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Full text of "Jeanne d'Arc"

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U  dVof  OTTAWA 


3900300H78717 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/jeannedarcOOwall 


DECERNE  A 


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DECERNE  A 


Wtèue  f/e  ^   ' -Jitnnee. 

J^dlÉ^^eai^. /é')'f^ 


IX„ 


Principal.  ^ 


JEANNE  D'ARC 


Typographie  Firmin-Didot.  —  Mcsnil  (Eure) 


JEANNE  D'ARC 


H.  WALLON 

SECRÉTAIHE    perpétuel    de    l'ACADÉMIK    des    inscriptions    et    nEM,ES-I-ETTRES 

ÉDITION    ILLUSTRÉE 

d'après 

les  dAIontiniciits  de  l'oArt  depuis  le  quiiiiième  siècle 
jusqu'à  nos  jours 

TROISIÈME  ÉDITION 


PARIS 

LIBRAIRIE   DE    FIRMIN-DIDOT    ET   C 

IMPRIMEURS    DE    l'iNSTITUT    DE    FRANCE,    RUE    JACOB,    56 

.877 

Reprodactiou  et  traduction  réservées 


Univers^'fas" 
BiBLIOTH£CA 
^ffaviensis 


Armoiries  il«  Su  SiiiuteLi;   le  l'aim  l'ie  IX, 


BREF  ADRESSE  A  LAUTEUR 


SA  SAINTETÉ    LE   PAPE   PIE   IX 


Plus  p.  p.  IX 

Dik'Cte  Fili,  Nobilis  Vir,  Sahitcm  et  Apostolicain  Bcucdiclioiicin. 

^iBENTissiMK  cxccfiiuiis ,  DUcclc  FUI, 
Nubilis  T7/-,  historiam  a  te  concinna- 
taii2  cck'bcrriiinv  illiiis  Piiellcv ,  qiia' 
ab  AureliiV  obsidioiic prodigiose  soluta 
Aitrelianensis  nomen  obtiuuit.  Gaudc- 
miis  aiitem,  te  insignein  liane  Gallia- 
riiiii  gloriam  adeo  sediilo  inoiuiinen' 
tonim  examine  ac  solerti  collatione 
illnstravisse ,  nt  nihil  desiderandnin  reliquen's  quod  heroidis 
ingeniwn,  mores,  opéra,  vices  respiciat.  Nemo  certe  negaverit, 
Dieum  afflictis  Galliœ  rébus  prospecturiim,  eique  datiirum  legi- 
timum  Regeni,  elegisse  quod  erat  infirmum,  ut  furtiumfrangerct 
vires  et  molimina;  rudique  propterea  virgini  ex  arvis  ductcv 
mirant  plane  fortitudineni  prodigiosamque  contulisse  notifiant  bel- 

JEANNE   d'arc.    111.   —  il 


BREF   DE   SA   SAINTETE   LE   PAPE   PIE   IX. 


licaniiu  siiiuil  rcniiii  et yoliticarinn.  Triste  qitidem  est  in  hoc  qiioque 
casu  reiioi'ûtiiDi  l'idcre  ingratianiinifaciniis,  qitod  historia  ecclesias- 
tica  non  minus  qiiain  profana  testatur  consucvisse  seqiii  nia.vinia 
bénéficia.  Simiiltas,  invidia,  partiitni  stiidia  comparatiira  semper 
eriint  eximiis  meritis  osores  ;  sed  firniitas  corum,  qui  persequu- 
tioneni  patiuntur  propter  justitiani,  et  œquitas  animi,  qua  adrersa 
perferunt  sic  istns  ex  toi  lit  et  illos  depriniit,  ut  virtutem  oppres- 
sorum  nova  lucc  perfundat  ejusqite  insectatores  perpétua'  de- 
poveat  infamiœ.  Gratulamur  itaqiie  tibi,  quod  judicium  jamdiu 
de  Joanna  editiim  ab  historia  confirmai'cris  atque  illustraveris 
accuratissinia  disquisitione  tua  nitidaque  factoruin  expositione; 
tibique  nniinainur,  ut  honorifica  ipsa  scntentia  jaiu  de  tuo  opère 
lata  niultos  ad  ejus  lectionem  alliciat,  non  soluni  ut  plenioreni 
de  patriis  rébus  nolitiam  assequantur,  sed  prœsertini  ut  ab 
obedientia,  proposito,  et  œrumnis  Joannce  discant,  utile  quideni 
semper  esse  et  honori/icum  parère  Deo  et  optinw  mereri  de  patria; 
sed  a  cœlo  tautum,  non  ab  hominibus.  benefacti  mercedem  esse 
expectandam.  Excipe ,  Dilectc  Fili ,  Xobilis  Vir,  Apostolicam 
Benedictionem,  quam  superni  favoris  auspicem  et  paternœ  Nostrce 
benevolentiœ  gratique  animi  testem  tibi  peramanter  impertimus . 
Datum  Romœ  apud  S.  Petruni  die  25  octobris  anno  i<Sf5,  Pon- 
tificat us  Nostri  anno  Tricesimo. 


TRADUCTION   DU   BREF 


ADRKSSfc:    A    LAUTi:UR 


SA   SAINTETÉ   LE   PAPE  PIE  IX 


A  notre  cher  Fils  et  noble  Personne,  H.  Wallon,  ministre  de 
l'Instruction  publique  et  des  Cultes,  à  Paris. 


lE   IX,    Pape.  Cher   et    noble   Fils, 
salut  et  bénédiction  apostolique. 

Nous  avons  accueilli  avec  le  plus 
vif  plaisir,  cher  et  noble  Fils,  l'his- 
toire composée  par  vous  de  la  jeune 
lille  célèbre  qui  a  mérité  le  nom  de 
Pucelle  d'Orléans,  en  accomplissant 
par  des  prodiges  la  délivrance  de  la 
ville  assiégée.  Nous  nous  réjouissons  de  ce  que  vous  avez  mis  en 
lumière  cette  gloire  insigne  de  la  France  par  un  examen  si  attentif 
et  un  rapprochement  si  habile  des  monuments,  que  vous  n'avez 
rien   omis  de  ce  qui  regarde   le  génie ,  les  vertus ,  les  œuvres  et 


BRKK  DE  SA  SAINTETE   LE  PAPE  PIE  IX. 


les  vicissitudes  de  rhéroïne.  Personne  ne  saurait  méconnaître  que 
Dieu,  voulant  relever  la  France  de  ses  désastres  et  lui  rendre 
son  Roi  légitime,  n'ait  choisi  ce  qui  était  faible  pour  briser  les 
forces  et  les  efforts  des  paissants,  et  qu'il  n'ait  pour  cela  donné 
à  une  simple  lille  des  champs  un  courage  extraordinaire  et  une 
merveilleuse  science  des  choses  de  la  guerre  et  de  la  politique. 

Il  est  triste  de  constater  que,  même  en  ces  circonstances,  on 
retrouve  l'ingratitude,  ce  crime  qui  accompagne  ordinairement  les 
plus  grands  bienfaits,  ainsi  que  Tattestent  à  la  fois  l'histoire  ecclé- 
siastique et  rhistoire  profane.  L'envie,  la  haine,  les  rivalités  de 
partis  suscitent  toujours  des  détracteurs  aux  mérites  éminents; 
mais  la  fermeté  de  ceux  qui  souffrent  persécution  pour  la  justice 
et  l'égalité  d'àme  avec  laquelle  ils  supportent  l'adversité  les  élèvent 
eux-mêmes  et  abaissent  leurs  ennemis,  à  tel  point  qu'elles  répandent 
un  nouveau  lustre  sur  la  vertu  des  opprimés,  et  vouent  les  oppres- 
seurs à  une  éternelle  infamie. 

C'est  pourquoi  Nous  vous  félicitons  d'avoir  su,  par  vos  savantes 
recherches  et  un  lumineux  exposé  des  faits,  confirmer  et  éclairer 
le  jugement  que  l'histoire  a  porté  depuis  longtemps  sur  Jeanne 
d'Arc,  et  Nous  souhaitons  que  les  suffrages  honorables  que  votre 
livre  a  déjà  obtenus  lui  attirent  un  grand  nombre  de  lecteurs,  non- 
seulement  pour  qu'ils  y  puisent  une  connaissance  plus  parfaite  de 
l'histoire  de  leur  pays,  mais  surtout  pour  qu'ils  apprennent  par 
l'obéissance,  la  résolution  et  les  souffrances  de  .Teanne,  qu'il  est 
toujours  utile  et  glorieux  de  se  soumettre  à  la  volonté  de  Dieu,  et 
de  bien  servir  sa  patrie;  et,  en  outre,  qu'il  faut  attendre  de  Dieu 
seul,  et  non  des  hommes,  la  récompense  du  bien  accompli. 

Recevez,  cher   et  noble  Fils,    la    bénédiction    aposti^lique   que 


BREF  DE  SA   SAINTETE   LE   PAPE   PIE  IX. 


Nous  VOUS  accordons  du  fond  de  notre  cœur,  comme  présage  de 
la  faveur  divine  et  comme  gage  de  Notre  bienveillance  paternelle 
et  de  Notre  gratitude. 

Donné  à  Rome  près  Saint-Pierre,  le  25  octobre  de  Tannée  iSyS, 
de  notre  pontiticat  la  trentième. 


y^. 


Armoiries  du  pape  Calixte  III, 

qui  ordonna  le  procès  de  réhabilitation  Je  Jeanne, 

le  I I   juin    1455. 


JEANNE   DAIÎC.    UI.    —     h 


LETTRE  ADRESSEE  AUX  EDITEURS 


AU  NOM  DE  SA  SAINTETE  PIE  IX 


PAR    MONSEIGNEUR    MERCURELLI,    SECRETAIRE    DES    BREFS   AUX    PRINCES. 


Pcrilliistris    Domine. 

Vestronim  U-poninifcinia.jiim  iibi- 
que  vulgata,  novo  exornari  splcndore 
visa  est  postqiiam  periliam  opcram- 
quc  convcrlistis  ad  voluminum  cdi- 
tioiiem,  quœ  et  religioncm  ac  pieta- 
tem  promovent  et  historiœ  simul, 
scientiœ  ac  artibiis  sitffraganliir, 
caritmqiic  altricem  demonstrant  F.c- 
clcsiam.  Ejusmodi  certe  ccnscnda 
suut  vita  Jesu  Cliristi,  acta  sanctœ 
Cœciliœ,  et  liistoria  insignis  virginis 
Joannœ  ab  Arco,  ciii  nobilis  victoria 
de  Anglis  relata  celebcrrimiim  Piicl- 
lœ  Aurelianensis  cognomem  adjecit. 
Hisce  libris  non  pantin  delectatus 
fuit  SiViclissimus  Doiniiius  Nostei- 
Pius  IX,  tiim  ob  intrinsecam  eorum 
indolem.  tum  ctiam  quia  egregias  il- 
las  considerans  imagines  c  sculptura, 
pictura,  cœlatura  variarum  œtatum 
petit  as,  quibus  ornantur  pagina'  et 
facta  illustrantur,  ineluctabile  vidit 
e  singulis  emergere  argumeutum 
illis  objiciendum,  qui  infensam  ca- 
lumniantw  artibus  et  scientiœ  catho- 
licam  religionem.  Gratulari  igitur 
suo  nomine  me  vobisjussit,  gralum- 
qiie  teslari  animiim  ob  historiam 
clarissimœ  Puellœ  ei  niiper  oblatam; 


Très-illustre  Monsieur, 

La  réputation  de  vos  presses,  déjà 
partout  répandue,  a  paru  resplendir 
d'un  nouvel  éclat,  du  jour  où  vos  soins 
et  votre  habileté  professionnelle  se  sont 
tournés  vers  la  publication  d'ouvrages 
qui  en  même  temps  qu'ils  contri- 
buent à  l'avancement  de  la  religion  et 
de  la  piété,  plaident  la  cause  de  l'his- 
toire, de  la  science  et  des  arts,  et  dé- 
montrent que  leur  éducation  s'est 
faite  dans  le  giron  de  l'Eglise.  C'est 
à  cette  classe  assurément,  qu'appar- 
tiennent la  Vie  de  Jésus-Christ,  les 
Actes  de  sainte  Cécile,  et  l'Histoire  de 
cette  vierge  insigne,  Jeanne  d'Arc,  à 
qui  sa  noble  victoire  sur  les  Anglais 
avl  u  l'immortel  surnom  de  Pucelle 
d'Orléans.  De  tels  ouvrages  n'ont  pas 
médiocrement  charmé  Notre  Très- 
Saint  Seigneur  Pie  IX,  non-seulement 
en  raison  de  leur  mérite  intrinsèque, 
mais  aussi  parce  qu'en  examinant 
toutes  ces  belles  illustrations,  em- 
pruntées à  la  sculpture,  à  la  peinture, 
à  la  gravure  des  différents  âges ,  qui 
ornent  les  pages  et  mettent  en  relief 
les  faits  racontés,  11  y  a  vu  un  argu- 
ment inéluctable  ù  l'encontre  des 
calomnies  qui  présentent  la  religion 
catholique  comme  hostile  aux  arts  et 
à  la  science.  Sa  Sainteté  m'a  donc  or- 
donné de  vous  féliciter  en  Son  nom,  et 
de  vous  témoigner  sa  gratitude  pour 
l'Histoire  de  la  très-glorieuse  Pucelle, 


LETTRE  ADRESSEE  AUX   EDITEURS. 


(.7C  siDUil  lutrtari,  lit  siciiti  pcr  alio- 
mm  temporum  aliariimquc  artiinn 
monumenta  altcriun  ex  Ecclesiiv  bc- 
neficiis  obiecistis  oculis ,  sic  eamdcm 
gloriam  ci  confirmarc  nitamini  per 
artem  qua  cxccllitis,  alla  cdcndo 
atqne  a  lia  opcra  qiuv.  relii;ioiii  fo- 
vcndœ  dicala,  dciuoiistrciil  scicii- 
tiam  et  artes  ea  auspicante  Jlorere. 
Faustiim  hitjiismodi  cœpto  idem 
Sanctissimiis  Dominus  exitiim  omi- 
nattir ;  ac  intérim  superni  favoris 
auspicem  paternœque  benevolcntiœ 
suce  pignus  Apostolicam  Benedictio- 
nem  vobis  peramanter  impertit. 

Qiuv  diiin  rubis  iiltro  ac  libenter 
pro  meo  minière  luintio,  peculiarisque 
gratulationis  meœ  ac  œstimationis 
officia  exhibée,  omnia  vobis  secuiida 
et  salutaria  adprecor  ex  animo. 

Perillustris  Domine, 

Addictissimus  famu lus 
Franciscus  Merccrelli  , 

Sanctiss.  Dum.  noslr.  a  Brevibiis  J-i  Principes. 
Roiitcv,  \-  fcbruarii  1876. 


Perillustri  Domino   Firmin-Didot 

ejiisque  sociis 

EJitoribus  Pai'isiensibus. 


dont  vous  Lui  avez  fait  récemment 
roffrande.  Elle  m'a  chargé  en  même 
temps,  puisque  déjà,  par  les  monu- 
ments artistiques  d'autres  époques , 
vous  avez  t'ait  ressortira  tous  les  veux 
un  des  bienfaits  de  l'Eglise,  de  vous 
exhorter  à  faire  tous  vos  efforts  pour 
lui  assurer  la  même  gloire  au  moyen 
de  l'art  dans  lequel  vous  excellez,  en 
mettant  au  jour  beaucoup  d'autres 
i_euvres  qui  ,  consacrées  à  la  défense 
de  la  religion,  prouvent  que  la  science 
et  les  arts  ont  fleuri  sous  ses  auspices. 
Sa  Sainteté  présage  un  heureux  succès 
d'une  telle  entreprise;  et,  en  atten- 
dant, comme  augure  de  la  céleste  fa- 
veur et  comme  gage  de  Sa  paternelle 
bienveillance  .  Elle  vous  accorde  très- 
affectueusement  Sa  bénédiction  Apos- 
tolique. 

En  vous  transmettant  spontané- 
ment et  volontiers  cet  avis,  suivant  le 
devoir  de  ma  charge  ,  et  en  vous  adres- 
sant mes  félicitations  personnelles 
avec  l'assurance  de  mon  estime ,  je 
souhaite  de  cœur  que  tout  vous  succède 
d'une  manière  agréable  et   salutaire. 

J'ai  l'honneur  d'être, 

Très- illustre    Monsieur, 

Votre  tout  dévoué  serviteur, 

Francesco  Mercurelli, 

Secr"  du  T.-S.-P.,  pour  les  Brefs  aux  Princes. 
Rome,   17  fcvrier  1S76. 

Au    très-illustre     Monsieur     Firmin-Didot 
et  à  ses  associés.  Editeurs  à  Paris. 


duo  m;iim=crit  latin  du  XV  sitclc.  Bibliulhc.iue  de  iL  .ijiibroise  Finuin-Didul 


PRÉFACE 


'i  L  est  un  épisode  émouvant  dans  nos  anna- 
les ,  c'est  assurément  la  vie  de  Jeanne 
d'Arc.  La  vie  de  Jeanne  d'Arc  est  comme 
une  légende  au  milieu  de  F  histoire  ;  c'est 
un  miracle  placé  au  seuil  des  temps  mo- 
dernes comme  un  défi  à  ceux  qui  veulent 
nier  le  merveilleux.  Jamais  matière  ne 
parut  plus  digne  de  la  haute  poésie  : 
elle  réunit  en  soi  les  deu.x  conditions  de 
V épopée,  sujet  national ,  action  surnatu- 
relle. Mais  Jamais  sujet  ne  tenta  plus 
malheureusement  les  poètes.  La  poésie  vit  de  Jictions ,  et  la  figure  de 
Jeanne  ne  comporte  aucune  parure  étrangère.  Sa  grandeur  se  su  [fit  à 
elle-même;  elle  est  plus  belle  dans  sa  simplicité.  A  ce  titre  rien  ne  devait 
attirer  davantage,  et  mieux  récompenser  le  ■{èle  des  historiens.  Un  fait 
SI  plein  d'éclat,  à  une  époque  déjà  féconde  en  chroniques  et  en  écrits  de 
toute  sorte,  a  agi  sur  tous  les  esprits  et  laissé  sa  trace  dans  tous  les  écri- 
vains du  temps;  et  les  deux  j>i-o:ès  qui  ont  poursuivi  tour  à  tour  par  tant 


PREFACE. 


d' interrogatoires  et  d'enquêtes  la  condamnation  de  Jeanne  dWrc  et  sa 
réhabilitation,  ont  recueilli  une  masse  de  témoignages  qui,  sans  cette 
cause  toute  providentielle ,  eussent  été  j.\'rdus  pour  l'iiistoire.  Or,  il 
j-  a  un  double  écueil  à  éviter  parmi  tant  de  richesses  :  c'est  tout  à  la  fois 
de  trop  confondre  et  de  trop  distinguer. 

Le  plus  souvent,  on  a  trop  confondu.  L'histoire  a  paru  si  merveilleuse 
en  elle-même,  qu'on  n'a  pas  vu  grand  inconvénient  adjoindre  la  légende. 
Tout  se  mêle  alors  sa)is  que  rien  laisse  voir  ce  qui  est  de  l'une  ou  de 
l'autre.  Il  send^le  que  l'exposition  ?i'r  perde  rien  ;  mais  eu  proposant  du 
même  ton  au  lecteur  les  choses  qui  dérivent  des  traditions  les  moins  auto- 
risées et  celles  qui  s'appuient  des  témoig)iages  les  plus  forts,  on  l'am'ene 
nécessairement,  même  dans  les  livres  les  plus  éloignés  de  l'esprit  de  sjs- 
téme,  à  les  recevoir  ou  à  les  rejeter  de  la  même  sorte.  Et  pourtant,  quand 
on  les  jugerait  au  fond  de  même  nature,  encore  serait-il  bon  d'en  signaler 
et  d'en  discuter  l'origine,  afin  que  chacun  pfit  voir  ce  qu'il  en  doit pretidre 
ou  laisser.  D'autres  fois,  au  contraire,  on  établit  plus  de  distinctio)i  qu'il 
)ie  faut.  Les  deu.x  procès  ont  un  caractère  et  un  esprit  bien  opposés;  mais 
on  ne  peut  pas  dire  qu'ils  )ious  fassent  de  Jeaniie  d'Arc  deu.x  portraits 
différents.  Le  second  procès,  autant  qu'il  l'a  pu  faire,  a  puisé ,  s'il  est 
permis  de  le  dire,  aux  sources  du  premier.  Il  en  a  appelé,  non  pas  les 
témoins,  mais  les  acteurs,  les  hommes  les  plus  intéressés  à  le  défendre  : 
Jean  Beaup'ere,  le  second  de  Pierre  Cauchon  ;  Thomas  de  Courcelles,  qui 
mit  le  procès-verbal  en  latin;  les  greffiers,  l'huissier,  et  presque  tous  les 
assesseurs  encore  l'ivants  ;  et  quand  bien  même  les  autres  dépositions 
recueillies  pourraient  être  regardées  comme  produites  au  nom  de  l'accu- 
sée, elles  ne  feraient  encore  que  rendre  au  premier  pj-ocès  un  élément  qu'on 
ne  peut ,  sans  injustice,  retrancher  de  la  cause.  Leur  appréciation  ne 
ressemblera  pas  à  celle  des  juges  ;  mais  apprécieront-ils  moins  justement? 
Et  Jeanne,  dans  leurs  témoignages ,  sera-t-elle  autre  qu'on  ne  la  voit 
quand  elle  se  montre  elle-même  dans  son  procès  ?  Sont-ce  les  dépositions 
de  Dunois,  de  Louis  de  Contes  et  du  duc  d'Alenson  qui  ont  subi  cette 
«  tournure  de  commande  »  et  «  fourni  les  traits  de  cette  froide  image  y 
des  histoires  posté}-ieures?  Oit  trouve-t-on  Jeanne  plus  vire,  plus  pleine 
de  vigueur  et  d'oitrain,  soit  que,  ai'riva)it  devant  Orléans,  et  s'en  voj-ant 


PREFACE. 


scparéc  par  la  Loire,  elle  interpelle  rudement  Danois  sur  le  détour  que 
la  timidité  des  chefs  a  fait  prendre,  en  la  trompant,  au  c<ini'oi  qu'elle 
amène  ;  soit  que,  se  réveillant  à  la  nourelle  de  l'attaque  de  Saint-Loup, 
elle  gourmande  son  page  :  .<  Ah  !  sanglant  garçon,  vous  ne  me  disie:{pas 
que  le  sang  de  L^rance  ffit  répandu!  «  soit  qu'à  Jargeau  elle  e)itraine 
aux  murailles,  criant  au  duc  d'Alençon  qui  veut  attendre  :  «  Ah! gentil 
duc,  as-tu  peur?  «  Est-elle  moins  ferme  et  moins  prompte  à  la  réplique 
dans  le  téjuoignage  de  Seguin,  un  des  examinateurs  de  L^oitiers ,  que 
dans  le procés-rerhal  des  juges  de  Rouen?... 

On  n'a  donc  pas  le  droit  de  dire  que  les  deux  p)-ocès,  à  les prend)-e,  je 
ne  dis  pas  dans  les  articles  de  l'accusation  ou  dans  ceux  de  la  défense , 
mais  dans  les  interrogatoires  du  premier  et  dans  les  enquêtes  du  second 
{et  c'est  là  qu'il  faut  les  voir),  offrent  de  Jeanne  d'Arc  deux  portraits 
différents.  Si  diros  qu'ils  soient  par  leurs  coJicl usions,  loin  de  se  contre- 
dire à  cet  égard,  ils  se  complètent  et  ils  servent  à  titre  égal  à  représenter 
la  Pucelle  dans  toute  sa  vérité.  Nous  réunirons  leurs  matériaux ,  non 
pas  aveuglément  sans  doute,  mais  en  disant  où  nous  puisons,  et  sans 
oublie)-  que,  si  l'un  a  été  suscité  par  les  amis  de  Jeanne,  l'autre  {on parait 
trop  ne  point  s'en  souvenir)  est  l'œuvre  de  ses  ennemis;  et,  d'autre  part, 
nous  chercherons  à  distinguer  ce  qui  est  de  la  légende  et  ce  qui  est  de 
l'histoire,  non  pour  supprimer  la  première,  mais  pour  l'admettre  à  so)i 
vrai  titre,  sans  farder  la  seconde  des  fausses  couleurs  qu'elle  en  pourrait 
recevoir. 

Cette  nouvelle  édition  contient  les  éléments  suivants,  qui  ne  se  trou- 
vaient point  dans  les  éditions  précédentes  : 

1.  —  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


I"  .leanne  dans  la  Littérature,  dans  la  Poésie,  dans  le  Drame; 

2"  Jeanne  dans  l'Art  (Iconographie  de  la  Pucelle.  —  La  Musique  et  Jeanne)  ; 

3°  Le  Costume  militaire  à  l'époque  de  Jeanne; 

4°  La  Géographie  de  la  France  durant  la  mission  de  Jeanne  (avec  une  Carte  de  la  France 

féodale,  en  i43o)  ; 
5°  La  Famille  de  Jeanne  d'Arc. 


PREFACE. 


II.  —  ll.l.rSTR.ATION. 

a.  Représentation  exacte  de  tous  les  lieux  illusti'e's  par  le  pas- 
sage de  la  Pucelle ,  de  tout  le  théâtre  de  sa  mission  , 
de  tout  ce  qui  a  conservé  quelque  trace  de  sa  vie  et  de 
sa  mort. 

h.  Fac-similé  de  ses  principales  Lettres. 

c.  Ornementation  (bordures,  lettrines  et  culs-de-lampe)  em- 
pruntée uniquement  à  des  manuscrits  du  xv*  siècle. 

Reproduction  des  plus  belles  œuvres  d'art  qui  ont  été  consa- 
crées à  la  Pucelle  depuis  le  xv"  siècle  jusqu'à  nos  jours. 


1"  Illiistrcition  historique. 


2"  Illiistralioii  artistique.    ! 


1°  Table  par  ordre  alphabétique  des  matières  ; 
2"  Table  des  gravures. 


//  so-ûi/  sitpcyjhi  de  rcpctcr  ce  qui  a  été  dit,  dans  Li  préface  de  la 
première  édition ,  du  soin  donné  à  rUltistration  et  des  mérites  qui  la 
reco7nmandent.  Le  public  en  a  apprécié  la  vérité  par  le  succès  qu'il  a  fait 
à  l'ouvrage.  Dans  la  nouvelle  édition,  on  l'a  enrichie  de  quelques  pv'èces, 
entre  autres  :  le  Départ  de  Jeanne  d'Arc  de  ]'aucouleurs  (d'après  un 
bas-relief  en  bois,  sculpture  du  xv'^  siècle,  communiqué  par  M.  Desno3'ers, 
membre  de  l'Institut' ;  —  Jeanne  d'Arc  apj-ès  la  journée  de  Compi'egne 
(tableau  de  M.  J.  Patrois,  au  musée  d'Orléans,  1864);  —  Jeanne  d'Arc 
(buste  en  bronze  de  M.  A.  Le  Véel,  1N75);  —  Poton  de  Xaintrailles 
(médaillon  en  bronze  du  xvi^  siècle,  communiqué  par  M.  Fillon). 


INTRODUCTION 


JEANNE   DABC.    111. 


Ornement  tiré  des'  Clinmirjvrs  ile  Monstreht,  j 


INTRODUCTION 


La  Guerre  de  cent  ans.  —  Charles  VU  et  Henri  \'I. 


Le  Siese  d'Orle'ans. 


LA    GlERRE    DE    CENT    ANS. 


/JAMAIS  la  France  ne  fut  plus  en  péril  qu'au 
moment  où  parut  Jeanne  d'Arc. 

L'Angleterre,  jadis  conquise  par  les 
Normands  français,  prenait  à  son  tour 
possession  de  la  France  :  c'étaient  les  re- 
présailles de  la  conquête ,  et  le  terme  où 
semblait  aboutir  la  longue  rivalité  qu'elle 
avait  provoquée. 

La  seconde  phase  de  ce  grand  débat, 
la  Guerre  de  cent  ans,  que  Jeanne  fut 
appelée  à  terminer,  se  partage  en  deux 
grandes  périodes  où  les  succès  et  les  revers  alternent  pour  l'Angleterre  et 
pour  la  France.  Dans  la  première,  la  France,  vaincue  par  Edouard  III 
sous  Philippe  de  Valois  et  sous  Jean,  se  relève  avec  Charles  V  pendant  la 
vieillesse  d'Edouard  et  la  minorité  de  Richard  II ,  son  petit-fils.  Dans  la 
seconde,  après  un  intervalle  où  se  produit,  d'une  part,  l'usurpation  des 
Lancastres  (Henri  IV),  de  l'autre,  la  rivalité  des  Armagnacs  et  des  Bour- 
guignons, la  France,  vaincue  sous  Charles  VI  par  Henri  V,  se  relèvera 


INTRODUCTION. 


sous  Charles  VII  contre  Henri  ^'I.  Mais  de  quel  abîme  elle  se  relève  et  par 
quelle  grâce  inespérée!  Pour  le  faire  entendre,  signalons  au  moins  les  faits 
saillants  de  cette  lamentable  histoire. 

Les  Français  éprouvent  d'abord  les  plus  grands  désastres.  Sous  Phi- 
lippe VI,  la  bataille  de  Crécy  (1346),  et  la  prise  de  Calais  ,1347',  qui  don- 
nait à  l'Angleterre  une  porte  toujours  ouverte  en  France;  sous  le  roi  Jean, 
la  bataille  de  Poitiers  (i356),  qui  livra  au  vainqueur  non  pas  une  ville. 


'I      I    — i  (.  ria  Tin       i^ott  rrt.  10         Ils  famillesdes  \aincus\icnnt.ni  tll    mj  tr^  lI      l  \i.rleurb 

morts  WmiùXuTe  <li,s  Chroniques  Je  \ormanJie  ms  du  w*  s  ^  la  bibliolh  dt  M  Ambroise  Firmin 
Didot.  —  Par  cette  victoire,  Guillaume,  vassal  du  roi  de  France  comme  duc  de  Normandie,  monte  sur  le 
trône  d'.\ngleterre  et  devient  en  état  de  faire  la  loi  à  son  suzerain. 


mais  le  roi,  c'est-à-dire  comme  un  gage  du  royaume;  et  le  traité  de  Bré- 
tigny  (i36o),  déplorable  traité  commandé  par  les  circonstances,  mais  qui 
ne  sauvait  la  couronne  qu'au  prix  de  la  moitié  de  la  F'rance  laissée  en  toute 
souveraineté  au  roi  d'Angleterre. 

Le  dauphin  qui  dut  signer  ce  traité,  devenu  roi  de  France  sous  le  nom 
de  Charles  V,  sut  en  réparer  les  conséquences,  et,  mettant  à  profit  les 
fautes  du  gouvernement  anglais,  il  lui  reprit  plusieurs  de  nos  provinces. 

Mais  ce  retour  de  fortune  fut  cruellement  compensé  sous  le  règne 
suivant. 


INTRODUCTION. 


Les  deux  pays,  après  Kdouard  III  et  Charles  A',  avaient  subi  des  vicissi- 
tudes analo2;ucs  :  de  part  et  d'autre,  une  minorité,  des  tiraillements,  causés 
par  les  vues  ambitieuses  des  oncles  du  roi,  et  des  excès  qui  provoquèrent 
également  des  mouvements  populaires  :  Wat  Tyler  en  Angleterre,  et  en 
France  les  Maillotins.  Seulement  en  Angleterre,  le  roi,  devenu  majeur,  prit 


Fig.  2.  — Pendant  U  démence  de  Chai  les  VI,  Louis  d  Or  L   ii      |      ,,    u\Lrr     i  j  lume  avec  Jean  sans 

Peur,  duc  de  Bourgogne,  est  assassine  par  les  ordres  de  ce  deiniei  (1407).  Miniatuie  des  Chroniques  de 
Monstrelet,  Pans,  Verard,  vers  1490,  exemplaire  sur  peau  de  vélin,  biblioth.  de  M.  Ambr.  Firmin-Didot. 

en  main  le  pouvoir;  et  quand  Tautorité  qu'il  exerçait  eut  dégénéré  en 
tyrannie,  une  révolution  porta  au  trône  une  branche  intéressée  à  relever 
son  usurpation  par  des  victoires.  En  France,  à  la  minorité  du  roi  succéda 
bientôt  sa  folie,  c'est-à-dire  le  gouvernement  des  proches  sans  responsabilité, 
des  rivalités  de  pouvoir  sans  frein;  et,  pour  conséquence,  une  guerre  civile 
qui  préparera  tous  les  malheurs  de  la  guerre  étrangère. 


INTRODUCTION. 


La  rc\"olution  qui  ren\ersa  Richard  II  au  profit  de  Henri  I\'  ne  rompit 
point  immédiatement  la  paix  que  Richard  avait  conclue  avec  la  France. 
Henri  IV  n'en  eut  pas  le  loisir  :  il  avait  à  réprimer  à  Tintérieur  les  mouve- 
ments e.xcités  au  nom  du  prince  qu'il  avait  mis  à  mort,  ou  des  réformes 
qu'il  n'avait  pas  accomplies;  mais,  au  prix  de  cette  lutte,  son  fils  Henri  V 
se  trouva  libre  de  tirer  parti  des  troubles  de  la  France.  La  France  était 
plongée  tout  à  la  fois  et  dans  le  schisme  et  dans  l'anarchie  :  le  schisme 
fomenté  par  elle  depuis  que  la  papauté  s'était  soustraite  à   la  captivité 


Fig.  3.  —  Bataille  d'Azincourt  (25  octobre  I4i5),  où  les  Français  sont  défaits  par  les  Anglais.  Miniature  des 
Vigiles  du  roi  Charles  VU,  ms.  fr.,  n"  io54,  daté  de  1484,  à  la  biblioth.  nationale.  —  Henri  V  d'An- 
gleterre, voyant  la  France  divisée  par  les  factions,  avait  résolu  d'en  faire  la  conquête. 


d'Avignon  ;  l'anarchie  née  de  la  rivalité  des  ducs  d'Orléans  et  de  Bour- 
gogne. Le  duc  de  Bourgogne,  Jean  sans  Peur,  après  avoir  tué  le  duc 
d'Orléans  et  triomphé  insolemment  de  son  assassinat,  se  trouvait  n'avoir 
vaincu  que  pour  devenir  à  Paris  l'homme  des  Bouchers;  et  il  y  tombait 
avec  eux,  laissant  la  place  au  parti  de  son  rival  devenu,  par  une  alliance 
avec  les  hommes  du  Midi,  le  parti  des  Armagnacs.  Entre  les  deux  partis, 
les  Anglais  avaient  le  choix  des  alliances,  et  Henri  IV  avait  soutenu  tour  à 
tour  le  duc  de  Bourgogne  et  le  jeune  duc  d'Orléans.  Henri  V,  mis  comme 
son  père  en  demeure  de  choisir,  prit  pour  ennemi  celui  qui  était  au  pou- 
voir; c'était  se  rouvrir  la  voie  des  conquêtes,  et  donner  à  cette  guerre  d'am- 


INTRODUCTION. 


bition  les  dehors  d'une  guerre  sainte,  en  attaquant  les  derniers  fauteurs  de 
la  papauté  schismatique. 


Fig.  4.  —Assassinat  du  duc  de  Bourgogne,  Jean  sans  Peur,  sur  le  pont  de  Montereau  (1419),  en  rcpre'saillcs 
du  meurtre  de  Louis  d'Orléans.  Miniature  des  Chroniques  de  Monstrelet,  ms.  du  xV  s.,  A  la  bibliothèque 
de  l'Arsenal,  à  Paris. 


La  prise  d'Harfleur,  un  autre  Calais,  un  Calais  aux  bouches  de  la  Seine, 
ouvrant  la  P>ance  à  l'Angleterre,  fermant  la  mer  à  Rouen,  à  Paris;  la 
journée  d'Azincourt  (1415),  répétition  sanglante  des  journées  de  Crécy  et 


INTRODUCTION. 


de  Poitiers,  tels  furent  les  débuts  de  la  guerre:,  et  la  suite  y  répondit. 
Henri  V,  à  son  retour  de  Londres,  où  il  est  allé  mettre  en  sûreté  des  pri- 
sonniers (parmi  eux  les  ducs  d'Orléans  et  de  Bourbon),  trouve  les  villes 
presque  sans  défense  (141 7)  :  les  garnisons  en  ont  été  rappelées  pour  la 
lutte  des  Armagnacs  contre  les  Bourguignons.  Caen,  Bayeux,  etc.,  sont 
réduits  à  capituler;  la  Bretagne,  l'Anjou,  sollicitent  du  vainqueur  des  traités 
de  neutralité,  tels  qu'il  en  a  déjà  avec  la  Flandre.  Ainsi  couvert  sur  ses 
flancs,  il  peut  avancer  en  toute  liberté,  divisant  son  armée  pour  accomplir, 
au  milieu  de  la  terreur  universelle,  plus  de  sièges  en  même  temps  (1418). 
La  chute  des  Armagnacs,  la  rentrée  du  duc  de  Bourgogne  à  Paris,  n'ar- 
rêtent pas  ses  progrès  en  Normandie.  Rouen  succombe  (i 3  janvier  1419)  : 
c'est  au  duc  de  Bourgogne,  à  son  tour,  d'en  répondre  à  la  France. 

La  prise  de  Rouen  avait  excité  la  plus  vive  émotion.  Un  cri  s'élève  de 
partout,  qui  commande  la  fin  des  luttes  civiles.  Les  partis  font  trêve.  Le  duc 
de  Bourgogne,  ayant  le  roi,  aurait  été  jusqu'à  la  paix,  et  le  dauphin,  qui  était 
avec  les  Armagnacs,  n'y  répugnait  pas  :  il  n'avait  point  de  grief  personnel 
contre  le  duc;  et  il  avait  tout  intérêt,  comme  héritier  du  trône,  à  s'assurer 
de  son  concours.  Mais  la  paix  ne  se  pouvait  pas  faire  entre  eux  sans  sup- 
primer toute  l'importance  des  Armagnacs.  Ce  furent  ces  perfides  conseillers 
qui  préparèrent  et  accomplirent,  au  nom  du  dauphin,  le  guet-apens  du  pont 
de  Montereau  [10  septembre  1419). 

Le  meurtre  du  duc  de  Bourgogne,  à  Montereau,  avait  vengé  le  meurtre 
du  duc  d'Orléans;  mais  cette  vengeance  était  un  assassinat,  et  ce  nouveau 
crime,  loin  de  rien  réparer,  devait  mettre  plus  bas  encore  et  le  dauphin  et  la 
France.  Les  Parisiens  se  déclarèrent  contre  les  meurtriers;  Philippe  le  Bon, 
fils  de  Jean  sans  Peur,  ne  pouvait  pas  faire  défaut  à  son  parti.  Il  vint, 
résolu  de  venger  son  père,  mais  par  les  Anglais,  et,  par  conséquent,  aux 
dépens  de  la  France.  Une  conférence  fut  tenue  à  Arras,  et  l'on  y  fixa  les 
bases  de  la  paix,  qui  fut  signée  à  Tro3'es  (21  mai  1420). 

Le  traité  de  Troyes  semblait  être  la  conclusion  définitive  de  la  lutte  qui 
avait  si  longtemps  divisé  la  France  et  l'Angleterre.  Il  donnait  pour  bases  à 
la  paix  l'union  permanente  des  deux  pays  sous  un  même  roi,  la  fusion  des 
deux  familles  royales  en  une  seule  famille.  Le  dauphin  était  proscrit,  il  est 
vrai;  c'était  le  salaire  du  crime  de  Montereau.  Mais  la  fille  de  Charles  VI 


INTRODUCTION. 


et  d'Isabeau  épousait  Henri  V-,  elle  partageait  avec  lui  le  trône  d'An- 
gleterre en  attendant  le  trône  de  France  :  et  c'était  à  leurs  descendants 
qu'était  assurée  la  possession  des  deux  royaumes.  Tout  le  monde  ,  hormis 


Fiq    ^   —  A.iliani.<.  d  n^  a\<.^  k  r  i  t   Vn.,lttuiL  ^  )ntrt  li  1    in^ 

Chiomjue'.  i   {n„UUiit,mi   fr  du  xV  s.,  n"  S',  \  h  bihlioth    mt 

le  dauphin ,  paraissait  gagner  à  cet  arrangement  :  le  duc  de  Bourgogne  était 
vengé;  Charles  VI  gardait  sa  couronne-,  et  la  France  y  trouvait  l'assurance 
de  voir  se  rétablir  un  jour  l'union  de  ses  provinces.  Jamais  paix  avait - 
elle  tant  donné  aux  vaincus?  — Mais  le  vainqueur  n'y  perdait  rien  que 
l'odieux  même  de  la  victoire.  La  conquête,  se  voilant  sous  les  apparences 

JEANNE   d'arc.   III.   —    2 


INTRODUCTION, 


d'un  bon  accord  ,  y  trouvait  le  moyen  de  s'affermir  et  de  s'accroître.  Que  si. 
pour  porter  la  couronne,  Henri  V  devait  attendre  la  mort  de  Charles  VI. 


Fig.  6.  —  Isabeau  de  Bavière,  iciihiil- ne  i,ii,n  ks  \1,  en  grande  parure  de  cuui,  avec  deux  suivantes  <^ui 
portent  :  l'une,  laqueuedeson  manteau,  Tautre,  ceUedtsîrobe. TWédu  PortefcuilleGaignières,  d'après 
une  peinture  du  temps.  Biblioth.  nationale.  —  Par  le  traité  de  Troyes  (1420),  Isabeau  dépouillje  son 
propre  fils  (Charles  VII)  et  donne  à  Henri  V  d'Angleterre,  c'poux  de  sa  fille,  le  titre  de  régent  et  d'héritier 
de  la  couronne  de  France. 


il  n'attendait  rien  pour  en  exercer  tous  les  droits.  II  allait  gouverner  à  la 
place  du  roi  malade,  et  poursuivre  en  son  nom,  avec  les  ressources  des  deux 
couronnes,  la  s^uerre  contre  le  dauphin  et  les  Armagnacs.  Charles  VI  sem 


INTRODUCTION. 


blait  ne  plus  vivre  que  pour  couvrir  cette  intrusion  et  la  faire  mieux  agréer 
de  la  France. 

Disons-le  donc  :  jamais  la  P>ance  ne  fut  si  bas  dans  l'histoire  qu'à  Tépoque 
du  traité  de  Troyes.  Ce  traité,  sous  prétexte  d'unir  les  deux  pays,  abandon- 
nait en  une  fois  à  l'Angleterre,  non  pas  seulement  ce  qu'elle  avait  conquis. 


Fig.  7.  — Portrait  de  Henri  V  d'Angleterre,  avec  une  le'geiide  latine  qui  signifie  ;  Roi  et  sfi^'ncur  J'Ilihcrnie 
(Irlande),  Roi  d'Angleterre  et  de  France.  Gravure  du  xvii"'  s.,  d'après  une  peinture  du  temps.  —  Henri  V 
mourant  au  château  de  Vincennes,  près  Paris,  institua  ses  deux  frères  régents  de  son  fils  mineur  ;  Bcdford 
pour  la  France,  Glocester  pour  TAngleterre. 


mais  ce  qui  lui  restait  à  conquérir.  Le  vainqueur  voulait  bien  n'être  que 
l'héritier  du  vaincu ,  et  promettait  de  lui  laisser,  sa  vie  durant ,  les  orne- 
ments de  la  royauté  ,  un  état  honorable ,  la  résidence  en  son  royaume  \ 
mais  au  fond  il  était  roi  déjà  ,  ayant  la  capitale  et  tous  les  grands  instruments 
du  pouvoir.  La  France,  livrée  par  tous  ceux  qui  la  devaient  défendre,  le 


INTRODUCTION. 


roi,  les  princes,  les  états  généraux,  le  parlement  et  Funiversité  de  Paris, 
n'avait  de  refuge  pour  sa  nationalité  qu'auprès  d'un  prince  déshérité  par 
son  père  comme  assassin,  et  dans  le  camp  plus  que  jamais  odieux  des 
Armagnacs.  C'est  là  que  Henri  V  comptait  lui  porter  bientôt  le  dernier 
coup  lorsqu'il  mourut,  et  Charles  VI  après  lui  (!3 1  août  et  22  octobre  1422). 


CHARLES    VII    ET     HENRI    VI. 

La  mort  de  Henri  V  préservait  le  dauphin  d'une  perte  immédiate,  sans  le 
sauver  pourtant. 

Henri  VI ,  proclamé  roi  de  France  après  la  mort  de  Charles  VI ,  était  un 
enfant  de  dix  mois,  et  une  telle  minorité  convenait  peu  à  de  si  grandes 
affaires;  mais  Henri  V  avait  sagement  pourvu  à  la  régence.  De  ses  deux 
frères  ,  il  avait  désigné  le  plus  jeune  ,  Glocester,  pour  l'Angleterre;  l'aîné  , 
Bedford,  le  plus  capable,  pour  la  F'rance  :  et  cet  arrangement  avait  été 
maintenu  au  fond  par  le  parlement,  avec  un  changement  dans  les  titres, 
propre  à  calmer  les  susceptibilités  du  peuple  anglais.  Désigner  l'aîné  des 
princes  pour  la  France ,  n'était-ce  pas  donner  à  la  France  le  pas  sur  l'An- 
gleterre? Bedford  fut  régent  des  deux  royaumes;  Glocester,  son  lieutenant 
en  Angleterre  ,  sous  le  nom  nouveau  de  protecteur  ;  et,  de  cette  façon ,  le  plus 
habile  pouvait  demeurer  où  était  le  danger. 

Le  dauphin  avait  été  proclamé  aussi  à  la  mort  de  Charles  VI ,  sous  le 
nom  de  Charles  VII,  et  il  était,  lui ,  en  âge  de  régner.  Mais  la  faiblesse  de 
son  caractère,  un  incroyable  abandon  à  l'empire  des  autres  au  moment  où 
il  devenait  le  chef  de  l'État,  le  rendaient  comme  étranger  aux  affaires.  Il 
semblait  se  complaire  dans  l'inaction  où  on  le  retenait  :  «  N'avoit  point  cher 
la  guerre  s'il  s'en  eût  pu  passer.  »  La  conduite  du  royaume  restait  donc  à 
ceux  qui  l'entouraient  :  or  c'étaient  les  plus  fougueux  des  Armagnacs ,  des 
hommes  qui  n'avaient  rien  à  attendre  du  parti  contraire  ;  qui ,  pour  s'en 
mieux  garder,  n'avaient  pas  craint  de  se  faire  une  barrière  de  l'assassinat  : 
Tannegui  du  Chastel,  Narbonne,  Louvet,  et  divers  seigneurs,  parmi  les- 
quels le  sire  de  Rais,  de  sinistre  mémoire  ,  des  étrangers  tels  que  le  conné- 
table de  Buchan  (Jean  Stuart' ,  Douglas,  le  Lombard  Théode  de  Valpergue 


INTRODUCTION. 


(Valperga) ,  ou  bien  encore,  parmi  les  meilleurs,  quelques  hardis  chefs  de 
bandes,  Poton  de  Xaintrailles,  la  Hire  :  la  Hire,  qui  jurait  que  Dieu  le 
Père,  s'il  se  faisait  gendarme,  se  ferait  pillard,  et  qui,  en  raison  de  cette 
confraternité,  s'écriait  «  en  son  gascon  ,  »  avant  de  se  jeter  dans  la  bataille  : 
«  Dieu ,  je  te  prie  que  tu  fasses  aujourd'hui,  pour  la  Hire  autant  que  tu 
voudrois  que  la  Hire  fît  pour  toi,  s'il  étoit  Dieu  et  que  tu  fusses  la 
Hire  '  !  » 

Tout  l'avantage  demeurait  donc  au  jeune  Henri  VI.  Avec  les  ressources 
de  FAngleterre  et  ce  qu'elle  avait  directement  conquis  en  France ,  il  avait  ce 
que  lui  donnait  dans  le  royaume  le  parti  du  duc  de  Bourgogne,  c'est-à-dire 
presque  tout  le  Nord;  il  avait  Paris  et  tous  les  grands  corps  de  l'Etat;  et  ses 
alliances  venaient  encore  de  s'affermir  et  de  s'étendre.  Dans  une  conférence 
tenue  par  Bedfort  à  Amiens  (vers  Pâques,  1423),  le  duc  de  Bretagne  et 
son  frère  Richement  s'étaient  rencontrés  avec  le  duc  de  Bourgogne;  et  un 
double  mariage  resserra  par  des  liens  de  famille  l'union  des  pays  :  le  duc  de 
Bourgogne  cionnait  une  de  ses  sœurs  à  Bedford  et  une  autre  à  Richemont. 
Charles  VU  retenait  dans  sa  cause  les  princes  du  sang  royal,  moins  le  duc 
de  Bourgogne,  savoir:  les  maisons  d'Orléans,  d'Anjou,  d'AIençon,  de 
Bourbon,  maisons  dont  les  chefs,  il  est  vrai  (Orléans  et  Bourbon),  ou  en 
partie  les  domaines  (Anjou  et  Alençon) ,  étaient  entre  les  mains  des  Anglais. 
Il  avait  encore  généralement  sous  ses  lois  les  seigneurs  et  les  provinces  du 
centre  et  du  Midi,  entre  la  Guj'enne,  domaine  des  Anglais,  d'une  part,  et 
d'autre  part  le  prince  d'Orange,  allié  des  Bourguignons,  et  le  duc  de 
Savoie  qui  inclinait  du  même  côté,  tout  en  cherchant  à  ménager  la  pai.x  avec 
le  roi  de  France.  Il  s'était  fait,  des  conseillers  de  Paris  restés  fidèles  à  sa 
cause,  une  ombre  de  parlement  à  Poitiers.  Il  avait  réuni  après  son  avéne- 

1  Gilles  de  Laval,  seigneur  de  Rais,  né  vers  iSgô.  Il  commença  à  paraître  aux  armées  vers  1420,  et  nous  le 
retrouverons  avec  la  Pucelle.  Nul  ne  fut  plus  indigne  de  cet  honneur.  11  fut  le  type  de  Barbe-Bleue;  mais  la 
fiction  n'approche  pas  de  la  réalité,  le  conte  est  fort  au-dessous  de  l'histoire.  —  Le  connétable  dt;  Buclian 
Jean  Stuart,  deuxième  fils  du  ducd'Albany,  vint  en  France  avec  6,000  Écossais  en  1420,  et  fut  nommé  conné- 
table de  France,  le  14  avril  n-n.  — Douglas  {Arcliibald).  U  avait  combattu  les  Anglais  à  la  frontière  d'Ecosse 
avant  de  venir  les  retrouver  en  France.  — Poton  de  Xaintrailles.  Son  prénom  le  distingue  de  Jean,  seigneur 
de  Xaintrailles,  qui  figura  dans  les  armées  de  Charles  VII.  U  fut  un  des  plus  brillants  jouteurs  et  un  des 
plus  audacieux  aventuriers  d  e  ce  temps-là.  Pris  et  racheté  plusieurs  fois  (en  142 1 ,  en  1423),  il  sut  regagner  pi  us 
que  sa  rançonsur  l'ennemi.  — Lii  Hire  (Etienne  de  Vignoles),  né  vers  iSgo,  compagnon  inséparable  de  Poton 
de  Xaintrailles,  Gascon  comme  lui,  et  comme  lui  attaché  au  service  du  dauphin  vers  14  iS,  après  que  Tan  ne- 
guy  du  Chaste  1,  l'enlevant  de  Paris,  l'eut  sauvé  des  Bourguignons.  —  L'étrange  prière  de  la  Hire  est  rapportée 
dans  la  chron-qu:;  de  Jacques  le  Bouvier,  dit  Berri,  publiée  par  Godefroi,  Vie  de  Charles  VU,  p.  45.S. 


INTRODUCTION. 


ment  les  états  généraux  du  ro}'aunie  à  Bourges;  il  réunit  successivement 
chaque  année  les  états  soit  de  Langue  d'Oc,  soit  de  Langue  d'Oil  ou  des 
deux  langues  ensemble,  à  Carcassonne,  à  Selles  en  Berri,  à  Poitiers,  à 
Béziers,  à  Chinon  :  c'était  pour  lui  le  seul  moyen  d'avoir  un  peu  d'argent. 
Mais  ,  avec  tout  cela,  sa  détresse  était  extrême.  L'argent  allait  au  superflu  et 
manquait  au  nécessaire.  La  guerre,  pour  laquelle  les  états  votaient  des  sub- 
sides, n'en  avait  que  la  moindre  part.  Les  troupes  du  roi,  composées  en 
partie  d'Ecossais  et  de  Lombards  (les  Écossais  par  haine  de  l'Angleterre-, 
les  Lombards  par  attachement  à  la  maison  de  Valentinc  de  Milan ,  et  tous 
un  peu  par  amour  de  la  solde  ou  du  pillage),  ses  troupes,  ainsi  formées, 
donnaient  à  sa  cause  un  air  que  la  présence  des  Gascons  d'Armagnac  ne 
rendait  pas  beaucoup  plus  national ,  et  la  manière  d'agir  de  cette  armée 
faisait  bien  plus  douter  encore  qu'elle  fût  française  :  car  il  lui  fallait  vivre, 
et  elle  vivait  aux  dépens  du  pays.  On  avait  donc  tout  à  gagner  en  l'envoyant 
en  pays  ennemi,  et  l'on  chercha,  par  son  moyen,  à  se  rouvrir  les  voies  de 
communication  avec  les  villes  demeurées  fidèles  en  Champagne  et  en  Picar- 
die. Mais  des  deux  côtés  on  échoua.  Vers  la  Champagne,  on  se  fit  battre 
en  voulant  reprendre  Cravant  (sur  l'Yonne)  aux  Bourguignons  (i"'  juillet 
1423);  en  Picardie,  on  laissa  le  Crotoy  tomber  aux  mains  des  Anglais 
(3  mars  1424),  et  tandis  que  Compiègne  et  d'autres  places  du  Nord  étaient 
perdues  de  même,  un  partisan  bourguignon,  Perrin  Grasset,  prenait  la 
Charité  et  la  gardait,  donnant  déjà  à  son  parti  un  passage  sur  la  Loire  (  pre- 
miers mois  de  1424  . 

Heureusement  pour  la  France,  Henri  VI  avait  pour  oncle  non  pas  seu- 
lement Bedford ,  mais  aussi  Glocester  ;,  et ,  tandis  que  le  premier  faisait  tout 
pour  se  mieux  assurer  l'alliance  du  duc  de  Bourgogne,  l'autre  faillit  la 
rompre.  Il  décidait  Jacqueline  de  Hainaut  à  répudier  le  duc  de  Brabant , 
cousin  de  Philippe  le  Bon,  pour  l'épouser  lui-même,  froissant  par  là  le  duc 
de  Bourgogne  dans  ses  intérêts  les  plus  chers;  car  Jacqueline,  par  son 
divorce,  rompait  les  liens  de  famille  qui  l'attachaient  à  ce  prince,  et  par  son 
nouveau  mariage  elle  lui  enlevait  l'espoir  d'une  succession  qui  semblait 
infaillible  ,  tant  qu'elle  aurait  eu  pour  mari  le  valétudinaire  duc  de  Brabant. 
Cette  querelle,  qui  absorbait  justement  toute  l'attention  de  Bedford,  donna 
quelque  relâche  au  roi  de  France.   Il  eut  même  un   instant  l'espoir  de  se 


INTRODUCTION. 


relever  et  de  porter  à  ses  adversaires  un  coup  décisif.  De  nouveau.x  renforts 
lui  étaient  venus  d'Ecosse  et  d'Italie;  pour  se  les  mieux  attacher,  il  prodi- 
guait à  leurs  chefs  des  titres  et  des  honneurs  qui  excitaient  Tenvie  des  sei- 
gneurs indigènes.  Cette  mésintelligence  fit  tourner  en  défaite  la  bataille 
qu'on  espérait  gagner.  Les  Français  venaient  de  laisser  prendre  Ivrj'  par 
Bedford  ;  par  compensation  ils  s'étaient  fait  livrer  Verneuil,  donnant  à  croire 


FIg.  n.  ~  l,e  uuc  de  l.caioid,  retient  de  France  au  nom  de  Henri  VI  d'Angleterre,  mineur.  Bedford  est 
entouriS  de  divers  personnages;  un  auteur,  à  genou,  lui  offre  son  Mvrt  le  Pèlerinage  de  l'âme.  IWs.  fr.de  la 
première  moitié  du  xv'  s.,  n"  602,  à  la  bibliotli.  nat. 


au  gouverneur  qu'ils  revenaient  de  battre  le  régent.  Mais  Bedford  arriva 
bientôt  sous  les  murs  de  la  place,  et,  mettant  pied  à  terre,  rangea  ses  troupes 
en  bataille  derrière  une  ceinture  de  pieux  aiguisés.  Douglas  voulait  attendre 
qu'il  en  sortît-,  le  vicomte  de  Narbonne  répondit  à  son  conseil  en  se  jetant 
au  cœur  des  troupes  anglaises,  là  où  était  Bedford  ,  et  il  fut  suivi  des  Écos- 
sais. La  Hire,  Xaintrailles,  qui  menaient  une  des  ailes,  renversèrent  tout 
sur  leur  passage  et  poursuivirent  ceux  qu'ils  chassaient,  croyant  trop  tût  à 
la  victoire.  Les  Lombards,  qui  étaient  à  l'autre  aile,  devaient  tourner  l'en- 


INTRODUCTION. 


nemi  ;  et  déjà  ils  avaient  repoussé  les  archers  préposés  à  la  garde  des  che- 
vaux et  des  bagages  :  mais  ils  se  mirent  à  piller  les  bagages  et  à  emmener 
les  chevaux  •,  et  les  archers  anglais,  demeurés  libres  de  se  porterau  fort  de  la 
bataille,  décidèrent  delà  journée.  Nos  troupes  succombèrent,  privées  de 
ceux  qui  les  devaient  soutenir.  Le  jeune  duc  d'Alençon  ',  le  maréchal  de 
la  Fayette  ■  et  maint  autre  chevalier  furent  pris.  Le  vicomte  de  Narbonne, 
le  connétable  de  Buchan,  Douglas,  etpresque  tous  les  Ecossais  demeurèrent 
sur  la  place  (17  août  1424'. 

Ainsi  rien  ne  réussissait  à  Charles  VIL  Dans  cette  lutte  où  FAngleterre 
n'avait  pu  rentrer  encore  avec  toutes  ses  forces,  il  avait  tenté  doux  coups  un 
peu  plus  décisifs,  à  Gravant,  à  Verneuil,  et  il  avait  été  battu.  Tout  n'était 
point  perdu  encore,  grâce  à  la  diversion  du  Hainaut.  Glocester,  ayant 
épousé  Jacqueline,  voulait  entrer  en  possession  de  ses  Etats.  Qu'eut- il 
gagné  à  prendre  la  femme  sans  la  dot?  Mais  c'était  ce  que  le  duc  de  Bour- 
gogne se  montrait  le  moins  disposé  à  laisser  prendre.  La  lutte  était  immi- 
nente :  les  ducs  de  Bourgogne  et  de  Glocester  s'étaient  défiés  réciproque- 
ment (mars  1425).  Bidford  avait  fait  annuler  le  défi,  sans  écarter  d'ailleurs 
la  cause  de  la  querelle;  et  depuis  quelque  temps  déjà  le  duc  de  Bour- 
gogne semblait  se  refroidir  à  l'égard  de  l'Angleterre.  Il  venait  d'épouser 
{'io  novembre  1424;  Bonne  d'Artois,  veuve  du  comte  de  Nevers,  tué 
à  Azincourt,  et  sœur  du  comte  d'Eu,  retenu  depuis  lors  prisonnier  par 
les  Anglais.  C'était  une  voie  qui  !c  pouvait  ramener  vers  la  France. 
D'autres  l'attiraient  du  même  côté,  et  par  exemple  le  frère  du  duc  de 
Bretagne,  le  comte  de  Richemont ,  qui,  blessé  d;s  défiances  et  des 
refus  de  Bedford,  venait  de  rompre  avec  lui  (mars  1424)  malgré  les 
liens  de  famille  nouvellement  contractés.  Le  pape  Martin  V,  le  duc  de 
Savoie,  sollicitaient  Philippe  à  la  réconciliation  :  et  il  avait,  dans  une  cir- 
constance récente,  accueilli,  sans  trop  les  décourager,  plusieurs  prélats 
députés  par  Charles  'VII  (Màcon,  décembre  1423).  Que  fallait-il  pour 
qu'il  se  rapprochât  du  roi?  Il  fallait  qu'il  ne  trouvât  plus  auprès  de  lui  ces 
chefs  armagnacs  auteurs  de  la  mort  de  son  père.  Il  le  disait  à  des  ambas- 

1  Jean  II,  surnommé  le  Beau,  fils  de  Jean  le  Sage,  né  le  2  mars  1409  et  héritier  du  duché  d'Alençon 
en  1415. 

2  Gilbert  de  la  Fayette,  né  vers  i38o.  Il  avait  embrassé  de  bonne  heure  la  cause  de  Charles  VU,  alors 
dauphin;  il  était,  depuis  1420,  maréchal  de  France. 


INTRODUCTION.  17 


sadeurs  qui  excusaient  le  roi  sur  sa  jeunesse  au  temps  du  crime,  et  sur  ses 
mauvais  conseillers  :  «  Que  ne  s'en  est-il  débarrassé  encore  ?  »  Le  moment 
en  était  venu.  C'est  ce  que  comprit  une  femme  de  grand  sens,  qui  savait  do- 
miner Charles  VII  par  l'autorité  de  sa  position  comme  par  l'ascendant  de 
son  esprit,  la  reine  de  Sicile,  Yolande  d'Aragon,  veuve  de  Louis  II  d'Anjou 
et  mère  de  la  jeune  reine  de  France.  Ce  fut  par  ses  conseils  qu'il  eut  avec 
Richemont,  à  Angers,  une  entrevue  (octobre  1 424)  où  il  lui  offrit  l'épée  de 
connétable  de  France.  Richemont,  frère  du  duc  de  Bretagne  et  beau-frère 
du  duc  de  Bourgogne,  nommé  connétable  avec  l'assentiment  de  l'un  et  de 
l'autre  (ô  mars  i425\  pouvait  devenir  un  lien  entre  le  roi  et  ces  deux 
princes.  Les  chefs  armagnacs  ne  tentèrent  pas  longtemps  de  retenir  un  pou- 
voir qui  leur  échappait;  et  le  principal,  Tannegui  du  Chastel,  couvrit  au 
moins  sa  retraite  d'une  noble  parole  :  «  Que  jà  à  Dieu  ne  plut,  que  pour 
lui  demeurât  à  faire  un  si  grand  bien,  comme  le  bien  de  paix  entre  le  roi  et 
Monseigneur  de  Bourgogne.  » 

Cette  petite  révolution  de  palais  pouvait  tout  changer  dans  la  France. 

Mais  les  espérances  que  l'on  avait  conçues  furent  trompées  :  Richemont, 
appelé  par  son  frère,  le  duc  de  Bretagne,  à  prendre  le  commandement  des 
troupes  bretonnes,  se  fit  battre  à  l'attaque  de  Saint-James  de  Beuvron 
(6  mars  1426)  ;  et  les  choses  n'allaient  pas  mieux  à  l'intérieur.  Fier  du  con- 
cours qui  se  faisait  autour  de  lui,  il  ne  gardait  pas  de  mesure  et  se  rendait 
odieux  par  son  despotisme.  Trop  rude  pour  mener  le  jeune  roi  par  lui- 
même,  il  avait  imaginé  de  le  conduire  par  des  favoris  que  le  prince  accep- 
tait de  sa  main  ;  or,  ces  hommes  mêmes  ne  songeaient  à  user  de  la  faveur  du 
roi  que  pour  secouer  le  joug  du  connétable.  Ces  intrigues  dominèrent  toute 
autre-  chose  :  elles  faisaient  avorter  les  campagnes  ;  et  en  somme  l'œuvre  de 
Richemont  se  réduisit  à  faire  tuer  deux  de  ses  favoris  (Giac  et  Beaulieu' 
et  à  se  faire  chasser  par  le  troisième  (la  Trémouille)  '  (1427). 

Le  gouvernement   revenait  donc  aux  Armagnacs;  plus  d'espoir,  ni  du 

1  Georges  de  la  Trémouille,  né  vers  i385,  fort  lié  avec  le  duc  deCuyenne,  alors  dauphin,  combattitetlut 
prisàAzincourt.  En  1416,  il  épousa  Jeanne,  comtesse  de  Boulogne  et  d'Auvergne,  et  devint  un  des  familiers 
delà  courd'Isabeau  de  Bavière.  En  141S,  assiégé  dans  sa  résidence  de  Sully-sur-Loire  par  les  partisans  du 
nouveau  dauphin,  il  fut  pris,  et  se  fit  Armagnac,  sans  rompre  d'ailleurs  toute  relation  avec  les  Bour- 
guignons. Devenu  veuf,  il  épousa  la  veuve  de  Giac,  qu'il  avait  aidé  à  renverser;  ce  ne  fut  pas  sa  seule 
part  dans  ses  dépouilles,  puisque  bientôt  il  obtint  sa  place  auprès  du  roi  avec  le  titre  de  grand  cham- 
bellan, et  toute  facilité  pour  évincer  le  connétable. 


INTRODUCTION. 


côté  de  la  Bretagne,  qu'on  avait  laissée  retourner  aux  Anglais  faute  de  la 
secourir  1^1427- 1428^  ni  du  côté  de  la  Bourgogne,  qu'on  n'avait  pas  su  en 
détacher  à  temps;  et,  pendant  que  ces  fautes  se  commettaient  à  la  cour  de 
Charles  ^'II,  Bedford  avait  pourvu  de  son  côté  aux  dangers  les  plus  pres- 
sants. Il  avait  mis  un  terme  aux  fatales  querelles  de  Glocester,  soit  avec  le 
duc  de  Bourgogne,  soit  avec  révêque  de  Winchester  :  avec  Winchester,  en 
détournant  ailleurs  Tambiiion  du  cardinal-,  avec  le  duc  de  Bourgogne,  en 
dissipant  toutes  les  craintes  que  les  projets  de  Glocester  lui  avaient  causées. 
Le  mariage  de  ce  prince  et  de  Jacqueline  avait  été  cassé  par  le  pape;  bien 
plus,  le  duc  de  Brabant,  le  mari  légitime,  étant  mort  (i  7  avril  1427 ',  Glo- 
cester n'avait  pas  même  songé  à  renouer  l'union  rompue,  et  il  avait  laissé 
Jacqueline  et  le  comté  de  Hainaut  pour  épouser  sa  maîtresse.  Le  duc  de 
Bourgogne,  un  instant  incertain,  comme  le  duc  de  Bretagne,  un  instant 
ennemi,  était  donc  plus  étroitement  rattaché  à  l'alliance  anglaise,  et  Char- 
les \'II  restait  seul  avec  son  triste  entourage.  C'était  pour  Bedford  le  moment 
de  reprendre  enfin  l'œuvre  interrompue  de  Henri  V.  L'échec  de  War- 
wick  '  devant  Montargis,  délivré  par  l'heureuse  audace  du  bâtard  d'Orléans 
et  de  la  Hire  (5  septembre  1427),  ne  l'ébranla  point.  Il  voulut  imprimer  à 
la  guerre  un  mouvement  tout  autrement  décisif,  passer  la  Loire,  et  ne  plus 
laisser  même  à  Charles  VII  le  triste  nom  de  roi  de  Bourges.  Une  seule 
chose  restait  à  résoudre  :  où  passer  la  Loire?  A  Angers  ou  à  Orléans?  En 
Angleterre  on  avait  pensé  à  Angers.  C'est  de  ce  côté  que  l'on  avait  fait  le 
plus  de  progrès.  On  s'était  même  engagé  envers  le  duc  d'Orléans,  prison- 
nier, à  ménager,  en  récompense  de  quelques  bons  offices,  les  terres  de  son 
apanage.  Mais  Orléans  était  le  cœur  du  royaume  :  c'est  là  que  Bedford  vou- 
lait porter  le  coup.  Salisbury  -,  rappelé  d'Angleterre  pour  remplacer  War- 
wick  à  la  tète  de  l'armée,  reçut  l'ordre  d'assiéger  Orléans  (mai  ou  juin 
1428). 

1  Edmond  de  Beauchamp,  comte  de  Warwick,  un  des  principaux  capitaines  de  Henry  V  ;  il  devint 
quand  il  fut  rappelé  du  continent  après  cette  campagne^  gouverneur  du  jeune  Henri  VI. 
i  Thomas  de  Montague,  comte  de  Salisbury;  Henri  l'avait  lait  comte  du  Perche. 


INTRODUCTION. 


19 


LE    SI  li(}h:     I)    OKLliANS. 

Orléans  avait  une  importance  capitale  dans  cette  crise  suprême.  On  pou- 
vait passer  la  Loire  ailleurs,  mais  on  ne  se  croyait  point  en  sûreté  au  delà 
si  Ton  n'avait  Orléans.  C'était  là  qu'il  fallait  conquérir  les  clefs  du  centre  de 
la  France.  La  ville,  située  sur  la  rive  droite  du  fleuve,  était  reliée  à  la  rive 
gauche  par  un  pont  à  la  tète  duquel  s'élevait  un  fort  composé  de  deux  tours 
et  appelé  les  Tourelles.  Ce  fut  par  là  que  Salisburv  vint  l'attaquer.  Il  occupa 


Fij;.  9.  —  Salisbury,  monté  au  deuxième  étage  de  la  forteresse  des  Tourelles  pour  considérer  Orléans 
est  blessé  h  mort  d'un  éclat  de  boulet.  Ms.  fr.,  5o54,  du  xv'  s.,  à  la  bibliotli.  nat. 


au  voisinage  un  couvent  à  demi  ruiné  dont  il  se  tit  une  bastille,  les  Augus- 
tins-,  et  de  là  il  battit  et  enleva  les  Tourelles.  Mais  il  n'alla  pas  plus  loin.  Il 
était  monté  au  second  étage  de  l'une  des  tours,  et  il  examinait  l'enceinte  de 
la  place,  quand  un  éclat  de  boulet  le  frappa  au  visage,  et  le  renversa,  blessé 
à  mort,  auprès  d'un  chevalier  tué  du  même  coup.  Les  Anglais  l'emportèrent 
à  Meun  en  secret,  mais  non  pas  de  telle  sorte  que  la  nouvelle  n'en  vînt  à 
Orléans  ;  elle  s'y  répandit  avec  des  circonstances  merveilleuses.  On  disait 
que  Glasdale,  nommé  par  Salisbury  capitaine  des  Tourelles,  lui  en  faisait 
les  honneurs  et  lui  montrait  Orléans  de  la  fenêtre,  disant  :  «   Monseigneur, 


INTRODUCTION. 


regardez  ici  votre  ville  ;  vous  la  voyez  d'ici  bien  à  plein.  «  Salisbury  regarda 
et  reçut  le  coup  dans  l'œil.  L'attaque  était  suspendue  après  la  rude  affaire 
de  cette  journée",  les  canonniers  étaient  allés  dîner  :  c'était  un  enfant  qui, 
rôdant  sur  les  remparts  et  voyant  une  pièce  abandonnée,  avait  eu  l'idée  d'y 
mettre  le  feu.   Jamais  coup  visé  n'atteignit  mieux  le  but  (21  octobre). 

En  forçant  les  Tourelles,  Salisbury  n'avait  pas  songé  sans  doute  à  péné- 
trer par  là  dans  Orléans.  Il  voulait  tenir  la  tête  du  pont,  fermer  à  la  ville  ses 
communications  avec  le  sud  de  la  Loire,  et  préparer  l'attaque  sérieuse  qui 
se  devait  faire  par  le  nord.  Les  Tourelles,  isolées  du  pont  par  la  rupture  des 
deux  premières  arches,  furent  laissées  sous  la  garde  de  Glasdale,  homme  de 
cœur  et  de  tête  ;  et  vers  la  fin  de  l'année  Talbot  et  Suflblk  arrivèrent  sur  la 
rive  droite  pour  commencer  vraiment  le  siège.  Ils  s'établirent  à  l'ouest  delà 
ville  près  de  la  Loire,  sur  les  ruines  de  l'église  Saint- Laurent,  dont  ils  firent 
une  bastille  :  deux  boulevards  formés  de  terre  et  de  fascines,  l'un  dans  l'île 
Charlemagne,  l'autre  sur  la  rive  opposée,  au  champ  Saint- Privé,  la  reliaient 
aux  Augustins  et  aux  Tourelles  :  et  d'autre  part  ils  étendaient  leur  front  d'at- 
taque vers  le  nord  en  élevant  successivement  le  boulevard  de  la  Croix-Bois- 
sée,  en  face  de  la  porte  Renard,  et  la  bastille  entre  Saint-Ladre  et  Saint- 
Pouair,  en  face  de  la  porte  Bannier,  sur  l'emplacement  actuel  de  la  porte  du 
même  nom. 

Les  forces  des  deux  côtés  n'étaient  pas  très-considérables.  Les  Anglais 
avaient  800  hommes  sur  la  rive  gauche,  dans  les  Tourelles  et  dans  les 
Augustins,  et  3,700  hommes  sur  la  rive  droite.  Les  Orléanais  avaient  reçu 
lia  i,3oo  hommes  de  garnison  et  pouvaient  armer  environ  5, 000  des 
leurs.  Ils  avaient  à  leur  tête,  comme  lieutenant  de  leur  duc  prisonnier,  le 
jeune  bâtard  d'Orléans  (Dunois),  celui  dont  Valentine  de  Milan,  voyant  en 
lui  le  digne  héritier  et  le  vengeur  de  son  mari,  disait  :  «  On  me  l'a  volé  '  !  » 
et  comme  bailli  du  même  prince  et  gouverneur  de  la  ville,  un  brave  cheva- 
lier, Raoul  de  Gaucourt,  qui  avait  combattu  à  Nicopolis  en  i3()(3,  et 
vaillamment  défendu  H arfleur  contre  les  Anglais  en  1415.  Si  les  Orléanais 
étaient  résolus  à  se  défendre,  le  bâtard    d'Orléans  ne  l'était  pas  moins  à 


1  Le  bâtard  d'Orléans  sera  quelquefois  appelé  par  anticipation  Dunois  dans  notre  récit,  comme  il  l'est 
dans  les  chroniqueurs  qui  ont  écrit  postérieurement  à  l'époque  où  il  reçut  du  duc  d'Orléans,  son  frère, 
le  comté  de  ce  nom  (21  juillet  I  0g). 


INTRODUCTION. 


garder  dans  leur  ville  l'apanage  de  son  frère;  et  Raoul  de  Gaucourt,  retenu 
depuis  la  prise  d'Harflcur  dans  les  prisons  des  Anglais,  venait  d'en  sortir 
après  onze  ou  douze  ans  avec  le  désir  de  prendre  sur  eux  une  éclatante 
revanche. 

Une  rencontre  d'où  la  ville  attendait  son  salut  fit  pencher  la  balance  du 
côté  des  assiégeants. 

Falstolf  amenait  de  Paris  aux  Anglais  un  renfort  de  2,5oo  hommes  envi- 
ron et  un  convoi  de  vivres.  La  cour,  pressée  par  les  Orléanais,  se  décida  à 
envoyer  le  comte  de  Clermont  avec  3  à  4,000  hommes  pour  l'arrêter.  Une 
autre  troupe  de  i,5oo  hommes  avec  la  Hire  et  Poton  de  Xaintrailles  par- 
tit d'Orléans  à  la  même  fin.  Le  convoi  sortait  par  longue  file  de 
Rouvray-Saint-Denys,  quand  ceux  d'Orléans  le  rencontrèrent.  Rien  de 
plus  facile  que  de  le  rompre.  La  Hire  voulait  charger,  mais  le  comte  de 
Clermont,  qui  n'était  pas  encore  là,  ordonnait  qu'on  l'attendît.  Ce  fut  la 
perte  de  la  journée.  Falstolf  eut  le  temps  de  se  faire  de  ses  chariots  une  bar- 
ricade. L'attaque  mal  conduite  échoua;  et  le  vainqueur  put  amener  aux 
bastilles  anglaises  tout  son  convoi,  moins  un  certain  nombre  de  tonnes  de 
harengs  qui ,  défoncées  par  le  canon,  jonchèrent  le  champ  de  bataille  de  leurs 
débris  :  d'où  le  nom  de  Journée  des  Harengs  (12  février  i429\ 

Les  Anglais  ainsi  ravitaillés  purent  donner  plus  d'extension  à  leur  attaque. 
Rappelant  à  eux  leurs  garnisons  voisines,  ils  construisirent  une  nouvelle 
bastille  à  Saint-Loup,  à  l'est  d'Orléans,  et  deux  boulevards  qui  resserraient 
l'espace  demeuré  libre  dans  l'intervalle  :  ils  nommèrent  le  premier  Londres, 
le  second  Rouen.  Un  peu  après  ils  achevèrent  leur  bastille  du  nord  entre 
Saint-Pouair  et  Saint- Ladre,  et  la  nommèrent  Paris.  Ainsi  le  blocus  deve- 
nait plus  étroit,  et  le  moment  semblait  proche  où  les  Anglais,  maîtres  des 
principales  routes,  pourraient,  en  interceptant  les  arrivages  de  vivres,  tour- 
ner contre  la  ville  le  nombre  même  des  habitants.  Les  Orléanais,  n'espé- 
rant plus  rien  du  roi  de  France,  tentèrent  une  démarche  qui  les  pouvait 
du  moins  soustraire  aux  Anglais.  Ils  voyaient  des  Bourguignons  parmi  les 
assiégeants  :  ils  s'adressèrent  au  duc  de  Bourgogne,  le  priant  de  prendre 
en  garde  l'héritage  du  duc  d'Orléans,  son  cousin;  et  Philippe  le  Bon 
accueillit  volontiers  ce  message.  Mais  Bedibrd,  auquel  il  s'adressa,  récon- 
duisit sans  beaucoup  de  formes,  disant  «  qu'il  seroit  bien   marry  d'avou" 


INTRODUCTION. 


battu  les  buissons  et  que  d'autres  eussent  les  oisillons.  «  Le  duc  blessé  rap- 
pela du  siège  ceux  de  son  obéissance. 

C'était  une  perte  de  i  ,000  à  i  ,200  hommes  pour  les  Anglais.  Ils  ne  s'en  ému- 
rent pas.  Ils  se  disaient  qu'ils  seraient  seuls  à  garder  la  conquête  :  le  duc  de 
Bourgogne  se  retirait  à  point  pour  perdre  le  fruit  qu'il  aurait  pu  attendre  de 


Fif;.  10.  —  «  Comment  Poton  (Poton  de  Xaintraillcs)  fut  vers  le  Juc  Je  Bourgogne  |H)ur  la 
les  Anglais.  »  Ms.  fr.  n°  5o54,  daté  de  1484,  à  la  biblioth.  nat. 


son  concours;  et,  malgré  le  départ  très-précipité  des  Bourguignons,  ils  élevè- 
rent à  Saint-Jean-le-Blanc,  sur  la  rive  droite,  une  nouvelle  bastille  qui  con- 
courut avec  celle  de  Saint-Loup  à  la  garde  de  la  haute  Loire.  Quant  aux 
Orléanais,  ils  se  consolèrent  aussi  en  voyant  qu'ils  restaient  à  eux-mêmes  : 
car  déjà  avait  paru  celle  qui  se  disait  envoyée  de  Dieu  pour  les  délivrer, 
celle  qui  devait  associer  leur  nom  au  plus  beau  nom  de  l'histoire  :  Jeanne 
d'Arc,  la  Pucelle  d'Orléans. 


JEANNE  DARC 


m;t^ 


Ornement  tire  iVuii  ms.  du  xv  bh;cIo   n"  ïti/a    a  lu  lutjlioth.    imt. 


DOMREMY  ET  VAUCOULEURS 


L'Enfance  de  Jeanne  d'Arc.  —  Le  Départ. 


l'enfance  de  je.anne   d'arc. 


\.  vallée  de  la  Meuse,  de  Neufchàteau  à 
Vaucouleurs  et  au  delà,  se  prolonge  entre 
deux  chaînes  de  coteau.x  ou  de  mamelons, 
séparés  l'un  de  l'autre  par  des  gorges  plus 
ou  moins  profondes.  Les  hauteurs  gardent 
encore  quelques  restes  des  bois  qui  les 
couvraient  jadis;  la  vigne  en  a  pris  la  place 
sur  les  pentes  les  moins  roides  et  les  mieux 
exposées;  le  blé  succède  à  la  vigne  et  des- 
cend jusqu'aux  prairies,  qui  occupent,  sur 
une  largeur  de  douze  à  quinze  cents  pas, 
le  fond  uni  de  la  vallée.  La  Meuse  y  serpente  capricieusement  d'un  côté 
à  l'autre,  dans  un  lit  toujours  vert.  Trop  peu  profonde  pour  que  la  main 
de  l'homme  ait  entrepris  de  l'asservir  au  commerce  en  la  redressant,  elle 
va,  dans  son  cours  sinueux,  baigner  successivement  de  nombreux  villages. 
Nommons  entre  plusieurs  autres  :  Frebecourt,  au  pied  de  la  colline  d'où 
le  château  de  Bourlemont  semble  porter  au  loin  l'œil  du  maître;  Cous- 
sey,  Domremy,   sorte  d'annexé  de   Greux  qui  s'élève  au  débouché  de  la 

JEANNE  d'arc,  m.  —  4 


26  JEANNE   D'ARC. 


route  de  Gondrecourt  -,  Maxe}- ,  au  confluent  du  Vair,  Bure3'-la-Côte , 
Burey-en-Vau\,  et  Chalaines  en  face  de  Vaucouleurs  :  Vaucouleurs,  senti- 
nelle avancée  de  la  vieille  France,  fièrement  campée  sur  son  coteau,  comme 
pour  mieux  surveiller  la  chaussée  qui  continue,  à  travers  la  vallée,  le  pont 
de  la  Meuse  et  le  chemin  de  la  Lorraine.  Cette  longue  prairie,  presque  au 
niveau  de  la  rivière  ,  qui ,  chaque  année,  sans  effort  et  sans  péril,  la  recouvre 
de  ses  bienfaisantes  inondations,  présente,  en  la  saison  où  Therbe  fleurit,  un 
immense  tapis  de  verdure  émaillé  des  plus  vives  couleurs  :  d'oii  le  nom  de 
Vaucouleurs  [vallis  colorum) ,  donné  au  lieu  le  plus  important  du  pays ,  et 
qui  peint  la  vallée  tout  entière. 

Entre  tous  les  villages  disséminés  sur  ces  bords  frais  et  paisibles,  le  plus 
illustre  à  jamais  c'est  le  plus  humble  :  c'est  la  petite  commune  de  Domremy. 

Là  naquit  Jeanne  d'Arc  '  le  6  janvier  i  \\2.  Son  père,  Jacques  d'Arc  était 
né  à  Séfond  (Ceffonds),  près  Montier-en-Der,  en  Champagne  (Haute- 
Marne)^  sa  mère,  Ysabellette  Romée,  à  V^outhon,  village  situé  sur  la  route 
de  Greux  à  Gondrecourt,  dans  le  Barrois  (Vosges).  Jeanne  elle-même,  née 
à  Domremy,  est-elle  de  la  Lorraine,  de  la  Champagne  ou  du  Barrois  ?  Si 
l'on  veut  parler  du  territoire,  Jeanne  est  une  enfant  de  la  Meuse  :  car  la 
Meuse  est  la  mère  commune  de  tous  ces  villages  qu'elle  arrose,  sans  dis- 
tinction de  Lorraine,  de  Barrois  ou  de  Champagne.  Mais  s'il  s'agit  de  na- 
tionalité, Jeanne  d'Arc  était  Française.  Son  père  était  Français,  son  village , 
français.  Son  village  était  partagé,  il  est  vrai,  entre  le  Barrois  mouvant 
(c'est-à-dire  relevant  de  la  couronne  de  France)  et  le  domaine  direct  de  la  cou- 
ronne. Un  petit  ruisseau  d'eau  vive  marquait  cette  division  :  la  rive  droite, 
où  l'on  comptait  vingt  à  trente  feux,  était  au  Barrois  mouvant •,  la  rive  gau- 
che, au  domaine,  rattachée  avec  Greux,  et  toute  cette  portion  de  la  vallée 
jusqu'à  Vaucouleurs,  à  la  prévôté  d'Andelot  et  au  bailliage  de  Chaumont- 
en-Bassigny  (Champagne).  Or  la  maison  de  Jeanne,  qui  subsiste  encore,  est 

1  On  a  prétendu,  et  fait  croire  à  beaucoup  trop  de  monde,  que  le  vrai  nom  de  la  Pucellc  était  Jeanne 
Darc.  On  le  lit  ainsi  dans  les  manuscrits  contemporains,  sans  aucun  doute;  mais  c'est  que  l'apostrophe 
était  alors  inconnue.  Depuis  qu'elle  existe,  on  a  dn  l'appliquer  à  ce  nom  comme'aux  autres;  ou  bien  il 
faudrait  aussi  appeler  Jeanne,  la  PuccUe  Dorléar.s,  et  lui  donner  pour  compagnon  le  duc  Dalençon,  pour 
ennemi  le  roi  Dangleterre  :  car  la  véritable  étymologie  du  nom  est  le  mot  Arc^  le  lieu  ou  l'objet  appelé  arc. 
L'arc,  cette  arme  populaire,  cette  arme  aimée  du  paysan,  figurait  dans  le  blason  rustique  de  sa  famille.  Le 
mot  Darc  est  unmot  étranger  qui  n'a  de  sens  que  dans  les  langues  germaniques.  Darck,  en  anglais,  i<  sombre, 
ténébreux.  »  —  «  Fille  des  ténèbres!  »  Les  Anglais  du  temps  n'auraient  pas  mieux  trouvé.  Laissons  donc 
là  la  forme  barbare  de  Darc  et  gardons  à  la  Pucelle  son  nom  français. 


28  JEANNE  D'ARC. 


sur  la  rive  gauche.  Mais  quand  elle  eût  été  sur  la  rive  droite,  Jeanne  en 
serait-elle  moins  Française?  Tous  les  habitants  de  Domrem}',  ceux  de  la 
droite  comme  ceux  de  la  gauche,  excepté  un,  dit-elle  elle-même,  étaient 
Armagnacs,  c'est-à-dire  du  parti  national  \  et  quel  est ,  après  Dieu ,  celui  que 
Jeanne  appelle  son  seigneur  et  son  roi  ?  Le  roi  de  France.  —  C'est  la  mar- 
que irrécusable  de  sa  nationalité.  Que  si  Ton  en  veut  la  preuve  directe  et  pour 
elle  et  pour  son  pays,  on  la  trouvera  dans  des  pièces  authentiques.  On  la  trou- 
vera dans  son  procès  :  dans  sa  propre  déclaration  et  dans  l'enquête  ordonnée 
par  ses  juges. On  la  trouvera,  avant  son  procès,  dans  deux  actes  de  Charles^'!  1  : 
dans  les  lettres  d'anoblissement,  où  elle  est  dite  «  de  Domremy ,  au  bailliage 
de  Chaumont  »  ^Champagne',  et  dans  celles  oij,  en  reconnaissance  de  ses 
services  et  à  sa  requête,  le  roi  accorde  exemption  d'impôts  [ce  qui  est  bien  le 
signe  de  l'empire^  aux  lieux  qui  l'ont  vue  naître,  aux  deux  villages  unis  de 
Greux  et  de  Domremy. 

Les  parents  de  Jeanne  étaient  de  simples  laboureurs  «  de  bonne  vie  et 
renommée,  »  n'ayant,  avec  leur  chaumière,  qu'un  bien  petit  patrimoine; 
mais,  considérés  dans  leur  état,  vrais  et  bons  catholiques,  et  soutenant  avec 
honneur  leur  pauvreté.  Ils  eurent  trois  fils  :  Jacques,  Jean  et  Pierre,  et  deux 
filles,  Jeanne  ou  Jeannette  et  Catherine. 

Des  deux  sœurs,  Jeanne  était  l'aînée.  Elle  grandit  auprès  de  sa  mère, 
formée  par  elle  à  la  religion  et  au  travail  :  c'est  un  témoignage  qu'elle  ne 
craignit  pas  de  se  rendre  à  elle-même;  car,  par  ce  témoignage,  c'est  sa 
mère  qu'elle  honorait.  «  Elle  était  bonne,  simple  et  douce  fille,  »  dit  une 
amie  de  son  enfance;  «  point  paresseuse,  »  ajoute  un  voisin  :  et  elle  tra- 
vaillait de  bon  cœur,  tantôt  filant,  jusque  bien  avant  dans  la  nuit,  aux 
côtés  de  sa  mère,  ou  la  remplaçant  dans  les  soins  du  ménage;  tantôt  par- 
tageant les  devoirs  plus  rudes  de  son  père,  pourvoyant  à  l'étable,  allant  aux 
champs,  mettant  la  main ,  selon  qu'il  le  voulait,  à  la  herse,  à  la  charrue ,  et 
quelquefois  aussi  gardant  pour  lui  dans  la  prairie  commune  le  troupeau  du 
village,  quand  le  tour  en  était  venu. 

«  Bonne  fille,  »  c'est  le  cri  de  tous;  honnête,  chaste  et  sainte,  parlant  en 
toute  simplicité,  selon  le  précepte  de  l'Évangile  :  «  Oui,  non;  cela  est,  cela 
n'est  pas.  »  —  «  Sans  manque,  »  sine  defectu,  voilà  tout  ce  qu'il  lui  arrivait 
d'ajouter  à  sa  parole  pour  en  attester  la  vérité.  Un  pur  rayon  de  l'amour 


DOMREMY   ET   VAUCOU  LEII  RS. 


divin  illuminait  cette  vie  si  occupée,  et  donnait  du  charme  à  ses  labeurs.  Le 
petit  jardin  de  la  maison  paternelle  touchait  au  cimetière,  qui  est  comme  le 
jardin  d'une  église  de  village.  Jeanne  usait  du  voisinage  pour  aller  à  l'église 
le  plus  souvent  qu'elle  le  pouvait  :  elle  y  goûtait  une  douceur  extrême.  On 


Fis.  '-•  —  Jeanne  travaillait  de  bon  cœur,  tantôt  filant  jusque  bien  avant  dans  la  nuit,  aux  côtés  de  sa 
mère,  tantôt  partageant  les  devoirs  plus  rudes  de  son  père.  —  Sculpture  de  M.  Lefeuvre,  à  l'Exposition 
de  1S75,  à  Paris. 


l'y  voyait  prosternée  devant  le  crucifix,  ou  bien  les  mains  jointes,  les  yeux 
levés  vers  l'image  du  Sauveur  ou  de  la  Vierge  sa  mère.  Tous  les  matins, 
pendant  le  saint  sacrifice,  elle  était  au  pied  des  autels;  et  le  soir,  quand  la 
cloche  qui  sonnait  les  compiles    la  surprenait   aux  champs,  elle  s'age- 


JEANNF.   D'ARC 


nouillait,  et  son  âme  s'élevait  à  Dieu.  Elle  se  plaisait  à  entendre  chaque  soir 
ce  commun  appel  à  la  prière.  Quand  le  sonneur  de  l'église  ^on  le  sait  de  lui- 
même)  venait  à  roublier,  elle  le  reprenait,  disant  que  ce  n'était  pas  bien,  et 
promettait  de  lui  donner  des  lunes  (quelque  espèce  de  gâteaux)  pour  qu'il  se 
montrât  plus  diligent.  Elle  ne  se  bornait  pas  aux  devoirs  que  la  religion 
prescrit  à  tout  fidèle.  Cette  jeune  fille  qui  avait  accompli  de  si  grandes  choses 
à  dix-neuf  ans,  est  tout  entière  à  ces  pratiques  naïves  de  dévotion  où  les 
âmes  simples  et  pures  ont  tant  de  charme  ù  se  répandre.  A  moins  d'une 
lieue  au  nord  de  Domrem}',  sur  le  penchant  de  l'un  des  coteaux  qui  des- 
cendent vers  la  Meuse,  il  3-  avait  un  ermitage  dédié  à  Notre-Dame  de  Ber- 
mont.  Jeanne  aimait  à  le  visiter;  et  le  jour  que  l'Église  a  plus  spécialement 
consacré  à  Marie,  le  samedi,  vers  la  fin  de  la  journée,  elle  se  joignait  à 
d'autres  jeunes  filles  pour  y  venir  prier  ensemble  et  y  brûler  des  cierges  : 
symbole  consacré  par  l'Église  pour  rappeler  aux  fidèles  la  foi  qui  veille  et 
l'amour  qui  doit  brûler  pour  Dieu. 

Jeanne  fut  donc,  dès  sa  plus  tendre  enfance,  un  modèle  de  piété.  Elle 
n'avait  point,  disait  le  curé,  sa  pareille  au  village.  Les  jeunes  gens  se  mo- 
quaient bien  un  peu  de  sa  dévotion;  les  jeunes  filles  en  jasaient  aussi.  Men- 
gette,  sa  petite  amie,  trouvait  elle-même  et  lui  disait  qu'elle  était  trop 
pieuse;  et  ce  reproche  était  pour  Jeanne  comme  un  éloge  qui  la  faisait  rougir. 
Mais  sa  foi  se  traduisait  en  bonnes  œuvres.  Si  peu  d'argent  qu'elle  eût,  elle 
en  avait  pour  l'aumône.  Elle  consolait  les  malades,  elle  recueillait  les  pau- 
vres, elle  leur  donnait  place  au  foyer,  elle  leur  cédait  même  son  lit,  se- 
condée dans  sa  charité  par  la  religieuse  condescendance  de  ses  parents.  Aussi 
était-elle  aimée  de  tout  le  monde. 

Elle  ne  cherchait  point  d'ailleurs  à  se  distinguer  des  autres,  et  se  mêlait 
à  ses  compagnes  dans  les  fêtes  du  village.  Sur  la  pente  même  où  s'adosse  le 
village  de  Domremy,  entre  les  bords  fleuris  de  la  Meuse  et  la  sombre  forêt 
de  chênes,  le  bois  Chesnii,  qui  en  couronnait  les  hauteurs,  il  y  avait  un 
hêtre  d'une  remarquable  beauté,  «  beau  comme  un  lis,  n  dit  l'un  des  habi- 
tants, large,  touffu,  dont  les  branches  retombaient  jusqu'à  terre.  On  l'appe- 
lait «  Aux  loges  les  Dames,  »  Ad  lobias  Dominannn,  ou  encore  «  l'Arbre 
des  Dames.  »  Autrefois,  quand  le  château  de  Domremy  était  encore  habi-  ' 
table,  les  seigneurs  et  les  dames  du  lieu,  avec  leurs  damoiselles  et  leurs 


DOMREMV    Kl"    VAUCOULEURS. 


suivantes,  venaient,  au  retour  du  printemps,  faire  un  repas  champêtre 
sous  son  ombrage.  Peut-être  un  jour  ces  joyeuses  réunions  avaient-elles 
amené  quelque  mystérieuse  aventure  qui  changea  de  nature  et  de  forme  en 
passant  dans  la  tradition.  Le  nom  de  dames,  donné  au.v  femmes  de  haut 
parage,  était  aussi  le  nom  donné  aux  fées  dans  le  langage  populaire.  On  ra- 
contait qu'un  chevalier,  seigneur  de  Bourlemont,  venait  y  voir  une  fée, 
conversait  avec  elle.  Jeanne  Thiesselin,  Tune  des  marraines  de  Jeanne,  avait 
entendu  dire  qu'on  le  lisait  dans  un  roman  '.  L'arbre  des  Dames  était 
donc  aussi  l'arbre  des  Fées.  C'étaient  les  fées  qui,  dans  les  anciens  temps. 


l-ig.  i;i.—  Dcbris  de  la  chapulle  de  Notre-Dame  de  linmiemy,  où  Jeanne  allait  prier.  Musée  de  Jeanne 
d'Arc,  à  Domremy. —  Cette  chapelle  avait  été  restaurée,  à  la  lin  du  seizième  siècle,  par  Hordal,  descen- 
dant de  Pierre  d'Arc,  troisième  frère  de  la  Pucelle. 


venaient  danser  sous  le  beau  hêtre;  on  disait  même  qu'elles  y  venaient  en- 
core. Cela  n'empêchait  pas  les  habitants  de  Domremy  de  faire  ce  que  faisaient 
leurs  pères.  L'arbre  était  toujours  aussi  beau.  Au  printemps,  on  se  rassem- 
blait sous  sa  large  voûte  de  verdure.  On  l'inaugurait,  en  quelque  sorte, 
avec  les  beaux  jours,  le  dimanche  de  la  mi-carême  [Lîetare).  En  ce  jour, 
qu'on  nommait  aussi  le  dimanche  des  Fontaines,  les  jeunes  garçons  et  les 
jeunes  filles  venaient  sous  l'arbre  fameux  faire  ce  qu'on  appelait  leurs  fon- 
taines. Ils  emportaient,  comme  provision  de  la  journée,  de  petits  pains  faits 
exprès  par  leurs  mères,  et  s'y  livraient  aux  ébattements  de  leur  âge,  chantant, 

1  Récit  en  langue  vulgaire. 


JEANNE  D'ARC. 


dansant,  cueillant  des  fleurs  aux  alentours  pour  en  faire  des  guirlandes  dont 
ils  ornaient  les  rameaux  du  bel  arbre;  puis,  quand  ils  avaient  mangé,  ils 
allaient  se  désaltérer  aux  eaux  limpides  d'une  source  voisine,  tout  ombragée 
de  groseilliers. 

Jeanne  y  venait  comme  les  autres  ;  Mengette,  son  amie,  dit  qu'elle  y  fut 
et  y  dansa  plus  d'une  fois  avec  elle.  Pourtant  elle  n'était  point  danseuse;  et 
souvent,  au  milieu  de  la  fête,  elle  se  détournait  vers  une  petite  chapelle 
élevée  au  voisinage  sur  l'un  des  points  les  plus  riants  de  la  colline,  Notre- 
Dame  de  Domremy,  et  suspendait  à  l'image  de  la  Vierge  les  guirlandes 
qu'elle  avait  tressées  des  premières  Heurs  des  champs . 

C'est  du  milieu  d'une  vie  si  calme  et  si  paisible  qu'elle  fut  appelée  à 
s'armer  pour  la  France. 

La  mission  de  Jeanne  d'Arc  produisit  une  si  complète  et  si  rapide  révo- 
lution dans  les  destinées  de  la  France,  qu'assurément  rien  n'est  plus  digne 
de  fixer  l'attention  de  l'historien.  D'où  vient-elle?  Jeanne  nous  dit  qu'elle  l'a 
reçue  de  Dieu.  Est-ce  une  illusion  de  son  esprit?  Jeanne  est-elle  une  mysti- 
que? Le  mysticisme  n'est  pas  le  caractère  de  son  pays,  et  ses  révélations 
nettes  et  précises  n'ont  rien  de  commun  avec  les  vagues  épanchements  des 
illuminés  de  son  temps.  Ce  n'était  pas  non  plus  une  jeune  fille  maladive 
dont  la  nature  imparfaitement  développée  la  fît  sujette  aux  hallucinations. 
Le  témoignage  d'où  on  l'a  voulu  conclure  est  une  simple  opinion,  un  ouï- 
dire  qui  ne  prouve  que  l'e.xtrême  délicatesse  de  sa  pudeur;  et  tous  s'accordent 
àdéclarerqu'elle  était  aussi  forte  que  belle:  «  belle  et  bien  formée;  »  «grande 
et  moult  belle;  »  «  de  grande  force  et  puissance;  »  d'une  force  qui  n'avait 
rien  de  viril  :  elle  avait  la  voix  douce,  une  voix  de  femme,  disent  ceux  qui 
l'ont  entendue;  d'une  puissance  qui  marquait  dans  la  jeune  fille  l'entier  dé- 
veloppement de  la  femme.  C'était  une  âme  religieuse  dans  un  corps  robuste 
et  sain. 

Ce  que  le  mysticisme  n'explique  pas,  le  doit-on  rapporter  au  seul  amour 
delà  patrie?  Jeanne  assurément  n'était  pas  insensible  aux  malheurs  de  son 
pays.  La  vieille  querelle  des  Armagnacs  et  des  Bourguignons  partageait, 
jusque  dans  ce  coin  reculé  de  la  France,  les  villages,  les  familles  même,  et 
la  haine  était  vive  entre  les  deux  partis.  Domremy  {Dompnus  Remigius), 
ancien  domaine  de  l'église  métropolitaine  de  Reims,  devenu  plus  tard  un  des 


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DOMREMY  ET   VAUCOULEURS.  33 


apanages  de  la  seigneurie  de  Joinville,  et  rattaché  depuis  au  domaine  de  la 
couronne,  était  resté  fidèle  au  roi.  Tout  le  monde  y  était  Armagnac,  sauf 
un  seul  homme,  et  Jeanne  avoue  qu'elle  aurait  vu  sans  regret  qu'on  lui 
coupât  la  tète,  «  si  toutefois  c'était  la  volonté  de  Dieu.  »  A  Maxey,  au  con- 
traire, tout  à  côté,  sur  l'autre  rive  de  la  Meuse,  les  habitants  étaient  Bour- 
guignons, et  la  lutte  s'engageait  souvent  entre  les  enfants  des  deux  villages. 
Jeanne  vit  plus  d'une  fois  ceux  de  Domrcmy  revenir  de  la  bataille  le  visage 
meurtri  et  sanglant.  C'était  une  image  de  la  guerre  civile;,  mais  on  n'a  pas  de 
preuve  qu'elle  ait  sévi  entre  les  habitants  de  ces  contrées  autrement  que  par 
ces  combats  d'enfants.  On  n'y  souffrit  pas  beaucoup  plus  de  la  guerre  étran- 
gère. Cette  marche  de  la  Lorraine,  aux  frontières  de  l'Allemagne,  n'était 
pas  le  chemin  des  Anglais:,  ils  l'avaient  laissée  aux  entreprises  des  Bourgui- 
gnons, qui,  au  nombre  de  quatre  ou  cinq  cents  partisans,  ravagèrent  le  Bar- 
rois  en  1424,  réunirent  en  142S  (i'''  juillet),  postérieurement  aux  premières 
démarches  de  Jeanne  [l'i  mai),  quelques  soldats  pour  attaquer  'V^aucouleurs, 
et  probablement  se  séparèrent  sans  avoir  rien  tenté.  Cette  sanglante  guerre 
paraît  s'être  réduite,  pour  les  habitants  de  Domremy,  à  quelques  alertes. 
Parfois,  à  l'approche  d'une  troupe  de  p;irtisans,  on  sauvait  les  bestiaux 
dans  l'île  formée  devant  le  village  par  les  deux  bras  de  la  Meuse.  Un  jour 
même,  tous  les  habitants  s'enfuirent  à  Neufchâteau.  Jeanne  y  suivit  ses 
parents  et  demeura  quatre  à  cinq  jours,  ou  mènie  quinze  jours,  avec  eux, 
chez  une  honnête  femme  nommée  la  Rousse.  Après  quoi  on  revin^au  vil- 
lage, et  rien  ne  dit  que  ce  fut  alors  ou  en  pareille  circonstance  qu'il  ait  été 
brillé.  Voilà  tout  ce  que  les  recherches  les  plus  habiles  et  les  plus  minutieuses 
ont  pu  faire  découvrir  sur  la  part  de  Domremy  aux  malheurs  du  temps.  As- 
surément, c'est  quelque  chose,  et  il  ne  faut  pas  tenir  pour  nulle  l'impression 
que  Jeanne  en  put  recevoir.  Mais,  sans  aucun  doute,  si  le  sentiment  des 
souffrances  que  la  guerre  apporte,  si  la  haine  qu'inspire  la  vue  du  conqué- 
rant, maître  du  sol  natal,  avait  suffi  pour  donner  un  sauveur  à  la  France, 
il  serait  né  partout  ailleurs. 

D'où  vient  donc  la  mission  de  Jeanne  d'Arc?  Nous  ne  voulons  pas  tran- 
cher d'avance  la  question.  Notre  unique  objet,  au  contraire,  est  de  mettre 
en  garde  contre  les  explications  prématurées.  Revenons  à  la  vie  de  Jeanne. 
Écoutons  ce  qu'elle  a  dit,  et  voyons  ce  qu'elle  a  fait.  L'entière  manifestation 

JEANNE    d'arc.    III.    —    i 


JEANNE  D'ARC. 


de  son  caractère  dans  la  suite  de  Thistoire,  sa  franchise,  sa  droiture,  sa 
netteté  d'esprit  et  son  parfait  bon  sens,  montreront  mieux  que  toutes  les 
raisons  du  monde  quelle  idée  on  se  doit  faire  de  sa  personne,  quelle  foi  on 
peut  avoir  en  ses  discours. 


LE    DEPART. 


Le  récit  de  la  vocation  de  Jeanne  d'Arc  ne  nous  est  pas  venu  par  la  tradi- 
tion populaire  :  si  merveilleux  qu'il  paraisse,  il  ne  fait  pas  Tobjet  d'une  lé- 
gende. C'est  Jeanne  elle-même  qui  parle  :  ce  sont  ses  juges  qui  ont  fait 
écrire  ses  paroles  dans  la  rédaction  officielle  de  son  procès. 

Elle  raconte  qu'à  Fàge  de  treize  ans  (cela  reporte  à  l'an  1425)  elle  eut  une 
voix  de  Dieu  qui  l'appela.  C'était  un  jour  d'été,  à  l'heure  de  midi,  dans  le 
jardin  de  son  père.  La  voix  se  lit  entendre  d'elle  à  la  droite,  du  côté  de  l'é- 
glise, et  une  grande  clarté  lui  apparut  au  même  lieu;  et  rarement  depuis 
elle  entendit  la  voix  sans  qu'elle  vît  en  même  temps  cette  lumière.  La  pre- 
mière fois  elle  eut  grand'peur;  mais  elle  se  rassura,  elle  trouva  que  la  voix 
était  digne  :  et  elle  déclare  à  ses  juges  qu'elle  lui  venait  de  Dieu.  A  la  troi- 
sième fois,  elle  connut  que  c'était  la  voix  d'un  ange. 

C'était,  comme  elle  le  sut  plus  tard,  l'archange  saint  Michel.  Il  se  fit  voir 
à  elle  entouré  de  la  troupe  des  anges  :  «  Je  les  ai  vus  des  yeux  de  mon  corps 
aussi  bien  que  je  vous  vois,  disait-elle  à  .ses  juges-,  et  lorsqu'ils  s'en  allaient 
de  moi  je  pleurais,  et  j'aurais  bien  voulu  qu'ils  me  prissent  avec  eux.  » 
L'ange,  dans  ces  premières  apparitions,  ne  faisait  que  la  préparer  à  son 
œuvre  :  il  lui  disait  de  se  bien  conduire,  de  fréquenter  l'église,  d'être  bonne 
fille,  et  que  Dieu  lui  aiderait.  Déjà  pourtant  il  lui  faisait  entrevoir  le  but  de 
sa  mission.  Il  lui  apprenait  qu'un  jour  il  lui  faudrait  venir  en  France-,  qu'elle 
y  viendrait  au  secours  du  roi  ;  et  il  lui  racontait  la  pitié  qui  était  au  royaume 
de  France.  Mais  que  faire  pour  y  porter  remède?  L'ange  ne  lui  en  donnait 
point  encore  le  secret;  seulement  il  lui  promettait  d'autres  apparitions  plus 
familières  en  quelque  sorte  et  plus  intimes.  Sainte  Catherine  et  sainte  Mar- 
guerite devaient  venir  à  elle  pour  la  guider  :  il  lui  ordonnait  de  croire  à  leurs 
paroles,  que  c'était  le  commandement  de  Dieu.  Et  dès  ces  premiers  temps, 
les  saintes  lui  apparurent  et  commencèrent  à  gouverner  sa  vie. 


DOMRKMY   ET  VAUCOULEURS. 


33 


Aux  premières  marques  de  cette  vocation  divine,  Jeanne  se  donna  tout 
entière  à  Dieu  en  lui  vouant  sa  virginité.  Elle  vivait  dans  le  commerce  de 
ses  saintes,  ne  changeant  rien  d'ailleurs  à  sa  manière  de  se  conduire.  On  la 
voyait  bien  quelquefois  quitter  ses  compagnes,  se  recueillir  comme  si  elle 


Kl  g.  I  (.  —  L  archange  ^atnt  Michel  se  fait  voir  à  Jeanne,  entt>urê  J  une  trouj^e  d'anges  :  "  Je  les  ai  vusJcs 
yeux  de  mon  corps  aussi  bien  que  je  vous  vois,  disait-elle  plus  tard  à  ses  juges  de  Rouen  ;  et  lorsqu'ils 
s'en  allaient  de  moi,  je  pleurais,  et  j'aurais  bien  voulu  qu'ils  me  prissentavec  eux.  «  —  L'artiste  a  figuré 
en  face  de  saint  Michel  le  léopard  anglais.  Bas-relief  de  M.  Foyatier,  à  Paris,  xn^  siècle. 

était  devant  Dieu,  et  les  autres  s'en  moquaient.  Mais  nul  ne  sut  ce  qui  se 
passait  en  elle,  pas  même  celui  qui  l'entendait  en  confession.  Elle  garda  la 
chose  secrète,  non  qu'elle  se  crût  obligée  à  la  taire,  mais  pour  se  mieu,\  as- 
surer du  succès  quand  le  temps  viendrait  de  l'accomplir  :  car  elle  craignait 
les  pièges  des  Bourguignons,  elle  craignait  les  résistances  de  son  père. 


36 


JEANNE  D'ARC. 


Cependant  les  périls  s'étaient  accrus.  Tandis  que  tout  manquait  à  Char- 
les MI,  qu'on  l'engageait  à  se  retirer  en  Dauphiné,  qu'il  songeait  lui-même 
à  chercher  un  asile  soit  en  Espagne,  soit  en  Ecosse,  Bedford  venait  de  raf- 
fermir ses  alliances  sur  le  continent,  et  Salisbur}'  passait  en  France  pour 
porter  enfin  la  guerre  au  cœur  des  paj-s  demeurés  fidèles  au  roi  national.  Les 
apparitions  de  Jeanne  lui  venaient  plus  fréquentes.  Deux  et  trois  fois  par 
semaine,  la  voix  lui  répétait  qu'il  fallait  partir  et  venir  en  France;  et  un 
jour  enfin  il  lui  fut  ordonné  d'aller  à  Vaucouleurs  auprès  de  Robert  de  Bau- 


Fig.  i5.  —  Sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite,  annoncées  à  Jeanne  par  Tarchange  saint  Michel,  lui 
apparaissent  et  commencent  à  gouverner  sa  vie.—  Bas-relief  de  M.  Vilal-Dubray,  à  Orléans,  xis'  siècle. 


dricourt,  capitaine  du  lieu,  qui  lui  donnerait  des  gens  pour  partir  avec  elle. 
Partir,  quitter  sa  mère,  ses  jeunes  amies,  ses  paisibles  travaux,  pour  se 
jeter  en  pareille  compagnie  dans  cette  vie  de  hasards,  c'était  chose  qui  devait 
troubler  étrangement  cette  âme  simple  et  recueillie.  Elle  disait  plus  tard 
qu'elle  eût  mieux  aimé  être  tirée  à  quatre  chevaux,  que  de  venir  en  France 
sans  la  volonté  de  Dieu.  Jusque-là,  le  caractère  de  sa  mission  pouvait  se 
dérober  à  ses  3'eux  dans  les  ombres  de  l'avenir  et  l'attirer  par  le  mystère. 
Quand  les  voix  lui  disaient  qu'il  fallait  aller  au  secours  de  la  France,  elle  se 
sentait  pleine  d'ardeur  et  d'impatience  :  «  Elle  ne  pouvait  durer  où  elle  était.  » 
Mais  quand  les  voiles  tombèrent,  quand  le  présent  se  montra  avec  toutes 
les  misères,  les   dégoûts  de  la  réalité,  et  qu'il  fallut  partir,  elle  s'effraya. 


DOMREMY  ET  VAUCOULEURS. 


37 


Elle  répondit  qu'elle  n'était  qu'une  pauvre  fille  qui  ne  saurait  ni  monter  à 
cheval,  ni  faire  la  guerre.  Mais  la  voi\  avait  parle  :  elle  triompha  de  ses  ré- 
pugnances. Et  Jeanne,  sans  étouffer  le  cri  de  son  cœur,  n'eut  plus  qu'une 
pensée  :  ce  fut  de  concourir  de  toute  sa  force  à  raccomplisscment  de  la  vo- 
lonté de  Dieu. 

Elle  alla  chez  son  oncle  Durand  Laxart,  qui  demeurait  à  Burej'-le-Petit 


Fig.  16.  —  Maison  de  Durand  Laxart,  oncle  de  Jeanne,  à  Burey-le- Petit,  distant  de  deux  lieues  de  Dom- 
remy.  Etat  actuel,  d'après  une  photographie  communiquée  par  M.  Edm.  I,c  Bas,  garde-mines  à  Bar-le- 
Duc. —  Jeanne  s'ouvrit  à  son  oncle  de  ses  projets,  et  lui  demanda  de  la  conduire  au  sire  de  Baudricourt, 


(Burey-en-"Vaux),  non  loin  de  Vaucouleurs,  comme  pour  passer  quelque 
temps  près  de  lui  ;  et  au  bout  de  huit  jours  elle  s'ouvrit  à  lui  de  ses  projets. 
Elle  lui  dit  qu'elle  voulait  aller  en  France  vers  le  dauphin  pour  le  faire  cou- 
ronner. Comme  il  s'étonnait  de  son  dessein  :  «  N'est-il  pas  dit,  ajouta-t -elle, 
qu'une  femme  perdrait  la  France  et  qu'une  jeune  fille  la  relèverait?  «  Et 
quand  elle  le  vit  ébranlé,  elle  le  pria  de  venir  avec  elle  à  Vaucouleurs  pour 


3S  JEANNE   D'ARC. 


demander  au  sire  de  Baudricourt  de  la  faire  conduire  au  lieu  où  était  le 
dauphin. 

Il  se  rendit  à  sa  prière,  et  la  mena  à  Vaucouleurs  vers  le  temps  de  l'As- 
cension (  1 3  mai  1428).  Elle  se  présenta  dans  ses  habits  de  paysanne  au  sire 
de  Baudricourt,  qu'elle  distingua  parmi  les  siens  sans  l'avoir  jamais  vu  : 
«  Mes  voix,  dit-elle,  me  le  firent  connaître;  »  et  elle  lui  dit  qu'elle  venait 
de  la  part  de  son  Seigneur,  afin  qu'il  mandât  au  dauphin  de  se  bien  tenir  et 
de  ne  point  assigner  bataille  à  ses  ennemis,  parce  que  le  Seigneur  lui  don- 
nerait secours  avant  le  milieu  du  carême.  Elle  disait  que  le  royaume  n'ap- 
partenait pas  au  dauphin,  mais  à  son  Seigneur;  mais  que  son  Seigneur  vou- 
lait que  le  dauphin  devînt  roi  et  qu'il  eût  ce  ro\-aume  en  commende  ;  qu'en 
dépit  de  ses  ennemis  il  serait  roi,  et  qu'elle-même  le  conduirait  au  sacre. 

«  Et  quel  est  ton  Seigneur?  dit  Robert. 

—  Le  Roi  du  ciel.  » 

Le  sire  de  Baudricourt  l'estima  folle,  et  l'aurait  volontiers  livrée  aux 
grossiers  ébats  de  ses  soldats.  Il  crut  la  ménager  fort  en  disant  à  son  oncle 
qu'il  ferait  bien  de  la  ramener  à  son  père  bien  souffletée. 

Elle  revint  à  Burey  |car  ses  voix  lui  avaient  prédit  cet  affront '>  et  de  là 
dans  la  maison  de  son  père,  reprenant  ses  occupations  accoutumées,  mais 
toujours  ferme  dans  sa  résolution;  et  on  aurait  pu  la  deviner  à  plusieurs 
paroles.  Peu  de  temps  après  son  retour,  la  veille  de  la  Saint-Jean-Baptiste, 
elle  disait  à  un  jeune  garçon  de  son  village  qu'il  y  avait  entre  Coussey  et 
Vaucouleurs  (  Domremy  est  entre  les  deux)  une  jeune  fille  qui,  dans  l'an- 
née, ferait  sacrer  le  roi.  Une  autre  fois  elle  disait  à  Gérardin  d'Epinal  : 
«  Compère,  si  vous  n'étiez  Bourguignon,  je  vous  dirais  quelque  chose.  » 
Il  crut  alors  qu'il  s'agissait  de  mariage.  Des  bruits,  d'ailleurs,  avaient  pu 
revenir  de  son  voyage  à  ^'aucouleurs.  Elle  dit  dans  son  procès,  que  pen- 
dant qu'elle  était  encore  chez  son  père,  il  avait  rêvé  qu'elle  s'en  irait  avec  les 
gens  d'armes.  Sa  mère  lui  en  parla  plusieurs  fois  et  se  montrait,  comme  son 
père,  fort  préoccupée  de  ce  songe  :  aussi  la  tenait-on  dans  une  plus  grande 
surveillance,  et  le  père  allait  jusqu'à  dire  à  ses  autres  enfants  :  «  Si  je  pen- 
sais que  la  chose  advînt,  je  vous  dirais  :  Noyez-la  ;  et  si  vous  ne  le  faisiez, 
je  la  noierais  moi-même.  »  On  essaya  quelque  moyen  moins  violent  de  la  dé- 
tourner de  ces  pensées.  On  voulut  la  marier  :  un  homme  de  Toul  la  de- 


JEANNE  D'ARC. 


manda,  et  comme  elle  refusait,  il  l'assigna  devant  l'officialité,  prétendant 
qu'elle  lui  avait  promis  mariage;  mais  elle  parut  devant  le  juge  et  confondit 
son  étrange  adversaire. 

Cependant,  le  temps  qu'elle  avait  marqué  approchait.  Jeanne  voulut 
faire  la  démarche  décisive.  Son  oncle  s'y  prêta  encore;  il  se  rendit  à  Dom- 
rem\',  et,  alléguant  les  soins  que  réclamait  sa  femme  nouvellement  accou- 
chée, il  obtint  des  parents  de  Jeanne  qu'elle  la  vînt  servir.  Elle  partit  sans 
prendre  autrement  congé  de  ses  parents.  Dieu  avait  parlé  :  «  Et  quand  j'au- 
rais eu,  disait-elle  à  ses  juges,  cent  pères  et  cent  mères  et  que  j'eusse  été 
fille  de  roi,  je  serais  partie.  »  Néanmoins  elle  leur  écrivit  plus  tard  pour  leur 
demander  pardon.  Avec  ses  parents,  elle  laissait  derrière  ellcdcbien  chères 
compagnes.  Elle  vit  en  partant  la  petite  iMengette,  et  s'en  alla,  la  recom- 
mandant à  Dieu.  Quant  à  Hauviette,  l'amie  de  son  enfance,  aurait-elle  pu 
lui  cacher  la  cause  réelle  de  son  départ  :  Elle  aima  mieux  lui  laisser  igno- 
rer son  voyage  et  partit  sans  la  \'oir.  Hauviette,  dans  sa  déposition,  dit 
comme  elle  en  a  pleuré. 

Jeanne  reparut  à  A'aucouleurs  dans  son  pauvre  habit  de  paysanne,  une 
robe  grossière  de  couleur  rouge,  et  revit  le  sire  de  Baudricourt  sans  se  faire 
mieux  accueillir.  Mais  elle  ne  se  laissa  plus  congédier.  Elle  prit  domicile 
chez  la  femme  d'un  charron  ;  Henri  le  Royer),  et  demeura  trois  semaines,  à 
diverses  fois,  dans  sa  maison,  toujours  simple,  bonne  fille  et  douce,  filant 
avec  elle,  et  se  partageant  entre  ces  travaux  familiers  et  la  prière.  Un  témoin, 
qui  était  alors  enfant  de  cnœur  de  Notre-Dame  de  A'aucouleurs,  déposa 
qu'il  la  voj'ait  souvent  dans  cette  église  :  «  Elle  y  entendait,  dit-il,  les  messes 
du  matin  et  y  demeurait  longtemps  en  prière,  ou  bien  encore  elle  descen- 
dait dans  la  chapelle  souterraine,  et  s'agenouillait  devant  l'image  de  Marie, 
le  visage  humblement  prosterné  ou  levé  vers  le  ciel.  »  L'objet  de  son  voyage 
n'était  plus  un  mystère  pour  personne  :  elle  disait  hautement  (son  hôte,  qui 
l'entendit,  en  dépose;  qu'il  fallait  qu'elle  allât  trouver  le  dauphin;  que  son 
Seigneur,  le  roi  du  ciel,  le  voulait  ;  qu'elle  venait  de  sa  part,  et  que,  dût- 
elle  V  aller  sur  ses  genoux,  elle  irait. 

Plusieurs  des  hommes  d'armes  qui ,  sans  doute ,  l'avaient  entendue  de- 
vant le  sire  de  Baudricourt,  voulurent  la  revoir.  Jean  de  Nouillonpont,  ap- 
pelé aussi  Jean  de  Metz ,  l'un  d'eux,  la  vint  trouver  chez  le  charron  et  lui  dit  : 


DOMREMY  ET  VAUCOULEURS. 


«  Ma  mie,  que  faites-vous  ici  ?  Faut-il  que  le  roi  soit  chassé  du  royaume, 
et  que  nous  devenions  Anglais  ?  » 
Elle  répondit  : 


Fig.  i8  et  19.  —  Statues  de  la  Vierge  devant  lesquelles  Jeanne  d'Arc  a  prié.  A  gauche,  celle  de  l'ermitage 
dédié  il  Notre-Dan:ie  de  Bermont,  situé  à  une  lieue  de  Domremy.  Jeanne  s'y  rendait  le  samedi ,  vers  In 
fin  delà  journée.—  A  droite,  la  Vierge,  dite  Notre-Dame  des  Voûtes,  anciennement  dans  la  chapelle 
souterraine  de  l'église  Sainte-Marie  deVaucouleurs,  et  présentement  dans  l'église  paroissiale.  Cette  der- 
nière a  été  mutilée  en  1793.  Les  deux  mains  brisées  de  la  Vierge  sont  restituées.  L'Enfant  Jésus  détruit 
n'a  pas  été  refait. 


«  Je  suis  venue  ici,  à  chambre  de  roi  (dans  une  ville  royalel,  parler  à 
Robert  de  Baudricourt  pour  qu'il  me  veuille  mener  ou  faire  mener  au  roi. 
Mais  il  ne  prend  souci  ni  de  moi  ni  de  mes  paroles.  Et  pourtant,  avant  le 
milieu  du  carême,  il  faut  que  je  sois  devers  le  roi,  quand  je  devrais  user 


JEANNE    D  ARC.    III. 


42  JEANNE    D'ARC. 


mes  jambes  jusqu'aux  genoux;  car  nul  au  monde,  ni  rois,  ni  ducs,  ni  fille 
du  roi  d'Ecosse,  ni  aucun  autre  ne  peut  recouvrer  le  royaume  de  France; 
et  il  n'y  a  point  de  secours  que  de  moi  :  et  certes  j'aimerais  bien  mieux  filer 
auprès  de  ma  pauvre  mère,  car  ce  n'est  point  mon  état;  mais  il  faut  que 
j'aille  et  que  je  le  fasse,  parce  que  mon  Seigneur  veut  que  je  le  fasse. 

—  Qui  est  votre  Seigneur?  dit  Jean. 

—  C'est  Dieu.  » 

Le  brave  soldat,  mettant  ses  mains  dans  les  siennes,  jura  par  sa  foi  que, 
Dieu  aidant,  il  la  mènerait  au  roi,  et  lui  demanda  quand  elle  voulait 
partir. 

«  Plutôt  maintenant  que  demain,  plutôt  demain  qu'après,  »  dit-elle. 

Un  autre,  Bertrand  de  Poulengy,  s'engagea,  comme  .lean  de  Metz,  à  la 
conduire. 

Après  ccsadhésions  publiques  le  sire  de  Baudricourt  ne  pouvait  plus  pren- 
dre la  chose  avec  autant  d'indifférence.  Jeanne  lui  avait  fait  part  de  ses  révé- 
lations; mais  fallait-il  l'en  croire,  et  même  alors  qu'en  fallait-il  croire?  Sicile 
avait  des  visions,  d'où  venaient-elles?  Pour  éclaircir  ce  point,  le  capitaine  la 
vint  trouver  un  jour  chez  le  charron,  ayant  avec  lui  le  cure  :  le  curé,  revêtu 
de  son  étole,  se  mit  en  devoir  de  l'e.xorciser,  lui  disant  que  s'il  y  avait  ma- 
léfice, elle  se  retirât  d'eux,  sinon  qu'elle  s'approchât.  Jeanne  s'approcha  du 
prêtre  et  se  mit  à  ses  genoux,  —  toujours  humble ,  mais  gardant  dans  sa 
soumission  même  toute  sa  liberté  de  juger.  Elle  dit  après ,  qu'il  n'avait  pas 
bien  fait,  puisqu'il  l'avait  entendue  en  confession  :  il  devait  donc  savoir  si 
c'était  l'esprit  malin  qui  parlait  par  sa  bouche.  —  Comme  l'épreuve  n'était 
pas  de  nature  à  dissiper  les  doutes  du  capitaine  ,  Jeanne  lui  cita  la  prophétie 
populaire  :  Qu'une  femme  perdrait  la  France  et  qu'une  jeune  fille  la  sauve- 
rait. On  disait  dans  le  pays,  «  une  jeune  fille  des  marches  de  Lorraine  ;»  et 
la  femme  de  Henry  le  Royer,  témoin  de  la  scène,  en  demeura  vivement 
frappée;  car  elle  avait  ouï  cette  tradition  que  Jeanne  s'appliquait.  Mais  Ro- 
bert de  Baudricourt  doutait  encore. 

Cependant  Jeanne  était  pressée  de  partir  ;  «.  Le  temps ,  dit  le  même  té- 
moin, lui  pesait  comme  à  une  femme  qui  va  être  mère.  »  Et  tous,  excepté 
le  sire  de  Baudricourt,  semblaient  conspirer  avec  elle.  Les  deux  hommes 
d'armes  qui  s'étaient  offerts  à  la  conduire  avaient  pris  sur  eux  les  frais  du 


DOMREMY  ET   VAUCOULEURS. 


43 


voyage;  le  menu  peuple,  qui  de  plus  en  plus  croj-ail  en  elle,  y  voulut  con- 
courir aussi.  Pour  s'en  aller  parmi  des  hommes  de  guerre,  il  lui  fallait 
prendre  leur  habit.  Les  gens  de  Vaucouleurs  se  chargèrent  de  Féquiper.  Ils 
lui  donnèrent  ce  qui  composait  en  ce  temps  le  costume  militaire  :  gippon  ou 
justaucorps,  espèce  de  gilet;  chausses  longues  liées  au  justaucorps  par  des 


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1-1 


-  Dtpait  di.  JeannL  d  An.  de  \  auLOuleurs,  Il  .3  ti.vrn.i  1429.  Dapies  un  bab  1  elief  en  bois 
de  o"',40  de  largeur  sur  0™, 44  de  hauteur;  sculpture  du  xv"  siècle.  Communiqué  parM.J.  Desnoyers, 
membre  de  Tlnstitut. 


aiguillettes-,  tunique  ou  robe  courte  tombant  jusqu'aux  genoux  ;  guêtres 
hautes  et  éperons,  avec  le  chaperon,  le  haubert,  la  lance,  et  le  reste.  Un 
autre  aida  son  oncle  à  lui  acheter  un  cheval.  Déjà  tout  à  Tentour  il  n'était 
bruit  que  de  la  Pucelle,  de  ses  révélations;  et  le  duc  de  Lorraine  ,  qui  était 
malade,  la  voulut  voir  et  lui  envoya  un  sauf-conduit.  Elle  se  rendit  à  son 


44 


JEANNE  D'ARC. 


appel,  ne  voulant  négliger  aucun  moyen  qui  pût  servir  à  son  voyage.  Jean 
de  Metz  l'accompagna  jusqu'à  Toul;  elle  continua  la  route  avec  son  oncle 
et  se  présenta  devant  le  duc.  Le  duc  la  consulta  sur  sa  maladie.  S-ilon  un 
témoin  qui  prétend  le  tenir  d'elle-même,  elle  lui  dit  qu'il  se  gouvernait  mal 
et  ne  guérirait  pas  s'il  ne  s'amendait;  et  elle  l'exhorta  à  reprendre  »  sa  bonne 
femme,  »  dont  il  vivait  séparé.  Dans  le  procès,  Jeanne  se  borne  à  dire  que, 
consultée  par  le  duc ,  elle  déclara  ne  rien  savoir  sur  sa  maladie ,  et  qu'elle  lui 


Fig.  21. —  Porte  de  France  à  Vaucouleurs.  État  actuel,  d'après  une  photographie.  —  Suivant  une  tradition 
conservée  dans  le  pays,  c'est  par  cette  porte  que  Jeanne  sortit,  le  23  février  1429,  pour  se  rendre  auprès 
du  roi. 


exposa  en  peu  de  mots  l'objet  de  son  voyage,  ajoutant  que  s'il  lui  voulait 
donner  son  fils  et  des  gens  d'armes  pourla  mener  en  France,  elle  prierait  Dieu 
pour  sa  santé.  Le  duc  évita  de  s'engager  à  ce  point  dans  l'affaire,  mais  il  la 
congédia  avec  honneur,  et  lui  donna,   dit-on,  un  cheval  et  de  l'argent'. 

1  Le  cheval  acheté  par  son  onclccoûta  16  francs.  Cettesommcpeutêtreregardée  comme  lepriid'uncheval 
ordinaire.  Dans  l'extrait  des  comptes  de  Hémon  Raguier,  on  trouve  qu'il  a  été  payé  pendant  la  campa- 
gne du  sacre  à  M.  de  Rosiers,  de  Provins,  3o  1.  t.  pour  deux  chevaux  ;  un  cheval  donné  à  Jeanne  à  Soissons 
coûta  JS  1.  10  s.,  un  autre  à  Senlis,  13;  1. 10  s.  (Ms.  Gaignières,  n»77a,  f"  55S  et  55g.)  L'an  1529,  la  livre 


Pra'.on'i'K  -''"-P  F:rjTiin-I)idol  i!<C''Parii 

LA    PROPHÉTIE    DE    MERLIN 

..  I.'ne  uietyi-  meiiiira  ,/ortf  //■  c/u'vnl  foulera  le  dos  des  archers.  ■<  Otle  prophétie  est  rappeler  par  Oirisline  de  Pisaii 
IVinture  de  M.  Kavinond  Balze,  à  Paris 


4b  JEANNE   D'ARC. 


Après  avoir  mis  à  profit  cette  excursion ,  pour  aller  à  deux  lieues  de 
Nanc}',  faire  ses  dévotions  à  Saint-Nicolas,  but  fameux  de  pèlerinage, 
elle  revint  à  Vaucouleurs.  Son  départ  ne  pouvait  plus  être  différé.  Le 
sire  de  Baudricourt,  soit  qu"il  eût  pris  l'avis  de  la  cour  de  Bourgogne, 
soit  qu'il  dut  céder  à  l'entraînement  qui  se  manifestait  autour  de  lui, 
n'essaya  plus  d'y  faire  obstacle.  On  dit  que  le  jour  où  se  donna  la  bataille 
de  Rouvray  ij'ournée  des  Harengs,  Jeanne  le  vint  trouver  et  lui  dit: 
«  En  nom  Dieu  (au  nom  de  Dieu  :  c'est  sa  manière  d'affirmer  depuis 
le  commencement  de  sa  mission ">,  en  nom  Dieu,  vous  mettez;  tardez)  trop 
à  m'envover  :  car  aujourd'huy  le  gentil  ^ noble)  dauphin  a  eu  assez  près 
d'Orléans  un  bien  grand  dommage;  et  sera  il  taillé  (il  est  en  péril)!  encore 
de  l'avoir  plus  grand,  si  ne  m'envoyez  bientôt  vers  lui.  »  Il  céda,  et  dès  le 
lendemain,  premier  dimanche  de  carême  v  i3  février  1429)!,  elle  put  se  dis- 
poser à  partir  avec  sa  petite  escorte,  savoir  :  Jean  de  Metz  et  Bertrand  de 
Poulengy,  Jean  de  Honnecourt  et  Julien,  leurs  servants,  et  deux  autres, 
Colet  de  Vienne,  messager  du  roi,  et  Richard  l'archer.  Plusieurs  s'eflVa3'aient 
de  voir  Jeanne  s'aventurer  en  si  petite  compagnie  :  six  hommes  armés, 
c'était  assez  pour  la  signaler  à  l'ennemi,  trop  peu  pour  la  défendre.  Mais 
Jeanne  n'avait  pas  sa  confiance  dans  le  secours  des  hommes.  Ce  n'était  point 
une  armée  qu'elle  était  venue  chercher  à  Vaucouleurs.  Elle  dissipait  ces 
craintes,  elle  disait  avec  assurance  qu'elle  avait  son  chemin  ouvert ,  et  que  si 
elle  rencontrait  des  hommes  d'armes  sur  sa  route.  Dieu  son  seigneur  lui 
fraj'erait  la  voie  jusqu'au  dauphin  qu'elle  devait  faire  sacrer  :  «  C'est  pour 
cela,  disait-elle,  que  je  suis  née.  »  Le  sire  de  Baudricourt  vit  la  petite 
troupe  au  départ;  il  recommanda  aux  compagnons  de  Jeanne  de  lui  faire 
bonne  et  sûre  conduite.  Il  lui  donna,  à  elle,  uneépée,  et,  doutant  jusqu'à  la 
fin,  il  la  congédia  en  disant  :  «  Allez  donc,  allez,  et  advienne  que  pourra!  » 
(i3  février  1429.) 


valut  en  avril,  5  fr.  64  c;  en  mai,  5  fr.  49  c.  ;  en  juin,  3  fr.  y5  c.  ;  en  novembre,  9  fr.  22  c. ,  valeur  intrin- 
sèque. La  valeur  relative  élèverait  fort  sensiblement  ces  prix;  mais  ici  les  bases  d'évaluation  sont  très-in- 
certaines. 


;as-reliefs  de  la  statue  de  l 

Œuvre   en   bronze  de  >  ' 


DEPART  DE  JEANNE  D  ARC  DE  VA 


Jeanne  se  mit  en  chemin  accompagne'e  de  Jean  de  Metz,  de  Bertrand  de  Poulengy  et  de  quatre  hommes  d'armes.  Ceta 

chargés  de  l'équiper.  Le  sire  de  Baudricourt  lui  donna  une  épée,  et,  doutant 


JEANNE    ENTRE    A    ORLEANS,     Ll 

Le  peuple  était  accouru  à  sa  rencontre,  portant  des  torches  et  manifestant  une  aussi  grande  joie  «que 

ou  de  la  bourgeoisie  d'Orléan.' 


PLACE  DU  MARTROl,   A  ORLEANS. 

it;il-Dubrav.   xix''  siccle. 


lU  L  E U  R s  ,    LE     I  J    FEVRIER     I  4 2  (J  . 

eu  pour  la  défendre  ;  mais  elle  disait  avec  assurance  qu'elle  avait  le  chemin  ouvert.  Les  gens  de  Vaucouleurs  s'e-taient 
u'ii  la  tin,  il  la  congédia  en  disant  :  «  Allez  donc  et  advienne  que  pourra  !  o 


)  AVRIL   1429.  i,Voir  page  74.  ; 

avaient  vu    Dieu  descendre  parmi  eux  »  :  Plusieurs  nobles  seigneurs  et  des  hommes  de  la  garnison 
ient  venns  lui  taire  cortège. 


Ornement  tiré  d'n 


II 


ORLÉANS 


L'Epreuve.  —  L'Entrée  à  Orléans.  —  La  Délivrance  d'Orléans. 


L    EPREUVE. 


E  voyage  de  Vaucouleurs  à  Chinon ,  où  se 
trouvait  la  cour,  était  déjà,  pour  la  mission 
de  Jeanne,  comme  une  première  épreuve. 
Tout  le  pays  était  au.\  Anglais  et  aux  Bour- 
guignons  :  il  fallait  éviter  leur   rencontre 
et   passer    plusieurs    rivières,   la     Marne, 
TAube,  la   Seine,  TYonne,   dans  une  sai- 
son où  la  crue  des  eaux  ramenait  presque 
forcément  les  voyageurs  aux  villes  ou  aux 
ponts    gardés  par   eux.     Ils   allèrent  ainsi 
pendant  onze  jours,  marchant  le  plus  com- 
munément la  nuit.  Jeanne  n'approuvait  pas  ces  mesures  d'une  prudence 
tout  humaine.  Elle  eijt  voulu  s'arrêter  au  moins  chaque  jour  dans  quelque 
village,  pour  rendre  à  Dieu  ses  devoirs  accoutumés.  «  Si  nous  pouvions 
entendre  la  messe,  leur  disait-elle,  nous  ferions  bien.  »  Mais  se  montrer 
semblait  un  péril  tant  que  l'on  était  en  paj's  ennemi.  Ils   ne  cédèrent  que 
deux  fois  à  ses  désirs  :  une  fois  peut-être  dans  l'abbaye  de  Saint-Urbain, 
f^jî    où  l'on  passa  la  nuit,  et  l'autre  fois  dans  la  principale  église  d'Auxerre. 


JEANNE  D'ARC. 


Jeanne,  à  son  tour,  condescendit,  pour  tout  le  reste,  à  leur  manière  de 
la  conduire;  mais  elle  leur  rappelait  les  autres  guides  qu'elle  avait  au 
ciel.  Quand  ils  lui  demandaient  si  elle  ferait  ce  qu'elle  avait  annoncé,  elle 
leur  disait  de  ne  rien  craindre,  qu'elle  ne  faisait  rien  que  par  comman- 
dement, et  que  ses  frères  du  paradis  lui  disaient  tout  ce  qu'elle  avait  à  faire. 

Jeanne,  pour  ses  compagnons,  n'était  déjcà  plus  de  la  terre.  Pendant  ce 
voyage,  quoiqu'on  marchât  la  nuit,  on  s'arrêtait  néanmoins  pour  prendre 
du  repos.  Jeanne  couchait  au  milieu  d'eux ,  renfermée  dans  son  habit 
d'homme.  Mais  ce  vêtement ,  qu'elle  avait  adopté  par  pudeur,  n'était  point 
sa  seule  sauvegarde  en  cette  compagnie  d'hommes  de  guerre.  Tel  était 
l'ascendant  qu'elle  avait  pris  sur  eux,  que  les  plus  jeunes,  loin  de  songer 
à  lui  rien  dire  ou  faire  qui  put  l'offenser,  affirment  qu'ils  n'ont  même 
jamais  eu  la  pensée  du  mal  auprès  d'elle  :  ils  étaient  comme  enflammés  de 
l'amour  divin  qui  était  en  son  âme,  et  devenaient  chastes  et  purs  par  la 
contagion  de  sa  sainteté. 

Ils  passèrent  la  Loire  à  Gicn,  et  parvinrent  à  Sainte-Catherine-de-Fier- 
bois.  en  Touraine,  où  Jeanne,  par  honneur  pour  la  patronne  du  lieu, 
l'une  de  ses  deux  patronnes,  et  comme  pour  compenser  les  p'rivations 
qu'elle  avait  acceptées  durant  la  route,  entendit  jusqu'à  trois  messes  le 
même  jour.  Depuis  qu'on  n'avait  plus  à  craindre  une  surprise  de  l'ennemi, 
ses  compagnons  ne  cachaient  plus  l'objet  de  son  voyage.  De  Gicn ,  la  nou- 
velle était  venue  aux  habitants  d'Orléans  qu'une  bergerette,  nommée  la 
Pucelle,  accompagnée  de  quelques  nobles  de  Lorraine,  avait  passé,  disant 
qu'elle  venait  faire  lever  le  siège  de  leur  ville  et  mener  le  roi  à  Reims  pour 
qu'il  y  fût  sacré.  Du  hameau  de  Sainte-Catherine,  elle-même  écrivit,  ou, 
plus  exactement,  fit  écrire  au  roi,  pour  lui  demander  la  permission  de  l'aller 
trouver  à  Chinon.  Elle  lui  mandait  qu'elle  avait  fait  cent  cinquante  lieues 
pour  lui  venir  en  aide;  qu'elle  savait  plusieurs  bonnes  choses  qui  le  tou- 
chaient :  et,  pour  lui  donner  comme  un  premier  gage  de  sa  mission,  elle 
déclarait  qu'elle  le  saurait  distinguer  parmi  tous  les  autres. 

Le  bruit  de  son  voyage  avait  sans  doute  devancé  sa  lettre  à  Chinon,  et  la 
petite  cour  qui  s'agitait  autour  de  Charles  "VII  l'avait  fort  diversement 
accueilli.  La  position  du  roi  devenait  chaque  jour  plus  critique;  sa  détresse 
était  extrême  :  son  trésorier  déclarait  qu'il  n'avait  pas  quatre  écus  en  caisse. 


ORLEANS. 


tant  de  l'argent  du  prince  que  du  sien.  Le  roi  ne  savait  plus  que  faire  pour 
.sauver  Orléans,  et,  Orléans  pris,  rien  n'était  sur  pour  lui  au  midi  même 


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X 


Fig.  23.  —  Yolande  d'.Vragon,  reine  de  Sicile,  bellc-meie  Je  Charles  VU.  Yolande  éiait  l'âme  du    pary 
national  en  France.  —  D'aprésla  remarquable  publication  de  M.  E.  Hucher,  les  Vitraux  du  Mans.  .vv«  s. 


de  la  Loire.  Il  en  était  réduit  à  se  demander  en  quel  pays  il  chercherait 
un  refuge  :  en  Dauphiné,  ou  même  au  delà  des  monts,  en  Castille?  La 
reine  de  Sicile,   mère  de   la  reine,  et  ceux  qui  gémissaient  de  l'état  des 


5o  JEANNE  D'ARC. 


affaires,  étaient  disposés  à  tout  risquer  pour  sortir  de  cet  abînie;  au  con- 
traire, rhomme  en  faveur,  la  Trémouille,  craignait  par-dessus  tout  un 
cliangement  de  conduite  qui  pouvait  soustraire  le  prince  à  son  influence, 
en  le  tirant  de  cette  torpeur.  Pour  un  tel  homme,  le  succès  même  était 
un  péril.  Mais  pouvait-on  refuser  de  voir  au  moins  celle  qui  promettait  de 
si  grandes  choses?  On  lui  permit  donc  de  venir,  et,  sur  la  route,  il  paraît 
qu'on  lui  tendit  une  embuscade  :  c'était  une  manière  aussi  de  la  mettre  à 
répreuve  !  L'épreuve  réussit  mal  :  ceux  qui  la  voulaient  prendre  demeu- 
rèrent, dit  un  témoin  de  Poitiers,  comme  cloués  au  lieu  où  ils  étaient. 

Jeanne  \int  donc  à  Chinon  (6  mars}  -,  mais  elle  voulait  parler  au  roi  : 
nouvel  obstacle  à  vaincre.  Fallait-il  aller  jusqu'à  compromettre  le  prince 
dans  une  entrevue  avec  une  tille  des  champs,  que  l'on  pouvait,  sur  les 
rumeurs  populaires,  soupçonner  d'être  folle  ou  pis  encore?  C'est  ce  qu'on 
agita  dans  le  conseil.  Plusieurs  la  virent,  et  la  pressèrent  de  dire  à  eux- 
mêmes  ce  qu'elle  se  réservait  dédire  au  roi.  Elle  parla-,  mais,  en  l'écou- 
tant, ils  s'affermirent  dans  la  pensée  que  le  roi  ne  devait  point  l'entendre. 
D'autres  même  croyaient  qu'il  le  devait  d'autant  moins,  qu'elle  se  disait 
envoj'ée  de  Dieu;  et  les  ecclésiastiques  furent  consultés  sur  ce  point.  Tout 
bien  examiné,  ceux-ci  ne  crurent  pas  qu'il  y  eut  lieu  d'empêcher  le  roi  de  la 
recevoir  :  mais,  comme  ces  scrupules  n'étaient  pour  plusieurs  que  des 
prétextes,  une  semblable  décision  ne  sulîisait  point  à  les  dissiper;  et  quand 
Jeanne  vint  au  château,  elle  rencontra  de  nouveaux  obstacles  dans  le 
conseil.  Cependant  la  raison  finit  par  triompher  :  on  allégua  au  roi  que 
Jeanne  venait  à  lui  avec  une  lettre  de  Robert  de  Baudricourt  ;  on  lui  dit  les 
périls  qu'elle  avait  affrontés  et  dissipés  comme  par  miracle  pour  arriver 
jusqu'à  sa  résidence.  C'était  le  dernier  espoir  des  habitants  d'Orléans;  ils 
avaient  envoyé  une  ambassade  au  roi  à  la  nouvelle  de  ce  secours  inespéré; 
leurs  députés  étaient  là,  attendant  la  décision  du  prince.  Et  Jeanne  n'avait 
pas  seulement  pour  elle  la  lettre,  très-froide,  sans  doute,  du  sire  de  Bau- 
dricourt  :  elle  avait  ses  compagnons  de  route.  Les  deux  hommes  qui  avaient 
cru  en  elle  dès  son  séjour  à  Vaucouleurs,  s'étaient  sentis  bien  mieux  affer- 
mis dans  leur  foi,  après  l'épreuve  de  ce  voyage;  mandés  au  conseil,  ils  y 
parlèrent  avec  toute  la  chaleur  de  leur  conviction,  et  persuadèrent. 

Après  deux  jours  d'attente,  Jeanne  fut  donc  introduite  au  château  par  le 


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ORLEANS. 


comte  de  Vendôme.  Elle  se  présenta  simplement  et  avec  assurance.  «  Elle 
fit  les  inclinations  et  révérences  accoutumées  de  faire  aux  rois,  ainsi  que  si 
elle  eut  été  nourrie  en  la  cour,  »  dit  Jean  Chartier.  «  Le  roi,  continuc-t-il, 
pour  la  mettre  à  l'épreuve,  s'était  confondu  parmi  d'autres  seigneurs  plus 
pompeusement  vêtus  que  lui,  et  quand  Jeanne,  qui  ne  l'avait  jamais  vu, 
le  vint  saluer,  disant  :  «  Dieu  vous  donne  bonne  vie,  gentil  roi!  —  Je  ne 
((  suis  pas  le  roi,  dit-il  :  voilà  le  roi;  »  et  il  lui  désignait  un  des  seigneurs. 
Mais  Jeanne  répondit  :  «  En  nom  Dieu,  gentil  prince,  vous  l'êtes,  et  non 
'(  un  autre.  "  Et,  abordant  l'objet  de  sa  mission  ,  elle  lui  dit  que  Dieu  l'en- 


Fii;.  24-.  —  Jeanne  d'Arc  introduite  au  château  de  Chinon;  Bas-relief  de  M.  N'it.U-Dubray,  à  Orléans.  — 
Jeanne  distingue  le  roi  confondu  parmi  les  seigneurs,  et,  faisant  les  révérences  accoutumées,  lui  dit  : 
«  Gentil  roi,  Dieu  m'envoie  pour  vous  aider  et  secourir.  «Quelques  jours  après,  elle  lui  dit  encore  :  «Dieu 
a  pitié  de  vous,  de  votre  royaume  et  de  votre  peuple,  car  saint  Louis  et  Charlemagne  sont  ù  genoux 
devant  Lui  en  faisant  prière  pour  vou'^.  » 

voyait  pour  lui  aider  et  secourir;  elle  demandait  »  qu'il  lui  baillât  gens,  « 
promettant  de  faire  lever  le  siège  d'Orléans,  et  de  le  mener  sacrer  à  Reims. 
Elle  ajoutait  «  que  c'étoit  le  plaisir  de  Dieu  que  ses  ennemis  les  Anglois  s'en 
«  allassent  en  leur  pays;  que  le  pays  lui  devoit  demeurer,  et  que,  s'ils  ne 
«   s'en  alloient ,  il  leur  mescherroit  »  (arriverait  malheur). 

Parmi  les  princes  que  le  favori  n'avait  point  écartés  de  la  cour,  se 
trouvait  le  jeune  duc  d'Alençon.  Pris  à  Verneuil  (1424),  il  avait  résisté  à 
toutes  les  séductions  mises  en  ceuvre  pour  l'attirer  à  la  cause  de  Henri  VI; 
et  il  avait  dû  paver  sa  fidélité  à  Charles  VII  par  une  captivité  de  trois  ans 


JEANNE   D'ARC. 


et  une  rançon  qui  le  ruinait  '.  Dans  les  loisirs  que  le  roi  faisait  aux  siens, il 
s'en  était  allé  non  loin  de  là,  à  Saint-Florent-le;^-Saumur,  et  j' passait  le 
temps,  chassant  aux  cailles.  Ayant  su  par  un  de  ses  gens  Tarrivée  à 
Chinon  d'une  jeune  fille  qui  se  disait  envoyée  de  Dieu  pour  expulser  les 
Anglais  et  faire  lever  le  siège  d'Orléans,  il  s'y  rendit,  et  il  entra  comme  elle 
parlait  au  roi.  Charles  l'ayant  nommé  à  Jeanne  :  «  Soyez  le  très-bienvenu, 
dit-elle  :  plus  il  y  en  aura  ensemble  du  sang  royal  de  France,  mieux  en 
sera-t-il.  «  Le  lendemain  elle  fut  à  la  messe  du  roi,  et,  le  prince  l'ayant 
prise  à  part  avec  Alençon,  qui  le  raconte,  et  la  Trémouille,  elle  lui  fit  plu- 
sieurs requêtes  ;  elle  lui  demandait  «  de  donner  son  royaume  au  Roi  des 
cieux,  et  que  le  Roi  des  cieux,  après  cette  donation,  ferait  pour  lui  comme 
pour  ses  prédécesseurs,  et  le  rétablirait  dans  son  ancien  État.  » 

Mais  qui  était-elle  pour  parler  avec  cette  autorité?  et  quel  signe  donnait- 
elle  de  sa  mission?  L'heureuse  issue  de  son  voyage  pouvait  bien,  après 
tout,  n'être  pas  un  si  grand  prodige,  et  le  fait  d'avoir  reconnu  le  roi  sans 
ra\oir  jamais  vu,  fournir  des  armes  à  ceux  qui  ne  voulaient  voir  dans  tout 
cela  qu'une  tritfferie  (tromperie).  Au  lieu  de  la  foi,  elle  rencontrait  même, 
non- seulement  le  doute,  mais  quelquefois  l'outrage.  Le  jour  qu'on  la  pré- 
senta au  château,  un  homme  à  cheval  la  voyant  entrer  :  «  Est-ce  là  la 
Pucelle?  «  dit-il,  et  il  raillait  grossièrement  sur  son  titre,  reniant  Dieu. 
«  Ah  !  dit  Jeanne ,  tu  le  renies,  et  tu  es  si  près  de  ta  mort  !  »  Avant  qu'il 
fût  une  heure,  l'homme  tombait  à  l'eau  et  se  noyait. 

Ceux  qui  étaient  les  plus  favorables  ne  savaient  qu'attendre  et  voir  encore. 
Le  roi  l'avait  donnée  en  garde  à  Guillaume  Bellier,  son  lieutenant  à  Chinon, 
dont  la  femme  était  de  grande  dévotion  et  de  bonne  renommée.  En  même 
temps  qu'il  envoyait  dans  son  pays  natal  des  religieux  chargés  de  s'informer 
secrètement  de  sa  vie,  il  la  faisait  paraître  devant  sa  cour-,  il  la  soumettait 
à  l'examen  des  gens  d'Eglise  :  et  elle  savait  garder  en  toute  rencontre  la 
même  aisance,  la  même  fermeté;  parlant  avec  assurance  de  sa  mission, 
soit  devant  la  Trémouille,  soit  devant  les  évêques,  et  montrant,  au  besoin, 
que  dans  cette  carrière  des  batailles  où  elle  voulait  ramener  le  roi,  elle- 
même  saurait  faire  bonne  figure.  Un  jour,  après  le  dîner,  le  roi  étant  allé 
se  promener  dans  la  prairie,  elle  y  courut,  la  lance  au  poing,  et  de  si  bonne 

1  Sa  rançon  aval  tété  de  i2o,oooécu5;  mais  il  lui  en  coûta  200,000  (pi  us  de  deux  mil  lions  de  notre  monnaie. 


OR  [.F.  ANS. 


53 


manière  que  le  duc  d'Alençon,  charme,  lui  donna  un  cheval.  Les  épreuves 
se  continuaient  jusque  dans  la  demeure  qui  lui  avait  été  assignée.  De  grands 
personnages  la  venaient  voira   la  tour  du  fort  du  Coudrav,  attenante  nu 


Fig.  25.  —  N'iie  Je  la  clicimbre  du  château  de  Chinon  où  Jeanne  fut  reçue    par  le  roi,  le   8  mars  1428. 
Portefeuille   Gaigniires,  au  Cabinet  des  estampes,  à  Paris. 


château  même,  et  elle  répondait  à  leurs  questions.  Mais,  quand  clic  était 
seule,  elle  priait  et  pleurait. 

Un  jour  enfin  elle  vint  trouver  le  roi  et  lui  dit  :  «  Gentil  Dauphin,  pour- 
quoi  ne  me  croyez-vous?  Je  vous   dis  que  Dieu  a  pitié  devons,  de  votre 


JEANNE    D'ARC. 


royaume  et  de  votre  peuple  :  car  saint  Louis  et  Charlemagne  sont  à  genoux 
devant  Lui,  en  faisant  prière  pour  vous;  et  je  vous  dirai,  s'il  vous  plaît, 
telle  chose  qu'elle  vous  donnera  à  connoître  que  me  devez  croire.  »  Et  elle 
lui  dit  «  une  chose  de  grande  conséquence  qu'il  avoit  faite  bien  secrète, 
dont  il  fut  fort  ébahi  :  car  il  n'y  avoit  personne  qui  le  pijt  savoir  que  Dieu 
et  lui.  »  «■  Ce  qu'elle  lui  a  dit,  nul  ne  le  sait,  écrit  Alain  Chartier  peu  de 
mois  après  juillet  1429),  mais  il  est  bien  manifeste  qu'il  en  a  été  tout 
rayonnant  de  joie,  comme  à  une  révélation  de  l'Esprit  saint.  » 

Qu'était-ce  donc  que  ce  signe  ?  Jeanne  elle-même  est  convenue  du  fait 
devant  ses  juges  ;  et  elle  confirme  les  derniers  témoignages  allégués  ,  en  disant 
"  qu'elle  ne  pense  pas  que  personne  ait  été  avec  le  roi,  quoiqu'il  y  eût 
bien  des  gens  assez  près.  »  >Lais.  en  même  temps,  elle  déclara  qu'elle  n'en 
voulait  rien  dire.  Elle  persista  longtemps  dans  ce  refus,  protestant  que  ,  sur 
ce  point,  on  n'aurait  pas  d'elle  la  vérité;  et,  d'autant  plus  pressée  qu'elle 
se  récusait  davantage,  elle  finit  par  se  dérober  à  ces  instances  par  le  biais 
que  ses  juges  mêmes  semblaient  lui  offrir  en  l'interrogeant  sur  l'ange  qui 
avait  apporté  une  couronne  au  roi  :  bruit  populaire  qu'elle  accueillit  comme 
exprimant  sa  mission  sous  le  voile  d'une  allégorie  fort  transparente.  Par 
cette  allégorie  qu'elle  expliqua  plus  tard,  elle  dépista  ses  juges  :  le  signe 
leur  demeura  donc  caché;  car  c'était  le  secret  du  roi.  Mais  une  parole  avait 
été  entendue  dans  cette  conversation  entre  elle  et  lui  :  parole  d'une  singu- 
lière autorité,  et  dont  l'accent  put  frapper  les  oreilles  de  ceux  qui  se  tenaient 
non  loin  du  prince  :  «  Jeté  dis  ,  de  la  part  de  Messire  ,  que  tu  es  vray  héri- 
tier de  France  et  fils  du  roy.  »  Cette  parole,  reproduite  en  français,  parmi 
les  autres  déclarations  de  Jeanne,  dans  la  déposition  de  Pasquerel ,  son 
aumônier,  reçut  plus  tard  une  explication  inattendue ,  et  se  trouve  rattachée 
au  signe  dont  il  s'agit  par  les  confidences  mêmes  du  roi.  Le  sire  de  Boisv, 
qui,  dans  sa  jeunesse,  avait  été  l'un  des  chambellans  les  plus  familiers  de 
Charles  VII ,  a  raconté  en  effet  à  Pierre  Sala,  comme  le  tenant  du  roi  lui- 
même,  qu'un. jour,  au  temps  de  ses  plus  grandes  adversités,  ce  prince, 
cherchant  vainement  un  remède  à  tant  de  maux,  entra  un  matin,  seul, 
dans  son  oratoire,  et  que  là,  sans  prononcer  une  parole,  il  fit  à  Dieu  ,  du 
fond  de  son  cœur,  cette  requête  :  Que  s'il  était  vrai  héritier,  issu  de  la 
maison  de  France  '  ce  doute  était  possible  avec  la  reine  Isabeau" ,  et  que  le 


EPISODES 


L'HISTOIRE  DE  CHARLES  VII  ET  DE  JEANNE  D'ARC. 


I.  —  Comment  les  Anglais  se  moquaient  et  appelaient  Charles 
le  roi  de  Bourges. 

Charles  VII ,  cherchant  en  vain  un  remède  aux  maux  qui  l'accablaient,  entra 
un  matin  seul  dans  son  oratoire,  et  là,  sans  prononcer  une  parole,  lit  à  Dieu,  du 
tond  de  son  cœur,  cette  requête  :  que  s'il  était  vrai  héritier,  issu  de  la  maison 
de  France,  et  que  le  royaume  lui  dût  justement  appartenir^  il  plût  à  Dieu  de  le 
lui  garder  et  défendre,  sinon,  de  lui  faire  la  grâce  d'échapper  sans  mort  ou 
prison,  et  qu'il  se  pût  sauver  en  Espagne  ou  en  Ecosse.  —  C'est  cette  prière 
connue  de  Dieu  seul  que  la  Pucelle  rappela  plus  tard  à  Charles  VII. 

II.  —  Comment  la  Pucelle  vint  par  devers  le  Roi  au  château  de  Chinon. 

Jeanne,  arrivée  au  terme  de  son  voyage ,  fut  logée  au  château  de  Coudray  ,  à 
une  lieue  de  Chinon.  C'est  là  qu'après  bien  des  hésitations ,  le  comte  de 
Vendôme  vient  la  chercher  pour  l'introduire  auprès  du  roi.  Elle  est  suivie  de 
ses  deux  fidèles  compagnons  de  route,  Jean  de  Metz  et  Bertrand  de  Poulengy. 

III.  —  Comment  la  Pucelle  et  les  Français  vinrent  devant  Pa)-is. 

Jeanne  assure  que  Paris  sera  pris  s'y  l'on  continue  le  siège.  Elle  donne  l'ordre 
d'apporter  des  fagots  qu'elle  fait  jeter  dans  le  fossé,  pour  y  établir  un  passage. 


\)m\ 


EPISODES    DE    L  HISTOIRE   DE   CHARLES  Vil    ET    DE  JEANNE   D  ARC 

MiluHlures   des  l'uftlei  du  roi  Charles  Vil .    manusri-il    IV    ii°  ")054- .  daté  lie  IW4 .  a    l<i    Bilihi>lhec|uf   tialionali- 

Voii-  lex^ilicatioii  ci-corti-f 


ORLEANS. 


55 


ro^'auinc  lui  dût  justement  appartenir,  il  plût  à  Dieu  de  le  lui  garder  et 
défendre,  sinon,  de  lui  faire  la  grâce  d'échapper  sans  mort  ou  prison,  et 
qu'il  se  pût  sauver  en  Espagne  ou  en  Ecosse,  où  il  voulait,  en  dernier 
recours,  chercher  un  refuge.  —  C'est  cette  prière  connue  de  Dieu  seul  que 
kl  Pucelle  rappela  à  Charles  VII  :  et  on  s'explique  maintenant  la  joie  qu'au 
dire  des  témoins  il  manifesta,  sans  que  personne  en  sût  alors  le  motif. 
Jeanne,  par  cette  révélation,   n'avait  pas  fait  seulement  qu'il  crût  en  elle; 


Kig.  2li.  —  Tour  de  la  chapelle  du  château 
de  Chinon.  xiii"  siècle. 


Fig.  27.  —  Tour  de  rhorlogc  du  château 
de  Chinon.  Fin  du  xiv*  siècle. 


État  actuel,  d'après  les  photographies  de  M,  Giard,  à  Port-Boulet. 


elle  faisait  qu'il  crût  en  lui-même,  en  son  droit,  en  son  titre.  «  Je  te  dis 
(jamais  Jeanne  n'a  parlé  au  roi  de  la  sorte  :  c'est  quelque  chose  de  supérieur 
qui  parle  par  sa  bouche) ,  je  të  dis,  hE  la  part  de  Messire,  que  tu  es  vray 

HÉRITIER  DE  FrANCE  ET   FILS  Dl"   ROY.    » 

Ce  n'était  point  assez  :  il  fallait  que  personne  n'eût  le  droit  de  révoquer 
en  doute  sa  mission  ou  d'en  suspecter  l'origine.  Le  roi ,  comme  les  autres, 
à  cet  égard,  avait  besoin,  même  après  cette  révélation,  d'être  rassuré.  Il 
ne  précipita  rien;  il  résolut  de  mener  Jeanne  à  Poitiers,  où  était  le  par- 
lement ,  où    siégeait  le   conseil ,  où    se  trouvaient   réunis  plusieurs  des 


56  JEANNE  D'ARC. 


membres  de  l'Université  de  Paris,  restés  fidèles.  Il  voulait  lui  faire  subir 
une  épreuve  plus  solennelle,  mettre  en  lumière  non-seulement  le  lait,  mais 
la  source  même  de  son  inspiration,  et  donner  à  la  résolution  qu'on  pren- 
drait la  sanction  des  hommes  les  plus  autorisés  dans  l'Église  et  dans  l'Etat. 
Jeanne  partit  donc,  et  quand  elle  sut  où  on  la  menait  :  «  En  nom  Dieu, 
dit-elle,  je  sais  que  j'y  aurai  bien  allaire  :  mais  Mcssire  m'aidera.  Or,  allons 
de  par  Dieu.  » 

Elle  vint  à  Poitiers,  et  fut,  comme  à  Chinon ,  confiée  à  la  garde  de  l'une 
des  plus  honorables  familles  de  la  cité  ,  celle  de  Jean  Rabateau,  avocat 
général  au  parlement.  L'archevêque  de  Reims  ,  Regnault  de  Chartres ,  chan- 
celier de  France,  et  l'un  des  principaux  chefs  du  parti  dominant,  d'accord 
avec  les  membres  du  conseil,  convoqua  les  évêques  présents  et  les  docteurs 
les  plus  renommés  entre  ceux  qui  avaient  suivi  la  fortune  de  Charles  VII  : 
Gérard  Machet,  évêque  de  Castres,  confesseur  du  roi;  Simon  Bonnet, 
depuis  évêque  de  Senlis  ;  l'évêque  de  Maguelonne  et  l'évèque  de  Poitiers; 
maître  Pierre  de  Versailles,  depuis  évêque  de  Meau.x,  et  plusieurs  autres  , 
au  nombre  desquels  le  dominicain  frère  Seguin  ,  à  qui  l'on  doit  le  récit  le 
plus  étendu  de  ces  conférences'.  On  leur  dit  qu'ils  avaient  commission  du 
roi  pour  interroger  la  Pucelle  et  en  faire  leur  rapport  au  conseil;  et,  au 
lieu  d'appeler  Jeanne  devant  eux,  on  les  envoya  vers  elle,  chez  maître 
Jean  Rabateau. 

Dès  qu'elle  les  vit  entrer  dans  la  salle,  elle  alla  s'asseoir  au  bout  du  banc, 
et  leur  demanda  ce  qu'ils  voulaient.  Ils  lui  dirent  qu'ils  la  venaient  trouver 
parce  qu'elle  avait  dit  au  roi  que  Dieu  l'envoyait  vers  lui;  et  ils  lui  remon- 
trèrent, «  par  belles  et  douces  raisons ,  »  qu'on  ne  la  devait  pas  croire. 
«  Ils  y  furent ,  dit  la  Chronique ,  plus  de  deux  heures  ,  où  chacun  d'eux  parla 
sa  fois;  et  elle  leur  répondit ,  dont  ils  étoient  grandement  ébahis,  comme  une 
si  simple  bergère ,  jeune  fille ,  pouvoit  ainsi  répondre.  »  Nous  n'avons  plus 
les  procès-verbaux  de  ces  conférences,  tenues  par  des  hommes  défiants  sans 
doute  (c'était  leur  devoir),  mais  sincères  :  actes  auxquels  Jeanne,  dans  son 

1  II  faut  joindre  à  Ceux  que  nous  avons  nommés  :  Jordan  Morin,  député  du  duc  d'Alençon;  Jean  Lom- 
bard, professeur  de  théologie  à  l'Université  de  Paris;  Guillaume  Lcmaire  ou  Lemarié,  chanoine  de  Poi- 
tiers; Guillaume  Aymeri,  professeur  de  théologie  de  l'ordre  des  frères  Prêcheurs;  frère  Pierre  'rurlure, 
autre  dominicain;  maître  Jacque  Madclon;  Mathieu  Ménage;  Procès,  t.  UI,  p.  ly  (Fr.  Garivel);  p.  74 
(Gob.  Thibault);  p.  92  (Alençon);  p.  2o3  (Seguin). 


ORLEANS. 


"ig,  28.—  Palais  des  comtes  de  Poitou,  aujourd'hui  Palais  de  justice  de  Poiticis.  xiv=  siècle.  État  actuel. 
—  En  1422,  Charles  VII  y  fut  proclamé  roi.  Suivant  une  tradition  locale,  les  docteurs  charge'sde  cons- 
tater la  vérité  de  la  mission  de  Jeanne,  et  qui  allèrent  interroger  la  Pucelle  chez  maitre  Jean  Raba- 
teau,  se  réunirent  aussi  dans  le  palais  des  comtes  de  Poitou.  —  «  Je  ne  sais  ni  A  ni  B,  leur  dit-elle, 
étant  chez  maître  Jean  Rabateau;  mais  je  viens  de  la  part  du  Roi  des  deux  pour  faire  lever  le  siège 
d'Orléans  et  mener  le    roi  à  Reims,  afin  qu'il  y  soit  couronné  et  sacré.  »  . 

JKANNK    d'arc.    III.   —   8 


58  JEANNE  D'ARC. 


procès,  renvoie  plusieurs  fois  en  toute  assurance,  et  où  Ton  trouverait  les 
libres  effusions  de  son  âme,  recueillies  sans  réticence  et  sans  altération. 
Mais,  à  défaut  de  ce  monument  qui  a  péri  de  bonne  heure,  il  reste  une  sorte 
d'écho  fidèle  encore,  quoique  plus  lointain,  de  sa  parole,  dans  les  dépo- 
sitions de  deux  témoins  :  Gobert  Thibault,  écuyer  du  roi,  et  frère  Seguin, 
docteur  en  théologie. 

Dans  la  première  visite,  après  diverses  questions  sur  elle,  sur  sa  famille, 
sur  son  pays  ,  Jean  Lombart  lui  ayant  demandé  qui  l'avait  poussée  à  venir 
vers  le  roi,  elle  lui  dit  ses  visions,  comme  ses  voix  lui  avaient  appris  la 
grande  pitié  qui  était  au  royaume  de  France,  et  qu'il  fallait  qu'elle  y  allât. 
A  ces  paroles,  elle  s'était  mise  à  pleurer;  mais  la  voix  avait  commandé.  Et 
elle  racontait  comment  elle  avait  entrepris  ce  voyage,  accompli,  parmi  tant 
d'obstacles,  en  toute  sûreté,  selon  qu'il  lui  était  prédit. 

«  Jeanne,  lui  dit  Guillaume  Aymeri,  vous  demandez  gens  d'armes,  et 
dites  que  c'est  le  plaisir  de  Dieu  que  les  Anglois  laissent  le  royaume  de 
France  et  s'en  aillent  en  leur  pays.  Si  cela  est,  il  ne  faut  point  de  gens 
d'armes,  car  le  seul  plaisir  de  Dieu  peut  les  déconfire  et  faire  aller  en  leur  pays. 

—  En  nom  Dieu ,  reprit  Jeanne,  les  gens  d'armes  batailleront,  et  Dieu 
donnera  victoire.  » 

Maître  Guillaume  avoua  que  c'était  bien  répondu. 

Alors  Seguin,  un  «  bien  aigre  homme,  ><  dit  la  Chronique,  voulant  savoir 
que  penser  de  ses  voix ,  lui  demanda  quelle  langue  elles  lui  parlaient. 
«  Meilleure  que  la  vôtre  ,  «  répondit-elle. 
Il  parlait  limousin. 
«  Croyez-vous  en  Dieu  ?  dit  le  docteur  visiblement  blessé. 

—  Mieux  que  vous  ,  répliqua  Jeanne  sur  le  même  ton. 

—  Eh  bien!  reprit  Saguin,  Dieu  défend  de  vous  croire  sans  un  signe  qui 
porte  à  le  faire;  »  et  il  déclara  que,  pour  sa  part,  il  ne  donnerait  point  au 
roi  le  conseil  de  lui  confier  des  gens  d'armes  et  de  les  mettre  en  péril  sur  sa 
simple  parole. 

—  «  En  nom  Dieu,  répliqua  Jeanne,  je  ne  suis  pas  venue  à  Poitiers  pour 
faire  signes;  mais  menez-moi  à  Orléans,  et  je  vous  montrerai  les  signes 
pour  quoi  je  suis  envovée.  Qu'on  me  donne  si  peu  de  gens  qu'on  voudra, 
j'irai  à  Orléans.  » 


ORLÉANS.  59 

Le  frère  Seguin,  si  aigre  homme  que  le  dise  la  Chronique,  a  eu  du  moins 
la  bonhomie  de  nous  garder  ces  traits  sans  leur  rien  ôter  de  ce  qu'ils  avaient 
de  piquant  pour  lui-nicme  ,  moins  soucieux  de  son  amour-propre  que  de  la 
vérité. 

L'examen  se  prolongea  pendant  trois  semaines,  et  Jeanne  en  témoigna 
parfois  son  impatience.  Le  jour  que  vint  Gobcrt  Thibault,  en  compagnie 
de  Jean  Érauh  et  de  Pierre  de  Versailles,  la  Pucelle,  voyant  entre  les  deux 
docteurs  Técuyer  du  roi,  qu'elle  avait  sans  doute  rencontré  à  Chinon,  lui 
frappa  familièrement  sur  l'épaule,  et  lui  dit  «  qu'elle  voudroit  bien  avoir 
plusieurs  hommes  d'aussi  bonne  volonté.  »  Puis,  s'adressant  à  Pierre  de 
Versailles  : 

«  Je  crois  bien,  dit-elle,  que  vous  êtes  venu  pour  m'interroger  :  je  ne  sais 
ni  A  ni  B;  mais  je  viens  de  la  part  du  Roi  des  cieux  pour  faire  lever  le  siège 
d'Orléans,  et  mener  le  roi  à  Reims,  afin   qu'il^y  soit  couronné  et  sacré.  « 

Et  ensuite  : 

Avez-vous  du  papier,  de  l'encre  ?  »  dit-elle  à  Jean  Erault.  «  Écrivez  ce 
que  je  vous  dirai  :  "  Vous,  Suftbrt,  Classidas  et  la  Poule,  je  vous  somme 
ce  par  le  Roi  des  cieux  que  vous  en  alliez  en  Angleterre.  » 

La  lettre,  écrite  alors,  se  retrouvera  en  original  à  l'époque  où  elle  eut 
enfin  acquis  le  droit  de  l'envoyer  aux  Anglais. 

On  ne  l'interrogea  point  seulement  sur  ses  révélations  :  on  la  fit  surveiller 
par  des  femmes  dans  sa  manière  de  vivre,  on  l'interrogea  sur  sa  croyance. 
Car  ses  visions  fussent-elles  constantes,  il  fallait  savoir  d'où  elles  venaient  : 
si  elles  venaient  du  diable,  on  était  convaincu  qu'il  se  trahirait  par  quelque 
mot  malsonnant  touchant  la  foi.  Jeanne  sortit  tout  aussi  heureusement  de 
ces  épreuves.  Elle  n'avait  pas  compté  en  vain  sur  Celui  dont  elle  disait  aux 
docteurs  :  «  Il  y  a  es  livres  de  Notre-Seigneur  plus  que  es  vôtres.  »  Malgré 
ces  vivacités  de  langage  contre  la  science  des  docteurs,  ils  l'admiraient  et 
confessaient  qu'elle  leur  avait  répondu  avec  autant  de  prudence  que  si  elle 
eût  été  un  bon  clerc.  Plusieurs  crurent  sincèrement  à  son  inspiration.  Le 
confesseur  du  roi  et  d'autres  voyaient  en  elle  celle  qu'annonçait  une  pro- 
phétie (la  prophétie  de  Merlin,  sans  doute,  alléguée,  en  ce  temps  même, 
dans  les  vers  de  Christine  de  Pisan).  Jean  ÉrauIt,  cherchant  à  la  révélation 
de  Jeanne  un  appui  dans  une  autre,  cita  à  l'assemblée  ce  que  l'on  rappor- 


6o  JEANNE  D'ARC. 


tait  de  Marie  d'Avignon.  On  disait  que  cette  femme,  renommée  alors  par 
ses  prédictions,  était  venue  jadis  trouver  le  roi,  et  lui  avait  communiqué  ses 
visions  sur  la  prochaine  désolation  de  la  France.  Elle  avait  vu  quantité 
d'armes  ;  elle  avait  craint  que  ce  ne  lui  fut  un  signe  d'aller  à  la  guerre.  Mais 
elle  avait  été  rassurée  :  il  lui  avait  été  dit  que  ce  signe  ne  la  touchait  pas-, 
qu'une  pucelle  viendrait  après  elle,  qui  porterait  ces  armes  et  délivrerait  la 
France  de  l'ennemi.  Jean  Erault  ne  doutait  point,  pour  sa  part,  que  Jeanne 
ne  fût  la  pucelle  prédite. 

Sans  aller  aussi  loin,  les  docteurs  ne  laissèrent  pas  de  conclure  en  faveur 
de  Jeanne.  Ils  louaient  le  roi  de  n'avoir,  dans  cette  nécessité  pressante  du 
royaume,  ni  rejeté  la  Pucelle,  ni  cru  trop  légèrement  à  ses  promesses;  mais 
de  l'avoir  éprouvée  en  cherchant  dans  sa  vie  et  en  demandant  à  ses  actes  la 
preuve  qu'elle  était  envoyée  de  Dieu.  Sa  vie,  disaient-ils,  a  fait  l'objet  d'une 
enquête  sérieuse  :  Jeanne,  pendant  six  semaines,  a  été  gardée  par  le  roi,  vi- 
sitée par  toutes  sortes  de  personnes  ;  et  l'on  n'a  rien  trouvé  en  elle,  que 
«  bien,  humilité,  virginité,  dévotion,  honnêteté,  simplesse.  »  Son  signe, 
c'est  devant  Orléans  qu'elle  prétend  le  montrer.  Puisque  la  première  preuve 
est  faite,  il  ne  faut  pas  refuser  la  seconde  qu'elle  offre  ;  il  faut  la  mener  à 
Orléans  :  car  la  délaisser  sans  apparence  de  mal,  «  ce  seroit  répugner  au 
Saint-Esprit  et  se  rendre  indigne  de  l'aide  de  Dieu.  »  Les  matrones  firent 
leur  rapport  à  leur  tour.  La  reine  de  Sicile,  les  dames  de  Gaucourt  et  de 
Trêves  attestèrent  que  Jeanne  était  digne  de  porter  son  surnom  populaire, 
et  dès  lors  la  démonstration  était  complète  :  car  on  n'admettait  pas  que 
l'âme  pure  d'une  vierge  eût  commerce  avec  le  démon. 

Le  peuple,  pour  croire  en  elle,  n'avait  pas  demande  tant  d'épreuves.  Les 
plus  incrédules  ne  résistaient  point  à  l'accent  de  sa  parole  :  tel  qui,  en  ve- 
nant, déclarait  ses  promesses  pures  rêveries,  ne  s'en  allait  pas  sans  avouer 
que  c'était  une  créature  de  Dieu;  et  plusieurs  en  revenant  pleuraient  à 
chaudes  larmes.  Jeanne  avait  gagné  tous  les  suffrages.  Les  hommes  d'église 
rendaient  témoignage  à  sa  vertu  et  à  sa  foi  ;  les  hommes  de  guerre  s'émer- 
veillaient de  la  façon  dont  elle  parlait  sur  le  fait  des  armes;  et  les  dames  et 
les  demoiselles  ne  s'étonnaient  pas  moins  de  trouver  une  simple  jeune  fille 
dans  celle  qui  faisait  l'admiration  des  hommes  de  guerre  et  des  docteurs. 
Elle  qui,  sous  les  armes,  semblait  égale  aux  plus  habiles  par  sa  tenue,  par 


ORLEANS. 


Fig.  20.  —  Église  de  Sainte-Catherine  de  Fierbois,  où  fut  trouvée  l'Jpéc  marquée  de  cinq  croix  que 
Jeanne,  sur  l'ordre  de  ses  patronnes,  y  fit  chercher  derrière  l'autel.  L'église  actuelle  a  été  rebâtie  sur 
l'emplacement  de  l'ancienne,  par  Charles  VII  et  Louis  XI,  en  mémoire  de  la  Pucelle.  —  D'après  une 
photographie  de  M.   Giard,  à    Port-Boulet. 


ses  discours,  elle  se  retrouvait,  quand  elle  avait  dépouillé   le  harnois,   ce 
qu'elle  était  dans  son  village,  «  moult  simple  et  peu  parlant,  »  toujours 


JEANNE   D'ARC. 


pieuse  et  recueillie,  priant  dans  le  secret,  et  accueillant  avec  bonté  les 
hommes  de  toute  condition  que  la  curiosité  attirait  autour  d'elle,  mais  prin- 
cipalement les  femmes.  Elle  parlait  si  doucement  et  si  gracieusement, 
dit  la  Chronique,  qu'elle  les  faisait  pleurer.  Elle  s'excusait  auprès  d'elles  de 
l'habit  qu'elle  portait  :  et  les  femmes  surtout  la  devaient  comprendre.  L'ha- 
bit d'homme,  qui  effaroucha  tant  la  pudeur  du  tribunal  institué  par  les 
Anglais,  n'excita  pas  les  mêmes  scrupules  parmi  les  évèques  et  les  docteurs 
du  parti  de  Charles  VII.  Il  n'en  est  pas  dit  un  mot  dans  ce  qui  est  resté  de 
l'enquête  de  Poitiers  ;  et  si  la  question  s'y  posa ,  elle  fut  résolue  par  le  bon 
sens,  comme  elle  l'a  été  dans  la  consultation  que  l'archevêque  d'Embrun 
envoya  au  roi,  peu  de  temps  après  la  délivrance  d'Orléans,  sur  les  actes  de 
la  Pucelle  :  '<  Il  est  plus  décent,  dit  le  prélat ,  de  faire  ces  choses  en  habit 
d'homme,  puisqu'on  les  doit  faire  avec  des  hommes.  » 

Le  roi  ne  différa  plus.  Il  l'envoya  à  Tours  (vers  le  20  avril),  et  lui  com- 
posa toute  une  maison  militaire.  Les  deux  plus  jeunes  frères  de  Jeanne 
(Jean  et  Pierre)  l'étaient  .venus  rejoindre-,  ses  deux  guides,  Jean  de  Metz  et 
Bertrand  de  Poulengy,  ne  l'avaient  point  quittée.  Le  roi  les  maintint  dans 
sa  compagnie.  Il  lui  donna  pour  maître  d'hôtel,  ou  chef  de  sa  maison  mili- 
taire, Jean  d'Aulon,  honnête  écuyer  ^  pour  pages,  Louis  de  Contes,  qui 
s'était  déjà  trouvé  près  d'elle  à  la  tour  du  Coudrai,  et  un  autre  du  nom  de 
Raimond  ;  de  plus,  quelques  varlets,  deux  hérauts  d'armes.  Un  religieux 
augustin,  frère  Jean  Pasquerel,  connu  de  ceux  qui  avaient  amené  Jeanne  à 
Chinon,  lui  fut  présenté  par  eux  et  devint  son  aumônier.  Le  roi  fit  faire  à  la 
Pucelle  une  armure  complète  et  lui  donna  des  chevaux  pour  elle  et  pour 
ses  gens.  Mais  à  l'épée  qu'il  lui  offrit,  elle  en  préféra  une  qu'elle  semblait 
tenir  de  ses  patronnes.  Sur  son  indication  (nous  redisons  ce  qu'elle  en  rap- 
porte\  on  alla  dans  la  chapelle  de  Sainte-Catherine  de  Fierbois  ,  et  l'on 
trouva  derrière  l'autel,  à  une  petite  profondeur,  une  épée  marquée  de  cinq 
croix,  toute  couverte  de  rouille.  La  rouille  céda  facilement,  et  l'épée  fut  en- 
voyée à  Jeanne  avec  deux  fourreaux  magnifiques,  l'un  de  velours  vermeil, 
l'autre  de  drap  d'or  :  elle  s'en  fit  faire  un  autre  de  cuir  fort,  pour  l'usage 
ordinaire.  On  lui  fit,  d'après  les  instructions  qu'elle  donna ,  un  étendard 
en  linon,  brodé  de  soie,  au  champ  d'argent  (blanc)  semé  de  lis-,  on 
y  voyait,  sur  la  face,  avec  l'inscription  jesus  .vi.\.r[.\,  l'image  de  Dieu  assis 


ORLEANS. 


63 


sur  les  nuées  du  ciel,  portant  le  monde  dans  sa  main,  et  de  chaque  enté  un 
ange  lui  présentant  une  fleur  de  lis  qu'il  bénissait;  et  sur  le  revers,  l'écu  de 
France,  tenu  par  deux  anges.  Elle  s'était  fait  faire  en  outre  un  pennon,  sorte 
de  petite  bannière,  où  était  peinte  une  Annonciation  -,  la  Vierge  et  l'ange  un 


'ig.  _io.  —  C.iailes  \  II  investit  Jeanne  d  All.  Ju  LommanJement  de  1  armée.  Jeanne  tient  en  main  1  lIl 
dard,  qui  était  le  signe  du  commandement  général.  —  Bas-relief  de  M.  Foyatier,  à  Paris,  xix"  siècle. 


lis  à  la  main.  Elle  aima  son  épée;  mais,  comme  elle  le  dit  en  son  procès,  elle 
aimait  quarante  fois  plus  son  étendard.  Car  ce  drapeau,  bien  plus  que 
son  épée,  était  pour  elle  le  signe  et  l'instrument  de  la  victoire.  Jamais  elle 
ne  tua  personne.  Pour  ne  point  s'y  e.xposer  dans  la  bataille,  elle  abordait 
l'ennemi  l'étendard  à  la  main. 


64  JEANNE  D'ARC. 


ENTREE     A    ORLEANS. 

Il  n'y  avait  plus  de  temps  à  perdre,  si  l'on  voulait  sauver  Orléans.  Les 
Anglais  achevaient  leurs  bastilles  ;  ils  avaient  fortifié  par  de  nouveaux  bou- 
levards et  relié  par  des  fossés  leurs  positions  à  l'ouest  et  au  nord  de  la  place 
;^dc  la  fin  de  mars  au  i5  avril),  et  ils  s'établissaient  à  l'est  dans  les  bastilles 
de  Saint-Loup  (lo  mars)  et  de  Saint-Jean  le  Blanc  (20  avril).  Le  blocus 
allait  donc  se  resserrant  chaque  jour,  et  l'on  devait  compter  de  moins  en 
moins  à  l'intérieur  sur  ces  arrivages,  en  quelque  sorte  furtifs,  qui,  échappant 
à  l'ennemi  grâce  à  leur  médiocrité  même,  renouvelaient  de  temps  à  autre 
les  ressources  des  assiégés.  C'était  d'une  tout  autre  sorte  et  dans  d'autres 
proportions  que  Jeanne  voulait  ravitailler  la  place.  Son  concours  étant  enfin 
accepté,  on  prépara  un  grand  convoi  de  vivres.  La  reine  de  Sicile,  qui  était 
l'âme  du  parti  national ,  fut  chargée  de  le  réunir  à  Blois,  avec  le  duc  d'A- 
lencon,  Ambroise  de  Loré  et  l'amiral  Louis  de  Culan.  L'argent  manquait  : 
le  roi  en  sut  trouver,  cette  fois;  et  bientôt  Jeanne  vint  elle-même  à  Blois  en 
la  compagnie  de  Regnault  de  Chartres,  archevêque  de  Reims,  chancelier  de 
France,  et  du  sire  de  Gaucourt,  chargés  sans  doute  de  donner  les  derniers 
ordres  pour  le  départ.  Le  maréchal  de  Boussac  et  le  seigneur  de  Rais,  in- 
vestis du  commandement,  y  vinrent  très-peu  après,  avec  la  Hire,  Poton  de 
Xaintrailles,  et  tous  ceux  qui  devaient  faire  l'escorte.  Dans  son  procès 
Jeanne  n'é\'alue  pas  à  moins  de  10  ou  i  2,000  hommes  le  nombre  des  gens 
que  lui  donna  le  roi.  Le  procès-verbal  peut  être  suspect  ici  d'inexactitude, 
sinon  d'altération.  Les  Anglais  avaient  intérêt  à  grossir  le  nombre  des 
troupes  qui  leur  firent  lever  le  siège.  Dunois,  dans  sa  déposition,  dit  que  l'es- 
corte ne  lui  avait  point  paru  assez  nombreuse  pour  aller  droit  à  travers  les 
Anglais,  lesquels  n'étaient  pas  dix  mille  hommes,  divisés  entre  les  deux  rives 
de  la  Loire.  Monstrelet,  un  ennemi,  en  réduit  le  nombre  à  sept  mille  -,  Eber- 
hard  de  Windecken,  un  écrivain  désintéressé,  et  qui  paraît  assez  bien  ren- 
seigné ici,  à  trois  mille  :  on  ne  saurait  le  faire  descendre  plus  bas. 

Avant  d'engager  la  lutte,  Jeanne  essaya  de  la  prévenir,  marquant  du 
signe  de  la  paix  le  premier  acte  de  sa  mission;  car  sa  mission,  c'était  aussi 


LES   ENSEIGNES   DE  JEANNE   D'ARC 

Jeanne  d'Arc  avait  trois  enseignes  :  l'Etendard,  le  Pennon,  la  Bannière. 
L'Etendard  et   le   Pennon  étaient  le  signe  du  commandement  général.  Jeanne  se 
déclara  investie  de  ce  commandement  en  vertu  de  sa   mission  :  «  Je  suis  envoyée  de 

par  Dieu Je  suis  chef  de  guerre.  »  —  L'Étendard  (drapeau  étendu)  servait  à  rallier 

l'armée;  le  Pennon,  de  petite  dimension,  servait  à  réunir  autour  de  Jeanne  les  com- 
battants choisis  qui  se  tenaient  près  de  sa  personne  '. 

La  Bannière  de  Jeanne  était  un  signe  purement  religieux,  qu'elle  avait  fait  faire 
pour  grouper  ceux  qu'on  pouvait  appeler  ses  convertis  -.  Ces  pillards,  ces  écorcheurs, 
qu'elle  avait  su  transformer  en  soldats  chrétiens,  se  réunissaient  sous  cette  bannière 
pour  les  exercices  religieux  que  Jeanne  avait  introduits  dans  l'armée. 

.Aucun  document  figuré  d'une  exactitude  et  d'une  authenticité  parfaites  ne  nous  a 
transmis  l'image  de  l'une  ou  l'autre  de  ces  enseignes,  exécutées  sur  l'ordre  et  d'après 
les  indications  de  Jeanne,  conseillée  par  ses  voix  célestes.  Mais  des  textes  précis  et 
concordants,  dont  les  principaux  ne  sont  autre  chose  que  les  réponses  mêmes  de  la 
Pucelle  à  ses  juges,  laissent  peu  de  prise  à  l'erreur. 

Les  trois  enseignes  de  Jeanne  représentaient  des  sujets  religieux.  On  voyait  sur 
l'Étendard  les  mots  Jésus,  M.\ria,  et  Dieu  assis  sur  l'arc-en-ciel,  bénissant  une  fleur  de 
lis  que  lui  présentait  un  ange.  Cet  étendard  était  garni  et  entoure  d'une  frange  de  soie, 
et  le  champ  ou  le  fond  en  était  blanc,  semé  de  fleurs  de  lis  d'or.  Sur  le  Pennon  était 
peinte  une  Annonciation,  et  sur  la  Bannière  figuraient  Jésus  crucifié,  la  Vierge  et 
saint  Jean.  Nous  avons  la  certitude  que  l'étendard  était  de  toile  blanche,  très-grosse  et 
lustrée,  qu'on  connaît  encore  sous  le  nom  de  bougran  [eratque  coloris  albi  de  tela  alba 
vel  boucassino.  Procès,  l,  p.  78'. 

Les  textes  prouvent  également  qu'un  certain  nombre  de  pennonceau.v  de  même 
couleur,  dont  plusieurs  étaient  semés  de  fleurs  de  lis,  furent  alors  portés  dans  l'armée 
française,  à  l'imitation  des  enseignes  de  la  Pucelle  et  comme  une  multiplication  de  son 
étendard  et  de  son  pennon. 

Le  souvenir  de  Jeanne  et  l'influence  de  la  couleur  adoptée  par  elle,  laquelle  couleur 
était  déjà  depuis  deux  siècles  au  moins  celle  de  la  croi.v  de  France  portée  sur  l'habit 
militaire,  et  transportée  de  son  temps  ou  un  peu  avant  elle  sur  les  étendards  français, 
ce  souvenir  et  l'influence  de  cette  couleur  furent  probablement  l'origine  de  la  valeur 
du  blanc  comme  couleur  symbolique  de  la  France.  La  miniature  reproduite  ci-contre 
au-dessous  des  enseignes  de  la  Pucelle  est  empruntée  au  manuscrit,  exécuté  pour 
Charles  VIII,  des  Vigiles  de  Charles  VII,  œuvre  de  Martial  d'Auvergne  (ms.  fr.,  5o54, 
fol.  33  \°j.  Cette  miniature  représente  la  France  en  prière  aux  pieds  delà  sainte  Trinité. 
La  France  est  figurée  par  une  jeune  femme,  vêtue  d'une  tunique  blanche  semée  de 
fleurs  de  lis  d'or,  et  accompagnée  de  deux  acolytes  qui  portent  des  tuniques  bleues 
fleurdelisées.  Cette  allégorie  conduit  à  penser  qu'à  l'époque  où  fut  exécuté  le  manuscrit 
des  Vigiles,  le  blanc  avait  décidément  pris  le  pas  sur  le  bleu,  qui  depuis  Philippe- 
Auguste  avait  été  considéré  comme  la  couleur  de  la  royauté  et  de  la  nation  françaises. 

On  pourrait  donc  rattacher  à  l'influence  de  Jeanne  d'Arc  la  valeur  de  jour  en  jour 
plus  grande  que  prit,  à  partir  de  son  époque,  le  drapeau  blanc,  qui,  enseigne  suprême 
de  commandement  militaire  de  Charles  "VU  à  François  I",  drapeau  de  guerre  de  la 
France  de  François  l"  à  Henri  IV,  devint,  sous  ce  dernier  prince,  le  drapeau  national 
proprement  dit. 

Le  pennon  du  général  d'armée  ne  doit  pas  être  confondu  avec  !e  pennon  du  simple  geniillionuiie  servant 
sous  un  chevalier  banneret.  Quoique  la  forme  en  fiit  la  même,  l'emploi  en  était  différent  :  l'un  était  une  enseigne 
personnelle,  une  sorte  de  blason  flottant  ;  l'autre  une  enseigne  de  commandement,  et  comme  un  dédoublement 
de  l'étendard.  Le  pennon  de  Jeanne  était  de  ce  dernier  genre. 

La  bannière  proprement  dite  était  la  marque  de  commandement  du  banneret  qui  avait  sous  ses  ordres  un 
certain  nombre  de  chevaliers  ;  mais,  par  analogie,  on  avait  donné  ce  nom  aux  enseignes  portées  dans  les 
cérémonies  religieuses,  et  dont  l'usage  remonte  à  une  haute  antiquité. 


a  p^  i  ù<o}j  çinxi^Ucc  pav  fmruc(. 


'  •-  '    .-.':  Imt'  Fraillsrv 

I  Lestnseu/nejiiù-  Jauirie tl'Arc  Sm  miUeu,rEtrndapiiag'aui:lie.lePeimon;a  droite. la Baimiere(Ess<u de RcstauKxUoui.. 

ï .  .'l/lét/orie  rie  la  France  eti  prière.  }&s.  fr.  a°  505i.  daté  de  IWi-    a  la  Biblioth.  nat . 


ORLEANS.  65 


la  paix  aux  hommes  de  bonne  volonté.  Mais  comment  obtenir  de  la  bonne 
volonté  des  Anglais  ce  que  réclamait  le  droit  de  la  France  à  être  libre? 
Jeanne  ne  s'en  crut  pas  moins  obligée  à  leur  envoyer  ce  message  ,  dont  les 
termes  ont  été  gardés  textuellement. 

«   Jhesus  Maria, 

«  Roi  d'Angleterre,  et  vous  duc  de  Bethfort  qui  vous  dites  régent  le  royaume 
de  France;  Guillaume  Lapoule  (Pôle),  comte  de  Suffort  (Sutfolk),  Jehan,  sire 
de  Thalebot  (Talbot),  et  vous,  Thomas,  sire  d'EscalIes  (Scaies),  qui  vous  dites 
lieutenans  dudit  de  Bethfort,  faites  raison  au  Roi  du  ciel  de  son  sang  royal  ; 
rendez  à  la  Pucelle  cy  envoyée  de  par  Dieu  le  Roi  du  ciel,  les  clefs  de  toutes  les 
bonnes  villes  que  vous  avez  prises  et  violées  en  France.  Elle  est  venue  de  par 
Dieu,  le  Roi  du  ciel,  pour  réclamer  le  sang  royal;  elle  est  toute  preste  de 
faire  paix,  si  vous  lui  voulez  faire  raison,  par  ainsi  que  France  vous  mettez  sur 
(rendez  )  et  paiez  de  ce  que  l'avez  tenue.  Entre  vous,  archers,  compagnons  de 
guerre  gentils,  et  autres  qui  estes  devant  la  bonne  ville  d'Orliens,  allez-vous-en, 
de  par  Dieu,  en  vos  pays  ;  et  si  ainsi  ne  le  faites,  attendez  les  nouvelles  de  la 
Pucelle  qui  vous  ira  voir  brièvement  à  vostre  bien  grand  dommage.  Roi  d'An- 
gleterre, si  ainsi  ne  la  faites,  je  suis  chef  de  guerre,  et  en  quelque  lieu  que  j'at- 
taindrai  vos  gens  en  France,  je  les  en  ferai  aller,  veuillent  ou  non  veuillent;  et 
s'ils  ne  veulent  obéir,  je  les  ferai  tous  mourir,  et  s'ils  veulent  obéir,  je  les  pren- 
drai à  merci.  Je  suis  cy  venue  de  par  Dieu,  le  Roi  du  ciel,  corps  pour  corps, 
pourvous  bouter  hors  de  toute  France,  encontre  tous  ceux  qui  voudroient  porter 
trahison,  malengin  ni  dommage  au  royaume  de  France.  Et  n'ayez  point  en 
vostre  opinion,  que  vous  ne  tiendrez  mie  (que  vous  tiendrez  jamais)  le  royaume 
de  France  de  Dieu,  le  Roi  du  ciel,  tils  de  sainte  Marie,  ains  (mais)  le  tiendra  le 
roi  Charles,  vrai  héritier;  car  Dieu,  le  Roi  du  ciel,  le  veut  ainsi,  et  lui  est 
révélé  par  la  Pucelle  :  lequel  entrera  à  Paris  en  bonne  compagnie.  Si  vous  ne 
voulez  croire  les  nouvelles  de  par  Dieu  de  la  Pucelle,  en  quelque  lieu  que  nous 
vous  trouverons,  nous  ferrons  (férirons,  frapperons)  dedans  à  horions,  et  si 
(ainsi)  ferons  un  si  gros  hahaye,  que  encore  a  mil  années  (il  y  a  mille  ans)  que 
en  France  ne  fut  fait  si  grand,  si  vous  ne  faites  raison.  Et  croyez  fermement  que 
le  Roi  du  ciel  trouvera  [ou  envolera)  plus  de  force  à  la  Pucelle  que  vous  ne  lui 
sauriez  mener  de  tous  assauts,  à  elle  et  à  ses  bonnes  gens  d'armes;  et  adonc 
verront  lesquels  auront  meilleur  droit,  de  Dieu  du  ciel  ou  de  vous.  Duc  de 
Bethfort,  la  Pucelle  vous  prie  et  vous  requiert  que  vous  ne  vous  faites  pas 
destruire.  Si  vous  faites  raison,  encore  pourrez  venir  en  sa  compagnie  l'où  que 
les  François  feront  le  plus  beau  fait  qui  oncques  fut  fait  pour  la  chrestienté.   Et 

JEANNE   d'abc.    111.   —   9 


JEANNE  D'ARC. 


faites  réponse  en  la  cité  d'Orliens,  si  vous  voulez  faire  paix  ;  et  si  ainsi  ne  le 
faites,  de  vos  bien  grands  dommages  vous  souvienne  brièvement. 
«  Escrit  le  mardi  de  la  semaine  sainte. 

«  De  par  la  Pucelle.   » 

Et  au-dessus  :  «  Au  duc  de  Bethfort,  soi-disant  régent  le  royaume  de  France, 
ou  ù  ses  lieutenans  estans  devant  la  ville  d'Orliens.   » 

Cette  lettre,  datée  du  -2 2  mars  et  probablement  écrite  à  Poitiers,  ne  fut 
sans  doute  adressée  au.\  Anglais  qu'après  que  Jeanne  fut  agréée  de 
Charles  VII;  peut-être  seulement  quand  elle  vint  à  Blois.  Elle  fut  ac- 
cueillie d'eu.x  avec  insulte.  Ils  ne  se  bornèrent  point  à  des  outrages  envers 
la  Pucelle  ,  ils  allèrent  jusqu'à  une  violation  du  droit  des  gens  sur  son  mes- 
sager :  ils  le  retinrent ,  et  ils  n'attendaient  pour  le  brûler  que  l'avis  de  l'Uni- 
versité de  Paris. 

Jeanne  n'avait  donc  plus  de  ménagements  à  garder  envers  eux.  Pendant 
qu'on  prenait  les  dernières  dispositions  pour  le  départ,  elle  s'y  préparait 
elle-même  à  sa  manière.  Indépendamment  de  son  étendard,  elle  avait 
fait  faire  une  bannière  où  était  peinte  l'image  de  Jésus  en  croix;  et  chaque 
jour,  matin  et  soir,  des  prêtres  se  rassemblaient  alentour  pour  chanter  les 
hymnes  de  Marie.  Jeanne  y  venait,  et  elle  eut  souhaité  que  tous  y  fussent 
avec  elle  :  mais  nul  homme  d'armes  n'y  était  admis  qu'il  ne  fût  en  état  de 
grâce,  et  Jeanne  les  engageait  à  se  confesser  aux  prêtres  qui  étaient  là,  tout 
disposés  à  les  entendre.  Au  moins  voulut-elle  qu'avant  de  partir  chacun 
mît  ordre  à  sa  conscience.  «  Elle  leur  fit  ostcr  leurs  fillettes.  »  Il  n'3'  avait 
point  de  place  pour  elles  dans  une  armée  conduite  par  la  Pucelle,  sous 
l'invocation  de  la  Vierge  ,  Mère  de  Dieu. 

La  congrégation  qu'elle  avait  formée  autour  de  cette  pieuse  bannière  fut 
son  avant-garde,  lorsque  le  jeudi  28  avril  elle  sortit  de  Blois  pour  aller  à 
Orléans  :  c'était  elle  qui  ouvrait  la  marche,  au  chant  du  l 'eiii  Crcalor.  Jeanne 
eût  voulu  qu'on  marchât  droit  sur  Orléans  par  la  rive  où  la  ville  s'élève.  On 
passait  à  travers  les  plus  fortes  bastilles  des  Anglais;  mais  on  arrivait  sans 
autre  obstacle',  et  elle  avait  déclaré  que  les  Anglais  ne  bougeraient  pas. 
Toutefois  les  capitaines  de  Charles  VII  ne  pouvaient  point  fonder  leur  plan 
de  campagne  sur  cette  assurance,  que  Talbot,  Sufiolk  et  les  Anglais,  mai- 


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68  JEANNE   D'ARC. 


très  des  positions,  laisseraient  passer  entre  leurs  mains,  sans  tenter  de  le 
prendre ,  un  convoi  de  vivres  dont  ils  pouvaient  eux-mêmes  si  bien  faire  leur 
profit.  Ils  résolurent  donc  de  suivre  la  rive  gauche  (côté  de  la  Sologne), 
laissant  le  fleuve  entre  leur  troupe  en  marche  et  les  principaux  établissements 
de  Tennemi.  De  ce  côté,  en  décrivant  un  cercle  ,  on  évitait  les  bastilles  occu- 
pées par  les  Anglais  aux  abords  du  pont  d'Orléans,  et ,  en  passant  la  Loire 
au-dessus  de  leurs  dernières  positions,  on  pouvait  revenir  vers  la  ville  par 
la  rive  droite,  à  travers  une  plaine  moins  garnie  de  bastilles.  La  marche  se 
fit  ainsi.  On  trompa  la  simple  jeune  fille  sur  la  vraie  position  d'Orléans;  on 
traversa  le  pont  de  Blois,  et  l'on  passa  devant  Baugency  et  Meun  ,  sans  que 
l'ennemi,  qui  occupait  ces  places,  fît  rien  pour  inquiéter  le  convoi.  On  cou- 
cha en  rase  campagne  (Jeanne  ,  qui  ne  voulut  pas  quitter  ses  armes,  en  fut 
toute  meurtrie) ,  et  on  gagna  Olivet ,  derrière  les  bastilles  anglaises  de  la  rive 
gauche.  Jeanne  put  reconnaître  alors  comme  on  s'était  joué  de  son  igno- 
rance. Elle  était  devant  Orléans,  mais  séparée  de  la  ville  par  la  rivière. 
Elle  en  fut  vivement  affectée.  Elle  eût  voulu  au  moins  ne  s'en  pas  éloigner 
davantage,  et  sans  prétendre  forcer,  dès  l'arrivée,  les  bastilles  qui  défen- 
daient l'accès  du  pont,  elle  demandait  qu'on  attaquât  la  plus  occidentale  et 
la  plus  isolée,  celle  de  Saint-Jean  le  Blanc  ;  les  Anglais  s'y  attendaient  si 
bien,  qu'ils  en  rappelèrent  la  garnison  aux  Augustins  et  aux  Tourelles, 
croyant  la  position  trop  faible  pour  être  défendue.  Mais  les  autres  jugèrent 
le  lieu  trop  rapproché  de  l'ennemi  pour  y  tenter  le  passage  ,  et  ils  se  dirigè- 
rent vers  l'île  aux  Bourdons,  devant  Cliécy  (à  deux  lieues  d'Orléans),  où  ils 
trouvaient  le  double  avantage  d'embarquer  le  convoi  plus  sûrement  et  de  le 
débarquer  en  lieu  plus  commode. 

