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University of Ottawa
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HISTOIRE UNIVERSELLE
AGRIPPA D'AUBIGNE
IMPRIMERIE DAUPELEY-GOUVERNEUR
A NOGENT-LE-ROTROU.
HISTOIRE
UNIVERSELLE
PAR
AGRIPPA D'AUBIGNÉ
JÎDITION PUBLIEE POUB LA SOCI^Té DE l'HISTOIRB DE FBÂRCB
PÂB
Le Baron Alphonse DE RUBLE
TOME SIXIÈME
1579-1585
l^'^'^
À PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
H. LAURENS, SUCCESSEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRAHGB
RCE DE TOURMON, N* 6
M DCCC XCII
258
EXTRAIT DU REGLEMENT.
Art. h. — Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et
choisit les personnes les plus capables d'en préparer et d'en
suivre la publication.
Il nonune, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire
responsable, chargé d'en surveiller l'exécution.
Le nom de l'éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société
sans l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une
déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail
lui a paru mériter d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que le tom£ VI
de l'édition de l'Histoire universelle d' Agrippa d'Adbigné pré-
parée par M. le Baron Alphonse de Rdble lui a paru digne
d'être publié par la Socie'tb de l'Histoire de France.
Fait à Paris, le 25 août 4 892.
Signé : Lud. LALANNE.
Certifié :
Le Secrétaire de la Société de rUistoire de France,
Â. DE BOISUSLE.
LES HISTOIRES
DU
SIEUR D'AUBIGNÉ
LIVRE NEUVIÈME
{Swte)
(LIVBE IV DU TOME II DES ÉDITIONS DE 1616 ET DE 1626).
Chapitre VI.
Prise des armes à la guerre qu'on appella de Montaigu.
Pource qu'à la main gauche de ce département le
feu s'esprit le plus, nous vous dirons de cette branche
que Pons^ et Sainct-Jean-d'Angéli receurent le com-
mandement rejette des Rochelois, comme vous verrez.
L'advertisseur^, tombé malade à Sainct-Jean, s' estant^
fait donner des pilules pour le contrefaire, ne laissa
pas d'aller à l'exécution de Montaigu, qui fust prise
par un moyen assez nouveau. Le gascon de Pommiers*,
1. Pons (Charente-Inférieure), sur la Seugne.
2. Aubigné?
3. Ce membre de phrase jusqu'à 7ie laissa pas... manque à l'édi-
tion de 1618.
4. Peut-être Philippe de Guillet, s. de Pomiers, enseigne de la
compagnie d'Albert de Gondy, duc de Retz (Montre du 15 juillet
1578, f. fr., vol. 21537).
VI i
% HISTOIRE UNIVERSELLE. [1579
duquel nous avons parlé au discours de Luçon, avoit
familiarité avec les mortes-payes de Montaigu. Ils le
convièrent à quelques voleries sur les chemins de
Nantes, ce qu'il accepta par le conseil des entrepre-
neurs, et qui, plus est, se trouva à destrousser un
marchand de deux cents escus, qui depuis lui furent
rendus.
Ce compagnon, rusé et persuasif, exhorta les mortes-
payes à ne faire plus ces petits coups, par lesquels ils
pouvoyent estre descouverts et ruinez, comme par un
plus grand. Pourtant il leur promit de les tenir adver-
tis d'un marchand, qui, au retour de la foire de Fonte-
nay ^ logeoittousjours à Vieille-Vigne 2, près la demeure
de Pommiers.
Il les advertit donc à poinct nommé, adjoustant
qu'ils estoyent quatre marchands ensemble, et par
ainsi qu'il faloit venir pour le moins autant. A ce man-
dement ne faillit de se trouver Urban, qui comman-
doit au chasteau, accompagné de cinq autres. Tout
cela estant au guet en la forest de Grala fut investi par
Vrignaye^ et Goupilière, accompagnez de huict ou
neuf. Ces voleurs, menacez de mort s'ils ne faisoyent
ouvrir la poterne du chasteau à l'heure et en la façon
qu'ils avoyent accoustumé d'y rentrer, donnèrent le
mot de Matelot^ f qu'ils avoient laissé pour faire ouvrir
la porte. Tout cela fut gardé en une maison jusques à
i. Fontenay-le-Comte (Vendée).
2. Vieille- Vigne (Loire-Inférieure), sur les bords de l'Ognon.
3. Le s. de la Vergnaye, gentilhomme poitevin cité dans une
lettre du comte du Lude (Arch. hist. du Poitou, t. XIV, p. 140,
note).
4. L'édition de 1618 ne donne pas ce mot.
1579] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. VI. 3
la nuict d'après que La Boulaye, Bastarderaie et celui
qui leur faisoit prendre les armes, ayant donné à
Pommiers cinq bons hommes, mènent Urban lié. Et
ne furent si tost à la poterne, qu'ayant respondu au
« qui va là? » — « Matelot » — et faict parler Urban,
que Pommiers se jetta dans le guichet demi-ouvert.
Ainsi fut pris le chasteau*, où La Boulaye fut bien
estonné, quand, de tant d'amis qu'il avoit conviez, il
se trouva dix-septiesme. Encor falut-il, de ce petit
nombre, saisir la ville, dans laquelle il y avoit un assés
grand peuple ; et, entre cela, plus de six vingts capables
de tirer une arquebuzade. Il fut bon aux entrepreneurs
de donner en la ville avant jour, pource qu'estans
contez ils estoyent perdus. Ainsi le bruit fut partisan
du petit nombre, et, presque tous les hommes s'en
estant fuis, on se trouva plus empesché à garder qu'on
n'avoit esté à conquérir^.
Je ne veux point desmordre cette prise que je ne
m'estende un couple de mois dans le bas Poictou, tant
pour n'interrompre trop souvent mes discours que
pour vous faire en ce lieu une leçon de guerre civile.
Le pays, estonné de la prise de Montaigu, sçeut en
mesme temps que les Rochelois observoyent la paix.
Un bruit court que ceux qui s'estoyent jettez en cette
forteresse n'y estoyent que pour garentir leurs vies
contre les prévosts qui les couroyent de tous costez,
1. Le château de Montaigu fut pris par les réformés vers le
15 mars 1580 (Chroniques fontenaisiennes, p. 206).
2. La ville de Montaigu fut surprise par les réformés peu après
le château. Une lettre du roi au s. du Lude, en date du 28 avril
1580, signale le fait comme un fait récent et discute les moyens
de reprendre la ville (Copie; coll. Anjou et Touraine, vol. 11,
n" 4648).
L
4 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1579
à cause du faict de Limoges, où la plus part esloyent
exécutez en effigie, leur procès ayant esté faict avec
celui de Prinçai et de Bouschet. Outre cela, il y en
avoit d'appelez aux grands jours de Poictiers, qui lors
achevoyent* et qui se retiroyent en grand effroi sur la
prise des armes.
Ces bruits intimidèrent si bien le pays que Taba-
rière*, qui avoit promis à La Boulaye de prendre sa
lieutenance, demeura coy en sa maison. Tant y a que
les preneurs, ayans esté quinze jours sans pouvoir
amasser trente hommes, tindrent conseil, où presque
tous résolurent de se maintenir sagement, comme
ils disoyent, sans prendre prisonniers ni faire acte
d'hostilité. « Par là, disoyent-ils, le pays sera pour
nous et on ne nous attaquera point. » La Valière et
un autre^ furent seuls de contraire opinion, disans :
« Ou quittons ceci comme canailles et gens qui ont
fait une grande sottise, ou faisons la guerre à toute
outrance. Et, pour la faire, appelons des gens de
guerre, lesquels ne nous viendront jamais trouver
pour estre compagnons de la sagesse, qu'ils nomme-
ront peur. Les gens de bonne maison ne se vou-
dront point associer avec des gibbiers de prévost, qui
monstrent, à leurs actions, ne se sentir pas avouez. »
Ces deux voix furent estoufifées et les principaux
gentilshommes de cette bande firent porter leurs licts
sur les tours pour y prendre leur repos et repas, et,
quant aux munitions de gueule et de guerre, ils y
i. C'est-à-dire qui se terminaient.
2. Le s. de la Tabarière, capitaine d'origine poitevine, honora-
blement cité dans les Lettres de Henri IV, t. IX, p. 316.
3. Cet autre est d'Aubigné lui-même.
1579] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. VI. &
mirent ordre par leur bourse, c'est-à-dire * povrement
et misérablement.
II vous peut souvenir comment, l'entreprise de
Limoges estant descouverte fausse, on vint en dili-
gence rompre celle qui estoit lors sur Montaigu, et,
pource que les entrepreneurs de ce temps -là vou-
lurent, de peur d'estre investis promptement, porter
leurs munitions avec eux, ils avoyent dès lors caché
dix caques de poudre dans un moulin à vent ruiné.
Cela fut trouvé sec et entier sept mois après et com-
mença le magazin.
Il y avoit dans la ville quinze ou seize gentilshommes
de moyens 2, qui avoyent plusieurs pièces de grands
chevaux. Ils en envoyèrent pour deux mille escus à
la Rochelle, pour les vendre et achepter des munitions ;
mais la Rodlielle avoit des pensées bien différentes.
Le maire Thévenin, assisté de plusieurs riches,
estoit en combustion avec le peuple; toute la ville
divisée en deux partis, asçavoir de ceux qui vouloyent
obtempérer aux princes en prenant les armes et de
ceux qui se résolvoyent à maintenir la paix. Ils en
vindrent aux mains ^, mais la dernière opinion fut la
plus forte, et Thévenin mit en prison ceux de Montaigu
qui estoyent venus à l'emploite*. Cela despleut aux par-
tisans du roi de Navarre, qui s'esmeurent là-dessus
encores une fois. Ceux-là, estans assemblez devant la
1. Ces mots jusqu'à la &n de l'alinéa manquent à l'édition de
1618.
2. C'est-à-dire : riches.
3. Cette escarmouche eut lieu le mardi 11 octobre 1579. On
appela ce jour le mardi de Ut folie (Délayant, Hist. de la Rochelle,
1870, t. I, p. 315).
4. Emploite, emplette.
6 mSTOIRE UNIVERSELLE. [1579
maison du maire, demandèrent qu'on mist hors les
prisonniers et d'entrer en garde tambour battant,
Thévenin, voyant que les plus forts de la ville avoyent
accouru à son logis, se moqua des autres, disant :
« Qu'a faict ce tambour pour le battre? Il n'a point
failli, mais, s'il avoit battu la quaisse, il seroit battu. »
Pourtant le peuple, aidé des ministres, fit délivrer et
renvoyer vuides les prisonniers.
En cet estât furent ceux de Montaigu six sepmaines,
sans pouvoir amasser plus de trente-six hommes de
guerre. Ils vindrent donc par force à essayer le conseil
de La Valière et son compagnon*, qui eust permission
de mener a la guerre vingt sallades et dix arquebu-
ziers à cheval, ne laissant dans la ville que La Boulaye,
cinq maistres et la vailletaille. Nos trente chevaux,
partis devant jour, enfilent en trois troupes trois che-
mins de Nantes, un jour de marché. Puis, s'estant
ralliez, trouvent qu'ils avoyent soixante et tant de
prisonniers à cheval. Ils rompent trois ou quatre
églises, arborent deux bannières en cornettes et vont
mettre dans la prairie, à main droicte de PillemiP,
leurs prisonniers en bataille, gardez par lesdits arque-
buziers à cheval et un de deux trompettes qu'ils
avoyent. Les vingt salades, qui venoyent de prendre la
Janière et un procureur du roi, ayans appris par eux
que quelques gentilshommes de la compagnie de Vau-
drez se sauvoyent dans le fauxbourg, renfi;lèrent
tout du long, quelques-uns passans la tour de Pillemil
jusques au commencement du pont; et furent long
!• Le compagnon de La Valière était d'Aubigné lui-même.
2. Pirmil (Loire-Inférieure), au sud de Nantes.
3. Le capitaine Vaudrey appartenait à la maison de Mouy.
1579] UVRE NEUVIÈME, CHAP. VI. 7
temps là avant que ceux de la tour leur envoyassent
quelque mauvaise arquebuzade. Ce butin amené à
Montaigu, cette mesme troupe ne fît que changer de
chevaux pour faire une autre course sans passer la
Sèvre. A ceste fois, ils adjoustèrent au pillage le
bruslement de six ou sept églises. Sur cette nouvelle,
Montaigu se vid dans dix jours quatorze cents soldats.
Landereau, avec les Roches-Bariteaux et la troupe du
bas Poictou, qu'ils appelloyent la Ligue, ne se vint
plus pourmener devant Montaigu pour monstrer des
cordeaux à ceux de la garnison, comme ils faisoyent
auparavant.
Voilà cette ville esquipée en guerre. On ordonne
en la ville les compagnies du gouverneur de Jarrie,
celui duquel nous avons parlé dans le siège de Poic-
tiers, de Mosquart, de Nesde*, de la Serpente et
Jamoneau, desquels quelques-unes ne se parfirent
pas. Au chasteau fut mis Vrignais avec une compagnie
de six vingts hommes, quelques autres petites troupes
mal complettes, comme celle de chevaux légers de
Grand-Ri^, et les arquebuziers à cheval de Deflfites.
Tout cela, comme aussi tout le reste de la garnison,
presta serment de rendre obéissance hors les murailles
à Aubigné, qui n'avoit nulle charge au dedans. Lande-
reau avoit commencé à fortifier Sainct-Georges^ Ceux
de Montaigu, ayans mis leurs forces aux champs,
firent quitter cela premièrement. De là*, ils se ren-
1. Le capitaine Nesde, commandant à Montaigu, se nommait
Pidou.
2. Guillaume de Grandris, s. de Grandchamp.
3. Saint-Geo rges-de-Montaigu (Vendée), au sud de Montaigu.
4. Var. de l'édit. de 1618 : «... de là ils prennent d'effroi, le
château de l'Abergement, grand et assez bon ; puis ils tournent
8 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
dirent redoutables à la campagne. En cet estât nous
les lairrons, ayant changé leurs discrétions ruineuses
en une insolente et nécessaire témérité.
Chapitre VII.
De la Gascongne et prise de Cahors.
Bien estonnez furent les princes, quand d'une si
grande quantité d'entreprises rien ne réussit que Mon-
taigu et la Fère*, de laquelle nous parlerons avec son
siège, quand nous aurons compté de la Guyenne.
Voici les premières nouvelles de ces pétards qui ont
tant faict parler d'eux, et qui n'avoyent encor esté
essayez, sinon en un meschant chasteau de Rouargue,
qui n'a peu nous donner son nom. Nous^ avons aussi
Challar^ en Givaudan, où on fit pétard d'une sonaille
de vache. J'ai ouy dire aux premiers pétardiers qu'ils
avoyent inventé cette machine en contemplant des
tapisseries, où ils voyoyent des petites artilleries r'ac-
courcies, bandées de cercles de fer, comme de faict
les premiers que nous eusmes estoyent ainsi faicts ; les
uns pour pendre à l'estrier avec le tirefonds, les autres
vers Mortagne, escallent de nuit le château ; et ces troupes se
parfirent et rafraischirent dans la ville. En mesme temps, ils
marchent vers la Garnache, où quelques gentilshommes s'estoient
retirez, escallent la ville, prennent le chasteau d'effroi ; et de force
prisonniers (qu'ils espéroient y trouver) n'empoignèrent rien que
le ministre. En cet estât... »
1. La Fère (Aisne), sur l'Oise.
2. Cette phrase, jusqu'à : J'ay ouy dire..., manque à l'édition
de 1618.
3. Entreprise du capitaine Mathieu Merle, baron de Salavas,
sur Chanac (Lozère), mai 1580 (De Thou, liv. LXXII). i: Histoire
du Languedoc (t. V, p. 381) complète le récit de de Thou.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. VII. 9
à la fourchette en contrepoussant. Depuis on les a
faicts simplement de fonte bien choisie. On en a faict
d'estaing et de plomb, meslez d'une autre drogue, et
ceux-là ne sont pas les pires. On a aussi inventé
diverses sortes de mesches, desquelles je trouve le
papier artificiel la meilleure, pource que vous retenez
un conterolle de mesme papier, qui vous marque le
poinct du coup; cette invention du capitaine Chanson,
lieutenant de l'artillerie en Poictou. De plus, on a
apporté le madrier pour les barrières, et les crapaux
pour les grilles ; et encor ont appris les pétards de se
jouer à faire sauter les tours et les murailles, aussi
bien que les portes et les fenestres. De mesme pays
encores sont sorties les saucisses et autres artifices,
qui ont porté malheur à ceux qui à leurs despens les
ont essayez.
Celui qui en a faict le premier coup de marque a
esté le roi de Navarre sur Cahors ; surprise honorable
sur toutes celles de ce siècle, pource que le combat
y dura cinq jours et cinq nuicts. Ceux qui ont escript
cette histoire y en mettent un d'avantage, et partant
la déduction y estant bien utile, autant que celle d'une
moyenne bataille.
Ce prince, irrité du mauvais succès de tant d'entre-
prises, mais bien plus de quoi les deux tiers de son
parti ne vouloyent aggréer sa prise d'armes, pour
relever les cœurs des siens, fit recognoistre Cahors
par un capitaine du vicomte de Gourdon^, et par les
1. Antoine, vicomte de Gourdon, baron de Puylagarde, d'une
ancienne famille du Quercy, fils de Flotard de Gourdon et de
Marguerite de Gardaillac, chevalier de l'ordre, capitaine de cin-
quante hommes d'armes des ordonnances, mort en 1616. Il avait
10 raSTOIRE UNIVERSELLE. [1580
capitaines Gendarme et Jean Robert, le premier de
Rouargue, et le second de Cajard^ l'un et l'autre
pétardiers.
Geste ville capitale de Querci, assise sur la rivière
du Lot, fors du costé de la Barre, est toute environnée
d'eau, à peu près de l'assiete de Poictiers. Elle a trois
ponts sur la rivière, l'un qui porte le nom de Ghe-
landre, qu'on tient pour certain basti entièrement par
Gaesar, un autre du costé de Montauban, qui s'appelle
le Pont-Neuf, le troisiesme estant hors de commodité.
Les entrepreneurs débatirent sur le dessein. Enfin ils
se résolurent sur le Pont-Neuf, qui a à chasque bout
de soi un portail, bien accommodé d'ailleurs, mais
sans pont-levis. A cause de cela on avoit basti au
milieu du pont deux demi-esperons, qui se flanquoyent
bien.
11 y avoit autour du roi de Navarre force capitaines
de mérite, qui le destournoyent tant qu'ils pouvoyent
de ceste entreprise grandement périlleuse, tant pour
estre besoin de rompre deux portes et une barrière,
avec deux pétards seulement, que pour y avoir
dedans quinze cents soldats, et une compagnie de
gend'armes, qui fit monstre le jour devant l'entreprise.
Ils adjoustoyent à cela la grande valeur et créance du
lieutenant de roi, nommé Vezins^, lequel nous vous
épousé successivement Paule de Goste, Marguerite du Maine et
Isabeau de Montbartier.
1. Gajarc (Lot), sur le Lot.
2. Jean de Vesins, seigneur de Roddier - Charri, frère d'An-
toine de Vesins, capitaine protestant, sénéchal de Quercy, gou-
verneur de Gahors, et lieutenant d'Honoré de Savoie, marquis de
Villars. Une lettre de ce capitaine au roi, antérieure de quelques
semaines aux événements, de Gahors et du 16 février 1580, trace
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. VU. 11
avons faict cognoistre. En un mot, ils lui faisoyent
voir le dedans plus fort que le dehors.
A tout cela le roi de Navarre, de qui la vertu et
l'honneur guerrière commença à se démonstrer en ce
temps-là, s'opiniastra en son dessein; et s'y achemina
le cinquiesme de may^, mit pied à terre à un quart de
lieue de la ville, fit son ordre ainsi^ :
Il donna aux pétard iers six soldats de ses gardes
bien choisis, A trente pas d'eux marchoit le baron de
Salignac^, accompagné de Sai net -Martin'^, capitaine
des nouvelles gardes, et de dix-huict bons hommes.
Roquelaure^, commandant une troupe gaillarde, la
un lamentable tableau de l'état de la province et des environs de
la ville (Copie; f. fr., vol. 15562, f. 50).
i . Beaucoup d'historiens se sont trompés à la suite de de Thou
et de d'Aubigné en fixant au 4 et 5 mai 1580 la date de l'assaut et
de la prise de Gahors par le roi de Navarre. La correspondance de
ce prince a éclairci les doutes accumulés par des assertions con-
tradictoires. La vérité est qu'il parut le 28 mai 1580 sous les murs
de Gahors et qu'il prit la ville le 31 après un combat acharné. Il
demeura à Gahors jusqu'au 9 juin (Lettres de Henri JV, 1. 1, p. 302).
2. Sully {OEconomies royales, liv. XI) donne de grands détails
sur le siège et la prise de Gahors, à laquelle il assistait. De Thou
n'est pas moins détaillé (liv. LXXU).
3. Armand de Gontaut, baron de Salignac par sa femme, Jeanne
de Salignac, ou plus probablement leur fils, Jean de Gontaut, né
en 1553, capitaine et négociateur au service du roi de Navarre,
mort le 11 octobre 1610. Le comte Théodore de Gontaut-Biron a
publié VAmbassade en Turquie de Jean de Gontaut-Biron, baron de
Salignac, in-8°, 1878. M. Berger de Xivrey et son successeur
confondent souvent Jean de Gontaut-Salignac avec la Mothe-
Fénelon-Salignac.
4. Gharles Le Glerc-Saint-Martin, capitaine protestant.
5. Antoine de Roquelaure, fils de Géraud de Roquelaure et
de Catherine de Bezolles, né en 1543, était maître de la garde-
robe du roi de Navarre, et chevalier de ses ordres en 1595.
Quelque temps avant la mort de Henri IV, en 1610, il devint
12 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
plus part de la maison du roi de Navarre, soustenoit
Salignac ; lui l'estoit de Terrides^ et du vicomte de
Gourdon avec mille arquebuziers. L'entreprise faillit
d'estre rompue par un grand orage, et les furieux
esclairs et coups de tonnerre qui survindrent.
Le premier pétard ayant joué à la première porte,
le trou s'y fit plus bas que la barre, si mal à propos
qu'il falut rompre les bandes qui demeurèrent, mais
en fin les soldats les esbranlèrent si bien avec haie-
bardes qu'estant entrez, le baron de Salignac, joinct
à eux, emporta la garde des deux ravelins; et pour-
suivit si bien sa poincte que, malgré les arquebuzades
qu'on tiroit, Jean Robert porta le dernier pétard à la
dernière porte de la ville. Gettui-là joua si bien qu'il
coucha la porte tout de son long sur le pavé. Ce grand
bruit mit toute la ville en armes, horsmis ceux qui
firent les paresseux, croyans que ce fust le tonnerre.
Cette première troupe des six courut devant le baron
de Salignac, comme pour recognoistre, mais ils furent
arrestez au premier canton ; et là un des six, nommé
de Court^, duquel nous avons parlé, mis par terre.
maire de Bordeaux et maréchal de France. Il mourut à Lectoure
le 9 juin 1625.
1. Géraud de Lomagne, vicomte de Terride, frère d'Antoine de
Lomagne, commandant pour le roi de Navarre dans le bas Quercy-
et le Lauraguais.
2. Probablement un des membres de la maison de Cours, dont
le chef, François de Cours, s. de la Salle, était le fidèle serviteur
du roi de Navarre. Voyez Maisons historiques de Gascogne, t. I,
p. 293. M. Tamizey de Larroque a consacré à ce capitaine une
savante note (Documents relatifs à l'hist. de l'Agenais, 1875, p. 153).
Berger de Xivrey cite un s. de la Salle, gentilhomme gascon,
qu'il appelle aussi M. de les Bartes (Lettres de Henri IV. 1. 1, p. 111).
Peut-être est-ce le même.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. VH. 13
A cent pas de là parut Vezins avec quarante gentils-
hommes et trois cents arquebuziers*. Roquelaure,
ayant doublé le pas, ne fît plus que mesme troupe avec
le baron. Ce fut des deux costez à qui porteroit les
arquebuzades à bout-touchant. Des coups de traict il
falut venir aux coups de picques. Là Vezins blessé ^,
ceux de la ville s'estonnoyent et estoyent en route
sans les blessures des trois capitaines assaillans, Sali-
gnac, Roquelaure et Sainct-Martin, et aussi sans un
renfort d'hommes armez et de bons arquebuziers, du
costé de la ville. Aussi les assaillans furent bien à pro-
pos rafraîchis par Terride et le vicomte de Gourdon.
L'opiniastreté des attaquez apporta de l'estonnement
à ceux du vicomte de Gourdon, si bien que plus de
cinq cents estoyent rassortis de la ville. Le peuple de
Cahors, à tel spectacle, reprit un merveilleux courage,
si bien que, se resserrans et reschauffans l'un l'autre,
ils poussoyent rudement vers la porte Terride et ^ les
siens.
Le roi de Navarre estoit desjà pressé par ses con-
seilliers de remonter à cheval, quand les forces de la
vicomte de Turenne arrivèrent, harassées d'avoir faict
quatorze lieues en deux traictes. Aussitost Chouppes*,
1. L'édition de 1618 porte 3,000 arquebusiers.
2. Jean de Vesins fut tué d'un coup d'arquebuse au plus fort
du combat (De Thou, liv. LXXJI).
3. Var. de l'édit. de 1618 : « ... Terride et le vicomte de Gour-
don. Le roi... s
4. Pierre de Chouppes, seigneur de Chouppes, conseiller et
chambellan du roi de Navarre, gentilhomme ordinaire de sa
chambre, époux de Jeanne de Ségur-Pardaillan , en 1588. Il
devint plus tard lieutenant général du roi de Navarre en l'absence
de Turenne en Limousin. L'instruction qui lui fut confiée au
commencement de sa charge est conservée dans le vol. 15563,
44 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
qui les conduisoit, eut commandement de donner par
le trou du pétard, où il eut pour premier obstacle la
foulle des fuyards, qu'il falut rompre et forcer. Mesmes
les capitaines qui se vouloyent sauver lui crièrent qu'il
s'alloit perdre pour néant, et que tout estoit perdu.
Chouppes, leur ayant respondu des injures, s'avance
dans la ville, voit ensemble six cents arquebuziers des
ennemis, lesquels à la veue de ce rafraîchissement se
veuUent couvrir d'une barricade. Il fallut faire pose,
tant pour démesler les nouveaux venus de la route des
autres, comme aussi pour prendre haleine. Le roi de
Navarre, pressé plus que devant de faire retraicte,
après avoir respondu que la mort lui seroit plus douce
avec les siens, en faisant son devoir, qu'après les avoir
abandonnez estre couvert de déshonneur, marcha avec
son reste. Et cependant Chouppes, avec cinquante gen-
tilshommes et trois cents arquebuziers qu'il avoit
amenez, donne furieusement à la barricade, où il fut
attendu jusques aux coups d'espée. Les habitans
ployèrent à cet effort et, poursuivis l'espée dans les
reins jusques dans la maison de ville ^ ne la peurent
garnir en leur désordre ; si bien qu'avec peu de résis-
tance, ils la perdirent, et avec elle trois canons et une
f. 300 du fonds français (copie sans date). Pierre de Chouppes a
écrit des Mémoires, encore inédits, que nous nous disposons à
publier.
1. Le souvenir des meurtres perpétrés à Gahors en i572, après
la Saint -Barthélémy, excita tellement les troupes du roi de
Navarre qu'elles commirent de cruelles représailles. Voyez le récit
de de Thou (liv. LXXH) et celui de Brantôme (t. I, p. 273). Une
lettre de l'évêque de Rodez au roi, du 3 juin 1580, certifie les pil-
lages, les meurtres, les crimes des vainqueurs (Orig., f. fr.,
vol. 15563, f. 52).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. VU. 15
coulevrine. Chouppes, y ayant jette quelques hommes,
mande au roi de Navarre que tout se r'allioit vers le
collège, et qu'il s'y avançoit. Le messager ne porta
l'advis guères loin, car ce prince ne perdit plus de veue
Chouppes. A l'abri du collège, les habitants, qui
estoyent encoresde 2,000 à 2,500 hommes ensemble*,
tenoyent plus des deux tiers de la ville ; et cela barri-
que, et retranché durant les autres combats, si bien
que les attaquans ne purent faire pour le reste du jour
que se loger devant le collège et faire, la nuict, quelques
approches en perçant les maisons. Il y avoit un grand
diflférent d'avantages entre les deux partis, en ce que
ceux de la ville se resserroyent par nécessité, et les
autres s'espandoyent pour le pillage, si bien que, sous
un moindre capitaine que ce roi, la moitié des deffen-
dants eussent faict sauter les murailles à leurs pillards.
Mais ce prince, présent à tout, appelloit et nommoit
chacun par son nom, envoyoit des capitaines par la ville
r'amener leurs hommes à coups d'hallebardes, et non
sans en tuer quelques-uns, se souvenant bien des com-
mandements qu'il avoit donnez, et à qui.
Au matin du second jour, on gaigna jusques à dix
pas de la porte du collège, et falut employer la jour-
née et la nuict suivante en approches assez dange-
reuses, pour les grandes escoupeteries que faisoit ceste
multitude.
Le troisiesme jour, à soleil levant, fut monstre au roi
de Navarre un secours de quatre cens hommes qui
gaignoyent pais vers la porte de la Barre, fauxbourg
séparé de la ville, et aussi fort qu'elle. A cet accident
i. L'édition de 1618 porte 1,200 ou 1,300 hommes.
16 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
le conseil fut court, et la résolution prompte : asçavoir
de combattre ces nouveaux venus encores séparez, et
avant qu'ils approchassent du collège. Chouppes eut
ceste commission, qui ne put r'allier des siens que cent
arquebuziers et vingt gentilshommes, ce qui estonna
beaucoup de reffbrmés; lesquels, voyans leur salut
consister en un combat tant inégal pour eux, pres-
sèrent plus que jamais leur chef de quitter le jeu, mais
les responses furent pareilles aux premières. Chouppes,
voulant aider sa foiblesse de quelque ruse, passe le
pont de Chelandre, et se met sur la piste des ennemis
pour approcher d'eux en guise d'un secours nouveau,
et pour mieux faire poussa devant un capitaine Cas-
sinat, qui, approché à quatre-vingts pas, respondit
Vezins au qui-vive. Cette confiance dura jusques à dix
pas du voisinage, où les katholiques commençans de
s'allarmer, les refformés chargèrent les deux cents, qui
n'estoyent pas encore entrez au faubourg, si vivement
qu'il en demeura plus du tiers sur la place ; et puis
donnèrent au reste, entre les maisons, dans une rue
estroicte, où les autres deux cents, ayans eu loisir de
prendre quelque ordre et mesmes renforcez par ceux
du lieu, arrestèrent au commencement sur le cul les
refiFormés. Mais, dans l'espesse fumée qui s'amassoit
en lieu serré, et mesmes pour s'estre mis le feu en
quelques fourniments à cause de la presse, le capi-
taine Nesde et un sergent, qui y mourut, firent quelque
jour dans ceste foule à coups de hallebarde, ceux-là
bien suivis par les gentilshommes. Ceux du secours,
après avoir perdu les plus opiniastres, quittèrent le
fauxbourg. Sur cet effroi Chouppes fit gagner à ses
gens deux monastères, l'un de Chartreux, et l'autre
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. VH. 17
de religieuses ; là où ils prirent haleine en s'accommo-
dant pour garder ce qu'ils avoyent acquis.
Le quatriesme jour, le roi de Navarre, ayant tous-
jours cependant travaillé comme il pou voit, sur le soir
tint conseil, pour emporter au matin le collège; ce
qui se fit plus rudement qu'auparavant. Le feu fut mis
aux deux portes de devant et derrière, aussitost à celle
de devant, sous la fumée de celle de derrière. Nesde,
se doubtant que le feu auroit chassé d'une fenestre
qu'il voyoit ceux qui la deffendoyent , y porte une
eschelle, et estant entré, lui troisiesme, fit quitter la
porte à ceux qui tuoyent le feu, puis l'ouvre et donne
moyen à ses compagnons d'entrer. Ce fut à sauter les
murailles du collège du costé de la grand'rue pour
gaigner quatorze barricades, qui y estoyent faictes avec
quelque loisir. Le roi de Navarre, s' estant reposé dans
le collège et r'allié ce qu'il avoit espars cà et là, prend
résolution avec tous les capitaines d'emporter ceste
grand'rue à quelque prix que ce fust. Ceux qui avoient
deffaict ce secours en voulurent la poincte, où ils don-
nèrent fort brusquement, jusques à ce que leur chef
fût porté par terre d'un coup de pierre. Là trop de
gens faisans les officieux pour le relever, ce roi, qui
menoit la première troupe après, n'ayant que ses
gardes devant soi, et en pourpoint comme eux,
emporta la meilleure de leurs barricades. Sur la perte
de laquelle, la nuict et le matin d'après, qui fut le cin-
quiesme jour, tout s'estonna et gaigna le dehors de
la ville, la laissant paisible aux conquérans, si abbatus
du combat de cinq jours qu'ils ne pouvoyent plus
desmarcher ^.
1. Une lettre de Biron au roi, en date du \2 juin 1580, fournit
VI 2
18 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
Le roi de Navarre monstra ses pieds à plusieurs,
tous fendus et saignants en quelques endroits. II eut
soin de faire enlever ses morts, qui estoyent en tout
septante hommes. Entre les plus regrettez, pour avoir
bien faict à tout, fut la Motte-Bregion, de Poictou.
Chapitre VIII.
Suitte de guerre en Guyenne.
De Gahors, le roi de Navarre vint faire la guerre aux
forces qui se levoyent en Armagnac pour joindre le
mareschal de Biron*, et pour les incommoder estoit
jour et nuictà cheval. Il deffit quelques troupes nais-
santes auprès de Vic-Fezançac^, et de là à quelques
jours, passant près Beaumont-de-l'Aumagne^, où il
avoit fait quelques légères charges auparavant*, il ren-
contra deux compagnies de gens de pied qui furent
des détails nouveaux sur le siège et la prise de Gahors (Orig.,
f. fr., vol. 15563, f. 83).
1 . Bien que le maréchal de Biron fût le représentant du roi en
Guyenne, il n'avait encore officiellement que le titre de lieutenant
du roi de Navarre. Ce fut le 21 juillet 1580 qu'il reçut le titre de
lieutenant général et commandant en chef pour le roi en Guyenne
(Gopie auth. sur parchemin; coll. Glairambault, vol. 955, f. 127).
2. Vic-Fezensac (Gers), sur la Losse.
3. Le roi de Navarre était à Gasteljaloux le 30 avril 1580, à
Lectoure le 9 mai et était revenu à Nérac le 12 mai. Ce fut pro-
bablement entre le 30 avril et le 9 mai qu'il passa à Vic-Fezensac
et à Beaumont-de-Lomagne.
4. La ville de Beaumont-de-Lomagne fut punie, au mois de
décembre de cette même année, de la résistance que par deux
fois elle avait opposée au roi de Navarre. Elle fut prise et pillée
par des partisans huguenots et une partie des habitants fut mas-
sacrée. Le Journal de Faurin fixe la date de la prise de Beaumont-
de-Lomagne (édit. Pradel, p. 114) au mois de décembre 1580. Le
Journal de Syrueilh (1873, in-4») donne quelques détails.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. VIO. 19
promptement chargées par ses coureurs. Mais, pource
que les hayes et voisinage de la ville donnèrent avan-
tage aux arquebuziers et moyen de se r'allier, mesmes
que quelques soldats du lieu parurent au secours des
autres, le prince y donna en personne et en gros, et
mena battant et tuant les plus paresseux à gaigner
le fossé.
Telles diligences se firent tellement redouter que le
mareschal de Biron, prest à se mettre aux champs*,
dressa le corps de son armée dedans Marmande^, et
le roi de Navarre, pour l'approcher, vint se jetter à
Tonins^. Et de là, s'estant résolu de cercher le coup
d'espée, il marche avec trois cents bons chevaux, et
rien que ses deux gardes, qui faisoyent soixante arque-
buziers. 11 alla dresser son embuscade à la garenne de
Tonnins, où ayant logé ses bandes, il découple le
baron de Lezignan*, avec vingt gentilshommes choi-
sis, qui va donner des coups d'espée jusques dans les
portes de Marmande, et ne perd la ville de veue que
chassé d'arquebuzades, avec quelques gentilshommes
blessez.
1. Le maréchal de Biron était parti de Bordeaux le 20 juin 1580
et s'était mis en campagne. Il attendit, aux environs de la Réole,
la réunion de toutes ses troupes (Journal de Syrueilh, publié par
M. Simon, p. 80).
2. Le 8 juillet 1580, le maréchal de Biron était à Marmande
avec son armée. Le 13, il s'empara de Gontaut (Ibid.).
3. Tonneins (Lot-et-Garonne). Le roi de Navarre y arriva entre
le 2 et le 8 juillet 1580. Il y passa la journée du 9 juillet.
4. Henri de Lusignan, fils de Jean de Lusignan, capitaine de
cinquante hommes d'armes des ordonnances, plus tard gouver-
neur de la ville de Puymirol. M. Tamizey de Larroque a pubUé
plusieurs lettres de ce capitaine et lui a consacré une savante
note (Documents inédits sur Vhistoire de l'Agenais, p. 178 et suiv.).
ÎO raSTOIRE UNIVERSELLE. [1580
Yollet^ avec un valet de chambre, sans sçavoir le
dessein de son maistre, s'estoit avancé pour sçavoir
le premier des nouvelles de Lezignan. En peu de temps
il le void revenir un peu viste, et après lui une pous-
sière, qu'il estima ne pouvoir estre que de l'armée.
Croyant donc que le mareschal auroit esté trouvé en
bataille, il dépesche le valet de chambre au roi, et lui
mande sous le nom de Lezignan qu'il avoit l'armée
sur les bras et qu'il estoit perdu, s'il ne se retiroit en
toute diligence. Les meilleurs capitaines d'auprès de
ce prince le forcèrent à prendre cet advis. Et partant,
commanda promptement de marcher, et à ses deux
gardes, veu l'avantage du pays, de demeurer derrière
et le suivre; ce que fit Divetière, commandant la nou-
velle garde. Mais La Porte, vieil et ferme soldat, pria
quelqu'un de dire à son maistre qu'il estoit mieux logé,
pour son service, qu'il ne seroit ailleurs à cheval, et
en confusion ; et ainsi ne partit point. Sur ce poinct,
arrivoit de Languedoc Constans, pour les affaires que
nous déduirons au chapitre suivant, qui conseilla de
laisser une vingtaine de bons hommes pour tendre
la main à Lezignan. Il fut creu et envoyé à Lons, pour
l'assister et trier les vingt à cest effect. Geste troupe
n'eut pas loisir de brider le casque qu'ils voyent arri-
ver Lezignan, meslé de ceux de Biron. Eux vont pour
le desgager, selon que le chemin assez large le permet-
toit. Mais tout cela estoit crevé de ceste fleur de gen-
1. Pierre de Malras, baron d'Yolet, frère de François de Mal-
ras, époux de Gasparde de Taillac, fille de Balthazar, s. de Mar-
gerides, en 1572, gentilhomme ordinaire du duc d'Alençon en 1576,
maître d'hôtel de Catherine de Navarre en 1578, maréchal de camp
eu 1580, mort le 25 août 1586.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. VIE. 21
tilshommes gascons, qui, tous frais venus, avoyent
eu commandement de mesler sans taster; et aussi sen-
toyent-ils à leurs trousses cinq ou six cents chevaux,
pour succéder à leur gayeté. Mais le capitaine La Porte,
avec trente soldats des meilleurs de la France, atten-
dit à bout-touchant les plus importuns de ces coureurs,
et se meslant, pour trier les siens d'avec les autres,
arresta sur le cul toute ceste colère, service pour lequel
il ne fut jamais aimé de son maistre depuis, pource
que Lezignan, irrité de n'avoir pas trouvé l'embuscade
au lieu promis, parla de cet affaire hautement; main-
tenant que, sans ce coup de soldat, la retraicte d'un roi
estoit fuitte, et les portes de Tonnins le premier arrest.
Biron y perdit quelques gentilshommes, entr'iceux le
jeune Fumel^ et un des L'Estelles^, sept ou huict che-
vaux morts, et les blessez ayans fermé le chemin.
Lezignan y perdit le baron de Moncaut^. YoUet, appelle
pour recevoir réprimende, s'excusa sur le soin de la
personne royale, et que de son temps les rois, se gar-
dans pour la fin, laissoyent aller aux embuscades les
fols et les chevaux-légers*.
{. D'Aubigné commet ici une erreur, ou le jeune Fumel avait un
frère, François de Fumel, lieutenant du maréchal de Biron, en
place de Pierre de Masses, s. de Condom (Montre du 20 octobre
1580, f. fr., vol. 21537).
2. Sur ce capitaine, Tamizey de Larroque émet diverses hypo-
thèses {Notice sur Marmande, in-S®, p. 80, note).
3. Biaise de Laurière, seigneur et baron de Montcaut et de
Sainte-Culombe, gentilhomme de la chambre du roi, mestre de
camp d'un régiment d'artillerie, gouverneur de la ville et cita-
delle de Layrac. "Voyez sur ce personnage une note de M. Tami-
zey de Larroque {Notice sur Marmande, 1872, p. 80, note).
4. Cette escarmouche, livrée aux portes de Marmande, est
a!l HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
Chapitre IX.
De Languedoc.
Constans arrivant, comme nous avons dit, de Lan-
guedoc, rendit conte de sa charge, ainsi que nous
dirons. C'est qu'ayant trouvé Chastillon, retiré à Mil-
laut, à cause de la peste de Montpellier*, il le fit
retourner à Sommières, à une assemblée qui fut con-
voquée en ce lieu*, pour les affaires qui couroyent.
Là ayant donné ses lettres et desduit les nécessitez qui
contraignoyent le roi de Navarre à prendre les armes,
les raisons du jour qu'il avoit choisi, le péril où estoit
sa personne et tout le parti si on l'eust voulu différer
d'avantage, l'ordre qu'il avoit donné tant dehors que
dedans le royaume pour informer chacun de la justice
de ses armes, sommé tous les partisans de se joindre
à lui, comme le seul moyen pour garentir de ruine iné-
vitable les églises en général, et chacun en particulier.
Ceste harangue fut diversement receue selon la dif-
férence des esprits qui composoyent l'assemblée. Les
pasteurs et gentilshommes, qui avoyent assisté aux
traictez faicts avec la roine mère, et ceux qui avoyent
esté aux assemblées générales convoquées par le roi
de Navarre, estoyent instruits comment on vouloit
arracher les villes aux refformés pour les désarmer,
et venir plus facilement à bout de ce qui restoit.
racontée avec beaucoup d'autres détails par Sully qui y assistait
{OEconomîes royales, liv. XII).
1. La peste dura à Montpellier jusques en août 1580.
2. Assemblée de Sommières (avril ou mai 1580).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. IX. 23
Ceux-là se r'allyoyent avec Chastillon, LecquesS Por-
querez^, Chambaut^, presque toute la noblesse du
pays, les principaux pasteurs, comme Payen* et
Casques^, avec tout le tiers estât, pour, sans contre-
dict, approuver la prise des armes et les résolutions
qu'on leur envoyoit.
Pour la dernière paix de l'année 1 577, les reff ormes
avoyent choisi les plus capables de leurs jurisconsultes
pour composer la chambre, mi-partie en Languedoc,
entre ceux-là Clauzonne^ et VignoUes"'' ; le premier
desquels avoit eu grande réputation entre les fronts
d'airin. Ces deux, et avec eux tous ceux qui avoient
quelque estât en la justice, firent une brigue ouverte
par toute la province, et par le moyen de Serres*,
1. Antoine du Pleix, s. de Gremian et de Lecques.
2. Hérail-Pagès, s. de Porcairez.
3. Jacques de Ghambaud, vicomte de Privas, s. de VacheroUes
et autres lieux, gentilhomme de la chambre du roi, mestre de
camp de cavalerie, souvent nommé dans les Mémoires d'Eustache
Piémond.
4. Jean Payen était ministre de l'église de Montpellier.
5. Une lettre du roi de Navarre, datée du 16 décembre 1588,
nous fait connaître que le s. de Gasques était député du bas Lan-
guedoc [Lettres de Henri IV, t. II, p. 406).
6. Guillaume Roques, seigneur de Glausonnes, un des chefs
du parti protestant dans le haut Languedoc [Hist. du Languedoc,
t. V, 330 et suiv.). On le retrouve en 1583 à Montauban [Lettres
de Henri IV, t. I, p. 508).
7. Benjamin de VignoUes, fils de Paris de VignoUes, et de
Jacqueline de Constant, est signalé dans une note de M. Berger
de Xivrey comme chevalier de l'ordre du roi et maître d'hôtel
du comte de Soissons [Lettres de Henri IV, t. I, p. 586).
8. Jean de Serres, ministre de Nîmes, historien que nous
avons souvent cité, frère d'Olivier de Serres, le grand agronome.
M. Dardier, qui lui a consacré une savante notice biographique,
a publié une lettre de Jean de Serres au roi de Navarre, du 15 avril
24 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
ministre, qui avoit dix mille escus à solliciter en cour,
gagnèrent grande quantité de pasteurs, pour s'oppo-
ser à la prise des armes. Et fut si puissante cette fac-
tion que, trois mois et demi durant, il n'y eut au bas
Languedoc que Aigue-Mortes , Lunnel et Sommières
qui fissent la guerre avec Chastillon. Ces deux partis
s'eschauffans dans le parti donnèrent un grand avan-
tage au mareschal de Montmorenci, mais il ne s'en
prévalut point; ce que plusieurs attribuèrent à ce que
ses affaires n'estoyent pas bien à la cour.
Sur ce rapport faict à Tonnins, Constans, redespes-
ché pour courir aux remèdes du Languedoc, le trouva
en Testât que nous dirons. Nismes demeuroit non seu-
lement neutre, mais panchoit du costé du mareschal
contre Chastillon, à la persuasion des justiciers et de
la pluspart du consistoire. Il arriva que les katholiques
surprirent un petit fort nommé la CalemetleS d'où ils
faisoyent des courses dommageables jusques dans les
portes de Nismes sans respect de la neutralité. Cela
mettant en colère ceux qui perdoyent à ce passetemps,
fit résoudre les plus mauvais garçons de la ville de
tendre la main à Chastillon ; à cela aidant une assem-
blée que Constans fit convoquer en Alez^. Tant y a que
1580, relative aux événements qui nous occupent {Revue histo-
rique, juillet 1883, p. 317).
i. La Calmette (Gard), sur la route de Nîmes à Alais.
2. L'assemblée convoquée à Alais fut réunie au mois de mai 1580
et non au mois d'août comme le porte V Histoire du Languedoc, t. V,
p. 383. L'assemblée reconnut la prédominance du roi de Navarre
et la lieutenance de François de Chastillon. Le procès-verbal de
la réunion, daté du mois de mai, est conservé en copie dans le
vol. 15563 du f. fr., f. 51. Les résolutions de l'assemblée ont été
publiées par le comte Delaborde {François de Chastillon, p. 442).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. IX. 215
les soldats, tous despitez de s'estre bandez contre leur
mestier, receurent en leur ville Chastillon, lequel, sans
y faire longue demeure, assiège la Galemette et la prit
en trois jours'. Ce fut ce qui donna branle à tous les
diocèses, et qui les mit à la guerre et à la réunion.
Par ainsi le marescbal de Montmorenci, n'ayant plus
de couverture pour se tenir coi, résolut de se mettre
aux champs avec forces. Il assembla de cinq à six mil
hommes de pied, tira quatre canons et deux coule-
vrines de Béziers , et son armée estant composée , il
l'employa premièrement pour le siège de Villemane ^.
De quoi Chastillon adverti mit en quatre jours quatre
cens cinquante chevaux et cinq mille hommes de pied
aux champs. Et s'estant avancé vers Cornon-TerraiP,
il y fit ferme pour joindre autres troupes qu'il atten-
doit de divers lieux. Durant tel séjour le régiment de
Monthazin^*, qui estoit à Fabregues^, entre Montpelier
et Gigean, fut mandé par le duc de Montmorenci pour
aller joindre l'armée à Villemane. De Cornon-Terrail,
comme on ouyt le bruit des tambours, qui battoyent
aux champs, par confiance à la force du régiment,
Chastillon commanda Constans, auquel il venoit de
donner sa cornette blanche, de prendre quelques-uns
pour aller voir que c' estoit. Comme il fut sixiesme,
entre ceux-là Carlincas, LaTour etLarrois, le régiment,
se hastant de passer la plaine, pource qu'ils voyoyent
1. Prise de la Calmette par les réformés, juillet ou août 1580
(Hist. du Languedoc, t. V, p. 383).
2. Villemagne (Hérault), non loin de l'Orb.
3. Gournonterral (Hérault), sur le Gaulason.
4. Guillaume de la Vergne, s. de Montbazin, plusieurs fois cité
dans les Lettres de Henri IV.
5. Fabrègues (Hérault), sur le Gaulason.
86 fflSTOlRE UNIVERSELLE. [1580
Chastillon à cheval, les six passent et repassent les
rangs à travers d'iceux, où ils blessent et tuent quel-
cun. Deux sergens donnèrent aux chevaux. Larrois y
fut blessé; et tout le régiment, avec perte de la moi-
tié des armes, se jettent dans les fossez de Gigean, et
la nuict d'après se rendit au camp. Le lendemain, les
forces qu'attendoit Chastillon estans arrivées, et lui
ayant disposé de son ordre, comme croyant trouver
l'armée en chemin, marche droit à Villemane. Mais le
mareschal pressoit sa batterie, pour donner l'assaut
avant l'arrivée de son ennemi ; et cela mesmes fit dou-
bler le pas aux secourans, auxquels l'armée, laissant
la moitié de la ville desgarnie, permit de gagner la
ville et quelques environs pour leur logis.
Chastillon entre en conseil pour se résoudre s'il atta-
queroit le camp, assez bien retranché, dès ce jour-là,
ou s'il remettroit au lendemain. Entre ce camp, qui
estoit en lieu eslevé, et le logis des réformés, y a un
grand vallon duquel le fonds est assez plein. Ceste
petite pleine convia quelques-uns des nouveaux venus
à s'y aller pourmener, sans ordre et sans commande-
ment. Les katholiques aussi s'y en vont pour faire la
bien venue. L'escarmouche commencée, les uns et les
autres furent tellement soustenus qu'il en demeura peu
aux drapeaux. Voilà en peu de temps plus de quatre
mille arquebuzades et force gens morts et blessez. A
ce bruit il falut quitter le conseil et trouva-t-on que
les refformés avoyent congné les autres dedans leurs
retranchements, tous sans ordre, jusques à donner du
ventre aux gabions et s'en couvrir pour tirer entre-
deux. Les chefs coururent pour rompre les chiens,
mais la nuict les sépara plus que leurs commande-
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. IX. 27
ments, en laquelle Chastillon, rentré en conseil, résolut
de donner aux tranchées au poinct du jour et adjouster
la conduicte à la gayeté des siens. Le mareschal de
Montmorenci prit un autre conseil de son costé. Car,
ceste gayeté huguenotte lui ayant faict craindre le
succès du lendemain, il fit, dès la nuict et sans bruit,
desloger son artillerie au chemin de Meze*, où, vou-
lant retirer son reste, il observa la bienséance ; car,
ayant passé un petit ruisseau, quelques costeaux et
chemins estroits, il prit une commode place de
bataille. Chastillon bat aux champs au poinct du jour,
pensant exécuter sa résolution, puis, ne trouvant que
le nid, il se met sur les pas de l'armée, laquelle, en
peu d'heures, il affronta ; mais, en lieu où les uns ne
pouvans aller aux autres, il se falut contenter de
quelque légère escarmouche et aller cercher logis-.
Au ^ commencement des choses déduictes en ce cha-
pitre, Chambaut* prit le temps des affaires de Langue-
doc pour refaire à Sainct-Greve ^ les mesmes choses
que nous vous avons contées de lui aux guerres pré-
cédentes. Il barriqua et retrancha la place, de laquelle
il avoit cognu les défauts plus à propos qu'à la pre-
mière fois, mais à moins de loisir et de plus foibles
1. Mèze (Hérault), sur les bords de l'étang de Thau.
2. L'escarmouche de Villemagne eut lieu au mois de sep-
tembre 1580, car elle est racontée au roi par le maréchal de
Montmorency dans une lettre du 2 octobre, conservée à la biblio-
thèque de Toulouse {Mémoires de Gâches, p. 285, note de M. Pra-
del). C'est par erreur que l'Hist. du Languedoc la date du mois
d'août (t. V, p. 383).
3. Le reste du chapitre manque à l'édition de 1618.
4. Le s. de Ghambaud était gouverneur de Saint-Agrève .
5. Saint-Agrève (Ardèche), sur l'Érieux.
28 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
parapets; car le gouverneur de Lyon^ qui avoit aussi
esprouvé de quelle diligence il estoit besoin pour s'op-
poser à telles entreprises, esmeut quant et quant tout
le pays, et, assisté de Montlor^ et Montréal ^ chefs de
la ligue, dans quatorze jours, eut formé le siège de la
Grève*.
Chambaut avoit dedans quatre cents hommes sous
les capitaines Sautel, La Blache^, Bayernel et Thierry,
une compagnie à lui et quelques gentilshommes volon-
taires.
1. François de Mandelot, fils de Georges de Mandelot et de
Charlotte d'Igny, né à Paris le 20 octobre i529, époux d'Éléonore
Robertet, mort à Lyon, le 24 novembre 1588. Il était déjà gou-
verneur de Lyon en 1572. La correspondance de ce personnage
est très nombreuse. Nous citons ici quelques manuscrits conser-
vés à la Bibliothèque nationale : f. fr., vol. 2704 (gros recueil de
copies qui semble avoir été à son usage), 3320, 3379, 3408, 4631,
6628, 6629, 15550, 15551, 15555, 15567, 15568, 16016, Vc de Gol-
bert, vol. 8 et 9, coll. Glairambault, vol. 1116.
2. Louis-Guillaume de Raymond-Mourmoiron, baron d'Aube-
nas, de Maubec et de Modène, comte de Montlord, gendre de
Laurent de Maugiron, capitaine catholique, souvent nommé dans
les Mémoires d'Eustache Piémond.
3. Guillaume de Balazuc, s. de Montréal, Senillac, Chazeaux
et Lanas, gentilhomme de la chambre du roi, maréchal de camp
et gouverneur du Vivarais, souvent désigné dans les documents
du temps sous les noms de Gherillac ou de Serillac ou de Ghem-
lac [Mémoires de Piémond, p. 583).
4. François de Mandelot, gouverneur de Lyon, secondé parles
capitaines de la Tour-Saint- Vidal, gouverneur du Vêlai, et Tour-
non, gouverneur du Vivarais, investit Saint-Agrève le 16 sep-
tembre 1580 (Hist. du Languedoc, t. V, p. 383).
5. Jean de la Blache, nommé par le prince de Gondé en 1577
gouverneur de Gharmes (Ardèche), capitaine huguenot, ne doit
pas être confondu avec François de Vallin, s. de la Blache, capi-
taine cathoUque, un des lieutenants de Laurent de Maugiron.
Les deux capitaines sont cités dans les Mémoires de Piémond.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. IX. 89
Lyon ayant fourni de canon à bon escient, les for-
tifications tumuituaires^ furent bien tosten poudre, et
mesmes les maisons de ceste villette estans percées
tout à travers, les soldats n'avoyent logis que de petits
fossez, desquels pourtant ils sortoyent aux assauts,
quand les canons des assiégeans eussent tué des uns
et des autres. Ils soustindrent par six fois attaque
générale; à la cinquième desquelles, Chambaut, blessé
d'un esclat, ne laissa pas de se faire porter dans
une chaire à toutes occasions. Et, avant descouvert
quelques gens mal menez et estonnez, qui practi-
quoyent un parlement, après avoir faict les braves
défenses nécessaires en tel cas, ayant prolongé le siège
jusques à six sepmaines contre toute apparence, et lui
estant guéri , il prit encores la résolution du premier
siège, met à sa teste un de ses meilleurs hommes, et
l'autre au cul; il fausse les tranchées de nuict, perce,
fait fuir la cavallerie qui estoit en garde; et, ayant
gagné la vallée Sainct-Martin^, refaict son ordre et
entre au Ghelat^ au point du jour.
Le gouverneur de Lyon, ayant appris que les places
qui doivent plus à la nature qu'au labeur se doivent
plustost garder que razer, mit Sainte-Grève* entre les
mains du comte de Tournon^, à qui elle appartient.
1. Tumultuaire, construit avec précipitation.
2. Saint-Martin-de-Valanias (Ardèche), sur la Saliouve.
3. Le Ghailard (Ardèche), au confluent de l'Érieux et de la
Dorne.
4. Prise de Saint-Agrève par les catholiques, 25 septembre 1580
(Hist. du Languedoc, t. V, p. 384). Dom Vaissette cite un récit du
siège de Saint-Agrève, imprimé à Lyon en 1581, petit in-8'.
5. Just-Louis, comte de Tournon, bailli du Vivarais et séné-
chal d'Auvergne. Il était cousm germain du vicomte de Turenne
30 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
Chapitre X.
De l'entreprise de Blaye et autres.
Si les entreprises traversées de plusieurs accidents
sont capables d'instruire les jeunes capitaines, je n'ai
peu leur desrober celle de Blaye,. bien que faillie par
moi, qui en cela me soubmets aux gens de guerre et
à leur jugement. Trois gentilshommes ou soldats de
marque, nommez Nivaudière, Turtrie et La Leu,
nourris en la maison du baron d'Hervaux^ lors gou-
verneur de Blaye, sur quelques mescontentements
receus de lui et ayans ouy estimer la garnison de Mon-
taigu, s'y en viennent. Et, comme voisins de La Bou-
laye, à cause de la Tour d'Oiré^, lui parlent du moyen
de prendre Blaye, eux estans renvoyez pour cet affaire
à Aubigné. La Boulaye et lui en lieu secret les enten-
dirent, disans qu'ils estoyent de naguères à Blaye
comme familiers amis, et l'un d'eux parent de Villiers
y commandant et lieutenant du baron ; qu'il n'y avoit
dans le Petit Chastellet^ que huict soldats d'ordinaire
pour le plus, et tels quels, si bien qu'eux trois entre-
prendroyent bien d'en venir à bout, pourveu qu'as-
seurez d'estre secourus à propos; d'avantage qu'en
discourant avec Villiers, ils lui avoyent faict quelque
envie de servir le roi de Navarre, soit pour l'estime
et beau-frère du comte de la Rochefoucauld, principaux amis du
roi de Navarre.
1. Le baron d'Hervaux, gouverneur de Blaye, est nommé le
baron d'Arnault dans une relation que nous citons plus loin et
qui est tirée du f. fr., vol. 15563, f. 90.
2. La Tour d'Oiré (Vienne), sur les bords de la Vienne.
3. Le Petit-Châtelet (Gironde), près de Blaye.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. X. 31
de ce prince ou pour son parti, dans lequel les soldats
faisoyent mieux leur profit qu'en l'autre. Ils adjous-
toyent que cet homme leur avoit donné espérance de
s'y joindre avec eux, pourveu qu'ils eussent fait leur
condition bonne avec quelque chef des réformés ; par
ainsi que, si on vouloit entendre à les soustenir bien
au péril de leur vie, ils se rendroyent les plus forts
dans le Chastelet. Aubigné ne leur fit pas tant de ques-
tions comme il avoit fait au capitaine Mas, seulement
fut d'advis de commencer cet affaire après s'estre
asseuré du temps ^ et de la façon d'y donner, en fai-
sant resouvenir Viiliers de leur proposition pour entrer
au service du roi de Navarre ; que, sur ce qu'il leur
en avoit dit, ils s'estoyent avancez d'asseurer leur
condition avec quelques chefs reff ormes, que, s'ils le
trouvoyent en mesme résolution, leur affaire estoit
très aisée ; et, s'il estoit changé, qu'ils advisassent à
la seureté de leur vie et de l'entreprise; que lui, ayant
ceste commission, neleur manqueroit pas d'une minute,
estant observateur de ses paroles, mesmes au péril
de la mort. La Boulaye ayant certifié cela mesme par
son serment, ils remettent cela à une autre fois pour,
après avoir bien étudié les circonstances, venir toucher
à la main.
Deux entreprises, qui furent à peu de temps l'une
après l'autre sur Montaigu^, retardèrent le parlement
1. D' Aubigné, dans ses Mémoires, mentionne l'entreprise de
Blaye, mais il ne donne aucun détail nouveau.
2. Montaigu (Vendée). Les réformés prirent Montaigu au
milieu de mars 1580 (Ghron. Fontenais., p. 206). Tous les histo-
riens du temps sont unanimes sur cette date. C'est par erreur que
les Arch. hist. du Poitou (t. XTV, p. Mb) ont attribué à l'an-
née 1579 une lettre de Henri III qui rapporte cette surprise.
321 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
pour exécuter ce qui se présentoit de plus pressé. La
première fut par un gentilhomme nommé de Butterie,
enseigne de Jarrie^ . Cestui-ci, esperduement amoureux
de la sœur de Pelissonnière^, ne refusa point d'acheter
sa maistresse par la trahison de Montaigu; donna
rendez-vous à toute la ligue de bas Poictou pour se
trouver devant le chasteau deux heures après minuict,
promettant, avec l'aide de quatre soldats, desquels
deux estoyent de Genève, de couper la gorge au corps
de garde du chasteau, demandant d'estre secouru
quand il auroit, à la veue des entrepreneurs, jette les
morts par dessus les murailles et non plutost. Sur le
soir de l'entreprise, quelcun ayant cognu à la mine de
ce jeune homme qu'il avoit un grand débat en son
âme et mesmes qu'il avoit un pourpoint de maille,
cestui-là mesmes, qui avoit accoustumé de mener les
compagnies à la guerre, commanda à La Butterie de
tenir prests six bons hommes et qu'il se faloit desro-
ber par la poterne du chasteau. De Butterie, saisi par
Bastardraye, son cousin germain, par lui-mesmes
interrogué et pressé, confessa tout et sans que son
cousin lui promist la vie, bien qu'il en eust pouvoir.
Des six qu'il avoit menez il n'avoit pas failli de choisir
quatre des exécuteurs. La Boulaye, ayant fait prendre
tout cela, n'oublia pas de faire exécuter tous les signaux
que ces marchands descouvrirent : de sonner contre
1. Jairie, capitaine de gens de pied, appartenait au parti catho-
lique. Il est nommé dans un état présenté au roi par le comte du
Lude (Arcli. hist. du Poitou, t. XII).
2. Le s. de Pélissonnière ou de la Pélissonnière , capitaine
catholique, portait la cornette blanche du duc de Mayenne (Aubi-
gné, Mémoires, ann. 1580).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. X. àS
une grille, d'allumer un feu sur le haut du donjon.
Et, à l'arrivée des conjurez, qui ne manquèrent pas,
les quatre soldats poignardez furent précipitez du haut
du chasleau. Là de Butterie, attaché par un pied, se
pourmenoit à leur veue, les encourageant. Toute la
garnison, horsmis quelques-uns sur la muraille, faisoit
semblant de présenter l'escalade au chasteau, mettoyent
le feu au pont-levis ; ceux de dehors voyans les morts
et les blessez contrefaits comme on les traînoit dessus
la contrescarpe. Mais, quoiqu'ils vissent une farce bien
jouée, ils firent sagesse de froideur, et de Butterie fut
jette après les autres.
La seconde entreprise sur Montaigu fut de Vrignez,
qui, pour cinquante mille francs asseurez par le mares-
chal de Rets\ devoit mettre le chasteau, où il com-
mandoit, entre ses mains. La Boulaye adverti envoya
quérir Vieillevigne ^ et Sainct-Estienne^, et, leur ayant
communiqué l'affaire, quoiqu'ils fussent parents de
Vrignez, quelcun ayant saisi le corps de garde habi-
lement, le marchand fut poignardé*.
Ces deux accidents et le dernier faict de Limoges
1. Albert de Gondi, duc de Retz.
2. Jean de Machecou, s. de Vieille- Vigne, capitaine huguenot,
signalé pour ses pillages et ses excès dans le diocèse de Luçon
(Hist. du Poitou, par Thibaudeau, t. III, p. 521). Il est plusieurs
fois nommé dans le Journal de Généraux.
3. Le s. de Saint-Étienne, capitaine huguenot, était le fils du
8. de Vieille- Vigne (Journal de Généraux, p. 114). D commandait
à Montaigu une brigade de cavalerie [Mémoires de d'Aubigné,
édit. Charpentier, p. 57).
4. Le s. de la Vergnaye fut tué par le s. de la Boulaye avant
le 27 mai 1580, ainsi que nous l'apprend une lettre du comte du
Lude au roi, de cette date, qui rend compte de cette affaire
(Arch. hist. du Poitou, t. XIV, p. 140, note).
VI 3
34 raSTOIRE UNIVERSELLE. [1580
refroidirent quelque peu les entrepreneurs sur Blaye.
Mais enfin la valeur de l'affaire les fit passer outre et
résouldre qu'Aubigné prendroit de Montaigu quarante
gentilshommes et deux fois autant d'arquebusiers à
cheval, meneroit avec lui les trois qui le quitteroyent
auprès de Sainct-Jean-d'Angeli pour aller à la besongne ;
et que là, il se prépàreroit les forces du pays, où il avoit
crédit, pour se trouver sur la contrescarpe du chas-
teau le premier mercredi de juillet, à six heures du
soir à point nommé, plustost tardant qu'avançant, y
ayant bien plus de péril de paroistre un quart d'heure
avant le coup faict qu'une heure après. Les trois pro-
mirent de jetter les morts par-dessus la muraille et le
gouverneur mesmes s'il les refusoit, et puis qu'un des
trois descendroit du bastion, qui est devant le Ghaste-
let, pour donner asseurance aux secourans. Le jectdes
morts ne fut conté que pour rien, veu la leçon de Mon-
taigu. Mais, sur la descente d'un des trois, tout fut juré
et conclud, à la charge que la moitié des utilitez du
gouverneur appartiendroyent à La Boulaye, bien qu'ab-
sent, pource qu'il faisoit la pluspart des frais.
En accomplissant tout ce que dessus, la troupe que
nous avons dite s'achemine . Les trois la laissent à Briou ^ ;
s'en vont passer à Angoulesme, oùNivaudière demeure
malade. Les autres deux, poursuivans leur chemin et
leur dessein, furent pris dans la garenne de Mon-
tendre^, et menez prisonniers à Pons^ Aubigné, avec
le tiers de sa troupe, s'y en court, et, comme il vou-
1. Brie (Charente-Inférieure), sur la route de Saint-Jean- d'An-
gély à Angoulême.
2. Montendre (Charente-Inférieure).
3. Pons (Charente-Inférieure), sur la Seugne.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. X. 35
loit payer deux cents escus pour la rançon de ces deux
prisonniers, et les faire passer outre, le capitaine des
preneurs lui demanda pardon du malheureux coup
qu'il avoit faict, par lequel il avoit rompu ou eslon-
gné le plus grand service qu'on peust rendre à la
cause de Dieu. Vous pouvez penser si ceste honnesteté
fut bien receue, joint à cela que tout le bruit de Ponts
et du pays estoit desjà commun, qu'on avoit pris des
hommes qui alloyent pour surprendre Blaye. Sainct-
Mesme^ escrivit de Sainct-Jean le mesme bruit, et
qu'il n'estoit plus d'advis de prester des hommes pour
faire jouer une mine es ventée. Sur ce point, les deux
prisonniers reçoivent un billet de Nivaudière, guéri
et arrivé à Blaye, par lequel il conjuroit ses compa-
gnons de chevir de leur rançon; que Villiers, qui bien
avoit sçeu leur prise, la payeroit; que jamais ils
n'avoyent estimé leur affaire si facile qu'il estoit, qu'il
falloit seulement prolonger de huict jours et renouer
le dessein comme il estoit. Sur ce billet les prisonniers,
avec serments exécrables, promettent plus que jamais
et sollicitent leur chef pour l'exécution. Lui leur
remonstre leur péril d'entrer seulement dans le chas-
teau, sur le renom qu'ils avoyent dans tout le pays,
d'y entrer pour le trahir. Au contraire, ils se font forts
d'une telle amitié avec Villiers qu'ils l'auroyent trahi
dix fois avant qu'il en eust creu l'une. Toutes ces asseu-
rances , outre raison , donnoyent autant de crainte à
l'entrepreneur, car ceste grande amitié lui debvoit cau-
ser autant de doubtes qu'elle donnoit aux autres de
i. Jean de Rochebeaucourt, seigneur de Sainte-Mesme, capi-
taine huguenot et gouverneur de Saint-Jean-d'Angély pour le
prince de Gondé.
36 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
seuretez. Les gouverneurs de Sai net-Jean et de Pons^
protestoyent de ne lui donner point d'hommes. Ber-
tauville, qui avoit grande créance au pays, fut le pre-
mier qui conforta Aubigné en la résolution d'y donner;
et les garnisons de Saincl-Jean et de Pons desfon-
cèrent maugré leur gouverneur pour suivre. Celui de
Pons, nommé Usson^, s'y achemine. Les compagnons
en partant adjoustèrent que les coureurs s'arrestassent
au moulin de la Garde-Rolland, et que là on feroit du
chasteau un signal d'un linceul attaché à une picque
droicte, si les preneurs du chasteau estoyent fort pres-
sez et abbatus, si les mortes-payes estoyent ignorans
ou estonnez. Les troupes de l'entreprise ayans mar-
ché toute la nuict, se rafraîchissent à Croupignac^
jusques après midi. Aubigné, menant ses coureurs,
arrive un peu avant six heures au moulin susdit, mais
tant s'en falut qu'il pust voir le signal, qu'ils ne pou-
voyent discerner une tour d'avec l'autre, à cause d'une
vapeur qui se lève presque tous les jours une fois à
la rencontre de tant d'eaux que douces que salées.
Plusieurs chefs de trouppes s'escrièrent lors qu'il ne
faloit pas aller plus avant sur la parole de personnes,
ou très infidelles à leur ancien ami, ou à ceux qui les
i. La ville de Pons, depuis 1576, avait toujours eu une garnison
réformée. Elle fut successivement gouvernée par le s. d'Usson, dont
nous parlons plus bas, par Jean de Pons, s. de Plassac, et par
Nicolas de Bonnefoy, s. de Bretauville (Audiat et Valleau, Un
paquet de lettres, 1881, in-8% p. 12, note).
2. Jean de Rabaine, s. d'Usson, capitaine huguenot, gendre du
baron de Mirambeau. En 1574, il avait pris part aux surprises de
Pons, Royan, Tonnay-Gharente, Talmont, Saint-Jean-d'Angély,
Rochefort et autres. II avait reçu le gouvernement de Pons (Ibid.).
3. Gourpignac (Charente-Inférieure).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. X. 37
employoyent maintenant, adjoustans que les manque-
ments qui paroissent dès le commencement estoyent
autant d'advertissements pour se garder d'estre empoi-
gnez. Celui qui conduisoit la besongne, engagé de sa
foi, marchoit cependant et rencontra trente ou qua-
rante laquais messagers et escholiers ; c'estoit une bat-
telée qui venoit d'estre deschargée dans les faux-
bourgs de Blaye. Tous ceux-ci interroguez asseurèrent
qu'il n'y avoit aucune esmotion dans la ville. Cela
donna encores à crier contre le dessein, car tous ces
gens mentoyent, l'affaire estant au point que nous
allons dire. Aussitost que les deux compagnons furent
arrivez et mesmes dès le jour devant, de la part d'Al-
ias*, de Xainctes, et de Congnac, estoyent venues
lettres et messagers exprès, pour advertir comment
les prisonniers n'avoyent rien payé à Pons , mais
estoyent partis ayant donné espérance de faire un
coup dont il seroit parlé; d'ailleurs que les forces de
Sainct-Jean, Pons et Royan, joinctes à celles de Mon-
taigu, marchoyent à l'entreprise. Il ne passoit aucune
heure sans billets qu'on donnoit à Villiers, et lui à
Turtrie pour les lire, pource qu'il ne lisoit pas.
Quelquesfoislesadvisiui estoyent desguisez ; quelques-
fois on lui faisoit sçavoir l'entreprise, mais en termes
généraux; tout cela mesprisé pour la confiance de
Villiers en ses hostes. Mais ceux de la ville, n'estans
pas tant aveugles, vindrent au chasteau sur les neuf
heures, pour presser le gouverneur de regarder à ses
affaires, lui déclarans que pour eux ils estoyent tous
en armes. Ceux-là estans renvoyez, Villiers, qui avoit
\. Âllas-Bocage (Charente-Inférieure).
38 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
disné de bon matin, se vint asseoir sur un lict, et
Turtrie, se mettant auprès de lui, le fit resouvenir des
propos qu'ils avoyent eus ensemble pour se mettre au
service du roi de Navarre. Villiers n'eut pas si tost
respondu qu'il estoit fort eslongné de cela, que Tur-
trie le tua de quatre coups de poignard, et en mesme
temps Nivaudière et Laleu en vont faire autant à trois
qui estoyent à la porte. Il n'en restoit plus dans le
Chastclet que trois, desquels l'un, qui estoit de leur
ancienne cognoissance, leur promit fidélité, les autres
deux furent mis dans une basse fosse. Cela achevé dès
les dix heures du matin, ceux de la ville, où quelques-
uns de Groupignac estoyent arrivez, ayans veu les
forces, s'en allèrent vers le chasteau environ midi, et
demandèrent d'entrer. On leur fit respondre par le
soldat nouvellement gaigné que la porte ne leur seroit
point ouverte, et qu'on sçavoit bien qu'ils vouloyent
surprendre le Ghastellet pour le remettre entre les
mains de Lansac. Ceux de la ville, qui s' estoyent
assemblez au matin pour dépescher à Bordeaux, se
voyent encore ensemble, et résolurent de forcer le
chasteau. Comme ils l'essayèrent entre deux et trois
heures, font venir quelques charrettes chargées de
fagots, mettent le feu au pont-levis, et firent leurs efforts
jusqu'après quatre heures. Mais les trois compagnons
et le quatriesme adjoinct, qui faisoit son devoir en
apparence, les firent desmordre, et sur les cinq heures
estant renforcez de ceux de Bourg, deSainct-Andreaux,
de Vitrezez et de Medo^, ils se préparoyent à un plus
1. Bourg-sur-Gironde; Saint-André (Gironde), sur la Dordogne;
Guitres (Gironde), sur le Palais ; le fort de Médoc (Gironde).
1580] LIVRE PTEUVIÈME, CHAP. X. 39
grand efifort, quand l'alarme du dehors et la crainte
que les fauxbourgs ne fussent pillez les firent employer
aux barricades. A quoi ils eurent une heure seulement
de loisir ; paroissant incontinent après six heures
une grosse troupe de cavallerie au visage du plus
proche des fauxbourgs, où Aubigné, se voyant accablé
de reproches que son ambition l'aveugloit à faire
perdre force gens de bien, se desrobba seul pour
essayer à prendre prisonnier quelque soldat, de sept
qui s'avançoyent fort dans le chemin. Il s'approcha si
près qu'ils le tirèrent et il en entreprit un qui com-
mandoit, en sautant un grand fossé, que guères de
chevaux n'eussent osé franchir. Ce soldat s'opiniastra
de façon qu'il ne put estre amené, aimant mieux
demeurer sur la place. Durant cette course, le conseil
se tint entre tous les chefs de troupe, où, après avoir
discouru sur les fauxbourgs retranchez, et jugé que
si les Blayois eussent eu peur de leur chasteau ils ne
se fussent pas amusez à cela, il fut résolu de tourner
visage, et Ber tau ville envoyé pour en advertir Aubi-
gné. Lui, au contraire, se tournant vers la première
troupe où estoyent les siens et quelques autres gen-
tilshommes de bonne volonté ; après avoir dict : « Que
ceux qui sont venus ici, pour l'amour de moi, facent
comme moi ; il faut que ma vie aille quérir ma foi, où
elle est engagée, » ils mettent pied à terre. Et fit là
son unique faute : c'est qu'il se contenta de dire qu'on
fist marcher son esquippage, et ne fit pas mettre dans
sa troupe les deux eschelles, qu'il avoit fait porter
jusques-là, et qui y demeurèrent, sur l'opinion qu'on
n'alloit plus que piller les fauxbourgs.
Bertauville, voyant qu'on alloit donner aux barri-
40 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
cades, s'y en vint, et à son exemple les deux Bois-
Ronds S tous en pourpoint et achevai. Tout cela vint
essuyer les costez d'Aubigné, qui leur cria : « Vous y
arriverez et retournerez les premiers. » Ceux-là don-
nèrent de la teste de leurs chevaux à la première bar-
ricade, et puis firent place aux gens de pied, qui
l'emportèrent de plein saut, comme estant la dernière
entreprise et la plus mal défendue. 11 ne s'y perdit
que deux hommes, et les capitaines Gercé et Mou vans,
blessez. A l'autre se trouva deux cents qui la mainte-
noyent, outre qu'on fist avancer par les costez deux
bonnes troupes. Il en resta encores une plus près de
la ville, où ceux de Pons, menez par le capitaine Mar-
çaut, donnèrent si gaillardement qu'ils la firent quit-
ter, et retirer une grosse troupe d'arquebuzerie
jusques par de là la porte. Cependant, après la seconde
barricade, Aubigné huictième sort du fauxbourg, et
s'en vint sur le bord du fossé à l'endroit du petit Ghas-
tellet, et là ayant deschargé sa rondache et son casque,
qu'il ne pouvoit plus porter, sur un petit fumier, il
prenoit autant d'haleine qu'il lui en faloit pour s'en
retourner, ayant accompli sa promesse, comme
croyant avec les autres n'y avoir plus rien dans le
chasteau qui fust à eux. Comme donc quelques arque-
buzades l'ennuyoyent, il reprenoit son casque pour le
retour quand Nivaudière l'appela, lui criant qu'il fîst
ses affaires à son aise, et qu'ils n'avoyent point de
haste jusques à minuict, qu'il envoyast une eschelle
au bastion par laquelle un d'eux descendroit, et que
1. L'un des deux frères est Jacob de Saint-Léger, s. de Bois-
rond, qui se signala au siège de Jonzac en 1570. Il commandait
un régiment en 1585 au siège de Brouage.
4580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. X. if
cependant on jetteroit le gouverneur naort. Ce fut à
souspirer pour les eschelles laissées et à promettre
deux cents escus à deux soldats pour les aller quérir.
Il prit lors un effroi aux mortes-payes et habitans qui
gaignoyent les bateaux pour s'enfuir, sans quelques
vieux soldats qui les ramenèrent à l'attaque du chas-
teau. Ceux de dehors estans fortifiez sur la contrescarpe
deffendoyent les trois parts de ce carré, disans tou-
jours aux quatre compagnons qu'ils n'eussent soin que
du devant. Aussi firent-ils quitter l'escalade après y
avoir tué du dehors quelques-uns des assaillans. Sur
ce point arrivent les deux eschelles, et Aubigné, ayant
pris un pennache blanc pour marque, enflé de vanité,
s'escria, en descendant dans le fossé et en jurant Dieu,
qu'il estoit roi de Blaye. Voilà ce que je dis pour n'es-
pargner point l'autheur, car Dieu le paya de sa folie,
en ostant tout d'un coup le courage à ces mauvais gar-
çons, desquels Laleu se jetta le premier dedans le fossé,
si esperdu que, jettant ses armes, Aubigné ne le put
arrester; et s'en courut sans prendre haleine à une
grosse troupe de cavallerie que Husson tenoit dans les
champs à huit cents pas de la place. Aubigné, qui
avoit creu au commencement qu'il se fust jette pour
lui tenir promesse, ayant recognu l'effroy, passoitvers
le bastion quand les autres deux firent le mesme saut ;
Turtrie le dernier avec les clefs du chasteau en la main.
Cettui-ci, détestant contre ses compagnons, s'offrit à
remonter le bastion ; et cela se faisoit sans que le qua-
triesme, qui, ayant fermé la poterne du bastion, fit
cognoistre à force d'arquebuzades que le nid estoit
pris. Ce fut à retirer les morts et les blessez*.
1. On conserve à la Bibliothèque nationale, dans le fonds fran-
42 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
Chapitre XI.
Envoy du vicomte de Turenne en Languedoc;
escarmouche de Nérac.
Quoique le roi de Navarre vit le mareschai de Biron
en estât de lui faire quitter la campagne, si est-ce
qu'il fut contraint de despescher le vicomte de Turenne
en Languedoc, pour les brouilleries qui s'y passoyent*.
La première besongne que le vicomte trouva en son
chemin fut Sorèze^, surprise par les katholiques pource
que la division estoit telle en ces pays-là, notamment
la noblesse et le tiers estât, qu'armez et veillans les
uns contre les autres, ils estoyent nuds et endormis
contre leurs ennemis. Voilà pourquoi il falut que le
vicomte mist l'ordre entr'eux avant qu'essayer quelque
désordre de l'autre costé. Il s'estoit faict une assem-
çais, vol. 15563, f. 90, une relation des événements de Blaye qui
ajoute quelques détails au récit de d'Aubigné. Cette relation nous
apprend la date de la tentative de surprise de Blaye, 17 juin 1580.
Voyez aussi sur cet événement deux lettres du maire et des jurats
de Blaye à Biron en date du 8 et du 26 juillet 1580 {Arch. de la
Gironde, t. Xin, p. 468 et 469).
1. Le vicomte de Turenne, nommé lieutenant général du roi
de Navarre en Albigeois, Lauraguais et bas Languedoc, arriva à
Castres le 17 avril et y réunit une assemblée, qui, le 22 avril 1580,
le reconnut pour chef du parti réformé. De Castres, Turenne se
mit en campagne le 15 juin (Hist. du Languedoc, t. V, p. 382).
Sur l'expédition de Turenne en Languedoc, voyez les Mémoires
de Bouillon, édit. Buchon, p. 421, et le Journal de Faurin, dans la
réimpression du tome LII des Pièces fugitives d'Aubais, p. 102 et
suiv., par M. Gh. Pradel.
2. La ville de Sorèze (Tarn) avait été prise par les catholiques,
le 3 mars 1580, et fut reprise par les réformés le 14 septembre
[Journal de Faurin, édit. Pradel, p. 98 et IH).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XI. 43
blée au bas Languedoc, où il arriva que ceux-là mesmes,
qui n'avoient pas voulu recevoir la guerre au commen-
cement, s'opposèrent à la paix sur l'espérance de cette
armée d'Allemagne*. Telle résolution hasta le prince
de Condé de venir dans le pais 2, mais les serviteurs
du roi de Navarre, et entre ceux-là Gonstans, mesna-
gèrent tellement que, ce prince ayant amené Clervant^
pour le mettre dans Aiguemortes, et Butrich* pour
Pequais% tout demeura en incertitude jusques à l'ar-
rivée du vicomte, lequel, en une assemblée, ramena à
soi les esprits divisez, fit résoudre tous aux volontez
du roi de Navarre, establit une grande police pour la
1. Le prince de Condé avait été chercher du secours en Alle-
magne, le 22 mai 1 580, et en Angleterre un mois après (Mémoires
de La Huguerye, t. Il, p. 55 et suiv.). Voyez le chapitre suivant.
2. Condé n'arriva en Languedoc, après un voyage aventureux
en Dauphiné (que La Huguerje raconte en détail, Mémoires, t. II,
p. 65 et suiv.), que le 14 novembre 1580 (Aubais, Pièces fugitives,
t. II; Mémoires de Merle, p. 18).
3. Claude -Antoine de Vienne, seigneur de Clervant, gentil-
homme huguenot et agent dévoué du roi de Navarre, souvent
nommé dans les Mémoires de La Huguerye.
4. Pierre Beutterich, conseiller et favori du duc Casimir de
Bavière, mort le 12 février 1587, souvent nommé dans les Mémoires
de La Huguerye et dans les Archives de Nassau, de Groen van Prins-
terer. En ce moment même, il négociait à Phalsbourg, à Nancy,
à Strasbourg, etc., au nom du parti réformé, sous le nom de la
Chouette et signait de ce nom ses lettres diplomatiques. On con-
serve dans le f. fr., vol. 3902, f, 212 et suiv., la copie de dix lettres
écrites par lui pendant la guerre de 1580. Ces lettres, écrites à
mots couverts et où les personnages sont désignés sous des noms
supposés, sont presque impossibles à comprendre.
5. Peccais (Gard). Toutes les salines du littoral de la Méditer-
ranée avaient été affermées, le 11 juin 1579, pour deux ans, par
ordre du roi, à Jean Richemer, citoyen de Bâle. On conserve
dans le vol. 4597 du f. fr. un recueil de lettres du roi et de pièces
relatives à cette afifaire.
44 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
guerre, par laquelle il trouva moyen, les garnisons
bien payées, d'entretenir à la campagne trois mil
hommes de pied, quatre cents chevaux, trois canons
et une coulevrine. Avec cet équipage, il gaigna la cam-
pagne sur Cornusson^ la lui ayant faict quitter après
quelque léger combat, reprit Sorèze et Briteste^, qui
avoit encores esté perdue depuis. A quoi il adjousta
quelques maisons de gentilshommes qui faisoyent la
guerre; toutes ces places indignes de nom^.
Le roi de Navarre, cependant, ne faisoit pas ses
affaires si aisément; car il fut contrainct, la campagne
perdue, de se retirer à Nérac*, où il n'avoit pas cent
chevaux, sans l'arrivée du comte delaRochefoucaut^,
qui lui en amena quelques quatre-vingts et deux cents
arquebuziers à cheval en sept compagnies. Le mares-
chal de Biron, pour monstrer davantage le mauvais
estât de ce prince, se vint loger sur le bord de Garonne,
ayant passé l'eau aux ports de Saincte-Marie et d'Agen.
A son desloger, se fit rencontre auprès de La Plume ^
de la troupe du comte de La Rochefoucaut, qui estoit
allé à la guerre, et de celle de Saint-Orins''', avec
quelques volontaires qui faisoyent le mesme devoir.
1. François de la Vallette, s. de Gornusson, sénéchal de Tou-
louse.
2. Briatexte (Tarn), sur l'Adou. — Reprise de Sorèze et de Bria-
texte par Turenne, 14 septembre 1580 (Hist. du Languedoc, t. V,
p. 384).
3. Voy. VHist. du Languedoc, t. Y, p. 382 et 384.
4. Le roi de Navarre arriva à Nérac le 15 août et y resta jus-
qu'à la fin du mois.
5. François IV, comte de la Rochefoucauld, fils de François III
tué à la Saint-Barthélémy, mort à Saint- Yrieix le 15 mars 1591.
6. La Plume (Lot-et-Garonne).
7. François de Gassagnet de Tilladet, s. de Saint-Orens.
4580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XI. 45
A une traverse de chemin, les coureurs du comte arri-
vèrent dans le gros des autres les premiers, et, char-
geans, mirent la troupe en confusion. Mais leurs
coureurs, ayans pris à travers les champs, donnèrent
si résoluement sur les refformez qu'ils les mettoyent
en désordre sans les arquebuziers qui arrestèrent tout.
A cela y eut sept ou huict gentilshommes blessez, deux
tuez, neuf ou dix prisonniers. Entre ceux-là, un des
Montcassins*, qui fut après maistre de camp de Cham-
pagne. Le lendemain, le mareschal de Biron marcha
devers Francisquas^, et, avec quatre mil hommes de
pied, six cents chevaux et deux coulevrines, vint
prendre place de bataille sur le haut des vignes de
Nérac^, et se logea en croissant dans un champ fort
incommode, pource que, de la ville, on alloit par
rideaux de cent pas en cent pas jusques aux pieds de
ceste cavalierie. Mais cet avantage ne fut point pris
pour je ne sçai quelle épidémie de crainte, qui partout
afflige les armées quelquesfois. Quelque gentilhomme *,
1. René de Lussiac, seigneur de Moncassin, parent du duc
d'Épemon, plus tard gouverneur de Metz et du pays Messin (1581).
2. Francescas (Lot-et-Garonne).
3. La date de l'escarmouche de Nérac ne nous est pas exac-
tement connue ; cependant on peut la fixer approximativement
aux premiers jours de septembre 1580. Le roi de Navarre revint
à Nérac le 15 août et en repartit le l*' du mois de septembre
(Itinéraire de Henri IV dans le tome II des Lettres). A cette nou-
velle, le maréchal de Biron, qui était à Auvillars depuis quelques
jours (Arch. de la Gironde, t. XJV, p. 172), s'approcha de Nérac et
livra le petit combat que d'Aubigné raconte. Biron en fait le récit
au roi dans sa lettre du 7 septembre 1580 {Ibid., p. 173). Sa lettre
confirme en tout point la relation de VHist. universelle. Le Jour-
nal de Syrueilh (Bordeaux, 1873, in-4», p. 85) donne quelques
détails sur ce fait d'armes.
4. Quelque gentilhomme désigne ici d'Aubigné lui-mâme. Il parle
46 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
qui estoit venu de Montaigu, où la maladie estoit au
rebours, rallia quelques quarante soldats. Ceux-là,
ayans receu l'armée de plus loin que du costau, furent
réduits à force d'infanterie à un des rideaux que nous
avons dit, et l'opiniastrèrent deux heures durant. Au
bout desquelles le mareschal, ayant fait tirer sa volée
dans la ville, desmarcha pour aller prendre logis à
Mezin*. La roine de Navarre, Madame 2, et les filles de
la cour, estans venues dans des guérites pour avoir
le plaisir d'une escarmouche, s'en allèrent mal édifiées
et de la froideur de leurs gens et d'un coup de canon
qui avoit donné demi brasse à la muraille, sous les
pieds de cette roine ^. D'autre costé, l'armée se con-
tenta de fort peu, comme de la prise de Mezin et de
deux autres bicocques, où ils n'osèrent laisser gar-
nison*.
Je ne puis laisser en arrière une maladie qui régna
trois mois de ceste année-là, nommée la coqueluche^,
dans ses Mémoires (année 1580) de l'escarmouche de Nérac. Sully
y combattit aussi en simple volontaire à pied malgré la défense
du roi de Navarre. Voy. le récit des OEconomies royales, ch. xiii.
1. Mezin (Lot-et-Garonne), entre les deux rivières de Losse et
Lauboue. Le Journal de Syrueilh dit que Biron se retira à Mon-
tagnac (p. 86), et la lettre de ce capitaine, citée plus haut, confirme
cette indication {Arch. de la Gironde, t. XIV, p. 173).
2. Catherine de Bourbon, sœur du roi de Navarre.
3. Ce coup de canon offensa la reine Marguerite plus qu'il ne
lui fit de mal. Voy. ses plaintes contre Biron dans ses Mémoires,
édit. Guessard, p. 169.
4. Le Journal de Syrueilh dit que Biron s'empara de Francescas,
Montagnac, Monréal, Mezin, Sos, Vic-Fezensac, Gazenove, Astaf-
fort, Fieurance et Montfort (p. 86). Sa correspondance, contenue
dans le t. XIV des Arch. de la Gironde, énumère les villes prises.
5. La maladie dite la Coqueluche ou Trousse-galant parut en
Gascogne et en Languedoc dans le milieu de l'été 1580. A Castres,
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XII. 47
laquelle plusieurs estiment estre marque infaillible de
la peste pour l'année d'après, comme de faict elle n'y
manqua pas. La vérité est que ceste corruption rendoit
les villes toutes entières sans garde; et est chose très
avérée que, si à Montaigu il y eust eu trente hommes
sains, ils pouvoyent prendre Nantes et son chasteau;
et, si à Nantes y eust eu dix hommes entiers, ils pou-
voyent rendre le semblable à Montaigu.
Chapitre XII.
Surprise de la Fère^.
On se servoit à la cour de la division des refformez
pour en retenir plusieurs en leurs maisons et en avoir
moins à combattre. Mais aussi, deleur costé, ils tiroyent
de telles diversitez ces esmoluments, que plusieurs pre-
noyent le temps à propos pour faire quelque coup*.
Entre ceux-là fut le prince de Condé, qui^, avant que
se retirer à Sainct-Jean, séjourna par ses maisons
elle se manifesta le 24 juillet, atteignit Damville et 800 hommes
de son armée (Journal de Faurin, édit. Pradel, p. 108 et note).
L'épidémie dura plusieurs mois et disparut après avoir fait d'in-
nombrables victimes. Voy. le récit de de Thou (liv. LXXII), les
Mémoires de d'Antras, p. 73 et 165, et le chap. xin des OEconomies
royales de Sully. On trouve, dans le t. IX des Archives curieuses
de Gimber et Danjou, une pièce sur l'épidémie de coqueluche
de 1580.
1. Surprise de la Fère par Condé, 29 novembre 1579. On con-
serve à la Bibliothèque nationale (V« de Golbert, vol. 29, f. 433)
un récit de la prise et de la reprise de cette ville. Voy. aussi les
Mémoires de La Huguerye, t. II, p. 29 et suiv.
2. Var. de l'édit. de 1618 : « ... quelque coup en se déclarant; entre
ceux-là... »
3. Les mots suivants, jusqu'à séjourna... y manquent à l'édition
de 1618.
48 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
depuis may jusques en novembre. A cela lui aidant la
négociation de la roine mère qui voulut mettre en
usage la discorde semée entre les deux cousins, et, sur
diverses espérances, attirer le prince à la cour.
Mais lui, résolu à la guerre, sur quelques promesses
que lui avoyent faites des gouverneurs de Picardie,
estima s'y pouvoir cantonner, assisté d'une brave
noblesse, qui, encores pour lors, y tenoit son parti.
Rien ne lui succéda que la Fère, la prise de laquelle se
passa comme s'ensuit*.
Le prince estant venu à Sainct-Jean-d'Angeli , en
partit déguisé avec La Place ^ et un autre. Et^ de là
se trouva au rendez-vous à Mouy * où se rencontrèrent
Jumelles ^ Gènes, Liramont et plusieurs autres gentils-
hommes, jusques au nombre de quatre vingts ; pour de
là se rendre au poinct du jour en une ferme d'abbaye,
nommée les Loges, qui est entre Gompiègne et Goussy ®.
