pour  acquis  les  langues  espa- 
gnole, italienne,  arménienne  et  sclavonne;  excellent 
poète  en  langue  arabique,  si  bien  qu'on  eust  dit  en 
France  qu'il  en  sçavoit  trop  pour  un  gentilhomme  et 
à  plus  forte  raison  pour  roi.  Les^  Espagnols  ont  escrit, 
pour  amoindrir  le  regret  des  Portugais,  qu'il  estoit  ami 
des  chrestiens,  qui  ne  souffrent  point  d'idoles  en  leurs 
temples  ;  mais  il  avoit  cela  de  commun  avec  tous  les 
Musulmans,  comme  ayant  esté  eslevé  aux  pieds  du 
Grand  Seigneur  et  tousjours  rempli  de  ses  bienfaits. 

Chapitre  XX. 

De  V  Occident, 

Grand  fut  l'estonnement  en  Portugal  quand  on  leur 
annonça  la  mort  des  trois  rois,  et  mesme  quand  on 

ce  qui  estoit,  hors  les  gens  de  guerre,  et  par  ainsi  ne  pouvoit  y 
avoir  de  perte  12,000  combattants,  comme  il  dit.  Hameth...  » 

1 .  Mulei-Hamet  fut  reconnu  de  toute  l'armée  roi  de  Fez  et  de 
Maroc  le  4  août  1578. 

2.  Var.  de  l'édit,  de  1618  :  t  ...  pour  roi.  Quelques  écrivains 
espagnols,  pour  amoindrir  les  regrets  des  Portugais,  ont  dit  qu'il 
estoit  ami  des  chrétiens  ;  mais  je  ne  sai  qui  lui  auroit  causé  cet 
humeur,  la  nourriture  du  Grand-Seigneur  ou  ses  bienfaits.  » 


I 


122  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

conta  entre  les  morts  dom  Antonio,  infant  de  Portugal*. 
Le  plus  prompt  remède  aux  maux  que  ceux  du  royaume 
craignoyent  fut  d'eslire  pour  roi  Henri,  cardinal*,  oncle 
d'Antonio  et  fils  du  roi  don  Juan,  bien  que  ce  fust 
chose  sans  coustume  aux  Portugais  d'eslire  aucun  du 
costé  maternel,  jusques-là  que,  pour  observer  la  loi 
mentale,  pareille  à  la  salique  en  France,  ils  ont  mis 
plusieurs  bastards  sur  le  throsne.  S'il  vous  souvient 
bien,  ce  cardinal  a  voit  refusé  la  régence  en  l'absence 
de  don  Sébastien.  Il  ne  fit  pas  ainsi  du  royaume,  mais 
l'accepta  librement,  surtout  quand  il  se  vid  convié  à 
cela  et  soustenu  par  le  roi  Philippe,  qui  estoit  bien  aise 
de  loger  en  cette  place  un  prince  caduc,  duquel  on  ne 
pouvoit  espérer  qu'autant  de  vie  qu'il  en  faloit  pour 
préparer  les  affaires  de  Gastille^.  Ce  cardinal  donc 
estoit  en  possession  du  royaume*  quand  don  Antonio 
arriva,  eschappé  de  la  façon  que  nous  vous  dirons. 

Il  tomba,  parmi  le  désordre  de  la  bataille,  prison- 
nier entre  les  esclaves  d'Abdel-Melech,  ayant  pour  com- 
pagnon de  mesme  fortune  un  gentil  cavallier,  nommé 
Gaspard  de  Grand,  homme  qui  savoit  toutes  les  langues 
de  la  coste  d'Afrique.  Par  telle  commodité  s' estant 

\.  Le  bruit  de  la  mort  de  l'infant  était  un  faux  bruit.  Dom 
Antonio,  prieur  de  Grato,  successeur  de  dom  Sébastien,  né  en 
1531,  mort  à  Paris  le  26  août  1595.  Sur  la  vie  aventureuse  de  ce 
personnage,  voyez  le  chapitre  m  de  les  Portugais  en  France  et  les 
Français  en  Portugal,  par  M.  Francisque  Michel. 

2.  Henri  de  Portugal,  cinquième  fils  du  roi  Emmanuel  et  de 
Marie  de  Castille,  né  le  31  janvier  1512,  créé  cardinal  par  le 
pape  Paul  III  en  1546,  roi  de  Portugal  en  1578. 

3.  Le  roi  d'Espagne  espérait  s'emparer  du  Portugal  après  la 
mort  du  nouveau  roi. 

4.  Le  cardinal  Henri  prit  possession  du  trône  de  Portugal  le 
28  août  1578.  Voyez  le  récit  de  Rebello  da  Silva. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XX.  123 

rendu  aimable  à  ses  maistres,  il  leur  persuada  que  don 
Antonio  estoit  un  prestre,  comme  de  faict  il  n'avoit  eu 
d'autre  profession  tant  qu'il  s'estoit  veu  eslongné  de 
la  couronne.  Il  adjousta  que  ses  parents  ne  le  rache- 
teroyent  jamais,  pource  qu'il  leur  servoit  de  titulaire, 
et  sous  son  nom  leur  faisoit  jouyr  de  grands  bénéfices  ; 
qu'ils  estoyent  bien  aises  de  le  voir  prisonnier  et  vivant, 
ce  qui  leur  donnoit  moyen  d'amasser  tout,  et  que  la 
vacance  seroit  de  preuve  difficile.  Par  telles  apparences, 
il  composa  pour  tous  les  deux  à  seize  cents  cruzades, 
qui  sont  treize  cents  escus.  Or,  pource  que  les  prison- 
niers qui  sont  une  fois  menez  dans  le  train  du  prince 
trouvent  la  condition  plus  difficile  que  les  autres,  il 
falut  que  les  esclaves  qui  les  gardoyent  prissent  une 
merveilleuse  confiance  en  leurs  prisonniers,  car,  sur 
leur  foi,  ils  les  menèrent  aux  portes  d'Arzille,  où  ils 
entrèrent  masqués  pour  recevoir  leur  argent.  D'autre 
costé,  s' estant  rendu  à  Tanger,  le  comte  Virmiose  et 
quelques  quatre  cents  cavaliers,  qui,  n'estans  pas  enga- 
gez comme  le  reste  selon  que  nous  avons  dict,  et  mesme 
qui,  pour  avoir  de  meilleurs  chevaux  que  les  Mores, 
avoyent  faict  leur  retraictes  à  petites  charges  jusques 
à  démesler  avec  eux  deux  cents  arquebusiers;  tout 
cela,  s' estant  joinct  avec  don  Antonio,  passa  à  Cadis, 
après  avoir  recommandé  aux  garnisons  d'Afrique  la 
loyauté.  De  Cadis,  ils  vindrent  à  Lisbonne,  amenans 
avec  eux  Adolbiquerin*  et  le  kaliphe,  son  neveu,  fils 
de  Mulei-Mahameth  et  de  la  sœur  de  Cid.  Cestui-là, 
ayant  esté  faict  commandeur  de  l'ordre  de  Sainct-Jaques 
et  gardant  toujours  le  titre  de  prince  de  Maroco  pour  lui 


1.  Adolbiquerin,  commandeur  de  l'ordre  de  Saint-Jacques  et 
prince  de  Maroc. 


124  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

servir  quand  l'occasion  se  présenteroit ,  s'attacha  à 
choses  vertueuses  et,  en  sa  jeunesse,  se  rendit  bien 
aimé  des  Espagnols. 

Don  Antonio,  trouvant  un  roi  esleu,  outre  ce  qu'il 
estoit  paresseux  de  son  naturel,  se  rendit  encore  plus 
incurieux  de  despescher  aux  Indes  et  aux  régions  esloi- 
gnées,  comme  si  en  cela  il  eust  travaillé  pour  autrui. 
Seulement  il  s'employa  à  cercher  des  preuves  pour  le 
procès  à  venir  et  surtout  à  montrer  comment  Yolente*, 
sa  mère,  avoit  formellement  espousé  l'infant  don  Louys  ^ 
son  père.  D'ailleurs,  il  pensa  plaire  au  peuple  par 
les  grandes  processions  qu'il  faisoit  pour  actions  de 
grâce  de  sa  liberté.  Le  reste  du  temps,  il  faisoit  l'her- 
mite  en  son  prioré  de  Grato,  ne  sachant  pas  qu'il  faloit 
dévestir  le  prestre  pour  vestir  le  roi.  La  première 
procédure  qui  se  fit  pour  ce  prince  fut  que  Emanuel 
Elmada,  évesque  d'Algarbe^,  commissaire  esleu  en 
ceste  cause,  donna  un  arrest  et  prononça  légitime  don 
Antonio  de  Portugal.  Henri,  cardinal,  maintenant  roi, 
craignant  que  don  Antonio  présent  le  fîst  déposer 
comme  héritier  par  les  masles  ou  craignant  du  roi  d'Es- 
pagne ce  qui  parut  après,  lui  fit  un  sacrifice  de  Galicuth, 
c'est-à-dire,  de  peur,  jetta  dans  le  feu  cet  arrest  et 
toutes  les  pièces  justificatives  de  don  Antonio,  en  pré- 
sence de  tous  les  grands  du  pays,  que  les  Jésuites 
avoyent  presque  tous  gaignez  pour  le  roi  Philippe,  les 
ayant  instruicts  qu'il  faloit  tous  tendre  au  grand  des- 
sein, assavoir  de  mettre  la  chrestienté  sous  un  roi 
katholique  et  sous  un  seul  pasteur. 

1.  Yolande  de  Gomez,  mère  de  dom  Antonio,  était  juive. 

2.  Louis  II,  père  de  dom  Antonio,  prieur  de  Grato. 

3.  L'Algarve,  province  au  sud-ouest  du  Portugal,  à  l'extrémité 
de  laquelle  est  situé  le  cap  Saint- Vincent. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XX.  425 

Ce  roi,  misérable,  se  voyant  ainsi  défavorisé,  eut 
recours  au  pape*  pour  le  prier  d'estre  juge  de  sa 
légitimation,  ce  que  le  consistoire  de  Rome  accepta. 
Le  roi  d'Espagne  n'osa  pas  dire,  comme  il  fist  depuis, 
qu'il  n'y  avoit  point  déjuge  sous  le  ciel  pour  lui,  prac- 
tiqua  seulement  par  le  moyen  de  ses  partisans  que 
le  procès  demeurast  au  croq  jusqu'à  la  mort  du  roi 
Henri 2,  ce  qui  arriva  l'année  d'après,  que  ce  vieil  roi 
ordonna  par  son  testament  des  juges  compétants  pour 
la  succession  de  Portugal. 

Les  Portugais  s'opposèrent  à  telle  nomination,  main- 
tenans  avoir  droict  d'élection  en  tel  cas,  sur  tout  jaloux 
de  cette  loi  mentale  en  faveur  de  laquelle,  pour  fuir  la 
quenouille,  ils  avoyent,  comme  nous  avons  dit,  fait  des 
rois  bastards.  Le  roi  d'Espagne  n'avoit  pas  perdu  de 
temps.  Il  avoit  desjà  gaigné  tous  les  vice-rois  de  Por- 
tugal aux  pays  estrangers,  hormis  à  la  Tercière^,  avoit 
faict  couler  des  hommes  et  de  l'argent  en  Afrique,  aux 
places  du  destroict,  au  castel  de  Mine  et  Sainct-Omer, 
en  l'une  et  l'autre  Indic^  et  en  tous  les  lieux  où  estoyent 
arborées  les  armes  de  Portugal  ;  tout  cela  tramé  par 
les  Jésuites,  ses  bons  amis. 

Ainsi,  à  la  première  nouvelle  du  roi  Henri  mort,  il 
prépara  le  duc  d'Albe^  et  ses  autres  capitaines  pour 

1.  Alexandre  Formento,  nonce  de  Grégoire  XIU,  favorisant 
secrètement  le  parti  de  dom  Henri,  obtint  du  pape  un  bref  de 
révocation  qui  enlevait  au  prieur  de  Grato  tout  droit  à  la  couronne. 

2.  Mort  de*Henri,  roi  de  Portugal,  31  janvier  1580. 

3.  L'île  de  Tercère,  la  plus  considérable  des  Açores  ;  sa  capi- 
tale est  Angra. 

4.  Louis  d'Atayde  et  Constantin  de  Bragance  étaient  alors 
vice-rois  des  Indes. 

5.  Don  Ferdinand  Alvarez  de  Tolède,  duc  d'Albe,  était  encore 


126  HISTOIRE   UNIVERSELLE.--  [1580 

ce  que  nous  verrons  ci-après.  Encores  qu'il  ne  laissast 
pas  de  faire  consulter  ses  droicts  pour  la  succession 
par  les  Jacobins  inquisiteurs  et  Jésuites,  il  s'apprestoit 
pourtant  pour  vuider  le  procès,  premièrement  par 
négociations,  et  puis  par  armes.  Il  voyoit  bien  que  le 
conseil  des  cinq  establis  après  la  mort  d'Henri  ne  pro- 
nonceroit  pas  en  sa  faveur.  Il  fit  ses  principales  négo- 
ciations dedans  le  pays  par  le  duc  d'Ossuna^  et  par 
Christophe  de  Mora^;  et,  en  mesme  temps,  le  duc 
d'Albe  s'approcha  à  Uzeda^  feignant  estre  disgracié 
de  la  cour  d'Espagne  pour  recognoistre  les  affaires.  Au 
commencement*  de  l'an  mille  cinq  cents  huictante,  les 
Estats  de  Portugal  s'estoyent  tenus  à  Almcrin^,  un  peu 
devant  la  mort  d'Henri,  où  avoyent  paru  tous  les  ecclé- 
siastiques du  parti  de  Castille  ;  comme  aussi  plusieurs 
des  grands  avoyent  esté  gaignez  par  Léon  Henriquez^, 
Jésuite,  auparavant  fort  contraire  aux  Espagnols. 

Henri  P%  roi  de  Portugal,  estoit  mort  le  dernier  de 
janvier  mille  cinq  cent  huictante,  bon  cardinal  et  mau- 
vais roi.  Aussi tost,  des  cinq  gouverneurs  de  Portugal, 

à  Uzeda,  où  le  roi  l'avait  relégué,  quand  il  fut  déclaré  chef  de 
l'expédition  du  Portugal. 

1.  Don  Pedre  Giron,  duc  d'Ossuna. 

2.  Don  Christophe  de  Mora  avait  été  envoyé  à  Lisbonne  par 
Philippe  II,  en  août  1578,  pour  complimenter  Henri  de  son  élec- 
tion au  trône  de  Portugal. 

3.  Uzeda,  dans  la  nouvelle  Castille,  à  8  lieues  au  nord  d'Alcala. 

4.  Le  9  janvier  1580,  Antoine  Pineyro,  évêque  de  Leyra,  fit 
l'ouverture  des  états  d'Almeria.  Cette  assemblée  a^tait  pour  but 
de  nommer  le  successeur  du  cardinal  Henri. 

5.  Almeria,  ville  sur  la  Méditerranée,  dans  le  royaume  de  Gre- 
nade. 

6.  Le  jésuite  Léon  Henriquez  avait  été  le  confesseur  du  car- 
dinal Henri. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   XX.  127 

les  trois  prestèrent  serment  aux  agens  d'Espagne,  leur 
aidèrent  à  corronnpre  tous  ceux  qui  estoient  redou- 
tables, à  estonner  les  foibles  et  demander  conseil  de 
choisir  parti  à  la  fortune  et  à  la  nécessité.  Les  Estats, 
assemblez  à  Almerin,  furent  menez  à  toutes  divi- 
sions et  irrésolutions  par  un  certain  Martin  Gonsalve^, 
quelques  oppositions  que  les  meilleurs  y  fissent,  et  sur 
tous  Phœbus  Moniz^.  Cette  assemblée  fit  force  belles 
despescbes,  tant  au  dedans  pour  la  défence  des  places 
qu'au  dehors,  surtout  vers  le  roi  d'Espagne  et  le  pape  ; 
à  cestui-ci  pour  prendre  qualité  de  juge  en  leur  affaire 
et  pour  leur  aider  à  induire  l'autre  d'en  subir  le  juge- 
ment. 

La  response  à  tout  cela  fut  qu'Alvaro  de  Bassan, 
marquis  de  Saincte-Croix^,  eut  le  premier  commande- 
ment d'amasser  de  divers  havres  soixante  galères,  et, 
avec  cela,  tendre  aux  costesde  Portugal.  Le  duc  d'Albe, 
peu  de  jours  après,  fut  tiré  de  sa  retraicte,  déclaré 
chef  d'une  armée  en  Portugal,  pour  laquelle  il  se  con- 
tenta de  1 ,400  hommes  du  pays,  4,000  Tudesques, 
1 80  chevaux  tels  quels,  ne  demandant  pas  plus  grandes 
forces,  d'autant  qu'il  avoit  trop  bien  recognu  et  tasté 
le  poux  au  pays. 

Les  ambassadeurs  portugais  passèrent  à  travers  les 
bandes  qui  marchoient  en  leur  pays  et  apportèrent  au 
roi  d'Espagne  force  belles  remonstrances.  A  quoi  fut 
respondu  par  Philippe  qu'ils  se  hastassent  de  s'en 

1.  Martin  Gonzalez  de  la  Caméra. 

2.  De  Thou  le  nomme  Febo  Munis  (liv.  LXIX). 

3.  Don  Alvaro  de  Bazan,  marquis  de  Santa- Gruz,  amiral 
espagnol,  né  dans  les  Âsturies  vers  1510,  mort  à  Lisbonne 
en  1588. 


i28  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

retourner  pour  le  recevoir  comme  leur  roi,  suivant 
son  droict  naturel,  le  testament*  de  Henri  qui  l'avoit 
nommé  roi,  et  puis,  selon  la  nécessité  ;  qu'il  octroyeroit 
les  grâces  qu'on  requerroit,  moyennant  qu'elles  fussent 
raisonnables,  et,  afin  qu'ils  n'eussent  pas  tant  de  peine 
à  emporter  la  response,  qu'en  attendant  il  s'achemi- 
neroit  tousjours  vers  eux.  Desjà  les  présents,  les 
pensions  et  les  menaces  avoyent  emporté  tous  ceux 
qui  avoyent  de  quoi  espérer  et  craindre.  Voilà  les 
chaires  des  parroisses  et  des  écoles  pleines  du  droict 
de  succession,  tous  les  plus  relevez  preschans  pour  le 
roi  d'Espagne,  les  plus  petits  et  peu  pour  le  droict  de 
Portugal.  Trois  des  gouverneurs  firent  cognoistre  le 
parti  qu'ils  tenoyent  et  les  autres  se  laissèrent  un  temps 
traîner,  mais  enfin  mener  doucement,  si  bien  que  le 
petit  peuple,  qui  crioit  à  la  défense,  fut  estoufFé  par 
les  puissants,  qui  firent  encores,  avant  courir  aux 
extrémitez,  attendre  la  seconde  négociation,  garnis  de 
force  beaux  termes  de  jurisprudence,  que  Philippes  ne 
voulut  pas  escouter,  leur  donnant  pour  response  une 
patente  aux  gouverneurs,  pour  leur  déclarer  comment 
il  alloit  entrer  en  son  royaume  de  Portugal,  et  qu'il  ne 
faloit  parler  ni  d'estats,  ni  de  sentences,  ni  de  capitu- 
lations à  lui  qui  estoit  leur  roi. 

Il  fit  donc  entrer  dans  les  frontières  de  Portugal  le 
duc  d'Albe  à  la  fin  de  juin,  ne  monstrant  pour  titre  de 
sa  royauté  qu'une  résolution  de  son  droict.  Et  d'em- 
blée donna  pour  marques  de  la  guerre  les  prises  d'El- 


1.  Le  roi  Henri  avait  fait  son  testament  au  mois  de  mai  1579, 
et,  d'après  de  Thou,  il  n'avait  point  désigné  son  successeur 
(liv.  LXIX). 


1580]  LIVRE   NEUVIÈME,    CHAP.    XX.  129 

vas*  et  Olivensa^,  dans  lesquelles  ne  se  trouva  ni  gar- 
nisons ni  armes,  préparatifs  ni  résolutions  pour  la 
deffense.  Et  lors,  le  Portugal  entamé,  le  roi  Philippes 
despescha  par  devers  dom  Antonio  le  duc  d'Ossuna  et 
Christofle  de  Mora  avec  toutes  les  plus  grandes  offres 
d'amitié  qui  se  purent  imaginer,  comme  de  le  parta- 
ger aux  Indes  ou  lui  bailler  une  puissance  en  toute 
l'Espagne  sous  lui.  Mais  en  mesme  temps,  le  peuple, 
détestant  la  lascheté  de  tous  ses  gouverneurs,  voulut 
user  de  son  droict  et  de  sa  vertu,  chassa  les  négocia- 
teurs d'Espagne,  esleut  dom  Antonio  pour  roi,  et,  pour 
cet  effect,  le  vingt-cinquiesme^  de  juin,  se  fit  une  grande 
assemblée  en  la  plaine  de  Sainct-Aren'^,  où  ce  prince 
fut  proclamé  roi,  premièrement  par  le  peuple;  ce  que 
la  noblesse  fut  esmeue  à  confirmer,  le  fit  monter  à 
cheval,  le  suivit  à  pied  et  teste  nue,  et  en  cet  estât  aux 
lieux  sacrez,  pour  y  recevoir  les  cérémonies;  de  là  à 
l'hostel  de  ville,  pour  les  serments  et  escritures  solem- 
nelles^. 

Emanuel  de  Costa  ^  print  l'estendart  en  main  et  com- 
mença le  cri  du  pays  :  Realle,  reaile,  qui  est  leur  vive 

i.  Le  fort  d'Elvas,  dans  l'Alentéjo,  sur  la  Guadiana. 

2.  Olivença,  dans  l'Alentéjo,  près  de  la  Guadiana.  —  Prise 
d'Elvas  et  d'Olivença,  vers  le  20  juin  1580  (De  Thou,  Uv.  LXX). 

3.  Ce  fut  le  19  juin  1580,  et  non  le  25,  que  se  fit  l'assemblée 
de  Santaren  et  que  dom  Antonio  fut  proclamé  roi  (De  Thou, 
liv.  LXX). 

4.  Santaren,  dans  l'Estramadure,  située  sur  une  montagne, 
près  du  Tage. 

5.  Dom  Antonio  fit  serment  de  maintenir  les  droits  et  les  pri- 
vilèges de  la  nation,  et  ordonna,  par  lettres  à  tous  les  gouver- 
neurs du  royaume,  de  lever  des  troupes  pour  repousser  les  enne- 
mis (De  Thou,  liv.  LXX). 

6.  Dom  Emmanuel  d'Acosta. 

VI  9 


1^0  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

le  roi.  De  là  il  fut  conduit  à  Lisbonne  S  où  il  fut  pro- 
clamé et  accepté  roi,  print  possession  du  palais  et  de 
Tarcenal,  pourveut  à  quelques  charges  publiques,  con- 
firma les  autres.  Estant  en  l'hostel  de  ville,  le  docteur 
Manuel  Fonseca^  (le  prince  tenant  l'estendard  de  la 
ville  en  main),  après  une  longue  harangue,  prononça 
la  bénédiction.  Il  presta  les  serments  accoustumez, 
despescha  patentes  partout  aux  grands  du  royaume, 
mais  il  y  en  avoit  peu  de  tous  ceux-là  qui  ne  compo- 
sassent avec  leur  ennemi.  Les  cinq  gouverneurs  se 
bandèrent  contre  lui.  Le  duc  de  Bragance^  et  le  mar- 
quis de  Villeral  s'esloignèrent  en  des  maisons  secrettes. 
Le  comte  de  Virmiose  s'alla  jetter  dans  Sainct-Vual* 
pour  r' amener  les  gouverneurs^  et  autres  amassez  en 
ce  lieu  à  leur  devoir,  mais  ils  lui  quittèrent  la  place. 
Et  le  mesme  comte,  ayant  laissé  garnison  en  ce  lieu, 
se  jetta  dans  Sainct- Julien^  et  dans  Gasquais^,  que  les 
gouverneurs^  avoyent  demi-gaignez  pour  leur  ennemi. 
De  mesme  diligence,  il  saisit  tout  ce  qu'il  y  avoit  de 

1.  Dom  Antonio  fit  son  entrée  à  Lisbonne  le  24  juin  1580 
(De  Thou,  liv.  LXX). 

2.  Dom  Emmanuel  de  Fonseca. 

3.  Dom  Juan  Théotonio,  duc  de  Bragance,  né  le  2  août  1530, 
mort  à  Valladolid  le  29  juillet  1602. 

4.  Sétuval,  dans  l'Estramadure ,  à  l'embouchure  du  Zadaon. 
—  Prise  de  la  ville,  vers  le  8  juillet  1580  (De  Thou,  liv.  LXX). 

5.  Dom  François  de  Mascarennas  et  le  jeune  dom  Diègue 
BotoUo  commandaient  la  garnison  de  Sétuval. 

6.  Le  fort  de  Saint-Julien,  près  de  Gascaës,  sur  les  bords 
du  Tage.  —  Siège  et  prise  du  fort,  10  août  1580  (De  Thou, 
liv.  LXX). 

7.  Gascaës,  à  l'embouchure  du  Tage.  —  Prise  de  la  ville, 
28  juillet  1580  (De  Thou,  liv.  LXX). 

8.  Les  gouverneurs  de  Gascaës  et  de  Saint-Julien  étaient  dom 
Henriquez  de  Pereyra  et  Tristan  Vaez  de  Vega. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XX.  131 

considérable  autour  de  Lisbonne.  Le  duc  de  Bragance 
fut  le  premier  qui,  à  jeu  descouvert,  se  fit  Espagnol, 
ayant  composé  pour  le  sien;  mais,  d'entrée,  son  nou- 
veau roi  lui  osta  Ville-la- Viçosa^  la  seule  bonne  place 
qu'il  avoit. 

Au  commencement  de  juillet,  l'armée  espagnole 
passa  la  rivière  de  Caya^,  qui  borde  le  Portugal,  artil- 
lée  de  vingt-cinq  pièces  de  batterie  et  munitionnée  de 
six  mille  chariots. 

Du  premier  effroi  se  rendirent  Stremos^,  Evora*  et 
Montemajor^,  et  les  gouverneurs^  publièrent  un  pla- 
cart  contre  le  roi  Antoine,  ce  qui  servit  de  couverture 
à  la  peur  de  plusieurs  pour  se  révolter,  par  les  menées 
que  les  négociateurs  d'Espagne  avoyent  faict  à  leur 
aise  dans  le  pays.  Ce  roi  misérable  n'oyoit  tous  les 
jours  que  défections  de  ceux  en  qui  il  se  fioit  beau- 
coup ;  tesmoin  que  la  garnison  de  Sainct-Vual,  choisie 
n'aguères  par  le  comte  de  Virmiose,  lui  y  estant 
accouru  et  quelque  remonstrance  qu'il  pust  faire,  fit 
présent  de  la  ville  à  l'Espagnol,  et  peu  s'en  falut  que 
le  comte  ne  fust  enveloppé  dans  le  pacquet.  Cette  red- 
dition apporta  l'espouvantement  dans  Lisbonne,  et, 
dès  lors,  bien  que  le  roi  Antoine  se  résolût  de  faire 

i.  Villaviciosa,  dans  l'Alentéjo. 

2.  La  Gaya,  rivière  de  l'Estramadure,  qui  sépare  la  Gastille  du 
Portugal  et  se  jette  dans  la  Guadiana  à  Badajoz.  —  Le  duc  d'Albe 
et  son  armée  passèrent  la  Gaya  le  27  juin  1580  (De  Thou,  liv.  LXX). 

3.  Estremos,  ville  de  l'Alentéjo,  sur  la  Tera,  capitula  dans  les 
premiers  jours  de  juillet  1580  (De  Thou,  liv.  LXX). 

4.  Ebora,  capitale  de  l'Alentéjo. 

5.  Gapitulation  de  Monte -Mayor  et  d'Ebora,  6  juillet  1580 
(De  Thou,  liv.  LXX). 

6.  Les  gouverneurs  d'Estremos  et  d'Ebora  étaient  dom  Juan 
d'Acevedo,  fils  de  l'amiral  de  Portugal,  et  dom  Diègue  de  Castro. 


Iâ2  mSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

avec  ses  sujets  ce  qu'il  pourroit,  il  travailla  plus  avec 
eux  par  devoir  que  par  espérance,  et  pourtant  envoya 
au  secours  en  divers  lieux,  et  notamment  en  France, 
son  cousin  de  Virmiose  ;  c'est  où  nous  le  trouverons 
au  livre  suivant  négociant  à  Libourne.  Souvenez- vous 
que  nous  laissons  le  roi  de  Portugal  inauguré  par 
toutes  les  cérémonies  de  la  royauté  et  misérable  entre 
les  mains  du  peuple  sans  force  et  de  grands  sans  cœur 
et  sans  foi. 

Chapitre  XXI. 
Du  Septentrion. 

Estans  presque  tous  demeurez  à  la  bataille  de  Maroco 
les  six  cens  hommes  que  le  pape  avoit  donnez  au  comte 
d'Irlande,  ceste  isle  demeura  encores  pour  ce  temps 
en  Testât  que  nous  la  laissasmes,  ou  pour  le  moins 
n'ayant  esclatté  chose  qui  mérite  l'histoire,  nous  pas- 
serons par  l'Angleterre. 

Où  il  n'y  avoit  sur  le  bureau  que  le  mariage  de  Mon- 
sieur \  qui  se  traictoit  assez  froidement  d'une  part  et 
d'autre,  jusques  à  ce  que  Monsieur  passa  lui-mesme 
en  Angleterre^.  On  dit  que  sa  présence  esmouvoit  la 

\.  Les  négociations  du  mariage  du  duc  d'Anjou  avec  la  reine 
Elisabeth  occupèrent  la  cour  de  France  de  1578  à  1583.  Les  docu- 
ments sur  cette  affaire  sont  presque  innombrables.  Pour  ne  citer 
que  des  pièces  manuscrites  et  nouvelles,  nous  mentionnerons 
seulement  les  volumes  3253,  3307,  3308,  5140,  5517,  15973  du 
fonds  français,  et  718  de  la  collection  Moreau,  gros  recueils 
presque  uniquement  composés  de  lettres  diplomatiques  relatives 
à  cette  négociation. 

2.  Le  duc  d'Anjou  passa  en  Angleterre  vers  le  milieu  d'août 
1579  et  revint  à  Douvres  le  29  août.  Il  ne  passa  que  dix  jours 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XXI.  433 

roine.  D'autres  ont  voulu  dire  le  contraire,  tant  y  a 
que  le  murmure  des  peuples,  qui  parut  dès  lors  que 
le  duc  de  Montpensier  y  fît  un  voyage,  rompit  entière- 
ment telle  poursuite.  Ceux  du  conseil,  craignans  un 
souslèvement  pareil  à  celui  d'Yorck  l'an  1569,  quand 
le  comte  de  Foix*  fit  le  mesme  voyage  pour  proposer 
et  presser  le  mariage  du  duc  d'Anjou,  qui  trois  ans 
après  fut  roi  de  Pologne  ;  et  à  toutes  ces  choses  n'y  eut 
obstacle  apparent  que  pour  le  faict  de  la  religion. 
L'utilité  que  Monsieur  tira  de  ses  amourettes  fut  le 
consentement  de  la  roine  à  le  faire  eslire  duc  souve- 
rain de  Brabant^,  outre  les  forces  et  munitions  qu'elle 
octroya  plus  librement  qu'elle  n'eust  faict  ^. 

Avant  que  sortir  d'Angleterre,  nous  vous  dirons 
qu'après  les  conspirations  des  comtes  de  Nortombel- 
land*  et  autres  comtes  et  puis  du  duc  de  Suffolc^,  il 

auprès  de  la  reine  Elisabeth.  Sur  la  vie  des  deux  amoureux  à 
Greeuwich  pendant  ce  temps,  voyez  le  récit  de  M.  Kervyn  de 
Lettenhove,  les  Huguenots  et  les  gueux,  t.  V,  p.  390  et  suiv.  Cf. 
Les  projets  de  mariage  de  la  reine  Elisabeth,  par  le  comte  de  la  Per- 
rière, 1882,  in-18. 

1 .  Paul  de  Foix,  conseiller  au  parlement,  négociateur,  prélat, 
n'était  point  comte  de  Foix. 

2.  Le  duc  d'Anjou  fut  reçu  à  Anvers  par  le  duc  d'Arschot  et 
par  le  comte  de  Beaucignies  le  19  juillet  1578  au  nom  des  États 
généraux  (Mémoires  anonymes,  t.  Il,  p.  318,  dans  la  Collection  de 
Mémoires  de  la  Société  de  l'histoire  de  Belgique).  Il  ne  fut  proclamé 
duc  de  Brabant  à  Anvers  que  le  19  février  1582. 

3.  D'Aubigné  ne  donne  presque  aucun  détail  sur  les  intrigues 
du  duc  d'Anjou  en  Flandre.  Nous  signalerons  seulement,  pour 
combler  cette  lacune,  le  recueil  publié  à  la  Haye  par  MM.  Mul- 
1er  et  Diegerick,  sous  le  titre  de  Documents  concernant  les  rela- 
tions entre  le  duc  d'Anjou  et  les  Pays-Bas,  dont  les  deux  premiers 
volumes  viennent  de  paraître. 

4.  Thomas  Percy,  comte  de  Northumberland,  décapité  en  1571. 

5.  D'Aubigné  confond  Su/folk  avec  Norfolk.  Il  désigne  ici  Tho- 


134  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

n'y  avoit  plus  eu  d'entreprises  générales,  mais  bien 
des  assassins  surpris,  entre  ceux-là  Guillaume  Barri*, 
un  Jésuite  que  Crikton^  voulut  destourner,  mais  les 
autres  de  la  Société  le  confirmèrent,  et  lui  en  accusa 
plusieurs  autres  à  la  mort;  la  quantité  desquels  et 
quelques  prestres  furent  surpris,  hastèrent  le  procès 
de  la  roi  ne  d'Escosse^  pource  que  peu  ou  point  de 
telles  machinations  avoyent  leur  mouvement  d'ailleurs 
que  de  la  prisonnière.  Toutes  ces  choses  donnèrent 
mouvement  à  la  roi  ne  d'Angleterre  à  donner  des  com- 
missaires*; mais  le  respect  du  sang  royal  les  faisoit 
trembler,  si  bien  que,  par  la  sollicitation  des  princi- 
paux du  conseil  et  pour  les  craintes  de  la  roine,  on 
commença  par  quelques  hommes  interposez  à  taster 
quelle  seroit  l'opinion  des  princes  et  républiques  de 
mesme  profession.  Tant  que  la  demande  de  ce  conseil 

mas  Howard,  duc  de  Norfolk,  qui  avait  prétendu  épouser  Marie 
Stuart,  et  qui  fut  décapité  à  Londres  le  2  juin  1572.  Voyez  ci-des- 
sus le  chapitre  xix  du  livre  VI  de  l'Histoire  universelle. 

1.  Guillaume  Parry,  un  des  conspirateurs  inventés  par  le 
fanatisme  anglican  pour  justifier  le  supplice  de  Marie  Stuart. 
Voyez  la  belle  étude  de  M.  le  comte  Kervyn  de  Lettenhove, 
Marie  Stuart,  sa  condamnation  et  son  supplice,  2  vol.  in-8°,  1889. 
Le  procès  de  Parry  a  été  imprimé  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue, 
t.  I,  p.  20. 

2.  Greighton,  jésuite  écossais,  fut  pris  par  un  croiseur  anglais 
et  détenu  à  la  tour  de  Londres.  Marie  Stuart  parle  de  lui  dans 
une  lettre  à  Gastelnau  (Labanof,  t.  VI,  p.  48), 

3.  Le  procès  de  Babington,  un  des  plus  ardents  partisans  de 
Marie  Stuart,  fut  l'occasion  ou  plutôt  le  prétexte  dont  se  servit 
Elisabeth  pour  entamer  le  procès  de  la  reine  (1586). 

4.  ÉHsabeth  nomma,  le  6  octobre  1586,  pour  juger  Marie  Stuart, 
une  commission  composée  de  quarante-six  juges,  au  nombre  des- 
quels étaient  les  premiers  pairs  du  royaume  et  ses  principaux 
conseillers,  tous  ennemis  avérés  de  la  reine  d'Ecosse.  La  commis- 
sion se  transporta  le  12  à  Fotheringay,  et  l'interrogation  com- 
mença le  14. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.   XXI.  135 

dangereux  ne  fut  pas  expresse,  tous  crioyent  à  la  mort, 
mais  la  timidité  ou  bon  naturel  de  la  roine  Elisabeth, 
qui  en  espargnant  tel  sang  rendoit  le  sien  recomman- 
dable,  fit  temporiser  encor  quelques  années,  comme 
nous  verrons.  Nous  sommes  appelez  par  les  canonnades 
du  Pays-Bas. 

Namur  fut  saisi*  bien  à  propos  par  dom  Juan,  tant 
pour  la  risque  qu'il  couroit  en  une  ville  ennemie  que 
pour  avoir  un  passage  commode  à  faire  passer  ses 
forces,  comme  aussi  quelque  recerche  qu'il  fit  habile- 
ment par  l'évesque  de  Liège  pour  déguiser  ses  affaires. 
Les  Estats  ne  perdirent  plus  de  temps  à  ramasser  leurs 
bandes,  qu'ils  donnèrent  à  Ghampagni^,  avec  lesquelles 
il  assiéga  le  chasteau  de  Vouve^,  où  il  y  avoit  quelques 
Allemans  de  Foucker*.  Il  prit  par  composition  ce  chas- 
teau et  la  ville  de  Steemberghen  ^  et  celle  de  Tertolem^ 
entre  le  quatriesme  et  le  neufiesme  d'aoûst. 

Ceux  de  Lewarden^  assiégèrent  leur  chasteau,  sur 
la  division  qu'une  nouvelle  recreue  y  apporta^,  et 

1.  Prise  par  don  Juan  d'Autriche  de  la  citadelle  de  Namur,  où 
commandait  Jean  de  Bourgogne,  s.  de  Fromont,  25  juillet  1577 
(Mémoires  anonymes,  publiés  par  M.  Henné  dans  la  Collection  de 
Mémoires  de  la  Société  de  l'histoire  de  Belgique,  t.  I,  p.  308). 

2.  Frédéric  Perrenot,  s.  de  Ghampagny. 

3.  Woude,  village  des  Pays-Bas,  près  de  Berg-op-Zoom. 

4.  Charles  Fucker  commandait  trois  compagnies  allemandes, 
en  garnison  dans  la  citadelle  de  "Woude. 

5.  Steenberque,  dans  le  Brabant  hollandais. 

6.  Ter  Tolen,  capitale  de  l'île  de  ce  nom,  dans  la  province  de 
Zélande. 

7.  Leeuwarden,  capitale  de  la  Frise. 

8.  Matthenes  Wibesma,  gouverneur  de  la  citadelle  de  Leeu- 
warden, fit  entrer  des  troupes  étrangères,  qui  égorgèrent  la 
garnison. 


136  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

l'emportèrent  dans  le  second  de  septembre^;  mais 
cependant,  dans  le  mesme  terme,  ceux  d'Anvers  des- 
mantelèrent  leur  citadelle^  du  costé  de  la  ville.  Leur 
exemple  suivi  par  ceux  de  Gand^,  Utrech,  Valen- 
ciennes,  l'Isle*,  Ayre^  et  Béthunes,  comme  aussi  la 
cité  d'Arras  fut  ouverte  vers  la  ville.  Encores  les  Estats 
firent  entreprendre  Bolduc^  par  le  comte  d'Hohenloo^ 
et  employèrent  le  reste  du  mois,  auquel  ils  la  prirent, 
à  faire  imprimer  leur  apologie  contre  les  accusa- 
tions des  Espagnols  et  despescher  vers  les  potentats 
d'Allemagne,  vers  le  roi  et  les  princes  de  France. 
Mais,  plus  expressément  et  utilement,  le  marquis  de 
Havrech  ^  traicta  une  ferme  union  avec  la  roine  d'An- 
gleterre, sans  oublier  toutes  les  conventions  pour  les 
secours;  comme  aussi  ils  attirèrent  la  personne  du 
prince  d'Orange,  qu'ils  firent  gouverneur  de  Brabant 
le  second  d'octobre^.  Et  à  son  arrivée  le  régiment  de 
Frunsberg,  retiré  à  Breda,  et  celui  de  Foucker  à  Ber- 
gopzom,  se  mutinèrent  et  rendirent  leurs  places  aux 

1.  Prise  de  la  citadelle  de  Leeuwarden,  août  1577.  Les  bour- 
geois rendirent  la  ville  le  4  octobre  suivant  au  baron  de  Ville. 

2.  Les  troubles  dont  parle  ici  d'Aubigné  eurent  lieu  le  28  août 
1577. 

3.  Troubles  de  Gand,  1"  septembre  1577. 

4.  Lille  (Nord). 

5.  Aire  (Nord),  sur  la  Lys. 

6.  Boisleduc,  capitale  du  Brabant  hollandais,  au  confluent  du 
Dommel  et  de  l'Aa.  —  Prise  de  la  ville,  20  septembre  1577 
{Mémoires  anonymes,  t.  II,  p.  45). 

7.  Philippe,  comte  de  Hohenlohe. 

8.  Charles  de  Groy,  marquis  d'Havrecht,  frère  du  duc  d'Arschot. 

9.  Le  prince  d'Orange  fut  proclamé  gouverneur  du  Brabant  le 
22  octobre  1577,  et  non  le  2,  comme  le  dit  d'Aubigné  (De  Thou, 
liv.  LXIV). 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.   XXI.  137 

estais  avec  leurs  colomnels  prisonniers.  Puis,  pour 
effacer  le  crinae  des  lanskenets,  les  Gantois,  ayans 
receu  le  duc  d'Ascot*  pour  leur  gouverneur  le  vingt- 
cinquiesme  d'octobre,  trois  jours  après  le  mirent  en 
prison  ;  et  avec  lui  les  évesques  d'Ypre  et  de  Bruges, 
les  barons  de  Champagni,  Rassingem  et  Moucheron^, 
dont  quelques-uns  se  sauvèrent;  les  autres  demeu- 
rèrent prisonniers  tant  que  la  ville  tint  pour  les  Espa- 
gnols. Ils  mirent  hors  à  la  mi-novembre^  le  duc 
d'Arscot,  ayant  juré  de  ne  se  ressentir  jamais  de  l'af- 
front. Autant  en  firent  ceux  de  Groningue  aux  prélats 
et  nobles  des  Omelandes'*,  qui  estoyent  venus  aux 
Estats,  qui  ne  furent  eslargis  de  long  temps. 

Il  restoit  aux  Estats  de  cercher  un  chef  général  ; 
lequel,  pour  offenser  moins  le  roi  d'Espagne,  ils  choi- 
sirent entre  ses  proches,  asçavoir,  l'archiduc  Mathias^, 
fils  de  Maximilian ^  et  frère  de  Rodolphe''^,  lors  empe- 
reur. Cestui-ci  accepta  l'offre  si  franchement,  qu'il 

1.  Philippe  de  Groy,  duc  d'Arschott. 

2.  Frédéric  Perrenot,  s,  de  Champagney.  —  Maximilien  Vilain, 
s.  de  Rassenghien.  —  Ferdinand  de  la  Barre,  s.  de  Mouscron. 

3.  Le  duc  d'Arschott  fut  remis  en  liberté  le  9  novembre  1577. 

4.  Les  Oramelandes,  pays  aux  environs  de  Groningue,  forment 
avec  cette  ville  une  des  sept  Provinces-Unies. 

5.  Mathias,  archiduc  d'Autriche,  né  le  24  février  4557,  avait  été 
appelé  dans  les  Pays-Bas  par  les  seigneurs  catholiques  afin  de 
balancer  l'autorité  du  prince  d'Orange.  Il  ne  sut  montrer  ni  force 
ni  autorité  et  revint  en  Autriche  à  la  fin  de  1580.  Le  29  sep- 
tembre 1612,  il  fut  élu  empereur  d'Allemagne  et  mourut  le 
20  mars  1619. 

6.  Maximilien  II,  empereur  d'Allemagne,  mort  à  Ratisbonne 
le  12  octobre  1576. 

7.  Rodolphe,  empereur  d'Allemagne,  fils  de  Maximilien  II  et 
de  Marie  d'Autriche,  fille  de  Charles-Quint,  mort  à  Prague  le 
20  janvier  1612. 


138  HISTOIRE   Um^^RSELLE.  [1580 

arriva  le  vingt-unième  novembre*  à  Anvers  avec  deux 
des  siens.  Et,  cependant  que  le  reste  de  son  train  arri- 
voit  à  file,  il  voulut  que  dom  Juan,  par  toutes  voyes 
publiques,  fust  déclaré  ennemi  du  roi  et  des  Pays-Bas'^ 
avant  que  lui  le  fust  pour  général,  qu'il  fist  ses  entrées 
et  prestast  serment^.  Et.  cela  fut  au  commencement 
de  l'an  1578.  De  mesme  coup,  le  prince  d'Orange 
déclaré  son  lieutenant  général,  non  sans  grand  mur- 
mure des  plus  grands  du  pays,  sur  tous  du  comte  de 
Laîain*,  qui  estimoit  ceste  charge  inséparable  du  géné- 
ral d'armée,  tel  qu'il  estoit  lors. 

Il  est  temps  de  mettre  en  veue  dom  Juan,  qui 
employé  verd  et  sec,  despesche  le  marquis  de  Varem- 
bon^,  premièrement  pour  se  plaindre  de  Mathias,  qui 
s' estoit  faict  ennemi  du  roi  son  oncle,  et  prier  les  pro- 
testants d'estre  neutres.  Cependant,  il  faict  lever  un 
régiment  à  Barlemont®,  deux  autres  à  Liège  et  un  à 
Luxembourg.  Il  en  compose  un  des  Espagnols  sortis 
des  garnisons.  Charles,  comte  de  Mansfeld^,  le  vint 

1.  L'archiduc  Mathias  partit  de  Vienne,  déguisé,  le  3  octobre 
1577,  arriva  à  Lier  le  30  et  à  Anvers  le  11  novembre  (et  non  le 
21).  Le  Bulletin  de  la  Commission  d'histoire  de  Belgique  (série  III, 
t.  V,  p.  288)  contient  un  récit  de  cet  aventureux  voyage.  Voyez 
aussi  à  la  Bibliothèque  nationale  une  pièce  du  temps  (Vc  de  Gol- 
bert,  vol.  398,  f.  517). 

2.  Don  Juan  d'Autriche  fut  déclaré  perturbateur  du  repos 
public  le  17  décembre  1577. 

3.  Le  traité  de  l'archiduc  Mathias  avec  les  États  est  imprimé 
dans  le  Corps  diplomatique  de  Dumont,  t.  V,  p.  314. 

4.  Philippe,  comte  de  Lalain, 

5.  Marc  de  Rye,  marquis  de  Varambon,  plus  tard  gouverneur 
de  Gueldre. 

6.  Berlaymont,  sur  la  Sambre,  près  de  Mons. 

7.  Charles,  comte  de  Mansfeld,  gouverneur  de  Luxembourg  et 
de  Bruxelles,  mort  en  1604. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XXI.  439 

joindre  avec  des  forces  allemandes  et  françoises.  Son 
premier  emploi  fut  sur  le  régiment  de  Champagni, 
qu'il  deflfit  par  rencontre,  et,  les  ayant  faict  rendre, 
les  firent  presque  tous  mourir,  despouillez  auparavant. 
Lors  les  Estats  avoyent  quatre  armées,  l'une  devant 
Amsterdam,  où  les  habitants  avoyent  tué  le  colomnel 
Hellinc^  qui  pensoit  les  surprendre;  l'autre  armée 
prenoit  les  villes  de  Zwolc^  et  Capem^;  la  troisiesme 
devant  Ruremonde*,  commandée  par  le  comte  de 
Hohenloo,  qui  n'y  faisoit  pas  ses  affaires  ;  et  la  qua- 
triesme  sous  le  comte  de  Lalain,  qui,  pour  mugueter 
Namur,  avoit  pris  Bovines^,  et,  après  une  escarmouche 
sur  la  Meuze,  forcé  le  chasteau  de  Despontin®,  où  tout 
fut  tué,  et  puis  s'estoit  retranché  de  l'autre  costé  de 
la  rivière  pour  tenir  en  cervelle  ceux  de  dom  Juan. 
Le  comte  d'Hohenloo,  sachant  que  dom  Juan  venoit 
secourir  Ruremonde^,  bloquée  de  sept  forts,  en  quitta 
six,  laissant  sa  grosse  artillerie  dans  le  meilleur,  et 
perdit  à  sa  retraicte  trois  compagnies  et  deux  pièces 
de  campagne.  Cela  faict,  Barlemont^,  qui  avoit  faict 
Texploict,  ayant  ravitaillé  la  place,  se  retiroit  en  l'ar- 

1.  Mort  du  colonel  Helling,  23  novembre  1577. 

2.  Swol,  dans  l'Over-Yssel,  sur  les  bords  de  l'Aa.  —  La  ville 
fut  prise  dans  les  premiers  jours  de  juin  1578. 

3.  Campen,  dans  l'Over-Yssel,  sur  l'Yssel,  près  du  Zuiderzée. 
—  Prise  de  la  place,  19  juillet  1578.  Sur  le  siège  et  la  prise  de 
Campen,  voyez  les  Mémoires  anonymes,  t.  HT,  p.  12. 

4.  Ruremonde,  dans  la  Gueldre,  au  confluent  de  la  Roêr  et  de 
la  Meuse. 

5.  Bouvmes,  dans  le  comté  de  Namur,  sur  les  bords  de  la 
Meuse,  avait  été  emporté  d'assaut  par  l'armée  des  États  gédéraux 
avant  le  4  octobre  1577.  Voyez  les  Mémoires  anonymes,  t.  H,  p.  59. 

6.  Prise  du  château  de  Despontin,  janvier  1578. 

7.  Ruremonde  était  alors  défendue  par  le  baron  de  Polweiller. 

8.  Gilles  de  Berlaymont,  baron  d'Hierges. 


140  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

mée  qui  estoit  sur  pieds;  et  laquelle,  sans  s'amuser 
aux  négociations  de  Selles^,  envoyé  du  roi,  se  composa 
en  Luxembourg,  premièrement  le  duc  de  Parme 2,  avec 
quelque  cavalerie  de  son  quartier  et  néapolitaine,  des 
terces^,  qui  avoyent  hyverné  en  Lombardie,  du  comte 
de  Mansfeld,  avec  deux  mille  François,  plusieurs  nou- 
velles compagnies  allemandes,  levées  par  Barlemont 
et  autres,  et  du  vieux  terce  espagnol,  Mondragon*. 
Cela  faisant  seize  mille  bons  hommes  de  pied  et  deux 
mille  chevaux  fut  mis  en  corps  avec  un  manifeste  ^  qui 
couchoit  en  premier  article  la  cause  de  la  religion  et 
puis  la  bule  de  la  croisade. 

D'autre  costé,  la  jalousie  contre  le  prince  d'Orange 
à  cause  de  sa  charge  commençant  d'opérer,  les  chefs 
refusoyent  de  venir  au  conseil.  Et  quittèrent  l'armée 
l'un  après  l'autre,  Lumai,  comte  de  la  Marche,  les 
comtes  de  Lalain,  de  Bossu,  d'Egmond,  le  vicomte  de 
Gand,  La  Motte ^,  gouverneur  de  Gravelines  et  maistre 
de  l'artillerie  ;  si  bien  qu'il  ne  resta  à  l'armée  que  Goi- 
gnies,  mareschal  de  camp,  et  Montigni,  depuis  marquis 
de  Ranti''. 


1.  Jean  de  Noircarmes,  baron  de  Selles.  Sur  les  négociations 
du  baron  de  Selles,  voyez  les  Mémoires  anonymes,  t.  II,  p.  232. 

2.  Alexandre  Farnèse,  duc  de  Parme,  né  en  1546,  gouverneur 
général  des  Pays-Bas,  mort  le  3  décembre  1592. 

3.  Les  terces,  tercero,  régiment  espagnol. 

4.  Christophe  de  Mondragon,  colonel  espagnol. 

5.  Le  manifeste  des  États,  daté  du  21  avril  1578,  a  été  publié 
plusieurs  fois.  Il  est  analysé  par  de  Thou  (Uv.  LXVI). 

6.  Guillaume  de  Lume,  s.  de  la  Marck.  —  Philippe,  comte  de 
Lallain,  général  de  l'infanterie.  — Maximilien,  comte  de  Bossut. 
—  Maximilien  de  Melun,  vicomte  de  Gand,  général  de  la  cavale- 
rie. —  Valentin  de  Tardieu,  s.  de  la  Motte. 

7.  Le  s.  de  Goegnies,  gouverneur  du  Quesnoy,  du  parti  du  roi 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.   XXI.  444 

Cette  armée,  changeant  de  dessein  sans  cesse,  mar- 
choit  pour  la  seconde  fois  de  Tampleurs  à  Jamblours* 
quand  dom  Juan,  avancé  avec  quelque  cavallerie  pour 
la  recognoistre  et  sans  dessein  de  la  combattre,  vid  un 
espace  de  près  d'une  lieue  entre  Tavant-garde  et  la 
bataille.  Mondragon,  qui  estoit  auprès  de  lui,  voyant 
cette  occasion,  fait  courir,  haster  le  reste  des  troupes. 
Dom  Juan,  sans  prendre  ordre,  fait  donner  le  comte 
de  Mansfeld  droit  dans  la  bataille,  la  cavallerie  de 
laquelle  mit  en  désordre  toute  l'arrière  -  gard  e ,  et 
l'avant-garde  prit  la  fuite  sans  combattre  dans  la  ville 
de  Jamblours^,  où  partie  de  ce  qui  s'estoit  sauvé  reprit 
le  large  la  nuict.  Balivel  et  Hevir^,  qui  voulurent  y 
tenir  ferme,  furent  pris  par  capitulation,  et  Goinquik* 
se  rendit  Espagnol.  Pour  fruict  de  ceste  victoire,  se 
rendirent  Louvain,  Arscot,  Tillemont^,  Diest,  Lewe  et 
Sichem%  où  il  y  eut  de  la  penderie. 

d'Espagne.  —  Philibert-Emmanuel  de  Laiain,  s.  de  Montigny, 
marquis  de  Ranty. 

1.  Gemblours,  dans  le  Brabant,  sur  la  rivière  de  CJorneau. 

2.  Bataille  de  Gemblours,  victoire  de  don  Juan  d'Autriche  sur 
les  troupes  des  États,  31  janvier  1578.  Cette  bataille  est  racontée 
dans  les  Mémoires  anonymes  de  la  coll.  de  la  Soc.  de  l'Hist.  de 
Belgique,  t.  II,  p.  165. 

3.  Adrien  de  Baillœul,  s.  d'Heverc.  Nous  croyons  que  Balivel 
et  Hévir  ne  sont  qu'un  même  personnage,  parce  que  les  Mémoires 
anonymes,  qui  le  désignent  sous  ces  deux  noms  comme  un  des 
principaux  capitaines  au  service  des  États  généraux  (notamment 
t.  V,  p.  240  et  suiv.),  ne  lui  donnent  pas  de  frère. 

4.  Antoine  de  Goingnies,  s.  de  Vendegies. 

5.  Tirlemont  se  rendit  le  7  février  1578  à  Octavio  de  Gonzague, 
lieutenant  de  don  Juan  (Strada,  trad.  du  Ryer,  Bruxelles,  1739, 
t.  II,  p.  353).  Louvain  et  Arschott  tombèrent  vers  le  même  temps 
aux  mains  des  Espagnols. 

6.  Diest,  sur  le  Demmer,  fut  pris  par  le  prince  de  Parme  le 
26  février  1578.  —  Leau,  sur  la  Geete,  par  le  même,  le  27  février. 


142  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

Le  comte  Charles^  court  assiéger  Bovines 2,  où 
Estournel^  se  rendit  après  quelques  coups  de  canon, 
et  tous  ceux  qui  ne  servoyent  les  Estats  qu'à  regret 
gaignèrent  l'armée  d'Espagne. 

Ce  qui  releva  le  courage  aux  Estats  fut  la  reddition* 
d'Amsterdam  et  la  prise  de  Sainct-Gislain^,  de  forte 
assiette,  que  l'évesque  d'Arras^,  abbé  du  lieu,  donnoit 
à  dom  Juan,  sans  Hérissart"'',  qui  prit  cœur  et  donna 
aux  siens  sur  le  poinct  de  sa  deffaicte.  Et  ce  fut  là 
qu'arrivèrent  les  gens  du  duc  d'Anjou^  pour  commen- 
cer le  traicté,  qui  se  poursuivit  à  Anvers,  où  Rochepot 
et  des  Pruneaux^  demeurèrent.  Et  puis  le  comte  de 

—  Sichem,  sur  le  Demmer,  avait  été  pris  par  le  même  capitaine 
le  22  février  {Mémoires  anonymes,  t.  II,  p.  182  et  suiv.). 

1.  Le  comte  Charles  est  Charles  de  Berlaymont,  s.  de  Floyon, 
gouverneur  du  comté  de  Namur,  qui,  avec  son  frère  Gilles  de 
Berlaymont,  avait  été  chargé  de  la  reprise  de  Bouvines.  Il  est 
ainsi  désigné  dans  les  Mémoires  anonymes,  t.  II,  p.  173. 

2.  Bouvines  tomba  au  pouvoir  des  Espagnols  dans  les  premiers 
jours  de  février  1578.  Les  Mémoires  anonymes  contiennent  diverses 
lettres  sur  la  prise  de  cette  ville  (t.  II,  p.  173). 

3.  Maximilien  d'Estournel,  lieutenant-colonel  du  régiment  du 
s.  de  Câpres  en  1588,  gouverneur  de  Venloo  en  Gueldre  {Mémoires 
anonymes,  t.  IV,  p.  17). 

4.  Le  prince  d'Orange  rentre  en  possession  d'Amsterdam, 
8  février  1578  (Groen  van  Prinsterer,  Arch.  de  la  maison  d'Orange, 
t.  VI,  p.  298). 

5.  Saint-Guilain,  dans  le  Hainaut  autrichien,  sur  la  Haine,  fut 
surpris  par  les  Espagnols  en  mars  1578  (De  Thou,  hv.  LXVI). 

6.  Mathieu  Moulart,  évêque  d'Arras. 

7.  De  Thou,  d'après  Metteren,  le  nomme  Heroisart. 

8.  Les  députés  du  duc  d'Anjou  arrivèrent  à  Saint-Ghislain, 
au  mois  de  février  1578,  où  ils  furent  reçus  par  Philippe,  comte 
de  Lalain,  Charles  de  Gaure,  s.  de  Fresin,  et  Théodore  de  Lyes- 
veldt,  conseiller  d'État. 

9.  Antoine  de  Silly,  comte  de  Rochepot,  et  Roch  de  Sorbiers, 
8.  de  Pruneaux,  députés  du  duc  d'Anjou  en  Flandre. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,   CHAP.    XXI.  H3 

Mansfeld,  repoussé  de  Wilvorde^,  où  Glumes  com- 
mandoit,  assiégea  Nivelles*  en  Brabant,  où  estoit  gou- 
verneur Villers',  qui  se  rendit  le  quinziesme  febvrier 
après  deux  assauts  repoussez*.  Depuis  Nivelle,  les 
Espagnols  n'attaquèrent  que  villes  très  foibles  sans 
garnison,  comme  Binche,  Soignies,  Walcourt,  Reux, 
Beaumont,  Maubeuge  et  enfin  Chimai^,  qui  soustint 
un  assaut  et  print  capitulation. 

Il  y  eut  aussi  grands  changements  par  tout  le  pays 
sur  les  magistrats  qu'on  soupçonnoit,  notamment  en 
Frise,  ce  qui  fit  plusieurs  se  servir  d'un  pardon  géné- 
ral publié,  comme  voulurent  les  Wallons  de  Mastrich^, 
qui  avoyent  pris  leur  gouverneur  quand  Melroy'  y 
arriva  et  r'asseura  la  ville  aux  Estats. 

De  ce  temps  se  tint  une  journée  impériale  à 
Worme^,  où  fut  envoyé  Sainct-Aldegonde^,  auquel 

1.  Vilvorde,  sur  la  Senne,  à  deux  lieues  de  Bruxelles. 

2.  Nivelles,  dans  le  Brabant  wallon,  à  cinq  lieues  de  Bruxelles. 

3.  Juste  de  Soete,  s.  de  Villers. 

4.  D'Aubigné  se  trompe.  Mansfeldt  mit  le  siège  devant  Nivelles 
le  16  février  1578,  après  avoir  été  repoussé  de  Vilvorde,  mais  il 
ne  put  prendre  la  ville  {Mémoires  anonymes,  t.  II,  p.  177).  Nivelles 
ne  fut  prise  par  Mansfeldt  que  plus  de  deux  ans  après,  le  8  octobre 
1580  (Ibid.,  t.  V,  p.  112,  note). 

5.  Bins,  sur  la  Haine.  —  Soignies,  sur  la  Sannèque.  —  Walen- 
court,  sur  l'Heure.  —  Beaumont,  entre  la  Sambre  et  la  Meuse. 
—  Maubeuge,  sur  la  Sambre.  —  Chimay,  dans  le  Hainaut,  sur 
la  Blanche. 

6.  Guillaume  de  Horn,  s.  de  Hese,  gouverneur  de  Maestricht. 
La  garnison  de  la  ville  avait  été  excitée  à  la  révolte  par  le  baron 
de  Chevreaux,  Franc-Comtois,  et  Jean-Baptiste  del  Monte,  tous 
deux  soudoyés  par  don  Juan. 

7.  Nicolas  de  Palmier,  s.  de  Mauroy,  était  envoyé  du  prince 
d'Orange. 

8.  Ouverture  de  la  diète  de  Worms,  12  avril  1578.  Voyez  les 
Mémoires  anonymes,  t.  II,  p.  233. 

Si.  Philippe  de  Mamix,  s.  de  Sainte- Aidegonde,  prononça  un 


144  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

promit  secours  le  duc  Casimir,  Là  fut,  entr'autres 
choses,  le  différend  d'entre  DantzichS  villeHansiatique, 
de  laquelle  le  roi  de  Polongne  voulut  emporter  l'ab- 
solu commandement,  mais  enfin  se  contenta  du  tiltre 
de  protecteur^;  et,  par  cet  accord,  ceux  de  la  ville, 
n'ayans  plus  que  faire  du  colomnel  Stuart^,  en  accom- 
modèrent les  Estats.  Tout  cela  s'estendit  jusques  au 
vingt-deuxiesme  d'avril,  qu'on  publia  par  toute  la 
Flandre  un  serment*  pour  le  faire  prester  à  tous,  mais 
les  Jésuites  refusèrent  les  évesques  et  pourtant  furent 
bannis^,  comme  aussi  quelques  Gordeliers,  les  uns  et 
les  autres  courants  grand  danger  d'estre  massacrez 
pour  la  haine  que  le  peuple  leur  portoit,  sur  ce  qu'à 
Gand  et  à  Bruges  il  en  avoit  esté  bruslé  sept  et  plu- 
sieurs fouettez,  convaincus  de  sodomie,  que  leur  avoit 
enseigné  un  Cordelier  italien,  comme  ils  dirent  à  la 
mort. 

Aussi,  de  mesme  temps,  à  Bruges,  fut  pilorié  le 
Cordelier  Corneille®,  très  renommé  pour  forces  livres 
imprimez  et  avoir  inventé  l'ordre  Saincte-Élisabeth, 

discours  à  la  diète  de  Worms,  auquel  un  anonyme,  sous  le  nom 
de  Galidius  Ghrysopolitanus,  répondit  par  des  invectives  contre 
les  Flamands. 

1.  Dantzick,  dans  la  Prusse  occidentale. 

2.  Par  la  diète  de  Worms,  le  roi  de  Pologne  ne  put  obtenir  que 
le  titre  de  protecteur  de  Dantzig. 

3.  Guillaume  Stuart,  colonel  écossais.  Voyez  les  Mémoires  ano- 
nymes, t.  II,  p.  232. 

4.  De  Thou,  d'après  Metteren,  dit  que  cette  publication  eut  lieu 
le  21  avril  1578  (liv.  LXVI). 

5.  Les  Jésuites  furent  chassés  d'Anvers  et  transportés  à 
Louvain  le  18  mai  1578  (De  Thou,  liv.  LXVI).  Voy.  le  récit  des 
Mémoires  anonymes,  t.  II,  p.  257. 

6.  Corneille  Adriausen  de  Dordrecht,  grand  prédicateur  de 
l'ordre  des  Gordeliers,  remplissait  ses  sermons  d'invectives  contre 
les  Flamands  (De  Thou,  liv.  LXVI). 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XXII.  145 

OÙ  il  faisoit,  par  pénitence,  despouiller  les  plus  belles 
de  ses  dévotes,  pour,  en  diverses  postures,  les  fouet- 
ter toutes  nues,  fort  longtemps,  avec  une  queue  de 
renard,  comme  il  paroit  par  livres  imprimez  de  son 
institution ^  et  laquelle,  depuis,  on  dict  avoir  esté 
practiquée  à  Bourdeaux,  plus  discrètement  et  suivant 
ce  que  nous  avons  veu  publié  sous  mesme  nom  de 
Saincte-Élisabeth. 

Chapitre  XXII. 

Conclusion  de  la  paix. 

Durant  que  ces  choses  se  desmesloyent  ainsi  de 
tous  costez,  quelque  longueur  fut  apportée  à  la  paix^, 
bien  qu'arrestée  à  Centras^,  par  ceux  du  Languedoc, 
qui  estoyent  en  grand  trouble,  les  uns  partisans  du 
prince  de  Condé  et  voulans  exécuter  les  choses  qu'il 

1.  Le  récit  de  d'Aubigné  est  tiré  de  de  Thou  (liv.  LXVI). 

2.  En  attendant  la  ratification  du  traité  de  paix  par  le  roi 
(voyez  la  note  suivante),  le  duc  d'Anjou  signa  avec  les  députés 
du  roi  de  Navarre,  le  27  novembre  1580,  une  trêve  de  douze  jours, 
qui  fut  renouvelée  pour  dix  jours  le  8  décembre  suivant.  Les 
originaux  de  ces  actes  sont  conservés  dans  le  f.  fr.,  vol.  3330, 
f.  65  et  79. 

3.  Les  conférences  se  tinrent  entre  le  duc  d'Anjou,  le  roi  de 
Navarre  et  leurs  conseillers,  partie  à  Goutras,  partie  au  château 
de  Fleix,  château  appartenant  au  comte  de  Ourson,  près  de 
Sainte-Foy,  en  Périgord  (Dupleix,  Histoire  de  Henri  III,  p.  83). 
Le  26  novembre  1580,  les  parties  signèrent  le  traité  qui  porte  le 
nom  de  traité  de  Fleix.  L'acte,  divisé  en  quarante-sept  articles, 
a  été  imprimé  dans  Dumont,  Corps  diplomatique,  t.  V,  p.  381, 
et  par  Haag,  t.  X,  p.  171.  L'original  de  cette  pièce  importante, 
revêtu  des  signatures  du  duc  d'Anjou  et  du  roi  de  Navarre,  est 
conservé  à  la  bibl.  de  l'Institut,  dans  la  coll.  Godefroy,  vol.  96, 
pièce  27. 

VI  10 


146  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1580 

avoit  promises  en  Allemagne'.  Ses  promesses  furent 
enfin  rompues  par  les  diligences  de  Constans^,  si  bien 
que  Aiguemortes  fut  refusée  à  Clervant  et  Pequais^ 
au  docteur  Beutrich,  le  pays  s' offrant  à  s'obliger  tout 
entier  pour  soudoyer  l'armée  du  duc  Casimir,  mais 
non  pas  mettre  en  gage  les  deux  places  plus  impor- 
tantes. Et,  là-dessus,  députez  avoyent  esté  esleus  pour 
aller  au  traicté  de  la  paix  commencée  à  Coutras.  Ayans 
aidé  à  la  conclusion,  ils  retournent  en  Languedoc, 
d'où  ils  escrivent  que  le  prince  empeschoit  la  publi- 
cation; mais,  depuis,  le  mesme,  sachant  qu'on  y 
envoyoit  le  vicomte  de  Turenne  *,  s'achemina  à  Cadil- 
lac^ trouver  les  autres  princes  pour  ne  voir  point 
contre  sa  volonté  publier  l'édict^,  comme  il  le  fut  par 
tout  le  Languedoc;  mais  ceux  du  Daulphiné,  qui  atten- 
doyent  les  Allemans,  le  refusans,  s'en  trouvèrent 
comme  nous  verrons  ci-après. 

* 

\.  Les  négociations  de  Gondé  en  Allemagne  (juin  et  juillet  1580) 
sont  racontées  dans  les  Mémoires  de  La  Huguerye,  t.  II,  p.  55. 

2.  Le  roi  de  Navarre,  pour  arrêter  le  mauvais  vouloir  du  prince 
de  Gondé,  lui  dépêcha  successivement  en  Languedoc  le  s.  de 
Lavergne,  Beauchamp  et  Gonstans.  Voyez  les  Mémoires  de  La 
Huguerye,  t.  II,  p,  82. 

3.  La  ville  d'Aigues-Mortes,  avec  les  Salins  et  le  fort  de  Pec- 
cais  avaient  été  promis  à  Gasimir  de  Bavière  comme  gages  de 
la  subvention  qui  lui  serait  due  en  retour  de  son  invasion  en 
France  (Mémoires  de  La  Huguerye,  t.  II,  p.  64). 

4.  La  mission  de  Turenne  est  racontée  dans  les  Mémoires  de 
Bouillon  (édit.  Buchon,  p.  423)  et  dans  les  Mémoires  de  La  Hugue- 
rye (t.  n,  p.  89). 

5.  Gadillac  (Gironde),  sur  la  Garonne.  Ge  ne  fut  qu'après  les 
fêtes  de  Pâques  de  1581  que  Gondé  se  décida  à  quitter  le  Langue- 
doc pour  se  rendre  à  Montauban.  La  Huguerye  ne  dit  pas  qu'il 
alla  à  Cadillac  [Mémoires  de  La  Huguerye,  t.  Il,  p.  132  et  suiv.). 

6.  Le  roi  ratifia  le  traité  de  Fleix  le  26  décembre  1580. 


1580]  LIVRE  NEUVIÈME,    CHAP.    XXII.  147 

Vous  ne  serez  point  ennuyez  des  articles  de  cet 
édict,  qui  n'avoit  rien  de  différent  des  autres,  que  ce 
qu'avoyent  expliqué  les  conférences  de  Nérac*  et  du 
Flex^;  et  cela  ne  fut  point  publié,  mais  porta  dès  lors 
et  tousjours  depuis  le  titre  d'Articles  secrets.  Ce  qui 
en  parut  trop  fut  la  prolongation  de  places  de  seureté 
pour  six  ans.  Cela,  et  le  voyage  du  duc  d'Espernon^ 
vers  le  roi  de  Navarre,  sous  couleur  d'aller  visiter  sa 
mère,  fut  un  riche  prétexte  pour  les  prescheurs  de  la 
ligue  et  pour  esraouvoir  ce  que  nous  allons  raconter 
au  livre  suivant. 

i.  Les  conférences  de  Nérac  dataient  de  l'année  précédente. 
Le  traité  de  Fleix  est  la  reproduction  presque  textuelle  du  traité 
de  Nérac. 

2.  Les  pièces  relatives  aux  négociations  de  Fleix  sont  très 
nombreuses.  Nous  signalerons  seulement  la  correspondance  de 
Pomponne  de  Bellièvre  avec  le  roi  et  la  reine,  qui  rend  compte 
jour  par  jour  du  résultat  des  conférences  (f.  fr.,  vol.  15891),  les 
pièces  contenues  dans  le  vol.  15563  du  fonds  français,  parmi  les- 
quelles (f.  280)  se  trouve  le  procès-verbal  de  trois  séances  du 
milieu  d'octobre,  les  volumes  15871  du  fonds  français,  6003  et 
6013  des  Nouvelles  acquisitions  du  fonds  français. 

3.  L'envoi  par  Henri  III  de  Jean -Louis  de  la  Valette,  duc 
d'Épernon,  au  roi  de  Navarre  est  très  postérieur  à  ces  événe- 
ments. Ce  ne  fut  qu'en  1582  que  le  favori  de  Henri  IH  se  mit 
en  négociation  avec  le  Béarnais.  Voyez  les  notes  du  chap.  m  du 
livre  suivant. 


LES  HISTOIRES 

DD 

SIEUR   D'AUBIGNÉ 


LIVRE  DIXIÈME 

(livre  V  DU  TOME  II  DES  ÉDITIONS  DE  1616  ET  DE  1626). 


Chapitre  I. 

Voyage  du  duc  de  Mayenne  et  estât  du  Daulphiné. 

Plusieurs  testes  discordantes  en  Dauphiné  avoyent 
empesché  ceste  province  de  participer  aux  utiles  con- 
seils^ du  vicomte  de  Turenne,  et  de  prendre  patron 
au  Languedoc,  d'où  ils  espéroyent,  sans  rien  contri- 
buer de  leur  part,  la  solde  de  leurs  AUemans^,  des- 

1.  Le  roi  de  Navarre  et  le  duc  d'Anjou  avaient  donné  mission 
à  Turenne,  par  lettres  du  18  janvier  1581,  datées  de  Bordeaux, 
de  faire  exécuter  en  Languedoc  l'édit  de  paix  conclu  à  Fleix 
(Histoire  du  Languedoc,  t.  V,  p.  386).  Sur  la  mission  du  vicomte 
auprès  de  Gondé,  voy.  plus  haut,  p.  146  et  155,  notes  4  et  2. 

2.  Ces  Allemands  étaient  ceux  que  le  parti  réformé  avait  ras- 
semblés, avant  le  traité  de  Fleix,  en  vue  de  la  continuation  de  la 
guerre.  Peu  après,  le  prince  de  Gondé  envoya  La  Huguerye  en 
Allemagne.  Voy.  les  Mémoires  de  cet  agent,  t.  Il,  p.  48. 


1580]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.   I.  149 

quels  aussi  ils  pensoyent  tirer  le  premier  fruict,  et 
que  ceste  armée  en  sa  verdeur  leur  donneroit  moyen 
de  s'estendre  et  s'asseurer,  n'eusse  esté  qu'à  l'ombre 
du  temporisement  nécessaire  pour  passer  le  Rhosne. 
Telles  espérances  donc  les  ayans  empeschez  de  se 
soubsmettre  à  la  dernière  paix,  les  liguez  prindrent 
occasion  de  faire  employer  le  duc  de  Mayenne*,  qui 
lors  estoit  en  grande  authorité  sur  les  gens  de  guerre, 
et  lui  firent  dépescher  une  armée  de  neuf  mille 
hommes  de  pied  françois,  trois  mille  Suisses,  deux 
mille  gens  d'armes  et  quatorze  cents  reistres*;  tout 
cela  esquippé  à  la  faveur  et  payé  de  mesme,  car 
presque  tous  les  officiers  des  finances  estoyent  liguez. 
Geste  armée  ayant  passé  Lyon^,  les  Daulphinois,  et 
non  plustost,  voulurent  s'accorder  d'un  chef.  Ce  fut 
la  pomme  de  discorde*,  commencement  de  la  craincte, 
et  aussi  tost  du  traicté  de  quelques-uns,  que  je  ne 
puis  exprimer,  pour  ce  qu'entre  trois  ^,  desquels  cha- 
cun accusoit  son  compagnon,  pas  un  n'oublia  le  secret 

i.  Charles  de  Lorraine,  duc  de  Mayenne. 

2.  Les  chiffres  donnés  par  Eustache  Piémond  sont  un  peu 
moins  élevés.  Le  même  annaliste  énumère  les  principaux  capi- 
taines de  l'armée  du  duc  de  Mayenne  (Mémoires  d'Eustache  Pié- 
mond, p.  115). 

3.  Le  duc  de  Mayenne  arriva  à  Lyon  avant  le  24  juillet  1580 
et  y  séjourna  jusqu'au  23  août  {Mémoires  de  Piémond,  p.  113,  note). 

4.  Depuis  la  mort  de  Montbrun,  les  réformés  du  Dauphiné  ne 
pouvaient  s'accorder  sur  le  choix  d'un  chef.  Il  y  avait  eu  une 
réunion  à  Die  à  la  fin  de  mars  1580,  une  autre  en  juin.  D'Aubi- 
gné  se  trompe  en  disant  que  ces  assemblées  refusaient  de  recon- 
naître Lesdiguières  ;  elles  l'acceptaient  pour  chef,  mais  de  mau- 
vaise grâce.  Voy.  les  Mémoires  d'Eustache  Piémond,  p.  109. 

5.  Les  trois  capitaines  qui  se  disputaient  le  gouvernement  du 
parti  réformé  en  Dauphiné  étaient  Lesdiguières,  Aymé  de  Glane, 
8.  de  Gugie,  et  Jacques  Pape,  s.  de  Saint-Auban. 


f50  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

que  la  honte  conseilloit.  Tant  y  a  qu'à  l'exemple  de 
quelques-uns  tous  firent  appoinctement ,  comme  se 
voulans  servir  de  la  paix  qu'ils  avoyent  refusée.  Le 
duc  de  Mayenne,  ayant  trouvé  le  joinct  de  la  division, 
changea  le  pas  au  trot,  et,  de  Valence,  qui  la  première 
lui  ouvrit  les  portes*,  ne  voyant  point  d'armée  con- 
traire sur  pied,  envoya  4es  branches  de  la  sienne  en 
divers  lieux  recevoir  les  places^  sans  coups  de  canon, 
ou  s'il  y  en  eut,  comme  pour  la  Mure^,  ce  fut  avec 
telle  foiblesse  que  la  conscience  de  leurs  fautes  les  a 
empeschez  de  m'en  donner  aucuns  mémoires.  On  dit 
que  Lesdiguières*,  voyant  desmanteler  toutes  les 
places  où  le  duc  entroit,  dit  à  un  ministre,  qui  l'exhor- 
toit  à  choses  impossibles  :  «  Je  les  reprendrai  par  les 
mesmes  bresches  qu'ils  font.  »  Et  cela  arriva  à  la  plus- 
part,  comme  il  paroistra  au  succès  du  tome  suivant. 
Le  duc,  s'estant  faict  voir  par  tout,  revint  dire  adieu 


1.  Mayenne  entra  à  Valence  avant  le  30  août  1580. 

2.  Mayenne  fit  raser  les  fortifications  de  Saillans,  de  Pontaix, 
des  Tours-de-Quint,  deVinsobres,  deTulette,  de  Saint- Paul-Trois- 
Ghâteaux,  de  Loriol,  de  Livron,  de  Ghâteaudouble,  de  Grane  et 
du  Puy-Saint-Martin  (Arnaud,  Hist.  des  protestants  du  Dauphiné, 
t.  I,  p.  383).  Sur  l'expédition  de  Mayenne,  voy.  deux  lettres  de 
Henri  III  à  du  Ferrier  (Négoc.  du  Levant,  t.  IV,  p.  29,  notes,  dans 
les  Documents  inédits). 

3.  La  Mure  fut  assiégée  par  le  duc  de  Mayenne  le  30  septembre 
1580  et  prise  après  un  siège  acharné  le  6  novembre.  Il  existe,  du 
siège  de  la  Mure,  deux  relations  contemporaines,  l'une  anonyme, 
l'autre  de  Guillaume  du  Rivail,  s.  de  Blagnieu.  Toutes  deux  ont 
été  réimprimées  en  1870.  M.  Jules  Ghevalier,  éditeur  des  Mémoires 
des  frères  Gay,  in-S",  1888,  a  donné  des  indications  sur  le  siège 
de  la  Mure  (p.  173).  Il  est  étonnant  que  d'Aubigné  ne  s'étende 
pas  davantage  sur  un  des  faits  d'armes  les  plus  glorieux  pour  le 
parti  réformé. 

4.  François  de  Bonne,  s.  de  Lesdiguières. 


1580]  LIVRE   DIXIÈME,   CHAP.   I.  151 

au  Daulphiné  par  Valence,  où  il  accommoda  la  cita- 
delle en  bon  estât,  et  dans  elle  bastit  un  trophée 
presque  pareil  à  celui  que  le  duc  d'Albe  avoit  érigé 
dans  Anvers^.  Il  y  avoit  de  plus  recerché  que,  sous 
les  pieds  de  sa  statue,  y  avoit  un  amas  de  corps  mes- 
lez  et  renversez,  desquels  la  sculpture  estoit  faicte  sur 
les  portraits  au  naturel  des  principaux  chefs  refiformez 
de  Daulphiné^,  et  sur  tout  de  celui  de  Lesdiguières,  le 
plus  recerché.  Cela  faict,  le  duc  et  son  armée  repas- 
sèrent en  France  pour  fournir  aux  occasions  que  nous 
verrons^. 

Le  Daulphiné,  se  voyant  délivré  de  l'armée,  com- 
mença à  se  recognoistre  par  les  reproches  mutuels, 
mais  principalement  contre  Lesdiguières,  pour  ce  qu'il 
y  avoit  eu  quelque  élection  de  lui  pour  chef  en  tiltre 
et  sans  efifect.  Et  aussi  lui  donnoyent-ils  la  faute  en  titre, 
mais  sans  vérités,  et,  de  vrai,  ils  ne  lui  avoyent  rendu 
aucune  obéissance  réalement.  Ils  trouvèrent  moyen 
de  s'assembler'*  sept  ou  huict  des  principaux  du  pays, 


1.  Voy.  le  t.  m,  p.  266. 

2.  La  fin  de  la  phrase  manque  à  l'édition  de  1618. 

3.  Le  duc  de  Mayenne  revint  en  Dauphiné  au  mois  de  juillet 
1581  pour  réduire  les  réformés  qui  n'avaient  pas  voulu  accepter 
le  traité  de  Fleix.  Cette  nouvelle  campagne  fut  une  suite  d'entrées 
triomphales.  Les  Mémoires  des  frères  Gay  ont  raconté  cette  expé- 
dition (p.  184  et  suiv.). 

4.  Il  s'agit  ici  de  l'assemblée  ouverte  à  Die  au  printemps  de 
1581  et  successivement  transportée  à  Gap,  à  Mens  et  à  Grenoble 
pour  discuter  l'acceptation  du  traité  de  Fleix.  Les  ennemis  de 
Lesdiguières,  dits  les  Désunis,  acceptaient  le  traité  tandis  que 
Lesdiguières  le  repoussait.  Les  documents  abondent  sur  ces  réu- 
nions du  parti  réformé  et  sur  les  négociations  auxquelles  elles 
donnèrent  lieu.  M.  Roman  a  publié,  dans  Actes  et  correspondance 
de  Lesdiguières  (t.  I,  p.  49  et  suiv.),  plusieurs  pièces  émanées  de 


152  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1580 

voulans  une  élection  nouvelle,  la  brigans  chacun  pour 
soi,  et  tous  ensemble  refusans  d'obéyr  à  Lesdiguières 
sur  des  causes  légères,  desquelles  la  plus  forte  estoit 
de  son  peu  de  moyens,  car  pas  un  ne  touchoit  ni  aux 
mérites  ni  à  l'extraction.  Il*  y  en  eut  de  si  brutaux 
qu'ils  le  vouloyent  rendre  desdaignable  pour  estre 
sçavant  et  jurisconsulte^,  comme  choses  incompatibles 
avec  un  vaillant. 

Geste  assemblée  despescha  six  députez,  chacun 
ayant  un  maistre  affecté  vers  le  roi  de  Navarre  pour 
les  reigler  de  gouverneur;  et  Lesdiguières,  en  estant 
adverti,  y  joignit  son  conseiller  Calignon^,  un*  des  plus 
rares  esprits  de  son  temps,  et  qui  avoit  desjà  paru 
entre  ceux  qu'on  appelloit  les  fronts  d'airin. 

Ces  députez  furent  ouys  premièrement  à  Nérac^,  et 

ce  capitaine.  M.  Loutchitzki,  dans  ses  Documents  (p.  110  à  121), 
en  a  publié  plusieurs  autres.  Les  Mémoires  des  frères  Gay  con- 
tiennent (p.  175  et  suiv.)  d'autres  détails  sur  ces  assemblées.  Le 
■volume  4047  du  fonds  français  (f.  138  à  166)  ajoute  quelques 
nouveaux  documents  qui  sont  presque  tous  reproduits  dans  le 
vol.  208  de  la  coll.  Brienne.  Le  dernier  (f.  fr.,  vol.  4047,  f.  156) 
est  un  mémoire  adressé  au  roi  de  Navarre,  en  date  du  21  juin 
1581,  qui  présente  le  résumé  de  la  situation  du  parti  réformé 
en  Dauphiné  à  cette  date. 

1.  La  fin  de  l'alinéa  manque  à  l'édition  de  1618. 

2.  Lesdiguières  était  fils  d'un  notaire.  Voyez  l'introduction  de 
M.  Roman  dans  le  t.  I  de  Actes  et  correspondance  de  Lesdiguières, 
in-4'>,  1878. 

3.  Geoffroy  Soffrey  de  Colignon,  né  à  Saint-Jean,  près  de  Voi- 
ron,  en  Dauphiné,  l'un  des  partisans  les  plus  zélés  de  la  religion 
réformée,  successivement  secrétaire  et  chancelier  du  roi  de 
Navarre  {Lettres  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  238,  note). 

4.  La  fin  de  l'alinéa  manque  à  l'édition  de  1618. 

5.  Le  roi  de  Navarre  passa  tout  l'été  de  1581  et  une  partie  de 
l'hiver  à  Nérac  ou  dans  le  voisinage.  Voy.  son  itinéraire  dans  le 
t.  II  des  Lettres. 