La  ville  d'Orléans  attendait  avec  anxiété  l'issue  de  l'entreprise.  On  ne 
doutait  pas  que  les  Anglais  ne  fissent  tout  pour  la  traverser.  Il  fut  ordonné 
que  chacun  fût  sous  les  armes,  prêt  à  agir;  et  Dunois  vint  avec  quelques 
autres  rejoindre  le  convoi,  comme  il  se  trouvait  à  la  hauteur  de  l'église 
Saint- Loup ,  au  lieu  dhport  du  Boiischet ,  pour  aviser  aux  meilleurs  moyens 
de  lui  faire  passer  le  fleuve  et  de  l'introduire  dans  la  ville.  Le  chose  n'était 
pas  si  facile  encore.  Il  fallait  des  bateaux  :  on  ne  pouvait  les  faire  venir  que 
d'Orléans,  sous  le  feu  des  bastilles  ennemies,  et  le  vent  était  contraire. 
Jeanne  était  moins  touchée  de  ces  difficultés  que  du  parti  qu'on  avait    pris 


ORLEANS.  6q 


d'en  éviter  par  là  de  plus  grandes,  au  risque  de  montrer,  dès  le  début  de 
l'entreprise,  si  peu  de  confiance  en  elle  et  surtout  si  peu  de  foi  en  Dieu. 

«  Etes-vous  le  bâtard  d'Orléans?  dit-elle  à  Dunois  quand  il  l'aborda. 

• —  Oui,  et  je  me  réjouis  de  votre  venue. 

—  Est-ce  vous,  reprit-elle  sans  autrement  répondre  au  compliment,  qui 
avez  donné  le  conseil  de  me  faire  venir  ici  par  ce  côté  de  la  rivière  ,  et  non 
pas  directement  où  étaient  Talbot  et  les  Anglais?  » 

Dunois  répondit  que  lui  et  de  plus  sages  que  lui  avaient  donné  ce  conseil , 
croyant  mieux  faire  et  plus  sûrement. 

«  En  nom  Dieu,  s'écria  Jeanne,  le  conseil  de  Messire  >  Dieul  estplussûr 
et  plus  sage  que  le  vôtre.  \^ous  m'avez  cuidé  (pensé  j  décevoir  et  vous  vous 
êtes  déçus  vous-mêmes ,  car  je  vous  amène  le  meilleur  secours  que  eut 
oncques  chevalier,  ville  ou  cité;  et  c'est  le  plaisir  de  Dieu  et  le  secours  du 
Roi  des  cieux;  non  mie  pour  l'amour  de  moi ,  mais  il  procède  purement  de 
Dieu.  Lequel,  à  la  requête  de  saint  Louis  et  saint  Charles  le  Grand,  a  eu 
pitié  de  la  ville  d'Orléans,  et  n'a  pas  voulu  souffrir  que  les  ennemis  eussent 
le  corps  du  duc  d'Orléans  et  sa  ville.  » 

En  ce  moment  sa  parole  sembla  se  confirmer  par  un  signe  :  le  vent 
changea  tout  à  coup;  les  bateaux  purent  venir  d'Orléans.  On  v  plaça  la 
charge  du  convoi,  blé,  vivres  et  bœufs,  puis  la  flottille  redescendit  le  tleuve 
comme  elle  l'avait  remonté,  par  le  chenal  de  la  rive  gauche  (c'était  alors  le 
principal) ,  s'engagea  entre  l'île  Saint- Loup  et  l'île  Saint-Aignan  ,  depuis  île 
aux  Toiles,  et  atteignit  la  pointe  orientale  d'Orléans,  où  on  la  déchargea. 
Mais  les  mo\'ens  manquaient  pour  faire  passer  tous  les  hommes  de  la 
même  sorte.  Un  pont  de  bateaux  eut  été  difficilement  établi,  car  la  Loire 
était  haute.  Point  d'autre  passage  que  le  pont  de  Blois,  d'où  l'on  venait. 
Plusieurs  proposèrent  donc  de  les  y  reconduire;  Dunois  se  bornait  à  prier 
Jeanne  de  venir  avec  lui  dans  la  ville  ce  soir  même  :  car  Orléans  eut  cru  ne 
rien  avoir,  recevant  les  vivres  sans  elle.  Jeanne  en  fut  très-irritée.  Elle  ne 
savait  se  décider  ni  à  laisser  partir  les  siens  ni  à  les  suivre  :  car  elle  ne  venait 
pas  seulement  ravitailler  Orléans,  mais  la  sauver.  Or  elle  avait  là  des 
hommes  préparés  comme  elle  l'avait  voulu,  >>  bien  confessés,  pénitents,  et 
de  bonne  volonté  :  »  —  «  En  leur  compagnie,  disait-elle,  je  ne  craindrais 
pas  toute   la  puissance  des  Anglais;    »  —  et  elle  redoutait   qu'une  fois 


JEANNE  D'ARC. 


partis  ,  leur  troupe  ne  vînt  à  se  dissoudre.  «  Il  v  en  avait,  en  effet,  dit  Jean 
Charrier,  qui  faisaient  dilficulté  de  mettre  tant  de  gens  en  ladite  ville, 
pour  ce  qu'il  3'  avait  trop  peu  de  vivres  :  »  on  eut  craint  sans  doute  cà  la  cour 
d'être  obligé  de  refaire  bientôt  les  frais  d'un  nouveau  convoi.  Dunois,  voyant 
qu'on  ne  la  pouvait  point  avoir  autrement ,  vint  trouver  les  capitaines  qui  com- 
mandaient l'escorte,  et  il  supplia,  au  nom  de  l'intérêt  du  roi,  de  laisser 
Jeanne  et  de  la  décider  à  le  suivre  dans  la  ville,  en  lui  promettant  d'aller  à 
Blois  passer  la  Loire  pour  la  rejoindre  bientôt  à  Orléans.  Les  capitaines 
firent  ce  qu'il  désirait,  et  Jeanne  agréa  leur  promesse.  Elle  laissa  à  ses 
hommes  la  bannière  autour  de  laquelle  elle  avait  coutume  de  les  réunir  : 
elle  leur  laissait  Pasquerel  son  aumônier,  et  les  prêtres  qui  les  entretenaient 
dans  leurs  pieux  exercices  ;  et  elle-même ,  avec  Dunois ,  Lahirc  et  deux  cents 
lances,  passa  le  fleuve  à  la  suite  du  convoi. 

De  ce  côté,  les  Anglais  n'avaient  qu'une  seule  bastille,  celle  de  Saint- 
Loup  :  pour  leur  ôter  la  tentation  d'en  sortir  et  de  troubler  l'opération,  les 
Orléanais  les  'y  assaillirent  eux-mêmes,  et  de  telle  sorte,  qu'ils  en  rappor- 
tèrent une  bannière;  mais,  ce  qui  valait  mieux,  les  chalands,  grâce  à  la  di- 
version ,  étaient  déchargés  en  sûreté  et  les  approvisionnements  introduits  par 
la  porte  de  Bourgogne.  Jeanne  et  ses  hommes  d'armes  étaient  restés  près  de 
Chécy.  Pour  éviter  l'empressement  tumultuaire  delà  foule,  on  était  convenu 
qu'elle  n'entrerait  dans  la  ville  que  la  nuit,  et  un  acte  public  nous  apprend 
qu'elle  passa  au  château  de  Reuilly  quelques  heures  de  cette  journée.  Elle 
entra  dans  Orléans  à  huit  heures  du  soir,  armée  de  toutes  pièces  et  montée 
sur  un  cheval  blanc.  Elle  s'avançait  précédée  de  sa  bannière  ,  ayant  à  sa 
gauche  Dunois,  richement  armé,  et  derrière  elle  plusieurs  nobles  seigneurs 
etquelqueshommesdela  garnison  ou  delà  bourgeoisie  d'Orléans  qui  étaient 
venus  lui  faire  cortège.  Mais  c'est  en  vain  qu'on  eiàt  voulu  tenir  la  foule 
éloignée  :  tout  le  peuple  était  accouru  à  sa  rencontre,  portant  des  torches  et 
manifestant  une  aussi  grande  joie  «  que  s'ils  avaieflt  vu  Dieu  descendre 
parmi  eux.  »  Jeanne,  en  effet,  était  pour  eux  comme  l'ange  du  Dieu  des 
armées.  «  Ussesentoient,  dit  le  Journal  du  siège,  tous  reconfortés  et  comme 
désassiégés  par  la  vertu  divine  qu'on  leur  avoit  dit  être  dans  cette  simple 
pucelle.  »  Tous  se  pressaient  autour  d'elle,  hommes,  femmes  et  petits  en- 
fints,  cherchint  à  la  toucher,  à  toucher  au  moins   son  cheval  (dans   leur 


JEANNE  D'ARC. 


empressement,  ils  faillirent  de  leurs  torches  briàler  son  étendard);  et  ils 
l'accompagnèrent  ainsi ,  lui  faisant  «  grant  chère  et  grant  honneur,  »  à 
l'église  principale,  où  elle  voulut,  avant  toute  chose,  aller  rendre  grâces  à 
Dieu-,  puis  jusqu'auprès  de  la  porte  Renart,  en  l'hôtel  de  Jacques  Boucher, 
trésorier  du  duc  d'Orléans,  où  elle  fut  reçue  avec  ses  deux  frères  et  les  deux 
gentilshommes  qui  l'avaient  amenée  de  ^'aucouleurs  ^20  avril). 

LA    DÉLl  V  RAXC£  d'oRLÉANS. 

Jeanne  avait  dès  ce  moment  changé  la  face  des  choses.  Les  Orléanais, 
d'assiégés ,  devenaient  décidément  assiégeants.  Le  peuple  avait  repris  tant 
de  confiance,  qu'autrefois  ic'est  Dunois  qui  l'avance)  deux  cents  Anglais 
eussent  mis  en  fuite  plus  de  huit  cents  hommes  de  l'armée  du  roi,  et  main- 
tenant quatre  ou  cinq  cents  hommes  d'armes  osaient  braver  toutes  les 
forces  anglaises. 

Dès  le  lendemain  matin  >  3o  avril  ,  les  plus  impatients,  et  dans  le  nombre 
Florent  d'Illiers,  arrivé  de  Chàteaudun  l'avant-veille  avec  quatre  cents 
combattants,  sortirent  enseignes  déployées,  chargèrent  les  Anglais  et  les 
refoulèrent  vers  leur  bastille  voisine  de  Saint- Pouair  )sur  la  route  de  Paris)  ; 
et  déjà  on  ne  parlait  dans  la  ville  que  d'apporter  de  la  paille  et  des  fagots 
pour  y  mettre  le  feu  :  mais  l'attaque  ne  fut  pas  soutenue.  Jeanne  n'avait 
rien  su  de  l'entreprise,  et,  si  pressée  qu'elle  fût  de  combattre,  on  peut  croire 
qu'elle  l'eût  désapprouvée  :  car,  avant  d'attaquer  l'ennemi,  elle  le  voulait 
sommer  encore.  Mais  elle  entendait  qu'on  ne  différât  pas  davantage.  Elle 
ne  voulait  pas  même  attendre  sa  propre  troupe,  qui  devait  passer  la  Loire 
à  Bloij,  et  se  refusait  à  ce  que  Dunois  l'allàt  chercher,  aimant  mieux  qu'il 
restât  pour  faire  immédiatement  sommation,  ou,  en  cas  de  refus,  donner 
l'assaut  aux  Anglais.  Dunois  ne  se  refusa  point  à  lui  laisser  faire  telles  som- 
mations qu'il  lui  plairait;  mais  il  tint  à  ne  point  combattre  avant  d'avoir 
reçu  ses  moyens  d'attaque,  et  Jeanne  dut  cédera  son  tour.  Elle  écrivit  donc 
aux  Anglais  dans  le  même  sens  que  la  première  fois,  réclamant  le  héraut 
qui  leur  avait  porté  sa  lettre  de  Blois.  Ceux  qu'elle  envoyait  d'Orléans 
pouvaient  bien  avoir  le  même  sort  :  car  les  Anglais  ne  se  croyaient  point 


ET^TREE   DE   JEANNE   D'ARC   A  ORLEANS 

Après  avoir  franchi  les  lignes  aiio'l.uses.  Jeaimc.  montée  sur  un  cheval  blanc  et  prcccdci- de  sa  haTiiiicrc,  enlrc 
à  Oi-lcans.  Le  pcupLc  se  presse  auloui- d'cUc,.voulaiU  la  louclicr  ou  au  moins  louchci-  sou  cheval.  «  .W-.v.sv/Y'(Oieu). 
"  dil  elle,  m'a  cnvoi/cr  poiuwfiowir lo  6o/i/u-  iiillt-  iiOi-lcans.  »  —  Frojcl  de  vitrail  de  M.  Lechcvallicr-Chcsi- 
anard,  à  Paris,  conurumiqué  par  M.  Ch.  des  Granges,  à  Clermoul-Ferraud,  et  desLiué  à  la  calhcdi'ale  d'Orléans. 


ORLÉANS.  73 

tenus  du  droit  des  gens  envers  cette  tille  qu'ils  réputaientpour  le  moins  hé- 
rétique ;  mais  Dunois  leur  manda  en  même  temps  que  s'ils  ne  les  renvoyaient 
tous,  il  ferait  mourir  les  Anglais  prisonniers  et  ceux  qu'on  avait  envoyés 
pour  traiter  de  la  rançon  des  autres.  Ils  cédèrent  à  cette  menace,  selon  le 
Journal  du  siège.  Selon  d'autres  témoignages  qui  trouvent  ailleurs  leur  confir- 
mation ,  des  deux  messagers  ils  retinrent  l'un,  et  ne  renvoyèrent  l'autre  que 
pour  avoir  l'occasion  de  publier  ce  que  leur  haine  avait  dès  lors  résolu  contre 
la  Pucelle.  Ils  lui  mandèrent  «  qu'ils  la  brûleroient  et  feroient  ardoir  (périr 
dans  les  flammes)  ;  »  et,  mêlant  l'insulte  à  la  menace,  ils  ajoutaient  «  qu'elle 
n'étoit  qu'une  ribaude,  et,  comme  telle,  s'en  retournât  garder  ses  vaches.  » 

Jeanne  fut  vivement  émue  de  ces  insultes  grossières;  mais,  au  risque  de 
les  subir  en  face,  elle  voulait,  avant  de  commencer  l'attaque,  adjurer  elle- 
même  les  Anglais  de  l'éviter  en  se  retirant.  Elle  s'en  alla  donc  au  boulevard 
de  la  Belle-Croix,  position  avancée  des  Orléanais  sur  le  pont,  et  de  là  elle 
somma  Glasdale  (Glacidas)  et  les  soldats  qui  occupaient  les  Tourelles  de  se 
rendre  de  par  Dieu,  ne  leur  assurant  que  la  vie  sauve.  On  devine  comment 
cette  sommation  fut  accueiUie.  «  Glacidas  et  ceux  de  sa  rote,  dit  le  Journal, 
répondirent  vilainement ,  l'injuriant  et  appelant  vachère,  comme  devant, 
criant  moult  haut  qu'ils  la  feroient  ardoir  s'ils  la  pouvoient  tenir.  »  La  Pu- 
celle prit  encore  en  patience  les  injures;  mais  elle  leur  déclara  qu'ils  s'en 
iraient  bientôt,  et  à  leur  chef  qu'il  ne  le  verrait  pas.  Sa  parole  s'accomplit  : 
mais  les  Anglais  n'en  seront  que  plus  ardents  à  tenir  leur  promesse. 

Puisque  Dunois  ne  voulait  point  combattre  sans  les  troupes  renvoyées  à 
Blois,  le  plus  sûr  et  le  plus  court  était  peut-être  encore  qu'il  les  allât  cher- 
cher. Il  partit  donc  le  dimanche  matin,  i*^''  mai,  avec  Boussac,  d'Aulon  et 
plusieurs  autres,  passant  fièrement  sous  les  bastilles  anglaises.  La  Pucelle 
était  venue  s'établir  entre  ces  bastilles  et  la  ville,  et  sa  présence  avait  suffi 
pour  que  l'ennemi,  si  fort  qu'il  fût,  ne  remuât  pas. 

Rentrée  en  ville,  elle  employa  les  loisirs  qu'on  lui  faisait  pour  se  mettre 
plus  intimement  en  rapport  avec  la  population,  en  lui  communiquant,  avec 
sa  foi  en  Dieu,  sa  confiance  dans  la  victoire;  et  en  la  préparante  braver  les 
Anglais  dans  leurs  forts,  si  les  Anglais  continuaient  de  rester  sourds  à  ses 
invitations. 

Et  d'abordelle  voulut  donner  satisfaction  à  l'empressement  populaire.  Les 

JEANNE    d'arc.   111.    —    10 


74  JEANNF.   D'ARC. 


Orléanais  se  portaient  en  tel  nombre' vers  son  hôtel,  qu'ils  en  rompaient 
presque  les  portes.  Elle  parcourut  à  cheval  les  rues  de  la  ville,  cl  la  foule 
était  si  grande  sur  son  chemin  qu'à  grand'peine  pouvait-elle  s'ouvrir  un  pas- 
sage :  car  le  peuple  «  ne  se  pouvoit  saouler  de  la  voir.  »  Tous  admiraient  sa 
bonne  grâce  à  cheval,  sa  tenue  militaire;  et  ils  sentaient  qu'elle  ne  se  trom- 
pait pas  lorsque,  tournant  vers  Dieu  leur  confiance,  elle  allait  répétant  sans 
cesse  :  «  Messire  m'a  envoyée  pour  secourir  la  bonne  ville  d'Orléans.  »  Puis 
elle  renouvela  auprès  des  Anglais  de  la  rive  droite  ses  démarches  si  mal 
accueillies  à  la  rive  gauche.  Elle  vint  près  de  la  croix  Morin,  invitant  ceux 
qui  tenaient  la  bastille  voisine  à  se  rendre,  la  vie  sauve,  et  à  s'en  retourner 
en  Angleterre.  Mais  ils  lui  répondirent  comme  aux  Tourelles  par  des  in- 
sultes :  «  Voulez-vous  donc,  s'écriait  le  Bastard  de  Granville,  que  nous 
nous  rendions  à  une  femme?  »  Et  il  jetait  à  la  face  des  Français,  dont  elle 
était  suivie,  des  injures  qui  retombaient  encore  sur  elle. 

Le  lendemain  (lundi,  2  mai),  elle  sort  à  cheval  et  s'en  vient  par  les  champs 
examiner  les  bastilles  et  les  positions  des  Anglais;  et  le  peuple  la  suivait  en 
grande  foule,  prenant  plaisir  à  la  voir  et  à  être  autour  d'elle,  sans  souci  de 
l'ennemi  :  comme  si  avec  Jeanne  nul  péril  ne  les  pût  atteindre.  Et  en  effet , 
les  Anglais  ne  bougèrent  pas;  et  Jeanne,  après  avoir  inspecté  leurs  fortifi- 
cations tout  à  loisir,  rentra  dans  la  ville  et  vint  à  l'église  Sainte-Croix  en- 
tendre vêpres. 

Le  mardi,  jour  de  l'invention  de  la  Sainte-Croix,  fête  de  la  cathédrale, 
grande  procession  à  laquelle  elle  assiste  avec  les  capitaines,  afin  de  tourner 
les  cœurs,  par  cette  manifestation  publique,  vers  Celui  de  qui  elle  atten- 
dait son  secours  :  car  pour  elle,  elle  ne  mettait  point  en  doute  la  défaite  des 
ennemis,  et  si  quelque  sage  homme  lui  disait  :  <<  Ma  fille,  ils  sont  forts  et  bien 
fortifiés,  et  sera  une  grande  chose  à  les  mettre  hors,  »  elle  répondait  :  «  Il 
n'est  rien  d'impossible  à  la  puissance  de  Dieu.  « 

Ce  jour-là,  on  vit  arriver  les  garnisons  de  Gien,  de  Chàteau-Regnard,  de 
Montargis,  cette  brave  ville  qui,  après  avoir  vaillamment  repoussé  les 
Anglais  en  1427,  prêtait,  à  la  même  fin,  si  volontiers  secours  aux  autres. 
Mais  de  Blois,  personne  encore  :  et  cependant,  si  les  capitaines  avaient 
tenu  leur  promesse,  c'est  en  ce  jour  qu'on  les  devait  voir  revenir.  Enfin,  le 
soir,  on  apprit  qu'ils  étaient  en  marche. 


ORLEANS. 


Ce  n'était  pas  sans  raison  que  Dunois  avait  jugé  utile  d'aller  à  leur  ren- 
contre; car,  lorsqu'il  arriva,  leur  départ  était  mis  en  question.  On  délibérait 
devant  le  chancelier  de  France.  Quelques-uns  opinaient  que  chacun  rc- 
tournrit  en  sa  garnison;  c'était  probablement  l'avis  du  chancelier  et  de  ses 
adhérents  :  car,  ^our  les  capitaines,  presque  tous  voulaient  revenir  à  Orléans 
comme  ils  s'y  étaient  engagés.  Dunois  montra  que  si  cette  petite  armée, 
réunie  avec  tant  de  peine  et  déjà  réduite  des  deux  tiers,  venait  à  se  dissoudre, 
c'en  était  fait  de  la  ville.  Il  l'emporta.  On  résolut  de  revenir  à  Orléans  avec 
des  munitions  nouvelles,  et  d'y  revenir  comme  on  l'avait  arrêté,  comme 
Jeanne  l'avait  voulu  d'abord,  par  la  Beauce  (la  rive  droite \  à  travers  les 
principales  bastilles  des  Anglais. 

Jeanne  n'était  plus  parmi  ces  soldats  que  par  la  bannière  commise  à  Pas- 
querel  et  au.\.  prêtres.  Mais  elle  devait  être  là  quand  on  passerait  devant 
l'ennemi.  Le  mercredi  (4  mai),  apprenant  leur  approche,  elle  vint  au-devant 
d'eu.\  jusqu'à  une  lieue  d'Orléans,  son  étendard  à  la  main,  suivie  de  la 
Hire,  de  Florent  d'Illicrs  et  de  plusieurs  autres.  Et  tous  ensemble  ils  repas- 
sèrent avec  leur  convoi  à  travers  les  bastilles  anglaises,  processionnellemem, 
les  prêtres  chantant  des  cantiques,  sans  que  les  Anglais,  qui  avaient  l'avan- 
tage de  la  position  et  du  nombre,  fissent  rien  pour  les  arrêter.  Cet  ennemi, 
qui  était  le  plus  fort  et  qu'on  ne  pouvait  point  soupçonner  de  manquer  de 
courage,  était  resté  comme  frappé  d'impuissance  devant  celle  que  la  veille 
encore  il  outrageait. 

C'était  maintenant  aux  Anglais  de  se  défendre-,  et  ce  n'était  pas  sans  une 
vive  sollicitude  qu'ils  attendaient  des  renforts  à  leur  tour.  La  Pucelle  ne  les 
redoutait  pas.  Ce  jour  même,  après  le  dîner,  Dunois  l'étant  venu  trouver 
pour  lui  dire  que  P'alstoft'  leur  amenait  des  vivres  et  des  hommes,  et  qu'il 
était  déjà  à  Janville  :  «  Bastard,  bastard,  s'écria-t-elle  dans  une  saillie  de 
joie,  en  nom  Dieu,  je  te  commande  que  tantôt  (aussitôt)  que  tu  sauras  la 
venue  dudit  Falstolf,  tu  me  le  fasses  savoir  :  car,  s'il  passe  sans  que  je  le 
sache,  je  te  promets  que  je  te  ferai  ôter  la  tête.  »  Dunois  lui  dit  sur  le  même 
ton  de  ne  rien  craindre  :  qu'il  le  lui  ferait  bien  savoir. 

Ce  fut  pourtant  sans  rien  lui  dire  que  l'on  commença  l'attaque. 

Elle  s'était  jetée  sur  un  lit  pour  se  reposer  un  moment  des  fatigues  de  la 
journée,  quand  tout  à  coup  elle  se  leva,  et  réveillant  d'Aulon,  son  écuyer. 


76  JEANNE   D'ARC. 


qui  dormait  sur  un  autre  lit  :  «  En  nom  Dieu,  dit-elle,  mon  conseil  m'a  dit 
que  j'aille  contre  les  Anglois-,  mais  je  ne  sais  si  je  dois  aller  à  leurs  bastilles 
ou  contre  Falstolf  qui  les  doit  ra\itaillcr.  »  Comme  il  l'armait,  on  entendit 
grand  bruit  :  on  criait  dans  la  ville  que  les  ennemis  portaient  grand  dom- 
mage aux  Français.  Elle  quitte  d'Aulon,  qui  lui-même  se  revêt  de  ses 
armes,  sort  précipitamment  de  sa  chambre,  et  rencontrant  son  page  : 
«  Ah!  sanglant  garçon,  s'écrie-t-elle,  vous  ne  médisiez  pas  que  le  sang  de 
France  fut  répandu  !  Allez  quérir  mon  cheval.  »  Elle  achève  de  s'armer 
avec  l'aide  de  la  dame  du  logis  et  de  sa  fille;  puis  sautant  sur  le  cheval 
que  le  page  amenait,  elle  l'envoie  chercher  son  étendard,  le  reçoit  par  la 
fenêtre  sans  lui  laisser  le  temps  de  descendre,  et  part,  courant  droit  par  la 
grande  rue  vers  la  porte  de  Bourgogne,  si  vite  que  les  étincelles  jaillissaient 
du  pavé  yûg.  34). 

C'est  de  ce  côté  qu'était  l'action,  dont  le  bruit  s'était  répandu  dans  la 
ville.  Après  l'entrée  du  convoi,  ceux  d'Orléans  qui  l'avaient  escorté,  ayant 
pris  leur  repas  à  la  hâte,  étaient  allés  à  l'hôtel  de  ville,  où  ils  se  firent 
donner  des  coulevrines,  des  arbalètes,  des  échelles,  et  ils  étaient  partis 
pour  attaquer  Saint-Loup.  .Mais  cette  bastille,  qui  commandait  le  passage 
de  la  Loire  en  amont  et  le  chemin  de  la  Bourgogne,  avait  été  fortement  mise 
en  défense  par  Talbot.  Il  y  avait  là  trois  cents  Anglais  d'élite  :  malgré 
l'absence  de  leur  capitaine,  Thomas  Gucrrard,  ils  résistaient  avec  vigueur 
aux  assaillants,  et  bon  nombre  de  blessés  étaient  rapportés  vers  la  ville. 
Jeanne  s'arrêta  au  premier  dont  elle  fit  la  rencontre,  et  sachant  que  c'était 
un  Français  :  »  Jamais,  dit-elle,  je  n'ai  vu  sang  de  François  que  les  che- 
veux ne  me  levassent  en  sur  »  (sur  la  tête).  Elle  arriva  devant  la  bastille  : 
elle  avait  été  rejointe  par  son  écuyer,  son  page,  tous  ses  gens;  et  bientôt 
Dunois  et  plusieurs  autres  vinrent  soutenir  l'attaque  si  témérairement  com- 
mencée. Jeanne  leur  ordonna  d'observer  l'ennemi,  et  d'empêcher  qu'il  ne 
vînt  des  autres  forts  au  secours  de  Saint-Loup.  Elle-même,  debout  sur  le 
bord  du  fossé,  son  étendard  à  la  main,  encourageait  ses  hommes  à  l'assaut. 
Les  Anglais  tinrent  troisheures,  forts  di  leur  propre  résolution  et  comptant 
sur  le  secours  des  autres.  Talbot,  en  ell'et,  donna  Tordre  de  sortir  des 
retranchements  pour  faire  diversion  en  menaçant  la  ville;  et  ceux  de  Saint- 
Pouair,  cette  grande  bastille  que  les  Anglais  avaient  nommée  Paris,  plus 


ORLEANS. 


77 


Fis-  33.  "  L^  LJu:»  „  u:. ,  ,,  „.;.  „^  l)„n.  .  ,.  .:i  .^,.l^;.i.„  .,,.,.;:,u.  Son  pCic  Ltiit  I     uis  duc  dOr- 

léans,  frère  de  Charles  VI,  roi  de  France.  Armoriai  du  hérault  Bcrry,  exécuté  vers  1450,  et  conservé  à 
la  biblioth.  nat.  —  Danois  se  laissa  conduire  entièrement  par  la  Pucelle.  «  Bastard,  bastard,  lui  dit  un 
jour  Jeanne  dansune  saillie  de  joie,  je  te  commande  qu'aussitôt  que  tu  sauras  la  venue  de  Falstolf 
(capitaine  ani;lais),  tu  me  le  fasses  savoir  :  car,  s'il  passe  sans  que  je  le  sache,  je  te  promets  que  je  te 
ferai  ôter  la  tête.  » 


rapprochc.s  de  la  bastille  attaquée,  tentèrent  de  la  dégager  en  prenant  à  dos 
les  assaillants.  Mais,  par  deu.\  fois,  la  cloche  du  beffroi  dénonça  leur  entre- 


JEANNE  IVARC. 


prise,  et  les  Orléanais,  sous  la  conduite  de  Boussac,  de  Graville  et  de 
quelques  autres,  sortant  aussitôt  de  la  place  au  nombre  de  six  cents,  se 
rangèrent  en  bataille  et  les  contraignirent  à  rétrograder.  Ceux  de  Saint- 
Loup  ne  se  laissèrent  point  encore  abattre,  et,  disputant  le  terrain  pied  à 
pied,  se  retirèrent  au  clocher  de  Téglise;  mais,  naalgré  leur  bravoure,  ils  y 
furent  forcés  et  tués  ou  pris.  Quelques  gens  d'Eglise  qui  étaient  parmi  eux, 
ou  de  soi-disant  tels,  vinrent,  sous  Thabit  ecclésiastique,  se  présenter  à 
Jeanne.  Elle  les  reçut,  empêcha  qu'on  ne  leur  fît  aucun  mal,  et  les  emmena 
dans  son  hôtel.  C'était  assez  de  tués  en  cette  journée.  «  Elle  pleurait 
sur  eux,  dit  Pasquerel,  en  pensant  qu'ils  étaient  morts  sans  confession.  » 

Les  Erançais  trouvèrent  à  Saint-Loup  grande  quantité  de  vivres  et 
d'autres  biens  qu'ils  pillèrent,  et  ils  mirent  le  feu  à  la  bastille.  Quand  ils 
furent  rentrés  à  Orléans,  les  Anglais  eurent  bien  la  pensée  de  la  reprendre; 
mais,  à  la  vue  des  flammes,  ils  rebroussèrent  chemin,  la  jugeant  décidé- 
ment perdue  pour  eux. 

Ce  premier  succès  fut  célébré  dans  Orléans  comme  le  premier  acte  de  la 
délivrance.  Jeanne,  qui  avait  mené  le  peuple  à  la  victoire,  lui  rappelait  qui 
en  étiit  l'auteur.  Elle  répondait  à  l'empressement  dont  elle  était  l'objet,  en 
menaçant  ses  hommes  d'armes  de  les  quitter  s'ils  ne  se  rapprochaient  de 
Dieu  par  la  pénitence;  elle  les  exhortait  à  lui  rendre  grâces,  et  promettait 
que,  dans  cinq  jours,  le  siège  serait  levé,  et  qu'il  n'y  aurait  plus  un  seul 
Anglais  devant  Orléans.  Le  peuple  la  croyait.  On  courait  aux  églises,  et  le 
son  des  cloches  portait  comme  un  retentissement  de  cette  joie  publique  aux 
Anglais  étonnés  d'être  vaincus. 

La  Pucelle  ne  voulait  point  qu'on  leur  laissât  le  temps  de  se  ralTermir. 
Dès  le  lendemain,  quoique  ce  fût  le  jour  de  l'Ascension,  elle  demandait 
qu'on  les  attaquât  au  cceur  même  de  leurs  positions,  à  la  bastille  de  Saint- 
Laurent.  Mais  les  capitaines  se  refusèrent  à  ses  instances,  alléguant  la 
sainteté  du  jour.  Jeanne  céda,  et  sut  elle-même  honorer  la  fête  et  y  cher- 
cher de  nouveaux  moyens  de  succès,  non-seulement  en  allant  recevoir  dans 
la  communion  le  pain  des  forts,  mais  en  rappelant  à  ses  compagnons  les 
vraies  conditions  de  la  victoire  promise.  Depuis  qu'elle  était  à  l'armée, 
elle  n'avait  cessé  de  combattre  en  eux  le  désordre  et  le  vice,  comme  leur 
plus  dangereux  ennemi   et  le  plus  grand  obstacle  à    leur  triomphe.  Elle 


8o  JEANNE  D'ARC. 


ordonna  que  personne  ne  sortît  le  lendemain  pour  combattre,  qu'il  ne  fût 
confessé,  et  renouvela  la  défense  qu'aucune  femme  dissolue  ne  les  suivît, 
parce  que  Dieu  pourrait  permettre  qu'ils  fussent  battus  à  cause  de  leurs 
péchés. 

En  même  temps,  elle  voulait  offrir  à  l'ennemi  un  dernier  moyen  d'éviter 
une  plus  sanglante  défaite.  Elle  lui  écrivit  une  nouvelle  lettre,  que  Pasque- 
rel,  son  fidèle  compagnon  en  toutes  ces  journées,  reproduit  en  ces  termes  : 

<.  A  vous,  hommes  d'Angleterre,  qui  n'avez  aucun  droit  en  ce  royaume 
de  Erance,  le  Roi  du  ciel  ordonne  et  mande  par  moi  que  vous  laissiez  vos 
bastilles  et  vous  en  alliez  en  votre  pays,  ou  sinon  je  vous  ferai  un  tel  hahu 
[ou  hahaye}  qu'il  en  sera  perpétuelle  mémoire.  Voilà  ce  que  je  vous  écris 
pour  la  troisième  et  dernière  fois,  et  je  ne  vous  écrirai  pas  davantage. 
Jhesis  Maria.  Jeanne  la  Piicelle.  » 

Elle  ajoutait  ,  après  avoir  signé  : 

«  Je  vous  aurois  envoyé  mes  lettres  plus  honorablement,  mais  vous  me 
r^-tenez  mes  hérauts.  Vous  m'avez  retenu  mon  héraut  Guyenne.  Renvoyez- 
le-moi,  et  je  vous  renverrai  quelques-uns  de  vos  gens  pris  dans  la  bastille 
Saint-Loup;  car  ils  ne  sont  pas  tous  morts.  » 

Elle  prit  alors  une  flèche,  y  attacha  la  lettre,  et  la  fit  lancer  aux  Anglais 
avec  ce  cri  :  «  Lisez,  ce  sont  nouvelles.  »  Les  Anglais  la  relevèrent,  et, 
l'ayant  lue,  se  mirent  à  cri^r  :  a  Voilà  des  nouvelles  de  la des  Arma- 
gnacs. »  Jeanne,  à  ces  mots,  soupira  et  répandit  d'abondantes  larmes, 
appelant  à  son  aide  le  Roi  du  ciel.  Et  le  Seigneur  la  consola. 

Pendant  que  Jeanne  cherchait  tout  à  la  fois  à  rendre  la  lutte  décisive,  ou 
à  la  prévenir  s'il  se  pouvait  encore,  les  chefs,  dans  un  conseil  tenu  chez  le 
chancelier  du  duc  d'Orléans,  délibéraient  à  part  sur  la  manière  de  la 
conduire.  Jeanne  avait  proposé  d'aller  droit  à  la  grande  bastille  des  Anglais. 
Ils  convinrent  d'adopter  son  plan,  mais  seulement  en  apparence  :  ils  vou- 
laient, par  une  fausse  attaque  sur  la  rive  droite,  y  attirer  ceux  de  la  rive 
gauche,  et  profiler  de  la  diversion  pour  enlever  les  bastilles  de  cette  rive, 
dégarnies  de  leurs  défenseurs.  De  cette  sorte,  ils  devenaient  maîtres  du 
pont;  ils  rendaient  toute  liberté  à  leurs  communications  avec  la  Sologne, 
et  se  ménageaient  les  moyens  d'introduire  dans  la  place  de  quoi  soutenir 
unlong  siège  :  car  ils  n'avaientpointd'autre -ambition  que  de  lasser  l'ennemi. 


ORLEANS.  8i 

Jeanne  n'était  pas  de  ce  conseil ,  et  plusieurs  même  voulurent  qu'on  ne 
lui  dît  rien  de  l'attaque  projetée  contre  les  bastilles  de  la  Sologne,  c'est-à- 
dire  du  véritable  but  de  la  journée,  de  peur  qu'elle  n'en  parlât.  En  effet, 
quand  on  l'appela,  on  ne  lui  fit  part  cjue  du  projet  d'attaquer  la  grande 
bastille  de  la  Beauce;  et  l'on  croyait  la  tromper  d'autant  mieux,  que  ce 
projet  répondait  cà  ses  vues.  Quand  le  chancelier  du  duc  d'Orléans  lui  eut 
fait  l'exposition  concertée,  elle  répondit,  indignée  de  ces  subterfuges  : 

«  Dites  ce  que  vous  avez  conclu  et  appointé.  Je  célerois  bien  plus  grande 
chose.  » 

Et  elle  allait  et  venait  par  la  salle,  marchant  à  grands  pas. 
«  Jeanne,  »  lui  dit  Dunois,  voulant  réparer  l'effet  de  cette  injurieuse 
maladresse,  «  ne  vous  courroucez  pas,  on  ne  peut  pas  tout  dire  à  une  fois. 
Ce  que  le  chancelier  vous  a  dit  a  été  résolu;  mais,  si  ceux  de  l'autre  côté 
se  départent  pour  venir  aider  la  grande  bastille  de  par  deçà,  nous  avons 
résolu  de  passer  la  rivière  pour  y  besogner  ce  que  nous  pourrons.  Et  nous 
semble  que  cette  conclusion  est  bonne  et  profitable.  » 

Jeanne  se  calma,  et  répondit  qu'elle  était  contente,  et  que  la  conclusion 
lui  semblait  bonne,  pourvu  qu'elle  fut  ainsi  exécutée.  De  quelque  côté  que 
portât  le  coup  ,  elle  sentait  qu'il  serait  décisif;  mais  sa  défiance  n'était  que 
trop  légitime  :  ils  ne  firent  rien  de  ce  qu'ils  avaient  résolu. 
On  se  décida  à  se  porter  directement  sur  la  rive  gauche. 
Les  Anglais  occupaient,  on  l'a  vu,  la  tête  du  pont  ou  la  bastille  des  Tou- 
relles, et,  un  peu  en  deçà  des  Tourelles,  la  bastille  des  Augustins,  l'une  et 
l'autre  couvertes  par  leur  boulevard.  Ils  avaient  de  plus,  en  aval  du  fleuve, 
le  boulevard  de  Saint-Privé,  qui  était  relié  à  la  grande  bastille  de  Saint- 
Laurent  (rive  droite)  par  un  boulevard  élevé  dans  l'île  Charlemagne;  et, 
en  amont,  la  bastille  de  Saint-Jean-le-Blanc,  qui  était  moins  une  forteresse 
qu'un  poste  fortifié,  ou,  selon  l'expression  du  Journal,  «  un  guet  pour 
garder  ce  passage  :  »  poste  abandonné  une  première  fois  à  l'approche  de 
Jeanne,  et  occupé  de  nouveau  après  son  entrée  dans  la  ville. 

Ce  fut  par  ce  côté  que  la  Pucelle  et  les  capitaines  allaient  commencer  leur 
attaque. 

Il  y  avait  là  une  petite  île ,  appelée  depuis  île  aux  Toiles,  et  alors  île  Saint- 
Aignan,  séparée  do  la  rive  par  un  étroit  canal.    Rien  ne  convenait  mieux 

jiiiANM-:  d'arc,  ni.  —  i  i 


82  JEANNE   D'ARC. 


pour  disposer  à  loisir  une  attaque  dirigée  d'Orléans  contre  les  positions 
des  Anglais  sur  la  rive  gauche;  et  les  Orléanais  en  avaient  usé  plusieurs 
fois.  Ils  y  passèrent  cette  fois  encore.  Deux  bateaux,  amarrés  entre  l'île  et  la 
rive  gauche,  furent  comme  un  pont  qui  mena  de  Tune  à  l'autre.  Mais, 
quand  ils  vinrent  à  Saint-Jean-le-Blanc,  ils  le  trouvèrent  encore  abandonné. 
Glasdale,  menacé  d'une  attaque  sérieuse  ,  avait  jugé  plus  sûr  d'en  rappeler 
ses  soldats  dans  les  bastilles  qui  défendaient  le  pont. 

La  Pucelle  vint  les  y  attaquer  aussitôt,  sans  même  attendre  que  tout 
son  monde  eût  passé  de  l'île  à  la  rive  opposée,  et  elle  planta  sa  bannière 
sur  le  rebord  du  boulevard  des  Augustins.  Mais  ses  compagnons  ne  sou- 
tinrent pas  son  audace.  Une  terreur  panique  les  saisit  tout  à  coup.  Le  bruit 
se  répand  que  les  Anglais  viennent  en  grande  force  du  côté  de  Saint-Privé. 
On  fuit,  on  cherche  à  regagner  le  pont  de  bateaux,  atin  de  se  mettre  en 
sûreté  dans  l'île  de  la  Loire  ;  et  les  Anglais,  sortant  de  leurs  bastilles,  pour- 
suivent à  grands  cris  les  fu3'ards,  insultant  de  leurs  grossiers  propos  la 
Pucelle  qui  cherchait  à  couvrir  leur  retraite.  Elle  se  retourne  alors,  et  leur 
faisant  tète,  si  peu  de  gens  qu'elle  eût  autour  de  soi,  elle  marche  à  eux,  sa 
bannière  déployée.  Les  Anglais  s'effrayent,  et,  sans  l'attendre,  fuient  à  leur 
tour  jusque  dans  leur  bastille  des  Augustins;  mais  Jeanne  les  presse,  et, 
plantant  de  nouveau  son  étendard  sur  le  fossé  du  boulevard,  elle  rallie 
alentour  les  Français  ramenés  par  son  exemple. 

A  la  vue  des  Anglais  sortant  de  leurs  bastilles,  on  pouvait  croire  que  ceux 
de  la  rive  droite,  comme  les  Français,  avaient  passé  la  Loire,  et  venaient, 
par  Saint- Privé,  au  secours  des  places  attaquées;  et,  dans  ce  cas,  la  pru- 
dence commandait  peut-être  de  rentrer  dans  la  ville.  Mais  la  Pucelle,  en 
changeant  l'aspect  des  choses,  avait  changé  les  résolutions  des  capitaines. 
Ils  arrivaient,  et  ne  songeaient  plus  qu'à  forcer  avec  elle  l'ennemi  dans  son 
refuge. 

Deux  chevaliers  qui,  dans  ces  alternatives  de  retraite  et  d'attaque, 
s'étaient  déliés  à  qui  ferait  le  mieux  son  devoir,  étaient  déjà  au  pied  des  palis- 
sades :  mais  un  Anglais,  grand,  puissant  et  fort,  occupant  à  lui  seul  tout  le 
passage,  les  tenait  en  échec.  D'Aulon  le  signala  au  fameux  canonnier  Jean 
le  Lorrain,  qui  l'abattit  d'un  coup  de  sa  coulevrine;  et  les  deux  chevaliers, 
entrant  dans  la  place,  y  furent  suivis  d'une  foule  d'assaillants. 


ORLEANS.  83 


Tous  les  Anglais  périrent  ou  cherchèrent  un  abri  derrière  le  boulevard 
des  Tourelles.  La  forteresse  contenait  des  vivres  et  du  butin  en  abondance; 
pour  ôter  aux  vainqueurs  la  tentation  du  pillage  et  leur  en  éviter  les  périls, 
la  Pucelle  fit  mettre  le  feu  à  la  bastille,  et  tout  fut  brijlé. 

Restaient  les  Tourelles  :  on  les  investit  immédiatement,  mais  on  remit 
l'attaque  au  lendemain  ,  et  la  Pucelle  rentra  le  soir  même  avec  les  principaux 
chefs  dans  la  ville. 

Ce  ne  fut  pas  sans  appréhension  pourtant  et  sans  regret  qu'elle  laissait 
une  partie  de  ses  gens  devant  l'ennemi  sans  y  être  avec  eux-,  et  si  elle  les 
quittait,  elle  ne  le  faisait  point  parce  qu'elle  s'était  blessée  aux  chausse- 
trapes,  ni  parce  qu'elle  ne  manquait  jamais  d'aller  passer  la  nuit  parmi  les 
femmes,  quand  cela  n'était  pas  impossible.  Une  cause  plus  décisive  la  rap- 
pelait dans  Orléans  :  c'est  que  le  succès  du  jour  avait  besoin  d'être  affermi, 
et  celui  du  lendemain  préparé;  or,  il  y  fallait  sa  présence. 

Les  capitaines,  tout  en  acceptant  son  concours,  ne  voulaient  pas  avoir 
l'air  de  suivre  sa  direction;  et,  plus  on  allait,  plus  ils  semblaient  craindre 
de  lui  laisser  l'honneur  de  la  victoire.  Mais  chaque  fois  leur  opposition  avait 
tourne  contre  eux-mêmes.  La  Pucelle  avait  toujours  voulu  porter  le  coup 
au  cœur  de  la  puissance  anglaise.  C'est  contrairement  à  son  avis  qu'ils 
l'avaient  amenée  à  Orléans  par  la  Sologne;  et  elle  leur  avait  bien  prouvé 
que  son  avis  était  le  meilleur,  lorsque,  trois  jours  après,  elle  y  fit  entrer  un 
autre  con\oi ,  trois  fois  moins  escorté,  par  cette  route  de  la  Beauce,  à 
travers  ces  mêmes  bastilles  anglaises  qu'ils  avaient  craint  d'affronter 
d'abord.  C'est  contrairement  à  son  avis,  et,  autant  qu'il  avait  été  en  eux,  à 
son  insu,  qu'ils  avaient  résolu  d'attaquer  les  bastilles  de  la  rive  gauche; 
et  c'était  elle  qui  avait  fait  réussir  leur  attaque  au  moment  même  qu'ils  se 
décidaient  à  l'abandonner.  Après  cet  éclatant  succès,  qui  promettait  le 
dégagement  du  pont  pour  le  lendemain ,  ils  voulurent  s'arrêter  encore.  Le 
soir,  quand  Jeanne  eut  pris  un  peu  de  nourriture  (contre  son  habitude,  dit 
Pasqucrel,  elle  n'avait  point  jeûné  ce  vendredi-là;  parce  qu'elle  était  trop 
fatiguée  ,  un  des  notables  chevaliers  lui  vint  dire  que  les  capitaines  avaient 
tenu  conseil.  Il  leur  avait  semblé,  ajoutait-il,  qu'ils  étaient  bien  peu,  vu 
le  nombre  des  Anglais,  et  que  Dieu  leur  avait  déjà  fait  une  grande  grâce  en 
leur  accordant  ce  qu'ils  avaient  obtenu;  que,  la  ville  étant  pleine  de  vivres. 


S4  JEANNE  D'ARC, 


il  leur  serait  facile  de  la  bien  garder  en  attendant  le  secours  du  roi,  et 
que,  par  suite,  il  ne  paraissait  pas  opportun  au  conseil  de  faire  sortir  le 
lendemain  les  gens  de  guerre.  Jeanne  lui  répondit  :  «  Vous  avez  été  en  votre 
conseil,  et  j'ai  été  au  mien,  et  croyez  que  le  conseil  de  Dieu  s'accomplira 
et  tiendra  ferme,  et  que  cet  autre  conseil  périra;  »  et,  se  tournant  vers  son 
confesseur,  qui  le  raconte  :  «  Levez-vous  demain  de  grand  matin,  dit-elle, 
et  vous  ferez  plus  qu'aujourd'hui.  Tenez-vous  toujours  auprès  de  moi; 
car  demain  j'aurai  beaucoup  à  faire,  et  plus  que  je  n'ai  jamais  eu  :  demain 
le  sang  coulera  de  mon  corps  au-dessus  du  sein.  » 

Ce  qui  peut  expliquer  jusqu'à  un  certain  point,  sinon  excuser  entière- 
ment, l'étrange  résolution  des  capitaines,  c'est  que  les  Anglais,  après  la 
prise  des  Augustins  et  l'investissement  des  Tourelles,  avaient  rappelé,  sur 
la  rive  droite,  dans  leur  bastille  de  Saint-Laurent,  les  hommes  qui  occu- 
paient, sur  l'autre  rive,  le  boulevard  de  Saint-Privé.  Ils  renonçaient  donc 
à  aller  directement  au  secours  des  Tourelles  :  mais  ne  se  réservaient-ils 
point  de  tenter  une  forte  attaque  contre  la  ville  elle-même?  et,  dans  ce  cas, 
n'était-il  pas  prudent  de  les  observer  et  d'attendre?  La  Pucelle  ne  le  crut 
point,  non  plus  que  les  habitants  de  la  ville.  Jeanne  pensait  à  ces  braves 
gens  qu'elle  avait  laissés  devant  les  Tourelles  exposés  sans  elle  aux  sorties 
des  Anglais;  quant  aux  habitants  d'Orléans,  ils  passèrent  cette  nuit  à  leur 
envoyer  des  vivres  et  des  munitions,  et  à  préparer  tous  les  engins  qui  pou- 
vaient servir  à  désarmer  le  boulevard  ennemi  de  ses  défenses  et  à  en  rendre 
l'accès  plus  praticable  aux  assaillants. 

Le  lendemain  de  grand  matin,  Pasquerel  dit  la  messe,  et  Jeanne  partit 
pour  l'assaut.  Au  moment  du  départ,  son  hôte  la  voulait  retenir  pour  man- 
ger d'une  alose  qu'on  venait  de  lui  apporter.  «  Gardez-la  jusqu'au  soir, 
dit-elle  dans  une  saillie  de  bonne  humeur,  et  je  vous  amènerai  un  g'odon 
(on  reconnaît  le  sobriquet  populaire)  qui  en  mangera  sa  part;  »  et  elle  pro- 
mettait de  repasser  par-dessus  le  pont.  Mais  les  capitaines  persistaient  dans 
leur  opposition  à  l'entreprise,  et  ils  avaient  donné  ordre  au  gouverneur 
d'Orléans,  Gaucourt,  de  garder  les  portes  pour  empêcher  qu'on  ne  sortît. 
Jeanne  le  trouvant  devant  elle  comme  elle  voulait  passer  :  «  Vous  êtes  un 
méchant  homme,  dit-elle;  et,  qu'il  vous  plaise  ou  non,  les  gens  d'armes 
viendront  et  gagneront  comme  ils  ont  gagné.  Gaucourt  aurait  vainement 


ORLEANS. 


85 


essayé  de  résister  à  ceux  qui  suivaient  Jeanne,  et  il  ne  s'était  déjà  que  trop 
mis  en  péril.  Jeanne  fit  ouvrir  la  porte  de  Bourgogne  et  une  petite  porte, 
près  de  la  grosse  tour,  qui  donnait  directement  sur  la  l.oire,  et,  passant  le 


^1^  —  i    en  i  c  nb    1  CL     a  ntL  Catl  L    ne  et  de  sainte   Ma  pUt.r  t«-    Las    cliefde  M.  Foyatier,  à 

Pan<;  xi\*  sieele  —  Comme  il  ne  para  ssait  pis  oppoitun  aux  cap  ta  nés  de  faire  une  sortie  contre  les 
Anglais,  Jeanne  répondit  :  "  Vous  avez  été  en  votre  conseil,  et  j'ai  été  au  mien;  et  croyez  que  le  con- 
seil de  Dieu  s'accomplira.  Qu'il  vous  plaise  ou  non,  les  gens  d'armes  viendront  et  gagneront  comme 
ils  ont  gagné.  » 


fleuve,  elle  alla  rejoindre  avec  ces  nouveaux  combattants  ceux  qu'elle  avait 
laissés  devant  le  fort  ennemi. 

Les  capitaines,  même  ceux  qui  l'avaient  voulu  arrêter,  la  suivirent  :  ja- 
loux de  ■vaincre  sans  elle,  ils  ne  se  souciaient  guère  qu'elle  triomphât  sans 
eux.  Avec  Dunois  et  la  Hire,  qui  paraissent  toujours  plus  prêts  à  la  secon- 


86  JEANNE  D'ARC. 


der,  on  compta  bientôt  devant  les  Tourelles,  Rais,  Graville,  PotondeXain- 
tniilles,  Thibaut  d'Armagnac,  seigneur  de  Termes,  Louis  de  Culan  et  Gau- 
court  lui-même.  La  lutte  s'engagea  dès  six  ou  sept  heures  du  matin. 
Anglais  et  Français  rivalisaient  d'ardeur.  Ceux  d'Orléans  voyaient  dans  la 
victoire  le  gage  de  leur  délivrance  ;  ceux  de  la  bastille  combattaient  pour 
leur  vie  et  pour  leur  liberté,  car  ils  n'avaient  point  de  refuge.  Les  Français 
descendaient  dans  les  fossés  du  boulevard,  et,  sous  le  feu  des  canons  ou  les 
traits  des  arbalètes,  ils  cherchaient  à  gravir  l'escarpement  «  avec  une  telle 
vaillance,  qu'il  scmbloit  à  leur  hardi  maintien  qu'ils  Guidassent  être  immor- 
tels-, »  mais  lorsqu'ils  touchaient  au  sommet,  ils  trouvaient  l'ennemi  armé 
de  haches,  de  lances  et  de  maillets  de  plomb;  ils  ne  cédaient  qu'accablés 
par  le  nombre  dans  des  combats  corps  à  corps.  Ces  assauts,  toujours  re- 
poussés, recommençaient  toujours;  la  Pucelle  était  là,  soutenant  les  cou- 
rages et  disant  :  «  Ne  vous  doubte/,  (ne  craignez  pas),  la  place  est  vôtre.  » 
L'attaque  se  prolongeait  sans  résultat,  lorsque,  vers  une  heure  après  midi, 
elle  descendit  dans  le  fossé  et  dressa  une  échelle  contre  le  parapet  :  au  même 
instant,  elle  fut  atteinte  entre  l'épaule  et  la  gorge  d'un  trait  d'arbalète  qui  la 
perça  de  part  en  part.  Se  sentant  blessée,  elle  eut  peur  et  pleura.  Que  crai- 
gnait-elle, et  pourquoi  pleurer?  N'était-elle  plus  sijre  de  la  victoire,  ou 
craignait-elle  de  mourir?  Non,  car  elle  avait  prédit  qu'elle  serait  blessée  et 
qu'elle  en  guérirait.  Ce  fait,  tout  merveilleux  qu'il  est,  se  trouve  établi  par 
les  témoignages  les  plus  irrécusables.  Ce  n'est  pas  seulement  Jeanne  dans  le 
procès  de  Rouen,  ce  ne  sont  pas  seulement  les  témoins  du  procès  de  réhabi- 
litation qui  le  constatent  :  c'est  une  lettre  qui  a  date  authentique ,  lettre 
écrite  de  Lyon  à  Bruxelles,  après  qu'elle  eut  prédit  sa  blessure  et  avant 
qu'elle  l'ei^it  reçue.  Cet  accident  confirmait  donc  sa  parole;  mais  la  femme 
demeurait  dans  l'héroïne  et  dans  la  sainte  :  elle  eut  peur  et  pleura.  Cepen- 
dant elle  fut  consolée,  comme  elle  disait.  Elle  arracha  le  fer  de  la  plaie,  et 
comme  plusieurs  hommes  de  guerre  lui  proposaient  de  charme?-  la  blessure, 
elle  s'y  refusa,  disant  :  «  J'aimerois  mieux  mourir  que  de  rien  faire  que  je 
susse  être  péché  ou  contre  la  volonté  de  Dieu  ;  »  mais  elle  ne  refusait  pas 
qu'on  entreprît  de  la  guérir,  si  l'on  y  pouvait  appliquer  quelque  remède 
permis.  On  lui  mit  une  compresse  d'huile  d'olive;  après  quoi  elle  se  con- 
fessa, versant  des  larmes. 


ORLEANS.  87 

Cette  longue  résistance  des  Anglais  et  l'accident  de  Jeanne  avaient  décou- 
ragé les  assaillants.  Les  chefs  la  vinrent  trouver,  et,  tout  en  lui  exprimant 
leur  peine  de  la  voir  blessée,  ils  lui  dirent  qu'il  \alait  mieux  laisser  l'assaut 
jusqu'au  lendemain.  Elle  ne  répondit  à  ces  ouvertures  que  par  les  plus 
nobles  paroles,  les  exhortant  à  ne  pas  faiblir  ;  mais,  fort  touchés  de  ce 
langage,  ils  ordonnèrent  de  suspendre  l'assaut,  et  se  retirèrent  à  distance, 
songeant  à  ramener  dans  Orléans  et  leurs  troupes  et  leur  artillerie  :  car  elles 
n'eussent  plus  été  fort  en  sûreté,  même  pour  une  nuit,  de  ce  côté  de  la 
Loire,  après  un  échec  avoué.  Jeanne,  malgré  ses  souffrances,  vint  alors 
elle-même  trouver  Dunois,  et  le  supplia  d'attendre  un  peu  encore  :  "  En 
nom  Dieu,  disait-elle,  vous  entrerez  bien  brief  (bientôt  1  dedans,  n'ayez 
doute,  et  les  Anglois  n'auront  plus  de  force  sur  vous.  C'est  pourquoi  re- 
posez-vous un  peu,  buvez  et  mangez.  »  Ils  le  firent,  car  sa  parole  avait  un 
accent  qui  les  subjuguait  ;  et  alors  :  «  Maintenant,  dit-elle,  retournez  de  par 
Dieu  à  l'assaut  derechef  :  car,  sans  nulle  faute,  les  Anglois  n'auront  plus  la 
force  de  se  défendre,  et  seront  prises  leurs  Tournelles  et  leurs  boulevards.  » 

L'attaque  recommença,  ou  plutôt  reprit  avec  une  ardeur  nouvelle ,  car 
elle  n'avait  jamais  été  entièrement  suspendue.  Jeanne  demanda  son  cheval, 
et,  laissant  son  étendard  à  d'Aulon,  son  écuyer,  s'en  vint  à  l'écart  dans  une 
vigne  voisine,  pour  faire  à  Dieu  son  oraison  :  mais  elle  reparut  bientôt,  et, 
prenant  elle-même  sa  bannière,  elle  dit  à  un  gentilhomme  qui  était  auprès 
d'elle  :  «  Donnez-vous  garde  ^regardez)  quand  la  queue  de  mon  étendard 
touchera  contre  le  boulevard.  »  Un  peu  après  il  lui  dit  :  «  Jeanne,  la  queue 
y  touche  !  »  Elle  s'écria  :  «  Tout  est  vôtre ,  et  y  entrez.  » 

A  sa  voix,  ils  reviennent  à  l'assaut.  «  Et  oncques,  dit  un  contemporain, 
on  ne  vit  grouée  d'oisillons  eux  parquer  sur  un  buisson  comme  chacun 
monta  contre  ledit  boulevard.  »  En  même  temps  ceux  d'Orléans  venaient, 
du  boulevard  de  la  Belle-Croix,  attaquer,  par  le  pont,  les  Tourelles.  De  ce 
côté,  les  Anglais  étaient  séparés  des  assaillants  par  plusieurs  arches  qu'ils 
avaient  rompues;  mais  les  Orléanais,  apportant  avec  eux  des  échelles,  de 
vieilles  gouttières  de  bois,  se  mirent  en  devoir  de  les  jeter  d'un  pilier  à 
l'autre;  et,  comme  la  plus  longue  de  ces  gouttières  était  encore  trop  courte 
de  trois  pieds,  ils  la  rajustèrent,  l'étayèrent  comme  ils  purent.  C'est  sur  ce 
pont  de  nouvelle  sorte  qu'un  chevalier  de  Rhodes,  le  commandeur  Nicole 


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90 


JEANNF.  D'ARC. 


de  Giresme,  s'aventura  le  premier  tout  armé.  Les  Anglais  étaient  donc 
assaillis  des  deux  côtés  à  la  fois-,  mais  ce,  qui  les  terrifiait,  c'était  de  voir, 
présidant  à  l'assaut  sur  la  rive  gauche,  cette  femme  qu'ils  se  flattaient  d'a- 
voir tuée.  L'étonnement  paralysa  leurs  forces  :  comme  Jeanne  l'avait  an- 


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nonce,  ils  ne  firent  presque  plus  de  résistance.  Ils  cherchaient  à  fuir  du 
boulevard  dans  les  Tourelles ,  par  le  pont  jeté  entre  les  deux  places;  mais, 
là  aussi ,  ils  se  trouvaient  prévenus  par  l'intrépide  activité  de  ceux  d'Orléans. 
Pendant  que  l'attaque  se  poussait  sur  les  deux  côtés,  contre  la  bastille  et 
contre  le  boulevard,  un  bateau  chargé  de  matières  combustibles  fut  amarré 


ORLEANS. 


9' 


SOUS  le  pont  qui  joignait  l'un  à  l'autre;  et,  quand  les  Anglais,  torcés  dans 
le  boulevard  ,  voulurent  se  retrancher  dans  les  Tourelles  ,  le  pont ,  attaqué 
par  les  flammes,  céda,  et  presque  tous  furent  précipités  dans  les  flots.  La 
Pucelle  eût  voulu  les  sauver  :  «  Glacidas!  Glacidas!  criait-elle  à  leur  chef, 

rends-ti,  rends-ti  (rends-toi)   au  Roi  du  ciel.    Tu   m'as  appelée -,   j'ai 

grand'pitié  de  vos  âmes  !  »  Mais  Glasdalefut  entraîné  avec  les  autres,  et  la 
Pucelleneput  voir  sans  verser  des  larmes  cette  fin  misérable  de  tant  de  braves 


Fig.  38.  —  «  Comment  les  François  levèrent  le  siénc  vaillamment  et  entrèrentdans  Orléans,  u  — Ce  grand 
siège  durait  depuis  sept  mois  :  Jeanne  y  met  fin  en  une  semaine.  Ms.  fr.,  n"  5o54,  daté  de  1484.  à  la 
bibliotli.  nat. 


gens.  Il  ne  resta  sur  la  rive  gauche  aucun  Anglais  qui  ne  fût  tué  ou  pris. 
Il  était  soir  quand  les  Tourelles  furent  occupées.  La  Pucelle  y  demeura 
une  partie  de  la  nuit,  afin  de  voir  si  les  Anglais  de  Saint-Laurent  ne  tente- 
raient rien  pour  venger  leurs  compagnons  et  regagner  la  position  perdue-, 
«  mais  ils  n'en  avoient  nul  vouloir.  »  La  Pucelle  rentra  donc  dans  Orléans. 
En  moins  de  trois  heures ,  les  Orléanais  avaient  su  rendre  le  pont  praticable , 
si  bien  que  Jeanne  put,  comme  elle  l'avait  dit,  le  repasser  pour  entrer 
dans  la  ville.  «  Et  Dieu  sait,  dit  Perceval  de  Cagny,à  quelle  joie  elle  et  ses 
gens  y  furent  reçus.  »  On  la  débarrassa  de  ses  armes,  on  mit  un  nouvel 
appareil  sur  sa  blessure.  Elle  prit  un  peu  de  pain  trempé  dans  du  vin  mé- 
langé d'eau  ,  et  alla  se  reposer. 


JEANNE  D'ARC. 


Tandis  que  les  cloches  d'Orléans  saluaient  cette  nouvelle  victoire ,  les 
Anglais  ,  qui ,  pendant  ces  deux  jours,  n'avaient  rien  fait  pour  la  prévenir, 
ne  songeaient  plus  qu'à  la  rendre  définitive  en  se  retirant.  C'était  bien  se 
déclarer  vaincus  par  celle  qu'ils  avaient  accueillie  de  tant  d'outrages.  La 
terreur  seule  qu'elle  avait  inspirée  peut  expliquer  cette  impuissance  et  cette 
résolution  parmi  des  hommes  qui,  depuis  si  longtemps,  avaient  pris  l'habi- 
tude de  vaincre  les  Français.  Le  dimanche  donc,  de  grand  matin,  ils  sor- 
tirent de  leurs  bastilles  -,  mais ,  en  capitaine  consommé ,  Talbot  comprit  que , 
s'il  laissait  voir  de  la  peur,  sa  retraite  deviendrait  une  déroute.  Bien  loin  de 
fuir,  il  rangea  son  armée  devant  la  ville,  comme  pour  offrir  la  bataille  aux 
Français.  Les  Français  sortirent  aussitôt  et  se  disposèrent  en  ordonnance 
de  combat,  sous  les  bannières  de  leurs  capitaines.  La  Pucelle  était  sortie 
avec  les  autres,  revêtue  d'une  simple  cotte  de  mailles.  Mais  cette  fois  les 
Français,  impatients  de  combattre,  attendirent  vainement  qu'elle  leur  en 
donnât  le  signal.  C'était  dimanche.  Elle  défendit  de  commencer  la  bataille, 
disant  que  c'était  la  volonté  de  Dieu  qu'on  les  laissât  s'ils  s'en  voulaient 
aller;  mais  que,  s'ils  attaquaient,  on  aurait  la  victoire.  En  attendant,  elle 
voulut  d'abord  qu'on  dît  la  messe;  elle  fît  dresser  un  autel,  et  deux  messes 
furent  célébrées  en  présence  de  l'armée.  La  cérémonie  achevée  :  «  Or,  re- 
gardez, dit-elle,  si  les  Anglois  ont  le  visage  tourné  devers  vous  ou  le  dos.  » 
On  lui  répondit  qu'ils  se  tournaient  vers  Meun  :  «  En  nom  Dieu,  reprit-elle, 
ils  s'en  vont,  laissez-les  aller;  il  ne  plaît  pas  à  Messire  qu'on  les  combatte 
aujourd'hui  :  vous  les  aurez  une  autre  fois.  » 

Les  Anglais  ,  après  être  restés  en  ligne  une  heure  entière,  s'étaient  retirés 
en  bon  ordre,  brûlant  leurs  bastilles  et  emmenant  leurs  prisonniers  :  mais 
ils  ne  se  retiraient  point  si  librement  qu'ils  ne  dussent  laisser  derrière  eux 
une  partie  de  leur  artillerie  et  de  leurs  approvisionnements,  et  même,  selon 
la  Chronique ,  leurs  malades  ;  et  les  hommes  d'armes  n'obéirent  point  si 
complètement  à  la  Pucelle,  qu'ils  ne  s'en  allassent  avec  la  Hire  faire  quel- 
ques escarmouches  et  gagner  du  butin  sur  les  derrières  de  l'ennemi. 

Pendant  que  les  Anglais  se  retiraient  vers  Meun  et  Baugency,  les  habi- 
tants d'Orléans  couraient  aux  bastilles  qui  depuis  si  longtemps  les  tenaient 
emprisonnés  :  ils  les  démolirent  et  en  rapportèrent  en  triomphe  les  canons  , 
bombardes  et  approvisionnements  de  toute  sorte  que  l'assiégeant  y  avait  dû 


ORLEANS. 


93 


Fig.  3g.—  La  Pucclle,  à  cheval,  abaisse  son  épée  en  signe  d'action  de  grâces.  Menant  le  peuple  à  la  victoire,  elle  lui  rappelle 
aussi  qui  en  est  l'auteur.  Travail  en  bronze  de  M.  Foyatier,  à  Orléans,  xi.t"  siècle. 


94 


JEANNE  D'ARC. 


laisser.  Puis,  guides  encore  par  Jeanne  d'Arc,  ils  allèrent  d'église  en  église 
rendre  grâces  à  Celui  qui  leur  avait  donné  la  victoire  ,  improvisant  dans  la 
joie  du  triomphe  cette  procession  dont  Tévèque  d'Orléans  institua  peu  après 
la  solennité ,  et  qui  s'est  perpétuée  d'ùge  en  âge  sous  l'invocation  de  la  Pu- 
celle  :  témoignage  durable  de  la  vénération  de  la  France  pour  la  sainte  fille 
qui,  en  un  jour  de  péril,  sauva  la  patrie. 

Mais  la  Pucelle  n'était  encore  qu'aux  débuts  de  sa  mission.  Elle  avait 
hâte  de  la  mener  à  son  terme.  Le  lendemain  donc  elle  se  déroba  à  l'enthou- 
siasme des  Orléanais  et  aux  fêtes  de  la  victoire  pour  se  rendre  à  la  cour  de 
Charles  MI,  où  elle  allait  avoir  d'autres  ennemis  à  vaincre,  d'autres  obs- 
tacles à  surmonter. 


Fig.  40. 


Borne  qui    servit    à    Jeanne    pour  monter  à  cheval    lorsqu'elle  partit  de    Poitiers,  en  1429, 
afin  d'aller  délivrer  Orléans.  Conservée  au  musée  de  Poitiers. 


On  lit  dans  les  AnnaJf.i  (fAquitnine,  de  Jean  Bonchet:  «  J'ai  oui  dire  en  ma  jcnncsse,  en  l'an  mil  quatre  cent  quatre  v 
qutnEe,  à  feu  Christofle  du  Peirat,  lors  demeurant  À  Poitiers  et  près  ma  maison,  et  qui  était  &gè  de  près  de  cent  ans,  q 
maditc  mai»)n  y  avait  en  hôtellerie  où  pendait  l'enseigne  de  la  Rose,  où  ladite  Jeanne  était  logée;  et  qu'il  la  TÎt  mont 
cheval  toute  annùc  à  blanc,  pour  aller  au  lieu  d'Orléans.  Et  me  montra  une  petite  pierre  qui  est  au  coin  de  la  rue  Saint-Étic 
où  elle  prit  avantage  pour  monter  sur  son  chevaL  d 


BAS-RELIEFS  DE  LA  STATUE  DE  LA 

Œuvre  en  l^ronzc  Je  M. 


3yjaSS«afeigKictfSfiSKfc.jaAiaMi*!MiHtaB9fcEw«^^a^'«aMW^^  -its:.-it^«î«^iaw.a?L<fafr  imMl^yM}uù4mm3ffi»>fal(miit»iM^tim!^i^•*y^\'  ; 


PRISE    DU    FORT 


Le  7  mai  1429,  contre  l'avis  des  capitaines,  le  fort  des  Tourelles  fut  attaqué.  L'attaque  se  prolongeait  sans  résultat 

touchera  contre  le   boulevard,  d  Un  peu  après,  on  lui  dit  :  «  Jeann 


LE    S.VCRE    DE    CH.^RLES    VII    D.\NS    I.  \ 


La  Pucelle  se  tenait  debout  aux  côtés  du  roi,  son  étendard  à  la  main  :  «  Il  avait  été  à  la  peine,  c'était  bien  raison  qu'il 
«  et  lorsqu'on  lui  posa  la  couronne  sur  la  tête,  tous  les  assistants  crièrent  Noël!  et  les  trompettes  sonnèrent  d'une 
pieds  du  roi,  lui  embrassa  les  genoux,  et,  pleurant  à  chaudes  larmes  :  «  Gjntil  roi,  dit-elle,  ores  est  exécuté  le  pi  li 
celui  auquel  ce  royaume  doit  appartenir.  »  Elle  pleurait,  et  les  seigneurs  qui  étaient  là  pleuraient  avec  elle. 


'LACE  DU  MARTROI,  A  ORLEANS. 

Lil-Duhrav.  xix"  siècle. 


TOURELLES. 


ind  Jeanne^  prenant  sa  bannière  en  main,  dit  :  «  Donnez-vous  garde  (regardez)  quand  la  queue  de  mon  étendard 
queue  y  touche!  »  Elle  s'écria  :  «  Tout  est  vôtre,  et  y  entrez,  n 


ÉDRALE   DE   REIMS.    (Voir  page  l38.) 

j'honn;ur,  »  dit-elle  plus  tard  à  ses  juges  de  Rouea  qui  lui  en  faisaient  un  grief.  —  Au  moment  où  le  roi  fut  sacré, 
nanière  qu'il  semblait  que  les  voûtes  de  l'église  se  dussent  fendre.  »  —  Après  la  cérémonie,  la  Pucelle,  se  jetant  aux 
Dieu,  qui  vouloit  que  vous   vinssiez  à  Reims  pour  recevoir  votre  digne  sacre,  en  montrant  que  vous  êtes  vrai  roi  et 


Chopiteflu  et  frise  du  transept  de  la  ciithtdrale  de  Uciras.  Xlir  siècle. 


III 


REIMS 


La  Campagne  de  la  Loire.  —  Le  Sacre.  —  La  Pucelle. 


L.\    CAMP.\GNE    DE    L.V    LOI  RE. 


RLÉANs  délivré,  tous  les  esprits  en  ressenti- 
rent une  impression  profonde.  La  Pu- 
celle avait  donné  son  signe.  Ce  grand 
siège,  qui  durait  depuis  sept  mois,  elle  y 
avait  mis  fin  en  une  semaine.  Ces  bastilles 
qui  s'appu3'aient  les  unes  les  autres,  elle 
les  avait  enlevées  Tune  après  l'autre,  ou 
plutôt  il  avait  suffi  qu'elle  en  prit  trois 
pour  que  tout  le  reste  lût  évacué. 

Jeanne  était  donc   bien    l'envoyée  de 
,iiai„bi,oth.  iwt.  Dieu,  c'était  le  cri  du  peuple;  c'était  aussi 

le  sentiment  des  docteurs  les  plus  autorisés  :  Jacques  Gelu,  archevêque 
d'Embrun;  Jean  Gerson,  la  plus  grande  voix  du  quinzième  siècle. 

Les  avis  des  docteurs,  il  est  vrai,  n'étaient  plus  bien  nécessaires  pour  que 
le  peuple  crût  à  Jeanne-,  mais  leurs  conseils  étaient  loin  d'avoir  perdu  leur 
opportunité  auprès  du  roi.  Les  conseillers  intimes  de  Charles  VII,  voyant 
la  confiance  qu'elle  inspirait  autour  d'elle,  l'avaient  acceptée  sans  trop  de 
peine  pour  délivrer  Orléans.  Si  elle  n'en  chassait  l'ennemi,  ils  étaient  forcés 


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JEANNE  D'ARC. 


de  déloger  eux-mêmes.  Les  Anglais,  maîtres  de  la  Loire,  ne  leur  per- 
mettaient plus  d'y  demeurer  en  sûreté.  Mais  l'affaire  n'en  était  plus  là  : 
Orléans  délivré,  la  Pucelle  voulait  mener  le  roi  à  Reims,  et  l'entraîner, 
après  le  sacre,  à  la  délivrance  du  royaume.  Il  fallait  donc  qu'ils  payassent 
de  leur  personne,  ou  du  moins  qu'à  la  suite  du  roi  ils  se  missent  en  route  à 
travers  les  provinces  occupées  par  l'ennemi.  Cela  coûtait  à  leur  lâcheté,  ou, 
si  l'on  veut,  à  leur  nonchalance;  et  ils  étaient  résolus  de  prendre  tous  les 
prétextes  pour  en  reculer  le  moment. 

Jeanne  leur  devait  laisser  peu  de  loisir. 

En  quittant  Orléans,  elle  était  venue  à  Blois,  puis  à  Tours,  où  le  roi  vint 
de  Chinon  à  sa  rencontre.  Charles  la  reçut  avec  de  grands  honneurs. 
Quand  la  Pucelle  se  présenta  devant  lui,  l'étendard  à  la  main,  et  lui  fit  ré- 
vérence, le  roi  lui-même,  dit  une  ancienne  chronique,  «  ôta  son  chaperon  et 
l'embrassa  en  la  saluant,  et,  comme  il  sembla  à  plusieurs,  volontiers  l'eût 
baisée  de  la  joie  qu'il  avoit.  »  Il  n'ignorait  point  quelle  part  elle  avait  eue  à 
cette  victoire  aussi  prompte  qu'inespérée.  Dans  sa  lettre  aux  habitants  de 
Narbonne,  lettre  écrite  pendant  qu'on  apprenait,  pour  ainsi  dire,  coup  sur 
coup,  la  prise  de  Saint- Loup,  puis  des  Tourelles,  et  enfin  la  levée  du  siège, 
le  roi,  sans  dire  encore  tout  ce  qu'elle  avait  été  dans  le  succès,  leur  signalait 
les  choses  merveilleuses  qu'on  rapportait  d'elle,  la  nommant  seule  et  cons- 
tatant qu'elle  avait  été  présente  à  tout.  Il  pouvait  maintenant  en  savoir  bien 
davantage.  Aussi  lui  fit-il  «  grande  chère.  >>  Il  voulait  même  qu'elle  prît 
pour  armoiries  les  lis  de  France  et  la  couronne  avec  l'épée  tirée  pour  la  con- 
quérir :  c'est  le  blason  qui  demeura  dans  sa  famille.  Mais  Jeanne  n'était 
pas  venue  chercher  la  récompense,  elle  venait  solliciter  l'achèvement  de  son 
œuvre,  et  c'est  ce  qu'on  semblait  le  moins  disposé  à  lui  accorder. 

Charles  convoqua  ses  capitaines  et  «  autres  sages  de  sa  cour.  »  Il  tint 
plusieurs  conseils  (à  Tours),  et  la  prudence  des  conseillers  eut  plus  d'une 
excellente  raison  à  opposer  aux  desseins  de  la  jeune  fille.  On  alléguait  la 
grande  puissance  des  Anglais  et  des  Bourguignons  et  la  détresse  du  roi, 
qui  n'avait  pas  de  quoi  soudo\'er  l'armée  nécessaire  au  vo3'age.  La  Pucelle 
ne  demandait  pas  tant  de  choses  pour  le  conduire,  lui  et  sa  compagnie,  jus- 
qu'à Reims,  «  sûrement  et  sans  destourbier  »  ^empêchement),  mais  elle 
voulait  qu'on  se  pressât.  Elle  disait  «  qu'elle  ne  durerait  guère  plus  d'un  an. 


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JEANNE  D'ARC. 


et  qu'on  songeât  à  bien  besogner  cette  année  :  «  car  elle  avait  beaucoup  à 
faire.  Après  le  sacre,  elle  avait  encore,  disait-elle,  au  rapport  du  duc  d'A- 
lencon,  à  chasser  les  Anglais,  à  délivrer  le  duc  d'Orléans.  Si  l'on  croyait  à 
sa  mission,  c'était  bien  le  cas  de  faire,  selon  l'avis  de  Jacques  Gelu  :  imposer 
silence  à  toutes  les  objections  et  la  suivre.  Mais  ceux  qui  ne  la  voulaient  pas 
suivre  affectaient  de  croire  que  ce  n'était  pas  si  clairement  l'ordre  de  Dieu. 

Un  jour,  la  Pucelle,  impatiente  de  ces  lenteurs,  vint  avec  Dunois  au  châ- 
teau de  Loches,  et  fut  menée  à  la  chambre  de  retrait ,  où  le  prince  était 
conversant  avec  Christophe  d'Harcourt,  l'évèque  de  Castres,  son  confesseur, 
et  le  seigneur  de  Trêves  (Robert  le  Maçon\  ancien  chancelier  de  France. 
Elle  frappe  à  la  porte,  et  dès  qu'elle  est  introduite,  elle  se  jette  aux  pieds^ 
du  roi,  et  embrassant  ses  genoux  : 

«  Gentil  Dauphin,  dit-elle,  ne  tenez  plus  tant  et  de  si  longs  conseils, 
mais  venez  au  plus  tôt  à  Reims  pour  recevoir  votre  digne  couronne.  » 

Christophe  d'Harcourt  lui  demanda  si  ses  voix  lui  avaient  dit  cela. 

«  Oui,  répondit-elle,  je  suis  fort  aiguillonnée  touchant  cette  chose. 

—  Ne  voudriez-vous  pas,  ajouta  d'Harcourt,  nous  dire  ici,  devant  le  roi, 
comment  font  vos  voix  quand  elles  vous  parlent? 

—  Je  conçois  bien,  dit-elle  en  rougissant,  ce  que  vous  voulez  savoir,  et 
vous  le  dirai  volontiers.  « 

Et  comme  le  roi,  la  voyant  émue,  lui  demandait  s'il  lui  plaisait  de  s'ex- 
pliquer devant  les  assistants,  elle  répondit  qu'elle  le  voulait  bien,  et  raconta 
comment,  lorsqu'elle  s'affligeait  des  doutes  que  l'on  opposait  à  sa  mission, 
elle  se  retirait  à  part  et  priait  Dieu ,  se  plaignant  de  ce  qu'on  ne  la  voulait 
pas  croire-,  et,  sa  prière  faite,  elle  entendait  une  voix  qui  lui  disait  :  «  Fille 
Dé  (de  Dieu},  va,  va,  va,  je  serai  à  ton  aide,  va!  «  et  quand  cette  voix  lui 
venait ,  elle  était  bien  réjouie  et  elle  eût  voulu  être  toujours  en  cet  état. 

En  rapportant  les  paroles  de  ses  voix,  elle  rayonnait  d'une  joie  divine  et 
levait  les  yeux  au  ciel. 

Ces  paroles  prenaient  leur  autorité  des  merveilles  qu'elle  venait  d'accom- 
plir. Le  roi  et  personne  autour  de  lui  ne  le  devaient  méconnaître  :  mais 
pouvait-on  aller  à  Reims,  en  laissant  les  Anglais  derrière  soi  sur  la  Loire, 
à  Baugency,  à  Meun,  à  Jargeau?  Les  Anglais,  en  effet,  chassés  de  devant 
Orléans,  s'étaient  repliés  sur  ces  villes.  Talbot  avait  occupé  Meun  -,  Suffolk, 


JEANNE  D'ARC. 


Jargeau,  et  naguère,  après  la  levée  du  siège  d'Orléans,  quand  Dunois, 
Boussac,  Graville,  Xaintrailles,  voulant  profiter  de  l'impression  que  Jeanne 
avait  produite,  et  peut-être  de  son  absence,  s'étaient  portés  sur  Jargeau  dans 
l'espoir  d'enlever  la  place,  ils  y  avaient  dû  renoncer.  Les  Anglais  tenaient 
donc  toujours,  et  il  y  avait  à  craindre  que  cette  marche  aventureuse  vers  le 
Nord  ne  leur  abandonnât  le  Midi.  D'ailleurs,  pour  rassembler  les  princes 
et  les  seigneurs  qui  devaient  accompagner  le  roi  au  sacre,  il  fallait  du  temps  : 
le  pouvait- on  mieux  employer  qu'en  enlevant  au.v  Anglais  leurs  dernières 
positions  sur  la  Loire  ?  Jeanne  adopta  le  projet  ;  selon  Perceval  de  Cagn}', 
ce  fut  même  elle  qui  le  proposa.  On  réunit,  à  l'aide  des  capitaines  revenus 
d'Orléans,  une  petite  armée  qui  fut  placée  sous  les  ordres  du  jeune  duc  d'A- 
lençon.  Libéré  enfin  de  sa  rançon  au  prix  des  plus  durs  sacrifices,  il  briàlait 
de  venger  son  ancien  échec  et  de  regagner,  au  service  du  roi,  l'équivalent 
de  ce  qu'il  y  avait  perdu.  Le  roi  répondit  à  ses  désirs  en  lui  donnant  le 
commandement  de  cette  expédition-,  mais  il  plaçait  auprès  de  lui  la  Pucelle, 
avec  la  recommandation  expresse  qu'il  ne  fit  rien  sans  son  avis. 

Jeanne  avait  pris  dès  lors  un  ascendant  auquel  personne  ne  pouvait  plus 
se  soustraire,  et  elle  l'exerçait  avec  un  naturel  qui,  dans  cette  àme  simple 
et  sans  prétention,  témoigne  bien  de  la  source  où  elle  puisait  tant  d'autorité. 

Gui  de  Laval,  dans  une  lettre  écrite  le  8  juin  1421),  au  milieu  des  der- 
niers préparatifs  de  la  campagne,  en  fait  à  sa  mère  et  à  sona'ieule  un  tableau 
animé ,_  où  la  Pucelle  est  peinte  au  vif  dans  toute  la  grâce  et  la  séduction  de 
son  rôle,  traitant  famiHèrement  avec  les  plus  hauts  personnages,  donnant 
tour  à  tour  le  signal  des  prises  d'armes  ou  des  processions.  Le  roi  était  venu 
à  Saint-Aignan  (Berri),  et  Jeanne  d'Arc  s'était  rendue  à  Selles,  à  quatre 
lieues  de  là,  où  toutes  les  troupes  devaient  se  réunir  pour  entrer  en  cam- 
pagne. Gui  de  Laval  étant  venu  rejoindre  le  roi,  le  prince  lui  fit  un  excellent 
accueil,  voulut  qu'il  vît  Jeanne,  et,  comme  il  se  rendait  lui-même  à  Selles, 
il  la  fit  venir  au-devant  de  lui.  «  Et  fit,  dit  le  jeune  comte,  ladite  Pucelle, 
très-bonne  chère  à  mon  frère  et  à  moi,  armée  de  toutes  pièces,  sauf  la  tête, 
et  tenant  la  lance  en  main.  Et  après  que  fumes  descendus  à  Selles,  j'allai  à 
son  logis  la  voir;  et  fit  venir  le  vin,  et  me  dit  qu'elle  m'en  feroit  bientôt  boire 
à  Paris;  et  ce  semble  chose  toute  divine  de  son  fait,  et  de  la  voir  et  de 
l'ouïr.  »  Puis,  racontant  comment  le  même  soir  (6  juin)  elle  partit  pour 


JEANNE  D'ARC. 


Romorantin  avec  une  portion  des  troupes  :  «  Et  la  vis  monter  à  cheval, 
armée  tout  en  blanc,  sauf  la  tête,  une  petite  hache  en  sa  main,  sur  un  grand 
coursier  noir,  qui  à  l'huis  de  son  logis  se  démenoit  très-fort,  et  ne  souffroit 
qu'elle  montât.  Et  lors  elle  dit  :  «  Menez-le  à  la  croix,  «  qui  étoit  devant 
réglise  auprès,  au  chemin.  Et  alors  elle  monta,  sans  qu'il  se  mût,  comme 
s'il  fût  lié.  Et  lors  se  tourna  vers  l'huis  de  l'église  qui  étoit  bien  prochain  , 
et  dit  en  assez  bonne  voi.x  de  femme  :  «  ^'ous,  les  prêtres  et  gens  d'église, 
«  faites  procession  et  prières  à  Dieu.  »  Et  lors  se  retourna  à  son  chemin,  en 
disant  :  «  Tirez  avant,  tirez  avant,  »  son  étendard  ployé  que  portoit  un 
gracieu.x  page,  et  avoit  sa  hache  petite  en  la  main.  » 

Cette  lettre  témoigne  en  même  temps  de  l'enthousiasme  et  du  zèle  que  la 
Pucelle  inspirait.  Tout  le  monde  voulait  l'accompagner  :  «  ne  oncques  gens 
n'allèrent  de  meilleure  volonté  en  besogne.  »  La  cour  manquait  d'argent, 
et  on  n'avait  rien  à  attendre  d'elle,  mais  on  savait  y  suppléer  :  on  se  ruinait 
pour  combattre  avec  Jeanne.  «  Pour  ce,  continue  le  prince,  vous,  madame 
ma  mère,  qui  avez  mon  sceau,  n'épargnez  point  ma  terre  par  vente  ni  par 
engage,  là  où  nos  personnes  sont  à  être  sauvées,  ou  aussi  par  défaut  abais- 
sées, et  par  aventure  en  voie  de  périr.  »  La  dame  de  La\al,  par  un  senti- 
ment bien  pardonnable  à  une  mère,  en  envoyant  ses  deu.x  fils  à  la  cour, 
aurait  voulu  qu'ils  demeurassent  auprès  du  roi  :  elle  avait  écrit  en  ce  sens  à 
la  Trémouille  son  parent,  et  peut-être  aussi  à  la  Pucelle.  Jeanne,  entrant 
dans  ses  vues,  voulait  faire  patienter  le  jeune  comte,  lui  disant  que,  lorsque 
le  roi  prendrait  le  chemin  de  Reims,  il  irait  avec  lui.  «  Mais  jà  Dieu  ne 
veuille,  s'écrie-t-il  tout  bouillant  d'ardeur,  que  je  le  fasse  et  que  je  ne  aille. 
Et  autretant  (tout  autant)  en  dit  mon  frère  et  comme  Monseigneur  d'A- 
lençon  :  Abandonné  seroit  celui  qui  demeureroit  !  » 

On  était  dans  le  mouvement  du  départ.  Le  duc  d'Alençon  venait  d'ar- 
river avec  sa  compagnie  l'avant-veille  (lundi  G  juin;^  le  seigneur  de  Rais 
était  attendu  dans  la  journée  (mercredi  81,  et,  ce  même  jour,  Alençon, 
Dunois  et  Gaucourt  devaient  quitter  Selles  pour  rejoindre  Jeanne,  qui,  dès 
le  6,  avait  pris  les  devants.  On  disait  même  que  le  roi  partirait  le  lendemain 
pour  se  rapprocher  de  l'armée.  «  Et  on  espère,  continuait  Gui  de  Laval, 
qu'avant  qu'il  soit  dix  Jours,  la  chose  sera  bien  avancée  de  côté  ou  d'autre. 
Mais  tous  ont  si  bonne  espérance  en  Dieu  que  je  crois  qu'il  nous  aidera.  » 


Iv"  E I  M  s . 


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II  ne  se  trompait  pas,  même  pour  le  temps.  Il  écrivait  le  N  :  le  18,  après 
deux  sièges  et  une  bataille,  la  campagne  était  terminée. 

Le  mercredi  après-midi,  Vendôme,  Boussac  et  autres  avaient  rejoint  le 


l'iy.44.—  l'sliscde  .sclK^-sur-i,  t  1      [         u       |.       l         |  IL 

Jeanne  se  rendit  à  Selles,  où  se  reun  ssaient  les  troupes  qui  devaient  entrer  en  campagne  Son  cheval 
se  démenant  très-fort  et  ne  souffrant  pas  qu'elle  montât,  elle  dit  :  «  Menez-le  à  la  croix.  »  (Cette  croix 
était  située  en  face  de  l'église  actuelle.)  Et  alors  elle  monta  sans  que  le  coursier  bougeât  comme  s'il 
eût  été  lié. 


général  en  chef;  la  Hire  était  proche  :  «  Et  ainsi,  disait  Laval  dans  une 
addition  à  sa  lettre,  on  besognera  bientôt.  Dieu  veuille  que  ce  soit  à  notre 
désir  !  »  Le  lendemain  (q  juin),  la  petite  armée  rentrait  dansOrléans,  où  elle 
fut  reçue  avec  une  joie  extrême,  et  surtout  la  Pucellc,  «  de  laquelle  voir, 
dit  encore  le  Journal  du  siège,  ne  se  pouvoient  saouler.  )>  Ils  en  partirent 


104  JEANNE   D'ARC. 


le  I  I,  au  nombre  de  huit  mille  hommes,  dont  six  cents  lances  amenées  par 
le  duc  d'Alcnçon,  six  cents  par  Dunois,  Florent  d'IUiers  et  quelques  autres, 
et  le  reste  du  commun,  c'est-à-dire  du  peuple  d'Orléans  et  lieux  voisins; 
et  ils  s'avancèrent  vers  Jargeau,  que  défendait  le  comte  de  Suflblk  avec  six 
à  sept  cents  hommes  d'élite,  bien  résolus  et  pourvus  de  canons.  Les  Fran- 
çais n'avaient  point  laissé  leur  artillerie  en  arrière;  mais  à  peine  venus,  et, 
selon  le  témoignage  du  duc  d'Alençon,  avant  même  d'être  arrivés,  plusieurs 
voulaient  rebrousser  chemin.  On  disait  que  Falstolf  venait  au  secours  de  la 
ville  avec  une  nombreuse  troupe.  Et,  en  effet,  Bedford,  apprenant  l'expé- 
dition préparée  contre  ses  places  de  la  Loire,  l'avait  fait  partir  de  Paris 
avec  cinq  mille  hommes,  et  levait  partout  d'autres  soldats  qui  le  devaient 
rejoindre.  Falstolfs'avançait  avec  lenteur.  Il  s'arrêta  quatre  jours  à  Étampes, 
quatre  jours  à  Janville,  voulant  avoir  tous  ses  renforts  avant  d'attaquer 
une  armée  conduite  par  la  Pucelle.  Mais  dans  l'armée  de  la  Pucelle  il  y  en 
avait  encore  qui  ne  s'étaient  point  désaccoutumés  de  craindre  les  Anglais, 
et  il  leur  semblait  périlleux  de  les  attendre  devant  une  place  occupée  par 
leurs  troupes.  Plusieurs  partirent,  et  Jeanne  ne  retint  les  autres  qu'en  leur 
allirmant  que  Dieu  conduisait  l'entreprise  :  «  Si  je  n'en  étois  sûre,  disait- 
elle,  j'aimerois  mieux  garder  les  brebis  que  de  m'exposer  à  tant  de  périls.  » 

Jeanne  voulait,  dès  l'arrivée,  loger  l'armée  dans  les  faubourgs.  Tandis 
que  les  gens  d'armes  cherchaient  un  abri,  les  gens  du  commun,  pensant 
que  rien  ne  pouvait  résister  à  la  Pucelle,  se  jetèrent  dans  les  fossés,  et,  sans 
attendre  qu'elle  fût  à  leur  tête,  attaquèrent  la  place.  Les  Anglais  firent  une 
sortie,  et  les  forçaient  à  se  replier  en  désordre,  quand  Jeanne,  prenant  son 
étendard,  vint  leur  rendre  courage,  et  l'on  fit  tant  que  cette  même  nuit  on 
s'établit  dans  les  faubourgs,  comme  elle  l'avait  voulu. 

Avant  de  commencer  l'attaque  en  règle  de  la  ville,  Jeanne,  selon  son  ha- 
bitude, voulut  faire  sommation  à  ses  défenseurs.  Elle  leur  enjoignait  de  s'en 
aller  en  leur  petite  cotte,  la  vie  sauve,  sinon  qu'on  les  prendrait  d'assaut. 
Les  Anglais  demandaient  quinze  jours  de  suspension  d'armes  :  c'était  plus 
qu'il  n'en  fallait  pour  donner  à  leurs  renforts  le  temps  d'arriver.  On  répon- 
dit qu'on  les  laisserait  partir  avec  leurs  chevaux,  mais  dans  l'heure  même. 
Suftolk  tenta  quelque  autre  moyen  de  traiter  ou  de  traîner  en  longueur  en 
parlant  à  la  Hirc;  mais  on  rappela  la  Hire,  et  l'attaque  fut  résolue. 


REIMS. 


io5 


Pendant  le  reste  de  la  nuit,  on  s'occupa  des  travaux  préparatoires.  Dès 
le  matin,  les  canons  et  les  bombardes  étaient  en  batterie,  et  à  neuf  heures, 
quoique  ce  fiât  dimanche,  Jeanne  fit  sonner  les  trompettes  et  cria  au  duc 
d'Alençon  :  «  Avant,  gentil  duc,  à  l'assaut!  »  Le  duc  trouvait  que  c'était 
trop  tôt  commencer-,  mais  Jeanne  lui  dit  :  «  Ne  doutez  point,  c'est  l'heure 
quand  il  plait  à  Dieu  ;  il  faut  besogner  quand  Dieu  veut.  Travaillez,  et  Dieu 
travaillera.  »  Et  elle  ajoutait  :  «  Ah  !  gentil  duc,  as-tu  peur?  Ne  sais-tu  pas 
que  j'ai  promis  à  ta  femme  de  te  ramener  sain  et  sauf?  »  Et  en  effet,  quand 
le  duc  d'Alençon  avait  quitté  sa  femme  pour  venir  avec  Jeanne  à  l'armée. 


Fig.  45.  —  Sceau  armorié  et  contre-sceaux  du  duc  JAIençun.  Archives  nationales  de  France. —  Jeanne, 
dés  son  arrivée  à  Chinon,  avait  salué  dans  le  jeune  duc  !'un  des  soutiens  du  trône,  «  et  faisoit  pour 
lui  ce  qu'elle  n'eust  fait  pour  ung  autre.  »  Le  roi  avait  confié  au  duc  la  charge  de  la  Pucelle,  avec  ordre 
de  lui  obéir  en  tout. 


la  duchesse  avait  exprimé  ses  craintes  à  la  Pucelle  :  le  duc  sortait  à  peine  de 
captivité,  et  il  avait  tant  dépensé  pour  sa  rançon  !  Mais  Jeanne  lui  avait 
dit  :  «  Ne  craignez  point,  madame,  je  vous  le  rendrai  sain  et  sauf,  et  en  tel 
point  qu'il  est  ou  mieux  encore.  » 

Elle  tint  parole,  et  dans  cet  assaut  même  un  mot  d'elle  lui  sauva  la  vie. 
Comme  il  observait  l'attaque  d'un  endroit  découvert  :  «  Retirez-vous,  dit-elle, 
car  voici  un  engin  qui  vous  tuera-,  «  et  elle  lui  montrait  un  canon  aux  murs 
de  la  ville.  Il  se  retira,  et  un  moment  après,  le  seigneur  de  Lude  était  tué 
à  cette  même  place  d'un  coup  parti  de  la  pièce  désignée. 

Les  Anglais  soutinrent  l'assaut  avec  vigueur.  Parmi  eux,  il  y  en  avait  un, 


JEANNE   D'ARC. 


grand  et  fort,  qui  se  tenait  à  découvert  sur  les  murailles,  accablant  les 
assaillants  de  boulets  et  renversant  les  échelles  et  les  hommes.  Mais  là, 
comme  à  Tassant  des  Augustins,  il  y  avait  parmi  les  Français  le  fameux 
canonnier  de  Lorraine.  Le  duc  d'Alençon  lui  montra  le  redoutable  Anglais, 
et  d'un  coup  de  sa  coulevrine  Jean  le  renversa  mort  dans  la  ville.  Comme 
l'attaque  durait  depuis  trois  ou  quatre  heures,  Jeanne,  et  le  duc  d'Alençon 
lui-même,  tout  commandant  qu'il  était,  descendirent  dans  le  fossé  et  cou- 
rurent aux  murailles.  Suffolk  comprit  le  péril;  il  voulut  parler  au  duc,  mais 
ne  fut  plus  écouté.  Déjà  la  Pucelle  montait  à  l'échelle,  tenant  en  main  son 
étendard,  quand  cette  bannière  fut  atteinte,  et  elle-même  frappée  à  la  tète 
d'une  pierre  qui  se  brisa  sur  son  casque.  Elle  tomba  par  terre,  mais  elle  se 
releva  criant  aux  hommes  d'armes  :  «  Amis,  amis,  sus!  sus!  notre  Sire  a 
condamné  les  Anglais.  Ils  sont  nôtres  à  cette  heure.  Ayez  bon  courage!  » 
Et  les  Français,  excités  par  ces  paroles,  escaladèrent  hardiment  les  murs  et 
prirent  la  ville.  Sutîolk  et  les  Anglais  se  replièrent  vers  le  pont,  et  l'un  des 
deux  frères  du  capitaine  fut  tué  dans  cette  retraite  ;  les  autres  ne  purent 
tenir  davantage.  Suffolk,  vivement  pressé  par  un  écuyer  d'Auvergne,  nommé 
Guillaume  Regnault,  lui  demanda  s'il  était  gentilhomme. 

«  Oui,  dit-il. 

«  —  Etes-vous  chevalier  ? 

«  —  Non.  » 

Le  comte  le  fit  chevalier  et  se  rendit  à  lui. 

Quatre  à  cinq  cents  hommes  avaient  péri  dans  l'assaut;  le  reste  fut  pris  à 
rançon,  et  dans  le  nombre  l'autre  frère  de  Suffolk.  La  ville,  l'église  même 
où  les  Anglais  avaient  serré  leurs  biens,  tout  fut  pillé.  Le  lundi,  Jeanne  et 
le  duc  d'Alençon,  après  avoir  pourvu  à  la  garde  de  Jargeau,  revinrent  à 
Orléans,  et  l'on  peut  se  figurer  l'accueil  qu'ils  y  reçurent.  Après  avoir  mandé 
au  roi  leur  victoire,  ils  y  restèrent  les  deux  jours  suivants,  ralliant  à  eux 
tous  ceux  qui  n'avaient  pas  eu  le  temps  de  les  rejoindre  au  premier  siège  :  les 
seigneurs  de  Laval  et  de  Lohéac,  ces  deux  jeunes  frères  dont  on  a  vu  la 
lettre  à  leur  mère  et  à  leur  aïeule  ;  Chauvign}',  la  Tour  d'Auvergne,  le  vi- 
dame  de  Chartres.  Le  mardi,  la  Pucelle  appela  son  beau  duc,  comme  elle 
nommait  Alençon,  et  lui  dit  :  «  Je  veux  demain,  après-midi,  aller  voir 
ceux  de  Meun  :  faites  que  la  compagnie  soit  prête  à  partir  à  cette  heure.  » 


REIMS. 


107 


Tout  le  monde  fut  prêt.  On  vint  à  Meun.  On  attaqua  vivement  et  on  prit  le 
pont  que  les  Anglais  avaient  solidement  fortifié,  et  on  l'occupa  laissant  pour 
le  moment  la  ville.  On  était,  sur  ce  point,  maître  du  passage  :  on  avait 
hâte  d'en  faire  autant  à  Baugencw 


-,    -I  I    1  e   11,  Ijr^L  u    I  '.auqui;  Juranl  Jupuii  Iruis  uu  qualrc  heuic.-.,  J^-Juac   nioiUi;  .1  l  L..hci;c, 

criant  iu\  hommes  d  di  mes  :  «  Amis,  amis,  sus!  notre  Sire  (Dieu)  a  condamné  les  Anglais.  Ils 
sont  nôtres  à  cette  heure  ;  ayez  bon  courage!  n  I-es  Français  escaladent  les  murs  et  prennent  la 
ville.  —  Bas-relief  de  M.  Foyatier,  à  Paris,  xix"  siècle. 


A  Baugency,  à  leur  approche,  les  Anglais  désemparèrent  la  ville  pour  se 
retrancher  dans  le  château  et  sur  le  pont.  Ce  ne  fut  point  cependant  sans 
laisser  derrière  eux  quelques  soldats  déterminés  à  vendre  chèrement  la  place 
qu'ils  abandonnaient.  Mais  les  Français,  arrivant  le  jeudi  matin,  les  refou- 
lèrent dans  le  château  où  les  autres  s'étaient  retirés,  et  disposèrent  leurs 


io8  JEANNE  D'ARC. 


canons  et  leurs  bombardes   pour  les  forcer  dans  cette  dernière  retraite. 

Le  siège  fut  marqué  par  un  incident  qui  faillit  diviser,  par  le  contre-coup 
des  intrigues  de  la  cour,  l'armée  si  bien  unie  contre  les  Anglais. 

Richemont,  retiré  dans  sa  seigneurie  de  Parthenay,  ne  se  résignait  point 
à  l'inaction  où  le  condamnait  l'ingrate  et  misérable  jalousie  de  la  Trémouillc. 
Après  l'arrivée  de  la  Pucelle,  quand  on  alla  au  secours  d'Orléans,  il  voulut 
en  être,  et  leva  une  troupe  qui  ne  comptait  pas  moins  de  quatre  cents  lances 
et  de  huit  cents  archers.  Mais,  comme  il  était  à  Loudun,  le  roi  lui  fit  dire  de 
s'en  retourner;  que ,  s'il  passait  outre ,  on  le  combattrait.  Le  connétable  dut 
s'arrêter,  et  il  put  d'ailleurs  apprendre  bientôt  qu'Orléans  avait  été  délivré 
sans  son  aide.  Mais,  quand  il  sut  qu'on  recommençait  une  campagne  sur  la 
Loire,  il  reprit  sa  marche;  il  passa  le  lleuve  à  Amboise,  dont  le  capitaine, 
plus  homme  de  bien  qu'homme  de  cour,  n'entreprit  point  de  l'arrêter,  et, 
apprenant  qu'on  faisait  le  siège  de  Baugenc}',  il  y  alla. 

L'arrivée  de  Richemont  était  fort  mal  vue  des  chefs.  Alcnçon  avait  reçu 
les  ordres  du  roi  ;  il  déclara  à  Jeanne  que,  si  le  connétable  venait ,  lui-même 
s'en  irait.  Le  succès  était  donc  compromis  par  une  démarche  faite  pour  l'as- 
surer;mais  il  n'y  avait  aufondde  tout  cela,  on  le  savait, que  la  jalousie  d'un 
courtisan,  point  de  haine  personnelle  aux  chefs;  il  ne  fallait  pour  les  rap- 
procher qu'un  prétexte  et  du  bon  vouloir.  Le  prétexte  fut  l'ennemi ,  dont  la 
venue  était  annoncée;  et  le  bon  vouloir,  c'est  Jeanne  qui  l'inspira.  Elle  qui 
cherchait  si  peu  l'aide  des  hommes,  elle  dit  au  duc  d'Alençon  qu'il  fallait 
s'aider;  et  elle  régla  les  formes  de  l'accord  :  car  elle  seule  paraissait  avoir 
assez  de  crédit  pour  le  faire  goûter  de  Charles  VIL  A  la  prière  du  connétable 
et  des  seigneurs,  elle  se  chargea  donc  de  ménager  la  paix  de  Richemont 
avec  ce  prince.  Le  connétable  jura  devant  elle  et  devant  les  seigneurs  qu'il 
servirait  toujours  loyalement  le  roi ,  et  le  duc  d'Alençon  et  les  autres  chefs  se 
portèrent  garants  de  sa  réconciliation. 

La  troupe  anglaise  dont  l'arrivée  hâta  la  conclusion  de  cet  accord  était 
celle  que  Falstolf  avait  voulu  amener  au  secours  de  Jargeau.  Il  avait  appris 
pendant  son  séjour  àJanville  la  perte  de  cette  place;  et  Talbot,  venant  de 
la  Loire,  avait  pu  lui  faire  connaître  presque  en  même  temps  que  le  pont  de 
Meun  était  pris ,  et  Baugency  à  la  veille  d'être  forcé.  Falstolf  était  d'avis 
qu'on  en  laissât  la  garnison  capituler,  représentant  que  depuis  les  affaires 


'■''S-+7-  —Attaque  du  pont  de  Meun.  Partie  supérieure  dun    vitrail  de  rjglise 
près  Meun,  exécuté  en  1875  par  M.  L.  Ottin,  à  Paris. 


:  Notre-Dame  de  Cléry. 


JEANNE  D'ARC. 


d'Orléans  les  troupes  étaient  «  moult  amaties  et  effrayées.  »  Il  pensait  donc 
qu'il  \  alait  mieux  ne  rien  risquer,  se  renfermer  dans  les  forteresses  les  plus 
sûres  et  3'  attendre  que  leurs  gens  eussent  repris  confiance  et  que  Bedford 
leur  eût  envo3'^é  tous  les  secours  promis.  Mais  Talbot  s'indigna  de  cette  cir- 
conspection et  Jura  que,  n'eût-il  que  sa  gent  et  ceux  qui  le  voudraient  suivre, 
il  irait  combattre  Tennemi,  à  l'aide  de  Dieu  et  de  monseigneur  saint  Georges. 
Falstolf  céda,  et  le  lendemain  on  mit  les  troupes  aux  champs;  mais  avant 
départir  il  réunit  les  capitaines  et  leur  remontra  encore  les  périls  de  l'entre- 
prise :  ils  n'étaient,  disait-il,  qu'une  poignée  de  gens  au  regard  des  Fran- 
çais, et,  «  si  la  fortune  tournoit  mauvaise  sur  eux,  tout  ce  que  le  feu  roi 
Henri  avoit  conquis  en  France  à  grand  labeur  et  long  terme  seroit  en  voie 
de  perdition.  »  Mais  ses  remontrances  n'étant  pas  mieux  goûtées,  il  com- 
manda aux  étendards  de  prendre  la  route  de  Meun. 

Les  Français,  laissant  une  partie  des  leurs  autour  du  château  de  Bau- 
gency,  vinrent  au-devant  des  Anglais  et  les  rencontrèrent  «  à  une  lieue  près 
de  Meun  et  assez  près  de  Baugency.  •»  Wavrin,  qui  parle  seul  expressé- 
ment de  ce  mouvement,  porte  leur  nombre  à  ^ix  mille  environ,  et  nomme 
parmi  les  chefs  Alençon,  Danois,  la  Fayette,  la  Hire,  Xaintrailles  et  la 
Pucelle.  Ils  se  postèrent  sur  une  éminence ,  observant'les  ennemis.  Les  chefs 
anglais,  s'attendant  à  la  bataille,  firent  mettre  pied  à  terre,  avec  ordre  aux 
archers  de  s'entourer  de  leur  ceinture  de  pieux;  puis,  voyant  que  les  Fran- 
çais ne  bougeaient  pas ,  ils  envo3'èrent  des  hérauts  les  défier,  s'ils  voulaient 
descendre  dans  la  plaine.  Mais  ils  eurent  cette  réponse  des  gens  de  la  Pu- 
celle :  «  Allez  vous  loger  pour  maishu3' (aujourd'hui' ,  car  il  est  tard;  mais 
demain ,  au  plaisir  de  Dieu  et  de  Notre-Dame,  nous  nous  verrons  de  plus 
près.  » 

Les  Anglais  vinrent  se  loger  à  Meun ,  où  ils  avaient  garnison,  et  chan- 
gèrent de  tactique.  Au  lieu  de  marcher  droit  sur  les  assiégeants  de  Baugenc3', 
ils  canonnèrent  toute  la  nuit  le  pont  de  Meun,  qui  était  aux  Français, 
comptant  l'enlever  et  gagner  par  l'autre  rive  le  pont  de  BaugencA'  qui  était 
aux  leurs.  Ils  entraient  ainsi  sans  nul  obstacle  dans  le  château  assiégé,  et 
demeuraient  libres  ou  d'en  sortir'avec  toutes  leurs  forces  pour  attaquer,  ou 
de  se  borner  à  s'3'  défendre.  Mais  les  Français  avaient  emplo3'é  le  temps 
bien  mieux  encore  :  ils  avaient  pris  la  place  qu'on  voulait  délivrer. 


REIiMS. 


Fig.  4S.—  Richemont,  connétable  de  France,  en  costume  d'apparat.  D'après  r.lra;oi-/i!/  Jii  liérault  Bcrry 
exécuté  vers  1450  et  conservé  à  la  bibliotli.  nationale  —  A  la  prière  du  connétable  et  des  seigneurs, 
Jeanne  se  chargea  de  ménager  la  paix  de  Richemont  avec  le  roi. 


Les  défenseurs  du  château  de  Baugency  étaient,  comme  ceux  de  Jargcau, 
les  débris  de  l'armée  d'Orléans  :  c'étaient  déjà  des  vaincus  de  la  Pucclle.  Or 
ils  voyaient  des  renforts  venir  aux  assiégeants  avec  Richemont.  et  ils  avaient 


JEANNE  D'ARC. 


perdu  Tcspcrance  d'en  recevoir  eux-mêmes  :  car  le  départ  et  le  retour  si 
prompt  de  la  Pucelle  leur  avaient  fait  croire  que  Tarmée  de  Falstolf  était 
venue  et  s'en  était  allée.  En  ces  circonstances,  et  avant  que  la  situation  de- 
vînt plus  critique  (elle  devait  l'être,  si  Richemont  achevait  de  les  investir  en 
les  attaquant  par  l'autre  côté  du  fleuve  comme  on  l'avait  résolu),  le  bailli 
d'Évreux,  qui  le  commandait,  proposa  et  obtint  pour  les  siens  une  capitula- 
tion. On  convint  qu'ils  sortiraient  de  la  place  avec  les  honneurs  de  la  guerre, 
emmenant  leurs  chevaux  avec  leurs  harnais,  et  la  valeur  d'un  marc  d'argent 
au  plus.  Ils  promettaient  de  ne  point  reprendre  les  armes  avant  dix  jours. 

Ils  partirent  le  i8  au  matin,  et  la  nouvelle  en  fut  portée  à  Meun  par  un 
poursuivant  d'armes,  quand  les  Anglais,  ayant  canonné  le  pont  toute  la 
nuit,  s'apprêtaient  à  lui  donner  l'assaut.  Ils  furent  heureux  de  ne  l'avoir 
point  passé ,  et  ne  songèrent  plus  qu'à  reprendre ,  avec  la  garnison  de  Meun , 
la  route  qu'ils  avaient  suivie  naguère.  Ils  tirent  d'ailleurs  leur  retraite  en  bon 
ordre.  Derrière  une  première  troupe,  conduite  par  un  chevalier  anglais, 
marchaient  l'artillerie  et  les  bagages;  puis  venait  le  corps  de  bataille  sous 
les  ordres  de  Falstolf,  de  Talbot,  deRaveston-,  puis  l'arrière-garde,  toute 
composée  d'Anglais  de  race. 

Cependant  les  Français,  maîtres  du  château  de  Baugency,  avaient  hâte 
de  voir  les  Anglais  de  près,  comme  ils  l'avaient  promis  la  veille.  Ils  avaient 
cru  les  retrouver  à  Meun-,  mais,  l'ennemi  ayant  fait  retraite  à  la  première 
apparition  de  leur  avant-garde,  ils  gagnèrent  au  plus  vite  la  route  de  Blois 
à  Paris,  où  ils  espéraient  le  rejoindre.  Les  Anglais,  avertis  de  leur  marche 
par  les  coureurs  de  l'arrière-garde,  ne  songèrent  plus  qu'à  trouver  un  lieu 
favorable  où  ils  pussent  s'arrêter  et  les  attendre,  commeà  Crécy.  On  donna 
donc  à  l'avant-garde  l'ordre  d'aller  s'établir,  a\'ec  l'artillerie  et  les  bagages, 
le  long  d'un  petit  bois  (près  du  hameau  de  LigneroUes)  qui  couvrait  les 
abords  de  Patay.  Pour  y  parvenir,  il  fallait  traverser  un  bas-fond ,  et  au 
delà  un  passage  resserré  entre  deux  haies  très-fortes.  Quand  le  corps  prin- 
cipal y  arriva,  Talbot,  mettant  pied  à  terre,  promit  d'y  tenir  avec  cinq  cents 
archers  d'élite, jusqu'à  ce  que  l'arrière-garde  eût  rejoint  le  corps  de  bataille; 
il  comptait  ensuite,  faisant  retraite  le  long  de  ces  haies,  gagner  à  son  tour 
la  position  où  l'avant-garde  avait  précédé,  et  où  tous  se  devaient  réunir  pour 
soutenir  le  combat. 


Fi^.  49.  ~  Miniature  tirée  du  missel  de  campagne  de  Jean  Talbol,  ms.  français  du  xve  siècle.  Biblioth.  de 
M.  Ambr.  Firmin-Didot.  ~  Devant  la  Vierge  sont  agenouillts  :  a  gauche,  Jean  Talbot,  assisté  par  saint 
Georges  qui  terrasse  le  dragon;  adroite,  Marguerite  de  Beauchamp,  seconde  femme  de  Talbot  (fille 
du  comte  de  Warwick),  assistée  par  sainte  Marguerite,  qui  terrasse  aussi  le  dragon.  Talbot,  armé  de 
toutes  pièces,  est  vêtu  d'une  cotte  blasonnée;  on  voit  au-dessous  la  bannière  de  Talbot  et  celle  de 
Warv^ick.  Les  deux  bannières  surmontent  les  insignes  de  l'ordre  de  la  Jarretière,  renfermant  le  petit 
chien  des  Talbot,  sous  Talbot,  et  l'ours  des  Warwick,  sous  Warwtck.  Le  chiffre  enlace  des  deux  époux 
(Jean  et  Marguerite)  est  surmonte  dune  couronne  ducale.  Les  marguerites  qui  ornent  cette  composition 
sont  une  allusion  au  nom  de  Marguerite  de  Beauchamp. 


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114  JEANNE   D'ARC. 


Mais  il  en  arriva  autrement.  Les  Français  marchaient  en  avant,  ne  sa- 
chant au  juste  où  était  l'ennemi,  mais  allant  toujours,  sur  la  foi  de  la 
Pucelle.  Elle  leur  avait  dit  que  les  Anglais  les  attendraient,  et,  comme  on 
lui  demandait  où,  elle  avait  répondu  qu'on  chevauchât  sûrement  et  qu'on 
aurait  «  bon  conduit.  >>  Ils  allaient  donc  dans  la  direction  où  l'on  croyait 
que  marchaient  les  Anglais,  ayant  pour  éclaireurs  soixante  ou  quatre-vingts 
de  leurs  chevaliers  les  plus  braves  et  les  mieux  montés.  Ils  n'avaient  rien  vu 
encore ,  empêchés  par  le  pli  du  terrain  ,  lorsqu'un  cerf,  qu'ils  tirent  lever,  alla 
donner  dans  le  corps  de  bataille  des  Anglais ,  où  il  fut  reçu  à  grands  cris.  Ces 
cris  donnèrent  l'éveil  aux  chevaliers  français,  qui  reconnurent  l'ennemi,  et 
bientôt  le  purent  découvrir,  marchant  en  parfaite  ordonnance.  Ils  se  hâtèrent 
d'en  avertir  le  gros  de  leur  armée,  disant  qu'il  était  l'heure  de  besogner, 
qu'on  les  aurait  bientôt  en  face.  A  cette  nouvelle  le  duc  d'Alençon  demanda 
à  Jeanne  ce  qu'il  fallait  faire. 

«  Avez-vous  de  bons  éperons?  «  lui  dit-elle. 

Plusieurs  l'entendant  s'écrièrent  : 

«  Que  dites-vous?  Nous  tournerons  donc  le  dos? 

«  —  Nenni,  en  nom  Dieu,  dit  Jeanne,  ce  seront  les  Anglois;  ils  seront 
déconfits,  et  vous  aurez  besoin  des  éperons  pour  les  suivre.  » 

Comme  on  disait  qu'ils  avaient  plus  de  mille  hommes  d'armes  : 

«  Ahl  beau  connétable ,  dit-elle  à  Richemont,  vous  n'êtes  pas  venu  de 
par  moi-,  mais,  puisque  vous  êtes  venu,  vous  serez  bien  venu.  »  Et  quel- 
ques-uns manifestant  encore  des  doutes,  sinon  de  la  crainte  :  «  En  nom 
Dieu,  dit  Jeanne,  il  les  faut  combattre;  quand  ils  seroient  pendus  aux 
nues,  nous  les  aurons,  parce  que  Dieu  nous  les  envoie  pour  que  nous  les 
châtiions.  »  Et  elle  répondait  de  la  victoire  :  «  Le  gentil  roi,  disait-elle, 
aura  aujourd'hui  la  plus  grant' victoire  qu'il  eût  pièça  (de  longtemps'.  Et 
m'a  dit  mon  conseil  qu'ils  sont  tous  nôtres.   » 

Elle  voulait  être  à  l'avant-garde.  On  la  retint  malgré  elle,  et  on  v  mit 
la  Hire,  mais  avec  l'ordre  d'attaquer  les  Anglais  assez  vivement  pour  leur 
faire  tourner  le  visage,  point  assez  pour  qu'ils  tournassent  le  dos.  On 
voulait ,  en  les  retenant  à  cette  escarmouche ,  donner  au  gros  de  l'armée 
française  le  temps  d'arriver,  sans  leur  laisser  à  eux  celui  de  gagner  la 
position  où  ils  comptaient  se  réunir.  Mais  l'impétuosité  de  la  Hire,  et  sans 


JEANNE   D'ARC. 


doute  aussi  la  terreur  que  Jeanne,  même  de  loin,  inspirait,  déjouèrent  ce 
calcul.  Les  Français  tombèrent  sur  l'arrière-garde  des  Anglais  et  la  disper- 
sèrent. Talbot  pourtant  demeurait  ferme  à  son  défilé,  et  Falstolf,  fidèle 
au  plan  qu'on  avait  arrêté ,  faisait  diligence  pour  aller  rejoindre  Tavant- 
garde  dans  ses  positions  sur  les  derrières.  Mais  Favant-garde,  le  voyant 
venir  à  elle,  crut  qu'il  se  retirait,  et ,  pour  ne  point  perdre  son  avance,  elle 
prit  la  fuite.  Falstolf  voulut  se  retourner  alors  et  marcher  à  l'ennemi  :  il 
était  trop  tard.  Déjà  Talbot  se  voyait  enveloppé;  la  panique  était  générale, 
et  les  Français,  maîtres  du  champ  de  bataille,  tuaient  ou  prenaient  ceux 
qui  leur  tombaient  sous  la  main.  Falstolf  céda  enfin  aux  instances  de  ceux 
qui  l'entouraient,  et  s'enfuit  avec  peu  de  monde.  Dans  son  escorte  était 
Wavrin,  qui  a  fait  ce  récit  de  la  bataille.  Il  dit  que  les  Anglais  perdirent 
deux  mille  morts  et  deux  cents  prisonniers.  Dunois,  sans  distinguer,  évalue 
leur  perte  à  quatre  mille  hommes.  Talbot  était  parmi  les  prisonniers. 
Comme  on  le  présentait  au  duc  d'Alençon  ,  le  jeune  prince  lui  dit  :  «  Vous 
ne  pensiez  pas,  le  matin,  que  cela  vous  arriverait.  »  Il  répondit  :  «  C'est 
la  fortune  de  la  guerre.  » 

Cette  journée  eut  des  résultats  considérables.  Tout  le  pa}'s  ,  qui  détestait 
les  Anglais,  ne  chercha  plus  à  cacher  sa  haine.  Ceux  de  Janville ,  à  qui  ils 
avaient  laissé  leur  argent  au  départ,  leur  fermèrent  la  porte;  et ,  quant  aux 
places  qu'ils  possédaient  encore  au  voisinage,  Mont-Pipeau,  Saint-Sigis- 
mond,  etc.,  les  garnisons  s'empressèrent  d'y  mettre  le  feu  et  d'en  partir. 
Nulle  citadelle  ne  leur  semblait  sûre.  Ce  qui  était  plus  grave,  c'est  que, 
même  en  plaine,  ils  ne  paraissaient  plus  à  craindre.  Les  Anglais,  grâce 
à  l'habile  emploi  des  armes  de  trait ,  à  l'excellence  de  leur  infanterie  et  à 
une  tactique  qui  reléguait  au  second  rang  les  brillants  usages  de  la  cheva- 
lerie, avaient  acquis  dans  les  combats  en  rase  campagne  un  renom  de 
supériorité  consacré  par  les  souvenirs  de  Crécy,  de  Poitiers  et  d'Azincourt. 
Ce  prestige  se  dissipait  comme  les  autres.  Toute  leur  tactique  avait  été 
déjouée  dans  le  lieu  le  plus  propre  à  leur  faire  retrouver  la  gloire  de  ces 
grandes  journées;  tout  leur  corps  de  bataille  avait  été  mis  en  fuite  par  une 
simple  avant-garde,  mais  une  avant-garde  animée  de  l'esprit  de  la  Pucel'e. 
Qui  pouvait  douter  maintenant  qu'elle  ne  menât  le  roi  à  Reims  comme 
elle  le  promettait  ?  Jeanne  avait  prouvé  qu'elle  saurait  s'ouvrir  les  chemins 


ii8  JEANNE   D'ARC. 


comme  elle  savait  forcer  les  citadelles.  On  Tavait  vue  à  Tœuvre  :  et  pourtant 
on  différait  encore. 

Jeanne  avait  déjà  rencontré  bien  des  résistances  à  l'accomplissement  de 
sa  mission.  Elle  en  avait  rencontré  de  toutes  sortes  :  à  Domremy,  à  Vau- 
couleurs,  à  Chinon,  à  Poitiers.  Elle  avait  triomphé  alors,  sans  persuader 
encore.  Comme  on  l'avait  laissée  aller  à. Chinon,  on  l'envoya  à  Orléans  : 
mais  la  défiance  la  suivait.  Si  le  peuple  avait  foi  en  elle ,  les  grands  se 
servaient  d'elle  sans  la  croire.  Ils  la  mettaient  devant,  et  décidaient  à  son 
insu,  qu'il  s'agît  de  la  marche  du  convoi  ou  de  l'attaque  des  forteresses 
anglaises  :  il  avait  fallu  qu'elle  commençât  par  leur  faire  en  quelque  sorte 
violence  à  eux-mêmes,  pour  forcer  les  Anglais  dans  leurs  bastilles  et  les 
chasser  d'Orléans.  La  délivrance  d'Orléans,  qui  était  plus  qu'une  victoire, 
avait  imprimé  un  élan  immense  à  tous  les  esprits.  Il  n'y  avait  qu'à  le 
soutenir  et  à  le  suivre  :  on  le  laisse  retomber,  et  Jeanne  doit  lutter  encore 
et  contre  l'inertie  et  contre  la  malveillance.  Elle  demandait  le  voyage  de 
Reims  :  on  lui  offre  une  campagne  sur  la  Loire.  Elle  accepte,  comme  en 
attendant  :  et  l'on  a  vu  avec  quelle  rapidité  elle  la  termine.  Le  ii  juin, 
elle  attaque  Jargeau,  et  le  prend  le  i  2  ;  le  i3  elle  est  à  Orléans,  où  elle 
rallie  ses  troupes;  le  i5  elle  occupe  le  pont  de  Meun;  le  lô  elle  attaque 
Baugency,  qui  se  rend  le  17.  Les  Anglais,  partis  pour  secourir  Jargeau, 
arrivent  à  Meun  le  jour  même  où  Baugency  capitule  ;  ils  n'arrivent  que 
pour  faire  retraite,  mais  non  si  vite  qu'ils  ne  soient  rejoints  et  battus  le  18 
à  Patay.  Une  semaine  a  tout  achevé.  • 

L'épreuve  est  donc  complète.  Jeanne  a  prouvé  sa  mission  et  dans  les 
sièges  et  dans  les  batailles.  Ce  n'est  plus  seulement  le  peuple,  ce  sont  les 
soldats,  ce  sont  les  capitaines  et  tous  les  seigneurs  qui  croient  en  elle  et  ne 
demandent  qu'à  la  suivre.  Eux  qui,  au  siège  d'Orléans,  montraient  encore 
tant  de  défiance,  n'avaient  plus,  dans  la  dernière  campagne,  rien  fait  que 
par  sa  direction.  Mais  c'était  ce  qui  effrayait  ceux  qui,  dans  le  plus  intime 
des  conseils  du  roi,  l'avaient  toujours  sourdement  combattue  ,  et  notam- 
ment le  favori  la  Trémouille.  Sa  puissance  était  fondée  sur  l'inertie  du 
prince  et  sur  son  isolement.  Elle  était  fort  compromise,  si  le  roi  voulait 
agir  enfin,  s'il  s'entourait  des  princes  du  sang,  de  toute  la  noblesse  :  car  il 
trouvait  nécessairement  en  eux,   dans  cette  voie,  une  concurrence  fatale 


REIMS. 


à  son  crédit.  Or,  Jeanne,  qui  venait  d'imprimer  ce  grand  mouvement, 
devait  en  cela  lui  être  suspecte  à  plus  d'un  titre.  Elle  avait  salué,  dans  le 
jeune  duc  d'Alençon,  l'un  des  soutiens  du  trône,  et  illustré  par  le  triomphe 
le  commandement  dont  il    avait  été  revêtu.    Elle   avait,  dans  le  cours  de 


fig.  52.  —  Apres  la  victoire  de  Patay,  Jeanne  et  les  chefs  Je  l'arme-e  française,  re'unis  autour  des  tiuphées 
conquis,  remercient  Dieu.  —  Bas-relief  de  M.  Foyatier,  à  Paris,  xix*^  siècle. 


cette  rapide  campagne,  accueilli  le  connétable  :  elle  lui  avait  promis  de 
faire  sa  pai,\  avec  le  roi  ;  elle  y  avait  engagé  le  duc  d'Alençon  et  les  princi- 
pau.x  capitaines;  et,  comme  pour  rendre  l'engagement  plus  sacré,  elle 
Tavait  scellé  de  la  commune  victoire.  Elle  allait  donc  ramener  à  la  cour 
un  homme  qui  n'y  pouvait  paraître  sans  que  la  Trémouille,  si  considé- 
rable qu'il  lut  par  ses  grands  biens,  rentrât  sous  terre.  La  Trémouille,  sans 


JEANNE  D'ARC. 


aller  de  front  contre  un  mouvement  qui  Peut  emporté,  fit  en  sorte  que  le 
roi  ne  s'}'  abandonnât  que  le  moins  possible,  et  sut  ainsi,  en  l'y  suivant 
lui-même  avec  prudence,  gagner  le  jour  où,  l'entraînement  ayant  perdu  de 
sa  lorce,  il  fût  possible  de  l'en  retirer.  C'est  le  triomphe  de  sa  politique  et 
le  malheur  de  la  France. 


LE    SACRE. 

La  Pucelle  était  revenue  le  dimanche  matin  (iq  juin)  de  Patay  à  Orléans, 
et  les  habitants,  joyeux  et  fiers  d'un  succès  qui  couronnait  et  consacrait  leur 
délivrance,  ne  doutaient  point  que  le  roi  n'y  vînt  lui-même  :  c'était  montrer 
l'importance  qu'il  attachait  à  leur  ville  et  l'estime  qu'il  faisait  de  leur  dé- 
vouement. Mais  laisser  aller  le  roi  à  cette  armée  tout  enivrée  de  sa  victoire, 
au  sein  d'une  ville  qui  était  comme  le  monument  du  triomphe  de  la  Pucelle, 
c'était  l'exposer  à  la  contagion  de  l'enthousiasme  populaire  ;  et  le  favori 
sentait  bien  qu'elle  ne  gagnerait  pas  le  prince  à  son  profit.  Le  roiresta  donc 
à  Sully-sur-Loire,  domaine  de  la  Trémouillc,  et  les  habitants  d'Orléans, 
qui  s'étaient  mis  en  grande  dépense  pour  le  recevoir  plus  dignement,  ornant 
les  maisons  et  tendant  les  rues,  en  furent,  à  leur  grand  déplaisir,  pour  leurs 
frais  de  décoration. 

Ce  premier  succès  en  promettait  un  autre  à  la  Trémouille.  La  Pucelle , 
n'a\'ant  pas  trouvé  le  roi  à  Orléans,  vint- avec  le  duc  d'Alençon  et  les  sei- 
gneurs à  Sully,  pour  accomplir  auprès  de  lui  l'engagement  pris  à  l'égard  de 
Richemont  :  ils  le  suppliaient  de  pardonner  à  un  homme  qui  avait  eu  sa  part 
aux  derniers  succès,  et  qui  venait  mettre  quinze  cents  combattants  à  son  ser- 
vice. Le  roi  lui  pardonna;  mais  il  refusa  absolument  de  l'admettre  au 
voyage  de  Reims  «  pour  l'amour  du  seigneur  de  la  Trémouille;  ce  dont 
la  Pucelle  fut  très-déplaisante;  et  si  furent  plusieurs  grands  seigneurs..., 
mais  toutefois  n'en  osoient  parler,  parce  qu'ils  voyoient  que  le  roi  faisoit,  de 
tout,  ce  qu'il  plaisoit  à  celui  seigneur  de  la  Trémouille.  »  Le  voyage  même 
lui  plaisait  peu,  et  il  s'eflVayait  de  ce  grand  rassemblement  d'hommes  qui 
ne  demandaient  rien  que  de  servir  à  leurs  dépens  sous  la  Pucelle,  mais  qui 
ne  pouvaient  pas   longtemps  servir  ainsi  le   roi  sans  péril  pour  le  favori  ; 


JEANNE    DaRC,    III.    —     1 1> 


JEANNE  D'ARC. 


c'est  ce  qu'atteste  Jean  Chartier  :  «  Et  parlemoyend'icelle  Jehanne  la  Pu- 
celle  venoient  tant  de  gens  de  toutes  parts  devers  le  roi  pour  le  servir  à 
leurs  dépens,  qu'on  disoit  qu'icelui  de  la  Trimolle  et  autres  du  conseil 
étoient  bien  courroucés  que  tant  y  en  venoit,  pour  le  doubte  (crainte)  de 
leurs  personnes.  Et  disoient  plusieurs  que  si  ledit  sire  de  la  Trimolle  et 
autres  du  conseil  du  roi  eussent  voulu  recueillir  tous  ceux  qui  venoient  au 
service  du  roi,  ils  eussent  pu  légèrement  recouvrer  tout  ce  que  les  Anglois 
tenoient  au  roj'aume  de  France.  » 

Cependant  le  voyage  de  Reims  fut  résolu  :  et  le  roi  vint  à  Saint-Benoît- 
sur-Loire,  près  Châteauneuf,  où  les  capitaines  furent  réunis  en  conseil.  La 
Pucelle  était  l'àme  de  tout  ce  qui  tendait  à  ce  but  :  et  le  roi  se  montrait 
touché  de  la  peine  qu'elle  se  donnait  -,  il  lui  commanda  même,  en  cette  ren- 
contre, de  prendre  du  repos.  Mais  ce  qui  peinait  la  Pucelle,  c'étaient  ces 
hésitations  et  ces  retards  :  elle  se  mit  à  pleurer,  et  dit  au  roi  qu'il  ne  doutât 
point,  et  qu'il  recouvrerait  son  roj'aume  et  serait  bientôt  couronné. 

Il  fut  décidé  que  les  troupes  d'Orléans  viendraient  à  Gien,  où  le  roi  se 
rendrait  lui-même  avec  tous  ceux  qui  le  devaient  accompagner.  Jeanne  re- 
vint donc  à  Orléans  pour  tout  préparer,  et,  le  vendredi  matin  24,  elle  fit 
donner  le  signal  du  départ.  On  fut  à  Gien  le  jour  même  -,  et,  dès  le  len- 
demain, elle  adressait  une  lettre  aux  habitants  de  Tournay,  cette  brave  et 
royale  ville  qui,  au  milieu  des  provinces  de  la  maison  de  Bourgogne,  restait 
attachée  à  la  France  et  à  son  roi.  Elle  leur  annonçait  les  succès  remportés 
en  huit  jours  sur  les  Anglais,  leurs  villes  de  la  Loire  conquises,  leur  armée 
battue  et  dispersée,  leurs  chefs  tués  ou  pris;  et  elle  les  invitait  au  sacre  du 
roi,  les  priant  de  se  tenir  prêts  à  venir  au-devant  de  lui  quand  ils  auraient 
nouvelle  de  son  approche. 

Mais  les  choses  étaient  moins  avancées  qu'elle  ne  l'avait  cru.  C'étaient 
chaque  jour  encore  de  nouveaux  conseils.  Quelques-uns  des  princes  du  sang 
royal,  dit  Dunois,  et  d'autres  capitaines  remettaient  même  en  question  le 
vovage  de  Reims,  proposant  une  entreprise  plus  hardie  :  il  s'agissait  d'aller 
au  cœur  de  la  puissance  anglaise,  non  à  Reims,  mais  à  Rouen.  D'autres 
admettaient  le  voyage  de  Reims  en  principe  ;  mais,  sous  prétexte  de  lui 
donner  plus  de  siàreté  ou  plus  d'éclat,  ils  ne  cherchaient  qu'à  le  faire  ajour- 
ner. On  attendait  la  reine,  que  Ion  voulait  faire  couronner  avec  le  roi,  et,  en 


REIMS.  123 


l'attendant,   on  proposait  aux  capitaines  quelques  petites  entreprises  qui 
étaient  comme  à  la  portée  de  la  main.  Les  Anglais  avaient  généralement 
abandonné  leurs  forteresses  de  la  Beauce;  mais,  par  eux-mêmes  ou  par  les 
Bourguignons,  ils  en  gardaient  encore  plusieurs  sur  la  Loire  :  Marchénoir, 
Bonny,  Cosne  et  la  Charité.  Ne  pouvait-on  les  en  déloger  d'abord?  C'était 
même  déjà  chose  commencée.  Le  26,  Louis  de  Culan  prenait  Bonny;  ceux. 
de  Marchénoir  offraient  de  se  rendre,  à  la  nouvelle  que  Richemont,  demeuré 
à  Baugency,  les  voulait  attaquer;  Cosne  et  la  Charité  refusaient  de  capi- 
tuler :  mais  serait-il  si  difficile  de  les  prendre?  Cependant,  encore  fallait-il 
les  aller  prendre  l'une  après  l'autre;  et  aller  prendre  Cosne  et  la  Charité, 
c'était  ramener  le  roi  à   Bourges.   Jeanne  le  voulait  mener  à  Reims.  Elle 
sentait  que  ce  temps  perdu  à  de  petites  choses,  quand  on  en  pouvait  faire 
de  grandes,  n'était  bon  qu'cà  rendre  même  les  petites  plus  difficiles  :  ainsi 
ceux  de  Marchénoir  qui  avaient  donné  des  otages  et  obtenu  dix  jours  pour 
emporter  leurs  biens,   apprenant   la  conduite  du  roi   envers  Richemont, 
usèrent  du  délai  pour  saisir  quelques  otages  à  leur  tour  et  garder  la  place. 
—  LaPucellene  voulait  plus  admettre  aucune  cause  nouvelle  de  retard;  et, 
voyant  où  l'on  cherchait  à  l'entraîner,  elle  quitta  la  ville  dès  le  27,  et  alla 
se  loger  aux  champs.  Agir  sans  elle,  c'était  tout  perdre.  On  se  rendit.  Par 
un  reste  de  crainte  sur  les  hasards  du  voyage,  la  reine,  arrivée  à  Gien,  fut 
renvoyée  à  Bourges;  Cosne  et  la  Charité  furent  laissées  là,  et  le  29  juin, 
jour  de  la  Saint- Pierre,  on  partit  pour  Reims. 

Le  roi  emmenait  dans  cette  expédition,  avec  la  Pucelle,  leducd'Alehçon, 
les  comtes  de  Clermont,  de  Vendôme  et  de  Boulogne,  le  bâtard  d'Orléans, 
le  maréchal  de  Boussac  (Sainte-Sévère),  l'amiral  Louis  de  Culan,  les  sei- 
gneur de  Rais,  de  Laval,  de  Lohéac,  de  Chauvigny,  la  Hire,  Poton  de 
Xaintrailles,  la  Trémouille  et  plusieurs  autres,  avec  environ  douze  mille 
combattants.  Il  prit  d'abord  le  chemin  de  Montargis,  et  Ton  put  croire  qu'il 
marcherait  sur  Sens  ;  mais  il  se  tourna  vers  Auxerre.  Les  habitants,  sans  se 
déclarer  contre  lui,  auraient  voulu  ne  se  point  compromettre  à  l'égard  des 
Anglais.  Ils  envoyèrent  donc  une  députation  au  roi  pour  tâcher  d'accom- 
moder ses  vues  à  leur  politique.  Jeanne  voulait  qu'ils  se  rendissent  ou 
qu'on  les  prît  :  un  acte  de  vigueur  au  début  ne  pouvait  qu'aplanir  les  diffi- 
cultés de  la  route.  Mais  Jeanne  ne  commandait  plus  ici  :  elle  ne  pouvait 


JEANNE   D'ARC. 


qu'agir  auprès  du  roi  ;  et  près  du  roi  était  la  Tréniouille,  gouverneur  en 
titre  de  la  ville,  et  qui,  loin  de  s'en  faire  ouvrir  les  portes,  se  laissa  gagner, 
dit-on,  mo_yennant  deux  mille  écus  d'or,  à  la  résolution  de  les  tenir  fermées 
à  Charles  VII.  On  accorda  aux  habitants  la  trêve  qu'ils  demandaient,  au 
grand  mécontentement  de  la  Pucelle  et  des  capitaines.  Ils  promettaient 
de  faire  ce  que  feraient  ceux  de  Troyes ,  de  Chillons  et  de  Reims.  La  seule 
chose  qu'ils  concédassent  pour  le  moment  aux  gens  du  roi,  ce  fut  de  leur 
donner,  à  prix  d'argent,  des  vivres,  dont  on  avait  négligé  de  se  pourvoir. 

Après  trois  jours  passés  devant  Auxerre,  on  alla  à  Saint-Florentin,  qui 
se  rendit  de  bonne  grâce,  et,  chemin  faisant,  on  se  préparait  la  voie  par  des 
messages.  Dj  Brinon-l' Archevêque,  le  roi  écrivit  à  Reims  (le  4  juillet)  , 
mandant  aux  habitants  les  choses  qui  venaient  de  s'accomplir  à  Orléans,  à 
Jargeau,  à  Baugency,  etc.,  «  plus  par  grâce  divine  que  œuvre  humaine;  » 
il  leur  annonçait  son  voyage,  et  les  invitait  à  le  recevoir  comme  ils  avaient 
coutume  de  faire  ses  prédécesseurs,  sans  rien  craindre  du  passé,  «  assurés 
d'être  traités  par  lui  en  bons  et  loyaux  sujets.  »  Le  même  jour,  comme  on 
était  à  Saint-Phal,  à  quelques  lieues  de  Troyes,  la  Pucelle,  à  son  tour,  en- 
voya aux  habitants  de  cette  ville  un  message  qui  les  invitait  à  se  soumettre, 
ne  leur  laissant  d'autre  alternative  que  d'être  forcés.  Mais  il  y  avait  à  Troyes 
une  garnison  de  cinq  à  six  cents  Anglais  et  Bourguignons  qui  gouvernaient 
les  résolutions  de  la  bourgeoisie.  Au  lieu  de  répondre  au  roi,  ils  écrivirent 
à  Reims  pour  qu'on  leur  vînt  en  aide  et  qu'on  demandât  des  secours  au 
régent. 

Le  5,  à  neuf  heures  du  matin,  l'armée  royale  était  devant  leurs  murs,  et 
elle  s'y  établit  malgré  une  sortie  de  la  garnison,  qui  fut  repoussée.  Le  roi 
reprit  les  négociations,  espérant  amener  les  habitants  à  une  soumission  vo- 
lontaire. On  prit  ses  lettres  des  mains  du  héraut,  sans  le  laisser  entrer  dans 
la  ville;  on  les  lut  au  conseil,  et  on  y  répondit  que  les  habitants  avaient 
juré  au  duc  de  Bourgogne  de  ne  recevoir  en  leur  ville,  sans  son  ordre  ex- 
près, aucune  force  capable  de  leur  faire  la  loi.  Ils  ajoutaient,  pour  s'excuser 
eux-mêmes,  qu'ils  avaient  actuellement  chez  eux  une  multitude  de  gens  de 
guerre  auxquels  ils  n'étaient  pas  en  état  de  résister;  et  ils  ne  le  prouvaient 
que  trop  par  de  nouvelles  lettres  aux  habitants  de  Reims,  où  ils  parlaient  de 
ces  messages,  des  réponses  qu'ils  y  avaient  faites,  des  dispositions  qu'ils 


REIMS. 


125 


avaient  prises,  et  de  leur  résolution  de  combattre  jusqu'à  la  mort.  Ils  leur 
parlaient  aussi  de  la  Pucelle,  une  Cocqiiardc,  comme  ils  l'appelaient  :  ils 
certifiaient  que  c'était  une  folle  pleine  du  diable;  que  sa  lettre  n'avait  ni  rime 
ni  raison,  ajoutant  qu'après  s'en  être  bien  moqués,  ils  l'avaient  jetée  au  feu 
sans  daigner  y  répondre. 

La  Pucelle  n'avait  point  laissé  de  faire  de  nouveaux  efforts  pour  les  ra- 
mener au  roi.  Il  y  avait  alors  à  Troyes  un  moine  augustin,  d'autres  disent 
cordelier,  qui  avait  fait  grand  bruit  en  ce  temps-là.  Frère  Richard  (c'était 


Fig.  5+  — La  ville  Je '1  rnycs  tarJ.im  a  so  lenLirc,  on  ^  n_c  i  t  i  lt\(.i  1<-  s  e.  M  k  iiuil  Mnt  dire  au 
roi  ;  n  Gentil  royde  France,  si  vous  voulez  cy  demeurer  devant  votie  ville  de  Troyes  elle  sera  en  votre 
obéissance  avant  deui  jours,  soit  par  force  ou  par  amour;  et  n'en  faites  nul  doute.  •  —  Ms.  fr.,  n"  5o54, 
daté  de  1484,  à  la  biblioth.  nationale. 


son  nom",  après  avoir  visité  les  saints  lieux,  était  allé  à  Paris,  au  commen- 
cement d'avril  1429,  et  y  avait  prêché  avec  un  succès  extraordinaire  :  il 
parlait  cinq  à  six  heures  de  suite,  et  ne  comptait  pas  moins  de  cinq  ou  six 
mille  personnes  à  ses  sermons.  Les  Anglais  avaient  fini  par  prendre  om- 
brage-de  ce  concours.  Il  était  donc  sorti  brusquement  de  Paris,  avait  par- 
couru la  Bourgogne  et  la  Champagne.  Il  se  trouvait  à  Troyes,  quand  vinrent 
le  roi  et  la  Pucelle.  Ayant  ouï  ce  qu'on  disait  d'elle,  il  la  voulut  voir,  mais 
craignant  un  peu  qu'elle  ne  fût  ce  que  disaient  les  habitants  de  Troyes,  il 
s'approcha  avec  défiance,  faisant  des  signes  de  croix  et  jetant  de  l'eau  bé- 
nite. —  «  Approchez  hardiment,  lui  dit  la  Pucelle,  je  ne  m'envolerai  pas.  » 


JEANNE  D'ARC. 


Et,  après  l'avoir  rassuré,  elle  le  chargea  de  nouvelles  lettres  pour  la  ville 
assiégée.  Mais  elles  n'eurent  pas  plus  de  succès. 

On  était  là  depuis  cinq  jours,  attendant  que  la  ville  se  rendît.  Elle  n'en 
faisait  rien,  et  l'on  se  cro\'ait  si  peu  en  état  de  l'y  contraindre  qu'on  ne  son- 
geait plus,  dans  le  camp  de  Charles,  qu'à  lever  le  siège.  L'armée  royale, 
partie  sans  provisions,  commençait  à  sentir  la  famine.  On  tint  conseil,  et 
l'archevêque  de  Reims,  aussi  peu  pressé  de  rentrer  dans  sa  cathédrale  que 
d'y  mener  le  roi,  démontra  fort  pertinemment  qu'on  ne  pouvait  demeurer 
devant  Troyes  davantage. 

Jeanne,  apprenant  qu'on  délibérait,  vint  frapper  à  la  porte.  On  la  fit 
entrer,  et  le  chancelier  lui  exposa  ses  raisons  ;  Jeanne,  se  tournant  vers  le 
roi ,   lui  demanda  s'il  la  voudrait  croire. 

«  Parlez,  dit  le  prince,  et,  si  vous  dites  chose  profitable  et  raisonnable, 
volontiers  on  vous  croira. 

«  —  Me  croirez- vous  ?  répéta  Jeanne. 

c(  —  Oui,  selon  ce  que  vous  direz. 

«  — Gentil  roi  de  France,  dit-elle,  si  vous  voulez  cy  demeurer  devant 
votre  ville  de  Troyes,  elle  sera  en  votre  obéissance  dedans  (avant)  deux 
jours,  soit  par  force  ou  par  amour;  et  n'en  faites  nul  doute. 

«  —  Jeanne,  reprit  le  chancelier,  qui  seroit  certain  de  l'avoir  dedans  six 
jours,  on  l'attendroit  bien.  Mais  dites-vous  vrai?  » 

Elle  dit  derechef  qu'elle  n'en  faisait  nul  doute;  et  l'on  se  résolut  à  at- 
tendre. 

Jeanne  monta  achevai,  et,  sa  bannière  à  la  main,  elle  s'en  vint  dans  le 
camp,  et  ordonna  de  tout  préparer  pour  l'assaut.  Chevaliers,  écuyers,  tous 
se  mirent  en  besogne,  rivalisant  de  zèle  à  porter  des  fagots,  des  ais  de  portes, 
des  tables,  des  fenêtres  et  autres  choses  propres  à  couvrir  les  approches  de 
la  place  et  à  favoriser  l'établissement  des  batteries.  Elle-même  avait  dressé 
sa  tente  près  du  fossé,  et  faisait ,  au  témoignage  d'un  homme  qui  s'}' con- 
naissait ,  plus  que  n'eussent  pu  faire  deux  des  plus  habiles  et  des  plus  fa- 
meux capitaines.  Le  lendemain  matin  ,  tout  était  prêt ,  et  déjà  la  Pucelle 
faisait  jeter  les  fascines  dans  les  fossés  et  criait  «  A  l'assaut  !  »  quand 
l'évêque  et  les  principaux  de  la  bourgeoisie  et  des  gens  d'armes  vinrent  de- 
mander à  capituler. 


REIMS. 


127 


Fig.  55.  —  «  Comment  ceux  de  Troyes  se  réduisirent  au  roy.  »  —  Ms.    fr.,    n°  5o54, 
daté  de  i-|'S4,  à  la  biblioth.  nationale. 

Dès  la  veille, quand  on  la  vit  à  l'œuvre,  une  grande  fermentation  s'était 
manifestée  parmi  le  peuple.    Les  habitants  de  Troyes   ne  subissaient  pas 


Fig.  56. Il  CcininiLiii  Lciix  Je  Châlons vinrent  au-devant  duroy.  »  —  AK.  l'r.,  n"  3o?|, 

daté  de  1484,  à  la  biblioth.  nationale. 


sans  murmure,  on  le  peut  croire,  cette  faction  étrangère  qui   les  dominait , 
et  ils  n'étaient  pas  d'avis  de  se  mettre,  eux  et  leurs  biens,  en  péril  pour  elle. 


JEANNE  D'ARC. 


Quand  le  matin  ils  virent  l'assaut  tout  prêt,  ils  résolurent  de  le  prévenir. 
L'évèque  (Jean  Laiguisé),  natif  de  Troyes  et  puissant  dans  la  ville,  se  pro- 
nonça un  des  premiers.  On  s'entendit  sans  peine  sur  les  conditions. 
Charles  VII  n'avait  d'autre  intérêt  que  de  s'attacher  et  d'attirer  à  lui,  par 
des  ménagements,  les  villes  qui  voudraient  se  rendre.  Il  donna  donc  aux 
habitants  toute  garantie  pour  les  personnes  et  pour  les  biens,  accordant  aux 
troupes  étrangères  la  permission  de  s'en  aller  avec  ce  qu'elles  possédaient. 

Le  lendemain,  dimanche  lo  juillet,  le  roi  entra  dans  Troyes  en  grande 
pompe  avec  tous  les  seigneurs  et  capitaines  ,  et  la  Pucelle  auprès  de  lui , 
portant  son  étendard.  La  garnison  sortit  librement,  selon  la  convention; 
mais,  comme  plusieurs,  en  vertu  de  l'article  qui  leur  laissait  leurs  biens, 
emmenaient  leurs  prisonniers,  Jeanne  ne  le  voulut  point  souffrir.  «  Elle  se 
tint  à  la  porte  en  disant  que,  en  nom  Dieu,  ils  ne  les  emmèneraient  pas;  et 
de  fait  les  garda.  «  Le  roi,  pour  mettre  d'accord  la  lettre  du  traité  avec  ces 
justes  résistances,  les  racheta  de  leurs  maîtres,  argent  comptant. 

La  soumission  de  Tro3'es  décida  celle  de  Châlons  :  avant  d'arriver  aux 
portes  delà  ville,  Charles  VII  rencontra  l'évêque  et  un  grand  nombre  de 
bourgeois  qui  se  venaient  mettre  en  son  obéissance.  Jeanne  eut  à  Châlons 
une  grande  consolation.  Elle  y  vit  des  gens  de  Domremy  :  Jean  Morel,  à 
qui  elle  donna  un  habit  rouge  qu'elle  avait  porté;  Gérardin  ,  d'Epinal,  qui 
sans  doute  n'était  plus  bourguignon,  car  elle  lui  dit  qu'elle  ne  craignait 
qu'une  chose  :  les  traîtres.  Ce  fut,  au  milieu  de  sa  marche  triomphante, 
comme  une  apparition  des  lieux  de  son  enfance.  Si  peu  de  mois  et  tant  de 
prodiges  s'étaient  accomplis  depuis  qu'elle  les  avait  quittés  !  —  Elle  n'y 
demeura  qu'un  jour.  Le  roi  logea  la  nuit  dans  la  ville  avec  son  armée,  et  le 
lendemain  partit  pour  Reims. 

Comment  les  Anglais,  qui  le  savaient  en  route,  ne  s'étaient-ils  pas  mis  en 
mesure  d'y  être  avant  lui?  Charles  avait  tout  à  conquérir  sur  le  chemin,  et 
pour  eux  tout  leur  était  soumis,  y  compris  la  ville  elle-même.  —  C'est  que 
déjà  ils  n'étaient  plus  autant  les  maîtres  en  France  qu'on  le  pouvait  croire, 
et  Bedford  était  bien  forcé  de  se  le  dire,  la  rage  dans  le  cœur.  Quand  il 
avait  vu,  au  moment  où  il  se  croyait  siàr  de  la  victoire,  toutes  ses  espéran- 
ces confondues  :  ses  bastilles  enlevées,  ses  troupes  battues  en  rase  campagne, 
les  garnisons  capitulant  et  l'esprit  des  soldats,  naguère  si  fier,  complètement 


REIMS. 


129 


abattu  ,  il  n'avait  pu  croire  que  ce  fût  là  l'œuvre  d'une  simple  jeune  fille.  Il 
y  reconnaissait  quelque  chose  de  surnaturel,  et  n'hésitait  point  à  le  rapporter 
au  démon  :  il  le  déclare  dans  une  lettre,  où  il  confesse  en  même  temps  et 
l'importance  des  pertes  éprouvées  par  ses  gens,  et  la  démoralisation  de  ceux 
qui  restent.  A  la  nouvelle  de  la  délivrance  d'Orléans,  lui-même  avait  quitté 
précipitamment  Paris  pour  se  retirer  à  Vincennes,  craignant  que  le  contre- 
coup de  la  défaite  n'e.xcitât  un  mouvement  populaire.  Il  avait  eu  de  la  peine 
à  former  l'armée  qui,  venue  pour  secourir  les  villes  de  la  Loire,  se  fit  battre 
à  Pata3'  ;  et  depuis  cette  défaite,  qu'il  vengea  par  la  dégradation  fort  immé- 
ritée de  P'alstolf,  les  difficultés  étaient  bien  plus  grandes  encore. 

L'Ile-de-France  et  le  voisinage  lui  faisant  défaut ,  il  s'était  tourné  vers 


Fig.  57.  —  Le  château  de  Vincennes.  D'après  une  gravure  du  dix-septième  siècle.  —  A  la  nouvelle  de  la 
délivrance  d'Orléans,  Bedford  avait  quitté  précipitamment  Paris  pour  se  retirer  à  Vincennes,  craignant 
que  le  contre-coup  de  la  défaite  n'excitât  un  mouvement  populaire. 


l'Angleterre  et  vers  le  duc  de  Bourgogne.  Leparlement  anglais  commençait 
à  se  lasser  d'une  guerre  qui  savait  si  peu  pourvoir  à  ses  propres  besoins, 
même  en  pays  de  conquête.  Bedford  crut  faire  mieux  en  s'adressant  direc- 
tement au  cardinal  de  Winchester.  Le  cardinal,  après  tous  les  soucis  qu'il 
avait  donnés  au  régent  du  côté  de  l'Angleterre,  lui  promettait  un  secours  in- 
espéré dans  sa  détresse.  Pour  se  débarrasser  de  lui,  on  l'avait  mis  à  la  tête 
d'une  croisade  contre  les  hussites,  et  il  s'était  recruté  une  armée  des  deniers 
de  l'Église.  Or,  il  n'était  point  parti  encore  ;  et  Bedfort,  tirant  profit  de  ces 
retards,  l'avait  décidé  à  mettre  provisoirement  cette  armée  au  service  du  roi 
en  France  iV''  juillet  ;.  Quelles  meilleures  troupes  diriger  contre  celle  qu'il 
appelait  un  limier  de  l'enfer,  et  à  quoi  pouvait-on  mieux  gagner  les  indul- 
gences de  la  croisade  ?  D'autre  part,  il  avait  pressé  le  duc  de  Bourgogne  de 
venir  à  Paris  :  il  lui  avait  envoyé  à   Hesdin,  de  concert  avec  les  gens  de 


D  >RC.  ni.  — 


JEANNE    D'ARC. 


Paris,  une  solennelle  ambassade  :  un  évèque,  deux  notables  docteurs,  plu- 
sieurs des  plus  puissants  bourgeois  ;  et  le  duc  s'étant  rendu  à  cette  invitation 
,  lo  juillet),  on  ne  négligea  rien  pour  réchauffer  sa  haine  contre  le  prince  qui 
s'était  souillé  du  meurtre  de  son  père  :  sermon  à  Notre-Dame,  assemblée 
solennelle  au  palais,  où  on  relut  le  traité  conclu  entre  Jean  sans  Peur  et  le 
dauphin,  pour  raconter  ensuite  le  meurtre  qui  le  déchira.  Le  succès  fut 
complet.  Le  duc  renouvela  sa  plainte  contre  Charles;  et  toute  l'assemblée,  le 
serment  de  fidélité  aux  actes  du  traité  de  Troyes.  Tout  se  réparait  donc,  ce 
semble;  mais  il  fallait  du  temps  encore  pour  entrer  en  action  ,  et  Bedford  , 
en  ce  moment,  ne  pouvait  combattre  la  marche  du  roi  vers  Reims  que  par 
des  messages  adressés  à  la  ville. 

Les  habitants  de  Reims  ne  lui  demandaient  d'ailleurs  aucun  renfort  :  ils 
inclinaient  secrètement  pour  le  roi  ;  mais  ils  craignaient,  en  laissant  percer 
leurs  sentiments,  d'affaiblir  la  confiance  qu'on  avait  en  eux,  et  de  se  faire 
envoyer  quelque  grosse  garnison  qui  les  gênât  dans  leurs  résolutions  posté- 
rieures et  les  ruinât,  en  attendant,  sous  prétexte  de  les  défendre.  Ils  pre- 
naient donc  toutes  les  mesures  nécessaires  pour  rassurer  les  Anglais  en  se 
réservant  de  se  garder  eux-mêmes,  et  les  extraits  des  délibérations  de  leur 
conseil,  du  mois  de  mai  au  mois  de  juillet,  depuis  la  bataille  de  Patay  jus- 
qu'à la  veille  du  sacre,  en  offrent  des  traces  curieuses. 

Les  Anglais  attendaient-ils  beaucoup  du  concours  de  la  ville  pour  arrêter 
la  marche  du  roi  ?  Peut-être  ne  semblaient-ils  y  croire  que  parce  qu'ils 
n'étaient  point  en  mesure  de  s'en  passer  encore.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  avis 
arrivaient  de  toutes  parts  à  Reims,  comme  au  centre,  de  la  résistance  à  l'en- 
treprise de  Charles  VIL  Le  duc  de  Bourgogne,  Guillaume  de  Chàtillon , 
capitaine  de  Reims,  alors  absent,  Jean  de  Chàtillon,  son  frère,  envoyaient 
des  messages  aux  habitants  pour  leur  donner  les  nouvelles  qui  les  pouvaient 
raffermir  et  aussi  pour  atténuer  celles  qui  les  devaient  ébranler.  C'était  ce  que 
faisait,  en  dernier  lieu,  Jean  de  Chàtillon,  cherchant  à  expliquer  à  sa  ma- 
nière la  soumission  de  Troyes. 

Vains  efforts!  les  habitants  de  Reims  recevaient  en  même  temps  une 
nouvelle  lettre  de  ceux  de  Troyes,  puis  une  autre  écrite  de  Troyes  par  leur 
archevêque,  dont  le  rang  auprès  du  roi  était  pour  eux,  au  besoin,  une  ga- 
rantie des  sentiments  que  le  roi  lui-mêmeleuravait  exprimés.  Après  Troyes, 


l32 


JEANNE  D'ARC. 


c'était  Châlons  qui  se  rendait  et  pressait  Reims  d'imiter  son  exemple  (  1 6  juil- 
let); et  le  roi ,  arrivant  en  même  temps  que  la  lettre,  s'arrêtait  à  Septsault, 
à  quatre  lieues  de  Reims,  n'attendant  plus  que  la  députation  des  habitants. 
Cette  démarche  ne  se  fit  pas  longtemps  attendre.  Guillaume  de  Châtillon , 
voyant  que  les  événements  se  précipitaient ,  s'était  rendu  à  Reims  avec  les 
seigneurs  deSaveuseetde  Lisle-Adam.  Il  avoua  aux  habitants  que  l'armée 
dont  on  leur  avait  tant  parlé  ne  serait  prête  que  dans  cinq  ou  six  semaines  : 
il  les  priait  de  tenir  jusque-là  ,  promettant  qu'ils  recevraient  alors  du  secours. 
Mais  ceux   de  Reims  avaient  si  peu  envie  d'en  recevoir,   qu'ils  n'avaient 


Fig.  59.  —  »  Comment  ceulx  de  Reims    ouvrirent    les  portes   au  roy,  et  après  fut   sacré  et  couronne'.  > 
iMs.  fr.,  n°  5034,  daté  de  14S4,  à  la  biblioth.  nat. 


même  pas  voulu  laisser  entrer  dans  leurs  murs  les  hommes  que  Châtillon  , 
Saveuse  et  Lisle-Adam  avaient  amenés  en  grand  nombre  à  leur  suite.  Les 
trois  seigneurs  se  retirèrent;  et  ils  n'étaient  pas  encore  bien  loin,  que  les 
notables,  tenant  conseil,  envoyèrent,  du  consentement  de  tous,  des  députés 
au  roi.  Le  roi  les  reçut,  leur  assura  par  lettres  pleine  amnistie,  et  le  même 
jour  fit  son  entrée  dans  la  ville  (i()  juillet). 

L'archevêque  Regnault  de  Chartres ,  qui  l'y  avait  précédé  dès  le  matin  , 
vint  à  sa  rencontre  à  la  tête  des  corporations  et  de  la  bourgeoisie;  et  le  peu- 
ple faisait  entendre  autour  de  lui  le  joyeux  cri  de  A'oi'l  :  mais  tous  les  re- 
gards étaient  pour  la  Pucelle,  qui  suivait  le  prince  avec  l'armée.  Le  reste 


REIMS. 


i33 


du  jour  et  toute  !a  nuit  furent  employés  aux  préparatifs  du  sacre,  qui  eut 
lieu  le  lendemain  dimanche,  17  juillet.  Les  maréchaux  de  Boussac  et  de 


Fig.  60.  —  Reliquaire  de  la  sainte  ampoule  pour  le  sacre  Jes  rois  de  France,  tel  qu'il  était  avant  ijo?, 
dans  réslise  Saint-Remi,  ù  Reims.  D'après  les  Eglises  Je  Reims,  par  Tarbé,  in-4°,  1S43. —  La  samte  fiole 
était  portée  par  une  colombe  d'or,  au  bec  et  aux  pieds  de  corail,  fixée  sur  un  plateau  de  vermeil  riche- 
ment ciselé  et  orné  de  pierreries.  Une  chaîne  d'argent  permettait  au  grand  prieur  de  suspendre  à  son 
cou  le  reliquaire,  lorsqu'il  le  portait  aux  cérémoniesdu  sacre.  Ses  dirnensions  étaient  de  16  centimètres 
de  large  sur  19  de  hauteur.  Ce  reliquaire  fut  brisé  solennellement  à  Reims,  au  mois  d'octobre  lyyl', 
et  les  débris  envoyés  à  la  Convention  nationale,  qui  les  partagea  entre  le  Trésor  et  la  Monnaie. 


Rais  (Rais  fut  fait  maréchal  ce  jour-là;,  le  sire  de  Graville,  grand  maître 
des  arbalétriers,  et  le  sire  de  Culan,  amiral  de  France,  allèrent  à  cheval, 
bannière  au  vent,  chercher  à  Saint-Remyla  sainte  ampoule,  qu'ils  jurèrent, 


JEANNE  D'ARC. 


Kig.  6i.  —  Jeanne,  portant  sa  bannière,  assiste  au  sacre  de  Charles  VII,  dans  la  cathe'drale  de  Reims.  Elle 
est  accompagnée  de  d'Aulon,  son  écuyer,  de  Jean  Pasquerel,  son  confesseur,  religieux  augustin,  de  ses 
pages  Louis  de  Contes,  etc.  —  Tableau  de  Ingres,  au  musée  du  Louvre,  xix*^  siècle. 


selon  le  cérémonial,  de  conduire  et  de  ramener  sijrement;  et  sous  leur 
escorte,  Tabbé,  revêtu  de  ses  habits  pontificaux,  la  porta  solennellement 
jusque  devant  l'église  de  Saint-Denis,  où  l'archevêque,  à  la  tête  du  chapitre, 
la   prit  de  ses    mains  pour  la  déposer  sur  le  grand  autel  de  Notre-Dame. 


fi?    0-'    -  La  cathédrale  dL  Reims   ou  eut  heu  le  bdLrc  lu  ro.    Monument  du   xiii=  siècle  -  I  a  façade, 
renommée  entre  les  plus  belles,  est  couverte  de  tout  un  peuple  de  statues. 


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JFANNE    d'.ARC.    III.   —    l8 


i38  JEANNE  D'ARC. 


Au  pied  de  Tautel  était  le  roi.  Selon  l'antique  usage,  il  devait  être  en- 
touré des  douze  pairs  du  royaume.  Comme  on  ne  pouvait  ni  les  réunir  ni 
les  attendre,  les  principaux  seigneurs  et  les  évèques  présents  tenaient  la 
place  des  absents  :  comme  pairs  laïques,  le  duc  d'Alençon  pour  le  duc  de 
Bourgogne  ,  l'allié  des  Anglais  -,  les  comtes  de  Clermont  et  de  \'endôme,  les 
sires  de  Laval,  de  la  Trémouille  et  de  Beaumanoir;  comme  pairs  ecclésias- 
tiques, l'archevêque  de  Reims,  Tévêque  de  Laon  et  l'évêque  de  Chalons  ,  en 
vertu  de  leur  titre;  les  évcques  de  Séez ,  d'Orléans,  et  un  sixième  au  nom 
des  autres  titulaires.  L'archevêque  de  Reims  officiait;  le  sire  d'Albret  tenait 
l'épée  devant  le  roi.  Mais  il  y  avait  encore  un  personnage  que  l'antique  cé- 
rémonial ne  prévovait  pas  :  c'était  la  Pucelle  ,  debout  aux  côtés  du  roi ,  son 
étendard  à  la  main.  Après  la  cérémonie ,  quand  le  prince  ,  fait  chevalier  par 
le  duc  d'Alençon,  eut  reçu  de  l'archevêque  l'onction  sacrée  et  la  couronne, 
la  Pucelle,  se  jetant  à  ses  pieds,  lui  embrassa  les  genoux  ,  et,  pleurant  à 
chaudes  larmes  :  «.  Gentil  roi,  dit-elle,  ores  est  exécuté  le  plaisir  de  Dieu, 
qui  vouloit  que  vinssiez  à  Reims  recevoir  votre  digne  sacre  ,  en  montrant 
que  vous  êtes  vrai  roi  et  celui  auquel  le  royaume  doit  appartenir.  »  Elle 
pleurait ,  et  les  seigneurs  qui  étaient  là  pleuraient  avec  elle. 

I.  A  prcEi.i.ir. 

C'était  le  roi,  c'étaient  les  seigneurs  et  le  peuple  ,  que  ,  par  ces  paroles, 
Jeanne  prenait  à  témoin  de  la  vérité  de  sa  mission  :  et  qui  d'entre  eux  la 
pouvait  mettre  en  doute?  Orléans  délivré  en  quatre  jours  de  combat;  les 
Anglais,  en  moins  d'une  semaine,  chassés  de  leurs  principales  positions 
sur  la  Loire  et  battus  en  rase  campagne  dans  leur  retraite;  le  roi ,  mené  à 
Reims  avec  une  armée  dépourvue  de  tout,  à  travers  un  pays  occupé  par 
l'ennemi ,  entrant  dans  les  villes  et  atteignant  le  but  de  son  vo3'age  sans  coup 
férir  :  voilà  ce  qu'elle  avait  fait;  et  sa  façon  d'agir  n'était  pas  moins  surpre- 
nante que  les  résultats  obtenus.  Dans  la  première  campagne,  elle  avait 
montré  non-seulement  l'inspiration  qui  enlève  le  succès,  mais  l'habileté  qui 
le  prépare,  étonnant  les  plus  vieux  capitaines  par  une  connaissance  de  la 
guerre  que  l'on  ne  pouvait  attendre  ni  de  son  sexe  ni  de  son  âge.  Et  dans 


JEANNE  D'ARC. 


était  le  roi.  Selon  1 
is  du  royaume.  <^''"^' 
ncipaux  seîgneu 
,ti  ;   comme  pair- 
;llié  des  .Vn^lai^ 
-  de  laTrér 
rchevèquede  R 
.     „-  leur  titre-  :  Ic^  ■' 
des  autres  titu'  : 


iJcvait  eue  en- 

ni  les  réunir  ni 

tenaient  la 

:r  le  duc  de 

\  cndûme,  les 

pairs  ecclésias- 

Chaions  ,en 

lie  au  nom 

'"Tct  tenait 

le  cé- 

.  ■  ■  , - --    -  -'  i^tin 

lain.  Après  la  cérémonie,  quand  le  pt  ,  .  v aller  par 

le  duc  d'Alençon,  eut  reçu  de  l'archevêque  l'onction  sacicc  et  la  couronne, 
la  Pucelle,  se  ictnnt  à  -c^  nieds.  lui  embrassa  les  genoux,  et,  pleurant  à 
chaudes  larme  .s  est  exécuté  le  plaisir  de  Dieu, 

c]ui  "trant 

K!Ie 


C'était  le  roi ,  c'étaient  le?  seigneurs  et  le  peuple ,  que ,  par  ces  parolies. 


Jeanne  prenait  à  téi 


Reinii   .- 

l'ennemi , 

férir  :  voilà  ce 

nante  que  les 

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le  prépare,  étonnai 

guerre  que  l'on  ne  pouvait  au 


\  érité  de  sa  mission  :  et  qui  d'entre  eux  la 

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i 


140  JEANNE  D'ARC. 


cette  nouvelle  entreprise ,  où  Ton  avait  affaire  moins  aux  Anglais  qu'à  des 
enfants  égarés  de  la  France,  elle  avait  su  prendre  les  villes  sans  qu'une 
seule  goutte  de  ce  sang  français,  qui  lui  était  si  cher,  fût  répandue. 

Mais  ce  qui  commandait  surtout  la  foi  en  sa  mission ,  c'est  qu'elle  l'affir- 
mait. Elle  se  plaisait  à  dire  que  son  œuvre  n'était  que  ministère,  c'est-à-dire 
qu'elle  ne  faisait,  humble  servante,  que  ce  qui  lui  était  commandé;  et 
quand  on  lui  disait  que  jamais  en  aucun  livre  on  n'avait  lu  choses  sem- 
blables, elle  répondait  :  «  Mcssire  a  un  livre  oi!i  nul  clerc  n'a  jamais  lu,  si 
parfait  qu'il  soit  en  cléricature.  »  C'est  donc  à  Dieu  qu'elle  en  rapportait 
le  principe;  et  quand  elle  l'affirmait,  comment  ne  l'en  pas  croire  ?  Tout  en 
elle  était  d'une  sainte.  Sa  piété,  sa  ferveur  sont  attestées  à  toutes  les  époques 
de  sa  vie.  Il  ne  lui  suffisait  pas  d'accomplir  ses  devoirs  de  bonne  chré- 
tienne :  elle  le  faisait  avec  un  zèle  à  en  chercher  les  occasions  parmi  les 
empêchements  de  toute  sorte,  où  l'on  pouvait  voir  qu'ils  n'étaient  pas 
seulement  pour  elle  une  obligation  de  conscience,  mais  une  joie  de  l'âme. 
Souvent,  à  la  messe,  pendant  l'élévation  ou  quand  elle  communiait,  ou 
bien  encore  lorsqu'elle  était  en  prière,  on  la  voyait  verser  des  larmes.  Elle 
se  plaisait  au  son  des  cloches,  simple  et  religieuse  harmonie  qui  n'est  point 
seulement  un  appel  à  la  prière,  mais  comme  une  voix  de  la  terre  au  ciel. 
Elle  se  plaisait  aux  chants  consacrés,  et  chaque  jour,  à  l'heure  du  crépus- 
cule, pendant  que  les  cloches  sonnaient ,  elle  se  retirait  dans  les  églises,  et, 
rassemblant  les  religieux  mendiants  qui  suivaient  l'armée  du  roi,  elle  leur 
faisait  chanter  quelqu'une  des  hymnes  de  la  Vierge.  Elle  aimait  surtout  les 
petits  et  les  simples,  et  cherchait  à  se  confondre  parmi  eux  pour  approcher 
de  Celui  qui  a  dit  :  Lais.sez  venir  à  moi  les  petits  enfants.  «  Quand  elle  se 
trouvait,  dit  Pasquerel ,  dans  un  endroit  où  il  y  avait  des  couvents  de 
moines  mendiants,  elle  me  disait  de  lui  remettre  en  mémoire  les  jours  où 
les  petits  enfants  des  mendiants  recevaient  la  communion,  afin  que,  ce 
jour-là,  elle  la  reçût  avec  eux  :  ce  qu'elle  fit  bien  des  fois.  » 

Ce  n'était  point  assez  pour  elle  que  de  rendre  honneur  à  Dieu  :  elle  eut 
voulu  qu'il  fut  honoré  de  tout  le  monde;  elle  voulait  que  les  soldats  fussent 
comme  elle  dans  la  grâce  de  Celui  en  qui  elle  cherchait  sa  force.  On  a  vu 
à  quel  titre  elle  admettait  les  troupes  autour  de  sa  bannière,  quelles 
conditions  elle  réclamait  pour  l'assaut  ou  pour  la  bataille    :  elle   fit  que 


REIMS.  141 

« 

la  Ilire  se  confessât.  Ce  n'était  pas,  sans  doute,  chose  bien  rare  en  ce 
temps,  mais,  ce  qui  était  bien  plus  commun  alors  comme  aujourd'hui, 
c'étaient  les  jurons,  les  blasphèmes,  cette  déplorable  habitude  qui  fait 
qu'on  renie  Dieu  et  qu'on  se  damne  soi-même  comme  sans  y  penser. 
Jeanne  ne  se  lassait  pas  de  la  combattre  auprès  des  seigneurs  comme  auprès 
des  soldats  :  't  Ah  !  maître  ,  disait-elle  à  un  des  principaux  chevaliers  qu'elle 
entendait  jurer  ainsi,  osez-vous  bien  ainsi  renier  notre  Sire  et  notre  Maître  ? 
En  nom  Dieu,  vous  vous  en  dédierez  avant  que  je  parte  d'ici.  »  Et  le  che- 
valier se  repentit  et  se  corrigea.  Elle  reprenait  les  ducs,  les  princes  comme 
les  autres.  On  n'osait  plus  jurer  en  sa  présence,  et  le  duc  d'Alençon  déclare 
que  sa  vue  seule  le  contenait.  Mais  c'est  l'habitude  même  qu'elle  eût  voulu 
déraciner  de  leurs  cœurs-,  et,  ne  la  pouvant  détruire,  elle  cherchait  à  la 
transformer  en  proposant  à  cet  instinct,  devenu  machinal,  une  manière 
inoffensive  de  se  produire.  Elle  avait  décidé  la  Hire  à  ne  plus  jurer  que 
par  son  bâton,  et  elle-même,  comme  pour  tâcher  d'en  mettre  l'usage  à  la 
mode,  elle  avait,  si  l'on  en  croit  Perceval  de  Cagny,  famihèrement  adopté 
cette  expression  :  Par  mon  martin  (par  mon  bâton)! 

Sa  chasteté,  sa  pudeur,  ne  pouvaient  jamais  mieux  se  montrer  que  dans 
cette  vie  toute  militaire.  On  s'étonnait  de  la  voir  à  cheval  si  longtemps 
comme  étrangère  aux  nécessités  qui  l'auraient  pu  forcer  d'en  descendre. 
Quand  elle  le  pouvait,  elle  allait  passer  la  nuit  chez  l'hôte  le  mieux  famé 
de  la  ville  ou  du  voisinage,  et  partageait  son  lit  avec  quelqu'une  des  filles 
de  la  maison.  Quand  elle  ne  le  pouvait  pas,  elle  couchait,  comme  les 
autres,  à  la  paillade ,  mais  toute  vêtue  et  renfermée  dans  ses  habits 
d'homme.  C'était  peu  que  d'être  chaste  et  pure  :  elle  inspirait  la  chasteté 
aux  autres.  D'Aulon,  son  écuyer,  qui  la  voyait  plus  familièrement  que 
personne,  quand  il  l'armait,  quand  il  dut  panser  ses  blessures;  Alençon, 
qui  l'avait  près  de  lui  dans  toute  la  campagne  de  la  Loire;  Dunois,  qui 
la  suivit  presque  partout,  s'accordent  à  dire,  comme  les  deux  braves 
soldats  sous  la  garde  desquels  elle  vint  de  Vaucouleurs,  que  jamais  sa  vue 
n'éveilla  en  eux  aucune  pensée  dont  elle  eut  pu  rougir.  Il  est  inutile  de  dire 
qu'elle  ne  pouvait  souffrir  la  présence  de  ces  femmes  qui  se  mêlaient  aux 
armées,  à  la  honte  de  leur  sexe.  Plusieurs  fois,  elle  ordonna  qu'elles  fussent 
toutes  renvovées.  Aucune  n'eût  osé  se  montrer  devant  elle,  et  elle  ne  tolé- 


JEANNE   D'ARC. 


rait  pas  davantage  qu'une  fille  suivît  son  amant,  fût-il  chevalier,  à  moins 
de  se  marier.  Un  jour  elle  en  poursuivit  une,  l'épée  levée,  mais  sans  la 
frapper  pourtant,  et  en  Tavertissant  avec  douceur  de  ne  plus  se  trouver 
dans  la  société  des  hommes  d'armes,  ou  qu'elle  lui  ferait  déplaisir.  Une 
autre  fois  elle  fit  plus  :  elle  brisa  son  épée  sur  le  dos  de  l'une  d'elles,  l'épée 
de  sainte  Catherine  !  Le  roi  en  fut  fâché  pour  l'épée,  et  lui  dit  qu'elle  aurait 
mieux  fait  de  prendre  un  bon  bâton.  Mais  elle  tenait  plus  à  Thonneur  de 
son  sexe  qu'à  Fépée  de  sainte  Catherine. 

Si  elle  voulait  rappeler  le  soldat  aux  devoirs  du  chrétien,  elle  tâchait, 
à  plus  forte  raison,  de  le  soustraire  à  ces  habitudes  de  pillage  et  de  meurtre 
qui  trouvent  dans  la  vie  des  camps  trop  d'occasions  de  se  satisfaire.  Elle 
avait  horreur  du  sang  versé.  C'était  pour  ne  tuer  personne  qu'elle  portait  à 
la  main  son  étendard  dans  les  batailles.  Elle  n'imposait  pas  cette  loi  aux 
siens,  sans  doute,  mais  elle  condamnait  tout  ce  que  la  nécessité  ne  com- 
mandait pas.  Vn  jour,  un  Français  ayant  frappé  à  la  tcte  et  blessé  griève- 
ment un  des  Anglais  prisonniers  qu'il  avait  sous  sa  garde ,  Jeanne  descendit 
de  cheval,  soutint  le  blessé  par  la  tète,  et  lui  fit  donner  les  secours  de  la 
religion  tout  en  lui  prodiguant  les  siens.  Quant  au  pillage,  cette  cause  de 
violences  et  quelquefois  de -meurtres,  elle  ne  le  tolérait  pas  plus  volontiers. 
Elle  ne  répondait  de  la  victoire  qu'à  la  condition  qu'on  ne  prendrait  rien 
à  personne  et  qu'on  ne  ferait  aucune  violence  aux  pauvres  gens.  Pour  sa 
part ,  même  quand  on  manquait  de  vivres ,  elle  refusait  de  prendre  rien  de 
ce  qui  avait  été  enlevé.  Sa  bonté  était  extrême  et  s'étendait  à  toutes  les 
misères.  E]le  faisait  volontiers  l'aumône;  elle  donnait  aux  autres  pour 
qu'ils  la  fissent  aussi  ;  elle  disait  qu'elle  était  envoyée  pour  la  consolation 
des  indigents  et  des  pauvres.  Quant  aux  blessés,  qui  étaient  plus  spéciale- 
ment confiés  à  sa  sollicitude,  elle  avait  les  mêmes  soins  pour  tous,  qu'ils 
fussent  Anglais  ou  Français.  Et  avec  tout  cela,  elle  était  si  simple,  que  sa 
bonté  faisait  oublier  sa  grandeur,  et  qu'un  des  témoins  du  procès  déclare 
nai'vement  qu'il  voudrait  avoir  une  aussi  bonne  fille. 

Cette  simplicité,  cette  innocence,  cette  douceur  qui  se  gardaient  inalté- 
rables jusque  dans  les  troubles  de  la  vie  des  camps,  rendaient  plus  éton- 
nantes encore  les  grandes  qualités  qu'elle  montrait  dans  la  conduite  des 
armées.  Ses  compagnons  admiraient  en  elle,  non-seulement  le  courage  du 


KKIMS. 


■43 


chevalier  ou  le  coup  d'œil  du  grand  capitaine,  mais  une  science  et  comme 
une  habitude  de  ht  guerre  que  le  temps  semble  seul  pouvoir  donner.  Le 
duc  d'Alençon,  qui,  dans  la  campagne  de  la  Loire,  commandait  à  côté 
d'elle,  et  on  peut  dire  sous  elle,  n'hésite  point  à  constater,  par  le  récit  des 
faits,  et  à  reconnaître  expressément,  par  ses  paroles,  cette  supériorité  dont 
tout  le  monde  s'étonnait  :  «  Fin  toutes  choses,  dit-il,  hors  du  fait  de  la 
guerre,  elle  était  simple  et  comme  une  jeune  fille;  mais,  au  fait  de  la 
guerre,  elle  était  fort  habile,  soit  à  porter  la  lance,  soit  à  rassembler  une 


Fig.  65.  —  Comment  la   Puceiie  b.ittit  deux  tilles   mauvaises,  et  rompit  sur  leur  Jos  son   épé 
de  sainte  Catherine.  —  Ms.  fr.,  n"  5nJ-|,  daté  de  i  |S|,  à  la  bilioth.  nat. 


armée,  à  ordonner  les  batailles  ou  à  disposer  l'artillerie.  Et  tous  s'éton- 
naient de  lui  voir  déplo\'er  dans  la  guerre  l'habileté  et  la  prévoyance  d'un 
capitaine  exercé  par  une  pratique  de  vingt  ou  trente  ans.  Mais  on  l'admirait 
surtout  dans  l'emploi  de  l'artillerie,  oii  elle  avait  une  habileté  consommée  » 
Ce  n'est  point  là  le  propre  d'une  mystique,  et  la  SHij-He  frunçaisL',  comme 
l'appelait  un  clerc  allemand  dans  un  écrit  de  ce  temps-là  (juillet-sep- 
tembre 1429),  ne  ressemblait  guère  à  toutes  celles  qu'il  énumère  en  tête 
de  son  livre  pour  la  rattacher  à  des  antécédents.  Jeanne,  dont  on  voudrait 
faire  une  visionnaire,  à  cause  de  ses  visions,  était  loin,  quelque  pieuse 
qu'elle  fût,   d'être   absorbée  dans  les  paisibles  contemplations  de  l'extase. 


Fig.  66.  -  Jeanne  ayant  demandé  au  Conseil  de  la  ville  de  Tours  qu'il  donnât  cent  écus  pour  trousseau  de  mariage  à  la  fille 

(lustrait  de  l'un  des  anciens  registres  conservés 

o-.^Y*^  -^  t^--*vv>5^  rS^i?*  A*M^«^;:G^>^l^;^^y/   S-Hwwtfé  -^CUSy  «.^H^yr— 

/VW^»--    d^  ^-«^Y^  o-V^-     5«4J^     c*>vv-     ^kQ/lASOv-    St^CvvvO^    ^Ooft^O.^  «»»**Mr.«« 

ce-  "V]^*»*— ^c-  su--0^  ^^^'**?^  T>o*^-  û«^A*v-  ^'pu+«*^ïvj-wc—  SikiSkv*.*-  *v<i^  «k^  ^-yv»*^  ^t^^ 
c^^Sy^  .   Qi^b«;:«r  *»-^yvy>v^  «A<5A.6îiJC-  «*-w..»--povv>  (X-av^*w>^*v«^-  â>St.8i^  ^l2a<— 

'Jc-r^ûe-    <5;0ay-  (Z,    -ptv^^  CLy)P   ^-<ir:iLy^    /  o  ^-   S^-xyx- 'y^'t^^'  y^^Cl,  ii^jx»^'- 
Aft7»*v^"'^«*t)»v^     .S>û.^  VSSec-  ,j^.,vO-,  *«JvQe*«^eé~/  r^v^^wvf-  rp6*^  Ûvvw<K*v-  o^-^..^ 

•â.-^^*^  ^jcv^-cvCOo  '^♦v— «-Ç  «-CVV*  S^^^  Q(s^  v£yak<^  j^-^ov»v- V?»>vwtH*^  «jzw^^laii^ 

o^SchÇ  qv^«u*    Qkv5o^  -»vov.*vvs,^    âc-fi*^^2»cY>S^»«9c^^^«^AfiA^/^ 

SvMoc^  -^ôx^  Cî>l>w^  a^^  8t*^v^v«^^*vy^cu>x*0  Qrpa^  S-^v«-/W 


du  peintre  Hcnncs  Poluoir,  qui  avait  décoré  son  étendard,  le  Conseil  prit  la  résolution  rapportée  dans  la  pièce  suivante, 
à  la  mairie  de  Tours.)  —  Voir  page  146. 


Pour  la  fiUc  Hernies. 

Lecture.  —  Le  yw  jour  de  février,  l'an  m  iiii«  xxix.  au  lieu  de  la  Massequière,  présens  Jehan  Godeau, 
lieutenant,  etc..  et  Guion  Farineau,  juge  de  Touraine ,  se  sont  assemble^  les  esleuj  :  Maistre  Pierre  l'Er- 
mite, officiai  de  Tours  ,  pour  Mgr  l'arcevesque  ;  maistre  Jehan  Chevrier,  chanoine  et  arcepresbtre  de  l'église 
de  Tours ,  pour  ladicte  église  ;  maistre  Jehan  des  Landes ,  dit  Boucandry,  pour  chappitre  de  Monseigneur 
Saint  Martin;  Jehan  de  Brion  ,  Macé  de  la  Bretonnière,  Pierre  Briçonnet ,  Jehan  Besaintre ,  Guillaume  de 
Montbason ,  Jehan  Laillier,  Colas  de  Montbason,  Jehan  Hervieu,  Jean  Peslieu,  Roulet  Berthelot ,  Gillet 
de  Brion,  Guillaume  de  Montbason  et  autres. 

Par  les  quclx  a  esté  délibéré  que  à  la  fille  de  Hennés  Poluoir,  paintre.  qui  de  nouvel  est  mariée,  pour 
l'onneur  de  Jehannc  la pucelle .  venue  en  ce  royaume  devers  le  roy  pour  le  fait  de  sa  guerre,  disant  à  hti 
avoir  esté  envoyée  de  par  le  roy  du  Ciel  contre  les  Anglais  ennemis  de  ce  royaume  :  la  quelle  a  rescript  à  la 
ville  que.  pour  le  mariage  de  ladicte  fille ,  icelle  ville  lui  paie  la  somme  de  cent  escu^  :  que,  de  ce,  riens  ne 
lui  sera  paie  ne  baillé,  pour  ce  que  les  deniers  de  ladicte  ville  convient  emploier  es  réparacions  de  ladicte 
ville  et  non  ailleurs.  Mais,  pour  l'amcmr  et  honneur  de  ladicte  Pucelle,  iceul.v gens  d'église,  bourgeois  et 
habitants  feront  honneur  à  ladicte  fille  à  sa  bénédiction  ,  qui  sera  juedi  prouchain;  et  d'icelle  feront  prier 
ou  nom  de  ladicte  ville  .•  et  pour  faire  ladicte  prière  aux  hommes  notables  d'icelle  ville  ,  est  ordonné  Michau 
Hardouin ,  notaire  de  ladicte  ville.  Et  à  icelle  fille  sera  donné  du  pain  et  du  vin  le  jour  de  saJicte  béné- 
diction: c'est  assavoir,  le  pain  d'ung  sextier  de  froment ,  et  quatre  jalayes  de  vin. 

Pour  la   fille  Hennés. 

Traduction.  —  Le  septième  jour  de  février  142g,  au  lieu  delà  Massequière,  présens  Jehan  Godeau, 
lieutenant,  etc.,  et  Guion  Farineau,  juge  de  Touraine  ,  se  sont  assemblés  les  élus  :  maître  Pierre  l'Ermite , 
officiai  de  Tours ,  pour  Msi"  l'archevêque  ;  maître  Jean  Chevrier,  chanoine  et  archiprêtre  de  l'église  de  Tours, 
pour  ladite  église;  maître  Jean  des  Landes,  dit  Boucandry,  pour  le  chapitre  de  Ms^  saint  Martin;  Jean  de 
Brion,  Macé  de  la  Bretonnière,  Pierre  Briçonnet,  Jean  Besaintre,  Guillaume  de  Montbazon  ,  Jean  Her- 
vieu, Jean  Peslieu,  Roulet  Berthelot,  Gillet  de  Brion  ,  Guillaume  de  Montbason  et  autres. 

Par  lesquels  il  a  été  délibéré  que,  à  la  fille  de  Hennés  Poluoir,  peintre,  qui  est  nouvellement  mariée', 
et  pour  l'honneur  de  Jehanne  la  Pucelle,  venue  en  ce  royaume  vers  le  roi,  pour  l'aider  dans  sa  guerre, 
et  lui  disant  qu'elle  lui  était  envoyée  de  par  le  Roi  du  ciel  contre  les  Anglais,  ennemis  de  ce  royaume. 
Laquelle  Pucelle  a  écrit  à  la  ville  pour  lui  demander  qu'à  l'occasion  du  mariage  de  ladite  fille,  la  ville 
lui  payât  la  somme  de  cent  écus.  Il  est  décidé  que  de  cette  somme  rien  ne  lui  sera  payé  ni  donné,  vu  que 
les  deniers  de  la  ville  doivent  être  employés  aux  réparations  des  murailles  et  non  ailleurs.  Mais  pour 
l'amour  et  en  l'honneur  delà  Pucelle,  eux  tous  gens  d'église,  bourgeois  et  habitants  feront  honneur  à 
ladite  fille  à  sa  bénédiction  nuptiale,  qui  aura  lieu  jeudi  prochain,  et  ils  feront  prier  pour  elle  au  nom  de 
la  ville,  et  pour  faire  dire  ces  prières  aux  gens  notables  de  la  cité  est  désigné  Michel  Hardouin,  notaire 
de  Tours.  Et  de  plus  à  cette  fille  sera  donné  du  pain  et  du  vin  le  jour  de  son  mariage  :  savoir  le  pain 
d'un  septier  de  froment  et  quatre  jalaies  Je  vin. 

'  On  verra  par  la  suite  du  texte  qu  il  faut  entendre  ici  fuince'e.  Les  fiançailles   étaient  l'engagement  réciproque  de  s'épouser. 


D  ABC.   m. 


146  JEANNE   D'ARC. 


C'était,  comme  on  Fa  pu  voir  déjà  par  le  tableau  même  de  ses  premières 
campagnes,  une  nature  pleine  de  vivacité  et  d'entrain,  faisant  pour  sa  part 
métier  de  soldat  et  de  chef  de  troupes ,  et  ne  différant  des  autres  que  par 
ces  illuminations  de  l'esprit  et  ces  vertus  angéliques,  où  l'on  pouvait  voir 
un  rayonnement  de  la  force  qui  l'animait. 

Si  les  résistances  devaient  survivre  au  sacre  en  certain  lieu,  les  hom- 
mages n'avaient  point  attendu  jusque-là  pour  lui  venir  de  toutes  parts.  Les 
chevaliers  abandonnaient  leurs  propres  panonceaux  pour  s'en  faire  faire 
sur  le  modèle  des  siens.  Le  roi  lui  avait  donné  un  état  de  maison  qui  la 
faisait  l'égale  d'un  comte,  ne  voulant  pas  que  personne  dans  l'armée  eût 
lieu  de  mépriser  son  dénùment  ;  et  elle  soutenait  son  rang  parmi  les  sei- 
gneurs sans  vanité  comme  sans  fausse  modestie.  Elle  avait  reçu  des  Orléa- 
nais une  robe  à  la  livrée  du  duc  d'Orléans-,  du  duc  de  Bretagne,  des  com- 
pliments d'abord,  et  à  la  suite  de  la  bataille  de  Patay  une  dague  et  des 
chevaux  de  prix.  Elle  recevait  ces  présents  :  elle  en  faisait  à  son  tour,  et 
même  aux  plus  grandes  dames,  usant  familièrement  de  réciprocité  sans 
prétendre  les  égaler  d'ailleurs,  et  s'excusant  avec  grâce  de  la  modicité  de  ses 
dons.  Mais  elle  aimait, surtout  à  donner,  selon  le  précepte  de  l'Evangile, 
à  ceux  de  qui  elle  n'espérait  rien  recevoir;  et,  pour  cela,  elle  ne  craignait 
pas  de  recourir  à  son  crédit.  Pendant  qu'elle  demeurait  à  Tours,  elle 
avait  pris  en  amitié  la  fille  du  peintre  qui  décora  son  panonceau  et  sa  ban- 
nière. Cette  jeune  fille  se  mariant,  elle  demanda,  par  une  lettre  adressée 
au  conseil  de  Tours,  qu'il  lui  donnât  cent  écus  pour  son  trousseau.  Après 
le  sacre,  ce  qu'elle  demanda  au  roi  et  ce  qu'elle  obtint  pour  prix  de  cette 
couronne  qu'elle  avait  fait  poser  sur  sa  tête,  c'est  qu'il  usât  de  sa  préroga- 
tive pour  exempter  d'impôt  le  village  oij  elle  était  née.  Le  père  de  Jeanne, 
qui  vint  rejoindre  sa  fille  à  Reims,  put  en  rapporter  la  nouvelle  aux  habi- 
tants de  Domremy. 

Si  Jeanne  recevait  des  grands  ces  honneurs,  que  ne  devait-elle  pas 
attendre  du  peuple  ?  «  Et  l'appeloient  ly  aulcuns  du  commun  de  France  , 
l'Angélisque-,  et  en  faisoient  et  cantoient  (chantaient)  plusieurs  canchons 
(chansons"),  fables  et  bourdes,  moult  merveilleuses,  «  dit  le  haineux  auteur 
d'une  chronique  bourguignonne.  C'était  comme  une  adoration,  et  elle  ne 
savait  comment  s'en  défendre.  On  se  jetait  aux  pieds  de  son  cheval;  on 


REIMS.  14- 

baisait  ses  mains  et  ses  pieds  ;  et  Taccusation  ,  qui  plus  tard  devait  recueillir 
précieusement  les  moindres  traits  de  ces  hommages  populaires  pour  les 
faire  tourner  à  sa  perte,  constate  que  l'on  portait  des  médailles  à  son  effigie , 
qu'on  plaçait  son  image  dans  les  églises,  et  qu'on  la  mentionnait  dans  les 
prières  de  la  messe.  Jeanne  ne  demandait  pas  mieux  que  de  savoir  qu'on 
priât  pour  elle;  mais  son  bon  sens  la  mettait  en  garde  contre  l'enivrement 
de  ces  honneurs-,  et,  quand  les  docteurs  lui  disaient  qu'elle  faisait  mal  de 
les  souftrir,  qu'elle  entraînerait  les  peuples  à  l'idolâtrie,  elle  répondait  avec 
simplicité  :  «  En  vérité,  je  ne  m'en  saurais  garder,  si  Dieu  ne  m'en  gardait 
lui-même.  » 

La  foi  en  elle,  l'enthousiasme  était  donc  général,  et  il  yen  a,  dans  le  temps 


Fig.  67.  —  Mc-Jaille  représentant  d'un  côté  le  Père  éternel,  de  l'autre  les  armoiries  octroyées  par  le  roi  à  la 
Pucelle  et  à  sa  famille.  D'après  la  Notice  sur  des  plombs  historiés  trouvés  dans  la  Seine,  par  M.  Arthur 
Forgeais.  —  Le  procès  de  Rouen  constate  que  l'on  portait  des  médailles  à  l'effigie  de  la  Pucelle,  qu'on 
plaçait  son  image  dans  les  églises,  et  qu'on  la  mentionnait  dans  les  prières  de  la  messe. 

même,  des  témoignages  de  diverses  sortes.  Le  comte  d'Armagnac  lui  écri- 
vait pour  savoir  à  quel  pape  il  fallait  se  soumettre  (août  i.pg);  Bonne 
Visconti,  pourqu'elle  la  rétablit  dans  le  duché  de  Milan;  et  sa  lettre  portait 
cette  suscription  :  «  A  très-honorée  et  très-dévote  Pucelle  Jeanne ,  envoyée 
du  Roi  des  cieux  pour  la  réparation  et  extirpation  des  Anglois  tyrannisans 
la  France.  «  Christine  de  Pisan  ,  presque  septuagénaire  ,  sentait  se  ranimer 
en  elle  un  reste  d'inspiration  pour  chanter  celle  qui  avait  conduit  son 
peuple  comme  Josué,  qui  l'avait  sauvé  comme  Gédéon,  qui  avait  surpassé 
en  prodiges  Esther,  Judith  et  Débora.  «  Et  sachez,  s'écrie-t-elle, 

<i  Et  sachez  que  par  elle  Anglois 
«  Seront  mis  jus  (à  bas)  sans  relever, 
«  Car  Dieu  le  veult.  >> 

Et  déjà  elle  vo3'ait  non-seulement  Paris  ouvrant  ses  portes  à  Charles  VII 


Fig.  68.  —  Collecte  inlroJuite  dans  l'office  de  la  messe  en  faveur  de  la  Pucelle.  Ms.  fr..  n"73oi,à  la  hiblioth.  nat.  — 
Plustard,  les  juges  de  Rouenalléguèrentcesoraisonscommeungrief  contre  Jeanne  dans  le  procùs  de  condamnation. 


Oratio ,  c/c. 

Lecture.  —  Deiis ,  actor  pacis,  qui  sine  archu  et  sagitta  inimicos  in  te  sperantes  elidis, 
subveni,  quesumus ,  Domine,  ut  nosiraw  prnpitius  thueare  adversitatem ,  ut  [et],  sicut  populum 
tuum  per  manum  femine  Uberasti,  sic  Karolo.  régi  nostro,  brachium  Victoria'  érige  ut  liostes 
qui  in  sua  confidunt  multitudine .  ac  sagittis  et  suis  lanceis  gloriantur,  queat  in  presenti 
superare,  et  tandem  ad  te,  qui  via,  vcrilas  et  vita  es,  una  cum  sibi  commissa  plèbe,  gloriosa 
valeat  permancre.  Per  Dominum  nostrum  Jesum  Christum. 

Explicit  oralio  PuclLv  per  regem  '  Francia-,  etc. 

Oraison,  etc. 

Traduction.  —  Dieu,  auteur  de  la  paix,  qui,  sans  arc  et  sans  flèche,  détruisez  les  ennemis 
qui  espèrent  en  vous,  venez  à  notre  aide,  nous  vous  en  prions,  Seigneur,  et  dans  votre 
bonté  secourez  notre  malheur.  Et  de  même  que  vous  avez  délivré  votre  peuple  par  la  main 
d'une  femme,  de  même  donnez  à  Charles,  notre  roi,  un  bras  victorieux,  afin  qu'il  puisse 
dans  le  présent  vaincre  ses  ennemis ,  qui  se  fient  en  leur  multitude  et  s'enorgueillissent  de 
leurs  flèches  et  de  leurs  lances,  et  qu'il  parvienne  un  jour  glorieusement  près  de  Vous',  qui  êtes 
la  voie,  la  vérité  et  la  vie,  avec  le  peuple  qui  lui  a  été  confié.  Par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

Fin  de  l'oraison  de  la  Pucelle  pour  le  roi  de    France,  etc. 

1  Le  texte  latin  porte  per  regcm,  au  lieu  de  pro  rcge. 

2  Dans  la  traduction  de  ce  passage,  nous  n'avons  pas  suivi  littéralement  le  texte  latin,  qui  porte  par  erreur;  glo- 
riosa valeat  permanere,  au  lieu  de  la  bonne  leçon  :  gloriose  valeat  pcrvcnîre. 


REIMS. 


«49 


et  les  Anglais  chassés  de   France,  mais  TKglise  pacifiée  et  la  terre  sainte 
reconquise. 

Mais  une  plus  franche  poésie  se  développait  dans  les  traditions  qui  s'atta- 
chaient à  sa  personne.  Déjà  la  légende  naissait  pour  elle  à  côté  de  l'histoire, 
et  rimagination  populaire  parait  de  ses  fantaisies  les  prodiges  bien  plus 
sérieux  qu'elle  opérait.  Au  siège  d'Orléans,  les  Anglais  déclaraient  avoir  vu 
deux  prilats  chïminant  en  habits  pontificaux  tout  à  l'entour  des  murailles 


Fig.  69.  —  Jeanne  comparée  à  Judith.  Tiré  du  Champion  des  dames,  œuvre  de  Martin  le  Franc,  ms. 
exécuté  à  .\rrasen  1440;  biblioth.  nat.,  n"  12476  fr.  —  Christine  de  Pisan,  presque  septuagénaire,  chan- 
tait Jeanne,  qui  avait  conduit  son  peuple  comme  Josué,  qui  avait  surpassé  en'prodigesEsther,  JudiUi 
et  Débora. 

de  la  ville;  et  Ton  ne  doutait  pas  que  ce  ne  fussent  les  deux  patrons  de  la 
cité,  saint  Euverte  et  saint  Aignan,  qui  l'avaient  jadis  sauvée  des  mains 
d'Attila.  Au  moment  où  Jeanne  avait  donné  le  signal  du  dernier  assaut , 
une  colombe  avait  paru,  planant  au-dessus  de  son  étendard;  à  Troyes, 
«  une  infinité  de  papillons  blancs  »  voltigeant  à  l'entour;  et  à  la  veille  du 
voyage  de  Reims  on  avait  vu ,  dans  le  Poitou ,  «  des  hommes  armés  de 
toutes  pièces  chevaucher  en  l'air  sur  un  grand  cheval  blanc ,  se  dirigeant 
des  mers  d'Espagne  vers  la  Bretagne  et  criant  aux  populations  etlrayées  : 


i5o  JEANNE   D'ARC. 


(1  Nevousesma3'ez  »  (n'aj^ez  peur).  — C'est  l'Angleterre  qui  devait  trembler. 

Il  était  plus  facile  encore  de  répandre  le  merveilleux  sur  sa  naissance, 
sur  ses  premières  années.  Sa  naissance  avait  été  divinement  présagée.  La 
nuit  qu'elle  vint  au  monde  (c'était  l'Epiphanie),  les  gens  du  peuple  avaient, 
sans  savoir  pourquoi,  senti  en  eu\  une  joie  inexprimable;  ils  couraient  çà 
et  là,  demandant  ce  qu'il  y  avait  de  nouveau;  les  coqs  avaient  fait  entendre 
des  chants  inaccoutumés,  et,  pendant  deux  heures,  on  les  vit  battant  de 
l'aile  comme  en  présage  de  cet  événement.  Son  enfance  n'avait  pas  été 
moins  bénie.  Pendant  qu'elle  gardait  les  brebis,  les  oiseaux  des  champs 
venaient  à  sa  voix  ,  comme  privés,  manger  son  pain  dans  son  giron  ;  jamais 
le  loup  n'approcha  du  troupeau  confié  à  sa  garde ,  ni  l'ennemi  ou  le  mal- 
faiteur, du  toit  paternel,  tant  qu'elle  l'habita.  Quand  elle  eut  sa  première 
révélation,  ses  compagnes  jouant  avec  elle  la  défiaient  à  la  course;  elle 
courait,  ou  plutôt  elle  volait;  ses  pieds  rasaient  le  sol  sans  y  toucher.  — • 
Voilà  ce  qu'on  disait,  voilà  ce  que  recueillait  déjà  Perceval  de  Boulain- 
villiers  dans  une  lettre  écrite  au  duc  de  Milan  le  21  juin  1429,  trois  jours 
après  la  bataille  de  Patay,  et  terminée  pendant  le  voyage  de  Reims.  «  Cette 
Pucelle,  »  ajoutait-il ,  plaçant  auprès  de  ces  fictions  un  portrait  fait  au  natu- 
rel, «est  d'une  rare  élégance,  avec  une  attitude  virile.  Elle  parle  peu  et 
montre  une  merveilleuse  prudence  dans  ses  paroles.  Elle  a  une  voix  douce 
comme  une  femme,  mange  peu,  boit  peu  de  vin;  elle  se  plaît  à  cheval 
sous  une  armure  brillante.  Elle  aime  autant  la  société  des  gens  de  guerre 
et  des  nobles,  qu'elle  aime  peu  les  visites  et  les  conversations  du  grand 
nombre;  elle  a  une  abondance  de  larmes  et  le  visage  serein;  infatigable 
à  la  peine,  et  si  forte  à  porteries  armes,  que,  pendant  six  jours,  elle 
demeure  complètement  armée  jour  et  nuit.  » 

Bien  d'autres  lettres,  sans  doute,  et  il  en  est  resté  plusieurs,  portaient 
au  loin  le  bruit  de  sa  renommée.  Celles  mêmes  qui  laissent  de  côté  le  mer- 
veilleux de  fantaisie  témoignent  de  la  même  foi  en  ses  succès,  en  ses  pré- 
dictions, jusque  dans  les  termes  où  les  exagérait  le  bruit  populaire.  Des 
envoyés  de  quelque  ville  ou  prince  d'Allemagne  qui  donnent  une  curieuse 
et  très-précise  relation  du  siège  d'Orléans  et  de  la  campagne  de  la  Loire, 
y  compris  la  bataille  de  Patay,  et  qui,  par  conséquent,  écrivent  après  le 
18  juin,  disent  que  «  la  Pucelle  a  garanti  qu'avant  que  le  jour  de  la  Saint- 


REIMS. 