Le prince, partant de Rieux*^, maison de Haucourt^,
1. Cette phrase, jusqu'à et de là..., manque à l'édition de 1618.
2. Le s. La Place est le personnage qui donna un soufflet à
La Noue à la Rochelle (Arcère, Hist. de la Rochelle, t. I, p. 477,
note). Il ne faut pas le confondre avec Jean de la Place, ministre
protestant à Montpellier.
3. Var. de l'édit. de 1618 : « Le rendez-vous fut donné à Mouf,
Jumelles... »
4. Mouy (Oise), sur le Thérain.
5. Le s. de Jumelles, capitaine huguenot, commandait huit
enseignes dans l'armée conduite par Jean de Hangest, s. de GenUs,
devant Mons, en 1572. Il est plusieurs fois cité dans les Mémoires
de La Huguerye.
6. Goucy-le-Ghâteau (Aisne).
7. Rieux (Oise).
8. François de Mailly, seigneur d'Haucourt, de Saint-Léger et
de Rieux, nommé dans les Lettres de Henri IV, fut tué d'un coup
de canon au siège de la Fère.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XH. 49
ne faillit pas d'y estre des premiers arrivez. De là il
fait marcher devant Gènes avec cinq chevaux, qui
estoit son train ordinaire. Cestui-ci, arrivé à la porte,
y trouva neuf mortes- payes, lesquels il arraisonna
jusques à ce qu'ils vissent paroistre Liramont, lui
vingtiesme. Ce fut lors que les gardes coururent à
leurs armes, mais trop tard, pource que les cinq les
meslèrent si résoluement, qu'encores qu'ils rendissent
du combat, ils ne peurent lever le pont, et Liramont
se jetta dessus au poinct que ceux de la ville arrivoyent
au secours. Le prince mesmes vint assez à temps pour
porter la frayeur aux bourgeois et, donnant jusques
à la place du chasteau, l'empescher d'estre gaigné par
eux. Donc\ quand il s'en fit maistre, il fit appeler les
principaux, les rasseura, leur fit entendre que, par le
commandement du roi et permission du roi de Navarre,
ceste place lui avoit esté ordonnée pour sa demeure,
leur donnant avec cela communication des lettres du
roi^. Ce peuple appaisé, après les gardes posées aux
portes et remparts, le prince fit curieusement porter
toutes les armes au chasteau, où il prit son logis.
Dans peu de jours furent dressées en la ville les
huict compagnies de Cormont^, La Sale, sergent-major,
i. Ce membre de phrase jusqu'à il fit appeler ... manque à l'édi-
tion de 1618.
2. Une lettre du roi de Navarre à Henri III, datée du 24 janvier
1580, rappelle que la ville de la Fère avait été accordée par le roi
au prince de Gondé pour sa sûreté (Lettres de Henri IV, t. VIII,
p. 157).
3. Antoine de Cormont, s. des Bordes, gentilhomme huguenot
et serviteur du prince de Gondé. G'est lui qui négocia la capitu-
lation des reitres après le combat d'Auneau (1587). Sous Henri IV,
il devint gentilhomme de la chambre et capitaine d'une compagnie
YI 4
50 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
La Personne, fils du gouverneur de mesme nom *, Her-
vilé, Persagni, Guitri^, Jonquè^es^ Rancogne et Lou-
vancourt. Cette action estant sçeue à Paris, la roine y
fit aller le prince de Conti* pour, sous cette ombre,
faire recognoistre Testât de la place par un Fougasse ^,
gouverneur de ce prince. Et puis elle mesme s'ache-
mina jusques à Ghoni ^ pour commencer un parlement
qui dura deux mois, mais inutilement^.
En febvrier le prince, voyant qu'il n'avoit autre
de chevau-légers. Il mourut après 1612 (Mémoires de La Huguerye,
t. I, p. 112).
1. François de la Personne était grand maître de l'artillerie au
camp des confédérés, en 1576. Il fut nommé gouverneur de la Fère,
après la seconde fuite de Gondé en Allemagne. Voyez plus loin,
p. 51.
2. Jean de Ghaumont, s. de Guitry, fils aîné d'Antoine de Ghau-
mont et de Jeanne d'Assy, chevalier de l'ordre, capitaine de cin-
quante hommes d'armes, en 1590, et lieutenant général des armées
du roi, mort en 1592.
3. Anne de Dompierre, s. de Jonquières, gentilhomme de
Picardie et capitaine protestant, fils d'Antoine de Dompierre,
premier page du roi de Navarre, capitaine au régiment de Para-
bère, en 1582, et maître de camp de ce même régiment en 1592.
4. François, prince de Gonti, troisième fils de Louis de Bour-
bon, prince de Gondé, et d'Éléonore de Roye, époux de Jeanne de
Goesme, dame de Bonnestable, en 1582, et de Louise Marguerite
de Lorraine en 1605, mort le 3 août 1614.
5. François de Fougasse, s. de Bertelasse, gouverneur du prince
de Gonti, agent secret de la reine mère (Lenglet-Dufresnoy, Jour-
nal de L'Estoile. t. V, p. 426).
6. Ghauny (Aisne), sur l'Oise. Gatherine de Médicis y était le
18 décembre 1579 (Lettre de cette date au roi; f. fr., vol. 3300,
f. 20).
7. Dans son désir de reprendre la place de la Fère au prince de
Gondé, la reine mère chargea le cardinal de Bourbon de proposer
au prince mademoiselle de Vaudémont, propre sœur de la reine
Louise de Lorraine (Lettre de Gatherine à Henri UI du 1 8 décembre
1579; copie, f. fr., vol. 3300, f. 20).
1580] UVRE NEUVIÈME, CHAP. XÏI. 51
place en Picardie et que dès lors on la menaçoit de
siège, la voyant encores hors d'espoir de secours*,
estima n'estre point là sa place, et, avec espoir de
faire mieux parmi les estrangers, entreprit le voyage
d'Allemagne par la Flandre^, duquel nous parlerons
en son lieu ; ayant auparavant tracé et commencé à la
Fère quelques nouvelles fortifications, comme un rave-
lin devant la porte de Laon, un autre devant celle de
Sainct- Quentin, un tiers devant la porte du parc et
le quatriesme le long de la courtine, qui est entre le
parc et le bastion de Luxembourg^. Toutes ces pièces
destachées, peu eslevées, peu espesses, plus enflées
de bois que de terre, et qui n'eurent guères qu'un
gratis au lieu de fossé. Encores avant ce partement
fut déclaré Mouï* lieutenant de roi, demeurant La
Personne tousjours gouverneur particulier.
1. Condé, dénué de tout secours et de toute influence, s'adressa
à la duchesse d'Uzès et la supplia de le recommander à la reine
et d'intercéder en sa faveur auprès du roi. Voyez deux curieuses
lettres qu'il écrivit à cette dame les 6 janvier et 14 février 1580
(Autog.; f. fr., vol. 3387, f. 15 et 38).
2. Le prince de Condé, craignant d'être assiégé dans la Fère,
partit subitement le 22 mai 1580 avec trois gentilshommes, après
avoir adressé au roi une sorte de manifeste qui est conservé en
copie dans le vol. 29 des Vc de Colbert, f. 430.
3. Avant de partir pour l'Allemagne, Condé constitua un con-
seil de guerre, distribua des pouvoirs, prit des mesures pour la
défense de la ville. Les copies de ces pièces et le procès-verbal
du conseil de guerre, du 23 mai au 4 juillet 1580, sont conservés
dans le vol. 4047 du fonds français.
4. Isaac de Vaudrey, s. de Mouy, plus tard représentant du roi
de Navarre à Sedan, et lieutenant de Chastillon. Les lettres du
prince de Condé qui lui donnent le gouvernement de la Fère,
datées du 22 mai 1580, sont conservées en copie du temps dans
le vol. 29 des Vc de Colbert, f. 432.
5$ fflSTOIRE UNIVERSELLE. [1580
De plus, estoit arrivé La Motte Juranville, capitaine
d'aage et d'expérience avec cinq compagnies, la sienne
et celle d'Estivaux ^ Vaudizière, Attis et La Motte
Sainct-Mars.
Cambrai estoit lors en Testât que nous marquons
au discours du Pais-Bas ; et y commandoit Inchi^, que
le prince alla visiter. Et lui donna les compagnies de
Hervilé et de Persagni pour mettre dans Bouchin^,
ce qui servit à l'asseurance de son passage, quand il
vouloit partir, mais afFoiblit la Fère de deux bonnes
compagnies et d'une grande commodité pour couver-
ture et retraicte à ceux à qui le siège estoit de dure
digestion.
Tant que le printemps dura, tous les coins de Picar-
die, de Champagne et de l'Isle de France furent pleins
de coureurs, qui mesmes prirent des prisonniers au
bout des fauxbourgs Sainct-Martin. L'ecclésiastique
crioit contre ceste tolérance. Les jeunes gens de la cour
se battoyent à la perche. Mais deux choses tiroyent
en longueur le dessein du siège : premièrement, la
crainte de la despense, laquelle lors se faisoit exces-
sive par le roi en dons desmesurez, quelque partie à
maintenir des capitaines contre les Guisards et à cor-
rompre de ceux qu'ils avoyent gagnez ; mais beaucoup
1. Le 8. d'Estivaux, capitaine du duché de Bouillon, servit plus
tard à Jametz, sous les ordres de Robert de Schelandre, s. de
Soumasane {Mémoires de La Iluguerye, t. III, p. 217).
2. Baudouin ou Charles de Gavré, baron d'Inchy, fils du comte
de Frezin. Le voyage de Marguerite de Valois à Cambrai l'avait
attiré au parti du duc d'Anjou. Voy. le portrait que Marguerite
de Valois trace de ce seigneur flamand (Mémoires, édit. Lalanne,
p. 91).
3. Bouchain (Nord), sur l'Escaut.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XIII. 53
davantage en la splendeur des mignons, auxquels il
faschoit de voir employer leurs menus plaisirs en
grosses nécessitez, et, partant, sollicitèrent les traictez
de paix et le temps propre pour leur règne. L'autre
raison estoit pource que le morceau de la Fère n'estoit
pas trop aisé, à cause de son assiète et qu'il faloit
attendre la seicheresse et l'esté. Mais enfin il falut
oster ce déshonneur, et les mignons mesmes, lassez de
reproches, se convièrent à y marcher au mesme temps
que la paix se concluoit avec le roi de Navarre, telle-
ment que le siège fut achevé quelque temps après la
conclusion. Mais, le prince de Condé n'estant pas à
un avec son cousin ', les effects de ceste paix trainèrent
après sa promulgation quelque temps que nous embras-
serons dans ce livre, pour despescher le suivant des
matières qui ne lui appartiennent point.
Chapitre XIII.
Siège et reprise de la Fère^.
Pour chef, au siège, fut choisi le mareschal de Mati-
1. D'Aubigné insinue ici que le prince de Condé n'était pas
d'accord avec le roi de Navarre, son cousin germain. Les Mémoires
de La Huguerye font de fréquentes allusions aux différends des
deux princes.
2. La Fère fut assiégée le 7 juillet 1580, mais, jusqu'au 22 du
même mois, il n'y eut que de légères escarmouches à l'attaque
des faubourgs (De Thou, liv. LXXII). Une note de M. Berger de
Xivrey {Lettres de Henri IV, t. I, p. 314) place l'investissement du
siège à la fin de juillet, et La Huguerye, au 18 du même mois
(t. II, p. 58). Ce dernier annaliste donne d'amples détails sur la
reprise de la ville. Le Journal de L'Estoile donne la même date
que La Huguerye.
54 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
gnon\ auquel on donna quatre principaux régiments
de gens de pied : asçavoir celui des gardes commandé
par Beauvois de Nangi^, celui de Picardie, par Sérillac',
celui de Champagne, par le jeune La Vallette, depuis
duc d'Espernon, et celui de Jouannes, serviteur par-
ticulier de la maison de Guise, comme aussi estoit
Sérillac. Car dès lors ceux de la Ligue avoyent obtenu
que les forces qu'on employeroit seroyent mi-parties.
On adjousta à ces gens de pied quatorze compagnies
d'ordonnances, quelques autres compagnies de toutes
sortes qui n'estoyent point sous régiments, grande
quantité de pionniers, quarante pièces de batterie con-
duictes par le grand maistre La Guische*. Grèvecœur^,
lieutenant de roi en Picardie, et le comte de Chaune®
marchèrent au camp, comme aussi de la cour le comte
de Gramont"'', qui y fut tué; Arques^, depuis duc de
1. Jacques de Goyon, comte de Matignon, né le 26 septembre
1525, maréchal de France et chevalier du Saint-Esprit en 1579,
lieutenant général en Normandie et plus tard en Guyenne, mort
le 27 juin 1597.
2. Antoine de firichanteau, seigneur et marquis de Beauvais-
Nangis, chevalier des ordres du roi, né en 1552, mort le 9 août 1617.
3. Ce Sérillac ne peut être François de Faudoas, s. de Sérillac,
souvent nommé dans les Lettres de Henri IV, qui appartenait à la
Réforme.
4. Philibert, s. de la Guiche et de Ghaumont, fils aîné de
Gabriel de la Guiche, grand maître de l'artillerie de France (1578-
1596), gouverneur de Lyon en 1588. Il mourut en 1607.
5. François GoulCer, s. de Grèvecœur, frère de François Gouf-
fier, fils de l'amiral Bonnivet, mort en 1594.
6. Louis d'Ongnies,' comte de Ghaulnes.
7. Philibert, comte de Gramont, né en 1552, eut le bras emporté
durant le siège, en août 1580, et mourut peu après de sa blessure.
U avait épousé Diane d'Andouins, dite la belle Corisande.
8. Anne de Joyeuse, s. d'Arqués, duc de Joyeuse, né en 1561,
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XUI. 55
Joyeuse, qui eut les dents brisées d'une mousquetade.
Toute la noblesse de la cour y fut chassée et n'y souffrit
pas beaucoup d'incommoditez, tant pour la belle saison,
assavoir en juin, que par l'abondance de toutes choses,
comme aussi n'ayans à craindre aucun secours ni courses
du dehors; aussi l'appelloit-on le siège de velours.
Le vingtiesme de juin, l'armée marchant en bonne
ordonnance partit de son logis pour se faire voir à la
ville du costé de Laon. Les refformez les vindrent rece-
voir un peu loin, et opiniastrèrent tous les rideaux et
petits avantages, tant qu'ils y perdirent douze hommes,
et, parmi eux, le capitaine Rancongne, La Motte-
Juran ville blessé et inutile pour le siège. Le mareschal,
sous la faveur d'une escarmouche, recogneut son
gibier, remarqua entr'autres que le marets n'estoit
point encores en estât d'y pouvoir travailler, et dit
à ses plus familiers que, si cette ville eust esté garnie
d'artillerie, que c'eust esté une dure besongne ; aussi
estoit-elle inaccessible partout, hors-mis par les deux
poinctes, car elle est en ovalle. A la vérité, les terres
qui affrontèrent les deux portes de Laon et de Saint-
Quentin ne sont qu'à la mousquetade, et c'est le seul
moyen qui rend la place prenable. Le chef de l'armée
donc alla reposer deux jours dans son logis, pour reve-
nir à bon escient former le siège, qui commença par
l'attaque du fauxbourg de Saint-Quentin. Mouï, qui
commandoit en la ville, prit à veiie de l'armée un défit
de garder ce fauxbourg, qui eust bien donné de la
peine si cette résolution eust esté prise à temps. Les
assiégez donc firent tumultuairement une petite tenaille
mignon de Henri III, époux de Marguerite de Lorraine, sœur de
la reine Louise, tue à la bataille de Coutras, le 20 octobre 1587.
56 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
à la teste, se contentans d'un fossé de neuf pieds, qui
fournissoit les deux costez. Et, pource que cette riie du
fauxbourg estoit à la merci d'une montagnette, qui le
commandoit à deux cents pas, il falut l'entrecouper
de petites traverses, qui couvroyent chascune le cré-
neau et le passage de l'autre. Cela s'exécuta tellement
quellement, par les mains des soldats, qui avoyent
pourchassé avant les canonnades.
Voilà donc le premier employ de l'artillerie, à battre
en batterie la petite tenaille^ et en ruine toutes les
petites traverses. Tout cela estant mis en assés mau-
vais estât, on y donna plus pour recognoissance que
pour assaut. Les assiégez eussent renvoyé cela sans
un faux commandement porté par quelcun à qui l'af-
faire ennuyoit, et perdirent en se retirant un de leurs
capitaines, fils du sergent-major, avec six ou sept de
leurs soldats. Voilà quand et quand les régiments des
gardes de Picardie logez à couvert dans ce fauxbourg.
Celui de Champagne tint sa place au fauxbourg de
Laon; Jouannes, derrière le chasteau. Les advenues
plus esloignées furent remplies des compagnies sans
régiment. Le principal et plus utile accès se trouva
du costé de Saint -Quentin, pour attaquer le vieux
ravelin qui couvroit la porte et empeschoit toutes
approches au bastion de Vendosme^. A cela fut com-
mencée une tranchée au commencement dans la terre
ferme, mais après il n'y eut plus qu'une longue suitte
de gabions, qui ne purent être remplis pource que la
1. Tenaille, terme de fortification, ouvrage composé de deux
faces qui présentent un angle rentrant vers la campagne et qui
sert à couvrir une courtine.
2. Le bastion de Vendôme était le fort qui protégeait les écluses
de la ville (De Thou, Uv. LXXU).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XIH. 57
terre qu'on eust pris dans le noarets eust mis le chemin
en eau. Cela bien recognu par les assiégez, ils délibé-
rèrent une sortie pour mettre le feu aux gabions, ce
qu'ils firent à quelques-uns qu'ils eurent loisir de goul-
dronner. Mais cela estant mal aisé, ils se contentèrent
d'en verser quelque vingtaine, et puis furent hazardeu-
senient pressés sur leur retraicte ; et les assiégeans les
ayans congnez rudement jusques au bord du fossé,
non sans perte d'une part et d'autre, de là en avant
ils y travaillèrent plus à leur aise, mais pourtant tous-
jours troublez, et principalement la nuict, de fausses
sorties qui contraignoyent les gens de guerre d'être en
la place des pionniers. Et par ainsi les approches
demeurèrent longtemps à baiser la contr'escarpe, où
ils n'avançoyent plus rien que de nuict. De là advint
chose qui ne s'est guères veûe ailleurs; c'est que,
comme les assiégez jettoyent des torchons d'artifice
pour tirer aux pionniers, on jeltoit au loing ces feux à
coups de canon. Le ravelin de Sainct-Quentin estant
fait à la mode que nous avons dict, le fossé demi faict
et sans contr'escarpe, les refformez furent contraincts
de faire une petite avance en terre pour flanquer de
plus près le fossé du ravelin en tirant à celui de la
ville. Ce petit logis, qui n'estoit que pour sept ou huict
soldats, estoit de si peu de montre que le canon ayant
en vain essayé de l'oster, il y falloit venir pied à pied
et y conduire leurs tranchées ; desquelles à mesme ins-
tant ils tirèrent encor deux branches, l'une pour faire
joindre le chemin commencé au ravelin, et l'autre pour
tourner au bastion de Vendosme, qui estoit revestu
jusques au niveau de l'eau et pièce attachée, et pour-
tant à laquelle tendoyent les principaux desseins. Ceux
58 HISTOraE UNIVERSELLE. [1580
qui defferidoyent le ravelin le réduisirent en sa mesme
forme r'acourcie par le dedans, avec un fossé assés
creux, et lequel, pour entreprendre moins, tiroit un
flanc plus gras de la courtine de la ville ; et encor, pour
ruer de plus près, gaignèrent à la mesure que venoit le
fossé de la ville une barricade, que la première ruine
du ravelin devoit couvrir.
Quant à ceux qui gardoyent le bastion de Vendosme,
ils le partagèrent en escharpe de bonne heure, et l'es-
paule qu'ils y firent estoit assés avantageuse. La bat-
terie commença au ravelin, où ils tirèrent douze cents
coups de canon le premier jour, le despouillèrent de
defifenses. Mais, pource qu'il n'y en avoit point à l'en-
droit de la petite casematte de barriques, ils ne la
peurent ni faire quitter ni aveugler; et pourtant, à
l'attaque qu'ils firent pour l'emporter ou se loger, ils
n'y peurent faire ni l'un ni l'autre, contraincts d'avoir
recours à la maneuvre par laquelle, avec des fascines
à foison, ils comblèrent le premier fossé et firent des
gabions tellement renforcez que leurs cavaliers estoient
de trois l'un sur l'autre capables de chascun quatre
coulevrines. De cette façon, ils en firent, pour gour-
mander, l'un le bastion de Vendosme et tous les deux le
ravelin. Mais ce qui fut le plus meurtrier fut la grande
machine qui fut eslevée aux despens de la Valette
vers la porte de Laon, du dessus de laquelle les cou-
levrines choisies voyoient et tiroyent par-dessus la
ville au derrière de ceux qui deffendoyent le bastion
de Vendosme. G'estoyent Jumelles, La Motte Sainct-
Mars et Vignelles*, qui avoyent quelques-uns des gardes
1. Benjamin, s. de Vignoles, chevalier de l'ordre du roi et
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XIII. 59
du prince. Pour le ravelin, Jonquère, Louvancourt et
Roquehort en avoyent la defifense. Du bastion de
Luxembourg \ qu'on ne vouloit et ne pouvoit bien
attaquer, le flanc tiroit une ligne de deffense à tout le
costé du ravelin. On se contenta de mettre espaule et
orillon en pouldre et d'emboucher de mesme façon
l'autre flanc du bastion de Vendosme, qui deflfendoit
l'autre courtine. Ce fut là que parut la mauvaise estoffe
de ces espaules, qui, à chaque canonnade, faisoyent
sauteler ceux qui estoyent dessus. Pour un coup
remarquable, Jonquère estant entre le capitaine Pré,
son enseigne, et un caporal, un coup de canon tua le
premier et le dernier ; peut-être que la petite stature
sauva celui du milieu.
Le grand ravelin estant tout ruiné et quitté, on
trouva moyen de loger dans la ruine quelques petits
canons r'acourcis et faits exprès. Avec cela fut mis en
tel équipage le second, qui estoit petit, qu'il le falut
quitter, mais non tant qu'il y eust place pour loger
six honmies. Les derniers qui le quittèrent furent Jon-
quère, Montglas^, Des Rosiers^, les capitaines Belon,
maître d'hôtel du comte de Soissons (Lettres de Henri IV, t. I,
p. 586). 11 est souvent nommé dans les Mémoires de La Huguerye
comme attaché au prince de Gondé.
i. Les assiégeants attaquèrent le bastion de Luxembourg, le
15 août 1580 (De Thou, liv. LXXU).
2. Robert de Harlay, baron de Monglas, troisième fils de Robert
de Harlay, s. de Sanci, capitaine dévoué au roi de Navarre. Sa
femme, Françoise de Longuejoue, fut gouvernante des enfants de
France, et lui-même devint premier maître d'hôtel du roi Henri IV,
après son frère aîné, Nicolas de Harlay, s. de Sanci. 11 mourut
en 1607.
3. Le s. de Rozières, capitaine protestant et conseiller d'Etat,
nommé dans les Lettres de Henri IV.
60 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
La Tour* et Montigni. Le moumon s'adressoit lors au
bastion de Vendosme, duquel le fossé estoit comblé
de fassines seulement, qui ne purent estre bruslées,
tant à cause de l'eau que de la pauvreté des feux arti-
ficiels. Sur ces remplissages se représenta l'assaut à
midi*, auquel, encore que La Personne, gouverneur,
avec le choix de ses hommes y fust, il falut céder,
principalement pour le meurtre en eschine que faisoit
le grand cavallier de delà la ville.
Or, on a blasmé les assaillants de n'avoir poursuivi
davantage leur poincte, qui eust peu les rendre
maistres de la ville, voyans le retranchement aban-
donné. Mais les canonnades de leur parti avoyent tué
des plus avancez dans le bastion, et cela fit contenter
le gros de faire un petit logement à la faveur de l'es-
paule; tout cela faute des signaux qu'on devoit avoir
ordonnez aux canonniers pour tant de tirer et de ces-
ser. Là demeurèrent sur la place trente-quatre hommes
de la ville ; entre ceux-là La Motte Sainct-Mars et Bor-
dage, de Bretagne. L'eschec tomba sur la compagnie
de Jonquère.
Mouy, estant conseillé de faire reveue des hommes de
deffence qu'il avoit de reste, ne trouva plus que qua-
rante nobles ou volontaires et trois cents trente sol-
dats. Cela et avoir perdu ses flancs, nulle espérance de
secours et le manque de munitions apprirent aux assié-
gez qu'il étoit temps de parler. Et, comme Pui-Gaillard%
1. Le s. La Tour est nommé dans les Mémoires de La Huguerye
(t. III, p. 103) comme un des capitaines de la compagnie de Guitry.
2. Assaut et prise du bastion de Vendôme, 19 août 1580 (De
Thou, liv. LXXII).
3. Jean de Léaumond, seigneur de Puy-Gaillard, précédem-
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XIH. 61
mareschal de camp général des armées de France, leur
en donnoit tous les jours occasion, ils se laissèrent
induire à ce qu'ils désiroient. Et fut conclue la capitu-
lation le dernier jour d'aoust * ; par laquelle ils sor-
tirent vie et bagues sauves, enseignes laissées, mesche
esteinte, la caisse desbandée, avec permission à ceux
qui voudroyent aller trouver le prince de Condé de
marcher vers Sedan, conduits par deux compagnies
de gens d'armes, jusques à la frontière. A ceux qui se
voudroyent retirer en leurs maisons, promesse de toute
seureté et jouissance du bénéfice des édicts du roi
comme s'ils n'avoient point pris les armes.
A la sortie de la ville, quelques soldats eschappèrent
et commençoyent à piller et frapper, mais les chefs
de l'armée, et sur tous Pui-Gaillard, se mirent à jouer
de l'espée, si bien que ceste capitulation se peut con-
ter entre celles qui ont été observées loyaument^.
Je ne puis vous desrober deux accidents un peu
estranges arrivez durant le siège. L'un est du capitaine
Atis, lequel estant fort bon ami et compagnon de lict
de Du Temps, avec lequel il profitoit en plusieurs
sciences, notamment aux mathématiques. Ce jeune
homme ayant esté tué au ravelin, enterré le même
ment maréchal de camp au siège de la Rochelle, mort en
décembre 1584.
1. Reprise de la Fère par le maréchal de Matignon, 12 sep-
tembre 1580. D'Aubigné se trompe en plaçant cet événement
au 31 août. De Thou (liv. LXXII), L'Estoile et tous les historiens,
Berger de Xivrey (Lettres de Henri IV, t. I, p. 314) sont d'accord
sur la date que nous indiquons. Une copie de l'acte de capitula-
tion est conservée dans le vol. 4047 du f. fr., f. 103.
2. Le duc d'Aumale et le s. de la Valette voulaient qu'on trai-
tât la ville avec plus de rigueur, et blâmèrent cette capitulation
(De Thou, liv. LXXU).
621 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
jour avec les cérémonies des soldats. La nuict, Du
Temps, estant dans son lict, s'éveille au bruit de la
fenestre qu'on avoit poussée, void Atis qui entre par
là. En sursaut il se veut lever. Atis l'en empesche et
se jette entre les linceuls. Du Temps, ravi d'estonne-
ment, s'efforce à croire avoir songé la mort et l'en-
terrement, et toutesfois demanda à son camerade :
« Est-il possible que vous ne soyez point mort et que
nous ne vous ayons point enterré? » L'autre, ayant
respondu à cela par mespris, convia son compagnon
à dormir. Mais Du Temps, ayant touché une de ses
jambes, plus asprement froide qu'un glaçon, sauta du
lict en s' écriant : « Capitaine Atis, que vous estes froid ! »
Après avoir esté une heure et demie en dispute, Atis
repasse la fenestre disant qu'on lui reprochoit son cou-
cher. Voilà comment nous l'a raconté Du Temps, plein
de vie et d'honneur. D'autres y adjoustent que les
valets virent entrer et sortir Atis, et d'autres qu'il y
retourna plus d'une fois. J'en laisse dire l'advis aux
théologiens.
L'autre conte est d'un de Meaux qui avoit amené
quelques pionniers. Cestui-ci, passant le quinziesme
d'aoust devant la place et portant quelques pastez à
un commissaire, fut tellement estonné de trois arque-
buzades, qu'on lui tira, qu'il quitta son chemin pour
venir droit dans le ravelin. Puis, estant recueilli fort
joyeusement à cause de ce qu'il portoit, il menaça de
M. le commissaire ceux qui prenoient sa serviete. Jon-
quère l'ayant mené au logis de Mouy, qui en espéroit
tirer force nouvelles, il n'en sçeut jamais tirer un mot.
Si tost que cestui-ci fut cognu et nommé et qu'il se vid
entre les mains de deux jeunes hommes desquels il
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XIV. 69
avoit tué l'oncle et la tante aux massacres de Meaux
(c'estoit un misérable qui à ce jour-là recevoit avec
une dague ceux qu'on lui amenoit pour précipiter dans
le fossé duquel nous avons parlé, et mesme fut remar-
qué pour avoir exécuté quelques enfans et femmes, qui
faisoyent pitié aux autres massacreurs) , il fut passé par
les armes et jette dans le fossé du ravelin. On conte à
ce siège de morts, du dedans, à huict cents soldats et
trente gentilshommes, du dehors, à deux mille tuez et
presque autant que la maladie emporta.
Chapitre XIV.
Surprise, siège et reprise de Menerbe.
Menerbe^ petite ville au pied des Alpes, entre La
Coste et Meaubec^, forte d'assiette comme estant pré-
cipiteuse^ en la pluspart de sa closture, fut surprise*,
1. Menerbes (Vaucluse), au pied des monts de Leberon.
2. La Coste et Maubec (Vaucluse), sur les bords du Gaulon.
3. Précipiteuse, environnée de précipices.
4. D'Aubigné commet ici plusieurs inexactitudes. La ville de
Menerbes appartenait au parti réformé, non pas seulement depuis
noitre dernière paix, expression par laquelle il ne peut désigner
que le traité de Bergerac (17 septembre 1577), mais depuis le
2 octobre 1573 (note du marquis d'Aubais dans les Pièces fugitives,
1. 1, p. 370). Elle était commandée par le capitaine Ferrier, qui,
moitié de gré, moitié de force, était à peu près résigné à la livrer
au parti catholique au mois de septembre 1577 (De Thou, liv. 66),
lorsque le capitaine Saint- Auban pénétra dans la place, le 28 sep-
tembre 1577, s'empara du commandement et blessa gravement,
à la suite d'une querelle personnelle, son coreligionnaire Ferrier
(Perussiis, dans le t. I des Pièces fugitives, p. 205 et suiv.). De
Thou dit même qu'il le tua, mais la suite du récit prouve que le
grand historien s'est trompé.
64 mSTOiRE UNIVERSELLE. [1580
incontinent après nostce dernière paix, par les menées
de Sainct-Auban • et du capitaine Ferrier^. Ce dernier,
par intelligences de deux soldats frères, qui s'appe-
loyent les Rochelles, et de son curé, corrompit quel-
ques autres hommes de main; lesquels, ayans mené
yvrongner un mareschal qui se tenoit près de la porte,
partie par force, partie par le vin, se servirent des
marteaux de sa boutique et de lui-mesmes pour briser
les barres du portail ; ce qui se trouvant plus dur et de
plus de bruit à exécuter que l'on n'avoit pensé, le gou-
verneur, assez accompagné, y accourut et y fut tué^,
par le secours que ceux de Sainct-Auban y apportèrent
à propos, estant entrez par un trou qu'ils avoyent faict
à un flanc, et cela par le moyen du rat, lequel, comme
nous avons faict du premier pétard, nous despeindrons
à ceste première occasion. C'est un engin composé de
cinq pièces, et lequel se peut porter en un sac ou estui
fait exprès. Il a, premièrement, un fer courbé en forme
de faucille, ou plustost de ce qu'aux marets du Poictou
1 . Albert (suivant de Thou), Jacques (suivant Perussiis et Pié-
mond) Pape de Saint- Auban, capitaine protestant.
2. Probablement Etienne Ferrier, capitaine protestant, dont oa
trouve la signature à côté de celle de Lesdiguières dans une
requête au parlement de Dauphiné du 5 août 1575 (Roman, Actes
et correspondances de Lesdiguières, t. I, p. 5). Un capitaine du
même nom, peut-être le fils de celui dont parle d'Aubigné, capi-
taine protestant, devint, sous Henri IV, gouverneur de Menerbes.
Une lettre du roi de Navarre, datée du 19 août 1591, témoigne
des bons services qu'il rendait au Béarnais (Lettres de Henri IV,
t. m, p. 467).
3. D'Aubigné raconte ici l'entrée de Saint-Auban à Menerbes,
mais son récit est très inexact, à moins que, par une confusion
possible, il ne raconte les incidents de la première prise de
Menerbes par les réformés (2 octobre 1573).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XIV. 65
on appelle un taillant. Ce fer, bien acéré, est propre à
commencer par défaire le mortier qui est entre les
pierres, et la pluspart en portent deux, usant du plus
petit le premier, selon que la maçonnerie est plus ou
moins joincte. Le second engin est le ciseau bien acéré
et le tranchant droict d'un des costez, avec son talon
en arrondissant. Le troisiesme est une barre faite en
pince par un bout et par l'autre en douille, pour loger
un pau avec lequel elle a plus de bransle, le pau et elle
de chacun de deux pieds. Le quatriesme est une tarière
en pierre et le cinquiesme une tenaille ou pincette bien
acérée, faicte presque comme celles que les Parisiens
et Lyonnois sont curieux d'avoir en leur foyer. Ceux
qui ne vont pas loin y portent une longue barre de fer,
d'un costé en pince et l'autre en poincle ronde, pour
entrepousser le dernier rang de pierres au dedans.
Ceux qui usent du rat portent aussi avec eux des limes
sourdes, par le moyen du plomb qui les endosse, et
quelque petit pétard d'une livre, quand leur pertuis
se faict en des caves ou chambres qui ferment par le
dedans.
Si quelcun dit que j'instruis à mal faire, je réponds
que c'est plustost pour s'en garder.
La ville donc prise en ceste façon, après quelque
léger pillage, s'accommoda comme estant eslongnée de
ceux de son parti. Tout le pays, et surtout le Comtat
de Venise^, fut merveilleusement esmeu, tant par la
sollicitation des parents du gouverneur mort que par
les fugitifs de la ville, et encore plus pour l'intérest de
tout le voisinage.
i. Le comté Venaissin.
VI 5
66 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
En peu de temps il y eut force jalousies et change-
ments au gouvernement. Vala voile ^ avoit fourni du
prestre qui avoit commencé la menée. Le baron d'Alle-
magne ^ y avoit mené les premières forces et voulut
chasser le capitaine piémontois, que Sainct-Auban y
avoit laissé; mais lui fut mis dehors avec grand risque de
sa vie. Les gens de guerre esleurent Ferrier, que Mont-
brun ^ en tira pour estre trop exact et rude au gré du
pays à bien munitionner sa place, et cela par les menées
de Sainct-Auban, qui voulut quitter ses autres places
pour estre gouverneur. Les soldats y r' appelèrent
Ferrier.
Toutes ces divisions furent appaisées par le siège*.
Mais auparavant y eut diverses petites rencontres,
pource que les Provençaux estoyent sans cesse aux
embuscades à la veue de la ville, desquelles la plus
notable fut entre Grillon^, frère aisné du maistre de
camp, et Estoublon^, venant de Menerbe, où il avoit
mis Valavoile en la place du capitaine Pontenet''^.
1. Antoine de Valavoire, s. de Valavoire, gouverneur de Saint-
Maximin.
2. Le s. d'Allemagne, que nous avons déjà cité, appartenait à
la maison du Mas. La seigneurie d'Allemagne est près dR Digne.
3. Charles du Puy, s. de Montbrun, était mort à Grenoble
le 13 août 1575. Son fils, Jean du Puy, s. de Montbrun, capitaine
protestant comme son père, n'est né, suivant les généalogistes,
qu'en 1568. Mais on trouve, dans les Mémoires de Piémond, un capi-
taine Montbrun, du Pont, qui guerroyait en 1576 (p. 44).
4. Siège de Menerbes par l'armée catholique, septembre 1577
(Aubais, Pièces fugitives, t. I, p. 206, Journal de Perussiis).
5. Le capitaine Grillon, frère de Louis de Balbes de Berton,
s. de Grillon, le fidèle serviteur de Henri IV.
6. Le capitaine Grille, seigneur d'Estoublon en Provence.
7. Nous croyons qu'il faut lire Poncenat. Jean Borel, s. de Pon-
sonnas, ancien lieutenant de des Adrets, se fit plus tard catho-
1S80] LITRE NEUVIÈME, CHAP. XIV. 67
Cestui-ci se destournant par Mure^ pour esquiver les
embuscades, quoiqu'il fust accompagné de deux cents
chevaux, vid trois compagnies du Comtat à la main
droicte de son chemin et deux à la gauche. Quelques-
uns lui conseillans de regagner Mure, il aima mieux
essayer le combat, où tout se mesla sans grande façon.
Grillon estant tué d'abordée, l'effroi se mit par toute
sa troupe, premièrement par les Italiens, et puis sur
le reste. Estoublon ne fit pas grande poursuite; se
contentant de laisser sur la place trente hommes
d'armes des deux nations, de huict prisonniers et de
deux drapeaux qu'il emporta. Quelques forces d'Italie
avancées qui, avec ceux du Comtat, faisoyent quatre
mille hommes, deux mille cinq cents Provençaux
joincts, le tout par les menées du cardinal d'Arma-
gnac-, on marcha au siège de Menerbe avec quinze
pièces de toute artillerie ; ceux de dedans estans encores
en division et voulans avoir Gouvernet^ pour y com-
mander. Les assiégeans, aussi peu unis, sans ordre et
commandement, reserrèrent à l'envi la garnison dedans
ses murs, firent diverses batteries de grands frais
mais inutiles, si bien que les Provençaux s'y ennuyans
laissèrent le commandement et la besongne entre les
mains de Grimaldi'^, qu'on appelloit recteur de Car-
lique et servit en 1580 sous les ordres du duc de Mayenne
(Mémoires de Piémond, passim).
1. Murs (Vaucluse).
2. Georges d'Armagnac, né vers 1501, fut successivement
évêque de Rodez en 1529, cardinal en 1544, archevêque de Tou-
louse en 1562, puis d'Avignon en 1576. Il mourut le 2 juin 1585.
3. René de la Tour-du-Pin-Gouvernet, marquis de la Gharce,
capitaine protestant, lieutenant de Lesdiguières, né en 1543 à
Gouvernet (Drôme), mort en décembre 1619.
4. Dominique Grimaldi, abbé de Montmajour-lès-Arles, fils de
68 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
pentras. Cestui-ci marcha avec patience et à pied de
plomb, fit des tranchées autour de la ville avec des
ridottes de cent pas en cent pas ; quelques-unes capables
de loger cinq cents hommes.
Durant ce siège, qui fut de quinze mois et de vingt
et un jours, se fit la paix de l'an septante sept*, de
laquelle les Italiens ne se vouloyent pas servir au com-
mencement. Mais les assiégez, abandonnez de tout le
monde, franchirent un soir les retranchements avec
une invention de pont léger, forcèrent quelque corps
de garde, seulement pour faire passer des messagers.
Par là, le cardinal d'Armagnac, cognoissant que les vies
des assiégez n'estoyent pas désespérées, et d'ailleurs
sachant par Grimaldi qu'il faloit rafraîchir l'armée de
la moitié, tant à cause des maladies que de l'envie de
ceux qui y commandoyent, ceux d'Avignon et Grimaldi
mesmes requirent le roi d'interposer son authorité,
quoiqu' auparavant ils eussent promis d'en faire une
justice exemplaire, si autres qu'eux ne s'en mesloyent^.
Le roi donc escrivit à Ghastillon pour y mettre ordre
et lui en donna la commission à Mure. Les assiégez,
abandonnez du parti refformé, se mocquèrent de l'as-
seurance de leur vie qu'on leur portoit ; et, après s'estre
faicts prier, composèrent- à sortir femmes et tout
bagage, une sepmaine de loisir pour le sortir, la mesche
allumée, le tambour battant, enseignes desployées,
Jean-Baptiste, seigneur de Montaldeo, plus tard évêque de Savone
et enfin archevêque d'Avignon en 1584, mort en 1592.
1. Paix de Bergerac, 17 septembre 1577,
2. Capitulation de Menerbes, 8 novembre 1578 (De'Thou,
liv. LXVI). Le 18 novembre, le roi approuva l'acte de capitula-
tion à OUinville, et le 9 décembre suivant la paix fut publiée dans
la ville (Aubais, Pièces fugitives, t. I, p. 380).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XV. 69
ayans pour pleiges dans Mure, Ambres ^ le jeune Gril-
lon, Blagnac^ et La Grâce ^, et, de plus, la somme de
soixante mille livres distribuables à Sainct-Auban et à
ses compagnons, et, outre cela, les biens de quelques
povres soldats du Comtat, qui n'y vouloyent pas retour-
ner, payez contant presque à leur estimation. Cela payé
sur les quittances de vingt-huict qui estoyent en cette
qualité. Tout achevé d'exécuter le vingtiesme de dé-
cembre mille cinq cents septante huict. On excusera
bien si nous avons osé sortir de l'année du livre pour
ne retourner point en lieu tant esgaré.
Chapitre XV.
De ce qui se passa en Poictou jusques à la paix.
Blaye estant faillie et les troupes de Montaigu s'es-
tans retirées, ils se trouvèrent en peu de temps dans
ceste ville jusques à quinze cents hommes, avec lesquels
ils délibérèrent d'estendre leurs bordures, première-
ment par un fort à Sainct-Georges *, puis après par la
prise de l'Abergement^, assés grand chasteau, qui fut
emporté par le moyen de deux soldats hazardeux, les-
1. Probablement François de Voisins, s. d'Ambres, lieutenant
de la compagnie de Louis de Glermont de Bussy d'Amboise
(Montre du 30 mai 1569, f. fr., vol. 21530).
2. Blagnac nous paraît une faute. Il faut probablement lire
Blagneux. On trouve dans la province une famille Rivail de Bla-
gneux d'où sont sortis plusieurs capitaines.
3. Guillaume de Patris, abbé de la Grâce.
4. Saint-Georges (Vendée), sur la Maine.
5. L'Hébergement (Vendée), sur la ligne de Montaigu à Bour-
bon-Vendée.
70 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
quels, se jettans de plein jour sur le pont-levis, l'em-
peschèrent, et, bien suivis, emportèrent le reste. De là
ils s'estendirent à Mortagne*, qu'ils prirent par une
escalade mise sur des rochers devers la rivière en une
nuict fort noire, et, la sentinelle ne pouvant les ouyr à
cause des freins de l'eau et du grand bruict qu'elle fait
en cet endroict, ils trouvèrent dans la ville plusieurs
commoditez qui leur firent grand bien au siège. Puis
après ils emportèrent d'escalade la ville de Garnache ^
et le chasteau par effroy, tout se sauvant, hormis le
ministre du lieu, qui fut seul leur prisonnier et quitte
pour leur prescher, ce qui leur estoit nouveau, car le
roi, permettant lors plus que jamais toute liberté en
France pour les presches, les ministres estoyent contre
eux, si bien qu'en estans dépourveus ils vindrent
prendre par force, à Sainct-Fulgent^, La Touche*,
ministre de Monschant^, et l'emmenèrent à Montaigu,
où lui, ayant vendes gens de guerre sans blasphèmes,
sans garses, sans dez, sans querelles, sans pilleries,
hormis ce qu'ils faisoyent au loing et sur leurs enne-
mis avec le droit de guerre, les prit en amitié et vou-
lut demeurer jusques au siège. J'ai dict au loing, pource
que les chevaux légers de cette garnison l'ont renvié
par-dessus tous les coureurs du siècle courans vers
1. Mortagne (Vendée), sur la Sèvre-Nantaise.
2. La Garnache (Vendée), sur la route des Sables-d'Olonne à
Nantes.
3. Saint-Fulgent (Vendée), sur la ligne de Fontenay à Montaigu.
4. Dominique de Losse, dit La Touche, ministre protestant de
Saint-Fulgent et de Monchamps. Sur ce personnage, qui exer-
çait son ministère dans les deux paroisses, voyez Lièvre, Hist.
des protestants du Poitou, p. 203.
5. Monchamps (Vendée), sur la Lay.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XV. 71
Rouan et Paris familièrement, si adextres et si discrets
où il faloit qu'ils ont une fois logé vingt-sept chevaux
en une maison de laquelle le devant faisoit front de
veue en un fauxbourg, à soixante pas de la porte de
la ville, trouvans moyen d'enfermer en une chambre
quatorze personnes de la maison, les tenir sans bruit,
et enserrans encore ceux de la ville qui y arrivoyent
pour affaires, jusques au soir que les compagnons,
ayans veu passer Pelissonnière, leur ennemi particu-
lier, pour avoir quelques jours devant chargé et tué
de sang froid Grand-Ri (il portoit la cornette blanche
du duc du Maine), ils se mettent sur ses erres et le
viennent charger dans le village de Ruperoux, où ils
tuèrent la pluspart des siens. Il se sauva sur un che-
val qui avoit un coup de pistolet au travers la jambe,
et lui qui d'un autre avoit le bras en pièces.
J'ai voulu vous monstrer à ce logis la dextérité des
galans. Mais encores ne peux-je vous taire qu'estans
auprès de Glené* et qu'ayans veu de loing vingt che-
vaux qui marchoient serrez, le capitaine de ces cou-
reurs' en choisit six pour les engager; mais, comme il
voulut mesler, trouva des gens qui eurent bien plus-
tost la main au chapeau qu'au pistolet, qu'ils avoyent
presque tous. C'estoit un synode d'où ils venoyent de
s'assembler et les emmenoyent sans qu'eux osassent
se déclarer. Enfin, estans recognus, ils en furent quittes
pour reproches. Ces mesmes estradiots chargèrent
deux compagnies de Ré et de la Rochelle, qui mar-
choyent avec enseignes desployées à la foire de Sainct-
1. Glénay (Deux-Sèvres), sur les bords de la Thouare.
2. D'Aubigné ?
^% HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
Benoist^ ; ils y laissèrent les armes et drapeaux. Telle
estoit la division entre les refiformés.
Le comte du Lude* eut lors commission de lever
armée pour resserrer ces mal-faisans et commença par
le régiment de Lancosme^, lequel, ayant esté supplanté
de Brouage, en tira ses bandes et dressa un régiment
de deux mille hommes*.
A ce mot, je m'attacherai plus à l'occasion qu'au
temps, pour vous dire comment Sainct-Luc% nourri
chèrement par le roi Charles, s'estoit rendu le troi-
siesme entre les mignons du roi Henri III. Sa grande
faveur se changea en haine mortelle par un accident
qui a esté conté diversement et duquel il s'est confessé
à moi estant son prisonnier. Je ne veux estouffer l'acte
notable, mais bien les particularitez les plus honteuses
et les termes les plus fascheux. Ces mignons, car c'est
1. Saint-Benoît-sur-Mer (Vendée).
2. Gui de Daillon, comte du Lude, capitaine catholique, mort
à Briançon, le H juillet 1585. Le comte du Lude reçut les ordres
du roi en juin 1580. Voyez les nombreuses lettres du roi à ce
capitaine pendant la guerre des Amoureux (Arch. hist. du Poitou,
t. XIV).
3. Jacques Savary, s. de Lancoéme, capitaine catholique, chef
de bandes, puis colonel de gens de pied, figure en cette qualité
dans le Journal de Le Biche, p. 329 et suiv., et dans la correspon-
dance du comte du Lude, de 1576 à 1580 (Arch. hist. du Poitou,
t. XIV, passim). Nous croyons qu'il ne doit pas être confondu
avec Claude Savary, s. de Lancosme, lieutenant du capitaine
Villequier (Montre du 13 avril 1581 ; f. fr., vol. 21537). C'est pro-
bablement ce dernier qui est cité dans les Lettres de Henri IV.
4. Lancosme commandait en outre une cornette de cent chevau-
légers [Journal de Le Riche, p. 332).
5. François d'Espinay, s. de Saint-Luc, né en 1554, un des
mignons de Henri III, plus tard un des fidèles serviteurs de
Henri IV, qui le nomma grand-maître de l'artillerie, tué le 3 sep-
tembre 1591, au siège d'Amiens.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XV. 73
le terme du siècle, avoyent des familiaritez avec leur
maistre que je ne veux ni ne peux exprimer. Geste
vie estant odieuse à un gentil courage comme Sainct-
LucS un jour, prenant Arques, depuis appelé Joyeuse,
à part, ils entreprirent, avec le conseil de la dame de
Rets^, de percer un cabinet et de faire couler par la
ruelle du lict, entre la contenance^ et le rideau, une
sarbatane^ d'airain, par le moyen de laquelle ils vou-
loyent contrefaire un ange et faire couler en l'aureille
de ce roi des menaces du ciel et quelques terreurs
encontre son péché. Ils entreprenoyent cela sur un
esprit affoibli par bigotteries, par songes estranges et
terreurs ordinaires, qui le faisoyent cacher sous les
licts, cercher les basses voûtes du Louvre au moindre
tonnerre qu'il oyoit. Arques^, voyant l'esprit de ce
prince, accablé par ceste invention, en danger de se
troubler ou blesser le corps, appréhenda la ruine de
sa fortune, et, trompant ses compagnons, donna advis
à son maistre; de quoi il s'est excusé depuis sur la
crainte d'esteindre par la peur une âme que desjà
toutes choses espouventoyent. Le roi ne put préparer
sa vengeance si discrettement que le mareschal de Rets
1. Voyez le curieux récit de la confession de Sancy, chap. vn
(Journal de L'Estoile, 1744, t. V, p. 220). Saint-Luc y est présenté
comme une victime des débauches de Henri III.
2. Claude-Catherine de Clermont, veuve de Jean Annebaut,
baron de Retz, épousa en 1565 Albert de Gondi, plus tard duc
de Retz, morte le 25 février 1603. Elle était cousine-germaine de
Brantôme.
3. On appelait « contenance i un rideau étroit placé au chevet
du lit pour préserver du froid. (V. Gay, Glossaire archéologique.)
4. Sarbacane.
5. Cette partie de phrase, jusqu'à ces mots et trompant...,
manque à l'édition de 1618.
71 HISTOIRE UINTVERSELLE. [1580
ne fist dire en la salle du bal un mot dans l'oreille à
Sainct-Luc. Ce mot lui fit gaigner les chevaux de poste,
et avec eux Brouage en deux jours et demi, c'est-à-
dire deux heures devant le courrier qui venoit faire
armer les bandes de Lansac et de Lancosme* contre
lui-. Il fut habile à succéder, et depuis opiniastre
contre les grandes menaces qu'il receut. Le roi des-
pescha par toute la France lettres jusques aux moyens
capitaines, pour les sommer d'amitié contre Sainct-
Luc. Il se maintint par la réputation de la place et par
la faveur de la Ligue, à laquelle il commença de tendre
la main^.
Si j'ai laissé un peu longtemps Lancosme, son nom
m'a empesché d'oublier ce conte; et puis, cependant,
il aura dressé son régiment pour s'en venir le mons-
trer à Sainct-Jean-d'Angéli *, où, du pont Sainct-
1. Le roi, en disgraciant Saint-Luc, avait donné le gouverne-
ment de Brouage au s. de Lancosme. Voyez l'Hist. de Saintonge,
par Massiou, t. V, p. 4.
2. La plupart des historiens du temps ont raconté cette anec-
dote et fixé à l'année 1579 la disgrâce de Saint-Luc. Ge ne put
être qu'à la fin de l'année, car le roi, dans une lettre au s. du
Lude, du 8 février 1580, parle de la « perfidie et ingratitude » de
Saint-Luc comme d'un fait tout récent (Coll. Anjou et Touraine,
vol. XI, n* 1659).
3. D'Épinay Saint-Luc, retiré à Brouage, s'efforça de s'y rendre
redoutable et se dévoua à ses fonctions de gouverneur comme le
meilleur des capitaines. Partie de sa correspondance officielle
pendant l'année 1580 est conservée dans les vol. 15562 et 15563
du fonds français. Enfin, le 6 juin 1580, intervint une sorte de
convention aux termes de laquelle le roi lui pardonna, fit relâ-
cher sa femme et lui accorda en dédommagement un don de
20,000 livres. Cette pièce est conservée dans le vol. 15563 du
f. fr., f. 79.
4. Le roi avait ordonné au comte du Lude de mettre le siège
devant Saint-Jean-d'Angély, place forte qui appartenait au prince
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XV. 7S
Julien S qui estoit son logis, passer trois jours durant
les après-disnées en assez gaillardes escarmouches ; à la
dernière desquelles il fit quitter le champ le plus près
du fauxbourg de Matta^ à ceux de Sainct-Jean, si avant
qu'il emplit des siens le fossé des jardins. Mais les reffor-
mez, ayans repris courage, resortirent par le bas du
fauxbourg, et, enfilant le fossé, y tuèrent dix-huict
hommes. A la vérité, il y en avoit lors plus de douze
cents dans Sainct-Jean. Ce régiment donc^ s'achemina
à petites journées pour se rendre à Pouzauges*, à la
fin de septembre^, au rendez-vous qu'avoit pris en ce
lieu pour son armée le comte du Lude ; lequel, ayant
joint d'autres compagnies de gens de pied, mais non
en forme de régiment, sa compagnie de gens d'armes,
de Condé. Lancosme passa près de Saint-Maixent le 1"* sep-
tembre 1580, en se rendant au camp des assiégeants. Le 7, les
assiégés firent leur première sortie. Ces deux dates fixent à
peu près la date du commencement du siège (Journal de Le Ridie,
p. 332 et 333).
1. Saint-Julien (Charente-Inférieure), sur l'affluent de la Bou-
tonne.
2. Matha (Charente-Inférieure), sur la ligne de Saint-Jean-
d'Angély à Angoulême.
3. D'Aubigné oublie d'expliquer ici que le comte du Lude avait
renoncé au siège de Saint -Jean -d'Angély pour entreprendre
celui de Montaigu. L'ordre du roi qui approuve ce changement
de plan de campagne est daté du 14 septembre 1580 [Arch. hist.
du Poitou, t. XIV, p. 148).
4. Pouzauges-la- Ville (Vendée).
5. Cette date est une des rares dates exactes données par
d'Aubigné. Le comte du Lude avait en effet donné rendez-vous,
à la fin de septembre 1580, à Pouzauges, aux gentilshommes du
pays désireux de prendre part au siège de Montaigu (Lettre du
comte du Lude au roi du 25 septembre 1580; Arch. hist. du Poi"
tau, i. XIV, p. 150 et 152 et notes).
76 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
celle de Mortemar*, des Roches-Bariteaux^, de Che-
meraux^ et quelques autres, s'achemina à Sainct-
Fulgent. En mesme temps, La Hunaudaye*, avec sa
compagnie de gens d'armes, celle du duc de Montpen-
sier^, de Goulennes^, de Vaudré''^ et autres, huict com-
pagnies d'arquebuziers et quelques chevaux légers,
passa Loire à Nantes, le tout pour se rendre au siège
de Montaigu.
Chapitre XVL
Du siège de Montaigu^.
Toutes les petites conqu estes de La Boulaye et leurs
garnisons prenoyent l'effroi et commençoyent à se
desrober, quand il envoya une bonne troupe pour les
lever honorablement et les conduire seurement. Il est
bon de sçavoir comment Landreau et ses amis avoyent
1. René, baron de Mortemart, capitaine poitevin, né en 1528,
chevalier du Saint-Esprit en 1580, mort en 1587.
2. Philippe de Chateaubriand, seigneur des Roches-Baritaud.
3. Mery de Barbezières, s. de Ghemerault, mort le 5 mai 1609.
4. Pierre de Tournemine, seigneur de la Hunaudaye, lieutenant
de roi en Bretagne.
5. Louis de Bourbon, duc de Montpensier, né le 10 juin 1513,
mort le 22 septembre 1582.
6. Le s. de Goulaines, capitaine catholique, originaire des envi-
rons de Nantes.
7. Probablement Vaudray.
8. La ville de Montaigu appartenait à Claude de la Trémoille,
duc de Thouars, alors mineur. Jeanne de Montmorency, dame
de la Trémoille, sa mère, avait fait de vains efforts auprès du roi de
Navarre pour obtenir la restitution de la ville. Les pièces rela-
tives à cette revendication ont été publiées par M. Marchegay
dans V Annuaire de la Société d'émulation de la Vendée, 1857, p. 233.
i580] UVRE NEUVIÈME, CHAP. XVI. 77
en six mois ou jette ou gagné des hommes dans Mon-
taigu jusques à dix entreprises; desquelles chacune
cousta la mort à quelques-uns*. Après la neuviesme
et sur le bruit du siège, le conseil de la ville se résolut
de juger, à la mine et à la façon de vivre, tous ceux
qu'ils trouvoyent tristes, pensifs, conférans ensemble;
et de ceux-là en choisirent trente qu'ils jettèrent sous
la charge d'un capitaine Chesne dans l'Abergement.
Ils choisirent si bien que Le Chesne, voyant qu'on lui
avoit donné tous ceux de sa faction et un autre, nommé
La Bourgongne, envoyé là mesme, et y trouvant tous
les siens, s'estans confessez l'un l'autre et s'estans
recongnus vingt-neuf traistres, ils chassèrent le tren-
tiesme qui estoit un boulenger, lequel ne se trouva
pas de leur menée, et, avec un coup d'espée sur la
teste, l'envoyèrent à Montaigu. L'abandon que l'on
faisoit de ces petites places refroidit si bien le courage
des compagnons qu'il n'en arriva pas le tiers dans la
ville, où encor, s'estans mis l'effroi par les remons-
trances des gentilshommes du pays, quelques capi-
taines prindrent leurs quaisses et leurs tambours et
firent un ban en ces termes : « A tous poltrons, à qui
le siège faict mal au cœur, qu'ils ayent à vuider et
on leur donnera passeport pour s'en aller à tous les
diables. » Tant y a que, de quinze cents hommes qu'il
y avoit, il n'y demeura que trois cents cinquante arque-
buziers et quarante-cinq sallades. Le conseil de la ville
partagea la noblesse, qui y estoit, en trois escouades,
1. Charles Rouault du Landreau avait déjà commencé, à la date
du 14 mai 1580, quelques mouvements de troupes pour surprendre
la ville de Montaigu (Lettre du comte du Lude au roi de cette
date; Arch. hist. du Poitou, t. XIV, p. 137),
7$ fflSTOmE UNIVERSELLE. [1580
pour avoir tousjours un corps d'hommes armez au
secours de ce qui seroit attaqué, sous les charges du
gouverneur de Sainct-Estienne et d'Aubigné. Lequel
aussi fut esleu lieutenant-colonel des compagnies de
gens de pied : asçavoir de celle de Vrignez, poignardé,
comme nous avons dit, à une des entreprises pour avoir
vendu le chasteau au maréchal de Rets ; ceste compa-
gnie donnée après à Goupilière ; celle de Jarrie, qui
en avoit une dedans Poictiers au siège, et qui, au lever
du siège, fit encor monstre de trois cents hommes;
celle de Grand-Ri, laissée à son lieutenant ; celle des
capitaines Moquar, Jean Monneau, Nesde, et celle du
gouverneur, que je mets la dernière pour avoir esté
la moins complette.
Gomme les troupes approchèrent S il y eut peu de
nuicts qu'il n'y eust quelque corps de garde enfoncé.
Aubigné partit avec quarante chevaux et alla charger
une compagnie du régiment Des Bruères, comme il
venoit au siège, tout contre le puits Nostre-Dame, avec
quelques autres petits exploits. Tant y a que, ayant
appris d'un capitaine Des Bruères, prisonnier, qu'on
leur donnoit huict jours de loisir pour venir au siège,
lui aussi ne hasta point son retour. Et lui arriva un
soir chose qui sera attestée par six ou sept hommes
d'honneur encores vivant : c'est que, estant couché sur
la paillasse entre Beauvois de Ghastelleraudois et Les
Ouches de Melle, il fit la prière selon leur mode, en
achevant laquelle, sur ces mots : ne nous indui point en
1. Un régiment de gens de pied passa, le 29 septembre 1580,
sous les murs de Saint-Maixent en se rendant au siège de Mon-
taigu (Journal de Le Riche, p. 333). Son passage fixe à peu près
la date du commencement du siège.
4580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVI. 79
tentation j il receut trois coups d'une main large,
comme il en jugeoit au sentiment ; ces trois coups bien
distinguez, si résonnans que toute la compagnie, à la
lueur d'un grand feu, eut les yeux fichez sur lui dès
le premier coup. Les Ouches, encor en vie quand j'es-
cris, le pria de recommencer la prière, ce qu'il fit; et,
sur les mesmes mots, il receut trois autres coups plus
grands que les premiers, aux yeux de tous, et quelques-
uns s'estans approchez pour voir le prodige. J'eusse
supprimé cet accident s'il eust esté sans tesmoins. J'en
garder-ai les diverses interprétations pour les familières
instructions de ma maison, estant la vérité que, le
mesme soir, le capitaine Aubigné*, mon cadet, venoit
d'estre tué comme nous vous dirons.
Landereau, ayant sçeu que la troupe la plus redou-
tée de Montaigu en estoit dehors, pria Briandière^, chef
de soixante gentilshommes liguez et de la meilleure
troupe de l'armée, de lui aider à presser le comte du
Lude^, pour, avec les forces qu'ils avoyent, aller com-
mencer le siège et brider toutes les advenues pour
n'avoir à faire qu'à ce qui étoit dedans. Ceux-là pres-
sèrent tellement le siège que, le dernier samedi de sep-
tembre, l'armée gaigna le logis de Sainct-Georges*,
1. Jean d'Aubigné, fils de Jean d'Aubigné, père de Thistorien,
et de sa seconde femme, Anne de Limours.
2. Le s. de la Briandière est signalé parmi les gentilshommes
poitevins qui marchèrent au siège de Montaigu (Arch. hist. du
Poitou, t. XIV, p. 157, note). Peut-être appartenait-il à la maison
de Bernardeau, qui, au xvn* siècle, possédait la seigneurie de la
Briandière.
3. Le comte du Lude parut lui-même sous les murs de Montaigu
à la fin de septembre 1580 (Arch. hist. du Poitou, t. XJV, p. 157,
note).
4. Saint-Georges-de-Montaigu (Vendée).
80 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
la Barrillère, Mateflon, la Lande, la Bretonnière, la
Borderie, les Oulières et la Pâtissière* ; Sainct-Georges
pour le général, avec trois compagnies de cavallerie et
six de gens de pied ; à la Barrillère cinq compagnies,
asçavoir de Derville, Chemaux, le capitaine Jouannes,
La Brosse- et Mespieds. Ces cinq compagnies sont
nommées pource que les autres ne se battoyent pas
souvent, estans distribuées trois à trois ou deux à deux
en tous les lieux que nous avons nommez, le gros
s'estant avancé vers le fauxbourg de la porte Jaillez.
Les reflFormez s'amusèrent de ce costé-là à une escar-
mouche assez froide ; ce qui fut cause que tous les autres
logements se firent sans combat.
Le dimanche, les assiégez ayans mis le feu dans le
fauxbourg, le comte marcha pour le faire esteindre; et
là on se vid de plus près. Mais il n'y eut point moyen
de gaigner les jardins du fauxbourg pour estre opinias-
trez. Le lundi, l'armée estant venue à la Barillère, s'at-
taqua une meilleure escarmouche,, reschaufFée par le
capitaine Péricart, qui amenoit au siège près de trois
cents hommes. Le baron de Neubourg, son enseigne,
donna si brusquement à la queue de l'estang qu'il
enferma Sainct-Estienne avec vingt-cinq gentilshom-
mes; mais, comme ils estoyent prest de se rendre,
l'enseigne de Jarrie, avec trente des siens, perça tout
pour les desgager, et, comme il faisoit sa retraicte,
1. La Barillière, Mateflon, la Lande, la Bretonnière, la Bor-
derie, les Oulières et la Patinière, villages autour de Montaigu
(Vendée).
2. Peut-être Jean de la Brosse, d'une ancienne famille d'An-
jou, qui appartenait au parti catholique. Son chef, Jacques de la
Brosse, avait été lieutenant du duc François de Guise. Ce per-
sonnage n'est point nommé dans l'édition de 1618.
4580] LrVKE NEUVIÈME, CHAP. XVI. 81
Landereau et Briandière, avec leurs troupes, prindrent
la charge. Un vieil soldat, pressant l'enseigne de se
retirer, lui cria : c Voici de la cavallerie. > La réponse
fut : < Ce ne sont que des bestes de plus. » Ce jeune
homme fit bien sauter la haye à tous ses arquebuziers.
Mais lui, ne daignant quitter le chemin, eut Landereau
sur les bras, lequel il abbatit par terre d'un coup d'es-
pieu, son cheval pris par ceux de la ville. Et puis
ceux qui suivoyent Landereau vengèrent sa cheute de
quelques coups d'espée à travers le corps du jeune
Aubigné, qui, estant recouru mais mort, fut enterré
dans les sépultures des ducs de Thouars; chose qui
a depuis esté agréable aux seigneurs. J'en dis beau-
coup, mais c'est un frère; duquel vous sçaurez encor
qu'au premier jour que La Hunaudaye^ avoit paru
avec deux cents lances et six vingts arquebuziers,
cestuy-ci, avec trente hommes, encores soustenu de
dix sallades, avoit apporté tel désordre aux six vingts
arquebuziers et les avoit si rudement menez entre les
jambes de leur cavallerie, que ces lanciers, ne pou vans
pas venir à la charge à cause d'une haye, et se voyans
desjà plusieurs hommes et chevaux blessez, pour
prendre une place plus favorable, gagnèrent le chemin,
que les dix chevaux enfilèrent à leur cul ; et les trente
arquebuziers, qui avoyent mis en fuite les six vingts,
gaignèrent les costez des hayes et mirent tel effroi que
tout s'en courut au galop demi lieue et plus ; et les dix
qui meslèrent dans le désordre en tuèrent plus qu'ils
1. René de Toumemine, s. de la Hunauldaye, partageait avec
le comte du Lude le commandement de l'armée assiégeante
(Lettre du roi du 5 décembre 1580 ; Arch. hist. du Poitou, t. XIV,
p. 457 et suiv.).
YI 6
I
821 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
n'estoyent et emmenèrent six prisonniers. Pour ce
traict et quelques autres, l'aisné, partant pour aller à
la guerre, dit à son cadet : « Tu as gaigné réputation
de soldat, ne sois pas avare de ta vie, mais mesnager. »
La response fut : « J'aurai bien tost le plaisir d'estre
honoré ou celui de n'estre point. »
Durant ces choses, les quarante, ayans appris à Che-
milli^ par leurs prisonniers que le siège estoit com-
mencé, se résolurent de s'y venir jetter, et, pour cest
effect, vindrent repaistre à Villiers-Boivin^, où ils
prindrent quelques gens d'armes de Chemeraut et
puis arrivèrent à veue de la ville sur la minuict. Le
chef de ces estradiots^, l'ayant veue bien ceinturée de
feux, partagea à Davers et à Charbonnières*, qui fai-
soit lors son apprentissage, à chascun dix soldats; et
lui mit pied à terre avec dix autres et autant de cara-
bins, laissant entre les mains de leurs valets, qui
estoyent bien armez, les chevaux et les prisonniers
qu'ils avoyent. En cet équipage, il prent résolution
d'aller sentir les corps de garde de la Barillère ; mais,
les trouvant trop bien garnis, il prit à main droicte du
costé de Mateflon, où il n'y a voit que deux compagnies,
donna de teste baissée sur celle qui estoit en garde à
sa main droicte. Le corps de garde, après fort peu
d'arquebuzades, gagna bien tost la maison. Avant qu'ils
1. Chemillé (Maine-et-Loire).
2. Vihiers (Maine-et-Loire).
3. Le chef de ces estradiots est d'Aubigné lui-même.
4. Peut-être Jean de Carbonnières, s. du Plessis, enseigne de
Biron, en place de Charles de Saint-Angel (Montre du 20 oc-
tobre 1580, f. fr., vol. 21537). On trouve aussi un capitaine
huguenot, de la maison de Beauchamp, seigneur de Grand-Fief
en Charbonnières (note de M. Audiat).
I
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVI. 83
fussent secourus, lui et ceux qui estoyent à pied
ouvrirent une claye et ostèrent quelques branches
pour enfiler le chemin, qui le mena sans contredict
jusques à la contr'escarpe. Là il fut receu d'une senti-
nelle perdue, qui, sans parler, lui planta une arque-
buzade dans l'estomach de sa cuirasse; et, comme il
le recognut, lui apprit la mort de son frère.
Le conseil empescha toutes sorties jusques au diman-
che; mais, ce jour-là, le comte du Lude vint faire la
monstre générale de son infanterie dans le champ
de la Barillère. Estant permis aux nouveaux venus
de sortir, six soldats, bien en poinct, se coulent par-
dessous le rocher, montent dans le champ de la Baril-
lère, demandent si on les vouloit recevoir, et quand
et quand donnent chascun une arquebuzade dans le
bataillon. Vingt ou trente gentilshommes, qui estoyent
là, mettent les espées à la main et courent confusément
aux six. Nesde, qui s'estoit avancé avec quinze, ayant
tiré aux plus proches, reprent la pente du roc pour
recharger. Lancosme^ demande quatre cents arquebu-
ziers ; c'est-à-dire que tout s'esbranla, et voilà près de
trois mil hommes de pied qui prennent la course dans
la vallée, au fond de laquelle ils trouvent vingt gen-
tilshommes la halebarde en la main, six vingts arque-
buziers triez, et, un peu plus haut en gaignant vers
la ville, Jarrie avec quatre-vingts en un lieu plus avan-
tageux. Tous ces capitaines, qui avoyent pris leur
course, ne se peurent ou ne voulurent pas s'arrester,
4. Le 8. de Lancosme avait été adjoint au comte du Lude et
détaché du siège de Saint-Jean-d'Angéiy par ordre du roi (Lettre
du comte du Lude au roi du 25 septembre 1580; Arch. hist. du
Poitou, t. XIV, p. 150, note).
84 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
que dix-huict ou vingt qu'ils estoyent, n'ayans armes
que le satin, avec plus de quatre cents arquebuziers,
ne meslassent les six vingts. Là se donnèrent force
coups d'halebarde et coups d'espée. D'abordée le
maistre de camp des refîormez fut porté par terre
entre les capitaines Ghemaux et Jouannes, relevé par
Charbonnière et Nesde, Derville et Courtigni blessez
avec quinze ou seize des leurs croisez sur la place. Tout
ce qui avoit couru gayement perdit sa colère au bout
des espées des autres, si bien qu'ils leur donnèrent loi-
sir de repasser le pré et se partager aux deux costez
du chemin. Lors, toute la foule de l'armée estant arri-
vée, tout donne à l'envie les uns les autres, et au che-
min et aux deux costez. Là fut blessé à mort Goupi-
lières, et quatorze ou quinze de dedans tuez ou blessez,
mais les hommes de main, qui estoyent là, bien sous-
tenus par leurs arquebuziers, vindrent aux mains si
heureusement que d'abordée ils mirent à leurs pieds
trente mauvais garçons : entre ceux-là les capitaines
Ghemaux et Jouannes, frère du maistre de camp. Et,
sur cette bonne bouche, remontèrent encores vers la
ville quelques quarante pas, et puis, à un ormeau, qui
estoit abbatu au chemin, fermèrent leur retraicte. Sur
cet arbre les uns et les autres mirent les pieds. Un
sergent de La Brosse, nommé La Borde, seul le passa
et s'en desmesia en bon compagnon.
Les assiégeans, ayans recogneu l'opiniastreté et ver-
deur de leurs ennemis et voyans qu'ils ne pouvoyent
avoir que quatre mil hommes, changèrent le dessein
de siège en blocus seulement et refusèrent le canon
qu'on leur préparoit à Nantes, ne pensans peut-estre
pas avoir affaire à si peu de gens.
4580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVI. 85
En ce siège de blocus se passèrent en quatre mois
quarante ou cinquante escarmouches, fort peu des-
quelles se desmesièrent sans coup d'espée, et, pour ce
qu'il n'y va que de quatre cents hommes d'un costé,
je n'en oserai particulariser que quatre*. Quelques
gentilshommes, estans allé voir les capitaines Ponts* et
Ages^ à la Bretonnière, leur demandèrent moyen de
donner un coup d'espée. Ceux-là vindrent avec qua-
rante arquebuziers de chaque compagnie choisis auprès
de la Lande, la rivière entre deux. Et là se mirent à
l'escoupeterie avec Les Ouches, Nivaudière et quelques
soldats qui estoyent de l'autre costé. Un des chefs
de la ville '^ mande à Nesde qu'il le suivist avec vingt
arquebusiers, et lui neuviesme passe l'eau. Et, s' estant
coulé jusques où les capitaines Ponts et Ages estoyent,
se voyant descouvert, il va aux mains avec ses neuf,
mesle la première troupe qui estoit sur le bord de
l'eau, et, sans la desmordre, va mesler à l'entrée d'un
chemin quelques espées dorées qui firent ferme.
Comme ils estoyent aux mains et que les premiers
qui avoient fui se ralioyent pour venir au combat,
Nesde arriva avec ses vingt bien à propos, et lors les
assiégez, rompans tout, ne laissèrent sur la place que
deux morts, mais emmenèrent ou tuèrent, pour espar-
gner le foin, quarante-six chevaux, que^ perdirent
1. L'édition de 1618 n'en particularise que trois.
2. Peut-être Charles d'Argye, s. de Pons, guidon de la com-
pagnie du marquis de Villars (Montre du 5 septembre 1572, f. fr.,
vol. 21532).
3. Ce personnage est nommé Arragon dans l'édition de 1618.
i. Un des chefs de la ville est d'Aubigné lui-même.
5. La fin de l'alinéa manque à l'édition de 1618.
b
86 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
autant de volontaires qui, à i'ouyr de Tescarmouche,
s'estoyent venus convier d'y prendre part.
Du mesme costé de la Lande, soixante arquebuziers
de la ville ostèrent à cinquante arquebusiers, conduits
par le capitaine Arragon', dix chartées de munitions
et les vindrent passer à cent cinquante pas de la Lande.
Les compagnies des blocus y accoururent. Les soixante,
estants renforcées d'encor autant, font teste à droicte
et à gauche à ceux qui s'avançoient et emmènent tout
à Montaigu.
Il y eut une autre gaillarde escarmouche à la porte
Jaillet, où l'ordre de dix hommes de commandement,
qui en avoyent chacun vingt affidez et^ marchoyent
séparez pour recevoir les commandements, renversa
plus de huict cens hommes jusques derrière leur blo-
cus, pource que, dans le milieu de la confusion, ces
dix faisans^ un corps de deux cens bien serrez, avec
une menace de vingt-cinq chevaux que La Boulaye et
Sainct-Estienne amenèrent. A mesme temps, tout ce
qui estoit confus fut réduict à la fuite.
La dernière des escarmouches fut la plus glorieuse,
pource qu'elle se fit contre raison, sur le dessein de
l'ennemi. Car telle estoit l'audace des assiégez sur les
autres qu'ayans veu de dessus une tour loger sur le
ventre quatre cents arquebuziers dans un bois à leur
gauche, comme on va à la Barillère, et puis voyans
venir Mespieds avec sa compagnie pour attaquer à la
mode accoustumée en se retirant, les assiégez se plai-
gnoyent de ne venir plus aux coups d'espée. Mais
1. Voyez la note 2 de la page précédente.
2. Ce passage, jusqu'à renversa, manque à l'édition de 16t8.
3. Faisans; le sens exige faisaient.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVI. 87
celui qui commandoit aux sorties^, ayant choisi cent
cinquante hommes, parmi cela quinze ou seize armez,
ayant envoyé les capitaines Paillez ^ et Mocquart avec
soixante convier Mespieds à se retirer, lui prent sa
course dans le bois et mesle tellement ceste embuscade
qu'en faisant demeurer trente sur la place, il mène le
reste dans le fossé de la Barillère ; et, pource que les
valets de la ville estoyent courus pour butiner au bois,
on leur fit emporter le capitaine Sourcil, qui, pour
avoir rendu plus de combat que les autres, fut enterré
par les assiégez hors de la ville avec les enseignes et
beaucoup d'honneur.
Les coureurs de Montaigu ne laissoyent pas, pour le
siège, de faire des équipées assez loing; comme en ce
temps-là neuf des leurs deffirent deux compagnies de
gens de pied marchans dans un chemin creux, auprès
de Pont-Rousseau^. Et les mesmes furent chargez par
dix-huict chevaux de l'armée que les neuf tuèrent tous,
horsmis le capitaine La Coste*, qui^, pour avoir porté
le chef^ par terre, et avoir très bien faict, fut sauvé
par lui. Il a depuis servi à Fontenai. Tous les traits
que nous disons faits hors d'apparence, par l'estime
i. D'Aubigné lui-même.
2. Ce capitaine ne doit pas être confondu avec Biaise de Vil-
lemur, baron de Pailhès, gouverneur du comté de Foix.
3. Pont- Rousseau (Loire- Inférieure), sur la route de Montaigu
à Angers.
4. Un capitaine du nom de Lacoste est cité dans les Lettres
de Henri IV (t. I, p. 491) comme maréchal des logis du roi de
Navarre,
5. Ce membre de phrase, jusqu'à ces mots : tl a depuis servi...,
manque à l'édition ide 1618.
6. Le chef dé&ïgné ici est d'Aubigné.
88 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
en laquelle estoyent les refformez de ce costé-là envers
leurs ennemis. Mais, parmi ces choses qui seront
louées, j'en ai une à dire qui sera blasmée des plus
judicieux. C'est que Guébriand * , du costé de La
Hunaudaye, ayant envoyé demander un coup de lance,
il arriva que celui qui receut le trompette^, comme
estant fortuitement préparé à cela, s'avança avec lui
et lui mit le marché au poing, ce qui ne s'exécuta pas,
pource que le chef de ce costé l'empescha. Les Poic-
tevins de Sainct-Georges se firent de feste pour répa-
rer ce deffaut. Cela vint par divers cartels que je sup-
prime jusques là que, les assiégez estans deffiez pour
se trouver dix des principaux dans le champ de la
Barillère, qui est à dire entre les mains de leurs enne-
mis, avec espée et poignard, ces gens furent si francs
du coHier qu'ayans pris la parole de La Brosse et Mes-
pieds, ils se vindrent mettre dix en chemise entre
deux rangs de leurs ennemis, qui faisoyent six cents
hommes au Heu dit et une heure avant l'assignation.
Or, comme le cartel étoit signé par le comte et son
conseil, aussi furent envoyés Lagot et Guimenière
dudit conseil pour conter et visiter les combatans, et
puis, ayant aggréé toutes leurs conditions, ils s'en
retournèrent, comme ils disoyent, pour leur envoyer
de quoi passer le temps. Mais, ayans demeuré là cinq
heures, ils receurent une lettre d'excuse. Les soldats
des compagnies, frémissans et crians la honte la plus
évidente que jamais armée eust receu, se convièrent
1 . François de Felles, seigneur de Guébriant, fils de François
de Felles, seigneur de Guébriant et de la Gornillière, et de Claude
Glé, dame de Saint-Thomas.
2. Celui qui reçut le trompette est d'Aubigné lui-même.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVI. 89
à tenir la place de leurs chefs, et, comme ils furent
acceptez, les capitaines La Brosse et Mespieds se jet-
tèrent entre deux et jurèrent avant se départir de se
venir mettre dans le régiment de La Boulaye, que Mon-
sieur avoit desjà prattiqué pour la guerre de Flandres ;
ces promesses leur estans permises pour le bruit cer-
tain de la paix.
Aussi fut-elle receue par le comte du Lude le len-
demain, et, comme on disputoit à qui la feroit publier*
le premier, le comte fit cet honneur à un capitaine
des assiégez- d'en vouloir prendre son advis; et pour-
tant mit Roussière-Gul-de-Braye^ en ostage pour lui.
Le capitaine fit voir deux choses : l'une, que tous les
mouvements et commencements de trevfes et parle-
ments estoyent bien séans aux maistres de la campagne
et non aux autres ; d'ailleurs que par la paix les assié-
gez entroyent en l'obéyssance du comte, ne lui devant
rien auparavant; que, pour leur première recognois-
sance, il estoit bien séant qu'ils receussent, non seu-
lement la paix, mais encores de lui l'exemple de la
paix. Entre autres discours, on lui demanda s'ils se
1. L'ordonnance d'exécution par le duc d'Anjou du traité de
Fleix, en vertu duquel la ville de Montaigu devait être rendue au
roi, fut criée sous les murs de la ville, par ordre du comte du Lude,
le 21 janvier 1d8L Cette pièce est publiée dans les Arch. hist. du
Poitou, t. XIV, p. 162.
2. Le capitaine des assiégez est d'Aubigné lui-même.
3. René Girard de la Roussière, capitaine catholique, avait pris
part aux guerres de religion du règne de Charles IX. En 1587, il
était gouverneur de Fontenay pour la Ligue lorsque le roi de
Navarre s'empara de cette ville. René de la Roussière était neveu
par alliance du comte du Lude et avait été pendant quelque temps
lieutenant de sa compagnie (Documents communiqués par M>°* la
marquise de Gumont).
90 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
prévaudroyent de l'appel des dix. Cestui-ci (quoique
principal de la partie, comme*, depuis le coup de
lance accepté, ayant maintenu la querelle seul et def-
fié Landereau, lui à pied et armé en capitaine de gens
de pied, contre l'autre monté et armé en capitaine de
gens d'armes) respondit : « Si nostre chef nous traie-
toit à la rigueur des anciennes loix, n'ayant pas tenu
à nous que la place ne soit perdue pour nostre gloire
particulière, il nous feroit trancher la teste à tous
dix 2. >
Il est temps d'aller où nous sommes obligez par
nostre ordre accoustumé, après un mot du Daulphiné,
où le duc de Mayenne^, ayant receu ses commissions,
s'acheminoit* sur la fin de ceste guerre, avec peu de
forces, pource que l'on estoit bien instruit à la cour
de la division générale où estoyent les refformez de
ceste province, qui s'employoyent les uns contre les
autres. Et par là donnèrent de la besongne bien facile
et de grande réputation à ce prince, comme nous ver-
1 . La suite de la phrase, jusqu'à respondit, manque à l'édition
de 1618.
2. Le duc d'Anjou, par lettres du 27 janvier et du 2 février 1581,
avait prescrit au s. de Tilly, gouverneur d'Anjou, de prendre pos-
session de Montaigu, de livrer la ville au comte du Lude, qui était
chargé par le roi de la démanteler (Arch. hist. du Poitou, t. XTV,
p. 163, 164 et notes). L'opération subit des retards par suite de la
mauvaise volonté des réformés, et, à la date du 21 février, le traité
de Fleix n'était pas encore exécuté à Montaigu (Ibid., p. 168).
3. Charles de Lorraine, duc de Mayenne.
4. Le duc de Mayenne arriva à Lyon avant le 24 juillet 1580 et
en partit le 23 août pour Grenoble. II entra en campagne au com-
mencement de septembre, fut blessé à l'œil, se retira à Romans,
puis à Grenoble, partit de Grenoble le 29 septembre et mit le
siège devant la Mure le 28 octobre (Mémoires d^Eustache Piémond,
passim).
1580] LIVRE PŒUVIÈME, CHAP. XVII. 91
rons. Et, quelques remonstrances qu'on leur fist, ils
aimoyent mieux devenir esclaves de leurs ennemis que
compagnons de leurs frères; regardans plustost d'où
estoit Lesdiguières \ médiocre en moyens mais bon
gentilhomme, que quel il estoit et quel il se montra,
quand la nécessité chastia les orgueilleux, et quand ils
eurent senti leur péril et leur devoir par leurs accidents
et par l'industrie du vicomte de Turenne, comme nous
vous dirons au livre suivant.
Chapitre XVII.
Liaison des troubles de France avec ceux
des quatre voisins.
N'y ayant plus de seureté en Picardie pour le prince
de Condé, dès qu'il vid les préparatifs du siège de la
Fère, il passa en Angleterre % où il fut favorablement
recueilli par la roine, et de là, pour prendre le chemin
1. Lesdiguières appartenait à une famille de petits gentils-
hommes qui, de temps immémorial, exerçait une charge de
notaire. Voilà la cause de la jalousie passionnée que la haute
noblesse du Dauphiné portait à ce capitaine (Roman, Actes et cor-
respondance de Lesdiguières, introd., p. xxi). La jalousie alla si loin
qu'une assemblée de réformés tenue à Bordeaux, près de Crest,
en Dauphiné, au milieu de 1580, investit le jeune Montbrun, alors
âgé de douze ans seulement, du commandement général du parti
huguenot en Dauphiné, au détriment de l'illustre Lesdiguières
(Mémoires de Piémond, p. 109, note).
2. Le prince de Condé se mit en route pour l'Angleterre un peu
avant le 24 juin 1580, accompagné de neuf serviteurs, dont La
Huguerye était l'un. Voyez les Mémoires de La Huguerye, t. U,
p. 61.
98 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
d'Allemagne \ vint aborder à l'Escluse*, si bien qu'es-
tant arrivé à Gand, le treizième juillet 1579^, il y
receut comme une espèce d'entrée, et, le mesme soir,
se fit l'entreprise de Gand par le marquis de Roubay*.
Nous en parlerons en son lieu. Seulement, en suivant
le voyage du prince, nous dirons de lui qu'il se trouva
une picque à la main des premiers à repousser les
entrepreneurs, et que, deux jours après, estant parti
pour Anvers, il ramena à Gand ^ les forces qui le con-
duisoyent pour se trouver à une seconde entreprise;
et puis d'Anvers, après avoir conféré amplement avec
le prince d'Orange et avoir recognu qu'il ne se pouvoit
impétrer de secours pour la Fère, à cause des fusées
que les Estais avoyent lors à desmesler, il tira à Franc-
fort®, pour y estre avant la foire d'automne. Là il
traita avec le duc Casimir' et autres AUemans, pour
1. N'ayant rien obtenu de la reine d'Angleterre, Condé passa
peu après en Allemagne (Mémoires de La Huguerye, t. Il, p. 62).
2. L'Écluse, port du comté de Flandre.
3. D'Aubigné se trompe de date. Nous sommes en 1580. Condé
arriva dans les Pays-Bas le 7 juillet 1580 {Mémoires anonymes
publiés par M. Henné dans la coll. de la Société de l'hist. de Bel-
gique, t. V, p. 292).
4. Robert de Melun, marquis de Roubaix, seigneur de Risbourg,
plus tard lieutenant du prince de Parme, tué au siège d'Anvers
en 1585.
5. Le prince de Condé, arrivé à Gand le 7 juillet 1580, défendit
la ville contre les malcontents et en partit le 8 pour Anvers. Le
18 juillet 1580, il se mit en route pour la Hollande et pour l'Alle-
magne. Ses exploits à Gand sont racontés dans le tome V des
Mémoires anonymes, p. 295 et suiv.
6. Le prince de Condé arriva à Francfort en septembre 1580
(Mémoires de La Huguerye, t. Il, p. 64).
7. Jean-Casimir de Bavière, frère de l'électeur palatin. Les
négociations du prince de Condé avec lui sont racontées dans les
Mémoires de La Huguerye, t. Il, p. 64.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVII. 93
avoir une armée au printemps suivant, avec des con-
ditions nouvelles qui semblèrent dures au pays. Ces-
toit que le duc Gazimir auroit pour seureté et gage de
ses payements entre ses mains, ou de gens à lui con-
fidents, la ville d'Aiguemortes, avec le fort de Pecais.
Cela estant ainsi conclud, il s'en revint par Genève, et
puis par le Daulphiné, accompagné de Clervant et puis
du docteur Beutrich. Nous verrons en suitte comment
ce labeur fut rendu inutile par les mauvaises intelli-
gences des deux cousins^.
D'Italie on fit couler des forces dans Avignon, sur
la jalousie que donna le passage du prince-. Depuis,
ces mesmes bandes repassèrent par la Provence en
Piedmont et de là à Insprug^, pour aller trouver le
duc de Parme aux Pays-Bas*.
Le pape Grégoire XIII, sur ses derniers jours ^,
receut par les mains de ceux de Lorraine la ligue de
Péronne" renouvellée aux termes que nous avons
déclarez. Tous les cardinaux partisans d'Espagne,
ayans pris leur concert ensemble au logis du cardinal
1. Le roi de Navarre et le prince de Gondé.
2. Condé, de retour d'Allemagne, passa en Dauphiné au
commencement de novembre 1580 et arriva à Nîmes le 14 du
même mois (Aubais, Pièces fugitives, t. Il; Mémoires de Merle,
p. 18).
3. Inspruck.
4. Alexandre Farnèse, duc de Parme, fils d'Octave Farnèse et
de Marguerite d'Autriche, fille naturelle de Charles-Quint, né en
1546, mort le 3 décembre 1592.
5. D'Aubigné se trompe de date. Le pape Grégoire XIII ne
mourut que le 13 avril 1585.
6. La ligue de Péronne est bien postérieure à l'année 1580.
Voyez le livre suivant.
94 fflSTOlRE UNIVERSELLE. [1580
Borromé^ firent ligue dans le consistoire, pour faire
au commencement approuver simplement, et puis
authoriser celle de France. Mais le pape, assisté de
fort peu de François et d'Italiens, refusa entièrement
ce présent, de quoi il acquit beaucoup de haine du
clergé. A ceste occasion, quand la nouvelle du désastre
d'Affrique vint, on le chargea d'avoir favorisé l'entre-
prise de don Sébastien et d'avoir destourné les com-
pagnies qui devoyent commencer la guerre en Irlande,
pour les employer là. De mesme temps on fit courir
partout un concordat de Magdebourg*, mesnagé par
ceux que nous alléguerons, mais le pape ne se désunit
point ^.
Monsieur estoit lors à Tours, où lui furent envoyez
nouveaux députez des Pays-Bas^, pour lui faire accep-
ter ce qu'il fit après. Mais il fut conseillé par Fervaques
et Bussi^ de ne desmarcher point hors de France, en
laissant le roi de Navarre et son parti ennemis comme
ils estoyent; que les refformez, engagez à la haine des
Espagnols et des ligués, estoyent seuls capables de rele-
1. Saint Charles Borromée, cardinal et archevêque de Milan,
fils du comte Gilbert Borromée et de Marguerite de Médicis, sœur
de Pie IV, né le 2 octobre 1538, mort le 4 novembre 1584.
2. Transaction entre l'empereur et Joachim-Frédéric de Bran-
debourg, archevêque de Magdebourg, qui s'était marié avec sa
cousine de Brandebourg sans vouloir renoncer à son archevêché.
3. C'est-à-dire ne se démentit pas.
4. Le duc d'Anjou, sur le conseil du prince d'Orange, avait été
choisi comme duc de Brabant par les états des Flandres (juin
1580). Le 12 août, les états résolurent de lui envoyer une députa-
tion solennelle. Le 19 septembre, les députés du prince français
et des états signèrent avec lui, au Plessis-lès-Tours, une conven-
tion qui est imprimée par Dumont, Corps diplomatique, t. V, p. 380.
5. Bussy était mort depuis le 19 août 1579.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVH. 95
ver son authorité en France, si besoin y eschéoit. Et
ce fut pourquoi Monsieur se voulut mesler de ceste
paix, comme d'ailleurs le roi aimoit mieux lui en lais-
ser l'envie qu'à soi. Voilà sur quoi se fit le voyage de
Libourne et de Goutras*. Et cependant, craignant que
les Flamans cerchassent un autre chef, comme plusieurs
avoyent l'œil sur la maison palatine et ailleurs, il fit
marcher les forces qu'il avoit les plus prestes, dont
quelques-unes, logées autour de Meulan^ près Paris,
furent chargées par les gardes du roi, qui, importuné
et menacé par l'ambassadeur d'Espagne^ et les chefs
de la Ligue, print couleur pour les deffaire de quelques
pilleries, comme ils en donnoyent assez d'occasion,
mais, d'autre costé, pensa mériter la bonne grâce de
ceux qui le pressoyent en faisant pendre quelques pri-
sonniers devant le Louvre.
Le régiment de Combelle* fut le premier qui arriva
1. Le duc d'Anjou fut envoyé par le roi à Libourne, à Coutras
et en Guyenne « pour écouter les plaintes et remontrances qui
luy seront adressées. » Les lettres de commission du roi sont
datées du 9 juillet 1580 et conservées en copie du temps dans le
vol. 15553, f. 234 du fonds français. Partie de la correspondance
du prince pendant cette mission est conservée dans ce même
recueil et dans le vol. 6003 des nouv. acq. du f. fr.
2. Meulan (Seine-et-Oise), sur la Seine.
3. L'ambassadeur d'Espagne auprès de la cour de France était
don Juan de Vargas depuis près de neuf ans. En juin 1580, Var-
gas mourut à Paris de la coqueluche (Rapport au roi d'Espagne
de juillet 1580; Arch. nat., K. 1558, n° 142) et fut momentané-
ment remplacé par don Diego de Maldonado, son premier secré-
taire. La correspondance de Maldonado est conservée aux. Archives
dans les cartons K. 1558 et suiv.
4. Gombelles, capitaine au service du duc d'Anjou, avait été
lieutenant de la compagnie colonelle de Martinengo. La Hugue-
rye parle de lui dans ses Mémoires, 1. 1, p. 7. Il était le frère cadet
96 mSTOiRE UNIVERSELLE. [1580
en Hainaut avec quelque troupe de noblesse, qui mar-
cha sous son aisle. Les bandes espagnoles, qui tenoyent
le pied sur la gorge au pays, se rallièrent, et, sachans
que les François estoyent logez à Barlemont^, les vin-
drent attaquer le dix-huictiesme de may. Mais ces
nouvelles bandes, ayans soustenu le premier effort,
sortirent sur leurs assaillans, passèrent sur le ventre
à ceux qui estoyent pied à terre et menèrent le reste
deux lieues fuyant, avec perte de quatre cents hommes,
la pluspart Espagnols naturels.
Chapitre XVIII.