1580]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    I.  153 

puis  par  plusieurs  fois  au  Mont  de  Marsan*.  Le  roi  de 
Navarre,  ne  trouvant  en  leurs  plainctes  que  des  inté- 
rests  particuliers,  dommageables  à  leur  province,  ouyt 
aussi  Galignon,  requérant  qu'on  n'eust  aucun  esgard 
au  bien  particulier  de  son  maistre,  ni  au  déshonneur 
d'estre  déposé,  mais  seulement  au  salut  de  la  patrie, 
et  à  ce  qu'il  faloit  pour  la  relever  en  sa  première 
dignité,  qu'il  estoit  prest  de  monstrer  entière  obéys- 
sance  au  premier  qui  seroit  esleu.  Le  roi  de  Navarre, 
se  présentant  cette  affaire  très  pesant  sur  ses  bras, 
ennuya  premièrement  ces  députez  par  la  longueur,  de 
laquelle  il  s'excusoit  sur  la  pesanteur.  Et  puis,  un 
matin,  montant  à  cheval  pour  la  chasse,  il  commanda 
au  vicomte  de  Turenne  d'assembler  La  Noue,  Ter- 
rides,  Fonteraille  ^ ,  Lézignan^  et  quelques  autres, 
pour  mettre  fin  à  ce  fascheux  affaire.  Le  vicomte, 
ayant  donné  à  disner  à  tous  les  députez,  les  oit,  tan- 
tost  ensemble,  tantost  séparez.  Ils  furent  tous  longs 
à  exprimer  leurs  passions.  Galignon  court  à  deman- 
der qu'on  les  contentast  au  bien  de  tous,  et,  durant 
leur  séjour,  les  visitant  à  part,  proposoit  tousjours  à 
chacun  pour  chef  celui  qu'il  avoit  le  plus  à  contre- 
cœur. Le  vicomte  suivit  ce  mesme  chemin,  en  les 


1.  L'itinéraire  du  roi  de  Navarre  ne  marque  pas  le  passage  de 
ce  prince  à  Mont-de-Marsan  pendant  l'année  1581.  Cependant,  il 
s'en  rapprocha  beaucoup  au  milieu  de  mars. 

2.  D'Aubigné,  ou  plutôt  son  imprimeur,  confond  souvent  Pon- 
tenilles  et  Fontaraille,  deux  gentilshonmaes  plus  ou  moins  inféodés 
au  roi  de  Navarre  :  Philippe  de  la  Roche,  baron  de  Fontenilles, 
capitaine  catholique,  gendre  de  Biaise  de  Monluc,  mort  en  1594; 
Michel  d'Astarac,  baron  de  Fontaraille  ou  de  Fontrailles,  capi- 
taine protestant,  un  des  anciens  serviteurs  de  Jeanne  d'Albret. 

3.  Henri  de  Lusignan,  fils  de  Jean  de  Lusignan. 


154  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1581 

interrogant  du  remède  et  de  Télection.  Enfin,  après 
plusieurs  remonstrances,  on  leur  déclara  que  le  prince 
leur  cédoit  son  droict  de  nomination,  et,  pourtant, 
qu'ils  s'assemblassent  en  leur  liberté  ;  qu'ils  avisassent 
bien  à  faire  un  choix,  duquel  ils  ne  se  pussent  repen- 
tir. Ils  s'assemblèrent  donc  à  divers  jours,  où  il  n'en 
fut  proposé  pas  un  que  tous  les  autres  ne  s'y  oppo- 
sassent avec  telle  animosité  qu'ils  vindrent  aux  injures 
atroces,  et  plusieurs  fois  sur  le  poinct  de  jouer  du 
Cousteau  ;  et  lors  on  les  picquoit,  leur  reprochant  leur 
longueur  et  peu  de  soing  de  leur  pays.  Tous  avoyent 
esté  nommés  pour  gouverneurs,  hormis  la  continuation 
de  Lesdiguières  ;  lequel  enfin  estant  jette  sur  le  bureau 
comme  par  despit,  et,  Galignon  le  refusant,  fut  esleu*  ; 
son  nom  porté  au  roi  de  Navarre  et  receu  en  bonne 
chère,  et  tous  les  députez  de  retour  allèrent  descendre 
en  son  logis.  Voilà  un  plat  de  courtisan  parmi  les  sol- 
dats, que  je  n'ai  point  craint  de  vous  donner  en  pas- 
sant, pour  les  choses  qui  sont  depuis  arrivées  par  ceste 
eslection. 

Chapitre  II. 

Suite  de  la  paix  refusée  en  Languedoc.  Négociation 
pour  le  roi  de  Portugal.  Entrevue  des  princes. 

Monsieur,  bien  content  de  la  paix,  comme  fort  com- 
mode à  ses  affaires  du  dedans  et  du  dehors  du  royaume, 
voulut  voir  le  roi  et  la  roine  de  Navarre,  Madame*  et 

1.  Ces  détails,  que  d'Aubigné  a  donnés  le  premier,  sont  confir- 
més dans  la  Vie  de  Galignon  de  Vidal. 

2.  Catherine  de  Bourbon,  sœur  du  roi  de  Navarre,  née  le  7  fé- 


1581]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.   U.  1Ô6 

le  prince  de  Condé,  et  leur  donna  rende- vous  à 
Libourne*  ;  où  de  long  temps  ils  ne  se  peurent  trouver 
pour  les  divertissements  qui  leur  vindrent,  principa- 
lement en  Languedoc,  où  ceux  de  la  province  com- 
mencèrent à  vouloir  faire  guerre  quand  ils  virent  les 
autres  en  paix.  Ils  ne  pouvoyent  supporter  que  les 
folies  de  ceste  demie-guerre  eussent  succédé  et  em- 
porté quelques  améliorations  ^  pour  le  roi  de  Navarre, 
et  ceux  qu'ils  avoyent  abandonnez  avec  lui.  Par  ainsi, 
ne  faisant  point  de  guerre  en  gros,  ils  favorisoyent 
plusieurs  capitaines  particuliers  qui,  dans  les  villettes 
fortifiées  à  leur  guise,  faisoyent  la  guerre  et  plusieurs 
courses,  principalement  au  haut  Languedoc,  contre 
les  grosses  villes  katholiques  de  ce  pays-là^. 

Ce  quartier  estant  r'acoisé*,  ceux  de  Montaigu^ 

vrier  1558,  épouse  de  Henri  de  Lorraine,  duc  de  Bar,  en  1599, 
morte  le  13  février  1604. 

1.  Le  duc  d'Anjou  était  à  Libourne  avant  le  8  janvier  1581 
(lettre  autographe  de  Bellièvre  au  roi  de  cette  date  et  écrite  de 
Libourne;  f.  fr,,  vol.  15891,  f.  126).  II  arriva  à  Bordeaux  le  10  du 
même  mois  (Gauffreteau,  t.  I,  p.  222  et  230). 

2.  Le  dépit  des  religionnaires  du  Languedoc,  à  la  nouvelle  du 
traité  de  Fleix,  venait,  suivant  les  Mémoires  de  Bouillon,  de  ce 
qu'ils  s'étaient  imaginés  que  le  roi  de  Navarre  avait  tiré  du  traité 
a  des  avantages  secrets  à  leur  préjudice  »  (édit.  du  Panth.  litt., 
p.  424).  Ils  étaient  surtout  animés  par  le  prince  de  Condé,  esprit 
jaloux  et  brouillon,  toujours  disposé  à  s'élever  contre  le  chef  de 
sa  maison.  Condé  était  arrivé  à  Nîmes  le  14  novembre  1580  et 
poussait  les  réformés  à  reprendre  les  armes.  La  Huguerye  a 
donné  de  curieux  détails  sur  les  négociations  du  roi  de  Navarre 
avec  son  cousin  (Mémoires,  t.  II,  p.  77  et  suiv.). 

3.  Sur  les  excursions  des  réformés  du  Languedoc,  voy.  Vflist. 
du  Languedoc,  t.  V,  p.  386  et  387. 

4.  Hacoiser,  apaiser. 

5.  Montaigu  (Vendée),  dont  le  siège  et  la  défense  ont  fourni  à 


156  fflSTOIRE  UNIVERSELLE.  [1581 

envoyèrent  pour  essayer  que  leur  place  deraeurast. 
Mais,  d'un  costé,  ceux  du  pays  brusloyent  d'une 
grande  impatience  de  le  voirrazer*;  et,  à  quelque 
remonstrance  qu'on  leur  fist,  pour  s'unir  cinquante 
gentilshommes  à  garder  la  place  chascun  une  sepmaine 
à  ses  despéns,  que,  par  ce  moyen,  ils  seroyent  cou- 
verts devers  la  Bretagne  d'une  frontière  imprenable  ; 
que  guères  d'armes  ne  s'iroyent  fourrer  au  bas  Poic- 
tou  pour  avoir  la  honte  de  s'y  attaquer  inutilement  ou 
celle  de  la  laisser  derrière,  et  incommodité  de  l'avoir 
en  crouppe;  qu'ils  seroyent  un  jour  contraincts  par 
leur  nécessité  de  la  rebastir,  et  qu'ils  n'y  feroyent 
rien  qui  vaille  ;  à  tous  ces  propos,  les  bas  Poictevins 
ne  respondirent  autre  chose,  sinon  :  rasons  cela. 

D'autre  part,  Monsieur,  se  présentant  pour  les  affaires 
de  Portugal,  ne  voulut  rien  laisser  dans  le  royaume, 
sur  quoi  le  roi  se  pust  excuser  de  lui  fournir  ses 
nécessitez^. 


d'Aubigné  quelques-uns  de  ses  plus  beaux  récits  dans  les  livres 
précédents.  Cette  seigneurie  appartenait  à  la  maison  de  la  Tré- 
moille  (lettre  du  duc  d'Anjou;  f.  fr.,  nouv.  acq.,  vol.  1109,  f.  1). 

1.  Le  château  de  Montaigu  était  entre  les  mains  du  parti  réformé. 
Le  duc  d'Anjou,  chargé  de  présider  à  l'exécution  du  traité  de 
Fleix  en  Poitou,  avait  une  première  fois  ordonné  la  destruction 
du  château.  Le  5  avril  1581,  il  en  fit  suspendre  le  démantèlement 
(f.  fr.,  vol.  15564,  f.  44;  lettre  de  ce  prince  à  Tilly).  Le  7  août,  il 
demande  au  roi  de  Navarre  de  rendre  Montaigu,  sans  le  détruire, 
à  la  dame  de  la  Trémoille  (f.  fr.,  nouv.  acq.,  vol.  1109,  f.  1).  Mal- 
gré ces  ordres  et  contre-ordres,  le  démantèlement  fut  commencé 
(lettre  de  La  Frézelière  au  roi  du  11  oct.  1581  ;  f.  fr.,  vol.  15565, 
f.  100).  D'autres  documents  conservés  dans  ce  dernier  recueil 
permettraient  de  suivre  les  progrès  de  la  démolition  de  Montaigu, 
que  le  manque  d'argent  des  officiers  du  roi  et  peut-être  le  crédit 
de  la  dame  de  la  Trémoille  à  la  cour  arrêtaient  à  chaque  courrier. 

2.  La  mort  de  dom  Sébastien  avait  laissé  la  couronne  de  Por- 


4581]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    II.  157 

Il  falut  donc  rendre  Montaigu.  Celui*  qui  en  avoit  la 
charge  avoit  enfermé  un  poinçon  de  pouldre  dans  l'es- 
pesseur  d'une  muraille  avec  l'amorce  entre  deux  tuiles, 
bien  scellée  comme  il  faut,  s'estant  servi  à  cela  d'un 
excellent  maçon  et  de  son  fils,  qui  trahit  le  père  pour 
cent  escus.  Le  mareschal  de  Rets,  qui  sollicitoit  le 
razement  de  sa  voisine^,  ayant  descouvert  cette  ruse 
et  en  présupposant  plusieurs  autres,  pressa  plus  que 
jamais  le  desmantellement  ^  et  le  fit  exécuter  ;  de  quoi 
il  s'acquit,  comme  l'on  verra  en  son  lieu,  l'inimitié 
du  prince  de  Condé*. 

Quand  le  siège  de  Montaigu  fut  achevé,  La  Bou- 

tugal  au  cardinal  dom  Henri,  qui  lui-même  était  mort  en  1580. 
Philippe  II,  qui  prétendait  à  la  couronne,  chargea  le  duc  d'Albe 
de  faire  valoir  ses  droits  avec  une  armée  et  réussit  à  conqué- 
rir ce  royaume.  Cette  usurpation  donna  au  duc  d'Anjou,  tou- 
jours occupé  à  rechercher  un  trône,  l'idée  de  poser  sa  candidature 
à  la  succession  de  dom  Sébastien.  Les  négociations,  fort  obscuré- 
ment menées,  n'eurent  aucune  suite.  Voyez,  sur  les  révolutions 
du  Portugal  au  xvi«  siècle,  Rebello  da  Silva,  Hist.  du  Portugal  au 
XVI*  et  au  XVII'  siècle. 

1.  D'Aubigné  lui-même.  Il  parle  dans  ses  Mémoires  de  son  gou- 
vernement du  château  de  Montaigu  (édit.  Lalanne,  p.  57). 

2.  Le  maréchal  de  Retz  possédait  du  chef  de  sa  femme,  Claude 
de  Clermont,  le  château  de  Dampierre  (Charente-Inférieure),  peu 
éloigné  de  Montaigu. 

3.  L'insistance  du  maréchal  de  Retz  au  sujet  du  démantèlement 
de  Montaigu  lui  coûta  son  château  de  Dampierre.  Voyez  Bran- 
tôme, t.  I,  p.  146. 

4.  Le  château  de  Montaigu  appartenait  à  la  maison  de  la  Tré- 
moille  et  peut-être  déjà  à  Charlotte  de  la  Trémoille,  que  le  prince 
de  Condé  devait  épouser  plus  tard.  En  représaille  de  la  ruine  de 
Montaigu,  le  prince  lit  plus  tard  piller  et  ruiner  en  partie  le  châ- 
teau de  Dampierre,  qui  appartenait  à  Retz.  Mais  ni  Dampierre 
ni  Montaigu  ne  furent  absolument  détruits.  Quant  à  Dampierre, 
de  Thou  le  dit  expressément  (liv.  LXXXV).  Quant  à  Montaigu, 
il  soutint  encore  un  siège  en  1588  (Brantôme,  t.  IV,  p.  385). 


158  HISTOIRE    UNIVERSELLE.  [1581 

laye*  ayant  envoyé  demander  à  Monsieur  la  commis- 
sion d'un  régiment  de  quinze  compagnies,  quatre  du 
régiment  de  Lancosme  et  trois  de  celles  qui  estoyent  à 
la  Barillère  se  donnèrent  à  La  Boulaye,  en  mémoire 
de  la  promesse  et  jurement  qu'ils  en  avoyent  fait 
quand  les  dix  combatans  que  nous  avons  nommez  se 
mirent  entre  leurs  mains  pour  le  duel. 

Aubigné  estoit  venu  de  Montaigu.  Et,  ayant  à  un 
premier  voyage  trouvé  la  cour^,  de  laquelle  nous  par- 
lions n'aguères,  à  Cadillac^;  au  second*,  venant  de 
rendre  la  place,  il  trouva  toute  l'assemblée  susdicte, 
selon  le  project^,  à  Libourne,  horsmis  le  roi  de  Navarre, 

1.  Philippe  Eschalard,  baron  de  la  Boulaye. 

2.  La  cour  désigne  ici  la  cour  du  roi  de  Navarre.  Ce  prince  était 
à  Cadillac  du  23  janvier  au  22  février  1581  [Lettres  de  Henri  IV, 
t.  II,  p.  565).  Il  y  était  encore  le  28  février,  et  du  5  au  15  mars 
(Ibid.). 

3.  Cadillac,  château  sur  la  Gironde,  appartenait  à  François  de 
Foix-Candale,  évêque  d'Aire,  mathémati<;ien  et  astronome  célèbre 
au  xvie  siècle,  que  de  Thou  alla  visiter  en  1580  {Mémoires  de  de 
Thou,  ann.  1580).  Un  jour  que  d'Aubigné  accompagnait  le  roi  de 
Navarre  dans  une  visite  au  cabinet  de  l'évêque  et  que  c  la  troupe 
s'amusoit  à  faire  lever  la  pesanteur  d'un  canon  par  les  machines 
entre  les  mains  d'un  enfant,  »  il  improvisa  et  écrivit  ce  distique 
sur  un  marbre  noir  qui  servait  de  «  tablettes  »  : 

Non  isthaec,  princeps,  regem  tractare  doceto, 
8ed  docta  regni  pondéra  ferre  manu. 

(Prince,  n'apprends  pas  au  roi  à  manier  ce  fardeau,  mais  à  porter 
d'une  main  habile  le  poids  du  sceptre.)  {Mémoires  de  d'Aubigné, 
édit.  Lalanne,  p.  61.) 

4.  Au  second,  c'est-à-dire  au  second  voyage. 

5.  La  réunion  de  Libourne,  à  laquelle  assistaient  le  duc  d'Anjou, 
la  reine  de  Navarre,  Bellièvre  et  d'autres  négociateurs  dépêchés 
par  le  roi  de  France,  eut  lieu  au  commencement  de  1581,  ainsi 
que  le  prouvent  plusieurs  lettres  adressées  par  Bellièvre  au  roi 
(f.  fr.,  vol.  15891).  Le  roi  de  Navarre  ne  parut  pas  à  Libourne. 


1581]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   H.  189 

qui,  dès  lors,  s'attachoit  aux  amours*  de  la  comtesse 
de  Guiche^,  vefve  de  Grand-Mont^. 

La  roine  de  Navarre,  ayant  esté  descouverte  à 
Cadillac*  en  ses  privautez  avec  Champ-Vallon^,  avoit 
estimé  qu'Aubigné  avoit  donné  cet  advertissement^  en 
se  vengeant  de  quelque  desfaveur  dont  il  n'avoit  pas 
eu  sentiment.  Elle  donc  prit  un  moyen  pour  le  ruiner, 
que  nous  donnerons  pour  un  plat  du  mestier  à  nos 
lecteurs  courtisans. 

Les  conférences  des  ambassadeurs  de  Henri  III  avec  le  prince 
béarnais  eurent  lieu  à  Goutras  et  à  Cadillac.  Voyez  les  premières 
notes  du  chapitre  suivant. 

1.  La  passion  du  roi  de  Navarre  pour  la  comtesse  de  Gramont 
succéda  à  ses  amours  avec  M"**  de  Montmorency-Fosseux  et  dura 
plus  de  dix  ans.  La  comtesse  est  désignée  dans  les  lettres  du 
Béarnais  sous  le  titre  de  :  notre  grande  amie  (Lettres  de  Henri  IV, 
t.  n,  p.  153  et  212). 

2.  Diane  d'Andouins,  dite  la  belle  Corisande,  vicomtesse  de  Lou- 
vigny  et  dame  de  Lescun.  Elle  avait  épousé  Antoine  de  Gramont 
en  1567. 

3.  Philibert  de  Gramont,  comte  de  Guiche,  gouverneur  de 
Bayonne  et  sénéchal  de  Béarn,  tué  au  siège  de  la  Fère  (1580).. 

4.  Marguerite  était  à  Cadillac  le  12  mars  1581,  date  d'une  lettre 
qu'elle  écrivit  au  roi  de  France  (Lauzun,  Lettres  de  Marguerite  de 
Valoù,  1886,  p.  20). 

5.  Jacques  de  Harlay,  seigneur  de  Chanvallon,  grand  écuyer 
du  duc  d'Anjou,  grand  maître  de  l'artillerie  pendant  la  Ligue, 
chevalier  du  Saint-Esprit  en  1602,  mort  en  1630.  Marguerite  eut 
de  Chanvallon,  disent  quelques  historiens,  un  fils  qui  devint 
capucin  et  qui  porta  le  nom  de  Père  Ange.  M.  Guessard  a  publié 
pour  la  Société  de  l'Histoire  de  France,  à  la  suite  des  Mémoires 
de  Marguerite,  une  suite  de  lettres  de  cette  princesse  à  Chan- 
vallon. 

6.  D'Aubigné,  dans  ses  Mémoires,  raconte  quelques-unes  de  ses 
querelles  avec  la  reine  de  Navarre  à  la  suite  des  découvertes  de 
Cadillac  et  les  mots  piquants  qu'il  lui  adressait  (édit.  Lalanne, 
p.  63). 


160  HISTOIRE  UmVERSELLE.  [1581 

Elle  donc,  sachant  qu'il  estoit  arrivé  à  portes 
ouvrantes,  l'envoya  quérir,  se  fascha  à  lui,  lui  repro- 
chant que  la  guerre  l'avoit  rendu  barbare,  ou  au 
moins  sauvage  ;  que  ce  n'estoit  pas  à  lui  à  attendre  la 
roine  à  lever,  mais  entrer  à  toute  heure,  comme  con- 
servant son  estât  de  dame  d'honneur.  Après  ces  pri- 
vautés, elle  lui  faict  apporter  un  siège  pour  ouïr  le 
discours  qui  s'ensuit  :  «  Vous  estes,  dit-elle,  venu 
très  à  propos,  si  ce  n'est  un  peu  tard,  pour  un  affaire 
qui  sera  fort  sensible  au  roi,  vostre  maistre  et  mon 
mari;  c'est  qu'il  y  a  en  cette  ville  un  prince  portugais, 
qui  s'appelle  Dom  Antonio  Virmiose  ^ ,  connestable  de 
Portugal,  celui  que  vous  avez  ouï  conter  avoir  faict  si 
généreusement  en  Barbarie  à  la  bataille  des  trois  rois^. 
Pour  l'estime  que  je  fai  du  personnage,  je  veux  que 
vous-mesmes  en  jugiez  avant  que  vous  en  dire  mon 
sentiment.  Je  sçai  bien  que  vous  ne  vous  amuserez 
pas  à  ses  mauvaises  révérences,  ni  à  sa  manière  de 
danser.  C'est  un  prince  qui  dit  en  bons  termes,  recom- 
mandable  en  toutes  sortes  de  galanteries  et  pour 
l'amour,  sur  lequel  il  le  faict  bon  ouyr.  Vous  avez 
sceu  le  misérable  estât  de  Portugal  et  du  roi  Dom 
Antonio^,  le  danger  où  il  est  de  perdre  toutes  les  isles, 

1.  Dom  Antonio  de  Portugal,  comte  de  Vimioso,  connétable  du 
roi  dom  Antonio.  Suivant  des  documents  cités  par  M.  Francisque 
Michel  (Les  Portugais  en  France  et  les  Français  en  Portugal),  il  se 
nommait  François. 

2.  Dom  Sébastien,  roi  de  Portugal,  Mulei-Méluc,  roi  de  Maroc. 
Sur  la  bataille  des  trois  rois,  voyez  plus  haut. 

3.  Antonio  de  Portugal,  grand  prieur  de  Grato,  fils  naturel  de  ' 
l'infant  dom  Luis,  s'était  fait  proclamer  roi  à  la  mort  du  cardinal 
Henri.  Battu  par  le  duc  d'AIbe  à  Alcantara,  il  se  réfugia  en 
France  et  tenta  en  vain,  en  1582,  avec  le  secours  de  Catherine 
de  Médicis,  en  1589,  avec  l'aide  de  la  reine  d'Angleterre,  deux 


1581]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    H.  161 

tant  Açores^  Fortunées  que  toutes  les  Occidentales, 
Philippines  et  Moluques  ;  comme  aussi  ce  qu'il  possé- 
doit  en  Affrique  vers  le  Castel-de-Mine,  que  ses  autres 
conquestes  aux  Indes  dans  le  continent^.  Tout  cela 
demande  secours  ou  est  en  branle  de  subir  le  joug 
des  Espagnols,  par  lesquels  ils  sont  menacez  et  pressez. 
Vous  ne  doutez  pas  que  ce  ne  soit  la  fortune  d'un 
grand  prince.  Mon  frère,  qui  est  un  dangereux  brouil- 
lon, comme  vous  scavez,  empiète  cela  pour  les  trom- 
per, et,  craignant  que  ce  connestable  ne  parle  aux 
plus  ad  visez,  feignant  de  le  garder  contre  les  quarante 
mille  ducats  que  le  roi  d'Espagne  a  mis  sur  sa  teste, 
Alféran,  qui  a  charge  de  recevoir  les  estrangers,  a  six 
Suisses  pour  cet  efifect,  tellement  qu'il  y  a  de  la  diffi- 
culté à  le  voir,  sinon  pour  ceux  de  l'embarquement. 
Or,  je  sçai  que  cette  difficulté  ne  fera  que  vous  eschauf- 
fer  pour  faire  un  grand  service  à  vostre  maistre,  en 
faisant  que  le  roi  de  Portugal  jette  ses  affaires  dans  le 
sein  de  vous  autres  huguenots,  desquels  seuls  on  se 
peut  fier  pour  les  affaires  qui  sont  contre  l'Espagne  et 
l'Italie.  D'ailleurs,  il  y  a  quelque  danger  de  former 
une  inimitié  entre  mon  frère  et  le  roi  mon  mari.  C'est 
ce  qui  me  tient  en  perplexité,  et  de  quoi  je  me  soula- 
gerai sur  votre  expérience  et  fidélité.  » 

expéditions  pour  reconquérir  le  Portugal.  Sa  vie  aventureuse, 
qui  tient  plus  du  roman  que  de  l'histoire,  a  été  écrite  par 
M.  Edouard  Fournier,  Un  prétendant  portugais  au  XVI'  siècle, 
Paris,  1852,  in-12. 

1.  Les  Açores  tenaient  pour  dom  Antonio  et  ne  se  soumirent 
à  l'Espagne  qu'en  1583. 

2.  Sur  l'expédition  espagnole  aux  îles  portugaises,  voyez  le 
chap.  XXI  de  ce  livre. 

VI  11 


1621  mSTOIRE  UNIVERSELLE.  [1581 

Voici  quelle  fut  la  response  :  «  Madame,  vous  avez 
ici  Languilier*  et  Beau-Pré^,  conseilliers  ordinaires  du 
roi  vostre  mari,  plus  authorisez  et  plus  vieux  que  moi. 
Je  prie  Vostre  Majesté  les  vouloir  faire  pour  le  moins 
participants  de  ce  fardeau,  et  me  commander  absolue- 
ment,  sans  me  donner  un  chois  dangereux  et  un  faix 
sous  lequel  je  succomberois.  » 

Elle  se  deffit  de  cela,  disant  de  Languillier  que  ses 
discours  ne  passoyent  point  le  maistre  d'hostel,  de 
l'autre  qu'il  s'attachoit  à  Monsieur  ;  et  se  démesla,  lais- 
sant le  pacquet  sur  la  teste  du  compagnon  ;  qui,  s'es- 
tant  retiré,  se  mit  à  penser  ainsi  :  cette  femme  a 
quelque  chose  contre  moi  ;  pour  se  venger,  elle  me 
donne  un  dangereux  chat  par  les  pattes,  préparée  à 
accuser  ce  que  je  ferai,  ou  d'avoir  laissé  perdre  à  mon 
maistre  l'accomplissement  de  ses  désirs,  ou  d'avoir 
brisé  l'union  des  frères;  il  n'y  a  remède  pour  moi  que 
de  faire  devant  elle  un  faux  choix  et  la  préparer  à 
mesdire  de  ce  que  je  n'aurai  point  faict.  Il  la  vid  donc 
encores  une  fois,  protestant  aimer  mieux  estre  pares- 
seux que  mal  faisant,  lui  estant  plus  pardonnable 
d'avoir  privé  son  maistre  d'une  guerre  que  de  lui  en 
donner  une  contre  son  frère  et  la  maison  de  Valois. 

Ayant  donc  sceu  que  tous  les  matins  Strosse,  Lan- 
sac,  Richelieu  et  le  baron  de  la  Garde  ^  entroyent  en 


1.  Jules  de  Harpedanne,  s.  de  Languillier,  déjà  cité,  t.  Il,  p.  253, 
note. 

2.  Christian  de  Choiseul,  baron  de  Beaupré.  Il  mourut  le 
3  mai  1593  en  défendant  le  château  de  Montclair  pour  le  roi 
contre  la  Ligue  (Lettres  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  322). 

3.  Philippe  Strozzi,  s.  d'Épernay  et  de  Bressuire.  —  Louis 
de  Saint-Gelais ,  s.  de  Lansac.  —  François  du  Plessis,  s.  de 


i581]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    II.  163 

conseil  avec  le  connestable^  il  changea  de  manteau  et 
de  chapeau  avec  son  valet,  et,  entré  dans  ce  logis  à  la 
queue  de  ce  train,  se  cacha  en  un  coin  où  on  nourris- 
soit  de  la  poulaille^.  Là,  ayant  demeuré  une  heure, 
comme  cette  trouppe  sortoit,  gaigna  la  chambre  du 
connestable,  dict  à  l'huissier  que  c'estoit  un  gentil- 
homme du  roi  de  Navarre  envoyé  par  lui.  Entré  qu'il 
fut,  il  s'approche  du  lict  où  estoit  le  comte,  en  lui 
disant  :  c  No  mirais,  Senor,  al  sombrero,  ma  a  lo  que 
se  parte  de  la  cabeça.  »  Et  ainsi  suivit  à  couvrir  son 
desguisement  de  la  nécessité.  Le  prince  entend  à  demi 
mot,  deffend  de  laisser  entrer  Alféran,  et,  ayant  fait 
donner  une  chère  au  mal  couvert,  qui  ne  la  refusa 
point,  le  comte  lui  respond  en  ces  termes  :  «  A  bue- 
nos  ojos,  Senor,  no  puede  el  mal  sombrero  defigurar 
la  buena  gana.  »  De  telle  entrée,  Aubigné  se  mit  en 
discours  comme  il  s'ensuit  : 

«  Il  y  a  six  choses,  très  excellent  Seigneur,  qui 
doivent  convenir  en  celui  qu'on  recerche  pour  lui 
mettre  en  main  le  secours  d'un  estât  contre  un  autre  : 
la  probité  cogneue,  l'expérience  aux  armes,  la  créance 
des  gens  de  guerre,  la  proximité,  les  intérests  com- 
muns de  haine  avec  l'opprimé  contre  l'oppresseur,  et, 
s'il  se  peut,  toutes  voyes  de  réconciliations  avec  l'en- 
nemi comme  impossibles  et  hors  d'espoir.  Vous  vous 
jeltez  entre  les  mains  de  Monsieur,  duquel  hier,  de 


Richelieu,  grand  prévôt  de  France,  mort  le  10  juillet  1590.  — 
Le  baron  de  la  Garde,  mort  en  avril  1583,  colonel  des  gens  de 
pied,  déjà  cité. 

1.  Le  comte  de  Vimioso,  connétable  du  Portugal,  nommé  plus 
haut. 

2.  Poulaille,  mot  gascon,  volaille. 


k 


164  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1581 

fraische  mémoire,  la  roine  de  Navarre  disoit  que,  si 
toute  l'infidélité  estoit  bannie  de  la  terre,  son  frère 
l'en  pourroit  repeupler.  Sçachez,  Monsieur,  comme 
vous  pouvez  desjà  avoir  fait,  de  quelle  monnoye  ce 
prince  a  payé  le  parti,  dans  lequel  il  n'a  pas  seule- 
ment sauvé  sa  vie  et  son  honneur,  mais  s'est  faict  par- 
tager la  France,  et  puis  a  espousé  le  service  de  ses 
ennemis  pour  picquer  de  mort  le  sein  qui  l'avoit 
réchauffé.  Pour  l'expérience,  il  n'a  jamais  commandé 
que  l'armée  qui  assiégeoit  la  Charité,  mais  y  prestant 
son  nom  seulement,  et  le  duc  de  Guyse,  qu'on  lui 
avoit  donné  pour  curateur,  faisant  toutes  les  fonctions. 
De  créance  aux  gens  de  guerre,  il  en  est  aimé  comme 
il  les  a  aimez,  si  bien  que,  de  la  haine  qu'ils  lui  portent, 
ils  lui  attribuent  toutes  sortes  de  vices  contre  nature, 
et  que  je  ne  puis  croire  comme  François.  Les  affaires 
de  ce  duc  sont  toutes  eslongnées  de  la  frontière.  Il 
n'y  a  nulle  cause  d'inimitié  entre  l'Espagne  et  lui, 
mais,  au  contraire,  consanguinité  et,  de  plus,  intelli- 
gence. Tous  les  jours  il  y  conforme  les  mœurs  et  les 
habits  de  lui  et  des  siens.  Et,  pour  le  dernier  poinct, 
le  moindre  nonce  du  pape  qu'on  lui  découplera  le 
mènera  de  genoux  à  la  réconciliation.  La  probité  du 
roi  mon  maistre  a  paru  en  l'amitié  des  affligez,  et  en 
ce  qu'il  a  mieux  aimé  quitter  la  cour,  où  on  lui  pro- 
mettoit  la  lieutenance  générale,  contre  Monsieur  mesme, 
pour  venir  espouser  les  misères  de  ses  partisans  et 
une  guerre,  où  il  n'a  rien  opposé  à  une  si  grande  impa- 
rité de  forces  que  l'avantage  de  sa  vertu.  Dans  ce 
parti  ruiné,  il  a  tellement  desployé  cette  vertu,  et, 
soit  dict  pour  le  second  poinct,  qu'il  a  desjà  forcé 
toute  la  France  à  trois  pacifications,  tousjours  le  pre- 


1581]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    H.  165 

mier  au  combat  et  le  dernier  aux  retraictes.  En  quoi 
faisant,  il  a  gaigné  cette  créance  que  nous  mettons  au 
troisiesme  lieu.  Ses  courtisans  sont  les  meilleurs  capi- 
taines de  France;  les  grades  de  sa  maison  sont  par- 
tagez au  prix  qu'ont  mérité  ceux  de  la  guerre  ;  telle- 
ment afiFectionné  par  la  noblesse  qui  le  suit  que,  quand 
ils  ont  mangé  auprès  de  lui  un  tiers  de  leurs  esqui- 
pages,  il  ne  leur  promet  qu'une  bataille  pour  les  faire 
engager  au  reste.  Toutes  ses  principales  forces  voyent 
la  mer  occidentale  de  leurs  fenestres  ou  les  monts 
Pirénées,  et  cette  proximité  redouble  l'injure  de  Pam- 
pelune*,  si  bien  qu'outre  les  commoditez  que  le  voi- 
sinage apporte  en  telles  similitudes  de  causes,  et  pour 
la  similitude  en  telle  union,  vous  auriez  de  ce  costé 
des  partisans,  non  seulement  de  la  solde,  mais  aussi 
de  la  passion.  Pour  le  dernier  poinct,  le  pont  de  la 
réconciliation  est  rompu,  non  seulement  pour  les 
outrages  receus,  mais  pour  ceux  qui  sont  à  recevoir. 
Les  cruautez  espagnoles  et  la  fumée  de  l'inquisition 
ont  tellement  rempli  les  nazeaux  de  vos  auxiliaires  que 
vostre  cause  seroit  la  leur,  et  qu'une  fois  employez  ils 
la  relèveroyent  quand  vous  la  voudriez  abandonner. 
Voilà,  sans  exorde  et  sans  fleurs  de  rhétorique,  ce  que 
j*ai  à  vous  proposer,  et  pource  que  je  parle  à  vous 
sans  créance,  revenant  devers  Loire,  et  ayant  trouvé 
fortuitement  cette  occasion,  je  suis  entré  vers  vous 
sous  le  nom  de  mon  maistre.  Il  reste  que  je  vous 
fournisse  à  la  fin  de  l'aveu,  bien  que  coustumier 
d'estre  présenté  au  commencement.  Pour  ce  faire,  je 

1.  Allusion  à  la  conquête  de  la  Navarre  espagnole  par  Fer- 
dinand le  Catholique  en  1512,  que  les  rois  d'Espagne  avaient  tou- 
jours refusé  de  rendre  à  la  maison  d'Albret. 


166  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1581 

m'en  vai  escrire  au  roi*  mon  maistre  deux  doigts  de 
papier.  Quelque  danger  qu'il  y  ait  pour  lui,  je  le  ferai 
venir  en  poste  vous  trouver,  en  quelque  lieu  qu'il 
vous  plaise  lui  donner  assignation  2.  j> 

Ce  propos  estant  receu  par  le  connestable  avec 
grands  souspirs,  par  lesquels  il  se  monstroit  plus 
engagé  qu'il  n'eust  voulu  sur  le  deslogement  qu'il 
devoit  faire  de  Libourne  à  Coutras,  le  comte  prit  assi- 
gnation dans  la  Garenne  du  lieu  ;  et  le  roi  de  Navarre, 
ayant  receu  le  billet  de  son  escuyer  par  le  Gast^,  de  ses 
gardes,  vint  de  Hyemau*  prendre  la  poste  à  la  Harie, 
accompagné  d'Odos^,  gouverneur  de  Foix  et  de  Fon- 
tenac^,  lui  faisant  le  cuisinier;  passa  à  travers  la  ville 
de  Bourdeaux''',  où  il  estoit  plus  hay  qu'en  lieu  de 

1.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  escrire  au  roi  de  Navarre  deux 
doigts...  » 

2.  D'Aubigné  raconte  dans  ses  Mémoires  ses  relations  avec  le 
connétable  de  Portugal.  Tandis  qu'ils  se  promenaient  sur  le  bord 
de  la  Dordogne,  aux  environs  de  Coutras,  le  comte  de  Vimioso 
exhala  ses  soupirs  d'amour  en  un  sizain  latin  que  d'Aubigné  tra- 
duisit immédiatement  en  vers  français.  Voyez  ces  vers  dans  les 
Mémoires,  édit.  Lalanne,  p.  59. 

3.  Michel  de  Gast,  d'une  ancienne  famille  de  Dauphiné,  appelé 
par  le  roi  de  Navarre  Vami  du  bon  garçon. 

4.  Hagetmau  (Landes),  principale  résidence  de  la  comtesse  de 
Gramont. 

5.  Jean-Claude  de  Lévis-Léran,  s.  d'Audou  et  de  Belesta,  chef 
des  réformés  dans  le  comté  de  Foix,  lieutenant  général  pour  le 
roi  de  Navarre  en  1583,  mort  le  H  février  1598.  M.  le  vicomte  de 
la  Hitte  (Lettres  inédites  de  Henri  IV  à  M.  de  Pailhès,  in-8'',  1886) 
a  consacré  plusieurs  notes  à  la  biographie  de  ce  capitaine. 

6.  François  de  Buade,  s.  de  Frontenac,  écuyer  ordinaire  du 
roi  de  Navarre. 

7.  Les  Mémoires  de  Gauffreteau  (t.  I,  p.  220)  mentionnent  le 
passage  du  roi  de  Navarre  à  Bordeaux  et  donnent  des  détails  qui 
confirment  le  récit  de  d'Aubigné.  Le  court  séjour  de  ce  prince  à 


1581]  UVRE  DIXIÈME,   CHAP.   m.  167 

France  ^  Il  advint  qu'il  fut  recognu  par  le  postillon 
dans  le  bateau,  mais,  estant  desjà  auprès  de  la  Bastille^  ; 
et  ainsi  se  trouva  à  l'assignation  en  la  Garenne  de  Con- 
tras, où  celui  qui  l'avoit  faict  venir  lui  servit  de  tru- 
chement avec  le  comte  de  Virmiose.  Et  là  traictèrent 
des  moyens  pour  descoudre  avec  Monsieur  et  nouer 
ensemble,  le  tout  inutilement.  Tout  cela  dict  pour 
ouverture  aux  affaires  de  Portugal,  que  nous  dédui- 
rons en  leur  lieu,  et,  en  passant,  pour  tenir  promesse 
aux  courtisans;  car  la  roine  de  Navarre,  le  roi  son 
mari  s'estant  descouvert,  ne  faillit  pas  de  faire  une 
invective  contre  les  froids  serviteurs,  conter  qu'elle 
n'avoit  rien  oublié,  pour  esmouvoir  ceux  en  qui  il  se 
fioit  le  plus,  à  lui  faire  un  bon  service;  mais,  que 
la  terreur  de  Monsieur  ou  faute  d'amour  à  leur  maistre 
les  avoit  retenus.  Cela  fut  receu  comme  il  faloit  d'un 
prince  qui  sçavoit  autrement,  et  cognoissoit  bien  sa 
femme  et  son  escuyer. 

Chapitre  III. 

Brouillerie  de  la  cour^. 

Guères  ne  demeura  l'assemblée  de  Libourne  à  se 
séparer*,  pource  que  le  connestable,  estant  pressé 

Bordeaux  est  resté  inconnu  à  l'auteur  de  l'itinéraire  de  ce  prince 
publié  à  la  fin  du  t.  II  des  Lettres  de  Henri  IV. 

1.  Les  villes  de  Bordeaux  et  surtout  de  Toulouse  appartenaient 
au  parti  catholique  le  plus  déterminé. 

2.  La  Bastide,  faubourg  de  Bordeaux. 

3.  Le  chap.  m,  dans  l'édition  de  1618,  a  pour  titre  :  a  Pre- 
nùer  emploi  de  la  Ligue.  > 

4.  D'Aubigné  désigne  sous  ce  nom  les  conférences  que  le  roi 


168  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1581 

d'aller  trouver  Dom  Antonio  son  roi^  au  Sossinio^,  en 
Bretaigne,  fit  ses  conclusions  avec  Monsieur,  et  se  mit 
à  préparer  les  embarquements  de  tous  les  chefs  que 
nous  avons  nommez  à  Libourne,  et  que  nous  mettrons 
en  compte  quand  nous  traicterons  de  l'Occident.  Il 
touche  seulement  de  dire  présentement  que  ce  pauvre 
roi  fugitif  se  jetta  entre  les  mains  de  la  maison  de 
Rohan,  et,  n'ayant  plus  guères  vaillant  qu'une  selle 
de  cheval  couverte  de  pierreries,  se  faisoit  servir  à 
genoux  par  ses  gentilshommes  et  pareils  en  une  misé- 
rable condition.  On  le  secouroit  de  la  cour  avec  mes- 
pris  de  sa  misère  et  le  respect  de  l'Espagnol  ^  ;  mais 
la  mère  du  roi,  y  prétendant  et  y  employant  son  crédit, 
vainquit  le  conseil  et  en  tira  les  pièces  que  vous  verrez. 
Monsieur  alla  travailler  à  ses  projects  de  Flandres^, 
et  le  roi  de  Navarre  en  une  assemblée  générale,  convo- 


de  Navarre  eut  avec  le  duc  d'Anjou  et  les  ambassadeurs  du  roi, 
d'abord  à  Goutras,  du  4  décembre  1580  au  9  janvier  1581,  puis  à 
Cadillac,  près  de  Libourne,  du  24  janvier  au  22  février  1581.  Le 
Béarnais  séjourna  encore  à  Cadillac  du  5  au  16  mars  (Itinéraire 
de  Henri  IV).  Le  Journal  de  Syrueilh  confirme  à  peu  près  ces 
dates  iArch.  hist.  de  la  Gironde,  t.  XIII). 

1.  Dom  Antonio  de  Portugal  débarqua  en  France  le  6  octobre 
1581  et  trouva  successivement  un  refuge  à  Rueil  près  de  Paris,  à 
Auray  en  Bretagne,  à  Beauvoir  en  Poitou,  toujours  poursuivi, 
disent  les  contemporains,  par  des  assassins  que  Philippe  II  sou- 
doyait pour  se  défaire  de  lui. 

2.  Sucinio,  île  sur  les  côtes  de  Bretagne. 

3.  La  cour  de  France  soutenait  les  prétentions  de  dom  Antonio 
au  trône  de  Portugal  pour  faire  échec  à  Philippe  II,  mais  sans 
grand  empressement.  On  verra  cependant  plus  loin  que  le  roi  de 
France  arma  une  expédition  en  sa  faveur. 

4.  Le  duc  d'Anjou  se  mit  en  campagne  dans  le  courant  de 
1581.  Il  arriva  lui-même  à  la  frontière  le  15  août  (De  Thou, 
liv.  LXXIV). 


1582]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   m.  169 

quée  à  Montauban  * .  Là  passa  le  duc  d'Espernon  ^,  sous 
couleur,  comme  nous  avons  dit,  d'aller  voir  sa  mère^, 
visite  qui  hasta  quelque  peu  les  remuements  desquels 
nous  avons  à  parler,  pource  que  les  liguez  soupçon- 
noyent  l'intelligence  entre  ces  deux  rois  qui  devoit  y 
estre,  et  où,  auparavant,  ils  avoyent  creu  une  grande 
dissention  jusques  à  ce  que  fust  arrivé  ce  que  nous 
allons  desduire. 

La  roine  de  Navarre  s'en  estant  retournée  à  la  cour* 


1.  L'assemblée  de  Montauban  fut  convoquée  au  mois  de  mai 
1581  et  continuée  à  Saint- Jean-d'Angély  en  juin  1582.  Le  pro- 
cès-verbal, arrêté  à  la  suite  de  la  délibération,  est  conservé  en 
copie  du  temps  dans  le  vol.  29  des  Vc  de  Colbert.  Le  volume  15871 
du  fonds  français  contient  d'importantes  pièces  sur  cette  assem- 
blée, notamment  des  remontrances  de  Bellièvre  et  une  partie 
de  sa  correspondance  avec  le  roi  et  la  reine  à  ce  sujet.  Henri  III 
s'efforça  d'affaiblir  par  des  déclarations  ultérieures  l'importance 
de  la  réunion  (Négoc.  du  Levant,  t.  IV,  p.  32  et  45).  Il  semble  y 
avoir  réussi,  car  l'assemblée  de  Montauban  a  laissé  peu  de  traces 
dans  l'histoire  du  parti  réformé. 

2.  D'Aubigné  confond  les  phases,  déjà  fort  obscures,  des 
négociations  du  roi  de  Navarre  avec  le  duc  d'Épernon.  Le  prince 
eut  plusieurs  entrevues  avec  le  favori  de  Henri  HI  en  1582  et  en 
1584.  En  1582,  le  prince  attend  le  duc  à  Pau  le  lundi  qui  suit  le 
3  juillet,  c'est-à-dire  le  9  juillet  (lettre  du  3  juillet  dans  les 
Mémoires  d'Antras,  p.  181).  Touchant  les  négociations  de  1584, 
voyez  les  notes  du  chap.  rv. 

3.  Jeanne  de  Saint-Lary. 

4.  La  reine  de  Navarre,  satisfaite  d'avoir  obtenu  de  Henri  III 
l'autorisation  de  revenir  à  la  cour  (Mémoires,  édit.  de  la  Bibl. 
elzév.,  p.  179),  quitta  la  Gascogne  pendant  l'hiver.  Le  3  mars  1582, 
elle  était  encore  avec  le  roi  de  Navarre  à  Saintes  (Eschasseriaux, 
Documents  relatifs  à  l'histoire  de  Saintes,  1876,  p.  334),  le  14  mars 
à  Saint-Maixent.  Ils  ne  se  séparèrent  que  le  l"  avril  1582  à  Mon- 
treuil-Bonnin,  près  Poitiers  (Journal  de  Michel  Le  Riche,  1846, 
p.  364).  C'est  donc  par  erreur  que  presque  tous  les  historiens  ont 
écrit  que  la  reine  de  Navarre  arriva  le  8  mars  1582  à  la  cour. 


170  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1583 

avec  la  roine  sa  mère,  il  advint  que  cet  esprit  impa- 
tient ne  demeura  guères  sans  offenser  le  roi  son  frère 
et  ses  mignons*,  et  faire  parti  dans  la  cour  avec  ceux 
qui  diffamoyent  ce  prince,  en  lui  imputant  de  très 
sales  voluptez,  ausquelles  mesmes  il  sembloit  que  les 
dames  eussent  intérest*.  Là-dessus,  ceste  princesse 
receut  quelques  affronts,  desquels  le  dernier  fut  que 
Salern^,  capitaine  des  gardes,  la  fit  démasquer  à  la 
porte  Sai net- Jaques'*,  comme  elle  partoit  de  Paris ^ 

1.  Les  trois  mignons  du  roi  à  cette  date  étaient  Joyeuse, 
d'Épernon  et  d'O.  Voyez  le  Journal  de  L'Estoile  (juillet  1581). 

2.  La  reine  Marguerite  haïssait  autant  le  roi  son  frère  qu'elle 
aimait  le  duc  d'Anjou.  Les  mœurs  d'Henri  ni  devinrent  pour 
elle  le  sujet  de  continuelles  épigrammes  (Lettres  de  Henri  IV,  1. 1, 
p.  571,  note). 

3.  D'Aubigné  appelle  Salem  le  capitaine  qui  poussa  l'insulte 
jusqu'à  démasquer  la  reine  Marguerite  et  les  dames  de  sa  suite 
à  son  départ  de  Paris,  mais  tous  les  historiens  désignent  Nicolas 
de  Gremonville,  s.  de  Larchant.  Voyez  notamment  le  Journal 
de  L'Estoile,  sous  la  date  du  8  août  1583,  le  mieux  informé  de 
tous  les  chroniqueurs  sur  cet  événement.  D'après  un  historien 
moderne,  qui  ne  nous  donne  pas  ses  sources  et  a  cru  peut-être 
pouvoir  fondre  le  récit  de  L'Estoile  avec  celui  de  d'Aubigné,  la 
reine  Marguerite  fut  la  victime  de  deux  perquisitions  par  ordre 
du  roi,  l'une  à  la  porte  Saint-Jacques  du  fait  du  capitaine  Salem, 
l'autre  près  de  Palaiseau  du  fait  de  Larchant. 

4.  Ce  ne  fut  pas  à  la  porte  Saint-Jacques,  mais  entre  Saint- 
Clair  et  Palaiseau  que  le  capitaine  Larchant  arrêta  la  reine  de 
Navarre  et  démasqua  brutalement  les  dames  de  Duras  et  de 
Béthune,  ainsi  que  le  reste  de  sa  suite,  pour  s'assurer,  au  nom 
du  roi,  que  la  belle  Marguerite  n'emmenait  pas  un  de  ses 
amants  avec  elle.  Voyez  le  récit  de  L'Estoile  à  la  date  du  8  août 
1583.  Marguerite  fut  conduite,  moitié  de  gré,  moitié  de  force,  à 
Montargis,  où  le  roi  lui  fit  subir  un  interrogatoire  sévère  sur  sa 
conduite  passée.  M.  Lauzun  a  publié  la  lettre  que  l'infortunée 
princesse  écrivit  à  la  reine  mère  après  avoir  subi  ces  cruelles 
avanies  {Lettres  inédites  de  Marguerite  de  Valois,  1886,  p.  33). 

5.  La  reine  Marguerite  quitta  la  cour  le  8  août  1583. 


1583]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.   III.  474 

pour  s'en  retourner  en  Gascogne  trouver  le  roi  son 
mari\  avec  lequel  pourtant  elle  estoit  en  très  mauvais 
mesnage. 

Le  roi  de  Navarre,  prenant  advis  de  son  conseil  en 
cet  affaire,  trouva  par  consentement  de  tous  qu'il 
devoit  s'en  resentir,  et,  pour  cet  effect,  envoyer  som- 
mer le  roi  de  lui  faire  une  justice  notable  avec  une 
clause  qui  sentist  le  deffi,  ou  au  moins  séparation 
d'amitié  en  cas  de  refus.  Tous  conseillèrent  cela,  et 
tous  refusèrent  l'exécution,  horsmis  Aubigné,  qui, 
après  avoir  remonstré  comment  il  estoit  accusé  d'avoir 
sauvé  son  maistre,  et  de  quelques  libres  escrits  et 
propos  offensants,  et  que  ce  qui  seroit  supportable 
par  un  autre  seroit  mortel  par  sa  bouche.  Toutesfois, 
voyant  les  passions  de  ce  prince  offensé,  il  s'aban- 
donna à  faire  le  voyage  ;  trouve  le  roi  à  Sainct-Ger- 
main-, qui,  ayant  donné  au  messager  toutes  apparences 
de  terreur,  l'ouyt  haranguer  sur  les  intérests  que 
portoyent  les  injures  des  princes,  sur  ce  que  cet  acte 
d'infamie  avoit  esté  joué  en  la  plus  splendide  compa- 
gnie et  sur  l'eschafifaut  plus  relevé  de  la  chrestienté. 
Je  n'ose  estendre  d'avantage  ce  propos,  de  crainte  que 
ce  qui  touche  l'autheur  ne  se  trouve  trop  souvent  en 

1.  L'outrage  que  Marguerite  reçut  du  roi  fit  un  tel  scandale 
que  le  Béarnais  refusa  de  la  reprendre,  malgré  les  ordres  de 
Henri  m.  Ce  ne  fut  que  le  17  mai  1584  qu'il  alla  la  recevoir  au 
Port  Sainte-Marie,  et  qu'il  lui  permit  de  revenir  à  Nérac.  Michel 
de  la  Huguerye  fut  témoin  de  la  première  entrevue  du  prince  et 
de  la  princesse,  et  l'a  racontée  en  termes  piquants  {Mémoires, 
t.  n,  p.  315  et  316). 

2.  La  mission  de  d'Auhigné  auprès  de  Henri  EŒ  fut  suivie  ou 
peut-être  précédée  de  celle  de  du  Plessis-Mornay,  qui  partit  de 
Nérac  le  17  août-  1583.  A  du  Plessis  succédèrent  Pierre  de 
Malras,  baron  d'Yolet,  et  Guy  du  Faur,  seigneur  de  Pibrac 
{Lettres  de  H^nri  IV,  t.  I,  p.  572  et  573,  note). 


172  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1583 

campagne.  Tant  y  a  que,  non  sur  le  refus  de  justice, 
mais  sur  le  délai  qui  sentoit  le  refus,  le  messager  remit 
entre  les  mains  du  roi  l'honneur  de  son  alliance  et 
celui  de  son  amitié.  La  response  du  roi  fut  :  «  Retour- 
nez trouver  le  roi  vostre  maistre,  puisque  vous  osez 
l'appeler  ainsi,  et  lui  dictes  que,  s'il  prend  ce  chemin, 
je  lui  mettrai  un  fardeau  sur  les  espaules  qui  feroit 
ployer  celles  du  Grand  Seigneur.  Allez  lui  dire  cela  et 
vous  en  allez;  il  lui  faut  de  telles  gens  que  vous. 
—  Ouy,  Sire,  dit  le  répliquant,  il  a  esté  nourri  et 
creu  en  honneur,  sous  le  fardeau  duquel  vous  le 
menacez.  En  lui  faisant  justice ,  il  hommagera  sous 
Vostre  Majesté  sa  vie,  ses  biens  et  les  personnes  qui 
lui  sont  acquises  ;  mais  son  honneur,  il  ne  l'asservira 
jamais  ni  à  Vostre  Majesté  ni  à  un  prince  vivant  tant 
qu'il  aura  un  pied  d'espée  dans  le  poing.  »  Le^  roi,  à 
ces  paroles,  mit  la  main  sur  un  poignard  qu'il  avoit 
au  costé  et  puis  s'esloigna  vers  les  deux  frères  ~  de  la 
Valette,  qui  en  avoient  autant.  Et  ainsi  sortit  du  cabinet. 
La  roine  mère,  qui  mon  toit  en  carrosse  pour  aller 
trouver  Monsieur,  redescend  pour  parler  à  l'homme 
de  son  gendre,  à  qui  elle  dit  qu'on  feroit  mourir  de 
ces  cocquins  et  maraux  qui  avoyent  offensé  sa  fille. 
L'autre  respondit  qu'on  ne  sacrifioit  point  de  pour- 
ceaux et  de  sang  vil  à  Diane  et  qu'il  faloit  des  testes 
plus  nobles  pour  expiation.  Il  y  eut  quelques  autres 
traits  qui  plairoyent  à  quelque  lecteur  favorable^, 

1.  La  fin  de  l'alinéa  manque  à  l'édition  de  1618. 

2.  Le  duc  d'Épernon  n'avait  qu'un  frère,  qui  s'appelait  Ber- 
nard de  Nogaret,  s.  de  la  Valette,  né  en  1553,  chevalier  des 
ordres  du  roi,  amiral  de  France,  tué  au  siège  de  Roquebrune 
(Provence)  le  11  février  1597. 

3.  D'Aubigné  fait  peut-être  allusion  au  bon  mot  du  roi  de 


1583]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    IV.  173 

mais  les  raisons  alléguées  ci-dessus  les  feront  suppri- 
mer pour  dire  seulement  que  le  roi,  voulant  punir 
ceste  témérité,  comme  il  appelloit,  ne  voulut  pas  que 
ce  fust  par  voye  ouverte,  mais  envoya  Sacremore^  et 
un  des  Biragues  avec  quelques  gens  d'armes  de  la 
compagnie  du  duc  de  Savoye  pour  guetter  le  courrier. 
Grillon-  et  Antraguet^  lui^  prestèrent  de  si  bons  che- 
vaux que  sur  eux  il  gagna  Loyre  et  de  là  le  Poictou. 

Chapitre  IV  ^. 

Premier  emploi  de  la  Ligue. 

Desjà  les  affaires  de  la  Tercière^  estoyent  ruinées, 

Navarre  cité  par  le  Journal  de  L'Estoile,  sous  la  date  du  8  août 
1583  :  0  Le  roy  me  fait  beaucoup  d'honneur  dans  ses  lettres.  Par 
les  premières  il  m'appelle  cocu  et  par  ses  dernières  fils  de  p... 
Je  l'en  remercie  »  (L'Estoile,  édit.  Ghampollion,  p.  164). 

1.  Charles  de  Birague,  dit  le  capitaine  Sacremore,  était  un 
bâtard  du  chanceUer  de  Birague.  Sacremore  eut  une  fin  roma- 
nesque. Il  séduisit  M"«  de  Villars,  fille  aînée  de  la  duchesse  de 
Mayenne,  et  demanda,  vers  la  fin  de  1587,  la  main  de  la  jeune 
fille  au  duc.  Mayenne,  exaspéré  de  l'outrecuidance  d'un  simple 
soldat  de  fortune,  le  tua  de  sa  propre  main  (Lettre  du  duc  de 
Guise  à  la  duchesse  de  Montpensier,  du  15  décembre  1587; 
Arch.  nat.,  K.  1565,  n»  135).  Voyez  aussi  le  Journal  de  L'Estoile 
à  la  date  du  30  décembre  1587. 

2.  Louis  de  Berton  de  Balbes  de  Grillon. 

3.  Charles  de  Balsac  d'Entragues,  dit  Entraguet,  favori  de  la 
maison  de  Guise. 

4.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  Antraguet  l'assistèrent  si  bien 
en  ce  péril  qu'ils  lui  firent  gagner  Loire.  Desjà  les  affaires...  » 

5.  Les  chapitres  m  et  rv  ne  sont  point  divisés  dans  rédition 
de  1618. 

6.  La  Tercère  est  une  île  du  groupe  des  Açores  qui  apparte- 
nait aux  Portugais.  Elle  joua  un  rôle  considérable  dans  la  défense 
du  Portugal  contre  le  roi  d'Espagne.  Voyez  le  chapitre  xxu  de  ce 
livre.  La  Tercère  fut  prise  par  les  Espagnols  le  29  juillet  1583. 


174  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1584 

comme  nous  dirons  en  leur  lieu.  Le  roi  d'Espagne, 
offensé  de  nouveau,  reschaufFa  ses  amis,  et,  par  telles 
sollicitations*,  les  premières  semées  de  la  Ligue,  qui 
n'avoyent  que  pris  racine  sans  pousser  dehors,  com- 
mencèrent à  boutonner  et  bien  tost  après  à  esclorre. 
Les  conjurez,  soupçonnans  leur  cunctation  sur  ce  rap- 
poinctement,  présupposé  faict  par  le  duc  d'Épernon  ^, 
commencèrent  à  faire  entrer  en  scène  Charles,  cardi- 
nal de  Bourbon^,  le  font  chef  de  la  Ligue*  en  appa- 

1.  Traité  de  Joinville,  signé  entre  le  roi  d'Espagne  et  la  Ligue, 
publié,  sous  la  date  du  31  décembre  1584,  dans  Dumont,  Corps 
diplomatique,  t.  V,  p.  441. 

2.  Ce  fut  lorsque  l'état  du  duc  d'Anjou  parut  désespéré  que 
devinrent  sérieuses  les  négociations  du  duc  d'Épernon  avec  le 
roi  de  Navarre.  Le  15  mai  1584,  le  favori  de  Henri  III  quitta  la 
cour  pour  se  rendre  en  Béarn  (Lettres  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  672, 
note).  L'ambassadeur  d'Espagne,  Jean  -  Baptiste  de  Taxis,  écrit 
à  Philippe  II  que  le  roi  de  France  comptait  donner  un  grand 
éclat  à  cette  mission  (Lettre  du  15  mai  1584;  Arch.  nat.,  K.  1563, 
no  15).  La  visite  officielle  du  duc  d'Épernon  au  prince  eut  lieu 
vers  le  9  juillet  {Lettres  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  672).  Gâches,  dans 
ses  Mémoires,  en  donne  un  récit  assez  curieux  (p.  296).  Les 
conférences,  tenues  ordinairement  en  présence  des  s.  de  Roque- 
laure,  du  Ferrier  et  Marmet,  sont  racontées  avec  le  plus  grand 
détail  dans  une  pièce  du  temps  attribuée  à  du  Ferrier,  et  intitu- 
lée :  Double  d'une  lettre  envoiée  à  un  certain  personnage  conte- 
nant le  discours  de  ce  qui  se  passa  au  cabinet  du  roy  de  Navarre, 
et  en  sa  présence,  lorsque  M.  le  duc  d'Épernon  fut  vers  luy  en  l'an 
1584.  Francfort,  in-8'>,  1885.  Cette  pièce  a  été  réimprimée  dans 
le  tome  III  des  Mémoires  de  Villeroy,  1725,  petit  in-12,  p.  1  et 
suiv.  La  visite  officielle  du  9  juillet  avait  été  précédée  et  fut 
suivie  de  plusieurs  visites  secrètes  en  juin,  juillet  et  août.  Voyez 
une  note  contenue  dans  Lettres  inédites  de  He7iri  IV  au  s.  de 
Pailhès,  in-8°,  1886,  p.  85. 

3.  Charles,  card.  de  Bourbon,  fils  de  Charles  de  Bourbon, 
comte  de  Vendôme,  né  le  22  décembre  1520,  cardinal  en  1548, 
mort  le  9  mai  1590. 

4.  Le  cardinal  de  Bourbon,  frère  cadet  de  Antoine  de  Bour- 
bon, était  en  effet  plus  proche  d'un  degré  que  le  roi  de  Navarre  ; 


1584]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    IV.  175 

rence,  avec  mesme  authorité  qu'en  peut  avoir  un 
Eletto^  entre  les  mutinez. 

Or,  pource  que  cestui-ci  estoit  oncle  paternel  du  roi 
de  Navarre,  voilà  force  livres  despeschez-  pour  le 
maintenir  le  plus  proche  héritier  et  le  plus  habile  à 
succéder.  Les  libraires  furent  bien  tost  chargez  de 
traictez  sur  les  droicts  de  proximité  et  de  représenta- 
tion. Ceux  qui  m'ont  desjà  leu  ne  s'attendront  pas 
que  j'enfle  mon  livre  de  ces  plaidoyers  et  labeurs 
d'autrui^.  Je  me  contente  d'alléguer  la  succession  ordi- 
naire, qui  tient  lieu  de  loi  en  France.  Je  ne  suis  apo- 
logue d'aucun  des  partis  et  vous  r'envoye  à  leurs 
escrits.  Le  succès  fera  paroistre  pour  qui  le  ciel  a 
prononcé  ;  comme  il  arrive  peu  souvent  que  l'injustice 
ait  les  meilleures  espées  de  son  costé,  pour  ce  que 
c'est  la  conscience  qui  esmeut  la  noblesse  et  la  porte 

mais  il  n'était  que  collatéral.  Un  jour,  dit  L'Estoile,  après  la 
mort  du  duc  d'Anjou,  il  eut  la  naïveté  d'exposer  ses  droits  au 
roi,  qui  se  moqua  de  lui.  Voyez  le  Journal  de  L'Estoile  à  la  date 
du  l"'  septembre  1584. 

1.  Eletto,  élu. 

2.  D'Aubigné  fait  allusion  ici  aux  nombreux  pamphlets  qui 
furent  publiés  au  commencement  de  la  Ligue.  Ces  pamphlets 
sont  énumérés  par  le  père  Lelong  (t.  II,  n<>  18466  et  suiv.).  Plu- 
sieurs ont  été  réimprimés  dans  le  tome  I»""  des  Mémoires  de  la 
Ligue,  p.  56,  79,  103,  107  et  111,  et  dans  les  Archives  curieuses  de 
Gimber  et  Danjou,  t.  XI,  f.  21  et  suiv.  Le  plus  connu,  le  plus 
important  est  une  dissertation  aux  formes  juridiques,  intitulée 
Les  droits  de  l'oncle  contre  le  neveu  en  faveur  du  cardinal  de  Bour- 
bon, 1585,  in-8°.  Ce  pamphlet,  attribué  par  les  uns  à  Antoine 
Hotman,  par  les  autres  à  un  docteur  italien  de  la  Ligue,  Mathieu 
Gampini  de  Recanati  (De  Thou,  liv.  LXXXI),  fut  l'objet  d'une 
réfutation  par  François  Hotman  :  Disputatio  de  controversia  suc- 
cessionis  régis  inter  patruum  et  fratris  prxmortui  filium,  1585, 
qui  fut  plus  tard  traduite  en  français.  On  en  trouve  un  exem- 
plaire dans  le  f.  fr.,  vol.  15591,  pièce  6. 


176  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1584 

aux  extraordinaires  despenses,  labeurs  et  hazards. 
Nonobstant,  ce  vieil  cardinal,  aagé  de  soixante  et 
quinze  ans*,  donne  des  commissions  de  cavallerie  et 
d'infanterie,  faict  un  manifeste^,  par  lequel,  après 
avoir  remonstré  qu'es  négociations,  premièrement  de 
Ségur-Pardaillan,  et  depuis  du  vicomte  de  Turenne^ 
en  Angleterre  et  en  Allemagne*,  il  s'estoit  faict  une 
ligue  offensive  et  deffensive  entre  les  princes  et  villes 
refFormez  et  les  protestants  ;  que  ceste  ligue  devoit 
esclorre  bientost  plusieurs  armées  à  la  ruine  des 
katholiques  et  à  celle  de  l'Estat  et  peuple  françois.  Il 
allègue  aussi  par  le  mesme  que  les  villes  de  seureté 
n'ont  point  esté  rendues  au  terme  préfix,  et  puis  par 
occasion  il  s'estend  à  déduire  la  pillerie  et  désordre 
qui  se  faict  des  biens  et  honneurs  de  France,  par  les 

1 .  D'Aubigné  se  trompe.  Le  cardinal  de  Bourbon,  né  le  22  dé- 
cembre 1520,  n'avait  alors  que  soixante-cinq  ans. 

2.  Le  manifeste  du  cardinal  de  Bourbon  porte  la  date  du 
31  mars  1585,  et  non  pas  du  l»'  avril.  Il  a  pour  titre  :  Déclaration 
dît  cardinal  de  Bourbon  sur  les  causes  qui  l'ont  meu,  et  les  autres 
princes,  de  s'opposer  à  ceux  qui  s'efforcent  de  subvertir  la  religion 
catholique  en  tout  l'état,  avec  la  liste  des  noms  des  chefs  de  la  Ligue. 
Publié  d'abord  en  pièce  volante,  ce  manifeste  a  été  reproduit 
plus  tard  dans  les  Mémoires  de  Nevers,  t.  I,  partie  II,  p.  641  ; 
dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  56,  et  enfin,  de  nos  jours, 
dans  les  Archives  curieuses  de  Gimber  et  Danjou,  t.  XI,  f.  7. 

3.  La  mission  de  Turenne  en  Angleterre  et  en  Allemagne  est 
au  moins  douteuse,  malgré  l'autorité  de  d'Aubigné.  En  effet, 
Turenne  n'en  parle  pas  dans  ses  Mémoires,  et  le  roi  de  Navarre 
n'y  fait  aucune  allusion  dans  ses  lettres. 

4.  La  mission  de  Ségur  en  Allemagne  et  en  Angleterre  ne 
précéda  pas,  mais  suivit  de  près  le  manifeste  du  cardinal  de 
Bourbon.  Les  Lettres  de  Henri  IV  (t.  Il  et  t.  VIII),  les  Mémoires 
et  correspondance  de  du  Plessis-Mornay  (t.  III,  p.  30  et  suiv.),  les 
Mémoires  de  la  Ligue  (t.  I)  sont  remplis  des  négociations  du  Béar- 
nais à  cette  date.  L'instruction  du  roi  de  Navarre  à  Ségur  est 
datée  du  8  mai  1585  et  fournit  la  date  de  sa  mission. 


4  584]  LrVRE  DIXIÈME,    CHAP.   IV.  177 

mignons  du  roi,  par  le  moyen  desquels  les  princes  et 
officiers  sont  frustrez  de  leurs  fonctions  ;  à  quoi  il  pro- 
teste vouloir  apporter  remèdes  et  chastiments,  décla- 
rant pour  conclusion  que  tant  lui  que  les  princes  asso- 
ciez s'unissent  et  assemblent,  assistez  de  suffisantes 
forces  avec  lesquelles  ils  employeront  leurs  vies,  sans 
se  séparer  jusques  à  la  perfection  de  leur  dessein. 

Par  ainsi  promettent  et  jurent  devant  Dieu  de 
remettre  sa  vraye  et  apostolique  Église  en  son  ancienne 
dignité,  sous  l'entier  exercice  d'une  seule  religion  en 
tout  le  royaume  ; 

Rendre  à  la  noblesse  son  honneur  et  sa  franchise  ; 

Soulager  le  peuple  de  toutes  les  impositions  inven- 
tées depuis  le  règne  de  Charles  IX  et  n'employer  les 
deniers  qui  seront  levez  sur  icelui  que  pour  le  service 
du  roi  et  du  royaume; 

Faire  que  désormais  les  Estats  généraux  seront  tenuz 
de  trois  ans  en  trois  ans  selon  leur  forme  ancienne  ; 

Faire  envers  le  roi  qu'il  pourvoye  aux  différends  de 
la  succession,  mettant  ordre  que  son  royaume  ne  soit 
divisé  en  autant  de  factions  qu'il  y  a  de  prétentions  ; 

Faire  chasser  de  la  cour  ceux  qui  ont  par  trop  abusé 
de  la  faveur  et  authorité  du  prince  ; 

Aviser  à  bon  escient  à  la  conservation  de  leurs  per- 
sonnes contre  les  calamitez  privées  et  publiques,  pro- 
testans  de  n'entreprendre  rien  contre  le  service  du  roi  ; 

Ne  poser  les  armes  que  leur  proposition  ne  soit  du 
tout  exécutée  et  que  Sa  Majesté  n'aye  faict  cesser  le 
péril  pour  lequel  éviter  ils  se  sont  armez  ; 

Enfin,  que  leurs  gens  de  guerre  vivront  de  police 
et  en  payant^. 

1 .  Cette  analyse  du  manifeste  du  cardinal  de  Bourbon  est  exacte. 

VI  42 


t7ê  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1584 

Chapitre  V. 

De  deux  périls  qu'eschappa  le  roi  de  Navarre. 

Deux  notables  dangers  que  le  roi  de  Navarre 
eschappa  en  cet  entre-deux  de  paix  se  tindrent  com- 
pagnie, bien  qu'un  peu  différents  de  saison.  Le  pre- 
mier fut  après  l'embuscade  de  Marmande*,  sur  le 
desmeslement  de  laquelle  ce  prince,  ayant  advis  que 
Melon ^  lui  amenoit  des  forces,  il  lui  fit  donner  logis 
à  Gontaud  ^  et  promit  tout  haut  qu'il  l'iroit  voir  le  len- 
demain au  galop  sur  ses  bidets,  desquels  il  avoit  une 
petite  escurie  pour  ses  diligences.  Il  partit  donc,  avant 
soleil  levé,  accompagné  d'Arambure '*,  Frontenac  et 
d'un  autre  escuyer.  A  moitié  chemin  de  Gontaud,  il 
rencontre  un  gentilhomme  d'auprès  de  Bourdeaux, 
nonmfié  Gavaret^,  seul  et  sur  un  cheval,  à  la  veue 
duquel  il  présupposa  estre  celui  dont  il  avoit  eu 
advertissement  ;  car  on  lui  avoit  escript  d'un  cheval 
achepté  six  cents  escus,  donné  à  un  assassin.  Sur  cette 
opinion,  les  trois  se  serrent  auprès  de  lui.  Il  demande 

1.  Ce  combat  eut  lieu  en  1580.  D'Aubigné  en  a  parlé  précé- 
demment, d'après  les  OEconomies  royales  de  Sully,  liv.  I,  cb.  xii. 

2.  André  de  Meslon,  conseiller  du  roi  de  Navarre,  maître  des 
requêtes  de  son  hôtel  et  gouverneur  de  la  ville  de  Monségur, 
suivant  quittance  du  21  septembre  1583,  souvent  nommé  dans 
les  Lettres  de  Henri  IV. 

3.  Gontaud  (Lot-et-Garonne). 

4.  Jean  d'Harambure,  capitaine  huguenot  et  fidèle  serviteur 
du  roi  de  Navarre. 

5.  Gavaret  ou  Gabarret,  seigneur  de  Saint-Léon,  d'une  famille 
du  Lauraguais,  est  plusieurs  fois  cité  dans  les  Lettres  de  Henri  IV. 
Le  Journal  de  Syrueilh,  sous  la  date  du  22  août  1580,  raconte  la 
trahison  dont  Gabarret  se  rendit  coupable  vis-à-vis  du  capitaine 
Melon  {Arch.  hist.  de  la  Gironde,  t.  XIII). 


1584]  LIVRE   DIXIÈME,   CHAP.    V.  179 

avec  une  chère  gaye  si  le  cheval  estoit  fort  bon.  Sur 
la  response  qu'oui,  il  se  présenta  à  le  taster.  Gavaret 
devint  pasle  et  pensif,  mais,  comme  il  se  vid  serré,  il 
accorde  le  cheval  à  ce  prince,  qui,  estant  monté, 
regarda  au  pistolet,  qu'il  trouve  le  chien  abbatu.  Il 
l'envoyé  en  l'air  et,  sans  descendre,  va  au  galop  à  Goo- 
taud,  où  il  rend  le  cheval*  et  commande  à  Melon  qu'il 
se  deffist  du  compagnon,  comme  il  fit  le  plus  honnes- 
tement  qu'il  put.  Cet  homme,  estant  de  retour  vers 
ceux  qui  l'avoyent  employé,  délibéra  de  retourner  à 
la  religion  romaine-,  et^  comme  né  et  nourri  en  elle, 
et,  selon  ce  qu'il  avoit  promis,  avec  des  marques  que 
vous  trouverez  assés  hors  du  naturel. 

Ce  jeune  homme,  ayant  esté,  dès  la  sortie  de  son 
enfance,  taché  de  plusieurs  sortes  de  vices,  et  par  là 
encouru  la  malegrâce  de  son  père,  eut  son  recours  à 
un  voisin,  son  parent,  de  la  religion  refformée,  nommé'* 
du  Puy,  seigneur  de  Beigne-^.  Gettui-là  lui  administra 
vivres,  vestements,  chevaux  et  armes  par  l'espace 


1.  Cette  anecdote  a  été  plusieurs  fois  prêtée  au  roi  de  Navarre. 
Dans  un  récit  du  temps  (f.  fr.,  \ol.  4744,  f.  45),  le  capitaine  Gava- 
ret est  remplacé  par  le  capitaine  Manau,  ancien  serviteur  du 
prince  d'Orange. 

2.  Cette  première  tentative  d'assassinat  dirigée  contre  le  roi  de 
Navarre  ayant  été  manquée,  Gavaret  passa  ouvertement  du  parti 
de  la  réforme  dans  le  parti  catholique.  Le  but  de  sa  conversion 
était  une  seconde  tentative  d'assassinat  du  Béarnais  {Lettres  de 
Henri  IV,  t.  I,  p.  453,  note). 

3.  Ce  petit  membre  de  phrase  jusqu'à  el  selon  ce...  manque  à 
l'édition  de  1618. 

4.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  nommé  à  mon  advis  Semans, 
et  si  je  me  trompe  au  nom  je  le  remplacerai,  Dieu  aidant,  avec 
quelque  autre  qui  manque  à  la  seconde  édition.  Cestui-là...  » 

5.  Du  Puy,  seigneur  du  Beiquet,  de  la  famille  de  la  Forestie 
(Limousin). 


480  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1584 

d'environ  trois  ans.  Aux  guerres  de  l'an  mil  cinq  cents 
huictante,  lesdits  Beigne  et  Gavaret  furent  envoyez  à 
l'entreprise  de  Montaigu,  en  laquelle  Gachon,  qui  en 
estoit  chef,  fut  tué;  et  Melon ^,  estant  demeuré  le  chef 
et  gouverneur,  puis  après  Beigne,  fit  que  Gavaret  eut 
un  entretien  en  la  garnison.  Et,  de  là  à  quelque  temps 
encores,  le  lieutenant  de  Melon  voulant  faire  une  com- 
pagnie à  part,  sa  place  fut  promise  à  Gavaret.  Mais, 
le  roi  de  Navarre  lui  ayant  tenu  le  langage  que  nous 
vous  avons  dict,  le  lieutenant  fut  retenu  pour  esloi- 
gner  cettui-ci,  qui  dès  lors  fit  plusieurs  desseins  pour 
se  venger  de  Melon,  notamment  par  quelques  fausses 
entreprises  :  premièrement  sur  Blaye,  et  puis  sur  le 
Chasteau-Trompette^  et  enfin  sur  Sainct-Macari^. 

Le  père  de  Gavaret  estant  mort  et  lui  demeurant  au 
chasteau  de  Semans*,  Melon  et  la  pluspart  de  sa  com- 
pagnie furent  invitez  avec  une  grande  espérance  de 
bonne  chère;  et,  le  premier  jour  d'aoust,  Melon  et  ses 
compagnons  s'y  rendirent,  en  nombre  de  vingt-six,  la 
pluspart  chevaliers. 

Après  plusieurs  caresses  reçeues  à  l'arrivée,  le  disner 
estant  mis  sur  table  et  eux  assis,  quelcun,  s'estant  avisé 
qu'il  n'y  avoit  pas  un  Cousteau,  se  mit  à  en  demander. 
Sur  ce  point  sortit  le  capitaine  L'Estaire,  qui  se  jetta 
en  foule  dans  la  sale  avec  cinquante-huict  hommes 
armez,  qui,  bien  à  leur  aise,  prirent  tous  les  maistres 
prisonniers,  et  puis,  ayans  séparé  les  valets  et  quelques 
pauvres  soldats  qui  ne  pouvoyent  payer  rançon,  les 

1.  L'entreprise  du  capitaine  Melon  sur  Monségur  est  racontée 
par  Sully  (OEconomies  royales,  liv.  I,  chap.  xiu). 

2.  Château-Trompette,  fort  de  la  ville  de  Bordeaux. 

3.  Saint-Macaire  (Gironde). 

4.  Génac  (Gironde),  près  Bordeaux. 


1584]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    V.  181 

menèrent  tous  poignarder  à  la  sortie  de  l'estable,  le 
reste  bien  enserré  et  emprisonné.  Sur  l'heure,  Gava- 
ret  escript  à  Beigne,  commençant  la  lettre  par  :  «  Mon 
père,  »  contraignit  Melon,  la  dague  à  la  gorge,  d'escrire 
aussi  pour  le  faire  venir,  accompagné  du  capitaine 
d'Auché  et  trois  autres,  et  encores  un  jeune  homme, 
nommé  Baptiste  de  Bot,  qui  chantoit  excellemment  et 
n'abandonnoit  guères  Beigne,  ayant  grande  familiarité 
avec  Gavaret. 

A  l'entrée  de  la  porte,  toute  cette  troupe  est  poi- 
gnardée, horsmis  Beigne  et  de  Bot.  Gavaret  montre  à 
Beigne  le  premier  monceau  des  tués;  sqr  quoi,  le  vieil- 
lard ayant  faict  des  exclamations  pleines  d'horreur, 
Gavaret  promet  lui  sauver  la  vie  s'il  vouloit  dire  que 
l'acte  ne  fust  une  vangeance  et  un  brave  traict.  Mais, 
l'autre  persistant  en  ses  détestations ,  désirant  et 
demandant  la  mort  pour  ne  vivre  plus  en  un  siècle 
qui  produisist  des  monstres  tant  prodigieux,  Beigne 
est  lié,  garrotté  et  gardé  au  lendemain  ;  qu'après-dis- 
Der  il  fit  venir  Bot  en  la  présence  de  ce  père  et  lui 
dict  :  «  Mon  frère,  je  te  prie,  donne-moi  un  air  des 
plus  tristes  et  des  plus  beaux  que  tu  saches?  >  Le 
jeune  garçon,  à  qui  la  peur  avoit  osté  l'usage  du 
chant,  pensa  ainsi  :  «  On  m'a  gardé  après  les  autres, 
c'est  quelque  apparence  que  ce  tygre  se  pourra  esmou- 
voir.  »  Il  se  força  donc  pour  charmer  ce  brutal,  et 
ceux  qui  estoyent  présents  ont  dict  n'avoir  jamais  rien 
ouy  tel.  A  la  fin  du  chant,  le  cruel,  ayant  dict  :  «  Il 
n'y  a  que  Gavaret  qui  puisse  achever  cette  tragédie,  » 
poignarda  le  jeune  homme  aux  pieds  de  son  père*  et 

1.  La  fin  de  l'alinéa  et  l'alinéa  suivant  manquent  à  l'édition 
de  4618. 


182  fflSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1584 

puis  donna  quatre  coups  de  poignard  dans  l'estomach 
de  Semas*.  Et,  pour  monstrer  qu'il  n'estoit  point 
poussé  de  la  vengeance  contre  Melon,  il  lui  sauva  la 
vie,  et  à  ceux  qui  comme  lui  peurent  payer  une  grosse 
rançon. 

On  m'a  promis  l'estrange  mort  de  Gavaret,  mais, 
ne  l'ayant  point  encor  receue,  je  ne  la  puis  donner  à 
mon  lecteur. 

Tous  ceux  qui  ont  au  pays  voulu  esplucher  un  acte 
si  estrange  ont  appris  que  cestui-ci  avoit  promis  à  un 
Jésuite,  sien  confesseur,  de  se  déclarer  bon  catholique 
avec  telles  marques  que  l'on  n'en  doubteroit  jamais, 
ce  qui  estoit  interprété  pour  l'entreprise  sur  le  roi  de 
Navarre  ;  on  dit  aussi  que  le  desplaisir  de  l'avoir  failli 
l'a  voit  poussé  à  ceste  énorme  résolution  ^. 

L'autre  péril  fut  quelques  mois  après.  Si  le  discours 
en  est  estendu,  il  est  inutile  à  la  garde  des  rois.  Grand- 
mont^,  avant  qu'aller  au  siège  de  la  Fère,  avoit  machiné 
une  entreprise  sur  Sainct-Sébastien  et  tasché  à  subor- 
ner quelques  soldats  de  Font-Arabie*;  et  cela,  comme 
on  disoit,  pour  se  réconcilier  avec  le  roi  de  Navarre. 
Ces  choses  estans  es  ventées,  on  se  servit  de  la  voye 
frayée  entre  les  deux  nations  pour  faire  couler  un 
capitaine  espagnol,  nommé  Loto,  jusques  à  Nérac. 

1.  D'Aubigné  l'a  appelé  plus  haut  du  Puy,  s.  de  Beigne;  mais 
il  était  seigneur  du  château  que  d'Aubigné  nomme  Semans 
(Senac,  Gironde). 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  résolution.  Sa  misérable  mort 
sera  pour  une  autre  fois,  tant  à  cause  de  quelque  espace  de 
temps  que  pour  n'en  savoir  pas  encore  les  particularitez.  L'autre 
péril...  » 

3.  PhiUbert  de  Gramont,  comte  de  Guiche. 

4.  Saint- Sébastien  et  Fontarabie,  villes  espagnoles  près  de  la 
frontière  de  France. 


4584]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.   V.  183 

Là,  il  s'adressa  un  soir  à  Aubigné,  auquel,  ayant 
demandé  de  parler  en  secret,  il  commença  par  une 
harangue  de  compliments  sur  sa  réputation,  services 
notables,  expérience  en  choses  difficiles,  grand  cré- 
dit et  quelque  puissance  sur  son  maitre,  que  toutes 
ces  choses  l'avoyent  faict  adresser  à  lui  pour  lui  com- 
mettre un  des  plus  importants  affaires  de  l'Europe  ; 
c'estoit  enfin  la  prise  de  Font- Arabie  ^  Et,  pource  que 
les  moyens  en  estoyent  fort  estranges,  j'ai  pensé  les 
devoir  exposer  pour  faire  voir  à  quelle  dureté  les 
cœurs  estoyent  lors  parvenus.  Loto  disoit  donc  ainsi 
en  mauvais  homme  et  mauvais  François  :  «  Nous 
avons,  dans  le  chasteau  de  Font- Arabie,  quarante 
mortes-payes,  et  non  plus,  desquels,  avec  le  consen- 
tement de  mon  frère,  qui  y  commande,  je  tire  souvent 
jusques  à  vingt-cinq  des  meilleurs  et  n'y  en  laisse  que 
quinze  pour  aller  escumer  dans  la  rivière  de  Bour- 
deaux,  où  nous  avons  faict  d'assez  bons  butins,  soit 
sur  l'eau,  soit  en  descendant  à  terre,  selon  les  intelli- 
gences que  nous  avons  avec  un  capitaine  de  Brouage 
et  un  gentilhomme  d'auprès  de  Talmont^.  Et,  d'ail- 
leurs, pource  que  nous  ne  sommes  pas  chiches  de 
faire  périr  les  bateaux  et  les  personnes,  nous  n'avons 
esté  aucunement  descouverts.  Or,  croyant  que  le  roi, 
vostre  maistre,  n'a  rien  plus  à  cœur  que  de  donner 
Font-Arabie  pour  frontière  à  ses  terres,  je  me  suis 
advisé  de  lui  en  faire  un  présent,  moyennant  une 
bonne  récompense,  de  laquelle  je  demande  vostre  foi 
pour  pleige,  ayant  appris  que  vous  l'observez  de 

1.  Il  faut  placer  le  récit  de  ce  fait  avant  le  7  juillet  1580, 
date  de  l'investissement  de  la  Fère. 

2.  Brouage  (Charente-Inférieure).  —  Talmont-sur-Gironde. 


184  fflSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1584 

poinct  en  poinct.  La  manière  de  parvenir  à  fin  d'un 
tel  affaire  est  que  vous  fassiez  cacher  en  la  maison 
du  gentilhomme  voisin  de  Talmont-sur-Gironde,  que 
je  vous  nommerai  quand  il  sera  temps,  quelques  gens 
de  guerre,  et  parmi  ceux-là  vingt-cinq  ou  trente 
hommes  déterminez.  Mes  gens  s'attendront  que  je 
vueille  faire  là  ma  descente  comme  j'ai  accoustumé. 
Je  les  vous  mènerai  là  quatre  à  quatre,  car  nous  fai- 
sons ainsi  pour  nous  embusquer,  et  nous  les  poignar- 
derons au  prix  qu'ils  arriveront.  Cela  faict,  nous 
embarquerons  nostre  troupe  dans  la  patache  pour 
nous  en  venir  terrir  auprès  de  Bierris,  et  de  là  des- 
cendre en  une  conche  auprès  d'Andaye*  sur  la  soirée, 
pour  arriver  à  la  poterne  aux  heures  dictes.  Nous 
avons  un  mot  pour  la  faire  ouvrir  et  ainsi  nous  rendre 
maistres  de  tout  le  chasteau,  où  il  faudra  tout  tuer, 
et  surtout  mon  frère,  car,  s'il  gaignoit  avec  quelque 
soldat  un  coin  de  tour,  il  seroit  secouru  et  nous  per- 
dus. » 

Tels  propos  et  l'efiFroyable  mine  de  l'Espagnol,  qui 
avoit  l'œil  louche,  le  nez  troussé,  les  naseaux  ouverts 
et  le  front  enflé  en  rond  donnèrent  mauvais  goust  à 
l'auditeur.  Nonobstant,  il  ne  laissa  pas  de  l'envoyer 
loger  au  petit  Nérac  chez  un  homme  confident,  puis 
s'en  alla  trouver  le  roi  son  maistre,  lui  disant  :  «  Sire, 
voici  un  abrégé  de  nos  peines  (pource  qu'il  venoit  de 
nouveau  de  Sainct-Sébastien,  sur  les  erres  de  l'entre- 
prise de  Grammont),  pourveu  qu'il  plaise  à  Vostre 
Majesté  ouyr  un  homme  qui  m'est  venu  trouver  avec 
les  cautions  que  Frontenac,  à  qui  je  le  communique- 

i .  Biarritz  et  Hendaye  (Basses-Pyrénées),  arrondissement  de 
Bayonne. 