Jjan-Baptiste  de  l'an  20  arrive   avant  huit  jours',  il  ne  doit  pas  y  avoir  un 
Anglais,  si  fort  et  si  vaUlant  soit-il,  qui  se  laisse  voir  par  la  France,  soit 


Fig.  70.  —  René  d'Anjou,  duc  de  Lorraine,  comte  de  Provence,  roi  de  Sicile  et  de  Je'rusalem,- qui  vint 
assister  au  sacre  du  roi.  —  D'après  un  diptyque  en  bois,  peint  et  doré,  appartenant  à  M.  Ambroise 
Firmin-Didot.  Ce  portrait  passe  pour  être  tœuvre  de  René  lui-même,  l.e  prince  est  décoré  du  collier 
de  l'ordre  de  Saint-Michel;  ii  tient  à  la  main  les  insignes  de  l'ordre  du  Croissant,  fondé  par  lui  en  144S, 
et  dont  le  nombre  de  petits  bâtons  travaillés  en  forme  de  colonnes  représentait  le  riombre  des  com- 
bats où  le  chevalier  s'était  distingué. 

en  campagne,  soit  en  bataille;  »  et  le  terme  n*a  rien  qui  les  étonne  :  on 
croit  que  rien  ne  lui  peut  résister.  Le  secrétaire  de  la  ville  de  Metz,  qui 
écrit  pendant  le  voyage  de  Reims,  le  i()  juillet,  ne  met  en  doute  aucun  des 


i52  JEANNE   D'ARC. 


bruits  qui  lui  signalent  les  villes  comme  prises  et  comme  près  de  l'être  :  car 
«  tout  ce  que  le  dauphin  et  la  pucelle  entreprennent  leur  réussit  en  tout 
sans  aucune  résistance;  «  et  il  montre  qu'il  y  avait  tout  à  l'entour  autant 
de  répugnance  à  l'aller  combattre  que  d'empressement  à  servir  avec  elle.  Le 
duc  de  Bourgogne  s'était  vu  réduit  à  Tinaction,  les  Flamands  et  les  Picards 
refusant  de  l'aider  hors  de  leur  pays;  et,  au  contraire,  beaucoup  de  che- 
valiers partaient  des  pa\'s  allemands  pour  «  aller  trouver  le  dauphin  à 
Reims.  «  On  l'apprend  par  cette  lettre;  et  l'on  voit,  en  eflet,  Robert  de 
Sarrebruck,  seigneur  ou  damoiseau  de  Commercy,  on  voit  le  duc  de  Bar, 
René  d'Anjou,  héritier  désigné  de  la  Lorraine,  qui  naguère  avait  fait 
hommage  à  Henri  VI,  venir  rejoindre  le  roi,  la  veille  du  sacre. 

On  était  donc  plein  de  confiance  et  d'espoir.  Le  sacre,  loin  d'être  le 
terme  où  l'on  dût  s'arrêter,  ne  se  montrait  que  comme  le  point  de  départ 
de  la  conquête.  La  couronne  que  le  prince  y  recevait  était  le  gage  du 
rovaume  qu'il  avait  à  reprendre,  et  dans  l'armée  et  dans  le  peuple  il  y 
avait  un  élan  immense  pour  l'y  aider.  Comment  ces  espérances  furent-elles 
déçues?  La  mission  de  Jeanne  se  terminait-elle  au  sacre?  et  la  victoire 
a-t-elle  dès  lors  cessé  de  la  suivre,  parce  que  la  force  qui  la  faisait  vaincre 
ne  la  dirigeait  plus?  C'est  une  question  qui  se  pose  d'elle-même,  et  marque 
un  point  d'arrêt  dans  le  récit  au  moment  où  l'on  passe  de  la  période 
triomphante  qui  aboutit  à  Reims  à  celle  qui  a  pour  terme  Rouen. 


■■■■  ^'    "- -^{^^^ -d^-  t'^   ■^'■\'-'jmlkiM 


■  llrira».  XIU-  siixlc. 


IV 


PARIS 


La  Campagne  de  Paris.  —  L'Attaque  de  Paris. 


LA   CAMPAGNE     DE    PARIS. 


uN'ois  raconte  qu'après  le  sacre,  quand 
Charles  VII  traversa  la  Fierté  et  Crespy 
en  Valois,  comme  le  peuple  accourait 
criant  Noël,  Jeanne,  qui  était  à  cheval 
entre  Tarchevêque  de  Reims  et  lui-même, 
dit  :  «  Voilà  un  bon  peuple,  et  je  n'ai 
jamais  vu  peuple  qui  se  réjouît  tant  de 
l'arrivée  d'un  si  noble  prince.  Et  puissé-je 
être  assez  heureuse  pour  finir  mes  jours 
et  être  inhumée  en  cette  terre  !  —  O 
•"•"    ''      '  ''  Jeanne,  lui  dit  l'archevêque,  en  quellieu 

croyez-vous  mourir?  »  Elle  répondit  :  «  Où  il  plaira  à  Dieu,  car  je  ne  suis 
assurée  ni  du  temps  ni  du  lieu  plus  que  vous-même.  Et  que  je  voudrois 
qu'il  plût  à  Dieu,  mon  créateur,  que  je  m'en  retournasse  maintenant, 
quittant  les  armes,  et  que  je  revinsse  servir  mon  père  et  ma  mère  à  garder 
leurs  troupeaux  avec  ma  sœur  et  mes  frères,  qui  seroient  bien  aises  de  me 


Cette  anecdote,  racontée  par  Dunois  lui-même,  et  reproduite  non  sans 


ANNK    d'arc.    III.   — 


i54  JEANNE  D'ARC. 


altération  dans  la  Chronique  de  la  Pucelle  et  dans  le  Journal  du  siège 
d'Orléans,  est  devenue  le  fondement  principal  de  Topinion  qui  marque  au 
sacrç  de  Reims  le  terme  de  la  mission  de  Jeanne  d'Arc.  On  lésa  rapprochées 
de  celles  qu'elle  dit  à  Charles  VII  après  la  cérémonie  :  «  Ores  est  exécuté  le 
plaisir  de  Dieu,  qui  vouloit  que  vinssiez  à  Reims  recevoir  votre  digne  sacre  en 
montrant  que  vous  êtes  vrai  roi.  »  On  a  même  fait  du  tout  une  scène  oij 
Jeanne,  qui  veut  s'en  aller,  cède  aux  instances  qui  la  veulent  retenir;  et  les 
larmes  qu'elle  répand  dans  la  joie  du  triomphe  sont  rapportées  au  pressen- 
timent de  sa  fin  prochaine,  ou  pour  le  moins  à  la  peine  qu'elle  éprouve 
quand  cessant  d'être  l'envoyée  de  Dieu,  elle  se  résigne  à  devenir  l'instru- 
ment de  la  politique  des  hommes. 

Laissons  là  les  fictions  et  revenons  au  fait.  Suivons  Jeanne  dans  la  car- 
rière où  elle  continue  de  marcher;  et  si  l'on  veut  savoir  à  quel  titre  elle  y 
marche,  c'est  elle  seule  qui  le  peut  dire,  c'est  à  ses  déclarations  les  plus  au- 
thentiques que  l'on  doit  le  demander!  Or  il  y  en  a  une  qui  remonte  au  com- 
mencement de  sa  mission,  et  qui  est  contenue  dans  un  document  signé 
d'elle  :  je  veux  parler  de  la  lettre  qu'elle  adressa  aux  Anglais  avant  de  les 
attaquer.  Dans  cette  lettre,  datée  du  22  mars  1429,  elle  leur  dit  expressé- 
ment :  «  Je  suis  cy  venue  de  par  Dieu  le  Roi  du  ciel,  corps  pour  corps, 
pour  vous  bouter  hors  de  toute  F'rance.  »  C'est  ce  qu'elle  avait  dit  à  Vau- 
couleurs,  à  Chinon,  à  Poitiers;  c'est  ce  qu'elle  répéta  aux  diverses  époques 
de  sa  courte  carrière,  si  l'on  s'en  réfère  aux  témoignages  les  plus  autorisés. 
C'est  ce  qu'elle  déclare  encore  dans  son  procès.  Dans  le  dixième  des  70  ar- 
ticles proposés  contre  elle,  on  lit  qu'elle  prétend  «  avoir  eu  par  saint  Michel, 
sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite,  cette  révélation  de  Dieu,  qu'elle 
ferait  lever  le  siège  d'Orléans,  couronner  Charles,  qu'elle  dit  son  roi,  et 
chasserait  tous  ses  adversaires  du  royaume  de  France.  »  Et  l'on  ne  peut  pas 
dire  que  ce  soit  une  allégation  mensongère  de  ses  juges,  invention  dont  on 
les  pourrait  bien  croire  capables,  à  voir  toute  les  faussetés  que  l'accusation 
y  ajoute  pour  entacher  sa  prédiction  de  sortilège  quand  l'événement  la  véri- 
fiait !  Jeanne  en  convient  :  <f  elle  confesse  qu'elle  porta  les  nouvelles  de  par 
Dieu  à  son  roi,  que  notre  Sire  lui  rendroit  son  royaume,  le  feroit  couronner 
à  Reims  et  mettre  hors  ses  adversaires;  »  et  elle  ajoute,  «  qu'elle  disoit  tout 
le  royaume,  et  que  si  monseigneur  le  duc  de  Bourgogne  et  les  autres  sujets 


I 


-^   o 

•f  o 


S   c   I 


i36  JEANNE   D'ARC. 


du  royaume  ne  venoient  en  obéissance,  le  roi  les  y  feroit  venir  par  force.  » 
Elle  confirme  enfin  ses  précédentes  déclarations  sur  ce  sujet,  lorsque  le  2  mai, 
dans  la  séance  dé  Tadmonition  publique,  interrogée  sur  Thabit  d'homme 
qu'elle  portait  toujours,  et  pourquoi  elle  le  portait  sans  nécessité,  par  exemple 
dans  la  prison  (on  verra  si  dans  la  prison  il  lui  fut  inutile),  elle  répondait  : 
«  Quand  j'aurai  fait  ce  pour  quoi  je  suis  envoyée  de  par  Dieu,  je  prendrai 
habit  de  femme.  »  Même  dans  sa  prison  de  Rouen,  et  à  la  veille  de  monter 
au  bûcher,  elle  ne  croyait  donc  pas  sa  mission  terminée;  elle  ne  le  pouvait 
pas  croire  tant  qu'elle  vivait,  et  qu'il  y  avait  un  Anglais  en  France. 

Est-ce  à  dire  que  Jeanne  dut  faire  tout  cela  par  elle-même  sous  peine  de 
voir  ses  révélations  démenties  et  sa  mission  reniée?  Non  assurément.  Elle 
disait  qu'elle  était  envo3'ée  pour  le  faire,  mais  non  qu'elle  le  ferait  en  tout 
état  de  cause.  Et  Gerson,  le  lendemain  de  la  délivrance  d'Orléans,  tout  en 
proclamant  le  caractère  divin  de  sa  mission  ,  en  avait  averti  :  «  Que  le  parti 
qui  a  juste  cause  prenne  garde  de  rendre  inutile  par  incrédulité,  ingratitude 
ou  autres  injustices,  le  secours  divin  qui  s'est  manifesté  si  miraculeusement, 
comme  nous  lisons  qu'il  arriva  à  Moïse  et  aux  enfants  d'Israël:  car  Dieu, 
sans  changer  de  conseil,  change  l'arrêt  selon  les  mérites.  »  Pour  atteindre 
avec  elle  au  but  qu'elle  proposait,  il  fallait  qu'on  récoutàt.  Et  les  choses 
qu'elle  avait  annoncées  au  roi  finirent  après  tout  par  s'accomplir.  Seguin,  un 
de  ceux  qui  l'entendirent  à  Poitiers,  constate,  à  l'honneur  de  Jeanne,  qu'on 
les  a  vues  réalisées. 

Le  rôle  de  Jeanne  n'était  donc  point  terminé  à  Reims,  et  si  le  succès  ne 
répond  plus  à  ses  efforts,  ce  n'est  point  que  la  grâce  de  sa  mission  lui  fasse 
défaut.  Serait-ce  qu'elle-même  a  manqué  à  sa  mission?  C'est  ce  que  l'histoire 
va  nous  montrer. 

Quand  on  reprend  la  série  des  faits,  une  réflexion  vient  ajouter  une  nou- 
velle force  aux  conclusions  que  nous  avons  tirées  des  témoignages  :  c'est 
que  si  Jeanne,  après  le  sacre,  avait  songé  à  retourner  dans  sa  famille,  ce 
n'est  pas  la  politique  de  Charles  VII  qui  l'en  eût  empêchée  :  car  cette  poli- 
tique était  toujours  celle  de  Regnault de  Chartres  et  delà  Trémouille.  C'était 
pour  eux  un  grand  effort  que  d'avoir  achevé  le  voyage  de  Reims.  La  chose 
faite,  ils  n'avaient  pas  lieu  de  regretter  d'être  venus  jusque-là  sans  doute  ; 
mais  la  suite  permet  de  croire  qu'ils  n'étaient  pas  tentés  d'aller  plus  loin. 


I 


PARIS. 


Le  roi  sacré  à  Reims ,  la  Pucelle  voulait  qu'il  entrât  dans  Paris.  Tout  le 


Fig.72.  —  Gcrson,  chancelier  de  runiversilc  de  Paris.  D'après  une  gravure  attribuée  à  Léonard  Gaultier. 
ÏVII'  siècle.  Bibliotli.  nat.  —  Gerson,  proclamant  le  caractère  divin  de  la  mission  de  Jeanne,  avait  donne 
cet  avertissement  :  «  Que  le  parti  qui  a  juste  cause  prenne  gardede  rendre  inutile,  par  incrédulité  ou  in 
gratitude,  le  secours  divin  qui  s'est  manifesté  si  miraculeusement.  « 


monde  s'y  attendait,  et  Bedford  le  premier.    Dans  une  lettre  datée  du 
K)  juillet,  la  veille  du  sacre,  le  régent,  annonçant  au  conseil  d'Angleterre 


i58  JEANNE    D'ARC. 


que  Reims,  après  Troyes  et  Chàlons,  devait  le  lendemain  ouvrir  ses  portes 
au  dauphin  (le  dauphin  y  entra  ce  jour  même),  ajoutait  :  «  On  dit  qu'in- 
continent après  son  sacre  il  a  l'intention  de  venir  devant  Paris  et  a  espérance 
d"v  avoir  entrée,  mais,  à  la  grâce  de  N.-S. ,  aura  résistance.  »  Mais  si  les 
villes,  de  Gien  à  Reims,  avaient  montré  si  peu  d'ardeur  à  le  combattre, 
devaient-elles,  après  le  sacre,  résister  mieux,  de  Reims  à  Paris?  Le  ton 
même  du  message  de  Bedford  prouve  qu'il  n'en  était  pas  si  assuré.  Le 
sacre,  il  le  sentait  bien,  devait  produire  partout  une  impression  considé- 
rable en  France.  C'est  pour  cela  que  dans  cette  lettre  il  manifeste  tant  de 
regrets  que  le  jeune  Henri  Yl  n'ait  pas  prévenu  son  rival,  tant  d'impatience 
qu'il  vienne  en  France  se  faire  sacrer  à  son  tour  «  en  toute  possible  célérité  :  >< 
car,  ajoute-t-il,  «  s'il  eut  plu  à  Dieu  que  plus  tôt  y  fût  venu,  ainsi  que  déjcà 
par  deux  fois  lui  avoit  été  supplié  par  ambassadeurs  et  messagers,  les  in- 
convénients ne  fussent  pas  tels  qu'ils  sont.  »  A  défaut  de  Notre-Dame  de 
Reims,  il  fallait  donc  lui  garder  au  moins  Notre-Dame  de  Paris.  Or,  dans 
cet  ébranlement  général,  Paris  nième  n'était  pas  sûr-,  et,  pour  le  garder,  le 
régent  en  était  réduit  à  compter  sur  deux  hommes  qui  n'étaient  là  ni  l'un  ni 
l'autre  :  le  duc  de  Bourgogne,  qui  venait  de  partir,  et  le  cardinal  de  'Win- 
chester, qui  n'arrivait  pas. 

^^^inchester  n'arrivait  pas,  et  il  n'y  avait  guère  lieu  de  s'en  alarmer  en- 
core. Le  traité  par  lequel  il  s'engageait  à  mettre  sa  troupe  au  service  du  roi 
était  du  !'■'■  juillet:,  l'ordre  de  lui  rembourser  ce  qu'il  avait  dépensé,  du  5  : 
mais  Bedford  ne  peut  contenir  son  impatience.  Il  annonce  qu'il  se  rend  le 
surlendemain  en  Normandie,  puis  en  Picardie,  pour  aller  à  sa  rencontre  : 
il  semble  qu'il  veuille  le  prendre  au  débarquement,  de  peur  qu'il  ne  lui 
échappe. 

Leduc  de  Bourgogne  était  parti  ce  jour  même  (le  i()),  promettant  d'ame- 
ner des  renforts  ;  et  Bedford  se  loue  extrêmement  des  services  qu'il  a  rendus 
et  de  ceux  qu'il  va  rendre;  il  va  jusqu'à  dire  que,  sans  lui,  «  Paris  et  tout  le 
ramenant  (le  restant)  s'en  alloit  à  cop  (sur  le  coup)  !  »  Et  cela  n'est  pas 
exagéré.  Il  importait  donc  qu'il  revînt  au  plus  vite.  Aussi  la  duchesse  de 
Bedford,  sa  sœur,  comme  pour  mieux  y  veiller,  partait-elle  avec  lui.  Mais 
le  duc  avait-il  bien  sincèrement  oublié  tant  de  griefs  personnels,  si  capables 
de  contre-balanccr  en  lui  les  raisons  qui  l'avaient  entraîné  vers  les  ennemis 


~ig.  73.  —  Philippe  le  Bon,  duc  de  Bourgogne,  allié  aux  Anglais  contre  Charles  VU,  et  le  plus  puissant 
prince  de  son  temps.  Tiré  du  Champion  des  dames,  œuvre  de  Martin  le  Franc,  ms.  exécuté  à  Arras  en 
1440  et  conservé  à  la  biblioth.  nat.  sous  le  n°  12476  fr.  L'auteur  de  cet  ouvrage  en  fait  hommage  au 
prince.  On  voit  en  bordure  les  blasons  des  divers  pays  qui  composaient  ses  États  :  Bourgogne,  Brabant, 
Flandre,  Franche-Comté,  Hollande,  Namur,  Basse-Lorraine,  Luxembourg,  Artois,  Haihaut,  Zélande, 
Frise,  Malines  et  Salins.  En  tête  figurent  les  armes  du  prince,  accostées  de  l"écu  de  France ,  avec  le  cri 
de  guerre  :  Montjoie.  A  droite  et  à  gauche  sont  reproduites  des  scènes  relatives  aux  histoiies  de  ce  li- 
vre. Dans  le  bas,  on  remarque  l'emblème  personnel  du  duc  et  la  devise  qu'il  prit  à  son  troisième  ma- 
riage :  Autre  n'aitray. 


i6o  JEANNE   D'ARC. 


de  sa  race:  les  prétentions  de  Glocester  sur  le  Hainaut,  les  refus  de  Bedford 
touchant  Orléans?  et  ne  savait-il  pas,  n'avait-on  pas  du  moins  cherché  et 
réussi  peut-être  à  lui  faire  croire  que  ceux-là  mêmes  qui  venaient  de  lui  rap- 
peler avec  tant  d'éclat  le  meurtre  de  son  père,  avaient  naguère  eu  la  pensée 
de  se  débarrasser  de  lui  de  la  même  sorte?  Invité  par  la  Pucelle  à  se  rendre  à 
Reims,  il  était  venu  à  Paris.  Mais  la  campagne  qui  avait  si  rapidement 
conduit  au  sacre  pouvait  bien  Tébranler  comme  les  autres.  Le  16,  après  les 
cérémonies  qui  avaient  eu  lieu  à  Paris  par  les  soins  de  Bedford ,  on  avait . 
pu  le  voir  partir  avec  quelque  espérance.  Le  17,  après  les  cérémonies  de 
Reims,  on  ne  pouvait  plus  être  assuré  de  le  voir  revenir. 

Telle  était  la  situation  de  Bedford  :  tout  semblait  se  dérober  à  lui,  et  Paris 
même  était  au  roi ,  si  le  roi  suivait  ce  mouvement  qui  devait  s'accroître  à 
chaque  pas  et  devenir,  par  son  progrès,  irrésistible.  C'était  ù  quoi  poussait 
Jeanne  d'Arc  ;  et  d'abord  elle  parut  y  avoir  réussi.  Le  roi  consentait  à  mar- 
cher sur  Paris,  où  la  Pucelle  promettait  de  le  conduire  :  c'est  ce  qu'annon- 
cent les  trois  gentilshommes  angevins  qui ,  le  jour  même  du  sacre,  écrivent 
de  Reims  pour  en  faire  le  récit  à  la  reine  et  à  sa  mère.  «  Demain,  disent-ils, 
s'en  doit  partir  le  roi  tenant  son  chemin  vers  Paris...  La  Pucelle  ne  fait 
doute  qu'elle  ne  mette  Paris  en  l'obéissance.  »  Et  le  duc  de  Bourgogne,  sur 
qui  comptait  Bedford,  semblait  bien  près  de  lui  faire  défaut.  Parti  de  Paris 
le  16,  il  s'était  arrêté  à  Laon  pour  députer  immédiatement  vers  le  roi ,  dont 
il  apprenait  l'arrivée  à  Reims  (les  gentilshommes  angevins  en  parlent  le  i  7 
dans  leur  lettre';  et  Ton  comprend  avec  quelle  joie  ses  envo3'és  durent  être 
accueillis  du  roi  :  on  croyait  déjà  la  paix  faite.  «  A  cette  heure,  disent  nos 
gentilshommes ,  nous  espérons  que  bon  traité  se  trouvera  avant  qu'ils  par- 
tent. »  Mais  cette  démarche ,  en  ouvrant  tout  à  coup  à  la  cour  la  voie  des 
négociations,  servit  peut-être  plus  que  toute  autre  chose  à  faire  manquer  le 
but  marqué  par  la  Pucelle. 

Ce  n'est  pas  que  Jeanne  répugnât  aux  voies  pacifiques.  C'est  par  là  qu'elle 
avait  procédé  tout  d'abord  à  l'égard  des  Anglais  eux-mêmes  ;  et  si  elle  sou- 
haitait moins  de  vaincre  l'ennemi  que  de  faire  qu'il  se  retirât  volontairement, 
à  plus  forte  raison  désirait-elle  user  de  persuasion  envers  des  Français. 

Elle  avait  déjà  écrit  à  Philippe  le  Bon  avant  le  sacre.  Elle  lui  écrivit  le 
jour  même  de  la  cérémonie,  à  l'arrivée  de  ses  messagers;  et  la  lettre  lui  fut 


PARIS. 


iGi 


portée  sans  doute  par  la  députation  que  le  roi  lui  envoyait  pour  répondre 
à  ses  ouvertures.  Jeanne  aussi  veut  triompher  de  sa  résistance;  mais  comme 


Fig.  74.  —  Le  roi  de  Fiance,  ayant  été  sacrc.sc  rend  à  rahbaye  de  Saint-Marcoul,  où  il  guérit  les  écrouelles. 
Miniature  du  xvi"  s.  D'après  les  Peiiilur<;s  cl  onienwnls  Jcs  mLiiiuicrits  /'iwiçais,  de  M.  de  Bastard. 


la  lettre  qu'elle  lui  adresse  dilïèrc  par  le  ton  et  l'accent  des  lettres  qu'elle 
avait  écrites  au.\  Anglais  avant  de  les  combattre!  Les  Anglais  sont  des  en- 
nemis :  elle  les  somme  de  partir,   sans  autre  alternative  que  d'être  mis 


JEANNE   d'arc,   tll.   —    2  1 


i62  JEANNE   D'ARC. 


dehors  :  car  c'est  pour  cela  qu"'elle  est  envoyée.  Le  duc  de  Bourgogne  est 
du  sang  royal ,  c'est  un  fils  égaré  de  la  France  :  elle  le  supplie,  elle  le  con- 
jure à  jjhiins  Jointes  de  faire  la  paix,  ne  craignant  pas  de  se  faire  trop 
humble;  car  une  chose  la  relève  dans  cet  abaissement ,  et  donne  une  singu- 
lière autorité  à  ses  prières  :  c'est  qu'elle  sait ,  c'est  qu'elle  affirme  que  s'il 
refuse  il  ne  peut  être  que  vaincu.  Elle  prie  donc,  non  par  aucun  intérêt  de 
parti,  mais  parce  que  «  sera  grant  pitié  de  la  grant  bataille  et  du  sang 
qui  y  sera  respandii  ;  »  car  c'est  le  sang  de  France. 

Jeanne  s'accordait  donc  avec  la  cour  pour  négocier;  mais  tout  en  négo- 
ciant elle  voulait  agir  aussi  :  elle  croyait  que  l'action  était  tout  à  la  fois  un 
moyen  de  soutenir  les  négociations  ou  d'y  suppléer  au  besoin.  D'ailleurs, 
si  peu  disposé  que  l'on  fut  à  courir  de  nouveaux  hasards,  il  y  avait  à  faire  , 
aux  alentours,  plusieurs  conquêtes  qui  promettaient  d'ajouter  sans  péril  au 
prestige  du  voyage.  En  attendant  que  le  duc  de  Bourgogne  eut  donné  suite 
à  la  réconciliation  projetée,  le  roi  s'occupa  de  rallier  les  villes  disposées  à  se 
soumettre.  Après  quatre  jours  passés  à  Reims,  ayant  accompli  dans  l'ab- 
baye de  Saint-Marcoul  les  pratiques  de  tout  roi  nouvellement  sacré  ,  il  vint 
à  Vailly-sur-Aisne ,  où  les  bourgeois  de  Soissons  et  de  Laon  lui  apportèrent 
les  clefs  de  leur  ville.  Le  23,  il  se  rendit  à  Soissons,  et  de  là  de  nouvelles 
députations  vinrent  mettre  en  obéissance  Château-Thierry,  Provins,  Cou- 
lommiers ,  Crécv  en  Brie. 

Il  y  avait  pourtant  un  ordre  à  suivre  dans  cette  marche  victorieuse,  pour 
la  faire  aboutir  à  la  délivrance  du  royaume.  Le  roi  avait  reçu  sa  couronne  : 
Jeanne  voulait  qu'il  reprît  sa  capitale;  et  cette  suite  de  soumissions,  obte- 
nues à  si  peu  de  frais  lorsqu'elles  n'étaient  pas  entièrement  spontanées, 
devait,  selon  son  plan,  mener  droit  à  Paris.  Mais  les  courtisans  trouvaient 
maintenant  plus  sûr  et  plus  commode  de  prendre  Paris  par  le  duc  de  Bour- 
gogne. Philippe  le  Bon,  moins  touché  des  raisons  de  Jeanne  qu'effrayé  de 
son  approche,  affectait  de  plus  en  plus  de  répondre  aux  intentions  du  roi; 
et  les  conseillers  intimes  de  Charles  MI,  ne  demandant  pas  mieux  que  de 
se  croire  à  la  veille  de  la  paix,  prenaient  occasion  des  otTres  de  soumission 
qui  leur  venaient  des  villes  d'alentour  pour  modifier,  selon  leurs  vues,  l'iti- 
néraire de  la  Pucelle.  Le  2Q  juillet,  on  vint  à  Château-Thierry ,  où  le  sire  de 
Chàtillon,  connaissant  les  dispositions  du  paupi?,  n'essaya  pas  de  tenir  plus 


Lettre  de  Jeanne  au  duc  de  Bourgogne,  écrite  à  Reini; 
— •  Jeanne  presse  le 


. ''>navi(\ 


-]-  Jlu'sus  Maria. 
Lecture.  —  Haiilt  et  redoublé  prince,  duc  de  Bourgoitigne,  Jehanne  la  Piicelle  vous  re, 
facicj  bonne  pai.v  ferme,  qui  dure  longuement.    Pardonne^  l'un  à  l'autre  de  bon  cuer,  entier 
Sarapns.  Prince  de  Bourgoigne,  je  vous  prie,  supplie  et  requiers,  tant  humblement  que  req 
et  briefment  vo^  gens  qui  sont  en  aucunes  places  et  forteresses  dudit  saint  royaume;  et  de 
en  vous.  Et  vous  f ai':;  à  savoir  de  par  le  Roy  du  ciel,  mon  droicturier  et  souverain  seigneur, 
rencontre  des  loyaul.v  François,   et  que  tous  ccul.v  qui  guerroient  oudit  saint  royaume  a 
souverain  seigneur.  Et  vous  prie  et  requiers  à  Jointes  mains,  que  ne  faictes  nulle  bataille  ne 
gens  que  vous  amener;  contre  nous,  qu'ils;  n'y  gaigneront  mie,  et  sera  grant  pitié  de  la  grant 
que  je  vous  avoye  escript  et  envoie  bonnes  lettres  par  ung  liérault.  que  f eussiez  au  sacre  du  ri 
dont  je  n'ay  eu  point  de  response,  ne  n'ouy  oncqucs  puis  nouvelles  dudit  hérault.  A  Dieu 
audit  lieu  de  Reims,  ledit  xvu"  jour  de  juillet. 

f  Jcsus  Maria. 
Traduction.  —  Haut  et  redouté  prince,  duc  de  Bourgogne,  .Jeanne  la  Pucelle  vous  rcc 
une  bonne  paix,  ferme  et  qui  dure  longtemps.  Pardonnez-vous  l'un  à  l'autre  de  bon  co 
allez  la  faire  aux  Sarrasins.  Prince  de  Bourgogne,  je  vous  prie,  supplie  et  requiers,  auss 
retirer  incontinent  et  sans  retard  vos  gens  qui  sont  en  les  places  et  forteresses  de  ce  saint  n 
si  vous  ne  vous  y  refusez.  Et  je  vous  fais  savoir  de  par  le  roi  du  ciel,  de  droit  mon  souvei 
bataille  h  l'encontre  des  loyaux  Français,  et  que  tous  ceux  qui  guerroient  contre  le  saint  rc 
mon  souverain  seigneur.  Et  je  vous  prie  et  vous  requiers,  à  mains  jointes,  de  ne  plus  faire 
nombre  de  gens  que  vous  ameniez  contre  nous,  ils  n'y  gagneront  rien  et  ce  sera  grande  pit 
trois  semaines  que  je  vous  avais  écrit  et  envoyé  de  bonnes  lettres  par  un  héraut,  pour  qu 
en  la  cité  de  Reims.  Mais  je  n'en  ai  pas  eu  de  réponse,  ni  reçu  depuis  lors  nouvelles  dudit 
mette  bonne  paix.  Ecrit  audit  lieu  de  Reims,  le  i/'  jour  de  juillet. 


:  jour  du  sacre  du  roi,  17  juillet  1429.  Archives  du  Nord,  à  Lille. 
:  de  faire  la  paix  avec  le  roi. 


MH^ 


■*t  viov^p  o4%cq'i^<^  ~ 


'i^'^fn^i^chi/Qsv^v^' 


•/  de  par  le  Roy  du  ciel,  mon  droicturier  et  souverain  seif;nctir.  que  le  roy  de  France  et  vous, 
II,  ainsi  que  doivent  faire  loyaulx  christians ;  et  s'il  vous  plaist  à  gucrroicr,  si  ale-^  sur]  les 

vous  puis,  que  ne  guerroie^  plus  en  saint  royaume  de  France,  et  faictes  retra're  incontinent 
■ri  du  gentil  roy  de  France,  il  est  prest  de  faire  paix  à  vous,  sauve  son  honnei.r,  s'il  ne  tient 
-  rostre  bien  et  pour  vostre  honneur  et  sur  »of  vie,  que  vous  n'y  gaignere^  point  bataille  à 
-ance.  guerroient  contre  le  roy  Jhesus,  roy  du  ciel  et  de  tout  le  monde,  mon  droicturier  et 
uerroiej  contre  nous,  vous,  vof  gens  ou  subgie^  ;  et  croie^  seurement  que,  quelque  nombre  de 
ille  et  du  sang  qui  y  sera  respendu  de  ceux  qui  y  vendront  contre  nous.  Et  a  trois  sepmaines 
li,  aujourd'hui  dimanche  wu"  jour  de  ce  présent  mois  de  juillet,  ce  fait  en  la  cite'  de  Reims  : 

commens  et  soit  garde  de  vous,  s'il  lui  plaist;  et  prie  Dieu  qu'il  y  mecte  bonne  pacs.  Escript 


:,  de  par  le  roi  du  ciel,  de  droit  mon  souverain  seigneur,  que  le  roi  de  France  et  vous  fassiez 
entièrement,  comme  doivent  faire  de  loyaux  chrétiens.  Et  s'il  vous  plaît  de  faire  la  guerre, 
iblement  que  je  le  puis,  de  ne  plus  guerroyer  dans  le  saint  royaume  de  France,  et  de  faire 
ne.  Et  quant  au  noble  roi  de  France,  il  est  prêt  à  faire  la  paix  avec  vous,  sauf  son  honneur, 
ieigneur,  pour  votre  bien  et  votre  honneur,  et  sur  votre  vie,  que  vous  n'y  gagnerez  pas  de 
ne  de  France,  guerroient  contre  le  roi  Jésus,  roi  du  ciel  et  de  tout  le  monde,  de  droit 
ataille  ni  de  guerre  contre  nous,  vous,  vos  gens  et  sujets,  et  cro\ez  sûrement  que,  quelque 
la  grande  bataille  et  du  sang  qui  y  sera  répandu  par  ceux  qui  viendront  contre  nous.  Il  y  a 
is  veniez  au  sacre  du  roi  qui,  aujourd'hui  dimanche  17"  jour  de  ce  mois  de  juillet,  se  fait 
ut.  Je  vous  recommande  à  Dieu  pour  qu'il  vous  garde  ,  s'il  lui  plaît,  et  je  prie  Dieu  qu'il  y 


PARIS.  i63 


d'un  jour.  Le  i'-''"aoQt,  on  était  à  .Montmirail;  le  2,  à  Provins.  On  retournait 
vers  la  Loire. 

Les  retards  du  roi  avaient  donné  à  Bedford  le  temps  de  se  reconnaître; 
sa  marche  en  arrière  lui  offrait  l'occasion  de  reprendre  Toffensivc.  Il  nV 
manqua  point.  Le  2  5  juillet  il  avait  amené  dans  Paris  les  cinq  mille  hommes 
de  Winchester  :  cinq  mille  hommes  bien  résolus,  ce  semble.  Ils  venaient 
gagner  les  indulgences  de  la  croisade,  et  l'un  des  capitaines  portait  «  un 
étendard  tout  blanc,  dedans  lequel  avoit  une  quenouille  avec  cette  devise  : 
Or  vienne  la  belle  !  en  signifiant  qu'il  lui  donneroit  à  filer.  »  Le  3  aoiùt,  le 
régent  signait  une  proclamation  qui  appelait  tous  ses  feudataires  de  France 
et  de  Normandie  à  venir  dans  le  mois  accomplir  leur  service;  et,  sans  les  at- 
tendre, il  quittait  Paris  avec  la  troupe  de  ^\'inchester  et  un  nombre  égal 
d'autres  soldats  recrutés  par  lui-même;  il  arrivait  par  Corbeil  à  Melun 
(4  août).  Sur  le  bruit  que  les  Anglais  venaient,  l'armée  royale  sortit  de 
Provins  et  alla  jusqu'à  la  Motte-de-Nangis.  Mais  on  ne  vit  rien;  et,  le  bruit 
courant  que  Bedford  regagnait  Paris,  le  roi  reprit  le  chemin  de  la  Loire. 
C'est  derrière  ce  fleuve  que  les  courtisans  voulaient  aller  se  reposer  d'une 
campagne  qu'ils  trouvaient  assez  longue. 

Leurs  intentions  furent  pourtant  déconcertées. 

En  quittant  la  Motte-de-Nangis,  le  roi  était  venu  à  Bray,  où  il  comptait 
passer  la  Seine.  Les  habitants  avaient  promis  obéissance,  et  l'on  avait  remis 
le  passage  au  lendemain.  Mais  pendant  la  nuit,  une  troupe  d'Anglais,  dé- 
tachée sans  doute  par  Bedford,  s'établit  dans  la  ville,  et  les  premiers  qui 
s'approchèrent  furent  tués  ou  détroussés.  Le  passage  ne  fut  pas  forcé;  car 
il  n'y  aurait  eu  que  les  courtisans  pour  l'entreprendre  :  toute  l'armée  avait 
vu  avec  indignation  qu'on  s'en  allât  quand  tout  invitait  à  marcher  en  avant. 
Aussi  cette  déconvenue  était-elle  une  bonne  fortune;  le  duc  de  Bar  (René 
d'Anjou)  et  le  duc  d'Alençon,  les  comtes  de  Clermont,  de  Vendôme  et  de 
Laval,  comme  Jeanne  et  tous  les  autres  capitaines,  laissèrent  voir  la  joie 
qu'ils  en  avaient. 

On  revint  donc  au  plan  de  la  Pucelle  :  et  cela  se  voit  par  une  lettre  qu'elle 
écrit  ce  jour  même,  SaoïJt,  aux  habitants  de  Reims.  Elle  les  rassure  contre 
les  craintes  que  leur  devait  inspirer  la  retraite  du  roi  vers  la  Loire.  Elle  leur 
apprend  le  fait  qui  a  suspendu  ses  progrès  et  trompé  l'impatience  de  leur 


l64  JEANNE    D'ARC. 


attente  :  le  roi  a  conclu  avec  le  duc  de  Bourgogne  une  trêve  de  quinze  jours, 
à  l'expiration  de  laquelle  le  duc  lui  doit  rendre  Paris.  Elle  convient  que, 
malgré  cette  promesse,  elle  n'est  point  contente  de  trêves  ainsi  faites;  «  et 
ne  sais,  dit-elle,  si  je  les  tiendrai,  mais  si  je  les  tiens,  ce  sera  seulement 
pour  garder  Thonneur  du  roi.  »  Du  reste,  elle  affirme  qu'on  n'abusera 
pas  le  sang  royal,  et  qu'au  terme  de  quinze  jours  l'armée  sera  prête  à  agir 
s'ils  ne  font  la  paix.  Et  pour  ne  laisser  aucun  doute  sur  le  but  vers  lequel  on 
marche ,  elle  date  sa  letttc  «  cmprès  un  logis  sur  champ  au  chemin  de  Paris.  » 
Si  le  duc  de  Bourgogne  devait,  au  terme  de  quinze  jours,  rendre  Paris, 
il  convenait  sans  doute  d'être  à  portée  de  le  recevoir  :  la  trêve  même  que 
l'on  disait  conclue  faisait  un  devoir  à  la  cour  de  se  rapprocher  de  la  capi- 
tale. Le  roi  reprit  le  chemin  de  Provins  :  le  7  il  était  à  Coulommiers;  le  10, 
à  la  F'erté-Milon;  le  11,  à  Crespy  en  'V^alois.  Ce  brusque  changement  dans 
la  marche  de  l'armée  française  alarma  justement  Bedford.  Le  régent  }' avait 
été  pour  quelque  chose,  si,  comme  on  le  peut  croire,  c'est  lui  qui  avait  en- 
voyé les  troupes  que  l'on  a  vues  à  Bray;  et  lui-même  s'était  porté  à  Mon- 
tereau-faut-Yonne,  pour  appu\er  ce  mouvement.  Mais  apprenant  que  le 
roi,  loin  de  chercher  à  forcer  le  passage,  regagnait  le  Nord,  il  lui  écrivit  une 
lettre  où  ses  appréhensions  se  cachent  sous  les  termes  du  mépris  et  de  l'in- 
sulte. Il  écrit  à  «  Charles,  qui  se  disait  dauphin  et  ose  maintenant  se  dire 
roi;  »  il  lui  reproche  ce  qu'il  entreprend  tortioiinaircnieiii  sur  la  couronne 
du  roi  Henri,  naturel  et  droiturier  roi  de  France  et  d'Angleterre,  et  les 
moyens  qu'il  emploie  pour  abuser  le  simple  peuple,  comme  de  s'aider 
«  d'une  femme  désordonnée  et  difl'amée,  étant  en  habit  d'homme  et  de  gou- 
vernement dissolu,  et  aussi  d'un  frère  mendiant  (frère  Richard),  apostat  et 
séditieux,  tous  deux,  selon  la  sainte  Ecriture,  abominables  à  Dieu;  >■  il 
ajoute  qu'il  le  poursuit  de  lieu  en  lieu  sans  pouvoir  le  rencontrer,  et  lui 
offre  cette  alternative  :  ou  de  fixer  un  jour  et  un  endroit  pour  une  confé- 
rence à  laquelle  il  pourra  venir  avec  l'escorte  de  «  la  difl'amée  femme  et 
apostat  dessusdits  et  tous  les  parjures,  et  autre  puissance  >>  qu'il  voudra  ou 
pourra  avoir,  mais  à  la  condition  qu'il  s'agisse  d'une  paix  «  non  feinte,  cor- 
rompue, dissimulée,  violée  ni  parjurée,  ■>'  comme  celle  de  Montereau ,  où  le 
dauphin  a  fait  assassiner  Jean  sans  Peur;  ou  bien  de  terminer  promptement 
la  querelle  par  les  armes, afin  d'épargner  au  pauvre  peuple  les  malheurs  de 


Lettre  de  Jeanne  aux  habitants  de  Reims,  5  août  i.pç).  —  D'après  l'orii 


•yc>W*^ 


/V>>'^w*- 


Lecture.  —  Mes  Mers  et  bons  amis,  les  bons  et  loyaux  François  de  la  cite 
vous  requiert  que  vous  ne  faictes  nul  doubte  en  bonne  querelle  que  elle  mqyne  pour 
que  je  vivray.  Et  est  vrai  que  le  roy  a  faict  trêves  au  duc  de  Boiirgoigne  quinze 
quinze  jours.  Pourtant  ne  vous  donnés  nulle  merveille  se  je  ne  y  entre  si  brieffv 
sçay  si  je  les  tiendray  ;  mais  si  je  les  tiens,  ce  sera  seulement  pour  garder  Z'o»;; 
et  maintendray  ensemble  l'armée  du  roy  pour  estre  toute  preste  au  chieff  desdict^ 
vous,  prie  que  vous  ne  vous  en  donnés  malaise  tant  comme  je  vivray,  me:;  vous  req 
se  il  y  a  nuls  triteurs  qui  vous  vcullent  grever,  et  au  plus  brie/  que  je  pourray, 
soit  garde  de  vous. 

Escript  ce  vendredy.  cinquiesmc  jour  d'auust,  empr'es  un  logcis  sur  champs  o, 

Traduction.  —  Mes  chcrs  et  bons  amis ,  les  bons  et  loyaux  Français  de  la 
vous  requiert  que  vous  n'ayez  nulle  inquiétude  sur  la  bonne  querelle  qu'elle  souti 
pas  tant  que  je  vivrai.  Il  est  vrai  que  le  roi  a  fait  trêve  avec  le  duc  de  Bourgogne 
au  bout  de  quinze  jours.  Pourtant  ne  soyez  pas  surpris  si  je  n'y  entre  aussi  vitt 
les  tiendrai.  Mais  si  je  les  observe,  ce  sera  seulement  pour  garder  l'honneur  du 
maintiendrai  réunie  l'armée  du  roi  pour  être  toute  prête  au  bout  de  ces  quinze  je 
prie  de  ne  pas  vous  en  donner  de  souci  aussi  longtemps  que  je  vivrai,  mais  vous 
a  nuls  oppresseurs  qui  vous  veuillent  faire  tort,  et  aussi  vite  que  je  le  pourrai, 
à  Dieu  pour  qu'il  vous  garde. 

Écrit  ce  vendredi,  5' jour  d'août,  près  d'un  logis  au\  champs,  sur  la  route  d 


jppartcnant  à  M.  le  comte  de  Male)■s^ie,  à  Houvillc,  prés  Cliartr 


Se  Grue  ^f)Wv^  jd?v'->iwv-^;t?-vKX^é  ^^^ /xwv-c*/y2 


xk>i^'yy^''^SiLi  „iSowê-v>il  cii   '<x,  oo'vvwc    ciw^i^vcCt' 


*Vvv«w 


I  O'wvtivw^r-  /VvV- 


Raiiis ,  Jehanne  la  Pucelle  vous  fjict  assavoir  de  ses  nouvelles .  et  vous  prie  et 
ang  royal  :  et  je  vous  promet  et  certiffy  que  je  ne  vous  abandonneray  point  tant 
•s  durant,  par  ainsi  qu'il  ly  doit  rendre  la  cité  de  Paris  paisiblement  au  chieff  de 
t,  combien  que  des  trêves  qui  ainsi  sont  faictes  je  ne  soy  point  contente  et  ne 
du  roy ,  combien  aussi  que  i^  ne  rabuseront  point  le  sang  royal,  car  je  tendray 
n^e  jours,  s'ils  ne  font  la  paix.  Pour  ce,  mes  très  chiers  et  parfaicts  amis,  je 
•s  que  vous  faictes  bon  guet  et  garde^  la  bonne  cité  du  roy;  et  me  faictes  savoir 
es  en  osteraj-;  et  me  faictes  savoir  de  vos  nouvelles.  A  Dieu  vous  command  qui 

emin  de  Paris. 

':  de  Reims,  Jeanne  la  Pucelle  vous  fait  savoir  de  ses  nouvelles,  et  vous  prie  et 
pour  le  sang  royal,  et  je  vous  promets  et  certifie  que  je  ne  vous  abandonnerai 
ize  jours  durant,  à  la  condition  qu'il  doit  lui  rendre  la  cité  de  Paris  paisiblement 
irce  que  je  ne  suis  pas  contente  des  trêves  ainsi  faites,  et  je  ne  sais  pas  si  je 
.  Comme  aussi  ils  ne  réussiront  pas  à  abuser  le  sang  royal ,  car  je  tiendrai  et 
s'ils  ne  font  la  paix.  Pour  cette  raison,  mes  très-chers  et  parfaits  amis,  je  vous 
aiers  de  faire  bon  guet  et  de  garder  la  bonne  cité  du  roi,  et  faites-moi  savoir  s'il 
"DUS  en  délivrerai  ;  et   faites-moi  savoir   de   vos   nouvelles.    Je   vous   recommande 


'ig.  75.  —  Église  de  Baron,  près  Scnlis;  xm*-xvi<'  siècle.  État  actuel.  D'après  un  dessin  de  M.  J.  Gérin  , 
professeur,  secrétaire  du  Comité  archéologique  de  Senlis.  —  Selon  toute  probabilité,  c'est  dans  cette  église 
que  Jeanne  communia,  la  veille  de  l'Assomption,  en  compagnie  du  comte  de  Clermont  et  du  duc  J'Alen- 
çon.  Ce  renseignement  résulte  des  recherches  faites  par  M.  Ernest  Dupuis,  vice-président  du  Comité 
archéologique  de  Senlis. 


i66  JEANNE   D'ARC. 


la  guerre,  et  lui  rendre  ce  repos  »  que  tous  rois  et  princes  chrétiens  qui  ont 
gouvernement  doivent  quérir  et  demander.  » 

Ce  fut  le  II,  à  Crespy  en  Valois,  que  le  roi  reçut  cette  lettre,  et  déjà 
Bedford  était  au  voisinage  (à  Mitry,  au  sud  de  Dammartin),  prêta  donner 
la  bataille  qu'il  offrait,  mais  à  une  condition  pourtant  :  c'est  qu'on  la  vînt 
chercher  dans  ses  lignes  ^  car  il  comptait  sur  l'impétuosité  française  pour 
qu'elle  renouvelât  à  son  profit  les  journées  de  Crécy,  de  Poitiers  et  d'Azin- 
court.  Ainsi  provoqué,  le  roi  vint  à  Lagny-le-Sec,  poussant  son  avant-garde 
à  Dammartin,  et  il  envoya  la  Hire  et  quelques  autres  capitaines  pour  re- 
connaître la  position  des  Anglais.  Pendant  toute  la  journée  du  1 3,  il  y  eut  de 
fortes  escarmouches  autour  de  Thieux,  entre  Dammartin  et  Mitry,  en  avant 
de  l'armée  anglaise.  Mais  tout  se  borna  là  :  car  les  capitaines  jugèrent  que 
les  Anglais  s'étaient  trop  assuré  l'avantage  du  terrain  ;  et  Bedford,  ne  se 
voyant  pas  autrement  attaqué,  se  replia  le  soir  même  sur  Paris  pour  cher- 
cher des  renforts. 

Ces  hésitations  des  Anglais,  ces  défis  suivis  sitôt  de  la  retraite,  ne  faisaient 
qu'encourager  les  villes  à  se  donner  au  roi.  Le  roi  les  pressait  d'ailleurs  par 
ses  messages.  Revenu  à  Crespy,  il  envoya  ses  héraults  à  Compiègne,  à  Beau- 
vais,  et  il  marchait  lui-même  vers  la  première  de  ces  villes,  quand  il  apprit 
que  Bedford  était  à  Louvrcs,  d'où  il  ramenait,  avec  ses  troupes,  celles  qu'il 
attendait.  Il  revint  sur  ses  pas,  et,  arrivé  à  Baron,  il  envoya  Loré  et 
Xaintrailles  s'assurer  des  mouvements  de  l'armée  anglaise.  Il  ne  fut  pas 
longtemps  sans  recevoir  d'eux  la  nouvelle  qu'elle  marchait  sur  Senlis, 
qu'ils  l'avaient  vue  tout  entière  :  mais,  quelque  hâte  que  l'on  fît,  on  arriva 
trop  tard  pour  l'empêcher  de  franchir  l'étroit  passage  de  la  rivière  qui  coule 
de  Baron  à  Senlis  (la  Nonette)  et  de  s'y  établir  près  d'un  lieu  où  les  Anglais, 
fort  superstitieux,  selon  les  témoignages  du  temps,  devaient  trouver  un  fa- 
vorable augure,  l'abbaye  de  Notre-Dame  de  la  Victoire.  Il  était  soir;  après 
quelques  escarmouches,  les  Français  se  logèrent  près  de  Montépilloy. 

Le  lendemain,  i5  août,  malgré  la  solennité  de  la  fête,  tous  s'attendaient 
à  la  bataille.  La  messe  fut  dite  à  la  première  heure;  et  aussitôt  chacun  de 
monter  à  cheval  et  de  se  préparer  au  combat.  L'armée  s'était  formée  en 
trois  corps  :  le  premier  sous  le  duc  d'Alençon  et  le  comte  de  Vendôme;  le 
second   sous  René  d'Anjou,  duc  de  Bar;  le  troisième,  formant  l'arrière- 


i68  JEANNE  D'ARC. 


garde,  où  était  le  roi  avec  le  comte  de  Clermont  et  la  Trémouille  :  les  ma- 
réchaux de  Boussac  (Sainte-Sévère)  et  de  Rais  commandaient  les  ailes;  Gra- 
ville,  les  archers.  Il  y  avait  en  outre,  pour  faire  escarmouche  et  subvenir  à 
tout,  une  autre  troupe  qui  ne  devait  pas  avoir  la  moindre  part  à  la  journée, 
car  elle  avait  à  sa  tète  Dunois,  la  Hire  et  la  Pucellc. 

On  marcha  donc  vers  les  Anglais  ;  mais  il  restèrent  immobiles  dans  leur 
position.  Ils  avaient  passé  la  nuit  à  la  fortifier  avec  leur  industrie  accoutu- 
mée. Protégés  sur  les  derrières  par  la  rivière  et  un  étang  et  sur  les  côtés  par 
de  fortes  haies  d'épines,  ils  s^étaient  barricadés  de  leurs  charrois  et  couverts 
sur  leur  front  par  des  fossés  garnis  de  palissades.  C'est  là  qu'ils  attendaient 
l'attaque  :  les  archers  faisaient  la  première  ligne,  tous  à  pied  avec  leurs  pieux 
aiguisés  fichés  en  terre  devant  eux-,  et  derrière,  les  seigneurs  à  pied  aussi, 
formant  un  seul  corps  de  bataille,  où  dominaient  avec  l'étendard  de  Saint- 
Georges,  les  deux  bannières  de  France  et  d'Angleterre  :  car  le  régent  com- 
battait au  nom  des  deux  nations.  La  Pucelle,  voyant  qu'ils  ne  faisaient 
point  mine  de  sortir,  se  vint  mettre  à  l'avant-garde,  et  alla  frapper  de  son 
étendard  leurs  retranchements-,  mais  ils  ne  répondirent  à  ce  défi  qu'en  re- 
pousant  les  plus  hardis  à  l'assaut.  Vainement,  pour  les  amener  dehors,  la 
Pucelle  fit-elle  retirer  tous  ses  gens  jusqu'au  corps  de  bataille;  vainement 
leur  olTrit-on  de  faire  reculer  toute  l'armée  elle-même,  pour  leur  donner 
loisir  de  se  mettre  aux  champs  et  de  se  ranger.  Ils  s'obstinèrent  à  demeurer 
dans  leur  position,  n'en  sortant  que  pour  des  escarmouches  :  ils  refoulaient 
les  assaillants,  qui,  revenant  en  plus  grand  nombre  à  la  charge ,  provo- 
quaient à  leur  tour  une  sortie  plus  nombreuse;  et  vers  la  fin,  la  mêlée  fut 
telle  qu'au  milieu  d'un  nuage  de  poussière  on  ne  distinguait  plus  Français, 
ou  Anglais. 

Avant  que  les  choses  en  vinssent  à  ce  point,  la  Trémouille  s'était  laissé 
séduire  par  ce  simulacre  de  bataille.  Il  s'avança,  monté  sur  un  coursier  su- 
perbe et  richement  paré,  et,  la  lance  au  poing,  il  donna  des  éperons  et  fondit 
sur  l'ennemi.  Mais  son  cheval  tomba  et  le  fit  rouler  parmi  les  Anglais.  On 
s'empressa  de  l'en  tirer,  et  l'aventure  aurait  pu  lui  être  fatale,  car  ce  n'était 
point  tournoi  de  chevalerie.  Il  y  avait  en  jeu  des  haines  nationales  :  «  et  n'é- 
toit  homme,  dit  Monstrelet,  de  quel  étal  qu'il  fût,  qui  fût  pris  à  finances  : 
ains  (mais)  mettoient  tout  à  mort  sans  pitié  ni  miséricorde.  » 


I 


JEANNE    d'arc.    111.   — 


JEANNE   D'ARC. 


Le  roi  voyant  que  les  Anglais  ne  sortiraient  pas,  s'en  revint  le  soir  à 
Cresp3\  La  Pucelle,  le  duc  d'Alençon,  et  tout  leur  corps  d'armée  passèrent 
la  nuit  sur  le  champ  de  bataille;  et  le  lendemain  de  grand  matin,  pour 
éprouver  si  l'ennemi,  les  vo\'ant  moins  nombreux,  ne  se  déciderait  point  à 
les  poursuivre,  ils  se  reculèrent  jusqu'à  Montépilloy.  Mais  les  Anglais  ne 
songèrent  à  profiter  de  ce  mouvement  que  pour  opérer  leur  retraite  plus  à 
l'aise.  Vers  une  heure,  la  Pucelle  fut  informée  qu'ils  avaient  regagné  Senlis, 
et  qu'ils  se  dirigeaient  sur  Paris.  Il  était  trop  tard  pour  les  suivre.  Elle  vint 
donc  à  Crespy  rejoindre  le  roi. 

Rien  ne  devait  plus  arrêter  le  mouvement  qui  ramenait  les  villes  à 
Charles  VIL  Les  hérauts  qu'il  avait  envoyés  à  Compiègne,  à  Beauvais, 
y  recevaient  le  meilleur  accueil.  A  Beauvais,  le  peuple  ne  vit  pas  plutôt 
l'homme  du  roi,  portant  les  armes  de  son  maître,  qu'il  se  mit  à  crier  : 
«  Vive  Charles,  roi  de  France!  »  et  chanta  le  Te  Deutn,  au  grand  déplaisir 
de  révêque-comte,  Pierre  Cauchon,  partisan  déclaré  des  Anglais.  Le  peuple 
proclama  que  tous  ceu.x  qui  ne  voudraient  pas  se  soumettre  au  roi  pour- 
raient s'en  aller,  et  il  les  laissa  emporter  leurs  biens.  Mais  Cauchon  ne  pou- 
vait emporter  son  évêché  et  sa  seigneurie.  Il  emporta  sa  haine,  qu'on 
retrouvera  plus  tard. 

Le  17,  le  roi  reçut  à  Crespy,  oij  il  était  encore,  les  clefs  de  Compiègne. 
Il  s'y  rendit  le  lendemain,  et  fut  accueilli  avec  de  grands  honneurs.  Il  voulait 
donner  la  capitainerie  de  cette  ville  à  la  Trémouille.  Mais  Compiègne, 
placée  par  son  adhésion  à  Charles  VII  entre  les  convoitises  du  duc  de  Bour- 
gogne et  les  haines  des  Anglais,  avait  besoin  d'avoir  chez  soi  à  demeure  un 
bon  officier  qui  la  siàt  défendre.  Les  bourgeois  demandèrent  à  Charles  VII 
d'y  maintenir  Guillaume  de  Flavy,  qu'ils  avaient  pris  pour  capitaine. 
C'était  un  gentilhomme  du  pays,  allié  d'ailleurs  à  la  famille  du  chancelier 
Regnault  de  Chartres  et  qui  avait  servi  sous  la  Trémouille.  La  Trémouille 
eut  le  titre,  mais  Guillaume  de  Flavy,  sous  le  nom  de  lieutenant ,  garda  la 
charge  avec  tous  ses  pouvoirs. 

Avant  de  quitter  Crespy  pour  se  rendre  à  Compiègne,  Charles  VII  avait 
ordonné  au  comte  de  ^"endôme  et  au.\  maréchaux  de  Boussac  et  de  Rais  de 
marcher  sur  Senlis.  Les  habitants  n'eurent  garde  de  résister  à  une  armée 
devant  laquelle  ils  venaient  de  voir  Bedford  battre  en  retraite.  Ils  accueilli- 


172  JEANNE  D'ARC. 


rent  Vendôme ,  qui  en  demeura  gouverneur.  La  nouvelle  en  arriva  au  roi  à 
Compiègne,  en  même  temps  que  Tannonce  de  Tadhésion  si  cntliousiaste  de 
Beauvais. 

Il  vit  aussi  "arriver  à  Compiègne  les  ambassadeurs  qu'il  avait  envoyés  au 
duc  de  Bourgogne,  et  bientôt  ceux  du  duc  lui-même.  Les  quinze  jours  de 
la  suspension  d'armes  finissaient.  Paris  n'était  pas  rendu  ;  et  il  était  trop 
clair  que  le  duc  de  Bourgogne,  en  eût-il  la  volonté,  n'était  pas  en  mesure 
de  le  rendre.  Le  roi,  ainsi  déçu,  ne  pourrait-il  pas  vouloir  s'en  dédommager 
à  ses  dépens?  Cette  marche  de  Crespv  sur  Compiègne,  quand  Compiègne 
se  donnait  de  soi-même,  semblait  trahir  la  secrète  pensée  d'aller  prendre 
Paris  ou  à  Lille  ou  dans  Arras.  Il  y  avait  donc  au  moins  des  ménagements 
à  observer;  et  la  plupart  des  conseillers  du  duc  inclinaient  franchement  à  la 
paix;  mais  le  duc  lui-même  était  trop  circonvenu  par  les  agents  de  Bedford. 
Le  régent  le  sut  retenir  par  de  fortes  remontrances;  et  le  duc  se  borna  à  en- 
voyer Jean  de  Luxembourg  et  l'évêquc  d'Arras  à  Charles  VII,  pour  lui 
donner  de  belles  paroles.  On  parlait  de  paix  générale  :  le  duc  de  Savoie  s'en 
faisait  le  médiateur.  Pour  la  préparer,  on  fit  une  trêve  à  laquelle  les  Anglais 
avaient  faculté  d'accéder,  trêve  qui  devait  durer  jusqu'à  Noël  et  comprenait 
tout  le  pays  situé  au  nord  de  la  Seine ,  de  Nogent  à  Harfleur,  excepté  les 
villes  ayant  passage  sur  la  Seine.  De  Paris,  pas  un  mot,  si  ce  n'est  pour 
laisser  au  duc  la  liberté  de  «  s'emplo3'er,  pendant  la  trêve,  lui  et  ses  gens, 
à  la  défense  delà  ville  »  contre  tous  ceux  qui  l'attaqueraient.  Le  duc,  il  est 
vrai,  ne  révoquait  pas  la  promesse  trompeuse  qu'il  avait  faite  de  la  livrer  au 
roi;  mais,  en  attendant,  c'était  lui  qui  devait  tenir  du  roi  Compiègne  pour 
tout  le  temps  de  la  trêve  (28  août). 

Le  roi  était  là  depuis  plusieurs  jours,  recevant  la  soumission  d'une  foule 
de  places  du  voisinage  :  Creil,  Pont-Sainte-Maxence ,  Choisy-sur- Aisne, 
Gournai-sur-Aronde ,  Chantilly,  etc.  ;  et  il  aurait  pu,  sans  ces  négociations 
avec  le  duc  de  Bourgogne,  amener  à  lui  les  villes  les  plus  considérables  de 
la  Picardie  :  Saint-Quentin,  Corbie,  Amiens,  Abbaville;  car  «  la  plupart 
des  habitants  d'icelles,  dit  l'historien  bourguignon  Monstrelet,  étoient  tout 
prêts  de  le  recevoir  à  seigneur,  et  ne  désiroient  au  monde  autre  chose  que 
de  lui  faire  obéissance  et  pleine  ouverture.  >>  Mais  la  Pucelle  ne  le  voyait 
pas  sans  chagrin  oublier  parmi  ces  soumissions  volontaires,  abandonner  sur 


PARIS.  ,73 

une  folle  espérance ,  la  \'ille  sans  laquelle  la  possession  des  autres  n'avait 
rien  de  durable  ni  d'assuré.  Pour  le  tirer  de  sa  fausse  quiétude,  elle  lit  ce 
qu'elle  avait  fait  à  Gien  pour  l'entraîner  au  voyage  de  Reims.  Elle  ne  prit 
conseil  de  personne.  Elle  appela  le  duc  d'Alençon  et  lui  dit  :  «  Mon  beau 
duc,  faites  appareiller  vos  gens  et  ceux  des  autres  capitaines  ;  je  veux  aller 
voir  Paris  de  plus  près  que  je  ne  l'ai  vu.  » 

'  I.'.4TT.\QUE    DE   PARIS. 

Le  mardi  23  août,  la  Pucelle  et  le  duc  d'Alençon  partirent  en  eiïet  de 
Compiègne  avec  une  nombreuse  troupe  d'hommes  d'armes.  Ils  rallièrent 
en  passant  une  partie  de  ceux  qui  étaient  demeurés  à  Senlis, et  le  vendredi 
suivant,  2(î ,  ils  se  logeaient  à  Saint-Denis.  Le  roi,  sous  peine  de  rester 
presque  seul  à  Compiègne,  était  bien  forcé  de  les  suivre,  car  tous  les  vou- 
laient rejoindre.  La  trêve  signée,  il  vint  donc  jusqu'à  Senlis  d'abord  (du  28 
au  3o),  «  à  grant  regret,  »  dit  l'historien  du  duc  d'Alençon  ;  —  et  la  teneur 
de  l'acte  qu'il  venait  de  conclure  marque  bien  en  effet  que  cela  n'entrait  pas 
dans  ses  vues:  — «  et  sembloit  qu'il  fût  conseillé  au  contraire  du  vouloir  de 
la  Pucelle,  du  duc  d'Alençon  et  de  ceux  de  leur  compagnie.  » 

Au  moment  où  le  roi  hésitait  à  se  rapprocher  de  Paris,  Bedford  n'osait 
plus  y  rester,  craignant  le  soulèvement ,  non  point  tant  de  la  ville  que  de  la 
Normandie.  A  Paris,  les  haines  civiles  lui  donnaient  encore,  dans  le  parti 
bourguignon  ,  des  auxiliaires  contre  les  Armagnacs.  Mais  la  Normandie 
n'était  point  travaillée  des  mêmes  passions  :  l'empire  des  Anglais  y  était  de- 
venu une  domination  étrangère ,  et  au  commencement  de  cette  année  même 
on  avait  découvert  un  complot  qui  ne  tendait  pas  moins  qu'à  leur  enlever 
Rouen.  L'exemple  de  Beauvais,  puis  d'Aumale,  montrait  au  régent  la  dé- 
fection gagnant  de  proche  en  proche;  et  il  savait  aux  frontières  de  cette 
province  le  connétable  ,  qui,  exclu  du  vo3'age  de  Reims,  briàlait  de  montrer 
ce  qu'il  pouvait  à  lui  seul.  Il  laissa  donc,  pour  garder  Paris,  Louis  de 
Luxembourg ,  évêque  de  Thérouanne ,  son  chancelier  de  France ,  un  cheva- 
lier anglais,  nommé  Radie}',  avec  environ  deux  mille  Anglais,  et  l'Isle- 
Adam  avec  ses  Bourguignons,  et  il  partit  pour  Rouen. 


174  JEANNE   D'ARC. 


Les  représentants  de  BeJford ,  à  Paris,  ne  négligèrent  rien  pour  assurer 
la  défense  de  !a  ville.  Le  26,  le  jour  où  la  Pucelle  et  le  duc  d'Alençon  arri- 
vaient à  Saint-Denis,  le  chancelier  Louis  de  Luxembourg  réunit  en  la 
chambre  du  parlement  tous  les  membres  du  corps,  Tévèque  et  le  prévôt  de 
Paris  (Simon  Morbier*,  les  maîtres  des  comptes,  les  prieurs  des  couvents, 
les  curés  des  paroisses,  etc.,  et  il  leur  fit  renouveler  le  serment  de  fidélité 
qu'ils  avaient  déjà  prêté  en  présence  de  Bedford,  et  tout  récemment  encore 
avant  son  départ;  puis  il  commit  deux  magistrats  pour  aller  dans  les  cou- 
vents et  les  églises  recevoir  pareil  serment  des  clercs,  tant  réguliers  que  sé- 
culiers. En  même  temps  les  vingt-quatre  chefs  de  quartiers  s'occupaient  de 
fortifier,  chacun  dans  sa  section,  les  portes  de  la  ville  et  les  maisons  qui 
étaient  sur  les  murs.  On  y  mettait  les  canons  en  batterie;  on  y  disposait  des 
tonnes  pleines  de  pierres;  on  réparait  les  fossés,  on  établissait  de  nouvelles 
barrières  au  dedans  et  au  dehors.  Il  fallait  des  hommes  pour  donner  force  à 
ces  dispositions  :  on  excitait  la  muhitude  en  faisant  appel  à  la  haine  et  à  la 
peur.  On  disait  que  le  prétendu  roi  avait  promis  d'abandonner  à  ses  gens 
Paris  tout  entier,  hommes  et  femmes,  grands  et  petits,  et  que  son  intention 
était  de  passer  la  charrue  sur  la  ville  :  «  ce  qui  n'est  pas  facile  à  croire,  » 
dit  l'honnête  grellier  du  parlement ,  auquel  on  doit  ces  détails;  mais  la  foule  , 
en  pareil  cas,  croit  tout  sans  raisonner. 

Le  duc  d'Alençon  avait  commencé  par  inviter  les  échevins  à  recevoir  le 
roi,  et  il  avait  fait  jeter  des  proclamations  dans  la  ville  pour  agir  sur  le  peu- 
ple. Mais  on  lui  répondit  comme  il  pouvait  l'attendre  de  ceux  qui  comman- 
daient au  nom  des  Anglais,  et  on  l'engagea  à  s'abstenir  de  pareilles  démar- 
ches. Il  en  vint  donc  aux  armes,  et  il  ne  se  passait  pas  de  jour  qu'il  n'y 
eijt  deux  ou  trois  escarmouches  aux  portes  de  Paris,  sur  un  point  ou  sur  un 
autre,  et  notamment  auprès  d'un  moulin  qui  s'élevait  entre  la  porte  Saint- 
Denis  du  temps  et  la  Chapelle  '.  La  Pucelle  assistait  à  ces  escarmouches  et 
examinait  avec  grande  attention  la  situation  de  Paris,  afin  de  voir  où  donner 
l'assaut.  Mais  l'assaut  ne  pouvait  se  donner  tant  que  le  roi  n'amenait  pas  le 
reste  des  troupes.  Les  messages  qu'on  lui  envoyait  restant  sans  réponse,  le 
duc  d'Alençon  vint  lui-même  à  Senlis,  le  1"  septem'Dre,  puis,  sa  démarche 

•  Le  moulin  dont  il  est  question  était,  selon  toute  apparence,  sur  la  hauteur  où  s'élève  aujourd'hui 
l'église  de  Notre-Dame  de  Bonne-Nouvelle. 


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JEANNE   D'ARC. 


n'ayant  pas  eu  plus  de  résultat  le  3  ,  cette  fois  il  fit  tant  que  le  roi  se 
mit  en  route  et  vint,  le  mercredi  7,  dîner  à  Saint-Denis.  Son  arrivée  fut 
saluée  comme  une  victoire.  On  ne  doutait  plus  du  succès,  après  avoir 
triomphé  de  cette  étrange  résistance-,  et  il  n'3'  avait  personne  qui  ne  dît  dans 
Tarmée  :  «  Elle  mettra  le  roi  dedans  Paris,  si  à  lui  ne  tient.  » 

Dès  que  le  duc  d'Alençon  eut  rapporté  l'assurance  que  le  roi  venait ,  la 
troupe,  logée  à  Saint-Denis,  alla  s'établir  à  la  Chapelle  i  le  ô).  Le  jour  même 
de  son  arrivée  de  7),  il  y  eut  une  plus  forte  escarmouche;  et  les  Parisiens,  se 
figurant  que  dès  cette  heure  on  voulait  prendre  la  ville,  s'applaudissaient 
comme  d'un  triomphe  du  résultat  de  la  lutte.  Ils  étaient  fiers  surtout  d'avoir 
tenu  contre  «  cette  créature  qui  étoit  en  forme  de  femme  avec  eux,  que  on 
nommait  la  Pucelle.  Que  c'étoit.  Dieu  le  sait,  «  dit  le  Bourgeois  de  Paris. 

L'assaut,  qu'on  ne  songeait  point  à  donner  ce  jour-là,  fut  tenté  plus 
sérieusement  le  lendemain. 

C'était  encore  un  jour  de  fête  (la  Nativité);  mais  la  Pucelle  ne  croyait 
pas  que  ces  temps  fussent  moins  propices  à  la  sainte  mission  qu'elle  avait 
reçue.  Et  si,  comme  elle  le  dit  dans  son  procès,  les  seigneurs  qui  eurent  la 
pensée  d'attaquer  Paris  en  ce  jour,  ne  voulaient  faire  encore  «  qu'une  escar- 
niouche  ou  une  vaillance  d'armes,  »  elle  avait  résolu  «  d'aller  outre  »  et  de 
les  entraîner  après  elle  au  delà  des  fossés.  Ils  partirent  à  huit  heures  de  la 
Chapelle,  divisés  en  deux  corps  :  les  uns  devaient  attaquer,  les  autres  de- 
meurer en  observation  pour  prévenir  les  sorties  et  couvrir  les  assaillants. 
Alençon  et  Clermont,  chargés  du  second  rôle,  allèrent  se  loger  derrière  une 
forte  butte  le  marché  aux  Pourceaux,  depuis  butte  des  Moulins  ou  butte 
Saint-Roch  ,  d'où  ils  pouvaient  surveiller  la  porte  Saint-Denis.  Rais,  Gau- 
court  et  la  Pucelle  se  dirigèrent  vers  la  porte  Saint-Honoré-,  et  dès  l'abord 
ils  forcèrent  la  barrière  et  enlevèrent  le  boulevard  qui  la  protégeait.  Comme 
la  porte  restait  close  et  que  d'aucun  côté  on  ne  sortait  de  la  ville,  la  Pucelle, 
tenant  à  la  main  son  étendard,  se  jeta  avec  les  plus  hardis  dans  les  tossés, 
sous  le  feu  de  la  place.  Pierriers,  canons,  coulevrines  étaient  dirigés  contre 
les  assaillants;  et  un  obstacle  imprévu  les  tenait  exposés  à  tous  les  coups 
sans  qu'ils  pussent  arriver  aux  murailles.  Ils  avaient  bien  franchi  le  premier 
fossé,  qui  était  à  sec,  et  le  dos  d'àne;  miis  au  revers  ils  avaient  trouvé  le 
second  fossé  rempli  d'eau. 


JEANNE    d'aHC.    III.    —    23 


178  JEANNE   D'ARC. 


Jeanne,  quoique  surprise,  ne  s'en  rebuta  point;  et,  tout  en  sommant  la 
ville  de  se  rendre,  elle  sondait  du  bois  de  son  étendard  la  profondeur  de  Teau 
et  donnait  ordre  d'apporter  des  fagots  qu'elle  y  faisait  jeter  pour  établir  un 
passage,  quand  elle  fut  frappée  à  la  cuisse  d'un  trait  d'arbalète.  Il  était  soir, 
et  cependant  Jeanne,  bien  qu'elle  fût  blessée,  demeurait  là;  elle  continuait 
de  faire  combler  le  fossé,  et  pressait  les  soldats  de  courir  aux  murs,  leur 
disant  que  la  place  serait  prise.  Et  en  effet,  l'émotion  était  grande  dans  le 
peuple.  Dès  le  commencement  de  l'assaut,  on  avait  vu  des  gens  criant  par  la 
ville  que  tout  était  perdu,  que  les  ennemis  étaient  entrés  dans  Paris,  qu'il 
n'y  avait  plus  qu'à  songer  chacun  à  soi-même;  et  la  multitude,  que  les  pré- 
dicateurs haranguaient  dans  les  églises,  s'enfuyait  en  désordre;  on  rentrait 
dans  les  maisons,  on  fermait  les  portes.  Mais  l'assaut  durait  depuis  midi; 
et  les  capitaines,  voyant  les  troupes  lasses  et  Jeanne  blessée,  résolurent  de 
le  suspendre.  Vainement  elle  insistait,  refusant  de  s'éloigner  :  ils  rappelèrent 
les  troupes.  Quant  à  elle,  il  fallut  que  le  duc  d'Alençon,  Gaucourt  et  d'au- 
tres vinssent  la  prendre  de  force  et  la  missent  à  che\al  pour  la  ramener  à  la 
Chapelle;  et,  sous  le  feu  des  canons  qui,  de  la  porte  Saint- Denis,  la  pour- 
suivaient de  leurs  boulets  jusque  par  de  là  Saint-Lazare,  elle  ne  cessait  de 
protester,  aflirmant  que  la  place  eût  été  prise. 

Jeanne  comptait  bien  encore  qu'elle  le  serait.  Le  lendemain,  malgré  sa 
blessure,  elle  se  leva  de  grand  matin;  et,  faisant  appeler  le  duc  d'Alençon 
qui  était  toujours  comme  l'interprète  de  ses  volontés  dans  le  commandement, 
elle  le  pria  de  faire  sonner  les  trompettes  et  monter  à  cheval  pour  retour- 
ner devant  Paris,  promettant  de  n'en  point  partir  qu'elle  n'eût  la  ville.  Le 
duc  d'Alençon  et  plusieurs  autres  ne  demandaient  pas  mieux;  et  leur  espoir 
n'était  pas  sans  fondement.  Quoique  dominée  par  les  Anglais,  cette  grande 
cité  était  loin  d'être  unanime  dans  le  parti  bourguignon,  et  l'on  a  vu  le 
trouble  excité  la  veille,  moins  par  l'assaut  peut-être  qu'à  l'occasion  de 
l'assaut.  Au  milieu  de  ces  alarmes,  il  n'eût  pas  été  difficile  ,  il  était  encore 
possible  de  forcer  la  place.  Et  ce  n'était  pas  seulement  une  multitude  cédant 
à  la  peur  :  c'étaient  les  plus  nobles  de  la  chevalerie,  qui  regardaient  la  venue 
de  la  Pucelle  comme  un  signal  de  se  rallier  au  roi.  Au  moment  où  le  duc 
d'Alençon  donnait  l'ordre  de  marcher  sur  la  ville,  le  baron  de  Montmorency 
et  cinquante  ou  soixante  gentilshommes  en  sortaient  pour  se  joindre  à  la 


PARIS. 


'79 


compagnie  de  la  Pucelle.  Mais,  comme  tous  réunis  approchaient  des  mu- 
railles, pleins  d'ardeur,  René  d'Anjou  et  le  comte  de  Clermont  vinrent  au 
nom  du  roi  inviter  la  Pucelle  à  retourner  vers  lui  à  Saint-Denis;  ordre  était 
donné  en  même  temps  au  duc  dWlençon  et  aux  autres  capitaines  de  revenir 
et  de  la  ramener. 

Ils  obéirent,  la  douleur  dans  l'àme.  Mais,  en  s'éloignant  de  la  place,  ils 
ne  perdaient  point  Tespérance  d'y  retourner  par  un  autre  chemin.  Le  roi 
avait  cédé  peut-être  à  la  crainte  de  renouveler  contre  de  trop  forts  obstacles 
un  assaut  malheureux.  Or  le  duc  d'Alencon  avait  fait  jeter  un  pont  sur  la 


Fig.  Si.  —  Jeanne,  blessée  à  la  cuisse  d'un  trait  d'arbalète  devant  Paris,  est  ramenée  de  force  au  camp  par 
le  duc  d'Alençon  et  le  sire  de  Gaucourt.  Elle  ne  cesse  de  protester,  affirmant  que,  si  l'on  continuait 
l'assaut,  la  place  serait  bientôt  prise.  —  Bas-relief  de  M.  Vital-Dubray,  à  Orléans,  xix»  siècle. 

Seine  à  Saint-Denis  :  on  pouvait  passer  la  rivière  et  attaquer  brusquement  la 
ville  par  un  côté  où  elle  ne  craignait  rien.  Le  roi  ne  s'expliqua  point  sur  ce 
projet;  mais  dans  la  nuit  suivante  (du  vendredi  au  samedi),  il  fit  détruire  le 
pont.  C'était  assez  déclarer  qu'il  ne  voulait  plus  attaquer  Paris  d'aucune 
manière.  Il  demeura  quelques  jours  encore  à  Saint-Denis.  «  Il  s'y  fit  intro- 
niser, selon  l'usage,  «  dit  Thomas  Basin.  Mais  il  semblait  qu'une  fois 
investi  de  tous  les  symboles  de  la  royauté,  il  pût  sans  inconvénient  en  aban- 
donner tous  les  gages.  Il  tint  plusieurs  conseils  :  il  y  pourvut  au  gouverne- 
ment des  pays  récemment  réunis.  Il  les  confia  au  comte  de  Clermont,  et 
laissa  à  Saint-Denis  le  comte  de  Vendôme  et  le  sire  de  Culan ,  amiral  de 


i8o  JEANNE  D'ARC. 


France,  avec  des  forces  capables  de  surveiller  momentanément,  mais  non 
plus  de  menacer  Paris.  Évidemment  il  ne  s'agissait  plus  que  de  protéger  le 
roi  dans  sa  retraite.  Il  partit  le  i3  ,  adressant,  de  ce  jour  même,  aux  princi- 
pales villes  une  circulaire  où  il  donnait  pour  motif  à  son  départ  la  trêve 
conclue  avec  le  duc  de  Bourgogne  jusqu'à  Noël,  la  nécessité  d'alléger  le 
pays  de  la  présence  des  troupes  qu'il  ne  pouvait  plus  employer  au  fait  de  la 
guerre,  et  le  dessein  d'aller  outre  Seine  rassembler  une  armée  plus  grande, 
afin  de  poursuivre  le  recouvrement  du  reste  de  sa  seigneurie.  La  trêve  ne  le 
gênait  pas  du  côtédes  Anglais-,  et ,  s'il  avait  eu  vraiment  à  cœur  de  travailler 
à  l'achèvement  de  la  conquête,  ce  ne  sont  pas  les  troupes  qui  lui  faisaient 
défaut. 

Quand  la  Pucelle  vit  que  par  aucune  raison  elle  ne  pouvait  plus  le  retenir, 
elle  vint  dans  l'abbaye  de  Saint-Denis,  et  déposa  ses  armes  en  offrande  au 
pied  de  l'image  de  la  sainte  ^'ierge  et  devant  les  reliques  du  samt  patron  du 
royaume  :  pieux  hommage  à  celui  qu'on  invoquait  dans  les  batailles,  «  pour 
ce  que  c'est  le  cry  de  France,  »  dit-elle-,  et  en  même  temps  protestation 
muette  contre  une  résolution  qui  désarmait  le  roi.  ^lais  elle-même  ne  le 
quittait  point,  parce  que  moins  que  jamais  elle  devait  croire  sa  mission  ter- 
minée. Elle  le  suivit  donc,  pleine  de  tristesse,  dans  un  chemin  si  différent 
de  celui  où  elle  le  conduisait  naguère.  Naguère  on  marchait  en  avant ,  et 
chaque  pas  était  marqué  par  un  triomphe  qui  acheminait  vers  la  libération  du 
royaume  :  maintenant  on  se  retirait  de  cette  capitale  où  Jeanne  avait  compté 
introduire  son  roi  couronné;  et  la  retraite  se  faisait  avec  une  telle  précipi- 
tation ,  que  parfois  elle  aurait  pu  ressembler  à  une  fuite.  On  passait  non 
par  les  villes  qu'il  eût  fallu  rallier  encore,  mais  parcelles  dont  la  soumission 
promettait  un  plus  sûr  passage  :  Lagny,  Provins,  Bray.  Cette  fois,  les 
Anglais  n'étaient  plus  là  pour  fermer  la  route.  Sens  refusait  d'ouvrir  ses 
portes  :  on  passa  l'Yonne  à  gué,  près  de  la  ville,  et  l'on  revint  enfin  par 
Courtenay,  Château- Regnart  et  Montargis  à  Gien,  d'où  l'on  était  parti  en 
un  bien  autre  appareil  trois  mois  auparavant  21  septembre  . 

Quelle  était  la  cause  de  ce  départ  précipité  du  roi,  et  quelles  raisons 
pouvait-on  alléguer  dans  ses  conseils  pour  l'amener  à  cette  retraite,  quand 
celle  qui  avait  délivré  Orléans,  vaincu  l'Anglais  et  accompli  le  voyage  de 
Reims,  selon  qu'elle  l'avait  prédit   contre  toute  apparence,  continuait  de 


PARIS. 


dire  qu'elle  mettrait  le  roi  dans  Paris?  Ce  qu'on  alléguait,  c'étaient  les 
promesses  du  duc  de  Bourgogne,  promesses  qu'il  venait  de  renouveler, 
dit-on,  par  un  héraut,  devant  Paris  même,  et  auxquelles  on  affectait  tou- 
jours de  croire.  Mais  ne  valait-il  pas  mieux  prendre  Paris  sans  le  duc  que 


1^;.  Si  —  Saint  4ndré  s  appuyant  sur  sa  croix  et  ie  duc  Je  Bourgogne  à  genoux.  Miniature  des  ClironiLjucs 
Je  Bnui^n^nte,  ms.  du  W-  siècle,  à  la  bibliothèque  Je  Bruxelles.  —  Les  partisans  du  duc  Je  Bourgogne  à 
Pans  portaient  la  croix  Je  Saint-André. 


par  le  duc?  Oui,  sans  doute,  de  l'aveu  de  tout  le  monde,  à  l'exception 
toutefois  de  ceux  qui  dominaient  dans  les  conseils  de  Charles  VII.  Prendre 
Paris  sans  le  duc  de  Bourgogne,  c'était  le  prendre  par  la  seule  force  de  la 
Pucelle  et  de  l'armée;  c'était  faire  passer  aux  capitaines  toute  l'importance 
que  se  donnaient  les  favoris  :  car  il  ne  suffisait  pas  de  le  prendre,   il  le 


i82  JEANNE   D'ARC. 


fallait  garder.  Il  eût  donc  fallu  que  le  roi  fut  dès  lors  ce  qu'il  devint  plus 
tard,  qu'il  entrât  sérieusement  dans  la  conduite  de  son  gouvernement  •,  et, 
pour  cela,  il  avait  besoin  d'autres  hommes.  Prendre  Paris  par  le  duc  de 
Bourgogne,  c'était  peut-être  le  lui  laisser  -,  mais  on  acquérait  la  sécurité 
sans  contracter  l'obligation  d'agir,  et  le  roi  pouvait  continuer  plus  à  l'aise 
la  vie  qu'il  menait  dans  ses  châteaux  de  la  Loire.  Le  choix  des  courtisans 
fut  donc  bien  vite  arrêté.  C'était  à  leur  corps  défendant,  et  comme  sous  la 
contrainte  de  la  Pucelle,  qu'ils  avaient  laissé  le  roi  aller  de  Compiègne  à 
Scnlis,  et  de  Senlis  à  Saint-Denis  :  l'accident  qui  avait  fait  suspendre 
l'assaut  avait  été  pour  eux  une  trop  bonne  occasion  d'y  renoncer.  On  partit, 
sans  vouloir  se  dire  que  partir  après  une  attaque  manquée  ,  c'était  en  faire 
un  véritable  échec  ;  c'était  exalter  dans  Paris  les  ennemis  du  roi,  et  mettre 
le  duc  de  Bourgogne,  l'eùt-il  voulu,  dans  l'impossibilité  de  lui  donner  la 
ville.  Et  on  le  vit  bientôt.  Le  duc  de  Bourgogne,  muni  du  Çauf-conduit  du 
roi,  vint  à  Paris  (3o  septembre\  traversant  tout  le  pays  repris  par  les 
Français,  salué  au  passage  par  l'archevêque  de  Reims,  chancelier  de 
France,  et  par  le  comte  de  Clermont,  commandant  des  troupes  françaises 
en  CCS  contrées;  et  il  répondit  à  ses  avances  en  resserrant  son  alliance  avec 
Bedford.  Bedford  lui  donna  la  lieutenance  du  royaume  et  bientôt  l'investi- 
ture de  la  Champagne,  c'est-à-dire  la  charge  de  reprendre  Reims  et  de 
garder  Paris,  ne  retenant  pour  lui-même,  avec  son  titre  de  régent,  que  le 
gouvernement  de  la  Normandie-,  et  les  Anglais,  qui  avaient  craint  même 
pour  cette  province,  se  prirent  de  nouveau  à  espérer  la  conquête  de  la 
France. 

Cette  retraite  devait  avoir  une  autre  conséquence  fâcheuse-,  mais  il  semble 
qu'au  gré  des  courtisans  ce  fût  encore  une  bonne  fortune  :  c'était  de  com- 
promettre l'autorité  de  la  Pucelle.  Jeanne  avait  dit  qu'elle  était  envoyée 
pour  délivrer  Orléans,  faire  sacrer  le  roi  à  Reims  et  chasser  les  Anglais 
du  ro3'aume.  On  l'avait  volontiers  laissée  délivrer  Orléans;  on  l'avait 
suivie  de  mauvaise  grâce  jusqu'à  Reims,  et  par  contrainte  jusqu'à  Paris. 
Si  on  entrait  à  Paris  comme  à  Reims,  il  faudrait  donc  lui  obéir  encore 
quand  elle  voudrait  ne  laisser  aucun  repos  que  l'Anglais  ne  fut  chassé  de 
France.  Il  était  plus  que  temps  de  s'arrêter  si  on  ne  voulait  être  jeté  dans 
le  mouvement  de  cette  grande  guerre.  L'échec  de  Paris  mettait  en  doute 


i84  JEANNE   D'ARC. 


une  parole  que  le  peuple  tenait  pour  prophétique,  et  dispensait  de  lui  céder 
à  Tavenir.  A  voir  comme  les  ennemis  triomphent  de  cet  échec,  on  peut 
deviner  combien  les  esprits  dans  le  camp  du  roi  pouvaient  être  ébranlés. 
«  Elle  leur  avoit  promis  ,  dit  le  faux  Bourgeois,  que,  sans  nulle  faute,  ils 
gagneroient  à  celui  assaut  la  ville  de  Paris,  par  force,  et  qu'elle  y  gîroit 
celle  nuit,  et  eux  tous,  et  qu'ils  seroient  tous  enrichis  des  biens  de  la  cité... 
Mais  Dieu,  qui  mua  la  grande  entreprise  d'Holopherne  par  une  femme 
nommée  Judith,  ordonna  par  sa  pitié  autrement  qu'ils  ne  pensoient.  »  Est-il 
besoin  de  répondre  aux  allégations  du  Bourgeois?  Les  paroles  de  Jeanne  et 
les  faits  n'en  sont-ils  pas  une  réfutation  suffisante  ?  Jeanne  disait  aux  siens 
que  la  place  serait  prise;  mais  à  une  condition,  c'est  qu'on  persévérât.  Pour 
prendre  aussi  une  comparaison  dans  la  Bible,  elle  n'avait  pas  dit  que 
devant  son  étendard  les  murs  de  Paris  crouleraient  comme  ceux  de  Jéricho 
devant  l'Arche  ;  mais  qu'on  les  assaillît,  qu'on  fît  effort,  et  que  Dieu  aide- 
rait. A  Orléans  aussi,  de\'ant  les  Tourelles,  les  capitaines  voulaient  se 
retirer  après  sa  blessure  :  elle  les  retint,  et  la  bastille  fut  prise.  Si  à  Paris 
on  eut  fait  de  même,  on  aurait  eu,  tout  permet  de  le  croire,  semblable 
succès.  L'affaire  de  Paris  ne  prouve  donc  rien  contre  la  Pucelle  et  sa  mis- 
sion. Sa  mission,  comme  elle  l'avait  définie  dans  sa  lettre  à  Bedford, 
impliquait  bien  qu'elle  y  menât  le  roi.  Après  Reims,  c'est  à  Paris  qu'il 
fallait  aller  pour  hâter  l'heure  où  les  Anglais  seraient  «boutés  horsde  toute 
France.  »  C'est  ce  qu'avait  fait  Jeanne.  Même  après  son  échec,  ses  voix  lui 
commandaient  (elle-même  le  déclare"  de  persévérer  en  demeurant  à  Saint- 
Denis;  mais  elles  ne  lui  avaient  pas  révélé  qu'on  y  entrerait,  quoi  qu'on 
fît,  ni  que  l'assaut  dàt  réussir  ou  échouer.  C'est  à  ceux  qui  l'arrêtèrent 
quand  elle  disait  d'aller  en  avant,  et  le  lendemain  quand  elle  voulait  renou- 
veler la  tentative,  c'est  à  ceux-là  de  répondre  de  l'échec. 


V  siiclc,  a-  189,  il  la  Biblioth.  nnt. 


COMPIEGNE 


Le  Séjour  sur  la  Loire.  —  Le  Sie'ge  de  Compiègne. 


LE    SEJOUR    SUR    LA    LOIRE. 


retour  du  roi  à  Gicn  eut  les  suites  quel'on 
pouvait  prévoir.  Presque  aussitôt  après  son 
dupart  de  Saint-Denis,  la  garnison  qu'il  y 
a\  lit  laissée  avec  Vendôme  se  repliait  sur 
Scnlis  :  les  Anglais,  se  jetant  sur  la  ville, 
la  pillèrent,  et  sans  crainte  du  sacrilège 
emportèrent,  comme  en  trophée ,  les  armes 
que  la  Pucelle  avait  déposées  dans  Féglise 
^^^-LS  de  Fabbaye.  Puis  ils  élevèrent  une  nouvelle 
^'^  '  forteresse  dont  ils  firent  capitaine  le  prévôt 
de  Paris,  Simon  Morbier.  Le  mal  était 
réparable  si  le  duc  de  Bourgogne  tenait  ses  promesses  ;  et  le  comte  de 
Clermont,  lieutenant  du  roi  dans  ces  contrées,  paraissait  y  compter 
toujours.  Le  premier  usage  qu'il  fit  de  ses  pouvoirs  fut  d'expédier  au  duc, 
au  nom  du  roi,  des  lettres  qui  comprenaient,  dans  la  trêve  de  quatre  mois 
faite  avec  lui,  Paris  et  ses  environs,  savoir  :  Saint- Denis  et  le  château  de 
Vincennes,  les  ponts  de  Charenton  et  de  Saint-Cloud  (i8  septembre:.  Le 
duc  de   Bourgogne  y  vint  donc  alors   à  travers  l'armée  royale,  muni  du 

JEANNE    d'arc.    Ili.    —    24 


i8G  JEANNE   D'ARC. 


sauf-conduit  du  roi  (on  a  vu  avec  quels  honneurs),  et  il  parut  encore  donner 
suite  aux  négociations  entamées.  Il  envoyait  à  son  tour  un  sauf-conduit 
au  chancelier  de  France.  Il  le  faisait  recevoir  à  Saint-Denis  par  Jean  de 
Luxembourg  et  le  sire  de  Lannoy;  et  plusieurs  jours  se  passèrent  en 
conférences  :  mais  tout  se  borna  aux  conventions  déjà  signées.  Ce  n'était 
point  pour  livrer  Paris  au  roi  de  France  que  le  duc  de  Bourgogne  acceptait 
de  Bedford  la  charge  de  le  gouverner.  Le  roi,  en  le  comprenant  dans  les 
trêves,  n'avait  fait  que  fournir  au  duc  le  mo_ven  d'inaugurer  son  avènement 
au  pouvoir  par  un  acte  agréable  aux  Parisiens.  La  trêve  qui  les  touchait 
fut  publiée  devant  le  duc  et  les  bourgeois  assemblés,  en  même  temps  que 
les  lettres  qui  l'investissaient  de  la  lieutenance  du  roj'aume. 

Paris  demeurait  donc  aux  Anglais  avec  l'assurance  qu'on  ne  l'inquiéte- 
rait pas;  mais  les  Anglais  n'avaient  aucun  engagement  de  ce  genre  envers 
les  pays  soumis  à  Charles  VIL  II  fallait  que  le  roi,  tout  en  s'abstenant 
d'attaquer  sur  ce  point,  songeât  à  se  défendre  sur  tous  les  autres.  Il  parut 
bien  ne  vouloir  délaisser  aucune  des  villes  qui  venaient  de  se  donner  à  lui. 
A  peine  arrivé  à  Gien,  il  écrivit  (le  23  septembre)  aux  habitants  de  Troyes 
qu'il  avait  donné  ordre  à  Vendôme  de  leur  venir  en  aide.  Pourquoi  Ven- 
dôme? N'avait-il  pas  bien  assez  de  garder  Senlis  ?  et  était-ce  trop,  pour  l'Ile- 
de-P'rance,  du  comte  de  Clermontet  des  seigneurs  demeurés  avec  lui?  Mais 
l'armée  que  Charles  VII  ramenait  sur  la  Loire  et  qu'il  avait  tant  d'occa- 
sions d'employer  ailleurs,  était  à  la  veille  de  se  dissoudre.  Le  duc  d'Alençon 
s'en  alla  en  sa  vicomte  de  Beaumont,  où  l'attendait  sa  femme;  et  les  autres 
capitaines,  chacun  en  son  gouvernement. 

Jeanne  était  demeurée  auprès  du  roi,  presque  seule,  et  fort  triste  de 
l'inaction  où  elle  était  réduite.  Cependant  le  duc  d'Alençon,  qui  partageait 
si  complètement  ses  vues,  revint  bientôt  s'offrir  pour  l'en  tirer.  Il  avait  réuni 
des  hommes  d'armes,  et  proposait  d'entrer  en  Normandie  par  les  marches 
de  la  Bretagne  et  du  Maine,  pourvu  qu'on  lui  donnât  la  Pucelle  :  car, 
selon  qu'elle  serait  ou  ne  serait  pas  avec  lui,  sa  troupe  allait  bientôt  se 
grossir  ou  se  disperser.  Les  circonstances  paraissaient  favorables.  Les  Fran- 
çais avaient  dans  le  pays  des  partisans  :  Étrépagny,  Laval,  Torcy,  venaient 
de  leur  être  livrés.  On  refusa.  L'archevêque  de  Reims,  la  Trémouillc  et 
le  sire  de  Gaucourt,  «  qui  lors  gouvernoient  le  corps  du  roy  et  le  fait  de  sa 


COMPIEGNE. 


187 


guerre,    »    ne    voulurent  à  aucun    prix   consentir  à   cette   réunion  du  duc 
d'Alençon  et  de  la   Pucelle.  Le  duc,  ils    le  sentaient  bien,  aurait  gagné  en 


Fig.  84. —  Charles  V'II  entouré  de  sa  cour.  D'après  un  dessin  à  la  sanguine  de  la  fin  du  quinzième  siècle  , 
communiqué  par  M.  de  Braux,àBoucq  (Meurthe). —  Charles  Vil,  assis  sur  son  trône,  est  environné  de  ses 
principaux  gentilshommes,  parmi  lesquels  se  distinguent  à  la  fois  par  leurs  insignes  et  par  leurs  noms;  le 
connétable  de  Richement,  qui,  en  sa  qualité  de  connétable,  porte  l'épée  du  roi;  le  comte  de  Dunois,  grand 
chambellan;  Jean  Bureau,  grand  maître  de  l'artillerie;Joachim  Roua  ult;  le  grand  sénéchal  Pierre  de  Brézc  ; 
et  derrière,  au  premier  plan,  Jeanne  la  Pucelle.  —  Cette  composition  se  retrouve  en  miniature  dans  deux 
mss.  de  Jean  Chartier,  tous  deux  du  xv'  s.:  l'un  à  la  biblioth.  de  l'Arsenal,  à  Paris;  l'autre  à  la  biblioth. 
de  Rouen. 


importance  tout  ce  qu'il  eut  ajouté  à  la  fortune  du  roi.  L'historien  Perccval 
de  Cagny  a  bien  le  droit  de   mettre  à  la  charge  du  conseil   les  conséquences 


JEANNE   D'ARC. 


/    'v"^  '^   de  cette  résolution,  et  de  lletnr  cette  résistance  délibérée  a 
la  CTrâce  dont  la  Pucelle  était  la  messagère  (octobre  1420;. 


Le  roi  allait  donc  promenant  ses  loisirs  en  Touraine, 
en  Poitou,  en  Berri  ;  et,  pendant  ce  temps-là,  tout  était 
en  proie  dans  le  pays  qu'il  avait  abandonné.  Ces  riches  campagnes  furent 
ruinées,  les  villes  mises  à  rançon.  On  leur  voulait  faire  sentir  ce  qu'il  en 
coûtait  d'abandonner  si  légèrement  les  Anglais  pour  un  roi  impuissant  à 
es  défendre.  Et,  en  effet,  on  eût  pu  croire  le  pays  entièrement  délaissé. 
Le  comte  de  Clermont,  lieutenant  du  roi,  s'en  allait  veiller  à  ses  propres 


COMPIÈGNE.  189 


domaines-,  le  comte  de  Vendôme,  substitué  à  sa  ciiarge ,  avait  déjà  bien 
assez  de  garder  Senlis-,  Chabnne,  à  Crcil,  se  laissa  prendre.  Le  maréchal 
de  Boussac  vint,  il  est  vrai,  amenant  mille  combattants  environ;  mais 
que  faire  avec  cette  troupe  quand  les  Anglais  et  les  Bourguignons  pos- 
sédaient tout  le  pa\'s  alentour,  la  Normandie,  la  Picardie,  la  Bour- 
gogne? Il  eut  fallu  être  présent  partout  pour  contenir  les  uns  ou  pour 
observer  les  autres  :  car  les  trêves  ne  liaient  pas  les  Anglais  et  arrêtaient 
peu  les  Bourguignons.  Au  lieu  de  se  réduire  à  cette  défense  laborieuse, 
tous  ces  hommes  d'armes  trouvaient  plus  commode  et  plus  profitable 
d'aller  à  leur  tour  porter  le  ravage  sur  le  territoire  de  Tenncmi.  Ainsi  le 
mal  ne  faisait  que  s'étendre  et  devenir  plus  général.  Paris  même,  quoique 
doublement  protégé  par  les  armements  des  Anglais  et  par  les  trêves  des 
Bourguignons,  souffrait  de  cet  état  de  choses  dans  toutes  les  classes  de 
ses  habitants  :  «  Nul  homme  de  Paris,  dit  le  Bourgeois,  n'osoit  mettre 
le  pied  hors  des  faubourgs,  qui  ne  fût  mort,  ou  perdu,  ou  rançonné.  Le 
cent    de    petits  cotterets  valoit  24  sols  parisis,    deux  œufs,  4  deniers;  un 

petit  fromage  tout  nouvel  fait,    4  blancs '  et  n'étoit  nouvelle  ni  pour 

Toussaint,  ni  pour  autre  fête  en  celui  temps,  de  harengs  frais  ni  de  quel- 
que marée.  » 

Les  provinces  du  Nord,  et  en  particulier  TIle-de-France,  étaient  donc 
livrées  aux  ravages  de  la  guerre;  et  le  contre-coup  de  ces  événements  pou- 
vait provoquer  des  périls  au  voisinage  même  des  résidences  royales.  Toute 
la  Loire  ,  en  effet,  n'appartenait  pas  au  roi.  L'ennemi  était  fortement  établi 
à  la  Charité;  il  possédait  encore  Saint-Pierre-le-Moustier,  Cosne  et  quel- 
ques autres  places  :  et  ces  positions,  qu'on  avait  eu  raison  de  négliger  pour 
marcher  sur  Reims  et  sur  Paris ,  semblaient  maintenant  plus  menaçantes. 
Un  conseil  fut  tenu  à  Meun-sur-Yèvre,  et  il  parut  qu'il  y  avait  tout  avan- 
tage à  satisfaire  de  ce  côté  l'impatience  que  la  Pucelle  avait  d'agir.  Il  fut 
décidé  qu'on  l'enverrait  faire  le  siège  de  la  Charité,  et  qu'on  préluderait  à 
cette  conquête  par  celle  de  Saint-Pierre-le-Moustier. 


<  La  livre  tournois  varia  cette  année  de  3  fr.  gS  c.  à  (i  fr.  21  c.  Je  notre  monnaie,  valeur  intrinsèque.  Les 
blancs  de  Charles  VII  étaient  de  S  deniers  tournois.  Voy.  le  Mémoire  de  M.  de  Vailly  sur  les  Vjriations  de 
la  livre  tournois  depuis  le  r'epie  de  saint  Louis,  Mém.  de  l'Académie  des  inscriptions,  t.  XXI,  2»  partie, 
p.  224,  et  le  tableau  n°  V,  p. 402. La  monnaie  parisisétait  à  la  monnaie  tournois  comme  5  est  à  4;  ellevalait 
un  quart  en  sus. 


JEANNE   D'ARC. 


86.  —  Agnelou  moutond'orde  Henry  V, 
ordonnéle  ajseptembre  1419. 
Cours:  iSgr.de  2od.  — Val.intrins.:  1 1  fr.  54c. 


go.  —  Grand  blanc  ou  florelte  de  Henry  V, 

frappée  à  Rouen  à  partirde  1419. 
Cours  :  10  deniers.  —  Val.  inirins.  :  29  c. 


87.  -  Salut  d'or  de  Henry  VI, 
frappe  à  Rouen  à  partir  de  1425. 
Cours  :  i  1.  2  s.  G  d.  —  Val.  inirins.  :  i3  fr.  38  c.  ■ 


é^f%. 


II.  —  Grand  blanc  ou  florette  de  Henry  V, 

frappée  iï  Rouen  à  partir  de  1420. 

Cours  :  20  deniers.  —  Val.intrins.:  68  c. 


88.  — Salut  d'orde  Henry  V(RR), 
frappé  de  1420  a  1421. 
Cours:  i  livre  5  sous.  —  Val.  intrins.:^3  fr.  38c.  - 


92.  — Grand  blanc  ou  florette  d'arsentde  Henry  V 

ordonnée  le  12  janvier  1419. 

Cours  :  20  deniers,  —  Val.  intrins.  :  67  c. 


frappé  à  Rouen  à  partir  de  1427. 
Cours:  i5  sous.  — Val,  intrins.:  S  fr.  02  c.  -^. 


(j3.  —  Grau  J  blanc  aux  écus  de  Henry  VI  (bîllon), 

frappé  à  Rouen  à  partirde  1423. 

Cours  :  10  deniers.  —  Val.  intrins.  :  28  c.  —-. 


Fig.  86  à  loi.  —  Monnaies  frappées  en  France  par  les  Anglais.  La  plupart  reproduisent  les  types  des 
monnaies  françaises,  les  rois  anglais  se  déclarant  héritiers  légitimes  de  la  couronne  de  France.  —  Au  droit, 
la  légende  de  ces  monnaies  est  :  i"  sur  la  fig.  86,  «  Agnus  Dei  qui  toUis  peccata  mundi,  miserere  nobis 
(Agneau  de  Dieu  qui  effacez  les  péchés  du  monde, ayez  pitié  de  nous);  »  2°  sur  la  figure  87  :  <■  Henricus 
Dei  gratia  Krancorum  et  Anglia;  rcx  (Henri  par  la  grâce  de  Dieu  roi  de  France  et  d'Angleterre)  ;  »  3"  sur 
la  fig.  88:  «  Henricus  Dei  gratia  re.\  Angliae,  hères  Francias  (Henri  par  la  grâce  de  Dieu  roi  d'Angleterre, 
héritier  de  France);  »  4"  sur  les  fig.  89,  93,  99,  100,  loi  :  <■  Henricus  Francorum  et  Angliœ  rex  (Henri, 
roi  de  France  et  d'Angleterre);  »   5**  sur  les  fig.   90  et  92  :  «  Henricus  Francorum  rex  (Henri,  roi  des 


COMPIEGNE. 


191 


94.  — Petit  blanc  aux  écus  de  Henry  VI  (billon), 

frappé  à  Paris  à  partir  de  1422. 
Cours:  5  deniers.  —  Val.  intrins.:  i  ^  c.  ^. 


g8.  —  Petit  tournois  ancien  de  Henri  VI  (billon), 

frappé  à  Rouen  à  partirde  1422. 

Cours:  I  dernier. —  Val.  intrins.:  2  c.  -^. 


r^^^ 


95.  —  Triple  tournois  ou  denier  trézin  de  Henry  VI  (billon),  RR,        99.  —  Double  denier  par isis de  Henri  VI  (billon), 
frappé  à  Paris  à  partir  de  142!!.  frappé  à  Paris  à  partir  de  1423. 

Cours:  3  deniers.  —  Val.  intrins.:  S  c.  -^.  Cours  :  2  deniers -'■.  —  Val.  intrins.  :  7  c. -^. 


y6.  — Double tournoisblanc de  Henry  V,  dit ni\;Ht'/ (billon),  100.  —  Petit  denier  Parisis  noirde  Henry  V  (billon). 

frappé  à  Rouen  à  partir  de  1421.  frappé  à  Paris  à  partir  de  1423. 

Cours  :  2  di;nicrs.  —  Val.  intrins.  :  5  c.  ^.  Cours  :  1  denier  -.  —  Val.  intrins.  :  3  c.   '— . 


97.  —  Petit  denier  tournois  noir  de  Henry  V  (billon), 

frappé  à  Rouen  il  partir  de  1419. 

Cours  :  i  denier.  —  Val.  intrins.  ;  2  c.  -^. 


loi.  —  Petit  denier  parisis  noir  de  Henry  VI  (billon), 

frappé  à  Paris  à  partir  de  1426. 

Cours  :  i  denier  -.  —  Val.  intrins.  :  3  c.    'J-. 


Français);  »  5°  sur  les  fig.  gi  et  96  :  »  H.  rex  Angliae,  hères  Francia;  (Henri,  roi  d'Angleterre,  héritier  de 
France);  »  sur  les  fig.  94,  93,  97,  98  :  «  Henricus  rex  (Henri,  roi).  »  —  Au  revers  on  lit  :  1°  sur  les  fig.  86, 
87,  SS  et  89  :  «  Christus  vincit,  Christus  régnât,  Christus  imperat  (le  Christ  est  vainqueur,  le  Christ  régne,  le 
Christ  commande)  ;  »  2°  sur  les  fig.  90,  91,  92,  gS,  94  et  96  :  »  Sit  nomen  Domini  bencdictum  (Que  le  nom 
du  Seigneur  soit  béni);  »  3"  sur  la  fig.  93  :  «  Turonus  triplex  franc.  (Triple  tournois  de  France);  »  4*  sur  la 
fig.  97  :  «  Turonens  civis  (Cité  de  Tours);  »  i"  sur  la  fig.  gS  :  «  Turonus  Francù-e  (Tournois  de  Francel;  « 
6°  sur  leslig.  99,  100  et  loi  :  «  Parisius  civis  (Cité  de  Pans).  »  —  Xoti.  Toutes  les  pièces  qui  portent  un  H  au 
coeur  de  la  croix  et  celles  qui  portent  le  titre  de  Hcrcs  Frjncuv  {  héritier  de  France),  résultat  du  traité  de 
Troyes,  sont  de  Henri  V  d'Angleterre. 


JEANNE  D'ARC. 


102. Écu  d'or  à  la  couronne  de  Charles  \'II,  no.  —  Royal  d'or  de  Charles  Vil, 

frappé  à  Frontenay  en  I435.  frappé  à  Lyon  de  1429  à  1432. 

Cours:  i  livre  5  sous.  — Val.  intrins.:  12  fr.  34  c.  ~-    Cours:  i  livre  5  sous. —  Valeur  intrins. :  i3  fr.  17  c.  ^. 


io3.—  Écu  d'or  à  la  couronne  de  Charles  VI, 

frappé  vers  1389. 

Cours:  i  1.  2  s.  6d.  — Val.  intrins.  :  12  fr.  77c.  ■^. 


106. —  Grand  blanc  d'argent,  dit  Jentelé, 

frappé  à  Orléans  en  143 1. 

Cours  :  10  deniers.  —  Val.  intrins.:  27  c.  ^. 


104.  — Demi-écud'oràlacouronnede(;harlesVII(RR), 

créé  le  26  avril  1438. 
Cours  :  12  sous  6  deniers.  —  Val.  intrins.:  6  fr.  38  c. 


107.  —  Gros  d'argent,  dit  iiu  rottJeLÏu. 

créé  le  8  octobre  1430. 

Cours  :  i5  deniers.  —  Val.  intrins.:  57  c.  — 


loS.  —  Plaque  d'argent,  copie  des  doubles  gros  flamands  de  Philippe  le  Bon, 

frappés  à  Tournai  avant  142Ô. 

Cours  :  i3  deniers. —  Val.  intrins.  :  41  c.  -^^. 


Fig.  102  à  loS.  —  Monnaies  françaises  frappées  sous  les  règnes  de  Charles  VI  et  de  Charles  VU.  Au  droit,  la 
légende  commune  à  toutes  ces  monnaies  est  :  «  Carolus  Dei  gratia  Francorum  rex  (Charles,  par  la  grâce  de 
Dieu  roi  de  France).  »  —  Au  revers,  on  lit  :  1°  sur  les  figures  102,  io3,  104  et  io5  :  «  Christus  vincit,  Chrislus 
régnât,  Christus  imperat  (le  Christ  est  vainqueur,  le  Christ  règne,  le  Christ  commande);  »  2»  sur  les  figures 
io5,  io5  et  107  :  «  Sit  nomen  Domini  benedictum  (Que  le  nom  du  Seigneur  soit  béni).  •  —  Bibhoth.  nat.  de 
Paris,  cabinet  des  médailles. 


!li|lli|||g||i|l|pil!ffl^ 


m 


Fig.  103.  —  Portail  nord  de  l'église  Saint-Pierre-le-Mousticr.  Jc'sus-Clirist,  bénissant  un  _qli)be,  est  entouré  des 
quatre  évangélistes.  Sous  l'archivolte,  deux  anges  portent  des  llambeaux,  deux  autres  tiennent  des  encensoirs. 
x\i'  siècle.  État  actuel,  d'après  une  photographie.  —  Au  siège  de  Saint-Pierre-le-Moustier,  d'Aulon,  écuyer  de 
Jeanne,  la  voyant  avec  quatre  ou  cinq  hommes  au  plus  devant  les  murailles,  lui  demanda  ce  qu'elle  faisait 
là  seule,  la  pressant  de  se  retirer.  Mais  Jeanne,  ôtant  son  casque,  répondit  qu'elle  n'était  pas  seule,  qu'elle 
avait  en  sa  compagnie  cinquante  mille  de  ses  gens;  et  elle  cria  ;  «  Aux  fagots  et  aux  claies,  tout  le  monde  !  » 
En  un  instant  elle  est  obéie,  et  la  ville  est  prise  d'assaut.  —  Jeanne  sut  préserver  du  pillage  les  biens  que  les 
habitants  avaient  réunis  dans  l'église  de  Saint-Pierre. 


Pig.  ,  10.  —  Notedediverses  provisions  de  guerre  fournies  par  la  ville  de  Clermont-Ferrand  à  la  requête  de 

à  la  Bibliothèque  de  Clcrmont-Kerrand. 


\tïaom0% 


<Mv?  -vvu./^^wo. 


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la  Pucelle.  Extrait  du  registre  appelé  le  I^apier  du  tlliien  (registre  recouvert  d'une  peau  de  chien),  conservé 
(L'écriture  du  titre  du  registre  est  re'duite.) 


Lecture.  —  C'est  le  papier  dej  mémoires  et  diligences  de  la  ville  de  Clermont  appelle  le  papier 
du  chien,  fait  et  ordenné  par  Loys  Chauchat,  Guillaume  Boudet ,  Guillaume  Vidal  et  Jehan 
dou  Mas.  esleu'f  sur  le  gouvernement  de  la  dicte  ville  le  viii'jour  du  nuns  de  may  lan  mil  iiijc 
et  dix. 

Memuyre  soit  que  la  pucela  Jchanna  et  messaige  de  Dieu  et  nions'  de  Lebret  envoyèrent  à  la 
ville  de  Clermont  le  vii"  jour  de  nouvcmbre  l'an  mille  quatre  cens  et  vint  et  neuf  unes  lettres  faysant 
mencion  que  la  ville  leur  voulssit  aider  de  poudre  de  canon  et  de  trait  et  d'artillerie  pour  le 
siecge  de  la  Charité.  Etfust  ordenné  pour  Messeigneurs  d'igli^e  esleuj  et  habitans  de  ladicte  ville 
de  leur  envoyer  le^  chausej  qui  s'enssuivent  lesquelles  leur  furent  envoyées  par  Jehan  Merlle , 
fourier  de  Mons'  le  dauphin,  corne  appert  par  sa  quittance .  laquelle  est  en  cest  papier.  Et  pre- 
mièrement deux  quintau.x-  de  saupelre ,  im g  quintal  seuphre ,  deu.v  quaysses  de  trait  contenant  ung 
melher,  et  pour  lapersonne  de  ladicte  Jehanne  une  espée,  deux  dagues  et  une  apche  d'armes.  Et 
fut  cscript  à  mess"  Rocbert  Atndrieu.  qui  estait  devers  ladicte  Jehanne ,  qu'il  présentât  ledit  arnoys 
la  dicte  Jehanne  et  Seii^neur  de  Lebret. 


Traduction.  ■ —  C'est  le  registre  des  mémoires  et  diligences  de  la  ville  de  Clermont,  appelé  le 
Registre  du  Chien,  fait  et  ordonné  par  Louis  Chauchat,  Guillaume  Boudet,  Guillaume  Vidal  et 
Jean  du  Mas,  élus  pour  le  gouvernement  de  ladite  ville,  le  8  mai  1410. 

Mémoire  soit  que  la  Pucelle  Jeanne,  messagère  de  Dieu,  et  Monseigneur  d'Albret  envoyèrent 
à  la  ville  de  Clermont,  le  7  novembre  142Q,  une  lettre  demandant  que  la  ville  voulîit  bien  les 
aider  en  poudre  à  canon,  en  traits  et  en  artillerie  pour  le  siège  de  la  Charité.  Et  il  fut  ordonné 
par  les  seigneurs  d'église,  les  élus  et  les  habitants  de  cette  ville  de  leur  envoyer  les  choses  qui 
suivent;  lesquelles  leur  furent  envoyées  par  Jean  Merle,  fourrier  de  Monseigneur  le  Dauphin, 
ainsi  qu'il  résulte  de  sa  quittance,  qui  est  jointe  à  ce  registre.  Et  premièrement,  deux  quintaux 
de  salpêtre,  un  quintal  de  soufre,  et  deux  caisses  contenant  un  millier  de  traits,  et  pour  la  per- 
sonne de  ladite  Jeanne  une  épée,  deux  dagues  et  une  hache  d'armes.  Et  il  fut  écrit  à  messire 
Robert  Andrieu,  qui  était  auprès  de  ladite  Jeanne,  qu'il  lui  présentât  ledit  armement  ainsi 
qu'au  seigneur  d'Albret. 


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iqS  •  JEANNE   IVARC. 


La  Pucelle  aurait  mieux  aimé  aller  en  France,  c'est-à-dire  vers  Paris. 
Elle  se  rendit  à  Bourges  pour  réunir  les  troupes  destinées  à  cette  entre- 
prise; puis  elle  vint,  en  compagnie  du  sire  d'Albret  (frère  utérin  de  ia 
Trémouille,  assiéger  Saint- Pierre-le-Moustier,  comme  il  avait  été  résolu. 
Jeanne,  selon  son  habitude,  se  portait  au  plus  fort  du  péril  et  y  demeurait, 
sans  compter  ceux  qui  restaient  auprès  d'elle.  D'Aulon,  son  écuyer,  qu'une 
blessure  à  la  jambe  tenait  éloigné  de  l'assaut,  la  voyant  avec  quatre  ou 
cinq  hommes  au  plus  devant  les  murailles,  monta  à  cheval,  courut  à  elle, 
lui  demanda  ce  qu'elle  faisait  là  seule,  et  pourquoi  elle  ne  se  retirait  pas 
comme  les  autres.  Mais  elle,  ôtant  son  casque,  lui  répondit  qu'elle  n'était 
pas  seule,  qu'elle  avait  en  sa  compagnie  cinquante  mille  de  ses  gens,  et 
ne  partirait  point  de  là  que  la  ville  ne  fût  prise.  Comme  il  insistait,  elle 
lui  ordonna  de  faire  apporter  des  fascines  pour  franchir  le  fossé,  et  en 
même  temps  elle  s'écria  :  «  Aux  fagots  et  aux  claies,  tout  le  monde,  afin 
de  faire  le  pont  !  »  En  un  instant  elle  fut  obéie,  le  pont  dressé  et  la  ville  prise 
d'assaut.  Tout  était  en  proie  aux  vainqueurs,  mais  Jeanne  sut  leur  faire 
respecter  l'église  où  les  assiégés  avaient  mis  leurs  biens  en  dépôt  (premiers 
jours  de  novembre  i429\ 

De  là  on  devait  aller  assiéger  la  Charité.  Mais  la  place  était  forte  et  bien 
approvisionnée  par  les  soins  de  Perrin  Grasset,  qui  l'occupait  depuis  tantôt 
sept  ans;  et  la  petite  armée  dj  la  Pucelle  manquait  des  choses  les  plus 
indispensables  à  l'attaque.  La  cour  ne  sachant  pas  trouver  le  moyen  d'y 
pourvoir,  elle  s'adressa  aux  villes.  On  a  encore ,  en  original ,  une  lettre 
signée  d'elle  aux  habitants  de  Riom  (Moulins,  9  novembre  1429)  :  elle  leur 
annonce  le  siège  qu'on  vient  de  terminer  heureusement  et  celui  qu'on  pré- 
pare; et  elle  les  prie,  par  l'attachement  qu'ils  ont  au  bien  et  à  l'honneur  du 
roi,  d'envoyer  «  poudres,  salpêtre,  soufre,  traits,  arbalètes  fortes  et  autres 
habillements  de  guerre.  "  On  commença  le  siège  avec  ce  qu'on  avait,  et, 
tout  en  le  poussant,  on  continuait  de  s'adresser  aux  villes  les  plus  inté- 
ressées à  déloger  l'ennemi  de  leur  voisinage.  La  ville  de  Bourges  engagea 
ses  octrois,  afin  d'avoir  les  i3oo  écus  d'or  qu'on  lui  demandait  pour  entre- 
tenir l'armée  et  la  garder  devant  la  place.  La  ville  d'Orléans  eut  aussi  à 
porter  dans  ses  comptes  diverses  sommes  dépensées  pour  entretenir  ou 
équiper  des  capitaines,  des   gens  d'armes,  des  «  joueurs  de  coule\rines,  » 


COMPIEGNE. 


'99 


envoyés  au  siège  en  son  nom.  Mais  ces  secours  partiels  étaient  insuffisants 
pour  une  telle  entreprise,  et  le  roi  n'envoyant  rien ,  Tarmée,  dépourvue 
d'argent  et  de  vi^Tes,  dut  lever  le  siège,  au  grand  déplaisir  de  la  Pucelle 
(fin  de  novembre  1420). 

Elle  fut  reçue  à  la  cour  avec  non  moins  d'honneur  :  car  à  quel  titre  le  roi 
lui  eùt-il  imputé  cet  échec?  On  l'anoblit,  elle  et  toute  sa  famille,  et,  par  un 
privilège  signalé  comme  unique  dans  nos  annales,  on  stipula  que  cette 
noblesse  se  transmettrait  dans  sa  race,  non-seulement  par  les  hommes, 
mais  par  les  femmes.  On  lui  avait  composé  un  blason  où  figuraient  les  lis 
de  France;  ses  frères  en  prirent  le  nom  de  du  Lis  :  mais  elle  garda  son 
nom  et  son  étendard.  Tous  ces  honneurs  lui  étaient  donnés  «  en  considéra- 
tion des  louables  et  utiles  services  qu'elle  avait  rendus  au  royaume  et  lui 
devait  rendre  encore.  »  On  ne  renonçait  donc  point  à  ses  services  :  et  que 
demandait-elle,  pour  prix  de  ceux  qu'elle  avait  rendus,  que  de  servir  encore? 
Mais  on  ne  se  pressait  pas  de  la  mettre  en  demeure  de  le  faire. 

Elle  resta  donc  dans  l'inaction,  suivant  la  cour  à  Bourges,  à  Sully-sur- 
Loire,  ou  visitant  les  bonnes  villes  qu'elle  avait  délivrées,  Orléans,  par 
exemple,  qui  a  retenu  dans  les  registres  des  comptes  la  trace  de  son  pas- 
sage; et  elle  édifiait  toujours,  par  sa  sainteté,  ceux  qu'elle  n'étonnait  plus 
par  ses  exploits.  Marguerite  la  Touroulde,  veuve  de  René  de  Bouligny, 
chez  qui  elle  demeura  environ  trois  semaines  au  retour  du  voyage  de 
Reims,  nous  peint  encore  en  elle  ces  habitudes  de  recueillement  et  de  piété 
qui  avaient  traversé  sans  altération  la  vie  des  camps-,  cette  simplicité  que 
n'avaient  pas  corrompue  les  adorations  de  la  foule,  et  ce  bon  sens  admi- 
rable qui  s'appliquait  à  détruire  le  faux  prestige  dont  on  la  voulait  entourer. 
A  ceux  qui  lui  disaient  qu'elle  n'avait  point  à  craindre  d'aller  à  l'assaut 
parce  qu'elle  savait  bien  qu'elle  ne  serait  pas  tuée,  elle  répondait  qu'elle 
n'en  était  pas  plus  assurée  que  les  autres;  et  quand  les  femmes  venaient 
en  sa  maison  pour  lui  présenter  des  patenôtres  et  autres  signes  en  la 
priant  de  les  toucher  :  «  Touchez-les  vous-mêmes,  leur  disait-elle  en  riant, 
ils  seront  tout  aussi  bons.  » 

Elle  fit  preuve  du  même  bon  sens  quand  une  femme,  nommée  Cathe- 
rine de  la  Rochelle,  se  disant  inspirée,  la  vint  trouver  pendant  son  séjour 
à  Jargeau  et  à  Montfaucon  en   Berri.  Cette  Catherine  prétendait   qu'une 


JEANNE    D'ARC. 


dame  blanche,  vêtue  de  drap  d'or,  lui  commandait  d'aller  dans  les  bonnes 
villes,  et  de  faire  crier,  par  les  hérauts  du  roi,  que  tous  ceux  qui  auraient 
de  l'or  ou  de  l'argent  caché  l'apportassent  sans  retard,  annonçant  en  même 
temps  qu'elle  connaîtrait  ceux  qui  ne  le  feraient  pas,  et  saurait  trouver  leurs 
trésors:  c'était  pour  payer  les  gens  d'armes  de  Jeanne.  Quel  auxiliaire  pour 
un  chef  de  troupes  !  Frère  Richard  voulait  qu'on  la  mît  à  l'œuvre,  et  plu- 
sieurs agréaient  fort  son  procédé.  Jeanne  lui  dit  de  retourner  à  son  mari, 
d'aller  faire  son  ménage  et  nourrir  ses  enfants.  Cependant,  ne  voulant  point 
juger  témérairement  de  l'inspiration  des  autres,  elle  consulta  ses  saintes, 
et  elle  offrit  à  Catherine  de  coucher  avec  elle  pour  être  témoin  de  ses  appa- 
ritions. Elle  partagea  son  lit,  en  cllet,  veilla  jusqu'à  minuit,  et,  ne  voyant 
rien,  s'endormit.  J>e  matin,  l'autre  lui  dit  que  sa  dame  était  venue,  mais 
que,  Jeanne  dormant,  elle  ne  l'avait  pu  réveiller.  Jeanne  s'enquit  d'elle  si  la 
dame  devait  revenir  la  nuit  suivante,  et  lui  demanda  de  renouveler  l'épreuve. 
Mais  cette  fois  elle  prit  soin  de  dormir  le  jour,  de  telle  sorte  qu'elle  put  rester 
éveillée  toute  la  nuit  ;  et  de  temps  à  autre  elle  demandait  à  sa  compagne  : 
«  Viendra-t-elle  point?  —  Oui,  tantôt,  »  disait  l'autre. 

Inutile  de  dire  que  la  dame  ne  \int  pas. 

Jeanne  écrivit  donc  au  roi  que  le  fait  de  Catherine  n'était  que  néant  et 
folie.  Frère  Richard  en  fut  très-mécontent,  et  les  familiers  du  roi  aussi  sans 
doute:  c'était  un  moyen  si  commode  de  trou\er  de  l'argent  1  Cette  Cathe- 
rine, qui  promettait  de  leur  en  fournir,  n'entrait  pas  moins  dans  leurs  vues 
par  sa  politique.  Tout  en  offrant  de  recueillir  de  l'argent  pour  les  soldats, 
elle  ne  pressait  pas  de  faire  la  guerre  :  elle  refusa  d'aller  au  siège  de  la 
Charité,  disant  qu'il  faisait  trop  froid.  Flic  proposait  de  se  rendre  près  du 
duc  de  Bourgogne  pour  faire  la  paix.  A  quoi  Jeanne  répondit  «  qu'il  lui 
semblait  qu'on  n'y  trouverait  point  de  paix,  si  ce  n'était  par  le  bout  de  la 
lance.  » 

Les  événements  le  démontraient  de  plus  en  plus.  La  trêve  avec  le  duc  de 
Bourgogne,  qui  expirait  à  Noël,  avait  été  prorogée  jusqu'à  Pâques,  et,  à 
défaut  de  Compiègne  qui  s'y  était  refusée,  Pont-Sainte-Maxcnce  lui  avait 
été  livrée  en  garantie.  Mais  la  trêve  n'engageait  pas  les  Anglais-,  et  les  Bour- 
guignons, en  se  cachant  sous  leur  bannière,  avaient  toute  facilité  de  porter 
avec  eux  le  ravage  dans  les  pays  qui  s'étaient  donnés  au  roi.   La  terreur  y 


COMPIÈGNE. 


était  grande  partout,  et  plus  d'un  sanglant  exemple  avait  montré  combien 
elle  était  légitime. 

Les  habitants  de  Reims,  les  plus  menacés  dans  cette  tentative  de  restau- 
ration, comme  les  plus  signalés  par  le  sacre,  écrivirent  à  la  Pucelle  pour  lui 
communiquer  leurs  craintes.  Ils  redoutaient  la  vengeance  des  Bourgui- 
gnons; ils  redoutaient  le  délaissement  du  roi,  à  qui  l'on  avait  dit  qu'il  y 


Kl,:;.  1  ij.  — Ruines  Jui,h.iK-a  u-(i,iillaid,  ou  B.irba/an  lut  retenu  prisonnier  Jes.\nt;lai',  pendant  huit  ans. 
La  Hire  le  délivra  le  24  février  i-t.io.  D'après  Vllistoire  de  la  ville  Jes  AtidcUs,  de  M.  Brossard  de  Ruville 


avait  des  traîtres  parmi  eu.x  prêts  à  livrer  la  ville.  La  Pucelle  leur  adresse 
une  première  lettre,  le  16  mars  1430,  afin  de  les  rassurer  sur  le  siège  : 
«  Sachez,  leur  disait-elle,  que  vous  n'aurez  pas  de  siège  si  je  les  puis  ren- 
contrer; et  si  je  ne  les  rencontre  et  qu'ils  viennent  vers  vous,  fermez  vos 
portes,  j'y  serai  et  je  leur  ferai  chausser  leurs  éperons  en  telle  hâte  qu'ils  ne 
sauront  par  où  les  prendre.  »  Le  28 ,  elle  leur  écrit  pour  les  rassurer  touchant 
les  dispositions  du  roi  et  leur  promettre  une  prompte  assistance  :  «  Si  vous 


ANNE   DARC.    III. 


JEANNE   D'ARC. 


prie  et  requiers,  très-chers  amis,  ajoutait-elle,  que  vous  gardiez  bien  ladite 
bonne  cité  pour  le  roi,  et  que  vous  fassiez  bon  guet.  Vous  orrez  (oirez) 
bientôt  de  mes  bonnes  nouvelles  plus  à  plein.  Autre  chose  quant  à  présent 
ne  vous  rescris,  fors  que  toute  Bretagne  est  françoise,  et  doit  le  duc  envoj'er 
4U  roi  trois  mille  combattants  payés  pour  deux  mois.  A  Dieu  vous  command 
(recommande)  qui  soit  garde  de  vous.  Ecrit  à  Sully,  le  28'^  de  mars.  » 

Ces  bonnes  nouvelles  qu'elle  leur  promettait  d'elle,  c'était  sa  prochaine 
arrivée  sur  le  théâtre  de  la  guerre.  Elle  écrivait  la  veille  peut-être  de  son 
départ  :  car  sa  lettre  est  du  28  mars,  et  c'est  au  mois  de  mars  qu'elle  partit, 
selon  l'historien  Cagny.  Lasse  déjouer  un  rôle  de  parade,  et  désolée  de  voir 
comment  le  roi  et  son  conseil  entendaient  arriver  au  recouvrement  du 
royaume,  elle  prit  la  résolution  de  se  séparer  d'eux  et  d'aller  rejoindre  ceux 
qui  combattaient. 

On  combattait  en  Normandie,  et,  quoique  les  Anglais  parussent  vouloir  y 
concentrer  leurs  forces,  plusieurs  nouveaux  succès  avaient  couronné  les  efforts 
des  Français.  La  Hire  s'était  emparé  de  Louviers  (décembre  1429),  d'où  il 
faisait  des  courses  jusqu'aux  portes  de  Rouen,  puis  de  Chilteau-Gaillard,  où 
il  avait  délivré  Barbazan  (24  février  i4'3o  );  Torcy  avait  résisté  aux  Anglais 
qui  voulaient  y  rentrer.  Mais  c'était  dans  le  Nord  que  la  question  était  sur- 
tout reportée  depuis  le  voyage  de  Reims.  Sauver  les  places  qui  s'étaient 
ralliées  à  Charles  VII,  défendre  la  ligne  de  l'Oise  contre  le  duc  de  Bour- 
gogne, ramener  Parisau  roi  en  l'isolant  de  plus  en  plus,  voilà  la  vraie  ma- 
nière de  reprendre  l'œuvre  interrompue  le  8  septembre;  et  tout  y  invitait. 
Depuis  la  dernière  entrevue  de  Bedford  et  du  duc  de  Bourgogne  (octobre 
1429) ,  Paris  dans  ses  rapports  avec  eux  n'avait  eu  que  des  sujets  de  plainte. 
Le  régent  (Bedford)  s'en  était  allé  en  Normandie:  le  lieutenant  général 
(Bourgogne),  dans  ses  propres  États,  recommandant  aux  Parisiens,  s'ils 
voyaient  venir  les  Armagnacs,  de  se  bien  défendre  :  et  il  les  laissait  sans 
garnison  !  Du  reste,  les  Parisiens  avaient  plus  d'une  raison  de  ne  point  re- 
gretter qu'il  emmenât  ses  six  mille  Picards  :  «  Six  mille  aussi  forts  larrons, 
comme  il  parut  bien  en  toutes  les  maisons  où  ils  furent  logés.  «  Mais  le 
champ  restait  libre  aux  Armagnacs-,  et  la  désolation  des  campagnes,  la 
cherté  des  vivres,  augmentaient  l'irritation  populaire. 

La  multitude   souffrait,  la  bourgeoisie  commençait    à    se   tourner  vers 


Lettre  de  Jeanne  aux  habitants  de  Reims,  i6  mars  1430.  —  D'après  l'or 

J^KU^uD    ^y^  f«^"'     bU(^-(^    Oy^^yy^     C»*-r  ^^vUi  u<t.iv<î  -iJCWw/  rt,   V    6.4. 
/  \v4t  caa^  (j^tW^tv.-»-  2c\*^j  A,  ii-vt.^A     Q-vaA  '^»o\wKt^    CAO   CL:  ^«£)  6^.e. 

^Av<.  VV   ^^   'W.a/^  .vwpn^    cv^^^^-a  .vwx^^^c^A^ 


Lecture  -  Très  Mers  et  bien  ai.uJs  et  bien  desiries  à  venir.  Jehannc  la  Pucelle  c 
narés  point,  si  je  les  puis  rencontrer  bien  bref:  et  si  ainsi  fut  que  je  ne  les  rencontrasse,  ne 
y  sont  je  leur  ferey  chausier  leurs  éperons  si  à  aste  qu'il  ne  saront  par  ho  les  prandre 
soye;  toutjours  bons  et  loyals.  Je  pry  à  Dieu  que  yous  ai,  en  sa  guarde.  Escr.t  a  Sully,  l 

Je  vous  mandesse  anquores  auqunes  nouvelles  de  quoy  vous  sériés  bien  joyeux;  mats  j 


Traduction.  -Très-chers  et  bien-aimés,  que  je  désirerais  l^icn  voir,  je,  Jeanne  la  Pi 
n'en  aurez  pas,  si  je  puis  sous  peu  rencontrer  les  ennemis.  Et  s'il  arrivait  que  ,e  rte  les 
près  de  vous,  et  s'ils  y  sont,  je  leur  ferai  chausser  leurs  éperons  en  telle  hâte  qu  ils  ne 
chose  pour  le  présent,  sinon  que  vous  soyez  toujours  bons  et  loyaux.  Je  prie  Dieu  qu  .1  v 

Je  vous  annoncerais  encore  bien  d'autres  nouvelles  dont  vous  seriez  bien  |oyeux;  m; 


,1  appartenant  à  M.  le  comte  de  Maleyssie,  à  Houville,  près  Chartres. 


e^ct/Yv-riC, 


■ec»  vo»5  letres  faisent  mancion  que  vous  vous  doptiés  d'avoir  le  scie.e.  Ve.lhes  savcr  ,ue  vous 
V-  venissent  devant  vous,  si  .ous  fermés  vous  pourtes,  car  je  serey  bien  brief  vers  vous;  et  a  eu.v 
leur  cil  y  est  si  brief  que  ce  sera  bientost.  Autre  chouse  ne  vous  escry  pour  le  présent,  nus  que 

,■1"  jour  de  tnars.  ,       ,.  ,, 

nL  que  les  letres  ne  feussent  prises  en  chemin  et  que  Ion  ne  v.t  les  dates  nouvelles. 

Jehanne. 

le  ai  reçu  vos  lettres  faisattt  mention  que  vous  craigne,  un  siège.  Veuillez  être  assurés  que  vous 
contras'se  pas  et  qu'ils  vinssent  au-devant  de  vous,  fermez-leur  vos  portes,  car  je  serat  bientôt 
ront  par  où  les  prendre,  et  cela  leur  arrivera  si  vite  que  ce  sera  bientôt.  Je  ne  vous  ecr.s  autre 
5  ait  en  sa  garde.  Écrit  à  Sully,  le  i6=  jour  de  mars. 

craindrais  que  mes  lettres  ne  fussent  prises  en  route  et  que  l'on  ne  vît  lesdites  nouvelles. 

Jeanne. 


COMPIEGNE.  2o3 


d'autres  espérances.  Dans  les  commencements  d'avril,  on  découvrit  une 
conspiration  où  se  trouvaient  impliqués  des  membres  du  parlement  et  du 
Châtelet,  avec  plusieurs  marchands  notables  ou  gens  de  métier;  et  les 
Armagnacs  étaient  aux  portes.  Le  23  mars  ils  surprenaient  Saint-Denis; 
le  25  avril  ils  s'établissaient  à  Saint-Maur. 

La  Pucelle,  ici  comme  avant  de  marcher  sur  Reims  et  sur  Paris,  ne  de- 
manda conseil  à  personne  ni  pour  résoudre  ni  pour  agir.  Un  jour  donc, 
sans  prendre  congé  du  roi,  elle  partit,  fit  semblant  d'aller  «  en  aucun  ébat,  » 
et  s'en  vint  à  Lagny-sur-Marne,  «  pour  ce  que  ceux  de  la  place  faisoient 
bonne  guerre  aux  Anglois  de  Paris  et  ailleurs.  »  Elle  aurait  pu  se  laisser 
ébranler  cette  fois.  Comme  elle  était,  dans  la  semaine  de  Pâques  ;vers  le 
1 5  avril),  à  Melun,  ville  qui  venait  de  chasser  les  Anglais  pour  se  donner  au 
roi,  ses  voix  lui  dirent  qu'elle  serait  prise  avant  la  Saint-Jean;  et  depuis  elles 
le  lui  répétaient  tous  les  jours.  Mais  elles  ne  la  détournaient  point  d'aller 
en  avant;  elles  lui  annonçaient  sa  captivité  comme  une  chose  qu'elle  devait 
souffrir;  et  Jeanne,  quoiqu'elle  eût  mieux  aimé  la  mort,  marchait  sans  peur 
à  l'accomplissement  de  son  œuvre. 


LE    SIEGE    DE    CO.MPIEGXE. 

Jeanne  débuta  à  Lagny  par  un  coup  de  main  propre  à  réveiller  parmi 
les  siens  toutes  les  espérances.  Les  Anglais,  au  nombre  de  trois  à  quatre 
cents,  étaient  allés,  sous  la  conduite  d'un  gentilhomme  nommé  Franquet 
d'Arras,  faire  le  ravage  dans  le  pays  d'alentour.  Ils  revenaient,  rapportant 
leur  butin,  quand  la  Pucelle,  informée  de  leur  retour,  fit  monter  ses  gens  à 
cheval,  et  vint  en  force  à  peu  près  égale  leur  disputer  le  passage.  Les 
Anglais  mirent  pied  à  terre  ,  s'établirent  derrière  une  haie;  mais  les  Fran- 
çais les  assaillirent  à  pied  et  à  cheval,  et  firent  si  bien  que  tous  leurs  enne- 
mis furent  tués  ou  pris.  Au  nombre  des  prisonniers  était  leur  chef,  Fran- 
quet  d'Arras.  Ce  Franquet,  si  vrai  gentilhomme  qu'il  fût,  n'était  pas 
seulement  un  ennemi,  c'était  un  brigand,  particulièrement  odieux  au  pays 
par  ses  meurtres  et  ses  rapines.  Le  bailli  de  Senlis  et  les  gens  de  justice  de 
Lagny  le  réclamèrent  comme  leur  justiciable.  Jeanne  eût  voulu  le  sauver 


JEANNE   D'ARC. 


pour  réchanger  contre  un  homme  de  Paris,  qui  tenait  l'hôtel  de  l'Ours; 
mais,  ayant  su  que  cet  homme  était  mort,  et  le  bailli  lui  reprochant  de  faire 
grand  tort  à  la  justice,  elle  ne  fit  plus  obstacle  à  ce  qu'elle  suivît  son  cours. 

Ce  retour  de  la  Pucelle  sur  le  théâtre  de  la  guerre  eut  un  grand  retentis- 
sement dans  Paris;  et  le  succès  qui  le  signalait  devait  ajouter  encore  à  l'im- 
pression de  terreur  qu'elle  avait  faite  au  loin,  en  Angleterre.  Au  témoignage 
de  Thomas  Basin,  des  Anglais  affirmaient  par  serment  qu'à  son  noni  seul, 
ou  à  la  vue  de  son  étendard,  ils  n'avaient  plus  le  courage  de  se  défendre, 
ni  la  force  de  bander  leurs  arcs  et  de  frapper  l'ennemi.  Et  cette  terreur 
superstitieuse  est  attestée  par  des  actes  publics.  Les  Anglais  paraissaient  se 
décider  à  envoyer  enfin  leur  jeune  roi  se  faire  sacrer  en  France.  Plusieurs 
fois  le  bruit  de  son  arrivée  avait  été  répandu  à  Paris.  L'administration  l'a- 
vait salué  par  des  feux  de  joie,  «  ce  dont  le  mçnu  peuple  n'étoit  pas  bien 
content,  dit  le  Bourgeois,  pour  la  bûche  qui  tant  étoit  chère.  »  Cette  fois 
pourtant  la  chose  était  sérieuse  :  l'argent  nécessaire  avait  été  ordonnancé, 
les  vaisseaux  requis,  les  troupes  louées.  Or,  les  provisions  faites,  les  soldats 
et  les  capitaines  qui  s'étaient  engagés  à  se  mettre,  le  i"  mai,  à  la  disposition 
du  roi  pour  le  suivre  en  France ,  restaient  chez  eux ,  sans  tenir  compte  de  leur 
marché,  ni  des  périls  du  prince  qui  venait  de  passer  le  détroit  presque  seul 
^23  avril  i43o'*.  Le  roi  s'en  plaint  dans  un  édit  adressé  le  3  mai  par  Glo- 
cesteraux  vicomtes  de  Londres,  en  leur  enjoignant  de  rechercher  les  réfrac- 
taires  et  de  les  expédier  à  Sandwich  ou  à  Douvres  et  de  là  en  France,  sous 
peine  de  dégradation  ou  d'emprisonnement.  La  Pucelle  n'est  pas  nommée 
dans  le  décret,  mais  elle  l'est  dans  une  rubrique  du  temps  qui  en  exprime 
toute  la  pensée  et  en  marque  la  cause  :  «  Proclamation  contre  les  capitaines 
et  les  soldats  retardataires  terrifiés  par  les  enchantements  de  la  Pucelle.  « 

Mais  la  face  des  choses  allait  changer. 

Il  y  avait  dans  le  nord  de  la  France  une  ville  qui  était  alors  pour  Phi- 
lippe le  Bon  comme  la  clef  du  royaume  :  c'était  Compiègne.  Placée  aux 
portes  de  l'Ile-de-France,  elle  la  fermait  ou  l'ouvrait  aux  Bourguignons, 
selon  qu'elle  était  au  roi  ou  au  duc.  Elle  était  au  roi,  et  l'imprévoyant 
Charles  VII  avait  été  sur  le  point  de  la  donner  au  duc  pour  de  vaines  es- 
pérances de  paix.  Elle  lui  aurait  été  remise,  on  l'a  vu,  par  une  clause 
secrète  de  la  suspension  d'armes  du  -j-S  août  pour  lui  rester  pendant  la  trêve, 


JEAN  NE   D'ARC. 


si  les  bourgeois  ne  s'étaient  refusés  à  l'arrangement  ;  et  le  comte  de  Cler- 
mont,  par  une  lettre  du  20  octobre  14-29,  promettait  encore  au  duc  de  la 
lui  livrer,  dès  que  le  roi  en  aurait  le  pouvoir,  ou  de  lui  en  laisser  faire  le 
siège.  Le  roi,  cherchant  à  satisfaire  le  duc  sans  qu'il  en  vînt  à  ces  e.vtrémités, 
lui  avait  livré  Pont-Sainte-Maxence ;  mais  le  duc  voulait  Compiègne,  et, 
n'ayant  pu  l'avoir  ni  par  cet  accord  ni  par  la  corruption,  il  songeait  à  la 
prendre  de  force.  La  trêve  à  peine  expirée  (17  avril  i43o),  il  se  mit  en  cam- 
pagne, et,  pour  n'avoir  rien  qui  le  gènàt  aux  alentours  pendant  le  siège  de 
la  ville,  il  réduisit  Gournai-sur-Aronde,  et  vint  assiéger  Choisy-sur-Aisnc, 
que  (luillaume  de  Flavy,  capitaine  de  Compiègne,  avait  confié  à  Louis  de 
Flavy,  son  parent. 

Le  i3  mai,  la  Pucelle  vint  à  Compiègne,  où  elle  fut  reçue  avec  honneur, 
logée  chez  ^Larie  le  Boucher,  la  femme  du  procureur  du  roi  ;  et  elle  re- 
doubla par  sa  présence  l'ardeur  et  la  confiance  des  habitants.  Le  chancelier 
Regnault  de  Chartres,  le  comte  de  Vendôme,  lieutenant  du  roi  dans  ces  pa- 
rages, et  plusieurs  autres  chefs,  se  trouvaient  réunis  dans  la  ville.  On  résolut 
d'aller  au  secours  de  Choisy,  qui  ne  pouvait  plus  longtemps  se  défendre. 
Montgommeri  et  ses  Anglais  occupaient  Pont-l'Evèque  (près  Noyon),  et  le 
duc  de  Bourgogne  avait  laissé  Brimeu,  Saveuse  et  leurs  gens  à  Noyon  pour 
garder  derrière  lui,  avec  eux,  le  passage  de  l'Oise.  La  Pucelle,  Jacques  de 
Chabanne,  Poton  de  Xaintrailles,  Valperga  et  plusieurs  autres  capitaines, 
attaquèrent  Pont-l'Evèque,  et  ils  allaient  y  forcer  la  troupe  anglaise,  quand 
les  seigneurs  postés  à  Noyon  vinrent  l'aider  à  repousser  les  assaillants. 
L'Oise  étant  défendue,  on  imagma  de  tenter  une  nouvelle  attaque  sur  les 
derrières  du  duc  de  Bourgogne,  en  allant  passer  l'Aisne  à  Soissons.  Mais  le 
capitaine  qu'on  devait  croire  ami,  puisqu'il  gardait  la  place  pour  le  comte 
de  Clermont,  en  refusa  l'entrée  aux  troupes  :  il  n'y  voulut  admettre  que  le 
chancelier,  Vendôme  et  la  Pucelle,  avec  peu  de  monde  -,  et,  dès  qu'ils  furent 
partis,  il  se  démasqua  en  vendant  la  ville  au  duc  de  Bourgogne  :  il  le  vint 
rejoindre  devant  Choisy,  qui  fut  pris  et  rasé. 

Dès  ce  moment,  le  siège  de  Compiègne  ne  pouvait  plus  lontemps  se  faire 
attendre.  Jeanne  y  revint,  sans  s'y  enfermer  pourtant-,  car  elle  se  muhipliait 
pour  réchaufferie  zèle  de  ceux  qui  soutenaient  encore  la  cause  du  roi.  Elle 
était  à  Crespv  ;2'3  mai),  quand  elle  apprit  que  le  duc  de  Bourgogne  et  le 


F'S-  1  ■  |.  —  Kglise  d  Elaincourt-Sainte-Cathcrine,  près  Compiègne.  xii=  siècle.  Ktatactuei,  d'après  une  photogra- 
phie. —  Cette  église  étant  dédiée  à  l'une  de  ses  patronnes,  Jeanne  (suivant  une  tradition  conservée  dans  !e 
pays)  s'y  rendit  en  pèlerinage  à  la  fin  d'avril  ou  au  commencement  de  mai  14.I0. 


2o8  JEANNE   D'ARC. 


comte  d'Arundel  étaient  venus  s'établir  devant  la  place.  Sa  résolution  fut 
bientôt  prise.  Sur  le  minuit,  elle  réunit  trois  à  quatre  cents  combattants-,  et 
comme  on  lui  disait  qu'elle  avait  bien  peu  de  monde  pour  traverser  le  camp 
des  ennemis  :  «  Nous  sommes  assez,  dit-elle.  J'irai  voir  mes  bons  amis  de 
Compiègne.  »  Et  au  soleil  levant  elle  entrait  dans  la  ville  sans  perte  ni 
dommage  (24  mai). 

La  ville  de  Compiègne,  placée  sur  la  rive  gauche  de  l'Oise,  domine  la 
rivière  et  la  vallée,  qui  s'étend  de  l'autre  côté  en  une  prairie  basse  et  hu- 
mide, large  d'un  quart  de  lieue,  avant  d'atteindre  à  l'escarpement  du  bord 
de  Picardie.  La  ville  y  communique  par  un  pont  et  une  chaussée  qui  se 
prolonge  au-dessus  de  la  prairie  jusqu'au  versant  de  la  colline.  La  place  était 
donc  forte  par  elle-même;  et  un  boulevard,  faisant  tète  de  pont,  lui  assurait 
le  libre  accès  de  l'autre  bord.  Les  ennemis  qui  l'assiégeaient  étaient  bien 
loin  de  l'avoir  investie.  Ils  ne  tenaient  que  la  rive  de  l'Oise  opposée  à  la 
ville  :  le  duc  de  Bourgogne  était  à  Coudun,  sur  l'Aronde,  à  une  lieue  au 
nord;  Jean  de  Luxembourg  un  peu  plus  près,  à  Clairoix,  au  confluent  de 
l'Aronde  et  de  l'Oise,  au  nord-est  •,  et  Haudon  de  Noyelle,  avec  un  corps 
détaché,  à  Margny,  à  l'issue  de  la  chaussée  devant  la  place  ;  à  l'ouest, 
Montgommeri  et  les  Anglais  occupaient  Venette. 

A  peine  arrivée,  la  Pucelle  voulut  chasser  l'ennemi  de  ses  positions.  Dé- 
loger brusquement  les  Bourguignons  de  Margny,  les  poursuivre  et  les  acca- 
bler à  Clairoix,  pour  se  porterensuite  à  \'enette  contre  lesAnglais,  telle  devait 
être  la  suite  de  ses  opérations.  D'après  ce  plan,  elle  courait  un  double  péril  : 
elle  poussait  les  Bourguignons  vaincus  sur  leur  principal  corps  de  bataille, 
et  elle  tournait  le  dos  aux  Anglais.  Mais  elle  pensait  que  le  corps  de  Margny, 
dispersé,  jetterait  plus  de  confusion  à  Clairoix  qu'il  n'y  trouverait  d'appui, 
et  elle  comptait  sur  ceux  de  Compiègne  pour  arrêter  les  Anglais  à  la 
chaussée,  s'ils  osaient  sortir  de  Venette  afin  de  l'attaquer  sur  les  derrières. 

Le  plan  s'exécuta  d'abord  comme  elle  l'avait  conçu.  Le  24  mai,  vers  cinq 
heures  du  soir,  elle  sortit  avec  cinq  ou  six  cents  hommes  à  pied  et  à  cheval. 
Flavy  était  resté  dans  Compiègne  pour  garder  la  ville;  il  avait  fait  réunir 
sur  l'Oise  quelques  bateaux  couverts,  garnis  d'achers  et  d'arbalétriers,  pour 
protéger  au  besoin  la  retraite  des  assaillants.  Jean  de  Luxembourg,  qui 
command:tit  à  Clairoix,  se  trouvait  alors  à  Margny,  observant  la  place  :  il 


COMPIEGNE.  209 


fut  surpris  avec  les  autres,  et  repoussé  vivement  sur  Clairoix;  mais  ceux 
qu'il  y  avait  laissés  accoururent  à  son  aide,  et  la  lutte  se  soutint  dans  la 
prairie  avec  des  alternatives  qui  en  retardaient  le  résultat.  Les  Anglais 
entreprirent  d'en  profiter.  La  chose  était  prévue,  et  les  archers  disposés  par 
Guillaume  de  Flavy  derrière  les  épaulements  du  boulevard  du  pont, 
devaient  leur  rendre  le  passage  de  la  chaussée  fort  difficile.  Mais  ce  mou- 
vement intimida  ceux  qui  combattaient  aux  derniers  rangs  dans  la  troupe 
de  la  Pucelle.  Ils  craignirent  d'être  coupés  de  la  place,  et,  fuyant  pour  s'y 
mettre  à  couven,  ils  suscitèrent  le  mal  qu'ils  redoutaient.  Les  Anglais,  en 
effet,  encouragés  par  leur  fuite,  se  portèrent  avec  plus  d'ardeur  vers  la 
chaussée ,  et  s'y  logèrent  sans  péril ,  protégés  par  les  fuyards  eux-mêmes 
contre  ceux  du  boulevard ,  qui  ne  pouvaient  plus  tirer  sans  frapper  indis- 
tinctement amis  et  ennemis-,  et,  d'autre  part,  les  Bourguignons  attaquaient 
plus  vigoureusement  ceux  qui  tenaient  encore  avec  la  Pucelle. 

Déjà  ceux-ci  commençaient  à  plier,  et  ils  la  pressaient  de  regagner  la 
ville.  Elle  résistait  :  «  Taisez-vous,  leur  disait-elle;  il  ne  tiendra  qu'à  vous 
qu'ils  ne  soient  déconfits.  Ne  pensez  que  de  férir  sur  eux.  »  Mais,  quoi 
qu'elle  dît,  ils  voulurent  pourvoir  autrement  à  leur  salut,  et  elle  fut  bien 
forcée  de  les  suivre  ,  marchant  la  dernière  et  soutenant  Teftort  des  assaillants. 
Malheureusement,  ceux  contre  lesquels  elle  luttait  n'étaient  pas  les  seuls  à 
craindre.  Beaucoup  d'autres,  témoins  de  sa  retraite,  se  portèrent  en  foule 
vers  le  pont  pour  lui  en  disputer  le  passage-,  et  Flavy,  appréhendant  qu'ils 
n'entrassent  avec  les  siens  dans  Compiègne ,  fit  lever  le  pont  de  la  ville  et 
baisser  la  herse.  Les  gens  de  pied  furent  recueillis,  pour  la  plupart,  sur  les 
bateaux  rangés,  comme  il  a  été  dit,  le  long  de  la  rivière.  La  Pucelle  demeura 
dehors,  acculée  à  la  levée  de  la  chaussée  et  au  fossé  du  boulevard,  avec  le 
petit  nombre  de  chevaliers  qui  s'étaient  attachés  à  sa  fortune.  Elle  était 
vivement  pressée;  cinq  ou  six  hommes  d'armes  s'étaient  jetés  sur  elle  en 
même  temps,  criant  : 

«  Rendez-vous  à  moi  et  me  baillez  la  foi. 

—  J'ai  juré  et  baillé  ma  foi  à  un  autre  qu'à  vous,  dit-elle,  et  je  lui  en 
tiendrai  mon  serment.  » 

Mais  vainement  résistait-elle  en  face  :  elle  fut  tirée  par  ses  longs  habits  à 
bas  de  son  cheval  et  prise  par  un  archer  du  bâtard  de  ^^'andonne,  un  des 

JEANNE    d'arc.    111.    —    27 


JEANNE   b'ARC. 


chevaliers  de  Jean  de  Luxembourg.  Son  frère  Pierre,  son  écuyer  d'Aulon, 
et  Poton  de  Xaintrailles,  qui  ne  l'avaient  pas  quittée,  eurent  le  même  sort. 
Ainsi  fut  prise  la  Pucelle ,  au.\  portes  mêmes  de  la  ville  qu'elle  voulait 
défendre,  abandonnée  de  ceu.x  qu'elle  était  venue  sauver  :  c'est  le  commen- 
cement de  sa  passion'.  Fut-elle  livrée  aussi  par  un  des  siens,  et  cette  poli- 
tique funeste,  qu'elle  avait  eu  tant  de  peine  à  vaincre  jusqu'à  Reims,  et  qui, 
depuis  Paris,  la  tenait  en  échec ,  a-t-elle  triomphé  d'elle  par  un  acte  formel 
de  trahison  ?  On  l'a  dit,  et  on  l'a  voulu  établir  par  le  témoignage  même  de 
la  Pucelle.  On  lit,  en  efi'et,  dans  le  Miroir  des  femmes  vertueuses,  petit 
livre  du  commencement  du  xvi'=  siècle,  qu'un  matin,  la  Pucelle,  à  Com- 
piègne ,  ayant  fait  dire  la  messe  et  communié  dans  l'église  Saint- Jacques, 
se  retira  près  d'un  pilier  de  l'Eglise,  et,  trouvant  là  plusieurs  gens  de  la  ville 
et  une  centaine  d'enfants  rassemblés  pour  la  voir,  leur  dit  :  «  Mes  enfants 
et  chers  amis,  je  vous  signifie  que  l'on  m'a  vendue  et  trahie,  et  que  de  brief 
(bientôt)  serai  livrée  à  la  mort.  Si  (ainsi)  vous  supplie  que  vous  priiez  Dieu 
pour  moi-,  car  jamais  n'aurai  plus  de  puissance  de  faire  service  au  roi  ne  au 
royaume  de  France.  » 

La  scène  peut  dillicilement  se  rapporter  au  dernier  séjour  de  Jeanne  à 
Compiègne  ;  car  Jeanne ,  entrée  le  matin  dans  cette  ville ,  fit  son  attaque  et 
fut  prise  le  soir.  Elle  savait  qu'elle  devait  être  prise,  mais  elle  ne  savait  ni 
quand  ni  comment  :  elle  a  déclaré  elle-même  que,  si  elle  eût  su  qu'elle  dût 
l'être  à  cette  sortie,  elle  n'y  serait  point  allée.  Ces  paroles  peuvent  donc 
avoir  été  comme  un  épanchement  de  la  tristesse  qu'elle  avait  dans  le  cœur 
en  songeant  à  sa  captivité  prochaine;  et  la  scène  a  paru  se  placer  assez 
convenablement  quelques  semaines  plus  tôt,  quand  Jeanne,  voulant  passer 
l'Aisne  à  Soissons,  pour  tomber  sur  le  duc  de  Bourgogne  au  siège  de 
Choisy,  se  vit  arrêté  par  la  trahison  du  capitaine  de  la  place ,  et  qu'elle 
revint  tout  affligée  dans  Compiègne.  Le  jour  où  elle  fut  prise,  elle  redoutait 
si  peu  d'y  être  trahie,  qu'elle  y  était  venue  exprès  le  matin  même;  et  Flavy 
était  le  dernier  dont  elle  eût  à  craindre  une  trahison ,  car  elle  venait  libre- 
ment défendre  la  ville  qui  était  sa  fortune ,  et  qu'il  défendit  lui-même  avec 

1  Passion  de  Jeanne  :  Le  rapprochement  que  ce  mot  implique  a  déjà  été  fait  par  TAbréviateur  du  procès 
de  Jeanne  d'Arc,  quand  il  dit  de  ses  juges  :  «  Ne  se  monstrêrent  pas  moins  affectés  à  faire  mourir  la  dicte 
Pucelle,  que  Cayphe  et  Anne  et  les  scribes  et  pharisées  se  monstrêrent  affectés  à  faire  mourir  Nostre-Sei- 
gneur.  «  (J.  Quichcrat,  Procès  de  Jeanne  J' Arc,  t.  IV,  p.  263.) 


COiMPIÈGNE. 


tant  de  vigueur  pendant  six  mois.  Ajoutons  que  la  Pucelle  ne  l'en  soupçonna 
pas  plus  après  qu'avant  sa  captivité  :  son  idée  fixe  dans  sa  prison,  idée  qui 
prévalut  en  elle  jusque  sur  Tautorité  de  ses  voix,  était  d'en  sortir  au  péril 
même  de  la  vie,  pour  aller  sauver  la  ville  où  Flavy  semblait  près  de  suc- 
comber. 

C'est  donc  à  tort  que  Ton  a  rapporté  à  la  trahison  de  cet  homme  la  cap- 
tivité de  la  Pucelle.  Il  ne  suffit  pas  qu'il  ait  été  pupille  de  Regnault  de 
Chartres  et  lieutenant  de  la  Trémouillc  pour  l'accuser  d'un  crime  qui, 


Fig.  1 15.  —  «  Comment  la  Pucelle  fut  prise  devant  Compiègne.  »  Ms.  fr.,  n"  5o54,  daté  de  1484,  à  la  biblioth. 
nat.  —  Cinq  ou  six  hommes  d'armes  s'étaient  jetés  sur  elle  en  lui  criant  :  «  Rendez-vous  à  moi  et  me  baillez 
la  foi.  »  Jeanne  répondit  :  «  J'ai  juré  et  baillé  ma  foi  à  un  autre  qu'à  vous,  et  je  lui  en  tiendrai  mon  serment.  » 
Mais,  tirée  par  ses  longs  habits  À  bas  de  son  cheval,  elle  fut  faite  prisonnière.  Son  frère  Pierre,  son  écuyer 
d'Aulon  et  Poton  de  Xaintrailles,  qui  ne  l'avaient  pas  quittée,  eurent  le  même  sort. 


accompli  dans  ces  conditions,  atteindrait  à  un  degré  d'énormité  inouï, 
puisqu'il  y  impliquerait  le  concert  du  favori  du  roi  et  du  chancelier  de 
France.  Et  l'on  ne  peut  davantage  rapporter  la  trahison  à  l'amour  de  l'or. 
Flavy  avait  résisté  aux  tentatives  de  corruption  du  duc  de  Bourgogne,  qui 
voulait  avoir  Compiègne;  et  si,  dans  un  procès,  l'avocat  de  son  adver- 
saire a  pu  contester  sa  vertu  en  ce  point,  s'il  répondait  à  son  défenseur  : 
«  N'est  à  croire  qu'il  en  refusât  3o,ooo  écus,  vu  qu'il  ferma  les  portes  à 
Jehanne  la  Pucelle,  .par  quoi  fut  pri?e,  et  dit-on  que  pour  fermer  lesdites 
portes  il  eut  plusieurs  lingots  d'or-,  »  c'est  là  une  réplique  d'avocat,  dont 


JKANNE   D'ARC 


l'assertion  se  couvre  d'un  ou  dit  et  demeure  dénuée  de  toute  preuve,  tandis 
que  l'autre  a  pour  garantie  un  fait  incontestable  :  Compiègne  défendue 
pendant  six  mois,  au  milieu  des  plus  dures  extrémités,  et  à  la  fin  sauvée, 
avant  toute  chose ,  par  sa  persévérance.  S'il  avait  traité  avec  le  duc  de 
Bourgogne  pour  livrer  Jeanne,  la  ville,  on  peut  le  croire,  eût  été  comprise 
dans  le  marché. 

li  faut  donc  se  défier  de  cet  entraînement  à  trouver  à  toute  grande  cata- 
strophe un  grand  coupable.  L'histoire,  parce  qu'elle  ne  juge  que  des  morts, 
ne  doit  pas  être  moins  réservée  dans  ses  condamnations.  Flavy  répugnait 
peu  au  crime  :  les  suites  sanglantes  de  son  histoire  le  prouvent;  et  toute- 
fois, si  corrompu  qu'il  ait  été,  on  ne  peut  l'accuser  ni  comme  auteur 
principal  d'une  trahison  qui  devait  avoir  pour  première  fin  la  perte  de 
Compiègne  (car  il  a  sauvé  Compiègne),  ni  comme  instrument  d'un  complot 
dont  la  réalité  même  reste  à  prouver.  Mais,  s'il  n'a  point  livré  la  Pucelle, 
est-il  complètement  innocent  de  sa  perte?  Évidemment,  en  cette  occasion  , 
il  se  montra  moins  préoccupé  de  la  sauver  que  de  garder  sa  ville.  Or,  la 
Pucelle  était  d'assez  grande  importance  pour  que  tout  fût  à  risquer,  même 
Compiègne,  afin  de  la  sauver;  et  une  sortie  énergique  de  la  garnison  aurait 
sufli  peut-être  pour  dégager  le  pont,  ne  fût-ce  qu'un  seul  moment,  et 
donner  à  la  Pucelle  le  temps  de  rentrer  dans  la  place.  Ainsi  elle  fut  vic- 
time, sinon  de  la  trahison ,  au  moins  d'un  abandon  inspiré  par  le  plus 
aveugle  égoïsme;  et,  à  cet  égard,  l'événement  de  Compiègne  répond  trop 
bien  à  cette  funeste  politique  qui ,  depuis  si  longtemps,  minait  sourdement 
ou  entravait  l'œuvre  de  Jeanne  d'Arc.  Ce  n'est  donc  pas  entièrement  sans 
raison  qu'un  annaliste  de  Metz  contemporain  (pour  le  reste  assez  mal 
informé)  rapportait  sa  captivité,  comme  l'échec  de  Paris,  à  la  jalousie  d^ 
la  Trémouille  :  »  Et  fut  dit  qu'il  n'estoit  mie  bien  lo\'aux  audit  roy,  son 
seigneur,  et  qu'il  a\'oit  envie  des  faicts  qu'elle  faisoit  et  fut  coupable  de  sa 
prise.  »  Jeanne  d'Arc  ne  fut  livrée  par  personne,  mais  elle  fut  constamment 
trahie  par  tous  ceux  qui  la  devaient  le  plus  soutenir. 

Ce  coup,  dont  elle  ne  doit  point  se  relever,  est-il  un  suprême  démenti 
à  la  vérité  de  sa  mission  ?  Ce  serait  bien  mal  la  comprendre.  Jeanne  d'Arc 
a  pu  révéler  des  choses  qui  lui  étaient  inspirées-,  mais,  pas  plus  que  les 
prophètes,   elle  ne   s'est  jamais  donnée  comme  sachant  tous  les  secrets  de 


BAS-RELIEFS  DE  LA  STATUE  DE  L 

Œuvre  en  bronze  de  M. 


JEANNE    EST    PRISE    AU    SIEGE    D 


Les  François,  craignant  d'ctre  coupés  de  la  place ,  fuient  pour  s'y  mettre  à  couvert.  La   Pucelle  marche  la 

abandonnée  de  ceux  qu'elle  était  venue  sai 


SUPPLICE    DE    JEANNE,     LE    J 


Trois  échafauds  avaient  été  dressés  sur  la  place  du  Vieux-Marché  de  Rouen  :  l'un  pour  les  juges,  l'autre  pour  plusi 
rénumération  de  tous  les  crimes  qui  lui  étaient  imputés.  —  Jeanne  serre  une  croix  sur  sa  poitrine,  se  rappelant  que  ses 
Elle  acceptait  la  mort  comme  rentrant  dans  l'ordre  de  sa  mission. 


PLACE  DU  MARTROI,  A  ORLÉANS. 


ital-Dubrav.  xixi"  siècle 


OMPIEGNE,     LE    2J     MAI     I4JO. 

■nière,  soutenant  l'effort  des  assaillants;  mais,  acculée  au  fossé  du  boulevard,  elle  est  faite  prisonnière, 
:  c'est  le  commencement  de  sa  passion. 


.ni    1431.     \  uir  page  332. 

i  prélats  et  de  hauts  personnages,  le  troisième  en   maçonnerie  pour  Jeanne.  Devant   elle  était  un  écriteau   contenant 

X  lui  ont  dit  :  «  Prends  tout  en  gré;  ne  te  chaille  (soucie)  de  ton  martyre;  tu  t'en  viendras  au  royamnc  du  Paradis.  » 


\ 


JEANNE   D'ARC. 


l'avenir.  Les  phophètes  ont  eu  des  révélations  déterminées-  et,  parmi  les 
choses  mêmes  qu'ils  avaient  mission  de  publier,  il  en  est  qui  ne  se  sont 
point  accomplies,  comme  la  ruine  de  Ninive,  prèchée  par  Jonas  :  car  les 
actes  de  la  Providence  ne  sont  point  des  actes  de  la  fatalité;  et  si  Dieu  peut 
suspendre  les  effets  de  sa  colère  en  faveur  des  pécheurs  repentants,  il  peut 
aussi,  devant  une  indifierence  aveugle  à  la  grâce,  révoquer  les  promesses 
de  sa  miséricorde.  Jeanne  avait  déclaré  l'objet  de  sa  mission  :  c'était  de 
chasser  les  Anglais.  Elle  avait  dit  qu'elle  délivrerait  Orléans  et  ferait  sacrer 
le  roi  à  Reims;  et,  quand  elle  le  mena  devant  Paris,  elle  pressa  les  siens 
d'être  fermes  à  l'assaut,  disant  qu'ils  y  entreraient.  Elle  le  disait  encore, 
blessée,  au  pied  des  murailles;  mais,  pour  cela,  il  fallait  qu'on  la  suivît 
comme  à  Orléans,  comme  à  Reims.  Pour  ce  qui  la  concerne,  elle  avait  su, 
et  elle  avait  dit,  qu'elle  serait  blessée  à  Orléans,  qu'elle  ne  durerait  guère 
plus  d'une  année,  qu'elle  serait  prise.  Quand  et  comment?  elle  ne  l'avait 
pas  su,  et  elle  disait  très-franchement,  on  l'a  vu,  que,  si  elle  avait  su 
qu'elle  dût  l'être  dans  cette  sortie,  elle  n'y  serait  point  allée.  Prisonnière, 
sa  vie  active  est  terminée;  mais  sa  mission  ne  l'est  pas  encore,  et  cette 
phase  où  elle  entre  en  est  le  couronnement  et  la  consécration.  Où  a-t-on 
jamais  vu  que  le  martyre  fût  un  jugement  de  Dieu  contre  ses  envoyés  ? 
Sans  sa  captivité,  plusieurs  traits  de  son  caractère  seraient  demeurés 
obscurs;  sans  son  procès,  sa  mission  serait  restée  dans  le  demi-jour  de 
la  légende.  Son  procès,  et  je  parle  surtout  du  procès  de  condamnation, 
est  à  lui  seul  un  témoignage  qui  n'a  rien  de  comparable  dans  l'histoire. 
Ses  ennemis,  qui  la  pouvaient  tuer,  ont  cru  faire  plus  que  de  lui  ôter  la 
vie ,  ils  ont  voulu  perdre  sa  mémoire  :  et  ils  lui  ont  élevé  un  monument 
que  personne  n'a  le  droit  de  récuser,  puisqu'il  est  l'oeuvre  de  leurs  mains; 
un  monument  qui  ne  surpasse  en  valeur  aucun  de  ceux  où  sont  établis 
les  droits  des  saints  à  la  vénération  des  fidèles.  Sa  belle  et  grande  figure 
brille  plus,  parmi  ces  outrages,  qu'elle  ne  l'eût  fait  parmi  les  formules 
respectueuses  d'un  procès  canonique;  et  toute  la  suite  de  cette  longue  et 
insidieuse  procédure ,  en  mettant  journellement  à  l'épreuve  la  sincérité  de 
sa  parole,  la  fermeté  de  son  jugement  et  ce  bon  sens  exquis  dont  elle  était 
douée,  servira  mieux  que  nulle  autre  chose  à  montrer  ce  qu'il  faut  croire 
de  son  inspiration. 


Ornement  tiré  d'u 


iùcle,  n'  jO,  à  U  biblîoth.  nationale. 


VI 


ROUEN   —  LES  JUGES 


Le  Marché.   —  Le  Tribunal. 


LE   MARCHE. 


Riso.wiÈRE  du  bâtard  de  Wandonne,  la 
Pucelle  fut  menée  au  camp  de  Margny, 
"ù  bientôt  accoururent,  poussant  des 
cris  de  joie,  tous  les  chefs  anglais  et 
bourguignons,  et  après  eu.\  le  duc  de 
Bourgogne,  arrivé  trop  tard  pour  la 
bataille.  Que  lui  dit-il  ?  Que  lui  dit 
Jeanne  elle-même?  Monstrelet ,  présent 
à  l'entrevue ,  n'en  a  rien  rapporté.  Le 
duc  était  du  sang  de  France,  et  Jeanne, 
à  plusieurs  reprises,  lui  avait  écrit  pour 
le  ramener  au  roi;  mais  depuis  la  campagne  de  Paris  elle  n'espérait  plus  le 
détacher  des  Anglais  que  par  la  force.  —  Le  bâtard  de  Wandonne  étant  de 
la  compagnie  de  Jean  de  Luxembourg  ,  c'est  à  ce  prince  que  Jeanne  appar- 
tenait. Après  trois  ou  quatre  jours  passés  au  camp,  il  l'envoya  à  son  château 
de  Beaulieu ,  jugeant  peu  sûr  de  la  retenir  si  près  de  la  ville  assiégée. 

Ce  n'étaient  pas  seulement  les  assiégés  que  le  sire  de  Luxembourg  devait 
craindre,  s'il  voulait  garder  la  captive  dont  le  droit  de  la  guerre  l'avait  fait 


2i6  JEANNE  D'ARC. 


maître.  La  Pucelle  avait  été  prise  le  24  mai  1430.  Le  ib ,  on  le  sut  à  Paris. 
Dès  le  26,  le  vicaire  général  de  l'Inquisition  adressait  au  duc  de  Bourgogne 
un  message  que  dut  accompagner  ou  suivre  de  bien  près  une  lettre  de 
r Université,  conçue  dans  le  même  sens  :  l'Université  priait  le  duc  délivrer 
Jeanne,  comme  idolâtre,  à  la  justice  de  l'Église;  l'inquisiteur  la  réclamait 
en  vertu  de  son  office  et  «  sur  les  peines  de  droit.  »  Mais  il  y  avait ,  derrière 
l'Inquisition  et  l'Université,  une  puissance  bien  autrement  redoutable  pour 
la  Pucelle,  je  veux  dire  les  Anglais.  Ils  vo3'aient  en  elle  la  cause  unique 
de  leurs  revers,  et  ce  n'était  point  assez  pour  leur  sécurité  que  de  savoir 
aux  mains  des  Bourguignons  celle  qui  avait  relevé  la  fortune  de  la  France. 
Comment  douter  que  Charles  VII  ne  sacrifiât,  s'il  le  fallait,  le  meilleur 
de  son  royaume ,  pour  recouvrer  celle  qui  l'avait  sauvé  d'une  entière  con- 
quête et  promettait  de  le  reconquérir  entièrement  ?  Et  comment  se  flatter 
que  !c  sire  de  Luxembourg  résistât  à  ces  offres  ?  Le  comte  avait  repoussé 
leurs  premières  ouvertures  :  n'était-cepas  dans  l'espoir  d'avoir  de  Charles  VI I 
un  meilleur  prix?  Pour  lui  disputer  Jeanne,  il  fallait  aux  Anglais  plus 
que  de  l'argent  :  il  leur  fallait  l'autorité  de  la  religion  mise  au  service 
de  leurs  intérêts.  C'est  par  l'Église  qu'ils  tentèrent  de  la  prendre,  comme 
c'est  par  elle  qu'ils  la  voulaient  frapper  :  entreprise  d'une  hypocrisie  infer- 
nale, où  ils  déployèrent  assez  d'habileté,  sinon  pour  égarer  le  sentiment 
populaire,  au  moins  pour  donner  le  change  à  certains  esprits  trop  prompts 
à  relever  comme  idées  nouvelles  des  apparences  dont  le  bon  sens  public  a, 
de  tout  temps,  fait  justice. 

Les  Anglais  n'ont  pas  eu  seulement  la  première  idée  de  ce  procès,  ils 
en  ont  eu  la  direction. 

Pour  juger  la  Pucelle,  il  la  fallait  avoir.  Pour  l'avoir,  comme  pour  la 
juger,  ils  employèrent  un  homme  à  eux,  Pierre  Cauchon,  évêque  de 
Beauvais. 

Pierre  Cauchon  parait  dans  le  procès  l'organe  le  plus  accrédité  de  l'uni- 
versité de  Paris.  Dès  le  temps  de  Charles  VI,  il  avait  été  appelé,  par  les 
sulTragesde  ce  corps,  aux  fonctions  de  recteur,  et  il  était  devenu  le  conser- 
vateur de  ses  privilèges.  Mais  les  circonstances  l'avaient  particulièrement 
attaché  au  parti  des  Anglais.  Évêque  de  Beauvais ,  grâce  à  l'appui  du  duc 
àz  Bourgogne,  il  avait  été  chassé  de  son  siège  par  un  mouvement  du  peuple 


JEANNE   d'arc.   IU.  —    28 


JEANNE  D'ARC. 


en  faveur  de  Charles  Vil;  réfugié  à  Rouen,  il  convoitait  ce  siège  archié- 
piscopal vacant  alors,  et  il  l'attendait  de  Fintervention  du  roi  d'Angleterre 
auprès  du  pape.  Ce  fut  lui  que  les  Anglais  choisirent  pour  se  faire  livrer  et 
pour  juger  la  Pucelle.  La  Pucelle  avait  été  prise  dans  le  diocèse  de  Beau- 
vais,  et,  à  ce  titre,  relevait  de  Tévêque  du  lieu.  Pierre  Cauchon  n'eut  garde 
de  s'excuser  de  son  absence  :  le  siège  d'où  il  était  chassé  lui  offrait  le  moyen 
d'arriv'er  à  l'autre;  l'ambition  et  l'esprit  de  vengeance  conspiraient  en  lui 
au  profit  des  volontés  de  l'Angleterre.  S'étant  concerté  avec  l'université  de 
Paris,  il  vint,  le  14  juillet,  au  camp  de  Compiègne,  et  réclama  du  duc  de 
Bourgogne  la  prisonnière,  comme  appartenant  à  sa  justice;  il  présentait  à 
l'appui  de  sa  demartde  les  lettres  adressées  par  l'université  de  Paris  au  duc 
et  à  Jean  de  Luxembourg.  La  main  qui  dirigeait  tout  se  trahissait  d'ailleurs 
dans  sa  requête.  Cette  requête  était  accompagnée  d'offres  pécuniaires  :  un 
évêque  n'offre  pas  de  l'argent  pour  juger  ceux  qui  sont  de  sa  juridiction. 
Aussi  l'offre  était-elle  faite  purement  et  simplement  au  nom  du  roi  d'An- 
gleterre. On  offrait  10,000  francs  d'or,  somme  au  prix  de  laquelle,  selon  la 
coutume  de  France,  le  roi  avait  le  droit  de  se  faire  remettre  tout  prisonnier, 
fût-il  de  sang  royal. 

Jean  de  Luxembourg  était  de  cette  illustre  maison  qui  avait  donné  des 
rois  à  la  Bohême,  à  la  Hongrie,  et  des  empereurs  à  l'Allemagne.  Mais  il 
était  cadet  de  famille,  peu  apanage,  attendant  tout  du  duc  de  Bourgogne  et 
de  la  guerre  entreprise  au  profit  des  Anglais.  Pour  le  soutenir  contre  ces 
obsessions,  il  eût  fallu  que  Charles  VII  fît  des  démarches ,  des  offres  même  ; 
il  eût  fallu  aussi  que  le  clergé,  qui  avait  reconnu  la  mission  de  la  Pucelle, 
fît  voir  que  toute  TÉglise  n'était  pas  du  côté  de  ceux  qui  la  voulaient  juger. 
Or  il  n'y  a  nulle  trace  d'aucun  acte  de  cette  nature.  Charles  VII  demeure 
immobile,  et  son  clergé  se  tait.  Je  me  trompe  :  on  a  l'extrait  d'une  lettre  du 
chancelier  Regnault  de  Chartres ,  archevêque  de  Reims ,  aux  habitants  de  sa 
ville  épiscopale.  Il  leur  annonce  la  prise  de  la  Pucelle,  et  y  veut  voir  comme 
un  jugement  de  Dieu,  «  comme  elle  ne  vouloit  croire  conseil,  ains  (mais) 
faisoit  tout  à  son  plaisir;  »  il  leur  apprenait ,  par  une  sorte  de  compensation , 
«  qu'il  étoit  venu  devers  le  roi  un  jeune  pastour,  gardeur  de  brebis  des 
montagnes  de  Gévaudan,  en  l'évêché  de  Mende,  lequel  disoit  ne  plus  ne 
moins  que  avoit  fait  la  Pucelle,  et  qu'il  avoit  commandement  d'aller  avec 


ROUEN.    —   LES   JUGES. 


les  gens  du  roi  et  que  sans  faute  les  Angloiset  les  Bourguignons  seroient 
déconfits.  »  Bien  plus,  «  sur  ce  que  on  lui  dit  que  les  Anglois  avoient  fait 
mourir  Jeanne  la  Pucelle,  le  pastour  répondit  que  tant  plus  il  leur  en  mes- 
cherroit,  et  que  Dieu  avoit  soutlert  prendre  Jeanne,  pour  ce  qu'elle  s'étoit 
constituée  en  orgueil,  et  pour  les  riches  habits  qu'elle  avoit  pris  ,  et  qu'elle 
n'avoit  fait  ce  que  Dieu  lui  avoit  commandé,  ains  avoit  fait  sa  volonté.  » 
Ainsi  ce  n'était  pas  seulement  les  Anglais  et  les  Bourguignons  qui  triom- 
phaient de  la  chute  de  la  Pucelle  :  c'étaient  les  conseillers  de  Charles  VII  ! 
La  Pucelle  succombait,  parce  qu'elle  ne  les  avait  point  écoutés.  Dieu  avait 
jugé  :  un  envoyé  plus  docile  (au.\  conseillers,  on  le  peut  croire}  venait 
prendre  sa  place ,  et  c'était  de  la  réprobation  de  Jeanne  qu'il  faisait  les  préli- 
minaires et  comme  le  fondement  de  sa  mission.  Les  Anglais  avaient  donc 
bien  eu  tort  de  tant  craindre  d'être  traversés  dans  leurs  négociations  : 
Charles  VII  n'avait  garde  de  leur  faire  concurrence.  Que  s'ils  poussaient 
leur  haine  jusqu'au  bout,  s'ils  faisaient  mourir  Jeanne  d'Arc,  tant  mieux 
encore,  puisque,  d'après  le  «  jeune  pastour  »  de  l'archevêque  de  Reims, 
«  tant  plus  il  leur  en  mescherroit  (arriverait  malheur) .  « 

Le  sire  de  Luxembourg  céda ,  et  l'évêque  revint  tout  joyeux  en  apporter 
la  bonne  nouvelle  àceux  qui  l'avaient  envoyé.  C'est  l'Angleterre  qui  payait, 
mais  c'était  la  Normandie  et  les  pays  de  conquête  qui  devaient  donner 
l'argent;  on  en  répartit  la  somme  par  surcroît  à  l'impôt  que  ces  provinces 
devaient  fournir  pour  une  levée  de  soldats  :  la  Pucelle  valait  bien,  sans 
doute,  une  armée  '. 

Le  marché  faillit  manquer  par  certains  incidents  qui  n'avaient  pas  été 
prévus  au  contrat. 

Jeanne  avait  subi  avec  courage  l'épreuve  si  dure  de  la  captivité.  Si  l'évé- 
nement de  Compiègne,  qui  comblait  de  joie  tousses  ennemis,  avait,  jusque 
parmi  les  siens ,  donné  satisfaction  aux  jaloux  et  ébranlé  les  faibles ,  il  n'avait 
pas  diminué  sa  foi.  Sa  captivité  lui  avait  été  prédite,  et  ses  saintes  ne  l'a- 
vaient point  abandonnée.  Elle  se  résignait  donc,  mais  elle  se  tenait  toujours 
prête  à  reprendre  l'œuvre  qu'elle  estimait  seulement  interrompue.  Un  jour, 


1  Les  10,000  francs  offerts  par  révëque  de  Bcauvais  se  réduisent  dans  les  comptes  du  payement  à 
10,000  livres  tournois,  soit  6i,i25  fr.  69  c.  de  notre  monnaie,  la  livre  valant  alors  6  fr.  1 1  à  12  c,  valeur 
intrinsèque,  La  valeur  relative  était  beaucoup  plus  grande. 


JEANNE   D'ARC. 


à  Beaulieu,  elle  crut  en  avoir  trouvé  Toccasion;  elle  faillit  s'échapper  à  tra- 
vers les  ais  de  sa  prison.  Elle  était  déjà  sortie  de  la  tour,  et,  pour  mieux 
assurer  sa  fuite,  elle  allait  y  enfermer  ses  gardiens,  quand  elle  fut  aperçue 
du  portier,  qui  la  reprit. 

De  Beaulieu  ,  où  elle  demeura  trois  ou  quatre  mots  (mai-aoLit\  le  sire  de 
Luxembourg  la  fit  passer  en  son  château  de  Beaurevoir,  près  de  Cambrai, 
à  une  distance  du  théâtre  de  la  guerre  qui  devait  rendre  moins  facile  toute 
tentative  soit  d'évasion  ,  soit  d'enlèvement.  Là  résidaient  la  femme  et  la  tante 
de  ce  seigneur  -,  et  Jeanne  n'eut  qu'à  se  louer  de  leurs  soins  :  mais  elle  refusa 
les  vêtements  de  femme  que  ces  dames  lui  offraient ,  disant  qu'elle  n'en  avait 


Fig.  Ii8.  —  Écu  de  Jean  Je  Luxembourg,  fonnaiU  le  linteau  supérieur  d'une  porte  du  château  de 
Beaurevoir,  aujourd'hui  ruiné.  D'après  les  Etudes  Sainl-Qiicntinoises  de  M.  Gomart.  —  Après  l'avoir 
tenue  prisonnière  pendant  quatre  mois,  Jean  de  Luxembourg  vendit  la  Pucelle  aux  Anglais  pour 
10,000  livres  tournois,  équivalant  à  61, 12?  fr.  23  c.  de  notre  monnaie. 


pas  congé  de  Notre-Seigneur,  et  qu'il  n'était  pas  temps  encore.  Si  les  habits 
d'homme  lui  étaient  nécessaires  dans  la  vie  des  camps ,  parmi  les  gens  de 
guerre  qui  respectaient  en  elle  l'envoyée  de  Dieu  et  la  messagère  delà  vic- 
toire ,  l'étaient-ils  moins  parmi  des  ennemis  dans  l'isolement  de  la  prison  ? 
Jeanne  put  en  faire  l'expérience  dans  ce  château  même.  Les  jeunes  seigneurs 
voulaient  la  voir  et  lui  parler,  et  plus  d'une  fois  elle  eut  à  se  défendre  contre 
leurs  indécents  badinages.  D'ailleurs  elle  ne  croyait  point  sa  mission  ter- 
minée, et  n'avait  pas  renoncé  à  ses  projets  de  fuite.  Le  sire  de  Luxembourg 
les  redoutait  fort  :  il  la  tenait  dans  un  donjon  très-élevé,  et  il  craignait 
encore  qu'elle  n'échappât  par  art  magique  ou  par  quelque  moyen  subtil. 
Jeanne  n'y  mit  point  tant  de  subtilité.  Elle  savait  qu'elle  était  vendue  aux 


ROUEN.   —   LES  JUGES. 


Anglais;  elle  savait  queCompiègne,  vivement  pressée,  tenait  encore,  mais 
sans  être  secourue  :  elle  résolut  de  sauter  du  haut  de  la  tour.  Elle-même  a 
raconte  les  luttes  qu'elle  eut  à  soutenir  contre  l'inspiration  à  laquelle  elle 
avait  jusque-là  toujours  obéi.  Vainement  ses  voix  blâmaient-elles  ce  dessein 
périlleux  ;  vainement  sainte  Catherine  lui  répétait  tous  les  jours  que  Dieu  lui 
aiderait ,  et  même  à  ceux  de  Compiègne;  elle  avait  réplique  à  toute  objection. 
Elle  répondait  que,  puisque  Dieu  y  devait  aider,  elle  y  voulait  être;  et 
comme  la  sainte  lui  disait  de  prendre  patience,  qu'elle  ne  serait  point  déli- 
vrée tant  qu'elle  n'eût  vu  le  roi  d'Angleterre,  elle  protestait  qu'elle  ne  le 
voulait  point  voir,  et  qu'elle  aimerait  mieux  mourir  que  d'être  mise  en  la 
main  des  Anglais.  Ce  combat  si  pénible  pour  Jeanne  durait  déjà  depuis 
longtemps,  quand  on  lui  dit  que  Compiègne  était  à  la  veille  d'être  prise, 
qu'elle  serait  détruite  et  tous  les  habitants  mis  à  mort  depuis  l'âge  de  sept 
ans.  A  cette  nouvelle,  elle  s'écria  :  «Comment  Dieu  laissera-t-il  mourir  ces 
bonnes  gens  de  Compiègne,  qui  ont  été  et  sont  si  loyaux  à  leur  seigneur?  » 
Dès  ce  moment  elle  n'écouta  plus  rien,  et,  se  recommandant  à  Dieu  et  à 
Notre-Dame,  elle  sauta  du  haut  de  la  tour,  ou  plutôt  se  laissa  glisser  parla 
fenêtre  au  moyen  de  lanières  qui  rompirent.  Elle  tomba,  et  demeura  sur  la 
place  sans  mouvement;  ceux  qui  la  relevèrent  la  croyaient  morte,  et  leur 
crainte  n'était  pas  sans  vraisemblance ,  car  on  ne  peut  guère  supposer  à  cette 
tour  moins  de  soi.xante  pieds  de  haut.  Toutefois  elle  reprit  ses  sens;  dans 
le  moment  elle  avait  perdu  la  mémoire  :  il  fallut  qu'on  lui  dît  qu'elle  avait 
sauté  du  haut  du  donjon.  Elle  fut  deux  ou  trois  jours  ne  voulant,  ou  ,  pour 
mieux  dire,  ne  pouvant  ni  boire  ni  manger.  Mais  sainte  Catherine,  dit-elle, 
la  réconforta  :  elle  la  reprit  doucement  de  son  imprudence ,  elle  lui  dit  qu'elle 
se  confessât  et  demandât  pardon  à  Dieu  ,  ajoutant,  pour  la  consoler,  que 
Compiègne  serait  secourue  avant  la  Saint-Martin  d'hiver  (ce  qui  arriva  : 
le  siège  de  Compiègne  fut  levé  le  26  octobre).  Elle  se  prit  donc  à  revenir  et 
à  recommencer  à  manger,  et  en  peu  de  jours  elle  fut  guérie. 

Ainsi  le  marclié  put  s'accomplir.  Le  sire  de  Luxembourg  avait  éprouvé 
qu'une  pareille  prisonnière  est  de  garde  difficile,  et,  malgré  les  résistances 
de  sa  tante,  il  la  livra  ^novembre  i43o\  —  De  Beaurevoir  on  la  mena  à 
Arras  et  de  là  au  Crotoy,  où  elle  fut  remise  aux  Anglais  par  les  officiers  du 
duc  de  Bourgogne  avant  le  21  novembre).  Le  duc  de  Bourgogne,  qui  avait 


JEANNE   D'ARC. 


besoin  des  Anglais  pour  se  relever  de  l'échec  de  Compiègne ,  comme  pour 
achever  de  s'affermir  dans  ses  récentes  acquisitions  aux  Pays-Bas,  s'était 
prêté  de  bonne  grâce  à  la  négociation,  et  n'était  point  fâché  de  paraître  dans 
la  conclusion  du  marché.  Par  cet  acte  de  condescendance,  il  acquérait  de  nou- 
veaux titres  à  leur  faveur.  Qu'il  en  garde  la  responsabilité  devant  l'histoire! 
Avant  de  la  livrer,  comme  elle  était  encore  à  Arras,  on  lui  oflrit  des  vê- 
tements de  femme  -,  mais,  parmi  les  Anglais,  elle  devait  plus  que  jamais  avoir 
besoin  de  ses  habits  d'homme  :  elle  refusa.  Au  Crotoy,  où  elle  séjourna  jus- 


Fig.  119.  —  •  Comment  les  Français  levèrent  le  siège  devant  Compiègne  et  déconfirent  les  Angla 
Ms.  fr.  n"  5o54,  daté  de  14S4.,  à  la  biblioth.  nationale. 


qu'à  ce  que  les  dernières  mesures  fussent  arrêtées  pour  son  procès,  sa  capti- 
vité ne  paraît  pas  avoir  été  fort  rigoureuse  encore.  Elle  y  pouvait  assister  à 
la  messe.  Un  chancelier  de  l'église  cathédrale  d'Amiens,  qui  se  trouvait 
alors  dans  le  château ,  l'entendait  en  confession  et  lui  donnait  l'eucharistie. 
Les  dames  même  d'Abbeville  étaient  admises  à  la  visiter  :  et  c'est  une  jus- 
tice à  rendre  aux  femmes ,  que ,  parmi  tant  d'outrages  dont  elle  fut  l'objet, 
pas  un  seul  ne  lui  vint  de  leur  part.  On  ne  cite  d'elles  que  des  témoignages 
d'admiration  et  d  estime  pour  celle  qui ,  elles  le  sentaient  bien  ,  ne  déshono- 
rait pas  leur  sexe  sous  ces  habits  dont  la  pudeur  des  hommes  se  montrait  si 
fort  scandalisée.  La  Pucelle  fut  touchée  de  ces  honneurs  rendus  à  ses  chaînes; 
elle  remerciait  ses  nobles  visiteuses,  «  se  recommandait  à  leurs  prières,  » 
et  c'était  en  «  les  baisant  amiablement,  »  qu'elle  leur  disait  :  «  A  Dieu!  » 


ROUEN.    —    I.ES   JUGES.  223 


LE    TRIBUN.M, 


Les  Anglais  n'avaient  acheté  la  Pucelle  que  pour  la  juger;  c'est  à  ce  titre 
qu'ils  l'avaient  fait  réclamer  par  l'évèque  de  Beauvais.  Beauvais  appartenant 
à  Charles  VII,  où  allaient-ils  dresser  le  tribunal?  L'université  de  Paris  ré- 
clamait pour  Paris. 

L'université,  qui  avait  montré  tant  de  crainte  que  la  Pucelle  n'échappât 
lorsqu'elle  était  encore  aux  Bourguignons,  apprenant  qu'elle  était  aux  An- 
glais, se  met  aussitôt  en  campagne.  Dès  le  21  novembre,  elle  écrit  au  roi; 
elle  le  complimente  d'avoir  entre  ses  mains  cette  ennemie  de  la  foi,  et  le 
presse  de  la  livrer  enfin  à  la  justice,  c'est-à-dire  à  l'évèque  de  Beauvais  et  à 
l'inquisiteur  ;  elle  le  prie  de  la  faire  conduire  à  Paris,  pour  donner  au  procès 
plus  de  sûreté  et  d'éclat  :  «  Car  par  lesmaistres  docteurs  et  autres  notables 
personnes  estant  par  deçà  en  grant  nombre,  seroit  la  discussion  d'icelle 
de  plus  grant  réputation  que  en  autre  lieu.  »  Le  même  jour,  elle  écrivait  à 
l'évèque  de  Beauvais  une  lettre  acerbe,  que  l'évèque  ne  manque  pas  d'in- 
sérer parmi  les  pièces  de  procédure ,  comme  pour  rendre  sa  responsabilité 
moins  lourde  en  la  partageant.  L'université  s'étonne  de  si  longs  retards  ; 
elle  s'en  prend  à  la  négligence  de  l'évèque  :  «  Si  votre  Paternité ,  dit-elle, 
avait  mis  plus  de  zèle  dans  la  poursuite  de  TalTaire,  cette  femme  serait 
déjà  en  justice.  Il  ne  nous  importe  pas  si  peu,  tandis  que  vous  êtes  re- 
vêtu d'une  si  grande  dignité  dans  l'Église,  d'ôter  les  scandales  commis 
contre  la  religion  chrétienne,  surtout  quand  il  se  trouve  que  le  soin  d'en 
juger  est  de  votre  juridiction.  »  Elle  le  prie  donc  de  ne  pas  laisser  plus  long- 
temps en  souffrance  l'autorité  de  l'Église ,  et  de  faire  en  sorte  que  le  pro- 
cès se  poursuive  à  Paris,  où  il  y  a  tant  de  sages  et  de  docteurs. 

Mais  les  Anglais  ne  se  souciaient  point  d'y  conduire  la  Pucelle  :  car,  bien 
que  la  ville  fût  à  eux,  ils  ne  s'y  sentaient  pas  assez  les  maîtres.  Les  Ar- 
magnacs poussaient  encore  leurs  courses  jusqu'au  Bourget,  jusqu'à  la  porte 
Saint-Antoine  :  le  (5  novembre,  le  roi  d'Angleterre  donne  à  l'évèque  de 
Thérouanne,  son  chancelier  pour  la  Prance,   la  faculté  de  différer  la  ren- 


JEANNE    D'ARC. 


trée  du  parlement  en  raison  des  dangers  de  la  route;  et  la  ville  même  n'était 
pas  sijre.  On  le  voit  par  les  plaintes  perpétuelles  du  Bourgeois  sur  Tabandon 
où  elle  est  laissée,  sur  la  cherté  des  vivres.  Les  Anglais  ne  voulaient  donc 
point  de  Paris.  Un  coup  de  main  des  Armagnacs,  un  mouvement  populaire 
pouvait  tout  emporter.  Peut-être  même  ne  se  souciaient-ils  pas  de  faire  le 
procès  si  près  de  l'université  elle-même  :  car  ce  corps,  quoique  fort  pas- 
sionné, était  indépendant.  Ils  entendaient  bien  s'en  servir,  mais  non  se  livrer 
à  sa  discrétion;  et  pour  cela,  rien  de  mieux  que  de  placer  leur  tribunal  à 
distance  et  d'y  appeler,  par  des  choix  réfléchis,  les  plus  sûrs  des  docteurs  pa- 
risiens. Ils  se  décidèrent  pour  Rouen.  La  Pucelle  fut  menée  en  barque  du 
Crotoy  à  Saint-^'alery,  de  l'autre  côté  de  la  Somme,  et  de  là  conduite  à  che- 
val, sous  bonne  garde,  par  Eu  et  par  Dieppe,  jusqu'à  Rouen.  Là,  quelques 
impatients  se  seraient  même  passés  du  secours  des  docteurs  de  Paris  :  ils 
voulaient  la  mettre  dans  un  sac  et  la  jeter  à  la  Seine.  On  croyait,  en  effet, 
parmi  les  Anglais,  qu'aucun  succès  n'était  possible  tant  qu'elle  serait  en  vie, 
et  le  siège  qu'on  voulait  mettre  devant  Louviers  fut  ajourné  jusqu'après  sa 
mort.  Mais  l'expédient  qui  semblait  tout  finir,  laissait  les  Anglais  sous  le 
coup  de  leurs  défaites.  Pour  les  en  relever,  c'était  peu  que  de  tuer  Jeanne; 
il  fallait  la  flétrir.  Jeanne  s'était  dite  envoyée  de  Dieu  pour  chasser  les  An- 
glais, et  elle  les  avait  vaincus  partout  où  on  l'avait  voulu  suivre.  Dieu  était-il 
donccontreles  Anglais?  Il  fallait  montrer  qu'elle  n'étaitpassonenvoyée,  mais 
bien  une  magicienne  et  un  suppôt  du  diable.  A  ce  prix-là  seulement,  Tau- 
torité  des  Anglais  devait  se  rétablir  dans  leurs  conquêtes  :  brûler  Jeanne 
comme  sorcière,  ce  n'était  pas  seulement  pour  eux  une  affaire  d'amour- 
propre,  mais  une  question  de  domination. 

On  la  mit,  dès  son  arrivée,  non  dans  les  prisons  de  Tofficialité,  ni  dans  les 
prisons  communes,  mais  au  château  ,  et  on  l'enferma  dans  une  cage  de  fer. 
Un  peu  plus  tard,  on  se  contenta  de  la  tenir  à  la  chaîne;  mais  combien  elle 
eut  à  regretter  sa  cage ,  dans  la  compagnie  des  soldats  qu'on  lui  donnait 
pour  gardiens,  ou  des  seigneurs  qui  la  venaient  \isiter!  De  ce  nombre,  on 
vit  un  jour  venir  à  sa  prison,  avec  Stafl'ord  et  Warwick,  gouverneur  du 
jeune  Henri  VI,  Jean  de  Luxembourg  devenu  comte  de  Ligny  ,  qui  l'avait 
vendue.  Il  osa  lui  dire  qu'il  venait  la  racheter,  si  elle  voulait  promettre  de  ne 
plus  jamais  s'armer  contre  l'Angleterre.  «  En  nom  Dieu,  lui  répondit-elle. 


3SANNE    D  ARC.    111.    —   29 


226 


JEANNE   D'ARC. 


VOUS  VOUS  moquez  de  moi ,  car  je  sais  bien  que  vous  n'en  avez  ni  le  vouloir 
ni  le  pouvoir;  »  et  elle  le  répéta  plusieurs  fois.  Comme  il  insistait,  elle 
ajouta  :  «  Je  sais  bien  que  ces  Anglais  me  feront  mourir,  croyant  après  ma 
mort  gagner  le  royaume  de  France;  mais  quand  ils  seraient  cent  mille 
Godons  plus  qu'ils  ne  sont  à  présent,  ils  n'auront  pas  le  royaume.  »  Le  comte 
de  Startbrd  indigné  tirait  sa  dague  pour  la  frapper,  mais  Warwick  le  retint. 
On  a  vu  qu'il  avait  ses  raisons. 

Les  Anglais  avaient  le  juge,  l'évèque  de  Bcauvais.  Il  lui  fallait  un  tribu- 


Fig.  121. —  Le  château  deCrotoy,où  Jeanne  fut  enfermée  le  21  novembre  1430.  Ce  château  est  aujourd'hui 
détruit.  Dessin  du  commencement  du  dix-septième  siècle,  communiqué  par  M.  0.  Macqueron,  à  Abbeville. 


nal,  puisque  son  siège  était  à  l'ennemi.  On  avait  rejeté  Paris,  et  choisi 
Rouen  :  le  siège  était  vacant;  il  semblait  qu'on  n'y  dût  faire  ombrage  à  per- 
sonne. Mais  le  choix  était  peu  goûté  du  chapitre,  dans  la  crainte  que  le 
prélat  chassé  de  Beauvais  ne  se  fit  un  titre  de  cet  e.xercice  des  fonctions 
épiscopales  à  Rouen  pour  parvenir  au  siège.  Il  fallut  toute  l'habileté  an- 
glaise pour  négocier  avec  les  chanoines,  et  obtenir  d'eux  concession  du  droit 
territorial  à  l'évèque  de  Beauvais. 

L'évèque  de  Beauvais  ainsi  installé  à  Rouen  ,  il  fut  moins  dilhcile  de  lui 


ROUFN. 


.F.S   JUGES. 


227 


composer  son  cortège  judiciaire.  Il  prit  pour  procureur  général,  ou  promo- 
teur, son  vicaire  général,  qui  partageait  son  exil  et  ses  haines ,  Jean  d'Es- 
tivet,  dit  Benedicite'.  Quant  aux  assesseurs,  l'université  de  Paris  s'était  trop 
avancée  pour  qu'on  ne  fût  pas  sûr  d'en  trouver  parmi  ses  principaux  doc- 
teurs :  on  appela  donc  et  Ton  vit  arriver  sur  cet  appel  Jean  Beaupère,  rec- 
teur  en    .'412  et  depuis  chancelier  en  l'absence  de  Gerson  ;  Jacques  de 


Fij;.  122.  —  \'iie;généi-ale  Ju  vieux  château  de  R'iueii,  c^mstruit  par  Philippe-Auguste  en  i2o5.  Liétruit 
en  partie  en  ÔQO.  Ce  château,  de  forme  circulaire,  était  défendu  par  sept  tours.  Celle  du  donjon  ou 
Grosse  tour  subsiste  encore.  C'est  dans  la  tour  qui  suit  le  donjon,  à  la  droite  du  dessin,  que  Jeanne  fut 
emprisonnée.  Cette  tour,  démolie  partiellement  en  1780,  a  été  entièrement  rasée  vers  iSog.  —  Livre  des 
fontaines^  ms.  du  xvi'  siècle,  conservé  à  la  biblioth.  de  Rouen. 