De r Orient,
Émir Evizamizire^, fils du roi de Perse, despesché
au Servan par son père avec quinze mille chevaux,
assisté de Salmas', premier vizir, au commencement
de l'an 1578, rencontra à l'entrée de Servan le bâcha
Caietas*, gouverneur d'Ères, qui s'estoit mis à la cam-
pagne pour quelque convoi de vivres. Ces quinze mille
chevaux tuent le bâcha et tout ce qu'il avoit, empor-
tent d'emblée Émir, deux cents canons^ dedans, et
de Jean de Combelles, membre du conseil du duc d'Anjou {Mémoires
de Nevers, t. I, p. 596).
1. Barlaimont, dans les Pays-Bas, sur la Sambre.
2. Émir-Hamze (c'est ainsi que le nomme de Thou), fils aîné du
roi de Perse, Mohamed-Hodabendes, partit de Gasbin pour se
rendre dans le Schirvan (liv. LXVII).
3. Mizize-Salmas, grand vizir.
4. Le bâcha Ghaïtas, à qui Mustapha avait donné le gouverne-
ment d'Ères.
5. Émir-Hamze envoya à Gasbin les pièces d'artillerie dont parle
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVHI. 97
prennent cet équipage pour aller assiéger Sumachie.
Souvenez-vous que nous avons laissé Abdith Gheray*,
Tartare, après ses victoires se plongeant en délices aux
plus agréables endroicts de la Perse, qui lui semblèrent
si doux au pris des Palus Méotides, d'où il estoit parti,
que lui et les siens à son exemple ne faisoyent plus
aucunes factions. Il en advint que le prince de Perse,
prenant son chemin par le logement des Tartares,
enfonça les quartiers sans deffense, et, donnant au logis
du général, l'emporta avec son reste et l'envoya pri-
sonnier au roi son père à Casbin^. De là il assiège
Sumachie^ et Osman le bâcha dedans; lequel, ne se
voyant point capable de deffense, entendit à capituler
dès la première sommation ; demanda seulement trois
jours par courtoisie, pour disposer de son équipage,
à lui accordez par la capitulation. C'estoit que dans
ce terme il attendoit le secours des Tartares, mais,
cognoissant le malheur qui leur estoit arrivé, pensa
diminuer le sien par une fuitte de nuict à Demi-
carpi% si forte d'assiète et d'artifice qu'il délibéra
d'y attendre le prince Mirize, lequel, se contentant
du recouvrement du pays perdu, ou de la plus-
part, ayant mis bonne garnison en ses conquestes
et puni quelques habitants de leurs laschetez^, s'en
d'Aubigné pour en faire hommage au roi son père (De Thou,
Uv. LXVH).
1. Abdil-Chirai, frère de Cumans, roi de Tartarie.
2. Gasbin, en Perse, dans l'Irac, près du mont Elwend.
3. Scamachie, capitale du Schirvan.
4. Temir-Capi, ville près de Scamachie.
5. Émir-Hamze, prince de Perse, traita les habitants d'Eres et
de Sechi avec plus de sévérité que ceux de Scamachie parce qu'ils
s'étaient rendus aux Turcs.
VI 7
98 fflSTOIRE UNIVERSELLE. [1580
retourne à Casbin, où le père le receut triomphante
Là estoit prisonnier dans le serrail Abdith Cheray,
prisonnier de nom, mais en effect honoré de tous et
caressé de toutes les princesses et autres 2, poussées à
son amour par deux grands commandements ; le plus
grand, de son extrême beauté et adresse de corps et
d'esprit; l'autre, par l'ordonnance expresse du roi, qui
ne vouloit rien oublier à gagner ce cœur, et par lui
le roi de Tartarie, et ainsi destourner un puissant
secours à son ennemi, pour le faire sien en ces néces-
sitez. Il n'espargna rien à cela, jusques à l'offre de sa
fille en mariage. Mais un autre amour aveugla le pri-
sonnier et l'attacha à la roine de Perse ; elle de mesme
à lui, avec des privautez si descouvertes que les sultans
et grands du royaume, les uns jaloux de l'honneur de
leur maistre, les autres rivaux de mesme affection,
conjurèrent la mort de ce jeune prince ; l'exécutèrent
dans le serraiP. De là vont poignarder la roine et la
jettent par les fenestres*. Et, pource qu'après cette
action ils ne se cachèrent point, on a présumé que
celui qui avoit le principal intérest en cet affaire y eust
donné consentement. Ce fut à la fin de l'année à
1 . Émir-flamze revint à Casbin suivi de sa mère, la princesse
Begum, qui l'avait accompagné dans son expédition (De Thou,
liv. LXVII).
2. Abdil-Chirai se disait frère du kan des petits Tartares et
s'était attiré les bonnes grâces de Mohamed-Hodabendes, surtout
celles de la princesse Begum (De Thou, liv. LXVII).
3. a Notre langue, » dit de Thou (liv. LXVII), t n'a point de
termes pour exprimer son supplice. »
4. De Thou révoque en doute la mort de la princesse Begum
immédiatement après celle d'Abdil-Ghirai. Ce qu'il tient pour cer-
tain, c'est qu'elle ne paraît plus depuis au sérail (liv. LXVII).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVIII. 99
laqueUe Mustapha s'estoit retiré dans Erzeron\ laissant
faire la guerre aux autres bâchas et se reposant de ses
labeurs.
Au commencement de la suivante, ce général, ren-
forcé de plusieurs bandes, qui vindrent devers Alep^
et devers le Caire, s'en alla à Chars ^, sur le fleuve
Euphrate; où il battit une forteresse de quatre-vingts
tours, pour la perfection de laquelle, après la force,
il n'oublia rien des délices, comme force canaux tirez
du fleuve, des lieux pour les jeux publics et des estuves,
avec toutes sortes de voluptez'*. Cependant avoit esté
despesché Assam bâcha ^, pour secourir Tifli^, assiégé
par les Perses. Aliculi-Cham ''^ et Simon ^ allèrent au-
devant et firent un grand escarre à la teste d' Assam.
Mais, le gros des Turcs arrivant au combat^, Aliculi
fut pris ; qui servit bien puis après de bon guide à un
retranchement que Simon fit entre les montagnes, où
il arresta sur le cul l'armée d' Assam, et le ruinoit sans
un passage que lui monstra son prisonnier.
1. Erzeroum, dans la Turquie d'Asie, sur l'Euphrate.
2. Alep, en Syrie, sur le Marsgras ou Goié. Elle passait pour
la troisième ville de l'empire ottoman.
3. L'armée de Mustapha, en quittant le Caire, fit route vers la
forteresse d'Hassan-Chalassi et arriva enfin à Chars en douze jours
(De Thou, liv. LXVII).
4. L'armée de Mustapha^rmina les fortifications de Chars vers
le 25 août 1579 (De Thou, liv. LXVH).
5. Hassan, hacha de Damas, fils de Mechmet, qui avait exercé
à la Porte, pendant plusieurs années, la charge de grand vizir.
6. Tiflis, dans le Gurgistan, capitale de la Géorgie, sur la rive
droite du Kur.
7. Alyculi-Chan, officier persan.
8. Simon-Chan, officier persan.
9. Le combat, engagé entre les Turcs et les Persans, se livra
dans la forêt de Tomanis (De Thou, liv. LXVII).
100 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
Or, durant que Mustapha se reposoit à Erzeron, les
courtisans de Constantinople lui taillèrent de la beson-
gne, entr'autres Sinam hacha*, qui, cognoissant Amu-
rath pour le plus inconstant prince qui ait esté en
plusieurs siècles, fit sçavoir à la Porte comment Mus-
tapha, par son mauvais soin, avoit fait périr plus de
60,000 hommes, plus de morts de faim et de noyez
que de péris en combat; de plus que cet homme, libé-
ral de vies et avare de l'or, avoit faict trafic de toutes
choses publiques, et sur tout des charges de l'armée,
qu'il avoit fournies de gens mieux garnis de bourse
que de cœur et d'entendement. Premièrement, on mit
prisonnier le Desterdar, qui est le thrésorier, et le Nis-
cangi-, qui est le chancelier de l'armée. Ceux-ci ayans
esté ouys et lui mandé, fut déclaré Mansul, qui est à
dire sans charge; dont advint que cettui-ci, ayant
passé quelque temps à crier et à hurler, en détestant
les cruautez de Cypre, s'empoisonna et mourut enragé,
son bien acquis au casena de l'empire^.
Durant la guerre de Perse, Mahomet, bâcha et grand
vizir, celui mesmes qui causa la paix des Vénitiens,
avoit empesché les efforts de la guerre qu'on avoit
préparée en l'Europe, et en cela soulagé la dernière
vieillesse de Maximilian et le désavantage que sa mort*
porta aux frontières chrestiennes. Ce bâcha estoit fort
porté au soulagement de l'Europe ; causa la paix avec
1. Sinam, bâcha de la Porte, rival de Mustapha.
2. Le dephterdar et le nischanzin, trésorier et chancelier de
Mustapha.
3. Mustapha, né en 1535, mourut le 7 août 1580, Voyez dans
de Thou quelques détails sur sa mort (liv. LXXIII).
4. Mort de Maximilien II, fils de Ferdinand I«', 12 octobre 1576.
Il était né le 1" août 1527.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVIU. 101
l'empereur et le roi d'Espagne. Mais, encor plus
curieux de faire du bien aux François, il avoit empes-
ché de nouveau une querelle d'Allemagne contre les
Vénitiens, à cause de du Bourg', qu'ils avoyent pris
et donné à l'ambassadeur François 2; Monsieur l'ayant
despesché vers Amurath, durant son esloignement, et
depuis estant content par ses appennages, l'ayant lui-
mesmes décelé pour le faire prendre. Le mesme Maho-
met chassa de Constantinople un autre du Bourg, qui,
en récompense du tort faict à son parent, avoit impé-
tré un tribut sur les marchandises des chrestiens. Or,
il arriva que ce Mahomet avoit faict casser les troupes
qu' Amurath à son entrée avoit descouplées vers la
Transylvanie, et mesmement retrancher les janissaires.
Un des cassez, jurant la mort du bâcha, se mit dervis,
qui sont religieux fort austères et vivent de l'aumosne
des passants. Il se donna familiarité dans l'hostel de
Mahomet, par les aumosnes qu'il en recevoit. Et ainsi,
un jour d'audience, ce dervis se coula à la presse, et,
1. Le s. du Bourg était un intrigant qui, après avoir longtemps
habité Constantinople, s'était mis au service du roi de Navarre et
lui avait proposé de décider les Turcs à envahir l'Espagne et peut-
être la France à la suite d'une descente à Aigues-Mortes. Le
Béarnais ne fut pas longtemps la dupe de ce personnage. M. Ber-
ger de Xivrey lui a consacré une assez longue note d'après les
Mémoires de Mad. de Mornay. (Lettres de Henri IV, t. I, p. 133.)
Partie de la correspondance de ce personnage et de celle des
ambassadeurs espagnols à son sujet est conservée aux Archives
nationales dans le carton K. 1542.
2. Jacques de Germigny, baron de Germoles, maître d'hôtel
ordinaire du roi, ambassadeur de France à Constantinople après
les deux frères François et Gilles de Noailles. Partie de ses négo-
ciations est imprimée dans le tome I de l'Illustre Orbandale,
in-40, 1662. Partie est encore inédite, f. fr., vol. 4125, 4631, 6628,
16143; Vc de Colbert, 338.
102 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
se prosternant, présenta un papier. Le bâcha, croyant
qu'il demandast une aumosne, se baissa pour tirer sa
bourse, et l'assassin tira de sa manche un cousteau,
duquel il lui donna dans le petit ventre. Cestui-ci,
appliqué à diverses géhennes et menédevant Amurath,
qui le voulut interroger lui-mesmes, et encores à la
mort, ne confessa jamais rien, sinon qu'il avoit eu une
particulière vision du ciel pour tuer Mahomet, comme
fauteur des chrestiens et qui avoit espargné leurs vies
en plusieurs endroits. Cette mort arrivant au poinct
que le général Mustapha fut dégradé*, Sinam fut eslevé
sans peine à Testât de grand vizir de l'empire^; et
puis, comme Gadislequier, receut l'enseigne impériale
de la main d'Amurath pour aller en Perse ^ en la place
de Mustapha*, où il arriva au commencement de juin.
Sa première action fut de faire une monstre générale
à Ci vas ^, où il trouva l'armée fort débiffée, et pour-
tant, ayant despesché à Constantinople pour demander
des forces de l'Europe, Amurath fit tenir un conseil
notable et pour grands affaires, qu'ils appellent Ajac-
Tiphan. Là fut conclud de continuer la guerre de Perse,
et Sinam, ayant receu les forces demandées, les mena
à Erzeron.
1. Mustapha, après la mort d'Achmet, aspirait à la charge de
grand vizir, mais il fut disgracié à la suite d'intrigues du sérail.
2. Amurath envoya le Gapigi-Bachi vers Sinam pour lui por-
ter la nouvelle de sa promotion à la charge de grand vizir. Sinam
se rendait alors à Archichelec pour gagner Tomanis (De Thou,
liv. LXXni).
3. Sinam était parti de Constantinople le 25 avril 1580 pour
se rendre en Perse (De Thou, liv. LXXIII).
4. Mustapha avait été rappelé à Constantinople et y arriva au
moment du départ de Sinam.
5. Sivar, l'ancienne Sébaste, dans l'Anatolie.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVIH. 103
Le Perse, désireux de repos et adverti de la résolu-
tion que nous venons de dire, envoya un ambassadeur
nommé Maxat^ demander la paix 2, en quittant Tiflis
et Chas et en sauvant pour soi le Servan. Tel fut le
desdain de la paix du costé du Turc, qu'il mit en pri-
son Maxat, et, par la crainte de la mort, lui fit pro-
mettre ce qu'il vouloit. Le maistre de l'ambassadeur,
sçachant qu'il avoit sauvé sa vie aux despens de son
honneur, envoya quinze hommes au-devant de lui,
pour le prendre en une sienne maison , où il s'estoit
relaissé pour la crainte ou pour le travail. Ces hommes,
bien receus et festoyez, furent pris la nuict dans leurs
licts et dévalez dans un puis sec par Maxat, qui, ayant
ployé bagage, gagna un bateau et puis Constantinople,
où il se rendit serviteur d'Amurath^.
Sinam, de ce temps ayant l'armée du roi de Perse
sur les bras, campée à Carachac*, print place de
bataille à Ghialder, d'où, se contenant en ses avantages,
il despescha au roi de Perse ^ pour l' ad ver tir que par
ses conseils les choses estoyent mieux disposées à
Constantinople pour la paix que de coustume ; ce qui
1. Mehemet - Hodabendes envoya à Sivas, où Sinam avait
campé son armée, l'ambassadeur Maxud-Chan, sur les conseils
des ministres Levent-Ogli et Salmas.
2. Voyez dans de Thou (liv. LXXIU) le discours de l'ambassa-
deur pour demander la paix, et la réponse de Sinam.
3. De Thou donne quelques détails sur la trahison de l'am-
bassadeur persan (liv. LXXIII). Lorsque la guerre de Perse fut
terminée, Amurath donna à Maïud-Ghan le gouvernement d'Alep,
où il passa le reste de ses jours.
4. Garachach, non loin de Tauris.
5. Sinam renvoya à Mehemet>Hodabendes, roi de Perse, l'am-
bassadeur Haider.
104 fflSTOIRE UNIVERSELLE. [1580
fit despescher Hébrain-Gham* , ambassadeur vers Amu-
rath, auquel, de mesme temps, Sinam demanda congé
de se trouver au traicté, comme voyant plus clair
qu'aucun autre ce qui concernoit la paix ou la guerre.
Durant qu'Hébrain traictoit, on fit à Constantinople
de grandes magnificences pour circoncir les enfans du
Grand Seigneur^ ; et avoit-on dressé un eschafifaut pour
l'ambassadeur de Perse et sa suite, quand la nouvelle
d'une grande deffaicte de Turcs, en l'absence de
Sinam, arriva, sur laquelle on mit en pièces l'eschaf-
faut, et Hébrain avec sa suite dans un logis pestiféré,
où la pluspart moururent.
Sinam avoit faict tout ce mesnage pour parvenir à
estre grand vizir, plus courtisan que capitaine, et en
vint à bout ; mais receut ce desplaisir de voir mettre en
sa place Mahomet bâcha ^, qui n'estoit pas son ami.
A l'arrivée de cettui-ci, comme il faisoit passer l'armée
une rivière, sur l'intelligence d'un Géorgien renié,
nommé Manuchiar*, il fut chargé au pays de la Vefve^,
1. Ibrahim -Ghan, ambassadeur persan, arriva à Constanti-
nople le 29 mars 1582, suivi d'un nombreux cortège (De Thou,
liv. LXXVII).
2. Mahomet, fils d'Amurath, avait près de seize ans lorsqu'il fut
circoncis le 28 mai 1582. Le 9 juillet suivant, les autres enfants
du sultan furent circoncis. Voy. dans de Thou les détails de la
fête (liv. LXXVII).
3. Mahomet hacha, proche parent de Mustapha, assassiné le
7 août 1580. Le sultan Amurath l'avait chargé du ravitaillement
de Tiflis à la place de Sinam son ennemi (De Thou, liv. LXXVII).
4. Le Géorgien Mustapha-Manuchiar avait abjuré la religion
chrétienne pour exclure son frère de la succession à la couronne
(De Thou, liv. LXXVII).
5. Mustapha était fils d'une veuve très âgée qui régnait dans
une province voisine de la Géorgie. Cette expression, le pays de
1580] LrVRE NEUVIÈME, CHAP. XVIII. 105
principalement par les Géorgiens que menoyent Tocho-
maqui, Émir et Cimero. Ces trois portants le tiltre de
Cam et de chrestiens. Les Turcs y perdirent douze
mil hommes, tout leur esquippage et 30,000 escus
pour payer les garnisons de Tiflis, qui n'en pouvoit
plus^. Mahomet, attribuant son désastre au Géorgien
renégat et ayant résolu de le faire mourir, le fit venir
en sa tente, ayant aposté des hommes pour lui sauter
au collet. L'autre, qui s'en doubta, se fit suivre par
une liste de mauvais garçons, auxquels il commanda
de se jetter à lui, s'ils l'entendoyent crier. Manuchiar
donc entre en la tente, receut une froide révérence,
en rendit une plus froide, puis tourna vers l'entrée. Et,
comme le bâcha de Caramit^ et le sechaja^ de Maho-
met le voulurent forcer, il jetta un cri et, à mesme
temps, d'un coup d'espée, fendit la teste à ce dernier ;
d'un autre coup sur la teste aussi, abbatit à ses pieds
le bâcha ^ et mit Mahomet sur le pavé de cinq coups
d'espée, le laissant comme mort^. Puis, à la faveur
des siens qui estoyent entrez, se retira.
Tels discours arrivez vers Amurath le mirent en
cholère contre Sinam; lui, de se descharger contre le
la veuve, est claire dans de Thou, qui donne de longues explica-
tions (liv. LXXVII). Elle est incompréhensible dans d'Aubigné.
1. De Tbou donne quelques détails sur la défaite des Turcs
devant Tiflis (liv. LXXVU).
2. Le bâcha de Cara-Hemid faisait partie de l'expédition de
Tiflis, commandée par le hacha Mahomet.
3. Le Kihaïa dont parle d'Aubigné était le capitaine des gardes
du hacha Mahomet. Il fut tué au Divan par Mustapha-Manuchiar.
4. De Thou rapporte que Mustapha-Manuchiar ne fit qu 'effleu-
rer l'oreille et la mâchoire inférieure de l'eunuque Hassan, bâcha
d'Amide.
5. Le bâcha Mahomet guérit de ses blessures.
106 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
général Mahometh et de remémorer combien de fois,
lors de son envoy, il l'avoit déclaré indigne de com-
mander. Et puis, en passant oultre, dict hardiment à
l'empereur que, s'il ne vouloit voir ses affaires ruinées
en Perse, il faloit avancer sa personne vers Alep, et
encor plus près du Persan, que telle approche con-
traindroit à la paix, pour la vigueur que ses forces en
recevroyent^. Mais, à la vérité, c'estoit pour, en l'ab-
sence d'Amurath, commencer un dessein d'eslever
Mahometh sur le throsne de son père. Or, la femme
de Sinam n'eust pas plustost ce dessein au cœur qu'elle
l'eut à la bouche et Amurath aux oreilles, par un rap-
port incertain, qui, espérant en son inconstance, lui
fit despouiller Sinam de ses honneurs^ et le bannit
tost après ^.
Un mesme soupçon du roi de Perse contre son fils
Abbas Mirizi* n'eut pas un succès pareil, car cette
crainte, lui estant donnée par Salmas, vizir ^ de Perse,
fit mettre le roi aux champs avec quatre vingt mil
1. Voyez dans de Thou la réponse arrogante de Sinam aux
reproches du sultan Amurath.
2. Le sultan Amurath déclara Sinam « mansul, » c'est-à-dire
déchu de tous ses honneurs, notamment de la dignité de grand
vizir, et confisqua ses biens (De Thou, liv. LXXVII). Il donna sa
place à Siasnes hacha, Hongrois, qui avait épousé une sœur
d'Amurath.
3. Sinam fut d'abord relégué à Damotica, près d'Andrinoples,
et transporté ensuite à Marmara, dans la Macédoine, sur le che-
min de Constantinople à Raguse (De Thou, liv. LXXVII).
4. Abas Mirize, fils et successeur de Mahomet-Hodabendes, roi
de Perse, vice-roi de Heri, l'ancienne Aracosie, sur les bords de
la mer Caspienne.
5. Mirize-Salmas-Chan, premier ministre de Mahomet-Hoda-
bendes, ennemi juré d'Abas-Mirize, avait marié sa fille à Émir-
Hamze, fils aîné du roi de Perse.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XVHI. 407
hommes, le poussa à faire mourir le gouverneur du
Servan et deux sultans, et s'en alloit rendre tous les
plus grands piliers de son royaume, premièrement
criminels du soupçon et puis de l'accusation et en tiers
lieu de la prison, qui est le crime de prophétie et ne
se pardonne point. Mais, tous les sultans et conseil-
hers d'estat qui suivoyent ce prince l'amenèrent par
une sage remonstrance, premier que juger la question
du droict et la mort méritée par son fils, à esplucher
celle du faict. En cette recerche ils apprirent que jamais
le prince Abbas n'avoit pris authorité ni tiltre que de
vice-roi. Et puis s'offrirent à maintenir par la prison
de tous que le vizir Salmas avoit forgé telle calomnie
pour faire place par la mort de l'aisné au second son
gendre, qui estoit le prince Émir. Cela bien recerche,
Godobande^ reprit son fils en grâce, dégrada Salmas
et le fit pendre.
D'autre costé Amurath l'inconstant, ayant encores
esté l'armée de Perse au bâcha Mahomet, à son arri-
vée, envoya 30,000 ducats pour faire un fort à Rei-
nan et conserver Cars^. Mais nostre Manuchiar, après
les coups que nous avons dict, se repentant d'estre
révolté, signala son retour aux chrestiens en chargeant
Capigi^ et un chaoux, qui conduisoit l'argent, et tua le
convoy. Cela fut cause que Ferrand* pilla tout le pays
1. Mehemet-Hodabendes, roi de Perse.
2. Le bâcha Ferhates avait reçu la mission de fortifier Reivan
et d'assurer la route de Chars à Reivan.
3. Gapigi bachi ou Gapitzilar kikaia.
4. Le bâcha Ferhates avait été nommé généralissime de l'armée
turque pour l'expédition contre les Perses sur la fin de l'an-
née 1582 (De Thou, Uv. LXXVU).
108 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
de Manuchiar, et, par intelligence qu'il eut avec les
Turquomans de Perse, gastoit tout le pays, sans l'ar-
mée que le roi assembla à Tauris^ qui effraya les Tur-
quomans par la prise, aveuglement et mort de leur
chef Émir Gham.
Sous ce trouble, Ferrand, qui avoit entrepris d'aller
à Naecinan^, fortifia en Géorgie Tamanis et Lori, où
il laissa le bassa Hali. Manuchiar et Hali, avec peu de
gens, mais bons et braves, combattirent au partir de
là Ferrand, lui troussèrent une grand'partie de son
avant-garde, et puis, ne pou vans avec quatorze mille
faire impression dans 80,000, se démeslèrent sans con-
fusion et laissèrent leurs ennemis assés contents de
rompre le voisinage.
Ferrand voulut contenter ses troupes par le pillage
de Géorgie^. Mais, au contraire, la licence les rendit si
effrénez que, s'estans mutinez, ils le voulurent tuer.
Et, après lui avoir faict souffrir toutes sortes d'outrages
et d'injures près de Cliqua, coupèrent les cordes de
ses pavillons, pillèrent ses thrésors, emmenèrent ses
fanâmes et ses eunuques, et le contraignirent de se
sauver à Erzeron, où il ne demeura guères sans sentir
l'inconstance de son prince, qui le despouilla de sa
charge et de son honneur, pour envoyer en sa place
Osman bâcha, que nous avions laissé à Sumachie et
Demicarpi. Cela au terme que nostre livre prend fin.
1. Tauris, en Perse, capitale de la province d'Adherbijan.
2. Nacchivan, capitale de l'Arménie persane.
3. Mustapha-Manuchiar, sur les instances de son beau-frère
Simon-Ghan, venait d'abjurer le mahométisme. A cette nouvelle,
le bâcha Ferhates ravagea son pays, pour venger l'injure qu'il
avait faite à la religion musulmane (De Thou, liv. LXXVU).
1580] UVRE NEUVIÈME, CHAP. XIX. 109
Chapitre XIX.
Du Midi.
Vous ne me sçauriez point de gré de vous amuser
aux pirateries de la coste de Barbarie, ni à vous comp-
ter les desseins inutiles qu'avoit eu Juan d'Austrie sur
Tunis. Mais vous et moi bandons sur le traict pour
venir à ceste grande bataille des trois rois^.
Sébastien de Portugal ^ voua le jour de Sainct-Jean
à l'embarquement de son armée, qu'il se vid ensemble
le vingt-sixiesme de juin, composée de treize cents
voiles et entre autres douze galères pleines de noblesse,
soixante vaisseaux chargez de gens de guerre, et de
près de sept cents autres de charge^.
Quelques jours furent employez en dévotions*, selon
les ordonnances d'un légat, exprès envoyé par le pape^,
1. Dom Sébastien, roi de Portugal, Mulei-Méluc, oncle de Mulei-
Mahomet et roi de Maroc, et Mulei-Mahomet, surnommé le Noir,
qui prétendait être aussi roi de Maroc.
2. Sébastien, roi de Portugal, né à Lisbonne le 20 janvier 1554,
fils du prince Joào et de Juana, fille de Charles-Quint, régnait
depuis le mois de juin 1557. Il avait conçu le projet de recommen-
cer les croisades et de reconquérir le tombeau du Christ. Le Maroc
étant en proie à la guerre civile, Sébastien avait résolu de com-
mencer la guerre aux Musulmans par l'Afrique.
3. Le 25 juin 1578, dom Sébastien embarqua sa flotte. Ses
troupes étaient composées de 10,000 Portugais, 1,000 Espagnols,
3,000 Allemands, 500 Italiens et un grand nombre de gentils-
hommes volontaires (De Thou, liv. LXV).
4. La cérémonie de la bénédiction de l'étendard royal avait eu
lieu le 14 juin 1578 dans la cathédrale de Lisbonne. Voy. le récit
de Rebello da Silva, Invasion du royaume de Portugal, in-S», 1864,
trad. franc., p. 162.
5. Grégoire XIU.
HO HISTOraE UNIVERSELLE. [1580
bien garni d'indulgences pour ceux qui feroyent le
voyage. Ce temps encores employé à establir sept gou-
verneurs* dans le royaume de Portugal, pource que
l'oncle cardinal en avoit refusé l'administration*.
L'armée vint mouiller à Cadis^ le second de juillet.
Et là séjourna quinze jours pour se fournir de ce qu'on
trouva manquer après les ancres levez, et aussi pour
recevoir deux régiments d'Andalouzie*, qui s'estoyent
enroollez pour l'embarquement avec la permission du
roi Philippe. Ëstans embarquez à la mi-juillet, il envoyé
sa grand'flotte en Arzille^, et lui, avec les galères seu-
lement, prend la route de Tanger, où il sçavoit que
Mulei-Hameth l'attendoit en bonne dévotion^. Je n'ai
que faire de vous monstrer comment ce prince nègre
envoya son fils au-devant, ni quelles furent les récep-
tions et aussi peu les grands et longs discours, par les-
quels le roi deschassé mesla aux remerciements tout
ce qui faisoit pour son droict, et à la conclusion lui
offrant son frère en ostage. Mais Sébastien aima mieux
pour lors le voir à la teste des bandes par terre jus-
1. Dom Georges d'Almeyda, archevêque de Lisbonne, dom
Pedre d'Alcaçova, dom François de Saa et dom Juan de Masca-
rennas furent chargés de la régence du royaume en l'absence
de dom Sébastien.
2. Le cardinal Henri, oncle du roi de Portugal, avait refusé la
régence du royaume, s'exCusant sur son grand âge.
3. Don Alfonse Perez de Gusman, duc de Medina-Sidonia, fit
au port de Cadix une magnifique réception au roi de Portugal.
4. Les deux régiments d'Andalousie étaient commandés par
don Alfonse d'Aguilar.
5. Arzille, dans le royaume de Fez, à trente-cinq lieues nord-
ouest de Fez.
6. Mulei-Hamet, vice-roi de Fez, attendait la flotte portugaise
dans un lieu appelé la Fiera del Giovedi.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XIX. M 4
qu'en Arzille, d'où il envoya ce jeune prince à Maza-
gan*, place donnée entre les mains des Portugais, non
toutesfois en qualité d'ostage, mais bien de seureté.
Ce fut auprès d' Arzille que l'armée campa avec ordre
et retranchement^.
De tout ceci, le roi Abdel-Melech, bien adverti,
après avoir discouru parmi ses privez sur le mauvais
dessein de Portugal, pour l'infidelle et foible société
de Mulei-Mahameth, il fit publier quelques édicts pour
le pays contre les chrestiens, et puis déclaration de
guerre contre tous ceux de ce nom-là, au grand con-
tentement des Mores. Ayant faict les apprests de son
armée à la mi-avril, il fit son rendez-vous général à
une mosquée nommée Temosena, lui marchant en
litière, pour une grande débilité d'estomach qui l'ac-
compagna jusques à la mort. Il acheva de joindre ses
forces à une journée d'Alcaçar, et là fit reveue de cinq
mille arquebuziers choisis, dix mille lanciers mores
tels quels, deux mille argolets, et de 24,000^ chevaux
arabes, tout cela faisant près de 60,000 hommes de
combat, mettant la principale espérance de ceste grande
foule aux cinq mille arquebuziers. Tout cela s'avança
fort lentement et en faisant plusieurs séjours jusques
à tant qu'ils vindrent camper à Alquazarquibir*.
D'autre costé, l'armée des deux autres rois desploya
à une monstre générale à deux journées d' Arzille qua-
1. Dom Sébastien alla lui-même à Mazagan, suivi de Martin
Correa de Silva.
2. Dom Sébastien perdit à Arzille environ 18 jours (Rebella da
SUva, p. 182).
3. L'édition de 1718 porte 2,400 chevaux.
4. Alcazar Quivir, sur la côte de Barbarie, dans le royaume de
Fez.
112 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
torze mille hommes de pied et deux mille* gens
d'armes, pour tout ce qui a voit passé l'eau, avec trente
six pièces de campagne bien attelées. Les autres ont mis
en ce compte un bagage desmesuré et plusieurs com-
pagnies de garses, de quoi nous n'avons que faire. Ces
gens de pied estoyent composez de trois mille Allemans
restans des cinq mille, de deux mille Espagnols, six
cents Italiens, autant de la garnison de Tanger et les
deux mille cinq cents avanturiers desquels il se fioit. Le
reste estoyent Portugais, picques seiches et bisongnes^.
Mulei-Mahamet et ses conseilliers tendoyent à tempo-
riser près de l'Arache^, tant pour estre favorisez d'une
armée de mer, laquelle, avec la garnison de Mazagan,
amusoit trois mille bons hommes, que pour une espé-
rance qu'avoit tousjours Mahameth, que les forces de
son ennemi se donneroyent à lui s'il les hallenoit.
Abdel-Melech , de son costé, trouva moyen de négo-
cier* avec don Sébastien et lui vouloit laisser prendre
l'Arache, afin qu'il s'en retournast ayant faict quelque
chose, mais les froideurs de son compagnon et de son
ennemi ne peurent l'attiédir; si bien que, s'estant
avancé le long du fleuve d'Alcaçar jusques au lieu où
il joinct la rivière d'Arache, sans s'approcher de la
ville, pour la crainte qu'avoit Mulei-Mahamet du con-
tentement que son ennemi avoit espéré, la rivière
1. L'édition de 1618 porte 200 gens d'armes.
2. Bisongnes, recrues.
3. Larache, au royaume de Fez, à l'embouchure de la rivière
de même nom.
4. Les deux princes Maures offraient au roi de Portugal une
partie du Maroc, ce qu'ils possédaient et ce qu'ils ne possédaient
pas. Le message de Mulei-Moluk est daté du 22 juillet 1578, Voy.
le récit de Rebelle da Silva qui a analysé ces négociations (p. 174),
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XIX. 413
empescha le combat le dimanche, comme aussi le
temporisement perpétuel d'Abdel-Melech, lequel eust
encores dilayé la bataille sans la peine qu'il avoit d'em-
pescher ses Mores de se révolter, et mesmes qu'il lui
avoit falu estre toute la nuict à cheval pour tenir en
prison les compagnons.
Mais, le lundi, quatriesme d'aoust, on commença
au poinct du jour à voir les Mores ^ avancez sur un
haut terrier, plus pour recognoistre la contenance de
l'armée chrestienne que pour la presser au combat. A
leur veue, l'artillerie des chrestiens passa le gué en
diligence, comme aussi, le passage estant large, les
bataillons passèrent presque tous formez. Et ce fut
pourquoi on les fit oblongs, à la charge de faire front
de file pour les mettre en l'ordre que nous allons dire.
Toute l'infanterie ne fit qu'un corps carré, faisant
pourtant à chaque bataillon face diverse, car, le pre-
mier avancé s'estendit en front, faisant la corne gauche
et y fournissant les deux parts. L'autre s'estendit en
file, faisant de sa teste et de son estroit le tiers du
front, et de son long les deux tiers de la face de main
droitte. Les autres deux, faisans tout de mesme, ache-
vèrent le quarré, laissans au milieu un champ où print
place le général accompagné de ce qu'il avoit d'esHte.
Le bataillon de main gauche estoit des AUemans et Ita-
liens, commandez par le comte d'Irlande^; celui de
main droicte estoit des garnisons de Tanger comman-
dées par Alvaro Ferez de Tavora. Le bataillon qui fai-
1. Les Maures avaient à leur tête les capitaines Dogali-Algori
de Grenade et Osarin de Raguse.
2. De Thou dit que les Allemands étaient commandés par Mar-
tin de Bourgogne, seigneur d'Amberg.
VI 8
114 mSTOlRE UNIVERSELLE. [1580
soit le coin de main gauche en arrière estoit d'Espa-
gnols et Italiens, sous Alonzo d'Aquilar ; le quatriesme
estoit tout de Portugais, où commandoit Loys Csesar;
chascune forme estoit de trois mil hommes pour le
moins ; les quatre maistres de camp recognoissans pour
colomnel Duarté de Menezès, gouverneur de Tanger.
Les deux mil hommes d'armes furent partagez en quatre ;
à chascune cinq cents chevaux au milieu des lattes,
horsmis celle de devant, qui avoit pris place à l'aile
droicte, pource que tout le front estoit garni d'artil-
lerie, au nombre de trente-six pièces. Nous avons laissé
au roolle de l'armée Mulei-Mahameth et les siens en
arrière; c'est pource que, n'ayant que mil hommes,
moitié arquebuziers, moitié lanskenets, il print sa place
en arrière le plus hors du combat dans le chemin où les
deux rivières s'assemblent; desquelles celle de l'Arache
fermoit le derrière de l'armée chrestienne, et celle
d'Alcaçar costoyoit les deux, mais celle des Mores de
si près qu'elle leur servoit de fossé.
Abdel-Melech, bien que demi-mort en sa lictièreS
aida 2 pourtant à son frère à former son armée et
mettre la teste en un grand croissant, duquel les cornes
s'estendoyent près de demi-lieue. Ce croissant du grand
corps de ses Mores entremeslez de quelques files de
gens de pieds ; la pointe de main droicte estoit con-
fortée par un quarré de 1,000 chevaux, lanciers, qui
avançoyent encores à leur droicte ; mille arquebuziers
à cheval pour leur servir de carabins et ausquels ils
i. Abdel-Melech avait été empoisonné quelques jours aupara-
vant. Voy. le récit de Rebello da Silva.
2. Mulei-Méluc quitta son canap le 2 août 1578 pour joindre ses
forces à celles de son frère Mulei-Hamet.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHÂP. XIX. H 5
se fioyent beaucoup ; tout cela commandé par Mulei-
Hameth^, frère du roi. L'autre corne, qui faisoit la
gauche, avoit mille arquebuziers à cheval d'avantage,
qui estoyent en mesme posture que les autres, com-
mandez par Mahameth Zarer, vice-roi. Au milieu du
croissant et en arrière estoit le grand bataillon de tous
les arquebuziers à pied ; au milieu de cela le roi gardé
de deux cents renégats halebardiers ; aux costez et der-
rière du roi y avoit dix scadrons de chacun deux mille
chevaux pour partir de la main aux occasions. L'artil-
lerie estoit de mesme celle des chrestiens, mais plus
retirée dans le creux du croissant. Et ainsi les deux
armées se trouvèrent en estât de parler ensemble en
un sable, sans advantage, entre onze heures et midi,
plustost que Mulei-Mahameth et son conseil n'eussent
voulu; car, n'ayant peu obtenir du roi chrestien de
gagner la coste de la mer pour tirer flanc des navires,
ils essayèrent de faire marcher si froidement, que le
combat ne put commencer que sur le soir ; mais à tous
ces advis nostre roi soldat crioit au poltron.
Sur le point que les armées approchoient du costé
des chrestiens, don Sébastien fit une longue harangue
à ses soldats sur les incommodité/ qu'ils avoyent
receues pour parvenir au champ du combat, et sur
celles qui les presseroyent plus rudement au cas qu'ils
oubliassent leur vertu, le pays ne leur permettant point
de refuge, ni les ennemis de pitié; et puis il acheva
par la bonne espérance de la victoire à l'exultation de
la religion chrestienne.
En marchant pour le combat, le propos du roi fut
i. Mulei-Hamet, vice-roi de Fez, avait rejoint son frère Mulei-
Méiuc le 4 juillet 1578 (De Thou, liv. LXV).
116 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1680
suivi par les prélats qui assistoyent en ce voyage : pre-
mièrement par un nonce du pape*, commissaire pour
ceste expédition; par les évesques de Gonimbre* et
de Porto, et puis par grande quantité de moines de
tout ordre qui portoyent de grandes croix, et, en
exhortans au mespris de la mort, accompagnèrent les
combattans jusqu'à lances baisser.
Abdel -Melech, que son conseil avoit voulu faire
couler à Maroco comme paralitique et n'en pouvant
plus, contraignit ses gens de lui amener un cheval,
monta dessus, et, pour s'y pouvoir tenir, fit attacher
quelques courroyes de la selle à sa ceincture, quoi
qu'il n'eust monté à cheval il y avoit deux mois. 11 se
fit couvrir d'un drap d'or tout parsemé de grands
diamens et de perles par l'aide de deux stafiers, qui,
avec deux fourchettes, soustenoyent le manteau, cet
esclat corrigeant en quelque façon sa palleur et sa jau-
nisse. Il ne harangua^ que de promesse et de grands
dons à ceux qui se signaleroyent , et, pource qu'il
estoit prince de foi, on tient que ses propos arres-
tèrent plusieurs Mores et Arabes qui bransloyent pour
lui faire un mauvais tour. Ce fut lui qui livra de chance,
en criant : « Haut les bras ! » Mais son artillerie n'eut
pas achevé sa volée que l'arquebuzerie des deux armées
joua, quoi que d'assez loing. De mesme temps, Alvaro
Ferez* part de la droicte des chrestiens avec ses cinq
1. Alexandre Formento, nonce du pape Grégoire XIII.
2. Emmanuel de Menesès, évêque de Coïmbre. Arias de Silva,
évêque de Porto.
3. La harangue prêtée par de Thou à Mulei-Méluc (liv. LXV)
est une harangue supposée.
4. Dom Alvaro Parez de Tavora était frère de dom Christophe
de Tavora.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XIX. 117
cents chevaux et donne à la gauche au vice-roi Zarer.
Cestui-ci, emporté par les siens après la perte de deux
cornettes, se mit en route, et quelques-unes de ses
troupes allèrent contre la victoire des chrestiens à huict
lieues de là. Abdel-Melech, voyant cela, demanda son
cheval que par foiblesse il avoit laissé ; et, comme ses
gardes le voulurent arrester pour la mesme cause et
qu'ils tinssent les rennes pour l'empescher d'aller à la
charge, il voulut mettre la main au cimeterre, pour
tuer ceux qui l'empeschoyent, mais, sa paralysie lui
ayant monstre qu'il estoit sans main, il perdit la
parole et tomba sur l'arçon. Puis, comme on l'eut
remis en sa lictière, il s'efforça de dire : « Marchons
plus avant! > Et dans un quart d'heure rendit l'esprit*,
ce que ses gardes cachèrent habilement.
La moitié des 2,000 chevaux que nous avons par-
tagez en dix bandes, ne voyans que 500 chevaux chres-
tiens à la poursuite des leurs, font leur charge ; et à
ceste charge se rallie ce qui estoit le plus pesant à fuir.
Cela ramena nos 500 chevaux si rudement, qu'ils les
poussèrent sur le bataillon des chrestiens, de main
droicte, et cela commença la première confusion.
Le roi de Portugal, qui jusques-là avoit demeuré
dans son chariot retenu par les siens, saute à cheval
couvert d'armes vertes, et alla à la charge entre le duc
d'Alvero^ et le jeune comte de Virmiose, qui depuis
fut connestable, et mit encores en route tout ce qui
1. Le courage et la mort de Mulei-Méluc au milieu de son
triomphe ont excité l'admiration de presque tous les écrivains du
temps. Montaigne {Essais, liv. II, chap. xxi) en a tiré l'un de ses
plus beaux récits.
2. Dom George de Blencastro, duc d'Aveiro.
i18 fflSTOIRE UNIVERSELLE. [1580
îjvoit chargé les siens. Mais les autres mille chevaux
qui ne voyoyent pas le combat de leur main droicte
si eschauffé, vindrent encores fondre sur les Portugais
et renversèrent tout ce qui estoit à la gauche. Il y eut
une troupe de chrestiens à droicte qui, ne trouvant
rien qui se ralliast, poursuivirent les fuyards si avant,
que la besongne fut vuidée avant leur retour ; et parmi
ceux-là estoit le comte de Virmiose.
J'ai tardé à vous rendre compte de la main droite
des Mores, pource que ceux-là marchoyent à pied de
plomb et ne meslèrent que le roi don Sébastien, de
qui le cheval avoit esté tué auprès du duc d'Alvaro
mort. Estant remonté d'un frais, il se vint jetter à
l'endroit où Mulei-Hameth faisoit sa charge, lequel il
renversa et mit en fuite demi -lieue. Cependant les
Mores, de leur main gauche ralliez, comme nous avons
dit, avoyent suivi leur bonne fortune, emporté l'artil-
lerie des chrestiens et percé jusques à Mulei-Mahomet,
qui, s'enfuyant d'effroi et cerchant un gué à la rivière
de Larache, estoufïa dans le bourbier. Ce fut lors
que toutes les bandes des Mores, et mesmes celles
qui estoyent campées loing pour troupes de réserve,
vindrent de tous costez accabler les restes des Portu-
gais qui mouroyent en foule, servans leurs corps
comme d'un rempart, au lieu où estoit leur roi, qui
n' avoit plus auprès de soi que quelques gens d'armes
de Tanger.
Les Portugais, voyans tout désespéré, prindrent la
route d'Arzile^, et, comme ils trouvèrent, sortans de
1. Mulei-Mahomet le Noir, fils aîné de Mulei-Abdalla, fuyant
avec le reste des Portugais vers Arzille, se noya au passage du
Mucacen.
1580] LIYRE NEUVIÈME, CHAP. XIX. M9
l'armée, le comte Virmiose venant de sa poursuite
et cerchant nouvelle occasion , ils Tasseurèrent de la
mort du roi pour l'emmener honnestement. Cepen-
dant ce prince remonté, comme nous avons dit, com-
batit encores.
Ceux qui ont escrit en faveur des Espagnols de ce
que devint don Sébastien, veulent qu'on lui ait coupé
les courroyes de son armet pour lui donner deux coups
en la teste et autant en la face, et puis le font tomber
de cheval et mourir auprès du lieu où fut commencée la
bataille. Ceux qui sçavent combien il est aisé à coupper
les courroyes d'un homme bien monté, croyent plustost
ce que le comte Virmiose m'en dit quelque temps
après, asçavoir que ce roi s'estoit perdu vif ou mort
dans la foule de la cavallerie sans avoir esté recognu^.
Mulei-Hameth, nouveau roi, r'emmena ses forces et
ses esclaves, fit le lendemain publier la mort de son
frère, print possession du règne, adoucissant les regrets
du deffunct, quoi que moindre fust l'espérance qu'on
avoit de lui. Il mourut en ce combat 14,000 hommes ;
entre ceux-là, le roi Sébastien, tenu pour mort*, le
4 . De Thou a raconté les diverses versions qui couraient de son
temps sur la mort mystérieuse de dom Sébastien (liv. LXV).
Rebello da Silva a examiné savamment la question, et, après
avoir analysé les nombreuses relations de cet événement, conclut
que le roi de Portugal, entraîné par son ardeur au milieu des
escadrons ennemis, périt obscurément comme un simple capitaine
(Invasion du royaume de Portugal, p. 240). Plusieurs faux dom
Sébastien parurent en Portugal, en Espagne, en Italie et même
en France dans le cours des années suivantes. Leur vie et leurs
aventures ont donné lieu à des études historiques qui sont analy-
sées par M. Francisque Michel dans les Portugais en France et les
Français en Portugal, in-8', 1882.
2. Bataille d'Alcazar et mort de dom Sébastien, roi de Portu-
gal, 4 août 1578.
iSlO HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
duc d'Avero et les évesques de Gonimbre et de Porto,
le nonce du pape, le comte d'Irlande, Christofle de
Tavora^ et son frère Alvaro Perés.
Mulei-Hameth^ fit enterrer son roi à Fez dedans ses
riches vestements. Mon lecteur pourra voir ceste his-
toire d'un Espagnol ^, qui conte comment plusieurs cap-
tifs voulurent racheter le corps du roi pour 1 0,000 du-
cats. Gela est estrange à des captifs qui sont bien en
peine pour eux-mesmes, et l'on dit que les prisonniers
d'amour ou de guerre ne content pas leurs richesses
de mesme façon. Gela ne s'accorde pas avec l'enterre-
ment honorable d'Alcaçarquibir, veu que l'autre roi '^,
Mulei-Mahomet, fut escorché et sa peau remplie, por-
tée par les provinces. Et puis, pour remplir leurs
romans, y mettent les trois corps morts dans une
tente. Il y a force autres contrariétez^ qui descouvrent
ceste histoire avoir esté expresse pour prouver comme
on pouvoit la mort du roi Sébastien. Pour moi, les
diverses doubtes que nous y verrons, et, plus qu'elles,
la qualité d'historien, m'en défendent le jugement.
Il est temps de laisser Mulei-Hameth partager ses
esclaves et le bagage que l'autheur espagnol met à
400,000^ ducats, ne se souvenant pas d'avoir estimé"'
1. Dom Christophe de Tavora, grand écuyer du royaume de
Portugal, commandait les gens d'armes, corps composé de la
noblesse portugaise.
2. Mulei-Hamet, frère de Mulei-Méluc.
3. Antonio de Tordesillas, dit Herrera, auteur d'une Histoire du
Portugal et de la conquête des îles Açores, Madrid, 1591, in-A".
4. Var. de l'édit. de 1618 : « ... l'autre roi son compagnon fut
escorché... »
5. Contrariétez, contradictions.
6. L'édition de 1618 porte 14,000 ducats.
7. Var. de l'édit. de 1618 : «... d'avoir estimé à plus de 10,000
1580] UVRE NEUVIÈME, CHAP. XX. 124
au contraire de ce qu'il avoit faict ci-devant; et en
cela le jugement du lecteur sera plus à propos que
le mien.
Hameth, donc, ayant contenté les siens de la des-
pouille, au lieu d'aller assiéger Tanger et Arzille, comme
les plus advisez vouloyent, aima mieux s'aller faire
recevoir à Fez^ et à Marroque, où nous le verrons
ci-après fort eslongné des vertus d'Abdel-Melech, qui
estoit beau de visage par dessus sa nation. Son esprit,
excellent de nature, avoit pour acquis les langues espa-
gnole, italienne, arménienne et sclavonne; excellent
poète en langue arabique, si bien qu'on eust dit en
France qu'il en sçavoit trop pour un gentilhomme et
à plus forte raison pour roi. Les^ Espagnols ont escrit,
pour amoindrir le regret des Portugais, qu'il estoit ami
des chrestiens, qui ne souffrent point d'idoles en leurs
temples ; mais il avoit cela de commun avec tous les
Musulmans, comme ayant esté eslevé aux pieds du
Grand Seigneur et tousjours rempli de ses bienfaits.
Chapitre XX.
De V Occident,
Grand fut l'estonnement en Portugal quand on leur
annonça la mort des trois rois, et mesme quand on
ce qui estoit, hors les gens de guerre, et par ainsi ne pouvoit y
avoir de perte 12,000 combattants, comme il dit. Hameth... »
1 . Mulei-Hamet fut reconnu de toute l'armée roi de Fez et de
Maroc le 4 août 1578.
2. Var. de l'édit, de 1618 : t ... pour roi. Quelques écrivains
espagnols, pour amoindrir les regrets des Portugais, ont dit qu'il
estoit ami des chrétiens ; mais je ne sai qui lui auroit causé cet
humeur, la nourriture du Grand-Seigneur ou ses bienfaits. »
I
122 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
conta entre les morts dom Antonio, infant de Portugal*.
Le plus prompt remède aux maux que ceux du royaume
craignoyent fut d'eslire pour roi Henri, cardinal*, oncle
d'Antonio et fils du roi don Juan, bien que ce fust
chose sans coustume aux Portugais d'eslire aucun du
costé maternel, jusques-là que, pour observer la loi
mentale, pareille à la salique en France, ils ont mis
plusieurs bastards sur le throsne. S'il vous souvient
bien, ce cardinal a voit refusé la régence en l'absence
de don Sébastien. Il ne fit pas ainsi du royaume, mais
l'accepta librement, surtout quand il se vid convié à
cela et soustenu par le roi Philippe, qui estoit bien aise
de loger en cette place un prince caduc, duquel on ne
pouvoit espérer qu'autant de vie qu'il en faloit pour
préparer les affaires de Gastille^. Ce cardinal donc
estoit en possession du royaume* quand don Antonio
arriva, eschappé de la façon que nous vous dirons.
Il tomba, parmi le désordre de la bataille, prison-
nier entre les esclaves d'Abdel-Melech, ayant pour com-
pagnon de mesme fortune un gentil cavallier, nommé
Gaspard de Grand, homme qui savoit toutes les langues
de la coste d'Afrique. Par telle commodité s' estant
\. Le bruit de la mort de l'infant était un faux bruit. Dom
Antonio, prieur de Grato, successeur de dom Sébastien, né en
1531, mort à Paris le 26 août 1595. Sur la vie aventureuse de ce
personnage, voyez le chapitre m de les Portugais en France et les
Français en Portugal, par M. Francisque Michel.
2. Henri de Portugal, cinquième fils du roi Emmanuel et de
Marie de Castille, né le 31 janvier 1512, créé cardinal par le
pape Paul III en 1546, roi de Portugal en 1578.
3. Le roi d'Espagne espérait s'emparer du Portugal après la
mort du nouveau roi.
4. Le cardinal Henri prit possession du trône de Portugal le
28 août 1578. Voyez le récit de Rebello da Silva.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XX. 123
rendu aimable à ses maistres, il leur persuada que don
Antonio estoit un prestre, comme de faict il n'avoit eu
d'autre profession tant qu'il s'estoit veu eslongné de
la couronne. Il adjousta que ses parents ne le rache-
teroyent jamais, pource qu'il leur servoit de titulaire,
et sous son nom leur faisoit jouyr de grands bénéfices ;
qu'ils estoyent bien aises de le voir prisonnier et vivant,
ce qui leur donnoit moyen d'amasser tout, et que la
vacance seroit de preuve difficile. Par telles apparences,
il composa pour tous les deux à seize cents cruzades,
qui sont treize cents escus. Or, pource que les prison-
niers qui sont une fois menez dans le train du prince
trouvent la condition plus difficile que les autres, il
falut que les esclaves qui les gardoyent prissent une
merveilleuse confiance en leurs prisonniers, car, sur
leur foi, ils les menèrent aux portes d'Arzille, où ils
entrèrent masqués pour recevoir leur argent. D'autre
costé, s' estant rendu à Tanger, le comte Virmiose et
quelques quatre cents cavaliers, qui, n'estans pas enga-
gez comme le reste selon que nous avons dict, et mesme
qui, pour avoir de meilleurs chevaux que les Mores,
avoyent faict leur retraictes à petites charges jusques
à démesler avec eux deux cents arquebusiers; tout
cela, s' estant joinct avec don Antonio, passa à Cadis,
après avoir recommandé aux garnisons d'Afrique la
loyauté. De Cadis, ils vindrent à Lisbonne, amenans
avec eux Adolbiquerin* et le kaliphe, son neveu, fils
de Mulei-Mahameth et de la sœur de Cid. Cestui-là,
ayant esté faict commandeur de l'ordre de Sainct-Jaques
et gardant toujours le titre de prince de Maroco pour lui
1. Adolbiquerin, commandeur de l'ordre de Saint-Jacques et
prince de Maroc.
124 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
servir quand l'occasion se présenteroit , s'attacha à
choses vertueuses et, en sa jeunesse, se rendit bien
aimé des Espagnols.
Don Antonio, trouvant un roi esleu, outre ce qu'il
estoit paresseux de son naturel, se rendit encore plus
incurieux de despescher aux Indes et aux régions esloi-
gnées, comme si en cela il eust travaillé pour autrui.
Seulement il s'employa à cercher des preuves pour le
procès à venir et surtout à montrer comment Yolente*,
sa mère, avoit formellement espousé l'infant don Louys ^
son père. D'ailleurs, il pensa plaire au peuple par
les grandes processions qu'il faisoit pour actions de
grâce de sa liberté. Le reste du temps, il faisoit l'her-
mite en son prioré de Grato, ne sachant pas qu'il faloit
dévestir le prestre pour vestir le roi. La première
procédure qui se fit pour ce prince fut que Emanuel
Elmada, évesque d'Algarbe^, commissaire esleu en
ceste cause, donna un arrest et prononça légitime don
Antonio de Portugal. Henri, cardinal, maintenant roi,
craignant que don Antonio présent le fîst déposer
comme héritier par les masles ou craignant du roi d'Es-
pagne ce qui parut après, lui fit un sacrifice de Galicuth,
c'est-à-dire, de peur, jetta dans le feu cet arrest et
toutes les pièces justificatives de don Antonio, en pré-
sence de tous les grands du pays, que les Jésuites
avoyent presque tous gaignez pour le roi Philippe, les
ayant instruicts qu'il faloit tous tendre au grand des-
sein, assavoir de mettre la chrestienté sous un roi
katholique et sous un seul pasteur.
1. Yolande de Gomez, mère de dom Antonio, était juive.
2. Louis II, père de dom Antonio, prieur de Grato.
3. L'Algarve, province au sud-ouest du Portugal, à l'extrémité
de laquelle est situé le cap Saint- Vincent.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XX. 425
Ce roi, misérable, se voyant ainsi défavorisé, eut
recours au pape* pour le prier d'estre juge de sa
légitimation, ce que le consistoire de Rome accepta.
Le roi d'Espagne n'osa pas dire, comme il fist depuis,
qu'il n'y avoit point déjuge sous le ciel pour lui, prac-
tiqua seulement par le moyen de ses partisans que
le procès demeurast au croq jusqu'à la mort du roi
Henri 2, ce qui arriva l'année d'après, que ce vieil roi
ordonna par son testament des juges compétants pour
la succession de Portugal.
Les Portugais s'opposèrent à telle nomination, main-
tenans avoir droict d'élection en tel cas, sur tout jaloux
de cette loi mentale en faveur de laquelle, pour fuir la
quenouille, ils avoyent, comme nous avons dit, fait des
rois bastards. Le roi d'Espagne n'avoit pas perdu de
temps. Il avoit desjà gaigné tous les vice-rois de Por-
tugal aux pays estrangers, hormis à la Tercière^, avoit
faict couler des hommes et de l'argent en Afrique, aux
places du destroict, au castel de Mine et Sainct-Omer,
en l'une et l'autre Indic^ et en tous les lieux où estoyent
arborées les armes de Portugal ; tout cela tramé par
les Jésuites, ses bons amis.
Ainsi, à la première nouvelle du roi Henri mort, il
prépara le duc d'Albe^ et ses autres capitaines pour
1. Alexandre Formento, nonce de Grégoire XIU, favorisant
secrètement le parti de dom Henri, obtint du pape un bref de
révocation qui enlevait au prieur de Grato tout droit à la couronne.
2. Mort de*Henri, roi de Portugal, 31 janvier 1580.
3. L'île de Tercère, la plus considérable des Açores ; sa capi-
tale est Angra.
4. Louis d'Atayde et Constantin de Bragance étaient alors
vice-rois des Indes.
5. Don Ferdinand Alvarez de Tolède, duc d'Albe, était encore
126 HISTOIRE UNIVERSELLE.-- [1580
ce que nous verrons ci-après. Encores qu'il ne laissast
pas de faire consulter ses droicts pour la succession
par les Jacobins inquisiteurs et Jésuites, il s'apprestoit
pourtant pour vuider le procès, premièrement par
négociations, et puis par armes. Il voyoit bien que le
conseil des cinq establis après la mort d'Henri ne pro-
nonceroit pas en sa faveur. Il fit ses principales négo-
ciations dedans le pays par le duc d'Ossuna^ et par
Christophe de Mora^; et, en mesme temps, le duc
d'Albe s'approcha à Uzeda^ feignant estre disgracié
de la cour d'Espagne pour recognoistre les affaires. Au
commencement* de l'an mille cinq cents huictante, les
Estats de Portugal s'estoyent tenus à Almcrin^, un peu
devant la mort d'Henri, où avoyent paru tous les ecclé-
siastiques du parti de Castille ; comme aussi plusieurs
des grands avoyent esté gaignez par Léon Henriquez^,
Jésuite, auparavant fort contraire aux Espagnols.
Henri P% roi de Portugal, estoit mort le dernier de
janvier mille cinq cent huictante, bon cardinal et mau-
vais roi. Aussi tost, des cinq gouverneurs de Portugal,
à Uzeda, où le roi l'avait relégué, quand il fut déclaré chef de
l'expédition du Portugal.
1. Don Pedre Giron, duc d'Ossuna.
2. Don Christophe de Mora avait été envoyé à Lisbonne par
Philippe II, en août 1578, pour complimenter Henri de son élec-
tion au trône de Portugal.
3. Uzeda, dans la nouvelle Castille, à 8 lieues au nord d'Alcala.
4. Le 9 janvier 1580, Antoine Pineyro, évêque de Leyra, fit
l'ouverture des états d'Almeria. Cette assemblée a^tait pour but
de nommer le successeur du cardinal Henri.
5. Almeria, ville sur la Méditerranée, dans le royaume de Gre-
nade.
6. Le jésuite Léon Henriquez avait été le confesseur du car-
dinal Henri.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XX. 127
les trois prestèrent serment aux agens d'Espagne, leur
aidèrent à corronnpre tous ceux qui estoient redou-
tables, à estonner les foibles et demander conseil de
choisir parti à la fortune et à la nécessité. Les Estats,
assemblez à Almerin, furent menez à toutes divi-
sions et irrésolutions par un certain Martin Gonsalve^,
quelques oppositions que les meilleurs y fissent, et sur
tous Phœbus Moniz^. Cette assemblée fit force belles
despescbes, tant au dedans pour la défence des places
qu'au dehors, surtout vers le roi d'Espagne et le pape ;
à cestui-ci pour prendre qualité de juge en leur affaire
et pour leur aider à induire l'autre d'en subir le juge-
ment.
La response à tout cela fut qu'Alvaro de Bassan,
marquis de Saincte-Croix^, eut le premier commande-
ment d'amasser de divers havres soixante galères, et,
avec cela, tendre aux costesde Portugal. Le duc d'Albe,
peu de jours après, fut tiré de sa retraicte, déclaré
chef d'une armée en Portugal, pour laquelle il se con-
tenta de 1 ,400 hommes du pays, 4,000 Tudesques,
1 80 chevaux tels quels, ne demandant pas plus grandes
forces, d'autant qu'il avoit trop bien recognu et tasté
le poux au pays.
Les ambassadeurs portugais passèrent à travers les
bandes qui marchoient en leur pays et apportèrent au
roi d'Espagne force belles remonstrances. A quoi fut
respondu par Philippe qu'ils se hastassent de s'en
1. Martin Gonzalez de la Caméra.
2. De Thou le nomme Febo Munis (liv. LXIX).
3. Don Alvaro de Bazan, marquis de Santa- Gruz, amiral
espagnol, né dans les Âsturies vers 1510, mort à Lisbonne
en 1588.
i28 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
retourner pour le recevoir comme leur roi, suivant
son droict naturel, le testament* de Henri qui l'avoit
nommé roi, et puis, selon la nécessité ; qu'il octroyeroit
les grâces qu'on requerroit, moyennant qu'elles fussent
raisonnables, et, afin qu'ils n'eussent pas tant de peine
à emporter la response, qu'en attendant il s'achemi-
neroit tousjours vers eux. Desjà les présents, les
pensions et les menaces avoyent emporté tous ceux
qui avoyent de quoi espérer et craindre. Voilà les
chaires des parroisses et des écoles pleines du droict
de succession, tous les plus relevez preschans pour le
roi d'Espagne, les plus petits et peu pour le droict de
Portugal. Trois des gouverneurs firent cognoistre le
parti qu'ils tenoyent et les autres se laissèrent un temps
traîner, mais enfin mener doucement, si bien que le
petit peuple, qui crioit à la défense, fut estoufFé par
les puissants, qui firent encores, avant courir aux
extrémitez, attendre la seconde négociation, garnis de
force beaux termes de jurisprudence, que Philippes ne
voulut pas escouter, leur donnant pour response une
patente aux gouverneurs, pour leur déclarer comment
il alloit entrer en son royaume de Portugal, et qu'il ne
faloit parler ni d'estats, ni de sentences, ni de capitu-
lations à lui qui estoit leur roi.
Il fit donc entrer dans les frontières de Portugal le
duc d'Albe à la fin de juin, ne monstrant pour titre de
sa royauté qu'une résolution de son droict. Et d'em-
blée donna pour marques de la guerre les prises d'El-
1. Le roi Henri avait fait son testament au mois de mai 1579,
et, d'après de Thou, il n'avait point désigné son successeur
(liv. LXIX).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XX. 129
vas* et Olivensa^, dans lesquelles ne se trouva ni gar-
nisons ni armes, préparatifs ni résolutions pour la
deffense. Et lors, le Portugal entamé, le roi Philippes
despescha par devers dom Antonio le duc d'Ossuna et
Christofle de Mora avec toutes les plus grandes offres
d'amitié qui se purent imaginer, comme de le parta-
ger aux Indes ou lui bailler une puissance en toute
l'Espagne sous lui. Mais en mesme temps, le peuple,
détestant la lascheté de tous ses gouverneurs, voulut
user de son droict et de sa vertu, chassa les négocia-
teurs d'Espagne, esleut dom Antonio pour roi, et, pour
cet effect, le vingt-cinquiesme^ de juin, se fit une grande
assemblée en la plaine de Sainct-Aren'^, où ce prince
fut proclamé roi, premièrement par le peuple; ce que
la noblesse fut esmeue à confirmer, le fit monter à
cheval, le suivit à pied et teste nue, et en cet estât aux
lieux sacrez, pour y recevoir les cérémonies; de là à
l'hostel de ville, pour les serments et escritures solem-
nelles^.
Emanuel de Costa ^ print l'estendart en main et com-
mença le cri du pays : Realle, reaile, qui est leur vive
i. Le fort d'Elvas, dans l'Alentéjo, sur la Guadiana.
2. Olivença, dans l'Alentéjo, près de la Guadiana. — Prise
d'Elvas et d'Olivença, vers le 20 juin 1580 (De Thou, Uv. LXX).
3. Ce fut le 19 juin 1580, et non le 25, que se fit l'assemblée
de Santaren et que dom Antonio fut proclamé roi (De Thou,
liv. LXX).
4. Santaren, dans l'Estramadure, située sur une montagne,
près du Tage.
5. Dom Antonio fit serment de maintenir les droits et les pri-
vilèges de la nation, et ordonna, par lettres à tous les gouver-
neurs du royaume, de lever des troupes pour repousser les enne-
mis (De Thou, liv. LXX).
6. Dom Emmanuel d'Acosta.
VI 9
1^0 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
le roi. De là il fut conduit à Lisbonne S où il fut pro-
clamé et accepté roi, print possession du palais et de
Tarcenal, pourveut à quelques charges publiques, con-
firma les autres. Estant en l'hostel de ville, le docteur
Manuel Fonseca^ (le prince tenant l'estendard de la
ville en main), après une longue harangue, prononça
la bénédiction. Il presta les serments accoustumez,
despescha patentes partout aux grands du royaume,
mais il y en avoit peu de tous ceux-là qui ne compo-
sassent avec leur ennemi. Les cinq gouverneurs se
bandèrent contre lui. Le duc de Bragance^ et le mar-
quis de Villeral s'esloignèrent en des maisons secrettes.
Le comte de Virmiose s'alla jetter dans Sainct-Vual*
pour r' amener les gouverneurs^ et autres amassez en
ce lieu à leur devoir, mais ils lui quittèrent la place.
Et le mesme comte, ayant laissé garnison en ce lieu,
se jetta dans Sainct- Julien^ et dans Gasquais^, que les
gouverneurs^ avoyent demi-gaignez pour leur ennemi.
De mesme diligence, il saisit tout ce qu'il y avoit de
1. Dom Antonio fit son entrée à Lisbonne le 24 juin 1580
(De Thou, liv. LXX).
2. Dom Emmanuel de Fonseca.
3. Dom Juan Théotonio, duc de Bragance, né le 2 août 1530,
mort à Valladolid le 29 juillet 1602.
4. Sétuval, dans l'Estramadure , à l'embouchure du Zadaon.
— Prise de la ville, vers le 8 juillet 1580 (De Thou, liv. LXX).
5. Dom François de Mascarennas et le jeune dom Diègue
BotoUo commandaient la garnison de Sétuval.
6. Le fort de Saint-Julien, près de Gascaës, sur les bords
du Tage. — Siège et prise du fort, 10 août 1580 (De Thou,
liv. LXX).
7. Gascaës, à l'embouchure du Tage. — Prise de la ville,
28 juillet 1580 (De Thou, liv. LXX).
8. Les gouverneurs de Gascaës et de Saint-Julien étaient dom
Henriquez de Pereyra et Tristan Vaez de Vega.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XX. 131
considérable autour de Lisbonne. Le duc de Bragance
fut le premier qui, à jeu descouvert, se fit Espagnol,
ayant composé pour le sien; mais, d'entrée, son nou-
veau roi lui osta Ville-la- Viçosa^ la seule bonne place
qu'il avoit.
Au commencement de juillet, l'armée espagnole
passa la rivière de Caya^, qui borde le Portugal, artil-
lée de vingt-cinq pièces de batterie et munitionnée de
six mille chariots.
Du premier effroi se rendirent Stremos^, Evora* et
Montemajor^, et les gouverneurs^ publièrent un pla-
cart contre le roi Antoine, ce qui servit de couverture
à la peur de plusieurs pour se révolter, par les menées
que les négociateurs d'Espagne avoyent faict à leur
aise dans le pays. Ce roi misérable n'oyoit tous les
jours que défections de ceux en qui il se fioit beau-
coup ; tesmoin que la garnison de Sainct-Vual, choisie
n'aguères par le comte de Virmiose, lui y estant
accouru et quelque remonstrance qu'il pust faire, fit
présent de la ville à l'Espagnol, et peu s'en falut que
le comte ne fust enveloppé dans le pacquet. Cette red-
dition apporta l'espouvantement dans Lisbonne, et,
dès lors, bien que le roi Antoine se résolût de faire
i. Villaviciosa, dans l'Alentéjo.
2. La Gaya, rivière de l'Estramadure, qui sépare la Gastille du
Portugal et se jette dans la Guadiana à Badajoz. — Le duc d'Albe
et son armée passèrent la Gaya le 27 juin 1580 (De Thou, liv. LXX).
3. Estremos, ville de l'Alentéjo, sur la Tera, capitula dans les
premiers jours de juillet 1580 (De Thou, liv. LXX).
4. Ebora, capitale de l'Alentéjo.
5. Gapitulation de Monte -Mayor et d'Ebora, 6 juillet 1580
(De Thou, liv. LXX).
6. Les gouverneurs d'Estremos et d'Ebora étaient dom Juan
d'Acevedo, fils de l'amiral de Portugal, et dom Diègue de Castro.
Iâ2 mSTOIRE UNIVERSELLE. [1580
avec ses sujets ce qu'il pourroit, il travailla plus avec
eux par devoir que par espérance, et pourtant envoya
au secours en divers lieux, et notamment en France,
son cousin de Virmiose ; c'est où nous le trouverons
au livre suivant négociant à Libourne. Souvenez- vous
que nous laissons le roi de Portugal inauguré par
toutes les cérémonies de la royauté et misérable entre
les mains du peuple sans force et de grands sans cœur
et sans foi.
Chapitre XXI.
Du Septentrion.
Estans presque tous demeurez à la bataille de Maroco
les six cens hommes que le pape avoit donnez au comte
d'Irlande, ceste isle demeura encores pour ce temps
en Testât que nous la laissasmes, ou pour le moins
n'ayant esclatté chose qui mérite l'histoire, nous pas-
serons par l'Angleterre.
Où il n'y avoit sur le bureau que le mariage de Mon-
sieur \ qui se traictoit assez froidement d'une part et
d'autre, jusques à ce que Monsieur passa lui-mesme
en Angleterre^. On dit que sa présence esmouvoit la
\. Les négociations du mariage du duc d'Anjou avec la reine
Elisabeth occupèrent la cour de France de 1578 à 1583. Les docu-
ments sur cette affaire sont presque innombrables. Pour ne citer
que des pièces manuscrites et nouvelles, nous mentionnerons
seulement les volumes 3253, 3307, 3308, 5140, 5517, 15973 du
fonds français, et 718 de la collection Moreau, gros recueils
presque uniquement composés de lettres diplomatiques relatives
à cette négociation.
2. Le duc d'Anjou passa en Angleterre vers le milieu d'août
1579 et revint à Douvres le 29 août. Il ne passa que dix jours
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XXI. 433
roine. D'autres ont voulu dire le contraire, tant y a
que le murmure des peuples, qui parut dès lors que
le duc de Montpensier y fît un voyage, rompit entière-
ment telle poursuite. Ceux du conseil, craignans un
souslèvement pareil à celui d'Yorck l'an 1569, quand
le comte de Foix* fit le mesme voyage pour proposer
et presser le mariage du duc d'Anjou, qui trois ans
après fut roi de Pologne ; et à toutes ces choses n'y eut
obstacle apparent que pour le faict de la religion.
L'utilité que Monsieur tira de ses amourettes fut le
consentement de la roine à le faire eslire duc souve-
rain de Brabant^, outre les forces et munitions qu'elle
octroya plus librement qu'elle n'eust faict ^.
Avant que sortir d'Angleterre, nous vous dirons
qu'après les conspirations des comtes de Nortombel-
land* et autres comtes et puis du duc de Suffolc^, il
auprès de la reine Elisabeth. Sur la vie des deux amoureux à
Greeuwich pendant ce temps, voyez le récit de M. Kervyn de
Lettenhove, les Huguenots et les gueux, t. V, p. 390 et suiv. Cf.
Les projets de mariage de la reine Elisabeth, par le comte de la Per-
rière, 1882, in-18.
1 . Paul de Foix, conseiller au parlement, négociateur, prélat,
n'était point comte de Foix.
2. Le duc d'Anjou fut reçu à Anvers par le duc d'Arschot et
par le comte de Beaucignies le 19 juillet 1578 au nom des États
généraux (Mémoires anonymes, t. Il, p. 318, dans la Collection de
Mémoires de la Société de l'histoire de Belgique). Il ne fut proclamé
duc de Brabant à Anvers que le 19 février 1582.
3. D'Aubigné ne donne presque aucun détail sur les intrigues
du duc d'Anjou en Flandre. Nous signalerons seulement, pour
combler cette lacune, le recueil publié à la Haye par MM. Mul-
1er et Diegerick, sous le titre de Documents concernant les rela-
tions entre le duc d'Anjou et les Pays-Bas, dont les deux premiers
volumes viennent de paraître.
4. Thomas Percy, comte de Northumberland, décapité en 1571.
5. D'Aubigné confond Su/folk avec Norfolk. Il désigne ici Tho-
134 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
n'y avoit plus eu d'entreprises générales, mais bien
des assassins surpris, entre ceux-là Guillaume Barri*,
un Jésuite que Crikton^ voulut destourner, mais les
autres de la Société le confirmèrent, et lui en accusa
plusieurs autres à la mort; la quantité desquels et
quelques prestres furent surpris, hastèrent le procès
de la roi ne d'Escosse^ pource que peu ou point de
telles machinations avoyent leur mouvement d'ailleurs
que de la prisonnière. Toutes ces choses donnèrent
mouvement à la roi ne d'Angleterre à donner des com-
missaires*; mais le respect du sang royal les faisoit
trembler, si bien que, par la sollicitation des princi-
paux du conseil et pour les craintes de la roine, on
commença par quelques hommes interposez à taster
quelle seroit l'opinion des princes et républiques de
mesme profession. Tant que la demande de ce conseil
mas Howard, duc de Norfolk, qui avait prétendu épouser Marie
Stuart, et qui fut décapité à Londres le 2 juin 1572. Voyez ci-des-
sus le chapitre xix du livre VI de l'Histoire universelle.
1. Guillaume Parry, un des conspirateurs inventés par le
fanatisme anglican pour justifier le supplice de Marie Stuart.
Voyez la belle étude de M. le comte Kervyn de Lettenhove,
Marie Stuart, sa condamnation et son supplice, 2 vol. in-8°, 1889.
Le procès de Parry a été imprimé dans les Mémoires de la Ligue,
t. I, p. 20.
2. Greighton, jésuite écossais, fut pris par un croiseur anglais
et détenu à la tour de Londres. Marie Stuart parle de lui dans
une lettre à Gastelnau (Labanof, t. VI, p. 48),
3. Le procès de Babington, un des plus ardents partisans de
Marie Stuart, fut l'occasion ou plutôt le prétexte dont se servit
Elisabeth pour entamer le procès de la reine (1586).
4. ÉHsabeth nomma, le 6 octobre 1586, pour juger Marie Stuart,
une commission composée de quarante-six juges, au nombre des-
quels étaient les premiers pairs du royaume et ses principaux
conseillers, tous ennemis avérés de la reine d'Ecosse. La commis-
sion se transporta le 12 à Fotheringay, et l'interrogation com-
mença le 14.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XXI. 135
dangereux ne fut pas expresse, tous crioyent à la mort,
mais la timidité ou bon naturel de la roine Elisabeth,
qui en espargnant tel sang rendoit le sien recomman-
dable, fit temporiser encor quelques années, comme
nous verrons. Nous sommes appelez par les canonnades
du Pays-Bas.
Namur fut saisi* bien à propos par dom Juan, tant
pour la risque qu'il couroit en une ville ennemie que
pour avoir un passage commode à faire passer ses
forces, comme aussi quelque recerche qu'il fit habile-
ment par l'évesque de Liège pour déguiser ses affaires.
Les Estats ne perdirent plus de temps à ramasser leurs
bandes, qu'ils donnèrent à Ghampagni^, avec lesquelles
il assiéga le chasteau de Vouve^, où il y avoit quelques
Allemans de Foucker*. Il prit par composition ce chas-
teau et la ville de Steemberghen ^ et celle de Tertolem^
entre le quatriesme et le neufiesme d'aoûst.
Ceux de Lewarden^ assiégèrent leur chasteau, sur
la division qu'une nouvelle recreue y apporta^, et
1. Prise par don Juan d'Autriche de la citadelle de Namur, où
commandait Jean de Bourgogne, s. de Fromont, 25 juillet 1577
(Mémoires anonymes, publiés par M. Henné dans la Collection de
Mémoires de la Société de l'histoire de Belgique, t. I, p. 308).
2. Frédéric Perrenot, s. de Ghampagny.
3. Woude, village des Pays-Bas, près de Berg-op-Zoom.
4. Charles Fucker commandait trois compagnies allemandes,
en garnison dans la citadelle de "Woude.
5. Steenberque, dans le Brabant hollandais.
6. Ter Tolen, capitale de l'île de ce nom, dans la province de
Zélande.
7. Leeuwarden, capitale de la Frise.
8. Matthenes Wibesma, gouverneur de la citadelle de Leeu-
warden, fit entrer des troupes étrangères, qui égorgèrent la
garnison.
136 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
l'emportèrent dans le second de septembre^; mais
cependant, dans le mesme terme, ceux d'Anvers des-
mantelèrent leur citadelle^ du costé de la ville. Leur
exemple suivi par ceux de Gand^, Utrech, Valen-
ciennes, l'Isle*, Ayre^ et Béthunes, comme aussi la
cité d'Arras fut ouverte vers la ville. Encores les Estats
firent entreprendre Bolduc^ par le comte d'Hohenloo^
et employèrent le reste du mois, auquel ils la prirent,
à faire imprimer leur apologie contre les accusa-
tions des Espagnols et despescher vers les potentats
d'Allemagne, vers le roi et les princes de France.
Mais, plus expressément et utilement, le marquis de
Havrech ^ traicta une ferme union avec la roine d'An-
gleterre, sans oublier toutes les conventions pour les
secours; comme aussi ils attirèrent la personne du
prince d'Orange, qu'ils firent gouverneur de Brabant
le second d'octobre^. Et à son arrivée le régiment de
Frunsberg, retiré à Breda, et celui de Foucker à Ber-
gopzom, se mutinèrent et rendirent leurs places aux
1. Prise de la citadelle de Leeuwarden, août 1577. Les bour-
geois rendirent la ville le 4 octobre suivant au baron de Ville.
2. Les troubles dont parle ici d'Aubigné eurent lieu le 28 août
1577.
3. Troubles de Gand, 1" septembre 1577.
4. Lille (Nord).
5. Aire (Nord), sur la Lys.
6. Boisleduc, capitale du Brabant hollandais, au confluent du
Dommel et de l'Aa. — Prise de la ville, 20 septembre 1577
{Mémoires anonymes, t. II, p. 45).
7. Philippe, comte de Hohenlohe.
8. Charles de Groy, marquis d'Havrecht, frère du duc d'Arschot.
9. Le prince d'Orange fut proclamé gouverneur du Brabant le
22 octobre 1577, et non le 2, comme le dit d'Aubigné (De Thou,
liv. LXIV).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XXI. 137
estais avec leurs colomnels prisonniers. Puis, pour
effacer le crinae des lanskenets, les Gantois, ayans
receu le duc d'Ascot* pour leur gouverneur le vingt-
cinquiesme d'octobre, trois jours après le mirent en
prison ; et avec lui les évesques d'Ypre et de Bruges,
les barons de Champagni, Rassingem et Moucheron^,
dont quelques-uns se sauvèrent; les autres demeu-
rèrent prisonniers tant que la ville tint pour les Espa-
gnols. Ils mirent hors à la mi-novembre^ le duc
d'Arscot, ayant juré de ne se ressentir jamais de l'af-
front. Autant en firent ceux de Groningue aux prélats
et nobles des Omelandes'*, qui estoyent venus aux
Estats, qui ne furent eslargis de long temps.
Il restoit aux Estats de cercher un chef général ;
lequel, pour offenser moins le roi d'Espagne, ils choi-
sirent entre ses proches, asçavoir, l'archiduc Mathias^,
fils de Maximilian ^ et frère de Rodolphe''^, lors empe-
reur. Cestui-ci accepta l'offre si franchement, qu'il
1. Philippe de Groy, duc d'Arschott.
2. Frédéric Perrenot, s, de Champagney. — Maximilien Vilain,
s. de Rassenghien. — Ferdinand de la Barre, s. de Mouscron.
3. Le duc d'Arschott fut remis en liberté le 9 novembre 1577.
4. Les Oramelandes, pays aux environs de Groningue, forment
avec cette ville une des sept Provinces-Unies.
5. Mathias, archiduc d'Autriche, né le 24 février 4557, avait été
appelé dans les Pays-Bas par les seigneurs catholiques afin de
balancer l'autorité du prince d'Orange. Il ne sut montrer ni force
ni autorité et revint en Autriche à la fin de 1580. Le 29 sep-
tembre 1612, il fut élu empereur d'Allemagne et mourut le
20 mars 1619.
6. Maximilien II, empereur d'Allemagne, mort à Ratisbonne
le 12 octobre 1576.
7. Rodolphe, empereur d'Allemagne, fils de Maximilien II et
de Marie d'Autriche, fille de Charles-Quint, mort à Prague le
20 janvier 1612.
138 HISTOIRE Um^^RSELLE. [1580
arriva le vingt-unième novembre* à Anvers avec deux
des siens. Et, cependant que le reste de son train arri-
voit à file, il voulut que dom Juan, par toutes voyes
publiques, fust déclaré ennemi du roi et des Pays-Bas'^
avant que lui le fust pour général, qu'il fist ses entrées
et prestast serment^. Et. cela fut au commencement
de l'an 1578. De mesme coup, le prince d'Orange
déclaré son lieutenant général, non sans grand mur-
mure des plus grands du pays, sur tous du comte de
Laîain*, qui estimoit ceste charge inséparable du géné-
ral d'armée, tel qu'il estoit lors.
Il est temps de mettre en veue dom Juan, qui
employé verd et sec, despesche le marquis de Varem-
bon^, premièrement pour se plaindre de Mathias, qui
s' estoit faict ennemi du roi son oncle, et prier les pro-
testants d'estre neutres. Cependant, il faict lever un
régiment à Barlemont®, deux autres à Liège et un à
Luxembourg. Il en compose un des Espagnols sortis
des garnisons. Charles, comte de Mansfeld^, le vint
1. L'archiduc Mathias partit de Vienne, déguisé, le 3 octobre
1577, arriva à Lier le 30 et à Anvers le 11 novembre (et non le
21). Le Bulletin de la Commission d'histoire de Belgique (série III,
t. V, p. 288) contient un récit de cet aventureux voyage. Voyez
aussi à la Bibliothèque nationale une pièce du temps (Vc de Gol-
bert, vol. 398, f. 517).
2. Don Juan d'Autriche fut déclaré perturbateur du repos
public le 17 décembre 1577.
3. Le traité de l'archiduc Mathias avec les États est imprimé
dans le Corps diplomatique de Dumont, t. V, p. 314.
4. Philippe, comte de Lalain,
5. Marc de Rye, marquis de Varambon, plus tard gouverneur
de Gueldre.
6. Berlaymont, sur la Sambre, près de Mons.
7. Charles, comte de Mansfeld, gouverneur de Luxembourg et
de Bruxelles, mort en 1604.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XXI. 439
joindre avec des forces allemandes et françoises. Son
premier emploi fut sur le régiment de Champagni,
qu'il deflfit par rencontre, et, les ayant faict rendre,
les firent presque tous mourir, despouillez auparavant.
Lors les Estats avoyent quatre armées, l'une devant
Amsterdam, où les habitants avoyent tué le colomnel
Hellinc^ qui pensoit les surprendre; l'autre armée
prenoit les villes de Zwolc^ et Capem^; la troisiesme
devant Ruremonde*, commandée par le comte de
Hohenloo, qui n'y faisoit pas ses affaires ; et la qua-
triesme sous le comte de Lalain, qui, pour mugueter
Namur, avoit pris Bovines^, et, après une escarmouche
sur la Meuze, forcé le chasteau de Despontin®, où tout
fut tué, et puis s'estoit retranché de l'autre costé de
la rivière pour tenir en cervelle ceux de dom Juan.
Le comte d'Hohenloo, sachant que dom Juan venoit
secourir Ruremonde^, bloquée de sept forts, en quitta
six, laissant sa grosse artillerie dans le meilleur, et
perdit à sa retraicte trois compagnies et deux pièces
de campagne. Cela faict, Barlemont^, qui avoit faict
Texploict, ayant ravitaillé la place, se retiroit en l'ar-
1. Mort du colonel Helling, 23 novembre 1577.
2. Swol, dans l'Over-Yssel, sur les bords de l'Aa. — La ville
fut prise dans les premiers jours de juin 1578.
3. Campen, dans l'Over-Yssel, sur l'Yssel, près du Zuiderzée.
— Prise de la place, 19 juillet 1578. Sur le siège et la prise de
Campen, voyez les Mémoires anonymes, t. HT, p. 12.
4. Ruremonde, dans la Gueldre, au confluent de la Roêr et de
la Meuse.
5. Bouvmes, dans le comté de Namur, sur les bords de la
Meuse, avait été emporté d'assaut par l'armée des États gédéraux
avant le 4 octobre 1577. Voyez les Mémoires anonymes, t. H, p. 59.
6. Prise du château de Despontin, janvier 1578.
7. Ruremonde était alors défendue par le baron de Polweiller.
8. Gilles de Berlaymont, baron d'Hierges.
140 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
mée qui estoit sur pieds; et laquelle, sans s'amuser
aux négociations de Selles^, envoyé du roi, se composa
en Luxembourg, premièrement le duc de Parme 2, avec
quelque cavalerie de son quartier et néapolitaine, des
terces^, qui avoyent hyverné en Lombardie, du comte
de Mansfeld, avec deux mille François, plusieurs nou-
velles compagnies allemandes, levées par Barlemont
et autres, et du vieux terce espagnol, Mondragon*.
Cela faisant seize mille bons hommes de pied et deux
mille chevaux fut mis en corps avec un manifeste ^ qui
couchoit en premier article la cause de la religion et
puis la bule de la croisade.
D'autre costé, la jalousie contre le prince d'Orange
à cause de sa charge commençant d'opérer, les chefs
refusoyent de venir au conseil. Et quittèrent l'armée
l'un après l'autre, Lumai, comte de la Marche, les
comtes de Lalain, de Bossu, d'Egmond, le vicomte de
Gand, La Motte ^, gouverneur de Gravelines et maistre
de l'artillerie ; si bien qu'il ne resta à l'armée que Goi-
gnies, mareschal de camp, et Montigni, depuis marquis
de Ranti''.
1. Jean de Noircarmes, baron de Selles. Sur les négociations
du baron de Selles, voyez les Mémoires anonymes, t. II, p. 232.
2. Alexandre Farnèse, duc de Parme, né en 1546, gouverneur
général des Pays-Bas, mort le 3 décembre 1592.
3. Les terces, tercero, régiment espagnol.
4. Christophe de Mondragon, colonel espagnol.
5. Le manifeste des États, daté du 21 avril 1578, a été publié
plusieurs fois. Il est analysé par de Thou (Uv. LXVI).
6. Guillaume de Lume, s. de la Marck. — Philippe, comte de
Lallain, général de l'infanterie. — Maximilien, comte de Bossut.
— Maximilien de Melun, vicomte de Gand, général de la cavale-
rie. — Valentin de Tardieu, s. de la Motte.
7. Le s. de Goegnies, gouverneur du Quesnoy, du parti du roi
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XXI. 444
Cette armée, changeant de dessein sans cesse, mar-
choit pour la seconde fois de Tampleurs à Jamblours*
quand dom Juan, avancé avec quelque cavallerie pour
la recognoistre et sans dessein de la combattre, vid un
espace de près d'une lieue entre Tavant-garde et la
bataille. Mondragon, qui estoit auprès de lui, voyant
cette occasion, fait courir, haster le reste des troupes.
Dom Juan, sans prendre ordre, fait donner le comte
de Mansfeld droit dans la bataille, la cavallerie de
laquelle mit en désordre toute l'arrière - gard e , et
l'avant-garde prit la fuite sans combattre dans la ville
de Jamblours^, où partie de ce qui s'estoit sauvé reprit
le large la nuict. Balivel et Hevir^, qui voulurent y
tenir ferme, furent pris par capitulation, et Goinquik*
se rendit Espagnol. Pour fruict de ceste victoire, se
rendirent Louvain, Arscot, Tillemont^, Diest, Lewe et
Sichem% où il y eut de la penderie.
d'Espagne. — Philibert-Emmanuel de Laiain, s. de Montigny,
marquis de Ranty.
1. Gemblours, dans le Brabant, sur la rivière de CJorneau.
2. Bataille de Gemblours, victoire de don Juan d'Autriche sur
les troupes des États, 31 janvier 1578. Cette bataille est racontée
dans les Mémoires anonymes de la coll. de la Soc. de l'Hist. de
Belgique, t. II, p. 165.
3. Adrien de Baillœul, s. d'Heverc. Nous croyons que Balivel
et Hévir ne sont qu'un même personnage, parce que les Mémoires
anonymes, qui le désignent sous ces deux noms comme un des
principaux capitaines au service des États généraux (notamment
t. V, p. 240 et suiv.), ne lui donnent pas de frère.
4. Antoine de Goingnies, s. de Vendegies.
5. Tirlemont se rendit le 7 février 1578 à Octavio de Gonzague,
lieutenant de don Juan (Strada, trad. du Ryer, Bruxelles, 1739,
t. II, p. 353). Louvain et Arschott tombèrent vers le même temps
aux mains des Espagnols.
6. Diest, sur le Demmer, fut pris par le prince de Parme le
26 février 1578. — Leau, sur la Geete, par le même, le 27 février.
142 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
Le comte Charles^ court assiéger Bovines 2, où
Estournel^ se rendit après quelques coups de canon,
et tous ceux qui ne servoyent les Estats qu'à regret
gaignèrent l'armée d'Espagne.
Ce qui releva le courage aux Estats fut la reddition*
d'Amsterdam et la prise de Sainct-Gislain^, de forte
assiette, que l'évesque d'Arras^, abbé du lieu, donnoit
à dom Juan, sans Hérissart"'', qui prit cœur et donna
aux siens sur le poinct de sa deffaicte. Et ce fut là
qu'arrivèrent les gens du duc d'Anjou^ pour commen-
cer le traicté, qui se poursuivit à Anvers, où Rochepot
et des Pruneaux^ demeurèrent. Et puis le comte de
— Sichem, sur le Demmer, avait été pris par le même capitaine
le 22 février {Mémoires anonymes, t. II, p. 182 et suiv.).
1. Le comte Charles est Charles de Berlaymont, s. de Floyon,
gouverneur du comté de Namur, qui, avec son frère Gilles de
Berlaymont, avait été chargé de la reprise de Bouvines. Il est
ainsi désigné dans les Mémoires anonymes, t. II, p. 173.
2. Bouvines tomba au pouvoir des Espagnols dans les premiers
jours de février 1578. Les Mémoires anonymes contiennent diverses
lettres sur la prise de cette ville (t. II, p. 173).
3. Maximilien d'Estournel, lieutenant-colonel du régiment du
s. de Câpres en 1588, gouverneur de Venloo en Gueldre {Mémoires
anonymes, t. IV, p. 17).
4. Le prince d'Orange rentre en possession d'Amsterdam,
8 février 1578 (Groen van Prinsterer, Arch. de la maison d'Orange,
t. VI, p. 298).
5. Saint-Guilain, dans le Hainaut autrichien, sur la Haine, fut
surpris par les Espagnols en mars 1578 (De Thou, hv. LXVI).
6. Mathieu Moulart, évêque d'Arras.
7. De Thou, d'après Metteren, le nomme Heroisart.
8. Les députés du duc d'Anjou arrivèrent à Saint-Ghislain,
au mois de février 1578, où ils furent reçus par Philippe, comte
de Lalain, Charles de Gaure, s. de Fresin, et Théodore de Lyes-
veldt, conseiller d'État.
9. Antoine de Silly, comte de Rochepot, et Roch de Sorbiers,
8. de Pruneaux, députés du duc d'Anjou en Flandre.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XXI. H3
Mansfeld, repoussé de Wilvorde^, où Glumes com-
mandoit, assiégea Nivelles* en Brabant, où estoit gou-
verneur Villers', qui se rendit le quinziesme febvrier
après deux assauts repoussez*. Depuis Nivelle, les
Espagnols n'attaquèrent que villes très foibles sans
garnison, comme Binche, Soignies, Walcourt, Reux,
Beaumont, Maubeuge et enfin Chimai^, qui soustint
un assaut et print capitulation.
Il y eut aussi grands changements par tout le pays
sur les magistrats qu'on soupçonnoit, notamment en
Frise, ce qui fit plusieurs se servir d'un pardon géné-
ral publié, comme voulurent les Wallons de Mastrich^,
qui avoyent pris leur gouverneur quand Melroy' y
arriva et r'asseura la ville aux Estats.
De ce temps se tint une journée impériale à
Worme^, où fut envoyé Sainct-Aldegonde^, auquel
1. Vilvorde, sur la Senne, à deux lieues de Bruxelles.
2. Nivelles, dans le Brabant wallon, à cinq lieues de Bruxelles.
3. Juste de Soete, s. de Villers.
4. D'Aubigné se trompe. Mansfeldt mit le siège devant Nivelles
le 16 février 1578, après avoir été repoussé de Vilvorde, mais il
ne put prendre la ville {Mémoires anonymes, t. II, p. 177). Nivelles
ne fut prise par Mansfeldt que plus de deux ans après, le 8 octobre
1580 (Ibid., t. V, p. 112, note).