1584]  UVRE   DIXIÈME,    CHAP.    V.  185 

rai,  et  moi  vous  apporterons;  car,  s'il  y  eut  jamais 
un  assassin,  c'est  celui  qui  se  présente,  considéré  en 
toutes  ses  parties.  Si  cela  n'est  pas,  l'affaire  est  hor- 
rible entre  vos  ennemis  et  avantageuse  à  vous  et  aux 
vostres.  » 

Là-dessus,  il  lui  conta  le  brutal  dessein,  comme  nous 
vous  l'avons  déduit.  Mais  il  y  eut  bien  de  la  cholère 
entre  le  maistre  et  les  deux  escuyers  quand  ils  opi- 
niastrèrent  contre  lui  qu'il  ne  verroit  point  l'Espagnol, 
si  ce  n'estoit  à  leur  mode,  c'est  qu'on  faisoit  porter 
les  affaires  dans  une  petite  allée  desrobée  dans  l'es- 
pesseur  de  la  muraille  de  la  tour  du  chasteau  qui  tou- 
choit  à  la  chambre  du  roi  ;  cette  allée  si  estroicte  qu'il 
n'y  pouvoit  passer  qu'un  homme  à  la  fois.  Les  escuyers 
avec  chacun  un  poignard  au  poing  faisoyent  parler  le 
galand  par  dessus  leurs  Jambes  appuyées  à  la  muraille 
de  l'autre  costé,  et  eux  deux  à  bechevet*.  Encores 
contraignirent-ils  leur  maistre  d'avoir  une  espée  courte 
à  la  main,  ayant  vestu  un  pourpoint  maillé.  Ainsi  fut 
le  premier  abouchement,  duquel  ce  prince  n'estant 
pas  content,  il  falut  qu'il  vist  son  homme  le  lendemain 
en  la  plaine  de  Nazaret^,  lui  bien  monté,  l'autre  sur 
un  bidet,  l'espée  au  costé,  mais  tousjours  parlant  par 
dessus  les  crinières  de  deux  bons  courtaux  qu'avoyent 
entre  les  jambes  les  compagnons.  Ce  roi  entra  en 
grande  impatience  de  la  curatelle,  comme  il  disoit, 
où  ses  gens  le  tenoyent.  Et  de  quoi,  sans  Frontenac, 
l'autre  escuyer  vouloit  faire  emprisonner  et  gehenner 
l'Espagnol;  dont,  pour  manier  cette  affaire  plus  à  plai- 
sir, on  donna  à  Aubigné  un  voyage  pour  conduire  un 

1 .  Bechevet,  tête-bèche,  pieds  contre  tête  ou  réciproquement. 

2.  Nazareth,  sur  la  Losse  (Lot<-et*6aronne). 


186  raSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1584 

dessein  sur  Brouage.  Et  voici  ce  qui  advint  en  son 
absence. 

Par  l'entreprise  de  deffunct^  Gramont,  il  y  avoit 
quelques  soldats  corrompus  à  Sai net- Sébastien  et  à 
Font-Arabie.  Ceux-là  trouvans  à  dire  Loro,  et  ayans 
ouï  dire  à  un  confesseur  qu'il  lui  tardoit  bien  qu'il 
n'en  sçavoit  des  nouvelles,  envoyèrent  un  advertisse- 
ment,  dans  lequel,  en  despeignant  cet  homme,  ils  l'ap- 
peloyent,  et  non  sans  raison,  demi-géant.  Dès  que  ce 
rustre  fut  prisonnier,  contre  la  volonté  du  roi  de 
Navarre,  il  ne  fit  plus  que  hurler,  grincer  les  dents  et 
cercher  diverses  inventions  pour  se  faire  mourir.  Or, 
pource  que  c'estoit  un  estranger,  emprunté  par  les 
menées  de  quelque  prince  françois,  desquels  l'hon- 
neur estoit  à  conserver,  ou  bien  avec  lequel  il  n'estoit 
pas  temps  de  rompre,  mais  faloit  cacher  l'injure  pour 
ne  faire  pas  à  contre-temps  les  choses  ausquelles  elle 
obligeoit  en  paroissant,  on  fut  d'advis,  pour  parfaire 
ce  procès,  de  l'esloigner  à  Castel- Jaloux.  Il  arriva 
qu'en  passant  sur  le  pont  de  Barbaste^  le  désespéré 
se  jetta  la  teste  en  bas  dans  la  rivière,  précipice 
effroyable  à  ceux  qui  le  regarderont,  et  tomba  entre 
deux  rochers,  où,  par  grand  hazard,  il  se  trouva  de 
l'eau  assés  pour  soustenir  ce  collosse  et  le  garder 
d'estre  brizé,  n'y  ayant  guères  d'endroict  qui  eust 
peu  le  garentir  que  cettui-là.  On  court  de  tous  costez 
pour  le  reprendre  ;  à  quoi  il  y  eut  bien  de  la  peine, 

1.  Philibert  de  Gramont  eut  un  bras  emporté  d'un  coup  de 
canon,  au  siège  de  la  Fère,  à  la  fin  de  juillet  1580.  Il  mourut  de 
sa  blessure  dans  les  premiers  jours  d'août. 

2.  Barbaste  (Lot-et-Garonne),  au  confluent  de  la  Baïse  et  de 
la  Losse,  était  un  grand  moulin  à  eau,  qui  appartenait  au  roi  de 
Navarre. 


I 


4584]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   VI.  187 

pource  qu'il  cerchoit  tousjours  le  fonds  de  l'eau,  plon- 
geant opiniastrement  la  teste  en  bas  pour  se  noyer.  Il 
fut  donc  mené  à  Gastel-Jaloux,  et,  ayant  tout  confessé, 
exécuté  en  la, prison;  son  procès  esteinct  avec  lui.  De 
tant  d'accidents,  où  il  a  paru  au  roi  de  Navarre  que 
valent  les  serviteurs  amis,  il  a  esté  bon  que  cet  exemple 
se  soit  veu.  A  la  lecture  duquel  plusieurs  bons  Fran- 
çois accompagneront  d'un  souspir  ces  paroles  :  <  Ah! 
que  ce  prince  n'a-t-il  tousjours  esté  en  aussi  fidelles 
mains!  » 

Chapitre  VI^ 

Prise  du  Mont-de-Marsan;  mort  de  Monsieur 
et  de  Bussy. 

Pource  que  nous  avons  parlé  ci-dessus  du  Mont-de- 
Marsan,  il  faut  dire  comme  peu  de  temps  auparavant 
ce  prince  l'avoit  mis  entre  ses  mains  ^;  le  roi  lui  ayant 
tesmoigné,  par  le  duc  d'Épernon  et  autres,  qu'il  n'au- 
roit  point  à  contre-cœur  l'affermissement  de  son  beau- 
frère  et  les  choses  qu'il  pourroit  oster  du  chemin  de 
la  Ligue  en  s'en  accommodant. 

Les  refformez  eurent  advis,  ou  se  persuadèrent,  que 
l'évesque  de  Comminges^,  bastard  de  Lansac,  avoit 

1.  Les  chapitres  v  et  vi  ne  sont  point  divisés  dans  l'édition 
de  1618. 

2.  La  ville  de  Mont  -  de  -  Marsan ,  qui  appartenait  au  roi  de 
Navarre,  avait  été  prise  par  Poyanne,  capitaine  catholique,  le 
18  septembre  1580.  On  va  voir  comment  elle  fut  reprise  par  le 
roi  de  Navarre. 

3.  Urbain  de  Saint-Gelais ,  évêque  de  Gonuninges,  de  1580 
à  1613. 


f88  fflSTOiRE  UNIVERSELLE.  [1584 

entrepris  sur  quelques  places  d'Armagnac,  et  mesme 
devoit  faire  sa  teste  du  bailliage  de  Marsan  en  se  ren- 
dant maistre  du  lieu,  et  cela  avec  l'intelligence  de 
Pouyane^.  Le  roi  de  Navarre  délibéra  de  primer  et  se 
servir  en  cela  de  deux  de  la  ville,  qui  portoyent  le 
nom  de  Campet^,  à  lui  présentez  par  le  baron  de  Cas- 
telnau^.  Ce  prince  donc  vint  coucher  à  Sainct-Justin*, 
ayant  poussé  devant  ses  gardes  et  quelques  gentils- 
hommes de  sa  suitte. 

Le  Mont-de-Marsan  est  basti  à  la  rencontre  de  deux 
rivières  qui  lui  servent  de  fossé,  horsmis  par  la  teste 
du  chasteau.  Or,  pource  que  ses  rivières  sont  pro- 
fondes, les  murailles  de  ce  costé-là  ne  sont  que  de 
quinze  pieds  ;  c'est  pourquoi  la  délibération  fut  de 
faire  descendre  un  bateau  le  long  de  la  Douce  ^;  ce 
bateau  d'un  arbre  creusé,  pource  que  cette  rivière 
n'en  a  point  d'autres  ;  soit  dict  en  passant  que  le 
bateau  se  coulast  aux  pieds  de  la  tour  du  chasteau  en 
une  nuict  fort  noire.  La  sentinelle  cracha  sur  le  visage 
de  celui  qui  le  menoit.  Là-dedans  passèrent  soixante 


1.  Bertrand  de  Baylens,  seigneur  de  Poyanne,  gouverneur  de 
Dax,  capitaine  catholique,  plusieurs  fois  cité  dans  les  Lettres  de 
Henri  IV.  M.  l'abbé  de  Garsalade  du  Pont  a  publié  sur  ce  capi- 
taine une  savante  étude  (Revue  de  Gascogne,  1869). 

2.  Gaston  du  Lion,  baron  du  Gampet. 

3.  Le  baron  de  Gastelnau  de  Ghalosse,  gentilhomme  protes- 
tant, cité  dans  les  Lettres  de  Henri  IV,  plus  tard  sénéchal  du 
Béarn,  n'appartenait  pas  à  la  maison  de  Gastelnau -Mauvissière 
(Ibid,,  t.  I,  p.  274).  D  est  marqué,  dans  un  état  de  la  maison  du, 
roi  de  Navarre,  daté  de  janvier  1585,  comme  chambellan  de  ce 
prince  (Mémoires  et  correspondance  de  du  Plessis~Mornay,  édit. 
Auguis,  t.  m,  p.  237). 

4.  Saint-Justin  (Landes),  sur  la  Douze. 

5.  La  rivière  de  la  Douze  prend  sa  source  dans  le  Gers. 


1584]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    VI.  189 

hommes,  quatre  à  quatre,  couchez  de  leur  long  les 
uns  sur  les  autres  ;  ce  vaisseau,  horsrais  la  première 
fois,  tiré  et  retiré  avec  de  la  mèche.  Sur  la  fin  du  pas- 
sage des  soixante,  le  jour  se  lève  et  descouvrit  à  ceux 
qui  estoyent  passez  un  si  gros  et  si  espais  amas  de 
ronces  que  pas  un  d'eux  n'espéra  pouvoir  aller  à  la 
muraille.  Leur  estonnement  estant  communiqué  à  ceux 
qui  devoyent  s'embarquer,  nul  ne  voulut  plus  aug- 
menter la  troupe  misérable.  Ceux  qui  sçavoyent  nager 
se  despouillent  pour  repasser.  Tout  cela  à  la  veue  et 
à  quatre-vingt  pas  d'un  grand  portail  où  on  plantoit 
un  corps  de  garde.  Il  avoit  passé  des  premiers  un  des 
entrepreneurs  que  nous  avons  nommez,  qui  estoit  pro- 
cureur, et  avoit  fortuitement  porté  une  grand'dague. 
Gettui-ci,  voyant  qu'il  ne  pouvoit  attendre  d'une  pri- 
son que  la  corde,  empesche  de  se  jetter  en  l'eau  ceux 
qui  s'y  préparoyent,  se  jette  dans  les  ronces,  fait  un 
commencement  de  passage  avec  sa  dague,  employé 
les  mains  et  les  dents  à  arracher,  et  en  avoit  passé  la 
moitié  avant  qu'aucun  print  courage  de  lui  aider. 

Il  estoit  près  de  soleil  levant  que  le  silence  de 
dedans  faisoit  croire  à  tous  les  entrepreneurs  qu'on 
les  attendoit  sur  le  ventre.  Enfin,  ce  pauvre  procureur, 
n'en  pouvant  plus,  tourna  les  dents  et  les  mains  san- 
glantes vers  ses  compagnons,  leur  disant  :  «  Vaut-il 
pas  mieux  aller  mourir  là- dedans?  »  Sur  quoi,  un 
soldat  des  gardes  tira  son  espée  pour  combattre  les 
ronces.  Comme  la  troupe  vid  que  les  deux  tiers 
estoyent  passez,  ils  s'y  jettent  tous.  Il  arrive  la  plus 
furieuse  et  espesse  pluye  qui  se  soit  jamais  remarquée. 
Voilà  le  pied  de  la  muraille  gaigné,  deux  eschelles 
mises,  la  muraille  passée.  Le  procureur  crie  qu'on 


490  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1584 

n'oubliast  pas  quelques  haches  qui  estoyent  là.  Ils  se 
trouvent  tous  enfermez  dans  un  jardin,  ils  brisent  les 
portes  avec  beaucoup  de  bruit,  ils  arrivent  dans  la 
grand'rue,  chamaillent  les  portes  de  la  ville.  La  pluye 
s'arreste  et  le  soleil  se  lève  sur  leur  besongne.  Enfin, 
sans  qu'il  se  tirast  une  arquebuzade,  ils  ouvrent  toutes 
les  portes  et  donnent  entrée^  au  roi  de  Navarre,  qui 
y  estoit  accouru,  et  fit  faire  ses  logis  avec  aussi  peu 
de  désordre  que  s'il  fust  arrivé  à  Nérac,  sans  que  la 
garnison  eust  autre  chose  pour  couvrir  sa  honte  que 
l'orage  effroyable  qui  avoit  estonné  ceux  de  dedans. 
Quant  aux  autres,  il  faut  dire  que  la  nécessité  les  avoit 
endurcis^. 

Or,  toutes  les  entreprises  sur  les  frontières  d'Es- 
pagne et  dans  le  royaume,  notamment  sur  Brouage, 
pour  laquelle  ce  prince  ne  dormoit  point;  de  plus, 
une  négociation  avec  le  roi  d'Espagne,  de  laquelle 
nous  parlerons  à  la  liaison  des  affaires  ;  tout  cela 
tomba  de  la  teste  aux  pieds  quand  la  mort  de  Mon- 
sieur fut  apportée  à  Nérac. 

1.  Le  roi  de  Navarre  reprit  Mont-de-Marsan  le  22  novembre 
1583  (Lettres  de  Henri  IV,  1. 1,  p.  577  et  592).  De  Thou  se  trompe 
en  plaçant  cette  reprise  en  1581  (liv.  LXXII).  C'est  une  des 
rares  erreurs  de  ce  grand  historien.  II  est  vrai  que  le  coup  de 
main  heureux  du  roi  de  Navarre  avait  été  précédé  de  plusieurs 
tentatives.  Voyez  une  enquête  publiée  dans  la  Revue  de  Gas- 
cogne de  mai  1881. 

2.  On  conserve,  dans  le  volume  3357  du  fonds  français,  plu- 
sieurs documents  curieux  sur  la  prise  de  Mont-de-Marsan  :  une 
lettre  sans  signature,  en  date  du  26  novembre,  qui  raconte  le 
fait  d'armes  avec  des  détails  nouveaux  (f.  47)  ;  une  lettre  du 
maréchal  de  Matignon  à  la  reine,  du  27  novembre  (f.  50)  ;  une 
autre  lettre  sans  signature,  du  26  novembre  (f.  53)  ;  une  lettre  du 
roi  au  maréchal  de  Matignon,  en  date  du  30  novembre,  qui 
déplore  la  perte  de  la  ville  (f.  54). 


1584]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.  VI.  191 

Après  que  les  affaires  des  Tercières  furent  mal  ache- 
minées, que  le  désastre  d'Anvers*  eut  faict  perdre  à 
Monsieur  plusieurs  serviteurs^,  toute  créance  et  toute 
espérance  de  ses  desseins,  il  se  retira  à  Chasteau- 
Tierri^,  d'où  il  essayoit  encores  à  regagner  sa  place 
en  Brabant,  travaillant  surtout  par  la  simplicité  et 
douceur  du  prince  d'Oranges,  qui  vouloit  tousjours 
qu'on  oubliast  le  passé  et  qu'il  fust  rappelé.  Mais,  tout 
lui  succédant  à  contre-cœur,  l'ennuy  l'accabla,  si  bien 
qu'il  mourut  le  douziesme  de  juin*  mille  cinq  cent 
huictante  quatre.  Ce  prince  redoubloit  son  chagrin 
pour  se  voir  dehors  le  royaume  avoir  rendu  son  nom 
exécrable,  au  dedans  à  tous  les  réformez,  à  la  cour 
par  le  bruit  de  ses  vices.  Il  se  voyoit  toutes  les  dames 
ennemies^,  et,  quant  au  roi^,  il  estoit  ferme  à  en  croire 
la  haine  par  plusieurs  marques,  comme  par  la  mort 
de  son  espée  de  chevet,  Bussi',  de  qui  la  fin  fut  telle. 


4.  Le  duc  d'Anjou  avait  essayé  de  se  rendre  maître  d'Anvers 
le  17  janvier  1583.  Voyez  les  notes  du  chap.  xxii. 

2.  La  cavalerie  de  Mansfeld,  entre  autres,  abandonna  le  duc 
d'Anjou  pour  se  jeter  dans  le  parti  du  duc  de  Parme  (De  Thou, 
Uv.  LXXVII). 

3.  Le  duc  d'Anjou,  après  avoir  quitté  la  Flandre,  débarqua  à 
Calais,  avec  le  reste  de  ses  troupes,  le  28  juin  1583,  et  se  retira 
ensuite  à  Château-Thierry  sur  la  Marne  (De  Thou,  liv.  LXXVII). 

4.  Le  duc  d'Anjou  mourut  d'une  maladie  de  poitrine  à  Châ- 
teau-Thierry, le  10  juin  1584,  et  non  pas  le  12. 

5.  Le  duc  d'Anjou  passait  pour  avoir  les  mêmes  vices  qne 
Henri  III.  Voy.  le  Journal  de  L'Estoile  à  la  date  du  26  juin  1584. 

6.  Sully  dit  que  le  duc  d'Anjou,  t  estant  venu  voir  secrète- 
ment le  roy  à  Paris,  s'en  estoit  retourné  fort  malcontent  à  Châ- 
teau-Thierry »  {(Economies  royales,  liv.  I,  chap.  xvni).  L'Estoile 
place  cette  entrevue  au  11  février  1584.  Le  duc  retourna  le  21  à 
Château-Thierry . 

7.  Louis  de  Clermont  de  Bussy-d'Amboise,  fils  de  Jacques  de 


19SI  mSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1584 

Le  roi,  ayant  sçeu  qu'il  usoit  privément  de  la  femme 
du  comte  de  Monsoreau*,  envoya  quérir  le  mari,  lui 
fit  sentir  le  déshonneur  de  sa  maison  par  l'authorité 
d'un  puissant  tesmoin^.  Il  lui  promit  toutes  impunitez 
pour  la  vengeance^,  lui  donnant  pour  gage  la  femme 
de  Villequier'*,  qu'il  fit  tuer  par  son  mari  ^,  quoique 
ayant  joui  d'elle.  Monsoreau  donc  contrainct  sa  femme 
à  donner  rendez-vous^  à  Bussi,  qui  n'y  manqua  pas, 

Clermont-d'Amboise  et  de  Catherine  de  Beauvau,  favori  du  duc 
d'Anjou,  célèbre  par  ses  duels  et  ses  aventures  amoureuses  avec 
la  reine  Marguerite.  M.  André  Joubert  a  raconté,  d'après  des 
documents  nouveaux,  la  vie  et  la  mort  de  ce  célèbre  héros  de 
roman  :  Louis  de  Clermont,  s.  de  Bussy  d'Amboise,  in-8°,  1885. 

1.  Bussy-d'Amboise  appelait  Françoise  de  Maridort,  femme  du 
comte  de  Montsoreau,  «  la  bête  du  grand  veneur  »  (De  Thou, 
liv.  LXVIII).  Françoise  ne  fut  pas  assassinée  avec  Bussy, 
comme  on  l'écrit  quelquefois.  Elle  vécut  paisiblement  avec  son 
mari,  eut  plusieurs  enfants  de  lui  et  mourut  le  29  septembre  1620 
(A.  Joubert,  p.  200). 

2.  Charles  de  Chambes,  comte  de  Montsoreau,  chambellan  du 
duc  d'Anjou  et  grand  veneur  de  ce  prince.  Voyez  sur  ce  person- 
nage une  notice  détaillée  dans  l'ouvrage  de  M.  Joubert  (p.  197). 

3.  Le  roi  montra  au  comte  de  Montsoreau  des  lettres  qu'avait 
écrites  Bussy-d'Amboise  au  duc  d'Anjou,  et  dans  lesquelles  il  lui 
disait  qu'il  avait  tendu  des  pièges  à  la  femme  de  Montsoreau,  et 
qu'il  la  tenait  dans  ses  filets  (De  Thou,  liv.  LXVIII). 

4.  René  de  Villequier,  dit  le  jeune  et  le  gros,  était  gouverneur 
de  Paris  et  de  l'Ile-de-France. 

5.  Au  commencement  de  septembre  1577,  au  château  de  Poi- 
tiers, où  était  alors  Henri  III,  René  de  Villequier  poignarda  sa 
femme,  Françoise  de  la  Marck,  qui  était  enceinte.  La  facilité  avec 
laquelle  l'assassin  obtint  sa  grâce  fit  supposer  qu'il  avait  agi  avec 
le  consentement  du  roi.  Voy.  le  Journal  de  VEstoile,  édit.  Cham- 
polion,  p.  89. 

6.  La  comtesse  fut  obligée  par  son  mari  d'écrire  à  Bussy  pour 
lui  donner  rendez-vous  au  château  de  la  Goutancières  (Maine-et- 
Loire).  Mais  il  n'est  pas  absolument  certain  qu'elle  fût  coupable 
d'adultère.  M.  André  Joubert  a  étudié  la  question  (p.  188). 


4584]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   VI.  493 

accompagné  du  lieutenant  de  Saumur*.  Monsoreau 
lui  découple  quatorze  hommes  armez,  desquels  ce 
résolu  courage  en  blessa  deux,  se  deffendant  jusques 
à  la  mort.  Le  lieutenant  de  Saumur,  après  qu'on  lui 
eut  passé  la  langue  à  travers  la  gorge  pour  le  signaler 
en  maquereau,  fut  jette  dans  les  fossez.  Et  ainsi  mou- 
rut^ Bussi,  homme  sans  âme,  ayant  un  grand  esprit, 
tant  aux  choses  qu'aux  langues,  un  courage  desme- 
suré, mais  qu'il  employoit  plus  à  mordre  les  chiens 
de  sa  meute  que  sur  les  loups  ;  tellement  qu'un  bon 
capitaine  l'eust  désiré  chez  ses  ennemis^. 

Toutes  ces  choses  accablèrent  Monsieur*  jusqu'à  sa 
mort.  J'eusse  apposé  en  ce  lieu  un  tableau  publié  de 
ce  temps  pour  monstrer  la  haine  qu'il  avoit  acquise  ; 
mais  j'ai  eu  crainte  qu'on  m'eust  pris  pour  certifica- 
teur  des  énormitez.  Bien  pourrons-nous  dire  qu'il 
mourut  ayant  acquis,  horsmis  les  compagnons  ou  serfs 
de  ses  plaisirs,  autant  d'ennemis  que  de  cognoissans. 
On  fit  imprimer  la  description  de  son  ouverture  par 
les  médecins,  où,  entre  autres  choses,  on  fit  paroistre 
qu'il  estoit  mort,  le  sang  (comme  il  estoit  advenu  au 

4.  Claude  Colasseau,  s.  de  la  Frogerie,  avocat  puis  lieutenant 
criminel  de  Saumur,  fut  assassiné  avec  Bussy.  Il  subit  une  mort 
horrible.  Les  gens  du  comte  de  Montsoreau  l'étouffèrent  en  lui 
enfonçant  violemment  la  langue  dans  la  gorge.  Voyez  sa  généa- 
logie dans  André  Joubert,  p.  236. 

2.  Bussy  d'Amboise  fut  assassiné  le  19  août  1579. 

3.  On  peut  comparer  le  jugement  de  d'Aubigné  sur  Bussy 
d'Amboise  avec  celui  de  de  Thou  (liv.  LXVni),  celui  de  Bran- 
tôme (t.  V,  p.  361,  et  t.  VI,  p.  191)  et  celui  de  L'Estoile  (édit. 
ChampoUion,  p.  117). 

4.  De  Thou  (liv.  LXVIII)  rapporte  que  le' duc  d'Anjou  éprouva 
du  contentement  à  la  nouvelle  de  la  mort  de  Bussy  d'Amboise, 
qui  commençait  à  lui  être  à  charge. 

Vf*  13 


194  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

roi  Charles)  lui  jaillissant  par  tous  les  pores,  la  masse 
du  dedans  entièrement  corrompue  et  la  ratte  conver- 
tie en  pus^.  Quelques-uns  attribuoyent  aux  liguez  la 
curiosité  de  cette  impression.  Les  plus  modérez  vou- 
loyent  que  telles  marques  fussent  seulement  effects 
d'une  grande  mélancholie  sans  y  cercher  une  plus 
sinistre  interprétation. 

Chapitre  VU. 

Prise  des  armes  ^. 

A  tous  les  préparatifs  que  nous  avons  touchez  au 
chapitre  iii,  le  roi  n'eut  remède  que  de  mettre  la 
main  à  la  plume  et  non  à  l'espée,  et  escrire^  à  la 
noblesse,  au  roi  de  Navarre*  et  au  prince  de  Condé, 

1.  D'Aubigné  désigne  ici  le  Regret  funèbre  contenant  les  actions 
et  derniers  propos  de  Monseigneur,  fils  de  France,  frère  unique  du 
roy,  depuis  sa  maladie  jusqu'à  son  trépas,  par  frère  Jacques  Ber- 
son,  1584,  in-8",  pièce  très  rare  qui  a  été  réimprimée  dans  les 
Archives  curieuses  de  Gimber  et  Danjou,  t.  X,  p.  201.  Mais  il 
existe  une  autre  relation  de  la  mort  du  duc  d'Anjou  par  le  s.  de 
la  Fougère,  médecin  du  prince,  qui  n'a  été  imprimée  que  de  nos 
jours  (Annales  de  la  Société  hist.  et  archéol.  de  Château-Thierry, 
1887).  Une  copie  de  cette  pièce,  conservée  dans  le  vol.  3902, 
f.  283  du  fonds  français,  est  suivie  du  procès-verbal  de  l'autopsie 
du  prince,  rédigé  en  un  latin  bizarre  à  l'usage  des  médecins  du 
xvi«  siècle. 

2.  La  prise  des  armes  des  ligueurs  eut  lieu  en  mars  1585. 

3.  Il  s'agit  ici  d'une  Déclaration  du  roi  sur  les  nouveaux  troubles 
de  ce  royaume,  datée  de  Paris  et  d'avril  1585,  par  laquelle  le  roi 
désavouait  la  Ligue.  Cette  pièce,  publiée  d'abord  sous  forme  de 
feuille  volante,  a  été  réimprimée  par  Fontanon,  t.  IV,  p.  722,  et 
dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  63. 

4.  La  déclaration  officielle  dont  nous  avons  parlé  dans  la  note 


1585]  UVRE  DIXIÈME,   GHAP.   VH.  195 

que  lui  et  chascun  pouvoit  cognoistre  évidemment 
combien  faux  estoit  le  prétexte  des  liguez,  sous 
lequel  ils  entreprenoyent  sur  sa  personne  et  couronne, 
n'ayans  autre  but  que  de  s'agrandir  par  la  dissipation 
de  l'Estat.  A  quoi  il  demandoit  l'assistance  que  tous 
devoyent  à  la  royauté  et  chascun  à  soi-mesme.  Ces 
lettres  générales  furent  suivies  d'autres  plus  particu- 
lières aux  confrères  du  Sainct-Esprit^  et  aux  pénitents^, 
par  lesquelles  le  roi  notoit  l'ingratitude  et  impiété  de 
ceux  de  Guise,  tant  par  reproches  de  ses  bienfaicts 
que  par  des  contes  de  leurs  desbauches,  opposant  à 
cela  ses  grandes  dévotions,  desquelles  il  les  prenoit  à 
tesmoins. 

Les  associez  ne  se  soucièrent  guères  de  la  plume, 
se  contentèrent  seulement  de  faire  eschapper  quelques 
pasquins  et  livrets  sur  l'arrière  Vénus,  active  et  passive, 


précédente  avait  été  précédée  de  lettres  missives  contenant  un 
désaveu  formel  de  la  Ligue.  L'Histoire  du  Languedoc  (t.  V,  p.  402) 
parle  d'une  lettre  du  roi  écrite  dans  cet  objet,  que  le  roi  de 
Navarre  reçut  le  23  mars  1585,  et  en  publie  quelques  extraits. 

\.  La  confrérie  du  Saint-Esprit  avait  été  organisée  en  1567, 
en  Bourgogne,  contre  les  huguenots,  par  Gaspard  de  Saulx- 
Tavannes,  gouverneur  de  Bourgogne. 

2.  La  congrégation  des  pénitents  de  l'Annonciation  de  Notre- 
Dame  ou  confrères  de  la  mort  fut  établie  à  Paris  le  13  mars 
1583.  Voyez  le  tome  précédent,  p.  343.  Les  règlements,  datés  du 
20  mars,  ont  été  réimprimés  dans  les  Archives  curieuses  de  Gim- 
ber  et  Danjou,  t.  X,  p.  435.  Le  25  mars,  le  roi  célébra  la  pre- 
mière procession  de  la  nouvelle  confrérie  avec  ses  mignons  et 
ses  courtisans.  Le  Journal  de  L'Estoile,  à  la  date  de  mars  1583, 
raconte  sur  un  ton  railleur  cette  étrange  cérémonie.  Les  statuts 
furent  publiés  deux  ans  plus  tard  et  portent  seulement  la  date 
du  10  mai  1585.  Ils  ont  été  réimprimés  dans  les  Mémoires  de  Cas- 
telnau,  t.  III,  p.  48. 


196  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

qui  s'exerçoitau  cabinet,  particulièrement^  par  le  livre 
intitulé  le  Catholique  anglais^;  resveillans  tous  les 
noms  odieux  que  les  gens  de  bien  lisent  à  regret  dans 
les  histoires  romaines;  et,  notamment,  attaquent  un 
des  mignons  de  quelques  chancres  et  maladies  véné- 
riennes^, gaignées  par  le  derrière,  traictées  et  enfin 
guéries  par  le  médecin  Miron*,  qui,  estant  mal  con- 
tent, donnoit  tels  advertissements. 


1.  Ce  membre  de  phrase,  jusqu'à  ces  mots  réveillans  tous  les 
noms...,  manque  à  l'édition  de  1618. 

2.  Avertissement  des  catholiques  anglais  aux  François  catholiques 
du  danger  où,  ils  sont  de  perdre  leur  religion...,  1586,  in-8°,  attri- 
bué justement  par  les  Mémoires  de  la  Ligue  à  Louis  d'Orléans, 
célèbre  avocat  ligueur  (t.  V,  p.  642).  Ce  pamphlet  a  été  réim- 
primé parmi  les  pièces  justificatives  de  la  Satyre  Ménippée  (1709, 
in-8°,  t.  I,  p.  101)  et  dans  les  Archives  curieuses  de  Giraber  et 
Danjou  (t.  XI,  p.  111).  Du  Plessis-Mornay  y  répondit  vigoureuse- 
ment par  la  Lettre  d'un  gentilhomme  catholique  français...  [Mémoires 
de  la  Ligue,  t.  I,  p.  415,  et  Archives  curieuses,  t.  XI,  p.  203).  Ces 
deux  pamphlets,  justement  célèbres,  furent  le  point  de  départ  de 
nombreuses  réponses,  répliques,  lettres,  missives,  etc.,  qui  sont 
énumérées  par  le  Père  Lelong  (t.  II,  n»  18536  et  suiv.).  L'une  de 
ces  réponses,  faite  au  nom  du  roi  de  Navarre  et  publiée  à  Bor- 
deaux en  1586,  mériterait  d'être  sauvée  de  l'oubli.  Elle  a  été 
réimprimée  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  340. 

3.  D'Aubigné  désigne  ici  le  duc  d'Épernon,  qui,  au  commen- 
cement de  mai  1585,  se  retira  à  Saint- Germain  «  pour  se  faire 
panser  d'un  mal  de  gorge  chancreux  qu'il  avoit  »  [Journal  de 
L'Estoile,  sous  la  date  du  7  mai  1585). 

4.  Charles  Miron,  fils  de  Marc  Miron,  premier  médecin  de 
Henri  III,  mort  le  6  août  1628,  l'auteur  de  ce  célèbre  discours 
sur  la  Saint-Barthélémy,  imprimé  dans  les  Mémoires  d'estat  de 
Villeroy,  dont  l'authenticité  a  été  si  vivement  contestée.  Bel- 
lièvre  écrit  à  la  reine,  le  2  mai  1585,  que  Miron  lui  a  parlé  de 
l'extrême  fatigue  et  des  douleurs  du  roi  (f.  fr.,  vol.  15891,  f.  399). 
L'importance  que  Miron  avait  auprès  du  roi  lui  donnait  une  sorte 
d'influence,  et  nous  voyons  que  les  seigneurs  avisés,  notamment 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   VH.  197 

Mais  ils  eurent  plus  à  cœur  de  mettre  le  fer  en 
besongne,  premièrement  en  Picardie,  où  ils  se  saisirent 
sans  peine  et  sans  combat  de  toutes  les  villes  ;  et  n'en 
resta  guères  que  Boulongne*,  que  Saincte-Marie  refusa 
au  duc  d'Aumale,  venant  de  prendre  Dourlans^. 

On  oit  de  mesme  temps  la  prise  des  meilleures  villes 
de  France^,  d'entre  lesquelles  Marseille '^  se  libéra, 
car,  ayant  esté  prise  par  la  menée  du  second  consul, 
nommé  ^  Dariès^,  le  peuple,  las  de  crier  :  «  Vive  la 
Ligue,  »  eut  honte  de  soi-même  et  se  r'avisa,  si  bien 
que  de  mesme  violence  ils  crièrent  :  «  Vive  le  roi'''  !  » 

du  Plessis-Mornay,  le  prenaient  quelquefois  comme  intermé- 
diaire (Mémoires  et  corresp.  de  du  Plessis-Mornay,  t.  Il,  p.  579). 

1.  Une  lettre  du  s.  d'Estrées  au  roi,  en  date  du  7  juillet  1585, 
parle  de  l'entreprise  du  duc  d'Aumale  sur  Boulogne,  et  demande 
au  roi  les  moyens  de  fortifier  la  ville  pour  la  mettre  à  l'abri  de 
tout  retour  offensif  (Orig.,  Vc  de  Golbert,  vol.  9,  f.  280). 

2.  Doullens  (Somme).  Plusieurs  lettres  de  d'Estrées,  du  s.  de 
Huguesville  et  de  Bonivet  de  Crèvecœur,  écrites  dans  les  pre- 
miers mois  de  1585,  racontent  la  campagne  du  duc  d'Aumale  en 
Picardie  (Vo  de  Golbert,  vol.  9). 

3.  Le  21  mars  1585,  le  duc  de  Guise  s'était  emparé  de  Ghâlons- 
sur-Marne.  Mézières,  Dijon,  Aussonne  furent  pris  avant  le  7  avril. 

4.  Louis  de  Gonzague,  duc  de  Nevers,  partisan  intermittent  de 
la  Ligue,  surprit  la  ville  de  Marseille  dans  la  nuit  du  8  au  9  avril 
1585;  mais  la  ville  fut  reprise  et  sauvée  par  un  bourgeois  nommé 
Bouquier.  Sur  la  prise  de  Marseille,  voyez  de  Thou  (liv.  LXXXI) 
et  surtout  un  récit  du  temps,  qui  lui  a  servi  de  guide  et  qui  a 
été  réimprimé  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  73,  dans  le 
Recueil  AZ^  lettre  H,  p.  96,  et  un  recueil  de  lettres  du  temps 
publié  dans  les  Archives  curieuses  de  Gimber  et  Danjou,  t.  XI, 
p.  29  et  suiv. 

5.  L'édition  de  1618  le  nomme  d'Acas. 

6.  Louis  de  la  Motte-Dariez  et  le  capitaine  Claude  Boniface 
étaient  à  la  tête  de  la  conjuration. 

7.  Le  14  avril  1585  fut  faite  une  procession  d'actions  de  grâces, 
pendant  laquelle  le  peuple  cria  :  a  Vive  le  roi  !  » 


198  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

et  firent  pendre  leur  consul*;  cela  au  commencement 
d'avril. 

A  la  fin  du  mesme  mois  fut  chassé  de  Lyon  Le  Pas- 
sage ^  que  le  duc  d'Épernon  y  avoit  faict  mettre^.  Ce 
capitaine,  se  voulant  deffendre,  eut  pour  response  de 
ses  soldats  qu'ils  ne  vouloyent  pas  estre  damnés  pour 
un  fauteur  d'hérétiques  comme  le  roi;  et,  quant  à 
leurs  serments,  que  les  Pères  Jésuites  les  en  avoyent 
dispensez. 

On  ne  voyoit  venir  à  la  cour  que  courriers  qui 
apportoyent  prises  de  places  sans  combat,  et  par 
moyens  si  honteux  que  l'histoire  se  dispense  de  les 
conter.  Car  tous  les  stratagèmes  qui  y  furent  employez 
reviennent  à  deux  poincts  :  asçavoir  les  sommes  d'ar- 
gent promises  ou  contées,  ou  bien  aux  déclamations 
des  prescheurs  en  public  et  en  secret  pour  esmouvoir 
le  peuple  aux  agréables  prétextes  de  leur  parti  nou- 
veau. 

La  Picardie  et  la  Champagne*  furent  incontinent 
pleines  de  régiments  de  pied  et  compagnies  de  caval- 

1.  Le  13  avril  1585,  on  instruisit  le  procès  de  Louis  Dariez  et 
du  capitaine  Claude  Boniface,  qui  furent  condamnés  à  mort 
(Lettre  de  Henri  III  au  s.  de  Dinteville,  en  date  du  26  avril  1585; 
orig.,  coll.  Dupuy,  vol.  590,  f.  37). 

2.  Aymar  de  Poisieu,  s.  du  Passage  et  de  Saint-Georges  d'Es- 
péranche,  colonel  des  légionnaires  du  Dauphiné  en  1574,  gou- 
verneur de  la  citadelle  de  Lyon  en  1584,  puis  lieutenant  général 
au  gouvernement  de  Saluces  (Mémoires  de  Piémond). 

3.  Le  s.  du  Passage  fut  chassé  de  la  citadelle  de  Lyon  par 
Mandelot,  au  moyen  d'un  stratagème,  le  2  mai  d'après  l'annota- 
teur des  Mémoires  de  Piémond,  le  3  d'après  le  texte  des  Mémoires 
(p.  159),  le  5  d'après  de  Thou  (liv.  LXXXI). 

4.  Après  la  prise  de  Toul  et  de  Verdun,  le  duc  de  Guise  fit 
passer  ses  troupes  en  Champagne  et  établit  son  quartier  à  Châ- 
lons  à  la  fin  de  mai  1585  (De  Thou,  Uv.  LXXXI). 


1585]  UVRE  DIXIÈME,   CHAP.   VD.  199 

lerie,  qui  s'avançoyent  de  rendez-vous  à  rendez-vous 
tousjours  vers  Paris*. 

Le  voisinage  de  ces  gens -là  fit  bien  tard  et  bien 
froidement  armer  le  roi,  tant  à  cause  de  la  timidité 
qui  l'a  voit  saisi,  craignant  mesme  par  ses  armes  d'ir- 
riter d'avantage  ses  ennemis,  comme  aussi  pource 
qu'il  lui  estoit  fort  difficile  de  choisir  le  fidelle  d'avec 
l'infidelle  ;  tous  les  mal  contents  ne  cerchans  qu'occa- 
sion de  se  venger,  et  plusieurs  lui  faisans  lors  de 
grandes  demandes  pour,  avec  plus  de  couleur,  aller 
trouver 2  le  duc  de  Guise,  qui  leur  sembloit  vouloir 
partager  le  royaume  en  le  conquérant. 

Les  refformez  furent  les  premiers  qui  eurent  le  cul 
sur  la  selle  en  Poictou,  en  Daulphiné  et  en  Languedoc. 
Ceux  qui  estoyent  les  plus  près  des  princes  regar- 
doyent  leurs  contenances.  Les  Poictevins  sollicitèrent 
François^,  duc  de  Montpensier  par  la  mort  de  Louys*. 

1.  Le  duc  de  Guise  arriva  près  de  Paris  avec  une  armée  de 
12,000  hommes  afin  d'effrayer  le  roi  et  la  -reine  mère  et  de  leur 
imposer  son  alliance  (De  Thou,  liv.  LXXXI).  Le  2  avril  1585, 
dit  le  Journal  de  VEstoile,  le  prévôt  des  marchands  avait  com- 
mencé de  faire  fortifier  la  ville. 

2.  Les  seigneurs  catholiques,  tous  plus  ou  moins  attachés  à  la 
Ligue,  adressèrent  au  roi,  le  9  juin  1585,  une  requête  impérieuse 
pour  l'obliger,  en  protestant  de  leur  fidélité,  à  faire  la  guerre  aux 
réformés.  Cette  requête  est  imprimée  dans  les  Mémoires  de  la 
Ligue,  t.  I,  p.  167.  Le  roi  se  crut  obligé  de  traiter  avec  le  duc  de 
Guise.  Catherine  avait  passé  le  printemps  à  négocier  avec  le  chef 
de  la  Ligue  à  Épernay,  à  Chàlons,  et  plus  tard  à  Nemours.  On 
conserve  dans  le  f.  fr.,  vol.  3368,  3369,  3370  et  3371,  un  gros 
recueil  de  pièces  sur  ces  négociations. 

3.  François  de  Bourbon,  duc  de  Montpensier,  dauphin  d'Au- 
vergne, fils  de  Louis  de  Bourbon  et  de  Jacqueline  de  Jjongwy. 

4.  Louis  de  Bourbon,  duc  de  Montpensier,  né  le  10  juin  1513, 
mort  le  22  septembre  1582. 


200  fflSTOiRE   UNIVERSELLE.  [1585 

Il  fut  longtemps  sans  se  confier  en  leurs  conseils, 
retenu  par  les  moines,  qui  déclamoyent  contre  le  roi 
et  lui  disoyent  que  les  huguenots,  tremblans  pour  leur 
ruine,  qu'ils  voyoient  seure  et  certaine,  vouloyent  tirer 
la  chastaigne  du  feu  avec  la  patte  du  lévrier.  Il  estoit 
d'ailleurs  aisé  de  mener  ce  prince  au  soupçon  de  ceux 
qu'il  hayssoit.  Lacholère  desnoua  ce  neud,  car,  comme 
il  eut  fait  quelque  amas*,  il  eut  nouvelles  que  Drou^ 
amenoit  les  troupes  qu'il  a  voit  amassées  en  Berri  pour 
manger  le  Poictou.  Quelques  gentilshommes  de  Chas- 
telleraudois ^  incertains  de  parti,  mais  désirans  de 
deflfendre  leurs  poules,  allèrent  voir  Drou  et,  après 
quelques  honnestetez,  lui  voulurent  faire  peur  du  duc 
de  Montpensier.  Il  leur  respondit  qu'il  le  tenoit  pour 
une  charrette.  La  Boulaye,  ayant  sçeu  cela,  alla  faire 
sentir  ceste  injure  au  duc  et  en  mesme  temps  lui  pré- 
sente quatre-vingts  gentilshommes  et  deux  fois  autant 
d'arquebuziers,  ne  demandant  autre  assistance  que  de 
la  veue  et  authorité  du  duc.  Et  ainsi,  ayant  tant  faict 
que  de  le  mettre  à  cheval  et  sceu  que  Drou  avoit 
quatre  compagnies  qui  commençoyent  à  se  former 

1.  Le  duc  de  Montpensier  enrôla  toute  la  jeunesse  protestante 
de  Loudun,  Thouars,  Fontenay  et  autres  villes  voisines,  et  arriva 
à  Poitiers,  comme  lieutenant  de  roi,  dès  la  fin  de  mai  1585 
(Journal  de  Michel  Le  Riche,  1846,  p.  401). 

2.  Pierre  de  Ghamborant,  seigneur  de  Droux,  avait  été  capi- 
taine des  Suisses  de  François  de  Valois,  duc  d'Anjou,  et  son 
chambellan.  Il  avait  embrassé  le  parti  de  la  Ligue. 

3.  Le  voyage  du  duc  de  Montpensier  en  Poitou  n'avait  pas  seu- 
lement pour  but  l'exercice  de  la  charge  de  lieutenant  de  roi.  Le 
26  novembre  1583,  le  duc  avait  acheté  au  roi  la  terre  et  la  sei- 
gneurie de  Ghâtelleraut.  Après  diverses  formalités,  malgré  l'op- 
position du  Parlement,  le  duc  en  prit  possession  au  mois  d'avril 
1585  (Lalanne,  Hist.  de  Ghâtelleraut,  t.  U,  p.  52). 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   Vm.  201 

dans  Attigni*,  La  Boulaye  s'y  en  va  et,  pour  porter 
lui-mesme  de  ses  nouvelles,  arrive  au  trot  et  au  galop, 
donne  dans  le  bourg,  gens  d'armes  et  arquebuziers 
meslez  ensemble;  et  cela  lui  succéda  mieux  que  si,  en 
prenant  ordre,  il  eust  donné  loisir  aux  compagnies  de 
s'accommoder  dans  le  temple  et  en  quelques  maisons 
prochaines.  Geste  petite  deSaicte-  resveilla  le  pays, 
reschauffa  ce  prince,  engagea  et  mit  hors  le  chois  du 
parti  plusieurs  qui  en  délibéroyent,  et  apprit  aux  catho- 
liques et  refformez  à  s'unir  et  combattre  ensemble  ;  ce 
qui  ne  fut  pas  de  petit  moment^. 

Chapitre  VIII. 
De  ce  que  fit  le  roi  de  Navarre. 
De  ce  bransle,  le  roi  de  Navarre  mit  aussi  de  son 

1.  Antigny  (Vienne).  Ce  combat  est  plus  connu  sous  le  nom 
de  combat  de  Ghauvigny.  Il  eut  lieu,  dit  avec  plus  de  précision 
une  lettre  du  duc  de  Montpensier,  au  passage  de  la  petite  rivière 
de  Gardampé,  près  Saint-Servin  (Lettre  orig.  au  roi,  du  14  juin 
1585  ;  Vc  de  Golbert,  vol.  9,  f.  256). 

2.  Le  s.  de  Droux,  après  la  défaite  de  Ghauvigny,  rejoignit 
péniblement  le  duc  de  Mercœur  (Lettre  de  Boisseguin  à  Bois- 
guérin,  du  16  juin  1585;  Arch.  hist.  du  Poitou,  1883,  t.  XIV, 
p.  215). 

3.  D'Aubigné  s'est  trompé  sur  le  nom  du  capitaine  qui  livra 
bataille  au  s.  de  Droux.  Ce  ne  fut  pas  La  Boulaye  (Philippe 
Eschalard,  s.  de  la  Boulaye),  mais  Louis  de  Chasteigner,  sei- 
gneur d'Abain  et  de  la  Roche- Posay,  plus  tard  lieutenant  géné- 
ral au  gouvernement  de  la  Marche.  L'erreur  de  d'Aubigné  est 
d'autant  plus  surprenante  qu'il  était  en  Poitou  à  cette  date,  et 
notamment  à  Saint-Maixent  le  9  mai  1585  (Journal  de  Le  Riche, 
p.  403).  Mais  l'erreur  n'en  est  pas  moins  certaine.  Michel  Le  Riche 
parle  du  combat  Uvré  entre  La  Roche-Posay  et  le  s.  de  Dreux, 


202  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

costé  la  main  à  la  plume,  envoyé  sa  déclaration  au 
roi*,  faicte  à  Bergerac  le  diziesme  juin,  l'adresse  à 
tous  princes,  toutes  cours  et  compagnies  royales,  tous 
gentilshommes  et  autres  amateurs  de  la  couronne  de 
France^.  Il  commence  par  la  confession  de  sa  religion, 
maintient  qu'il  ne  peut  estre  hérétique,  estant  tous- 
jours  préparé  à  l'instruction  par  bons  et  notables 
moyens;  qu'il  n'a  pas  choisi  sa  religion,  puisqu'il  y 
est  né  et  nourri,  le  schisme  estant  commencé;  que 
chascun  sçait  comment  il  se  rengea  à  la  messe  lors  de 
la  sainct  Barthélemi,  l'aage,  la  force,  la  crainte  et 
l'horreur  ayant  rendu  sa  volonté  sans  vouloir  ;  qu'il  se 
soubmet  à  un  concile  bien  hbre,  non  pas  aux  voyes 
par  lesquelles  on  a  pensé  à  le  destruire  au  lieu  de 
l'instruire,  à  le  ruiner  et  non  le  réunir;  qu'en  toutes 
les  guerres  il  n'a  eu  autre  respect  que  celui  de  Dieu 
et  le  service  du  roi  ;  qu'aussitôt  que  Sa  Majesté  eut 
accordé  par  ses  édicts  la  liberté  des  consciences,  il 
avoit  posé  les  armes,  contremandé  ses  troupes  et  les 
forces  estrangères  de  ses  amis  et  confœdérez;  qu'il 
n'est  point  ennemi  des  catholiques,  les  maintient  en 
Béarn  et  en  Navarre  en  la  liberté  que  la  roine  sa  mère 
les  avoit  laissez,  et  commet  tous  les  jours  sa  vie,  son 


et  en  fixe  la  date  au  10  ou  11  juin  1585  (p.  406).  Il  y  est  aussi 
fait  allusion  dans  la  correspondance  de  Boisguérin  (Arch.  hist.  du 
Poitou,  t.  XV,  p.  215).  Voyez  aussi  les  notes  précédentes. 

1.  Le  manifeste  du  roi  de  Navarre  fut  présenté  au  roi,  le 
28  juin  1585,  par  le  s.  de  Glervant,  conseiller  du  roi  de  Navarre, 
et  par  le  s.  de  Ghassincourt,  gentilhomme  de  sa  chambre  {Jour- 
nal de  L'Estoile). 

2.  Le  manifeste  du  roi  de  Navarre,  qui  contient  40  articles,  est 
imprimé  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  120,  et  dans  les 
Mémoires  de  du  Plessis-Mornay,  t.  III,  p.  89. 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    VUI.  203 

honneur  et  afifaires  principaux  entre  leurs  mains, 
comme  ayans  les  principales  charges  de  sa  maison; 
que  le  concordat  de  Magdebourg*,  contre  lequel  les 
prescheurs  de  la  Ligue  se  font  ouyr  en  leurs  chaires, 
seroit  mieux  séant  en  un  banc  de  charlatans,  estant 
ceste  assemblée  nulle,  fausse,  et  qui  ne  s'est  tenue 
aucunement,  mesmement  l'électeur  palatin^  et  le  prince 
d'Orange,  desquels  ils  couchent  en  leurs  escrits,  estans 
morts  auparavant,  l'un  à  Heidelberg^  et  l'autre  à  Delf* 
assassiné  par  Girard^.  Quant  aux  places  non  rendues, 
que  les  attentats  contre  l'édict  en  avoyent  empesché 
la  reddition  sous  la  bonne  permission  du  roi.  Que,  si 
la  Ligue  vouloit  mettre  promptement  les  armes  bas, 
elles  seroyent  restablies  promptement;  quant  à  la 

1.  Le  concordat  de  Magdebourg  est  un  prétendu  accord  entre 
le  roi  de  France,  la  reine  d'Angleterre,  les  princes  protestants 
d'Allemagne,  le  roi  de  Navarre  et  le  prince  de  Gondé  pour  l'écra- 
sement du  parti  catholique.  C'est  une  pièce  fausse,  inventée  par 
la  Ligue  pour  rendre  les  rois  de  France  et  de  Navarre  odieux  aux 
catholiques.  Elle  est  datée  du  14  décembre  1584  d'après  la  décla- 
ration du  roi  de  Navarre  que  nous  venons  de  citer  {Mémoires  de 
la  Ligue,  t.  I,  p.  135),  du  15  d'après  deux  copies  manuscrites 
conservées  à  la  Bibliothèque  nationale  (coll.  Dupuy,  vol.  844, 
f.  362,  et  f.  fr,,  vol.  3316,  f.  15),  du  16  d'après  une  version  impri- 
mée dans  les  Archives  curieuses  de  Cimber  et  Danjou,  t.  XI,  f,  1. 
Certaines  versions  représentent  ce  concordat  comme  signé  à 
Magdebourg,  d'autres  à  Mildebourg.  —  Plusieurs  historiens  ont 
pris  cette  pièce  au  sérieux  et  l'ont  analysée  comme  un  document 
indiscutable. 

2.  Louis  V,  dit  le  Facile,  duc  de  Bavière,  électeur  et  comte 
palatin  du  Rhin. 

3.  Le  comte  palatin  était  mort  à  Heidelberg  le  12  octobre  1583. 

4.  Le  prince  d'Orange  avait  été  assassiné  à  Delft  le  10  juil- 
let 1584. 

5.  Balthazar  Gérard,  né  en  Franche  -  Comté ,  émissaire  des 
Espagnols. 


204  HiSTOmE   UNIVERSELLE.  [1585 

déclaration  de  son  incapacité  à  la  couronne,  c'est  une 
chose  bien  sensible  à  laquelle  il  a  pensé  le  moins,  espé- 
rant que  Dieu  donnera  longue  vie  et  heureuse  lignée 
au  roi,  au  grand  regret  de  ceux  qui  jugent  de  lui  et 
de  la  roine  en  la  fleur  de  leurs  ans  comme  s'ils  estoyent 
stériles,  et  bastissent  tant  de  desseins  sur  leur  tom- 
beau. Et,  pource  qu'en  leur  déclaration  ils  avoyent 
taxé  le  roi  de  Navarre  comme  désireux  de  la  mort  du 
roi  et  perturbateur  de  l'Estat,  ledit  sieur  roi  dit  qu'ils 
ont  faussement  et  malicieusement  menti,  s'offre  à  des- 
mesler  ceste  querelle  de  sa  personne  à  celle  du  duc 
de  Guise*,  ou  de  deux,  ou  de  dix  à  dix,  avec  armes 
accoustumées  entre  chevaliers,  afin  que  la  noblesse 
françoise  demeure  en  paix  et  que  le  peuple  n'en  souffre 
plus  longuement.  Cela^  despesché  et  porté  courageu- 
sement par  un  gentilhomme  nommé  Sérignac^. 

Voilà  toute  la  France  en  armes,  les  refformez  spec- 
tateurs de  deux  partis  dans  le  parti  de  leurs  ennemis, 
et  eux-mesmes  agitez  de  deux  opinions  contraires  qui 
my-partissoyent  les  esprits  de  leurs  chefs.  On  leur 
mandoit  de  la  cour  que  ce  seroit  une  grande  prudence 
à  eux  de  ne  s'esmouvoir  point  dans  l'émotion  des 
autres  ;  que  demeurans  paisibles  ils  condamnoyent  les 
armes  de  la  Ligue  ;  que  ce  seroit  un  brave  traict  s'ils 

1 .  La  déclaration  du  roi  de  Navarre  jetait  un  défi  au  duc  de 
Guise  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  147).  Le  duc  de  Guise  n'ac- 
cepta point  le  duel,  donnant  pour  prétexte  qu'il  soutenait  la 
cause  de  la  religion  et  non  une  querelle  particulière  {Lettres  de 
Henri  IV.  t.  II,  p.  96,  note). 

2.  La  fin  de  l'alinéa  manque  à  l'édition  de  1618. 

3.  François  de  Faudoas,  seigneur  de  Sérillac.  D'Aubigné  se 
trompe.  Ce  furent  les  s,  de  Clervaut  et  de  Chassincourt  qui  por- 
tèrent au  roi  la  déclaration  du  Béarnais.  Voyez  note  1,  page  202. 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    VIII.  205 

faisoyeot  couler  leurs  gens  de  guerre  dans  les  troupes 
du  roi  ;  et  plustost  s'ils  faisoyent  prendre  le  nom  des 
compagnies  à  des  catholiques,  bien  que  leurs  inférieurs, 
spécialement  à  ceux  qui  avoyent  suivi  leur  parti  ;  que 
dedans  ces  compagnies  se  cacheroyent  plusieurs 
hommes  de  bonne  maison  qui  ne  laisseroyent  pas  de 
fraper  en  capitaines,  bien  qu'ils  ne  fussent  que  soldats; 
qu'ils  verroyent  le  catholique  ruiné  par  le  catho- 
lique et  que  l'on  ne  pourroit  les  accuser  d'ambition 
quand  aucune  compagnie  ne  porteroit  le  nom  d'un 
réformé. 

Geste  nouveauté  se  rendit  agréable  à  plusieurs, 
principalement  aux  ministres  et  gens  du  conseil,  et, 
comme  elle  passoit  de  paradoxe  en  délibération,  le 
roi  de  Navarre,  qui,  finissant  l'assemblée  de  Montau- 
ban*,  a  voit  demandé  un  nouvel  emploi  de  députez  par 
toutes  les  provinces,  les  receut  en  ce  temps-là  et  donna 
rendez-vous  à  Cuistres^,  près  Goutras,  à  tous  les  chefs 
du  parti.  Tous  s'estans  rendus  en  ce  lieu,  l'assemblée 

1.  Le  roi  de  Navarre  avait  convoqué  l'assemblée  ou  synode  de 
Montauban  pour  le  20  mars  1584,  avec  l'approbation  du  roi 
(Lettres  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  605).  La  réunion  eut  lieu  et  siégea 
longuement,  traitant  toute  sorte  de  sujets  malgré  l'opposition  de 
Pomponne  de  Bellièvre  (Protest,  de  Bellièvre,  d'août  1584  ;  coll. 
Brienne,  vol.  214,  f.  112).  A  la  suite  de  ses  délibérations,  l'as- 
semblée rédigea,  en  date  du  7  septembre  1584,  des  remontrances 
qui  sont  imprimées  dans  Mémoires  et  correspondance  de  du  Plessis- 
Mornay,  t.  II,  p.  606,  et  que  le  roi  de  Navarre  envoya  au  roi  par 
les  s.  de  Laval,  du  Plessis,  Constant  et  Ghassincourt  (Lettre  de 
Henri  III  au  roi  de  Navarre,  du  11  décembre  1584  ;  f.  fr.,  vol.  3306, 
f.  54).  L'assemblée  de  Montauban,  avant  de  se  séparer,  arrêta  un 
Règlement  et  forme  d'intelligence  entre  les  églises  réformées  et  le  roi 
de  Navarre,  pièce  très  importante  qui  est  conservée  en  copie  du 
temps  dans  le  vol.  4047,  f.  202,  du  fonds  français. 

2.  Guitres  (Gironde),  sur  la  Dronne. 


206  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

fut  convoquée  un  matin  ^  en  une  grand'salle  du  prieuré 
où  furent  commandez  d'assister  quelques  maistres  de 
camp;  si  bien  que  cet  amas  estoit  de  soixante  testes. 
Le  roi  de  Navarre,  après  la  prière,  fit  la  proposition 
en  ces  termes^  : 

«  Si  j'eusse  creu,  mes  amis,  que  les  affaires  qui  se 
présentent  n'en  eussent  voulu  qu'à  ma  teste,  que  la 
ruine  de  mon  bien,  la  diminution  de  mes  intérests  et 
de  tout  ce  qui  m'est  de  plus  cher,  hors  l'honneur,  vous 
eust  apporté  tranquillité  et  seureté,  vous  n'eussiez 
point  eu  de  mes  nouvelles,  et,  avec  l' ad  vis  et  assistance 
de  mes  serviteurs  particuliers,  j'eusse,  aux  despens  de 
ma  vie,  arresté  les  ennemis.  Mais,  estant  question  de 
la  conservation  ou  ruine  de  toutes  les  églises  reffor- 
mées  et  par  là  de  la  gloire  de  Dieu,  j'ai  pensé  devoir 
délibérer  avec  vous  de  x;e  qui  vous  touche.  Ce  qui  se 
présente  le  premier  à  traicter,  est  :  si  nous  devons 
avoir  les  mains  croisées  durant  le  débat  de  nos  enne- 
mis, envoyer  tous  nos  gens  de  guerre  dedans  les 
armées  du  roi,  sans  nom  et  sans  authorité,  qui  est 
une  opinion  en  la  bouche  et  au  cœur  de  plusieurs  ;  ou 
bien  si  nous  devons  avec  armes  séparées  secourir  le 
roi  et  prendre  les  occasions  qui  se  présenteront  pour 
nostre  affermissement.  Voilà  sur  quoi  je  prie  un  chas- 
cun  de  cette  compagnie  vouloir  donner  son  advis  sans 
particulière  passion.  » 

Là-dessus,  comme  l'assemblée  estoit  en  rond  autour 

1.  Le  roi  de  Navarre  était  à  Guitres  le  29  et  le  30  mai  1585. 

2.  Il  est  probable  que  ce  discours  et  les  suivants  sont  de  la 
composition  de  d'Aubigné.  Cependant,  M.  Berger  de  Xivrey, 
dans  Lettres  de  Henri  IV  (t.  Il,  p.  66),  a  cru  devoir  insérer  le  dis- 
cours prêté  au  roi  de  Navarre  comme  l'œuvre  même  de  ce  prince. 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   Vin.  207 

de  la  table  sans  préséances  observées,  le  vicomte  de 
Turenne^,  qui  estoit  le  premier  à  la  main  gauche,  fut 
commandé  de  parler.  Et,  pource  qu'il  avoit  esté  accusé 
dans  son  parti  d'avoir  esté  des  cinq  qui  avoyent  trop 
légèrement,  comme  on  disoit,  donné  le  bransle  à  la 
dernière  prise  des  armes,  voulant  effacer  ce  reproche, 
ou  peut-estre  ayant  à  cœur  la  médiocrité  qu'on  pro- 
posoit,  parla  ainsi  ^  : 

«  Pource  que  le  succès  de  toutes  affaires  despend 
de  bénédiction  ou  malédiction  de  Dieu,  la  justice  ou 
l'injustice  sont,  à  mon  advis,  les  poincts  qui  doivent 
les  premiers  entrer  en  considération  ;  à  nous  mesme- 
ment,  qui  ne  distinguons  que  nostre  droict  d'avec  nos 
adversaires,  ni  par  querelles  de  nation  à  nation,  ni 
par  intérest  de  succession  ;  mais  par  la  dispute  de  la 
vérité  au  mensonge,  et  de  nostre  droict  à  leur  ini- 
quité. De  ces  choses  nous  avons  à  rendre  compte  à 
Dieu,  à  nos  voisins,  à  nos  compatriotes  et  à  nous- 
mesmes,  veu  que  la  guerre  se  faict  par  des  hommes, 
qui  ne  sont  nostres,  dedans,  ni  dehors  le  royaume, 
que  par  une  juste  passion,  à  eux  et  à  nous  commune. 
Nostre  patience  couppe  la  gorge  aux  raisons  des  enne- 

1.  Turenne  avait  reçu  du  roi  de  Navarre  l'ordre  de  se  tenir 
auprès  de  lui  avec  sa  compagnie  (Lettre  du  26  avril  1585  ;  Ber- 
ger de  Xivrey,  t.  II,  p.  27). 

2.  Turenne  raconte  ce  conseil  de  guerre  dans  ses  Mémoires, 
mais  il  le  raconte  autrement.  D'après  lui,  il  aurait  été  tenu 
à  Castres  et  non  à  Guitres,  et  c'est  Montmorency  qui  aurait 
conseillé  au  roi  de  Navarre  de  prendre  l'offensive,  tandis  que  lui, 
Turenne,  aurait  opiné  en  faveur  de  l'attente.  Après  délibération, 
son  avis  l'aurait  emporté  (Mémoires  de  Bouillon,  coll.  Petitot, 
vol.  XXXV,  p.  210).  Le  roi  de  Navarre  passa  à  Castres  la  seconde 
moitié  du  mois  de  mars  ;  c'est  donc  à  cette  date  qu'aurait  eu  lieu 
ce  conseil  de  guerre  (Mémoires  de  Gâches,  p.  296). 


208  HISTOroE  UNIVERSELLE.  [1585 

mis;  nostre  impatience  justifieroit  leurs  armes  et  leurs 
desseins.  Voilà  pour  le  juste.  Pour  le  succès,  je  raisonne 
ainsi;  si  vous  vous  armez,  le  roi  vous  craindra;  s'il 
vous  craint,  il  vous  hayra;  s'il  vous  hayt,  il  vous  atta- 
quera; s'il  vous  attaque,  il  vous  destruira.  Cette  crainte 
du  roi  n'est  pas  appuyée  sur  la  multitude  de  vos 
armées,  lesquelles  n'ont  plus  les  reins  des  anciennes, 
mais  sur  ce  que  vous  contraindrez  à  subir  les  condi- 
tions de  ses  ennemis  et  les  vostres  ;  raisonnable  occa- 
sion du  second  poinct,  qui  est  la  haine.  Quant  à  vostre 
ruine,  qui  peut,  selon  l'apparence  humaine,  atteindre 
autre  chose  de  deux  puissances,  la  moindre  desquelles 
n'est  que  trop  capable  de  cela  ;  veu  mesme  que  l'ému- 
lation de  deux  partis  réconciliez  les  eschaufïera  contre 
vous,  et  que  les  fautes  par  lesquelles  vous  avez 
eschappé  de  leurs  mains  leur  seront  perpétuellement 
devant  les  yeux.  Je  suis  donc  d'advis  que  par  nostre 
tolérance  nous  mettions  charbons  ardents  sur  la  teste 
de  ceux  qui  nous  hayssent  injustement;  que  nous 
facions  couler  nos  gens  de  guerre  dans  les  armées  et 
compagnies  royales.  Le  roi  devra  sa  délivrance  à  nostre 
vertu,  et  donnera  sa  haine  passée  à  nostre  humilité. 
Que  s'il  advient  qu'il  s'accorde  après  avec  nos  adver- 
saires et  les  siens,  nostre  preud'hommie  reluira  comme 
un  midi  envers  les  estrangers  et  regnicoles  ;  fera  que 
les  ingrats  viendront  à  nous  avec  les  consciences  et 
les  cœurs  transis  ;  nos  courages  seront  enflez  et  pleins 
de  nostre  probité,  laquelle  appellera  du  ciel  sur  nos 
armes  la  bénédiction  de  Dieu.  » 

Ce  discours  emporta  vingt  des  voix  suivantes,  sans 
y  contredire  ni  adjouster,  hormis  Constans^,  qui  for- 

1.  Le  s.  de  Gonstans,  que  nous  avons  déjà  signalé  comme  un 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    Vin.  209 

tifïia  Tadvis  du  vicomte  d'un  exemple  seulement,  et 
toute  la  compagnie  espousoit  cette  opinion,  quand  un 
maistre*  de  camp  commandé  à  son  rang  parla  ainsi  : 

«  Si  la  fidélité  n'estoit  ici  plus  de  saison  que  la 
discrétion,  le  respect  et  l'honneur  que  je  dois  à  ceux 
qui  ont  parlé  me  fermeroit  la  bouche.  Mais  le  serment 
que  j'ai  à  Dieu,  à  sa  cause  et  à  vous.  Sire,  me  l'ouvre, 
et,  aux  despens  de  la  bienséance,  me  fait  dire  ce  qui 
est  de  mon  sentiment.  Ce  seroit  fouler  aux  pieds  les 
cendres  de  nos  martyrs  et  le  sang  de  nos  vaillans 
hommes  ;  ce  seroit  planter  des  potances  sur  les  tom- 
beaux de  nos  princes  et  grands  capitaines  morts,  et 
condamner  à  pareille  ignominie  ceux  qui  encores 
debout  ont  voué  leurs  vies  à  Dieu,  que  de  mettre  ici 
en  doute,  et  sur  le  bureau,  avec  quelle  justice  ils  ont 
exercé  leurs  magnanimitez.  Ce  seroit  craindre  que 
Dieu  mesme  ne  fust  coulpable  ayant  béni  leurs  armes, 
par  lesquelles  ils  ont  traicté  avec  les  rois  selon  le  droict 
des  gens,  arresté  les  injustes  bruslements  qui  s'exer- 
çoyent  de  tous  costez,  et  acquis  la  paix  à  l'Église  et  à 
la  France.  Mesme  cette  assemblée  seroit  criminelle 
de  lèse-Majesté,  si  nous  avions  osé  convenir  en  ce  lieu 
sans  estre  asseurez  et  pleins  de  nostre  droict.  Ce  n'est 
donc  plus  à  nous  de  regarder  en  arrière,  où  nous  ne 
verrons  qu'églises,  villes,  familles  et  personnes  rui- 


des  plus  fidèles  serviteurs  du  roi  de  Navarre,  était,  à  cette  date, 
gentilhomme  ordinaire  de  la  chambre  de  ce  prince  (Mémoires  et 
corresp.  de  du  Plessis-Mornay ,  t.  HI,  p.  238). 

1.  Le.  maistre  de  camp  est  d'Aubigné  lui-même.  A  cette  date,  il 
est  marqué  sur  l'état  de  maison  du  roi  de  Navarre  comme  écuyer 
de  ce  prince  (Mémoires  et  corresp.  de  du  Plessis-Mornay,  t.  lU, 
p.  243,  édit.  de  1824). 

VI  14 


îiO  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

nées,  en  partie  par  la  perfidie  des  ennemis,  partie  par 
ceux  qui  leur  cercheroyent  des  excuses,  pour  s'excu- 
ser des  labeurs  et  périls  ausquels  Dieu  nous  appelle 
quand  il  lui  plaist.  Si  vous  vous  armez,  le  roi  vous 
craindra,  il  est  vrai;  si  le  roi  vous  craint,  il  vous 
hayra  ;  pleust  à  Dieu  que  cette  hayne  feust  à  commen- 
cer !  S'il  vous  hayt,  il  vous  destruira.  Que  nous  n'eus- 
sions point  encores  essayé  le  pouvoir  de  cette  haine  ; 
mais  bien  à  propos  la  crainte  qui  empesche  les  effects 
de  la  haine.  Heureux  seront  ceux  qui,  par  cette  crainte, 
empescheront  leur  ruine;  malheureux  qui  appellera 
cette  ruine  par  le  mespris.  Je  di  donc  que  nous  ne 
devons  point  estre  seuls  désarmez,  quand  toute  la 
France  est  en  armes,  ni  permettre  à  nos  soldats  de 
prester  serment  aux  capitaines  qui  l'ont  preste  de 
nous  exterminer  ;  leur  faire  avoir  en  révérence  les 
visages  sur  lesquels  ils  doivent  faire  trancher  leurs 
coutelas,  et  de  plus  les  faire  marcher  sous  les  drapeaux 
de  la  croix  blanche,  qui  leur  ont  servi  et  doivent  ser- 
vir encores  de  quintaines  et  de  blanc.  Sçavez-vous 
aussi  les  différentes  leçons  qu'ils  apprennent  en  l'un 
et  en  l'autre  parti?  Là  ils  deviennent  mercenaires  ;  ici 
ils  n'ont  d'autre  loyer  que  la  juste  passion;  là  ils 
goustent  les  délices  ;  ici  ils  observent  une  milice  sans 
repos.  Les  arts  sont  esmeus  par  la  gloire,  et  sur  tous 
ceux  de  la  guerre.  Monstrerons-nous  à  nostre  jeune 
noblesse  l'ignominie  chez  nous  et  l'honneur  chez  les 
autres  ?  Prenez  que  nous  puissions  les  mettre  si  bas 
de  courage  qu'ils  se  mettent  sous  leurs  valets  de 
diverse  religion,  comment  remettrez -vous  à  leur 
poinct  les  cœurs  ainsi  abattus?  Que  veut-on  que 
deviennent  nos  princes  du  sang  et  les  grands  sei- 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   Vni.  211 

gneurs  du  parti  ?  Donneront-ils  à  leurs  haineux  leurs 
hommes  et  leur  créance,  qu'ils  ont  achetées  par  tant 
de  bienfaicts?  Quand  auront-ils  monstre  leur  valeur 
à  des  soldats  nouveaux?  Fouleront-ils  aux  pieds  leur 
grandeur  naturelle?  car  ils  les  perdront  par  la  sou- 
mission, ou  l'honneur  par  l'oisiveté.  Ouy,  il  faut  mons- 
trer  nostre  humilité.  Faisons  donc  que  ce  soit  sans 
lascheté  ;  demeurons  capables  de  servir  le  roi  à  son 
besoin  et  de  nous  servir  au  nostre,  et  puis,  ployer 
devant  lui,  quand  il  sera  temps,  nos  genoux  tous 
armez,  lui  prester  le  serment,  en  tirant  la  main  du 
gantelet,  porter  à  ses  pieds  nos  victoires  et  non  pas 
nos  estonnements  ;  victoires  ausquelles  nos  soldats  ne 
porteront  l'estomach  de  bonne  grâce,  estans  meslez 
parmi  ceux  qui  leur  font  craindre  le  dos.  J'adjousterai 
encores  ce  point  de  droict,  c'est  que  le  prétexte,  sur 
lequel  nos  ennemis  ont  eschappé  à  leur  roi,  est  pour 
nous  sauter  au  collet.  Il  est  nécessaire  que  le  respect 
de  nos  espées  les  arreste,  puisque  le  sceptre  ne  le 
peut.  Ostons  leur  la  joie  et  le  proffit  de  la  soubmission 
que  nous  voulons  rendre  au  prince.  Et,  quant  au  con- 
seil par  lequel  nous  avons  esté  dissipez,  soit  assez  de 
servir  entiers  ceux  qui  nous  veulent  en  pièces  et  mor- 
ceaux, je  concluds  ainsi  :  si  nous  nous  désarmons,  le 
roi  nous  mesprisera  ;  nostre  mespris  le  donnera  à  nos 
ennemis;  uni  avec  eux,  il  nous  attaquera  et  ruinera 
désarmez;  ou  bien,  si  nous  nous  armons,  le  roi  nous 
estimera  ;  nous  estimant  il  nous  appellera  ;  unis  avec 
lui,  nous  romprons  la  teste  à  nos  ennemis*.  > 

1.  Le  duc  de  Caumont  La  Force  reproduit  dans  ses  Mémoires 
une  partie  du  discours  de  d'Aubigné  et  se  l'attribue.  C'est  aussi 


212!  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

Il  eschappa  au  roi  de  Navarre,  sur  la  fin  de  ce  dis- 
cours, de  s'escrier  :  «  Je  suis  à  lui.  j>  Telle  estoit  lors 
l'ardeur  de  ce  jeune  prince.  Ces  mots,  joints  avec  les 
raisons  de  la  dernière  harangue,  fit  que  le  reste  de 
l'assemblée  souscrivit  à  la  dernière  opinion,  fortifiée 
de  quelques  exemples  qu'apporta  Le  Plessis-Mornay, 
et  après  lui  le  prince  de  Goodé. 

Chapitre  IX. 
Diverses  rencontres  en  Poictou^. 

Ainsi,  les  armes  estans  résolues,  on  dépescha  l'après- 
disnée  commissions  de  régiments  à  Lorges^,  à  Aubi- 
gné^,  Sainct-Surin  et  Charbonnières  et  Bois-Rond*. 

à  lui  qu'aurait  été  adressée  l'exclamation  approbative  que  ce  dis- 
cours arracha  au  roi  de  Navarre.  Voyez  les  Mémoires  du  duc  de 
la  Force,  1843,  t.  I,  p.  47. 

1.  Le  récit  contenu  dans  ce  chapitre  et  dans  les  chapitres  sui- 
vants paraît  avoir  été  inspiré  à  d'Aubigné,  comme  à  de  Thou, 
par  un  Discours  du  premier  passage  de  M.  le  duc  de  Mercœur  au 
bas  Poitou...,  pièce  très  importante  quia  été  réimprimée  dans  les 
Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  1.  Cette  relation,  malheureusement 
anonyme,  a  été  écrite  par  un  capitaine  protestant  du  parti  du 
prince  de  Gondé,  lequel  ne  doit  pas  être  confondu  avec  le  parti 
du  roi  de  Navarre.  D'Aubigné,  en  reproduisant  ce  récit,  y  a 
ajouté  beaucoup  de  détails  tirés  de  ses  propres  souvenirs  et  en 
a  modihé  l'esprit  au  profit  de  la  mémoire  du  Béarnais. 

2.  Jacques  de  Lorges,  comte  de  Mongonmery,  fils  aîné  de 
Gabriel,  comte  de  Mongonmery,  mort  en  1609. 

3.  Ce  personnage  n'est  point  nommé  dans  l'édition  de  1618. 

4.  Charles  de  Saint-Surin,  gentilhomme  protestant  du  Poitou 
ou  de  la  Saintonge,  un  des  plus  fidèles  Ueutenants  de  Condé.  — 
Gabriel  Prévost  de  Charbonnières,  autre  capitaine  protestant. 
—  René  de  Saint-Légier,  s.  de  Boisrond,  époux,  en  1578,  de 
Marie  Le  Forestier,  dame  d'Orignac. 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   IX.  213 

Ceux-là  pour  faire  la  guerre  en  Xainctonge  et  Poictou, 
auprès  du  prince  de  Gondé,  puis  au  baron  de  Salignac 
et  à  La  Maurie*,  pour  aller  en  Gascongne  avec  le  roi 
de  Navarre. 

Huict  jours  après,  arriva  en  Angoumois  le  premier 
combat  de  cette  nouvelle  guerre,  lequel,  bien  que  de 
peu  de  troupes,  se  trouvera  fort  digne  de  mémoire, 
à  cause  de  ses  divers  accidents.  L'occasion  en  fut  telle. 

La  Motte,  conseillier  au  siège  de  Périgueux,  sentant 
en  soi  trop  de  courage  pour  faire  profession  de  la 
robbe  longue,  en  laquelle  pourtant  il  estoit  fort  estimé, 
et  d'ailleurs  attiré  par  les  caresses  qu'il  avoit  receues 
du  duc  de  Guise,  s'estoit  résolu  à  faire  un  régiment, 
si  bien  qu'il  avoit  desjà  ensemble,  en  quatre  compa- 
gnies, quelque  peu  moins  de  cinq  cents  hommes  très 
bien  armez.  Cettui-ci,  ayant  sçeu  que  les  refformés 
levoyent  sur  les  bornes  de  l'Angoumois,  pour  les 
empescher  ou  deffaire  en  naissant,  estoit  venu  faire 
un  logis  à  Melle^,  s'avouant  au  roi;  mais,  sesPérigour- 
dins  ayans  commis  plusieurs  excès  aux  despens  des 
refformés,  comme  d'avoir  pourmené  la  femme  d'un 
ministre  nue,  après  l'avoir  outragée  en  toutes  façons, 
Sainct-Gelais^,  avec  quarante-cinq  gentilhommes ,  et 
Aubigné,  avec  six  vingts  arquebuziers,  desquels  il 
commençoit  son  régiment,  se  touchèrent  à  la  main 

1.  Jean  de  Gontaut  de  Salignac,  baron  de  la  Mothe-Fénelon, 
chambellan  du  roi  de  Navarre,  gouverneur  du  comté  de  Péri- 
gord,  mort  en  1604.  —  La  Maurie,  capitaine  huguenot,  dit 
l'Épouvante  de  la  Frise,  élevé  par  Brantôme. 

2.  Melle  (Deux-Sèvres). 

3.  Louis  de  Saint-Gelais,  seigneur  de  Lansac,  était  alors  maré- 
chal de  camp  des  troupes  du  prince  de  Condé  (Mémoires  de  la 
Ligue,  t.  II,  p.  4). 


214  fflSTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

pour  aller  charger  La  Motte  à  Contre*,  où  il  s'estoit 
logé.  Comme  ils  en  prenoyent  le  chemin,  les  coureurs 
trouvent  à  Sainct- Mandé  ^  deux  de  ses  compagnies 
logées  et  assez  bien  barriquées.  Au  commencement, 
les  ayans  pris  pour  des  picoureurs,  ils  donnèrent  dans 
la  bourgade,  mais,  ces  premiers  estans  receus  à  coups 
d'espée,  il  falut  que  les  gens  de  pied  tournassent  visage 
vers  les  ennemis,  ayans  à  faire  à  plus,  de  deux  cents 
hommes  de  pied,  logez  avantageusement.  Aubigné 
n'eust  sceu  faire  mieux  que  faire  donner  Les  Ousches, 
qui  avoit  douze  ou  quinze  hommes  à  lui,  à  ce  qu'il 
trouveroit  à  gauche.  Il  en  donne  autant  à  Casaubon 
dé  Vignolles^  pour  la  droicte,  et  avec  mesme  nombre 
jette  Nivaudière  devant  soi.  Ce  dernier  outrepassa  la 
barricade,  comme  ne  l'ayant  point  veue.  Son  maistre 
de  camp,  la  trouvant  en  son  chemin  et  la  voyant  gar- 
nie des  capitaines  La  Grange  et  Forisson'*,  et  de  quatre- 
vingts  hommes,  y  donne  la  teste  baissée  lui  et  sa  suite. 
Ils  furent  receu  de  coups  d'hallebarques  et  d'espée,  si 
bien  que,  l'un  poussant  l'autre  avec  perte  de  quatre 
bons  hommes,  les  katholiques  quittent  et  s'espardent 
par  le  bourg,  auquel  presque  toutes  les  maisons  ren- 
dirent combat,  et  avec  telle  opiniastreté  que  le  capi- 
taine La  Grange  trouva  moyen  de  r'amasser  jusqu'à 

1.  Contré  (Charente-Inférieure). 

2.  Saint-Mandé  (Charente-Inférieure). 

3.  Le  capitaine  La  Hire,  s.  de  Vignoles  et  de  Casaubon,  était 
frère  du  capitaine  du  nom  de  Vignoles  dont  nous  parlerons  dans 
les  notes  du  chapitre  suivant  (Table  de  l'édit.  de  1626  de  l'His- 
toire universelle.) 

4.  La  Grange-Maronnière,  capitaine  catholique,  lieutenant  du 
roi  à  Talmont,  appartenait  à  la  maison  de  Jaillard  de  la  Maron- 
nière  (Chroniques  fontenaisiennes,  p.  416). 


4585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.    K.  215 

quarante  des  siens,  et  avec  cela  regagna  le  logis  qu'il 
avoit  perdu,  avec  loisir  de  renforcer  la  barricade,  et 
percer  en  divers  lieux.  Ce  fut  aux  autres  à  se  r'allier 
pour  reprendre  encore  une  fois  la  maison.  Le  raaistre 
de  camp  ne  pouvant,  pour  le  pillage,  r'allier  vingt  des 
siens,  et  ne  voulant  paroistre  si  mal  accompagné, 
attaque  le  grand  corps  de  logis,  en  perçant  la  maison 
prochaine,  et  par  ce  moyen  y  mit  le  feu.  Durant  deux 
heures  de  combat  que  rendit  La  Grange,  La  Motte, 
adverti  par  quelques  fuyards,  part  de  Contré  avec 
deux  cent  soixante  arquebuziers,  met  deux  charrettes 
devant  soi,  fait  quitter  la  campagne  à  Chevrelières, 
qui  estoit  en  garde  avec  vingt  chevaux  dans  son 
chemin. 

Sainct-Gelais ,  voyant  tous  les  siens  en  désordre, 
envoyé  advertir  Aubigné  par  trois  messagers,  pour 
lui  faire  quitter  le  bourg  ;  ce  qu'il  ne  put  faire,  car, 
estant  sur  le  poinct  que,  par  la  capitulation  faicte,  il 
tiroit  les  capitaines  et  soldats  de  la  maison  bruslante, 
et  les  siens,  acharnez  au  pillage,  ne  furent  pas  aisez  à 
jetter  dehors  promptement.  Tout  ce  qu'il  put  donc 
faire  fut  d'envoyer  La  Grange  et  deux  tiers  de  ce  qui 
estoit  dans  la  maison  à  Sainct-Gelais,  qui  r'allioit  hors 
du  bourg  tout  ce  qui  en  sortoit  avec  désordre.  La 
Motte  donne  si  gaillardement  dans  le  bourg  qu'il 
enferme  dans  la  maison  brûlante  dix-neuf  de  ses  enne- 
mis et  treize  des  siens,  qui  n'avoyent  pas  eu  loisir  de 
sortir.  Voilà  les  refiformés  en  grand'peine,  desquels 
les  uns  vouloyent  tuer  ces  treize  prisonniers;  mais 
leur  chef  aima  mieux  les  employer  désarmez  en  un 
grenier  à  combattre  le  feu,  les  faisant  garder  par  deux 
soldats  qui  avoyent  tousjours  le  mousquet  en  joue. 