Touraine,  Nicole  Midi,  Thomas  de  Courcelles , déjà  alors  recteur  émérite, 
quoique  âgé  de  trente  ans  seulement,  l'une  des  lumières  de  l'Église  galli- 
cane, dont  il  défendit  avec  éclat  les  privilèges  au  concile  de  Bàle.  On  en  tira 
aussi  du  diocèse  où  le  jugement  allait  s'accomplir  :  Gilles,  abbé  de  Fécamp, 
conseiller  du  roi  d'Angleterre;  Nicolas  Loyseleur,  etc.  Plusieurs  paraissent 
avoir  accepté  ce  mandat  sans  répugnance  ,  soit  par  conviction ,  soit  par  am- 
bition-, mais  d'autres  ne  cédèrent  qu'à  la  peur.  Le  \ice-inquisiteur  lui-même 


228  JEANNE   D'ARC. 


laissa  commencer  sans  lui  le  procès  dont  il  devait  être  un  des  juges.  Il  n'y 
accéda  que  sur  l'ordre  de  l'inquisiteur  général ,  et ,  dit-on ,  sur  l'avis  confi- 
dentiel qu'il  était  en  péril  de  mort  s'il  s'obstinait  à  refuser.  On  en  cite  un 
qui  sut  se  montrer  indépendant  :  ce  fut  Nicolas  de  Houppeville.  Il  osa  sou- 
tenir que  le  procès  n'était  pas  légal,  parce  que  l'évèque  de  Beauvais  était  du 
parti  ennemi  de  la  Pucelle,  et  parce  qu'il  se  faisait  juge  d'un  cas  déjà  jugé 
par  son  métropolitain ,  la  Pucelle  ayant  été  approuvée  dans  sa  conduite 
par  Tarchevcque  de  Reims,  de  qui  Beauvais  relevait.  L'évèque,  furieux, 
l'exclut  de  l'assemblée  quand  il  vint  prendre  séance,  et  le  fit  assigner  devant 
lui;  mais  l'intimé  refusa  de  comparaître  ,  comme  ne  relevant  que  de  l'offi- 
cialité  de  Rouen.  Il  allait  se  présenter  ù  ses  juges ,  quand  il  fut  arrêté,  con- 
duit au  château  et  mis  en  prison;  et  on  lui  dit  que  c'était  par  l'ordre  même 
de  révêque,  dont  il  avait  récusé  la  compétence.  On  ne  voulait  pas  s'en  tenir 
là  :  il  était  question  de  l'exiler  outre-mer  ;  on  parlait  même  de  le  jeter  à 
l'eau,  mais  il  fut  sauvé  par  les  autres. 

Voilà  donc  le  tribunal.  On  n'y  trouve  guère  d'Anglais,  mais  il  n'y  a  per- 
sonne qui  n'y  soit  sous  la  main  des  Anglais.  Le  juge  est  à  leurs  ordres. 
Quand  Jeanne  le  récuse  comme  son  ennemi,  il  répond  :  «  Le  roi  m'a  or- 
donné de  faire  votre  procès,  et  je  le  ferai.  »  Il  s'y  porte  de  tout  cœur.  On  a 
vu  sa  joie  quand  il  rapportait  au  roi  et  au  régent  le  contrat  qui  leur  livrait 
Jeanne  ;  et  à  présent  qu'il  la  tient  il  s'applaudit  de  ce  qu'il  va  faire  «  un  beau 
procès.  ))  Mais  le  juge  n'est  dans  le  procès  que  le  fondé  de  pouvoir  de  l'An- 
gleterre. Les  deux  oncles  du  roi,  Bedford  et  Winchester,  le  surveillent.  Le 
tribunal  siège  au  château,  au  milieu  des  Anglais.  Ils  travaillent  aux  frais 
des  Anglais.  L'exacte  comptabilité  de  l'Angleterre  en  donne  la  preuve  pour 
chacun  par  livres  et  par  sous;  et,  s'ils  ne  travaillent  pas  bien,  on  a  vu  de 
quelle  manière  sommaire  on  entendait  régler  leurs  comptes.  Il  y  en  eut 
encore  un  autre  exemple  dans  le  cours  du  procès.  Quelqu'un  ayant  dit  de 
Jeanne  une  chose  qui  ne  plut  point  à  Stafford,  le  noble  seigneur  le  pour- 
suivit, l'épée  à  la  main,  jusque  dans  un  lieu  sacré.  Il  l'eût  frappé,  s'il  n'eût 
été  averti  qu'il  allait  violer  un  asile!  D'ailleurs,  quelque  garantie  que 
trouvent  les  Anglais  dans  un  juge  dévoué  et  un  conseil  asservi  à  leur  in- 
fluence, le  procès  n'est  qu'une  épreuve  dont  ils  n'ont  rien  à  redouter.  Si, 
contre  toute  attente,  il  n'aboutit  pas  à  la  condamnation  de  la  Pucelle,  ils  se 


ROUEN. 


l,ES    JUGES. 


229 


réservent  de  la  reprendre  :  c'est  une  clause  formellement  exprimée  dans  la  lettre 
royale  qui  la  livre  à  son  juge-,  et  même  alors  ils  ne  s'en  dessaisissent  point.  La 


Fig.  123.  —  Jean  Je  I.jncavtre,  Jiic  Je  BeJford,  rJ^ent  ^^'^  France  pour  le  roi  d'Angleterre.  BeaforJ,  qui, 
vaincu  par  Jeanne  d'Arc,  ne  voulait  attribuer  sa  défaite  qu'aux  malélicesdu  démon,  se  fit  livrer  la  Pucelle 
dèsqu'ellefut  prise,  pourla  faire  juger  comme  sorcière,  et  futainsi  leprincipal  auteur  de  son  procès  et  de 
sa  mort.  —  Missel  de  Bed/orJ,  ms.  fr.  du  .\v*^  s.,  conservé  au  Bristish  Muséum.  —  Bedford  est  à  genoux 
devant  saint  Georges,  qui  est  revêtu  du  manteau  de  Tordre  de  la  Jarretière.  Derrière  le  saint, un  écuyer  porte 
son  pennon  et  son  bouclier  décorés  de  la  croix  de  saint  Georges.  Les  racines  sont  un  symbole  personnel 
à  Bedford.  La  devise  :  «.1  vous  entier,  »  est  à  l'adresse  de  la  duchesse  de  Bedford,  fille  de  Philippe  le  Bon. 


règle  que  l'accusée  soit  remise  aux  mains  du  juge  est  oubliée.  La  Pucelle  est 
gardée  dans  le  château  de  Rouen  par  les  Anglais  :  Pierre  Cauchon ,  si  jaloux 
d'observer  les  formes  de  la  justice,  dut  subir  ici  la  volonté  de  ses  maîtres. 


23o  JEANNE  D'ARC. 


Ainsi  Jeanne  demeura  aux  mains  des  Anglais,  non  plus  dans  la  cage, 
mais  dans  une  tour  du  château ,  les  fers  aux  pieds,  liée  par  une  chaîne  à  une 
grosse  pièce  de  bois ,  et  gardée  nuit  et  jour  par  quatre  ou  cinq  soldats  de  bas 
étage,  des  houce-paillers  (houspilleurs),  comme  dit  Massieu.  Cette  circons- 
tance, si  étrangère  aux  habitudes  des  juges  ecclésiastiques,  n'est  pas  indif- 
férente; on  peut  même  dire  qu'elle  fut  capitale  au  procès  :  on  verra  que, 
sans  elle,  il  eut  été  bien  ditiicile  de  trouver  un  prétexte  pour  condamner  la 
Pucelle. 

Lorsqu'il  est  prouvé  que  le  procès  de  la  Pucelle  ne  fut  qu'une  œuvre  de 
parti ,  il  est  assez  indifférent  de  rechercher  s'il  s'est  fait  dans  les  formes  lé- 
gales. Mais  l'observation,  même  rigoureuse ,  des  formes  de  la  justice,  n'est 
pas  un  signe  qu'on  en  garde  l'esprit.  Y  eut-il  désir  sincère  d'arriver  à  la 
vérité  dans  la  poursuite  du  procès?  Y  eut-il  au  moins  respect  de  la  vérité 
dans  la  reproduction  des  interrogatoires  et  des  enquêtes?  Et  que  sera-ce  si 
des  enquêtes  sont  supprimées-,  si  les  interrogatoires  sont  altérés;  si  le  procès- 
verbal  ,  même  ainsi  rédigé ,  on  le  soustrait  à  la  connaissance  de  ceux  que  l'on 
consulte,  pour  ne  les  mettre  en  présence  que  d'un  réquisitoire?  Or  toutes 
ces  énormités  se  retrouvent  au  procès  de  Jeanne  d'Arc. 

Des  enquêtes  ont  été  faites,  et  supprimées  au  procès-verbal  :  l'enquête  sur 
sa  virginité,  réputée  si  capitale  pour  juger  de  la  nature  des  visions;  l'en- 
quête sur  ses  antécédents,  indispensable  dans  les  procès  d'hérésie;  — ■  sup- 
primées comme  lui  étant  favorables.  Les  interrogatoires  eux-mêmes  sont 
justement  suspects  d'erreurs  ou  d'omissions  calculées  sur  des  points  capi- 
taux. Qu'on  en  juge  par  ce  trait  de  la  déposition  de  Jean  Fabri  ou  Lefebvre, 
religieux  augustin ,  depuis  évêque  de  Démétriade.  Un  jour  que  la  Pucelle 
étant  interrogée  sur  ses  visions,  on  lui  lisait  une  de  ses  réponses ,  J.  Le- 
febvre y  reconnut  une  erreur  de  rédaction  et  la  fit  remarquer  à  Jeanne,  qui 
pria  le  greffier  Manchon  de  relire.  Il  relut,  et  Jeanne  déclara  qu'elle  avait 
dit  tout  le  contraire;  et  Manchon  promit  de  faire  plus  d'attention  à  l'avenir. 
Voilà  pour  les  erreurs,  et,  quant  aux  omissions  ,  voici  un  fait  bien  grave, 
constaté  par  le  témoignage  d'Isambard  de  la  Pierre.  Lorsqu'à  la  persua- 
sion de  ce  dernier,  Jeanne  déclara  qu'elle  se  soumettait  au  concile  alors 
réuni  (le  concile  de  Bâle),  l'évêque  furieux  s'écria:  «  Taisez-vous,  de  par 
le  diable!  »  et  Manchon  lui  avant  demandé  s'il  fallait  écrire  sa  déclaration. 


ROUEN.   —   LES  JUGES. 


23l 


levcquc  répondit:  <<  Non,  ce  n'est  pas  nécessaire-,  »  sur  quoi  Jeanne  lui 
dit  :  «  Ah!  vous  écrivez  bien  ce  qui  est  contre  moi,  et  vous  n'écrivez  pas 
Ci  qui  est  pour  moi.  » 


Fig.  124.  —  Statue  équestre  de  Jeanne  JAic;  bronze  tranfaisdu  nV  siècle  (ancienne  collection  Carrand). 
Communiqué  par  M.  J.  Charvet,au  château  de  la  Source,  près  le  Pecq. 


Nous  n'accusons  point  Manchon  de  faux  dans  ses  écritures  :  nous  ad- 
mettons qu'il  n'a  pas  été  le  docile  instrument  de  toutes  les  volontés  de 
l'évèque,  qu'il  a  su  même  lui  résister  quelquefois,  bien  qu'il  ait  eu  beau 
jeu  de  l'affirmer  au  procès  de'réhabilitation  ;  mais,  en  présence  de  ces  faits 


JEANNE   DARC. 


constants,  il  est  difficile  de  dire  que  l'on  tient  de  lui  une  rédaction  rigou- 
reusement exacte,  et  que  jamais  il  n'a  rien  concédé  à  la  colère  d'un  homme 
dont  la  violence  envers  ceux  qui  avaient  Fair  de  ne  point  penser  comme  lui, 
est  attestée  pour  des  faits  bien  moins  graves.  Un  jour  que  Thuissier  Massieu 
ramenait  Jeanne  en  prison,  un  prêtre  lui  ayant  demandé  :  «  Quête  semble 
de  ses  réponses?  Sera-t-elle  arse  ^brûlée'  ?  »  il  avait  répondu  :  «  Jusqu'ici  je 
n'ai  vu  que  bien  et  honneur  en  elle;  mais  je  ne  sais  ce  qu'elle  sera  à  la  fin; 
Dieu  le  sache  !  »  Sa  réponse  fut  rapportée  ;  il  fut  mandé  par  l'évèque,  qui 
lui  dit  de  bien  prendre  garde,  ou  qu'on  le  ferait  boire  plus  que  de  raison. 
Et  il  déclare  que,  sans  le  greffier  ^lanchon,  il  n'eut  point  échappé.  Mnn- 
chon  ,  qui  l'excusa,  dut  profiter  delà  leçon  pour  lui-même. 

Concluons-donc  :  le  procès-verbal  n'offre  pas  ces  caractères  assurés  de 
sincérité  qu'on  doit  attendre  de  la  justice  :  le  juge  lui-même  a  pesé  sur  la 
rédaction  pour  la  corrompre  et  l'altérer.  Que  s'il  n'a  pu  y  réussir  complè- 
tement, c'est  qu'ayant  pris  pour  greffier  principal  un  prêtre,  greffier  de 
Rouen,  il  s'est  trouvé  aux  prises  avec  les  habitudes  honnêtes  d'un  homme 
qui  savait  les  devoirs  de  sa  charge  ,  et  y  demeura  généralement  fidèle  ,  sans 
toutefois  se  défendre  toujours  de  l'ascendant  des  maîtres  au  service  desquels 
il  écrivait.  On  doit  donc  prendre  avec  défiance  certaines  réponses  où  le  tour 
de  la  phrase  peut  changer  le  sens  de  la  pensée,  quand  une  altération  de  ce 
genre  est  si  facilement  concevable  avec  les  obsessions  ou  les  préventions  du 
moment.  Mais,  cette  réserve  faite,  nous  acceptons  les  procès-verbaux  comme 
base  de  notre  jugement.  Il  y  a  dans  Jeanne  d'Arc  une  telle  force  de  raison, 
une  telle  vigueur  de  réplique,  que  sa  parole,  comme  un  glaive  aigu,  tra- 
verse tous  les  doubles  du  texte  dûment  collationné  par  Manchon,  Taquel 
et  Boisguillaume  ;  il  y  a  de  telles  illuminations  dans  ses  réponses  que, 
malgré  les  voiles  de  ce  résumé  si  habilement  serré,  on  en  est  encore  ébloui. 


.  fr.  rlu  XV*  Bii^cle,;n"  %m^,  K  la  bihlioth.  nationale. 


VII 


ROUEN  —   L'INSTRUCTION 


Les  Interrogatoires  publics.  —   Les  Interrogatoires  de  la  prison.  —  Les  Témoins. 


LES    INJERROGATOIRES    PUBLICS. 


ANS  la  journée  du  9  janvier  1431 ,  Tévêque 
de  Beauvais  réunit  dans  le  conseil  du 
roi ,  près  du  château  de  Rouen ,  les  abbés 
de  Fécamp  et  de  Jumiéges,  le  prieur  de 
Longueville,  et  cinq  autres  ecclésiastiques, 
parmi  lesquels  Nicolas  Loyseleur,  cha- 
noine de  la  cathédrale,  et  il  leur  e.xposa 
rétat  de  l'affaire.  Une  femme  qui  désho- 
norait son  sexe  par  son  habit,  qui  profes- 
sait et  enseignait  le  mépris  de  la  foi  catho- 
lique, Jeanne,  dite  la  Pucelle,  avait  été 
prise  à  la  guerre  dans  les  limites  de  son  diocèse.  Réclamée  du  duc  de 
Bourgogne  et  de  Jean  de  Luxembourg,  par  l'université  de  Paris  et  par 
l'Inquisition,  réclamée  par  lui-même  et  par  le  roi,  elle  venait  enfin  d'être 
livrée  au  roi,  et  par  le  roi  soumise  à  son  jugement.  Il  les  consultait  sur  la 
marche  à  suivre.  Les  docteurs  furent  d'avis  qu'il  fallait  commencer  par  des 
informations.  L'évèque  en  avait  déjà  recueiUi  :  il  ordonna  qu'on  les  com- 
plétât et  qu'on  en  fît  le  rapport  au  conseil.  Puis,  sur  l'avis  des  mêmes  doc- 

JEANNE   D'.XnC.    îll.   — ■   3o 


Initiale  d'an  ms.  fr.  du  J 
à  la  bibliotli. 


234  JEANNE   D'ARC. 


leurs,  il  nomma  promoteur  ou  procureur  général  dans  la  cause  Jean  d'Esti- 
vet,  chassé  comme  lui  de  Beauvais,  où  il  était  son  procureur  général-,  juge 
commissaire  (juge  d'instruction',  Jean  de  la  Fontaine,  maître  es  arts-,  gref- 
fiers, Guillaume  Colles  ou  Boisguillaume,  et  Guillaume  Manchon,  notaires 
apostoliques  à  l'officialité  de  Rouen;  et  huissier,  Jean  Massieu,  prêtre, 
doven  rural  de  Rouen.  C'étaient  les  officiers  du  procès  qui  allait  commencer. 

Le  r3  janvier,  il  réunit  dans  sa  maison  la  plupart  des  mêmes  docteurs, 
avec  G.  Haiton,  secrétaire  des  commandements  du  roi,  et  leur  donna  lec- 
ture des  informations  dont  il  a  été  parlé.  On  résolut  de  les  réduire  à  un 
certain  nombre  d'articles  pour  mettre  de  l'ordre  et  de  la  clarté  dans  la 
matière  ,  dit  le  juge  ,  et  offrir  un  texte  où  l'on  put  voir  plus  sijrement  s'il  3' 
avait  lieu  d'accuser  de  crime  contre  la  foi.  Des  articles  ainsi  dressés  cou- 
raient grand  risque  de  substituer  à  la  parole  des  témoins  la  pensée  du  juge. 
Aussi  le  résultat  ne  fut-il  point  douteux.  Dans  une  nouvelle  séance,  tenue 
le  ■2:< ,  on  décida  que  les  articles  serviraient  de  base  à  l'interrogatoire  qu'au- 
rait à  subir  la  Pucelle  ,  et  l'évêque  ,  invité  à  commencer  l'information  prépa- 
ratoire, en  commit  le  soin  à  Jean  de  la  Fontaine. 

On  différa  jusqu'au  milieu  du  mois  suivant,  et  le  temps  ne  dut  pas  être 
perdu  pour  l'instruction  de  l'affaire;  car  on  y  employa  des  manœuvres  que 
révélera  un  autre  procès- verbal.  Le  i3  février,  l'évêque  tint  un  conseil  plus 
nombreux.  Il  v  avait  appelé,  avec  les  précédents,  plusieurs  des  principaux 
docteurs  de  l'université  de  Paris  :  Jean  Beaupère,  Jacques  de  Touraine, 
Nicole  Midi,  Pierre  Maurice,  Gérard  P^euillet,  Thomas  de  Courcelles,  etc. 
Le  19,  il  résolut,  sur  leur  avis,  de  s'adjoindre,  en  l'absence  de  l'inquisiteur 
de  France,  le  vice-inquisiteur  Jean  Lemaître.  Celui-ci  allégua  que  sa  com- 
mission était  pour  le  diocèse  de  Rouen,  et  que  l'évêque,  bien  que  s'étant 
fait  donner  régulièrement  le  droit  territorial  dans  ce  diocèse,  informait 
d'une  aflaire  qui  se  rapportait  au  diocèse  de  Beauvais. 

L'objection  était  spécieuse;  toutefois,  le  conseil  déclara  que  la  commis- 
sion était  valable,  mais  que,  pour  plus  de  sûreté,  on  inviterait  l'inquisiteur 
à  venir  lui-même  ou  à  envoyer  des  pouvoirs  plus  explicites;  et  Lemaître, 
tout  en  gardant  ses  scrupules,  dit  qu'il  ne  faisait  point  opposition  à  ce  qu'on 
agît  sans  lui. 

Tout  était  prêt  :  Jeanne  nous  va  revenir. 


ROUEN.  —   L'INSTRUCTION. 


i35 


Fig.  12  5.-  Pierre  Cauchon,  juge  de  Jeanne  d'Arc.  Effigie  placée  sur  le  tombeau  qui  lui  fut  élevé  dans  la 
cathédrale  de  Lisieux  et  qui  a  été  détruit  pendant  la  révolution  de  i703.  D'après  le  dessin  du  Portefeuille 
Gaigni'eres,  à  la  biblioth.  nat.  —  Bedford  fit  espérer  à  Cauchon,  pour  prix  de  son  zèle  dans  le  procès  de 
Jeanne,  l'archevêché  de  Rouen,  qui  vaquait  en  ce  moment. 


235  JEANNE   D'ARC. 


Le  20  février,  sans  plus  attendre,  elle  fut  sommée  de  comparaître  devant 
l'assemblée  de  ses  Juges,  le  lendemain  mercredi,  à  huit  heures  du  matin. 
Elle  répondit  qu'elle  le  ferait  volontiers  :  mais,  sachant  bien  qui  étaient  ses 
juges  et  pourquoi  on  la  voulait  juger,  elle  demanda  que  l'évèque  s'adjoignît 
des  ecclésiastiques  du  parti  de  la  France  en  nombre  égal  à  ceux  du  parti 
de  l'Angleterre;  en  même  temps,  elle  sollicitait  de  lui,  comnie  une  faveur, 
qu'il  lui  permît  d'entendre  la  messe  avant  de  comparaître.  L'huissier  chargé 
de  l'assignation  transmit  à  l'évcque  sa  demande  et  sa  prière  :  mais  l'une  ne 
fut  pas  plus  goûtée  que  l'autre.  L'évèque,  ayant  pris  conseil  des  docteurs, 
jugea  que,  vu  les  crimes  dont  elle  était  accusée  et  l'abominable  habit  qu'elle 
s'obstinait  à  porter,  il  n'y  avait  pas  lieu  de  l'admettre  aux  divins  oflices. 
Quant  à  la  demande  touchant  le  tribunal,  il  n'en  fut  pas  même  question. 

Au  jour  et  à  l'heure  fixés  (21  février,  à  huit  heures  du  matin),  l'évèque 
siégea  dans  la  chapelle  du  château.  Aux  assesseurs  qu'il  avait  déjà  réunis, 
il  avait  adjoint  d'autres  docteurs-,  mais  ce  n'étaient  pas  ceux  que  demandait 
Jeanne  :  c'étaient,  pour  la  plupart,  des  prêtres  de  la  province  de  Rouen. 
Lecture  faite  des  pièces  de  procédure,  le  promoteur  Jean  d'Estivet  demanda 
que  la  prévenue  fût  amenée  et  interrogée. 

Jeanne  parut  donc. 

L'évèque,  ayant  rappelé  sonimairement  les  circonstances  qui  le  faisaient 
juge  de  la  captive,  le  bruit  public  qui  l'accusait,  l'ordre  du  roi,  l'enquête, 
l'avis  des  docteurs,  invita  Jeanne  à  parler  en  toute  sincérité,  sans  subterfuge 
et  sans  détour,  et  la  requit  judiciairement  de  prêter  serment  de  dire  la  vérité 
sur  toute  chose  dont  on  l'interrogerait. 

Jeanne  dit  :  «  Je  ne  sais  de  quoi  vous  me  voulez  interroger.  Peut-être  me 
demanderiez-vous  des  choses  que  je  ne  vous  dirai  pas. 

—  Jurerez- vous,  reprit  l'évèque,  de  dire  la  vérité  sur  les  choses  qui  vous 
seront  demandées  touchant  la  foi  et  que  vous  saurez?  —  Pour  ce  qui  est 
de  mon  père  et  de  ma  mère  et  de  ce  que  j'ai  fait  depuis  que  j'ai  pris  le 
chemin  de  France,  je  jurerai  volontiers;  mais,  pour  les  révélations  que  j'ai 
eues  de  Dieu,  je  n'en  ai  jamais  rien  dit  à  personne  qu'au  roi  Charles,  et  je 
n'en  dirai  rien  ,  dût-on  me  couper  la  tète,  parce  que  mon  conseil  (ses  voix) 
m'a  défendu  d'en  rien  dire  à  personne;  au  reste,  avant  huit  jours,  je  saurai 
bien  si  je  le  dois  révéler.  « 


Fig.  I2i3.—  Jeanncd'Arc  devant  ses  juges.  Fac-similé  du  eommcnccmcnt  d'une  copjc  du  Procès 
de  condamnation,  ms.  latin  de  la  fin  du  xv°  s.,  n"  Syôij  à  la  biblioth.  nationale. 


'  de  condamnation,  ms.  latin  de  la  fin  du  xv"  s.,  n"  Syôij  à  la  biblioth.  nationale. 

11  nôromt  ocmtnu  dvatx)  ^^O 


Lecture.  —  7»  iwmine  domiiii ,  amen. 

Incipit  processus  in  causa  fidei  contra  quamdani  inulierem  Johannam  vulgariler 
dictani  la  Pucelle.  ' 

Universis  prœsentes  Utteras  inspecturis  Petrus  miseralione  divina  belvacensis 
episcopus  et  /rater  Johannes  Magistri  ordinis  fratrum  prcedicarum  a  magna' 
religionis  atque  circitmspectionis  viro  magistro  Johanne  Gravèrent  in  sacra 
pagina  prof  essore  eximio 

Traduction.  —  Au  nom  du  Seigneur,  ainsi  soit-il! 

Ici  commence  le  procès  en  matière  de  foi  contre  une  certaine  femme  Jeanne, 
vulgairement  appelée  la  Pucelle. 

A  tous  ceux  qui  verront  les  présentes  écritures,  Pierre,  par  la  miséricorde 
divine,  évëque  de  Béarnais,  et  frère  Jean  Lemaîtrc,  de  l'ordre  des  frères 
prêcheurs,  (chargé)  par  maître  Jean  Gravèrent,  homme  de  grande  piété  et 
prudence,  professeur  éminent  des  textes  sacrés 


238 


JEANNE   D'ARC. 


L'évêque  eut  beau  redoubler  ses  instances,  il  ne  put  la  faire  renoncer  à 
cette  réserve.  Les  genoux  en  terre  et  les  deux  mains  sur  TEvangile,  elle 
jura  de  dire,  autant  qu'elle  le  pourrait,  la  vérité,  mais  seulement  sur  les 
choses  dont  elle  serait  requise  touchant  la  toi. 

Alors  révèque  lui  demanda  quel  était  son  nom,  son  surnom.  —  «  Dans 
mon  pays,  dit-elle,  on  m'appelait  Jeannette;  depuis  que  je  suis  en  France, 
on  m'appelle  Jeanne.  Du  surnom,  je  ne  sais. 


^^' 


Fig    I    ,  I)  H  res  un  dessin  Je  f  e  not,  u  ;  '       lU  Je  celui 

de  la  page  2;,  qui  est  authoiuiquc.  Communiqué  par  M.  Jcuffiain-Cartier,  à  Amboisc.  -  Luc  précieuse 
décoration,  due  sans  doute  à  la  munificence  del.ouis  XI,  dit  M.  J.  Quicherat,  relevait  autrefois  la  devan- 
ture de  cette  maison.  On  y  avait  peint  les  exploits  de  la  Pucelle;  Michel  de  Montaigne  en  vit  encore 
quelque  chose  en  1 58o  :  «  Le  devant  de  la  maisonnette  oij  elle  naquit  est  tout  peint  de  ses  gestes  ; 
mais  l'aage  en  a  fort  corrompu  la  peinture.  •  Journal  du  voyagf  de  Michel  de  Montaigne  en  Italie.  Rome 
et  Paris,  in-4"*,  1774. 

—  OÙ  êtes-vous  née?  —  A  Domremy,  qui  lait  un  avec  Greux.  C'est  à 
Greux  qu'est  la  principale  église. 

—  Comment  s'appellent  votre  père  et  votre  mère?  —  Mon  père  s'appelle 
Jacques  d'Arc,  et  ma  mère  Isabelle. 

—  Où  avez-\ous  été  baptisée?  —  A  Domremy.  « 

L'évèque  l'interrogea  sur  ses  parrain  et  marraine,  sur  celui  qui  la 
baptisa;  sur  son  âge,  à  elle  :  elle  avait  environ  dix-neuf  ans!  Et  comme  il 
lui  demandait  ce  qu'elle  savait  :  «  J'ai,  dit-elle,  appris  de  ma  mère  Notre 


JEANNE  D'ARC. 


Père;  Je  vous  saluL\  Marie;  Je  crois  en  Bien.  C'est  de  ma  mère  que  je 
tiens  ma  croyance. 

—  Dites  Xotre  Père.  —  Je  vous  le  dirai  si  vous  voulez  m'entendre  en 
confession.  » 

Elle  le  demandait  pour  juge  au  tribunal  de  Dieu!  Et  comme  il  offrait 
de  lui  donner  un  ou  deux  personnages  de  langue  française  devant  lesquels 
elle  dirait  Notre  Père,  elle  répondit  :  «  Je  ne  le  dirai  que  s'ils  m'entendent 
en  confession.  » 

L'évêque,  avant  de  la  renvoyer,  lui  défendit  de  sortir  de  prison,  sous 
peine  d'être  réputée  convaincue  du  crime  d'hérésie.  Elle  répondit  qu'elle 
n'acceptait  pas  la  défense,  et  que,  si  elle  s'échappait,  nul  ne  lui  pourrait 
reprocher  d'avoir  violé  sa  foi,  parce  qu'elle  ne  Favait  donnée  à  personne-, 
et  elle  prit  cette  occasion  de  se  plaindre  d'être  liée  par  des  chaînes  de  fer. 
Mais,  comme  l'évêque  répondait  que  ces  précautions  étaient  commandées 
par  ses  tentatives  d'évasion  antérieures,  elle  n'insista  pas,  et  loin  de  cher- 
cher une  excuse  :  «  C'est  vrai,  dit-elle,  j'ai  voulu  et  je  voudrais  encore  m'é- 
chapper  de  prison,  comme  c'est  le  droit  de  tout  prisonnier.  » 

Elle  fut  commise  à  la  garde  de  Jean  Gris,  écuycr  du  roi,  et  de  deux 
autres  Anglais,  qui  jurèrent  sur  l'Evangile  de  ne  la  laisser  communiquer 
avec  personne  ;  et  on  l'ajourna  au  lendemain  pour  la  suite  de  l'interroga- 
toire. 

Cette  première  séance  avait  bien  peu  avancé  l'affaire.  On  n'y  trouve,  avec 
les  préliminaires  communs  de  tout  procès  (le  serment,  les  noms,  l'origine), 
que  la  demande  du  Pater  et  du  Credo,  formalité  d'usage  dans  les  procès 
d'hérésie,  et  l'injonction  de  ne  point  chercher  à  fuir.  Mais  ce  vide  même 
du  procès-verbal  fait  comprendre  combien  vif  et  prolongé  avait  été  le  débat 
sur  le  serment,  signalé  a\'ant  l'interrogatoire;  et  cela  est  confirmé  par  les 
dépositions  postérieures.  Au  témoignage  du  greffier  Manchon,  ce  fut  une 
scène  de  tumulte.  Quand  il  fut  question  de  visions,  sans  doute  quand 
Jeanne  fit  ses  réserves  sur  ce  point,  chacun  prenait  la  parole  :  elle  était 
interrompue  à  chaque  mot;  et,  pour  que  le  fond  fût  digne  de  la  forme,  il 
y  avait,  derrière  un  rideau,  dans  l'encoignure  d'une  fenêtre,  des  greffiers 
apostés  par  l'évêque,  qui  recueillaient  les  charges,  supprimant  les  excuses, 
et  venaient  effrontément  opposer  leur  minute  à  celle  des  greffiers  officiels. 


ROUEN.   —  L'INSTRUCTION.  241 


Le  scandale  fut  si  grand,  au  moins  pour  le  débat,  que  l'on  dut  changer  de 
salle  et  prendre  quelques  dispositions  propres  à  le  diminuer. 

Le  lendemain,  le  tribunal  se  réunit  dans  une  chambre  dite  chambre  de 
parement  îparamenti),  située  au  bout  de  la  grande  salle  du  château.  Jeanne 
étant  amenée,  Tévêque  Tinvita  à  prêter  le  serment  pur  et  simple  de  dire  la 
vérité  sur  tout.  Elle  dit  qu'elle  avait  juré  la  veille,  et  qu'il  suffisait.  On  in- 
sista ;  elle  répondit  :  «  Je  vous  ai  prêté  serment  hier,  cela  vous  doit  suffire  ; 
vous  me  chargez  trop-,  «  et,  quoi  que  l'on  fit,  elle  ne  prêta  encore  que  le 
serment  de  dire  la  vérité  sur  les  choses  qui  touchaient  la  foi. 

L'évêque  remit  à  Jean  Beaupère  le  soin  de  poursuivre  l'interrogatoire. 

Le  savant  docteur  essaya  de  prendre  Jeanne  par  la  douceur  et  par  l'équi- 
voque-, il  l'exhorta  à  bien  répondre  sur  ce  qu'on  lui  demanderait,  comme 
elle  l'avait  juré.  "  Vous  pourriez  bien,  répondit  Jeanne,  démêlant  l'ar- 
tifice, me  demander  telle  chose  dont  je  vous  dirai  la  vérité,  tandis  que,  sur 
telle  autre,  je  ne  vous  la  dirai  pas.  »  Et,  gémissant  en  elle-même  de  voir 
des  hommes  d'Église,  des  ministres  de  Dieu,  persécuter  ainsi  l'œuvre  de 
Dieu,  elle  ajouta  :  «  Si  vous  étiez  bien  informés  de  moi,  vous  devriez 
vouloir  que  je  fusse  hors  de  vos  mains;  je  n'ai  rien  fait  que  par  révé- 
lation. » 

Jean  Beaupère,  craignant  de  l'effaroucher,  la  ramena  sur  un  terrain  où 
elle  pouvait  s'abandonner  sans  défiance.  Il  lui  demanda  l'âge  qu'elle  avait 
lorsqu'elle  partit  de  la  maison  de  son  père,  si  elle  avait  appris  quelque 
métier  dans  sa  jeunesse.  Elle  dit  qu'elle  avait  appris  à  coudre  et  à  filer  -, 
ajoutant,  avec  un  naïf  orgueil  de  jeune  fille,  qu'elle  ne  craignait  à  ce  métier 
aucune  femme  de  Rouen  ;  enfin,  que,  tant  qu'elle  fut  dans  la  maison  de 
son  père,  elle  s'occupait  des  soins  du  ménage,  et  n'allait  pas  (commu- 
nément) aux  champs  garder  les  brebis  ou  le  bétail. 

Le  docteur  alors,  changeant  de  matière,  sans  paraître  changer  de  ter- 
rain, lui  demanda  si  elle  se  confessait  tous  les  ans.  Elle  répondit,  sans  le 
moindre  embarras,  qu'elle  se  confessait  à  son  curé,  ou,  s'il  était  empêché, 
à  un  autre  avec  sa  permission-,   qu'elle  communiait  à  la  fête  de  Pâques. 

«  Et  à  d'autres  fêtes?  —  Passez  outre.  » 

De  ses  communions  à  ses  révélations,  le  passage  était  naturel.  Jeanne 
n'hésita  point  à  le  franchir.  Elle  dit  à  quel  âge  et  comment  elle  avait  entendu 

'EANNE   d'arc.    III.   —    3l 


242  JEANNE  D'ARC. 


pour  la  première  fois  la  voix  qui  lui  venait  de  Dieu,  les  clartés  qui  se  mani- 
festaient à  elle  avec  la  voix,  les  avis  qu'elle  en  avait  reçus,  pour  se  conduire 
et  venir  en  France;  son  impatience  d'}'  obéir,  sa  défiance  de  soi-même,  et 
comment  enfin,  sur  la  révélation  précise  du  but  à  atteindre  et  de  la  voie  à 
suivre,  elle  alla  avec  son  oncle  à  Vaucouleurs,  reconnut  le  sire  de  Baudri- 
court  et  obtint  de  lui,  après  plusieurs  refus,  l'escorte  avec  laquelle  elle 
vint,  en  habit  d'homme,  trouver  le  roi  à  Chinon. 

Ce  récit  avait  été  entrecoupé  de  questions  qui  cachaient  autant  de  pièges  : 
sur  l'habit  d'homme  qu'elle  avait  pris  et  par  quel  conseil  ;  sur  le  duc  d'Or- 
léans; sur  plusieurs  expressions  de  sa  lettre  aux  Anglais  devant  Orléans; 
sur  la  manière  dont  elle  avait  reconnu  le  roi.  La  Pucelle  en  devina  plusieurs 
et  les  sut  éviter.  On  avait  répandu  divers  bruits  sur  le  signe  qu'elle  avait 
donné  au  roi  pour  se  faire  agréer.  Elle  refusa  absolument  de  rien  dire  qui 
s'y  rattachât.  Elle  déclarait  seulement  avoir  su  de  la  voix,  qu'à  son  arrivée 
le  roi  la  recevrait  sans  trop  de  retard.  Elle  dit  que  ceux  de  son  parti  avaient 
bien  reconnu  la  voix  comme  venant  de  Dieu,  et  elle  citait  en  témoignage 
Charles  de  Bourbon,  comte  de  Clermont,  et  deux  ou  trois  autres.  Elle 
ajoutait  qu'il  ne  se  passait  pas  de  jour  qu'elle  n'entendît  cette  voix,  et 
qu'elle  en  avait  bien  besoin;  que  d'ailleurs  elle  ne  lui  avait  jamais  demandé 
d'autre  récompense  que  le  salut  de  son  àme. 

L'interrogatoire  se  termina  par  plusieurs  questions  qui  avaient  pour 
objet  de  convaincre  ses  voix  de  mauvais  conseils,  par  exemple  dans  l'affaire 
de  Paris.  Jeanne  confessa  que  la  voix  lui  avait  dit  de  rester  à  Saint-Denis. 
Elle  déclara  qu'elle  }'  voulait  demeurer,  qu'elle  en  avait  été  emmenée  par 
les  seigneurs  contre  sa  volonté;  qu'elle  n'en  serait  point  partie,  si  elle 
n'avait  pas  été  blessée.  Sa  blessure  rappelait  son  échec;  elle  convint  qu'elle 
avait  commandé  une  escarmouche  contre  la  ville  de  Paris. 

«  N'était-ce  pas,  dit  le  docteur,  un  jour  de  fête  ?  —  Je  le  crois,  dit  Jeanne. 

—  Était-ce  bien?  reprit  le  docteur  —  Passez  outre.  « 

On  s'arrêta  pour  ce  jour-là  :  et  la  journée  devait  sembler  bonne  aux 
ennemis  de  Jeanne.  Toute  cette  histoire  de  ses  révélations,  ce  qu'elle  en 
avait  dit,  ce  qu'elle  n'en  avait  pas  voulu  dire,  offrait  assez  de  prise  aux 
commentaires  envenimés.  On  comptait  bien  y  revenir  dans  la  séance  sui- 
vante, qui  fut  remise  au  samedi. 


ROUEN.   —    L'INSTRUCTION.  243 


Dans  cette  troisième  séance,  à  laquelle  assistèrent  un  plus  grand  nombre 
de  docteurs,  Tévêque  revint  à  la  charge  pour  obtenir  de  Jeanne  un  serment 
absolu  et  sans  condition.  Elle  lui  dit  :  «  Laissez-moi  parler.  Par  ma  foi, 
vous  pourriez  me  demander  des  choses  que  je  ne  vous  dirai  pas;  »  et  e.xpli- 
quant  sa  pensée  :  «  Il  se  peut  que  de  plusieurs  choses  que  vous  pourriez 
me  demander  je  ne  vous  dise  pas  la  vérité,  en  ce  qui  touche  mes  révélations, 
par  e.xemple.  Car  vous  pourriez  me  contraindre  à  dire  telle  chose  que  j'ai 
juré  de  ne  pas  dire,  et  ainsi  je  serais  parjure  :  ce  que  vous  ne  devriez  pas 
vouloir.  »  Et  comme  Tévêque  insistait,  rappelant  sans  doute  le  droit  qu'il 
en  avait  comme  juge,  elle  ajouta  :  «  Je  vous  le  dis,  prenez  bien  garde  à 
ce  que  vous  dites  que  vous  êtes  mon  juge  :  car  vous  prenez  sur  vous  une 
grande  charge,  et  vous  me  chargez  trop.  C'est  assez,  il  me  semble,  d'avoir 
juré  deu.x  fois  en  jugement.  »  L'évèque  lui  remontra  qu'il  ne  lui  demandait 
qu'un  serment,  un  serment  tout  simple  et  sans  réserve.  Elle  répondit  : 
«  Vous  pouvez  bien  surseoir  (ne  pas  insister  davantage:,  j'ai  assez  juré  par 
deux  fois.  —  Mais  en  refusant  de  jurer  vous  vous  rendez  suspecte.  »  Même 
réponse. 

Sur  de  nouvelles  instances,  elle  répondit  «  qu'elle  dirait  ce  qu'elle  savait 
et  point  tout  ce  qu'elle  savait;  ><  et,  fatiguée  de  ce  débat  :  «  Je  viens  de  la  part 
de  Dieu,  dit-elle,  et  je  n'ai  rien  à  faire  ici;  renvoyez-moi  à  Dieu  de  qui  je 
viens.  »  Et,  comme  l'évèque  la  sommait  de  jurer,  sous  peine  d'être  tenue 
pour  coupable  des  choses  qu'on  lui  imputait,  elle  répondit  :  <f  Passez 
outre.  » 

Il  fallut  bien  que  l'évèque  se  résignât  à  passer  outre.  Il  se  réduisit  à 
requérir  qu'elle  jurât  de  dire  la  vérité  sur  ce  qui  toucherait  le  procès.  Dans 
ces  termes,  sa  conscience  était  en  repos  :  elle  fit  le  serment. 

L'évèque  s'en  remit  encore  à  Jean  Beaupère  pour  l'achèvement  de  l'in- 
terrogatoire. 

Jean  Beaupère  commença  par  une  question  qui  pouvait  sembler  pleine 
d'intérêt  pour  Jeanne  :  il  lui  demanda  depuis  quand  elle  se  trouvait  n'ayant 
bu  ni  mangé.  On  était  en  carême;  et ,  si  elle  avait  pris  la  moindre  chose, 
elle  devenait,  malgré  son  jeune  âge,  véhémentement  suspecte  de  mépris 
pour  les  commandements  de  l'Église.  Elle  répondit  :  «  Je  n'ai  bu  ni  mangé 
depuis  hier  à  midi.  «  C'est  à  jeun  qu'il  lui  fallait  soutenir  les  émotions  et  les 


JEANNE  D'ARC. 


fatigues  de  ces  journées!  Puis  il  revint  sur  le  sujet  de  ses  voix.  Il  lui 
demanda  à  quelle  heure  elle  avait  entendu  la  voix  qui  venait  à  elle.  Elle 
répondit  :  «  Je  Tai  entendue  hier  et  aujourd'hui. 

—  A  quelle  heure,  hier?  —  Le  matin,  à  vêpres  et  à  VAre  Maria,  et  il 
m'est  plusieurs  fois  arrivé  de  l'entendre  bien  plus  souvent. 

—  Que  faisiez-vous  hier  matin  quand  la  voix  est  venue  à  vous?  —  Je 
dormais,  et  elle  m'a  éveillée. 

—  Est-ce  en  vous  louchant  le  bras?  —  Elle  m'a  éveillée  sans  me  toucher. 

—  Était-elle  dans  votre  chambre?  —  Je  ne  sais-,  mais  elle  était  dans  le 
château. 

—  L'avez- vous  remerciée  ?  avez-vous  fléchi  les  genoux  ?  »  Elle  répondit 
qu'elle  l'avait  remerciée,  et,  qu'étant  dans  son  lit,  elle  s'était  assise  et  avait 
joint  les  mains,  après  avoir  imploré  son  conseil  et  demandé  son  secours 
auprès  de  Dieu  pour  qu'il  l'éclairât  dans  ses  réponses. 

«  Et  que  vous  a  dit  la  voix?  —  Elle  m'a  dit  de  répondre  hardiment,  et 
que  Dieu  m'aiderait. 

—  La  voix  vous  a-t-elle  dit  quelques  paroles  avant  que  vous  l'eussiez  im- 
plorée? —  Oui,  mais  je  n'ai  pas  tout  compris;  et,  quand  je  fus  éveillée,  elle 
dit  de  répondre  hardiment,  w  Et  se  tournant  vers  l'évêque  :  «  Vous  dites 
que  vous  êtes  rpon  juge  :  prenez  garde  à  ce  que  vous  faites,  parce  qu'en 
vérité  je  suis  envoyée  de  Dieu,  et  vous  vous  mettez  en  grand  danger.  » 
Mais  le  juge  était  aveugle,  et  tout  l'effort  du  procès  tend  visiblement 
moins  à  découvrir  la  vérité  qu'à  justifier  l'accusation. 

En  l'interrogeant  sur  ses  visions,  Jean  Beaupère  avait  voulu  savoir 
d'abord  si  ce  n'était  point  quelque  illusion  de  son  esprit.  Il  y  revient,  non 
plus  pour  en  contester  la  réalité,  mais  pour  en  attaquer  l'origine,  en  les 
convainquant  de  mensonge  ou  d'erreur.  Il  lui  demande  si  la  voix  n'a  point 
varié  dans  ses  conseils  :  —  «  Non,  dit  Jeanne,  elle  ne  s'est  jamais  contre- 
dite. Elle  m'a  dit  dès  cette  nuit  même  de  répondre  hardiment. 

—  Vous  a-t-elle  défendu  de  dire  tout  ce  qu'on  vous  demanderait?  —  Je 
ne  vous  répondrai  pas  sur  ce  point  :  j'ai  des  révélations  qui  touchent  le  roi 
et  que  je  ne  vous  dirai  point.  »  Et  elle  ajouta  :  «  Je  crois  fermement,  aussi 
fermement  que  je  crois  la  foi  chrétienne  et  que  Dieu  nous  a  rachetés  des 
peines  de  l'enfer,  que  cette  voix  vient  de  Dieu.  » 


ROUEN.    -    L'INSTRUCTION.  245 

Le  juge,  la  suivant  dans  le  sens  de  sa  déclaration,  lui  demanda  si  cette 
voi.K,  qu'elle  disait  lui  apparaître,  était  un  ange  ou  venait  de  Dieu  immé- 
diatement, ou  si  c'était  la  voix  d'un  saint  ou  d'une  sainte.  Elle  répondit  : 
«  Cette  voix  vient  de  la  part  de  Dieu,  et  je  crois  bien  que  je  ne  vous  dis  pas 
à  plain  [plané]  tout  ce  que  je  sais.  Mais  j'ai  plus  peur  de  manquer  en 
disant  quelque  chose  qui  déplaise  à  ces  voix,  que  je  n'ai  peur  de  vous 
répondre  à  vous-même.  Pour  cette  fois,  je  vous  prie  de  me  donner 
délai.   » 

«  Croyez-vous  donc,  dit  le  juge,  qu'il  déplaise  à  Dieu  qu'on  dise  la 
vérité?  —  Les  voix  m'ont  commandé  de  dire  certaines  choses  au  roi  et  point 
à  vous;  »  et,  ne  craignant  pas  d'irriter  une  curiosité  qu'elle  ne  voulait  pas 
satisfaire,  elle  ajouta  :  «  Cette  nuit  même  la  voix  m'a  dit  plusieurs  choses 
pour  le  bien  du  roi  que  je  voudrais  bien  que  le  roi  sijt ,  quand  je  devrais  ne 
pas  boire  de  vin  jusqu'à  Pâques;  car,  s'il  le  savait,  il  en  serait  plus  aise 
à  son  dîner. 

«  Mais,  dit  le  juge,  ne  pourriez-vous  tant  faire  auprès  de  cette  voix 
qu'elle  vouliàt,  sur  votre  demande,  en  porter  au  roi  la  nouvelle?  —  Je  ne 
sais  si  la  voix  le  voudrait  faire;  elle  ne  le  ferait  que  si  Dieu  le  voulait. 
Dieu  lui-même,  s'il  lui  plaît,  le  pourra  bien  révéler  au  roi,  et  j'en  serais 
bien  contente. 

—  Et  pourquoi  la  voix  neparle-t-elle  pas  au  roi,  comme  elle  faisait  quand 
vous  étiez  en  sa  présence?  —  Je  ne  sais  si  c'est  la  volonté  de  Dieu  :  sans  la 
grâce  de  Dieu  je  ne  ferais  rien.   » 

Cette  réponse  ne  devait  pas  tomber  sans  être  relevée.  Après  plusieurs 
autres  questions  sur  ses  visions  :  Si  la  voix  lui  avait  révélé  qu'elle  dtit  sortir 
de  prison;  si  elle  lui  avait  donné  cette  nuit  des  avis  pour  répondre;  si,  dans 
les  deux  derniers  jours,  elle  avait  été  accompagnée  de  lumière;  si  elle  avait 
des  3'eux,  etc.;  le  juge,  qui  n'avait  point  perdu  de  vue  cette  parole  :  «  Sans 
la  grâce  de  Dieu,  je  ne  ferais  rien,  »  lui  demanda  si  elle  savait  qu'elle  fût 
dans  la  grâce  :  question  redoutable,  qui  excita  des  réclamations  et  des  mur- 
mures au  sein  même  de  cette  assemblée  d'hommes  prévenus.  «  Nul  ne  sait 
s'il  est  digne  d'amour  ou  de  haine,  »  dit  rÉcriture.  Et  l'on  voulait  qu'une 
pauvre  fille  ignorante  dît  si  elle  était,  oui  ou  non,  dans  la  grâce  de  Dieu! 
Un  des  assesseurs  osa  dire  qu'elle  n'était  pas  tenue  de  répondre  :  —  «  ^'ous 


2^6  JEANNE  D'ARC. 


auriez  mieux  fait  de  vous  taire,  »  dit  aigrement  Tévèque,  qui  croyait  déjà 
tenir  sa  proie;  car  la  demande  cachait  un  argumenta  deux  tranchants  : 
«  Vous  savez-vous  dans  la  grâce?  »  Si  elle  disait  Non,  quel  aveu  !  et  si  elle 
disait  Oui,  quel  orgueil  1  Elle  répondit  :  «  Si  je  n'y  suis.  Dieu  veuille  m'y 
mettre  -,  et  si  j'y  suis,  Dieu  veuille  m'y  garder  !    » 

Le  juge  demeura  confondu  ;  —  et  il  n'avait  même  pas  la  ressource  d'accu- 
ser cette  réponse  d'une  sorte  d'indifférence  :  Jeanne  ajoutait  qu'elle  serait 
plus  affligée  que  de  toute  chose  au  monde  si  elle  savait  qu'elle  ne  fût  pas 
dans  la  grâce  de  Dieu.  Puis,  invoquant  pour  elle-même  ce  qu'on  voulait 
tourner  contre  son  inspiration,  elle  dit  que,  si  elle  était  dans  le  péché,  elle 
crovait  que  la  voix  ne  viendrait  point  à  elle. 

Le  docteur  de  Paris  n'essaya  plus  de  l'interroger  sur  ce  chapitre;  il  lui 
demandai  quel  âge  elle  avait  entendu  la  voix  pour  la  première  fois  (c'était 
à  treize  ans  environ,  elle  l'avait  déjà  dit;;  et,  par  cette  transition,  il  en  vint 
à  Domremy.  Il  s'enquit  d'elle  si  l'on  y  était  du  parti  de  Bourgogne,  si  ceux 
de  Maxei  n'en  étaient  pas;  si  la  voix  lui  avait  dit  de  détester  les  Bourgui- 
gnons, si  elle  allait  avec  les  enfants  de  son  village  dans  les  combats  qu'ils 
livraient  aux  enfants  de  Maxei;  si  elle  avait  un  grand  désir  de  combattre  les 
Bourguignons;  si  elle  eut  souhaité  d'être  homme  pour  aller  en  France.  11 
voulaitvoir  si  des  haines  de  parti  n'étaient  point  la  principale  source  de  son 
inspiration,  et  il  n'oubliait  pas  ce  qui  pouvait  rendre  cette  inspiration  plus 
suspecte  encore.  Il  lui  reparlait  de  ses  premières  occupations  et  des  lieux  où 
s'était  passée  son  enfance,  de  l'arbre  des  fées,  etc.  —  Et  elle,  n'ayant  rien  à 
taire,  s'abandonnait  volontiers  à  ses  souvenirs.  Elle  répétait  ce  qu'on  disait 
de  l'arbre  des  fées,  de  la  fontaine  voisine  et  du  bois  Chenu.  Elle  sait  que  les 
malades  venaient  à  la  fontaine  boire  de  l'eau  pour  guérir:  guérissaient-ils? 
elle  n'en  sait  rien.  Elle  sait  encore  que  les  convalescents  allaient  se  pro- 
mener sous  le  bel  arbre  qu'on  appelait  le  beau  Mai  ;  elle  y  allait  elle- 
même  avec  ses  compagnes  tresser  des  couronnes  pour  l'image  de  la  sainte 
Vierge.  Elle  a  oui  dire  que  les  fées  venaient  sous  cet  arbre  ;  elle  l'a 
ouï  dire  de  sa  marraine,  qui  prétendait  les  avoir  vues;  mais  pour  elle, 
elle  ne  sait  si  c'est  vrai,  elle  ne  les  a  jamais  vues.  Elle  y  venait  pourtant 
avec  les  jeunes  filles,  qui  se  plaisaient  à  orner  de  guirlandes  les  branches  de 
l'arbre,  à  chanter  et  à  danser  sous  son   ombre.  Elle  ajoutait    qu'elle  avait 


ROUEN.    —   L'INSTRUCTION.  247 


fait  comme  les  autres  ;  mais  que,  depuis  qu'elle  l'ut  appelée  à  venir  en 
France,  elle  se  donna  beaucoup  moins  aux  jeux  et  aux  promenades,  et 
qu'elle  ne  savait  même  si,  depuis  Fàge  de  discrétion,  il  lui  arriva  jamais  de 
danser  sous  l'arbre;  qu'elle  a  pu  le  faire,  mais  qu'elle  a  plus  chanté  que 
dansé.  Quant  au  bois  Chenu,  que  l'on  voit  de  la  maison  de  son  père,  à  la 
distance  de  moins  d'une  lieue,  elle  n'a  point  ouï  dire  qu'il  fût  hanté  par  les 
fées.  Elle  a  bien  su  par  son  frère  qu'on  disait  dans  son  village  qu'elle  avait 
eu  sa  vocation  sous  l'arbre  des  Dames;  mais  cela  n'est  pas.  De  même, 
quand  elle  est  venue  en  France,  plusieurs  lui  ont  demandé  s'il  n'y  avait 
point  dans  son  pays  un  bois  que  l'on  appelait  le  bois  Chenu ,  parce  que  , 
selon  les  prophéties,  de  ce  bois  devait  venir  une  jeune  fille  qui  ferait  des 
merveilles;  mais  elle  déclare  qu'elle  n'y  eut  point  foi. 

Ainsi  toutes  les  questions  où  on  la  croyait  prendre  n'avaient  révélé  les 
superstitions  de  son  pays  que  pour  prouver  combien  elle-même  avait  su  y 
demeurer  étrangère.  Maisii  y  avait  un  crime  dont  on  était  toujours  bien  sûr 
delà  convaincre  :  c'était  celui  déporter  l'habit  d'homme;  car  elle-même  s'y 
obstinait,  et  la  candeur  des  juges  n'en  soupçonnait  pas  les  raisons.  Chaque 
invitation  qu'on  lui  faisait  sur  ce  point,  en  la  montrant  plus  endurcie,  la 
rendait  plus  coupable.  On  lui  demanda,  en  finissant,  si  elle  voulait  reprendre 
l'habit  de  femme  :  «  Donnez-m'en  un,  dit-elle,  et  je  le  prendrai,  pourvu 
qu'on  me  laisse  partir;  sinon,  je  ne  le  prendrai  pas,  et  je  me  contenterai  de 
celui-ci,  puisqu'il  plaît  à  Dieu  que  je  le  porte.    » 

L'audience  fut  renvoj'ée  au  mardi  suivant. 

Le  mardi  27,  l'évêque,  ouvrant  la  séance  par  sa  sommation  ordinaire, 
invita  Jeanne  à  prêter  serment  de  dire  la  vérité  sur  les  choses  qui  touchaient 
le  procès  :  c'est  la  formule  qu'elle  avait  acceptée;  mais  dans  la  bouche  de 
l'évêque  elle  lui  devenait  suspecte.  Elle  répondit,  faisant  plus  expressément 
ses  réserves,  qu'elle  dirait  la  vérité  sur  les  choses  qui  touchaient  son  procès, 
et  non  surtout  ce  qu'elle  savait.  L'évêque  la  pressa  vainement  de  jurer  pour 
tout  ce  qu'on  lui  demanderait;  elle  répondit  :  «  Vous  devez  être  contents, 
j'ai  assez  juré.   « 

Jean  Beaupère  reprit  donc  l'interrogatoire,  et,  débutant  toujours  avec 
une  feinte  bonhomie,  il  lui  demanda  comment  elle  s'était  portée  depuis  le 
samedi  précédent  :  «  Vous  le  voyez,  dit-elle,  le  mieux  que  j'ai  pu. 


248  JEANNE   D'ARC. 


—  Jeûnez-vous  tous  les  jours  de  carême  ?  ajouta-t-il.  —  Est-ce  de  votre 
procès?  répondit  Jeanne. 

—  Oui.  —  Eh  bien,  oui  vraiment,  j'ai  toujours  jeûné  ce  carême.   » 

On  le  pouvait  assez  savoir  d'ailleurs.  Jean  Beaupère  revint  alors  à  ses 
visions.  Il  lui  demanda  si,  depuis  samedi,  elle  avait  entendu  sa  voix  :  — 
«  Oui  vraiment,  et  plusieurs  fois,  répondit-elle. 

—  Le  samedi  même,  Favez-vous  entendue  dans  le  lieu  où  Ton  vous  inter- 
rogeait? —  Cela  n'est  pas  de  votre  procès.  » 

Mais  elle  ajouta  qu'elle  l'avait  entendue. 

«  Que  vous  a-t-elle  dit?  —  Je  ne  l'ai  pas  bien  entendue;  je  n'ai  rien 
entendu  que  je  puisse  vous  redire,  jusqu'à  ce  que  je  fusse  revenue  dans  ma 
chambre. 

—  Et  que  vous  a-t-elle  dit  alors?  —  Elle  m'a  dit  de  vous  répondre  har- 
diment. » 

Elle  ajouta  qu'elle  lui  demandait  conseil  sur  les  choses  dont  on  l'interro- 
geait; qu'elle  répondrait  sur  tous  les  points  où  elle  aurait  congé  de  Dieu, 
mais  que,  pour  ce  qui  regarde  les  révélations  touchant  le  roi  de  France,  elle 
ne  dirait  rien  sans  congé  de  sa  voix  :  «  Car,  si  je  répondais  sans  congé  , 
dit-elle,  peut-être  n'aurais- je  plus  mes  voix  en  garant;  mais,  quand  j'aurai 
congé  de  Dieu  ,  je  ne  craindrai  point  de  parler,  parce  que  j'aurai  bon 
garant.  » 

Sans  chercher  à  savoir  ce  qui  était  le  secret  d'elle  et  de  ses  voix,  le  juge 
voulut  au  moins  la  faire  parler  sur  ces  voix  elles-mêmes.  C'est  un  des  points 
qu'il  avait  touchés  déjà  et  sur  lesquels  elle  avait  voulu  d'abord  les  consulter. 
Il  lui  demanda  si  c'était  la  voix  d'un  ange,  d'un  saint,  d'une  sainte  ou  de 
Dieu  sans  intermédiaire.  «  C'est,  dit-elle,  la  voix  de  sainte  Catherine  et 
de  sainte  Marguerite. 

—  Comment  savez-vous  que  ce  sont  les  deux  saintes?  les  distinguez- 
vous  bien  l'une  de  l'autre. 

—  Je  sais  que  ce  sont  elles  et  je  les  sais  distinguer. 

—  A  quel  signe? 

—  Par  la  manière  dont  elles  me  saluent.  » 

Elle  ajouta  que  depuis  sept  ans  elles  l'avaient  prise  sous  leur  direction,  et 
qu'elle  les  connaissait  parce  qu'elles  se  nommaient  à  elle. 


ROUEN.   —   L'INSTRUCTION.  249 

Elle  avait  parlé  du  secours  qu'elle  avait  reçu  de  saint  Michel.  On  lui 
demanda  quelle  était  la  première  voi\  qui  vint  à  elle ,  comme  elle  avait  treize 
ans.  Elle  répondit  que  c'était  saint  Michel.  «  Je  l'ai  vu,  dit-elle  ,  devant 
mes  yeux,  et  il  n'était  pas  seul ,  mais  bien  accompagné  des  anges  du  ciel. 

—  Avez-vous  vu  saint  Michel  et  les  anges  réellement  et  corporellement? 
—  Je  les  ai  vus  des  yeux  de  mon  corps  aussi  bien  que  je  vous  vois,  et  quand 
ils  s'éloignaient  de  moi,  je  pleurais  et  j'aurais  bien  voulu  qu'ils  m'empor- 
tassent avec  eux. 

—  En  quelle  figure  était  saint  Michel  ?  —  Je  n'ai  point  de  réponse  à  vous 
faire,  je  n'en  ai  point  congé  encore. 

—  Que  vousa-t-il  dit  cette  première  fois  ?  —  Vous  n'aurez  point  de  ré- 
ponse aujourd'hui.  » 

Elle  déclara  d'ailleurs  qu'elle  avait  dit  au  roi,  tout  en  une  fois,  ce  qui  lui 
avait  été  révélé  ,  parce  que  c'est  à  lui  qu'elle  était  envoyée,  et  qu'elle  vou- 
drait bien  que  le  juge  eut  connaissance  du  livre  où  l'on  avait  consigné  ses 
réponses  à  Poitiers,  pourvu  que  Dieu  en  fût  content.  Elle  ajouta  qu'elle  eiùt 
mieux  aimé  être  tirée  à  quatre  chevaux  que  devenir  en  France  sans  permis- 
sion de  Dieu. 

Le  jugeremit  en  avant  la  question  de  l'habit  qu'elle  avait  pris  alors.  Et 
elle,  ramenant  cette  affaire  qu'on  voulait  faire  si  grosse  à  sa  véritable 
mesure,  dit  que  l'habit  était  peu  de  chose,  la  moindre  des  choses  :  "  Et  je 
ne  l'ai  pris,  ajouta-t-elle,  par  le  conseil  d'aucun  homme  au  monde.  Je  ne 
l'ai  pris  et  je  n'ai  rien  fait  que  par  le  commandement  de  Dieu  et  des  anges. 

—  N'est-ce  point  par  l'ordre  de  Robert  de  Baudricourt? —  Non. 

—  Croyez-vous  avoir  bien  fait  en  prenant  un  habit  d'homme  ?  —  Tout  ce 
que  j'ai  fait  par  commandement  de  Dieu,  je  crois  l'avoir  bien  fait,  et  j'en 
attends  bon  garant  et  bon  secours. 

—  Mais,  dans  ce  cas  particulier,  croyez-vous  avoir  bien  fait  en  prenant 
un  habit  d'homme  ?  —  Je  n'ai  rien  fait  que  par  commandement  de  Dieu.  » 

Le  juge  n'avait  pu  l'amener  à  une  parole  qui  la  mît  en  contradiction  avec 
l'Écriture.  Il  revint  à  ses  visions,  à  la  lumière  qui  les  accompagnait,  à  ses 
relations  avec  le  roi  surtout,  et  lui  demanda  s'il  y  avait  un  ange  au-dessus 
de  la  tête  du  roi  quand  elle  le  vit  pour  la  première  fois  :  —  «  Par  la  bien- 
heureuse Marie,  dit-elle,  s'il  yen  avait  un,  je  ne  sais,  je  ne  l'ai  pas  vu. 

JEANNE   d'arc.   III.   —   32 


25o  JEANNE  D'ARC. 


—  Y  avait-il  une  lumière?  — •  Il  y  avait  là  plus  de  trois  cents  soldats  et 
de  cinq  cents  torches,  sans  compter  la  lumière  spirituelle.  J'ai  rarement 
des  révélations  qui  ne  soient  accompagnées  de  lumière. 

—  Comment  votre  roi  a-t-il  ajouté  foi  à  vos  paroles?  —  Par  les  signes 
qu'il  en  a  eus  et  par  le  clergé. 

—  Quelle  révélation  votre  roi  a-t-il  eue?  — Vous  ne  le  saurez  pas  de  moi 
cette  année.  » 

Mais  ils  avaient  d'autres  moyens  d'y  croire,  et  elle  y  renvoyait  :  «  Pendant 
trois  semaines,  dit-elle,  j'ai  été  interrogée  par  le  clergé, tant  à  Chinon  qu'à 
Poitiers.  Le  roi  a  eu  un  signe  touchant  mes  faits,  avant  de  vouloir  y  croire; 
et  le  clergé  de  mon  parti  a  été  d'opinion  que,  dans  mon  fait,  il  n'y  a  rien 
que  de  bien.   » 

On  ne  la  poussa  pas  davantage  sur  ce  point;  on  aima  mieux,  pour  ce 
jour,  la  faire  parler  de  certains  détails  d'où  l'on  comptait  faire  sortir  l'accu- 
sation de  sorcellerie.  On  lui  demanda  si  elle  n'avait  pas  été  à  Sainte-Cathe- 
rine de  Fierbois.  On  lui  en  parlait  à  cause  de  l'épée  trouvée,  sur  son  indica- 
tion ,  derrière  l'autel  de  cette  église.  Elle  ne  fit  pas  difficulté  de  raconter 
comment  l'épée  avait  été  découverte.  «  J'ai  su  qu'elle  était  là  par  mes  voix, 
dit-elle,  et  je  n'avais  jamais  vu  l'homme  qui  l'alla  chercher.  Elle  n'était 
point  fort  avant  sous  la  terre  derrière  l'autel ,  comme  il  me  semble.  Après 
qu'elle  eut  été  trouvée,  les  gens  d'église  du  lieu  la  frottèrent ,  et  la  rouille 
tomba  sans  effort.  » 

Elle  ne  l'avait  plus  quand  elle  fut  prise,  mais  elle  l'avait  portée  constam- 
ment jusqu'à  son  départ  de  Saint-Denis,  après  l'attaque  de  Paris.  Cette 
épée,  ainsi  découverte  et  si  longtemps  victorieuse,  était  suspecte  de  magie. 
On  lui  demanda  quelle  bénédiction  elle  avait  faite  ou  fait  faire  sur  elle  :  — 
<i  Aucune,  dit-elle.  Je  l'aimais  parce  qu'elle  avait  été  trouvée  dans  l'église 
de  Sainte-Catherine,  que  j'aimais  beaucoup. 

—  Ne  l'avez-vouspas  posée  sur  l'autel  afin  qu'elle  fût  heureuse?  —  Non, 
que  je  sache. 

—  N'avez-vous  pas  fait  quelques  prières  pour  que  cette  épée  fût  heureuse? 
—  Il  est  bon  à  savoir  que  j'eusse  voulu  que  mon  harnois  fût  heureux.  « 

On  lui  fit  redire  qu'elle  n'avait  plus  cette  épée  quand  elle  fut  prise;  que 
c'est  une  autre  qu'elle  avait  déposée  à  Saint-Denis.  A  Compiègne,  elle  avait 


ROUEN.    —    L'INSTRUCTION. 


l'épée  de  ce  Bourguignon  qu'elle  avait  pris  à  Lagny  ^Franquet  d'Arras); 
elle  Tavait  gardée  ,  parce  qu'elle  était  bonne  pour  la  guerre  ;  bonne ,  disait-elle 
avec  une  familiarité  toute  militaire,  pour  donner  de  bonnes  buffes  et  de 
bons  torchons.  Ce  qu'était  devenue  l'autre  épée,  cela  ne  touchait  point  le 
procès.  Mais  elle  dit  que  ses  frères  avaient  ses  biens,  ses  chevaux,  son  épée 
à  ce  qu'elle  croit,  et  le  reste  valant  plus  de  douze  mille  écus. 

Après  l'épée,  on  la  fit  parler  de  sa  bannière.  On  lui  demanda  ce  qu'elle 
aimait  le  plus,  de  sa  bannière  ou  de  son  épée  :  —  «  J'aime  beaucoup  plus, 
quarante  fois  plus,  la  bannière  que  l'épée.  »  Elle  ajouta  qu'elle  portait  sa 
bannière  quand  elle  chargeait  l'ennemi,  pour  éviter  de  tuer  personne  :  «  Et 
je  n'ai  jamais  tué  personne,  »  dit-elle. 

On  en  prit  occasion  de  l'interroger  sur  ses  campagnes.  On  lui  demanda 
si ,  à  Orléans,  au  moment  de  l'assaut ,  elle  n'avait  pas  dit  à  ses  gens  qu'elle 
recevrait  seule  les  flèches,  les  viretons,  les  pierres  lancées  parles  canons  ou 
les  machines  :  —  «  Non,  dit-elle;  et  la  preuve,  c'est  qu'il  3^  eut  plus  de  cent 
blessés.  Je  leur  dis  de  ne  point  douter,  et  qu'ils  feraient  lever  le  siège.  Moi- 
même  à  la  bastille  du  pont  j'ai  été  blessée  d'une  flèche  au  cou  ;  mais  j'ai  eu 
grand  confort  de  sainte  Catherine,  et  j'ai  été  guérie  dans  les  quinze  jours  sans 
cesser  d'ailleurs  de  monter  à  cheval  et  d'agir. 

—  Saviez- vous  que  vous  seriez  blessée?  —  Je  le  savais,  et  l'avais  dit  au 
roi,  mais,  nonobstant,  qu'il  ne  laissât  point  d'agir.  »  Elle  avait  eu  cette 
révélation  de  ses  deux  saintes,  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite. 

D'Orléans  on  passa  à  Jargeau ,  et  on  lui  demanda  pourquoi  elle  n'avait 
pas  reçu  à  rançon  le  capitaine  de  cette  ville  :  —  «  Les  seigneurs  de  mon 
parti,  dit-elle,  ont  refusé  un  délai  de  quarante  jours  qu'ils  demandaient, 
leur  otïrant  de  s'en  aller  avec  leurs  chevaux  à  l'heure  même.  Pour  moi ,  j'ai 
dit  qu'ils  s'en  iraient  de  Jargeau  en  leur  petite  cotte,  la  vie  sauve,  s'ils  vou- 
laient", sinon  qu'ils  seraient  pris  d'assaut.  —  Les  voix  vous  l'avaient-elles 
conseillé?  —  Je  n'en  ai  pas  souvenir.  » 

L'interrogatoire  de  Jeanne,  si  habilement  qu'il  fut  conduit,  ne  menait  à 
aucun  des  résultats  qu'on  espérait  atteindre.  On  l'avait  fait  parler  de  son 
enfance,  de  sa  vie  tout  entière,  et  on  n'avait  pu  trouver  en  elle  rien  qui 
démentît  l'innocence  de  ses  mœurs,  la  pureté  de  sa  foi,  la  droiture  de  son 


252  JEANNE  D'ARC. 


jugement,  même  sur  des  points  où  quelque  participation  aux  superstitions 
communes  à  son  pa3's  ou  à  son  temps  n'aurait  certes  pas  donné  le  droit  de 
l'accuser  d'hérésie.  Une  seule  chose  restait  extraordinaire  dans  ses  paroles, 
c'est  ce  qu'elle  disait  des  visions  qu'elle  avait  eues,  qu'elle  prétendait  avoir 
toujours.  Aucun  des  juges  n'avait  la  pensée  de  les  déclarer  impossibles  :  ils 
voulaient ,  on  l'a  vu ,  s'assurer  si  elles  n'étaient  pas  feintes  ,  ou  ,  en  les  admet- 
tant comme  réelles,  en  savoir  l'origine-,  et  tous  les  efforts  qu'ils  avaient  faits 
pour  les  rapporter  à  l'esprit  du  mal  en  y  trouvant  l'erreur,  la  contradiction 
ou  le  mensonge,  étaient  restés  sans  résultat.  Ils  ne  se  tenaient  cependant  pas 
encore  pour  vaincus  en  ce  point.  Il  y  avait  dans  les  réserves  persévérantes 
de  Jeanne  sur  le  serment  qu'on  lui  demandait  chaque  fois  ,  et  dans  ses  réti- 
cences déclarées  sur  le  sujet  de  ses  révélations,  quelque  chose  qui,  en 
cachant  un  mystère,  provoquait  la  curiosité  des  juges  et  redoublait  leur 
envie  d'en  soulever  les  voiles  pour  la  confondre.  On  résolut  donc  d'y  reve- 
nir encore. 

A  la  séance  suivante,  le  jeudi  i*-'  mars,  après  avoir  prêté  le  serment  dans 
les  termes  dont  elle  n'avait  jamais  voulu  se  départir,  elle  ajouta  ,  pour  m.on- 
trer  à  ses  juges  combien  elle  était  résolue  d'être  sincère  en  tout  ce  qu'il  lui 
était  permis  dédire:  «  Pour  ce  qui  touche  le  procès,  je  vous  dirai  volon- 
tiers toute  la  vérité;  je  vous  la  dirai  comme  si  j'étais  devant  le  pape  de 
Rome.  »  On  lui  demanda  quel  pape  elle  reconnaissait  véritable.  Elle  répon- 
dit en  demandant  s'il  y  en  avait  deux  :  réponse  accablante  pour  cette  race 
ds  politiques  et  de  docteurs  dont  l'orgueil  avait  pendant  si  longtemps  nourri 
le  schisme  de  l'Église.  L'incident  toutefois  donna  lieu  de  lui  demander  si 
elle  n'avait  pas  reçu  du  comte  d'Armagnac  des  lettres  où  il  la  priait  de  lui 
dire  auquel  des  trois  papes  rivaux  il  devait  obéir.  Jeanne  convint  du 
message  comme  de  sa  réponse,  à  laquelle  elle  ne  parut  pas  attacher  grande 
importance.  Elle  montait  à  cheval  quand  elle  la  fit  :  ce  qu'elle  s'en  rappelait , 
c'est  qu'elle  promettait  au  comte  de  répondre  à  sa  lettre  quand  elle  serait  à 
Paris  ou  ailleurs,  en  repos. 

«  Mais ,  dit  le  juge,  faites- vous  doute  vous-même  sur  celui  à  qui  le  comte 
devait  obéir?  —  Je  ne  savais  que  mander  au  comte,  parce  qu'il  voulait 
savoir  à  qui  Dieu  commandait  qu'il  obéît.  Mais  pour  moi,  ajouta-t-elle,  je 
tiens  et  je  crois  que  nous  devons  obéir  à  notre  seigneur  le  pape  qui  est  à 


ROUEN.   —   L'INSTRUCTION.  i53 

Rome  :  »  tranchant  ainsi,  avec  le  bon  sens  d'une  âme  simple,  une  question 
que  la  science  et  la  passion  des  docteurs  et  des  grands  du  monde  avaient 
si  fort  embrouillée. 

La  lettre  qu'on  lui  avait  présentée  portait  les  noms  de  Jésus  et  de  Marie 
avec  une  croix.  On  lui  demanda  si  ce  n'était  pas  le  signe  dont  elle  marquait 
ses  lettres  :  —  «  Oui,  quelquefois,  dit-elle,  et  d'autres  fois,  non;  et  quel- 
quefois je  mettais  une  croix  en  sign:  que  celui  de  mon  parti  à  qui  j'écrivais 
ne  fit  pas  ce  que  je  lui  écrivais.  »  —  Déclaration  recueillie  précieusement. 
On  en  fera  un  sacrilège. 

Avec  la  lettre  au  comte  d'Armagnac,  on  avait  encore  une  autre  lettre  de 
Jeanne  :  cette  lettre  si  hardie  et  si  fîère  qu'elle  écrivit  aux  Anglais  pour  les 
sommer  de  lever  le  siège  d'Orléans.  Elle  la  reconnut,  sauf  quelques  mots 
où  elle  se  mettait  plus  en  avant  qu'il  n'était  dans  sa  pensée  de  le  faire  :  ren- 
de\  à  la  Pucclle  pour  rendes  au  roi;  chef  de  guerre  dit  d'elle-même;  corps 
pour  corps  appliqué  à  Dieu  :  mots  que  son  secrétaire  substitua  peut-être  à 
d'autres,  ou  dont  elle  avait  perdu  le  souvenir.  Au  surplus,  elle  déclara 
qu'elle  seule  avait  dicté  cette  lettre -,  qu'elle  s'était  bornée  à  la  communiquer 
à  ceux  de  son  parti-,  et  loin  de  rien  rétracter,  même  dans  ses  fers,  des  espé- 
rances qu'elle  exprimait  alors,  elle  fit  une  prédiction  qu'on  n'accusera  pas 
d'êtresupposée  depuis  l'événement  :  le  procès-verbal  même  la  constate.  Elle 
annonça  qu'avant  sept  ans  les  Anglais  laisseraient  un  plus  grand  gage  que 
devant  Orléans,  et  qu'ils  perdraient  toute  la  France.  «  Ils  éprouveront, 
ajouta-t-elle,  plus  grand  dommage  qu'ils  aient  jamais  eu  en  P'rance,  et  ce 
sera  par  une  grande  victoire  que  Dieu  enverra  aux  Français.  » 

Cinq  ans  après,  en  1436,  les  Anglais  perdaient  leur  gage,  Paris,  et, 
bientôt  après  ,  le  reste  du  royaume. 

«  Comment  savez-vous  cela?  lui  dit-on.  —  Je  le  sais  par  révélation,  et 
je  serais  bien  courroucée  (affligée)  que  cela  fijt  tant  différé.  »  Et  sans  s'in- 
quiéter si  ces  paroles  ne  soulevaient  point  contre  elle  toutes  les  colères  de 
ses  ennemis,  elle  ajouta  qu'elle  le  savait  aussi  sûrement  qu'ils  étaient  là 
de\ant  elle. 

«  Quand  cela  arrivera-t-il  ?  —  Je  ne  sais  ni  le  jour  ni  l'heure. 

—  En  quelle  année  ?  —  Vous  ne  le  saurez  pas  encore,  mais  je  voudrais 
bien  que  ce  fût  a\ant  la  Saint-Jean. 


JEANNE   D'ARC. 


—  N'avez-vous  pas  dit  que  ce  serait  avant  la  Saint-Martin  d'hiver  ?  — 
Avant  la  Saint-Martin  on  verra  bien  des  choses,  et  il  se  peut  qu'on  voie  les 
Anglais  jetés  bas. 

—  De  qui  savez-vous  que  cela  arrivera  ?  —  De  sainte  Catherine  et  de  sainte 
Marguerite.  » 

On  la  reprit  sur  ces  apparitions.  On  lui  demanda  si  saint  Gabriel  n'était 
point  avec  saint  Michel  quand  il  lui  apparut  :  ^  «  Je  ne  m'en  souviens  pas. 

—  Depuis  mardi  dernier,  avez-vous  conversé  avec  sainte  Catherine  et 
sainte  Marguerite?  —  Oui,  mais  je  ne  sais  l'heure. 

—  Quel  jour  ?  —  Hier,  aujourd'hui ,  il  n'y  a  pas  de  jour  que  je  ne  les 
entende.  » 

On  lui  demanda  si  elle  les  voyait  toujours  dans  le  même  habit  :  — 
K  C'est,  dit-elle,  toujours  la  même  forme. 

—  Et  comment,  dit  grossièrement  le  juge,  savez-vous  que  ce  qui  vous 
apparaît  est  un  homme  ou  une  femme:  —  A  la  \'oix,  et  parce  qu'elles  me 
Font  révélé.  Je  ne  sais  rien  que  par  révélation  et  par  ordre  de  Dieu. 

—  Quelle  figure  voyez- vous  ?  —  La  face. 

—  Les  saintes  qui  se  montrent  à  vous  ont-elles  des  cheveux  ?  —  Cela  est 
bon  à  savoir. 

—  Leurs  cheveux  sont-ils  longs  et  pendants?  —  Je  n'en  sais  rien.  » 

Elle  ne  répondit  pas  davantage  sur  ce  qu'on  lui  demandait  de  leurs  bras 
et  du  reste  de  leur  corps;  et,  ramenant  ses  juges  à  ce  qui  était  pour  elle  ses 
saintes,  elle  dit  que  leurs  paroles  étaient  bonnes  et  belles  et  qu'elle  les  en- 
tendait bien. 

«  Comment,  dit  le  juge,  parlent-elles,  puisqu'elles  n'ont  pas  démembres? 

—  Je  m'en  réfère  à  Dieu.  » 

Et  comme  elle  ajoutait  que  cette  \oix  était  belle,  douce  et  humble,  et  par- 
lait français,  le  juge  lui  demanda  si  sainte  Marguerite  ne  parlait  pas  anglais: 

—  Et  comment,  lui  dit  Jeanne,  parlerait-elle  anglais,  puisqu'elle  n'est  pas 
du  parti  des  Anglais?  »  —  Des  saintes  qui  ne  parlent  pas  anglais!  Cette 
réponse  tiendra  sa  place  parmi  les  chefs  d'accusation. 

Le  juge,  reprenant  son  thème  favori,  la  description  physique  des  appa- 
ritions, demanda  à  Jeanne  si  les  saintes  portaient  a\ec  leurs  couronnes  des 
anneaux  aux  oreilles.  Mais  Jeanne  dit  qu'elle  n'en  savait  rien.  A  cette  occa- 


ROUEN.   —   L'INSTRUCTION. 


.sion  il  lui  demanda  si  elle  n'a\  ait  pas  elle-même  des  anneaux.  Elle  en  a\ait 
deu.\qui  lui  a\aicnt  été  pris  depuis  sacapti\ité.  Jeanne,  se  tournant  \ers 
ré\èque  :  «  Vous  en  avez  un  à  moi;  rendez-le-moi;  »  et  elle  le  pria  de  lui 
montrer  s'il  l'avait.  Cet  attachement  à  ses  anneaux  répondait  à  la  pensée 
de  ses  juges,  fort  enclins  à  y  soupçonner  quelque  vertu  magique.  On  lui 
demanda  de  qui  elle  tenait  celui  qu'avaient  les  Bourguignons.  Elle  dit 
qu'elle  l'avait  reçu  àDomremy  de  ses  parents  :  il  n'avait  point  de  pierre  et 
portait  gravés  les  noms  de  Jésus  et  de  Marie.  Quant  à  l'autre,  celui  qu'avait 
l'évêque,  elle  le  tenait  de  son  frère,  et  elle  chargeait  l'évèque  de  le  donner  à 
l'Église.  Elle  repoussait  d'ailleurs  ce  qu'on  disait  de  la  \ertu  de  ses  anneaux 
et  déclarait  qu'elle  n'avait  jamai  guéri  personne  par  leur  attouchement. 

On  avait  déjà  essayé  de  rattacher  ses  visions  aux  superstitions  de  son  pays. 
Ses  saintes,  n'étaient-ce  pas  ces  fées  dont  on  parlait  à  Domremy,  que  sa 
marraine  même  prétendait  a\'oir  \  ues  !  On  lui  demanda  donc  si  elle  n'a\ait 
pas  conversé  avec  sainte  Catherine  et  sainte  .Marguerite,  sous  l'arbre  dont  il 
avait  été  mention  déjà  :  —  «  Je  ne  sais,  dit-elle. 

■ —  Et  à  la  fontaine  qui  est  près  de  l'arbre?  —  Oui,  quelquefois,  mais  je 
ne  me  rappelle  pas  ce  qu'elles  m'y  ont  dit. 

— -Que  vous  ont-elles  promis  là  ou  ailleurs  !  —  Elles  ne  m'ont  fait  aucune 
promesse  que  ce  ne  soit  par  congé  de  Dieu. 

—  Mais  quelles  promesses  vous  ont-elles  faites  ?  —  Cela  n'est  pas  de  votre 
procès  en  tout  point  ;  mais  elles  m'ont  dit  que  Messire  (le  roi)  sera  rétabli 
dans  son  royaume  ,  que  ses  ennemis  le  veuillent  ou  non  ;  et  elles  m'ont  pro- 
mis de  me  conduire  en  paradis. 

—  Avez-vous  quelque  autre  promesse  ?  —  Oui ,  mais  je  ne  la  dirai  pas  ,  cela 
ne  touche  pas  votre  procès.  Avant  trois  mois,  je  vous  dirai  l'autre  promesse. 

—  Vos  voix  vous  ont-elles  dit  que  vous  seriez  délivrée  avant  trois  mois  ? 

—  Cela  n'est  pas  de  votre  procès;  néanmoins ,  je  ne  sais  quand  je  serai  déli- 
vrée ,  mais  ceux  qui  voudront  m'ôter  du  monde  pourront  bien  s'en  aller 
avant  moi. 

—  Votre  conseil  vous  a-t-il  dit  que  vous  seriez  délivrée  de  cette  prison  ? 

—  Reparlez-m'en  dans  trois  mois,  et  je  vou.s  répondrai.  >> 

On  est  au  i  "  mars  ;  trois  mois  après  ,  presque  jour  pour  jour  (3o  mai) , 
elle  échappait  à  la  prison  par  la  mort.  * 


JEANNE  D'ARC. 


Comme  on  la  pressait  de  répondre  :  —  «  Demandez,  dit-elle,  aux  assis- 
tants, qu'ils  disent,  sous  la  foi  du  serment,  si  cela  touche  le  procès.  » 

Et  après  que  le  conseil  eut  déclaré  que  cela  était  du  procès,  elle  ajouta  : 
«  Je  vous  ai  toujours  bien  dit  que  vous  ne  saurez  pas  tout.  Il  faudra  qu'un 
jour  je  sois  délivrée.  Je  veux  avoir  congé  pour  le  dire.  C'est  pourquoi  je 
demande  un  délai. 

«  Les  voix  vous  défendent-elles  de  dire  la  vérité  ?  reprit  le  juge.  —  Vou- 
lez-vous que  je  vous  dise  ce  qui  regarde  le  roi  de  France  ?  Il  }'  a  bien  des 
choses  qui  ne  touchent  pas  le  procès.  Mais  ,  ajouta-t-elle,  je  sais  que  Messire 
(le  roi)  gagnera  le  royaume  de  PVance ,  et  je  le  sais  comme  je  sais  que  vous 
êtes  là  devant  moi,  siégeant  au  tribunal.  Je  serais  morte  sans  cette  révéla- 
tion qui  me  conforte  tous  les  jours.  » 

Après  diverses  questions  sur  certaines  croyances  superstitieuses  de  son 
pays  ,  questions  dont  l'unique  résultat  fut  de  montrer  une  fois  de  plus  com- 
bien Jeanne,  par  l'élévation  de  son  âme,  était  au-dessus  de  ces  puérilités, 
on  revint  à  ses  apparitions  pour  les  prendre  encore  au  sens  le  plus  bas.  On 
lui  demanda  en  quelle  figure  lui  était  apparu  saint  Michel  :  —  «  Je  ne  lui 
ai  pas  vu  de  couronne,  dit-elle;  pour  ses  vêtements,  je  ne  sais. 

—  Etait-il  nu?  —  Pensez-vous  que  Dieu  n'ait  pas  de  quoi  le  vêtir  ?  » 
Le  juge,  rappelé  à  la  pudeur  par  ce  langage  simple  et  digne,  se  rejeta 

dans  quelques  platitudes  : 

«  Avait-il  des  cheveux  :  —  Pourquoi  lui  seraient-ils  coupés  ? 

—  Tenait-il  une  balance  ?  — -Je  ne  sais.  » 

Et,  s'élevant  à  la  pensée  de  ses  divins  protecteurs,  elle  disait  naïvement, 
comme  si  cela  pou\  ait  élever  aussi  l'âme  de  ses  juges ,  qu'elle  avait  grande 
joie  en  le  voyant-,  «  et  il  me  semble  ,  continuait-elle  ,  que  quand  je  le  vois,  je 
ne  suis  point  en  péché  mortel.  »  Elle  ajoutait  que  sainte  Catherine  et  sainte 
Marguerite  la  faisaient  se  confesser  quelquefois. 

Se  confesser,  c'est  avouer  ses  fautes.  Le  juge,  cherchant  à  prendre  son 
innocence  en  défaut,  lui  demanda  si,  quand  elle  se  confessait,  elle  croyait 
être  en  péché  mortel  :  —  «  Je  ne  sais,  dit-elle,  si  j'ai  été  en  péché  mortel;  je 
ne  crois  pas  en  avoir  fait  œuvre,  et  Dieu  me  garde  d'avoir  jamais  été  en 
cet  état  ;  Dieu  me  garde  de  faire  ou  d'avoir  jamais  fait  œuvre  qui  charge 
mon  âme.  » 


6  -^ 
6  .2 


258  JEANNE   D'ARC. 


On  revint  alors  sur  ce  signe  donné  au  roi,  signe  qui ,  selon  le  bruit  public, 
avait  eu  de  nombreux  témoins ,  et  dont  elle  avait  toujours  fait  mystère  : 
car  elle  n'en  pouvait  parler  sans  livrer  au  public  ce  que  le  roi  n'avait  dit  qu'à 
Dieu,  et  révéler  un  doute  qui,  entre  les  mains  des  ennemis  du  prince,  deve- 
nait comme  un  désaveu  de  son  origine  et  une  artne  propre  à  ruiner  ses 
droits.  Elle  répondit  :  «  Je  vous  ai  dit  que  vous  n'en  auriez  rien  de  ma 
bouche;  allez  lui  demander. 

—  Avez-vous  donc  juré  de  ne  point  révéler  ce  qu'on  vous  demande  tou- 
chant le  procès  ?  —  Je  vous  ai  déjà  dit  que  je  ne  vous  dirai  pas  ce  qui  touche 
le  fait  du  roi  ;  je  ne  dirai  rien  de  ce  qui  le  regarde. 

—  Savez-vous  le  signe  que  vous  avez  donné  au  roi?  —  Vous  n'en  saurez 
rien  de  ma  part.  « 

On  lui  demanda  alors  si,  lorsqu'elle  montra  ce  signe  au  roi ,  il  n'y  avait 
point  quelqu'un  avec  lui  :  —  «  Je  ne  pense  pas,  bien  qu'il  y  eiùt  assez  de 
monde  au  voisinage.  »  (Elle  avait  parlé  au  prince  en  secret,  mais  à  la  vue  de 
plusieurs  témoins.) 

«  Avea-vous  vu  la  couronne  sur  la  tète  du  roi  quand  vous  lui  avez  mon- 
tré ce  signe?  —  Je  ne  puis  vous  le  dire  sans  parjure. 

—  Le  roi  avait-il  la  couronne  à  Reims?  ■ —  Le  roi,  je  pense,  a  pris  volon- 
tiers la  couronne  qu'il  a  trouvée  à  Reims;  mais  une  bien  plus  riche  cou- 
ronne lui  fut  apportée  par  la  suite. 

Avez-vous  vu  cette  couronne  plus  riche?  —  Je  ne  puis  vous  le  dire  sans 
parjure.  Et  si  je  ne  l'ai  pas  vue,  j'ai  ouï  dire  qu'elle  était  riche  et  magnifique 
{opulent a).  » 

On  n'en  put  rien  savoir  davantage  :  cette  couronne,  qui  était  pour  le  roi 
comme  le  gage  et  le  prix  de  sa  mission ,  était-ce  une  chose  réelle  ou  un  pur 
symbole?  c'est  ce  qui  restait  encore  entouré  de  mystère.  On  renvoya  l'inter- 
rogatoire au  lendemain. 

La  séance  qui  se  tint  le  samedi  3  mars,  la  dernière  qui  fut  publique,  je 
veux  dire  tenue  devant  les  assesseurs  dans  la  chambre  de  parement,  est  une 
de  celles  qui  offrent  le  plus  de  désordre  dans  l'interrogatoire.  On  avait  hâte 
d'en  finir,  et  l'on  voulait,  avant  de  clore  les  débats,  obtenir  de  Jeanne  quel- 
ques paroles  qui  donnassent  plus  d'apparence  aux  accusations  dont  elle 
était  l'objet. 


ROUEN.    —   L'INSTRUCTION.  259 

Après  un  serment  qu'on  persistait  à  lui  demander  pur  et  simple,  et  qu'elle 
renfermait  toujours  dans  les  termes  accoutumés,  on  la  ramena  à  ses  appa- 
ritions : 

«  Vous  avez  dit  que  saint  Michel  avait  des  ailes  (Est-ce  alors?  Elle  n'en 
a  rien  dit  auparavant  ;  mais  si  elle  ne  relève  pas  l'affirmation  ,  il  sera  constant 
que,  de  son  aveu,  saint  Michel  avait  des  ailes),  et  vous  n'avez  point,  conti- 
nue le  juge ,  parlé  des  corps  de  sainte  Catherine  et  de  sainte  Marguerite  : 
qu'en  voulez-vous  dire?  —  Je  vous  ai  dit  ce  que  je  savais  et  je  ne  vous  répon- 
drai pas  autre  chose. 

—  Croyez-vous  que  saint  Michel  et  saint  Gabriel  avaient  des  têtes  natu- 
relles? —  Je  les  ai  vus  eux-mêmes  de  mes  yeux,  et  je  crois  que  ce  sont  eux 
aussi  fermement  que  Dieu  est. 

—  Croyez-vous  que  Dieu  les  ait  faits  en  la  forme  où  vous  les  vo3fez? 
—  Oui. 

—  Croyez-vous  que  Dieu  les  ait  créés  ainsi  dans  le  commencement  ?  — 
V'ous  n'aurez  de  moi  rien  autre  que  ce  que  je  vous  ai  répondu.  » 

Les  réponses  de  Jeanne  excluant  l'idée  que  ses  visions  fussent  une  simple 
illusion  de  son  esprit,  il  y  avait,  on  l'a  vu,  pour  les  juges,  un  moyen  de  les 
faire  tourner  contre  ces  voix  elles-mêmes  :  c'était  de  montrer  qu'elles  l'avaient 
trompée.  On  se  crut  assez  sûr  de  la  bien  tenir,  pour  les  convaincre  d'impuis- 
sance ou  d'imposture  en  lui  faisant  cette  question  : 

«  Savez-vous  par  révélation  que  vous  deviez  vous  échapper?  —  Cela  ne 
touche  pas  votre  procès.  Voulez-vous  que  je  parle  contre  moi  ?  » 

Parole  de  bons  sens  qui  était  la  condamnation  de  tout  ce  système  d'en- 
quête :  que  voulait-on  autre  chose,  en  effet,  depuis  qu'on  l'interrogeait? 

«  Vos  voix  vous  l'ont-elles  dit?  reprit  le  juge  insistant.  — Ce  n'est  pas  de 
votre  procès.  Je  m'en  rapporte  au  procès  :  si  tout  vous  regardait ,  je  vous 
dirais  tout.  »  Et  elle  ajouta  :  «  Par  ma  foi,  je  ne  sais  ni  le  jour  ni  l'heure 
où  je  m'échapperai. 

—  Vos.  voix  vous  en  ont-elles  dit  quelque  chose  en  général?  —  Oui,  vrai- 
ment :  elles  m'ont  dit  que  je  serai  délivrée  (mais  je  ne  sais  ni  le  jour  ni  l'heure), 
etfjue  je  fasse  bon  visage.  » 

Le  juge  n'avait  rien  à  lui  demander  de  plus  sur  cette  matière.  11  passa  à 
l'affaire  de  l'habit  :  si  c'était  un  crime,  elle  ne  pouvait  pas  le  nier.  Mais  on 


26o  JEANNE  D'ARC. 


n'était  pas  fâché  de  savoir  si  le  roi  et  son  clergé ,  et  peut-être  les  voix  elles- 
mêmes,  ne  pouvaient  pas  être  reconnus  fauteurs  de  l'hérésie.  On  lui  demanda 
donc  : 

«  Lorsque  vous  êtes  venue  auprès  du  roi,  ne  s'est-il  pas  enquis  si  c'était 
par  révélation  que  vous  aviez  changé  d'habit  ?  —  Je  vous  ai  répondu;  cepen- 
dant je  ne  me  rappelle  pas  si  cela  me  fut  demandé.  Cela  a  été  écrit  à  Poitiers. 

—  Les  docteurs  qui  vous  ont  examinée  ailleurs  ne  vous  ont-ils  pas  inter- 
rogée sur  ce  changement  d'habit  ?  ■ — •  Je  ne  m'en  souviens  pas.  Cependant 
ils  m'ont  demandé  où  j'avais  pris  cet  habit  d'homme,  et  je  leur  ai  répondu  : 
A  Vaucouleurs.  » 

La  chose  était  assez  simple  et  assez  naturelle,. en  effet,  pour  qu'un  juge 
impartial  n'eût  pas  l'idée  d'en  chercher  la  légitimité  dans  une  révélation.  On 
insista  pourtant,  mais  on  ne  put  obtenir  d'elle  que  cette  réponse  :  «  Je  ne 
m'en  souviens  pas. 

—  Et  la  reine  ?  —  Je  ne  m'en  souviens  pas. 

—  Le  roi,  la  reine  ou  quelque  autre  de  votre  parti  vous  ont-ils  quelquefois 
demandé  de  quitter  l'habit  d'homme?  —  Cela  n'est  pas  de  votre  procès. 

—  Croyez-vous  que  vous  auriez  péché  en  prenant  l'habit  de  femme  ?^ 
J'ai  mieux  fait  d'obéir  et  de  servir  mon  souverain  seigneur. 

—  Mais  (dit  le  juge,  revenant  par  ce  détour  à  la  complicité  de  ses  voix, 
et  supposant,  par  une  tactique  assez  grossière,  la  question  résolue  au  fond, 
pour  tirer  d'elle  sur  un  point  accessoire  une  déclaration  qui  l'engageât), 
quand  Dieu  vous  a  révélé  de  changer  votre  habit  en  habit  d'homme,  fut-ce 
par  la  voix  de  saint  Michel,  ou  par  la  voix  de  sainte  Catherine  ou  de  sainte 
Marguerite?  —  Vous  n'en  aurez  maintenant  autre  chose.  » 

On  en  vint  alors  à  son  étendard  et  aux  panonceaux  de  ses  gens ,  pour  y 
chercher  quelque  trace  de  superstition  ou  de  magie.  On  lui  demanda  si  les 
gens  de  guerre,  lorsque  son  roi  la  mit  à  l'œuvre  et  qu'elle  se  fit  faire  son 
étendard  ,  n'avaient  pas  fait  faire  des  panonceaux  à  la  manière  du  sien.  Elle 
répondit  :  «  Il  est  bon  à  savoir  que  les  seigneurs  maintenaient  leurs  armes  ;  » 
disant  d'ailleurs  que  ses  compagnons  de  guerre  firent  faire  leurs  panonceaux 
à  leur  plaisir.  Elle  n'avait  que  deux  ou  trois  lances  dans  sa  compagnie,  et  si 
ces  hommes  faisaient  leurs  panonceaux  à  la  ressemblance  des  siens  ,  c'était 
pour  se  distinguer  des  autres. 


ROUEN.   —  L'INSTRUCTION.  261 

«  Étaient-ils  souvent  renouvelés  ?  —  Je  ne  sais;  quand  les  lances  étaient 
rompues,  on  en  faisait  de  nouveaux. 

—  N'avez-vous  pas  dit,  ajouta  le  juge,  dévoilant  le  fond  de  sa  pensée, 
que  les  panonceaux  faits  à  la  ressemblance  des  vôtres  étaient  heureux  ?  —  Je 
disais  à  mes  gens  :  «  Entrez  hardiment  parmi  les  Anglais,  »  et  j'y  entrais 
moi-même. 

—  Les  compagnons  de  guerre  ne  faisaient-ils  point  mettre  en  leurs  panon- 
ceaux Jcsus^  Maria?  »  On  lui  aurait  fait  un  crime  de  se  placer  sous  Tin- 
vocation  de  ces  noms  sacrés  !  )  Elle  répondit  :  «  Par  ma  foi ,  je  n'en  sais  rien. 

—  N'avez-vous  point  porté  ou  fait  porter,  par  manière  de  procession ,  des 
toiles  autour  d'un  autel  ou  d'une  église,  pour  en  faire  des  panonceaux?  — • 
Non,  et  je  ne  l'ai  point  vu  faire.  » 

On  l'interrogea  ensuite  sur  frère  Richard.  Elle  dit  qu'elle  ne  l'avait  jamais 
vu  avant  de  venir  devant  Troyes,  et  raconta  la  scène  de  leur  rencontre,  qui 
a  été  rapportée  en  son  temps.  Mais  Jeanne  elle-même  avait  été  l'objet  d'hon- 
neurs que  l'on  voulait  maintenant  tourner  à  sa  perte.  On  lui  demanda  si 
elle  n'avait  pas  vu,  ou  si  elle  n'avait  pas  fait  faire  quelque  image  ou  peinture 
d'elle-même.  Elle  répondit  qu'elle  avait  vu  à  Arras  (au  moment  où  elle  fut 
livrée  aux  Anglais)  une  peinture  entre  les  mains  d'un  Écossais;  qu'elle  y 
était  figurée  tout  armée,  un  genou  en  terre,  présentant  des  lettres  au  roi. 
Elle  ajouta  qu'elle  n'avait  jamais  vu  ou  fait  faire  aucune  image  à  sa  ressem- 
blance. 

«  Savez-vous,  lui  dit  alors  le  juge,  que  ceux  de  votre  parti  aient  fait  dire 
des  messes  ou  des  prières  en  votre  honneur  ?  —  Je  n'en  sais  rien ,  et ,  s'ils  l'ont 
fait,  ce  n'est  point  par  mon  commandement.  Toutefois,  s'ils  ont  prié,  il 
m'est  avis  qu'ils  n'ont  pas  fait  mal. 

—  Ceux  de  votre  parti  croient-ils  fermement  que  vous  êtes  envoyée  de 
Dieu  ?  —  Je  ne  sais  s'ils  le  croient  ;  je  m'en  attends  à  leur  courage  ^conscience)  ; 
mais,  s'ils  ne  le  croient,  je  n'en  suis  pas  moins  envoyée  de  Dieu. 

—  Pensez- vous  qu'en  croyant  que  vous  êtes  envoyée  de  Dieu,  ils  aient 
bonne  croyance?  —  S'ils  croient  que  je  suis  envoyée  de  Dieu,  ils  n'en  sont 
point  abusés. 

— -Connaissiez-vous  les  sentiments  de  ceux  de  votre  parti  quand  ils  vous 
baisaient  les  pieds,  les  mains  et  les  vêtements?  —  Beaucoup  de  gens  me 


JEANNE   D'ARC. 


voyaient  volontiers,  et  ils  baisaient  mes  mains  le  moins  que  je  pouvais;  mais 
les  pauvres  gens  venaient  volontiers  à  moi  parce  que  je  ne  leur  faisais  point 
de  déplaisir,  mais  je  les  supportais  selon  mon  pouvoir. 

—  Navez-vous  point  levé  quelque  enfant  des  fonts  de  baptême  '  ?  —  J'en  ai 
levé  un  à  Troyes,  mais  de  Reims  je  n'ai  point  de  mémoire,  ni  de  Château- 
Thierry.  J'en  ai  levé  aussi  deux  à  Saint-Denis,  et  je  nommais  volontiers  les 
fils  CIuD'lcs  pour  l'honneur  du  roi,  et  les  filles  Jeanne,  et  quelquefois  selon 
que  les  mères  voulaient. 

—  Les  bonnes  femmes  de  la  ville  ne  touchaient-elles  point  de  leurs  anneaux 
l'anneau  que  vous  portiez?  —  Maintes  femmes  ont  touché  mes  mains  et  mes 
anneaux,  mais  je  ne  sais  point  leur  intention.  « 

Après  d'autres  questions  sur  les  gants  que  le  roi  portait  au  sacre,  sur  son 
étendard  qu'elle  portait  elle-même  près  de  l'autel  à  cette  cérémonie,  on  lui 
demanda  si,  quand  elle  allait  par  le  pays ,  elle  recevait  souvent  le  sacrement 
de  confession  et  le  sacrement  de  l'autel  :  —  «  Oui,  dit-elle. 

—  Les  receviez-vous  en  habit  d'homme?  —  Oui,  mais  je  n'ai  point  mé- 
moire de  les  avoir  reçus  en  armes.  » 

Que  faisaient  les  armes?  c'était  assez  de  l'habit  pour  qu'elle  demeurât 
convaincue  de  sacrilège  par  son  aveu.  Aussi  ne  lui  en  demanda-t-on  point 
davantage.  On  lui  parla  de  la  haquenée  de  l'évêque  de  Senlis  :  autre  profa- 
nation; elle  l'avait  prise  comme  cheval  de  guerre.  Il  est  vrai  qu'elle  l'avait 
achetée  200  saluts  12, 43o  fr.  environ).  L'évêque  avait-il  été  payé?  au  moins 
avait-il  reçu  mandat  pour  l'être;  mais  d'ailleurs  elle  lui  avait  écrit  qu'elle 
lui  rendrait  son  cheval  s'il  voulait;  qu'elle  ne  s'en  souciait  pas,  que  la  bête 
ne  valait  rien  pour  la  peine. 

L'interrogation  révéla  un  fait  que  l'histoire  n'a  point  mentionné ,  et  sur 
lequel  Jeanne  s'explique  avec  une  simplicité  qui  n'ôte  rien  à  la  vertu  de  sa 
prière.  On  lui  demanda  quel  âge  avait  l'enfant  qu'elle  avait  ressuscité  à 
Lagny.  Elle  répondit  qu'il  avait  trois  jours.  On  le  porta  devant  l'image  de 
la  sainte  Vierge,  et  on  lui  dit,  à  elle,  que  les  jeunes  filles  de  la  ville  étaient 
devant  cette  image  :  on  l'invitait  à  y  aller  elle-même,  prier  Dieu  et  Notre- 
Dame  pour  qu'il  donnât  la  vie  à  l'enfant.  Elle  y  alla,  et  pria  avec  les  autres; 
et  finalement  il  donna  signe  de  vie  et  bâilla  trois  fois.  I!  fut  baptisé,  et  aussi- 

*  Nous  dirions,  selon  nos  usages,  tenu  sur  les  fonts  Je  baptême. 


LA  VIER&E  AVEC  LENFANT  JESUS,  S.  MICHEL  ET  JEANNE  DARC 

Peinture  au  blanc  d'oeuf,  excculfc  du  temps  inénic  de  la  Puccllc,  nouvelleiiaent  découverte  et  commiuiiquéc 
par  M.  Auvray,  à  Paris.  —  Saint  Mickei  pofte  la  balance  dans  la(\uelle  il  pèse  les  âmes.  La  FaccUe  tient 
d'ime  main  son  étendard. 'et  de  Vautre  son  éciiarmorié.  Comme  la  Vierge, l'h.nfanl  Jésus  et  Saint  ^ficliel , 
r!U  poi-te  le  nlinbe.  attribut  de  la  sainteté.    . 


ROUEN.    -   L'INSTKUCTKJN.  263 


tôt  mourut  et  fut  mis  en  terre  sainte.  «  Kt  il  y  avait  trois  jours,  comme  on 
disait,  ajouta-t-elle,  que  l'enfant  n'avait  donné  aucun  signe  de  vie,  et  il 
était  noir  comme  ma  cotte;  mais,  quand  il  bailla,  la  couleur  lui  commença 
à  revenir.  «  Tout  ce  que  Jeanne  dit  d'elle-même  en  ce  récit,  c'est  qu'elle 
était  avec  les  jeunes  filles,  à  genoux  devant  Notre-Dame  ,  faisant  sa  prière. 

«  N'a-t-on  pas  dit  par  la  ville  que  c'est  vous  qui  avez  fait  faire  cela ,  et 
que  cela  se  fit  par  votre  prière?  —  Je  ne  m'en  informai  point.   >> 

Après  cela,  on  lui  parla  de  Catherine  de  la  Rochelle,  cette  femme  qui 
voulut  faire  l'inspirée,  et  à  qui  Jeanne  conseilla  bonnement  de  retourner 
à  son  mari  et  de  faire  son  ménage.  Jeanne  raconta  l'entrevue  qu'elle  eut 
avec  elle,  comme  elle  s'offrit  d'être  témoin  de  ses  visions  et  comme  elle  ne 
vit  rien. 

Puis  on  en  vint  à  ce  siège  de  la  Charité,  où  Catherine  ne  lui  conseillait 
point  d'aller,  parce  qu'il  faisait  trop  froid;  où  Jeanne  était  allée  pourtant, 
mais  sans  succès  :  c'est  un  échec  que  l'on  opposait  victorieusement  à  son 
inspiration.  «  Pourquoi,  lui  dit-on,  n'y  êtes- vous  pas  entrée,  puisque  vous 
aviez  commandement  de  Dieu  ?  « 

Elle  répondit  :  «  Qui  vous  a  dit  que  j'avais  commandement  d'y  entrer? 

—  N'avez-vous  paseu  conseil  de  votre  voix?  —  Je  voulais  venir  en  France, 
mais  les  gens  d'armes  me  dirent  que  c'était  le  mieux  d'aller  devant  la  Charité 
premièrement.  » 

On  l'interrogea  enfin  sur  son  séjour  à  Baurevoir.  Elle  raconta  comme 
elle  avait  voulu  s'en  échapper,  sautant  du  haut  de  la  tour,  malgré  ses  voix, 
et  comme  sainte  Catherine  l'avait  consolée  en  lui  disant  qu'elle  guérirait 
et  que  ceux  de  Compiègne  auraient  secours.  On  \oulait  faire  de  cette  tenta- 
tive d'évasion  une  tentative  de  suicide.  On  lui  demanda,  pour  en  insinuer, 
l'intention  ,  si  elle  n'avait  point  dit  qu'elle  aimerait  mieux  mourir  que  d'être 
en  la  main  des  Anglais  :  —  «  J'ai  dit,  reprit-elle  sans  se  soucier  du  piège,  que 
j'aimerais  mieux  rendre  l'âme  à  Dieu  que  d'être  en  la  main  des  Anglais.  » 

On  termina  par  l'accusation  la  plus  étrange.  On  prétendait  qu'en  repre- 
nant ses  sens,  elle  s'était  courroucée  et  avait  blasphémé  le  nom  de  Dieu.  Et 
de  même,  qu'en  apprenant  la  défection  du  capitaine  de  Soissons,  elle  avait 
renié  Dieu.  —  «  Je  n'ai,  répondit-elle ,  jamais  maugréé  ni  saint  ni  sainte ,  je 
n'ai  point  coutume  de  jurer.  » 


264  JEANNE   D'ARC. 


LES    INTERROGATOIRES  DE   LA    TRISON. 

Jeanne  fut  ramenée  à  sa  prison  sans  autre  assignation  à  comparaître.  Le 
spectacle  de  ces  débats,  la  candeur  de  la  jeune  fille,  sa  présence  d'esprit,  sa 
fermeté,  sa  droiture  dans  cette  lutte  soutenue  avec  les  docteurs  les  plus 
habiles,  devaient  produire  dans  IWme  des  assistants  les  moins  prévenus  une 
impression  que  ne  recherchaient  pas  ses  ennemis.  P.  Cauchon  déclara  donc 
que,  voulant  continuer  sans  interruption  le  procès,  il  choisirait  quelques 
savants  docteurs  pour  recueillir  et  mettre  en  écrit  les  principaux  aveux  de 
Jeanne,  et  que,  si  des  éclaircissements  paraissaient  encore  désirables,  il  don- 
nerait à  quelques  commissaires  le  soin  de  l'interroger,  sans  fatiguer  par  de 
nouveaux  débats  la  multitude  des  assistants. 

En  conséquence,  Tévèque,  réunissant  plusieurs  «  solennels  »  docteurs, 
employa  les  cinq  jours  suivants  à  extraire  des  réponses  de  Jeanne  ce  qui 
pouvait  fournir  matière  à  une  information  nouvelle ,  et  il  commit  Jean  de 
la  Fontaine  pour  l'aller  interroger  dans  sa  prison. 

Cette  nouvelle  enquête  se  continua  presque  sans  interruption  toute  une 
semaine,  du  10  mars  au  17,  et  plusieurs  fois  les  séances  commencées  le 
matin  recommencèrent  après  midi.  L'évêque  y  amena  le  premier  jour  et  y 
accompagna  plusieurs  fois  son  commissaire.  Mais  de  plus  il  eut  la  satisfac- 
tion de  s'y  adjoindre  enfin  le  collègue  désiré.  Le  i3  mars,  Jean  Lemaître 
vint,  par  ordre  de  l'inquisiteur,  prendre  part  en  son  nom  au  procès. 

Les  interrogatoires  de  la  prison  sont,  en  plusieurs  points,  comme  une 
édition  nouvelle  des  interrogatoires  publics.  C'est  toujours  la  même  pensée 
qui  y  préside ,  et  c'est  aussi  à  peu  près  le  même  thème.  Le  caractère  et  les 
particularités  des  visions  de  Jeanne,  le  signe  par  lequel  le  roi  y  a  cru,  les 
circonstances  en  raison  desquelles  on  refuse  d'y  croire,  à  savoir,  les  échecs 
de  Paris,  de  la  Charité,  de  Compiègne,  opposés  à  son  inspiration,  et  tout 
ce  qu'on  peut  relever  dans  sa  vie,  dans  son  enfance,  dans  les  actes  de  sa 
mission,  pour  établir  l'indignité  de  l'inspirée  :  voilà  le  cercle  où  continuera 
de  rouler  le  débat.  Malgré  ces  répétitions,  l'étude  est  loin  d'en  être  sans 
intérèti  car  une  chose  y  paraît  toujours  la  même  aussi,  et  d'autant   plus 


ROUEN.    —    L'INSTRUCTION. 


255 


admirable  qu'elle  dure  sans  jamais  s'altérer  :  c'est  le  calme  et  la  fermeté  de 
Jeanne  parmi  ces  assauts  redoublés.  D'ailleurs,  les  redites  du  juge  feront 
jaillir  des  traits  nouveaux  de  la  Pucelle;  et,  de  plus,  c'est  parmi  ces  répéti- 
tions, lorsque  le  juge  a  retourné  en  tous  sens  les  griefs  de  l'accusation  sans 


Fig.  i3o.  — Tour  Jii  château  de  Rouen,  appelée  d'abord  Tour  vers  les  champs,  et  depuis  Tour  Je  Ui  Pucelle, 
parce  que  Jeanne  y  fut  enfermée  pendant  tout  le  temps  de  son  procès.  Etat  de  i8oS,  un  an  avant  sa 
destruction  totale.  —  D'après  une  lithographie  de  T.  de  Jolimonl,  1842,  communiquée  par  M.  F.  Bouc- 
quel,  à  Rouen. 

y  rien  découvrir,  qu'on  le  verra  trouver  dans  le  sentiment  même  de  sa 
défaite  l'idée  d'une  attaque  nouvelle,  où  Jeanne,  un  instant,  semble  n'avoir 
d'autre  alternative  que  de  se  rendre  à  sa  merci  ou  de  succomber  sous  ses  coups. 
Les  révélations  de  Jeanne  étaient-elles  feintes  ou  réelles?  Pour  l'éprouver, 
rien  ne  semblait  plus  sûr  que  de  connaître  quel  signe  elle  en  avait  donné  au 

JEANNE   d'arc.    111.  —   ^4 


266  JEANNE  D'ARC. 


roi.  Elle  avait  d'abord  refusé  net  d'en  rien  ré\éler.  Elle  n'en  avait  rien 
voulu  dire  que  le  temps,  le  lieu,  toutes  choses  accessoires.  C'était  donc  le 
point  où  il  convenait  surtout  de  la  presser.  Lorsqu'on  lui  en  parla  :  —  «  Il 
est,  dit-elle,  beau  et  honoré;  il  est  bien  croyable  et  bon,  et  le  plus  riche  qui 
soit  au  monde. 

• —  Où  est-il?  —  Au  trésor  du  roi. 

—  Est-ce  or,  argent ,  pierre  précieuse  ou  couronne  ?  —  Je  ne  vous  en  dirai 
autre  chose.  Et  ne  saurait-on  deviser  aussi  riche  chose  comme  est  le  signe. 
Toutefois,  le  signe  qu'il  vous  faut,  c'est  que  Dieu  me  délivre  de  vos  mains; 
c'est  le  plus  certain  qu'il  vous  sache  envoyer.  » 

Elle  raconta  ensuite  comment  c'était  sur  la  foi  de  ce  signe  qu'elle  était 
venue  trouver  le  roi.  Ses  voix  lui  avaient  dit  :  i<  Va  hardiment;  quand  tu 
seras  devers  le  roi ,  il  aura  bon  signe  de  te  recevoir  et  croire.  »  Et  répondant 
ensuite  à  diverses  questions  qui  ne  sont  pas  toutes  exprimées,  mais  que 
suppose  le  manque  de  liaison  de  ses  réponses  dans  la  suite  du  procès-ver- 
bal, elle  dit  que  ce  signe  l'avait  délivrée  de  la  peine  que  lui  faisaient  les 
clercs  chargés  d'arguer  contre  elle.  Elle  en  avait  remercié  Dieu  et  s'était 
agenouillée  plusieurs  fois.  C'est  un  ange  envoyé  de  Dieu  et  non  d'aucun 
autre  qui  l'avait  donné  au  roi.  Le  roi  le  vit  et  ceux  qui  étaient  avec  lui;  et 
quand  elle  se  fut  retirée  dans  une  petite  chapelle  au  voisinage,  elle  ou'it 
dire  qu'après  son  départ  plus  de  trois  cents  personnes  le  virent  encore  : 
Dieu  l'ayant  ainsi  permis  pour  qu'on  cessât  de  l'interroger.  Comme  on  lui 
demandait  si  son  roi  et  elle-même  n'avaient  pas  fait  de  révérence  à  Fange 
quand  il  apporta  le  signe,  elle  neditrien  du  roi,  mais  répondit  que,  pour  elle, 
elle  avait  fait  révérence,  qu'elle  s'était  agenouillée  et  avait  ôté  son  chaperon. 

Ces  réponses,  assez  précises  en  apparence  sur  un  point  où  elle  avait 
déclaré  qu'elle  ne  voulait  pas  et  qu'elle  ne  pouvait  pas  dire  la  vérité,  encou- 
rageaient par  leur  demi-clarté  les  investigations  du  juge,  et  lui  laissaient 
l'espoir  d'arriver  à  une  entière  révélation.  Il  se  promit  bien  de  n'en  pas 
rester  là.  Il  y  revint  dès  la  séance  suivante.  Il  lui  demanda  si  l'ange  qui 
avait  apporté  le  signe  au  roi  ne  lui  avait  point  parlé  :  —  «  Oui,  dit-elle,  il 
lui  a  dit  qu'on  me  mît  en  besogne  et  que  le  pays   serait  tôt  allégé. 

—  Est-ce  le  même  ange  qui  vous  est  premièrement  apparu?  —  C'est 
toujours  tout  un,  et  jamais  il  ne  m'a  failli.  - 


ROUEN.   —   L'INSTRUCTION.  267 


Cette  parole  fit  dévier  le  juge  de  la  question.  Mais  il  la  reprit  le  lende- 
main avec  plus  d'insistance.  Elle  répondit  :  c<  Seriez-vous  content  que  je  me 
parjurasse? 

—  Est-ce  que,  lui  dit  le  même  inquisiteur,  vous  avez  promis  à  sainte 
Catherine  de  ne  point  dire  ce  signe? — •  J'ai  juré  et  j'ai  promis  de  ne  point 
dire  ce  signe,  et  je  l'ai  fait  de  moi-même,  parce  qu'on  me  chargeait  trop  de 
le  dire.  »  Et  elle  ajouta  :  «Je  promets  que  je  n'en  parlerai  plus  à  personne.  » 
Tout  ce  qu'elle  en  voulut  dire,  c'est  que  l'ange  avait  certifié  au  roi, en  lui  appor- 
tant la  couronne,  qu'il  aurait  tout  le  royaume  de  France  avec  l'aide  de  Dieu  et 
le  labeur  de  la  Pucelle;  ajoutant  qu'il  la  mît  en  besogne,  c'est-à-dire  qu'il  lui 
donnât  des  gens  d'armes  :  autrement,  il  ne  serait  sitôt  couronné  et  sacré. 

On  lui  demanda  comment  l'ange  avait  apporté  la  couronne  au  roi,  s'il  la 
lui  mit  sur  la  tête.  Elle  répondit,  mêlant  à  dessein  la  promesse  et  la  cérémo- 
nie du  sacre,  la  scène  deChinon  et  celle  de  Reims  :  «  Elle  fut  donnée  à  un 
archevêque,  à  Tarchevêque  de  Reims,  comme  il  me  semble,  en  la  présence 
du  roi.  L'archevêque  la  reçut  et  la  donna  au  roi,  et  j'étais  présente;  et  la 
couronne  fut  mise  au  trésor  du  roi. 

—  En  quel  lieu  fut-elle  apportée?  —  En  la  chambre  du  roi,  au  château 
de  Chinon. 

—  L'ange  qui  l'apporta  venait-il  de  haut,  ou  s'il  venait  par  terre?  —  Il 
venait  de  haut.  »  Et  elle  déclara  qu'elle  l'entendait  ainsi,  en  ce  qu'il  venait 
par  le  commandement  de  Notre-Seigneur  :  déclaration  gardée  par  la  minute 
française  et  supprimée  dans  la  rédaction  latine  du  procès. 

Elle  parlait  d'un  ange,  et  c'est  à  elle  qu'elle  pensait  dans  tout  ce  discours. 
Les  juges,  prenant  ses  paroles  à  la  lettre,  insistaient  de  mille  manières,  et 
elle  se  dérobait  à  leur  curiosité  sous  le  voile  de  son  allégorie. 

«  En  quel  lieu  l'ange  vous  a-t-il  apparu? 

—  J'étais  presque  toujours  en  prière,  afin  que  Dieu  envo3'àt  le  signe  du 
roi.  J'étais  à  mon  logis,  chez  une  bonne  femme,  près  du  château  deChinon, 
quand  il  vint.  Et  puis,  nous  nous  en  allâmes  ensemble  vers  le  roi.  Et  il  était 
bien  accompagné  d'autres  anges  que  chacun  ne  voyait  pas.  »  Et  elle  ajouta 
que  plusieurs  virent  l'ange  (connurent  sa  céleste  mission),  qui  ne  l'eussent 
pas  vu  si  ce  n'était  pour  l'amour  d'elle  et  pour  la  mettre  hors  de  peine  des 
gens  qui  l'arguaient. 


JEANNE   D'ARC. 


«  Tous  ceux  qui  étaient  là  avec  le  roi  ont-ils  vu  l'ange? 

—  Je  pense  que  Farchevèque  de  Reims,  les  seigneurs  d'Alençon  et  de 
la  Trémouille  et  Charles  de  Bourbon  l'ont  vu-,  pour  ce  qui  est  de  la  cou- 
ronne, plusieurs  gens  d'Eglise  et  autres  la  virent,  qui  ne  \'irent  pas  Fange. 

— •  De  quelle  figure  et  de  quelle  grandeur  était  Fange? 

—  Je  n'ai  point  congé  de  le  dire,  je  répondrai  demain.  » 

Les  juges  la  retinrent  sur  ce  chapitre  où  elle  semblait  s'abandonner.  Ils  lui 
demandèrent  si  ceux  qui  étaient  dans  la  compagnie  de  Fange  étaient  tous  de 
même  ligure  :  «  Ils  s'entre-ressemblaient  volontiers  pour  plusieurs,  et  les 
autres  non  ,  en  la  manière  que  je  les  voyais  :  les  uns  avaient  des  ailes,  d'au- 
tres des  couronnes.  »  Elle  ajouta  que  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite 
étaient  en  leur  compagnie,  et  qu'elles  furent  avec  l'ange  désigné  et  les  autres 
anges  jusque  dans  la  chambre  du  roi  :  que  l'ange  l'avait  quittée  dans  la  petite 
chapelle  où  il  s'était  montré  à  elle;  qu'elle  en  fut  bien  courroucée  et  pleu- 
rait, et  qu'elle  s'en  fut  volontiers  allée  avec  lui. 

«  Est-ce  par  votre  mérite  que  Dieu  a  envo3-é  son  ange?  —  Il  venait  pour 
grandes  choses.  Ce  fut  en  espérance  que  le  roi  crijt  le  signe  et  qu'on  cessât 
de  m'arguer,  pour  donner  secours  aux  bonnes  gens  d'Orléans,  et  aussi  pour 
le  mérite  du  roi  et  du  bon  duc  d'Orléans. 

—  Et  pourquoi  vous,  plutôt  qu'un  autre?  —  Il  plut  à  Dieu  ainsi  faire  par 
une  simple  pucelle,  pour  rebouter  les  adversaires  du  roi. 

—  Vous  a-t-il  été  dit  où  l'ange  avait  pris  cette  couronne?  —  Elle  a  été 
apportée  de  par  Dieu,  et  il  n'y  a  orfèvre  au  monde  qui  la  siJt  faire  si  belle 
ou  si  riche.  Où  il  la  prit,  je  m'en  rapporte  à  Dieu ,  et  ne  sais  point  autre- 
ment où  elle  fut  prise. 

—  Avait-elle  bonne  odeur,  était-elle  reluisante?  —  Je  n'en  ai  point  mé- 
moire-, je  m'en  aviserai.  »  Et  elle  ajouta  aussitôt  :  "  Elle  sent  bon  et  elle 
sentira,  pourvu  qu'elle  soit  bien  gardée,  ainsi  qu'il  appartient. 

—  L'ange  vous  a-t-il  écrit  des  lettres?  —  Non. 

—  Quel  signe  eurent  le  roi,  les  gens  qui  étaient  avec  lui  et  vous-même, 
pour  croire  que  c'était  un  ange?  —  Le  roi  le  crut  par  l'enseignement  des 
gens  d'Eglise  qui  étaient  là  ,  et  par  le  signe  de  la  couronne. 

—  Et  les  gens  d'Eglise?  —  Par  leur  science  et  parce  qu'ils  étaient  clercs.  >> 
Les  gens  d'Église  qu'elle  avait  de\'ant  elle  n'en    demeuraient   pas   aussi 


ROUEN.  —   L'INSTRUCTION.  269 


convaincus;  mais  s'ils  ne  devinaient  pas  Tallégorie  dont  Jeanne  usait  en 
cette  rencontre,  c'est  qu'en  général,  dans  le  récit  de  ses  visions,  ils  recher- 
chaient tout  autre  chose  qu'une  feinte. 

On  reprit  donc  toute  cette  matière. 

Jeanne  avait  dit  qu'en  ses  grandes  affaires,  quelque  chose  qu'elle  fît,  ses 
voi.x  l'avaient  toujours  secourue  :  «  Et,  disait-elle,  allant  hardiment  au- 
devant  de  la  secrète  pensée  du  juge,  c'est  un  signe  que  ce  soient  bons  esprits. 

—  N'avez-vouspas,  dit  le  juge,  d'autres  signes  que  ce  soient  bons  esprits? 

—  Saint  Michel  me  Ta  certifié  avant  que  les  voix  ma  vinssent. 

—  Et  comment  avez- vous  connu  saint  ^Michel?  —  Par  le  parler  et  le  lan- 
gage des  anges. 

—  Si  l'ennemi  se  mettait  en  forme  d'ange,  comment  connaîtriez  vous  que 
ce  fût  bon  ange  ou  mauvais  ange?  —  Je  connaîtrais  bien  si  c'était  saint 
Michel  ou  une  chose  contrefaite  à  son  image.  »  Elle  avoua  d'ailleurs  qu'à  la 
première  fois  elle  fit  grand  doute  si  c'était  saint  Michel,  et  qu'elle  eut  grand'- 
pcur,  et  qu'elle  le  vit  mainte  fois  avant  de  savoir  si  c'était  lui. 

«  Pourquoi,  cette  dernière  fois  le  conniàtes-vous  plutôt  que  la  première  ? 

—  La  première  fois  j'étais  jeune  enfant,  et  j'eus  peur;  mais  depuis  il  m'en- 
seigna et  me  montra  tant  de  choses,  que  je  crus  fermement  que  c'é- 
tait lui. 

—  Quelle  doctrine  vous  enseigna-t-il  ?  —  Sur  toutes  choses  il  me  disait 
que  je  fusse  bonne  enfant,  et  que  Dieu  m'aiderait.  Il  me  disait  encore,  cnu"e 
autres  choses,  que  je  vinsse  au  secours  du  roi  de  F'rance.  Et  la  plus  grande 
partie  de  ce  que  l'ange  m'enseigna  est  dans  ce  livre  (elle  parlait  peut-être  du 
livre  de  ses  interrogatoires  à  Poitiers),  et  l'ange  me  racontait  la  pitié  qui 
était  au  ro\'aume  de  France.  » 

Les  juges  ne  tentèrent  pas  d'en  savoir  davantage  sur  ce  point;  ils  aimè- 
rent mieu.v  l'interroger  sur  la  grandeur  et  la  stature  de  l'ange.  Elle  les 
ajourna  à  la  séance  suivante.  Et  quand  alors  ils  lui  demandèrent  en  quelle 
forme  et  espèce,  grandeur  et  habit  lui  avait  apparu  saint  Michel,  elle  répon- 
dit :  '<  Il  était  en  la  forme  d'un  très-vrai  prud'homme;  et  de  l'habit  et  autre 
chose  je  n'en  dirai  pas  davantage.  Quant  aux  anges,  je  les  ai  vus  de  mes 
yeux,  et  on  n'en  aura  rien  de  plus  de  moi. 

—  Ne  savez-vous  point  que  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite  haïssent 


270  JEANNE   D'ARC. 


les  Anglais?  —  Elles  aiment  ce  que  Notre-Seigneur  aime,  et  haïssent  ce  que 
Dieu  hait. 

—  Dieu  hait-il  les  Anglais?  —  De  Tamour  ou  de  la  haine  que  Dieu  a  aux 
Anglais,  je  ne  sais  rien;  mais  je  sais  bien,  dit-elle  hardiment,  qu'ils  seront 
boutés  hors  de  France,  excepté  ceux  qui  y  mourront,  et  que  Dieu  enverra 
victoire  aux  Français  contre  les  Anglais. 

—  Dieu  était-il  pour  les  Anglais  quand  ils  étaient  en  prospérité  en  France? 
—  Je  ne  sais  si  Dieu  haïssait  les  Français,  mais  je  crois  qu'il  voulait  per- 
mettre de  les  laisser  battre  pour  leurs  péchés,  s'ils  y  étaient.  » 

Des  voix  si  peu  favorables  aux  Anglais  ne  pouvaient  pas  être  fort  bien 
famées  auprès  des  juges.  On  demanda  à  Jeanne,  si,  quand  elles  venaient, 
elle  leur  faisait  révérence,  absolument  comme  à  un  saint  ou  à  une  sainte  :  — 
«  Oui,  dit-elle,  et  si  parfois  je  ne  l'ai  fait,  je  leur  en  ai  crié  pardon  et  merci; 
et  je  ne  leur  sais  faire  de  si  grande  révérence  comme  il  leur  appartient  :  car 
je  crois  fermement  que  ce  sont  sainte  Catherine,  sainte  Marguerite  et  saint 
Michel. 

—  N'ave/.-vous  point  fait  à  ces  saints  et  saintes  qui  viennent  à  vous  obla- 
tion  de  chandelles  ardentes  ou  d'autres  choses,  à  l'église  ou  ailleurs,  comme 
on  fait  volontiers  aux  saints  du  Paradis?  —  Non,  si  ce  n'est  en  faisant 
offrande  à  la  messe  en  la  main  du  prêtre  et  en  l'honneur  de  sainte  Cathe- 
rine; et  je  n'en  ai  point  tant  allumé  comme  je  ferais  volontiers  à  sainte 
Catherine  et  à  sainte  Marguerite,  qui  sont  en  paradis  :  car  je  crois  fermement 
que  ce  sont  elles  qui  viennent  à  moi. 

—  Quand  vous  mites  ces  chandelles  devant  l'image  de  sainte  Catherine, 
les  mites-vous  en  l'honneur  de  celle  qui  vous  est  apparue?  —  Je  le  fais  en 
l'honneur  de  Dieu,  de  Notre-Dame  et  de  sainte  Catherine,  qui  est  au  ciel, 
et  ne  fais  point  de  différence  de  sainte  Catherine  qui  est  au  ciel  et  de  celle 
qui  se  montre  à  moi. 

—  Les  mites-vous  en  l'honneur  de  celle  qui  s'est  montrée  à  vous?  >'  dit  le 
juge,  insistant  dans  une  intention  que  l'on  devine.  —  '^  Oui,  car  je  ne  mets 
point  de  différence  entre  celle  qui  se  montre  à  moi  et  celle  qui  est  au  ciel.  » 

A  propos  de  l'un  de  ses  anneaux,  qui  portait  les  noms  Jésus,  Maria, 
comme  on  lui  avait  demandé  pourquoi  elle  le  regardait  volontiers  allant  à 
la  guerre,  elle  avait  répondu  ;  «.  Par  plaisance  et  pour  l'honneur  de  mon 


ROUKN.    —    L'INSTRUCTION. 


père  et  de  ma  mère,  et  parce  qu'ayant  cet  anneau  en  ma  main,  j'ai  touche 
sainte  Catherine. 

—  En  quelle  partie  ave/.-vous  touché  sainte  Catherine?  s'écria  le  juge 
avec  empressement.  —  \"ous  n'en  aurez  chose. 

—  N'avez- vous  jamais  baisé  ou  accolé  .^embrassé  sainte  Catherine  ou 
sainte  Marguerite?  —  Je  les  ai  accolées  toutes  les  deux. 

—  Fleiiraieiit-cWes  bon?  —  Il  est  bon  à  savoir  qu'elles  sentaient  bon. 

—  En  les  accolant  ne  sentiez-vous  point  de  chaleur  ou  autre  chose?  —  Je 
ne  les  pouvais  point  accoler  sans  les  sentir  et  toucher. 

—  Ne  leur  avez-vous  point  donné  de  guirlandes  ou  de  couronnes?  —  En 
l'honneur  d'elles,  j'en  ai  plusieurs  fois  donné  à  leurs  images  dans  les  églises; 
quant  à  celles  qui  se  montrent  à  moi,  je  ne  leur  en  ai  point  baillé,  que  j'en 
aie  mémoire. 

—  Quand  vous  mettiez  des  guirlandes  à  l'arbre,  les  mettiez-vous  en 
l'honneur  de  celles  qui  vous  apparaissaient?  —  Non. 

—  Quand  ces  saintes  venaient  à  vous,  ne  leur  faisiez-vous  pas  révérence, 
comme  de  vous  agenouiller  et  incliner?  —  Oui,  et  le  plus  que  je  pouvais 
leur  faire  de  révérence,  je  le  faisais,  car  je  sais  que  ce  sont  bien  celles  qui 
sont  au  royaume  du  paradis.  » 

Le  juge  avait  les  déclarations  qu'il  voulait.  Les  voix  de  Jeanne  étaient  des 
êtres  véritables  :  elle  les  avait  honorées  comme  des  saints;  mais,  si  c'étaient 
de  mauvais  esprits,  Jeanne  se  trouvait  par  là  atteinte  et  convaincue  d'ido- 
lâtrie. Il  ne  s'agissait  donc  que  de  faire  voir  qu'ils  procédaient  du  démon  : 
c'est  ce  qu'on  avait  voulu  déjà  établir  par  maintes  questions  dans  l'interro- 
gatoire public,  et  c'est  encore  le  principal  objet  qu'on  a  en  vue  dans  ce  nou- 
vel interrogatoire. 

Une  chose  déjà  rendait  suspectes  les  voix  de  Jeanne  :  c'est  qu'elle  avait  eu 
si  longtemps  commerce  avec  elles,  sans  en  rien  dire  à  personne.  Il  lui  était 
arrivé  de  les  mentionner  à  propos  des  incidents  de  son  enfance,  et  on  lui 
avait  demandé  si  elle  en  avait  parlé  à  son  curé  ou  à  quelque  autre  homme 
d'Église;  elle  répondit  :  ■<  Non,  mais  seulement  à  Robert  de  Baudricourt  et 
au  roi.  «  L'aveu  dut  paraître  grave,  car  on  lit  en  marge  du  procès-verbal  : 
«.  Elle  a  celé  ses  visions  à  son  père,  à  sa  mère  et  à  tout  le  monde.  >■  Mais, 
si  ses  voix  étaient  de  Satan,  elles  devaient  se  trahir,  dans  les  œuvres  de 


JEANNE  D'ARC. 


Jeanne,  par  ce  qui  est  de  Satan  :  la  révolte,  l'orgueil,  la  vanité,  l'impudicité, 
le  mensonge;  elles  devaient  se  manifester  à  la  tin  par  l'impuissance  et  par  le 
désespoir.  Le  juge  va  rechercher  tous  ces  signes  dans  Tinspiration  et  dans 
les  actes  de  la  Pucelle. 

Il  crut  en  trouver  la  marque  à  l'origine  même  de  sa  mission.  Elle  était 
partie  sans  la  permission  de  ses  parents.  Il  lui  demanda  si  elle  pensait  bien 
faire  de  partir  sans  le  congé  de  ses  parents,  puisqu'on  doit  honorer  père 
et  mère  :  —  «  En  toute  autre  chose,  répondit-elle,  je  leur  ai  bien  obéi,  excepté 
de  ce  partement;  mais  depuis,  je  leur  en  ai  écrit,  et  ils  m'ont  pardonné.  >> 

Elle  leur  a  demandé  pardon  :  elle  se  jugeait  donc  coupable?  On  lui 
demanda  si,  en  quittant  son  père  et  sa  mère,  elle  ne  croyait  point  pécher: 
—  '(  Puisque  Dieu  le  commandait,  il  le  convenait  faire.  Quand  j'aurais  eu 
cent  pères  et  cent  mères,  et  que  j'eusse  été  fille  de  roi,  je  serais  partie. 

— •  N'avez- vous  pas  demandé  à  vos  voix  si  vous  deviez  en  parler  à  votre 
père  et  à  votre  mère?  —  Pour  ce  qui  est  de  mon  père  et  de  ma  mère,  les 
voix  étaient  assez  contentes  que  je  leur  disse,  n'était  la  peine  qu'ils  m'eussent 
faite  si  je  leur  avais  dit  mon  départ;  et,  quant  à  moi,  je  ne  le  leur  eusse  dit 
pour  chose  quelconque.  » 

On  aurait  voulu  mettre  ses  voix  elles-mêmes  en  contradiction  avec  le  sou- 
verain commandement  d'honorer  père  et  mère;  mais  elle  persista  à  dire 
que  ses  voix  l'avaient  laissée  libre  de  leur  en  parler  ou  de  s'en  taire. 

La  révolte  contre  l'autorité  légitime  a  son  principe  dans  l'orgueil,  et  l'or- 
gueil p:;ut  aller  jusqu'à  rechercher"  des  adorations  sacrilèges.  Le  juge 
demanda  à  Jeanne  si  les  voix  ne  l'avaient  point  appelée  fille  de  Dieu.  Elle 
répondit  en  toute  simplicité  qu'avant  la  levée  du  siège  d'Orléans,  et  depuis, 
tous  les  jours,  quand  les  voix  lui  parlent,  elles  l'ont  plusieurs  fois  appelée  : 
'c  Jeanne  la  Pucelle,  fille  de  Dieu.  » 

Autres  signes  ou  matière  d'orgueil  :  son  étendard,  ses  armoiries,  ses 
richesses.  On  lui  demanda  ce  que  signifiait  sur  son  étendard  l'image  de  Dieu 
tenant  le  monde,  avec  deux  anges  à  ses  côtés  :  — ■  «  Sainte  Catherine  et  sainte 
Marguerite,  répondit-elle,  me  dirent  de  prendre  et  porter  hardiment  cet 
étendard,  et  d"y  faire  mettre  en  peinture  le  Roi  du  ciel.  Et  je  l'ai  dit  au  roi 
bien  malgré  moi.  Quant  à  la  signification,  je  n'en  sais  autre  chose.  » 

Sur  ses  armoiries,  elle  dit  qu'elle  n'en  avait  jamais  eu;    «  mais  le  roi. 


ROUEN.    -   L'INSTRUCTION.  273 


dit-elle,  en  a  donné  à  mes  frères  :  c'est  à  savoir  un  écu  d'azur  avec  deux 
fleurs  de  lis  d'or  et  une  épée  parmi  •,  et  ce  leur  fut  donné  par  le  roi  à  leur 
plaisance,  sans  requête  de  moi  et  sans  révélation.  « 

On  lui  demanda  encore  quel  cheval  elle  avait  quand  elle  fut  prise;  qui  le 
lui  avait  donné  ;  si  elle  tenait  du  roi  quelque  autre  richesse  :  —  «  Je  n'ai  rien 
demandé  au  roi,  si  ce  n'est  bonnes  armes,  bons  chevaux,  et  de  l'argent  à 
payer  les  gens  de  mon  hôtel. 

—  N'aviez-vous  point  de  trésor? —  Dix  à  douze  mille  (écus?'  que  j'ai  vail- 
lants; ce  n'est  pas  grand  trésor  à  mener  la  guerre.  »  Elle  ajouta  que  ses 
frères  en  avaient  le  dépôt,  et  que  c'était  de  l'argent  du  roi. 

On  revint  à  plusieurs  reprises  sur  cette  matière.  Son  étendard,  son  épée, 
ses  anneaux,  n'étaient  vus  des  juges  qu'avec  une  défiance  extrême.  Les  actes 
mêmes  où  respirait  sa  piété,  sentaient  pour  eux  la  supersdtion  et  la  magie. 
Les  noms  de  Jésus  et  de  Marie,  qu'elle  mettait  dans  ses  lettres,  leur  étaient 
suspects.  On  lui  demanda  quelles  armes  elle  avait  offertes  à  saint  Denis  : 
—  «   Un  blanc  harnois,  avec  une  épée  que  j'avais  gagnée  devant  Paris. 

—  A  quelle  fin  cette  offrande  ?  — •  Par  dévotion,  ainsi  qu'il  est  acoutumé 
par  les  gens  de  guerre  quand  ils  sont  blessés;  et,  parce  que  j'avais  été  bles- 
sée devant  Paris,  je  les  offris  à  saint  Denis,  pour  ce  que  c'est  le  cri  de 
France. 

—  N'était-ce  pas  pour  qu'on  les  adorât?  —  Non. 

—  Qui  vous  mut  de  faire  peindre  des  anges  avec  bras,  pieds,  jambes, 
vêtements?  —  Vous  y  êtes  répondus. 

—  Les  avez-vous  fait  peindre  tels  qu'ils  viennent  à  vous?  —  Je  les  ai  fait 
peindre  en  la  manière  qu'ils  sont  peints  dans  les  églises. 

—  Les  vîtes- vous  jamais  en  la  manière  qu'ils  furent  peints?  —  Je  ne  vous 
en  dirai  autre  chose. 

—  Pourquoi  n'y  fîtes-vous  peindre  la  clarté  qui  venait  à  vous,  avec  les 
anges  et  les  voix?  —  Il  ne  me  fut  point  commandé.  » 

On  la  ramena  au  même  sujet  à  la  reprise  de  la  séance.  On  lui  demanda  si 
les  deux  anges  qui  étaient  peints  sur  l'étendard  représentaient  saint  Michel 
et  saint  Gabriel  :  —  «  Ils  n'y  étaient  que  pour  l'honneur  de  Notre-Seigneur 
qui  était  peint  en  l'étendard,  tenant  le  monde,  et  j'ai  tout  fait  par  le  com- 
mandement de  mes  voix. 

JEANNt:  d'arc.  III.  —  35 


274  JEANNE  D'ARC. 


—  Ne  leur  avez-vous  pas  demandé  si,  en  vertu  de  cet  étendard,  vous 
gagneriez  toutes  les  batailles  où  vous  iriez?  —  Elles  me  dirent  que  je  prisse 
hardiment  Tétendard,  et  que  Dieu  m'aiderait. 

—  Qui  aidait  plus,  vous  à  l'étendard,  ou  l'étendard  à  vous?  —  Delà  vic- 
toire de  l'étendard  ou  de  moi,  c'était  tout  à  Notre-Seigneur. 

—  .Mais  l'espérance  d'avoir  victoire  était-elle  fondée  en  votre  étendard  ou 
en  vous?  — •  Elle  était  fondée  en  Notre-Seigneur,  et  non  ailleurs. 

—  Si  un  autre  que  vous  l'eût  porté,  eût-il  eu  aussi  bonne  fortune?  —  Je 
n'en  sais  rien  ;  Je  m'en  attends  à  Notre-Seigneur. 

— •  Si  un  des  gens  de  votre  parti  vous  eût  baillé  son  étendard  cà  porter, 
eussiez-vous  eu  aussi  bonne  espérance  comme  en  celui  qui  vous  était  donné 
de  Dieu,  ou  en  celui  de  votre  roi?  — Je  portais  plus  volontiers  celui  qui 
m'était  ordonné  par  Notre-Seigneur,  et  toutefois  du  tout  je  m'en  attends  à 
Notre-Seigneur. 

— ■  Ne  fit-on  point  flotter  ou  tourner  votre  étendard  autour  de  la  tète  du 
roi,  comme  on  le  sacrait  à  Reims?  — •  Non,  que  je  sache. 

—  Pourquoi  fut-il  plutôt  porté  au  sacre,  en  l'église  de  Reims,  que  ceux 
des  autres  capitaines?  —  11  avait  été  à  la  peine,  c'était  bien  raison  qu'il  fût 
à  l'honneur.  » 

La  marque  où  l'on  croyait  voir  le  plus  sûrement  l'esprit  diabolique,  c'est 
l'impudicité.  Mais  Jeanne  était  vierge,  et  les  juges  ne  le  savaient  que  trop. 
Rien  ne  les  embarrasse  plus  que  ce  point.  Ils  voudraient  croire  qu'elle  a 
voué  sa  virginité  au  diable.  On  lui  demanda  si  elle  parlait  à  Dieu  quand 
elle  lui  promit  de  la  garder  :  —  «  Il  devait  bien  suffire,  dit-elle,  de  la  pro- 
mettre à  ceux  qui  étaient  envoyés  de  par  lui,  c'est  à  savoir  sainte  Catherine 
et  sainte  Marguerite.  » 

On  affecta  de  croire  qu'elle  avait  voulu  rompre  son  vœu  en  promettant 
mariage  à  un  jeune  homme,  en  le  voulant  épouser,  en  l'assignant  sur  son 
refus  à  comparaître  devant  l'otiicialité  de  Toul.  C'est  Jeanne,  on  se  le  rap- 
pelle, qui  avait  au  contraire  repoussé  cette  étrange  poursuite-,  elle  le  raconta 
à  ce  propos,  et  ajouta  que  ses  voix  l'avaient  assurée  qu'elle  gagnerait  son 
procès. 

Mais  du  moins,  elle  portait  l'habit  d'homme.  On  lui  demanda  si  elle 
l'avait  pris  à  la  requête  de  Robert  de  Baudricourt  ou  au  commandenient  de 


ROUEN.   —    L'INSTRUCTION.  275 

.ses  voix^  si  en  le  prenant  elle  pensait  mal  faire  :  —  «  Non,  dit-elle,  et  encore 
à  présent,  si  j'étais  en  cet  habit  d'homme  avec  ceux  de  mon  parti,  il  me 
semble  que  ce  serait  un  des  grands  biens  de  la  France  que  je  fisse  comme  je 
faisais  avant  d'être  prise.   « 

Elle  se  rapportait  d'ailleurs  au  commandement  de  Dieu  :  «  Puisque 
je  l'ai  fait  par  commandement  de  Notre-Seigneur,  et  en  son  service,  je  ne 
cuide  point  mal  faire;  et  quand  il  lui  plaira  de  commander,  il  sera  tantôt 
mis  là.  Il 

Ou  crut  avoir  une  manière  sûre  de  prouver  que  Dieu  ne  lui  avait  pas 
commandé  de  le  prendre,  en  mettant  son  obstination  à  le  garder  en  opposi- 
tion avec  un  autre  commandement  de  Dieu.  On  lui  demanda  ce  qu'elle 
aimerait  le  mieux,  prendre  habit  de  femme  et  entendre  la  messe,  ou 
demeurer  en  habit  d'homme  et  ne  point  entendre  la  messe  :  —  «  Certifiez- 
moi,  dit-elle,  que  j'entendrai  la  messe  si  je  suis  en  habit  de  femme,  et  je 
vous  répondrai. 

—  Je  vous  le  certifie,  dit  le  juge.  —  Et  que  dire/.-vous,  reprit-elle,  si  j'ai 
juré  et  promis  à  notre  roi  de  ne  point  quitter  cet  habit?  Toutefois  je  vous 
réponds  :  Faites-moi  faire  une  robe  longue  jusques  à  terre,  sans  queue,  et 
me  la  baillez  pour  aller  à  la  messe,  et  puis,  au  retour,  je  reprendrai  l'habit 
que  j'ai.  >-  Et  elle  requérait  en  l'honneur  de  Dieu  et  de  Notre-Dame  qu'elle 
pût  ouïr  la  messe  dans  cette  bonne  ville. 

Mais  comme  on  insistait  pour  qu'elle  prit  l'habit  de  femme  simplement  et 
absolument  : 

«  Baillez-moi,  dit-elle,  un  habit  comme  en  ont  les  filles  de  bourgeois, 
c'est  à  savoir  une  houppelande  longue,  et  je  le  prendrai,  et  même  le  cha- 
peron de  femme  pour  aller  entendre  la  messe;  »  marquant  bien  qu'elle  ne 
le  prendrait  que  pour  cela,  et  demandant  encore  avec  instance  qu'on  lui  lais- 
sât l'habit  qu'elle  portait,  et  qu'on  lui  permit  d'entendre  la  messe  sans  le 
changer. 

Si  le  juge  avait  voulu  comprendre  pourquoi  elle  tenait  tant  à  l'habit 
d'homme  il  y  en  aurait  eu  plus  d'une  occasion  dans  le  cours  de  ce  débat.  A 
la  séance  suivante,  comme  il  revenait  sur  l'habit  de  femme  et  sur  la  messe, 
elle  refusa,  mais  elle  dit  : 

i'  Si  ainsi  est  qu'il  me  faille  mener  jusque  en  jugement,  qu'il  me  faille 


276  JEANNE   D'ARC. 


dévêtir  en  jugement,  je  demande  aux  seigneurs  de  TÉglise  qu'ils  me  donnent 
la  grâce  d'avoir  une  chemise  de  femme  et  un  couvre-chef  en  ma  tête.  ^ 

Le  juge  crut  la  prendre  en  contradiction.  «  \'ous  avez  dit  que  vous  por- 
tiez rhabit  d'homme  par  le  commandement  de  Dieu  :  pourquoi  demandez- 
vous  chemise  de  femme  en  article  de  mort?  —  Il  suffit  qu'elle  soit  longue.  « 
Le  juge,  déconcerté,  se  rejeta  sur  une  tout  autre  question  ;  mais  il  revint 
bientôt  à  l'habit.  N'avait-elle  pas  dit  qu'elle  prendrait  l'habit  de  femme, 
pourvu  qu'on  la  laissât  aller,  s'il  plaisait  à  Dieu?  Jeanne  redressa  sa 
réponse,  et  lui  donna  un  autre  moyen  d'entendre  pourquoi  elle  ne  renonçait 
point  à  cet  habit  qui  était  sa  sauvegarde,  non-seulement  dans  la  prison,  mais 
encore  à  la  guerre,  et  comme  la  marque  de  sa  mission  :  «  Si  on  me  donne 
congé  en  habit  de  femme,  dit-elle,  je  me  mettrai  tantôt  en  habit  d'homme, 
et  ferai  ce  qui  m'est  commandé  par  Notre-Seigneur.  Je  l'ai  autrefois  ainsi 
répondu,  et  ne  ferai  pour  rien  le  serment  de  ne  m'armer  et  mettre  en  habit 
d'homme  pour  faire  le  plaisir  de  Notre-Seigneur. 

—  Quel  garant  et  quel  secours  attendez-vous  de  Notre-Seigneur,  de  ce 
que  vous  portez  habit  d'homme?  —  Tant  de  l'habit  que  d'autres  choses  que 
j'ai  faites,  je  n'en  ai  voulu  avoir  d'autre  loyer  que  le  salut  de  mon  àme.  » 
C'était  peu  que  de  lui  reprocher  de  porter  l'habit  du  soldat-,  on  aurait 
voulu  montrer  qu'elle  en  avait  pris  les  mœurs,  l'assurer,  la  convaincre  de 
jurements,  de  cruautés,  de  rapines.  Elle  nia  tout  jurement;  pour  le  reste, 
on  ne  trouvait  à  lui  objecter  que  la  haquenée  de  l'évêque  de  Senlis,  qu'elle 
avait  prise  pour  de  l'argent  et  fait  rendre  au  prélat,  et  la  mort  de  Franquet 
d'Arras,  meurtrier,  larron  et  traître,  pour  qui  au  contraire  elle  avait  inter- 
cédé et  qu'elle  n'avait  pu  sauver  de  la  justice. 

Mais  si  l'esprit  malin  ne  se  manifestait  point  dans  ses  actes,  ne  se  trahis- 
sait-il pas  au  moins  dans  ses  prédictions  et  dans  ses  échecs?  Elle  avait 
échoué  à  Paris,  à  la  Charité,  à  Pont-l'Évêque;  elle  avait  dit  qu'elle  avait  à 
délivrer  le  duc  d'Orléans,  et  elle  avait  été  prise  elle-même  à  Compiègne.  — 
Pour  tous  ces  lieux,  elle  répondit  qu'elle  n'y  était  point  allée  par  le  conseil 
de  ses  voix,  mais  à  la  requête  de  gens  d'armes,  comme  elle  l'avait  déjà 
déclaré.  Depuis  qu'elle  avait  eu  révélation  à  Melun  qu'elle  serait  prise,  elle 
se  rapportait  surtout  du  fait  de  la  guerre  aux  capitaines,  sans  leur  dire 
toutefois  qu'elle  sût  par  révélation  qu'elle  dût  être  prise. 


278  JEANNE   D'ARC. 


«  Fut-ce  bien  fait,  le  jour  de  la  Nativité  de  Notre-Dame,  un  jour  de  fête, 
d'aller  attaquer  Paris?  —  C'est  bien  fait  de  garder  les  fêtes  de  Notre-Dame, 
et  en  ma  conscience  il  me  semble  que  ce  serait  bien  fait  de  garder  les  fêtes 
de  Notre-Dame  depuis  un  bout  jusqu'à  l'autre. 

—  Ne  pensez-vouspasavoir  fait  péché  mortel  en  attaquant  Paris  ce  jour-là? 

—  Non  ,  et  si  je  l'ai  fait,  c'est  à  Dieu  d'en  connaître,  et  en  confession  à  Dieu 
et  au  prêtre. 

—  N'avez-vous  point  dit  devant  Paris  :  «  Rendez  la  ville  de  par  Jésus?  » 

—  Non,  mais  j'ai  dit  :  «  Rendez  la  \ille  au  roi  de  France.  » 

Quant  à  la  délivrance  du  duc  d'Orléans,  on  fut  curieux  de  savoir  com- 
ment elle  l'aurait  opérée  :  —  «  J'aurais  pris  en  France  assez  d'Anglais  pour 
le  ravoir,  et  si  je  n'en  eusse  assez  pris  de  çà ,  j'aurais  passé  la  mer  pour 
l'aller  quérir  en  Angleterre  à  puissance  (par  la  force).  » 

On  lui  demanda  si  sainte  Marguerite  et  sainte  Catherine  le  lui  avaient  dit 
ainsi  :  —  «  Oui.  Je  l'ai  dit  à  mon  roi,  et  je  lui  ai  demandé  qu'il  me  laissât 
faire  des  prisonniers.  »  Elle  ajouta  que,  si  elle  avait  duré  trois  ans  sans 
empêchement,  elle  l'eût  délivré. 

Mais  elle-même  était  prisonnière.  N'était-ce  point  assez  pour  qu'elle 
reniât  ses  voi\  comme  l'avant  déçue?  —  «  Sainte  Catherme  et  sainte  Mar- 
guerite, dit-elle,  m'ont  dit  que  je  serais  prise  avant  qu'il  fut  la  Saint-Jean  , 
qu'il  le  fallait  ainsi,  que  je  ne  m'en  ébahisse  point  et  prisse  tout  en  gré,  et 
que  Dieu  m'aiderait.  »  Elle  ajouta  que  ses  voix  le  lui  avaient  souvent  an- 
noncé depuis  son  passage  à  Melun;  qu'elle  leur  demandait  de  mourir  quand 
elle  serait  prise,  sans  long  travail  de  prison;  mais  elles  lui  disaient  toujours 
qu'elle  prît  tout  en  gré,  qu'il  le  fallait  ainsi,  sans  lui  faire  connaître  l'heure. 

«  Si  les  voix  vous  eussent  commandé  de  faire  la  sortie,  et  signifié  que 
vous  seriez  prise,  y  seriez-vous  allée?  —  Si  j'avais  su  l'heure  que  je  dusse 
être  prise,  je  n'y  serais  point  allée  volontiers-,  toutefois,  j'aurais  fait  leur 
commandement  quelque  chose  qui  me  dut  advenir.  » 

Le  juge  revint  à  la  question,  la  pressant  de  répondre  précisément  sur  ce 
point  :  «  Si  ses  voix  lui  avaient  commandé  de  sortir  ce  jour-là?  »  comme 
s'il  voulait  au  moins  les  rendre  ,  de  son  propre  aveu,  complices  de  sa  capti- 
vité. Elle  répondit  que  ce  jour-là  elle  ne  sut  point  qu'elle  serait  prise,  et 
qu'elle  n'eut  autre  commandement  de  sortir. 


ROUEN.   -   L'INSTRUCTION.  279 

Il  y  avait  pourtant,  depuis  sa  captivité,  une  circonstance  qui  semblait 
condamner  infailliblement  Jeanne  ou  ses  voix,  selon  qu'elle  leur  avait  obéi 
ou  qu'elle  leur  avait  résisté  :  c'est  l'affaire  de  Beaurevoir,  lorsque  Jeanne 
avait  sauté  de  la  tour.  Elle  répéta  qu'elle  l'avait  fait  parce  qu'on  disait  que 
l'ennemi  voulait  tout  tuer  dans  Compiègne,  et  parce  qu'elle  savait  qu'elle 
était  vendue  aux  Anglais  :  «  Et,  dit-elle,  j'eusse  eu  plus  cher  mourir  que 
d'être  en  la  main  des  Anglais  mes  adversaires.  «  Elle  ajouta  qu'elle  l'avait 
fait  non  par  le  conseil,  mais  contre  l'avis  de  ses  voix,  retraçant  avec  une 
vivacité  singulière  le  débat  qu'elle  avait  eu,  à  ce  propos,  si  longtemps  avec 
elles.  Elle  avouait  qu'elle  avait  mal  fait  de  sauter  de  la  tour.  Sainte  Cathe- 
rine, qui  l'en  avait  détournée  ,  lui  avait  dit,  la  chose  faite,  de  s'en  confesser 
et  de  demander  pardon  à  Dieu.  Mais  on  voulait,  malgré  les  explications  si 
nettes  et  si  franches  qu'elle  en  donnait,  faire  de  cette  imprudence  un  tout 
autre  crime.  Elle  avait  dit  qu'après  sa  chute  «  elle  fut  deux  ou  trois  jours 
qu'elle  ne  voulait  manger;  «  nouvel  argument  pour  le  juge.  Il  est  vrai  que 
le  procès- verbal,  qui  le  lui  donne,  le  lui  ôte  lorsque  aussitôt  il  ajoute  :  «  Et 
même  aussi  pour  ce  saut  fut  grevée  tant  qu'elle  ne  pouvait  ni  boire  ni 
manger.  » 

Ce  n'était  donc  pas  l'aveu  qu'on  voulait.  On  tenta  d'en  obtenir  plus  direc- 
tement un  autre.  On  lui  demanda  si  en  sautant  de  la  tour  elle  n'avait  pas 
pensé  se  tuer  :  «  Non  ,  répondit-elle;  en  sautant  je  me  recommandai  à 
Dieu,  et  je  pensai,  par  le  mo}'en  de  ce  saut,  échapper  et  éviter  que  je  ne 
fusse  livrée  aux  Anglais.  «  Elle  renouvela  l'aveu  qu'elle  avait  mal  fait,  ajou- 
tant qu'elle  s'en  était  confessée ,  comme  sa  voix  lui  en  avait  donné  le  conseil , 
et  qu'elle  avait  eu  pardon  de  Notre-Seigneur. 

«  En  avez-vouseu  grande  pénitence?  —  J'en  portai  une  grande  partie  du 
mal  que  j'ai  eu  en  tombant. 

—  Etait-ce  péché  mortel?  —  Je  m'en  attends  à  Notre-Seigneur.  » 

Ainsi  Jeanne  s'accusait  d'une  faute,  mais  d'une  faute  dont  elle  avait  fait 
pénitence  et  qui  prouvait  en  faveur  de  ses  voix ,  car  ces  voix  l'en  avaient 
détournée  :  elles  lui  avaient  commandé,  comme  l'eiJt  pu  faire  l'évèque,  de 
s'en  confesser,  et,  ce  qu'elles  seules  pouvaient  faire,  elles  l'avaient  secourue 
et  gardée  de  la  mort.  Ses  voix  n  étaient  donc  pas  ce  qu'on  voulait  croire,  et 
elle  même  apparaissait  d'autant  plus  sainte   qu'on  l'éprouvait  davantage. 


JEANNE   D'ARC. 


Tous  les  fantômes  de  l'accusation  se  dissipaient  à  la  lumière  de  cette  âme 
pure:  au  lieu  des  œuvres  diaboliques,  de  Torgueil,  de  la  vanité,  de  l'impu- 
dicitc,  de  la  violence,  du  blasphème,  du  désespoir  et  du  mensonge,  on 
n'avait  trouvé  en  elle  qu'humilité,  honnêteté,  douceur,  simplicité,  confiance 
en  Dieu.  Elle  semblait  ne  pas  soupçonner  la  malice  de  ses  juges,  tant  elle 
mettait  de  franchise,  quand  elle  s'en  croyait  libre,  à  leur  répondre,  sans  se 
soucier  si  elle  ne  provoquait  pas  la  perfidie  de  ses  accusateurs  ou  les  ressen- 
timents de  ses  ennemis.  A  propos  de  sa  tentative  d'évasion  de  Beaulieu  ,  elle 
avait  dit  qu'elle  ne  fut  jamais  en  aucun  lieu  prisonnière  sans  avoir  la 
volonté  de  s'échapper.  «  Et  il  me  semble,  ajoutait-elle,  qu'il  ne  plaisait  pas 
à  Dieu  que  je  m'échappasse  pour  cette  fois,  et  qu'il  fallait  que  je  visse  le  roi 
des  Anglais  ,  comme  les  voix  me  l'ont  dit.  » 

On  lui  demanda  si  elle  avait  congé  de  Dieu  ou  des  voix  de  partir  de 
prison  toutes  les  fois  qu'il  lui  plairait  :  —  «  Je  l'ai  demandé  plusieurs 
fois,  mais  je  ne  l'ai  pas  encore. 

—  Partiriez-vous  de  présent  si  vous  trouviez  l'occasion  de  partir  ?  —  Si  je 
vo\'ais  la  porte  ouverte,  je  m'en  irais,  et  ce  me  serait  le  congé  de  Notre- 
Seigneur.  Mais  sans  congé,  je  ne  m'en  irais,  à  moins  que  ce  ne  fût  pour 
faire  une  entreprise,  afin  de  savoir  si  notre  Sire  en  serait  content.  »  Et  elle 
alléguait  le  proverbe  :  «  Aide-toi,  Dieu  t'aidera,  «  ajoutant  qu'elle  le  disait 
afin  que,    si  elle  s'en  allait,  on  ne  dît  pas  qu'elle  s'en  fijt  allée  sans  congé. 

Sa  prison  ne  lui  était  donc  pas  si  odieuse,  qu'elle  n'aimât  mieux  y  demeu- 
rer que  de  manquer  à  la  volonté  de  Dieu  ou  de  paraître  fausser  sa  foi. 
C'est  pourquoi,  au  risque  de  se  la  rendre  plus  dure  encore,  elle  disait 
haut  par  quels  liens  elle  s'y  croyait  uniquement  retenue.  Sa  délivrance  lui 
était  chère  pourtant,  maiselle  ne  la  séparait  pasde  la  délibération  de  la  F'rance 
et  du  salut  de  son  âme  :  c'étaient  les  trois  choses  qu'elle*demandaitenmême 
temps  à  ses  saintes.  Elle  songeait  aussi  au  salut  de  ses  persécuteurs.  Elle 
avait  dit  à  l'évêque  de  Beauvais  qu'il  se  mettait  en  grand  danger  en  la  met- 
tant elle-même  en  cause.  On  voulut  qu'elle  s'expliquât  sur  ce  point  :  «  J'ai 
dit  à  Mgr  de  Beauveais,  reprit-elle  :  «  Vous  dites  que  vous  êtes  mon  juge  ;  je 
«  ne  sais  si  vous  l'êtes,  mais  avisez  bien  que  vous  ne  jugiez  mal,  car  vous 
«  vous  mettriez  en  grand  danger-,  et  je  vous  en  avertis  afin  que  ,  si  Notre- 
«  Seigneur  vous  en  châtie,  j'aie  fait  mon  devoir  de  vous  le  dire.  » 


ROUEN.  —  L'INSTRUCTION. 


281 


—  .Mais  quel  est  ce  péril  ?  »  dit  le  juge. 

Elle  n'hésita  point  à  s'ouvrir  devant  lui  davantage,  tant  elle  croyait  la 
force  des  hommes  impuissante  contre  la  volonté  de  Dieu.  Elle  déclara  que 
sainte  Catherine  lui  avait  dit  qu'elle  aurait  secours.  Comment?  «  Je  ne  sais, 
disait-elle,  si  ce  sera  à  être  délivrée  de  la  prison,  ou  si,  lorsque  je  serai  au 


Fig.  i32.  —  Sceau  de  Henri  IV  d'Angleterre,  tiré  d'un  acte  de  1430  conservé  aux  archives  de  France.  Sols 
un  dais  d'architecture,  le  roi  est  assis  sur  un  trône  dont  les  bras  sont  terminés  par  deux  fleurs  de  lis  natu- 
relles, supportant  deux  écus  couronnés  ;  à  gauche,  de  France;  à  droite,  d'Angleterre.  Il  tient  le  sceptre 
de  la  main  droite,  et  la  main  de  justice  de  la  main  gauche,  ses  pieds  portant  sur  deux  lions.  La  lé- 
gende latine  signifie  ;  «  Henri  par  la  grâce  de  Dieu  roi  de  France  et  d'.Angleterre.  'i 


jugement,  il  y  .surviendra  aucun  trouble  par  le  moyen  duquel  je  puisse  être 
délivrée.  » 

Le  greffier,  prenant  acte  de  ses  paroles,  écrit  en  marge  de  sa  minute  : 
«  Au  jugement  il  pourra  y  avoir  trouble  par  quoi  elle  soit  délivrée.  » 

«  Je  pense,  continua  Jeanne,  sans  y  prendre  garde  autrement,  que  ce 
sera  l'une  ou  l'autre  chose;  ce  que  mes  voix  me  disent  le  plus,  c'est  que  je 


282  JEANNE   D'ARC. 


serai  délivrée  par  grande  victoire,  et  elles  ajoutent  :  «  Prends  tout  en  gré, 
'<  ne  te  chaille  (soucie)  de  ton  martyre,  tu  t'en  viendras  enfin  au  royaume 
«  de  Paradis.  »  Pour  cela,  mes  voix  me  l'ont  dit  simplement  et  absolument, 
sans  faillir.  » 

Son  martyre!  le  paradis!  Ses  juges  n'étaient-ils  que  des  persécuteurs 
devant  lesquels  elle  confessait  la  foi?  Jeanne  l'entendait  plus  humblement 
d'elle-même  :  son  martyre,  c'était  la  peine  et  l'adversité  qu'elle  souffrait  en 
la  prison.  «  Et  je  ne  sais,  ajoutait-elle,  si  je  souffrirai  plus,  mais  je  m'en 
attends  à  Notre-Seigneur.  » 

Le  juge  lui  voulut  faire  un  piège  même  de  ses  paroles  :  il  lui  demanda  si, 
depuis  que  ses  voix  lui  ont  dit  qu'elle  ira  à  la  fin  au  royaume  du  paradis, 
elle  se  croyait  assurée  d'être  sauvée  et  de  ne  pas  être  damnée  en  enfer. 
Elle  répondit  :  «  Je  crois  fermement  ce  que  mes  voix  m'ont  dit,  c'est  à 
savoir  que  je  serai  sauvée,  aussi  fermement  que  si  j'y  fusse  déjà. 

—  Cette  réponse  est  de  grand  poids,  dit  le  juge.  — Mais  aussi  je  la  tiens 
pour  un  grand  trésor. 

—  Croyez-vous  donc,  après  cette  révélation,  que  vous  ne  puissiez  plus 
faire  péché  mortel?  —  Je  n'en  sais  rien,  mais  je  m'en  attends  du  tout  à 
Notre-Seigneur.  «  Elle  dit  pourtant  à  quelle  condition  elle  espérait  être 
sauvée  :  c'est  qu'elle  tînt  le  serment  qu'elle  avait  fait  de  bien  garder  sa  vir- 
ginité de  corps  et  d'âme. 

«  Pense/.-vous,  dit  le  juge  cherchant  toujours  à  ressaisir  le  préte.xte  qui 
lui  échappait,  pensez-vous  qu'il  soit  besoin  de  vous  confesser,  puisque  vous 
croyez  à  la  parole  de  vos  voix  que  vous  serez  sauvée?  —  On  ne  saurait  trop 
nettoyer  sa  conscience.  « 

Toutes  ces  questions,  toutes  ces  réponses  n'avaient  rien  fourni  de  sérieux 
contre  la  Pucelle.  Il  y  avait  des  matières  qu'elle  avait  réservées,  où  elle 
avait  déclaré  elle-même  qu'elle  ne  pourrait  pas  dire  la  vérité,  parce  que  cette 
vérité  était  le  secret  d'un  autre  :  le  signe  du  roi.  A  cet  égard,  pressée  de 
questions,  elle  avait  fini  par  calquer  ses  réponses  sur  les  demandes  qu'on  lui 
adressait,  prenant  au  sens  allégorique  l'idée  grossière  que  s'en  faisaient  les 
juges;  et  quand  on  aurait  pu  l'accuser  de  s'être  trop  complaisamment 
arrêtée  au  développement  de  son  allégorie,  en  se  jouant  de  la  curiosité 
qu'elle  ne  voulait  pas  satisfaire,  ce  n'était  pas  un  crime  capital.  Les  juges. 


ROUEN.   —  L'INSTRUCTION.  283 


d'ailleurs,  lorsqu'ils  s'attaquaient  à  ses  visions,  songeaient  moins  à  y  trouver 
des  fictions  (le  cas  était  véniel)  que  des  voix  réelles,  révélant  la  source  de 
leur  inspiration  par  leurs  impostures.  Mais  tous  leurs  efforts  pour  amener 
Jeanneà  se  faire  leur  complice  en  rejetant  sur  ses  voix  ses  échecs  ou  ses  fautes, 
n'avaient  point  abouti.  Ni  dans  l'affaire  de  Paris  ou  de  la  Charité,  ni  dans 
l'affaire  du  saut  de  Beaurevoir,  elle  n'avait  rien  dit  qui  n'allât  contre  leur 
but.  Ses  voix  ne  lui  avaient  rien  commandé  que  de  bon,  rien  révélé  que 
devrai;  sa  captivité  même,  elles  la  lui  avaient  prédite.  Sur  aucun  point  on 
n'avait  donc  pu  les  prendre  en  défaut;  sur  aucun  point  on  ne  l'avait  pu 
incriminer  elle-même.  Une  tentative  d'évasion,  un  chevalier  pillard  aban- 
donné à  la  vindicte  de  la  justice,  la  haquenée  de  l'évèque  de  Senlis,  un 
mauvais  cheval  acheté  fort  cher  et  renvoyé  dès  qu'on  le  réclama,  ce  n'était 
point  là  de  quoi  la  faire  réputer  hérétique  :  elle  ne  l'était  que  dans  son 
habit.  Toutefois,  si  le  crime  ici  était  patent,  il  était  de  telle  sorte  qu'on 
sentait  le  besoin,  pour  la  condamner,  d'en  avoir  un  autre  à  mettre  à  sa 
charge.  On  commençait  à  en  désespérer,  lorsqu'on  trouva  dans  la  défiance 
même  de  Jeanne  à  l'égard  de  ses  juges  un  piège  d'où  il  ne  semblait  pas 
qu'elle  put  sortir. 

C'est  le  commissaire  Jean  de  la  P'ontaine  qui  rit  entrer  le  procès  dans 
cette  voie.  Mais  à  la  perfidie  et  à  l'habileté  de  la  manœuvre  on  sent  qu'une 
autre  main  la  dirige;  et  il  parut  en  témoigner  lui-même  par  les  efforts  qu'il 
fit  un  peu  plus  tard  pour  tirer  Jeanne  du  péril  où  il  l'avait  amenée. 

Le  jeudi  i5,  dès  le  début  de  la  séance  (nouveau  signe  de  préméditation', 
la  question  s'engage,  mais  paisiblement,  sans  éclat  ni  rien  qui  pût  faire 
ombrage  à  l'accusée.  Le  commissaire  lui  dit  «  avec  des  exhortations  chari- 
tables, »  et  comme  pour  en  finir  amiablement,  que  s'il  se  trouve  qu'elle  ait 
fait  quelque  chose  contre  la  foi,  elle  doit  vouloir  s'en  rapporter  à  la  déter- 
mination de  notre  sainte  mère  l'Eglise.  Jeanne,  justement  défiante,  demanda 
que  ses  réponses  fussent  vues  et  examinées  par  les  clercs,  et  qu'on  lui  dît 
s'il  y  avait  en  elles  quelque  chose  contre  la  foi  chrétienne  :  «  Et  alors, 
dit-elle,  je  saurai  bien  dire  par  mon  conseil  ce  qui  en  sera;  »  ajoutant 
d'ailleurs  que,  s'il  y  avait  rien  contre  la  foi  chrétienne,  elle  ne  le  voudrait 
soutenir,  et  serait  bien  courroucée  (fâchée)  d'aller  à  l'encontre. 

A  ses  juges  elle  opposait   ses  saintes.  On  lui  expliqua  la  distinction  de 


284  JEANNE   D'ARC. 


rÉglise  triomphante  et  de  TÉglise  militante,  et  on  la  requit  de  se  soumettre 
présentement  à  la  détermination  de  l'Église  pour  «  tout  ce  qu'elle  avait 
fait  ou  dit,  bien  ou  mal.  »  Elle  dit  :  «  Je  ne  vous  répondrai  autre  chose  pour 
le  présent.  » 

On  n'insista  pas,  et  l'interrogatoire  passa  comme  deplain-piedaux  détails 
ordinaires;  mais  on  y  revint  un  peu  après,  et  on  lui  répéta  la  question  : 
«  Voulez- vous  vous  soumettre  et  rapportera  la  détermination  de  l'Église?  » 
Elle  répondit  dans  le  même  sens  :  u  Toutes  mes  œuvres  et  mes  faits  sont 
en  la  main  de  Dieu,  et  je  m'en  attends  à  lui,  et  je  vous  certifie  que  je 
ne  voudrais  rien  faire  ou  dire  contre  la  foi  chrétienne;  si  j'avais  rien  fait 
ou  dit  qui  fût,  au  jugement  des  clercs,  contre  la  foi  chrétienne,  je  ne  le 
voudrais  soutenir,  mais  le  bouterais  hors.  » 

Ces  protestations  générales  n'étaient  pas  ce  que  voulait  le  juge  :  il  lui 
fallait  une  déclaration  nette  et  précise,  et  il  lui  demanda  encore  si  elle  ne  s'en 
voudrait  point  soumettre  en  l'ordonnance  de  FÉglise.  Elle  dit  :  «  Je  ne  vous 
en  répondrai  maintenant  autre  chose;  mais  samedi,  envoj'ez-moi  le  clerc 
si  vous  ne  voulez  venir,  et  je  lui  répondrai  sur  ce  point  à  l'aide  de  Dieu, 
et  il  sera  mis  en  écrit.  » 

C'est  ce  qu'on  entendait  bien  faire.  Le  samedi  17  mars,  on  lui  posa 
donc  plus  catégoriquement  encore  la  question  :  «  Voulait-elle  s'en  remettre 
à  la  détermination  de  l'Église  de  tous  ses  dits  et  faits,  soit  de  bien,  soit  de 
mal?  »  Si  elle  disait  oui,  elle  abandonnait  sa  mission  elle-même  à  l'arbi- 
traire de  ses  juges;  si  elle  disait  non,  elle  se  rendait  suspecte  d'hérésie. 
Jeanne  ne  se  laissa  pas  prendre  au  piège;  elle  distingua  entre  les  matières 
de  foi  et  l'objet  de  sa  mission  :  «  Quant  à  l'Église,  dit-elle,  je  l'aime  et  la 
voudrais  soutenir  de  tout  mon  pouvoir  pour  notre  foi  chrétienne;  ce  n'est 
pas  moi  qu'on  doive  empêcher  d'aller  à  l'église  et  d'entendre  la  messe  (le 
mot  d'Église  rappelait  surtout  à  cette  simple  lille  le  lieu  où  elle  faisait  ses 
dévotions).  Quant  aux  bonnes  œuvres  que  j'ai  faites  et  à  ma  venue,  il  faut 
que  je  m'en  attende  au  Roi  du  ciel,  qui  m'a  envoyée  à  Charles,  fils  de 
Charles,  roi  de  France,  qui  sera  roi  de  France.  Et  vous  verrez,  s'écria-t-elle, 
que  les  Français  gagneront  bientôt  une  grande  besogne  que  Dieu  leur 
enverra,  tant  qu'il  branlera  presque  tout  le  royaume  de  France.  Je  le  dis, 
afin  que,  quand  ce  sera  advenu,  on  ait  mémoire  que  je  l'ai  dit.  » 


ROUEN.   —    L'INSTRUCTION.  285 

«  Quand  cela  sera-t-il?  dit  le  juge. — Je  m'en  attends  à  Notre-Seigneur.  » 

Le  juge  la  rappela  à  sa  question  :  Vous  en  rapportez-vous  à  la  déter- 
mination de  l'Église?  —  Je  m'en  rapporte  à  Notre-Seigneur  qui  m"a 
envoyée,  à  Notre-Dame  et  à  tous  les  benoîts  saints  et  saintes  du  paradis. 
Il  m'est  avis  que  c'est  tout  un  de  Notre-Seigneur  et  de  l'Église,  et  qu'on 
n'en  doit  point  faire  de  difficulté.  Pourquoi,  ajouta-t-elle,  interpellant  ses 
juges,  faites-vous  difficulté  que  ce  ne  soit  tout  un?  » 

On  lui  redit  la  distinction  de  l'Église  triomphante  et  de  l'Église  mili- 
tante :  «  Il  y  a  l'Église  triomphante,  où  est  Dieu,  les  saints,  les  anges  et 
lésâmes  sauvées;  l'Église  militante,  c'est  notre  saint-père  le  pape,  vicaire 
de  Dieu,  les  cardinau.x,  les  prélats  de  l'Église ,  le  clergé  et  tous  les  bons 
chrétiens  et  catholiques,  laquelle  Église  bien  assemblée  ne  peut  errer  et  est 
gouvernée  du  Saint-Esprit.  Ne  voulez-vous  pas  vous  en  rapporter  à  l'Église 
militante?  —  Je  suis  venue  au  roi  de  France  de  par  Dieu,  de  par  la  Vierge 
Marie  et  tous  les  benoîts  saints  et  saintes  du  paradis  et  l'Église  victorieuse 
de  là-haut,  et  de  leur  commandement;  et  à  cette  Église-là  je  soumets  tous 
mes  bons  faits  et  tout  ce  que  j'ai  fait  ou  à  faire.  Pour  l'Église  militante, 
je  n'en  répondrai  maintenant  autre  chose.  » 

C'était  assez  pour  les  juges  qu'elle  ne  répondit  pas.  Mais  il  était  un  autre 
point  sur  lequel  on  croyait  pouvoir  compter  qu'elle  ne  répondrait  pas  davan- 
tage. On  n'y  arriva  pas  sur-le-champ.  On  passa  aux  questions  ordinaires, 
l'habit  d'homme,  les  fées,  les  visions,  et  on  reprit  de  la  même  sorte  la 
séance  di  l'après-midi,  que  l'évèque  de  Beauvais  vint  présider  lui-même 
pour  clore  cette  enquête.  On  lui  demanda  s'il  lui  avait  été  révélé  qu'en 
perdant  sa  virginité  elle  perdait  son  bonheur,  si  ses  voix  lui  viendraient 
encore  après  qu'elle  serait  mariée.  On  lui  demanda  même  si  elle  pensait  que 
son  roi  fît  bien  de  tuer  ou  de  faire  tuer  le  duc  de  Bourgogne.  —  «  Ce  fut 
grand  dommage  pour  le  royaume  de  France,  dit-elle,  et,  quelque  chose 
qu'il  y  eût  entre  eux,  Dieu  m'a  envoyée  au  secours'  du  roi  de  France.  » 

Alors  on  lui  dit  :  «  \'ous  avez  dit  à  M'''  de  Beauvais  que  vous  répondriez 
à  lui  ou  à  ses  commissaires  comme  vous  feriez  devant  notre  saint-père  le 
pape,  et  toutefois  il  y  a  plusieurs  interrogatoires  à  quoi  vous  ne  voulez 
répondre.  Ne  répondriez-vous  pas  devant  le  pape  plus  pleinement  que  vous 
ne  faites  devant  M^'  de  Beauvais?  —  J'ai  répondu  tout  le  plus  vrai  que  j'ai 


JEANNE  D'ARC. 


su,  et,  s'il  me  venait  à  la  mémoire  quelque  chose  que  je  n'aie  dite,  je  la 
dirais  volontiers. 

—  Voussemble-t-il  que  vous  soyez  tenue  de  répondre  pleinement  au  pape, 
vicaire  de  Dieu,  sur  tout  ce  qu'on  vous  demanderait  touchant  la  foi  et  le  fait 
de  votre  conscience?  —  Menez-moi  devant  lui,  et  je  répondrai  tout  ce  que  je 
devrai  répondre.  » 

La  question  tournait  donc  contre  le  juge;  il  n'avait  introduit  le  nom  du 
pape  que  pour  le  faire  récuser,  et  il  n'avait  fait  que  donner  à  Jeanne  l'occa- 
sion de  le  reconnaître  et  d'en  appeler  à  lui. 

Il  était  grand  temps  d'en  fmir.  Après  quelques  questions  encore  sur  le 
menu  détail  des  superstitions  où  on  l'eût  voulu  engager,  sur  ses  anneaux, 
sur  ceux  qui  vont  en  l'erré  {qui  errant)  avec  les  fées,  et  sur  son  étendard, 
l'évèque  la  laissa  enfin,  assuré  d'avoir  dans  ses  procès-verbaux  la  matière 
de  son  accusation. 


I.ES  TliMOINS. 

C'est  uniquement  des  procès-verbaux  que  nous  avons  tiré  l'exposition 
de  ces  débats,  et  nous  avons  pris  leur  texte  comme  faisant  foi,  sous  cer- 
taines réserves  préalablement  indiquées.  Mais  il  y  a  tout  un  supplément 
à  cette  enquête,  supplément  fourni  par  les  greffiers,  les  assesseurs  et  autres 
témoins  qui,  après  avoir  figuré  au  jugement  de  condamnation,  ont  com- 
paru pour  la  réhabilitation  de  la  Pucelle  ;  et  il  serait  bien  étrange  d'écarter 
les  ténioignages  du  second  procès  comme  suspects  de  faveur,  pour  s'en  tenir 
uniquement  aux  actes  du  premier,  quand  celui-ci  porte  si  évidemment  la 
trace  de  la  prévention  et  de  la  haine.  C'est  d'ailleurs  par  le  texte  même  de  ce 
premier  procès  qu'on  peut  vérifier  ce  qui  est  dit  au  second  des  pièges  tendus 
à  Jeanne,  des  difficultés  proposées  à  son  ignorance,  de  la  continuité  acca- 
blante de  l'épreuve,  et  de  cette  tactique  habile  qui  entrecoupait  les  de- 
mandes et  changeait  de  matières,  pour  tacher  de  la  faire  varier  dans  ses 
déclarations.  Les  juges  entassaient  questions  sur  questions,  à  peine  com- 
mençait-elle à  répondre  à  l'un  qu'un  autre  l'interrompait^  et  plusieurs 
fois  elle  dut  leur  dire   .  «   Beaux   seigneurs,   faites  l'un   après   l'autre.    » 


ROUEN.   —   L'INSTRUCTION.  287 

Les  assesseurs  cu.x-mcmes  sortaient  harassés  de  ces  séances.  Jeanne 
avait  bien  le  droit  d'en  être  aussi  fatiguée;  elle  se  plaignait  qu'on  la  tour- 
mentât de  questions  inutiles.  Un  jour  même,  au  rapport  du  procès- verbal, 
elle  demanda  que  si  on  la  devait  mener  à  Paris,  on  lui  donnât  le  double 
de  ses  interrogatoires,  «  afin,  dit-elle,  que  je  le  baille  à  ceux  de  Paris  et  leur 
puisse  dire  :  Voici  comment  j'ai  été  interrogée  à  Rouen  et  mes  réponses, 
et  que  je  ne  sois  plus  travaillée  de  tant  de  demandes.  »  Elle  eut  voulu 
n'avoir  plus  à  répondre,  et  pourtant  c'était  là  son  triomphe!  Tous  les 
témoins  en  déposent,  et  la  pâle  copie  où  sa  parole  est  reproduite  suffit  en- 
core pour  confirmer  ce  qu'ils  en  déclarent. 

On  peut  donc  les  en  croire  quand  ils  disent  que  plus  d'une  fois  les  asses- 
seurs eux-mêmes,  que  les  gens  les  plus  habiles,  que  de  grands  clercs 
auraient  eu  grand'peine  à  satisfaire  aux  questions  dont  elle  se  tirait  ;  on 
peut  les  en  croire  quand  ils  vantent  sa  simplicité,  son  bon  sens,  sa  présence 
d'esprit,  sa  mémoire,  et  cette  prudence  dans  ses  réponses,  et  cette  hardiesse 
de  langage  qui  témoignaient  tout  à  la  fois  de  la  sûreté  de  son  jugement  et 
de  la  droiture  de  son  cœur.  Ils  n'approuvent  pas  tout  dans  ce  qu'elle  dit, 
et  c'est  une  marque  de  l'entière  liberté  de  leur  témoignage.  Jean  Lefebvre 
trouve  qu'elle  insistait  trop  sur  ses  révélations;  Isambard  de  la  Pierre  dit 
que,  quand  elle  parlait  des  affaires  publiques  et  de  la  guerre,  elle  semblait 
animée  du  Saint-Esprit;  mais  que,  quand  elle  parlait  de  sa  personne,  elle 
feignait  beaucoup  de  choses.  Malgré  la  terreur  qui  régnait  dans  l'assemblée, 
des  voix  s'élevèrent  pour  protester  contre  l'esprit  et  les  procédés  de  l'interro- 
gatoire. Un  jour,  dit-on,  Jean  de  Châtillon  osa  dire,  comme  autrefois  Jean 
Lefebvre  dans  la  question  de  la  grâce,  qu'elle  n'était  pas  tenue  de  répondre, 
et,  comme  il  se  faisait  un  grand  tumulte  parmi  les  assistants,  il  ajouta  :  «  Il 
faut  bien  que  je  décharge  ma  conscience.  »  Mais  l'évêque  lui  ordonna  de 
se  taire  et  de  laisser  parler  les  juges.  D'autres  fois,  quand  Jeanne  trompait 
l'interrogateur  par  la  précision  de  sa  réplique,  il  y  en  eut  qui  s'écrièrent  : 
«  \'ous  dites  bien,  Jeanne.  »  Des  gens  que  n'avaient  pu  convaincre  les  mer- 
veilles de  sa  mission  étaient  vaincus  par  cette  nouvelle  preuve  et  commen- 
çaient à  la  croire  inspirée.  Des  Anglais  même  furent  émus  en  l'entendant. 
Un  jour  un  docteur  (Jacques  de  Touraine),  qui  voulait  sans  doute  faire 
preuve  de  zèle  pour  eux,  au  risque  d'irriter  leur  ressentiment  contre  Jeanne, 


288  JEANNE   D'ARC. 


lui  demanda  si  elle  avait  jamais  été  en  un  lieu  où  des  Anglais  eussent  été 
tués  :  —  «  En  nom  Dieu,  sy  ai  (j'y  ai  été  :,  dit-elle  :  comme  vous  parlez  douce- 
ment! Pourquoi  ne  voulaient-ils  pas  se  retirer  de  France  et  retourner  dans 
leur  pays?  »  Un  des  seigneurs  anglais  qui  étaient  là  s'écria  :  «  C'est  vrai- 
ment une  bonne  femme;  si  elle  était  Anglaise!   » 

Ce  qui  rendait  plus  vive  encore  rimpression  des  débats,  c'est  que  Jeanne, 
aux  prises  avec  tant  de  docteurs,  était  seule  à  soutenir  leur  attaque.  Pas 
une  main  dont  elle  pût  s'appu3'er,  pas  un  seul  de  tous  ces  maîtres  en  droit 
civil  ou  en  droit  canon  qui  fut  près  d'elle  pour  mettre  en  garde  sa  simplicité 
contre  le  péril  ou  éclairer  son  ignorance.  Au  commencement  elle  avait, 
selon  Massieu,  demandé  qu'on  lui  donnât  un  conseil,  et  c'était  de  droit 
strict  pour  une  accusée  mineure  de  vingt  ans;  mais  on  lui  dit  qu'elle  n'en 
aurait  pas,  qu'elle  eut  à  répondre  comme  elle  voudrait.  Après  ce  refus  elle  ne 
pouvait  guère  espérer  que  personne  vînt  s'otTrir  à  elle.  Cependant  l'humanité 
ne  perd  jamais  entièrement  ses  droits,  et  quelquefois,  quand  les  questions 
étaient  trop  difficiles,  des  assesseurs,  par  un  mouvement  naturel,  prenaient 
la  parole  pour  la  guider;  mais  ils  en  étaient  durement  repris,  soit  par  l'évê- 
que,  soit  par  Jean  Beaupère,  chargé,  comme  on  l'a  vu,  d'interroger  pour 
lui  dans  plusieurs  des  séances  publiques.  On  les  notait  comme  favorables; 
or  il  en  pouvait  résulter  autre  chose  que  la  réprimande  de  l'évèque  :  car 
près  de  l'évèque  il  y  avait  au  procès  les  Anglais,  et  ils  faisaient  qu'on  ne 
l'oubliât  point.  Parmi  les  assistants  on  comptait  plusieurs  dominicains, 
entre  autres  Isambard  de  la  Pierre,  l'un  des  acolj'tes  du  vice-inquisiteur 
Jean  Lemaître,  et  qui  ne  paraît  pas  avoir  vu  de  meilleur  œil  que  lui  toute  la 
conduite  de  cette  affaire.  Quand  il  venait  avec  le  vice-inquisiteur  aux  inter- 
rogatoires de  la  prison,  il  se  plaçait  volontiers  à  la  table  auprès  de  la 
Pucalle,  et  ne  manquait  pas  l'occasion  de  l'avertir  en  la  poussant,  ou  par 
quelque  autre  signe.  On  le  remarqua,  et  un  jour,  comme  il  revenait  au 
château  l'après-midi,  pour  admonester  Jeanne  avec  Jean  de  la  Fontaine, 
commissaire  de  l'évèque,  il  rencontra  Warwick,  qui  l'accueillit,  l'insulte  et 
la  menace  à  la  bouche  :  «  Pourquoi,  lui  disait-il  dans  sa  fureur,  pourquoi 
souches-tu  ;  soutiens-tu  j  le  matin  cette  méchante,  en  lui  faisant  tant  de 
signes?  Par  la  mordieu,  vilain,  si  je  m'aperçois  plus  que  tu  mettes  peine  de 
la  délivrer  et  avertir  de  son   profit,  je  te  ferai  jeter  en  Seine.  » 


ROUEN.  —   L'INSTRUCTION.  289 

On  aurait  même  voulu  lui  ravir  dans  cet  isolement  la  consolation  et  la 
force  qu'elle  cherchait  dans  sa  foi.  Pendant  les  interrogatoires  publics, 
quand  Jeanne,  conduite  de  sa  prison  dans  la  grande  salle  des  séances, 
passait  devant  la  chapelle  du  château,  elle  demandait  à  l'huissier  Massieu 
si  le  corps  de  Jésus-Christ  était  là,  et  le  requérait  qu'il  lui  permît  de  s'ar- 
rêter à  la  porte  pour  y  faire  sa  prière.  Le  promoteur,  l'ayant  su,  gourmanda 
violemment  l'huissier  :  «  Truant,  lui  disait-il,  qui  te  fait  si  hardi  de  laisser 
approcher  cette...  excommuniée  de  l'Eglise,  sans  hcence?  Je  te  ferai  mettre 
en  telle  tour  que  tu  ne  verras  lune  ni  soleil  d'ici  à  un  mois,  si  tu  le  fais 
plus.  »  Et  comme  l'huissier  ne  tenait  pas  trop  rigoureusement  compte  de  la 
menace,  le  promoteur,  guettant  sa  victime  au  passage,  vint  plusieurs  fois 
s'interposer  entre  elle  et  la  porte  de  la  chapelle,  pour  empêcher  qu'elle  n'j^ 
priât. 

Jeanne  était  donc  seule  et  sans  conseil  de  la  part  des  hommes;  je  me 
trompe  :  elle  eut  des  conseillers,  mais  pour  la  trahir  et  pour  la  perdre.  Le 
bruit  public  en  signala  plusieurs  qui  se  chargèrent  de  cette  mission  infâme  : 
le  greffier  Boisguillaume  nomme  entre  autres  ce  même  promoteur,  qu'on 
trouve  au  premier  rang  dans  tous  les  actes  de  violence  ou  de  perfidie  à  l'égard 
de  Jeanne.  Mais  on  s'accorde  à  donner  le  principal  rôle  dans  cette  machina- 
tion à  un  chanoine  de  Rouen,  nommé  Nicolas  Loyseleur.  Avant  même  que 
le  procès  commençât,  Loyseleur  avait  été  mis  à  l'œuvre  auprès  de  Jeanne. 
Il  feignit  d'être  de  sa  province  et  de  son  parti,  homme  de  métier,  prisonnier 
comme  elle;  et,  trouvant  moyen  de  lui  plaire  par  les  nouvelles  qu'il  lui 
donnait  du  pays,  il  cherchait  à  tirer  d'elle  à  son  tour,  dans  les  entretiens 
qu'on  savait  leur  ménager  seul  à  seule,  des  confidences  qui  pussent  donner 
prise  à  l'accusation.  L'évêque  et  Warwick,  auteurs  de  la  ruse,  voulaient 
même  donner  à  ces  infamies  un  caractère  authentique  :  ils  s'étaient  placés 
dans  une  chambre  voisine  d'où  l'on  pouvait,  par  une  ouverture  faite  exprès, 
entendre  tout  ce  qui  se  dirait  dans  la  prison,  et  ils  y  avaient  amené  les  gref- 
fiers pour  recueillir  cette  conversation  prétendue  secrète.  Mais  les  greffiers 
refusèrent  leur  office,  disant  qu'il  n'était  pas  honnête  de  commencer  de  la  sorte 
le  procès.  Le  juge  n'y  perdit  rien.  Loyseleur,  abusant  de  la  confiance  de 
Jeanne,  se  chargeait  de  porter  lui-même  à  l'évêque  les  paroles  qu'il  avait 
recueillies-,  et  c'est  par  là,  selon  toute  apparence,  que  l'information  com- 

JEANNE   d'arc.    UI.   —   '^"J 


290 


JEANNE   D'ARC. 


mença.  Mais  il  n'eut  pas  seulement  mission  de  surprendre  ses  secrets;  il 
était  chargé  de  lui  donner  des  conseils,  d'égarer  sa  simplicité,  de  l'entraîner 
et  de  l'affermir  dans  la  voie  où  Ton  comptait  la  perdre.  Pour  donner  plus 
d'expansion  aux  confidences  de  Jeanne ,  plus  d'autorité  à  ses  propres  conseils , 
il  avait  repris  l'habit  de  prêtre,  et  venait  à  elle  en  qualité  non-seulement  de 
compatriote  et  de  compagnon  d'infortune,  mais  de  confesseur. 

Cette  perfidie  ne  fut  pas  sans  résultat.  Loj'scleur  ne  tira  de  Jeanne  aucune 
confidence  qui  la  pût  compromettre,  mais  il  lui  donna  des  conseils  qui  pré- 
parèrent l'œuvre  de  l'accusation.  Dans  cette  question  si  complexe  de  la 
soumission  à  l'Église,  il  ne  put  pas  faire  que  Jeanne  ne  démêlât  avec  son 
sens  ordinaire  la  vérité,  et  ne  distinguât  clairement  ce  qu'elle  devait  à 
l'Église  universelle  et  au  pape  comme  une  simple  tidèle,  et  ce  qu'elle  avait 
le  droit  de  refuser  à  l'évêque  de  Beauvais  comme  à  son  ennemi  ;  mais  il 
contribua  peut-être  à  donner  des  apparences  suspectes  à  ses  justes  défiances, 
à  lui  faire  ajouter  des  réserves  équivoques  à  ses  actes  de  soumission-,  il  fît 
que  la  chose  parut  sulHsamment  embrouillée  pour  que  le  juge,  même  après 
l'épreuve  si  triomphante  pour  Jeanne  de  ses  interrogatoires,  soit  publics, 
soit  privés,  put  encore  se  dire  avec  une  joie  homicide  ce  qu'il  disait  au  com- 
mencement à  son  greffier  .Manchon  :  «  Nous  allons  faire  un  beau  procès.  » 


Fig,  i33.  —  Poton  de  Xaintrailles,  médaillon  en  bronze  du  xvi*  siècle,  communiqué  par  M.  B.  Fillon 
il  la  Court  de  Saint-Cyr  en  Talmondais. 


VIII 


.  la  bibliothèque  niitionalo. 


ROUEN  —   LE  JUGEMENT 


L'Accusation.  —  Les  Douze  Articles.   —  Les  Consultations  et  l'Admonition  charitable. 
La  Deuxième  Admonition. 


L  ACCUSATION.  ' 

3^  u  cours  de  l'instruction,  un  clerc  de  Nor- 
mandie, de  grand  renom,  maître  Jean  Lohier, 
étant  venu  à  Rouen,  l'cvêque  de  Beauvais  dé- 
sira avoir  son  avis  sur  le  procès  commencé. 
On  lui  communiqua  les  pièces,  on  lui  donna 
deu.x  ou  trois  jours  pour  répondre  :  mais  la 
réponse  trompa  Tattente  du  juge.  Lohier  dé- 
clara que  le  procès  ne  valait  rien  ,  parce  qu'il 
n'était  point  en  forme  de  procès  ordinaire, 
qu'il  était  «  traité  en  lieu  clos  et  fermé,  où 
les  assistants  n'étoient  point  en  pleine  et  pure 
liberté  de  dire  leur  pleine  et  pure  volonté;  »  parce  que  l'on  y  touchait  à 
l'honneur  du  roi  de  France  sans  l'appeler  lui-même  ,  ni  personne  qui  le  re- 
présentât', enfin,  parce  que  les  articles  n'avaient  point  été  communiqués,  et 
qu'on  n'avait  donné  à  l'accusée,  une  simple  jeune  fille,  aucun  conseil  pour 
répondre  en  si  grande  matière  à  tant  de  maîtres  et  de  docteurs.  Pour  toutes 
ces  causes,  le  procès  lui  semblait  nul.  L'évèque  de  Beauvais  fut,  comme 
on  l'imagine,    furieu.\   du  résultat   de  sa  consultation.   Il  vint  trouver  les 


JEANNE  D'ARC. 


maîtres  et  docteurs  plus  dociles  :  Jean  Beaupère,  Jacques  de  Touraine, 
Nicole  Midi,  Pierre  Maurice,  Thomas  de  Courcelles,  Loyseleur,  et 
leur  dit  :  «  Voilà  Lohier  qui  nous  veut  bailler  belles  interlocutoires  en 
notre  procès!  Il  veut  tout  calomnier,  et  dit  qu'il  ne  vaut  rien.  Qui  le 
voudroit  croire,  il  faudroit  tout  recommencer,  et  tout  ce  que  nous 
avons  fait  ne  vaudroit  rien.  »  Et  passant  en  revue  ses  objections  : 
«  On  voit  bien  de  quel  pied  il  cloche,  ajouta-t-il.  Par  saint  Jean!  nous 
n'en  ferons  rien,  ains  ^mais)  continuerons  notre  procès  comme  il  est 
commencé.  «  Le  lendemain,  le  greffier  Manchon,  qui  rapporte  l'incident, 
ayant  rencontre  Lohier  dans  l'église  Notre-Dame,  lui  demanda  à  lui-même 
ce  qu'il  pensait  de  Taflaire.  «  Vous  vo\'ez,  dit  le  docteur  normand ,  la 
manière  comment  ils  procèdent.  Ils  la  prendront,  s'ils  peuvent,  par  ses 
paroles,  c'est  à  savoir  dans  les  assertions  où  elle  dit  :  Je  sais  de  certain 
ce  qui  touche  les  apparitions  \  mais  si  elle  disoit  :  //  me  semble,  pour  ces 
paroles  :  Je  sais  de  certain,  il  m'est  avis  qu'il  n'est  homme  qui  la  pût 
condamner.  Il  semble  qu'ils  procèdent  plus  par  haine  que  par  autrement; 
et  pour  cette  cause  je  ne  me  tiendrai  plus  ici,  car  je  n'y  veux  plus  être.  »  Il 
quitta  Rouen ,  et  il  fit  bien  :  on  le  voulait  jeter  à  la  rivière. 

L'évêque  poursuivit  donc  son  œuvre.  Dès  le  lendemain  du  jour  où  l'inter- 
rogatoire avait  fini,  le  dimanche  i8  mars,  il  réunit  dans  sa  maison  le  vice- 
inquisiteur  et  dix  ou  douze  des  assesseurs  que  l'on  a  vus,  et  soumit  à  leur 
examen  quelques  propositions  extraites  des  réponses  de  Jeanne.  Sur  leur 
avis,  il  fut  arrêté  que  les  extraits  de  ces  réponses  seraient  réduits  en  articles 
et  communiqués  aux  docteurs,  pour  servir  de  base  à  leurs  délibérations, 
ou,  le  cas  échéant,  à  des  informations  nouvelles  (22  mars). 

Avant  d'y  procéder,  on  voulut  avoir  l'aveu  de  Jeanne  au  procès-verbal 
de  ses  interrogatoires.  Jean  de  la  Fontaine,  commissaire  de  l'évêque,  le 
vice-inquisiteur  et  quelques  autres  vinrent  donc,  le  samedi  24,  lui  donner 
lecture  de  la  minute  française.  Comme  le  greffier  s'apprêtait  à  la  lire,  le 
promoteur  Jean  d'Estivet  s'engagea  à  en  prouver  la  vérité,  dans  le  cas  où 
Jeanne  songerait  à  en  récuser  quelque  chose.  Jeanne  promit  de  ne  rien 
ajouter  à  ses  réponses  qui  ne  fut  vrai.  Elle  interrompit  le  lecteur  à  propos 
de  son  nom,  pour  dire  qu'on  la  nommait  d'Arc,  ou  encore  Romée,  parce 
que  dans  son  pays  les  filles  portaient  le  nom  de  leur  mère.    Elle  l'invita 


ROUEN.   —   LE  JUGEMENT.  zgS 

à  poursuivre  la  lecture,  tenant  pour  vrai  ce  qu'elle  ne  contredirait  pas,  et 
n'ajouta  qu'une  chose  touchant  son  habit  :  <f  Donnez-moi  une  robe  de 
femme  pour  aller  à  la  maison  de  ma  mère  ,et  je  laprendrai  ;  »  déclarant  d'ail- 
leurs qu'elle  ne  la  prendrait  que  pour  sortir  de  prison,  et  que,  lorsqu'elle 
serait  hors  de  prison,  elle  demanderait  conseil  sur  ce  qu'elle  devrait  faire. 