5. Bins, sur la Haine. — Soignies, sur la Sannèque. — Walen-
court, sur l'Heure. — Beaumont, entre la Sambre et la Meuse.
— Maubeuge, sur la Sambre. — Chimay, dans le Hainaut, sur
la Blanche.
6. Guillaume de Horn, s. de Hese, gouverneur de Maestricht.
La garnison de la ville avait été excitée à la révolte par le baron
de Chevreaux, Franc-Comtois, et Jean-Baptiste del Monte, tous
deux soudoyés par don Juan.
7. Nicolas de Palmier, s. de Mauroy, était envoyé du prince
d'Orange.
8. Ouverture de la diète de Worms, 12 avril 1578. Voyez les
Mémoires anonymes, t. II, p. 233.
Si. Philippe de Mamix, s. de Sainte- Aidegonde, prononça un
144 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
promit secours le duc Casimir, Là fut, entr'autres
choses, le différend d'entre DantzichS villeHansiatique,
de laquelle le roi de Polongne voulut emporter l'ab-
solu commandement, mais enfin se contenta du tiltre
de protecteur^; et, par cet accord, ceux de la ville,
n'ayans plus que faire du colomnel Stuart^, en accom-
modèrent les Estats. Tout cela s'estendit jusques au
vingt-deuxiesme d'avril, qu'on publia par toute la
Flandre un serment* pour le faire prester à tous, mais
les Jésuites refusèrent les évesques et pourtant furent
bannis^, comme aussi quelques Gordeliers, les uns et
les autres courants grand danger d'estre massacrez
pour la haine que le peuple leur portoit, sur ce qu'à
Gand et à Bruges il en avoit esté bruslé sept et plu-
sieurs fouettez, convaincus de sodomie, que leur avoit
enseigné un Cordelier italien, comme ils dirent à la
mort.
Aussi, de mesme temps, à Bruges, fut pilorié le
Cordelier Corneille®, très renommé pour forces livres
imprimez et avoir inventé l'ordre Saincte-Élisabeth,
discours à la diète de Worms, auquel un anonyme, sous le nom
de Galidius Ghrysopolitanus, répondit par des invectives contre
les Flamands.
1. Dantzick, dans la Prusse occidentale.
2. Par la diète de Worms, le roi de Pologne ne put obtenir que
le titre de protecteur de Dantzig.
3. Guillaume Stuart, colonel écossais. Voyez les Mémoires ano-
nymes, t. II, p. 232.
4. De Thou, d'après Metteren, dit que cette publication eut lieu
le 21 avril 1578 (liv. LXVI).
5. Les Jésuites furent chassés d'Anvers et transportés à
Louvain le 18 mai 1578 (De Thou, liv. LXVI). Voy. le récit des
Mémoires anonymes, t. II, p. 257.
6. Corneille Adriausen de Dordrecht, grand prédicateur de
l'ordre des Gordeliers, remplissait ses sermons d'invectives contre
les Flamands (De Thou, liv. LXVI).
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XXII. 145
OÙ il faisoit, par pénitence, despouiller les plus belles
de ses dévotes, pour, en diverses postures, les fouet-
ter toutes nues, fort longtemps, avec une queue de
renard, comme il paroit par livres imprimez de son
institution ^ et laquelle, depuis, on dict avoir esté
practiquée à Bourdeaux, plus discrètement et suivant
ce que nous avons veu publié sous mesme nom de
Saincte-Élisabeth.
Chapitre XXII.
Conclusion de la paix.
Durant que ces choses se desmesloyent ainsi de
tous costez, quelque longueur fut apportée à la paix^,
bien qu'arrestée à Centras^, par ceux du Languedoc,
qui estoyent en grand trouble, les uns partisans du
prince de Condé et voulans exécuter les choses qu'il
1. Le récit de d'Aubigné est tiré de de Thou (liv. LXVI).
2. En attendant la ratification du traité de paix par le roi
(voyez la note suivante), le duc d'Anjou signa avec les députés
du roi de Navarre, le 27 novembre 1580, une trêve de douze jours,
qui fut renouvelée pour dix jours le 8 décembre suivant. Les
originaux de ces actes sont conservés dans le f. fr., vol. 3330,
f. 65 et 79.
3. Les conférences se tinrent entre le duc d'Anjou, le roi de
Navarre et leurs conseillers, partie à Goutras, partie au château
de Fleix, château appartenant au comte de Ourson, près de
Sainte-Foy, en Périgord (Dupleix, Histoire de Henri III, p. 83).
Le 26 novembre 1580, les parties signèrent le traité qui porte le
nom de traité de Fleix. L'acte, divisé en quarante-sept articles,
a été imprimé dans Dumont, Corps diplomatique, t. V, p. 381,
et par Haag, t. X, p. 171. L'original de cette pièce importante,
revêtu des signatures du duc d'Anjou et du roi de Navarre, est
conservé à la bibl. de l'Institut, dans la coll. Godefroy, vol. 96,
pièce 27.
VI 10
146 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
avoit promises en Allemagne'. Ses promesses furent
enfin rompues par les diligences de Constans^, si bien
que Aiguemortes fut refusée à Clervant et Pequais^
au docteur Beutrich, le pays s' offrant à s'obliger tout
entier pour soudoyer l'armée du duc Casimir, mais
non pas mettre en gage les deux places plus impor-
tantes. Et, là-dessus, députez avoyent esté esleus pour
aller au traicté de la paix commencée à Coutras. Ayans
aidé à la conclusion, ils retournent en Languedoc,
d'où ils escrivent que le prince empeschoit la publi-
cation; mais, depuis, le mesme, sachant qu'on y
envoyoit le vicomte de Turenne *, s'achemina à Cadil-
lac^ trouver les autres princes pour ne voir point
contre sa volonté publier l'édict^, comme il le fut par
tout le Languedoc; mais ceux du Daulphiné, qui atten-
doyent les Allemans, le refusans, s'en trouvèrent
comme nous verrons ci-après.
*
\. Les négociations de Gondé en Allemagne (juin et juillet 1580)
sont racontées dans les Mémoires de La Huguerye, t. II, p. 55.
2. Le roi de Navarre, pour arrêter le mauvais vouloir du prince
de Gondé, lui dépêcha successivement en Languedoc le s. de
Lavergne, Beauchamp et Gonstans. Voyez les Mémoires de La
Huguerye, t. II, p, 82.
3. La ville d'Aigues-Mortes, avec les Salins et le fort de Pec-
cais avaient été promis à Gasimir de Bavière comme gages de
la subvention qui lui serait due en retour de son invasion en
France (Mémoires de La Huguerye, t. II, p. 64).
4. La mission de Turenne est racontée dans les Mémoires de
Bouillon (édit. Buchon, p. 423) et dans les Mémoires de La Hugue-
rye (t. n, p. 89).
5. Gadillac (Gironde), sur la Garonne. Ge ne fut qu'après les
fêtes de Pâques de 1581 que Gondé se décida à quitter le Langue-
doc pour se rendre à Montauban. La Huguerye ne dit pas qu'il
alla à Cadillac [Mémoires de La Huguerye, t. Il, p. 132 et suiv.).
6. Le roi ratifia le traité de Fleix le 26 décembre 1580.
1580] LIVRE NEUVIÈME, CHAP. XXII. 147
Vous ne serez point ennuyez des articles de cet
édict, qui n'avoit rien de différent des autres, que ce
qu'avoyent expliqué les conférences de Nérac* et du
Flex^; et cela ne fut point publié, mais porta dès lors
et tousjours depuis le titre d'Articles secrets. Ce qui
en parut trop fut la prolongation de places de seureté
pour six ans. Cela, et le voyage du duc d'Espernon^
vers le roi de Navarre, sous couleur d'aller visiter sa
mère, fut un riche prétexte pour les prescheurs de la
ligue et pour esraouvoir ce que nous allons raconter
au livre suivant.
i. Les conférences de Nérac dataient de l'année précédente.
Le traité de Fleix est la reproduction presque textuelle du traité
de Nérac.
2. Les pièces relatives aux négociations de Fleix sont très
nombreuses. Nous signalerons seulement la correspondance de
Pomponne de Bellièvre avec le roi et la reine, qui rend compte
jour par jour du résultat des conférences (f. fr., vol. 15891), les
pièces contenues dans le vol. 15563 du fonds français, parmi les-
quelles (f. 280) se trouve le procès-verbal de trois séances du
milieu d'octobre, les volumes 15871 du fonds français, 6003 et
6013 des Nouvelles acquisitions du fonds français.
3. L'envoi par Henri III de Jean -Louis de la Valette, duc
d'Épernon, au roi de Navarre est très postérieur à ces événe-
ments. Ce ne fut qu'en 1582 que le favori de Henri IH se mit
en négociation avec le Béarnais. Voyez les notes du chap. m du
livre suivant.
LES HISTOIRES
DD
SIEUR D'AUBIGNÉ
LIVRE DIXIÈME
(livre V DU TOME II DES ÉDITIONS DE 1616 ET DE 1626).
Chapitre I.
Voyage du duc de Mayenne et estât du Daulphiné.
Plusieurs testes discordantes en Dauphiné avoyent
empesché ceste province de participer aux utiles con-
seils^ du vicomte de Turenne, et de prendre patron
au Languedoc, d'où ils espéroyent, sans rien contri-
buer de leur part, la solde de leurs AUemans^, des-
1. Le roi de Navarre et le duc d'Anjou avaient donné mission
à Turenne, par lettres du 18 janvier 1581, datées de Bordeaux,
de faire exécuter en Languedoc l'édit de paix conclu à Fleix
(Histoire du Languedoc, t. V, p. 386). Sur la mission du vicomte
auprès de Gondé, voy. plus haut, p. 146 et 155, notes 4 et 2.
2. Ces Allemands étaient ceux que le parti réformé avait ras-
semblés, avant le traité de Fleix, en vue de la continuation de la
guerre. Peu après, le prince de Gondé envoya La Huguerye en
Allemagne. Voy. les Mémoires de cet agent, t. Il, p. 48.
1580] LIVRE DIXIÈME, CHAP. I. 149
quels aussi ils pensoyent tirer le premier fruict, et
que ceste armée en sa verdeur leur donneroit moyen
de s'estendre et s'asseurer, n'eusse esté qu'à l'ombre
du temporisement nécessaire pour passer le Rhosne.
Telles espérances donc les ayans empeschez de se
soubsmettre à la dernière paix, les liguez prindrent
occasion de faire employer le duc de Mayenne*, qui
lors estoit en grande authorité sur les gens de guerre,
et lui firent dépescher une armée de neuf mille
hommes de pied françois, trois mille Suisses, deux
mille gens d'armes et quatorze cents reistres*; tout
cela esquippé à la faveur et payé de mesme, car
presque tous les officiers des finances estoyent liguez.
Geste armée ayant passé Lyon^, les Daulphinois, et
non plustost, voulurent s'accorder d'un chef. Ce fut
la pomme de discorde*, commencement de la craincte,
et aussi tost du traicté de quelques-uns, que je ne
puis exprimer, pour ce qu'entre trois ^, desquels cha-
cun accusoit son compagnon, pas un n'oublia le secret
i. Charles de Lorraine, duc de Mayenne.
2. Les chiffres donnés par Eustache Piémond sont un peu
moins élevés. Le même annaliste énumère les principaux capi-
taines de l'armée du duc de Mayenne (Mémoires d'Eustache Pié-
mond, p. 115).
3. Le duc de Mayenne arriva à Lyon avant le 24 juillet 1580
et y séjourna jusqu'au 23 août {Mémoires de Piémond, p. 113, note).
4. Depuis la mort de Montbrun, les réformés du Dauphiné ne
pouvaient s'accorder sur le choix d'un chef. Il y avait eu une
réunion à Die à la fin de mars 1580, une autre en juin. D'Aubi-
gné se trompe en disant que ces assemblées refusaient de recon-
naître Lesdiguières ; elles l'acceptaient pour chef, mais de mau-
vaise grâce. Voy. les Mémoires d'Eustache Piémond, p. 109.
5. Les trois capitaines qui se disputaient le gouvernement du
parti réformé en Dauphiné étaient Lesdiguières, Aymé de Glane,
8. de Gugie, et Jacques Pape, s. de Saint-Auban.
f50 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
que la honte conseilloit. Tant y a qu'à l'exemple de
quelques-uns tous firent appoinctement , comme se
voulans servir de la paix qu'ils avoyent refusée. Le
duc de Mayenne, ayant trouvé le joinct de la division,
changea le pas au trot, et, de Valence, qui la première
lui ouvrit les portes*, ne voyant point d'armée con-
traire sur pied, envoya 4es branches de la sienne en
divers lieux recevoir les places^ sans coups de canon,
ou s'il y en eut, comme pour la Mure^, ce fut avec
telle foiblesse que la conscience de leurs fautes les a
empeschez de m'en donner aucuns mémoires. On dit
que Lesdiguières*, voyant desmanteler toutes les
places où le duc entroit, dit à un ministre, qui l'exhor-
toit à choses impossibles : « Je les reprendrai par les
mesmes bresches qu'ils font. » Et cela arriva à la plus-
part, comme il paroistra au succès du tome suivant.
Le duc, s'estant faict voir par tout, revint dire adieu
1. Mayenne entra à Valence avant le 30 août 1580.
2. Mayenne fit raser les fortifications de Saillans, de Pontaix,
des Tours-de-Quint, deVinsobres, deTulette, de Saint- Paul-Trois-
Ghâteaux, de Loriol, de Livron, de Ghâteaudouble, de Grane et
du Puy-Saint-Martin (Arnaud, Hist. des protestants du Dauphiné,
t. I, p. 383). Sur l'expédition de Mayenne, voy. deux lettres de
Henri III à du Ferrier (Négoc. du Levant, t. IV, p. 29, notes, dans
les Documents inédits).
3. La Mure fut assiégée par le duc de Mayenne le 30 septembre
1580 et prise après un siège acharné le 6 novembre. Il existe, du
siège de la Mure, deux relations contemporaines, l'une anonyme,
l'autre de Guillaume du Rivail, s. de Blagnieu. Toutes deux ont
été réimprimées en 1870. M. Jules Ghevalier, éditeur des Mémoires
des frères Gay, in-S", 1888, a donné des indications sur le siège
de la Mure (p. 173). Il est étonnant que d'Aubigné ne s'étende
pas davantage sur un des faits d'armes les plus glorieux pour le
parti réformé.
4. François de Bonne, s. de Lesdiguières.
1580] LIVRE DIXIÈME, CHAP. I. 151
au Daulphiné par Valence, où il accommoda la cita-
delle en bon estât, et dans elle bastit un trophée
presque pareil à celui que le duc d'Albe avoit érigé
dans Anvers^. Il y avoit de plus recerché que, sous
les pieds de sa statue, y avoit un amas de corps mes-
lez et renversez, desquels la sculpture estoit faicte sur
les portraits au naturel des principaux chefs refiformez
de Daulphiné^, et sur tout de celui de Lesdiguières, le
plus recerché. Cela faict, le duc et son armée repas-
sèrent en France pour fournir aux occasions que nous
verrons^.
Le Daulphiné, se voyant délivré de l'armée, com-
mença à se recognoistre par les reproches mutuels,
mais principalement contre Lesdiguières, pour ce qu'il
y avoit eu quelque élection de lui pour chef en tiltre
et sans efifect. Et aussi lui donnoyent-ils la faute en titre,
mais sans vérités, et, de vrai, ils ne lui avoyent rendu
aucune obéissance réalement. Ils trouvèrent moyen
de s'assembler'* sept ou huict des principaux du pays,
1. Voy. le t. m, p. 266.
2. La fin de la phrase manque à l'édition de 1618.
3. Le duc de Mayenne revint en Dauphiné au mois de juillet
1581 pour réduire les réformés qui n'avaient pas voulu accepter
le traité de Fleix. Cette nouvelle campagne fut une suite d'entrées
triomphales. Les Mémoires des frères Gay ont raconté cette expé-
dition (p. 184 et suiv.).
4. Il s'agit ici de l'assemblée ouverte à Die au printemps de
1581 et successivement transportée à Gap, à Mens et à Grenoble
pour discuter l'acceptation du traité de Fleix. Les ennemis de
Lesdiguières, dits les Désunis, acceptaient le traité tandis que
Lesdiguières le repoussait. Les documents abondent sur ces réu-
nions du parti réformé et sur les négociations auxquelles elles
donnèrent lieu. M. Roman a publié, dans Actes et correspondance
de Lesdiguières (t. I, p. 49 et suiv.), plusieurs pièces émanées de
152 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1580
voulans une élection nouvelle, la brigans chacun pour
soi, et tous ensemble refusans d'obéyr à Lesdiguières
sur des causes légères, desquelles la plus forte estoit
de son peu de moyens, car pas un ne touchoit ni aux
mérites ni à l'extraction. Il* y en eut de si brutaux
qu'ils le vouloyent rendre desdaignable pour estre
sçavant et jurisconsulte^, comme choses incompatibles
avec un vaillant.
Geste assemblée despescha six députez, chacun
ayant un maistre affecté vers le roi de Navarre pour
les reigler de gouverneur; et Lesdiguières, en estant
adverti, y joignit son conseiller Calignon^, un* des plus
rares esprits de son temps, et qui avoit desjà paru
entre ceux qu'on appelloit les fronts d'airin.
Ces députez furent ouys premièrement à Nérac^, et
ce capitaine. M. Loutchitzki, dans ses Documents (p. 110 à 121),
en a publié plusieurs autres. Les Mémoires des frères Gay con-
tiennent (p. 175 et suiv.) d'autres détails sur ces assemblées. Le
■volume 4047 du fonds français (f. 138 à 166) ajoute quelques
nouveaux documents qui sont presque tous reproduits dans le
vol. 208 de la coll. Brienne. Le dernier (f. fr., vol. 4047, f. 156)
est un mémoire adressé au roi de Navarre, en date du 21 juin
1581, qui présente le résumé de la situation du parti réformé
en Dauphiné à cette date.
1. La fin de l'alinéa manque à l'édition de 1618.
2. Lesdiguières était fils d'un notaire. Voyez l'introduction de
M. Roman dans le t. I de Actes et correspondance de Lesdiguières,
in-4'>, 1878.
3. Geoffroy Soffrey de Colignon, né à Saint-Jean, près de Voi-
ron, en Dauphiné, l'un des partisans les plus zélés de la religion
réformée, successivement secrétaire et chancelier du roi de
Navarre {Lettres de Henri IV, t. I, p. 238, note).
4. La fin de l'alinéa manque à l'édition de 1618.
5. Le roi de Navarre passa tout l'été de 1581 et une partie de
l'hiver à Nérac ou dans le voisinage. Voy. son itinéraire dans le
t. II des Lettres.
1580] LIVRE DIXIÈME, CHAP. I. 153
puis par plusieurs fois au Mont de Marsan*. Le roi de
Navarre, ne trouvant en leurs plainctes que des inté-
rests particuliers, dommageables à leur province, ouyt
aussi Galignon, requérant qu'on n'eust aucun esgard
au bien particulier de son maistre, ni au déshonneur
d'estre déposé, mais seulement au salut de la patrie,
et à ce qu'il faloit pour la relever en sa première
dignité, qu'il estoit prest de monstrer entière obéys-
sance au premier qui seroit esleu. Le roi de Navarre,
se présentant cette affaire très pesant sur ses bras,
ennuya premièrement ces députez par la longueur, de
laquelle il s'excusoit sur la pesanteur. Et puis, un
matin, montant à cheval pour la chasse, il commanda
au vicomte de Turenne d'assembler La Noue, Ter-
rides, Fonteraille ^ , Lézignan^ et quelques autres,
pour mettre fin à ce fascheux affaire. Le vicomte,
ayant donné à disner à tous les députez, les oit, tan-
tost ensemble, tantost séparez. Ils furent tous longs
à exprimer leurs passions. Galignon court à deman-
der qu'on les contentast au bien de tous, et, durant
leur séjour, les visitant à part, proposoit tousjours à
chacun pour chef celui qu'il avoit le plus à contre-
cœur. Le vicomte suivit ce mesme chemin, en les
1. L'itinéraire du roi de Navarre ne marque pas le passage de
ce prince à Mont-de-Marsan pendant l'année 1581. Cependant, il
s'en rapprocha beaucoup au milieu de mars.
2. D'Aubigné, ou plutôt son imprimeur, confond souvent Pon-
tenilles et Fontaraille, deux gentilshonmaes plus ou moins inféodés
au roi de Navarre : Philippe de la Roche, baron de Fontenilles,
capitaine catholique, gendre de Biaise de Monluc, mort en 1594;
Michel d'Astarac, baron de Fontaraille ou de Fontrailles, capi-
taine protestant, un des anciens serviteurs de Jeanne d'Albret.
3. Henri de Lusignan, fils de Jean de Lusignan.
154 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1581
interrogant du remède et de Télection. Enfin, après
plusieurs remonstrances, on leur déclara que le prince
leur cédoit son droict de nomination, et, pourtant,
qu'ils s'assemblassent en leur liberté ; qu'ils avisassent
bien à faire un choix, duquel ils ne se pussent repen-
tir. Ils s'assemblèrent donc à divers jours, où il n'en
fut proposé pas un que tous les autres ne s'y oppo-
sassent avec telle animosité qu'ils vindrent aux injures
atroces, et plusieurs fois sur le poinct de jouer du
Cousteau ; et lors on les picquoit, leur reprochant leur
longueur et peu de soing de leur pays. Tous avoyent
esté nommés pour gouverneurs, hormis la continuation
de Lesdiguières ; lequel enfin estant jette sur le bureau
comme par despit, et, Galignon le refusant, fut esleu* ;
son nom porté au roi de Navarre et receu en bonne
chère, et tous les députez de retour allèrent descendre
en son logis. Voilà un plat de courtisan parmi les sol-
dats, que je n'ai point craint de vous donner en pas-
sant, pour les choses qui sont depuis arrivées par ceste
eslection.
Chapitre II.
Suite de la paix refusée en Languedoc. Négociation
pour le roi de Portugal. Entrevue des princes.
Monsieur, bien content de la paix, comme fort com-
mode à ses affaires du dedans et du dehors du royaume,
voulut voir le roi et la roine de Navarre, Madame* et
1. Ces détails, que d'Aubigné a donnés le premier, sont confir-
més dans la Vie de Galignon de Vidal.
2. Catherine de Bourbon, sœur du roi de Navarre, née le 7 fé-
1581] LIVRE DIXIÈME, CHAP. U. 1Ô6
le prince de Condé, et leur donna rende- vous à
Libourne* ; où de long temps ils ne se peurent trouver
pour les divertissements qui leur vindrent, principa-
lement en Languedoc, où ceux de la province com-
mencèrent à vouloir faire guerre quand ils virent les
autres en paix. Ils ne pouvoyent supporter que les
folies de ceste demie-guerre eussent succédé et em-
porté quelques améliorations ^ pour le roi de Navarre,
et ceux qu'ils avoyent abandonnez avec lui. Par ainsi,
ne faisant point de guerre en gros, ils favorisoyent
plusieurs capitaines particuliers qui, dans les villettes
fortifiées à leur guise, faisoyent la guerre et plusieurs
courses, principalement au haut Languedoc, contre
les grosses villes katholiques de ce pays-là^.
Ce quartier estant r'acoisé*, ceux de Montaigu^
vrier 1558, épouse de Henri de Lorraine, duc de Bar, en 1599,
morte le 13 février 1604.
1. Le duc d'Anjou était à Libourne avant le 8 janvier 1581
(lettre autographe de Bellièvre au roi de cette date et écrite de
Libourne; f. fr,, vol. 15891, f. 126). II arriva à Bordeaux le 10 du
même mois (Gauffreteau, t. I, p. 222 et 230).
2. Le dépit des religionnaires du Languedoc, à la nouvelle du
traité de Fleix, venait, suivant les Mémoires de Bouillon, de ce
qu'ils s'étaient imaginés que le roi de Navarre avait tiré du traité
a des avantages secrets à leur préjudice » (édit. du Panth. litt.,
p. 424). Ils étaient surtout animés par le prince de Condé, esprit
jaloux et brouillon, toujours disposé à s'élever contre le chef de
sa maison. Condé était arrivé à Nîmes le 14 novembre 1580 et
poussait les réformés à reprendre les armes. La Huguerye a
donné de curieux détails sur les négociations du roi de Navarre
avec son cousin (Mémoires, t. II, p. 77 et suiv.).
3. Sur les excursions des réformés du Languedoc, voy. Vflist.
du Languedoc, t. V, p. 386 et 387.
4. Hacoiser, apaiser.
5. Montaigu (Vendée), dont le siège et la défense ont fourni à
156 fflSTOIRE UNIVERSELLE. [1581
envoyèrent pour essayer que leur place deraeurast.
Mais, d'un costé, ceux du pays brusloyent d'une
grande impatience de le voirrazer*; et, à quelque
remonstrance qu'on leur fist, pour s'unir cinquante
gentilshommes à garder la place chascun une sepmaine
à ses despéns, que, par ce moyen, ils seroyent cou-
verts devers la Bretagne d'une frontière imprenable ;
que guères d'armes ne s'iroyent fourrer au bas Poic-
tou pour avoir la honte de s'y attaquer inutilement ou
celle de la laisser derrière, et incommodité de l'avoir
en crouppe; qu'ils seroyent un jour contraincts par
leur nécessité de la rebastir, et qu'ils n'y feroyent
rien qui vaille ; à tous ces propos, les bas Poictevins
ne respondirent autre chose, sinon : rasons cela.
D'autre part, Monsieur, se présentant pour les affaires
de Portugal, ne voulut rien laisser dans le royaume,
sur quoi le roi se pust excuser de lui fournir ses
nécessitez^.
d'Aubigné quelques-uns de ses plus beaux récits dans les livres
précédents. Cette seigneurie appartenait à la maison de la Tré-
moille (lettre du duc d'Anjou; f. fr., nouv. acq., vol. 1109, f. 1).
1. Le château de Montaigu était entre les mains du parti réformé.
Le duc d'Anjou, chargé de présider à l'exécution du traité de
Fleix en Poitou, avait une première fois ordonné la destruction
du château. Le 5 avril 1581, il en fit suspendre le démantèlement
(f. fr., vol. 15564, f. 44; lettre de ce prince à Tilly). Le 7 août, il
demande au roi de Navarre de rendre Montaigu, sans le détruire,
à la dame de la Trémoille (f. fr., nouv. acq., vol. 1109, f. 1). Mal-
gré ces ordres et contre-ordres, le démantèlement fut commencé
(lettre de La Frézelière au roi du 11 oct. 1581 ; f. fr., vol. 15565,
f. 100). D'autres documents conservés dans ce dernier recueil
permettraient de suivre les progrès de la démolition de Montaigu,
que le manque d'argent des officiers du roi et peut-être le crédit
de la dame de la Trémoille à la cour arrêtaient à chaque courrier.
2. La mort de dom Sébastien avait laissé la couronne de Por-
4581] LIVRE DIXIÈME, CHAP. II. 157
Il falut donc rendre Montaigu. Celui* qui en avoit la
charge avoit enfermé un poinçon de pouldre dans l'es-
pesseur d'une muraille avec l'amorce entre deux tuiles,
bien scellée comme il faut, s'estant servi à cela d'un
excellent maçon et de son fils, qui trahit le père pour
cent escus. Le mareschal de Rets, qui sollicitoit le
razement de sa voisine^, ayant descouvert cette ruse
et en présupposant plusieurs autres, pressa plus que
jamais le desmantellement ^ et le fit exécuter ; de quoi
il s'acquit, comme l'on verra en son lieu, l'inimitié
du prince de Condé*.
Quand le siège de Montaigu fut achevé, La Bou-
tugal au cardinal dom Henri, qui lui-même était mort en 1580.
Philippe II, qui prétendait à la couronne, chargea le duc d'Albe
de faire valoir ses droits avec une armée et réussit à conqué-
rir ce royaume. Cette usurpation donna au duc d'Anjou, tou-
jours occupé à rechercher un trône, l'idée de poser sa candidature
à la succession de dom Sébastien. Les négociations, fort obscuré-
ment menées, n'eurent aucune suite. Voyez, sur les révolutions
du Portugal au xvi« siècle, Rebello da Silva, Hist. du Portugal au
XVI* et au XVII' siècle.
1. D'Aubigné lui-même. Il parle dans ses Mémoires de son gou-
vernement du château de Montaigu (édit. Lalanne, p. 57).
2. Le maréchal de Retz possédait du chef de sa femme, Claude
de Clermont, le château de Dampierre (Charente-Inférieure), peu
éloigné de Montaigu.
3. L'insistance du maréchal de Retz au sujet du démantèlement
de Montaigu lui coûta son château de Dampierre. Voyez Bran-
tôme, t. I, p. 146.
4. Le château de Montaigu appartenait à la maison de la Tré-
moille et peut-être déjà à Charlotte de la Trémoille, que le prince
de Condé devait épouser plus tard. En représaille de la ruine de
Montaigu, le prince lit plus tard piller et ruiner en partie le châ-
teau de Dampierre, qui appartenait à Retz. Mais ni Dampierre
ni Montaigu ne furent absolument détruits. Quant à Dampierre,
de Thou le dit expressément (liv. LXXXV). Quant à Montaigu,
il soutint encore un siège en 1588 (Brantôme, t. IV, p. 385).
158 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1581
laye* ayant envoyé demander à Monsieur la commis-
sion d'un régiment de quinze compagnies, quatre du
régiment de Lancosme et trois de celles qui estoyent à
la Barillère se donnèrent à La Boulaye, en mémoire
de la promesse et jurement qu'ils en avoyent fait
quand les dix combatans que nous avons nommez se
mirent entre leurs mains pour le duel.
Aubigné estoit venu de Montaigu. Et, ayant à un
premier voyage trouvé la cour^, de laquelle nous par-
lions n'aguères, à Cadillac^; au second*, venant de
rendre la place, il trouva toute l'assemblée susdicte,
selon le project^, à Libourne, horsmis le roi de Navarre,
1. Philippe Eschalard, baron de la Boulaye.
2. La cour désigne ici la cour du roi de Navarre. Ce prince était
à Cadillac du 23 janvier au 22 février 1581 [Lettres de Henri IV,
t. II, p. 565). Il y était encore le 28 février, et du 5 au 15 mars
(Ibid.).
3. Cadillac, château sur la Gironde, appartenait à François de
Foix-Candale, évêque d'Aire, mathémati<;ien et astronome célèbre
au xvie siècle, que de Thou alla visiter en 1580 {Mémoires de de
Thou, ann. 1580). Un jour que d'Aubigné accompagnait le roi de
Navarre dans une visite au cabinet de l'évêque et que c la troupe
s'amusoit à faire lever la pesanteur d'un canon par les machines
entre les mains d'un enfant, » il improvisa et écrivit ce distique
sur un marbre noir qui servait de « tablettes » :
Non isthaec, princeps, regem tractare doceto,
8ed docta regni pondéra ferre manu.
(Prince, n'apprends pas au roi à manier ce fardeau, mais à porter
d'une main habile le poids du sceptre.) {Mémoires de d'Aubigné,
édit. Lalanne, p. 61.)
4. Au second, c'est-à-dire au second voyage.
5. La réunion de Libourne, à laquelle assistaient le duc d'Anjou,
la reine de Navarre, Bellièvre et d'autres négociateurs dépêchés
par le roi de France, eut lieu au commencement de 1581, ainsi
que le prouvent plusieurs lettres adressées par Bellièvre au roi
(f. fr., vol. 15891). Le roi de Navarre ne parut pas à Libourne.
1581] LIVRE DIXIÈME, CHAP. H. 189
qui, dès lors, s'attachoit aux amours* de la comtesse
de Guiche^, vefve de Grand-Mont^.
La roine de Navarre, ayant esté descouverte à
Cadillac* en ses privautez avec Champ-Vallon^, avoit
estimé qu'Aubigné avoit donné cet advertissement^ en
se vengeant de quelque desfaveur dont il n'avoit pas
eu sentiment. Elle donc prit un moyen pour le ruiner,
que nous donnerons pour un plat du mestier à nos
lecteurs courtisans.
Les conférences des ambassadeurs de Henri III avec le prince
béarnais eurent lieu à Goutras et à Cadillac. Voyez les premières
notes du chapitre suivant.
1. La passion du roi de Navarre pour la comtesse de Gramont
succéda à ses amours avec M"** de Montmorency-Fosseux et dura
plus de dix ans. La comtesse est désignée dans les lettres du
Béarnais sous le titre de : notre grande amie (Lettres de Henri IV,
t. n, p. 153 et 212).
2. Diane d'Andouins, dite la belle Corisande, vicomtesse de Lou-
vigny et dame de Lescun. Elle avait épousé Antoine de Gramont
en 1567.
3. Philibert de Gramont, comte de Guiche, gouverneur de
Bayonne et sénéchal de Béarn, tué au siège de la Fère (1580)..
4. Marguerite était à Cadillac le 12 mars 1581, date d'une lettre
qu'elle écrivit au roi de France (Lauzun, Lettres de Marguerite de
Valoù, 1886, p. 20).
5. Jacques de Harlay, seigneur de Chanvallon, grand écuyer
du duc d'Anjou, grand maître de l'artillerie pendant la Ligue,
chevalier du Saint-Esprit en 1602, mort en 1630. Marguerite eut
de Chanvallon, disent quelques historiens, un fils qui devint
capucin et qui porta le nom de Père Ange. M. Guessard a publié
pour la Société de l'Histoire de France, à la suite des Mémoires
de Marguerite, une suite de lettres de cette princesse à Chan-
vallon.
6. D'Aubigné, dans ses Mémoires, raconte quelques-unes de ses
querelles avec la reine de Navarre à la suite des découvertes de
Cadillac et les mots piquants qu'il lui adressait (édit. Lalanne,
p. 63).
160 HISTOIRE UmVERSELLE. [1581
Elle donc, sachant qu'il estoit arrivé à portes
ouvrantes, l'envoya quérir, se fascha à lui, lui repro-
chant que la guerre l'avoit rendu barbare, ou au
moins sauvage ; que ce n'estoit pas à lui à attendre la
roine à lever, mais entrer à toute heure, comme con-
servant son estât de dame d'honneur. Après ces pri-
vautés, elle lui faict apporter un siège pour ouïr le
discours qui s'ensuit : « Vous estes, dit-elle, venu
très à propos, si ce n'est un peu tard, pour un affaire
qui sera fort sensible au roi, vostre maistre et mon
mari; c'est qu'il y a en cette ville un prince portugais,
qui s'appelle Dom Antonio Virmiose ^ , connestable de
Portugal, celui que vous avez ouï conter avoir faict si
généreusement en Barbarie à la bataille des trois rois^.
Pour l'estime que je fai du personnage, je veux que
vous-mesmes en jugiez avant que vous en dire mon
sentiment. Je sçai bien que vous ne vous amuserez
pas à ses mauvaises révérences, ni à sa manière de
danser. C'est un prince qui dit en bons termes, recom-
mandable en toutes sortes de galanteries et pour
l'amour, sur lequel il le faict bon ouyr. Vous avez
sceu le misérable estât de Portugal et du roi Dom
Antonio^, le danger où il est de perdre toutes les isles,
1. Dom Antonio de Portugal, comte de Vimioso, connétable du
roi dom Antonio. Suivant des documents cités par M. Francisque
Michel (Les Portugais en France et les Français en Portugal), il se
nommait François.
2. Dom Sébastien, roi de Portugal, Mulei-Méluc, roi de Maroc.
Sur la bataille des trois rois, voyez plus haut.
3. Antonio de Portugal, grand prieur de Grato, fils naturel de '
l'infant dom Luis, s'était fait proclamer roi à la mort du cardinal
Henri. Battu par le duc d'AIbe à Alcantara, il se réfugia en
France et tenta en vain, en 1582, avec le secours de Catherine
de Médicis, en 1589, avec l'aide de la reine d'Angleterre, deux
1581] LIVRE DIXIÈME, CHAP. H. 161
tant Açores^ Fortunées que toutes les Occidentales,
Philippines et Moluques ; comme aussi ce qu'il possé-
doit en Affrique vers le Castel-de-Mine, que ses autres
conquestes aux Indes dans le continent^. Tout cela
demande secours ou est en branle de subir le joug
des Espagnols, par lesquels ils sont menacez et pressez.
Vous ne doutez pas que ce ne soit la fortune d'un
grand prince. Mon frère, qui est un dangereux brouil-
lon, comme vous scavez, empiète cela pour les trom-
per, et, craignant que ce connestable ne parle aux
plus ad visez, feignant de le garder contre les quarante
mille ducats que le roi d'Espagne a mis sur sa teste,
Alféran, qui a charge de recevoir les estrangers, a six
Suisses pour cet efifect, tellement qu'il y a de la diffi-
culté à le voir, sinon pour ceux de l'embarquement.
Or, je sçai que cette difficulté ne fera que vous eschauf-
fer pour faire un grand service à vostre maistre, en
faisant que le roi de Portugal jette ses affaires dans le
sein de vous autres huguenots, desquels seuls on se
peut fier pour les affaires qui sont contre l'Espagne et
l'Italie. D'ailleurs, il y a quelque danger de former
une inimitié entre mon frère et le roi mon mari. C'est
ce qui me tient en perplexité, et de quoi je me soula-
gerai sur votre expérience et fidélité. »
expéditions pour reconquérir le Portugal. Sa vie aventureuse,
qui tient plus du roman que de l'histoire, a été écrite par
M. Edouard Fournier, Un prétendant portugais au XVI' siècle,
Paris, 1852, in-12.
1. Les Açores tenaient pour dom Antonio et ne se soumirent
à l'Espagne qu'en 1583.
2. Sur l'expédition espagnole aux îles portugaises, voyez le
chap. XXI de ce livre.
VI 11
1621 mSTOIRE UNIVERSELLE. [1581
Voici quelle fut la response : « Madame, vous avez
ici Languilier* et Beau-Pré^, conseilliers ordinaires du
roi vostre mari, plus authorisez et plus vieux que moi.
Je prie Vostre Majesté les vouloir faire pour le moins
participants de ce fardeau, et me commander absolue-
ment, sans me donner un chois dangereux et un faix
sous lequel je succomberois. »
Elle se deffit de cela, disant de Languillier que ses
discours ne passoyent point le maistre d'hostel, de
l'autre qu'il s'attachoit à Monsieur ; et se démesla, lais-
sant le pacquet sur la teste du compagnon ; qui, s'es-
tant retiré, se mit à penser ainsi : cette femme a
quelque chose contre moi ; pour se venger, elle me
donne un dangereux chat par les pattes, préparée à
accuser ce que je ferai, ou d'avoir laissé perdre à mon
maistre l'accomplissement de ses désirs, ou d'avoir
brisé l'union des frères; il n'y a remède pour moi que
de faire devant elle un faux choix et la préparer à
mesdire de ce que je n'aurai point faict. Il la vid donc
encores une fois, protestant aimer mieux estre pares-
seux que mal faisant, lui estant plus pardonnable
d'avoir privé son maistre d'une guerre que de lui en
donner une contre son frère et la maison de Valois.
Ayant donc sceu que tous les matins Strosse, Lan-
sac, Richelieu et le baron de la Garde ^ entroyent en
1. Jules de Harpedanne, s. de Languillier, déjà cité, t. Il, p. 253,
note.
2. Christian de Choiseul, baron de Beaupré. Il mourut le
3 mai 1593 en défendant le château de Montclair pour le roi
contre la Ligue (Lettres de Henri IV, t. I, p. 322).
3. Philippe Strozzi, s. d'Épernay et de Bressuire. — Louis
de Saint-Gelais , s. de Lansac. — François du Plessis, s. de
i581] LIVRE DIXIÈME, CHAP. II. 163
conseil avec le connestable^ il changea de manteau et
de chapeau avec son valet, et, entré dans ce logis à la
queue de ce train, se cacha en un coin où on nourris-
soit de la poulaille^. Là, ayant demeuré une heure,
comme cette trouppe sortoit, gaigna la chambre du
connestable, dict à l'huissier que c'estoit un gentil-
homme du roi de Navarre envoyé par lui. Entré qu'il
fut, il s'approche du lict où estoit le comte, en lui
disant : c No mirais, Senor, al sombrero, ma a lo que
se parte de la cabeça. » Et ainsi suivit à couvrir son
desguisement de la nécessité. Le prince entend à demi
mot, deffend de laisser entrer Alféran, et, ayant fait
donner une chère au mal couvert, qui ne la refusa
point, le comte lui respond en ces termes : « A bue-
nos ojos, Senor, no puede el mal sombrero defigurar
la buena gana. » De telle entrée, Aubigné se mit en
discours comme il s'ensuit :
« Il y a six choses, très excellent Seigneur, qui
doivent convenir en celui qu'on recerche pour lui
mettre en main le secours d'un estât contre un autre :
la probité cogneue, l'expérience aux armes, la créance
des gens de guerre, la proximité, les intérests com-
muns de haine avec l'opprimé contre l'oppresseur, et,
s'il se peut, toutes voyes de réconciliations avec l'en-
nemi comme impossibles et hors d'espoir. Vous vous
jeltez entre les mains de Monsieur, duquel hier, de
Richelieu, grand prévôt de France, mort le 10 juillet 1590. —
Le baron de la Garde, mort en avril 1583, colonel des gens de
pied, déjà cité.
1. Le comte de Vimioso, connétable du Portugal, nommé plus
haut.
2. Poulaille, mot gascon, volaille.
k
164 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1581
fraische mémoire, la roine de Navarre disoit que, si
toute l'infidélité estoit bannie de la terre, son frère
l'en pourroit repeupler. Sçachez, Monsieur, comme
vous pouvez desjà avoir fait, de quelle monnoye ce
prince a payé le parti, dans lequel il n'a pas seule-
ment sauvé sa vie et son honneur, mais s'est faict par-
tager la France, et puis a espousé le service de ses
ennemis pour picquer de mort le sein qui l'avoit
réchauffé. Pour l'expérience, il n'a jamais commandé
que l'armée qui assiégeoit la Charité, mais y prestant
son nom seulement, et le duc de Guyse, qu'on lui
avoit donné pour curateur, faisant toutes les fonctions.
De créance aux gens de guerre, il en est aimé comme
il les a aimez, si bien que, de la haine qu'ils lui portent,
ils lui attribuent toutes sortes de vices contre nature,
et que je ne puis croire comme François. Les affaires
de ce duc sont toutes eslongnées de la frontière. Il
n'y a nulle cause d'inimitié entre l'Espagne et lui,
mais, au contraire, consanguinité et, de plus, intelli-
gence. Tous les jours il y conforme les mœurs et les
habits de lui et des siens. Et, pour le dernier poinct,
le moindre nonce du pape qu'on lui découplera le
mènera de genoux à la réconciliation. La probité du
roi mon maistre a paru en l'amitié des affligez, et en
ce qu'il a mieux aimé quitter la cour, où on lui pro-
mettoit la lieutenance générale, contre Monsieur mesme,
pour venir espouser les misères de ses partisans et
une guerre, où il n'a rien opposé à une si grande impa-
rité de forces que l'avantage de sa vertu. Dans ce
parti ruiné, il a tellement desployé cette vertu, et,
soit dict pour le second poinct, qu'il a desjà forcé
toute la France à trois pacifications, tousjours le pre-
1581] LIVRE DIXIÈME, CHAP. H. 165
mier au combat et le dernier aux retraictes. En quoi
faisant, il a gaigné cette créance que nous mettons au
troisiesme lieu. Ses courtisans sont les meilleurs capi-
taines de France; les grades de sa maison sont par-
tagez au prix qu'ont mérité ceux de la guerre ; telle-
ment afiFectionné par la noblesse qui le suit que, quand
ils ont mangé auprès de lui un tiers de leurs esqui-
pages, il ne leur promet qu'une bataille pour les faire
engager au reste. Toutes ses principales forces voyent
la mer occidentale de leurs fenestres ou les monts
Pirénées, et cette proximité redouble l'injure de Pam-
pelune*, si bien qu'outre les commoditez que le voi-
sinage apporte en telles similitudes de causes, et pour
la similitude en telle union, vous auriez de ce costé
des partisans, non seulement de la solde, mais aussi
de la passion. Pour le dernier poinct, le pont de la
réconciliation est rompu, non seulement pour les
outrages receus, mais pour ceux qui sont à recevoir.
Les cruautez espagnoles et la fumée de l'inquisition
ont tellement rempli les nazeaux de vos auxiliaires que
vostre cause seroit la leur, et qu'une fois employez ils
la relèveroyent quand vous la voudriez abandonner.
Voilà, sans exorde et sans fleurs de rhétorique, ce que
j*ai à vous proposer, et pource que je parle à vous
sans créance, revenant devers Loire, et ayant trouvé
fortuitement cette occasion, je suis entré vers vous
sous le nom de mon maistre. Il reste que je vous
fournisse à la fin de l'aveu, bien que coustumier
d'estre présenté au commencement. Pour ce faire, je
1. Allusion à la conquête de la Navarre espagnole par Fer-
dinand le Catholique en 1512, que les rois d'Espagne avaient tou-
jours refusé de rendre à la maison d'Albret.
166 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1581
m'en vai escrire au roi* mon maistre deux doigts de
papier. Quelque danger qu'il y ait pour lui, je le ferai
venir en poste vous trouver, en quelque lieu qu'il
vous plaise lui donner assignation 2. j>
Ce propos estant receu par le connestable avec
grands souspirs, par lesquels il se monstroit plus
engagé qu'il n'eust voulu sur le deslogement qu'il
devoit faire de Libourne à Coutras, le comte prit assi-
gnation dans la Garenne du lieu ; et le roi de Navarre,
ayant receu le billet de son escuyer par le Gast^, de ses
gardes, vint de Hyemau* prendre la poste à la Harie,
accompagné d'Odos^, gouverneur de Foix et de Fon-
tenac^, lui faisant le cuisinier; passa à travers la ville
de Bourdeaux''', où il estoit plus hay qu'en lieu de
1. Var. de l'édit. de 1618 : « ... escrire au roi de Navarre deux
doigts... »
2. D'Aubigné raconte dans ses Mémoires ses relations avec le
connétable de Portugal. Tandis qu'ils se promenaient sur le bord
de la Dordogne, aux environs de Coutras, le comte de Vimioso
exhala ses soupirs d'amour en un sizain latin que d'Aubigné tra-
duisit immédiatement en vers français. Voyez ces vers dans les
Mémoires, édit. Lalanne, p. 59.
3. Michel de Gast, d'une ancienne famille de Dauphiné, appelé
par le roi de Navarre Vami du bon garçon.
4. Hagetmau (Landes), principale résidence de la comtesse de
Gramont.
5. Jean-Claude de Lévis-Léran, s. d'Audou et de Belesta, chef
des réformés dans le comté de Foix, lieutenant général pour le
roi de Navarre en 1583, mort le H février 1598. M. le vicomte de
la Hitte (Lettres inédites de Henri IV à M. de Pailhès, in-8'', 1886)
a consacré plusieurs notes à la biographie de ce capitaine.
6. François de Buade, s. de Frontenac, écuyer ordinaire du
roi de Navarre.
7. Les Mémoires de Gauffreteau (t. I, p. 220) mentionnent le
passage du roi de Navarre à Bordeaux et donnent des détails qui
confirment le récit de d'Aubigné. Le court séjour de ce prince à
1581] UVRE DIXIÈME, CHAP. m. 167
France ^ Il advint qu'il fut recognu par le postillon
dans le bateau, mais, estant desjà auprès de la Bastille^ ;
et ainsi se trouva à l'assignation en la Garenne de Con-
tras, où celui qui l'avoit faict venir lui servit de tru-
chement avec le comte de Virmiose. Et là traictèrent
des moyens pour descoudre avec Monsieur et nouer
ensemble, le tout inutilement. Tout cela dict pour
ouverture aux affaires de Portugal, que nous dédui-
rons en leur lieu, et, en passant, pour tenir promesse
aux courtisans; car la roine de Navarre, le roi son
mari s'estant descouvert, ne faillit pas de faire une
invective contre les froids serviteurs, conter qu'elle
n'avoit rien oublié, pour esmouvoir ceux en qui il se
fioit le plus, à lui faire un bon service; mais, que
la terreur de Monsieur ou faute d'amour à leur maistre
les avoit retenus. Cela fut receu comme il faloit d'un
prince qui sçavoit autrement, et cognoissoit bien sa
femme et son escuyer.
Chapitre III.
Brouillerie de la cour^.
Guères ne demeura l'assemblée de Libourne à se
séparer*, pource que le connestable, estant pressé
Bordeaux est resté inconnu à l'auteur de l'itinéraire de ce prince
publié à la fin du t. II des Lettres de Henri IV.
1. Les villes de Bordeaux et surtout de Toulouse appartenaient
au parti catholique le plus déterminé.
2. La Bastide, faubourg de Bordeaux.
3. Le chap. m, dans l'édition de 1618, a pour titre : a Pre-
nùer emploi de la Ligue. >
4. D'Aubigné désigne sous ce nom les conférences que le roi
168 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1581
d'aller trouver Dom Antonio son roi^ au Sossinio^, en
Bretaigne, fit ses conclusions avec Monsieur, et se mit
à préparer les embarquements de tous les chefs que
nous avons nommez à Libourne, et que nous mettrons
en compte quand nous traicterons de l'Occident. Il
touche seulement de dire présentement que ce pauvre
roi fugitif se jetta entre les mains de la maison de
Rohan, et, n'ayant plus guères vaillant qu'une selle
de cheval couverte de pierreries, se faisoit servir à
genoux par ses gentilshommes et pareils en une misé-
rable condition. On le secouroit de la cour avec mes-
pris de sa misère et le respect de l'Espagnol ^ ; mais
la mère du roi, y prétendant et y employant son crédit,
vainquit le conseil et en tira les pièces que vous verrez.
Monsieur alla travailler à ses projects de Flandres^,
et le roi de Navarre en une assemblée générale, convo-
de Navarre eut avec le duc d'Anjou et les ambassadeurs du roi,
d'abord à Goutras, du 4 décembre 1580 au 9 janvier 1581, puis à
Cadillac, près de Libourne, du 24 janvier au 22 février 1581. Le
Béarnais séjourna encore à Cadillac du 5 au 16 mars (Itinéraire
de Henri IV). Le Journal de Syrueilh confirme à peu près ces
dates iArch. hist. de la Gironde, t. XIII).
1. Dom Antonio de Portugal débarqua en France le 6 octobre
1581 et trouva successivement un refuge à Rueil près de Paris, à
Auray en Bretagne, à Beauvoir en Poitou, toujours poursuivi,
disent les contemporains, par des assassins que Philippe II sou-
doyait pour se défaire de lui.
2. Sucinio, île sur les côtes de Bretagne.
3. La cour de France soutenait les prétentions de dom Antonio
au trône de Portugal pour faire échec à Philippe II, mais sans
grand empressement. On verra cependant plus loin que le roi de
France arma une expédition en sa faveur.
4. Le duc d'Anjou se mit en campagne dans le courant de
1581. Il arriva lui-même à la frontière le 15 août (De Thou,
liv. LXXIV).
1582] LIVRE DIXIÈME, CHAP. m. 169
quée à Montauban * . Là passa le duc d'Espernon ^, sous
couleur, comme nous avons dit, d'aller voir sa mère^,
visite qui hasta quelque peu les remuements desquels
nous avons à parler, pource que les liguez soupçon-
noyent l'intelligence entre ces deux rois qui devoit y
estre, et où, auparavant, ils avoyent creu une grande
dissention jusques à ce que fust arrivé ce que nous
allons desduire.
La roine de Navarre s'en estant retournée à la cour*
1. L'assemblée de Montauban fut convoquée au mois de mai
1581 et continuée à Saint- Jean-d'Angély en juin 1582. Le pro-
cès-verbal, arrêté à la suite de la délibération, est conservé en
copie du temps dans le vol. 29 des Vc de Colbert. Le volume 15871
du fonds français contient d'importantes pièces sur cette assem-
blée, notamment des remontrances de Bellièvre et une partie
de sa correspondance avec le roi et la reine à ce sujet. Henri III
s'efforça d'affaiblir par des déclarations ultérieures l'importance
de la réunion (Négoc. du Levant, t. IV, p. 32 et 45). Il semble y
avoir réussi, car l'assemblée de Montauban a laissé peu de traces
dans l'histoire du parti réformé.
2. D'Aubigné confond les phases, déjà fort obscures, des
négociations du roi de Navarre avec le duc d'Épernon. Le prince
eut plusieurs entrevues avec le favori de Henri HI en 1582 et en
1584. En 1582, le prince attend le duc à Pau le lundi qui suit le
3 juillet, c'est-à-dire le 9 juillet (lettre du 3 juillet dans les
Mémoires d'Antras, p. 181). Touchant les négociations de 1584,
voyez les notes du chap. rv.
3. Jeanne de Saint-Lary.
4. La reine de Navarre, satisfaite d'avoir obtenu de Henri III
l'autorisation de revenir à la cour (Mémoires, édit. de la Bibl.
elzév., p. 179), quitta la Gascogne pendant l'hiver. Le 3 mars 1582,
elle était encore avec le roi de Navarre à Saintes (Eschasseriaux,
Documents relatifs à l'histoire de Saintes, 1876, p. 334), le 14 mars
à Saint-Maixent. Ils ne se séparèrent que le l" avril 1582 à Mon-
treuil-Bonnin, près Poitiers (Journal de Michel Le Riche, 1846,
p. 364). C'est donc par erreur que presque tous les historiens ont
écrit que la reine de Navarre arriva le 8 mars 1582 à la cour.
170 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1583
avec la roine sa mère, il advint que cet esprit impa-
tient ne demeura guères sans offenser le roi son frère
et ses mignons*, et faire parti dans la cour avec ceux
qui diffamoyent ce prince, en lui imputant de très
sales voluptez, ausquelles mesmes il sembloit que les
dames eussent intérest*. Là-dessus, ceste princesse
receut quelques affronts, desquels le dernier fut que
Salern^, capitaine des gardes, la fit démasquer à la
porte Sai net- Jaques'*, comme elle partoit de Paris ^
1. Les trois mignons du roi à cette date étaient Joyeuse,
d'Épernon et d'O. Voyez le Journal de L'Estoile (juillet 1581).
2. La reine Marguerite haïssait autant le roi son frère qu'elle
aimait le duc d'Anjou. Les mœurs d'Henri ni devinrent pour
elle le sujet de continuelles épigrammes (Lettres de Henri IV, 1. 1,
p. 571, note).
3. D'Aubigné appelle Salem le capitaine qui poussa l'insulte
jusqu'à démasquer la reine Marguerite et les dames de sa suite
à son départ de Paris, mais tous les historiens désignent Nicolas
de Gremonville, s. de Larchant. Voyez notamment le Journal
de L'Estoile, sous la date du 8 août 1583, le mieux informé de
tous les chroniqueurs sur cet événement. D'après un historien
moderne, qui ne nous donne pas ses sources et a cru peut-être
pouvoir fondre le récit de L'Estoile avec celui de d'Aubigné, la
reine Marguerite fut la victime de deux perquisitions par ordre
du roi, l'une à la porte Saint-Jacques du fait du capitaine Salem,
l'autre près de Palaiseau du fait de Larchant.
4. Ce ne fut pas à la porte Saint-Jacques, mais entre Saint-
Clair et Palaiseau que le capitaine Larchant arrêta la reine de
Navarre et démasqua brutalement les dames de Duras et de
Béthune, ainsi que le reste de sa suite, pour s'assurer, au nom
du roi, que la belle Marguerite n'emmenait pas un de ses
amants avec elle. Voyez le récit de L'Estoile à la date du 8 août
1583. Marguerite fut conduite, moitié de gré, moitié de force, à
Montargis, où le roi lui fit subir un interrogatoire sévère sur sa
conduite passée. M. Lauzun a publié la lettre que l'infortunée
princesse écrivit à la reine mère après avoir subi ces cruelles
avanies {Lettres inédites de Marguerite de Valois, 1886, p. 33).
5. La reine Marguerite quitta la cour le 8 août 1583.
1583] LIVRE DIXIÈME, CHAP. III. 474
pour s'en retourner en Gascogne trouver le roi son
mari\ avec lequel pourtant elle estoit en très mauvais
mesnage.
Le roi de Navarre, prenant advis de son conseil en
cet affaire, trouva par consentement de tous qu'il
devoit s'en resentir, et, pour cet effect, envoyer som-
mer le roi de lui faire une justice notable avec une
clause qui sentist le deffi, ou au moins séparation
d'amitié en cas de refus. Tous conseillèrent cela, et
tous refusèrent l'exécution, horsmis Aubigné, qui,
après avoir remonstré comment il estoit accusé d'avoir
sauvé son maistre, et de quelques libres escrits et
propos offensants, et que ce qui seroit supportable
par un autre seroit mortel par sa bouche. Toutesfois,
voyant les passions de ce prince offensé, il s'aban-
donna à faire le voyage ; trouve le roi à Sainct-Ger-
main-, qui, ayant donné au messager toutes apparences
de terreur, l'ouyt haranguer sur les intérests que
portoyent les injures des princes, sur ce que cet acte
d'infamie avoit esté joué en la plus splendide compa-
gnie et sur l'eschafifaut plus relevé de la chrestienté.
Je n'ose estendre d'avantage ce propos, de crainte que
ce qui touche l'autheur ne se trouve trop souvent en
1. L'outrage que Marguerite reçut du roi fit un tel scandale
que le Béarnais refusa de la reprendre, malgré les ordres de
Henri m. Ce ne fut que le 17 mai 1584 qu'il alla la recevoir au
Port Sainte-Marie, et qu'il lui permit de revenir à Nérac. Michel
de la Huguerye fut témoin de la première entrevue du prince et
de la princesse, et l'a racontée en termes piquants {Mémoires,
t. n, p. 315 et 316).
2. La mission de d'Auhigné auprès de Henri EŒ fut suivie ou
peut-être précédée de celle de du Plessis-Mornay, qui partit de
Nérac le 17 août- 1583. A du Plessis succédèrent Pierre de
Malras, baron d'Yolet, et Guy du Faur, seigneur de Pibrac
{Lettres de H^nri IV, t. I, p. 572 et 573, note).
172 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1583
campagne. Tant y a que, non sur le refus de justice,
mais sur le délai qui sentoit le refus, le messager remit
entre les mains du roi l'honneur de son alliance et
celui de son amitié. La response du roi fut : « Retour-
nez trouver le roi vostre maistre, puisque vous osez
l'appeler ainsi, et lui dictes que, s'il prend ce chemin,
je lui mettrai un fardeau sur les espaules qui feroit
ployer celles du Grand Seigneur. Allez lui dire cela et
vous en allez; il lui faut de telles gens que vous.
— Ouy, Sire, dit le répliquant, il a esté nourri et
creu en honneur, sous le fardeau duquel vous le
menacez. En lui faisant justice , il hommagera sous
Vostre Majesté sa vie, ses biens et les personnes qui
lui sont acquises ; mais son honneur, il ne l'asservira
jamais ni à Vostre Majesté ni à un prince vivant tant
qu'il aura un pied d'espée dans le poing. » Le^ roi, à
ces paroles, mit la main sur un poignard qu'il avoit
au costé et puis s'esloigna vers les deux frères ~ de la
Valette, qui en avoient autant. Et ainsi sortit du cabinet.
La roine mère, qui mon toit en carrosse pour aller
trouver Monsieur, redescend pour parler à l'homme
de son gendre, à qui elle dit qu'on feroit mourir de
ces cocquins et maraux qui avoyent offensé sa fille.
L'autre respondit qu'on ne sacrifioit point de pour-
ceaux et de sang vil à Diane et qu'il faloit des testes
plus nobles pour expiation. Il y eut quelques autres
traits qui plairoyent à quelque lecteur favorable^,
1. La fin de l'alinéa manque à l'édition de 1618.
2. Le duc d'Épernon n'avait qu'un frère, qui s'appelait Ber-
nard de Nogaret, s. de la Valette, né en 1553, chevalier des
ordres du roi, amiral de France, tué au siège de Roquebrune
(Provence) le 11 février 1597.
3. D'Aubigné fait peut-être allusion au bon mot du roi de
1583] LIVRE DIXIÈME, CHAP. IV. 173
mais les raisons alléguées ci-dessus les feront suppri-
mer pour dire seulement que le roi, voulant punir
ceste témérité, comme il appelloit, ne voulut pas que
ce fust par voye ouverte, mais envoya Sacremore^ et
un des Biragues avec quelques gens d'armes de la
compagnie du duc de Savoye pour guetter le courrier.
Grillon- et Antraguet^ lui^ prestèrent de si bons che-
vaux que sur eux il gagna Loyre et de là le Poictou.
Chapitre IV ^.
Premier emploi de la Ligue.
Desjà les affaires de la Tercière^ estoyent ruinées,
Navarre cité par le Journal de L'Estoile, sous la date du 8 août
1583 : 0 Le roy me fait beaucoup d'honneur dans ses lettres. Par
les premières il m'appelle cocu et par ses dernières fils de p...
Je l'en remercie » (L'Estoile, édit. Ghampollion, p. 164).
1. Charles de Birague, dit le capitaine Sacremore, était un
bâtard du chanceUer de Birague. Sacremore eut une fin roma-
nesque. Il séduisit M"« de Villars, fille aînée de la duchesse de
Mayenne, et demanda, vers la fin de 1587, la main de la jeune
fille au duc. Mayenne, exaspéré de l'outrecuidance d'un simple
soldat de fortune, le tua de sa propre main (Lettre du duc de
Guise à la duchesse de Montpensier, du 15 décembre 1587;
Arch. nat., K. 1565, n» 135). Voyez aussi le Journal de L'Estoile
à la date du 30 décembre 1587.
2. Louis de Berton de Balbes de Grillon.
3. Charles de Balsac d'Entragues, dit Entraguet, favori de la
maison de Guise.
4. Var. de l'édit. de 1618 : « ... Antraguet l'assistèrent si bien
en ce péril qu'ils lui firent gagner Loire. Desjà les affaires... »
5. Les chapitres m et rv ne sont point divisés dans rédition
de 1618.
6. La Tercère est une île du groupe des Açores qui apparte-
nait aux Portugais. Elle joua un rôle considérable dans la défense
du Portugal contre le roi d'Espagne. Voyez le chapitre xxu de ce
livre. La Tercère fut prise par les Espagnols le 29 juillet 1583.
174 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1584
comme nous dirons en leur lieu. Le roi d'Espagne,
offensé de nouveau, reschaufFa ses amis, et, par telles
sollicitations*, les premières semées de la Ligue, qui
n'avoyent que pris racine sans pousser dehors, com-
mencèrent à boutonner et bien tost après à esclorre.
Les conjurez, soupçonnans leur cunctation sur ce rap-
poinctement, présupposé faict par le duc d'Épernon ^,
commencèrent à faire entrer en scène Charles, cardi-
nal de Bourbon^, le font chef de la Ligue* en appa-
1. Traité de Joinville, signé entre le roi d'Espagne et la Ligue,
publié, sous la date du 31 décembre 1584, dans Dumont, Corps
diplomatique, t. V, p. 441.
2. Ce fut lorsque l'état du duc d'Anjou parut désespéré que
devinrent sérieuses les négociations du duc d'Épernon avec le
roi de Navarre. Le 15 mai 1584, le favori de Henri III quitta la
cour pour se rendre en Béarn (Lettres de Henri IV, t. I, p. 672,
note). L'ambassadeur d'Espagne, Jean - Baptiste de Taxis, écrit
à Philippe II que le roi de France comptait donner un grand
éclat à cette mission (Lettre du 15 mai 1584; Arch. nat., K. 1563,
no 15). La visite officielle du duc d'Épernon au prince eut lieu
vers le 9 juillet {Lettres de Henri IV, t. I, p. 672). Gâches, dans
ses Mémoires, en donne un récit assez curieux (p. 296). Les
conférences, tenues ordinairement en présence des s. de Roque-
laure, du Ferrier et Marmet, sont racontées avec le plus grand
détail dans une pièce du temps attribuée à du Ferrier, et intitu-
lée : Double d'une lettre envoiée à un certain personnage conte-
nant le discours de ce qui se passa au cabinet du roy de Navarre,
et en sa présence, lorsque M. le duc d'Épernon fut vers luy en l'an
1584. Francfort, in-8'>, 1885. Cette pièce a été réimprimée dans
le tome III des Mémoires de Villeroy, 1725, petit in-12, p. 1 et
suiv. La visite officielle du 9 juillet avait été précédée et fut
suivie de plusieurs visites secrètes en juin, juillet et août. Voyez
une note contenue dans Lettres inédites de He7iri IV au s. de
Pailhès, in-8°, 1886, p. 85.
3. Charles, card. de Bourbon, fils de Charles de Bourbon,
comte de Vendôme, né le 22 décembre 1520, cardinal en 1548,
mort le 9 mai 1590.
4. Le cardinal de Bourbon, frère cadet de Antoine de Bour-
bon, était en effet plus proche d'un degré que le roi de Navarre ;
1584] LIVRE DIXIÈME, CHAP. IV. 175
rence, avec mesme authorité qu'en peut avoir un
Eletto^ entre les mutinez.
Or, pource que cestui-ci estoit oncle paternel du roi
de Navarre, voilà force livres despeschez- pour le
maintenir le plus proche héritier et le plus habile à
succéder. Les libraires furent bien tost chargez de
traictez sur les droicts de proximité et de représenta-
tion. Ceux qui m'ont desjà leu ne s'attendront pas
que j'enfle mon livre de ces plaidoyers et labeurs
d'autrui^. Je me contente d'alléguer la succession ordi-
naire, qui tient lieu de loi en France. Je ne suis apo-
logue d'aucun des partis et vous r'envoye à leurs
escrits. Le succès fera paroistre pour qui le ciel a
prononcé ; comme il arrive peu souvent que l'injustice
ait les meilleures espées de son costé, pour ce que
c'est la conscience qui esmeut la noblesse et la porte
mais il n'était que collatéral. Un jour, dit L'Estoile, après la
mort du duc d'Anjou, il eut la naïveté d'exposer ses droits au
roi, qui se moqua de lui. Voyez le Journal de L'Estoile à la date
du l"' septembre 1584.
1. Eletto, élu.
2. D'Aubigné fait allusion ici aux nombreux pamphlets qui
furent publiés au commencement de la Ligue. Ces pamphlets
sont énumérés par le père Lelong (t. II, n<> 18466 et suiv.). Plu-
sieurs ont été réimprimés dans le tome I»"" des Mémoires de la
Ligue, p. 56, 79, 103, 107 et 111, et dans les Archives curieuses de
Gimber et Danjou, t. XI, f. 21 et suiv. Le plus connu, le plus
important est une dissertation aux formes juridiques, intitulée
Les droits de l'oncle contre le neveu en faveur du cardinal de Bour-
bon, 1585, in-8°. Ce pamphlet, attribué par les uns à Antoine
Hotman, par les autres à un docteur italien de la Ligue, Mathieu
Gampini de Recanati (De Thou, liv. LXXXI), fut l'objet d'une
réfutation par François Hotman : Disputatio de controversia suc-
cessionis régis inter patruum et fratris prxmortui filium, 1585,
qui fut plus tard traduite en français. On en trouve un exem-
plaire dans le f. fr., vol. 15591, pièce 6.
176 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1584
aux extraordinaires despenses, labeurs et hazards.
Nonobstant, ce vieil cardinal, aagé de soixante et
quinze ans*, donne des commissions de cavallerie et
d'infanterie, faict un manifeste^, par lequel, après
avoir remonstré qu'es négociations, premièrement de
Ségur-Pardaillan, et depuis du vicomte de Turenne^
en Angleterre et en Allemagne*, il s'estoit faict une
ligue offensive et deffensive entre les princes et villes
refFormez et les protestants ; que ceste ligue devoit
esclorre bientost plusieurs armées à la ruine des
katholiques et à celle de l'Estat et peuple françois. Il
allègue aussi par le mesme que les villes de seureté
n'ont point esté rendues au terme préfix, et puis par
occasion il s'estend à déduire la pillerie et désordre
qui se faict des biens et honneurs de France, par les
1 . D'Aubigné se trompe. Le cardinal de Bourbon, né le 22 dé-
cembre 1520, n'avait alors que soixante-cinq ans.
2. Le manifeste du cardinal de Bourbon porte la date du
31 mars 1585, et non pas du l»' avril. Il a pour titre : Déclaration
dît cardinal de Bourbon sur les causes qui l'ont meu, et les autres
princes, de s'opposer à ceux qui s'efforcent de subvertir la religion
catholique en tout l'état, avec la liste des noms des chefs de la Ligue.
Publié d'abord en pièce volante, ce manifeste a été reproduit
plus tard dans les Mémoires de Nevers, t. I, partie II, p. 641 ;
dans les Mémoires de la Ligue, t. I, p. 56, et enfin, de nos jours,
dans les Archives curieuses de Gimber et Danjou, t. XI, f. 7.
3. La mission de Turenne en Angleterre et en Allemagne est
au moins douteuse, malgré l'autorité de d'Aubigné. En effet,
Turenne n'en parle pas dans ses Mémoires, et le roi de Navarre
n'y fait aucune allusion dans ses lettres.
4. La mission de Ségur en Allemagne et en Angleterre ne
précéda pas, mais suivit de près le manifeste du cardinal de
Bourbon. Les Lettres de Henri IV (t. Il et t. VIII), les Mémoires
et correspondance de du Plessis-Mornay (t. III, p. 30 et suiv.), les
Mémoires de la Ligue (t. I) sont remplis des négociations du Béar-
nais à cette date. L'instruction du roi de Navarre à Ségur est
datée du 8 mai 1585 et fournit la date de sa mission.
4 584] LrVRE DIXIÈME, CHAP. IV. 177
mignons du roi, par le moyen desquels les princes et
officiers sont frustrez de leurs fonctions ; à quoi il pro-
teste vouloir apporter remèdes et chastiments, décla-
rant pour conclusion que tant lui que les princes asso-
ciez s'unissent et assemblent, assistez de suffisantes
forces avec lesquelles ils employeront leurs vies, sans
se séparer jusques à la perfection de leur dessein.
Par ainsi promettent et jurent devant Dieu de
remettre sa vraye et apostolique Église en son ancienne
dignité, sous l'entier exercice d'une seule religion en
tout le royaume ;
Rendre à la noblesse son honneur et sa franchise ;
Soulager le peuple de toutes les impositions inven-
tées depuis le règne de Charles IX et n'employer les
deniers qui seront levez sur icelui que pour le service
du roi et du royaume;
Faire que désormais les Estats généraux seront tenuz
de trois ans en trois ans selon leur forme ancienne ;
Faire envers le roi qu'il pourvoye aux différends de
la succession, mettant ordre que son royaume ne soit
divisé en autant de factions qu'il y a de prétentions ;
Faire chasser de la cour ceux qui ont par trop abusé
de la faveur et authorité du prince ;
Aviser à bon escient à la conservation de leurs per-
sonnes contre les calamitez privées et publiques, pro-
testans de n'entreprendre rien contre le service du roi ;
Ne poser les armes que leur proposition ne soit du
tout exécutée et que Sa Majesté n'aye faict cesser le
péril pour lequel éviter ils se sont armez ;
Enfin, que leurs gens de guerre vivront de police
et en payant^.
1 . Cette analyse du manifeste du cardinal de Bourbon est exacte.
VI 42
t7ê HISTOIRE UNIVERSELLE. [1584
Chapitre V.
De deux périls qu'eschappa le roi de Navarre.
Deux notables dangers que le roi de Navarre
eschappa en cet entre-deux de paix se tindrent com-
pagnie, bien qu'un peu différents de saison. Le pre-
mier fut après l'embuscade de Marmande*, sur le
desmeslement de laquelle ce prince, ayant advis que
Melon ^ lui amenoit des forces, il lui fit donner logis
à Gontaud ^ et promit tout haut qu'il l'iroit voir le len-
demain au galop sur ses bidets, desquels il avoit une
petite escurie pour ses diligences. Il partit donc, avant
soleil levé, accompagné d'Arambure '*, Frontenac et
d'un autre escuyer. A moitié chemin de Gontaud, il
rencontre un gentilhomme d'auprès de Bourdeaux,
nonmfié Gavaret^, seul et sur un cheval, à la veue
duquel il présupposa estre celui dont il avoit eu
advertissement ; car on lui avoit escript d'un cheval
achepté six cents escus, donné à un assassin. Sur cette
opinion, les trois se serrent auprès de lui. Il demande
1. Ce combat eut lieu en 1580. D'Aubigné en a parlé précé-
demment, d'après les OEconomies royales de Sully, liv. I, cb. xii.
2. André de Meslon, conseiller du roi de Navarre, maître des
requêtes de son hôtel et gouverneur de la ville de Monségur,
suivant quittance du 21 septembre 1583, souvent nommé dans
les Lettres de Henri IV.
3. Gontaud (Lot-et-Garonne).
4. Jean d'Harambure, capitaine huguenot et fidèle serviteur
du roi de Navarre.
5. Gavaret ou Gabarret, seigneur de Saint-Léon, d'une famille
du Lauraguais, est plusieurs fois cité dans les Lettres de Henri IV.
Le Journal de Syrueilh, sous la date du 22 août 1580, raconte la
trahison dont Gabarret se rendit coupable vis-à-vis du capitaine
Melon {Arch. hist. de la Gironde, t. XIII).
1584] LIVRE DIXIÈME, CHAP. V. 179
avec une chère gaye si le cheval estoit fort bon. Sur
la response qu'oui, il se présenta à le taster. Gavaret
devint pasle et pensif, mais, comme il se vid serré, il
accorde le cheval à ce prince, qui, estant monté,
regarda au pistolet, qu'il trouve le chien abbatu. Il
l'envoyé en l'air et, sans descendre, va au galop à Goo-
taud, où il rend le cheval* et commande à Melon qu'il
se deffist du compagnon, comme il fit le plus honnes-
tement qu'il put. Cet homme, estant de retour vers
ceux qui l'avoyent employé, délibéra de retourner à
la religion romaine-, et^ comme né et nourri en elle,
et, selon ce qu'il avoit promis, avec des marques que
vous trouverez assés hors du naturel.
Ce jeune homme, ayant esté, dès la sortie de son
enfance, taché de plusieurs sortes de vices, et par là
encouru la malegrâce de son père, eut son recours à
un voisin, son parent, de la religion refformée, nommé'*
du Puy, seigneur de Beigne-^. Gettui-là lui administra
vivres, vestements, chevaux et armes par l'espace
1. Cette anecdote a été plusieurs fois prêtée au roi de Navarre.
Dans un récit du temps (f. fr., \ol. 4744, f. 45), le capitaine Gava-
ret est remplacé par le capitaine Manau, ancien serviteur du
prince d'Orange.
2. Cette première tentative d'assassinat dirigée contre le roi de
Navarre ayant été manquée, Gavaret passa ouvertement du parti
de la réforme dans le parti catholique. Le but de sa conversion
était une seconde tentative d'assassinat du Béarnais {Lettres de
Henri IV, t. I, p. 453, note).
3. Ce petit membre de phrase jusqu'à el selon ce... manque à
l'édition de 1618.
4. Var. de l'édit. de 1618 : « ... nommé à mon advis Semans,
et si je me trompe au nom je le remplacerai, Dieu aidant, avec
quelque autre qui manque à la seconde édition. Cestui-là... »
5. Du Puy, seigneur du Beiquet, de la famille de la Forestie
(Limousin).
480 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1584
d'environ trois ans. Aux guerres de l'an mil cinq cents
huictante, lesdits Beigne et Gavaret furent envoyez à
l'entreprise de Montaigu, en laquelle Gachon, qui en
estoit chef, fut tué; et Melon ^, estant demeuré le chef
et gouverneur, puis après Beigne, fit que Gavaret eut
un entretien en la garnison. Et, de là à quelque temps
encores, le lieutenant de Melon voulant faire une com-
pagnie à part, sa place fut promise à Gavaret. Mais,
le roi de Navarre lui ayant tenu le langage que nous
vous avons dict, le lieutenant fut retenu pour esloi-
gner cettui-ci, qui dès lors fit plusieurs desseins pour
se venger de Melon, notamment par quelques fausses
entreprises : premièrement sur Blaye, et puis sur le
Chasteau-Trompette^ et enfin sur Sainct-Macari^.
Le père de Gavaret estant mort et lui demeurant au
chasteau de Semans*, Melon et la pluspart de sa com-
pagnie furent invitez avec une grande espérance de
bonne chère; et, le premier jour d'aoust, Melon et ses
compagnons s'y rendirent, en nombre de vingt-six, la
pluspart chevaliers.
Après plusieurs caresses reçeues à l'arrivée, le disner
estant mis sur table et eux assis, quelcun, s'estant avisé
qu'il n'y avoit pas un Cousteau, se mit à en demander.
Sur ce point sortit le capitaine L'Estaire, qui se jetta
en foule dans la sale avec cinquante-huict hommes
armez, qui, bien à leur aise, prirent tous les maistres
prisonniers, et puis, ayans séparé les valets et quelques
pauvres soldats qui ne pouvoyent payer rançon, les
1. L'entreprise du capitaine Melon sur Monségur est racontée
par Sully (OEconomies royales, liv. I, chap. xiu).
2. Château-Trompette, fort de la ville de Bordeaux.
3. Saint-Macaire (Gironde).
4. Génac (Gironde), près Bordeaux.
1584] LIVRE DIXIÈME, CHAP. V. 181
menèrent tous poignarder à la sortie de l'estable, le
reste bien enserré et emprisonné. Sur l'heure, Gava-
ret escript à Beigne, commençant la lettre par : « Mon
père, » contraignit Melon, la dague à la gorge, d'escrire
aussi pour le faire venir, accompagné du capitaine
d'Auché et trois autres, et encores un jeune homme,
nommé Baptiste de Bot, qui chantoit excellemment et
n'abandonnoit guères Beigne, ayant grande familiarité
avec Gavaret.
A l'entrée de la porte, toute cette troupe est poi-
gnardée, horsmis Beigne et de Bot. Gavaret montre à
Beigne le premier monceau des tués; sqr quoi, le vieil-
lard ayant faict des exclamations pleines d'horreur,
Gavaret promet lui sauver la vie s'il vouloit dire que
l'acte ne fust une vangeance et un brave traict. Mais,
l'autre persistant en ses détestations , désirant et
demandant la mort pour ne vivre plus en un siècle
qui produisist des monstres tant prodigieux, Beigne
est lié, garrotté et gardé au lendemain ; qu'après-dis-
Der il fit venir Bot en la présence de ce père et lui
dict : « Mon frère, je te prie, donne-moi un air des
plus tristes et des plus beaux que tu saches? > Le
jeune garçon, à qui la peur avoit osté l'usage du
chant, pensa ainsi : « On m'a gardé après les autres,
c'est quelque apparence que ce tygre se pourra esmou-
voir. » Il se força donc pour charmer ce brutal, et
ceux qui estoyent présents ont dict n'avoir jamais rien
ouy tel. A la fin du chant, le cruel, ayant dict : « Il
n'y a que Gavaret qui puisse achever cette tragédie, »
poignarda le jeune homme aux pieds de son père* et
1. La fin de l'alinéa et l'alinéa suivant manquent à l'édition
de 4618.
182 fflSTOIRE UNIVERSELLE. [1584
puis donna quatre coups de poignard dans l'estomach
de Semas*. Et, pour monstrer qu'il n'estoit point
poussé de la vengeance contre Melon, il lui sauva la
vie, et à ceux qui comme lui peurent payer une grosse
rançon.
On m'a promis l'estrange mort de Gavaret, mais,
ne l'ayant point encor receue, je ne la puis donner à
mon lecteur.
Tous ceux qui ont au pays voulu esplucher un acte
si estrange ont appris que cestui-ci avoit promis à un
Jésuite, sien confesseur, de se déclarer bon catholique
avec telles marques que l'on n'en doubteroit jamais,
ce qui estoit interprété pour l'entreprise sur le roi de
Navarre ; on dit aussi que le desplaisir de l'avoir failli
l'a voit poussé à ceste énorme résolution ^.
L'autre péril fut quelques mois après. Si le discours
en est estendu, il est inutile à la garde des rois. Grand-
mont^, avant qu'aller au siège de la Fère, avoit machiné
une entreprise sur Sainct-Sébastien et tasché à subor-
ner quelques soldats de Font-Arabie*; et cela, comme
on disoit, pour se réconcilier avec le roi de Navarre.
Ces choses estans es ventées, on se servit de la voye
frayée entre les deux nations pour faire couler un
capitaine espagnol, nommé Loto, jusques à Nérac.
1. D'Aubigné l'a appelé plus haut du Puy, s. de Beigne; mais
il était seigneur du château que d'Aubigné nomme Semans
(Senac, Gironde).
2. Var. de l'édit. de 1618 : « ... résolution. Sa misérable mort
sera pour une autre fois, tant à cause de quelque espace de
temps que pour n'en savoir pas encore les particularitez. L'autre
péril... »
3. PhiUbert de Gramont, comte de Guiche.
4. Saint- Sébastien et Fontarabie, villes espagnoles près de la
frontière de France.
4584] LIVRE DIXIÈME, CHAP. V. 183
Là, il s'adressa un soir à Aubigné, auquel, ayant
demandé de parler en secret, il commença par une
harangue de compliments sur sa réputation, services
notables, expérience en choses difficiles, grand cré-
dit et quelque puissance sur son maitre, que toutes
ces choses l'avoyent faict adresser à lui pour lui com-
mettre un des plus importants affaires de l'Europe ;
c'estoit enfin la prise de Font- Arabie ^ Et, pource que
les moyens en estoyent fort estranges, j'ai pensé les
devoir exposer pour faire voir à quelle dureté les
cœurs estoyent lors parvenus. Loto disoit donc ainsi
en mauvais homme et mauvais François : « Nous
avons, dans le chasteau de Font- Arabie, quarante
mortes-payes, et non plus, desquels, avec le consen-
tement de mon frère, qui y commande, je tire souvent
jusques à vingt-cinq des meilleurs et n'y en laisse que
quinze pour aller escumer dans la rivière de Bour-
deaux, où nous avons faict d'assez bons butins, soit
sur l'eau, soit en descendant à terre, selon les intelli-
gences que nous avons avec un capitaine de Brouage
et un gentilhomme d'auprès de Talmont^. Et, d'ail-
leurs, pource que nous ne sommes pas chiches de
faire périr les bateaux et les personnes, nous n'avons
esté aucunement descouverts. Or, croyant que le roi,
vostre maistre, n'a rien plus à cœur que de donner
Font-Arabie pour frontière à ses terres, je me suis
advisé de lui en faire un présent, moyennant une
bonne récompense, de laquelle je demande vostre foi
pour pleige, ayant appris que vous l'observez de
1. Il faut placer le récit de ce fait avant le 7 juillet 1580,
date de l'investissement de la Fère.
2. Brouage (Charente-Inférieure). — Talmont-sur-Gironde.
184 fflSTOIRE UNIVERSELLE. [1584
poinct en poinct. La manière de parvenir à fin d'un
tel affaire est que vous fassiez cacher en la maison
du gentilhomme voisin de Talmont-sur-Gironde, que
je vous nommerai quand il sera temps, quelques gens
de guerre, et parmi ceux-là vingt-cinq ou trente
hommes déterminez. Mes gens s'attendront que je
vueille faire là ma descente comme j'ai accoustumé.
Je les vous mènerai là quatre à quatre, car nous fai-
sons ainsi pour nous embusquer, et nous les poignar-
derons au prix qu'ils arriveront. Cela faict, nous
embarquerons nostre troupe dans la patache pour
nous en venir terrir auprès de Bierris, et de là des-
cendre en une conche auprès d'Andaye* sur la soirée,
pour arriver à la poterne aux heures dictes. Nous
avons un mot pour la faire ouvrir et ainsi nous rendre
maistres de tout le chasteau, où il faudra tout tuer,
et surtout mon frère, car, s'il gaignoit avec quelque
soldat un coin de tour, il seroit secouru et nous per-
dus. »
Tels propos et l'efiFroyable mine de l'Espagnol, qui
avoit l'œil louche, le nez troussé, les naseaux ouverts
et le front enflé en rond donnèrent mauvais goust à
l'auditeur. Nonobstant, il ne laissa pas de l'envoyer
loger au petit Nérac chez un homme confident, puis
s'en alla trouver le roi son maistre, lui disant : « Sire,
voici un abrégé de nos peines (pource qu'il venoit de
nouveau de Sainct-Sébastien, sur les erres de l'entre-
prise de Grammont), pourveu qu'il plaise à Vostre
Majesté ouyr un homme qui m'est venu trouver avec
les cautions que Frontenac, à qui je le communique-
i . Biarritz et Hendaye (Basses-Pyrénées), arrondissement de
Bayonne.
1584] UVRE DIXIÈME, CHAP. V. 185
rai, et moi vous apporterons; car, s'il y eut jamais
un assassin, c'est celui qui se présente, considéré en
toutes ses parties. Si cela n'est pas, l'affaire est hor-
rible entre vos ennemis et avantageuse à vous et aux
vostres. »
Là-dessus, il lui conta le brutal dessein, comme nous
vous l'avons déduit. Mais il y eut bien de la cholère
entre le maistre et les deux escuyers quand ils opi-
niastrèrent contre lui qu'il ne verroit point l'Espagnol,
si ce n'estoit à leur mode, c'est qu'on faisoit porter
les affaires dans une petite allée desrobée dans l'es-
pesseur de la muraille de la tour du chasteau qui tou-
choit à la chambre du roi ; cette allée si estroicte qu'il
n'y pouvoit passer qu'un homme à la fois. Les escuyers
avec chacun un poignard au poing faisoyent parler le
galand par dessus leurs Jambes appuyées à la muraille
de l'autre costé, et eux deux à bechevet*. Encores
contraignirent-ils leur maistre d'avoir une espée courte
à la main, ayant vestu un pourpoint maillé. Ainsi fut
le premier abouchement, duquel ce prince n'estant
pas content, il falut qu'il vist son homme le lendemain
en la plaine de Nazaret^, lui bien monté, l'autre sur
un bidet, l'espée au costé, mais tousjours parlant par
dessus les crinières de deux bons courtaux qu'avoyent
entre les jambes les compagnons. Ce roi entra en
grande impatience de la curatelle, comme il disoit,
où ses gens le tenoyent. Et de quoi, sans Frontenac,
l'autre escuyer vouloit faire emprisonner et gehenner
l'Espagnol; dont, pour manier cette affaire plus à plai-
sir, on donna à Aubigné un voyage pour conduire un
1 . Bechevet, tête-bèche, pieds contre tête ou réciproquement.
2. Nazareth, sur la Losse (Lot<-et*6aronne).
186 raSTOIRE UNIVERSELLE. [1584
dessein sur Brouage. Et voici ce qui advint en son
absence.
Par l'entreprise de deffunct^ Gramont, il y avoit
quelques soldats corrompus à Sai net- Sébastien et à
Font-Arabie. Ceux-là trouvans à dire Loro, et ayans
ouï dire à un confesseur qu'il lui tardoit bien qu'il
n'en sçavoit des nouvelles, envoyèrent un advertisse-
ment, dans lequel, en despeignant cet homme, ils l'ap-
peloyent, et non sans raison, demi-géant. Dès que ce
rustre fut prisonnier, contre la volonté du roi de
Navarre, il ne fit plus que hurler, grincer les dents et
cercher diverses inventions pour se faire mourir. Or,
pource que c'estoit un estranger, emprunté par les
menées de quelque prince françois, desquels l'hon-
neur estoit à conserver, ou bien avec lequel il n'estoit
pas temps de rompre, mais faloit cacher l'injure pour
ne faire pas à contre-temps les choses ausquelles elle
obligeoit en paroissant, on fut d'advis, pour parfaire
ce procès, de l'esloigner à Castel- Jaloux. Il arriva
qu'en passant sur le pont de Barbaste^ le désespéré
se jetta la teste en bas dans la rivière, précipice
effroyable à ceux qui le regarderont, et tomba entre
deux rochers, où, par grand hazard, il se trouva de
l'eau assés pour soustenir ce collosse et le garder
d'estre brizé, n'y ayant guères d'endroict qui eust
peu le garentir que cettui-là. On court de tous costez
pour le reprendre ; à quoi il y eut bien de la peine,
1. Philibert de Gramont eut un bras emporté d'un coup de
canon, au siège de la Fère, à la fin de juillet 1580. Il mourut de
sa blessure dans les premiers jours d'août.
2. Barbaste (Lot-et-Garonne), au confluent de la Baïse et de
la Losse, était un grand moulin à eau, qui appartenait au roi de
Navarre.
I
4584] LIVRE DIXIÈME, CHAP. VI. 187
pource qu'il cerchoit tousjours le fonds de l'eau, plon-
geant opiniastrement la teste en bas pour se noyer. Il
fut donc mené à Gastel-Jaloux, et, ayant tout confessé,
exécuté en la, prison; son procès esteinct avec lui. De
tant d'accidents, où il a paru au roi de Navarre que
valent les serviteurs amis, il a esté bon que cet exemple
se soit veu. A la lecture duquel plusieurs bons Fran-
çois accompagneront d'un souspir ces paroles : < Ah!
que ce prince n'a-t-il tousjours esté en aussi fidelles
mains! »
Chapitre VI^
Prise du Mont-de-Marsan; mort de Monsieur
et de Bussy.
Pource que nous avons parlé ci-dessus du Mont-de-
Marsan, il faut dire comme peu de temps auparavant
ce prince l'avoit mis entre ses mains ^; le roi lui ayant
tesmoigné, par le duc d'Épernon et autres, qu'il n'au-
roit point à contre-cœur l'affermissement de son beau-
frère et les choses qu'il pourroit oster du chemin de
la Ligue en s'en accommodant.
Les refformez eurent advis, ou se persuadèrent, que
l'évesque de Comminges^, bastard de Lansac, avoit
1. Les chapitres v et vi ne sont point divisés dans l'édition
de 1618.
2. La ville de Mont - de - Marsan , qui appartenait au roi de
Navarre, avait été prise par Poyanne, capitaine catholique, le
18 septembre 1580. On va voir comment elle fut reprise par le
roi de Navarre.
3. Urbain de Saint-Gelais , évêque de Gonuninges, de 1580
à 1613.
f88 fflSTOiRE UNIVERSELLE. [1584
entrepris sur quelques places d'Armagnac, et mesme
devoit faire sa teste du bailliage de Marsan en se ren-
dant maistre du lieu, et cela avec l'intelligence de
Pouyane^. Le roi de Navarre délibéra de primer et se
servir en cela de deux de la ville, qui portoyent le
nom de Campet^, à lui présentez par le baron de Cas-
telnau^. Ce prince donc vint coucher à Sainct-Justin*,
ayant poussé devant ses gardes et quelques gentils-
hommes de sa suitte.
Le Mont-de-Marsan est basti à la rencontre de deux
rivières qui lui servent de fossé, horsmis par la teste
du chasteau. Or, pource que ses rivières sont pro-
fondes, les murailles de ce costé-là ne sont que de
quinze pieds ; c'est pourquoi la délibération fut de
faire descendre un bateau le long de la Douce ^; ce
bateau d'un arbre creusé, pource que cette rivière
n'en a point d'autres ; soit dict en passant que le
bateau se coulast aux pieds de la tour du chasteau en
une nuict fort noire. La sentinelle cracha sur le visage
de celui qui le menoit. Là-dedans passèrent soixante
1. Bertrand de Baylens, seigneur de Poyanne, gouverneur de
Dax, capitaine catholique, plusieurs fois cité dans les Lettres de
Henri IV. M. l'abbé de Garsalade du Pont a publié sur ce capi-
taine une savante étude (Revue de Gascogne, 1869).
2. Gaston du Lion, baron du Gampet.
3. Le baron de Gastelnau de Ghalosse, gentilhomme protes-
tant, cité dans les Lettres de Henri IV, plus tard sénéchal du
Béarn, n'appartenait pas à la maison de Gastelnau -Mauvissière
(Ibid,, t. I, p. 274). D est marqué, dans un état de la maison du,
roi de Navarre, daté de janvier 1585, comme chambellan de ce
prince (Mémoires et correspondance de du Plessis~Mornay, édit.
Auguis, t. m, p. 237).
4. Saint-Justin (Landes), sur la Douze.
5. La rivière de la Douze prend sa source dans le Gers.
1584] LIVRE DIXIÈME, CHAP. VI. 189
hommes, quatre à quatre, couchez de leur long les
uns sur les autres ; ce vaisseau, horsrais la première
fois, tiré et retiré avec de la mèche. Sur la fin du pas-
sage des soixante, le jour se lève et descouvrit à ceux
qui estoyent passez un si gros et si espais amas de
ronces que pas un d'eux n'espéra pouvoir aller à la
muraille. Leur estonnement estant communiqué à ceux
qui devoyent s'embarquer, nul ne voulut plus aug-
menter la troupe misérable. Ceux qui sçavoyent nager
se despouillent pour repasser. Tout cela à la veue et
à quatre-vingt pas d'un grand portail où on plantoit
un corps de garde. Il avoit passé des premiers un des
entrepreneurs que nous avons nommez, qui estoit pro-
cureur, et avoit fortuitement porté une grand'dague.
Gettui-ci, voyant qu'il ne pouvoit attendre d'une pri-
son que la corde, empesche de se jetter en l'eau ceux
qui s'y préparoyent, se jette dans les ronces, fait un
commencement de passage avec sa dague, employé
les mains et les dents à arracher, et en avoit passé la
moitié avant qu'aucun print courage de lui aider.
Il estoit près de soleil levant que le silence de
dedans faisoit croire à tous les entrepreneurs qu'on
les attendoit sur le ventre. Enfin, ce pauvre procureur,
n'en pouvant plus, tourna les dents et les mains san-
glantes vers ses compagnons, leur disant : « Vaut-il
pas mieux aller mourir là- dedans? » Sur quoi, un
soldat des gardes tira son espée pour combattre les
ronces. Comme la troupe vid que les deux tiers
estoyent passez, ils s'y jettent tous. Il arrive la plus
furieuse et espesse pluye qui se soit jamais remarquée.