21 6  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

La  grande  maison  estant  toute  en  feu,  ceux  qui  d'as- 
saillants estoyent  venus  assaillis,  n'eurent  en  partage 
qu'un  appenti,  la  porte  duquel  estoit  brûlée,  et  n'es- 
toit  fermée  que  de  deux  corps  morts  bruslant  l'un  sur 
l'autre.  La  Motte  enfile  toute  la  bourgade,  passe  devant 
la  porte  de  l'appenti,  lui  en  chemise  et  peu  de  ses 
capitaines  armez,  et  quelques  hommes  qu'on  lui  tua 
en  passant.  Toute  sa  troupe  le  suivit,  pour  aller  retran- 
cher la  bourgade  au-devant  de  Sainct-Gelais  et  de  ceux 
qui  s'estoyent  ralliez  à  lui  à  un  petit  bois  prochain. 
Ayant  ainsi  mis  ordre,  il  s'en  vint  attaquer  les  enfer- 
mez, qui  avoyent  eu  loisir  de  donner  à  la  barricade  une 
seconde  façon*. 

Aubigné,  ayant  dit  :  «  Compagnons,  il  ne  faut  point 
douter  de  mourir  ;  mais  il  faut  que  ce  soit  de  bonne 
grâce,  »  prit  une  hallebarde,  et,  avec  les  capitaines 
Villermac,  Cornioux,  Valière  et  Poirier,  attendit  La 
Motte  ;  lequel,  secondant  un  sergent  qui  avoit  fait  brus- 
1er  l'amorce,  vint  donner  du  ventre  à  la  barricade,  où 
il  laisse  neuf  des  siens  presque  tous  tuez  à  coups  de 
main.  Le  capitaine  Forisson  y  redonne,  qui  en  perd 
sept  de  mesme.  Comme  ils  vouloyent  redonner  la 
troisiesme  fois,  les  soldats  ne  firent  que  bransler  la 
queue,  et  se  mirent  à  crier  :  «  Au  feu,  au  feu,  ils 
brusleront  comme  renards.  »  Je  vous  ai  dit  que  la 
porte  de  l'appenti  n'estoit  fermée  que  de  deux  corps 
morts.  Là  donnèrent  les  Périgourdins ,  et  n'y  trou- 
vèrent qu' Aubigné  et  Perai;  mais  ils  furent  si  bien 
receus  que  les  deux  premiers  morts,  accompagnez  de 
deux  autres,  leur  servirent  d'huis.  Il  restoit  à  com- 

1.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  <  ...  à  la  barricade  la  troisième 
façon.  Aubigné...  » 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   IX.  217 

battre  le  feu  et  les  pierres,  que,  de  la  grand'maison 
qui  estoit  esteinte,  l'on  jettoit  sur  les  defifendants,  les- 
quels eussent  esté  tous  estouffez,  sans  une  petite  cour 
où  ils  alloyent  respirer  chacun  à  son  tour.  La  Motte, 
quoique  voyant  la  rue  pavée  des  siens,  eut  pitié  de  ces 
gentilshommes,  leur  envoya  du  pain  et  du  vin  par  un 
tambour,  les  priant  d'expérimenter  sa  courtoisie  ;  les 
advertit  comment  Sainct- Gelais  avoit  par  deux  fois 
donné  au  retranchement,  duquel  nous  avons  parlé, 
mais  n'ayant  esté  suivi  par  Les  Ousches,  Surimau, 
Casaubon  et  deux  autres,  il  n'avoit  plus  ni  pouvoir  ni 
espoir  de  secourir  ses  amis.  Cela  estoit  vrai,  et  Sainct- 
Gelais  n'estoit  plus  là  que  pour  attendre  quelque  ren- 
fort qu'il  espéroit,  non  pour  secourir,  mais  pour 
venger  ceux  qu'il  estimoit  estre  en  cendre.  Enfin  un 
sergent  catholique,  ayant  recongnu  Les  Ousches,  lui  cria 
que  les  assiégez  n'en  pouvoyent  plus.  Par  là,  Sainct- 
Gelais,  sachant  ses  amis  encor  en  vie,  redonna  courage 
aux  siens  pour  le  secours;  et,  sur  ceste  contenance,  fit 
capitulation,  qui  fut  de  rendre  La  Grange  et  les  autres 
prisonniers  pour  délivrer  les  enfermez;  mais  eux,  qui 
voyoyent  de  près  en  quel  estât  ils  avoyent  mis  les 
troupes  de  La  Motte,  et  mesmes  n'ayans  plus  à  craindre 
le  feu,  refusèrent  l'accord  entièrement. 

Ces  diverses  sortes  de  combat  ayans  duré  onze 
heures,  La  Motte,  aussi  las  que  les  autres,  capitula 
autrement,  asçavoir  qu'il  battroit  aux  champs  avec 
tous  les  siens;  lesquels  s'estans  retirez  à  demie  lieue 
de  là,  Aubigné  choisiroit  là  les  morts  qu'il  voudroit 
faire  emporter,  et  La  Motte  viendroit  après  quérir  les 
siens.  En  ce  combat,  du  costé  des  refiformés,  furent 
tuez  trois  gentilshommes  de  marque,  seize  soldats  et 


218  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

trente  blessez.  Des  liguez,  moururent  cent  soixante 
hommes  sur  la  place  et  vingt-cinq^  à  Sainct-Fresne^, 
où  ils  s'estoyent  retirez,  jusques  où  ils  furent  poursui- 
vis le  lendemain  par  les  forces  du  prince  de  Condé, 
qui  estoyent  venues  de  Sainct-Jean  au  secours.  Ce  petit 
combat  livra  de  chance  et  resveilla  les  uns  et  les 
autres  à  la  guerre,  de  laquelle  on  doubtoit  aupara- 
vant. 

De  là  à  dix  jours,  le  mesme  Sainct-Gelais,  accompa- 
gné d'Aubigné,  le  premier  n'ayant  que  son  train,  et 
l'autre  quinze  arquebuziers  à  cheval,  trouvèrent  une 
après-disnée  trois  compagnies  de  gens  de  pied,  com- 
mandées par  Saincte-Catherine^,  un  autre  nommé  La 
Motte  et  Fonsalmois.  Ces  troupes,  pensans  gagner 
Brouage,  vouloyent  faire  un  logis  à  Briou*.  Comme 
ils  n'estoyent  pas  encor  logez,  Sainct-Gelais  arrive  au 
4)0ut  du  Bourg.  Les  quinze  arquebuziers  gaignent  deux 
maisons.  Sainct-Gelais,  estant  entre  des  arbres,  où  il  ne 
pouvoit  estre  conté,  fit  faire  quelques  chamades  à  son 
trompette,  et  puis  l'envoya  parler  aux  capitaines  si 
glorieusement  qu'ils  se  rendirent  à  une  capitulation, 
laquelle  sera  mise  ici  comme  nouvelle;  asçavoir,  à 
rendre  toutes  les  armes,  à  demander  pardon  à  Dieu 
et  au  roi,  les  genoux  à  terre,  pour  avoir  esté  traistres 
à  Sa  Majesté  et  infidelles  à  l'Estat.  Et  le  caprice  de 
Sainct-Gelais  fut  tel  qu'il  fit  signer  ces  mesmes  paroles 

1.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  sur  la  place,  et  trente-cinq  à 
S.  Frêne...  » 

2.  Saint-Ferme  (Gironde). 

3.  Le  s.  de  Sainte -Catherine  est  signalé  comme  capitaine 
ligueur  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  H,  p.  4. 

4.  Briou  (Deux-Sèvres),  sur  la  ligne  de  Saint-Jean-d'Angély  à 
Poitiers. 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   X.  219 

au  capitaine  :  «  Et^  afin  que  nostre  foi  soit  valable,  nous 
renonçons  à  l'abominable  article  du  concile  de  Cons- 
tance qui  dispense  du  serment^.  >  Et  puis  sortirent  du 
bourg  les  troupes  séparées  ;  asçavoir  quarante  avec  le 
baston  blanc,  qui  alloyent  en  Brouage,  septante  l'es- 
pée  au  costé,  qui  se  retiroyent  en  leurs  maisons,  et 
quelque  soixante  à  qui  on  redonnoit  les  armes  pour 
les  porter  au  service  du  roi.  Tout  cela  sans  recognoistre 
leurs  maistres,  qui  n'estoyent  en  tout  que  vingt-huict. 

Chapitre  X^. 

Prise  de  Tules;  voyage  du  duc  de  Mercœur  en  Poictou 
et  'présentation  de  bataille^. 

De  tous  costez,  on  oyoit  nouvelles  de  ce  que  fai- 
soyent  les  refformés  comme  de  ce  que  nous  avons  dit, 
et  comment,  bientost  après,  le  vicomte  de  Turenne, 
ayant  avec  soi  le  régiment  de  la  Maurie  et  quelques 
compagnie^  qui  venoyent  à  Charbonnières,  se  saisit  de 
Tules  ^.  Il  fit  donner  ses  deux  troupes  d'infanterie  par 

i.  Ces  paroles  manquent  à  l'édition  de  1618. 

2.  Les  réformés  prétendaient  qu'un  décret  du  concile  de  Cons- 
tance dispensait  expressément  les  fidèles  de  tenir  les  promesses 
faites  aux  hérétiques.  Cette  accusation  n'a  aucun  fondement. 

3.  Dans  l'édition  de  1618,  ce  chapitre  ne  porte  que  le  n*  8. 

4.  Ce  dernier  membre  de  phrase  manque  à  l'édition  de  1618. 

5.  Tulle  (Corrèze)  fut  pris  par  Turenne  dans  les  premiers  jours 
de  novembre  1585.  Le  duc  de  Bouillon,  dans  ses  Mémoires,  parle 
à  peine  de  cet  exploit  (édit.  Petitot,  t.  XXXV,  p.  217).  La  prise 
de  Tulle  a  été,  dans  ces  dernières  années,  l'objet  de  deux  études 
approfondies  :  l'une ,  par  M.  Clément  Simon ,  Tulle  et  le  Bas- 
Limousin   pendant  les  guerres  de  religion,  in-S»;   l'autre,   par 


220  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

deux  endroits  du  fauxbourg  des  Haux.  Chouppes^ 
avec  ce  qu'il  avoit  par  le  bas,  Tauvenay  ^,  avec  quelques 
gentilshommes  pied  à  terre,  eut  charge  d'attaquer  les 
Cordeliers.  Tout  cela,  plein  de  huict  à  neuf  cens  hommes 
de  pied,  se  deffendit  très  bien,  principalement  ceux 
des  Haux,  qui  avoyent  fait  quelques  sorties,  et,  reme- 
nez au  commencement,  les  enfans  perdus  de  La  Mau- 
rice, puis  Charbonnières,  et  lui  r'alliez,  meslèrent  les 
plus  tardifs  de  la  retraicte,  font  avec  pétard  bresche 
à  une  maison,  où  ils  donnent  et  sont  arrestez  sur  le 
cul.  Cependant  quelques  soldats  de  commandement,  les 
uns  sur  les  espaules  des  autres,  gagnent  le  dessus  des 
maisons,  se  logent  dans  les  greniers,  à  l'effroi  de  quoi 
Tauvenay  emporta  les  barricades  jusques  à  la  porte 
de  la  ville.  Les  habitants,  ayans  veu  la  gaillardise  de 
leurs  ennemis,  capitulèrent  avec  perte  de  cent  qua- 
rante des  leurs,  et  bien  cent  des  attaquans. 

Le  vicomte,  sachant  que  Montluc*,  avec  les  forces 

M.  Fage,  plus  spéciale  aux  événements  de  1585,  la  Prise  de  Tulle, 
in-8%  1891. 

1.  Pierre  de  Ghouppes,  seigneur  de  Ghouppes,  était  alors  con- 
seiller et  chambellan  du  roi  de  Navarre,  et  gentilhomme  ordinaire 
de  sa  chambre  (État  de  la  maison  du  roi  de  Navarre  dans  Mémoires 
et  corresp.  de  du  Plessis-Mornay,  t.  III,  p.  236). 

2.  Robert  Tauvenay,  capitaine  protestant,  commandait  une 
compagnie  d'arquebusiers  (De  Thou,  liv.  LXXXII). 

3.  Le  vicomte  de  Turenne  donna  au  capitaine  de  la  Maurie  le 
gouvernement  de  Tulle,  qu'il  conserva  jusqu'à  l'arrivée  du  duc 
de  Mayenne,  novembre  1585  {Mémoires  de  Bouillon,  ibid.). 

4.  Charles  de  Monluc,  s.  de  Gaupène,  second  fils  de  Pierre 
Bertrand  de  Monluc  et  petit-fils  de  l'auteur  des  Commentaires, 
chevalier  de  l'ordre  de  Saint -Michel,  capitaine  de  cinquante 
hommes  d'armes,  sénéchal  d'Agenais,  tué  le  19  mai  1596  sous  les 
murs  d'Ardres  dans  un  combat  contre  les  Espagnols.  M.  Tami- 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    X.  221 

de  Gascongne,  avoit  assiégé  Vic-FaisansacS  y  fit  une 
course,  d'où  il  découple  Vignolles^,  avec  cent  cinquante 
arquebusiers,  pour  entrer  dans  la  ville,  qui,  comme 
petite,  estoit  assiégée  de  fort  près.  On  trouva  mau- 
vais que  ceste  commission,  comme  une  des  plus  dif- 
ficiles du  mestier,  fut  donnée  à  un  homme  de  dix-neuf 
ans,  mais  il  partit  si  à  propos  qu'il  en  fut  quitte  en 
passant  sur  le  ventre  à  un  corps  de  garde  de  cent 
hommes  ;  résolution  qui  fit  lever  le  siège  dans  deux 
jours. 

La  Ligue  paroissoit  en  Poictou,  premièrement  par 
quelques  troupes  de  gentilshommes,  qui  avoyent  esleu 
sur  eux  Briandière^,  l'un  des  plus  pauvres  de  la 
bande,  mais  homme  de  guerre.  Et  puis  Nyort,  comme 
plus  proche  des  refformés,  commença,  ou  par  crainte 
ou  par  désir  de  nouveauté,  à  prendre  le  parti  des 
liguez,  et  se  voulut  fortifier  de  quatre-vingts  lances  et 
quelques  arquebuziers  à  cheval,  que  le  duc  de  Mer- 

zey  de  Larroque  a  publié  dans  la  Revue  de  Gascogne  (1888  et  1889) 
plusieurs  lettres  de  ce  capitaine. 

1.  Du  Pleix  raconte  avec  assez  de  détails  la  défense  de  Vie- 
Fezensac  par  Vignoles  (t.  IV,  p.  122),  mais  il  n'en  donne  pas  la 
date.  Vic-Fezensac  est  dans  le  département  du  Gers. 

2.  Bertrand  de  la  Hire,  s.  de  Vignoles,  capitaine  gascon,  ou 
peut-être  François  de  la  Hire,  s.  de  Vignoles,  époux  de  Marie  de 
la  Roche-Beaucourt  en  Poitou.  Ce  dernier  capitaine  est  cité  par 
Brémond  d'Ars  [Rôles  saintongeais).  Nous  croyons  plus  volontiers 
à  l'identification  du  premier,  qui  passa  sa  vie  à  faire  la  guerre  en 
Gascogne.  Par  un  étrange  jeu  du  hasard,  après  la  mort  de 
Charles  de  Monluc,  son  adversaire  en  1585,  il  épousa  sa  veuve, 
Marguerite  de  Balaguier-Montsalès  (Mémoires  d'Antras  de  Sama- 
zan,  1880,  p.  173). 

3.  X.  Farnoulx,  seigneur  de  la  Briandière,  capitaine  ligueur, 
appartenait  à  une  famille  plusieurs  fois  citée  dans  les  Annales  de 
Saintes. 


2221  mSTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

cœur*  leur  envoya  de  Nantes  par  Hervilliers^.  Et,  dix 
jours  après,  le  duc  mesmes,  ayant  amassé  des  forces, 
voulut  venir  ruiner  celles  du  prince  de  Condé,  qui  ne 
faisoyent  que  naistre.  Sur  ceste  nouvelle,  les  régiments 
des  refformés  s'avancèrent  jusques  vers  Fors  ^,  croyans 
que  les  Bretons,  sachans  leur  avancement,  appréhende- 
royent  le  Poictou.  Mais,  estant  sceue  à  Fors  l'arrivée 
du  duc  à  Fontenai*  avec  quatre  mille  cinq  cents  ** 
hommes  de  pied,  sous  un  régiment  faict  au  nom  des 
dames,  celui  de  Sourdiac^  et  Hautbois-Saulaye^;  avec 
cela,  de  six  à  sept  cents  chevaux,  sous  les  compagnies 
de  Sainct-Laurens,  Boulennes,  Vandré^,  Les  Roches- 
Bariteaux,  Landereau^,  Hacqueville*'^,  Briandière,  et 

1.  Philippe-Emmanuel  de  Lorraine,  duc  de  Mercœur,  fit  cet 
envoi  de  troupes  à  Niort  vers  la  mi-septembre  1585. 

2.  Le  s.  d'Hervilliers,  capitaine  ligueur,  originaire  d'Orléans. 

3.  Fors  (Deux-Sèvres). 

4.  Les  Chroniques  fontenaisiennes  (1841,  p.  209  et  414)  racontent 
que  le  duc  de  Mercœur,  n'ayant  pu  obtenir  du  gouverneur,  le  s. 
de  la  Roussière,  l'ouverture  des  portes  de  Fontenay,  passa  huit 
ou  douze  jours  sous  les  murs  de  la  ville  à  piller  le  pays.  Une  rela- 
tion du  temps,  contenue  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue  (t.  Il, 
p.  2),  confirme  ce  récit. 

5.  L'édition  de  1618  porte  :  4,000  hommes.  Les  Mémoires  de  la 
Ligue  disent  que  Mercœur  avait  seulement  plus  de  deux  mille 
hommes  (t.  II,  p.  2).  Les  Chroniques  fontenaisiennes  (p.  413)  con- 
firment ce  chiffre. 

6.  René  de  Rieux,  seigneur  de  Sourdéac,  dit  le  jeune  Château- 
neuf,  gouverneur  de  Brest,  chevaUer  des  ordres  du  roi  en  1599, 
mort  le  4  décembre  1628. 

7.  Hautbois-Saulay,  capitaine  ligueur.  Peut-être  faut-il  lire  Soûl- 
let,  nom  qui  figure  souvent  dans  l'histoire  des  provinces  de  l'ouest. 

8.  Probablement  Boulerne  et  Rigaut  de  Vaudreuil. 

9.  Philippe  de  Ghâteaubriant,  seigneur  des  Roches-Baritaud, 
chevalier  de  l'ordre  du  roi.  —  Charles  Rouault,  seigneur  de  Lan- 
dereau,  lieutenant  du  roi  au  gouvernement  de  Poitou  (1576). 

10.  Hacqueville,  capitaine  normand. 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.    X.  223 

la  ligue  de  Poictou  sous  lui,  sa  compagnie  de  gens 
d'armes,  qui  estoit  de  six  vingts  sallades,  et  ce  qu'il 
y  avoit  sous  sa  cornette  blanche  ;  le  prince  de  Condé 
et  le  duc  entrèrent  en  mutuelle  crainte  l'un  de  l'autre. 
Ce  qui  arresta,  par  respect,  trois  jours  les  refFormés 
et  les  katholiques,  laissans  pour  barrière  la  rivière  de 
Sèvre.  Un  maistre  de  camp*  du  prince  se  convia  à 
passer  l'eau  et  faire  un  faux  logis  à  une  lieue  et  demie 
de  Coulonge-les-Reaux^,  où  le  duc  avoit  donné  son 
rendez -vous  général  le  lendemain.  Ce  capitaine 
remonstroit  au  prince  que  par  là  il  tasteroit  le  duc, 
qu'il  faloit  ainsi  mesurer  son  ennemi,  et  que  si,  pour 
la  nouveauté,  il  ne  rompoit  point  son  dessein,  n'y  ayant 
point  moyen  de  prendre  résolution  sur  la  crainte,  que 
cela  ne  s'appelleroit  qu'une  course;  et  ceste  troupe 
se  pourroit  retirer,  sans  qu'il  fust  dict  que  le  corps 
du  prince  eust  lasché  le  pied.  Telle  nouveauté  fut 
aggréable  à  des  esprits  en  doute,  et  le  dessein  fortifié 
de  la  présence  du  prince  de  Genevois^  avec  plus  de 
force  et  plus  d'apparence. 

Ce  capitaine  donc,  ayant  laissé  le  prince  de  Genevois 
avec  six  vingts  sallades  et  quatre  cents  arquebuziers 
à  cheval  dans  Sainct-Massire*,  jetta  dans  Coulonge  dès 
le  matin  des  mareschaux  de  logis  accompagnez  de  six 
vingts  arquebuziers,  et  lui,  avec  vingt-cinq  sallades 
bien  choisies,  donne  dans  le  chemin  de  Fontenay,  et 
rencontre  auprès  de  Chasseoon^  quarante  sallades 

1.  D'Aubigné  lui-môme. 

2.  C!oulonge8-les-Royaux  (Deux-Sèvres). 

3.  Henri  de  Savoie,  dit  prince  de  Genevois,  fils  naturel  de 
Jacques  de  Savoie,  duc  de  Nemours,  et  de  Françoise  de  Rohan. 

4.  Saint-Maxire  (Deux-Sèvres). 

5.  Saint- Martin-de-Ghassenon  (Vendée). 


224  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

menées  par  Herviliers,  qui  venoyent  prendre  langue, 
cependant  que  leur  armée  desjeunoit  pour  desmar- 
cher. Les  deux  trompettes  de  ces  troupes  ayant  sonné 
la  charge  de  fort  loing,  ceux  de  Fontenay,  ne  pouvans 
pas  juger  à  qui  ils  avoyent  à  faire,  pour  ce  que  le  pays 
d'où  naissoyent  les  refFormés  estoit  couvert,  tour- 
nèrent visage  vers  Fontenay,  et  ayant  couru  demie 
lieue  trouvèrent  une  autre  troupe  qui  les  r'asseurèrent. 
Et  le  maistre  de  camp,  ne  les  ayant  suivis  qu'autant 
que  le  pays  couvert  lui  cachoit  la  queue,  despesche  en 
diligence  au  prince  de  Genevois,  pour  le  faire  avancer 
à  Coulonge,  et  au  prince  de  Gondé,  qui,  ayant  la  bride 
à  l'arçon,  vint  dès  ce  soir  au  mesme  lieu  en  confusion. 
C'est  le  second  exemple  que  je  vous  donne  de  la  pre- 
mière leçon  des  armées*. 

Au  lendemain  matin,  le  prince  envoya  un  trompette 
au  duc  pour  lui  offrir  le  combat  de  ses  troupes  à  son 
armée,  se  moquant  par  la  modestie  du  nom  de  troupes 
sur  celui  d'armée,  que  le  duc  avoit  pris  ;  et  en  mesme 
temps  fit  marcher  jusques  à  une  portée  de  coulevrine 
de  Fontenay,  avec  les  régiments  de  Lorges,  Aubigné, 
Sainct-Surin,  Charbonnières,  qui  estoit  venu  de  Tulles, 
et  deux  compagnies  de  Bois-Rond;  sous  cela  deux 
mille  cinq  cents  ^  hommes  de  pied  sans  piques,  et  cinq 
cents  chevaux  d'eslite,  sous  les  compagnies  du  prince, 
de  celui  de  Genevois,   Rohan^,   Clermont'*,   Sainct- 


1.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «...  de5  armées;  assavoir  qu'il  a 
besoin  des  avantages.  Au  lendemain...  » 

2.  L'édition  de  1618  porte  :  1,600  hommes  de  pied. 

3.  René  de  Rohan,  vicomte  de  Rohan,  fils  aîné  de  René  I®""  de 
Rohan  et  d'Isabeau  d'Albret,  capitaine  huguenot,  mort  à  la 
Rochelle  en  1586. 

4.  Georges  de  Clermont  d'Amboise,  baron  de  Bussy,  troisième 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.   X.  225 

Gelais  et  La  Boulaye,  qui  avoit  la  plus  forte  com- 
pagnie. 

La*  petite  armée  du  prince  fut  mise  en  une  assez 
avantageuse  forme  de  bataille,  que  je  ne  vous  puis 
donner,  pour  n'estre  pas  venue  aux  mains.  Mais  il 
arriva  deux  petits  accidents,  qui  me  feront  donner  sur 
les  doigts  à  deux  erreurs  qui  se  commettent  en  la 
milice  françoise  ;  l'un  est  que  la  cavallerie  légère,  reve- 
nant de  la  guerre,  peut  prendre  le  logis  qu'elle  veut, 
sans  l'authorité  du  mareschal  de  camp.  L'autre,  que 
les  enfants  perdus  prennent  place  de  combat,  sans 
direction  du  sergent  de  bataille. 

Ces  abus  ont  glissé  avec  plusieurs  autres,  quand  les 
colomnels,  oumaistres  de  camp  de  la  cavallerie  légère, 
ont  esté  mignons  de  nos  princes  ;  ou  quand  les  ser- 
gens  de  bataille,  de  mesme  estofife  et  par  faveur,  ont 
fait  perpétuer  leur  charge,  qui  de  longtemps  n'estoit 
qu'à  l'occasion,  et,  ne  sçachans  leur  mestier,  se  sont 
laissez  beffler^  aux  jeunes  capitaines.  Geste  faute  ne  se 
trouve  guères  aux  autres  nations.  La  première  confu- 
sion arriva  près  Goulonges,  à  un  régiment  de  gens 
d'armes  et  de  chevaux  légers  ensemble.  Là  fut  jugé 
que  le  privilège  des  chevaux  légers,  pour  se  placer, 
s'entend  outre  l'assiette  du  mareschal  de  camp. 

L'autre  leçon  est  à  la  présentation  de  ceste  bataille. 
Lorges,  commandé  de  mener  deux  cent  cinquante 
enfants  perdus,  refusa  le  picquet  du  sergent  de  bataille 
et,  disant  n'estre  astreint  à  rien,  prit  place  au  bois 

fils  de  Jacques  de  Glermont  d'Amboise  et  de  Catherine  de  Beau- 
yau,  capitaine  protestant. 

1.  Cet  alinéa  et  les  trois  suivants  manquent  à  l'édition  de  1618. 

2.  Beffer  ou  hefler,  jouer,  duper. 

VI  ^h 


226  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

d'Ardennes^  Mais  ce  vieux  capitaine  désobéi,  et,  ayant 
un  régiment,  lui  fit  passer  la  fontaine  de  Cherzay^,  le 
mit  si  près  du  campement  des  Bretons  qu'il  n'y  avoit 
plus  de  place  à  prendre  que  celle  du  combat  ;  et  puis 
ordonna  des  autres  bataillons,  de  façon  que  les  enfans 
perdus  devinrent  la  troupe  de  réserve  :  soit  dict  pour 
chastier  cet  erreur.  J'en  dirai  autant  de  l'autorité  que 
les  grands  maistres  de  l'artillerie  ont  prise  injuste- 
ment et  gardent  mal  à  propos  :  c'est  de  ne  prendre 
que  d'eux-mesmes  l'assiette  de  l'artillerie,  laquelle  ils 
logent  plus  pour  la  commodité  que  pour  l'exécution. 
Mais,  n'en  ayant  point  d'exemple  ici,  je  m'arreste  et 
prie  le  lecteur  de  juger  bien  de  ma  digression,  si  elle 
est  avec  profit.  Revenons  aux  Bretons. 

Le  duc  prit  place  de  bataille  dans  le  parc  des  Jaco- 
bins de  Fontenay,  n'estant  point  tellement  favorisé  de 
la  ville  qu'il  y  pust  entrer  le  plus  fort.  Il  n'y  eut  que 
Les  Roches-Bariteaux,  qui,  de  la  muraille  des  Jacobins, 
bien  percée,  présenta  ses  troupes.  La  journée  s'estant 
passée  en  fanfare,  le  prince  retourne  à  Goulonges^,  et 
les  autres  prindrent  l'espouvante  pour  conseil,  si  bien 
que,  dès  la  nuict,  partans  avec  la  sourdine,  ils  s'en  vont 
à  grandes  traictes  et  en  désordre  vers  Nantes*  ;  jettent 
leurs  drapeaux  dans  Sainct-Philibert  de  Grand-Lieu^, 

1.  Ardenne  (Vendée),  dans  la  commune  de  Gharzais. 

2.  Gharzais  (Vendée),  près  de  Fontenay-le-Gomte. 

3.  Le  prince  de  Gondé,  depuis  plusieurs  jours,  campait  à  Gou- 
langes  (Chroniques  fontenaisiennes,  p.  209). 

4.  Ge  récit  est  confirmé  par  une  relation  publiée  dans  les 
Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  3,  et  par  la  chronique  du  Langon 
{Chroniques  fontenaisiennes,  p.  210  et  414). 

5.  Saint-Philibert-de-Grand-Lieu  (Loire-Inférieure),  près  du 
lac  de  Grand-Lieu. 


1585]  LIYRE  DIXIÈME,   CHAP.   X.  2l2l7 

bourg  enfermé  d'eau.  Le  prince  de  Condé  retourna 
sur  ses  pas  pour  faire  à  ses  ennemis,  comme  il  disoit, 
pont  d'or  et  esplanade  d'argent.  Quelques  arquebu- 
ziers  à  cheval,  entre  ceux-là  les  capitaines  L'Hom- 
meau*  et  La  Roche  ^,  sans  commandement  et  desban- 
dez, eurent  à  leur  volonté  tout  le  bagage  de  cette 
armée,  tuèrent  cinquante  de  leurs  hommes  de  guerre 
et  emmenèrent  force  prisonniers  sans  combat*. 

De  mesme  temps,  le  comte  de  Brissac*,  n'ayant  pas 
voulu  se  mesler  avec  le  duc  pour  la  haste  que  lui  don- 
noit  le  duc  de  Guy  se,  marchoit  vers  Beau-Préau^  et 
Monraveau  avec  quelque  deux  mil  hommes.  Celui ^  qui 
avoit  esté  cause  de  l'avancement  du  prince  fit  une 
course  avec  cinquante  chevaux  vers  ces  troupes,  où  il 
pensoit  mieux  faire,  pource  qu'elles  devoyent  marcher 
d'asseurance  ;  mais,  ayant  chargé  sur  le  soir  et  defifaict 
quarante  chevaux  à  un  moulin  près  du  Doré^,  le 
comte  de  Brissac  jetta  ses  gens  de  pied  avec  effroi 
aux  passages  d'Ingrande  et  Ghantossay  ^  ;  et  lui  avec 

1 .  Le  capitaine  L'Hommeau,  du  parti  protestant,  cité  dans  les 
Chroniques  fontenaisiennes,  p.  418. 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  L'Hommeau  et  Brion,  sans 
commandement...  » 

3.  Les  compagnies  du  duc  de  Mercœur,  poursuivies  à  outrance 
par  les  capitaines  du  prince  de  Condé,  furent  rompues  au  passage 
du  Lay,  petit  cours  d'eau  qui  passe  à  Mareuil  {Chroniques  fonte- 
naisiennes, p.  414). 

4.  Charles  de  Cessé,  comte  de  Brissac,  maréchal  de  France, 
gouverneur  d'Angers  en  1585,  capitaine  catholique,  mort  en 
juin  1621.  M.  Mourin  a  consacré  une  notice  détaillée  à  ce  capi- 
taine (La  Réforme  et  la  Ligue  en  Anjou,  1856,  p.  192). 

5.  Beaupréau  et  Montrevault  (Maine-et-Loire),  sur  l'Èvre. 

6.  D'Aubigné  lui-même. 

7.  Le  Doré  (Maine-et-Loire),  commune  du  Puiset-Doré. 

8.  Ingrande  et  Champtocé  (Maine-et-Loire),  sur  la  Loire. 


228  HISTOraE   UNIVERSELLE.  [1585 

Ja  cavallerie  gaigna  le  pont  de  Se*,  pour  mettre  Loire 
entre  lui  et  ses  ennemis. 

Ainsi  le  prince  de  Condé  demeura  maistre  de  la 
campagne  sur  le  poinct  qu'il  espousa  la  sœur^  de  la 
Trimoùille,  duc  de  Touars^,  et,  par  ce  mariage*,  ren- 
força son  parti  de  ce  beau-frère,  qui  n'y  fut  pas  inu- 
tile après,  et  de  la  place  de  Taillebourg^,  très  forte 
et  importante,  pour  ce  que  c'est  le  dernier  pont  de 
Gharante  ;  mais  il  y  eut  de  la  façon  pour  la  mettre  au 
parti  des  refformés.  Car  Bellegarde^,  lieutenant  de  roi 
en  Xainctonge,  avoit  jette  Beaumont'  et  ses  compa- 
gnies de  gens  de  pied  dedans  les  villes  haute  et  basse 
qui,  en  huict  jours  de  loisir,  s'estoyent  retranchez  à  la 
teste  d'en  haut,  pour  y  attendre  une  coulevrine;  et 
puis  avoyent,  de  là  jusques  au  pont,  la  rivière  à  main 
gauche,  et  la  roche  du  chasteau  pour  muraille  à  droicte, 

1.  Saint-Aubin  du  Pont-de-Gé  (Maine-et-Loire),  près  d'Angers. 

2.  Charlotte -Catherine  de  la  Trémoille,  seconde  femme  du 
prince  de  Condé,  morte  le  28  août  1629. 

3.  Claude  de  la  Trémoille,  duc  de  Thouars,  né  en  1566,  pair  de 
France,  fidèle  serviteur  de  Henri  IV,  mort  le  25  octobre  1604. 

4.  Le  mariage  se  fit  à  Taillebourg  le  dimanche  16  mars  1586. 

5.  Taillebourg  (Charente-Inférieure)  appartenait  à  la  maison 
de  la  Trémoille. 

6.  César  de  Saint-Lary,  seigneur  de  Bellegarde,  né  en  1562, 
gouverneur  de  Saintonge,  Angoumois  et  pays  d'Aunis,  capitaine 
de  cinquante  hommes  d'armes,  gouverneur  de  la  Rochelle,  tué 
en  1587  à  la  bataille  de  Coutras.  On  trouve  de  nombreux  docu- 
ments sur  ce  capitaine  dans  Études,  documents  et  extraits  relatifs 
à  la  ville  de  Saintes,  publiés  par  le  baron  Eschasseriaux,  in-4«, 
1876,  p.  371  et  suiv. 

7.  Jacques  de  Beaumont,  s.  de  Rioux  et  de  Nieulles-Saintes, 
capitaine  catholique,  lieutenant  du  maréchal  de  Matignon,  avait 
été  gouverneur  de  Taillebourg.  On  le  trouve  souvent  mentionné, 
pendant  le  règne  de  Henri  III,  dans  Études,  documents  et  extraits 
relatifs  à  la  ville  de  Saintes. 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    X.  229 

sans  qu'il  y  eust  ni  descente  ni  poterne  pour  venir  à 
eux  au  combat,  sinon  un  petit  portillon  dans  la  muraille, 
qui  fermoit  le  grand  fossé  du  chasteau  ;  et  encores  le 
pont  pour  en  sortir  estoit  affronté  et  bloqué  de  bons 
retranchements  garnis  de  mousqueterie  * . 

La  dame  de  la  Trimouilie^  qui,  avec  sa  fille,  estoit 
dans  la  place,  envoyé  à  Sainct-Jean  demander  aide ^.  Le 
comte  de  Laval*,  Sainct-Mesme^  et  Lorges,  ayans 

1.  Suivant  des  documents  cités  par  l'annotateur  des  Chroniques 
fontenaisiennes,  c'était  la  dame  de  la  Trémoille  elle-même  qui, 
par  passion  pour  la  Ligue,  avait  fait  entrer  les  soldats  de  Beau- 
mont  dans  la  ville  de  Taillebourg  (p.  415,  note).  Voyez  les  notes 
suivantes  sur  le  rôle  très  discuté  de  la  dame  de  la  Trémoille. 

2.  Jeanne  de  Montmorency,  veuve  de  Louis  III  de  la  Trémoille, 
premier  duc  de  Thouars.  Suivant  de  Thou  et  la  plupart  des  his- 
toriens, la  dame  de  la  Trémoille,  qui  désapprouvait  l'ardeur  pro- 
testante de  son  fils  et  de  sa  fille,  avait  quitté  le  château  de  Tail- 
lebourg aux  premières  menaces  du  siège  (De  Thou,  liv.  LXXXII), 
Au  contraire,  suivant  une  relation  pubUée  dans  les  Mémoires  de 
la  Ligue  (t.  Il,  p.  163),  que  d'Aubigné  suit  pas  à  pas  dans  la  suite 
de  ce  récit,  elle  serait  restée  à  Taillebourg  pour  faire  tête  à  l'en- 
nemi. Cette  version  doit  être  la  bonne,  puisqu'elle  est  confirmée 
par  d'Aubigné.  Elle  semble  confirmée  par  les  Chroniques  fonte- 
naisiennes (p.  416),  qui  racontent  que  le  roi,  mécontent  du  chan- 
gement de  front  de  la  dame  de  la  Trémoille,  la  fit  arrêter  et 
conduire  à  Poitiers. 

3.  La  dame  de  la  Trémoille,  suivant  les  uns,  Charlotte  de  la 
Trémoille,  suivant  les  autres,  ou  toutes  deux  organisèrent  avec 
courage  la  défense  de  Taillebourg.  Elles  envoyèrent  au  comte  de 
Laval  un  page  avec  une  lettre  par  laquelle  elles  réclamaient  du 
secours  et  l'instruisaient  de  la  façon  dont  il  pouvait  franchir  les 
lignes  des  assiégeants  (Relation  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue, 
t.  II,  p.  164).  Ce  fut,  disent  quelques  contemporains,  l'héroïsme 
de  cette  jeune  fille  qui  fit  naître  l'amour  du  prince  de  Condé  et 
qui  le  décida  à  demander  sa  main. 

4.  Gui  de  CoUgny,  comte  de  Laval,  fils  de  François  de  CoUgny, 
seigneur  d'Andelot,  et  de  Claude  de  Rieux,  mort  en  1585  au 
château  de  Taillebourg. 

5.  François  de  la  Rochebeaucourt,  échanson  et  maître  d'hôtel 


230  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

ramassé  leurs  compagnies,  poussent  devant  La  Boulaye 
avec  sa  troupe  et  quelques  arquebuziers  qu'ils  lui 
donnèrent*. 

Le  secours  arrivé  vers  la  garenne,  ce  fut  à  desmes- 
1er  les  mesfiances  huguenottes,  mais  un  gentilhomme, 
nommé  Bois-Giraud-  et  un  autre  nommé  DuHamet^, 
estans  descendus  par  des  cordes,  La  Boulaye  s'en  sert 
de  guides,  les  fait  suivre  par  ses  arquebuziers,  leur 
donne  pour  les  soustenir  Bastarderais,  avec  dix-huit 
gentilshommes,  lui  les  suivant  avec  son  reste.  Les  pre- 
miers coulent  par  le  portillon  que  nous  avons  dit 
couvert  de  ronces  et  d'espines,  et,  s'estant  jettez  un  à 
un,  Bastarderais  se  hasta  de  saisir  la  rue,  pour  ce 
qu'on  gourmandoit  les  siens  par  devant  et  par  der- 
rière. La  Boulaye  fait  donner  sa  troupe  par  le  haut, 
et  lui  suit  par  la  poterne.  Quelques  canonades  et  mous- 
quetades  du  chasteau  favorisans  l'afifaire,  Beaumont  et 
les  siens  furent  enfoncés,  pris  ou  tuez^  Je  ne  veux 
pas  oublier  que  sur  l'heure  du  combat  le  capitaine  Pic- 

du  roi,  sénéchal  de  Saintonge,  gouverneur  d'Angoumois  et  de 
Saint-Jean-d'Angély,  capitaine  de  cinquante  hommes  d'armes, 
seigneur  de  Saint- Mesme  (et  non  de  Sainte-Mesme),  près  Cognac, 
Mainxe,  le  Grollet,  Varaize  et  Sémoussac  (Études,  documents  et 
extraits  relatifs  à  la  ville  de  Saintes,  p.  388,  note). 

1 .  Le  comte  de  Laval  avait  cent  hommes  de  pied  armés  de  cui- 
rasses et  trois  à  quatre  cents  arquebusiers  (Mémoires  de  la  Ligue, 
t.  II,  p.  164). 

2.  Le  s.  de  Boisgiraud,  capitaine  protestant,  appartenait  à  la 
famille  de  Marchais,  de  Saintonge. 

3.  Probablement  du  Hamel,  capitaine  protestant,  originaire  du 
Brouage. 

4.  Défense  du  château  de  Taillebourg  et  prise  de  la  ville  par 
les  réformés,  décembre  1585.  Le  capitaine  Boursier,  lieutenant 
des  gardes  du  prince  de  Gondé,  fut  nommé  gouverneur  de  la 
place. 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XI.  231 

quard*,  avec  toute  la  garnison  de  Xainctes,  secourut 
les  attaquez,  ce  qui  fut  cause  de  plus  de  combat  et  de 
plus  grande  perte  aux  catholiques,  et  mesme  que  la 
dernière  compagnie,  qui  marchoit  pour  le  secours,  fut 
chargée  et  deffaicte  par  Rieux^,  frère  de  Laval,  dans 
un  chemin  creux. 

En  tout  cet  affaire,  il  y  eut  quelques  cent  quarante 
morts,  quatre  drapeaux  pris,  les  autres  sauvez  dans 
la  pochette,  seize  capitaines  et  gentilshommes  prison- 
niers, qui  furent  traictez  courtoisement;  de  l'autre 
costé,  ne  fut  perdu  que  six  soldats^. 

Chapitre  XI. 
Siège  de  Brouage*. 

De  Taillebourg,  le  prince  eut  dessein  de  penser  au 
payement  de  ses  forces,  et,  pour  ce  faire,  ayant  tout 
ramassé,  et  emprunté  des  Rochelois  ce  qu'il  put 
d'hommes  et  vaisseaux,  il  fit  quitter  d'effroi  les  garni- 
sons^ que  Sainct-Luc  avoit  mises  dans  Fourras,  Sainct- 

1.  Le  capitaine  Picart  était  entré  à  Taillebourg  la  nuit  qui 
précéda  la  défaite  du  capitaine  Beaumont  avec  cent  vingt  hommes 
de  renfort  (Relation  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  Il,  p.  165). 

2.  Gui  de  Coligny,  s.  de  Rieux  et  de  Ghàteauneuf,  chevalier 
de  l'ordre  du  roi,  capitaine  de  cinquante  hommes  d'armes  de  ses 
ordonnances,  plus  tard  gouverneur  de  Brest. 

3.  Le  récit  de  la  défense  du  château  de  Taillebourg  et  de  la 
prise  de  la  ville  par  les  protestants  est  donné  avec  détails  dans 
une  relation  reproduite  par  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  Il,  p.  163, 
et  dans  le  liv.  LXXXII  de  l'histoire  de  de  Thou.  Les  deux  récits 
diffèrent  sur  plusieurs  points. 

4.  Siège  de  Brouage  (Charente-Inférieure)  par  le  prince  de 
Gondé,  19  septembre  1585  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  5). 

5.  Ces  garnisons  étaient  commandées  par  le  capitaine  Villetar 


2321  mSTOlRE  UNIVERSELLE.  [1585 

Jean-d' Angle  *  et  Soubize^.  Celle  de  ce  dernier  fut 
chargée  en  se  retirant  par  Lorges,  qui  les  pressa  de 
façon  qu'en  leur  faisant  quitter  tous  les  avantages  des 
marais,  il  les  mena  battant  jusques  sur  le  bord  de 
Brouage,  en  tua  quelques  dix-huict  à  la  veue  de  Sainct- 
Luc,  qui  ne  les  pouvoit  faire  secourir  à  cause  que  la 
mer  estoit  basse;  prit  les  capitaines  Luchet  et  Millan- 
bourg^  avec  cinquante  de  leurs  prisonniers,  qu'il  mit 
au  commencement  sur  leur  foi. 

Tous  ces  petis  succès  eschaufFèrent  le  prince  de 
Condé  et  lui  firent  haster  le  siège  de  Brouage,  et  *  le  ren- 
dirent plus  résolu.  Et  pourtant  il  s'avança  à  Marennes^, 
sans  estre  arresté  plus  tost  qu'au  bourg  d'Hiers®,  qui 
estoit  gardé  par  un  petit  canal  qu'on  ne  pouvoit  passer, 
sinon  aux  basses  marines.  Là-dedans  Sainct-Luc  avoit 
logé  trois  cents  de  ses  meilleurs  hommes.  Ceux-là 
firent  bonne  contenance  quelque  temps  ;  mais,  voyans 

(Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  5)  sous  les  ordres  de  François 
d'Épinay,  seigneur  de  Saint-Luc,  gouverneur  de  Brouage,  ancien 
mignon  de  Henri  III,  mort  au  siège  d'Amiens  le  8  sept.  1591. 

1.  Prise  de  la  tour  de  Fouras  (Charente-Inférieure)  par  le  prince 
de  Condé,  18  septembre  1585.  Le  19  septembre,  prise  de  Soubise 
(Charente-Inférieure).  Voyez  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  Il,  p.  6. 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  Soubize.  La  garnison  de  ce  der- 
nier lieu  fut  chargée...  i 

3.  Les  s.  de  Luchet  étaient  deux  frères.  L'aîné,  en  1585,  appar- 
tenait au  parti  du  s.  de  Saint-Luc  (Études,  documents  et  extraits 
relatifs  à  la  ville  de  Saintes,  p.  375).  Luchet  et  Millambourg  sont 
cités  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  6. 

4.  Cette  fin  de  phrase  manque  à  l'édition  de  1618. 

5.  En  allant  faire  le  siège  de  Brouage ,  raconte  de  Thou 
(liv.  LXXXU),  le  prince  de  Condé  partit  de  Sainte-Gemme, 
s'avança  vers  Saint-Just,  laissa  Marennes  sur  la  gauche  et  arriva 
enfin  à  Hiers. 

6.  Hiers  (Charente-Inférieure),  petit  bourg  voisin  de  Brouage. 


ï 


4585]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XI.  2133 

une  troupe  menée  par  La  Boulaye,  qui  s'avançoit  par 
le  marais  pour  couper  entre  la  bourgade  et  Brouage, 
ceux  d'Hiers,  tant  pour  leur  salut  que  pour  la  ville, 
gagnèrent  la  contr' escarpe,  et  ainsi  les  refformés  com- 
mencèrent quelque  face  de  siège^.  Cependant,  Mor- 
nac^  estoit  attaqué  par  ceux  de  Saujon^  que  Candelay 
commandoit. 

Après  deux  jours  d'approche  et  légères  pertes,  il 
receut  ceux  de  dedans  à  composition.  Là  fut  pris  le 
capitaine  Jean  Pierre*,  qui  a  voit  eu  et  a  depuis  grand 
crédit  à  la  marine.  La  Trimoiiille,  avec  une  compagnie 
de  gens  d'armes,  se  vint  déclarer  du  parti  de  son 
beau-frère^. 

Ceux  de  la  Rochelle,  estans  bien  advertis  des  grands 
manquements  qu'il  y  avoit  en  Brouage,  mais  princi- 
palement de  la  disette  d'eau,  de  vin  et  de  médica- 
ments, esquippèrent  de  nouveau  ce  qu'ils  eurent  de 
meilleurs  vaisseaux®.  Avec  tout  cela  commença  le 
siège  de  blocus  en  cette  façon.  Sainct-Gelais,  mareschal 

1.  Prise  d'Hiers -Brouage  (Charente-Inférieure)  par  Condé, 
19  septembre  1585  {Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  7). 

2.  Siège  de  la  Tour  de  Mornac,  dans  l'île  d'Alvert  (Charente- 
Inférieure),  par  le  prince  de  Condé,  25  septembre  1585.  Mornac 
fut  pris  peu  de  jours  après  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  U,  p.  8). 

3.  Saujon  (Charente-Inférieure),  sur  la  Seudre. 

4.  Le  capitaine  Jean-Pierre  est  signalé  dans  les  Mémoires  de  la 
Ligue  comme  le  favori  de  Saint-Luc  (t.  II,  p.  8). 

5.  Claude  de  la  Trémoille,  duc  de  Thouars,  arriva  au  camp  du 
prince  de  Condé  le  22  septembre  1585  (Mémoires  de  la  Ligue, 
t.  U,  p.  8). 

6.  La  flottille,  envoyée  par  la  ville  de  la  Rochelle  au  secours 
du  prince  de  Condé  et  des  assiégeants  de  Brouage,  arriva  le 
22  septembre  1585  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  8). 


234  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

de  camp,  se  retrancha  à  la  Blanchardière  ^  avec  ceux 
qu'on  y  envoyoit  en  garde  du  bourg  d'Hiers,  où  estoit 
Bois-du-Lis^,  avec  les  régiments  de  Lorges,  Sainct- 
Surin,  Bois-Rond,  Aubigné  à  Sainct-Aignan^,  avec  son 
régiment,  sa  compagnie  de  chevaux  légers  et  six 
compagnies  d'arquebuziers  à  cheval,  qu'on  lui  avoit 
donné  de  plus,  pour  rendre  compte  de  ce  qui  pouvoit 
venir  en  la  ville  par  les  achenaux  et  marais  de  ce 
costé-là  jusques  à  la  mer.  Et  pourtant,  ayant  recouvré 
des  bateaux,  il  vint  faire  deux  forts  tout  auprès  de 
l'endroict  où  la  Scitie*  s'estoit  engagée,  comme  nous 
avons  dit  au  dernier  livre  du  premier  tome. 

Banques^  eut  la  commission  d'Oléron,  où,  à  la 
faveur  des  navires  rochelois,  il  se  logea  légèrement, 
et  prit  à  son  arrivée  les  capitaines  Beaumont  ^  et  Tié- 
bert^,  qui  estoyent  descendus  dans  l'isle,  pour  cer- 
cher  moyen  d'entrer  en  Brouage,  estans  envoyez  de  la 
part  du  mareschal  de  Matignon  pour  négocier  avec 
Sainct-Luc.  Par  leurs  mémoires  et  propos,  le  prince  fut 

1.  La  Blanchardière  (Charente-Inférieure),  village  d'Hiers. 

2.  Les  Mémoires  de  la  Ligue  (t.  Il,  p.  9)  l'appellent  Boisdulie. 
Les  Lettres  de  Henri  IV  (t.  VIII,  p.  338)  mentionnent  un  capitaine, 
du  nom  de  Boisdulis,  comme  o  personne  capable,  suffisante  et 
traictable.  » 

3.  8aint-Agnant-les-Marais  (Charente-Inférieure). 

4.  La  Scithie  était  un  navire  de  guerre. 

5.  Antoine  de  Ranques,  capitaine  huguenot,  fidèle  serviteur 
du  roi  de  Navarre,  plusieurs  fois  cité  dans  les  Lettres  de  Henri  IV. 

6.  Le  capitaine  Beaumont  était  alors  mestre  de  camp  du  maré- 
chal de  Matignon  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  9). 

7.  Thiébert,  capitaine  catholique,  sergent-major  de  la  garnison 
de  Brouage.  De  Thou  (liv.  LXXXIE)  raconte  que  ce  personnage 
avait  été  l'un  des  promoteurs  de  la  Ligue  en  Poitou. 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XI.  235 

asseuré  qu'il  n'y  avoit  point  de  secours  pour  ceux  de 
Brouage,  au  moins  qui  pust  estre  prest  de  longtemps; 
si  bien  que,  voyant  toutes  choses  rire  à  son  entreprise, 
il  s'y  confirma  tant  plus,  employant  le  temps  à  policer 
son  armée,  que  lors  il  commença  d'appeler  ainsi,  à 
mettre  aux  armes  et  en  compagnie  les  habitans  de  ces 
isles,  qui  estoyent  au  nombre  de  trois  mille,  et  qui  au 
commencement  s'employèrent  assez  bien  pour  leur 
liberté,  car  ils  appelloyent  ainsi  l'obéyssance  à  un 
prince  de  mesme  religion  qu'eux.  Ils  commencèrent 
donc  à  travailler  au  pas  de  Sainct-Sorlin,  de  Sainct- 
Just^  et  de  Marennes,  qui  sont,  comme  nous  avons  dit 
ailleurs,  trois  isles  dans  le  marais,  qu'ils  appellent  les 
paSy  et  là  où  le  peuple  en  bonne  intelligence  se  pour- 
roit  maintenir,  ayant  du  canon,  contre  une  armée 
turquesque.  Je  l'ai  ainsi  ouï  maintenir  et  prouver  dans 
un  conseil  de  gens  de  guerre.  Durant  ces  labeurs,  se 
passoyent  tous  les  jours  escarmouches  assés  gaillardes 
dans  ceste  grande  plaine,  qui  descend  de  la  Blanchar- 
dière  à  la  ville,  et  dans  laquelle  les  assiégeans  n'avoyent 
point  faict  de  logis;  se  contentans  de  r'amener  ceux 
qui  sortoyent  jusques  à  la  place  du  moulin,  dont  nous 
avons  parlé  autresfois.  A  ces  exercices  ne  se  trouvoyent 
guères  de  gens  de  cheval,  que  la  compagnie  de  La 
Boulaye,  qui  donna  une  fois  dans  la  queue  de  ceux 
qui  se  retiroyent,  mais,  pour  avoir  trop  tost  paru,  per- 
dit une  belle  occasion. 

Là  se  signalèrent,  de  ceux  de  dehors,  Bois-Rond, 
Sainct-Surin,  l'aisné  Villermac,  et,  sur  tous,  Bois-du- 

1.  Saint-Sornin-de-Marennes  et  Saint-Just  (Charente- Infé- 
rieure). 


Si36  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

Lis.  Du  dedans,  Saint-Luc  eschappa  fort  souvent  plus 
loing  que  ne  devoit  le  gouverneur.  Luchet  et  Fauville 
y  parurent  en  deux  ou  trois  occasions,  mais  particu- 
lièrement Guitaut,  qui  présenta  un  combat  de  six 
vingts  mousquets  et  quatre-vingts  picques  à  autant  de 
cavallerie.  Durant  ces  esbatements,  il  faut  sçavoir  des 
nouvelles  de  la  cour. 

Chapitre  XIL 

Affaires  de  la  cour. 

Brouage  n'estoit  pas  assiégé  de  si  près  que  le  roi, 
bien  empesché  à  répondre  aux  dernières  requestes  de 
la  Ligue,  qui  demandoit  l'aumosne  avec  une  espée  à 
deux  mains  et  faisoit  à  ce  prince  le  cercle  de  Popilius. 
D'une  part  les  armées  qui  grossissoyent  pour  les  liguez 
l'espouvantoyent,  les  discours  ordinaires  de  la  roine 
sa  mère,  ceux  de  ses  confesseurs,  de  ses  confrères, 
et  de  ceux  qu'il  avoit  choisis  pour  tesmoins  de  son 
excessive  piété  ^,  ne  le  souffroyent  prendre  haleine. 
Quelques-uns  seulement  d'auprès  de  lui,  mais  de  peu 
de  marque  au  prix  du  mareschal  d'Aumont^,  l'encou- 
rageoyent.  Avec  lui,  il  cerchoit  des  remèdes  paliatifs 
à  sa  maladie  en  vain.  Il  tasta  une  conférence^  par  le 

1.  Le  Journal  de  L'Estoile  raconte  que,  non  seulement  le  roi 
assistait  à  tous  les  offices,  suivait  toutes  les  cérémonies,  écoutait 
tous  les  sermons  des  pénitents  de  Notre-Dame,  mais  encore  qu'il 
prêchait  lui-même.  Voyez  à  la  date  du  31  octobre  1585. 

2.  Jean  d'Aumont,  né  en  1522,  maréchal  de  France  en  1579, 
fidèle  serviteur  de  Henri  IV,  qui  le  nomma  gouverneur  de  Cham- 
pagne, puis  de  Bretagne,  mort  le  19  août  1595. 

3.  D'Aubigné  insinue  ici  que  le  roi  essaya  d'obtenir  une  con- 


I 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XH.  2|37 

cardinal  de  Lenoncourt*  et  le  président  Brulard*, 
receue  des  Guisards  avec  mespris.  Les  refformés  lui 
envoyoyent  des  offres  excellens  contre  ses  ennemis, 
avec  grandes  fidélitez  et  des  soubmissions  à  ses  pieds. 
L'Angleterre  vouloit  défoncer  pour  lui.  La  roine 
Élizabeth  se  condamnoit  à  faire  de  grandes  avances 
de  deniers^.  Tout  à  la  foule  arrivèrent  les  ambassa- 
deurs^ extraordinaires  des  électeurs  palatin,  de  Saxe 
et  de  Brandebourg;  des  ducs  de  Wittemberg  et  de 
Brunsvich,  et  du  lantgrave  d'Hessen  ^,  et  cela  exécuté 
par  les  plus  grands  seigneurs  d'Allemagne. 

férence  avec  les  Guises  par  l'intermédiaire  du  cardinal  de  Lénon- 
court  et  du  secrétaire  Brulard,  mais  il  se  trompe.  Ce  fut  au  roi 
de  Navarre  que  Henri  III  envoya  ces  deux  ambassadeurs  sous 
prétexte  de  le  convertir,  mais,  en  réalité,  pour  lui  demander 
une  entrevue.  Partis  de  Paris  avec  deux  docteurs  de  Sorbonne, 
le  22  juillet  1585  (Journal  de  UEstoile),  ils  arrivèrent  le  25  août 
à  Nérac.  Le  récit  de  leur  mission  est  publié  dans  les  Mémoires 
de  la  Ligue,  t.  I,  p.  211. 

1.  Philippe  de  Lénoncourt,  conseiller  d'État,  évêque  d'Auxerre 
en  1562,  cardinal  en  1586,  mort  en  1591. 

2.  Nicolas  Brulart,  marquis  de  Sillery,  seigneur  de  Puisieux,  né 
en  1554,  conseiller  au  Parlement  en  1573,  successivement  chan- 
celier de  Navarre  et  chanceUer  de  France,  mort  le  l"  oct,  1624. 

3.  Ce  ne  fut  pas  au  roi  de  France,  comme  d'Aubigné  semble 
le  dire,  que  la  reine  ÉUsabeth  fit  des  avances  de  deniers,  mais 
au  roi  de  Navarre.  Les  Lettres  de  Henri  IV  k  cette  date  sont  rem- 
plies de  négociations  à  ce  sujet. 

4.  La  mission  des  ambassadeurs  des  princes  allemands  auprès 
du  roi  n'eut  heu  qu'en  1586.  Le  roi  leur  donna  audience  le 
11  octobre  et  échangea  avec  eux  des  harangues  d'apparat.  Ces 
pièces  sont  pubUées  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  sous  cette  date, 
t.  I,  p.  319  et  325.  De  Thou  confirme  cette  date  (liv.  LXXXVI). 

5.  Jean-Casimir,  électeur  palatin.  —  Christian  II,  électeur  de 
Saxe.  —  Jean-George,  électeur  de  Brandebourg.  —  Frédéric  de 
Wurtemberg,  duc  de  Montbéliard.  —  Jules,  duc  de  Brunswick. 
—  Guillaume,  landgrave  de  Hesse. 


238  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

En  mesme  temps  se  descouvroyent  entreprises 
d'attentats  sur  la  vie  du  roi,  et  des  résolutions  de  le 
mettre  moine.  Il  ne  pouvoit  fournir  à  voir  les  petits 
livrets*  qu'on  lui  portoit  en  prose  et  en  vers^  et  en 

1.  D'Aubigné  anticipe  peut-être.  A  la  date  où  nous  sommes 
(1585),  les  pamphlets  n'avaient  pas  encore  paru.  Ils  ne  furent 
imprimés  qu'après  la  journée  des  barricades,  dans  ''  seconde 
moitié  de  1588  et  en  1589.  Les  plus  célèbres  sont  les  plus  inju- 
rieux :  les  Sorcelleries  de  Henri  de  Valois  ;  les  Mœurs,  humeurs  et 
comportemens  de  Henri  de  Valois...;  la  Vie  et  faits  notables  de  Henri  de 
Valois...  La  célèbre  Description  de  l'isledes  Hermaphrodites  n'a.  été 
rédigée  qu'après  1598,  puisque  l'auteur  y  parle  du  traité  de  Ver- 
vins,  et  n'a  été  publiée  que  vers  1605. 

2.  Une  de  ces  pièces  de  vers  mérite  d'être  sauvée  de  l'oubli,  à 

cause  de  l'énergie  et  de  la  précision  avec  laquelle  elle  dépeint  la 

situation  politique  après  le  traité  de  Nemours.  Tel  fut,  du  reste, 

l'avi's  de  l'ambassadeur  d'Espagne,  qui  l'envoya  à  Philippe  II, 

dans  la  correspondance  duquel  nous  retrouvons  ce  document 

curieux  : 

Le  roy. 

Je  désire  la  paix,  et  la  guerre  je  jure. 

Duc  de  Guise. 
Mais,  si  la  paix  se  fait,  mon  espoir  n'est  plus  rien. 

Duc  de  Mayenne. 
Par  la  guerre  nous  vient  le  crédit  et  le  bien. 

Gard,  de  Guise. 
Le  temps  s'offre  pour  nous  avec  la  couverture. 

Roy  de  Navarre. 
Qui  comptera  sans  moi,  pensant  que  je  l'endure. 
Comptera  par  deux  fois,  je  m'en  asseure  bien. 

Gard,  de  Bourbon. 
Chacun  peult  bien  compter  ce  qu'il  pense  estre  sien. 

La  royne  mère. 
La  dispute  ne  vault  pendant  que  mon  fils  dure. 

Le  pape. 
Poursuivons  néanmoins  la  Ligue  et  ses  projets. 

L'empereur. 
Le  roy  doncques  perdra  la  France  et  ses  subjects. 

Le  roy  d'Espagne. 
Si  la  France  se  perd,  je  l'auray  tost  trouvée. 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   XH.  239 

diverses  langues,  quelques-uns  de  ceux-là  chantans, 
qu'aux  deux  couronnes  que  le  roi  faisoit  porter  pour 
devise*,  il  lui  en  faloit  adjouster  pour  troisiesme  une 
de  cheveux 2,  mais  le  feu  estoit  mort  au  foyer  de  son 
cœur,  et  tous  ces  soufflets  n'en  faisoyent  voler  que  de 
la  cendre;  si  bien  que  tous  les  gens  de  guerre,  et 
mesmement  les  soldats  des  gardes,  blasphémoyent  de 
leur  prince  et  de  sa  lascheté  ;  de  laquelle  les  escripts 
attribuoyent  la  cause  à  des  péchez  horribles,  véritables 
ou  inventez.  Vous  oyiez  dire  tout  haut  que,  depuis 
que  ce  prince  s' estoit  prostitué  à  rameur  contre 
nature,  mesme  avoit  tourné  ses  voluptez  à  patir  au 

La  France. 
Tout  beau  !  il  ne  faut  pas  tant  de  chiens  pour  un  os, 
Et  ceux-là  ont,  bien  mal  ma  puissance  esprouvée 
Qui  pour  l'ambition  me  troublent  le  repos. 

(Arch.  nat.,  K.  1564,  n»  30.  —  Imprimé  dans  les 
Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II.) 

i.  Henri  Ul  avait  la  faiblesse  de  porter  le  titre  de  Roi  de 
France  et  de  Pologne  et  d'écarteler  les  armes  de  France  avec 
celles  de  Pologne. 

2.  Voici  le  fait  auquel  d'Aubigné  fait  allusion.  Au  mois  de 
novembre  1585,  on  inaugura  à  Paris  le  cadran  de  l'horloge  du 
palais.  Ce  cadran  contenait  un  portrait  du  roi,  au-dessous  duquel 
était  gravé  ce  vers  : 

Qui  dédit  ante  duas,  triplicem  dabit  ille  coronam. 
Un  ligueur  y  ajouta  le  suivant  : 

Tertia  sic  dabitur,  tenuit  sicut  ante  secundam. 
Plus  tard,  on  transforma  ces  vers  comme  suit  : 

Qui  dédit  ante  duas,  unam  abstulit,  altéra  nutat, 
Tertia  tonsoris  est  facienda  manu. 

(Journal  de  L'Estotle,  sous  la  date  du  18  nov.  1585.) 

Le  mot  fit  fortune.  Le  Journal  de  L'Estoile  raconte  que  la 

duchesse  de  Montpensier  disait  plus  tard  «  qu'elle  portsùt  à  sa 

ceinture  les  cizeaux  qui  donneroient  la  troisième  couronne  à 

frère  Henri  de  Valois  »  (janvier  1588). 


240  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

lieu  d'agir,  on  cottoit  la  perte  du  courage  qu'on  avoit 
veu  à  Monsieur  avant  la  naissance  de  telles  énormitez. 
De  ce  mespris  vint  la  crainte  des  partisans  royaux, 
qui  voyoyent  le  péril  marié  avec  la  honte.  A  quoi 
s'adjousta  la  grande  terreur  donnée  par  cette  grande 
armée  qu'on  dressoit  à  Lisbonne,  telle  que  nous  la 
despeindrons  en  son  lieu.  Et  ainsi  les  plus  confidents 
seigneurs  et  gentilshommes,  et  les  plus  estimez  con- 
seillez de  ce  roi,  gagnez,  oultre  la  peur,  par  les  pré- 
sents d'Espagne*,  menèrent  au  commencement  l'es- 
prit de  leur  maistre,  et  puis  le  traînèrent  tout  à  faict 
dedans  l'estonnement  ;  recevans  de  bon  cœur  la  ful- 
minante du  pape  et  l'excommunication^  de  tous  les 


1.  D'Aubigné  ne  dit  pas  et  ignorait  peut-être  que  le  roi  d'Es- 
pagne décida  la  Ligue  à  envoyer  le  duc  de  Nevers  à  Rome,  afin 
d'obtenir  le  consentement  et  l'appui  moral  du  pape  en  faveur  du 
parti  catholique.  Nevers  arriva  à  Rome  le  1"  juin  1585.  Après 
de  longues  hésitations ,  poussé  par  l'ambassadeur  d'Espagne, 
Sixte-Quint  se  décida  à  lancer  une  bulle  contre  le  roi  de  Navarre. 
M.  le  baron  de  Hubner  a  très  bien  raconté,  d'après  les  archives 
du  Vatican,  ces  intrigues  et  ces  événements  {Sixte-Quint,  t.  II, 
p.  163). 

2.  La  bulle  lancée  contre  le  roi  de  Navarre  et  le  prince  de 
Gondé  fut  signée  le  28  août  1585  (De  Thou,  liv.  LXXXII),  mais 
elle  ne  porte  que  la  date  du  9  septembre.  Elle  est  imprimée  dans 
les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  214,  dans  les  Archives  curieuses 
de  Gimber  et  Danjou,  t.  XI,  p.  47,  dans  les  pièces  justificatives 
de  la  Biographie  protestante  d'Ra.a.g,  t.  X,  p.  187,  et  ailleurs.  Cette 
bulle  n'a  pas  seulement  pour  objet  d'excommunier  les  deux 
princes  de  Bourbon,  elle  prétend  aussi  les  déclarer  déchus,  eux 
et  leur  descendance,  de  tout  droit  à  la  succession  du  royaume  de 
France,  Le  roi  de  Navarre  et  le  prince  de  Gondé  y  répondirent 
par  une  protestation  très  bien  fondée,  qu'ils  s'efforcèrent  de  faire 
afficher  à  Rome  comme  un  défi.  Ils  y  réussirent,  d'après  presque 
tous  les  historiens,  le  6  novembre  suivant;  mais  ce  point  nous 
paraît  douteux,  malgré  l'autorité  de  de  Thou,  attendu  le  silence 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,   CHAP.   XH.  241 

hérétiques  et  de  leurs  fauteurs,  car,  après  cette  menace, 
qui  sembloit  agir  plus  aux  consciences  qu'aux  courages, 
il  n'y  eut  plus  de  honte  à  la  consternation. 

Voilà  donc  le  roi  en  Parlement  à  protester  de  son 
innocence*,  et  de  là  en  une  assemblée  publique^,  où 
il  harangua  en  client  et  non  en  raaistre,  fit  un  grand 
discours  de  ses  dévotions  ;  cela  receu  avec  risées  qui 
lui  furent  visibles;  s'estendit  sur  les  plaisirs  de  la 
paix,  sur  les  malheurs  de  la  guerre;  et,  après  quelques 
reproches  de  ses  bienfaits,  conclut  en  prenant  la  har- 
diesse de  dire  qu'en  voulant  perdre  le  presche,  on 
mettroit  la  messe  en  grand  hazard^.  De  ce  pas,  il 

de  toutes  les  correspondances  de  Rome.  La  protestation  des 
princes  est  imprimée  à  la  suite  de  l'acte  d'excommunication.  La 
réfutation  de  la  bulle  donna  lieu  au  célèbre  pamphlet  de  Fran- 
çois Hotman  :  Brutum  fulmen  papse  Sixti  Quinti  adversus  Henri- 
cum,  serenissimum  regem  Navarrx  et  illustrissimum  Henricum 
Borbonium,  principem  Condœum  :  una  cum  protestatione  multi- 
plicis  nullitatis,  1586,  in-8o,  et  1603,  in-12.  Le  texte  de  la  bulle 
est  imprimé  en  tête  du  pamphlet. 

1.  Le  18  juillet  1585,  le  roi  se  rendit  au  Parlement  en  per- 
sonne pour  faire  enregistrer  un  édit  en  date  de  ce  jour,  signé 
en  suite  du  traité  de  Nemours,  par  lequel  il  révoquait  tous  les 
édits  de  tolérance  publiés  précédemment.  Cet  édit  est  publié  dans 
les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  196.  La  visite  du  roi  au  Parle- 
ment fournit  à  L'Estoile  l'occasion  d'un  de  ses  plus  jolis  récits 
(édit.  GhampoUion,  p.  187). 

2.  Le  11  août  1585,  le  roi  manda  au  Louvre  le  prévôt  des  mar- 
chands, quelques  notables  de  la  ville,  les  présidents  du  Parle- 
ment, les  doyens  des  corps  ecclésiastiques,  et  leur  fit  une  longue 
harangue  pour  obtenir  une  subvention  destinée  aux  frais  de  la 
guerre.  Cette  harangue  est  imprimée  dans  les  Mémoires  de  la 
Ligue,  t.  I,  p.  199. 

3.  Voici  les  propres  paroles  du  roi  en  réponse  à  quelques 
observations  soulevées  par  ses  interlocuteurs  :  «  Il  eust  donc 
mieux  valu  me  croire.  J'ay  grande  peur  qu'en  voulant  perdre  le 
prêche,  nous  ne  bazardions  fort  la  messe.  »  Et  il  ajouta  :  «  Il 

VI  16 


M%  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

accorda  l'Édict  de  juillet*,  par  lequel  il  abolit  tous 
les  édicts  en  faveur  des  réformés^.  Nous  en  dirons  les 
particularitez  en  fermant  le  livre  et  le  tome.  Cet  édict 
fut  retenu  secret^  près  de  deux  mois,  dont  advint  que 
les  refformés  firent  la  guerre  de  tous  les  costez  de  la 
France,  jusques  au  commencement  d'octobre  ;  n'ayans 
mot  général  que  Vive  le  roi,  quelques-uns  d'eux  por- 

vaudroit  mieux  faire  la  paix.  Encores  ne  sais-je  s'ils  (les  réfor- 
més) la  voudront  recevoir  à  notre  heure  »  (Mémoires  de  la  Ligue, 
t.  I,  p.  200). 

1.  D'Aubigné  confond  l'édit  de  juillet  avec  le  traité  de  juillet, 
plus  connu  sous  le  nom  de  traité  de  Nemours.  L'édit  de  juillet 
porte  la  date  du  18,  jour  où  il. fut  soumis  au  Parlement,  comme 
on  l'a  vu  plus  haut.  Le  traité  de  Nemours  est  du  7  juillet.  Voyez 
les  notes  suivantes. 

2.  D'Aubigné  se  montre  ici  mal  informé  et  se  contredit  lui- 
même.  Le  traité  de  Nemours  et  l'édit  du  18  juillet  ne  furent  pas 
tenus  secrets.  Ils  furent,  au  contraire,  publiés  avec  le  plus  de 
retentissement  possible.  Un  seul  article  resta  secret  :  celui  qui 
accordait  aux  ligueurs  des  places  de  sûreté.  Voyez  de  Thou, 
liv.  LXXXI.  Quant  à  l'édit  du  18  juillet,  d'Aubigné  vient  de 
nous  raconter  qu'il  fut  soumis  à  l'enregistrement  du  Parlement. 
Aussitôt  qu'il  connut  le  traité  et  l'édit,  le  roi  de  Navarre  pro- 
testa avec  éclat.  Le  10  août  1585,  il  lança  un  manifeste,  dû  à  la 
plume  de  du  Plessis-Mornay,  qui  faisait  ressortir  la  faiblesse  et 
la  lâcheté  du  roi.  Cette  pièce  importante  est  publiée  dans  les 
Mémoires  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  182,  et  dans  les  Mémoires  et  corres- 
pondance de  du  Plessis-Mornay,  édit.  Auguis,  t.  III,  p.  159.  Il 
écrivit  aussi  au  roi  et  à  la  reine,  le  21  juillet  et  les  jours  suivants, 
d'éloquentes  lettres  qui  sont  publiées  dans  Lettres  de  Henri  IV, 
t.  II,  p.  93  et  suiv. 

3.  Le  traité  de  Nemours  fut  signé  par  la  reine  mère  et  par  les 
chefs  de  la  Ligue  le  7  juillet  1585.  Par  cet  acte,  le  roi  s'engageait 
à  faire  la  guerre  à  la  réforme  et  à  mettre  toutes  ses  forces  au 
service  du  parti  catholique.  Le  texte  en  a  été  souvent  imprimé. 
L'original  de  cet  instrument  diplomatique,  signé  par  la  reine,  les 
cardinaux  de  Bourbon  et  de  Guise,  ducs  de  Lorraine,  de  Guise 
et  de  Mayenne,  et  contresigné  par  le  roi,  est  conservé  dans  le 
f.  fr.,  vol.  10297,  f.  20. 


i585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.    XIII.  243 

tans  des  croix  blanches  abouties  de  fleurs  de  lis  et 
appeloyent  ces  marques  des  contre  ligues.  Le  roi  de 
Navarre  et  le  mareschal  de  Matignon^,  serviteur  du 
roi,  vivoyent  avec  quelque  respect,  qui  retenoit  plu- 
sieurs effects  de  guerre-  ;  ce  que  ne  faisoit  pas  le  prince 
de  Condé,  que  nous  avons  laissé  assiégeant,  et  dont 
nous  Talions  tirer,  à  son  dommage,  par  la  prise  du 
chasteau  d'Angers. 

Chapitre  XIII. 

Surprise  du  château  d'Angers. 

Glermont^  avoit  laissé  le  prince  assiégeant  pour 
aller  amasser  quelque  noblesse  en  Anjou.  En  passant 
par  Beauforf^,  desguisé,  Rochemorte^,  qui  le  suivoit, 
sçeut  par  le  capitaine  Brac  ^,  qui  commandoit  au  chas- 

1.  Le  maréchal  de  Matignon  était  gouverneur  de  Guyenne 
depuis  1582.  Cependant,  les  pouvoirs  qui  lui  furent  conférés  par 
le  roi  ne  datent  que  du  8  mai  1585  (Copie  du  temps;  coll.  Clai- 
rembault,  vol.  955,  f.  129). 

2.  Le  maréchal  de  Matignon  était  un  des  négociateurs  du  roi 
auprès  du  roi  de  Navarre.  Son  historien,  Callières,  n'a  pas  connu 
tous  les  secrets  du  maréchal,  mais  il  fait  quelques  révélations 
curieuses  dans  Hist.  du  maréchal  de  Matignon,  1661 ,  in-fol.,  p.  163. 

3.  Georges  de  Clermont  d'Amboise,  baron  de  Bussy,  fils  de 
Jacques  de  Clermont  d'Amboise  {Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  4). 

4.  Beaufort-en- Vallée  (Maine-et-Loire). 

5.  Louis  Bouchereau  de  Rochemorte,  capitaine  protestant.  Peu 
après  la  prise  du  château  d'Angers,  au  mois  d'octobre  1585,  un 
jour  qu'il  sommeillait  sur  l'appui  d'une  fenêtre,  il  reçut,  de  la 
ville,  une  arquebusade  qui  lui  perça  la  gorge,  et  mourut  sans 
prononcer  une  parole  {Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  14). 

6.  Jean  Brac,  mentionné  dans  les  Lettres  de  Henri  IV.  Les 
Mémoires  de  la  Ligue  l'appellent  Broc  (t.  II,  p.  10).  D'autres  his- 
toriens le  nomment  Brioc. 


244  fflSTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

teau  de  Beaufort,  comment  le  capitaine  Fresne^  avoit 
grand  crédit  dans  le  chasteau  d'Angers,  comme  ayant 
grande  fréquentation  avec  le  capitaine  Grec^,  comman- 
dant lors  en  ceste  place  sous  le  comte  de  Brissac  ;  que 
ce  Fresne,  mal  content  du  comte,  avoit  quelque  trame 
avec  Halot^,  n'aguères  commandant  en  ce  chasteau, 
soubs  Bussi  d'Amboise.  Roche-Morte  se  convie  à  ser- 
vir Halot  en  cet  affaire,  avec  un  nommé  Sainct-Jean* 
et  cinq^  autres  braves  compagnons,  que  lui  donnoit 
Clermont;  faisant  son  compte  de  faire  tomber  cette 
place  entre  les  mains  de  son  parti.  Au  contraire,  Halot 
avoit  pourveu  à  son  affaire  avec  une  autre  intention, 
ayant  choisi  quelques  soldats  katholiques  bien  asseu- 
rez  et  qu'il  estimoit  capables  de  jetter  hors  Roche- 
Morte  quand  il  voudroit;  et,  en  ce  faisant,  avouez  d'un 
Guisard,  lui  faire  présent  de  ce  chasteau.  Et  ainsi  la 
peau  de  cet  ours,  vendue  et  divisée  avant  que  la  beste 
fut  morte,  ne  laissa  pas  d'estre  attaquée  comme  il 
s'ensuit. 


1.  Fresne  avait  commandé  une  compagnie  sous  les  ordres  de 
Brissac,  pendant  que  celui-ci  appartenait  à  la  Ligue.  Lorsque  le 
roi  eut  pris  parti  pour  la  Ligue,  Fresne  avait  été  renvoyé  et  il 
accusait  Brissac  de  sa  disgrâce  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  11). 

2.  Le  capitaine  Grec  était  originaire  d'Angouri,  qui  est  l'Ancyra 
des  anciens  {Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  12). 

3.  Michel  du  Bourrouge,  s.  du  Halot,  capitaine  catholique. 

4.  Ce  capitaine  est  nommé  dans  les  lettres  du  roi  que  nous 
citons  à  la  note  suivante. 

5.  Les  Mémoires  de  la  Ligue  (t.  Il,  p.  H)  disent  que  Clermont 
n'envoya  que  quatre  soldats.  Ils  se  nommaient  La  Brosse,  Louis 
Louchereau,  Divetière  et  Saint-Jehan  (Lettres  d'abolition  accor- 
dées par  le  roi  aux  soldats  qui  avaient  pris  part  à  la  surprise  du 
château  d'Angers.  Paris,  5  octobre  1585;  copie;  f.  fr.,  vol.  3309, 
f.  39).  Du  Halot  seul  fut  poursuivi.  Voyez  les  notes  suivantes. 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   XIO.  245 

Le  capitaine  Fresne,  comme  il  avoit  de  coustume, 
alla  visiter  le  capitaine  Grec,  son  familier,  mène  avec 
soi  onze  hommes,  entre  lesquels  estoyent  ceux  que  nous 
avons  nommez.  La  garde  du  bout  du  pont  laissa  tout 
passer,  ayant,  comme  on  a  creu,  intelligence.  De  ces 
onze,  en  demeure  quatre  comme  pour  deviser  avec  les 
soldats.  Mais,  n'y  en  ayant  point  avec  le  corps  de  garde 
de  la  porte,  il  entre  seul  dans  le  chasteau,  où,  estant 
convié  à  disner  par  Grec,  il  s'excusa  sur  sa  compa- 
gnie. Sur  quoi  tout  fust  convié,  et  Le  Fresne  avec  un 
soldat  alla  pour  faire  entrer  ses  compagnons.  Il  trouva 
le  corps  de  garde  esmeu  pource  que  Roche-Morte  se 
convioit  privément  à  entrer.  Mais  ceux  de  cette 
seconde  garde,  sans  observer  civilité,  le  repoussèrent, 
ne  croyans  pas  mesme  le  soldat  que  Le  Fresne  ren- 
voya à  Grec,  pour  le  prier  de  venir  lui-mesme;  se 
deffaisant  tousjours  d'un  homme  par  ce  moyen.  Adonc 
l'entrepreneur  se  mesle  dans  le  corps  de  garde,  en 
rasseurant  de  paroles  les  mortes-payes.  Et,  ce  faisant, 
approcha  le  soldat  qui  estoit  en  faction  à  la  porte,  lui 
donne  d'un  poignard  dans  le  sein  d'une  main,  et  de 
l'autre  ouvre  le  guichet.  Roche-Morte  fut  habile  à  suc- 
céder, qui  entra  assés  à  temps  pour  tuer  un  qui  vou- 
loit  sauter  au  collet  du  Fresne,  et  de  ce  pas  tua  le 
capitaine  Grec  comme  il  arrivoit  au  bruit. 

A  ce  tumulte,  les  rues  d'auprès  du  chasteau  furent 
promptement  en  armes,  ayans,  comme  il  est  à  présu- 
mer, quelques  hommes  préparez  dans  les  maisons 
proches  du  port;  car  ils  y  arrivoyent  assez  à  temps 
pour  troubler  l'exécution,  quand  Halot,  qui  estoit 
caché  en  une  maison  proche,  accourut  au-devant  d'eux 
avec  une  grande  asseurance  de  visage,  comme  il  estoit 


246  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

d'assez  agréable  rencontre.  Donc  pour  les  r'asseurer 
il  leur  vint  dire  que  c'estoit  lui  qui  avoit  pris  le  chas- 
teau  par  commandement  exprès  du  roi,  comme  il 
monstreroit  par  bonne  commission^.  Mais  il  se  trom- 
poit,  car  il  n'eust  sçeu  coucher  d'un  nom  plus  désa- 
gréable aux  habitans  que  celui  du  roi,  estans  de  nou- 
veau engagez  à  la  Ligue  par  le  mareschal  de  Brissac  ; 
dont  advint  qu'au  lieu  de  tirer  par  ce  moyen  à  soi 
quelques  confidens  qu'il  avoit  en  la  ville,  il  fut  arresté 
prisonnier.  Les  surprenans,  qui  n'estoyent  qu'onze  en 
tout,  ayans  levé  le  pont,  en  laissèrent  deux  à  la  garde; 
les  autres  neuf  n'eurent  pas  peu  de  peine  à  s'asseurer 
de  tout  le  chasteau,  tuer  ou  mettre  dans  les  prisons 
plus  d'hommes  qu'ils  n'estoyent,  rompre  les  portes 
et  percer  les  planchers  de  quelques  chambres  sur  la 
muraille,  où  il  s'estoit  retiré  des  soldats,  entr' autres 
deux  qui  crioyent  secours  vers  les  basses  Lisses. 

Sur  le  soir,  les  habitans  amenèrent  Le  Halot  à  la 
dernière  maison,  pour  convier  Le  Fresne  à  venir  par- 
ler à  ceux  de  la  ville.  Halot,  pour  eschapper  sa  vie, 
fit  venir  par  cajolerie  son  compagnon  au  bout  du  pont, 
et  ceux  qui  s'estoyent  cachez  pour  l'empoigner,  se 
hastans  trop,  firent  que  Le  Fresne,  d'un  plein  saut, 
gagna  le  pont  de  sa  longueur  devant  eux.  Et  puis  ils 

1.  Du  Halot  prétendait  justifier  son  entreprise  sur  les  ordres 
qu'il  disait  avoir  reçus  de  la  cour,  mais  il  ne  put  les  reproduire 
et  fut  désavoué  par  le  roi  lui-même.  Cette  affaire  est  un  des  plus 
frappants  témoignages  de  la  duplicité  ou  de  la  faiblesse  de  Henri  HI. 
Le  5  octobre  1585  le  roi  désigna  une  commission  de  justice  char- 
gée de  juger  du  Halot  (copie;  f.  fr.,  vol.  3309,  f.  41),  et  le  11  du 
même  mois  il  signa  des  lettres  d'abolition  en  sa  faveur.  Malgré 
ces  lettres,  du  Halot  fut  rompu  vif  et  son  corps  exposé  sur  la 
roue  à  la  vue  du  château  {Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  13). 


i 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.    XHI.  247 

le  suivirent  de  si  près  que  ceux  du  chasteau  levèrent 
le  pont  à  la  haste  sans  recevoir  leur  capitaine,  réduit 
à  empoigner  les  chaînes  du  garde-fou,  au  bout  des- 
quelles on  eust  peu  le  recevoir  par  le  coin  du  pont. 
Mais  un  de  la  ville  le  suivit  par  les  mesmes  chaînes  de 
si  près  que,  ne  se  tenant  que  d'une  main,  il  couppa 
celle  du  Fresne  d'un  coup  d'espée,  le  faisant  tomber 
dans  le  fossé.  Et  puis,  estant  tout  brisé  dans  le  fonds, 
un  cerf  privé,  que  l'on  y  nourrissoit,  lui  vint  passer 
les  andouillers  sept  ou  huit  fois  au  travers  le  corps  et 
le  laissa  mort*. 

Ce  fut  aux  habitans  à  se  retrancher  au  bout  du  pont, 
à  redresser  leurs  compagnies  de  la  ville,  aviser  à  leurs 
gardes  et  dépescher  par  tout  advertissemens  à  leurs 
voisins  et  amis. 