Cet  habit,  le  seul  crime  qu'on  eût  trouvé  en  elle  ,  et  l'on  a  vu  par  quelle 
impudeur,  devait  fournir  à  l'hypocrisie  de  ses  juges  l'occasion  d'une  belle 
scène  le  lendemain. 

C'était  le  dimanche  des  Rameaux.  L'évêque,  accompagné  de  plusieurs  des 
docteurs  de  Paris,  Jean  Beaupère,  Nicole  Midi,  Pierre  Maurice  et  Thomas 
deCourcelles,  vint  trouver  Jeanne  dans  sa  prison.  Il  lui  rappela  que  sou- 
vent, et  notamment  la  veille,  elle  l'avait  prié ,  à  cause  de  la  solennité  du 
jour,  de  lui  permettre  d'entendre  la  messe,  et  lui  demanda  si  elle  voulait 
bien  pour  cela  quitter  son  habit  d'homme  et  reprendre  les  vêtements  de 
femme,  comme  elle  faisait  dans  son  pays,  et  comme  faisaient  les  femmes  de 
son  pays.  —  Était-elle  donc  dans  son  pays,  parmi  les  femmes  de  son  pays  ? 
Si  cela  eût  été  sérieux,  elle  y  avait  déjà  répondu,  et  l'on  savait  ses  condi- 
tions.—  Elle  répondit  cette  fois  en  demandant,  avec  lapermission  d'enten- 
dre la  messe  en  habit  d'homme,  celle  de  communier  à  Pâques. 

«  Répondez  à  ma  question,  dit  l'évèque  :Quitterez-vous  l'habit  d'homme, 
si  je  vous  l'accorde?  — Je  ne  suis  point  avisée,  je  ne  puis  prendre  l'autre 
habit. 

—  Vouiez- vous  avoir  le  conseil  de  vos  saintes?  —  On  pourrait  bien  me 
permettre  d'entendre  la  messe  dans  cet  état,  comme  je  le  désire  vivement; 
quant  à  l'habit,  je  ne  puis  le  changer,  cela  n'est  pas  en  mon  pouvoir.  »  Et 
comme  les  docteurs  insistaient:  «  Il  ne  dépend  pas  de  moi  de  le  faire, 
répliqua-t-elle  •,  si  cela  dépendait  de  moi,  ce  serait  bientôt  fait.   » 

On  l'invita  encore  à  consulter  ses  voix,  afin  de  savoir  si  elle  pouvait  re- 
prendre l'habit  de  femme  pour  communier  à  Pâques.  Mais  Jeanne  répondit 
que,  pour  ce  qui  était  d'elle,  elle  n'irait  pas  communier  en  changeant  son 
habit  contre  un  habit  de  femme  \  elleajouta,  pour  que  l'on  accédâtau  moins  à 
sa  demande  d'entendre  la  messe  en  habit  d'homme,  que  cela  ne  chargeait 
pas  son  âme,  et  que  porter  cet  habit  n'était  pas  contre  l'Eglise.  —  Le  pro- 
moteur se  fit  donner  acte  de  ces  déclarations. 


29V  JEANNE   D'ARC. 


Tout  ce  qui  s'était  fait  jusqu'à  présent,  les  enquêtes,  les  interrogatoires  , 
n'était  que  l'instruction  du  procès  :  le  procès  même  se  trouvait  en  état.  Le 
lundi  26  mars,  l'évêque,  réunissant  chez  luises  conseillers  ordinaires,  leur 
donnalecturedespropositionsqucle  promoteurdevait  soutenir.  On  approuva 
les  articles-,  on  les  reçut  comme  base  de  l'accusation;  on  chargea  le  pro- 
moteur de  les  défendre,  soit  par  lui-même,  soit  par  quelque  «  solennel  » 
avocat ,  et  il  fut  décidé  que  si  Jeanne  refusait  d'y  répondre,  elle  en  serait 
réputée  convaincue. 

On  remit  au  lendemain  pour  l'interroger  et  l'entendre  sur  ces  propo- 
sitions. 

Le  lendemain,  en  effet,  une  nombreuse  assemblée  de  docteurs  se  tint, 
sous  la  présidence  de  l'évêque,  dans  la  chambre  voisine  de  la  grande  salle 
du  château  de  Rouen.  Jeanne  comparut,  et  le  promoteur  présenta  sa  requête 
et  déposa  l'acte  d'accusation  des  70  articles.  Les  docteurs  délibérèrent.  Ils 
furent  généralement  d'avis  que  l'on  commençât  par  lire  les  articles  à  Jeanne; 
qu'elle  fût  contrainte  de  jurer  de  dire  la  vérité  en  ce  qui  touche  le  procès;  et 
qu'avant  de  la  déclarer  excommuniée  on  lui  donnât  quelque  délai. 

Alors  l'évêque,  s'adressant  à  Jeanne,  lui  représenta  que  les  juges  devant 
lesquels  elle  comparaissait  étaient  des  gens  d'Église,  qui  voulaient  pro- 
céder envers  elle  en  toute  piété  et  mansuétude  ,  ne  cherchant  point  à  la  châ- 
tier dans  son  corps,  mais  bien  plutôt  à  l'instruire  et  à  la  ramener  dans  la 
voie  de  la  vérité  et  du  salut.  Et,  conime  elle  n'était  pas  assez  instruite  pour 
se  consulter  sur  ce  qu'elle  devrait  faire  ou  répondre,  il  l'invitait  à  se  choisir, 
à  titre  de  conseil,  un  ou  plusieurs  des  assistants,  ou,  si  elle  ne  savait 
choisir,  à  en  recevoir  de  sa  main  (c'était  sans  grand  péril  donner  satis- 
faction à  l'un  des  griefs  de  Lohier);  après  quoi  il  requit  d'elle  le  serment 
de  dire  la  vérité  sur  toutes  les  choses  qui  toucheraient  son  fait. 

Jeanne  répondit  :  «  Premièrement,  de  ce  que  vous  m'admonestez  tou- 
chant mon  bien  et  notre  foi,  je  vous  remercie  et  toute  la  compagnie  aussi. 
Quant  au  conseil  que  vous  m'offrez,  aussi  je  vous  remercie  -,  mais  je  n'ai 
point  intention  de  me  départir  du  conseil  de  Notre-Seigneur.  Quant  au 
serment  que  vous  voulez  que  je  fasse,  je  suis  prête  de  jurer  dire  la  vérité 
de  tout  ce  qui  touchera  votre  procès.  »  Et  elle  prêta  serment  sur  les  Evan- 
giles. 


"^sii  SMjit  frafrea-    oftjinDtv    Anriinncnsts- 
in  T)tf4.  sva.  t*a  ;  -         ,  , 


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I  JIM^.ii.iu.i.im.i  nl'.m   ' 


Fig.  134.  —  Thomas  de  Courcelles  et  son  frère  Jean,  docteurs  en  the'ologie  de  l'université  de  Paris,  dans 
l'exercice  de  leurs  fonctions.  Ils  sont  entourés  de  leurs  élèves.  Près  de  chacun  d'eux  se  tient  un  tnassUr, 
espèce  d'huissier  ou  appariteur.  Pierre  tombale  du  xV  siècle,  autrefois  dans  la  chapelle  Saint-Martin  et 
Sainte-.\nne,  derrière  le  chœur  de  Notre-Dame  de  Paris;  détruite  pendant  la  révolution  de  1793.  D'après 
Mn  dessin  à  la  plume  communiqué  par  M.  A.  Lcnoir,  à  Paris.  —  Thomas  de  Courcelles,  l'un  des  prin- 
cipaux assesseurs  de  Cauchon  et  le  rédacteur  du  procès  sous  sa  forme  latine,  joua  durant  le  procès  un 
rôle  des  plus  actifs,  ce  qui  lyi  fît  une  situation  difficile  en  1456,  lors  de  la  réhabilitation  de  la  Pucelle, 


296  JEANNE   D'ARC. 


Thomas  de  Courcelles  commença  alors  la  lecture  des  articles  contenus 
dans  l'acte  d'accusation,  lecture  qui  tint  les  deux  séances  du  mardi  et 
du  mercredi. 

Jeanne  dut  subir  pendant  deux  iours  la  lecture  de  ce  réquisitoire.  Elle 
savait  qu'elle  avait  des  ennemis  dans  ses  juges,  et  la  suite  de  ses  interroga- 
toires lui  avait  suffisamment  révélé  leur  esprit.  Mais  ces  questions,  si  per- 
fides qu'elles  fussent,  avaient  au  moins  pour  prétexte  de  chercher  la  vérité  : 
elle  y  avait  répondu,  et  aucun  démenti  n'avait  été  donné  à  sa  parole.  Quel 
ne  dut  pas  être  son  étonnement,  quand  elle  vit  ce  qu'elle  devait  croire  acquis 
au  débat,  remplacé  par  un  tissu  d'imputations  calomnieuses  et  d'impos- 
tures, et  ses  réponses  transformées  en  nouveaux  griefs  par  l'habileté  de 
l'interprétation?  Elle  soutint  cette  nouvelle  épreuve  avec  son  calme  et  sa 
fermeté  accoutumés.  Le  plus  souvent  elle  se  tait,  elle  renvoie  à  ce  qu'elle  a 
dit,  déclarant  que,  pour  la  conclusion,  elle  s'en  attend  à  Notre-Seigneur-, 
et  les  extraits  de  ses  interrogatoires,  ajoutés  après  chacun  des  articles  dans 
le  procès-verbal,  en  sont  plus  d'une  fois  le  démenti  le  plus  complet.  Mais 
quelquefois  pourtant  elle  reprend  la  parole,  et  sa  réplique  sillonne  d'un 
trait  de  lumière  les  ténèbres  amassées  par  l'accusation. 

Ainsi,  dès  l'article  premier,  quand  le  promoteur  proclama  le  droit  de 
l'évèquc  et  de  l'inquisiteur  sur  les  hérétiques,  elle  proteste  contre  l'applica- 
tion que  le  préambule  en  faisait  assez  clairement  à  sa  personne,  et  elle  éta- 
blit nettement  comment  elle  accordait  ces  deux  faits  qu'on  prétendait 
opposer  l'un  à  l'autre  :  sa  foi  en  l'Eglise  et  sa  foi  en  ses  révélations.  «  Je 
crois  bien,  dit-elle,  que  notre  saint-père  le  pape  de  Rome  et  les  évcques  et 
autres  gens  d'Église  sont  pour  garder  la  foi  chrétienne  et  punir  ceux  qui 
défaillent  ;  mais  quanta  moi,  en  ce  qui  touche  mes  faits,  je  ne  me  soumet- 
trai qu'à  l'Église  du  ciel,  c'est  à  savoir  à  Dieu,  à  la  vierge  Marie  et  aux 
saints  et  saintes  du  paradis;  et  je  crois  fermement  que  je  n'ai  point  défailli 
en  notre  foi  chrétienne,  et. je  n'y  voudrais  défaillir.   »  (Art.  i".) 

Elle  repoussa  de  même  l'accusation  d'idolâtrie  rattachée  aux  hommages 
qu'on  lui  rendait  :  «  Si  aucuns,  dit-elle,  ont  baisé  mes  mains  et  mes  vête- 
ments, ce  n'est  point  par  moi  ni  de  ma  volonté,  mais  je  m'en  suis  gardée 
selon  mon  pouvoir.  «  (Art.  2.) 

On  avait  rapporté  ses  prétendues  erreurs  à  l'ignorance  et  aux  supers- 


ROUEN.   —  LE  JUGEMENT.  297 


titions  où  elle  avait  été  nourrie,  et  on  en  trouvait  une  nouvelle  preuve 
dans  cet  aveu,  qu'elle  ne  savait  pas  si  les  fées  étaient  de  mauvais  esprits  : 
—  <f  Les  fées ,  répondit-elle ,  je  ne  sais  ce  que  c'est ,  mais  j'ai  pris  ma  créance 
et  j'ai  été  enseignée  bien  et  dùnient  comme  un  bon  enfant  doit  faire.  »  Et 
comme  on  la  requérait  de  dire  son  Credo,  elle  répondit  :  «  Demandez  au 
confesseur  à  qui  je  l'ai  dit.  »  (Art.  4.  ) 

Elle  n'ajouta  rien  à  ses  premières  déclarations,  impudemment  travesties 
dans  l'exposé  que  l'accusateur  faisait  des  temps  de  son  enfance,  et  quand  il 
produisit  pour  la  première  fois  cette  scène  aussi  absurde  qu'indécente  et 
sacrilège,  où  il  la  montre  se  vantant  d'avoir  un  jour  trois  enfants,  dont  l'un 
serait  pape,  l'autre  empereur,  l'autre  roi,  elle  dit  avec  sa  simplicité  ordi- 
naire, qu'elle  ne  s'était  jamais  vantée  d'avoir  un  jour  ces  trois  enfants. 
(Art.  II.) 

L'habit  d'homme  avait  tenu  une  grande  place  dans  les  articles  comme  dans 
les  interrogatoires.  Le  porter,  disait-on,  était  une  violation  des  Écritures; 
en  attribuer  le  commandement  à  Dieu,  un  blasphème:  —  «  Je  n'ai,  dit 
Jeanne,  blasphémé  ni  Dieu  ni  ses  saints.  » 

Le  juge  voulant  lui  faire  répéter  en  public  ce  qu'elle  avait  dit  le  dimanche 
des  Rameaux  dans  la  prison,  lui  demanda  si  elle  consentirait  à  prendre 
l'habit  de  femme  pour  recevoir  son  Sauveur  à  Pâques  :  —  «  Je  ne  laisserai 
point  mon  habit  encore,  pour  quelque  chose  que  ce  soit,  ni  pour  recevoir, 
ni  pour  autre  chose.  Je  ne  fais  point  de  différence  d'habit  d'homme  ou  de 
femme  pour  recevoir  mon  Sauveur,  et  on  ne  doit  point  me  le  refuser  pour 
cet  habit.  »  (Art..  i3.) 

Circonstance  aggravante  :  elle  avait  sacrifié  à  cet  habit  l'obligation  même 
d'entendre  la  messe  :  —  «  J'aime  plus  cher  mourir,  dit  Jeanne  hardiment, 
que  révoquer  ce  que  j'ai  fait  du  commandement  de  Notre-Seigneur.  » 

Et  comme  l'accusateur  avait  la  maladresse  de  lui  reprocher  non-seule- 
ment de  se  vêtir  en  homme,  mais  d'agir  en  homme,  délaissant  les  œuvres 
de  femme  :  —  «  Quant  aux  œuvres  de  femme,  dit-elle,  il  y  a  assez  d'au- 
tres femmes  pour  les  faire.  »  (Art.   ib.) 

L'habit  d'homme  se  rattachait  à  sa  mission.  Elle  la  soutint,  même  dans 
ses  fers,  aussi  entière  qu'elle  l'avait  proclamée  au  début.  Elle  confessa 
qu'elle  était  venue  de  par  Dieu  annoncer  au   roi    que    Dieu   lui  rendrait 


JEANNE   D'ARC. 


son  royaume,  le  ferait  couronner  à  Reims,  et  mettrait  hors  ses  ennemis  : 
«  Et  de  ce,  dit-elle ,  je  fus  messagère  de  par  Dieu.  Je  dis  au  roi  qu'il  me  mit 
hardiment  en  œuvre  et  que  je  ferais  lever  le  siège  d'Orléans.  »  Et  pour  ne 
pas  laisser  croire  que  sa  mission  se  bornât  là  :  «■  Je  dis,  tout  le  royaume, 
ajouta-elle;  et  si  monseigneur  de  Bourgogne  et  les  autres  sujets  du  roA'aume, 
ne  viennent  en  obéissance,  le  roi  les  y  fera  venir  par  force.  »  (Art.  17.) 

Mais  cette  mission  ,  disait  l'accusateur,  c'était  la  guerre  et  l'elTusion  du 
sang  humain.  Jeanne  répondit  simplement  :  «  Je  requérais  d'abord  qu'on 
fit  la  paix,  déclarant  que,  dans  le  cas  où  on  ne  la  voudrait  pas  faire,  j'étais 
toute  prête  à  combattre.  »  (.4rt.  25.)  L'accusateur,  pour  amasser  sur  elle 
plus  de  haine,  mettait  ensemble  Anglais  et  Bourguignons.  Elle  distingua  : 
«  Quant  au  duc  de  Bourgogne,  dit-elle,  je  l'ai  requis  par  lettres  ou  par  ses 
ambassadeurs  qu'il  y  eut  paix  entre  lui  et  le  roi.  Quant  aux  Anglais,  la  paix 
qu'il  y  faut,  c'est  qu'ils  s'en  aillent  en  leur  pays,  en  Angleterre.  »  (Art.  iS.) 

Même  à  l'égard  des  Anglais,  elle  avait  pourtant  donné  un  signe  de  ses 
dispositions  pacifiques,  en  les  sommant  avant  de  les  attaquer;  mais  on  lui 
en  faisait  un  nouveau  crime  :  on  y  voyait  une  marque  d'orgueil.  Elle  ré- 
pondit touchant  ces  lettres  :  «  Je  ne  les  ai  point  faites  par  orgueil  ou  par 
présomption,  mais  par  le  commandement  de  Notre-Scigneur;  »  et  elle  en 
confessa  le  contenu,  sauf  les  trois  mots  qu'elle  avait  déjà  signalés.  Elle 
ajouta  que  si  les  Anglais  eussent  cru  ses  lettres,  ils  eussent  fait  que  sages: 
«  Et  avant  qu'il  soit  sept  ans,  dit-elle,  renouvelant  sa  prophétie,  ils  s'en 
apercevront  bien.  »  (Art.  21.) 

Les  réponses  de  Jeanne,  s'intercalant  à  chacun  des  articles ,  a\  aient  fait  que 
la  lecture  n'avait  pu  s'en  achever  dans  la  journée  du  mardi.  Le  mercredi, 
après  lui  avoir  fait  prêter  serment,  on  l'invita  à  donner  les  explications 
qu'elle  avait  promises  touchant  son  habit.  Elle  répondit  fermement  sur 
l'habit  et  les  armes  portés  par  elle,  qu'elle  les  avait  portés  par  le  congé  de 
Dieu;  et  comme  on  l'adjurait  encore  de  laisser  son  habit,  elle  ajouta  :  «  Je  ne 
le  laisserai  pas  sans  le  congé  de  Notre-Seigneur,  dût-on  me  trancher  la  tête.» 

Dans  la  lecture  du  reste  des  articles,  qui  ont  trait  surtout  à  ses  révéla- 
tions, elle  montra  la  même  présence  d'esprit,  la  même  constance.  On  les 
voulait  rapporter  au  diable;  elle  repoussa  l'imputation  :  —  «  Je  l'ai  fait, 
dit-elle,  par  révélation  de  sainte  Catherine  et  de  sainte  .Marguerite,  et  je  le 


ROUEN.  ^   LE  JUGEMENT.  299 


soutiendrai  jusqu'à  la  mort.  »  Et  revenant  sur  un  passage  du  procès-verbal 
où  on  lui  faisait  dire  :  «  Tout  ce  que  j'ai  fait,  c'est  par  le  conseil  de  Notre- 
Seigneur;  »  elle  dit  qu'on  doit  lire  :  »  Tout  ce  que  j'ai  fait  de  bien.  » 

A  son  signe,  le  siège  d'Orléans,  on  ne  manquait  pas  d'opposer  ses  échecs 
devant  la  Charité,  devant  Paris.  On  lui  demanda  si  elle  avait  fait  bien  ou 
mal  d'aller  devant  la  Charité  :  —  «  Si  j'ai  fait  mal,  dit-elle,  on  s'en  confes- 
sera. »  Quant  à  Paris,  elle  répéta  que  les  gentilshommes  de  France  voulu- 
rent l'attaquer.  Mais  elle  n'a  garde  de  leur  en  faire  un  blâme  :  «  De  ce  faire  , 
dit-elle,  il  me  semble  qu'ils  firent  leur  devoir  en  allant  contre  leurs  aciver- 
saires.  »  (Art.  32.  ) 

La  faute  n'était  pas  d'avoir  été  à  l'assaut,  mais  de  n'y  avoir  point  per- 
sévéré. 

On  objectait  à  ses  révélations  sa  simplicité,  son  ignorance  :  —  «  Il  est  à 
Notre-Seigneur,  dit-elle,  de  révéler  à  qui  il  lui  plaît.  »  (Art.  33.)  On  objec- 
tait ses  désobéissances  mêmes  :  à  Beaurevoir,  à  Saint-Denis  ;  —  «  Je  m'en 
tiens  à  ce  qu'autrefois  j'en  ai  répondu  ,  »  déclarant  toutefois  qu'à  son  départ 
de  Saint-Denis,  elle  eut  congé  de  s'en  aller. 

«  Mais,  dit  le  juge,  faire  contre  le  commandement  de  vos  voix,  n'est-ce 
pas  pécher  mortellement?  —  J'en  ai  autrefois  répondu,  et  m'en  attends  à 
ladite  réponse.  »  (Art.  07.  ) 

On  objectait  encore  le  mystère  qu'elle  avait  fait  de  ses  révélations  :  com- 
ment y  croire,  et  quelles  raisons  elle-même  avait-elle  eues  d'y  croire?  — • 
«  Si  ceux,  dit-elle,  qui  demandent  des  signes  n'en  sont  dignes,  je  n'en  peux 
mais-,  et  plusieurs  fois  j'ai  été  en  prière,  afin  qu'il  pliât  à  Dieu  qu'il  le 
révélât  à  aucun  de  ce  parti.  »  Elle  ajouta  que  pour  y  croire  elle  ne  deman- 
dait conseil  à  évêque  ni  à  personne,  et  qu'elle  cro^^ait  que  c'était  saint 
Michel,  pour  la  bonne  doctrine  qu'il  lui  montrait. 

«  "Vous  a-t-il  dit  :  Je  suis  saint  Michel  ?  —  J'en  ai  autrefois  répondu.  » 
Mais  pour  ne  laisser  aucun  doute  sur  la  constance  de  sa  foi,  elle  ajouta  : 
«  Je  crois  aussi  fermement  que  je  crois  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a 
souffert  mort  pour  nous  racheter  des  peines  de  l'enfer,  que  ce  sont  saints 
Michel  et  Gabriel,  saintes  Catherine  et  Marguerite  que  Notre-Seigneur 
m'envoie  pour  me  conforter  et  conseiller.  )>  (Art.  48.) 

L'accusateur  y  croyait  beaucoup  moins  ;  et  il  faisait  de  ces  communica- 


3oo  JEANNE  D'ARC. 


lions  un  de  ses  principaux  griefs  contre  Jeanne:  invoquer  ces  voix,  c'était 
invoquer  le  démon  :  —  «  J'ai  répondu,  dit  Jeanne;  et  je  les  appellerai  en 
mon  aide  tant  que  je  vivrai. 

—  De  quelle  manière  les  requérez- vous?  —  Je  réclame  Notre-Seigneur  et 
Notre-Dame,  qu'ils  m'envoient  conseil  et  confort. 

«  En  quels  termes  les  requérez-vous?  —  «  Très-doux  Dieu,  en  l'honneur 
«  de  votre  sainte  Passion,  je  vous  requiers,  si  vous  m'aimez,  que  vous 
«  me  révéliez  ce  que  je  dois  répondre  à  ces  gens  d'Eglise.  Je  sais  bien, 
«  quant  à  l'habit,  le  commandement  comme  je  l'ai  pris-,  mais  je  ne  sais 
«  point  par  quelle  manière  je  le  dois  laisser.  Pour  ce,  plaise  vous  à  moi 
«  l'enseigner.  »  Et  tantôt  ils  viennent.  » 

Elle  fut  beaucoup  plus  brève  dans  sa  réponse  sur  le  signe  du  roi.  Elle 
se  borna  à  relever  ce  qu'on  lui  faisait  dire  des  mille  millions  d'anges  :  elle 
n'en  avait  point  souvenir,  du  moins  quant  au  nombre  \  et  quant  à  la  cou- 
ronne, où  elle  fut  faite  et  forgée,  elle  s'en  rapporte  à  Notre-Seigneur. 
vArt.  5i.)  Mais  en  tout  ce  qui  touchait  sa  mission  même,  elle  savait  rega- 
gner tous  ses  avantages.  On  l'accusait  d'avoir  osé,  contre  les  préceptes  de 
Dieu  et  des  saints,  prendre  empire  sur  les  hommes  et  se  faire  chef  de 
guerre  :  ■ —  <«  Si  j'étais  chef  de  guerre,  dit-elle  hardiment,  c'était  pour 
battre  les  Anglais.  »  (Art.  5'3.) 

On  l'accusait  d'avoir  vécu  parmi  les  hommes  :  —  «  Mon  gouvernement, 
était  d'hommes  -,  mais,  quant  au  logis  et  au  gîte,  le  plus  souvent  j'avais  une 
femme  avec  moi.  Et,  quand  j'étais  en  guerre,  je  couchais  vêtue  et  armée  là 
où  je  ne  pouvais  trouver  de  femme.  «  (Art.  54.  ' 

On  lui  reprochait  les  bienfaits  du  roi  et  ce  qu'il  avait  donné  à  ses  frères, 
comme  si  c'était  pour  des  biens  temporels  qu'elle  eijt,  à  la  manière  des  faux 
prophètes,  vendu  ses  prédictions:  —  «  J'ai  répondu,  dit-elle.  Quant  aux 
dons  faits  à  mes  frères,  ce  que  le  roi  leur  a  donné,  c'est  de  sa  grâce,  sans 
ma  requête.  Quant  à  la  charge  que  me  donne  le  promoteur  et  à  la  conclu- 
sion de  l'article,  je  m'en  rapporte  à  notre  Sire.  «  (Art.  55. 

On  faisait  de  ses  voix  des  démons  familiers,  sous  le  nom  de  «  conseillers 
de  la  fontaine,  »  et  l'on  ajoutait  que,  selon  la  déclaration  de  Catherine  de 
la  Rochelle,  elle  sortirait  de  prison  par  le  secours  du  diable,  si  elle  n'était 
bien  gardée  :  —  «  Les  conseillers  de  la  fontaine,  dit-elle,  je  ne  sais  ce  que 


ROUEN.  —  LE  JUGEMENT.  3oi 


c'est;  mais  je  crois  bien  qu'une  fois  j'y  entendis  sainte  (Catherine  et  sainte 
Marguerite.  Quant  à  la  conclusion  de  l'article,  je  la  nie,  et  j'affirme  par 
mon  serment  que  je  ne  voudrais  point  que  le  diable  m'eiùt  tirée  hors  de  la 
prison.  «  (Art.  56.) 

On  lui  reprochait  de  s'adresser  souvent  à  Dieu  pour  en  obtenir  une  révé- 
lation sur  sa  manière  d'agir,  ce  qui  était  tenter  Dieu  :  —  «  Je  ne  requiers 
point  Dieu  sans  nécessité,  et  je  voudrais  qu'il  m'envoyât  encore  des  révéla- 
lions,  afin  qu'on  aperçût  mieux  que  je  viens  de  par  Dieu,  que  c'est  lui  qui 
m'a  envoyée.  »  (Art.  65.) 

A  toutes  les  accusations  d'hérésie,  de  sortilège,  etc.,  ramassées  par  forme 
de  récapitulation  vers  la  fin  du  réquisitoire,  elle  se  contenta  de  répondre  : 
«  Je  suis  bonne  chrétienne;  je  m'en  rapporte  à  Notre-Seigneur.  »  (Art.  66.) 
Et  comme  le  juge,  la  reprenant  par  ce  côté,  lui  demandait  si,  dans  le  cas 
où  elle  eût  fait  quelque  chose  contre  la  foi  chrétienne,  elle  s'en  voudrait 
soumettre  à  l'Église  et  à  ceu.x  à  qui  en  appartient  la  correction,  elle  dit  : 
«   Samedi  après  dîner,  je  répondrai.  »  (Art.  Gtj.) 

Le  samedi  donc,  veille  de  Pâques,  l'évèque,  prenant  avec  lui  un  certain 
nombre  d'assesseurs,  se  rendit  dans  la  prison  de  Jeanne  pour  recevoir  ses 
déclarations  sur  les  articles  où  elle  avait  requis  délai.  On  l'interrogea  d'abord 
sur  ce  qui,  par  des  malentendus  habilement  ménagés,  était  devenu  le  point 
capital  du  procès,  sa  soumission  à  l'Église.  On  lui  demanda  si  elle  se  voulait 
rapporter  au  jugement  de  l'Église,  qui  est  sur  la  terre,  de  tout  ce  qu'elle 
avait  dit  ou  fait,  bien  ou  mal,  et  spécialement  des  crimes  ou  délits  qu'on 
lui  imputait,  et  de  tout  ce  qui  touchait  son  procès.  Elle  répondit  :  «  Je  m'en 
rapporterai  de  ce  qu'on  me  demande  à  l'Église  militante,  pourvu  qu'elle  ne 
me  commande  chose  impossible  à  faire. 

—  Qu'appelez-vous  impossible?  — C'est  que  les  choses  que  j'ai  dites  ou 
faites,  comme  je  l'ai  déclaré  au  procès,  touchant  les  visions  et  les  révéla- 
tions que  j'ai  eues  de  par  Dieu,  je  ne  les  révoquerai  pour  quelque  chose  que 
ce  soit;  et  ce  que  notre  Sire  m'a  fait  faire  et  commandé,  et  commandera, 
je  ne  le  laisserai  à  faire  pour  homme  qui  vive  :  il  me  serait  impossible  de 
le  révoquer.  >>  Elle  ajoutait  que,  dans  le  cas  où  l'Église  lui  voudrait  faire 
faire  autre  chose,  au  contraire  du  commandement  de  Dieu,  elle  ne  le  ferait 
pour  rien  au  monde. 


JEANNE   D'ARC. 


«  Si  l'Église  militante,  dit  le  juge  dévoilant  toute  sa  pensée,  vous  dit 
que  vos  révélations  sont  illusion,  ou  chose  diabolique,  ou  superstition,  ou 
mauvaise  chose,  vous  en  rapporterez- vous  à  l'Eglise?  —  Je  m'en  rappor- 
terai à  Notre-Seigneur,  duquel  je  ferai  toujours  le  commandement.  Je  sais 
bien  que  ce  qui  est  contenu  en  mon  procès  est  venu  par  le  commandement 
de  Dieu,  et  ce  que  j'ai  affirmé  audit  procès  avoir  fait  du  commandement 
de  Dieu ,  il  me  serait  impossible  de  faire  le  contraire. 

—  Et  si  l'Église  militante  vous  commandait  de  faire  le  contraire?  —  Je 
ne  m'en  rapporterais  à  homme  du  monde,  fors  (excepté)  à  Notre-Seigneur, 
que  je  ne  fisse  toujours  son  bon  commandement. 

—  Ne  croyez-vous  point  que  vous  soyez  sujette  à  l'Église  qui  est  en  terre, 
c'est  à  savoir  à  notre  saint-père  le  pape,  aux  cardinaux,  archevêques, 
évèques  et  autres  prélats  de  l'Église?  —  Oui,  notre  Sire  premier  servi  (Notre- 
Seigneur  servi  d'abord  \ 

—  Avez-vous  commandement  de  vos  voix  de  ne  vous  point  soumettre  à 
l'Église  militante  qui  est  en  terre  et  à  son  jugement?  —  Je  ne  réponds  chose 
que  je  prenne  en  ma  tète;  ce  que  je  réponds,  c'est  du  commandement  de 
mes  voix;  et  elles  ne  me  commandent  point  de  ne  pas  obéir  à  l'Église,  notre 
Sire  premier  servi.  » 

Avant  de  la  quitter,  les  juges  lui  demandèrent  si  à  Beaurevoir,  à  Arras 
ou  ailleurs,  elle  n'avait  point  eu  des  limes  :  on  craignait  qu'elle  ne  limât  ses 
fers  :  —  «  Si  on  en  a  trouvé  sur  moi,  dit-elle,  je  ne  vous  en  ai  autre  chose 
à  répondre.  » 


LES    DOUZE    ARTICLES. 

Le  lundi  de  Pâques  et  les  deux  jours  suivants,  on  s'occupa  de  reviser 
les  soixante-dix  articles  et  les  réponses  de  Jeanne,  pour  les  réduire,  selon 
l'avis  des  docteurs  de  Paris,  à  douze  articles  nouveaux  où  fût  comprise 
toute  la  substance  de  Taccusation.  Les  soixante- dix  articles  contenaient 
bien  des  inutilités  ou  des  redites;  les  douze  nouveaux  devaient  être  de 
nature  à  entraîner  sans  partage  la  décision  des  docteurs  auxquels  on  les 
voulait  soumettre.  Ces  douze  articles  vont  être  la  base  et  le  pivot  de  tout  le 


ROUEN.   —    LE  JUGEMENT.  3o3 


procès.  Dans  les  interrogatoires,  si  la  pensée  du  juge  se  trahit  par  la  forme 
des  questions,  la  vérité  se  fait  jour  par  les  réponses  de  Jeanne;  et  elle 
confond,  par  l'éclat  qu'elle  répand,  la  malignité  de  son  adversaire.  Dans 
les  soi.\ante-di.\  articles,  la  haine  et  le  venin  de  l'accusateur  peuvent  se 
donner  libre  carrière.  On  y  trouve,  comme  un  résumé  des  aveu.\  de  Jeanne, 
des  paroles  détournées  de  leur  sens,  des  faits  défigurés  et  transformés  du 
blanc  au  noir,  et  même  des  assertions  calomnieuses  qui  se  produisent  pour 
la  première  fois;  mais  Jeanne  est  là  :  elle  renvoie  à  ses  déclarations,  elle 
redresse  ou  elle  nie.  Si  résolu  qu'on  soit  de  ne  lui  point  faire  raison,  il  faut 
qu'on  l'entende,  et  sa  simple  et  brève  parole  tient  en  échec  toute  la  furie  de 
l'accusation.  Dans  les  douze  articles,  œuvre  sans  nom  d'auteur,  la  dernière 
trace  de  la  parole  de  Jeanne  est  effacée.  On  n'y  trouve  plus,  il  est  vrai,  la 
violence  du  réquisitoire  :  elle  s'est  renfermée  tout  entière  dans  la  lettre 
d'envoi  qui  les  accompagne.  Ce  sont  des  faits,  mais  des  faits  choisis,  dis- 
posés et  rapprochés  de  telle  sorte  que  la  pensée  du  juge  s'y  produit  tout 
entière,  et  qu'à  chacun  des  articles  on  est  amené  à  joindre,  de  soi-même, 
les  conclusions  que  l'accusateur  en  a  fort  habilement  retranchées. 

Cet  acte,  qui  prétend  résumer  tout  le  débat,  et  que  l'on  pose  comme 
fondement  au  procès,  ne  fut  point  communiqué  à  l'accusée.  On  n'a  donc 
pu  le  rectifier  sur  ses  réclamations;  on  n'a  pu  }'  consigner  ses  répliques. 
C'est  une  œuvre  clandestine  qui  va  directement  du  juge  aux  docteurs  dont 
il  veut  solliciter  les  lumières  :  mais  qu'en  doit-on  attendre,  si  la  réponse  est 
dictée  par  la  forme  même  de  la  question?  Les  demandeurs  au  jugement  de 
réhabilitation  insistent  avec  beaucoup  de  force  sur  l'illégalité  de  ce  procédé; 
et,  fût-il  légal  en  soi,  ils  ont  signalé  un  fait  qui,  à  lui  seul,  suffirait  pour 
l'entacher  de  fraude  :  c'est  que  non-seulement  Jeanne  n'a  pas  été  mise  en 
demeure  de  contester  les  douze  articles,  mais,  de  plus,  que  des  corrections 
arrêtées  par  les  assesseurs  eux-mêmes  n'y  ont  pas  été  faites,  et  que  la  pièce , 
déclarée  inexacte,  a  été  envoyée  par  le  juge  aux  docteurs  telle  qu'il  l'avait 
d'abord  rédigée. 

Une  note  du  greffier  lui-même  a  permis  de  constater  la  fraude. 

Mais  toutes  les  corrections  eussent-elles  été  introduites,  les  douze  articles 
n'en  resteraient  pas  moins  ce  qu'ils  sont,  une  œuvre  délo3'ale  et  perfide, 
établissant  en  fait  des  choses  qui  ont  toujours  été  niées,  ou  présentant  les 


3o4  JEANNE   D'ARC 


déclarations  de  Jeanne  de  telle  sorte  qu'elles  perdent  leur  sens  naturel , 
pour  prendre  celui  que  leur  veut  donner  l'accusation.  On  y  dit  que  sainte 
Catherine  et  sainte  Marguerite  se  sont,  d'après  ses  aveux,  montrées  à  elles 
corporellement  près  de  Wirbre  i.ies  Fées  (ce  rapprochement  n"est.pas  sans 
intention);  qu'elles  lui  ont  commandé  de  partir  à  Tinsu  de  ses  parents  (elle 
a  dit  le  contraire}  (I).  On  y  raconte  le  signe  donné  au  roi,  sans  aucun  des 
traits  qui  peuvent  en  révéler  l'allégorie  ou  en  lever  les  contradictions  appa- 
rentes ^11}.  On  tourne  contre  la  solidité  de  sa  foi  ce  qu'elle  disait,  pour 
marquer,  par  le  terme  le  plus  fort,  la  fermeté  de  sa  croyance  à  ce  qui, 
pour  elle,  était  l'évidence  même  :  à  savoir,  qu'elle  croit  à  ses  apparitions 
comme  elle  croit  à  la  Rédemption  (III};  ses  révélations  deviennent  des 
divinations  suspectes  (IV';  son  habit,  une  violation  impudique  des  pré- 
ceptes de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  et  un  sacrilège  :  il  semble 
qu'elle  ne  l'ait  pris  que  par  dérèglement  ou  par  une  dérision  impie  pour  aller 
communier  ^^").  Le  signe  de  la  croix  dont  elle  marque  ses  lettres  e?  ^  une 
profanation  (AT);  sa  mission,  une  révolte  contre  l'autorité  paternelle  v^'II'  ; 
sa  tentative  d'évasion,  une  tentative  de  suicide  (VIII};  son  innocence,  de 
l'orgueil  TX);  son  inspiration,  de  la  témérité  (X';  sa  vénération  pour  ses 
voix,  de  l'idolâtrie  (XP;  son  refus  de  les  mettre  en  question,  un  refus 
d'obéir  à  l'Église  (XIT. 

Ce  grief,  postérieur  au  procès,  en  est  devenu,  il  le  faut  dire.  Tunique  fon- 
dement. Car,  sérieusement,  que  pouvait-on  reprocher  à  Jeanne?  Ses  visions? 
Aucun  des  juges  ne  les  pouvait  déclarer  impossibles.  Ezéchiel  avait  eu  des 
visions,  et  les  histoires  des  saints  en  sont  remplies.  On  avait  le  droit  de  les 
nier,  sans  doute  ;  mais  il  fallait  tout  l'aveuglement  de  la  passion  pour  atlir- 
mer,  en  les  tenant  pour  réelles,  qu'elles  lui  venaient  du  démon.  Quant  à 
l'habit  d'homme,  elle  avait  à  diverses  reprises  assez  clairement  répondu; 
et  chacun  eût  pu  faire  la  réponse  pour  elle.  La  règle  commune  ne  fait  pas 
loi  pour  tous  les  cas.  Si  d'ailleurs  pour  absoudre  Jeanne  il  fallait  une  décision 
canonique,  elle  l'avait  eue.  La  question  avait  été  examinée  et  résolue  par 
les  docteurs  de  Charles  Vil.  Or,  Jeanne  avait  le  droit  de  ne  pas  croire  que 
ce  que  l'Eglise  avait  trouvé  bon  à  Poitiers,  fijt  mauvais  à  Rouen,  ni 
qu'il  y  eût  plus  d'autorité  dans  l'éveque  de  Beauvais  que  dans  l'archevêque 
de  Reims,  son  métropolitain.   Restait  donc  la  question  de  l'Eglise,  ques- 


ROUEN.    —   LE  JUGEMENT.  3o5 


tion  née  du  débat  et  où  il  avait  paru   si   facile  de  mettre  son  ignorance 
en  défaut.  La  première  fois  qu'on  lui  en  parla,  on  Ta  vu,  elle  profita  de 
Foccasion  pour  demander  pourquoi  on  ne  l'y  laissait  point  aller  enten- 
dre   la  messe-,    et,    quand   on    lui   eut    expliqué   la   distinction    des  deux 
Églises,  elle  répondit  selon  iMassieu  :  «  Vous  parlez  d'Église  militante  et 
d'Église  triomphante.  Je  n'entends  rien  à  ces  termes;  mais  je  me  veux  sou- 
mettre à  l'Église  comme  le  doit  une  bonne  chrétienne  :  «  et  elle  l'avait  bien 
montré  à  Poitiers.  Là  aussi  elle  avait  atlirmé  ses  visions,  et  elle  n'avait  pas 
refusé  de  les  soumettre  à  l'examen  des  prélats  et  des  docteurs.  Pendant  trois 
semaines  ils  l'avaient  éprouvée  avec  toutes  sortes  de  précautions  et  de  scru- 
pules, comme  le  constate,  sinon  ces  registres  si  malheureusement  perdus, 
auxquels  Jeanne  renvoie  plusieurs  fois,  au  moins  le  résultat  qu'on  en  publia. 
Ils  l'avaient  éprouvée,  et  ils  l'avaient  approuvée.  C'était  une  sanction  ecclé- 
siastique comme  une  autre:,  et  ici  encore  elle  avait  bien  le  droit  de  ne  pas 
vouloir  soumettre  la  décision  du  métropolitain  au  sulVragant,  le  jugement 
d'hommes  défiants,  mais  équitables  et  sincères,  au  jugement  de  ses  ennemis. 
C'est  à  cela  que  se  borne  au  fond  le  refus  que  le  procès-verbal  de  Rouen 
constate.  Mais  ce  procès-verbal  le  constate  aussi  :  tout  en  maintenant  la 
vérité  de  ses  révélations,  Jeanne  acceptait  toujours  le  jugement  de  l'Église 
là  où  elle  la  trouvait  libre  et  impartiale,  c'est-à-dire,  dans  son  chef;  et  les 
témoignages  consignés  au  procès  de  réhabilitation  reproduisent  sa  réponse 
dans  une  forme  qui  fait  voir  clairement  le  fond  de  sa  pensée,  quand  elle 
répondait  à  des  instances  sans  bonne  foi.  Comme  on  la  sollicitait  de  se  sou- 
mettre à  l'Éghse  :  —  «  Qu'est-ce  que  l'Église?  »  dit-elle.  On  lui  dit  que  c'était 
le  pape,  les  prélats  et  tous  ceux  qui  président  en  l'Église  militante.  Elle 
répondit  qu'elle  se  soumettait  volontiers  au  pape,  requérant  d'être  menée  à 
lui,  mais  qu'elle  ne  se  soumettait  point  au  jugement  de  ses  ennemis  et  en 
particulier  de  l'évèque  de  Beauvais,  «  parce  que,  lui  dit-elle,  vous  êtes  mon 
ennemi  capital.  «  Isambard  de  la  Pierre  lui  conseilla  de  se  soumettre  au 
concile  général  de  Bàle,  qui  venait  de  se  réunir  (le  6  mars  i43i)  :  elle  de- 
manda ce  que  c'était  que  concile  général  ;  et  comme  il  lui  expliquait  que 
c'était  une  assemblée  de  l'Église  universelle  et  de  la  chrétienté,  et  qu'en  ce 
concile  il  y  en  avait  autant  de  son  parti  que  du  parti  des  Anglais  :  —  <(  Oh  ! 
s'écria-t-elle,  puisque  en  ce  lieu  sont  aucuns  de  notre  parti,  je  veux  bien  me 

JEANNK    d'arc.    111.    —    39 


3o6  JEANNE   D'ARC 


rendre  et  soumettre  au  concile  de  Bille.  —  Taisez- vous ,  de  par  le  diable!  » 
s'écria  l'évèque  un  peu  trop  tard.  Il  avait  bien  laissé  faire  la  demande,  il  ne 
s'attendait  pas  à  la  réponse. 

Le  procès-verbal  n'a  mentionné  ni  l'un  ni  l'autre.  Il  ne  parle  dans  les 
interrogatoires  que  de  la  soumission  au  pape  en  cette  forme  :  «  qu'elle  soit 
menée  devant  lui,  puis  répondra  devant  lui  tout  ce  qu'elle  doit  répondre.  » 
[Séauce  du  ly  mars.)  Mais  on  apprend  par  la  déposition  d'Isambard  de  la 
Pierre,  qui,  au  témoignage  du  même  document  otliciel,  était  présent  à  la 
séance  comme  l'évèque,  pourquoi  le  reste  ne  s'y  trouve  pas.  Le  greffier 
demandant  à  Pierre  Cauchon  s'il  devait  écrire  la  soumission  de  Jeanne  au 
concile,  l'évèque  lui  dit  que  ce  n'était  pas  nécessaire.  —  «  Ah  !  reprit  Jeanne, 
vous  écrivez  bien  ce  qui  est  contre  moi  ;  mais  vous  ne  voulez  pas  écrire  ce 
qui  est  pour  moi.  » 

Voilà  donc  les  douze  articles,  voilà  leur  sincérité,  leur  exactitude  !  Ce  ne 
sont  pas  seulement  des  points  de  droit  que  l'on  soumet  à  la  discussion  des 
légistes-,  ce  sont  des  faits  qu'on  suppose  établis,  faits  affirmés  d'autant  plus 
hardiment  que  l'accusée  n'est  point  appelée  à  y  contredire,  et  qu'on  a  eu 
soin  de  taire  les  démentis  qu'elle  y  a  donnés.  C'est  donc  en  toute  sécurité 
que  l'évèque,  dans  sa  lettre  du  3  avril,  invite  les  maîtres  et  les  docteurs  à 
lui  donner  leur  avis  sur  la  pièce  qu'il  leur  envoie,  et  les  prie  de  lui  faire 
connaître  par  écrit  avant  le  mardi  suivant  ce  qu'ils  en  pensent  :  «  si  les  choses 
arguées  leur  paraissent  contraire  à  la  foi  orthodoxe,  scandaleuses,  témé- 
raires, perturbatrices  de  la  chose  publique,  injurieuses  ou  entachées  de 
crimes  contre  les  bonnes  mœurs.  »  Les  qualifications  qu'il  sollicite  sont  tout 
entières  dans  ces  lignes.  Sa  lettre  d'en\oi  contient  en  résumé  la  réponse 
qu'il  attend. 

LES    CONSULTATIONS    ET    l' A  DMON  ITI  O  N    CHARITABLE. 

On  réunit  d'abord  un  certain  nombre  de  consulteurs  (  seize  docteurs  et  six 
bacheliers),  dont  la  réponse  devait  donner  le  ton  aux  autres.  Ils  s'assem- 
blèrent, le  jeudi  12  avril,  sous  la  présidence  d'Érard  Emengard,  dans  la 
chapelle  du  palais  archiépiscopal  de  Rouen,  et  déclarèrent  que,  consi- 


ROUEN.   —   LE  JUGEMENT. 


3o7 


'ig.  i35.  — Denis  Gastinel,  docteur  de  l'université  de  Paris,  l'un  des  juges  de  Jeanne  d'Arc.  Pierre  tombale 
de  14.^0,  à  la  cathédrale  de  Rouen.  D'après  un  dessin  exécuté  par  M.  Deville.  —  Dans  la  consultation 
demandée  par  P.  Cauchon,  Denis  Gastinel  opina,  d'une  façon  générale,  que  l'on  devait  livrer  le  cou- 
pable au  bras  séculier,  s'il  s'obstinait,  et  le  condamner,  s'il  abjurait.  Dans  le  dernier  jugement  il  fut 
d'avis  d'abandonner  Jeanne  sans  merci  au  bras  séculier,  c'est-à-dire  à  la  mort. 


3o8  JEANNE   D'ARC. 


dcrant  la  qualité  delà  personne,  ses  dits  ,  ses  faits  et  le  mode  de  ses  appa- 
ritions, etc.,  ses  révélations  leur  paraissaient  fictives  ou  procédant  du 
diable,  etc.  Les  autres  avis  ne  tardèrent  pas  à  suivre  :  la  délibération  des 
seize  consulteurs  donnait  aux  plus  incertains  une  base  où  s'appuyer.  La 
plupart  s  y  réfèrent  absolument,  quelques-uns  avec  des  sentiments  d'humi- 
lité, d'autres  avec  un  empressement  qui  va  au-devant  de  tous  les  désirs  du 
juge.  Plusieurs,  tout  en  approuvant,  font  pourtant  quelques  réserves.  Onze 
avocats  de  Rouen ,  réunis  après  les  docteurs  dans  la  chapelle  de  l'archevêché , 
donnent  une  consultation  conforme:  «  A  moins  pourtant,  disent-ils,  que 
ces  révélations  ne  viennent  de  Dieu.  «  Ils  se  hâtent  d'ajouter  que  cela  d'ail- 
leurs ne  leur  paraît  pas  croyable,  et  s'en  rapportent  aux  théologiens.  Mais 
un  évêque  (l'évèque  de  Lisieux^  avait  déclaré  que,  vu,  entre  autres  choses, 
«  la  basse  condition  de  la  personne,  >>  on  ne  devait  pas  croire  qu'elles  lui 
vinssent  de  Dieu  !  Le  chapitre  de  Rouen,  malgré  quelques  adhésions  indi- 
viduelles ,  montra  moins  d'empressement  à  se  prononcer.  Lorsqu'on  le  con- 
voqua pour  la  première  fois, le  i3  avril,  on  ne  put  réunir  qu'une  vingtaine 
de  membres.  Ils  s'ajournèrent  au  lendemain,  avec  menace  de  retenir  les 
distributions  pendant  huit  jours  à  qui  ne  viendrait  pas.  Ils  furent  trente  et 
un  alors,  et  décidèrent  que,  pour  donner  un  a\is  plus  sûr,  ils  atten- 
draient qu'on  leur  mît  sous  les  yeux  la  délibération  de  l'université  de  Paris. 

Parmi  ces  réponses,  on  en  trouve  une  encore  fort  longuement  motivée, 
et  de  nature  à  plaire  à  l'évèque  par  ses  développements,  sauf  un  point 
cependant.  L'auteur  trouve  qu'en  prenant  l'habit  d'homme  Jeanne  a  fait 
une  action  «  indécente,  indigne  d'une  femme  qui  se  dit  pucelle;  —  à  moins 
pourtant,  ajoute-t-il,  qu'elle  ne  l'ait  fait  pour  se  défendre  contre  la  violence 
et  garder  sa  virginité.  »  L'accusation  n'avait  jamais  paru  se  douter  de  cette 
raison-là!  De  plus,  il  concluait  que,  pour  donner  à  la  sentence  plus  de 
force  et  de  sûreté  et  la  défendre  contre  tout  soupçon  d'injustice,  pour  l'hon- 
neur de  la  majesté  royale  et  de  l'évèque ,  et  pour  la  paix  de  la  conscience  de 
plusieurs,  il  convenait  de  soumettre  les  assertions  de  Jeanne  à  l'examen  du 
souverain  pontife. 

Ni  l'évèque  de  Beauvais,  ni  ses  adhérents,  ne  se  souciaient  de  renvo3'er  la 
question  au  souverain  pontife.  Quant  à  l'université  de  Paris,  sa  décision  leur 
était  moins  suspecte.  Six  de  ses  membres  avaient  assisté  au  procès  dès  le 


ROUEN.    —   LE  JUGEMENT. 


3og 


commencement  :  trois  d'entre  eux  ,  Jeun  Ik-aupè-i-c,  Jacques  de  Touraine  et 
Nicole  Midi,  de\  aient  lui  porter  la  pièce  qui  tenait  lieu  des  débats,  les  douze 
articles,  Mais,  pour  aller  plus  avant,  on  n'attendit  pas  la  réponse. 


Fig.   i?6.  —  Chat  1     J    \\    r       1     lii         LU    tort  n.  si.  k  \  r  latie     dit     n     en   ii'i 

par  Ethelflede,  fille  d  Alfred  le  Grand  Etat  du  \viii«  siècle  d  apici  une  j,  avure  angla  se  Ine  partie 
de  ce  château  a  été  dévorée  par  l'incendie,  le  3  décembre  1871.  —  Richard  Beauchamp,  comte  de 
Warwick,  était  gouverneur  du  jeune  roi  Henri  VI.  Cet  homme,  d'une  âme  dure  et  d'une  politique 
inflexible,  semble  avoir  été,  avec  Bedford,  l'agent  principal  de  la  mort  de  Jeanne  d'Arc. 


Jeanne  était  tombée  malade  ;  grand  trouble  parmi  les  Anglais  :  si  elle 
échappait  à  la  condamnation  par  la  mort  !  Des  médecins  furent  mandés 
aussitôt  par  le  cardinal  de  Winchester  et  le  comte  deWarwick.  «  Prenez-en 
bien  soin  ,  dit  le  comte  :  le  roi  ne  veut  pour  rien  au  monde  qu'elle  meure  de 


3io  JEANNE   D'ARC. 


mort  naturelle.  Le  roi  Va  chère,  car  il  l'a  achetée  cher  et  ne  \eut  pas  qu'elle 
meure,  si  ce  n'est  par  justice  et  qu'elle  soit  brûlée.  Faites  donc  en  sorte 
qu'elle  guérisse.  » 

Les  médecins  l'allèrent  voir,  conduits  par  Jean  d'Estivet.  Ils  lui  deman- 
dèrent d'où  lui  venait  son  mal  :  —  «  L'évêque  de  Beau\'ais,  dit  Jeanne,  m'a 
envo\'é  une  carpe,  dont  j'ai  mangé,  et  c'est  peut-être  la  cause  de  ma  maladie. 
—  Paillarde,  s'écria  le  promoteur,  tu  as  mangé  des  harengs  [haUccas)  et 
autres  choses  qui  t'ont  fait  mal.  » 

Les  médecins,  lui  trou\'ant  de  la  fièvre,  crurent  qu'une  saignée  serait 
bonne,  et  le  dirent  au  comte  de  Warwick.  «  Gardez-vous  de  la  saigner,  dit 
le  comte;  elle  est  rusée,  elle  pourrait  se  tuer.  «  On  la  saigna  pourtant  et  elle 
se  trouva  mieux.  Mais  Jean  d'Estivet  revint  la  voir,  et,  tout  ému  encore  du 
péril  qu'a\ait  couru  l'édifice  de  son  accusation,  il  redoubla  d'injures,  à  tel 
point  que  Jeanne  en  reprit  la  fièvre.  Le  comte,  inquiet,  intima  au  promo- 
teur de  ne  plus  l'injurier  à  l'avenir. 

Cet  incident  avait  montré  qu'il  fallait  se  hâter.  Jeanne  n'était  point  encore 
remise,  que  l'évêque  voulut,  sans  plus  attendre,  donner  suite  aux  consul- 
tations qu'il  avait  déjà  réunies.  Il  \'int  donc,  avec  plusieurs  docteurs,  la 
trouver  dans  sa  prison,  afin  de  lui  faire  les  exhortations  charitables  qui 
étaient  un  premier  degré  pour  la  mener  au  bûcher.  Il  lui  représenta  que, 
parmi  ses  réponses,  plusieurs  avaient  paru  à  de  savants  hommes  mettre  la 
foi  en  péril;  et,  comme  elle  était  sans  lettres,  sans  connaissance  des  Ecri- 
tures, il  lui  offrait  de  remettre  à  des  hommes  de  probité  et  de  science  le  soin 
de  l'instruire  :  elle  n'avait  qu'à  choisir  parmi  les  docteurs  présents  ou  dési- 
gner quelque  autre,  si  elle  en  savait  de  capables.  «  Noussommes,  ajoutait-il, 
des  gens  d'Église  ,  disposés  par  notre  volonté  comme  par  notre  vocation  à 
vous  procurer  par  toutes  les  \'oies  possibles  le  salut  de  l'âme  et  du  corps , 
comme  nous  le  ferions  pour  nos  proches  ou  pour  nous-mêmes.  Nous  vou- 
lons faire  ce  que  fait  l'Eglise,  qui  ne  ferme  pas  son  sein  à  qui  lui  revient.  » 

Jeanne  répondit  en  le  remerciant  de  ce  qu'il  lui  disait  pour  son  salut,  et 
elle  ajouta  :  «  Il  me  semble,  vu  la  maladie  que  j'ai,  que  je  suis  en  grand 
péril  de  mort;  s'il  en  est  ainsi ,  que  Dieu  veuille  faire  son  plaisir  de  moi ,  je 
vous  requiers  avoir  confession  et  mon  Sauveur  aussi,  et  qu'on  me  mette  en 
la  terre  sainte. 


ROUKN.    —    l,E   JUGEMENT. 


—  Si  VOUS  voulez  avoir  les  sacrements  de  l'Église,  dit  le  juge,  il  faudrait 
que  vous  fissiez  comme  les  bons  catholiques  doivent  faire,  et  que  vous  vous 
soumissiez  à  la  sainte  Église.  —  Je  ne  vous  en  saurais  maintenant  autre 
chose  dire. 

—  Plus  vous,  craignez  pour  \'0tre  \  ie ,  plus  vous  devriez  amender  votre 
vie;  \ous  n'auriez  pas  les  droits  de  TEgiise  comme  catholique,  si  vous  ne 
\  ous  soumettiez  à  PÉglise.  —  Si  le  corps  meurt  en  prison ,  je  m'attends  que 
vous  le  fassiez  mettre  en  terre  sainte-,  si  \ous  ne  le  faites  mettre ,  je  m'en 
attends  à  Notre-Seigneur. 

—  Autrefois  vous  a\iez  dit  en  votre  procès  que,  si  vous  a\iez  fait  ou  dit 
quelque  chose  qui  fût  contre  notre  foi  chrétienne,  vous  ne  le  voudriez  sou- 
tenir. —  Je  m'en  attends  à  la  réponse  que  j'en  ai  faite  et  à  Notre-Seigneur. 

—  Croyez-vous  que  la  sainte  Écriture  soit  révélée  de  Dieu  ?  —  Vous  le 
savez  bien ,  il  est  bon  à  savoir  que  oui.  » 

On  la  somma  de  nouveau  de  prendre  conseil  des  clercs  et  des  docteurs ,  et 
on  lui  demanda,  pour  finir,  si  elle  se  soumettait,  elle  et  ses  faits,  à  notre 
sainte  mère  l'Église.  Elle  répondit  :  «  Quelque  chose  qui  m'en  doive  advenir, 
je  n'en  ferai  ou  dirai  autre  chose  que  ce  que  j'ai  dit  devant,  au  procès.  » 

Les  docteurs  qui  accompagnaient  l'évcque  prirent  tour  à  tour  la  parole, 
alléguant  les  autorités  de  l'Écriture  et  des  exemples  pour  l'amener  à  se  sou- 
mettre. Nicole  Midi  lui  cita,  entre  autres,  le  passage  de  saint  Mathieu  :  «  Si 
votre  frère  a  péché  contre  vous,  etc.,  »  et  ce  qui  suit  :  '<.  S'il  n'écoute  pas 
l'Église,  qu'il  vous  soit  comme  un  païen  et  un  publicain.  »  Il  le  lui  dit  en 
français,  et  il  lui  représenta  que  si  elle  ne  voulait  se  soumettre  à  l'Église, 
il  faudrait  qu'on  l'abandonnât  comme  une  Sarrasine.  Jeanne  répondit  :  «  Je 
suis  bonne  chrétienne,  j'ai  bien  été  baptisée;  et  je  mourrai  comme  une 
bonne  chrétienne. 

—  Puisque  vous  requérez  que  l'Église  vous  donne  votre  Créateur,  sou- 
mettez-vous à  l'Église,  et  on  promettra  de  vous  le  donner.  —  Je  n'en  répon- 
drai autre  chose  que  ce  que  j'ai  fait  :  J'aime  Dieu,  je  le  sers,  je  suis  bonne 
chrétienne,  et  je  voudrais  aider  et  soutenir  l'Église  de  tout  mon  pouvoir. 

—  Ne  voudriez- vous  pas,  ditrévèque,qui  avait  son  projet ,  que  l'on  or- 
donnât une  belle  et  notable  procession  pour  vous  réduire  en  bon  état  si  vous 
n'y  êtes  ?  —  Je  veux  très-bien  que  l'Eglise  et  les  catholiques  prient  pour  moi.  » 


3i2  JEANNE   LVARC. 


Cependant,  parmi  les  docteurs  consultés,  plusieurs  avaient  été  d'avis  que 
Jeanne  fût  de  nouveau  instruite  et  admonestée  sur  les  faits  mis  à  sa  charge. 

Le  mercredi  2  mai,  Jeanne  fut  amenée  dans  la  salle  du  château,  où  les 
assesseurs  étaient  réunis  ,  et  l'évèque  l'engagea  à  se  rendre  aux  exhortations 
qu'on  allait  lui  faire,  faute  de  quoi,  elle  se  mettait  en  péril  pour  l'âme  et 
pour  le  corps.  Alors  l'archidiacre,  prenant  la  parole,  commença  par  lui 
remontrer  que  tous  les  fidèles  chrétiens  étaient  tenus  de  croire  les  articles  de 
foi,  et  il  l'invita  ,  par  forme  de  monition  générale,  à  corriger  et  réformer  ses 
faits  et  dits  selon  la  délibération  des  docteurs.  Comme  il  tenait  à  la  main  le 
texte  de  ses  exhortations  :  —  «  Lisez  votre  livre,  dit  Jeanne,  et  puis  je  vous 
répondrai.  Je  m'attends  de  tout  à  Dieu  mon  Créateur;  je  l'aime  de  tout 
mon  cœur.  » 

L'archidiacre  lut  donc  le  discours  qu'il  avait  écrit  :  c'étaient  les  douze 
articles  réduits  à  six,  mais  sous  une  forme  singulièrement  tempérée  par  les 
raisons  qu'on  donne  à  Jeanne  et  les  considérations  qu'on  y  ajoute  pour  la 
convaincre  ou  la  séduire.  Cette  remontrance  fut  faite  à  Jeanne  en  français, 
et  sur  plusieurs  points  on  la  pressa  d'y  répondre. 

Après  qu'on  lui  eut  déclaré  ce  qu'était  l'Eglise  militante,  et  qu'on  l'eut 
pressée  d'y  croire  et  de  s'y  soumettre  :  —  «  Je  crois  bien  l'Église  d'ici-bas , 
dit-elle,  mais  de  mes  faits  et  dits,  ainsi  qu'autrefois  je  l'ai  dit ,  je  m'attends 
et  rapporte  à  Dieu. 

—  Cro\'ez-vous  que  l'Église  puisse  se  tromper?  —  Je  crois  bien  que  l'Église 
militante  ne  peut  errer  ou  faillir  ;  mais  quant  à  mes  dits  et  mes  faits,  je  m'en 
rapporte  à  Dieu,  qui  m'a  fait  faire  ce  que  j'ai  fait.  »  Elle  ajouta  qu'elle  se 
soumettait  à  Dieu  son  créateur  qui  lui  a  fait  faire  ces  choses,  et  s'en  rappor- 
tait à  lui ,  à  sa  propre  personne. 

«  Voulez-vous  dire  que  vous  n'avez  point  de  juge  sur  la  terre?  et  notre 
saint-père  le  pape  n'est-il  pas  votre  juge  ?  —  Je  ne  vous  en  dirai  autre  chose. 
J'ai  bon  maître,  c'est  à  savoir  Notre-Seigneur,  à  qui  je  m'attends  de  tout, 
et  non  à  autre. 

—  Si  vous  ne  voulez  croire  l'Église  et  l'article  Ecclcsiain  sanctam  caiho- 
licam,  vous  serez  hérétique  en  vous  y  obstinant,  et  punie  du  feu  par  la  sen- 
tence d'autres  juges.  —  Je  ne  vous  en  dirai  autre  chose  ;  et,  si  je  voyais  le 
feu,  si  dirais-je  ce  que  je  vous  dis ,  et  n'en  ferais  autre  chose.  » 


ROUEN.   —   LE  JUGEMENT.  3i3 


(Sitperba  respousio  !  écrit  le  greffier  en  marge  de  son  procès-verbal.) 

«  Si  le  concile  général,  comme  notre  saint-père,  les  cardinaux  et  autres 
membres  de  l'Église,  étaient  ici,  voudriez-vous  vous  en  rapporter  et  vous 
soumettre  à  eux?  —  Vous  n'en  tirerez  de  moi  autre  chose.  » 

Mais  le  juge  insista  :  «  Voulez-vous  vous  soumettre  à  notre  saint-père  le 
pape?  —  Menez-m'y,  et  je  lui  répondrai.  » 

C'était  une  réponse  sérieuse  à  une  question  qui  ne  l'était  pas  :  car  per- 
sonne dans  le  parti  anglais  ne  voulait  de  l'appel  au  pape.  Le  juge  vit  qu'il 
était  allé  trop  loin,  et  changea  de  matière. 

Il  passa  à  la  question  de  l'habit  et  ne  fut  pas  plus  heureux.  Jeanne,  faisant 
tomber  d'un  mot  toutes  les  fausses  imputations  de  ses  accusateurs,  répondit 
qu'elle  voulait  bien  prendre  longue  robe  et  chaperon  de  femme  pour  aller  à 
l'église  et  recevoir  son  Sauveur,  comme  elle  l'avait  dit  autrefois  (ce  point  est 
à  noter),  pourvu  que  tantôt  après  elle  le  quittât  et  reprît  l'autre.  On  insista 
sur  ce  qu'elle  l'avait  pris  sans  nécessité,  et  spécialement  depuis  qu'elle  était 
en  prison.  Et  elle,  sans  rien  dire  des  raisons  impérieuses  qui  les  lui  faisaient 
garder  en  prison,  elle  répondit  :  «  Quand  j'aurai  fait  ce  pour  quoi  je  suis 
envoyée  de  par  Dieu,  je  prendrai  habit  de  femme. 

—  Croyez-vous  bien  faire  de  prendre  l'habit  d'homme?  dit  le  juge,  en  sui- 
vant imperturbablement  son  thème.  —  Je  m'en  attends  à  Notre-Seigneur.  « 

Et  comme  le  juge  lui  remontrait  qu'en  prétendant  qu'elle  faisait  bien,  et 
en  disant  que  Dieu  et  les  saints  le  lui  faisaient  faire,  elle  les  blasphémait, 
elle  répondit  simplement  :  «  Je  ne  blasphème  point  Dieu  ni  ses  saints.   » 

On  insista  encore  pour  qu'elle  renonçât  à  porter  l'habit  d'homme  et  à 
croire  qu'elle  faisait  bien  de  le  porter;  mais  elle  dit  qu'elle  n'en  ferait  autre 
chose. 

On  en  vint  alors  à  ses  apparitions  :  si  elles  n'étaient  feintes,  elles  étaient 
diaboliques;  on  n'admettait  pas  d'autre  alternative.  On  lui  demanda  si, 
toutes  les  fois  que  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite  venaient  elle  se  si- 
gnait du  signe  de  la  croix  :  —  «  Quelquefois,  dit-elle,  sans  attacher  à  la 
question  d'autre  importance,  je  fais  le  signe  de  la  croix;  d'autres  fois, 
non.  » 

De  ses  révélations  et  de  ses  prédictions,  elle  dit  qu'elle  s'en  rapportait  à 
son  juge,  c'est  à  savoir  Dieu;  et  elle  ajouta  qu'elles  lui  venaient  de  Dieu 

JEANNE   d'arc.   IIl.   —    40 


3i4  JEANNE   D'ARC. 


sans  autre  intermédiaire.  Quant  au  signe  donné  au  roi,  on  lui  demanda  si 
elle  voulait  s'en  remettre  à  larchevèque  de  Reims,  au  sire  de  Boussac,  à 
Charlesde  Bourbon,  à  la  Trémouille,  à  la  Hire,  qui  étaient  présents,  avait- 
elle  dit,  quand  l'ange  apporta  la  couronne,  ou  si  elle  voulait  s'en  rapporter 
à  d'autres  de  son  parti  qui  écriraient  sous  leur  sceau  ce  qui  en  était  :  —  «  Bail- 
lez-moi un  messager,  dit-elle,  et  je  leur  écrirai  de  tout  ce  procès.  » 

Ce  n'est  que  dans  ces  conditions  et  sous  cette  forme  qu'elle  accepta  de 
s'en  rapporter  à  eux. 

«  Si  on  vous  envoie  trois  ou  quatre  chevaliers  de  votre  parti,  qui  vien- 
dront ici  par  sauf-conduit,  voudrez-vous  vous  en  remettre  à  eux  de  vos 
apparitions  et  des  choses  contenues  en  ce  procès?  —  Qu'on  les  fasse  venir  et 
je  répondrai.  « 

On  lui  demanda  enfin  si  elle  voulait  s'en  référer  à  l'Eglise  de  Poitiers  où 
elle  avait  été  examinée.  Mais  Jeanne,  excédée  de  ces  offres  sans  bonne 
foi  :  «  Me  cuidez-vous  prendre  par  cette  manière,  et  par  là  m'attirer  à 
vous?  » 

On  conclut  en  l'exhortant  en  général  à  se  soumettre  à  l'Eglise,  sous  peine 
d'être  laissée  par  TÉglise.  «  Et  si  l'Église  vous  laissait,  continua  le  juge, 
vous  seriez  en  grand  péril  de  corps  et  d'âme;  car  vous  pourriez  bien  encourir 
la  peine  du  feu  éternel  quant  à  l'âme,  et  du  feu  temporel  quant  au  corps  par 
la  sentence  des  juges. 

Elle  répondit  :  «  Vous  ne  ferez  jà  ce  que  vous  dites  contre  moi,  qu'il  ne 
vous  en  prenne  mal  au  corps  et  à  l'âme.  » 

On  lui  demanda  de  dire  une  cause  pourquoi  elle  ne  s'en  rapportait  point 
à  l'Église.  Elle  aurait  pu  dire  qu'elle  ne  s'en  rapportait  point  à  l'Église 
des  Anglais-,  mais  elle  ne  voulut  faire  aucune  réponse.  Vainement  les  doc- 
teurs insistèrent  tour  à  tour  dans  le  même  sens  :  ils  n'obtinrent  rien  de 
plus.  Enfin  l'évèque  l'avertit  d'y  faire  bien  attention  et  de  se  bien  aviser  sur 
les  admonitions  et  conseils  charitables  qu'elle  venait  de  recevoir.  —  <>  Quel 
temps  me  donnez-vous  pour  m'aviser?  dit  Jeanne.  —  C'est  à  présent  même 
qu'il  le  faut  faire.  »  Et  comme  elle  ne  répondait  pas  davantage,  l'évèque  se 
retira,  et  elle  fut  ramenée  à  sa  prison. 

On  voulut  employer  le  dernier  moyen  pour  la  faire  parler,  la  torture. 
Le  Q  mai  l'évèque  la  fit  amener  dans  la  grosse  tour  du  château  de  Rouen. 


3i6  JEANNE  D'ARC. 


Il  lui  signala  plusieurs  points  de  son  procès  où  elle  était  soupçonnée  de 
n'avoir  pas  dit  la  vérité;  puis  il  lui  dit  que,  si  elle  ne  la  voulait  déclarer,  on 
la  mettrait  à  la  torture ,  et  il  lui  en  montrait  les  instruments  étalés  à  l'entour. 
Les  bourreaux  étaient  là,  tous  prêts  à  remplir  leur  office  <(  pour  la  ramener 
dans  les  voies  de  la  vérité,  »  comme  disait  Févèque,  «  afin  d'assurer  par  là 
le  salut  de  son  âme  et  de  son  corps ,  si  gravement  compromis  par  ses  inven- 
tions erronées.  » 

Jeanne  répondit  :  «  Vraiment,  si  vous  me  deviez  faire  détraire  (arracher) 
les  membres  et  faire  partir  Tàme  hors  du  corps,  si  ne  vous  dirai-je  autre 
chose  ;  et  si  je  vous  disais  autre  chose ,  après  je  vous  dirais  toujours  que 
vous  me  l'auriez  fait  dire  par  force.   >' 

C'était  d'un  mot  faire  voir  ce  que  vaut  la  torture.  Elle  ne  refusa  point 
d'ailleurs  de  parler,  mais  elle  le  fit  pour  confirmer  toutes  ses  déclarations. 

Les  juges,  frappés  de  sa  fermeté,  comprirent  que  la  torture  n'y  ferait 
rien,  et  crurent  sage  d'y  surseoir.  Ils  se  réunirent,  le  i  2  ,  pour  en  délibérer 
de  nouveau ,  et  résolurent  d'y  renoncer  définitivement ,  les  uns  disant  que 
la  question  était  inutile,  que  l'on  avait  sans  torture  assez  ample  matière; 
les  autres,  que  le  procès  était  bien  fait,  et  qu'il  ne  fallait  point  l'exposer 
par  là  à  la  calomnie.  Dans  la  minorité  qui  approuvait  la  torture,  on  compte 
le  jeune  et  brillant  docteur  Thomas  de  Courcelles,  et  celui  qui  s'était  fait 
agréer  comme  confesseur  de  Jeanne,  Nicolas  Loyseleur. 


LA    DELXIE.ME    AD  .MO  N  I  TIO  N. 


Les  choses  marchaient  vers  la  conclusion.  Dès  après  la  séance  du  2  mai, 
quand  Jeanne  eut  publiquement  refusé  de  s'en  remettre  ,  touchant  ses  faits , 
à  la  décision  de  l'Église  dans  les  termes  où  on  l'y  invitait,  le  chapitre  de 
Rouen  se  réunit,  et,  renonçant  au  délai  qu'il  avait  réclamé  d'abord,  il 
n'hésita  plus  à  déclarer  que  l'opinion  des  docteurs  sur  les  assertions  de 
Jeanne  lui  paraissait  fondée  en  raison,  et  que  Jeanne,  vu  son  obstination, 
devait  être  réputée  hérétique  (4  mai'.  C'était  déjà  un  suffrage  important 
pour  l'évèque  de  Beauvais;  mais  depuis  il  en  avait  reçu  un  autre  de  bien 


ROUEN.    —   Lli   JUUEMKN  1 


3.7 


^ig.  il^s.  —  Grosse  tour  ou  bonjon  Ju  château  de  l'hiiippe-Auguste.  après  sa  restitution  complète  exécu- 
tée par  les  soins  du  comité  de  souscription  nationale  pour  le  raciiat  de  cette  tour,  et  sur  les  plans  de 
M.  L.  Desmarct,  architecte  en  chef  du  département  de  la  Seine-Inférieure.  —  État  actuel,  d'après  une 
photographie.  La  teinte  moins  foncée  indique  le  point  de  départ  des  constructions  nouvelles.  On  voit, 
à  droite  de  la  tour,  une  partie  du  couvent  des  Ureulines,  la  tour  carrée  de  l'église  Saint-Godard  et  la 
fljche  de  l'église  Saint-Maclou;  à  gauche,  les  deux  aiguilles  du  portail  et  la  tour  de  l'église  Saint-Ouen. 


plus  grande  autorité,  un  suffrage  auquel  beaucoup  d'autres  s'étaient  référés 
par  avance;  je  veu.v  dire  l'avis  ofticiel  de  l'université  de  Paris. 


3i8  JEANNE    D'ARC. 


A  Farrivce  des  envoyés  de  Rouen,  l'université  s'était  assemblée.  La 
faculté  de  théologie  et  la  faculté  des  décrets  furent  invitées  à  examiner, 
chacune  à  part,  les  douze  articles,  et  elles  avaient  apporté  leurs  conclusions 
à  l'assemblée  générale. 

La  faculté  de  théologie  prenait  les  articles  et  les  jugeait  l'un  après  l'autre  : 

i"  Les  apparitions  de  Jeanne  :  Elle  les  déclare  fictives,  mensongères, 
séductrices  et  inspiréesplutùt  par  les  esprits  diaboliques;  et  elle  les  nomme  : 
à  savoir,  Belial,  Satan  et  Behemnioth.  2"  Le  signe  du  roi  :  Mensonge  pré- 
somptueux et  pernicieux,  et  attentatoire  à  la  dignité  des  anges.  3°  Les 
insites  de  saint  Michel,  de  sainte  Cal/ierine  et  de  sainte  Marguerite, 
et  la  foi  quy  a  la  Pucelle  :  Croj^ance  téméraire  et  injurieuse  dans  sa  com- 
paraison aux  vérités  de  la  foi.  4°  Les  prédictions  :  Superstition,  divination, 
et  vaine  jactance.  5"  L'habit  d'homme  porté  par  commandement  de  Dieu  : 
Blasphème  envers  Dieu,  mépris  de  Dieu  dans  ses  sacrements,  violation  de 
la  loi  divine  et  des  sanctions  ecclésiastiques,  et  suspicion  d'idolâtrie.  G"  Les 
lettres  :  Elles  peignent  la  femme  :  traîtresse,  pcrtîde ,  cruelle,  altérée  de 
sang  humain,  séditieuse,  poussant  à  la  tyrannie,  blasphématrice  de  Dieu. 
7"  Le  départ  pour  Cliinon  :  Impiété  filiale,  violation  du  commandement 
d'honorer  père  et  mère,  scandale,  blasphème,  aberration  dans  la  foi,  etc. 
8"  Le  saut  de  Beaurevoir  :  Pusillanimité  tournant  au  désespoir  et  à  l'homi- 
cide,  assertion  téméraire  touchant  la  remise  de  la  faute,  erreur  sur  le  libre 
arbitre,  if  Confiance  de  Jeanne  dans  son  salut  :  Assertion  présomptueuse 
et  téméraire,  mensonge  pernicieux,  etc.  10"  Que  sainte  Catherine  et  sainte 
^L^rguerile  ne  parlent  pas  anglais,  etc.  .•  Blasphème  envers  sainte  Cathe- 
rine et  sainte  Marguerite:,  violation  du  précepte  de  l'amour  du  prochain. 
11°  Les  honneurs  quelle  rend  à  ses  saintes  :  Idolâtrie,  invocation  des 
démons,  etc.  i  2"  Refus  de  s'en  rapporter  de  ses  faits  à  l'Eglise  :  Schisme , 
mépris  de  l'unité  et  de  l'autorité  de  l'Eglise,  apostasie,  obstination  dans 
Terreur. 

La  faculté  des  décrets  résumait  un  jugement  pareil  en  six  points,  et  con- 
cluait que,  si  Jeanne,  avertie  charitablement,  ne  voulait  pas  revenir  à 
l'unité  de  la  foi  catholique  et  donner  satisfaction,  elle  devait  être  abandon- 
née aux  juges  séculiers  pour  subir  le  châtiment  de  son  crime. 

Lecture  faite  des  d^ux  sentences ,  l'université  se  sépara  pour  en  délibérer 


ROUEN.   —   LE  JUGEMENT. 


3.9 


par  faculté  et  par  nation,  et  bientôt,  se  réunissant  en  assemblée  générale 
elle  déclara  qu'elle  les  approuvait. 


■■ig  1  >9  —  Ecu  de  Frani-e,  en  120S,  sous  Philippe-\ugustc,  dei.iiuvi.il  tii  1  ^,  t,  dans  le  don)on,  derniei 
vestige  du  château  bati  a  Rouen  parce  prince.  D  après  un  dessin  de  M.  L  Desmarest,  architecte,  que 
le  comité  de  souscription  nationale  pour  le  rachat  de  la  tour  a  charge'  de  sa  restitution.  La  communi- 
cation en  est  due  à  iVl.  F.  Bouquet,  à  Rouen.  —  Cet  écu,  orienté  nord-sud,  orne  la  clef  de  voûte  de  la 
salle  du  rez-de-chaussée.  La  salle  a  de  9  à  10  mètres  d'élévation,  6  m.  60  de  largeur,  avec  des  murail- 
les de  4  m.  20  d'épaisseur.  C'est  dans  ce  même  rez-de-chaussée,  croit-on,  que  Jeanne,  mise  en  pré- 
sence des  instruments  de  la  torture,  fit  aux  juges  cette  réponse  :  «  Vraiment,  si  vous  me  deviez  faire 
«  détraire  (arracher)  les  membres  et  faire  partir  l'âme  hors  du  corps,  je  ne  vous  dirai  autre  chose;  et 
«  si  je  vous  disais  autre  chose,  après  je  vous  dirais  toujouis  que  vous  me  l'auriez  fait  dire  par  force.  » 


L'acte  en  fut  e.xpédié  aussitôt  et  remis  au.\  trois  envoyés  de  Rouen  ,  avec 
des  lettres  tant  pour  l'évêque  de  Beauvais  que  pour  le  roi  d'Angleterre. 
L'université  complimentait  l'évêque  du  zèle  qu'il  avait  montré ,  comme  un 


320  JEANNE   D'ARC. 


bon  pasteur,  contre  cette  femme  dont  le  venin  avait  infecté  tout  le  troupeau 
des  fidèles  en  Occident-,  elle  louait  la  marche  du  procès  et  sa  conformité  au 
droit,  vantait  les  docteurs  qui  nV  avaient  épargné  ni  leurs  personnes  ni 
leurs  peines,  et  recommandait  à  la  sollicitude  paternelle  de  Pévèque  de 
ne  rien  négliger  jusqu'à  ce  qu'il  eÎJt  vengé  la  majesté  divine  de  l'insulte 
qu'elle  avait  reçue.  Dans  sa  lettre  au  roi  d'Angleterre,  elle  louait  le  prince 
de  l'ardeur  qu'il  avait  mise  en  cette  occasion  à  défendre  la  foi  et  à  extirper 
l'erreur.  Elle  rappelait  les  lettres  qu'elle  lui  avait  écrites  elle-même  touchant 
la  Pucelle;  et,  donnant  son  approbation  au  procès,  elle  suppliait  le  roi  de 
faire  toute  diligence  pour  qu'il  fût  mené  à  terme  brièvement. 

Ces  pièces  à  peine  arrivées,  le  19  mai,  l'évèque  de  Beauvais  réunit  les 
assesseurs  dans  la  chapelle  du  palais  archiépiscopal  de  Rouen  pour  leur  en 
donner  lecture.  Tous  y  adhérèrent,  et  alors  chacun  fut  invité  à  opiner  sur 
la  marche  à  suivre  pour  arriver  à  la  conclusion.  D'après  l'avis  du  plus 
grand  nombre,  l'évèque  déclara  qu'il  recourrait  encore  à  l'admonition  cha- 
ritable; après  quoi,  il  devait  prendre  jour  pour  prononcer  la  sentence. 

Le  23  mai,  il  fit  amener  Jeanne  dans  une  salle  voisine  de  la  prison  où 
elle  était  détenue.  Pierre  Maurice  fut  chargé  d'exposer  à  l'accusée  les  fautes, 
les  crimes  et  les  erreurs  où  elle  était  tombée,  au  sentiment  de  l'université 
de  Paris,  c'est-à-dire  de  lui  reproduire  en  substance,  et  sous  les  voiles  de 
son  discours,  l'acte  capital  qu'on  lui  dérobait  toujours  dans  sa  forme  offi- 
cielle, et  de  l'inviter  à  renoncer  à  ses  erreurs  et  à  se  soumettre  au  jugement 
de  l'Église. 

"  Jeanne,  disait-il,  tu  as  dit  que,  depuis  Tàge  de  treize  ans  environ,  tu 
as  eu  des  révélations;  que  des  anges,  que  sainte  Catherine  et  sainte  Mar- 
guerite te  sont  apparus,  que  tu  les  as  vus  fréquemment  des  yeux  de  ton 
corps ,  qu'ils  t'ont  parlé  et  te  parlent  encore  souvent ,  qu'ils  t'ont  dit  plusieurs 
choses  exposées  plus  pleinement  dans  ton  procès.  Or,  les  clercs  de  l'uni- 
versité de  Paris  et  d'autres ,  considérant  le  mode  et  la  fin  de  ces  apparitions  , 
la  matière  des  choses  révélées  et  la  qualité  de  ta  personne,  ont  dit  que  ces 
choses  sont  feintes,  séductrices  et  pernicieuses,  ou  que  de  telles  révélations 
et  apparitions  procèdent  des  esprits  diaboliques.  Tu  as  dit...  »  Et  il  re- 
prenait ainsi ,  en  résumé,  chacun  des  douze  articles,  les  faisant  suivre  du 
jugement  de  l'université  de  Paris.    Après  quoi ,    procédant  à  l'exhortation 


ROUEN.   —   LE  JUGEMENT. 


32. 


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omciualaliismûi  .4t    ^ 


pmuïiispiomniHuttniee: 


Fig  140  —  Le  )eune  Htmi  VI  d  InglUeire  est  présente  pai  siint  Louis  a  1  Entant  Jebus  que  tient  la 
Vierge.  De  sa  personne  part  un  phylactère,  dont  l'inscription  latine  signifie  :  «  Seigneur,  donnez-moi 
votre  sagesse  secourable,  afin  que  je  fasse  ce  qui  vous  est  agréable  en  tout  temps.  »  Miniature  du  Psau- 
tier de  Henri  VI,  ms.  du  xv*"  s.,  conservé  au  Musée  britannique,  collection  Cotton.  —  On  voit,  dans  cette 
composition,  quelle  était  la  constante  préoccupation  des  souverains  anglais  de  s'affirmer  héritiers  de 
la  dynastie  de  France. 


charitable  :  «  Jeanne^  ma  très-chère  amie,  dit-il,  il  est  temps,  maintenant 
que  l'on  touche  au  terme  de  votre  procès,  de  bien  peser  ce  qui  a  été  dit...  )' 


JEANNE    D  ARC.    III. 


322  JEANNE   D'ARC. 


Il  lui  rappelait  combien  de  fois  on  l'avait  pressée  de  se  soumettre  à  l'Eglise, 
l'obstination  de  ses  refus  et  la  longanimité  de  ses  juges,  qui,  étant  en 
mesure  de  prononcer  dans  la  cause,  avaient  voulu  soumettre  ses  paroles  à 
l'examen  de  l'université  de  Paris.  L'université  a  répondu ,  et  les  juges 
veulent  encore  supplier  Jeanne  de  revenir  sur  ses  résolutions,  de  ne  se  point 
faire  retrancher  de  la  communion  de  Jésus-Christ  pour  aller  se  perdre  avec 
les  ennemis  de  Dieu.  Le  prédicateur  l'invitait  à  se  défier  de  cet  ennemi  du 
genre  humain,  qui,  pour  le  séduire,  se  transforme  quelquefois  en  ange  de 
lumière;  il  la  pressait  de  se  soumettre  à  l'Église,  d'accepter  son  jugement. 

«  En  agissant  ainsi,  disait-il,  vous  sauverez  votre  àme  et  rachèterez, 
comme  je  pense,  votre  corps  de  la  mort.  Mais,  si  vous  ne  le  faites  et  que 
vous  vous  obstiniez,  sachez  que  votre  àme  sera  frappée  de  damnation,  et  je 
crains  la  destruction  de  votre  corps  :  desquelles  choses  daigne  vous  préser- 
ver Jésus-Christ  !  « 

Jeanne  écouta  cette  admonition,  et,  sans  se  laisser  ébranler  par  les  prières 
plus  que  par  les  menaces,  elle  dit  :  «  Quant  à  mes  faits  et  mes  dits  que  j"ai 
dits  au  procès,  je  m'y  rapporte  et  les  veux  soutenir. 

—  Croyez-vous  que  vous  ne  soyez  point  tenue  de  soumettre  vos  dits  et 
faits  à  l'Eglise  militante  ou  à  autre  qu'à  Dieu?  —  La  manière  que  j'ai  tou- 
jours dite  et  tenue  au  procès,  je  la  veux  maintenir  quant  à  ce.  »  Et  elle 
ajouta  :  «  Si  j'étais  en  jugement  et  voyais  le  feu  allumé,  et  les  bourrées 
allumées  et  le  bourreau  prêt  à  bouter  le  feu;  si  j'étais  dans  le  feu,  je  n'en 
dirais  autre  chose  et  soutiendrais  ce  que  j'ai  dit  au  procès,  jusqu'à  la  mort.  » 

Le  juge  demanda  au  promoteur  et  à  Jeanne  s'ils  n'avaient  rien  de  plus  à 
dire;  et,  sur  leur  réponse  négative,  il  déclara  le  débat  clos,  renvoyant  au 
lendemain  pour  prononcer  la  sentence  et  procéder  au  delà,  «  comme  de 
droit  et  de  raison.  » 


Ornement  tir</  d'un  lus.  fr.  du  XV*  sit-clc,  n*  267(*,  A  la  bililiothL-tinc  nationale, 


IX 


ROUEN 


L'ABJURATION 


Le  Cimetière  de  Saint-Ouen.  —  [,a  Relapse. 


I.E    CIMETIERE    DE    SAlNT-OUE\. 


^  ES  juges  pouvaient  maintenant  condamner 
Jeanne-,  mais  tant  qu'elle  demeurait  ferme 
dans  ses  affirmations,  l'impression  qu'elle 
avait  faite  dans  les  esprits  restait  entière, 
et  le  jugement,  en  quelque  nom  qu'on  le 
prononçât ,  était  révocable  au  tribunal  de 
l'opinion  publique.  Il  fallait  donc  obtenir 
qu'elle  se  condamnât  elle-même,  qu'elle 
abjurât.  On  tenta  un  dernier  etïort  pour 
ébranler  la  jeune  fille.  Ni  la  prison,  ni  le 
secret  des  interrogatoires  privés,  ni  la 
solennité  des  séances  générales  n'avaient  pu  l'émouvoir  :  on  voulut  éprou- 
ver ce  que  feraient  le  spectacle  de  la  foule  ramassée  sur  la  place  publique, 
et  la  vue  du  bourreau. 

Au  jour  fixé  par  l'évèque,  le  jeudi  après  la  Pentecôte,  24  mai,  deux 
échafauds  furent  dressés  dans  le  cimetière  de  l'abbaye  de  Saint-Ouen.  Sur 
l'un  siégeait  Tévèque,   ayant  avec   lui  le  cardinal  de  Winchester,  grand- 


JEANNE   D'ARC. 


oncle  du  roi,  et  une  nombreuse  assistance  d'abbés,  de  prêtres  et  de  doc- 
teurs; Tautre  attendait  Jeanne. 

Avant  de  l'y  conduire,  on  n'avait  rien  négligé  qui  pût  servir  à  la  fin  pro- 
posée. Dès  le  matin,  Jean  Beaupère,  le  plus  habile  et  le  plus  considérable  des 
docteurs,  le  bras  droit  de  Tévèque,  Tétait  venu  trouver  à  la  prison  pour  lui 
annoncer  la  cérémonie  préparée.  Il  lui  dit  que,  si  elle  était  bonne  chrétienne, 
elle  déclarerait  s'en  remettre  de  tout  en  l'ordonnance  de  notre  sainte  mère 
l'Eglise  :  et,  de  quelque  manière  qu'il  lui  ait  présenté  la  chose,  il  prétendit, 
au  jugement  de  réhabilitation  ,  qu'elle  promit  de  le  faire.  Nicolas  Loyseleur 
vint  ensuite  :  il  lui  avait  été  donné  à  titre  de  conseil;  et  sur  le  lieu  même 
de  la  cérémonie,  comme  on  avait  placé  Jeanne  au  seuil  d'une  petite  porte, 
avant  de  la  faire  monter  sur  l'échafaud,  il  était  près  d'elle,  l'exhortant  de 
toute  sa  force  à  faire  ce  qu'on  lui  demanderait,  et  l'assurant  qu'il  ne  lui 
arriverait  rien  de  mal,  qu'elle  serait  remise  à  l'Église.  C'est  ainsi  préparée 
qu'elle  arriva  sur  l'échafaud,  où  un  prédicateur  de  grand  renom,  Guillaume 
Erard,  devait  porter  le  dernier  coup. 

Il  prêcha  sur  ce  texte  de  saint  Jean  :  «  La  branche  ne  peut  produire  de 
fruit  elle-même,  si  elle  ne  demeure  sur  la  vigne.  »  Et  il  exposa  avec  am- 
pleur comment  tous  les  catholiques  doivent  demeurer  sur  la  vraie  vigne  de 
notre  sainte  mère  l'Église,  que  la  main  de  Jésus-Christ  a  plantée;  montrant 
que  Jeanne,  par  ses  erreurs  et  par  ses  crimes,  s'était  séparée  de  l'unité  de 
l'Église,  et  avait,  de  mille  sortes,  scandalisé  le  peuple  chrétien.  Au  milieu 
de  cette  longue  diatribe,  qui  se  résumait  en  ces  mots  :  sorcière,  hérétique, 
schismatique,  le  prédicateur,  entraîné  par  son  ardeur  :  «  O  France  !  s'ccria- 
t-il,  tu  es  bien  abusée  !  Tu  as  toujours  été  la  chambre  (maison)  très-chré- 
tienne ;  et  Charles,  qui  se  dit  roi  et  de  toi  gouverneur,  s'est  adhéré  comme 
hérétique  et  schismatique  (tel  est-il)  aux  paroles  et  aux  faits  d'une  femme 
inutile,  difïaniée  et  de  tout  déshonneur  pleine;  et  non  pas  lui  seulement, 
mais  tout  le  clergé  de  son  obéissance  et  seigneurie,  par  lequel  elle  a  été 
examinée  et  non  reprise,  comme  elle  a  dit.  »  Puis,  se  tournant  vers  Jeanne  , 
et,  pour  donner  plus  de  force  à  l'apostrophe,  l'interpellant  de  la  main  : 
«  C'est  à  toi,  Jeanne,  à  qui  je  parle,  et  te  dis  que  ton  roi  est  hérétique  et 
schismatique.  » 

Jeanne  avait  accepté  toutes  ces  injures  pour  elle  ;  mais,  entendant  qu'elles 


ROUEN.   —   L'ABJURATION. 


32  3 


montaient  jusqu'au  roi  :  «  Par  ma  foi!  sire,  dit-elle,  révérence  gardée,  je 


Fig.  141.  —  Vue  de  l'abbaye  de  Saint-Ouen ,  à  Rouen.  D'.iprès  le  Momislicon  gallicanum.  L'emplace- 
ment du  cimetière  de  l'abbaye  oii  Jeanne  fit  abjuraûon  restait  inconnu;  il  a  été  découvert  par  l'abbé 
Cochet,  de  regrettée  mémoire,  en  mars  1S71.  C'est  vers  l'endroit  placé  entre  les  lettres  A  et  S,  près 
de  l'église  Saint-Ouen,  que,  dans  la  matinée  du  24  mai  1431,  Jeanne,  épuisée  par  la  lutte,  et  comme 
étourdie  par  des  voix  de  toutes  sortes,  conseils,  menaces,  prières,  fit  abjuration  publi.^ue  d'erreurs  don 
elle  était  innocente.  Nous  la  verrons  quatre  jours  après  rétracter  cette  abjuration. 

VOUS  ose  bien  dire  et  jurer,  sur  peine  de  ma  vie,  que  c'est    le  plus  noble 
chrétien  de  tous  les  chrétiens,  et,  qui  mieux,  aime  la  foi  et  1"  Église. 

—  Fais-la  taire,  •>•  dit  à  l'huissier  le  prédicateur,  mal  content  de  son  inter- 
pellation. 


326  JEAN  NE   D'ARC. 


Il  reprit  son  discours,  et.  à  la  lin,  s'adressant  à  elle  sur  un  ton  plus 
adouci  : 

«  Voici,  dit-il,  messeigneurs  les  juges  qui,  plusieurs  fois,  vous  ont 
sommée  et  requise  de  soumettre  tous  vos  faits  et  dits  à  notre  sainte  mère 
r Église,  vous  montrant  qu'en  vos  dits  et  faits  étaient  plusieurs  choses  les- 
quelles, comme  il  semblait  aux  clercs,  n'étaient  bonnes  à  dire  et  à  sou- 
tenir. » 

Il  s'attendait  sans  doute  au  dénoùment  dont  l'avait  pu  flatter  Jean  Beau- 
père.  Jeanne  dit  :  "  Je  vous  répondrai.  »  Et,  vraiment  inspirée  :  «  Quanta  la 
soumission  à  l'Église,  je  leur  ai  répondu.  Je  leur  ai  dit  en  ce  point,  que 
toutes  les  choses  que  j'ai  faites  ou  que  j'ai  dites  soient  envoyées  à  Rome, 
devers  notre  saint-père  le  pape,  auquel,  et  à  Dieu  premier,  je  me  rapporte; 
et  quant  aux  dits  et  faits  que  j'ai  faits,  je  les  ai  faits  de  par  Dieu.  »  Elle 
ajouta  que  de  ces  faits  et  dits,  elle  ne  chargeait  personne,  ni  son  roi,  ni 
aucun  autre,  et  que  s'il  y  avait  quelque  faute,  c'est  à  elle  et  non  à  un  autre 
qu'il  la  fallait  rapporter. 

On  lui  demanda  si  elle  ne  voulait  pas  révoquer  ceux  de  ses  faits  ou  de  ses 
ditsqui  étaient  réprouvés  par  les  clercs,  elle  répondit:  «  Je  m'en  rapporte  à 
Dieu  et  à  notre  saint-père  le  pape.  » 

Cette  scène,  où  les  juges  avaient  cherché  la  glorification  publique  de  leur 
procès,  allait  tourner  à  leur  confusion.  Comment  accuser  de  ne  point  se  sou- 
mettre à  l'Église  celle  qui  s'en  rapportait  au  pape?  Ne  pouvait-on  pas, 
avec  bien  plus  de  raison,  accuser  de  mépris  pour  l'autorité  de  l'Église  ceux 
qui  ne  tenaient  aucun  compte  de  cet  appel  fait  à  son  chef?  Les  juges  embar- 
rassés représentèrent  «  qu'on  ne  pouvait  pas  aller  quérir  notre  saint  père  si 
loin;  que  les  ordinaires  étaient  juges  chacun  dans  leur  diocèse;  qu'il  fallait 
qu'elle  s'en  rapportât  à  notre  sainte  mère  l'Église  ainsi  entendue,  et  qu'elle 
tint  ce  que  les  clercs  et  les  gens  en  ce  se  connaissant  en  disaient  et  avaient 
diterminé  de  ses  dits  et  de  ses  faits.  » 

Tous  les  voiles  tombaient  donc  :  l'Église,  c'étaient  ses  juges;  c'est  à  l'en- 
nemi qu'elle  avait  eu  mission  de  combattre  et  de  chasser  de  F'rance  que  l'on 
voulait  que,  sous  peine  de  schisme  et  d'hérésie,  elle  s'en  remît  de  la  vérité 
de  sa  mission.  Il  fallait  bien  conclure.  Érard  prit  la  cédule  où  étaient  énu- 
mérées  les  diverses  choses  dont  on  l'accusait,  et  la  somma  de  les  abjurer. 


ROUEN.    —    I.'AI5JURATI0N.  327 

Mais  qu'était-ce  qu'abjurer?  elle  n'en  savait  rien,  ni  surtout  combien  ce 
qu'on  lui  présentait  comme  moyen  de  salut  offrait  de  périls Elle  de- 
manda donc  ce  que  cela  voulait  dire,  et  l'huissier  Massieu ,  chargé  par  Érard 
de  le  lui  expliquer,  en  profita  pour  luidireà  quoi  elle  s'exposait  si  elle  reve- 
nait jamais  sur  le  désaveu  qu'on  aurait  obtenu  d'elle.  Elle  suivit  son  con- 
seil, et  dit  à  haute  voix  :  «  Je  m'en  rapporte  à  l'Eglise  universelle  si  je  dois 
abjurer  ou  non.  —  Tu  les  abjureras  présentement  ou  tu  seras  arse  (brûlée) 
aujourd'hui  même,  »  s'écria  Erard  furieux. 

N.  Loyseleur,  qui  ne  l'avait  point  quittée,  lui  répétait  :  »  Faites  ce  que  je 
vous  ai  dit;  reprenez  l'habit  de  femme.  »  Tout  le  monde  la  pressait  : 
«  Faites  ce  qui  vous  est  conseillé.  Voulez-vous  vous  faire  mourir?  )>  Et  les 
juges  eux-mêmes  prenaient  le  langage  de  la  compassion  :  «  Jeanne,  nous 
avons  tant  pitié  de  vous!  Il  faut  que  vous  retranchiez  ce  que  vous  avez  dit, 
ou  que  nous  vous  livrions  à  la  justice  séculière.  »  Jeanne  protestait  toujours 
qu'elle  n'avait  rien  fait  de  mal ,  qu'elle  croyait  aux  douze  articles  de  foi  et 
aux  commandements  de  Dieu  ,  disant  de  plus  qu'elle  s'en  référait  à  la  cour 
de  Rome  et  croyait  ce  que  la  cour  croyait.  Et  comme  on  insistait  :  —  «  Vous 
vous  donnez  bien  du  mal  pour  me  séduire,  )■  ajoutait-elle. 

Cependant  l'évêque,  a3'ant  par  trois  fois  inutilement  renouvelé  ses  som- 
mations, commença  à  lire  la  sentence.  L'heure  était  redoutable  :  et  qui  s'é- 
tonnera qu'une  pauvre  fille  y  succombe?  Epuisée  par  la  lutte  et  comme 
étourdie  par  ces  voix  de  toutes  sortes,  conseils,  menaces,  prières,  elle 
tombe  tout  à  coup,  dans  ce  silence  imposant  où  il  semble  que  tout  le  monde 
l'abandonne,  devant  le  juge  qui  la  condamne  et  le  bourreau  qui  l'attend. 
Elle  cède;  elle  dit  :  «  Je  me  soumets  à  l'Eglise;  »  et  elle  priait  encore  saint 
Michel  de  l'aider  et  de  la  conseiller.  On  se  hâta  de  prendre  acte  de  sa  sou- 
mission en  forme  authentique.  Ce  long  débat ,  et  plus  encore  la  lutte  inté- 
rieure qu'elle  avait  dû  soutenir,  avaient  brisé  tout  ressort  en  elle.  L'huissier 
Massieu  lui  lisait  la  formule,  et  elle  la  redisait  après  lui,  comme  sans  savoir 
ce  que  cela  voulait  dire;  elle  souriait  en  répétant  les  mots,  si  bien  que  plu- 
sieurs croyaient  qu'elle  se  moquait. 

La  formule  d'abjuration,  telle  qu'elle  est  au  procès,  donnait  pleine  satis- 
faction aux  juges.  Jeanne  contre-signait  les  douze  articles  et  les  plus  violentes 
qualifications  de  l'accusateur.    Elle  confessait  qu'elle  avait  très-grièvement 


328  JEANNE  D'ARC. 


péché  en  feignant  mensongèrement  «  avoir  eu  des  révélations  et  apparitions 
de  par  Dieu,  en  séduisant  les  autres,  en  faisant  superstitieuses  divinations, 
en  blasphémant  Dieu  et  ses  saints^  »  qu'elle  avait  transgressé  la  loi  divine, 
la  sainte  Écriture  et  les  canons  «  en  portant  habit  dissolu ,  difforme  et  dés- 
honnête  contre  la  décence  de  nature,  et  cheveux  rognés  en  rond  en  guise 
d'homme  contre  toute  honnêteté  du  sexe  defemnie;  »  en  portant  les  armes, 
«  en  désirant  crueusement  (cruellement'  effusion  de  sang  humain;  »  en 
disant  qu'elle  avait  fait  tout  cela  par  commandement  de  Dieu ,  et  qu'elle 
avait  bien  fait;  "  en  méprisant  Dieu  et  ses  sacrements-,  »  en  faisant  sédition, 
idolâtrant  et  invoquant  les  mauvais  esprits.  Elle  confessait  de  plus  qu'elle 
avait  été  schismatique  et  par  plusieurs  manières  avait  erré  dans  la  foi.  Les- 
quels crimes  et  erreurs  elle  abjurait,  se  soumettant  à  la  correction  de  l'Eglise 
et  à  bonne  justice,  et  promettant  à  saint  Pierre  et  au  pape,  comme  à  l'évê- 
que  et  aux  juges  présents,  de  n'y  plus  retomber. 

Cette  formule,  qui  figure  au  procès  et  en  français  et  en  latin,  a  pourtant 
contre  elle  des  difficultés  assez  graves.  C'est  qu'elle  est  très-longue  (nous 
l'avons  considérablement  abrégée},  et,  au  témoignage  de  tous  ceux  qui  l'ont 
vue  et  entendue,  la  formule  lue  à  Jeanne  était  fort  courte.  Elle  dura  à  peu 
près  comme  un  Pater  iiostcr,  dit  Pierre  Miget  ;  et  elle  fut  lue  deux  fois, 
Jeanne  répétant  les  mots  après  Massieu.  Elle  avait  six  lignes  de  grosse  écri- 
ture, dit  le  greffier  Taquel ,  qui  était  proche;  six  ou  sept  lignes,  disent 
J.  Monnet  et  G.  de  la  Chambre;  et  ce  dernier  ajoute  qu'il  était  assez  près 
pour  en  voir  les  mots.  Mais  on  n'a  pas  seulement  le  témoignage  de  ceux 
qui  l'ont  vue  ou  entendue,  on  a  la  parole  de  celui  qui  l'a  lue  à  Jeanne. 
Massieu  déclare  «  que  la  formule  contenait  huit  lignes  au  plus,  et  fju'il  sait 
fermement  que  ce  n'est  pas  celle  dont  il  est  parlé  au  procès;  que  la  formule 
insérée  au  procès  n'est  pas  celle  qu'il  a  lue  lui-même  et  que  Jeanne  a 
signée.  » 

Il  n'est  pas  impossible,  en  effet,  qu'en  vue  de  l'accusation,  on  ait  dressé 
cette  longue  formule  qui  la  résume  et  la  sanctionne.  Mais  il  n'est  pas  invrai- 
semblable non  plus  qu'en  vue  de  l'accusée  et  de  ce  qu'on  voulait  obtenir 
d'elle,  on  en  ait  fait  une  autre  moins  susceptible  de  provoquer  la  révolte  de 
sa  conscience.  Le  procès- verbal  a-t-il  faussement  donné,  avec  son  signe  et 
son  nom,  une  pièce  qu'elle  n'a  pas  signée,    ou  comment  a-t-elle  signé  un 


Fig.  142.  —  Eglise  de  l'abbaye  de  Jumiége»,  xu'-  et  xm'^  siècle.  Élat  des  ruine»  en  1620,  daprês  les  Vuyagcs 
dans  l'ancienne  France,  par  J.  Taylor.  —  Nicolas  le  Roux,  abbé  de  Jumiéges,  assista  au  procès  de  condam- 
nation Je  la  Pucelle  et  à  la  scène  d'ah)uration. 

JEANNE    o'arC.    III.    —    42 


33o  JEANNE    DARC. 


pièce  qu'on  ne  lui  a  pas  lue?  Le  faux  n'étant  guère  supposable  avec  la  con- 
nivence du  greffier,  on  doit  le  chercher-dans  une  substitution  d'une  autre 
sorte,  et  l'on  en  peut  trouver  la  trace  dans  un  témoignage  recueilli  au  procès 
de  réhabilitation.  Si  l'on  en  croit  Haimond  de  Macy,  qui  était  là,  un  An- 
glais, le  secrétaire  du  roi  d'Angleterre,  Jean  Calot,  serait  venu  ici  en  aide 
aux  juges.  Dès  que  Jeanne  eut  cédé,  dit  le  témoin,  il  tira  de  sa  manche  un 
petit  papier  qu'il  lui  donna  à  signer,  et  ce  fut  lui  qui,  mal  content  du  signe 
qu'elle  y  avait  tracé,  lui  tint  la  main  et  la  guida  pour  qu'elle  y  mît  en  toutes 
lettres  son  nom. 

Une  chose  pressait  encore  les  juges  d'abréger  la  scène  :  c'est  qu'elle  était 
fort  mal  goûtée  des  Anglais.  Les  Anglais  croyaient  toucher  au  terme  de  ce 
procès,  dont  les  longueurs  suspendaient  tout  pour  eux  :  car,  tant  que  Jeanne 
vivait,  ils  n'osaient,  on  l'a  vu,  rien  entreprendre.  Ils  étaient  venus,  sûrs 
de  la  ressaisir  enfin  :  puisque,  si  elle  s'obstinait,  comme  on  devait  s'y 
attendre,  la  sentence  la  livrait  au  bras  séculier,  et  le  bourreau  était  là.  Ils 
ne  comprenaient  donc  rien  aux  efforts  des  juges  pour  obtenir  qu'elle  abjurtu, 
et  plus  d'une  fois  ceux-ci  furent  interrompus  par  des  murmures.  Mais, 
quand  on  vit  qu'ils  avaient  réussi ,  la  fureur  fut  au  comble  :  on  leur  jeta  des 
pierres;  un  chapelain  du  cardinal  de  Winchester,  qui  se  trouvait  auprès  de 
l'évéque,  l'appela  traître.  —  »  Vous  avez  menti,  »  dit  l'évéque. 

L'évèque  avait  raison  :  le  chapelain  avait  menti. 

Pour  rendre  à  l'Angleterre  l'autorité  qu'elle  avait  perdue,  il  ne  suffisait 
pas  de  brûler  Jeanne ,  comme  le  croyait  cette  soldatesque  superstitieuse  qui 
ajournait  jusqu'à  sa  mort  toute  espérance  de  la  victoire.  C'était  peu  que  de 
la  faire  mourir,  si  l'on  ne  frappait  d'abord  sa  mission.  Or,  pour  l'atteindre, 
rien  de  sûr,  nous  l'avons  dit ,  que  son  propre  désaveu.  Il  le  fallait  avoir  à 
tout  prix,  dût-on  l'acheter  pour  le  moment  par  la  grâce  de  la  vie.  D'ail- 
leurs, l'abjuration  acquise,  la  grâce  était  facilement  révocable.  La  fermeté 
avec  laquelle  Jeanne  avait,  pendant  près  de  deux  ans,  soutenu  devant  ses 
juges  la  vérité  de  sa  mission,  marquait  assez  comme  elle  en  était  convain- 
cue :  et  ces  convictions  ne  se  perdent  pas  dans  un  moment  d'étourdissement, 
de  lassitude  ou  même  de  faiblesse.  De  plus,  elle  n'avait  pas  seulement  re- 
noncé à  ses  idées,  elle  avait  renoncé  à  son  habit  d'homme.  Or  il  y  avait  un 
mo3ren  infaillible  de  lui  faire  reprendre  cet  habit  :  c'était,  au  pis  aller,  de 


ROUEN.  —  L'ABJURATION.  33i 


ne  point  lui  en  laisser  d'autre.  Il  n'en  fallait  pas  plus  pour  qu'elle  devînt 
relapse.  L'évèque  de  Beauvais  savait  donc  bien  ce  qu'il  faisait;  et  le  cardi- 
nal de  Winchester  ne  l'ignorait  pas  non  plus,  sans  doute.  Il  impcsa  dure- 
ment silence  à  son  chapelain,  et  quand  l'évèque,  après  l'abjuration,  prit  son 
avis  sur  ce  qu'il  fallait  faire  :  <f  L'admettre  à  la  pénitence,  »  dit  le  cardinal. 

L'évèque  prononça  donc  la  sentence. 

Après  avoir  rappelé  son  devoir  de  pasteur  et  résumé  tout  le  procès  ,  il 
énumérait  les  crimes  déjà  vus  dans  la  formule  d'abjuration  prêtée  à  Jeanne, 
et  l'en  déclarait  coupable;  mais,  considérant  qu'à  la  suite  de  tant  d'avertis- 
senients  charitables  elle  était  rentrée  au  sein  de  l'Eglise  et  avait  publique- 
ment abjuré  ses  erreurs,  il  l'absolvait  de  l'excommunication.  Toutefois, 
comme  elle  avait  péché  contre  Dieu  et  l'Église,  pour  sa  salutaire  péni- 
tence il  la  condamnait  à  la  prison  perpétuelle,  au  k  pain  de  douleur  et  à 
l'eau  d'angoisse,  »  afin  qu'elle  y  apprît  à  pleurer  ses  fautes  et  à  ne  plus  les 
commettre. 

Jeanne ,  absoute  de  l'excommunication  ,  aurait  bien  pu  espérer  sa  mise 
en  liberté.  C'est  par  là  qu'on  avait  tenté  de  la  séduire  :  Érard  lui  avait  dit 
qu'en  abjurant  elle  serait  délivrée  de  prison.  Condamnée  à  la  prison  par 
forme  de  pénitence,  elle  devait  compter  au  moins  n'en  avoir  pas  d'autre  que 
celle  de  l'Église.  C'était  de  droit,  tout  le  monde  s'y  attendait.  Plusieurs  en 
parlèrent  à  l'évèque;  et  Jeanne  elle-même,  comme  Loyseleur  la  félicitait, 
'<  d'avoir  fait  une  bonne  journée,  n  Jeanne  disait  à  ceux  qui  l'entouraient  : 
«  Or  çà,  entre  vous,  gens  d'Église,  menez-moi  en  vos  prisons ,  et  que  je  ne 
sois  plus  en  la  main  des  Anglais.  »  Mais  l'évèque  dit  :  «  Menez-la  où  vous 
l'avez  prise.  «  —  Pouvait-il  la  renvoyer  ailleurs?  Jeanne  était  aux  Anglais  : 
ils  avaient  fait  leurs  conditions  en  la  livrant  à  l'évèque.  Ils  ne  la  lui  avaient 
donnée  que  pour  la  juger,  condamnée  ou  non,  elle  retombait  en  leur  puis- 
sance. Mais  c'était  à  l'évèque  de  ne  point  accepter  des  conditions  qui  déna- 
turaient le  caractère  de  la  peine  et  ne  laissaient  à  son  jugement  de  force  que 
pour  la  mort;  c'était  à  lui  de  ne  pas  tromper  sa  victime  sur  les  suites  de  la 
soumission  qu'il  avait  tant  tra\aillé  à  lui  surprendre.  En  la  remettant  aux 
Anglais,  il  s'avouait  leur  complice  :  il  rendait  infaillible  cette  parole  d'un 
docteur  à  Warwick ,  comme  il  se  plaignait  que  le  roi  était  mal  servi  et  que 
Jeanne  échappait  :  «  Sire,  n'ayez  cure,  nous  la  rattraperons  bien.  » 


332  JEANNE  D'ARC. 


LA    RELAPSE. 


Dans  l'après-midi  du  même  jour  (jeudi),  les  juges  vinrent  trouver  Jeanne 
à  la  prison.  Ils  lui  rappelèrent  la  grande  miséricorde  qu'ils  lui  avaient  faite 
en  la  recevant  au  pardon  de  TÉglise,  rengagèrent  à  se  bien  soumettre  et  à 
ne  plus  revenir  à  ses  erreurs  :  l'avertissant  que  l'Église,  si  elle  y  retombait 
encore,  ne  la  recevrait  plus.  Puis  ils  l'invitèrent  à  laisser  l'habit  d'homme  et 
i\  vêtir  l'habit  de  femme ,  comme  l'Église  l'avait  ordonné  :  et  Jeanne  pro- 
mit d'obéir  en  toute  chose  et  elle  accepta  l'habit  qu'on  lui  présentait. 

Mais  le  dimanche,  un  bruit  se  répand  tout  à  coup  :  Jeanne  a  repris  ses 
habits  d'homme;  elle  est  relapse,  c'en  est  fait  d'elle!  Il  fallait  constater  la 
chose  :  encourut  à  la  prison;  et  ce  ne  fut  pas  sans  péril.  On  se  défiiat  de  ces 
prêtres;  on  soupçonnait  qu'ils  avaient  encore  dessein  de  tout  accommoder. 
Quand  ils  arrivèrent  dans  la  cour  du  château,  ils  virent  fondre  sur  eux  une 
centaine  d'Anglais  criant  qu'eux,  gens  d'Église,  étaient  tous  faux,  traîtres, 
Armag-neaux  et  faux  conseillers;  et  ils  eurent  grand'peine  à  échapper  à  ces 
furieux,  qui  les  menaçaient  de  leurs  épées  et  de  leurs  haches.  Rien  ne  se  fit 
ce  jour-là;  et  le  lendemain  le  greffier  Manchon,  mandé  au  château  pour 
y  remplir  son  office,  était  encore  si  elTra^'é  qu'il  refusa  de  s'v  rendre,  s'il 
n'avait  sûreté  :  il  n'y  vint  que  sous  la  protection  de  l'un  des  gens  du 
comte  de  "V\''ar\vick. 

Ce  même  jour  lundi  28  mai',  l'évêque  et  le  vice-inquisiteur,  accompa- 
gnés de  sept  ou  huit  maîtres,  se  rendirent  eux-mêmes  à  la  prison.  En  même 
temps  que  l'on  prenait  acte  du  fait,  il  n'était  pas  sans  intérêt  d'en  savoir  la 
cause.  Jeanne  n'était  pas  libre  là  où  elle  était.  Comment,  si  bien  gardée, 
avait-elle  repris  l'habit  d'homme?  Il  fallait  de  la  part  de  ses  gardiens  de  la 
connivence  au  moins,  sinon  autre  chose.  Dans  tous  les  cas,  il  était  bon  d'en 
savoir  les  motifs  avant  d'en  rien  décider  :  un  des  assesseurs,  Marguerie,  osa 
en  faire  l'observation.  ■>  Taisez-vous  ,  de  par  le  diable!  »  lui  dit  quelqu'un; 
et  les  soldats ,  l'appelant  traître  Armagnac ,  avaient  levé  leurs  lances  pour 
l'en  frapper. 

Les  juges  vinrent  donc,  et  demandèrent  à  Jeanne  pourquoi  elle  avait  pris 


|Bi 


ROUEN.  L'ABJURATION 


333 


Kig.  14:*.  —  Jeanne  en  prison,  dessin  de  lienoiiville,  (Communiqué  par  M""^  Marjolin-ScheHer,  à  Paris. 

cet  habit  et  qui  le  lui  avait  fait  prendre.  Elle  répondit,  selon  le  procès- 
verbal,  qu'elle  l'avait  pris  de  sa  volonté ,  sans  nulle  contrainte;  qu'elle  aimait 
mieux  l'habit  d'homme  que  l'habit  de  femme. 


334  JEANNE   DARC. 


a  Mais,  lui  dit-on,  vous  aviez  promis  et  juré  de  ne  pas  reprendre  cet 
habit.  —  Je  n'ai  jamais  entendu  faire  serment  de  ne  pas  le  reprendre. 

—  Pourquoi  donc  Favez-vous  repris?  —  Parce  qu'il  est  plus  con- 
venable d'avoir  habit  d'homme  étant  entre  les  honimes ,  que  d'avoir 
habit  de  femme.  »  Et  elle  ajouta  d'ailleurs  qu'elle  avait  eu  le  droit  de  le 
reprendre,  puisqu'on  ne  lui  avait  pas  tenu  ce  qu'on  lui  avait  promis, 
c'est-à-dire  d'aller  à  la  messe,  de  recevoir  son  Sauveur  et  d'être  mise  hors 
des  fers. 

»  Vous  aviez  abjuré,  et  tout  spécialement  promis  de  ne  pas  reprendre 
l'habit  d'homme.  —  J'aime  mieux  mourir  que  d'être  aux  fers.  Mais  si  on 
me  veut  laisser  aller  à  la  messe  et  m'ôter  des  fers,  si  on  veut  me  mettre  en 
prison  gracieuse,  et  que  j'aie  une  femme,  je  serai  bonne  et  ferai  ce  que 
l'Église  voudra.  » 

L'Église,  telle  que  la  faisait  Pierre  Cauchon,  n'avait  plus  de  conditions 
à  débattre  avec  elle.  Le  juge,  bien  sijr  de  la  trouver  relapse  autrement  que 
par  l'habit,  lui  demanda  si  depuis  le  jeudi,  jour  de  l'abjuration,  elle  n'avait 
point  entendu  ses  voix  :  —  «  Oui ,  dit  Jeanne  sans  éviter  le  piège  qu'on  lui 
tendait. 

—  Et  que  vous  ont- elles  dit  ?  » 

Elle  répondit  (on  lit  à  la  marge  des  manuscrits  authenthiques  ces  mots  : 
Réponse  mortelle,  responsio  mortifera)  : 

«  Dieu  m'a  mandé  par  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite  la  grande 
pitié  de  la  trahison  que  j'ai  consentie  en  faisant  abjuration  pour  sauver  ma 
vie;  que  je  me  damnais  pour  sauver  ma  vie.  «  Elle  ajouta  qu'avant  le  jeudi 
même,  ses  voix  lui  avaient  dit  ce  qu'elle  ferait  en  ce  jour-,  que  sur  l'écha- 
faud  ,  elles  lui  disaient  de  répondre  hardiment  à  ce  prêcheur,  à  ce  faux 
prêcheur,  comme  elle  l'appelait  elle-même ,  qui  l'avait  accusée  d'avoir  fait 
des  choses  qu'elle  n'avait  pas  faites-,  et,  affirmant  de  nouveau  sa  mis- 
sion :  «  Si  je  disais  que  Dieu  ne  m'a  pas  envoyée ,  je  me  damnerais  :  la 
vérité  est  que  Dieu  m'a  envoyée.  >>  Elle  finissait  par  s'accuser  de  sa  fai- 
blesse :  '<  Mes  voix,  disait-elle,  m'ont  dit  que  j'avais  fait  une  grande  mau- 
vaiseté  de  confesser  n'avoir  pas  bien  fait  ce  que  j'ai  fait,  «  ajoutant  que 
c'est  par  peur  du  feu  qu'elle  avait  dit  ce  qu'elle  avait  dit. 

«  Crovez-vous  que  vos  voix  soient  sainte  Marguerite  et  sainte  Catherine  ? 


ROUEN.    —   L'ABJURATION.  335 


dit  le  juge,  reprenant  avec  empressement  tous  les  points  de  rabjuration.  — - 
Oui,  qu'elles  sont  de  Dieu. 

—  Mais  sur  l'échafaud  vous  aviez  dit  que  mensongcrement  vous  vous 
étiez  vantée  que  c'était  sainte  Catherine  el  sainte  Marguerite.  ^  Jene  Ten- 
tendais  point  ainsi  faire  ou  dire.  » 

Elle  afiirma  derechef  qu'elle  n'avait  jamais  entendu  révoquer  ses  appari- 
tions, et  que ,  si  elle  avait  révoqué  quelque  chose ,  c'était  par  crainte  du  feu  et 
contre  la  vérité.  —  Elle  pouvait  maintenant  avouer  cette  peur,  car  elle  ne 
l'avait  plus,  et  elle  savait  où  la  menaient  ses  paroles.  Mais  elle  déclarait 
qu'elle  aimait  mieux  faire  sa  pénitence  en  une  fois,  c'est-à-dire  mourir,  que 
d'endurer  plus  longuement  la  prison.  Elle  protestait  qu'elle  n'avait  jamais 
rien  fait  contre  Dieu  ou  la  foi,  quelque  chose  qu'on  lui  ait  fait  révoquer; 
qu'elle  n'entendait  rien  révoquer  sans  le  bon  vouloir  de  Dieu.  Elle  ajoutait 
que  si  les  juges  voulaient,  elle  reprendrait  l'habit  de  femme  (elle  en  avait  dit 
les  conditions),  et  que  du  reste  elle  n'en  ferait  autre  chose. 

Les  juges  se  retirèrent.  Tout  était  consommé.  Plusieurs  s'en  aflligèrent 
sincèrement,  Pierre  Maurice,  par  exemple;  mais  d'autres  s'en  réjouirent  en 
témoignant  bruyamment  leur  joie.  L'évèque,  sortant  de  la  prison,  vit  le 
comte  de  Warwick  et  une  multitude  d'Anglais  qui  attendaient  avec  impa- 
tience le  résultat  de  cette  visite;  et  ne  voulant  pas  le  tenir  plus  longtemps 
en  suspens  :  «  Fareivell ,  Fareivell,  cria-t-il  en  riant;  faites  bonne  chère  : 
c'est  fait.  » 

Cette  fière  déclaration  semblait  pourtant  détruire  tout  ce  qu'on  avait  gagné 
par  la  scène  de  l'abjuration;  mais  on  ne  pouvait  tout  faire  à  la  fois,  et, 
pour  le  moment,  elle  donnait  au  juge  la  satisfaction  de  mener  le  procès  où 
les  Anglais  voulaient  qu'il  aboutît,  sans  avoir  rien  sacrifié  des  formes  impo- 
sées par  la  procédure  de  l'Eglise.  La  procédure  a  suivi  toutes  ses  phases 
sans  précipitation;  mais  la  conscience  du  juge  en  est-elle  plus  assurée,  et 
l'habileté  qu'il  montre  dans  cette  conduite  ne  le  rend-elle  pas  plus  cou- 
pable ?  Son  intelligence  ne  s'abuse  pas,  mais  il  refuse  de  voir  et  d'entendre. 
Et  qu'est-ce  donc  s'il  supprime  ou  s'il  voile  ce  qui,  aux  veux  des  autres, 
pourrait  laisser  percer  la  vérité? 

En  effet,  dans  ce  dernier  et  solennel  interrogatoire,  notamment  sur  le 
point  qui  le  motiva,  la  reprise  de  l'habit  d'homme,  le  procès-verbal  a-t-il 


Fi<*.  144.  —  Jeanne  affirme  qu'elle  n'a  jamais  entendu  révoquer  ses  apparitions,  et  que,  si  elle  a  révoqué  quelque  chose, 
comme  reljysf.  Le  greffier  a  écrit  en  marge  :  Réponse  vwrtellc.  —  Fac-similé  de  l'un  des 

OrUcHvCs^^  I^Uvt-VA^r  <1^vwi1cvOh^'ui   Ct  louera ftOHr:p^A£^iii, 
^  St^  fxJ?'  '■^I^lf  ^^>>v^  #^t»i^  -^^^  \^«  -pQKitp^  flêj 


c'est  par  peur  du  leu  et  pour  sauver  sa  vie.  C'est  en  effet  sur  cette  déclaration  que  Jeanne  fut  condamnée 
manuscrits  autlientiques  Ju  texte  du  procès,  conservée  à  la  bibliothèque  nationale,  fonds  latin,  n°  Sgôô. 


Lecture.  —  Inlerrogata  qiiid  sibi  dixerunt  :  respondit  qiiod  Deus  mandavit  sibi, 
per  sanctas  Katharinam  et  Margaretam,  magnam  pietatem  illius  grandis  proditionis 
in  quam  ipsa  Johanna  ainsenserat ,  faciendo  abjuralioncm  et  revocalionem  pro  sahando 
vilain  snani  ;  et  quoj  ipsa  se  damnaverat  pro  salvando  vilatn  suani.  Item  di.vit  quod, 
ante  diem  jovis,  voces  suae  sibi  dixerunt  illud  quod  ipso  illo  die  faceret  et  quod  protuni 
ipsa  fecit.  Dixit  ultra  quod  voces  suae  sibi  dixerunt  quando  erat  in  scafaldo  seu 
ambone,  coram  populo,  quod  audacter  responderet  illi  praedicatori,  qui  tune  praedi- 
cabat .  dicebatque  eadein  Johanna  quod  ille  erat  falsus  praedicaior  et  quod  plura 
dixerat  eam  fectsse  quae  ipsa  non  fecerat.  Item  dixit  quod,  si  ipsa  diceret  quod  Deus 
non  mississet  eam,  ipsa  damnaret  se,  et  quod  veraciter  Deus  ipsam  misit. 

Affirma  ut  supra.  Boscguillaume. 


Responsio 
mortifera. 


Traduction.  —  Interrogée  sur  ce  qu'elles  lui  ont  dit ,  a  répondu  :  Que  Dieu  lui 
a  mandé,  par  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite,  la  grande  pitié  qu'elle  a  eue  de 
cette  grande  trahison  à  laquelle  elle-même  a  consenti,  en  faisant  abjuration  et  révo- 
cation pour  sauver  sa  vie,  et  qu'elle  s'était  damnée  pour  sauver  sa  vie.  De  même 
elle  dit  qu'avant  jeudi  dernier  ses  voix  lui  avaient  dit  ce  qu'elle  ferait  et  ce  qu'elle  a 
fait  ce  jour-k'l.  Elles  dit  encore  que  ses  voix  lui  dirent,  quand  elle  était  sur  l'échafaud 
devant  le  peuple,  de  répondre  hardiment  au  prêcheur  qui  parlait.  Et  Jeanne  disait 
aussi  qu'il  était  un  faux  prêcheur,  et  qu'il  lui  avait  reproché  d'avoir  fait  beaucoup 
de  choses  qu'elle  n'avait  pas  faites.  Enfin,  elle  déclara  que,  si  elle  disait  que  Dieu 
ne  l'avait  pas  envoyée,  elle  se  damnerait ,  car  la  vérité  est  que  Dieu  l'a  envoyée. 

J'affirme  comme  ci-dessus.  Boisguillaume. 


Réponse 
mortelle. 


JEANNE    D  ARC.    III 


338  JEANNE  D'ARC. 


tout  dit?  Thomas  de  Courcelles,  qui  le  mit  en  latin,  s'exprime  dans  le 
procès  de  révision  à  peu  près  comme  le  faisait  le  texte  officiel  :  «  Interrogée 
sur  ses  motifs,  elle  répondit  qu'elle  l'avait  fait  parce  qu'il  lui  paraissait  plus 
convenable  de  porter  l'habit  d'homme  parmi  les  hommes  que  Thabit  de 
femme.  »  Mais  Manchon,  qui  tenait  la  plume  alors,  ajoute  comme 
témoin  à  ce  qu'il  avait  écrit  comme  greffier  :  «  Elle  répondit  qu'elle 
Tavait  fait  pour  défendre  sa  pudeur,  parce  qu'elle  n'était  point  en  sûreté 
sous  ses  habits  de  femme  avec  ses  gardiens  qui  voulaient  attenter  à  sa 
pudeur.  » 

Qu'on  se  rappelle  comment  Jeanne  était  gardée,  et  quelles  étaient  les 
dispositions  des  Anglais  envers  elle.  Jeanne  était  aux  fers  sous  la  garde  de 
cinq  soldats,  dont  trois  se  tenaient  dans  sa  prison  et  deux  à  la  porte  :  «  Je 
sais,  ))  dit  l'huissier  Massieu,  celui  qui  l'allait  prendre  à  la  prison  pour  la 
mener  au  tribunal,  «  je  sais  de  certain  que  de  nuit  elle  était  couchée  ferrée 
par  les  jambes  de  deux  paires  de  fer  à  chaîne,  et  attachée  moult  étroitement 
d'une  chaîne  traversante  par  les  pieds  de  son  lit,  tenante  à  une  grosse  pièce 
de  bois  de  longueur  de  cinq  à  six  pieds,  et  fermante  à  clef,  par  quoi  ne 
pouvoit  se  mouvoir  de  la  place.  »  Plusieurs  fois,  sous  ses  habits  d'homme 
qu'elle  ne  quittait  jamais,  elle  avait  été  en  butte  aux  brutalités  de  ses  gar- 
diens :  l'évêque  le  savait  bien;  il  avait  reçu  ses  plaintes,  et  un  jour  il  avait 
fallu  que  "Warwick  accouriit  pour  la  sauver  du  dernier  outrage  parmi  ces 
délégués  de  la  justice!  Mais  maintenant  la  sentence  était  portée-,  l'évêque 
l'avait  rendue  aux  Anglais  :  elle  leur  était  comme  livrée.  Lorsqu'on  la  ra- 
menait de  Saint-Ouen,  les  valets  [mangones)  l'insultaient  et  les  maîtres  les 
laissaient  faire.  A  quoi  n'était-elle  point  exposée,  seule  dans  la  prison,  en- 
chaînée, en  compagnie  de  ces  cinq  hotispilleiirs ,  comme  ils  sont  appelés 
quelque  part!  Isambard  de  la  Pierre,  qui  est  nommé  au  procès-verbal 
parmi  les  assistants  de  l'évêque  en  ce  même  interrogatoire,  confirme,  comme 
l'ayant  entendu  lui-même,  ce  qu'en  a  dit  dans  sa  déposition  le  greffier 
Manchon,  et  il  ajoute  que  «  de  fait,  »  quand  il  entra,  «  il  la  vit  éplorée,  son 
visage  plein  de  larmes,  défigurée  et  outragée  en  telle  sorte  qu'il  en  eut 
pitié.  )>  Il  en  sut  davantage  de  Jeanne  dans  un  entretien  qu'il  eut  plus  tard 
avec  elle  :  et  ici  son  témoignage  est  confirmé  par  celui  de  Martin  Ladvenu, 
qui  la  confessa  et  l'administra  pour  la  dernière  fois.  Ce  ne  furent  pas  seule- 


ROUEN.    -   L'ABJURATION. 


339 


ment  ces  soldats  de  bas  étage,  ces  hoitspilleiirs  placés  auprès  d'elle  :  c'est 
un  milord  anglais  qui  entra  dans  son  cachot  et  tenta  de  la  violer. 

Voilà  pourquoi  Jeanne  reprit Thabit  d'homme,  dût-elle  après  cela  mourir. 
L'huissier  Massieu  en  donne  une  autre  raison  encore.  Le  dimanche  matin 
Jeanne,  étant  dans  son  lit,  dit  à  ses  gardiens  :  «  Déferrez-moi  et  je  me 
lèverai.  »  Mais  l'un  d'eux,  s'approchant,  lui  retira  ses  vêtements  de  femme, 
et  ils  lui  jetèrent  son  habit  d'homme  que  l'on  gardait  (pourquoi?)  dans  un 
sac  en  quelque  coin  delà  prison.  «  Messieurs,  leur  dit  Jeanne,  vous  savez 


Fig.  145.  —  Jeanne,  en  prison  à  Rouen  et  chargée  de  chaînes,  est  insultée  par  ses  geôliers. 
Bas-relief  de  M.  Vital-Dubray,  à  Orléans,  xix'^  siècle. 


qu'il  m'est  défendu  :  sans  faute,  je  ne  le  prendrai  pas.  »  Mais  ils  ne  voulu- 
rent point  lui  en  donner  d'autre ,  et  à  la  fin,  forcée  de  se  lever,  elle  le  dut 
prendre  et  garder,  nonobstant  ses  protestations.  Il  n'est  pas  impossible,  en 
effet,  que  les  Anglais,  n'ayant  pu  parvenir  à  leurs  fins,  aient  résolu  d'en 
finir  avec  elle  de  cette  autre  manière;  mais  si  Jeanne  réclama  ses  habits  de 
femme,  voulant  savoir  à  quelle  intention  on  les  lui  ôtait,  il  est  douteux 
qu'elle  ait  tant  insisté  pour  les  reprendre.  Elle  put  donner  cette  raison  à 
Massieu,  parce  que  cela  suffisait  bien  pour  l'excuser;  elle  n'en  dit  rien 
devant  ses  juges,  parce  qu'elle  était  résolue  de  ne  plus  se  vêtir  en  femme,  à 
moins  d'être  gardée  dans  une  autre  prison,  «  aj'ant  une  femme  avec  elle.  » 
C'est  un  trait  que  Thomas  de  CourccUes  a  supprimé  de  sa  rédaction  ofîi- 


340  JEANNE  D'ARC. 


cielle,  comme  insignifiant  sans  doute  !  mais  qu'on  retrouve  dans  la  copie  de 
la  minute  française  du  procès-verbal  ;  et  il  achève  de  répandre  la  lumière 
sur  ceux  qu'on  y  a  gardés.  La  minute  même  n'a-t-elle  pas  supprimé  autre 
chose  ?  On  serait  en  droit  de  le  conclure  en  rapprochant  ce  que  Manchon 
a  écrit  alors  et  ce  qu'il  a  dit  plus  tard.  Que  si  rien  d'important  n'a  été  sup- 
primé, il  faut  croire  que  les  paroles  de  Jeanne,  avec  le  commentaire  qu'on 
avait  sous  les  yeux,  en  disaient  assez  pour  la  faire  comprendre ,  puisque 
deux  témoins  de  la  scène,  l'un  assesseur,  l'autre  greffier  du  juge,  l'ont  com- 
prise ainsi. 

Le  juge  l'avait  bien  comprise  lui-même  sans  doute,  et,  s'il  eût  voulu 
reconnaître  que  la  pudeur  de  la  femme  n'est  pas  moins  sacrée  que  son  habit, 
il  aurait  dû  s'accuser  d'avoir  mis  Jeanne  dans  la  nécessité  de  retomber,  en 
la  renvo3'ant  dans  ces  prisons  où  il  fallait  qu'elle  sacrifiât  l'une  des  deux 
choses  à  l'autre.  Or,  pour  Jeanne,  l'alternative  n'était  pas  douteuse,  dût- 
elle  se  placer  par  son  choix  en  présence  de  la  mort.  Mais  il  ferma  son  cœur 
à  ce  sentiment;  et,  bien  loin  d'être  touché  de  cet  héroïsme,  il  avait  ramené 
Jeanne  à  d'autres  questions  où  il  était  bien  sur  de  la  retrouver  telle  qu'elle 
était  au  procès  ,  comme  pour  l'entraîner  de  chute  en  chute  au  plus  profond 
de  l'abîme  où  elle  devait  périr.  Les  Anglais  avaient  donc  calomnié  Pierre 
Cauchon  :  il  n'était  pas  traître  au  roi.  Tout  en  satisfaisant  sa  propre  haine, 
il  avait  bien  gagné  son  argent. 

Le  lendemain  ,  mardi ,  l'évêque  réunit  dans  la  chapelle  du  palais  archi- 
épiscopal une  nombreuse  assemblée  d'abbés  et  de  docteurs.  Il  leur  rappela 
tout  ce  qui  s'était  passé  depuis  la  veille  de  la  Pentecôte  :  l'abjuration  de 
Jeanne,  et  comment,  après  avoir  accueilli  ses  admonitions  et  reçu  l'habit  de 
femme  ,  elle  avait  repris  l'habit  d'homme  et  renouvelé  toutes  ses  affirmations 
touchant  ses  voix.  Il  fit  lire  l'interrogatoire  qui  avait  suivi  et  ses  réponses 
consignées  au  procès- verbal.  Puis  il  prit  l'avis  de  chacun.  Tous  la  déclarè- 
rent relapse,  non-seulement  Nicolas  Loyseleur,  le  traître,  mais  Isambard 
de  la  Pierre  et  Martin  Lad  venu,  qui  l'assistèrent  à  ses  derniers  moments;  et 
pourtant  ils  ne  se  faisaient  aucune  illusion  sur  le  crime  qu'elle  pouvait  avoir 
commis  en  reprenant  l'habit  d'homme  :  ils  témoignent  au  procès  de  révision 
des  raisons  capitales  qui  l'y  contraignirent.  Personne  n'entreprit  de  l'excuser, 
je  ne  dis  pas  de  la  défendre.  La  plupart,  à  l'exemple  de  l'abbé  de  Fécamp, 


342 


JEANNE  D'ARC. 


furent  d'avis  qu'on  lui  relût  la  formule  d'abjuration  (cela  les  décharge  au 
moins  de  toute  complicité  dans  la  substitution  d'une  fausse  formule) ,  et 
qu'on  l'avertît  charitablement  touchant  le  salut  de  son  âme;  mais  ils 
voulaient  qu'on  lui  déclarât  qu'elle  n'avait  plus  rien  à  espérer  dans  la  vie 
présente.  Elle  devait  être  livrée  au  bras  séculier. 

L'évêque,  ayant  recueilli  les  avis,  remercia  ses  conseillers,  et  fit  assigner 
Jeanne  à  comparaître  le  lendemain  sur  la  place  du  Vieux-Marché;  c'était 
là  qu'il  devait  achever  la  procédure  en  livrant  Jeanne  au  ]uge  civil ,  et  par  ce 
juge  au  bourreau. 


ignatures  des  trois  notaires  d'église  :  Boisguillaume ,  (i.  Manchon  et  N.  Taqucl , 

employés  comme  greffiersau  procès  de  la  Pucelle. 

Tiré  du  ms.  authentique,  conservé  à  la  biblioth.  nat.,sous  le  n"  Soûj  latin. 


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,  biblioth^quo  de  M.  Arabroîse  F.-TJHi 


ROUEN 


LE   SUPPLICE 


La  Visite  à  la- prison.  —  La  Place  du  Vieux-Marché 


LA    VISITE     A     LA    PRISON'. 


:s  le  matin,  le  mercredi  3o  mai,  frère 
Martin   Ladvenu    et    frère   Jean  Tout- 

mouillc  vinrent,  sur  Tordre  de  révèque, 
trouver  Jeanne  dans  la  prison  pour  la 
préparer  à  mourir.  Jeanne,  en  révoquant 


Initiale  d'an  manuscrit  latin  du  XV-  si. 
Biblioth,  de  M.  Ambroise  F.-Didot. 


>ur  tous  les  points  son  abjuration  ,  savait 
à  quoi  elle  s'exposait;  en  avouant  qu'elle 
avait  cédé  à  la  peur  de  la  mort ,  elle  mon- 
trait bien  qu'elle  ne  la  craignait  plus. 
Néanmoins ,  la  première  annonce  du  sup- 
plice auquel  on  la  destinait  réveilla  en 
elle  toute  la  sensibilité  de  la  femme.  «  Quand  ledit'Ladvcnu  ,  dit  l'autre  frère, 
annonça  à  la  pauvre  femme  la  mort  dont  elle  devoit  mourir  ce  jour-là  , 
qu'ainsi  ses  juges  l'avoient  ordonné  et  entendu ,  et  qu'elle  ouït  la  dure  et 
cruelle  mort  qui  lui  étoit  prochaine ,  elle  commença  à  s'écrier  douloureuse- 
ment et  piteusement ,  se  destraire  (tirer)  et  arracher  les  cheveux  :  «  Hélas  I 
«  me  traite-t-on  si  horriblement  et  cruellement,  qu'il  faille  que  mon  corps 
<i   net  en  entier,   qui  ne  fut  jamais  corrompu,  soit  aujourd'hui  consumé  et 


344  JEANNE  D'ARC. 


«  rendu  en  cendres  !  Ah  !  ah  !  j'aimerois  mieux  être  décapitée  sept  fois  que 
«  d'être  ainsi  brûlée.  Hélas!  si  j'eusse  été  en  la  prison  ecclésiastique  à 
«  laquelle  je  m'étois  soumise  ,  et  que  j'eusse  été  gardée  par  les  gens  d'Église , 
«  non  pas  par  mes  ennemis  et  adversaires,  il  ne  me  fût  pas  si  misérable- 
«  ment  meschu ,  comme  il  est.  Oh  !  j'en  appelle  devant  Dieu,  le  grand  juge, 
«  des  grands  torts  et  ingravances  qu'on  me  fait.  » 

Comme  elle  se  plaignait  ainsi,  survint  l'évèque.  A  sa  vue,  elle  s'écria  : 
«  Évêque ,  je  meurs  par  vous  !  —  Ah  !  Jeanne ,  dit  l'évèque ,  prenez  en  pa- 
tience. Vous  mourez  pour  ce  que  vous  n'avez  tenu  ce  que  vous  nous  aviez 
promis,  et  que  vous  êtes  retournée  à  votre  premier  maléfice.  » 

Et  la  pauvre  Pucelle,  continue  le  frère,  lui  répondit  : 

«  Hélas!  si  vous  m'eussiez  mise  en  prison  de  cour  d'Église,  et  rendue 
entre  les  mains  des  concierges  ecclésiastiques  compétents  et  convenables , 
ceci  ne  fût  pas  advenu  :  pour  quoi  j'appelle  de  vous  devant  Dieu.  » 

Que  venait  faire  le  juge  à  la  prison?  et  pourquoi  devançait-il  le  moment 
qu'il  avait  marqué  à  Jeanne  pour  comparaître  ?  » 

Ce  qui  le  ramenait  auprès  de  Jeanne,  ce  n'était  point  cette  question  de 
l'habit.  Il  savait  trop  bien  ù  quoi  s'en  tenir  sur  ce  point.  D'ailleurs,  que 
faisait  maintenant  l'habit?  Il  avait  accompli  son  office,  puisqu'il  menait 
Jeanne  à  la  mort  ;  et  la  Pucelle  ne  le  réclamait  pas  davantage.  Elle  le  vou- 
lait pour  être  en  prison  ;  elle  ne  le  demandait  point  pour  mourir.  Lorsqu'au 
milieu  de  ses  refus  de  quitter  l'habit  d'homme,  elle  avait  prié  ses  juges  de 
lui  donner,  si  elle  devait  être  menée  au  supplice,  «  s'il  la  falloit  dévcstir  en 
jugement,  »  une  chemise  de  femme,  et  que  ceux-ci  s'en  étonnaient  comme 
d'une  contradiction ,  elle  avait  répondu  :  «  Il  suffit  qu'elle  soit  longue.  » 
Mais  il  y  avait  d'autres  points  de  sa  rétractation  qui  mettaient  à  néant  tout 
le  résultat  de  cette  procédure.  Tant  d'ellbrts  pour  ruiner  par  sa  propre 
parole  l'autorité  de  sa  mission,  pour  y  montrer  une  illusion  du  diable,  et 
retourner  ainsi  contre  le  roi  de  France  l'impression  qu'elle  avait  faite  en 
faveur  de  ce  prince,  devaient-ils  donc  être  perdus?  Non.  Pour  l'amener  à 
l'abjuration,  on  lui  avait  laissé  la  vie:,  pour  lui  reprendre  la  vie,  on  l'avait 
poussée  à  s'en  dédire.  Il  s'agissait  de  la  ramener  à  son  premier  désaveu,  à 
présent  que  cela  même  ne  pouvait  plus  la  sauver  de  la  mort. 

Le  moven  aurait  été  trouvé  ,  si  l'on  en  croit  une  information  faite  le  jeudi 


ROUEN.   —   1,E   SUPPLICE.  345 

7  juin,  le  neuvième  jour  après  la  mort  de  Jeanne,  information  qui  figure  à 
la  suite  du  procès,  écrite  de  la  même  main  que  le  procès  lui-même,  mais 
sans  signature. 

D'après  les  témoignages  produits  dans  cette  prétendue  enquête  ,  le  jour  de 
l'exécution,  Pierre  Maurice,  qui  avait  témoigné  de  l'intérêt  pour  Jeanne,  et 
Nicolas  Loyseleur,  qui  avait  gagné  sa  confiance  pour  la  trahir,  étaient 
venus  dès  la  première  heure  à  la  prison,  sous  le  prétexte  de  l'exhorter  et  de 
la  faire  penser  à  son  salut.  Ils  la  pressèrent  de  dire  la  vérité  sur  ses  appari- 
tions ,  et  notamment  sur  Tange  qui  avait  apporté  au  roi  une  couronne.  Elle 
dit  que  l'ange,  c'était  elle ,  et  la  couronne,  la  promesse  du  couronnement 
qu'elle  apportait  au  roi  en  s'engageant  à  le  faire  couronner.  Quant  à  ses 
apparitions,  elle  les  affirmait.  Sous  quelle  forme  lui  venaient-elles?  Elle  ne 
le  déterminait  pas  proprement.  Mais  elle  a  vu  deses3'eux,  elle  a  entendu  de 
ses  oreilles;  et  comme  Pierre  Maurice  lui  faisait  observer  que  souvent,  au 
bruit  des  cloches,  on  croit  entendre  et  comprendre  certaines  paroles,  elle 
rejeta  l'explication  et  dit  qu'elle  avait  réellement  entendu  ces  voix.  Il  y  avait 
un  fait  d'ailleurs  qu'on  ne  cherchait  point  à  contester,  et  dont  on  voulait 
s'appuyer  pour  ébranler  la  confiancede  Jeanne  en  ses  visions  :  c'est  qu'elles 
lui  avaient  promis  sa  délivrance,  et  Jeanne  allait  mourir.  Pierre  Maurice 
lui  rappela  cette  parole,  et  lui  remontra  qu'il  apparaissait  bien  que  c'étaient 
de  mauvais  esprits,  puisqu'ils  l'avaient  trompée.  —  «  Soient  bons,  soient 
mauvais  esprits ,  dit  Jeanne,  ils  me  sont  apparus.  —  Étaient-ils  bons  ou  mau- 
vais ?  —  Je  ne  sais,  disait-elle,  je  m'en  attends  à  ma  mère  l'Eglise,  »  ou  bien 
encore,  «  à  entre  vous,  qui  êtes  gens  d'Église.  » 

Lorsque  l'évêque  arriva  avec  le  vice-inquisiteur  et  plusieurs  autres  asses- 
seurs, la  victoire,  selon  ce  même  document,  était  donc  déjà  assurée.  On  a 
vu  par  la  déposition  de  Jean  Toutmouillé  comme  Jeanne  l'accueillit.  Ici , 
c'est  l'évêque  qui  l'interpelle.  Il  place  immédiatement  la  question  sur  le  ter- 
rain où  on  avait  bien  compté  la  résoudre  :  «  Or  çà ,  Jeanne ,  dit-il ,  vous  nous 
avez  toujours  dit  que  vos  voix  vous  disaient  que  vous  seriez  délivrée,  et 
vous  voyez  comme  elles  vous  ont  déçue  ;  dites-nous  maintenant  la  vérité.  » 
Jeanne  répondit  :  «  Vraiment ,  je  vois  bien  qu'elles  m'ont  déçue.  »  Et  elle 
ajouta  même,  selon  un  autre,  que  puisque  les  gens  d'Église  tenaient  pour 
certain  que  ces  apparitions  venaient  de  mauvais  esprits  ,  elle  croyait  désor- 

JEANNE   d'arc.    111.   —    14 


346  JEANNE   D'ARC. 


mais  ce  que  crevaient  les  gens  d'Église,  et  ne  voulait  plus  ajouter  foi  à  ces 
esprits.  Jeanne  abjurait  donc  de  nouveau ,  mais  il  fallait  rendre  l'abjuration 
publique.  Nicolas  Loyseleur  se  chargea  de  l'y  préparer.  Pour  ôter  Terreur 
qu'elle  avait  contribué  à  répand;e,  une  chose,  dit-il  à  Jeanne,  lui  restait  à 
faire  :  c'était  de  déclarer  publiquement  qu'elle  avait  été  trompée  et  qu'elle 
avait  trompé  le  peuple,  et  d'en  demander  humblement  pardon.  Jeanne  dit 
qu'elle  le  ferait  volontiers,  mais  qu'elle  n'espérait  pas  s'en  souvenir  quand 
il  le  faudrait  au  milieu  du  jugement  public.  Elle  priait  donc  son  confesseur 
de  le  lui  remettre  en  mémoire.  —  Si  elle  ne  le  fait  pas ,  ce  sera  la  faute  du 
confesseur. 

A  ces  déclarations,  l'un  de  ceux  qui  étaient  là  joint  un  récit  qui  les  cou- 
ronne et  les  complète.  Frère  Martin  venait  de  confesser  Jeanne.  Au  moment 
de  lui  donner  la  communion,  tenant  dans  sas  mains  l'hostie  sacrée,  il  lui 
dit  :  «  Crovez-vous  que  c'est  le  corps  de  Jésus?  —  Oui,  dit-elle,  c'est  lui 
seul  qui  me  peut  délivrer;  je  demande  qu'il  me  soit  donné.  —  Croyez- vous 
encore  en  ces  voix  ?  —  Je  crois  en  Dieu  seul  et  ne  veux  pas  croire  en  ces 
voix,  puisqu'elles  m'ont  trompée.  » 

Voilà  dans  leur  ensemble  les  témoignages  dont  on  a  voulu  faire  comme 
un  procès-verbal  posthume  de  cette  scène  capitale.  Les  visions  de  Jeanne 
sont  avouées,  mais  elles  sont  déclarées  mensongères  et  par  conséquent 
diaboliques.  Désormais  Jeanne  refuse  d'y  croire,  souscrivant  à  tout  ce  que 
les  cens  d'Église  voudront  en  décider.  Le  triomphe  de  l'évèque  est  donc 
complet;  il  a  regagné  l'abjuration  sans  préjudice  de  la  mort. 

Mais  quelle  est  la  valeur  de  cette  pièce  :  Pourquoi  l'interrogatoire  qu'elle 
révèle  ne  figure-t-il  point  à  sa  place  dans  la  suite  du  procès-verbal?  Et 
pourquoi ,  sous  cette  forme  singulière  d'un  interrogatoire  ,  non  de  l'accusée , 
mais  des  assesseurs  transformés  en  témoins,  n'est-il  point  cenifié  par  la 
signature  des  greffiers  ?  Avait-il  si  peu  d'importance?  Nul  ne  le  croira;  et 
l'évèque  ne  le  croyait  pas  non  plus,  sans  doute.  Ce  n'est  pas  sa  faute 
si  l'acte  est  dépourvu  de  cette  attestation.  Il  voulut  contraindre  Manchon  à 
le  signer,  bien  que  celui-ci  n'eût  point  assisté  à  la  scène.  Manchon  refusa. 
Mais  Taquel  y  était  ;  et  sa  signature  ne  se  trouve  pas  davantage  au  bas  de 
la  pièce.  Qu'est-ce  donc  que  ce  procès- verbal  rétrospectif  que  le  greffier  pré- 
sent à  l'acte  n'a  pas  signé,  et  pour  lequel  on  est  réduit  à  réclamer,  sans  plus 


ROUEN.   —   LE  SUPPLICE.  347 

de  succès,  la  signature  d'un  greffier  qui  n'y  était  pas?  C'est  un  procès- verbal  ' 
comme  l'eût  été  celui  du  procès  tout  entier,  si  la  volonté  de  l'évèque  n'avait 
échoué  contre  l'honnêteté  des  greffiers,  et  aussi.,  il  le  faut  dire,  contre  le 
ferme  esprit  de  Jeanne.  Mais  cette  fois  Jeanne  était  morte,  et  on  se  passa  des 
greffiers  !  On  a  donc  le  droit  de  le  récuser  en  tant  qu'il  peut  invalider  les 
résultatsdu  procèsofficiel  .'juridiquement ,  il  estnul  ^  historiquement,  suspect. 
Détruire  la  foi  en  la  mission  de  Jeanne,  c'était  tout  l'objet  du  procès  :  si  on 
l'avait  pu  faire  par  un  acte  authentique,  l'évèque  de  Beauvais  était  trop 
habile  homme  pour  le  faire  par  une  pièce  qui  se  produit  avec  tous  les  signes 
de  la  clandestinité. 

La  forme  seule  de  cette  addition  au  procès-verbal  la  frappe  donc  d'un 
entier  discrédit.  Toutefois,  nous  ne  prétendons  pas  qu'elle  doive  passer  sans 
qu'on  y  regarde  davantage.  L'interrogatoire  est  un  fait  avéré,  et  les  témoi- 
gnages qu'on  y  a  recueillis  après  coup  ne  sont  pas  tous  à  la  charge  de 
Jeanne.  Qu'en  résulte-t-il  en  effet?  Qu'elle  a  faussement  inventé  ses  vi- 
sions ?  Non.  Elle  explique  l'allégorie  par  laquelle  elle  avait  répondu  sur  un 
point  qu'elle  ne  voulait  pas,  qu'elle  déclarait  hautement  ne  pas  vouloir 
révéler,  le  signe  du  roi.  Quant  à  ses  voix,  elle  les  afiirme.  Elle  a  vu  de  ses 
yeux,  elle  a  ouï  de  ses  oreilles:  tous  les  témoins  sont  d'accord  pour  certifier 
cette  solennelle  déclaration;  et  les  juges  ne  les  contestent  pas  davantage, 
puisqu'ils  s'appuient  de  leurs  révélations  mêmes  pour  les  déclarer  menson- 
gères et  décider  Jeanne  à  les  renier,  comme  des  inspirations  du  malin  esprit. 

C'est  ici  leur  triomphe-,  mais  c'est  aussi  le  côté  suspect  du  document  dressé 
en  vue  de  l'établir.  Et  pourtant,  sans  vouloir  accepter  tout  ce  qu'on  y 
trouve  sur  cette  défaillance  de  la  foi  de  Jeanne  en  ses  voix  ,  on  peut  hésiter 
à  déclarer  le  fait  sans  le  moindre  fondement.  L'attaque  des  juges  fut  fort 
habile  :  ils  ne  prétendent  plus  accuser  Jeannne  elle-même  de  mensonge  dans 
ce  qu'elle  disait  de  ses  révélations  :  sa  conscience  se  serait  soulevée  contre 
une  affirmation  dont  elle  eût  senti  la  fausseté  au  fond  de  son  âme.  Ils 
acceptent  ces  apparitions  comme  réelles-,  seulement  ils  les  accusent  d'être 
trompeuses.  Ses  voix  lui  ont  parlé,  mais  elles  lui  ont  menti;  et  ils  allèguent 
ses  propres  déclarations ,  opposant  la  réalité  à  ses  espérances  -,  à  la  délivrance 
qu'elles  lui  avaient  prédite,  la  mort  qui  est  là.  Jeanne  a-t-elle  résisté  à  cette 
épreuve,  et,  si  elle  n'est  point  allés  jusqu'au  reniement ,  n'a-t-elle  pas  été  au 


34»  JEANNE    DARC. 


^^^oins  jusqu'au  doute?  Nous  ne  voulons  pas  l'iiflirmer;  mais  ce  qui  bien 
plus  sûrement  que  les  témoignages  du  document  suspect  nous  porterait  à  le 
croire,  c'est  la  douleuretl'amertumïdeses  derniers  moments.  Elle  est  comme 
seule,  et  elle  cherche  des  appuis  parmi  ceux  mêmes  qui  lui  ont  ravi  ses  con- 
seils :  «  Maître  Pierre,  dit-elle  à  P.  Maurice,  où  serai-je  ce  soir  ?  —  N'avez- 
vous  pas  bonne  espérance  en  Dieu?  dit  le  docteur.  —  Oh!  oui;  et  par  la 
grâce  de  Dieu  je  serai  en  paradis,  w 

Laissée  seule  avec  Martin  Ladvenu,  elle  se  confessa  et  demanda  la 
communion.  Mais  pouvait-il  donner  la  communion  à  une  femme  qui  allait 
être  publiquement  excommuniée?  Le  cas  méritait  d'être  soumis  à  l'évêque. 
Ladvenu  envoya  Thuissier  ALissieu  lui  dire  que  Jeanne  s'était  confessée,  et 
qu'elle  demandait  à  recevoir  Feucharistie.  L'évêque  en  conféra  avec 
plusieurs;  après  quoi  il  répondit  à  Massieu  :  «  Allez  dire  au  frère  Martin 
de  lui  donner  Feucharistie  et  tout  ce  qu'elle  demandera.  >> 

L'eucharistie  lui  fut  apportée  sans  aucun  appareil ,  sur  la  patène  simple- 
ment recouverte  du  linge  du  calice ,  sans  lumière ,  sans  escorte ,  sans  surplis , 
sans  étole.  Frère  Martin  en  fut  scandalisé;  il  envoya  chercher  une  étole  et 
de  la  lumière;  mais  ce  qui  suppléait  à  l'absence  de  toute  cérémonie,  c'était 
la  vive  piété  de  Jeanne,  qui  reçut  son  Sauveur  avec  une  telle  dévotion  et 
une  si  grande  abondance  de  larmes,  que  le  frère  renonce  à  le  décrire. 


LA    PLACE    DL    V  I  L  L  X  -  M  A  RCH  li. 

Vers  neuf  heures,  Jeanne  ,  qui  avait  repris  l'habit  de  femme,  sortit  de 
prison  pour  se  rendre  à  la  place  du  Vieux-Marché.  Elle  allait  au  jugement, 
mais  c'était  à  la  mort ,  et  tout  l'annonçait  dans  l'appareil  dont  elle  était 
environnée.  Sa  sentence  était  d'avance  écrite  sur  son  front  :  elle  était  coilTée 
d'une  mitre  où  on  lisait  ces  mots  :  Hérétique  ^  relapse ,  apostate ,  idolâtre. 
Septàhuitcentshommes  marchaient  autour  d'elle  portant  glaives  et  bâtons, 
«  tellement  qu'il  n'y  avoit  homme  qui  fût  assez  hardi  déparier  à  elle,  excepté 
frère  Martin  Ladvenu  et  maître  Jean  Massieu  »  (le  confesseur  et  l'huissier). 
Jeanne  ne  cherchait  point  à  contenir  sa  douleur.  Elle  pleurait....  larmes 
respectables ,  qui  ne  trahissaient  pas  la  sainteté  de  sa  cause  :  en  montrant 


ROUEN. 


LE  SUPPLICE. 


349 


en  elle  la  faiblesse  de  la  femme,  elles  témoignaient  d'où  lui  était  venue  la 
force  qui  l'avait  soutenue  dans  sa  mission.  Elle  pleurait,  se  recommandant 
à  Dieu  et  aux  saints;  et  tout  le  peuple  qui  Tentendait  pleurait  avec  elle. 
Nicolas  Loyseleur  lui-même  ne  put  tenir  à  ce  spectacle;  c'était  en  lui  que 
Jeanne  s'était  fiée  le  plus,  l'accueillant  comme  un  compatriote,  l'écoutant 


Fig.  147.  —  Jeanne  sur  le  lieu  du  supplice.  D'après  une  miniature  Ju  commencement  du  xvi»  siècle,  apparte- 
nant à  M.  Ambroise  Firmin-Didot. —  Le  mode  du  supplice  se  trouve  ici  défigur»5  :  on  a  substitué  la  chau- 
dière au  b  lâcher.  —  Au  centre,  l'église  Saint-Sauveur;  à  l'angle  gauche,  l'église  Saint-Michel;  et,  en  avant, 
les  halles  du  Vieux-Marché.  Il  résulte  de  la  comparaison  de  cette  vue  avec  les  indications  du  Uvri:  des 
t'ont Jincs,  qu'on  peut  la  considérer  comme  un  document  topographique  non  sans  valeur. 


comme  un  conseiller,  le  suivant  comme  un  directeur;  et  on  a  vu  comment , 
jusqu'à  la  fin,  il  avait  trompé  sa  confiance.  Lorsqu'il  vit  qu'on  la  menait 
mourir,  il  sentit  le  remords ,  et  se  précipita  vers  la  charrette  pour  lui 
demander  pardon  ;  mais  les  Anglais  le  repoussèrent  avec  menaces,  l'appelant 
traître  parce    qu'il    ne  l'était  plus.  Ils  l'auraient    tué,    sans   le  comte  de 


35o  JEANNE   D'ARC. 


^^\^^\vick•,  et  le  comte  lui  déclara  qu'il  ne  répondait  pas  de  sa  vie  s'il  ne 
quittait  Rouen  au  plus  tôt. 

Trois  échafauds  avaient  été  dressés  sur  la  place  du  Vieux-Marché  :  l'un 
pour  les  juges;  l'autre  pour  plusieurs  prélats  et  de  hauts  personnages;  le 
troisième,  en  maçonnerie,  pour  Jeanne,  avec  ces  mots  inscrits  sur  un  tableau 
placé  devant:  «  Jehanne  qui  s'est  fait  nommer  la  Pucelle,  menteresse , 
«  pernicieuse,  abuseresse  du  peuple,  divineresse,  superstitieuse,  blasphé- 
(c  meresse  de  Dieu,  présumptueuse ,  malcréant  de  la  foy  de  Jésus-Christ, 
«  vanteresse,  idolâtre,  cruelle  ,  dissolue ,  invocateresse  de  diables,  apostate, 
«  schismatique ,  hérétique.  »  Au-dessus  s'élevait  le  bûcher.  En  attendant 
qu'on  l'y  menât,  elle  fut  placée  sur  une  des  estrades  (peut-être  une 
quatrième),  où,  à  la  vue  d'un  peuple  immense  ,  elle  dut  entendre  d'abord 
le  sermon  d'un  savant  docteur  en  théologie,  l'un  des  assesseurs,  maître 
Nicole  Midi.  Il  prêcha  sur  ce  texte  de  saint  Paul  aux  Corinthiens  :  «  Si  un 
membre  souffre,  tous  les  membres  soulTrent  ;  »  et  sa  conclusion  était  que, 
pour  préserver  les  autres  membres  de  la  maladie,  il  fallait  retrancher  le 
membre  malade.  »  Jeanne,  disait-il  en  finissant,  va  en  paix,  l'Église  ne 
peut  plus  te  défendre;  elle  te  livre  au  bras  séculier.  « 

Jeanne  l'écouta  en  silence,  et  elle  dut  écouter  encore  les  exhortations  de 
révèque,qui  l'engageait  à  pourvoir  au  salut  de  son  âme,  à  penser  à  tous 
ses  méfaits  et  à  en  faire  pénitence;  à  suivre  les  conseils  des  clercs,  et 
notamment  des  deux  frères  prêcheurs  qu'il  lui  a\'ait  donnés  pour  l'assister. 
Il  aurait  du,  suivant  l'avis  presque  unanime  des  assesseurs,  lui  relire  sa 
formule  d'abjuration ,  d'autant  plus  qu'il  se  vanta  plus  tard  de  l'y  avoir 
ramenée.  Mais  il  aurait  pu  s'attirer  de  sa  part  un  démenti  public,  une 
déclaration  solennelle  qu'elle  n'avait  jamais  avoué  ces  infamies;  et,  en 
démasquant  cette  fraude,  Jeanne  aurait ,  du  même  coup,  rendu  impossible 
la  nouvelle  imposture  que  l'information  apocryphe  eut  pour  objet  d'accré- 
diter. Il  n'en  fit  donc  rien;  et,  sans  invoquer  ses  anciens  désaveux,  sans 
en  provoquer  de  nouveaux,  considérant  qu'elle  ne  s'était  jamais  détachée 
de  ses  erreurs,  qu'elle  s'était  rendue  plus  coupable  encore  dans  sa  malice 
diabolique  en  simulant  la  pénitence  au  mépris  du  nom  et  de  l'inefTable 
majesté  de  Dieu  ;  la  tenant  pour  obstinée ,  incorrigible,  hérétique  et  relapse  , 
il  prononça  la  sentence.  Après  avoir  invoqué  le  nom  du  Seigneur  et  rappelé 


>NNF    I' 


SUPPLICE  DE  JEANNE    D'ARC,    LE  30  MAI    14-31 

-Martiix  Ladvenu  l'exhorte   el.  !m  montre   le  ciel,  et   Frère  Isambard  tient  devant  elle  la  croix,  inia^e 
du  Rédempteur.  Coname  Jésus-Christ,  les  I^rophêtes  et  les  Apôtres.  Jeaivne  consomme  sa  mission  par 


Talil 


■  a,-    Ko,: 


ROUEN.    —   LE  SUPPLICE.  35i 

SCS  erreurs,  son  abjuration,  sa  réconciliation,  sa  recliutc  avouée,  »  comme 
d'un  chien  qui  retourne  à  son  vomissement,  »  il  la  déclarait  hérétique  et 
relapse,  et,  à  ce  titre,  excommuniée  (elle  venait  de  communier  avec  sa 
permission);  il  la  retranchait  du  corps  de  l'Église  comme  un  membre 
pourri,  de  peur  que  l'infection  ne  gagnât  les  autres  membres;  et  il  la  livrait 
au  bras  séculier,  priant  la  puissance  séculière  de  modérer  sa  sentence,  et  de 
lui  épargner  la  mutilation  des  membres  et  la  mort.  —  En  face  de  lui  s'élevait 
le  bûcher! 

Jeanne  s'agenouilla  et  redoubla  ses  dévotes  lamentations  et  ses  prières. 
C'est  son  âme  pieuse,  charitable  et  dévouée,  qui  s'épanche  tout  entière  en  ces 
derniers  moments.  Frappée  par  ses  ennemis,  elle  reporta  sa  pensée  sur  son 
roi  qui  la  laissait  mourir  ;  et  ce  fut  pour  le  défendre  encore  contre  les 
atteintes  de  la  condamnation  que  l'on  faisait  peser  sur  elle.  Elle  protesta 
que  jamais  il  ne  l'avait  induite  à  faire  ce  qu'elle  avait  fait  soit  en  bien ,  soit 
en  mal  :  établissant  sa  propre  innocence,  tout  en  ne  songeant  qu'à  mettre 
hors  de  doute  la  sincérité  du  roi.  En  même  temps,  elle  s'adressait  à  tous, 
de  quelque  condition  qu'ils  fussent,  tant  de  son  parti  que  de  l'autre, 
demandant  humblement  pardon,  requérant  qu'on  voulut  bien  prier  pour 
elle,  conjurant  en  particulier  les  prêtres  qui  étaient  là  de  lui  faire  chacun 
l'aumône  d'une  messe,  et  pardonnant  à  tout  le  monde  le  mal  qu'on  lui 
avait  fait.  Les  juges,  les  Anglais  eux-mêmes  étaient  émus;  il  n'y  avait 
point  de  cœur  si  dur  qui  ne  fût  touché  aux  larmes. 

Délaissée  de  l'Eglise,  de  l'Église  de  ses  ennemis,  déclarée  apostate, 
idolâtre,  elle  s'était  tournée  vers  le  signe  du  salut,  voulant  mourir  avec 
l'image  du  Rédempteur.  Elle  avait  donc  prié  Massieu  de  lui  procurer  une 
croix;  un  Anglais  qui  était  là  lui  en  fit  une  d'un  bâton.  Elle  la  prit  de  sa 
main, la  baisa  et  la  mit  dévotement  dans  son  sein.  Enmême  temps  qu'elle 
portait  la  croix  sur  sa  chair,  elle  voulait  l'avoir  devant  les  yeux.  Elle  pria 
le  frère  Isambard  de  La  Pierre  d'aller  lui  cherchei  celle  de  l'église  voisine, 
pour  «  la  tenir,  disait-elle ,  élevée  tout  droit  devant  ses  yeux  jusques  au  pas 
de  la  mort,  afin  que  la  croix  où  Dieu  pendit,  fût  dans  sa  vie  continuellement 
devant  sa  vue;  »  et  quand  il  l'apporta,  elle  la  couvrit  de  ses  baisers  et  de  ses 
larmes,  invoquant  Dieu,  saint  Michel,  sainte  Catherine  et  tous  les  saints, 
et  témoignant  de  sa  foi  comme  de  sa  piété. 


352  JEANNE   DARC. 


Cependant,  parmi  les  Anglais,  beaucoup  trouvaient  la  scène  trop  longue. 
Jeanne  était  délaissée  de  l'Église;  quels  droits  l'Église  avait-elle  encore  sur 
elle  ?  Tous  ces  discours  étaient  hors  de  saison  ;  et  comme  Massieu  paraissait 
exhorter  la  Pucelle,  qu'il  avait  encore  en  sa  garde,  plusieurs  capitaines 
lui  crièrent  :  «  Comment,  prêtre,  nous  ferez-vous  dîner  ici  ?  »  Deux  sergents 
Tallèrent  prendre  sur  son  estrade,  et,  pour  racheter  les  retards  de  ce  long 
procès,  le  juge  ne  se  donna  pas  même  le  temps  de  prononcer  la  sentence. 
Dès  que  Jeanne  fut  devant  lui  :  «  Menez,  menez,  »  dit-il  aux  gardes;  et 
au  bourreau  :  «  Fais  ton  devoir.  » 

Si  les  juges  ecclésiastiques  avaient  laissé  durer  la  scène  si  longtemps 
dans  l'espérance  d'une  abjuration,  leur  attente  fut  bien  trompée,  et  te 
confesseur  qui  la  devait  rappeler  à  Jeanne  remplit  bien  mal  son  office. 
Jeanne  ne  fit  entendre  aucune  parole  qui  impliquât  révocation  de  ses  dits 
ou  de  ses  faits.  Si  elle  douta,  le  doute  resta  au  fond  de  son  cœur,  ou  ne 
se  trahit  que  par  son  trouble  et  par  ses  larmes.  Elle  pleurait  sur  elle,  elle 
pleurait  aussi  sur  les  autres  :  «  Rouen,  Rouen,  disait-elle,  mourrai-je 
ici,  seras-tu  ma  maison?  Ah!  Rouen,  j'ai  grand'peur  que  tu  n'aies  à 
soutTrir  de  ma  mort.  »  Et  la  multitude  elle-même  pleurait;  et  plusieurs, 
détestant  cette  œuvre  d'iniquité,  s'affligeaient  de  voir  qu'elle  eût  lieu  dans 
Rouen.  Quelques  Anglais  affectaient  bien  de  rire;  mais  même  les  auteurs 
de  l'attentat  étaient  touchés  de  ce  spectacle.  Le  cardinal  de  \Mnchester 
pleurait;  l'évêque  de  Beauvais  pleurait  :  larmes  stériles,  qui  n'empêchaient 
pas  que  leur  crime  s'accomplit  ! 

Le  supplice  se  prolongea;  le  bûcher,  on  se  le  rappelle,  avait  été  construit 
sur  un  échafaud  pour  être  à  la  vue  du  plus  grand  nombre  ;  et  le  bourreau 
mit  le  feu  par  le  bas.  Quand  la  flamme  monta  et  que  Jeanne  l'aperçut,  elle 
congédia  elle-même  son  confesseur  ;  elle  le  pressa  de  descendre,  lui  deman- 
dant ,  pour  dernier  service ,  de  tenir  devant  elle  la  croix  bien  haut ,  afin 
qu'elle  la  pût  voir.  Il  la  quitta;  mais  déjà  elle  n'était  plus  seule.  Les  saintes 
qu'elle  invoquait  encore,  même  quand  on  travaillait,  quand  on  réussit 
peut-être  à  la  faire  douter  de  leurs  apparitions,  ne  prolongèrent  pas  plus 
longtemps  cette  dure  épreuve.  On  l'avait  ébranlée,  en  lui  alléguant,  devant 
sa  mort  prochaine,  la  délivrance  dont  elle  avait  reçu  d'elles  la  promesse. 
Elle  se  rappela  cette  autre  parole  qu'elle  avait  aussi  rapportée  à  ses  juges  : 


JEANNt    d'aiIC  ,    111.    —   45 


354  JEANNE  D'ARC. 


«  Prends  tout  en  gré  ;  ne  te  chaille  de  ton  martyre;  tu  t'en  viendras  au 
ro\'aume  de  Paradis.  »  Elle  ne  Tavait  pas  comprise  alors,  entendant 
humblement  son  mart3Te  des  peines  de  sa  prison;  elle  la  comprit  à  la  lueur 
des  flammes,  et  elle  entendit  en  même  temps  la  délivrance  qui  lui  était 
promise.  Dès  ce  moment  la  mort  même  rentrait  dans  Tordre  de  sa  mission  : 
elle  l'accepta  comme  elle  avait  accepté  tout  le  reste.  Sur  le  bûcher  comme 
dans  la  prison,  devant  la  mort- comme  devant  ses  juges,  «  elle  maintint  et 
affirma  jusqu'à  la  fin  que  ses  voix  étaient  de  Dieu  ;  que  tout  ce  qu'elle 
avait  fait,  elle  lavait  fait  du  commandement  de  Dieu  ;  qu'elle  ne  croj'ait 
pas  avoir  été  trompée  par  ses  voix,  et  que  les  révélations  qu'elle  avait  eues 
étaient  de  Dieu.  «  C'est  le  témoignage  du  courageux  confesseur,  qui  ne  la 
quitta  qu'à  l'approche  du  feu ,  et  ne  la  quitta  que  pour  tenir  devant  elle  la 
croix,  image  du  Rédempteur,  divin  modèle  de  son  martyre.  Au  milieu  des 
flammes  qui  l'enveloppaient,  elle  ne  cessa  de  confesser  à  haute  voix  le  saint 
nom  de  Jésus  et  d'invoquer  les  saints  et  les  saintes;  une  dernière  fois  on 
l'entendit  encore  prononcer  le  nom  de  Jésus,  puis  elle  baissa  la  tète  :  elle 
achevait  sa  prière  dans  le  ciel. 


j-^l^ 


«  Jésus,  Maria,  »  devise  Je  Jeanne  d'Arc. 

Souscription  de  la  lettre  qu'elle  adressa  au  duc  de  Bourgogne  le  jour  du  sacre 

pour  le  presser  de  se  réconcilier  avec  le  roi. 

Archives  du  Nord,  à  Lille. 


XI 


LA   RÉHABILITATION 


Ln  Mcmnirc  ilc  Jeanne  et  la  ùussc  Jeanne.  —  Le  Second  Procès. de  Rouen 


LA     MICMOIRE    DE    JEANNE     ET    LA    FAUSSE     JEANNE. 


iNsi  les  Anglais  en  étaient  venus  à  leurs 
hns  :  Jeanne  d'Arc  n'était  plus.  Mais  Tem- 
pire  qu'elle  avait  pris  dans  l'opinion  pu- 
blique devait-il  périr  avec  elle  ?  Ils  n'en 
Lt lient  plus  aussi  assurés;  et,  à  l'heure 
même  où  ils  avaient  cru  vaincre,  ils  com- 
mencèrent à  douter  de  leur  victoire.  Dès 
qu'elle  eut  expiré,  ils  commandèrent  au 
bourreau  d'écarter  un  peu  la  flamme, 
afin  qu'on  la  vît  morte,  —  afin  qu'on  la 
\  it  nue,  si  l'on  en  croit  un  de  leurs  plus 
fougueux  partisans.  Ils  avaient  peur  qu'on  ne  la  prît  pour  un  esprit 
ou  qu'on  ne  dit  qu'elle  avait  échappé.  Puis  on  rendit  au  feu  sa  proie,  afin 
de  la  réduire  en  cendres,  et  ses  cendres,  par  ordre  du  cardinal,  furent  jetées 
dans  la  Seine.  On  redoutait  jusqu'à  la  vertu  que  le  peuple ,  le  peuple  de  la 
Normandie,  antique  berceau  des  rois  d'Angleterre,  aurait  cherchée  dans 
ses  reliques.  Tout  le  monde, en  effet,  la  proclamait  sainte,  et  non-seulement 
son  confesseur  ou  les  hommes  qui  avaient  pris  part  à  son  procès,  comme 


JEANNF.    n'A  RC. 


Pierre  IMauricc,  comme  Jean  Alespée,  qui  s'écriait  en  pleurant  :  «  Je 
voudrais  que  mon  àme  fût  où  je  crois  qu'est  l'âme  de  cette  femme,  «  mais 
ses  ennemis,  et  les  plus  furieux.  Un  Anglais,  qui  la  haïssait  mortellement, 
avait  juri  d'apporter  au  biicher  une  fascine,  pour  que  Jeanne  fût  en 
quelque  sorte  brûlée  de  sa  main.  Il  accourut  pendant  l'exécution,  et  jeta 
dans  le  feu  sa  fascine;  mais,  entendant  Jeanne  qui  invoquait  le  nom  de 
Jésus,  il  demeura  comme  foudroyé,  et  il  allait  ensuite  exprimant  son 
repentir  et  disant  qu'au  moment  de  sa  mort  il  avait  vu  une  colombe 
s'envoler  de  la  flamme.  Plusieurs  prétendaient  avoir  lu,  comme  écrit  dans 
la  flamme,  le  nom  de  Jésus  que  Jeanne  prononçait.  Le  bourreau  lui-même 
rendait  témoignage  qu'elle  était  morte  par  t3Tannie;  il  déclarait  qu'au 
milieu  des  cendres  son  cœur  était  resté  intact  et  plein  de  sang,  et  il  courait 
au  couvent  des  frères  prêcheurs,  disant  qu'il  craignait  fort  d'être  damné 
pour  avoir  brûlé  une  sainte  femme.  Ce  sentiment  avait  pénétré  jusque  dans 
les  conseils  de  la  Couronne.  Tressart,  secrétaire  du  roi,  disait  tout  haut  que 
c'était  une  sainte,  et  les  complices  de  sa  mort  des  damnés;  et  il  s'écriait 
dans  sa  douleur,  en  revenant  du  lieu  du  supplice  :  «  Nous  sommes  tous 
perdus,  c'est  une  sainte  qu'on  a  brûlée.  » 

Ce  fut  le  cri  public,  et  vainement  cssay£i-t-on  de  réprimer,  par  quelques 
actes  de  sévérité,  ces  murmures.  Les  gens  du  peuple  montraient  au  doigt 
ceux  qui  avaient  pris  part  au  procès  :  l'horreur  publique  s'attacha  à  leur 
personne  et  les  poursuivit  jusqu'au  delà  du  tombeau.  On  in\oquait  sur  eux 
le  jugement  de  Dieu.  On  disait  que  tous  ceux  qui  s'étaient  rendus  coupables 
de  la  mort  de  Jeanne  avaient  fini  d'une  mort  honteuse  :  et  l'on  citait 
l'évêque  de  Beauvais,  frappé  d'apoplexie  pendant  qu'on  lui  faisait  la  barbe; 
Nicole  Midi ,  le  prédicateur  du  Vieux-Marché,  atteint  de  la  lèpre  peu  de 
jours  après  son  sermon;  Loyseleur,  le  traître,  mort  subitement  à  Bâlc; 
et  le  promoteur  Jean  d'Estivet,  dont  on  retrouva  le  cadavre  aux  portes  de 
Rouen,  dans  un  égout. 

Mais  les  coupables  ne  sont  pas  seulement  ceux  qui  ont  fait  ou  ordonné  le 
procès  :  les  Bedford,  les  Winchester,  les  Warwick  et  leurs  pareils;  ce  sont 
encore  ceux  qui  l'ont  laissé  faire.  Rien  dans  cette  histoire  si  remplie  de 
prodiges  et  si  souillée  d'infamies,  rien  de  plus  surprenant  au  premier  abord 
et  de  plus  révoltant  quand  on  y  regarde,  que  la  conduite   de  la  cour  de 


1 

•^ 
^ 


I     l 


Fig.  149.  —  Jeanne  d'Arc,  vierge  et  martyre.  Statue  en  plâtre  de  Georges  Clère, 
à  TExposition  de  Paris  en  uSyS. 


358  JEANNE    D'ARC. 


France  envers  la  Pucelle.  Jeanne  est  prise  à  Compiègne-,  elle  est  gardée 
à.  la  frontière  -,  elle  appartient  à  un  seigneur  qui  ne  demande  qu'à  tirer  le 
meilleur  parti  de  sa  bonne  fortune;  elle  est  sous  la  haute  main  du  duc  de 
Bourgogne,  qu'elle  conibattait  comme  un  allié  de  l'Angleterre,  mais  qu'elle 
a  toujours  respecté,  ménagé  comme  un  fils  de  la  France  :  —  nulle  tentative 
pour  l'enlever  par  un  coup  de  main,  nulle  démarche  pour  la  racheter  à  prix 
d'argent,  pour  surenchérir  sur  l'offre  des  Anglais,  quand,  pour  contre- 
balancer les  efforts  de  leur  haine,  on  a  les  remords  du  vendeur  et  les  prières 
de  sa  famille  ;  nulle  négociation  avec  un  prince  dont  les  ressentiments 
s'étaient  déjà  fort  adoucis,  qui  avait  accepté  plusieurs  trêves,  qui  devait 
bientôt  faire  la  paix.  Jeanne  est  donc  livrée  aux  Anglais.  Avec  eux,  point 
de  négociation  praticable  :  ils  savent  le  prix  de  ce  qu'ils  tiennent. 

Et  ne  l'eussent  donné  pour  Londres, 
Car  cuidoient  avoir  tout  gaigné. 

.Mais  il  n'est  point  impossible  de  la  leur  arracher.  Les  Anglais  sont  toujours 
frappés  de  terreur  :  sept  mois  après  qu'elle  a  été  prise,  on  trouve  encore 
un  édit  rendu  «■  contre  ceux  qui  fuient  elTrayés  par  les  enchantements  de 
la  Pucelle.  »  Ils  croient  que  le  charme  reste  attaché  à  sa  personne  :  ils 
n'osent  pas,  elle  vivante,  attaquer  une  place  où  l'ennemi  les  brave  presque 
aux  portes  de  Rouen  (Louviers\  Si  on  les  attaque,  seront-ils  plus  forts? 
Puisque  ce  n'est  pas  le  génie  militaire  qu'ils  craignent  dans  la  Pucelle, 
craindront-ils  moins  son  inspiration  en  ceux  qui  combattront  non  plus 
seulement  avec  elle,  mais  pour  elle;  et,  dans  ces  conditions,  le  château  de 
Rouen  résistera-t-il  mieux  que  les  bastilles  d'Orléans?... 

Mais  ceux  qui,  avant  le  voj'age  de  Reims  et  pour  en  détourner,  par- 
laient d'attaquer  la  Normandie,  se  taisent;  et  ceux  qui,  ayant  suivi  de  bon 
gré  la  Pucelle  à  Orléans,  à  Patay,  à  Reims,  à  Paris,  iraient  bien  plus 
volontiers  encore  la  chercher  à  Rouen,  sont  comme  enchaînés. 

Il  y  a  plus  :  les  Anglais  ne  veulent  pas  seulement  frapper  Jeanne,  ils  veu- 
lent perdre  sa  mission  avec  elle;  ils  la  font  juger  comme  hérétique.  Dans  ce 
procès  qui  lui  est  fait  au  nom  derÉglise,  Jeanne  demande  des  juges  qui  ne 
soient  pas  seulement  à  l'ennemi  ;  elle  en  appelle  au  pape  et  au  concile.  Pas 
une    lettre  de  l'archevcque  de  Reims,  chancelier  de  France,  à  l'évèque  de 


Fig.  i5o.  —  Chapelle  de  la  Vierge  de  la  cathédrale  de  Lisieux,  située  au  chevet  du  monument,  et  construite  en  partie 
aux  frais  de  Pierre  Cauchon.  Etat  actuel.  —  La  tradition  constante  du  clergé  de  Lisieux  est  que  Pierre  Cauchon  éleva 
cette  chapelle  et  fit  de  nombreuses  londaiions  de  services  religieux,  en  repentance  de  son  rôle  criminel  dans  le  procès 
Je  Jeanne  d'Arc. 


JEANNE    D'ARC. 


Beauvais,  le  meneur  du  procès,  son  sufFragant,  pour  qu'il  lui  donne  au 
moins  connaissance  de  la  procédure  ;  pas  une  démarche  du  roi  auprès  du 
pape,  pour  qu'il  relève  cet  appel  et  ne  laisse  pas  se  consommer,  au  noin  de 
rÉglise,  un  crime  judiciaire  dont  Topprobre  doit  rester  à  ceux  qui  l'ont 
acconipli.  Il  \'a,  il  est  vrai,  une  lettre  de  l'archevêque  de  Reims,  non  à  son 
suffragant,  mais  à  ses  diocésains  -,  et  c'est  elle  qui  donne  le  secret  de  cette 
manière  d'agir  et  en  dévoile  la  honte!  Lettre  qu'on  aurait  pu  révoquer  en 
doute  comme  ne  nous  étant  venue  que  par  extrait,  mais  qui  trouve  dans 
toute  la  conduite  de  la  cour  une  trop  malheureuse  confirmation.  C'est  de 
propos  délibéré  que  Jeanne,  prise  à  Compiègne,  est  abandonnée  à  son  sort; 
et  sa  mort  même  entre  dans  les  calculs  de  ces  politiques  détestables  qui , 
s'appropriant  les  fruits  de  ses  triomphes,  veulent  faire  peser  sur  elle,  comme 
par  un  jugement  de  Dieu,  ses  revers  dont  ils  sont  les  auteurs.  Aux  Pierre 
Cauchon,  aux  d'Estivet,  aux  Loyseleur,  aux  Bedford,  aux  Winchester, 
aux  Warwick,  il  faut  donc  associer  les  Regnault  de  Chartres,  les  la  Tré- 
mouille  et  tous  ces  tristes  personnages  qui,  pour  garder  leur  ascendant 
dans  les  conseils  du  roi,  ont  sacrifié,  avec  Jeanne,  le  prince,  la  patrie  et 
Dieu  même;  car  ils  ont,  autant  qu'il  était  en  eux,  infirmé  ses  oracles,  en 
abandonnant  la  Pucelle  aux  mains  de  ceux  qu'elle  avait  mission  de 
chasser. 

Les  Anglais  ne  s'arrêtèrent  point  dans  leur  déplorable  triomphe.  L'im- 
pression que  la  mort  de  Jeanne  avait  faite  sur  le  peuple  de  Rouen  et  jusque 
sur  les  hommes  de  leur  parti,  de  leur  conseil,  leur  signalait  un  péril  à 
conjurer.  Ils  étaient  en  présence  de  l'opinion  publique  :  ils  voulurent  la 
mettre  de  leur  côté;  et  en  même  temps  qu'ils  délivraient  aux  juges  et  autres 
des  lettres  de  garantie  qui,  sans  les  décharger  de  leur  part  au  procès,  en 
revendiquaient  toute  la  responsabilité  pour  l'Angleterre,  ils  en  tentaient 
l'apologie  par  des  lettres  qui  sont  le  digne  couronnement  de  cette  œuvre  dé- 
testable :  lettres  adressées  au  nom  du  roi,  en  latin,  à  l'empereur,  aux  rois  et 
à  tous  les  princes  de  la  chrétienté;  et  en  français  aux  prélats,  aux  ducs, 
comtes,  seigneurs,  et  à  toutes  les  villes  de  France.  C'est  le  venin  de  l'accu- 
sation et  le  fiel  des  douze  articles  confits  dans  la  plus  mielleuse  protestation 
de  zèle  pour  la  foi,  de  pitié  pour  la  coupable,  de  sollicitude  pour  tout 
le  peuple  chrétien.  Une  lettre  conçue  dans  le  même  esprit  était  adressée  en 


LA    REHABILITATION.  3bi 


même  temps  par  l'université  de  Paris  au  pape,  à  l'empereur  et  au  collège 
des  cardinaux. 

Ces  elTorts  parurent  d'abord  réussir.  En  Angleterre  et  dans  les  pays  bour- 
guignons, la  lettre  du  roi  fut  reçue  comme  un  oracle.  Monstrelet  ne  trouve 
rien  de  mieu.x  que  de  l'insérer  dans  son  histoire  pour  y  remplir  les  pages 
qui  devaient  occuper  le  procès  et  la  mort  de  Jeanne  d'Arc.  Le  Bourgeois  de 
Paris,  arrivé  à  cette  époque  dans  son  journal,  ne  laisse  à  personne  le  soin  de 
faire  ce  récit  à  sa  place  :  il  recueille  la  fleur  des  calomnies  répandues  au  pro- 
cès, avec  des  raffinements  que  le  procès  même  n'avait  pas  connus.  La  har- 
diesse des  réponses  de  Jeanne  lui  est  une  preuve  «  qu'elle  étoit  toute  pleine 
de  l'ennemi  d'enfer.  »  On  devine  après  cela  s'il  croit  à  la  sincérité  de  sa 
déclaration  et  à  l'iniquité  de  son  supplice.  Et  pourtant,  il  ne  dissimule  pas 
l'émotion  que  sa  mort  fit  dans  Rouen  :  «  Assez  avoit  là  et  ailleurs  qui  disoient 
qu'elle  étoit  martyre  et  pour  son  droit  Seigneur.  Autres  disoient  que  non  , 
et  que  mal  avoit  fait  qui  tant  l'avoit  gardée.  Ainsi  disoit  le  peuple;  »  et,  si 
ardent  Bourguignon  qu'il  fût  lui-même,  il  évite  de  se  prononcer  :  «  mais, 
dit-il,  quelque  mauvaiseté  ou  bonté  qu'elle  eut  faite,  elle  fut  arse  (brûlée) 
ce  jour-là.  » 

Que  les  Anglais,  après  avoir  lancé  leur  manifeste,  l'aient  accompagné 
chez  eux  de  ces  mensongers  commentaires  ;  que  le  pape,  l'empereur,  les 
princes  étrangers,  n'ayant  d'ailleurs  aucun  renseignement  sur  l'affaire,  n'y 
aient  pas  répondu,  cela  se  comprend;  mais  comment  la  cour  de  France 
n'a-t-elle  rien  fait  pour  les  éclairer  à  son  tour?  En  F'rance,  on  ne  s'associe 
point  aux  déclarations  du  roi  d'Angleterre,  sans  doute;  mais  on  se  tait. 
Même  dans  les  circonstances  où  il  faut  parler  des  derniers  événements, 
Jeanne  est  passée  sous  silence.  Dans  une  assemblée  d'états  tenue  à  Blois, 
JeanJuvénal  des  Ursins,  rappelant  les  prodigieux  succès  du  roi,  en  remercie 
Dieu,  «  qui  a  donné  courage  à  une  petite  compagnie  d'hommes  de  ce  entre- 
prendre, »  sans  dire  un  mot  de  la  Pucelle.  Même  silence  dans  une  lettre 
apologétique  de  Philelphe  à  Charles  VII  :  silence  honteux,  mais  vraiment 
d'accord  avec  la  politique  égo'iste  qui  a  laissé  périr  Jeanne  d'Arc.  Si  la 
cour  de  France  n'avait  pas,  comme  celle  d'Angleterre,  intérêt  à  perdre  sa 
mémoire,  elle  éprouvait  le  besoin  de  l'effacer  :  car,  si  Jeanne  était  une 
sainte,  les  Anglais,  battus  par  elle,    étaient-ils  plus  coupables  de  l'avoir 

JLANNE   d'arc.    III.  —    46 


362  JEANNE  D'ARC. 


fait  mourir,  que  les  Français,  sauvés  par  elle,  de  n'avoir  rien  tenté  pour 
sa  délivrance? 

Cependant  cette  mémoire  n'était  pas  de  celles  qui  s'effacent.  Elle  vivait 
dans  le  peuple ,  et  la  mort  même  de  Jeanne ,  qui  pouvait  ébranler  la  foi  en 
sa  mission  chez  ceux  qui  ne  l'avaient  pas  vue  mourir,  était  pour  plusieurs 

un  sujet  de  doute.  On  }•  croyait  sipeuque,  cinq  ans  après,  une  femme  parut 
en  Lorraine,  au  voisinage  du  pays  de  Jeanne  d'Arc,  et  se  tit  accueillir  de 
tous  comme  étant  la  Pucelle.  Ce  qu'il  y  a  de  surprenant,  c'est  qu'elle  ait  été 
prise  au  sérieu.x  et  dans  Orléans  et  dans  la  propre  famille  de  Jeanne  d'Arc. 
Les  comptes  d'Orléans  établissent  que  la-ville  reçut  d'elle  et  lui  envoya  des 
messages;  qu'elle  donna  même  de  l'argent  à  Jean  du  Lys  (Jean  d'Arc)  pour 
qu'il  allât  rejoindre  sa  sœur.  Les  choses  n'en  demeurèrent  pas  là.  Après 
avoir  été  en  Italie,  où  assurément  elle  n'alla  pas  voir  le  pape,  mais  où  elle 
prit  service  dans  ses  troupes,  la  fausse  Jeanne  vint  en  France,  et  paraît 
avoir  reçu  des  hommes  d'armes  avec  lesquels  elle  guerroya  dans  le  Poitou 

i43(V.  Elle  y  était  encore  en  i4'3N.  En  1430,  elle  n'osa  venir  à  Orléans! 
On  l'v  trouve,  dans  les  comptes  de  la  ville,  sous  son  nom  de  dame  (car  elle 
s'était  mariée)  :  «  Le  2N  de  juillet,  pour  dix  pintes  et  chopines  de  vin  pré- 
sentées à  Jehanne  des  Armoises ,  14SOUS  parisis,  etc.  »  Et  c'est  bien  Jeanne 
d'Arc,  la  Pucelle  d'Orléans,  que  Ion  entend  traiter  ainsi.  Le  jour  de  son 
départ,  les  Orléanais,  par  une  délibération  spéciale  de  leur  conseil,  lui 
firent  don  de  210  1.,  p.  «  pour  le  bien  qu'elle  a  fait  à  la  dicte  ville  durant 
le  siège.  »  Par  une  compensation  bien  naturelle,  le  service  annuel  qu'on 
célébrait  pour  le  repos  de  son  àmc  était  supprimé. 

Ces  hommages  étaient  une  insulte  à  la  mémoire  de  la  Pucelle.  Com- 
ment le  peuple  d'Orléans  a-t-il  pu  être  abusé  à  ce  point  ?  Comment  le 
roi  se  fit-il  coniplice  de  cette  intrigue?  Car  on  ne  peut  admettre  qu'il  en  ait 
été  la  dupe  un  seul  instant.  A-t-il  dissimulé  tant  qu'il  pensa  pouvoir  tirer 
parti  de  l'erreur  populaire?  Quoi  qu'il  en  soit,  il  put  voir  bientôt  qu'on  ne 
refaisait  point  une  mission  de  Jeanne  d'Arc,  même  avec  le  prestige  de  son 
nom.  En  cette  année  1439,  le  maréchal  de  Rais  la  fit  remplacer  dans  le 
commandement  d'une  troupe  qu'il  dirigea  contre  le  Mans;  et  bientôt  on 
acheva  de  faire  tomber  le  masque.  Comme  les  Parisiens,  apprenant  qu'elle 
était  proche  et  qu'elle  avait  reçu  à  Orléans  un  grand  accueil,  disaient  que 


LA   REHABILITATION. 


363 


c'était  la  Pucelle,  l'université  et  le  parlement  la  firent  venir,  bon  gré,  mal 
gré,  à  Paris.  Ils  voulurent  que  le  peuple  la  vît  tout  à  son  aise,  au  palais,  sur 
la  pierre  de  marbre,  en  la  grand'cour.  Là,  elle  dut  raconter  sa  vie,  qui 
n'était  pas  de  tout  point  fort  édifiante.  Puis  on  la  laissa  retourner  à  la 
guerre-,  mais  dès  lors  on  ne  parla  plus  d'elle.  On  n'en  parla  que  pour  com- 
penser, à  force  d'outrages,  les  honneurs  qu'on  lui  avait  rendus. 


■ig.  i5i.  —  Comment  le  roi  Henri  fut  couronné  à  Paris  de  deux  couronnes  par  les  Anglais.  Mmiature 
des  VigiU's  de  Charles  VU,  ms.  daté  de  14S4,  conservé  à  la  biblioth.  nat.,  n"  5o54.  Ir.  (v.  p.  ib^).  —  Le 
16  décembre  143 1,  Winchester,  cardinal  d'Angleterre,  vint  dans  Notre-Dame  de  Paris  couronner  le  jeune 
Henri  VI  d'Angleterre  des  deux  couronnes  de  France  et  d'Angleterre. 


LE  SECOND  PROCKS  DE  ROUEN. 


Entre  ces  honneurs  et  ces  outrages  prodigués  tour  à  tour  à  celle  qui  avait 
pris  le  nom  de  Jeanne,  que  devenait  sa  mémoire?  Le  temps  venait  de  dis- 
siper les  ombres  qui  pouvaient  voiler  aux  yeux  des  politiques  la  vérité  de 
sa  mission  :  la  prédiction  de  Jeanne  s'était  accomplie  :  les  Anglais  étaient 
chassés  de  France. 

Après  la  mort  de  la  Pucelle,  leur  parti  avait  d'abord  obtenu  quelques 
succès.  Barbazan  qui,  de  la  Champagne,  menaçait  déjà  la  Bourgogne, 
avait  succombé  avec  René  de  Bar  en  voulant  l'aider  à  prendre  possession 


364 


JEANNE   D'ARC. 


de  la  Lorraine;  dins  la  bataille  engagée  contrairement  à  ses  conseils,  il  fut 
tué  et  René  fait  prisonnier  (Bulligncville,  2  juillet  I43i).  Poton  de  Xain- 
trailles  avait  été  pris  aussi  dans  une  embuscade,  aux  portes  de  Beauvais, 
avec  \e  pjstoiircl,  que  Tarchevêque  de  Chartres  avait  eu  l'idée  de  substituer 
à  Jeanne  d'Arc  [4  août).  La  Hire  enfin  s'était  laissé  prendre,  comme  il 


Fig.  I  52.  —  La  paix  conclue  à  .An  n s.  le  2\  septembre  1433,  entre  le  roi  de  France  et  le  duc  de  Bourgofîne, 
est  criée  à  Reims.  A  la  trompette  de  l'un  des  deux  crieurs  pend  une  banderolle  bleue  aux  trois  Meurs  de  lis 
d"or.  Miniature  de  la  Chronique  de  C luiriez  VII,  par  Jean  Chartier.  ms.du  xv'^s.,  conservé  à  labibliolh.nal., 
fonds  fr.,  n»  2601. 


sortait  de  Louviers  pour  aller  lui  quérir  des  secours,  et  la  ville  avait  dû 
capituler  (25  octobre).  Mais  les  échecs  suivirent  bientôt.  'N'ainement  cher- 
cha-t-on  à  raffermir  les  affaires  de  Henri  VI  en  le  faisant  couronner  à 
Paris  (  16  décembre  i43i  )  :  la  cérémonie  ne  fit  qu'indisposer  davantage  les 
Parisiens  par  les  mécomptes  qu'ils  y  trouvèrent.  Tout  conspire  dès  lors 
contre  les  Anglais.  En  1433,  Richeniont  fait  enlever  la  Trémouille  de  la 
cour:  c'était  un  mo3'en  d'3' rentrer  bientôt  lui-même.  En  1434,   la  Nor- 


Romanfît  4  C"' 

ENTREE  DE  CHARLES  VII  A  ROUEN,  LE  26  OCTOBRE    U4-9. 

L'arcbevèque  de  Rouen,  les  evêq^ues  de  Lizieox,  de  Bayeux  et  de  Coutauces  furcat  pré sealés  aia  Roi  par  le  coiulc  de 
Dunois  ;  on  les  voit  en  cajnail  et  le  bonnet  sur  la  tête,  qui  se  retirent  après  avoir  fiiit  révérence .  Les  magistrats  de  la 
ville  venaient  ensuite.  Un  d'entre  d'dx  présente  au.  Roi  les  defs  de  la  ville,  attachées  à  une  baguette.  —  Miniature  des 
Chroniques-  de Morul/'elet,  ms.  Ir,  n°2679  à  la  Biblioth..  nat.  xv"  siècle. 


LA  ri:habilitation. 


365 


mandie  commence  à  se  soulever.  La  Bourgogne  aussi  supportait  impatiem- 
ment la  guerre,  et  les  liens  qui  rattachaient  le  duc  au\  Anglais  s'étaient 
fort  relâchés  par  la  mort  de  la  duchesse  de  Bedford,  sa  sœur,  et  le  nouveau 
mariage  du  régent  (  1432).  Dès  le  commencement  de  i435,  Philippe  le  Bon 
accueille  le  projet  d'un  congrès  à  Arras  ;  et,  quand  il  vint  à  Paris  au  temps 


Fi  g.  i33.  —  Bataille  de  CastiUon,  le  ij  juillet  1453,  qui  décida  de  la  Conquête  de  la  Guyenne  :1e  brave  Talbot 
et  son  fils  y  furent  tués.  Miniature  des  Chroniques  de  Monstrelet,  ms.  conservé  à  la  biblioth.  nat.  sous  le 
n"  2670  fonds  fr.  —  La  prédiction  de  Jeanne  d'Arc  aux  Anglais  était  réalisée  :  «  Je  suis  venue  de  par 
Dieu,  le  Roi  du  ciel,  poi'r  vous  douter  hors  de  toute  France.  » 

de  Pâques,  les  Parisiens  eux-mêmes,  et  l'université  la  première,  insistèrent 
auprès  de  lui  pour  qu'il  le  fît  aboutir  à  la  paix.  Bedford,  par  un  reste  d'as- 
cendant, y  faisait  encore  obstacle;  mais  il  meurt  le  14  septembre,  et  le  21 
la  paix  est  signée  à  Arras  entre  le  duc  de  Bourgogne  et  le  roi  de  France. 
Les  Anglais,  refusant  et  la  paix  avec  la  France  et  la  neutralité  de  la  Bour- 
gogne, sont  attaqués  par  les  deux  puissances  à  la  fois,  et  le  i3  avril  1436 
Dunois,  Richement  et  l'Isle-Adam,  entrent  à  Paris. 


JEANNE    D'ARC. 