Voilà le pied de la muraille gaigné, deux eschelles
mises, la muraille passée. Le procureur crie qu'on
490 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1584
n'oubliast pas quelques haches qui estoyent là. Ils se
trouvent tous enfermez dans un jardin, ils brisent les
portes avec beaucoup de bruit, ils arrivent dans la
grand'rue, chamaillent les portes de la ville. La pluye
s'arreste et le soleil se lève sur leur besongne. Enfin,
sans qu'il se tirast une arquebuzade, ils ouvrent toutes
les portes et donnent entrée^ au roi de Navarre, qui
y estoit accouru, et fit faire ses logis avec aussi peu
de désordre que s'il fust arrivé à Nérac, sans que la
garnison eust autre chose pour couvrir sa honte que
l'orage effroyable qui avoit estonné ceux de dedans.
Quant aux autres, il faut dire que la nécessité les avoit
endurcis^.
Or, toutes les entreprises sur les frontières d'Es-
pagne et dans le royaume, notamment sur Brouage,
pour laquelle ce prince ne dormoit point; de plus,
une négociation avec le roi d'Espagne, de laquelle
nous parlerons à la liaison des affaires ; tout cela
tomba de la teste aux pieds quand la mort de Mon-
sieur fut apportée à Nérac.
1. Le roi de Navarre reprit Mont-de-Marsan le 22 novembre
1583 (Lettres de Henri IV, 1. 1, p. 577 et 592). De Thou se trompe
en plaçant cette reprise en 1581 (liv. LXXII). C'est une des
rares erreurs de ce grand historien. II est vrai que le coup de
main heureux du roi de Navarre avait été précédé de plusieurs
tentatives. Voyez une enquête publiée dans la Revue de Gas-
cogne de mai 1881.
2. On conserve, dans le volume 3357 du fonds français, plu-
sieurs documents curieux sur la prise de Mont-de-Marsan : une
lettre sans signature, en date du 26 novembre, qui raconte le
fait d'armes avec des détails nouveaux (f. 47) ; une lettre du
maréchal de Matignon à la reine, du 27 novembre (f. 50) ; une
autre lettre sans signature, du 26 novembre (f. 53) ; une lettre du
roi au maréchal de Matignon, en date du 30 novembre, qui
déplore la perte de la ville (f. 54).
1584] LIVRE DIXIÈME, CHAP. VI. 191
Après que les affaires des Tercières furent mal ache-
minées, que le désastre d'Anvers* eut faict perdre à
Monsieur plusieurs serviteurs^, toute créance et toute
espérance de ses desseins, il se retira à Chasteau-
Tierri^, d'où il essayoit encores à regagner sa place
en Brabant, travaillant surtout par la simplicité et
douceur du prince d'Oranges, qui vouloit tousjours
qu'on oubliast le passé et qu'il fust rappelé. Mais, tout
lui succédant à contre-cœur, l'ennuy l'accabla, si bien
qu'il mourut le douziesme de juin* mille cinq cent
huictante quatre. Ce prince redoubloit son chagrin
pour se voir dehors le royaume avoir rendu son nom
exécrable, au dedans à tous les réformez, à la cour
par le bruit de ses vices. Il se voyoit toutes les dames
ennemies^, et, quant au roi^, il estoit ferme à en croire
la haine par plusieurs marques, comme par la mort
de son espée de chevet, Bussi', de qui la fin fut telle.
4. Le duc d'Anjou avait essayé de se rendre maître d'Anvers
le 17 janvier 1583. Voyez les notes du chap. xxii.
2. La cavalerie de Mansfeld, entre autres, abandonna le duc
d'Anjou pour se jeter dans le parti du duc de Parme (De Thou,
Uv. LXXVII).
3. Le duc d'Anjou, après avoir quitté la Flandre, débarqua à
Calais, avec le reste de ses troupes, le 28 juin 1583, et se retira
ensuite à Château-Thierry sur la Marne (De Thou, liv. LXXVII).
4. Le duc d'Anjou mourut d'une maladie de poitrine à Châ-
teau-Thierry, le 10 juin 1584, et non pas le 12.
5. Le duc d'Anjou passait pour avoir les mêmes vices qne
Henri III. Voy. le Journal de L'Estoile à la date du 26 juin 1584.
6. Sully dit que le duc d'Anjou, t estant venu voir secrète-
ment le roy à Paris, s'en estoit retourné fort malcontent à Châ-
teau-Thierry » {(Economies royales, liv. I, chap. xvni). L'Estoile
place cette entrevue au 11 février 1584. Le duc retourna le 21 à
Château-Thierry .
7. Louis de Clermont de Bussy-d'Amboise, fils de Jacques de
19SI mSTOIRE UNIVERSELLE. [1584
Le roi, ayant sçeu qu'il usoit privément de la femme
du comte de Monsoreau*, envoya quérir le mari, lui
fit sentir le déshonneur de sa maison par l'authorité
d'un puissant tesmoin^. Il lui promit toutes impunitez
pour la vengeance^, lui donnant pour gage la femme
de Villequier'*, qu'il fit tuer par son mari ^, quoique
ayant joui d'elle. Monsoreau donc contrainct sa femme
à donner rendez-vous^ à Bussi, qui n'y manqua pas,
Clermont-d'Amboise et de Catherine de Beauvau, favori du duc
d'Anjou, célèbre par ses duels et ses aventures amoureuses avec
la reine Marguerite. M. André Joubert a raconté, d'après des
documents nouveaux, la vie et la mort de ce célèbre héros de
roman : Louis de Clermont, s. de Bussy d'Amboise, in-8°, 1885.
1. Bussy-d'Amboise appelait Françoise de Maridort, femme du
comte de Montsoreau, « la bête du grand veneur » (De Thou,
liv. LXVIII). Françoise ne fut pas assassinée avec Bussy,
comme on l'écrit quelquefois. Elle vécut paisiblement avec son
mari, eut plusieurs enfants de lui et mourut le 29 septembre 1620
(A. Joubert, p. 200).
2. Charles de Chambes, comte de Montsoreau, chambellan du
duc d'Anjou et grand veneur de ce prince. Voyez sur ce person-
nage une notice détaillée dans l'ouvrage de M. Joubert (p. 197).
3. Le roi montra au comte de Montsoreau des lettres qu'avait
écrites Bussy-d'Amboise au duc d'Anjou, et dans lesquelles il lui
disait qu'il avait tendu des pièges à la femme de Montsoreau, et
qu'il la tenait dans ses filets (De Thou, liv. LXVIII).
4. René de Villequier, dit le jeune et le gros, était gouverneur
de Paris et de l'Ile-de-France.
5. Au commencement de septembre 1577, au château de Poi-
tiers, où était alors Henri III, René de Villequier poignarda sa
femme, Françoise de la Marck, qui était enceinte. La facilité avec
laquelle l'assassin obtint sa grâce fit supposer qu'il avait agi avec
le consentement du roi. Voy. le Journal de VEstoile, édit. Cham-
polion, p. 89.
6. La comtesse fut obligée par son mari d'écrire à Bussy pour
lui donner rendez-vous au château de la Goutancières (Maine-et-
Loire). Mais il n'est pas absolument certain qu'elle fût coupable
d'adultère. M. André Joubert a étudié la question (p. 188).
4584] LIVRE DIXIÈME, CHAP. VI. 493
accompagné du lieutenant de Saumur*. Monsoreau
lui découple quatorze hommes armez, desquels ce
résolu courage en blessa deux, se deffendant jusques
à la mort. Le lieutenant de Saumur, après qu'on lui
eut passé la langue à travers la gorge pour le signaler
en maquereau, fut jette dans les fossez. Et ainsi mou-
rut^ Bussi, homme sans âme, ayant un grand esprit,
tant aux choses qu'aux langues, un courage desme-
suré, mais qu'il employoit plus à mordre les chiens
de sa meute que sur les loups ; tellement qu'un bon
capitaine l'eust désiré chez ses ennemis^.
Toutes ces choses accablèrent Monsieur* jusqu'à sa
mort. J'eusse apposé en ce lieu un tableau publié de
ce temps pour monstrer la haine qu'il avoit acquise ;
mais j'ai eu crainte qu'on m'eust pris pour certifica-
teur des énormitez. Bien pourrons-nous dire qu'il
mourut ayant acquis, horsmis les compagnons ou serfs
de ses plaisirs, autant d'ennemis que de cognoissans.
On fit imprimer la description de son ouverture par
les médecins, où, entre autres choses, on fit paroistre
qu'il estoit mort, le sang (comme il estoit advenu au
4. Claude Colasseau, s. de la Frogerie, avocat puis lieutenant
criminel de Saumur, fut assassiné avec Bussy. Il subit une mort
horrible. Les gens du comte de Montsoreau l'étouffèrent en lui
enfonçant violemment la langue dans la gorge. Voyez sa généa-
logie dans André Joubert, p. 236.
2. Bussy d'Amboise fut assassiné le 19 août 1579.
3. On peut comparer le jugement de d'Aubigné sur Bussy
d'Amboise avec celui de de Thou (liv. LXVni), celui de Bran-
tôme (t. V, p. 361, et t. VI, p. 191) et celui de L'Estoile (édit.
ChampoUion, p. 117).
4. De Thou (liv. LXVIII) rapporte que le' duc d'Anjou éprouva
du contentement à la nouvelle de la mort de Bussy d'Amboise,
qui commençait à lui être à charge.
Vf* 13
194 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
roi Charles) lui jaillissant par tous les pores, la masse
du dedans entièrement corrompue et la ratte conver-
tie en pus^. Quelques-uns attribuoyent aux liguez la
curiosité de cette impression. Les plus modérez vou-
loyent que telles marques fussent seulement effects
d'une grande mélancholie sans y cercher une plus
sinistre interprétation.
Chapitre VU.
Prise des armes ^.
A tous les préparatifs que nous avons touchez au
chapitre iii, le roi n'eut remède que de mettre la
main à la plume et non à l'espée, et escrire^ à la
noblesse, au roi de Navarre* et au prince de Condé,
1. D'Aubigné désigne ici le Regret funèbre contenant les actions
et derniers propos de Monseigneur, fils de France, frère unique du
roy, depuis sa maladie jusqu'à son trépas, par frère Jacques Ber-
son, 1584, in-8", pièce très rare qui a été réimprimée dans les
Archives curieuses de Gimber et Danjou, t. X, p. 201. Mais il
existe une autre relation de la mort du duc d'Anjou par le s. de
la Fougère, médecin du prince, qui n'a été imprimée que de nos
jours (Annales de la Société hist. et archéol. de Château-Thierry,
1887). Une copie de cette pièce, conservée dans le vol. 3902,
f. 283 du fonds français, est suivie du procès-verbal de l'autopsie
du prince, rédigé en un latin bizarre à l'usage des médecins du
xvi« siècle.
2. La prise des armes des ligueurs eut lieu en mars 1585.
3. Il s'agit ici d'une Déclaration du roi sur les nouveaux troubles
de ce royaume, datée de Paris et d'avril 1585, par laquelle le roi
désavouait la Ligue. Cette pièce, publiée d'abord sous forme de
feuille volante, a été réimprimée par Fontanon, t. IV, p. 722, et
dans les Mémoires de la Ligue, t. I, p. 63.
4. La déclaration officielle dont nous avons parlé dans la note
1585] UVRE DIXIÈME, GHAP. VH. 195
que lui et chascun pouvoit cognoistre évidemment
combien faux estoit le prétexte des liguez, sous
lequel ils entreprenoyent sur sa personne et couronne,
n'ayans autre but que de s'agrandir par la dissipation
de l'Estat. A quoi il demandoit l'assistance que tous
devoyent à la royauté et chascun à soi-mesme. Ces
lettres générales furent suivies d'autres plus particu-
lières aux confrères du Sainct-Esprit^ et aux pénitents^,
par lesquelles le roi notoit l'ingratitude et impiété de
ceux de Guise, tant par reproches de ses bienfaicts
que par des contes de leurs desbauches, opposant à
cela ses grandes dévotions, desquelles il les prenoit à
tesmoins.
Les associez ne se soucièrent guères de la plume,
se contentèrent seulement de faire eschapper quelques
pasquins et livrets sur l'arrière Vénus, active et passive,
précédente avait été précédée de lettres missives contenant un
désaveu formel de la Ligue. L'Histoire du Languedoc (t. V, p. 402)
parle d'une lettre du roi écrite dans cet objet, que le roi de
Navarre reçut le 23 mars 1585, et en publie quelques extraits.
\. La confrérie du Saint-Esprit avait été organisée en 1567,
en Bourgogne, contre les huguenots, par Gaspard de Saulx-
Tavannes, gouverneur de Bourgogne.
2. La congrégation des pénitents de l'Annonciation de Notre-
Dame ou confrères de la mort fut établie à Paris le 13 mars
1583. Voyez le tome précédent, p. 343. Les règlements, datés du
20 mars, ont été réimprimés dans les Archives curieuses de Gim-
ber et Danjou, t. X, p. 435. Le 25 mars, le roi célébra la pre-
mière procession de la nouvelle confrérie avec ses mignons et
ses courtisans. Le Journal de L'Estoile, à la date de mars 1583,
raconte sur un ton railleur cette étrange cérémonie. Les statuts
furent publiés deux ans plus tard et portent seulement la date
du 10 mai 1585. Ils ont été réimprimés dans les Mémoires de Cas-
telnau, t. III, p. 48.
196 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
qui s'exerçoitau cabinet, particulièrement^ par le livre
intitulé le Catholique anglais^; resveillans tous les
noms odieux que les gens de bien lisent à regret dans
les histoires romaines; et, notamment, attaquent un
des mignons de quelques chancres et maladies véné-
riennes^, gaignées par le derrière, traictées et enfin
guéries par le médecin Miron*, qui, estant mal con-
tent, donnoit tels advertissements.
1. Ce membre de phrase, jusqu'à ces mots réveillans tous les
noms..., manque à l'édition de 1618.
2. Avertissement des catholiques anglais aux François catholiques
du danger où, ils sont de perdre leur religion..., 1586, in-8°, attri-
bué justement par les Mémoires de la Ligue à Louis d'Orléans,
célèbre avocat ligueur (t. V, p. 642). Ce pamphlet a été réim-
primé parmi les pièces justificatives de la Satyre Ménippée (1709,
in-8°, t. I, p. 101) et dans les Archives curieuses de Giraber et
Danjou (t. XI, p. 111). Du Plessis-Mornay y répondit vigoureuse-
ment par la Lettre d'un gentilhomme catholique français... [Mémoires
de la Ligue, t. I, p. 415, et Archives curieuses, t. XI, p. 203). Ces
deux pamphlets, justement célèbres, furent le point de départ de
nombreuses réponses, répliques, lettres, missives, etc., qui sont
énumérées par le Père Lelong (t. II, n» 18536 et suiv.). L'une de
ces réponses, faite au nom du roi de Navarre et publiée à Bor-
deaux en 1586, mériterait d'être sauvée de l'oubli. Elle a été
réimprimée dans les Mémoires de la Ligue, t. I, p. 340.
3. D'Aubigné désigne ici le duc d'Épernon, qui, au commen-
cement de mai 1585, se retira à Saint- Germain « pour se faire
panser d'un mal de gorge chancreux qu'il avoit » [Journal de
L'Estoile, sous la date du 7 mai 1585).
4. Charles Miron, fils de Marc Miron, premier médecin de
Henri III, mort le 6 août 1628, l'auteur de ce célèbre discours
sur la Saint-Barthélémy, imprimé dans les Mémoires d'estat de
Villeroy, dont l'authenticité a été si vivement contestée. Bel-
lièvre écrit à la reine, le 2 mai 1585, que Miron lui a parlé de
l'extrême fatigue et des douleurs du roi (f. fr., vol. 15891, f. 399).
L'importance que Miron avait auprès du roi lui donnait une sorte
d'influence, et nous voyons que les seigneurs avisés, notamment
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. VH. 197
Mais ils eurent plus à cœur de mettre le fer en
besongne, premièrement en Picardie, où ils se saisirent
sans peine et sans combat de toutes les villes ; et n'en
resta guères que Boulongne*, que Saincte-Marie refusa
au duc d'Aumale, venant de prendre Dourlans^.
On oit de mesme temps la prise des meilleures villes
de France^, d'entre lesquelles Marseille '^ se libéra,
car, ayant esté prise par la menée du second consul,
nommé ^ Dariès^, le peuple, las de crier : « Vive la
Ligue, » eut honte de soi-même et se r'avisa, si bien
que de mesme violence ils crièrent : « Vive le roi''' ! »
du Plessis-Mornay, le prenaient quelquefois comme intermé-
diaire (Mémoires et corresp. de du Plessis-Mornay, t. Il, p. 579).
1. Une lettre du s. d'Estrées au roi, en date du 7 juillet 1585,
parle de l'entreprise du duc d'Aumale sur Boulogne, et demande
au roi les moyens de fortifier la ville pour la mettre à l'abri de
tout retour offensif (Orig., Vc de Golbert, vol. 9, f. 280).
2. Doullens (Somme). Plusieurs lettres de d'Estrées, du s. de
Huguesville et de Bonivet de Crèvecœur, écrites dans les pre-
miers mois de 1585, racontent la campagne du duc d'Aumale en
Picardie (Vo de Golbert, vol. 9).
3. Le 21 mars 1585, le duc de Guise s'était emparé de Ghâlons-
sur-Marne. Mézières, Dijon, Aussonne furent pris avant le 7 avril.
4. Louis de Gonzague, duc de Nevers, partisan intermittent de
la Ligue, surprit la ville de Marseille dans la nuit du 8 au 9 avril
1585; mais la ville fut reprise et sauvée par un bourgeois nommé
Bouquier. Sur la prise de Marseille, voyez de Thou (liv. LXXXI)
et surtout un récit du temps, qui lui a servi de guide et qui a
été réimprimé dans les Mémoires de la Ligue, t. I, p. 73, dans le
Recueil AZ^ lettre H, p. 96, et un recueil de lettres du temps
publié dans les Archives curieuses de Gimber et Danjou, t. XI,
p. 29 et suiv.
5. L'édition de 1618 le nomme d'Acas.
6. Louis de la Motte-Dariez et le capitaine Claude Boniface
étaient à la tête de la conjuration.
7. Le 14 avril 1585 fut faite une procession d'actions de grâces,
pendant laquelle le peuple cria : a Vive le roi ! »
198 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
et firent pendre leur consul*; cela au commencement
d'avril.
A la fin du mesme mois fut chassé de Lyon Le Pas-
sage ^ que le duc d'Épernon y avoit faict mettre^. Ce
capitaine, se voulant deffendre, eut pour response de
ses soldats qu'ils ne vouloyent pas estre damnés pour
un fauteur d'hérétiques comme le roi; et, quant à
leurs serments, que les Pères Jésuites les en avoyent
dispensez.
On ne voyoit venir à la cour que courriers qui
apportoyent prises de places sans combat, et par
moyens si honteux que l'histoire se dispense de les
conter. Car tous les stratagèmes qui y furent employez
reviennent à deux poincts : asçavoir les sommes d'ar-
gent promises ou contées, ou bien aux déclamations
des prescheurs en public et en secret pour esmouvoir
le peuple aux agréables prétextes de leur parti nou-
veau.
La Picardie et la Champagne* furent incontinent
pleines de régiments de pied et compagnies de caval-
1. Le 13 avril 1585, on instruisit le procès de Louis Dariez et
du capitaine Claude Boniface, qui furent condamnés à mort
(Lettre de Henri III au s. de Dinteville, en date du 26 avril 1585;
orig., coll. Dupuy, vol. 590, f. 37).
2. Aymar de Poisieu, s. du Passage et de Saint-Georges d'Es-
péranche, colonel des légionnaires du Dauphiné en 1574, gou-
verneur de la citadelle de Lyon en 1584, puis lieutenant général
au gouvernement de Saluces (Mémoires de Piémond).
3. Le s. du Passage fut chassé de la citadelle de Lyon par
Mandelot, au moyen d'un stratagème, le 2 mai d'après l'annota-
teur des Mémoires de Piémond, le 3 d'après le texte des Mémoires
(p. 159), le 5 d'après de Thou (liv. LXXXI).
4. Après la prise de Toul et de Verdun, le duc de Guise fit
passer ses troupes en Champagne et établit son quartier à Châ-
lons à la fin de mai 1585 (De Thou, Uv. LXXXI).
1585] UVRE DIXIÈME, CHAP. VD. 199
lerie, qui s'avançoyent de rendez-vous à rendez-vous
tousjours vers Paris*.
Le voisinage de ces gens -là fit bien tard et bien
froidement armer le roi, tant à cause de la timidité
qui l'a voit saisi, craignant mesme par ses armes d'ir-
riter d'avantage ses ennemis, comme aussi pource
qu'il lui estoit fort difficile de choisir le fidelle d'avec
l'infidelle ; tous les mal contents ne cerchans qu'occa-
sion de se venger, et plusieurs lui faisans lors de
grandes demandes pour, avec plus de couleur, aller
trouver 2 le duc de Guise, qui leur sembloit vouloir
partager le royaume en le conquérant.
Les refformez furent les premiers qui eurent le cul
sur la selle en Poictou, en Daulphiné et en Languedoc.
Ceux qui estoyent les plus près des princes regar-
doyent leurs contenances. Les Poictevins sollicitèrent
François^, duc de Montpensier par la mort de Louys*.
1. Le duc de Guise arriva près de Paris avec une armée de
12,000 hommes afin d'effrayer le roi et la -reine mère et de leur
imposer son alliance (De Thou, liv. LXXXI). Le 2 avril 1585,
dit le Journal de VEstoile, le prévôt des marchands avait com-
mencé de faire fortifier la ville.
2. Les seigneurs catholiques, tous plus ou moins attachés à la
Ligue, adressèrent au roi, le 9 juin 1585, une requête impérieuse
pour l'obliger, en protestant de leur fidélité, à faire la guerre aux
réformés. Cette requête est imprimée dans les Mémoires de la
Ligue, t. I, p. 167. Le roi se crut obligé de traiter avec le duc de
Guise. Catherine avait passé le printemps à négocier avec le chef
de la Ligue à Épernay, à Chàlons, et plus tard à Nemours. On
conserve dans le f. fr., vol. 3368, 3369, 3370 et 3371, un gros
recueil de pièces sur ces négociations.
3. François de Bourbon, duc de Montpensier, dauphin d'Au-
vergne, fils de Louis de Bourbon et de Jacqueline de Jjongwy.
4. Louis de Bourbon, duc de Montpensier, né le 10 juin 1513,
mort le 22 septembre 1582.
200 fflSTOiRE UNIVERSELLE. [1585
Il fut longtemps sans se confier en leurs conseils,
retenu par les moines, qui déclamoyent contre le roi
et lui disoyent que les huguenots, tremblans pour leur
ruine, qu'ils voyoient seure et certaine, vouloyent tirer
la chastaigne du feu avec la patte du lévrier. Il estoit
d'ailleurs aisé de mener ce prince au soupçon de ceux
qu'il hayssoit. Lacholère desnoua ce neud, car, comme
il eut fait quelque amas*, il eut nouvelles que Drou^
amenoit les troupes qu'il a voit amassées en Berri pour
manger le Poictou. Quelques gentilshommes de Chas-
telleraudois ^ incertains de parti, mais désirans de
deflfendre leurs poules, allèrent voir Drou et, après
quelques honnestetez, lui voulurent faire peur du duc
de Montpensier. Il leur respondit qu'il le tenoit pour
une charrette. La Boulaye, ayant sçeu cela, alla faire
sentir ceste injure au duc et en mesme temps lui pré-
sente quatre-vingts gentilshommes et deux fois autant
d'arquebuziers, ne demandant autre assistance que de
la veue et authorité du duc. Et ainsi, ayant tant faict
que de le mettre à cheval et sceu que Drou avoit
quatre compagnies qui commençoyent à se former
1. Le duc de Montpensier enrôla toute la jeunesse protestante
de Loudun, Thouars, Fontenay et autres villes voisines, et arriva
à Poitiers, comme lieutenant de roi, dès la fin de mai 1585
(Journal de Michel Le Riche, 1846, p. 401).
2. Pierre de Ghamborant, seigneur de Droux, avait été capi-
taine des Suisses de François de Valois, duc d'Anjou, et son
chambellan. Il avait embrassé le parti de la Ligue.
3. Le voyage du duc de Montpensier en Poitou n'avait pas seu-
lement pour but l'exercice de la charge de lieutenant de roi. Le
26 novembre 1583, le duc avait acheté au roi la terre et la sei-
gneurie de Ghâtelleraut. Après diverses formalités, malgré l'op-
position du Parlement, le duc en prit possession au mois d'avril
1585 (Lalanne, Hist. de Ghâtelleraut, t. U, p. 52).
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. Vm. 201
dans Attigni*, La Boulaye s'y en va et, pour porter
lui-mesme de ses nouvelles, arrive au trot et au galop,
donne dans le bourg, gens d'armes et arquebuziers
meslez ensemble; et cela lui succéda mieux que si, en
prenant ordre, il eust donné loisir aux compagnies de
s'accommoder dans le temple et en quelques maisons
prochaines. Geste petite deSaicte- resveilla le pays,
reschauffa ce prince, engagea et mit hors le chois du
parti plusieurs qui en délibéroyent, et apprit aux catho-
liques et refformez à s'unir et combattre ensemble ; ce
qui ne fut pas de petit moment^.
Chapitre VIII.
De ce que fit le roi de Navarre.
De ce bransle, le roi de Navarre mit aussi de son
1. Antigny (Vienne). Ce combat est plus connu sous le nom
de combat de Ghauvigny. Il eut lieu, dit avec plus de précision
une lettre du duc de Montpensier, au passage de la petite rivière
de Gardampé, près Saint-Servin (Lettre orig. au roi, du 14 juin
1585 ; Vc de Golbert, vol. 9, f. 256).
2. Le s. de Droux, après la défaite de Ghauvigny, rejoignit
péniblement le duc de Mercœur (Lettre de Boisseguin à Bois-
guérin, du 16 juin 1585; Arch. hist. du Poitou, 1883, t. XIV,
p. 215).
3. D'Aubigné s'est trompé sur le nom du capitaine qui livra
bataille au s. de Droux. Ce ne fut pas La Boulaye (Philippe
Eschalard, s. de la Boulaye), mais Louis de Chasteigner, sei-
gneur d'Abain et de la Roche- Posay, plus tard lieutenant géné-
ral au gouvernement de la Marche. L'erreur de d'Aubigné est
d'autant plus surprenante qu'il était en Poitou à cette date, et
notamment à Saint-Maixent le 9 mai 1585 (Journal de Le Riche,
p. 403). Mais l'erreur n'en est pas moins certaine. Michel Le Riche
parle du combat Uvré entre La Roche-Posay et le s. de Dreux,
202 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
costé la main à la plume, envoyé sa déclaration au
roi*, faicte à Bergerac le diziesme juin, l'adresse à
tous princes, toutes cours et compagnies royales, tous
gentilshommes et autres amateurs de la couronne de
France^. Il commence par la confession de sa religion,
maintient qu'il ne peut estre hérétique, estant tous-
jours préparé à l'instruction par bons et notables
moyens; qu'il n'a pas choisi sa religion, puisqu'il y
est né et nourri, le schisme estant commencé; que
chascun sçait comment il se rengea à la messe lors de
la sainct Barthélemi, l'aage, la force, la crainte et
l'horreur ayant rendu sa volonté sans vouloir ; qu'il se
soubmet à un concile bien hbre, non pas aux voyes
par lesquelles on a pensé à le destruire au lieu de
l'instruire, à le ruiner et non le réunir; qu'en toutes
les guerres il n'a eu autre respect que celui de Dieu
et le service du roi ; qu'aussitôt que Sa Majesté eut
accordé par ses édicts la liberté des consciences, il
avoit posé les armes, contremandé ses troupes et les
forces estrangères de ses amis et confœdérez; qu'il
n'est point ennemi des catholiques, les maintient en
Béarn et en Navarre en la liberté que la roine sa mère
les avoit laissez, et commet tous les jours sa vie, son
et en fixe la date au 10 ou 11 juin 1585 (p. 406). Il y est aussi
fait allusion dans la correspondance de Boisguérin (Arch. hist. du
Poitou, t. XV, p. 215). Voyez aussi les notes précédentes.
1. Le manifeste du roi de Navarre fut présenté au roi, le
28 juin 1585, par le s. de Glervant, conseiller du roi de Navarre,
et par le s. de Ghassincourt, gentilhomme de sa chambre {Jour-
nal de L'Estoile).
2. Le manifeste du roi de Navarre, qui contient 40 articles, est
imprimé dans les Mémoires de la Ligue, t. I, p. 120, et dans les
Mémoires de du Plessis-Mornay, t. III, p. 89.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. VUI. 203
honneur et afifaires principaux entre leurs mains,
comme ayans les principales charges de sa maison;
que le concordat de Magdebourg*, contre lequel les
prescheurs de la Ligue se font ouyr en leurs chaires,
seroit mieux séant en un banc de charlatans, estant
ceste assemblée nulle, fausse, et qui ne s'est tenue
aucunement, mesmement l'électeur palatin^ et le prince
d'Orange, desquels ils couchent en leurs escrits, estans
morts auparavant, l'un à Heidelberg^ et l'autre à Delf*
assassiné par Girard^. Quant aux places non rendues,
que les attentats contre l'édict en avoyent empesché
la reddition sous la bonne permission du roi. Que, si
la Ligue vouloit mettre promptement les armes bas,
elles seroyent restablies promptement; quant à la
1. Le concordat de Magdebourg est un prétendu accord entre
le roi de France, la reine d'Angleterre, les princes protestants
d'Allemagne, le roi de Navarre et le prince de Gondé pour l'écra-
sement du parti catholique. C'est une pièce fausse, inventée par
la Ligue pour rendre les rois de France et de Navarre odieux aux
catholiques. Elle est datée du 14 décembre 1584 d'après la décla-
ration du roi de Navarre que nous venons de citer {Mémoires de
la Ligue, t. I, p. 135), du 15 d'après deux copies manuscrites
conservées à la Bibliothèque nationale (coll. Dupuy, vol. 844,
f. 362, et f. fr,, vol. 3316, f. 15), du 16 d'après une version impri-
mée dans les Archives curieuses de Cimber et Danjou, t. XI, f, 1.
Certaines versions représentent ce concordat comme signé à
Magdebourg, d'autres à Mildebourg. — Plusieurs historiens ont
pris cette pièce au sérieux et l'ont analysée comme un document
indiscutable.
2. Louis V, dit le Facile, duc de Bavière, électeur et comte
palatin du Rhin.
3. Le comte palatin était mort à Heidelberg le 12 octobre 1583.
4. Le prince d'Orange avait été assassiné à Delft le 10 juil-
let 1584.
5. Balthazar Gérard, né en Franche - Comté , émissaire des
Espagnols.
204 HiSTOmE UNIVERSELLE. [1585
déclaration de son incapacité à la couronne, c'est une
chose bien sensible à laquelle il a pensé le moins, espé-
rant que Dieu donnera longue vie et heureuse lignée
au roi, au grand regret de ceux qui jugent de lui et
de la roine en la fleur de leurs ans comme s'ils estoyent
stériles, et bastissent tant de desseins sur leur tom-
beau. Et, pource qu'en leur déclaration ils avoyent
taxé le roi de Navarre comme désireux de la mort du
roi et perturbateur de l'Estat, ledit sieur roi dit qu'ils
ont faussement et malicieusement menti, s'offre à des-
mesler ceste querelle de sa personne à celle du duc
de Guise*, ou de deux, ou de dix à dix, avec armes
accoustumées entre chevaliers, afin que la noblesse
françoise demeure en paix et que le peuple n'en souffre
plus longuement. Cela^ despesché et porté courageu-
sement par un gentilhomme nommé Sérignac^.
Voilà toute la France en armes, les refformez spec-
tateurs de deux partis dans le parti de leurs ennemis,
et eux-mesmes agitez de deux opinions contraires qui
my-partissoyent les esprits de leurs chefs. On leur
mandoit de la cour que ce seroit une grande prudence
à eux de ne s'esmouvoir point dans l'émotion des
autres ; que demeurans paisibles ils condamnoyent les
armes de la Ligue ; que ce seroit un brave traict s'ils
1 . La déclaration du roi de Navarre jetait un défi au duc de
Guise (Mémoires de la Ligue, t. I, p. 147). Le duc de Guise n'ac-
cepta point le duel, donnant pour prétexte qu'il soutenait la
cause de la religion et non une querelle particulière {Lettres de
Henri IV. t. II, p. 96, note).
2. La fin de l'alinéa manque à l'édition de 1618.
3. François de Faudoas, seigneur de Sérillac. D'Aubigné se
trompe. Ce furent les s, de Clervaut et de Chassincourt qui por-
tèrent au roi la déclaration du Béarnais. Voyez note 1, page 202.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. VIII. 205
faisoyeot couler leurs gens de guerre dans les troupes
du roi ; et plustost s'ils faisoyent prendre le nom des
compagnies à des catholiques, bien que leurs inférieurs,
spécialement à ceux qui avoyent suivi leur parti ; que
dedans ces compagnies se cacheroyent plusieurs
hommes de bonne maison qui ne laisseroyent pas de
fraper en capitaines, bien qu'ils ne fussent que soldats;
qu'ils verroyent le catholique ruiné par le catho-
lique et que l'on ne pourroit les accuser d'ambition
quand aucune compagnie ne porteroit le nom d'un
réformé.
Geste nouveauté se rendit agréable à plusieurs,
principalement aux ministres et gens du conseil, et,
comme elle passoit de paradoxe en délibération, le
roi de Navarre, qui, finissant l'assemblée de Montau-
ban*, a voit demandé un nouvel emploi de députez par
toutes les provinces, les receut en ce temps-là et donna
rendez-vous à Cuistres^, près Goutras, à tous les chefs
du parti. Tous s'estans rendus en ce lieu, l'assemblée
1. Le roi de Navarre avait convoqué l'assemblée ou synode de
Montauban pour le 20 mars 1584, avec l'approbation du roi
(Lettres de Henri IV, t. I, p. 605). La réunion eut lieu et siégea
longuement, traitant toute sorte de sujets malgré l'opposition de
Pomponne de Bellièvre (Protest, de Bellièvre, d'août 1584 ; coll.
Brienne, vol. 214, f. 112). A la suite de ses délibérations, l'as-
semblée rédigea, en date du 7 septembre 1584, des remontrances
qui sont imprimées dans Mémoires et correspondance de du Plessis-
Mornay, t. II, p. 606, et que le roi de Navarre envoya au roi par
les s. de Laval, du Plessis, Constant et Ghassincourt (Lettre de
Henri III au roi de Navarre, du 11 décembre 1584 ; f. fr., vol. 3306,
f. 54). L'assemblée de Montauban, avant de se séparer, arrêta un
Règlement et forme d'intelligence entre les églises réformées et le roi
de Navarre, pièce très importante qui est conservée en copie du
temps dans le vol. 4047, f. 202, du fonds français.
2. Guitres (Gironde), sur la Dronne.
206 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
fut convoquée un matin ^ en une grand'salle du prieuré
où furent commandez d'assister quelques maistres de
camp; si bien que cet amas estoit de soixante testes.
Le roi de Navarre, après la prière, fit la proposition
en ces termes^ :
« Si j'eusse creu, mes amis, que les affaires qui se
présentent n'en eussent voulu qu'à ma teste, que la
ruine de mon bien, la diminution de mes intérests et
de tout ce qui m'est de plus cher, hors l'honneur, vous
eust apporté tranquillité et seureté, vous n'eussiez
point eu de mes nouvelles, et, avec l' ad vis et assistance
de mes serviteurs particuliers, j'eusse, aux despens de
ma vie, arresté les ennemis. Mais, estant question de
la conservation ou ruine de toutes les églises reffor-
mées et par là de la gloire de Dieu, j'ai pensé devoir
délibérer avec vous de x;e qui vous touche. Ce qui se
présente le premier à traicter, est : si nous devons
avoir les mains croisées durant le débat de nos enne-
mis, envoyer tous nos gens de guerre dedans les
armées du roi, sans nom et sans authorité, qui est
une opinion en la bouche et au cœur de plusieurs ; ou
bien si nous devons avec armes séparées secourir le
roi et prendre les occasions qui se présenteront pour
nostre affermissement. Voilà sur quoi je prie un chas-
cun de cette compagnie vouloir donner son advis sans
particulière passion. »
Là-dessus, comme l'assemblée estoit en rond autour
1. Le roi de Navarre était à Guitres le 29 et le 30 mai 1585.
2. Il est probable que ce discours et les suivants sont de la
composition de d'Aubigné. Cependant, M. Berger de Xivrey,
dans Lettres de Henri IV (t. Il, p. 66), a cru devoir insérer le dis-
cours prêté au roi de Navarre comme l'œuvre même de ce prince.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. Vin. 207
de la table sans préséances observées, le vicomte de
Turenne^, qui estoit le premier à la main gauche, fut
commandé de parler. Et, pource qu'il avoit esté accusé
dans son parti d'avoir esté des cinq qui avoyent trop
légèrement, comme on disoit, donné le bransle à la
dernière prise des armes, voulant effacer ce reproche,
ou peut-estre ayant à cœur la médiocrité qu'on pro-
posoit, parla ainsi ^ :
« Pource que le succès de toutes affaires despend
de bénédiction ou malédiction de Dieu, la justice ou
l'injustice sont, à mon advis, les poincts qui doivent
les premiers entrer en considération ; à nous mesme-
ment, qui ne distinguons que nostre droict d'avec nos
adversaires, ni par querelles de nation à nation, ni
par intérest de succession ; mais par la dispute de la
vérité au mensonge, et de nostre droict à leur ini-
quité. De ces choses nous avons à rendre compte à
Dieu, à nos voisins, à nos compatriotes et à nous-
mesmes, veu que la guerre se faict par des hommes,
qui ne sont nostres, dedans, ni dehors le royaume,
que par une juste passion, à eux et à nous commune.
Nostre patience couppe la gorge aux raisons des enne-
1. Turenne avait reçu du roi de Navarre l'ordre de se tenir
auprès de lui avec sa compagnie (Lettre du 26 avril 1585 ; Ber-
ger de Xivrey, t. II, p. 27).
2. Turenne raconte ce conseil de guerre dans ses Mémoires,
mais il le raconte autrement. D'après lui, il aurait été tenu
à Castres et non à Guitres, et c'est Montmorency qui aurait
conseillé au roi de Navarre de prendre l'offensive, tandis que lui,
Turenne, aurait opiné en faveur de l'attente. Après délibération,
son avis l'aurait emporté (Mémoires de Bouillon, coll. Petitot,
vol. XXXV, p. 210). Le roi de Navarre passa à Castres la seconde
moitié du mois de mars ; c'est donc à cette date qu'aurait eu lieu
ce conseil de guerre (Mémoires de Gâches, p. 296).
208 HISTOroE UNIVERSELLE. [1585
mis; nostre impatience justifieroit leurs armes et leurs
desseins. Voilà pour le juste. Pour le succès, je raisonne
ainsi; si vous vous armez, le roi vous craindra; s'il
vous craint, il vous hayra; s'il vous hayt, il vous atta-
quera; s'il vous attaque, il vous destruira. Cette crainte
du roi n'est pas appuyée sur la multitude de vos
armées, lesquelles n'ont plus les reins des anciennes,
mais sur ce que vous contraindrez à subir les condi-
tions de ses ennemis et les vostres ; raisonnable occa-
sion du second poinct, qui est la haine. Quant à vostre
ruine, qui peut, selon l'apparence humaine, atteindre
autre chose de deux puissances, la moindre desquelles
n'est que trop capable de cela ; veu mesme que l'ému-
lation de deux partis réconciliez les eschaufïera contre
vous, et que les fautes par lesquelles vous avez
eschappé de leurs mains leur seront perpétuellement
devant les yeux. Je suis donc d'advis que par nostre
tolérance nous mettions charbons ardents sur la teste
de ceux qui nous hayssent injustement; que nous
facions couler nos gens de guerre dans les armées et
compagnies royales. Le roi devra sa délivrance à nostre
vertu, et donnera sa haine passée à nostre humilité.
Que s'il advient qu'il s'accorde après avec nos adver-
saires et les siens, nostre preud'hommie reluira comme
un midi envers les estrangers et regnicoles ; fera que
les ingrats viendront à nous avec les consciences et
les cœurs transis ; nos courages seront enflez et pleins
de nostre probité, laquelle appellera du ciel sur nos
armes la bénédiction de Dieu. »
Ce discours emporta vingt des voix suivantes, sans
y contredire ni adjouster, hormis Constans^, qui for-
1. Le s. de Gonstans, que nous avons déjà signalé comme un
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. Vin. 209
tifïia Tadvis du vicomte d'un exemple seulement, et
toute la compagnie espousoit cette opinion, quand un
maistre* de camp commandé à son rang parla ainsi :
« Si la fidélité n'estoit ici plus de saison que la
discrétion, le respect et l'honneur que je dois à ceux
qui ont parlé me fermeroit la bouche. Mais le serment
que j'ai à Dieu, à sa cause et à vous. Sire, me l'ouvre,
et, aux despens de la bienséance, me fait dire ce qui
est de mon sentiment. Ce seroit fouler aux pieds les
cendres de nos martyrs et le sang de nos vaillans
hommes ; ce seroit planter des potances sur les tom-
beaux de nos princes et grands capitaines morts, et
condamner à pareille ignominie ceux qui encores
debout ont voué leurs vies à Dieu, que de mettre ici
en doute, et sur le bureau, avec quelle justice ils ont
exercé leurs magnanimitez. Ce seroit craindre que
Dieu mesme ne fust coulpable ayant béni leurs armes,
par lesquelles ils ont traicté avec les rois selon le droict
des gens, arresté les injustes bruslements qui s'exer-
çoyent de tous costez, et acquis la paix à l'Église et à
la France. Mesme cette assemblée seroit criminelle
de lèse-Majesté, si nous avions osé convenir en ce lieu
sans estre asseurez et pleins de nostre droict. Ce n'est
donc plus à nous de regarder en arrière, où nous ne
verrons qu'églises, villes, familles et personnes rui-
des plus fidèles serviteurs du roi de Navarre, était, à cette date,
gentilhomme ordinaire de la chambre de ce prince (Mémoires et
corresp. de du Plessis-Mornay , t. HI, p. 238).
1. Le. maistre de camp est d'Aubigné lui-même. A cette date, il
est marqué sur l'état de maison du roi de Navarre comme écuyer
de ce prince (Mémoires et corresp. de du Plessis-Mornay, t. lU,
p. 243, édit. de 1824).
VI 14
îiO HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
nées, en partie par la perfidie des ennemis, partie par
ceux qui leur cercheroyent des excuses, pour s'excu-
ser des labeurs et périls ausquels Dieu nous appelle
quand il lui plaist. Si vous vous armez, le roi vous
craindra, il est vrai; si le roi vous craint, il vous
hayra ; pleust à Dieu que cette hayne feust à commen-
cer ! S'il vous hayt, il vous destruira. Que nous n'eus-
sions point encores essayé le pouvoir de cette haine ;
mais bien à propos la crainte qui empesche les effects
de la haine. Heureux seront ceux qui, par cette crainte,
empescheront leur ruine; malheureux qui appellera
cette ruine par le mespris. Je di donc que nous ne
devons point estre seuls désarmez, quand toute la
France est en armes, ni permettre à nos soldats de
prester serment aux capitaines qui l'ont preste de
nous exterminer ; leur faire avoir en révérence les
visages sur lesquels ils doivent faire trancher leurs
coutelas, et de plus les faire marcher sous les drapeaux
de la croix blanche, qui leur ont servi et doivent ser-
vir encores de quintaines et de blanc. Sçavez-vous
aussi les différentes leçons qu'ils apprennent en l'un
et en l'autre parti? Là ils deviennent mercenaires ; ici
ils n'ont d'autre loyer que la juste passion; là ils
goustent les délices ; ici ils observent une milice sans
repos. Les arts sont esmeus par la gloire, et sur tous
ceux de la guerre. Monstrerons-nous à nostre jeune
noblesse l'ignominie chez nous et l'honneur chez les
autres ? Prenez que nous puissions les mettre si bas
de courage qu'ils se mettent sous leurs valets de
diverse religion, comment remettrez -vous à leur
poinct les cœurs ainsi abattus? Que veut-on que
deviennent nos princes du sang et les grands sei-
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. Vni. 211
gneurs du parti ? Donneront-ils à leurs haineux leurs
hommes et leur créance, qu'ils ont achetées par tant
de bienfaicts? Quand auront-ils monstre leur valeur
à des soldats nouveaux? Fouleront-ils aux pieds leur
grandeur naturelle? car ils les perdront par la sou-
mission, ou l'honneur par l'oisiveté. Ouy, il faut mons-
trer nostre humilité. Faisons donc que ce soit sans
lascheté ; demeurons capables de servir le roi à son
besoin et de nous servir au nostre, et puis, ployer
devant lui, quand il sera temps, nos genoux tous
armez, lui prester le serment, en tirant la main du
gantelet, porter à ses pieds nos victoires et non pas
nos estonnements ; victoires ausquelles nos soldats ne
porteront l'estomach de bonne grâce, estans meslez
parmi ceux qui leur font craindre le dos. J'adjousterai
encores ce point de droict, c'est que le prétexte, sur
lequel nos ennemis ont eschappé à leur roi, est pour
nous sauter au collet. Il est nécessaire que le respect
de nos espées les arreste, puisque le sceptre ne le
peut. Ostons leur la joie et le proffit de la soubmission
que nous voulons rendre au prince. Et, quant au con-
seil par lequel nous avons esté dissipez, soit assez de
servir entiers ceux qui nous veulent en pièces et mor-
ceaux, je concluds ainsi : si nous nous désarmons, le
roi nous mesprisera ; nostre mespris le donnera à nos
ennemis; uni avec eux, il nous attaquera et ruinera
désarmez; ou bien, si nous nous armons, le roi nous
estimera ; nous estimant il nous appellera ; unis avec
lui, nous romprons la teste à nos ennemis*. >
1. Le duc de Caumont La Force reproduit dans ses Mémoires
une partie du discours de d'Aubigné et se l'attribue. C'est aussi
212! HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
Il eschappa au roi de Navarre, sur la fin de ce dis-
cours, de s'escrier : « Je suis à lui. j> Telle estoit lors
l'ardeur de ce jeune prince. Ces mots, joints avec les
raisons de la dernière harangue, fit que le reste de
l'assemblée souscrivit à la dernière opinion, fortifiée
de quelques exemples qu'apporta Le Plessis-Mornay,
et après lui le prince de Goodé.
Chapitre IX.
Diverses rencontres en Poictou^.
Ainsi, les armes estans résolues, on dépescha l'après-
disnée commissions de régiments à Lorges^, à Aubi-
gné^, Sainct-Surin et Charbonnières et Bois-Rond*.
à lui qu'aurait été adressée l'exclamation approbative que ce dis-
cours arracha au roi de Navarre. Voyez les Mémoires du duc de
la Force, 1843, t. I, p. 47.
1. Le récit contenu dans ce chapitre et dans les chapitres sui-
vants paraît avoir été inspiré à d'Aubigné, comme à de Thou,
par un Discours du premier passage de M. le duc de Mercœur au
bas Poitou..., pièce très importante quia été réimprimée dans les
Mémoires de la Ligue, t. II, p. 1. Cette relation, malheureusement
anonyme, a été écrite par un capitaine protestant du parti du
prince de Gondé, lequel ne doit pas être confondu avec le parti
du roi de Navarre. D'Aubigné, en reproduisant ce récit, y a
ajouté beaucoup de détails tirés de ses propres souvenirs et en
a modihé l'esprit au profit de la mémoire du Béarnais.
2. Jacques de Lorges, comte de Mongonmery, fils aîné de
Gabriel, comte de Mongonmery, mort en 1609.
3. Ce personnage n'est point nommé dans l'édition de 1618.
4. Charles de Saint-Surin, gentilhomme protestant du Poitou
ou de la Saintonge, un des plus fidèles Ueutenants de Condé. —
Gabriel Prévost de Charbonnières, autre capitaine protestant.
— René de Saint-Légier, s. de Boisrond, époux, en 1578, de
Marie Le Forestier, dame d'Orignac.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. IX. 213
Ceux-là pour faire la guerre en Xainctonge et Poictou,
auprès du prince de Gondé, puis au baron de Salignac
et à La Maurie*, pour aller en Gascongne avec le roi
de Navarre.
Huict jours après, arriva en Angoumois le premier
combat de cette nouvelle guerre, lequel, bien que de
peu de troupes, se trouvera fort digne de mémoire,
à cause de ses divers accidents. L'occasion en fut telle.
La Motte, conseillier au siège de Périgueux, sentant
en soi trop de courage pour faire profession de la
robbe longue, en laquelle pourtant il estoit fort estimé,
et d'ailleurs attiré par les caresses qu'il avoit receues
du duc de Guise, s'estoit résolu à faire un régiment,
si bien qu'il avoit desjà ensemble, en quatre compa-
gnies, quelque peu moins de cinq cents hommes très
bien armez. Cettui-ci, ayant sçeu que les refformés
levoyent sur les bornes de l'Angoumois, pour les
empescher ou deffaire en naissant, estoit venu faire
un logis à Melle^, s'avouant au roi; mais, sesPérigour-
dins ayans commis plusieurs excès aux despens des
refformés, comme d'avoir pourmené la femme d'un
ministre nue, après l'avoir outragée en toutes façons,
Sainct-Gelais^, avec quarante-cinq gentilhommes , et
Aubigné, avec six vingts arquebuziers, desquels il
commençoit son régiment, se touchèrent à la main
1. Jean de Gontaut de Salignac, baron de la Mothe-Fénelon,
chambellan du roi de Navarre, gouverneur du comté de Péri-
gord, mort en 1604. — La Maurie, capitaine huguenot, dit
l'Épouvante de la Frise, élevé par Brantôme.
2. Melle (Deux-Sèvres).
3. Louis de Saint-Gelais, seigneur de Lansac, était alors maré-
chal de camp des troupes du prince de Condé (Mémoires de la
Ligue, t. II, p. 4).
214 fflSTOIRE UNIVERSELLE. [1585
pour aller charger La Motte à Contre*, où il s'estoit
logé. Comme ils en prenoyent le chemin, les coureurs
trouvent à Sainct- Mandé ^ deux de ses compagnies
logées et assez bien barriquées. Au commencement,
les ayans pris pour des picoureurs, ils donnèrent dans
la bourgade, mais, ces premiers estans receus à coups
d'espée, il falut que les gens de pied tournassent visage
vers les ennemis, ayans à faire à plus, de deux cents
hommes de pied, logez avantageusement. Aubigné
n'eust sceu faire mieux que faire donner Les Ousches,
qui avoit douze ou quinze hommes à lui, à ce qu'il
trouveroit à gauche. Il en donne autant à Casaubon
dé Vignolles^ pour la droicte, et avec mesme nombre
jette Nivaudière devant soi. Ce dernier outrepassa la
barricade, comme ne l'ayant point veue. Son maistre
de camp, la trouvant en son chemin et la voyant gar-
nie des capitaines La Grange et Forisson'*, et de quatre-
vingts hommes, y donne la teste baissée lui et sa suite.
Ils furent receu de coups d'hallebarques et d'espée, si
bien que, l'un poussant l'autre avec perte de quatre
bons hommes, les katholiques quittent et s'espardent
par le bourg, auquel presque toutes les maisons ren-
dirent combat, et avec telle opiniastreté que le capi-
taine La Grange trouva moyen de r'amasser jusqu'à
1. Contré (Charente-Inférieure).
2. Saint-Mandé (Charente-Inférieure).
3. Le capitaine La Hire, s. de Vignoles et de Casaubon, était
frère du capitaine du nom de Vignoles dont nous parlerons dans
les notes du chapitre suivant (Table de l'édit. de 1626 de l'His-
toire universelle.)
4. La Grange-Maronnière, capitaine catholique, lieutenant du
roi à Talmont, appartenait à la maison de Jaillard de la Maron-
nière (Chroniques fontenaisiennes, p. 416).
4585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. K. 215
quarante des siens, et avec cela regagna le logis qu'il
avoit perdu, avec loisir de renforcer la barricade, et
percer en divers lieux. Ce fut aux autres à se r'allier
pour reprendre encore une fois la maison. Le raaistre
de camp ne pouvant, pour le pillage, r'allier vingt des
siens, et ne voulant paroistre si mal accompagné,
attaque le grand corps de logis, en perçant la maison
prochaine, et par ce moyen y mit le feu. Durant deux
heures de combat que rendit La Grange, La Motte,
adverti par quelques fuyards, part de Contré avec
deux cent soixante arquebuziers, met deux charrettes
devant soi, fait quitter la campagne à Chevrelières,
qui estoit en garde avec vingt chevaux dans son
chemin.
Sainct-Gelais , voyant tous les siens en désordre,
envoyé advertir Aubigné par trois messagers, pour
lui faire quitter le bourg ; ce qu'il ne put faire, car,
estant sur le poinct que, par la capitulation faicte, il
tiroit les capitaines et soldats de la maison bruslante,
et les siens, acharnez au pillage, ne furent pas aisez à
jetter dehors promptement. Tout ce qu'il put donc
faire fut d'envoyer La Grange et deux tiers de ce qui
estoit dans la maison à Sainct-Gelais, qui r'allioit hors
du bourg tout ce qui en sortoit avec désordre. La
Motte donne si gaillardement dans le bourg qu'il
enferme dans la maison brûlante dix-neuf de ses enne-
mis et treize des siens, qui n'avoyent pas eu loisir de
sortir. Voilà les refiformés en grand'peine, desquels
les uns vouloyent tuer ces treize prisonniers; mais
leur chef aima mieux les employer désarmez en un
grenier à combattre le feu, les faisant garder par deux
soldats qui avoyent tousjours le mousquet en joue.
21 6 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
La grande maison estant toute en feu, ceux qui d'as-
saillants estoyent venus assaillis, n'eurent en partage
qu'un appenti, la porte duquel estoit brûlée, et n'es-
toit fermée que de deux corps morts bruslant l'un sur
l'autre. La Motte enfile toute la bourgade, passe devant
la porte de l'appenti, lui en chemise et peu de ses
capitaines armez, et quelques hommes qu'on lui tua
en passant. Toute sa troupe le suivit, pour aller retran-
cher la bourgade au-devant de Sainct-Gelais et de ceux
qui s'estoyent ralliez à lui à un petit bois prochain.
Ayant ainsi mis ordre, il s'en vint attaquer les enfer-
mez, qui avoyent eu loisir de donner à la barricade une
seconde façon*.
Aubigné, ayant dit : « Compagnons, il ne faut point
douter de mourir ; mais il faut que ce soit de bonne
grâce, » prit une hallebarde, et, avec les capitaines
Villermac, Cornioux, Valière et Poirier, attendit La
Motte ; lequel, secondant un sergent qui avoit fait brus-
1er l'amorce, vint donner du ventre à la barricade, où
il laisse neuf des siens presque tous tuez à coups de
main. Le capitaine Forisson y redonne, qui en perd
sept de mesme. Comme ils vouloyent redonner la
troisiesme fois, les soldats ne firent que bransler la
queue, et se mirent à crier : « Au feu, au feu, ils
brusleront comme renards. » Je vous ai dit que la
porte de l'appenti n'estoit fermée que de deux corps
morts. Là donnèrent les Périgourdins , et n'y trou-
vèrent qu' Aubigné et Perai; mais ils furent si bien
receus que les deux premiers morts, accompagnez de
deux autres, leur servirent d'huis. Il restoit à com-
1. Var. de l'édit. de 1618 : < ... à la barricade la troisième
façon. Aubigné... »
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. IX. 217
battre le feu et les pierres, que, de la grand'maison
qui estoit esteinte, l'on jettoit sur les defifendants, les-
quels eussent esté tous estouffez, sans une petite cour
où ils alloyent respirer chacun à son tour. La Motte,
quoique voyant la rue pavée des siens, eut pitié de ces
gentilshommes, leur envoya du pain et du vin par un
tambour, les priant d'expérimenter sa courtoisie ; les
advertit comment Sainct- Gelais avoit par deux fois
donné au retranchement, duquel nous avons parlé,
mais n'ayant esté suivi par Les Ousches, Surimau,
Casaubon et deux autres, il n'avoit plus ni pouvoir ni
espoir de secourir ses amis. Cela estoit vrai, et Sainct-
Gelais n'estoit plus là que pour attendre quelque ren-
fort qu'il espéroit, non pour secourir, mais pour
venger ceux qu'il estimoit estre en cendre. Enfin un
sergent catholique, ayant recongnu Les Ousches, lui cria
que les assiégez n'en pouvoyent plus. Par là, Sainct-
Gelais, sachant ses amis encor en vie, redonna courage
aux siens pour le secours; et, sur ceste contenance, fit
capitulation, qui fut de rendre La Grange et les autres
prisonniers pour délivrer les enfermez; mais eux, qui
voyoyent de près en quel estât ils avoyent mis les
troupes de La Motte, et mesmes n'ayans plus à craindre
le feu, refusèrent l'accord entièrement.
Ces diverses sortes de combat ayans duré onze
heures, La Motte, aussi las que les autres, capitula
autrement, asçavoir qu'il battroit aux champs avec
tous les siens; lesquels s'estans retirez à demie lieue
de là, Aubigné choisiroit là les morts qu'il voudroit
faire emporter, et La Motte viendroit après quérir les
siens. En ce combat, du costé des refiformés, furent
tuez trois gentilshommes de marque, seize soldats et
218 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
trente blessez. Des liguez, moururent cent soixante
hommes sur la place et vingt-cinq^ à Sainct-Fresne^,
où ils s'estoyent retirez, jusques où ils furent poursui-
vis le lendemain par les forces du prince de Condé,
qui estoyent venues de Sainct-Jean au secours. Ce petit
combat livra de chance et resveilla les uns et les
autres à la guerre, de laquelle on doubtoit aupara-
vant.
De là à dix jours, le mesme Sainct-Gelais, accompa-
gné d'Aubigné, le premier n'ayant que son train, et
l'autre quinze arquebuziers à cheval, trouvèrent une
après-disnée trois compagnies de gens de pied, com-
mandées par Saincte-Catherine^, un autre nommé La
Motte et Fonsalmois. Ces troupes, pensans gagner
Brouage, vouloyent faire un logis à Briou*. Comme
ils n'estoyent pas encor logez, Sainct-Gelais arrive au
4)0ut du Bourg. Les quinze arquebuziers gaignent deux
maisons. Sainct-Gelais, estant entre des arbres, où il ne
pouvoit estre conté, fit faire quelques chamades à son
trompette, et puis l'envoya parler aux capitaines si
glorieusement qu'ils se rendirent à une capitulation,
laquelle sera mise ici comme nouvelle; asçavoir, à
rendre toutes les armes, à demander pardon à Dieu
et au roi, les genoux à terre, pour avoir esté traistres
à Sa Majesté et infidelles à l'Estat. Et le caprice de
Sainct-Gelais fut tel qu'il fit signer ces mesmes paroles
1. Var. de l'édit. de 1618 : « ... sur la place, et trente-cinq à
S. Frêne... »
2. Saint-Ferme (Gironde).
3. Le s. de Sainte -Catherine est signalé comme capitaine
ligueur dans les Mémoires de la Ligue, t. H, p. 4.
4. Briou (Deux-Sèvres), sur la ligne de Saint-Jean-d'Angély à
Poitiers.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. X. 219
au capitaine : « Et^ afin que nostre foi soit valable, nous
renonçons à l'abominable article du concile de Cons-
tance qui dispense du serment^. > Et puis sortirent du
bourg les troupes séparées ; asçavoir quarante avec le
baston blanc, qui alloyent en Brouage, septante l'es-
pée au costé, qui se retiroyent en leurs maisons, et
quelque soixante à qui on redonnoit les armes pour
les porter au service du roi. Tout cela sans recognoistre
leurs maistres, qui n'estoyent en tout que vingt-huict.
Chapitre X^.
Prise de Tules; voyage du duc de Mercœur en Poictou
et 'présentation de bataille^.
De tous costez, on oyoit nouvelles de ce que fai-
soyent les refformés comme de ce que nous avons dit,
et comment, bientost après, le vicomte de Turenne,
ayant avec soi le régiment de la Maurie et quelques
compagnie^ qui venoyent à Charbonnières, se saisit de
Tules ^. Il fit donner ses deux troupes d'infanterie par
i. Ces paroles manquent à l'édition de 1618.
2. Les réformés prétendaient qu'un décret du concile de Cons-
tance dispensait expressément les fidèles de tenir les promesses
faites aux hérétiques. Cette accusation n'a aucun fondement.
3. Dans l'édition de 1618, ce chapitre ne porte que le n* 8.
4. Ce dernier membre de phrase manque à l'édition de 1618.
5. Tulle (Corrèze) fut pris par Turenne dans les premiers jours
de novembre 1585. Le duc de Bouillon, dans ses Mémoires, parle
à peine de cet exploit (édit. Petitot, t. XXXV, p. 217). La prise
de Tulle a été, dans ces dernières années, l'objet de deux études
approfondies : l'une , par M. Clément Simon , Tulle et le Bas-
Limousin pendant les guerres de religion, in-S»; l'autre, par
220 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
deux endroits du fauxbourg des Haux. Chouppes^
avec ce qu'il avoit par le bas, Tauvenay ^, avec quelques
gentilshommes pied à terre, eut charge d'attaquer les
Cordeliers. Tout cela, plein de huict à neuf cens hommes
de pied, se deffendit très bien, principalement ceux
des Haux, qui avoyent fait quelques sorties, et, reme-
nez au commencement, les enfans perdus de La Mau-
rice, puis Charbonnières, et lui r'alliez, meslèrent les
plus tardifs de la retraicte, font avec pétard bresche
à une maison, où ils donnent et sont arrestez sur le
cul. Cependant quelques soldats de commandement, les
uns sur les espaules des autres, gagnent le dessus des
maisons, se logent dans les greniers, à l'effroi de quoi
Tauvenay emporta les barricades jusques à la porte
de la ville. Les habitants, ayans veu la gaillardise de
leurs ennemis, capitulèrent avec perte de cent qua-
rante des leurs, et bien cent des attaquans.
Le vicomte, sachant que Montluc*, avec les forces
M. Fage, plus spéciale aux événements de 1585, la Prise de Tulle,
in-8% 1891.
1. Pierre de Ghouppes, seigneur de Ghouppes, était alors con-
seiller et chambellan du roi de Navarre, et gentilhomme ordinaire
de sa chambre (État de la maison du roi de Navarre dans Mémoires
et corresp. de du Plessis-Mornay, t. III, p. 236).
2. Robert Tauvenay, capitaine protestant, commandait une
compagnie d'arquebusiers (De Thou, liv. LXXXII).
3. Le vicomte de Turenne donna au capitaine de la Maurie le
gouvernement de Tulle, qu'il conserva jusqu'à l'arrivée du duc
de Mayenne, novembre 1585 {Mémoires de Bouillon, ibid.).
4. Charles de Monluc, s. de Gaupène, second fils de Pierre
Bertrand de Monluc et petit-fils de l'auteur des Commentaires,
chevalier de l'ordre de Saint -Michel, capitaine de cinquante
hommes d'armes, sénéchal d'Agenais, tué le 19 mai 1596 sous les
murs d'Ardres dans un combat contre les Espagnols. M. Tami-
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. X. 221
de Gascongne, avoit assiégé Vic-FaisansacS y fit une
course, d'où il découple Vignolles^, avec cent cinquante
arquebusiers, pour entrer dans la ville, qui, comme
petite, estoit assiégée de fort près. On trouva mau-
vais que ceste commission, comme une des plus dif-
ficiles du mestier, fut donnée à un homme de dix-neuf
ans, mais il partit si à propos qu'il en fut quitte en
passant sur le ventre à un corps de garde de cent
hommes ; résolution qui fit lever le siège dans deux
jours.
La Ligue paroissoit en Poictou, premièrement par
quelques troupes de gentilshommes, qui avoyent esleu
sur eux Briandière^, l'un des plus pauvres de la
bande, mais homme de guerre. Et puis Nyort, comme
plus proche des refformés, commença, ou par crainte
ou par désir de nouveauté, à prendre le parti des
liguez, et se voulut fortifier de quatre-vingts lances et
quelques arquebuziers à cheval, que le duc de Mer-
zey de Larroque a publié dans la Revue de Gascogne (1888 et 1889)
plusieurs lettres de ce capitaine.
1. Du Pleix raconte avec assez de détails la défense de Vie-
Fezensac par Vignoles (t. IV, p. 122), mais il n'en donne pas la
date. Vic-Fezensac est dans le département du Gers.
2. Bertrand de la Hire, s. de Vignoles, capitaine gascon, ou
peut-être François de la Hire, s. de Vignoles, époux de Marie de
la Roche-Beaucourt en Poitou. Ce dernier capitaine est cité par
Brémond d'Ars [Rôles saintongeais). Nous croyons plus volontiers
à l'identification du premier, qui passa sa vie à faire la guerre en
Gascogne. Par un étrange jeu du hasard, après la mort de
Charles de Monluc, son adversaire en 1585, il épousa sa veuve,
Marguerite de Balaguier-Montsalès (Mémoires d'Antras de Sama-
zan, 1880, p. 173).
3. X. Farnoulx, seigneur de la Briandière, capitaine ligueur,
appartenait à une famille plusieurs fois citée dans les Annales de
Saintes.
2221 mSTOIRE UNIVERSELLE. [1585
cœur* leur envoya de Nantes par Hervilliers^. Et, dix
jours après, le duc mesmes, ayant amassé des forces,
voulut venir ruiner celles du prince de Condé, qui ne
faisoyent que naistre. Sur ceste nouvelle, les régiments
des refformés s'avancèrent jusques vers Fors ^, croyans
que les Bretons, sachans leur avancement, appréhende-
royent le Poictou. Mais, estant sceue à Fors l'arrivée
du duc à Fontenai* avec quatre mille cinq cents **
hommes de pied, sous un régiment faict au nom des
dames, celui de Sourdiac^ et Hautbois-Saulaye^; avec
cela, de six à sept cents chevaux, sous les compagnies
de Sainct-Laurens, Boulennes, Vandré^, Les Roches-
Bariteaux, Landereau^, Hacqueville*'^, Briandière, et
1. Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, fit cet
envoi de troupes à Niort vers la mi-septembre 1585.
2. Le s. d'Hervilliers, capitaine ligueur, originaire d'Orléans.
3. Fors (Deux-Sèvres).
4. Les Chroniques fontenaisiennes (1841, p. 209 et 414) racontent
que le duc de Mercœur, n'ayant pu obtenir du gouverneur, le s.
de la Roussière, l'ouverture des portes de Fontenay, passa huit
ou douze jours sous les murs de la ville à piller le pays. Une rela-
tion du temps, contenue dans les Mémoires de la Ligue (t. Il,
p. 2), confirme ce récit.
5. L'édition de 1618 porte : 4,000 hommes. Les Mémoires de la
Ligue disent que Mercœur avait seulement plus de deux mille
hommes (t. II, p. 2). Les Chroniques fontenaisiennes (p. 413) con-
firment ce chiffre.
6. René de Rieux, seigneur de Sourdéac, dit le jeune Château-
neuf, gouverneur de Brest, chevaUer des ordres du roi en 1599,
mort le 4 décembre 1628.
7. Hautbois-Saulay, capitaine ligueur. Peut-être faut-il lire Soûl-
let, nom qui figure souvent dans l'histoire des provinces de l'ouest.
8. Probablement Boulerne et Rigaut de Vaudreuil.
9. Philippe de Ghâteaubriant, seigneur des Roches-Baritaud,
chevalier de l'ordre du roi. — Charles Rouault, seigneur de Lan-
dereau, lieutenant du roi au gouvernement de Poitou (1576).
10. Hacqueville, capitaine normand.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. X. 223
la ligue de Poictou sous lui, sa compagnie de gens
d'armes, qui estoit de six vingts sallades, et ce qu'il
y avoit sous sa cornette blanche ; le prince de Condé
et le duc entrèrent en mutuelle crainte l'un de l'autre.
Ce qui arresta, par respect, trois jours les refFormés
et les katholiques, laissans pour barrière la rivière de
Sèvre. Un maistre de camp* du prince se convia à
passer l'eau et faire un faux logis à une lieue et demie
de Coulonge-les-Reaux^, où le duc avoit donné son
rendez -vous général le lendemain. Ce capitaine
remonstroit au prince que par là il tasteroit le duc,
qu'il faloit ainsi mesurer son ennemi, et que si, pour
la nouveauté, il ne rompoit point son dessein, n'y ayant
point moyen de prendre résolution sur la crainte, que
cela ne s'appelleroit qu'une course; et ceste troupe
se pourroit retirer, sans qu'il fust dict que le corps
du prince eust lasché le pied. Telle nouveauté fut
aggréable à des esprits en doute, et le dessein fortifié
de la présence du prince de Genevois^ avec plus de
force et plus d'apparence.
Ce capitaine donc, ayant laissé le prince de Genevois
avec six vingts sallades et quatre cents arquebuziers
à cheval dans Sainct-Massire*, jetta dans Coulonge dès
le matin des mareschaux de logis accompagnez de six
vingts arquebuziers, et lui, avec vingt-cinq sallades
bien choisies, donne dans le chemin de Fontenay, et
rencontre auprès de Chasseoon^ quarante sallades
1. D'Aubigné lui-môme.
2. C!oulonge8-les-Royaux (Deux-Sèvres).
3. Henri de Savoie, dit prince de Genevois, fils naturel de
Jacques de Savoie, duc de Nemours, et de Françoise de Rohan.
4. Saint-Maxire (Deux-Sèvres).
5. Saint- Martin-de-Ghassenon (Vendée).
224 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
menées par Herviliers, qui venoyent prendre langue,
cependant que leur armée desjeunoit pour desmar-
cher. Les deux trompettes de ces troupes ayant sonné
la charge de fort loing, ceux de Fontenay, ne pouvans
pas juger à qui ils avoyent à faire, pour ce que le pays
d'où naissoyent les refFormés estoit couvert, tour-
nèrent visage vers Fontenay, et ayant couru demie
lieue trouvèrent une autre troupe qui les r'asseurèrent.
Et le maistre de camp, ne les ayant suivis qu'autant
que le pays couvert lui cachoit la queue, despesche en
diligence au prince de Genevois, pour le faire avancer
à Coulonge, et au prince de Gondé, qui, ayant la bride
à l'arçon, vint dès ce soir au mesme lieu en confusion.
C'est le second exemple que je vous donne de la pre-
mière leçon des armées*.
Au lendemain matin, le prince envoya un trompette
au duc pour lui offrir le combat de ses troupes à son
armée, se moquant par la modestie du nom de troupes
sur celui d'armée, que le duc avoit pris ; et en mesme
temps fit marcher jusques à une portée de coulevrine
de Fontenay, avec les régiments de Lorges, Aubigné,
Sainct-Surin, Charbonnières, qui estoit venu de Tulles,
et deux compagnies de Bois-Rond; sous cela deux
mille cinq cents ^ hommes de pied sans piques, et cinq
cents chevaux d'eslite, sous les compagnies du prince,
de celui de Genevois, Rohan^, Clermont'*, Sainct-
1. Var. de l'édit. de 1618 : «... de5 armées; assavoir qu'il a
besoin des avantages. Au lendemain... »
2. L'édition de 1618 porte : 1,600 hommes de pied.
3. René de Rohan, vicomte de Rohan, fils aîné de René I®"" de
Rohan et d'Isabeau d'Albret, capitaine huguenot, mort à la
Rochelle en 1586.
4. Georges de Clermont d'Amboise, baron de Bussy, troisième
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. X. 225
Gelais et La Boulaye, qui avoit la plus forte com-
pagnie.
La* petite armée du prince fut mise en une assez
avantageuse forme de bataille, que je ne vous puis
donner, pour n'estre pas venue aux mains. Mais il
arriva deux petits accidents, qui me feront donner sur
les doigts à deux erreurs qui se commettent en la
milice françoise ; l'un est que la cavallerie légère, reve-
nant de la guerre, peut prendre le logis qu'elle veut,
sans l'authorité du mareschal de camp. L'autre, que
les enfants perdus prennent place de combat, sans
direction du sergent de bataille.
Ces abus ont glissé avec plusieurs autres, quand les
colomnels, oumaistres de camp de la cavallerie légère,
ont esté mignons de nos princes ; ou quand les ser-
gens de bataille, de mesme estofife et par faveur, ont
fait perpétuer leur charge, qui de longtemps n'estoit
qu'à l'occasion, et, ne sçachans leur mestier, se sont
laissez beffler^ aux jeunes capitaines. Geste faute ne se
trouve guères aux autres nations. La première confu-
sion arriva près Goulonges, à un régiment de gens
d'armes et de chevaux légers ensemble. Là fut jugé
que le privilège des chevaux légers, pour se placer,
s'entend outre l'assiette du mareschal de camp.
L'autre leçon est à la présentation de ceste bataille.
Lorges, commandé de mener deux cent cinquante
enfants perdus, refusa le picquet du sergent de bataille
et, disant n'estre astreint à rien, prit place au bois
fils de Jacques de Glermont d'Amboise et de Catherine de Beau-
yau, capitaine protestant.
1. Cet alinéa et les trois suivants manquent à l'édition de 1618.
2. Beffer ou hefler, jouer, duper.
VI ^h
226 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
d'Ardennes^ Mais ce vieux capitaine désobéi, et, ayant
un régiment, lui fit passer la fontaine de Cherzay^, le
mit si près du campement des Bretons qu'il n'y avoit
plus de place à prendre que celle du combat ; et puis
ordonna des autres bataillons, de façon que les enfans
perdus devinrent la troupe de réserve : soit dict pour
chastier cet erreur. J'en dirai autant de l'autorité que
les grands maistres de l'artillerie ont prise injuste-
ment et gardent mal à propos : c'est de ne prendre
que d'eux-mesmes l'assiette de l'artillerie, laquelle ils
logent plus pour la commodité que pour l'exécution.
Mais, n'en ayant point d'exemple ici, je m'arreste et
prie le lecteur de juger bien de ma digression, si elle
est avec profit. Revenons aux Bretons.
Le duc prit place de bataille dans le parc des Jaco-
bins de Fontenay, n'estant point tellement favorisé de
la ville qu'il y pust entrer le plus fort. Il n'y eut que
Les Roches-Bariteaux, qui, de la muraille des Jacobins,
bien percée, présenta ses troupes. La journée s'estant
passée en fanfare, le prince retourne à Goulonges^, et
les autres prindrent l'espouvante pour conseil, si bien
que, dès la nuict, partans avec la sourdine, ils s'en vont
à grandes traictes et en désordre vers Nantes* ; jettent
leurs drapeaux dans Sainct-Philibert de Grand-Lieu^,
1. Ardenne (Vendée), dans la commune de Gharzais.
2. Gharzais (Vendée), près de Fontenay-le-Gomte.
3. Le prince de Gondé, depuis plusieurs jours, campait à Gou-
langes (Chroniques fontenaisiennes, p. 209).
4. Ge récit est confirmé par une relation publiée dans les
Mémoires de la Ligue, t. II, p. 3, et par la chronique du Langon
{Chroniques fontenaisiennes, p. 210 et 414).
5. Saint-Philibert-de-Grand-Lieu (Loire-Inférieure), près du
lac de Grand-Lieu.
1585] LIYRE DIXIÈME, CHAP. X. 2l2l7
bourg enfermé d'eau. Le prince de Condé retourna
sur ses pas pour faire à ses ennemis, comme il disoit,
pont d'or et esplanade d'argent. Quelques arquebu-
ziers à cheval, entre ceux-là les capitaines L'Hom-
meau* et La Roche ^, sans commandement et desban-
dez, eurent à leur volonté tout le bagage de cette
armée, tuèrent cinquante de leurs hommes de guerre
et emmenèrent force prisonniers sans combat*.
De mesme temps, le comte de Brissac*, n'ayant pas
voulu se mesler avec le duc pour la haste que lui don-
noit le duc de Guy se, marchoit vers Beau-Préau^ et
Monraveau avec quelque deux mil hommes. Celui ^ qui
avoit esté cause de l'avancement du prince fit une
course avec cinquante chevaux vers ces troupes, où il
pensoit mieux faire, pource qu'elles devoyent marcher
d'asseurance ; mais, ayant chargé sur le soir et defifaict
quarante chevaux à un moulin près du Doré^, le
comte de Brissac jetta ses gens de pied avec effroi
aux passages d'Ingrande et Ghantossay ^ ; et lui avec
1 . Le capitaine L'Hommeau, du parti protestant, cité dans les
Chroniques fontenaisiennes, p. 418.
2. Var. de l'édit. de 1618 : « ... L'Hommeau et Brion, sans
commandement... »
3. Les compagnies du duc de Mercœur, poursuivies à outrance
par les capitaines du prince de Condé, furent rompues au passage
du Lay, petit cours d'eau qui passe à Mareuil {Chroniques fonte-
naisiennes, p. 414).
4. Charles de Cessé, comte de Brissac, maréchal de France,
gouverneur d'Angers en 1585, capitaine catholique, mort en
juin 1621. M. Mourin a consacré une notice détaillée à ce capi-
taine (La Réforme et la Ligue en Anjou, 1856, p. 192).
5. Beaupréau et Montrevault (Maine-et-Loire), sur l'Èvre.
6. D'Aubigné lui-même.
7. Le Doré (Maine-et-Loire), commune du Puiset-Doré.
8. Ingrande et Champtocé (Maine-et-Loire), sur la Loire.
228 HISTOraE UNIVERSELLE. [1585
Ja cavallerie gaigna le pont de Se*, pour mettre Loire
entre lui et ses ennemis.
Ainsi le prince de Condé demeura maistre de la
campagne sur le poinct qu'il espousa la sœur^ de la
Trimoùille, duc de Touars^, et, par ce mariage*, ren-
força son parti de ce beau-frère, qui n'y fut pas inu-
tile après, et de la place de Taillebourg^, très forte
et importante, pour ce que c'est le dernier pont de
Gharante ; mais il y eut de la façon pour la mettre au
parti des refformés. Car Bellegarde^, lieutenant de roi
en Xainctonge, avoit jette Beaumont' et ses compa-
gnies de gens de pied dedans les villes haute et basse
qui, en huict jours de loisir, s'estoyent retranchez à la
teste d'en haut, pour y attendre une coulevrine; et
puis avoyent, de là jusques au pont, la rivière à main
gauche, et la roche du chasteau pour muraille à droicte,
1. Saint-Aubin du Pont-de-Gé (Maine-et-Loire), près d'Angers.
2. Charlotte -Catherine de la Trémoille, seconde femme du
prince de Condé, morte le 28 août 1629.
3. Claude de la Trémoille, duc de Thouars, né en 1566, pair de
France, fidèle serviteur de Henri IV, mort le 25 octobre 1604.
4. Le mariage se fit à Taillebourg le dimanche 16 mars 1586.
5. Taillebourg (Charente-Inférieure) appartenait à la maison
de la Trémoille.
6. César de Saint-Lary, seigneur de Bellegarde, né en 1562,
gouverneur de Saintonge, Angoumois et pays d'Aunis, capitaine
de cinquante hommes d'armes, gouverneur de la Rochelle, tué
en 1587 à la bataille de Coutras. On trouve de nombreux docu-
ments sur ce capitaine dans Études, documents et extraits relatifs
à la ville de Saintes, publiés par le baron Eschasseriaux, in-4«,
1876, p. 371 et suiv.
7. Jacques de Beaumont, s. de Rioux et de Nieulles-Saintes,
capitaine catholique, lieutenant du maréchal de Matignon, avait
été gouverneur de Taillebourg. On le trouve souvent mentionné,
pendant le règne de Henri III, dans Études, documents et extraits
relatifs à la ville de Saintes.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. X. 229
sans qu'il y eust ni descente ni poterne pour venir à
eux au combat, sinon un petit portillon dans la muraille,
qui fermoit le grand fossé du chasteau ; et encores le
pont pour en sortir estoit affronté et bloqué de bons
retranchements garnis de mousqueterie * .
La dame de la Trimouilie^ qui, avec sa fille, estoit
dans la place, envoyé à Sainct-Jean demander aide ^. Le
comte de Laval*, Sainct-Mesme^ et Lorges, ayans
1. Suivant des documents cités par l'annotateur des Chroniques
fontenaisiennes, c'était la dame de la Trémoille elle-même qui,
par passion pour la Ligue, avait fait entrer les soldats de Beau-
mont dans la ville de Taillebourg (p. 415, note). Voyez les notes
suivantes sur le rôle très discuté de la dame de la Trémoille.
2. Jeanne de Montmorency, veuve de Louis III de la Trémoille,
premier duc de Thouars. Suivant de Thou et la plupart des his-
toriens, la dame de la Trémoille, qui désapprouvait l'ardeur pro-
testante de son fils et de sa fille, avait quitté le château de Tail-
lebourg aux premières menaces du siège (De Thou, liv. LXXXII),
Au contraire, suivant une relation pubUée dans les Mémoires de
la Ligue (t. Il, p. 163), que d'Aubigné suit pas à pas dans la suite
de ce récit, elle serait restée à Taillebourg pour faire tête à l'en-
nemi. Cette version doit être la bonne, puisqu'elle est confirmée
par d'Aubigné. Elle semble confirmée par les Chroniques fonte-
naisiennes (p. 416), qui racontent que le roi, mécontent du chan-
gement de front de la dame de la Trémoille, la fit arrêter et
conduire à Poitiers.
3. La dame de la Trémoille, suivant les uns, Charlotte de la
Trémoille, suivant les autres, ou toutes deux organisèrent avec
courage la défense de Taillebourg. Elles envoyèrent au comte de
Laval un page avec une lettre par laquelle elles réclamaient du
secours et l'instruisaient de la façon dont il pouvait franchir les
lignes des assiégeants (Relation dans les Mémoires de la Ligue,
t. II, p. 164). Ce fut, disent quelques contemporains, l'héroïsme
de cette jeune fille qui fit naître l'amour du prince de Condé et
qui le décida à demander sa main.
4. Gui de CoUgny, comte de Laval, fils de François de CoUgny,
seigneur d'Andelot, et de Claude de Rieux, mort en 1585 au
château de Taillebourg.
5. François de la Rochebeaucourt, échanson et maître d'hôtel
230 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
ramassé leurs compagnies, poussent devant La Boulaye
avec sa troupe et quelques arquebuziers qu'ils lui
donnèrent*.
Le secours arrivé vers la garenne, ce fut à desmes-
1er les mesfiances huguenottes, mais un gentilhomme,
nommé Bois-Giraud- et un autre nommé DuHamet^,
estans descendus par des cordes, La Boulaye s'en sert
de guides, les fait suivre par ses arquebuziers, leur
donne pour les soustenir Bastarderais, avec dix-huit
gentilshommes, lui les suivant avec son reste. Les pre-
miers coulent par le portillon que nous avons dit
couvert de ronces et d'espines, et, s'estant jettez un à
un, Bastarderais se hasta de saisir la rue, pour ce
qu'on gourmandoit les siens par devant et par der-
rière. La Boulaye fait donner sa troupe par le haut,
et lui suit par la poterne. Quelques canonades et mous-
quetades du chasteau favorisans l'afifaire, Beaumont et
les siens furent enfoncés, pris ou tuez^ Je ne veux
pas oublier que sur l'heure du combat le capitaine Pic-
du roi, sénéchal de Saintonge, gouverneur d'Angoumois et de
Saint-Jean-d'Angély, capitaine de cinquante hommes d'armes,
seigneur de Saint- Mesme (et non de Sainte-Mesme), près Cognac,
Mainxe, le Grollet, Varaize et Sémoussac (Études, documents et
extraits relatifs à la ville de Saintes, p. 388, note).
1 . Le comte de Laval avait cent hommes de pied armés de cui-
rasses et trois à quatre cents arquebusiers (Mémoires de la Ligue,
t. II, p. 164).
2. Le s. de Boisgiraud, capitaine protestant, appartenait à la
famille de Marchais, de Saintonge.
3. Probablement du Hamel, capitaine protestant, originaire du
Brouage.
4. Défense du château de Taillebourg et prise de la ville par
les réformés, décembre 1585. Le capitaine Boursier, lieutenant
des gardes du prince de Gondé, fut nommé gouverneur de la
place.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XI. 231
quard*, avec toute la garnison de Xainctes, secourut
les attaquez, ce qui fut cause de plus de combat et de
plus grande perte aux catholiques, et mesme que la
dernière compagnie, qui marchoit pour le secours, fut
chargée et deffaicte par Rieux^, frère de Laval, dans
un chemin creux.
En tout cet affaire, il y eut quelques cent quarante
morts, quatre drapeaux pris, les autres sauvez dans
la pochette, seize capitaines et gentilshommes prison-
niers, qui furent traictez courtoisement; de l'autre
costé, ne fut perdu que six soldats^.
Chapitre XI.
Siège de Brouage*.
De Taillebourg, le prince eut dessein de penser au
payement de ses forces, et, pour ce faire, ayant tout
ramassé, et emprunté des Rochelois ce qu'il put
d'hommes et vaisseaux, il fit quitter d'effroi les garni-
sons^ que Sainct-Luc avoit mises dans Fourras, Sainct-
1. Le capitaine Picart était entré à Taillebourg la nuit qui
précéda la défaite du capitaine Beaumont avec cent vingt hommes
de renfort (Relation dans les Mémoires de la Ligue, t. Il, p. 165).
2. Gui de Coligny, s. de Rieux et de Ghàteauneuf, chevalier
de l'ordre du roi, capitaine de cinquante hommes d'armes de ses
ordonnances, plus tard gouverneur de Brest.
3. Le récit de la défense du château de Taillebourg et de la
prise de la ville par les protestants est donné avec détails dans
une relation reproduite par les Mémoires de la Ligue, t. Il, p. 163,
et dans le liv. LXXXII de l'histoire de de Thou. Les deux récits
diffèrent sur plusieurs points.
4. Siège de Brouage (Charente-Inférieure) par le prince de
Gondé, 19 septembre 1585 (Mémoires de la Ligue, t. II, p. 5).
5. Ces garnisons étaient commandées par le capitaine Villetar
2321 mSTOlRE UNIVERSELLE. [1585
Jean-d' Angle * et Soubize^. Celle de ce dernier fut
chargée en se retirant par Lorges, qui les pressa de
façon qu'en leur faisant quitter tous les avantages des
marais, il les mena battant jusques sur le bord de
Brouage, en tua quelques dix-huict à la veue de Sainct-
Luc, qui ne les pouvoit faire secourir à cause que la
mer estoit basse; prit les capitaines Luchet et Millan-
bourg^ avec cinquante de leurs prisonniers, qu'il mit
au commencement sur leur foi.
Tous ces petis succès eschaufFèrent le prince de
Condé et lui firent haster le siège de Brouage, et * le ren-
dirent plus résolu. Et pourtant il s'avança à Marennes^,
sans estre arresté plus tost qu'au bourg d'Hiers®, qui
estoit gardé par un petit canal qu'on ne pouvoit passer,
sinon aux basses marines. Là-dedans Sainct-Luc avoit
logé trois cents de ses meilleurs hommes. Ceux-là
firent bonne contenance quelque temps ; mais, voyans
(Mémoires de la Ligue, t. II, p. 5) sous les ordres de François
d'Épinay, seigneur de Saint-Luc, gouverneur de Brouage, ancien
mignon de Henri III, mort au siège d'Amiens le 8 sept. 1591.
1. Prise de la tour de Fouras (Charente-Inférieure) par le prince
de Condé, 18 septembre 1585. Le 19 septembre, prise de Soubise
(Charente-Inférieure). Voyez les Mémoires de la Ligue, t. Il, p. 6.
2. Var. de l'édit. de 1618 : « Soubize. La garnison de ce der-
nier lieu fut chargée... i
3. Les s. de Luchet étaient deux frères. L'aîné, en 1585, appar-
tenait au parti du s. de Saint-Luc (Études, documents et extraits
relatifs à la ville de Saintes, p. 375). Luchet et Millambourg sont
cités dans les Mémoires de la Ligue, t. II, p. 6.
4. Cette fin de phrase manque à l'édition de 1618.
5. En allant faire le siège de Brouage , raconte de Thou
(liv. LXXXU), le prince de Condé partit de Sainte-Gemme,
s'avança vers Saint-Just, laissa Marennes sur la gauche et arriva
enfin à Hiers.
6. Hiers (Charente-Inférieure), petit bourg voisin de Brouage.
ï
4585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XI. 2133
une troupe menée par La Boulaye, qui s'avançoit par
le marais pour couper entre la bourgade et Brouage,
ceux d'Hiers, tant pour leur salut que pour la ville,
gagnèrent la contr' escarpe, et ainsi les refformés com-
mencèrent quelque face de siège^. Cependant, Mor-
nac^ estoit attaqué par ceux de Saujon^ que Candelay
commandoit.
Après deux jours d'approche et légères pertes, il
receut ceux de dedans à composition. Là fut pris le
capitaine Jean Pierre*, qui a voit eu et a depuis grand
crédit à la marine. La Trimoiiille, avec une compagnie
de gens d'armes, se vint déclarer du parti de son
beau-frère^.
Ceux de la Rochelle, estans bien advertis des grands
manquements qu'il y avoit en Brouage, mais princi-
palement de la disette d'eau, de vin et de médica-
ments, esquippèrent de nouveau ce qu'ils eurent de
meilleurs vaisseaux®. Avec tout cela commença le
siège de blocus en cette façon. Sainct-Gelais, mareschal
1. Prise d'Hiers -Brouage (Charente-Inférieure) par Condé,
19 septembre 1585 {Mémoires de la Ligue, t. II, p. 7).
2. Siège de la Tour de Mornac, dans l'île d'Alvert (Charente-
Inférieure), par le prince de Condé, 25 septembre 1585. Mornac
fut pris peu de jours après (Mémoires de la Ligue, t. U, p. 8).
3. Saujon (Charente-Inférieure), sur la Seudre.
4. Le capitaine Jean-Pierre est signalé dans les Mémoires de la
Ligue comme le favori de Saint-Luc (t. II, p. 8).
5. Claude de la Trémoille, duc de Thouars, arriva au camp du
prince de Condé le 22 septembre 1585 (Mémoires de la Ligue,
t. U, p. 8).
6. La flottille, envoyée par la ville de la Rochelle au secours
du prince de Condé et des assiégeants de Brouage, arriva le
22 septembre 1585 (Mémoires de la Ligue, t. II, p. 8).
234 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
de camp, se retrancha à la Blanchardière ^ avec ceux
qu'on y envoyoit en garde du bourg d'Hiers, où estoit
Bois-du-Lis^, avec les régiments de Lorges, Sainct-
Surin, Bois-Rond, Aubigné à Sainct-Aignan^, avec son
régiment, sa compagnie de chevaux légers et six
compagnies d'arquebuziers à cheval, qu'on lui avoit
donné de plus, pour rendre compte de ce qui pouvoit
venir en la ville par les achenaux et marais de ce
costé-là jusques à la mer. Et pourtant, ayant recouvré
des bateaux, il vint faire deux forts tout auprès de
l'endroict où la Scitie* s'estoit engagée, comme nous
avons dit au dernier livre du premier tome.
Banques^ eut la commission d'Oléron, où, à la
faveur des navires rochelois, il se logea légèrement,
et prit à son arrivée les capitaines Beaumont ^ et Tié-
bert^, qui estoyent descendus dans l'isle, pour cer-
cher moyen d'entrer en Brouage, estans envoyez de la
part du mareschal de Matignon pour négocier avec
Sainct-Luc. Par leurs mémoires et propos, le prince fut
1. La Blanchardière (Charente-Inférieure), village d'Hiers.
2. Les Mémoires de la Ligue (t. Il, p. 9) l'appellent Boisdulie.
Les Lettres de Henri IV (t. VIII, p. 338) mentionnent un capitaine,
du nom de Boisdulis, comme o personne capable, suffisante et
traictable. »
3. 8aint-Agnant-les-Marais (Charente-Inférieure).
4. La Scithie était un navire de guerre.
5. Antoine de Ranques, capitaine huguenot, fidèle serviteur
du roi de Navarre, plusieurs fois cité dans les Lettres de Henri IV.
6. Le capitaine Beaumont était alors mestre de camp du maré-
chal de Matignon (Mémoires de la Ligue, t. II, p. 9).
7. Thiébert, capitaine catholique, sergent-major de la garnison
de Brouage. De Thou (liv. LXXXIE) raconte que ce personnage
avait été l'un des promoteurs de la Ligue en Poitou.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XI. 235
asseuré qu'il n'y avoit point de secours pour ceux de
Brouage, au moins qui pust estre prest de longtemps;
si bien que, voyant toutes choses rire à son entreprise,
il s'y confirma tant plus, employant le temps à policer
son armée, que lors il commença d'appeler ainsi, à
mettre aux armes et en compagnie les habitans de ces
isles, qui estoyent au nombre de trois mille, et qui au
commencement s'employèrent assez bien pour leur
liberté, car ils appelloyent ainsi l'obéyssance à un
prince de mesme religion qu'eux. Ils commencèrent
donc à travailler au pas de Sainct-Sorlin, de Sainct-
Just^ et de Marennes, qui sont, comme nous avons dit
ailleurs, trois isles dans le marais, qu'ils appellent les
paSy et là où le peuple en bonne intelligence se pour-
roit maintenir, ayant du canon, contre une armée
turquesque. Je l'ai ainsi ouï maintenir et prouver dans
un conseil de gens de guerre. Durant ces labeurs, se
passoyent tous les jours escarmouches assés gaillardes
dans ceste grande plaine, qui descend de la Blanchar-
dière à la ville, et dans laquelle les assiégeans n'avoyent
point faict de logis; se contentans de r'amener ceux
qui sortoyent jusques à la place du moulin, dont nous
avons parlé autresfois. A ces exercices ne se trouvoyent
guères de gens de cheval, que la compagnie de La
Boulaye, qui donna une fois dans la queue de ceux
qui se retiroyent, mais, pour avoir trop tost paru, per-
dit une belle occasion.
Là se signalèrent, de ceux de dehors, Bois-Rond,
Sainct-Surin, l'aisné Villermac, et, sur tous, Bois-du-
1. Saint-Sornin-de-Marennes et Saint-Just (Charente- Infé-
rieure).
Si36 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
Lis. Du dedans, Saint-Luc eschappa fort souvent plus
loing que ne devoit le gouverneur. Luchet et Fauville
y parurent en deux ou trois occasions, mais particu-
lièrement Guitaut, qui présenta un combat de six
vingts mousquets et quatre-vingts picques à autant de
cavallerie. Durant ces esbatements, il faut sçavoir des
nouvelles de la cour.