Ceux  du  chasteau  s'employèrent  à  visiter  leur  place, 
leur  magazin  de  bouche  et  de  guerre,  ordonner  de 
leurs  gardes,  pareilles  à  celles  que  nous  avons  comp- 
tées de  Montaigu  ;  asçavoir  en  portant  quelques  che- 
vets de  licts  sur  les  murailles,  où  ils  séjournoyent  jour 
et  ouict,  attendant  que  Clermont  leur  fist  couler 
quelque  secours  ;  ce  qu'il  n'eust  sçeu  faire  en  si  petit 
nombre  que  la  prise ^  n'eust  esté  garantie.  Mais,  faute 
de  moyens  ou  quelque  chicheté  empeschèrent  cela. 

1.  Tout  ce  récit  est  presque  littéralement  tiré  de  la  relation 
publiée  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  Il,  p.  12.  Le  récit  de  la 
mort  du  capitaine  Fresne  est  appliqué  par  Sully  au  capitaine 
Rochemorte  et  vice-versa  {(Economies  royales,  chap.  xix).  Mais 
nous  croyons  que  Sully  se  trompe  et  que  d'Aubigné  a  raison, 
parce  que  ce  dernier  historien  est  confirmé  par  la  relation  publiée 
dans  les  Mémoires  de  la  Ligue  et  par  de  Thou. 

2.  Surprise  du  château  d'Angers  par  le  capitaine  du  Halot,  au 
nom  du  roi,  mais  en  faveur  de  la  Ligue,  24  septembre  1585  (Jour- 


248  HISTOIRE   UNIVERSELLE.   *  [1585 

Sur  l'effroi  du  pays,  Heurtaut',  qui  commandoit 
dans  Rochefort,  présupposant  qu'Angers  seroit  du 
parti,  duquel  s'estoit  mis  de  nouveau  le  duc  de 
Thouars,  lui  despescha  promptement  un  sien  frère 
pour  solliciter  du  secours  au  chasteau,  et  offrir  tout 
service,  tant  de  la  place  que  de  ses  hommes,  eschauffé 
par  l'espérance  de  mettre  un  impost  sur  la  rivière; 
ce  qui  n'ayant  pas  succédé,  il  changea  ce  dessein  en 
se  donnant  à  la  Ligue,  où,  pour  regagner  réputation, 
il  fit  la  guerre  aux  refformés  sans  rémission,  et  plus 
rudement  qu'aucun  autre,  comme  nous  verrons  puis 
après. 

Geste  nouvelle  fut  portée  au  prince 2,  assez  diligem- 
ment, par  un  soldat  nommé  La  Touche^,  qui  passa 
par  les  villes  de  parti  contraire,  faisant  semblant  d'al- 
ler tousjours  advertir  la  ville  prochaine.  Et  ainsi  fai- 
soit  servir  la  nouvelle  de  passeport.  Il  trouva  l'armée 
devant  Brouage,  croissant  d'hommes  et  d'espérance 
tous  les  jours  ;  et  ceux  de  dedans  ayans  perdu  l'attente 
de  secours  de  la  part  du  mareschal  de  Matignon. 

nal  manuscrit  de  Louvet  cité  par  M.  Mourin,  la  Réforme  et  la 
Ligue  en  Anjou,  p.  194). 

1.  Peut-être  Jehan  Hurtauld,  ancien  mercier,  capitaine  pro- 
testant, ancien  lieutenant  du  capitaine  Désaguères  à  Hiers,  un 
des  condamnés  à  mort  par  le  parlement  de  Bordeaux,  du  6  avril 
1569  [Études,  documents  et  extraits  relatifs  à  la  ville  de  Saintes, 
1876,  p.  240,  note).  M.  Mourin  le  nomme  Hurtaut  de  Saint- 
Offange  (La  Réforme  et  la  Ligue  en  Anjou,  p.  199). 

2.  Le  30  septembre  1585,  le  prince  de  Gondé,  étant  à  Marennes, 
reçut  la  nouvelle  de  la  prise  du  château  d'Angers  (Mémoires  de 
la  Ligue,  t.  II,  p.  14). 

3.  Peut-être  François  de  Rabaine,  s.  de  la  Tousche,  capitaine 
protestant,  fils  du  seigneur  d'Usson,  un  des  condamnés  à  mort 
par  le  parlement  de  Bordeaux,  le  6  avril  1569  (Études,  documents 
et  extraits  relatifs  à  la  ville  de  Saintes,  1876,  p.  239,  note). 


1585]  UVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XFV.  249 

Chapitre  XIV. 
Voyage  et  exploict  d'Angers, 

Une  nouvelle  si  peu  espérée  et  tant  avantageuse  aux 
refformés,  comme  paroissoit  la  prise  d'Angers,  estant 
receue  par  le  prince,  il  ne  demeura  guères  à  convo- 
quer les  meilleurs  capitaines  qui  fussent  auprès  de  lui; 
entre  lesquels  fut  promptement  résolu  de  despescher 
Aubigné  avec  sept  cents  cinquante  arquebuziers  à  che- 
val, qu'il  avoit  en  son  régiment,  quatre  autres  cor- 
nettes de  mesmes  hommes  qui  faisoyent  un  peu  moins 
de  deux  cens,  et  cent  gentilshommes,  qui  se  devoyent 
prendre  la  moitié  en  la  cornette  blanche  et  le  reste 
aux  compagnies  de  Laval  *  et  de  La  Boulaye  ;  avec  com- 
mission de  se  perdre  ou  mettre  des  hommes  dans  le 
chasteau  ;  ce  qui  lors  se  rendoit  plus  facile,  pource  que 
Rochefort  estoit  encores  partisan  avec  La  Trimouille, 
et  qu'il  y  avoit  moyen  de  monter  une  lieue  et  demie 
le  long  de  Meine^,  soit  dans  les  batteaux,  soit  à  la 
rive,  favorisée  par  les  pièces  qu'on  eust  mises  de 
Rochefort  dans  les  vaisseaux. 

Un  courrier  fut  donc  promptement  envoyé  de 
Marennes  à  Saint-Aignan ,  où,  toutes  ses  troupes 
estans  joinctes,  prindrent  dès  lepoinct  du  jour  le  che- 
min de  Tonnai-Charente^. 

Comme  le  conseil  de  la  chaire  percée  vers  la  plus- 

1.  Le  s.  de  Laval  était  parti  de  Vitré  en  Bretagne  le  8  septembre 
1585  pour  rejoindre  le  prince  de  Gondé  (relation  dans  les  Mémoires 
de  la  Ligue,  t.  U,  p.  160). 

2.  La  rivière  du  Maine. 

3.  Tonnay-Gharente  (Gharente-Inférieure). 


2150  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

part  de  nos  grands  renverse  tout  autre,  ce  prince, 
estant  au  soir  en  sa  garde-robbe,  où  il  disposoit  de  sa 
conqueste  d'Anjou  à  la  façon  de  Picrocole  ^  parmi 
ses  valets  de  chambre  et  quelques  autres  qui  n'es- 
toyent  de  meilleure  estoffe,  un  des  plus  privez  lui  dit 
de  la  meilleure  grâce  qu'il  put  :  «  Monseigneur,  je 
m'estonne  comment  vous  donnez  à  un  autre  qu'à  vous- 
mesmes  la  première  gloire  de  ce  dessein.  C'est  un 
coup  du  prince  de  Condé  et  un  trop  bon  morceau  pour 
Aubigné.  »  Geste  parole  fut  agréable,  rompit  tout 
résultat  de  conseil  ;  et,  sans  en  parler  à  personne,  on 
despesche  dès  minuict  Mignon  ville ,  aide  de  camp, 
vers  les  troupes  qui  marchoyent  et  arrivoyent  auprès 
de  Tonai-Charante. 

Ce  prince  donc,  en  faisant  son  pacquet  et  se  prépa- 
rant pour  le  voyage,  consomma  onze  jours.  Et  de  plus 
ses  bons  conseillers  lui  ayans  dit  que  les  plus  grandes 
louanges  de  Csesar  avoyent  esté  méritées,  par  ce  que 
sans  désassiéger  il  donnoit  des  batailles,  on  résolut 
au  cabinet  de  faire  de  mesme.  On  laisse  donc  devant 
Brouage  La  Personne^,  pour  l'armée  de  mer,  et,  entre 
les  mains  de  Sainct-Mesmes^,  les  trois  régiments,  et 
le  reste  de  celui  qui  marchoit.  De  plus,  on  despesche 
lettre  au  vicomte  de  Turenne  pour  lui  faire  quitter  les 
affaires  de  Limousin,  et  venir  prendre  la  tutelle  de 

1.  Voy.  Gargantua,  liv.  I,  ch.  23. 

2.  François  de  la  Personne  avait  été  grand  maître  de  l'artille- 
rie des  réformés.  Il  est  souvent  cité  dans  les  Mémoires  de  La 
Huguerye. 

3.  Jean  de  Rochebeaucourt,  s.  de  Saint-Mesmes,  gouverneur 
de  Saint-Jean-d'Angély,  dont  nous  avons  parlé,  est  signalé  dans 
les  Mémoires  de  la  Ligue  comme  un  «  vieux  gentilhomme  notable 
et  d'ancienne  expérience,  autorisé  et  aimé  au  pays.  » 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XIV.  251 

cette  armée  assiégeante,  laquelle  commençoit  à  estre 
menacée  du  mareschal  de  Matignon,  au  prix  que  le 
roi  faisoit  cognoistre  son  accord  avec  les  liguez^  et 
l'Édict  de  juillet  faict  en  leur  faveur. 

Le  prince  2  donc  part^  de  devant  Brouage,  le  huic- 
tiesme  d'octobre  avec  sa  compagnie,  celles  de  Rohan, 
Laval,  La  Trimoûille,  Genevois,  Sainct-Gelais  et  La 
Boulaye,  qui  mena  seul  six  vingts  sallades.  Tout  cela 
faisoit  six  cents  cinquante  chevaux,  les  mieux  choisis 
que  nous  en  ayons  veu  des  guerres  civiles.  Pour  arque- 
buziers,  il  menoit  le  régiment  d'Aubigné,  deux  com- 
pagnies de  La  Flesche*,  celles  de  Gampois,  de  La 
Touche,  de  Berri,  et  de  celui  de  Vandosmois,  Les 
Ouches  et  L'Hommeau.  Tout  cela,  faisant  de  treize  à 
quatorze  cents  arquebuziers  à  cheval,  marche  avec 
assez  de  diligence  jusques  vers  Thouars^  ;  où  Aubigné, 
qui  menoit  la  teste,  se  logçant  à  Ghiché^,  chargea 
Rousselière,  Rouaut  et  La  Rochette'',  se  voulans  jetter 

1.  Henri  Uî  accordait  aux  Ligueurs  les  villes  de  sûreté  sui- 
vantes :  Ghàlons,  Saint-Dizier,  Soissons,  Reims,  Saint-Esprit- 
de-Ruë  en  Picardie,  Dinan,  Goncarneau,  Dijon,  le  château  de 
Beaune,  Toul  et  Verdun.  En  outre,  le  roi  promettait  de  donner 
200,000  écus  d'or  pour  le  paiement  des  troupes  étrangères  que  le 
duc  de  Guise  avait  levées  (De  Thou,  liv.  LXXXI). 

2.  De  Thou  prête  au  prince  de  Gondé  un  discours  dont  la  con- 
clusion fut  la  résolution  de  partir  pour  Angers  (liv.  LXXXII). 

3.  Gondé  arriva  de  Brouage  à  Taillebourg  le  soir  du  8  octobre 
1585.  Le  9,  il  partit  de  Taillebourg  et  alla  loger  à  Villeneuve-la- 
Gomtesse  (Gharente-Inférieure)  {Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  16 
et  17). 

4.  La  Flèche,  capitaine  d'arquebusiers  à  cheval,  était  originaire 
de  la  Flèche,  d'où  il  avait  tiré  son  nom. 

5.  Arrivée  du  prince  de  Gondé  à  Thouars,  vers  le  10  oct.  1585. 

6.  Ghiché  (Deux-Sèvres). 

7.  Le  capitaine  La  Rochette  est  plusieurs  fois  nommé  dans  les 
Lettres  de  Henri  IV. 


252  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

dans  le  chasteau  du  lieu,  qui  est  une  grande  masse  de 
pierre,  flanquée  de  huict  assez  grosses  tours.  Sur  leur 
secours  deffaict,  ceste  place  fut  emportée  par  escalade 
générale,  et  on  y  laissa  quelques  hommes  qui  firent 
du  bien  au  retour. 

Geste  mesme  troupe,  cinq  jours  après,  car  on 
séjourna  là  et  à  Argenton-le-Chasteau^,  arrivant  au 
point  du  jour  à  l'abbaye  Sainct-Maur^,  qui  est  sur  le 
bord  de  Loire,  trouva  le  couvent  pris  et  gardé  par 
quelques  gentilshommes  angevins,  qui  avoyent  enlevé 
la  dame  de  La  Bretesche^.  Mais  ces  gens  de  guerre, 
arrivans  à  l'impourveu,  après  qu'on  leur  eut  tué  un 
gentilhomme  et  quelques  soldats,  gagnèrent  si  folle- 
ment et  gardèrent  si  opiniastrement  toutes  les  canon- 
nières basses  qu'ils  emportèrent  la  place,  avec  qua- 
torze gentilshommes  prisonniers.  On  laissa  là-dedans 
six  vingts  hommes,  bien  à  propos,  comme  vous  verrez. 

Le  prince,  arrivé*  sur  le  bord  de  Loire,  ne  tint 
conseil,  pour  le  passage,  qu'avec  ceux  de  son  cabinet  ; 
fait  passer  La  Flesche  pour  se  barricader  dans  les 
Rosiers^,  où  il  ne  receut  aucunes  nouvelles  expresses; 
seulement  il  apprit,  par  le  bruit,  que  Rochemorte 
avoit  esté  tué  dans  le  chasteau,  comme  il  dormoit  sur 

1.  Argenton-le-Ghâteau  (Deux-Sèvres). 

2.  D'Aubigné  et  le  capitaine  Bonnet  s'étaient  déjà  emparés  de 
l'abbaye  de  Saint-Maur.  Le  prince  de  Condé  défendit  de  faire 
aucun  mal  aux  moines.  Voyez  le  récit  des  Mémoires  de  la  Ligue, 
t.  II,  p.  18. 

3.  Louise  de  Savonières  de  la  Bretesche,  seconde  femme  de 
René  de  Villequier. 

4.  Arrivée  du  prince  de  Condé  sur  les  bords  de  la  Loire,  13  oc- 
tobre 1585. 

5.  Le  capitaine  La  Flèche  passa  la  Loire  à  Rosiers-sur-Loire 
(Maine-et-Loire)  le  dimanche  13  octobre  1585  {Mémoires  de  la 
Ligue,  t.  II,  p.  18). 


i585]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XIV.  253 

un  créneau,  et  qu'il  y  avoit  quelque  bruit  de  Clermont 
et  des  troupes  qu'il  amassoit  vers  le  chasteau  du  Loir. 
Tous  les  chefs  de  l'armée  se  monstrèrent  mal  contents 
du  prince,  de  ce  qu'il  avoit  passé  sans  leur  conseil. 
Enfin,  il  les  appela  comme  par  forme,  et,  comme  quel- 
qu'un se  plaignoit  de  quoi  La  Flesche  avoit  passé, 
contre  l'ordre  de  l'armée,  et  sans  considérer  que  le 
complaignant  avoit  les  principales  forces,  le  comte  de 
Laval  prit  la  parole,  disant  :  «  Et  moi  je  vous  remonstre 
que  j'ai  la  principale  cavallerie  de  l'armée,  ce  que  j'al- 
lègue pour  vous  prier  que  je  passe  le  dernier.  »  Geste 
parole,  sortant  d'une  bonne  teste,  mit  de  l'eau  dans 
le  vin  des  plus  eschaufFez.  Enfin,  il  fallut  passer^.  Le 
régiment  s'avance  de  trois  lieues,  asçavoir,  à  Sainct- 
Mathurin^  et  à  un  fort  qui  fut  promptement  dressé 
sur  l'Aution^,  où  on  reserra  quelques  batteaux  pour 
le  passage.  C'est  une  petite  rivière  qui  prend  son  com- 
mencement à  trois  lieues  de  Ghasteau-Regnaud*,  qui 
n'est  guéable  en  aucune  saison,  et  qui,  estant  passée 
une  fois,  contraignit  l'armée  refformée  à  prendre,  pour 
la  pluspart,  le  chemin  que  nous  dirons,  n'ayant  peu 
estre  repassée  que  par  les  plus  diligens. 

Le  lendemain  matin,  Aubigné  passe  son  régiment, 
pousse  sa  compagnie  de  chevaux  légers  à  la  main 
droicte  de  Beaufort,  et,  voyant  d'assez  loing  le  régi- 
ment de  Garavas^,  qui  marchoit  pour  se  jetter  dedans, 

1.  L'armée  du  prince  de  Gondé  passa  la  Loire,  partie  le  16, 
partie  le  48  octobre  1585  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  19  et  20). 

2.  Saint-Mathurin  (Maine-et-Loire). 

3.  Le  Laution  ou  l'Autliion. 

4.  Gliâteau-Regnault  (Indre-et-Loire). 

5.  Les  habitants  de  Beaufort-en- Vallée  refusèrent  l'entrée  de 
la  ville  au  comte  Garavaz  [Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  20). 


254  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

il  en  donne  advis  au  prince  qui  passoit  l'Aution^.  Et 
puis,  n'estant  fortifié  que  de  trente  sallades  de  La 
Boulaye  que  lui  amena  La  Valière^,  il  loge  ses  gens  de 
cheval  avec  ceux-là  sur  un  haut  pour  menacer  Cara- 
vas.  Et  cependant  donne  dans  les  portes  et  au  mauvais 
retranchement  de  ceste  grande  bourgade,  de  laquelle 
il  receut  les  clefs.  Et  à  l'arrivée  du  prince  les  lui  pré- 
senta, disant  à  l'oreille  :  «  Voici  la  chambrière  de  Péné- 
lope ;  vous  vous  en  contenterez,  s'il  vous  plaist,  et  ne 
toucherez  point  à  la  mai  stresse.  » 

A  Beaufort,  on  receut  nouvelles  de  Clermont,  et  le 
lendemain  lui-mesme  et  ses  troupes^,  qui  faisoyent  un 
peu  moins  de  deux  cents  sallades  et  six  cents  arque- 
buziers.  On  voulut  faire  donner  au  régiment  de  Cara- 
vas,  mais  le  prince  asseura  qu'il  estoit  des  siens  ;  ce 
qu'il  se  persuadoit  de  plusieurs  autres,  sur  quelques 
honnestetez  qui  lui  avoyent  esté  mandées.  Enfin,  après 
cinq  jours  de  séjour'*  à  Beaufort,  les  troupes  s'avan- 
cèrent à  Foudon^,  où  Aubigné  trouva  un  régiment  de 
Virluisan  logé,  hormis  quelques  deux  cents  arquebu- 
ziers,  des  meilleurs,  qu'on  avoit  envoyé  à  la  garde 
d'un  passage.  Cela  fut  emporté  avec  fort  peu  de  com- 
bat et  beaucoup  de  butin. 

1.  Passage  du  Laution  par  Gondé,  19  octobre  1585.  Coucher  à 
Beaufort-en-Vallée  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  21). 

2.  Laurent  le  Blanc,  s.  de  la  Baume  et  de  la  Vallière,  maître 
d'hôtel  ordinaire  du  roi,  capitaine  du  château  de  Plessis-lez-Tours 
et  plus  tard  maître  d'hôtel  ordinaire  de  la  reine  Marguerite. 

3.  Arrivée  de  Louis  de  Clermont  de  Bussy  d'Amboise  à  Beau- 
fort,  19  octobre,  à  midi  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  21). 

4.  D'Aubigné  se  trompe.  Les  troupes  de  Condé  ne  séjournèrent 
à  Beaufort  que  le  dim.  20  oct.  1585  (Mém.  de  la  Ligue,  t.  Il,  p.  21). 

5.  Arrivée  des  troupes  à  Foudon,  près  d'Angers,  lundi  21  oc- 
tobre 1585. 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XIV.  255 

Le  lendemain  vingt-uniesme  d'octobre,  le  prince, 
avec  toutes  ses  troupes,  s'avança  en  ordre  de  combat 
jusques  au  fauxbourg  de  Bressigni*,  qu'il  trouva  ren- 
forcé à  loisir  et  bien  rempli  de  gens  de  guerre,  comme 
estant  arrivé  à  Angers  le  comte  de  Brissac,  Laverdin, 
Le  Bouchage-,  la  compagnie  du  duc  de  Joyeuse,  menée 
par  Sarzai,  et  bien  tost  après  par  lui-mesme^.  II  y 
avoit  de  plus  bien  quarante  capitaines  de  gens  d'armes 
avec  leurs  compagnies  imparfaictes.  Pour  gens  de  pied 
il  y  avoit  Virluisan,  qui  avoit  encor  plus  de  sept  cents 
hommes,  n'en  ayant  perdu  que  quatre-vingts  à  Fou- 
don  ;  Caravas  et  Le  Fresne  d'O,  chacun  huict  cents  ; 
Perraudière  et  Gerzai,  chascun  six  cents,  et  Char- 
nières, qui  en  avoit  seul  plus  de  quinze  cents.  Ainsi, 
les  six  régiments  passoyent  six  mil  hommes.  Cela  fut 
partagé  en  trois  endroits  :  Caravas  et  Charnières  au 
fauxbourg  de  Bressigni  ;  Perraudière  et  Virluisan  au 
fauxbourg  des  Lisses,  et  les  autres  deux  dans  le  fossé 
du  chasteau,  et  aux  basses  lisses,  sur  le  bord  de  la 
rivière.  Les  habitans  prenoyent  parti  où  ils  vouloyent 
et  selon  les  occasions  ;  mais  les  meilleurs  estoyent  avec 
Charnières. 

La  Flesche  donna  le  premier  à  Bressigni,  et  ne 

i.  Le  faubourg  de  Pressigny. 

2.  Henri  de  Joyeuse,  comte  du  Bouchage,  né  en  1567,  capucin 
en  1587,  maréchal  de  France  en  1596,  mort  le  27  septembre  1608. 
Il  était  alors  gouverneur  de  l'Anjou.  C'est  lui  que,  après  la  reprise 
d'Angers,  par  lettres  du  7  novembre  1585,  le  roi  chargea  de  faire 
raser  le  château  d'Angers  (copie  du  temps  ;  f.  fr.,  vol.  3309,  f.  62). 
Cet  ordre  avait  été  donné  une  première  fois  avant  la  campagne 
du  prince  de  Condé,  le  28  septembre  1585  (ibid.,  f.  37),  et  n'avait 
pu  être  exécuté. 

3.  Le  duc  de  Joyeuse  était  arrivé  sous  les  murs  du  château 
d'Angers,  le  4  octobre  1585  suivant  les  uns,  le  7  suivant  les 
autres  (Mourin,  la  Réforme  et  la  Ligue  en  Anjou,  p.  201). 


256  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

demeura  guères  à  y  estre  tué  d'une  mousquetade* .  Et 
depuis,  les  divers  capitaines  hazardoyent  plusieurs 
attaques  à  part  et  ne  faisoyent  rien  en  gros. 

Il  falut  qu'Aubigné  prinst  un  grand  tour  pour  aller 
rencontrer  le  grand  chemin  du  Pont-de-Sé  aux  lisses, 
qui  estoit  son  département,  soustenu  de  Clermont  et 
de  La  Boulaye.  Estant  parvenu  au  grand  chemin,  il  jetta 
les  capitaines  du  Riou  et  Periers  à  sa  droicte  et  à  sa 
gauche  dans  les  vignes.  Et  n'eut  pas  beaucoup  cheminé 
qu'un  capitaine,  qu'il  a  estimé  estre  le  comte  de  Brissac, 
et  qui  avoit  la  charge  de  ce  costé,  se  trouva  dans  le 
chemin  avec  soixante  sallades,  et,  cent  pas  derrière, 
près  de  trois  ^  cents  arquebuziers.  Alors  on  disoit 
encores  dans  les  troupes  refformées  vive  le  roi.  Le 
capitaine  qui  s'estoit  avancé  pour  recueillir,  par  le 
mesme  chemin ,  Aubigné  d'Anjou ,  qui  lui  amenoit 
quatre  cents  arquebuziers,  ayant  demandé  qui  vive, 
ne  se  contenta  pas  du  nom  du  roi,  mais  voulut  sçavoir 
qui  commandoit,  et  puis,  ayant  ouï  nommer  Aubigné, 
laissa  approcher  de  fort  près;  jusques  à  ce  que  la 
bonne  mine  des  gens  de  guerre  lui  fit  soupçonner 
qu'ils  n'estoyent  pas  ramassez  en  Anjou.  Là-dessus 
demanda  que  le  chef  s'avançast  avec  un  autre  pour 
parler  à  lui  avec  un  second  ;  ce  qui  fut  faict  de  si  près^ 
qu'il  recognut  à  la  parole,  car  les  visages  se  sem- 
bloyent,  que  ce  n'estoit  pas  celui  qu'on  attendoit.  Il 
falut  donc  que  les  katholiques  tournassent  visage,  et  les 
deux,  ayans  eschappé  quelques  arquebuzades  de  bien 

1.  La  Flèche  fut  blessé  d'une  arquebusade  le  premier  jour  du 
siège,  le  21  octobre  1585,  et  mourut  quelques  jours  après  (Mémoires 
de  la  Ligue,  t.  II,  p.  22). 

2.  L'édition  de  1618  porte  200  arquebusiers. 

3.  Var.  del'édit.  del618:  «  ...de  si  près  que  le  second  recognut...  v 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XIV.  257 

près,  firent  ferme  par  deux  fois  pour  favoriser  la 
retraitte  de  leurs  gens  de  pied. 

Aubigné,  qui  s'estoit  avancé  pour  recognoistre  la 
besongne  qu'il  avoit  à  faire  avant  que  la  fumée  lui 
ostast  le  jugement,  donne  aux  trousses  de  cette  troupe, 
qui  se  retiroit  en  grand  désordre,  et  arriva  comme 
meslé  dans  le  fauxbourg,  gagne  deux  barricades  et 
quelques  maisons,  et  ne  fut  arresté  que  par  le  feu  que 
ceux  du  fauxbourg  mirent  en  une  barricade,  et  en 
deux  maisons  qui  la  flanquoyent;  ce  feu  encores 
défendu  de  deux  maisons  percées  :  si  bien  que  ces 
troupes,  qui  avoyent  donné  les  dernières,  se  trou- 
vèrent plus  avancées  de  cinq  cents  pas  que  ceux  de 
Bressigni,  où  Laverdin  avoit  retranché  à  bon  escient 
et  bien  opiniastré  presque  à  la  teste  du  fauxbourg. 

Demie  heure  après  ces  attaques,  un  soldat  du  régi- 
ment du  Fresne  vint  par  les  vignes  se  rendre,  et  fut 
envoyé  à  Glermont  et  Avantigny*,  qui  estoit  en 
bataille,  mille  pas  hors  le  fauxbourg  des  Lisses.  Cet- 
tui-ci  donnoit  advis  que  la  capitulation  du  chasteau 
estoit  faicte,  mais  que  son  maistre  de  camp,  qui  estoit 
Le  Fresne  d'O,  estoit  résolu  de  favoriser  Glermont  s'il 
vouloit  cette  nuict  donner  au  chasteau  par  l'endroict 
où  Le  Fresne  avoit  sa  garde  au  fossé,  en  donnant  pour 
mot  Matthieu. 

Sur  cet  ofiFre,  on  avança  des  trompettes  pour  faire 
des  chamades  vers  le  chasteau  et  avoir  quelque  cri 
ou  quelque  feu  pour  response.  De  plus  encor  les  ref- 

1.  François  d'Aventigny  était  un  ancien  favori  du  duc  d'Anjou 
qui  s'était  mis  au  service  du  prince  de  Condé  et  qui  plus  tard 
passa  au  service  du  roi  de  Navarre.  Il  devint  gouverneur  de 
Castres,  puis  du  Quercy,  du  Rouergue  et  du  haut  Languedoc 
{Journal  de  Faurin  sur  les  guerres  de  Castres). 

VI  17 


258  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

formés,  plus  avancez,  vindrent  à  l'escarmouche  dans 
les  vignes  et  repoussèrent  ceux  de  la  ville  si  avant, 
que  ceux  du  chasteau  pou vo vent  parler  à  eux,  et  cela 
cousta  la  perte  de  quelques  hommes.  La  vérité  est  que 
le  chasteau  estoit  rendu,  et  ceux  qui  estoyent  encor 
dedans  ne  voulurent  donner  aucun  signe,  craignans 
faire  perdre  au  prince  plus  d'hommes  et  plus  de  temps, 
tellement  que  l'offre  du  Fresne  estoit  pour  tromperie 
ou  pour  vanité. 

Le  prince,  voyant  ces  choses,  retira  ses  hommes  de 
Bressigni^  et  envoya  un  soldat  de  ses  gardes  pour 
faire  retirer  Aubigné,  lequel,  cognoissant  le  poux 
inesgal  de  ceux  qui  conseilloyent,  et  se  doublant  que 
le  lendemain  on  changeroit  d'advis,  respondit  que  si 
c'estoit  pour  desplacer  toute  l'armée,  il  approuvoit 
cela  ;  mais  que  si  c'estoit  pour  tenter  encores  quelque 
chose  sur  Angers,  que  la  perte  de  mil  hommes  ne. 
sçauroit  le  lendemain  le  loger  où  il  estoit,  et  que,  par- 
tant, il  ne  remueroit  point  le  piquet  qu'un  mareschal 
de  camp  ne  le  vinst  quérir. 

Sainct-Gelais  les  vint  donc  lever,  non  sans  combat, 
pource  qu'ils  voulurent  emporter  leurs  morts  aussi 
bien  que  leurs  blessez.  Après  avoir  campé  la  nuict 
aux  ardoisières,  les  conseillers  du  cabinet  se  mirent 
à  donner  des  advis  vaillans  :  ce  fut  de  retourner  faire 
les  mesmes  choses  qu'au  jour  de  devant. 

Après  que  ceux  qui  devoyent  tirer  les  chastagnes 
du  feu  eurent  dit  franchement  quel  il  y  faisoit,  ceux 
qui  le  jour  auparavant  estoyent  vers  les  lisses,  repren- 

1.  Le  21  octobre  1585,  le  prince  de  Gondé  s'était  emparé  du 
faubourg  de  Pressigny,  mais  il  ne  put  s'y  maintenir  et  fut  obligé 
de  battre  en  retraite  le  lendemain  [Journal  de  Michel  Le  Riche, 
p.  421). 


1585]  LIVRE   DEaÈME,    CHAP.   XV.  2159 

nent  leur  chemin.  Leur  maistre  de  camp  fit  toucher 
les  capitaines  en  sa  main  qu'ils  se  perdroyent  avec 
lui  dans  le  fossé;  plus  de  cent  gentilshommes,  voyans 
ceste  résolution,  mirent  pied  à  terre,  pour  estre  de  ce 
mauvais  parti  ;  et  tout  cela  s'en  alloit  périr,  quand  le 
duc  de  Rohan,  qui  disoit  ce  qu'il  pensoit,  avec  repro- 
ches et  injures,  vainquit  le  prince^  et  fit  changer  ce 
dessein  en  celui  de  la  retraicte^,  pour  laquelle  furent 
choisis  Glermont  et  Aubigné.  Là  fut  dit  que,  s'il  falloit 
payer  de  quelcun,  ce  devoit  estre  de  Glermont,  pour 
avoir  mal  conduit  l'afifaire  ;  et  de  l'autre,  pource  qu'il 
estoit  là  comme  emprunté,  et  au  roi  de  Navarre  parti- 
culièrement. 

Chapitre  XV. 
Retraicte  et  desroute  d'Angers. 

Telle  fusée  n'estoit  point  aisée  à  desmesler.  Ce  fut 
pourquoi  les  deux  qui  avoyent  ceste  charge  prindrent 
conseil  ensemble,  n'en  recevant  plus  d'aucun.  Car 
comme  les  forces  d'Angers  eurent  recognu  que  l'ar- 
mée enfiloit  le  chemin  de  Mazai^,  ils  devindrent  bien 
plus  insolents  que  de  coustume,  et,  ayans  rempli  les 
vignes  et  les  ardoizières  de  l'infanterie,  qui  tiroit  à 
tout,  plus  par  gayeté  que  par  occasion,  Clermont  et 
son  compagnon  allèrent  voir  le  pais  où  ils  se  devoyent 

1 .  Voyez  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue  (t.  Il,  p.  25)  les  raisons 
qu'allégua  le  vicomte  de  Rohan. 

2.  Retraite  de  l'armée  du  prince  de  Ciondé,  mercredi  22  octobre 
1585.  Joyeuse  rentra  dans  le  château  d'Angers  le  23  (Journal  de 
Le  Biche,  p.  422). 

3.  Mazé  (Maine-et-Loire),  près  de  Beaufort. 


260  HISTOroE   UNIVERSELLE.  [1585 

desmesler  ;  recognoissent  une  bourgade,  nommée  Sor- 
gues*,  à  un  quart  de  lieue  des  vignes,  et  à  demie  lieue 
de  la  ville.  Aubigné  pria  Clermont  de  lui  laisser  un 
homme  d'obéissance  avec  trente  sallades  et  ses  deux 
trompettes,  et  que  lui  s'en  allast  avec  tout  le  reste  de 
tous  les  gens  de  l'un  et  de  l'autre,  espérant  desmesler 
l'affaire  à  moins  de  perte  que  si  tout  y  estoit.  Cler- 
mont accepte  cela,  et  l'autre,  ayant  faict  choisir  à  dix 
de  ses  capitaines,  chascun  vingt  hommes,  et  avec  dix 
gentilshommes,  qui  mirent  pied  à  terre,  se  résout  à 
exécuter  sa  commission.  Il  envoyé  donc  tous  les  che- 
vaux de  ceux  qui  demeuroyent  avec  lui  se  mettre  en 
foule  de  trois  cents  pas  du  bourg  de  Sorgues  jusques 
à  l'entrée,  à  la  charge  d'y  faire  halte  jusques  à  nou- 
veau commandement.  Il  y  avoit  un  chemin  creux  à 
la  sortie  des  vignes  pour  entrer  en  la  plaine.  Sur  le 
haut  de  ce  chemin,  il  met  ses  gens  de  cheval,  com- 
mandez par  Lisi,  ayant  dit  pour  toute  harangue  à  ses 
gens  que  leur  vie  despendoit  de  ne  lui  faire  point  dire 
une  chose  deux  fois.  Il  les  estend  tous  à  la  gauche 
du  chemin  creux,  fait  reschauffer  l'escarmouche  avec 
plus  de  mine  de  vouloir  combattre  que  se  retirer;  fait 
faire  deux  fausses  charges  à  tous  les  cavalliers  des- 
bandez qui  venoyent  à  lui,  et  de  mesmes  remena  bat- 
tans  tous  les  gens  de  pied,  qui  venoyent  sans  com- 
mandement; jusques  à  ce  que,  voyant  marcher  trois 
corps  de  régiments  ausquels  la  cavallerie  katholique 
quittoit  la  pointe,  à  cause  de  l'assiette  du  heu,  à  la 
faveur  d'un  grand  salve  ^  qui  remplit  tout  le  costeau  de 
fumée,  et,  partant,  osta  aux  ennemis  le  jugement  de  ce 

1.  Le  port  de  Sorges,  sur  la  Loire  (Maine-et-Loire). 

2.  Salve,  salve  d'arquebuserie. 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XV.  261 

qu'il  faisoit,  il  fait  courir  en  diligence  ses  dix  capi- 
taines et  leurs  vingtaines  dans  le  chemin  de  Sorgues. 
Lui,  avec  la  dernière  troupe  et  ses  hommes  de  main 
(les  deux  trompettes  faisans  du  bruit*  sans  cesse)  au 
bout  du  chemin  creux,  jusques  à  ce  qu'il  fust  plein  de 
mousqueterie,  et  encor  mit  les  trente  sallades  derrière 
une  grosse  haye  qui  séparoit  la  vigne  de  la  plaine, 
ausquels  à  travers  la  haye  il  fit  tirer  leurs  pistolets 
aux  plus  avancez,  sans  estre  recognus  pour  cavallerie, 
tant  pour  l'espesseur  de  la  haye,  que  pour  la  fumée 
que  nous  avons  dicte,  jusques  à  ce  que,  n'ayant  peu 
garder  les  coins,  quelque  cavallerie  à  droicte  vit  le 
derrière;  mais  lors  les  premiers  avoyent  joint  les 
valets  et  les  chevaux,  qu'on  fit  entrer  dans  le  bourg, 
quand  les  poursuivants  furent  assez  près  pour  les  pou- 
voir juger. 

Ceux  d'Angers,  qui  redoubtoyent  la  cavallerie  du 
prince  et  jugeoyent  qu'elle  estoit  demeurée  derrière 
Sorgues,  ne  mirent  le  pied  guères  avant  dans  la  plaine, 
et  entrèrent  en  conseil  pour  faire  reposer  leurs  gens, 
attendant  la  soirée,  et  puis,  avec  bonne  artillerie  et  en 
ordre,  pour  tous  accidents,  venir  enlever  la  bourgade, 
où  ils  entendoyent  six  tambours  battre  la  garde  et  les 
trompettes  sonner  au  guet  ;  joinct  à  cela  que  quelques 
paysans,  qu'on  avoit  laissez  eschapper  exprès,  rappor- 
tèrent qu'on  faisoit  des  barricades.  Les  compagnons 
de  la  retraicte  logèrent  tout  en  douze  maisons,  quoi 
qu'ils  remparassent  l'entrée  du  village  à  la  cognois- 
sance  des  vedettes  d'Angers.  Et  puis,  à  jour  couchant, 
en  trois  coups  de  sourdine,  a  y  ans  chassé  par  rudesse 

1.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  c ...  faisans  leur  devoir  sans  cesse...  v 


262  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

hommes  et  femmes  du  village,  sortent,  et  par  petits 
chemins  esquivent  une  lieue  jusques  à  l'entrée  du  che- 
min de  Mazai,  où  ils  plantèrent  le  piquet  une  heure 
avant  jour  ;  aussi  tost  tastez  par  une  grosse  troupe  de 
cavallerie  qu'on  avoit  descouplé  sur  leurs  erres. 

Laverdin,  avec  une  troupe  choisie,  passa  au  Pont 
de  Se,  pour  fuir  les  incommodités  du  Lothion^  et 
gagna  Saumur,  où  il  fit  incontinent  armer  de  mous- 
quets de  fonte  trois  pataches,  qu'ils  firent  desriver 
au-devant  des  Rosiers^;  ayans,  avant  cet  obstacle,  le 
comte  de  Laval,  La  Boulaye  et  une  partie  du  régiment 
d'Aubigné,  gaigné  l'abbaye  de  Sainct-Maur^,  laquelle 
leur  donna  commodité  de  s'assembler,  de  prendre 
haleine  et  ordre  pour  venir  en  gens  de  guerre  gaigner 
le  Poictou. 

Cependant,  le  prince  de  Condé  séjournoit  à  Beau- 
fort*,  s'employant  à  appointer  les  querelles  de  ses 
maréchaux  de  camp,  et  puis  monta  à  cheval  pour  aller 
au  passage;  mais,  Testonnement  des  batteaux  et  ne 
restant  plus  à  Lothion  qu'une  gabarre,  cela  r'envoya 
tout  encores  à  Beaufort,  pour  estudier  ce  qui  estoit 
de  faire. 

Là,  autant  d'advis  que  de  testes.  Chacun  parloit 


i.  L'armée  du  prince  de  Condé  avait  repassé  le  Laution  le 
25  octobre  1585. 

2.  Les  Rosiers,  lieu  célèbre  par  le  combat  qui  s'y  était  livré 
dix-sept  ans  auparavant  entre  le  s.  d'Andelot  et  le  vicomte  de 
Martigues. 

3.  Le  comte  de  Laval  et  ses  troupes  avaient  gagné  Saint-Maur 
le  23  octobre  1585  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  U,  p.  28). 

4.  L'armée  du  prince  de  Condé  séjourna  à  Beaufort  depuis  le 
22  jusqu'au  26  octobre  1585  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  II,  p.  26 
et  32). 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.   XV.  263 

sans  certitude  et  tous  prenoyent  pour  conseil  l'eston- 
nement.  Quelcun  y  exposa  la  résolution  qu'avoit  prise 
Andelot,  lors  du  combat  de  la  Levée,  et  comme  nous 
l'avons  descrite  en  son  lieu*.  Pour  suivre  cet  advis 
plus  en  idée  qu'en  résolution,  ceste  troupe  errante 
desmarche  vers  le  Lude^ .  Là,  Aubigné  parla  au  prince 
et  à  tous  les  chefs  de  son  armée,  leur  promettant,  s'ils 
se  vouloyent  servir  de  lui  en  ceste  extrémité,  qu'ils 
en  sauveroyent  l'honneur  et  le  bagage.  Son  dessein 
estoit  qu'avec  cent  chevaux  choisis  et  quatre  cents 
arquebuziers,  moitié  des  siens,  moitié  d'autres,  triez 
dans  les  compagnies,  il  iroit  saisir  avec  grande  dili- 
gence deux  petites  villettes,  dont  l'une  s'appelle  Sainct- 
Dié  et  l'autre  Sèvre^  :  cette-ci  à  une  mousquetade  de 
la  rivière  de  leur  costé  ;  celle-là  sur  le  bord  de  Loire, 
mesmes  devers  la  Soulongne*;  toutes  deux  fermées 
de  murailles,  de  tours  et  de  quelques  fossez,  et  bien 
garnies  de  mareschaux  et  de  selliers,  par  faute  de 
quoi  ces  troupes  périssoyent.  Il  prit  donc  serment  de 
tous  ceux-là  qu'ils  ne  desmordroyent  point  le  dessein 
et  que  le  lendemain  au  soir  un  mareschal  de  camp^ 
amèneroit  les  cinq  cents  chevaux  que  nous  avons  dit  à 
la  Chappelle-Sainct-Martin^. 

Le  prince  et  le  reste  de  ses  forces  arrivent  à  la 

i.  Voyez  ci-dessus,  t.  in,  liv.  V,  chap.  ni. 

2.  Le  Lude,  sur  le  Loir  (Sarthe).  Arrivée  des  troupes  de  Condé 
au  Lude,  26  octobre  1585. 

3.  Saint-Die  et  Suèvres,  sur  la  Loire  (Loir-et-Cher). 

4.  La  Sologne,  dans  l'Orléanais,  entre  la  Loire  et  la  grande 
Sandre. 

5.  Ce  maréchal  de  camp  ne  peut  être  que  d'Aubigné,  d'après 
les  Mémoires  de  la  Ligue  (t.  II,  p.  34).  Il  était  suivi  du  s.  de  Bois- 
dulis. 

6.  La  Chapelle-Saint-Martin,  près  de  Mer  (Loir-et-Cher). 


264  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

mesme  soirée  à  Saincte-Anne^  ;  et  cependant  l'entre- 
preneur, assisté  de  Bois-du-Lis,  de  Doucinière  et  de 
quatre  autres,  estoit  desjà  sur  Loire,  où,  en  recognois- 
sant  moyens  infaillibles  de  saisir  ce  qu'il  avoit  promis, 
comme  il  faisoit  le  marchand  de  vin  auprès  de  Sainct- 
Dié,  arrivent  à  Nouan^  neuf  cents  chevaux  reistres. 
Bois-du-Lis  et  lui,  les  recognoissant ,  partagent 
ensemble,  l'un  de  saisir  Sainct-Dié  avec  six  vingts 
hommes  des  cinq  cents,  et  l'autre,  avec  le  reste,  d'en- 
foncer le  logis  des  reistres  ;  faisant  ce  jugement  que, 
dans  l'effroi  que  portoyent  les  reistres  eschappez,  les 
troupes  passeroyent  la  rivière  et  s'avanceroyent  dans 
le  Berri  plus  aisément.  Ainsi,  ayans  laissé  quelques 
soldats  nouvellement  pris  à  Mer^,  et  Doucinière  à  la 
garde  de  six  grands  batteaux  à  la  Coulommière*,  l'en- 
trepreneur et  Bois-du-Lis  vont  à  la  Chappelle-Sainct- 
Martin^,  pour  quérir  les  compagnons.  Mais  le  prince 
de  Condé,  avant  que  d'estre  à  Saincte-Anne ,  récent 
Rosni^,  depuis  duc  de  Sully,  qui  lui  fut  amené  comme 
prisonnier  par  le  capitaine   Bonnet'.   Gestui-là  lui 

i.  Sainte- Anne,  près  Vendôme  (Loir-et-Cher).  Arrivée  du  prince 
de  Condé  à  Sainte- Anne,  29  octobre  1585  {Mémoires  de  la  Ligue, 
t.  n,  p.  36). 

2.  Nouan-sur-Loire  (Loir-et-Cher). 

3.  Mer,  sur  la  Ugne  d'Orléans  à  Blois  (Loir-et-Cher). 

4.  Coulommières,  près  Vendôme  (Loir-et-Cher). 

5.  D'Aubigné  et  BoisduUs  arrivèrent  à  la  Chapelle-Saint-Mar- 
tin le  29  ou  30  octobre  1585. 

6.  Maximilien  de  Béthune,  s.  de  Rosny,  duc  de  Sully,  le  second 
des  sept  enfants  de  François,  baron  de  Rosny,  et  de  Charlotte 
Dauvet,  né  le  13  décembre  1560,  mort  le  22  décembre  1641.  Le 
récit  de  son  arrestation  par  les  réformés  est  présenté  avec  beau- 
coup de  détails  dans  les  OEconomies  royales  (chap.  xix). 

7.  Sully,  dans  les  OEconomies  royales  (chap.  xix),  dit  qu'il  fut 
arrêté  par  le  s.  de  Falandre. 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XV.  2i65 

asseura  ce  que  desjà  il  avoit  ouy  dire,  asçavoir  que 
toute  la  Beausse  estoit  pleine  de  la  cavallerie  de  la 
Ligue,  et  le  grand  chemin  plein  des  régimens,  qui 
marchoyent  vers  Orléans,  où  desjà  les  reistres  avoyent 
passé  l'eau.  Cela  marié  avec  la  nouvelle  du  duc  de 
Joyeuse \  qui,  avec  les  forces  d'Angers,  marchoit  sur 
les  pas  des  misérables^,  leur^  donnoit  l'effroi.  Et,  en 
outre,  le  mesme  Rosni  asseura  que  l'Édict  se  publioit 
à  Paris*.  Le  prince  de  Gondé  fut  induit  par  le  duc  de 
Rohan  à  rompre  la  promesse  que  le  duc  n'avoit  point 
faite,  et  à  se  desrober  avec  la  Trimouille  et  quelques 
gentilshommes  et  officiers,  principalement  ceux  qui 
pouvoyent  servir  de  guides.  Ainsi  par  les  maisons  des 
amis  ils  gaignèrent  la  Bretaigne,  et  le  duc  de  Rohan 
ses  maisons.  Le  prince  par  le  moyen  d'un  ami  recou- 
vra un  batteau,  et  par  lui  l'isle  de  Grenezai^,  et  puis 
l'Angleterre. 

1.  Le  duc  de  Joyeuse  commandait  l'armée  royale.  Après  la 
déroute  du  prince  de  Condé  le  !«■■  novembre  1585,  il  écrivit  une 
lettre  où  il  racontait  sa  victoire  avec  des  détails  qui  ne  sont  point 
ailleurs.  Cette  lettre  fut  livrée  ou  surprise  par  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne et  soumise  à  Pbilippe  II,  Elle  est  actuellement  conservée 
en  copie  aux  Archives  nationales,  K  1563,  n»  149. 

2.  Les  compagnons  d'armes  du  prince  de  Gondé,  dans  la  mala- 
droite équipée  d'Angers,  furent  traités  en  criminels  d'État.  Le 
18  novembre  1585,  le  roi  lança  une  ordonnance  contre  les  habi- 
tants de  l'Anjou  qui  donnaient  asile  aux  fugitifs  et  qui  ne  les 
avaient  pas  livrés  aux  oiïiciers  de  justice  chargés  de  les  pour- 
suivre (copie;  f.  fr.,  vol.  3309,  f.  77).  Plusieurs  capitaines  et  sol- 
dats, pour  échapper  à  l'ordonnance,  se  firent  catholiques  et 
obtinrent  à  ce  prix  une  déclaration  de  sauvegarde  (Lettres  patentes 
du  roi  du  22  novembre  1585;  copie;  f.  fr.,  vol.  3309,  f.  80  v»). 

3.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  misérables;  et  en  outre  l'as- 
seura...  » 

4.  Le  s.  de  Rosny  venait  de  la  cour  et  portait  au  roi  de  Navarre 
des  subsides  importants.  Voyez  le  récit  des  (Economies  royales. 

5.  Le  prince  de  Gondé  s'embarqua  entre  Avranches  et  Saint- 


266  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

Sainct-Gelais,  convié  à  estre  de  la  troupe,  allégua 
son  serment  et  se  fit  conducteur  de  l'affligé^  troupeau. 
Mais,  ayant  manqué  de  vingt-quatre  heures,  les  soldats 
qu'on  avoit  jette  dans  Sainct-Dié  rapportèrent  que 
les  troupes  y  estoyent  logées.  N'estant  donc  rien 
arrivé  à  la  Chappelle,  le  lendemain,  par  les  soldats  qui 
fuyoyent,  Aubigné  et  Bois-du-Lis,  advertis,  vindrent 
trouver  Sainct-Gelais,  à  la  teste  des  bandes  les  plus 
effrayées  sans  combat  qui  se  virent  jamais.  C'estoit  sur 
le  bord  de  la  forest  de  Marchenoir^,  dans  laquelle  la 
pluspart  avoyent  desjà  jette  leurs  armes.  Bois-du-Lis, 
qui  avoit  quelque  cognoissance  vers  Gien,  emmène 
Sainct-Gelais  et  quelque  noblesse,  qui  ayans  passé  la 
rivière  de  Loire  fort  haut,  n'y  trouvèrent  point  de 
gardes  et  passèrent  en  Berri. 

A  Aubigné  s'accueillent  trente  gentilshommes  ou 
capitaines,  des  autres  qui  couroyent  parmi  la  forest, 
il  en  arresta  et  mit  ensemble  le  plus  qu'il  put,  et^,  ne 
leur  pouvant  plus  donner  conseil  d'user  des  armes 
qu'ils  avoyent  jettées,  il  les  advisa  de  passer  la  journée 
dans  la  forest,  et  sur  le  soir  percer  de  la  Beausse  en 
troupe  tout  ce  qu'ils  pourroyent,  pour,  avant  jour,  se 
relaisser  en  quelque  métairie  ;  ne  laissant  sortir  per- 
sonne qui  pust  porter  des  nouvelles  ;  et  la  nuict  d'après 
se  couler  trois  ou  quatre  ensemble  dans  les  fauxbourgs 
de  Paris,  où  tout  cela  se  sauva  sans  perte  d'un  homme  ; 
et  depuis  se  logèrent  dans  les  compagnies,  qui  de 
tous  costez  s'amassoyent. 

Malo  et  arriva  à  l'île  de  Guernesey  le  30  octobre  1585  {Mémoires 
de  la  Ligue,  t.  II,  p.  37). 

1 .  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  Conducteur  du  malheureux  traîneau.  » 

2.  Marchenoir  (Loir-et-Cher). 

3.  Les  mots  suivants  jusqu'à  de  passer  la  journée  manquent  à 
l'édition  de  1618. 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.   XV.  267 

Leur  conseillier  fut  bien  en  plus  grand'peine.  Je 
demanderai  congé  à  mon  lecteur  d'en  dire  les  prin- 
cipaux traicts,  pource  que  la  science  des  périls 
d'autrui  nous  apprend  à  desmesler  les  nostres.  Et 
certes,  si  mon  lecteur  s'ennuye  de  voir  mon  nom  si 
souvent,  je  l'eusse  encor  desguisé,  sans  l'honneur  que 
les  autres  historiens  m'ont  faict,  le  produisant  en  cet 
endroit  et  me  donnans  des  compagnons,  qui,  hormis 
Sainct-Gelais  et  Bois-du-Lis,  ne  se  mesloyent  que  de 
leur  faict. 

Sur  le  congé  que  je  pense  avoir  impétré  de  vous, 
je  vous  dirai  qu'outre  la  levée  gaignée  par  quelques 
reistres,  le  duc  du  Mayne  s'y  avança  aussi.  Le  mares- 
chal  de  Biron  vint  d'une  course  à  Chasteaudun  ;  le  duc 
d'Espernon  à  Bonneval^.  Les  premiers,  avancez  vers 
la  forest  de  Marchenoir,  furent  quatre  compagnies 
d'Italiens  que  menoit  Sacremore. 

Voilà  ceux  qui  venoyent  d'Angers  de  dire  vive  le 
roi  accablez  des  Royaux  et  de  la  Ligue.  Aubigné  avec 
ses  trente  chevaux  passe  la  forest  et  se  tapit  dans  une 
grande  métairie  auprès  de  Chèze  ^  ;  où  il  ne  fut  pas 
demie  heure  qu'il  void  venir  au  galop  les  quatre  cor- 
nettes italiennes,  deux  desquelles  environnent  la 
métairie,  les  autres  deux  prennent  plus  loing  leur 
chasse^.  Les  compagnons  eurent  recours  aux  barri- 
cades. Mais  leur  capitaine,  s'escriant  qu'il  n'estoit  pas 
à  la  Jarie  près  la  Rochelle,  saute  à  cheval,  et  lui  sep- 
tiesme  charge  un  corps  de  garde  de  vingt  lances,  où 
le  capitaine  Jaques  commandoit.  De  là  il  n'y  eust  que 

1.  Bonneval,  sur  la  ligne  de  Châteaudun  à  Chartres  (Eure-et- 
Loir). 

2.  Chèze,  près  de  Marchenoir  (Loir-et-Cher). 

3.  Ces  deux  mots  :  leur  chasse,  manquent  à  l'édition  de  16i8. 


268  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

le  capitaine  qui  donnast  coup  d'espée.  Aubigné,  qui 
avoit  les  yeux  pleins  de  boue,  s'emporta  jusqu'au  vil- 
lage de  Ghèze,  où  ayant  recouvert  la  veue,  ne  se  vid 
que  sixiesme,  en  ayant  perdu  un  à  la  charge,  et, 
comme  il  consultoit  pour  retourner  quérir  ses  compa- 
gnons, qu'un  soldat  lui  r'apporta  estre  chargez  par  les 
deux  cornettes,  vindrent  frapper  dans  le  village  quatre 
Albanois,  qui  menoyent  dix-huict  prisonniers,  aus- 
quels  ils  avoyent  laissé  les  espées  au  costé.  Les  Alba- 
nois n'ayans  pas  attendu  la  charge,  on  fît  mettre  l'es- 
pée  au  poing  à  ces  dix-huict,  et,  en  leur  faisant  faire 
mine,  les  six  donnent  à  la  métairie  et  délivrent  leurs 
compagnons,  ausquels  estans  ensemble  les  assiégeants 
firent  place,  si  bien  que  tout  cela  alla  gaigner  la  forest. 
En  y  arrivant,  ils  rencontrent  dans  un  chemin  couvert 
trente  chevaux  de  la  compagnie  de  Cigongne*,  menez 
par  La  Grand'Houssaye,  qui  s'en  disoit  mareschal  des 
logis.  Comme  ils  eurent  passé  sur  le  ventre  à  cette 
troupe  et  le  conducteur  pris,  Aubigné  l'ayant  laissé 
aller  avec  serment  de  retirer  un  gentilhomme  des 
siens,  dit  aux  compagnons  que,  si  c'eust  esté  un 
homme  de  plus  grande  marque,  ils  eussent  faict  de 
leur  prisonnier  leur  maistre.  Là-dessus  les  dix-huict  se 
plaignent  de  quoi  ils  en  avoyent  desjà  trouvé  et  pren- 
nent parti  à  part  pour  aller  cercher  quelcun  qui  les 
voulust  prendre.  Le^  capitaine  L'Enfant,  estant  deslivré 
par  mesmes  mains,  demanda  congé  d'aller  cercher,  lui 
quinziesme,  des  maistres  de  mesme  façon.  Les  trente 
passèrent  huict  jours  en  Beausse  et  Vendosmois  avec 
grandes  risques  ;  y  deffirent  encores  deux  troupes,  n'y 

1.  Charles-Timoléon  de  Beauxonnes,  s.  de  Sigongnes,  plus  tard 
vice-amiral  de  Normandie  et  gouverneur  de  Dieppe. 

2.  Cette  phrase  manque  à  l'édition  de  1618. 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   XV.  2i69 

cerchans  autre  commodité  qu'un  homme  assez  autho- 
risé  pour  leur  sauver  la  vie.  Sur  tous  estoit  en  cette 
peine  celui  qui  les  menoit,  souvent  attaqué  par  les 
gens  de  Sacremore,  et  bien  cogneu  de  lui,  pour  la 
commission  qu'il  avoit  eue  de  le  guetter  au  voyage  où 
il  avoit  porté  une  fascheuse  parole  au  roi. 

Après  avoir  passé  dix  jours,  marchant  la  nuict  et 
passant  le  jour  par  les  forests  ou  mestairies  esgarées, 
Aubigné  mena  sa  troupe  sur  le  bord  de  Loire,  vis-à-vis 
de  Sainct-Dié,  où  il  avoit  du  bien,  et  quelque  amitié 
avec  le  maistre  de  la  poste,  qui  estoit  esleu  capitaine 
de  la  ville,  et,  de  plus,  s'asseuroit  d'une  retraicte  à 
Saumeri*.  Il  voulut  donc  se  bazarder  seul  de  passer 
pour  asseurer  la  vie  de  ses  compagnons,  les  instruict 
que,  si,  estant  delà  l'eau,  il  leur  fait  signe,  qu'ils  entrent 
dans  la  gabarre  du  passage  au  retour  ;  s'il  ne  leur  en 
fait  point,  il  leur  enseigne  un  pescheur,  duquel  il  s'es- 
toit  servi  à  recouvrer  les  grands  bateaux,  leur  don- 
nant advis  de  lier  deux  petits  bateaux  ensemble,  pour 
passer  en  une  nuict  les  chevaux  deux  à  deux,  quoique 
la  rivière  fust  fort  grande  et  à  bord  de  chantier.  Il  laisse 
donc  ses  gens  cachez  derrière  la  levée,  horsmis  un  à 
pied,  pour  voir  ce  qu'il  devenoit,  et  se  met  dans  la 
gabarre  seul  avec  une  charrette  et  huict  ou  dix 
hommes  qui  y  passoyent.  Il  n'eut  pas  faict  le  tiers  de 
la  rivière  que,  s'estant  enquis  d'une  petite  fumée  qui 
paroissoit  à  l'autre  bord,  on  lui  apprit  que  c' estoit  un 
corps  de  garde  que  ceux  de  Sainct-Dié  estoyent  obli- 
gez d'entretenir,  et  qu'il  estoit  de  vingt  hommes.  Cela 
Festonna,  ne  pouvant  retourner,  mais  encor  il  y  eut 

{.  Saumeray,  sur  le  Loir  (Eure-et-Loir). 


270  raSTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

quelque  espoir  de  se  faire  avouer  par  le  chevaucheur. 
Sur  cette  pensée,  il  void  venir  au  corps  de  garde  du 
port  dix-huict  hommes,  qu'il  apprit  estre  le  prévost 
des  mareschaux  de  Blois,  nommé  L'Ardoise  \  auquel 
il  avoit  fait  quelques  affronts.  Ce  prévost  venoit  d'en 
recevoir  un  par  Villegombelin^,  à  la  mémoire  duquel 
je  veux  rendre  un  conte  plein ^  d'honneur.  Ce  cava- 
lier, lieutenant  du  duc  de  Guyse,  voyant  la  dissipation* 
des  reflFormés  en  son  pais,  estoit  monté  à  cheval  avec 
ses  voisins,  leur  disant  qu'il  faloit  aller  à  la  chasse  des 
amis^  ou  à  la  foire  d'iceux,  et  prendre  le  temps  de 
l'affliction,  pour  s'obliger  autrui,  et  se  désobliger 
envers  le  devoir  de  gentilhomme.  Donc  ce  courtois 
chevalier,  courant  çà  et  là  pour  délivrer  les  esgarez 
de  leur  peine,  venoit  d'oster  à  L'Ardoise  Tifardière^  et 
Michelière.  Ce  fut  pourquoi  cet  homme,  mutiné  avec 

1.  L'édition  de  1618  ne  donne  pas  le  nom  de  ce  personnage. 

2.  François  Racine,  s.  de  Villegomblain,  capitaine  catholique, 
était  à  côté  du  duc  de  Guise  au  moment  de  l'assassinat  de  ce  sei- 
gneur par  Poltrot  de  Méré  (Mémoires  de  Condé,  t.  IV,  p.  240).  C'est 
par  erreur  que  les  Mémoires  de  la  Ligue  (t.  Il,  p.  245)  le  font  mou- 
rir à  la  bataille  de  Goutras.  Villegomblain  vivait  encore  en  1602, 
à  l'époque  du  procès  du  duc  de  Biron.  Il  a  laissé  des  Mémoires 
qui  commencent  en  1562  et  qui  finissent  en  1602  et  qui,  malheu- 
reusement, ont  été  oubliés  dans  toutes  les  grandes  collections  sur 
l'histoire  de  France.  Ges  Mémoires,  imprimés  en  1668,2  vol.  in-18, 
se  recommandent  par  de  grandes  hardiesses  de  jugement.  Les 
exemplaires  non  cartonnés  sont  fort  rares. 

3.  Les  deux  derniers  mots  de  cette  phrase  manquent  à  l'édition 
de  1618. 

4.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  o  ...  voyant  le  désastre  des  réfor- 
més... » 

5.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  n  ...  à  la  chasse,  ou  à  la  foire  des 
amis,  et  prendre...  » 

6.  Jean  Ghevalleau  de  la  Tiffardière. 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.   XV.  271 

ses  archers,  le  venoit  joindre  au  corps  de  garde,  en 
jurant  la  mort  des  premiers  huguenots  qu'il  empoi- 
gneroit.  Nostre  avanturé,  sans  espoir  et  sans  conseil, 
ayant  achevé  un  mot  de  prière  et  le  second  couplet  du 
Ps.  142,  arrive  entre  ces  deux  troupes  qui  faisoyent 
près  de  quarante  hommes. 

Talsi^,  deBeausse,  de  mesme  humeur  et  dessein  que 
Villegombelin,  lui  avoit  envoyé  un  coursier  de  Naples, 
brave  et  furieux  à  son  grand  besoin.  Si  tost  que  ce 
cheval  eut  les  deux  pieds  de  devant  à  terre,  il  fit  une 
roue,  qui  escarta  ceux  qui  environnoyent  le  bateau. 
Et  son  maistre  en  criant  :  prenez  vous  garde,  quoi- 
qu'armé  sous  la  Juppé,  sauta  dans  la  selle  ;  où  il  ne 
fut  pas  si  tost  qu'oyant  cinq  ou  six  archers  ou  habi- 
tants qui  le  nommoyent,  il  met  l'espée  à  la  main,  fait 
fendre  la  presse,  et,  au  péril  de  sept  ou  huict^  arque- 
buzades,  gaigna  le  large.  Ce  fut  à  L'Ardoise  et  à  ses 
archers  à  monter  à  cheval  dans  la  ville,  pour  recou- 
vrer leur  perte.  Les  compagnons,  qui  avoyent  veu  ce 
passe-temps ,  gagnent  le  haut ,  et  la  nuict  passent  la 
rivière,  et,  n'adjoustans  rien  à  ce  qui  leur  estoit 
ordonné,  gaignent  Saumeri,  où  ils  trouvent  leur  chef. 
Et  encores  arriva  que,  comme  ils  estoyent  sur  le  pas- 
sage que  le  capitaine  Touverac,  celui  qui  avoit  esté 
pris  à  la  charge  de  Chèze,  les  ayant  recognus,  se  joi- 
gnit^ à  eux,  se  venant  de  sauver,  et  passa  l'eau  avec 
ses  compagnons. 

1.  Aubigné  parle  dans  ses  Mémoires  d'un  Jean  Salviati,  s.  de 
Talcy,  seigneur  de  l'Orléanais,  dont  il  recherchait  la  fille  vers  1572 
(édit.  Charpentier,  p.  24).  Voyez  une  note  dans  le  chapitre  xvii. 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  huit  mauvaises  arquebuzades...  » 

3.  Ce  petit  membre  de  phrase  manque  à  l'édition  de  1618. 


21721  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

Vous  ne  sçaurez  point  par  moi  les  autres  périls  que 
courut  ceste  troupe  à  suivre  le  Cher  jusques  à  Sainct- 
Florent^  à  traverser  la  Soulongne,  le  Berri,  le  Limou- 
zin,  Poictou  et  entrer^  en  Xainctonge,  estans  con- 
traints, pour  la  grandeur  des  rivières,  de  monter 
jusques  auprès  des  sources  ;  le  tout  sans  porter 
marques  ennemies,  sans  faveur  d'aucune  retraicte, 
et  non  sans  quelques  combats,  pour  venir  cercher  en 
Brouage  le  reste  du  régiment^. 

Chapitre  XVI. 

Mauvaise  rencontre*'  du  siège  de  Brouage. 

Par  force  nous  avons  donné  jusques  dans  la  fin  d'oc- 
tobre, pource  que  toutes  ces  choses  se  passèrent  ainsi, 
sans  avoir  eu  certaine  cognoissance  de  l'Édict  de  juil- 
let. Et  les  gouverneurs  et  lieutenans  de  roi  s'avan- 
çoyent  ou  retardoyent  au  prix  qu'ils  avoyent  cognois- 
sance de  volontés  de  S.  M.,  tousjours  douteuses 
jusques-là.  Par  ceste  desroute,  les  affaires  des  reffor- 
més,  fort  descousues,  les  firent  criminels  de  leurs  foi- 
blesses  et  malheurs,  les  liguez  justifiez  par  leurs  forces 
et  prospéritez. 

Gela  fit  achever  de  publier  par  tout  l'Édict  de  juil- 

1.  Saiat-Florent-sur-Gher  (Cher). 

2.  Ce  mot  manque  à  l'édition  de  1618. 

3.  D'Aubigné  raconte  dans  ses  Mémoires  que  le  bruit  de  sa  mort 
s'était  tellement  répandu  pendant  la  durée  de  cette  campagne 
aventureuse  que  sa  femme,  lorsqu'elle  vit  revenir  ses  équipages, 
tomba  à  la  renverse.  Voyez  le  récit  des  Mémoires,  édit.  Lemerre, 
p.  53. 

4.  L'édition  de  1618  porte  mauvaise  retraitte. 


1585]  LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XVI.  273 

let*,  redoublé  par  un  autre  du  septiesme  d'octobre  2, 
par  lequel  estoyent  à  plein  confisquez  les  biens  et  les 
personnes  de  ceux  qui  n'abjureroyent  les  erreurs  de 
la  nouvelle  opinion,  comme  ils  disoyent.  Mandements 
de  les  poursuivre  comme  coulpables  de  lèze-Majesté, 
et  terme  de  six  mois  que  le  premier  édict  leur  don- 
noit,  raccourci  de  trois,  puis  réduit  à  quinze  jours.  Ce 
fut  le  temps  que  prit  le  mareschal  de  Matignon  pour, 
avec  toutes  les  forces  de  Guyenne,  Xainctonge  et 
Angoumois,  marcher  au  secours  de  Brouage^.  Sainct- 
Mesmes  receut  ces  nouvelles  par  homme  qui  avoit  veu 
passer  les  compagnies  de  Gascongne,  à  Sainct-Jean- 
de-Brane,  et,  en  mesme  temps,  le  misérable  succès 
de  la  desroute,  par  Laval  et  les  siens,  qui  avoyent  gai- 
gné  Sainct-Jean-d'Angély  ;  comme  aussi  La  Boulaye 
s'estoit  retiré  en  Poictou.  Ceux-là  firent  part  de  leur 
effroi  aux  assiégeans  de  Brouage,  adjoustans  à  ce 
qu'ils  sçavoyent  ce  qu'ils  présumoyent,  asçavoir  que 
le  prince  et  tout  ce  qui  estoit  de  la  Loire  estoit  mis  en 
pièces. 

Les  habitans  des  isles,  ayans  recognu  à  la  conte- 
nance de  leurs  hostes  et  au  cours  du  marché  qu'il  fau- 
droit  bientost  lever  le  siège,  commencèrent  les  pre- 
miers à  remuer  bagage,  ne  se  souvenans  plus  de  leurs 
retranchements,  par  le  moyen  desquels  il  est  certain 

1.  Voyez  les  notes  du  chapitre  xii. 

2.  Le  nouvel  édit  du  roi  contre  les  réformés,  du  7  octobre  1585, 
est  imprimé  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  t.  I,  p.  227.  Il  fut 
présenté  le  16  au  parlement  et  est  analysé  à  cette  date  dans  le 
Journal  de  L'Estoile. 

3.  Gallières  (Hist.  de  Matignon,  1661,  p.  175)  confirme  le  récit  de 
d'Aubigné. 

VI  18 


274  fflSTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

que  moindre  nombre  qu'ils  n'estoyent  devoit  arrester 
les  forces  du  mareschal.  Sainct-Mesme,  sans  prendre 
autre  conseil  que  l'estonnement,  quitta  Hiers*  ;  et,  le 
lendemain,  Sainct-Disant^,  qui  commandoit  le  régi- 
ment de  Bois-Rond,  regagna  ce  logis,  pour  résoudre 
le  reste,  comme  il  fit  pour  trois  ou  quatre  jours.  Mais 
le  mareschal  estant  approché  jusques  à  Gemosac',  les 
soldats  jouèrent  à  sauve  qui  pourra  ;  si  bien  que  les 
capitaines,  ne  pouvant  faire  mieux,  choisirent  les 
meilleurs,  pour  faire  quelque  troupe  de  retraicte. 
Sainct-Luc,  qui  ne  perdoit  point  de  temps,  se  met  à 
leurs  trousses,  et  particulièrement  de  ceux  qui 
filoyent  vers  Soubize  ;  lesquels  il  emportoit  tous  sans 
une  bonne  mine  que  fit  Sainct-Disant  à  un  petit  pont, 
et  puis  esquiva  pour  passer  au  moulin  de  la  Bridoire. 
Ce  passage  quitté  par  force,  Sainct-Luc  trouva  qu'il 
y  avoit  encores  quelque  six  vingts  hommes  à  passer. 
Il  ne  les  marchanda  plus,  en  mit  en  pièces  quelque 
trentaine,  en  prit  deux  fois  autant  de  prisonniers, 
soulagea  toutes  ces  troupes  de  leur  bagage.  Cet  acci- 
dent, redoublant  la  nouvelle  de  l'armée  du  prince  de 
Condé  perdue,  de  sa  fuite  en  Angleterre,  avec  une 
très  rude  peste  qui  se  mit  dans  le  pays  et  dans  Sainct- 
Jean-d'Angéli,  plus  qu'en  nul  autre  lieu,  fit  que  toutes 
les  compagnies  des  refformés,  horsmis  fort  peu,  se 

1.  Après  le  départ  du  prince  de  Condé,  Saint-Mesme  poursuivit 
le  siège  pendant  vingt-un  jours  (Arcère,  Hist.  de  la  Rochelle,  t.  II, 
p.  55).  La  levée  du  siège  de  Brouage  par  les  réformés  doit  donc 
être  datée  du  29  ou  du  30  octobre  1585. 

2.  Le  s.  de  Saint-Dizant,  capitaine  huguenot,  appartenait  à  la 
famille  de  Beaulon. 

3.  Gemozac  (Charente-Inférieure). 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,    GHAP.    XVU.  275 

brisèrent  d'elles-mesmes.  Ceux  que  la  religion  n'atta- 
choit  point  s'allèrent  jetter  dans  les  bandes  catho- 
liques, les  autres  dans  les  villages  et  fauxbourgs  de 
leurs  villes.  Encores  falut-il,  pour  achever  la  misère, 
que  la  famine  y  fust  adjointe,  estant  l'année  fort  mau- 
vaise; plusieurs  bleds  laissés  aux  champs  par  les  labou- 
reurs morts.  Les  compagnies  qu'on  avoit  jettées  en 
Oléron  gagnèrent  leurs  vaisseaux  à  grand'haste.  Voilà 
Testât  où  nous  laissons  la  Xainctonge  et  le  Poictou. 

Chapitre  XVII. 

Des  provinces  méridionales  de  la  France. 

Telle  estoit  la  semence  de  division  que  nous  avons 
ci-devant  touchée  entre  les  deux  princes^  cousins *- 
germains,  chose  estrange  en  leur  affliction  et  au  froid 
qui  reserre  les  choses  étérogénées,  que  le  désastre 
d'Angers  servi st  de  farce  à  toute  la  cour  de  Navarre  ; 
et  celui  qui  pouvoit  le  mieux  se  mocquer  de  la  misère 
de  leurs  frères  estoit  mieux  venu;  joinct  que  le  roi 
de  Navarre^  jouoit  un  personnage  nouveau,  ne  parlant 
plus  que  de  conserver  l'Estat  et  ayant  mis  les  pas- 

i.  Le  récit  de  la  rivalité  du  roi  de  Navarre  et  du  prince  de 
Condé  remplit  les  documents  du  temps.  Condé  était  soutenu  par 
les  huguenots  rigides  qui  n'admettaient  pas  d'accommodement 
avec  le  parti  catholique.  Les  Mémoires  de  La  Huguerye,  qui  sont 
une  apologie  de  ce  prince,  contiennent  de  curieux  détails  sur  la 
rivalité  des  deux  Bourbons. 

2.  Ce  mot  manque  à  l'édition  de  1618. 

3.  Le  roi  de  Navarre  était  à  Bergerac  et  apprit  de  Sully  le 
détail  du  désastre  essuyé  par  le  prince  de  Condé  (ÛEconomies 
royales,  chap,  xix). 


276        *  HISTOIRE  UNIVERSELLE.  [i  585 

sions  huguenottes  en  crouppe,  sur  ce  que,  s'estimant 
nécessaire  au  roi,  il  argumentoit  de  ceste  nécessité, 
ne  regardant  point  à  la  foiblesse  de  ce  prince,  qui 
alloit  prendre  loi  du  plus  pressant. 

Le  mareschal  de  Matignon,  estant  en  curée  du  mal 
que  son  approche  avoit  apporté  aux  refformés  pour 
remédier  aux  blasmes  de  sa  tardivité  et  obéyr  aux 
commandements  redoublez  qu'il  avoit  receus  de  la 
cour,  alla,  au  retour  de  Xainctonge,  passer  à  Brane,  et 
de  là  vers  la  Réole  joindre  deux  régiments  et  quelque 
cavallerie,  que  Cornusson  lui  amenoit  du  Languedoc. 
Avec  tout  cela,  il  s'en  vint  passer  l'eau,  partie  à  Agen, 
partie  au  Port  Saincte-Marie.  A  ce  dernier  passage  se 
présenta  quelque  cavallerie  des  refformés  ;  mais  deux 
régimens  de  gens  de  pied,  avancez  et  logez  dans  les 
Aubandes,  leur  apprirent  qu'ils  ne  pouvoyent  rien 
exécuter.  Le  lendemain,  l'armée  logea  aux  environs  de 
la  Plumet 

Le  roi  de  Navarre  avoit  lors  à  Nérac  trois  cents  cin- 
quante bons  chevaux  et  deux  mille  arquebuziers.  Le 
mareschal,  ayant  reposé  deux  jours  à  deux  lieues  des 
refformés  sans  qu'un  seul  logis  lui  fust  enlevé,  arrive 
à  dix  heures  du  matin  dans  le  grand  chemin  d'Agen. 
A  veue  du  petit  Nérac,  partagea  ses  gens  de  pied  à  ses 
deux  mains,  et  à  chasque  costé  desbanda  deux  cents 
arquebuziers  et  plus.  Gela  et  quelques  gentilshommes 
volontaires  présentèrent  l'escarmouche,  acceptée  une 
heure  après  par  ceux  de  Nérac,  qui  sortirent  en  foule 
sans  drapeaux,  les  corps  des  régiments  retenus  aux 

1.  L'édition  de  1618  porte  la  plaine.  La  Plume  est  un  canton  du 
département  de  Lot-et-Garonne. 


1583]  LIYRE   DIXIÈME,    CHAP.    XVII.  277 

contr' escarpes  demie  heure  entière.  Tout  alla  froide- 
ment des  deux  costez,  jusques  à  ce  que  le  mareschal 
destacha  de  ses  bataillons  de  droicte  et  de  gauche,  de 
l'un  huict  files,  de  l'autre  dix.  C'estoyent  gens  choisis, 
pour  sans  désordre  soustenir  les  premiers  escarmou- 
chans.  Le  roi  de  Navarre  ne  s'estoit  point  encores 
avancé,  mais,  à  l'arrivée  de  ces  nouveaux,  il  vid  que 
ces  gens  venoyent  voir  où  il  estoit.  Lors  il  poussa* 
ses  deux  gardes,  qui  donnèrent  si  résoluement  qu'ils 
réduisirent  ce  qui  s'estoit  approché  à  la  retraicte  au 
commencement.  Mais  le  mareschal,  ayant  faict  branler 
ses  bataillons  cinquante  pas  en  avance,  et  sa  cavallerie 
ayant  trouvé  un  champ  à  la  droicte,  où  il  y  avoit 
quelque  large,  vint  menacer  les  costez  du  combat. 
Tout  cela  affermit  les  catholiques  avancez,  et  leur  fit 
opiniastrer  quelque  chemin  creux,  et  là  chacun  se  con- 
tenta de  sa  place  de  combat,  hormis  quelques  arque- 
buziers  qui  s'entretenoyent  dans  les  vignes.  Le  roi  de 
Navarre  print  lors  envie  de  desloger  ceste  cavallerie, 
qui  estoit  à  sa  gauche ,  et ,  pour  cela ,  sans  appeler 
aucun  de  ceux  qui  estoyent  au  jeu  commencé,  il  fit 
couler  par  le  fossé  quatre  cents  arquebuziers,  la  plus- 
part  périgourdins.  A  leur  cul  il  laisse  sortir  quelques 
six  vingts  chevaux,  qu'il  fit  demeurer  encores  à  l'abri 
du  terrier;  et  lui,  avec  quarante  hommes  de  marque, 
alla  faire  le  çà^çà,  galand  homme,  à  ceste  cavallerie,  où 
estoit  Cornusson.  Et,  cependant  ses  gens  de  pied  gai- 
gnèrent  deux  hayes  du  champ,  d'où  ils  tiroyent,  bien 
que  loing,  dedans  ce  gros.  Le  mareschal,  voyant  que 

1.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  lors  il  fit  avancer  jm  deux 
gardes...  » 


278  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

ses  gens  seroyent  contraincts  de  lascher  le  pied,  ne 
pouvans  aller  à  la  charge,  et  que  sur  le  bransle  la 
troupe  du  roi  qu'il  voyoit  ne  pardonneroit  pas  la  des- 
marche, et,  de  plus;  confirmé  en  son  opinion,  quand  il 
vid  couler  à  propos  six  vingts  chevaux,  qui  estoyent  au 
chemin  bas,  il  partagea  en  deux  son  infanterie  de  main 
droicte,  la  moitié  pour  aller  gaigner  la  haye  du  champ, 
l'autre  pour  faire  mine  de  couper  le  chemin  de  la  ville. 
Ce  fut  aux  refformés  à  remettre  leur  cavallerie  dans 
le  chemin  bas,  et,  pour  retirer  leurs  quatre  cents 
hommes  de  pied,  leur  faire  faire  un  arc  à  la  main 
droicte,  pour  venir  saluer  ceux  qui  seroyent  avancez, 
et  ne  prendre  pas  tout  droict  le  chemin  de  la  ville, 
mais  se  retirer  de  bonne  grâce.  Les  quatre  cents  fai- 
soyent  bien,  jusques  à  ce  que  l'arquebuzerie,  qui  estoit 
allée  pour  gaigner  la  haye,  n'y  ayant  plus  que  faire, 
leur  vint  chatouiller  le  costé  gauche.  Le  roi  de  Navarre, 
voyant  quelque  estonnement  parmi  les  siens,  r'alia 
des  plus  volontaires,  et  là  oublia  l'héritier  de  la  cou- 
ronne pour  faire  le  soldat.  Il  eut  le  sous-pied  de  l'es- 
peron  et  la  semelle  de  la  botte  emportés  d'une  mous- 
quetade.  Lui  et  ceux  de  sa  maison  chargèrent  dans  les 
vignes  ;  ce  que  ceux  de  l'autre  cavallerie  n'estimoyent 
pas  ni  pouvoir  ni  devoir  estre  faict.  Le  mareschal  se 
contenta  de  voir  tirer  quelques  arquebuzades  à  la  cour- 
tine, et,  après  un  long  halte,  retourna  à  la  première 
place  qu'il  avoit  prise  à  son  arrivée  ;  et  les  autres,  après 
six  heures  d'exercice,  furent  bien  contents  du  démes- 
lement*. 


1.  Aucun  historien  ne  parle  de  ce  combat.  Cependant,  nous 
croyons,  d'après  une  lettre  du  roi  de  Navarre  au  s.  de  Saint- 


1585]  UVRE  DIXIÈME,   GHAP.    XVII.  279 

Nous  avons  dit  qu'on  avoit  envoyé  du  Languedoc 
des  forces  en  Guienne.  C'estoit  à  la  prière  du  mares- 
chal  de  Matignon  ;  et  la  concession  facile  de  celui  de 
Montmorenci  venoit  des  respects  de  la  cour,  ne*  vou- 
lant rien  agir  en  sa  charge,  le  roi  lui  ayant  mandé 
quelque  temps  auparavant  le  besoin  qu'il  avoit  de  son 
beau-frère.  Lui,  d'ailleurs,  repentant  de  sa  défection 
d'avec  le  roi  de  Navarre,  d'une  part,  pour  désirer  la 
bonne  grâce  de  ce  soleil  levant,  d'autre  part,  voyant 
le  triste  coucher  de  celui  qui  régnoit,  joinct  à  cela 
l'exaltation  des  ennemis  de  sa  maison  ;  tout  cela  le  fit 
souvenir  plusieurs  fois  des  remonstrances  par  articles 
qui  lui  avoyent  esté  présentées  à  Pezenas,  pour  tous 
ces  respects  dont  il  avoit  esté  bien  aise  d'eslongner 
Gornusson^,  d'autre  humeur  que  lui,  et  ne  l'envoyoit^ 
qu'à  la  délivrance  de  Brouage  et  non  ailleurs.  Lui  donc 
avec  le  duc  de  Joyeuse  mesnageoyent  quelque  repos 
de  la  province,  auquel  Ghastillon  s'accorda  facilement, 
pour  la  multitude  des  grandes  espérances  qu'il  avoit 
conceues  au  service  du  roi.  G'est  ce  qui  fait  que  nous 
n'avons  rien  à  dire  de  cette  province  qui  ne  se  puisse 
remettre  au  tome  suivant. 

Encores  voulons-nous  entamer  quelque  petit  com- 

Geniès  du  13  décembre  i585  {Lettres  de  Henri  IV,  t.  II,  p.  156), 
qu'il  dut  être  livré  dans  la  seconde  moitié  de  ce  mois.  Le  prince  y 
mentionne  les  mouvements  du  maréchal  vers  les  Landes.  Lui- 
même  était  alors  à  Mont-de-Marsan.  Il  est  possible  qu'il  y  ait  eu 
une  rencontre  sous  les  murs  de  Nérac. 

1.  Le  reste  de  la  phrase  manque  à  l'édition  de  1618. 

2.  François  de  la  "Valette,  s.  de  Ciornusson,  sénéchal  de  Tou- 
louse, mort  à  la  fin  de  décembre  1586  (Mémoires  de  Gâches,  p.  348). 

3.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  que  lui,  à  la  délivrance  de 
Brouage...  > 


280  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

mencement  de  Lesdiguières  en  Dauphiné,  pour  ne 
laisser  point  nostre  lecteur  à  instruire  de  ce  qui  esgale 
en  saison  les  choses  déduites*. 

Lesdiguières^,  sentant  venir  l'Édict  de  juillet,  et 
ayant  cognu,  aux  préparatifs  que  faisoyent  ses  voi- 
sins, qu'il  ne  faloit  plus  rien  espérer  de  la  distinction, 
mais  s'attendre  à  avoir  tout  sur  les  bras  ;  ayant  pris 
l'advis  des  principaux  et  députez  de  la  province,  vou- 
lut pourtant  commencer  la  guerre  par  quelques  places 
tenues  par  les  liguez,  commença  par  Sorgues^,  où  ils 
avoyent  mis  deux  compagnies,  chascune  de  soixante 
hommes.  A  la  fin  de  may  l'attaqua  par  escalade  géné- 
rale, en  plein  midi,  et  l'emporta  de  haute  lutte,  avec 
la  mort  de  tout  ce  qui  estoit  dedans,  horsmis  trente 
ou  environ*.  Un  mois  après,  Gouvernet^  et  Le  Pouet^, 
au  sortir  d'une  assemblée  tenue  à  Die,  assiégèrent  la 
citadelle  du  lieu,  tenue  par  des  royaux,  lesquels,  ayans 
tenu  jusques  au  premier  de  juillet,  se  rendirent  faute 
de  vivres  et  de  secours"^.  Lesdiguières,  cependant, 
avoit  amassé  ses  forces  sur  la  fin  d'aoust,  fait  entre- 
prise sur  le  Montélimar,  fait  jouer  trois  pétards  aux 
trois  portes,  et,  ayant  emporté  la  ceinture  de  la 
muraille,  donne  à  deux  tours  fortifiées,  où  il  y  avoit 

i.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  nostre  lecteur  trop  longtemps  en 
l'attente  du  succez.  » 

2.  Le  reste  du  chapitre,  jusqpi'à  ces  mots  :  Voyons  ce  que  la 
France...,  manque  à  l'édition  de  1618. 

3.  Chorges  (Hautes-Alpes), 

4.  Lesdiguières  s'empara  de  Chorges  le  23  juin  1585. 

5.  René  de  la  Tour  du  Pin,  s.  de  Gouvernet. 

6.  Louis  de  Blain,  s.  de  Pouet. 

7.  Prise  du  château  de  Die  par  les  réformés,  3  juillet  1585 
(Mémoires  de  Piémond,  p.  169).  C'est  par  erreur  que  de  Thou  fixe 
cette  date  au  commencement  d'août  (liv.  LXXXII). 