Ainsi  la  parole  de  Jeanne  était  vérifiée.  Au  terme  qu'elle  avait  marqué, 
les  Anglais,  comme  elle  le  disait,  «  avaient  laissé  un  plus  grand  gage  que 
devant  Orléans.  »  Paris  leur  était  enlevé  :  c'était  le  gage  de  leur  entière 
expulsion.  En  1449,  Rouen  était  pris  à  son  tour,  et  bientôt  la  Normandie 
conquise;  en  1452  et  i453,  Bordeaux  et  toute  la  Guyenne  :  Calais  seul 
leur  devait  rester  encore  pendant  un  siècle,  comme  un  souvenir  de  leur 
domination  et  un  signe  de  leur  impuissance.  Il  ne  fallait  pas  attendre 
jusque-là  pour  reconnaître  que  Jeanne  avait  dit  vrai,  quand  elle  se  donnait 
comme  envoyée  de  Dieu  pour  les  mettre  dehors  ;  car  tout  le  mouvement 
qui  aboutit  à  cette  fin  procédait  de  l'impulsion  qu'elle  avait  donnée.  Aussi, 
dès  son  entrée  à  Rouen,  Charles,  mieux  entouré  désormais  et  servi  par 
les  hommes  qu'il  lui  aurait  fallu  au  temps  de  Jeanne,  ordonna  une  enquête 
sur  le  procès  moyennant  lequel  les  Anglais,  par  grande  haine,  «  l'avoient 
fait  mourir  iniquement  et  contre  raison  très-cruellement.  » 

Ce  fut  Guillaume  Bouille,  un  des  principaux  membres  de  l'université  de 
Paris  et  du  conseil  du  roi,  qui  fut  chargé  d'en  recueillir  les  pièces  et  les 
documents  de  toute  sorte,  et  d'en  faire  un  rapport  au  grand  conseil  (i5  fé- 
vrier 1450).  Mais  le  procès  avait  été  fait  au  nom  de  l'Eglise  :  c'est  par 
l'Eglise  qu'il  devait  être  aboli.  Le  roi  mit  à  profit  l'arrivée  en  France  du 
cardinal  d'Estouteville,  légat  du  saint-siége  et  en  même  temps  archevêque 
de  Rouen,  pour  lui  faire  commencer  par  lui-même  une  enquête  sur  un  fait 
que  les  Anglais  avaient  précisément  rattaché  à  son  diocèse.  Le  cardinal , 
assisté  de  l'un  des  deux  inquisiteurs  de  F'rance ,  Jean  Bréhal,  ouvrit  d'oHice 
l'instruction  .t'.v  ojjicio  incroj^  puis,  forcé  de  partir,  il  remit  ses  pouvoirs 
au  trésorier  de  la  cathédrale,  Philippe  de  la  Rose;  et  celui-ci,  assisté  du 
même  Jean  Bréhal,  donna  une  nouvelle  extension  à  l'enquête  par  les 
articles  qu'il  ajouta  au  formulaire  des  interrogatoires,  et  par  les  témoins 
nouveaux  qu'il  appela  (1452). 

L'Eglise  se  trouvait  donc  engagée  dès  lors  dans  la  révision  du  procès  par 
ses  représentants  les  plus  compétents  :  l'inquisiteur,  et  l'archevêque  de 
Rouen,  légat  du  pape.  Le  cardinal  avait  été  envoyé  pour  rapprocher  les 
rois  de  Franc;  et  d'Angleterre,  et  les  amener  à  défendre  en  commun 
l'Europe  menacée  par  les  Turcs  :  or,  ce  n'était  pas  faire  grande  avance  à 
l'Angleterre  que  de  soumettre  à  une  révision  le  procès  de  la  Pucelle  ;  on 


LA    RÉHABILITATION. 


367 


n'en  pouvait  soulever  les  voiles  sans  en  mettre  au  jour  les  violences,  ni 
Tabolir  sans  frapper  de  réprobation  aux  yeux  du  monde  ceux  qui  l'avaient 
dirigé.  L'enquête  demeurait  donc  sans  résultat,  et  la  révision  semblait 
devoir  avorter,  quand  Charles  ^'II  imagina  d'écarter  ce  qu'il  y  avait  de 
politique  dans  une  instance  formée  au  nom  d'une  cour  contre  un  jugement 
rendu  au  nom  d'une  autre  :  ce  ne  fut  plus  le  roi  de  France  qui  se  mit  en 
avant,  ce  fut  la  famille  de  Jeanne,  renouvelant  auprès  du  souverain 
pontife  cet  appel   que  les  juges  de  la   Pucelle  n'avaient    point  accueilli. 


Fig.  04.  —  .Médaille  J'or  de  l'année  hSi,  frappée  en  mémoire  de  l'expulsion  des  Anglais.  L'original,  con- 
servé au  cabinet  des  médailles ,  à  Paris,  a  82  millimètres  de  diamètre.  On  lit  en  légende  : 


Qaant  je  fu  faîct  sans  âifernnce 
Au  prudent  roi  ami  de  Dieu 
On  obéîssoit  partout  en  France 
Fors  à  Calais  qni  est  fort  lieu 


D'or  fin  suis  extrait  de  dncas 
Et  fut  fait  pesant  TTII  caras 
En  l'an  que  verras  moi  tournant 
Les  lettres  de  nombre  prenant. 


Les  deux  derniers  vers  ont  besoin  d'explication.  Dans  la  légende  du  côté  opposé  figurent  huit  V,  onze  I, 
trois  C,  un  M  et  deux  L,  qui,  comptés  chacun  pour  leur  valeur  numérique  et  additionnés,  donnent  1  +  51 
pour  la  date  fixée  parle  chronogramme. 


L'afl'aire  redevenait  privée,  et  rien  n'empêchait  plus  le  pape  de  faire  justice, 
sans  qu'il  parut  prendre  parti  pour  la  France  contre  l'Angleterre.  Or,  tout 
criait  contre  l'arrêt  de  Rouen,  car  on  n'avait  pas  seulement,  pour  voir  clair 
dans  cette  iniquité,  les  dépositions  recueillies  soit  par  Guillaume  Bouille, 
soit  par  le  cardinal  d'Estouteville  et  par  son  délégué  :  on  avait  le  procès 
même  de  la  Pucelle.  Ce  procès,  les  interrogatoires  officiels  de  Jeanne ,  et 
non  plus  seulement  les  douze  articles,  avaient  été  soumis  à  leur  tour  à  des 
docteurs  impartiaux,  et  ils  avaient  rendu  des  avis  qui  pouvaient,   comme 


3t)8 


JEANNE  D'ARC. 


le  reste  des  pièces  juridiques,  être  soumis  à  rexamen  du  souverain  pontife. 
Dans  le  nombre,  le  procès  de  révision  a  gardé  deux  Mémoires,  l'un  de 
Théodore  de  Ldiis,  auditeur  de  rote  en  cour  romaine;  l'autre  de  Paul 
Pontaniis,  avocat  au  consistoire  apostolique;  et  le  premier  est  déjà  une 
réhabilitation  de  la  Pucelle.  Le  grave  docteur,  rapprochant  de  chacune  des 


Fig.  i55.  —  I.e  cardinal  Guillaume  d'Estouteville  vient  en  I45i  auprès  de  Charles  VU,  avec  le  titre  de 
léjjat  du  pape.  —  En  1452,  il  accorda  des  indulgences  pour  la  fête  du  8  mai  à  Orléans  ;  en  1450,  à 
l'instigation  de  Charles  VU,  il  procéda  lui-même  avec  un  grand  zèle  aux  informations  juridiques 
du  procès  de  la  réhabilitation  de  la  Pucelle.  —  Miniature  de  la  Chronique  de  Charles  Vil,  par  Jean 
Chartier,  ms.  du  .W-"  s.,  conservé  à  la  biblioth.  nat.,  n"  2691  fonds  fr. 


allégations  comprise  aux  douze  articles  les  faits  établis  par  le  procès, 
donne  dès  lors  tous  les  arguments  de  bon  sens  et  de  bonne  foi  qui  renversent 
cet  échafaudage  de  diffamation  et  d'hypocrisie,  et  ne  laissent  plus  voir 
que  l'innocence,  la  vertu  et  la  grandeur  de  Jeanne  d'Arc,  à  réternellc 
confusion  de  ses  juges  et  de  ses  bourreaux. 

Ce    fut  Calixte  III,    élu  le  N   avril   1435,    qui,  le   11    juin  de  la  même 
année,  accueillit   la   requête  de   la  mère  de  Jeanne  et  de  ses  deux  frères; 


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1  de  la  même 


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4'03-1461    I 


LA   REHABILITATION.  369 


et,  par  un  rescrit  adressé  à  l'archevêque  de  Reims  et  aux  évêques  de  Paris 
et  de  Coutances,  il  les  désigna  pour  reviser  le  procès,  en  s'adjoignant  un 
inquisiteur. 

Ce  procès  nouveau,  qui  devait  donner  enfin  le  vrai  jugement  de  T  Eglise  sur 
Jeanne  et  sur  sa  mission  ,  s'ouvrit  avec  une  grande  solennité.  Le  7  novem- 
bre 1455,  Farchevêque  de  Reims,  Tévèque  de  Paris  et  l'inquisiteur  Jean 
Bréhai  siégeant  à  Notre-Dame  de  Paris,  Isabelle,  mère  de  Jeanne,  accom- 
pagnée d'un  de  ses  fils  et  d'un  nombreux  cortège ,  vint  déposer  devant  eux  sa 
demande  et  le  rescrit  du  souverain  pontife  qui  l'avait  accueillie.  Sept  à  huit 
mois  furent  consacrés  aux  formalités  de  la  procédure  et  à  la  poursuite  des 
enquêtes.  Le  jeudi  i3  mai,  après  plusieurs  ajournements,  les  procès- verbaux 
en  furent  reçus  par  les  juges  et  mis  à  la  disposition  de  quiconque  y  vou- 
drait contredire.  Assignation  fut  donnée  pour  le  faire  au  l'^'^juin. 

La  lumière  brillait  enfin  de  tout  son  éclat  sur  Jeanne  et  sur  ses  juges.  De 
toute  part  s'étaient  élevées  des  voix  qui  rendaient  témoignage  à  la  Pucelle. 
Les  anciens  de  son  pays ,  les  compagnes  de  son  enfance ,  les  compagnons 
de  sa  vie  militaire  :  Dunois,  le  duc  d'AIenœn,  le  vieux  Raoul  de  Gaucourt, 
Louis  de  Contes,  son  page,  d'Aulon,  son  écuyer,  Pasquerel,  son  confes- 
seur; et  ceux  qui  l'assistèrent  dans  la  prison  et  jusque  sur  le  bûcher,  Isam- 
bard  de  la  Pierre ,  Martin  Ladvenu  ;  les  assesseurs  mêmes  et  les  officiers  de 
ses   juges,  le  greffier  Manchon,  l'huissier  Massieu,  venaient  tour  à  tour 
reproduire  quelque  trait  de  cette  belle  figure.  On  retrouvait  dans  leurs  dépo- 
sitions la  vie  pure,  simple  et  retirée  de  la  jeune  fille  au  fo\er  paternel, 
jusqu'au  nioment  où  elle  se  vit  appelée  à  délivrer  la  France*,  la  même  pu- 
reté de  mœurs,  la  même  simplicité  qui  était  de  sa  nature,  avec  la  fermeté 
de  langage  et  l'accent  d'autorité  qu'elle  tenait  de  son  inspiration,  tout  le 
temps  qu'elle  parut  soit  à  la  cour,  soit  à  l'armée  ;  et  depuis  qu'elle  tomba 
aux  mains  de  ses  ennemis,  sa  constance  dans  les  rigueurs  de  la  prison,  sa 
hardiesse  dans  les  épreuves  du  tribunal ,  avec  ses  illuminations  soudaines 
qui  jetaient  un  jour  accablant  sur  les  machinations  de  ses  juges;  enfin  sa 
ferme  croyance  à  la  mission  qu'elle  avait  reçue,  jusqu'au  jour  où,  après 
avoir  pavé  le  tribut  à  la  faiblesse  de  la  femme  devant  les  apprêts  du  sup- 
plice, elle  se  releva  par  un  sacrifice  volontaire  d'une  défaillance  plus  appa- 
rente que  réelle,  et  couronna  sa  vie  de  sainte  par  la  niort  d'une  martyre. 


JEANNE    D ; 


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JEANNE   D'ARC. 


Le  7  juillet,  les  commissaires  se  réunirent  enfin  dans  la  grande  salle  du 
palais  archiépiscopal  de  Rouen;  et  là,  en  présence  de  Jean  d'Arc,  de  Pré- 
vosteau,  représentant  Isabelle,  la  mère  de  Jeanne,  et  Pierre  d'Arc,  son 
autre  frère,  du  promoteur  Chapitaut  et  de  Pierre  Maugier,  avocat  de  la 
famille,  personne  ne  se  présentant  pour  combattre  les  conclusions  du  pro- 
moteur, ils  déclarèrent  la  partie  adverse  coutumax.  Puis,  jugeant  au  fond, 
après  avoir  énuméré  toutes  les  pièces  de  procédure  sur  lesquelles  ils  a\aient 


Fig.  i5S.  —  'lympan  Je  la  porto  Sainte-Anne  de  l'cf^lisc  Notre-Dame  Je  Paris.  D'après  la  Statislique 
monumentale  de  Paris,  par  Albert  Lenoir.  La  Vierge,  assise  sous  un  dais  fort  riche  surmonté  d'une  coupole , 
porte  rEnfant  Jésus.  Deux  anges  l'encensent.  A  sa  droite,  un  évCque  suivi  d'un  personnage  assis.  A  .'^a 
gauche,  un  roi  couronné  et  à  genoux  tient  un  phylactère.  xn«  siècle.  On  suppose  que  ce  travail,  antérieur  à 
l'architecture  qui  l'encadre,  y  a  été  rapporte  au  moment  de  la  construction  de  l'édifice.  —  C'est  dans  la 
cathcdralede  Paris  que,  le  7  novembre  14?  5,  Isabelle  Romée,mf:re  de  Jeanne  (Jacquesd'Arc,  père  de  Jeanne, 
était  mort  de  chagrin),  accompagnée  de  son  fils  Pierre  et  d'un  nombreux  cortège  d'hommes  honorables, 
ecclésiastiques  ou  séculiers,  et  de  femmes,  se  présenta  et  déposa  devant  les  juges  sa  requête  en  réhabilita- 
tion de  la  mémoire  de  sa  fille,  et  le  rescrit  du  souverain  pontife  qui  l'avait  accueillie. 


formé  leur  opinion,  ils  prononcèrent  d'abord  que  les  dou/:e  articles.  Tunique 
base  de  la  sentence  rendue  contre  Jeanne,  étaient  faux,  altérés  et  calom- 
nieux, et  ordonnèrent  qu'ils  fussent  arrachés  du  procès  et  lacérés  judiciai- 
ment.  De  Là  ils  passaient  aux  deux  sentences,  et,  après  avoir  signalé  les  prin- 
cipaux moyens  de  droit  tant  de  fois  opposés  aux  procédés  des  premiers 
juges,  adoptant  l'avis  des  docteurs  et  des  prélats  qui  n'ont  vu  dans  tout  le 
procès  aucun  fondement  à  l'accusation ,  ils  déclaraient  le  procès  et  les  scn- 


A/A^ 


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~is.  ibo.  —  Charles  VII,  roi  de  France. 
(Yiré  J'un  acte  du  3o  octobre  1434.) 


—  Philippe  le  Bon,  duc  de  Bourgogne- 
principal  aUié  des  Anglais. 
(Tiré  d'un  acte  du  17  juillet  1464-) 


|65.  —  Jean  d'Aulon,  écuyer  de  la  Pucelle, 

qui  la  suivit  depuis  Chinon  et  fut  pris  avec  elle. 

(Tiré  d'un  acte  du  3  mars  143S.) 


ihh.  —  Jean,  bâtard  d'Orléans,  comte  do  Ounois, 

qui  cni;ai;ea  le  roi  à  accepter  les  secours  de  Jeanne  et  la  reçut 

dans  Orléans. 

(Tiré  d"un  acte  du  iS  février  1420.) 


i()2.  —  Cicorges  de  la  Trémouille,  ministre  de  Charles  VII, 

dont  la  politique  entrava  le  plus  la  mission  de  Jeanne  d'Arc. 

O  ire' d'un  acte  du   \   novembre  U'O.) 


163.  —  htienne  de  Vignoles,  dit  la  Hirc, 
un  des  plus  braves  soldats  de  Charles  VU  et  des  plus 
dévoués  partisans  de  la  Pucelle. 
(Tiré  d'un  acte  du  27  janvier  1429.) 


167.  —  Jean  de  Valois,  duc  d'Alençon,  le 

beau  duc,  comme  l'appelait  Jeanne.  If  fut  avec 

le  bâtard  d'Orléans  un  de  ses  plus  fidèles  soutiens 

(Tiré  d'un  acte  du  6  novembre  1471.) 


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—  Raoul  de  Gaucourt,  pouverneur  d'Orlé 

pendant  le  sîége. 

(Tiré  d'un  acte  du  22  novembre  1438.) 


164.  —  Poton   de  Saintrailles.  hardi  capitaine,  plus  tard 

maréchal  de  France,  l'un  de  ceux  qui  aidèrentle  plus 

à  lexpulsion  des  Anglais. 

(Tiré  d'un  acte  du  6  août  143S.) 


-  Ambroise  de  Loré,  qui  concourut  à  la  défense  d'Orléans 
(Tiré  d'un  acte  du  14  février  1443.) 


"i^.  iTio  à  179.  —  Amis  et  ennemis  de  la  Pucelle.  Signatures  tirées  d'actes  authentiques.  Les  numéros  160  et  179 appartiennent 
à  M.  G.  au  Fresne  de  Beaucourt,  à  Paiis;  les  numéros  162,  164,  i65,  166,  168,  lôci.  172,  177,  178,  communiqués  par  le 


70.  —  Charles  duc  d'Orléans,  prisonnier  des  Anglais  et  que  Jeanne 

s'était  proposé  de  délivrer. 

(Tiré  d'un  acte  du  7  juillet  1450.) 


171.  —  Jacques  Boucher,  trésorier  du  duc  d'Orléans. 

C'est  chez  lui  que  Jeanne  fut  reçue  avec  ses  deux  frères,  en  entrant 

à  Orléans,  le  29  avril  1+29. 

(Tiré  d'un  acte  du  3o  mai  1424O 


172.  —  Louisde  Culan,  amiral  de  France.  Il  vint 
:  Jeanne  à  Orléans  et  la  suivit  dans  la  campagne  de  la  Loire,  clc 
(Tiré  d'un^acte  du  12  juillet  i  +  iS.) 


175.  —  René  d'Anjou,  duc  de  Lorraine  et  Bar, 

qui  vint  rejoindre  le  roi  la  veille  du  sacre,  à  la 

nouvelle  des  succès  de  la  Pucelle. 

(Tiré  d'un  acte  du  23  septembre  1463.) 


171Î.  —  Charles  d'Albret.   chevalier, 

Tun  des  compagnons  d'armes  de  Jeanne. 

(Tiré  d'un  acte  du  i.|  avril  1432.) 

177.  —  Re^nault  de  Chartres,  archevêque 

de  Reims,  chancelier  de  France,  coupable  de 

l'abandon  de  Jeanne  après  qu'elle  fut  prise. 

{Tiré  d'un  acte  du  xv*^  s.,  non  daté.) 


173.  —  Jean  de  Bueil,  chevalier.  Il  concourut  à  la  défense  d'Orléans 
(Tiré  d'un  acte  du   lô  juillet  ip^.) 


178.  —  Jean  de  Luxembourg,  comte  de  Lii;ny. 
qui  vendit  la  Puce)!e  aux  Anglais, 
(Tiré  d'un  acte  du  -xi  juillet  11-38.) 


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174.  —  Artus  de  Bretagne,  comte  de  Richement, 

Dnnétablede  France,  que  Jeanne  réconcilia  avec  le  roi. 

(Tiré  d'un  acte  du  6  septembre  142.) 


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I7().  —  Pierre  Cauchon,  évéquc  de  Beauvais, 

et  plus  tard  de  Lisieux,  qui  dirigea  le  procès 

de  Jeanne  d'Arc. 

(Tiré  d'un  acte  du  29  janvier  1423.) 


même,  font  partie  de  la  collection  des  Titres  scellés  de  Clairambault,  à  la  bibliothèque  nationale;  les  numéros  161,  iIkî. 
167,  170,  171,  17^3  175  inclus  proviennent  de  la  collection  de  M.  Boucher  de  Molandon,  à  Orléans,  dernier  descendant 
du  trésorier  du  duc  d'Orléans,  Jacques  Boucher,  chez  qui  Jeanne  logea  avec  ses  frères  en  arrivant  dans  cette  ville. 


JEANNE   D'ARC. 


tcnccs  entachés  de  dol  et  de  calomnie,  et  par  conséquent  nuls  et  de  nul  effet; 
ils  les  cassaient  et  les  annulaient,  déclarant  que  Jeanne  ni  aucun  des  siens 
n'en  avaient  reçu  aucune  note  d'infamie,  et  les  lavant  de  toute  tache  sem- 
blable autant  que  besoin  était.  Ils  ordonnaient  que  la  sentence  serait  immé- 
diatement publiée  à  Rouen  en  deux  endroits  :  sur  la  place  de  Saint-Ouen , 
à  la  suite  d'une  procession  solennelle;  et,  le  lendemain,  au  Vieux-Marché, 


Fig.  iSo.  —  Fontaine  CIcilc,  j  Rcmun,  Jaiis  Its  iirciniurcs  années  du  xv!'  siècle,  en  l'Iionncur  de  Jeanne, 
sur  la  place  du  Marché-aux-Vea'jx,  aujourd'hui  place  de  la  Pucclie,  et  détruite  en  lyS-)..  File  remplaça  la 
croix  expiatoire,  dccrét<îe  par  les  juges  lie  la  réhabilitation  en  i+So,  mais  avec  un  changement  de  lieu.  I.a 
croix  avait  été  élevée  sur  le  Vieux-Marché,  témoin  du  supplice,  près  du  chevet  de  l'église  Saint-Sauveur, 
à  peu  de  distance  du  lieu  ordinaire  des  exécutions,  tandis  que  la  fontaine  fut  construite  sur  la  place  du 
Marché-aux-Veaux,  voisine  du  Vieux-Marché.  —  D'après  la  gravure  d'Israël  Silvestre,  vers  le  milieu  du 
xvn*^  siècle. 


au  lieu  où  Jeanne  avait  été  si  cruellement  brûlée.  La  publication  devait 
être  suivie  d'un  sermon,  et  de  la  plantation  d'une  croix  destinée  à  perpétuer 
sa  mémoire  et  à  solliciter  les  prières  des  fidèles;  et  la  sentence,  publiée  dans 
toutes  les  autres  villes  ou  lieux  du  royaume  qu'il  semblerait  bon. 

La  sentence  reçut  immédiatement  son  exécution,  à  Rouen  d'abord,  puis 
dans  plusieurs  autres  villes,  notamment  à  Orléans,  où  l'évêque  de  Cou- 
tances  et  l'inquisiteur  Jean  Bréhal  vinrent  de  leur  personne  présider  aux 


LA   REHAHILITATION. 


J77 


Fig.  iSi.  —  Monument  élevé,  à  Rouen,  en  ijjo,  sur  1  emplacement  de  1  ancienne  lontainc  du  xvi'^  siècle, 
d'après  le  plan  et  sous  la  direction  d'Alexandre  Dubois,  architecte  du  roi  dans  la  généralité  de  Rouen.  La 
statue  qui  la  surmonte  est  due  au  ciseau  de  Paul-Ambroise  Slodtz,  professeur  de  l'Académie,  à  Paris.  Elle 
paraît  représenter  Jeanne  en  Bellone.  —  Etal  actuel. 

JEANNE  D  ARC.    MI.   —     4S 


37S 


JEANNE  D'ARC. 


Fig.  182.  —  Premier  monument  expiatoire  élevé  sur  le  pont  d'Orléans,  en  mémoire  de  la  Pucelle.  La  Vierge 
est  debout  au  pied  de  la  croix.  Charles  VII  et  la  Pucelle  sont  agenouillés  aux  deux  côtés.  D'après  une 
ancienne  gravure  sur  bois,  conservée  au  musée  historique  d'Orléans.  —  Ce  monument  fut  élevé  vers  la  fin 
du  IV»  siècle  aux  frais  des  Orléanais  et  par  les  contributions  empressées  des  dames  et  des  jeunes  filles  de  la 
ville,  qui  y  donnèrent  leurs  bijoux.  Il  fut  détruit  par  les  calvinistes,  en  i5ô2. 


LA    KEHABILITATION. 


379 


Fig.  i83.  —  Second  monument  élevé  sur  le  pont  d'Orléans  en  l'honneur  de  la  Pucelle,  le  i5  mars  1571. 
D'après  une  gravure  de  Léonard  Gauthier.  —  Charles  VII  et  Jeanne  sont  agenouillés  devant  le  Christ 
mort.  Près  de  la  Pucelle  se  trouve  une  lance  aux  armes  d'Orléans.  En  bas,  et  en  allant  de  gauche  à 
droite,  on  voit  l'écu  de  France ,  les  armes  d'Orléans  et  celles  de  Jeanne  d'Arc.  Ce  monument,  déplacé 
en  17+5,  fut  détruit  en  1792. 


38o  JEANNE  D'ARC. 


cérémonies  ordonnées.  Les  Orléanais  n'avaient  paseu  besoin  de  ce  jugement 
pour  rendre  à  la  mémoire  de  Jeanne  les  honneurs  qui  lui  étaient  dus.  Ils 
avaient  recueilli  sa  mère,  voulant  s'acquitter  au  moins  auprès  de  sa  famille 
de  leur  dette  envers  elle;  et  plus  tard,  à  la  place  de  la  croix  érigée  confor- 
mément à  la  sentence,  ils  lui  éle\èrent  à  leurs  frais,  sur  leur  pont  même,  en 
face  du  lieu  où  elle  avait  accompli  l'acte  décisif  de  leur  délivrance,  un 
monument  qui,  mutilé  par  les  guerres  religieuses,  supprimé  par  la  révolu- 
tion, s'est  relevé  en  un  autre  lieu  et  sousune  autre  forme,  attestant  parmi 
ces  vicissitudes  leur  invariable  attachement  à  sa  mémoire.  Mais  ce  qui , 
mieux  que  les  statues  et  les  inscriptions,  consacrera  la  gloire  de  Jeanne 
d'Arc,  c'est  le  procès  de  réhabilitation  lui-même,  ce  sont  les  témoignages 
recueillis  par  toutes  ces  enquêtes,  et  fixés  à  jamais  parmi  les  actes  du  procès; 
c'est  aussi,  c'est  surtout,  dans  le  procès  de  condamnation,  les  interrogatoires 
de  la  Pucelle.  Quant  à  ce  procès  même,  il  ne  faut  rien  diminuer  de  la  juste 
réprobation  qui  le  frappe  :  on  pouvait  être  de  bonne  foi  en  le  commençant, 
on  ne  pouvait  pas  l'être  en  le  finissant  de  la  sorte.  Point  d'excuse  à  l'ini- 
quité de  la  sentence;  point  d'excuse  aux  illégalités  de  la  procédure,  et  l'on 
cherche  vainement  la  preuve  qu'elle  fut  régulière  dans  le  silence  qui  se  fit 
sur  Jeanne  parmi  ceux  qui  devaient  le  plus  avoir  à  cœur  de  venger  sa 
mémoire.  Tout  ce  qu'on  pourrait  dire,  c'est  que  les  fraudes  du  procès 
n'étaient  pas  encore  connues  et  ne  le  furent  que  quand  les  pièces  en  vin- 
rent aux  mains  du  roi ,  après  l'expulsion  des  Anglais.  Dès  ce  moment  la 
réparation  est  assurée.  Le  roi  parle,  il  agit  avec  cette  prudence,  mais  en 
même  temps  avec  cette  suite  et  cette  fermeté  qui  présidèrent  à  ses  résolu- 
tions dans  la  seconde  partie  de  son  règne.  Après  avoir  flétri  l'inqualifiable 
abandon  où  il  souflVit  que  la  libératrice  d'Orléans,  l'ange  du  sacre  de 
Reims,  succombât  devant  Compiègne  et  mourût  à  Rouen,  il  est  juste  de 
faire  honneur  à  Charles  VII  d'avoir  su,  au  risque  d'appeler  l'attention  sur 
les  circonstances  qui  le  condamnent  lui-même,  provoquer  et  mener  à  bonne 
fin  le  jugement  qui  la  réhabilita. 


rlc,  bibliolh.  Je  51.  Amliioiso  Firuiin 


XII 


LA  REHABILITATION  —  L'HISTOIRE 


Les  Contemporains  et  )a  F'ostériti;,  —  Conclusion. 


LES    CONTEMPORAINS    ET     LA    POSTERITE. 


V  n'avait  pas  attendu  le  procès  de  réha- 
bilitation pour  protester  contre  l'acte  de 
Ilouen.  Perceval  de  Cagny,  dans  sa 
chronique,  impute  la  mort  de  Jeanne 
à  Tenvie  des  Anglais;  Jean  Charticr  dit 
qu'ils  la  brûlèrent  «  sans  procès  et  de 
leur  volonté  indue,  »  tenant  sans  doute 
le  procès  pour  nul,  soit  pour  l'absence 
du  jugement  civil,  soit  pour  tout  autre 
vice  de  forme  :  car  on  ne  peut  supposer 
qu'il  en  ait  ignoré  l'existence.  Le  journal 
du  siège  et  la  chronique  de  la  Pucelle  ne  poussent  pas  le  récit  jusque-là-, 
et  certes  ce  n'est  point  par  crainte  que  le  tableau  de  la  fin  de  Jeanne  d'Arc 
ne  jette  de  l'ombre  sur  les  merveilles  qu'ils  en  ont  racontées.  Il  eut  été 
bien  étrange,  en  effet,  que  son  supplice  eut  paru  ternir  sa  mémoire.  Dans 
le  Cliampion  des  Dames ,  ^etit  poëme  publié  en  1440  et  dédié  au  duc  de 
Bourgogne,  celui-là  même  qui  fit   livrer  Jeanne  aux  Anglais,   un  person- 


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3Sî  JEANNE   D'ARC. 


nage  ayant  avancé  qu'Outrecuidance  a  perdu  Jeanne,  et  que  Raison  l'a 
fait  bmler  à  Rouen  : 

C'est  mal  entendu,  grosse  teste,  Guères  ne  font  tes  argumens 

Répond  Franc-vouloir  prestement.  Contre  laPucelle  innocente. 

De  quants  saints  faisons-nous  la  fesie  Ou  que  des  secrez  jugemens 

Qui  moururent  honteusement  !  De  Dieu  sur  elle  pis  on  sente  ; 

Pense  à  Jhésus  premièrement ,  Et  droit  est  que  chacun  consent  e 

Et  puis  il  ses  martirs  benois,  A  lui  donner  honneur  et  gloire 

Sy  jugeras  évidamment  Pour  sa  vertu  très-excellente , 

Qu'en  ce  fait  tu  ne  te  cognois.  Pour  sa  force  et  pour  sa  victoire. 

Le  jugement  de  réhabilitation  confirmait  avec  éclat  la  croyance  populaire. 
Devant  cette  déclaration  solennelle,  on  ne  la  pouvait  plus  dire  égarée.  La 
sentence  flétrissait  énergiquement  les  calomnies  par  lesquelles  le  premier 
procès  avait  cru  donner  le  change  à  l'opinion  publique.  Mais  pour  con- 
naître Jeanne,  il  ne  s'agissait  pas  d'opposer  l'un  des  procès  à  l'autre;  il  les 
fallait  joindre,  au  contraire,  et  la  contempler  elle-même, plus  imposante 
encore  parmi  les  accusations  de  ses  juges  que  dans  les  ténioignages  recueillis 
au  second  procès.  Or,  c'est  ce  qu'en  général   on  ne  songea  point  à  faire. 

Il  y  a  des  exceptions  pourtant. 

Thomas  Basin,  évêque  de  Lisieux  (le  faux  Amclgard\  qui  fut  consulté 
et  qui  fit  un  traité  sur  le  procès  de  condamnation,  ne  dut  pas  rester  non 
plus  étranger  au  procès  de  réhabilitation  qu'il  provoqua  lui-même  :  et  le 
jugement  qu'il  porte  sur  Jeanne  est  en  tout  point  conforme  à  l'opinion  que 
tout  esprit  sincère  s'en  fera  d'après  ces  documents.  Il  signale  la  perfidie  de 
ses  interrogatoires  et  le  grand  sens  de  ses  réponses ,  sa  piété ,  sa  pureté ,  et 
la  raison  qui  la  contraignit  à  prendre  l'habit  dont  on  lui  fit  un  crime,  mais 
aussi  l'inutilité  de  toute  raison  dans  un  procès  où  les  Anglais  voulaient 
à  tout  prix  la  perdre  ,  quand  sa  mort  était  résolue  dans  leurs  conseils  par  la 
haine  et  par  la  peur.  Il  explique  son  abjuration  par  les  rigueurs  de  son  em- 
prisonnement et  parla  promesse  de  liberté  qu'on  lui  fit,  sa  rechute  par 
l'inexécution  de  cette  promesse,  et  il  la  montre  invoquant  dans  les  flammes 
Dieu  et  la  Mère  de  Jésus-Christ.  Il  ne  se  prononce  pas  sur  l'origine  de  ses 
révélations,  ne  sachant  rien  des  signes  qu'elle  a  donnés  au  roi  pour  l'y  faire 
croire,  mais  il  affirme  que,  de  tout  le  procès,  il  n'y  a  rien  qui   rende  sa  foi 


LA    REllAl'.ll.lTATlON.    —    L'il  1  ST  Ol  RE. 


suspecte  ou  justifie  sa  condamnation  comme  hérétique  et  comme  relapse; 
et  il  réfute  avec  beaucoup  de  force  ceux  qui  pourraient  douter  de  sa  mission 
à  cause  de  sa  mort,  en  citant,  comme  \c  Champion  des  Darnes^  Jésus- 
Christ,  et  à  son  imitation  les  prophètes  et  les  apôtres,  qui  consommèrent 
leur  mission  divine  par  le  martyre. 

Martial  d'Auvergne  connaît  aussi  les  deux  procès,  et  lisait  le  parti  qu'on 
en  peut  tirer  : 

Au  proci.-s  de  son  innocence  Et  est  une  grande  plaisance  " 

Y  a  des  choses  singulières,  De  veoir  toutes  les  deux  matières. 

Mais  la  matière  des  deux  procès  n'était  pointa  la  mesure  de  sa  chronique 
mise  en  complainte.  Tout  en  sentant  l'iniquité  du  premier,  il  s'abstient  de  le 
juger  lui-même.  Tout  en  rappelant  les  conclusions  du  second,  il  se  borne  à 
dire  où  on  le  trouvera.  Quant  à  lui ,  pour  rendre  hommage  à  la  Pucelle ,  il 
rimera  la  chronique  de  Jean  Chartier  :  cela  suffit  à  sa  verve  poétique. 

Le  plus  grand  nombre,  en  négligeant  les  deux  procès,  ne  prirent  pas 
même  la  peine  d'y  suppléer  à  l'aide  des  chroniqueurs  contemporains.  La 
tradition,  sur  ce  sujet,  se  donna  libre  carrière.  Considérant  le  but  atteint, 
l'expulsioa  des  Anglais ,  elle  y  accommoda  l'histoire  et  le  caractère  de  Jeanne 
selon  sa  fantaisie.  Elle  en  fît  une  sorte  d'héroïne  de  théâtre  ou  de  cirque, 
sautant  à  cheval  sans  toucher  l'étrier  ,  chargeant  l'ennemi  la  lance  au  poing , 
«  frappant  dedans,  »  et  tuant  tous  ceux  qu'elle  touche  ;  chevauchant  ainsi  par 
toute  la  France;  prenant  Bordeaux,  Rayonne,  et  provoquant  par  ses  vic- 
toires l'expulsion  des  Anglais  de  Paris.  Alors  elle  mène  le  roi  à  Reims  pour 
être  sacré ,  à  Paris  pour  être  couronné  ;  puis  ,  attaquant  la  Normandie ,  elle 
marche  de  conquête  en  conquête  jusque  devant  Rouen,  où  elle  disparaît. 
On  ne  sait,  dit  notre  chronique,  ce  qu'elle  devint  :  les  uns  disent  que  les 
Anglais  l'ont  prise  et  brûlée-,  d'autres,  que  plusieurs  de  l'armée  l'avaient 
fait  périr  par  jalousie.  —  A  cette  chronique ,  on  peut  joindre  les  récits  de 
Philippe  de  Bergame  et  de  Laonic  Chalcondyle.  Philippe  de  Bergame  ,  bien 
qu'il  ait  pris  peut-être  plusieurs  traits  de  la  figure  de  Jeanne  au  rapport 
d'un  chevalier  italien  qui  l'avait  vue  ,  dispose  du  reste  en  toute  liberté.  C'est 
en  faisant  son  métier  de  bergère  que  Jeanne,  sautant  comme  un  homme  sur 
quelque  jument  du  troupeau,    se  forma   toute  jeune    encore    à   monter  t\ 


384  JEANNE   D'ARC. 


cheval,  à  manier  la  lance,  à  déployer  contre  les  troncs  des  arbres  la  force 
de  son  bras.  Accueillie  par  Charles  VII ,  elle  va  faire  lever  le  siège  d'Orléans 
sur  le  Rhàiif  ;  elle  prend  en  trois  heures  trois  bastilles,  elle  combat  les  Anglais 
durant  huit  ans  en  trente  batailles.  Chalcondyle  est  plus  bref  :  il  la  fait  pa- 
raître en  une  seule  campagne,  qui  est  pour  lui  toute  la  guerre  de  Cent  ans. 

Tout  cela  tient  plus  du  roman  que  de  l'histoire.  Dans  l'histoire  la  figure  de 
Jeanne,  ensevelie  en  quelque  sorte  parmi  les  pièces  du  procès  ,  ne  demeura 
que  par  l'impression  qu'elle  avait  faite  sur  les  contemporains.  Maudite  comme 
sorcière  par  les  Anglais ,  qui ,  ne  pouvant  l'absoudre  sans  se  condamner,  s'en- 
durcissent dans  leurs  sentiments  haineux  (on  en  peut  voir  l'expression  dans 
Shakspeare^;  moins  maltraitée  des  Bourguignons,  qui  la  réduisent  à  un 
personnage  ou  à  une  machine  politique  >_Monstrelet,  etc.);  admirée  des 
Français  et  des  autres  peuples ,  sans  que  pourtant  les  Français  eu.x-mèmes 
ce  sont  des  politiques  aussi  qui  écrivent)  osent  se  prononcer  sur  la  source 
de  son  inspiration.  Parmi  les  témoignages  les  plus  remarquables  rendus  à 
sa  mémoire,  il  faut  compter  celui  du  pape  Pie  II  (.Eneas  Sylvius  Piccolo- 
mini^ ,  qui ,  après  avoir  raconté  sa  vie  merveilleuse ,  et  constaté  que  dans  son 
procès  on  n'avait  rien  établi  contre  sa  foi,  rien  qui  parût  digne  de  châti- 
ment, si  ce  n'est  cet  habit  d'homme  qui  ne  méritait  pas  la  mort  et  qu'on  lui 
fit  reprendre  par  ruse,  s'écrie:  «  Ainsi  périt  Jeanne,  vierge  étonnante  et 
admirable,  qui  a  rétabli  le  royaume  de  France  presque  ruiné  et  abattu,  et 
infligé  aux  Anglais  tant  de  défaites  ;  qui,  devenue  chef  de  guerriers,  a  gardé, 
au  milieu  de  ses  soldats,  sa  pudeur  sans  tache,  et  n'a  jamais  été  l'objet 
de  propos  infamants.  Ftait-ce  œuvre  de  Dieu  ou  invention  des  hommes? 
J'aurais  peine  à  le  dire.  »  Il  rapporte  ce  bruit  :  qu'on  avait  imaginé  de  la 
susciter  pour  mettre  un  terme  aux  rivalités  des  chefs.  «  Mais ,  ajoute-t-il,  une 
chose  est  bien  certaine  :  c'est  que  c'est  elle  qui  a  fait  lever  le  siège  d'Orléans, 
conquis  par  les  armes  le  pays  compris  entre  Bourges  et  Paris,  et  amené  par 
son  conseil  la  soumission  de  Reims  et  le  couronnement  du  roi;  elle,  dont 
la  vigueur  a  mis  en  fuite  Talbot  et  son  armée  ,  dont  l'audace  a  briàlé  une 
porte  de  Paris,  dont  l'habileté  et  l'adresse  ont  remis  en  bon  état  les  affaires 
de  la  France.  Chose  digne  de  mémoire,  et  qui  trouvera  dans  la  postérité 
moins  de  foi  que  d'admiration  1  » 

Sur  ce  terrain  mal  défini ,  le  champ  était  ouvert  aux  appréciations  les  plus 


LA   REHABILITATION.    —    L'HISTOIRE. 


diverses.  Chaque  siècle  en  usa  pour  se  faire  Jeanne  ,  en  quelque  sorte,  à  son 
image.  Le  seizième  siècle  en  fit  une  politique  ;  Du  Bellay,  sans  trop  s'en 
rendre  compte,  en  prit  l'idée  à  l'opinion  bourguignonne",  et  Du  Haillan  ne 


Fig.  184.  —  Pie  II,  pape,  successeur  Je  Cali.xte  111  en  145S.  Gravure  du  .\vi''  siècle,  exécutée  à  la 
manière  de  Jost  Amman.  Biblioth.  nat.,  cabinet  des  Estampes.  —  Pie  II,  n'étant  encore  que  le  car- 
dinal ,Eneas  Sylvius  Piccolomini,  rendit  ce  témoignage  à  la  mémoire  de  Jeanne  d'Arc  :  «  Ainsi  périt 
Jeanne,  vierge  étonnante  et  admirable,  qui  a  rétabli  le  royaume  de  France  presque  ruiné  et  abattu, 
et  infligé  aux  Anglais  tant  de  défaites;  qui,  devenue  chef  de  guerriers,  a  gardé  au  milieu  des  soldats 
sa  pudeur  sans  tache.  C'est  elle  qui  a  fait  lever  le  siège  d'Orléans.  Chose  digne  de  mémoire,  et  qui 
trouvera  dans  la  postérité  moins  de  foi  que  d'admiration!  " 

craignit  point  d'accueillir  jusqu'aux  plus  infâmes  impostures  que  la  passion 
et  la  haine  eussent  inspirées  aux  Anglais.  Le  dix-septième  siècle  en  fit  une 
héroïne,  mais  une  héroïne  aux  couleurs  de  l'hôtel  de  Rambouillet  :  elle  périt 
ensevelie  dans  le  triomphe  que  Chapelain  lui  ménageait  en  sonpoëme.  Le 


386  JEANNE   D'ARC. 


dix-huitième  siècle ,  on  sait  par  quelle  indigne  profanation  il  entendit  la  faire 
revivre  \  déplorable  attentat  contre  la  gloire  de  la  France,  qui ,  sans  ternir  le 
nom  de  Jeanne,  imprime  une  tache  inelTaçable  à  la  mémoire  de  celui  qui  se 
fit  un  jeu  de  le  souiller.  De  nos  jours  la  politique  de  Du  Bellay,  rhéroïne  de 
Chapelain ,  Tinsuhée  de  Voltaire,  est  devenue  «  une  incarnation  du  peuple.  » 

Mais  c'est  par  un  abus  de  langage  que  nous  avons  prêté  à  des  siècles  en- 
tiers l'opinion  de  quelques  hommes.  Dès  la  fin  du  quinzième  siècle,  au  sein 
même  des  Flandres,  Jacques  Meyer  saluait  dans  Jeanne  d'Arc  l'envoyée 
de  Dieu ,  et  il  empruntait  à  un  contemporain  de  la  Pucelle  (Thomas  Basin) 
les  passages  qui  témoignaient  le  plus  des  merveilles  qu'elle  opéra  dans  la 
guerre,  et  de  l'inspiration  dont  elle  fit  preuve  jusque  dans  son  jugement.  Au 
seizième  siècle,  Etienne  Pasquier  relevait  avec  un  sentiment  vrai  d'admira- 
tion la  grandeur  et  le  dévouement  de  Jeanne  d'Arc-,  et  la  ville  d'Orléans, 
qui  ne  faillit  jamais  à  son  culte  pour  la  Pucelle ,  protestait  contre  l'indiffé- 
rence ou  les  outrages  des  écrivains  que  l'on  a  vus,  en  faisant  imprimer  l'his- 
toire du  siège  dont  Jeanne  la  délivra.  Au  dix-septième  siècle ,  les  descendants 
de  ses  frères  publiaient  avec  un  zèle  pieux  ce  qui  pouvait  la  faire  mieux  con- 
naître et  honorer;  Godefroy  donnait  pour  la  première  fois ,  dans  son  recueil 
des  historiens  de  Charles  VII,  l'une  des  plus  précieuses  chroniques,  et,  selon 
un  juge  fort  compétent,  des  plus  autorisées,  celle  qui  porte  le  nom  de  la  Pu- 
celle. Au  dix-huitième  siècle,  on  en  revint  enfin  à  l'étude  des  deux  procès; 
et  après  Lenglet-Dufresnoy,  qui  les  lut  pour  en  tirer  une  histoire  médiocre, 
vint  L'Averdy,  qui  les  fit  connaître  par  une  analyse  exacte,  accompagnée 
d'une  appréciation  impartiale  dans  la  Notict;  des  manuscrits  de  la  Biblio- 
thèque du  Roi.  Enfin,  de  nos  jours,  la  Société  de  l'histoire  de  France 
accomplit  ce  que  L'Averdy  n'avait  fait  que  préparer,  en  confiant  la  publica- 
tion des  deux  procès  à  l'un  des  hommes  les  plus  distingués  dans  la  critique 
des  textes  du  moyen  âge,  M.  Jules  Quicherat. 

Ce  beau  travail,  qui  ne  laisse  presque  plus  rien  à  faire  après  lui  dans  le 
champ  de  l'érudition,  n'a  pas  changé  les  bases  de  l'histoire  de  Jeanne 
d'Arc,  sans  doute  :  depuis  les  notices  de  L'Averdy,  nul  n'y  a  touché 
sérieusement  qu'il  n'ait  consulté,  avec  ses  analyses,  le  texte  même  des 
procès  -,  mais  il  en  a  rendu  l'assiette  plus  ferme  et  les  abords  plus  faciles. 
Les  histoires  se  sont  multipliées  sans  changer  nécessairement  de  caractère. 


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LA   RÉHABILITATION.    —   L'HISTOIRE.  387 

Ce  qui  serait  souhaitable,  c'est  que  Jeanne  d'Arc,  soustraite  désormais  à 
l'empire  des  passions  et  des  rivalités  nationales,  échappât  à  celui  des 
systèmes;  c'est  qu'on  l'étudiàt  en  elle  et  pour  elle.  Sa  figure,  pour  être 
grande,  n'a  que  faire  de  grandes  formules.  On  en  efface  les  traits  les  plus 
purs  et  les  plus  nets  de  ma  mémoire,  quand,  par  un  mélange  du  sacré 
et  du  profane,  on  veut  me  montrer  en  elle  «  la  France  incarnée,  »  un 
«  .Messie  féminin.  »  Jeanne  s'est  dite  envoyée  de  Dieu,  il  est  vrai.  Mais,  si 
on  ne  l'entend  pas  comme  elle  le  dit,  il  serait  juste  au  moins  de  ne  pas 
l'entendre  contrairement  à  tout  ce  qu'elle  a  dit.  Or,  c'est  ce  qu'on  a,  de 
nos  jours,  voulu  faire.  A  la  mission  qu'elle  s'est  attribuée  ,  on  en  joint  une 
autre  :  mission  dont  elle  n'a  point  parlé  ,  dont  assurément  elle  ne  se  doutait 
pas,  qui  commence  quand  l'autre  finit,  et  dont  la  scène  est  à  Rouen.  Le 
procès  de  Rouen  devient  la  lutte  de  l'inspiration  contre  l'autorité,  du  libre 
génie  gaulois  contre  le  clergé  romain,  et  peu  s'en  faut  qu'on  ne  dise  du 
druidisme  contre  le  catholicisme.  On  écarte  les  témoignages  de  la  réhabili- 
tation ;  on  admet  sans  réserve  les  actes  dressés  par  les  premiers  juges , 
on  adopte  pleinement  leur  manière  de  voir,  non  pour  condamner  Jeanne , 
sans  doute,  mais  pour  frapper  l'Église  par  sa  déclaration. 

Mais  c'est  en  vain  que  Pierre  Cauchon  trouve  dans  nos  historiens  des 
auxiliaires  inattendus  :  tout  leur  savoir  ne  suffira  point  pour  donner  à  sa 
haine  l'appui  que  sa  conscience  elle-même  et  sa  raison  ne  lui  ont  proba- 
blement jamais  assuré.  Tout  se  peut  résoudre,  en  effet,  par  une  simple 
question  que  je  pose  à  ceux  qui  se  montrent  si  ingénieux  à  faire  de  Jeanne 
une  hérétique.  Si  Jeanne  eut  déclaré  qu'elle  s'en  remettait  absolument  de 
ses  révélations  à  l'Église,  qui  eût  jugé  au  nom  de  l'Église  ?  Pierre  Cauchon, 
sans  aucun  doute,  avec  son  tribunal  à  la  solde  des  Anglais  :  quand  elle 
en  appelait  au  pape,  ils  lui  ont  dit  qu'il  était  trop  loin  !  Jeanne  avait  donc 
toute  raison  de  s'y  refuser.  En  parlant  de  ses  révélations ,  elle  ne  soutenait 
aucune  doctrine  nouvelle  :  la  question  de  dogme  qui  s'y  pouvait  rattacher, 
je  veux  dire  la  possibilité  de  ces  communications  d'en  haut,  était  résolue 
par  l'Église,  et  résolue  en  sa  faveur.  Elle  ne  soutenait  qu'un  fait  à  elle 
propre.  Cela  n'ôtait  pas  aux  autres  le  droit  de  n'y  point  ajouter  foi.  C'est 
le  droit  et  le  devoir  des  pasteurs  de  ne  pas  accepter  légèrement  de 
semblables  affirmations -,  et,  si  elles  ne  semblent   pas  fondées,  d'en  garder 


JEANNE   D'ARC. 


les  fidèles.  Aussi  la  chose  avait-elle  été  examinée  à  Poitiers;  elle  pouvait 
l'être  de  la  même  sorte  à  Rouen-,  et,  si  Tarchevêque  de  Reims  y  avait  cru 
et  l'avait  approuvée  ,  Tévêque  de  Beauvais  avait  encore  la  liberté  de  n'y 
pas  croire.  Mais,  eût-on  toute  raison  de  n'y  pas  croire,  Jeanne  n'était  point 
hérétique  en  y  croyant.  L'Église,  comme  Tont  établi  sans  contradiction 
les  demandeurs  et  le  promoteur  au  procès  de  réhabilitation,  n'a  jamais 
entendu  se  faire  juge  d'une  question  réduite  ainsi  à  un  fait  tout  personnel  ; 
et  le  pape  Pie  II,  on  l'a  vu,  tout  en  réservant  son  jugement  sur  la  réalité 
de  l'inspiration  de  la  Pucelle,  affirme  que,  dans  son  procès,  on  n'a  rien 
trouvé  en  elle  contre  la  foi.  D'ailleurs,  comme  cela  est  établi,  non-seule- 
ment par  les  témoins  de  la  réhabilitation ,  mais  par  les  actes  mêmes  du 
premier  procès,  elle  n'a  point  refusé  le  jugement  de  l'Eglise.  Elle  l'acceptait 
là  où  elle  avait  la  garantie  de  ne  pas  trouver,  sous  le  nom  de  l'Eglise,  ses 
ennemis  mêmes.  Elle  l'avait  accepté  à  Poitiers;  elle  l'acceptait  encore 
dans  le  pape,  dans  le  concile,  demandant  qu'on  l'y  menât  :  car  elle  ne 
s'en  remettait  point  volontiers  à  ses  juges  du  soin  d'exposer  sa  cause;  et 
l'histoire  des  douze  articles,  comme  plus  tard  la  lettre  écrite  au  pape  au 
nom  du  roi  d'Angleterre ,  montre  bien  que  cette  réserve  n'était  pas 
superflue.  Elle  finit  même  par  renoncer  à  cette  condition  si  nécessaire. 
Elle  se  réduisit  à  demander  le  (procès-verbal  lui-même  le  constate)  que 
«  ses  faits  et  ses  dits  fussent  envoyés  à  Rome  devers  notre  saint-père  le 
pape,  auquel  et  à  Dieu  premier  elle  se  rapportait.  «  Les  juges,  on  l'a  vu, 
passèrent  outre  :  les  critiques,  dans  leur  zèle  à  trouver  comme  eux  Jeanne 
rebelle  à  l'Eglise,  devraient  bien  n'en  pas  foire  autant. 

Disons-le  donc  :  quelque  opinion  qu'on  se  fasse  de  Jeanne  d'Arc,  il  y  a 
une  chose  qu'il  faut  au  moins  lui  laisser  :  c'est  qu'elle  fut  comme  elle  l'a 
dit,  bonne  chrétienne;  et  ce  mot,  dans  son  langage,  n'est  pas  équivoque. 
Il  faut  renoncer  à  tourner  contre  l'Église  celle  qui  a  déclaré  que  «  quant 
à  l'Église,  elle  l'aime  et  la  voudrait  soutenir  de  tout  son  pouvoir;  >■  et  elle 
le  prouvait  alors  même.  Elle  la  soutenait  quand  elle  refusait  une  soumission 
exigée  d'elle  en  cette  forme,  et  demandait  qu'on  la  menât  au  pape  et  au  con- 
cile, opposant  la  garantie  d'un  juge  indépendant  à  ce  tribunal  passionné  qui 
compromettait  l'Église  lorsqu'il  prétendait  juger  en  son  nom.  Personne,  du 
reste,  ne  s'est  jamais  mépris  sur  le  caractère  de  la  condamnation  de  Jeanne 


LA   RÉHABILITATION.    —    L'HISTOIRE.  SSç 

d'Arc ,  comme  personne  ne  peut  se  méprendre  sur  l'objet  de  cette  justification 
tardive  de  son  procès  en  ce  point-là.  Jeanne  n'a  pas  été  condamnée  par 
rÉglise;  Jeanne  a  été  réhabilitée  par  l'Église.  EUe  a  été  condamnée  par 
un  évèque  chassé  comme  un  ennemi  par  le  contre-coup  de  ses  victoires, 
et  constitué  son  juge  par  le  choix  de  ses  ennemis.  Elle  a  été  relevée  de  cette 
condamnation  par  un  tribunal  que  le  pape  institua  lui-même,  et  qu'il 
composa  de  trois  évèques  et  de  l'inquisiteur  de  France.  Si  ce  tribunal,  sur 
le  vu  des  pièces  que  nous  avons  (et  nous  n'avons  que  ce  qui  a  passé  par 
ses  mains},  l'a  jugée  orthodo.xe,  on  n'a  pas  le  droit  d'être  plus  difficile. 

COXCMSION. 

Et  maintenant  que  l'on  a  sous  les  yeu.x  tous  les  faits  de  la  vie  de  Jeanne 
d'Arc,  quel  jugement  doit-on  porter  sur  sa  mission  même?  Pour  ceu.x  qui 
croient  que  la  Providence  ne  demeure  pas  étrangère  au.x  affaires  de  ce 
monde,  qu'elle  gouverne  les  nations  et  que  sa  main  se  peut  faire  sentir 
e.vtraardinairement  dans  leurs  destinées,  le  choi.x  ne  sera  pas  douteux.  La 
mission  de  Jeanne  a  tous  les  signes  des  choses  que  Dieu  mène.  Elle  se  fraye 
la  voie  à  travers  les  obstacles  que  le  sens  purement  humain  lui  veut 
opposer.  Il  faut  que  Jeanne  triomphe  d'elle-même  d'abord  et  de  ses  propres 
répugnances:,  il  faut  qu'elle  surmonte  les  rebuts  du  sire  de  Baudricourt 
à  Vaucouleurs,  les  défiances  du  roi  à  Chinon,  des  docteurs  à  Poitiers,  des 
capitaines  jusqu'à  Orléans,  et  des  politiques  jusqu'à  Reims.  Elle  n'a  pas 
réussi  au  delà;  elle  n'a  pas  fait  entrer  le  roi  dans  Paris,  et  elle  n'a  pas 
chassé  les  Anglais  de  France;  elle  n'a  pas  tout  prévu,  et  elle  n'a  pas  fait 
tout  ce  qu'elle  avait  charge  de  faire.  Mais  qui  a  jamais  prétendu  tout  prévoir  ? 
Le  prophète  est  un  homme,  et  n'est  prophète  que  pour  les  choses  qui  lui 
sont  révélées.  Quant  à  la  mission  de  Jeanne,  elle  n'avait  jamais  dit  qu'elle 
ferait  tout.  Elle  avait  dit  qu'elle  déhvrerait  Orléans,  si  peu  de  troupes  qu'on 
lui  donnât  :  mais  encore  avait-il  fallu  qu'on  lui  en  donnât.  Il  fallait 
qu'on  «  la  mît  hardiment  en  œuvre  «  et  qu'on  se  mît  à  l'œuvre  avec 
elle.  Jeanne  avait  délivré  Orléans;  mais  elle  n'eût  pas  mené  le  roi  à  Reims 
malgré  lui  ;  elle  ne  pouvait  le  faire  entrer  dans  Paris  quand  il  s'en  retirait. 


jgo  JKANiNE    IVARC 


En  un  mot,  la  mission  de  Jeanne  avait  pour  signe  la  délivrance  d'Orléans, 
pour  but  Texpulsion  des  Anglais.  Elle  a  donné  son  signe-,  elle  n'a  pas 
atteint  son  but,  au  moins  comme  elle  l'eût  voulu  faire,  et  comme  elle  l'eût 
fait  sans  aucun  doute  si  la  cour  n'avait  pas  renoncé  à  la  suivre  plus  avant. 
Mais  le  but  devait  être  atteint  :  Jeanne  dans  les  fers  eut  au  moins  la  conso- 
lation de  le  prédire  à  ses  bourreaux;  et  sa  mission  ne  fut  pas  «  manquée.» 
Elle-même,  jusque  dans  sa  prison,  elle  la  continue  et  la  consomme.  Cet 
échec ,  où  l'on  croyait  trouver  un  démenti  à  sa  parole ,  rentrait  dans  les 
voies  de  la  Providence  pour  donner  à  ses  déclarations  forme  authentique 
au  tribunal  de  ses  ennemis. 

Jeanne  a  donc  bien  rempli  sa  mission;  et,  quand  elle  aurait  elle-même 
chassé  de  France  le  dernier  des  Anglais,  ce  n'est  pas  là  ce  qui  ajouterait 
beaucoup  au  caractère  divin  de  son  œuvre.  Les  Anglais,  assurément,  ne 
pouvaient  pas  garder  la  France.  On  n'en  était  plus  à  la  première  période 
de  la  rivalité  des  deux  peuples,  quand  les  rois  d'Angleterre,  fils  eux-mêmes 
de  la  France,  pouvaient  en  disputer  les  provinces  aux  Capétiens  comme 
un  héritage  domestique.  Depuis  la  guerre  de  Cent  ans,  la  race  anglaise  est 
entrée  dans  la  lutte  :  c'est  une  nation  qui  en  attaque  une  autre;  les  rois 
eux-mêmes,  malgré  les  liens  de  famille  qu'ils  invoquent  ou  qu'ils  renou- 
vellent ,  sont  devenus  Anglais ,  et  leur  empire  n'aurait  pas  duré  un  an  à 
Paris  sans  les  haines  civiles  des  Armagnacs  et  des  Bourguignons.  Leur 
domination  pouvait  s'étendre  et  se  prolonger  encore ,  sans  doute  :  la  prise 
d'Orléans  eût  rendu  leur  joug  plus  fort  et  la  délivrance  plus  laborieuse  ; 
mais,  le  jour  venu,  l'élan  national  eût  tout  emporté.  Là  n'est  pas  le  miracle. 
Ce  qui  est  merveilleux  dans  cette  histoire ,  c'est  Jeanne ,  c'est  ce  qu'elle  dit 
d'elle-même,  quand  on  connaît  par  toute  sa  vie  la  fermeté  de  son  intelligence 
et  la  simplicité  de  son  cœur;  et  c'est  pour  que  l'on  en  juge  en  toute  vérité 
que  nous  avons  retracé  avec  tant  de  détails  les  scènes  où  elle  a  paru. 
(>ette  épreuve,  nous  le  savons,  ne  dissipera  point  tous  les  doutes  :  il  y  a 
sur  ces  matières  des  partis  pris  devant  lesquels  les  faits  eux-mêmer-,  et  des 
faits  plus  forts,  restent  sans  force  ;  mais  ceux  mêmes  qui,  pour  ces  raisons, 
refuseront  de  croire  aux  paroles  de  Jeanne  d'Arc,  reconnaîtront  au  moins 
que  jamais  àme  ne  fut  plus  digne  de  foi. 

S'il  y  a  dans  la  vie  des  saints  comme  un  rcMet  des   grands  modèles  qui 


LA    KKlIMill.lTATION. 


LHISTOIRE. 


39. 


nous  sont  proposés,  où  le  trouver  plus  éclatant  et  plus  doux  à  la  fois  que 
dans  celle  qui,  à  la  distance  où  demeure  toute  semblable  imitation,  rappelle 
en  même  temps  et  le  Sauveur  et  sa  Mère  :  la  mère  de  Dieu ,  dans  sa 
virginité ,  dans  son  trouble  et  dans  ses  hésitations  à  la  vue  de  l'ange  qui 
l'appelle;  le  Sauveur,  dans  les  traverses  de  sa  mission,  dans  le  traître 
qu'elle  rencontra  au  moins  devant  ses  juges;  dans  l'hypocrisie  de  ses  juges 


^^4V 


Fig.  iS5.  —  La  Vierge  Marie  couronnée  par  le  Saint-Esprit.  —  \\  serait  légitime  de  donner  à  cette  figure  le 
titre  de  «  Notre-Dame  de  Paix»  ou  de»  Notre-Dame  de  France.»  Deux  groupes  d'anges  portent  ces  mots  : 
«  Gloire  à  Dieu  au  plus  haut  des  Cicux,  et  paix  sur  la  terre  aux  hommes  de  bonne  volonté  ;  »  la  Vierge, 
ayant  donné  Je'sus-Christ  au  monde,  lui  a  en  effet  donné  la  paix.  Elleest  vêtue  de  blanc.  De  la  main  droite 
elle  tient  un  lis,  de  la  main  gauche  l'écu  de  France.  Le  roi,  couronné,  en  manteau  bleu  à  fleurs  de  lis  d'or, 
est  agenouillé  devant  elle.  Le  sens  de  cette  composition  est  certainement  celui-ci  :  Marie  protège  la 
France,  —  Miniature  des  Vigiles  de  Charles  VIF,  ms.  fr.,  n»  3o54,  daté  de  14S4,  à  la  bibliothèque  nationale. 

( —  «  Elle  a  blasphémé  !  »);  dans  la  vraie  cause  de  sa  mort,  car  elle  meurt 
aussi  pour  son  peuple;  dans  le  délaissement  de  son  supplice,  comme  dans 
la  paix  de  son  dernier  soupir?  Après  cela,  Jeanne  n'a  pas  été  déclarée 
sainte;  mais  peut-on  dire  que  l'Eghse  ait  méconnu  son  caractère?  Les 
juges,  nommés  par  le  pape  à  la  requête  de  sa  famille,  n'avaient  pour 
mission  que  de  reviser  son  procès.  En  réhabilitant  sa  mémoire,  ils  ne  pou- 
vaient lui  décerner  d'autres  honneurs.  Et,  quand  on  réfléchit  au  rôle  de 
Jeanne  d'Arc  dans   la    lutte  séculaire  des  deux   principaux  peuples   de   la 


JEANNE   D'ARC. 


chrétienté,  on  comprend  que  l'Église  n'ait  pas  voulu  alors  décréter  un  culte 
qui  eijt  obligé  TAngleferre  comme  la  France.  Quand  on  voit  Tinfluence 
de  l'esprit  de  parti  se  perpétuer  depuis  les  écrivains  bourguignons  jusque 
dans  les  jugements  portés  en  France  sur  la  Pucelle,  on  comprend  qu'elle 
ait  continué  de  s'abstenir,  laissant  le  sentiment  public  se  produire  libre- 
ment dans  le  domaine  de  l'histoire.  Mais,  quelle  qu'ait  été  la  diversité  des 
opinions  des  historiens,  la  foi  du  peuple  n'a  jamais  varié,  et  on  ne  peut 
pas  dire  que  FEgiise,  dans  sa  réserve  même ,  lui  ait  jamais  fait  défaut. 
C'est  dans  une  fête  religieuse  que  les  honneurs  populaires  rendus  à  la 
Pucelle  se  sont  perpétués  jusqu'à  nous  :  je  veux  parler  de  la  procession  par 
laquelle  les  Orléanais  rendent  chaque  année  témoignage  à  sa  mission  ,  en 
rapportant  à  Dieu  son  signe,  l'acte  de  leur  délivrance;  et  naguère,  à  l'inau- 
guration de  son  dernier  monument,  c'est  dans  la  chaire  de  Sainte-Croix 
et  par  la  voix  éloquente  et  vraiment  inspirée  de  leur  premier  pasteur  que 
leur  culte  pour  elle  a  reçu  la  consécration  la  plus  éclatante.  Aujourd'hui 
l'opinion  est  fixée  partout.  L'Allemagne  a  rendu  à  la  «  Jeune  fille  d'Orléans» 
un  touchant  hommage  dans  le  livre  de  G.  Gcerres.  La  Belgique  a  depuis 
longtemps  abjuré  les  haines  des  Bourguignons  ;  l'Angleterre  elle-même  a 
répudié  ,  dans  le  poëme  de  Robert  Southe}' ,  le  crime  de  Bcdford  et  les 
injures  de  Shakspeare.  En  France,  on  ne  dilTère  que  par  la  manière  de 
la  déclarer  sainte.  Quand  l'Église  jugera  bon  de  le  faire  selon  le  mode  qui 
lui  appartient,  le  travail  ne  sera  pas  bien  long-,  les  enquêtes  sont,  dès  à 
présent,  entre  les  mains  de  tous,  par  l'édition  des  deux  procès  :  et  celui 
des  deux  qui  la  condamne  n'est  pas  celui  qui  crie  le  moins  haut  pour  elle. 
Quel  plus  grand  témoignage,  en  ettet,  à  la  gloire  des  saints  que  les  actes 
mêmes  de  leur  martyre  ?  Oui,  quand  on  arrive  avec  les  pièces  de  ce  procès 
au  terme  de  cette  histoire ,  on  peut  le  dire  avec  une  entière  conviction  : 
Jeanne  a  été  par  toute  sa  vie  une  sainte,  et  par  sa  mort  une  martyre  : 
martyre  des  plus  nobles  causes  auxquelles  on  puisse  donner  sa  vie ,  mart\Te 
de  son  amour  de  la  patrie ,  de  sa  pudeur,  et  de  sa  foi  en  (^elui  qui  l'envoya 
pour  sauver  la  France  I 


ÉCLAIRCISSEMENTS 


JEANNE   d'abc.   III. 


ichèque  nationale. 


ARMES  ET  VÊTEMENTS  MILITAIRES 


'est  à  répoque  même  de  la  mission  de  Jeanne, 
que  Tarmure  de  fer  battu  ou  armure  de 
plates  accomplit  sa  dernière  évolution.  Cet 
habillement,  qui  succédait  à  l'habillement 
de  mailles,  avait  commencé,  dès  la  fin  du 
treizième  siècle ,  par  des  boîtes  de  métal  en- 
veloppant le  genou.  Au  quatorzième,  des 
boîtes  semblables,  réunies  par  des  lames 
de  fer  articulées,  enfermaient  la  totalité  des 
membres.  Les  membres  supérieurs  avaient 
Vcp..Tnl!i'rc,  le  bras,  la  coudicre,  V avant-bras  et  \q.  gantelet;  pour  les  infé- 
rieurs, les  cuissots,  les  gcitonillères,  Icsgrcj'es  ou  jambières  et  lessolerets. 
Déjà  les  coudières  et  les  genouillères  étaient  munies  de  gardes,  plaques 
évasées  destinées  à  garantir  le  pli  de  l'articulation. 

Il  ne  restait  donc  plus  qu'à  protéger  le  corps  d'après  le  même  système. 
Ce  résultat  fut  obtenu  après  1400.  A  cette  date,  la  pièce  de  métal  qui 
s'appelait  poitrine  d'acier  au  siècle  précédent  fut  remplacée  par  deux  pla- 


1  Cette  lettre  initiale  a  été  gr 
de  Saint-Denis. 


par  Sébastien  Lcclerc  (xvii«  siècle)  pour  une  Histoire  de  l'abbaye 


396 


ECLAIRCISSEMENTS. 


ques,  Tune  pour  la  poitrine,  l'autre  pour  le  dos.  Ces  deux  plaques  descen- 
daient jusqu'à  la  taille  et  comportaient,  à  partir  de  là,  une  jupe  de  mailles 
recouverte  de  lames  ajustées  à  recouvrement ,  nommées  /hiildcs. 

Telle  fut  la  première  cuirasse.  Elle  s'améliora,  bientôt  après,  par  l'addi- 
tion de  deux  autres  pièces,  de  sorte  qu'il  y  eut  deux  plastrons  garantissant 
la  poitrine  et  deux  autres  protégeant  le  dos. 

Ainsi  revêtu  pour  la  première  fois  du  harnais  complet,  depuis  les  gan- 


Fig.  186.  —  Capitaines.  {Chroniques  du  Haiuauî. 


telets  à  doigts  séparés  jusqu'aux  souliers  de  fer  articulés,  ou  solercts, 
l'homme  d'armes  adopte  pour  coilfure  la  salade,  casque  conique,  muni 
par  derrière  d'un  large  rebord  s'étalant  sur  le  cou  et  destiné  à  protéger  la 
nuque.  Sur  le  devant,  était  adaptée  une  visière  mobile,  appelée  garde-rue. 
Vers  la  fin  du  quatorzième  siècle ,  le  camail  de  mailles  avait  été  remplacé 
par  un  gorgerin  et  une  mentonnière  en  fer  forgé.  Cette  mentonnière  fut  éle- 
vée au-dessus  des  narines  et  projetée  en  avant  ;  on  l'appela  la  barieve. 
En  même  temps,  prenait  naissance  un  autre  casque  qui  est  devenu  depuis 


igS  ÉCLAIRCISSEMENTS. 

la  dernière  expression  de  la  défense  de  la  tète,  Varmcl.  On  le  nommait 
alors  htiaumet.  Il  consistait  en  une  coiffure  ronde  assez  conforme  aux 
contours  de  la  tète.  La  bavière  était  remplacée  par  un  grillage. 

Le  chevalier  chaussait  un  éperon  à  très-longue  tige  armée  d'une  grande 
molette,  la  iiiolctlc  ra)-onnante. 


Fig.  iS8.  —  Éperon  à  longue  tige. 

L'écu  n"a  plus  de  raison  d'être.  Après  avoir  réduit  ses  dimensions  à  cha- 
que progrès  de  Tarmure,  il  disparaît  de  l'habillement  défensif.  On  ne  le 
rencontre  plus  que  dans  les  cérémonies  d'apparat  et  dans  les  panoplies,  on 
ne  s'en  sert  plus  que  comme  support  de  blason. 

L'homme  de  guerre  passait  par-dessus  sa  cuirasse  tantôt  une  tunique 
courte,  sans  ceinture,  à  larges  manches,  houppelande  à  corsage  fermé  et  à 
collet  montant,  mais  très-raccourcie  de  la  jupe-,  ou  bien  la  Inique,  sorte  de 
casaque  flottante  entièrement  ouverte  sur  le  devant,  à  bords  le  plus  souvent 
déchiquetés,  sans  manches;  ou  bien  encore  une  huque  avec  de  grandes 
manches,  dans  lequel  cas  elle  devenait  le  paletot.  Il  cimait  son  casque 
d'une  touffe  de  plumes  d'autruche,  fort  recherchées  dans  ce  temps,  et  l'en- 
tourait d'une  riche  cornette  ou  d'une  étoffe  légère,  chiffonnée  à  grands 
bouillons,  qu'on  nommait  étoffe  de  tripe. 

Là  ne  se  borna  pas  l'emprunt  fait  au  costume  civil.  La  carrure  d'é- 
paules étant  alors  fort  estimée,  on  simulait  cet  avantage  avec  des  manches 
à  gigots  très-gonflés  à  la  naissance  du  bras.  On  appelait  ces  gigots  ma- 
heutres.  De  faux  maheutres  furent  posés  sur  le  harnais  de  guerre.  L'archer 
combattant,  page 406,  fig.  2o3,  a  les  épaules  garnies  de  maheutres. 

Les  armes  offensives,  propres  à  la  noblesse,  comprenaient  la  lance  et 
l'épée.  La  lance,  \q  glaive  de  nos  chroniqueurs,  comportait  un  fut  de  bois 
de  frêne,  un  fer  en  losange,  et,  près  du  fer,  une  pièce  d'étoffe  rectangulaire, 
la.  bannière,  ou  triangulaire,  Icpennon,  chargés  des  armoiries  héréditaires. 
La  bannière  appartenait  aux  seigneurs  assez  puissants  pour  conduire  un 


ARMES    ET  VETEMENTS  MILITAIRES. 


399 


certain  nombre  d'hommes  d'armes  à  la  guerre;  au  simple  gentilhomme 
servant  sous  le  chevalier  bannerel ,  le  pennon.  La  longueur  de  la  lance 
mesurait  quatorze  pieds  environ;  cependant,  la  veille  d'une  affaire,  lorsque 
les  hommes  d'armes  eurent  appris  des  Anglais  à  descendre  de  cheval  pour 
soutenir  la  bataille,  on  raccourcissait  les  fûts  de  lance,  on  les  retaillait  à 


Fig.  iS 


til 


a,  Bannière  du  comte  de  Richemont.  —  b,   Pennon.  —  c,  Epée  de  Jean  sans  Peur 
d,  Épée  de  Philippe  le  Bon,  d'après  un  sceau  de  1435. 


la  longueur  de  cinq  pieds.  Sous  Charles  VII,  la  lance  chevaleresque  était 
passée  aux  mains  des  compagnies  d'ordonnance;  il  n'y  a  plus  de  pennon. 

Les  monuments  figurés  de  l'époque  offrent  des  épées  élégantes  et  fortes, 
légères  à  la  main.  La  lame  est  large  du  talon,  très-aigue  de  la  pointe,  à 
arête  médiane;  les  quillons  sont  recourbés  d'ordinaire  vers  la  pointe  et 
quelquefois  droits,  à  extrémités  recroisetées  ou  fleuronnées;  les  pommeaux 
sont  en  olive,  coniques,  côtelés,  tronqués  ou  en  disque  aplati,  ornés  de 
pierres  fines  ou  d'émaux  reproduisant  le  blason  du  possesseur. 

L'habillement  du  cheval  de  guerre  (on  disait  le  destrier)  consistait  de- 
puis le  commencement  du  treizième  siècle  en  une  couverture  de  fer  ou 
d'étoffe.  On  voulut  le  faire  participer  au  bénéfice  de  l'armure  de  plates.  La 
tête  du  cheval  se  garnit  d'un  chanfrein,  plaque  d'acier  armée  d'une  crête 
ou  d'une  pointe,  qu'on  laçait  sous  la  ganache  et  qu'on  accompagnait  de 
lames  articulées  bardant  le  haut  de  l'encolure  et  maintenues  en  dessous  par 
de  la  maille.  Un  rebord  saillant  garantissait  d'ordinaire  les  j'eux  du  cheval. 


ÉCLAIRCISSEMENTS. 


D'autres  fois  ils  étaient  abrités  derrière  un  grillage.  On  fermait  complète- 
ment les  oeillères  si  le  cheval  était  sujet  à  se  dérober;  dans  ce  cas,  le  chan- 
frein était  dit  aveugle.  Le  chanfrein  devint  pour  les  seigneurs  riches  une 
occasion  d'étaler  le  plus  grand  luxe  :  ils  le  garnissaient  d'or  et  le  couvraient 
de  pierreries.  Les  grands  sceaux  équestres  de  Philippe  le  Bon,  duc  de 
Bourgogne,  offrent  des  exemples  de  chanfrein  et  de  barde  de  crinière.  Le 


Fig.  193  et  19+.  —  Chanfreins  et  bardes  de  crinière. 

cheval,  dans  ces  types,  est  enveloppé  d'une  fine  housse  de  mailles  recou- 
verte d'une  seconde  housse,  d'étoffe  légère  et  brodée  d'armoiries. 

La  selle  d'armes  concourt  aussi  à  la  défense  de:  Thomme  de  guerre.  On 
la  revêt  de  plaques  d'acier.  Le  pommeau  s'évase,  ses  plaques  s'arrondis- 
sent et  embrassent  le  devant  de  la  cuisse,  comme  si  elles  allaient  rejoindre 
le  troussequin;  quelquefois  il  s'élève  assez  haut  pour  couvrir  entièrement 
le  ventre  du  cavalier,  et  descend  de  façon  à  garantir  le  genou  et  la  jambe. 

Les  considérations  précédentes  s'appliquent  seulement  à  l'homme 
d'armes,  au  privilégié  à  qui  sa  naissance  donnait  le  droit  de  combattre  à 
cheval,  revêtu  de  l'armure  complète.  Les  soldats,  sergents,  gens  d'armes 
et  de  trait  ne  jouissaient  pas  de  cette  prérogative  et  ne  pouvaient  porter 
d'ordinaire  que  les  pièces  défendant  les  articulations  principales.  Ils  n'é- 
taient mènie  pas  assujettis  à  l'uniforme.  Du  moment  où  ils  possédaient 
les  pièces  principales  de  l'armement,  le  reste  était  abandonné  à  leur  ca- 
price. Si  l'on  songe  qu'ils  appartenaient  à  des  pays  très-divers  et  conser- 
vaient une  partie  de  leur  costume  national,  on  se  fera  une  idée  de  la  diffi- 
culté qu'il  y  aurait  à  se  rendre  un  compte  détaillé  de  leur  habillement. 

Les  pavaisiers  maniaient  une  lance  de  jet,  sorte  de  javelot,  et  se  couvraient 
d'un  parais ,  bouclier  rectangulaire  qui  les  abritait  presque  en  entier.  Des 
manuscrits,  un  peu  antérieurs,  il  est  vrai,  les  montrent  habillés  comme  les 


ARMES    ET   VETEMENTS   MILITAIRES. 


hommes  d'armes,  mais  coilïcs  d\in  cliapeait  de  fer,  chapeau  cylindrique  à 
timbre  rond  ou  pointu,  à  larges  bords  plats  ou  rabattus. 


Fig.  195.  —  Philippe  le  Bon,  duc  Je  Huurgugne.  Sceau  de  1424. 


Fig.  196  et  197.  —  Selles  d"armes. 


Les  archers  portaient  le  jaque,  pourpoint  gamboisé,  c'est-à-dire  rem- 
bourré, avec  une  jupe  à  gros  plis,  ou  bien  la  brigaiidine,  pourpoint  couvert 
de  plaquettes  de  métal.  Les  chausses  étaient  de  cuir  ou  d'étoffe  gamboisée, 


ni.  —  M 


402 


ECLAIRCISSEMENTS. 


souvent  de  deux  couleurs  différentes.  Le  vêtement  du  corps  était  aussi  de 
deux  couleurs.  Des  boîtes  de  fer,  épaulières,  coudières  et  genouillères,  dé- 
fendaient les  articulations  principales  ;  quelquefois  même  des  plaques  proté- 
geaient le  devant  de  la  jambe  et  de  la  cuisse.  Dans  certains  monuments 
de  1440  figurent  des  archers  qui  sont  coiffés  de  salades  à  garde-vue;  d'au- 


Fig.  ujS.  —  Capitaine  avec  ses  archers.  {CliroiiLiucs  du  Hainaut.) 


très  ont  le  petit  bassinet  ou  le  chapeau  de  fer.  Une  trousse  de  flèches  est 
accrochée  à  leur  ceinture,  où  pend  quelquefois  une  forte  épée  pouvant  frap- 
per d'estoc  et  de  taille.  (Voy.  Tarcher  combattant,  page  406,  fig.  2o3.)  Leur 
arc  est  le  fameux  arc  anglais  de  six  pieds. 

Les  arbalétriers,  vêtus  comme  les  archers,  du  jaque  ou  de  la  brigandine, 
offrent  la  même  variété  de  coiffure.  Leur  arme  ordinaire  était  Varbalète  à 


ARMES    ET    VETEMENTS    MILITAIRES. 


4o3 


pied,  munie  d'un  étrier  dans  lequel  on  passait  le  pied,  afin  d'avoir  un  point 
d'appui  pour  bander  la  corde.  Mais  en  ce  temps,  on  avait  imaginé  une 
arbalète  plus  puissante  :  elle  se  bandait  au  moyen  d'un  treuil  qui  se  portait 
accroché  à  la  ceinture.  Cette  arme  nouvelle  se  nommait  le  cranequin,  et 
les  arbalétriers  armés  de  cette  arbalète  spéciale  s'appelaient  cranequiniers. 
Les  sergents  et  gardes  du  roi,  vêtus  du  même  costume  que  les  précédents, 


Fig.  loq.  —  Garde  armé  J'un  fauchard , 
el  revêtu  d'une  huque. 

{Chroniques  du  Hainaut.) 


Fig.  200.  —  Soldat  armé  d'une  rouelle. 


mais  à  la  livrée,  c'est-à-dire  aux  couleurs  de  leur  maître,  avaient  pour  armes 
des/auc/iards,  grands  coutelas  emmanchés  au  bout  d'une  hampe,  ou  la 
hallebarde,  hache  à  deux  tranchants  surmontés  d'un  fer  de  lance.  Ils  por- 
taient aussi  une  lance  de  jet  ou  bien  le  bec  de  faucon.  On  voit,  page  404, 
fig.  201,  deux  sergents  armés  d'une  courte  lance.  Tune  nue,  l'autre  accom- 
pagnée d'une  petite  flamme.  Un  troisième  sergent  s'appuie  sur  un  bec  de 
faucon,  bâton  ferré  muni  d'un  marteau  terminé  par  derrière  en  une  forte 
pointe  recourbée  vers  le  manche. 

Les  gens  de  pied,  en  général,  ne  portèrent  pas  la  cuirasse.  Aussi  ccrtnins 


404 


ECLAIRCISSEMENTS. 


conservèrent  un  petit   bouclier  rond,  la  rouelle,   qu'ils  suspendaient  à  la 
ceinture. 

Une  miniature  du  manuscrit  intitulé  les  Chroniques  du  Hai)iaut\  posté- 
rieur de  quelques  années  à  la  mort  de  notre  héroïne,  représente  des  artil- 
leurs ^fig.  20 1\  Le  canon,  que  l'on  dirait  fabriqué  de  douves  maintenues  par 


Fig.  201.  —  Artilleurs  et  sergent  d'armes.  (  Chroniques  du  Hainaut.) 

des  cercles,  est  court  et  large  de  la  bouche.  Il  repose  sur  un  affût  à  deux 
roues;  le  derrière  de  l'affût  se  termine  en  potence  et  présente  à  son  milieu 
une  pièce  de  fer  verticale  percée  de  trous  de  distance  en  distance.  Ces  trous 
servent  à  fixer  la  culasse  après  qu'elle  a  été  haussée  ou  abaissée  selon  la 
direction  que  le  pointeur  veut  donner  à  son  tir.  L'un  des  artilleurs  porte 


1  La  plupart  des  dessins  qui  accompagnent  cet  éctjircisscment  sont  tires  des  Chroniques  du  Hainaut, 
ms.  exécuté  vers  1440  et  conservé  â  la  bibl.  de  Bourgogne,  à  Bruxelles. 


2  3  s 


E  S  e^  i 


"  S  =  ï  s 


ÉCLAIRCISSEMENTS. 


un  riche  pourpoint  par-dessus  son  haubergeon;  il  est  coiffé  d'une  salade. 
Le  second,  revêtu  d'une  huque  bleue  à  collet  rouge  et  à  galons  d'or  par- 
dessus son  jaque,  a  pour  coiffure  une  toque  rouge  à  retroussis  jaune. 
Tous  deux  ont  des  chausses  en  étoffe  rouge.  Un  des  sergents  qui  les  ac- 
compagnent est  habillé  d'un  paletot  bleu ,  brodé,  à  grandes  manches  rouges. 
Ailleurs  ce  sont  des  brigandines  recouvertes  de  soie  ou  de  velours.  On  voit 
par  là  que  l'usage  d'un  habillement  par-dessus  le  harnais  de  guerre  était 
devenu  général,  et  que,  dans  la  grande  misère  de  la  France,  si  l'armure  était 
en  progrès,  le  luxe  avait  envahi  les  armées. 

G.  Dic.M.w. 


2o3.  —  .A.rchcr  combattant.  {Clironiques  du  Hainaut.  ) 


i  des  Heures  de  Simon  Vostro  (150M).  Biblîotlicque  de  M.  Ambroise  Firmin-Didot. 


II 


NOTE  EXPLICATIVE 


CARTE  DU  ROYAUME  DE  FRANCE 


PENDANT  LA  MISSION  DE  JEANNE  D'ARC 


s^  \  carte  du  roj^aume  de  France  pendant 
y  la  mission  de  Jeanne  d'Arc  a  été  conçue 
dans  le  même  esprit  que  la  »  carte  de  la 
France  sous  le  règne  de  saint  Louis  » 
qui  accompagne  la  dernière  édition  de 
Joinville  donnée  par  M.  de  Wailly.  On 
y  a  tracé,  aussi  exactement  que  possible  , 
les  limites  du  royaume,  ainsi  que  celles 
du  domaine  royal  et  des  fiefs  les  plus 
importants.  On  a  cru  utile,  en  outre, 
de  fixer  les  bornes  de  la  domination  an- 
glaise lors  de  Tarrivée  de  Jeanne  d'Arc  à  Orléans  (29  avril  1429'!,  — 
c'est-à-dire  au  moment  le  plus  critique  pour  la  nationalité  française,  — 
et  l'on  a  pensé  qu'il  était  nécessaire  de  déterminer  l'étendue  du  pays  occupé 
par  le  parti  français  au  temps  de  la  prise  de  la  Pucelle  sous  Compiègne 
(24  mai  1430"'.    Enfin ,  on  a  essayé  d'indiquer  sur  cette  même  carte  l'iti- 


^o8  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


néraire  suivi  par  la  libératrice  d'Orléans,  tout  au  moins  pour  ceux  de  ses 
voyages  sur  lesquels  on  a  des  renseignements  précis. 

Nous  regrettons  de  n'avoir  pu  justifier,  ici  même,  les  lignes  principales  de 
la  carte-,  mais  nos  lecteurs  trouveront,  dans  un  travail  que  nous  venons  de 
publier  sur  «  les  limites  de  la  France  et  retendue  de  la  domination  anglaise 
à  répoque  de  la  mission  de  Jeanne  d"Arc  ',  »  une  étude  qui  remplacera  avan- 
tageusement,  nous  le  croyons,  la  notice  dont  notre  carte  aurait  pu  être 
accompagnée.  Nous  ne  dirons  donc  ici  que  ce  qui  est  nécessaire  pour 
rintelligence  de  ce  document. 

On  n'a  pas  renfermé  dans  les  limites  du  royaume  de  France  le  Dauphiné , 
parce  que  cet  Etat  n'était  pas  uni  au  royaume;  néanmoins,  on  l'a  teinté  en 
rose  comme  faisant  partie  du  domaine  du  roi. 

On  s'est  attaché  à  tracer  les  limites  des  fiefs  les  plus  importants  au 
point  de  vue  territorial.  On  n'a  guère  omis  de  comtés  antérieurs  au  trei- 
zième siècle-,  mais  on  n'a  figuré  les  comtés  érigés  au  quatorzième  et  au 
quinzième  siècle  que  dans  le  cas  seulement  où  ils  formaient  un  groupe 
de  quelque  étendue,  tels,  par  exemple,  que  le  comté  de  Guise  et  ce- 
lui d'Alais.  En  revanche,  on  a  donné,  comme  déjà  dans  la  carte  de  la 
France  en  i25g,  les  limites  de  plusieurs  vicomtes  aquitaines  et  de  quel- 
ques seigneuries  considérables,  comme  la  seigneurie  de  Coucy  et  celle  de 
Beaujeu. 

De  même  que  dans  la  carte  du  roj'aume  sous  le  règne  de  saint  Louis  , 
on  n'a  figuré,  sauf  de  très-rares  exceptions  %  que  des  cités  et  des  chefs- 
lieux  de  châtellenies  ou  de  prévôtés,  et  on  en  comptera  plus  de  quinze 
cents.  On  a  tenté  de  distinguer,  bien  que  cela  ne  fût  pas  toujours  facile, 
les  châteaux  appartenant  au  haut  seigneur  de  l'Etat  où  ils  étaient  com- 
pris, de  ceux  qui  étaient  tenus  en  fief  par  des  seigneurs  particuliers,  et 
l'on  a  employé  un  signe  indicatif  de  couleur  rouge  pour  ceux-ci ,  un  signe 
indicatif  de  couleur  noire  pour  ceux-là. 

Une   centaine  de  fiefs    ont  été  délimités  et  on  n'a  séparé  que  par  une 

1  Revue  des  questions  historiques  (livraison  d'octobre  iSjS),  tome  XVIII,  p.  444  à  546. 

2  Aucun,  à  Texception  du  comté  de  Porhoèt  (en  Bretagne)  et  de  celui  d'Auvergne,  en  raison  de  l'cxi- 
guîté  de  ces  divisions.  On  n'a  pas  délimité  non  plus  les  possessions  du  comte-dauphin  d'Auvergne, 
disséminées  dans  la  province  de  ce  nom,  entre  Clermont  et  Brioude. 

3  Comme,  par  exemple,  Domremy,  la  patrie  de  la  Pucclle,  et  Sainte-Calherine-de-Fierbois,  où  Jeanne 
commanda  de  chercher  l'épée  qui  lui  était  destinée. 


CARTE  DU   ROYAUME.  409 


ligne  de  pointillé  noir  les  fiefs  contigus,  possédés  par  un  même  seigneur  : 
dans  ce  cas,  le  nom  du  fief  principal  est  inscrit  en  lettres  rouges,  tandis  que 
les  dénominations  de  fiefs  secondaires  le  sont  en  lettres  noires. 

Il  est  regrettable  qu'on  n'ait  pu  indiquer,  par  quelque  signe,  la  commu- 
nauté de  propriétaire  pour  les  fiefs  non  limitrophes,  maison  peut  suppléer, 
en  quelque  sorte,  à  cette  lacune,  par  la  liste  suivante,  qui  comprendra  les 
noms  des  feudataires  possédant  plusieurs  grands  fiefs  isolés  les  uns  des 
autres  :  les  noms  des  fiefs  formant  un  groupe  seront  réunis  sous  un  seul 
adverbe  numéral  : 

Jean  IV,  comte  d' Armagnac ,  possédait  :   i"  les  comtés  d'Armagnac,  de  Fézensac  et  de 

rile-en-Joiirdain;  les  vicomtes  de  Lomagne,  de  Brulhois,  de  Fézensaguet  et  de  Gimoës; 

2"  la  vicomte  deMagnoac;  3°  la  vicomte  des  Quatre- Vallées  ;  4"  le  comté  de  Rodez. 
René  d'Anjou,  duc  de  Bar,  possédait:    1°  le  duché  de  Bar,  dont  la  partie  française  était 

divisée  en  trois  tronçons  '  ;  2"  les  baronnies  du  Perche-Gouét '. 
Jean  I""',  duc  de  Bourbon,  possédait:  i"  les  duchés  de  Bourbonnais  et  d'Auvergne,  le  comté 

de  Forez  et  la  seigneurie  de  Beaujeu  ;  2°  le  comté  de  Clermont,  en  Beauvaisis  '. 
Philippe  le  Bon,  duc  de  Bourgogne,  possédait:  i"  le  duché  de  Bourgogne;   les  comtés 

d'Auxerre,  de  Tonnerre,   deCharolais,  de  Mâcon,  et  la  seigneurie  de  Bar-sur-Seine; 

2"  les  comtés  dé  Flandre,  d'Ostrevant,  d'Artois  et  de  Boulogne';  3°  le  comté  d'Etampes'. 
Jean  VI,  duc  de  Bretagne  possédait  :    i"  le  duché  de  Bretagne;  ^°  le  comté  de  Mont- 

fort-l'Amaury  *. 
Jean  de  Grailly,  comte  de  Foix  possédait  :  i"  le  comté  de  Foix  ;  2°  le  comté  de  Bigorre  et 

la  vicomte  de  Nébouzan;  3"  les  vicomtes  de  Marsan  et  de  Gabardan ''. 
Jacques  de  Bourbon,  comte  de  la  Marche  possédait  :  i"  le  comté  de  la  Marche;  2"  celui  de 

Castres,  en  Languedoc. 
Charles  de  Bourgogne  ,  comte  de  Nevers  possédait  :   1"  le  comté  de  Nevers  et  la  baronnie 

de  Donzy;  2"  le  comté  de  Rethel. 
Charles,  duc  d'Orléans,  possédait   :    1°  le  duché  d'Orléans,  les  comtés  de  Blois  et  de 

Dunois;    2"  le    duché  de  Valois,    le  comté  de  Soissons  et  la  seigneurie   de  Coucy*; 

1  Les  deux  principaux  de  ces  tronçons  sont  dc'signes  sur  la  carte  par  le  nom  Duché  de  Bar  •,  mais  la  place 
manqué  pour  inscrire  ce  nom  dans  le  troisième  tronçon,  enclavé  dans  l'Empire  et  formé  seulement  de  la 

cliâtellenie  de  ConHans,  prés  Luxeuil. 

2  René  d'Anjou  portait  aussi  le  titre  de  «  comte  de  Guise,  »  mais  ce  comté,  confisqué  avec  lui,  avait  été 
donné  à  Jean  de  Luxembourg,  partisan  du  roi  d'Angleterre,  et  ce  capitaine  en  avait  achevé  la  conquête 
en  142t. 

3  Le  fils  aine  du  duc  de  Bourbon  portait  alors  le  titre  de  «  comte  de  Clermont.  « 

4  11  ne  faut  pas  oublier  que  Philippe  le  Bon  tenait,  en  outre,  divers  grands  fiefs  impériaux,  tels  que  le 
comté  de  Bourgogne  et  la  seigneurie  de  Salins,  le  comté  d'Alost,  la  seigneurie  de  Matines,  ainsi  que  le  comté 
de  Hainaut  et  celui  de  Hollande. 

^  P  hi  lippe  le  Bon  avait  aussi  des  prétentions  sur  le  comté  de  Gien,  au  même  titre  que  sur  le  comté  d'Étampes, 
mais  ce  fief  était  occupé  par  les  partisans  de  Charles  Vil,  qui,  en  1429,  l'avait  donné  au  bâtard  d'Orléans. 

0  Le  titre  de  «  comte  de  Montfort  »  était  porté  par  François,  fils  aîné  du  duc  de  Bretagne. 

^  I-e  comte  de  Foix  possédait,  de  plus,  la  vicomte  de  Béarn,  alors  indépendante  de  la  couronne. 

"  Le  comte  de  Soissons  et  la  seigneurie  de  Coucy  étaient  indivis,  par  moitié,  entre  le  duc  d'Orléans  et  la 
comtesse  de  Marie. 


ECLAIRCISSEMENTS. 


3"  le  comté  de  Beaumont-sur-Oise  ;   4"  le  comté  de  Porcien  '  ;    5"  le  comté  de  Vertus  ; 
6°  le  comté  de  Périgord  *. 
Bernard  d'Armagnac,  comte  de  ParJiac  possédait  :  i"  le  comté  de  Pardiac  ;  2"  la  vicomte 
de  Cariât,  en  Auvergne. 

Cependant ,  cette  énumération  n"est  pas  rigoureusement  exacte  pour  les 
années  qui  nous  occupent,  car  alors  plus  d'un  partisan  du  roi  Charles  VII 
était  privé  de  ceux  de  ses  fiefs  situés  dans  la  partie  du  royaume  occupée 
par  les  Anglais.  Il  se  forma,  en  outre,  d'autres  groupements  féodaux  à  la 
faveur  des  donations  faites  par  le  roi  d'Angleterre;  ainsi,  en  1429,  le  duc 
de  Bedford ,  régent  du  roj'aume  de  France  au  nom  de  Henri  Vl ,  se 
qualifiait  «  duc  d'Anjou  et  d'Alençon,  comte  du  Maine  et  de  Harcourt,  » 
et,  peu  de  temps  après,  il  ajoutait  à  ces  titres  celui  de  «  comte  de 
Dreux.  « 

L'itinéraire  de  la  Pucelle  a  été  tracé  à  l'aide  du  tableau  chronologique 
des  marches  exécutées  par  Jeanne  d'Arc ,  de  Berriat-Saint-Prix ,  corrigé  et 
complété  par  M.  Jules  Quicherat  ■'.  On  n'a  pu ,  cependant ,  figurer  sur  la  carte 
la  voie  suivie  par  Théro'i'que  fille  de  Domremy  depuis  son  départ  de  ^'au- 
couleurs,  en  compagnie  des  guides  que  lui  donna  Robert  de  Baudricourt , 
jusqu'à  son  arrivée  près  du  roi  à  Chinon  ,  Auxerre  et  Gien  étant  à  peu  près 
les  seuls  points  intermédiaires  qu'on  conniùt.  Il  n'a  pas  paru  possible,  non 
plus,  d'indiquer  les  marches  et  contremarches  de  la  Pucelle  pendant  la 
campagne  de  l'Orléanais.  C'est  donc  seulement  à  partir  du  24  juin  1429 
que  nous  pouvons  véritablement  marcher  sur  les  traces  de  Jeanne,  qui,  à 
cette  date,  quitte  Orléans  pour  se  rendre  à  Gien,  d'où  part,  trois  jours 
après,  l'expédition  du  sacre.  Nous  avons  pu  la  suivre  dès  lors,  non  sans 
difficulté,  jusqu'à  son  retour  dans  les  pays  arrosés  par  la  Loire  ,  au  2  i  sep- 
tembre suivant. 

Jeanne  d'Arc  ayant  passé  plusieurs  fois  par  certaines  villes,  il  nous  paraît 
convenable  de  présenter  ici  un  résumé  de  son  itinéraire  pendant  ces  quatre 
mois;  le  lecteur  pourra,  de  la  sorte,  suivre  plus  facilement,  sur  la  carte,  la 
marche  de  l'héroïne. 


l  Le  titre  de  «  comte  Je  Porcien  »  était  porté  par  le  bâtard  d'Orléans,  qui,  en  1432,  se  qualifiait  aussi 
'  comte  de  Périgord.  ■» 
-  Voyez  la  note  précédente. 
3  Quicherat,  Procès  de  Jeanne  SArc,  t.  V,  p.  378-382. 


CARTE   DU    ROYAUME. 


Juin  27.  Gien  (Loiret,. 

—  Montargis,  (Loiret  ;. 
Juillet     I.  Auxerre  (Yonne j. 

—  3.  Saint-Florentin;  Brienon  l'Archevêque  (Yonne;. 

—  4.   Saint-Phal  (Aube). 

—  II.  Troyes  (Aube). 

—  14.   Lettrée  (Marne,  commune  de  Dommartin-Lettrée). 

—  i5.  Châlons-sur-Marne  (Marne). 

—  16.  Septsauk;  Reims  (Marne). 

—  21.  Corbeny  (Aisne). 

—  22.  Vailly  (Aisne). 

—  23.  Soissons  (Aisne). 

—  29.  Château-Thierry  (Aisne). 
Août     I.  Montmirail  (Marne). 

—  2.  Provins  (Seine-et-Marne). 

—  La  Motte  de  Nangis  (Seine-et-Marne). 

—  Bray-sur-Seine  (Seine-et-Marne). 

—  5.   Provins  (  Seine-et-Marne  !. 

—  7.  Coulommiers  (Seine-et-Marne). 

—  Château-Thierry  (Aisne). 

—  10.  La  Ferté-Milon  (Aisne). 

—  II.  Crépy-en- Valois  (Oise). 

—  12.  Lagny-le-Sec  (Oise). 

—  i3.  Dammartin-en-Goële ;  Thieux  (Seine-et-Marne). 

—  14.  Baron;  Montépilloy  (Oise). 

—  i5.  Crépy-en- Valois  (Oise;. 

—  18.  Compiègne  ( Oise  ). 

—  Senlis  (Oise). 

—  2  3.   Compiègne  (Oise). 

—  26.  Saint-Denis  (Seine). 
Septembre  S.   La  Chapelle-Saint-Denis  (Seine). 

—  8.  Sous  Paris. 

—  9.   La  Chapelle-Saint-Denis  (Seine). 

—  9.  Saint-Denis  (Seine). 

—  14.  Lagny-sur-Marne  (Seine-et-Marne). 

—  i5.  Provins  (Seine-et-Marne). 

—  Bray-sur-Seine  (Seine-et-Marne). 

—  Passage  de  l'Yonne  à  un  gué  près  de  Sens  (Yonne). 

—  Courtenay  (Loiret). 

—  Châteaurenard  (Loiret). 

—  Montargis  (Loiret). 

—  21.  Gien  (Loiret). 

On  comprendra  aisément   que  nous  ayons   été  quelquefois  embarrassé 
pour  choisir,  entre  les  diverses  voies  de  communication  reliant  dcu\  loca- 


412  ÉCLAlRCISSEMliNTS. 


litcs,  le  chemin  suivi  par  Jeanne  d'Arc  :  rétude  des  routes  du  moyen  âge 
est  du  reste  trop  peu  avancée  pour  que  nous  puissions  nous  flatter  d'avoir 
réussi  le  plus  souvent.  L'une  des  difficultés  les  plus  graves  de  ce  premier 
itinéraire  de  la  Pucelle  est  certainement  le  trajet  de  Gien  à  Auxerre  :  le  roi 
et  la  Pucelle  passèrent-ils  alors  à  Montargis,  comme  l'écrivit,  au  commen- 
cement du  dix-septième  siècle,  un  historien  rémois,  l'échevin  Rogier '?  C'est 
bien  possible,  et  c'est  même  probable,  si  l'on  songe  qu'aujourd'hui  encore 
il  n'y  a  pas,  à  travers  le  sauvage  pays  de  Puisaye,  de  communication 
directe  entre  Gien  et  Auxerre,  et  que,  durant  le  moyen  âge,  le  seul  grand 
chemin  connu,  partant  de  cette  dernière  ville  et  se  dirigeant  à  l'ouest,  était 
le  grand  chemin  d' Auxerre  à  Orléans  passant  par  Perrigny,  Fleury,  Laduz, 
Senan,  Sépaux,  Villefranche ,  et  gagnant  ensuite  Montargis  par  Château- 
renard-.  Voilà  pourquoi  nous  avons  cru  devoir  ajouter  le  nom  de  Mon- 
targis à  l'itinéraire  publié  par  M.  Quicherat. 

A  partir  de  la  fin  de  septembre  jusqu'au  siège  de  Compiègne(mai  i43o), 
et  surtout  depuis  le  mois  d'octobre  jusqu'au  mois  d'avril,  la  pénurie  des 
renseignements  relatifs  à  Jeanne  d'Arc  ne  permet  plus  de  tracer  l'itinéraire 
de  celte  vaillante  fille.  Nous  ne  pouvons  plus  suivre  désormais  la  Pucelle 
que  depuis  le  jour  où  elle  fut  prise  sous  les  murs  deCompiègne  (24  mai  1430") 
jusqu'à  son  biùcher  de  Rouen;  les  stations  connues  sont  au  nombre  de 
neuf  pour  cette  partie  de  l'itinéraire  : 


Mai  24.  Compiègne  (Oise). 

—  Beaulieu  (Oise). 

Août  Beaurevoir  (Aisne). 
Novembre          Arras  (Pas-de-Calais). 

—  t)rugy,  près  Saint-Riquier  (Somme). 

—  21?  Le  Crotoy  (Somme). 

Décembre  Saint- Valery-sur-Somme  (Somme). 

—  Eu  (Seine-Inférieure). 

—  Dieppe  (Seine-Inférieure). 

—  Rouen  (Seine-Inférieure). 


Auguste  Longnon. 


I  Quicherat,  Procès  Je  Jeanne  d'Arc,  t.  IV,  p.  2S7. 

'■  Quantin,  Dictionnaire  topogr.  du  dép.  de  l'Yonne,  p.  33. 


.  *n  lU-tu^  II.  i-ar   Di 


Oruement  tiré  d'un  ms.  latin  du  XV  siiclc.  Bibliolh.  de  M.  Anilu 


m 


LA  FAMILLE  DE  JEANNE  D'ARC 


Son  anoblissement.  —  Sa  Jescendance 


\  récompense  de  services  qui  tenaient  du 
prodige,  Charles  VII  voulut  récom- 
penser d'une  manière  tout  exception- 
nelle la  libératrice  de  son  royaume. C'est 
ainsi  que,  par  des  lettres-patentes  datées 
de  Meun-sur-Yèvre  ,  du  mois  de  décem- 
bre 1429,  il  éleva  à  la  dignité  de  nobles 
Jeanne,  son  père,  sa  mère,  ses  frères, 
leur  parenté  et  leur  descendance,  née 
et  à  naître,  en  ligne  masculine  et  en 
ligne  féminine.  On  peut  cependant  croire 
que  le  roi  n'avait  pas  attendu  jusque-là  pour  manifester  sa  gratitude ,  et 
qu'un  autre  témoignage  d'honneur  avait  précédé  celui  dont  il  vient  d'être 
question.  Nous  trouvons  en  effet  dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque 
nationale,  daté  de  i55g,  qui  paraît  présenter  certaines  garanties  d'authen- 
ticité, une  indication  d'après  laquelle  Jeanne  aurait  été  l'objet  d'un  pre- 
mier anoblissement  personnel  le  2  juin  1421),  après  ses  glorieux  succès 
d'Orléans.   Dès  cette    époque,    le   roi,     étant    à  Chinon ,  aurait  donné  à 


,  la  biblioth. 


Fig.  204. —  Concession  d'armoiries  par  le  roi  Charles  VU  à  Jeanne  d'Arc,  le  2  juin  1429,  après  la  délivrance 
1559.  Ce  manuscrit,  de  l'ancien  fonds  Baluze,  porte  le  titre  i' Evaluation  des  monnaies  d'or  et  d'argent,  et  les 
éminents.  11  contient  la  copie,  par  ordre  de  dates,  de  tous  les  édits  mone'taires  enregistrés  par  lachambre 


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d'Orléans  et  avant  la  campagne  de  la  Loire.  Ms.  de  la  biblioth.  nat.,  fonds  fr.,  n°  5524,  registre  daté  de 
noms-de  Jean  Lhuillier  s'  de  Boulancourt,  président  à  la  cliambre  des  comptes,  et  d'autres  magistrais 
des  monnaies. 


Le  premier  jour  de  may  mil  iiij'   vingt-neuf, 
marc  d'argan  xvij  57 

De   la  Pucelle  Jehanne 

Le  ij""  jour  de  jiing  yn.  iiij''  .wri.v  le  dit  Seigneur  roy  ayent  congneu  les 
proesses  de  Jelianne  la  Pucelle  et  Victoires  du  don  de  Dieu  et  son  conseil 
intervenues  donna  estant  en  la  ville  de  Chinon  arnioyries  a  la  dite  Jehanne 
pour  son  estandart  et  soy  décorer  du  patron  qui  sensuict  donnant  charge  au 
duc  Dallcnson  et  a  icelle  Jehanne  du  siège  de  Jargueau. 

TRADUCTION 

Le  premier   jour  de  mai   1429, 
le  marc  d'argent  à  dix-sept  sous 

DelaPucelle  Jeanne 

Le  deuxième  jour  de  juin  1429,  ledit  seigneur  roi  ayant  connu  les 
prouesses  de  Jeanne  la  Pucelle  et  les  victoires  remportées  par  le  don  de 
Dieu  et  son  conseil ,  donna  ,  étant  en  la  ville  de  Chinon,  des  armoiries  à  ladite 
Pucelle,  pour  décorer  son  étendard  et  elle-même,  dont  le  modèle  s'ensuit, 
donnant,  au  duc  d'Alencon  et  à  ladite  Jeanne  ,  la  charge  du    siège  de  Jargeau. 


4i6  ECLAIRCISSEMENTS. 


l'héroïne  les  armes  qui   furent  un  peu  plus  tard    attribuées   à  sa  famille. 

Ce  qui  est  en  tout  cas  bien  certain ,  c'est  que  la  pieuse  modestie  de  la 
Pucelle  lui  fit  refuser  cet  honneur,  et  qu'elle  n'usa  jamais,  pour  la  décora- 
tion de  son  harnais  ni  de  sa  personne,  des  insignes  glorieux  qui  lui  étaient 
conférés.  Elle  considéra  tellement  cette  distinction  comme  nulle  et  non 
avenue  pour  elle,  qu'elle  put,  en  toute  conscience,  répondre  à  ses  juges  de 
Rouen,  le  lo  mars  1431,  que  «  d'écuset  d'armes  elle  n'en  eut  jamais,  mais 
«  que  son  roy  donna  des  armoiries  à  ses  frères.  »  Quant  à  elle,  elle  ne 
voulut  d'autre  insigne  sur  son  étendard  que  le  pieux  emblème  qu'elle  v  avait 
placé,  d'autre  devise  que  celle  où  s'exhalait  la  première  et  sainte  alVection 
de  son  àme  :  Jésus,  Maria! 

Les  frères  de  Jeanne  profitèrent  des  eiVets  de  la  munificence  royale.  Tous 
deux  prirent  le  nom  du  Lys,  et  le  transmirent  à  leurs  descendants  avec  les 
avantages  exceptionnels  que  le  roi  y  avait  attachés. 

Les  anoblissements  en  faveur  des  descendants  de  l'un  et  l'autre  sexe 
n'étaient  pas  alors  chose  rare,  mais  ce  qui  était  un  fait  véritablement 
inouï,  c'était  le  privilège  accordé  par  Charles  VU  aux  filles  de  la  famille 
du  Lys  d'étendre  leur  noblesse  à  leurs  maris  roturiers.  Du  reste,  ce  privi- 
lège ne  tarda  pas  à  être  l'objet  de  sérieuses  restrictions 

Dès  i556,  une  déclaration  de  Henry  II,  publiée  par  arrêt  du  parlement 
de  Rouen,  établit  que  les  avantnges  du  titre  de  gentilhomme  n'appartien- 
dront désormais  à  ceux  qui  se  disent  issus  delà  race  delà  Pucelle,  «  qu'au- 
tant qu'ils  porteront  le  nom  ou  seront  issus  de  descendantes  de  Jacques 
d'Arc  n'avant  dérogé  à  leur  état  et  ayant  été  mariées  à  des  gentilshommes 
vivant  noblement.  «  Un  peu  plus  tard ,  ce  privilège  fut  aboli  par  l'édit  de 
Henri  IV  en  1^98,  par  celui  de  Louis  XIII  en  1614,  et  par  les  déclarations 
du  même  roi  en  1634  et  i635. 

Mais  il  faut  ajouter  que,  milgré  ces  restrictions  expresses,  les  descendants 
des  filles  ont  généralement  obtenu  des  lettres  patentes  qui  leur  ont  permis 
de  jouir  du  privilège  de  leur  famille  "  lorsqu'ils  vivaient  noblement.  » 

Ces  mesures  ne  furent  pas  appliquées  à  la  branche  vivant  en  Lorraine  ;  car 
le  duché,  encore  en  possession  d'une  complète  indépendance,  n'était  en  rien 
soumis  aux  lois  du  royaume  de  France.  Aussi  les  du  Lys  de  cette  branche 
continuèrent-ils  à  jouir  de  tous  les  avantages  octroyés  par  Charles  VII. 


_,  2o5.  — Château  de  Meun-sur-Yévre  où  Charles  VU  Junna  lui  kltres  d  jnublissemv;nt  Je  la  famille  de 
Jeanne  d'Arc  (voir  à  la  page  suivante)  etoij  il  mourut  le  22  juillet  1461.  —  i.  Vue  du  château  tel  qu'il  était 
en  1731,  d'après  le  dessin  de  J.  Penot,  appartenant  à  M.  Lenoir,  à  Paris.  La  chapelle  qui  est  au-dessus 
de  l'entrée  et  les  constructions  qui  surmontent  les  tours  datent  du  règne  de  Charles  Vil.  —  2.  Plan  du 
château,  par  M.  Dumoutey.  D'après  le  Dictionnaire  de  l'Académie  des  beaux-arts,  t-  "l,  1874. 

JEANNE    d'arc.    III.   —    53 


4ii 


ECLAlRCISSliMtNTS. 


LETTRES     D  ANOBLISSEMENT    ACCORDEES     PAR     CHARLES    VU 

en  Je'cembrc  1429,  à  Jeanne  d'Arc  et  à  sa  famille. 

Le  texte  a  été  colUtionnc  sur  la  pièce  K,  Ô3  n°  9,  conservée  aux  Archivesde  France.  —  Le  caractère  particulier 
de  cet  anoblissement  est  expliqué  plus  haut,  page  4i3. 


TEXTE    ORIGINAL. 

Karûhis.  Dei  gratta  Francorum  rex,  ad 
perpétuant  rei  memoriatn.  Masnificaturi 
divinœ  celsitiidinis  uberrimas  nitidissimas- 
que  grattas  celebri  mintsterto  Ptiellcc ,  Jo- 
hantto!  Darc  de  Dompremeyo.  cliarœ  et 
dilectœ  ttostrce,  de  Ballivia  Cahi-Montis 
seu  ejus  ressort is,  tiobis  elargitas.  et  ipsa 
diviiia  coopérante  clemetitia ,  ampUficari 
speratas .  decens  arbitramur  et  opporttinutit 
ipsaiit  Pucllam  et  stiam,  tiediim  ejus  ob  ojfficii 
nterita,  verum  et  diviita'  laudis  pra^conia, 
totam  parentelant ,  digttis  honortitn  itostro" 
regicetnajestatisinsigniis  attolletidam  et  su- 
blimandant.  ut  divina  claritudine  sic  illustra- 
ta,  nostrce  regiw  Uberalitatis  aliquod  tiiunus 
egregitim  getteri  suo  relinquat ,  quo  divina 
gloria  et  tantarutit  gratiaruin  fama  perpe- 
litis  honoribus  accrescat  et  persei'eret  :  Xo- 
tuin  igitur  factmtis  unircrsis  pra-senlibus 
et/uturis,  quod  itos,  priPiiiissis  attentis,  coit- 
siderantes  insuper  laudabilia,  grataque  et 
cotnmodiora  servitia  nobis  et  regno  nostro 
jam  per  dictant  Joattnant  Puellant  multi- 
ntode  inipcnsa  et  quœ  infuturum  impendi- 
speramus,  certisque  aliis  causis  ad  hoc  ani- 
mtim  nostrum  indticenlibus.  prœfatatn  Puet- 
lain ,  Jacobum  Darc  dicti  loci  de  Dompre- 
ttteyo.  patreni:  Isabcllaiit  ejus  iixoreni , 
matrein;  Jacquemititn  et  Joltannent  Darc 
et  Petrunt  Pierelo ,  fratres  ipsitis  Ptiellœ , 
et  totam  suant  parentelant  et  lignagittm ,  et 
in  favorem  et  pro  contemplatione  cjusdem, 
etiam  et  eortim  posteritateitt  inasculinant  et 
fœmininani,  in  legitimo  matrimonio  natam 
et  nasciturant ,  nobilitavimus,  et  per  pré- 
sentes, de  gratia  speciali,  et  e.v  nostra  certa 
scientia  et  plenitudine  potestatis.  nobilita- 
tiius  et  nobiles  facimus  :  concedenles  e.v- 
presse  ut  dicta  Puella,  dicti  Jacobus,  Isabella. 
Jacqueminus.  Johannes  et  Petrus ,  et  ipsius 
Puellce  tota  posteritas  et  lignagium,  ac 
ipsorum  posteritas.  nota  et  nascitura.  in  suis 
actibus.  injiidicio  et  eA'tra.  ab  omnibus  pro- 


TR.VDUCTION. 

Charles,  parla  grâce  de  Dieu  roi  de  France 
pour  perpétuelle  mémoire.  A  cette  fin  de 
glorifier  les  très-abondantes  et  insignes  fa- 
veurs dont  le  Très-Haut  nous  a  comblé,  et 
que,  nous  l'espérons ,  sa  divine  miséricorde 
daignera  nous  continuer,  par  le  moyen  et 
le  concours  éclatant  de  la  Pucelle,  notre 
chère  et  bien-aimée  Jeanne  d'Arc,  de  Dom- 
remy,  au  bailliage  de  Chaumont  ou  dans  son 
ressort,  et  pour  célébrer  ù  la  fois  les  mérites 
de  ladite  Pucelle  et  les  louanges  divines, 
nous  estimions  convenable  et  opportun  de 
l'élever,  elle  et  toute  sa  parenté ,  aux  hon- 
neurs et  dignités  de  notre  majesté  royale,  de 
sorte  que,  illustrée  par  la  grâce  divine,  elle 
laisse  à  sa  race  un  souvenir  précieux  de  notre 
royale  libéralité,  et  que  la  gloire  de  Dieu 
ainsi  que  la  renommée  de  tant  de  bienfaits 
se  perpétue  et  s'accroisse  dans  tous  les  siè- 
cles. C'est  pourquoi  nous  faisons  savoir  i 
tous,  présents  et  à  venir,  que,  eu  égard  à  ce 
que  dessus ,  considérant  en  outre  les  agréa- 
bles ,  nombreux  et  recommandables  services 
que  Jeanne  la  Pucelle  a  déjà  rendus  et  rendra 
â  l'avenir,  nous  l'espérons,  à  nous  et  à  noire 
royaume,  et  pour  autres  certaines  causes  à 
ce  nous  mouvant ,  nous  a\'ons  anobli  ladite 
Pucelle,  Jacques  d'Arc  dudit  lieu  de  Dom- 
rémy  et  Isabeau  sa  femme ,  ses  père  et 
mère,  Jacquemin  et  Jean  d'Arc  et  Pierre 
Pierrelot  ses  frères,  et  toute  sa  parenté  et  li- 
gnage, et,  en  faveur  et  contemplation  d'icelle 
Jeanne,  toute  leur  postérité  mâle  et  femelle, 
née,  et  à  naître,  en  légitime  mariage,  et  par  les 
présentes,  de  notre  grâce  spéciale,  certaine 
science  et  pleine  puissance,  les  anoblissons 
et  déclarons  nobles  ;  voulant  que  ladite  Pu- 
celle, lesdits  Jacques,  Isabeau,  Jacquemin, 
Jean  et  Pierre,  et  toute  la  postérité  et  li- 
gnage de  ladite  Pucelle,  ainsi  que  les  en- 
fants d'eux,  nés  et  à  naître,  soient  par  tous 
tenus  et  réputés  nobles,  dans  leurs  actes,  en 
justice  et  hors  justice ,  et  qu'ils  jouissent  et 


I 


LA    FAMILI.F.    DE   JEANNE   D'ARC. 


419 


nnbilihns  haheantur  el  reputentur.  et  ut  pri- 
viles;iis .  liherlatibus,  pra'rogativis  aliisque 
juribiis,  quitus  alii  nnbiles  dicti  uoslri  regni 
ex iiobili  s;enere procréait,  iiti  consueverunt 
et  ntuntur,  f;aiideant  pacifiée  et  fruantur. 
Eosdemqiie  et  dictam  eoriim  posteritatem , 
aliorum  nobilitim  dicti  nostri  regni  ex  nobili 
stirpe  procreatoruni  consorcio  aggref^amus  ; 
non  obstante  quod  ipsi ,  lit  dictiim  est,  ex 
nobili  génère  ortiim  non  simipserint,  etfor- 
san  alteriiis  qitani  liberœ  conditionis  exis- 
tant :  volentes  etiain  ut  iidem  pra'nouiinati . 
dictaque  parcntela  et  lignagiuni  scepefatœ 
PuelUv  et  ciiruni  posteritas  uiasculina  et 
ftemiuina,  dum  et  quotiens  eisdem  placue- 
rit,  a  quocumque  milite,  mililiie  cinguluin 
valeant  adipisci,  seii  decorari.  Insuper  con- 
ccdentes  eisdem  et  eoritm  posteritati ,  tam 
masculincc  qiiain  fœmininœ,  in  légitima  ma- 
trimonio  procreatœ  et  procreandœ ,  ut  ipsi 
feoda  et  retrofeoda  et  re.t  nobiles  a  nobilibus 
et  aliis  quibuscumque  personis  acquirant. 
et,  tam  acquisitas  qiiam  acquirer.das ,  reti- 
nere,  tenere  et  possidere  perpétua  valeant 
atqiie  possint ,  absque  eo  quod  illas  velilla, 
ntinc  velfuturo  tempore,  extra  manumsuam 
innobilitatis  occasione  ponere  cogantur,  nec 
aliquam  financiam  nabis  vel  siiccessoribus 
nnstris,  propter  liane  nobilitatem,  solvere 
qiiovis.  modo  teneantur  aut  campellantur  : 
quam  quidem  financiam,  prcedecessorinn 
iutuitu  et  consideratione ,  eisdem  suprano- 
minatis,  et  dicta'  parentelœ  et  lignagia 
prœdictœ  Puellœ,  ex  nastra  ampliori  gratia 
donavimus  et  quictavimus,  donamusque  et 
quictamiis  per  présentes,  ardinatianibiis , 
statutis,  edictis,  usu,  revacationibus ,  can- 
siietudine.  inhibitionibtis  et  mandatis  factis 
vel  faciendis ,  ad  hoc  contrariis ,  non  obstan- 
tibus  quibuscumque.  Qitocirca  dilectis  et 
fidelibiis  nostris  gentibus  campotorum  nos- 
trorum .  ac  thesaurariis  nec  nan  generalibiis 
et  commissariis  super  facto  financiarum 
nostrarum  ardinatis  seu  deputandis  et  balliva 
dictœ  balliviœ  Calvi  -  Montis ,  cœterisque 
justiciariis  nostris.  vel  eortim  locatenentibus 
pra'sentibus  et  futuris,  et  cuilibet  ipsorum, 
prout  ad  eiim  pertinuerit ,  damiis  harum 
série  in  mandatis  quatenus  dictam  Johan- 
nam  Puellam  et  dictas  Jocabiim ,  Isabcllam 
Jacqueminum .  Johannem  et  Petrum.  ipsiits- 


usent  paisiblement  des  privilèges,  franchises, 
prérogatives  et  autres  droits ,  dont  sont  ac- 
coutumés de  jouir,  en  notre  royaume ,  les 
autres  nobles,  extraits  de  noble  lignée,  les- 
quels et  leur  dite  postérité  nous  faisons  par- 
ticiper à  la  condition  des  autres  nobles  de  no- 
tre royaume,  nés  de  noble  race,  nonobstant 
qu'ils  n'aient ,  comme  dit  est ,  une  origine 
noble,  et  qu'ils  soient  peut-être  d'autre  con- 
dition que  de  condition  libre.  Voulant  aussi 
que  les  susnommés,  ladite  parenté  et  lignage 
de  la  Pucelle,  et  leur  prostérité  mâle  et  fe- 
melle puissent,  quand  et  toutes  fois  qu'il  leur 
plaira,  obtenir  et  recevoir  de  tout  chevalier 
les  insignes  de  la  chevalerie.  Leur  permet- 
tant en  outre ,  à  eux  et  à  leur  postérité  tant 
masculine  que  féminine ,  née  et  à  naître  en 
légitime  mariage,  d'acquérir  des  personnes 
nobles  et  autres  quelconques  tous  fiefs,  ar- 
rière-fiefs et  biens  nobles,  lesquels,  acquis  ou 
à  acquérir,  ils  pourront  et  leur  sera  permis 
avoir,  tenir  et  posséder  il  toujours,  sans 
qu'ils  puissent  être  contraints,  maintenant 
ni  au  temps  à  venir,  à  s'en  dessaisir  par 
faute  de  noblesse.  Pour  lequel  anoblisse- 
ment ils  ne  seront  en  aucune  façon  tenus  ni 
forcés  de  payer  aucune  finance  à  nous  ni  à 
nos  successeurs;  de  laquelle  finance,  en  con- 
sidération et  regard  de  leurs  ancêtres ,  nous 
avons  de  pleine  grâce  fait  don  et  remise  aux 
susnommés  et  ù  ladite  parenté  et  lignage  de 
la  Pucelle,  et  par  les  présentes  leur  en  fai- 
sons don  et  remise  ,  nonobstant  toutes  or- 
donnances, statuts ,  édits  ,  usages,  révoca- 
tions, coutumes,  inhibitions  et  mandements, 
faits  ou  à  faire ,  it  ce  contraires.  Pour  quoi , 
nous  donnons  en  mandement  par  lesdites 
présentes  à  nos  amés  et  féaux  les  gens  de  nos 
comptes,  aux  trésoriers  généraux  et  com- 
missaires ordonnés  ou  à  ordonner  sur  le  fait 
de  nos  finances,  et  au  bailli  dudit  bailliage 
de  Chaumont,  et  à  nous  autres  justiciers  ou 
leurs  lieutenants  présents  et  à  venir,  et  à 
chacun  d'eux,  en  tant  qu'il  lui  appartiendra, 
qu'ils  fassent  et  laissent  ladite  Jeanne  la  Pu- 
celle, lesdits  Jacques,  Isabeau,  Jacquemin, 
Jean  et  Pierre,  toute  la  parenté  et  lignage  de 
ladite  Pucelle,  et  leur  postérité  susdite,  née 
et  à  naitre,  comme  dit  est,  en  légitime  ma- 
riage, jouir  et  user  paisiblement  de  nos  pré- 
sente grâce,  anoblissement  et  octroi,  main- 


ÉCLAIRCISSEMENTS. 


que  PuclUv  totam  parentelam  et  ligiiaf^iuni 
enrumque  posteritatem  prœdiclûm  in  légi- 
tima matrimonio .  ut  dictum  est.  uatam  et 
nascituram,  iwstris  piwsciitibus  gratia, 
nobilitatione  et  concessione  uti  et  gaudere 
paeijice ,  mine  et  imposterum,  faciant  et 
permittant .  et  contra  tenorein  piwsentium 
cosdem  nullaienus  inipediant.  seu  molestent, 
aut  a  quocumque  molestari  seu  impediri 
patiantur.  Quod  ut  perpétua  slabilitatis 
robur  obtineat,  nostrum  pr<esentibus  apponi 
fecimus  sigillum,  in  absencia  rnagni  ordina- 
tum;  nostro  in  aliis  et  aliéna  in  omnibus 
jure  semper  salva.  Datum  Magduni  super 
Ebram,  mense  decembri ,  anno  Damini 
millesima  quadringentesimo  vigesimo  tiono, 
regni  vero  nostri  actavo. 

Sur  le  repli  :  «  Per  regem ,  episcopo  Sa- 
giensi,  daminis  de  la  Tremoille  et  de  Tre- 
i'is  et  aliis  prœsentibus.  <• 

Et  plus  bas  :  Expedita  in  caméra  com- 
potorum  régis  XVI,  mensis  jamiarii . 
anno  Damini  millesimo  CCCC"  XXIX", 
et  ibidem  registrata,  libre  cartarum  hujus 
tcmporis,  fol.  CXXI.  Signé  :   A  Grkelle. 


tenam  et  au  temps  avenir,  sans  leur  faire  ni 
sourtVir  qu'il  leur  soit  fait  aucun  trouble  ni 
empêchement  contre  la  teneur  des  présentes. 
Et  pour  que  ce  soit  chose  ferme  et  stable  à 
toujours ,  nous  avons  fait  apposer  aux  pré- 
sentes notre  sceau  en  l'absence  de  notre 
grand  sceau,  sauf  en  autres  choses  notre 
droit  et  le  droit  d'autrui  en  toutes.  Donné 
i\  Meun-sur-Yèvre,  au  mois  de  décembre, 
l'an  du  Seigneur  mil  quatre  cent  vingt-neuf, 
et  de  notre  rè.ane  le  huitième. 


Sur  le  repli  :  Par  le  Roi ,  l'évêque  de 
Séez ,  les  S'"*  de  la  TrémoilIe ,  de  Trêves  et 
autres  présents.  Signées  Mallière,  et  scellées 
sur  lacs  de  soie  rouge  et  verte  du  grand  sceau 
de  cire  verte. 

Et  plus  bas  :  Expédiée  en  la  chambre  des 
comptes  du  Roi,  le  seizième  du  mois  de  jan- 
vier, l'an  du  Seigneur  mil  quatre  cent  vingt- 
neuf  et  y  enregistrée  au  livre  des  chartes  du 
temps,  folio  cxxi.  Signé,  A.  Gréclle. 


LETTRES  PATENTES  Di;   LOUIS  XIII. 

Pour  augmentjtinn  d'armes  aux  armoiries  de  MM.  Du  Lys,  de  la   ligne  de  la  Pucclle  d'Orléans, 
d'après  la  minute  authentique  Z  3oS,  conservée  aux  Archives  de  France. 

De  la  branche  cadette  de  la  famille  de  la  Pucelle,  l'aîné  seul  avait  pris  les  armoiries  octroyées  à  Jeanne 
et  à  ses  parents  par  Charles  VII.  Le  puîné,  tout  en  portant  le  nom  de  Du  Lys,  avait  adopté,  ou,  dil-on, 
conservé  des  armes  parlantes  consistant  en  un  arc  de  fasce  chargé  de  trois  Hèchcs  entre-croisées. 
Mais  la  descendance  de  cet  aîné  n'existant  plus,  les  Du  Lys  de  la  branche  cadette  sollicitèrent  du  roi 
Louis  XIll  la  permission  de  reprendre  les  armes  de  la  Pucelle.  Cette  autorisation  fut  l'objet  des  lettres 
patentes  de  Louis  XIII  en  date  du  25  octobre  1612,  dont  le  texte  suit: 


Louys,  par  la  grâce  de  Dieu  roy  de  France 
et  de  Navarre,  à  tous  présents  et  à  venir  salut. 
Nosaméset  féaulx  Messieurs  Charles  Du  Lis, 
nostre  conseiller  et  advocat  général  en  nostre 
cour  des  aydes  à  Paris,  et  Luc  du  Lis,  es- 
cuyer  sieur  de  Rainemoulin  aussi  conseiller 
notaire  et  secrétaire  de  nostre  maison  et 
couronne  de  France  et  audiencier  en  nostre 
chancellerie  de  Paris,  frères,  nous  ont  fait 
humblement  remontrer  que ,  comme  durant 
les  guerres  et  divisions  qui  furent  en  ce 
royaume,  sous  les  rois  Charles  six  et  Char- 


les sept ,  d'heureuse  mémoire ,  nos  prédéces- 
seurs ,  les  Anglois  ayant ,  par  un  long  espace 
de  temps,  usurpé  nostre  ville  de  Paris  et  une 
grande  partie  des  autres  meilleures  villes  et 
provinces  de  nostre  royaume,  il  eust  pieu  à 
Dieu,  vray  protecteur  de  nostre  dit  royaume, 
de  susciter  des  frontières  d'iceluy  cette  ma- 
gnanime et  vertueuse  fille  nommée  Jeanne 
d'Arc,  depuis  vulgairement  appelée  la  Pu- 
celle d'Orléans;  laquelle,  contre  l'opinion 
d'un  chacun  et  contre  toute  apparence  hu- 
maine,  list   miraculeusement,  en  lort  peu 


LA   FAMILLE   DE   JEANNE   D'ARC. 


de  temps  et  comme  par  la  main  de  Dieu, 
lever  le  siège  que  les  Anglois  tenoient  de- 
vant nostre  ville  d'Orléans,  et  sacrer  le  dit 
seigneur  roy  Charles  VII,  en  nostre  ville  de 
Rheims ,  avec  tant  de  prospérité ,  que  delà  en 
avant,  les  Anglois  furent  entièrement  débel- 
lés  et  expulsés  de  notre  dit  royaume  :  en 
recognoissance  desquels  grands  et  signalés 
services  rendus  à  F  Estât  et  couronne  de 
France,  elle  fut  non  seulement  annoblye  avec 
ses  père,  mère,  frères  et  toute  leur  postérité 
tant  en  ligne  masculine  que  féminine,  mais 
par  un  privilège  spécial  du  dit  seigneur  roy 
Charles  VII,  lui  fut  permis  ensemble  à  ses 
dits  frères  et  à  leur  postérité ,  de  porter  le  lis 
tant  en  leurs  noms  qu'en  leurs  armoiries  qui 
leur  furent  dès  lors  octroyées  et  blasonnées 
d'un  cscu  d'azur,  à  deux  fleurs  de  lis  d'or, 
et  d'une  espée  d'argent  ii  la  garde  dorée,  la 
pointe  en  haut  férue  en  une  couronne  d'or  : 
desquels  les  frères  de  la  dite  Pucelle ,  l'aisné , 
Jehan  Darc  dit  du  Lis ,  prévost  de  Vaucou- 
leurs  et  les  descendans  d'iceluy,  auroient 
continué  de  porter  les  dits  noms  et  armes 
du  Lis  jusques  à  ce  aujourd'huy  ;  et  le  puisné 
Pierre  Darc  aussy  dès  lors  surnommé  du 
Lis,  suivant  la  profession  des  armes,  après 
estre  parvenu  à  l'ordre  et  degré  de  chevale- 
rie, par  lettres  patentes  du  duc  d'Orléans, 
données  à  Orléans  le  vingt-huictiesme  de 
juillet  mil  quatre  cent  quarante-trois,  auroit 
été  recogneu  et  récompensé  sous  le  nom  de 
du  Lis,  et  en  qualité  de  frère  germain  de  la 
dite  Pucelle ,  des  signalés  services  pa.-  lui 
rendus ,  et  faict  d'armes ,  avec  sa  dite  sœur, 
et  après  le  déceds  d'icelle,  tant  au  dit  sei- 
gneur roi  Charles  septiesme  qu'au  dit  duc 
d'Orléans,  depuis  l'heureuse  délivrance  qu'il 
eut  de  sa  longue  prison,  soubs  les  auspices  de 
la  dite  Pucelle,  comme  il  en  appert  ample- 
ment par  plusieurs  extraicts  de  nostre  cham- 
bre des  comptes  et  autres  titres  attachés  sous 
le  contre  scel  des  présentes;  même  que  du  dit 
Pierre  du  Lis ,  chevalier,  frère  puisné  de  ladite 
Pucelle  seroient  issus  et  descendus  en  droite 
ligne  les  dits  exposants  frères,  enfans  de 
Michel  du  Lis  leur  père,  fils  de  Jean  du  Lis, 
leur  ayeul ,  qui  fut  fils  d'autre  Jehan  du  Lis 
le  )eune,  lequel  estoit  aussi  fils  puisné  du  dit 
Pierre  du  Lis  chevalier,  frère  encore  puisné 
de  la  dite  Pucelle:  lequel  Jean  du  Lis  le  jeune, 


bisayeul  des  dits  exposans ,  fut  nommé  et  en- 
voyé pour  estre  l'un  des  eschevins  en  la  ville 
d'Arras,  parle  roy  Louys  unziesme  fils  et 
successeur  dudit  seigneur  roy  Charles  VII, 
lorsqu'il  voulut  f.iire  restablir  et  repeupler, 
par  ses  lettres  patentes  données  à  Chartres, 
au  mois  de  juillet  mil  quatre  cent-quatre- 
vingt-un,  vérifiées  en  notre  cour  des  Aydes, 
le  dixiesme  septembre  ensuivant,  il  y  de- 
meura jusques  en  l'année  mil  quatre  cent 
quatre-vingt-onze,  que  s' estant  la  dite  ville 
soustrait  de  l'obéissance  de  la  couronne  de 
France,  par  l'entremise  de  l'archiduc  Maxi- 
milien,  les  bons  et  vrays  François  qui  y 
avoient  esté  établis  par  ledit  sieur  roy  Louys 
unziesme  furent  tous  pillez  et  chassez  de  la 
dite  ville;  notamment  le  dit  Jean  du  Lis, 
lequel  fut  contraint  de  se  retirer  à  Lihoms , 
en  Santerre,  sans  néanmoins  discontinuer  la 
profession  des  armes  ;  et  se  voyant  le  puisné 
des  puisnés  des  frères  de  la  dite  Pucelle  d'Or- 
léans ,  il  se  seroit  contenté  de  porter  le  nom 
du  Lis ,  retenant  les  armes  du  nom  et  de  leur 
ancienne  famille  Darc ,  qui  sont  d'azur  et  l'arc 
d'or  mis  en  fasce  chargé  de  trois  flesches 
entre-croisées  les  pointes  en  haut  férues,  deux 
d'or  ferrées  et  plumetées  d'argent,  et  une  d'ar 
gent  ferrée  et  plumetée  d'or  et  le  chef  d'ar- 
gent au  lion  passant  de  gueules;  et  d'autant 
que  les  dits  noms  du  Lis  et  armes  Darc  se 
trouvent  estre  passez  depère  en  fils  jusques  aux 
dits  exposans,  qu'iceulx  sont  recogneuz  seuls 
aujourd'huy  représentans  le  dit  Pierre  du  Lis, 
leur  trisayeul ,  au  moyen  de  ce  que  Jean 
du  Lis,  de  son  vivant  toujours  surnommé 
la  Pucelle,  frère  germain  de  la  dite  Pucelle, 
seroit  décédé  sans  hoirs,  désireroient  re- 
prendre les  armes  du  lis  octroyées  à  la  dite 
Pucelle  et  ses  frères ,  avec  celles  Darc,  que  le 
dit  Jehan  du  Lis  le  jeune,  leur  bisayeul,  et 
ses  descendans  se  trouvent  avoir  retenues  et 
gardées  jusques  à  présent,  et  qu'il  leur  fust 
permis  les  porter  toutes  deux  ensemble  escar- 
tellées  en  même  escusson ,  et  timbrées  de 
telle  façon  qu'il  nous  plaira  leur  ordonner, 
pour  marque  des  actes  valeureux  de  la  dite 
Pucelle  et  de  leurs  ancestres;  mesme  y  em- 
ployer la  bannière  qu'elle  portoiten  la  guerre, 
laquelle  estoit  de  thoilles  blanches  semées  de 
fleurs  de  lis  d'or,  avec  la  figure  d'un  ange, 
qui  présentoitun  lis  à  Dieu  porté  par  la  vierge , 


ECLAIRCISSEMENTS. 


sa  mère;  ce  qu'ils  doutent  pouvoir  faire  sans 
avoir  sur  ce  nos  lettres  convenables  et  néces- 
saires, humblement  requérant  icelles.  Pour 
ce  est-il  que  nous,  recognoissans  les  grands, 
mvstérieux  et  signalés  services  faits  à  l'Estat 
et  couronne  de  France  par  la  dite  Jehanne 
Darc,  ladite  Pucelle  d"Orléans  et  désirans  con- 
tinuer la  recognoissance et  gratification  qui  en 
a  esté  lait  à  elle  et  il  ses  frères  et  leur  posté- 
rité, et  d'ailleurs  bien  et  favorablement  traiter 
les  dits  exposans .  tant  en  contemplation  de 
leur  dite  extraction ,  dont  il  nous  est  suffi- 
samment apparu  par  les  titres  et  extraits  at- 
tachés soubs  nostre  dit  contrescel ,  que  de 
plusieurs  bons  et  agréables  services  qu'ils  nous 
ont  rendes ,  et  au  défunt  roy  Henrv  le  Grand, 
nostre  trcs-honoré  seigneur  et  père,  d'heu- 
reuse mémoire,  non-seulement  en  l'exercice 
de  leurs  offices,  mais  en  plusieurs  autres 
charges,  commissions  et  négociations,  où  ils 
ont  été  employés ,  et  s'en  sont  dignement 
acquittez.  A  ces  causes  et  autres  grandes  con- 
sidérations ù  ce  nous  mouvans,  de  l'advis 
de  la  Royne  régente,  nostre  très-honoréc 
dame  et  mère,  et  de  nostre  conseil,  avons  de 
nostre  certaine  science,  pleine  puissance  et 
autorité  royale ,  par  ces  présentes  signées  de 
nostre  main,  permis  et  permettons  aux  dits 
cxposans  d'adjouster  les  armes  du  lis  ù  celles 
Darc ,  dont  ils  avoient  accoutumé  d'user,  et 
icelles  porter  à  l'advenir  eux  et  leur  postérité , 
escartelées  au  quartier  droit  de  celles  du  Lis , 
qui  furent  accordées  ù  la  dite  Pucelle  d'Or- 
léans et  ses  frères,  ainsi  que  les  ont  retenues 
et  portent  îl  présent  ceux  qui  sont  recogneus 
issus  et  descendans  du  frère  aîné  de  la  dite 
Pucelle  Jehan  du  Lis,  qui  fut  prévost  à  Vau- 
couleur.  et  au  second  et  troisième  quartier 


d'icelles  Darc,  que  les  dits  exposans  ont  rete- 
nues et  gardées  de  père  en  fils,  du  dit  .lehan 
du  Lis,  le  jeune,  leur  bisayeul.  qui  fut  nommé 
comme  dit  est ,  pour  eschevin  en  la  ville 
d'Arras,  par  le  dit  sieur  rov  Louys  XI,  ainsi 
qu'elles  sont  cy-dessus  blasonnées ,  et  re- 
présentées sous  le  contrescel  des  présentes  ; 
comme  aussy  voulons  et  permettons  que 
les  dits  exposans  puissent  porter  leur  heau- 
me comblé  de  bourrelet  de  chevalerie  et 
noblesse  des  couleurs  armoryales  et  timbré, 
sçavoir  est  :  le  dit  Charles  et  les  siens  d'une  • 
figure  de  la  dite  Pucelle  vestue  de  blanc, 
portant  en  sa  main  droite  une  couronne 
d'or  sou:>tenue  sur  la  pointe  de  son  espée, 
et  à  la  gauche  sa  bannière  blanche  figurée 
et  représentée  comme  de  son  vivant  elle 
la  portoit;  et  le  dit  Luc  du  Lis,  puisné  et 
les  siens ,  d'une  fleur  de  lis  d'or  naissante  en- 
tre deux  pennarts,  de  même  blazon  que  la 
bannière  de  la  Pucelle  ;  et  que  le  cri  du  dit 
Charles  et  des  siens  soit  :  la  Pucelle  !  et  ccluv 
du  dit  Luc,  sieur  de  Reincmonlin,  soit  :  les 
Lys!  sans  qu'ils  en  puissent  cstre  troublez, 
molestez,  ni  inquiétez  en  façon  quelconque 
ny  que  le  dit  changement  ou  escartelleure  et 
addition  leur  puisse  nuire  ny  estre  imputé 
au  préjudice  de  nos  ordonnances  :  car  tel 
est  nostre  plaisir,  et  afin  que  ce  soit  chose 
ferme  et  stable  à  toujours  nous  avons  fait 
mettre  nostre  scel  à  ces  présentes.  Donné  à 
Paris,  le  vingt-cinquiesme  jour  d'octobre, 
l'an  de  grâce  mil  six  cent  douze,  et  de  nostre 
règne  le  troisiesme.  Signé  Louys,  et  sur  le 
reply  :  par  le  roy,  la  royne  régente,  sa  mère, 
présente,  Brulard;  scellée  sur  lacs  de  soye 
rouge  et  verte  du  grand  sceau  de  cire  verte. 


RLDLCTION   Df    PRIVILEGE   DE   NOBLESSE 

Pour  les  descenJanls  Je  la  famille  d'Arc.  Le  titre  est  Je'snrmais  restreint  aux  he'ritiers  mâles. 

Juin   1614. 


Les  descendans  des  frères  de  la  Pucelle 
d'Orléans  qui  vivent  à  présent  noblement, 
jouiront  à  l'avenir  des  privilèges  de  noblesse, 
et  leur  postérité,  de  masle  en  masle  vivant 
noblement ,  mesme  ceux  qui  pour  cet  effet 
ont  obtenu  nos  lettres  patentes  et  arrestz  de 


nos  cours  souveraines.  Mais  ceux  qui  n'ont 
vescu  et  ne  vivent  à  présent  noblement ,  ne 
jouiront  plus  à  l'avenir  d'aucuns  privilèges. 
Les  filles  et  femmes  aussi  descendues  des 
frères  de  ladite  Pucelle  d'Orléans,  n'ano- 
bliront plus  leurs  maris  à  l'avenir. 


Jean 


ép. 


Âttrij  1 

écuyci", 
avant  1552 


DESCENDANCE   DE    JACQUES 


Jean  Ij'Arc  du  Lys  , 

écuyer,  capitaine 

de  Chartres, 

prévôt 

lie  Vftucoultfurs 

t  14G0. 


h  Domrtîiiiy, 

■j-  apri^s  Ji02,  s.  hoirs, 

^p.  Nicoh' 


Etienne 

i  Thëvenin)  du  L 

écuyer 

vivant  en  15V9, 

V.  DE  Seraumon' 


Marguerite 

DU  Lys. 

Antoine  Bonn 

écuyer 

s^  de  Monts. 


t'inude  DU 

LV!,. 

priître 

curé  (le  Doin 

léiiix. 

t   liioU 

Didifr  nu  Lys  , 

(leur  de  Gibaumeix, 

archer 

du  duc  de  Guise, 

ép.  Nicole 

IiE   ItklSSEV. 


Uidon 

I 

u  Lvs, 

éf 

Êtifnttc 

T 

IlvKKEL, 

vivait  veuve  en 
1557. 

Nicolas 
t  sans 


Claude  DU  Lys. 

maître  d'hdtel  et  es 
des  arquebusiers 
h  cheval    du  couit 


tuinc  DU  Lys. 
*  de  Gibuumeix 
lU).    d'artillerie 


Fi 

uu  Lys, 

née  en 

1531, 

•ivanl  e 

n  1613, 

épo 

sa 

Jo 

Il  DE  U 
écu 

"='■*'""' 

Mengin  Hiérosme. 
à  Domrémy. 


CM»*  i.i 

Lvs, 

«p. 

Français  CE 

N'&VES, 

écuye 

k  Champ 

gny- 

de  Séfonds, 

ép,  N. 

h  A'aucouleurs 


Catherine 

DU  Lys. 

ép.    Ijouis  Massis, 

lieut.  général 

nu  bailliage 

de  Chainpigny 

Charles  du  Ly 


né  ' 


1^5». 


avocat  fi:éiu*ral 

h  la 
cour  des  aid< 
t  V.    10^2. 
épousa    Cathr 


Fraiicoi 

liu  Lvs, 

Hcclui 

DU  Lys, 

t  t    san 

alliance. 

aprc 

1630. 

El 

isnbcth 
L-  Lys, 

ép 

Jem 

LE  PlCAKll, 

srdt 

Fuleine. 

If) 

Extinction 

des  mâles  de  la  branche  aînée, 

riprès  Ui30, 


Charles  DU  Lys, 
né  en  1585, 
:ipal  du  collège 
de  Boissy, 

t  1620, 
ins  alliance. 


.4,  B,  C,  D,  £■,  F,  G.  H.  —  Voir  à  la  page  su 


D'ARC    ET    ISABELLE    ROMÉE 


le  chevalier  du  Lys 

t   14C9, 

^p.  Jeanne 

DE  PROUVILLE. 


C'itherine 

■  sans  alliance 
avant  1430. 


/ 


Jean  du  Lïs, 

laine, 
dit  /«  Piicelle, 
^r  de  Villers, 
t    1501, 

ép.  en  1456 

Macee  DE  Vesi; 

et  en  deuxièmes  d 

avant  148â. 

Jeanne  de  V 


Jean  du  Lys, 

le  jeune, 

écheviu  d'Arras, 

t  vers  U92, 

ép.  Anne 


lichvide  du  Lï 

née  en   1450 , 
t    153*;. 


Catherine  du  Lys 

l'aînée, 

allas  Jehanne, 


Jean  du  Lys. 

dit 

le 

mp*^Mrand^ehan  el 

/(?  Picard, 

éf.  à  Paris  iV. 
vers  1515. 

^ 

A'.  l>u 

Lys. 

écuyer. 

s'établit 

en  Bre 

agne. 

éf.  X.  Di 

RODOR  UE 

LA    tiiE 

TR.IYE. 

Didon  DU  Lvs, 
née   vers  1540, 

t  1628, 
Gérard  Nobles: 

à  Domrémy. 


Jtfic'Aei  DU  Lys, 

gentilhomme 

de  la 

:;haiobre  de  Henri  II. 

7  1563. 

ép.  iV. 


Jea 

1  DU  Lys 

avocat 

et   conse 

lier 

du  roi 

sn  Bretag 

■ne. 

ép. 

Jsabeau 

SÉJOCRNF 

Luc  DU  Lys, 

Seigneur 

de  Reinemoulin, 

né  vers  1560 

conseiller  secrétaire 

du  roi 

t  après  1C28 

ép.  Louise  Collier 
Veuve  DU  ViviEE- 


Jacqueline  vu  Lys, 


ép.  Jean  Ceanterel, 

S""  de  Bezons, 

conseiller  du  roï. 


capitaine  des  franci 

archers  du 

comté  de   Nantes, 


Charles  du  Lys, 

ép.  en  1583 
Eslher  Grimaud, 

dcHo  DE  PROCÉ, 
t  1599. 


A'. 

oc  Lys. 

reli 

pieuse. 

au  val  c 

e  Morieres. 

.V.  I 

u  Lys, 

pr 

eur  de 

l'abbaye 

de  Buseav. 

Fra 

^e  DU  Lys  . 

«P- 

Louis 

VIL 

ATREUUMMES.          1 

conseiller              | 

à  la 

r  des  aides. 

Cnlhe, 


'  Lys 


ép. 


Richard  de  Picuon  . 
trésorier 

(if) 


Anne  DU  Lïs. 
ép.  René  DE  Ui   Grie. 

Sf  du  Cnastelier, 
cap.  de  chevau-légers. 


Extinction 

des  mâles 

de  la 

brandie  endette, 

vers  1632. 


ite  :  Descendance  de  Jeanne  d'Arc  par  les  femmes. 


LA   FAMILLE   DE   JEANNE   DAKC.  42i 


DESCENDANCE   DES   FRÈRES   DE    JEANNE    D   ARC   PAR   LES  FEMMES. 

Liste  Jl' familles  encore  existantes  qui  peuvent  jitstijier  Je  cette  origine. 

A.  —  La  descendance  de  Jeanne  uu  Lys  se  continue  : 

I"  dans  le  baron  des  Azards  (Alby),  par  transmission  directe. 

2"  Dans  ie  baron  de  Pi.\t  de  Br.^g.x:  (Boucq),  par  le  mariage  de  Hyacinthe  Piat  de 
BkAb'x,  avec  Catherine  des  Hazards  ; 

3"  Dans  M.VL  Alexandre  de  Hald.a.t  dq  Lys  (Nancy),  par  le  mariage  de  Marthe  des 
Hazards  avec  Démange  Mvnette,  père  de  François  My.n'ETTE  iyoy.  B). 

B.  —  La  descendance  de  Renée  du  Lys  se  continue  : 

i"  Dans  ALM.  Ale.\,\ndre  de  H^-ldat  du  Lys,  par  le  mariage  de  Jean  Haldat  avec 
Marie- Françoise  Mynette,  et  par  la  transmission  du  nom  et  des  armes  des  Haldat 
au.\.  Alexandre,  accordée  en  1766  aux  enfants  de  Claire  Haldat,  veuve  àe  François 
Alexandre,  prévôt  de  Gondrecourt; 

2"  Dans  iM.  de  Braux  par  les  Courtois  de  Morancourt,  les  Haldat  et  Marie- 
Françoise  Mynette. 

C.  —  Descendance  d'Elisabeth  du  Lys  : 

Elle  s'est  continuée  jusqu'en  18 12  dans  les  d'.Arbamont,  par  le  mariage  de  François 
d'.-Vrbamont,  président  à  Vaucouleurs,  avec  Elisabeth  le  Picard. 

D.  —  La  descendance  d'Hclividc  du  Lys  se  continue  : 

1"  Dans  MM.  le  DucHAT(Gorze  et  Nancy),  Dur.\nd  de  Villers  (Paris  et  Versailles), 
par  le  mariage  de  Frédéric  le  Duchat,  conseiller  au  parlement  de  Metz,  avec  Antoinette 
Hordal,  et  le  mariage  à\Antoinette  le  Duchat  avec  Paul  Dur.\nd,  sieur  de  Villers;  et 
dans  MM.  le  baron  de  S.unt-Vincent  (Nancy),  le  comte  du  Coetlosquet  (Metz),  de 
Mardigny  (Nancy),  par  leur  alliance  avec  la  famille  Durand  de  Villers  ; 

2"  Dans  MM.  le  baron  de  Lépineau  (Nancy)  et  d'Arch.wibault  (Toul;,  par  les  le 
LiEPVRE  et  Didier  Guillot,  époux  de  Marie  Hordal,  et  M.  G.  de  Tinseau  ^Toul),  par 
son  alliance  avec  M"<^  d'Archambault  ;  dgns  MM.  de  Beausire,  Brou  de  Cuissart,  de 
Gouy,  J.  et  L.  DE  Lardemelle,  de  Turmel  familles  messines),  par  les  Goussaud,  les 
Chazelles  et  les  le  Liepvre;  dans  M^L  de  Chevigny  (Cuvry),  le  marquis  de  Cha- 
teauneuk  (Nice),  par  les  Chelaincourt,  les  Leco.mte  d'Humbepaire  ,  les  Chazelles 
et  les  le  Liepvre;  dans  M.  Berteaux  ,  M™"  de  Vidaillan,  des  Marres  et  de  Bobet, 
MM.  le  baron  G.  d'HuART  et  Auricoste  de  Lazarciue  (familles  messines),  parles  Bon  y 
DE  Lavergne,  les  Bl.iise  de  Rozerieulles  et  les  Chelaincourt  {ut  suprà); 

3"  Dans  MM.  Pagel  du  Lys  (originaires  de  Toul),  par  le  mariage  de  Pierre  Pagel 
avec  Mengeon  Hord.^l  ;  et  dans  M.  Coanet  (Nancy),  parles  Chaumont  et  Pagel  du  Lys. 

4"  Dans  MM.  Noël  du  Lys  (originaires  de  Commercy),  par  le  mariage  de  Jean  Noël 
avec  Claudine  M.\réchal,  fille  de  Claudon  Hordal  (confirmation  par  Louis  XVIII); 
et  dans  MM.  Dégrelle  (Saint-iMiliiel  et  Bar)  et  Baruin  (Pierrefitte),  par  les  de  Vexault 
et  Noël  du  Lys; 

5"  Dans  M.  Xicolas  Villiau.mé  (l'historien  de  Jeanne  d'Arc),  par  le  mariage  de  son 
aieul  maternel  Xicolas  Mandres  avec  Catherine  Hord.\l  en  1772. 

6"  Dans  M.  l'abbé  d'Ambly  (Paris),  par  les  Durand  de  Dieulx  et  les  Hordal  et  auss 
par  les  Carrière  ,  les  Bournon  ,  les  Lambert,  les  Richard  ,  les  Mauljean  et  les  mêmes 
Hordal.  Et  dans  MM.  l'abbé  Jeandin  (Belrupt),  d'Arbigny  et  de  Cruejouls  (Langres  ; 
par  leur  alliance  avec  les  d'Ambly. 


ECLAIRCISSEMENTS 


E.  —  La  descendance  de  Jeanne  du  Lys  se  continue  : 

I"  Dans  M.  de  Baii.lard  du  Lys  (Grenoble),  par  les  Garin,  les  Patris,  les  le  Fournier 
DE  TouRNEBUS,  et  Marie  de  Villebresme; 

2"  Dans  MM.  de  Parel  et  Renaudeau  d'Arc  (Rouen)  et  de  Julienne  (Aix),  parles 
Gauthier  d'Arc,  les  de  Launay,  les  du  Chemin,  les  le  Fournier  de  Tol'rnebus  et 
Marie  de  Villebresme  (confirmation  par  Charles  X). 

F.  —  La  descendance  de  Catherine  du  Lys,  la  jeune,  se  continue  : 
I"  Dans  MM.  Alexandre  de  Haldat  du  Lys  (yqy.  B)  ; 

2"  Dans  M.  Roxart  de  la  Salle  (Nancy),  par  Amélie  Alexandre  de  Haldat;    . 
3"  Dans  M.  de  Braux,  par  les  Courtois  de  Morancourt,  et  Agathe  de  Haldat; 
4"  Et  encore  dans  M.  l'abbé  d'Ambly  (Paris),  par  les  Marchand  de  Millv.  et  Françoise 
DE  Haldat. 

G.  —  La  descendance  de  Françoise  du  Lys  se  continue  : 

Dans  MM.  le  marquis  et  les  comtes  de  Maleissye,  par  le  mariage  de  Jacques  de 
Tardieu,  marquis  de  Maleissye,  avec  An)W  de  Barentin  .  fille  de  Marie  Quatre- 
Hommes,  en   1684. 

(Les  Tardieu  de  Maleissye  sont  donc  aujourd'hui  les  représentants  les  plus  rapprochés 
du  nom  de  Jeanne  d'Arc  et  en  quelque  sorte  les  chefs  de  cette  famille,  puisqu'ils  descendent 
de  Charles  du  Lys,  dernier  représentant  mâle  de  la  lignée  de  la  Pucelle.  C'est  en  cette 
qualité  d'héritiers  directs  et  de  seuls  descendants  de  Charles  du  Lys  que  MM.  de  Maleissye 
possèdent  tous  les  papiers  et  souvenirs  de  famille  relatifs  îi  Jeanne  d'Arc.) 


LIGNE  MATERNELLE    DE   JE.\N\E   D    .\  R  C . 

Par  ses  lettres  de  décembre  1429,  Charles  VU  avait  anabli  toute  la  parenté  de  la  famille  d'Arc.  Le  père  de 
Jeanne  n'avait  plus  de  parents.  Mais  Isabelle  Romée,  sa  raère,  avait  un  frère  et  une  sœur. 

Jean  Romée,  dit  de  Voiithon,  épousa  Marguerite  Colnel  et  en  eut  : 
I"  Nicolas  Romée,  profés  de  l'abbaye  de  Chcminon,  aumônier  de  la  Pucelle; 
2°  Marguerite  Romée,   qui  épousa  Pierre  de  Perthes  de   Faveresse,  duquel  descend 
le  célèbre  géologue  M.  Boucher  de  Crèvecœur  de  Perthes  (d'Abbeville). 

Aveline  Romée  épousa  Jean  de  Voiseul  et  en  eut  : 

i"  Jeanne  de  Voiseul,  qui  épousa  Durand  Lassois,  dont  le  fils  Thibault,  reconnu 
noble,  comme  parent  de  la  Pucelle,  le  25  février  i525,  prit  le  nom  de  le  Noble  et  eut 
postérité  sous  ce  nom; 

2°  Démange  de  Voiseul,  dont  la  petite-fille  Marguerite  de  Voiseul  épousa  Médard 
le  Royer,  de  Chaleines  ;  le  petit-fils  de  ce  dernier,  Médard  le  Royer,  gentilhomme 
ordinaire  du  duc  de  Lorraine,  s'allia  à  l'illustre  maison  d'Ourches,  et  reprit  le  nom 
DE  Voiseul.  (Voir  D.  Pelletier,  Nobil.  de  Lorr.,  ar/."  Médard.) 


E.     DE     Boute  ILLER,    ancien  député  de  Meiz. 


Nota.  —  Dans  le  tableau  qui  précède,  il  faut  :  i"  annuler  l'indication  relative  à  une  alliance  des  Du  Lvs 
de  la  branche  aînée  avec  la  famille  Tallevart;  —  2°  à  l'indication  +  s.ins  alli^iiicc,  ctc,  qui  suit  le  nom 
de  Catlicrine  d'Arc,  substituer  les  mots  suivants  :  mariée  à  Colin  le  Maire,  de  Grcux;  paraît  cire  morte 
sans  hoirs  avant  i^So, 


IV 


JEANNE  D'ARC  DANS  LES  LETTRES 


Poésie.  —  Théàtr 


\L  n'y  a  pas  dans  notre  histoire  une  figure 
qui  soit  plus  vivante  et  plus  réelle  que 
celle  de  Jeanne  d'Arc,  il  n'y  en  a  pas 
une  aussi  qui  soit  plus  idéale  et  plus 
pottique.  La  poésie  sort  ici  spontané- 
ment du  simple  exposé  des  faits,  et 
'  idéal  c'est  la  réalité  même.  Toute 
iction  en  altère  la  sublimité  à  la  fois 
naïve  et  surnaturelle,  tout  embellisse- 
ment l'enlaidit.  C'est  pourquoi  l'art  s'y  trouve  gêné,  habitué  qu'il  est  à 
traiter  en  maître  la  matière  qu'il  s'est  choisie,  et  ne  pouvant  se  résoudre, 
comme  ille  faudrait  ici,  à  s'y  pleinement  assujettir.  La  poésie,  qui  se  sert 
ordinairement  de  l'histoire,  est,  dans  le  cas  présent,  condamnée  à  la  servir. 
Il  lui  faut  retourner  à  ces  temps  primitifs  où  elle  n'était  que  l'écho  ému  des 
événements  qui  ébranlaient  les  cœurs  des  hommes  ;  où  le  mensonge,  pour 
ainsi  dire,  lui  était  encore  inconnu.  Mais,  lyrique  ou  épique,  elle  s'est  trop 
éloignée  de  ce  caractère  pour  que  le  retour  lui  soit  aisé  :  elle  veut  orner,  elle 
veut  créer,  elle  gâte.  Il  en  est  de  même  au  théâtre,  où  le  cadre,  si  large  qu'il 
soit,  est  toujours  une  gène  pour  l'expression  sincère  de  la  réalité.  La  poésie 


JEANNE   D ; 


420  B'CLAIRCISSEMENTS. 

dramatique  est  accoutumée  à  un  jeu  de  perspective  et  à  des  lois  de  com- 
pensation, qui  n'obtiennent  la  vraisemblance  propre  à  ce  genre  que  par  des 
sacrifices  demandés  à  la  vérité.  Or  tout  sacrifice,  si  mince  qu'il  soit,  de  la 
vérité  amène  une  déchéance,  quand  il  s'agit  de  Jeanne  d'Arc,  et  il  ne 
saurait  y  avoir  si  admirable  drame ,  si  magnifique  poésie  composée  en  son 
honneur,  que  la  réalité  ne  put  murmurer  tout  bas  à  l'oreille  de  l'auditeur  ou 
du  lecteur  :  Je  suis  plus  admirable  et  plus  magnifique  encore. 

L'intérêt  d'un  travail  sur  Jeanne  d'Arc  dans  les  lettres  est  moins  litté- 
raire qu'historique.  Celui-ci  a  été  conçu  comme  une  chrestomathie,  c'est- 
à-dire  de  manière  à  présenter  au  lecteur,  dans  une  double  galerie,  les  spé- 
cimens, rangés  autant  que  possible  par  ordre  chronologique,  des  principaux 
ouvrages,  épiques  ou  lyriques  d'une  part,  dramatiques  de  l'autre,  qui  ont 
été  composés  en  l'honneur  de  la  Pucelle.  Outre  l'intérêt  qui  s'attache  à 
cette  grande  figure,  et  à  la  façon  diverse  dont  elle  a  été  comprise  dans 
chaque  pa3's  et  à  chaque  époque,  cette  double  galerie,  par  le  seul  rappro- 
chement des  spécimens  qui  la  composent,  et  dont,  surtout  pour  le  théâtre, 
nous  avons  tâché  de  marquer  et  de  distinguer  les  genres,  cette  double 
galerie  pourra  servir  à  former  dans  l'esprit  du  lecteur  attentif  une  idée, 
peut-être  assez  juste,  des  évolutions  et  révolutions  littéraires  depuis  le  quin- 
zième siècle  jusqu'à  nos  jours. 


C'est  une  femme,  la  savante,  pieuse  et  patriote  Christine  de  Pisan,  qui 
marche  en  tête  du  long  cortège  des  poètes  de  la  Pucelle.  Ses  vers  sur 
Jeanne  d'Arc  ne  sont  guère,  à  vrai  dire,  que  de  la  prose  rimée  ;  mais  ils 
ont  un  caractère  de  vérité  qui  tient  à  la  date  où  ils  furent  écrits.  On  y  sent 
une  émotion  sincère  et  noble,  qu'y  a  fait  passer  l'âme  de  l'auteur,  vivement 
ébranlée  par  le  réveil  du  sentiment  national  et  les  succès,  dus  à  l'inter- 
vention divine,  de  la  cause  à  la  fois  dynastique  et  française  dont  elle  n'a- 
vait cessé  de  pleurer  les  malheurs.  Il  y  a  quelque  chose  aussi  de  touchant 
dans  le  naïf  orgueil  de  Christme,  fière  de  voir  triompher  une  jeune  fille, 
l'honneur  de  son  sexe,  là  où   avaient   échoué  les  guerriers  et  les  politiques. 


JEANNE  U'ARC   DANS   LES  LETTRES. 


Ses  vers  sur  la  Pucelle  passent  pour  les  derniers  qu'elle  ait  faits,  et  ce  sont 
aussi  les  seuls  vers  français,  écrits  du  vivant  de  Jeanne  d'Arc  en  son  hon- 
neur, qui  nous  soient  parvenus.  «  Ils  furent  achevés,  dit  M.  Quicherat  ', 
le  3i  juillet  1421),  au  moment  où  Charles  VII,  maître  de  Château-Thierry, 


Fig.  207.  —  Christine  de  Pisan.  D'après  une  miniature  de  son  Liirc  i/i"  la  mutacion  de  fortune.  Bihl.  nat., 
fonds  fr.;  ms.  n"  (îo?. 


pouvait,  en  trois  jours  de  marche,  paraître  avec  son  armée  sous  les  murs 
de  Paris...  En  142Q,  Christine  avait  atteint  IVige  de  soixante-sept  ans.  De- 
puis la  révolution  de  141!^,  elle  vivait  cloîtrée  dans  une  ahba^'e  :  on  ne  sait 
laquelle.  » 


TRADUCTION 


Je,  Christine,  qui  ay  plouré 
Unze  ans  en  abbaye  close, 


Moi,  Cliristine,  qui  ai  pleuré 
Onze  ans  en  abbaye  fermée , 


1  Procès,  t.  V,  p.  3.  Nous  empruntons  pour  nos  citations  de  Christine,  et  en  général  des  poètes  du 
xv«  siècle,  le  texte  du  savant  éditeur.  Nous  en  avons  revu  quelques-unes  sur  les  manuscrits. 


428 


ECLAIRCISSEMENTS. 


Où  j'ay  tousjours  puis  demouré 
Que  Charles  (c'est  estrange  chose!) 
Le  filz  du  roy,  se  dire  l'ose, 
S'en  fouy  de  Paris ,  de  tire , 
Par  la  traîson  là  enclose  : 
Or  à  prime  me  prens  à  rire... 


Où  j'ai  toujours  demeuré  depuis 
Que  Charles  (c'est  chose  étrange!) 
Le  fils  du  roi,  si  j'ose  rappeler  ce  souvenir, 
S'enfuit  de  Paris,  tout  droit. 
Par  suite  de  la  trahison  là  incluse  : 
Maintenant  pour  la  première  fois  je  me  prends 
à  rire. 


L'an  mil  quatre  cens  vingt  et  neuf, 

Reprint  à  luire  li  soleil; 

Il  ramené  le  bon  temps  neuf 

Que  on  n'avoit  veu  du  droit  œil 

Puis  longtemps;  dont  plusieurs  en  deuil 

Orent  vesqui.  J'en  suis  de  ceulx; 

Mais  plus  de  rien  je  ne  me  deuil, 

Quant  ores  voy  ce  que  je  veulx 


L'an  mil  quatre  cent  vingt-neuf 
Recommença  à  luire  le  soleil  ; 
Il  ramène  le  bon  temps  nouveau 
Qu'on  n'avait  pas  vu  de  l'œil  (dirigé  vers  lui) 
Depuis  longtemps;  dont  plusieurs  en  deuil 
Ont  vécu.  Je  suis  de  ceux-là; 
Mais  de  rien  je  ne  me  chagrine  plus 
Puisque  maintenant  je  vois  ce  que  je  veux 


Qui  vit  doncques  chose  avenir 
Plus  hors  de  toute  opinion, 
Qui  à  noter  et  souvenir 
Fait  bien  en  toute  région: 
Que  France,  de  qui  mention 
En  faisoit  que  jus  est  ruée. 
Soit,  par  divine  mission, 
Du  mal  en  si  srant  bien  muée  r 


Qui  vit  donc  chose  advenir 

Plus  hors  de  toute  attente', 

Laquelle  à  noter  et  de  laquelle  se  souvenir 

Est  bon  en  toute  région  : 

C'est  à  savoir  que  France,  de  qui  discours 

On  faisait  qu'à  terre  était  renversée , 

Soit,  par  divine  mission. 

Du  mal  en  si  grand  bien  changée  ? 


Par  tel  miracle  vrayement 
Que ,  se  la  chose  n'est  notoire 
Et  évident  quoy  et  comment, 
Il  n'est  homs  qui  le  péust  croire: 
Chose  est  bien  digne  de  mémoire 
Que  Dieu  par  une  vierge  tendre. 
Ait  adès  voulu  (chose  est  voire) 
Sur  France  si  grant  grâce  estendre. 


Et  cela  par  tel  miracle  vraiment 

Que,  si  la  chose  n'était  notoire 

Et  évidents  le  fait  et  la  manière  , 

Il  n'est  homme  qui  le  pût  croire  : 

C'est  une  chose  bien  digne  de  mémoire 

Que  Dieu  par  une  vierge  tendre 

Ait  maintenant  voulu  (c'est  une  chose  vraie) 

Sur  la  France  si  grande  grâce  étendre. 


O  !  quel  honneur  à  la  couronne 
De  France  par  divine  preuve  ! 
Car  par  les  grâces  qu'il  lui  donne 
Il  appert  comment  il  l'apreuve 
Et  que  plus  foy  qu'autre  part  treuve 
En  Testât  royal,  dont  je  lix 
Qu'oncques  (ce  n'est  pas  chose  neuve  ) 
En  foy  n'errèrent  fleurs  de  lys 


O!  quel  honneur  à  la  couronne 

De  France  se  voit  par  divine  preuve  ! 

Car  par  les  grâces  qu'il  lui  donne 

Il  paraît  combien  Dieu  l'approuve 

Et  que  plus  de  foi  qu'autre  part  il  trouve 

En  la  maison  royale  ,  dont  je  lis 

Que  jamais  (ce  n'est  pas  une  chose  nouvelle) 

En  la  foi  n'errèrent  les  fleurs  de  lis 


Tu,  Johanne,  de  bonne  heure  née, 
Benoist  soit  cil  qui  te  créa! 
Pucelle  de  Dieu  ordonnée. 
En  qui  le  Saint-Esprit  réa 
Sa  grant  grâce  ;  et  qui  ot  et  a 
Toute  largesse  de  hault  don , 
N'onc  requeste  ne  te  véa 
Que  te  rendra  assez  guerdon... 


Toi,  Jeanne,  à  une  bonne  heure  née. 

Béni  soit  celui  qui  te  créa! 

Pucelle  de  Dieu  envoyée 

En  qui  le  Saint-Esprit  fit  rayonner 

Sa  grande  grâce  ;  et  qui  eus  et  as 

Toute  largesse  de  son  haut  don , 

Jamais  ta  requête  ne  te  refusa 

Et  il  te  donnera  assez  grande  récompense.. 


JEANNE   D'ARC   DANS    LES   LETTRES. 


42  y 


Christine  metJeanne  bien  au-dessus  de  tous  les  preux  du  passé  : 


ne  s'appareille 

Leur  proesse  à  cestc  qui  veille 
A  bouter  hors  noz  ennemis. 
Mais  ce  fait  Dieu,  qui  la  conseille, 
En  qui  cuer  plus  que  d'omme  a  mis.. 


n'est  égale 

Leur  prouesse  à  celle-ci  qui  veille 

A  jeter  hors  nos  ennemis. 

Mais  Dieu  fait  cela  ,  qui  la  conseille  , 

Et  qui  en  elle  un  cœur  plus  que  d'homme  a 


Par  miracle  fut  envoiée 
Et  divine  amonition , 
De  l'ange  de  Dieu  convoiée 
Au  roy,  pour  sa  provision. 
Son  fait  n'est  pas  illusion , 
Car  bien  a  esté  esprouvéc 
Par  conseil  ,  en  conclusion  : 
A  l'effect  la  chose  est  prouvée 


Par  miracle  fut  envoyée 

Et  par  divin  avertissement. 

Par  l'ange  de  Dieu  menée 

Au  roi,  pour  pourvoir  à  son  royaume. 

Son  fait  n'est  pas  illusion, 

Car  elle  a  bien  été  éprouvée 

En  conseil ,  et  voici  ma  conclusion  : 

Par  l'effet  la  chose  est  prouvée.... 


Et  sa  belle  vie,  par  foy  ! 
Monstre  qu'elle  est  de  Dieu  en  grâce 
Par  quoy  on  adjouste  plus  foy 
A  son  fait  ;  car  quoy  qu'elle  face , 
Tousjours  a  Dieu  devant  la  face, 
Qu'elle  appelle,  sert  et  deprye 
En  fait,  en  dit;  ne  va  en  place 

Où  sa  devocion  detrie. 


Et  sa  belle  vie,  par  ma  foi  ! 

Montre  qu'elle  est  en  la  grâce  de  Dieu  , 

C'est  pourquoi  on  ajoute  plus  de  foi 

A  son  fait;  car  quoi  qu'elle  fasse  , 

Toujours  a  Dieu  devant  la  face  , 

Qu'elle  invoque,  sert  et  prie 

En  actions ,  en  paroles  ;  en  quelque  endroit 

qu'elle  aille. 
Elle  ne  retarde  pas  ses  dévotions. 


O!  comment  lors  bien  y  paru 
Quant  le  siège  iert  à  Orliens, 
Où  premier  .sa  force  apparu  ! 
One  miracle,  si  com  je  tiens, 
Ne  fut  plus  cler  ;  car  Dieu  aux  siens 
Aida  telement,  qu'ennemis 
Ne  s'aidèrent  plus  que  mors  chiens. 
Là  furent  prins  ou  à  mort  mis. 


O  !  comme  alors  cela  bien  parut 
Quand  le  siège  était  à  Orléans  , 
Où  en  premier  lieu  sa  force  apparut! 
.lamais  miracle,  ainsi  que  je  pense. 
Ne  fut  plus  clair;  car  Dieu  aux  siens 
Vint  tellement  en  aide,  que  les  ennemis 
Ne  se  défendirent  pas  plus  que  chiens  morts. 
Là  furent  pris  ou  à  mort  mis. 


Hée!  quel  honneur  au  féminin 
Sexe!  que  Dieu  l'ayme,  il  appert. 
Quant  tout  ce  grand  peuple  chenin 

Par  qui  tout  le  règne  iert  désert. 
Par  femme  est  sours  et  recouvert, 

Ce  que  pas  hommes  fait  n'eussent, 
Et  les  traittres  mis  à  désert, 
A  peine  devant  le  créussent. 


Hé!  quel  honneur  au  féminin 
Sexe  !  que  Dieu  l'aime  il  paraît  bien  , 
Quand  tout  ce  grand  peuple  misérable  comme 

chiens 
Par  qui  tout  le  royaume  était  déserté, 
Par  une  femme  est  ressuscité  et  a  recouvré 

ses  forces, 
Ce  que  hommes  n'eussent  pas  fait, 
Et  les  traîtres  ont  été  mis  à  ruine  , 
A  peine  auparavant  l'auraient-ils  cru. 


Une  fillette  de  seize  ans 

(N'est  ce  pas  chose  fors  nature'r 

A  qui  armes  ne  sont  pesans , 
Ains  semble  que  sa  norriture 


Une  fillette  de  seize  ans 
(N'est-ce  pas  une  chose  au-dessus  de  la  na- 
ture "f  ) 
A  qui  les  armes  ne  sont  pesantes, 
Mais  il  semble  que  son  éducation 


43o 


ECLAIRCISSEMENTS. 


Y  soit ,  tant  y  est  fort  et  dure  ; 

Et  devant  elle  vont  fuyant 
Les  ennemis,  ne  nul  n'y  dure. 
Elle  fait  ce,  maints  yeulx  voiant. 

Et  d'eulx  va  France  descombrant , 
En  recouvrant  chasteaulx  et  villes, 
.lamais  force  ne  fut  si  grant , 
Soient  à  cens ,  soient  à  miles. 
Et  (le  noz  gens  preux  et  abiles 
Elle  est  principal  chevetaine. 
Tel  force  n'ot  Hector,  neAchilles; 
Mais  tout  ce  fait  Dieu  qui  la  menne 


Ait  été  faite  à  cela,  tant  elle  y  est  forte  et 

dure; 
Et  devant  elle  vont  fuyant 
Les  ennemis,  et  nul  n'y  résiste. 
Elle  fait  cela,  maints  yeux  voyant. 

Et  elle  va  d'eux  débarrassant  la  France, 

En  recouvrant  châteaux  et  villes. 

Jamais  force  ne  fut  si  grande, 

Qu'ils  soient  par  centaines  ou  par  milliers. 

Et  de  nos  gens  preux  et  habiles 

Elle  est  principal  capitaine. 

Telle  force  n'eut  Hector,  ni  Achille; 

Mais  tout  cela  est  fait  par  Dieu  qui  la  mène.... 


C'est  encore  la  vérité  naïve  du  sentiment  qui  recommande  les  vers  con- 
sacrés à  Jeanne  d'Arc,  neuf annéesaprès sa  mort,  parun  poëte bourguignon, 
.Martin  le  Franc.  On  reconnaît  en  ses  paroles  l'empreinte  récente  des 
événements  et  le  vivant  souvenir  de  la  Pucellc.  «  Cet  auteur,  dit  M.  Qui- 
cherat',  qui  était  prévôt  ele  la  cathédrale  de  Lausanne,  publia  en  1440, 
sous  le  titre  de  Chaiiipioii  des  dames  ,  une  contre-partie  du  roman  de  la 
Rose,  où  il  introduisit  la  curieuse  discussion  qu'on  va  lire.  Le  morceau 
rnérite  toute  considération, non-seulement  cà  cause  de  sa  date,  puisqu'il  fut 
écrit  seize  ans  avant  la  réhabilitation  juridique  de  la  Pucellc,  mais  encore 
parce  que  l'ouvrage  auquel  il  appartient  fut  dédié  au  duc  de  Bourgogne.  » 
Le  (Hiainpion  des  dames  défend  Jeanne  contre  les  objections  de  V Adver- 
saire^ qui  joue  un  peu  ici  le  rôle  d'avocat  du  diable. 


I.E    CII.VMPK 


...  Dient  d'elle  ce  que  vouldront , 
Le  parler  est  leur  et  le  taire; 
Mais  ses  loenges  ne  fauldront 
Pour  mensonge  qu'ilz  sachent  faire. 
Q.ue  t'en  faut  il  oultre  retrairer 
Par  sa  vertu,  par  sa  vaillance, 
En  despit  de  tout  adversaire 
Couronné  fut  leroy  de  France. 


TRAnUCTION. 


...  Qu'ils  disent  d'elle  ce  qu'ils  voudront, 
Ils  sont  libres  de  parler  ou  de  se  taire  ; 
Mais  ses  louanges  ne  manqueront 
Pour  mensonge  qu'ils  sachent  faire. 
Que  te  faut-il  rappeler  autre  chose  r 
Par  sa  vertu  ,  par  sa  vaillance  , 
En  dépit  de  tout  adversaire 
Couronné  fut  le  roi  de  France. 


V  D  v  E  R  s  A  I  R  [ 


Je  tieng  frivole  ce  langage, 
Car  oncques  Dieu  ne  l'envoia. 


Je  tiens  ce  langage  pour  frivole. 
Car  jamais  Dieu  ne  l'envoya , 


1  Prncis,  t.  V,  p.  44.  —  On  saura  désormais  que  toutes  nos  citations  de  M.  Quicherat  se  rapportent 
à  ce  volume. 


JEANNE  D'ARC   DANS  LES    LETTRES 


43. 


Dist  l'adversaire  au  faulx  visage  , 
Qui  de  Jhenne  grant  ennoy  a. 
Ha!  ce  dit,  trop  le  desvoia 
Oultrecuidance ,  quoy  qu"on  dye  ! 
Raison  aussy  le  convoia 
Ar.irc  à  Rouen  en  Normendvc. 


Dit  l'adversaire  au  visage  faux  , 

A  qui  l'exemple  de  Jeanne  cause  grand  ennui. 

Ha!  dit-il ,  trop  IVgara 

Outrecuidance,  quoi  qu'on  dise! 

Mais  aussi  Raison  la  mena 

Brûler  à  Rouen  en  Normandie. 


Fi,a.  2oS.  —  Le  Champion  des  dames  exhorte  les  nobles  cœurs  de  France  à  suivre  l'exemple  de  la  Pu- 
celle.  Tiré  du  Champion  des  daines,  œuvre  de  Martin  le  Franc,  ms.  du  xv"  siècle,  à  la  bibl.  nat.,  fonds 
fr.,  n°  S41. 


LE     C  H  A  M  P I O  > 


C'est  mal  entendu,  grosse  teste, 
Respond  Franc-Vouloir  prestement. 
De  quants  saints  faisons  nous  la  feste 
Qui  moururent  honteusement! 


C'est  mal  compris,  grosse  tête. 
Répond  Franc- Vouloir  prestement. 
De  combien  de  saints  faisons-nous  la  fête 
Qui  subirent  une  mort  honteuse! 


432 


ÉCLAIRCISSEMENTS 


Pense  à  Jhesus  premièrement 
Et  puis  à  ses  martirs  bcnois  ; 
Sy  jugeras  evidamment 
Qu'en  ce  fait  tu  ne  te  congnois. 

Gueres  ne  font  tes  argumens 
Contre  la  Pucelle  innocente, 
Ou  que  des  secrez  jugemens 
De  Dieu  sur  elle  pis  on  sente; 

Et  droit  est  que  chacun  consente 
A  lui  donner  honneur  et  gloire 
Pour  sa  vertu  très  excellente, 
Pour  sa  force,  pour  sa  victoire. 


Pense  à  Jésus  premièrement 
Et  puis  à  ses  martyrs  bénis. 
Et  tu  jugeras  qu'évidemment 
En  ce  tait  tu  ne  te  connais. 

Guère  ne  valent  tes  arguments 
Contre  la  Pucelle  innocente  , 
Ils  ne  font  point  que  des  secrets  jugements 
De  Dieu  sur  elle  on  aie  plus  mauvaise   opi- 
nion ; 
Et  il  est  juste  que  chacun  s'accorde 
A  lui  donner  honneur  et  gloire 
Pour  sa  vertu  très-e.\cellente  , 
Pour  sa  force ,  pour  sa  victoire. 


Né  en    i43o,  mort  en  i3o8,  Martial  d'Auvergne,  procureur  au  Parle- 
ment et  notaire  du  Chàtelet,  termina  en  1484  une  sorte  de  chronique  rimce 


Fis.  209.  —  Martial  d'Auvergne  présente  les  Vig'iles  du  roi  Charles  VII,  dont  il  est  l'auteur,  au  jeune  roi 
Charles  VIll.  Ms.  fr.,  a°  5034,  à  la  biblioth.  nat.  Cet  ouvrage,  commencé  sous  Louis  XI,  avait  été  ter- 
miné en  1.(84. 


qu'il  offrit  à  Charles  VIII  SOUS  le  titre  de  yii^ilt's  du  roi  Charles  fV/.  Il 
a  recueilli  dans  cet  ouvrage,  lequel  dans  son  ensemble  offre  de  très-grands 
rapports  avec  la  chronique  de  Jean  Chartier,  un  bon  nombre  de  souvenirs, 
de  traditions  populaires,  qui  lui  donnent  en  maint  endroit  une  valeur 
originale.  Le  passage  qui  a  trait  à  la  Pucelle  s'inspire,  comme  les  vers  de 


JEANNE   D'ARC    DANS    LES    LETTRES. 


433 


Christine  de  Pisan  et  de  Martin  le  P>anc,  de  l'image  réelle  que  les  actions 
de  riiéroîque  vierge  avaient  imprimée  d'elle  au  cœur  de  la  France,  et  que 
n'avaient  point  encore  effacée  les  conceptions  fausses  qui  avec  le  temps  la 
recouvrirent.  Martial  d'Auvergne  a  de  plus  une  qualité  qui  lui  est  propre: 
c'est  l'élégante  facilité  de  son  style  et  de  sa  versification.  Comme  il  nous 
montre  la  vraie  Jeanne  d'Arc,  que  sa  poésie  est  simplement  de  l'histoire, 
et  que  de  plus  l'expression  en  est  heureuse ',  on  doit  dire  à  son  honneur 
qu'il  est  un  de  ceux  qui  se  sont  approchés  le  plus  près  de  ce  but  presque 
impossible  à  toucher  :  faire  des  vers  sur  la  Pucelle  qui  ne  laissent  point 
trop  désirer  la  prose.  Je  n'hésiterais  pas,  pour  ma  part,  à  proposer  aujour- 
d'hui encore  pour  modèle  aux  poètes  qui  se  sentiraient  assez  hardis  pour 
tenter  l'épreuve,  les  quatrains  de  Martial  d'Auvergne. 


TEXTE. 

En  ceste  saison  de  douleur 
Vint  au  roy  une  bergerelle 
Du  villaige  de  Vaucoulleur, 
Qu'on  nommoit  Jehannc  -  la  Puccll 

C'estoit  une  povre  bergiere 
Qui  gardoit  les  brebiz  es  champs , 
D'une  doulce  et  humble  manière  , 
De  l'aage  de  dix  huit  ans. 

Devant  le  roy  on  la  mena , 

Ung  ou  deux  de  sa  congnoissance  , 

Et  alors  elle  s'enclina 

En  luy  faisant  la  révérence. 

Le  roy  par  jeu  si  alla  dire  : 

M  Ha!  ma  mye  ,  ce  ne  sui  je  pas.  « 

A  quoy  elle  respondit  :  «  Sire  , 

«  C'estez  vous,  ne  je  me  faulx  pas.  n 

«  Ou  nom  de  Dieu,  si  disoit  elle, 

"  Gentil  roy,  je  vous  meneray 

«  Couronner  à  Rains,  qui  que  veille 

Cl  Et  siège  d'Orléans  ■*  leveray.   » 

Le  feu  roy  sans  soy  esmouvoir 
Clercs  et  docteurs  si  fistcslire. 
Pour  l'interroguer  et  savoir 
Qui  la  mouvoir  de  cela  dire. 


TR.A.DUCT10N. 

En  ce  temps  de  douleur 
Vint  au  roi  une  bergerette 
Du  village  de  Vaucouleurs, 
Qu'on  nommait  .leanne  la  Pucelle. 

C'était  une  pauvre  bergère 
Qui  gardait  les  brebis  aux  champs  , 
Elle  était  d'une  douce  et  humble  façon, 
De  l'âge  de  dix-huit  ans. 

Devant  le  roi  on  la  mena. 

Une  ou  deux  personnes  de  sa  connaissance  , 

Et  alors  elle  s'inclina 

En  lui  faisant  la  révérence. 

Le  roi  -par  jeu  se  mit  à  dire  : 

Il  Ha!  ma  mie,  cela  ne  suis-je  pas.  n 

A  quoi  elle  répondit  :  «  Sire  , 

"  C'est  vous,  je  ne  me  trompe  pas.  » 

«  Au  nom  de  Dieu,  ainsi  disait-elle, 

<i  Gentil  roi ,  je  vous  mènerai 

«  Couronner  à  Reims,   qui   que  ce  soit   qu 

veuille  le  contraire. 
Cl  Et  le  siège  d'Orléans  ferai  lever,  n 

Le  feu  roi  sans  s'émouvoir 
Clercs  et  docteurs  fit  choisir. 
Pour  l'interroger  et  savoir 
Qui  la  poussait  à  dire  cela. 


1  Nous  n'entendons  appliquer  ce  jugement  qu'aux  passages  qui  concernent  la  Pucelle. 

■-  Prononcez  Jeannei 

3  Orléans  n'a  ici  que  deux  sjUabes. 

JEANNi:  d'arc  ui.  —  55 


434 


ÉCLAIRCISSEMENTS. 


A  Chynon  fut  questionnée 
D'ungs  et  d'autres  bien  grandement . 
Ausquelz,  par  raison  assignée, 
Elle  respondit  saigement. 


A  Chinon  fut  questionnée 
Des  uns  et  des  autres  bien  grandement, 
Auxquels,  par  la  lumière  à  elle  donnée, 
Elle  répondit  sagement. 


Chascun  d'elle  s'esmerveilla. 
Et  pour  à  vérité  venir, 
De  plusieurs  grans  choses  parla 
Qu'on  a  veues  depuis  advenir. 


Chacun  sur  elle  s'émerveilla. 
Et  pour  venir  à  la  vérité  , 
De  plusieurs  grandes  choses  parla 
Qu'on  a  vu  depuis  advenir. 


Elle  dist  tout  publicquement 
Que  le  feu  roy  recouvreroit 
Tout  son  royaulme  entièrement 
Et  que  Dieu  si  luy  aideroit. 

Finiz  lesquelz  verbes  et  termes , 
Requist  au  roy  et  à  ses  gens 
Qu'on  lui  baillast  harnoys  et  armes 
Pour  s'en  aller  a  Orléans... 


Elle  dit  tout  publiquement 

Que  leroi  —  mort  maintenant  —  recouvrerait 

Tout  son  royaume  entièrement 

Et  que  Dieu  lui  viendrait  en  aide. 

Finis  lesquels  paroles  et  propos  , 
Elle  demanda  au  roi  et  à  ses  gens 
Qu'on  lui  donnât  harnais  et  armes 
Pour  s'en  aller  à  Orléans... 


Elle  estoit  très  doulce,  amyable  , 
Moutonne,  sans  orgueil  n'envye, 
Gracieuse,  moult  serviable, 
Et  qui  menoit  bien  belle  vie. 


Elle  était  très-douce,  aimable. 

Telle  qu'un  mouton,  sans  orgueil  ni 

Gracieuse ,  très-serviable , 

Et  elle  menait  une  bien  belle  vie. 


Très  que  souvent  se  confessoit 
Pour  avoir  Dieu  en  protecteur, 
Ne  gueres  feste  se  passoit 
Que  ne  receust  son  Créateur. 


Plus  que  souvent  elle  se  confessait 
Pour  avoir  la  protection  de  Dieu , 
Et  guère  fête  ne  se  passait 
Sans  qu'elle  reçût  son  Créateur. 


Mais  ce  non  obstant  les  Angloys 
Aux  vertuz  et  biens  ne  pensèrent , 
Ainçoys  en  haine  desFrançoys 
Très  durement  si  la  traicterent. 


Mais  nonobstant  cela  les  Anglais 
A  ses  vertus  et  bonnes  actions  ne  pensèrent, 
Mais  en  haine  des  Français 
Très-durement  ils  la  traitèrent. 


Après  plusieurs  griefz  et  excès 
Inferez  en  maintes  parties , 
Lui  tirent  ung  tel  quel  procès 
Dont  les  juges  estoient  parties. 


Après  plusieurs  injustices  et  excès 
Commis  contre  elle  en  maintes  choses, 
Ils  lui  firent  un  procès  tel  quel 
Où  les  juges  étaient  parties. 


Puis  au  dernier  la  condempnerent 
A  mourir  doloreusement. 
Et  brief  l'ardirent  et  bruUercnt 
A  Rouen  tout  publicquement... 


Puis  en  fin  de  compte  ils  la  condamnèrent 
A  mourir  douloureusement. 
Et  bref  ils  la  livrèrcn;  au  feu  et  la  brûlèrent 
A  Rouen  tout  publiquement... 


Ou  procès  de  son  innocence 
Y  a  des  choses  singulières; 
Et  est  une  grande  plaisance 
De  veoir  toutes  les  deux  matières. 


Au  procès  de  son  innocence 
Il  y  a  des  choses  singulières; 
Et  c'est  un  grand  agrément 
De  voir  l'une  et  l'autre  matière. 


Ledit  procès  est  enchesné 

En  la  librarie  Nostre  Dame 

De  Paris,  et  fut  là  donné 

Par  l'evesque,  dont  Dieu  ait  l'ame. 


Ledit  procès  est  enchaîné 
Dans  la  bibliothèque  de  Notre-Dame 
De  Paris,  à  laquelle  il  fut  donné 
Par  l'évêque.  dont  Dieu  ait  l'âme. 


JEANNE  D'ARC   DANS    LES    LETTRES.  435 

C'est  aussi  un  écho  de  la  tradition  vraie  qui  se  fait  entendre  dans  cette 
strophe  de  Villon,  en  sa  ballade  des  Dames  du   temps  jadis  : 

TEXTE,  TRADUCTION. 

La  royne  blanche  comme  ung  lys  La  reine  blanche  comme  un  lis 

Qui  chantoit  à  voix  de  sereine  ,  Qui  chantait  à  voix  de  sirène, 

Berthe  au  grant  pie,  Bietris,  Ally»,  Berthe  au  grand  pied,  Béatrix,  Alix, 

Harembourges  qui  tint  le  Mayne  ,  Eremburges  qui  tint  le  Maine, 

Et  Jehanne  la  bonne  Lorraine  Et  Jeanne  la  bonne  Lorraine 

Qu'Angloys  bruslerent  à  Rouen  ,  Que  les  Anglais  brûlèrent  à  Rouen  , 

Où  sont  ils.  Vierge  souveraine  ?  Où  sont-elles  ,  Vierge  souveraine.' 

Mais  où  sont  les  neiges  d'antan  ?  Mais  où  sont  les  neiges  de  l'an  passé  r 

Mais  l'image  réelle  de  Jeanne,  cette  figure  à  la  fois  héro'ique  et  touchante, 
mélange  charmant  d'entrain  guerrier,  de  charité  compatissante,  de  gaieté 
naturelle  et  finement  railleuse,  et  de  piété  céleste,  tout  cela  s'altéra  de 
bonne  heure  dans  les  esprits,  et  plus  encore  dans  les  esprits  cultivés  que 
dans  Fimagination  du  peuple,  demeuré,  en  dépit  de  tout,  fidèle  au  sou- 
venir confus  de  la  vraie  Jeanne.  Les  ornements  banals  d'une  poésie  de 
convention  commencèrent,  du  vivant  même  de  la  Pucelle,  à  défigurer  sa 
grandeur  simple  et  sa  sublimité  na'ive.  La  poésie  latine  fut  la  première 
coupable.  Toutefois,  laissons  en  paix  la  médiocrité  d'Antoine  Astezan,  qui 
versifiait  en  i53o  la  lettre  adressée  au  duc  de  Milan  par  Perceval  de  Bou- 
lainvilliers.  Un  opuscule  anonyme,  transcrit  à  la  suite  du  procès  de  réhabi- 
litation et  de  la  même  main,  dans  le  manuscrit  latin  3970  à  la  biblio- 
thèque nationale,  et  dont  l'auteur,  versificateur  habile,  avait  probablement 
vu  la  Pucelle,  nous  offre  un  exemple  de  cette  prétention  mal  raisonnée  à 
l'élégance  virgilienne,  qui  prépare  déjà  la  métamorphose  de  la  vierge  de 
France  en  vulgaire  héroïne  de  poème  épique.  Ecoutons  un  instant  cet  ano- 
nyme; ses  vers  latins  ont  après  tout  conservé  une  assez  forte  empreinte  de  vé- 
rité, et  ils  valent  mieux  sans  aucun  doute  que  beaucoup  de  vers  français  : 

Annis  nata  novem  simplex  virguncula ,  patris, 
More  loci,  teneras  pecudcs  suscepit  alendas. 
lUa,  gregis  custos,  patriis  erravit  in  agris 
Pastorum  ritu;  fugiens  consortia  quœque 
Humani  generis,  semper  loca  sola  petebat. 
Non  lupus  insidias  pecori,  non  latro  paravit. 
Dum  custodit  oves,  oculis  manibusque  levatis, 
Sœpius  in  cœlum  prece  sic  orabat  agresti  : 
■<  O  cives  superi ,  pacem  deposcite  nobis 


436  ÉCLAIRCISSF.MENTS. 


•<  A  Christo  Domino,  necnon  et  gaudia  cœli.  » 

Respicit  Omnipotens  dignissima  vota  precantis, 

Tempore  nec  longo  lapso,  jam  dicta  Puella 

Audivit  vocem  supero  de  cardine  missam  . 

Regni  stelliferi  :  «  Salve,  veneranda  Johanna 

"   (Virginis  id  nomen  fuerat\  magnalia  crede 

"  Omnia  posse  Deum  cœlum  terramque  regentcm. 

"   Hic  te  prœvidit  pro  libertate  colenda 

"   Paceque.  Francorum  regum  solabere  mœstuni, 

"  Et  regem,  patria  pulsum  de  sede,  reduces. 

"  lUius  antique  populum  relevabis  ab  hoste 

<■  Oppressum,  multis  prius  urbibus,  ordine  recto, 

.<  Régis  in  obsequium  conductis  atque  receptis. 

"  Karolus  ut  superet ,  tu  fundamenta  locabis.   ■■ 

Une  simple  petite  fille,  âgcc  de  neuf  années,  était  chargée,  selon  la  coutume  du  village,  de 
mener  paître  les  tendres  agneaux  de  son  père.  Gardienne  du  troupeau,  elle  errait  dans  les 
champs  paternels,  selon  l'usage  des  pasteurs.  Fuyant  toute  rencontre  avec  le  monde,  elle 
cherchait  toujours  les  endroits  solitaires.  Jamais  le  loup  ne  dressa  d'embûches  Ci  son  trou- 
peau, ni  le  larron.  Tandis  qu'elle  gardait  ses  brebis,  les  yeux  et  les  mains  levés  au  ciel,  elle 
faisait  souvent  cette  prière  agreste  :  «  O  citoyens  célestes,  demandez  pour  nous  la  paix  au 
Christ  notre  Seigneur,  et  aussi  les  joies  du  ciel.  »  Le  Tout-Puissant  jette  un  regard  favo- 
rable sur  les  vœux  très-méritoires  de  la  suppliante,  et  après  un  petit  espace ,  voici  que  la 
Pucelle  entendit  une  voix  qui  partait  du  sommet  le  plus  haut  du  royaume  étoile  :  «  Salut, 
«  Jeanne,  digne  de  vénération  (Jeanne  était  le  nom  de  la  jeune  vierge},  crois  que  tous  les 
■<  prodiges  sont  possibles  au  Dieu  qui  régit  le  ciel  et  la  terre.  Il  t'a  vue  et  choisie  d'avance 
«  pour  le  culte  de  la  liberté  et  de  la  paix.  Tu  consoleras  l'affliction  du  royaume  de  France 
i<  et  tu  feras  remonter  le  roi  sur  le  trône  de  ses  ancêtres,  d'où  il  a  été  chassé.  Tu  relèveras 
«  son  peuple  écrasé  par  l'antique  ennemi  de  la  nation,  après  avoir  d'abord,  par  une  suite 
■<  logique  de  succès,  ramené,  fait  recevoir  un  grand  nombre  de  villes  en  son  obéissance. 
•<  Tu  jetteras  les  fondements  du  triomphe  futur  de  Charles.  >■ 

C'est  le  même  procédé  qui  fut  appliqué  un  peu  plus  tard  dans  le  poëmc 
•en  quatre  livres  de  Valerand  ^'a^anius,  natif  d'Abbeville,  et  théologien  de 
la  faculté  de  Paris.  «  Il  le  composa,  de  son  aveu,  dit  M.  Quicherat,  avec 
les  pièces  de  l'un  et  de  l'autre  procès  qu'il  avait  connus  par  le  manuscrit 
de  Saint- Victor.  L'histoire  y  est  en  effet  suivie  très-exactement,  et  le  poète 
ne  s'est  permis  que  des  fictions  conformes  cà  ce  qu'on  apprend  par  les  inter- 
rogatoires de  Jeanne.  Toutefois,  par  l'expression  et  par  la  mise  en  scène, 
le  sujet  se  trouve  entièrement  travesti,  et  l'on  peut  dire  que  l'exactitude  des 
r^icherches  se  dérobe  sans  cesse  sous  l'emphase  du  rhétoricien.  »  Nous  lais- 
serons désormais  de  côté  la  poésie  latine. 


JEANNK   D'ARC   DANS    LKS    LETTRES. 


Dans  la  poésie  française  nous  notons  dès  le  quinzième  siècle,  à  côté  du 
sentiment  juste  conservé  par  Martin  le  Franc,  Villon  et  Martial  d'Auvergne, 
une  métamorphose  du  caractère  de  Jeanne,  laquelle,  jointe  plus  tard  aux 
banalités  épiques  dont  la  poésie  latine  vient  de  nous  offrir  Texemple,  forma 
cette  Pucelle  fausse  qui  usurpa  la  place  de  la  vraie  dans  notre  littérature 
au  dix-septième  siècle.  Cette  métamorphose  dut  en  partie  son  origine  à 
l'usurpation  réelle  de  l'aventurière,  qui  soutint  avec  impudence  durant  plu- 
sieurs années  le  personnage  de   la   libératrice  et  trompa,  dit-on,   jusqu'à 


Fig.  2Î0.  —  La  Pucelle,  gravure  sur  bois  tirée  de  la  .\fer  des  Histoires.  Lyon,  Dupre',  1401,  2  vol.  in-fol. 


la  famille  de  la  Pucelle.  Le  caractère  de  la  dame  des  Armoises  se  con- 
fondit malheureusement  avec  celui  de  Jeanne  dans  l'esprit  d'un  grand 
nombre  de  personnes,  et  de  là  vint  la  transformation  en  une  sorte  de 
virago  chevaleresque  de  la  vive  et  gaie,  de  l'énergique,  mais  aussi  de 
l'humble  et  douce,  de  la  bonne  Pucelle  de  Domremy.  On  voit  la  confusion 
commencer  dans  quelques  niéchants  vers  de  l'historiographe  officiel  de 
Bourgogne,  Georges  Chastellain.  qui  eut  le  malheur  dans  sa  Chronique, 
suivant  l'exemple  donné  par  son  maître  Philippe  le  Bon   après  le  funeste 


438 


ECLAIRCISSEMENTS. 


événement  de  Compiègne,  d'abandonner  Jeanne  aux   Anglais.   La  méta- 


Fig.  21 1.  —  Jeanne  d'Arc,  d'après  une  miniature  du  xvi«  siècle,  appartenant  à  .M.  Jarry,  à  Orléans. 


morphose  du  caractère   de  la  Pucelle  semble  fort  avancée  dans  le  Séjour 
d'honneur  d'Octavien  de  Saint-Gelais,  composé  en  \-\^<). 


JEANNE   D'ARC    DANS   LES    LETTRES. 


439 


Tantost  aprcs  en  champ  d'honeur  paré 

Et  siège  d'or  tapissé  de  loucnge  , 

Je  vy  ung  roy  glorieux,  préparé, 

Fulcy   de  paix  ,  begnin,  doulx  comme   ung 

ange  , 
Vaincu   par  mort;  mais  son  bon   bruyt  ne 

change. 
C'estoit  Charles,  septiesme  de  ce  nom  , 
Qui  tant  voulut  acroistre  son  renom 
Q.u'à  luy  reduyt  Guyenne  et  Normandye  , 

Quelque  chose  qu'Angloys  ou  Normant  dye. 

Près  luy  je  vy,  sur  cheval  fier  marchant. 

Femme  qui  fut  d'harnoys  luisant  armée. 

Pas  ne  sembloit  escolier  ou  marchant; 

Mais  robuste,  par  prouesse  affermée  ; 

Dont  m'esbahis  de  voir  femme  fermée 
De  si  grant  cueur,  qui  les  gens  incitoit 
Donner  dedans  et  ung  chascun  citoyt 

A  guerroyer,  comme  si  tous  jours  elle 
Tint  en  seurté  les  souldars  soubz  son  aesle- 

Pas  n'eut  quenoille  attachée  au  costé, 

.Mais  espée  poignante  et  deffensible  ; 

Fuyant  repos  et  longue  oysiveté , 
Où  voulentiers  cueur  de  femme  est  duysible. 
A  autre  affaire  elle  n'est  entendible 
Qu'ordonner  gens,  pour  batailles   mouvoir. 

Dont  je  congneu  que  c'estoit,  pour  tout  voir, 
Selon  sa  geste  et  manière  approuvée. 