Chapitre XIL
Affaires de la cour.
Brouage n'estoit pas assiégé de si près que le roi,
bien empesché à répondre aux dernières requestes de
la Ligue, qui demandoit l'aumosne avec une espée à
deux mains et faisoit à ce prince le cercle de Popilius.
D'une part les armées qui grossissoyent pour les liguez
l'espouvantoyent, les discours ordinaires de la roine
sa mère, ceux de ses confesseurs, de ses confrères,
et de ceux qu'il avoit choisis pour tesmoins de son
excessive piété ^, ne le souffroyent prendre haleine.
Quelques-uns seulement d'auprès de lui, mais de peu
de marque au prix du mareschal d'Aumont^, l'encou-
rageoyent. Avec lui, il cerchoit des remèdes paliatifs
à sa maladie en vain. Il tasta une conférence^ par le
1. Le Journal de L'Estoile raconte que, non seulement le roi
assistait à tous les offices, suivait toutes les cérémonies, écoutait
tous les sermons des pénitents de Notre-Dame, mais encore qu'il
prêchait lui-même. Voyez à la date du 31 octobre 1585.
2. Jean d'Aumont, né en 1522, maréchal de France en 1579,
fidèle serviteur de Henri IV, qui le nomma gouverneur de Cham-
pagne, puis de Bretagne, mort le 19 août 1595.
3. D'Aubigné insinue ici que le roi essaya d'obtenir une con-
I
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XH. 2|37
cardinal de Lenoncourt* et le président Brulard*,
receue des Guisards avec mespris. Les refformés lui
envoyoyent des offres excellens contre ses ennemis,
avec grandes fidélitez et des soubmissions à ses pieds.
L'Angleterre vouloit défoncer pour lui. La roine
Élizabeth se condamnoit à faire de grandes avances
de deniers^. Tout à la foule arrivèrent les ambassa-
deurs^ extraordinaires des électeurs palatin, de Saxe
et de Brandebourg; des ducs de Wittemberg et de
Brunsvich, et du lantgrave d'Hessen ^, et cela exécuté
par les plus grands seigneurs d'Allemagne.
férence avec les Guises par l'intermédiaire du cardinal de Lénon-
court et du secrétaire Brulard, mais il se trompe. Ce fut au roi
de Navarre que Henri III envoya ces deux ambassadeurs sous
prétexte de le convertir, mais, en réalité, pour lui demander
une entrevue. Partis de Paris avec deux docteurs de Sorbonne,
le 22 juillet 1585 (Journal de UEstoile), ils arrivèrent le 25 août
à Nérac. Le récit de leur mission est publié dans les Mémoires
de la Ligue, t. I, p. 211.
1. Philippe de Lénoncourt, conseiller d'État, évêque d'Auxerre
en 1562, cardinal en 1586, mort en 1591.
2. Nicolas Brulart, marquis de Sillery, seigneur de Puisieux, né
en 1554, conseiller au Parlement en 1573, successivement chan-
celier de Navarre et chanceUer de France, mort le l" oct, 1624.
3. Ce ne fut pas au roi de France, comme d'Aubigné semble
le dire, que la reine ÉUsabeth fit des avances de deniers, mais
au roi de Navarre. Les Lettres de Henri IV k cette date sont rem-
plies de négociations à ce sujet.
4. La mission des ambassadeurs des princes allemands auprès
du roi n'eut heu qu'en 1586. Le roi leur donna audience le
11 octobre et échangea avec eux des harangues d'apparat. Ces
pièces sont pubUées dans les Mémoires de la Ligue, sous cette date,
t. I, p. 319 et 325. De Thou confirme cette date (liv. LXXXVI).
5. Jean-Casimir, électeur palatin. — Christian II, électeur de
Saxe. — Jean-George, électeur de Brandebourg. — Frédéric de
Wurtemberg, duc de Montbéliard. — Jules, duc de Brunswick.
— Guillaume, landgrave de Hesse.
238 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
En mesme temps se descouvroyent entreprises
d'attentats sur la vie du roi, et des résolutions de le
mettre moine. Il ne pouvoit fournir à voir les petits
livrets* qu'on lui portoit en prose et en vers^ et en
1. D'Aubigné anticipe peut-être. A la date où nous sommes
(1585), les pamphlets n'avaient pas encore paru. Ils ne furent
imprimés qu'après la journée des barricades, dans '' seconde
moitié de 1588 et en 1589. Les plus célèbres sont les plus inju-
rieux : les Sorcelleries de Henri de Valois ; les Mœurs, humeurs et
comportemens de Henri de Valois...; la Vie et faits notables de Henri de
Valois... La célèbre Description de l'isledes Hermaphrodites n'a. été
rédigée qu'après 1598, puisque l'auteur y parle du traité de Ver-
vins, et n'a été publiée que vers 1605.
2. Une de ces pièces de vers mérite d'être sauvée de l'oubli, à
cause de l'énergie et de la précision avec laquelle elle dépeint la
situation politique après le traité de Nemours. Tel fut, du reste,
l'avi's de l'ambassadeur d'Espagne, qui l'envoya à Philippe II,
dans la correspondance duquel nous retrouvons ce document
curieux :
Le roy.
Je désire la paix, et la guerre je jure.
Duc de Guise.
Mais, si la paix se fait, mon espoir n'est plus rien.
Duc de Mayenne.
Par la guerre nous vient le crédit et le bien.
Gard, de Guise.
Le temps s'offre pour nous avec la couverture.
Roy de Navarre.
Qui comptera sans moi, pensant que je l'endure.
Comptera par deux fois, je m'en asseure bien.
Gard, de Bourbon.
Chacun peult bien compter ce qu'il pense estre sien.
La royne mère.
La dispute ne vault pendant que mon fils dure.
Le pape.
Poursuivons néanmoins la Ligue et ses projets.
L'empereur.
Le roy doncques perdra la France et ses subjects.
Le roy d'Espagne.
Si la France se perd, je l'auray tost trouvée.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XH. 239
diverses langues, quelques-uns de ceux-là chantans,
qu'aux deux couronnes que le roi faisoit porter pour
devise*, il lui en faloit adjouster pour troisiesme une
de cheveux 2, mais le feu estoit mort au foyer de son
cœur, et tous ces soufflets n'en faisoyent voler que de
la cendre; si bien que tous les gens de guerre, et
mesmement les soldats des gardes, blasphémoyent de
leur prince et de sa lascheté ; de laquelle les escripts
attribuoyent la cause à des péchez horribles, véritables
ou inventez. Vous oyiez dire tout haut que, depuis
que ce prince s' estoit prostitué à rameur contre
nature, mesme avoit tourné ses voluptez à patir au
La France.
Tout beau ! il ne faut pas tant de chiens pour un os,
Et ceux-là ont, bien mal ma puissance esprouvée
Qui pour l'ambition me troublent le repos.
(Arch. nat., K. 1564, n» 30. — Imprimé dans les
Mémoires de la Ligue, t. II.)
i. Henri Ul avait la faiblesse de porter le titre de Roi de
France et de Pologne et d'écarteler les armes de France avec
celles de Pologne.
2. Voici le fait auquel d'Aubigné fait allusion. Au mois de
novembre 1585, on inaugura à Paris le cadran de l'horloge du
palais. Ce cadran contenait un portrait du roi, au-dessous duquel
était gravé ce vers :
Qui dédit ante duas, triplicem dabit ille coronam.
Un ligueur y ajouta le suivant :
Tertia sic dabitur, tenuit sicut ante secundam.
Plus tard, on transforma ces vers comme suit :
Qui dédit ante duas, unam abstulit, altéra nutat,
Tertia tonsoris est facienda manu.
(Journal de L'Estotle, sous la date du 18 nov. 1585.)
Le mot fit fortune. Le Journal de L'Estoile raconte que la
duchesse de Montpensier disait plus tard « qu'elle portsùt à sa
ceinture les cizeaux qui donneroient la troisième couronne à
frère Henri de Valois » (janvier 1588).
240 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
lieu d'agir, on cottoit la perte du courage qu'on avoit
veu à Monsieur avant la naissance de telles énormitez.
De ce mespris vint la crainte des partisans royaux,
qui voyoyent le péril marié avec la honte. A quoi
s'adjousta la grande terreur donnée par cette grande
armée qu'on dressoit à Lisbonne, telle que nous la
despeindrons en son lieu. Et ainsi les plus confidents
seigneurs et gentilshommes, et les plus estimez con-
seillez de ce roi, gagnez, oultre la peur, par les pré-
sents d'Espagne*, menèrent au commencement l'es-
prit de leur maistre, et puis le traînèrent tout à faict
dedans l'estonnement ; recevans de bon cœur la ful-
minante du pape et l'excommunication^ de tous les
1. D'Aubigné ne dit pas et ignorait peut-être que le roi d'Es-
pagne décida la Ligue à envoyer le duc de Nevers à Rome, afin
d'obtenir le consentement et l'appui moral du pape en faveur du
parti catholique. Nevers arriva à Rome le 1" juin 1585. Après
de longues hésitations , poussé par l'ambassadeur d'Espagne,
Sixte-Quint se décida à lancer une bulle contre le roi de Navarre.
M. le baron de Hubner a très bien raconté, d'après les archives
du Vatican, ces intrigues et ces événements {Sixte-Quint, t. II,
p. 163).
2. La bulle lancée contre le roi de Navarre et le prince de
Gondé fut signée le 28 août 1585 (De Thou, liv. LXXXII), mais
elle ne porte que la date du 9 septembre. Elle est imprimée dans
les Mémoires de la Ligue, t. I, p. 214, dans les Archives curieuses
de Gimber et Danjou, t. XI, p. 47, dans les pièces justificatives
de la Biographie protestante d'Ra.a.g, t. X, p. 187, et ailleurs. Cette
bulle n'a pas seulement pour objet d'excommunier les deux
princes de Bourbon, elle prétend aussi les déclarer déchus, eux
et leur descendance, de tout droit à la succession du royaume de
France, Le roi de Navarre et le prince de Gondé y répondirent
par une protestation très bien fondée, qu'ils s'efforcèrent de faire
afficher à Rome comme un défi. Ils y réussirent, d'après presque
tous les historiens, le 6 novembre suivant; mais ce point nous
paraît douteux, malgré l'autorité de de Thou, attendu le silence
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XH. 241
hérétiques et de leurs fauteurs, car, après cette menace,
qui sembloit agir plus aux consciences qu'aux courages,
il n'y eut plus de honte à la consternation.
Voilà donc le roi en Parlement à protester de son
innocence*, et de là en une assemblée publique^, où
il harangua en client et non en raaistre, fit un grand
discours de ses dévotions ; cela receu avec risées qui
lui furent visibles; s'estendit sur les plaisirs de la
paix, sur les malheurs de la guerre; et, après quelques
reproches de ses bienfaits, conclut en prenant la har-
diesse de dire qu'en voulant perdre le presche, on
mettroit la messe en grand hazard^. De ce pas, il
de toutes les correspondances de Rome. La protestation des
princes est imprimée à la suite de l'acte d'excommunication. La
réfutation de la bulle donna lieu au célèbre pamphlet de Fran-
çois Hotman : Brutum fulmen papse Sixti Quinti adversus Henri-
cum, serenissimum regem Navarrx et illustrissimum Henricum
Borbonium, principem Condœum : una cum protestatione multi-
plicis nullitatis, 1586, in-8o, et 1603, in-12. Le texte de la bulle
est imprimé en tête du pamphlet.
1. Le 18 juillet 1585, le roi se rendit au Parlement en per-
sonne pour faire enregistrer un édit en date de ce jour, signé
en suite du traité de Nemours, par lequel il révoquait tous les
édits de tolérance publiés précédemment. Cet édit est publié dans
les Mémoires de la Ligue, t. I, p. 196. La visite du roi au Parle-
ment fournit à L'Estoile l'occasion d'un de ses plus jolis récits
(édit. GhampoUion, p. 187).
2. Le 11 août 1585, le roi manda au Louvre le prévôt des mar-
chands, quelques notables de la ville, les présidents du Parle-
ment, les doyens des corps ecclésiastiques, et leur fit une longue
harangue pour obtenir une subvention destinée aux frais de la
guerre. Cette harangue est imprimée dans les Mémoires de la
Ligue, t. I, p. 199.
3. Voici les propres paroles du roi en réponse à quelques
observations soulevées par ses interlocuteurs : « Il eust donc
mieux valu me croire. J'ay grande peur qu'en voulant perdre le
prêche, nous ne bazardions fort la messe. » Et il ajouta : « Il
VI 16
M% HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
accorda l'Édict de juillet*, par lequel il abolit tous
les édicts en faveur des réformés^. Nous en dirons les
particularitez en fermant le livre et le tome. Cet édict
fut retenu secret^ près de deux mois, dont advint que
les refformés firent la guerre de tous les costez de la
France, jusques au commencement d'octobre ; n'ayans
mot général que Vive le roi, quelques-uns d'eux por-
vaudroit mieux faire la paix. Encores ne sais-je s'ils (les réfor-
més) la voudront recevoir à notre heure » (Mémoires de la Ligue,
t. I, p. 200).
1. D'Aubigné confond l'édit de juillet avec le traité de juillet,
plus connu sous le nom de traité de Nemours. L'édit de juillet
porte la date du 18, jour où il. fut soumis au Parlement, comme
on l'a vu plus haut. Le traité de Nemours est du 7 juillet. Voyez
les notes suivantes.
2. D'Aubigné se montre ici mal informé et se contredit lui-
même. Le traité de Nemours et l'édit du 18 juillet ne furent pas
tenus secrets. Ils furent, au contraire, publiés avec le plus de
retentissement possible. Un seul article resta secret : celui qui
accordait aux ligueurs des places de sûreté. Voyez de Thou,
liv. LXXXI. Quant à l'édit du 18 juillet, d'Aubigné vient de
nous raconter qu'il fut soumis à l'enregistrement du Parlement.
Aussitôt qu'il connut le traité et l'édit, le roi de Navarre pro-
testa avec éclat. Le 10 août 1585, il lança un manifeste, dû à la
plume de du Plessis-Mornay, qui faisait ressortir la faiblesse et
la lâcheté du roi. Cette pièce importante est publiée dans les
Mémoires de la Ligue, t. I, p. 182, et dans les Mémoires et corres-
pondance de du Plessis-Mornay, édit. Auguis, t. III, p. 159. Il
écrivit aussi au roi et à la reine, le 21 juillet et les jours suivants,
d'éloquentes lettres qui sont publiées dans Lettres de Henri IV,
t. II, p. 93 et suiv.
3. Le traité de Nemours fut signé par la reine mère et par les
chefs de la Ligue le 7 juillet 1585. Par cet acte, le roi s'engageait
à faire la guerre à la réforme et à mettre toutes ses forces au
service du parti catholique. Le texte en a été souvent imprimé.
L'original de cet instrument diplomatique, signé par la reine, les
cardinaux de Bourbon et de Guise, ducs de Lorraine, de Guise
et de Mayenne, et contresigné par le roi, est conservé dans le
f. fr., vol. 10297, f. 20.
i585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XIII. 243
tans des croix blanches abouties de fleurs de lis et
appeloyent ces marques des contre ligues. Le roi de
Navarre et le mareschal de Matignon^, serviteur du
roi, vivoyent avec quelque respect, qui retenoit plu-
sieurs effects de guerre- ; ce que ne faisoit pas le prince
de Condé, que nous avons laissé assiégeant, et dont
nous Talions tirer, à son dommage, par la prise du
chasteau d'Angers.
Chapitre XIII.
Surprise du château d'Angers.
Glermont^ avoit laissé le prince assiégeant pour
aller amasser quelque noblesse en Anjou. En passant
par Beauforf^, desguisé, Rochemorte^, qui le suivoit,
sçeut par le capitaine Brac ^, qui commandoit au chas-
1. Le maréchal de Matignon était gouverneur de Guyenne
depuis 1582. Cependant, les pouvoirs qui lui furent conférés par
le roi ne datent que du 8 mai 1585 (Copie du temps; coll. Clai-
rembault, vol. 955, f. 129).
2. Le maréchal de Matignon était un des négociateurs du roi
auprès du roi de Navarre. Son historien, Callières, n'a pas connu
tous les secrets du maréchal, mais il fait quelques révélations
curieuses dans Hist. du maréchal de Matignon, 1661 , in-fol., p. 163.
3. Georges de Clermont d'Amboise, baron de Bussy, fils de
Jacques de Clermont d'Amboise {Mémoires de la Ligue, t. II, p. 4).
4. Beaufort-en- Vallée (Maine-et-Loire).
5. Louis Bouchereau de Rochemorte, capitaine protestant. Peu
après la prise du château d'Angers, au mois d'octobre 1585, un
jour qu'il sommeillait sur l'appui d'une fenêtre, il reçut, de la
ville, une arquebusade qui lui perça la gorge, et mourut sans
prononcer une parole {Mémoires de la Ligue, t. II, p. 14).
6. Jean Brac, mentionné dans les Lettres de Henri IV. Les
Mémoires de la Ligue l'appellent Broc (t. II, p. 10). D'autres his-
toriens le nomment Brioc.
244 fflSTOIRE UNIVERSELLE. [1585
teau de Beaufort, comment le capitaine Fresne^ avoit
grand crédit dans le chasteau d'Angers, comme ayant
grande fréquentation avec le capitaine Grec^, comman-
dant lors en ceste place sous le comte de Brissac ; que
ce Fresne, mal content du comte, avoit quelque trame
avec Halot^, n'aguères commandant en ce chasteau,
soubs Bussi d'Amboise. Roche-Morte se convie à ser-
vir Halot en cet affaire, avec un nommé Sainct-Jean*
et cinq^ autres braves compagnons, que lui donnoit
Clermont; faisant son compte de faire tomber cette
place entre les mains de son parti. Au contraire, Halot
avoit pourveu à son affaire avec une autre intention,
ayant choisi quelques soldats katholiques bien asseu-
rez et qu'il estimoit capables de jetter hors Roche-
Morte quand il voudroit; et, en ce faisant, avouez d'un
Guisard, lui faire présent de ce chasteau. Et ainsi la
peau de cet ours, vendue et divisée avant que la beste
fut morte, ne laissa pas d'estre attaquée comme il
s'ensuit.
1. Fresne avait commandé une compagnie sous les ordres de
Brissac, pendant que celui-ci appartenait à la Ligue. Lorsque le
roi eut pris parti pour la Ligue, Fresne avait été renvoyé et il
accusait Brissac de sa disgrâce (Mémoires de la Ligue, t. II, p. 11).
2. Le capitaine Grec était originaire d'Angouri, qui est l'Ancyra
des anciens {Mémoires de la Ligue, t. II, p. 12).
3. Michel du Bourrouge, s. du Halot, capitaine catholique.
4. Ce capitaine est nommé dans les lettres du roi que nous
citons à la note suivante.
5. Les Mémoires de la Ligue (t. Il, p. H) disent que Clermont
n'envoya que quatre soldats. Ils se nommaient La Brosse, Louis
Louchereau, Divetière et Saint-Jehan (Lettres d'abolition accor-
dées par le roi aux soldats qui avaient pris part à la surprise du
château d'Angers. Paris, 5 octobre 1585; copie; f. fr., vol. 3309,
f. 39). Du Halot seul fut poursuivi. Voyez les notes suivantes.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XIO. 245
Le capitaine Fresne, comme il avoit de coustume,
alla visiter le capitaine Grec, son familier, mène avec
soi onze hommes, entre lesquels estoyent ceux que nous
avons nommez. La garde du bout du pont laissa tout
passer, ayant, comme on a creu, intelligence. De ces
onze, en demeure quatre comme pour deviser avec les
soldats. Mais, n'y en ayant point avec le corps de garde
de la porte, il entre seul dans le chasteau, où, estant
convié à disner par Grec, il s'excusa sur sa compa-
gnie. Sur quoi tout fust convié, et Le Fresne avec un
soldat alla pour faire entrer ses compagnons. Il trouva
le corps de garde esmeu pource que Roche-Morte se
convioit privément à entrer. Mais ceux de cette
seconde garde, sans observer civilité, le repoussèrent,
ne croyans pas mesme le soldat que Le Fresne ren-
voya à Grec, pour le prier de venir lui-mesme; se
deffaisant tousjours d'un homme par ce moyen. Adonc
l'entrepreneur se mesle dans le corps de garde, en
rasseurant de paroles les mortes-payes. Et, ce faisant,
approcha le soldat qui estoit en faction à la porte, lui
donne d'un poignard dans le sein d'une main, et de
l'autre ouvre le guichet. Roche-Morte fut habile à suc-
céder, qui entra assés à temps pour tuer un qui vou-
loit sauter au collet du Fresne, et de ce pas tua le
capitaine Grec comme il arrivoit au bruit.
A ce tumulte, les rues d'auprès du chasteau furent
promptement en armes, ayans, comme il est à présu-
mer, quelques hommes préparez dans les maisons
proches du port; car ils y arrivoyent assez à temps
pour troubler l'exécution, quand Halot, qui estoit
caché en une maison proche, accourut au-devant d'eux
avec une grande asseurance de visage, comme il estoit
246 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
d'assez agréable rencontre. Donc pour les r'asseurer
il leur vint dire que c'estoit lui qui avoit pris le chas-
teau par commandement exprès du roi, comme il
monstreroit par bonne commission^. Mais il se trom-
poit, car il n'eust sçeu coucher d'un nom plus désa-
gréable aux habitans que celui du roi, estans de nou-
veau engagez à la Ligue par le mareschal de Brissac ;
dont advint qu'au lieu de tirer par ce moyen à soi
quelques confidens qu'il avoit en la ville, il fut arresté
prisonnier. Les surprenans, qui n'estoyent qu'onze en
tout, ayans levé le pont, en laissèrent deux à la garde;
les autres neuf n'eurent pas peu de peine à s'asseurer
de tout le chasteau, tuer ou mettre dans les prisons
plus d'hommes qu'ils n'estoyent, rompre les portes
et percer les planchers de quelques chambres sur la
muraille, où il s'estoit retiré des soldats, entr' autres
deux qui crioyent secours vers les basses Lisses.
Sur le soir, les habitans amenèrent Le Halot à la
dernière maison, pour convier Le Fresne à venir par-
ler à ceux de la ville. Halot, pour eschapper sa vie,
fit venir par cajolerie son compagnon au bout du pont,
et ceux qui s'estoyent cachez pour l'empoigner, se
hastans trop, firent que Le Fresne, d'un plein saut,
gagna le pont de sa longueur devant eux. Et puis ils
1. Du Halot prétendait justifier son entreprise sur les ordres
qu'il disait avoir reçus de la cour, mais il ne put les reproduire
et fut désavoué par le roi lui-même. Cette affaire est un des plus
frappants témoignages de la duplicité ou de la faiblesse de Henri HI.
Le 5 octobre 1585 le roi désigna une commission de justice char-
gée de juger du Halot (copie; f. fr., vol. 3309, f. 41), et le 11 du
même mois il signa des lettres d'abolition en sa faveur. Malgré
ces lettres, du Halot fut rompu vif et son corps exposé sur la
roue à la vue du château {Mémoires de la Ligue, t. II, p. 13).
i
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XHI. 247
le suivirent de si près que ceux du chasteau levèrent
le pont à la haste sans recevoir leur capitaine, réduit
à empoigner les chaînes du garde-fou, au bout des-
quelles on eust peu le recevoir par le coin du pont.
Mais un de la ville le suivit par les mesmes chaînes de
si près que, ne se tenant que d'une main, il couppa
celle du Fresne d'un coup d'espée, le faisant tomber
dans le fossé. Et puis, estant tout brisé dans le fonds,
un cerf privé, que l'on y nourrissoit, lui vint passer
les andouillers sept ou huit fois au travers le corps et
le laissa mort*.
Ce fut aux habitans à se retrancher au bout du pont,
à redresser leurs compagnies de la ville, aviser à leurs
gardes et dépescher par tout advertissemens à leurs
voisins et amis.
Ceux du chasteau s'employèrent à visiter leur place,
leur magazin de bouche et de guerre, ordonner de
leurs gardes, pareilles à celles que nous avons comp-
tées de Montaigu ; asçavoir en portant quelques che-
vets de licts sur les murailles, où ils séjournoyent jour
et ouict, attendant que Clermont leur fist couler
quelque secours ; ce qu'il n'eust sçeu faire en si petit
nombre que la prise ^ n'eust esté garantie. Mais, faute
de moyens ou quelque chicheté empeschèrent cela.
1. Tout ce récit est presque littéralement tiré de la relation
publiée dans les Mémoires de la Ligue, t. Il, p. 12. Le récit de la
mort du capitaine Fresne est appliqué par Sully au capitaine
Rochemorte et vice-versa {(Economies royales, chap. xix). Mais
nous croyons que Sully se trompe et que d'Aubigné a raison,
parce que ce dernier historien est confirmé par la relation publiée
dans les Mémoires de la Ligue et par de Thou.
2. Surprise du château d'Angers par le capitaine du Halot, au
nom du roi, mais en faveur de la Ligue, 24 septembre 1585 (Jour-
248 HISTOIRE UNIVERSELLE. * [1585
Sur l'effroi du pays, Heurtaut', qui commandoit
dans Rochefort, présupposant qu'Angers seroit du
parti, duquel s'estoit mis de nouveau le duc de
Thouars, lui despescha promptement un sien frère
pour solliciter du secours au chasteau, et offrir tout
service, tant de la place que de ses hommes, eschauffé
par l'espérance de mettre un impost sur la rivière;
ce qui n'ayant pas succédé, il changea ce dessein en
se donnant à la Ligue, où, pour regagner réputation,
il fit la guerre aux refformés sans rémission, et plus
rudement qu'aucun autre, comme nous verrons puis
après.
Geste nouvelle fut portée au prince 2, assez diligem-
ment, par un soldat nommé La Touche^, qui passa
par les villes de parti contraire, faisant semblant d'al-
ler tousjours advertir la ville prochaine. Et ainsi fai-
soit servir la nouvelle de passeport. Il trouva l'armée
devant Brouage, croissant d'hommes et d'espérance
tous les jours ; et ceux de dedans ayans perdu l'attente
de secours de la part du mareschal de Matignon.
nal manuscrit de Louvet cité par M. Mourin, la Réforme et la
Ligue en Anjou, p. 194).
1. Peut-être Jehan Hurtauld, ancien mercier, capitaine pro-
testant, ancien lieutenant du capitaine Désaguères à Hiers, un
des condamnés à mort par le parlement de Bordeaux, du 6 avril
1569 [Études, documents et extraits relatifs à la ville de Saintes,
1876, p. 240, note). M. Mourin le nomme Hurtaut de Saint-
Offange (La Réforme et la Ligue en Anjou, p. 199).
2. Le 30 septembre 1585, le prince de Gondé, étant à Marennes,
reçut la nouvelle de la prise du château d'Angers (Mémoires de
la Ligue, t. II, p. 14).
3. Peut-être François de Rabaine, s. de la Tousche, capitaine
protestant, fils du seigneur d'Usson, un des condamnés à mort
par le parlement de Bordeaux, le 6 avril 1569 (Études, documents
et extraits relatifs à la ville de Saintes, 1876, p. 239, note).
1585] UVRE DIXIÈME, CHAP. XFV. 249
Chapitre XIV.
Voyage et exploict d'Angers,
Une nouvelle si peu espérée et tant avantageuse aux
refformés, comme paroissoit la prise d'Angers, estant
receue par le prince, il ne demeura guères à convo-
quer les meilleurs capitaines qui fussent auprès de lui;
entre lesquels fut promptement résolu de despescher
Aubigné avec sept cents cinquante arquebuziers à che-
val, qu'il avoit en son régiment, quatre autres cor-
nettes de mesmes hommes qui faisoyent un peu moins
de deux cens, et cent gentilshommes, qui se devoyent
prendre la moitié en la cornette blanche et le reste
aux compagnies de Laval * et de La Boulaye ; avec com-
mission de se perdre ou mettre des hommes dans le
chasteau ; ce qui lors se rendoit plus facile, pource que
Rochefort estoit encores partisan avec La Trimouille,
et qu'il y avoit moyen de monter une lieue et demie
le long de Meine^, soit dans les batteaux, soit à la
rive, favorisée par les pièces qu'on eust mises de
Rochefort dans les vaisseaux.
Un courrier fut donc promptement envoyé de
Marennes à Saint-Aignan , où, toutes ses troupes
estans joinctes, prindrent dès lepoinct du jour le che-
min de Tonnai-Charente^.
Comme le conseil de la chaire percée vers la plus-
1. Le s. de Laval était parti de Vitré en Bretagne le 8 septembre
1585 pour rejoindre le prince de Gondé (relation dans les Mémoires
de la Ligue, t. U, p. 160).
2. La rivière du Maine.
3. Tonnay-Gharente (Gharente-Inférieure).
2150 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
part de nos grands renverse tout autre, ce prince,
estant au soir en sa garde-robbe, où il disposoit de sa
conqueste d'Anjou à la façon de Picrocole ^ parmi
ses valets de chambre et quelques autres qui n'es-
toyent de meilleure estoffe, un des plus privez lui dit
de la meilleure grâce qu'il put : « Monseigneur, je
m'estonne comment vous donnez à un autre qu'à vous-
mesmes la première gloire de ce dessein. C'est un
coup du prince de Condé et un trop bon morceau pour
Aubigné. » Geste parole fut agréable, rompit tout
résultat de conseil ; et, sans en parler à personne, on
despesche dès minuict Mignon ville , aide de camp,
vers les troupes qui marchoyent et arrivoyent auprès
de Tonai-Charante.
Ce prince donc, en faisant son pacquet et se prépa-
rant pour le voyage, consomma onze jours. Et de plus
ses bons conseillers lui ayans dit que les plus grandes
louanges de Csesar avoyent esté méritées, par ce que
sans désassiéger il donnoit des batailles, on résolut
au cabinet de faire de mesme. On laisse donc devant
Brouage La Personne^, pour l'armée de mer, et, entre
les mains de Sainct-Mesmes^, les trois régiments, et
le reste de celui qui marchoit. De plus, on despesche
lettre au vicomte de Turenne pour lui faire quitter les
affaires de Limousin, et venir prendre la tutelle de
1. Voy. Gargantua, liv. I, ch. 23.
2. François de la Personne avait été grand maître de l'artille-
rie des réformés. Il est souvent cité dans les Mémoires de La
Huguerye.
3. Jean de Rochebeaucourt, s. de Saint-Mesmes, gouverneur
de Saint-Jean-d'Angély, dont nous avons parlé, est signalé dans
les Mémoires de la Ligue comme un « vieux gentilhomme notable
et d'ancienne expérience, autorisé et aimé au pays. »
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XIV. 251
cette armée assiégeante, laquelle commençoit à estre
menacée du mareschal de Matignon, au prix que le
roi faisoit cognoistre son accord avec les liguez^ et
l'Édict de juillet faict en leur faveur.
Le prince 2 donc part^ de devant Brouage, le huic-
tiesme d'octobre avec sa compagnie, celles de Rohan,
Laval, La Trimoûille, Genevois, Sainct-Gelais et La
Boulaye, qui mena seul six vingts sallades. Tout cela
faisoit six cents cinquante chevaux, les mieux choisis
que nous en ayons veu des guerres civiles. Pour arque-
buziers, il menoit le régiment d'Aubigné, deux com-
pagnies de La Flesche*, celles de Gampois, de La
Touche, de Berri, et de celui de Vandosmois, Les
Ouches et L'Hommeau. Tout cela, faisant de treize à
quatorze cents arquebuziers à cheval, marche avec
assez de diligence jusques vers Thouars^ ; où Aubigné,
qui menoit la teste, se logçant à Ghiché^, chargea
Rousselière, Rouaut et La Rochette'', se voulans jetter
1. Henri Uî accordait aux Ligueurs les villes de sûreté sui-
vantes : Ghàlons, Saint-Dizier, Soissons, Reims, Saint-Esprit-
de-Ruë en Picardie, Dinan, Goncarneau, Dijon, le château de
Beaune, Toul et Verdun. En outre, le roi promettait de donner
200,000 écus d'or pour le paiement des troupes étrangères que le
duc de Guise avait levées (De Thou, liv. LXXXI).
2. De Thou prête au prince de Gondé un discours dont la con-
clusion fut la résolution de partir pour Angers (liv. LXXXII).
3. Gondé arriva de Brouage à Taillebourg le soir du 8 octobre
1585. Le 9, il partit de Taillebourg et alla loger à Villeneuve-la-
Gomtesse (Gharente-Inférieure) {Mémoires de la Ligue, t. II, p. 16
et 17).
4. La Flèche, capitaine d'arquebusiers à cheval, était originaire
de la Flèche, d'où il avait tiré son nom.
5. Arrivée du prince de Gondé à Thouars, vers le 10 oct. 1585.
6. Ghiché (Deux-Sèvres).
7. Le capitaine La Rochette est plusieurs fois nommé dans les
Lettres de Henri IV.
252 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
dans le chasteau du lieu, qui est une grande masse de
pierre, flanquée de huict assez grosses tours. Sur leur
secours deffaict, ceste place fut emportée par escalade
générale, et on y laissa quelques hommes qui firent
du bien au retour.
Geste mesme troupe, cinq jours après, car on
séjourna là et à Argenton-le-Chasteau^, arrivant au
point du jour à l'abbaye Sainct-Maur^, qui est sur le
bord de Loire, trouva le couvent pris et gardé par
quelques gentilshommes angevins, qui avoyent enlevé
la dame de La Bretesche^. Mais ces gens de guerre,
arrivans à l'impourveu, après qu'on leur eut tué un
gentilhomme et quelques soldats, gagnèrent si folle-
ment et gardèrent si opiniastrement toutes les canon-
nières basses qu'ils emportèrent la place, avec qua-
torze gentilshommes prisonniers. On laissa là-dedans
six vingts hommes, bien à propos, comme vous verrez.
Le prince, arrivé* sur le bord de Loire, ne tint
conseil, pour le passage, qu'avec ceux de son cabinet ;
fait passer La Flesche pour se barricader dans les
Rosiers^, où il ne receut aucunes nouvelles expresses;
seulement il apprit, par le bruit, que Rochemorte
avoit esté tué dans le chasteau, comme il dormoit sur
1. Argenton-le-Ghâteau (Deux-Sèvres).
2. D'Aubigné et le capitaine Bonnet s'étaient déjà emparés de
l'abbaye de Saint-Maur. Le prince de Condé défendit de faire
aucun mal aux moines. Voyez le récit des Mémoires de la Ligue,
t. II, p. 18.
3. Louise de Savonières de la Bretesche, seconde femme de
René de Villequier.
4. Arrivée du prince de Condé sur les bords de la Loire, 13 oc-
tobre 1585.
5. Le capitaine La Flèche passa la Loire à Rosiers-sur-Loire
(Maine-et-Loire) le dimanche 13 octobre 1585 {Mémoires de la
Ligue, t. II, p. 18).
i585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XIV. 253
un créneau, et qu'il y avoit quelque bruit de Clermont
et des troupes qu'il amassoit vers le chasteau du Loir.
Tous les chefs de l'armée se monstrèrent mal contents
du prince, de ce qu'il avoit passé sans leur conseil.
Enfin, il les appela comme par forme, et, comme quel-
qu'un se plaignoit de quoi La Flesche avoit passé,
contre l'ordre de l'armée, et sans considérer que le
complaignant avoit les principales forces, le comte de
Laval prit la parole, disant : « Et moi je vous remonstre
que j'ai la principale cavallerie de l'armée, ce que j'al-
lègue pour vous prier que je passe le dernier. » Geste
parole, sortant d'une bonne teste, mit de l'eau dans
le vin des plus eschaufFez. Enfin, il fallut passer^. Le
régiment s'avance de trois lieues, asçavoir, à Sainct-
Mathurin^ et à un fort qui fut promptement dressé
sur l'Aution^, où on reserra quelques batteaux pour
le passage. C'est une petite rivière qui prend son com-
mencement à trois lieues de Ghasteau-Regnaud*, qui
n'est guéable en aucune saison, et qui, estant passée
une fois, contraignit l'armée refformée à prendre, pour
la pluspart, le chemin que nous dirons, n'ayant peu
estre repassée que par les plus diligens.
Le lendemain matin, Aubigné passe son régiment,
pousse sa compagnie de chevaux légers à la main
droicte de Beaufort, et, voyant d'assez loing le régi-
ment de Garavas^, qui marchoit pour se jetter dedans,
1. L'armée du prince de Gondé passa la Loire, partie le 16,
partie le 48 octobre 1585 (Mémoires de la Ligue, t. II, p. 19 et 20).
2. Saint-Mathurin (Maine-et-Loire).
3. Le Laution ou l'Autliion.
4. Gliâteau-Regnault (Indre-et-Loire).
5. Les habitants de Beaufort-en- Vallée refusèrent l'entrée de
la ville au comte Garavaz [Mémoires de la Ligue, t. II, p. 20).
254 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
il en donne advis au prince qui passoit l'Aution^. Et
puis, n'estant fortifié que de trente sallades de La
Boulaye que lui amena La Valière^, il loge ses gens de
cheval avec ceux-là sur un haut pour menacer Cara-
vas. Et cependant donne dans les portes et au mauvais
retranchement de ceste grande bourgade, de laquelle
il receut les clefs. Et à l'arrivée du prince les lui pré-
senta, disant à l'oreille : « Voici la chambrière de Péné-
lope ; vous vous en contenterez, s'il vous plaist, et ne
toucherez point à la mai stresse. »
A Beaufort, on receut nouvelles de Clermont, et le
lendemain lui-mesme et ses troupes^, qui faisoyent un
peu moins de deux cents sallades et six cents arque-
buziers. On voulut faire donner au régiment de Cara-
vas, mais le prince asseura qu'il estoit des siens ; ce
qu'il se persuadoit de plusieurs autres, sur quelques
honnestetez qui lui avoyent esté mandées. Enfin, après
cinq jours de séjour'* à Beaufort, les troupes s'avan-
cèrent à Foudon^, où Aubigné trouva un régiment de
Virluisan logé, hormis quelques deux cents arquebu-
ziers, des meilleurs, qu'on avoit envoyé à la garde
d'un passage. Cela fut emporté avec fort peu de com-
bat et beaucoup de butin.
1. Passage du Laution par Gondé, 19 octobre 1585. Coucher à
Beaufort-en-Vallée (Mémoires de la Ligue, t. II, p. 21).
2. Laurent le Blanc, s. de la Baume et de la Vallière, maître
d'hôtel ordinaire du roi, capitaine du château de Plessis-lez-Tours
et plus tard maître d'hôtel ordinaire de la reine Marguerite.
3. Arrivée de Louis de Clermont de Bussy d'Amboise à Beau-
fort, 19 octobre, à midi (Mémoires de la Ligue, t. II, p. 21).
4. D'Aubigné se trompe. Les troupes de Condé ne séjournèrent
à Beaufort que le dim. 20 oct. 1585 (Mém. de la Ligue, t. Il, p. 21).
5. Arrivée des troupes à Foudon, près d'Angers, lundi 21 oc-
tobre 1585.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XIV. 255
Le lendemain vingt-uniesme d'octobre, le prince,
avec toutes ses troupes, s'avança en ordre de combat
jusques au fauxbourg de Bressigni*, qu'il trouva ren-
forcé à loisir et bien rempli de gens de guerre, comme
estant arrivé à Angers le comte de Brissac, Laverdin,
Le Bouchage-, la compagnie du duc de Joyeuse, menée
par Sarzai, et bien tost après par lui-mesme^. II y
avoit de plus bien quarante capitaines de gens d'armes
avec leurs compagnies imparfaictes. Pour gens de pied
il y avoit Virluisan, qui avoit encor plus de sept cents
hommes, n'en ayant perdu que quatre-vingts à Fou-
don ; Caravas et Le Fresne d'O, chacun huict cents ;
Perraudière et Gerzai, chascun six cents, et Char-
nières, qui en avoit seul plus de quinze cents. Ainsi,
les six régiments passoyent six mil hommes. Cela fut
partagé en trois endroits : Caravas et Charnières au
fauxbourg de Bressigni ; Perraudière et Virluisan au
fauxbourg des Lisses, et les autres deux dans le fossé
du chasteau, et aux basses lisses, sur le bord de la
rivière. Les habitans prenoyent parti où ils vouloyent
et selon les occasions ; mais les meilleurs estoyent avec
Charnières.
La Flesche donna le premier à Bressigni, et ne
i. Le faubourg de Pressigny.
2. Henri de Joyeuse, comte du Bouchage, né en 1567, capucin
en 1587, maréchal de France en 1596, mort le 27 septembre 1608.
Il était alors gouverneur de l'Anjou. C'est lui que, après la reprise
d'Angers, par lettres du 7 novembre 1585, le roi chargea de faire
raser le château d'Angers (copie du temps ; f. fr., vol. 3309, f. 62).
Cet ordre avait été donné une première fois avant la campagne
du prince de Condé, le 28 septembre 1585 (ibid., f. 37), et n'avait
pu être exécuté.
3. Le duc de Joyeuse était arrivé sous les murs du château
d'Angers, le 4 octobre 1585 suivant les uns, le 7 suivant les
autres (Mourin, la Réforme et la Ligue en Anjou, p. 201).
256 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
demeura guères à y estre tué d'une mousquetade* . Et
depuis, les divers capitaines hazardoyent plusieurs
attaques à part et ne faisoyent rien en gros.
Il falut qu'Aubigné prinst un grand tour pour aller
rencontrer le grand chemin du Pont-de-Sé aux lisses,
qui estoit son département, soustenu de Clermont et
de La Boulaye. Estant parvenu au grand chemin, il jetta
les capitaines du Riou et Periers à sa droicte et à sa
gauche dans les vignes. Et n'eut pas beaucoup cheminé
qu'un capitaine, qu'il a estimé estre le comte de Brissac,
et qui avoit la charge de ce costé, se trouva dans le
chemin avec soixante sallades, et, cent pas derrière,
près de trois ^ cents arquebuziers. Alors on disoit
encores dans les troupes refformées vive le roi. Le
capitaine qui s'estoit avancé pour recueillir, par le
mesme chemin , Aubigné d'Anjou , qui lui amenoit
quatre cents arquebuziers, ayant demandé qui vive,
ne se contenta pas du nom du roi, mais voulut sçavoir
qui commandoit, et puis, ayant ouï nommer Aubigné,
laissa approcher de fort près; jusques à ce que la
bonne mine des gens de guerre lui fit soupçonner
qu'ils n'estoyent pas ramassez en Anjou. Là-dessus
demanda que le chef s'avançast avec un autre pour
parler à lui avec un second ; ce qui fut faict de si près^
qu'il recognut à la parole, car les visages se sem-
bloyent, que ce n'estoit pas celui qu'on attendoit. Il
falut donc que les katholiques tournassent visage, et les
deux, ayans eschappé quelques arquebuzades de bien
1. La Flèche fut blessé d'une arquebusade le premier jour du
siège, le 21 octobre 1585, et mourut quelques jours après (Mémoires
de la Ligue, t. II, p. 22).
2. L'édition de 1618 porte 200 arquebusiers.
3. Var. del'édit. del618: « ...de si près que le second recognut... v
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XIV. 257
près, firent ferme par deux fois pour favoriser la
retraitte de leurs gens de pied.
Aubigné, qui s'estoit avancé pour recognoistre la
besongne qu'il avoit à faire avant que la fumée lui
ostast le jugement, donne aux trousses de cette troupe,
qui se retiroit en grand désordre, et arriva comme
meslé dans le fauxbourg, gagne deux barricades et
quelques maisons, et ne fut arresté que par le feu que
ceux du fauxbourg mirent en une barricade, et en
deux maisons qui la flanquoyent; ce feu encores
défendu de deux maisons percées : si bien que ces
troupes, qui avoyent donné les dernières, se trou-
vèrent plus avancées de cinq cents pas que ceux de
Bressigni, où Laverdin avoit retranché à bon escient
et bien opiniastré presque à la teste du fauxbourg.
Demie heure après ces attaques, un soldat du régi-
ment du Fresne vint par les vignes se rendre, et fut
envoyé à Glermont et Avantigny*, qui estoit en
bataille, mille pas hors le fauxbourg des Lisses. Cet-
tui-ci donnoit advis que la capitulation du chasteau
estoit faicte, mais que son maistre de camp, qui estoit
Le Fresne d'O, estoit résolu de favoriser Glermont s'il
vouloit cette nuict donner au chasteau par l'endroict
où Le Fresne avoit sa garde au fossé, en donnant pour
mot Matthieu.
Sur cet ofiFre, on avança des trompettes pour faire
des chamades vers le chasteau et avoir quelque cri
ou quelque feu pour response. De plus encor les ref-
1. François d'Aventigny était un ancien favori du duc d'Anjou
qui s'était mis au service du prince de Condé et qui plus tard
passa au service du roi de Navarre. Il devint gouverneur de
Castres, puis du Quercy, du Rouergue et du haut Languedoc
{Journal de Faurin sur les guerres de Castres).
VI 17
258 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
formés, plus avancez, vindrent à l'escarmouche dans
les vignes et repoussèrent ceux de la ville si avant,
que ceux du chasteau pou vo vent parler à eux, et cela
cousta la perte de quelques hommes. La vérité est que
le chasteau estoit rendu, et ceux qui estoyent encor
dedans ne voulurent donner aucun signe, craignans
faire perdre au prince plus d'hommes et plus de temps,
tellement que l'offre du Fresne estoit pour tromperie
ou pour vanité.
Le prince, voyant ces choses, retira ses hommes de
Bressigni^ et envoya un soldat de ses gardes pour
faire retirer Aubigné, lequel, cognoissant le poux
inesgal de ceux qui conseilloyent, et se doublant que
le lendemain on changeroit d'advis, respondit que si
c'estoit pour desplacer toute l'armée, il approuvoit
cela ; mais que si c'estoit pour tenter encores quelque
chose sur Angers, que la perte de mil hommes ne.
sçauroit le lendemain le loger où il estoit, et que, par-
tant, il ne remueroit point le piquet qu'un mareschal
de camp ne le vinst quérir.
Sainct-Gelais les vint donc lever, non sans combat,
pource qu'ils voulurent emporter leurs morts aussi
bien que leurs blessez. Après avoir campé la nuict
aux ardoisières, les conseillers du cabinet se mirent
à donner des advis vaillans : ce fut de retourner faire
les mesmes choses qu'au jour de devant.
Après que ceux qui devoyent tirer les chastagnes
du feu eurent dit franchement quel il y faisoit, ceux
qui le jour auparavant estoyent vers les lisses, repren-
1. Le 21 octobre 1585, le prince de Gondé s'était emparé du
faubourg de Pressigny, mais il ne put s'y maintenir et fut obligé
de battre en retraite le lendemain [Journal de Michel Le Riche,
p. 421).
1585] LIVRE DEaÈME, CHAP. XV. 2159
nent leur chemin. Leur maistre de camp fit toucher
les capitaines en sa main qu'ils se perdroyent avec
lui dans le fossé; plus de cent gentilshommes, voyans
ceste résolution, mirent pied à terre, pour estre de ce
mauvais parti ; et tout cela s'en alloit périr, quand le
duc de Rohan, qui disoit ce qu'il pensoit, avec repro-
ches et injures, vainquit le prince^ et fit changer ce
dessein en celui de la retraicte^, pour laquelle furent
choisis Glermont et Aubigné. Là fut dit que, s'il falloit
payer de quelcun, ce devoit estre de Glermont, pour
avoir mal conduit l'afifaire ; et de l'autre, pource qu'il
estoit là comme emprunté, et au roi de Navarre parti-
culièrement.
Chapitre XV.
Retraicte et desroute d'Angers.
Telle fusée n'estoit point aisée à desmesler. Ce fut
pourquoi les deux qui avoyent ceste charge prindrent
conseil ensemble, n'en recevant plus d'aucun. Car
comme les forces d'Angers eurent recognu que l'ar-
mée enfiloit le chemin de Mazai^, ils devindrent bien
plus insolents que de coustume, et, ayans rempli les
vignes et les ardoizières de l'infanterie, qui tiroit à
tout, plus par gayeté que par occasion, Clermont et
son compagnon allèrent voir le pais où ils se devoyent
1 . Voyez dans les Mémoires de la Ligue (t. Il, p. 25) les raisons
qu'allégua le vicomte de Rohan.
2. Retraite de l'armée du prince de Ciondé, mercredi 22 octobre
1585. Joyeuse rentra dans le château d'Angers le 23 (Journal de
Le Biche, p. 422).
3. Mazé (Maine-et-Loire), près de Beaufort.
260 HISTOroE UNIVERSELLE. [1585
desmesler ; recognoissent une bourgade, nommée Sor-
gues*, à un quart de lieue des vignes, et à demie lieue
de la ville. Aubigné pria Clermont de lui laisser un
homme d'obéissance avec trente sallades et ses deux
trompettes, et que lui s'en allast avec tout le reste de
tous les gens de l'un et de l'autre, espérant desmesler
l'affaire à moins de perte que si tout y estoit. Cler-
mont accepte cela, et l'autre, ayant faict choisir à dix
de ses capitaines, chascun vingt hommes, et avec dix
gentilshommes, qui mirent pied à terre, se résout à
exécuter sa commission. Il envoyé donc tous les che-
vaux de ceux qui demeuroyent avec lui se mettre en
foule de trois cents pas du bourg de Sorgues jusques
à l'entrée, à la charge d'y faire halte jusques à nou-
veau commandement. Il y avoit un chemin creux à
la sortie des vignes pour entrer en la plaine. Sur le
haut de ce chemin, il met ses gens de cheval, com-
mandez par Lisi, ayant dit pour toute harangue à ses
gens que leur vie despendoit de ne lui faire point dire
une chose deux fois. Il les estend tous à la gauche
du chemin creux, fait reschauffer l'escarmouche avec
plus de mine de vouloir combattre que se retirer; fait
faire deux fausses charges à tous les cavalliers des-
bandez qui venoyent à lui, et de mesmes remena bat-
tans tous les gens de pied, qui venoyent sans com-
mandement; jusques à ce que, voyant marcher trois
corps de régiments ausquels la cavallerie katholique
quittoit la pointe, à cause de l'assiette du heu, à la
faveur d'un grand salve ^ qui remplit tout le costeau de
fumée, et, partant, osta aux ennemis le jugement de ce
1. Le port de Sorges, sur la Loire (Maine-et-Loire).
2. Salve, salve d'arquebuserie.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XV. 261
qu'il faisoit, il fait courir en diligence ses dix capi-
taines et leurs vingtaines dans le chemin de Sorgues.
Lui, avec la dernière troupe et ses hommes de main
(les deux trompettes faisans du bruit* sans cesse) au
bout du chemin creux, jusques à ce qu'il fust plein de
mousqueterie, et encor mit les trente sallades derrière
une grosse haye qui séparoit la vigne de la plaine,
ausquels à travers la haye il fit tirer leurs pistolets
aux plus avancez, sans estre recognus pour cavallerie,
tant pour l'espesseur de la haye, que pour la fumée
que nous avons dicte, jusques à ce que, n'ayant peu
garder les coins, quelque cavallerie à droicte vit le
derrière; mais lors les premiers avoyent joint les
valets et les chevaux, qu'on fit entrer dans le bourg,
quand les poursuivants furent assez près pour les pou-
voir juger.
Ceux d'Angers, qui redoubtoyent la cavallerie du
prince et jugeoyent qu'elle estoit demeurée derrière
Sorgues, ne mirent le pied guères avant dans la plaine,
et entrèrent en conseil pour faire reposer leurs gens,
attendant la soirée, et puis, avec bonne artillerie et en
ordre, pour tous accidents, venir enlever la bourgade,
où ils entendoyent six tambours battre la garde et les
trompettes sonner au guet ; joinct à cela que quelques
paysans, qu'on avoit laissez eschapper exprès, rappor-
tèrent qu'on faisoit des barricades. Les compagnons
de la retraicte logèrent tout en douze maisons, quoi
qu'ils remparassent l'entrée du village à la cognois-
sance des vedettes d'Angers. Et puis, à jour couchant,
en trois coups de sourdine, a y ans chassé par rudesse
1. Var. de l'édit. de 1618 : c ... faisans leur devoir sans cesse... v
262 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
hommes et femmes du village, sortent, et par petits
chemins esquivent une lieue jusques à l'entrée du che-
min de Mazai, où ils plantèrent le piquet une heure
avant jour ; aussi tost tastez par une grosse troupe de
cavallerie qu'on avoit descouplé sur leurs erres.
Laverdin, avec une troupe choisie, passa au Pont
de Se, pour fuir les incommodités du Lothion^ et
gagna Saumur, où il fit incontinent armer de mous-
quets de fonte trois pataches, qu'ils firent desriver
au-devant des Rosiers^; ayans, avant cet obstacle, le
comte de Laval, La Boulaye et une partie du régiment
d'Aubigné, gaigné l'abbaye de Sainct-Maur^, laquelle
leur donna commodité de s'assembler, de prendre
haleine et ordre pour venir en gens de guerre gaigner
le Poictou.
Cependant, le prince de Condé séjournoit à Beau-
fort*, s'employant à appointer les querelles de ses
maréchaux de camp, et puis monta à cheval pour aller
au passage; mais, Testonnement des batteaux et ne
restant plus à Lothion qu'une gabarre, cela r'envoya
tout encores à Beaufort, pour estudier ce qui estoit
de faire.
Là, autant d'advis que de testes. Chacun parloit
i. L'armée du prince de Condé avait repassé le Laution le
25 octobre 1585.
2. Les Rosiers, lieu célèbre par le combat qui s'y était livré
dix-sept ans auparavant entre le s. d'Andelot et le vicomte de
Martigues.
3. Le comte de Laval et ses troupes avaient gagné Saint-Maur
le 23 octobre 1585 (Mémoires de la Ligue, t. U, p. 28).
4. L'armée du prince de Condé séjourna à Beaufort depuis le
22 jusqu'au 26 octobre 1585 (Mémoires de la Ligue, t. II, p. 26
et 32).
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XV. 263
sans certitude et tous prenoyent pour conseil l'eston-
nement. Quelcun y exposa la résolution qu'avoit prise
Andelot, lors du combat de la Levée, et comme nous
l'avons descrite en son lieu*. Pour suivre cet advis
plus en idée qu'en résolution, ceste troupe errante
desmarche vers le Lude^ . Là, Aubigné parla au prince
et à tous les chefs de son armée, leur promettant, s'ils
se vouloyent servir de lui en ceste extrémité, qu'ils
en sauveroyent l'honneur et le bagage. Son dessein
estoit qu'avec cent chevaux choisis et quatre cents
arquebuziers, moitié des siens, moitié d'autres, triez
dans les compagnies, il iroit saisir avec grande dili-
gence deux petites villettes, dont l'une s'appelle Sainct-
Dié et l'autre Sèvre^ : cette-ci à une mousquetade de
la rivière de leur costé ; celle-là sur le bord de Loire,
mesmes devers la Soulongne*; toutes deux fermées
de murailles, de tours et de quelques fossez, et bien
garnies de mareschaux et de selliers, par faute de
quoi ces troupes périssoyent. Il prit donc serment de
tous ceux-là qu'ils ne desmordroyent point le dessein
et que le lendemain au soir un mareschal de camp^
amèneroit les cinq cents chevaux que nous avons dit à
la Chappelle-Sainct-Martin^.
Le prince et le reste de ses forces arrivent à la
i. Voyez ci-dessus, t. in, liv. V, chap. ni.
2. Le Lude, sur le Loir (Sarthe). Arrivée des troupes de Condé
au Lude, 26 octobre 1585.
3. Saint-Die et Suèvres, sur la Loire (Loir-et-Cher).
4. La Sologne, dans l'Orléanais, entre la Loire et la grande
Sandre.
5. Ce maréchal de camp ne peut être que d'Aubigné, d'après
les Mémoires de la Ligue (t. II, p. 34). Il était suivi du s. de Bois-
dulis.
6. La Chapelle-Saint-Martin, près de Mer (Loir-et-Cher).
264 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
mesme soirée à Saincte-Anne^ ; et cependant l'entre-
preneur, assisté de Bois-du-Lis, de Doucinière et de
quatre autres, estoit desjà sur Loire, où, en recognois-
sant moyens infaillibles de saisir ce qu'il avoit promis,
comme il faisoit le marchand de vin auprès de Sainct-
Dié, arrivent à Nouan^ neuf cents chevaux reistres.
Bois-du-Lis et lui, les recognoissant , partagent
ensemble, l'un de saisir Sainct-Dié avec six vingts
hommes des cinq cents, et l'autre, avec le reste, d'en-
foncer le logis des reistres ; faisant ce jugement que,
dans l'effroi que portoyent les reistres eschappez, les
troupes passeroyent la rivière et s'avanceroyent dans
le Berri plus aisément. Ainsi, ayans laissé quelques
soldats nouvellement pris à Mer^, et Doucinière à la
garde de six grands batteaux à la Coulommière*, l'en-
trepreneur et Bois-du-Lis vont à la Chappelle-Sainct-
Martin^, pour quérir les compagnons. Mais le prince
de Condé, avant que d'estre à Saincte-Anne , récent
Rosni^, depuis duc de Sully, qui lui fut amené comme
prisonnier par le capitaine Bonnet'. Gestui-là lui
i. Sainte- Anne, près Vendôme (Loir-et-Cher). Arrivée du prince
de Condé à Sainte- Anne, 29 octobre 1585 {Mémoires de la Ligue,
t. n, p. 36).
2. Nouan-sur-Loire (Loir-et-Cher).
3. Mer, sur la Ugne d'Orléans à Blois (Loir-et-Cher).
4. Coulommières, près Vendôme (Loir-et-Cher).
5. D'Aubigné et BoisduUs arrivèrent à la Chapelle-Saint-Mar-
tin le 29 ou 30 octobre 1585.
6. Maximilien de Béthune, s. de Rosny, duc de Sully, le second
des sept enfants de François, baron de Rosny, et de Charlotte
Dauvet, né le 13 décembre 1560, mort le 22 décembre 1641. Le
récit de son arrestation par les réformés est présenté avec beau-
coup de détails dans les OEconomies royales (chap. xix).
7. Sully, dans les OEconomies royales (chap. xix), dit qu'il fut
arrêté par le s. de Falandre.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XV. 2i65
asseura ce que desjà il avoit ouy dire, asçavoir que
toute la Beausse estoit pleine de la cavallerie de la
Ligue, et le grand chemin plein des régimens, qui
marchoyent vers Orléans, où desjà les reistres avoyent
passé l'eau. Cela marié avec la nouvelle du duc de
Joyeuse \ qui, avec les forces d'Angers, marchoit sur
les pas des misérables^, leur^ donnoit l'effroi. Et, en
outre, le mesme Rosni asseura que l'Édict se publioit
à Paris*. Le prince de Gondé fut induit par le duc de
Rohan à rompre la promesse que le duc n'avoit point
faite, et à se desrober avec la Trimouille et quelques
gentilshommes et officiers, principalement ceux qui
pouvoyent servir de guides. Ainsi par les maisons des
amis ils gaignèrent la Bretaigne, et le duc de Rohan
ses maisons. Le prince par le moyen d'un ami recou-
vra un batteau, et par lui l'isle de Grenezai^, et puis
l'Angleterre.
1. Le duc de Joyeuse commandait l'armée royale. Après la
déroute du prince de Condé le !«■■ novembre 1585, il écrivit une
lettre où il racontait sa victoire avec des détails qui ne sont point
ailleurs. Cette lettre fut livrée ou surprise par l'ambassadeur d'Es-
pagne et soumise à Pbilippe II, Elle est actuellement conservée
en copie aux Archives nationales, K 1563, n» 149.
2. Les compagnons d'armes du prince de Gondé, dans la mala-
droite équipée d'Angers, furent traités en criminels d'État. Le
18 novembre 1585, le roi lança une ordonnance contre les habi-
tants de l'Anjou qui donnaient asile aux fugitifs et qui ne les
avaient pas livrés aux oiïiciers de justice chargés de les pour-
suivre (copie; f. fr., vol. 3309, f. 77). Plusieurs capitaines et sol-
dats, pour échapper à l'ordonnance, se firent catholiques et
obtinrent à ce prix une déclaration de sauvegarde (Lettres patentes
du roi du 22 novembre 1585; copie; f. fr., vol. 3309, f. 80 v»).
3. Var. de l'édit. de 1618 : « ... misérables; et en outre l'as-
seura... »
4. Le s. de Rosny venait de la cour et portait au roi de Navarre
des subsides importants. Voyez le récit des (Economies royales.
5. Le prince de Gondé s'embarqua entre Avranches et Saint-
266 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
Sainct-Gelais, convié à estre de la troupe, allégua
son serment et se fit conducteur de l'affligé^ troupeau.
Mais, ayant manqué de vingt-quatre heures, les soldats
qu'on avoit jette dans Sainct-Dié rapportèrent que
les troupes y estoyent logées. N'estant donc rien
arrivé à la Chappelle, le lendemain, par les soldats qui
fuyoyent, Aubigné et Bois-du-Lis, advertis, vindrent
trouver Sainct-Gelais, à la teste des bandes les plus
effrayées sans combat qui se virent jamais. C'estoit sur
le bord de la forest de Marchenoir^, dans laquelle la
pluspart avoyent desjà jette leurs armes. Bois-du-Lis,
qui avoit quelque cognoissance vers Gien, emmène
Sainct-Gelais et quelque noblesse, qui ayans passé la
rivière de Loire fort haut, n'y trouvèrent point de
gardes et passèrent en Berri.
A Aubigné s'accueillent trente gentilshommes ou
capitaines, des autres qui couroyent parmi la forest,
il en arresta et mit ensemble le plus qu'il put, et^, ne
leur pouvant plus donner conseil d'user des armes
qu'ils avoyent jettées, il les advisa de passer la journée
dans la forest, et sur le soir percer de la Beausse en
troupe tout ce qu'ils pourroyent, pour, avant jour, se
relaisser en quelque métairie ; ne laissant sortir per-
sonne qui pust porter des nouvelles ; et la nuict d'après
se couler trois ou quatre ensemble dans les fauxbourgs
de Paris, où tout cela se sauva sans perte d'un homme ;
et depuis se logèrent dans les compagnies, qui de
tous costez s'amassoyent.
Malo et arriva à l'île de Guernesey le 30 octobre 1585 {Mémoires
de la Ligue, t. II, p. 37).
1 . Var. de l'édit. de 1618 : « Conducteur du malheureux traîneau. »
2. Marchenoir (Loir-et-Cher).
3. Les mots suivants jusqu'à de passer la journée manquent à
l'édition de 1618.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XV. 267
Leur conseillier fut bien en plus grand'peine. Je
demanderai congé à mon lecteur d'en dire les prin-
cipaux traicts, pource que la science des périls
d'autrui nous apprend à desmesler les nostres. Et
certes, si mon lecteur s'ennuye de voir mon nom si
souvent, je l'eusse encor desguisé, sans l'honneur que
les autres historiens m'ont faict, le produisant en cet
endroit et me donnans des compagnons, qui, hormis
Sainct-Gelais et Bois-du-Lis, ne se mesloyent que de
leur faict.
Sur le congé que je pense avoir impétré de vous,
je vous dirai qu'outre la levée gaignée par quelques
reistres, le duc du Mayne s'y avança aussi. Le mares-
chal de Biron vint d'une course à Chasteaudun ; le duc
d'Espernon à Bonneval^. Les premiers, avancez vers
la forest de Marchenoir, furent quatre compagnies
d'Italiens que menoit Sacremore.
Voilà ceux qui venoyent d'Angers de dire vive le
roi accablez des Royaux et de la Ligue. Aubigné avec
ses trente chevaux passe la forest et se tapit dans une
grande métairie auprès de Chèze ^ ; où il ne fut pas
demie heure qu'il void venir au galop les quatre cor-
nettes italiennes, deux desquelles environnent la
métairie, les autres deux prennent plus loing leur
chasse^. Les compagnons eurent recours aux barri-
cades. Mais leur capitaine, s'escriant qu'il n'estoit pas
à la Jarie près la Rochelle, saute à cheval, et lui sep-
tiesme charge un corps de garde de vingt lances, où
le capitaine Jaques commandoit. De là il n'y eust que
1. Bonneval, sur la ligne de Châteaudun à Chartres (Eure-et-
Loir).
2. Chèze, près de Marchenoir (Loir-et-Cher).
3. Ces deux mots : leur chasse, manquent à l'édition de 16i8.
268 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
le capitaine qui donnast coup d'espée. Aubigné, qui
avoit les yeux pleins de boue, s'emporta jusqu'au vil-
lage de Ghèze, où ayant recouvert la veue, ne se vid
que sixiesme, en ayant perdu un à la charge, et,
comme il consultoit pour retourner quérir ses compa-
gnons, qu'un soldat lui r'apporta estre chargez par les
deux cornettes, vindrent frapper dans le village quatre
Albanois, qui menoyent dix-huict prisonniers, aus-
quels ils avoyent laissé les espées au costé. Les Alba-
nois n'ayans pas attendu la charge, on fît mettre l'es-
pée au poing à ces dix-huict, et, en leur faisant faire
mine, les six donnent à la métairie et délivrent leurs
compagnons, ausquels estans ensemble les assiégeants
firent place, si bien que tout cela alla gaigner la forest.
En y arrivant, ils rencontrent dans un chemin couvert
trente chevaux de la compagnie de Cigongne*, menez
par La Grand'Houssaye, qui s'en disoit mareschal des
logis. Comme ils eurent passé sur le ventre à cette
troupe et le conducteur pris, Aubigné l'ayant laissé
aller avec serment de retirer un gentilhomme des
siens, dit aux compagnons que, si c'eust esté un
homme de plus grande marque, ils eussent faict de
leur prisonnier leur maistre. Là-dessus les dix-huict se
plaignent de quoi ils en avoyent desjà trouvé et pren-
nent parti à part pour aller cercher quelcun qui les
voulust prendre. Le^ capitaine L'Enfant, estant deslivré
par mesmes mains, demanda congé d'aller cercher, lui
quinziesme, des maistres de mesme façon. Les trente
passèrent huict jours en Beausse et Vendosmois avec
grandes risques ; y deffirent encores deux troupes, n'y
1. Charles-Timoléon de Beauxonnes, s. de Sigongnes, plus tard
vice-amiral de Normandie et gouverneur de Dieppe.
2. Cette phrase manque à l'édition de 1618.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XV. 2i69
cerchans autre commodité qu'un homme assez autho-
risé pour leur sauver la vie. Sur tous estoit en cette
peine celui qui les menoit, souvent attaqué par les
gens de Sacremore, et bien cogneu de lui, pour la
commission qu'il avoit eue de le guetter au voyage où
il avoit porté une fascheuse parole au roi.
Après avoir passé dix jours, marchant la nuict et
passant le jour par les forests ou mestairies esgarées,
Aubigné mena sa troupe sur le bord de Loire, vis-à-vis
de Sainct-Dié, où il avoit du bien, et quelque amitié
avec le maistre de la poste, qui estoit esleu capitaine
de la ville, et, de plus, s'asseuroit d'une retraicte à
Saumeri*. Il voulut donc se bazarder seul de passer
pour asseurer la vie de ses compagnons, les instruict
que, si, estant delà l'eau, il leur fait signe, qu'ils entrent
dans la gabarre du passage au retour ; s'il ne leur en
fait point, il leur enseigne un pescheur, duquel il s'es-
toit servi à recouvrer les grands bateaux, leur don-
nant advis de lier deux petits bateaux ensemble, pour
passer en une nuict les chevaux deux à deux, quoique
la rivière fust fort grande et à bord de chantier. Il laisse
donc ses gens cachez derrière la levée, horsmis un à
pied, pour voir ce qu'il devenoit, et se met dans la
gabarre seul avec une charrette et huict ou dix
hommes qui y passoyent. Il n'eut pas faict le tiers de
la rivière que, s'estant enquis d'une petite fumée qui
paroissoit à l'autre bord, on lui apprit que c' estoit un
corps de garde que ceux de Sainct-Dié estoyent obli-
gez d'entretenir, et qu'il estoit de vingt hommes. Cela
Festonna, ne pouvant retourner, mais encor il y eut
{. Saumeray, sur le Loir (Eure-et-Loir).
270 raSTOIRE UNIVERSELLE. [1585
quelque espoir de se faire avouer par le chevaucheur.
Sur cette pensée, il void venir au corps de garde du
port dix-huict hommes, qu'il apprit estre le prévost
des mareschaux de Blois, nommé L'Ardoise \ auquel
il avoit fait quelques affronts. Ce prévost venoit d'en
recevoir un par Villegombelin^, à la mémoire duquel
je veux rendre un conte plein ^ d'honneur. Ce cava-
lier, lieutenant du duc de Guyse, voyant la dissipation*
des reflFormés en son pais, estoit monté à cheval avec
ses voisins, leur disant qu'il faloit aller à la chasse des
amis^ ou à la foire d'iceux, et prendre le temps de
l'affliction, pour s'obliger autrui, et se désobliger
envers le devoir de gentilhomme. Donc ce courtois
chevalier, courant çà et là pour délivrer les esgarez
de leur peine, venoit d'oster à L'Ardoise Tifardière^ et
Michelière. Ce fut pourquoi cet homme, mutiné avec
1. L'édition de 1618 ne donne pas le nom de ce personnage.
2. François Racine, s. de Villegomblain, capitaine catholique,
était à côté du duc de Guise au moment de l'assassinat de ce sei-
gneur par Poltrot de Méré (Mémoires de Condé, t. IV, p. 240). C'est
par erreur que les Mémoires de la Ligue (t. Il, p. 245) le font mou-
rir à la bataille de Goutras. Villegomblain vivait encore en 1602,
à l'époque du procès du duc de Biron. Il a laissé des Mémoires
qui commencent en 1562 et qui finissent en 1602 et qui, malheu-
reusement, ont été oubliés dans toutes les grandes collections sur
l'histoire de France. Ges Mémoires, imprimés en 1668,2 vol. in-18,
se recommandent par de grandes hardiesses de jugement. Les
exemplaires non cartonnés sont fort rares.
3. Les deux derniers mots de cette phrase manquent à l'édition
de 1618.
4. Var. de l'édit. de 1618 : o ... voyant le désastre des réfor-
més... »
5. Var. de l'édit. de 1618 : n ... à la chasse, ou à la foire des
amis, et prendre... »
6. Jean Ghevalleau de la Tiffardière.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XV. 271
ses archers, le venoit joindre au corps de garde, en
jurant la mort des premiers huguenots qu'il empoi-
gneroit. Nostre avanturé, sans espoir et sans conseil,
ayant achevé un mot de prière et le second couplet du
Ps. 142, arrive entre ces deux troupes qui faisoyent
près de quarante hommes.
Talsi^, deBeausse, de mesme humeur et dessein que
Villegombelin, lui avoit envoyé un coursier de Naples,
brave et furieux à son grand besoin. Si tost que ce
cheval eut les deux pieds de devant à terre, il fit une
roue, qui escarta ceux qui environnoyent le bateau.
Et son maistre en criant : prenez vous garde, quoi-
qu'armé sous la Juppé, sauta dans la selle ; où il ne
fut pas si tost qu'oyant cinq ou six archers ou habi-
tants qui le nommoyent, il met l'espée à la main, fait
fendre la presse, et, au péril de sept ou huict^ arque-
buzades, gaigna le large. Ce fut à L'Ardoise et à ses
archers à monter à cheval dans la ville, pour recou-
vrer leur perte. Les compagnons, qui avoyent veu ce
passe-temps , gagnent le haut , et la nuict passent la
rivière, et, n'adjoustans rien à ce qui leur estoit
ordonné, gaignent Saumeri, où ils trouvent leur chef.
Et encores arriva que, comme ils estoyent sur le pas-
sage que le capitaine Touverac, celui qui avoit esté
pris à la charge de Chèze, les ayant recognus, se joi-
gnit^ à eux, se venant de sauver, et passa l'eau avec
ses compagnons.
1. Aubigné parle dans ses Mémoires d'un Jean Salviati, s. de
Talcy, seigneur de l'Orléanais, dont il recherchait la fille vers 1572
(édit. Charpentier, p. 24). Voyez une note dans le chapitre xvii.
2. Var. de l'édit. de 1618 : « ... huit mauvaises arquebuzades... »
3. Ce petit membre de phrase manque à l'édition de 1618.
21721 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
Vous ne sçaurez point par moi les autres périls que
courut ceste troupe à suivre le Cher jusques à Sainct-
Florent^ à traverser la Soulongne, le Berri, le Limou-
zin, Poictou et entrer^ en Xainctonge, estans con-
traints, pour la grandeur des rivières, de monter
jusques auprès des sources ; le tout sans porter
marques ennemies, sans faveur d'aucune retraicte,
et non sans quelques combats, pour venir cercher en
Brouage le reste du régiment^.
Chapitre XVI.
Mauvaise rencontre*' du siège de Brouage.
Par force nous avons donné jusques dans la fin d'oc-
tobre, pource que toutes ces choses se passèrent ainsi,
sans avoir eu certaine cognoissance de l'Édict de juil-
let. Et les gouverneurs et lieutenans de roi s'avan-
çoyent ou retardoyent au prix qu'ils avoyent cognois-
sance de volontés de S. M., tousjours douteuses
jusques-là. Par ceste desroute, les affaires des reffor-
més, fort descousues, les firent criminels de leurs foi-
blesses et malheurs, les liguez justifiez par leurs forces
et prospéritez.
Gela fit achever de publier par tout l'Édict de juil-
1. Saiat-Florent-sur-Gher (Cher).
2. Ce mot manque à l'édition de 1618.
3. D'Aubigné raconte dans ses Mémoires que le bruit de sa mort
s'était tellement répandu pendant la durée de cette campagne
aventureuse que sa femme, lorsqu'elle vit revenir ses équipages,
tomba à la renverse. Voyez le récit des Mémoires, édit. Lemerre,
p. 53.
4. L'édition de 1618 porte mauvaise retraitte.
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XVI. 273
let*, redoublé par un autre du septiesme d'octobre 2,
par lequel estoyent à plein confisquez les biens et les
personnes de ceux qui n'abjureroyent les erreurs de
la nouvelle opinion, comme ils disoyent. Mandements
de les poursuivre comme coulpables de lèze-Majesté,
et terme de six mois que le premier édict leur don-
noit, raccourci de trois, puis réduit à quinze jours. Ce
fut le temps que prit le mareschal de Matignon pour,
avec toutes les forces de Guyenne, Xainctonge et
Angoumois, marcher au secours de Brouage^. Sainct-
Mesmes receut ces nouvelles par homme qui avoit veu
passer les compagnies de Gascongne, à Sainct-Jean-
de-Brane, et, en mesme temps, le misérable succès
de la desroute, par Laval et les siens, qui avoyent gai-
gné Sainct-Jean-d'Angély ; comme aussi La Boulaye
s'estoit retiré en Poictou. Ceux-là firent part de leur
effroi aux assiégeans de Brouage, adjoustans à ce
qu'ils sçavoyent ce qu'ils présumoyent, asçavoir que
le prince et tout ce qui estoit de la Loire estoit mis en
pièces.
Les habitans des isles, ayans recognu à la conte-
nance de leurs hostes et au cours du marché qu'il fau-
droit bientost lever le siège, commencèrent les pre-
miers à remuer bagage, ne se souvenans plus de leurs
retranchements, par le moyen desquels il est certain
1. Voyez les notes du chapitre xii.
2. Le nouvel édit du roi contre les réformés, du 7 octobre 1585,
est imprimé dans les Mémoires de la Ligue, t. I, p. 227. Il fut
présenté le 16 au parlement et est analysé à cette date dans le
Journal de L'Estoile.
3. Gallières (Hist. de Matignon, 1661, p. 175) confirme le récit de
d'Aubigné.
VI 18
274 fflSTOIRE UNIVERSELLE. [1585
que moindre nombre qu'ils n'estoyent devoit arrester
les forces du mareschal. Sainct-Mesme, sans prendre
autre conseil que l'estonnement, quitta Hiers* ; et, le
lendemain, Sainct-Disant^, qui commandoit le régi-
ment de Bois-Rond, regagna ce logis, pour résoudre
le reste, comme il fit pour trois ou quatre jours. Mais
le mareschal estant approché jusques à Gemosac', les
soldats jouèrent à sauve qui pourra ; si bien que les
capitaines, ne pouvant faire mieux, choisirent les
meilleurs, pour faire quelque troupe de retraicte.
Sainct-Luc, qui ne perdoit point de temps, se met à
leurs trousses, et particulièrement de ceux qui
filoyent vers Soubize ; lesquels il emportoit tous sans
une bonne mine que fit Sainct-Disant à un petit pont,
et puis esquiva pour passer au moulin de la Bridoire.
Ce passage quitté par force, Sainct-Luc trouva qu'il
y avoit encores quelque six vingts hommes à passer.
Il ne les marchanda plus, en mit en pièces quelque
trentaine, en prit deux fois autant de prisonniers,
soulagea toutes ces troupes de leur bagage. Cet acci-
dent, redoublant la nouvelle de l'armée du prince de
Condé perdue, de sa fuite en Angleterre, avec une
très rude peste qui se mit dans le pays et dans Sainct-
Jean-d'Angéli, plus qu'en nul autre lieu, fit que toutes
les compagnies des refformés, horsmis fort peu, se
1. Après le départ du prince de Condé, Saint-Mesme poursuivit
le siège pendant vingt-un jours (Arcère, Hist. de la Rochelle, t. II,
p. 55). La levée du siège de Brouage par les réformés doit donc
être datée du 29 ou du 30 octobre 1585.
2. Le s. de Saint-Dizant, capitaine huguenot, appartenait à la
famille de Beaulon.
3. Gemozac (Charente-Inférieure).
1585] LIVRE DIXIÈME, GHAP. XVU. 275
brisèrent d'elles-mesmes. Ceux que la religion n'atta-
choit point s'allèrent jetter dans les bandes catho-
liques, les autres dans les villages et fauxbourgs de
leurs villes. Encores falut-il, pour achever la misère,
que la famine y fust adjointe, estant l'année fort mau-
vaise; plusieurs bleds laissés aux champs par les labou-
reurs morts. Les compagnies qu'on avoit jettées en
Oléron gagnèrent leurs vaisseaux à grand'haste. Voilà
Testât où nous laissons la Xainctonge et le Poictou.
Chapitre XVII.
Des provinces méridionales de la France.
Telle estoit la semence de division que nous avons
ci-devant touchée entre les deux princes^ cousins *-
germains, chose estrange en leur affliction et au froid
qui reserre les choses étérogénées, que le désastre
d'Angers servi st de farce à toute la cour de Navarre ;
et celui qui pouvoit le mieux se mocquer de la misère
de leurs frères estoit mieux venu; joinct que le roi
de Navarre^ jouoit un personnage nouveau, ne parlant
plus que de conserver l'Estat et ayant mis les pas-
i. Le récit de la rivalité du roi de Navarre et du prince de
Condé remplit les documents du temps. Condé était soutenu par
les huguenots rigides qui n'admettaient pas d'accommodement
avec le parti catholique. Les Mémoires de La Huguerye, qui sont
une apologie de ce prince, contiennent de curieux détails sur la
rivalité des deux Bourbons.
2. Ce mot manque à l'édition de 1618.
3. Le roi de Navarre était à Bergerac et apprit de Sully le
détail du désastre essuyé par le prince de Condé (ÛEconomies
royales, chap, xix).
276 * HISTOIRE UNIVERSELLE. [i 585
sions huguenottes en crouppe, sur ce que, s'estimant
nécessaire au roi, il argumentoit de ceste nécessité,
ne regardant point à la foiblesse de ce prince, qui
alloit prendre loi du plus pressant.
Le mareschal de Matignon, estant en curée du mal
que son approche avoit apporté aux refformés pour
remédier aux blasmes de sa tardivité et obéyr aux
commandements redoublez qu'il avoit receus de la
cour, alla, au retour de Xainctonge, passer à Brane, et
de là vers la Réole joindre deux régiments et quelque
cavallerie, que Cornusson lui amenoit du Languedoc.
Avec tout cela, il s'en vint passer l'eau, partie à Agen,
partie au Port Saincte-Marie. A ce dernier passage se
présenta quelque cavallerie des refformés ; mais deux
régimens de gens de pied, avancez et logez dans les
Aubandes, leur apprirent qu'ils ne pouvoyent rien
exécuter. Le lendemain, l'armée logea aux environs de
la Plumet
Le roi de Navarre avoit lors à Nérac trois cents cin-
quante bons chevaux et deux mille arquebuziers. Le
mareschal, ayant reposé deux jours à deux lieues des
refformés sans qu'un seul logis lui fust enlevé, arrive
à dix heures du matin dans le grand chemin d'Agen.
A veue du petit Nérac, partagea ses gens de pied à ses
deux mains, et à chasque costé desbanda deux cents
arquebuziers et plus. Gela et quelques gentilshommes
volontaires présentèrent l'escarmouche, acceptée une
heure après par ceux de Nérac, qui sortirent en foule
sans drapeaux, les corps des régiments retenus aux
1. L'édition de 1618 porte la plaine. La Plume est un canton du
département de Lot-et-Garonne.
1583] LIYRE DIXIÈME, CHAP. XVII. 277
contr' escarpes demie heure entière. Tout alla froide-
ment des deux costez, jusques à ce que le mareschal
destacha de ses bataillons de droicte et de gauche, de
l'un huict files, de l'autre dix. C'estoyent gens choisis,
pour sans désordre soustenir les premiers escarmou-
chans. Le roi de Navarre ne s'estoit point encores
avancé, mais, à l'arrivée de ces nouveaux, il vid que
ces gens venoyent voir où il estoit. Lors il poussa*
ses deux gardes, qui donnèrent si résoluement qu'ils
réduisirent ce qui s'estoit approché à la retraicte au
commencement. Mais le mareschal, ayant faict branler
ses bataillons cinquante pas en avance, et sa cavallerie
ayant trouvé un champ à la droicte, où il y avoit
quelque large, vint menacer les costez du combat.
Tout cela affermit les catholiques avancez, et leur fit
opiniastrer quelque chemin creux, et là chacun se con-
tenta de sa place de combat, hormis quelques arque-
buziers qui s'entretenoyent dans les vignes. Le roi de
Navarre print lors envie de desloger ceste cavallerie,
qui estoit à sa gauche , et , pour cela , sans appeler
aucun de ceux qui estoyent au jeu commencé, il fit
couler par le fossé quatre cents arquebuziers, la plus-
part périgourdins. A leur cul il laisse sortir quelques
six vingts chevaux, qu'il fit demeurer encores à l'abri
du terrier; et lui, avec quarante hommes de marque,
alla faire le çà^çà, galand homme, à ceste cavallerie, où
estoit Cornusson. Et, cependant ses gens de pied gai-
gnèrent deux hayes du champ, d'où ils tiroyent, bien
que loing, dedans ce gros. Le mareschal, voyant que
1. Var. de l'édit. de 1618 : « ... lors il fit avancer jm deux
gardes... »
278 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
ses gens seroyent contraincts de lascher le pied, ne
pouvans aller à la charge, et que sur le bransle la
troupe du roi qu'il voyoit ne pardonneroit pas la des-
marche, et, de plus; confirmé en son opinion, quand il
vid couler à propos six vingts chevaux, qui estoyent au
chemin bas, il partagea en deux son infanterie de main
droicte, la moitié pour aller gaigner la haye du champ,
l'autre pour faire mine de couper le chemin de la ville.
Ce fut aux refformés à remettre leur cavallerie dans
le chemin bas, et, pour retirer leurs quatre cents
hommes de pied, leur faire faire un arc à la main
droicte, pour venir saluer ceux qui seroyent avancez,
et ne prendre pas tout droict le chemin de la ville,
mais se retirer de bonne grâce. Les quatre cents fai-
soyent bien, jusques à ce que l'arquebuzerie, qui estoit
allée pour gaigner la haye, n'y ayant plus que faire,
leur vint chatouiller le costé gauche. Le roi de Navarre,
voyant quelque estonnement parmi les siens, r'alia
des plus volontaires, et là oublia l'héritier de la cou-
ronne pour faire le soldat. Il eut le sous-pied de l'es-
peron et la semelle de la botte emportés d'une mous-
quetade. Lui et ceux de sa maison chargèrent dans les
vignes ; ce que ceux de l'autre cavallerie n'estimoyent
pas ni pouvoir ni devoir estre faict. Le mareschal se
contenta de voir tirer quelques arquebuzades à la cour-
tine, et, après un long halte, retourna à la première
place qu'il avoit prise à son arrivée ; et les autres, après
six heures d'exercice, furent bien contents du démes-
lement*.
1. Aucun historien ne parle de ce combat. Cependant, nous
croyons, d'après une lettre du roi de Navarre au s. de Saint-
1585] UVRE DIXIÈME, GHAP. XVII. 279
Nous avons dit qu'on avoit envoyé du Languedoc
des forces en Guienne. C'estoit à la prière du mares-
chal de Matignon ; et la concession facile de celui de
Montmorenci venoit des respects de la cour, ne* vou-
lant rien agir en sa charge, le roi lui ayant mandé
quelque temps auparavant le besoin qu'il avoit de son
beau-frère. Lui, d'ailleurs, repentant de sa défection
d'avec le roi de Navarre, d'une part, pour désirer la
bonne grâce de ce soleil levant, d'autre part, voyant
le triste coucher de celui qui régnoit, joinct à cela
l'exaltation des ennemis de sa maison ; tout cela le fit
souvenir plusieurs fois des remonstrances par articles
qui lui avoyent esté présentées à Pezenas, pour tous
ces respects dont il avoit esté bien aise d'eslongner
Gornusson^, d'autre humeur que lui, et ne l'envoyoit^
qu'à la délivrance de Brouage et non ailleurs. Lui donc
avec le duc de Joyeuse mesnageoyent quelque repos
de la province, auquel Ghastillon s'accorda facilement,
pour la multitude des grandes espérances qu'il avoit
conceues au service du roi. G'est ce qui fait que nous
n'avons rien à dire de cette province qui ne se puisse
remettre au tome suivant.
Encores voulons-nous entamer quelque petit com-
Geniès du 13 décembre i585 {Lettres de Henri IV, t. II, p. 156),
qu'il dut être livré dans la seconde moitié de ce mois. Le prince y
mentionne les mouvements du maréchal vers les Landes. Lui-
même était alors à Mont-de-Marsan. Il est possible qu'il y ait eu
une rencontre sous les murs de Nérac.
1. Le reste de la phrase manque à l'édition de 1618.
2. François de la "Valette, s. de Ciornusson, sénéchal de Tou-
louse, mort à la fin de décembre 1586 (Mémoires de Gâches, p. 348).
3. Var. de l'édit. de 1618 : « ... que lui, à la délivrance de
Brouage... >
280 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
mencement de Lesdiguières en Dauphiné, pour ne
laisser point nostre lecteur à instruire de ce qui esgale
en saison les choses déduites*.
Lesdiguières^, sentant venir l'Édict de juillet, et
ayant cognu, aux préparatifs que faisoyent ses voi-
sins, qu'il ne faloit plus rien espérer de la distinction,
mais s'attendre à avoir tout sur les bras ; ayant pris
l'advis des principaux et députez de la province, vou-
lut pourtant commencer la guerre par quelques places
tenues par les liguez, commença par Sorgues^, où ils
avoyent mis deux compagnies, chascune de soixante
hommes. A la fin de may l'attaqua par escalade géné-
rale, en plein midi, et l'emporta de haute lutte, avec
la mort de tout ce qui estoit dedans, horsmis trente
ou environ*. Un mois après, Gouvernet^ et Le Pouet^,
au sortir d'une assemblée tenue à Die, assiégèrent la
citadelle du lieu, tenue par des royaux, lesquels, ayans
tenu jusques au premier de juillet, se rendirent faute
de vivres et de secours"^. Lesdiguières, cependant,
avoit amassé ses forces sur la fin d'aoust, fait entre-
prise sur le Montélimar, fait jouer trois pétards aux
trois portes, et, ayant emporté la ceinture de la
muraille, donne à deux tours fortifiées, où il y avoit
i. Var. de l'édit. de 1618 : « ... nostre lecteur trop longtemps en
l'attente du succez. »
2. Le reste du chapitre, jusqpi'à ces mots : Voyons ce que la
France..., manque à l'édition de 1618.
3. Chorges (Hautes-Alpes),
4. Lesdiguières s'empara de Chorges le 23 juin 1585.
5. René de la Tour du Pin, s. de Gouvernet.
6. Louis de Blain, s. de Pouet.
7. Prise du château de Die par les réformés, 3 juillet 1585
(Mémoires de Piémond, p. 169). C'est par erreur que de Thou fixe
cette date au commencement d'août (liv. LXXXII).
1585] LIVRE DIXIÈME, CHAP. XVII. 2181
garde, et les emporte d'effroy'. Le jour d'après, il
attaque le fort de Narbonne-, qu'il emporta sans
peine, mais il en trouva d'avantage dans la citadelle,
où commandoit Ancosne^, qui estoit mieux fortifiée,
et laquelle faillit de renvoyer les reiformés au logis,
ausquels il print bien de couvrir leur siège par le hors,
non de barricades, à la mode qui trotoit, mais d'un
grand retranchement, avec un médiocre parapet, car
en peu de temps Maugiron*, lieutenant de roi, fut
assisté des comtes de Tournon^, de Sault® et de Suze'',
de Monlaur^ et du jeune Grignan^. Et encor Alphonse
Corse**' les vint joindre, en cheminant au secours.
1. Prise de Montélimar par Lesdiguières, 25 août 1585 {Mémoires
de Piémond, p. 172).
2. Narbonne (Drôme).
3. Jean de Pracontal, s. d'Anconne, frère et héritier d'Antoine
de Pracontal, s. d'Anconne, mort en 1581. Antoine appartenait
au parti protestant et s'était fait une célébrité en Dauphiné. Jean
était catholique. Il fut tué, le 28 décembre 1588, en défendant
Anconne contre les réformés (Mémoires de Piémond, p. 526).
4. Laurent de Maugiron, mort en février 1589, avait été lieute-
nant de roi en Dauphiné à diverses reprises depuis 1554.
5. Just-Louis de Tournon, capitaine d'ordonnance, sénéchal
d'Auvergne, bailli du Vivarais, mort le 4 septembre 1617.
6. François d'Agoult de Montauban, comte de Sault, baron de
Grimaud, chevalier du Saint-Esprit, commandait un régiment
{Mémoires de Piémond, p. 103). Il mourut en 1608.
7. François de la Baume, comte de Suze, capitaine d'ordon-
nance, ou son fils, Rostaing de la Baume.
8. Louis-Guillaume de Raymond-Mourmoiron, baron d'Aube-
nas, de Maubec et de Modène, comte de Montlaur, gendre du s.
de Maugiron cité plus haut.
9. Louis-François de Castellanne-Adhémar, comte de Grignan,
sénéchal de Valentinois et Diois, capitaine d'ordonnance, marié
le 4 juillet 1595 avec Jeanne d'Ancezune de Venejan.
10. Alphonse d'Ornano, plus tard lieutenant général en Dau-
phiné et maréchal de France.
282 fflSTOIRE UNIVERSELLE. [1585
Tout cela et la noblesse volontaire qui sauta à che-
val mit ensemble six cents bons chevaux et deux
mil cinq cents hommes de pied, artillez d'une bas-
tarde et d'une pièce de campagne seulement. Le
secours ne faillit pas de venir taster le retranchement,
mais, les ayant trouvez bien retranchez et couverts à
preuve de leurs pièces, il falut renvoyer cercher du
canon de batterie ; ce qui fut de telle longueur que
les assiégez, manquans de toutes choses, au bout de
neuf jours, qui estoit à la mi-septembre, composèrent
et sortirent avec honorable capitulation*.
De mesme façon, Lesdiguières entreprit sur Ambrun,
de laquelle la porte estant forcée, au bruit du pétard,
les habitans se barriquèrent par les rues, estans for-
cez partout. Les chefs de la garnison se retranchèrent
un peu mieux dans l'évesché, où ils receurent capitu-
lation bien gardée^, comme par tout ailleurs. Voyons
ce que la France, ayant tant d'affaires en son sein,
desmesle avec ses quatre voisins.
Chapitre XVIII.
Affaires meslées avec les quatre voisins.
Quelques esprits de la cour osèrent jetter en celui
du roi de prendre l'occasion des arche vesques de
Golongne^ pour obliger à soi d'un lien bien estroit tous
1. Prise du château de Narbonne par Lesdiguières, 11 septembre
1585 (De Thou, liv. LXXXII).
2. Prise de la citadelle d'Embrun par Lesdiguières, 19 novembre
1585 {Mémoires de Piémond, p. 180).
3. Plusieurs pièces importantes relatives aux négociations de
1585] UVRE DIXIÈME, GHAP. XVIIl. 283
les princes protestants d'Allemagne. Pour le moins,
disoyent-ils , en faudroit-ii donner la crainte aux liguez,
pour les rendre plus sobres en leurs entreprises. Deux
choses esmeurent tels conseilliers à bien espérer de
leur ouverture : l'une les traictez que le roi avoit ainsi
comme ainsi avec les refFormés, mesmes en Guyenne
avec le roi de Navarre par le duc d'Espernon, et au
Pays-Bas, comme nous dirons en ce chapitre. L'autre
occasion d'espérer fut pource que cet exemple d'un
archevesque marié ^ n'estoit nullement odieux à plu-
sieurs ecclésiastiques de la France, notamment à quel-
ques primats ausquels le roi en communiquoit. Mais
il ne respondit qu'en crainte, et ceux de l'opinion con-
traire parloyent avec une hardie animosité, si bien que
le roi ne pensa plus à cet affaire si tost qu'il falut
méditer un apointement.
J'adjousterai encores qu'il n'eut pas beaucoup de
loisir de s'esbranler pour un tel fardeau qu'il ne le
vist trébuscher sur les espaules qui le soustenoyent.
Et puis les Guisarts, qui s'estoyent veus en Lorraine,
avoyent de là envoyé leur ligue, tant en la première
forme qu'en la seconde, pour la faire approuver au
consistoire de Rome. A quoi estoyent poi notez tous les
partisans de l'Empire et de France mesme, hormis le
cardinal de Joyeuse^, lequel seul, maintenant le droict
de son roi, receut un soufflet dans le consistoire. A
Henri III avec les princes protestants à l'occasion de l'archevêque
de Cologne sont conservées dans le vol. 3304 du fonds français.