1585]  LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XVII.  2181 

garde,  et  les  emporte  d'effroy'.  Le  jour  d'après,  il 
attaque  le  fort  de  Narbonne-,  qu'il  emporta  sans 
peine,  mais  il  en  trouva  d'avantage  dans  la  citadelle, 
où  commandoit  Ancosne^,  qui  estoit  mieux  fortifiée, 
et  laquelle  faillit  de  renvoyer  les  reiformés  au  logis, 
ausquels  il  print  bien  de  couvrir  leur  siège  par  le  hors, 
non  de  barricades,  à  la  mode  qui  trotoit,  mais  d'un 
grand  retranchement,  avec  un  médiocre  parapet,  car 
en  peu  de  temps  Maugiron*,  lieutenant  de  roi,  fut 
assisté  des  comtes  de  Tournon^,  de  Sault®  et  de  Suze'', 
de  Monlaur^  et  du  jeune  Grignan^.  Et  encor  Alphonse 
Corse**'  les  vint  joindre,  en  cheminant  au  secours. 

1.  Prise  de  Montélimar  par  Lesdiguières,  25  août  1585  {Mémoires 
de  Piémond,  p.  172). 

2.  Narbonne  (Drôme). 

3.  Jean  de  Pracontal,  s.  d'Anconne,  frère  et  héritier  d'Antoine 
de  Pracontal,  s.  d'Anconne,  mort  en  1581.  Antoine  appartenait 
au  parti  protestant  et  s'était  fait  une  célébrité  en  Dauphiné.  Jean 
était  catholique.  Il  fut  tué,  le  28  décembre  1588,  en  défendant 
Anconne  contre  les  réformés  (Mémoires  de  Piémond,  p.  526). 

4.  Laurent  de  Maugiron,  mort  en  février  1589,  avait  été  lieute- 
nant de  roi  en  Dauphiné  à  diverses  reprises  depuis  1554. 

5.  Just-Louis  de  Tournon,  capitaine  d'ordonnance,  sénéchal 
d'Auvergne,  bailli  du  Vivarais,  mort  le  4  septembre  1617. 

6.  François  d'Agoult  de  Montauban,  comte  de  Sault,  baron  de 
Grimaud,  chevalier  du  Saint-Esprit,  commandait  un  régiment 
{Mémoires  de  Piémond,  p.  103).  Il  mourut  en  1608. 

7.  François  de  la  Baume,  comte  de  Suze,  capitaine  d'ordon- 
nance, ou  son  fils,  Rostaing  de  la  Baume. 

8.  Louis-Guillaume  de  Raymond-Mourmoiron,  baron  d'Aube- 
nas,  de  Maubec  et  de  Modène,  comte  de  Montlaur,  gendre  du  s. 
de  Maugiron  cité  plus  haut. 

9.  Louis-François  de  Castellanne-Adhémar,  comte  de  Grignan, 
sénéchal  de  Valentinois  et  Diois,  capitaine  d'ordonnance,  marié 
le  4  juillet  1595  avec  Jeanne  d'Ancezune  de  Venejan. 

10.  Alphonse  d'Ornano,  plus  tard  lieutenant  général  en  Dau- 
phiné et  maréchal  de  France. 


282  fflSTOIRE  UNIVERSELLE.  [1585 

Tout  cela  et  la  noblesse  volontaire  qui  sauta  à  che- 
val mit  ensemble  six  cents  bons  chevaux  et  deux 
mil  cinq  cents  hommes  de  pied,  artillez  d'une  bas- 
tarde  et  d'une  pièce  de  campagne  seulement.  Le 
secours  ne  faillit  pas  de  venir  taster  le  retranchement, 
mais,  les  ayant  trouvez  bien  retranchez  et  couverts  à 
preuve  de  leurs  pièces,  il  falut  renvoyer  cercher  du 
canon  de  batterie  ;  ce  qui  fut  de  telle  longueur  que 
les  assiégez,  manquans  de  toutes  choses,  au  bout  de 
neuf  jours,  qui  estoit  à  la  mi-septembre,  composèrent 
et  sortirent  avec  honorable  capitulation*. 

De  mesme  façon,  Lesdiguières  entreprit  sur  Ambrun, 
de  laquelle  la  porte  estant  forcée,  au  bruit  du  pétard, 
les  habitans  se  barriquèrent  par  les  rues,  estans  for- 
cez partout.  Les  chefs  de  la  garnison  se  retranchèrent 
un  peu  mieux  dans  l'évesché,  où  ils  receurent  capitu- 
lation bien  gardée^,  comme  par  tout  ailleurs.  Voyons 
ce  que  la  France,  ayant  tant  d'affaires  en  son  sein, 
desmesle  avec  ses  quatre  voisins. 

Chapitre  XVIII. 

Affaires  meslées  avec  les  quatre  voisins. 

Quelques  esprits  de  la  cour  osèrent  jetter  en  celui 
du  roi  de  prendre  l'occasion  des  arche vesques  de 
Golongne^  pour  obliger  à  soi  d'un  lien  bien  estroit  tous 

1.  Prise  du  château  de  Narbonne  par  Lesdiguières,  11  septembre 
1585  (De  Thou,  liv.  LXXXII). 

2.  Prise  de  la  citadelle  d'Embrun  par  Lesdiguières,  19  novembre 
1585  {Mémoires  de  Piémond,  p.  180). 

3.  Plusieurs  pièces  importantes  relatives  aux  négociations  de 


1585]  UVRE  DIXIÈME,   GHAP.    XVIIl.  283 

les  princes  protestants  d'Allemagne.  Pour  le  moins, 
disoyent-ils ,  en  faudroit-ii  donner  la  crainte  aux  liguez, 
pour  les  rendre  plus  sobres  en  leurs  entreprises.  Deux 
choses  esmeurent  tels  conseilliers  à  bien  espérer  de 
leur  ouverture  :  l'une  les  traictez  que  le  roi  avoit  ainsi 
comme  ainsi  avec  les  refFormés,  mesmes  en  Guyenne 
avec  le  roi  de  Navarre  par  le  duc  d'Espernon,  et  au 
Pays-Bas,  comme  nous  dirons  en  ce  chapitre.  L'autre 
occasion  d'espérer  fut  pource  que  cet  exemple  d'un 
archevesque  marié ^  n'estoit  nullement  odieux  à  plu- 
sieurs ecclésiastiques  de  la  France,  notamment  à  quel- 
ques primats  ausquels  le  roi  en  communiquoit.  Mais 
il  ne  respondit  qu'en  crainte,  et  ceux  de  l'opinion  con- 
traire parloyent  avec  une  hardie  animosité,  si  bien  que 
le  roi  ne  pensa  plus  à  cet  affaire  si  tost  qu'il  falut 
méditer  un  apointement. 

J'adjousterai  encores  qu'il  n'eut  pas  beaucoup  de 
loisir  de  s'esbranler  pour  un  tel  fardeau  qu'il  ne  le 
vist  trébuscher  sur  les  espaules  qui  le  soustenoyent. 
Et  puis  les  Guisarts,  qui  s'estoyent  veus  en  Lorraine, 
avoyent  de  là  envoyé  leur  ligue,  tant  en  la  première 
forme  qu'en  la  seconde,  pour  la  faire  approuver  au 
consistoire  de  Rome.  A  quoi  estoyent  poi notez  tous  les 
partisans  de  l'Empire  et  de  France  mesme,  hormis  le 
cardinal  de  Joyeuse^,  lequel  seul,  maintenant  le  droict 
de  son  roi,  receut  un  soufflet  dans  le  consistoire.  A 

Henri  III  avec  les  princes  protestants  à  l'occasion  de  l'archevêque 
de  Cologne  sont  conservées  dans  le  vol.  3304  du  fonds  français. 

1.  Gebhart  Truchses.  Sur  cette  affaire,  voyez  le  chapitre  sui- 
vant. 

2.  François  de  Joyeuse,  né  le  24  juin  1562,  archevêque  deNar- 
bonne,  de  Toulouse,  de  Rouen,  cardinal  en  1583,  mort  le  27  août 
1615. 


284  HISTOIRE   UNIVERSELLE.  [1585 

toutes  ces  brigues,  le  pape,  qui  estoit  encores  lors 
Grégoire  Vil,  ayant  résisté,  quoique  peu  supporté  des 
siens,  le  roi  se  sentit  obligé  à  lui,  jusques  à  espérer 
pouvoir  ruiner  les  affaires  de  la  Ligue  par  celles  de 
Rome,  mais  il  changea  d'espérance  au  premier  chan- 
gement du  papat. 

L'Espagne  se  porta  pour  le  commencement  plus 
retenue  et  couverte  aux  affaires  de  la  Ligue,  pour  ce 
qu'ayant  à  desmesler  celles  de  Portugal,  il  n'est  oit  pas 
temps  de  mettre  au  pis  les  François  ;  joint  à  cela  que 
la  roine,  mère  du  roi,  se  montroit  fort  eschauffée  à 
disputer  la  succession  du  Portugal,  monstrant  tant  de 
desfaveur  au  roi  Philippes  que,  quand  son  fils  le  duc 
d'Alençon^  eut  gasté  les  affaires  en  Brabant,  elle 
manda  à  ceux  des  Pays-Bas  qu'elle  estoit  preste  de 
relever  la  faute  de  son  fils,  jusques  à  marcher  en  per- 
sonne au  milieu  d'une  puissante  armée  en  Artois. 
Voici  deux  opinions  qui  couroyent  là-dessus.  Quelques 
meffians  disoyent  que  ceste  femme  estoit  tellement 
attachée  à  la  Ligue  qu'elle  ne  faisoit  rien  à  contre- 
poil  de  leurs  mouvements,  et  qu'on  lui  avoit  ouy  dire, 
pour  sentence  notable,  que  le  meilleur  moyen  de  bien 
destruire  un  parti  est  de  le  mesler  pour  y  entrer.  Et 
c'est  ce  qu'elle  fit  practiquer  au  roi  bientost  après, 
quand  il  se  fit  chef  de  la  Ligue,  pour  la  décapiter  à  sa 
volonté.  Par  ainsi  ceux-là  estimoyent  que  la  roine  n'avoit 
rien  fait  contre  le  roi  d'Espagne,  sinon  en  faux  sem- 
blant. Les  autres  et  mesmes  personnages  de  marque 
près  d'elle  nous  asseuroyent  qu'elle  n'estoit  point  femme 
sans  caprice,  et,  après  plusieurs  tesmoignages  de  sa 

1.  D'Aubigné  écrit  indifféremment  duc  d'Alençon  ou  d'Anjou. 
Il  s'agit  de  François  de  Valois. 


1585]  UVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XVIII.  285 

passion,  en  adjoustoyent  un  que  j'ay  estimé  digne 
d'estre  escript  :  c'est  que,  sachant  bien  comment  elle 
estoit  descriée  parmi  les  maisons  qui  s'estimoyent  plus 
dignes  de  l'alliance  de  France  que  de  celle  de  Florence 
et  comment,  en  haine  de  son  exaltation,  on  abaissoit 
son  extraction  en  la  faisant  estre  issue  de  deux  diffé- 
rentes conditions,  au  mespris  de  ceste  grand'maison. 
J'en  supprimerai  les  particularitez  pour  un  notable  res- 
pect, quoi  que  je  les  aye  apprises  de  Jean  Salviati*, 
fils  de  Bernard,  florentin  et  sieur  de  Talci,  qui  m'a 
autresfois,  privément,  comme  à  son  gendre,  asseuré 
d'icelles,  avec  d'autres  comptes  accompagnez  d'animo- 
sité  contre  ceste  roine,  bien  que  sa  parente.  En  géné- 
ral, il  cottoit^  les  desdains  que  monstrèrent  au  com- 
mencement les  Strossi,  Salviati  et  Peruci,  de  recevoir 
ceux  de  Médicis  en  leur  alliance,  qu'ils^  ont  receu  bien 
avantageuse  depuis.  Peut-estre  que  la  discrétion  de 
ceste  princesse  à  n'avancer  pas  les  siens  inconsidéré- 
ment aux  biens  et  honneurs  de  la  France  faisoit  esclat- 
ter  contre  elle  ces  déclamations.  Quoi  que  ce  soit,  ce 
haut  courage,  et  non  sans  quelque  raison,  tenoit  à 
grand  avantage  d'avoir  à  débattre  un  royaume  par 
succession  ;  et  que  fui  la  cause  qui  lui  fit  rompre  tant 
de  menées  à  la  cour  et  de  défenses  faites  à  la  sollicita- 
tion et  crieries  de  l'ambassadeur  d'Espagne.   Et  y 

1.  Jean  Salviati,  seigneur  italien,  établi  à  Talcy  (Loir-et-Cher), 
dont  d'Aubigné  avait  désiré  épouser  la  fille  aînée,  Diane  Salviati, 
après  le  massacre  de  la  Saint-Barthélémy  (Mémoires  de  d'Aubi- 
gné, dans  Œuvres  complètes,  édit.  Heaume  et  Gaussade,  t.  I,  p.  18). 
C'est  pour  elle  qu'il  écrivit  le  Printemps.  Après  une  assez  longue 
cour,  l'amoureux  fut  évincé  pour  cause  de  rehgion. 

2.  Ces  mots  :  en  général  il  cottoit,  manquent  à  l'édition  de  161^. 

3.  La  (in  de  la  phrase  manque  à  l'édition  de  1618. 


286  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

employa  son  cousin  Strossi^,  colomnel  de  l'infanterie 
françoise. 

Ici  vient  à  propos  de  dire  un  mot  sur  ce  que  l'on 
accusoit  le  roi  de  Navarre  d'avoir  eu  un  traité  avec  le 
roi  d'Espagne,  préjudicieux  en  France.  J'en  parlerai 
comme  ayant  preste  serment  à  la  vérité  et  comme  y 
ayant  esté  employé.  Il  est  certain  que  les  maux  passés, 
les  nécessitez  présentes  et  les  justes  craintes  pour  l'ave- 
nir firent  prester  l'oreille  aux  offres  de  l'Espagnol, 
reçues  par  deux  gentilshommes  de  Basque,  Guerres- 
et  Mazeres*,  chez  lesquels  se  rendit  un  secrétaire 
major,  d'une  part,  et,  de  l'autre,  Ségur*  et  son  compa- 
gnon de  Languedoc^,  desquels  l'un  fut  d'opinion  d'en- 
trer en  discours  par  une  curieuse  narration  des  anciens 
partis  et  troubles  entre  les  maisons  de  Beaumont  et 
Grammont^  et  que  nous  estions  descendus  de  la  fac- 
tion qui  soustenoit  l'Espagnol.  L'autre  disoit  qu'ayant 
à  faire  à  des  Castillans,  il  falloit  traicter  en  ces  termes  : 
«  Nous  venons  à  vous  comme  peuvent  ennemis  vers 

1.  Philippe  Strozzi,  fils  du  maréchal  Pierre  Strozzi,  né  à  Venise 
en  avril  1541,  Nous  retrouverons  bientôt  ce  personnage. 

2.  La  seigneurie  de  Ger  ou  Geer  est  située  près  de  Pontac 
(Basses-Pyrénées). 

3.  François,  s.  de  Mazères  et  de  Lezons,  gentilhomme  béarnais, 
avait  été  le  premier  à  recevoir  les  ministres  protestants  en  Béarn 
(Bordenave,  Hist.  de  Béarn  et  Navarre,  p.  54). 

4.  François  de  Ségur-Pardaillan. 

5.  Le  compagnon  du  Languedoc  n'est  autre  que  d'Aubigné  lui- 
même,  qui  avait  été  envoyé  en  Languedoc  en  1577  pour  redresser 
une  négociation  délicate  avec  le  maréchal  Damville,  que  Ségur 
avait  compromise  par  maladresse.  Voyez  ci -dessus,  liv.  VIII, 
chap.  IX. 

6.  La  Navarre,  et  spécialement  la  Navarre  espagnole,  avait  été 
déchirée  au  moyen  âge  par  les  querelles  intestines  des  Beaumont 
et  des  Gramont,  les  deux  plus  puissantes  maisons  de  la  province. 


LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   XVm.  287 

ennemis,  mais  tels  qu'il  n'y  a  d'une  part  ni  d'autre 
perfidie  à  reprocher  ni  ingratitude  qui  nous  puisse 
esloigner.  Vous  cherchez  en  nous  vos  commoditez  et 
vengeances  contre  tels  vices;  nous  celle  de  la  défense 
contre  cela  mesme.  Nos  intérests  mutuels  ont  desjà 
touché  à  la  main.  Voyons  si  nos  probitez  réciproques  et 
nos  fidelles  observations  pourront  y  amener  et  y  con- 
fermer  le  nom  et  l'efifect  d'amitié.  > 

Un  tel  style  estant  mieux  receu,  ils  vindrent  sur  le 
poinct  de  conclure  que,  sur  la  promesse  absolue  du 
roi  de  Navarre  de  mettre  la  guerre  en  France,  sans 
autre  caution,  il  toucheroit  200,000  ducats,  rendus  à 
la  maison  de  Chaux*  ;  qu'aussi  tost  que  les  refformez 
auroyent  pris  quatre  villes  pour  marque  de  la  guerre 
bien  commencée,  le  roi  PhiHppe  envoyeroit  encores 
400,000  ducats;  que,  le  premier  jour  de  l'an  prochain, 
et  ainsi  toutes  les  années  que  la  guerre  dureroit,  il  four- 
niroit,  au  mesme  lieu,  la  somme  de  600,000  ducats*. 


1.  Le  vicomte  d'Etchaux  était  un  seigneur  basque  catholique 
qui  avait  deux  sœurs  mariées  à  Pampelune.  Il  avait  déjà  joué  un 
rôle  au  moment  de  l'entrevue  de  Bayonne  et  avait  été  chargé 
par  la  reine  de  recevoir  les  ambassadeurs  turcs  (Mémoire  de 
Frances  de  Alava  du  27  avril  1579,  conservé  aux  archives  de  la 
secret.  d'État  d'Espagne).  Le  6  août  1578,  le  roi  de  Navarre 
l'envoya  en  Espagne  sous  prétexte  d'acheter  des  chevaux  avec 
deux  lettres  de  recommandation,  dont  l'une,  à  Philippe  II,  est 
imprimée  dans  la  coll.  Berger  de  Xivrey,  t.  I,  p.  190;  l'autre, 
encore  inédite,  est  adressée  à  don  Sanche  de  Leyva. 

2.  D'Aubigné  touche  ici  à  une  des  négociations  les  moins  con- 
nues du  xvi«  siècle,  celle  des  relations  de  Philippe  II  avec  le  roi 
de  Navarre.  M™«  de  Mornay  en  parle  dans  ses  Mémoires  (édit.  de 
la  Soc.  de  l'Hist.  de  France,  t.  I,  p.  141),  mais  avec  cette  diffé- 
rence qu'elle  affirme  que  le  Béarnais  repoussa  bien  loin  les  pro- 
positions du  roi  d'Espagne,  tandis  que  d'Aubigné  raconte  qu'il  les 


288  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

Comme  les  députez  retournoyent  pour  faire  agréer 
ces  articles  à  leur  maistre,  les  considérations  prises  sur 
la  mort  de  Monsieur  et  les  pensées  d'un  héritier  de  la 
couronne  firent  faire  celles  de  protecteur  et  de  chef 
de  parti.  Quelque  temps  après,  estant  reproché  au  roi 
de  Navarre,  à  un  parlement  qui  se  fit  avec  la  roineS 
qu'il  avoit  tendu  la  main  au  secours  de  l'Espagnol,  il 
respondit  :  «  J'armerai  contre  vous  l'enfer,  où  vous 
avez  tant  de  crédit,  au  prix  que  vous  m'en  ferez  sen- 
tir les  nécessitez.  » 

Comme  je  m'abstiens  de  jugement  en  autres  choses, 
ainsi  ferai-je  en  celle-là,  pour  commencer  le  septen- 
trion par  l'Angleterre. 

La  roine  estoit  bien  empeschée  à  recevoir  le  duc 
d'Anjou,  en  faisant  tellement  espérer  ce  mariage  en 
son  pays  que  la  nouvelle  en  fut  célébrée  à  son  de 
cloches,  feux  de  joye,  balets  et  tournois^.  Il  séjourna 

écouta  favorablement.  Nous  avons  rapporté  de  Simancas  un  assez 
grand  nombre  de  documents  sur  cette  négociation,  successive- 
ment menée  par  Claude  du  Bourg,  le  comte  de  Gramont  et  le 
vicomte  d'Etchaux.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  les  analyser.  Disons 
seulement  que  la  conclusion  qui  s'en  détache  confirme  le  récit  de 
M™e  de  Mornay.  Il  n'y  est  pas  question  de  d'Aubigné.  Les  pour- 
parlers, longtemps  poursuivis  dans  le  plus  profond  mystère, 
s'ébruitèrent  enfin,  et,  le  13  mars  1581,  l'ambassadeur  d'Espagne 
en  France,  qui  ne  paraît  pas  avoir  été  mis  dans  le  secret,  écrivit 
à  son  maître  que  le  bruit  courait  que  le  roi  d'Espagne  était  en 
intelligence  secrète  avec  le  prince  béarnais  et  lui  faisait  passer 
des  subsides  pour  soutenir  sa  politique  (Arch.  nat.,  K.  1559). 

1.  A  la  conférence  de  Saint-Bris. 

2.  Plusieurs  princes  français,  notamment  le  fils  du  duc  de 
Montpensier,  rejoignirent  le  duc  d'Anjou  en  Angleterre.  Leur 
arrivée  fut  l'occasion  de  fêtes  éclatantes,  qui  sont  pompeusement 
racontées  dans  une  pièce  du  temps  (f.  fr.,  vol.  3189,  f.  22). 


LIVRE    DKIÈME,    CHAP.    XVIII.  289 

là  depuis  le  huictiesme  de  novembre  jusques  au  huic- 
tiesme  de  février^,  que  la  roine,  qui  l'avoit  accompa- 
gné jusques  à  Gantorberi,  lui  dit  Adieu,  lui  donnant 
ordonnance^  et  moyen  pour  emmener  la  fleur  des  sei- 
gneurs de  son  pais. 

Monsieur  ne  fut  guères  au  Pays-Bas  que  l'affaire  de 
Salcede^  se  descouvrit*.  Cettui-ci  et  un  sien  compa- 
gnon, nommé  Baza^,  confessèrent  et  soubsignèrent  que 
leur  dessein  avoit  esté  d'assassiner  ou  tuer  le  duc  d'An- 
jou^ et  le  prince  d'Oranges;  cela  à  la  sollicitation  du 
conseil  d'Espagne,  en  quoi  ils  espéroyent  faveur  du 
jeune  comte  d'Egmond''',  que  le  prince  d'Oranges  avoit 

1.  Novembre  4581  au  8  février  1582.  Une  relation  contenue 
dans  les  Mémoires  de  Nevers  (t.  I,  p.  551)  raconte  les  amours  de  la 
reine  Elisabeth  avec  le  duc  d'Anjou  pendant  le  séjour  du  prince 
en  Angleterre.  Fronde,  dans  History  of  England  (t.  XI,  p.  446  et 
suiv.),  y  ajoute  de  curieux  détails. 

2.  Les  deux  mots  ordonnance  el  moyen  manquent  à  l'édition  de 
1618. 

3.  Nicolas  de  Salcède,  s.  d'Auvilliers,  fils  de  Pierre  de  Salcède, 
capitaine  espagnol  et  instigateur  de  la  guerre  cardinale.  Nicolas, 
parent  éloigné  du  duc  de  Mercœur,  appartenait  secrètement  à  la 
Ligue. 

4.  Salcède  fut  arrêté  à  Bruges,  dans  la  maison  même  qu'habi- 
tait le  duc  d'Anjou,  le  21  juillet  1582. 

5.  PVançois  Baza  de  Bresle,  capitaine  italien  qui  avait  servi 
autrefois  sous  les  ordres  de  Ferdinand  de  Gonzague.  Le  Journal 
de  L'Estoile  le  nomme  Ralduin  (août  1582). 

6.  Henri  III  n'ayant  pas  d'enfants  et  paraissant  destiné  à  n'en 
pas  avoir,  le  roi  de  Navarre  appartenant  à  la  réforme,  le  duc 
d'Anjou  était  le  seul  prince  qui  pût  faire  un  obstacle  sérieux  au 
projet  du  duc  de  Guise  de  s'emparer  de  la  couronne  de  France. 
Telle  est  l'explication  que  donne  de  Thou  du  mobile  de  la  conju- 
ration. 

7.  Lamoral  d'Egmond,  second  fils  du  comte  d'Egmond,  l'illustre 
victime  de  Philippe  II. 

VI  19 


290  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

advertiS  comme  son  fils,  de  se  donner  garde  de  telle 
fréquentation.  Mais  l'instinct  de  ce  jeune  homme  a  tou- 
jours esté  de  hayr  ceux  qui  le  faisoient  souvenir  de  la 
mort  de  son  père^.  Baza,  après  estre  condamné,  se 
tua  en  prison^. 

Salcede,  mené  à  Paris  à  la  requeste  du  roi  et  de  la 
roine  mère,  confessa  de  plus  avoir  reçu  4,000  ducats 
et  d'avoir  encore  à  exécuter  contre  la  personne  du  roi, 
à  l'instigation  de  plusieurs  princes,  qu'il  nomma  à 
l'oreille*,  et  desquels  le  nom  fut  supprimé^.  Le  roi, 
les  roines  et  les  princes  du  sang  le  virent  desmembrer 
vif  à  quatre  chevaux  ^. 

1.  Le  jeune  comte  d'Egmond  s'excusait  auprès  du  prince 
d'Orange  en  prétextant  que  ses  relations  avec  Salcède  avaient 
pour  objet  l'étude  de  l'alchimie. 

2.  D'Aubigné  confond  les  deux  fils  du  comte  d'Egmond.  L'aîné, 
Philippe,  fut  pendant  toute  sa  vie  le  courtisan  du  roi  d'Espagne. 
Le  second,  Lamoral,  avait  montré  plus  d'indépendance  vis-à-vis 
du  parti  catholique.  Cependant,  il  se  trouva  gravement  compro- 
mis dans  la  conjuration  de  Salcède.  Mis  en  prison  à  la  suite  du 
procès,  il  réussit  à  prendre  la  fuite  grâce  à  la  protection  du  prince 
d'Orange  et  des  anciens  amis  de  son  père.  Voyez  Motley,  Hist. 
de  la  fondation  des  républiques  unies,  trad.  Guizot,  t.  IV,  p.  469. 

3.  François  Baza  se  suicida  dans  sa  prison  le  30  juillet  1582. 

4.  De  Thou,  qui  avait  eu  des  documents  particuliers  sur  la  con- 
juration de  Salcède,  puisque  son  père  était  chancelier  du  duc 
d'Anjou  et  un  des  juges  du  coupable,  nomme  tous  les  seigneurs 
que  ce  misérable  désignait  comme  ses  complices  (liv.  LXXXII). 
Les  dépositions  de  Salcède  sont  imprimées  parmi  les  pièces  du 
procès.  Voyez  les  notes  suivantes. 

5.  L'arrêt  contre  Salcède  fut  prononcé  au  parlement  le  25  cet. 
1582  et  exécuté  le  lendemain.  Voyez  le  récit  de  la  mort  du  cou- 
pable dans  les  Archives  curieuses  de  Gimber  et  Danjou,  t.  X,  p.  141. 

6.  Les  pièces  sur  la  conjuration  de  Salcède  sont  très  nombreuses 
et  prouvent  par  leur  nombre  l'émotion  que  cette  affaire  mysté- 
rieuse avait  excitée.  Voyez  le  Discours  publié  dans  les  Archives 


LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   XVm.  291 

Le  duc  d'Anjou^,  par  l'intercession  de  sa  mère,  en 
apparence  ou  en  effect,  sollicita  le  roi  de  se  déclarer 
pour  les  Estats-.  Le  roi  respondit  que,  s'ils  le  vouloyent 
recognoistre,  lui  ou  la  couronne  de  France,  pour  suc- 
céder à  Monsieur,  il  feroit  ce  qu'il  pourroit.  Quelque 
conseiller  d'Estat  disoit  au  roi  que,  pour  joindre  les 
Pays-Bas  à  la  couronne  de  France,  ce  qui  le  rendroit 
invincible,  il  ne  devroit  assister  son  frère  qu'à  l'ex- 
trême nécessité,  quand  ses  moyens  et  ceux  du  pays 
seroyent  tellement  afFoiblis  qu'ils  seroyent  contraincts 
de  se  donner  au  roi,  aux  conditions  que  prescriroit  Sa 
Majesté;  que,  sous  ce  mesme  temps,  le  roi  d'Espagne 
seroit  du  tout  bas  d'argent  et  hors  de  crédit  ;  que  le 
mesme  espace  estoit  pour  apprendre  aux  Estats  la 
vaine  confiance  qu'ils  avoyent  prise  en  Monsieur,  afin 
que  lui-mesme  ne  pust  s'eschapper  de  recognoistre  son 
frère  pour  souverain.  Par  mesme  moyen,  le  roi  pour- 
roit faire  siennes  les  autres  provinces  qui  sont  demeu- 

curieuses  de  Gimber  et  Danjou,  t.  X,  p.  139  et  suiv.,  le  Recueil  AZ, 
lettre  E,  p.  62  et  suiv.,  le  Journal  de  L'Estoile,  édit.  de  1744,  t.  III, 
p.  230  à  269,  les  anecdotes  de  du  Vair  à  la  suite  des  Mémoires  de 
Marguerite  de  Valois,  édit.  de  la  Bibl.  elzév.,p.  220,  enfin  nombre 
de  pièces  nouvelles  tirées  de  la  coll.  Lucas  de  Montigny  et  impri- 
mées dans  la  Revue  rétrospective,  t.  XVIII,  p.  81. 

1.  Le  duc  d'Anjou,  parti  de  Londres  le  8  février  1582,  débarqua 
à  Flessingue  le  10  du  mois  et  entra  à  Anvers  avant  le  18. 

2.  Le  18  février  1582,  le  duc  d'Anjou  prêta  serment  comme  duc 
de  Biiabant  dans  l'hôtel  de  ville  d'Anvers.  Voici,  suivant  le  Jour- 
nal  de  L'Estoile,  les  titres  qu'il  prit  alors  :  «  François,  fils  de 
France,  frère  unique  du  roy,  par  la  grâce  de  Dieu  duc  de  Lau- 
thier,  de  Brabant,  de  Luxembourg,  de  Gueldre,  d'Alençon,  d'An- 
jou, de  Touraino,  de  Berry,  d'Évreux  et  de  Château -Thierry, 
comte  de  Flandre,  de  Zélande,  de  Hollande,  de  Zutphen,  du 
Maine,  du  Perche,  de  Mantes,  Meulens  et  Beaùfort,  marquis  du 
Saint-Empire,  seigneur  de  Frise  et  de  Malines,  défenseur  de  la 
liberté  Belgique.  > 


2921  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

rées  en  l'obéyssance  du  roi  d'Espagne,  en  les  affamant, 
soit  par  les  deffenses  expresses  d'y  porter  vivres  du 
royaume,  soit  en  se  saisissant  de  Luxembourg  et*  bâtis- 
sant nouveaux  forts  sur  les  rivières,  pour  n'estre  con- 
trainct  au  sort  doubteux  d'une  bataille.  Cependant,  fal- 
loit  advertir  Monsieur  de  faire  siennes  quelques  places 
particulières,  à  quoi  il  avoit  travaillé  de  son  naturel  et 
sans  conseil  de  la  cour.  Cela  faict,  il  devoit  venir  à  Paris 
pour  mouvoir  le  roi  son  frère  à  cueillir  plus  de  fruict 
des  choses  commencées  en  trois  mois  et  prendre  plus 
d'avantage  que  tous  les  rois  prédécesseurs  n'en  avoyent 
gagné  sur  la  maison  de  Bourgogne  par  tant  de  guerres 
et  combats  ;  et,  comme  le  roi  feroit  la  sourde  oreille  à 
tout  cela,  on  instruiroit  Monsieur  de  se  plaindre  à  la 
cour  de  parlement,  pour  de  là  venir  en  assemblée 
d'Estats,  desquels  on  tireroit  trois  profïits  :  le  premier, 
que  le  roi,  se  laissant  traîner  à  cest  affaire,  ne  porte- 
roit  point  l'envie  des  succez  ;  le  second,  que  les  Estats 
seroyent  obligez,  et,  par  causes  spécieuses,  amenez  à 
fournir  aux  frais  de  la  besongne  par  eux  entreprise  ;  le 
troisième,  qui  n'estoit  pas  le  moindre,  estoit  que,  con- 
jurant et  conjoignant  de  nouveau  les  Estats  de  France 
avec  le  roi,  tous  les  prétextes  de  la  Ligue  estoyent 
esteincts  et  la  poincte  des  armes  tournée  vers  l'Espa- 
gnol. Voilà  les  mesmes  conseils  que  recevoit  le  roi,  et 
desquels  Monsieur^  estant  adverti,  il  hasta  ses  desseins 
avec  moins  de  discrétion,  et  pour  eux  les  forces  du 
duc  de  Montpensier,  que  sur  telles  machinations  le  roi 
avoit  faict  séjourner  longtemps  à  la  frontière^. 

4.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  Luxembourg  et  de  Montmédi, 
et  bastissant...  » 

2.  L'édition  de  1618  ne  nomme  point  ce  personnage. 

3.  Le  Journal  de  L'Estoile  raconte  les  désordres  et  l'indiscipline 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.  XIX.  293 

Or,  sur  la  question  si  Monsieur  fit  le  coup  d'Anvers* 
ou  par  colère  précipitée  ou  de  long  dessein,  je  tesmoi- 
gnerai  seulement  ce  que  me  dit  la  roine  de  Navarre  à 
Libourne  à  deux  pas  de  lui  :  «  Le  voyez-vous  là,  et 
tout  ce  qu'il  brouille  en  Flandres  et  en  Portugal?  Je 
sçai  bien  son  but  :  c'est  de  ruiner  ceux  qui  se  met- 
tront entre  ses  mains.  » 

Chapitre  XIX. 

De  r  Orient. 

Gebhard  Truckchesse*,  archevesque  et  prince  élec- 
teur de  Goulongne,  nous  donne  cette  fois  de  quoi  com- 
mencer l'Orient  plus  près  qu'au  dernier  livre.  Il  avoit 
espousé  une  des  comtesses  de  Mansfeld^,  laquelle  il 
pensoit  garder  avec  l' arche vesché,  escrivant  et  faisant 
prescher  contre  le  cœlibat  ;  à  quoi  plusieurs  ecclésias- 
tiques sentoyent  pour  lui,  quelques-uns  par  piété, 
quelques  autres  pour  leur  commoditez.  Mais  il  eut 
bientost  sur  les  bras  l'excommunication*  du  pape,  et 

de  ces  troupes,  racolées  sans  doute  parmi  les  plus  vils  aventuriers. 
Voyez  notamment  un  émouvant  récit  (édit.  Champollion)  p.  23. 

4.  Surprise  manquée  de  la  ville  d'Anvers  par  le  duc  d'Anjou, 
17  janvier  1583.  Voyez  le  chap.  xxii. 

2.  Gebhard  Truchses,  de  la  famille  de  Walbourg  en  Souabe, 
cardinal  d'Augsbourg  et  archevêcpie  de  Cologne  le  8  mai  1577, 
se  maria  au  commencement  de  1582.  Voyez  la  note  suivante. 

3.  Agnès  de  Mansfeld,  religieuse  au  monastère  do  Gerisheim. 

4.  Le  pape  Grégoire  XIII  fit  publier  à  Rome,  le  l"  avril  1583, 
la  bulle  d'excommunication  de  l'archevêque  de  Cologne.  Cette 
pièce  est  conservée  en  copie  dans  le  vol.  3336,  f.  71  du  fonda 
français. 


294  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

son  chapitre  révolté^;  si  bien  qu'en  sa  place  fut  esleu 
Ernest  de  Bavière^,  fils  du  duc  Albert,  qui  possédoit 
l'évesché  de  Liège  et  deux  autres^,  et  en  outre  huict 
ou  dix  prélatures  notables.  L'archevesque  nouveau, 
riche  de  soi-mesme  et  assisté  de  ses  parents,  sur  tous 
de  Frédéric  de  Saxe*,  chanoine  de  Goulongne,  mit  sus 
une  armée  qui,  estant  la  première  preste,  empiéta 
presque  toutes  les  places  de  l'archevesché. 

Les  princes  protestans  d'Allemagne  avoyent  au 
commencement  fait  de  belles  promesses  à  Truckchesse, 
voyant  par  ce  moyen  un  grand  avantage  à  leur  reli- 
gion; mais,  quand  ils  virent  au  duc  de  Parme''  une 
armée  de  seize  mille  ^  hommes,  ses  heureux  succès  et 
la  décadence  des  Estats,  le  duc  de  Saxe'  le  premier 
et  le  reste  après  lui  tournèrent  visage  à  ceste  entre- 
prise. Le  comte  de  Meurs  ^,  soustenu  des  Estats,  qui 
n'abandonnèrent  point  l'archevesque,  se  rendit  chef 


1.  En  novembre  1582,  le  chapitre  de  Cologne  avait  informé  le 
pape  de  la  conduite  scandaleuse  de  son  archevêque  (De  Thou, 
liv.  LXVIII). 

2.  Ernest  de  Bavière,  frère  de  Guillaume,  duc  de  Bavière,  fut 
élu  et  proclamé  archevêque  et  électeur  de  Cologne  en  mars  1583. 

3.^Ernest  de  Bavière  était  déjà  évêque  de  Frisingen  et  d'Hil- 
desheim. 

4.  Frédéric  de  Saxe-Lauenburg  était  le  plus  influent  des  cha- 
noines de  Cologne.  Sur  son  expédition,  voyez  le  récit  de  de  Thou 
(liv.  LXXVni). 

5.  Alexandre  Farnèse,  duc  de  Parme,  fils  d'Octave  Farnèse, 
duc  de  Parme,  et  de  Marguerite,  sœur  de  Philippe  II,  avait  à  sa 
disposition  les  forces  que  l'Espagne  entretenait  dans  les  Pays-Bas. 

6.  L'édition  de  1618  porte  soixante  mille  hommes. 

7.  Auguste,  dit  le  Pieux,  duc  de  Saxe,  né  le  31  juillet  1527, 
électeur  de  Saxe  en  1553,  mort  le  11  février  1586. 

8.  Adolphe  de  Newenaar,  comte  de  Meurs  et  d'Alpen,  mort  à 
Arnheim  en  1585. 


LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XIX.  295 

de  son  armée  et  y  adjoignit  quelques  places,  entre 
autres  Ordanges  et  Rheinberg*. 

Le  duc  Casimir^  marcha  bien  à  son  secours,  mais, 
voyant  la  cause  abandonnée  par  tous  les  autres,  lui- 
raesmes  aussi  ploya,  et  lors  les  forces  de  Bavières 
environnèrent  Bonne ^.  La  garnison  allemande  ne  vou- 
lut pas  faire  honte  aux  plus  grands,  vendit  la  place 
40,000  dallers  et  livra  le  frère  de  l'archevesque^  entre 
les  mains  de  son  ennemi. 

Le  comte  de  Meurs  ne  s'estonna  pas  pour  cela. 
Ayant  fortifié  ses  places  de  Gueldres^,  trouva  moyen 
de  planter  une  escalade  à  Nuis^.  Peu  de  gens,  qui 
entrèrent  avec  leurs  ferrements,  ouvrirent  si  bien  une 
porte  qu'ils  firent  entrer  leur  cavallerie.  Les  bourgeois 
se  retranchèrent  à  Ehenporte"^  et  puis  s'estonnèrent, 
n'ayant  servi  leur  despense  ^  qu'à  les  faire  piller  et 


1.  Ordingen,  sur  le  Rhin,  et  Rhinberg,  dans  l'électoral  de 
Cologne. 

2.  Casimir  de  Bavière,  frère  de  l'électeur  de  Bavière,  chef  de 
l'expédition  des  Allemands  en  France  de  1576. 

3.  Le  duc  Casimir  de  Bavière  arriva  à  Bonn  sur  le  Rhin  vers 
la  mi-août  1583.  Il  décampa  le  19  octobre  suivant  et  abandonna 
la  cause  de  l'archevêque  de  Cologne  (De  Thou,  Uv.  LXXIX).  La 
place  fut  alors  assiégée  par  les  Espagnols  au  commencement  de 
novembre  suivant.  Voyez  le  récit  de  La  Huguerye,  Mémoires, 
t.  n,  p.  248. 

4.  Charles  Truchses. 

5.  Gueldres,  ville  forte  des  Pays-Bas,  sur  la  Niers.  Les  événe- 
ments que  d'Aubigné  va  raconter  sont  de  trois  ans  postérieurs  à 
ceux  qui  font  le  sujet  du  commencement  de  ce  chapitre. 

6.  Nuys,  sur  l'Erff,  dans  l'électorat  de  Cologne.  —  Siège  de  la 
place  par  les  Espagnols,  juillet  1586  (De  Thou,  liv.  LXXXV). 

7.  Heenporte,  fort  que  les  habitants  de  Nuys  avaient  bâti  dans 
une  ile  du  Rhin. 

8.  L'édition  de  1618  porte  :  leur  deffence. 


296  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

enrichir  les  soldats,  car  pour  la  force  de  la  place  tout 
le  pays  y  avoit  retiré  son  bien.  Là-dedans  demeura 
pour  gouverneur  Cloet*. 

Un  colomne!  des  Espagnols,  nonnmé  Martin  Scheinck*, 
dépité  de  quoi  on  ne  l'avoit  pas  assez  tost  délivré  de 
prison  et  que  Hautepenne  ^  avoit  esté  préféré  à  lui  au 
gouvernement  de  Nieumègue,  se  donna  aux  refiformez 
et  particulièrement  au  comte  de  Meurs,  donna  aux 
Ëstats  sa  forteresse  de  Bloiembeck'*  et  surprit  la  ville 
de  Roveroort,  fort  importante  comme  à  l'embouchure 
de  la  rivière  du  Rhein.  Depuis  il  fit  la  guerre  à  Haute- 
penne,  surprit  Bonne  ^.  Mais,  les  Estats  estans  réduits 
aux  pertes  que  ce  livre  vous  apprend,  Nuis  fut  repris 
par  siège  ^  et  le  duc  de  Parme  fit  mourir  Cloet^.  Il  falut 
abandonner  Bonne  et  les  espérances  de  Truckchesse^. 

Toute  la  Turquie  est  aux  affaires  de  Perse,  que  nous 
avons  laissées  entre  les  mains  de  Osman  Bâcha,  duquel 
le  premier  dessein  fut  tel  que  le  Turc,  ayant  impétré  le 

1.  Frédéric  Cloet,  gouverneur  de  Nuys,  «  jeune  homme  actif 
et  d'une  grande  valeur,  »  dit  de  Thou  (liv.  LXXXV). 

2.  Martin  Scheenck,  s.  de  Tauttembourg,  capitaine  hollandais, 
appartint  tour  à  tour  au  parti  espagnol,  au  prince  d'Orange  et  à 
l'électeur  de  Cologne.  Il  se  noya  en  Frise  en  1589. 

3.  Claude  de  Berlaymont,  s.  de  Haultepenne,  commandait  les 
troupes  de  l'électeur  de  Cologne. 

4.  Martin  Scheenck  s'était  emparé  de  Blyembecque  au  mois 
de  juillet  1579. 

5.  Surprise  de  Bonn  par  Martin  Scheenck,  décembre  1587. 

6.  La  ville  de  Nuys  fut  surprise  par  les  Espagnols  dans  les 
premiers  jours  d'août  1586. 

7.  Cloet  fut  étranglé  et  sa  maison  réduite  en  cendres. 

8.  La  guerre  dont  l'archevêque  de  Cologne  fut  l'auteur  et  l'ob- 
jet est  appelée  par  les  historiens  du  temps  guerre  doctorale.  Elle 
est  racontée  avec  assez  de  détails  dans  le  tome  II  des  Mémoires 
de  La  Huguerye. 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XIX.  297 

secours  du  Tartare,  comme  le  puissant  secours  seroit 
eslongné  de  sa  contrée,  l'armée  des  Turcs  y  entreroit 
pour  la  conquérir.  Mais  le  prince  tartare,  estant 
adverti  en  chemin,  au  lieu  de  conquérir  pour  son 
ennemi,  retourna  pour  défendre  le  sien.  Amurath  prit 
occasion  de  ce  changement  à  se  plaindre  des  Tartares 
comme  luy  ayans  manqué  de  promesse,  et  sur  ceste 
querelle  d'Allemagne  lui  vint  séjourner  en  Amazie^  en 
despeschant  Osman  à  ses  entreprises  de  conqueste, 
desquelles  deux  réussirent^.  Et  puis  la  cavallerie  tur- 
quesque  se  mit  à  piller  les  pilleurs  et  emmena  quan- 
tité de  prisonniers.  Les  autres  ne  la  gardèrent  pas 
longtemps  ;  premièrement  reprirent  ce  qu'ils  avoyent 
perdu  et  puis  remboursèrent  les  Turcs  de  leurs  peines, 
en  ruinant  toute  la  Chersonèse  Taurique,  avec  quelques 
places  qu'ils  furent  d'advis  de  garder.  Ce  mauvais  suc- 
cès ne  laissa  pas  de  mettre  Osman  en  la  bonne  grâce 
d' Amurath  ;  si  bien  qu'il  le  fit  grand  vizir  de  l'Empire^ 
et  comme  à  tel  lui  mit  entre  les  mains  une  armée 
de  150,000  hommes,  soixante  canons  de  grosse  bat- 
terie et  cinquante  moyennes.  Tout  cela  assemblé  à 
Herseron  *  et  faisant  mine  d'en  vouloir  à  Maësivan  ^, 


1.  Amasie,  ville  de  la  Turquie,  près  de  la  rivière  de  Gasalmach. 

2.  Au  commencement  de  1583,  le  bâcha  Osman  s'était  rendu 
maître  de  Sumachia,  dans  le  Sirvan,  de  Tabassaran  et  de  Cabba, 
près  de  Temir-Gappi  (De  Thou,  liv.  LXXVII). 

3.  Osman  fut  nommé  général  de  l'armée  d'Amurath  contre  les 
Perses,  et  grand  vizir  de  l'empire  à  la  place  du  bâcha  Sianses 
(1584). 

4.  Erzeroum,  dans  la  Turquie  d'Asie,  sur  l'Euphrate.  —  Arri- 
vée de  l'armée  d'Osman  dans  la  ville,  commencement  d'août  1585 
(De  Thou,  liv.  LXXXIV). 

5.  Naesivan,  ville  de  l'Arménie  persane. 


298  fflSTOIRE   UNIVERSELLE. 

le*  Persan,  bien  adverti,  se  trouva  prest  de  combattre ^ 
au  levant  de  Tauris,  où  le  prince  de  Perse,  avec 
50,000  hommes,  chargea  sans  cérémonie  et  sans  ordre 
l'avant-garde  des  Turcs,  laquelle  il  rompit  entièrement 
avec  une  sanglante  victoire^.  Et  comme  Osman  eut 
despesclié  le  bâcha  Cygale*  pour  remédier  à  ce  désastre 
avec  20,000  hommes,  tout  cela  intimidé  et  désordonné 
par  les  fuyants,  chaudement  enfoncez  par  les  victo- 
rieux, fut  mené  si  rudement  que  peu  avec  les  chefs 
s'en  sauvèrent  et  encores  à  la  faveur  de  la  nuict. 

Tout  cela  ne  fit  desmordre  le  dessein  d'Osman.  Mais 
dès  le  lendemain  il  fut  à  la  veue  de  Tauris^,  où  com- 
mandoit  AliculiCham;  et  cettui-là,  après  avoir  mons- 
tre du  courage  en  quelques  escarmouches,  se  retira 
vers  le  roi  de  Perse,  laissant  la  ville  en  garde  aux 
habitans,  qui  furent  forcez  le  lendemain  par  les  esclaves 
des  Turcs,  que  leurs  maistres  avoit  armez.  Et  Osman, 
qui  n'y  vint  que  deux  jours  après,  en  donna  le  pillage 
à  toute  son  armée  ^,  encor  qu'il  la  voulust  garder, 

1.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  Naësivan;  mais  c'estoit  à  Tau- 
ris ;  et  pourtant,  avant  qu'il  fust  dans  les  plaines  de  Valdaran, 
le  Persan...  » 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  de  combattre  à  10,000  au-devant 
de  Tauris...  » 

3.  Ce  fut  Emir-Emze,  fils  aîné  de  Hadabendes,  roi  de  Perse, 
qui  remporta  la  victoire  sur  les  Turcs  (août  1585).  Voyez  le  récit 
de  de  Thou  (liv.  LXXXIV). 

4.  Osman  envoya  contre  le  Persan  Sinam  bâcha,  fils  du 
hacha  Gigala,  avec  Mehemet,  hacha  de  Garn-Hemid  (De  Thou, 
liv.  LXXXIV). 

5.  Osman  arriva  devant  Tauris  au  commencement  de  sep- 
tembre 1585  (De  Thou,  liv.  LXXXIV). 

6.  D'après  le  récit  de  de  Thou  (liv.  LXXXIV),  Osman  aurait 
publié  une  ordonnance  sévère  défendant  de  molester  en  rien  les 
habitants  de  Tauris. 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XIX.  299 

comme  donnant  cette  insolence  à  marque  de  victoire  ; 
car  il  y  establist  Japhet,  bâcha  de  Tripoli,  avec  douze 
mil  hommes  et  charge  d'y  bastir  une  grande  citadelle' 
afin  que  son  maistre  pust  dire  sienne  la  métropolitaine 
du  Persan. 

Osman,  malade  d'une  fiebvre  ectique,  et  tout  le 
corps  de  l'armée  se  sentant  de  sa  teste,  fut  d'advis 
d'eslonguer  ses  forces  des  Perses.  Mais  eux  leur  tin- 
drent  meilleure  compagnie,  les  contraignirent  à  venir 
premièrement  aux  escarmouches,  arttaquées  et  eschauf- 
fées  du  costé  que  les  Perses  vouloyent  le  moins  don- 
ner, afin  que,  destournant  le  canon  en  autre  endroit, 
ils  trouvassent  celui  qu'ils  vouloyent  enfoncer  desgarni 
de  ce  que  plus  ils  redoutoyent.  Et  lors  ceux  du  pays, 
n'ayans  plus  à  faire  des  flesches,  firent  une  grande 
impression  dans  les  ennemis  et  eussent  deffaict  toute 
l'armée  si  elle  n'eust  regagné  ses  retranchements 
devant  Tauris. 

Le  jour  d'après,  le  roi  de  Perse  envoya  deffier 
Osman  à  la  bataille  avec  protestation  de  le  déshonorer 
s'il  la  refusoit.  Ce  bâcha,  n'estant  plus  en  estât  d'y 
aller  en  personne,  y  envoya  le  bâcha  Cigale,  son  lieu- 
tenant, assisté  de  ceux  de  Caramit^  et  de  Trébizonde. 
La  bataille  commença  à  une  heure  après  midi.  Au 
commencement,  les  bandes  de  part  et  d'autre  jouèrent 
aux  barres,  et,  ce  passetemps  ayant  duré  trois  heures, 
le  jeune  prince  des  Perses  se  fit  faire  place  avec  ceux 
qui  n'avoyent  point  combatu  et  mit  l'armée  turquesque 
en  fuitte  vers  Tauris  avec  meurtre,  comme  on  a  dict, 

1 .  Cette  citadelle  fut  appelée  les  Sept  Parcs  ou  les  Sept  Paradis. 
C'est  là  qu  était  le  palais  des  rois  de  Perse. 

2.  Mahomet,  bâcha  de  Carn-Hemid. 


300  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

de  30,000  hommes  sur  la  place*.  Les  deux  bâchas, 
derniers  nommez,  ne  voulans  point  survivre  à  leur 
honte,  résolurent  d'y  mourir.  Leur  résolution,  aidée 
de  la  nuict,  garentit  ce  qui  eschappa.  Aussi  celui  de 
Caramit  demeura  prisonnier;  la  teste  de  l'autre  fut 
emportée  au  bout  d'une  lance;  et  Osman,  accablé  de 
tous  ces  malheurs,  s'en  alla  mourir  à  Senchassan^. 

Vous  verrez  après  comme  ces  deux  partis  n'estoyent 
point  despourveus  de  courage  et  comment,  quelque 
année  après,  la  vertu  des  Perses  leur  apporta  la  paix. 
Ainsi,  nous  finirons  par  la  perte  d'une  grande  ville, 
d'une  grande  bataille  et  de  grands  capitaines,  qui  est 
ce  que  peut  dire  nostre  second  tome  des  affaires 
d'Orient. 

Chapitre  XX. 

Du  Midi. 

Bien  moindres  seront  les  affaires  que  nous  trouve- 
rons au  Midi,  car,  pour  l'Italie,  nous  n'avons  qu'af- 
faires pacifiques  tant  que  vesquist  Grégoire,  ayant, 
comme  nous  avons  dict,  réprouvé  toutes  sortes  de 
ligues^  et  de  conjurations.  Mais,  estant  mort  en  l'an 

1 .  Voyez  dans  de  Thou  (liv.  LXXXIV)  le  récit  des  nombreuses 
défaites  qu'essuyèrent  les  Turcs. 

2.  Osman  abandonna  Tauris  au  commencement  de  novembre 
1585  et  alla  camper  à  Sancazam,  où  ses  troupes  furent  aussitôt 
attaquées  et  rompues,  et  où  il  mourut  de  la  dysenterie  (De  Thou, 
liv.  LXXXIV). 

3.  De  Thou  donne  les  raisons  pour  lesquelles  le  pape  ne  vou- 
lut pas  donner  de  bulle  en  faveur  de  la  Ligue  (liv.  LXXXI). 


LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XX.  301 

huictante^  cinq,  à  lui  succéda  Sixte  V^,  bien  différent 
de  son  prédécesseur  en  complexion ,  comme  il  y 
paroistra.  Et,  pource  que  son  avancement  d'un  si  bas 
degré  en  un  si  haut  a  quelque  chose  de  rare,  vous 
sçaurez  qu'il  estoit  nay  d'un  village^  de  la  Marche 
d'Ancone.  Son  nom  estant  Félix  Perret.  A  l'aage  de 
douze  ans,  il  fut  porcher.  Et  avint  qu'ayant  perdu  un 
de  ses  porceaux,  l'appréhension  qu'il  eut  d'un  rude 
maistre  lui  fit  quitter  le  reste  et  s'enfuir  par  les  mon- 
tagnes. Là  il  rencontra  deux  cordeliers  qui  venoyent 
de  la  queste.  Et,  pource  qu'ils  estoyent  fort  chargez 
de  bribes,  il  se  convia  à  les  soulager.  A  quoi  estant 
receu  et  mené  jusques  au  convent,  il  se  mit  à  servir 
le  jardinier;  de  là  parvint  à  estre  portier;  et  puis, 
ayant  gaigné  la  bonne  grâce  des  novices,  par  aumosne 
ils  lui  monstrèrent  à  lire  et  escrire.  Le  profit  qu'il  y  fit 
par  son  labeur  fut  cause  qu'il  devint  cordelier'*.  Il 
estudioit  jour  et  nuict  et  en  apprit  en  peu  de  temps 
assés  pour  estre  précepteur  des  novices,  desquels  il 
ne  garda  guères  la  bonne  grâce  pour  estre  un  fouet- 
teur  sans  pitié.  De  là  il  fut  un  prescheur  violent, 
estimé  jusques  là,  qu'estant  envoyé  en  une  assemblée 
provinciale  pour  le  convent,  il  fut  choisi  pour  député 
à  la  générale.  Là  le  cardinal  Lombard^  eut  tel  goust  de 

1.  Mort  de  Grégoire  XIIT,  10  avril  1585.  • 

2.  Félix  Peretti,  né  en  1521,  cordelier  en  1537,  professeur  de 
droit  canon  en  1544  à  Rimini  et  à  Sienne,  grand  inquisiteur  à 
Venise,  vicaire  général  de  son  ordre  en  1566,  cardinal  en  1570, 
élu  pape  le  24  avril  1585.  M.  le  baron  de  Hùbuer  a  publié,  en 
1870,  en  trois  volumes  in-S»,  une  savante  histoire  de  ce  pontife. 

3.  Grotta-a-Mare,  près  de  Montalto,  dans  la  marche  d'Ancone, 

4.  Félix  Peretti  prit  l'habit  de  moine  dans  le  couvent  des  Cor- 
deliers d'Ascoli,  près  de  Montalto. 

5.  Le  cardinal  Pierre  Lombard,  Irlandais,  mort  à  Rome  en  1625. 


302  HISTOIRE  UNIVERSELLE. 

lui  qu'il  le  tira  du  convent  et  lui  mit  ses  affaires  en 
main.  Dès  lors  Félix  dit  à  son  maistre  qu'il  mourroit 
en  la  peine  ou  il  le  feroit  pape  :  «  lo  ti  farô  cardinale  S  » 
respondit  le  maistre.  Sur  ce  dessein,  Perret  fut  soup- 
çonné d'avoir  usé  de  quelques  poisons  de  nouvelle 
invention.  Mais  il  ne  vint  à  bout  de  son  dessein  que 
jusques  à  la  mort^  de  Pie  IV  :  que  son  maistre  avec 
la  papauté  prit  le  nom  de  Pie  V^  et  mit  son  chapeau 
sur  la  teste  de  Perret.  Je  ne  m'amuserai  point  à  vous 
conter  par  quelles  voyes  ce  nouveau  cardinal*  se  ren- 
dit recommandable^,  tant  pource  que  le  dernier  degré 
qu'il  monta  estoit  le  plus  petit  de  tous  les  autres®, 
pource  aussi  que  ces  trop  libres  discours  sentiroyent 
trop  la  haine  de  la  Ligue.  C'est  assez  donc  que  dès 
qu'il  fut  sur  le  siège  il  se  rendit  le  plus  redoutable^ 
pape  qui  ait  régné  de  plusieurs  siècles,  tendit  la  main 
aux  liguez^  de  la  France,  augmenta  ses  gardes,  com- 
mença la  guerre  aux  bannis  par  récompense  publique 


1.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  Pape;  et  moi  toi  cardinal,  res' 
pondit...  » 

2.  Pie  IV,  autrement  dit  Jean -Ange  de  Médicis,  mourut  le 
9  décembre  1565. 

3.  Pie  V,  nommé  Michel  Ghisieri,  fut  élu  pape  le  7  janvier  1566. 

4.  Le  pape  Pie  V  éleva  Félix  Perretti  au  cardinalat  en  consi- 
dération du  zèle  qu'il  faisait  paraître  pour  la  religion  et  le  main- 
tien de  la  discipline.  ' 

5.  D'Aubigné  a  pris  ces  traits  à  de  Thou  (liv.  LXXXII). 

6.  On  conserve  à  la  Bibliothèque  nationale,  dans  le  fonds  ita- 
lien, vol,  1416,  une  relation  du  conclave  où  Sixte-Quint  fut  élu 
pape. 

7.  Le  le'  et  le  28  juillet  1585,  Sixte  Vfit  paraître  des  édits  très 
sévères  contre  les  bandits  des  États  de  l'Église. 

8.  Allusion  à  la  sentence  d'excommunication  prononcée  par 
Sixte-Quint  contre  le  roi  de  Navarre  et  contre  le  prince  de  Gondé. 
Voy.  ci-dessus,  p.  240. 


LIVRE   DIXIÈME,    CHÂP.    XX.  303 

aux  tueurs.  Le  reste  de  ses  actions  paroistront  en  leur 
endroit  et*  quelques-unes  sur  la  fin  de  ce  chapitre. 

11^  n'y  eut  moyen  d'avoir  pour  lors  d'armements 
5ur  la  mer  Méditerranée  qui  portassent  titres  d'armes. 
Fez  et  Marroco  accommodèrent  leurs  lassitudes  des 
dernières  guerres  à  la  fainéantise  de  leur  nouveau  roi, 
Mulei  Hamet^.  Il  n'y  eut  que  quelque  reste  des  eschap- 
pez  de  la  bataille  qui  se  firent  brigands  par  les  mon- 
tagnes. Le  prince,  ne  voulant  pas  despendre  à  les 
poursuivre,  leur  laissa  pour  supplice  ceste  misérable 
condition. 

Toutes  les  isles  et  possessions  qu'avoit  en  terre 
ferme  dom  Antoine*,  tant  en  l'estendue  de  Goa  qu'en 
celle  de  Malaca,  toutes  les  isles  depuis  Sainct-Omer, 
Madagascar  et  tout  ce  qui  est  en  ceste  estendue,  tenant 
de  l'Orient  ou  du  Midi  jusques  aux  dernières  Moluques, 
tout  cela,  sans  tirer  le  canon,  fut  traduict  de  Portugais 
en  Espagnol  par  l'intelligence  qui  se  traictoit  aupara- 
vant entre  les  Jésuites  castillans  et  portugais.  De  ces 
derniers,  Fonseca^  fut  suivi,  qui  employa  plus  de 
peine  à  ce  grand  changement  avec  peu  de  bruit.  Ce 
fut  lors  que  commença  parmi  la  Société  le  vocable 
nouveau  du  grand  dessein,  lequel  j'ay  ouy  expliquer 
ainsi  :  que  V Église  catholique  ne  doit  avoir  qu'un  pas- 
teur et  un  roi;  à  quoy  le  titre  de  roi  catholique  con- 
vioit  tous  les  chrestiens. 

1.  La  fin  de  la  phrase  manque  à  l'édit.  de  1618. 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  t  II  n'y  eut  point  d'armemens  de  ce 
temps  sur  la  mer...  » 

3.  Mulei-Hamet  avait  succédé  à  Mulei-Méluc,  son  frère,  le 
4  août  1578. 

4.  Dom  Antonio,  prieur  de  Grato  et  roi  titulaire  de  Portugal. 

5.  Pierre  de  Fonseca, Portugais,  né  en  1528,  mort  le  4  nov.  1599. 


304  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

Peu*  de  jours  avant  la  mort  de  Grégoire  XIII,  les 
Jésuites  avoyent  mesnagé  si  dextrement  le  roi  du 
Japon ^  qu'ils  luy  avoyent  persuadé  d'escrire  au  pape, 
et  firent  faire  une  despesche  de  laquelle,  ayans  esté  les 
conseilliers,  ils  furent  aussi  les  secrétaires  et  en  partie 
les  thrésoriers;  si  bien  qu'avec  despense  et  la  splen- 
deur d'un  ambassade^  ils  amenèrent  en  juillet  cet 
équîppage  à  Gaskai*;  où,  estans  receus  par  le  cardinal 
d'Austriche^,  reçoivent  grands  honneurs  à  Tolède  et 
puis  à  la  cour^  du  roi  Philippe,  d'où  ils  partent  en 
octobre'''  et  s'embarquent.  Arrivez  à  Libourne^,  furent 
magnifiquement  receus  par  le  grand-duc^,  qui  envoya 
son  frère  *°  jusques  à  Pize  au-devant.  Et  puis  le  pape, 
ayant  envoyé  au-devant  d'eux  le  cardinal  Farnèze 

1.  Tout  le  reste  du  chapitre  manque  à  l'édition  de  1618. 

2.  François,  roi  de  Bungo.  —  Ce  fut  le  frère  Alexandre  Vali- 
nano,  visiteur  général  du  Japon,  qui  persuada  au  roi  de  Bungo 
d'envoyer  une  ambassade  au  pape  (De  Thou,  liv.  LXXXI). 

3.  Les  ambassadeurs  japonais  s'enibarquèrent  avec  le  Père 
Valinano  sur  un  vaisseau  portugais,  commandé  par  dom  Ignace 
de  Lima,  et  quittèrent  le  port  de  Nangasaki  le  20  février  1582. 

4.  D'Aubigné  se  trompe  en  suivant  de  Thou.  Ce  fut  le  10  août 
1585  que  l'ambassade  japonaise  arriva  à  Gascaës,  sur  le  Tage. 

5.  Le  cardinal  Albert  d'Autriche,  gouverneur  du  royaume  de 
Portugal. 

6.  Les  ambassadeurs  du  Japon  arrivèrent  à  Madrid  à  la  fin 
d'octobre  1585. 

7.  L'ambassade  japonaise  ne  quitta  la  cour  du  roi  d'Espagne 
que  le  26  novembre  1585. 

8.  Livourne,  en  Toscane,  au-dessous  de  Pise.  —  Arrivée  des 
ambassadeurs  japonais  à  Livourne,  fin  février  1584. 

9.  François  de  Médicis,  grand-duc  de  Toscane,  né  le  25  mars 
1541,  époux  de  Jeanne  d'Autriche,  fille  de  l'empereur,  en  1565, 
mort  le  9  octobre  1587. 

10.  Pierre  de  Médicis,  époux  d'Éléonore  de  Tolède,  fille  de  Gar- 
çias,  marquis  de  Viliafranca,  mort  en  1604. 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XX.  305 

jusques  au-devant  de  Viterbe',  n'oublia  rien  des 
magnificences  de  Rome,  tant  pour  ravir  ces  esprits 
estrangers  en  admiration  que  pour  s'autorizer  sur  les 
nations  plus  proches,  à  l'exemple  de  celle  qui,  avec 
trois  ans  de  voyage,  lui  venoit  baiser  les  pieds.  Le 
dessus  des  lettres  estoit  :  Adorando,  et  cœli  Régis 
locum  in  terris  obtinenti,  Magno  et  Sanctissimo  P.  P. 

La  soubscription  :  Sanctissimis  pedibus  Beatitudinis 
vestrœ  substratus^  F.  R.  B.^. 

D'autres  ont  descrit  plus  curieusement  les  particu- 
laritez  de  ceste  despesche.  Ayans  donc  esté  receus  par 
Grégoire  \  Sixte  les  retint  jusques  à  ce  qu'ils  eussent 
assisté  à  sa  prise  de  possession*,  à  laquelle  il  cercha 
curieusement  plus  de  magnificence  que  ses  prédéces- 
seurs. Enfin  ils  furent  renvoyez  %  magnifiquement 
traictez,  mais  avec  fort  peu  d'argent,  non  sans  mes- 
contentement  des  Jésuites,  qui  ne  pouvoyent  enduire^ 
la  chiche  récompense  d'un  acte  tant  signalé. 

Les  premiers  qui  sentirent  la  rude  domination  de 
Sixte  furent  le  comte  de  Pepoli',  car,  le  pape  ayant 

1.  Au  commencement  de  mars  1584,  l'ambassade  japonaise  fut 
reçue  à  Baquaia,  près  de  Viterbe,  par  le  cardinal  Jean-François 
Gambara,  puis  à  Caprarole,  par  le  cardinal  Alexandre  Farnèse. 

2.  P.  R.  D.  signifie  François,  roi  de  Bungo. 

3.  L'ambassade  du  roi  de  Bungo  arriva  à  Rome  le  22  mars  1585. 
Le  voyage  avait  duré  trois  ans,  un  mois  et  deux  jours. 

4.  L'intronisation  de  Sixte  V  eut  lieu  le  1«'  mai  1585. 

5.  Les  ambassadeurs  japonais  quittèrent  Rome  et  se  rendirent 
à  Gènes,  où  ils  s'embarquèrent  pour  passer  en  Espagne  et  retour- 
ner dans  leur  pays,  mai  1585. 

6.  Enduire,  endurer. 

7.  Jean-Baptiste,  comte  dePepoli,  était  un  seigneur  de  grande 
naissance  qui  n'avait  commis  d'autre  crime  que  de  donner  asile 
dans  ses  terres  de  Lombardie  à  des  proscrits.  Sommé  de  les  livrer 

VI  20 


306  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

envoyé  cinq  cardinaux*  aux  principaux  endroits  d'Ita- 
lie pour  remuer  les  puces  des  bannis,  le  cardinal  Sal- 
viati^,  qui  avoit  son  département  à  Bolongne,  le  fit 
empoigner  la  nuict  en  son  logis  et  mener  en  son 
palais,  où  il  ne  vit  qu'un  prestre  pour  le  confesser  et 
un  bourreau  pourTestrangler^;  accusé  d'avoir  retiré 
quelques  gentilshommes  bannis  en  une  maison  qu'il 
avoit  deçà  le  Pau,  en  terre  d'Empire,  et  les  avoir 
refusez  à  la  première  sommation.  Sur  ceste  mort,  les 
bannis  firent  quelques  courses  vers  Ascoli,  mais,  estans 
malmenez  de  tous  costez,  les  principaux  *  passèrent  la 
mer  et  puis  furent  pris  à  Tergeste^  où,  se  voyans 
attaquez,  ils  gagnèrent  l'arsenal  et,  n'estans  que  six, 
se  résolurent  à  mettre  toutes  les  poudres  ensemble, 
en  lieu  propre,  et  se  servir  du  vent  à  ruiner  la  ville 
par  embrasement.  Là-dessus,  le  gouverneur^  et  les 
habitants  furent  contraints  de  faire  une  capitulation 
notable  avec  eux,  de  laquelle  l'article  le  plus  difficile 
fut  celui  de  la  seureté. 

à  la  justice  du  Saint-Siège,  il  refusa  et  fut  emprisonné.  Tel  est  le 
récit  de  de  Thou  (liv.  LXXXII)  que  d'Aubigné  a  copié. 

1.  Marc-Antoine  Golonna  reçut  l'ordre  de  se  transporter  dans 
la  campagne  de  Rome,  André  Spinola  dans  le  duché  de  Spolète, 
Alphonse  Gemaldo  dans  la  marche  d'Ancône,  Julien  Ganano 
dans  la  Romagne,  et  le  cardinal  Salviati  à  Bologne. 

2.  Antoine-Marie  Salviati,  dit  le  grand  cardinal  Salviati,  fils 
de  Laurent  Salviati  et  de  Constance  Gonti,  né  en  1507,  cardinal 
le  23  décembre  1583,  mort  le  28  avril  1602. 

3.  Le  comte  Pepoli  fut  étranglé  dans  sa  prison  le  27  août  1585 
(A.  de  Hiibner,  Sixte-Quint,  t.  I,  p.  295). 

4.  Les  principaux  chefs  des  bandits  étaient  Gurtieto  del  Sam- 
buco,  originaire  de  l'Abruzze,  et  Marc  de  Sciarra. 

5.  Trieste,  dans  l'Istrie,  sur  le  golfe  de  Trieste. 

6.  Le  comte  Raimond  de  la  Tour  était  gouverneur  de  Trieste. 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XX.  307 

Il  falut  envoyer  quérir  quelques  seigneurs  de  marque 
du  pays  pour  accompagner  de  leurs  signatures  et  ser- 
ments celui  de  la  cité.  Mais  ils  les  firent  mourir^  s'es- 
tans  rendus,  et  tout  cela  fut  violé  par  la  dispense  de 
Rome,  qui  fut  aisée  à  obtenir. 

Il  y  eut  une  tragœdie  à  Naples  que  j'estime  digne 
d'estre  adjoustée  ;  c'est  qu'y  ayant  cherté  de  bled  en 
Espagne,  le  duc  d'Aussonne^,  vice-roi  de  Naples,  fut 
commandé  de  faire  une  grande  levée  de  bleds  en  son 
gouvernement^  et  en  la  Sicile,  qui  ceste  année  avoyent 
rencontré.  L'amas  fut  tel  que  le  vil  prix  du  pain  fut 
changé  en  disette,  et  le  peuple  tellement  esmeu  qu'ils 
firent  venir  Starasses*,  surintendant  des  vivres,  enlevé 
par  force  et  à  son  refus  et  après  plusieurs  escapades, 
se  marquant  de  son  sang,  au  prix  que  chacun  vouloit 
estre  estimé  zélateur  du  bien  public.  Le  duc  d'Aussonne 
soufiFrit  tout  patiemment  tant  que  la  fureur  du  peuple 
dura,  mais,  puis  après,  les  ayant  divisez  et  s' estant 
fortifié,  il  en  fit  mourir  quarante,  en  mit  cent  aux 
galères,  et  le  pardon  du  reste  fut  long  et  difficile  à 
obtenir. 

Quelques  respects  m'empeschent  de  raconter  en  ce 

1.  Gurtieto  et  Marco  de  Sciarra,  se  voyant  trahis,  se  précipi- 
tèrent dans  la  mer  durant  leur  voyage  à  Ancône. 

2.  Don  Pedro  Giron,  duc  d'Ossuna,  marquis  de  Pennafiel, 
chevalier  de  la  Toison  d'or,  né  le  17  décembre  1574,  mort  le 
25  septembre  1624. 

3.  Le  roi  d'Espagne  avait  ordonné  cette  «  levée  de  blés  »,  parce 
qu'il  avait  résolu  de  tenir  les  états  d'Aragon  et  de  célébrer  des 
fêtes  à  l'occasion  du  mariage  de  sa  fille,  l'infante  Catherine,  avec 
Charles-Emmanuel,  duc  de  Savoie  (De  Thou,  liv.  LXXXni. 

4.  Jean  "Vincent  Starace,  intendant  des  vivres,  officier  espa- 
gnol massacré  par  la  populace.  Voyez  le  récit  de  de  Thou 
(Uv.  LXXXU). 


308  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

lieu  les  rudes  exécutions  par  lesquelles  Sixte  se  rendit 
redouté.  Quelques-unes  avec  ordre  et  raison  de  justice, 
comme  celle  de  Paul  Jordan  Ursin*  pour  l'homicide 
d'un  Perret,  de  mesme  surnom  que  le  pape.  Mais  il  y 
a  d'autres  jugemens  de  son  mouvement,  comme  d'un 
jeune  garçon  trouvé  innocent  depuis  sa  mort  et  que 
les  juges  refusoyent  de  condamner  avant  l'aage^  par  le 
bénéfice  des  loix.  Il  en  sera  dit  quelque  chose  à  la  fin 
du  pontife. 

Il  y  eut  un  autre  rude  jugement  d'un  père  et  d'un 
fils,  que  la  femme  et  la  mère,  voyans  condamner  à 
mort  contre  toute  espérance  et  sans  apparence,  se 
précipita  par  les  fenestres  avec  un  enfant  d'un  an  à 
son  col.  Je  me  contente  de  dire  le  commun  langage 
romain  et  ce  qu'en  ont  publiés  les  historiens  catho- 
liques en  ces  termes  :  «  Telles  cruautez  se  faisoyent 
par  le  mouvement  du  pontife  nouveau,  monstrant  par 
elles  son  naturel  abhorrant  l'humanité.  Ce  qu'autres 
attribuent  à  un  dessein  de  couvrir  la  vileté  de  sa  nais- 
sance par  ostentation  d'un  haut  courage  et  par  hau- 
taines entreprises,  afin  de  se  monstrer  capable  de  por- 

i.  Paul  Jourdain  des  Ursins,  duc  de  Bracciano,  était  soup- 
çonné d'être  devenu  l'amant  de  la  dame  Virginie  Accoramboni 
et  d'avoir  fait  assassiner  François  Pereti,  neveu  du  pape  et 
époux  de  la  dame,  afin  de  l'épouser.  D'Aubigné  semble  dire  que 
le  duc  de  Bracciano  fut  poursuivi  pour  ce  crime  et  condamné. 
Il  se  trompe.  Bracciano  mourut  paisiblement,  en  novembre  1585, 
à  Salo,  où  il  était  réfugié.  Sa  femme  fut  assassinée  peu  après. 
Voyez  le  récit  de  M.  de  Hûbner  [Sixte-Quint,  t.  I,  p.  332). 

2.  Les  lois  romaines  défendaient  aux  juges  de  condamner  à 
mort  une  personne  qui  n'avait  pas  atteint  l'âge  de  vingt  ans 
(De  Thou,  liv.  LXXXII).  D'Aubigné  parle  de  cette  affaire  dans 
la  Confession  catholique  du  sire  de  Sancy  (liv.  I,  chap.  i),  mais 
sans  donner  aucun  détail.  Les  noms  même  sont  en  blanc. 


LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XXI.  309 

ter  une  si  grande  charge  que  celle  du  pontificat.  » 
Voilà  les  termes  d'autrui.  Un  de  ses  premiers  desplai- 
sirs fut  que,  quand  il  procéda  aux  excommunications 
des  princes  réformez,  dont  nous  parlerons,  il  ne  put, 
avec  ses  diligences  et  grandes  despenses,  descouvrir 
et  empoigner  ceux  qui  emplissoyent  Rome  de  placards 
d'infamie  et  de  mespris  contre  lui,  tantost  par  la 
voye  de  Pasquin  et  de  Marfore,  tantost  par  autres 
tableaux  affigez  aux  lieux  plus  éminents. 

Chapitre  XXI. 

De  r  Occident. 

Rialio^,  cardinal,  vint  légat  du  pape  en  Espagne, 
sur  l'ouverture  de  la  guerre  de  Portugal,  pour  jetter 
le  caducée  entre  les  deux  rois  et  travailler  à  leur  paix. 
Ayant  eu  au  commencement^  quelque  honneste  accueil, 
à  la  fin  il  remporta  la  response  de  Philippes  le  Bel  en 
termes  desguisez  ;  mais  non  tant  adoucis  que  don 
Philippes  ne  prononçast  qu'il  n'avoit  d'autre  juge 
que  Dieu.  Le  cardinal  ne  s'en  put  retourner  si  tost 
qu'il  ne  vistà  sa  barbe,  sur  la  fin  de  juillet^,  saccager 
villes  et  chasteaux,  quoique  pris  sans  résistance.  Il  vid 
encores  faire  mourir  de  sang-froid  tous  les  hommes 
de  commandement  ;  entre  ceux-là  Diego  de  Menezez  et 

1.  Alexandre  Riario,  légat  du  pape  à  la  cour  d'Espagne  en 
remplacement  du  nonce  Philippe  Sega,  qu'on  jugeait  n'avoir  pas 
assez  de  crédit  auprès  de  Philippe  II  (De  Thou,  liv.  LXX). 

2.  Le  cardinal  Riario  arriva  en  Espagne  vers  la  mi-juillet  1580. 
Voyez  dans  de  Thou  le  récit  de  cette  mission  (liv.  LXX). 

3.  Ce  fut  le  29  juillet  1580  que  l'armée  espagnole  passa  en 
Portugal. 


310  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

Henri  Pereira^ .  D'autre  costé,  la  populace  de  Lisbonne 
et  d'ailleurs  faisoyent  des  courses  et  assommoyent  les 
Espagnols  qu'ils  pouvoyent  prendre. 

L'arniée  s'approchant  de  Lisbonne,  furent  tenus  plu- 
sieurs conseils,  avec  des  résultats  contraires,  tantost 
pour  se  rendre ,  tantost  pour  aller  au  combat  ;  dom 
Antoine  lui-nnesme  doubteux  de  l'un  et  de  l'autre  et 
en  mesmes  perplexitez  qu'on  a  despeint  à  Rome  Vitelle 
à  la  venue  de  Vespasien.  En  fin  il  prit  une  place  avan- 
tageuse de  combat  à  un  quart  de  lieue  de  Lisbonne^. 

L'armée,  pour  donner  loisir  aux  Portugais  d'avoir 
peur,  alla  présenter  une  batterie  à  la  Roque  de  Saint- 
Julien^,  à  elle  rendue  dès  la  première  volée,  et  à  son 
exemple  Gabezaceca*,  et  la  tour  de  Bethlehem,  moins 
forte  et  approchante  de  Lisbonne,  après  les  autres  : 
cela  vers  le  huictiesme  d'aoust,  qu'un  pardon  d'Es- 
pagne fut  publié  par  tout  le  Portugal^,  mais  rendu  de 
peu  de  fruict  par  les  sermons  des  moines,  qui  se 
tenoyent  aux  passages  pour  empescher  les  desroutes 
des  soldats^. 

1.  Dom  Diègue  de  Menesès  et  dom  Eariquez  de  Pereyra,  gou- 
verneur de  Gascaës,  eurent  la  tête  tranchée,  par  ordre  du  duc 
d'Albe,  au  commencement  d'août  1580. 

2.  L'armée  portugaise  vint  camper  à  Alcantara. 

3.  Siège  et  prise  du  fort  Saint -Julien  par  le  duc  d'Albe, 
10  août  1580. 

4.  Prise  de  Gabeçaseca  par  le  duc  d'Albe,  10  août  1580. 

5.  Dans  cette  déclaration,  Philippe  II  promettait  une  amnistie 
générale  à  tous  ceux  qui  abandonneraient  le  parti  de  dom  Antonio. 

6.  D'Aubigné  a  pris  ce  détail  à  de  Thou,  comme  tout  le  reste 
de  son  récit  (liv.  LXX).  Ces  moines  portugais  étaient  les  plus 
ardents  défenseurs  de  dom  Antonio.  De  Thou  (liv.  LXXXVII) 
porte  à  deux  mille  le  nombre  des  moines  qui  furent  suppliciés 
ou  condamnés  à  diverses  peines  pour  avoir  pris  trop  vivement 
parti  contre  les  Espagnols. 


LIVRE   DIXIÈME,   CHAP.   XXI.  311 

Le  vintquatriesme  d'aoust,  les  forces  espagnoles 
parurent  à  soleil  levant  devant  le  fort  et  retranche- 
ment d'Alcantara*  ;  où  le  duc  d'Albe,  ayant  faict  don- 
ner une  volée,  cognut  la  peur  aux  courses  qu'il  voyoit 
faire  aux  capitaines  et  une  grande  poussière  qui  s'es- 
loignoit  vers  Lisbonne.  Ce  fut  assez  à  bon  devineur. 
Le  roi  Antoine,  fort  peu  suivi,  tourna  visage  à  l'eston- 
nement  de  ses  troupes,  fit  une  charge  avec  quatre- 
vingts  chevaux  sur  quelque  infanterie  desbandée  et 
hors  d'ordre,  mais  cela  bien  tost  soustenu  par  quatre 
cornettes  que  commandoit  un  des  Guzmans.  Là  le  roi, 
se  sentant  blessé^,  prit  parti  de  retraicte,  mieux  suivi 
à  cela  qu'à  tourner  teste,  et,  ne  trouvant  plus  à  Lis- 
bonne autre  advis  que  de  reddition,  s'estant  fait  pan- 
ser à  la  haste,  et  avec  ce  qui  le  voulut  suivre,  alla  où 
nous  le  trouverons  après ^.  En  son  absence  sa  capitale 
se  rendit,  comme  fit  aussi  Sainct-Arem,  après  avoir 
fait  mine  de  se  defFendre  jusqu'à  la  mi-septembre*. 

Le  roi  d'Espagne  tomba  en  une  maladie  doubteuse^, 
et  qui  fit  courir  un  bruit  de  sa  mort.  Geste  nouvelle, 
bien  que  fausse,  fit  r'allier  quelques  gens  auprès  de 
dom  Antoine,  avec  lesquels  il  assiégea  la  ville  d'Avero, 
et  puis  Porte,  lesquelles  il  fit  saccager^.  Mais,  le  duc 

1.  L'armée  de  Philippe  II  parut  devant  Alcantara  le  25  août 
1580. 

2.  Dom  Aatonio  fut  blessé  d'un  coup  de  lance  au  visage  par 
des  volontaires  italiens. 

3.  Le  roi  de  Portugal  fit  soigner  sa  blessure  à  Sacabem  et  se 
rendit  ensuite  à  Santarem,  suivi  d'une  petite  escorte. 

4.  Capitulation  de  Lisbonne,  Il  septembre  1580. 

5.  Le  roi  d'Espagne  tomba  malade  dans  les  premiers  jours  de 
septembre  1580. 

6.  Prise   d'Avero   et   d'Oporto   par  dom   Antonio,    fin  d'oc- 
tobre 1580. 


312  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

d'Albe  ayant  despesché  Sancho  d'Avila  avec  quatre 
mille  fantassins  et  quatre  cents  chevaux,  les  Portugais 
osèrent,  sans  pourtant  rien  assiéger,  disputer  la  cam- 
pagne jusques  à  ce  que  Sancho  fust  fortifié  de  deux 
régiments,  avec  lesquels  il  se  fit  maistre  de  Coimbre^ 
et,  de  là,  ayant  passé  le  Dore,  battit  et  reprit  Porte, 
sous  la  moustache  d'Antonio,  qui  dès  lors,  abandonné 
de  tous  les  siens,  ne  cercha  plus  que  des  cachettes, 
avec  grandes  incommoditez,  pource  que  le  roi  d'Es- 
pagne, guéri,  entroit  dans  le  royaume  de  Portugal, 
commençant  par  quelque  diminution  d'impost  et  un 
pardon  général,  ce  premier  sans  restriction^. 

Mais,  tout  le  Portugal  s'estant  rendu  à  lui,  et  les 
costes  de  Barbarie  incontinent  après,  les  cérémonies 
de  sa  réception  parachevées,  avec  les  serments  pres- 
tez  à  lui^,  puis  au  prince  d'Espagne,  cela  chés  les 
moines  qu'on  appelle  l'ordre  de  Christ,  ayant  encores 
fait  connestable  en  Portugal,  de  nom  seulement,  le 
duc  de  Bragance*,  à  la  sortie  des  estats  qu'il  tint  à 
Temar^,  il  fit  publier  un  second  pardon  qu'on  appel- 
loit  Restrainct.  Il  pardonnoit  à  ceux  qui  avoyent  fait 
la  guerre  pour  Antoine,  réservez  cinquante -.deux 
testes,  nommément  le  roi  Antoine,  sur  la  teste  duquel 

1.  Goimbre,  sur  le  Mondego. 

2.  Le  5  décembre  1580,  Philippe  II  entra  en  Portugal  et  publia 
à  Elvas  l'édit  d'amnistie  générale. 

3.  Le  li  septembre  1580,  le  duc  d'Albe  assembla  les  habitants 
de  Lisbonne  et  leur  fit  prêter  serment  de  fidélité  au  nom  du  roi 
d'Espagne. 

4.  Le  duc  Jean  de  Bragance  et  Théodose,  duc  de  Barcellos, 
son  fils,  étaient  venus  saluer  Philippe  à  son  arrivée  en  Portugal. 

5.  En  décembre  1580,  le  roi  d'Espagne  convoqua  les  états  du 
royaume  àTomar  pour  le  15  avril  de  l'année  suivante  (DeThou, 
liv.  LXX).  L'assemblée  ne  fut  ouverte  que  le  19  avril. 


LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   XXI.  313 

il  mit  80,000  ducats,  30,000  sur  celle  du  comte^  et 
20,000  pour  l'évesque  de  la  Garde*,  payables  au  pre- 
mier auteur  de  leur  mort.  Outre  cela,  il  ne  pardonnoit 
à  aucun  religieux  qui  en  leçons,  sermons  ou  consulta- 
tions, auroyent  parlé  ou  escrit  contre  lui,  usant ^  plus 
de  ceste  rigueur  pour  l'advenir  que  pour  le  passé. 
Cependant  il  ne  demeura  en  toutes  les  villes  de  Portu- 
gal homme  digne  d'estre  considéré  à  qui  on  ne  trou- 
vast  un  crime.  Ceux  qui  se  pensoyent  les  moins  coul- 
pables  comparurent  à  un  adjournement  général  ;  entre 
ceux-là  presque  tous  les  prescheurs  de  Portugal.  Les 
uns  furent  estranglez  de  nuict  au  pays  mesme,  les  autres 
envoyez  pourrir  en  diverses  prisons  de  Gastille; 
quelques-uns  des  plus  apparents  emmenez  aux  Isles 
fortunées,  et  principalement  à  Madère,  pour  ceux  qui 
les  y  allèrent  recevoir*,  comme  à  eux  donnez  esclaves 
par  le  roi  Philippe. 

La  servitude  des  Portugais  parut  encores  plus  en 
gros  aux  susdits  Estats  de  Temar,  où  toutes  les  pro- 
positions faictes  selon  la  coustume  du  pays  furent 
tournées  en  risée ^.  Lors,  Philippe,  importuné  de  plu- 
sieurs récompenses  pour  ceux  qui  avoyent  en  diverses 
façons  trahi  leur  parti,  voulant  distribuer  les  choses 
dignement,  y  fit  commettre  Antoine  Pignero  ^  et  Ghris- 

1.  Antoine  de  Portugal,  comte  de  Vimioso. 

2.  Jean  de  Portugal,  cvêque  de  la  Guarda,  frère  du  comte  de 
Vimioso. 

3.  La  fin  de  la  phrase  manque  à  l'édition  de  1618. 

4.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  recevoir  pour  le  roi  Phillipes.  » 

5.  DeThou  énumère  les  propositions  qui  furent  présentées  aux 
états  de  Tomar  Miv.  LXXHI). 

6.  Antoine  de  Pineyro,  évêque  de  Leyria,  parla  devant  Phi- 
lippe II  aux  États  le  19  avril  1581  (De  Thou,  liv.  LXXIII). 


314  fflSTOiRE  UNIVERSELLE. 

tofle  de  Mora^  A  la  vérité,  les  plus  hastifs  empor- 
tèrent^ quelques  gratifications;  mais,  comme  les  Cas- 
tillans en  murmuroyent,  disans  que  le  royaume  de 
Portugal  estoit  bien  au  roi  Philippe  comme  l'ayant 
bien  achepté,  et  les  demandeurs  croissans,  on  leur 
donna  un  conseil  pour  y  adviser,  nommé  la  Table 
de  conscience,  dont  sortit  un  arrest  en  ces  termes  : 
«t  Attendu  que  le  roi  Philippe  est  vrai  héritier  de  Por- 
tugal, il  n'a  esté  loisible  aux  suppliants  de  le  vendre 
argent  comptant.  » 

Les  Espagnols  ne  furent  point  paresseux  d'embar- 
quer pour  les  Tercères^,  où  le  marquis  de  Saincte- 
Groix^  envoya  Baldis^  avec  seize  vaisseaux,  desquels 
il  mit  à  terre  cinq  cens^  hommes,  la  pluspart  avant 
jour,  en  l'isle  principale,  pensant  gagner  la  citadelle 
d'Angra''^;  mais,  l'alarme  estant  prise,  les  soldats  por- 
tugais suivis  du  peuple  meslèrent  si  rudement  que 
Baldis  laissa  quatre  cents  hommes  sur  la  place,  quoi- 

1.  Dom  Christophe  de  Mora,  seigneur  portugais,  avait  été  élevé 
à  la  cour  d'Espagne  et  fut  nommé  gentilhomme  de  la  chambre 
du  roi  Philippe. 

2.  "Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  emportèrent  de  grandes  récom- 
penses; mais  comme...  » 

3.  L'île  de  Tercère  est  la  plus  considérable  du  groupe  des 
Açores. 

4.  Alvaro  de  Baçan,  marquis  de  Santa-Gruz,  amiral  espagnol, 
né  dans  les  Asturies  vers  1510,  fit  ses  premières  armes,  sous  le 
règne  de  Charles-Quint,  contre  les  pirates  d'Alger  et  les  Maures 
d'Afrique.  Il  se  signala  à  la  bataille  de  Lépante  et  continua  à 
guerroyer  contre  les  Turcs.  Investi  du  commandement  de  la 
célèbre  Armada  (voyez  le  volume  suivant),  il  mourut  à  Lisbonne, 
en  1588,  au  moment  d'entrer  en  campagne. 

5.  Dom  Pedro  de  Valdes. 

6.  L'édition  de  1618  porte  150  hommes. 

7.  Angra,  capitale  de  Tercère  et  des  autres  Açores. 


LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   XXI.  315 

qu'il  eust  fort  préveu  pour  sa  retraicte  ^ .  Le  roi  d'Es- 
pagne receut  caste  nouvelle  à  Lisbonne  le  jour  de  son 
entrée-,  et  le  mesme  jour  que  le  roi  Antoine  s'estoit 
embarqué  à  Viane^,  par  l'aide  d'un  navire  flament. 
C'est  une  histoire  tragique  de  compter  les  maux  que 
souffrit  ce  prince,  depuis  la  fin  de  septembre  1580 
jusques  à  la  fin  de  juin  1581  ;  car,  estant  blessé  au 
retranchement  d'Alcantara,  il  passa  près  de  neuf  mois 
dans  les  plus  misérables  cabanes  des  déserts'*;  ses 
playes  pansées  par  les  plus  rustiques  gens  du  monde; 
et,  quant  aux  playes  spirituelles,  n'ayant  consolation 
que  de  brutaux,  un  Cordelier  fut  son  conseiller  et 
secours;  car,  enfin,  il  lui  practiqua  le  navire^  que  nous 
avons  dit,  et  lui  ralia  dix  des  siens  avec  lesquels  il 
arriva  à  Calais*^,  courut  la  Flandre  et  l'Angleterre"^, 
traicta  surtout  avec  la  roine  mère,  lui  promit  une  par- 
tie de  ses  seigneuries  esloignées  pour  ses  prétentions, 
obtint  d'elle  promesse  d'un  grand  embarquement,  et 
cependant  sept  ou  huict  cents  hommes  avec  des  vais- 
seaux, sur  lesquels  il  fit  embarquer  Manuel  de  Sylva*, 

1.  De  Thou  raconte  avec  détails  (liv.  LXXIII)  la  défaite  des 
troupes  espagnoles  dans  les  îles  de  l'Atlantique. 

2.  Le  roi  d'Espagne  entra  dans  Lisbonne  le  5  décembre  1580. 

3.  Viana  de  Foz  de  Lima,  à  l'embouchure  de  la  Lima,  en  Por- 
tugal. 

4.  Dom  Antonio  demeura  caché  en  Portugal  entre  le  Duero  et 
le  Minno,  depuis  le  mois  d'octobre  1580  jusqu'au  mois  de  juin 
1581. 

5.  Le  roi  de  Portugal  ne  put  s'embarquer  sur  ce  navire  hollan- 
dais, commandé  par  Corneille  d'Egmond,  qu'à  la  condition  de 
payer  600  écus  d'or. 

6.  Arrivée  de  dom  Antonio  à  Calais,  juin  1581. 

7.  De  Thou  raconte  que  dom  Antonio  était  encore  en  Angle- 
terre au  commencement  d'octobre  1581,  d'où  il  repassa  en  France. 

8.  Emmanuel  de  Silva,  comte  de  Torres  Vedras,  favori  de  dom 


316  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

qui  arriva  au  port  d'Angra  à  la  mi-mars  de  l'an  1 5821. 
Là,  il  trouva  que  les  Jésuites  avoyent  desjà  gagné  la 
moitié  des  garnisons  et  du  peuple,  et  entre  autres 
FigueredoS  gouverneur,  qui  commençoit  à  prendre 
le  mot  du  roi  d'Espagne,  lors  séjournant  tousjours  à 
Lisbonne  pour  y  establir  ses  affaires  et  sur  icelles  le 
cardinal  Albert  d'Austriche;  cela  mesnagé  par  sa 
sœur  Marie^,  vefve  de  l'empereur  Maximilian^.  Manuel 
releva  le  courage  de  tous  ceux  des  isles,  principale- 
ment par  l'asseurance  qu'il  leur  donna  que  leur  roi 
venoit  avec  une  armée  de  François*,  comme  il  estoit 
vrai,  car  le  roi  Antoine  entra  en  sa  flotte  au  rendez- 
vous  de  Belle-Isle,  composée  de  trente  navires  et  vingt- 
cinq  pataches,  sur  lesquelles  s'embarquèrent  vingt 
compagnies,  les  moindres  de  six  vingts  hommes^. 
Amiral  de  tout  cela,  Philippe  Strossi^,  colomnel  de 

Antonio,  gouverneur  général,  pour  le  compte  de  ce  prince,  de 
toutes  les  Açores,  qui  lui  étaient  restées  fidèles. 

"i.  Gyprien  de  Figueredo  était  devenu  suspect  aux  habitants  de 
Tercère. 

2.  Marie  d'Autriche,  fille  de  Charles-Quint  et  d'Isabelle  de  Por- 
tugal, née  en  1528,  morte  en  mars  1603. 

3.  Maximilien  II,  fils  de  Ferdinand  I",  empereur  d'Allemagne, 
né  le  1"  août  1527,  mort  le  12  octobre  1576. 

4.  Henri  III  avait  décidé  plusieurs  capitaines,  notamment  des 
capitaines  gascons,  à  se  joindre  à  l'expédition.  Voyez  les  lettres 
du  roi  et  de  la  reine  mère  au  capitaine  Borda  (Gauna,  Armoriai 
des  Landes,  t.  I,  p.  132). 

5.  L'état  de  l'armée  de  mer  expédiée  par  le  roi  de  France  au 
secours  de  dom  Antonio,  daté  du  16  juin  1582,  est  conservé  en 
copie  du  temps  dans  les  Vc  de  Golbert,  vol.  29,  f.  578. 

6.  Philippe  Strozzi,  s.  d'Épernay  et  de  Bressuire,  né  à  Venise 
en  1541.  Le  roi  lui  avait  donné,  le  7  septembre  1581,  au  moment 
où  l'expédition  fut  résolue,  le  brevet  de  vice-roi  des  terres  qu'il 
allait  conquérir.  L'original  de  cet  acte,  sur  parchemin,  est  con- 


UVRE  DIXIÈME,   CHAP.   XXI.  317 

l'infanterie  de  France  ;  le  comte  de  Brissac,  vice-ami- 
ral; Saincte-Souline^  portant  le  titre  de  maistre  de 
camp. 

Le  seiziesme  de  juillet,  la  flotte  se  présenta  à  l'isle 
Sainct-Michel^,  seule  conquise  par  les  Espagnols,  et 
print  terre  contre  quelque  petite  résistance.  Le  lende- 
main, Strosse  fit  marcher  vers  la  forteresse,  donna 
ses  enfans  perdus  à  Roquemorel,  soustenu  par  le  capi- 
taine Sauvât,  et  cestui-là  par  Saincte-Souline,  estans 
en  tout  les  François  près  de  trois  mille  hommes.  Le 
gouverneur  de  l'isle^.  Espagnol,  avec  trois  compagnies, 
mais  qui  faisoyent  mil  quatre  cents  hommes,  se  trouva 
sur  le  chemin,  en  un  lieu  où  deux  roches  le  rendent 
estroict,  et  où  il  n'y  a  qu'une  petite  plaine.  Là,  il  logea 
la  moitié  des  siens,  n'y  en  pouvant  tenir  davantage. 
Lui,  avec  un  moindre  nombre,  avance  au  chemin,  void 
venir  Roquemorel,  bien  couvert  de  pennaches  et  de 
faveurs  d'une  roine.  Les  deux  capitaines  s'avancent, 
chacun  une  picque  au  poing,  lesquelles  ils  mesurèrent 
aussi  froidement  qu'à  un  combat  de  barrière.  L'Espa- 
gnol tua  tout  roide  Roquemorel,  à  qui  la  chaleur  ou 
la  délicatesse  n'avoit  pas  permis  d'endurer  les  armes. 
Sauvât  prend  sa  place,  mieux  armé,  tue  l'Espagnol; 
lui  aussi  tost  porté  par  terre  d'une  mousquetade. 
Saincte-Souline  avance  et,  bien  suivi  de  soldats,  mesle 
tout  ce  qui  estoit  dans  le  chemin,  où,  avec  perte  de 

serve  à  la  bibliothèque  de  l'Institut  dans  la  coll.  Godefroy, 
vol.  191,  pièce  10. 

1.  Charles  de  Gossé,  comte  de  Brissac.  —  Joseph  Doineau, 
8.  de  Sainte-Souline. 

2.  Arrivée  de  la  flotte  française  à  l'île  Saint- Michel,  15  juillet 
1582. 

3.  Ambroise  d'Aguiar  était  gouverneur  de  Saint-Michel. 


318  HISTOIRE  UNIVERSELLE. 

douze  soldats,  il  tue  deux  capitaines  en  chef  et  soixante 
bons  hommes,  desquels  le  reste,  ayant  payé,  gagna  la 
forteresse^,  où  commanda  depuis  Petro  Perreto^,  qui, 
au  commencement  estonné,  fut  rasseuré  par  un  vais- 
seau qui  lui  apporta  nouvelles,  et  bien  tost  après  par 
la  veue  de  quatre  grands  vaisseaux,  suivie  d'une  flotte 
qui  venoit  de  Séville.  Cependant  le  roi  Antoine  rasseu- 
roit  ses  subjects,  qui  de  tous  costez  accouroyent  à  lui 
avec  des  guidons  blancs  en  leurs  mains. 

Quelques  foibles  que  fussent  les  forces  de  dom 
Antoine,  Strossi,  ayant  eu  nouvelles  de  France  qu'un 
second  embarquement  de  six  mil  hommes,  promis  par 
Monsieur,  estoit  du  tout  rompu,  toucha  à  la  main  du 
comte  de  Virmiose  ;  et  eux  deux,  ne  voulans  point  sur- 
vivre au  malheur  qu'ils  prévoyoyent,  firent  résoudre 
le  reste  au  combat.  Et,  ce  soir  mesme,  le  comte,  qui 
envoyoit  un  Portugais  à  Nantes,  m'escrivit,  dans  un 
billet  que  je  conserve  précieusement,  ces  mots  : 

«  Monsieur,  vous  avez  esté  trop  fidelle  prophète  de 
nos  maladies,  et  aviez  bien  tasté  le  pouls  de  l'infidelle. 
Tous  vos  remèdes,  par  nostre  defiPault,  nous  ont  esté 
inutiles  ;  mais  je  vous  promets  de  prendre  celui  d'une 
brave  mort.  Vous  me  plaindrez  et  n'aurez  point  honte 
de  l'amitié  que  vous  avoit  jurée  Antoine,  comte  de 
Virmiose.  » 

Le  roi  Antoine  receut  la  responce  en  ces  termes  : 
«  Il  n'a  tenu  qu'à  vous  que  je  n'aye  esté  vostre  méde- 
cin et  non  vostre  prophète.  Je  ne  vous  desnierai  pas 
mes  justes  plaintes,  mais  j'eusse  donné  de  meilleur 

\.  De  Thou  raconte  ce  combat  (liv.  LXXV). 
2.  Dom  Pedro  Peixoto  de  Silva. 


LIVRE   DIXIÈME,   CHAP.   XXI.  319 

cœur  ma  bouche  à  vos  louanges,  et  à  vos  victoires 
les  fidelles  mains  de  V.  T.  » 

Trois  jours  après  cette  despesche,  qui  fut  le  vingt- 
deuxiesme  de  juillet,  l'amiral  Strossi  fit  rembarquer 
tous  ses  gens  de  guerre,  et,  le  vintsixiesme,  lui  et  le 
comte  de  Virmiose  quittèrent  une  grande  hourque  de 
six  cents,  qui  devoit  servir  d'amiral,  et  entrèrent  dans 
le  navire  de  Beaumont^,  qui  n'estoit  que  de  deux  cents; 
voulans  par  ce  vaisseau  plus  léger  engager  le  combat 
et  y  mener  plusieurs  qu'ils  y  avoyent  trouvé  mal  dis- 
posez. Le  marquis  de  Saincte-Croix,  qui  estoit  dans  le 
galion  de  Sainct-Philippe ,  capable  seul  de  battre  la 
flotte  des  François,  vouloit  seulement  la  garder  jusques 
à  ce  qu'il  eust  joinct  celle  de  Séville,  et  pourtant  avoit 
faict  avancer  trois  quarts  de  lieue  devant  soi  son  vice- 
amiral,  qui  avoit  des  pataches  au  quart,  pour  la  garde 
que  nous  avons  dicte.  Entre  le  vice-amiral  et  le 
marquis,  tous  les  vaisseaux  s'estendoyent  en  deux 
branches,  l'une  à  gauche  et  l'autre  à  droitte. 

De  l'autre  parti,  entre  le  Beaumont  et  la  hourque, 
estoyent  quatre  navires  seulement.  Assés  loing  à  la 
gauche,  qui  estoit  la  droitte  des  ennemis,  estoit  le 
comte  de  Brissac  et  six  navires^,  et,  plus  à  gauche 
encore,  Saincte-Souline  avec  quatre^.  Strossi  et  le 
comte,  craignans  les  longues  délibérations  de  l'amiral 
espagnol,  s'avancent  au  vice-amiral,  furent  en  peu  de 

1.  Jean  de  Beaumont  était  maréchal  de  camp  général.  Il  fut 
tué  à  la  bataille  des  Açores  le  26  juillet  1582  (lettre  de  Villeroy 
au  roi  du  12  septembre  1582;  f.  fr.,  vol.  6631,  f.  68). 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  six  navires  ou  traissans;  et  plus 
à  gatiche...  » 

3.  Les  deux  mots  :  avec  quatre,  manquent  à  l'édition  de  1618. 


320  HISTOIRE  UNIVERSELLE. 

temps  aux  canonnades.  Le  principal  pilote  du  marquis 
cognut,  au  maneuvre  de  deux  navires  qui  estoyent 
avec  Saincte-Souline,  qu'ils  ne  vouloyent  point  estre 
de  la  partie,  et,  sur  ce  jugement,  le  marquis  fit  tout 
appareiller  et  avancer  des  deux  costez,  principalement 
à  la  main  droitte.  Neuf  navires  se  présentent  pour 
Brissac  et  huict  pour  Saincte-Souline,  duquel  les  mate- 
lots avoyent  osté  le  courage  aux  soldats,  sur  le  juge- 
ment qu'ils  faisoyent  d'une  partie  très  mal  faite. 
Saincte-Souline  void  deux  de  ses  navires  qui  avoyent 
jà  gaigné  un  quart  de  lieue  en  arrière.  Il  suit  l'espou- 
vante  des  siens  ^  Brissac  void  le  petit  navire  Beau- 
mont  herpé  avec  le  vice-amiral,  et,  à  chasque  main 
abordé  de  cinq  ou  six  navires  ou  galions,  qui  l'acca- 
blèrent de  mousquetades,  de  coups  de  canon  et  d'ar- 
tifices de  feu.  Il  void  venir  à  lui  de  quoi  l'enclorre 
et  aborder,  et  sa  main  gauche  desgarnie  de  ceux 
qui  avoyent  fait  à  la  voile.  Il  suivit  l'advis  de  ses 
pilotes  et  fit  de  mesmes.  Le  grand  galion  vint  à  ce 
combat,  et  tous  les  navires  joincts  faisoyent  passer  de 
tillac  en  tillac  une  si  grande  foule  de  gens  de  guerre 
que  peu  leur  cousta  d'opprimer  la  valeur  du  petit 
nombre.  D'abordée,  Beaumont  fut  tué  d'une  mous- 
quetade,  Strossi  et  Virmiose  abatus,  ce  dernier  encou- 
rageant les  François,  avec  reproches,  et  priant  ceux 
qui  reschapperoyent  de  tesmoigner  la  façon  de  sa  mort  ; 
tout  cela  estouffé  par  la  multitude^.  Strossi,  pris  en 


1.  Sainte-Souline,  avec  neuf  de  ses  vaisseaux,  se  retira,  sans 
avoir  combattu,  dans  l'ile  del  Fayal  ou  des  hêtres,  qu'il  pilla. 

2.  Bataille  navale  des  Açores,  défaite  de  Strozzi  et  victoire  des 
Espagnols,  26  juillet  1582.  Cette  bataille  eut  un  grand  retentisse- 
ment et  a  donné  lieu  à  plusieurs  relations  et  à  beaucoup  de  lettres. 


LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XXI.  321 

vie,  cria  qu'il  y  avoit  force  seigneurs  françois  de  bonne 
maison,  de  la  rançon  desquels  il  respondoit.  On  le 
voulut  présenter  au  marquis,  qui  le  refusa  et  le  fit 
jetter  sur  un  pont  de  cordes  et  de  là  à  la  plaine^  sur  le 
soir,  après  qu'un  Espagnol,  par  les  carreaux  du  pont, 
lui  eut  passé  son  espée  au  travers  le  petit  ventre, 
pource  qu'il  disoit  des  injures  aux  Espagnols^.  Vir- 
miose,  qu'on  vouloit  garder  au  plaisir  du  roi  Philippe, 
mourut  de  ses  playes  le  lendemain  au  soir^.  Les  Espa- 
gnols avoyent  gardé,  par  espoir  de  rançon,  tous  ceux 
qui  avoyent  du  clinquant  ou  autres  beaux  vestements. 
Le  marquis  ordonna  que  les  moins  apparents  seroyent 
estranglez  par  le  bourreau*,  et  les  autres,  à  deux 
pieds  de  terre,  esgouillez^  à  leur  mode.  Un  soldat  de 
l^iort,  grand  nageur,  m'a  conté  que,  voyant  lier  son 

Nous  signalerons  seulement  les  pièces  contenues  dans  le  vol.  29 
des  Vc  de  Golbert,  qui  est  presque  en  entier  consacré  aux  affaires 
du  Portugal,  et  spécialement  le  récit  du  f.  580,  une  autre  rela- 
tion (f.  fr.,  vol.  17286,  f.  189)  datée  du  17  août  1582,  une  autre 
sans  date  (coll.  Dupuy,  vol.  844,  f.  344). 
i.  A  la  plaine,  c'est-à-dire  en  pleine  mer. 

2.  De  Thou  ne  raconte  pas  ainsi  la  mort  de  Philippe  Strozzi. 
Il  dit  qu'il  expira  de  ses  blessures,  sans  prononcer  une  seule 
parole,  au  moment  où  on  l'amenait  au  marquis  de  Santa-Cruz 
(liv.  LXXV).  Une  lettre  de  Villeroy  au  roi  du  12  septembre  1582 
confirme  le  récit  de  de  Thou,  mais  le  présente  seulement  comme 
un  on-dit  public  (Autogr.,  f.  fr.,  vol.  6631,  f.  68). 

3.  Le  comte  de  Vimioso  avait  été  pris  par  Mondenaro,  volon- 
taire crémonais,  et  mené  à  Santa-Cruz,  son  parent.  Il  fut  assez 
bien  traité,  dit  de  Thou  (liv.  LXXV).  D'après  la  lettre  de  Ville- 
roy, que  nous  venons  de  citer,  il  mourut  de  ses  blessures  le  len- 
demain du  combat. 

4.  Villeroy  écrit  au  roi  que  le  marquis  de  Santa-Cruz,  dans  une 
relation  du  combat  surprise  par  l'ambassadeur  de  France,  avouait 
avoir  fait  pendre  trente  gentilshommes  (f.  fr.,  vol.  6631,  f.  68). 

5.  Esgoitiller,  égorger. 

yi  %\ 


su  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

maistre,  qui  estoit  Amville  Chastaignerais^  il  s'estoit 
jette  à  la  mer,  ayant  deux  légères  blessures,  et  avoit 
à  la  nage  empoigné  une  pattache  qui  estoit  venue  sau- 
ver des  Normands  dans  un  navire  crevé  de  coups  de 
canon;  il  m'apprit  entr'autres  choses  que  la  pavezade^ 
du  vice-amiral  espagnol  estoit  plus  haute  de  plus  de 
deux  brasses  que  la  leur  ;  c'estoit  bien  autre  chose  de 
l'amiral,  qui  estoit  de  dix-huict  cents  tonneaux. 

Le  roi  Antoine,  ayant  receu  dix-sept  navires  fran- 
çois,  se  mit  à  fortifier  Angra  et  les  passages  des  isles. 
Le  marquis,  deux  jours  après  son  combat,  joignit  la 
flotte  des  Indes ^,  s'en  retourna  triompher  en  Espagne*. 
A  son  arrivée,  le  duc  d'Albe  mourut^,  capitaine  qui 
emportoit  le  los  de  son  temps,  s'il  n'eust  faict  espandre 
le  sang  qu'aux  combats. 

Sur  la  fin  de  juillet  mille  cinq  cents  quatre-vingt- 
trois^,  Antoine,  ayant  cogneu  que  les  Jésuites  avoyent 

i.  Fabien  de  Vivonne,  s.  de  la  Ghâtaigneraye,  eut  la  tête  tran- 
chée, d'après  de  Thou,  ou  fut  pendu,  d'après  la  lettre  de  Villeroy. 

2.  Pavezade.  «  Ce  mot,  suivant  Henri  Estienne,  estdictde  deux 
rangs  de  pavois  qui  sont  es  deux  costés  de  la  galère,  pour  couvrir 
ceux  qui  rament.  »  (Deux  dialogues  du  nouveau  langage  françois 
italianisé,  sans  date  (1578),  p.  307.) 

3.  Ferdinand  Tellez  de  Silva  commandait  la  flotte  des  Indes. 

4.  Le  marquis  de  Santa-Gruz  arriva  à  Lisbonne  le  10  septembre 
4582,  où  il  fut  magnifiquement  récompensé  par  le  roi  Philippe. 

5.  Mort  de  Fernando  Alvarez  de  Tolède,  duc  d'Albe,  i2  janvier 
1583.  César  de  Borgia,  duc  de  Candie,  lui  succéda. 

6.  D'Aubigné  n'explique  pas  qu'une  seconde  expédition  fut 
équipée  à  Dieppe,  en  1583,  sous  le  commandement  du  capitaine 
Aimar  de  Chastes.  De  Chastes  débarqua  à  Angra  le  H  juin  1583 
et  fut,  peu  après,  attaqué  par  le  marquis  de  Santa-Gruz.  Sur  cette 
seconde  campagne  en  faveur  de  dom  Antonio,  nous  signalerons 
deux  relations,  l'une  conservée  dans  le  f.  fr.,  vol.  3902,  f.  262, 
l'autre,  beaucoup  plus  détaillée,  dans  le  vol.  29  des  Vc  de  Colbert, 


LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.    XXII.  323 

changé  tous  les  courages  des  Tercères,  que  les  navires 
françois,  qui  manquoyent  de  toutes  choses,  n'y  pou- 
voyent  plus  patir,  céda  à  l'armée  d'Espagne,  plus 
populeuse  que  la  première,  qui  fit  ses  descentes  par 
toutes  les  isles\  où  rien  ne  se  deffendit  que  Manuel 
de  Sylva,  dans  Angra^.  Mais,  par  l'effroy  des  siens, 
estant  contrainct  de  capituler,  il  eut  la  teste  tranchée^, 
et  tout  demeura  en  la  possession  du  roi  d'Espagne, 
sans  pouvoir  espérer  secours  d'aucun  lieu. 

Chapitre  XXII. 

Du  Septentrion. 

Steenwich*,  assiégé,  commença  en  décembre*  mille 
cinq  cents  huictante  à  souffrir  nécessitez.  Et,  au  huic- 
tiesme  de  febvrier,  l'an  d'après,  le  secours  préparé 
avec  le  ravitaillement  s'estant  campé  à  une  forest^,  vis- 

f.  588.  Aymard  de  Chastes  a  laissé  lui-même,  sous  le  titre  ambi- 
tieux de  Commentaires,  un  récit  de  sa  campagne  à  Tercère  qui  a 
été  publié  dans  le  Recueil  de  voyages  curieux  de  Thévenot,  2  vol. 
in-fol. 

1.  Le  marquis  de  Santa-Cruz,  à  la  tête  de  l'armée  espagnole, 
débarqua,  le  26  juillet  1583,  à  Puerto  de  las  Muelas,  près  de  Saint- 
Sébastien,  dans  l'île  de  Tercère. 

2.  De  Chastes  et  les  Français  capitulèrent  le  4  août  1583  (De 
Thou,  Uv.  LXXVm). 

3.  Supplice  d'Emmanuel  de  Silva,  août  1583.  —  Le  marquis  de 
Santa-Cruz  se  montra  impitoyable  dans  la  répression  de  ce  qu'il 
appelait  la  révolte  des  Portugais  des  Açores.  Voyez  les  détails 
que  donne  de  Thou  (liv.  LXXVIII). 

4.  Steenwick,  dans  l'Over-Yssel,  sur  l'Aa.  —  L'édition  de  1618 
porte  Frise  et  Steenwick... 

5.  D'Aubigné  se  trompe.  Le  comte  de  Rennenburg  investit 
Steenwick  le  18  octobre  1580  (De  Thou,  liv.  LXXI). 

6.  Ce  fut  le  4  février  1581,  et  non  le  8,  que  le  secours  flamand 


dH  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

à-vis  du  camp  des  Espagnols,  les  deux  armées  demeu- 
rèrent huict  jours  à  la  portée  du  canon  l'une  de  l'autre, 
tout  ce  temps  employé  en  escarmouches.  Vers  le  sei- 
zième, le  seigneur  de  Nienort',  qui  commandoit  le 
secours,  mesnagea  que  les  assiégez  firent  un  pont  sur 
la  rivière  de  Aa,  par-dessus  lequel,  à  la  faveur  d'une 
sortie  et  d'une  grande  escarmouche,  la  ville  receut 
quelques  pains  et  formages,  sur  le  poinct  que  la  famine 
les  faisoit  mutiner.  Mais  le  lendemain,  les  secourans 
et  les  assiégez  estans  convenus  d'ordre  et  de  signal, 
après  que  le  grand  chemin  eut  esté  disputé  jusques  à 
croiser  les  piques,  le  secours  s'en  fit  maistre  par  deux 
grandes  charges  de  cavallerie  ;  et  le  comte  de  Rhein- 
neberg^  fut  contraint  de  lever  le  siège  le  vingt-qua- 
triesme  du  mois. 

Le  prince  de  Parme  mesnagea  de  ce  temps  quelque 
entreprise  sur  Bruxelles^  et  une  autre  sur  FlessinguC*, 
nouvellement  acquise  avec  la  Vere,  qui  estoyent  deux 
marquisats  que  le  prince  d'Orange  donna  à  son  fils 
Maurice^;  l'une  et  l'autre  de  ces  deux  entreprises 
vaines. 

Le  chasteau  de  Sta vérin,  qui  tenoit  pour  le  comte 
de  Rheinneberg,  fut  assiégé  et  pris  par  ceux  de  la 


vint  camper  dans  la  forêt  de  Hiddingherbergh ,  près  de  Steen- 
wick. 

1.  Wigboldt  de  Tuwsum,  s.  de  Nienoort.  —  L'édition  de  1618 
nomme  ce  seigneur  Niewenroth. 

2.  George  de  Lallain,  comte  de  Rennenburg. 

3.  En  automne  1581.  Voyez  de  Thou,  liv.  LXXIV. 

4.  Dans  son  entreprise  sur  Flessingue,  Alexandre  Farnèse,  duc 
de  Parme,  fut  secondé  par  un  bourgeois,  nommé  Bochart,  ancien 
avocat  de  la  ville. 

5.  Maurice  de  Nassau,  ûls  d'Anne  de  Saxe  et  du  prince  d'Orange. 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.   XXH.  325 

ville*.  Le  comte  perdit  encores  un  fort  qu'il  avoit  com- 
mencé sur  le  Reidiep^  et  deux  compagnies  des  siennes, 
mais  il  se  revencha  en  levant  ^  rudement  le  siège  d'Au- 
vard*,  où  il  regagna  deux  drapeaux  aussi.  Et  encores 
il  print  Auverderziel,  d'où  il  avoit  esté  repoussé  une 
fois  depuis  Winson^,  et  quelques  autres  petits  forts;  si 
bien  qu'il  se  fît  maistre  de  toutes  les  Omelandes  jusques 
à  Docom^.  Cette  félicité  lui  durant  jusques  à  la  venue 
du  colomnel  Norreis"'^,  qui,  ayant  repris  les  mesmes 
choses,  contraignit  le  comte  à  une  petite  bataille  près 
de  Cripskerke^.  Le  colomnel  Saunoi^  engagea  le  comte 
par  une  légère  escarmouche,  pource  que  le  passage 
des  forces  estoit  très  difficile.  Mais,  tout  estant  joint, 
les  Espagnols  n'opiniastrèrent  nullement  le  combat,  et 
ceux  des  Estats  menèrent  les  autres  battans  jusques 
dans  les  fauxbourgs  de  Grœningue,  tuèrent  sept  cens 
hommes,  preindrent  quatre  canons,  quinze  drapeaux, 

1 .  Staveren,  dans  la  Frise,  sur  le  Zuyderzée.  —  Prise  du  château 
par  le  prince  d'Orange,  avril  1581. 

2.  Reedyepp,  ville  et  rivière.  Prise  de  la  ville  de  Reedyepp  par 
le  s.  de  Nienoort,  mai  1581. 

3.  En  levant,  en  faisant  lever. 

4.  Prise  d'Auwaert  et  des  drapeaux  d'Hausplomb  et  de  Beren- 
broeck  par  le  comte  de  Rennenburg,  mai  1581. 

5.  Prise  d'Anwerdeziel  et  de  "Winsum,  juin  1581. 

6.  Dockum,  dans  la  Frise,  à  l'embouchure  de  l'Avet. 

7.  Jean  Noritz,  colonel  général  de  l'infanterie  anglaise  au  ser- 
vice des  États  généraux,  prit  une  part  importante  à  la  guerre 
jusqu'à  la  fin  de  1581.  Sur  ce  capitaine,  voyez  une  note  de 
M.  Blaes  dans  les  Mémoires  anonymes  sur  les  troubles  des  Pays-Bas, 
t.  m,  p.  44. 

8.  Prise  de  Grypskercke  et  défaite  du  comte  de  Rennenburg, 
9  juillet  1581. 

9.  Thierry  Sonay,  d'après  les  Mémoires  anonymes  sur  les  troubles 
des  Pays-Bas. 


3S6  HISTOIRE    UNIVERSELLE. 

et  le  reste  se  sauva  dans  les  fossés  de  la  ville.  Le  regret 
de  ceste  perte  fit  mourir  le  comte  de  Rheinneberg\ 
jettant,  comme  on  a  escript,  de  grands  regrets  d'avoir 
abandonné  sa  patrie.  En  sa  place  fut  establi,  par  le 
duc  de  Parme,  le  colomnel  Verdugo^. 

La  Flandre  et  le  Brabant  estoyent  pleines  d'entre- 
prises, de  petites  troupes,  qui  se  chargeoyent,  se  brus- 
loyent,  de  force  mescontents  et  de  désordre,  à  cause 
des  payements.  Ces  malcontents  prirent  le  château  de 
Barles^  et  n'en  purent  estre  deslogez  pour  quelques 
coups  de  canon.  Mais  La  Garde*,  colomnel  françois, 
ayant  pris  Hochstraten,  Turnhout,  Villebrouck^  et 
Loon-op-Sault^,  avec  quelques  autres  bicoques,  ceux  de 
Barle  quittèrent  et  mirent  le  feu.  Mais  les  Ëstats  firent 
une  plus  grande  perte  en  Breda,  enlevée  par  une  intel- 
ligence qu'y  practiqua  le  jeune  Inchi^,  prisonnier.  Là 
dedans  les  soldats  qu'il  avoit  gaignez,  ayans  faict 
eny  vrer  leurs  compagnons,  les  faisoyent  jouer  au  corps 

1.  George  de  Lallaing,  comte  de  Rennenburg,  mourut  de 
phtisie  le  23  juillet  1581.  De  Thou  fait  l'éloge  de  ce  capitaine 
(Uv.  LXXIV). 

2.  François  Verdugo,  capitaine  espagnol,  né  en  1529,  mort  le 
20  septembre  1595. 

3.  Baelen,  dans  l'ancien  duché  de  Limbourg  (province  de 
Liège),  fut  pris  par  les  Espagnols  en  juin  1581.  Voyez  le  récit  des 
Mémoires  anonymes,  t.  III,  p.  118. 

4.  Le  s.  de  la  Garde,  capitaine  français,  plus  tard  colonel  d'un 
régiment  de  gens  de  pied  au  service  du  prince  d'Orange,  est  sou- 
vent signalé  dans  les  Mémoires  de  La  Huguerye. 

5.  L'édition  de  1618  porte  GuiUebourg. 

6.  Hoogstraten,  dans  le  Brabant  hollandais.  —  Turnhout,  à 
neuf  lieues  d'Anvers.  —  Tilbourg,  dans  les  Pays-Bas  hollandais. 
—  Loon-op-Band.  —  Prise  de  ces  places,  juin  1581. 

7.  Le  baron  d'Inchy  était  frère  de  Charles  de  Gavre ,  s.  de 
Frisin. 


LIVRE   DIXIÈME,   CHAP.    XXII.  327 

de  garde,  tandis  que  Hautepenne*  fit  monter  les  siens. 
La  ville  rendit  quelque  résistance,  mais  ils  furent  rude- 
ment forcez^.  Les  mesmes  forces  faillirent  Gheertrui- 
demberg  et  Hensden^.  Ceux  de  Brabant,  n'ayant  pas 
mieux  faict  à  Bosleduc*,  gaignèrent d'emblée  au  retour 
la  ville  d'Eindove,  et,  ayans  pris  le  capitaine  du  chas- 
teau,  le  contreignirent  de  faire  rendre  sa  place  ;  ils  prin- 
drent  aussi  Helmond^.  Les  Estats  firent  lors  couler 
leurs  forces  par  l'Artois,  pour  amuser  celles  du  duc  de 
Parme.  Mais,  enfin,  les  uns  et  les  autres  marchèrent 
vers  le  Tournesis^,  pour  les  affaires  que  vous  allez  voir. 
Dès  le  commencement  de  may,  estoyent  retournez 
les  députez  des  Estats  vers  Monsieur,  avec  lequel 
ayants  arresté  leur  traicté^,  et,  selon  icelui,  les  forces 

1.  Claude  de  Berlaymont,  s.  de  Haultepenne. 

2.  Prise  de  Breda  par  les  Espagnols,  28  juin  1581. 

3.  Gertruydenberg,  dans  le  Brabant  hollandais,  sur  le  Dungen. 
—  Hensden,  dans  la  Hollande,  sur  la  Meuse. 

4.  Cette  tentative  sur  Bois-le-Duc  avait  été  faite  à  l'instigation 
du  chevalier  Jean  Junius,  bourgmestre  d'Anvers. 

5.  Les  États  s'emparèrent  d'Eindhoven  et  de  Helmont  en  juillet 
1581.  Peu  de  jours  après,  Eindhoven  fut  reprise  par  les  Espagnols. 

6.  Le  Tournesis  est  le  territoire  de  la  châtellenie  de  Tournay. 

7.  Les  députés  des  États-Généraux  des  Pays-Bas,  au  nombre 
desquels  était  Marnix  de  Sainte-Aldegonde,  signèrent  avec  le  duc 
d'Anjou,  au  château  de  Plessis-lès-Tours,  en  Touraine,  un  traité 
aux  termes  duquel  ils  le  reconnaissaient  comme  leur  souverain  (fin 
septembre  1580).  La  Bibliothèque  nationale  possède  un  nombre 
immense  de  documents  inédits  sur  la  souveraineté  éphémère  du 
duc  d'Anjou  en  Flandre.  Presque  tous  les  volumes  du  fonds  fran- 
çais, de  3277  à  3296,  contiennent  des  recueils  de  la  correspondance 
de  ce  prince  pendant  cette  période.  Deux  savants  de  la  Haye, 
MM.  Muller  et  Diegerick,  ont  commencé  la  pubhcation  des  docu- 
ments conservés  en  Hollande  sous  le  titre  de  :  Documents  concer- 
nant les  relations  entre  le  duc  d'Anjou  et  les  Pays-Bas.  Le  tome  I  a 
paru  en  1889. 


328  HISTOIKE   UNIVERSELLE. 

françoises,  s'estans  mis  en  chemin,  Balagni\  que  nous 
vous  avons  faict  voir  en  Polongne ,  se  vint  jetter  à 
Cambrai,  avec  quelques  forces  les  plus  prestes,  à  la 
requeste  d'Inchi*,  gouverneur.  Aussitost,  cette  ville  fut 
assiégée  par  le  duc  de  Parme  de  blocus^,  desquels  les 
premiers  se  firent  à  Crèvecœur,  Vauchelles  et  Mar- 
quions. Tous  les  chemins  retranchés  et  la  cavallerie 
logée  en  lieux  avantageux,  tout  cela  réduisit  la  ville  en 
quelques  nécessitez.  Ces  nouvelles  hastèrent  Monsieur, 
qui  lors  s'employoit  à  Cadillac  et  à  Coutras  aux  choses 
que  nous  avons  dites.  Enfin,  il  se  trouva  au  premier 
rendez-vous  de  son  armée  à  Chasteaudun^,  laquelle 
marcha  de  là  sur  la  frontière,  où  elle  se  trouva  le 
quinziesme  d'aoust.  Les  plus  remarquez  qui  y  fussent 
estoyent  le  mareschal  de  Bellegarde,  le  marquis 
d'Elbœuf,  les  comtes  de  Laval,  de  Vantadour,  Mont- 
gommeri,  Saint-Aignan  et  Rochepot;  les  vicomtes 
de  Turenne  et  de  la  Guerche^,  le  vidame  d'Amiens, 

1.  Jean  deMonluc,  s.  de  Balagny,  fils  naturel  de  Jean  de  Mon- 
luc,  évêque  de  Valence. 

2.  Gabriel  de  Gavre,  s.  d'Inchy,  plusieurs  fois  cité  dans  les 
Mémoires  de  Marguerite  de  Navarre. 

3.  De  Thou  a  décrit  l'état  de  Cambrai  durant  le  siège 
(Uv.  LXXIV). 

4.  Crèvecœur,  dans  le  Garabrésis  (Nord),  sur  l'Escaut.  —  Vau- 
celles,  près  de  Cambrai.  —  Marquion,  dans  le  Pas-de-Calais. 

5.  Château-Thierry  et  non  pas  Chàteaudun,  d'après  de  Thou 
(liv.  LXXIV)  et  tous  les  historiens.  Le  Journal  de  L'Estoile  confirme 
le  récit  de  de  Thou  et  fait  un  affreux  tableau  de  l'indiscipline  des 
troupes  du  duc  d'Anjou. 

6.  Roger  de  Saint-Lary,  plus  tard  maréchal  de  Bellegarde.  — 
Charles  de  Lorraine,  duc  d'Elbeuf.  —  Gui,  comte  de  Laval.  — 
Gilbert  de  Lévis,  comte  de  Ventadour.  —  Jacques  de  Lorges, 
comte  de  Mongonmery.  —  Claude  de  Beauvilliers,  comte  de 
Saint-Agnan.  —  Antoine  de  Silly,  comte  de  la  Rochepot.  — 


LIVRE    DIXIÈME,   CHAP.    XXU.  329 

de  la  Gliastre,  Saint-Luc,  Beaupré,  Drou,  Mauvissière, 
Bussi,  Sandricourt,  la  Ferthé  et  Fervaques^,  mares- 
chal  général,  comme  aussi  l'estoit-il  en  France. 

Le  vicomte  de  Turenne  fit  une  partie,  avec  cent  gen- 
tilshommes choisis,  pour  percer  le  premier  et  entrer 
dans  Gambray,  et,  pour  cet  effect,  arriva,  la  lune  fort 
claire,  à  des  petits  retranchements,  desquels  nous 
avons  parlé.  Comme  ils  travailloyent  à  en  cercher  le 
passage ,  le  vicomte  de  Gand ,  naguères  marquis  de 
Bombay^,  eut  loisir  d'appeler  à  soi  quelques  bateurs 
d'estrade,  et,  n'ayans  guères  plus  de  cent  chevaux, 
chargea  si  rudement  le  vicomte  que  les  gens,  harassez 
et  craignans  toutes  choses,  pource  qu'ils  estoyent  dans 
le  camp  ennemi,  l'abandonnèrent,  et  lui,  blessé,  fut 
pris^,  avec  ceux  qui  lui  tindrent  meilleure  compagnie, 
entre  ceux-là  le  comte  de  Ventadour*. 

Henri  de  la  Tour,  vicomte  de  Turenne.  —  George  de  Villequier, 
vicomte  de  la  Guerche. 

1.  Claude  de  la  Châtre.  —  François  d'Espinay,  s.  de  Saint-Luc. 
—  Louis-François  de  Choiseul,  baron  de  Beaupré.  —  Pierre  de 
Chamborant,  s.  de  Drou.  —  Michel  de  Castelnau,  s.  de  la  Mau- 
vissière. —  Louis  de  Clermont  de  Bussy  d'Amboise.  —  La  Ferté, 
chambellan  du  duc  d'Anjou.  —  Claude  de  Hautemer,  s.  de  Fer- 
vaques. 

2.  Robert  de  Melun,  marquis  de  Roubaix  et  de  Richebourg, 
vicomte  de  Gand,  avait  d'abord  appartenu  au  parti  des  États.  En 
1579,  il  se  donna  au  parti  espagnol  et  devint  colonel  général  de 
la  cavalerie.  Il  fut  tué  au  siège  d'Anvers  en  1585  {Mémoires  ano^ 
nymes  sur  les  troubles  des  Pays-Bas,  t.  I,  p.  272). 

3.  Turenne  fut  fait  prisonnier  par  les  Espagnols  sous  les  murs 
de  Cambrai  en  avril  1581  {Lettres  de  Henri  IV,  1. 1,  p.  401).  Il  resta 
en  prison  jusques  aux  premiers  jours  de  juin  1584  [Mémoires,  édit. 
Petitut,  p.  208).  Sa  correspondance  pendant  sa  détention  est  con- 
servée aux  Archives  nationales,  R'  54, 

4.  Gilbert  de  Lévis,  comte  de  Ventadour,  était  cousin-germain 
du  vicomte  de  Turenne. 


330  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

Le  dixseptiesme,  les  deux  armées  se  virent,  et  le  duc 
de  Parme,  ayant  cogneu  aux  François  toute  contenance 
de  vouloir  la  bataille,  leva  ses  blocus  pour  s'aller  cam- 
per à  la  faveur  de  Valanciennes  ;  et  ainsi  Monsieur  à 
son  aise  ravitailla  la  ville,  et  elle  se  donna  à  lui  le  vin- 
tiesme*.  Le  jour  d'après,  ayant  fait  descamper  les 
Espagnols,  il  assiégea  sous  leur  moustache  Cliasteau- 
Cambrézis^.  Le  désir  des  Estais,  et  notamment  du 
prince  d'Orange,  estoit  que  Monsieur  acheminast  son 
armée  en  Brabant  et  sa  personne  à  Anvers,  mais,  cette 
troupe  estant  desjà  pleine  d'autant  de  divisions  que  de 
testes.  Monsieur  fut  contrainct  par  ses  courtisans  de 
revenir  en  France^  pour  y  passer  l'hyver. 

Les  Flamands,  voyans  Monsieur  engagé,  prirent 
leurs  affaires  d'un  ton  plus  haut,  si  bien  que,  par  un 
édit  public,  ils  déclarèrent  le  roi  d'Espagne  descheu 
de  sa  seigneurie  et  principauté  des  Pays-Bas,  déclarans 
tous  officiers,  seigneurs  particuliers,  vassaux  et  tous 
autres  habitans  deschargés  de  leurs  sermens  envers 
l'Espagnol,  mettent  le  nom  du  duc  d'Anjou  en  la  place 
du  roi  Philippes  en  tout  leur  pays,  hormis  en  Hollande 
et  Zélande,  où  celui  du  prince  d'Orange  demeura  en 

1.  Prise  de  Cambrai  par  le  duc  d'Anjou,  18  août  1581.  Les 
Mémoires  de  Marguerite  de  Valois  (édit.  Lalanne,  p.  91  et  suiv.), 
les  (Economies  royales  de  Sully  (chap.  xvi),  le  Journal  de  VEstoile 
(août  1581),  donnent  beaucoup  de  détails  sur  ce  fait  d'armes.  On 
conserve  dans  le  f.  fr.  (vol.  3902,  f.  238)  une  relation  manuscrite 
de  cette  campagne. 

2.  Prise  de  Cateau-Cambrésis  par  le  duc  d'Anjou,  21  août  1581. 
Charles  de  Beaune,  vicomte  de  Tours,  fut  tué  à  ce  siège,  et  Jean 
de  Monluc,  s.  de  Balagny,  y  reçut  un  coup  d'arquebuse. 

3.  D'Aubigné  se  trompe.  Le  duc  d'Anjou  alla  en  Angleterre, 
où  il  arriva  le  l»'  novembre  1581,  et  y  demeura  trois  mois,  vivant 
dans  une  grande  familiarité  avec  Elisabeth. 


LIVRE  DIXIÈME,   CHAP.   XXII.  331 

son  authorité;  cet  édict  donné  à  la  Haye,  le  vingt- 
sixiesme  de  juillet  mille  cinq  cents  huictante  un.  A  cela 
fut  adjoustée  une  forme  de  serment  pour  abjurer  le 
roi  d'Espagne*.  Incontinent  après,  l'archiduc  Mathias, 
ayant  de  son  bon  gré  déposé  son  authorité,  reprit  le 
chemin  d'Alemagne,  après  avoir  receu  du  pays  hon- 
neurs et  présents-. 

Le  duc  de  Parme,  ayant  sceu  par  le  marquis  de  Rom- 
bai  que  le  prince  d'Espinoy^  son  frère,  lors  général  de 
l'armée  des  Flamens,  avoit  emmené  en  Flandres  la  plus- 
part  de  la  garnison  de  Tournay,  feignant  de  marcher 
pour  rompre  une  entreprise  sur  Gravelines,  tourna 
court  assiéger  Tournay*.  Il  commença  en  mesme  temps 
trois  mines  et  une  batterie  de  trente-six  canons  et  puis 
fit  donner  assaut  général  par  la  grand'brèche  et  par 
celle  des  mines.  Ceux  de  dedans,  après  en  avoir  esventé 
quelques-unes,  soustindrent  l'assaut,  où  les  garçons 
et  filles  se  meslèrent  parmi  les  gens  de  guerre,  tes- 
moin  deux  fillettes  que  la  mine  fit  sauter,  et  qui,  estans 
enterrées  jusques  aux  espaules  au  pied  de  la  brèche, 
Montigni^,  revenant  de  l'assaut  blessé,  les  fit  déterrer 
et  les  renvoya  dans  la  ville,  n'ayant  mal  que  d'eston- 
nement. 


1.  Ces  documents  sont  analysés  par  M.  Kervyn  de  Lettenhove 
{les  Huguenots  et  les  Gueux,  t.  "VI,  p.  97). 

2.  Le  7  juin  1581,  l'archiduc  Mathias  renonça  à  sa  charge  de 
gouverneur  général  des  Pays-Bas  ;  le  29  octobre,  il  sortit  d'Anvers 
en  fugitif,  sans  avoir  seulement  obtenu  des  Etats  les  subsides 
nécessaires  à  son  voyage. 

3.  Hugues  de  Melun,  prince  d'Épinoi,  frère  de  Bobert  de  Meiun, 
marquis  de  Roubaix. 

4.  Siège  de  Tournai  par  le  prince  de  Parme,  1"  octobre  1589. 

5.  Emmanuel  de  Lallain,  s.  de  Montigny. 


332  fflSTOIRE   UNIVERSELLE. 

Sur  la  fin  de  novembre,  le  colomnel  Preston,  Écos- 
sois,  ayant  chargé  le  cartier  des  Alemans  et  defifaict  la 
compagnie  du  prince  de  Chimai*,  entra  dans  la  ville. 
Les  nécessitez  estoyent  desjà  telles  qu'avec  l'aide  du 
Gordelier  Geri,  à  la  suasion  duquel  les  katholiques  refu- 
sèrent de  combattre  plus,  la  princesse  d'Espinoy^,  qui 
estoit  dedans,  capitula  avec  les  marquis  de  Renti^  et 
de  Rombai,  ses  frère  et  beau-frère,  et  rendit  la  ville  à 
bonne  composition  et  bien  gardée,  le  neufiesme  de 
novembre  mille  cinq  cents  huictante-un'*.  Deux  entre- 
prises presque  en  même  temps  eurent  mesme  succès; 
celle  de  Bourbourg^,  que  les  Estats  faillirent,  y  per- 
dans  ceux  qui  y  estoyent  entrez,  et  celle  de  Berg-op- 
Zon  ^  par  son  seigneur  mesme  :  toutes  les  deux  faillies 
pour  estre  les  premiers  entrez  mal  suivis,  et  perte  à 
chascune  d'environ  six  vingts  hommes. 

Les  Estats  employèrent  le  mois  de  décembre  en  une 
grande  assemblée"^,  où  le  prince  d'Orange,  voyant  ses 
remonstrances  inutiles,  voulut  déspouiller  sa  charge*; 
mais  il  fut  supplié  de  la  garder,  pour  le  moins  en 

1.  Charles  de  Groy,  prince  de  Chimay,  fils  du  duc  d'Arschot. 

2.  lolande  de  Barbançon,  princesse  d'Épinoi,  sœur  d'Emmanuel 
de  Lallain,  s.  de  Montigny. 

3.  Robert  de  Melun,  marquis  de  Richeberg,  dit  le  marquis  de 
Renty. 

4.  Prise  de  Tournai  par  les  Espagnols,  30  novembre  1581. 

5.  Entreprise  sur  Bourbourg,  novembre  1581.  Cette  place  était 
une  de  celles  que  le  roi  de  Navarre  tenait  de  la  succession  de 
son  père. 

6.  Entreprise  de  Claude  de  Berlaymont,  s.  de  Haultepenne, 
gouverneur  de  Breda,  sur  Bergen-op-Zoom,  5  décembre  1581. 

7.  Le  prince  d'Orange  assembla  les  États  à  Anvers  le  i"  dé- 
cembre 1581. 

8.  La  charge  de  gouverneur  général  dont  le  prince  d'Orange 
était  investi  devait  expirer  au  mois  de  janvier  1582. 


LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XXD.  333 

attendant  la  venue  de  Monsieur,  vers  lequel,  pour 
le  haster,  furent  despeschez*  Sainct-Aldegonde^  et 
Junius^.  Ils  le  trouvèrent  en  Angleterre  destourné  des 
pensées  de  la  guerre,  pour  l'amour  qu'il  traictoit  avec 
la  roine,  duquel  ils  vindrent  jusques  à  bagues  données, 
avec  une  condition  pour  Monsieur  que  le  roi  son  frère 
auroit  quelques  articles  agréables. 

Le  temps  d'aller  en  Flandres  s' approchant,  la  roine 
voulut  conduire  son  hoste  jusques  à  Cantorbéri,  et,  le 
huictiesme  de  febvrier*,  pour  son  adieu,  lui  fit  des 
remonstrances  prophétiques,  le  priant  surtout  de  faire 
son  conseil  de  ceux  du  pays.  Elle  lui  donna  pour  l'ac- 
compagner en  Flandres  le  comte  de  Lincestre^,  les 
millords  Havard  et  Husdon,  l'un  amiral,  l'autre  un  de 
ses  premiers  conseillers,  qu'elle  chargea  de  dire  au 
prince  d'Oranges  et  aux  autres  seigneurs  que  le  ser- 
vice qu'ils  feroyent  au  duc  seroit  à  elle-mesme.  Il  y 
avoit  encores  plusieurs  millords  et  chevaliers  anglois, 
avec  lesquels,  à  deux  jours  de  là.  Monsieur  prit  terre 
à  Flessingue^,  où,  ayant  trouvé  les  princes  d'Orange 
et  d'Espinoy,  il  se  passa  entre  eux  plusieurs  propos 

1.  Selon  de  Thou,  les  États  envoyèrent  au  duc  d'Anjou  Dohain 
et  Jean  Junius. 

2.  Philippe  Van  Marnix,  s.  de  Mont-Saint-Aldegonde,  né  en 
1518,  littérateur,  théologien,  négociateur,  homme  d'État  protes- 
tant, l'àme  de  la  révolte  des  Pays-Bas.  Il  mourut  en  1598. 
M.  Quinet  a  écrit  sa  vie  (Paris,  1854,  in-18). 

3.  Jean  de  Jonghe,  dit  le  docteur  Junius,  bourgeois  d'Anvers. 

4.  Ce  fut  le  9  février  1582  que  le  duc  d'Anjou  s'embarqua  à 
Douvres  pour  passer  en  Zélande.  Voyez  les  notes  du  chap.  xvui. 

5.  Robert  Dudley,  comte  de  Leicester.  Charles  Howard,  amiral 
d'Angleterre,  et  Hunsdon  étaient  chevahers  de  la  Jarretière  et 
faisaient  partie  du  conseil  de  la  reine  d'Angleterre. 

6.  Débarquement  du  duc  d'Anjou  àFlessingue,  11  février  1582. 


334  fflSTOIRE  UNIVERSELLE. 

de  courtoisie^.  Ayant  receu  là  son  entrée,  il  alla  à  celle 
de  Midelbourg^,  d'où,  après  plusieurs  magnifiques  fes- 
tins et  présents,  et,  de  là  passé  par  Lislo^,  il  vint  le 
neufiesme  du  mesme  mois  dans  Anvers^.  Là,  après 
avoir  esté  reçeu  de  plusieurs  sortes  de  bataillons  et  de 
salves,  il  trouva  un  eschafaut  aux  fauxbourgs,  sur 
lequel  il  presta  serment  solemnel  entre  les  mains  du 
chancelier^  pour  maintenir  tous  les  articles  du  traicté, 
et  notamment  ce  qui  touchoit  les  privilèges  d'Anvers. 
En  mesme  lieu,  il  fut  vestu  du  manteau  ducal,  par  le 
prince  d'Orange,  qui  dict  en  le  mettant  :  «  Serrons  bien 
ce  bouton  que  le  manteau  nous  demeure.  >  Et  le  prince 
dauphin^,  qui  estoit  venu  trouver  Monsieur  depuis 
peu,  comme  il  recevoit  le  chapeau  de  mesme  main, 
s'écria  :  «  Mon  frère,  enfoncez  bien  ce  chapeau,  qu'il 
ne  s'envole.  »  Au  milieu  de  la  ville,  après  plusieurs 
harangues,  le  duc  fit  un  second  serment  et  receut  la 
clef  d'or  des  mains  de  Stralle^,  et  les  hérauts  com- 
mencèrent à  crier  :  «  Vive  le  duc  de  Brabant^.  »  Il  fit 
jetter  largesse  d'une  monnoye,  où  il  portoit  pour 
devise  :  «  Fovet  et  discutit,  »  ce  qui  se  trouva  vrai.  Je 
laisse  aux  historiens  du  pays  à  descrire  l'ordre  des 

1 .  De  Thou  donne  quelques  détails  sur  l'entrevue  du  duc  d'An- 
jou et  du  prince  d'Orange  à  Flessingue  (liv.  LXXV). 

2.  Le  duc  d'Anjou  alla  à  pied  de  Flessingue  à  Middelburg,  où 
il  arriva  le  12  février  1582. 

3.  Passage  du  duc  d'Anjou  à  Lillo,  sur  l'Escaut,  18  février  1582. 

4.  D'Aubigné  se  trompe.  Le  duc  d'Anjou  entra  dans  Anvers  le 
19  février  1582. 

5.  Théodore  de  Liesveldt,  chancelier  de  Brabant. 

6.  François  de  Bourbon,  duc  de  Montpensier. 

7.  Le  s.  de  Stralen  Amptman  était  bailli  d'Anvers. 

8.  Le  duc  d'Anjou  fut  proclamé  duc  de  Brabant,  de  Limbourg 
et  de  Luthier  le  19  février  1582. 


LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XXH.  335 

bandes,  les  livrées,  et  encores  comment,  le  jeudi  sui- 
vant, les  cérémonies  se  passèrent  en  la  prise  de  pos- 
session^. J'adjouste  seulement  que,  par  acte  particu- 
lier, il  prit  la  religion  refformée  en  sa  protection^. 

Il  faut  sçavoir  que  fait  le  duc  de  Parme,  qui  cepen- 
dant, après  avoir  veu  sa  mère^  à  Namur,  despesche 
partout  pour  faire  retourner  les  bandes  qui  avoyent 
fait  la  guerre  au  Pays-Bas,  et  l'abbé  de  Sainct-Vast*,  en 
Espagne,  qui  en  rapporta  tout  consentement  du  roi  Phi- 
lippe. Durant  cette  petite  course  à  Namur,  les  Albanois 
furent  chargez  à  un  convoi  à  Warcoin^  en  Tournesis. 

Ceux  de  Frize  fortifièrent  Oldehorne  et  battirent 
Verdugo,  les  pensant  enlever  à  demi-besongne ,  et 
gaignèrent  Keppel*^  par  surprise  sur  les  glaces,  et 
le  chasteau  de  Bronckhorst^  par  assaut. 

De  ce  temps,  le  prince  d'Orange  eut  dans  sa  chambre 
un  coup  de  pistolet  dans  la  gorge,  de  la  main  d'un 
Joanille*,  suscité  par  Gaspar  d'Anastre^,  son  maistre; 

1 .  Prise  de  possession  officielle  par  le  duc  d'Anjou  du  duché  de 
Brabant,  22  février  1582. 

2.  Par  une  ordonnance  du  15  mars  1582,  le  duc  d'Anjou  per- 
mettait aussi  le  libre  exercice  de  la  religion  catholique. 

3.  Marguerite  d'Autriche,  duchesse  de  Parme  et  gouvernante 
des  Pays-Bas,  fille  de  Charles-Quint,  épouse  d'Octave,  duc  de 
Parme,  morte  en  janvier  1586. 

4.  Jean  Sarasin,  abbé  de  Saint- Vaast. 

5.  Un  corps  de  200  cavaliers  albanais  fut  mis  en  déroute  près  de 
Warcoin  par  la  garnison  de  Menin  au  mois  de  mars  1582. 

6.  Lisez  Meppel  {Mémoires  anonymes  sur  les  troubles  des  Pays- 
Bas,  t.  V,  p.  323).  L'édition  de  1618  porte  aussi  Meppel. 

7.  Bronchorst,  dans  le  comté  de  Zutphen,  sur  l'Issel. 

8.  Jean  de  Jauréguy,  employé  dans  une  maison  de  banque  à 
Anvers.  Le  Journal  de  L'Estoile  donne  quelques  détails  sur  cette 
tentative  d'assassinat  à  la  date  du  mois  de  mars  1582, 

9.  Gaspard  d'Anastro,  banquier  à  Anvers,  était,  dit  de  Thou, 
à  la  veille  de  faire  banqueroute  (De  Thou,  hv.  LXXV). 


336  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

l'affaire  communiqué  à  La  Motte  \  gouverneur  de  Gra- 
velines,  mais  principalement  confirmé  à  ce  dessein 
par  le  Jacobin  Tinmerman^,  qui  lui  persuada  qu'il 
deviendroit  invisible  sur  la  vertu  de  quelques  carac- 
tères et  petits  ossements.  Le  moine  l'ayant  conduit 
jusques  dans  l'escallier  de  la  chambre,  l'assassin  fut 
tué  par  les  gardes  et  puis  avec  son  corps  furent  exé- 
cutez le  moine  et  un  autre ^  de  l'entreprise*.  Sans  la 
diligence  du  magistrat  pour  la  preuve  des  auteurs,  le 
peuple  crioit  aux  massacreurs  des  nopces  de  Paris ^. 
Monsieur  fit  mettre  les  armes  bas  à  tous  ses  gens  et 
gagna  le  logis  du  prince  d'Oranges,  comme  par  devoir 
de  le  visiter^;  le  prince  ayant  esté  deux  ou  trois  fois 
abandonné  des  médecins,  à  cause  des  hsemorragies 
qui  recommençoyent  à  toutes  les  fois  que  l'escarre 
tomboit.  Enfin,  comme  sa  playe  se  porta  mieux''',  ras- 
seura  Monsieur,  et  eux  ensemble  firent  prester  un 
serment  nouveau  aux  catholiques  qui  n'avoyent  la 


1.  Valentin  de  Pardieu,  s.  de  la  Motte. 

2.  Antoine  Timmerman  était  dominicain.  Sa  culpabilité  est  au 
moins  douteuse  et  n'est  certifiée  que  par  des  pièces  contestées. 

3.  Antoine  de  Venero,  de  Bilbao,  caissier  d'Anastro. 

4.  Tentative  d'assassinat  du  prince  d'Orange  par  Jean  de  Jau- 
réguy,  dimanche  18  mars  1582.  M.  Gachard  a  publié  dans  la  Cor- 
respondance de  Guillaume  le  Taciturne  (t.  VI,  p.  46  et  suiv.)  plu- 
sieurs pièces  et  relations  relatives  à  ce  crime. 

5.  Sur  le  premier  moment,  le  duc  d'Anjou,  en  souvenir  de  la 
Saint-Barthélémy,  fut  accusé  d'avoir  armé  le  bras  de  Jauréguy. 
Voyez  les  Mémoires  de  La  Huguerye,  t.  II,  p.  207. 

6.  M.  Gachard,  dans  la  Correspondance  de  Guillaume  le  Taciturne 
(t.  VI,  p.  65  et  suiv.),  a  publié  plusieurs  lettres  et  déclarations 
émanées  du  duc  d'Anjou  à  ce  sujet. 

7.  Le  prince  d'Orange  fut  à  peu  près  guéri  au  bout  de  deux 
mois.  Le  2  mai  1582,  il  alla  au  temple  rendre  grâces  à  Dieu  (De 
Thou,  liv.  LXXV). 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.  XXII.  337 

messe  qu'à  la  cour  de  Monsieur;  et  le  duc  de  Parme, 
qui  avoit  desjà  rempli  tout  le  pays  de  lettres*  sur  la 
certitude  de  l'assassinat,  envoya  dans  Anvers  confor- 
ter ceux  qui  faisoyent  double  de  prester  ce  nouveau 
serment.  Cependant,  Sesseval-  et  autres  capitaines 
de  Monsieur,  s'estans  approchez  de  Namur,  furent 
cause  que  ceux  d'Aix,  désassiégez,  forcèrent  et  brus- 
lèrent  le  chasteau  de  Calkouen,  faillirent  Namur, 
prindrent  Lans^;  mais,  le  marquis  de  Rombai  les 
investit,  et  en  furent  quittes  pour  le  bagage. 

L'armée  espagnole  marche  au  siège  d'Oudenarde*; 
en  passant  deffait  trois  compagnies  de  la  garnison  de 
Meenen^,  qu'elle  prit  avec  le  chasteau  de  Castens.  Les 
Gantois  firent  quelque  devoir  de  secourir  Oudenarde. 
Le  duc  d'Anjou  aussi  avança  pour  cela,  mais  si  froi- 
dement qu'après  trois  mois  de  siège,  la  ville  se  rendit 
sans  autres  nécessitez  que  manque  de  nouvelles  de  leur 
supérieur.  Pour  relever  ceste  faute,  Monsieur  fit  entre- 
prendre sur  Alloost*^  par  Corbeke,  gouverneur  de 
Bruxelles"^,  et  Famas^,  de  Malines.  Ceste  entreprise 

1 .  Les  lettres  du  prince  de  Parme  aux  États  des  Pays-Bas  sont 
datées  du  25  mars  1582. 

2.  René  de  Senincourt,  s.  de  Sesseval,  favori  de  Louis  de  Cler- 
mont  de  Bussy  d'Amboise. 

3.  Prise  de  Lens  en  Hainaut  par  Montigny,  commencement 
d'avril  1582. 

4.  Oudenarde,  sur  l'Escaut.  Sur  la  prise  de  la  place  par  le  prince 
de  Parme,  voyez  de  Thou,  liv.  LXXV, 

5.  Menin,  dans  la  Flandre  autrichienne,  sur  la  Lys. 

6.  Alost,  sur  la  Dendre.  —  Prise  de  la  place  par  le  duc  d'An- 
jou, 23  avril  1582. 

7.  De  Thou  nomme  le  gouverneur  de  Bruxelles  le  s.  de  Tempel 
(liv.  LXXV). 

8.  Charles  de  Liévin,  s.  de  Famars,  gouverneur  de  Malines. 

VI  22 


338  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

n'eut  autre  invention  qu'une  ferme  opiniastre  escalade, 
par  trois  endroits,  qui  réussit.  Les  Espagnols  empor- 
tèrent Geisbeke*  par  des  hommes  desguisez,  qui  fei- 
gnoyent  venir  du  pillage  d'Alloost.  L'escalade  de  Diest^ 
ne  réussit  pas  si  bien,  car  les  Espagnols  y  perdirent 
deux  cents  hommes,  entrez  et  mal  suivis.  De  mesmes 
ceux  des  Estats,  battus  à  une  entreprise  sur  Ascot^. 
Mais  ils  emportèrent  Tillemont  *  qu'ils  abandonnèrent 
après. 

Le  vingt-quatriesme  juillet,  le  duc^  et  le  prince 
d'Orange,  vef  de  peu  de  jours  par  la  mort  de  Charlotte 
de  Bourbon^,  et  tous  les  grands  du  pays  s'achemi- 
nèrent vers  Bruges',  où,  le  duc  estant  receu  avec  grande 
despense,  l'on  descouvrit  l'entreprise  de  Salcède^  que 
nous  particularisons  en  autre  Ijeu.  De  là,  ayant  fait 
par  les  principales  villes  de  Flandres  plusieurs  entrées, 
la  magnificence  desquelles  n'est  pas  de  notre  labeur  en 
ce  lieu,  aimant  mieux  rendre  compte  de  ce  que  firent 
les  gens  de  guerre  durant  ces  pourmenades,  comme 
de  la  prinse  de  Lière^,  à  trois  lieues  d'Anvers,  trahie 
par  Sympel,  Escossois^^,  capitaine  en  la  garnison, 

1.  Prise  du  fort  de  Gaesbeke  par  les  Espagnols,  fin  avril  1582. 

2.  Diest,  dans  le  Brabant,  sur  la  Demer. 

3.  Arschot,  dans  le  Brabant,  sur  la  Demer. 

4.  Prise  de  Tillemont  par  les  habitants  de  Diest  et  d'Herenthals, 
commencement  de  mai  1582. 

5.  Le  duc  d'Anjou, 

6.  Charlotte  de  Bourbon-Montpensier  mourut  le  5  mai  1582. 

7.  Le  duc  d'Anjou  fit  son  entrée  à  Bruges  le  17  juillet  1582  et 
non  le  24. 

8.  Sur  la  conjuration  de  Salcède,  voyez  le  chap.  xvni  du  présent 
livre. 

9.  Prise  de  Lière  par  les  Espagnols,  31  juillet  1582. 

10.  Guillaume  Semple. 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XXU.  339 

lequel  feignit  de  revenir  d'une  course  de  nuict  avec 
grand  butin  pour  faire  ouvrir  une  porte  qu'il  livra 
aux  Espagnols. 

L'armée  du  duc  estoit  cependant  vers  Dunkerque^ 
et,  le  venant  trouver,  fut  chargée  par  les  Espagnols, 
que  le  colomnel  Norreis  engagea,  defïît  le  baron  de 
Balançon,  ses  troupes  estans  receues  par  Monsieur. 
Le  prince  de  Parme,  qui  avoit  joint  le  comte  Marti- 
nangue  et  Manriquez^,  marcha  pour  combattre.  Mon- 
sieur n'avoit  lors  que  quatre  mil  hommes,  le  gros 
desquels  n'ayant  peu  entrer  dans  la  ville  comme 
avoyent  faict  les  princes,  ils  campèrent  le  vingt-troi- 
siesme  d'aoust  à  un  village^  à  demie-lieue  et  le  lende- 
main battirent  aux  champs  dès  le  poinct  du  jour  à 
veue  des  ennemis  espagnols.  La  Pierre,  mareschal  de 
camp,  jetta  hors  les  jardins  du  village  quelques  qua- 
rante chevaux  sans  ordre,  soustenus  de  six  vingts 
argolets;  et,  durant  une  froide  escarmouche,  qui  fit 
pourtant  penser  aux  Espagnols  qu'il  se  faloit  battre 
au  logis,  la  teste  des  bandes  sortit  commandée  par 
Norreis,  le  colomnel  Bouc*  après  lui,  les  reistres  à^ 
leur  gauche  et  sept  compagnies  d'Anglois  et  François, 
au  milieu,  les  troupes  flamandes  et  escossoises.  La 
retraicte  se  faisoit  par  Sesseval  avec  son  régiment  de 

\.  Un  combat  se  livra  entre  les  Espagnols  et  les  Français  à 
Berg-Saint-Vinox,  près  de  Dunkerque,  le  1"  août  1582. 

2.  Jean  Manrique  de  Lara,  s.  de  Saint-Léonard,  vice-roi  de 
Naples  en  1557. 

3.  La  rencontre  des  années  françaises  et  espagnoles  se  fit  sous 
les  murs  de  Gand  (De  Thou,  liv.  LXXVI). 

4.  Hans  Boock,  colonel  allemand. 

5.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  o  ...  Zm  reistres  de  Mansfeld  à  leur 
gauche...  » 


340  mSTOlRE  UNIVERSELLE. 

cavalerie  et  mille  Anglois  moitié  picquiers.  Ceux  de 
l'escarmouche,  sentans  leurs  compagnies  hors  du  vil- 
lage, regagnent  leurs  chevaux  et  passent  le  village  au 
grand  pas,  où  donnent  aussitost  mille  chevaux  et  deux 
mille  fantassins  espagnols,  qui  passèrent  le  village 
sans  recognoistre.  Mais  ces  troupes,  estans  dans  un 
pays  avantageux,  trouvèrent  une  perpétuelle  semence 
d'embuscades,  par  lesquelles  les  premiers  estans  eschau- 
dez  et  Norreis  avec  ses  Anglois  ayant  renversé  deux 
cents  chevaux,  les  bandes  prirent  place  de  combat  à 
la  faveur  de  la  ville  et  d'un  rempart  bien  artillé.  De 
plus,  Rochepot^,  ayant  fait  sortir  cinquante  ou  soixante 
des  plus  volontaires  par  la  porte  Sainct-Liévain ,  se 
logea  dans  le  fauxbourg  favorablement. 

Le  prince  de  Parme,  estant  arrivé  avec  son  corps 
d'armée,  voulut  faire  paroistre  qu'il  y  estoit  et  fit 
retourner  dans  le  fauxbourg  ceux  qui  en  estoyent 
partis.  Mais,  trou  vans  les  autres  trop  bien  logez  et 
après  perte  des  deux  costez,  il  fit  enterrer  deux  cents 
des  siens  à  la  veue  de  la  ville,  et  avec  bon  ordre  reprit 
le  chemin  par  où  il  estoit  venu.  Le  lendemain  le  duc 
fit  son  entrée  à  Ruremonde^  et  de  là  prit  le  chemin 
d'Anvers^. 

Cependant,  Locum*  estoit  assiégé  par  Verdugo, 
ravitaillé  par  Cuillaume  de  Nassau,  et  cela  par  deux 
fois  ;  à  la  seconde  receu  rudement,  sa  cavallerie  mise 

\ .  Antoine  de  Silly ,  comte  de  Rochefort  et  de  la  Rochepot. 

2.  L'édition  de  1618  porte,  comme  de  Thou,  Denremonde.  — 
Les  habitants  de  Dendermonde  firent  une  réception  magnifique 
au  duc  d'Anjou  (De  Thou,  liv.  LXXYI). 

3.  Arrivée  du  duc  d'Anjou  à  Anvers,  2  septembre  1582. 

4.  Lochem,  dans  la  Gueldre,  sur  la  Berckel.  —  Siège  de  Lochem, 
août  1582. 


LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XXII.  341 

en  route,  mais  ne  laissa  pas  de  couler  dans  le  siège 
Allain^  et  son  régiment,  Verdugo  quittoit  la  ville,  mais, 
ayant  esté  renforcé  de  quinze  cents  hommes  que  le 
comte  de  Mansfeld^  et  Hautepenne  amenèrent,  ils  la 
rassiégèrent  ensemble  encores  vingt-cinq  jours.  Au 
bout  desquels  le  comte  de  Hohenloo^,  fortifié  du  colom- 
nel  Norreis  et  de  quatre  mil  hommes,  François,  Anglois 
ou  reistres,  marcha  la  teste  baissée  au  secours.  Le 
comte  de  Mansfeld  lui  quitta  les  logis  qu'il  avoit  outre 
l'eau.  Le  comte  s'en  saisit,  refit  un  pont  par  lequel 
La  Maurie,  avec  son  régiment  et  les  vivres,  entra  dans 
la  ville.  Le  lendemain,  au  poinct  du  jour,  l'armée  leva 
le  siège  *  pour  prendre  le  chemin  de  Grole  ^  avec  perte 
de  quinze  cents  hommes,  parmi  ceux-là,  du  baron 
d'Enholt  *^.  Les  troupes  de  secours  assiégèrent  et  empor- 
tèrent d'estonnement  Keppel  et  Broncorst. 

Le  duc  d'Anjou,  sur  la  fin  de  septembre,  envoya 
Sainct-Luc  assiéger  et  prendre  Guesbeke  et  Thoulouse, 
et  d'autre  costé  Rochepot,  qui  emporta  Échouen'.  Or, 
se  fortifians  les  armées  des  deux  costez,  celle  de  Mon- 
sieur, de  trois  mille  hommes,  qu'amenèrent  vers  la 
frontière  le  duc  de  Montpensier  et  le  mareschal  de 

1.  Le  s.  d'Allins,  gentilhomme  d'Arles,  en  grande  estime  auprès 
du  roi  de  Navarre,  plusieurs  fois  cité  dans  les  Lettres  de  Henri  IV, 
colonel  de  gens  de  pied  au  service  du  duc  d'Anjou. 

2.  Pierre-Ernest,  comte  de  Mansfeld,  prince  de  l'Empire,  né 
en  1527,  mort  le  2  mai  1604. 

3.  Philippe,  comte  de  Hohenlohe,  fils  de  Louis-Casimir,  comte 
de  Hohenlohe,  né  le  17  février  1550,  mort  le  5  mars  1606. 

4.  Le  capitaine  Verdugo  lève  le  siège  de  Lochem  en  Gueldre, 
24  août  1582. 

5.  troll,  dans  la  Gueldre. 

6.  Le  s.  d'Anholt,  baron  de  Gueldres  et  de  Frise. 

7.  Eckoven,  près  de  Lière  (province  d'Anvers), 


342  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

Biron;  celle  des  Espagnols  bien  autrement,  comme 
de  cinq  mille  Espagnols  sous  Mondragon*  et  Pedro 
de  Pas  2;  d'autant  d'Italiens  sous  Marico  Gardomi  et 
Gamillo  d'Ermonte^,  avec  deux  mil  lanskenets  et  encor 
grand  argent  pour  ses  payements,  si  bien  qu'avec 
ses  autres  bandes,  il  fit  monstre,  en  septembre  1582, 
de  cinquante-deux  mille  hommes  de  pied  et  huict  mille 
chevaux.  Leur  première  besongne  fut  à  faire  quitter 
une  bourgade^  qui  se  fortifioit  entre  Cambrai  et  Valen- 
ciennes,  Chasteau-Gambrésis ,  Bohain,  Nieuwenhove, 
les  chasteaux  de  Lyderkerke  et  Gaisbeke^.  Après  cela 
ceste  grosse  armée,  aussi  bien  que  les  forces  françoises, 
fut  contraincte  par  l'hiver  de  se  disperser  aux  gar- 
nisons. 

Geux  de  Frise  ne  se  retirèrent  pas  si  tost.  Verdugo 
ayant,  par  l'advertissement  d'un  paysan  qui  avoit  tra- 
vaillé aux  fossés,  emporté  d'escalade  Steenvick^  qui 
avoit  tant  cousté,  et  le  comte  de  Hohenloo  ayant  par 
siège  emporté  Mège  et  quelque  chasteau  en  Gueldres, 
Eindove''^  et  autres  petits  forts  indignes  de  nom,  Testât 
du  pays  fut  troublé  par  ce  que  nous  allons  raconter. 

i .  Christophe  de  Mondragon,  vieux  capitaine  qui  servait  dans 
les  armées  espagnoles  depuis  le  règne  de  Charles-Quint. 

2.  De  Thou  le  nomme  Pierre  Pacheco. 

3.  Mario  Gardoino  et  Camille  Bourbon  del  Monte,  d'après  de 
Thou. 

4.  Le  premier  exploit  du  prince  de  Parme  fut  la  prise  de  l'Écluse 
au  commencement  de  novembre  1582. 

5.  Prise  de  Câteau-Cambrésis,  Ninove,  Liedekercke  et  Gaesbeke 
par  le  prince  de  Parme  au  commencement  de  novembre  1582. 

6.  Prise  de  Steenwick,  sur  l'Aa,  par  François  Verduge,  17  no- 
vembre 1582. 

7.  Prise  de  Meghem,  dans  le  Brabant,  sur  la  Meuse,  et  d'Ein- 
doven,  7  janvier  1583. 


LIVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XXU.  343 

Vous  aurez  veu  au  chapitre  de  la  liaison  les  causes 
du  project  de  Monsieur  :  en  voici  l'exécution.  Le  sei- 
zième jour  de  janvier,  AllostS  bourgniaistre  d'Anvers, 
sur  un  advis  qu'il  avoit  receu,  advertit  le  prince 
d'Oranges  d'un  dessein  sur  la  ville  ^.  Les  principaux 
avec  ce  prince  allèrent  sur  le  soir  prier  Monsieur  qu'il 
trouvast  agréable  quelque  garde  extraordinaire  qu'ils 
vouloyent  faire,  comme  estans  advertis  de  plusieurs 
endroits  d'une  entreprise  des  François  sur  leur  ville. 
Monsieur  éluda  ceste  opinion  en  termes  généraux  et 
consentit  ce  qu'il  ne  pouvoit  empescher.  Le  lendemain 
le  prince  d'Oranges  le  va  trouver,  lui  parle  du  dessein 
plus  ouvertement,  le  prie  de  remettre  la  reveue  de 
l'armée  qui  estoit  assignée  à  ce  jour-là,  et  en  tout  cas 
que  sa  personne  ne  sortist  point  de  la  ville.  Monsieur, 
qui  avoit  donné  ce  jour-là  pour  les  exécutions  qui  se 
devoyent  faire  par  tout  le  pays  et  partant  ne  pouvoit 
différer,  se  deffit  du  prince  avec  promesses  doubteuses, 
et,  fort  troublé,  appela  dans  un  cabinet  les  principaux 
des  siens;  entre  ceux-là  Rochepot  et  SessevaP,  qui, 
premiers  moteurs  de  l'entreprise,  ayans  trouvé  tout 
facile,  au  commencement  s'estonnèrent.  Fervaques, 
qui  avoit  contredit  aux  délibérations,  raffermit  le  cœur 
de  Monsieur,  qui,  à  une  heure  après  midi,  accompagné 

1.  Pierre  d'Alost. 

2.  Dans  son  récit  de  la  tentative  du  duc  d'Anjou  sur  Anvers, 
d'Aubigné  a  suivi  en  l'abrégeant  le  beau  récit  de  de  Thou 
(liv.  LXXVII).  La  Correspondance  de  Philippe  II  (t.  III),  les 
Archives  de  la  maison  de  Nassau  de  Groen  Van  Prinsterer  (t.  VII) 
et  la  Correspondance  de  Guillaume  le  Taciturne  (t.  V)  contiennent 
de  nombreux  documents  sur  l'histoire  de  cette  triste  journée. 

3.  Le  s.  de  Sesseval  était  gouverneur  de  Vilvorde,  dans  le  Bra- 
bant,  sur  la  Senne. 


344  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

de  Suisses,  de  François  et  de  deux  cents  gentilshommes, 
sortit  par  la  porte  de  Kipedorp.  Les  deux  ponts  estans 
passez,  les  premiers  retardans  et  ceux  de  derrière 
accourants,  l'entre-deux  des  portes  fut  rempli.  Roche- 
pot  feignit  d'avoir  eu  la  jambe  rompue  en  la  foule. 
Un  bourgeois  de  la  garde*  accourut  pour  le  soulager. 
Il  lui  donna  un  coup  d'espée^  sur  la  teste,  qu'il  avoit 
nue,  comme  tous  les  autres,  pour  faire  honneur  à  leur 
seigneur  passant.  Voilà  tout  le  reste  du  corps  de  garde 
traicté  de  mesme  et  chargé  de  coups  d'espée,  au  poinct 
que  le  mareschal  de  Biron^  descoupla  quatre  cornettes. 
Ceux-là  donnèrent  au  cul  de  la  noblesse,  qui  estoit 
rentrée,  et  après  eux  dix-sept  enseignes  d'infanterie 
emplirent  les  premières  rues,  crians  :  Ville  gagnée  et 
vive  la  messe!  Comme  ceste  foule  emplissoit  la  rue 
neufve  et  celle  de  Kippedorp,  Fervaques  donna  par 
les  remparts  à  la  porte  de  l'empereur  et  gagna  l'artil- 
lerie. Monsieur  avoit  fait  entrer  les  Suisses,  et  autre 
infanterie  après  eux,  en  leur  criant  :  «  Tout  est  à 
nous  !  »  Si  bien  que  le  gros  des  enseignes  estoit  dans 
le  marché  et  la  meelle. 

Il  y  avoit  une  heure  que  l'armée  entroit  quand 
quelques  bourgeois,  résolus  à  la  mort,  emplirent  une 
rue  de  picques  et  hallebardes  et  arrestèrent  une  des 
quatre  cornettes  derrière  eux.  On  forma  quelques  bar- 

1.  Ce  bourgeois  était  un  capitaine  de  la  ville  nommé  Keiser. 

2.  DeThou  attribue  cet  acte  de  trahison  à  un  Français  qu'il  ne 
veut  pas  nommer.  Mais  Brantôme  est  moins  réservé.  Suivant  lui, 
le  coupable  était  le  comte  de  la  Rochepot,  dont  il  est  question 
plus  haut;  l'annotateur  de  la  traduction  en  onze  volumes  (1742, 
liv.  LXXVIII,  p.  271)  désigne  le  s.  de  Sainteval. 