TRADUCTION. 

Tantôt  après  en  un  champ  paré  d'honneur , 
Et  sur  un  siège  d'or  tapissé  de  louange, 
Je  vis  un  roi  glorieux,  là  disposé, 
Appuyé  sur  la  paix,  bénin,  doux  comme  un 

ange. 
Vaincu  par  la  mort  ;  mais  sa  bonne  renom- 
mée ne  change   pas  pour  cela. 
C'était  Charles,  septième  de  ce  nom, 
Qui  voulut  tant  accroître  son  renom 
Qu'à    son   obéissance    réduisit    Guyenne    et 

Normandie , 
Quelque  chose  qu'Anglais  ou  Normand  dît. 

Près  de  lui  je  vis,  sur  un  cheval  marchant 

fièrement, 
Une  femme  qui  était  d'un  harnais  luisant  ar- 
mée. 
Elle  ne  ressemblait  pas  à  un  écolier  ou  à  un 

marchand  ; 
Mais  elle  était  robuste  et   par  prouesse  en- 
durcie ; 
Je  m'ébahis  de  voir  une  femme  affermie 
Et  d'un  si  grand  cœur,  qui  les  gens  incitait 
A  donner  sur  l'ennemi  et  un  chacun  pous- 
sait 
A  guerroyer,  comme  si  toujours  elle 
Tenait  en  sûreté  les  soldats  sous  son  aile. 

Elle  n'avait  pas  une  quenouille  attachée  au 
côté , 

Mais  une  épée  bonne  pour  piquer  et  se  dé- 
fendre ; 

Fuyant  le  repos  et  la  longue  oisiveté 

Où  volontiers  cœur  de  femme  se  complaît. 

Elle  n'entend  à  autre  affaire 

Qu'à  disposer  ses  gens  et  mouvoir  ses  ba- 
taillons. 

D'où  je  connus  que  c'était ,  en  toute  vérité  , 

Selon  son  histoire  et  sa  manière  d'être  au- 
thentique, 

La  Pucelle,  par  miracle  suscitée. 


La  Pucelle,  par  miracle  trouvée. 

Cette  même  métamorphose  du  caractère  de  Jeanne,  qui,  de  plus,  durant 
le  siècle  suivant,  fut  fardé  du  coloris  classique  et  mythologique  dont  usè- 
rent et  abusèrent  les  hommes  de  la  Renaissance,  nous  apparaît  comme 
tristement  achevée  dans  un  grand  nombre  de  pièces  du  Recueil  publié 
par  les  soins  de  Charles  du  Lj's  «  de  plusieurs  inscriptions  composées 
par  diverses  personnes  pour  estre  mises  tant  sous  l'Image  de  la  Croix  et  de 
la  Vierge  Marie,  que  sous  les  statues  du  roy  Charles  VII  et  de  la  Pucelle 
de  France,  qui   sont  eslevées  sur  le  Pont  de    la  ville  d'Orléans  dès    l'an 


ECLAIRCISSEMENTS. 


TkLlS  JR ARMA  FVIT  BELLACI  SCHEMATE  VIRGO. 


Tunnaîc  audentesffnUi:si  taie  tenehat^ 
Palladium  titubaiisTroia^^ercnnis  erat. 


Fis.  -'-•  —  '-^  Pucellc,  gravure  sur  cuivre  de  Léonard  Gaultier,  datée  de  iiii2.  Tirée  du  Recueil  de 
Charles  du  Lys;  Paris,  Edme  Martin,  1628,  in-4''.  —  On  lit  autour  de  la  gravure  des  légendes  latines 
qui  signifient  :  •  Jeanne  d'Arc,  vulgairement  appelée  la  Pucelle  d'Orléans.  —  Telle  se  précipite  au  combat 
cette  vierge  dans  cet  appareil  guerrier.  —  Combattez,  vaillants  Français;  si  Troie  chancelante  avait  eu 
un  pareil  Palladium,  elle  aurait  éternellement  subsisté.  » 

MCCCCLVIII.   »  Voici,  entre  autres,  une  épigramme  bien   ridicule  de 
Malherbe  : 


L'ennemy  tous  droits  violant, 
Belle  Amazone  en  vous  bruslant , 
Témoigna  son  ame  perfide; 


Mais  le  destin  n'eut  point  de  tort 
Celle  qui  vivait  comme  Alcide, 
Devoit  mourir  comme  il  est  mort. 


JEANNE   n'ARC   DANS   LES   LETTRES 


44' 


Fig.  21 3.  —  La  Pucelle,  gravure  de  Charles  David,  communiquée  par  M.BoucherdeMolandon,  à  Orléans, 
XVII*  siècle.  La  gravure  est  accompagnée  des  vers  de  Malherbe  cités  à  la  page  précédente,  et  qui  carac- 
lérisent  bien  le  dix-septième  siècle. 


JEANNE   d'arc.   III.   —     56 


44»  ECLAIRCISSEMENTS. 


Le  même  recueil  nous  fournit  encore  un  huitain  signé  «  Malherbe,  >-  plus 
raisonnable  que  le  sixain,  et  qui,  s'il  l'a  précédé  dans  la  réalité  comme  il 
le  précède  dans  le  livre,  aurait  bien  dû  rcmpccher  de  se  produire.  Voici 
ce  huitain  : 

Passans,  vous  trouvez  à  redire  La  raison  qui  vous  doit  suffire , 

Qu'on  ne  void  icy  rien  gravé  C'est  qu'en  un  miracle  si  haut, 

De  l'acte  le  plus  relevé  II  est  meilleur  de  ne  rien  dire, 

Que  jamais  l'histoire  ayt  fait  lire  ;  Que  ne  dire  pas  ce  qu'il  faut. 

Nous  relevons  dans  le  recueil  de  Charles  du  Lys  un  quatrain  de  ma- 
demoiselle de  Gournay  : 

Pourquoy  portes-tu,  je  te  prie.  Cet  œil  mignarde  ma  patrie. 

L'œil  doux,  et  le  bras  foudroyant?  Ce  bras  chasse  l'Anglois  fuyant. 

M.  Quicherat  cite  et  admire  dans  ses  Aperçus  nouveaux  unj  autre  ver- 
sion de  ce  quatrain,  qui  semble  en  effet  préférable.  Cette  seconde  version 
faite ,  selon  le  savant  éditeur,  pour  un  portrait  figurant  dans  la  galerie 
du  cardinal  de  Richelieu,  est  un  heureux  remaniement  de   la  première  : 

Peux-tu  bien  accorder,  vierge  du  ciel  chérie, 
Cet  oeil  plein  de  douceur  et  ce  glaive  irrité? 
—  Mon  regard  attendri  caresse  ma  patrie 
Et  ce  glaive  en  fureur  lui  rend  sa  liberté  '. 

Nous  empruntons  enfin  au  mènie  recueil  une  petite  pièce  qui,  surtout 
par  comparaison,  nous  semble  d'un  sentiment  juste  et  d'une  expression 
naturelle  et  forte.  Elle  est  signée  «  le  Clerc,  sieur  de  la  Forest  :  » 

Dieu  s'est  servy  de  moy,  qui  n'estois  que  Bergère 
Pour  restablir  Testât  de  la  France  abbatu, 
Plustost  que  d'une  main  furieuse  et  guerrière, 
Pour  monstrer  que  par  moy  luy  seul  a  combatu. 


1  Dans  les  notes  de  leur  troisième  édition  de  Tallemant  des  Réaus,  .M.M.  de  Montmcrquc  et  P.  Paris 
donnent  une  version  un  peu  différente  : 

Peux-tu  bien  accorder,  vierge  du  ciel  chérie,  La  Douceur  de  mes  yeux  caresse  ma  patrie 

La  douceur  de  tes  yeux  et  ce  glaive  irrité  ?  Et  ce  glaive  en  fureur  lui  rend  sa  liberté. 

C'est  à  l'obligeance  de  M.  de  Bouteiller  que  nous  devons,  entre  autres  communications,  celle  du  re- 
cueil de  Charles  du  Lys,  où  il  nous  a  signalé  la  première  version  du  quatrain  de  mademoiselle  de 
Gournay. 


JEANNE   D'ARC    DANS    LES   LETTRES. 


443 


La  transformation  née  du  caractère  de  la  dame  des  Armoises,  si  mal  à 
propos  attribué  à  la  vierge  de  Doniremy,  et  couvert  au  s;izième  siècle  d'un 
vernis  classique  et  m3fthologique;  celle  que  la   banalité  de  l'époque  fausse- 


Fig.  214.  —  Frontispice  du  poëme  de  Cluipelain  :  /,ii  Pucclle.  un  la  France  délivrée.  In-12,  Paris,  Au- 
guste Courbé,  i656.  —  La  Pucelle  relève  la  France  aflaissée,  les  léopards  et  les  vaissaux  anglais  pren- 
nent la  fuite;  deux  anges  tenant  l'un  une  couronne,  l'autre  deux  fleurs  de  lis,  reproduisent,  avec  l'é 
pée  de  la  Pucelle,  la  disposition  des  pièces  de  ses  armes. 


ment  virgilicnne  avait  dès  le  principe  produite,  comme  nous  l'avons  vu, 
dans  la  poésie  latine  :  ces  deu.\  métamorphoses  s'unirent  de  façon  à  n'en 
plus  faire  qu'une,  et  en  y  joignant  une  mauvaise  imitation  du  Tasse  et  de 
l'école  chevaleresque  italienne ,  en    recouvrant   le   tout  d'un  style  sérieuse- 


4.J4'  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


ment  grotesque  et  où  Fabsurde  éclate  çà  et  là  naturellement,  cette  double 
transformation  produisit  le  poëme  de  Chapelain.  Il  serait  injuste  pourtant 
de  ne  pas  tenir  compte  à  ce  dur  et  infortuné  rimeur  de  sa  sincère  admira- 
tion ,  de  son  réel  enthousiasme  pour  la  Pucelle  ;,  de  son  effort  pour  suivre 
l'histoire  dans  la  disposition  assez  habile  de  son  poëme;  de  la  place  qu'il  y 
a  faite  au  surnaturel  chrétien,  en  dépit  des  théories  qui  triomphaient  ou 
qui  allaient  triompher  à  son  époque;  de  quelques  lignes  d'un  très-grand 
sens  dans  une  dédicace  d'ailleurs  inouïe ,  et  dans  l'ouvrage  lui-même,  de 
beaucoup  de  nobles  pensées,  d'un  certain  nombre  de  beaux  vers,  et  si 
étrange  que  cela  paraisse,  de  quelques  traits  qui  vont  jusqu'au  sublime,  et 
qui  ne  semblent  pas  néanmoins  avoir  plus  coûté  à  la  verve  rocailleuse  de 
Chapelain,  que  la  platitude  habituelle  où  se  dressent  çà  et  là  ses  énormités 
saugrenues.  Le  poëme  commence  ainsi  '  : 

Je  chante  la  Pucelle  et  la  sainte  vaillance 
Qui  dans  le  point  fatal,  où  perissoit  la  France, 
Ranimant  de  son  Roy  la  mourante  vertu, 
Releva  son  Estât,  sous  l'Anglois,  abbatu. 
Le  Ciel  se  courrouça,  l'Enfer  émut  sa  rage. 
Mais ,  par  son  zèle  ardent  et  son  masle  courage. 
Triomphante  Martyre,  au  bûcher  comme  aux  fers. 
Elle  fléchit  les  Cieux  ,  et  domta  les  Enfers. 

Ames  des  premiers  Corps,  Pères  de  l'Harmonie, 
Messagers  des  Décrets  de  l'Essence  infinie. 
Légions  qui  suyvés  l'éternel  estandard , 
Et  qui,  dans  ce  grand  Œuvre,  eustes  si  grande  part  ; 
Pour  mieux  faire  éclater  la  Guerrière  Houlette, 
Faites  prendre  à  ma  voix  l'éclat  de  la  Trompette, 
Eschauffés  mon  esprit,  disposés  mon  Projet, 
Et  rendes  mon  haleine  égale  à  mon  Sujet 

La  prière  de  Charles  VII  amène  une  peinture   du  ciel,  qui  doit  compter 
parmi  les  plus  beaux  morceaux  de  la  langue  française  : 

Loin  des  Murs  flamboyans,  qui  renferment  le  Monde, 
Dans  le  centre  caché  d'une  clarté  profonde , 
Dieu  repose  en  luy-mesme,  et  vestu  de  splendeur 
Sans  bornes  est  remply  de  sa  propre  grandeur. 


1  Je   conserve  ici  l'orthographe   et   la  ponctuation  du   temps  :  on   peut  considérer  l'une   et  l'autre 
comme  faisant  pour  ainsi  dire  partie  de  la  physionomie  de  Chapelain. 


JEANNE  D'ARC  DANS   LES  LETTRES.  445 


Une  triple  Personne  en  une  seule  Essence, 
Le  suprême  Pouvoir,  la  suprême  Science, 
Et  le  suprême  Amour,  unis  en  Trinité, 
Dans  son  règne  éternel  forment  sa  Majesté. 
Neuf  corps  d'Esprits  ardens,  de  Ministres  fidèles, 
Devant  l'Estre  infiny,  soustenus  sur  leurs  ailes. 
Dans  un  juste  concert  de  differens  degrés 
Chantent  incessamment  des  cantiques  sacrés. 
Sous  son  throsne  estoillé.  Patriarches,  Prophètes, 
Apostres,  Confesseurs,  Vierges,  Anachorètes, 
Et  ceux  qui,  parleur  sang,  ont  cimenté  la  Foy, 
L'adorent  à  genoux,  saint  Peuple  du  saint  Roy.... 


Fidèle  ici  tout  ensemble  à  la  \'critc  historique  et  théologique,  Chapelain 
représente  la  sainte  Vierge  intercédant  pour  la  France,  dont  Dieu  lui 
promet  le  salut.  Le  Très-Haut  annonce  la  mission  que  l'archange  Michel 
doit  révéler  à  la  jeune  bergère ,  destinée  à  être  Tinstrument  de  sa  miséri- 
corde sur  les  Français  et  sur  leur  roi.  La  peinture  de  la  vision  de  Jeanne 
est  un  curieu.x  mélange  de  grandeur  et  d'absurdité  : 

Sur  le  Lion  bruslant  l'Astre  de  la  lumière 
Marchoit  avec  lenteur  dans  sa  longue  carrière, 
Et  raccourcissant  l'ombre ,  en  rallongeant  le  jour, 
Eclairoit  aux  mortels,  du  plus  haut  de  son  tour. 
L'Ange ,  en  ce  mesme  temps ,  vient  d'une  aile  légère 
Porter  le  grand  message  à  la  sainte  Bergère , 
De  pompe  revestu ,  de  splendeur  couronné , 
Et  d'un  globe  de  feu  par  tout  environné. 
Plus  pront  que  n'est  l'éclair,  qui  prévient  le  tonnerre , 
De  sphère  en  sphère  il  passe,  et  descend  vers  la  terre; 
Le  Monde  voit  sa  cheute  avec  estonnement , 
Et  croit  que  le  Soleil  tombe  du  Firmament. 

Ainsi,  lorsque  la  Nuit  couvre  tout  de  son  voile, 
On  apperçoit  souvent  une  brillante  Estoillé 
Se  détacher  du  Ciel,  et,  se  précipitant, 
Tracer  l'air  ténébreux  d'un  sillon  éclatant. 

Il  tombe  sur  le  bois,  où  la  Fille  médite  : 
L'ombrage  s'en  esloigne,  et  ces  flammes  évite. 
Il  n'est  tronc,  ni  rameau,  qui  n'en  semble  doré. 
Et  le  fort  le  plus  noir  en  demeure  éclairé. 
Ce  nouvel  accident  interrompt  sa  prière; 
De  frayeur  elle  tremble,  et  siUe  la  paupière; 
Ses  yeux  perdent  le  jour,  à  force  de  clarté , 
Et  d'un  trouble  inconnu  son  cœur  est  agité. 


446  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


Du  globe  lumineux,  qui  brille  autour  de  l'Ange, 
Sort  une  voix  alors,  mais  une  voix  estrange, 
Dont  le  son  plus  qu'humain  et  les  graves  accens 
Luy  pénètrent  l'esprit,  et  ravissent  les  sens. 

Bergère,  dit  la  voix,  Pucelle  juste  et  sainte , 
Calme  ton  tremblement,  et  dissipe  ta  crainte; 
Du  Monarque  Eternel  je  suis  l'Ambassadeur, 
Et  te  viens  annoncer  ta  future  grandeur. 
Aujourd'huy  par  ton  bras  l'auguste  Providence 
Veut  redonner  la  vie  aux  Peuples  de  la  France , 
Et,  pour  leur  bien  monstrer  qu'ils  la  doivent  aux  Cieux, 
Te  vient  tirer  du  fond  de  ces  sauvages  lieux. 
Ton  bras  sera  le  bras  du  grand  Dieu  des  Armées  ; 
L'Anglois  verra  par  toy  ses  forces  consumées, 
Orléans  déploré  s'affranchira  par  toy , 
Et  par  toy  Rheims  verra  le  Sacre  de  son  Roy. 
A  ces  faits  merveilleux  prépare  ton  courage; 
La  gloire  du  Très-Haut  luira  sur  ton  visage  ; 
Et ,  sa  vertu  guerrière  animant  ta  vertu , 
Fera  mordre  la  terre  à  l'Anglois  abbatu. 

La  Fille,  à  ces  grands  mots,  oppos2  sa  foiblesse. 
Ne  peut,  ni  ne  veut  croire  à  la  haute  promesse. 
Et  se  renfermant  toute  en  son  humilité, 
S'anéantit  aux  yeux  de  la  Divinité. 

Mais  l'Ange  qui  l'observe ,  et  connoist  sa  pensée  : 
Ton  âme,  en  vain,  dit-il,  est  icy  balancée; 
Dieu ,  le  Dieu  des  combats ,  t'ordonne  par  ma  voix , 
De  partir,  d'attaquer,  et  de  vaincre  l'Anglois. 
Puis,  d'un  céleste  feu  l'ombrageant  toute  entière, 
Luy  souffle  du  Seigneur  la  puissance  guerrière, 
Luy  fait,  dans  les  regards,  éclater  sa  terreur. 
Et  luy  met,  dans  les  mains,  les  traits  de  sa  fureur. 
Dans  le  sein  à  grands  flots  il  luy  respandses  grâces; 
Il  luy  fait  desdaigner  les  entreprises  basses, 
Et,  la  déterminant  aux  actes  valeureux, 
Luy  donne  un  avant-goust  du  sort  des  Bien-heureux. 

Le  jour  s'esteint  alors,  et  le  lieu  solitaire 
Demeure  dans  l'horreur  de  sa  nuit  ordinaire; 
Le  silence  y  retourne,  et  son  ombrage  espais 
Redevient  le  séjour  du  calme  et  de  la  paix. 
Elle  voit  le  désert  tout  semblable  à  luy-mesme; 
Mais  elle  sent  en  elle  un  changement  extresme; 
De  cette  nouveauté  son  esprit  est  confus. 
Elle  se  cherche  en  elle,  et  ne  s'y  trouve  plus 

Le    poëme  de  Chapelain  n'a  pas  été  sans  influence  sur  l'œuvre  qu'un 


JEANNE  D'ARC  DANS   LES   LETTRES.  447 

poëte  anglais,  Robert  Southcy ,  consacra  dans  les  dernières  années  du  dix- 
huitième  siècle  à  la  mémoire  de  la  vierge  de  Domremy.  Southey  a  fait  à  la 
suite  de  sa  préface  une  analyse  détaillée,  avec  de  nombreuses  citations,  de 
Touvrage  de  Chapelain,  tandis  qu'il  déclare,  avec  une  noble  énergie,  n'être 
point  coupable  d'avoir  lu  jamais  l'œuvre  honteuse  par  laquelle  un  autre 
poëte  français,  traduisant  dignement  dans  ses  vers  ses  doctrines  et  sa  con- 
duite, venait  d'insulter  tout  à  fois  au  patriotisme,  à  la  religion,  à  la 
pudeur'. 

Il  y  avait  encore  en  1 7()5  quelque  hardiesse  à  célébrer  en  Angleterre 
l'héroïsme  de  Jeanne  et  ses  victoires,  et  le  poëte  fut  accusé  de  manquer  de 
patriotisme,  reproche  qu'il  avait  ainsi  repoussé  par  avance  :  «  lia  été  établi 
comme  une  règle  nécessaire  pour  le  poëme  épique ,  que  le  sujet  soit  national. 
J'ai  pris  tout  justement  le  contre-pied  de  cette  règle,  et  choisi  pour  sujet  de 
mon  poëme  la  défaite  des  Anglais.  Si  parmi  mes  lecteurs  il  en  est  un  qui 
puisse  désirer  le  succès  d'une  cause  injuste,  parce  que  son  pays  la  soutient, 
je  ne  désire  pas  l'approbation  de  cet  homme.  »  Il  montre  dans  sa  préface 
une  véritable  intelligence  des  conditions  du  sujet,  et  la  nécessité  de  s'a- 
tacher  à  suivre  l'histoire  le  plus  exactement  possible.  Par  malheur,  l'in- 
suffisance des  renseignements  qu'il  put  recueillir,  ses  préjugés  de  protestant 
philosophe  et  les  opinions  sociales  et  politiques  que  Southey  professait 
alors,  sous  l'influence  de  la  Révolution  française,  l'ont  égaré  hors  de  cette 
voie  droite  où  il  voulait  se  maintenir.  Son  œuvre  est  un  roman  historique 
en  vers,  dont  les  qualités  tiennent  aux  peintures  accessoires  et  non  au  sujet 
lui-même.  Le  caractère  de  Jeanne,  montrée  comme  une  héroïne  libre- 
penseuse,  romantique  et  socialiste,  et  dont  le  nom  est  en  un  endoit  bizar- 
rement rapproché  de  ceux  de  Brissot  et  de  madame  Roland,  le  caractère 
de  Jeanne  est  manqué  totalement.  On  peut  citer  pourtant  un  ou  deux 
endroits,  où  quelque  chose  de  la  vérité  se  retrouve  dans  les  beaux  vers  du 
poëte  anglais.  Ainsi  Baudricourt  ayant  dit  de  Jeanne  qu'elle  était  folle  ou 
possédée  ,  la  Pucelle  s'écrie  : 

«  Je  ne  suis  pas  folle.  Possédée,  en  vérité,  je  le  suis  !  La  main  de  Dieu  est  fortement  sur 
mon  âme,  et  j'ai  lutté  vainement  avec  le  Seigneur,  dans  l'opiniâtreté  de  ma  crainte.  Je 

1  «  I  hâve  never  been  guilty  of  rcading  tlie  PuccUc  of  Voltaire,  »  Jit  Southey. 


44»  ECLAIRCISSEMENTS. 


puis  sauver  ce  pays,  seigneur,  je  puis  délivrer  la  France.  Oui,  il  faut  que  je  sauve  ce  pays  ! 
Dieu  est  en  moi.  Je  ne  parle,  ni  ne  pense,  ni  ne  sens  de  moi-même.  Dieu  m'a  vue  et  sancti- 
fiée avant  ma  naissance,  il  m'a  destinée  pour  les  nations,  et  là  où  il  m'envoie,  il  faut  que 
j'aille  ;  les  paroles  qu'il  me  commande,  il  faut  que  je  les  dise;  ce  qu'il  voudra,  il  faut  que  je 
l'accomplisse;  et  cela  tout  à  fait  sans  crainte  dans  la  plénitude  de  ma  foi,  parce  que  le  Sei- 
gneur est  avec  moi.  >■ 

Voici  la  scène  de  Chinon. 

■'  Bientôt  la  cour  est  réunie  ;  la  couronne  ornée  de  pierreries  brille  sur  la  tête  d'un  cour- 
tisan. Parmi  la  foule  se  tient  le  monarque,  et  anxieux  sur  l'événement  son  cœur  bat  fort. 
Elle  vient,  la  Pucelle  inspirée,  et  comme  le  bâtard  (d'Orléans)  la  conduisait  vers  le  trône, 
elle  jette  seulement  un  rapide  regard  sur  la  Majesté  fictive,  et  fixe  en  plein  son  œil  sur 
Charles:  ■<  Tu  es  le  Roi.  Je  viens,  moi  la  vengeresse  envoyée  du  ciel,  qui  tiens  l'arme  cour- 
••  roucée  de  laquelle  sort  la  mort.  Paralvsés  en  leurs  cœurs  féroces  par  le  bras  de  Dieu,  loin, 
'•  loin  d'Orléans  les  loups  anglais  hâteront  leur  désastreuse  fuite.  Monarque  de  France,  envoie 
"  ces  bonnes  nouvelles  à  travers  ton  royaume  ravagé.  La  Pucelle  est  venue,  la  Pucelle 
"  missionnaire,  de  qui  la  main  doit  dans  les  murs  consacrés  de  Reims  te  couronner,  toi 
'■   le  Roi,  l'oint  du  Seigneur.  >■ 

Le  di.\-neuvième  siècle  sera  pour  la  mémoire  de  la  Pucelle  l'âge  de  la 
glorification  raisonnée  et  définitive.  A  côté  de  Tœuvre  accomplie  par  la 
science  et  la  critique  la  poésie  a  voulu  faire  aussi  la  sienne.  On  ne  pourra  , 
certes,  l'accuser  d'avoir  été  en  ce  siècle  avare  d'hommages  et  de  chants  pour 
Jeanne  d'Arc  :  elle  a  même  été  trop  prodigue.  Les  innombrables  poëmes 
consacrés  à  la  Pucelle  sous  le  premier  empire  i  fig.  2 1 5)  ,  la  Restauration  et 
les  divers  régimes  qui  se  sont  succédé  jusqu'à  nos  jours  appartiennent,  sauf 
de  rares  exceptions ,  au  genre  qu'on  peut  dire  illisible.  Classiques  ou  roman- 
tiques, ils  sont  également  fastidieux.  On  nous  permettra  de  ne  nous  point 
plonger  dans  cet  océan ,  où  ça  et  là  seulement  on  voit  quelques  auteurs 
surnager  à  tort  ou  à  droit.  Les  vers  ont  leur  destinée.  Celle  du  plus  grand 
nombre  est  d'être  oubliés  dès  leur  naissance,  aussi  justement  que  le  furent 
ceux  du  sieur  H....,  de  Bordeaux,  membre  correspondant  de  l'Athénée  de 
la  langue  française ,  qui  publia  en  1 809  Jeanne  D.vx  '  surnommée  la  Pucelle 
d'Orléans,  poëme  héroïque  en  six  chants,  dont  voici  le  premier,  le  second , 
le  cinquième  et  le  sixième  vers  : 

L'homme  a  reçu  du  ciel  la  valeur  en  partage, 
La  femme  rarement  obtient  cet  avantage... 

1  L'auteur  écrit  ainsi,  sans  apostrophe. 


JEANNE  D'ARC   DANS   LES  LETTRES. 


449 


Fig.  2  1 5.  —  Jeanne  s'élance  au  combat  d'un  pas  rapide  et  résolu.  Statue  de  bronze,  de  Gois  fils,  érigée 
en  1804  à  Orléans.  —  Cette  statue  est  d'une  exécution  remarquable  ;  mais  l'expression  belliqueuse  et  la 
pose,  contraires  à  la  vérité  historique,  rappellent  l'époque  militaire  où  elle  fut  élevée  :  c'est  une  guer- 
rière qui  tire  sa  force  d'elle-même  et  de  son  épée,  rien  de  plus. 


Cependant  qilelquefois  on  voit  des  héroïnes 
Réunir  la  valeur  aux  grâces  féminines. 


JEANNE   U  ARC.   Ul.    — 


45o  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


Deux  des  Messénieitnes  de  Casimir  Delavigne  ont  pour  sujet,  l'une  la  vie, 
l'autre  la  mort  de  Jeanne  d'Arc.  On  peut  en  admirer  l'habile  versification 
et  le  souffle  lyrique,  mais  le  caractère  de  Jeanne  n'y  paraît  pas  bien  com- 
pris ;  l'enthousiasme  et  l'attendrissement  du  poëtc  ont  même  quelque  chose 
de  factice.  Pourtant  il  y  a  de  beaux  vers,  que  l'on  fait  figurer  dans  tous  les 
Morceaux  choisis,  et  qui  sont  trop  connus  pour  qu'il  nous  soit  permis  de 
les  négliger  : 

Du  Christ  avec  ardeur  Jeanne  baisait  l'image; 
Ses  longs  cheveux  épars  flottaient  au  gré  des  vents  : 
Au  pied  de  l'échafaud ,  sans  changer  de  visage, 
Elle  s'avançait  îl  pas  lents. 

Tranquille,  elle  y  monta  ;  quand,  debout  sur  It;  faite. 
Elle  vit  ce  bûcher  qui  l'allait  dévorer. 
Les  bourreaux  en  suspens,  la  flamme  déjà  prête; 
Sentant  son  cœur  faillir,  elle  baissa  la  tète. 
Et  se  prit  à  pleurer. 

Ah  !  pleure,  fille  infortunée  ! 
Ta  jeunesse  va  se  flétrir, 
Dans  sa  fleur  trop  tôt  moissonnée  ! 
Adieu,  beau  ciel,  il  faut  mourir... 

Tu  ne  reverras  plus  tes  riantes  montagnes, 

Le  temple,  le  hameau,  les  champs  de  Vaucouleurs , 

Et  ta  chaumière  et  tes  compagnes. 
Et  ton  père  expirant  sous  le  poids  des  douleurs... 

Après  quelques  instants  d'un  horrible  silence, 
Tout  à  coup  le  feu  brille,  il  s'irrite,  il  s'élance... 
Le  cœur  de  la  guerrière  alors  s'est  ranimé  : 
A  travers  les  vapeurs  d'une  fumée  ardente, 

Jeanne,  encore  menaçante, 
Montre  aux  Anglais  son  bras  à  demi  consumé. 

Pourquoi  reculer  d'épouvante. 

Anglais?  son  bras  est  désarmé. 

La  flamme  l'environne,  et  sa  voix  expirante 

Murmure  encore  :  ■■  O  France!  ô  mon  roi  bien  aimé!...   » 

Dans  les  Annales  romantiques  de  l'année  i832  nous  trouvons  un  mor- 
ceau assez  peu  connu  d'un  très-honorable  et  très-classique  poète,  M.  Bi- 
gnan.  Il  est  intitulé  Jeanne  cTArc,  ou  l'Inlerfog-aloire.  Malgré  un  bon 


JEANNE   D'ARC  DANS    LES   LETTRES. 


nombre  de  fausses  notes,  le  ton  général  est  assez  juste,  et  la  diction  est 
simple  et  ferme.  Il  y  a  telle  réponse  de  Jeanne  qu'eu  égard  aux  difficultés 
de  notre  versification  on  aurait  peine  à  mieu.x  rendre  : 

Un  silence  profond  dans  l'assemblée  immense 

S'étend;  l'évêque  parle  et  le  crime  commence  : 

«  Dis  ton  nom.  —  Jeanne  d'Arc.  —  Ton  âge?  —  Dix-neuf  ans. 

—  Ton  pays?  —  Domrémi.  —  Le  sort  de  tes  parents? 

—  Laboureurs.  —  Quand  r.\nglais  vint  apporter  la  guerre, 
Quels  travaux  t'occupaient  dans  les  champs  de  ton  père? 

—  Je  gardais  ses  troupeau.K,  je  priais...;  quelquefois 
Je  couronnais  de  fleurs  Notre-Dame  des  Bois. 

—  Pourquoi,  sans  son  aveu,  fuyant  son  toît  de  chaume, 
Pourquoi  l'as-tu  quitté  ?  —  Pour  sauver  le  royaume. 

—  Pourquoi ,  bravant  de  Dieu  les  saints  commandements  , 
As-tu  pris  des  combats  l'arme  et  les  vêtements? 

—  Pouvais-je  conserver  les  robes  d'une  femme  ? 
L'audace  d'un  soldat  palpitait  dans  mon  âme. 

—  Qui  cherchais-tu?  —  Mon  roi.  —  Qui  t'inspirait  ?  —  Mon  Dieu. 

—  Quelles  voix  t'ont  parlé?  dans  quel  temps?  dans  quel  lieu? 

—  Partout,  se  révélant  sous  leur  forme  divine, 
L'auguste  Marguerite  et  sainte  Catherine 
M'ordonnaient  de  m'armer,  de  courir  aux  Anglais, 
Et  de  rendre  au  Dauphin  son  trône  et  son  palais. 
J'ai  combattu,  fidèle  à  leur  ordre  céleste; 

Vous  savez  ma  conduite  et  Charle  sait  le  reste. 

—  Quels  secrets  connaît-il?  —  Allez  l'interroger. 

—  Quand  parliez-vous  ensemble?  —  Au  moment  du  danger. 

—  Le  jour  où  l'huile  sainte  a  coulé  sur  sa  tête. 
Dans  Reims,  ton  étendard  assistait  à  la  fête? 

—  Comme  il  fiât  à  la  peine ,  il  dut  être  à  l'honneur. 

—  De  qui  l'as-tu  reçu?  —  Je  le  tiens  du  Seigneur. 

—  .A.s-tu  dans  ce  drapeau  placé  ton  espérance? 

—  Je  n'espère  qu'en  Dieu.  —  Dieu  chérit-il  la  France? 

—  Oui.  —  Pourtant  aux  Anglais  son  courroux  te  livra. 

—  Jeanne  d'Arc  peut  mourir,  mais  la  France  vivra...  » 

Quelques  vers  de  madame  Louise  Colet  dans  son  poëme  sur  le  Musée 
de  Versailles ,  couronné  en  1839  par  l'Académie  française,  méritent  aussi, 
ce  me  semble,  de  n'être  pas  oubliés,  parmi  les  vers  consacrés  à  la  gloire 
de  la  Pucelle  : 

Là,  parmi  les  héros  dont  elle  est  entourée , 
Pensive,  apparaissait  cette  vierge  inspirée 


452  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


Qui  ravit  la  victoire  à  l'Anglais  triomphant , 
Et  diilivra  la  France  avec  un  bras  d'enfant. 

C'était  une  blanche  statue, 
Vierge  guerrière  revêtue 
De  l'armure  des  anciens  rois  : 
Fille  pudique  au  front  céleste , 
A  l'œil  fier,  au  souris  modeste, 
Femme,  héros  tout  à  la  fois! 

Il  fallait  plus  qu'un  grand  artiste 
Pour  la  rendre  ainsi  calme  et  triste, 
Accomplissant  l'ordre  de  Dieu  ; 
11  fallait  l'art  et  la  croyance  : 
L'âme  d'une  fille  de  France 
A  réuni  ce  double  feu  ; 

Et  de  ses  mains  s'est  échappée 
Jeanne  d'Arc,  pressant  son  épée 
Sur  son  cœur  virginal  et  fort , 
Qui  sous  la  voix  de  Dieu  tressaille. 
Mais  qui  sait,  au  champ  de  bataille, 
Intrépide,  braver  la  mort. 

En  1S4G  vit  le  jour  une  grande  composition  d'Alexandre  Soumet,  in- 
titulée Jeanne  d'Arc,  trilogie  nationale  dédiée  à  la  France.  Cette  trilogie 
comprend  une  idylle  :  Jeanne  d'Arc  berg'ere  ;  une  épopée  :  Jeanne  d'Arc 
guerrièi-e  ;  et  une  ti-agvdie  :  Jeanne  d'Arc  marlj-re  ;  plus  vm  prologue  et 
un  épilogue.  La  tragédie  avait  été  représentée  non  sans  succès  sous  la 
Restauration.  L'idylle  et  l'épopée  forment  un  roman  bizarre,  où  la  fantaisie 
de  l'auteur  et  sa  facilité  l3Tique  également  exubérantes  se  sont  donné 
libre  carrière.  L'ensemble  est  en  dehors  du  bon  goût  et  de  la  vérité  litté- 
raire, comme  de  la  vérité  historique,  essentielle  ici.  Quelques  morceaux 
pourtant  donnent  l'idée  de  la  façon  dont  le  sujet  pourrait  être  traité  par  un 
grand  poëte.  Ce  sont  ceux  où  Soumet,  qui,  à  défaut  de  génie,  avait  beaucoup 
de  talent,  s'est  tenu  le  plus  près  de  l'histoire,  en  s'efforçant  de  la  traduire 
en  termes  simples  et  nobles.  Tel  est  par  exemple  le  récit  des  entrevues  de 
Jeanne  avec  Baudricourt ,  dont  malheureusement  la  citation  jointe  aux  autres 
serait  un  peu  longue.  Voici  le  début  du  chant  premier  : 

Oh  !  que  la  destinée  a  d'étranges  secrets  ! 
Il  s'était  rencontré  dans  nos  vieilles  forêts. 


JEANNE  D'ARC  DANS  LES   LETTRES. 


453 


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454  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


Tandis  que  nous  étions  sujets  de  l'Angleterre, 

Une  vierge  semblable  à  celle  de  Nanterre. 

Ses  regards  étaient  pleins  d'une  sainte  langueur, 

Chastes  comme  sa  vie  et  doux  comme  son  cœur. 

Les  bergères,  ses  sœurs,  faisaient  d'elle,  à  leurs  veilles, 

Des  récits  tout  empreints  d'innocentes  merveilles. 

Pour  son  pauvre  pays,  depuis  ses  premiers  jours, 

Elle  priait,  priait  comme  on  aime,  et  toujours. 

Une  voix  lui  parla  dans  la  forêt  des  chênes  : 

Elle  ceignit  le  fer,  partit,  brisa  nos  chaînes  ! 

Ensuite  elle  tomba  dans  les  mains  des  méchants  ; 

Le  bûcher  s'alluma  pour  la  fille  des  champs  : 

Elle  y  monta...  sa  cendre  au  fleuve  fut  jetée. 

Et,  trois  siècles  après,  Voltaire  l'a  chantée. 

Ce  dernier  vers   est  admirable  dans  son  énergique   simplicité.    Voici  la 
scène  de  Chinon  : 

Vers  le  jeune  Dauphin,  qu'elle  ne  connaît  pas, 
La  Bergère,  sans  guide,  ayant  porté  ses  pas, 
Se  prosterne  et  lui  dit ,  de  la  foule  suivie  : 
<>  Gentil  roi,  que  le  ciel  vous  donne  heureuse  vie! 
—  Je  ne  suis  pas  le  roi  que  vous  cherchez  ici. 
Et  montrant  un  seigneur  de  sa  cour  :  Le  voici. 
Répond  Charle. 

—  Eh  !  mon  Dieu  !  c'est  vous  !  non  pas  un  autre. 
Je  n'ai  pas  vu  de  roi,  mais  vous  êtes  le  nôtre, 
Reprit-elle  ;  cessez  de  m'éprouver  enfin. 
De  par  le  Roi  du  ciel,  salut,  noble  Daui)hin. 
J'ai  nom  Jeanne  la  Vierge.  Une  voix  bien  connue 
M'a  dit  de  vous  chercher,  prince...  et  je  suis  venue. 
Dieu  vous  mande  par  moi  que  dans  Reims  délivré , 
Vous,  son  vrai  lieutenant,  devez  être  sacré.... 

.Teanne  raconte  sa  première  vision  à  Charles  \'II  en  termes  beaucoup 
trop  romantiques  : 

Dès  l'âge  de  treize  ans ,  du  côté  de  l'église, 
Gentil  Dauphin ,  j'avais  entendu  mainte  fois 
A  travers  les  rameaux  venir  de  saintes  voix. 
Et  ces  voix  me  disaient,  —  souvenir  adorable! 
Que  pour  avoir  un  jour  la  paix  inaltérable. 
Il  fallait  rester  pure  ;  et  de  grandes  clartés 
Venaient  à  la  même  heure  et  des  mêmes  côtés. 
J'attendais  ce  moment  avec  beaucoup  de  joie  : 
On  aime  à  voir  venir  ce  que  Dieu  nous  envoie  ! 


JEANNE  D'ARC   DANS   LES  LETTRES.  455 


Quelquefois  de  ces  voix  j'étais  intimidée; 

Mais  leurs  sages  conseils  m'ont  toujours  bien  guidée. 

Un  jour,  —  j'en  tremble  encore  et  d'extase  et  d'effroi  !  — 

Un  jour  que ,  priant  Dieu  pour  la  France  et  le  roi , 

J'ornais  de  frais  rameaux  l'église  du  village, 

—  Me  croirez-vous?...  —  je  vis  resplendir  le  feuillage , 

Et  dans  l'air  s'avancer,  à  travers  le  vieux  mur, 

Monseigneur  saint  Michel  sous  un  manteau  d'azur. 

Du  glaive  flamboyant  sa  main  était  chargée. 

Son  aile,  blanche  et  grande  et  d'or  toute  frangée, 

Se  déployait  en  arc ,  et  sur  son  front  béni 

Reposait  le  rayon  du  bonheur  infini. 

Son  vol.  tout  lumineux,  quim'apparut  sans  voiles. 

Faisait  naître  en  passant  des  nuages  d'étoiles  ; 

11  brillait  à  mes  yeux,  pleins  de  ravissement, 

Comme  un  saphir  tombé  du  haut  du  firmament. 

Les  lis  que  Salomon  admirait,  dans  leur  gloire. 

Ont  un  éclat  moins  pur  que  sa  robe  de  moire; 

Les  airs  sont  moins  légers  que  ses  cheveux  flottants; 

Et  sa  voix  ressemblait  au  souffle  du  printemps, 

Lorsqu'il  glisse,  au  matin,  sous  les  branches  fleuries 

Des  tendres  amandiers,  bouquets  de  nos  prairies. 

Je  contemplai  longtemps,  muette  de  bonheur, 

L'archange  qui  venait  de  la  part  du  Seigneur; 

Et  quand  je  le  vis  fuir  aux  voûtes  éternelles , 

Je  lui  dis  en  pleurant  :  Prenez-moi  sur  vos  ailes...  >■ 

L'ouvrage  Je  Soumet  s'écarte  sensiblement  de  la  forme  traditionnelle  du 
poëme  épique,  tel  qu'on  l'avait  compris  et  pratiqué  en  France  depuis  le  sei- 
zième siècle.  Des  tentatives  analo<Tues  à  la  sienne  avaient  été  faites  avant  lui 
sur  le  même  sujet  '.  L'aspect  du  château  de  Chinon  lors  de  l'entrée  de 
Jeanne  d'Arc  pour  son  entrevue  solennelle  avec  Charles  VH,  est  rendu 
avec  une  certaine  vérité  poétique  dans  ce  passage  de  la  Mission  de  Jeanne 
d' Arc ,  chronique  en  vers,  par  M.  George  Ozaneaux  (i835)  : 


1  Le  temps  nous  manquerait  aussi  bien  que  respacc  si  nous  voulions  puiser  dans  tous  les  poèmes 
plus  ou  moins  épiques,  classiques  ou  romantiques,  composés  en  ce  siècle  sur  Jeanne  d'Arc,  avant  et 
depuis  celui  de  Soumet.  Nous  ne  pouvons  même  pas  les  énumérer.  11  est  juste  pourtant  de  mentionner 
tout  au  moins  celui  de  M.  Alexandre  Guillemin,  qui  a  consacré  une  grande  partie  de  sa  vie  si  laborieuse 
et  si  chrétienne  à  étudier  et  à  chanter  l'héroïque  vierge  de  France.  Une  troisième  édition  de  ce  poème 
a  été  publiée  récemment  (Tours,  imprimerie  de  Jules  Bouscrez,  1874,  in-12).  C'est  une  édition  pos- 
thume. —  Il  faut  aussi  nommer  du  moins  le  poème  que  l'auteur  d'une  Histoire  de  Jeanne  d'Arc  juste- 
ment estimée,  M.  Lebrun  des  Charmettes,  avait  publié  en  1S19,  quelque  temps  avant  son  œuvre  his- 
torique, sous  ce  titre  ;  VOrléanide. 


4b6  ECLAIRCISSEMENTS. 


Le  peuple  du  palais  encombrait  les  abords  : 
Les  cours,  les  escaliers,  les  vastes  corridors 
Étaient  pleins  de  varlets,  de  pages  et  de  gardes, 
Aux  larges  boucliers,  aux  longues  hallebardes; 
Partout  des  chevaliers  qui  devisaient  entre  eux, 
A  l'écart,  à  voix  basse,  ou  par  groupes  nombreux. 
De  la  salle  du  trône  enfin  la  porte  s'ouvre, 
On  nomme  Baudricourt  :  et  la  vierge  découvre 
Une  assemblée  immense,  où  d'avides  regards 
Sur  elle  en  un  moment  fondent  de  toutes  parts. 
Mais  à  d'autres  pensers  son  âme  est  tout  entière. 
Un  éclair  invisible  a  touché  sa  paupière; 
Elle  a  vu  d'un  coup  d'oeil,  et  sans  l'avoir  cherché. 
Le  Roi,  qui  dans  la  foule  à  dessein  s'est  caché. 
Elle  l'aborde,  et  dit  d'une  voix  résolue  : 
«  Charles,  gentil  Dauphin,  Jeanne  d'Arc  te  salue!  >■ 

Dans  les  Rimes  héroïques,  recueil  public  par  M.  Auguste  Barbier,  l'au- 
teur, des  ïambes ,  en  1843,  c'est-à-dire  un  peu  avant  que  la  grande  compo- 
sition de  Soumet,  publiée  seulement  après  sa  mort,  eût  vu  le  jour,  nous 
trouvons  ce  sonnet  consacre  à  Jeanne  d'Arc  : 

S'il  est  un  nom  vaillant  qui  soit  cher  à  la  France. 
Et  qui  du  temps  jaloux  doive  être  le  vainqueur, 
C'est  le  rustique  nom  de  la  femme  de  cœur 
Qui  foudroya  l'Anglais  des  lueurs  de  sa  lance. 

Lorraine  aux  brunes  mains,  aux  yeux  pleins  d'innocence. 
Qui  fis  si  grande  chose  avec  tant  de  candeur. 
Toi  qui  n'eus  qu'un  bûcher  pour  prix  de  ton  ardeur. 
Puissent  nos  plus  beaux  vers  être  ta  récompense! 

Que  tous  les  cœurs  chantants  deviennent  des  autels 
Où  ta  louange  éclate  en  hymnes  immortels  : 
Poètes ,  vengeons-la  des  bourreaux  détestables  ! 

Quand  le  bien  tombe  aux  pieds  du  crime  injurieux, 
I  C'est  aux  enfants  du  beau ,  comme  frères  pieux , 

A  réparer  du  sort  les  coups  épouvantables. 

Voici  un  autre  sonnet  dont  l'auteur  est  M.  le  comte  de  Puymaigre, 
connu  par  ses  beaux  travaux  sur  la  littérature  espagnole  du  mo\en  âge 
et  sur  les  chants  populaires  :  cette  petite  pièce  fait  partie  d'un  volume  tiré 
à  peu  d'exemplaires  et  intitule  Heures  perdues  (1866). 


JEANNE  D'ARC  DANS   LES   LETTRES.  437 


A  Jeanne  d'Arc. 

Qui  peut  sans  être  ému ,  vierge  sublime  et  pure. 
Penser  à  ta  grandeur,  à  ton  humilité , 
Se  dire  que  sans  toi ,  pauvre  bergère  obscure , 
Le  courage  français  allait  être  dompté  ! 

Nul  vice,  nulle  erreur  n'ont  jeté  la  souillure 
Sur  ton  nom  que  le  siècle  au  siècle  a  répété , 
Quel  guerrier  mieux  que  toi  sut  illustrer  l'armure? 
Quel  saint  eut  plus  que  toi  la  douceur,  la  piété  ? 

La  palme  et  le  laurier  ombragent  ton  histoire, 
Tu  reportais  à  Dieu  l'orgueil  de  la  victoire, 
Humble  dans  les  succès,  grande  dans  les  combats! 

En  toi  chacun  voyait  une  force  divine. 
Et  tu  fus,  si  du  ciel  tu  ne  descendais  pas , 
Digne  au  ciel  de  monter,  noble  et  chaste  héroïne! 

Un  recueil  récent  de  .M.  Théodore  de  Banville,  les  Exilés,  contient  une 
pièce  intitulée  la  bonne  Lorraine  et  datée  du  3o  mai  1872.  Nous  en  dé- 
tachons ces  quatre  vers,  où  l'un  des  plus  admirables  sentiments  de  Jeanne 
est  exprimé  : 

O  sainte,  ô  Jeanne  d'Arc,  toi  la  bonne  Lorraine, 
Tu  ne  fus  pas  pour  nous  avare  de  ta  peine. 
Devant  notre  pays  aveugle  et  châtié, 
Pastoure,  tu  frémis  d'une  grande  pitié 

Enfin,  nous  empruntons  quelques  strophes  d'un  beau  souffle  aux  A^ou- 
veaux  chants  du  soldat  de  M.  Paul  Déroulède  (iSyS).  La  pièce  a  pour 
sujet  la  statue  de  la  place  des  Pyramides  : 

cet  être  qui  plane , 

Ce  bras  levé,  ces  yeux  ravis, 
C'est  elle,  c'est  la  sainte  et  grande  Paysanne, 

Ta  Paysanne,  ô  mon  Pays  ! 

Ah  !  quel  présage  ardent  que  cette  époque  sombre , 

Quel  avenir  que  ce  passé  ! 
Quand  vaincu  par  la  force,  et  broyé  sous  le  nombre, 

Ce  peuple  gisait  terrassé; 

Et  que  le  croyant  mort,  et  que  s'en  croyant  maître. 
L'enroulant  de  son  noir  drapeau , 

JEANNE    d'arc.    III.    —    58 


458  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


L'étranger  avait  fait  un  tombeau  pour  l'y  mettre , 
Jeanne  a  surgi  de  ce  tombeau; 

Laissons  donc  railler  ceux  qui,  prompts  i  se  distraire, 

Sont  lents  à  plier  les  genoux; 
Laissons  la  foule  aveugle  ignorer  sa  guerrière, 

Nous,  les  vaincus,  prosternons-nous. 

La  pièce  se  termine  par  une  belle  pensée  : 

Consacrons  nos  cœurs  recueillis 
A  Jeanne  la  Française,  à  Jeanne  la  Lorraine, 
La  patronne  des  envahis! 

L'enthousiasme  pour  Jeanne  d'Arc  est  à  peine  moins  vif  aujourd'hui 
en  Angleterre  qu'en  France.  Il  y  a  quelques  années  un  prélat  anglais, 
M^' Gillis,  prononçait  le  panégyrique  de  la  vierge  de  France ,  et  venait, 
pour  ainsi  dire,  au  nom  de  sa  nation,  faire  dans  Orléans  amende  hono- 
rable à  cette  grande  mémoire.  Southey  ne  serait  plus  accusé  aujourd'hui 
d'audace  antipatriotique  :  on  l'accuserait  plutôt  de  timidité  scrupuleuse.  On 
lui  reprocherait  de  n'avoir  pas  osé  conduire  l'héroïque  Pucelle  jusqu'à  la 
gloire  de  son  martyre,  supérieure  à  celle  de  son  triomphe.  C'est  ce  l'e- 
proche  qu'a  su  noblement  éviter  >L  Robert  Steggal,  qui,  dans  un  poUme 
tout  récent  ',  qu'il  a  dédié  «  aux  sœurs  de  Jeanne,  les  filles  de  la  France, 
pays  que  son  génie  a  sauvé,  que  sa  mort  rend  sublime,  «  décrit  ainsi  la 
scène  lugubre  de  Rouen   : 

■.  O  Rouen,  Rouen,  est-ce  ici  que  je  dois  mourir?  »  crie  la  victime,  tandis  qu'en  avant, 
pieds  et  mains  liés,  avec  une  garde  guerrière  de  soldatesque  anglaise,  ils  la  portent  à  la 
place  du  Marché  —  gouffre  où  dès  le  point  du  jour  ont  afflué  ù  travers  toutes  les  rues  de 
la  ville,  conduits  gonflés,  de  vivants  courants  d'hommes,  auxquels  se  heurte  en  s'enflant 
chaque  nouvel  afflux,  et  qui  au  loin  font  un  bruit  de  mer  en  leur  lutte  continuelle;  —  ils  la 
portent  tout  droit  sur  un  échafaud  dans  le  milieu  de  la  place,  où  elle  sert  de  point  de  mire 
à  un  demi-million  de  regards  fixés  sur  elle  ;  ils  posent  sur  son  front  la  mitre  du  diable,  ils 
font  cela  sous  le  clair  azur  du  ciel!  D'un  œil  plein  de  tristesse  elle  regarde  vis-à-vis  d'elle, 
li  où,  élevés  sur  une  plate- forme  en  terrasse  au-dessus  de  la  multitude,  parmi  les  juges, 
conseillers  et  prêtres,  Beauvais  et  Bedford,  et  lui,  le  grand  Winchester,  le  Crésus  cardinal 
d'Angleterre,  siègent  adossés  aux  tours  solennelles  dont  les  cloches  font  entendre  leur  gé- 
missement :  elle  tourne  ensuite  vers  le  ciel  ses  yeux  pleins  d'une  étrange  lumière,  l'ombre 
de  l'éternité  étant  tout  près,  et  elle  écoute  les  douces  voix  qui  ondulent  de  là  haut  dans  son 

1  Jt'jitne  Darc  and  other  poems  by  Robert  Steggal.  LonJon,  Alfred  \V.  Bennett,  i86S,  in-i8. 


-jTTf 


Fi«.  îi;.  -  Supplice  de  Jeanne  d'Arc.  Tableau  Je  Eugène  Devéna,  au  musée  d  Angers,  xix'  siècle. 


46o  ECLAIRCISSEMENTS. 


oreille,  plutôt  que  celle  qui  remplit  l'ouïe  de  la  multitude,  celle  que  vomit  la  bouche  ou- 
verte pour  sa  condamnation,  avec  des  mots  amers  et  toute  sorte  d'affronts  menteurs  qui 
couvrent  de  leur  glose  et  d'une  dérision  d'équité  le  verdict  impie.  Mais  elle  n'entend  rien,  et 
enfin  lorsqu'elle  en  perçoit  quelque  chose,  elle  tombe  à  genoux  et  prie  l^  haute  voix.  Elle 
prie  Jésus-Christ  d'avoir  merci  de  son  âme  et  de  la  rendre  pure,  afin  qu'elle  puisse  le  join- 
dre dans  de  courts  instants;  elle  le  prie  de  lui  envoyer  encore  une  fois  ses  saints  bénis, 
afin  qu'ils  ne  soient  pas  loin  d'elle  quand  elle  va  mourir  et  la  prennent  aussitôt  après; 
elle  le  prie  de  ne  la  point  juger  trop  strictement,  si,  mue  par  les  lâches  défaillances  de 
la  chair,  sa  langue  a  parlé  contre  le  gré  de  son  âme,  et  renié  avec  la  bonté  de  Dieu  les 
merveilles  de  sa  puissance,  ù  elle  révélées  dans  ses  visions.  Elle  le  prie  pour  sa  chère 
France,  la  France  de  Clovis,  royaume  de  la  liberté  !  Elle  lui  demande  que  de  sa  mort 
puisse  naître  pour  sa  patrie  une  vie  nouvelle,  et  la  paix,  et  une  gloire  durable.  Elle  prie 
pour  eux,  même  Dour  eux,  ses  exécuteurs,  quatre-vingts  assassins  pour  une  jeune  fille 
qui  n'a  pas  vingt  ans!  Et  si  en  quelque  circonstance,  non  par  un  acte  volontaire,  mais  en 
accomplissant  la  mission  donnée  par  Dieu,  elle  a  fait  quelque  mal  à  ses  ennemis,  elle  leur 
en  demande  pardon  ;  et  avec  une  effusion  de  larmes,  les  dernières  que  ses  yeux  répandront, 
elle  prie  que  sa  mort  ne  leur  soit  pas  imputée,  de  peur  qu'une  souffrance  pire  que  la 
sienne,  un  jugement  plus  terrible  encore  que  celui  qu'elle  a  dû  subir,  ne  les  atteigne  un 
jour  en  leur  barrant  le  chemin! 

Mais  couvrant  tout  le  reste,  un  millier  de  misérables  crient  :  «  Emportez-la  au  bûcher  !  » 
vilains  dont  la  barbare  clameur  donne  une  voix  au  muet  désir  de  leurs  misérables  lords, 
qui  n'osent  pas  eux-mêmes  le  proférer.  Semblables  à  des  démons,  chacun  s'efforçant  de 
dépasser  l'autre  hors  des  profondeurs  infernales  du  fleuve  de  feu,  ils  sont  là  rouges  de  la 
flamme  qui  ne  doit  pas  mourir,  mais  jeter  un  brûlant  affront  sur  la  joue  de  l'Angleterre 
pour  toujours  !  Ils  crient  :  «  Emportez-la  !  emportez-la  !  A  votre  ouvrage,  bavards,  sem- 
piternels cracheurs;  à  votre  ouvrage,  vôtre  ou  nôtre!  Hâtez-vous  avant  que  nous  vous  je- 
tions la  tète  la  première  à  sa  place,  et  nourrissions  pour  elle  le  bûcher  en  faisant  la  chaleur 
plus  ardente  avec  votre  suif!  »  —  Déjà  les  larmes  de  Beauvais  ont  noyé  la  pitié  d'où  elles 
naquirent,  et  voyez,  son  visage  sombre  étend  sur  tous  les  autres  une  noirceur  pareille, 
de  même  que  la  nuit  approprie  à  sa  teinte  les  arbres  et  les  fleurs  !  —  O  Dieu!  ils  mettent 
leurs  rudes  mains  sur  elle,  —  ils  fendent  la  foule  qui  se  partage  et  se  referme  ensuite,  — 
ils  traînent  son  corps  délicat  serré  dans  une  tunique  de  grosse  toile  frisonne,  avec  la  furie 
d'hommes  fo«s,  vers  le  hideux  bûcher,  où  se  surentassent  bûches  et  combustibles  et  dont  la 
hauteur  domine  tout,  —  et  au  froid  poteau  ils  l'attachent  avec  une  ceinture  de  fer,  —  et  voici 
qu'elle  est  là  seule,  une  muette  prière  sur  les  lèvres,  lesquelles  brillent  comme  brille  l'ex- 
tase d'un  saint  figurée  par  la  peinture.  Bons  anges,  appelez-la,  que  ses  yeux  levés  au  ciel 
ne  voient  pas  le  héraut  de  la  mort  que  voici,  pâle  de  honte  et  de  crainte,  se  glissant  parmi 
les  fagots  5  la  dérobée!  —  O  flammes  avides,  qui  vous  élancez  pour  lécher  ses  pieds,  pour 
étreindre  son  corps  tremblant  dans  votre  embrassement  cruel,  que  le  ciel  vous  ravisse  vo- 
tre victime  !  Et  voyez,  déjà  monte  la  fumée  miséricordieuse,  dont  les  serpents  gris  étouf- 
fent les  flammes  avant  qu'elles  aient  consommé  l'effroyable  agrippement,  et  prennent  dou- 
cement la  victime  dans  leurs  tournoyants  replis,  et  la  revêtent  d'une  robe  de  nuée  d'or, 
pour  que  les  yeux  mortels  ne  la  voient  plus!  —  O  Dieu!  ce  cri  perçant,  frappant  l'air 
muet  qui  en  retentit,  un  long,  triste,  amer  cri  pour  requiem  !  —  et  voici  que  du  sommet 
du  monde  tombe  le  suave  écho  d'une  voix  d'ange,  et  tout  est  silence  après. 


JEANNE   D'ARC  DANS   LES   LETTRES.  461 


THEATRE    ' . 

Si  la  poésie  a  devance  le  théâtre  pour  célébrer  la  gloire  de  la  Puccllc, 
c'a  été  de  peu  d'années.  Le  Mistère  du  siège  d'Orléans,  sous  sa  forme  pri- 
mitive, paraît  avoir  été  représenté  publiquement,  au  jour  anniversaire  de 
la  délivrance  de  cette  ville,  dès  1435.  Il  le  fut  encore  en  i43().  Mais  la  ré- 
daction que  nous  possédons,  et  où  se  décèlent  les  mains  de  divers  auteurs 
n'écrivant  pas  tous  à  la  même  époque  ,  cette  rédaction  singulièrement  ac- 
crue et  amplifiée ,  paraît  se  rapporter  à  une  représentation  que  l'on  a  fixée 
par  des  raisons  ingénieuses  à  l'an  1456  '-.  Ce  mystère  est  donc  le  résultat 
d'une  collaboration  successive  et  anonyme.  Comme  la  rubrique  le  dit 
elle-même,  c'est  une  compilation,  destinée  à  rendre  plus  pompeuse  la  fête 
annuelle  qui  se  célébrait  et  se  célèbre  encore  aujourd'hui  à  Orléans.  Il  y 
fut  représenté  sous  diverses  formes ,  plus  ou  moins  amples,  et  à  divers  in- 
tervalles, dans  le  second  tiers  du  quinzième  siècle.  Comme  dans  la  plupart 
des  mystères  de  la  même  époque,  l'art,  sans  être  tout  à  fait  absent  peut-être, 
n'apparaît  que  faiblement  dans  cette  chronique  ou  mémorial  dialogué  de 
vingt  mille  cinq  cent  vingt- neuf  vers.  Le  style  et  la  diction  y  sont  plus 
mauvais  que  dans  beaucoup  d'autres.  Mais  on  y  sent  ce  souffle  de  l'enthou- 
siasme contemporain,  cette  impression  de  vérité,  que  la  représentation  ren- 
dait plus  vive  encore,  et  que,  comme  nous  l'avons  dit,  rien  ne  remplace  en 
ce  qui  concerne  Jeanne.  C'est  bien  la  vraie  Pucelle,  l'authentique  vierge 
de  France  que  le  mystère  met  en  scène,  depuis  le  moment  où  elle  y  paraît 
pour  la  première  fois,  quelque  peu  après  le  sept  millième  vers,  et  où  elle  y 
reçoit  les  ordres  de  Dieu  par  la  voix  de  l'archange,  jusqu'à  son  glorieux 
retour  dans  Orléans  après  la  victoire  de  Patay,  qui  termine  la  pièce.  La 
vérité  historique  et  théologique  est  fidèlement  gardée  en  ce  qui  est  des 
causes  et  des  circonstances  de  sa  mission.  Le  roi  Charles  VII  y  est  repré- 

1  Nous  pouvions  moins  encore  songera  ûtre  complet  pour  le  theâire  que  pour  la  poésie  e'pique  ou 
lyrique.  Nous  nous  sommes  attaché  à  donner  des  spécimens  pris,  par  ordre  chronologique,  dans  les 
divers  genres  par  lesquels  a  passé  le  drame,  depuis  les  mystères  jusqu'à  nos  jours.  —  11  est  clair  que 
surtout  pour  les  écrivains  de  nos  jours,  nos  omissions  n'impliquent  rien  autre  chose  que  l'impossibililé 
de  tout  voir  et  la  nécessité  de  nous  borner. 

2  Etude  sur  le  mystère  du  siège  d'Orléans,  etc.,  par  H.  Tivier.  Paris,  Ernest  Thorin,  iXbS.  Le  chapi- 
tre IV  de  cette  étude  est  consacré  à  une  comparaison  des  diffcrciils  poèmes  composes  en  l'honneur  de 
Jeanne  d'Arc  dont  nous  avons  profité. 


4b2 


ECLAIRCISSEMENTS. 


sente  implorant  le  secours  de  Dieu,  mais  prêt,  si  telle  est  la  volonté  du  Ciel, 
à  cesser  la  lutte ,  et  désespérant  de  la  pouvoir  continuer  après  la  chute 
d'Orléans  : 


Plus  n'ay  d'espoir  que  à  Orléans  ; 
Or  n'y  sçay  plus  que  confort  querrc 
Je  voy,  par  fortune  de  guerre, 

Et  suffisant  de  la  tenir. 
Je  vueil  delesser  le  pays 
Et  me  consent  estre  desmis, 
Vray  Dieu,  se  c'est  vostre  plaisir. 


TRADUCTION. 

Je  n'ai  plus  d'espoirquesur  la  ville  d'Orléans; 
Or  je  ne  sais  plus  quel  secours  chercher 
Je  vais,  —  telle  est  la  fortune  présente  de  la 

guerre ,  — 
Lequel  soit  suffisant  pour  soutenir  cette  ville. 
Je  veux  abandonner  le  pays 
Et  je  consens  à  perdre  le  trône 
Vrai  Dieu,  si  c'est  votre  plaisir. 


Notre-Dame  prie  son  Fils  d'exaucer  la  prière  du  roi  : 


Qui  est  vray  roy  des  crestiens 
Et  sur  tous  les  rois  parmanant, 

Esleu  par  la  vostre  clémence... 
O  mon  filz  !  doulcement  vous  prie 
Que  ce  fait  vous  ne  souffrez  mie, 
De  nostre  bon  roy  crestien , 
Que  perde  ainsi  la  seigneurie 
De  France  et  noble  monarchie 
Qui  est  si  noble  terrien. 
C'est  le  royaume  '  qui  tout  soustient 
Crcstienté  et  la  maintient , 
Par  la  vostre  divine  essence, 
Ne  autre  n'y  doit  avoir  rien  : 
Au  roy  Charles  luy  appartient. 

Qu'il  est  droit  héritier  de  France. 


Qui  est  vrai  roi  des  chrétiens 

Et  pour  être  au-dessus  de  tous  les  rois  élevé 
de  façon  permanente, 

A  été  élu  par  votre  clémence... 

O  mon  fils!  doucement  je  vous  prie 

Que  ce  fait  vous  ne  souffriez  pas. 

Au  sujet  de  notre  bon  roi  chrétien, 

Qu'il  perde  ainsi  la  seigneurie 

De  France  et  la  noble  monarchie 

Qui  est  si  noble  territoire. 

C'est  le  royaume  qui  entièrement  soutient 

Chrétienté  et  qui  la  maintient. 

Non,  par  votre  divine  essence  ! 

Nul  autre  n'y  doit  avoir  rien  : 

C'est  au  roi  Charles  que  ce  royaume  ap- 
partient , 

Puisqu'il  est  légitime  héritier  Je  France. 


Saint  Euverte  et  saint  Aignan,  anciens  évèques  d'Orléans,  prient  powr 
la  ville  qui  fut  le  théâtre  de  leurs  travaux  apostoliques.  Dieu  déclare  que 
les  malheurs  des  Français  sont  le  juste  châtiment  des  péchés  commis  par 
toutes  les  classes  de  la  nation,  mais  il  cède  en  ces  termes  aux  prières  redou- 
blées de  sa  Mère  et  des  deux  saints  : 


Ma  mère  et  vousj  met  bons  amis, 

Vueil  entendre  à  vostre  requeste. 

Combien  les  avoye  permis 

A  malédiction  céieste , 

Pour  leur  vie  faUlse  et  deshonneste, 

Et  François  principalement  ; 
Et  vUeil  que  on  les  admoneste 
Que  pugniz  seront  grandement. 


Ma  mère  et  VOUS,  mes  bons  amis. 

Je  veux  vous  accorder  votre  requête 

Quoique  je  les  eiisse  abandonnés 

A  la  malédiction  céleste  , 

A   cause  de  leur   vie  pleine  de  fausseté  et 

malhonnête, 
Et  les  Français  principalement  ; 
Et  je  veux  qu'on  les  avertisse 
Que  pUnis  seront  grandement. 


l  Prononcez  riiumc. 


JEANNE  D'ARC   DANS   LES   LETTRES. 


4G3 


Le  royaulme  je  recouvreray 
Au  roy  Charles  par  sa  prière, 
Et  en  honneur  l'exauceray, 
Que  tout  temps  en  sera  mémoire, 

Sans  que  François  ayent  la  gloire 

De  l'avoir  par  eulx  recouvert, 

Ne  leur  en  doriray  la  victoire  ; 

On  le  verra  à  descouvert. 

Michel  ange,  entend  à  moy  : 

Je  vueil  par  toy  faire  messaige, 

Pour  subvenir  au  desarroy 

De  France  ,  le  noble  heritaige. 

En  Barois  yras  en  voyaige. 

Et  feras  ce  que  je  te  dy. 

Au  plus  près  d'un  petit  villaige 

Lequel  est  nommé  Dompremy, 

Qui  est  situé  en  la  terre 

Et  seigneurie  de  Vaucoleur, 

Là  trouverras,  sans  plus  enquerre, 

Une  pucelle  par  honneur. 

Est  en  elle  toute  doulceur. 

Bonne  est  et  juste  et  innocente, 

Qui  m'ayme  du  parfont  du'cueur, 

Honneste,  saige  et  bien  prudente. 

Tu  luy  diras  que  je  luy  mande 

Qu'en  elle  sera  ma  vertu  : 

Je  vueil  que  par  elle  on  entende 

L'orgueil  des  François  abatu, 

Et  que  je  me  suis  consentu 

Recouvrer  le  royaulme  de  France  ; 

Par  elle  sera  debatu 

Contre  les  Anglois   par  oultrance. 

Premièrement,  tu  luy  diras 

Que  par  elle  vueil  qu'i  soit  fait, 

Et  de  par  moy  luy  commandras 

Qu'i  soit  acomply  et  parfait. 

Sy  est  qu'elle  voise  de  fait 

Pour  lever  le  siège  d'Orléans , 

Chasser  les  Anglois  à  destroit, 

Sy  ne  s'en  vont  incontinant. 

Puis  après,  elle  le  menra. 

Le  roy  Charles,  sacrer  à  Rains. 

De  par  moy  elle  acomplira 

Et  en  parviendra  à  ces  fins  ; 

Que  de  ce  ne  se  doubte  point  : 

Ma  vertu  sera -avec  elle. 

Pour  acomplir  de  point  en  point 

Par  Scelle  jeune  pucelle. 

Dy  lui  aussi  pareillement 

Qu'elle  se  veste  en  abit  d'omme  ; 

Je  lui  donray  le  hardiment, 

Pour  mieulx  que  le  cas  se  consomme. 

Puis  elle  s'en  yra  en  somme 


Le  royaume  je  ferai  recouvrer 

Au  roi  Charles,  selon  sa  prière, 

Laquelle  avec  honneur  j'exaucerai , 

De  sorte  qu'en  tout  temps  il  en  sera  gardé 

mémoire. 
Sans    que   pourtant    les    Français    aient   la 

gloire 
D'avoir  par  eux-mêmes  recouvré  le  royaume, 
Je  ne  leur  donnerai  pas  telle  victoire  ; 
On  verra  cela  à  découvert. 
Michel  archange,  écoute-moi: 
Je  veux  par  toi  envoyer  message. 
Pour  remédier  au  désarroi 
De  France,  le  noble  héritage. 
Vers  Barrois  sera  ton  voyage. 
Et  tu  feras  ce  que  je  te  dis. 
Tout  auprès  d'un  petit  village 
Lequel  est  nommé  Domremy, 
Qui  est  situé  en  la  terre 
Et  seigneurie  de  Vaucouleurs, 
Là  tu  trouveras,  sans  plus   de   recherche, 
Une  pucelle  pleine  d'honneur. 
En  elle  est  toute  douceur. 
Elle  est  bonne,  juste  «innocente, 
Elle  m'aime  du  profond  du  cœur. 
Elle  est  honnête ,  sage  et  bien  prudente. 
Tu  lui  diras  que  je  lui  mande 
Qu'en  elle  sera  ma  vertu; 
Je  veux  que  par  elle  on  comprenne 
Que,  tout  en  abattant  l'orgueil  des  Français 
Je  me  suis  pourtant  consenti 
A  sauver  le  royaume  de  France  ; 
Par  elle  il  sera  disputé 
Aux  Anglais  en  une  lutte  à  outrance. 
Premièrement,  tu  lui  diras 
Que  par  elle  je  veux  que  tout  cela  soit  fait, 
Et  de  par  moi  tu  lui  commanderas 
Que  ce  soit  accompli  et  entièrement  exécuté. 
C'est-à-dire  qu'elle  aille  de  fait 
Pour  faire  lever  le  siège  d'Orléans, 
Poursuivre  les  Anglais  et  les  serrer  de  près 
S'ils  ne  s'en  vont  sur-le-champ. 
Et  puis  après,  elle  le  mènera. 
Le  roi  Charles,  sacrer  à  Reims. 
De  par  moi  elle  accomplira  tout  cela 
Et  en  parviendra  à  telles  fins; 
Que  de  cela  elle  ne  doute  point  : 
Ma  vertu  sera  avec  elle 
Pour  accomplir  tout  cela  de  point  en  point 
Par  cette  jeune  pucelle. 
Dis-lui  aussi  pareillement 
Qu'elle  revête  l'habit  d'homme; 
Je  lui  donnerai  la  hardiesse 
Nécessaire  pour  que  sa  mission  s'accomplisse 

au  mieux. 
Elle  s'en  ira  donc  en  somme  tout  d'abord 


464 


ECLAIRCISSEMENTS. 


Devers  Robert  de  Baudrlcourt , 
Pour  l'amener  en  ceste  forme 
Devers  le  Roy  et  en  sa  court. 

MICHEL    ANGE. 

Mon  cliier  seigneur,  en  grant  coraige 
Acompliray  rostre  ordonnance 
Vers  la  pucelle  bonne  et  saige  ; 
I.e  cas  luy  diray  en  présence  , 
J'y  voy,  sans  nulle  différence, 
Faire  vostre  commandement. 


Vers  Robert  de  B.iudricourt, 

Pour  qu'il  la  fasse  conduire  en  telle  manière 

A'crs  le  Roi ,  en  sa  cour. 

l'ange    MICHEL. 

Mon  cher  seigneur,  avec  le  plus  grand  zèle 
Je  ferai  ce  que  vous  me  commandez 
A  l'égard  de  la  pucelle  bonne  et  sage; 
Je  lui  annoncerai  directement  sa  mission , 
J'y  vais  ,  sans  aucun  délai , 
Accomplir  votre  ordre. 


Que  elle  ayc  bonne  fiance, 
Sans  soy  esbayr  nullement. 


Qu'elle  ait  bonne  confiance 

Et  ne  s'épouvante  aucunement. 


Pose  d'orgues.  —  lît  yiciit  devers  Li  Pucelle  l'nc  pause.  Les  orgues  jouent.  L'Ange  vient 
gardant  les  brebi:^  de  son  ycre  et  <]ueusant  en  vers  la  Pucelle  qui  est  en  train  de  garder  les 
linge.  brebis  de  son  père  et  de  coudre  du  linge. 


Jeune  pucelle  bien  eureuse. 
Le  Dieu  du  ciel  vers  vous  m'envoye , 
Et  ne  soyez  de  rien  peureuse, 
Prenez  en  vous  parfaicte  joye. 
Dieu  vous  mande,  c'est  chose  vraye, 
Que  y  vieult  estre  avecque  vous, 
Où  vous  soyez  en  quelque  voye; 
Si  n'ayez  point  doncques  de  poux. 
Sa  voulenté  et  son  plaisir 
Est  cjue  vous  aillez  à  Orléans, 
Pour  Anglois  en  faire  saillir 
Et  lever  le  siège  devant. 

Se  de  vous  sont  contredisant , 
En  armes  vous  les  convaincrez. 
Contre  vour.  ne  seront  puissans, 
Mes  de  tout  point  les  subjugrez. 

Puis  après,  y  vous  conviendra 
A  Rains  mener  sacrer  le  Roy, 
Que  ainsi  Dieu  vous  conduira, 
Et  Charles  oster  hors  d'esmoy. 
Combien  qu'il  ait  beaucoup  desroy 
Et  par  le  présent  fort  à  faire. 
Dieu  le  fera  paisible  en  soy. 
Que  il  a  ouy  sa  prière. 
Et  au  seigneur  de  Baudricourt, 
"Vous  luy  direz  que  y  vous  mayne 
Incontinent,  le  chemin  court. 
Que  il  est  vostre  cappitaine. 

Ainsi  que  c'est  chose  certaine, 
Devers  le  Roy  vous  mènera. 
En  abit  d'omme,  toute  saine, 
Que  Dieu  toujours  vous  conduira. 


Jeune  pucelle  bien  heureuse. 
Le  Dieu  du  ciel  vers  vous  m'envoie , 
Ne  prenez  aucune  frayeur. 
Ayez  en  vous  parfaite  joie. 
Dieu  vous  mande  ,  c'est  chose  vraie, 
Qu'il  veut  être  avec  vous , 
Partout  où  vous  serez,  où  vous  irez; 
Ainsi  n'ayez  donc  point  de  peur. 
Sa  volonté  et  son  plaisir 
Est  que  vous  alliez  à  Orléans, 
Pour  en  rejeter  au  loin  les  Anglais 
Et  leur  faire  lever  le  siège  qu'ils  ont  mis  de- 
vant. 
S'ils  osent  vous  contredire  , 
Vous  les  convaincrez  par  les  armes. 
Contre  vous  ils  n'auront  aucune  force, 
Mais  au  contraire  vous  les  dompterez  de  tout 

point. 
Puis  après  il  conviendra 
Qu'à  Reims  vous  meniez  §acrer  le  Roi , 
En  tout  cela  Dieu  vous  conduira  , 
Vous  tirerez  Charles  de  ses  angoisses. 
Quoique  ses  affaires  soient  en  grand  désarroi 
Et  que  pour  le  présent  il  ait  fort  à  faire. 
Dieu  lui  rendra  l'âme  paisible. 
Car  il  a  prêté  l'oreille  à  sa  prière. 
Au  seigneur  de  Baudricourt 
Vous  direz  ceci ,  qu'il  vous  mène 
Sur-le-champ,  par  le  chemin  le  plus  court, 
Car  de  cette  seigneurie  où  vous  êtes  il  est 

capitaine. 
C'est  une  chose  tout  à  fait  certaine 
Que  vers  le  Roi  il  vous  mènera 
En  habit  d'homme,  saine  et  sauve, 
Car  Dieu  toujours  vous  conduira. 


JEANNE   DARC   DANS   LES   LETTRES.. 


465 


LA    PUCELLE. 

Mon  bon  seigneur,  que  dictes  vous  : 
Vous  me  faictes  trop  esbaye  : 
Cecy  ne  vient  point  à  propoux, 
En  ce  je  ne  scay  que  je  die. 
Moy ,  povre  pucelle,  ravye 
Des  nouvelles  que  vous  me  dictes  , 
Sachez,  je  ne  les  entend  mie, 
Que  y  me  sont  trop  auctentiques. 
Je  no  vous  pourroye  respondre 
Ainsi ,  moy  ,  povre  bergercte  , 
Vous  qui  cy  me  venez  semondrc. 
Comme  une  simple  pucelete  , 
Gardant  es  champs  dessus  l'erbete 
Les  povres  bestes  de  mon  père , 
Une  jeune  simpleJillcte, 
Vous  dis  sont  à  mon  bien  contraire. 


LA    PUCELLE. 

Mon  bon  seigneur,  que  dites-vous? 

Vous  me  rendez  trop  ébahie  : 

Cela  ne  me  paraît  pas  fort  à  propos. 

Je  ne  sais  quoi  en  dire. 

Moi ,  pauvre  pucelle,  toute  hors  de  moi 

Des  choses  que  vous  me  dites  , 

Sachez  que  je  ne  les  comprends  pas  , 

Elles  sont  d'un  ordre  trop  élevé  pour  moi. 

Je  ne  vous  saurais  répondre 

Là-de.ssus ,  moi ,  pauvre  bergerette , 

A  vous  qui  me  venez  ainsi  appeler. 

Je  ne  suis  qu'une  simple  pucelette  , 

Gardant  aux  champs  dessus  l'herbette 

Les  pauvres  brebis  de  mon  père. 

Une  jeune  et  simple  fillette, 

Ce  que  vous  dites  est  à  mon  bien  contraire. 


MICHEL     ANGE. 

Jehanne,  ne  vous  en  esmayez; 
Que  Dieu  l'a  ainsi  ordonné, 
Et  veut  que  l'onneur  vous  ayez 
Du  royaulme,  présent  fortuné, 
Qui  a  esté  habandonné 
Par  pechié  commis  des  François; 
Par  vous  sera  Roy  couronné 
Et  remis  en  ses  nobles  drois 


L  ANGE    MICHEL. 

Jeanne,  ne  vous  effrayez  pas  de  cela; 

Car  Dieu  l'a  ainsi  ordonné, 

11  veut  que  vous  ayez  l'honneur 

De  relever  ce  beau  royaume  ,  présent  fortuné 

De  sa  main,  qui  l'avait  abandonné 

.\  cause  des  péchés  commis  par  les  Français. 

Par  votre  moyen  le  Roi  sera  couronné 

Et  remis  en  ses  nobles  droits 


Jeanne  soumet  sa  volonté  à  la  volonté  de  Dieu,   et  la  scène   se  termine 
par  un  rondeau  qui  n'est  pas  dépourvu  d'une  certaine  grâce  naïve  : 


A  Dieu ,  Jehanne ,  vraye  pucelle , 
Qui  est  d'icelui  bien  aymée  ; 
Ayez  tousjours  ferme  pensée 
De  Dieu  estre  sa  pastorelle'. 


Adieu,  Jeanne,  franche  pucelle 
Qui  êtes  de  Dieu  bien  aimée; 
Ayez  toujours  ferme  pensée 
D'être  son  humble  pastourelle. 


En  nom  Dieu  ,  je  vueil  estre  celle 
De  le  servir,  si  luy  agrée. 


En  son  saint  nom,  je  serai  celle 
Qui  le  servira,  s'il  m'agrée. 


A  Dieu  ,  Jehanne,  vraye  pucelle  , 
Qui  est  d'icelui  bien  avmée. 


Adieu,  Jeanne,  franche  pucelle. 
Qui  êtes  de  Dieu  bien  aimée. 


Mon  bon  seigneur,  vostre  nouvelle 
De  par  moy  sera  reclamée 
Au  seigneur  de  ceste  contrée, 
Par  la  voye  que  dictes  telle. 


Mon  bon  seigneur,  votre  nouvelle 
Sera  par  ma  bouche  annoncée 
Au  seigneur  de  cette  contrée, 
Je  veux  suivre  une  route  telle. 

JEANNE  D'Ane.  III.  —   5y 


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ECLAIRCISSEMENTS. 


A  Dieu,  Jehanne,  vraye  pucelle  , 
Qui  est  d'icelui  bien  aymée  ; 
Ayez  tousjours  ferme  pensée 
De  Dieu  estre  sa  pastorelle  '. 


Adieu,  Jeanne,  franche  pucelle, 
Qui  êtes  de  Dieu  bien  aimée  ; 
Ayez  toujours  ferme  pensée 
D'être  son  humble  pastourelle. 


Plus  d'un  siècle  après  que  le  Mis/cre  du  sidgv  SOrlcaus  eut  été  repré- 
senté sous  sa  forme  la  plus  ample,  —  au  mois  de  mai  i  .^80,  le  roi  de  F>ancc 
Henri  III  et  sa  femme  la  reine  Louise  de  ^^audemont,  devaient  se  rendre 
à  Plombières  pour  y  prendre  les  eaux.  Laville  de  Pont-à-Mousson  se  pré- 
parait à  les  bien  fcter  lors  de  leur  passage.  Parmi  les  divertissements  pro- 
jetés figurait  une  représentation  dramatique.  La  pièce  devait  être  jouée  au 
collège  des  Jésuites  et  la  composition  en  avait  été  confiée  au  P.  Fronton 
du  Duc,  âgé  alors  de  vingt-quatre  ans,  et  qui  professait  la  rhétorique.  Le 
savant  et  modeste  religieux  accepta  par  obéissance  la  tâche  que  lui  impo- 
saient ses  supérieurs,  et  dans  le  peu  de  temps  qui  lui  était  accordé,  il  écri- 
vit en  cinq  actes  Vllistoire  trafique  de  la  Pucelle  d'Orléans.  La  peste 
ayant  rompu  le  voyage  royal,  la  représentation  fut  ajournée  au  7  septem- 
bre suivant.  Elle  eut  lieu  devant  Charles  III,  duc  de  Lorraine,  qu'accompa- 
gnaient quelques  grands  seigneurs  de  la  cour  de  France.  Le  duc  en  fut  telle- 
ment satisfait  qu'il  fit  présent  de  cent  écus  d'or  à  l'auteur,  qui,  dit  le  P.  Abram, 
historien  de  l'université  de  Pont-à-Mousson,  lui  avait  paru  couvert  d'une 
robe  qui  représentait  la  pauvreté  évangélique.  La  pièce  fut  imprimée  sans 
nom  d'auteur  en  i58i. 

Ce  n'est  pas  une  merveille  assurément.  C'est  une  vraie  tragédie  de  col- 
lège. Mais  il  faut  savoir  gré  à  l'auteur  du  sujet  qu'il  a  choisi,  le  plus  national 
de  tous,  et  de  l'avoir  choisi  précisément  pour  cela  : 

Or  on  n"a  point  choisy  ung  argument  estrange 
Sçachant  que  cil  est  fol ,  lequel  ayant  sa  grange 
Plaine  de  grains  cueilliz,  emprunte  à  son  voisin  , 
Laissant  pourrir  chez  soy  son  propre  magasin. 


1  Nous  avons  suivi  l'édition  donnée  par  MM.  Guessard  et  de  Certain  dans  les  Documents  inédits  sur 
l  histoire  de  France,  sauf  quelques  légers  changements  que  nous  nous  sommes  permis  pour  remédier 
un  peu  aux  fantaisies  prosodiques  du  copiste,  lesquelles,  à  la  vérité,  sont  peut-être  aussi  de  l'auteur. 
—  La  liste  des  pièces  de  théâtre  sur  Jeanne  d'Arc,  donnée  en  appendice  par  les  savants  éditeurs, 
nous  a  été  d'un  grand  secours. 


JEANNE  D'ARC 

Tableau  daté  de  i5Si,  conservé  au  musée  d'Orléans 


l/inscription  latine  rappelle  la  visite  que  Henri  III  et  sa  jeune  épouse 
firent  solennellement  à  la  ville  d'Orléans,  le  i5  novembre  iSyG.  En 
voici  la  traduction  : 

Sur  le  portrait  de  Jeanne  de  Vaucouleurs,  Pucelle  d'Orléans  : 

La  Pucelle  revient  chez  le  P'rançais,  heureuse  d'y  être,  même  à  l'état  d'image 
muette,  elle  qu'autrefois  Dieu  et  non  une  machination  a  envoyée  au  secours  de  la 
patrie.  Bon  roi  Henri,  salue  cet  augure.  Venue  du  ciel  pour  combler  tes  vœux,  qu'une 
pure  vierge  rende  fortunés  les  auspices  de  ton  règne,  et  qu'elle  tienne  la  balance  :  que 
toutes  deux  refassent  de  ton  siècle  l'antique  âge  d'or. 

Les  Orléanais  reconnaissants  ont  dédié  cette  image  à  la  Pucelle  :  i58i. 


LA    PUCELLE. 

Tableau  date  de  liSl .  consei-vé  aa  musc 


JEANNE  D'ARC  DANS   LES   LETTRES.  467 

Il  V  a  là  une  sorte  de  protestation  contre  les  excès  de  la  Renaissance  alors 
triomphante.  De  plus,  le  savant  et  pieux  jésuite ,  par  sa  science  et  par  sa 
piété,  en  consultant  de  bons  documents  et  en  consultant  son  cœur,  plein  de 
patriotisme  aussi  bien  que  de  foi,  a  su  sinon  mettre  dans  son  plein  jour,  du 
moins  entrevoir  et  montrer  à  demi  la  vraie  figure  de  la  Pucelle ,  si  étrangement 
travestie  avant  et  après  sa  pièce  par  les  historiens  et  par  les  poètes.  Ce  n'est 
pas  lui  qui  ferait  de  Jeanne  une  virago  chevaleresque,  ou  une  sorte  d'intri- 
gante dont  usèrent  habilement  les  politiques.  Jeanne  est  renvo\ée  de  Dieu 
pour  le  salut  de  la  France.  Cette  vierge  héroïque  est  une  pieuse ,  une  hum- 
ble, une  charitable  chrétienne.  Voici  comme  la  peint,  à  l'acte  V,  un  gen- 
tilhomme qui  déclare  avoir  quelque  temps  fait  partie  de  sa  garde  : 

Tous  ses  propos  u'estoient  que  de  choses  honnestes  : 

Son  oreiUe  abhorrait  les  paroles  mal  nettes. 

Louant  le  nom  de  Dieu  en  chascune  action , 

Elle  excitoit  les  gens  à  la  dévotion  ; 

Edifioit  chacun  par  sa  doulceur  humaine  ; 

Elle  jusnoit  aussi  trois  jours  en  la  sepmaine. 

Et  au  jusne  joignant  l'aumosne,  soulevoit 

Les  pauvres  de  ses  biens,  aultant  qu'elle  pouvoit, 

Et  sachant  les  dangers  auxquels  est  exposée 

La  vie  des  soldats,  humblement  confessée 

Elle  alloit  recevoir  le  très  Saint  Sacrement 

Jusqu'au  jour  de  Dymenche,  et  d'iceluy  s'armant , 

L'ame  elle  preparoit  à  la  vie  éternelle 

Devant  que  son  corps  vint  il  la  mort  temporelle. 

Il  y  a  quelque  élégance  et  quelque  vigueur  d'expression  dans  Fune  des 
strophes  chantées  par  le  chceur  à  la  fin  du  quatrième  acte.  Cette  strophe 
s'adresse  à  Pierre  Cauchon  : 

Est-ce  ainsi ,  ô  Pasteur  lasche,  Mais  las!  ce  n'est  pas  merveille 

Qui  doibs  souffrir  qu'on  te  haschc  Si  tout  pasteur  poinct  ne  veille, 

Et  tue  pour  ton  troupeau  ,  Car  mesme  le  Roy  des  cieulx 

Que  ceste  brebis  tu  donnes  Eut  pour  disciple  le  traistre 

Au  gré  des  bouches  félonnes  Qui  livra  son  propre  maistre 

Des  loups  ,  craintif  de  ta  peau  r  Ez  mains  des  Juifz  envyeux. 

Enfin  le  patriotisme  de  l'auteur  a  mis  dans  ces  deux  vers  comme  un 
accent  cornélien  : 

Rendez ,  selon  le  droit  de  la  salique  loy, 
,    Nostre  Roy  à  la  France ,  et  la  France  à  son  Roy. 


ÉCLAIRCISSEMENTS. 


L.' Histoire  tragique  de  la  Piicelle  d'Orléans,  médiocre  et  plus  que  mé- 
diocre en  elle-même,  nous  représente  assez  bien  pourtant  ce  qu'auraient  pu 
devenir,  sans  l'excessive  réaction  de  la  Renaissance  contre  les  habitudes 
littéraires  du  moyen  âge,  les  sujets  nationaux  maniés  par  les  grands  poètes 
du  dix-septième  siècle.  La  pièce  du  P.  Fronton  du  Duc  a  beaucoup  et  même 
trop  des  caractères  de  la  tragédie  classique,  telle  qu'on  devait  la  comprendre 
et  la  pratiquer  en  France,  mais  elle  tient  encore  pourtant  à  la  tradition  natio- 
naledes;;y5/ère5,  et  il  y  a  même  une  scène  les  quolibets  des  soldats  anglais 
devant  Orléans)  qui  les  rappelle  tout  à  fait  par  sa  familiarité  naïve,  et 
paraît  précisément  analogue  à  celles  qui  persistèrent  dans  le  drame  shakspea- 
rien.  Ce  drame  représente,  sans  aucun  doute,  en  face  de  la  tragédie  classi- 
que, la  tradition  littéraire  du  moyen  âge.  Il  la  représente,  il  est  vrai,  soit 
pour  la  pensée,  soit  pour  la  forme,  à  la  façon  anglaise,  naturellement 
différente  delà  façon  française,  qu'interrompit  le  triomphe  delà  Renais- 
sance. Les  haines  soulevées  par  la  guerre  décent  ans  étaient  encore  vivaces 
à  la  fin  du  seizième  siècle,  et  la  différence  de  religion,  récemment  survenue, 
devait  contribuer  à  les  entretenir.  Jeanne  d'Arc,  aux  yeux  de  la  foule,  était 
encore,  en  Angleterre,  une  ennemie  détestable,  une  sorcière,  que  Bedford 
avait  justement  briilée.  C'est  ainsi  qu'elle  apparaît  dans  la  première  des 
trois  parties  de  Henri  T/,  partie  qui,  dit-on,  est  de  Green  et  a  été 
seulement  revue  par  Shakspeare.  Chose  surprenante  ,  et  qui  atteste  bien  la 
grandeur  et  la  beauté  internes  ,  si  j'ose  dire,  de  cette  renommée ,  l'attrait 
inévitable  exercé  sur  lésâmes  par  cette  chaste  et  radieuse  figure,  quelque 
chosede  la  vraie  Jeanne  paraît  à  deux  endroits  de  la  pièce  anglaise.  Et  d'a- 
bord dans  ce  dialogue  avec  le  duc  de  Bourgogne  (acte  III,  scène  3)  : 

LA    PUCELLE. 

Brave  duc  de  Bourgogne,  l'infaillible  espoir  de  la  France,  arrête  un  moment,  et  daigne 
accorder  à  ton  humble  servante  l'honneur  de  t'entretenir. 

LE    DUC    DE    BOURGOGNE. 

Parle;  mais  abrège. 

LA    PUCELLE. 

Contemple  ton  pays ,  contemple  la  fertile  France;  vois  ses  villes  et  ses  cités  défigurées  par 
les  ravages  destructeurs  d'un  ennemi  cruel  ;  regarde  ta  patrie  de  cet  oeil  de  tendresse  dont 
une  mère  contemple  son  jeune  enfant  mourant  au  berceau,  et  prêt  à  fermer  les  yeux.  Vois, 
vois  les  maux  qui  consument  la  France.  "Vois  les  douleurs,  les  plaies  barbares  dont  ta  main 
dénaturée  a  déchiré  son  malheureux  sein.  Ah!  détourne  contre  d'autres  victimes  le  fer  de 


JEANNE   D'ARC   DANS   LES   LETTRES.  469 


ton  épée  ;  frappe  ceux  qui  t'offensent ,  et  ne  blesse  pas  ceux  qui  t'aiment.  Une  seule  goutte 
du  sang  de  ta  patrie  devrait  te  causer  plus  de  douleur  que  des  flots  d'un  sang  étranger.  Expie 
donc  ce  sang  par  tes  larmes,  et  guéris  les  plaies  de  ta  malheureuse  patrie. 

LE    DUC    DE   BOURGOGNE. 

Il  faut  qu'il  y  ait  dans  ses  paroles  un  charme  surnaturel  qui  me  subjugue ,  ou  bien  c'est 
la  nature  qui  m'inspire  cet  attendrissement  soudain  '. 

Dans  la  dernière  scène  où  paraisse  la  Pucelle  (acte  V,  scène  5),  l'auteur, 
complice  des  haines  du  public  anglais,  se  laisse  aller  contre  la  mémoire 
de  Jeanne  aux  inventions  les  plus  outrageantes  et  les  plus  absurdes.  "N'oici 
pourtant  un  fragment  qui,  détaché  de  ce  qui  le  précède  et  de  ce  qui  le  suit,  ne 
paraîtrait  pas  indigne  du  génie,  je  ne  dis  pas  de  Green ,  mais  de  Shakspeare  : 

LA    PUCELI-E. 

Jamais  je  n'eus  de  commerce  avec  les  esprits  infernaux.  Mais  vous,  hommes  corrom- 
pus par  la  débauche,  souillés  du  sang  des  innocents,  chargés  d'iniquités  et  de  vices,  parce 
que  vous  êtes  privés  de  la  grâce  dont  d'autres  ont  reçu  les  dons,  vous  jugez  impossible  d'o- 
pérer des  merveilles,  si  ce  n'est  par  le  secours  des  démons.  Non!  cette  Jeanne  d'Arc,  que 
méconnaît  votre  ignorance,  est  aujourd'hui  comme  dans  sa  plus  tendre  enfance  une  vierge, 
qui  toujours  vécut  chaste  et  sans  reproche  même  dans  ses  pensées;  et  son  sang  pur,  que  vos 
mains  barbares  versent  si  injustement,  criera  vengeance  contre  vous  aux  portes  du  ciel'. 

On  voudrait  avoir  des  raisons  de  croire  que  Shakspeare,  en  revoyant  la 
pièce  de  Green ,  et  sans  oser  braver  en  face  les  haineux  préjugés  des  spec- 
tateurs, y  a  intercalé  ce  fragment  comme  une  sorte  de  protestation  de  son 
génie  et  de  son  cœur  contre  le  public,  contre  Green  et  contre  lui-même. 

Cependant  l'école  mythologique  de  la  Renaissance,  laquelle  sut  se  faire 
une  place  beaucoup  trop  large  jusque  dans  le  drame  shakspearien  ,  pour- 
suivit en  France  le  cours  de  ses  succès  au  théâtre  comme  dans  tous  les 
autres  genres.  Alors  même  qu'elle  ne  dédaignait  point  de  choisir  ses  sujets 
dans  rhistoire  ou  la  légende  nationale ,  elle  les  travestissait  en  sujets  mytho- 
logiques et  produisait  par  là  le  mélange  le  plus  absurde.  C'est  ainsi  que 
dans  une  tragédie  représentée  à  Rouen  en  1600,  reprise  à  Paris  en  i6o'3 
et  en  16 II,  et  dont  l'auteur  est,  à  ce  qu'on  pense,  un  gentilhomme  nor- 
mand, Jean  de  Vire_v,  sieur  du  Gravier,  Jeanne  d'Arc  avant  reçu  sa  mission 
de  Jupiter,  déclare  qu'elle  va  quitter  la  compagnie  des  «  Nimphes  »  pour 


1  et  2  Nous  citons  d'après  la  traduction  de  M.  F.  iMichel.  Paris,  Firmin-Didot,  iSôçi,  in-S",  t.  II,  p.  545 
et  502. 


470  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


endosser  le  «  harnois  Vulcanien  »  et  se  consacrer  toute  à  «  l'homicide  Mars. 
(fig.  218). 


Fig.  218.  —  La  Pucellc,  avec  une  léqende  latine  qui  signilîc  :  La  fortune  sourit  à  l'audace.  —  Ce  mé- 
daillon, exécuté  du  temps  de  François  I",  est  formé  de  plusieurs  pièces  fixées  sur  le  fond.  Le  masque 
et  le  buste  sont  d'argent,  et  les  ornements  sont  de  vermeil.  Musée  historique  d'Orléans. 

Or  sus  il  faut  quitter  les  belles  Oreades, 

Les  Nimphes ,  le  plaisir  de  ces  ondes  jasardes  : 

Le  carquois  de  Diane  et  son  arc,  et  ses  dards , 

Et  toute  me  sacrer  il  l'homicide  Mars 

Ce  casque  martial  pressant  ma  chevelure 

Ne  convient-il  pas  mieux  qu'une  riche  coiffure^ 

Ce  harnois  endosse  œuvre  Vulcanien 

N'est-il  pas  plus  plaisant  que  du  froid  Serien 

Les  robes  peintes  d'or,  ou  de  Tyr  empourprées  ? 

Ou  les  ronds  diamans  des  indiques  contrées?... 

Depuis  que  le  sommeil  sous  les  pieds  d'un  ormeau 

Me  voila  les  deux  yeux,  assise  près  de  l'eau, 

Et  les  songes  ailez  coulans  dedans  mon  ame 

Echauffèrent  mon  cœur  d'une  divine  flame , 

Puis  comme  messagers  du  tout-puissant  Jupin 

Me  dirent  en  tels  mots  le  but  de  mon  destin  : 

Fille,  le  seul  soucy  de  la  chaste  Lucine, 

Quite,  quiteles  bois,  arme,  arme  ta  poitrine, 

Venge  l'injure  faite  à  ton  propre  pays 

Et  chasse  par  le  fer  les  douleurs,  les  ennuis 

Qui  comblent  maintenant  les  subjets  de  ton  Prince  : 

Arme-toy  pour  l'aider,  et  sa  triste  province... 

L'héroïne  du  sieur  du  Gravier,  mettant  à  profit  Térudition  mythologique 
dont  elle  est  pourvue,  s'encourage  en  se  citant  d'illustres  exemples  : 


JEANNE  D'ARC  DANS   LES   LETTRES.  471 


Pourquoy  ne  puis-je  pas 

Fille  comme  je  suis  m'endurcir  aux  combats? 
Les  escus  enlimez,  les  mains  Amazonides 
Fendirent  par  le  fer  les  ondes  Thermontides, 
Et  courant  au  secours  du  Troyen  affligé 
Chassèrent  jusqu'au  port  l'exercite  étranger 
Du  Grégeois  inhumain  et  là  Panthasilée 
Vosmit  la  hache  au  poing  une  ame  ensanglantée... 
Puis  donc  que  le  renom  à  cent  œles  porté 
En  faveur  des  guerriers  fend  l'air  de  tout  costé , 
Et  s'ouvrant  à  la  fois  cent  bouches  écumeuses 
Eclate  les  honneurs  des  femmes  belliqueuses, 
Qu'attens-je  plus  long  temps  par  un  fait  glorieux 
De  pousser  aussi  bien  ma  teste  dans  les  Cieux? 
De  cercher  combatant  parmy  les  morts  la  Parque, 
Et  faire  que  Charon  me  traine  en  mesme  barque , 
Et  mon  ame,  et  ma  vie?  Hé,  que  songé-je  tant? 
Empourprons ,  empourprons  ce  coutelas  de  sang  ! 
Si  le  destin  le  veut  :  si  l'heur  revient  en  France , 
Poursuyvons  coup  sur  coup,  ayons  bonne  espérance. 

Je  doute  qu'il  soit  facile  d'être  plus  insensé.  Une  autre  folie  du  temps 
fut  la  pastorale,  imitée  des  Italiens.  Nicolas  Chrestien,  sieur  des  Croix,  en 
rit,  comme  tant  d'autres  poètes,  une  en  cinq  actes  et  en  vers,  avec  un 
prologue.  Il  l'intitula  les  Amantes,  et  il  eut  l'idée  singulière,  mais  après 
tout  louable,  de  placer  entre  chaque  acte,  en  guise  d'intermède,  un  épisode 
héroïque  tiré  de  l'histoire  de  France  ,  sans  doute  pour  relever  la  fadeur  de 
la  pièce  principale.  Clovis,  Charlemagne,  Godefroy  de  Bouillon,  saint 
Louis  et  Jeanne  d'Arc  sont  les  héros  de  ces  intermèdes.  Dans  celui  qui 
est  consacré  à  la  Pucelle,  l'auteur  a  très-bien  su  oublier  les  niaiseries  des 
pastorales  pour  prendre  le  ton  convenable  à  son  sujet ,  qu'il  a  plus  que 
résumé,  mais  qu'il  a  relativement  bien  compris.  Il  a  fort  sagement  laissé 
la  mythologie  de  côté.  Son  langage  est  net,  ferme,  et  dans  certains  vers 
coulés  d'un  jet,  fait  sentir  l'approche  de  Corneille. 

JEANNE. 

Quand  l'éternel  ouvrier  nous  advertist  d'un  fait , 
Il  ne  faut  retarder  à  le  mettre  en  effect  ; 
Je  doy  donc,  il  le  faut,  de  toute  ma  puissance 
Prudemment  accomplir  sa  céleste  ordonnance , 
C'est  à  luy  d'ordonner,  à  nous  de  le  suivir, 
A  luy  de  commander,  à  nous  de  le  servir. 


47* 


ECLAIRCISSEMENTS. 


Pucelle  que  je  suis,  et  de  race  petite, 
Mais  de  sa  main  élue,  et  de  sa  bouche  instruite. 
J'espère  en  ma  foiblesse  avoir  trop  de  pouvoir 
Pour  accomplir  son  vueil,  et  faire  mon  devoir. 
Dieu,  de  ce  qui  luy  plaist,  se  sert  en  ses  ouvrages, 
Et  qui  le  sert  ne  peut  encourir  de  naufrages  : 
A  la  honte  des  grands  au  vice  apesantiz, 
Il  élevé  en  honneur  les  foibles,  les  petits, 
Et  faisant  la  foiblesse  aparoistre  immortelle 
Entre  les  grands  guerriers  quand  il  est  avec  elle  : 
Qu'on  ne  s'estonne  donc  si  fille  que  je  suis, 
•le  porte  le  cœur  d'homme ,  et  plus  qu'homme  je  puis  , 
Ayant  l'épée  au  poin,  au  milieu  de  la  guerre. 
Les  hommes  je  combats ,  et  renverse  par  terre. 
Jeanne  je  suis  nommée,  et  née  à  Vaucouleurs, 
Je  viens  pour  affranchir  la  France  de  malheurs, 
La  remettant  en  gloire,  et  d'une  ame  félonne , 
L'oster  du  joug  anglois  abhorrant  sa  couronne , 
Pour  ce,  je  vay  treuver  Charles  le  juste  Roy 
Afin  qu'il  soit  sacré  suivans  l'antique  loy 

Voici   la  scène    de   Chinon.   C'est   Baudricourt   lui-même    qui   a  mené 
Jeanne  vers  le  roi  et  qui  plaide  sa  cause  devant  Charles  MI  : 

CH.\RLES. 

Une  fille  remettre  en  vigueur  nostre  estât. 

BAUDRINCOURT. 

Ce  n'est  pas  une  fille  ains  c'est  Dieu  qui  combat. 

CHARLES. 

Ce  fait  aussi  n'est-il  à  son  sexe  contraire  ? 

BAUDRINCOURT. 

En  tout  sexe,  en  tout  âge,  et  en  tout  Dieu  opère  : 
Mais  il  faut  éprouver  si  ce  fait  est  de  Dieu  : 
Elle  ne  vous  veit  onc  cachez- vous  en  un  lieu , 
Et  faictes  devant  vous  tous  vos  Seigneurs  parestre 
Pour  voir  s' elle  pourra  d'entreux  vous  recognoistre. 

CHARLES. 

C'est  bien  dict ,  faictes  la  devant  nous  se  treuver. 
Pour  le  bien  ou  le  mal  de  ce  fait  éprouver. 

JEANNE. 

Grand  Roy,  que  vous  sert-il  vous  celer,  en  croyance 
Que  vous  pourrez  tromper  de  Dieu  la  congnoissance  ? 
C'est  luy  qui  donne  jour  à  mes  pudiques  yeux , 
Afin  de  vous  congnoistre  entre  ces  braves  preux , 
Que  sert-il  de  vouloir  contre  Dieu  se  défendre, 


KCLAIRC; 


PuccUe  qui. 
Mais  de  sa  n 


!:■  cornas:  DiïU 


JEANNE  D'ARC  DANS   LES    LETTRES. 


Puisqu'il  rend  acomply  ce  qu'il  veut  entreprendre  ? 

C'est  vous  qui  estes  Roy,  tel  je  vous  recongnois , 

Bien  que  je  n'eusse  veu  vostre  front  nulle  fois. 

Il  m'envoye  vers  vous ,  pour  vous  redonner,  Sire, 

De  vos  sacrez  ayeuk  le  triomphant  empire. 

Vous  n'estes  point  sacré,  et  Dieu  veut  que  les  Roys 

Soyent  sacrez  au  désir  de  ses  divines  loix , 

Afin  que  nul  ne  soit  si  hardy  que  de  mettre 

La  main  sur  leur  couronne,  et  prophaner  leur  sceptre. 

Les  parjures  Anglois  ennemiz  de  noslre  heur 
Vous  ont  jusqu'à  ce  jour  empesché  cet  honneur  : 
Mais  malgré  leurs  efforts  et  leur  rage  félonne 
Vous  me  suivrez  à  Raims  recevoir  la  couronne. 
Dieu  le  commande  ainsi,  grand  Prince  il  sera  fait. 
Car  son  aime  vouloir  a  tousjours  son  effet. 
Mais  paravant  cet  acte  où  je  suis  engagée , 
Je  leur  feray  quitter  Orléans  assiégée. 

C'est  au  temps  du  Cid,  d'Horace  et  de  Cinna  que  fut  composée  «  la 
Piicelle  d'Orléans,  tragédie  en  prose  selon  la  vérité  de  Fhistoire  et  les  ri- 
gueurs du  théâtre ,  »  par  François  Hedelin ,  abbé  d' Aubignac ,  laquelle  tragé- 
die fut  mise  en  vers  par  la  Mesnardière  et  ainsi  représentée  en  1641 .  L'abbé 
d'Aubignac  avait  de  la  vérité  historique  et  de  la  rigueur  du  théâtre  une 
idée  toute  particulière ,  comme  on  en  peut  juger  par  ces  deux  passages  de  son 
Avertissoncut  :  «  Pour  y  mettre  une  intrigue  qui  donnast  le  moyen  de 
faire  jouer  le  théâtre,  j'ay  supposé  que  le  comte  de  Warvick  en  estoit 
amoureux  (de  Jeanne),  et  sa  femme  jalouse  :  car  bien  que  l'histoire  n'en 
parle  point ,  elle  ne  dit  rien  au  contraire  ;  de  sorte  que  cela  vray-sembla- 
blement  a  peu  estre ,  les  historiens  françois  l'ayant  ignoré ,  et  les  Anglois  ne 
l'ayant  pas  voulu  dire.  »  Et  ailleurs  :  «  Pour  donner  de  la  grâce  et  de  la 
force  au  cinquiesme  acte,  je  faicts  que  le  baron  de  Talbot,  qui  n'a  voit 
point  esté  d'advis  de  sa  mort ,  en  vient  faire  le  récit  au  comte  de  Warvick 
extrêmement  affligé  et  à  la  comtesse,  que  le  remords  de  la  conscience  rend 
insensée.  »  Comme  on  le  voit,  l'étude  approfondie  des  règles  d'Aristote 
avait  produit  sur  l'abbé  d'Aubignac  le  même  effet  qu'il  attribue  au  re- 
mords de  conscience  sur  la  comtesse  deWarwick.  Il  suffira  de  citer  le  début 
de  la  pièce ,  lequel  est  du  moins  conforme  à  l'histoire  en  nous  montrant 
Jeanne  consolée  dans  sa  prison  de  Rouen  par  une  vision  céleste. 


474  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


L'ANGE,   LA  PUCELLE. 
(  Le  ciel  s'ouvre  pur  un  i^rand  esclair.  el  l'Aiif^e  paroist  sur  une  machine  eslevée.) 
l'ange. 
Fille  du  ciel,  incomparable  Pucellc,  puissant  et  miraculeux  secours  de  ton  prince,  vov 
tes  prisons  qui  s'ouvrent ,  et  tes  chaisnes  qui  se  brisent  ;  sors ,  sors  à  la  faveur  des  divines 
lumières  qui  t'environnent,  et  viens  apprendre  icy  quel  doit  estre  le  dernier  acte  de  ta  gé- 
nérosité et  le  comble  de  ta  gloire. 

LA    PUCELLE. 

Quels  mouvements  célestes  délivrent  mon  corps  de  la  captivité  qui  le  presse,  et  donnent 
à  mon  ame  une  si  sensible  joye?  Est-ce  donc  toy,  sacré  Tutelaire  de  ma  vie.  Interprète  se- 
cret des  volontez  du  Dieu  vivant?  parie  seulement  et  j'obey. 

La  Mesnardicre  a  ainsi  rendu  en  vcns  ce  début  : 

l'anc.e. 
Sainte  tille  dy  ciel,  Pucelle  incomparable. 
De  ton  prince  affligé  le  secours  adorable. 
Quitte  pour  un  moment  la  charge  de  tes  fers, 
Et  sors  par  ma  faveur  de  tes  cachos  ouvers, 
Vien  apprendre  de  moy  ma  dernière  assistance 
Et  de  ton  sort  heureux  la  plus  belle  ordonnance. 
Dans  les  tristes  horreurs  de  cette  épaisse  nuit 
Vov  ce  long  trait  de  feu  qui  vers  moy  te  conduit , 
Marche,  marche  et  beny  l'éclair  que  je  t'envove 
Pour  tracer  à  tes  pieds  une  agréable  voye. 

LA     PUCELLE. 

Quels  nouveaux  sentimens  d'un  céleste  bon-heur 
M'ouvrent  l'ame  et  les  sens  à  la  voix  du  Seigneur  .■' 
Ha  !  j'entens  et  je  voy  son  divin  interprète 
Qui  me  va  déclarer  sa  volonté  sccrette. 

Le  théâtre  français  dans  son  âge  pleinement  classique,  celui  qu'illustrè- 
rent durant  la  vieillesse  et  après  la  mort  de  Corneille  les  tragédies  admi- 
rables de  Racine,  s'écarta  plus  encore  qu'il  ne  l'avait  fait  des  sujets  em- 
pruntés à  l'histoire  ou  aux  traditions  nationales.  Qui  aurait  osé,  sous  l'œil 
menaçant  de  Boilcau,  après  la  catastrophe  de  Chapelain,  produire  la  Pu- 
celle au  théâtre  ?  Nous  la  trouvons  en  revanche  applaudie  à  une  date  un 
peu  postérieure  à  cet  âge  d'or  de  la  tragédie  française,  sur  la  scène  d'un 
pays  voisin.  L'Espagne ,  où  la  renommée  de  Jeanne ,  mais  aussi  la  confusion 
de  la  vraie  Pucei  le  avec  la  fausse,  avait  pénétré  de  bonne  heure,  ne  perdit 
point  ce  souvenir,  et  sans  doute  ses  monuments  littéraires,  si  nous  les  con- 
naissions mieux,  nous  en  offriraient  la  trace  depuis  le  quinzième  siècle  jus- 


JEAN  NE      D'  ARC 

TcLblecLU  de  Simon  Vouet, conservé  a.u musée  d'Orléans. Dix-sepLième  siècle 

La.  Pucelle   devient  ici  une   grande    dame 

aux  manières  distin^tjées  des  femines  de  l'hôtel  de  Ra.mtouillei. 


JEANNE   D'ARC   DANS    LES    EETTRES.  475 

qu'au  commencement  du  dix-huitième,  époque  où  l'un  des  derniers  disciples 
de  la  grande  école  dramatique  de  Lope  de  Vega  et  de  Calderon ,  Antonio 
de  Zamora,  fit  paraître  sur  le  théètre  de  Madrid  une  comedia  famosa  di- 
visée, selon  l'usage,  en  trois  journées,  et  intitulée  La  Piicelle de  Orléans K 
C'est  une  pièce  peu  historique,  et  les  extravagances  n'y  manquent  pas. 
Mais  l'auteur  était  plein  d'admiration  pour  Jeanne,  et  voici  du  moins  une 
scène  où,  à  défaut  de  vérité,  se  retrouve  quelque  chose  des  conceptions 
hardies,  de  l'imagination  vive  et  puissante  qui  distinguent  le  drame  espa- 
gnol issu,  comme  le  drame  shakspearien,  dont  il  diffère  d'ailleurs  beau- 
coup, de  la  tradition  littéraire  du  moyen  âge.  Charles  est  endormi  dans 
sa  tente  et  il  a  cette  vision  : 

(Devant  la  tente  passe  un  nuage  lumineux,  et  sur  ce  nuage  un  ange  vêtu  de  blanc.) 

l'ange. 
Charles,   Charles! 

LE  ROI ,  rêvant. 
Que  me  veu.K-tu,  ombre  brillante,  en  qui  je  vois  confusément  mêlé  mon  étonnement  et 
ton  prodige,  qui  es-tu,  dis-moi? 

l'ange. 
Un  messager  de  la  divine  puissance,  envoyé  pour  te  soutenir  dans  la  lutte  suprême  à  la- 
quelle la  France  est  en  proie.  Car  opprimé  par  Henri,  le  monarque  anglais,  elle  ne  te  laisse 
que  le  nom  de  ce  que  tu  as  été. 

le  roi. 
11  n'y  a  que  le  bras  tout-puissant  de  Dieu  qui  soit  capable  de  me  secourir. 

l'ange. 
Écoute  donc,  car  sa  pitié  a  voulu  que  ma  voix  fût  en  même  temps  ailleurs  un  commande- 
ment, ici  un  avertissement. 

{Le  nuage  passe  et  glisse  jusqu'au  pied  d'un  coteau  qui  se  verra  d  gauche,  et  qui  laisse 
apercevoir  sur  son  sommet  les  ruines  d'un  ermitage.) 

UNE  VOIX,  chantant. 

Holà  !  de  l'inculte  désert  dont  la  verte  solitude  nous  montre  ce  bois  fleuri  !  Holà  !  des  ruines 
rustiques  de  cet  édifice  oublié,  qui,  tour  à  tour,  temple  ou  chaumière,  unit,  sous  des  cou- 
leurs diverses,  au  jaspe  de  son  linteau  brisé  ses  traverses  couvertes  d'un  chaume  fragile  ! 
Holà!  Jeanne  d'Arc! 

(D'une  cabane  qui  se  dresse  sur  le  sommet  du  coteau  sort  Jeanne  d'Arc,  vêtue  en  ber- 
gère, une  houlette  à  la  main.) 

JEANNE. 

Qui  m'appelle?  mon  Dieu  !  qui  m'éblouit  tellement  de  l'éclat  de  sa  splendeur,  que  mes 
yeux  qu'elle  embrase  se  sentent  aveuglés  au  contact  du  volcan  entrevu  ^ 

1  Jeanne  d'Arc  sur  la  scène  espagnole,  dans  la  Revue  Britannique,  octobre  1S74.  article  de  M.  Antoine 
de  Latour.  C'est  à  M.  de  Latour  qu'est  empruntée  la  traduction  de  la  scène  citée  plus  loin. 


476  ECLAIRCISSEMENTS. 


L  ANGE. 

Rassure-toi,  et  ne  crains  pas  de  me  regarder.  Ministre  incorporel  du  Très-Haut,  je  viens, 
en  son  nom,  ô  Jeanne!  t'enjoindre  de  quitter  la  chaumière  pour  la  tente,  la  houlette  pour 
le  bâton  de  commandement,  la  peau  de  chèvre  pour  le  harnais,  et  enfin  pour  le  bruit  belli- 
queux du  tambour  et  du  clairon  le  son  pastoral  de  la  fronde  et  du  sifflet.  Rends-toi  à  Or- 
léans, embrasse  d'un  ferme  regard  les  travaux  guerriers  de  l'armée  anglaise,  prends  à  ta 
charge  la  défense  du  monarque  français,  et  que  partout  refleurissent  les  lis.  Charles,  ii  qui 
Dieu  révèle  également  par  moi  l'arrêt  de  sa  providence,  te  donnera  le  bâton  de  général,  per- 
suadé que  le  miracle  qui  lui  envoie  un  chef  lui  assure  d'avance  la  victoire...  (On  entend 
dans  le  lointain  les  tambours  et  les  clairons  battre  et  sonner  la  charge.)  Le  bruit  sourd  de 
cette  marche  est  l'indice,  heureuse  bergère,  que  la  colère  britannique  va  mettre  le  siège 
devant  Orléans.  (Jl  continue  en  chantant.)  A  Orléans  donc  pour  secourir  et  vaincre!  Puis- 
que Dieu  te  le  commande,  c'est  que  Dieu  va  avec  toi. 

JKANNE. 

Puisqu'on  ne  peut  se  soustraire  à  un  tel  ordre,  et  que  la  prière  serait  vaine,  la  résistance 
inutile,  que  mon  obéissance,  ô  brillante  merveille!  ô  secours  éclatant  de  lumière!  réponde 
avant  mes  lèvres.  Aujourd'hui  même  je  quitte  la  chère  compagnie  de  mes  agneaux  et  de  mes 
rochers  ;  déjà  je  sens  battre  dans  mon  creur  l'ardente  et  généreuse  envie  de  restaurer  l'antique 
honneur  perdu  de  la  France. 

(  Tous  deux  reprennent  ^  l'ange  en  chantant  et  Jeanne  en  récitant  :  ) 
A  Orléans  donc  pour  secourir  et  vaincre!  puisque  Dieu  me  le  commande,  c'est  que  Dieu 
vient  avec  moi  ! 

(La  vision  disparaît.) 

LE  ROI,  s'éveillant. 
Ecoute,  divine  merveille!  attends,  beau  prodige!  attends,  ô  Jeanne! 

La  Piicelle  d'OrliJaiis  de  Schiller,  reprcsentcc  à  Wcimar  en  iSoi,  est 
un  drame  du  genre  qu'on  peut  appeler  uoiivcaii  sliakspcarien ,  et  auquel 
se  rattache  le  théâtre  allemand  moderne.  Cette  pièce  n'est  pas  beaucoup 
plus  historique  que  celle  d'Antonio  de  Zamora;  mais  le  poëte  allemand  pa- 
raît plus  coupable  en  ce  point  pour  deux  raisons:  la  première,  que  la  fiction 
romanesque  substituée  par  lui  à  la  vérité  est  de  sa  part  un  acte  bien  plus 
volontaire  ,  bien  plus  réfléchi  que  chez  l'auteur  espagnol ,  à  qui ,  on  peut  rai- 
sonnablement le  croire ,  l'histoire  vraie  de  Jeanne  d'Arc  n'était  que  très- 
vaguement  connue;  la  seconde,  que  l'éminente  supériorité  du  génie  de 
Schiller  aurait  dià  l'empêcher  de  tomber  dans  une  pareille  faute  de  goijt. 
Quelles  qu'en  soient  les  beautés  de  scène  ou  de  style ,  et  de  telles  beautés 
ne  peuvent  guère  faire  défaut  dans  un  drame  sorti  de  ses  mains,  sa  tra- 
gédie romantique  (tel  est  le  nom  qu'il  lui  donna)  est  une  tragédie  manquée. 
Nous  ne  reproduirons  ici  que  la  dernière  scène  du  prologue ,  où  se  retrouve 
quelque  chose,  mais  quelque  chose  seulement  de  la  vraie  Pucelle.  Ce  mor- 


luqucl 
>  i.  j-.i,-.  i.^aucoup 
lëtc  allemand  pa- 
^re  ,  que  la  fiction 


le  manquee. 
rcproduu  : ,  où  se  retrouvu 

■h.^tr-       .-,-,  :•     ,    --.11.-,      r,.  oin- 


Photogravure  Coupii  $:C' 


'-.île  de  Rouen 


JEANNE   D'ARC  DANS    LES   LETTRES.  477 


ceau  lyrique,  admirable  sans  doute  par  le  souffle  ardent  qui  Fanime  ,  par 
la  fraîcheur  et  la  vivacité  des  images,  ne  semble  pas  en  revanche  exempt 
d'emphase  et  de  prétention.  Placée  dans  la  bouche  de  Jeanne  d'Arc ,  de 
la  paysanne  de  Domremy,  cette  ode  vraiment  pindarique ,  malgré  ce 
qu'elle  peut  exprimer  d'idées  ou  de  sentiments  justes  ,  n'est  peut-être  bien 
en  somme  qu'une  magnifique   dissonance. 


Adieu,  montagnes,  et  vous,  prairies  que  j'aimais;  vallée  tranquille  et  solitaire,  adieu! 
vous  ne  me  verrez  plus  promener  ici  mes  pas  :  Jeanne  vous  dit  un  éternel  adieu.  Plantes  que 
j'arrosais,  arbres  que  j'ai  plantés,  conservez  votre  douce  verdure.  Adieu,  grotte  chérie,  et 
vous,  sources  transparentes,  et  toi,  écho  dont  la  voix  a  si  souvent  répété  mes  chansons! 
Jeanne  part,  et  elle  ne  reviendra  jamais. 

Lieux  témoins  de  mes  innocents  plaisirs,  je  vous  quitte,  et  pour  toujours.  Agneaux,  dis- 
persez-vous sur  la  bruyère  :  vous  êtes  maintenant  sans  pasteur  ;  je  vais  guider  d'autres  trou- 
peaux à  travers  les  périls,  au  milieu  des  champs  du  carnage.  Ainsi  l'ordonne  la  voix  qui 
s'est  fait  entendre  à  moi;  une  passion  qui  n'a  rien  de  terrestre  ni  d'illusoire,  m'y  entraine. 

Car  celui  qui,  sur  le  sommet  de  l'Horeb,  descendit  aux  yeux  de  Moïse  dans  le  buisson 
ardent  pour  lui  ordonner  de  se  présenter  à  Pharaon;  celui  qui  jadis  envoya  au  combat  ce 
jeune  berger,  pieux  enfant  d'Isaï;  celui  qui  fut  toujours  favorable  aux  bergers,  celui-là  m'a 
parlé  à  travers  les  branches  de  l'arbre  :  «  Va,  a-t-il  dit,  tu  dois  témoigner  pour  moi  sur 
la  terre. 

"  Tu  enfermeras  tes  membres  dans  un  rude  vêtement  d'acier,  et  tu  couvriras  ton  sein 
d'une  armure.  Que  jamais  l'amour  d'un  homme  n'ose  approcher  de  ton  cœur;  repousse  ses 
flammes  coupables  et  ses  plaisirs  terrestres  et  vains  :  jamais  la  couronne  nuptiale  n'ornera  ta 
tète;  jamais  ton  sein  ne  nourrira  un  doux  enfant  :  cependant  je  répandrai  sur  toi  la  gloire 
des  armes;  tu  seras  illustre  par-dessus  toutes  les  autres  femmes. 

«  Quand  les  plus  braves  seront  découragés  au  milieu  du  combat ,  quand  le  destin  de  la 
France  semblera  toucher  à  son  terme,  alors  tu  élèveras  mon  oriflamme,  et,  comme  les 
moissonneurs  abattent  les  épis,  tu  terrasseras  les  vainqueurs  orgueilleux;  alors  tu  abais- 
seras la  roue  de  leur  fortune,  tu  ranimeras  les  héros  de  la  France,  et  tu  couronneras 
ton  roi  dans  Reims  délivré.  » 

Le  ciel  m'a  avertie  par  un  signe  :  c'est  lui  qui  m'envoie  ce  casque  ;  c'est  de  là  qu'il  me 
vient.  En  le  touchant  j'ai  senti  une  force  divine,  et  le  courage  des  milices  célestes  a  enflammé 
mon  cœur.  Je  me  sens  entraînée  dans  le  tumulte  des  armes;  j'entends  qu'on  m'appelle  au 
milieu  des  orages  de  la  guerre  :  la  trompette  sonne,  et  le  coursier  frappe  la  terre  de  son 
pied  ' . 

Quoique  le  drame  de  Schiller  ait  été  traduit  en  français  dès  1802,  et 
qu'il  en  ait  été  publié  en  1814  une  imitation  en  vers  par  un  poëte  de  Gre- 
noble, J.  Avril,  ce  n'est  point  au  genre  auquel  ce  drame   appartient  que 

1  Théâtre  iie  Schiller,  traduction  de  M.  do  Barante,  librairie  Firmin-Didot,  in-S°,  p.  loi. 


4/8  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


se  rattachent  les  pièces  composées  sous  TEmpire  et  sous  la  Restauration 
en  l'honneur  de  la  Pucelle.  La  tragédie  classique  avait  continué  de  ré- 
gner durant  tout  le  dix-huitième  siècle,  et  elle  maintint  à  peu  près  sauve 
durant  le  premier  quart  environ  du  dix-neuvième  sa  situation  dominante. 
Mais  un  mouvement  contraire  à  celui  qui  l'avait  éloignée  des  sujets  natio- 
naux, s'était  produit  après  les  premiers  successeurs  de  Racine,  et  par  un 
besoin  de  nouveauté  auquel  il  était  dilHcile  qu'elle  échappât,  elle  s'était  eflbr- 
cée  de  faire  rentrer  dans  son  cadre  conventionnel ,  d'assouplir  à  ses  formules 
de  scène  et  de  style  quelques  épisodes  de  l'histoire  de  France,  ou  plus  géné- 
ralement de  l'histoire  du  moj^en  âge.  Ce  mouvement ,  évident  déjà  dans  le 
cours  du  dix-huitième  siècle,  notamment  dans  le  théâtre  de  Voltaire  ,  et  sur- 
tout dans  celui  de  Belloy,  s'accentua  davantage  sous  l'Empire  et  sous  la  Res- 
tauration. Les  poètes  se  forgèrent  alors  tout  un  monde  romanesque  ,  plein 
de  sensibles  châtelaines ,  de  chevaliers  preux  et  galants  ,  de  gracieux  pages , 
de  traîtres  insidieux,  de  vertueux  solitaires,  de  lugubres  tyrans  et  de  gé- 
missants troubadours,  dont  il  est  resté  des  traces  non-seulement  dans  leurs 
œuvres,  qu'on  ne  lit  plus  guère,  mais  sur  un  bon  nombre  de  pendules. 
C'est  à  ce  moyen  âge  de  fantaisie  qu'ils  empruntèrent  la  couleur  dont  ils 
essayèrent  d'enrichir  leur  style  tragique,  servilement  calqué  sur  le  style 
divin  de  Racine,  dont  il  aurait  fallu  se  pénétrer  seulement.  L'alliance  du 
faux  classique  avec  le  faux  moyen  âge  produisit  un  mélange  assez  bizarre, 
dont  la  Jeanne  d'Arcàe.  d'Avrigny,  représentée  le  4  mai  1819,  et  celle  de 
Soumet,  jouée  le  14  mars  1820,  peuvent  offrir  un  spécimen,  en  même 
temps  qu'elles  donnent  l'idée  de  toutes  les  pièces  du  même  genre  consacrées 
à  la  Pucelle  sous  l'Empire  et  sous  la  Restauration.  Ni  l'élégance  du  lan- 
gage, trop  négligée  depuis  lors,  ni  le  sentiment  et  l'habileté  poétique  ne 
manquaient  à  d'Avrigny,  mais  le  genre  qu'il  a  cultivé  est  doublement 
faux.   Nous  citerons  le  discours  ,  la  tirade  que  Jeanne  adresse  à  Bedford  : 

JEANNE  u'ari:,  avec  une  noble  fierté. 

Si  dans  ce  jour  une  aveugle  furie. 
Prince,  par  ses  clameurs  n'attaquait  que  ma  vie, 
Celle  qu'à  la  vengeance  on  veut  sacrifier 
Dédaignerait  le  soin  de  se  justifier. 
Mais  au  Dieu  dont  je  tiens  ma  force  et  mon  courage, 
Guerrière,  je  dois  rendre  un  noble  témoignage 


JEANNE  D'ARC   DANS   LES   LETTRES.  479 


Je  le  dois,  je  le  veux,  et  ma  voL\,  sans  détours. 

De  ma  vie  à  vos  yeux  va  présenter  le  cours. 

Mon  nom  vous  est  connu...  Depuis  que  je  suis  née, 

L'hiver  n'a  pas  vingt  fois  vu  s'achever  l'année. 

Sous  un  rustique  toit  Dieu  cacha  mon  berceau  : 

Non  loin  de  Vaucouleurs,  quelques  prés,  un  troupeau, 

Des  auteurs  de  mes  jours  composaient  la  richesse  ; 

Le  travail  de  leurs  mains  nourrissait  leur  vieillesse. 

Docile  à  leurs  leçons,  heureuse  à  leur  côté. 

Mon  enfance  croissait  dans  la  simplicité  ; 

Et  bergère,  comme  eux  j'errais  sur  les  montagnes, 

Chantant  le  nom  du  Dieu  qui  bénit  les  campagnes. 

Chaque  jour  cependant  jusqu'à  nous  apportés. 

Des  bruits  affreux  troublaient  nos  hameaux  attristés  : 

On  disait  qu'inondant  et  nos  champs  et  nos  villes, 

L'Anglais,  à  la  faveur  de  nos  haines  civiles  , 

Allait  bientôt,  brisant  nos  remparts  asservis, 

Saper  les  fondements  du  trône  de  Clovis, 

Et,  de  la  Loire  enfin  franchissant  la  barrière. 

Sur  les  murs  d'Orléans  arborer  sa  bannière... 

Des  maux  de  mon  pays  en  secret  tourmenté. 

Tout  mon  cœur  s'indignait  jour  et  nuit  agité; 

Et  du  bruit  des  combats  au  milieu  des  prairies. 

Seule,  j'entretenais  mes  longues  rêveries. 

Un  soir  (il  m'en  souvient) ,  de  la  cime  des  monts 

L'orage,  en s'étendant,  menaçait  nos  vallons; 

Tout  fuyait...  Près  de  là  l'ombre  d'un  chêne  antique 

Protégeait  du  hameau  la  chapelle  rustique  : 

J'y  cours;  et  sur  la  pierre,  où  j  implorais  les  cieux. 

Le  sommeil,  malgré  moi,  vint  me  fermer  les  yeux. 

Tout  à  coup,  de  splendeur  et  de  gloire  éclatante. 

Du  céleste  séjour  une  jeune  habitante, 

La  houlette  à  la  main,  se  montre  devant  moi  : 

•<  Humble  fille  des  champs,  dit-elle,  lève-toi  ! 

Du  souverain  des  cieux  l'ordre  vers  toi  m'amène, 

Geneviève  est  mon  nom.  Les  rives  de  la  Seine 

Me  virent,  comme  toi,  conduire  les  troupeaux. 

Quand  du  fier  Attila  les  funestes  drapeaux 

Envoyaient  la  terreur  aux  deux  bouts  de  la  France, 

Ma  voix,  au  nom  du  ciel,  promit  sa  délivrance. 

Le  ciel  veut  par  ton  bras  l'accomplir  aujourd'hui. 

Du  trône  des  Français,  va,  sois  l'heureux  appui. 

Le  Dieu  qui,  des  bergers  empruntant  l'entremise. 

Jadis  arma  David  et  dirigea  Moïse, 

Dans  les  murs  de  Fierbois,  au  pied  des  saints  autels. 

Cacha,  depuis  longtemps,  aux  regards  des  mortels , 


4S0  ECLAIRCISSEMENTS. 


Le  glaive  qui,  remis  aux  mains  d'une  bergère, 
Doit  briser  les  efforts  d'une  armée  étrangère. 
En  secret,  éclairé  par  un  avis  des  cieux, 
Déjà  Valois  attend  le  bras  victorieux 
Que  suscite  pour  lui  leur  faveur  imprévue. 
Pleine  d'un  feu  divin  va  t'offrir  à  sa  vue; 
Marche;  Orléans  t'appelle  au  pied  de  ses  remparts  ; 
Marche  ;  à  ta  voix  l'Anglais  fuira  de  toutes  parts  ; 
Et  le  temple  de  Reims  verra,  dans  son  enceinte. 
Sur  le  front  de  ton  roi  s'épancher  l'huile  sainte...  >■ 
L'immortelle,  à  ces  mots,  remonte  dans  les  airs  ; 
Et  moi,  le  cœur  ému  de  sentiments  divers, 
Je  m'éveille  incertaine,  et  n'osant  croire  encore 
Au  choix  trop  éclatant  dont  rÉtcrnel  m'honore. 
Mais  trois  fois,  quand  la  nuit  ramène  le  repos. 
Je  vois  les  mêmes  traits,  j'entends  les  mêmes  mots  : 
«  Humble  fille  des  champs,  lève-toi  !  Dieu  t'appelle. 
Au  ciel,  à  ton  pays,  tremble  d'être  infidèle  !...  » 
Je  cède  enfin  :  je  pars,  respirant  les  combats... 
Le  frère  de  ma  mère  accompagnait  mes  pas. 
J'avais  atteint  le  front  des  collines  prochaines... 
Là,  muette  et  pensive,  ù  nos  bois,  à  nos  plaines, 
Par  un  dernier  regard  j'adressai  mes  adieux; 
Et  le  toit  paternel  disparut  à  mes  yeux... 

{Jeanne  d'Arc,  un  moment  attendrie,  s'arrête  et  se  lait. 
LE  DUC,  avec  émotion. 
Poursuivez. 

JEANNK  d'arc. 

Au  travers  du  trouble  et  du  ravage. 
Vers  la  cour  de  Valois  le  ciel  m'ouvre  un  passage  : 
J'arrive.  On  m'interroge;  on  doute  de  ma  foi; 
Mais  les  pontifes  saints  ont  rassuré  mon  roi  : 
Je  parais  à  ses  yeux.  Sans  crainte,  sans  audace, 
J'entre;  un  de  ses  guerriers  est  assis  à  sa  place; 
Lui-même,  au  milieu  d'eux,  il  siège  confondu  : 
Mais  un  esprit  céleste,  à  mes  yeux  descendu. 
Me  le  montrait  du  doigt  et  planait  sur  sa  tête. 
J'approche;  et  devant  lui  je  m'incline  et  m'arrête; 
Des  cieux,  à  haute  voix,  j'annonce  les  décrets... 
u  Oui,  me  dit-il,  commande;  et  mes  guerriers  sont  prêts 
A  suivre  sur  tes  pas  l'ardeur  qui  les  transporte.  » 
Il  dit;  et  de  Fierbois,  à  son  ordre  ,  on  m'apporte 
Le  glaive  qui  bientôt  doit  venger  les  Français. 
Nous  partons...  Mais  pourquoi  retracer  nos  succès? 
Jeune  et  faible  instrument  de  la  faveur  céleste. 
Je  marchais,  je  parlais...  Dieu  seul  a  fait  le  reste... 


JEANNE  D'ARC  DANS   LES  LETTRES.  481 


Voici  maintenant  la  dernière  scène  de  la  tragédie  de  Soumet  : 

HERMANGART.  JEANNE  D'ARC,  ADHÉMAR,  le  Peuple,  Gardes. 

JEANNE    d'arc. 

Allons...  Plus  de  lien  qui  m'attache  à  la  terre; 
Digne  Adhémar,  souvent  votre  voix  salutaire 
A  béni  ma  jeunesse  au  nom  du  Dieu  sauveur. 
De  ce  cœur  affaibli  ranimez  la  ferveur. 
De  la  vie  au  tombeau  ce  terrible  passage... 
L'éternel  avenir  que  la  foi  nous  présage, 
Au  cœur  même  du  juste  inspire  un  saint  effroi. 

(Elle  tombe  à  genoux.) 

ADHÉMAR. 

Pour  qui  seraient  les  Cieux  s'ils  n'étaient  pas  pour  toi? 

Ton  prince  était  privé  du  sceptre  légitime. 

Au  Dieu  qui  fait  les  rois  tu  t'offris  en  victime, 

Et  tu  fus  acceptée;  il  t'appelle  aujourd'hui. 

Il  réclame  l'offrande  :  elle  est  digne  de  lui. 

Sa  voix  parie  à  ton  cœur,  son  exemple  t'attire; 

Ton  front  brille  déjà  des  rayons  du  martyre. 

Le  bûcher  disparaît  et  se  change  en  autel  ; 

Ange  libérateur,  prends  ton  vol  vers  le  ciel  ! 

JEANNE  d'arc,  5e  relevant. 
Peuple,  j'ai  demandé  que  pour  grâce  dernière 
Au  pied  de  mon  bûcher  l'on  plaçât  ma  bannière. 

HERMANGART,  la  liti  montrant,  portée  par  un  soldat. 
Vos  vœux  sont  exaucés,  elle  est  devant  vos  yeux. 

JEANNE   d'arc. 

Oui,  je  la  reconnais....  Drapeau  victorieux, 

Dans  les  rangs  ennemis  nous  combattions  ensemble. 

Que  le  même  bûcher  tous  les  deux  nous  rassemble. 

{Elle  prend  le  drapeau.) 
Viens  de  tes  plis  sacrés  m'entourer  aujourd'hui; 
Dieu  te  mit  dans  mes  mains,  je  te  rapporte  à  lui. 
Marchons,  accomplissons  toute  ma  destinée. 
{Elle  monte  sur  le  bûcher,  dont  l'escalier  doit  être  dérobé  au.vj-eu.v  des  spectateurs.) 
ADHÉMAR,  à  Hermangart. 
Regarde-la  mourir,  toi  qui  l'as  condamnée, 
Des  tourmens  du  bûcher  son  courage  vainqueur.... 

JEANNE  d'arc,  du  liaiit  du  bûcher. 
Ils  n'arracheront  pas  un  soupir  de  mon  cœur; 
Mais  quel  ange  des  cieux  me  couvre  de  ses  ailes! 
C'est  lui!...  je  reconnais  ses  palmes  immortelles. 
Il  montre  l'avenir  à  mes  veux  éblouis.... 


ECLAIRCISSEMENTS. 


France,  encor  un  laurier...  Terre  de  saint  Louis, 

De  ces  tyrans  des  mers  cesse  d'être  sujette. 

Anglais ,  disparaissez ,  la  France  vous  rejette , 

Et ,  de  vos  corps  sanglants  dispersant  les  lambeaux , 

Pour  ses  vainqueurs  d'un  jour  n'a  plus  que  des  tombeaux. 

Elle  a  brisé  ses  fers ,  a  relevé  sa  gloire , 

Et  mon  âme  s'envole  au  bruit  de  sa  victoire. 

Classique  sans  aucun  doute,  la  tragédie  de  Soumet  Test  moins  pourtant 
que  celle  de  d'Avrigny,  et  Ton  y  peut  remarquer  des  concessions  faites  à  la 
nouvelle  école,  qui,  après  de  brillants  et  durables  succès  dans  la  poésie  ly- 
rique, commençait  à  porter  son  ambition  vers  un  renouvellement  du  théâ- 
tre, où  elle  ne  tarda  pas  à  faire  paraître  le  drame  dit  romantique ,  issu  de 
l'imitation  de  Shakspeare  et  de  ses  disciples  d'outre-Rhin,  mais  se  distin- 
guant du  drame  anglais  et  du  drame  allemand  par  un  certain  nombre  de 
qualités  et  de  défauts,  pour  la  plupart  empruntés  à  cette  même  tragédie 
classique  dont  le  drame  nouveau  prétendait  à  prendre  la  place. 

Plusieurs  des  réformes  proposées  par  Técole  romantique,  par  e.xcmple  la 
disposition  libre  du  temps  et  de  l'espace,  un  plus  grand  mouvement,  un 
plus  grand  appareil  scénique,  plus  d'aisance  et  de  familiarité  dans  le  dia- 
logue, étaient,  ce  semble,  favorables  à  l'e.xpression  sur  le  théâtre  de  l'his- 
toire de  la  PuccUe.  Les  chefs  de  l'école  ne  songèrent  pas  à  tenter  l'épreuve. 
Mais  la  tentati\e  n'en  fut  pas  moins  foite.  L'une  des  premières  applications 
du  nouveau  système,  application  modérée,  au  grand  sujet  de  Jeanne  d'Arc,  se 
trouve  dans  la  tragédie  ce  nom  fut  conservé  par  l'auteur)  publiée  en  1843 
par  .\L  Th.  de  Puymaigrc.  Le  prologue,  le  premier  acte  et  plusieurs  autres 
scènes  sont  imités  de  Schiller.  Nous  citerons  une  partie  de  l'interroga- 
toire de  Jeanne,  pour  lequel  M.  de  Puymaigre  a  suivi  de  fort  près  l'his- 
toire. 

d'estivet,  à  Jeanne. 
Sur  votre  étendard  blanc  et  parsemé  de  lis, 
Le  saint  nom  de  Marie  et  de  son  divin  fils 
Brillaient  en  lettres  d'or  au-dessous  d'un  nuage, 
Où  vous  aviez,  du  Christ,  fait  retracer  l'image? 

JEANNE. 

Dieu  le  voulait  ainsi. 

PIERH  K. 

Nous  direz-vous  pourquoi , 


JEANNE   D'ARC  DANS   LES   LETTRES.  483 


Alors  que  l'on  sacrait  votre  prétendu  roi, 

On  vous  vit  tout  le  temps  que  dura  le  mystère, 

Au  pied  du  maître-autel  tenir  votre  bannière? 

JEANNE. 

Qui  prend  part  au  péril,  doit  l'avoir  à  l'honneur... 

d'estivet. 
Pensez-vous  à  présent  être  en  état  de  grâce? 

JEANNE. 

Si  j'y  suis,  Dieu  m'y  garde,  et  si  je  n'y  suis  pas. 
Que  Dieu  veuille  m'y  mettre  ! 

PIERRE. 

En  marchant  aux  combats 
N'avez-vous  donc  jamais  employé  de  pratiques 
Que  l'Église  réprouve  et  traite  de  magiques; 
Dit  des  mots  inconnus,  étranges? 

JEANNE. 

Je  disais 
Jetez-vous  hardiment  au  milieu  des  Anglais, 
Et  m'y  jetais  moi-même 

riERRE. 

Vous  prétendez  qu'à  vous  Dieu  s'est  manifesté; 
Sans  doute,  vous  savez  le  peuple  qu'il  préfère? 

JEANNE. 

Dieu  chérit  mon  pays. 

PIERRE. 

I!  hait  donc  l'Angleterre  ? 

JEANNE. 

Je  le  répéterai  :  les  Français  vous  vaincront  : 

Hors  ceux  qui  seront  morts,  tous  les  Anglais  fuiront. 

d'estivet. 
Qui  vous  l'a  dit  ' 

JEANNE. 

Mes  voix. 

d'estivet. 
Quand  ? 

JEANNE. 

Hier,  la  voix  sainte 
M'a,  de  plus,  ordonné  de  vous  parler  sans  crainte, 

PIERRE. 

Puisque  tous  les  destins  vous  sont  ainsi  prédits, 
Dites,  qui  vous  attend? 

JEANNE. 

La  paix  du  paradis. 


484  écl.\ircissp:ments. 


D  ESTIVET. 

Charles  Sept  crut  en  vous,  grâce  il  quel  stratagème? 

.IFANMC. 

Allez  l'interroger,  qu'il  réponde  lui-même...- 

d'estivet. 
Et  vous  n'avez  pas  craint  d'irriter  votre  père , 
De  quitter  Domremy  sans  avoir  son  aveu  ? 

JEANNE. 

Lui  désobéissant,  j'obéissais  il  Dieu. 

Nous  ne  saurions  passer  sous  silence  l'étude  sur  les  pocics  de  Jeanne 
d'Arc,  placée  par  M.  de  Puymaigre  en  tète  de  sa  tragédie,  et  dont  nous 
avons  profité.  L'auteur  y  donnait  les  premières  marques  de  cette  vocation 
pour  l'histoire  littéraire,  dontil  a  fourni  depuis  des  preuves  qui  ont  placé  son 
nom  parmi  les  plus  estimés  de  l'érudition  française.  C'est  au  mC-me  genre 
que  la  pièce  composée  par  lui  en  l'honneur  de  la  Pucellequese  rapportent 
le  drame  de  M.  J.-J.  Porchat  :  la  Mission  de  Jeanne  d'Arc,  drame  en 
cinq  journées,  en  vers  (1844^  et  celui  de  AI.  Athanase  Renard  :  Jeanne 
d'Arc,  on  la  fille  dn  peuple  au  quin-i'eme  siècle,  drame  historique  en  vers 
libres  et  en  sept  tableaux  (i83i).  Comme  la  tragédie  de  M.  de  Puymaigre, 
ni  l'un  ni  l'autre  n'ont  été  représentés.  Voici  comment  Jeanne,  dans  le 
drame  de  M.  Porchat,  raconte  à  son  frère  Pierre  sa  première  vision  : 

J'avais  treize  ans;  c'était  il  midi,  dans  ce  lieu  , 

Dans  ce  même  jardin  où  j'étais  occupée, 

D'une  voix  tout  à  coup  mon  oreille  est  frappée. 

On  m'appelle  deux  fois.  C'était  de  ce  côté. 

Je  regarde....  Au  milieu  d'une  blanche  clarté  : 

Un  ange  aux  ailes  d'or...  sur  lui  la  flamme  brille. 

.<  Je  suis  Michel,  dit-il,  je  viens  pour  toi,  ma  (Me; 

Je  reviendrai  souvent,  ne  va  point  l'alarmer, 

A  voir  les  bienheureux  il  faut  t' accoutumer.  » 

Mais  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite 

Bien  plus  souvent  que  lui  dès  lors  m'ont  fait  visite, 

Et  ce  n'est  point  un  songe.  Oh  !  non,  célestes  voix  ! 

De  mes  yeux  corporels,  mon  frère,  je  les  vois. 

Je  les  vois.  C'est  d'en  haut  que  me  vient  leur  image. 

Je  connais  leur  patrie  à  leur  divin  langage. 

Et  sais-tu  quels  avis  j'en  reçois  tous  les  jours  >... 

(Avec force  et  gravité.] 
Il  faut  qu'à  mon  dauphin  j'aille  porter  secours. 


JEANNE  D'ARC   DANS   LES   LETTF^ES.  483 


Ses  nobles  chevaliers  laissent  périr  la  France  : 
De  moi  seule,  de  moi  viendra  la  délivrance. 

Voici  maintenant  un  fragment  de  Finterrogatoire  : 

JEANNE. 

Un  rapport  qui  m'accuse,  on  l'écrit  toujours  bien; 
Ce  qui  me  justifie,  on  n'en  conserve  rien. 

MAGISTRI    '. 

Donc  tu  fais  dans  l'erreur  une  chute  nouvelle! 

JE.\NNE. 

A  mon  Dieu  jusqu'au  bout  je  demeure  fidèle. 

MAGISTRI. 

Tu  te  dis  en  sa  grâce! 

JEANNE. 

Ah!  c'est  un  bien  grand  cas. 
Si  j'y  suis,  Dieu  m'v  tienne;  et  si  je  n'y  suis  pas, 
M'y  veuille  recevoir  ! 

MAGISTRI. 

Est-ce  lui  qui  t'ordonne 
De  tuer,  d'égorger' 

JEANNE. 

Je  n'ai  tué  personne. 
Je  disais  à  nos  gens,  mon  étendard  en  main  : 
■'   Entrez  chez  les  Anglais!  »  Et  j'ouvrais  le  chemin. 

Nous  empruntons  au  drame  de  M.  Athanase  Renard  deux  fragments  : 
l'un  se  rapporte  à  la  scène  de  Chinon,  l'autre  à  Tinterrogatoire  de  Poitiers  : 

JEANNE. 

Je  demande  à  parler  au  roi. 

{Au  duc  d'Alençon,  qui  se  présente  à  elle.) 
Chevalier,  n'en  déplaise  à  votre  seigneurie , 
Le  roi,  ce  n'est  pas  vous...  laissez-moi,  je  vous  prie. 
Le  chercher...  je  le  vois. 

[S'approchant  du  roi,  qu'elle  a  reconnu.) 
C'est  vous,  gentil  dauphin. 
Pourquoi  vous  détourner  ainsi  de  mon  chemin. 
Quand,  depuis  si  longtemps,  je  cherche  votre  vue?... 
C'est  de  la  part  de  Dieu  que  Jeanne  vous  salue 


1  Ce  Magistri,  dans  la  pièce  de  M.  Porchat,  est  un  astrologue  de  Charles  VII,  qui  devient  par  la  suite 
un  juge  de  la  Pucelle.  Cette  invention  ne  me  paraît  pas  fort  heureuse. 


486 


ECLAIRCISSEMENTS. 


iteMittij'ii 


Fig.  2IQ.  —  Jeanne  est  saisie  J'effioi  en  chevauclianl  à  travers  les  cadavres  couchés  sur  le  champ  Je 
bataille.  —  Travail  en  bronze  de  la  princesse  Marie  d'Orléans.  Hôtel  de  ville  d'Orléans. 


GUILLAUME   AYMERL 

Jeanne ,  vous  demandez  qu'on  vous  donne  moyen 

De  combattre...  A  quoi  bon,  si  Dieu,  dans  sa  puissance', 

A  résolu  de  nous  sauver. 
Car  il  peut  tout  d'un  mot. 


JEANNE  D'ARC  DANS  LES   LETTRES.  48/ 


JEANNE. 

C'est  à  nous  d'achever 
Ce  que  pour  nous  sa  volonté  commence  ; 
Et  les  jours  mauvais  passeront. 
Les  gens  d'armes  batailleront, 
Et  Dieu  donnera  la  victoire. 

Personne  n'ignore  qu'à  côté  du  drame  en  vers  Fécole  nouvelle  fit  une 
large  place  au  drame  en  prose.  Dès  i832  M.  Henri  Millet  écrivait  ainsi 
une  Jeanne  d'Arc.  Le  théâtre  de  la  Gaîté  représenta  le  17  avril  1N47 
un  «  drame  national  >.  en  cinq  actes  et  en  dix  tableau.x,  dont  Fauteur  était 
M.  Charles  Desnoyer.  C'est  aussi  en  dix  tableaux  que  se  subdivise  le 
«  drame  historique  »  pubUé  par  MM.  Louis  Jouve  et  Henri  Cozic  (1S57). 
C'est  sous  ce  même  titre  et  la  même  année  que  parut  la  Jeanne  d'Arc  en 
cinq  actes  et  en  prose  de  Daniel  Stern  (xM""=  la  comtesse  d'Agoult),  qui 
a  jugé  bon  d'y  mêler  ses  sentiments  personnels  au  point  de  faire  pro- 
phétiser à  Jeanne  la  prétendue  mission  de  Luther.  Il  y  a  eu  encore 
sur  Jeanne  d'Arc  d'autres  drames  en  prose.  La  tragédie  classique,  cul- 
tivée encore  par; quelques  personnes,  le  drame  romantique  en  vers,  ont 
aussi  maintenu  leurs  droits  ou  leurs  prétentions  sur  ce  sublime  autant  que 
difficile  sujet.  L'alliance  ingénieuse  du  drame  en  vers  et  de  l'opéra  vient  de 
faire  obtenir  à  la  Jeanne  d'Arc,  en  cinq  actes,  avec  chœurs,  de  M.  P.-J. 
Barbier,  musique  de  M.  Ch.  Gounod,  représentée  pour  la  première  fois  à 
Paris,  sur  le  théâtre  de  la  Gaîté,  le  S  novembre  1N73  ',  un  succès  vif  et 
prolongé.  M.  P.-J.  Barbier  doit  être  loué  surtout  de  ses  efforts  vers  la  vérité 
historique,  des  nombreux  emprunts  qu'il  a  faits  aux  textes  contemporains  et 
aux  paroles  authentiques  de  la  Pucelle.  Voici  comment  Jeanne  raconte  ses 
visions  à  un  personnage  nommé  Thibaut  : 

JEANNE. 

J'avais  treize  ans  !  Déjà  nos  campagnes  ouvertes 
Voyaient  se  rapprocher  la  guerre  et  ses  alertes  ; 
Le  trouble  et  la  frayeur  étaient  dans  les  esprits , 
Et  les  yeux  inquiets  regardaient  vers  Paris  ! 
Un  soir,  comme  j'étais  à  genoux,  en  prière, 


1  M.  P.-J.  Barbier  avait  publié  en  1869  une  première  édition  Je  son  drame,  qui  ne  diffère  de  la 
seconde  que  par  l'absence  Jcs  scènes  ou  parties  de  scènes  ajoutées  pour  recevoir  la  musique  de 
M.  Gounod. 


488  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


Une  voix  m'appela ,  dans  un  jet  de  lumière  ; 
J'eus  peur,  et  je  pleurai.  La  voix  s'évanouit, 
Et  le  rayon  de  feu  disparut  dans  la  nuit  ! 

THIBAUT. 

Rêve  ou  délire  ! 

JEANNE. 

Non,  pour  douter  veuille  attendre. 
La  clarté  reparut;  la  voix  se  fit  entendre; 
Puis  d'autres  voix  encor  qui  descendaient  du  ciel  ! 
Je  les  connus  :  c'étaient  l'archange  saint  Michel, 
Et  sainte  Marguerite,  et  sainte  Catherine; 
Et  je  les  contemplai  dans  leur  splendeur  divine  ! 

THIB.\UT 

Dieu  tout-puissant  !. . . 

JEANNE. 

Dès  lors ,  maîtresses  de  mes  jours , 
Les  saintes  m'ont  conté  les  villes  sans  secours , 
Les  vainqueurs  sans  merci,  le  roi  .sans  espérance 
Et  la  grande  pitié  du  royaume  de  France  ! 
Enfin,  voici  deux  mois  passés  que  j'entendis 
La  voLx  du  Seigneur  même  en  son  saint  paradis  : 
"  Jeanne  !...  il  faut  que  tu  sois  dans  le  temps  du  carême. 
Devers  ton  souverain!...  Nul  autre  que  toi-même, 
Prince  ni  duc,  ne  peut  venir  en  aide  au  roi! 
Sans  toi  point  de  secours  !...  Va  !  je  serai  vers  toi! 
Va  !...  fille  de  Dieu!...  va!...  » 

THIBAUT. 

Jésus!... 

JEANNE. 

Moi,  pauvre  fille. 
Abandonner  mon  toit  !  délaisser  ma  famille! 
Voir  le  sang  des  chrétiens  couler  dans  les  combats! 
Donner  la  mort!  tuer!...  Non!  je  ne  tûrai  pas! 
Ah!  l'esprit  soulagé  de  cette  angoisse  amère, 
Que  j'aimerais  bien  mieux  ,  près  de  ma  pauvre  mère , 
Filer  le  lin,  le  chanvre,  et  que  le  ciel  m'ôtât 
De  souci  ;  car  enfin  ce  n'est  pas  mon  état  ! 
J'ai  tant  pleuré,  prié,  demandé  cette  grâce  !... 
Si  Dieu  le  veut  pourtant ,  il  faut  que  je  le  fasse! 
Je  n'y  peux  plus  durer!  Mon  cœur  est  éperdu!... 

Le  chfcur  des  femmes  du  peuple,  à  la  scène  première  du  quatrième  acte, 
exprime  assez  bien  les  sentiments  d'admiration,  d'amour  et  de  respect 
religieu.x  que  faisaient  éclater  partout  pour  leur  libératrice,  avec  un  irré- 


■  Jeanne  écoute  ses  voix  célestes.  Sculpture  de  Rude  (i852),  autrefois  dans  le  jardin 
du  Luxembourg,  à  Paris,  aujourd'hui  au  musée  du  Louvre. 


N'NE    D  ARC.    Ili.  —   b-2 


ECLAIRCISSEMENTS. 


sistible  enthousiasme,  les  populations  délivrées,  dont  Pimagination  se 
plaisait  à  orner  de  détails  touchants  et  d'un  commencement  de  légende  le 
surnaturel  simple  et  vrai  de  son  histoire. 


DEMI-CHŒUR. 

Sans  verser  le  sang,  elle  prend  les  villes! 

DEMI-CHŒUR. 

I.c  mourant  renaît  à  son  (.ion\  rcgarJ  ! 

DEMI-CHa;UK. 

On  voit  les  oiseaux  ,  à  sa  voix  dociles , 
Descendre  des  cieux  sur  son  étendard  ! 

DEMI-CI1ŒIM(. 

Elle  sait  d'un  mot  captiver  les  Tunes  ! 

DEMI-CHŒUR. 

Les  anges  pour  elle  ont  des  chants  d'amour 

DEMI-CH(EUR. 

l'.llc  prend  les  dons  des  plus  grandes  dames 
I"t ,  comme  une  reine,  en  fait  il  son  touri 

LE    CHŒUR. 

C'est  l'ange  de  Dieu  lui-même  ' 
Elle  apporte  le  saint  chrême; 
Elle  vient  sécher  nos  pleurs! 
Sa  bouche  rend  des  oracles  ; 
Sa  main  répand  les  miracles 
Comme  Dieu  répand  les  fleurs  ! 


Voici  un  fragment  de  l'interrogatoire  : 


JEAN    n  ESTIVET. 

Oui,  tu  te  plais  fi  voir  couler  le  sang  ciirétien  ! 

JEANNE. 

Moi,  grand  Dieu!...  ma  seule  arme,  et  vous  le  savez  bien, 
Que  pour  me  démentir  les  morts  mêmes  renaissent  !  — 
Était  mon  étendard!...  Les  Anglais  le  connaissent! 

WARWICK. 

Tu  l'avais  enchanté,  sorcière!...   Conviens-en! 

JEANNE. 

C'est  faux  ! ...  Je  le  montrais  aux  miens,  en  leur  disant. 
Quand  aux  rangs  ennemis  flottait  votre  bannière  : 
«  Entrez  là  hardiment!...  >■  Et  j'entrais  la  première! 


JEANNli    D'ARC    DANS    LES   LETTRES.  491 


JEAN    D  ESTIVET. 

Et  sa  forte,  dis-tu,  ne  venait  que  de  toi .' 

JEANNE. 

Tout  en  était  à  Dieu  ! 

JE.VN  d'estivet. 

S'il  est  ainsi,  pourquoi 
Devançait-il  au  iucre  et  prince  et  capitaine? 

JEANNE. 

N'avait-il  pas  été  le  premier  à  la  peine! 
C'était  raison,  je  crois,  qu'il  le  fût  à  l'honneur! 

WARSVICK. 

Pardieu!  son  roi  croyait  la  tenir  du  Seigneur!... 

JEANNE. 

S'il  l'a  cru,  m'est  avis  qu'il  croyait  bien,  messirc! 

WARWICK. 

Lui,  ce  prince  hérétique  et  sans  foi!...  lui,  le  pire 
Des  bâtards!... 

JEANNE. 

Vous  mentez!...  Et  moi,  je  vous  soutiens 
Que  c'est  lui  le  plus  noble  entre  les  rois  chrétiens! 
Si  l'ai  mal  fait,  c'est  moi  qui  mérite  le  blâme!..'. 

Une  idée  fort  heureuse,  conforme  à  la  vraisemblance  historique  et  thcD- 
logiquc  aussi  bien  que  propre  à  Teflet  théâtral,  c'est  d'avoir  fait  entendre  à 
Jeanne  sur  son  bûcher,  de  la  part  des  anges  et  des  deux  saintes,  ses  célestes 
conseillères,  les  mêmes  paroles  qu'elle  avait  entendues  dans  les  visions  de 
son  enfance,  et  depuis,  si  souvent,  durant  le  cours  de  ses  e.vploits. 

JEANNE,  dont  la  figure  semble  sillttininef. 
Ah!  le  paradis  s'ouvre!...  arrière,  lâches  craintes!... 
Je  comprends  maintenant  les  promesses  des  saintes! 
C'est  Dieu  qui  me  délivre!...  Ah!...  Jésus,  Maria!... 

LES    DEU.X   SAINTES    INVISIBLES. 

Va!...  je  serai  vers  toi!  va!  fille  de  Dieu,  va!... 

LE    CHŒUR    INVISIBLE. 

Va!,  .je  serai  vers  toi  !  va!  fille  de  Dieu  ,  va'... 
La  flcvnme  s'élève:  Jeanne  incline  la  tète:   un  i}nmcnse  J'risson-enie::!  court  dans  la 
foule.) 

LA  rouLE. 

Ah!!! 

La  toile  Ir.tubc: 


ECLAIRCISSEMENTS. 


Le  drame  de  .M.  Barbier  ne  sera  pas,  on  peut  le  croire,  la  dernière  pièce 
écrite  en  rhonneur  de  l'héroïque  vierge,  dont  la  gloire  grandit  chaque  jour 
en  France,  en  Angleterre  et  dans  le  monde  entier.  Nous  faisons  des  vœu.x 
pour  que  la  poésie  dans  ses  divers  genres,  ceux  du  moins  à  qui  un  tel  sujet 
est  permis,  produise  des  œuvres  dignes  de  Jeanne.  Elle  le  fera  si  elle  sait 
s'inspirer  de  son  histoire;  mais  cette  histoire,  encore  une  fois,  elle  ne  l'éga- 
lera jamais. 


-Maki us  Sepet. 


7,1''-"-=:-'--  —-^^r::- 


Monument  ûlevv  à  Domremy,  en  mémoire  de  la  Puccllc, 
sous  le  règne  du  roi  Louis  XVIII  (1S20). 


JEANNE   D'ARC  ET  LA  MUSIQUE 


\  musique  aime  à  passer  des  accents  les 
plus  doux  aux  accents  les  plus  passionnés , 
de  la  prière  à  la  violence,  de  l'expression 
des  sentiments  humains  et  tendres  à  l'ex- 
pression des  sentiments  cruels,  impitoya- 
bles. Toute  fable  qui  présente  des  contras- 
tes frappants  et  beaucoup  de  variété  est 
^'"^  essentiellement  favorable  au  génie  du  mu- 
^"  sicien,etil  semble  qu'un  sujet  cà  la  fois 
pastoral  et  naïf,  héroïque  et  religieux, 
national  et  tragique,  soit  le  thème  le  plus 
heureux  qu'on  puisse  proposer  à  un  compositeur.  Comment  se  fait-il  donc 
que  la  sublime  figure  de  Jeanne  d'Arc  n'ait  pas  encore  inspiré  une  seule 
mélodie  populaire?  Pourquoi  la  vierge  d'Orléans  n'a-t-elle  pas  été  chantée 
par  les  musiciens  de  son  temps  ?  Pourquoi  nous  sera-t-il  difficile  de  citer 
des  pages  musicales  appelées  à  rester  au  répertoire  des  théâtres  lyriques  ou 
des  concerts?  C'est  que  la  poésie  et  la  musique  sont  des  sœurs  jumelles,  et 
que  trop  souvent,  hélas!  on  les  prendrait  pour  des  rivales  ou  des  sœurs 
ennemies  . 


]S  bl  oth    de  SI     \.mbro  se  F  Didut 


ECLAIRCISSEMENTS. 


Il  ne  faut  pas  s'étonner  d'ailleurs  si  la  chanson,  d'essence  assez  frivole, 
a  oublie  Jeanne  d'Arc,  et  s'est  souvenue  avec  délices  de  la  Charviautc 
Gabriellc.  Le  peuple,  au  commencement  du  quinzième  siècle ,  ne  répétait 
guère  d'autres  refrains  que  les  couplets  de  l'Homme  arme  ou  de  quelques 
rondes  à  danser;  et  les  musiciens  de  la  chapelle  de  Charles  ^'II,  à  peine 
sortis  des  barbares  successions  de  quintes,  de  quartes  et  d'octaves  qu'all'ec- 
tionnait  le  moyen  âge,  se  détournaient  du  but  principal  de  leur  art,  qui  est 
de  charmer  et  d'émouvoir,  pour  s'adonner  à  toutes  les  recherches  et  tomber 
dans  toutes  les  puérilités  d'une  science  aride.  Sous  le  règne  de  Henri  I\',  au 
contraire,  la  forme  ne  détrônait  plus  l'idée ,  et  le  sentinient  mélodique  tendait 
à  revenir  aux  plus  doctes  compositeurs,  ainsi  que  l'a  prouvé  Eustache 
Ducaurroy. 

Que  les  circonstances  politiques  et  sociales,  ainsi  que  l'état  de  la  musique 
au  temps  de  Charles  VII,  aient  empêché  l'éclosion  de  chansons  populaires 
sur  Jeanne  d'Arc,  cela  nous  paraît  facile  à  comprendre  ;  mais  il  est  indis- 
pensable de  connaître  à  fond  l'histoire  du  théâtre  en  France,  pour  s'expli- 
quer la  tardive  apparition  de  la  Pucelle  d'Orléans  sur  nos  scènes  lyriques. 

Nous  ne  songeons  pas  à  entreprendre  ici  un  travail  inutile,  après  l'étude 
si  consciencieuse  et  si  intéressante  de  M.  Marins  Sepet  qu'on  a  lue  dans  le 
chapitre  précédent.  Nous  nous  contenterons  de  rappeler  qu'à  l'Opéra,  de 
même  qu'à  la  Comédie  française,  on  dédaigna  pendant  longtemps  les  sujets 
empruntés  à  l'histoire  ou  aux  traditions  nationales.  —  Ce  ne  fut  que  douze 
ans  après  la  mort  de  Voltaire  '  qu'on  entendit  pour  la  première  fois  une 
Jeanne  d'Arc  à  Orléans,  comédie  en  trois  actes  et  en  vers|,  mêlée  d'ariettes  : 
cette  pièce  de  J.-B.  Choudard,  dit  Desforges,  mise  en  musique  par  le  violo- 
niste Rodolphe  Kreutzer,  fut  représentée  sur  le  Théâtre  italien,  le  lo  mai 
1790.  Elle  n'a  point  été  imprimée,  et  nous  n'en  connaissons  que  la  donnée 
générale,  qui  n'avait  rien  d'historique.  Dans  cet  opéra  comme  dans  la 
chanson  de  Béranger,  on  entendait,  sans  doute,  Charles  \TI  s'écrier  : 

Je  vais  combattre,  Agnès  l'ordonne  : 
Adieu,  repos;  plaisirs,  adieu! 
J'aurai,  pour  venger  ma  couronne, 
Des  héros,  l'amour  et  mon  Dieu. 

t  On  sait  que  Voltaire  mourut  le  3o  mai  1778.  Personne,  cioyons-nous,  n'a  jamais  l'ait  remarquer  qu'il 
expira  le  jour  anniversaire  de  la  mort  de  Jeanne  d'Arc. 


JEANNE  D'ARC   ET   LA  MUSIQUE.  495 


Anglais,  que  le  nom  de  ma  belle 
Dans  vos  rangs  porte  la  terreur. 
J'oubliais  l'honneur  auprès  d'elle; 
Agnès  me  rend  tout  à  l'honneur. 

Voici,  en  effet,  la  fable  qu'avait  développée  De.sforges  :  Agnès  Sorel,  à 
l'instigation  de  Dunois,  feignait  de  quitter  le  foi,  et  Charles  VII,  stimulé 
par  le  désir  de  plaire  à  sa  maîtresse,  volait  à  la  bataille,  armait  Jeanne 
d'Arc,  puis  recourait  à  l'épée  de  la  vierge  héro'ique  pour  délivrer  Agnès 
tombée  au  pouvoir  des  Anglais  et  pour  lever  le  siège  d'Orléans. 

D'après  le  témoignage  des  contemporains,  cette  pièce  obtint  du  succès, 
en  dépit  des  défauts  qu'on  y  remarqua  ;  quant  à  la  musique,  coup  d'essai 
de  Rodolphe  Kreutzer  au  théâtre,  elle  fit  concevoir  une  opinion  fort  avan- 
tageuse du  talent  de  ce  compositeur,  puisqu'elle  lui  valut  d'écrire  et  de 
donner  huit  mois  plus  tard  Paul  et  l^irginie ,  son  meilleur  opéra.  Sa  par- 
tition cependant  n'a  point  été  gravée,  et  aucun  morceau  n'en  est  arrivé  jus- 
qu'à nous  sous  sa  forme  première;  mais  R.  Kreutzer  en  a  probablement 
intercalé  des  motifs  dans  l'un  de  ses  nombreux  ouvrages. 

Nous  croyons  que  la  Giovaiina  d'Aven  du  compositeur  napolitain  An- 
drcozzi  (i  7(33- 1 82(3)  est  aussi  restée  inédite  :  tout  ce  que  nous  savons  rela- 
tivement à  cet  opéra,  le  plus  ancien  de  ceux  qu'ait  inspirés  en  Italie  le  sou- 
venir de  la  Pucelle  d'Orléans,  c'est  qu'il  fut  représenté  à  Venise  en  1793. 

La  tragédie  de  Schiller,  si  bien  accueillie  à  Leipzig  en  i<Soi,  devait,  en 
méritant  l'admiration  de  toute  l'Allemagne,  exciter  tôt  ou  tard  la  verve  des 
musiciens.  Bernard-Anselme  Weber,  le  premier,  orna  de  musique  la 
.Jeanne  d'Arc  du  grand  poète.  Près  et  plus  de  cinquante  ans  après  cet 
essai,  M.  Jos.  Klein  (à  Cologne,  en  1S44),  M.  Damrosch  (à  Weimar, 
en  1837''  et  M.  Max  Bruch  à  Cologne,  en  iSSq"),  ont  également  écrit  pour 
ce  drame  romantique  divers  morceaux  qui  peuvent  avoir  de  l'intérêt,  mais 
qui,  jusqu'à  présent,  n'ont  pas  franchi  les  frontières  de  la  Germanie. 

Les  Allemands  n'ont  pas  seulement  introduit  de  la  musique  dans  la  pièce 
de  Schiller,  ils  ont  transformé  sa  tragédie  en  ballet  et  en  opéra.  C'est  à 
Vienne,  en  1821 ,  que  fut  représentée  ballet  d'Aumer,  mis  en  musique  par 
le  comte  de  Gallenberg-,  c'est  aussi  dans  cette  capitale,  en  1841  ,  que  fut 
chanté  l'opéra  de  M.  Vesque  de   Puttlingen,  entendu  plus  tard  à  Dresde, 


4.i6  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


puis  à  Berlin.  Cet  ouvrage  n'a  pas  été  traduit  en  français,  et  nous  doutons 
qu'il  eût  reçu  chez  nous  un  favorable  accueil.  Autant  en  dirons-nous  de  la 
Jeanne  d'Arc  représentée  ù  Londres  en  iS3():  cet  opéra  anglais  de  Balfe 
(1808-1870),  mélodiste  aimable  et  facile,  mais  souvent  banal,  manquait 
d'élévation,  de  grandeur  et  d'originalité. 

Nous  venons  de  rappeler  les  oeuvres  lyriques  composées  pour  ou  d'après 
le  drame  de  Schiller.  Nous  allons  à  présent  dire  un  mot  des  principaux 
opéras  sur  la  Pucelle  d'Orléans  qui  ont  été  donnés  en  Itah'e;  nous  parle- 
rons ensuite  des  partitions  françaises. 

La  Glovanna  d'Arco  de  Vaccaj  (  1 791-1849)  date  de  1 N27  ,  il  n'en  est  rien 
resté.  Celle  de  Pacini  (  1  796-1867)  fut  représentée  à  Milan  ,1c  1-2  mars  i  N3o  ; 
on  Ta  oubliée  depuis  longtemps  déjà.  Quant  à  la  Giovaiiua  d'./rco  de  Gui- 
seppe  Verdi,  écrite  pour  la  Scala  de  Milan,  où  on  l'entendit  pour  la  pre- 
mière fois  en  février  1845,  elle  a  fait  son  apparition  au  Théi'itre-Italien  de 
Paris  le  28  mars  1868,  et  elle  a  eu  les  honneurs  de  la  traduction  en  fran- 
çais'. Est-ce  à  dire  que  Ton  classe  cet  opéra  parmi  les  chefs-d"(euvre?  Bien 
loin  de  là,  puisqu'il  ne  s'est  point  maintenu  au  répertoire  et  que,  même  en 
Italie  et  dès  le  principe,  on  l'a  vivement  critiqué.  Le  poëme,  il  est  vrai, 
passe  avec  raison  pour  un  des  plus  misérables  qu'on  ait  imaginés.  L'action 
ne  comprend  que  trois  personnages  principaux  :  un  roi  qui  débite  des  galan- 
teries à  celle  qui  doit  l'aider  à  reconquérir  son  royaume-,  une  héroi'ne  qui 
répond  à  l'amour  qu'on  lui  déclare;  un  père  assez  dénaturé  pour  accuser  sa 
fille  de  sorcellerie  et  la  livrer  aux  Anglais.  Ce  n'est  point  à  Rouen,  c'est  à 
Compiègne  que  se  passe  le  dénoûment  :  .leannc  d'Arc,  frappée  en  combat- 
tant d'une  blessure  mortelle,  embrasse  l'oriflamme  avant  d'expirer  dans 
les  bras  de  Charles  Vil  et  de  son  père  repentant. 

Cette  donnée,  contraire  à  l'histoire,  au  bon  goût  et  au  sens  commun,  a 
mal  servi  le  compositeur  qui  avait  déjà  fait  applaudir  Nabiicco,  i  I.om- 
bardi  et  Ernani.  ^L  Verdi  possède  toutefois  un  trop  vif  instinct  de  l'efiet 
théâtral  pour  écrire  une  partition  qui  ne  renferme  rien  de  remarquable  ; 
aussi,  tout  en  reprochant  à  sa  Jeanne  d'.\rc  de  chanter  un  peu  à  la  façon 


1  Outre  la  partition  française,  qui  a  paru  chez  .M.  Léon  Escudier,  on  a  publié  cette  traduction  du  livret  de 
Temistocle  Sciera,  à  Bruxelles,  en  iS53.  Elle  forme  une  brochure  in-32  de  6i  pages,  et  elle  porte  le  nom  de 
Louis  ûanglas,  pseudonyme  de  M.  Joos. 


JEANNE   D'ARC  ET   LA  MUSIQUE.  497 

des  héroïnes  de  Donizetti  et  de  Bellini,  reconnaissons-nous  que  ce  rôle 
renferme  des  passages  vraiment  poétiques.  Le  début  de  la  cavatine  en  la 
majeur,  par  e.xemple,  nous  semble  avoir  du  charme  et  de  la  suavité.  Dans 
le  grand  duo  de  la  déclaration,  le  solo  en  la  bémol  est  à  la  fois  mélodieux 
et  puissant'  :  cette  phrase  heureuse  sert  ensuite  de  dessin  principal  à  un 
ensemble  sonore  et  théâtral.  Mais  la  page  que  nous  préférons  à  toutes  les 
autres,  c'est  la  romance  mélancolique  et  touchante  :  O  fatidicaforesta. 
Malheureusement  elle  ne  gagne  pas  à  être  entendue  ainsi  traduite  : 

O  forêt  d'où  l'ombre  plane , 
O  mon  père,  ô  ma  cabane, 
Comme  une  humble  paysanne , 
Près  de  vous  retourne  Jeanne... 
Loin  des  biens  que  Dieu  condamne , 
Rendez-lui  la  douce  paix 
Qu'elle  ignore  en  un  palais  ! 

Nous  renvoj'ons  donc  à  la  partition  italienne,  et  nous  cro3'ons  que  cette 
mélodie  suffira  pour  empêcher  \d.  Giovanna  d'Arco,  de  Verdi,  de  tomber 
dans  un  oubli  complet. 

Il  nous  reste  maintenant  à  passer  en  revue  toute  la  musique  française 
composée  sur  le  sujet  qui  nous  occupe. 

Qui  a  écrit  celle  de  la  pantomime'  représentée  sur  le  théâtre  de  la  Gaieté, 
le  iG  avril  i8o3  ?  Nous  supposons  qu'elle  était  de  Demeuse,  chef  d'orchestre 
de  cette  scène  populaire,  et  qu'elle  s'adaptait  à  des  divertissements  réglés  par 
le  chorégraphe  Hus.  Il  nous  a  été  impossible  d'en  retrouver  une  seule 
bribe,  et  nous  ne  le  regrettons  guère. 

Il  n'y  a  jamais  lieu  de  s'étonner  qu'une  œuvre  d'art  décèle  l'esprit  ou  le 
gOLit  de  l'époque  où  elle  a  été  conçue  :  sous  le  premier  empire,  Jeanne  d'Arc 
devenait  un  sujet  de  pièce  militaire;  sous  la  Restauration,  elle  inspira  des 
dithyrambes  royalistes,  à  l'Institut  aussi  bien  qu'au  théâtre  de  l'Opéra-Co- 
mique. 

1  Le  programme  en  a  été  imprimé  à  Paris  (in-S°  de  i3  pages)  sous  ce  titre  caractéristique  -.Jeanne  d'Arc,  ou 
la  Pucelle  d'Orléans,  pantomime  en  trois  actes  et  à  grand  spectacle,  contenant  ses  exploits,  ses  amours,  son 
supplice,  son  apothéose;  mêlée  de  marches,  chants,  combats  et  danses;  par  J. -G. -A.  Cuvelier.  Représentée 
sur  le  théâtre  de  la  Gaieté,  le  25  germinal  an  XI.  Paris,  au  théâtre. 

Nous  signalons  aux  collectionneurs  de  pièces  de  théâtre  unaautrejeanni;  d'Arc,  pantomime  chevaleresque 
{.sic)  en  deux  tableaux,  par  M.  Alphonse  Keller.  Elle  fut  représentée  aux  Champs-Elysées,  par  la  troupe  des 
Funambules,  le  29  juillet  1847,  et  le  programme  en  a  été  imprimé  (in-S"  de  4  pages). 

JEANNE    d'arc.    IM.    —   63 


4<)8  KCLAIRCISSE.MF.NTS. 

L'Académie  des  Beaux- Arts  couronne,  chaque  année,  une  cantate  que 
les  élèves  admis  à  concourir  pour  le  prix  de  Rome  sont  obligés  de  mettre 
en  musique  dans  un  délai  assez  court;  en  1818,  la  scène  lyrique  choisie 
pour  ce  concours  intéressant  n'avait  qu'un  seul  personnage  :  c'était  un  mo- 
nologue de  Jeanne  d'Arc  dans  sa  prison'.  Le  poète  lauréat  Vinat\',  après 
avoir  indiqué  où  se  passe  l'action,  faisait  ainsi  parler  la  jeune  captive  : 

O  roi  de  France,  ô  ma  patrie, 
C'est  pour  vous  que  je  vais  mourir, 
Heureuse  en  terminant  ma  vie 
De  vous  avoir  servis  jusqu'au  dernier  soupir. 

Et  la  cantate  se  termine  par  cet  autre  quatrain  : 

La  terre  a  disparu  :  vers  le  ciel  élancée . 
Sur  le  bûcher  je  monte  sans  effroi. 
Mes  derniers  vœiLx,  ma  dernière  pensée 
Sont  pour  mon  Dieu ,  ma  patrie  et  mon  roi. 

Faut-il  être  surpris  que  de  tels  \ers  n'aient  pas  enflammé  l'imagination 
des  jeunes  gens  appelés  à  les  mettre  en  musique?  En  18  iN,  l'Académie  des 
Beaux-Arts  ne  décerna  point  le  grand  prix  de  Rome  :  le  second  prix  seule- 
ment fut  obtenu  par  Aimé  Leborne  (ijoy-iSlSô)  qui  devint  ce  jour-là  l'égal 
de  F.  Halév\%  mais  qui  fut  battu  par  lui  l'année  suivante.  La  cantate  iné- 
dite de  Leborne-  dénote  un  bon  sentiment  de  la  déclamation  et  ne  brille 
guère  par  l'abondance  des  idées.  Le  musicien,  obligé  de  s'exercer  sur  des 
vers  de  huit,  de  di\  et  de  douze  syllabes,  ne  sort  de  la  mesure  à  quatre 
temps  que  pour  adopter  un  moment  la  mesure  à  deux  temps  :  cette  simili- 
tude de  rh\thmes  refroidit  sa  musique  et  la  rend  monotone. 

L'opéra  en  trois  actes  que  Michel  Carafa  (Naples,  lySS;  — Paris,  1872) 
écrivit  pour  la  scène  de  l'Opéra-Comique  se  fait  remarquer,  au  contraire, 
par  le  mouvement  et  par  des  accents  brillants.  Cette  Jeanne  d'Arc  à 
Orléans,  le  premier  de  ses  ouvrages  français,  fut  représentée  au  théâtre 
Feydeau  le  lo  mars  1821-'.  La  pièce,  due  à  la  collaboration  de  Théaulon 
et  Armand  Dartois,  appartient  au  genre  troubadour.  Le  galant  Dunois, 

1  Cette  pièce  de  vers  n'a  point  été  imprimée. 

-  Bibliothèque  du  Conservatoire  de  musique,  fonds  des  prix  de  Rome. 

3  Selon  l'usage  de  ce  temps-là,  on  n'en  a  publié  que  la  grande  partition. 


JEANNE  D'ARC  ET   LA  MUSIQUE.  499 


énamouré  d'une  jeune  bergère  qu'il  a  rencontrée  dans  la  campagne,  se  met 
à  la  poursuite  de  cette  belle,  et  chante  à  son  confident  ce  rondeau  qu'ac- 
compagnent nécessairement  les  cors  et  les  trompettes  : 

Un  peu  d'amour,  beaucoup  de  gloire, 
C'est  ma  devise  désormais  : 
Pour  la  beauté ,  pour  la  victoire , 
Je  veux  toujours  être  Français. 

Puis,  quand  il  se  trouve  en  présence  de  celle  qu'il  cherchait,  il  lui  débite 
ce  madrigal  : 

Daignez,  jeune  bergère. 
Sur  moi  lever  les  yeux , 
C'est  l'espoir  de  vous  plaire 
Qui  m'amène  en  ces  lieux. 

De  son  côté,  le  roi  chante  arec  expression  à  sa  maîtresse  : 

Gente  Agnès,  ô  ma  bien-aimée. 
Ah!  que  m'importent  mes  revers  ! 
Près  de  toi  mon  âme  charmée 
Sait  oublier  le  trône  et  l'univers. 
Être  près  de  celle  qu'on  aime 
N'est-ce  pas  le  bonheur  suprême? 

Et  le  chœur  des  courtisans  de  s'écrier  : 

Au  sein  d'heureux  loisirs 
Oublions  nos  alarmes. 
Et  que  le  bruit  des  armes 
Respecte  nos  plaisirs. 

Les  vers  que  nous  venons  de  citer  comptent  parmi  les  meilleurs  de  la 
pièce.  Ils  suffisent  pour  donner  une  idée  du  style  de  cet  opéra  très-royaliste, 
dont  l'action  n'a  rien  d'imprévu.  Les  auteurs  y  ont  mêlé  un  paysan  et  une 
paysanne  chargés  d'égayer  le  public;  mais  ils  ont  eu  le  bon  esprit  de  ne 
point  rendre  Jeanne  d'Arc  amoureuse  et  de  la  représenter  toute  à  sa  mis- 
sion providentielle.  Elle  chante  quatre  airs,  bien  écrits  pour  la  voix,  très-peu 
chargés  de  roulades  et  d'une  déclamation  qui  vise  à  la  noblesse.  Nous  n'en 
reproduisons  aucun,  parce  que  le  tour  en  a  vieilli  et  ne  plairait  plus  aujour- 
d'hui. Nous  jugeons  inutile  également  d'extraire  un  morceau  d'ensemble  de 


ECI^AIRCISSEMENTS. 


la  partiton  de  Carafa;  seulement  nous  ferons  remarquer  que  le  finale  du 
premier  acte  roule  sur  ces  paroles  entonnées  par  Jeanne  d'Arc  et  répé- 
tées à  satiété  : 

Partons,  honte  aux  Anglais! 
Honneur  au  nom  français! 

Au  lieu  de  liante  aux  Afii^Iais!  lisons  i^iicrix'  aux  Anij,lais!  et  nous 
découvrirons  l'idée  mère  du  célèbre  chant  de  (Iharlcs  l'f  qui  a  rendu 
l'opéra  d'Halévy  populaire. 

Quarante-quatre  ans  après  la  Jeanne  d'Arc  à  Orléans  vint  la  Jcan>ie 
d'Arc  dsMM.  Méry  et  Kdouard  Duprez,  mise  en  musique  par  M.  Gilbert 
Duprez.  Cet  opéra  en  cinq  actes  avec  prologue  n'eut  pas  un  sort  heureux  : 
il  fut  représenté  au  grand  théâtre  Parisien,  le  12  octobre  iN()5,  mais  ne  fut 
pas  exécuté  jusqu'au  bout  ce  soir-là,  et  il  fallut  remettre  la  première  représen- 
tation au  24  du  même  mois.  La  pièce  parut  mauvaise  et  la  musique  en  fut 
jugée  sévèrement.  On  eut  raison  de  reprocher  à  cet  opéra  d'oiVrir  une  suite 
de  tableaux  qui  se  succèdent  sans  lien  apparent,  et,  quand  on  lit  cette  parti- 
tion arrangée  pour  piano  et  chant  par  l'auteur,  on  ne  peut  s'empêcher  de 
redire  avec  un  critique  musical  fort  compétent  :  «  Cet  ouvrage  est  d'un  chan- 
teur qui  a  beaucoup  appris  et  d'un  comjwsiteur  qui  a  beaucoup  retenu.  » 

(>e  n'est  pas  dans  le  goijt  italien,  c'est  dans  le  style  néo-germanique 
qu'est  écrite  la  Jeanne  d'Arc  du  violoniste  anglais  Alfred  Holmes  (iB'iy- 
1876).  Cette  symphonie  dramatique,  entendue  au  'riiéâire-Italien  le  10  mai 
1870,  y  reçut  un  froid  accueil,  bien  que  chantée  par  M"''  Krauss  :  on  la 
trouva  longue,  confuse  et  monotone. 

Aucune  réminiscence  allemande  ne  dépare  la  Jeanne  d'Arc  de  M.  Gaston 
Serpette,  cantate  couronnée  par  l'Académie  des  Beaux- Arts  en  1871. 
Les  paroles  en  sont  de  AL  Jules  Barbier,  qui  préludait  par  ces  scènes  lyri- 
ques à  trois  personnages  au  drame  en  cinq  actes  et  en  vers  qu'il  fit  repré- 
senter, le  8  novembre  1^73,  sur  le  théâtre  de  la  Gaieté. 

On  reconnaît  dans  la  disposition  de  cette  cantate  un  poète  expérimenté  : 
ayant  un  nombre  déterminé  de  morceaux  à  présenter  au  jeune  compositeur 
pour  lequel  il  travaillait,  M.  Jules  Barbier  a  placé  le  trio  au  ciébut  et  a  ter- 
miné sa  pièce  de  vers  par  un  grand  monologue  qui  met  en  pleine  lumière 
le  personnage  principal.  Le  sujet  est  exposé  en  quelques  mots  : 


JEANNE   D'ARC   ET   LA    MUSIQUE.  Soi 


Jésus,  notre  unique  espérance, 
Qui  donc,  au  joug  de  l'étranger 
Arrachant  la  terre  de  France, 
Se  lèvera  pour  la  venger  ? 

Jacques  d'Arc  s'inquiète  de  voir  sa  fille  toujours  rêveuse,  et  désire  qu'elle 
épouse  le  jeune  Raj'mond  ;  mais  à  ce  voisin  qui  lui  ouvre  son  cœur  et  lui 
exprime  ses  vœux,  Jeanne  répond  : 

Frère,  n'avons  qu'une  espérance  : 

L'honneur,  le  salut  de  la  France  ! 

Elle  meurt  !  elle  meurt  !  Ne  parle  pas  d'amour  ! 

En  vain  l'humble  paysanne  adresse  au  ciel  cette  fervente  prière  : 

Seigneur,  Dieu  tout-puissant,  j'implore  ta  bonté: 
Laisse,  laisse  ma  vie  en  son  obscurité  ! 

en  vain  Jeanne  souhaite  d'échapper  aux  visions  qui  lui  troublent  l'esprit  ; 
ses  voix  l'appellent,  et  il  lui  faut  quitter  sa  famille  pour  remplir  sa  mission  : 
Dieu  le  veut  !  Dieu  le  veut  ! 

AI.  Gaston  Serpette  a  su  tirer  un  bon  parti  de  cette  donnée  poétique'. 
La  romance  de  Raymond  a  de  la  fraîcheur  et  de  l'élégance.  La  prière  écrite 
en  trio  : 

Seigneur,  verse  à  nos  cœurs  ta  grâce  et  ta  lumière  ! 

De  nos  larmes  touché, 
Daigne  exaucer  nos  vœux,  entends  notre  prière! 

Défends-nous  du  péché  '. 

—  cette  prière,  inspirée  de  l'oraison  dominicale,  est  bien  disposée  pour  les 
voix  et  d'un  caractère  vraiment  religieux.  La  scène  de  la  vision  nous 
paraît  habilement  exécutée  au  point  de  vue  de  l'effet  théâtral  \  elle  présente 
de  l'intérêt  musical,  et  le  cor  y  résonne  d'une  façon  heureuse  et  saisissante 
au  milieu  du  chœur  des  cordes  de  l'orchestre  '-. 

Du  reste,  pour  qu'on  puisse  juger  du  mérite  de  cette  œuvre,  nous 
en  détachons  la  romance  que  nous  donnons  tout  entière  : 


1  Le  manuscrit  autographe  de  cette  cantate  appartient  à  la  bibliothèque  du  Conservatoire. 
-  Ce  morceau,  très-bien  arrangé  pour  chant  et  piano,  a  été  publié  par  M.  Heugel,  qui  a  aussi  édité  la 
romance  de  Raymond. 


romancp:  de  ravmond. 


PIANO. 


toi    de   nos  jeu-iies  an  .  né         .        fs,  Jours  a     ja-ni;iis      be  . 


Où,     coni      -    me  nos  deux  mains  lune  à  lautip  iMi-cliaî. 


Quand     nos  voix  se   mè  .  laient  aux  Boupiisdt-   lu        bri        _       se 


ï!^ 


=t^ 


/    ^  V 


Dans  un  chant  fniter  -  nel 


Et      quand  nous  e'- COU- 


p.  .1,;^^ .  ^.KJjT^l  I  ^  fi"^ 


^f 


tfM— r- 


P 


sç 


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i=f 


|i'^  rV  f  -   Fp^ 


-v->-v 


#    a 


tiens  u- ne  cloche  iii.de'    -   ci 


E-chn  lointain     du 


ail.  Tempo 


aï  corpLET.  p 


M.ii  du  Loi;?  elle  _  nu  nous  portions  nos ol'.  f'iaii      .       des 


FiLlet.tes   et g'H' -  çoiis-,  T«s  com.  pa         .       _     gnes  l'ai. 


uiaienl  pa.re'  de  leurs  guir.Lui       _       des,         Fè   -  té par  leurs  chau. 


''  tsri^ 


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1. 


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JEANNE   D*ARC.    111.    —    64 


i 


n^ 


-r-fr 


Mais        tu    ne    voulais     pas,dLuis  la   foi   de    ton 


^H_! p-^ . 

à         -       me, 

Me  .  lui"   tes  dons  aux 

Ipiii's; 

1    — -                  — - 

f— 

p — '^ — » ■ — ' 

^>^-d J — 

^ 

f=^f^t 

^-s-, 

j.     j.   = 

1 

-i — 1 

Et,         pour  les     at  -  ta  .   cher  au  coude    Notre  -  Da 


* 


i^p.ro^,  ^..^~, ,  ^^^^ 


De  mitre  enl'ance       heu- reu       -       se!  0       Jean      .     ne,  souviens 


toi, 


m^ 


ne,  souviens-toi  ! 
rM.  ^      Tempo.  J  Ch"\ 

1 1 — •-: m 1-^ ^ 


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5o8  ECLAIRCISSEMENTS. 


La  cantate  de  M.  Gaston  Serpette  fut  considérée  à  bon  droit  comme 
un  début  plein  de  promesses;  la  musique  que  M.  Charles  Gounod  a 
composée  pour  l'ouvrage  de  .M.  Jules  Barbier  est  une  improvisation  de 
grand  maître. 

Onze  morceaux  de  chant  et  plusieurs  morceaux  symphoniques  ornent 
ce  drame  de  Jeanne  d'Arc  et  le  métamorphosent  presque  en  opéra.  Nous 
y  trouvons,  à  la  fin  du  premier  acte,  des  vers  dont  le  jeune  lauréat  de 
l'Institut  avait  dû  s'inspirer  : 

Ah!  les  cloches!...  il  semble  à  leur  voix  familière 
Que  l'âme  vers  le  ciel  s'envole  tout  entière! 
Seigneur,  Dieu  tout-puissant,  j'implore  ta  bcinté! 
Laisse,  laisse  ma  vie  en  son  obscurité! 

Mais  ce  qui  formait  un  récitatif  chanté  dans  la  composition  de  M.  Ser- 
pette devient  ici  un  monologue  déclamé  sur  une  symphonie  d'un  mouve- 
ment modéré  dans  laquelle  on  remarque  un  dessin  de  cloches,  prélude 
.de  celui  qui  donne  tant  de  couleur  à  la  marche  du  sacre. 

Le  deuxième  acte  se  termine  par  un  chœur  où  ]\L  Jules  Barbier  a 
utilisé  aussi  le  Dieu  le  veut  qu'il  avait  placé  dans  sa  cantate.  Nous 
nous  applaudissons  de  pouvoir  reproduire,  à  la  page  suivante,  cette  pièce 
chorale  qui  était  redemandée  à  chaque  représentation.  Volontiers  le  public 
se  montre  sensible  aux  sonorités  éclatantes,  aux  rhythmes  énergiques,  aux 
mélodies  faciles  à  retenir.  Mais,  n'hésitons  pas  à  le  déclarer,  nous  préférons 
à  ce  morceau  d'ensemble  les  couplets  en  sol  majeur  ;  Rentre^ ,  Ani^'lats, 
rentre^  vos  cornes,  d'un  tour  fort  piquant;  la  marche  du  sacre,  sympho- 
nie faite  à  souhait  pour  remplir  la  vaste  nef  d'une  cathédrale;  et  le  chœur 
des  soldats  dans  la  geôle  où  est  enfermée  Jeanne  d'Arc,  chœur  coupé  par 
les  voix  des  saintes  qui  apportent  un  céleste  encouragement  à  l'héro'ique 
captive.  La  musique  vit  de  contrastes,  ainsi  que  nous  l'avons  rappelé,  et 
l'antithèse  que  présente  ce  tableau  de  la  prison  produit  beaucoup  d'effet  '. 

1  I.a  partilînn  arrangée  pour  chant  et  piano  par  le  regrette  Georges  Bizet,a  été  publiée  par  la  maison 
E,  Gérard  et  C"". 


CHŒUR  HEROÏQUE. 

Finale  du  second  acte. 


DESSUS. 


TENOKS. 


BASSES. 


PIANO. 


Allegro   iiiaestoso.  (JrlOO) 


p  -  r    V"J'  JMJ   __Sn.^.^ 


$ 


Dieu  lu       veut  ! 


Dieu  le 


r    ij'  J'I,J  J".    1    JJ- 


s 


Dieu  le      veut 


Dieu  le 


:■  1  r  r  ir       -  ■>  -.  g-t^ 


,  Dieu  le      veut  ! 

Allegro  maestoso.  (J  =  100) 


Dieu  le 


=te^ 


=F 


veut  ! 


Dieu  le       veut!  Dieu 


le        veut  ! 


Dieu  le      veut  !  Dieu 


1«       veut  I 


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VfUll  Dieu        It;     Vfiit  ! Nous  de  .    li  .  vit-Kiiis  Li     na. 


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JEANNE    D  ARC.    III.    —    0^ 


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JEANNE  D'ARC  ET   LA  MUSIQUE.  5i5 


Avant  et  surtout  depuis  le  succès  éclatant  de  l'œuvre  de  MM.  Jules 
Barbier  et  Charles  Gounod,  on  a  entendu  dans  les  concerts  des  mélodies, 
des  chœurs  orphéoniques  et  des  cantates  sur  Jeanne  d'Arc;  mais  aucune 
de  ces  compositions  n'est  devenue  populaire.  Nous  nous  reprocherions 
toutefois  de  ne  pas  mentionner  ici  la  symphonie-cantate  en  trois  parties  que 
M.  Adolphe  Nibelle  a  composée  sur  des  paroles  de  M.  Guy  Arnault,  œuvre 
aux  larges  développements  qui  fut  exécutée  à  Orléans  le  6  mai  i855  et  fort 
bien  chantée  par  Alexis«Dupond,  J.  Lefort  et  M"*^  Montigny;  le  poème 
symphonique  en  cinq  parties  de  M.  Georges  Pfeiffer,  dont  la  première  au- 
dition à  Paris  date  du  8  décembre  1872  et  dont  plusieurs  pages  ont  été 
justement  applaudies  '  ;  enfin  Jeanne  d'Arc  à  Domrémy,  cantate  bien  écrite 
pour  mezzo-soprano  et  chœur  de  femmes,  que  M.  Charles  Poisot  a  fait 
entendre  à  Paris  le  8  mai  1875. 

La  place  nous  manque  pour  anahser  l'opéra  de  M.  Mermet,  représenté 
pour  la  première  fois  le  5  avril  1876.  Ce  drame  lyrique  en  quatre  actes  et 
six  tableaux,  si  longtemps  attendu,  n'a  peut-être  pas  répondu  à  toutes  les 
espérances  qu'avait  fait  concevoir  son  heureux  devancier  Roland  à  Ronce- 
vaux.  Pour  notre  part,  nous  saurons  toujours  gré  à  M.  Mermet,  poëte  et 
musicien,  de  s'être  inspiré  de  nos  légendes  nationales,  d'avoir  essayé  d'en- 
flammer les  cœurs  d'un  plus  ardent  amour  de  la  France  et  voulu  prouver 
que  l'Académie  de  musique  n'est  pas  la  cathédrale  du  matérialisme,  quoi 
qu'en  ait  dit  un  poëte  que  nous  aimons-. 

Bien  que  la  partition  de  Jeanne  d'Arc  vienne  d'être  publiée,  on  ne 
manquera  pas  de  lire  avec  beaucoup  de  curiosité  les  deux  fragments 
que  nous  allons  donner  à  la  suite  l'un  de  l'autre^.  Le  premier  est  le  chœur 
des  anges  invisibles,  et  forme  un  des  épisodes  du  finale  du  premier  acte  \ 
le  second  est  emprunté  au  duo  du  premier  acte,  et  comprend  tout  le  récit 
de  l'apparition  de  saint  Michel  et  des  saintes.  Ces  deux  morceaux  décèlent 
une  profonde  connaissance  de  l'effet  scénique  et  comptent  parmi  les  meil- 
leurs de  l'ouvrage. 


1  M.  Géo  Pfeiffer  a  fort  habilement  arrangé  pour  piano  à  4  mains  sa  partition. 

2  M.  Victor  de  Laprade^  Philosophie  de  la  musique, 

3  M.  Mermet  a  eu  l'obligeance  de  les  réduire  à  notre  intention  pour  chant  et  piano  :  qu'il  nous  soit 
permis  de  lui  en  exprimer  ici  tous  nos  remercîments:  {Note  des  Éditeurs.) 


CHŒUR  DES  ANGES   ;1N VISIBLES). 

Fragment  du  finale  du  premier  acte. 


!*■.'■  SOPRA>0. 


S"?  SOPRANO. 


PIANO. 


Andantino  (J=7i;) 


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Jean.ne!        Jean  _  ne!           saii  -  ve      la  Fran_ce 
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Jean  _  ne!        Jean  _  ne!  saii,.  ve      la  Fran_te 


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Du       re.veil     le     jour       esl       ve  _   uu Le   ciel  va      jjie  _ 


tr  }■  JJ  J  ,1     I   iN_J^  j  -'  ^ 


Du       re_veil    le    jour       est       ve  .-  nu 

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Le    ciel  va      pi 


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fier    _     ge  du  bois _ 


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elle    _    nu. 


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RÉCIT  DE  L'APPARITION  DE  SAINT  MICHEL  ET  DES  SAINTES. 

Fragment  d'un  duo  du  premier  acte. 


Adag-io  (J:60) 


riA>o. 


p  >llbJ..    }I^^ 


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„  Un    iour  de'     _    lé  sous  lbm_bre     (le  IV . 


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7.  :..„  a:..  .<i    I ;       ^^  P,,;.    ..j;„...  M  ,..,r„„ 


le  iar.dJu    s'il,  lu  .  mi    -  nu 


Puis    saillie  M-njaie. 


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duu  coi'_te_ge  sans      fin. 


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.vect'iix  !9^  ni'enupor -teidiuisK'  tiil 


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JEANNE    D  ARC.    III     —    00 


PVP 


Nous  pensons  que  la  Jeanne  d'Arc  de  M.  Mermet  ne  sera  pas  la  der- 
nière qu'inspirera  le  souvenir  de  l'héroïne  d'Orléans.  Aussi  demandons- 
nous  à  terminer  cette  revue  musicale  en  formulant  un  vœu  :  que  désormais 
les  auteurs  dramatiques  écoutent  la  voix  de  l'histoire  et  renoncent  à  mettre 
Agnès  Sorel  et  Jeanne  d'Arc  en  présence.  Ils  se  priveront  par  là  d'un 
contraste  commode,  nous  ne  l'ignorons  pas;  mais  rien  n'est  beau  que  le 
vrai ,  et  Fart  consiste  précisément  à  présenter,  d'une  façon  nouvelle,  le 
sujet  le  plus  connu.  Plus  les  poètes  et  les  musiciens  qui  dotent  notre  théâtre 
de  drames  nationaux  se  montreront  originaux  en  respectant  la  stricte  vérité 
historique,  plus  ils  auront  droit  aux  éloges  do  la  critique  et  ù  l'admiration 

générale. 

Gustave  Choiquet, 

(-uiiscrvateur  du  Musiîc  tlu  Conservatoire  de  musique. 

N.  B.  —   Les  auteurs  interdisent  formellement  toute  reproduction,    même  partielle, 
des  morceaux  de  musique  publics  dans  cet  ouvrage. 


La  Pucelle.  Médaillon  en  émail  appartenjiu  ii  M.  de  Haidat  du  Lys, 
à  Nancy,  xvi"  siècle, 


Ornement  tiré  d'un  ms.  lîitm  «lu  xv  aieolc.  Biblioth.  de  M.  Ambroise  Firmin-Didoi 


VI 

ICONOGRAPHIE 
DE  JEANNE  D'ARC 


E  n'est  point  une  critique  d'art  qu'il  s'agit 
de  faire  ici,  puisque  les  éditeurs  n'ont 
nullement  songé  à  produire  une  créa- 
tion artistique  nouvelle.  Ils  ont  visé  un 
autre  but.  Ce  but  consistait  à  explorer 
le  domaine  de  l'archéologie  nationale 
afin  d'y  rechercher  ce  qui  reste  du 
quinzième  siècle,  ce  qui  s'est  fait  de- 
puis, et,  enfin,  tout  ce  qui,  de  près  ou 
de  loin,  en  fait  de  peinture  et  de  mo- 
numents, se  rapporte  à  la  mission  de 
Jeanne  d'Arc.  Telle  a  été  l'unique  préoccupation  de  celui  qui  a  conçu  et 
exécuté  le  plan  de  cette  illustration. 