1. Gebhart Truchses. Sur cette affaire, voyez le chapitre sui-
vant.
2. François de Joyeuse, né le 24 juin 1562, archevêque deNar-
bonne, de Toulouse, de Rouen, cardinal en 1583, mort le 27 août
1615.
284 HISTOIRE UNIVERSELLE. [1585
toutes ces brigues, le pape, qui estoit encores lors
Grégoire Vil, ayant résisté, quoique peu supporté des
siens, le roi se sentit obligé à lui, jusques à espérer
pouvoir ruiner les affaires de la Ligue par celles de
Rome, mais il changea d'espérance au premier chan-
gement du papat.
L'Espagne se porta pour le commencement plus
retenue et couverte aux affaires de la Ligue, pour ce
qu'ayant à desmesler celles de Portugal, il n'est oit pas
temps de mettre au pis les François ; joint à cela que
la roine, mère du roi, se montroit fort eschauffée à
disputer la succession du Portugal, monstrant tant de
desfaveur au roi Philippes que, quand son fils le duc
d'Alençon^ eut gasté les affaires en Brabant, elle
manda à ceux des Pays-Bas qu'elle estoit preste de
relever la faute de son fils, jusques à marcher en per-
sonne au milieu d'une puissante armée en Artois.
Voici deux opinions qui couroyent là-dessus. Quelques
meffians disoyent que ceste femme estoit tellement
attachée à la Ligue qu'elle ne faisoit rien à contre-
poil de leurs mouvements, et qu'on lui avoit ouy dire,
pour sentence notable, que le meilleur moyen de bien
destruire un parti est de le mesler pour y entrer. Et
c'est ce qu'elle fit practiquer au roi bientost après,
quand il se fit chef de la Ligue, pour la décapiter à sa
volonté. Par ainsi ceux-là estimoyent que la roine n'avoit
rien fait contre le roi d'Espagne, sinon en faux sem-
blant. Les autres et mesmes personnages de marque
près d'elle nous asseuroyent qu'elle n'estoit point femme
sans caprice, et, après plusieurs tesmoignages de sa
1. D'Aubigné écrit indifféremment duc d'Alençon ou d'Anjou.
Il s'agit de François de Valois.
1585] UVRE DIXIÈME, CHAP. XVIII. 285
passion, en adjoustoyent un que j'ay estimé digne
d'estre escript : c'est que, sachant bien comment elle
estoit descriée parmi les maisons qui s'estimoyent plus
dignes de l'alliance de France que de celle de Florence
et comment, en haine de son exaltation, on abaissoit
son extraction en la faisant estre issue de deux diffé-
rentes conditions, au mespris de ceste grand'maison.
J'en supprimerai les particularitez pour un notable res-
pect, quoi que je les aye apprises de Jean Salviati*,
fils de Bernard, florentin et sieur de Talci, qui m'a
autresfois, privément, comme à son gendre, asseuré
d'icelles, avec d'autres comptes accompagnez d'animo-
sité contre ceste roine, bien que sa parente. En géné-
ral, il cottoit^ les desdains que monstrèrent au com-
mencement les Strossi, Salviati et Peruci, de recevoir
ceux de Médicis en leur alliance, qu'ils^ ont receu bien
avantageuse depuis. Peut-estre que la discrétion de
ceste princesse à n'avancer pas les siens inconsidéré-
ment aux biens et honneurs de la France faisoit esclat-
ter contre elle ces déclamations. Quoi que ce soit, ce
haut courage, et non sans quelque raison, tenoit à
grand avantage d'avoir à débattre un royaume par
succession ; et que fui la cause qui lui fit rompre tant
de menées à la cour et de défenses faites à la sollicita-
tion et crieries de l'ambassadeur d'Espagne. Et y
1. Jean Salviati, seigneur italien, établi à Talcy (Loir-et-Cher),
dont d'Aubigné avait désiré épouser la fille aînée, Diane Salviati,
après le massacre de la Saint-Barthélémy (Mémoires de d'Aubi-
gné, dans Œuvres complètes, édit. Heaume et Gaussade, t. I, p. 18).
C'est pour elle qu'il écrivit le Printemps. Après une assez longue
cour, l'amoureux fut évincé pour cause de rehgion.
2. Ces mots : en général il cottoit, manquent à l'édition de 161^.
3. La (in de la phrase manque à l'édition de 1618.
286 HISTOIRE UNIVERSELLE.
employa son cousin Strossi^, colomnel de l'infanterie
françoise.
Ici vient à propos de dire un mot sur ce que l'on
accusoit le roi de Navarre d'avoir eu un traité avec le
roi d'Espagne, préjudicieux en France. J'en parlerai
comme ayant preste serment à la vérité et comme y
ayant esté employé. Il est certain que les maux passés,
les nécessitez présentes et les justes craintes pour l'ave-
nir firent prester l'oreille aux offres de l'Espagnol,
reçues par deux gentilshommes de Basque, Guerres-
et Mazeres*, chez lesquels se rendit un secrétaire
major, d'une part, et, de l'autre, Ségur* et son compa-
gnon de Languedoc^, desquels l'un fut d'opinion d'en-
trer en discours par une curieuse narration des anciens
partis et troubles entre les maisons de Beaumont et
Grammont^ et que nous estions descendus de la fac-
tion qui soustenoit l'Espagnol. L'autre disoit qu'ayant
à faire à des Castillans, il falloit traicter en ces termes :
« Nous venons à vous comme peuvent ennemis vers
1. Philippe Strozzi, fils du maréchal Pierre Strozzi, né à Venise
en avril 1541, Nous retrouverons bientôt ce personnage.
2. La seigneurie de Ger ou Geer est située près de Pontac
(Basses-Pyrénées).
3. François, s. de Mazères et de Lezons, gentilhomme béarnais,
avait été le premier à recevoir les ministres protestants en Béarn
(Bordenave, Hist. de Béarn et Navarre, p. 54).
4. François de Ségur-Pardaillan.
5. Le compagnon du Languedoc n'est autre que d'Aubigné lui-
même, qui avait été envoyé en Languedoc en 1577 pour redresser
une négociation délicate avec le maréchal Damville, que Ségur
avait compromise par maladresse. Voyez ci -dessus, liv. VIII,
chap. IX.
6. La Navarre, et spécialement la Navarre espagnole, avait été
déchirée au moyen âge par les querelles intestines des Beaumont
et des Gramont, les deux plus puissantes maisons de la province.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XVm. 287
ennemis, mais tels qu'il n'y a d'une part ni d'autre
perfidie à reprocher ni ingratitude qui nous puisse
esloigner. Vous cherchez en nous vos commoditez et
vengeances contre tels vices; nous celle de la défense
contre cela mesme. Nos intérests mutuels ont desjà
touché à la main. Voyons si nos probitez réciproques et
nos fidelles observations pourront y amener et y con-
fermer le nom et l'efifect d'amitié. >
Un tel style estant mieux receu, ils vindrent sur le
poinct de conclure que, sur la promesse absolue du
roi de Navarre de mettre la guerre en France, sans
autre caution, il toucheroit 200,000 ducats, rendus à
la maison de Chaux* ; qu'aussi tost que les refformez
auroyent pris quatre villes pour marque de la guerre
bien commencée, le roi PhiHppe envoyeroit encores
400,000 ducats; que, le premier jour de l'an prochain,
et ainsi toutes les années que la guerre dureroit, il four-
niroit, au mesme lieu, la somme de 600,000 ducats*.
1. Le vicomte d'Etchaux était un seigneur basque catholique
qui avait deux sœurs mariées à Pampelune. Il avait déjà joué un
rôle au moment de l'entrevue de Bayonne et avait été chargé
par la reine de recevoir les ambassadeurs turcs (Mémoire de
Frances de Alava du 27 avril 1579, conservé aux archives de la
secret. d'État d'Espagne). Le 6 août 1578, le roi de Navarre
l'envoya en Espagne sous prétexte d'acheter des chevaux avec
deux lettres de recommandation, dont l'une, à Philippe II, est
imprimée dans la coll. Berger de Xivrey, t. I, p. 190; l'autre,
encore inédite, est adressée à don Sanche de Leyva.
2. D'Aubigné touche ici à une des négociations les moins con-
nues du xvi« siècle, celle des relations de Philippe II avec le roi
de Navarre. M™« de Mornay en parle dans ses Mémoires (édit. de
la Soc. de l'Hist. de France, t. I, p. 141), mais avec cette diffé-
rence qu'elle affirme que le Béarnais repoussa bien loin les pro-
positions du roi d'Espagne, tandis que d'Aubigné raconte qu'il les
288 HISTOIRE UNIVERSELLE.
Comme les députez retournoyent pour faire agréer
ces articles à leur maistre, les considérations prises sur
la mort de Monsieur et les pensées d'un héritier de la
couronne firent faire celles de protecteur et de chef
de parti. Quelque temps après, estant reproché au roi
de Navarre, à un parlement qui se fit avec la roineS
qu'il avoit tendu la main au secours de l'Espagnol, il
respondit : « J'armerai contre vous l'enfer, où vous
avez tant de crédit, au prix que vous m'en ferez sen-
tir les nécessitez. »
Comme je m'abstiens de jugement en autres choses,
ainsi ferai-je en celle-là, pour commencer le septen-
trion par l'Angleterre.
La roine estoit bien empeschée à recevoir le duc
d'Anjou, en faisant tellement espérer ce mariage en
son pays que la nouvelle en fut célébrée à son de
cloches, feux de joye, balets et tournois^. Il séjourna
écouta favorablement. Nous avons rapporté de Simancas un assez
grand nombre de documents sur cette négociation, successive-
ment menée par Claude du Bourg, le comte de Gramont et le
vicomte d'Etchaux. Ce n'est pas ici le lieu de les analyser. Disons
seulement que la conclusion qui s'en détache confirme le récit de
M™e de Mornay. Il n'y est pas question de d'Aubigné. Les pour-
parlers, longtemps poursuivis dans le plus profond mystère,
s'ébruitèrent enfin, et, le 13 mars 1581, l'ambassadeur d'Espagne
en France, qui ne paraît pas avoir été mis dans le secret, écrivit
à son maître que le bruit courait que le roi d'Espagne était en
intelligence secrète avec le prince béarnais et lui faisait passer
des subsides pour soutenir sa politique (Arch. nat., K. 1559).
1. A la conférence de Saint-Bris.
2. Plusieurs princes français, notamment le fils du duc de
Montpensier, rejoignirent le duc d'Anjou en Angleterre. Leur
arrivée fut l'occasion de fêtes éclatantes, qui sont pompeusement
racontées dans une pièce du temps (f. fr., vol. 3189, f. 22).
LIVRE DKIÈME, CHAP. XVIII. 289
là depuis le huictiesme de novembre jusques au huic-
tiesme de février^, que la roine, qui l'avoit accompa-
gné jusques à Gantorberi, lui dit Adieu, lui donnant
ordonnance^ et moyen pour emmener la fleur des sei-
gneurs de son pais.
Monsieur ne fut guères au Pays-Bas que l'affaire de
Salcede^ se descouvrit*. Cettui-ci et un sien compa-
gnon, nommé Baza^, confessèrent et soubsignèrent que
leur dessein avoit esté d'assassiner ou tuer le duc d'An-
jou^ et le prince d'Oranges; cela à la sollicitation du
conseil d'Espagne, en quoi ils espéroyent faveur du
jeune comte d'Egmond''', que le prince d'Oranges avoit
1. Novembre 4581 au 8 février 1582. Une relation contenue
dans les Mémoires de Nevers (t. I, p. 551) raconte les amours de la
reine Elisabeth avec le duc d'Anjou pendant le séjour du prince
en Angleterre. Fronde, dans History of England (t. XI, p. 446 et
suiv.), y ajoute de curieux détails.
2. Les deux mots ordonnance el moyen manquent à l'édition de
1618.
3. Nicolas de Salcède, s. d'Auvilliers, fils de Pierre de Salcède,
capitaine espagnol et instigateur de la guerre cardinale. Nicolas,
parent éloigné du duc de Mercœur, appartenait secrètement à la
Ligue.
4. Salcède fut arrêté à Bruges, dans la maison même qu'habi-
tait le duc d'Anjou, le 21 juillet 1582.
5. PVançois Baza de Bresle, capitaine italien qui avait servi
autrefois sous les ordres de Ferdinand de Gonzague. Le Journal
de L'Estoile le nomme Ralduin (août 1582).
6. Henri III n'ayant pas d'enfants et paraissant destiné à n'en
pas avoir, le roi de Navarre appartenant à la réforme, le duc
d'Anjou était le seul prince qui pût faire un obstacle sérieux au
projet du duc de Guise de s'emparer de la couronne de France.
Telle est l'explication que donne de Thou du mobile de la conju-
ration.
7. Lamoral d'Egmond, second fils du comte d'Egmond, l'illustre
victime de Philippe II.
VI 19
290 HISTOIRE UNIVERSELLE.
advertiS comme son fils, de se donner garde de telle
fréquentation. Mais l'instinct de ce jeune homme a tou-
jours esté de hayr ceux qui le faisoient souvenir de la
mort de son père^. Baza, après estre condamné, se
tua en prison^.
Salcede, mené à Paris à la requeste du roi et de la
roine mère, confessa de plus avoir reçu 4,000 ducats
et d'avoir encore à exécuter contre la personne du roi,
à l'instigation de plusieurs princes, qu'il nomma à
l'oreille*, et desquels le nom fut supprimé^. Le roi,
les roines et les princes du sang le virent desmembrer
vif à quatre chevaux ^.
1. Le jeune comte d'Egmond s'excusait auprès du prince
d'Orange en prétextant que ses relations avec Salcède avaient
pour objet l'étude de l'alchimie.
2. D'Aubigné confond les deux fils du comte d'Egmond. L'aîné,
Philippe, fut pendant toute sa vie le courtisan du roi d'Espagne.
Le second, Lamoral, avait montré plus d'indépendance vis-à-vis
du parti catholique. Cependant, il se trouva gravement compro-
mis dans la conjuration de Salcède. Mis en prison à la suite du
procès, il réussit à prendre la fuite grâce à la protection du prince
d'Orange et des anciens amis de son père. Voyez Motley, Hist.
de la fondation des républiques unies, trad. Guizot, t. IV, p. 469.
3. François Baza se suicida dans sa prison le 30 juillet 1582.
4. De Thou, qui avait eu des documents particuliers sur la con-
juration de Salcède, puisque son père était chancelier du duc
d'Anjou et un des juges du coupable, nomme tous les seigneurs
que ce misérable désignait comme ses complices (liv. LXXXII).
Les dépositions de Salcède sont imprimées parmi les pièces du
procès. Voyez les notes suivantes.
5. L'arrêt contre Salcède fut prononcé au parlement le 25 cet.
1582 et exécuté le lendemain. Voyez le récit de la mort du cou-
pable dans les Archives curieuses de Gimber et Danjou, t. X, p. 141.
6. Les pièces sur la conjuration de Salcède sont très nombreuses
et prouvent par leur nombre l'émotion que cette affaire mysté-
rieuse avait excitée. Voyez le Discours publié dans les Archives
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XVm. 291
Le duc d'Anjou^, par l'intercession de sa mère, en
apparence ou en effect, sollicita le roi de se déclarer
pour les Estats-. Le roi respondit que, s'ils le vouloyent
recognoistre, lui ou la couronne de France, pour suc-
céder à Monsieur, il feroit ce qu'il pourroit. Quelque
conseiller d'Estat disoit au roi que, pour joindre les
Pays-Bas à la couronne de France, ce qui le rendroit
invincible, il ne devroit assister son frère qu'à l'ex-
trême nécessité, quand ses moyens et ceux du pays
seroyent tellement afFoiblis qu'ils seroyent contraincts
de se donner au roi, aux conditions que prescriroit Sa
Majesté; que, sous ce mesme temps, le roi d'Espagne
seroit du tout bas d'argent et hors de crédit ; que le
mesme espace estoit pour apprendre aux Estats la
vaine confiance qu'ils avoyent prise en Monsieur, afin
que lui-mesme ne pust s'eschapper de recognoistre son
frère pour souverain. Par mesme moyen, le roi pour-
roit faire siennes les autres provinces qui sont demeu-
curieuses de Gimber et Danjou, t. X, p. 139 et suiv., le Recueil AZ,
lettre E, p. 62 et suiv., le Journal de L'Estoile, édit. de 1744, t. III,
p. 230 à 269, les anecdotes de du Vair à la suite des Mémoires de
Marguerite de Valois, édit. de la Bibl. elzév.,p. 220, enfin nombre
de pièces nouvelles tirées de la coll. Lucas de Montigny et impri-
mées dans la Revue rétrospective, t. XVIII, p. 81.
1. Le duc d'Anjou, parti de Londres le 8 février 1582, débarqua
à Flessingue le 10 du mois et entra à Anvers avant le 18.
2. Le 18 février 1582, le duc d'Anjou prêta serment comme duc
de Biiabant dans l'hôtel de ville d'Anvers. Voici, suivant le Jour-
nal de L'Estoile, les titres qu'il prit alors : « François, fils de
France, frère unique du roy, par la grâce de Dieu duc de Lau-
thier, de Brabant, de Luxembourg, de Gueldre, d'Alençon, d'An-
jou, de Touraino, de Berry, d'Évreux et de Château -Thierry,
comte de Flandre, de Zélande, de Hollande, de Zutphen, du
Maine, du Perche, de Mantes, Meulens et Beaùfort, marquis du
Saint-Empire, seigneur de Frise et de Malines, défenseur de la
liberté Belgique. >
2921 HISTOIRE UNIVERSELLE.
rées en l'obéyssance du roi d'Espagne, en les affamant,
soit par les deffenses expresses d'y porter vivres du
royaume, soit en se saisissant de Luxembourg et* bâtis-
sant nouveaux forts sur les rivières, pour n'estre con-
trainct au sort doubteux d'une bataille. Cependant, fal-
loit advertir Monsieur de faire siennes quelques places
particulières, à quoi il avoit travaillé de son naturel et
sans conseil de la cour. Cela faict, il devoit venir à Paris
pour mouvoir le roi son frère à cueillir plus de fruict
des choses commencées en trois mois et prendre plus
d'avantage que tous les rois prédécesseurs n'en avoyent
gagné sur la maison de Bourgogne par tant de guerres
et combats ; et, comme le roi feroit la sourde oreille à
tout cela, on instruiroit Monsieur de se plaindre à la
cour de parlement, pour de là venir en assemblée
d'Estats, desquels on tireroit trois profïits : le premier,
que le roi, se laissant traîner à cest affaire, ne porte-
roit point l'envie des succez ; le second, que les Estats
seroyent obligez, et, par causes spécieuses, amenez à
fournir aux frais de la besongne par eux entreprise ; le
troisième, qui n'estoit pas le moindre, estoit que, con-
jurant et conjoignant de nouveau les Estats de France
avec le roi, tous les prétextes de la Ligue estoyent
esteincts et la poincte des armes tournée vers l'Espa-
gnol. Voilà les mesmes conseils que recevoit le roi, et
desquels Monsieur^ estant adverti, il hasta ses desseins
avec moins de discrétion, et pour eux les forces du
duc de Montpensier, que sur telles machinations le roi
avoit faict séjourner longtemps à la frontière^.
4. Var. de l'édit. de 1618 : « ... Luxembourg et de Montmédi,
et bastissant... »
2. L'édition de 1618 ne nomme point ce personnage.
3. Le Journal de L'Estoile raconte les désordres et l'indiscipline
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XIX. 293
Or, sur la question si Monsieur fit le coup d'Anvers*
ou par colère précipitée ou de long dessein, je tesmoi-
gnerai seulement ce que me dit la roine de Navarre à
Libourne à deux pas de lui : « Le voyez-vous là, et
tout ce qu'il brouille en Flandres et en Portugal? Je
sçai bien son but : c'est de ruiner ceux qui se met-
tront entre ses mains. »
Chapitre XIX.
De r Orient.
Gebhard Truckchesse*, archevesque et prince élec-
teur de Goulongne, nous donne cette fois de quoi com-
mencer l'Orient plus près qu'au dernier livre. Il avoit
espousé une des comtesses de Mansfeld^, laquelle il
pensoit garder avec l' arche vesché, escrivant et faisant
prescher contre le cœlibat ; à quoi plusieurs ecclésias-
tiques sentoyent pour lui, quelques-uns par piété,
quelques autres pour leur commoditez. Mais il eut
bientost sur les bras l'excommunication* du pape, et
de ces troupes, racolées sans doute parmi les plus vils aventuriers.
Voyez notamment un émouvant récit (édit. Champollion) p. 23.
4. Surprise manquée de la ville d'Anvers par le duc d'Anjou,
17 janvier 1583. Voyez le chap. xxii.
2. Gebhard Truchses, de la famille de Walbourg en Souabe,
cardinal d'Augsbourg et archevêcpie de Cologne le 8 mai 1577,
se maria au commencement de 1582. Voyez la note suivante.
3. Agnès de Mansfeld, religieuse au monastère do Gerisheim.
4. Le pape Grégoire XIII fit publier à Rome, le l" avril 1583,
la bulle d'excommunication de l'archevêque de Cologne. Cette
pièce est conservée en copie dans le vol. 3336, f. 71 du fonda
français.
294 HISTOIRE UNIVERSELLE.
son chapitre révolté^; si bien qu'en sa place fut esleu
Ernest de Bavière^, fils du duc Albert, qui possédoit
l'évesché de Liège et deux autres^, et en outre huict
ou dix prélatures notables. L'archevesque nouveau,
riche de soi-mesme et assisté de ses parents, sur tous
de Frédéric de Saxe*, chanoine de Goulongne, mit sus
une armée qui, estant la première preste, empiéta
presque toutes les places de l'archevesché.
Les princes protestans d'Allemagne avoyent au
commencement fait de belles promesses à Truckchesse,
voyant par ce moyen un grand avantage à leur reli-
gion; mais, quand ils virent au duc de Parme'' une
armée de seize mille ^ hommes, ses heureux succès et
la décadence des Estats, le duc de Saxe' le premier
et le reste après lui tournèrent visage à ceste entre-
prise. Le comte de Meurs ^, soustenu des Estats, qui
n'abandonnèrent point l'archevesque, se rendit chef
1. En novembre 1582, le chapitre de Cologne avait informé le
pape de la conduite scandaleuse de son archevêque (De Thou,
liv. LXVIII).
2. Ernest de Bavière, frère de Guillaume, duc de Bavière, fut
élu et proclamé archevêque et électeur de Cologne en mars 1583.
3.^Ernest de Bavière était déjà évêque de Frisingen et d'Hil-
desheim.
4. Frédéric de Saxe-Lauenburg était le plus influent des cha-
noines de Cologne. Sur son expédition, voyez le récit de de Thou
(liv. LXXVni).
5. Alexandre Farnèse, duc de Parme, fils d'Octave Farnèse,
duc de Parme, et de Marguerite, sœur de Philippe II, avait à sa
disposition les forces que l'Espagne entretenait dans les Pays-Bas.
6. L'édition de 1618 porte soixante mille hommes.
7. Auguste, dit le Pieux, duc de Saxe, né le 31 juillet 1527,
électeur de Saxe en 1553, mort le 11 février 1586.
8. Adolphe de Newenaar, comte de Meurs et d'Alpen, mort à
Arnheim en 1585.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XIX. 295
de son armée et y adjoignit quelques places, entre
autres Ordanges et Rheinberg*.
Le duc Casimir^ marcha bien à son secours, mais,
voyant la cause abandonnée par tous les autres, lui-
raesmes aussi ploya, et lors les forces de Bavières
environnèrent Bonne ^. La garnison allemande ne vou-
lut pas faire honte aux plus grands, vendit la place
40,000 dallers et livra le frère de l'archevesque^ entre
les mains de son ennemi.
Le comte de Meurs ne s'estonna pas pour cela.
Ayant fortifié ses places de Gueldres^, trouva moyen
de planter une escalade à Nuis^. Peu de gens, qui
entrèrent avec leurs ferrements, ouvrirent si bien une
porte qu'ils firent entrer leur cavallerie. Les bourgeois
se retranchèrent à Ehenporte"^ et puis s'estonnèrent,
n'ayant servi leur despense ^ qu'à les faire piller et
1. Ordingen, sur le Rhin, et Rhinberg, dans l'électoral de
Cologne.
2. Casimir de Bavière, frère de l'électeur de Bavière, chef de
l'expédition des Allemands en France de 1576.
3. Le duc Casimir de Bavière arriva à Bonn sur le Rhin vers
la mi-août 1583. Il décampa le 19 octobre suivant et abandonna
la cause de l'archevêque de Cologne (De Thou, Uv. LXXIX). La
place fut alors assiégée par les Espagnols au commencement de
novembre suivant. Voyez le récit de La Huguerye, Mémoires,
t. n, p. 248.
4. Charles Truchses.
5. Gueldres, ville forte des Pays-Bas, sur la Niers. Les événe-
ments que d'Aubigné va raconter sont de trois ans postérieurs à
ceux qui font le sujet du commencement de ce chapitre.
6. Nuys, sur l'Erff, dans l'électorat de Cologne. — Siège de la
place par les Espagnols, juillet 1586 (De Thou, liv. LXXXV).
7. Heenporte, fort que les habitants de Nuys avaient bâti dans
une ile du Rhin.
8. L'édition de 1618 porte : leur deffence.
296 HISTOIRE UNIVERSELLE.
enrichir les soldats, car pour la force de la place tout
le pays y avoit retiré son bien. Là-dedans demeura
pour gouverneur Cloet*.
Un colomne! des Espagnols, nonnmé Martin Scheinck*,
dépité de quoi on ne l'avoit pas assez tost délivré de
prison et que Hautepenne ^ avoit esté préféré à lui au
gouvernement de Nieumègue, se donna aux refiformez
et particulièrement au comte de Meurs, donna aux
Ëstats sa forteresse de Bloiembeck'* et surprit la ville
de Roveroort, fort importante comme à l'embouchure
de la rivière du Rhein. Depuis il fit la guerre à Haute-
penne, surprit Bonne ^. Mais, les Estats estans réduits
aux pertes que ce livre vous apprend, Nuis fut repris
par siège ^ et le duc de Parme fit mourir Cloet^. Il falut
abandonner Bonne et les espérances de Truckchesse^.
Toute la Turquie est aux affaires de Perse, que nous
avons laissées entre les mains de Osman Bâcha, duquel
le premier dessein fut tel que le Turc, ayant impétré le
1. Frédéric Cloet, gouverneur de Nuys, « jeune homme actif
et d'une grande valeur, » dit de Thou (liv. LXXXV).
2. Martin Scheenck, s. de Tauttembourg, capitaine hollandais,
appartint tour à tour au parti espagnol, au prince d'Orange et à
l'électeur de Cologne. Il se noya en Frise en 1589.
3. Claude de Berlaymont, s. de Haultepenne, commandait les
troupes de l'électeur de Cologne.
4. Martin Scheenck s'était emparé de Blyembecque au mois
de juillet 1579.
5. Surprise de Bonn par Martin Scheenck, décembre 1587.
6. La ville de Nuys fut surprise par les Espagnols dans les
premiers jours d'août 1586.
7. Cloet fut étranglé et sa maison réduite en cendres.
8. La guerre dont l'archevêque de Cologne fut l'auteur et l'ob-
jet est appelée par les historiens du temps guerre doctorale. Elle
est racontée avec assez de détails dans le tome II des Mémoires
de La Huguerye.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XIX. 297
secours du Tartare, comme le puissant secours seroit
eslongné de sa contrée, l'armée des Turcs y entreroit
pour la conquérir. Mais le prince tartare, estant
adverti en chemin, au lieu de conquérir pour son
ennemi, retourna pour défendre le sien. Amurath prit
occasion de ce changement à se plaindre des Tartares
comme luy ayans manqué de promesse, et sur ceste
querelle d'Allemagne lui vint séjourner en Amazie^ en
despeschant Osman à ses entreprises de conqueste,
desquelles deux réussirent^. Et puis la cavallerie tur-
quesque se mit à piller les pilleurs et emmena quan-
tité de prisonniers. Les autres ne la gardèrent pas
longtemps ; premièrement reprirent ce qu'ils avoyent
perdu et puis remboursèrent les Turcs de leurs peines,
en ruinant toute la Chersonèse Taurique, avec quelques
places qu'ils furent d'advis de garder. Ce mauvais suc-
cès ne laissa pas de mettre Osman en la bonne grâce
d' Amurath ; si bien qu'il le fit grand vizir de l'Empire^
et comme à tel lui mit entre les mains une armée
de 150,000 hommes, soixante canons de grosse bat-
terie et cinquante moyennes. Tout cela assemblé à
Herseron * et faisant mine d'en vouloir à Maësivan ^,
1. Amasie, ville de la Turquie, près de la rivière de Gasalmach.
2. Au commencement de 1583, le bâcha Osman s'était rendu
maître de Sumachia, dans le Sirvan, de Tabassaran et de Cabba,
près de Temir-Gappi (De Thou, liv. LXXVII).
3. Osman fut nommé général de l'armée d'Amurath contre les
Perses, et grand vizir de l'empire à la place du bâcha Sianses
(1584).
4. Erzeroum, dans la Turquie d'Asie, sur l'Euphrate. — Arri-
vée de l'armée d'Osman dans la ville, commencement d'août 1585
(De Thou, liv. LXXXIV).
5. Naesivan, ville de l'Arménie persane.
298 fflSTOIRE UNIVERSELLE.
le* Persan, bien adverti, se trouva prest de combattre ^
au levant de Tauris, où le prince de Perse, avec
50,000 hommes, chargea sans cérémonie et sans ordre
l'avant-garde des Turcs, laquelle il rompit entièrement
avec une sanglante victoire^. Et comme Osman eut
despesclié le bâcha Cygale* pour remédier à ce désastre
avec 20,000 hommes, tout cela intimidé et désordonné
par les fuyants, chaudement enfoncez par les victo-
rieux, fut mené si rudement que peu avec les chefs
s'en sauvèrent et encores à la faveur de la nuict.
Tout cela ne fit desmordre le dessein d'Osman. Mais
dès le lendemain il fut à la veue de Tauris^, où com-
mandoit AliculiCham; et cettui-là, après avoir mons-
tre du courage en quelques escarmouches, se retira
vers le roi de Perse, laissant la ville en garde aux
habitans, qui furent forcez le lendemain par les esclaves
des Turcs, que leurs maistres avoit armez. Et Osman,
qui n'y vint que deux jours après, en donna le pillage
à toute son armée ^, encor qu'il la voulust garder,
1. Var. de l'édit. de 1618 : « ... Naësivan; mais c'estoit à Tau-
ris ; et pourtant, avant qu'il fust dans les plaines de Valdaran,
le Persan... »
2. Var. de l'édit. de 1618 : « ... de combattre à 10,000 au-devant
de Tauris... »
3. Ce fut Emir-Emze, fils aîné de Hadabendes, roi de Perse,
qui remporta la victoire sur les Turcs (août 1585). Voyez le récit
de de Thou (liv. LXXXIV).
4. Osman envoya contre le Persan Sinam bâcha, fils du
hacha Gigala, avec Mehemet, hacha de Garn-Hemid (De Thou,
liv. LXXXIV).
5. Osman arriva devant Tauris au commencement de sep-
tembre 1585 (De Thou, liv. LXXXIV).
6. D'après le récit de de Thou (liv. LXXXIV), Osman aurait
publié une ordonnance sévère défendant de molester en rien les
habitants de Tauris.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XIX. 299
comme donnant cette insolence à marque de victoire ;
car il y establist Japhet, bâcha de Tripoli, avec douze
mil hommes et charge d'y bastir une grande citadelle'
afin que son maistre pust dire sienne la métropolitaine
du Persan.
Osman, malade d'une fiebvre ectique, et tout le
corps de l'armée se sentant de sa teste, fut d'advis
d'eslonguer ses forces des Perses. Mais eux leur tin-
drent meilleure compagnie, les contraignirent à venir
premièrement aux escarmouches, arttaquées et eschauf-
fées du costé que les Perses vouloyent le moins don-
ner, afin que, destournant le canon en autre endroit,
ils trouvassent celui qu'ils vouloyent enfoncer desgarni
de ce que plus ils redoutoyent. Et lors ceux du pays,
n'ayans plus à faire des flesches, firent une grande
impression dans les ennemis et eussent deffaict toute
l'armée si elle n'eust regagné ses retranchements
devant Tauris.
Le jour d'après, le roi de Perse envoya deffier
Osman à la bataille avec protestation de le déshonorer
s'il la refusoit. Ce bâcha, n'estant plus en estât d'y
aller en personne, y envoya le bâcha Cigale, son lieu-
tenant, assisté de ceux de Caramit^ et de Trébizonde.
La bataille commença à une heure après midi. Au
commencement, les bandes de part et d'autre jouèrent
aux barres, et, ce passetemps ayant duré trois heures,
le jeune prince des Perses se fit faire place avec ceux
qui n'avoyent point combatu et mit l'armée turquesque
en fuitte vers Tauris avec meurtre, comme on a dict,
1 . Cette citadelle fut appelée les Sept Parcs ou les Sept Paradis.
C'est là qu était le palais des rois de Perse.
2. Mahomet, bâcha de Carn-Hemid.
300 HISTOIRE UNIVERSELLE.
de 30,000 hommes sur la place*. Les deux bâchas,
derniers nommez, ne voulans point survivre à leur
honte, résolurent d'y mourir. Leur résolution, aidée
de la nuict, garentit ce qui eschappa. Aussi celui de
Caramit demeura prisonnier; la teste de l'autre fut
emportée au bout d'une lance; et Osman, accablé de
tous ces malheurs, s'en alla mourir à Senchassan^.
Vous verrez après comme ces deux partis n'estoyent
point despourveus de courage et comment, quelque
année après, la vertu des Perses leur apporta la paix.
Ainsi, nous finirons par la perte d'une grande ville,
d'une grande bataille et de grands capitaines, qui est
ce que peut dire nostre second tome des affaires
d'Orient.
Chapitre XX.
Du Midi.
Bien moindres seront les affaires que nous trouve-
rons au Midi, car, pour l'Italie, nous n'avons qu'af-
faires pacifiques tant que vesquist Grégoire, ayant,
comme nous avons dict, réprouvé toutes sortes de
ligues^ et de conjurations. Mais, estant mort en l'an
1 . Voyez dans de Thou (liv. LXXXIV) le récit des nombreuses
défaites qu'essuyèrent les Turcs.
2. Osman abandonna Tauris au commencement de novembre
1585 et alla camper à Sancazam, où ses troupes furent aussitôt
attaquées et rompues, et où il mourut de la dysenterie (De Thou,
liv. LXXXIV).
3. De Thou donne les raisons pour lesquelles le pape ne vou-
lut pas donner de bulle en faveur de la Ligue (liv. LXXXI).
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XX. 301
huictante^ cinq, à lui succéda Sixte V^, bien différent
de son prédécesseur en complexion , comme il y
paroistra. Et, pource que son avancement d'un si bas
degré en un si haut a quelque chose de rare, vous
sçaurez qu'il estoit nay d'un village^ de la Marche
d'Ancone. Son nom estant Félix Perret. A l'aage de
douze ans, il fut porcher. Et avint qu'ayant perdu un
de ses porceaux, l'appréhension qu'il eut d'un rude
maistre lui fit quitter le reste et s'enfuir par les mon-
tagnes. Là il rencontra deux cordeliers qui venoyent
de la queste. Et, pource qu'ils estoyent fort chargez
de bribes, il se convia à les soulager. A quoi estant
receu et mené jusques au convent, il se mit à servir
le jardinier; de là parvint à estre portier; et puis,
ayant gaigné la bonne grâce des novices, par aumosne
ils lui monstrèrent à lire et escrire. Le profit qu'il y fit
par son labeur fut cause qu'il devint cordelier'*. Il
estudioit jour et nuict et en apprit en peu de temps
assés pour estre précepteur des novices, desquels il
ne garda guères la bonne grâce pour estre un fouet-
teur sans pitié. De là il fut un prescheur violent,
estimé jusques là, qu'estant envoyé en une assemblée
provinciale pour le convent, il fut choisi pour député
à la générale. Là le cardinal Lombard^ eut tel goust de
1. Mort de Grégoire XIIT, 10 avril 1585. •
2. Félix Peretti, né en 1521, cordelier en 1537, professeur de
droit canon en 1544 à Rimini et à Sienne, grand inquisiteur à
Venise, vicaire général de son ordre en 1566, cardinal en 1570,
élu pape le 24 avril 1585. M. le baron de Hùbuer a publié, en
1870, en trois volumes in-S», une savante histoire de ce pontife.
3. Grotta-a-Mare, près de Montalto, dans la marche d'Ancone,
4. Félix Peretti prit l'habit de moine dans le couvent des Cor-
deliers d'Ascoli, près de Montalto.
5. Le cardinal Pierre Lombard, Irlandais, mort à Rome en 1625.
302 HISTOIRE UNIVERSELLE.
lui qu'il le tira du convent et lui mit ses affaires en
main. Dès lors Félix dit à son maistre qu'il mourroit
en la peine ou il le feroit pape : « lo ti farô cardinale S »
respondit le maistre. Sur ce dessein, Perret fut soup-
çonné d'avoir usé de quelques poisons de nouvelle
invention. Mais il ne vint à bout de son dessein que
jusques à la mort^ de Pie IV : que son maistre avec
la papauté prit le nom de Pie V^ et mit son chapeau
sur la teste de Perret. Je ne m'amuserai point à vous
conter par quelles voyes ce nouveau cardinal* se ren-
dit recommandable^, tant pource que le dernier degré
qu'il monta estoit le plus petit de tous les autres®,
pource aussi que ces trop libres discours sentiroyent
trop la haine de la Ligue. C'est assez donc que dès
qu'il fut sur le siège il se rendit le plus redoutable^
pape qui ait régné de plusieurs siècles, tendit la main
aux liguez^ de la France, augmenta ses gardes, com-
mença la guerre aux bannis par récompense publique
1. Var. de l'édit. de 1618 : « ... Pape; et moi toi cardinal, res'
pondit... »
2. Pie IV, autrement dit Jean -Ange de Médicis, mourut le
9 décembre 1565.
3. Pie V, nommé Michel Ghisieri, fut élu pape le 7 janvier 1566.
4. Le pape Pie V éleva Félix Perretti au cardinalat en consi-
dération du zèle qu'il faisait paraître pour la religion et le main-
tien de la discipline. '
5. D'Aubigné a pris ces traits à de Thou (liv. LXXXII).
6. On conserve à la Bibliothèque nationale, dans le fonds ita-
lien, vol, 1416, une relation du conclave où Sixte-Quint fut élu
pape.
7. Le le' et le 28 juillet 1585, Sixte Vfit paraître des édits très
sévères contre les bandits des États de l'Église.
8. Allusion à la sentence d'excommunication prononcée par
Sixte-Quint contre le roi de Navarre et contre le prince de Gondé.
Voy. ci-dessus, p. 240.
LIVRE DIXIÈME, CHÂP. XX. 303
aux tueurs. Le reste de ses actions paroistront en leur
endroit et* quelques-unes sur la fin de ce chapitre.
11^ n'y eut moyen d'avoir pour lors d'armements
5ur la mer Méditerranée qui portassent titres d'armes.
Fez et Marroco accommodèrent leurs lassitudes des
dernières guerres à la fainéantise de leur nouveau roi,
Mulei Hamet^. Il n'y eut que quelque reste des eschap-
pez de la bataille qui se firent brigands par les mon-
tagnes. Le prince, ne voulant pas despendre à les
poursuivre, leur laissa pour supplice ceste misérable
condition.
Toutes les isles et possessions qu'avoit en terre
ferme dom Antoine*, tant en l'estendue de Goa qu'en
celle de Malaca, toutes les isles depuis Sainct-Omer,
Madagascar et tout ce qui est en ceste estendue, tenant
de l'Orient ou du Midi jusques aux dernières Moluques,
tout cela, sans tirer le canon, fut traduict de Portugais
en Espagnol par l'intelligence qui se traictoit aupara-
vant entre les Jésuites castillans et portugais. De ces
derniers, Fonseca^ fut suivi, qui employa plus de
peine à ce grand changement avec peu de bruit. Ce
fut lors que commença parmi la Société le vocable
nouveau du grand dessein, lequel j'ay ouy expliquer
ainsi : que V Église catholique ne doit avoir qu'un pas-
teur et un roi; à quoy le titre de roi catholique con-
vioit tous les chrestiens.
1. La fin de la phrase manque à l'édit. de 1618.
2. Var. de l'édit. de 1618 : t II n'y eut point d'armemens de ce
temps sur la mer... »
3. Mulei-Hamet avait succédé à Mulei-Méluc, son frère, le
4 août 1578.
4. Dom Antonio, prieur de Grato et roi titulaire de Portugal.
5. Pierre de Fonseca, Portugais, né en 1528, mort le 4 nov. 1599.
304 HISTOIRE UNIVERSELLE.
Peu* de jours avant la mort de Grégoire XIII, les
Jésuites avoyent mesnagé si dextrement le roi du
Japon ^ qu'ils luy avoyent persuadé d'escrire au pape,
et firent faire une despesche de laquelle, ayans esté les
conseilliers, ils furent aussi les secrétaires et en partie
les thrésoriers; si bien qu'avec despense et la splen-
deur d'un ambassade^ ils amenèrent en juillet cet
équîppage à Gaskai*; où, estans receus par le cardinal
d'Austriche^, reçoivent grands honneurs à Tolède et
puis à la cour^ du roi Philippe, d'où ils partent en
octobre''' et s'embarquent. Arrivez à Libourne^, furent
magnifiquement receus par le grand-duc^, qui envoya
son frère *° jusques à Pize au-devant. Et puis le pape,
ayant envoyé au-devant d'eux le cardinal Farnèze
1. Tout le reste du chapitre manque à l'édition de 1618.
2. François, roi de Bungo. — Ce fut le frère Alexandre Vali-
nano, visiteur général du Japon, qui persuada au roi de Bungo
d'envoyer une ambassade au pape (De Thou, liv. LXXXI).
3. Les ambassadeurs japonais s'enibarquèrent avec le Père
Valinano sur un vaisseau portugais, commandé par dom Ignace
de Lima, et quittèrent le port de Nangasaki le 20 février 1582.
4. D'Aubigné se trompe en suivant de Thou. Ce fut le 10 août
1585 que l'ambassade japonaise arriva à Gascaës, sur le Tage.
5. Le cardinal Albert d'Autriche, gouverneur du royaume de
Portugal.
6. Les ambassadeurs du Japon arrivèrent à Madrid à la fin
d'octobre 1585.
7. L'ambassade japonaise ne quitta la cour du roi d'Espagne
que le 26 novembre 1585.
8. Livourne, en Toscane, au-dessous de Pise. — Arrivée des
ambassadeurs japonais à Livourne, fin février 1584.
9. François de Médicis, grand-duc de Toscane, né le 25 mars
1541, époux de Jeanne d'Autriche, fille de l'empereur, en 1565,
mort le 9 octobre 1587.
10. Pierre de Médicis, époux d'Éléonore de Tolède, fille de Gar-
çias, marquis de Viliafranca, mort en 1604.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XX. 305
jusques au-devant de Viterbe', n'oublia rien des
magnificences de Rome, tant pour ravir ces esprits
estrangers en admiration que pour s'autorizer sur les
nations plus proches, à l'exemple de celle qui, avec
trois ans de voyage, lui venoit baiser les pieds. Le
dessus des lettres estoit : Adorando, et cœli Régis
locum in terris obtinenti, Magno et Sanctissimo P. P.
La soubscription : Sanctissimis pedibus Beatitudinis
vestrœ substratus^ F. R. B.^.
D'autres ont descrit plus curieusement les particu-
laritez de ceste despesche. Ayans donc esté receus par
Grégoire \ Sixte les retint jusques à ce qu'ils eussent
assisté à sa prise de possession*, à laquelle il cercha
curieusement plus de magnificence que ses prédéces-
seurs. Enfin ils furent renvoyez % magnifiquement
traictez, mais avec fort peu d'argent, non sans mes-
contentement des Jésuites, qui ne pouvoyent enduire^
la chiche récompense d'un acte tant signalé.
Les premiers qui sentirent la rude domination de
Sixte furent le comte de Pepoli', car, le pape ayant
1. Au commencement de mars 1584, l'ambassade japonaise fut
reçue à Baquaia, près de Viterbe, par le cardinal Jean-François
Gambara, puis à Caprarole, par le cardinal Alexandre Farnèse.
2. P. R. D. signifie François, roi de Bungo.
3. L'ambassade du roi de Bungo arriva à Rome le 22 mars 1585.
Le voyage avait duré trois ans, un mois et deux jours.
4. L'intronisation de Sixte V eut lieu le 1«' mai 1585.
5. Les ambassadeurs japonais quittèrent Rome et se rendirent
à Gènes, où ils s'embarquèrent pour passer en Espagne et retour-
ner dans leur pays, mai 1585.
6. Enduire, endurer.
7. Jean-Baptiste, comte dePepoli, était un seigneur de grande
naissance qui n'avait commis d'autre crime que de donner asile
dans ses terres de Lombardie à des proscrits. Sommé de les livrer
VI 20
306 HISTOIRE UNIVERSELLE.
envoyé cinq cardinaux* aux principaux endroits d'Ita-
lie pour remuer les puces des bannis, le cardinal Sal-
viati^, qui avoit son département à Bolongne, le fit
empoigner la nuict en son logis et mener en son
palais, où il ne vit qu'un prestre pour le confesser et
un bourreau pourTestrangler^; accusé d'avoir retiré
quelques gentilshommes bannis en une maison qu'il
avoit deçà le Pau, en terre d'Empire, et les avoir
refusez à la première sommation. Sur ceste mort, les
bannis firent quelques courses vers Ascoli, mais, estans
malmenez de tous costez, les principaux * passèrent la
mer et puis furent pris à Tergeste^ où, se voyans
attaquez, ils gagnèrent l'arsenal et, n'estans que six,
se résolurent à mettre toutes les poudres ensemble,
en lieu propre, et se servir du vent à ruiner la ville
par embrasement. Là-dessus, le gouverneur^ et les
habitants furent contraints de faire une capitulation
notable avec eux, de laquelle l'article le plus difficile
fut celui de la seureté.
à la justice du Saint-Siège, il refusa et fut emprisonné. Tel est le
récit de de Thou (liv. LXXXII) que d'Aubigné a copié.
1. Marc-Antoine Golonna reçut l'ordre de se transporter dans
la campagne de Rome, André Spinola dans le duché de Spolète,
Alphonse Gemaldo dans la marche d'Ancône, Julien Ganano
dans la Romagne, et le cardinal Salviati à Bologne.
2. Antoine-Marie Salviati, dit le grand cardinal Salviati, fils
de Laurent Salviati et de Constance Gonti, né en 1507, cardinal
le 23 décembre 1583, mort le 28 avril 1602.
3. Le comte Pepoli fut étranglé dans sa prison le 27 août 1585
(A. de Hiibner, Sixte-Quint, t. I, p. 295).
4. Les principaux chefs des bandits étaient Gurtieto del Sam-
buco, originaire de l'Abruzze, et Marc de Sciarra.
5. Trieste, dans l'Istrie, sur le golfe de Trieste.
6. Le comte Raimond de la Tour était gouverneur de Trieste.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XX. 307
Il falut envoyer quérir quelques seigneurs de marque
du pays pour accompagner de leurs signatures et ser-
ments celui de la cité. Mais ils les firent mourir^ s'es-
tans rendus, et tout cela fut violé par la dispense de
Rome, qui fut aisée à obtenir.
Il y eut une tragœdie à Naples que j'estime digne
d'estre adjoustée ; c'est qu'y ayant cherté de bled en
Espagne, le duc d'Aussonne^, vice-roi de Naples, fut
commandé de faire une grande levée de bleds en son
gouvernement^ et en la Sicile, qui ceste année avoyent
rencontré. L'amas fut tel que le vil prix du pain fut
changé en disette, et le peuple tellement esmeu qu'ils
firent venir Starasses*, surintendant des vivres, enlevé
par force et à son refus et après plusieurs escapades,
se marquant de son sang, au prix que chacun vouloit
estre estimé zélateur du bien public. Le duc d'Aussonne
soufiFrit tout patiemment tant que la fureur du peuple
dura, mais, puis après, les ayant divisez et s' estant
fortifié, il en fit mourir quarante, en mit cent aux
galères, et le pardon du reste fut long et difficile à
obtenir.
Quelques respects m'empeschent de raconter en ce
1. Gurtieto et Marco de Sciarra, se voyant trahis, se précipi-
tèrent dans la mer durant leur voyage à Ancône.
2. Don Pedro Giron, duc d'Ossuna, marquis de Pennafiel,
chevalier de la Toison d'or, né le 17 décembre 1574, mort le
25 septembre 1624.
3. Le roi d'Espagne avait ordonné cette « levée de blés », parce
qu'il avait résolu de tenir les états d'Aragon et de célébrer des
fêtes à l'occasion du mariage de sa fille, l'infante Catherine, avec
Charles-Emmanuel, duc de Savoie (De Thou, liv. LXXXni.
4. Jean "Vincent Starace, intendant des vivres, officier espa-
gnol massacré par la populace. Voyez le récit de de Thou
(Uv. LXXXU).
308 HISTOIRE UNIVERSELLE.
lieu les rudes exécutions par lesquelles Sixte se rendit
redouté. Quelques-unes avec ordre et raison de justice,
comme celle de Paul Jordan Ursin* pour l'homicide
d'un Perret, de mesme surnom que le pape. Mais il y
a d'autres jugemens de son mouvement, comme d'un
jeune garçon trouvé innocent depuis sa mort et que
les juges refusoyent de condamner avant l'aage^ par le
bénéfice des loix. Il en sera dit quelque chose à la fin
du pontife.
Il y eut un autre rude jugement d'un père et d'un
fils, que la femme et la mère, voyans condamner à
mort contre toute espérance et sans apparence, se
précipita par les fenestres avec un enfant d'un an à
son col. Je me contente de dire le commun langage
romain et ce qu'en ont publiés les historiens catho-
liques en ces termes : « Telles cruautez se faisoyent
par le mouvement du pontife nouveau, monstrant par
elles son naturel abhorrant l'humanité. Ce qu'autres
attribuent à un dessein de couvrir la vileté de sa nais-
sance par ostentation d'un haut courage et par hau-
taines entreprises, afin de se monstrer capable de por-
i. Paul Jourdain des Ursins, duc de Bracciano, était soup-
çonné d'être devenu l'amant de la dame Virginie Accoramboni
et d'avoir fait assassiner François Pereti, neveu du pape et
époux de la dame, afin de l'épouser. D'Aubigné semble dire que
le duc de Bracciano fut poursuivi pour ce crime et condamné.
Il se trompe. Bracciano mourut paisiblement, en novembre 1585,
à Salo, où il était réfugié. Sa femme fut assassinée peu après.
Voyez le récit de M. de Hûbner [Sixte-Quint, t. I, p. 332).
2. Les lois romaines défendaient aux juges de condamner à
mort une personne qui n'avait pas atteint l'âge de vingt ans
(De Thou, liv. LXXXII). D'Aubigné parle de cette affaire dans
la Confession catholique du sire de Sancy (liv. I, chap. i), mais
sans donner aucun détail. Les noms même sont en blanc.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXI. 309
ter une si grande charge que celle du pontificat. »
Voilà les termes d'autrui. Un de ses premiers desplai-
sirs fut que, quand il procéda aux excommunications
des princes réformez, dont nous parlerons, il ne put,
avec ses diligences et grandes despenses, descouvrir
et empoigner ceux qui emplissoyent Rome de placards
d'infamie et de mespris contre lui, tantost par la
voye de Pasquin et de Marfore, tantost par autres
tableaux affigez aux lieux plus éminents.
Chapitre XXI.
De r Occident.
Rialio^, cardinal, vint légat du pape en Espagne,
sur l'ouverture de la guerre de Portugal, pour jetter
le caducée entre les deux rois et travailler à leur paix.
Ayant eu au commencement^ quelque honneste accueil,
à la fin il remporta la response de Philippes le Bel en
termes desguisez ; mais non tant adoucis que don
Philippes ne prononçast qu'il n'avoit d'autre juge
que Dieu. Le cardinal ne s'en put retourner si tost
qu'il ne vistà sa barbe, sur la fin de juillet^, saccager
villes et chasteaux, quoique pris sans résistance. Il vid
encores faire mourir de sang-froid tous les hommes
de commandement ; entre ceux-là Diego de Menezez et
1. Alexandre Riario, légat du pape à la cour d'Espagne en
remplacement du nonce Philippe Sega, qu'on jugeait n'avoir pas
assez de crédit auprès de Philippe II (De Thou, liv. LXX).
2. Le cardinal Riario arriva en Espagne vers la mi-juillet 1580.
Voyez dans de Thou le récit de cette mission (liv. LXX).
3. Ce fut le 29 juillet 1580 que l'armée espagnole passa en
Portugal.
310 HISTOIRE UNIVERSELLE.
Henri Pereira^ . D'autre costé, la populace de Lisbonne
et d'ailleurs faisoyent des courses et assommoyent les
Espagnols qu'ils pouvoyent prendre.
L'arniée s'approchant de Lisbonne, furent tenus plu-
sieurs conseils, avec des résultats contraires, tantost
pour se rendre , tantost pour aller au combat ; dom
Antoine lui-nnesme doubteux de l'un et de l'autre et
en mesmes perplexitez qu'on a despeint à Rome Vitelle
à la venue de Vespasien. En fin il prit une place avan-
tageuse de combat à un quart de lieue de Lisbonne^.
L'armée, pour donner loisir aux Portugais d'avoir
peur, alla présenter une batterie à la Roque de Saint-
Julien^, à elle rendue dès la première volée, et à son
exemple Gabezaceca*, et la tour de Bethlehem, moins
forte et approchante de Lisbonne, après les autres :
cela vers le huictiesme d'aoust, qu'un pardon d'Es-
pagne fut publié par tout le Portugal^, mais rendu de
peu de fruict par les sermons des moines, qui se
tenoyent aux passages pour empescher les desroutes
des soldats^.
1. Dom Diègue de Menesès et dom Eariquez de Pereyra, gou-
verneur de Gascaës, eurent la tête tranchée, par ordre du duc
d'Albe, au commencement d'août 1580.
2. L'armée portugaise vint camper à Alcantara.
3. Siège et prise du fort Saint -Julien par le duc d'Albe,
10 août 1580.
4. Prise de Gabeçaseca par le duc d'Albe, 10 août 1580.
5. Dans cette déclaration, Philippe II promettait une amnistie
générale à tous ceux qui abandonneraient le parti de dom Antonio.
6. D'Aubigné a pris ce détail à de Thou, comme tout le reste
de son récit (liv. LXX). Ces moines portugais étaient les plus
ardents défenseurs de dom Antonio. De Thou (liv. LXXXVII)
porte à deux mille le nombre des moines qui furent suppliciés
ou condamnés à diverses peines pour avoir pris trop vivement
parti contre les Espagnols.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXI. 311
Le vintquatriesme d'aoust, les forces espagnoles
parurent à soleil levant devant le fort et retranche-
ment d'Alcantara* ; où le duc d'Albe, ayant faict don-
ner une volée, cognut la peur aux courses qu'il voyoit
faire aux capitaines et une grande poussière qui s'es-
loignoit vers Lisbonne. Ce fut assez à bon devineur.
Le roi Antoine, fort peu suivi, tourna visage à l'eston-
nement de ses troupes, fit une charge avec quatre-
vingts chevaux sur quelque infanterie desbandée et
hors d'ordre, mais cela bien tost soustenu par quatre
cornettes que commandoit un des Guzmans. Là le roi,
se sentant blessé^, prit parti de retraicte, mieux suivi
à cela qu'à tourner teste, et, ne trouvant plus à Lis-
bonne autre advis que de reddition, s'estant fait pan-
ser à la haste, et avec ce qui le voulut suivre, alla où
nous le trouverons après ^. En son absence sa capitale
se rendit, comme fit aussi Sainct-Arem, après avoir
fait mine de se defFendre jusqu'à la mi-septembre*.
Le roi d'Espagne tomba en une maladie doubteuse^,
et qui fit courir un bruit de sa mort. Geste nouvelle,
bien que fausse, fit r'allier quelques gens auprès de
dom Antoine, avec lesquels il assiégea la ville d'Avero,
et puis Porte, lesquelles il fit saccager^. Mais, le duc
1. L'armée de Philippe II parut devant Alcantara le 25 août
1580.
2. Dom Aatonio fut blessé d'un coup de lance au visage par
des volontaires italiens.
3. Le roi de Portugal fit soigner sa blessure à Sacabem et se
rendit ensuite à Santarem, suivi d'une petite escorte.
4. Capitulation de Lisbonne, Il septembre 1580.
5. Le roi d'Espagne tomba malade dans les premiers jours de
septembre 1580.
6. Prise d'Avero et d'Oporto par dom Antonio, fin d'oc-
tobre 1580.
312 HISTOIRE UNIVERSELLE.
d'Albe ayant despesché Sancho d'Avila avec quatre
mille fantassins et quatre cents chevaux, les Portugais
osèrent, sans pourtant rien assiéger, disputer la cam-
pagne jusques à ce que Sancho fust fortifié de deux
régiments, avec lesquels il se fit maistre de Coimbre^
et, de là, ayant passé le Dore, battit et reprit Porte,
sous la moustache d'Antonio, qui dès lors, abandonné
de tous les siens, ne cercha plus que des cachettes,
avec grandes incommoditez, pource que le roi d'Es-
pagne, guéri, entroit dans le royaume de Portugal,
commençant par quelque diminution d'impost et un
pardon général, ce premier sans restriction^.
Mais, tout le Portugal s'estant rendu à lui, et les
costes de Barbarie incontinent après, les cérémonies
de sa réception parachevées, avec les serments pres-
tez à lui^, puis au prince d'Espagne, cela chés les
moines qu'on appelle l'ordre de Christ, ayant encores
fait connestable en Portugal, de nom seulement, le
duc de Bragance*, à la sortie des estats qu'il tint à
Temar^, il fit publier un second pardon qu'on appel-
loit Restrainct. Il pardonnoit à ceux qui avoyent fait
la guerre pour Antoine, réservez cinquante -.deux
testes, nommément le roi Antoine, sur la teste duquel
1. Goimbre, sur le Mondego.
2. Le 5 décembre 1580, Philippe II entra en Portugal et publia
à Elvas l'édit d'amnistie générale.
3. Le li septembre 1580, le duc d'Albe assembla les habitants
de Lisbonne et leur fit prêter serment de fidélité au nom du roi
d'Espagne.
4. Le duc Jean de Bragance et Théodose, duc de Barcellos,
son fils, étaient venus saluer Philippe à son arrivée en Portugal.
5. En décembre 1580, le roi d'Espagne convoqua les états du
royaume àTomar pour le 15 avril de l'année suivante (DeThou,
liv. LXX). L'assemblée ne fut ouverte que le 19 avril.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXI. 313
il mit 80,000 ducats, 30,000 sur celle du comte^ et
20,000 pour l'évesque de la Garde*, payables au pre-
mier auteur de leur mort. Outre cela, il ne pardonnoit
à aucun religieux qui en leçons, sermons ou consulta-
tions, auroyent parlé ou escrit contre lui, usant ^ plus
de ceste rigueur pour l'advenir que pour le passé.
Cependant il ne demeura en toutes les villes de Portu-
gal homme digne d'estre considéré à qui on ne trou-
vast un crime. Ceux qui se pensoyent les moins coul-
pables comparurent à un adjournement général ; entre
ceux-là presque tous les prescheurs de Portugal. Les
uns furent estranglez de nuict au pays mesme, les autres
envoyez pourrir en diverses prisons de Gastille;
quelques-uns des plus apparents emmenez aux Isles
fortunées, et principalement à Madère, pour ceux qui
les y allèrent recevoir*, comme à eux donnez esclaves
par le roi Philippe.
La servitude des Portugais parut encores plus en
gros aux susdits Estats de Temar, où toutes les pro-
positions faictes selon la coustume du pays furent
tournées en risée ^. Lors, Philippe, importuné de plu-
sieurs récompenses pour ceux qui avoyent en diverses
façons trahi leur parti, voulant distribuer les choses
dignement, y fit commettre Antoine Pignero ^ et Ghris-
1. Antoine de Portugal, comte de Vimioso.
2. Jean de Portugal, cvêque de la Guarda, frère du comte de
Vimioso.
3. La fin de la phrase manque à l'édition de 1618.
4. Var. de l'édit. de 1618 : « ... recevoir pour le roi Phillipes. »
5. DeThou énumère les propositions qui furent présentées aux
états de Tomar Miv. LXXHI).
6. Antoine de Pineyro, évêque de Leyria, parla devant Phi-
lippe II aux États le 19 avril 1581 (De Thou, liv. LXXIII).
314 fflSTOiRE UNIVERSELLE.
tofle de Mora^ A la vérité, les plus hastifs empor-
tèrent^ quelques gratifications; mais, comme les Cas-
tillans en murmuroyent, disans que le royaume de
Portugal estoit bien au roi Philippe comme l'ayant
bien achepté, et les demandeurs croissans, on leur
donna un conseil pour y adviser, nommé la Table
de conscience, dont sortit un arrest en ces termes :
«t Attendu que le roi Philippe est vrai héritier de Por-
tugal, il n'a esté loisible aux suppliants de le vendre
argent comptant. »
Les Espagnols ne furent point paresseux d'embar-
quer pour les Tercères^, où le marquis de Saincte-
Groix^ envoya Baldis^ avec seize vaisseaux, desquels
il mit à terre cinq cens^ hommes, la pluspart avant
jour, en l'isle principale, pensant gagner la citadelle
d'Angra''^; mais, l'alarme estant prise, les soldats por-
tugais suivis du peuple meslèrent si rudement que
Baldis laissa quatre cents hommes sur la place, quoi-
1. Dom Christophe de Mora, seigneur portugais, avait été élevé
à la cour d'Espagne et fut nommé gentilhomme de la chambre
du roi Philippe.
2. "Var. de l'édit. de 1618 : « ... emportèrent de grandes récom-
penses; mais comme... »
3. L'île de Tercère est la plus considérable du groupe des
Açores.
4. Alvaro de Baçan, marquis de Santa-Gruz, amiral espagnol,
né dans les Asturies vers 1510, fit ses premières armes, sous le
règne de Charles-Quint, contre les pirates d'Alger et les Maures
d'Afrique. Il se signala à la bataille de Lépante et continua à
guerroyer contre les Turcs. Investi du commandement de la
célèbre Armada (voyez le volume suivant), il mourut à Lisbonne,
en 1588, au moment d'entrer en campagne.
5. Dom Pedro de Valdes.
6. L'édition de 1618 porte 150 hommes.
7. Angra, capitale de Tercère et des autres Açores.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXI. 315
qu'il eust fort préveu pour sa retraicte ^ . Le roi d'Es-
pagne receut caste nouvelle à Lisbonne le jour de son
entrée-, et le mesme jour que le roi Antoine s'estoit
embarqué à Viane^, par l'aide d'un navire flament.
C'est une histoire tragique de compter les maux que
souffrit ce prince, depuis la fin de septembre 1580
jusques à la fin de juin 1581 ; car, estant blessé au
retranchement d'Alcantara, il passa près de neuf mois
dans les plus misérables cabanes des déserts'*; ses
playes pansées par les plus rustiques gens du monde;
et, quant aux playes spirituelles, n'ayant consolation
que de brutaux, un Cordelier fut son conseiller et
secours; car, enfin, il lui practiqua le navire^ que nous
avons dit, et lui ralia dix des siens avec lesquels il
arriva à Calais*^, courut la Flandre et l'Angleterre"^,
traicta surtout avec la roine mère, lui promit une par-
tie de ses seigneuries esloignées pour ses prétentions,
obtint d'elle promesse d'un grand embarquement, et
cependant sept ou huict cents hommes avec des vais-
seaux, sur lesquels il fit embarquer Manuel de Sylva*,
1. De Thou raconte avec détails (liv. LXXIII) la défaite des
troupes espagnoles dans les îles de l'Atlantique.
2. Le roi d'Espagne entra dans Lisbonne le 5 décembre 1580.
3. Viana de Foz de Lima, à l'embouchure de la Lima, en Por-
tugal.
4. Dom Antonio demeura caché en Portugal entre le Duero et
le Minno, depuis le mois d'octobre 1580 jusqu'au mois de juin
1581.
5. Le roi de Portugal ne put s'embarquer sur ce navire hollan-
dais, commandé par Corneille d'Egmond, qu'à la condition de
payer 600 écus d'or.
6. Arrivée de dom Antonio à Calais, juin 1581.
7. De Thou raconte que dom Antonio était encore en Angle-
terre au commencement d'octobre 1581, d'où il repassa en France.
8. Emmanuel de Silva, comte de Torres Vedras, favori de dom
316 HISTOIRE UNIVERSELLE.
qui arriva au port d'Angra à la mi-mars de l'an 1 5821.
Là, il trouva que les Jésuites avoyent desjà gagné la
moitié des garnisons et du peuple, et entre autres
FigueredoS gouverneur, qui commençoit à prendre
le mot du roi d'Espagne, lors séjournant tousjours à
Lisbonne pour y establir ses affaires et sur icelles le
cardinal Albert d'Austriche; cela mesnagé par sa
sœur Marie^, vefve de l'empereur Maximilian^. Manuel
releva le courage de tous ceux des isles, principale-
ment par l'asseurance qu'il leur donna que leur roi
venoit avec une armée de François*, comme il estoit
vrai, car le roi Antoine entra en sa flotte au rendez-
vous de Belle-Isle, composée de trente navires et vingt-
cinq pataches, sur lesquelles s'embarquèrent vingt
compagnies, les moindres de six vingts hommes^.
Amiral de tout cela, Philippe Strossi^, colomnel de
Antonio, gouverneur général, pour le compte de ce prince, de
toutes les Açores, qui lui étaient restées fidèles.
"i. Gyprien de Figueredo était devenu suspect aux habitants de
Tercère.
2. Marie d'Autriche, fille de Charles-Quint et d'Isabelle de Por-
tugal, née en 1528, morte en mars 1603.
3. Maximilien II, fils de Ferdinand I", empereur d'Allemagne,
né le 1" août 1527, mort le 12 octobre 1576.
4. Henri III avait décidé plusieurs capitaines, notamment des
capitaines gascons, à se joindre à l'expédition. Voyez les lettres
du roi et de la reine mère au capitaine Borda (Gauna, Armoriai
des Landes, t. I, p. 132).
5. L'état de l'armée de mer expédiée par le roi de France au
secours de dom Antonio, daté du 16 juin 1582, est conservé en
copie du temps dans les Vc de Golbert, vol. 29, f. 578.
6. Philippe Strozzi, s. d'Épernay et de Bressuire, né à Venise
en 1541. Le roi lui avait donné, le 7 septembre 1581, au moment
où l'expédition fut résolue, le brevet de vice-roi des terres qu'il
allait conquérir. L'original de cet acte, sur parchemin, est con-
UVRE DIXIÈME, CHAP. XXI. 317
l'infanterie de France ; le comte de Brissac, vice-ami-
ral; Saincte-Souline^ portant le titre de maistre de
camp.
Le seiziesme de juillet, la flotte se présenta à l'isle
Sainct-Michel^, seule conquise par les Espagnols, et
print terre contre quelque petite résistance. Le lende-
main, Strosse fit marcher vers la forteresse, donna
ses enfans perdus à Roquemorel, soustenu par le capi-
taine Sauvât, et cestui-là par Saincte-Souline, estans
en tout les François près de trois mille hommes. Le
gouverneur de l'isle^. Espagnol, avec trois compagnies,
mais qui faisoyent mil quatre cents hommes, se trouva
sur le chemin, en un lieu où deux roches le rendent
estroict, et où il n'y a qu'une petite plaine. Là, il logea
la moitié des siens, n'y en pouvant tenir davantage.
Lui, avec un moindre nombre, avance au chemin, void
venir Roquemorel, bien couvert de pennaches et de
faveurs d'une roine. Les deux capitaines s'avancent,
chacun une picque au poing, lesquelles ils mesurèrent
aussi froidement qu'à un combat de barrière. L'Espa-
gnol tua tout roide Roquemorel, à qui la chaleur ou
la délicatesse n'avoit pas permis d'endurer les armes.
Sauvât prend sa place, mieux armé, tue l'Espagnol;
lui aussi tost porté par terre d'une mousquetade.
Saincte-Souline avance et, bien suivi de soldats, mesle
tout ce qui estoit dans le chemin, où, avec perte de
serve à la bibliothèque de l'Institut dans la coll. Godefroy,
vol. 191, pièce 10.
1. Charles de Gossé, comte de Brissac. — Joseph Doineau,
8. de Sainte-Souline.
2. Arrivée de la flotte française à l'île Saint- Michel, 15 juillet
1582.
3. Ambroise d'Aguiar était gouverneur de Saint-Michel.
318 HISTOIRE UNIVERSELLE.
douze soldats, il tue deux capitaines en chef et soixante
bons hommes, desquels le reste, ayant payé, gagna la
forteresse^, où commanda depuis Petro Perreto^, qui,
au commencement estonné, fut rasseuré par un vais-
seau qui lui apporta nouvelles, et bien tost après par
la veue de quatre grands vaisseaux, suivie d'une flotte
qui venoit de Séville. Cependant le roi Antoine rasseu-
roit ses subjects, qui de tous costez accouroyent à lui
avec des guidons blancs en leurs mains.
Quelques foibles que fussent les forces de dom
Antoine, Strossi, ayant eu nouvelles de France qu'un
second embarquement de six mil hommes, promis par
Monsieur, estoit du tout rompu, toucha à la main du
comte de Virmiose ; et eux deux, ne voulans point sur-
vivre au malheur qu'ils prévoyoyent, firent résoudre
le reste au combat. Et, ce soir mesme, le comte, qui
envoyoit un Portugais à Nantes, m'escrivit, dans un
billet que je conserve précieusement, ces mots :
« Monsieur, vous avez esté trop fidelle prophète de
nos maladies, et aviez bien tasté le pouls de l'infidelle.
Tous vos remèdes, par nostre defiPault, nous ont esté
inutiles ; mais je vous promets de prendre celui d'une
brave mort. Vous me plaindrez et n'aurez point honte
de l'amitié que vous avoit jurée Antoine, comte de
Virmiose. »
Le roi Antoine receut la responce en ces termes :
« Il n'a tenu qu'à vous que je n'aye esté vostre méde-
cin et non vostre prophète. Je ne vous desnierai pas
mes justes plaintes, mais j'eusse donné de meilleur
\. De Thou raconte ce combat (liv. LXXV).
2. Dom Pedro Peixoto de Silva.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXI. 319
cœur ma bouche à vos louanges, et à vos victoires
les fidelles mains de V. T. »
Trois jours après cette despesche, qui fut le vingt-
deuxiesme de juillet, l'amiral Strossi fit rembarquer
tous ses gens de guerre, et, le vintsixiesme, lui et le
comte de Virmiose quittèrent une grande hourque de
six cents, qui devoit servir d'amiral, et entrèrent dans
le navire de Beaumont^, qui n'estoit que de deux cents;
voulans par ce vaisseau plus léger engager le combat
et y mener plusieurs qu'ils y avoyent trouvé mal dis-
posez. Le marquis de Saincte-Croix, qui estoit dans le
galion de Sainct-Philippe , capable seul de battre la
flotte des François, vouloit seulement la garder jusques
à ce qu'il eust joinct celle de Séville, et pourtant avoit
faict avancer trois quarts de lieue devant soi son vice-
amiral, qui avoit des pataches au quart, pour la garde
que nous avons dicte. Entre le vice-amiral et le
marquis, tous les vaisseaux s'estendoyent en deux
branches, l'une à gauche et l'autre à droitte.
De l'autre parti, entre le Beaumont et la hourque,
estoyent quatre navires seulement. Assés loing à la
gauche, qui estoit la droitte des ennemis, estoit le
comte de Brissac et six navires^, et, plus à gauche
encore, Saincte-Souline avec quatre^. Strossi et le
comte, craignans les longues délibérations de l'amiral
espagnol, s'avancent au vice-amiral, furent en peu de
1. Jean de Beaumont était maréchal de camp général. Il fut
tué à la bataille des Açores le 26 juillet 1582 (lettre de Villeroy
au roi du 12 septembre 1582; f. fr., vol. 6631, f. 68).
2. Var. de l'édit. de 1618 : « ... six navires ou traissans; et plus
à gatiche... »
3. Les deux mots : avec quatre, manquent à l'édition de 1618.
320 HISTOIRE UNIVERSELLE.
temps aux canonnades. Le principal pilote du marquis
cognut, au maneuvre de deux navires qui estoyent
avec Saincte-Souline, qu'ils ne vouloyent point estre
de la partie, et, sur ce jugement, le marquis fit tout
appareiller et avancer des deux costez, principalement
à la main droitte. Neuf navires se présentent pour
Brissac et huict pour Saincte-Souline, duquel les mate-
lots avoyent osté le courage aux soldats, sur le juge-
ment qu'ils faisoyent d'une partie très mal faite.
Saincte-Souline void deux de ses navires qui avoyent
jà gaigné un quart de lieue en arrière. Il suit l'espou-
vante des siens ^ Brissac void le petit navire Beau-
mont herpé avec le vice-amiral, et, à chasque main
abordé de cinq ou six navires ou galions, qui l'acca-
blèrent de mousquetades, de coups de canon et d'ar-
tifices de feu. Il void venir à lui de quoi l'enclorre
et aborder, et sa main gauche desgarnie de ceux
qui avoyent fait à la voile. Il suivit l'advis de ses
pilotes et fit de mesmes. Le grand galion vint à ce
combat, et tous les navires joincts faisoyent passer de
tillac en tillac une si grande foule de gens de guerre
que peu leur cousta d'opprimer la valeur du petit
nombre. D'abordée, Beaumont fut tué d'une mous-
quetade, Strossi et Virmiose abatus, ce dernier encou-
rageant les François, avec reproches, et priant ceux
qui reschapperoyent de tesmoigner la façon de sa mort ;
tout cela estouffé par la multitude^. Strossi, pris en
1. Sainte-Souline, avec neuf de ses vaisseaux, se retira, sans
avoir combattu, dans l'ile del Fayal ou des hêtres, qu'il pilla.
2. Bataille navale des Açores, défaite de Strozzi et victoire des
Espagnols, 26 juillet 1582. Cette bataille eut un grand retentisse-
ment et a donné lieu à plusieurs relations et à beaucoup de lettres.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXI. 321
vie, cria qu'il y avoit force seigneurs françois de bonne
maison, de la rançon desquels il respondoit. On le
voulut présenter au marquis, qui le refusa et le fit
jetter sur un pont de cordes et de là à la plaine^ sur le
soir, après qu'un Espagnol, par les carreaux du pont,
lui eut passé son espée au travers le petit ventre,
pource qu'il disoit des injures aux Espagnols^. Vir-
miose, qu'on vouloit garder au plaisir du roi Philippe,
mourut de ses playes le lendemain au soir^. Les Espa-
gnols avoyent gardé, par espoir de rançon, tous ceux
qui avoyent du clinquant ou autres beaux vestements.
Le marquis ordonna que les moins apparents seroyent
estranglez par le bourreau*, et les autres, à deux
pieds de terre, esgouillez^ à leur mode. Un soldat de
l^iort, grand nageur, m'a conté que, voyant lier son
Nous signalerons seulement les pièces contenues dans le vol. 29
des Vc de Golbert, qui est presque en entier consacré aux affaires
du Portugal, et spécialement le récit du f. 580, une autre rela-
tion (f. fr., vol. 17286, f. 189) datée du 17 août 1582, une autre
sans date (coll. Dupuy, vol. 844, f. 344).
i. A la plaine, c'est-à-dire en pleine mer.
2. De Thou ne raconte pas ainsi la mort de Philippe Strozzi.
Il dit qu'il expira de ses blessures, sans prononcer une seule
parole, au moment où on l'amenait au marquis de Santa-Cruz
(liv. LXXV). Une lettre de Villeroy au roi du 12 septembre 1582
confirme le récit de de Thou, mais le présente seulement comme
un on-dit public (Autogr., f. fr., vol. 6631, f. 68).
3. Le comte de Vimioso avait été pris par Mondenaro, volon-
taire crémonais, et mené à Santa-Cruz, son parent. Il fut assez
bien traité, dit de Thou (liv. LXXV). D'après la lettre de Ville-
roy, que nous venons de citer, il mourut de ses blessures le len-
demain du combat.
4. Villeroy écrit au roi que le marquis de Santa-Cruz, dans une
relation du combat surprise par l'ambassadeur de France, avouait
avoir fait pendre trente gentilshommes (f. fr., vol. 6631, f. 68).
5. Esgoitiller, égorger.
yi %\
su HISTOIRE UNIVERSELLE.
maistre, qui estoit Amville Chastaignerais^ il s'estoit
jette à la mer, ayant deux légères blessures, et avoit
à la nage empoigné une pattache qui estoit venue sau-
ver des Normands dans un navire crevé de coups de
canon; il m'apprit entr'autres choses que la pavezade^
du vice-amiral espagnol estoit plus haute de plus de
deux brasses que la leur ; c'estoit bien autre chose de
l'amiral, qui estoit de dix-huict cents tonneaux.
Le roi Antoine, ayant receu dix-sept navires fran-
çois, se mit à fortifier Angra et les passages des isles.
Le marquis, deux jours après son combat, joignit la
flotte des Indes ^, s'en retourna triompher en Espagne*.
A son arrivée, le duc d'Albe mourut^, capitaine qui
emportoit le los de son temps, s'il n'eust faict espandre
le sang qu'aux combats.
Sur la fin de juillet mille cinq cents quatre-vingt-
trois^, Antoine, ayant cogneu que les Jésuites avoyent
i. Fabien de Vivonne, s. de la Ghâtaigneraye, eut la tête tran-
chée, d'après de Thou, ou fut pendu, d'après la lettre de Villeroy.
2. Pavezade. « Ce mot, suivant Henri Estienne, estdictde deux
rangs de pavois qui sont es deux costés de la galère, pour couvrir
ceux qui rament. » (Deux dialogues du nouveau langage françois
italianisé, sans date (1578), p. 307.)
3. Ferdinand Tellez de Silva commandait la flotte des Indes.
4. Le marquis de Santa-Gruz arriva à Lisbonne le 10 septembre
4582, où il fut magnifiquement récompensé par le roi Philippe.
5. Mort de Fernando Alvarez de Tolède, duc d'Albe, i2 janvier
1583. César de Borgia, duc de Candie, lui succéda.
6. D'Aubigné n'explique pas qu'une seconde expédition fut
équipée à Dieppe, en 1583, sous le commandement du capitaine
Aimar de Chastes. De Chastes débarqua à Angra le H juin 1583
et fut, peu après, attaqué par le marquis de Santa-Gruz. Sur cette
seconde campagne en faveur de dom Antonio, nous signalerons
deux relations, l'une conservée dans le f. fr., vol. 3902, f. 262,
l'autre, beaucoup plus détaillée, dans le vol. 29 des Vc de Colbert,
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXII. 323
changé tous les courages des Tercères, que les navires
françois, qui manquoyent de toutes choses, n'y pou-
voyent plus patir, céda à l'armée d'Espagne, plus
populeuse que la première, qui fit ses descentes par
toutes les isles\ où rien ne se deffendit que Manuel
de Sylva, dans Angra^. Mais, par l'effroy des siens,
estant contrainct de capituler, il eut la teste tranchée^,
et tout demeura en la possession du roi d'Espagne,
sans pouvoir espérer secours d'aucun lieu.
Chapitre XXII.
Du Septentrion.
Steenwich*, assiégé, commença en décembre* mille
cinq cents huictante à souffrir nécessitez. Et, au huic-
tiesme de febvrier, l'an d'après, le secours préparé
avec le ravitaillement s'estant campé à une forest^, vis-
f. 588. Aymard de Chastes a laissé lui-même, sous le titre ambi-
tieux de Commentaires, un récit de sa campagne à Tercère qui a
été publié dans le Recueil de voyages curieux de Thévenot, 2 vol.
in-fol.
1. Le marquis de Santa-Cruz, à la tête de l'armée espagnole,
débarqua, le 26 juillet 1583, à Puerto de las Muelas, près de Saint-
Sébastien, dans l'île de Tercère.
2. De Chastes et les Français capitulèrent le 4 août 1583 (De
Thou, Uv. LXXVm).
3. Supplice d'Emmanuel de Silva, août 1583. — Le marquis de
Santa-Cruz se montra impitoyable dans la répression de ce qu'il
appelait la révolte des Portugais des Açores. Voyez les détails
que donne de Thou (liv. LXXVIII).
4. Steenwick, dans l'Over-Yssel, sur l'Aa. — L'édition de 1618
porte Frise et Steenwick...
5. D'Aubigné se trompe. Le comte de Rennenburg investit
Steenwick le 18 octobre 1580 (De Thou, liv. LXXI).
6. Ce fut le 4 février 1581, et non le 8, que le secours flamand
dH HISTOIRE UNIVERSELLE.
à-vis du camp des Espagnols, les deux armées demeu-
rèrent huict jours à la portée du canon l'une de l'autre,
tout ce temps employé en escarmouches. Vers le sei-
zième, le seigneur de Nienort', qui commandoit le
secours, mesnagea que les assiégez firent un pont sur
la rivière de Aa, par-dessus lequel, à la faveur d'une
sortie et d'une grande escarmouche, la ville receut
quelques pains et formages, sur le poinct que la famine
les faisoit mutiner. Mais le lendemain, les secourans
et les assiégez estans convenus d'ordre et de signal,
après que le grand chemin eut esté disputé jusques à
croiser les piques, le secours s'en fit maistre par deux
grandes charges de cavallerie ; et le comte de Rhein-
neberg^ fut contraint de lever le siège le vingt-qua-
triesme du mois.
Le prince de Parme mesnagea de ce temps quelque
entreprise sur Bruxelles^ et une autre sur FlessinguC*,
nouvellement acquise avec la Vere, qui estoyent deux
marquisats que le prince d'Orange donna à son fils
Maurice^; l'une et l'autre de ces deux entreprises
vaines.
Le chasteau de Sta vérin, qui tenoit pour le comte
de Rheinneberg, fut assiégé et pris par ceux de la
vint camper dans la forêt de Hiddingherbergh , près de Steen-
wick.
1. Wigboldt de Tuwsum, s. de Nienoort. — L'édition de 1618
nomme ce seigneur Niewenroth.
2. George de Lallain, comte de Rennenburg.
3. En automne 1581. Voyez de Thou, liv. LXXIV.
4. Dans son entreprise sur Flessingue, Alexandre Farnèse, duc
de Parme, fut secondé par un bourgeois, nommé Bochart, ancien
avocat de la ville.
5. Maurice de Nassau, ûls d'Anne de Saxe et du prince d'Orange.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXH. 325
ville*. Le comte perdit encores un fort qu'il avoit com-
mencé sur le Reidiep^ et deux compagnies des siennes,
mais il se revencha en levant ^ rudement le siège d'Au-
vard*, où il regagna deux drapeaux aussi. Et encores
il print Auverderziel, d'où il avoit esté repoussé une
fois depuis Winson^, et quelques autres petits forts; si
bien qu'il se fît maistre de toutes les Omelandes jusques
à Docom^. Cette félicité lui durant jusques à la venue
du colomnel Norreis"'^, qui, ayant repris les mesmes
choses, contraignit le comte à une petite bataille près
de Cripskerke^. Le colomnel Saunoi^ engagea le comte
par une légère escarmouche, pource que le passage
des forces estoit très difficile. Mais, tout estant joint,
les Espagnols n'opiniastrèrent nullement le combat, et
ceux des Estats menèrent les autres battans jusques
dans les fauxbourgs de Grœningue, tuèrent sept cens
hommes, preindrent quatre canons, quinze drapeaux,
1 . Staveren, dans la Frise, sur le Zuyderzée. — Prise du château
par le prince d'Orange, avril 1581.
2. Reedyepp, ville et rivière. Prise de la ville de Reedyepp par
le s. de Nienoort, mai 1581.
3. En levant, en faisant lever.
4. Prise d'Auwaert et des drapeaux d'Hausplomb et de Beren-
broeck par le comte de Rennenburg, mai 1581.
5. Prise d'Anwerdeziel et de "Winsum, juin 1581.
6. Dockum, dans la Frise, à l'embouchure de l'Avet.
7. Jean Noritz, colonel général de l'infanterie anglaise au ser-
vice des États généraux, prit une part importante à la guerre
jusqu'à la fin de 1581. Sur ce capitaine, voyez une note de
M. Blaes dans les Mémoires anonymes sur les troubles des Pays-Bas,
t. m, p. 44.
8. Prise de Grypskercke et défaite du comte de Rennenburg,
9 juillet 1581.
9. Thierry Sonay, d'après les Mémoires anonymes sur les troubles
des Pays-Bas.
3S6 HISTOIRE UNIVERSELLE.
et le reste se sauva dans les fossés de la ville. Le regret
de ceste perte fit mourir le comte de Rheinneberg\
jettant, comme on a escript, de grands regrets d'avoir
abandonné sa patrie. En sa place fut establi, par le
duc de Parme, le colomnel Verdugo^.
La Flandre et le Brabant estoyent pleines d'entre-
prises, de petites troupes, qui se chargeoyent, se brus-
loyent, de force mescontents et de désordre, à cause
des payements. Ces malcontents prirent le château de
Barles^ et n'en purent estre deslogez pour quelques
coups de canon. Mais La Garde*, colomnel françois,
ayant pris Hochstraten, Turnhout, Villebrouck^ et
Loon-op-Sault^, avec quelques autres bicoques, ceux de
Barle quittèrent et mirent le feu. Mais les Ëstats firent
une plus grande perte en Breda, enlevée par une intel-
ligence qu'y practiqua le jeune Inchi^, prisonnier. Là
dedans les soldats qu'il avoit gaignez, ayans faict
eny vrer leurs compagnons, les faisoyent jouer au corps
1. George de Lallaing, comte de Rennenburg, mourut de
phtisie le 23 juillet 1581. De Thou fait l'éloge de ce capitaine
(Uv. LXXIV).
2. François Verdugo, capitaine espagnol, né en 1529, mort le
20 septembre 1595.
3. Baelen, dans l'ancien duché de Limbourg (province de
Liège), fut pris par les Espagnols en juin 1581. Voyez le récit des
Mémoires anonymes, t. III, p. 118.
4. Le s. de la Garde, capitaine français, plus tard colonel d'un
régiment de gens de pied au service du prince d'Orange, est sou-
vent signalé dans les Mémoires de La Huguerye.
5. L'édition de 1618 porte GuiUebourg.
6. Hoogstraten, dans le Brabant hollandais. — Turnhout, à
neuf lieues d'Anvers. — Tilbourg, dans les Pays-Bas hollandais.
— Loon-op-Band. — Prise de ces places, juin 1581.
7. Le baron d'Inchy était frère de Charles de Gavre , s. de
Frisin.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXII. 327
de garde, tandis que Hautepenne* fit monter les siens.
La ville rendit quelque résistance, mais ils furent rude-
ment forcez^. Les mesmes forces faillirent Gheertrui-
demberg et Hensden^. Ceux de Brabant, n'ayant pas
mieux faict à Bosleduc*, gaignèrent d'emblée au retour
la ville d'Eindove, et, ayans pris le capitaine du chas-
teau, le contreignirent de faire rendre sa place ; ils prin-
drent aussi Helmond^. Les Estats firent lors couler
leurs forces par l'Artois, pour amuser celles du duc de
Parme. Mais, enfin, les uns et les autres marchèrent
vers le Tournesis^, pour les affaires que vous allez voir.
Dès le commencement de may, estoyent retournez
les députez des Estats vers Monsieur, avec lequel
ayants arresté leur traicté^, et, selon icelui, les forces
1. Claude de Berlaymont, s. de Haultepenne.
2. Prise de Breda par les Espagnols, 28 juin 1581.
3. Gertruydenberg, dans le Brabant hollandais, sur le Dungen.
— Hensden, dans la Hollande, sur la Meuse.
4. Cette tentative sur Bois-le-Duc avait été faite à l'instigation
du chevalier Jean Junius, bourgmestre d'Anvers.
5. Les États s'emparèrent d'Eindhoven et de Helmont en juillet
1581. Peu de jours après, Eindhoven fut reprise par les Espagnols.
6. Le Tournesis est le territoire de la châtellenie de Tournay.
7. Les députés des États-Généraux des Pays-Bas, au nombre
desquels était Marnix de Sainte-Aldegonde, signèrent avec le duc
d'Anjou, au château de Plessis-lès-Tours, en Touraine, un traité
aux termes duquel ils le reconnaissaient comme leur souverain (fin
septembre 1580). La Bibliothèque nationale possède un nombre
immense de documents inédits sur la souveraineté éphémère du
duc d'Anjou en Flandre. Presque tous les volumes du fonds fran-
çais, de 3277 à 3296, contiennent des recueils de la correspondance
de ce prince pendant cette période. Deux savants de la Haye,
MM. Muller et Diegerick, ont commencé la pubhcation des docu-
ments conservés en Hollande sous le titre de : Documents concer-
nant les relations entre le duc d'Anjou et les Pays-Bas. Le tome I a
paru en 1889.
328 HISTOIKE UNIVERSELLE.
françoises, s'estans mis en chemin, Balagni\ que nous
vous avons faict voir en Polongne , se vint jetter à
Cambrai, avec quelques forces les plus prestes, à la
requeste d'Inchi*, gouverneur. Aussitost, cette ville fut
assiégée par le duc de Parme de blocus^, desquels les
premiers se firent à Crèvecœur, Vauchelles et Mar-
quions. Tous les chemins retranchés et la cavallerie
logée en lieux avantageux, tout cela réduisit la ville en
quelques nécessitez. Ces nouvelles hastèrent Monsieur,
qui lors s'employoit à Cadillac et à Coutras aux choses
que nous avons dites. Enfin, il se trouva au premier
rendez-vous de son armée à Chasteaudun^, laquelle
marcha de là sur la frontière, où elle se trouva le
quinziesme d'aoust. Les plus remarquez qui y fussent
estoyent le mareschal de Bellegarde, le marquis
d'Elbœuf, les comtes de Laval, de Vantadour, Mont-
gommeri, Saint-Aignan et Rochepot; les vicomtes
de Turenne et de la Guerche^, le vidame d'Amiens,
1. Jean deMonluc, s. de Balagny, fils naturel de Jean de Mon-
luc, évêque de Valence.
2. Gabriel de Gavre, s. d'Inchy, plusieurs fois cité dans les
Mémoires de Marguerite de Navarre.
3. De Thou a décrit l'état de Cambrai durant le siège
(Uv. LXXIV).
4. Crèvecœur, dans le Garabrésis (Nord), sur l'Escaut. — Vau-
celles, près de Cambrai. — Marquion, dans le Pas-de-Calais.
5. Château-Thierry et non pas Chàteaudun, d'après de Thou
(liv. LXXIV) et tous les historiens. Le Journal de L'Estoile confirme
le récit de de Thou et fait un affreux tableau de l'indiscipline des
troupes du duc d'Anjou.
6. Roger de Saint-Lary, plus tard maréchal de Bellegarde. —
Charles de Lorraine, duc d'Elbeuf. — Gui, comte de Laval. —
Gilbert de Lévis, comte de Ventadour. — Jacques de Lorges,
comte de Mongonmery. — Claude de Beauvilliers, comte de
Saint-Agnan. — Antoine de Silly, comte de la Rochepot. —
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXU. 329
de la Gliastre, Saint-Luc, Beaupré, Drou, Mauvissière,
Bussi, Sandricourt, la Ferthé et Fervaques^, mares-
chal général, comme aussi l'estoit-il en France.
Le vicomte de Turenne fit une partie, avec cent gen-
tilshommes choisis, pour percer le premier et entrer
dans Gambray, et, pour cet effect, arriva, la lune fort
claire, à des petits retranchements, desquels nous
avons parlé. Comme ils travailloyent à en cercher le
passage , le vicomte de Gand , naguères marquis de
Bombay^, eut loisir d'appeler à soi quelques bateurs
d'estrade, et, n'ayans guères plus de cent chevaux,
chargea si rudement le vicomte que les gens, harassez
et craignans toutes choses, pource qu'ils estoyent dans
le camp ennemi, l'abandonnèrent, et lui, blessé, fut
pris^, avec ceux qui lui tindrent meilleure compagnie,
entre ceux-là le comte de Ventadour*.
Henri de la Tour, vicomte de Turenne. — George de Villequier,
vicomte de la Guerche.
1. Claude de la Châtre. — François d'Espinay, s. de Saint-Luc.
— Louis-François de Choiseul, baron de Beaupré. — Pierre de
Chamborant, s. de Drou. — Michel de Castelnau, s. de la Mau-
vissière. — Louis de Clermont de Bussy d'Amboise. — La Ferté,
chambellan du duc d'Anjou. — Claude de Hautemer, s. de Fer-
vaques.
2. Robert de Melun, marquis de Roubaix et de Richebourg,
vicomte de Gand, avait d'abord appartenu au parti des États. En
1579, il se donna au parti espagnol et devint colonel général de
la cavalerie. Il fut tué au siège d'Anvers en 1585 {Mémoires ano^
nymes sur les troubles des Pays-Bas, t. I, p. 272).
3. Turenne fut fait prisonnier par les Espagnols sous les murs
de Cambrai en avril 1581 {Lettres de Henri IV, 1. 1, p. 401). Il resta
en prison jusques aux premiers jours de juin 1584 [Mémoires, édit.
Petitut, p. 208). Sa correspondance pendant sa détention est con-
servée aux Archives nationales, R' 54,
4. Gilbert de Lévis, comte de Ventadour, était cousin-germain
du vicomte de Turenne.