3.  Du  Plessis-Mornay  assure  que  le  maréchal  de  Biron  con- 
damnait formellement  l'entreprise. 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.   XXII.  345 

ricades  de  meubles  jetiez  par  les  fenestres.  Mais  il  la 
falut  aussitost  rompre  pour  laisser  passer  une  grosse 
foule  de  bourgeois  qui  avoit  sept  ou  huict  des  gardes 
du  prince  d'Oranges*  à  leur  teste. 

Après  cela  vindrent  en  bataille  tambour  battant 
toutes  les  forces  de  la  ville.  Les  plus  avancez,  par 
l'ordre  qu'y  mit  le  prince  d'Oranges,  regagnèrent  le 
rempart  et  l'artillerie,  de  laquelle  partie  fut  poinctée 
vers  les  rues,  l'autre  au  dehors  vers  Monsieur;  lequel, 
s'estans  retiré  à  l'abri  du  fauxbourg  aux  premières 
volées,  ne  put  plus  eschauffer  personne  à  entrer.  L'ef- 
froi estant  mis  dans  l'armée,  les  rues  voisines  de  la 
porte  furent  bientost  couvertes  de  morts,  et  l' entre- 
deux des  portes  plein  à  la  hauteur  de  la  bascule. 

Le  meurtre  fut  de  quinze  cents  hommes,  contez  en 
enterrant  tout  à  la  fois,  sans  ceux  qui  depuis  moururent 
à  la  ville  et  au  dehors;  cent  quarante  prisonniers*. 

Ceux  de  la  ville  y  perdirent  aussi  quatre-vingts 
bourgeois,  le  colomnel  Wierendeel,  deux  capitaines  et 
le  sergent-major  2. 

1.  Guillaume  le  Taciturne,  qui  occupait  le  château-fort  d'An- 
vers, n'avait  pas  été  mis  dans  le  secret  de  cette  trahison,  et  le 
duc  d'Anjou  s'était  vainement  efforcé  de  le  faire  sortir  de  la  ville. 
11  prit  les  armes  pendant  le  combat  et  contribua  à  la  déroute  des 
gens  du  duc  d'Anjou.  Voyez  la  Correspondance  de  Guillaume  le 
Taciturne,  t.  V,  p.  80  et  suivantes. 

2.  La  tentative  du  duc  d'Anjou  sur  Anvers  (17  janvier  1583)  est 
connue  chez  les  annalistes  belges  sous  le  nom  de  Journée  de  Saint- 
Antoine.  Tous  les  historiens  l'ont  jugée  comme  elle  le  mérite, 
c'est-à-dire  comme  un  acte  de  trahison  aussi  odieux  dans  son 
principe  que  mal  combiné  dans  son  exécution.  Elle  tourna  contre 
son  auteur  et  marqua  justement  la  fin  de  la  souveraineté  du  duc 
d'Anjou  dans  les  Pays-Bas. 

3.  Le  colonel  Adrien  Vierendeel,  les  capitaines  Reynier  Michaut 
et  Gaspard  de  Hoymaker  et  le  sergent-major  Baltbazar  Thas. 


346  HISTOIRE  UNIVERSELLE. 

Monsieur  gaigna  Rimenant*  pour  donner  à  Wille- 
worde,  escrivant  en  chemin  aux  villes  principales^, 
pour  donner  le  tort  à  ceux  d'Anvers'. 

De  mesme  temps,  les  François  emportèrent  Dixmui- 
den,  Dermondc*  et  Willeworde.  Ceux  de  Bruges  sai- 
sirent La  Fougère,  qui  passoit  par  leur  ville  avec  six 
compagnies,  et  par  là  firent  tout  sortir.  Villeneuve, 
comme  réformé,  rendit  Winokberghe,  qu'il  avoit  prise, 
quand  il  sceut  qu'on  avoit  crié  vive  la  messe  ! 

Cet  accident  n'empescha  point  qu'il  n'y  eust  com- 
missaires, et  du  duc  et  de  ceux  d'Anvers,  pour  traic- 
ter  une  réconciliation,  laquelle  fut  affectée  par  le  prince 
d'Auranges,  qui,  avec  beaucoup  de  peine,  sauva  ce 
qu'il  put  des  enfermez.  On  conut  entre  les  morts  un 
fils  du  mareschal  de  Biron,  un  du  comte  de  Chasteau- 
roux,  Sesseval,  le  baron  du  Vigean,  le  comte  de  Sainct-* 
Aignan  et  Thianges^.  L'un  de  ces  deux  sauta  à  cheval 
dans  le  fossé  de  la  ville  et  y  fut  tué.  C'est  un  long 
discours  du  mal  que  tout  le  reste  de  Monsieur  endura 
par  les  eaux  que  ceux  de  Malines  firent  desborder  en 

1.  Rimenant,  sur  les  bords  de  la  Dyle. 

2.  Lettres  du  duc  d'Anjou  à  Olivier  de  Tempel,  gouverneur  de 
Bruxelles,  et  aux  États  des  Pays-Bas,  20  janvier  1583.  Voyez  le 
contenu  de  ces  lettres  dans  de  Thou,  liv.  LXXVII. 

3.  Le  soir  même  de  sa  fuite  d'Anvers,  le  duc  d'Anjou  écrivit 
une  lettre  au  prince  d'Orange  pour  se  plaindre  de  l'agression  des 
habitants  d'Anvers.  Cette  lettre  est  imprimée  dans  la  Correspon- 
dance du  prince  d'Orange,  t.  V,  p.  78.  Le  sénat  d'Anvers  publia 
plus  tard  une  apologie. 

4.  Dixmuyden,  sur  l'Yperlée.  —  Dendermonde,  au  confluent  de 
la  Dendre  et  de  l'Escaut. 

5.  Armand  de  Gontaut-Biron,  s.  de  Saint-Blancard. — Jean  de 
la  Tour-Landry,  comte  de  Ghàteauroux.  —  René  de  Senincourt, 
s.  de  Sesseval.  —  Gédéon  de  Pons,  baron  du  Vigean.  —  Claude 
de  Beauvilliers,  comte  de  Saint-Agnan. 


LTVRE  DIXIÈME,   CHAP.    XXII.  347 

ouvrant  les  escluses.  Plusieurs  furent  noyez,  et  le  duc 
de  Montpensier  avec  ses  troupes  n'eust  peu  eschapper 
sans  un  paysan  qui  leur  enseigna  un  gué. 

Voilà  Monsieur  baffoué  par  les  principaux  des  siens, 
qui  n'avoyent  point  trempé  à  l'entreprise,  chassé  de 
sa  conqueste,  mocqué  en  France,  en  mespris  aux 
Espagnols  et  en  horreur  aux  Estats. 

La  roine  d'Angleterre,  sur  l'avis  du  prince  d'Au- 
ranges,  despesche  à  Anvers  pour  travailler  à  sa  récon- 
ciliation^. Le  roi,  pour  ce  mesme  efFect,  y  envoya 
Mirambeau^,  et  quand  et  quand  le  prince  d'Auranges 
escrit  un  long  discours  sur  l'utilité  de  ceste  réconci- 
liation^. Bellièvre  y  fut  envoyé  depuis*,  si  bien  qu'ils 
en  vindrent  à  un  traicté  provisionnel,  arresté  le  vingt- 
huictiesme  de  mars^  :  dont  les  principaux  articles 

1.  La  lettre  de  la  reine  d'Angleterre  au  prince  d'Orange,  datée 
du  22  janvier  1583,  est  imprimée  dans  les  Archives  de  la  maison  de 
Nassau,  de  Groen  van  Prinsterer,  t.  VIII,  p.  142,  et  la  réponse 
du  Taciturne  à  la  reine  Elisabeth,  du  14  février,  dans  le  même 
ouvrage,  p.  157. 

2.  François  de  Pons,  s.  de  Mirambeau,  capitaine  protestant, 
eut  audience  du  sénat  d'Anvers  le  7  février  1583. 

3.  Le  prince  d'Orange  fit  deux  communications  aux  États  géné- 
raux au  sujet  du  parti  à  prendre  et  spécialement  au  sujet  de  la 
réconciliation  avec  le  duc  d'Anjou.  La  première  leur  fut  présen- 
tée le  27  janvier  1583  et  est  imprimée  dans  la  Correspondance  de 
Guillaume  le  Taciturne,  t.  V,  p.  302.  La  seconde  communication 
fut  lue  en  langue  flamande  aux  États  le  7  février  et  a  été  publiée  en 
français,  dans  le  même  recueil,  d'après  une  traduction  autorisée, 
p.  95.  Le  parti  espagnol  fit  aussi  une  traduction  du  discours  du 
prince  d'Orange  et  la  publia  {in-4'>,  1583)  avec  ung  esclaircis sèment 
très  utile...  très  injurieux  pour  le  prince  d'Orange. 

4.  De  Thou  (liv.  LXXVII)  analyse  les  propositions  présentées 
au  nom  du  roi  par  Pomponne  de  Bellièvre  au  sénat  d'Anvers. 

5.  Le  traité  du  duc  d'Anjou  et  du  sénat  d'Anvers  fut  signé  à 
Termonde  le  18  mars  1583,  ratifié  le  26  du  même  mois  et  publié 


348  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

estoyent  que  Monsieur  demeurera  à  Dunkerque  pour 
achever  le  traicté;  que  l'on  conviendra  de  certains 
lieux  pour  faire  avancer  l'armée,  avec  plus  libre  usage 
de  la  religion  catholique  qu'il  n'y  avoit  auparavant; 
Dermonde  sera  remis  ;  pour  les  prisonniers,  Monsieur 
fera  rendre  à  Paris  ceux  qui  avoyent  esté  arrestez  à  la 
nouvelle  du  malheur  d'Anvers. 

On  fit  mourir  en  mesme  temps  Cornille  Hooghe*, 
soi-disant  bastard  de  l'empereur  Charles,  Pedro  Dor- 
dogno^,  Espagnol,  et  Hans  Hanssz^,  riche  marchand 
de  Flessingue;  le  premier,  pour  avoir  tramé  une 
révolte;  les  autres  deux,  attenté  sur  la  personne  du 
prince  d'Auranges. 

Sur  telles  desfaveurs  du  parti  des  Estats,  l'Espagnol 
receut  Tndove*  à  composition  des  mains  de  Bonnivet^, 
et  puis  Diest^,  rendue  par  Toker"^  et  Vesterloo^,  où 
commandoit  Uliet;  les  deux  gouverneurs  repris  pour 

à  Anvers  le  2  avril  suivant.  Il  est  imprimé  dans  le  Corps  diploma- 
tique de  Dumont,  t.  V,  p.  434. 

1.  Corneille  Hooge,  né  à  la  Haye,  était  accusé  d'avoir  traité 
avec  le  roi  Philippe  par  le  moyen  d'un  Frison,  nommé  Jean  Rat- 
taler,  qu'il  avait  envoyé  en  Espagne. 

2.  Pierre  Dordonno  avoua  être  venu  exprès  d'Espagne  pour 
assassiner  le  prince  d'Orange. 

3.  Jean  Jansen  avait  tenté  d'assassiner  le  prince  d'Orange  vers 
la  mi-avril  1584. 

4.  Prise  d'Eindoven  par  le  comte  de  Mansfeldt  pour  le  prince 
de  Parme,  23  avril  1583. 

5.  Henri  Goulïier  de  Bonnivet  était  maître  de  la  place  depuis 
le  7  janvier  1583. 

6.  Prise  de  Diest  par  les  Espagnols,  mai  1583. 

7.  L'édition  de  1618  nomme  ce  personnage  Sohei.  —  Le  colonel 
Toecker  était  gouverneur  de  Diest. 

8.  Westerloo,  dans  le  Brabant,  sur  la  Nethe.  —  Prise  de  la 
place  par  les  Espagnols,  5  juin  1583. 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XXD.  349 

avoir  rendu  légèrement,  et  puis  encores  Sichem  et 
Tongerloo;  mais  il  tasta  en  vain  Herental'.  Le  mares- 
chal  de  Biron  prit  VierseP,  où  mourut  le  colomoel 
La  Garde,  et  de  là  saulta  assiéger  et  prendre  Woulde^, 
à  une  lieue  de  Berg-op-Zon  ;  le  capitaine  italien  *  déca- 
pité à  Breda  pour  l'avoir  rendue. 

L'accord  provisionnel  ne  pouvant  ramener  les  cœurs 
des  Estais  à  Monsieur,  il  partit  de  Dunkerke  le  dixhuic- 
tiesme  de  juin  pour  gagner  la  France  ^,  et  ne  fut  pas  si 
tost  deslogé  que  la  ville  fut  investie  par  La  Motte,  gou- 
verneur de  Gravelines,  qui  n'y  eut  pas  plutost  présenté 
quatre  canons  qu'elle  lui  fut  rendue^  par  Chamois'. 

Le  duc  de  Parme,  qui  pensoit  venir  au  siège,  tourna 
vers  Nieuport,  qu'il  eut  aussi  à  bon  marché^.  Le  prince 
d'Aurange  avoit  mis  ordre  à  Ostende,  que  le  Parmezan 
ayant  trouvé  trop  ferme,  il  vint  assiéger  et  emporter 
d'effroy  Furnes  et  Dixmuide^;  delà*^,  à  Sainct-Wines 

1.  Siège  d'Herenthals  par  le  prince  de  Parme,  juillet  1583. 

2.  Prise  de  Wierzel  par  le  maréchal  de  Biron,  avril  1583. 

3.  Siège  et  prise  de  Woude  par  le  maréchal  de  Biron,  10  mai 
1583. 

4.  De  Thou  dit  que  le  château  de  "Woude  appartenait  au  mar- 
quis de  Berghes  et  qu'il  était  défendu  par  150  Italiens;  mais  il 
ne  fait  pas  connaître  le  nom  du  capitaine  qui  commandait  la  gar- 
nison (liv.  LXXVn). 

5.  Le  duc  d'Anjou  arriva  à  Calais  le  28  juin  1583. 

6.  Prise  de  Dunkerque  par  les  Espagnols,  15  juin  1583. 

7.  Le  duc  d'Anjou,  à  son  départ  pour  la  France,  avait  laissé 
le  s.  de  Chamois  à  Dunkerque  avec  500  fantassins. 

8.  La  ville  de  Nieuport  fut  prise  par  le  duc  de  Parme  peu  après 
le  15  juin  1583. 

9.  Les  villes  de  Furnes  et  de  Dixmuyden  furent  prises  par  le  duc 
de  Parme  après  le  15  juin  1583. 

10.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  o ...  Dixmuide;  de  là  à  Berg  et  Sainct- 
Winoc,  où  Villeneuve...  » 


350  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

de  Berghen,  où  Villeneuve  le  fit  démordre  pour  la  pre- 
mière fois,  et  puis  la  rendit  avec  permission  de  Mon- 
sieur, moyennant  trois  mois  de  paye  à  son  régiment  • . 

Cependant,  l'armée  espagnole  séjourne  devant  Ypre, 
ayant  gagné  le  fort  du  Sas,  Hulst  et  Axelé^. 

Le  prince  d'Aurange  se  retire  d'Anvers^,  où  on 
grommeloit  contre  lui,  pour  avoir  voulu  restablir 
Monsieur,  et  le  mareschal  de  Biron,  le  vingt-septiesme 
d'aoust,  s'embarqua  pour  France,  laissant  la  Flandres 
en  mauvais  estât,  comme  il  parut  par  la  perte  de  Gand 
et  de  Bruges,  perdues  en  peu  de  temps,  l'une  par  les 
menées  d'Imbise*,  autresfois  chassé  de  Gand  et  rap- 
pelle par  les  partisans  espagnols  qui  estoyent  en  la 
ville.  Les  Gandois  le  firent  leur  bourgmaistre,  souf- 
frirent qu'il  changeast  tous  les  principaux  officiers;  et 
puis,  exhortez  par  ceux  d'Anvers  et  de  Bruxelles,  firent 
mourir  des  siens  et  puis  lui-mesmes.  Mais  en  fin,  tous 
les  canaux  qui  arrivent  à  Gand  estans  retranchez  et 
garnis  de  forts  qui  furent  blocquez,  et  ces  blocus  enfer- 
mez encor  d'un  retranchement,  si  bien  qu'il  les  falut 
rendre  ;  tout  cela  tournant  au  profit  du  duc  de  Parme  ; 
ses  partisans  Gandois,  après  plusieurs  mutineries,  ayans 

1.  Prise  de  Bergues-Saint-Vinox,  sur  la  Gome,  par  le  prince 
de  Parme,  mars  1583.  M.  le  comte  Kervyn  de  Lettenhove  a  publié, 
dans  les  Huguenots  et  les  Gueux  (t.  VI,  p.  401,  note),  une  curieuse 
lettre  sur  la  capitulation  du  régiment  de  Villeneuve,  qui  date 
approximativement  la  prise  de  Bergues. 

2.  Prise  d'Ypres,  sur  l'Yper,  et  des  forts  du  Sas,  d'Hulst  et 
d'Axelé,  juin  1583. 

3.  Le  prince  d'Orange  sortit  d'Anvers  le  21  juin  1583  et  se 
retira  en  Zélande. 

4.  Jean  d'Imbyse,  étant  à  la  cour  de  l'Électeur  palatin,  avait 
eu  de  secrètes  intelligences  avec  les  Espagnols  par  l'intermédiaire 
de  Jean  Gropper  (De  Thou). 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XXH.  351 

temporisé  jusqu'à  la  fin^  de  septembre,  lui  firent  rendre 
la  ville  avec  assez  favorable  composition-. 

La  seconde  perte  signalée  fut  de  Bruges,  où  il  arriva 
que  deux  convois,  le  premier  de  deux  cents  hommes, 
l'autre  de  huict  cents,  que  ceux  de  la  ville  envoyoyent 
à  Ypre,  furent  defifaits,  avec  fort  petite  perte  des  Espa- 
gnols^; dont  avint  que,  Bruges  manquant  d'hommes, 
il  falut  quitter  Meenen;  et  ainsi,  la  campagne  estant 
espagnole,  le  prince  de  Chimai^,  qui  de  long  temps 
machinoit  son  appoinctement,  induisit  le  peuple,  pre- 
mièrement à  refuser  des  garnisons  qu'on  leur  envoyoit 
de  Zélande,  et  puis  à  quitter  entièrement  le  parti  des 
Estats,  et  encor  le  pays  d'autour^  et  la  ville  de  Dam^. 
Ce  prince,  changeant  de  religion,  fut  abandonné  de  tous 
les  siens,  et  mesmes  de  sa  femme ^,  qui  se  retirèrent 
à  l'Escluse,  où  Junius  fut  envoyé  pour  s'opposer, 
comme  il  fit,  aux  suasions  du  prince  de  Chimay. 

i.  L'édition  de  1618  donne  la  date  du  commencement  de  sep- 
tembre. 

2.  Prise  de  Gand  par  le  prince  de  Parme,  fin  octobre  4583 
(De  Thou,  liv.  LXXVIU). 

3.  Prise  d'Ypres  par  les  Espagnols,  12  avril  1584  (De  Thou, 
Uv.  LXXIX). 

4.  Charles  de  Groy,  prince  de  Chimay,  né  au  château  de  Beau- 
mont  le  !«•■  juillet  1560,  appartenait  au  parti  catholique,  mais  il 
embrassa  la  Réforme  après  son  mariage  (3  sept.  1580)  et  devint, 
en  juin  1583,  gouverneur  de  Bruges.  Il  revint  alors  au  parti 
espagnol.  Ce  fut  sa  dernière  évolution.  Il  resta  fidèle  à  PhiUppe  Et 
et  mourut  le  13  janvier  1612  (Mémoires  anonymes  sur  les  troubles 
des  Pays-Bas,  t.  I,  p.  241,  note). 

5.  Réduction  de  Bruges  à  l'obéissance  du  roi  d'Espagne,  20  mai 
1584,  d'après  les  Mémoires  anonymes  sur  les  Iroubles  des  Pays-Bas, 
t.  I,  p.  242,  note. 

6.  Dam  m,  à  une  lieue  de  Bruges. 

7.  Marie  de  Brimeu,  comtesse  de  Meghem,  veuve  de  Lancelot 
de  Berlaymont. 


352  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

D'une  autre  part,  Zutphen  fut  surpris  de  jour  par 
rintelligence  d'un  soldat  de  la  ville,  qui,  ayant  esté 
abandonné  en  prison,  promit  à  ses  maistres  de  leur 
faire  saisir  un  corps  de  garde;  sur  quoi  ils  le  laissèrent 
aller,  et  exécuta  ce  qu'il  avoit  dit*.  Deventer^,  voisine 
de  là,  fut  bien  tost  incommodée  par  divers  forts,  les- 
quels encor,  estans  biocquez,  furent  tellement  circuis 
des  forces  espagnoles  que  les  assiégeants  se  rendirent 
à  composition. 

Au  commencement  de  l'année  suivante,  ceux  des 
Estats  tastèrent  Zutphen 3,  mais  l'assiégèrent  au  mois 
de  mai  de  plus  près,  estans  fortifiez  par  les  bandes 
qu'Henri  de  Brunsvich*  amenoit  de  la  guerre  de  Gou- 
longne.  Lors  Verdugo,  qui  ne  vouloit  pas  laisser 
perdre  Taxis  ^,  assiégé  dans  la  ville,  ayant  joint  Man- 
riquez  et  le  comte  d'Aremberg^,  fit  lever  le  siège' 
d'effroi.  Le  Parmezan,  méditant  ce  qu'il  appelloit  le 
grand  œuvre  (c'estoit  Anvers),  attacqua  en  mesme 
temps,  du  costé  de  la  Flandres,  Liefkenstronck,  par 
le  vicomte  de  Gand,  qui,  après  un  assaut,  repoussé 
par  les  feux  qu'il  fit  jetter  à  la  bresche,  l'emporta  de 

1.  Surprise  de  Zutphen  par  les  Espagnols,  23  septembre  1583. 

2.  De  venter,  au  confluent  de  l'Yssel  et  de  la  Schipbeck. 

3.  Philippe  de  Marnix,  s.  de  Sainte-Aldegonde,  assiégea  Zut- 
phen au  mois  de  septembre  1584. 

4.  Henri  de  Brunswick,  troisième  fils  d'Ernest,  duc  de  Lune- 
bourg,  né  le  4  juin  1533,  mort  le  17  janvier  1598. 

5.  Jean-Baptiste  de  Tassis,  chevalier  de  Saint-Jacques,  conseil- 
ler et  gentilhomme  de  la  maison  du  roi,  surintendant  général  des 
vivres,  serviteur  fidèle  du  roi  d'Espagne. 

6.  Charles  de  Ligne,  comte  puis  prince  d'Arenberg,  un  des  lieu- 
tenants du  prince  de  Parme. 

7.  Levée  du  siège  de  Zutphen,  septembre  1584. 


LTVRE   DIXIÈME,    CHAP.    XXII.  353 

force,  fit  tout  tuer  et  de  sa  main  poignarda  des  prin- 
cipaux, comme  on  les  lui  amenoit*. 

De  l'autre  costé  de  la  rivière  fut  assiégé  le  fort  de 
rislô*,  que  ceux  d'Anvers  emplirent  de  leurs  meilleurs 
hommes.  Puis  y  mirent  Teligni^,  fils  de  La  Noue;  et 
le  capitaine  Gau,  gascon'^,  avec  sa  compagnie,  en  def- 
fit  cinq  à  la  première  sortie.  Le  colomnel  Balfour^  se 
jetta  aussi  dans  ce  siège,  qui,  à  une  sortie,  prit  des 
prisonniers,  desquels  les  assiégez  apprirent  par  où  on 
les  vouloit  miner  et  battre  ;  dont  avint  qu'eux-mesmes 
eurent  une  mine  preste  à  l'endroit  de  la  bresche.  Mais, 
pour  y  avoir  mis  le  feu  trop  tost,  ils  firent  sauter 
trente  de  leurs  meilleurs  hommes. 

Les  Espagnols,  ayans  bien  recognu  la  force  de  ceste 
place,  après  trois  sepmaines  de  siège,  la  quittèrent, 
se  contentans  de  semer  la  rivière  et  le  pays  de  quelques 
forts.  Ceux  qui  avoyent  défendu  l'Islo  se  mutinèrent 
pour  leur  non-payement,  chassèrent  Teligni  leur  chef 
et  contraignirent  ceux  d'Anvers  à  leur  payement,  de 
peur  qu'ils  ne  livrassent  le  fort^. 

Comme  Anvers  et  les  autres  villes  commençoyent 
à  appréhender  leur  mauvaise  condition,  leur  arriva 
la  mort  du  prince  d'Oranges,  tué  le  dixième  de  juillet 

1.  Prise  de  Liefkenshoeck,  sur  l'Escaut,  par  Robert  de  Melun, 
marquis  de  Roubaix,  capitaine  espagnol,  10  juillet  1584. 

2.  Le  fort  de  Lillo,  sur  l'Escaut,  près  d'Anvers. 

3.  Odet  de  la  Noue,  s.  de  Téligny,  Ois  de  François  de  la  Noue, 
capitaine  et  poète,  mort  en  août  1618. 

4.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  capitaine  Gau,  gasain,  avec  sa 
compagnie...  » 

5.  Jacques  Balfour,  jurisconsulte  écossais,  membre  du  conseil 
privé  de  la  reine  en  1565,  mort  en  1583. 

6.  Sur  le  siège  de  Lillo  par  les  Espagnols,  voyez  de  Thou, 
liv.  LXXX. 

VI  23 


354  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

à  Delf,  OÙ  il  demeuroit  depuis  un  an,  par  un  Baltha- 
zard  Girard \  haut  Bourguignon;  lequel,  s'estant  fait 
cognoistre  et  faisant  semblant  de  vouloir  faire  signer 
un  passeport,  donna  un  coup  de  pistolet  au  prince 
dans  l'estoinach.  Ses  dernières  paroles  furent  :  «  Mon 
Dieu,  aye  pitié  de  mon  âme  et  de  ce  pauvre  peuple!  » 

Ainsi  mourut^  ce  grand  homme  de  guerre  et  d'Es- 
tat,  qui,  ayant  esté  grand  instrument  des  victoires  de 
Charles  le  Quint,  donna  le  bransle  à  la  liberté  de  sa 
patrie. 

L'histoire  des  Pays-Bas  descrit  les  confessions  et  le 
supphce  du  criminel;  par  où  il  parut  qu'Assonville^ 
avoit  esté  chargé  du  duc  de  Parme  pour  mesnager  cet 
affaire,  auquel  il  fut  conforté  par  un  Jésuite  de  Trêves^ 
qui  lui  promit  qu'il  seroit  au  catalogue  des  saincts 
martyrs. 

Le  prince  d'Oranges  avoit  depuis  peu  espousé  la 
vefve  de  Teligny^,  de  laquelle  est  nay  le  comte  Henri 
Federic^. 

1.  Balthazar  Gérard,  né  à  Villefaus  dans  la  Franche-Comté, 
était  au  service  de  M'  Pierre  Loiseleur,  dit  de  Villiers,  ministre 
protestant. 

2.  Assassinat  du  prince  d'Orange,  10  juillet  1584.  M.  Gachard 
a  publié  dans  la  Correspondance  de  Guillaume  le  Taciturne  (t.  VI, 
p.  3  et  suiv.)  un  grand  nombre  de  pièces,  mémoires,  lettres  et 
relations  relatives  à  la  mort  de  ce  prince. 

3.  Christophe  d'Assonville  était  le  chef  du  conseil  du  prince  de 
Parme. 

4.  Les  conférences  de  Balthazar  Gérard  avec  le  jésuite  de 
Trêves  avaient  eu  lieu,  dit  de  Thou,  au  mois  de  mars  précédent 
(liv.  LXXIX).       . 

5.  Louise  de  Coligny,  veuve  de  Charles  de  Téligny,  quatrième 
femme  du  prince  d'Orange. 

6.  Henri-Frédéric  de  Nassau,  fils  de  Guillaume  de  Nassau  et 
de  Louise  de  Coligny,  sa  quatrième  femme,  né  le  28  février  1584, 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XXII.  355 

Les  Estais  esleurent  promptement  le  prince  Mau- 
rice S  son  second  fils,  pour  capitaine  général;  élection 
qui  a  réussi,  comme  nous  verrons. 

Sur  ceste  mort,  le  duc  de  Parme  assiégea  Rure- 
monde^,  où  la  capitulation^  fut  faussée  par  la  mort 
des  deux  ministres,  chose  qui  n'est  guères  arrivée  à 
ce  prince.  Il  receut  aussi  Willev^rorde*.  Par  ce  moyen, 
Bruxelles  demeurant  sans  navigation,  ce  fut  aux  Estais 
à  despescher  en  France^  et  en  Angleterre,  d'où  ils 
n'eurent  que  des  promesses  générales.  Leurs  des- 
pesches  se  firent  de  Delf,  où  ils  estoyent  assemblez. 
Des  Pruneaux^'  y  fut  de  la  part  du  roi.  Il  y  vint  aussi 
un  ambassadeur,  de  la  part  de  deux  évesques  électeurs, 
mais  ils  le  chassèrent,  disants  :  «  Qu'ils  avoyent  assez 
d'espions  sans  lui.  » 

mort  le  14  mars  1647.  —  L'édition  de  1618  ne  donne  pas  le  pré- 
nom de  ce  prince. 

1.  Maurice  de  Nassau,  prince  d'Orange,  fils  de  Guillaume  le 
Taciturne,  né  à  Dillembourg  en  1567,  était  élève  de  l'université 
de  Leyde  lorsque  son  père  fut  assassiné.  Malgré  son  jeune  âge, 
il  prit  en  main  le  gouvernement  des  Provinces-Unies  et  tint  tête, 
avec  de  faibles  ressources,  à  toute  la  puissance  espagnole  pendant 
plus  de  trente  ans.  Maurice  fut  un  des  plus  grands  généraux  de 
son  siècle  et  mériterait  tous  les  éloges  si  la  fin  de  sa  vie  avait  été 
marquée  par  autant  de  modération  que  ses  débuts.  Il  mourut  à 
la  Haye,  victorieux  de  ses  ennemis,  le  23  avril  1625. 

2.  Aubigné  confond  ici  Ruremonde  et  Dendermonde.  La  ville  de 
Dendermonde  fut  assiégée  par  les  Espagnols  le  10  août  1584.  — 
Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  assiégea  Lobek,  où  la  capitulation...  » 

3.  La  capitulation  de  Dendermonde  fut  signée  le  17  août  1584. 

4.  Prise  de  Wilvorde  par  les  Espagnols,  7  septembre  1584. 

5.  L'ambassade  des  Pays-Bas,  dont  le  prince  d'Epinoy  était  le 
chef,  partit  de  la  Brille,  au  commencement  de  janvier  1585,  et 
arriva  à  Senlis  dans  le  même  mois,  où  elle  attendit  Henri  IIL 

6.  Roch  des  Sorbiers,  s.  des  Pruneaux,  autrefois  conseiller 
intime  du  duc  d'Anjou. 


356  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

Nous  sommes  au  siège  d'Anvers,  pour  le  commen- 
cement duquel  la  rivière  fut  bordée  de  quatre-vingts 
pièces  de  gros  canon  et  quarante  bastardes  '  ;  cela  sous 
la  tutelle  de  divers  forts.  Les  navires  de  Zélande  ne 
laissans  pas  de  passer  avec  quelques  risques,  le  duc 
pressa  la  rivière  par  d'autres  forts  des  deux  costez. 
Les  ennemis  en  maintenoyent  d'autres,  notamment 
ceux  d'Austerveel  et  de  Thoulouze,  pour  les  foudroyer. 

Ceux  d'Anvers  édifièrent  un  chasteau  flottant,  qui 
fut  nommé  Fin  de  guerre.  Les  parapets  en  estoyent 
espais  de  cinq  pieds,  et  ceux  de  quatre  petits  boule- 
vards de  dix;  les  hunes,  à  preuve  du  mousquet.  Il  y 
avoit  dedans  quarante  canons  de  grosse  batterie  et 
autre  menue  artillerie;  pour  garnison,  cinq  cents 
mousquetaires.  Geste  lourde  pièce,  de  grand  coust,  se 
perdit  à  son  premier  exploit,  demeurant  assablée  et 
sur  le  costé,  près  des  forts  ennemis-;  si  bien  que  ceux 
d'Anvers  eurent  à  grand  gain  d'en  sauver  l'artillerie, 
avec  leurs  autres  vaisseaux.  Ils  eurent  recours  à  per- 
cer la  digue  au-dessus  du  Burcht^,  pour  noyer  l'envi- 
ron  de  Caloo*.  Mais,  faute  d'avoir  laissé  garde  au 
pertuis,  comme  depuis  ils  y  firent  le  fort  de  Teligni, 
mais  trop  tard,  le  duc  fit  passer  grand'quantité  de 
pleites,  qui  venoyent  de  Gand,  et  tout  l'équippage  du 
pont,  qu'il  machinoit  faire  pour  passer  Gordan  ^,  à 
Baloo  ;  et  cela  à  deux  fins,  l'une  pour  oster  le  secours 

1.  Commencement  du  siège  d'Anvers  par  le  duc  de  Parme, 
septembre  1584. 

2.  Ces  détails  techniques  sont  tirés  de  de  Thou  (liv.  LXXX). 

3.  Brucht,  dans  la  Flandre  orientale,  près  de  Saint-Nicolas. 

4.  Galloo,  dans  le  Waës,  sur  l'Escaut. 

5.  Le  capitaine  Gordon,  Écossais,  fut  tué  au  combat  d'Austrewel. 
—  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  pour  passer  d'Haorden  à  Galoo...  » 


LIVRE   DIXIÈME,   CHAP.    XXH.  357 

de  Zélande  et  aussi  afin  qu'une  partie  de  l'armée  peust 
secourir  l'autre. 

Dès  lors  commença  la  rumeur  d'Anvers,  pour 
demander  la  reddition.  Mais  Saincte-Aldegonde,  ayant 
rallié  les  plus  fermes,  harangua,  sans  oublier  le  rude 
traittement  que  recevoyent  desjà  ceux  de  Gand,  et 
puis  fit  mettre  cinquante -quatre  prisonniers,  qui 
avoyent  osé  présenter  requeste  pour  la  capitulation. 

En  peu  de  temps  le  prince  acheva  son  pont^ ,  duquel 
au  commencement  il  ne  fit  lier  les  pleites  qu'avec  des 
cables,  dont  avint  que  sept  ou  huict  petits  garçons, 
sur  le  point  de  la  marée,  allèrent  de  nuict  scier  les 
cables  :  ce  qui  fit  que  huict  ou  neuf  batteaux  du  pont 
furent  emportez  jusques  à  Anvers.  Gela  fut  bientost 
raccoustré. 

Les  Anglois,  qui  estoyent  logez  au  fauxbourg  de 
Burgerhout^,  se  desroboyent  par  troupes  pour  aller 
trouver  le  duc,  qui  les  recevoit  avec  présents. 

Teligni,  allant  vers  Gonvestein  pour  une  entreprise 
de  percer  la  digue  (ce  que  les  bouchers  de  la  ville 
empeschèrent  mal  à  propos),  fut  pris^,  et,  ce  jour 
mesme,  un  espion,  que  le  prince  renvoya  à  Anvers, 
lui  donnant  la  vie  pour  raconter  ce  qu'il  avoit  veu. 

Encor  falut-il  que  ceste  ville  eust  soin  de  Bruxelles. 
Mais  deux  de  leurs  convois  furent  defifaicts  et  les  Bru- 

1.  Les  Espagnols  terminèrent  le  pont  sur  l'Escaut  en  mars  1585. 
Ils  l'avaient  commencé  en  octobre  1584.  Voyez  la  description  du 
pont  dans  de  Thou,  liv.  LXXXIII. 

2.  Borgherout.  Cette  place  fut  prise  un  peu  plus  tard  par  les 
Espagnols,  juin  1585. 

3.  Odet  de  la  Noue,  s.  de  Téligny,  fut  pris  et  emmené  prison- 
nier à  Tournai  par  Gaspard  de  Robles,  s.  de  Billy. 


358  HISTOIRE    UNIVERSELLE. 

xellois  réduits  à  telle  faim  que,  peu  de  jours  après, 
ils  composèrent*  presques  comme  ceux  de  Gand. 

En  Frise,  Niewenoort  s'empara  d'Auterdom^,  sur 
la  rivière  d'Ems.  Verdugo,  qui  l'avoit  voulu  fortifier, 
l'assiégea  en  vain. 

De  ce  temps  fut  l'entreprise^  de  Bois-le-Duc  par  le 
comte  d'Hohenloo.  Cinquante  hommes  s'estoyent  cou- 
lez entre  le  tappecul  et  le  pont-levis,  lesquels,  ayans 
au  poinct  du  jour  surpris  ceux  qui  vouloyent  faire  la 
descouverte,  saisirent  le  corps  de  garde  et  firent  entrer 
le  comte,  qui  ne  faillit  pas  de  laisser  quarante  hommes 
sur  la  porte,  pour  favoriser  l'entrée  de  toutes  les 
forces.  Ces  quarante,  ayans  laissé  pour  mort  un  vieil- 
lard qui  gardoit  la  herse,  quittèrent  leur  place  pour 
aller  prendre  leur  part  du  pillage. 

Le  soir  d'auparavant  s'estoit  retiré  dans  la  ville  une 
compagnie  de  chevaux-légers,  et  quelques  arquebu- 
ziers  employez  pour  un  convoi.  Ces  gens,  voulans  par- 
tir au  poinct  du  jour,  se  trouvèrent  le  cul  sur  la  selle 
comme  on  prenoit  la  ville.  Ils  courent  à  l'alarme.  Les 
gens  du  comte,  qui  estoyent  desjà  à  la  place,  voyent 
venir  à  eux  quarante  lances.  Pource  qu'ils  sçavoyent 
bien  que  la  ville  estoit  sans  garnison,  ils  prennent  cela 
pour  une  attrape.  Ce  fut  à  sauve  qui  peut,  et  le  vieil- 
lard demi-mort  abbattit  la  herse  et  reprit  vie,  pour 
la  faire  perdre  à  plus  de  trois  cents  hommes.  Le  comte 

1.  Le  duc  de  Parme  se  rendit  maître  de  Bruxelles  le  13  mars 
1585.  De  Thou  a  rapporté  les  conditions  du  traité  (liv.  LXXXIII). 

2.  Prise  d'Ordam  par  Nienvort,  commencement  de  mai  1585. 

3.  Coup  de  main  du  comte  d'Hohenlohe  sur  Bois-le-Duc,  19  jan- 
vier 1585,  à  la  persuasion  de  Julien  de  Gleerhage,  officier  dans 
le  régiment  d'Iselstein. 


LIVRE  DIXIEME,   CHAP.   XXII.  359 

et  l'amiral  de  Hollande^  se  sauvèrent  avec  grandes 
difficultez. 

Cependant  que  ceux  d'Anvers  travailloyent,  les  uns 
pour  la  capitulation,  les  autres  à  l'empescher,  par 
harangue,  sermens  et  rigueurs,  le  pont  estant  bien 
parfaict  sur  trente  et  un  bateaux,  liez  avec  ancres, 
tout  si  commodément  que  les  chevaux  et  l'artillerie 
pouvoyent  passer,  il  le  falut  armer  d'une  haison  de 
masts  de  navires,  défendus  encor  de  plusieurs  paux, 
que  les  Italiens  appellent  Stecchi;  et  de  là  ceste  ceinc- 
ture  fut  appellée  Steccata  et  non  pas  VEstocquade, 
qu'ont  escrit  les  Flamens,  par  le  mesme  erreur  qui  a 
fait  donner  ce  nom  aux  duels. 

Ceux  d'Anvers,  par  l'invention  de  Saincte-Alde- 
gonde,  firent,  dedans  un  grand  navire,  comme  une 
cave  voûtée  de  briques'^.  Et  cela  encores  environné 
de  plusieurs  meules  de  moulin  et  pierres  pesantes; 
tout  cela  bien  farci  de  poudres  avec  quelques  pertuis, 
pour  faire  tomber  des  mesches,  quand  elles  auroyent 
bruslé  l'attache  de  filet.  Il  fut  mis  à  la  Drive  le  qua- 
triesme  d'avril^.  Et,  par  le  moyen  d'un  grand  bois, 
servant  de  gouvernail  lié,  ceste  machine  alla  briser  le 
pont  et  la  stecade,  ne  se  contenta  pas  de  mettre  tout 
en  pièces,  alla  tuer  dedans  les  deux  forts,  des  deux 
costez  et  sur  la  rive,  de  sept  à  huict  cents  hommes; 

1.  Justin  de  Nassau,  fils  naturel  de  Guillaume  de  Nassau, 
prince  d'Orange. 

2.  Philippe  de  Marnix,  s.  de  Sainte-Aldegonde,  confia  le  soin 
de  cette  construction  à  Frédéric  Jenibelli,  de  Mantoue. 

3.  Cette  date  est  empruntée  à  de  Thou,  qui  fait  une  descrip- 
tion détaillée  de  la  machine  de  guerre  des  défenseurs  d'Anvers 
(liv.  LXXXUI). 


360  HISTOIUE   UNIVERSELLE. 

entr'iceux  le  vicomte  de  Gand,  Gaspar  Robles^,  et  Tor- 
chies,  capitaines  signalez  ;  ces  deux  premiers  appeliez 
bourreaux  par  les  soldats. 

A  l'efifroi  de  ce  coup,  les  Holandois  et  Zélandois 
emportèrent  les  forts  de  Liefkenshoëk  et  du  Doël  ^  ;  le 
capitaine  du  premier  puni  de  mort  par  le  duc  à  cause 
de  sa  lascheté.  Ceux  d'Anvers  n'entreprirent  rien  sur 
cet  estonnement.  On  dit  qu'ils  eussent  fait  merveilles, 
en  prenant  l'occasion.  Là-dessus,  ils  reçoivent  nou- 
velles comment  Nieumeghe,  gardée  par  les  deux  reli- 
gions, s'estoit  prise  elle-mesme  et  donnée  à  l'Espagnol, 
comme  aussi  Nievembeech  en  Frise  et  Doesbourg  sur 
YsseP. 

La  Frise  estoit  gourmandée  à  tour  de  roolle  par 
Verdugo,  qui  se  saisit  de  Recterlem  et  Ruiemberg  et 
emporta  par  composition  Schulembourg  *,  et  cepen- 
dant Guillaume  de  Nassau  en  assiégea  et  prit  d'autres, 
et  notamment  Slykembourg^ 

Je  ne  vous  dirai  plus  que  la  reddition  de  Malines^, 
presque  pareille  aux  autres,  avant  que  d'achever  le 
faict  d'Anvers,  à  qui  toutes  choses  succédoyent  de 
mal  en  pis,  comme  de  seize  pleites  accommodées  pour 
porter  le  feu  au  pont,  et  les  stecades  refaictes,  cinq 
navires  qui  estoyent  en  garde  au-devant,  comme  aussi 

1.  Gaspard  de  Robles,  s.  de  Billy. 

2.  Prise  des  forts  de  Liefkenshoeck  et  du  Doël,  3  avril  1585. 

3.  Prise  de  Nimègue,  Nievembeeck  et  Duysbourg  par  les  Espa- 
gnols, fin  janvier  1585. 

4.  François  Verdugo  s'empara  de  Reichteren,  de  Ruytemberg 
et  de  Schuylembourg  à  la  fin  de  mai  1585. 

5.  Prise  du  fort  de  Slykembourg,  entre  Kuynder  et  Steenwyck, 
par  Guillaume  de  Nassau,  23  mai  1585. 

6.  Malines  se  rendit  aux  Espagnols  le  18  juin  1585. 


LIVRE   DIXIÈME,   CHAP.   XXD.  361 

des  autres  navires,  pour  le  mesme  efifect,  desquels 
mesmes  ils  eurent  la  poudre. 

Or,  pource  que  les  réformez  avoyent  esté  une  fois 
repoussez,  en  pensant  percer  la  digue  à  Convestein^, 
les  Holandois  et  Zélandois,  qui  avoyent  perdu  quelques 
navires  à  feu,  qu'ils  vouloyent  aussi  faire  monter  à  la 
marée,  donnèrent  au  poinct  du  jour  avec  cent  trente 
vaisseaux,  et  firent  une  si  furieuse  batterie,  à  fleur  de 
la  digue,  qu'ils  la  firent  quitter,  ensemble  les  ridotes 
aux  Espagnols^.  Gela  faict,  mettent  pied  à  terre,  for- 
tifient les  deux  costez  à  double  retranchement,  l'un 
pour  couvrir  les  pionniers  qui  faisoyent  le  principal. 
Ils  eurent  quand  et  quand  les  Espagnols  sur  les  bras, 
qu'ils  arrestèrent  sur  le  cul,  si  bien  qu'en  trois  heures 
ils  eurent  fait  passage  à  leurs  batteaux  pour  porter 
du  bled  dans  Anvers. 

Le  duc  de  Parme,  trouvant  ses  gens  refroidis,  pour 
la  quantité  d'hommes  qui  estoyent  morts  en  ceste 
petite  bataille,  et  entre  ceux-là  Pedro  de  Padille^,  fut 
secouru  par  Charles  de  Mansfeld;  lequel,  repoussé  par 
deux  fois,  l'emporta  à  la  troisiesme  par  la  ruine  que 
trois  canons  lui  firent,  et  cela  en  donnant  avantage 
aux  bandes  allemandes  sur  les  espagnoles.  Là,  ceux 
qui,  de  la  digue,  s'estoyent  sauvez  dans  les  navires, 
firent  leur  retraicte  si  à  regret  que  trente  de  leurs 
navires,  desgarnis  comme  ils  peurent,  y  demeurèrent. 


1.  Entreprise  de  Philippe,  comte  de  Hohenlohe,  et  du  colonel 
Iselstein  sur  le  fort  de  Conwenstein,  7  mai  1585. 

2.  Les  troupes  de  Hollande  et  de  Zélande  attaquèrent  le  fort  de 
Conwenstein  le  26  mai  1585.  De  Thou  (liv.  LXXXIII)  donne 
de  nombreux  détails  sur  ce  combat. 

3.  De  Thou  le  nomme  Simon  de  Padilla. 


362  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

Ce  combat  cousta  aux  uns  et  aux  autres  1 ,500  hommes. 
Le  lendemain,  ceux  de  la  ville  perdirent  encores  un 
grand  batteau  et  trois  galères,  pource  que  le  prince, 
ayant  esté  averti,  y  envoya  Mansfeld  et  ses  meilleurs 
navires.  Un  autre  dessein  de  Zélande,  avec  de  grandes 
hourques  toutes  rompues,  vint  à  rien  par  faute  de  vent. 
Ces  assiégez  receurent  froidement  une  autre  grande 
invention  pour  brusler  le  pont;  et  puis,  en  mesme 
temps,  sachant  la  desroute  du  comte  de  Meurs^,  attiré 
par  Taxis  en  une  embuscade,  où  il  avoit  perdu  quatre 
cornettes  et  quatre  cents  hommes  de  pied,  voyant 
aussitost  encores  le  fauxbourg  de  Burgerhout^  et  plu- 
sieurs forts  et  retranchements,  qui  estoyent  dedans, 
emportez  à  bon  marché,  sachans  aussi,  en  mesme 
temps,  deux  compagnies  de  Malines  battues  à  la  cam- 
pagne et  puis  la  ville  rendue,  après  avoir  encor' essayé 
quelques  navires  foudroyans,  que  ceux  du  pont  lais- 
sèrent passer;  enfin,  le  23  de  juillet,  ils  entrèrent  en 
un  traicté^  qui  dura  jusques  au  17  d'aoust.  Et,  dix 

i .  Adolphe  de  Newenar,  comte  de  Meurs  et  d'Alpen. 

2.  Prise  de  Borgherhout  par  les  Espagnols,  juin  1585. 

3.  Le  6  juillet  1585,  le  conseil  de  la  ville  d'Anvers  autorise  les 
négociations  de  Marnix  de  Sainte-Aldegonde  avec  le  prince  de 
Parme.  Le  9,  Marnix  et  les  autres  députés  sont  reçus  au  camp 
espagnol  et  ouvrent  des  négociations  qui  n'amènent  aucun  résul- 
tat. Le  23  juillet,  elles  sont  reprises.  Le  10  août,  le  conseil  donne 
à  Marnix  les  pouvoirs  nécessaires  pour  capituler.  Le  12,  Marnix 
retourne  au  camp  du  prince  de  Parme.  Le  17,  il  signe  l'acte  de 
capitulation.  Le  27  août,  le  général  espagnol  fait  une  entrée  solen- 
nelle à  Anvers.  Telles  sont  les  péripéties  de  cet  événement  d'après 
les  témoignages  originaux.  Nous  devons  ajouter  que  la  faiblesse 
de  la  défense,  surtout  dans  les  derniers  jours  du  siège,  a  été  repro- 
chée à  Marnix  de  Sainte-Aldegonde  comme  une  trahison.  L'acte 
de  capitulation  d'Anvers  a  été  imprimé  dans  les  Mémoires  de  la 
Ligue,  t.  I,  p.  201. 


LIVRE  DIXIÈME,    CHAP.    XXII.  363 

jours  après,  le  duc  de  Parme  fit  son  entrée  en  Ja  ville^; 
où,  se  rencontrant  La  Noue,  qui  venoit  d'estre  déli- 
vré pour  le  duc  d'Egmont^,  comme  le  prisonnier  eut 
dit  :  <  Je  vous  conseille  de  combler  ici  vos  victoires 
et  de  pendre  vostre  espée  au  croc,  »  le  prince  res- 
pondit  :  «  Vous  dites  vrai.  Monsieur  de  la  Noue,  mes 
amis  et  moi  en  disons  autant  ;  mais  le  service  du  roi, 
à  qui  je  suis  engagé,  ne  me  permet  de  choisir.  > 

La  Noue  avoit  esté  pris  à  Engelmontier^  à  une  ren- 
contre fortuite,  où,  selon  sa  coustume,  il  aima  mieux 
estre  prisonnier  que  fuyard  ;  ce  fut  l'an  1 580  ;  d'où  il 
sortit  au  bout  de  cinq  ans'*,  avec  promesse  de  ne  faire 
la  guerre  au  Pays-Bas,  pleigée  par  le  duc  de  Lorraine^ 
et  c^ntrepleigée  par  le  roi  de  Navarre. 

1.  De  Thou  décrit  les  préparatifs  de  réception  du  prince  de 
Parme  à  Anvers  (liv.  LXXXIH). 

2.  Philippe,  comte  d'Egmont,  avait  été  pris  à  Ninove  par  Fran- 
çois de  la  Noue,  le  20  mars  1580,  et  amené  prisonnier  d'abord 
à  Gand,  puis  au  fort  de  Rammekens,  en  Zélande  (De  Thou, 
Uv.  LXXI). 

S.'François  de  la  Noue  avait  été  pris  à  Ingelmunster,  sur  le  Man- 
delbeke,  le  10  mai  1580,  par  Pierre  de  Melun,  marquis  de  Riche- 
bourg,  et  amené  prisonnier  au  château  de  Limbourg.  Traité 
d'abord  en  espion,  il  n'obtint  les  égards  dus  à  un  prisonnier  de 
guerre  que  sur  une  déclaration  particuUère  du  duc  d'Anjou. 
Cette  déclaration,  datée  du  20  mai,  est  conservée  aux  Archives 
nationales,  K  1558,  n»  128. 

4.  L'accord  passé  entre  François  de  la  Noue  et  le  prince  de 
Parme,  à  la  suite  duquel  La  Noue  fut  mis  en  liberté,  est  daté  du 
28  juin  1585  et  imprimé  dans  la  Correspondance  de  François  de  la 
Noue,  in-8°,  1854,  p.  233. 

5.  Une  lettre  du  duc  de  Lorraine  au  roi  de  France,  datée  de 
Nancy  du  9  septembre  1585,  énumère  et  explique  ces  conditions 
(Orig.,  Vc  de  Golbert,  vol.  9,  f.  318). 


364  HISTOIRE   UmVERSELLE. 

Chapitre  XXIII. 

DE  L'ÉDICT  DE  JUILLET. 

Première  paix  avec  les  Liguez. 

Sans  enfler  nostre  ouvrage  du  style  des  édicts,  nous 
nous  contenterons  que,  par  celui  de  juillet*,  première- 
ment :  tous  autres  édicts,  de  quelque  sorte  qu'ils  soyent, 
donnez  en  faveur  des  réformez,  sont  entièrement  révo- 
quez et  annuliez;  et  cela  après  un  narré,  duquel  le 
style  estoit  plus  à  l'apparence  qu'à  faire  foi. 

Commandement  à  tous  ministres,  docteurs  et  pré- 
dicateurs de  ladite  religion  de  vuider  promptement 
le  royaume  sur  peine  de  mort. 

A  tous  autres  de  ladite  religion  d'en  venir  faire 
abnégation  dans  six  mois  et  profession  ouverte  de  la 
catholique  ou  bien  dans  ledict  temps  sortir  hors  toutes 
les  terres  de  l'obéyssance  du  roi,  avec  un  ordre  exprès 
pour  les  perquisitions  et  poursuittes,  tant  par  la  jus- 
tice ordinaire  que  prévosts  des  mareschaux. 

Les  armées  des  Lorrains,  leurs  commissions  et 
exploits  de  guerre  avouez  et  validez,  comme  ayant 
esté  toutes  leurs  levées  faites  pour  le  pur  service  du 
roi;  à  la  charge,  toutesfois,  qu'ils  poseront  les  armes 
partout,  le  mesme  jour  de  la  publication,  et  qu'ils  se 
départiront  de  toutes  ligues  et  associations,  tant  dehors 
le  royaume  que  dedans. 

1.  L'édit  de  juillet  1585,  signé  par  le  roi  après  le  traité  de  la 
reine  avec  les  ligueurs,  dit  traité  de  Nemours,  est  publié  par  Fon- 
tanon,  t.  IV,  p.  343.  Voyez  les  notes  du  chap.  xu  de  ce  livre. 


LIVRE   DIXIÈME,    GHAP.    XXHI.  .  365 

Voilà  des  clauses  tant  inespérées  aux  réformez  que, 
comme  ils  s'estoyent  fomentez  de  bonne  espérance, 
se  vantans  partout  qu'ils  parleroyent  comme  les  ser- 
gens  de  par  le  roi,  chacun  s'estant  promis,  en  une 
paix  asseurée,  ou  un  repos  ou  une  guerre  sans  les 
incommoditez  huguenotes,  les  esprits  n'ayans  point 
pris  leur  résolution  à  quitter  bien  et  familles,  comme 
de  coustume.  Ce  coup  non  attendu  et  bientost  redou- 
blé par  un  second  édict\  qui  accourcissoit  les  termes 
de  moitié,  donna  un  tel  effroi  par  toutes  les  parts 
du  royaume  qu'il  fit  aller  à  la  messe  trois  fois  plus 
de  refformez  que  n'avoit  faict  la  Sainct-Barthélemi. 

Les  gens  de  guerre,  qui  s'estoyent  meslez  dans  les 
bandes  catholiques,  furent  bien  contens  d'y  garder 
leurs  places  et  faire  la  guerre  à  leurs  compagnons. 

Le  roi  de  Navarre,  voyant  son  cousin  qui  jouoit  le 
personnage  du  mauvais  hors  de  France,  perdit  le  ris 
de  son  désastre  ^  pour  le  fardeau  qui  lui  demeuroit 
sur  la  teste  ;  la  rigueur  de  l'édict  se  prattiquant  plus 
exactement  par  ses  voisins  de  Bourdeaux  ^  qu'en  nul 
autre  lieu.  Ce  fut  là  où  les  Jésuites  dressèrent  la  forme 
d'abjuration  que  nous  avons  alléguée  au  second  livre 
du  premier  tome. 

Les  Rochelois  se  virent  le  desbris  de  leurs  restes 
venir  crier  à  la  faim  dans  leurs  fossez,  n'y  ayant  dans 
le  Poictou  aucun  poulce  de  terre  tenu  par  leur  parti. 

Les  nouvelles  d'Allemagne  et  des  refformez,  entiè- 

1.  Ce  second  édit  est  analysé  dans  le  Journal  de  L'Estoile  sous 
la  date  du  16  octobre  1585. 

2.  Allusion  à  la  déroute  du  prince  de  Condé  à  Angers.  Voyez 
ci-dessus,  chap.  xv. 

3.  Le  parlement  de  Bordeaux. 


366  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

rement  chassez  de  l'arche vesché  de  Colongne,  et  puis 
toutes  les  misères  que  nous  avons  dépeinctes  au  Pays- 
Bas  ;  tant  de  villes  excellentes  et  presques  toute  la  terre 
ferme  perdue;  leur  chef  assassiné,  et,  qui  arrachoit 
plus  d'espérance  que  tout,  un  grand  naufrage  des  cou- 
rages et  volontez;  tout  cela  réduisit  ce  parti  en  une 
si  ruineuse  consternation  que,  sans  tourner  les  succès 
en  miracles  desquels  doit  estre  sobre  l'historien,  tous 
les  gentils  esprits,  et  qui  ont  le  palais  bon  pour  la 
lecture,  doivent  se  préparer  avec  plaisir  pour  voir 
remonter  les  abattus  du  précipice,  refleurir  les  vertus 
opprimées  et  monstrer  en  l'inconstance  de  fortune, 
ainsi  qu'on  l'appelle,  qu'elle  est  constante  en  sa  pro- 
fession. 


LIVRE   DIXIÈME.  367 


Attache  aux  deux  premiers  tomes*  de  V Histoire 
universelle. 

Vous  avez,  mes  lecteurs,  en  ces  deux  tomes  fort 
petits,  une  histoire  fleurissante  de  tant  de  mouvemens 
et  de  variétez  que  les  plus  impatiens  esprits  accuse- 
ront ma  brièveté,  quoi  qu'en  faveur  d'elle  je  n'aye  re- 
tranché aucune  pièce  qui  appartînt  à  l'ouvrage,  conuiie 
j'ai  peu  estimer.  Peut-estre  que  les  clauses,  entées 
l'une  dans  l'autre  pour  rendre  le  style  plus  concis, 
contraindront  un  œil  courant  de  rebrousser  chemin. 
Mais  j'obtiendrai  mon  pardon  quand,  en  desnouant  le 
nœud,  on  y  trouvera  quelques  perles  ou  quelque  fruict 
oublié. 

La  distinction  et  l'haleine  que  nous  prenons  avant 
le  troisiesme  tome  sont  ordonnées  sur  les  raisons  qui 
s'ensuivent. 

Premièrement,  il  a  esté  bon  de  s'accommoder  à  la 
pluspart  des  François  qui,  pour  avoir  oublié  les  trois 
premières,  et  peu  ou  point  senti  celles  du  second  tome, 
ne  datent  leurs  troubles  que  des  barricades^,  quoiqu'à 
ce  poinct  les  provinces  occidentales  du  royaume,  sans 
jouir  de  repos,  ayent  senti  diminuer  leurs  travaux. 

Secondement,  nous  trouvons  une  face  nouvelle  d'af- 
faires, lors  que  le  roi  se  rendit  par  force  ennemi  des 
Bourbons  et  des  réformez,  et,  se  couchant  de  peur 

1.  Avec  le  chapitre  précédent  se  termine  le  tome  II  des  deux 
éditions  de  l'Histoire  universelle  de  1618  et  de  1626. 

2.  La  Journée  des  barricades  (12  mai  1588),  que  d'Aubigné 
racontera  dans  le  volume  suivant,  inaugure  en  effet  la  guerre 
ouverte  que  la  Liigue  fit  au  roi. 


368  HISTOIRE  UNIVERSELLE. 

d'estre  abbatu,  se  fit  chef  de  ses  ennemis  pour  donner 
par  le  dedans  le  premier  bransle  à  leur  destruction. 

Ce  fut  aussi  un  estât  nouveau,  quand  la  ligue  formée 
monstra  ses  cornes,  en  desployant  ses  tiltres  et  ses 
forces  armées,  à  cru  de  toutes  les  functions  et  autori- 
tez  d'un  parti,  pour  nous  fournir  une  guerre  de  plus 
d'estendue,  saignante  de  plus  d'endroits,  encor  plus 
hérissée  de  combats,  de  surprises,  d'infidélitez  et,  à 
la  fin,  de  laschetez  d'une  part,  et,  de  l'autre,  de  félici- 
tez sans  mesure  au  roi  qui  conquéroit  le  sien. 

J'ose  adjouster  que  ce  prince,  ayant  perdu  sur  ce 
besoin  son  désir  des  choses  petites,  affriandé  au  tra- 
vail par  la  beauté  de  sa  besongne,  ou  vestit  une  nou- 
velle hautesse  de  cœur,  ou  la  desploya  encores  mieux 
qu'auparavant. 

C'est  ici  que  tous  les  voisins  ont  les  mains  au  sein, 
pource  que  nous  allons  fournir  de  théâtre  et  de  per- 
sonnages à  ravir  leurs  regards  et  leurs  pensées  vers 
nous,  horsmis  le  Septentrion  d'où  nous  verrons  esclorre 
et  espanouir  un  Orient  cramoisi,  plein  d'esclairs,  qui 
produira  ses  orages  violents. 

Nous  trouvons  là  un  chef  nouveau,  une  forme  nou- 
velle et  des  succès  de  guerre,  auxquels  la  fortune  a 
trouvé  ses  maistres,  qui  lui  ont  fait  souffrir  quelques 
reigles  de  la  vertu  ;  cinquiesme  raison  que  nous  appor- 
tons, pour  là  distinguer  nos  fureurs  sans  loi  d'avec 
les  valeurs  bien  employées,  les  brigands  des  soldats, 
et  les  troubles  de  populace  d'avec  la  vraye  milice, 
qui  donne  à  sa  guerre  et  à  ses  capitaines  un  nom  hono- 
rable et  bien  acquis. 

En  ce  discours  destaché  de  mon  histoire,  franc  de 
la  loi,  qui  me  défendoit  les  avis  de  louange  et  de 


LIVRE   DIXIÈME.  369 

blasme,  je  me  permets  de  rendre  l'Iionneur  deu  à  celui 
qui  l'a  restauré,  rendu  son  nom  plein  d'effect  et  en 
son  ancienne  splendeur.  C'est  le  comte  Maurice  de 
Nassau^.,  très  excellent  fils  d'un  incomparable  père, 
son  héritier  en  l'amour  de  Dieu,  protection  de  sa 
patrie,  prudence  et  valeur  sans  mesure,  grâces  natu- 
relles et  sciences  acquises,  héritier  encores  des  amitiez 
et  des  haines,  fardeaux  et  desseins  paternels,  marques 
de  la  grâce,  qui,  pour  ces  causes,  selon  sa  promesse, 
a  prolongé  les  jours  d'un  tel  fils  sur  la  terre,  parmi 
tant  d'assassins  et  les  périls  de  tant  de  combats. 

Ses  vertus  naturelles  et  sciences  acquises  ont  esté 
bien  nécessaires  pour  inventer,  oser  et  parfaire  une 
face  nouvelle  au  mestier  des  armes,  rendre  nos  soldats 
autres  qu'eux-mesmes,  les  remettre  à  l'A  B  G  de  leurs 
pas  et  paroles,  et,  qui  estoit  le  plus  difficile,  leur  faire 
oublier  tout  ce  qu'ils  sçavoyent.  Car,  nous  lui  avons 
envoyé  de  France,  d'Angleterre  et  d'Allemagne  des 
hommes  endurcis  au  brigandage  et  aux  rebellions 
contre  leurs  chefs,  qui  n'estimoyent  avoir  gibbier  que 
les  paysans  leurs  nourrissiers,  desquels  ils  faisoyent  les 
quintaines  de  leurs  umanitez,  qui  sans  honte  abandon- 
noyent  les  armées  et  leurs  enseignes  à  la  veille  d'un 
combat,  et  qui  en  un  mot  devoyent  avoir  pour  titre  : 
Espouvantaux  des  hostes  et  jouets  des  ennemis. 

Il  nous  les  a  renvoyez,  maistres  et  docteurs  de 
nostre  jeunesse,  confirmez  en  leur  théorie,  par  essais 
et  victoires  prattiquées  en  toutes  façons  ;  circonstances 
remarquables,  que  nos  bisongnes^  n'ont  pas  appris 

1.  Maurice  de  Nassau.  Voyez  les  notes  du  chapitre  xxii. 

2.  Bisongnes,  recrue,  de  l'espagnol  bisoho. 

VI  24 


370  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

ces  leçons  dures  et  malaisées  dans  le  repos  où  se 
façonnent  les  Terses*  d'Italie;  mais  tel  ordre,  plus 
désiré  qu'espéré,  a  esté  appris  et  esprouvé  tout  d'un 
temps  dedans  l'eschole  fumeuse  des  sièges  et  combats. 

L'envie  des  rois,  princes  et  capitaines  généraux 
environna  de  traverses  une  si  haute  entreprise,  comme 
jettans  les  serpents  sur  le  berceau  d'Hercule.  Nous 
avons  veu  plusieurs  années  nos  courtisans,  juges  de 
tout,  exécuteurs  de  rien,  entretenir  les  licts  et  les 
tables  des  rois  de  fades  plaisanteries  aux  despens  des 
termes  qu'ils  appelloyent  pœdantesques  et  nouveaux. 

Le  dernier  mareschal  de  Biron,  craignant  que  sa 
témérité  fust  autre  que  brutale,  ne  vouloit  pas  que  le 
mot  de  discipline  sortist  de  la  bouche  d'un  capitaine. 
Fresques  tous  les  François  disoyent  que  sans  tout 
ce  manège  ils  savoyent  bien  se  battre,  et,  quand  ils 
eussent  adjousté  voire  se  deffaire,  ils  n'eussent  pas 
menti. 

Un  jour,  le  sieur  de  la  Noue,  voyant  contrefaire  les 
controverses  du  comte  Maurice  et  de  son  cousin  Guil- 
laume de  Nassau,  qui  a  la  seconde  part  en  la  gloire 
que  je  décris,  oyant  mespriser  ces  petites  armées  de 
plomb,  par  lesquelles  ces  deux  chefs  d'armées^  pre- 
noyent  les  modelles  de  celles  que  depuis  ils  ont  afron- 
tées  à  Nieuport  et  ailleurs  ;  cet  homme,  outré  de  cho- 
lère,  me  tira  par  la  cappe,  ne  pouvant  souffrir  diffamer 
ce  qu'on  a  depuis  tant  estimé.  Encores,  avons-nous 
veu  les  capitaines  de  picorée  et  de  pétrinsaux  à  ce 

i.  Terces,  régiments,  de  l'italien  tercio. 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  par  lesquelles  ces  deux  capitaines 
prenoyent...  » 


LIVRE  DIXIÈME.  371 

poinct  de  brutalité  que,  quand  nous  osasmes  faire  por- 
ter des  picques  en  nos  régiments,  ils  appelloyent  nos 
soldats  abbateurs  de  noix.  Il  falut^  imposer  à  telles 
gens  silence  de  la  main  et  aux  grands  qui  s'y  ameu- 
toyent  monstrer  leur  faute  par  l'expérience. 

Enfin,  ces  restaurateurs  de  l'honneur  ont  vaincu  et 
emporté  pour  avoir  sagement  commencé  et  constam- 
ment poursuivi  ;  si  que  nul  prince  n'estime  plus  aucun 
digne  de  commandement  qui  n'ait  fait  son  apprentis- 
sage en  Holande;  et  le  duc  d'Espernon,  colomnel  de 
France,  après  avoir  longtemps  déclamé  contre  la  nou- 
veauté, a  souffert  que  ses  vétérans  se  soyent  enfin  faicts 
tyrons^  des  moindres  des  Pays-Bas. 

Henri  le  Grand  a  couronné  ses  expériences  et  gran- 
deurs de  l'amour  de  cet  ordre,  donné  le  gantelet  au 
restaurateur  et  prononcé  de  sa  bouche  que  :  <  Nous 
avions  plus  combattu  que  les  Holandois  et  eux  mieux 
fait  la  guerre  que  nous.  »  J'eusse  voulu  :  «  eux  fait  la 
guerre  et  non  pas  nous.  » 

Je  m'estonne  que  nos  faiseurs  de  panégyrics,  ou, 
pour  le  moins,  quelqu'un  d'eux,  n'a  pris  ce  sujet  véri- 
table pour  exercer  leurs  styles  fleuris  au  lieu  des 
louanges  prophétiques,  par  lesquelles  ils  exaltent  leur 
bien  dire  et  diffament  les  grands,  sur  les  louanges  des- 
quels il  faut  estre  historien  de  l'avenir.  Et  bien  sou- 
vent qui  s'enfle  de  paroles  bien  agencées  à  la  louange 
d'autrui,  monstrant  sans  estofïe  beaucoup  de  façon, 
cerche  sa  gloire  au  mespris  de  son  sujet. 

Les  capitaines  holandois  sont  remarquables  en  leur 


1.  Cette  phrase  manque  à  Tédition  de  1618. 

2.  Tyrons,  apprentis,  élèves. 


37SI  HISTOIKE   UNIVERSELLE. 

sçavoir,  pour  avoir  sçeu  conoistre  un  pays  maritime 
avec  une  avantageuse  situation  ;  un  peuple  que  les 
persécutions  avoyent  poussé  presques  trop  tard  à  la 
résolution  des  labeurs  non  cerchez  mais  imposez  par 
force,  à  qui  le  désespoir  avoit  donné  les  armes,  unis  par 
les  intérests,  reliez  par  la  religion.  Ceux-là,  d'agneaux 
devenus  lyons,  de  marchands  capitaines,  de  chiches 
libéraux,  d'esclaves  souverains,  doivent  la  merveille 
de  la  délivrance  à  l'extrême  misère  et  rien  à  la  gayeté 
de  cœur. 

Il  s'est  présenté  en  trente  ans  aux  rois  de  France 
et  d'Angleterre  plusieurs  des  occasions  qui  font  entre- 
prendre sur  les  voisins,  asçavoir  les  grandes  offenses 
et  les  bresches  pour  entrer.  Je  di  cela  pour  l'Espagne, 
en  considération  des  grandes  ruines  d'armées  qui  lui 
sont  arrivées  et  pour  la  foi  blesse  du  cœur,  qui  remue 
tant  de  membres,  esprouvée  par  le  comte  d'Essex^, 
quand,  avec  si  peu  d'hommes,  il  fit  un  si  long  séjour 
à  Cadis^.  Mais,  aussitost  qu'une  bouche  fidèle  à  sa 
patrie  faisoit  dans  les  conseils  royaux  une  ouverture 
pour  prendre  le  favorable  temps,  aussitost  la  troupe 
des  conseilliers  abusée,  ou  abusante,  s'escrioit  :  «  Ce 
grand  corps  d'Espagne,  ce  grand  corps  d'Espagne  !  » 
Et  ce  vaste  corps  a  esté  contraint,  par  la  vertu  du 
capitaine  que  j'exalte  et  celles  de  ses  fidèles  seconds, 

1.  Robert  Devereux,  comte  d'Essex,  favori  de  la  reine  Elisabeth 
d'Angleterre,  né  à  Netherwood  le  10  novembre  1567,  exécuté  à 
Londres  le  25  février  1601 . 

2.  En  1596,  la  reine  d'Angleterre  envoya  contre  les  côtes  méri- 
dionales d'Espagne,  en  représailles  de  V Invincible  Armada,  une 
expédition  sous  le  commandement  du  comte  d'Essex.  Cadix  fut 
pris  et  pillé  le  l*""  août  1596  par  les  Anglais.  De  Thou  a  raconté 
cette  campagne  (liv.  GXVI). 


LIVRE  DIXIÈME.  373 

à  laisser  perdre  une  de  ses  janibes  et  mesmes  à  ne 
l'avouer  plus. 

Voilà  ce  qui  nous  donne  une  cinquiesme  et  notable 
dififérence  de  nos  deux  premiers  tomes  au  tiers,  dans 
lequel  nous  espérons,  sous  la  faveur  de  Dieu,  d'es- 
tendre  avec  plus  de  profit  et  de  plaisir  la  fin  du  siècle 
belliqueux. 

Que  si,  en  divers  endroits,  nous  n'avons  peu  expri- 
mer à  nostre  gré  quelques  exploits  conséquentieux*, 
regardez  d'où  est  datte  le  livre;  c'est  d'un  désert, 
refuge  ordinaire  de  la  pauvreté  comme  de  la  vérité. 
Là,  il  a  falu  travailler  sans  pupitre,  sans  conseil  de 
doctes,  avec  peu  de  mémoires  et  peu  exprès. 

Je  ne  puis  vous  celer  que  le  roi  Henri  le  Grand 
m'avoit  promis  les  excellents  et  laborieux  escripts*  de 
Monsieur  de  Villeroi^,  à  la  charge  de  prendre  loi  de  ses 

1.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  t  ...  conséquentieux,  ou  s'il  a  fallu 
répéter  quelque  chose  par  les  derniers  mémoires  corrigeant  les 
premiers,  comme  au  fait  de  Menerbe,  ça  esté  faute  de  mémoires 
exprès,  quoiqu'il  n'y  ait  province  en  France  où  nous  n'ayons  fait 
voiager.  »  —  La  fin  de  cet  alinéa,  l'alinéa  suivant  et  le  commen- 
cement du  troisième,  jusqu'à  ces  despenses,  manquent  à  l'édition 
de  1618. 

2.  D'Aubigné  ne  parle  sans  doute  ici  que  de  la  correspondance 
de  "Villeroy,  car  il  ne  serait  pas  explicable  que  l'auteur  de  l'His- 
toire universelle  n'ait  pas  eu  connaissance  des  Mémoires  qui  avaient 
été  publiés  en  1622,  au  moins  en  extraits.  Peut-être  connaissait-il 
l'existence  du  reste.  Nous  avons,  en  effet,  la  certitude  qu'une 
grande  partie  de  ces  Mémoires,  et  peut-être. la  plus  intéressante, 
est  encore  inédite. 

3.  Nicolas  de  Neufville,  s.  de  Villeroy,  né  en  1542,  gendre  du 
secrétaire  d'État  Claude  de  l'Aubespine,  secrétaire  d'Etat  lui- 
même  en  1567,  un  des  ministres  les  plus  employés  par  Charles  IX, 
Henri  III,  Henri  IV  et  Marie  de  Médicis.  Il  a  laissé  des  Mémoires 
qui  ont  été  recueilUs  dans  toutes  les  grandes  collections  sur  l'his- 
toire de  France  et  des  recueils  de  minutes  et  de  notes  qui  font 

YI  W 


374  HISTOIRE   UNIVERSELLE. 

corrections,  lesquelles  je  voulus  essayer  sur  quelques 
pièces  où  j'avoi  le  moins  usé  de  mes  libériez.  Mais, 
ayant  trouvé  que  cet  esprit  n'approuvoit  rien,  qui 
n'eust  pour  but  les  louanges  de  la  cour,  le  blasme  de 
ceux  qui  n'en  dépendoyent  et  faisoit  crime  de  l'sequa- 
nimité,  je  quittai  le  profit  pour  la  charge,  lequel,  pour 
le  service  des  hommes,  eût  destruit  celui  de  la  vérité, 
aimant  mieux  estre  manque  en  quelques  poincts  qu'à 
estre  esclave  en  tous. 

J'eu  donc  recours  à  dépescher  par  toutes  les  pro- 
vinces à  mes  frais,  et  ces  dépenses  peu  utiles  me  per- 
mettront un  juste  courroux*  sur  les  capitaines  plus 
curieux  de  rescriptions  durant  leur  vie  que  d'inscrip- 
tions après  leur  mort.  Et  encor,  ma  plus  grande  et 
juste  colère  s'espandra  sur  les  héritiers,  je  ne  dis  pas 
enfans,  des  chefs  plus  eslevez  sur  le  théâtre  de  l'his- 
toire, qu'il  faut  inutilement  prier  de  ce  qu'ils  devroyent 
cercher  avidement  et  qu'ils  laissent  périr  par  leur  pol- 
tronne lascheté. 

Vous  diriez,  en  ce  siècle  dégénéré,  que  la  brillante^ 
vertu  de  nos  devanciers  nous  donne  mauvais  lustre, 
que  la  gloire  du  père  rend  le  fils  honteux,  et  que,  de 
peur  d'estre  obligez  aux  excellents  traicts  et  perfaictes 
beautez  de  nos  ayeuls,  nous  en  voulons  supprimer  la 
mémoire  et  jetter  au  feu  les  tableaux. 

Tendez-moi  la  main,  vous  qui  ne  faites  et  ne  recevez 

le  désespoir,  par  leur  écriture,  des  érudits  qui  se  vouent  à  l'étude 
de  l'histoire  du  xvi*  et  du  xvii»  siècle. 

1.  Var.  de  l'édit.  de  16i8  :  «  ...  courroux  contre  les  héritiers 
des  capitaines  les  plus  eslevez  sur  le  théâtre  de  l'histoire  et  contre 
les  ingrats  qui  refusent  de  rendre  honneur  aux  noms  qui  leur 
offrent  un  véritable  honneur.  Vous  diriez...  » 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  dégénéré,  que  le  trop  de  vertu...  » 


LIVRE   DIXIEME.  375 

honte  des  paternelles  eslévations;  qui  les  suivez  par 
approches  et  ne  les  cachez  pas  de  peur  de  reproches  ; 
qui  les  ressemblez  du  cœur  comme  des  visages,  et  qui 
de  lumières  si  proches  aimez  mieux  estre  esclairez 
qu'esblouis. 

Donnez  à  mon  entreprise,  qui  sera  la  vostre,  la 
recherche  de  ce  qui  aura  manqué  en  mes  premiers  dis- 
cours, et*  les  éditions  qui  se  referont  en  vostre  faveur, 
avec  plus  de  soin  et  de  commodité,  feront  que  nulle 
autre  histoire  n'ayant  esté  bastie  avec  tant  de  soin  et 
de  patience  de  Tautheur,  cette-ci  approchera  de  la 
perfection. 

Sinon,  sachez*  que  ceux  qui  ont  voulu  dépeindre  un 
historien  lui  ont  mis  à  chasque  main  une  branche, 
celle  de  la  gauche  avec  son  fueillage,  pour  en  faire  des 
marques  d'honneur  aux  triomphants.  Celle  de  la  droicte 
est  effueillée  pour  les  chastimens;  et  ceste  gaule  fait 
des  playes,  desquelles  la  cicatrice  demeure  encores 
après  l'ulcère  fermé.  C'est  celle-là  que  je  fai  pour  ceste 
heure  siffler  aux  aureilles  des  paresseux,  en  promet- 
tant et  menaçant  que,  ci-après,  elle  appuyera  son  coup 
pour  rabattre  ceux  qui  rejettent  mes  avis  sans  crainte. 

Ils  verront  arborer  leur  apocagine*  en  proportion- 
nant leurs  infâmes  et  infimes  hontes  à  la  hautesse  de 
leur  race,  de  laquelle  ils  ne  peuvent  porter  que  le  nom, 

1.  Var.  de  l'édit,  de  1618  :  «  ...  premiers  discours,  et  j'espère  ea 
vostre  faveur  faire  une  seconde  édition  avec  plus  de  soin  et  de 
commoditez,  sinon  sachez...  • 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  t  ...  sachez  que,  pour  bien  peindre  un 
historien,  on  lui  devroit  mettre  en  chacune  main  une  branche, 
l'une  avec  sa  verdure,  pour  en  donner  les  marques  d'honneur...  » 

3.  Apocagine,  dans  le  sens  de  déshonneur.  Ce  mot  figure  dans 
les  deux  éditions  (apoca  en  italien  signifie  pièce  d'un  acte  notarié). 


376  HISTOIRE  UNIVERSELLE . 

et  ce  nom,  qui  les  devoit  couronner  de  gloire,  les  com- 
blera de  honte  et  de  mespris.  Entre  autres  choses,  je 
demande  aux  mémoires  les  actions  qui  sortent  du  com- 
mun et  les  noms  de  plusieurs  simples  soldats,  lesquels, 
sans  pouvoir  nommer,  j'ai  désignez  pour  avoir  com- 
mencé l'impression  dans  un  combat,  servi  de  guide  à 
une  bresche,  mis  le  premier  genou  sur  les  créneaux 
des  retranchements  ou  arresté  une  desroute  par  leur 
vertu.  Que  ceux  qui  sçauront  les  noms  de  telles  gens 
les  donnent  à  ma  bonne  affection,  sans  avoir  esgard 
aux  pauvres  conditions  ou  basses  extractions,  pource 
que  ceux-là  montent  d'avantage,  qui  commencent  de 
plus  bas  lieu. 

Je  n'ai  que  faire  à  ceux  à  qui  nature  a  donné  le 
ventre  pour  délices,  l'esprit  pour  fardeau  et  le  cœur 
pour  tout  craindre.  Eux  aussi  n'ont  point  de  part  avec 
moi ,  n'ayant  point  soif  de  louanges,  cachez  derrière 
eux-mesmes  et  le*  ciel,  défavorable  à  leur  naissance, 
les  ayant  condamnez  à  pourrir  moisis  sur  le  puant 
fumier  d'une  sale  oisiveté.  Mais  je  traitte  avec  vous, 
courages  flamboyants,  non  de  l'ambition  blanchie  et 
tournoyante  à  l'entour  de  la  vertu  ^,  mais  rayonnans 
et,  comme  fidèles  miroirs,  représentans  en  vos  visages 
comme  en  vos  actions  la  beauté  naïfve  et  les  traits 
naturels  de  la  vertu  qui  porte  en  soi-mesme  son  prix 
et  son  loyer.  N'ayez  pas  honte  du  juste  désir  des  choses 
méritées,  ayez^  le  soin  d'arracher  de  bonne  heure 
vostre  renommée  des  ombres  de  la  mort.  Faites  soi- 

4.  Ce  membre  de  phrase  manque  à  l'édition  de  1618. 

2.  Var.  de  l'édit.  de  1618  :  «  ...  de  la  vertu,  mais  de  la  vertu 
mesme,  empanachée  de.  ses  plumes  naturelles,  et  qui  porte...  » 

3.  Le  reste  de  l'alinéa  manque  à  l'édition  de  1618. 


LIVRE   DIXIÈME.  377 

gneusement  et  sans  honte  ce  que  vous  faites  justement. 
On  appelle  les  âmes  viles  et  le  sang  vil  qui  se  perdent 
et  se  versent  sans  la  solde  du  renom.  Geste  oubliance 
appartient  justement  à  ceux  qui  font  jonchée  et  fange 
de  leurs  hoyries,  vendues  aux  choses  vilaines  et  indignes 
de  l'honneur.  Mais  les  âmes  et  le  sang  s'appellent  non 
viles  et  de  haut  prix,  quand  elles  sont  employées  pour 
la  patrie,  pour  le  bon  prince  et  surtout  pour  celui  qui 
nous  a  rachetez  de  son  sang. 

Ceux  qui  ne  veulent  jouir  que  du  gré  présent  sont 
mercenaires  à  journée  et  valets  à  l'œil  des  vivants. 
Mais  ceux  qui  vont  plus  loin  et  embrassent  plus  d'un 
siècle,  par  espérance  desjà  se  sentent  de  l'immortalité, 
et,  partant,  le  noble  soin  de  la  bonne  renommée  est  à 
l'àme  fidèle  marque  d'une  vie  sans  mort  et  certain  gage 
de  la  résurrection. 


TABLE  DES  CHAPITRES 


Livre  Neuvième  (Suite). 
(Livre  IV  du  tome  II  des  éditions  de  1616  et  de  1626.) 

Chapitres  Pages 

VI.  Prise  des  armes  à  la  guerre  qu'on  appella  de  Mon- 

taigu 1 

VII.  De  la  Gascongne  et  prise  de  Gahors 8 

Vni.      Suitte  de  guerre  en  Guyenne 18 

IX.  De  Languedoc 22 

X.  De  l'entreprise  de  Blaye  et  autres 30 

XL         Envoy  du  vicomte  de  Turenne  en  Languedoc  ;  escar- 
mouche de  Nérac 42 

XII.  Surprise  de  la  Fère 47 

XIII.  Siège  et  reprise  de  la  Fère 53 

XIV.  Surprise,  siège  et  reprise  de  Menerbe 63 

XV.  De  ce  qui  se  passa  en  Poictou  jusques  à  la  paix    .  69 

XVL      Du  siège  de  Montaigu 76 

XVII.    Liaison  des  troubles  de  France  avec  ceux  des  quatre 

voisins 91 

XVm.   De  l'Orient 96 

XIX.  Du  Midi 109 

XX.  De  l'Occident 121 

XXI.  Du  Septentrion 132 

XXII.  Conclusion  de  la  paix 145 

Livre  Dixième. 

(Livre  V  du  tome  II  des  éditions  de  1616  et  de  1626.) 

I.             Voyage  du  duc  de  Mayenne  et  estât  du  Daulphiné.  148 
IL           Suite  de  la  paix  refusée  en  Languedoc.  Négociation 

pour  le  roi  de  Portugal.  Entrevue  des  princes.    .  154 

UI.         Brouillerie  de  la  cour 167 


TABLE   DES  CHAPITRES.  379 

Chapitres  Pages 

IV.  Premier  emploi  de  la  Ligue 173 

V.  De  deux  périls  qu'eschappa  le  roi  de  Navarre    .    .  178 

VI.  Prise  de  Mont-de-Marsan  ;  mort  de  Monsieur  et  de 

Bussy 187 

VII.  Prise  des  armes 194 

VIII.  De  ce  que  fit  le  roi  de  Navarre 201 

IX.  Diverses  rencontres  en  Poictou 212 

X.  Prise  de  Tules;  voyage  du  duc  de  Mercœur  en  Poic- 

tou et  présentation  de  bataille 219 

XI.  Siège  de  Brouage 231 

Xn.        Affaires  de  la  cour 236 

XIU.      Surprise  du  château  d'Angers 243 

XIV.  Voyage  et  exploict  d'Angers 249 

XV.  Retraicte  et  desroute  d'Angers 259 

XVI.  Mauvaise  rencontre  du  siège  de  Brouage  ....  272 

XVII.  Des  provinces  méridionales  de  la  France  ....  275 
XVIU.   Affaires  meslées  avec  les  quatre  voisins    ....  282 

XIX.  De  l'Orient 293 

XX.  Du  Midi 300 

XXI.  De  l'Occident 309 

XXII.  Du  Septentrion 323 

XXIII.  De  l'Édict  de  Juillet.  —  Première  paix  avec  les 

Liguez 364 

Attache  aux  deux  premiers  tomes  de  l'Histoire  uni- 

verselfe 367 


Nogeat-le-Rolrou,  imprimerie  Daopbijit-Goot«iu««o». 


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