Il  est  certain  que  l'histoire  de  Jeanne  d'Arc  est  toujours  restée  gravée 
dans  la  mémoire  du  peuple  :  les  peintures  les  plus  imparfaites  que  nous 
voyons  reproduites  dans  cette  édition  en  témoignent;  mais  elles  témoignent 
aussi  que  les  souvenirs  historiques  étaient  profondément  troublés  par  des 
commotions  plus  récentes,  et  que,  depuis  l'heure  du  supplice  jusqu'à  nous, 


ik  il    Amljroîse  F.-Diilot. 


524  KCLAIRCISSEMENTS. 


la  noble  et  douce  figure  de  rhéroïnc  était  pour  ainsi  dire  voilée  par  la 
fumée  du  bûcher  de  Rouen. 

Cette  fumée  subsiste  encore,  mais,  en  même  temps,  une  flamme  que  rien 
n\i  pu  éteindre  perce  le  nuage,  et  sa  clarté  pénètre  le  voile  préservateur  sous 
lequel  la  réalité  et  l'idéal  s'affirment,  et  au  travers  duquel  resplendit  le 
corps  glorieux  de  la  vierge  martyre.  Désormais ,  tous  les  efforts  de  l'art 
doivent  tendre  à  rendre  plus  précis  ces  caractères.  Il  ne  s'agit  donc  plus 
d'accommoder  au  goût  moderne  des  tj'pes  plus  ou  moins  apocryphes;  pour 
peindre  le  sujet  au  naturel,  il  faut  transfigurer  tout  à  fait  la  nature  et 
l'archaïsme.  Mais  c'est  à  peine  si  de  nos  jours  la  procédure  historique 
s'achève,  après  quatre  cent  trente  ans  d'attente.  S'il  a  fallu  si  longtemps 
pour  voir  naître  les  historiens  de  Jeanne  d'Arc,  pourquoi  s'étonnerait-on 
de  ce  que  les  peintres ,  les  statuaires  et  les  poètes  vraiment  capables  de  la 
célébrer  n'aient  pas  encore  paru^  ? 

Ainsi  donc,  à  défaut  de  chefs-d'œuvre  poétiques  ou  artistiques,  conten- 
tons-nous de  retrouver  ici  les  éléments  qui  devront  contribuer  à  les  faire 
édore.  Le  moindre  de  ces  documents  peut  contenir  un  germe  d'inspiration  : 
les  plus  disparates  s'harmonisent  dans  l'unité  de  la  tradition  dont  la  cons- 
tance s'affirme  toujours,  malgré  la  diversité  du  mode  expressif,  et  aussi 
malgré  les  transformations  et  les  altérations  du  goût  et  du  style  national. 

Pour  bien  apprécier  ces  matériaux,  il  importe  de  les  grouper  par 
époques,  et  d'obvier  ainsi,  autant  que  possible,  aux  discordances  de 
l'almalgame  antiarchéologique  résultant  de  la  nécessité  de  répartir  les 
planches  dans  le  texte  en  raison  de  l'ordre  historique  des  sujets.  Les 
éditeurs  ne  pouvaient  procéder  autrement,  mais  les  observateurs  curieux 
et  studieux  peuvent  à  leur  gré  transposer  et  rapprocher  les  documents 
d'après  la  date  originelle  de  ceu.\-ci,  de  manière  à  obtenir  une  sorte  de 
tableau  généalogique  et  comparatif  de  toutes  les  pièces  qui  constituerjt 
l'iconographie  de  Jeanne  d'Arc. 

Nous  allons  suivre  cette  méthode  en  jetant  un  regard  sur  ces  images 
naïves  et  parlantes  du  quinzième  siècle,  où  l'inspiration  se  réfléchit  d'autant 
plus  vivement  que  les  impressions  étaient  plus  récentes,  et  qu'alors,  comme 
aux  âges  précédents,  l'art  religieux  et  national  ne  doutait  de  rien. 

Nous  trouvons  ici  près  de  soixante  sujets,  sans  compter  une  multitude 


LES  TROIS  ORDRES  DE  LA  NATION 

Miniature  de  CArbre  'tes  Batailles,  nis.  daté  de  1430  et  conservé  à  la  bibliothèque 
de  l'Arsenal  à  Paris. 


En  haut,  le  Clergé,  qui  a  pour  chef  le  Pape.  Au  milieu,  la 
Noblesse,  qui  a  pour  chef  le  Roi.  Au  bas,  le  Tiers  Etat,  qui  est 
divisé  en  deux  groupes  :  les  Bourgeois  et  les  Vilains. 

Le  Clergé  disait  :  Je  prie  pour  les  trois  ordres. 

La  Noblesse  :  Je  combats  pour  les  trois  ordres. 

Le  Peuple  :  Je  travaille  pour  les  trois  ordres. 

Ce  tableau  résume  véritablement  toute  la  France,  telle  qu'on 
se  la  représentait  à  l'époque  de  Jeanne  d'Arc. 

Dans  le  compartiment  du  milieu,  l'artiste  a  figuré  Charles  VII 
ayant  à  droite  le  dauphin  qui  sera  plus  tard  Louis  XI  ;  à  sa 
gauche,  Richement  qui  porte,  en  sa  qualité  de  connétable,  l'épée 
du  Roi. 


LES  TROIS  ORDRES  DE  LA  NATION. 
Minialure  de  VArbj'c  des  Batailles,  ms.  dalé  de  1450  el  conser\'é  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  à  Paris. 


ICONOGRAPHIE  DE  JEANNE  D'ARC.  525 


de  dessins  d'armures,  de  lettres  ornées  et  de  vignettes  d'encadrement  tirées 
des  anciens  manuscrits,  et  dont  l'ensemble  reproduit  exactement  !e  mode 
décoratif  de  l'époque.  Tout  cet  ensemble  offre  un  grand  intérêt,  mais,  si 
l'on  veut  bien  connaître  et  prendre  sur  le  vif  les  caractères  et  les  formes 
pittoresques  des  lieux,  des  usages  et  des  personnages  contemporains  de 
Jeanne  d'Arc,  c'est  principalement  aux  vignettes  historiées  qu'il  faut  s'atta- 
cher. L'héroïne  elle-même  figure  dans  plusieurs  sujets  tirés  des  Vigiles  de 
Charles  f  '//,  des  Chroniques  de  Jean  Chartier,  de  celles  de  Monstrelet  ou 
d'ailleurs.  L'on  y  retrouve  aussi  ses  principaux  compagnons  d'armes , 
Lahire,  Dunois,  Saintrailles,  et  ceduc  d'Alençon,  le  plus  prompt.de  tous  à 
lui  prêter  la  main ,  mais  qui ,  par  malheur,  n'était  pas  auprcs  d'elle  sous 
les  remparts  de  Compiégne. 

Pour  ceux  qui  ont  présente  à  la  pensée  l'histoire  de  Jeanne  d'Arc,  toutes 
ces  images  se  colorent  et  s'animent  d'une  façon  merveilleuse.  Les  imper- 
fections disparaissent.  Elles  ne  subsistent  que  pour  les  myopes  qui  observent 
ces  précieux  documents  dans  le  faux  jour  de  l'examen  plastique.  C'est  à  la 
clarté  des  souvenirs  et  de  la  lumière  historique  qu'il  faut  les  étudier,  et, 
dès  lors,  l'idéale  beauté  resplendit,  et  l'impression  de  la  réalité  en  ressort, 
alors  même  qu'elle  n'y  est  pas  imagée,  témoin  cette  miniature  tirée  de 
V Arbre  des  batailles,  et  insérée  ci-contre.  —  Qu'y  voyons-nous?  Les 
trois  ordres  de  la  nation  :  au  sommet,  le  clergé  qui  enseigne  et  qui  prie; 
au  centre,  le  Roi  et  la  noblesse  qui  combat-,  à  la  base,  le  peuple  qui  tra- 
vaille. Un  peintre  du  quinzième  siècle,  plus  habile  ou  plus  hardi,  aurait  pu 
marquer  la  place  de  Jeanne  d'Arc  dans  les  trois  zones  où  les  forces  actives 
de  la  vie  sociale  sont  réparties,  puisqu'en  effet,  dans  les  différentes  périodes 
de  sa  courte  et  merveilleuse  existence,  elle  a  participé  à  l'action  des  trois 
ordres.  L'étendard  du  sacre,  l'épée  de  Fierboi.s  et  la  houlette  de  Vaucou- 
leurs  ne  sont  pas  seulement  des  symboles,  ce  sont  les  pièces  probantes  de 
cette  participation.  Aussi  bien,  si  novateurs  qu'ils  soient,  les  artistes  ou 
les  poètes  qui  entreprendront  de  mettre  en  scène  les  hauts  faits  de  l'héroïne 
devront  s'inspirer  de  cette  image.  S'ils  veulent  peindre  au  naturel  et  chanter 
juste,  ils  devront  nécessairement  prendre  la  note  harmonique  des  chroni- 
queurs, et  s'approprier  autant  que  possible  la  couleur  et  les  traits  incisifs 
des  miniaturistes  du  quinzième  siècle. 


520  p:claircissements. 

Ces  caractères  ne  sont  pas  moins  frappants  dans  les  deux  sujets  intitules 
la  Bataille  de  Fonnigny  par  les  Fraitchois  (page  397)  et  la  Journée  des 
Harengs  (page  45).  Jeanne  n'y  est  point  représentée,  puisque  la  victoire 
décisive  de  Formigny  eut  lieu  seize  ans  après  sa  mort,  et  que  la  journée 
dite  des  Harengs  se  passait  au  moment  où  elle  n'était  pas  encore  en 
marche  sur  le  chemin  de  ^'aucouleurs  à  ("Jiinon.  Pourtant  il  est  impos- 
sible de  regarder  ces  deux  scènes  militaires  sans  chercher  parmi  les  com- 
battants celui  qui  porterait  Tarmure,  Técu  ou  la  bannière  de  la  Pucclle 
d'Orléans.  Il  n'y  est  pas,  mais  son  absence  laisse  un  vide  que  l'imagi- 
nation s'obstine  d'autant  plus  à  combler  que  la  peinture  elle-même 
favorise  l'illusion.  Le  souvenir  de  Jeanne  plane  au-dessus  de  la  mêlée, 
son  image  apparaît  vivante  et  ra\onnante ,  et  sa  ressemblance  est  plus 
frappante  dans  ce  mirage  qu'elle  ne  l'est  dans  aucune  œuvre  d'art  peinte  , 
gravée  ou  ciselée,  si  fruste  ou  si  neuve  qu'elle  soit. 

D'ailleurs,  aucune  des  images  conservées  et  reproduites  dans  cette  publi- 
cation ne  peut  être  considérée  comme  un  portrait  authentique  de  Jeanne 
d'Arc,  mais  des  témoignages  nombreux  et  dignes  de  foi  nous  la  représentent 
aussi  bien  douée  au  physique  qu'au  moral.  Elle  était  belle  et  bien  for- 
mée;   bien  compassée  de  membres,  et  forte; de  grande  force  et 

puissance  ; elle  avait  sous  ses  habits  d'homme  une  tournure  mâle  et  en 

même  temps  élégante.  —  Assurément  ce  n'est  pas  à  la  vignette  tracée  par 
la  main  d'un  greffier  sur  la  marge  d'un  acte  public  qu'il  faut  demander  ce 
type.  Il  ne  se  rencontre  pas  davantage  dans  cette  lettre  initiale  où  l'on  voit 
la  Pucelle  presque  enfant,  en  armes  déjà,  et  cheminant  sur  l'herbe  fleurie 
et  sous  un  ciel  étoile.  La  grâce  naïve  et  poétique  s'affirme  dans  cette 
image  bien  plutôt  que  la  force  et  l'élégance.  Ici ,  comme  dans  la  miniature 
de  la  page  522,  le  peintre  a  dià  recourir  à  un  phylactère  pour  désigner  celle 
qu'il  voulait  peindre.  La  dimension  microscopique  de  ses  figurines  exclut  la 
prétention  à  la  moindre  ressemblance;  cependant  on  peut  croire  qu'il  n'en 
était  pas  de  même  pour  toutes  les  peintures  contemporaines  dont  le  nombre 
et  la  destination  furent  constatés  par  le  procès  de  Rouen.  Plusieurs  de 
ces  images,  disait-on,  étaient  exposées  à  la  vénération  des  fidèles  dans  les 
églises.  Le  tableau  que  nous  voyons  à  la  page  262  semble  justifier  cette 
assertion  ,  puisque  l'on  voit  figurer  à  coté  du  trône  de  Notre-Dame  de  Paix  , 


ICONOGRAPHIE  DE  JEANNE  D'ARC.  527 

avec  saint  Michel,  Jeanne  d'Arc  armée  et  nimbée  tout  comme  le  saint 
archange.  Toutefois,  il  est  à  croire  que  devant  cette  peinture  Jeanne  d'Arc 
n'eût  pas  consenti  volontiers  à  se  reconnaître.  Mais  elle  a  pu  en  voir  d'autres 
faites  de  son  vivant  et  qu'elle  n'eut  pas  désavouées.  «  Interroguéc  s'elle  avoit 
«  point  veu  ou  fait  faire  aucuns  \'maiges  ou  paincturcs  d'elle  et  à  sa  sem- 
tt  blance  :  respond  qu'elle  vit  à  Arras  une  paincturc  en  la  main  d'un  Escot 
«  (Écossais),  et  y  avoit  la  semblance  d'elle  toute  armée  et  présentoit  unes 
«  lectres(un  écrit)  à  son  ro}^  et  estoit  agenoullée  d'un  genoul.  Et  dit  que 
«  oncqiies  ne  vit  ou  fist  faire  autre ymaige  ou  paincture  à  la  scmblance 
«  d'elle.  »  Ce  passage,  extrait  du  procès  de  condamnation,  démontre  que 
jamais  un  portrait  de  Jeanne  d'Arc  ne  fut  fait  d'après  nature.  Ainsi ,  dès 
l'origine,  les  peintres  du  quinzième  siècle  n'ont  dià  procéder  qu'à  l'aide  de 
leurs  souvenirs;  et,  dans  les  siècles  postérieurs,  les  types  primitifs  ont  subi 
les  altérations  inhérentes  à  toute  reproduction  et  au\  variations  du  style  de 
chaque  époque.  Celui  de  la  Renaissance  est  déjà  fort  accentué  dans  le 
tableau  conservé  au  musée  d'Orléans  et  qui  passe  pour  être  le  plus  ancien 
portrait  de  la  Pucelle.  L'ajustement,  le  collier  d'orfèvrerie,  la  robe  plissée 
et  les  manches  à  crevés  ne  laissent  aucun  doute  sur  sa  date.  Pourtant 
l'attitude  du  personnage,  sa  tète  inclinée  et  sa  coitîure  ont  été  presque  iden- 
tiquement reproduites  jusqu'à  la  fin  du  dix-septième  siècle  ;  seulement  la 
mode  a  passé  par  là ,  et ,  si  les  dames  de  la  cour  ou  les  comédiennes  de 
l'hôtel  de  Bourgogne  ont  bien  voulu  consentir  à  porter  la  cuirasse  et  l'épée 
de  la  Pucelle,  elles  n'ont  pas  renoncé  à  leurs  atours.  Dans  les  grandes 
compositions  c'est  encore  pis.  Là  il  ne  faut  plus  songer  à  retrouver  la 
moindre  trace  de  traditions  ni  d'archaïsme.  Le  type  du  seizième  siècle 
lui-même  a  disparu,  et  l'idéal  s'éclipse  ou  resplendit  à  volonté ,  et  autant 
que  le  permet  la  forme  allégorique.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que,  dans 
le  frontispice  du  poëme  de  Chapelain  (page  443),  dans  certaines  tapis- 
series i^page  r38i  et  ailleurs,  la  Pucelle  est  figurée  .sous  les  traits  d'une 
Clorinde  frisée  ou  d'une  Pallas  empanachée ,  telles  que  les  concevaient  les 
ordonnateurs  des  carrousels  et  des  ballets,  à  la  cour  de  Louis  XIV. 

De  là  à  l'imagerie  du  quinzième  siècle  et  au  tableau  de  l'Écossais  d'Arras, 
il  y  a  loin,  et  la  comparaison  n'est  pas  à  l'avantage  du  grand  siècle  dont  le 
style,  tout  pompeux  et  orné  qu'il  est,  laisse  plus  à  désirer  quant  à  l'icono- 


528  ECLAIRCISSEMENTS. 


graphie  de  la  Pucelle  que  le  trait  calligraphique  de  Faukemberg,  greffier  du 
parlement  de  Paris.  Nul  doute  que  des  mains  plus  habiles  que  les  siennes 
aient  mieux  réussi  à  peindre  ces  caractères  et  à  vulgariser  un  type  vraiment 
ressemblant.  Le  peintre  choisi  par  Jeanne  d'Arc  pour  décorer  sa  bannière 
a  dû  s'y  employer.  Les  maisons  des  bourgeois  d'Orléans,  les  palais  publics 
et  les  châteaux  disséminés  sur  les  rives  de  la  Loire  devaient  solliciter  ces 
productions;  mais  que  sont  devenus  les  tableaux,  les  tentures,  et  où  retrou- 
ver la  peinture  d'Arras,  alors  que  les  maisons,  les  châteaux,  les  cités  et  les 
enceintes  fortifiées  qui  les  gardaient  sont  passés  de  l'état  de  nature  à  l'état 
de  réduction  graphique  et  de  poussière  archéologique? 

C'est  seulement  sous  forme  de  reproduction  d'une  ancienne  gravure  que 
nous  voyons  ici  le  monument  érigé  en  1458  sur  le  pont  d'Orléans  (page  SyS). 
La  gravure,  réduite  d'après  celle  qui  est  conservée  au  musée  d'Orléans, 
laquelle  est  elle-même  une  traduction  libre,  ne  nous  transmet  qu'un 
aperçu  pittoresque,  mais  dépourvu,  quant  aux  figures,  du  caractère 
primitif.  Détruit  par  les  calvinistes  en  i362,  ce  monument  fut  rétabli  et 
coulé  en  bronze  en  iSyo,  puis  détruit  derechef  et  refondu  en  pièces  de 
canon  en  lyqS.  La  statue  qui  le  remplaça  en  1804,  sous  le  Consulat, 
et  celle  qui  fut  exécutée  en  i855  par  F^oyatier  (page  ()3),  semblent 
n'avoir  été  faites  qu'afin  de  perpétuer  la  tradition  locale.  Elles  n'ofl'rent 
pas  d'autre  intérêt,  et  ne  sont  que  des  jalons  provisoires  ou  des  pierres 
d'attente  destinées  à  conserver  d'impérissables  souvenirs  dont  les  sta- 
tuaires du  dix-neuvième  siècle  n'ont  pas  su  s'inspirer.  D'ailleurs,  les 
monuments  précédents  eux-mêmes,  si  respectables  qu'ils  fussent  par  leur 
antériorité  et  le  caractère  religieux  qui  les  distinguait,  étaient  loin  de 
correspondre  à  l'ampleur  des  faits  historiques  qu'ils  devaient  consacrer. 

La  simple  croix  plantée  sur  la  place  du  marché  de  Rouen  abritait  mieux 
le  souvenir  de  la  mission  et  du  martjTe  de  Jeanne.  Plus  tard,  cette  marque 
primitive  et  symbolique  s'est  transformée,  et  l'art  du  seizième  siècle  s'est 
emparé  du  champ  qu'elle  occupait,  pour  y  ériger  une  œuvre  monumentale 
dont  le  style  plus  élégant  que  grave  n'excluait  pas  cependant  le  sens  histo- 
rique et  religieux,  surtout  lorsqu'on  rapproche  du  dessin  d'Israël  Sylvestre 
la  description  iconographique  des  statues  qui  complétaient  l'ensemble.  Peu 
à  peu,  malgré  les  travaux  successifs  d'entretien  et  de  restauration,  l'action 


ICONOGRAPHIE  DE  JEANNE  D'ARC.  629 


du  temps  finit  par  ronger  la  pierre  et  ruiner  l'édifice.  Dès  lors  rAcadémie, 
la  municipalité  de  Rouen  et  le  parlement  de  Normandie  songèrent  à  le  rem- 
placer, non  sans  se  réserver  le  droit  de  choisir  les  artistes  et  de  contrôler  les 
projets.  Le  plan  fut  tracé  par  Jean-Baptiste  Ducamp.  La  statue  fut  confiée 
à  Paul-Ambroise  Slodtz,  sculpteur  du  roi,  et  voici  comment  son  œuvre 
fut  appréciée  par  les  juges  contemporains  : 

«  Le  monument  que  nos  pères  avoient  élevé  à  l'héroïne  qui  raftèrmit  le  trône 
de  la  monarchie  française,  étoit  négligé  et  tomhoit  en  ruines.  Les  ouvrages  des 
arts  destinés  à  immortaliser  la  gloire  des  vertus  patriotiques  ne  peuvent  estre  in- 
différents à  des  magistrats  qui  en  donnent  eux-mesmes  des  exemples  publics.  Le 
parlement  de  Normandie  rendit  un  arrest  pour  le  rétablissement  de  la  statue  de 
la  Pucelle  d'Orléans,  et  les  officiers  municipaux  choisirent  M.  Paul-Ambroise 
Slodtz  pour  l'exécuter.  —  Il  remplit  l'attente  qu'on  en  avoit  conçue.  La  figure 
exposée  au  concours  des  connoisseiirs  dans  la  capitale  du  royaume  mérita 
leurs  suffrages.  Elle  répond  parfaitement  à  l'idée  qu'on  aime  à  se  former  de  ces 
personnages  extraordinaires  que  des  qualités  supérieures  ont  élevés  au-dessus  de 
l'humanité.  Son  attitude  noble  et  guerrière  conserve  cependant  la  modestie  et  les 
grâces  qui  conviennent  à  scn  sexe.  La  teste  surtout  réunit  ces  deux  caractères. 
Les  traits  de  son  visage  expriment  ce  genre  de  beauté  dont  les  anciens  étoient  si 
grands  amateurs,  parce  que  leurs  âmes  élevées  dédaignoient,  jusque  dans  les  ob- 
jets mesmes  de  leur  amour,  tout  ce  qui  sembloit  annoncer  la  mollesse  et  la  vo- 
lupté ' .  » 

Aujourd'hui,  lorsqu'il  s'agit  d'apprécier  ce  même  monument,  on  le  prend 
sur  un  autre  ton.  «  Près  du  lieu  où  mourut  l'héro'ine  fut  élevée,  quelques 
années  après  sa  mort ,  une  jolie  fontaine  triangulaire  qui  a  été  détruite  et 
qu'a  remplacée  une  fontaine  ridicule,  sculptée  par  Paul  Slodtz.  Jeanne 
d'Arc  est  représentée  sous  le  costume  de  Bellone ,  mais  d'une  Bellone 
du  règne  de  Louis  XV.  Les  Rouennais  forment  des  vœux  pour  sa  des- 
truction-. « 

Assurément  les  Rouennais  peuvent  souhaiter  mieux ,  mais ,  en  attendant,- 
qu'ils  ne  se  pressent  pas  de  détruire.  Le  style  du  monument  de  Rouen  est 
loin  de  correspondre  au  caractère  historique  du  sujet;  mais  la  fontaine  de 
la  place  de  la  Pucelle  ne  fut  pas  exclusivement  vouée  à  l'apothéose  de 

1  Mémoire  sur  le  lieu  du  supplice  de  Jeanne  d'Arc,  par  M.  Robillard  de  Beaurepaire. 

2  Jeanne,  Guide  en  Normandie. 


53o  ECLAIRCISSEMENTS. 


Bellone.  A  défaut  des  moyens  expressifs  qu'on  eût  pu  attendre  d'un  art 
moins  asservi  au  goût  fastueux  et  futile  de  l'époque,  le  vœu  de  la  muni- 
cipalité de  Rouen  s'est  traduit  dans  les  inscriptions.  C'est  là  que  l'inspi- 
ration se  fait  jour,  et  que  la  personnalité  et  le  culte  traditionnel  rendu  à 
l'héroïne  s'afHrment.  L'art  était  indocile  ou  impuissant;  c'est  pourquoi, 
pour  apprécier  comme  il  convient  ce  monument,  il  ne  faut  pas  se  borner 
à  sourire  en  contemplant  Bellone,  les  dauphins  et  les  jets  d'eau,  il  faut 
lire  les  inscriptions,  et  surtout  ne  pas  oublier  les  dates  qui  ajoutent  à  leur 
éloquence,  car  le  marbre  se  gravait  à  Rouen  en  même  temps  qu'on 
imprimait  à  Paris  le  poëme  immonde  de  Voltaire'.  Le  monument  de 
Rouen  fut  une  protestation  éclatante  du  sentiment  public  et  la  contre- 
partie d'une  œuvre  antinationale.  A  ce  litre  il  faut  y  regarder  avant  de 
procéder  à  sa  destruction ,  car  l'on  en  compte  peu  qui  présentent  un  si  vif 
intérêt. 

Jeanne  d'Arc,  au  xix'^  siècle,  a  été  célébrée  à  l'envi  par  une  infinité 
d'artistes,  de  panégyristes  et  de  poètes,  sans  compter  les  historiens  qui,  de 
tous,  à  vrai  dire,  ont  le  mieux  réussi.  Pourtant  il  ne  faut  pas  dédaigner  les 
peintures  de  MM.  Ary  Schcfler,  Bénouville,  Raymond  Bal/.c,  Ingres,  etc., 
dont  ce  recueil  nous  olTre  des  reproductions,  ainsi  que  des  œuvres  de 
plusieurs  statuaires,  parmi  lesquelles  se  distinguent  celles  de  MAL  Henri 
Chapu  et  Georges  Clère,  et  le  noble  et  gracieux  chef-d'œuvre  de  la  princesse 
Marie  d'Orléans. 

Tous  ces  ouvrages  témoignent  du  retour  de  l'art  national  vers  les 
traditions  dont  le  livre  de  AL  Wallon  conserve  le  dépôt.  Loin  de  se 
ralentir,  ce  mouvement  s'est  accentué  plus  encore  pendant  le  cours 
des  années  qui  viennent  de  s'écouler.  On  se  souvient  qu'après  le  siège, 
la  place  des  Pj'ramides  se  trouva  ornée  tout  à  coup  d'une  statue  équestre 
de  Jeanne  d'Arc.  Le  contraste  de  ce  monument  triomphal  et  des  Tuileries 
en  ruines  donnait  à  cette  statue   une  puissance  d'expression  tout  à  fait 

'  Puellï  Regni  Servatrici.  —  Joannœ  DarciaCi  d ivinitusaJ versus  Anglo9eicitat.T,qua:  post  Aureliaitl  obsi- 
dioiie  liberatam,  Jeductum  per  medios  liostes  ad  sacra  Rhemensia  Carolum  VU,  assertum  eidem  pluribus 
victoriis  paternum  solium,  ad  Compendium  capta,  Anglis  vendita,  in  isto  urbis  angulo  combusta,  die  xiii 
maiianno  mccccixxi  desiit  vivere  non  triumpharc.  Cujus  mcmoria,  constitutisicquioribusa  Calixto  UIs.  p. 
judicibus,  solemniter  in  bac  civitate  tune  libéra,  die  vu  Julii,anno  mcccclvi ,  sux-  integritati  restiluta  est. 

\un<:  ubifons,  rogus  ante  fuit  ;  furor  anglicus  olim 
Hic  peperit  Jlammas  ;  hic  dolor  urbis  aquas. 


ICONOGRAPHIE  DE  JEANNE  D'ARC 


53i 


imprévue.  Devant  elle  les  fronts  s'inclinaient,  les  couronnes  s'entassaient 
jusqu'à  menacer  de  la  recouvrir,  et  les  soldats  de  la  république  rendaient 
les  honneurs  militaires  à  l'étendard  fleurdelisé. 

L'année  dernière,  le  programme  officiel  de   la  décoration  de  l'église 


212.  —  Jeanne  d'.\rc.  Médaillon  en  bronze  de  M.  Chapu,  sur  le  chevet  de  l'église 
Saint-.\spais,  à  Melun. 


Sainte-Geneviève  imposait  la  représentation  de  Jeanne  d'Arc.  En  même 
temps,  ce  même  sujet  était  adopté  par  la  plupart  des  architectes  dont  les 
plans  figuraient  au  concours  de  l'église  du  \'œu  national  au  Sacré-Cœur. 
Presque  tous  avaient  assigné  une  place  d'honneur  à  l'héroïne,  soit  à 
l'intérieur   dans   les  peintures    murales,   soit  à    l'extérieur  parmi  les  sta- 


532  ECLAIRCISSEMENTS. 


tues  qui  ornaient  les  arcatures  du  dôme  ou  couronnaient  les  portiques. 

Avant  eux  un  jeune  artiste,  jusqu'alors  inconnu,  s'était  tout  à  coup  révélé 
en  apportant  à  l'exposition  de  1867  un  projet  de  construction  et  de  décora- 
tion intitulé  le  Catholicon.  Ce  projet  fut  couronné  par  le  jury  international. 
Dans  la  frise  où  se  déroulait  le  cortège  des  figures  historiques  dont  Clovis 
et  Charlemagne  ouvraient  la  marche,  Jeanne  d'Arc  marchait  après  saint 
Louis'. 

En  présence  de  ces  manifestations  si  répétées  et  si  concordantes,  qui  peut 
nier  l'attraction  exercée  sur  l'inspiration  artistique  par  des  sujets  où  les 
traditions  nationales  les  plus  saintes  et  les  plus  vives  se  résument  dans 
une  image  où  se  personnifient  la  foi,  la  vaillance  et  le  patriotisme? 
Sont-ce  les  souvenirs  poignants  et  le  deuil  de  l'Alsace  et  de  la  Lorraine 
qui  terniront  l'éclat  des  armes  de  la  vierge  de  Vaucouleurs?  Tant  s'en  faut, 
car,  au  lendemain  de  nos  défaites,  alors  que  la  statue  de  Jeanne  se  dressait 
près  des  ruines  du  palais  des  Tuileries,  l'étendard  de  la  Pucelle  apparaissait 
aux  regards  du  peuple  et  de  l'armée  comme  un  gage  du  salut  de  la 
nationalité  française. 

Ainsi  tous  les  documents  collationnés  dans  cette  publication,  depuis  le 
plus  ancien  jusqu'au  plus  moderne,  témoignentque  l'interprétation  artistique 
est  toujours  restée  fidèle  aux  traditions.  Depuis  le  quinzième  siècle,  l'art 
n'a  jamais  cessé  d'affirmer  sa  croyance  à  la  mission  divine  et  à  la  sainteté 
de  la  libératrice  de  la  France.  Toutes  ses  productions  en  font  f(ji,  témoin  la 
statue  exposée  en  1875  sous  le  titre  de  Supplice  de.  Jeanne  d'Arc,  vierge 
et  martyre,  et  dont  la  tête  était  couronnée  d'une  auréole*.  Cette  attribution 
emblématique  n'était  rien  moins  qu'une  innovation,  puisque  déjà  l'icono- 
graphie nous  a  montré  l'équivalent  dans  une  peinture  du  quinzième  siècle. 
D'ailleurs,  on  se  souvient  que  ces  hommages  pieux  rendus  par  les  contempo- 
rains à  l'envoyée  du  roi  du  ciel  comptèrent  parmi  les  chefs  d'accusation 
du  procès  de  Jeanne  d'Arc.  Puissent-ils  compter  aussi  dans  le  procès  de 
sa  canonisation,  et  plaider  sa  cause  non  moins  énergiquement  que  l'arrêt 
des  premiers  juges,  et  que  l'exécution  de  leur  inique  sentence!  Aussi  bien  ne 

*  Page  i55.  Dessin  de  M.  Charles  Lameire. 
2  Page  357.  Statue  par  Georges  Clère. 


ICONOGRAPHIE  DE  JEANNE  D'ARC.  S33 


saurait -on  voir  dans  ce  culte  traditionnel  autre  chose  que  la  seule  forme  qui 
puisse  exactement  traduire  les  gestes  de  rhéroïne  et  l'impression  profonde 
qu'ils  ont  produite  et  qu'ils  produisent  encore.  Toutefois,  si  enraciné  et  si 
populaire  que  soit  ce  culte,  il  ne  préjuge  rien  dans  les  âmes  quant  à  celui 
que  l'Eglise  seule  peut  décerner,  mais  il  le  sollicite,  et  Ton  peut  dire  que 
l'auteur  de  ce  livre  et  tous  ceux  qui  de  près  ou  de  loin  ont  contribué  à 
parfaire  cette  édition,  peuvent  compter  parmi  les  promoteurs  de  la  cause. 

Plaise  à  Dieu  que  le  jugement  du  nouveau  procès  sanctionne  ces  témoi- 
gnages, et  que  bientôt  Anglais  et  Français  ne  soient  plus  qu'un  pour  effacer 
dans  l'œuvre  commune  de  la  réparation  l'iniquité  du  meurtre  et  de  l'aban- 
don commis  par  leurs  aïeux!  Partout  l'art  chrétien  contribuera  à  sceller 
cette  alliance;  aussi  est-il  des  plus  intéressés  à  ce  que  l'issue  du  nouveau 
procès  détermine  l'épanouissement  complet  de  la  gloire  de  Jeanne.  C'est 
alors  que  le  travail  de  préparation  commencé  et  continué  sans  interruption 
depuis  plus  de  quatre  siècles  portera  ses  fruits.  Les  monuments  disparus 
ou  existants,  les  peintures  imagées  récentes  ou  primitives,  recueillis  dans 
ce  livre  à  titre  de  documents  iconographiques  et  archéologiques,  seront 
désormais  refondus  et  transfigurés;  et  il  en  sera  d'eux  comme  de  la  pous- 
sière et  de  la  nuit  des  catacombes  par  rapport  aux  monuments  religieux 
où  les  ossements  et  l'image  des  saints  martyrs  sont  glorifiés. 

Jusqu'ici  le  parchemin,  la  toile  ou  le  marbre  nous  ont  fait  voir  le  nom  de 
la  Pucelle  inscrit  en  lettres  d'or.  Mais  où  est  le  portrait  authentique  ou 
l'image  idéale,  et  dans  quelle  contrée  voit-on  l'édifice  dont  les  formes  archi- 
tectoniques  et  sculpturales  correspondent  exactement  aux  dates,  aux  ac- 
tions et  aux  traditions  évoquées  par  l'immortel  souvenir  du  nom  et  des 
vertus  de  Jeanne  d'Arc?  Ce  monument  n'existe  pas.  Mais,  selon  toute 
probabilité,  ce  siècle-ci  le  verra  s'élever,  puisque  la  voix  des  évêques 
réclame  instamment  pour  Jeanne  d'Arc  ce  que  la  voix  du  peuple  a  toujours 
proclamé.  Ces  vceux,  formulés  avec  tant  d'éloquence,  sont  les  pierres 
d'attente  auxquelles  l'iconographie  et  la  fiore  monumentale  de  l'histoire  de 
Jeanne  d'Arc  viendront  se  rattacher.  A  cet  effet,  le  discours  prononcé  le 
8  mai  1869  dans  la  cathédrale  d'Orléans,  par  M""'  Dupanloup,  aurait 
ici  sa  place,  car  il  détermine  avec  autant  d'autorité  que  de  précision  les 
termes  et  l'accord  des  éléments  naturels  et   divins  qui  devront  pénétrer 


534  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


l'œuvre  artistique.  Quiconque  voudra  orner  la  triple  couronne  des  vertus 
héroïques  de  Jeanne  et  la  placer  sur  le  front  de  la  Pucelle  ou  au  faîte  d'un 
édifice ,  ne  pourra  mieux  faire  que  d'emprunter  le  mode  et  le  style  de  l'orateur 
sacré.  Que  celui-ci  ait  pu  dire,  après  Bossuet,  «  toute  louange  languit  à 
côté  des  grands  noms,  »  il  n'a  pas  moins  démontré  jusqu'où  peut  s'é- 
lever le  langage  soutenu  par  l'ardeur  de  la  foi  et  du  patriotisme. 

D'ailleurs,  là  oià  s'arrête  la  parole,  l'art  commence.  C'est  à  lui  de  prendre 
l'intonation  et  de  produire  des  harmonies  capables  de  monter  plus  haut  et 
de  porter  plus  loin  que  ne  peut  l'éloquence.  Tout  ce  qui  s'est  dit,  tout  ce 
qui  se  tait,  se  traduit  et  vibre  dans  les  créations  de  l'art.  Autrefois  il  s'était 
pour  ainsi  dire  borné  à  suivre  pas  à  pas,  depuis  Vaucouleurs  jusqu'à  Rouen, 
la  voie  triomphale  et  la  voie  douloureuse  de  l'héroïne,  en  marquant  chaque 
station  du  signe  de  la  croix.  Tout  au  plus  osait-il  caractériser  la  mission 
divine  de  Jeanne  d'Arc,  en  rapprochant  sous  le  même  pinacle  sa  statue  et 
celles  de  Judith,  de  Jahel  et  de  Débora.  Mais  bientôt,  s'il  plaît  à  Dieu,  le 
cliamp  de  l'inspiration  va  s'agrandir.  L'intervention  directe  de  tous  nos 
saints  protecteurs  complétera  le  sj'mbolisme;  les  rayons  lui  viendront  de 
tous  les  sanctuaires  et  pourront,  sans  s'amoindrir,  se  partager  entre  sainte 
Geneviève  et  la  nouvelle  patronne  de  la  France. 


Ci.AUDius  Lavergne. 


Fig.  223.  -  Jeanne  d  Arc   \lt  la  U        1  ^ra\i.e  par  F    DomarJ,  en  iSîJ  , 

pour  la  Galerie  métallique  des  grands,  hommes  français. 

Communiquée  par  M™*  Amélie  Finance, 

ancienne'garjienne  de  la  maison  de  Jeanne  d'Arc,  à  Domremy. 


5  des  Htttrc3  de  himon 


lôO^').  Uibliutli.  de  M.  Amljroi&€  î'.-Vidvt. 


TABLE  ANALYTIQUE 

DES  MATIÈRES 


Abbevii.le,  disposée  à  ouvrir  ses  portes  à  Char- 
les VII,  172.  —  Les  dames  de  la  ville  visitent  la 
Pucelle  au  Crotoy,  222. 

Abram  (le  P.)i  historien  de  l'université  de  Pont- 
à-Mousson,  cité,  466. 

Agoult  (la  comtesse  d').  Voy.  Stern  (Daniel). 

AiGNAN  (SO,  patron  d'Orléans,  14g,  462. 

Alais  (Comté  d'),  408. 

Albret  (Charles  11,  sire  d'),  assiste  au  sacre  de 
Charles  VII,  i3S.  —  Refoit  de  Clermont  des  mu- 
nitions de  guerre,  194,  igS. —  Accompagne  la 
Pucelle,  198. 

Alekçqn  (Jean  de  Valois  duc  d'),  prisonnier  à  Ver- 
neuil,  16.  —  Résiste  aux  séductions  des  Anglais, 
5 1 .  —  Donne  un  cheval  à  la  Pucelle,  53.  —  Réunit 
un  convoi  de  vivres  pour  Orléans,  64.  —  Com- 
mande, après  la  levée  du  siège,  une  expédition 
contre  les  Anglais,  100,  —  en  compagnie  de  Jeanne 
d'Arc,  102. —  Attaque  Jargeau. —  Jeanne  lui 
sauve  la  vie.  —  Il  s'empare  de  la  place,  104-106. 

—  Prend  Meun  et  Baugency,  107  etsuiv.  — Bat  les 
Anglaisa  Patay,  1 14  etsuiv.  —  Accompagne  le  roi  à 
Reims,  123.  —  Assiste  au  sacre,  i38.  —  Atteste  la 
chasteté  delà  Pucelle,  141,  —  etses  qualités  mi- 
litaires, 143.  —  Commande  un  corpsd'armée,  166, 

—  Prend  part  à  l'attaque  de  Paris,  173.  — Adresse 
des  proclamations  à  la  ville,  171. —  Ramène  au 
camp  la  Pucelle  blessée,  178. —  Se  retire  à  Beau- 
mont. —  Propose  au  roi  d'entrer  en  Normandie 
avec  Jeanne,  1S6.  —  Témoin  au  procès  de  réha- 
bilitation, 368.— Sa  signature,  374. 

Alespée  (Jean),  proclame  la  sainteté  de  Jeanne 
d'Arc,  356. 

Alexandre  (François),  prévôt  de  Gondrecourt,  423. 

Ambly  (famille  d'),  424. 

Ahboise  (le  capitaine  d'),  108. 

Ahédée  VIII,  duc  de  Savoie,  incline  du  côté  des 
Bourguignons,  i3.  —  Engage  Philippe  le  Bon  à 
faire  la  paix,  16.  —  Propose  sa  médiation,  172. 


Amelgard  (le  faux).  Voy.  Basin  (Thomas). 

Amiens,  disposé  à  accueillir  Charles  VU,  172. 

Amiens  (conférence  d'),  i3. 

Ampoule  (la  sainte),  i33. 

Andelot  (prévôté  d'),  26. 

André  (S.),  patron  des  Bourguignons,  181. 

Andreozzi,  compositeur  napolitain,  auteur  de  lo- 
péra  :  Giovaniia  d'Arco^  495. 

Andrieu  (Robert),  194,  igS. 

Angers.  —  Progrès  des  Anglais  de  ce  côté,  18. 

Angers  (entrevue  d'),  17. 

Angleterre. —  Précis  de  la  guerre  de  Cent  ans,  3 
et  s.—  Voy.  Edouard  III,  Richard  II,  Henri  IV, 
Henri  V  et  VI,  Bedford. 

Anjou  (Louis  II  d'),  17. 

Anjou  (Marie  d').  Voy.  Marie. 

Anneaux  de  la  Pucelle,  254,  273. 

Anoblissement  (lettres  d')  accordées  par  Char- 
les VII  à  Jeanne  d'Arc  et  à  sa  famille  (texte  et 
traduction),  418. 

Aragon  (Yolande  d').  Voy,  Yolande. 

Arbalétriers  (armure  des),  402,  403. 

Arbamont  (François  d'),  président  à  Vaucouleurs, 
423. 

Arc  (Catherine  d'),  sœur  de  Jeanne,  28. 

Arc  (Jacques  d'),  père  de  Jeanne,  26,  238.  — Rejoint 
sa  lille  à  Reims,  14Ô.  — Meurt  de  chagrin,  372.— 
Anoblissement,  418.—  Sa  descendance  (tableau 
généalogique),  419. 

Arc  (Jacquesou  Jacquemin  d'),  frère  de  Jeanne,  28. 
—  Anoblissement,  418.—  Voy.  Lys  (du). 

Arc  (Jean  d'),  frère  de  Jeanne,  28.—  La  rejoint  à 
Tours,  62.  — Appelé  Jean  du  Lys.  — Prend  au  sé- 
rieux la  fausse  Pucelle,  362 Assiste  au  procès 

de  réhabilitation,  372.  — Lettres  d'anoblissement, 
418.  —  Jean  d'Arc,  prévôt  de  Vaucouleurs,  421, 
422.— Voj.  LYS(du). 

Arc  (Jeanne  d').  Voy.  Jeanne  d'Arc. 

Arc  (Pierre  d'),  frère  de  Jeanne,  28.  —  Se  joint  à 


536 


TABLE  ANALYTIQUE  DES   MATIÈRES. 


ellg  62.  Fait  prisonnier  avec  Jeanne,  210.  — 

Dép'oscsa  requête  en  réhabilitation,  372.  —  Ano- 
bli; 418.— Crcéchevalier  par  IcttresduJuc  d  Or- 
léans, 421.  —  yo_y.  LïS  (du). 

Archers  (armure  des),  401,  4o3,  4>J''- 

Armagnac  (Bernard  d),  comte  de  Pardiac.  -  bes 
possessions,  410.  ^    .    ,   , 

Armagnac  (Jean  IV,  comte  d').  -  Ecrit  à  Jeanne 
d'Arc   147,  252.  —  Ses  possessions,  409. 

Armagnac  (Thibaut  d"),  s'  de  Termes,  86. 

Armagnacs  (rivalité  des)  et  des  Bourguignons, 3, 6 
8  32.  -  Rupture  de  Charles  VII  avec  les  chefs 
armagnacs.- llsreprennentlegouverncment,  17. 

Armet,  casque,  SgS. 

Armoiries  concédées  à  Jeanne  d  Arc,  4>4. 

ARi.o.sES(Jcannc  des),  Ufausse  Pucelle. -Puicau 
sérieux  dans  la  famille  de  Jeanne  d'Arc. --Reçoit 
deshonneursà  Orléans.- Démasquée, .)62.-ba 
légende  contribue  à  altérer  le  caractère  de  la 
Pucelle  dans  la  littérature,  437. 

Armire.  —  Transformations  successives,  SgS.  — 
Habillement  du  cheval  de  guerre,  sous  Char- 
les VII,  399. 

Aronde,  rivière,  208. 

Arras,  prison  de  la  Pucelle,  222. 

Arras  (conférence  d'),  S. 

Arras  (évêque  d').  Voy.  Caveu  (Hugues  de). 

Arras  (Kranquet  d').  — Pris  par  Jeanne  d'Arc,  2o3. 

—  Condamné  pour  ses  brigandages  et  décapite, 
2o5.  —Son  épée  gardée  par  la  Pucelle,  251, 27&. 

Arras  (paii  d'),  364,  363. 
Artilleurs,  sous  Charles  VII,  404. 
Artois  (armes  d),  159. 

Arundel  (le  comte  d')  assiège  Compiegne,  2o!>. 
Assezan  (Antoine),  versificateur,  435. 
Aube,  rivière,  47.  _  .  , 

AuBiGNAC  (abbé  d').  Voy.  Hedelin  (François). 
AuGLSTiNS  (bastille  des), construite  parles  Anglais, 
près  d'Orléans,  19,  81.  — Prise  par  Jeanne  dArc, 

AuLON  (Jean  d'),  maître  d'hôtel  de  Jeanned'Arc,62. 

—  L'accompagne  à  Orléans,  73,  75,  82.—  Reçoit 
son  étendard,  87.  —  Assiste  au  sacre,  134-—  At- 
teste la  chasteté  de  la  Pucelle,  141.—  Blessé  a 
Saint-Pierre-le-Moustier,  198.  —  Fait  prisonnier 
avec  Jeanne,  209.  —  Témoin  au  proccs.de  reha- 
bilitation, 368.—  Sa  signature,  374. 

AuMALE  se  soumet  à  Charles  Vil,  173. 

Auvergne  (comté  d'),  408. 

Auvergne  (Martial  d').  Voy.  Martial  de  Paris. 

AuxERRE,  47.  —  Refuse  d'ouvrir  ses  portes  à  Char- 
les VII,  124. 

AvERDV  (F.  de  n,  cité,  386. 

Avignon  (Marie  d').  Voy.  Marie. 

AvRiGNi  (Charles-Jos.  d').  — Extrait  de  sa  tragédie: 
Jeanne  d'.irc  à  Rouen,  478. 

Avril  (J.),  autcurd'une  imitation  en  vers  de  la  Pu- 
celle de  Schiller,  477. 

AïMERi  (Guill.),  professeur  de  théologie,  5b.  — In- 
terroge Jeanne  d'Arc,  à  Poitiers,  58. 

AziNCOURT  (bataille  d"),  6, 7,  1 16. 

Baillard  (de)  du  Lys,  423. 

Bale  (concile  de),  3o5. 

Balfe,  auteur  dun  opéra  anglais  sur  la  Pucelle. 
496. 

Balze  (Raymond),  53o. 

Bannier  (porte)  d'Orléans,  20. 

Bannière  de  la  Pucelle,  t>6,  25i. 

Bannières  sous  Charles  VU,  399. 

Banville  (Théodore  de).  -    Vers  sur  la  Pucelle, 

45-- 
Bar  (René  de).  Voy.  René  d'.\njou. 


BARBAZAN(Arnaud-Guillem,sire  de),  prisonnier  des 
Anglais,  201.  —  Délivré  par  la  Hire,  202.  —Tué 
à  Bullignevillc,  364. 

Barbier  (Auguste).  —  Sonnet  consacré  à  Jeanne 
d'Arc,  456. 

Barbier  (P.-Jules).  —  Vers  extraits  de  sa  Jeanne 
d'Arc, 4S7  et  s.;  — de  sacantatesur  Icmême  sujet, 
5oo.  — .Musique  ajoutée  parGounod  à  sondrame, 
5o8.—  Chœur  final  du  second  acte,  509  et  suiv. 

Barentin  (.\nne  de),  424. 

Baron  (église  de).  —  Jeanne  d'Arc  y  communie, 
en  compagnie  du  comte  de  Clermont  et  du  duc 
d'Alençon,  i65. 

Barrois.  — Ravagé  par  les  Bourguignons,  33. 

Basin  (Thomas),  évêque  de  Lisielix  (le  faux  Amel- 
gard).  —  Son  jugement  impartial  sur  la  Pucelle, 
3S2.  —  Cité,  179,  204. 

Baudricourt  (Robert  de),  capitaine  de  Vaucouleurs, 
36.—  Jeanne  d'-^rc  va  le  trouver  à  plusieurs  re- 
prises, 37  et  s.—  Il  se  décide  à  la  faire  conduire 
vers  le  roi,  46,  242,249,271,274. 

Baugencv,  68.—  Les  Anglais  s'y  retirent  après  la 
levéedu  siège  d'Orléans,  92,  98.—  Pris  par  Jeanne 
d'Arc,  107  et  suiv.,  112. — Gardé  par  Richemont, 

123. 

Baveux  (prise  de)  par  les  Anglais,  S. 

Beauchami' (Edmond  de).  Vo.)-.  Warwick. 

Beauchamp  (Marguerite  de),  femme deTalbot,  Ii3. 

Beauchamp  (Richard).  Voy.  Wabwick. 

Beaujeu  (seigneurie  de),  408. 

Beaulieu  (château  de),  prison  de  la  Pucelle,  21 5. 

BEAULiEu(Jean  Camus  deVEBNET,dit  de),favoride 
Charles  VII,  17. 

Beaimanoir  (s' de).— Assiste  au  sacre,  |38. 

Beaumont  (vicomte  de),  186. 

Beaupère  (Jean),  recteur  de  l'Université,  juge  de 
Jeanne  d'Arc,  227,234.  —  lU'interrogc  et  lui  tend 
des  pièges,  241,243  et  s.,  247  et  s.—  Reprend 
durement  les  assesseurs  qui  lui  sont  favorables, 
288,  292,  293.  — Porte  l'acte  d'accusation  à  l'U- 
niversité, 309.  —  S'efforce  d'obtenir  l'abjuration 
de  Jeanne,  324. 

Beaurepaire  (M.  de  Robillard  de),  cité,  529. 

Beaurevoir  (château  de),  prison  de  Jeanne  d'Arc, 
220.— Tentative  d  évasion,  221, 263, 279,299. 

Beauvais,  166.—  Palais  des  èvêqucs,  aujourd'hui 
palais  de  Justice,  169.—  La  ville  se  soumet  à 
Charles  VII,  170. 

Bedford  (Jean  duc  de),  régent  de  France  11,  12. 

—  Conférence  tenue  à  Amiens,  i3.— Il  gagne  la 
bataille  de  Verneuil,  i5.—  S'efforce  d'apaiser  la 
querelleduduc  de  Bourgogne  etde  Glocester,i6. 

—  Rattache  Philippe  le  Bon  à  l'alliance  anglaise. 

—  Reprend  les  hostilités  et  fait  mettre  le  siège 
devant  Orléans,  i3  et  suiv.  —  Message  que  lui 
adresse  Jeanne  d'.A.rc,  65.  — Il  envoie  Falstolf  au 
secours  de  Jargcau,  104.—  Attribue  ses  défaites 
au  démon.  — Quitte  Paris  et  se  retire  à  Vincennes. 

—  Demande  secours  à  Winchester,  129.—  Fait 
venir  le  duc  de  Bourgogne  à  Paris.  —  Envoie  des 
messages  pressants  à  Reims,  i3o. —  Annonce  au 
conseil  d'Angleterre  l'intention  de  Charles  VII  de 
marcher  sur  Paris,  157. —  Impatient  de  faire  sa- 
crer Henri  VI.  —  Presse  Winchester  et  le  duc 
de  Bourgogne,  i58.  — Se  prépare  à  la  résistance, 
1(33. —  Écrit  à  Charles  VII  une  lettre  injurieuse, 
164.  — Lui  offre  la  bataille  et  bat  en  retraite.  — 
Marche  sur  Senlis,  166.  —  Ses  remontrances  au 
duc  de  Bourgogne,  172.  — N'osant  restera  Pans, 
il  se  rend  à  Rouen,  1/3.  —  Donne  au  duc  de 
Bourgogne  la  lieutenance  du  royaume,  1S2.—  Se 
retire  en  Normandie,  202.  —  Principal  auteur  du 


TABLE  ANALYTIQUE  DES   MATIÈRES. 


537 


procès  efde  la  mort  de  la  Pucelle,  228  et  suiv. 

—  S'oppose  à  la  paix  d'Arras.  —  Sa  mort,  365. 

—  Ses  titres,  410. 
Bedford  (la  duchesse  de),  tSS. 
Bellay  (du),  cité,  385. 
Belle-Croix  (boulevard  de  la),  73,  S7. 
Bellier  (Guillaume),  lieutenant  du  roi  à  Chinon, 

52. 

BENEDICITE.  Voy.  EsTivET  (Jcan  d'). 

Benouville.  —  Dessin  représentant  la  Pucelle  en 

prison,  333,  53o. 
Bensebade  (J.  de).  —  Traduit  en  vers  la  tragédie 

de  Fr.  Hedelin  :  la  Pucelle  d'Orléans,  473. 
Bergame  (Philippe  de).  —  Comment  il  représente 

Jeanne  d'Arc,  3S3. 
Bermont  (Notre-Dame  de),  3o  .—Statue  delà  Vierge, 

41. 
Berri  (Jacques  Le  Bouvier,  dit) ,  i3. 
Berthelot  (Roulet),  144,  145. 
Besaintre^  (  Jean),  144,  145. 
BÉziERs  (Etats  tenus  à) ,  14. 

BioNAN(Anne) ,  poète.  —  Ses verssur  la  Pucelle,  451. 
Bloïs.  —  Convoi  de  vivres  préparé  pour  Orléans, 

64,  (!t6.  —  Séjour  de  la  Pucelle,  72,  96. 
Boisguillaume( Guillaume  Colles  ou),  greffier  du 

tribunal  institué  pour  juger  la  Pucelle,  234, 289, — 

Sa  signature ,  342. 
Boisv  (le  sire  de) ,  chambellan  de  Charles  VII,  54. 
Bonne  d'Artois,  femme  de  Philippe  le  Bon  ,  16. 
Bonnet  (Simon),  évèquede  Senlis.  —  Chargé  d'in- 
terroger la  Pucelle  à  Poitiers,  5ti. 
BoNNY,pris  par  L.  deCulan,  I23. 
Bordeaux  ,  repris  aux  Anglais,  36(i. 
BoucANDRV.  Voy.  Landes  (Jean  i-ies). 
Boucher  (Jacques),  trésorier  du  duc  d'Orléans,  72. 
—  Sa  signature,  375. 
BoucHET  (  Jean  ) ,  cité ,  94. 

Boudet  (Guillaume),  élu  de  Clermont,  194,  igS. 
Bouille  (Guillaume),  membre  de  l'Université  de 

Paris.  —  Chargé  de  faire  un  rapport  au  Grand 

Conseil  sur  le  procès  de  la  Pucelle,  33(3. 
Boulainvilliers  (Perceval  de).  —  Lettre  au  duc  de 

Milan  relative  à  la  Pucelle,  i5o,  435. 
Boulancourt  (s'  de).  Voy.  Lhuillier  (Jean). 
BouLiGNv  (René  de) ,  199. 
Boulogne  (comte  de),  accompagne  le  roi  ."t  Reims, 

123. 

Boulogne  (Jeanne,  comtesse  de) ,  17. 

Bourbon  (Charles  de),  comte  de  Clermont.  Voy. 
Clermont. 

Bourbon  (Jean  I",  duc  de),  prisonnier  des  Anglais, 
8.  —  Ses  possessions,  409. 

Bourbon  (Jacques  de),  comte  de  la  Marche.  — 
ses  possessions.  409. 

Bourbon  (Louis  de),  comte  de  Vendôme.  Ko)-.  Ven- 
dôme. 

Bourdons  (île  aux) .  68. 

Bourgeois  (le)  de  Paris.  Voy.  Paris. 

Bourges.  —  Séjour  de  Charles  VII ,  I23.  —  Contri- 
bution levée  pour  entretenir  l'armée,  198. 

Bourges  (États  généraux  de),  14. 

Bourgogne  (ducs  de).  Voy.  Jean  sans  Peur  et  Phi- 
lippe LE  Bon. 

BotjRGuiGNONS  (rivalité  des]  et  des  Armagnacs,  3,6, 
8  et  suiv. 

BouRLE.MONT  (château  de).  25. 

BouRLEMONT  (Seigneur  de ) ,  3i. 

Bourreau  de  Jeanne  d'Arc.  —  Rend  témoignage  de 
son  innocence.  356. 

BouscHET  (port  du),  68. 

BoussAC  (Jean  de  Brosse,  dit  le  maréchal  de) ,  64. 
—  Contribue  à  faire  lever  le  siège  d'Orléans,  73. 


78.  —  Seportesur  Jargeau,  100.  —  Rejoint  le  duc 
d'Alençon,  io3.  — Accompagne  le  roi  à  Reims, 
123.  —  Va  chercher  la  sainte  Ampoule  à  -Saint- 
Remi,  i33,  137.  —  Soumet  Senlis,  170.  — ."^méne 
des  troupes  du  côte  de  Paris,  189. 

Brabant  (armes  de),  ôg. 

Brabant  (duc  de),  14,  18. 

Braux  (de),  famille  descendantdesfrèresdcJeanne 
d'Arc  par  les  femmes,  423. 

Bray-sur-Seine.  — Charles  VII  y  vient,  i63,  180. 

Brehal  (Jean),  inquisiteur  de  France.  —  Travaille;! 
l'enquête  sur  le  procès  de  la  Pucelle,  366.  — 
Chargé  de  la  révision  ,  368. 

Bretagne  (ducs  de).  Voy.  Jean  V  et  Richemont. 

Brétigny  (traité  de),  4. 

Bretonnière  (Macé  de  La),  144,  145. 

Brezé  (Pierre  de),  grand  sénéchal  de  Normandie, 
1S7. 

Briçonnet  (Pierre),  144,  14?. 

Brimeu  (s'de),  garde  Noyon  pour  Icduc  de  Bourgo- 
gne, 206. 

Brinon  l'Archevêque,  124. 

Brion  (Gillet  de),  144,  145. 

Brion  (Jean  de),  i  14,  145. 

Brosse  (Jean  de).  Voy.  Boussac. 

Bruch  (Max),  compositeur  allemand,  495. 

BucHAN(JeanSTUART,  comte  de),  connétable,  12, 1 3. 

—  Blessé  à  Verneuil,  16. 

BuEiL  (Jean  de).  —  Sa  signature,  375. 

Bulligneville  [bataille  de),  364. 

Bureau  (Jean),  grand  maître  de  l'artillerie,  1S7. 

Burey-en-Vaux  et  Burey-la-Côte,  villages  voisins 
de  Domremy,  26,  36. 

Caen  (prise  de)  par  les  Anglais,  8. 

Cagny  (Perceval  de).  — Proteste  contre  la  condam- 
nation de  la  Pucelle,  38i. —  Cité,  91,  100, 141,  187. 

CALAis(prisede)  par  les  Anglais,  4.  —  Demeure  en 
leur  pouvoir  après  la  guerre  de  cent  ans,  366. 

Calixte  111,  pape.—  Désigne  l'archevêque  de  Reims 
et  les  évcques  de  Paris  et  de  Coutances  pour  re- 
viser le  procès  de  la  Pucelle,  368.  —  Extrait  de 
sa  bulle,  370.  —  Son  portrait,  3/1. 

Calot  (Jean),  secrétaire  du  roi  d'Angleterre.  —  As- 
siste à  l'abjuration  de  la  Pucelle,  33o. 

Canons  ,  sous  Charles  VII ,  404.. 

Capitaines  (armure  des) ,  402. 

Carafa  (Michel).  — Son  opéra  :  Jeanne  .fAre  à  Or- 
léans .  49S.     , 

Carcassonne  (Etats  tenus  à  ),  14. 

Castiglione  (Zenon  de),  évèquede  Lisieux.  —  Con- 
clut contre  la  Pucelle  ,  3oS. 

Castille.  —  Charles  VII  songe  à  s'y  retirer,  49. 

Castillon  (bataille  de),  365. 

Castres  (évêque  de).  Voy.  Cotigny  (Pierre  de)  et 
Machet  (Gérard). 

Catherine(S'«)  apparaît  à  Jeanne  d'Arc,  34,  36,  154. 

—  La  console  dans  sa  prison,  221.  —  Interroga- 
toires relatifs  à  ses  apparitions,  248, 234, 256, 25(| 
269,  299, 334. 

Catherine  de  la  Rochelle.  l'o)'.  Rochelle. 

Cauchon  (Pierre),  évêque  de  Beauvais.  —  Partisan 
des  Anglais.  —  Obligé  de  quitter  la  ville,  170.  — 
Organe  accrédité  de  l'Université,  dans  le  procès 
de  la  Pucelle,  216.  —  11  la  réclame  comme  appar- 
tenant ù  sa  justice,  21  S.  — Son  cortège  judiciaire, 
227.  —  11  fait  jeter  en  prison  un  juge  coupable 
de  soutenir  que  le  procès  n'est  pas  légal,  228.  — 
Subit  la  volonté  des  Anglais.  —  Altère  et  cor- 
rompt les  procès-verbaux,  23o.  —  Fait  procé- 
der aux  informations,  233.— Nomme  les  officiers. 

—  Tient  plusieurs  conseils,  234.  —  Son  portrait. 
235.  —  U  interroge  la  Pucelle,  236.  —  Serment 


JEANNE   D  ARC.   m. 


68 


538 


TABLE  ANALYTIQUE   DES  ftL\TIÈRES. 


qu'il  veut  lui  faire  prêter  238,  243,  247.  —  II  fait 
procéder  aune  information  nouvelle,  264,  —  Ef- 
forts pour  trouver  matière  à  accusation,  283  et 
suiv.  —  11  reprend  durement  les  assesseurs  qui 
essaient  de  guider  Jeanne,  2SS.  —  La  fait  trahir 
par  de  faux  conseillers,  289. —  Se  présente  dans 
sa  prison  pour  lui  faire  quitter  ses  habits  d'homme, 
293.  —  Fait  approuver  l'acte  d'accusation  par  ses 
conseillers,  294  et  suiv.  —  Interroge  Jeanne  sur 
sa  soumission  à  rKglise,  3oi,  —  Soumet  l'accusa- 
tion àdiversjurisconsulteset  théologiens,  3o6.  — 
Son  admonition  charitable  à  la  Pucelle,  3io.  — 
11  la  menace  de  la  torture.  —  Seconde  admoni- 
tion, 3i6,  320.  —  Il  obtient  de  l'Université  un 
avis  selon  ses  désirs,  3 18.  —  Arrache  à  Jeanne 
son  abjuration,  323  et  suiv. — La  rend  aux  An- 
î^lais  après  l'avoir  condamnée  à  la  prison  perpé- 
tuelle, 33i.  — Fait  constater  qu'elle  a  reprisses 
vêtements  d'homme,  332.  — Joie  qu'il  en  témoi- 
gne, 333.  —  U  la  fait  déclarer  relapse,  340.  — 
Nouvel  effort  pour  obtenir  d'elle  un  désaveu  de 
sa  mission,  344. —  Habileté  de  son  attaque.  — 
Parvint-il  à  ses  fins?  345,  34Ô.  —  Il  assiste  au 
supplice  de  Jeanne. —  L'exhorte,  35o.  —  Ne  peut 
retenir  ses  larmes,  352.  — Sa  mort,  350.  — Cha- 
pelle delà  Vierge  à  Lisieux,  construite  à  ses  frais, 
339.  —  Sa  signature,  375.  —  Il  ne  représentait 
pas  l'Église,  3S7. 
Caïeu  (Hugues  de),  évêque  d'Arras.  —  Envoyé  par  le 

duc  de  Bourgogne  vers  Charles  VII,  172. 
Ceffonds,  patrie  de  Jacques  d'Arc,  26. 
Cent  ans  (  guerre  de  ).  — -Vlternée  de  succès  et  de 
revers  pour  IWngleterre  et  la  France.  —  Résumé, 
3  et  suiv. 
Certain  (M.  de),  cité,  466. 

Chabannes  (  J  acques  de  ).  —  Perd  Creil,  1 89.  —  Atta- 
que Pont-l'Evêque,  206. 
Chalaines,  village  voisin  de  Domremy,  2(5. 
Chalcondvle  (Laonic),cité,  383. 
Chalon  (Louis  de),  prince  d'Orange,  i3. 
Chai.ons  se  soumet  à  Charles  VU,  127,  128. 
Chalons  (évêque de).  Voy.  Sarrebruck  (Jean  de). 
Champagne,  donnée  par  Bedford  au  duc  de  Bourgo- 
gne, 182. 
Champeaux  (Guillaume  de),  évêque  de  Laon.  — As- 
siste au  sacre  de  Charles  VU,  i38. 
Champion  des  Dames,  poème.  —  Extrait  relatifs  la 
Pucelle,  38 1.  — Son  auteur  Martin  le  Franc,  43o, 
Voy.  Le  Franc  (M.). 
Chanfreins,  400. 

Chantillv,  se  soumet  à  Charles  VU  ,  172. 
Chapelain  (Jean),  littérateur,  cité,  385. —  Extraits 
de  son  poème  :  la  Pucelle  ou  la  France  délivrée, 
443  et  suiv. 
Chapitaut,  promoteurdu  procès  de  réhabilitation, 

372. 
Chapu   (Henri),  sculpteur.   —  Statue  de  Jeanne 

d'Arc,  39,  53o,  533. 
Charenton  (pont  de),  i85. 
Charlemagnï  (île),  20,  81. 

Charles  V,  roi  de  France,  3.  —  Réparc  les  consé- 
quences du  traité  de  Brétigny,  4,  5. 
Charles  VI, roi  de  France, 3.  — Guerre  civile,  con- 
séquence de  sa  folie,  5.  — Sa  mort,  12. 
Charles  VU,  roi  de  France,  4.  —  L'assassinat  de 
Jean  sans  Peur  commis  en  son  nom,  8.  —  Deshé- 
rité et  proscrit.  S,  12.  —  Proclamé  roi.  —  Sa  fai- 
blesse de  caractère.  —  Ses  conseillers,  12.  — 
Forces  et  alliances,  i3.  —  États  généraux.  — 
Armée.  —  Échecs,  4.  —  Mésintelligence  entre 
les  chefs.  —  Défaite  de  Verneuil,  i5.  —  Le  roi 
rompt  avec  les  chefs  Armagnacs.  —  Nomme  Ri- 


chemont  connétable,  17. —  Rend  le  gouvernement 
aux  Armagnacs.  —  Roi  de  Bourges,  18.  —  Posi- 
tion critique,  à  l'arrivée  de  Jeanne  d'Arc,  48. — 
Entrevue  avec  elle.  —  Lprcuves  qu'il  lui  impose, 
5i  et  suiv,  —  Il  lui  compose  une  maison  militaire, 

62.  —  L'investit  du  commandement  de  l'armée, 

63.  —  Va  à  sa  rencontre,  après  la  levée  du  siège 
d'Orléans.  —  La  reçoit  avec  de  grands  honneurs. 

—  Tient  conseil  touchant  le  voyage  de  Reims, 
9Ô  .  —  Interroge  Jeanne  au  sujet  de  ses  voix,  98. 

—  Donne  le  commandement  d'une  expédition  au 
ducd'Alençon,  100.  —  Se  réconcilie  avec  le  conné- 
table de  Richemont,  sur  l'instance  de  la  Pucelle, 
108.  —  Mais  il  refuse  de  l'admettre  au  voyage  de 
Reims,  120.  —  Ses  hésitations.  —  Retards  causés 
par  la  Tré  mouille  et  ses  autres  conseillers,  122.  — 
Départ  pour  Reims,  123.  —  Il  écrit  aux  habitants. 

—  Assiège  Troyes,  124,  —  qui  capitule  au  bout  de 
six  jours,  126.  — Soumet  Châlons,  128.  — Entrée 
solennelleà  Reims,  i3i  et  suiv.  — Cérémonie  du 
sacre,  i38.  —  Le  rni  guérit  les  écrouelles,  à 
l'abbaye  de  Saint-Marcoul,  i(5i.  —  Reçoit  la  sou- 
mission de  Soissons  et  de  Laon.  —  Négocie  avec 
le  duc  de  Bourgogne,  162.  —  Sa  retraite  vers  la 
Loire  interrompue,  i63.  — 11  reprend  la  route  de 
Paris.  —  Reçoit  une  lettre  injurieuse  de  Bedford, 
164.  —  Offre  la  bataille  aux  Anglais,  qui  ne  sor- 
tentpas  de  leurs  positions,  168.  —  Reçoit  les  clefs 
de  Beauvais,  de  Compiègne  et  de  Senlis,  170.  — 
Conclut  une  trêve  avec  le  duc  de  Bourgogne,  — 
Soumet  une  foule  de  places,  172.  —  Suit  à  regret 
la  Pucelle,  marchant  sur  Paris,  173.  —  Entre  à 
Saint-Denis,  176.  —  Rappelle  Jeanne  près  de  lui  et 
renonce  à  l'attaque  de  Paris,  179.—  Se  retire, 
contre  son  intérêt,  180.  —  Continue  à  négocier 
avec  le  duc  de  Bourgogne.  —  Refuse  d'entrer  en 
Normandie,  186.  —  Prorogela  trêve  conclue  avec 
le  duc  de  Bourgogne ,  200.  —  Ne  fait  aucune  dé- 
marche pour  délivrer  Jeanne  prisonnière,  217, 
360.  —  Elle  le  défend  contre  les  accusations  de 
ses  juges,  324,  325,  35i.  —  U  se  fait  complice  de 
la  fausse  Pucelle,  302.  — Conclut  la  paix  à  Arras 
avec  le  duc  de  Bourgogne,  365.  —  Ordonne  une 
enquête  sur  le  procès  de  Jeanne  d'Arc,  366.  —  Sa 
signature,  374. —  U  conduit  avec  fermeté  le  juge- 
ment de  réhabilitation,  38o. —  Concède  des  armoi- 
ries à  Jeanne  d'Arc,  414.  —  Lettres  d'anoblis- 
sement pour  elle  et  pour  sa  famille,  41  S. 

Charles  I"',  duc  de  Lorraine.  —  Reçoit  Jeanne 
d'Arc,  43. 

Charles  UI  ,duc  de  Lorraine,  466. 

Charles,  duc  d'Orléans.  Voy.  Orléans. 

Chartier  (  Alain  ),  cité ,  54. 

CHARTiER(Guillaume),évêquede  Paris,  nommé  par 
le  pape  pour  reviser  le  procès  de  la  Pucelle,  368. 

Chart  I  er  (  J  ean  ),  cité,  5 1 ,  70,  122.  —  Proteste  con- 
tre la  condamnation  de  Jeanne  d'.\rc,  38i.  —  Sa 
Chronique,  432. 

CHARTRES(Regnaultde),archevêquede  Reims,  56, — 
chancelier  de  France,  64.  —  Engage  Charles  VII 
à  s'éloigner  de  Troyes,  126.  —  Le  reçoit  à  Reims 
et  le  sacre,  i32  et  suiv.,  211.  —  Considère  la 
prise  de  la  Pucelle  comme  un  jugement  de  Dieu, 
218.  —  Ne  fait  aucune  démarche  en  sa  faveur 
auprès  de  l'évêquc  de  Beauvais,  son  suffragant, 
358,36o.  — Sa  signature,  375. 

Chartres  (levidamede).  rejoint  Jeanne  d'Arc,  106. 

Chastel  (Tannegui  du),  conseiller  de  Charles  VII, 
12.  ^  Le  gouvernement  lui  est  retiré,  17. 

Chastellaïn  (Georges),  chroniqueur,  cité,  437. 

Chateaudun, 72. 

Chateau-Gaillard,  201.  —  Pris  par  la  Hire,  202. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES. 


539 


Chateauneuf,  122. 

Chateau-Regnard,  74,  180. 

Chateau-Thierrï,  se  soumet  à  Charles  VII,  162, 

262. 
CHATiLLON(GuilIaumede),capitainede  Reims,  i3o. 

—  Exhorte  les  habitants  à  résister  à  Charles  Vil, 

l32. 

Chatillon  (Jean  de),  s'efforce  de  garder  Reims 
aux  .Vnglais,  i3o.  —  Proteste  contre  le»  procédés 
de  l'interrogatoire  de  la  Pucelle,  287. 

Chauchat  (Louis),  élu  de  Clermont,  194,  loS. 

Chaumont-en-Bass[gnv,  26. 

CHAuviGNvClesieur  de)reioint  Jeanned'Arc,  106.— 
Accompagne  le  roi  à  Reims,  I23. 

Chazelles  (famille  de),  423. 

Chécv,  près  Orléans,  68,  70. 

Chenu  (le bois),  près Domremy.— Prophétie  y  rela- 
tive, 30,246,247. 

Chevaliers  (armure  des),  SgSetsuiv. 

Chevrier  (Jean),  chanoine  de  Tours,  144,145. 

Chien  (registre  du),  extrait,  194,  igS. 

Chinon,  séjour  de  la  cour  de  Charles  VI  1,45,  5o.— 
Introduction  de  Jeanne  d'.A.rc  au  château,  3i .  — 
Chambreduchâteauoijellefutreçue,  53.— Tours 
de  la  chapelle  et  de  l'horloge,  55.  —  Vue  du  châ- 
teau, 237,267,455. 

Chinon  (États  tenus  à),  14. 

Choisv-sur-.\isne,  se  soumet  à  Charles  VII,  172.— 
Assiégé  et  pris  par  le  duc  de  Bourgogne,  206. 

Choudard  (J.-B.),  dit  Desforges,  auteur  de  Jeanne 
d\Arc  à  Orléans^  494. 

Chrestien  (Nicolas),  sieur  des  Croix.  —  Vers  con- 
sacrés à  la  Pucelle,  471. 

Christine  de  Pisan.  ~  Ses  vers  en  l'honneur  de 
Jeanne  d'Arc,  147,149,  426  et  suiv.  —Son por- 
trait, 427. 

Chronique  de  la  Pucelle,  i54,  38i,  386. 

Clairou.  -  Les  Bourguignons  y  sont  attaqués  par 
la  Pucelle,  20S. 

Clére  (Georges).  —  Sa  statue  de  Jeanne  d'Arc,  357, 
53o,  532. 

Clermont  (Charles  de  Bourbon,  comte  de).  —  Perd 
Isi  Journée  des  Harengs.  21,  89.  —  Accompagne 
le  roi  à  Reims,  i23.  —  Assiste  au  sacre,  i3S.  — 
Prend  partà  l'assautde  Paris,  176, 179.  —  Négocie 
avec  le  duc  de  Bourgogne,  i85  — Lieutenant  de 
CharlesVll  dans  l'Ile-de-France,  182, 1S8.  — Pris 
à  témoin  par  Jeanne  d'Arc,  222. 

Clermont-Ferrand. — Provisions  de  guerre  fournies 
à  la  requête  de  la  Pucelle,  194, 195. 

Cochet  (l'abbé),  cité,  325. 

Colet  (.\I°'  Louise).  —  Ses  vers  sur  la  Puce  lie,  45  1. 

Collecte,  introduite  dans  l'office  de  la  messe  en 
faveur  de-la  Pucelle,  148. 

Colles  (Guillaume).  Voy,  Boisguillaume. 

Colnel  (.Marguerite),  424. 

CoMpiÈGNE.  —  Prise  par  les  Anglais,  14,  iô6.  — 
Ouvre  ses  portes  à  CharlesVll,    170,  172,182. 

—  Le  duc  de  Bourgogne  veut  s'en  emparer.  — 
La  Pucelle  vient  la  défendre,  206.  —  Situation 
de  la  place,  20S.  —  Prise  de  Jeanne  d'.\rc,  209. 

—  Plan  de  Compiègne,  2  i3.  —  Le  siège  est  levé, 
221. 

Contes  (Louis  de),  page  de  Jeanne  d'Arc,  63.  — 
Assiste  au  sacre,  i38.  —  Témoin  au  procès  de 
réhabilitation,  368. 

CoRBEIL,    l63. 

CoRBiE,  disposée  à  se  soumettre  à  Charles  Vil,  172. 
CosNE,  occupé  par  les  Anglais,  123,  189. 
CoTiGNv  (Pierre  de),  évêque  de  Castres.  —  Interroge 

la  Pucelle  à  Poitiers,  98. 
Coucv  (seigneurie  de),  40S. 


CouDiÈRE,  pièce  d'armure,  3gi. 

CouDRAV  (fort  du),  53,  62. 

CouDUN,  occupé  par  le  duc  de  Bourgogne,  208. 

CouLOM.MiERS.  Se  soumet  à  Charles  VU,  162,  164. 

CouRCELLEs  (Jean  de),  chanoine  de  Notre-Dame 
de  Paris.  —  Portrait,  205. 

CouRCELLEs  (Thomas  de),  recteur  de  l'Université 
de  Paris.  —  Juge  de  la  Pucelle,  227,  234,  292, 
293.  —  Son  portrait,  295.  —  Donne  lecture  de 
l'acte  d'accusation.  296.—  Est  d'avis  d'employer 
la  torture,  3i6.  — Témoigne  contre  Jeanne, 338. 

Courtenav,  180. 

Courtois  de  iMorancourt,  423. 

CoussEv,  village  près  de  Domremy,  25. 

Coutances  (évêque  de).  Voy.  Longueil  (Richard 
Olivier,  card.  de). 

Cozic  (Henri),  cité,  4S7. 

Gravant  (bataille  de),  14. 

Crécv  (bataille  de),  4,  1 16. 

Crécy-en-Brie,  se  soumet  à  Charles  VII,  162. 

Creil,  se  soumet  au  roi,  172.  —  Chabannes  y  est 
pris,  189. 

Crespï-en-Valois.  —  Charles  VII  y  vient  à  plu- 
sieurs reprises,  i53,  164, 166, 170. 

Croix  (sieur  des).  Voy.  Chrestien  (Nicolas). 

Croix-Boissée  (la),  20. 

Crotoy  (le),  pris  par  les  Anglais,  14.  —  La  Pucelle 
y  est  renfermée,  221.  —  Vue  du  château,  226. 

Cuissots,  pièces  d'armure,  395. 

CuLAN  (Louis  de),  amiral  de  France,  64.  —  Attaque 
les  Tourelles  à  côté  de  Jeanne  d'Arc,  86.  —  S'em- 
pare de  Bonny.  —  Accompagne  le  roi  à  Reims, 
123.  —  Va  chercher  la  sainte  Ampoule  à  Saint- 
Remi,  i33.  —  Assiste  au  sacre,  137.  —  Occupe 
Saint-Denys,  179.  —  Sa  signature,  373. 

CuvELiER  (J.-G.-A.),  auteur  de  Jeanne  j'Arc,  pan- 
tomime, 497. 

Dammartin,  occupé  par  l'avant-garde  de  Char- 
les VU,  166. 

Damrosch  (M),  compositeur  allemand,  495. 

Dartois  (Armand),  librettiste,  auteur  d'une  Jeanne 
d'Arc  à  Or/ej«s,  5oo. 

Dauphiné.  — Charles  VII  songe  à  s'y  retirer,  49.— 
11  fait  partie  de  son  domaine,  408. 

David  (Charles).  —Sa  gravure  de  la  Pucelle,  41 1. 

Degrelle  (famille',  423. 

Delavigne  (Casimir).  —  Ses  vers  sur  la  Pucelle,  450. 

Demeuse,  chef  d'orchestre  de  la  Gaîté,  499. 

Déroulède  (Paul).  —  Vers  sur  Jeanne  d'Arc,  457. 

Desforge  s.    Voy.  Choudard  (J.-B.). 

Desnover  (Charles),  cité,  487. 

Devébia  (Eugène).  —  Son  tableau  de  la  mort  de 
Jeanne  d'Arc,  459. 

Dieppe,  223.  —  Combat  livré  devant  ses  murs, 40?. 

DoMREMV,  25.  —  Maison  de  Jeanne  d'.Arc;  état  en 
i8ig,  27,  238.  —  Château,  3o.  —  Débris  de  la  cha- 
pelle Notre-Dame.  —  Fêtes  du  village,  ji.  —  11 
reste  fidèle  au  roi,  32.  —  Sa  part  dans  les  mal- 
heurs du  temps,  33.  —  Maison  de  Gérardin,  239. 

Donjon  (tour  du),  3i5,3i7. 

Douglas  (Archibald),  conseiller  de  Charles  VU,  12 
i3.  —  'Tué  à  Verneuil,  i5. 

Douvres,  204. 

Drugy  (ferme  de),  près  Saint-Riquier,  225. 

Duc  (Fronton  du).  —  Extraits  de  sa  tragédie  :  la 
Pucelle  d'Orle'ans,  466  et  suiv. 

DucAsip  (Jean-Baptiste),  trace  le  plan  d'un  monu- 
ment édifié  à  Rouen  en  l'honneur  de  Jeanne 
d'Arc,  529. 

DuCAURROv  (Eustache),  cité,  496. 

Du  Chemin  (famille),  423. 
I     DuNois  (Jean,  comte  de  Longueville  et  de),  bâtard 


340 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES. 


d'Orléans.—  Repousse  Warwick  de  Montargis,  1 8. 

—  Défend  Orléans,  20,  64,  6S.  —  Prie  Jeanne 
d'Arc  d'entrer  avec  lui  dans  la  ville,  69,  70,  72.— 
Va  à  Blois  chercher  les  troupes,  73.  —  Les  amène 
à  Orléans,  75.  —  Soutient  l'attaque  contre  les  An- 
glais, 76.  —  Prend  part  à  l'assaut  du  fort  des 
Tourelles,  S5  et  suiv.  —  Accompagne  Jeanne  au 
Château  de  Loches,  98.  —  Renonce  à  emporter 
Jargcau,  100.— Rejoint  la  Pucelle,  102.  — Accom- 
pagne le  roi  à  Reims.  I23.  —  Atteste  la  chasteté 
de  Jeanne,  i4i.~Lntre  à  Paris,  365.  —  Témoin 
au  procès  de  réhabilitation,  3()S.  —  Sa  signature, 
374.  —  Vainqueur  des  Anglais  à  Formigny,  397. 

—  Portrait  en  costume  d'apparat,  77.  —  Cité, 
i53. 

DupANLoup  (Mgr),  discours  cité,  533. 

DuPREz  (Edouard),  auteur  d'un  libretto  de  Jeanne 

d'Arc,  5oo. 
DuPREz  (Gilbert),  compositeur  de  Jeanne  J'.liv. 

opéra  en  cinq  actes,  5oo. 
Durand  de  Villers,  423. 
DiiREMORT  (Gilles  de),  abbé  de  Fccamp,  juge  de  la 

Pucelle,  227,  341.  —  Demande  qu'on  lui  relise 

la  formule  d'abjuration,  542 
Ecossais,  à  la  solde  de  Charles  VII,  14. 
Edouard  IIl,  roi  d'Angleterre,  3,  5., 
Elaincol'rt-Sainte-Catherine.  —  Eglise,  207. 
Embrun  (archevêque  d').  l'oj.  Gelu  (Jacques). 
E.MENGARD  (ÉrardI,  jurisconsulte.  —  Son  avis  sur 

les   douze  chefs  d'accusation  portés  contre   la 

Pucelle,  3o6. 
Enfant  ressuscité  à  la  prière  de  la  Pucelle,  à  La- 

gny,  262. 
EpAULiÈRE,  pièce  d'armure,  395. 
Epée  de  Jeanne  d'Arc,  62,  25o,  273. 
Epées,  399. 
Eperons,  gS. 

Epinal  (Gérardin  d'),  38,  12S. 
Erard  (Guillaume).  — Sermon  pour  obtenir  l'abju- 
ration de  Jeanne,  324,  326. 
ICrault  (Jean),  59. 
EsTivET  (Jean  d'),  dit  BcneJicilc;  procureur  général 

du  tribunal  chargé  de  juger  la  Pucelle,  227,  234. 

—  Son  rôle  odieux,  289,  292.  —  Injures  qu'il 
adresse  à  Jeanne,  tombée  malade,  3 10. — 11  meurt 
de  mort  violente,  356. 

EsToLTEviLLE  (le  cardinal  d'),  archeviiqucde  Rouen. 

—  Ouvre  l'enquête  sur  le  procès  de  la  Pucelle, 
366.  —  Portrait,  369. 

Etampes.  —  Falstolf  y  séjourne,  iO|. 

Etendard  de  Jeanne  d'Arc,  63,  273. 

Etrépaonv.  —  Ouvre  ses  portes  aux  Français,  iSii. 

Eu,  224. 

Eu  (comte  d').  prisonnier  des  Anglais,  16. 

EuvtRTE  (S.),  patron  d'Orléans,  149,462. 

EvREU.t  le  bailli  d),  gouverneur  de  Baugency 
pour  les  Anglais.  —  Capitule,  1 10. 

EzÉCHiEL,  304. 

Fabri  (Jean),  Voy.  Lefebvre. 

Falstolf,  capitaine  anglais.  —  Amène  des  renforts 
aux  Anglais  devant  Orléans,  21,  75.  —  Envoyé 
par  Bedford  au  secours  de  Jargeau,  104,  —  et  de 
Beaugency.  106.—  Bat  en  retraite,  112. —  Défait 
à  Patay,  1 16.—  Disgracié,  129. 

Farineau  (Guion),  juge  de  Touraine.  14. |,  145. 

Fauchards,  coutelas,  40?. 

FÉCAMP  (abbaye  de),  341. 

Fécamp  (abbé  de).  Voy.  Dure.mort  (Gilles  de). 

F'erté  (la),  1  53. 

Fertê-Milon  (la),  164. 

Feuillet  (Gérard),  juge  de  la  Pucelle,  23^. 

Flandre  (armes  de),  ijy. 


FLAVV(Guillaumede),capitainedeCompiègne,  170, 
20S.  —  Résisie  aux  Bourguignons.  —  Cause  de  la 
prise  de  la  Pucelle,  209,  210.— Ne  l'a  pas  trahie 
21 1. 

Flavv  (Louis  de),  frère  du  précédent.  —  Laisse 
prendre  au  duc  de  Bourgogne  Gournai-sur- 
.^ronde,  206. 

FoL\  (comte  de).  Voy.  Graillv  (Jean  de). 

Fontaines  (le  dimanche  des),  3i. 

Forest  (Le  Clerc  s'  de  La).  —  Ses  vers  sur  la  Pu- 
celle, 442. 

FouMiGNV  (bataille  de),  397,  520. 

FouQUEREL  (Jean),  évêque  de  Senlis.  —  Son  cheval 
acheté  par  la  Pucelle,  262. 

FovATiER  (M.),  sculpteur,35,63,79,85,g3, 107, 117, 
119,  528. 

France.  —  Précis  de  la  guerre  de  Cent  ans,  3  et 
suiv.  —  Voy.  Philippe  VI,  Jean  II,  Charles  V, 
Charles  VI,  Charles  VII,  Jeanne  d'.Vrc. 

France  (carte  de),  pendant  la  mission  de  Jeanne 
d'Arc. —  Note  explicative. —  Limites  du  royaume» 
du  domaine  royal,  des  fiefs  les  plus  importants, 

—  et  des  possessions  anglaises,  407  et  suiv.  — 
Itinéraire  de  Jeanne  d  .\rc,  410. 

Franche-Comté  (armes  de),  1^9. 

Franquet  d'Arras.  l'o)'.  Arras. 

Frebecourt,  village  voisin  de  Domremy,  25. 

Prise  (armes  de),  159. 

Gabriel  (S.),  apparaît  à  Jeanne  d'Arc.  —Ses  juges 
l'interrogent  sur  ce  point,  254,  259,  299. 

Gallenberg  (le  comte  de),  495. 

Gaktelet,  pièce  d'armure,  393. 

Gastinel  (Denis),  docteur  de  l'Université,  juge  de 
Jeanne  d'.\rc,  3oS. 

Gaucourt  (dame  de),  60. 

Gaucourt  (Raoul  de),  gouverneur  d'Orléans,  20, 64. 
— Veut  s'opposer  à  une  sortie  de  Jeanne  d'Arc, 
S4.—  L'accompagne  néanmoins,  86. —  La  rejoint 
à  Selles,  102.  —  Prend  part  il  l'attaque  de  Paris, 
176,  17S. —  Ramène  au  camp  la  Pucelle  blessée, 
179. — Témoin  auprocèsdc  réhabilitation,  368. — 
Sa  signature,  374. 

Gaultier  (Léonard).  —  Sa  gravure  de  la  Pucelle, 
■l|o. 

Gauthier  d'Arc,  423. 

Gelu  (Jacques),  archevêque  d'Embrun,  62.  — 
F'avorable  à  Jeanne  d'Arc,  95,  98. 

Genouillères,  pièces  d'armure,  395. 

Gérardin  d'Epinal,  38,  i  28. 

GÉRARDIN.  — Sa  maison  à  Domremy,  239. 

Gerson  (Jean),  favorable  à  Jeanne  d'Arc,  95.  — 
Proclame  la  divinité  de  sa  mission.  —  Portrait, 
i56,   157. 

GiAC  (Pierre  de),  favori  de  Charles  VII,  17. 

Gien,  48,  74.  —  Charles  Vil  y  séjourne,  122,  282. 

GiLLis  (Mgr),  prélat  anglais.  —  Fait  le  panégyri- 
que de  Jeanne  d'Arc,  458. 

GiRESME  (Nicole  de),  commandeur  de  Rhodes.  — 
Prend  part  à  l'attaque  du  fort  des  Tourelles,  87. 

Glacidas.  Voy.  Glasdale. 

Glasdale  (Guillaume),  capitaine  anglais  au  siège 
d'Orléans,  19.  20. —  Sommé  par  Jeanne  d'Arc  de 
se  rendre,  73,  81.  — Sa  mort.  91,  97. 

Glocester  (le  duc  de),  régent  d'Angleterre,  11.  12. 

—  Mécontente  le  duc  de  Bourgogne,  14. —  Epouse 
Jacqueline  de  Hainaut. —  Délie  le  duc  de  Bourgo- 
gne, 16.  —  Son  mariage  est  cassé,  18. —  Ses  pré- 
tentions sur  le  Hainaut.  160.  —  F'ait  rechercher 
les  réfractaires  pour  les  envoyer  en  France,  204. 

GoDEAU  (Jean),  lieutenant  de  Tours,  144  145. 
GoDEFROY    (Denis),    publie    la   Chronique    de    la 
Pucelle,  386. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES. 


54. 


GoERRES  (Guido),  cité,  392. 
Gois,  sculpteur.  —  Statue  de  la  Puccllc,  44g. 
GoNDRECOURT  {route  de),  26. 

GouNon  (Charles).  —  Musique  ajoutée  à  la  Jeanne 
d'Arc  de  Barbier,  4S7,  5o8.  —  Choeur  liéroique, 
finale  du  second  acte.  5oc)  et  suiv. 
Gol'rnai-sur-Aronde.  —  Se  soumet  à  Charles  Vil, 

109. —  Le  duc  de  Bourgogne  s'en  empare,  206. 
GouRNAY  (M"«  de).  —  Quatrain  sur  la  Pucelle,  442. 
Graillv  (Jean  de),  comte  de  Foix.  —  Ses  posses- 
sions, 409. 
Granville  (le  bâtard  de),  74. 
Grasset  (perrin),  capitaine  de  la  Charité  pour  les 
Anglais  ,  14.  —  Soutient  le  siège  contre  Jeanne 
d'Arc,  iqS. 
Gravier  (s'  du).  Voy.  Vireï  (Jean  de). 
Graville  (le  s'  de).  —  Repousse  les  Anglais,  78.  — 
Prend  part  à  l'attaque  du  fort  des  Tourelles,  85. 
—  Se  porte  sur  Jargeau,   100.  —  Va  chercher  la 
sainte  Ampoule  à  Saint-Remi,  i33.  —  Assiste  au 
sacre,  137. 
Green,  auteur  d'une  partie  du  drame  de  Shakes- 
peare :  Henri  VI,  468. 
Creux,  près  de  Domremy,  25,  28,  238. 
Grèves,  pièces  d'armure,  SgS. 
Gris  (Jean),  chargé  de  la  garde  de  la  Pucelle,  240. 
GuERRARD  (Thomas),  capitaine  anglais,  76. 
GUESSARD  (F.),  cité,  46Ô. 
Guillaume  le  Conquérant,  4. 
GUILLE.MIN  (Alexandre),  auteur  d'un  poëme  sur 

Jeanne  d'Arc,  455. 
GuiLLOT  (Didier),  423. 
Guise  (comté  de),  408. 
Guyenne,  messager  de  Jeanne  d'Arc,  So. 
Guyenne  (Charles,  duc  de),  dauphin,  17. 
Haillan  (du),  historien,  cité,  385. 
Hainaut  (armes  de),  iSg. 
Hainaut  (comté  de),  iS. 

Haiton  (G.),  secrétaire  des  commandements  de 
Henri  VI. — Assiste  au  j  ugement  de  la  Pucelle,  234. 
Hallebardes»  403. 
Harcourt  (Christophe  d').— Interroge  Jeanne  d'.\rc 

à  Poitiers,  au  sujet  de  ses  voix,  gS. 
Harengs  (journée  des),  21,  45,  526. 
Harfleur  pris  par  les  Anglais,  7.  —  Défendu  par 

Raoul  de  Gaucourt,  2o»  172. 
Hastings  (bataille  de),  4. 

Haldat  du  Lys  (Alexandre,  Amélie,  Claire,  Fran- 
çoise et  Jean  de),  423,  42-|. 
Hauviette,  amie  de  Jeanne  d'Arc,  40. 
Heaumet,  casque,  398. 

Hedelin  (François),  abbé  d'Aubignac.  —  Sa  tragé- 
die en  prose  :  la  Pucelle  d'Orléans,  473. 
Hennés  Poluoir.  Voy.  Poluoir. 
Henri  II,  roi  de  France.  —  Déclaration  relative  à  la 

noblesse  des  descendants  de  la  Pucelle,  416. 
Henri  III,  roi  de  France,  466. 
Henri  IV,  roi  d'Angleterre,  3.  —  Détrône  Richard  II. 
—  Soutient  tour  à  tour  le  duc  de  Bourgogne  et  le 
duc  d'Orléans,  6. 
Henri  V,  roi  d'Angleterre,  3.  —  Tire  parti  des  trou- 
bles de  la   France,  6.  —  Ses  succès,  8.  —  Il 
épouse  la  fille  de  Charles  VI.  —  Alliance  avec  le 
duc  de  Bourgogne,  9.  —  Son  portrait,-  II.  —  Sa 
mort,  12. 
Henri  VI,  roi  d'Angleterre,  4.  —  Proclamé  roi  de 
France,  12.  —  Ses  forces  et  ses  alliances,  i3.  — 
Voy.  Bedford.  —  Projet  et  préparatifs  de  son 
sacre,  204.  —  Son  sceau,  28 1.  —  Portrait,  32  1.  — 
Lettres,  adressées  en  son  nom,  apologétiques  de 
sa  conduite  envers  la  Pucelle,  3bo.  —  Son  cou- 
ronnement à  Notre-Dame  de  Paris,  363,  364. 


Hervieu  (Jean),  144,  145. 

Hesdin.  —  Ambassade  envoyée  par  Bedford  au  duc 

de  Bourgogne,  12g. 
Hollande  (armes  de),  i  5g. 

Honnecourt  (Jean  de),  compagnon  de  Jeanne 
d'Arc,  46. 

HoRDAL.  —  Restaure  la  chapelle  N.-D.  de  Domre- 
my, 3i. 

HoRDAL  (Antoinette,  Claudon  et  Marie),  423. 

Houppeville  (Nicolas  de),  juge  de  la  Pucelle.  — 
Soutient  que  le  procès  n'est  pas  légal.  —  Mis  en 
prison,  228. 

HussiTES.  —  Croisade  préparée  contre  eux,  12g. 

Idolâtrie,  imputée  à  Jeanne  d'Arc,  296. 

Ile-de-France,  livrée  aux  ravages  de  la  guerre, 
189. 

iLLiERS(Florentd').  — Accompagne  Jeanne  d'Arc  à 
Orléans,  72,  75.  — Se  porte  avec  le  duc  d'Alençon 
sur  Jargeau,  104. 

Ingres.  —  Tableau  représentant  Jeanne  d'Arc  au 
sacre  de  Charles  VII,  134,  53o. 

Inquisition.  —  Demande  que  la  Pucelle  lui  soit  li- 
vrée, 216. 

Isabeau  de  Bavière,  9.  —  Son  portrait,  10. 

IVRY  (prise  d')  par  Bedford,  i5; 

Jacqueline  de  Hainaut,  14.  — Épouse  leducde  Glo- 
cester,  16.  —  Son  mariage  est  cassé,  18. 

Jambières,  3g5. 

Janville,  occupée  par  FalstotT,  75,  104.  —  Ferme 
ses  portes  aux  Anglais,  116. 

Jargeau.  —  Occupé  par  Suftolk,  98.  —  Attaqué  et 
pris  par  Jeanne  d'Arc  et  le  duc  d'Alençon,  104  et 
suiv.,  107,  igg,  25i. 

Jean  II  le  Bon,  roi  de  France,  3.—  Bataille  de  Poi- 
tiers, 4. 

Jean  I"',  duc  de  Bourbon.  Voy.  Bourbon. 

Jean  V,  duc  de  Bretagne.  —  Prend  part  à  la  con- 
férence d'Amiens,  i3,  17.  —  Retourne  aux 
Anglais,  18.  —  Fait  des  présents  à  Jeanne  d'.Arc, 
146.  —  Ses  possessions,  409. 

Jean  sans  Pei.'r,  duc  de  Bourgogne.  —  Assassinat 
du  duc  d'Orléans,  5.  —  Chassé  de  Pans  par  les 
Armagnacs,  6.  —  Assassiné  sur  le  pont  de  Mon- 
tereau,  7,  8.  —  Son  épée,  399. 

Jeanne  d'Arc. 

I.  Enfance.  —  Départ,  25  et  suiv.  —  Naissance 
de  Jeanne.  —  Ses  parents.  —  Sa  nationalité.  — 
Orthographe  de  son  nom,  26.  —  Ses  vertus.  — 
Travaux  de  ses  premières  années,  28.  —  Témoi- 
gnages de  sa  piété  et  de  son  goût  pour  les  bonnes 
œuvres,  29,  3o.  —  L'arbre  des  Dames.  —  Fêtes 
de  Domremy.  —  Jeanne  y  prend  part,  3i.  —  Dé- 
votion à  Notre-Dame.  —  Sa  mission.  —  Elle  ne 
peut  être  expliquée  par  le  mysticisme,  32.  —  La 
doit-on  rapporter  au  seul  amour  de  la  patrie  ?  33 . 

—  Récit  de  Jeanne  d'Arc  touchant  sa  vocation. 

—  Apparitions  de  saint  Michel,  des  saintes  Cathe- 
rine et  Marguerite,  34,  36.  —  Hésitations  de 
Jeanne.  —  Pressée  de  nouveau,  elle  va  trouver 
Baudricourt,  37.  —  Moyens  employés  pour  la 
détourner  de  ses  pensées.  —  Second  voyage  à 
Vaucouleurs,  40.  —  Épreuves  auxquelles  on  la 
soumet,  42.  —  Équipée  par  les  habitants  de  Vau- 
couleurs, elle  se  rend  auprès  du  duc  de  Lorraine, 
43.  —  Nouvelle  entrevue  avec  Baudricourt.  — 
Départ  pour  Chinon,  46. 

II.  DéUrrance  SOrlcans,  47  et  suiv.  —  Diffi- 
cultés du  voyage.  —  Jeanne  fait  écrire  à  Charles 
VII,  48.  —  Arrivée  à  la  cour.  —  Accueil  divers 
des  conseillers  et  seigneurs,  5o.  —  Elle  est  intro- 
duite devant  le  roi.  —  Épreuve,  5i.  —  Son  assu- 
rance. —  Signes  qu'elle  donne  de  sa  mission,  52. 


i42 


TABLE  ANALYTIQUE  DES   ALVTIÈRES. 


—  Secret  révélé  au  roi,  5+.  —  Jeanne  comparaît 
devant  le  Parlement,  à  Poitiers.  —  Interroga- 
toires subis  victorieusement,  Sôetsuiv.  —  Autres 
épreuves,  5g.  —  Conclusion  favorable  des  doc- 
teurs, —  et  des  matrones.  —  La  PuccUc  gaj^ne 
tous  les  suffrages,  60.  —  Le  roi  lui  compose  une 
maison  militaire.  —  Épée  de  sainte  Catherine 
de  Fierbois,  62.  —  Étendard  de  Jeanne,  63.  — 
Nombre  des  gens  d'armes  qu'elle  conduit  au  se- 
cours d'Orléans,  6+.  —  Teite  du  message  en- 
voyé par  elle  aux  -anglais,  Ô5.  —  Sa  bannière. 

—  L'armée  placée  sous  l'invocation  de  la  Vierge, 
66.  —  Route  suivie,  contre  l'avis  de  Jeanne.  — 
Arrivée  devant  Orléans,  ÔS.  —  Elle  pénètre  dans 
la  ville  avec  Dunois.  —  Reçue  en  triomphe,  70. 

—  Elle  écrit  de  nouveau  aux  Anglais,  72.  —  Me- 
nace et  insulte  qu'elle  en  reçoit.  —  Somme  Glas- 
dale  de  se  rendre.  —  Communique  sa  confiance  à 
la  population,  73.  —  Inspecte  les  fortifications  de 
l'ennemi.  —  Assiste  à  la  procession  de  la  Sainte- 
Croix,  74. —  S'avance  au-devant  de  Bunois  qui 
amène  des  renforts,  73.  —  Attaque  et  repousse 
les  Anglais,  76.  —  Exhorte  les  soldats  ù  la  péni- 
tence, "S.  —  Nouvelle  sommation  envoyée  à 
l'ennemi  au  moyen  d'une  flèche.  —  Plan  de 
Jeanne.  —  Conseil  tenu  à  son  insu,  So.  —  Elle 
s'empare  de  la  bastille  des  Augustins,  82.  —  Atta- 
que le  fort  des  Tourelles  malgré  l'opposition  des 
capitaines,  S3  et  suiv.  —  Elle  est  blessée  comme 
elle  l'avait  prédit,  86.  —  Se  retire  un  instant 
pour  se  faire  panser  et  prier.  —  Retourne  à 
l'assaut,  87.  —  Met  les  Anglais  en  fuite,  90.  — 
Occupe  les  tourelles.  —  Rentre  dans  Orléans,  91. 

—  Retient  l'armée,  pour  ne  pas  livrer  bataille 
un  dimanche.  —  Laisse  Talbot  opérer  sa  re- 
traite, 92.  —  Se  dérobe  à  l'enthousiasme  des  Or- 
léanais pour  se  rendre  à  la  cour,  94. 

III.  Reims,  —  Jeanne  reconnue  comme  l'en- 
voyée de  Dieu,  93.  —  Charles  VU  vient  de  Chi- 
non  à  sa  rencontre  et  la  reçoit  avec  de  grands 
honneurs.  —  Elle  le  presse  de  se  rendre  à  Reims, 
96.  —  Conversation,  au  château  de  Loches,  rela- 
tive à  ses  voix,  98.  —  Ascendant  de  Jeanne.  — 
Elle  accompagne  le  duc  d'Alençon  dans  une 
nouvelle  expédition,  100.  —  Peinture  que  fait 
d'elle  Gui  de  Laval,  102.  —  Elle  rentre  dans 
Orléans,  io3.  —  Attaque  et  prend  Jargeau.  — 
Sauve  la  vie  au  duc  d'.'VIençon.  —  Reçoit  une 
blessure,  10+-106.  —  S'empare  de  Meun  et  de 
Baugency,  107  et  suiv.  —  Réconcilie  le  conné- 
table de  Richement  avec  le  roi,  108.  —  Victoire 
de  Patay,  114  et  suiv.  —  Résumé  des  faits 
accomplis  par  Jeanne.  —  Sa  mission  clairement 
démontrée.  —  Efforts  de  la  Trémouille  pour 
diminuer  son  influence  sur  le  roi,    118,    iig. 

—  Elle  se  rend  il  Orléans,  puis  à  Sully,  auprès 
du  roi.  —  Ne  peut  faire  admettre  Richement  au 
voyage  de  Reims,  120.  —  Elle  insiste  pour  déci- 
der Charles  VII  à  partir.  —  Écrit  aux  habitants 
de  Tournay,  122.  —  Part  pour  Reims,  avec  le 
roi,  123.  —  Ses  efforts  pour  obtenir  la  soumis- 
sion de  Troycs,  124,  —  Fait  préparer  l'assaut;  — 
reçoit  la  ville  à  composition,  126.  —  Soumet 
Châlons,  où  elle  trouve  des  gens  de  Domremy, 
128.  —  Entrée  solennelle  à  Reims,  i3i  et  suiv. 

—  Jeanne,  portant  sa  bannière,  assiste  au  sacre 
de  Charles  VU,  134.  —  Paroles  qu'elle  lui 
adresse,  après  la  cérémonie,  i38.  —  A  Dieu  seul 
elle  rapporte  sa  mission.  —  Sainteté  de  sa  vie, 

140.  —  Elle  interdit  les  jurons  et  les  blasphèmes 
aux  chefs  comme  aux  soldats.  —  Sa  chasteté, 

141.  —  Elle  combat  les  habitudes  de  pillage  et 


de  meurtre,  142.  —  Ses  qualités  militaires,  143. 
—  Demande  adressée  par  elle  au  conseil  de  la 
ville  de  Tours  en  faveur  de  la  fille  du  peintre 
Hennés  Poluoir,  144,  145.  —  Honneurs  qu'elle 
reçoit  du  peuple  et  des  grands,  146.  —  Médailles 
i  son  effigie,  147.  —  Poésies  et  légendes,  149  et 
suiv.  —  La  renommée  de  Jeanne  s'étend  au 
loin,  i5o. 

IV.  Paris.  —  La  mission  de  Jeanne  se  termi- 
nait-elle au  sacre  ?  —  Anecdote  racontée  par  Du- 
nois, altérée  dans  la  Clironiqnc  de  la  Pticclle,  \b2 
et  s.  —  Déclarations  authentiques  de  Jeanne, 
154.  —  Elle  n'a  pas  songé  à  retourner  dans  sa 
famille  après  le  sacre.  —  A-t-elle  manqué  à  sa 
mission  ?  i56.  —  Son  désir  de  voir  le  roi  entrer 
dans  Paris,  157,  160.  —  Elle  écrit  au  duc  de  Bour- 
gogne, 160;  —  aux  habitants  de  Reims,  U)3.  — 
Défie  les  Anglais,  sans  pouvoir  leur  faire  accep- 
ter la  bataille,  168.  —  Prend  sur  elle  d'attaquer 
Paris,  173.  —  Examine  les  positions,  174.  — 
Donne  l'assaut.  —  Force  la  barrière  Saint-Hono- 
ré,  176.  —  Somme  la  ville  de  se  rendre.  — 
Blessée  et  ramenée  à  la  Chapelle.  —  Retourne 
le  lendemain  devant  Paris.  —  Invitée  par  le  roi 
à  retourner  vers  lui  à  Saint-Denis,  elle  obéit  à 
regret,  178,  179.  —  Dépose  ses  armes  à  l'abbaye 
de  Saint-Denys.  —  Suit  avec  tristesse  le  roi  qui 
se  retire,  180.  —  Son  autorité  compromise  par 
les  courtisans,  1S2.  —  L'échec  de  Pans  ne  prou- 
ve rien  contre  sa  mission,  184. 

V.  Compiègnc,  i85  et  suiv.  —  Lettre  de  Jeanne 
aux  habitants  de  Riom,  196,  197.  —  Elle  prend 
d'assaut  Saint-Pierrcle-Moustier.  —  Assiège  inu- 
tilement la  Charité,  198.  —  Est  anoblie.  —  Dé- 
masque l'imposture  d'une  visionnaire,  199. — 
Correspond  avec  les  habitants  de  Reims,  20Ï. 

—  Quitte  la  cour  et  va  rejoindre  les  combattants 
à  Lagny,  202.  —  Bat  une  troupe  d'Anglais  com- 
mandée par  F'ranquet  d'Arras,  2o3.  — Terreur 
qu'elle  inspire,  204.  —  Défense  de  Compiègne 
contre  les  Bourguignons,  206.  —  Plan  d'attaque 
de  la  Pucclle.  —  Elle  fait  une  sortie,  208.  — 
D'abord  victorieuse,  puis  obligée  de  battre  en 
retraite.  —  Tombe  au  pouvoir  de  l'ennemi, 
malgré  sa  résistance,  20g.  —  A-t-elle  été  trahie  ? 
2 10,  2 1 1.  —  Sa  captivité  ne  prouve  rien  contre  sa 
mission,  212.  —  Elle  en  est  la  suite.  —  Le  Pro- 
cès porte  témoignage  en  sa  faveur,  2i3. 

Procès  de  la  Plcelle. 

VI.  Houcn.  Les  Juges,  21 5  et  suiv.  —  Prison» 
nière  de  Jean  de  Luxembourg,  Jeanne  est  en- 
voyée au  château  de  Bcaulieu,  21 5.  —  Elle  est 
vendue  aux  Anglais,  219.  —  Tentative  d'évasion. 

—  On  la  transfère  à  Beaurevoir.  —  Elle  refuse 
les  habits  de  femme,  220.  —  Saute  du  haut  de 
la  tour.  —  Sainte  Catherine  vient  la  réconforter, 

—  On  la  remet  aux  mains  des  Anglais,  au  Cro- 
toy,  221.  —  Elle  reçoit  la  visite  des  dames 
d'.Vbbeville,  222.  —  Acharnement  de  l'Univer- 
sité, qui  presse  le  roi  d'Angleterre  de  l'amener 
à  Paris,  pour  lui  faire  son  procès,  223.  —  Con- 
duite à  Rouen  pour  y  être  jugée.  —  Enfermée 
dans  une  cage  de  fer.  —  Refuse  de  s'engager  à 
ne  plus  s'armer  contre  l'Angleterre,  224.  -^ 
Composition  du  tribunal  présidé  par  Pierre 
Cauchon,  226,  —  sous  la  main  de  Bedford  et  de 
Winchester,  228.  —  Jeanne  enchaînée  et  gardée 
par  des  soldats  anglais,  23o.  —  Illégalité  des  for- 
mes; —  enquêtes  supprimées,  interrogatoires 
altérés,  23 I. 

VU.  L'l7istntction,  —  Commencement  du  ju- 


TABLE  ANALYTIQUE  DES   MATIÈRES. 


543 


sèment.  —  Informations,  235.  —  Jeanne  de- 
mande en  vain  qu'on  adjoigne  à  ses  iuges  des 
ecclésiastiques  du  parti  français.  —  Elle  paraît 
devant  le  tribunal.  —  Premier  interrogatoire 
public,  236  et  suiv.  —  Jeanne,  commise  à  la 
garde  de  Jean  Gris.  —  Débat  sur  le  serment,  240. 

—  Jean  Beaupère  poursuit  son  interrogatoire, 
241.  —  Pièges  qu'il  lui  tend  touchant  ses  révé- 
lations, 242.  —  3*  séance.  Nouvelle  insistance 
pour  le  serment,  243,  —  et  au  sujet  des  voix,  244. 

—  Jeanne  raconte  son  enfance,  246.  —  4*  au- 
dience, 247  et  suiv.  — ■  Interrogatoire  touchant  les 
voix,  24S  :  —  les  habits  d'homme,  249;  —  l'épée 
de  sainte  Catherine  de  Fierbois,  25o;  —  la  ban- 
nière: les  opérations  militaires,  25 1.  —  5"  audience. 

—  Incident  relatif  à  l'obéissance  due  au  pape,  2  52. 

—  Jeanne  interrogée  sur  sa  lettre  aux  Anglais.  — 
Prédiction  de  la  prise  de  Paris,  2  53.  —  Reprise  de 
la  question  desapparitions,  254; — et  des  croyances 
superstitieuses,  256.  La  Pucelle  refuse  de  rien 
diretouchantle  signe  donné  au  roi,  258.  —  6*^  au- 
dience. —  Désordre  des  questions  posées,  25o  et 
suiv,;  sur  frère  Richard  ;  sur  les  honneurs  rendus  à 
la  Pucelle,  201  ;  —  sur  la  résurrection  d'un  enfant 
à  Lagny,  262;  —  le  siège  de  La  Charité;  le  séjour 
à  Beaure  voir,  263. — Interrogatoires  Jans  la  prison, 
264  et  suiv.  — On  insiste  principalement  sur  le 
signe  donné  au  roi,  266.  —  Réponse  allégorique 
de  Jeanne.  267.  —  Questions  sur  saint  .Michel , 
26S;  — sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite,  269. 

—  Efforts  des  juges  pour  établir  qu'il  s'agissait 
de  mauvais  esprits,  271.—  Refus  de  la  Pucelle  de 
prendre  des  habits  de  femme;  ses  motifs,  275.  — 
On  lui  représente  son  échec  comme  une  preuve 
contre  la  véracité  de  ses  voix,  27S;  —  sa  tentative 
d'évasion  comme  une  intention  de  suicide,  2j().— 
Franch ise  des  réponses, 2f-o.— Elles  ne  fournissent 
rien  de  sérieux  contre  elle  ,  282.  — Question  insi- 
dieuse imaginée  par  un  juge  ;  Jeanne  veut-elle 
s'en  rapporter  à  la  décision  de  l'Eglise?  283  et  suiv. 

—  Les  Témoins,  2S6  et  suiv.— Simplicité,  bon  sens 
et  présence  d'esprit  delà  Pucelle.  —  Protestations 
contre  les  procédés  de  l'interrogatoire,  2S7.  — 
Jeanne  privée  de  conseil.  —  Quelques  assesseurs 
lui  sont  favorables,  288.  —  Elle  est  trahie  par 
de  prétendus  conseillers,  289. 

VIII.  Le  Jugement,  291  et  suiv.  — Lecture  est 
donnée  à  Jeanne  du  procès-verbal,  292.  —  Elle 
reçoit  dans  sa  prison  la  visite  de  P.  Cauchon  qui 
veut  lui  faire  quitter  ses  habits  d'homme,  293. — 
Prestation  de  serment,  204.  —  L'acte  d'accusation , 
tissu  d'imputations  calomnieuses.  —  Comment 
Jeanne  les  repousse,  296.  —  Ses  déclarations  sur 
les  articles  où  elle  avait  requis  délai.—  Interrogée 
sur  sa  soumission  à  l'Église,  3oi  et  suiv.  — Réduc- 
tion des  articles  à  douze.  —  Us  ne  sont  point  com- 
muniqués à  l'accusée,  3o3.  —  Le  prétendu  refus 
d'obéissance  à  l'Église,  unique  fondement  du  pro- 
cès, 304.  — .A.vis  des  jurisconsultes  et  des  théolo- 
giens sur  les  douze  chefs  d'accusation,  3o8. — 
Jeanne  tombe  m^\cii<t.  —  Admonition  charitable 
de  l'évêque  de  Beauvais,  309,  3io.  —  Réponses 
de  Jeanne,  3 12.  —  Elle  demande  des  témoins  de 
son  parii.  —  Menacée  d'être  mise  à  la  torture, 
3i-|.  — Seconde  admonition  ,  3  16,  320.  — Jeanne 
ne  se  laisse  point  ébranler,  322. 

IX.  L'Abjuration,  323  et  suiv.—  La  Pucelle 
amenée  sur  un  échafaud  dressé  dans  le  cime- 
tière de  l'abbaye  de  Saint-Ouen.  —  Sermon  que 
lui  adresse  Guillaume  Érard  ,  324.  — Elle  l'inter- 
rompt pour  défendre  Charles  Vil ,  325.  —  Sa  ré- 
ponse inspirée,  326.  —  Elle  se  fait  expliquer  ce 


qu'est  l'abjuration.  —  Sommée  et  pressée  par 
tous,  elle  tinit  par  céder  et  déclare  se  soumettre 
à  l'Église,  327.  —  La  formule  d'abjuration  insérée 
au  procès  est  justement  suspectée,  328.  —  Fu- 
reur des  Anglais  contre  les  fauteurs  de  l'abjura- 
tion.—  Jeanne  ne  leur  échappe  pas  cependant, 

330.  —  Elle  est  condamnée  à  la  prison  perpé- 
tuelle et  rendue,  contre  son  attente,  aux  Anglais, 

33 1.  —  Elle  accepte  des  habits  de  femme,  puis  re- 
prend ses  habits  d'homme,  332.  —  Interrogée, 
elle  déclare  que  ses  voix  lui  ont  reproché  son 
abjuration,  334.  —  Proteste  qu'elle  préfère  la 
mort.  —  Joie  de  P.  Cauchon  et  des  Anglais,  335.— 
Véritables  motifs  de  la  reprise  des  habits  mascu- 
lins: —  Brutalité  des  gardiens  de  Jeanne;  —  atten- 
tats contre  sa  pudeur,  338.  —  Elle  est  déclarée  re- 
lapse, 340. 

X.  Le  Supplice,  343  et  suiv.  —  Visite  de  Martin 
Ladvenu  et  de  Jean  Toutmouillé  à  la  prison.  — 
Préparation  à  la  mort.  —  Scène  de  douleur  et  de 
larmes.  —  Nouvel  effort  de  l'évêque  de  Beauvais 
pourobtenirde  Jeanne  un  désaveu  de  sa  mission, 
344.^  11  l'amène  à  dire  que  ses  voix  l'ont  déçue, 
suivant  une  information  qui  ligure  à  la  suite  du 
procès,  345.  —  Discrédit  de  cette  pièce,  346.  — 
Jeanne  se  confesse  et  communie.  —  Elle  se  rend 
au  supplice  en  pleurant,  348.  — Inscription  placée 
surlebiicher.  —  Sermon  de  Nicole  Midi.  —  Exhor- 
tations de  l'évêque,  35o.  — Jeanne  défend  encore 
son  roi.  —  Témoignages  de  sa  piété ,  35 1 .  —  Les 
Anglais  pressent  l'exécution.  —  Les  larmes  s'é- 
chappent de  tous  les  yeux.  —  Le  feu  est  mis  au 
bûcher.  —  Fermeté  de  Jeanne,  au  dernier  mo- 
ment, 352.  —  Sa  mort  rentre  dans  l'ordre  de  sa 
mission  ,  3  54, 

XI.  La  Réhabilitation,  335  et  suiv.  — Les  cendres 
de  Jeanne  jetées  à  la  Seine. —  Elle  est  proclamée 
sainte  par  tout  le  monde,  —  La  réprobation  publi- 
que s'attache  aux  auteurs  de  son  supplice,  356.— 
Conduite  révoltante  de  la  cour  de  France  envers 
la  Pucelle,  358.  —  Les  Anglais  tentent  l'apologie 
de  leur  conduite,  3do.  —  Silence  affecté  des  cour- 
tisans de  Charles  VII,  36i.  —  La  fausse  Pucelle, 
362.  —  Accomplissement  de  la  prédiction  de 
Jeanne  d'Arc  :  les  .anglais  chassés  de  France, 
363  et  suiv.  — Révision  de  son  procès,  366etsuiv. 

—  L'Église  s'y  trouve  engagée  :  —  appel  au  Pape. 

—  L'artaire,  de  politique,  devient  privée,  367.  — 
Commissaires  désignés  par  le  Pape  :  l'archevêque 
de  Reims,  les  évêques  de  Paris  et  de  Coulances, 
et  l'inquisiteur  J.  Bréhal.  —  Instance  introduite 
parla  mère  de  Jeanne,  — Les  témoins,  368. — 
Réunion  des  commissaires  dans  le  palais  archié- 
piscopal  de    Rouen.  —  Leur    jugement,    372. 

—  Publication  de  la  sentence  de  réhabilitation  à 
Rouen  et  à  Orléans ,  376. 

Xll. —  Rélmbititation  dans  l'histoire.  —  Protos- 
tations des  chroniqueurs  contre  la  condamnation 
de  Jeanne, 38i  et  suiv.  —  Auteurs  de  légendes, 
379.  —  Témoignage  rendu  par  Pie  II  à  la  mé- 
moire de  la  Pucelie,3S4.  — Publication  du  procès 
parM.J.Quicherat,  386.  — La  condamnation  etie 
supplice  de  Jeanne  ne  sont  pas  imputables  à  l'E- 
glise, 387  et  suiv.  —  Conclusion  :  jugement  sur 
la  mission  de  la  Pucelle.  —Caractère  divin  de  son 
œuvre,  389  et  suiv.  —  Pourquoi  l'Eglise  ne  l'a  pas 
encore  déclarée  sainte,  392. 

Itinéraire  de  Jeanne  d'Arc,  410. 

Anoblissement.  —  Concessions  d'armoiries  par 
Charles  VII  à  Jeanne,  après  la  délivrance  d'Or- 
léans, 414. —  Elle  n'en  fait  pas  usage,  416.  — 


544 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES. 


Lettres  d'anoblissement  pour  Jeanne  et  sa  familli; 
(texte  et  traduction),  41S.  — Sa  descendance,  41}. 

Jeanne  d'Arc  dans  les  lettres.  425  et  suiv.  — 
Poésie,  426  et  suiv.  Voy.  Christine  de  Pisan, 
LE  Franc  (Martin),  Mabtial  de  paris,  Saint-Ge- 
LAis  (Oct.  de),  Chapelain  (Jean),  Southey  (Ro- 
bert), Delavigne  (C),  Soumet  (A1«.),  Barbier 
(Aug.),  DÉROULÈDE  (Paul),  Stecgal  (Robert).  — 
Théâtre,  457  et  suiv.  —  Le  Mystère  du  sie'ffe  d'Or- 
léans, id.  — Voy.  Duc  (Fronton  du),  Shakespeare, 
ViREY  (Jean  de),  Chrestien  (Nicolas),  Hedelin 
(François),  Zamora (Antonio  de),  Schiller,  Avri- 
cni  (Charles-Jos.d'),  Pl'vmaigre  (Th. de),  Porchat 
(J.-J.),  Renard  (.\th.)  et  Barbier  (P.-J.). 

Jeanne  d'Arc  et  la  musique,  493  et  suiv.  —  Pour- 
quoi la  Pucelle  n'a  pas  inspiré  de  chansons  popu- 
laires, 494.  —  Opéras  et  cantates.  Voy.  Kreutzer 
(Rodolphe),  Andreozzi,  Verdi  (Giuseppe), Cabaka 
(Michel),  —  DuPREZ  (Gilbert),  —  Serpette  (Gas- 
ton), Gounod  (Ch.),  Pfeiffer  (Georges)  et  Mer- 

MET. 

Iconographie  de  Jeanne  d'Arc,  523  et  suiv.— 
Ses  portraits,  526.  —  Imagerie.  —  Sculptures  et 
peintures.  Voy.  Benouville,  ChapU  (Henri),  Clè- 
RE(Georges),  Foïatier,  Ingres,  Lameire (Charles), 
Orléans  (princesse  Marie  d).  Rude  ,  Scheffer 
(Ary),  Slodtz  (Ambr.-Paul),  Vital-Durrav. 
Vœux  pour  la  canonisation,  532,  533. 

Joinville  (seigneurie  de),  33. 

Jouve  (Louis),  cité,  487. 

Judith.  —  La  Pucelle  lui  est  comparée,  119. 

Jumiéces  (abbaye  de),  son  église,  329. 

JuMiÉGES  (abbé'de).  Voy.  le  Roux  (Nicolas). 

JuvÉNAL  des  URsins  (Jean  I").  prévôt  des  mar- 
chands, 373. 

JuvÉNAL  DES  Ursins  (Jcan  II),  archevêque  de  Reims, 
36i.  —  Nommé  par  le  papo  pour  reviser  le  pro- 
cès delà  Pucelle  ,  368.  — Portrait,  373. 

Keller  (Alphonse),  auteur  de  Jeanne  d'Arc,  panto- 
mime, 497. 

Kreutzer  (Rodolphe),  violoniste.— Met  en  musi- 
que la  Jeanne  d'.\rc  à  Orléans  de  J.-B.  Choudard, 
494. 

La  Chambre  (G.  de),  témoin  au  procès  de  réhabili- 
tation de  Jeanne  d'Arc,  328. 

La  Chapelle,  près  Paris,  176,  17S. 

La  Charité,  prise  par  Perrin  Grasset,  1.4.  —  Occu- 
pée par  les  Anglais,  i23,  1S9.  —  Assiégée  par  la 
Pucelle,  19S,  263,  299. 

Ladvenu  (frère  Martin).  —  Déclare  Jeanne  relapse, 
340.  —  La  prépare  à  la  mort,  343.  —  L'a-t-il  ame- 
née à  se  rétracter  ?  34?.  — Reçoit  sa  confession  et 
lui  donne  la  communion,  34S.  —  Témoin  au 
procès  de  réhabilitation,  368. 

La  Favette  (Gilbert  de),  maréchal  de  France.  — 
Prisonnier  des  Anglais  à  Verneuil,  16. 

La  Fontaine  (Jean  de),  juge  commissaire  de  la  Pu- 
celle, 234.  —  Chargé  de  l'interroger  dans  la  pri- 
son, 264.  —  Piège  qu'il  lui  tend,  283.  —  Lui  donne 
lecture  du  procès-verbal,  292. 

Lagnv-sur-Marne,  180.  —  La  Pucelle  y  séjourne, 
2o3.  —  Enfant  ressuscité  à  sa  prière,  262. 

Lagny-le-Sec,  166. 

La  Hire  (Etienne  de  Vignoles,  dit).  —  Sa  prière 
avant  la  bataille,  i3.  —  Vaincu  à  Verneuil,  i5.  — 
Repousse  Warwick,  18.  —  Échoue  à  la  journée 
des  Harengs,  21. —  Prend  part  à  la  délivrance 
d'Orléans,  64,  75,  85.  —  Poursuit  les  Anglais  qui 
se  retirent  vers  Meun,  92.  —  Rejoint  le  duc 
d'Alençon,  ïo3.  —  Assiste  à  l'attaque  deJargeau, 
104.  —Commande  l'avant-garde  à  la  bataille  de 
Patay,  1 14.  — Accompagne  le  roi  à  Reims,  123.— 


Renonce,  sur  les  remontrances  de  la  Pucelle,  à  son 
habitude  de  jurer,  141.  — Va  reconnaître  les  po- 
sitions des  Anglais,  ifîii.  —  Fait  des  courses  dans, 
les  pays  du  duc  de  Bourgogne,  1 88.- S'empare 
de  Louviers  et  de  Château-Gaillard,  202.  — Fait 
prisonnier  près  de  Louvicrs,364.  — Sa  signature, 
374- 

Laiguisé  (Jean),  évêque  de  Troyes,  128. 

Lameire  (Charles), auteur  d'une  peinture  représen- 
tant Jeanne  d'Arc,  à  cheval,  tenant  la  couronne 
de  France,  i55,  53i. 

Lancastre  (maison  de),  3. 

Landes  (Jean  des)  dit  Boucandry,  i  |  (,  i  |5. 

Langue  d'Oc  (États  de  lîi),  14. 

Langue  d'Oïl  (États  de  la) ,  14. 

Lannov  (le  sire  de),  i8(). 

Laon,  se  soumet  à  Charles  VII,  162. 

Laon  (évêque  de).  Voy.CHAMPtAUX  (GulUnumedcl. 

La  PiERRE(lsambard  de).  — Constate  l'altération  du 
procès-verbal  d'interrogatoires  delà  Pucelle,  23  i, 
2S7.  —  Essaie  de  lui  venir  en  aide.  —  Menacé 
par  Warwick,  288.  -  Conseille  à  Jeannne  de  se  sou- 
mettreau  concile  de  Bâle,3o5.  —Témoigne  en  sa 
faveur,  338.  —  La  déclare  relapse,  340.  —  Lui 
apporte  une  croix  sur  le  lieu  du  supplice,  35 1.— 
Témoin  au  procès  de  réhabilitation,  368. 

Laprade  (Victor  de),  cité,  5i5. 

Lassois  (Durand  et  Thibault),  dits  le  Noble, 434. 

Latour  (Antoine  de),  cité,  475. 

I.AUNAY  (de),  423. 

Laval,  livré  aux  Français,  186. 

Laval  (dame  de),  recommande  ses  fils  :^  la  Tré- 
mouille,  102. 

Laval  (Gilles  de).  Voy.  Rais. 

LAVAL(Gui  de). -Peinture qu'il  (aitde  Jeanned'Arc 
dans  une  lettre,  100. —  Il  l'accomp.ignc,  102,106. 
—  Suit  le  roi  à  Reims,  1 23.  — Assiste  au  sacre,  i38. 

Laxard  (Durand),  oncle  de  Jeanne  d'Arc,  36,  38. — 
Sa  maison  à  Burcy-le-Petit,  37. 

Leborne  (Aimé),  auteur  d'une  cantate  sur  Jeanne, 
d'Arc,  498. 

Le  Boucher  (Marie),  loge  la  Pucelle  â  Compiègne, 
206. 

Le  Bouvier  (Jacques,  dit  Berri)  ,  i3. 

Lebrun  des  charmettes  (Ph.-A.  ),  auteur  de  l'Or- 
Icanidc,  455. 

I.ECLERC  (Sébastien),  graveur,  395. 

Le  Duchat  (Frédéric),  conseiller  au  parlement  de 
Metz,  423. 

LEFEnvRE(Jean)ou  FABRi.augustin.— Constate  une 
altération  du  procès-verbal  des  interrogatoires  de 
la  Pucelle,  23o,  2S7. 

Lefeuvre,  sculpteur.  —  Statue  de  Jeanne  d'Arc, 
29. 

Le  Franc  (Martin) ,  poète  bourguignon,  auteur  du 
Championdes  Dames. — Ses  vers  sur  Jeanned'Arc, 
430  et  suiv. 

Le  Liepvre  (famille),  423. 

Leliis  (Théodore  de),  auditeur  de  rote.  —Son  mé- 
moire relatif  à  la  révision  du  procès  de  la  Pu- 
celle, 368. 

Lemaire  (Guillaume)ouLEMARiÉ,  chanoine  de  Poi- 
tiers, chargé  par  le  roi  d'examiner  la  Pucelle,  56. 

Lemaître  (Jean),  vice-inquisiteur,  juge  de  la  Pu- 
celle, 227,  234,  264.  —  Ne  lui  est  pas  défavo- 
rable, 288. 

Lemarié  (G.).  Voy.  Lemaire. 

Lenglet-Dufresnoy,  cité,  386. 

Le  Picard  (Elisabeth) ,  423. 

L'Ermite  (Pierre),  officiai  de  Tours,  144,  145. 

Le  Roux  (Nicolas),  abbé  de  Jumiéges,  juge  de  la 
Pucelle,  233,  329. 


TABLE    ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES. 


545 


Le  Royer  (Henri).  —  Sa  femme  loge  la  Pucelle  à 
Vaucouleurs,  40,  42. 

Le  Rover  (Médard)  de  Chaleiiies,  424. 

Lhuillier  (Jean),  s' de  Boulancourt,  président  de- 
là Chambre  des  comptes,  4i5. 

Lignerolles,  1 12. 

LiGNY  {comte  de).  Voy.  Luxembourg  (Jean  de). 

Lis  (du).  Voy.  Lvs  (du). 

LisiEux  (cathe'drale  de)  ,  j.it). 

LisiEux  (évëque  de).  Voy.  Basin  (Thomas),  et  Cas- 
TiGLiONE  (Zenon  de). 

L'Isle-Adah  (s'  de),  partisan  du  duc  de  Bourgogne, 
i32.  —  Défend  Paris  contre  la  Pucelle,  1/3.  — 
S'en  empare  pour  Charles  Vil,  365. 

Loches  (château  de).  —  Jeanne  d'Arc  y  rend  visite 
à  Charles  VII ,  oS.  —  Vue  de  la  ville  et  du  châ- 
teau, 09. 

Lohéac  (s'  de)  rejoint  l'armée  de  Jeanne  d'Arc,  106. 

—  Accompagne  le  roi  à  Reims,  I23. 

LoHiER  (Jean),  jurisconsulte.  —  Déclare  illégal  le 
procès  de  la  Pucelle,  291. 

Loire,  18,  19,48.—  Carte,  67. 

Lombard  (Jean),  professeur  de  théologie,  56.  —  In- 
terroge Jeanne  d'Arc,  5s. 

Lombards  à  la  solde  de  Charles  VII,  14.  —  Pren- 
nent part  à  la  bataille  de  Verneuil,  i5. 

Londres,  S.  —  (Vicomtes  de),  204. 

Longueil  (Richard  Olivier,  cardinal  de),  évêque 
de  Coutances,  nommé  par  le  pape  pour  reviser 
le  procès  de  la  Pucelle,  368. 

L0NGUEVILLE  (comte  de).  Voy.  Dundis. 

LoNGUEviLLE  (prieur  de),  juge  de  la  Pucelle,  233. 

LoRÉ  (Ambroise  de).  —  Prépare  un  convoi  de  vi- 
vres pour  Orléans,  64.  —  Surveille  les  mouve- 
ments des  Anglais  aux  environs  de  Senlis,  166. 

—  Sa  signature,  374. 

Lorrain  (Jean  le),  canonnier,  82;  —  au  siège  de 
Jargeau,  106. 

Lorraine  (duc  de).  Voy.  Charles  I",  Charles  III, 
Renë  d'Anjou. 

Louis  XI,  dauphin,  s'empare  d'une  bastille  devant 
Dieppe,  405.  —  Nomme  Jean  du  Lys  le  jeune 
échevin  d'Arras,  421. 

Louis  XIII.  —  Lettres  patentes  pour  augmentation 
d'armes  aux  armoiries  de  MM.  du  Lys,  420. 

Louis  de  France,  duc  d'Orléans.  Voy.  Orléans. 

Louis  II  d'Anjou,  17. 

Loudun,  ioS. 

LouVET  (Jean),  conseiller  de  Charles  Vil,  12. 

Louviers,  pris  par  la  Hirc.  202. 

LouvRES,  occupé  par  Bcdford,  166. 

LoYSELEuR  (Nicolas),  chanoine  de  Rouen,  juge  de 
la  Pucelle,  227.  —  Se  donne  pour  son  conseiller 
et  la  trahit,  289,  292.  —  Est  d'avis  d'employer  la 
torture,  3i6.  —  S'etîorce  d'obtenir  l'abjuration 
de  Jeanne,  324.  —  La  déclare  relapse,  340.  — 
S'emploie  au  dernier  moment  pour  lui  arracher 
le  désaveu  de  sa  mission,  345.  —  Ses  remords, 
349.  —  Il  meurt  subitement,  356. 

Lude  (le  s'  du),  tué  devant  Jargeau,  io5. 

Luxembourg  (armes  de),  09. 

Luxembourg  (Jean  de),  comte  de  Ligny.  —  Envoyé 
par  le  duc  de  Bourgogne  vers  Charles  Vil ,  17 
186,  —  Assiège  Compiègne,  208.  —  Repoussé  sur 
Clairoix,  209.  —   La   Pucelle   tombe    entre  ses 
mains,  21 5.  —  11  la  livre  aux  Anglais,  219-221 

—  Lui  propose  de  la  racheter,  si  elle  veut  s'en- 
gager à  ne  plus  s'armer  contre  l'Angleterre,  224 

—  Sa  signature,  375. 

Luxembourg  (Louis  de),  évêque  de  Thérouanne 

chancelier  de  Bedford  à  Paris,  173,  174. 
LïON,  86,  88. 


Lvs  (du)  ou  Lis,  nom  pris  par  les  frères  de  Jeanne 
d'Arc,  199,  416.  —  .\n0bli5sement  de  la  famille 
du  Lys,  416,  418.  —  Lettres  patentes  de  Louis 
XIII  pour  augmentation  d'armes  aux  armoiries 
de  Charles  du  Lys  et  Luc  du  Lys,  s'  de  Raine- 
moulin,  420.  —  Descendance  des  frères  de  Jeanne 
(tableau  généalogique);  —  par  les  femmes  :  Re- 
née, Elisabeth,  Hel-wide,  Catherine  et  Françoise 
du  Lys,  423,  424.  —  Voy.  Arc. 

Lys  (Charles du),  auteur  d'un  recueil  d'inscriptions 
relatives  à  la  Pucelle,  439. 

Lys  (Jean  du).  Voy.  Arc  (Jean  d'). 

Lvs  (Jean  du\  le  jeune,  échevin  d'Arras.  —  Con- 
traint de  se  retirer  à  Lihonsen  Santerre,  421,  422. 

Machet  (Gérard),  évëque  de  Castres.  —  Chargé 
d'examiner  Jeanne  d'Arc,  56. 

Maçon.  —  Philippe  le  Bon  y  reçoit  des  députés  de 
Charles  VII,  16. 

Maçon  (Robert  Le).  Voy.  Trêves  (s'  de). 

Macy  (Haimond  de),  témoin  au  procès  de  réhabili- 
tation de  Jeanne  d'Arc,  33o. 

Madelon  (Jacques),  56. 

Maguelonne  (évëque  de),  56. 

Maheutres,  398. 

Maillotins,  5. 

Maleyssie  (Jacques  de  Tard  jeu,  marquis  de),  424. 

Malherbe.  —  Épigramme  sur  la  Pucelle,  440. 

Malines  (armes  de),  159. 

Manchon  (Guillaume),  greffier  du  tribunal  chargé 
de  juger  la  Pucelle,  228.  —  Erreurs  et  omissions 
dans  ses  procès-verbaux,  23 1,  234,  292.  —  11  est 
menacé  par  les  Anglais,  332.  —  Témoignage  en 
faveur  de  Jeanne,  338.  —  Sa  signature,  342.  —  H 
refuse  de  signer  une  fausse  attestation.  346.  — 
Témoin  au  procès  de  réhabilitation,  368.  —  Ci- 
té, 240. 

Mandres  (Nicolas),  423. 

Marchand  de  Milly  (famille),  424. 

Marche  (le  comte  de  La).  Voy.  Bourbon  (Jacques 
de). 

Marchenoir,  occupé  par  les  Anglais,  I23 

Maréchal  (Claudine),  423. 

Margnv,  occupé  par  les  Bourguignons,  208. 

Mabguerie,  juge  de  la  Pucelle.—  Menacé  par  les 
Anglais,  332. 

Marguerite  (sainte)  apparaît  à  Jeanne  d'Arc,  34, 
36,  154.  —  Interrogatoires  relatifs  à  ses  appari- 
tions, 248,  254,  256,  259,  299,  334. 

Marie  d'Anjou,  reine  de  France.  —  Reste  à  Bour- 
ges pendant  le  voyage  de  Charles  VII  a  Reims, 

123. 

Marie  d'Avignon.  —  Ses  prédictions,  60. 
Marin  (famille  de),  423. 
Marle  (comtesse  de),  409. 
Marne,  47. 

Martial  de  Paris  dit  d'AuvERGNE,  procureur  au 
Parlement,  —  Auteur  des  Vigiles  de  Cluirles  VII. 

—  Vers  sur  la  Pucelle,  383,  432  et  suiv. 
Martin  V,  pape,  —  Essaie  de  réconcilier  Charles 

VII  et  le  duc  de  Bourgogne,  16. 

Mas  (Jean  du),  élu  de  Clermont,  196,  107. 

Massieu  (Jean),  huissier  du  tribunal  chargé  de  ju- 
ger la  Pucelle,  228.  —  Menacé  par  P.  Cauchon 
pour  s'être  montré  favorable  à  Jeanne,  23i,  289. 
334.  —  Chargé  de  lui  expliquer  ce  qu'est  l'abju- 
ration, 327,  —  Témoigne  en  sa  faveur,  338,  339, 

—  L'accompagne  au  supplice,  348,  35 1.  —  Té- 
moin au  procès  de  réhabilitation,  368. 

Maugier  (Pierre),  avocat  de  la  famille  d'Arc  au 

procès  de  réhabilitation,  372. 
Maurice  (Pierre),  juge  de  la  Pucelle,  234,  292,  2q3. 

—  Chargé  de  lui  exposer  ses  prétendus  crimes  • 

JEANNE    d'arc    III.  —    6t) 


546 


TABLE  ANALYTIQUE   DES   MATIERES. 


320.  —  S'efforce,  au  dernier  moment,  d'obtenir 
d'elle  le  désaveu  de  sa  mission,   34  5.  —   Rend 
hommage  à  sa  sainteté,  356. 
Maxey,  village  voisin  de  Domremy,  26,  33,  246. 
Meaux  (évêque  de).  Voy.  Versailles  (P.  de). 
IViÉDAiLLE  frappée  en  l'honneur  de  l'expulsion  des 

Anglais,  367. 
MÉDAILLES  à  l'effigie  de  Jeanne  d'Arc,  147. 
Mehun-sur-Yèvre,   189,  420.  —  Château  de,  417. 
Melun,  occupé  par  Bedford,  i63,  27S,  533. 
Ménage  (Mathieu),  54. 
Mengette,  amie  de  Jeanne  d'Arc,  3o,  32,  40. 
Merle  (Jean),  fourrier  du  dauphin,  194,  igS. 
MERMEr  (M.),  auteur  des  opéras  Roland  à  Ronce- 
vaux  et  Jeanne  d'Arc.  5i5.  —  Deux  fragments 
inédits  de  ce  dernier  :  Chœur  des  Anges  (finale 
du  premier  acte),  5if)  et  suiv.  —  Récit  de  Vappa- 
rilion  de  saint  Michel  et  des  saintes  (duo  du  pre- 
mier acte),  5iS  et  suiv. 
Mérv,  auteur  d'un  librctto  de  Jeanne  d'Arc,  5o2. 
Metz  (secrétaire  de  la  ville  de),  i5i. 
Metz  (Jean  de).  Voy.  Nouillontont. 
Meun,  19,  68.  —  Les  Anglais  s'y  retirent  après  la 
levée  du  siège  d'Orléans,  92.  —  Occupé  par  Tal- 
bot,  98.  —  Pris  par  la  Pucelle,   107  et  suiv.  — 
Attaque  du  pont,  109.  —  Les  Anglais  battent  en 
retraite,  1 12. 
Melse  (Vallée  de  la),  =5. 
Mëver  (Jacques),  historien,  favorable  à  la  Pucelle, 

386. 
Michel  (S.)  apparaît  à  Jeanne  d'Arc,  34,  154.  — 
Interrogatoires  touchant  ses  apparitions,   249, 
254,  256,  259,  26S,  299. 
Midi  (Nicolei,  juge  de  Jeanne  d'Arc,  227,  234,  292, 
293.  —  Porte  l'acte  d'accusation  à  l'Université, 
309,  3ii.  —  Assiste  au  supplice  et  y  prononce 
un  sermon,  35o.  —  Kst  atteint  de  la  lèpre,  356. 
Miget  (Pierre),  témoin  au  procès  de  réhabilita- 
tion, 328. 
Milan  (Philippe-Marie,  duc  de),  i5o. 
MiLLOT  (Henri),  auteur  d'une  Jeanne  d'Arc,  drame 

en  prose,  487. 
MiTHv,  occupé  par  Bedford,  166. 
Monnaies.  —  Variations  de  la  livre  tournois,  1S9. 
—  Monnaies  frappées  en  France  par  les  Anglais 
reproduisant  les  types  français,  190,  191.  —  Mon- 
naies  françaises   frappées  sous   Charles   VI   et 
Charles  VII,  192. 
Monnet (J.),  témoin  au  procès  de  réhabilitation,  328. 
Monstrelet,  cité,  64,  172,  384. —  Approuve  la  con- 
duite des  Anglais  envers  la  Pucelle,  36i. 
Montagu  (Thomas  de).  Voy.  Salisburv. 
Montaigne  (Michel  de),  cité,  238. 
Montargis.  —  Warwick  y  échoue,  18.  —  Secours 

envoyé  à  Orléans,  74,  123,  180. 
Montbason  (Guillaume  de),  in-,  145. 
MoNTÉpiLLOv, occupé  parl'armée  française,  166, 170. 
Montereaii-faut-Yonne,  i5(.  —  (Pont  de),  7. 
MoNTFAi'CoN  en  Berri,  199. 
MoNTFORT  (Comté  de),  409. 
.Montcommeri,  capitaine  anglais.  —  Occupe  Pont- 

l'Evêque,  206;  —  et  Venette,  208. 
Montier-en-Der,  26. 

MoNTMIRAIL,    163. 

M0NTM0RENCÏ  (Baron  de) ,  sort  de  Paris  pour  se 

joindre  à  la  Pucelle,  178. 
MoNTpiPEAii,  évacué  par  les  Anglais,  1 16. 
MoRANCouRT  (CouRTOis  de),  423. 
MoREL  (Jean),  de  Domremy,  128. 
MoRHiEB  (Simon),  prévôt  de  Paris.  —  Nommé  par 

les  Anglais  capitaine  Je  Saint-Denys,  iS5. 
MoRiN  (Jordan),  56. 


MoRiN  (la  Croix),  74. 

Motte-de-Nangis  (la),  i63. 

Moulins  (butte  des)  ou  Saint-Roch,  176. 

Musique  (état  de  la)  sous  Charles  VU,  104. 

Mynette  (Marie-Françoise),  i5i. 

Namur  (armes  de),  159. 

Nancy,  46. 

Nariîonne.  —  Charles  VII  écrit  à  ses  habitants,  96. 

Narbonne  (Guillaume,  vicomte  de),  12.  —  l'ué  à 

Verneuil,  16. 
N'eufchateau,  25.   —  Les  habitants  de  Domremy 

s'y  réfugient,  33. 
Nevers  (Charles  de  Bourgogne,  comte  de).  —  Ses 

possessions,  409. 
Nevers  (Philippe  de  Bourgogne,  comte  de),  tué  à 

.'Vzincourt,  16. 
NicorOLis  (bataille  de),  20. 
Noël  du  Lys  (Jean),  423. 
Nocent-sur-Seine,  172. 

NoNETTE  (la),    166. 

Normandie,  182.  —  Se  soulève  contre  les  Anglais, 

364.  —  Conquise,  366. 
Notre-Dame  de  la  Victoire,  abbaye,  166,  167. 
Notre-Dame   de    Paris.  —  Tympan  de   la    porte 

Sainte-Anne,  372. 
NouiLi.oNPONr  (Jean  de)  ou  de  Metz,  40.  —  Accom 

pagne  Jeanne  d'Arc,  42,  46,  62. 

NOVELLE,   208. 

NoYoN,  occupé  par  les  Anglais,  206. 
Oise,  rivière,  20S. 

Olivet,  près  d'Orléans,  68. 

Orange  (Louis  de  Châlon,  prince  d'),  i3. 

Orléans.  —  S'impose  pour  subvenir  aux  frais  de  la 
guerre,  198.  —  Voyages  faits  par  Jeanne  d'Arc  à 
Orléans,  après  la  levée  du  siège,  io3.  106,  120, 
122,  199.  —  Honneurs  rendus  par  les  Orléanais  à 
la  fausse  Pucelle,  362.  —  Publication  de  la  sen- 
tence de  réhabilitation  de  Jeanne  d'Arc,  376.  — 
Monuments  expiatoires,  378,  38o.  —  Procession 
annuelle,  94,  392. 

Okléans  (carte  J')  et  des  environs,  67.  —  Vue  d'Or 
léans  en  1429,  71.  —  Carte  des  environs,   101 

Orléans  (siège  d'),  18  et  suiv.,  68  et  suiv.,  25i.  -  ~ 
Attaque  des  l'ourellcs.  —  Mort  de  Salisbury,  19. 
—  Arrivée  de  Talbot  et  de  Sutfolk.  —  Travaux 
d'approche.  —  Forces  des  assiégés  et  des  assié- 
geants, 20.  —  Journée  des  Harengs.  —  Le  blocus 
se  resserre,  21.  ~  Le  duc  de  Bourgogne  aban- 
donne le  siège,  22.  —  Ambassade  au  roi  pour 
presser  le  secours,  5o.  —  Arrivée  de  Jeanne  d'Arc, 
68.  —  Convoi  de  vivres  introduit.  —  Entrée  de  la 
Pucelle  avec  Dunois,  70.  —  Les  assiégés  devien- 
nent assiégeants,  72.  —  Renforts  amenés  par  Du- 
nois, 75.  —  Les  Anglais  repoussés.  76.  —  Prise 
de  la  bastille  des  Augustins,  82.  —  Assaut  du  fort 
des  Tourelles,  85  et  suiv.  —  Fuite  des  Anglais, 
00.  —  Incendie  du  pont.  —  Rentrée  de  Jeanne 
dans  la  ville,  91.  —  Retraite  de  Talbot.  —  Les 
Orléanais  brûlent  les  bastilles,  92.  —  Procession 
commèmorative,  94,  3g2. 

Orléans  (Journal  du  siège  d'),  154. 

Oni.tAKS{.\tystèrediisiéged'). —  Extraits,  463  et  suiv 

Orléans  (le  bâtard  d').  Voy.  Dunois. 

Orléans  (évêque  d').  Voy.  Saint-Michel  (Jean  de). 

Orléans  (Charles,  duc  d'),  409.  —  Prisonnier  des 
Anglais,  8,  iS.  —  Jeanne  d'Arc  promet  de  le  déli- 
vrer, 276-278.  —  Sa  signature,  3^i.  —  Ses  posses- 
sions, 40Q. 

Orléans  (Louis  de  France  duc  d  ),  assassiné  par 
Jean-sans-Peiir,  5. 

Orléans  (la  princesse  Marie  d').  —  Ses  statues  de 
Jeanne  d'Arc,  452,  486,  53o. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES. 


H7 


OzANNEAi'x  (Georges).  —  Extrait  de  sa  Mission  Je 

Jeanne  ii'Arc,  chronique  en  vers,  455. 
Pacini  (Jean),  compositeur  italien,  496. 
Pagel  du  Lvs  (Pierre),  423. 
Palais  de  justice  de  Pans,  175. 
Pardiac  (comte  de).  Voy.  Armagnac  (Bernard  d'}. 
Paris.  —  Se  déclare  pour  le  duc  de  Bourgogne,  S. 

—  Philippe  le  Bon  y  vient  trouver  Bedford,  i?o. 

-  La  garde  de  la  ville  confiée  .i  Winchester  et  au 
duc  de  Bourgogne,  i5S.  —  Bedford  y  amène  des 
troupes,  16H.  —  Attaqué  par  la  Pucelle,  1-3  et 
suiv.  —  Défense  préparée  par  les  -anglais.  —  Es- 
carmouches, 174.  —  L'assaut,  176.  —  Vue  de  l'en- 
ceinte voisine  de  la  porte  Saint-Honoré,  177.  — 
Charles  V'II  renonce  à  en  faire  le  siège,  178, 
179.  —  Entrée  du  duc  de  Bourgogne,  182.  — 
Cherté  des  vivres,  iSç). —  Mécontentement  contre 
Bedford  et  la  faction  bourguignonne,  202.  — 
Conspiration  découverte,  2o3.  —  Les  Parisiens 
pressent  Philippe  le  Bon  de  faire  la  paix.  —  Prise 
de  la  ville  par  Dunois  et  Richcmont,  365. 

Paris  (le  Bourgeois  de) ,  cité,  176.  —  Approuve  la 
conduite  des  Anglais  envers  la  Pucelle,  36i. 

Paris  (évêque  de).  Voy.  Chartier  (Guillaume). 

Parlement,  ,i  Poitiers,  i3.  —  Interrogatoire  subi  par 
Jeanne  d'Arc,  56. 

Parthenav  (seigneurie  de) ,  108. 

Pasquerel  (Jean),  aumônier  de  Jeanne  d'Arc,  54, 
62.  — Assiste  au  sacre,  i38.  —  Témoin  au  procès 
de  réhabilitation,  368.  — Cité,  75,  So,  82,  83. 

PASQUiER(i;tienne),  cité,  3S5. 

Patay  (bataille  de).  — Victoire  de  Jeanne  d'Arc,  114 
et  suiv.,  i5o. 

Pavaisiers  (armure  des),  400,405. 

Peirat  (Christophe  du) ,  1)4. 

Pennons,  399. 

Perthes (Pierre  de),  424. 

Peslieu  (Jean),  144  ,  14?. 

Pfeiffer  (Georges),  Cantate  sur  J.  d'Arc,  5i5. 

Philelphe.  — Lettre  à  Charles  Vil ,  36i. 

Philippe-Auguste  (château  de)  à  Rouen,  3i5,  317. 

Philippe  VI  de  Valois,  roi  de  France,  3.  —Bataille 
de  Crécy  et  perte  de  Calais,  4. 

Philippe  LE  Bon,  duc  de  Bourgogne.  —  S'allie  aux 
Anglais,  8,  9.  — Conférence  tenue  à  Amiens,  i3. 
—  Il  se  refroidit  à  l'éiiai  J  Je  I  Angleterre.- Défie 
Clocester,  16.  —  Sl  laitachi;  .1  I  alliance  anglaise, 
18.  —  Retire  ses  tioui'es  du  Mct;e  d'Orléans,  21, 
22.  —  Vient  trouver  Bedlord  à  Paris.—  Presse 
Reims  de  résister  au  roi,  i3o.  —  Son  portrait,  159, 
181.  —  La  Pucelle  lui  écrit,  160.  —  11  feint  de  ré- 
pondre à  ses  idéesde  conciliation,  162.  — Conclut 
une  trêve  de  quinze  jours,  164.  —  La  prolonge, 
172.  —  Resserre  son  alliance  avec  Bedford  qui  lui 
donne  la  lieutenance  du  royaume  et  l'investiture 
de  la  Champagne,  182.  —  Continue  â  négocier 
avecleroi,  186. — Assiège  Compiègne,  20ôetsuiv., 
208.  —Travaille  à  la  négociation  qui  livre  la  Pu- 
cello  aux  Anglais,  222.  —  Fait  la  paix  à  Arras, 
365.  —  Sa  signature,  374.  —  Son  épée,  399.  — 
Sceau,  401.  — Ses  possessions.  409. 

PiccoLoMiNi  (.1-:neasSylvius).  Voy.  Pie  II. 

PiCHON-LoNGUEi'iLLE  (Ic  barou  de),  424. 

Pie  II,  pape.  — Témoignage  rendu  à  la  mémoire  de 
la  Pucelle,  3S4. —  Portrait,  385. 

PiSAN  (Christine  de).  Voy.  Christine  de  Pisan. 

Poitiers.- Séiour  de  Jeanne  d'Arc,  56,  94.  —  Pa- 
lais de  justice,  57. 

Poitiers  (bataille  del,  4,  116. 

Poitiers  (États  tenus  à),  14. 

Poitiers  (parlement  de).  Voy.  Parlement. 

Pôle  (Guillaume),  65. 


PoLuoiR  (Hennés,  peintre).  —  Délibération  du  Con 
seil  de  la  ville  de  Tours,  relative  à  la  demande 
adressée  par  Jeanne  d'Arc  en  faveur  de  sa  lille, 
144,  145. 

PONT-A-.MOUSSON  ,  466. 

PoNTA NUS  (Paul),  avocat  au  Consistoire  apostolique. 

—  Son  mémoire  relatif  à  la  révision  du  procès  de 
la  Pucelle,  36S. 

Pont-l'Lvëque,  attaqué  par  la  Pucelle,  206. 

Pont-Sainte-Maxence,  172,  200,  206. 

PoRCHAT  (J.-J.).  —  Extraits  de  son  drame  Li  Mis- 
sion de  Jeanne  d'Arc,  484. 

Porhoet  (comté  de),  408. 

PouLENGï  (Bertrand  de),  42.  —  Accompagne  Jeanne. 
46,02. 

Prévosteau,  représente  Isabelle  Romée  et  Pierre 
d'Arc  au  procès  de  réhabilitation ,  372. 

Provins.  —  Se  soumet  à  Charles  Vil,  162,  164,  180. 

—  Vue  de  la  ville,  i83. 

Pucelle  d'Orléans.  Voy.  Jeanne  d'.-\rc. 

Pucelle  (la  fausse).  Voy.  .\rmoises  (Jeanne  des). 

PuTTLiNGEN  (  Vesque  de) ,  auteur  de  Jeanne  d'Arc, 
opéra,  495. 

PuYMAiGRE  (le  comte  Th.  de).  —  Sonnet  consacré  à 
la  Pucelle,  456.  —  Sa  tragédie  de  A'(!nBeii'.4rf,  482. 

QuANTiN  (M,),  cité,  412. 

QuATRE-HoMMEs  (Marie  ),  424. 

QuiCHERAT  (Jules).  —  SoH  édition  du  procès  de  la 
Pucelle,  386. —  Cité,  210,  238,  410,412,427,430, 
436,  490. 

Rabateau  (Jean),  avocat  général  au  parlement, 
56. 

Radlev,  chevalier  anglais,  chargé  de  la  garde  de 
Paris,  173. 

Raguier  (Hémon) ,  46. 

Raimond,  page  de  Jeanne  d'.-\rc,  62. 

Rainemoulin  (Luc  du  Lvs  s'  de;.  Voy.  Lvs  (du). 

Rais  (Gilles  de  Laval  s'  de),  maréchal  de  France, 
12,  i3,  64,  85.  —  Se  rend  à  Selles,  102.  —  .Accom- 
pagne le  roi  à  Reims,  1 23. —  Va  chercher  la  sainte 
Ampouleàsaint-Remi,  i33, 137.  — SoumetSenlis, 
170.  — Prend  part  à  l'attaque  de  Paris,  170.  —  Re- 
pousse la  fausse  Pucelle,  362. 

RaViMond  (romance  de)  ,  paroles  de  J.  Barbier,  mu- 
sique de  .M.  G.  Serpette,  5o2  et  suiv. 

RvvisioN  (de),  capitaine  anglais,  112. 

Ri  t;N  \i  1  r  (l-iuillaume),  écuyer  d'.Auvergne.  —  Fait 
Suil.dk  [uisonnier,  106. 

Reims,  48.  —  Jeanne  d -Arc  presse  Charles  VU 
d'aller  y  recevoir  le  sacre.  —  Conseils  tenus  à  ce 
sujet,  —  hésitations,—  retards,  96,  122.  —  Lettre 
du  roi  aux  habitants,  124,  —  qui  inclinent  secrè- 
tement vers  lui,  malgré  les  instances  de  Bedford 
et  du  duc  de  Bourgogne,  i3o.  —  Entrèesolennelle 
du  roi  et  de  la  Pucelle,  i3i  et  suiv.  —  Cathédrale 
de  Reims,  i35.  —  Cérémonie  du  sacre,  i3S.  — 
Château  des  archevêques  de  Reims,  139.  —  Cor- 
respondance des  habitants  avec  la  Pucelle,  201 
262,  274. 

Reims  (archevêque  de).  Voy.  Chartres  (Regnault 
de)  et  JuvÉNAL  DES  Ursins  (Jean  II). 

RENARD(Athanase).  — Son  drame /(."jjau'./'/lrc,  485. 

Renard  (porte)  d'Orléans,  20. 

Renaideau  d'ARC.  423. 

René  d'Anjou,  duc  de  Lorraine,  roi  de  Sicile.  — 
Portrait,  i5i.  — Il  vient  rejoindre  Charles  VII  à 
Reims,  i52.  —  Duc  de  Bar,  1 66.- Fait  prisonnier 
à  Bulligneville,  364. —  Sa  signature,  375.  —  Ses 
possessions,  409. 

Reuilly  Ichâteau  de),  70. 

Richard  II,  roi  d'.\ngleterre,  3.  —  Détrôné,  6. 

Richard  l'archer.  46. 


548 


TABLE  ANALYTIQUE  DES    >L\TIKRES. 


RiCHARU  (frère),  augustin  ou  cordelior.  —  Visite 
J.  d'Arc  devant  Troyes.  125.  —  Croit  aux  préten- 
dues apparitions  de  Cath.  de  la  Rochelle,  200,  261. 

RicHEMONT  (Arthur  III  del,  i3.— Rompt  avec  Bed- 
ford,  16.  —  Nommé  connétable  de  France.— Battu 
à  Saint-.'amesde  Beuvron.  — Impose  des  favoris 
à  Charles  VII,  17.  — Vient  au  siège  de  Baugency. 
—  Se  réconcilie  avec  le  roi,  à  la  prière  de  Jeanne 
d'Arc,  108.  —  Prend  part  à  la  bataille  de  Patay, 
1 14.  —  Le  roi  refuse  de  l'admettre  au  voyage  de 
Reims,  120.  —  Il  reste  à  Baugency,  I23.  —  S'a- 
vance sur  la  frontière  de  Normandie,  173,  187.  — 
Fait  enlever  la  Trémouille  de  la  cour,  364.  — 
Entre  à  Paris,  365.  — Sa  signature,  37?.  —  Vain- 
queur des  Anglais  à  Formigny,  3ti7.  —  Sa  ban- 
nière, 399.  —  Portrait  en  costume  d'apparat, 
m.  _ 

RioM.  — Lettre  de  J.  d'.\rc  aux  habitants,  190,  197. 

Rochelle  (Catherine  de  La),  visionnaire.  —  Son  im- 
posture démasquée  par  J,  d'Arc,  200,  263,  3oo. 

RoGiER  (l'échevin),  historien  rémois,  cité,  412. 

RoMÉE  (A véline,  Jean,  Marguerite  et  Nicolas),  sœur, 
frère,  nièce  et  neveu  d'Isabelle,  424. 

R0.HÉE  (Isabelle  ou  Ysabelette),  mère  de  Jeanne 
d'Arc,  26,  238.  — Poursuit  la  réhabilitation,  368, 
372.  —  Anoblissement,  418.  —  Sa  descendance 
(tableau  généalogique),  423. 

RoMORANTIN,    102. 

Rose  (Philippe  de  La),  trésorier  de  la  cathédralede 
Rouen.  —  Travaille  à  l'enquête  sur  le  procès  de 
la  Pucelle,  366. 

Rosiers  (.M.  de),  46. 

RoTSLAER  (le  sire  de).  —  Lettre  relative  à  la  bles- 
sure de  la  Pucelle,  88,  89. 

RoiiAULT  (Joachim),  maréchal  de  France,  1S7. 

Rouelle,  bouclier,  403,  404- 

Rouen.— Pris  par  les  Anglais  en  1419,8.— La  Pucelle 
y  est  amenée  prisonnière,  224.  'Voy.  Jeanne  d'Arc. 
—  Vue  du  vieux  château,  227,  3ii>.  —  Tour  du 
château,  265.  —  Grosse  tour,  317.  —  Repris  par 
les  Français,  366. —  Publication delà  jcntcnce  de 
réhabilitation,  376.  —  Fontaine  et  monuments 
élevés  en  l'honneur  de  Jeanne  d'.-Vrc,  377,  529. 

Rouen  (chapitre  de),  consulté  sur  l'acte  d'accusation 
de  la  Pucelle,  3o8. — Son  avis  favorable  à  P.  Cau- 
chon,  3 16. 

Rousse  (la),  femmedeNeufchâteau.  —  Loge  Jeanne 
d'Arc  et  ses  parents,  33. 

Rouvrav-Saint-Denïs,  21. 

Rouvres  (Robert  de),  évêque  de  Séez.  —  Assiste  au 
sacre  de  Charles  Vil,  i3S. 

ROXART  DE  LA  SaLLE,  424. 

Rude,  sculpteur.  —  Sa  Jeanne  d'Arc  écotitanl  les 
voix,  489. 

Saint-.Vicnan  en  Berry.  —  Charles  VU  y  séjourne, 
100. 

Saint- Aignan  (île),  69,  8i. 

Saint-Antoine  (tour),  à  Loches,  99. 

Saint-Benoit-sur- Loire.  —  Porche  de  son  église  ab- 
batiale, 121.  —  Charles  VII  y  séjourne,  122. 

Saint-Cloud  (pont  de),  |85. 

Saint-Denis  en  France,  174.  —  Entrée  de  Char- 
les VII,  176,  179.— Abandonné  par  le  comte  de 
Vendôme.  —  Pillé  par  les  Anglais,  i85.  —  Sur- 
pris par  les  Armagnacs,  2o3,  262.  —  La  Pucelle 
dépose  ses  armes  à  l'abbaye,  273,  299. 

Saint-Denis,  église  de  Reims,  134. 

Sainte-Catherine-de-Kierbois,  48.  —  Eglise,  61.  — 
Épée  trouvée  sur  l'indication  de  Jeanne  d'Arc, 
62,  25o. 

Saint-Florent-lès-Saumur,  abbaye,  277. 

Saint-Florentin,  32. — Se  rend àCharles  VU,  124. 


Saint-Gelais  (Octavien  de).  —  Vers  relatifs  à  la 

Pucelle  dans  son  Séjour  d'Iiniincur,  438. 
SAINT-Honoré  (porte),  attaquée  par  la  Pucelle,  176, 

Saint-James  de  Beuvron  (bataille  de),  16, 
Saint-Jean-le-Blanc,  occupe  par  les  Anglais,  22, 

Ô4,  68,  Si. 
Saint-Ladre.-  Bastille  construite  par  les  Anglais, 

20,  21. 
Saint-Laurent  (bastille),  78,  81,  8;. 
Saint-Laurent  (église)  d'Orléans,  20. 
Saint-Loup  (bastille),  21,64,68,69,70,76,  77. 
Saint-Marcoil.  abbaye,  161,  162. 
S»int-.Maur,  pris  par  les  Armagnacs,  2o3. 
Saint-Michel  (Jean  de),  évêque  d'Orléans. —  Assiste 

au  sacre  de  Charles  VU,  i38. 
Saint-Nicolas,  pèlerinage  près  Nancy,  46, 
Saint-Ouen  (abbaye  de),  .i  Rouen,  325. 
Saint-Ours,  église  collégiale  de  Loches,  99. 
Saint-Phal,  124. 

Saint-Pierre  le  Moustier,  occupé  par  les  Anglais, 
1S9.  —  Portail  de  l'église,  193.  —  Pris  d'assaut 
par  Jeanne  d'Arc,  loS. 
SAiNT-Pouair  (bastille),  20,  21, 72, 76. 
Saint-Privé,  près  Orléans,  20,  81,  82,  84. 
Saint-Quentin,  disposé  à  ouvrir  ses  poites  à  Char- 
les VU,  172. 
Saint-Quiriace,  église  de  Provins,  i83. 
Saintrailles.  Io/.  Xaintrailles. 
Saint  Rémi,  de  Reims,  i33. 
Saint-Siois.mond,  évacué  par  les  Anglais,  116. 
Saint-Urbain  (abbaye),  47. 
Saint-Valerv  sur  Somme,  222. 
Sala  (Pierre),  54. 
Salade,  casque,  396. 
Salins  (armes  de),  iSg. 

Salisburv  (Thomas  de  Montaov,  comte  de).—  Met 
le  siège  devant  Orléans,  18.— Blessé  mortellement 
à  l'attaque  des  Tourelles,  19. 
Sandwich,  204. 
Sarrebruck  (Jean  de",  évêque  de  Châlons.  —  Assiste 

au  sacre  de  Charles  VU,  i38. 
Saveuse  (sieur  de),  partisan  du  duc  de  Bourgogne. 

— Envoyée  Reims,  i32.  —  Occupe  Noyon,  206. 
Savoie  (duc  de).  Voy.  Amédée  \'U1. 
ScALEs  (Thomas  de),  65. 
ScHEFFER  (Ary).  —  Croquis  représentant  le  supplice 

delaPucellf,  353,  53o. 
Schiller. -Son  drame: /a  PKcW/i7j'Or//<jns,  476. — 
Extrait  du  prologue,  477.  —  Musique  ajoutée  par 
divers  compositeurs,  495. 
SEtz  (évêque  de).  Voy.  Rouvres  (Robert  de). 
SÉFON'i.  V  o_)  .  Ceffonds. 
Seguin  (frère),  dominicain,  56.  —  Interroge  Jeanne 

d'Arc,  58.  —  Reconnaît  sa  mission,  i56. 
Seine,  47. 

Selles,  en  Berri.  —  Les  États  y  sont  tenus,  14.  — 
J.  d'Arc  y  séjourne,  100. —  Vue  de  l'église,  io3 
Selles  d'ar.mes,  400,  401. 
Sehlis.  —  Ouvre  ses  portes  à  Charles  VII,  170  — 

182.  —  Le  comte  de  Vendôme  s'y  retire,  i85. 
Senlis  (le  bailli  de).  —  Fait  exécuter  Franquet  d'Ar- 

ras,  2o3,2o5. 
Senlis  (évêque  de).  Voy.  Bonnet  (Simon)  et  Fou- 

QUEREL  (Jean). 
Septsaulx.  —  Charles  VU  y  séjourne,  i32. 
Sergents  (armure  des),  400  et  suiv. 
Serpette  (  M.  Gaston  ),  compositeur  d'une  cantate 
sur  Jeanne  d'Arc,  5oo.  —  Extrait  (paroles  et  mu- 
sique), 5oi,  5o2. 
Shakespeare,  cité  384,  392.  —  Extrait  du  drame 
Henri  VI,  468. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES. 


549 


Sicile  (reine  dej.  Voy.  Yolande  d'AnACON. 

Sicile  {roi  de).  Voy,  René  d'Anjou. 

Slodtz  (Paul-Ambroise).  sculpteur.  — Sa  statue  de 
Jeanne  d'Arc,  52g. 

SoissoNS,  46.  —  Se  soumet  à  Charles  VII,  i(i?.  — 
Livré  au  duc  de  Bourgogne,  206. 

SoissoNS  (comté  de),  409. 

Soldats  (armure  des),  (oo  et  suiv. 

SoLERETS,  pièces  d'armure,  3<)3. 

Sorel  (Agnès).  —  Fable  de  sa  capture  par  les  An- 
glais, 495. 

Soumet  (Alexandre).  —  Extraits  de  sa  trilogie  de 
Jeanne  d'Arc,  4?}  et  suiv.,  481. 

SouTHEv  (Robert),  auteur  d'un  poème  anglais  sur 
la  Pucelle,  392.  —  Qualités  et  défauts  de  son 
œuvre. —  Extraits,  447. 

Stafford  —  Visite  la  Pucelle  prisonnière,  et  veut 
la  frapper  de  sa  dague,  224. 

Steggal  (Robert),  poète  anglais.  —  Extrait  de  sa 
Jeanne  d'Arc,  458,  460. 

Stern  (Daniel) ,  M""  la  comtesse  d'AcouLT,  auteur 
d'une  Jeanne  d'Arc,  drame  en  prose,  487. 

Stuart  (Jean).  Voy.  Buchan. 

SuFFoLK.  —  Assiège  Orléans.  20,  65,  66.  —  Occupe 
Jargeau,  98.  —  Repoussé  de  cette  place  par 
J.  d'Arc,  104  et  suiv.  —  Se  rend  prisonnier,  loô. 

SuLLV-suR-LoiRE,  17.  —  Châtcau  appartenant  à  la 
Trémouille.  —  J.  d'Arc  y  va  trouver  le  roi,   120. 

Sylvestre  (Israël),  528. 

Talbot  (Jean).  —  Assiège  Orléans,  20,  65,  66. — 
Repoussé  par  Jeanne  d'.^rc,  76.  —  Bat  en  re- 
traite, 92.  —  Occupe  Meun,  98.  —  Rejeté  de  cette 
place,  107,  108.  —  Veut  livrer  bataille,  iio.  — 
Obligé  de  se  retirer.  —  Prend  position  près  de 
Patay,  112.  —  Est  complètement  défait.  —  Pri- 
sonnier, 1 16.  —Tué  a  Castillon  avec  son  fils,  365. 
—  Portrait  et  bannière,  1 13. 

Taquel,  greffier,  dépose  au  procès  de  réhabilitation, 
328,  346. —  Sa  signature,  342. 

Tardieu  (Jacques  de),  marquis  de  Maleyssie,  424. 

Termes  (s'  de).  Voy.  Armagnac  (Thibault  d). 

Terrefort  (Marie  Barbe  et  Raimond  Branda  de), 
424. 

THÉAULON(Emmanuel),  librettiste,  auteur  de  Jertnnt' 
d'Arc  à  Orléans ,  5oo. 

Therquanne  (évèque  de).  Voy.  Luxembourg  (Louis 
de). 

Thibault  (Gobert),  écuyer  du  roi,  56,  59. 

Thiesselin  (Jeanne),  marraine  de  Jeanne  d'Arc,  'il. 

Thieux  (combats  près  de),   166. 

Tivier(H.),  cité,  461. 

Toiles  (ile  aux),  6y. 

ToRCY,  186.  —  Résiste  aux  Anglais,  202. 

TouL  (officiai  de).  — Jeanne  d'Arc  assignée  devant 
lui,  40,  44,  274. 

TouRAiNE  (.Jacques  de),  juge  de  Jeanne  d'Arc,  227, 
234.  — Question  qu'il  lui  pose,  2X7,  292.  — Porte 
l'acte  d'accusation  a  l'Lniversité,  309. 

Tour  d'Auverûne  (s'  de  La),  rejoint  J.  d'Arc,  loô. 

Tourelles  (fortdes),  prés  Orléans,  19,  20,73,74.— 
Assaut  d'abord  repoussé  par  les  Anglais.— Jeanne 
d'Arc  s'en  empare,  S6  et  suiv. 

Tournay  —  J.  d'Arc  écrit  aux  habitants,  122. 

Touroulde  (Marguerite  La)  d'Orléans.  —  Ses  rela- 
tions avec  Jeanne  d'Arc,   199. 

Tours.  —  Séjour  de  J.  d'Arc,  02;  —  de  la  cour,  96. 

Tours  (conseil  de  la  ville  de).  —  Extrait  des  délibé- 
rations, 144,  145. 

Toutmouillé  (frère  Jean),  prépare  la  Pucelle  à  la 
murt,  343. 

Tremolille  (Georges de  La),  chambellan  et  favori 
de  Charles  VU,  17.  —  Cherche  à  maintenir  le  roi 


.dans  l'inaction,  5o.  —  Assiste  à  ses  entretiens 
avec  la  Pucelle,  52.  —  La  dame  de  Laval  lui  re- 
commande ses  fils,  102.  — Son  ingratitude  envers 
le  connétable  de  Richemont,  loX.  — Efforts  pour 
diminuerl'inlluencedeJeannesurleroi,  1 18,  1 19. 

—  11  empêche  Charles  de  se  rendre  à  Orléans,  — 
et  d'admettre  Richemont  au  voyage  de  Reims, 
120;  —  qu'il  veut  retarder,  122.  —  Accompagne 
le  roi,  123,  124.  — Assiste  au  sacre,  i38.  — Prend 
part  à  une  escarmouche  contre  les  .\nglais;  — est 
désarçonné  et  sur  le  point  d'être  pris,  168.  —  Se 
lait  donner  la  capitainerie  de  Compiègne,  170. — 
Ne  peut  être  accusé  d'avoir  livré  la  Pucelle,  212 

—  Responsable  néanmoins  desamort,  36o.  —  Ri- 
chemont le  fait  enlever  de  la  cour,  364.  —  Sa  si- 
gnature, 374. 

Tressart,  secrétaire  du  roi  d'Angleterre.  —  Pro- 
clame la  sainteté  de  Jeanne,  356. 

Trêves  (dame  de),  60. 

Trêves  (Robert  Le  Maçon,  s'  de),  chancelier  de 
France,  9S,  420. 

Troves.  —  Refuse  d'ouvrir  ses  portes  à  Charles  VII, 
124.  —  Demande  à  capituler,  126.  —  Entrée  du  roi 
et  de  la  Pucelle,  128.  —  Lettre  des  habitants  à 
ceux  de  Reims,  i3o,  186,  262. 

Troves  (traité  de),  8.  — Ses  conséquences,  11. 

Turlure  (Pierre),  dominicain,  56. 

Université  de  Paris,  56.  —  Demande  que  la  Pu- 
celle soit  livrée,  comme  idolâtre,  à  la  justice  de 
l'Église,  210,  218. —  Presse  le  roi  d'Angleterre 
de  la  faire  conduire  à  Paris,  pour  instruire  son 
procès,  223.  —  hournit  des  assesseurs  au  tribu- 
nal formé  pour  la  juger,  227.  —  Consultée  sur 
l'acte  d'accusation,  3oS.  —  Avis  officiel,  —  favo- 
rable à  P.  Cauchon,  3iS.  —  Elle  écrit  au  ro 
d*.ngleterre  pour  le  louer  de  son  zèle,  32o;  —  au 
pape  et  à  l'empereur,  elle  fait  l'apologie  du  sup- 
plice de  Jeanne,  36i. 

Vaccai,  compositeur  italien.  —  Sa  G.  d'Arco,  496. 

ValenïIne  de  Milan,  14. 

Valeranius  (Valeran),  théologien,  auteur  d'un 
poème  sur  Jeanne  d'Arc,  430. 

Valois  (Jean  de).  Voy.  Alençon  (duc  d'). 

Valpergue  (Théode  de),  Valperga,  Lombard-,  con 
seiUer  de  Charles  Vil,  12.  —  Attaque  Pont-l'É- 
vèque,  208. 

Vauloui.eurs,  25.  —  Origine  de  ce  nom,  26,  36.  — 
Église  Notre-Dame,  40.  —  Statue  de  la  Vierge, 
41.  —  Les  gens  de  Vaucouleursontfoi  en  Jeanne 
d'Arc,  43,  46,  242. 

Vaudemont  (Louise  de),  reine  de  France,  46I). 

Vendôme  (château  de),  171. 

Vendôme  (Louis  de  Bourbon,  comte  de).  —  Intro- 
duit Jeanne  d'Arc  devant  le  roi,  5i.  —  Rejoint  le 
duc  d'Alençon  a  Orléans,  io3.  —  Accompagne  le 
rui  à  Reims,  123.  —  Commande  un  corps  d'armée, 
ib6.  —  Soumet  Senlis,  170.  —  Garde  Saint-Denis 
179.  — Se  replie  sur  senlis,  i85. 

Venette,  occupée  par  les  Anglais,  20S. 

Verdi  (Giuseppe).  —  Sa  Giovanna  d'Arco,  498. 

Vernet  (Jean  Camus  de).  Voy.  Beaulieu. 

Verneuil  (bataille  de),  i5. 

Versailles  (  Pierre  de),  évèque  de  Meaux,  56,  59. 

Vexault  (famille  de),  423. 

Vidal  (Guillaume),  élu  de  Clermont,  194,  195. 

Vienne  (Coict  de),  46. 

Vigiles  de  Charles  VIL  Voj.  Martial  de  Paris. 

ViGNOLEs  (Etienne  de).  Voy.  La  Hire. 

ViLLEBRESME  (Marie  de),  423. 

ViLLERS  (Durand  de),  423. 

ViLLiAUMÉ  (Nicolas),  423. 

Villon  (François).  —  Strophe  sur  la  Pucelle,  43  5  . 


TABl.E  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES. 


ViNATV,  auteur  d'une  cantate  sur  J.  d'Arc,  498. 

ViNCESNES  [château  de),  11.  — Bedford  s'y  retire, 
129,  iS5. 

ViREv  (Jean  de),  sieur  du  Gravier.  —  Extraits  de  sa 
tragédie  de  Je:inne  d\Arc^  469. 

ViscoNTi  (Bonne).  —  Ecrit  à  Jeanne  d'.\rc,  147. 

VnAi.-L)L'BRAY.  —  Bas-reliefs  tires  de  l'histoire  de 
Jeanne  d'Arc,  36,  ^l,94, 179, 2i2,3.'i5. 

Viruv(.\Iichellede),  femme  de  Jean  1"  Juvénal  des 
Ursins,  373.  . 

VoisEt'L  (Jean,  Jeanne.  Démange  et  Marguerite  de), 
424. 

Voltaire,  essaie  de  souiller  la  mémoire  de  la  Pu- 
celle,3S6,  494,  53o. 

VouTHON,  patrie  de  la  mère  de  Jeanne  d'Arc,  26. 

WAiLuy  (N.de),  cité,  iSg. 

Wandonne  (le  bâtard  de).  —  La  Pucelle  prise  par 
un  archer  de  sa  compagnie,  209,  21 3. 

Warwick  (Edmond  Beaichamp.  comte  de).  — 
Echoue  devant  .Monîargis,  iS.  —  Sa  bannière,  1 13. 

Warwick  (Richard  Beal'Cha.«p,  comte  de).  —  Vi- 
site la  Pucelle  prisonnière.  224.  —  .Menace  un 
des  juges  trop  compatissant  de  le  jeter  à  la 
Seine.  288.  —  Kait  soigner  Jeanne,  dans  la  crainte 
qu'elle  ne  meure  de  mort  naturelle,  309,  3  10.  — 
Assiste  à  son  supplice,  349. 

Wat  Tyler,  5. 

VVawrin,  cité,  110.  — Assiste  âla  bataille  de  Patay, 
et  la  raconte,  1 16. 

Werer  (Bernard-Anselme),  compositeur,  495. 


Winchester  (cardinal  de),  iS.  —  Recrute  une  arniéi 
pour  une  croisade  contre  les  hussites.  —  La  me 
au  service  de  Bedford,  129.  —  Son  voyage  en 
France  pressé  par  le  régent,  i58.  —  Ses  troupes 
amenées  à  Paris,  i63.  —  Surveille  le  tribuna 
formé  pour  juger  la  Pucelle,  228.  —  La  fait  soi- 
gner, 309.  —  Assiste  à  son  abjuration,  323;  —  ei 
à  son  supplice,  où  il  ne  peut  retenir  ses  larmes 
3?2.  —  Fait  jeter  ses  cendres  à  la  Seine.  355.  — 
Couronne  Henri  VI  à  Notre-Dame  de  Paris,  363 

\\'iNDECKEN  (Eberhard  de),  cité,  6.y. 

XAiNTRAiLLEs(Potonde),  i3.  —  Bataille  de  Verneuil 
i5.  — Journée  des  Harengs,  21.  — Remet  un  mes 
sage  des  Orléanais  au  duc  de  Bourgogne,  22.  — 
Suite  du  siège  d'Orléans,  64,  85.  —  Se  porte  sur 
Jargeau,  100.  —  Accompagne  le  roi  à  Reims,  i23 

—  Va  reconnaître  les  positions  anglaises,   166, 

—  Fait  des  courses  dans  les  pays  du  duc  de  Bour- 
gogne, 18S.  — Attaque  Pont-l'Évêque,  206.  — Fait 
prisonnier  avec  la  Pucelle,  210.  —  Tombe  dans 
une  embuscade  aux  portes  de  Beauvais,  364.  — 
Sa  signature,  374. 

Yolande  d'Aragon,  reine  de  Sicile,  17 — Portrait, 
49.  —  .\ttestation  en  faveur  de  Jeanne  d'Arc,  60, 
6  t.— Lettre  que  lui  ad  ressent  troisgcntilsho  m  mes 
d'.Vnjou  le  jour  du  sacre  de  Charles  VII,  i36, 137. 

Yonne,  47- 

Za.W)ra  {.Vntonio  de),  poète  espagnol.  —  Extrait  de 
son  drame  :  la  Ponccla  Je  Orléans.  475. 

/.éland;  (armes de),  iSg. 


iL_     Si^ 


Fig.  224.  —  Jeanne  d'Arc.  Buste  en  bronze  de  A.  Le  Vèel  (1875). 


;  lies  //.  nnsMc  Simon  Vostre  (Ijon).  liiWiuth.  de  M.'Ambroisc  finnin-DUlot 


TABLE   DES    FIGURES 


I.    CHROMOLITHOGRAPHIES. 


1.  Jeanne  entend  des  voix  célestes.  Tableau 

de  Benouville,  à  Domremy.  .   .   .   Frontispice 

2.  Vue    de  Domremy  et  de  la   vallée  de    la 

Meuse.  Aquarelle  de  Ch.  Pensée.  ...      32 

3.  Prophétie  de  Merlin.  Tableau  de  M.  Balze.      ^4 
4-  Arrivée  de  Jeanne  d'Arc  à  Chinon.  Tapis- 
serie   allemande    du    xv^  s 5o 

3.  Episodes  de  l'histoire  de  Charles  VII  et  de 
Jeanne  d'Arc,  Manuscrit  du  xv*^  s.  —  Le 
roi  en  prière  devant  le  crucifix.  — Jeanne 
amenéeau  château  de  Chinon.  —  Jeanne 
au  siège  de   Paris 5  [ 

6.  iï.  Les  enseignes  de  la  Pucclle.    —    ^.  La 


France  en  prière,  ms.  du  xv"  s 

Entrée  de  Jeanne  à  Orléans.  Projet  de  vi- 
trail de  M.  Lechevallier-Chevignard.  .   . 
Sacre  du  roi  à  Reims.  Tapisserie  du  xvii*^  s. 
LaViergeavec  l'cnfant-Jésus,  saintMichel 
et  Jeanne  d'Arc.  Peinture  du  xv<=  s.  .   . 
1.  Supplice  de  Jeanne.  Tableau  de  Legrip.  . 
[.  Entrée  de    Charles    VII  à  Rouen.  Chro- 
niques de  Moustfclet.  Manuscrit  du  XV* s. 
i.  Banniérecommémorativc  de  ladélivrance 
d'Orléans,  donnée  par  François  l*"'.   ,  . 
La  Pucelle.  Musée  historiqued'Orléans. 


364 


465 


14.  Les  trois  ordres  de  la  nation.  Ms.  du  xv=  s.     524 


Carte  du  royaume  de  France  pendant  la 


on  de  Jeanne  d'Ar 


II.    PHOTOGRAVURES. 


r.  Le  roi  Charles  VU.  Tableau  du  temps,  con- 
servé au  muséedu  Louvre 36S 

2.  Jeanne  d'Arc.  Tableau  de  Deruet,  apparte- 
nant à  M.  du  Haldat  du  Lys,  à  Nancy.  .   .      172     I 


3.  Jeanne  d'Arc.   Tableau  de  Simon  Vouet. 

conservé  au  musée  d'Orléans 474 

4.  Jeanne  d'Arc.  Tableau  du  xvm"^  s.,  conservé 

à  l'hôtel  de  ville  de  Rouen 476 


III.    GRAVURES   SUR   BOIS. 


Abbaye  de  Saint-Florentin-lès-Saumur.  .    .   .  277 

—  deSaint-Ouen  à  Rouen 325 

—  de  la  Victoire  près  Senlis,  ruines.  .   .  1Û7 
.Alliance    du   duc   de  Bourgogne  avec   le  roi 

d'Angleterre g 

Ampoule  (la  sainte) i33 

André  (S.),  appuyé  sur  sa  croix iSi 

Anglais  chassés  du  fort  des  lourelles iio 

.\rcher  combattant 406 


l'iigeg. 

Archers to2 

Armoiries  concédées  à  Jeanne  d'.Arc.  .   .       .     414 

.'VrtiUeurs  du  xv«  siècle (0+ 

Assassinat  de  Jean  sans  Peur 7 

—  de  Louis  duc  d'Orléans 5 

Attaque  d'une  bastille  devant  Dieppe 403 

—     du  pont  de  Meun lop 

Bannière  du  comte  de  Richemont '^[}\^ 

Bardes  de  crinière 4°° 


552 


TABLE  DES   FIGURES. 


Pages. 

Bastille  devant  Dieppe  attaquée 40> 

Bataille  J'Azincourt li 

—  de  CastiUon 305 

—  de  Formigny 397 

—  de  Hastings 4 

de   Patay 114 

Bedford  (le  duc  de)  entouré  de  divers  person- 
nages   i5 

—  à  genoux  devant  saint  Georges.  .   .  229 
Blasons  des  États  de  Philippe  le  Bon,  duc  de 

Bourgogne i5g 

Borne  qui  servit  à  .leanne  d'Arc  pour  monter 

à  cheval  en  partant  de  Poitiers ot 

Calixte  111,  pape,  portrait, 371 

Capitainesdu  XV' siècle ?9i>,  \fi 

Carte  d'Orléans,  de  la  Loire  et  de  ses  îles.  .   .  117 

—  d'Orléans  et  des  environs 101 

Cathédrale  de  I.isieux 359 

—  de  Reims i35 

Cathefine  (sainte)  apparaît  à  Jeanne  d'Arc, 

bas-relief  de  Vital-Uubray 3fi 

Cauchon  (Pierre),  effigie  sur  son  tombeau.  .  2?5 

Châlons  se  soumet  à  Charles  Vil 127 

Champion  (le)  des  dames 43  1 

Chanfreins 400 

Chapelle  (débris  de  la)  de  N.-D.  de  Domremy.  3 1 
—       de  la  Vierge  de  la  cathédrale  de  I.i- 
sieux   3.^9 

Charles  \'ll  entouré  de  sa  cour .  1S7 

—  guérit  les  écrouelles  à  l'abbaye  de 

Saint-Marcoul 17Ô 

—  investit  Jeanne  d'Arc  du  comman- 

dement de  l'armée,  bas-relict 

de  Foyatier ()3 

—  reçoit  le  cardinal  d'Estouteville.  3(i9 

—  sacré  à  Reims i32 

Château  de  Chinon.  —  Chambre  où  Jeanne  fut 

reçue  par  le  roi.  .    .  53 

—  —  Tours  de  la  chapelle  et 

de  l'horloge 55 

—  —              ruinesdu  château.  .   .  257 

—  du  Crotoy 226 

—  Gaillard,  ruines 201 

—  de  Loches 99 

—  de  Mehun-sur-Yévre i-ij 

—  des  archevêques  de  Reims 139 

—  (vieux)  de   Rouen 227 

—  des  ducs  de  Vendôme 171 

—  de  Vincennes 129 

—  de  Warwick 309 

Chinon.  Voy.  Château. 

Christine  de  Pisan P7 

Compiègne  (plan  de)  * 2i3 

—  levée  du  siège 222 

Courcelles  (Thomas  de),  pierre  tombale.  .   .  2g5 

Décapitation  de  Franquet  d'Arras 2o5 

Délivrance  d'Orléans 90 

'  Descendance  de  Jacques  d'Arc  et  Isabelle 

Romée 422 

Dunois  en  costume  d'apparat 77 

Ecu  de  France  sous  Philippe-Auguste.  ...  319 

—  de  Jean  de  Luxembourg 220 

Église  de  Baron i65 

—  de  Domremy 239 

—  d'Élaincourt-Sainte-Catherine  ....  207 

—  de  l'abbaye  de  Jumiéges 329 

—  de  Sainte-Catherine  de  Fierbois.  ...  61 

—  de  Selles-sur-Cher io3 

Entrée  des  Français  dans  Orléans 91 

—  solennelle  de  Charles  VII  dans  la  ville 

de  Reims i3i 


r«ses. 

Épée  de  Jean  sans  Peur.  . 399 

^  —    de  Philippe  le  Bon 399 

Éperon  à  longue  tige 39S 

Estouteville  (Guillaume  d'),  cardinal,  présen- 
té à  Charles  VII 368 

Ferme  de  Drugy,  près  Saint-Riquier 225 

Fontaine  élevée  à   Rouen,  en  l'honneur  de 

Jcanned'Arc 376 

Frontispice  du  poème  de  Chapelain  :  /j  Pu- 

celle  ou  !ci  France  délivrée 443 

Garde  armé  d'un  fauchard 401 

Gastinel  (Denis),  pierre  tombale 307 

Georges  (saint) 229 

Gerson,  portrait i57 

Harengs  (journée  des) 45 

Henri  V,  roi  d'.\ngleterre,  portrait 11 

Henri  VI  d  Angleterre,  couronné  à  Paris.  .   .     363 
—        présenté  par  saint  Louis  à  l'Enfant- 
Jésus  32  1 

Isabeau  de  Bavière 10 

Jargeau  (prise  de) 107 

Jeanne   d'Arc  filant,   sculpture   de   M.    Le- 

feuvre 29 

—  écoutant  ses  voix,  sculpture  de 

M.  Chapu 39 

—  iJ..  sculpture  de  Rude 489 

—  partde  Vaucouleurs, d'aprèsun 

bas-relief  en    bois,  sculpture 

du  XV'  siècle 43 

—  part  de  Vaucouleurs  —  entre  à 

Orléans,  bas-relief  de    S'ital- 
Dubray 46 

—  introduite  au  château  de  Clii- 

non,  iJ 5  I 

—  investie  du  commandement  de 

l'armée,  basreliefde  F'oyatier.      63 

—  va  attaquer  les  Anglais,  id.  .   .      79 

—  prend  conseil  des  saintes  Cathe- 

rine et  Marguerite,  (i 85 

'  —  à  la  prise  des  Tourelles,  — au  sa- 
cre de  Charles  VII,  bas-reliefs 
de  Vital-Dubray 94 

—  s'empare  de  Jargeau,  bas-relief 

de  Foyatier .     107 

—  remercie  Dieu  après  la  bataille 

de   Patay,  id 119 

—  conseille  au  roi  de  faire  le  siège 

de  Troyes 125 

—  portant  sa  bannière,  assiste  au 

sacre  de  Charles  VU,  tebleau 

de  Ingres i3 1 

—  poursuit   deux   lilles   de    mau- 

vaise vie 143 

—  comparée  à   Judith 149 

—  blessée  à  la  cuisse  devant  Paris, 

bas-relief  de  Vital-Dubiay.  .     179 

—  prise  devant  Compiègne,  —  sur 

le  bûcher,  id. 212 

-  amenée  à  Margny  devant  le  duc 
de  Bourgogne,  tableau  de  Pa- 
trois • 217 

—  dans  la  prison,  dessin  de  Be- 

nouville 333 

—  insultée  parses  geôliers,  bas-re- 

lief de  Vital-Dubray 339 

—  amenée  devant  le  bûcher.  .   .     349 

—  Supplice,  tableau  d'Eugène  De- 

véria 459 

—  id.,  croquis  d'Ary  Scheffer.  .   .     353 

—  vierge    et    martyre,    statue  de 

Georges  Clère 357 


TABLE  DES   FIGURES. 


553 


Jeanne  d'Arc.  Dessin  du  greffier  du  Parlement.  97 

—  Statue  équestre,  du  xv'  siècle  2?i 

—  Gravure  sur  bois,  tirée  de  la 

Mer  des  Histoires 437 

—  d'après  une  miniature  du  XVI' s.  438 
Gravure  de  Léonard  Gaultier  .  440 

—  —          de  Charles  David.  .   .  .141 

—  StatuedeP.-A.Slodtz,àRouen.  377 

—  —      de  Gois,  à  Orléans.   .   .  44.9 

—  Sculptures  de  la  princesse  Marie 

d'Orléans 432,  4S6 

—  Statue  équestre  de  Foyatier.   .  93 

—  à  cheval,  tenant  la  couronne  de 

France,  par  M.  Lameire.   .    .  155 

—  Buste  en  bronze,  de  .■\.  Le  Véel.  55o 

—  Monument  élevé  à   Domremy 

sous  Louis  XVIII 490 

—  Médaillon    en    bronze  de  M. 

Chapu 53 1 

—  Médaille  gravée  par  F.  Domard.  534 

Jubé  de  l'abbaye  de  Fécamp 341 

Judith  tue  Holoferne 149 

Juvénal  des  l'rsins  (Jean  1"  et  11) 373 

La  Hire fourrage  le  paysduducdeBourgogne.  iSS 
'  Lettre  de    Jeanne  au  duc  de  Bourgogne, 

17  juillet  1429  ....  162 
—                 aux  habitants  de  Reims, 

5  aoîit  1429 164 

'  —  aux  habitants  de  Reims, 

16  mars  1430 202 

Levée  du  siège  de  Compiègne.   .......  222 

Maison  de  Durand  Laxart  à  Burey-le-Petil.  237 

—  de   Gérardin  à  Domremy 239 

—  de  Jeanne  d'.\rc  à  Domrem}-.    .   20,  23S 
Marguerite  (sainte)  apparaît  à  Jeanne  d'.\rc, 

bas-relief  de    Vital-Dubray 36 

.Maniai  d'Auvergne  présente  à  Charles  V'ill 

les  Vigiles  Je  Charles  VU 432 

Médaille,  aux  armes  de  la   Pucelle 147 

—  à  son   efligie 55o 

—  d'orenmémoirede  l'expulsion  des 

Anglais 367 

Médaillon   à  l'efligie    de  la  Pucelle,  exécuté 

sous   François  1" ^^yo 

.Michel  (S.)  apparaît  à  Jeanne  d'Arc,  bas-relief 

de    Foyatier 35 

Monnaies  françaises  sous  Charles  V'I  et  VIL  490 

—  frappées  en    France  par  les  An- 

glais  490,  491 

.Monuments   expiatoires  élevés    sur   le  pont 

d'Or'éans,  en  mémoire  de  la  Pucelle.  378,  379 

NûtrL-.Jame  de  Paix  ou  Notre-Dame  de  France.  3oi 


Orléans  (délivance  d"),    tapisserie 90 

Orléans.   Voy.  Carte  et  Vue. 

Paix   conclue  à  Arras jc^. 

Palais  des  évêques  de  Beauvais.   .....  168 

Palais  des  comtes  de  Poitou .   ,  5^ 

—     royal  de  la  Cité  à  Paris,  aujourd'hui 

palais  de  Justice 1^5 

Paris,    porte   Saint-Honoré. •  177 

Pennon 3(,g 

Philippe  le  Bon,  duc  de  Bourgogne 139 

—             à  genoux  devantsaint  André.  181 

Pie   II    pape,   portrait 3f^s 

Pont  de  Montereau. .  j 

Porche  de  l'église  de  Saint-Benoit-sur-l.oire.  121 

Portail  de  l'église  Saint-Pierre-le-Moustier.  193 

Porte  Saint-Honoré  de   Paris 177 

Prisonniers  amenés  à  Jeanne  d'.-\rc  après  la 

bataille   de    Palay n- 

Provins,  vue  de  la  ville  haute iS3 

Reliquaire  de  la   sainte  .ampoule.   .....  i33 

René  d'.-Vnjou.  duc  de  Lorraine,  roi  de  Sicile.  i5i 
Richemont,  connétable  de  France,    en  cos- 
tume d'apparat m 

Rouen.  \'oy.  Château  et  Tour. 

Salisbury  blessé  à  mort ig 

Sceau    de  Jacques  Boucher 553 

—  de    Raoul  de  Gauccurt 553 

—  et  contre-sceaux   du  duc  d'Alençon.  io5 

—  de  Henri  VI  roi  d'Angleterre.    ...  281 

—  de  Philippe  le  Bon 401 

Selles  d'armes ,01 

Sergents    d'armes. 404 

Soldat  armé  d'une  rouelle 403 

Talbot  (Jean)  et  sa  femme  agenouillés  devant 

la    Vierge. ,13 

Tour  de  la  chapelle  du  château  de  Chinon.  55 

—  de  l'horloge  du  château  de  Chinon.   .  55 

—  du  château  de  Rouen 265 

—  du  donjon  à    Rouen.    .    .....  3i5,  317 

Troyes  se  soumet  à  Charles  VU .'  127 

Tympan  de  la  porte  Sainte-.Anne  de  Notre- 
Dame  de   Paris 3^2 

\'aucouleurs   (porte  de    France    à)     .    .   .   .  44 

Vierge  (statues  de  la) 4, 

Vue  d'Orléans '   '  „, 

Xaintrailles  (Poton    de)    devant    le   duc  de 

Bourgogne 22 

—  fourrage  les  pays  de   Philippe 

le  Bon 1S8 

—  Médaillon   en   bronze  du  xvi' 

siècle 290 

Yolande  d'Aragon,  reine  de  Sicile 49 


■^  -  '  '     ■"  ^^i  diï  Raoul  de  Gaucourt,  gouvemeor  d'Orléans  peinlant  le  sit^ge. 

.V  di\j;i^,  le  oL,^iiu  de  Jacques  Boucher,  trésorier  du  duc  d'Orléans, 

chez  qui  Jeanne  logea  avec  ses  deui   frères    en  entrant    à   Orléans. 

Ces  deui  pièces  ont  été  communiquées  par  M.  Boucher  de  Molandon,  à  Orléans, 

dernier  descendant  de  Jacques  Boucher. 

JEANNE    d'.^RC.   mi.    — 


I 


Ornement  tiré  d'un  luaouscrit  latin  du  SV'  siicle.  Bibliothèque  de  M.  Ambroise  Firmin-Diil 


TABLE  DES  CHAPITRES 


Brefs  de  Sa  Sainteté  le  Pape  Pie  IX i 

Préface ix 

INTRODUCTION. 

La  Guerre  de  cent  ans.  —  Charles  VII  et  Henri  VI.  —  Le  Siège  d'Orléans 3 

JEANNE   D'ARC. 

I.  —  Domrem}'  et  Vaucouleurs 25 

L'Enfance  de  Jeanne  d'Arc.  —  Le  Départ. 

II.  —  Orléans 4y 

L'Epreuve.  —  L'Entrée  à  Orléans.  —  La  Délivrance  d'Orléans. 

III.  —  Reims ç)5 

La  Campagne  de  la  Loire.  —  Le  Sacre.  —  La  Pucelle. 

IV.  —  Paris i53 

La  Campagne  de  Paris.  —  L'.\ttaque  de  Paris. 

V.  —  Compiègne i85 

Le  Séjour  sur  la  Loire.  —  Le  Siège  de  Compiègne. 

AT.  —  Rouen.  —  Les  Juges 2i5 

Le  Marché.  —  Le  TribunaL 


556  TABLE   DES  CHAPITRES. 


P«geB 

\'II.  —  Rouen.  —  L'Instruction 233 

Les  Interrogatoires  publics.  —  Les  Intenogatoiies  Je  la  prison.  —  Les  Témoins. 

VIII.  —  Rouen.  —  Le  Jugement 201 

LWccusation.  —  Les  Douze  articles.  —  Les  Consultations  et  l'-Admonition   chari- 
table. —  La  Deuxième  .-admonition. 

IX.  —  Rouen.  —  L'Abjuration 323 

Le  Cimetière  de  Saint-Ouen.  —  La  Relapse. 

X.  —  Rouen.  —  Le  Supplice 343 

La  \'isite  à  la  prison.  —  Le  Pilori  du  N'ieux-Marché. 

XL  —  La  Réhabilitation 35.S 

La  .Mémoire  de  Jeanne  et  la  fausse  Jeanne.  —  Le  Second  Procès  de  Rouen. 

XII.  —  La  Réhabilitation.  —  L'Hi.stoire 38i 

Les  Contemporains  et  la  Postérit«.  —  Conclusion. 

ÉCLAIRCISSE.MENTS. 

I.  —  Armes  et  \'ètcments  militaires 395 

IL  —  Notice  explicative  de  la  Carte  du  royaume  de  France  pendant 
la  mission  de  Jeanne  d'Arc 407 

Carte  du  royaume  de  France. 

III.  —  La  famille  de  Jeanne  d'Arc 41 3 

Son  Anoblissement.  —  Sa  Descendance. 

IV.  —  Jeanne  d'Arc  dans  les  lettres 425 

Poésie.    -  Drame. 

V.  —  Jeanne  d'Arc  dans  la  musique 493 

VI.  —  Iconographie  de  Jeanne  d'Arc 523 

t.\ble  an.m-ytiqle  des  jni.^tikres 535 

Table  des  P^igires 55 1 


UP.iverîiî^,," 

Ûïta''!er.s;s 


La  Bibliolhèque 
UnÎTeriilé  d'Ollawa 


The  Library 
Uoiversily  ef  Ollawa 

Date  due 


AUG  2  i  19994 


SIH2 


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DEC  0  é  1999 

MAR  2  5  2000 


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DC           103  •lil34J4 

UfiLLON,  HENRI 

JEPNNE  D.BRC. 


18     7    7 

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CE    LC       C1J3 
.W34J4    1877 
CGC       V»/iLLGN,    HENP 
;iCC#    1C66320 


JEANNE    C'ARC