330 HISTOIRE UNIVERSELLE.
Le dixseptiesme, les deux armées se virent, et le duc
de Parme, ayant cogneu aux François toute contenance
de vouloir la bataille, leva ses blocus pour s'aller cam-
per à la faveur de Valanciennes ; et ainsi Monsieur à
son aise ravitailla la ville, et elle se donna à lui le vin-
tiesme*. Le jour d'après, ayant fait descamper les
Espagnols, il assiégea sous leur moustache Cliasteau-
Cambrézis^. Le désir des Estais, et notamment du
prince d'Orange, estoit que Monsieur acheminast son
armée en Brabant et sa personne à Anvers, mais, cette
troupe estant desjà pleine d'autant de divisions que de
testes. Monsieur fut contrainct par ses courtisans de
revenir en France^ pour y passer l'hyver.
Les Flamands, voyans Monsieur engagé, prirent
leurs affaires d'un ton plus haut, si bien que, par un
édit public, ils déclarèrent le roi d'Espagne descheu
de sa seigneurie et principauté des Pays-Bas, déclarans
tous officiers, seigneurs particuliers, vassaux et tous
autres habitans deschargés de leurs sermens envers
l'Espagnol, mettent le nom du duc d'Anjou en la place
du roi Philippes en tout leur pays, hormis en Hollande
et Zélande, où celui du prince d'Orange demeura en
1. Prise de Cambrai par le duc d'Anjou, 18 août 1581. Les
Mémoires de Marguerite de Valois (édit. Lalanne, p. 91 et suiv.),
les (Economies royales de Sully (chap. xvi), le Journal de VEstoile
(août 1581), donnent beaucoup de détails sur ce fait d'armes. On
conserve dans le f. fr. (vol. 3902, f. 238) une relation manuscrite
de cette campagne.
2. Prise de Cateau-Cambrésis par le duc d'Anjou, 21 août 1581.
Charles de Beaune, vicomte de Tours, fut tué à ce siège, et Jean
de Monluc, s. de Balagny, y reçut un coup d'arquebuse.
3. D'Aubigné se trompe. Le duc d'Anjou alla en Angleterre,
où il arriva le l»' novembre 1581, et y demeura trois mois, vivant
dans une grande familiarité avec Elisabeth.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXII. 331
son authorité; cet édict donné à la Haye, le vingt-
sixiesme de juillet mille cinq cents huictante un. A cela
fut adjoustée une forme de serment pour abjurer le
roi d'Espagne*. Incontinent après, l'archiduc Mathias,
ayant de son bon gré déposé son authorité, reprit le
chemin d'Alemagne, après avoir receu du pays hon-
neurs et présents-.
Le duc de Parme, ayant sceu par le marquis de Rom-
bai que le prince d'Espinoy^ son frère, lors général de
l'armée des Flamens, avoit emmené en Flandres la plus-
part de la garnison de Tournay, feignant de marcher
pour rompre une entreprise sur Gravelines, tourna
court assiéger Tournay*. Il commença en mesme temps
trois mines et une batterie de trente-six canons et puis
fit donner assaut général par la grand'brèche et par
celle des mines. Ceux de dedans, après en avoir esventé
quelques-unes, soustindrent l'assaut, où les garçons
et filles se meslèrent parmi les gens de guerre, tes-
moin deux fillettes que la mine fit sauter, et qui, estans
enterrées jusques aux espaules au pied de la brèche,
Montigni^, revenant de l'assaut blessé, les fit déterrer
et les renvoya dans la ville, n'ayant mal que d'eston-
nement.
1. Ces documents sont analysés par M. Kervyn de Lettenhove
{les Huguenots et les Gueux, t. "VI, p. 97).
2. Le 7 juin 1581, l'archiduc Mathias renonça à sa charge de
gouverneur général des Pays-Bas ; le 29 octobre, il sortit d'Anvers
en fugitif, sans avoir seulement obtenu des Etats les subsides
nécessaires à son voyage.
3. Hugues de Melun, prince d'Épinoi, frère de Bobert de Meiun,
marquis de Roubaix.
4. Siège de Tournai par le prince de Parme, 1" octobre 1589.
5. Emmanuel de Lallain, s. de Montigny.
332 fflSTOIRE UNIVERSELLE.
Sur la fin de novembre, le colomnel Preston, Écos-
sois, ayant chargé le cartier des Alemans et defifaict la
compagnie du prince de Chimai*, entra dans la ville.
Les nécessitez estoyent desjà telles qu'avec l'aide du
Gordelier Geri, à la suasion duquel les katholiques refu-
sèrent de combattre plus, la princesse d'Espinoy^, qui
estoit dedans, capitula avec les marquis de Renti^ et
de Rombai, ses frère et beau-frère, et rendit la ville à
bonne composition et bien gardée, le neufiesme de
novembre mille cinq cents huictante-un'*. Deux entre-
prises presque en même temps eurent mesme succès;
celle de Bourbourg^, que les Estats faillirent, y per-
dans ceux qui y estoyent entrez, et celle de Berg-op-
Zon ^ par son seigneur mesme : toutes les deux faillies
pour estre les premiers entrez mal suivis, et perte à
chascune d'environ six vingts hommes.
Les Estats employèrent le mois de décembre en une
grande assemblée"^, où le prince d'Orange, voyant ses
remonstrances inutiles, voulut déspouiller sa charge*;
mais il fut supplié de la garder, pour le moins en
1. Charles de Groy, prince de Chimay, fils du duc d'Arschot.
2. lolande de Barbançon, princesse d'Épinoi, sœur d'Emmanuel
de Lallain, s. de Montigny.
3. Robert de Melun, marquis de Richeberg, dit le marquis de
Renty.
4. Prise de Tournai par les Espagnols, 30 novembre 1581.
5. Entreprise sur Bourbourg, novembre 1581. Cette place était
une de celles que le roi de Navarre tenait de la succession de
son père.
6. Entreprise de Claude de Berlaymont, s. de Haultepenne,
gouverneur de Breda, sur Bergen-op-Zoom, 5 décembre 1581.
7. Le prince d'Orange assembla les États à Anvers le i" dé-
cembre 1581.
8. La charge de gouverneur général dont le prince d'Orange
était investi devait expirer au mois de janvier 1582.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXD. 333
attendant la venue de Monsieur, vers lequel, pour
le haster, furent despeschez* Sainct-Aldegonde^ et
Junius^. Ils le trouvèrent en Angleterre destourné des
pensées de la guerre, pour l'amour qu'il traictoit avec
la roine, duquel ils vindrent jusques à bagues données,
avec une condition pour Monsieur que le roi son frère
auroit quelques articles agréables.
Le temps d'aller en Flandres s' approchant, la roine
voulut conduire son hoste jusques à Cantorbéri, et, le
huictiesme de febvrier*, pour son adieu, lui fit des
remonstrances prophétiques, le priant surtout de faire
son conseil de ceux du pays. Elle lui donna pour l'ac-
compagner en Flandres le comte de Lincestre^, les
millords Havard et Husdon, l'un amiral, l'autre un de
ses premiers conseillers, qu'elle chargea de dire au
prince d'Oranges et aux autres seigneurs que le ser-
vice qu'ils feroyent au duc seroit à elle-mesme. Il y
avoit encores plusieurs millords et chevaliers anglois,
avec lesquels, à deux jours de là. Monsieur prit terre
à Flessingue^, où, ayant trouvé les princes d'Orange
et d'Espinoy, il se passa entre eux plusieurs propos
1. Selon de Thou, les États envoyèrent au duc d'Anjou Dohain
et Jean Junius.
2. Philippe Van Marnix, s. de Mont-Saint-Aldegonde, né en
1518, littérateur, théologien, négociateur, homme d'État protes-
tant, l'àme de la révolte des Pays-Bas. Il mourut en 1598.
M. Quinet a écrit sa vie (Paris, 1854, in-18).
3. Jean de Jonghe, dit le docteur Junius, bourgeois d'Anvers.
4. Ce fut le 9 février 1582 que le duc d'Anjou s'embarqua à
Douvres pour passer en Zélande. Voyez les notes du chap. xvui.
5. Robert Dudley, comte de Leicester. Charles Howard, amiral
d'Angleterre, et Hunsdon étaient chevahers de la Jarretière et
faisaient partie du conseil de la reine d'Angleterre.
6. Débarquement du duc d'Anjou àFlessingue, 11 février 1582.
334 fflSTOIRE UNIVERSELLE.
de courtoisie^. Ayant receu là son entrée, il alla à celle
de Midelbourg^, d'où, après plusieurs magnifiques fes-
tins et présents, et, de là passé par Lislo^, il vint le
neufiesme du mesme mois dans Anvers^. Là, après
avoir esté reçeu de plusieurs sortes de bataillons et de
salves, il trouva un eschafaut aux fauxbourgs, sur
lequel il presta serment solemnel entre les mains du
chancelier^ pour maintenir tous les articles du traicté,
et notamment ce qui touchoit les privilèges d'Anvers.
En mesme lieu, il fut vestu du manteau ducal, par le
prince d'Orange, qui dict en le mettant : « Serrons bien
ce bouton que le manteau nous demeure. > Et le prince
dauphin^, qui estoit venu trouver Monsieur depuis
peu, comme il recevoit le chapeau de mesme main,
s'écria : « Mon frère, enfoncez bien ce chapeau, qu'il
ne s'envole. » Au milieu de la ville, après plusieurs
harangues, le duc fit un second serment et receut la
clef d'or des mains de Stralle^, et les hérauts com-
mencèrent à crier : « Vive le duc de Brabant^. » Il fit
jetter largesse d'une monnoye, où il portoit pour
devise : « Fovet et discutit, » ce qui se trouva vrai. Je
laisse aux historiens du pays à descrire l'ordre des
1 . De Thou donne quelques détails sur l'entrevue du duc d'An-
jou et du prince d'Orange à Flessingue (liv. LXXV).
2. Le duc d'Anjou alla à pied de Flessingue à Middelburg, où
il arriva le 12 février 1582.
3. Passage du duc d'Anjou à Lillo, sur l'Escaut, 18 février 1582.
4. D'Aubigné se trompe. Le duc d'Anjou entra dans Anvers le
19 février 1582.
5. Théodore de Liesveldt, chancelier de Brabant.
6. François de Bourbon, duc de Montpensier.
7. Le s. de Stralen Amptman était bailli d'Anvers.
8. Le duc d'Anjou fut proclamé duc de Brabant, de Limbourg
et de Luthier le 19 février 1582.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXH. 335
bandes, les livrées, et encores comment, le jeudi sui-
vant, les cérémonies se passèrent en la prise de pos-
session^. J'adjouste seulement que, par acte particu-
lier, il prit la religion refformée en sa protection^.
Il faut sçavoir que fait le duc de Parme, qui cepen-
dant, après avoir veu sa mère^ à Namur, despesche
partout pour faire retourner les bandes qui avoyent
fait la guerre au Pays-Bas, et l'abbé de Sainct-Vast*, en
Espagne, qui en rapporta tout consentement du roi Phi-
lippe. Durant cette petite course à Namur, les Albanois
furent chargez à un convoi à Warcoin^ en Tournesis.
Ceux de Frize fortifièrent Oldehorne et battirent
Verdugo, les pensant enlever à demi-besongne , et
gaignèrent Keppel*^ par surprise sur les glaces, et
le chasteau de Bronckhorst^ par assaut.
De ce temps, le prince d'Orange eut dans sa chambre
un coup de pistolet dans la gorge, de la main d'un
Joanille*, suscité par Gaspar d'Anastre^, son maistre;
1 . Prise de possession officielle par le duc d'Anjou du duché de
Brabant, 22 février 1582.
2. Par une ordonnance du 15 mars 1582, le duc d'Anjou per-
mettait aussi le libre exercice de la religion catholique.
3. Marguerite d'Autriche, duchesse de Parme et gouvernante
des Pays-Bas, fille de Charles-Quint, épouse d'Octave, duc de
Parme, morte en janvier 1586.
4. Jean Sarasin, abbé de Saint- Vaast.
5. Un corps de 200 cavaliers albanais fut mis en déroute près de
Warcoin par la garnison de Menin au mois de mars 1582.
6. Lisez Meppel {Mémoires anonymes sur les troubles des Pays-
Bas, t. V, p. 323). L'édition de 1618 porte aussi Meppel.
7. Bronchorst, dans le comté de Zutphen, sur l'Issel.
8. Jean de Jauréguy, employé dans une maison de banque à
Anvers. Le Journal de L'Estoile donne quelques détails sur cette
tentative d'assassinat à la date du mois de mars 1582,
9. Gaspard d'Anastro, banquier à Anvers, était, dit de Thou,
à la veille de faire banqueroute (De Thou, hv. LXXV).
336 HISTOIRE UNIVERSELLE.
l'affaire communiqué à La Motte \ gouverneur de Gra-
velines, mais principalement confirmé à ce dessein
par le Jacobin Tinmerman^, qui lui persuada qu'il
deviendroit invisible sur la vertu de quelques carac-
tères et petits ossements. Le moine l'ayant conduit
jusques dans l'escallier de la chambre, l'assassin fut
tué par les gardes et puis avec son corps furent exé-
cutez le moine et un autre ^ de l'entreprise*. Sans la
diligence du magistrat pour la preuve des auteurs, le
peuple crioit aux massacreurs des nopces de Paris ^.
Monsieur fit mettre les armes bas à tous ses gens et
gagna le logis du prince d'Oranges, comme par devoir
de le visiter^; le prince ayant esté deux ou trois fois
abandonné des médecins, à cause des hsemorragies
qui recommençoyent à toutes les fois que l'escarre
tomboit. Enfin, comme sa playe se porta mieux''', ras-
seura Monsieur, et eux ensemble firent prester un
serment nouveau aux catholiques qui n'avoyent la
1. Valentin de Pardieu, s. de la Motte.
2. Antoine Timmerman était dominicain. Sa culpabilité est au
moins douteuse et n'est certifiée que par des pièces contestées.
3. Antoine de Venero, de Bilbao, caissier d'Anastro.
4. Tentative d'assassinat du prince d'Orange par Jean de Jau-
réguy, dimanche 18 mars 1582. M. Gachard a publié dans la Cor-
respondance de Guillaume le Taciturne (t. VI, p. 46 et suiv.) plu-
sieurs pièces et relations relatives à ce crime.
5. Sur le premier moment, le duc d'Anjou, en souvenir de la
Saint-Barthélémy, fut accusé d'avoir armé le bras de Jauréguy.
Voyez les Mémoires de La Huguerye, t. II, p. 207.
6. M. Gachard, dans la Correspondance de Guillaume le Taciturne
(t. VI, p. 65 et suiv.), a publié plusieurs lettres et déclarations
émanées du duc d'Anjou à ce sujet.
7. Le prince d'Orange fut à peu près guéri au bout de deux
mois. Le 2 mai 1582, il alla au temple rendre grâces à Dieu (De
Thou, liv. LXXV).
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXII. 337
messe qu'à la cour de Monsieur; et le duc de Parme,
qui avoit desjà rempli tout le pays de lettres* sur la
certitude de l'assassinat, envoya dans Anvers confor-
ter ceux qui faisoyent double de prester ce nouveau
serment. Cependant, Sesseval- et autres capitaines
de Monsieur, s'estans approchez de Namur, furent
cause que ceux d'Aix, désassiégez, forcèrent et brus-
lèrent le chasteau de Calkouen, faillirent Namur,
prindrent Lans^; mais, le marquis de Rombai les
investit, et en furent quittes pour le bagage.
L'armée espagnole marche au siège d'Oudenarde*;
en passant deffait trois compagnies de la garnison de
Meenen^, qu'elle prit avec le chasteau de Castens. Les
Gantois firent quelque devoir de secourir Oudenarde.
Le duc d'Anjou aussi avança pour cela, mais si froi-
dement qu'après trois mois de siège, la ville se rendit
sans autres nécessitez que manque de nouvelles de leur
supérieur. Pour relever ceste faute, Monsieur fit entre-
prendre sur Alloost*^ par Corbeke, gouverneur de
Bruxelles"^, et Famas^, de Malines. Ceste entreprise
1 . Les lettres du prince de Parme aux États des Pays-Bas sont
datées du 25 mars 1582.
2. René de Senincourt, s. de Sesseval, favori de Louis de Cler-
mont de Bussy d'Amboise.
3. Prise de Lens en Hainaut par Montigny, commencement
d'avril 1582.
4. Oudenarde, sur l'Escaut. Sur la prise de la place par le prince
de Parme, voyez de Thou, liv. LXXV,
5. Menin, dans la Flandre autrichienne, sur la Lys.
6. Alost, sur la Dendre. — Prise de la place par le duc d'An-
jou, 23 avril 1582.
7. De Thou nomme le gouverneur de Bruxelles le s. de Tempel
(liv. LXXV).
8. Charles de Liévin, s. de Famars, gouverneur de Malines.
VI 22
338 HISTOIRE UNIVERSELLE.
n'eut autre invention qu'une ferme opiniastre escalade,
par trois endroits, qui réussit. Les Espagnols empor-
tèrent Geisbeke* par des hommes desguisez, qui fei-
gnoyent venir du pillage d'Alloost. L'escalade de Diest^
ne réussit pas si bien, car les Espagnols y perdirent
deux cents hommes, entrez et mal suivis. De mesmes
ceux des Estats, battus à une entreprise sur Ascot^.
Mais ils emportèrent Tillemont * qu'ils abandonnèrent
après.
Le vingt-quatriesme juillet, le duc^ et le prince
d'Orange, vef de peu de jours par la mort de Charlotte
de Bourbon^, et tous les grands du pays s'achemi-
nèrent vers Bruges', où, le duc estant receu avec grande
despense, l'on descouvrit l'entreprise de Salcède^ que
nous particularisons en autre Ijeu. De là, ayant fait
par les principales villes de Flandres plusieurs entrées,
la magnificence desquelles n'est pas de notre labeur en
ce lieu, aimant mieux rendre compte de ce que firent
les gens de guerre durant ces pourmenades, comme
de la prinse de Lière^, à trois lieues d'Anvers, trahie
par Sympel, Escossois^^, capitaine en la garnison,
1. Prise du fort de Gaesbeke par les Espagnols, fin avril 1582.
2. Diest, dans le Brabant, sur la Demer.
3. Arschot, dans le Brabant, sur la Demer.
4. Prise de Tillemont par les habitants de Diest et d'Herenthals,
commencement de mai 1582.
5. Le duc d'Anjou,
6. Charlotte de Bourbon-Montpensier mourut le 5 mai 1582.
7. Le duc d'Anjou fit son entrée à Bruges le 17 juillet 1582 et
non le 24.
8. Sur la conjuration de Salcède, voyez le chap. xvni du présent
livre.
9. Prise de Lière par les Espagnols, 31 juillet 1582.
10. Guillaume Semple.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXU. 339
lequel feignit de revenir d'une course de nuict avec
grand butin pour faire ouvrir une porte qu'il livra
aux Espagnols.
L'armée du duc estoit cependant vers Dunkerque^
et, le venant trouver, fut chargée par les Espagnols,
que le colomnel Norreis engagea, defïît le baron de
Balançon, ses troupes estans receues par Monsieur.
Le prince de Parme, qui avoit joint le comte Marti-
nangue et Manriquez^, marcha pour combattre. Mon-
sieur n'avoit lors que quatre mil hommes, le gros
desquels n'ayant peu entrer dans la ville comme
avoyent faict les princes, ils campèrent le vingt-troi-
siesme d'aoust à un village^ à demie-lieue et le lende-
main battirent aux champs dès le poinct du jour à
veue des ennemis espagnols. La Pierre, mareschal de
camp, jetta hors les jardins du village quelques qua-
rante chevaux sans ordre, soustenus de six vingts
argolets; et, durant une froide escarmouche, qui fit
pourtant penser aux Espagnols qu'il se faloit battre
au logis, la teste des bandes sortit commandée par
Norreis, le colomnel Bouc* après lui, les reistres à^
leur gauche et sept compagnies d'Anglois et François,
au milieu, les troupes flamandes et escossoises. La
retraicte se faisoit par Sesseval avec son régiment de
\. Un combat se livra entre les Espagnols et les Français à
Berg-Saint-Vinox, près de Dunkerque, le 1" août 1582.
2. Jean Manrique de Lara, s. de Saint-Léonard, vice-roi de
Naples en 1557.
3. La rencontre des années françaises et espagnoles se fit sous
les murs de Gand (De Thou, liv. LXXVI).
4. Hans Boock, colonel allemand.
5. Var. de l'édit. de 1618 : o ... Zm reistres de Mansfeld à leur
gauche... »
340 mSTOlRE UNIVERSELLE.
cavalerie et mille Anglois moitié picquiers. Ceux de
l'escarmouche, sentans leurs compagnies hors du vil-
lage, regagnent leurs chevaux et passent le village au
grand pas, où donnent aussitost mille chevaux et deux
mille fantassins espagnols, qui passèrent le village
sans recognoistre. Mais ces troupes, estans dans un
pays avantageux, trouvèrent une perpétuelle semence
d'embuscades, par lesquelles les premiers estans eschau-
dez et Norreis avec ses Anglois ayant renversé deux
cents chevaux, les bandes prirent place de combat à
la faveur de la ville et d'un rempart bien artillé. De
plus, Rochepot^, ayant fait sortir cinquante ou soixante
des plus volontaires par la porte Sainct-Liévain , se
logea dans le fauxbourg favorablement.
Le prince de Parme, estant arrivé avec son corps
d'armée, voulut faire paroistre qu'il y estoit et fit
retourner dans le fauxbourg ceux qui en estoyent
partis. Mais, trou vans les autres trop bien logez et
après perte des deux costez, il fit enterrer deux cents
des siens à la veue de la ville, et avec bon ordre reprit
le chemin par où il estoit venu. Le lendemain le duc
fit son entrée à Ruremonde^ et de là prit le chemin
d'Anvers^.
Cependant, Locum* estoit assiégé par Verdugo,
ravitaillé par Cuillaume de Nassau, et cela par deux
fois ; à la seconde receu rudement, sa cavallerie mise
\ . Antoine de Silly , comte de Rochefort et de la Rochepot.
2. L'édition de 1618 porte, comme de Thou, Denremonde. —
Les habitants de Dendermonde firent une réception magnifique
au duc d'Anjou (De Thou, liv. LXXYI).
3. Arrivée du duc d'Anjou à Anvers, 2 septembre 1582.
4. Lochem, dans la Gueldre, sur la Berckel. — Siège de Lochem,
août 1582.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXII. 341
en route, mais ne laissa pas de couler dans le siège
Allain^ et son régiment, Verdugo quittoit la ville, mais,
ayant esté renforcé de quinze cents hommes que le
comte de Mansfeld^ et Hautepenne amenèrent, ils la
rassiégèrent ensemble encores vingt-cinq jours. Au
bout desquels le comte de Hohenloo^, fortifié du colom-
nel Norreis et de quatre mil hommes, François, Anglois
ou reistres, marcha la teste baissée au secours. Le
comte de Mansfeld lui quitta les logis qu'il avoit outre
l'eau. Le comte s'en saisit, refit un pont par lequel
La Maurie, avec son régiment et les vivres, entra dans
la ville. Le lendemain, au poinct du jour, l'armée leva
le siège * pour prendre le chemin de Grole ^ avec perte
de quinze cents hommes, parmi ceux-là, du baron
d'Enholt *^. Les troupes de secours assiégèrent et empor-
tèrent d'estonnement Keppel et Broncorst.
Le duc d'Anjou, sur la fin de septembre, envoya
Sainct-Luc assiéger et prendre Guesbeke et Thoulouse,
et d'autre costé Rochepot, qui emporta Échouen'. Or,
se fortifians les armées des deux costez, celle de Mon-
sieur, de trois mille hommes, qu'amenèrent vers la
frontière le duc de Montpensier et le mareschal de
1. Le s. d'Allins, gentilhomme d'Arles, en grande estime auprès
du roi de Navarre, plusieurs fois cité dans les Lettres de Henri IV,
colonel de gens de pied au service du duc d'Anjou.
2. Pierre-Ernest, comte de Mansfeld, prince de l'Empire, né
en 1527, mort le 2 mai 1604.
3. Philippe, comte de Hohenlohe, fils de Louis-Casimir, comte
de Hohenlohe, né le 17 février 1550, mort le 5 mars 1606.
4. Le capitaine Verdugo lève le siège de Lochem en Gueldre,
24 août 1582.
5. troll, dans la Gueldre.
6. Le s. d'Anholt, baron de Gueldres et de Frise.
7. Eckoven, près de Lière (province d'Anvers),
342 HISTOIRE UNIVERSELLE.
Biron; celle des Espagnols bien autrement, comme
de cinq mille Espagnols sous Mondragon* et Pedro
de Pas 2; d'autant d'Italiens sous Marico Gardomi et
Gamillo d'Ermonte^, avec deux mil lanskenets et encor
grand argent pour ses payements, si bien qu'avec
ses autres bandes, il fit monstre, en septembre 1582,
de cinquante-deux mille hommes de pied et huict mille
chevaux. Leur première besongne fut à faire quitter
une bourgade^ qui se fortifioit entre Cambrai et Valen-
ciennes, Chasteau-Gambrésis , Bohain, Nieuwenhove,
les chasteaux de Lyderkerke et Gaisbeke^. Après cela
ceste grosse armée, aussi bien que les forces françoises,
fut contraincte par l'hiver de se disperser aux gar-
nisons.
Geux de Frise ne se retirèrent pas si tost. Verdugo
ayant, par l'advertissement d'un paysan qui avoit tra-
vaillé aux fossés, emporté d'escalade Steenvick^ qui
avoit tant cousté, et le comte de Hohenloo ayant par
siège emporté Mège et quelque chasteau en Gueldres,
Eindove''^ et autres petits forts indignes de nom, Testât
du pays fut troublé par ce que nous allons raconter.
i . Christophe de Mondragon, vieux capitaine qui servait dans
les armées espagnoles depuis le règne de Charles-Quint.
2. De Thou le nomme Pierre Pacheco.
3. Mario Gardoino et Camille Bourbon del Monte, d'après de
Thou.
4. Le premier exploit du prince de Parme fut la prise de l'Écluse
au commencement de novembre 1582.
5. Prise de Câteau-Cambrésis, Ninove, Liedekercke et Gaesbeke
par le prince de Parme au commencement de novembre 1582.
6. Prise de Steenwick, sur l'Aa, par François Verduge, 17 no-
vembre 1582.
7. Prise de Meghem, dans le Brabant, sur la Meuse, et d'Ein-
doven, 7 janvier 1583.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXU. 343
Vous aurez veu au chapitre de la liaison les causes
du project de Monsieur : en voici l'exécution. Le sei-
zième jour de janvier, AllostS bourgniaistre d'Anvers,
sur un advis qu'il avoit receu, advertit le prince
d'Oranges d'un dessein sur la ville ^. Les principaux
avec ce prince allèrent sur le soir prier Monsieur qu'il
trouvast agréable quelque garde extraordinaire qu'ils
vouloyent faire, comme estans advertis de plusieurs
endroits d'une entreprise des François sur leur ville.
Monsieur éluda ceste opinion en termes généraux et
consentit ce qu'il ne pouvoit empescher. Le lendemain
le prince d'Oranges le va trouver, lui parle du dessein
plus ouvertement, le prie de remettre la reveue de
l'armée qui estoit assignée à ce jour-là, et en tout cas
que sa personne ne sortist point de la ville. Monsieur,
qui avoit donné ce jour-là pour les exécutions qui se
devoyent faire par tout le pays et partant ne pouvoit
différer, se deffit du prince avec promesses doubteuses,
et, fort troublé, appela dans un cabinet les principaux
des siens; entre ceux-là Rochepot et SessevaP, qui,
premiers moteurs de l'entreprise, ayans trouvé tout
facile, au commencement s'estonnèrent. Fervaques,
qui avoit contredit aux délibérations, raffermit le cœur
de Monsieur, qui, à une heure après midi, accompagné
1. Pierre d'Alost.
2. Dans son récit de la tentative du duc d'Anjou sur Anvers,
d'Aubigné a suivi en l'abrégeant le beau récit de de Thou
(liv. LXXVII). La Correspondance de Philippe II (t. III), les
Archives de la maison de Nassau de Groen Van Prinsterer (t. VII)
et la Correspondance de Guillaume le Taciturne (t. V) contiennent
de nombreux documents sur l'histoire de cette triste journée.
3. Le s. de Sesseval était gouverneur de Vilvorde, dans le Bra-
bant, sur la Senne.
344 HISTOIRE UNIVERSELLE.
de Suisses, de François et de deux cents gentilshommes,
sortit par la porte de Kipedorp. Les deux ponts estans
passez, les premiers retardans et ceux de derrière
accourants, l'entre-deux des portes fut rempli. Roche-
pot feignit d'avoir eu la jambe rompue en la foule.
Un bourgeois de la garde* accourut pour le soulager.
Il lui donna un coup d'espée^ sur la teste, qu'il avoit
nue, comme tous les autres, pour faire honneur à leur
seigneur passant. Voilà tout le reste du corps de garde
traicté de mesme et chargé de coups d'espée, au poinct
que le mareschal de Biron^ descoupla quatre cornettes.
Ceux-là donnèrent au cul de la noblesse, qui estoit
rentrée, et après eux dix-sept enseignes d'infanterie
emplirent les premières rues, crians : Ville gagnée et
vive la messe! Comme ceste foule emplissoit la rue
neufve et celle de Kippedorp, Fervaques donna par
les remparts à la porte de l'empereur et gagna l'artil-
lerie. Monsieur avoit fait entrer les Suisses, et autre
infanterie après eux, en leur criant : « Tout est à
nous ! » Si bien que le gros des enseignes estoit dans
le marché et la meelle.
Il y avoit une heure que l'armée entroit quand
quelques bourgeois, résolus à la mort, emplirent une
rue de picques et hallebardes et arrestèrent une des
quatre cornettes derrière eux. On forma quelques bar-
1. Ce bourgeois était un capitaine de la ville nommé Keiser.
2. DeThou attribue cet acte de trahison à un Français qu'il ne
veut pas nommer. Mais Brantôme est moins réservé. Suivant lui,
le coupable était le comte de la Rochepot, dont il est question
plus haut; l'annotateur de la traduction en onze volumes (1742,
liv. LXXVIII, p. 271) désigne le s. de Sainteval.
3. Du Plessis-Mornay assure que le maréchal de Biron con-
damnait formellement l'entreprise.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXII. 345
ricades de meubles jetiez par les fenestres. Mais il la
falut aussitost rompre pour laisser passer une grosse
foule de bourgeois qui avoit sept ou huict des gardes
du prince d'Oranges* à leur teste.
Après cela vindrent en bataille tambour battant
toutes les forces de la ville. Les plus avancez, par
l'ordre qu'y mit le prince d'Oranges, regagnèrent le
rempart et l'artillerie, de laquelle partie fut poinctée
vers les rues, l'autre au dehors vers Monsieur; lequel,
s'estans retiré à l'abri du fauxbourg aux premières
volées, ne put plus eschauffer personne à entrer. L'ef-
froi estant mis dans l'armée, les rues voisines de la
porte furent bientost couvertes de morts, et l' entre-
deux des portes plein à la hauteur de la bascule.
Le meurtre fut de quinze cents hommes, contez en
enterrant tout à la fois, sans ceux qui depuis moururent
à la ville et au dehors; cent quarante prisonniers*.
Ceux de la ville y perdirent aussi quatre-vingts
bourgeois, le colomnel Wierendeel, deux capitaines et
le sergent-major 2.
1. Guillaume le Taciturne, qui occupait le château-fort d'An-
vers, n'avait pas été mis dans le secret de cette trahison, et le
duc d'Anjou s'était vainement efforcé de le faire sortir de la ville.
11 prit les armes pendant le combat et contribua à la déroute des
gens du duc d'Anjou. Voyez la Correspondance de Guillaume le
Taciturne, t. V, p. 80 et suivantes.
2. La tentative du duc d'Anjou sur Anvers (17 janvier 1583) est
connue chez les annalistes belges sous le nom de Journée de Saint-
Antoine. Tous les historiens l'ont jugée comme elle le mérite,
c'est-à-dire comme un acte de trahison aussi odieux dans son
principe que mal combiné dans son exécution. Elle tourna contre
son auteur et marqua justement la fin de la souveraineté du duc
d'Anjou dans les Pays-Bas.
3. Le colonel Adrien Vierendeel, les capitaines Reynier Michaut
et Gaspard de Hoymaker et le sergent-major Baltbazar Thas.
346 HISTOIRE UNIVERSELLE.
Monsieur gaigna Rimenant* pour donner à Wille-
worde, escrivant en chemin aux villes principales^,
pour donner le tort à ceux d'Anvers'.
De mesme temps, les François emportèrent Dixmui-
den, Dermondc* et Willeworde. Ceux de Bruges sai-
sirent La Fougère, qui passoit par leur ville avec six
compagnies, et par là firent tout sortir. Villeneuve,
comme réformé, rendit Winokberghe, qu'il avoit prise,
quand il sceut qu'on avoit crié vive la messe !
Cet accident n'empescha point qu'il n'y eust com-
missaires, et du duc et de ceux d'Anvers, pour traic-
ter une réconciliation, laquelle fut affectée par le prince
d'Auranges, qui, avec beaucoup de peine, sauva ce
qu'il put des enfermez. On conut entre les morts un
fils du mareschal de Biron, un du comte de Chasteau-
roux, Sesseval, le baron du Vigean, le comte de Sainct-*
Aignan et Thianges^. L'un de ces deux sauta à cheval
dans le fossé de la ville et y fut tué. C'est un long
discours du mal que tout le reste de Monsieur endura
par les eaux que ceux de Malines firent desborder en
1. Rimenant, sur les bords de la Dyle.
2. Lettres du duc d'Anjou à Olivier de Tempel, gouverneur de
Bruxelles, et aux États des Pays-Bas, 20 janvier 1583. Voyez le
contenu de ces lettres dans de Thou, liv. LXXVII.
3. Le soir même de sa fuite d'Anvers, le duc d'Anjou écrivit
une lettre au prince d'Orange pour se plaindre de l'agression des
habitants d'Anvers. Cette lettre est imprimée dans la Correspon-
dance du prince d'Orange, t. V, p. 78. Le sénat d'Anvers publia
plus tard une apologie.
4. Dixmuyden, sur l'Yperlée. — Dendermonde, au confluent de
la Dendre et de l'Escaut.
5. Armand de Gontaut-Biron, s. de Saint-Blancard. — Jean de
la Tour-Landry, comte de Ghàteauroux. — René de Senincourt,
s. de Sesseval. — Gédéon de Pons, baron du Vigean. — Claude
de Beauvilliers, comte de Saint-Agnan.
LTVRE DIXIÈME, CHAP. XXII. 347
ouvrant les escluses. Plusieurs furent noyez, et le duc
de Montpensier avec ses troupes n'eust peu eschapper
sans un paysan qui leur enseigna un gué.
Voilà Monsieur baffoué par les principaux des siens,
qui n'avoyent point trempé à l'entreprise, chassé de
sa conqueste, mocqué en France, en mespris aux
Espagnols et en horreur aux Estats.
La roine d'Angleterre, sur l'avis du prince d'Au-
ranges, despesche à Anvers pour travailler à sa récon-
ciliation^. Le roi, pour ce mesme efFect, y envoya
Mirambeau^, et quand et quand le prince d'Auranges
escrit un long discours sur l'utilité de ceste réconci-
liation^. Bellièvre y fut envoyé depuis*, si bien qu'ils
en vindrent à un traicté provisionnel, arresté le vingt-
huictiesme de mars^ : dont les principaux articles
1. La lettre de la reine d'Angleterre au prince d'Orange, datée
du 22 janvier 1583, est imprimée dans les Archives de la maison de
Nassau, de Groen van Prinsterer, t. VIII, p. 142, et la réponse
du Taciturne à la reine Elisabeth, du 14 février, dans le même
ouvrage, p. 157.
2. François de Pons, s. de Mirambeau, capitaine protestant,
eut audience du sénat d'Anvers le 7 février 1583.
3. Le prince d'Orange fit deux communications aux États géné-
raux au sujet du parti à prendre et spécialement au sujet de la
réconciliation avec le duc d'Anjou. La première leur fut présen-
tée le 27 janvier 1583 et est imprimée dans la Correspondance de
Guillaume le Taciturne, t. V, p. 302. La seconde communication
fut lue en langue flamande aux États le 7 février et a été publiée en
français, dans le même recueil, d'après une traduction autorisée,
p. 95. Le parti espagnol fit aussi une traduction du discours du
prince d'Orange et la publia {in-4'>, 1583) avec ung esclaircis sèment
très utile... très injurieux pour le prince d'Orange.
4. De Thou (liv. LXXVII) analyse les propositions présentées
au nom du roi par Pomponne de Bellièvre au sénat d'Anvers.
5. Le traité du duc d'Anjou et du sénat d'Anvers fut signé à
Termonde le 18 mars 1583, ratifié le 26 du même mois et publié
348 HISTOIRE UNIVERSELLE.
estoyent que Monsieur demeurera à Dunkerque pour
achever le traicté; que l'on conviendra de certains
lieux pour faire avancer l'armée, avec plus libre usage
de la religion catholique qu'il n'y avoit auparavant;
Dermonde sera remis ; pour les prisonniers, Monsieur
fera rendre à Paris ceux qui avoyent esté arrestez à la
nouvelle du malheur d'Anvers.
On fit mourir en mesme temps Cornille Hooghe*,
soi-disant bastard de l'empereur Charles, Pedro Dor-
dogno^, Espagnol, et Hans Hanssz^, riche marchand
de Flessingue; le premier, pour avoir tramé une
révolte; les autres deux, attenté sur la personne du
prince d'Auranges.
Sur telles desfaveurs du parti des Estats, l'Espagnol
receut Tndove* à composition des mains de Bonnivet^,
et puis Diest^, rendue par Toker"^ et Vesterloo^, où
commandoit Uliet; les deux gouverneurs repris pour
à Anvers le 2 avril suivant. Il est imprimé dans le Corps diploma-
tique de Dumont, t. V, p. 434.
1. Corneille Hooge, né à la Haye, était accusé d'avoir traité
avec le roi Philippe par le moyen d'un Frison, nommé Jean Rat-
taler, qu'il avait envoyé en Espagne.
2. Pierre Dordonno avoua être venu exprès d'Espagne pour
assassiner le prince d'Orange.
3. Jean Jansen avait tenté d'assassiner le prince d'Orange vers
la mi-avril 1584.
4. Prise d'Eindoven par le comte de Mansfeldt pour le prince
de Parme, 23 avril 1583.
5. Henri Goulïier de Bonnivet était maître de la place depuis
le 7 janvier 1583.
6. Prise de Diest par les Espagnols, mai 1583.
7. L'édition de 1618 nomme ce personnage Sohei. — Le colonel
Toecker était gouverneur de Diest.
8. Westerloo, dans le Brabant, sur la Nethe. — Prise de la
place par les Espagnols, 5 juin 1583.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXD. 349
avoir rendu légèrement, et puis encores Sichem et
Tongerloo; mais il tasta en vain Herental'. Le mares-
chal de Biron prit VierseP, où mourut le colomoel
La Garde, et de là saulta assiéger et prendre Woulde^,
à une lieue de Berg-op-Zon ; le capitaine italien * déca-
pité à Breda pour l'avoir rendue.
L'accord provisionnel ne pouvant ramener les cœurs
des Estais à Monsieur, il partit de Dunkerke le dixhuic-
tiesme de juin pour gagner la France ^, et ne fut pas si
tost deslogé que la ville fut investie par La Motte, gou-
verneur de Gravelines, qui n'y eut pas plutost présenté
quatre canons qu'elle lui fut rendue^ par Chamois'.
Le duc de Parme, qui pensoit venir au siège, tourna
vers Nieuport, qu'il eut aussi à bon marché^. Le prince
d'Aurange avoit mis ordre à Ostende, que le Parmezan
ayant trouvé trop ferme, il vint assiéger et emporter
d'effroy Furnes et Dixmuide^; delà*^, à Sainct-Wines
1. Siège d'Herenthals par le prince de Parme, juillet 1583.
2. Prise de Wierzel par le maréchal de Biron, avril 1583.
3. Siège et prise de Woude par le maréchal de Biron, 10 mai
1583.
4. De Thou dit que le château de "Woude appartenait au mar-
quis de Berghes et qu'il était défendu par 150 Italiens; mais il
ne fait pas connaître le nom du capitaine qui commandait la gar-
nison (liv. LXXVn).
5. Le duc d'Anjou arriva à Calais le 28 juin 1583.
6. Prise de Dunkerque par les Espagnols, 15 juin 1583.
7. Le duc d'Anjou, à son départ pour la France, avait laissé
le s. de Chamois à Dunkerque avec 500 fantassins.
8. La ville de Nieuport fut prise par le duc de Parme peu après
le 15 juin 1583.
9. Les villes de Furnes et de Dixmuyden furent prises par le duc
de Parme après le 15 juin 1583.
10. Var. de l'édit. de 1618 : o ... Dixmuide; de là à Berg et Sainct-
Winoc, où Villeneuve... »
350 HISTOIRE UNIVERSELLE.
de Berghen, où Villeneuve le fit démordre pour la pre-
mière fois, et puis la rendit avec permission de Mon-
sieur, moyennant trois mois de paye à son régiment • .
Cependant, l'armée espagnole séjourne devant Ypre,
ayant gagné le fort du Sas, Hulst et Axelé^.
Le prince d'Aurange se retire d'Anvers^, où on
grommeloit contre lui, pour avoir voulu restablir
Monsieur, et le mareschal de Biron, le vingt-septiesme
d'aoust, s'embarqua pour France, laissant la Flandres
en mauvais estât, comme il parut par la perte de Gand
et de Bruges, perdues en peu de temps, l'une par les
menées d'Imbise*, autresfois chassé de Gand et rap-
pelle par les partisans espagnols qui estoyent en la
ville. Les Gandois le firent leur bourgmaistre, souf-
frirent qu'il changeast tous les principaux officiers; et
puis, exhortez par ceux d'Anvers et de Bruxelles, firent
mourir des siens et puis lui-mesmes. Mais en fin, tous
les canaux qui arrivent à Gand estans retranchez et
garnis de forts qui furent blocquez, et ces blocus enfer-
mez encor d'un retranchement, si bien qu'il les falut
rendre ; tout cela tournant au profit du duc de Parme ;
ses partisans Gandois, après plusieurs mutineries, ayans
1. Prise de Bergues-Saint-Vinox, sur la Gome, par le prince
de Parme, mars 1583. M. le comte Kervyn de Lettenhove a publié,
dans les Huguenots et les Gueux (t. VI, p. 401, note), une curieuse
lettre sur la capitulation du régiment de Villeneuve, qui date
approximativement la prise de Bergues.
2. Prise d'Ypres, sur l'Yper, et des forts du Sas, d'Hulst et
d'Axelé, juin 1583.
3. Le prince d'Orange sortit d'Anvers le 21 juin 1583 et se
retira en Zélande.
4. Jean d'Imbyse, étant à la cour de l'Électeur palatin, avait
eu de secrètes intelligences avec les Espagnols par l'intermédiaire
de Jean Gropper (De Thou).
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXH. 351
temporisé jusqu'à la fin^ de septembre, lui firent rendre
la ville avec assez favorable composition-.
La seconde perte signalée fut de Bruges, où il arriva
que deux convois, le premier de deux cents hommes,
l'autre de huict cents, que ceux de la ville envoyoyent
à Ypre, furent defifaits, avec fort petite perte des Espa-
gnols^; dont avint que, Bruges manquant d'hommes,
il falut quitter Meenen; et ainsi, la campagne estant
espagnole, le prince de Chimai^, qui de long temps
machinoit son appoinctement, induisit le peuple, pre-
mièrement à refuser des garnisons qu'on leur envoyoit
de Zélande, et puis à quitter entièrement le parti des
Estats, et encor le pays d'autour^ et la ville de Dam^.
Ce prince, changeant de religion, fut abandonné de tous
les siens, et mesmes de sa femme ^, qui se retirèrent
à l'Escluse, où Junius fut envoyé pour s'opposer,
comme il fit, aux suasions du prince de Chimay.
i. L'édition de 1618 donne la date du commencement de sep-
tembre.
2. Prise de Gand par le prince de Parme, fin octobre 4583
(De Thou, liv. LXXVIU).
3. Prise d'Ypres par les Espagnols, 12 avril 1584 (De Thou,
Uv. LXXIX).
4. Charles de Groy, prince de Chimay, né au château de Beau-
mont le !«•■ juillet 1560, appartenait au parti catholique, mais il
embrassa la Réforme après son mariage (3 sept. 1580) et devint,
en juin 1583, gouverneur de Bruges. Il revint alors au parti
espagnol. Ce fut sa dernière évolution. Il resta fidèle à PhiUppe Et
et mourut le 13 janvier 1612 (Mémoires anonymes sur les troubles
des Pays-Bas, t. I, p. 241, note).
5. Réduction de Bruges à l'obéissance du roi d'Espagne, 20 mai
1584, d'après les Mémoires anonymes sur les Iroubles des Pays-Bas,
t. I, p. 242, note.
6. Dam m, à une lieue de Bruges.
7. Marie de Brimeu, comtesse de Meghem, veuve de Lancelot
de Berlaymont.
352 HISTOIRE UNIVERSELLE.
D'une autre part, Zutphen fut surpris de jour par
rintelligence d'un soldat de la ville, qui, ayant esté
abandonné en prison, promit à ses maistres de leur
faire saisir un corps de garde; sur quoi ils le laissèrent
aller, et exécuta ce qu'il avoit dit*. Deventer^, voisine
de là, fut bien tost incommodée par divers forts, les-
quels encor, estans biocquez, furent tellement circuis
des forces espagnoles que les assiégeants se rendirent
à composition.
Au commencement de l'année suivante, ceux des
Estats tastèrent Zutphen 3, mais l'assiégèrent au mois
de mai de plus près, estans fortifiez par les bandes
qu'Henri de Brunsvich* amenoit de la guerre de Gou-
longne. Lors Verdugo, qui ne vouloit pas laisser
perdre Taxis ^, assiégé dans la ville, ayant joint Man-
riquez et le comte d'Aremberg^, fit lever le siège'
d'effroi. Le Parmezan, méditant ce qu'il appelloit le
grand œuvre (c'estoit Anvers), attacqua en mesme
temps, du costé de la Flandres, Liefkenstronck, par
le vicomte de Gand, qui, après un assaut, repoussé
par les feux qu'il fit jetter à la bresche, l'emporta de
1. Surprise de Zutphen par les Espagnols, 23 septembre 1583.
2. De venter, au confluent de l'Yssel et de la Schipbeck.
3. Philippe de Marnix, s. de Sainte-Aldegonde, assiégea Zut-
phen au mois de septembre 1584.
4. Henri de Brunswick, troisième fils d'Ernest, duc de Lune-
bourg, né le 4 juin 1533, mort le 17 janvier 1598.
5. Jean-Baptiste de Tassis, chevalier de Saint-Jacques, conseil-
ler et gentilhomme de la maison du roi, surintendant général des
vivres, serviteur fidèle du roi d'Espagne.
6. Charles de Ligne, comte puis prince d'Arenberg, un des lieu-
tenants du prince de Parme.
7. Levée du siège de Zutphen, septembre 1584.
LTVRE DIXIÈME, CHAP. XXII. 353
force, fit tout tuer et de sa main poignarda des prin-
cipaux, comme on les lui amenoit*.
De l'autre costé de la rivière fut assiégé le fort de
rislô*, que ceux d'Anvers emplirent de leurs meilleurs
hommes. Puis y mirent Teligni^, fils de La Noue; et
le capitaine Gau, gascon'^, avec sa compagnie, en def-
fit cinq à la première sortie. Le colomnel Balfour^ se
jetta aussi dans ce siège, qui, à une sortie, prit des
prisonniers, desquels les assiégez apprirent par où on
les vouloit miner et battre ; dont avint qu'eux-mesmes
eurent une mine preste à l'endroit de la bresche. Mais,
pour y avoir mis le feu trop tost, ils firent sauter
trente de leurs meilleurs hommes.
Les Espagnols, ayans bien recognu la force de ceste
place, après trois sepmaines de siège, la quittèrent,
se contentans de semer la rivière et le pays de quelques
forts. Ceux qui avoyent défendu l'Islo se mutinèrent
pour leur non-payement, chassèrent Teligni leur chef
et contraignirent ceux d'Anvers à leur payement, de
peur qu'ils ne livrassent le fort^.
Comme Anvers et les autres villes commençoyent
à appréhender leur mauvaise condition, leur arriva
la mort du prince d'Oranges, tué le dixième de juillet
1. Prise de Liefkenshoeck, sur l'Escaut, par Robert de Melun,
marquis de Roubaix, capitaine espagnol, 10 juillet 1584.
2. Le fort de Lillo, sur l'Escaut, près d'Anvers.
3. Odet de la Noue, s. de Téligny, Ois de François de la Noue,
capitaine et poète, mort en août 1618.
4. Var. de l'édit. de 1618 : « ... capitaine Gau, gasain, avec sa
compagnie... »
5. Jacques Balfour, jurisconsulte écossais, membre du conseil
privé de la reine en 1565, mort en 1583.
6. Sur le siège de Lillo par les Espagnols, voyez de Thou,
liv. LXXX.
VI 23
354 HISTOIRE UNIVERSELLE.
à Delf, OÙ il demeuroit depuis un an, par un Baltha-
zard Girard \ haut Bourguignon; lequel, s'estant fait
cognoistre et faisant semblant de vouloir faire signer
un passeport, donna un coup de pistolet au prince
dans l'estoinach. Ses dernières paroles furent : « Mon
Dieu, aye pitié de mon âme et de ce pauvre peuple! »
Ainsi mourut^ ce grand homme de guerre et d'Es-
tat, qui, ayant esté grand instrument des victoires de
Charles le Quint, donna le bransle à la liberté de sa
patrie.
L'histoire des Pays-Bas descrit les confessions et le
supphce du criminel; par où il parut qu'Assonville^
avoit esté chargé du duc de Parme pour mesnager cet
affaire, auquel il fut conforté par un Jésuite de Trêves^
qui lui promit qu'il seroit au catalogue des saincts
martyrs.
Le prince d'Oranges avoit depuis peu espousé la
vefve de Teligny^, de laquelle est nay le comte Henri
Federic^.
1. Balthazar Gérard, né à Villefaus dans la Franche-Comté,
était au service de M' Pierre Loiseleur, dit de Villiers, ministre
protestant.
2. Assassinat du prince d'Orange, 10 juillet 1584. M. Gachard
a publié dans la Correspondance de Guillaume le Taciturne (t. VI,
p. 3 et suiv.) un grand nombre de pièces, mémoires, lettres et
relations relatives à la mort de ce prince.
3. Christophe d'Assonville était le chef du conseil du prince de
Parme.
4. Les conférences de Balthazar Gérard avec le jésuite de
Trêves avaient eu lieu, dit de Thou, au mois de mars précédent
(liv. LXXIX). .
5. Louise de Coligny, veuve de Charles de Téligny, quatrième
femme du prince d'Orange.
6. Henri-Frédéric de Nassau, fils de Guillaume de Nassau et
de Louise de Coligny, sa quatrième femme, né le 28 février 1584,
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXII. 355
Les Estais esleurent promptement le prince Mau-
rice S son second fils, pour capitaine général; élection
qui a réussi, comme nous verrons.
Sur ceste mort, le duc de Parme assiégea Rure-
monde^, où la capitulation^ fut faussée par la mort
des deux ministres, chose qui n'est guères arrivée à
ce prince. Il receut aussi Willev^rorde*. Par ce moyen,
Bruxelles demeurant sans navigation, ce fut aux Estais
à despescher en France^ et en Angleterre, d'où ils
n'eurent que des promesses générales. Leurs des-
pesches se firent de Delf, où ils estoyent assemblez.
Des Pruneaux^' y fut de la part du roi. Il y vint aussi
un ambassadeur, de la part de deux évesques électeurs,
mais ils le chassèrent, disants : « Qu'ils avoyent assez
d'espions sans lui. »
mort le 14 mars 1647. — L'édition de 1618 ne donne pas le pré-
nom de ce prince.
1. Maurice de Nassau, prince d'Orange, fils de Guillaume le
Taciturne, né à Dillembourg en 1567, était élève de l'université
de Leyde lorsque son père fut assassiné. Malgré son jeune âge,
il prit en main le gouvernement des Provinces-Unies et tint tête,
avec de faibles ressources, à toute la puissance espagnole pendant
plus de trente ans. Maurice fut un des plus grands généraux de
son siècle et mériterait tous les éloges si la fin de sa vie avait été
marquée par autant de modération que ses débuts. Il mourut à
la Haye, victorieux de ses ennemis, le 23 avril 1625.
2. Aubigné confond ici Ruremonde et Dendermonde. La ville de
Dendermonde fut assiégée par les Espagnols le 10 août 1584. —
Var. de l'édit. de 1618 : « ... assiégea Lobek, où la capitulation... »
3. La capitulation de Dendermonde fut signée le 17 août 1584.
4. Prise de Wilvorde par les Espagnols, 7 septembre 1584.
5. L'ambassade des Pays-Bas, dont le prince d'Epinoy était le
chef, partit de la Brille, au commencement de janvier 1585, et
arriva à Senlis dans le même mois, où elle attendit Henri IIL
6. Roch des Sorbiers, s. des Pruneaux, autrefois conseiller
intime du duc d'Anjou.
356 HISTOIRE UNIVERSELLE.
Nous sommes au siège d'Anvers, pour le commen-
cement duquel la rivière fut bordée de quatre-vingts
pièces de gros canon et quarante bastardes ' ; cela sous
la tutelle de divers forts. Les navires de Zélande ne
laissans pas de passer avec quelques risques, le duc
pressa la rivière par d'autres forts des deux costez.
Les ennemis en maintenoyent d'autres, notamment
ceux d'Austerveel et de Thoulouze, pour les foudroyer.
Ceux d'Anvers édifièrent un chasteau flottant, qui
fut nommé Fin de guerre. Les parapets en estoyent
espais de cinq pieds, et ceux de quatre petits boule-
vards de dix; les hunes, à preuve du mousquet. Il y
avoit dedans quarante canons de grosse batterie et
autre menue artillerie; pour garnison, cinq cents
mousquetaires. Geste lourde pièce, de grand coust, se
perdit à son premier exploit, demeurant assablée et
sur le costé, près des forts ennemis-; si bien que ceux
d'Anvers eurent à grand gain d'en sauver l'artillerie,
avec leurs autres vaisseaux. Ils eurent recours à per-
cer la digue au-dessus du Burcht^, pour noyer l'envi-
ron de Caloo*. Mais, faute d'avoir laissé garde au
pertuis, comme depuis ils y firent le fort de Teligni,
mais trop tard, le duc fit passer grand'quantité de
pleites, qui venoyent de Gand, et tout l'équippage du
pont, qu'il machinoit faire pour passer Gordan ^, à
Baloo ; et cela à deux fins, l'une pour oster le secours
1. Commencement du siège d'Anvers par le duc de Parme,
septembre 1584.
2. Ces détails techniques sont tirés de de Thou (liv. LXXX).
3. Brucht, dans la Flandre orientale, près de Saint-Nicolas.
4. Galloo, dans le Waës, sur l'Escaut.
5. Le capitaine Gordon, Écossais, fut tué au combat d'Austrewel.
— Var. de l'édit. de 1618 : « ... pour passer d'Haorden à Galoo... »
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXH. 357
de Zélande et aussi afin qu'une partie de l'armée peust
secourir l'autre.
Dès lors commença la rumeur d'Anvers, pour
demander la reddition. Mais Saincte-Aldegonde, ayant
rallié les plus fermes, harangua, sans oublier le rude
traittement que recevoyent desjà ceux de Gand, et
puis fit mettre cinquante -quatre prisonniers, qui
avoyent osé présenter requeste pour la capitulation.
En peu de temps le prince acheva son pont^ , duquel
au commencement il ne fit lier les pleites qu'avec des
cables, dont avint que sept ou huict petits garçons,
sur le point de la marée, allèrent de nuict scier les
cables : ce qui fit que huict ou neuf batteaux du pont
furent emportez jusques à Anvers. Gela fut bientost
raccoustré.
Les Anglois, qui estoyent logez au fauxbourg de
Burgerhout^, se desroboyent par troupes pour aller
trouver le duc, qui les recevoit avec présents.
Teligni, allant vers Gonvestein pour une entreprise
de percer la digue (ce que les bouchers de la ville
empeschèrent mal à propos), fut pris^, et, ce jour
mesme, un espion, que le prince renvoya à Anvers,
lui donnant la vie pour raconter ce qu'il avoit veu.
Encor falut-il que ceste ville eust soin de Bruxelles.
Mais deux de leurs convois furent defifaicts et les Bru-
1. Les Espagnols terminèrent le pont sur l'Escaut en mars 1585.
Ils l'avaient commencé en octobre 1584. Voyez la description du
pont dans de Thou, liv. LXXXIII.
2. Borgherout. Cette place fut prise un peu plus tard par les
Espagnols, juin 1585.
3. Odet de la Noue, s. de Téligny, fut pris et emmené prison-
nier à Tournai par Gaspard de Robles, s. de Billy.
358 HISTOIRE UNIVERSELLE.
xellois réduits à telle faim que, peu de jours après,
ils composèrent* presques comme ceux de Gand.
En Frise, Niewenoort s'empara d'Auterdom^, sur
la rivière d'Ems. Verdugo, qui l'avoit voulu fortifier,
l'assiégea en vain.
De ce temps fut l'entreprise^ de Bois-le-Duc par le
comte d'Hohenloo. Cinquante hommes s'estoyent cou-
lez entre le tappecul et le pont-levis, lesquels, ayans
au poinct du jour surpris ceux qui vouloyent faire la
descouverte, saisirent le corps de garde et firent entrer
le comte, qui ne faillit pas de laisser quarante hommes
sur la porte, pour favoriser l'entrée de toutes les
forces. Ces quarante, ayans laissé pour mort un vieil-
lard qui gardoit la herse, quittèrent leur place pour
aller prendre leur part du pillage.
Le soir d'auparavant s'estoit retiré dans la ville une
compagnie de chevaux-légers, et quelques arquebu-
ziers employez pour un convoi. Ces gens, voulans par-
tir au poinct du jour, se trouvèrent le cul sur la selle
comme on prenoit la ville. Ils courent à l'alarme. Les
gens du comte, qui estoyent desjà à la place, voyent
venir à eux quarante lances. Pource qu'ils sçavoyent
bien que la ville estoit sans garnison, ils prennent cela
pour une attrape. Ce fut à sauve qui peut, et le vieil-
lard demi-mort abbattit la herse et reprit vie, pour
la faire perdre à plus de trois cents hommes. Le comte
1. Le duc de Parme se rendit maître de Bruxelles le 13 mars
1585. De Thou a rapporté les conditions du traité (liv. LXXXIII).
2. Prise d'Ordam par Nienvort, commencement de mai 1585.
3. Coup de main du comte d'Hohenlohe sur Bois-le-Duc, 19 jan-
vier 1585, à la persuasion de Julien de Gleerhage, officier dans
le régiment d'Iselstein.
LIVRE DIXIEME, CHAP. XXII. 359
et l'amiral de Hollande^ se sauvèrent avec grandes
difficultez.
Cependant que ceux d'Anvers travailloyent, les uns
pour la capitulation, les autres à l'empescher, par
harangue, sermens et rigueurs, le pont estant bien
parfaict sur trente et un bateaux, liez avec ancres,
tout si commodément que les chevaux et l'artillerie
pouvoyent passer, il le falut armer d'une haison de
masts de navires, défendus encor de plusieurs paux,
que les Italiens appellent Stecchi; et de là ceste ceinc-
ture fut appellée Steccata et non pas VEstocquade,
qu'ont escrit les Flamens, par le mesme erreur qui a
fait donner ce nom aux duels.
Ceux d'Anvers, par l'invention de Saincte-Alde-
gonde, firent, dedans un grand navire, comme une
cave voûtée de briques'^. Et cela encores environné
de plusieurs meules de moulin et pierres pesantes;
tout cela bien farci de poudres avec quelques pertuis,
pour faire tomber des mesches, quand elles auroyent
bruslé l'attache de filet. Il fut mis à la Drive le qua-
triesme d'avril^. Et, par le moyen d'un grand bois,
servant de gouvernail lié, ceste machine alla briser le
pont et la stecade, ne se contenta pas de mettre tout
en pièces, alla tuer dedans les deux forts, des deux
costez et sur la rive, de sept à huict cents hommes;
1. Justin de Nassau, fils naturel de Guillaume de Nassau,
prince d'Orange.
2. Philippe de Marnix, s. de Sainte-Aldegonde, confia le soin
de cette construction à Frédéric Jenibelli, de Mantoue.
3. Cette date est empruntée à de Thou, qui fait une descrip-
tion détaillée de la machine de guerre des défenseurs d'Anvers
(liv. LXXXUI).
360 HISTOIUE UNIVERSELLE.
entr'iceux le vicomte de Gand, Gaspar Robles^, et Tor-
chies, capitaines signalez ; ces deux premiers appeliez
bourreaux par les soldats.
A l'efifroi de ce coup, les Holandois et Zélandois
emportèrent les forts de Liefkenshoëk et du Doël ^ ; le
capitaine du premier puni de mort par le duc à cause
de sa lascheté. Ceux d'Anvers n'entreprirent rien sur
cet estonnement. On dit qu'ils eussent fait merveilles,
en prenant l'occasion. Là-dessus, ils reçoivent nou-
velles comment Nieumeghe, gardée par les deux reli-
gions, s'estoit prise elle-mesme et donnée à l'Espagnol,
comme aussi Nievembeech en Frise et Doesbourg sur
YsseP.
La Frise estoit gourmandée à tour de roolle par
Verdugo, qui se saisit de Recterlem et Ruiemberg et
emporta par composition Schulembourg *, et cepen-
dant Guillaume de Nassau en assiégea et prit d'autres,
et notamment Slykembourg^
Je ne vous dirai plus que la reddition de Malines^,
presque pareille aux autres, avant que d'achever le
faict d'Anvers, à qui toutes choses succédoyent de
mal en pis, comme de seize pleites accommodées pour
porter le feu au pont, et les stecades refaictes, cinq
navires qui estoyent en garde au-devant, comme aussi
1. Gaspard de Robles, s. de Billy.
2. Prise des forts de Liefkenshoeck et du Doël, 3 avril 1585.
3. Prise de Nimègue, Nievembeeck et Duysbourg par les Espa-
gnols, fin janvier 1585.
4. François Verdugo s'empara de Reichteren, de Ruytemberg
et de Schuylembourg à la fin de mai 1585.
5. Prise du fort de Slykembourg, entre Kuynder et Steenwyck,
par Guillaume de Nassau, 23 mai 1585.
6. Malines se rendit aux Espagnols le 18 juin 1585.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXD. 361
des autres navires, pour le mesme efifect, desquels
mesmes ils eurent la poudre.
Or, pource que les réformez avoyent esté une fois
repoussez, en pensant percer la digue à Convestein^,
les Holandois et Zélandois, qui avoyent perdu quelques
navires à feu, qu'ils vouloyent aussi faire monter à la
marée, donnèrent au poinct du jour avec cent trente
vaisseaux, et firent une si furieuse batterie, à fleur de
la digue, qu'ils la firent quitter, ensemble les ridotes
aux Espagnols^. Gela faict, mettent pied à terre, for-
tifient les deux costez à double retranchement, l'un
pour couvrir les pionniers qui faisoyent le principal.
Ils eurent quand et quand les Espagnols sur les bras,
qu'ils arrestèrent sur le cul, si bien qu'en trois heures
ils eurent fait passage à leurs batteaux pour porter
du bled dans Anvers.
Le duc de Parme, trouvant ses gens refroidis, pour
la quantité d'hommes qui estoyent morts en ceste
petite bataille, et entre ceux-là Pedro de Padille^, fut
secouru par Charles de Mansfeld; lequel, repoussé par
deux fois, l'emporta à la troisiesme par la ruine que
trois canons lui firent, et cela en donnant avantage
aux bandes allemandes sur les espagnoles. Là, ceux
qui, de la digue, s'estoyent sauvez dans les navires,
firent leur retraicte si à regret que trente de leurs
navires, desgarnis comme ils peurent, y demeurèrent.
1. Entreprise de Philippe, comte de Hohenlohe, et du colonel
Iselstein sur le fort de Conwenstein, 7 mai 1585.
2. Les troupes de Hollande et de Zélande attaquèrent le fort de
Conwenstein le 26 mai 1585. De Thou (liv. LXXXIII) donne
de nombreux détails sur ce combat.
3. De Thou le nomme Simon de Padilla.
362 HISTOIRE UNIVERSELLE.
Ce combat cousta aux uns et aux autres 1 ,500 hommes.
Le lendemain, ceux de la ville perdirent encores un
grand batteau et trois galères, pource que le prince,
ayant esté averti, y envoya Mansfeld et ses meilleurs
navires. Un autre dessein de Zélande, avec de grandes
hourques toutes rompues, vint à rien par faute de vent.
Ces assiégez receurent froidement une autre grande
invention pour brusler le pont; et puis, en mesme
temps, sachant la desroute du comte de Meurs^, attiré
par Taxis en une embuscade, où il avoit perdu quatre
cornettes et quatre cents hommes de pied, voyant
aussitost encores le fauxbourg de Burgerhout^ et plu-
sieurs forts et retranchements, qui estoyent dedans,
emportez à bon marché, sachans aussi, en mesme
temps, deux compagnies de Malines battues à la cam-
pagne et puis la ville rendue, après avoir encor' essayé
quelques navires foudroyans, que ceux du pont lais-
sèrent passer; enfin, le 23 de juillet, ils entrèrent en
un traicté^ qui dura jusques au 17 d'aoust. Et, dix
i . Adolphe de Newenar, comte de Meurs et d'Alpen.
2. Prise de Borgherhout par les Espagnols, juin 1585.
3. Le 6 juillet 1585, le conseil de la ville d'Anvers autorise les
négociations de Marnix de Sainte-Aldegonde avec le prince de
Parme. Le 9, Marnix et les autres députés sont reçus au camp
espagnol et ouvrent des négociations qui n'amènent aucun résul-
tat. Le 23 juillet, elles sont reprises. Le 10 août, le conseil donne
à Marnix les pouvoirs nécessaires pour capituler. Le 12, Marnix
retourne au camp du prince de Parme. Le 17, il signe l'acte de
capitulation. Le 27 août, le général espagnol fait une entrée solen-
nelle à Anvers. Telles sont les péripéties de cet événement d'après
les témoignages originaux. Nous devons ajouter que la faiblesse
de la défense, surtout dans les derniers jours du siège, a été repro-
chée à Marnix de Sainte-Aldegonde comme une trahison. L'acte
de capitulation d'Anvers a été imprimé dans les Mémoires de la
Ligue, t. I, p. 201.
LIVRE DIXIÈME, CHAP. XXII. 363
jours après, le duc de Parme fit son entrée en Ja ville^;
où, se rencontrant La Noue, qui venoit d'estre déli-
vré pour le duc d'Egmont^, comme le prisonnier eut
dit : < Je vous conseille de combler ici vos victoires
et de pendre vostre espée au croc, » le prince res-
pondit : « Vous dites vrai. Monsieur de la Noue, mes
amis et moi en disons autant ; mais le service du roi,
à qui je suis engagé, ne me permet de choisir. >
La Noue avoit esté pris à Engelmontier^ à une ren-
contre fortuite, où, selon sa coustume, il aima mieux
estre prisonnier que fuyard ; ce fut l'an 1 580 ; d'où il
sortit au bout de cinq ans'*, avec promesse de ne faire
la guerre au Pays-Bas, pleigée par le duc de Lorraine^
et c^ntrepleigée par le roi de Navarre.
1. De Thou décrit les préparatifs de réception du prince de
Parme à Anvers (liv. LXXXIH).
2. Philippe, comte d'Egmont, avait été pris à Ninove par Fran-
çois de la Noue, le 20 mars 1580, et amené prisonnier d'abord
à Gand, puis au fort de Rammekens, en Zélande (De Thou,
Uv. LXXI).
S.'François de la Noue avait été pris à Ingelmunster, sur le Man-
delbeke, le 10 mai 1580, par Pierre de Melun, marquis de Riche-
bourg, et amené prisonnier au château de Limbourg. Traité
d'abord en espion, il n'obtint les égards dus à un prisonnier de
guerre que sur une déclaration particuUère du duc d'Anjou.
Cette déclaration, datée du 20 mai, est conservée aux Archives
nationales, K 1558, n» 128.
4. L'accord passé entre François de la Noue et le prince de
Parme, à la suite duquel La Noue fut mis en liberté, est daté du
28 juin 1585 et imprimé dans la Correspondance de François de la
Noue, in-8°, 1854, p. 233.
5. Une lettre du duc de Lorraine au roi de France, datée de
Nancy du 9 septembre 1585, énumère et explique ces conditions
(Orig., Vc de Golbert, vol. 9, f. 318).
364 HISTOIRE UmVERSELLE.
Chapitre XXIII.
DE L'ÉDICT DE JUILLET.
Première paix avec les Liguez.
Sans enfler nostre ouvrage du style des édicts, nous
nous contenterons que, par celui de juillet*, première-
ment : tous autres édicts, de quelque sorte qu'ils soyent,
donnez en faveur des réformez, sont entièrement révo-
quez et annuliez; et cela après un narré, duquel le
style estoit plus à l'apparence qu'à faire foi.
Commandement à tous ministres, docteurs et pré-
dicateurs de ladite religion de vuider promptement
le royaume sur peine de mort.
A tous autres de ladite religion d'en venir faire
abnégation dans six mois et profession ouverte de la
catholique ou bien dans ledict temps sortir hors toutes
les terres de l'obéyssance du roi, avec un ordre exprès
pour les perquisitions et poursuittes, tant par la jus-
tice ordinaire que prévosts des mareschaux.
Les armées des Lorrains, leurs commissions et
exploits de guerre avouez et validez, comme ayant
esté toutes leurs levées faites pour le pur service du
roi; à la charge, toutesfois, qu'ils poseront les armes
partout, le mesme jour de la publication, et qu'ils se
départiront de toutes ligues et associations, tant dehors
le royaume que dedans.
1. L'édit de juillet 1585, signé par le roi après le traité de la
reine avec les ligueurs, dit traité de Nemours, est publié par Fon-
tanon, t. IV, p. 343. Voyez les notes du chap. xu de ce livre.
LIVRE DIXIÈME, GHAP. XXHI. . 365
Voilà des clauses tant inespérées aux réformez que,
comme ils s'estoyent fomentez de bonne espérance,
se vantans partout qu'ils parleroyent comme les ser-
gens de par le roi, chacun s'estant promis, en une
paix asseurée, ou un repos ou une guerre sans les
incommoditez huguenotes, les esprits n'ayans point
pris leur résolution à quitter bien et familles, comme
de coustume. Ce coup non attendu et bientost redou-
blé par un second édict\ qui accourcissoit les termes
de moitié, donna un tel effroi par toutes les parts
du royaume qu'il fit aller à la messe trois fois plus
de refformez que n'avoit faict la Sainct-Barthélemi.
Les gens de guerre, qui s'estoyent meslez dans les
bandes catholiques, furent bien contens d'y garder
leurs places et faire la guerre à leurs compagnons.
Le roi de Navarre, voyant son cousin qui jouoit le
personnage du mauvais hors de France, perdit le ris
de son désastre ^ pour le fardeau qui lui demeuroit
sur la teste ; la rigueur de l'édict se prattiquant plus
exactement par ses voisins de Bourdeaux ^ qu'en nul
autre lieu. Ce fut là où les Jésuites dressèrent la forme
d'abjuration que nous avons alléguée au second livre
du premier tome.
Les Rochelois se virent le desbris de leurs restes
venir crier à la faim dans leurs fossez, n'y ayant dans
le Poictou aucun poulce de terre tenu par leur parti.
Les nouvelles d'Allemagne et des refformez, entiè-
1. Ce second édit est analysé dans le Journal de L'Estoile sous
la date du 16 octobre 1585.
2. Allusion à la déroute du prince de Condé à Angers. Voyez
ci-dessus, chap. xv.
3. Le parlement de Bordeaux.
366 HISTOIRE UNIVERSELLE.
rement chassez de l'arche vesché de Colongne, et puis
toutes les misères que nous avons dépeinctes au Pays-
Bas ; tant de villes excellentes et presques toute la terre
ferme perdue; leur chef assassiné, et, qui arrachoit
plus d'espérance que tout, un grand naufrage des cou-
rages et volontez; tout cela réduisit ce parti en une
si ruineuse consternation que, sans tourner les succès
en miracles desquels doit estre sobre l'historien, tous
les gentils esprits, et qui ont le palais bon pour la
lecture, doivent se préparer avec plaisir pour voir
remonter les abattus du précipice, refleurir les vertus
opprimées et monstrer en l'inconstance de fortune,
ainsi qu'on l'appelle, qu'elle est constante en sa pro-
fession.
LIVRE DIXIÈME. 367
Attache aux deux premiers tomes* de V Histoire
universelle.
Vous avez, mes lecteurs, en ces deux tomes fort
petits, une histoire fleurissante de tant de mouvemens
et de variétez que les plus impatiens esprits accuse-
ront ma brièveté, quoi qu'en faveur d'elle je n'aye re-
tranché aucune pièce qui appartînt à l'ouvrage, conuiie
j'ai peu estimer. Peut-estre que les clauses, entées
l'une dans l'autre pour rendre le style plus concis,
contraindront un œil courant de rebrousser chemin.
Mais j'obtiendrai mon pardon quand, en desnouant le
nœud, on y trouvera quelques perles ou quelque fruict
oublié.
La distinction et l'haleine que nous prenons avant
le troisiesme tome sont ordonnées sur les raisons qui
s'ensuivent.
Premièrement, il a esté bon de s'accommoder à la
pluspart des François qui, pour avoir oublié les trois
premières, et peu ou point senti celles du second tome,
ne datent leurs troubles que des barricades^, quoiqu'à
ce poinct les provinces occidentales du royaume, sans
jouir de repos, ayent senti diminuer leurs travaux.
Secondement, nous trouvons une face nouvelle d'af-
faires, lors que le roi se rendit par force ennemi des
Bourbons et des réformez, et, se couchant de peur
1. Avec le chapitre précédent se termine le tome II des deux
éditions de l'Histoire universelle de 1618 et de 1626.
2. La Journée des barricades (12 mai 1588), que d'Aubigné
racontera dans le volume suivant, inaugure en effet la guerre
ouverte que la Liigue fit au roi.
368 HISTOIRE UNIVERSELLE.
d'estre abbatu, se fit chef de ses ennemis pour donner
par le dedans le premier bransle à leur destruction.
Ce fut aussi un estât nouveau, quand la ligue formée
monstra ses cornes, en desployant ses tiltres et ses
forces armées, à cru de toutes les functions et autori-
tez d'un parti, pour nous fournir une guerre de plus
d'estendue, saignante de plus d'endroits, encor plus
hérissée de combats, de surprises, d'infidélitez et, à
la fin, de laschetez d'une part, et, de l'autre, de félici-
tez sans mesure au roi qui conquéroit le sien.
J'ose adjouster que ce prince, ayant perdu sur ce
besoin son désir des choses petites, affriandé au tra-
vail par la beauté de sa besongne, ou vestit une nou-
velle hautesse de cœur, ou la desploya encores mieux
qu'auparavant.
C'est ici que tous les voisins ont les mains au sein,
pource que nous allons fournir de théâtre et de per-
sonnages à ravir leurs regards et leurs pensées vers
nous, horsmis le Septentrion d'où nous verrons esclorre
et espanouir un Orient cramoisi, plein d'esclairs, qui
produira ses orages violents.
Nous trouvons là un chef nouveau, une forme nou-
velle et des succès de guerre, auxquels la fortune a
trouvé ses maistres, qui lui ont fait souffrir quelques
reigles de la vertu ; cinquiesme raison que nous appor-
tons, pour là distinguer nos fureurs sans loi d'avec
les valeurs bien employées, les brigands des soldats,
et les troubles de populace d'avec la vraye milice,
qui donne à sa guerre et à ses capitaines un nom hono-
rable et bien acquis.
En ce discours destaché de mon histoire, franc de
la loi, qui me défendoit les avis de louange et de
LIVRE DIXIÈME. 369
blasme, je me permets de rendre l'Iionneur deu à celui
qui l'a restauré, rendu son nom plein d'effect et en
son ancienne splendeur. C'est le comte Maurice de
Nassau^., très excellent fils d'un incomparable père,
son héritier en l'amour de Dieu, protection de sa
patrie, prudence et valeur sans mesure, grâces natu-
relles et sciences acquises, héritier encores des amitiez
et des haines, fardeaux et desseins paternels, marques
de la grâce, qui, pour ces causes, selon sa promesse,
a prolongé les jours d'un tel fils sur la terre, parmi
tant d'assassins et les périls de tant de combats.
Ses vertus naturelles et sciences acquises ont esté
bien nécessaires pour inventer, oser et parfaire une
face nouvelle au mestier des armes, rendre nos soldats
autres qu'eux-mesmes, les remettre à l'A B G de leurs
pas et paroles, et, qui estoit le plus difficile, leur faire
oublier tout ce qu'ils sçavoyent. Car, nous lui avons
envoyé de France, d'Angleterre et d'Allemagne des
hommes endurcis au brigandage et aux rebellions
contre leurs chefs, qui n'estimoyent avoir gibbier que
les paysans leurs nourrissiers, desquels ils faisoyent les
quintaines de leurs umanitez, qui sans honte abandon-
noyent les armées et leurs enseignes à la veille d'un
combat, et qui en un mot devoyent avoir pour titre :
Espouvantaux des hostes et jouets des ennemis.
Il nous les a renvoyez, maistres et docteurs de
nostre jeunesse, confirmez en leur théorie, par essais
et victoires prattiquées en toutes façons ; circonstances
remarquables, que nos bisongnes^ n'ont pas appris
1. Maurice de Nassau. Voyez les notes du chapitre xxii.
2. Bisongnes, recrue, de l'espagnol bisoho.
VI 24
370 HISTOIRE UNIVERSELLE.
ces leçons dures et malaisées dans le repos où se
façonnent les Terses* d'Italie; mais tel ordre, plus
désiré qu'espéré, a esté appris et esprouvé tout d'un
temps dedans l'eschole fumeuse des sièges et combats.
L'envie des rois, princes et capitaines généraux
environna de traverses une si haute entreprise, comme
jettans les serpents sur le berceau d'Hercule. Nous
avons veu plusieurs années nos courtisans, juges de
tout, exécuteurs de rien, entretenir les licts et les
tables des rois de fades plaisanteries aux despens des
termes qu'ils appelloyent pœdantesques et nouveaux.
Le dernier mareschal de Biron, craignant que sa
témérité fust autre que brutale, ne vouloit pas que le
mot de discipline sortist de la bouche d'un capitaine.
Fresques tous les François disoyent que sans tout
ce manège ils savoyent bien se battre, et, quand ils
eussent adjousté voire se deffaire, ils n'eussent pas
menti.
Un jour, le sieur de la Noue, voyant contrefaire les
controverses du comte Maurice et de son cousin Guil-
laume de Nassau, qui a la seconde part en la gloire
que je décris, oyant mespriser ces petites armées de
plomb, par lesquelles ces deux chefs d'armées^ pre-
noyent les modelles de celles que depuis ils ont afron-
tées à Nieuport et ailleurs ; cet homme, outré de cho-
lère, me tira par la cappe, ne pouvant souffrir diffamer
ce qu'on a depuis tant estimé. Encores, avons-nous
veu les capitaines de picorée et de pétrinsaux à ce
i. Terces, régiments, de l'italien tercio.
2. Var. de l'édit. de 1618 : « ... par lesquelles ces deux capitaines
prenoyent... »
LIVRE DIXIÈME. 371
poinct de brutalité que, quand nous osasmes faire por-
ter des picques en nos régiments, ils appelloyent nos
soldats abbateurs de noix. Il falut^ imposer à telles
gens silence de la main et aux grands qui s'y ameu-
toyent monstrer leur faute par l'expérience.
Enfin, ces restaurateurs de l'honneur ont vaincu et
emporté pour avoir sagement commencé et constam-
ment poursuivi ; si que nul prince n'estime plus aucun
digne de commandement qui n'ait fait son apprentis-
sage en Holande; et le duc d'Espernon, colomnel de
France, après avoir longtemps déclamé contre la nou-
veauté, a souffert que ses vétérans se soyent enfin faicts
tyrons^ des moindres des Pays-Bas.
Henri le Grand a couronné ses expériences et gran-
deurs de l'amour de cet ordre, donné le gantelet au
restaurateur et prononcé de sa bouche que : < Nous
avions plus combattu que les Holandois et eux mieux
fait la guerre que nous. » J'eusse voulu : « eux fait la
guerre et non pas nous. »
Je m'estonne que nos faiseurs de panégyrics, ou,
pour le moins, quelqu'un d'eux, n'a pris ce sujet véri-
table pour exercer leurs styles fleuris au lieu des
louanges prophétiques, par lesquelles ils exaltent leur
bien dire et diffament les grands, sur les louanges des-
quels il faut estre historien de l'avenir. Et bien sou-
vent qui s'enfle de paroles bien agencées à la louange
d'autrui, monstrant sans estofïe beaucoup de façon,
cerche sa gloire au mespris de son sujet.
Les capitaines holandois sont remarquables en leur
1. Cette phrase manque à Tédition de 1618.
2. Tyrons, apprentis, élèves.
37SI HISTOIKE UNIVERSELLE.
sçavoir, pour avoir sçeu conoistre un pays maritime
avec une avantageuse situation ; un peuple que les
persécutions avoyent poussé presques trop tard à la
résolution des labeurs non cerchez mais imposez par
force, à qui le désespoir avoit donné les armes, unis par
les intérests, reliez par la religion. Ceux-là, d'agneaux
devenus lyons, de marchands capitaines, de chiches
libéraux, d'esclaves souverains, doivent la merveille
de la délivrance à l'extrême misère et rien à la gayeté
de cœur.
Il s'est présenté en trente ans aux rois de France
et d'Angleterre plusieurs des occasions qui font entre-
prendre sur les voisins, asçavoir les grandes offenses
et les bresches pour entrer. Je di cela pour l'Espagne,
en considération des grandes ruines d'armées qui lui
sont arrivées et pour la foi blesse du cœur, qui remue
tant de membres, esprouvée par le comte d'Essex^,
quand, avec si peu d'hommes, il fit un si long séjour
à Cadis^. Mais, aussitost qu'une bouche fidèle à sa
patrie faisoit dans les conseils royaux une ouverture
pour prendre le favorable temps, aussitost la troupe
des conseilliers abusée, ou abusante, s'escrioit : « Ce
grand corps d'Espagne, ce grand corps d'Espagne ! »
Et ce vaste corps a esté contraint, par la vertu du
capitaine que j'exalte et celles de ses fidèles seconds,
1. Robert Devereux, comte d'Essex, favori de la reine Elisabeth
d'Angleterre, né à Netherwood le 10 novembre 1567, exécuté à
Londres le 25 février 1601 .
2. En 1596, la reine d'Angleterre envoya contre les côtes méri-
dionales d'Espagne, en représailles de V Invincible Armada, une
expédition sous le commandement du comte d'Essex. Cadix fut
pris et pillé le l*"" août 1596 par les Anglais. De Thou a raconté
cette campagne (liv. GXVI).
LIVRE DIXIÈME. 373
à laisser perdre une de ses janibes et mesmes à ne
l'avouer plus.
Voilà ce qui nous donne une cinquiesme et notable
dififérence de nos deux premiers tomes au tiers, dans
lequel nous espérons, sous la faveur de Dieu, d'es-
tendre avec plus de profit et de plaisir la fin du siècle
belliqueux.
Que si, en divers endroits, nous n'avons peu expri-
mer à nostre gré quelques exploits conséquentieux*,
regardez d'où est datte le livre; c'est d'un désert,
refuge ordinaire de la pauvreté comme de la vérité.
Là, il a falu travailler sans pupitre, sans conseil de
doctes, avec peu de mémoires et peu exprès.
Je ne puis vous celer que le roi Henri le Grand
m'avoit promis les excellents et laborieux escripts* de
Monsieur de Villeroi^, à la charge de prendre loi de ses
1. Var. de l'édit. de 1618 : t ... conséquentieux, ou s'il a fallu
répéter quelque chose par les derniers mémoires corrigeant les
premiers, comme au fait de Menerbe, ça esté faute de mémoires
exprès, quoiqu'il n'y ait province en France où nous n'ayons fait
voiager. » — La fin de cet alinéa, l'alinéa suivant et le commen-
cement du troisième, jusqu'à ces despenses, manquent à l'édition
de 1618.
2. D'Aubigné ne parle sans doute ici que de la correspondance
de "Villeroy, car il ne serait pas explicable que l'auteur de l'His-
toire universelle n'ait pas eu connaissance des Mémoires qui avaient
été publiés en 1622, au moins en extraits. Peut-être connaissait-il
l'existence du reste. Nous avons, en effet, la certitude qu'une
grande partie de ces Mémoires, et peut-être. la plus intéressante,
est encore inédite.
3. Nicolas de Neufville, s. de Villeroy, né en 1542, gendre du
secrétaire d'État Claude de l'Aubespine, secrétaire d'Etat lui-
même en 1567, un des ministres les plus employés par Charles IX,
Henri III, Henri IV et Marie de Médicis. Il a laissé des Mémoires
qui ont été recueilUs dans toutes les grandes collections sur l'his-
toire de France et des recueils de minutes et de notes qui font
YI W
374 HISTOIRE UNIVERSELLE.
corrections, lesquelles je voulus essayer sur quelques
pièces où j'avoi le moins usé de mes libériez. Mais,
ayant trouvé que cet esprit n'approuvoit rien, qui
n'eust pour but les louanges de la cour, le blasme de
ceux qui n'en dépendoyent et faisoit crime de l'sequa-
nimité, je quittai le profit pour la charge, lequel, pour
le service des hommes, eût destruit celui de la vérité,
aimant mieux estre manque en quelques poincts qu'à
estre esclave en tous.
J'eu donc recours à dépescher par toutes les pro-
vinces à mes frais, et ces dépenses peu utiles me per-
mettront un juste courroux* sur les capitaines plus
curieux de rescriptions durant leur vie que d'inscrip-
tions après leur mort. Et encor, ma plus grande et
juste colère s'espandra sur les héritiers, je ne dis pas
enfans, des chefs plus eslevez sur le théâtre de l'his-
toire, qu'il faut inutilement prier de ce qu'ils devroyent
cercher avidement et qu'ils laissent périr par leur pol-
tronne lascheté.
Vous diriez, en ce siècle dégénéré, que la brillante^
vertu de nos devanciers nous donne mauvais lustre,
que la gloire du père rend le fils honteux, et que, de
peur d'estre obligez aux excellents traicts et perfaictes
beautez de nos ayeuls, nous en voulons supprimer la
mémoire et jetter au feu les tableaux.
Tendez-moi la main, vous qui ne faites et ne recevez
le désespoir, par leur écriture, des érudits qui se vouent à l'étude
de l'histoire du xvi* et du xvii» siècle.
1. Var. de l'édit. de 16i8 : « ... courroux contre les héritiers
des capitaines les plus eslevez sur le théâtre de l'histoire et contre
les ingrats qui refusent de rendre honneur aux noms qui leur
offrent un véritable honneur. Vous diriez... »
2. Var. de l'édit. de 1618 : « ... dégénéré, que le trop de vertu... »
LIVRE DIXIEME. 375
honte des paternelles eslévations; qui les suivez par
approches et ne les cachez pas de peur de reproches ;
qui les ressemblez du cœur comme des visages, et qui
de lumières si proches aimez mieux estre esclairez
qu'esblouis.
Donnez à mon entreprise, qui sera la vostre, la
recherche de ce qui aura manqué en mes premiers dis-
cours, et* les éditions qui se referont en vostre faveur,
avec plus de soin et de commodité, feront que nulle
autre histoire n'ayant esté bastie avec tant de soin et
de patience de Tautheur, cette-ci approchera de la
perfection.
Sinon, sachez* que ceux qui ont voulu dépeindre un
historien lui ont mis à chasque main une branche,
celle de la gauche avec son fueillage, pour en faire des
marques d'honneur aux triomphants. Celle de la droicte
est effueillée pour les chastimens; et ceste gaule fait
des playes, desquelles la cicatrice demeure encores
après l'ulcère fermé. C'est celle-là que je fai pour ceste
heure siffler aux aureilles des paresseux, en promet-
tant et menaçant que, ci-après, elle appuyera son coup
pour rabattre ceux qui rejettent mes avis sans crainte.
Ils verront arborer leur apocagine* en proportion-
nant leurs infâmes et infimes hontes à la hautesse de
leur race, de laquelle ils ne peuvent porter que le nom,
1. Var. de l'édit, de 1618 : « ... premiers discours, et j'espère ea
vostre faveur faire une seconde édition avec plus de soin et de
commoditez, sinon sachez... •
2. Var. de l'édit. de 1618 : t ... sachez que, pour bien peindre un
historien, on lui devroit mettre en chacune main une branche,
l'une avec sa verdure, pour en donner les marques d'honneur... »
3. Apocagine, dans le sens de déshonneur. Ce mot figure dans
les deux éditions (apoca en italien signifie pièce d'un acte notarié).
376 HISTOIRE UNIVERSELLE .
et ce nom, qui les devoit couronner de gloire, les com-
blera de honte et de mespris. Entre autres choses, je
demande aux mémoires les actions qui sortent du com-
mun et les noms de plusieurs simples soldats, lesquels,
sans pouvoir nommer, j'ai désignez pour avoir com-
mencé l'impression dans un combat, servi de guide à
une bresche, mis le premier genou sur les créneaux
des retranchements ou arresté une desroute par leur
vertu. Que ceux qui sçauront les noms de telles gens
les donnent à ma bonne affection, sans avoir esgard
aux pauvres conditions ou basses extractions, pource
que ceux-là montent d'avantage, qui commencent de
plus bas lieu.
Je n'ai que faire à ceux à qui nature a donné le
ventre pour délices, l'esprit pour fardeau et le cœur
pour tout craindre. Eux aussi n'ont point de part avec
moi , n'ayant point soif de louanges, cachez derrière
eux-mesmes et le* ciel, défavorable à leur naissance,
les ayant condamnez à pourrir moisis sur le puant
fumier d'une sale oisiveté. Mais je traitte avec vous,
courages flamboyants, non de l'ambition blanchie et
tournoyante à l'entour de la vertu ^, mais rayonnans
et, comme fidèles miroirs, représentans en vos visages
comme en vos actions la beauté naïfve et les traits
naturels de la vertu qui porte en soi-mesme son prix
et son loyer. N'ayez pas honte du juste désir des choses
méritées, ayez^ le soin d'arracher de bonne heure
vostre renommée des ombres de la mort. Faites soi-
4. Ce membre de phrase manque à l'édition de 1618.
2. Var. de l'édit. de 1618 : « ... de la vertu, mais de la vertu
mesme, empanachée de. ses plumes naturelles, et qui porte... »
3. Le reste de l'alinéa manque à l'édition de 1618.
LIVRE DIXIÈME. 377
gneusement et sans honte ce que vous faites justement.
On appelle les âmes viles et le sang vil qui se perdent
et se versent sans la solde du renom. Geste oubliance
appartient justement à ceux qui font jonchée et fange
de leurs hoyries, vendues aux choses vilaines et indignes
de l'honneur. Mais les âmes et le sang s'appellent non
viles et de haut prix, quand elles sont employées pour
la patrie, pour le bon prince et surtout pour celui qui
nous a rachetez de son sang.
Ceux qui ne veulent jouir que du gré présent sont
mercenaires à journée et valets à l'œil des vivants.
Mais ceux qui vont plus loin et embrassent plus d'un
siècle, par espérance desjà se sentent de l'immortalité,
et, partant, le noble soin de la bonne renommée est à
l'àme fidèle marque d'une vie sans mort et certain gage
de la résurrection.
TABLE DES CHAPITRES
Livre Neuvième (Suite).
(Livre IV du tome II des éditions de 1616 et de 1626.)
Chapitres Pages
VI. Prise des armes à la guerre qu'on appella de Mon-
taigu 1
VII. De la Gascongne et prise de Gahors 8
Vni. Suitte de guerre en Guyenne 18
IX. De Languedoc 22
X. De l'entreprise de Blaye et autres 30
XL Envoy du vicomte de Turenne en Languedoc ; escar-
mouche de Nérac 42
XII. Surprise de la Fère 47
XIII. Siège et reprise de la Fère 53
XIV. Surprise, siège et reprise de Menerbe 63
XV. De ce qui se passa en Poictou jusques à la paix . 69
XVL Du siège de Montaigu 76
XVII. Liaison des troubles de France avec ceux des quatre
voisins 91
XVm. De l'Orient 96
XIX. Du Midi 109
XX. De l'Occident 121
XXI. Du Septentrion 132
XXII. Conclusion de la paix 145
Livre Dixième.
(Livre V du tome II des éditions de 1616 et de 1626.)
I. Voyage du duc de Mayenne et estât du Daulphiné. 148
IL Suite de la paix refusée en Languedoc. Négociation
pour le roi de Portugal. Entrevue des princes. . 154
UI. Brouillerie de la cour 167
TABLE DES CHAPITRES. 379
Chapitres Pages
IV. Premier emploi de la Ligue 173
V. De deux périls qu'eschappa le roi de Navarre . . 178
VI. Prise de Mont-de-Marsan ; mort de Monsieur et de
Bussy 187
VII. Prise des armes 194
VIII. De ce que fit le roi de Navarre 201
IX. Diverses rencontres en Poictou 212
X. Prise de Tules; voyage du duc de Mercœur en Poic-
tou et présentation de bataille 219
XI. Siège de Brouage 231
Xn. Affaires de la cour 236
XIU. Surprise du château d'Angers 243
XIV. Voyage et exploict d'Angers 249
XV. Retraicte et desroute d'Angers 259
XVI. Mauvaise rencontre du siège de Brouage .... 272
XVII. Des provinces méridionales de la France .... 275
XVIU. Affaires meslées avec les quatre voisins .... 282
XIX. De l'Orient 293
XX. Du Midi 300
XXI. De l'Occident 309
XXII. Du Septentrion 323
XXIII. De l'Édict de Juillet. — Première paix avec les
Liguez 364
Attache aux deux premiers tomes de l'Histoire uni-
verselfe 367
Nogeat-le-Rolrou, imprimerie Daopbijit-Goot«iu««o».
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