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U dVof OTTAWA
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
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JEANNE D'ARC
Typographie Firmin-Didot. — Mcsnil (Eure)
JEANNE D'ARC
H. WALLON
SECRÉTAIHE perpétuel de l'ACADÉMIK des inscriptions et nEM,ES-I-ETTRES
ÉDITION ILLUSTRÉE
d'après
les dAIontiniciits de l'oArt depuis le quiiiiième siècle
jusqu'à nos jours
TROISIÈME ÉDITION
PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIN-DIDOT ET C
IMPRIMEURS DE l'iNSTITUT DE FRANCE, RUE JACOB, 56
.877
Reprodactiou et traduction réservées
Univers^'fas"
BiBLIOTH£CA
^ffaviensis
Armoiries il« Su SiiiuteLi; le l'aim l'ie IX,
BREF ADRESSE A LAUTEUR
SA SAINTETÉ LE PAPE PIE IX
Plus p. p. IX
Dik'Cte Fili, Nobilis Vir, Sahitcm et Apostolicain Bcucdiclioiicin.
^iBENTissiMK cxccfiiuiis , DUcclc FUI,
Nubilis T7/-, historiam a te concinna-
taii2 cck'bcrriiinv illiiis Piiellcv , qiia'
ab AureliiV obsidioiic prodigiose soluta
Aitrelianensis nomen obtiuuit. Gaudc-
miis aiitem, te insignein liane Gallia-
riiiii gloriam adeo sediilo inoiuiinen'
tonim examine ac solerti collatione
illnstravisse , nt nihil desiderandnin reliquen's quod heroidis
ingeniwn, mores, opéra, vices respiciat. Nemo certe negaverit,
Dieum afflictis Galliœ rébus prospecturiim, eique datiirum legi-
timum Regeni, elegisse quod erat infirmum, ut furtiumfrangerct
vires et molimina; rudique propterea virgini ex arvis ductcv
mirant plane fortitudineni prodigiosamque contulisse notifiant bel-
JEANNE d'arc. 111. — il
BREF DE SA SAINTETE LE PAPE PIE IX.
licaniiu siiiuil rcniiii et yoliticarinn. Triste qitidem est in hoc qiioque
casu reiioi'ûtiiDi l'idcre ingratianiinifaciniis, qitod historia ecclesias-
tica non minus qiiain profana testatur consucvisse seqiii nia.vinia
bénéficia. Simiiltas, invidia, partiitni stiidia comparatiira semper
eriint eximiis meritis osores ; sed firniitas corum, qui persequu-
tioneni patiuntur propter justitiani, et œquitas animi, qua adrersa
perferunt sic istns ex toi lit et illos depriniit, ut virtutem oppres-
sorum nova lucc perfundat ejusqite insectatores perpétua' de-
poveat infamiœ. Gratulamur itaqiie tibi, quod judicium jamdiu
de Joanna editiim ab historia confirmai'cris atque illustraveris
accuratissinia disquisitione tua nitidaque factoruin expositione;
tibique nniinainur, ut honorifica ipsa scntentia jaiu de tuo opère
lata niultos ad ejus lectionem alliciat, non soluni ut plenioreni
de patriis rébus nolitiam assequantur, sed prœsertini ut ab
obedientia, proposito, et œrumnis Joannce discant, utile quideni
semper esse et honori/icum parère Deo et optinw mereri de patria;
sed a cœlo tautum, non ab hominibus. benefacti mercedem esse
expectandam. Excipe , Dilectc Fili , Xobilis Vir, Apostolicam
Benedictionem, quam superni favoris auspicem et paternœ Nostrce
benevolentiœ gratique animi testem tibi peramanter impertimus .
Datum Romœ apud S. Petruni die 25 octobris anno i<Sf5, Pon-
tificat us Nostri anno Tricesimo.
TRADUCTION DU BREF
ADRKSSfc: A LAUTi:UR
SA SAINTETÉ LE PAPE PIE IX
A notre cher Fils et noble Personne, H. Wallon, ministre de
l'Instruction publique et des Cultes, à Paris.
lE IX, Pape. Cher et noble Fils,
salut et bénédiction apostolique.
Nous avons accueilli avec le plus
vif plaisir, cher et noble Fils, l'his-
toire composée par vous de la jeune
lille célèbre qui a mérité le nom de
Pucelle d'Orléans, en accomplissant
par des prodiges la délivrance de la
ville assiégée. Nous nous réjouissons de ce que vous avez mis en
lumière cette gloire insigne de la France par un examen si attentif
et un rapprochement si habile des monuments, que vous n'avez
rien omis de ce qui regarde le génie , les vertus , les œuvres et
BRKK DE SA SAINTETE LE PAPE PIE IX.
les vicissitudes de rhéroïne. Personne ne saurait méconnaître que
Dieu, voulant relever la France de ses désastres et lui rendre
son Roi légitime, n'ait choisi ce qui était faible pour briser les
forces et les efforts des paissants, et qu'il n'ait pour cela donné
à une simple lille des champs un courage extraordinaire et une
merveilleuse science des choses de la guerre et de la politique.
Il est triste de constater que, même en ces circonstances, on
retrouve l'ingratitude, ce crime qui accompagne ordinairement les
plus grands bienfaits, ainsi que Tattestent à la fois l'histoire ecclé-
siastique et rhistoire profane. L'envie, la haine, les rivalités de
partis suscitent toujours des détracteurs aux mérites éminents;
mais la fermeté de ceux qui souffrent persécution pour la justice
et l'égalité d'àme avec laquelle ils supportent l'adversité les élèvent
eux-mêmes et abaissent leurs ennemis, à tel point qu'elles répandent
un nouveau lustre sur la vertu des opprimés, et vouent les oppres-
seurs à une éternelle infamie.
C'est pourquoi Nous vous félicitons d'avoir su, par vos savantes
recherches et un lumineux exposé des faits, confirmer et éclairer
le jugement que l'histoire a porté depuis longtemps sur Jeanne
d'Arc, et Nous souhaitons que les suffrages honorables que votre
livre a déjà obtenus lui attirent un grand nombre de lecteurs, non-
seulement pour qu'ils y puisent une connaissance plus parfaite de
l'histoire de leur pays, mais surtout pour qu'ils apprennent par
l'obéissance, la résolution et les souffrances de .Teanne, qu'il est
toujours utile et glorieux de se soumettre à la volonté de Dieu, et
de bien servir sa patrie; et, en outre, qu'il faut attendre de Dieu
seul, et non des hommes, la récompense du bien accompli.
Recevez, cher et noble Fils, la bénédiction aposti^lique que
BREF DE SA SAINTETE LE PAPE PIE IX.
Nous VOUS accordons du fond de notre cœur, comme présage de
la faveur divine et comme gage de Notre bienveillance paternelle
et de Notre gratitude.
Donné à Rome près Saint-Pierre, le 25 octobre de Tannée iSyS,
de notre pontiticat la trentième.
y^.
Armoiries du pape Calixte III,
qui ordonna le procès de réhabilitation Je Jeanne,
le I I juin 1455.
JEANNE DAIÎC. UI. — h
LETTRE ADRESSEE AUX EDITEURS
AU NOM DE SA SAINTETE PIE IX
PAR MONSEIGNEUR MERCURELLI, SECRETAIRE DES BREFS AUX PRINCES.
Pcrilliistris Domine.
Vestronim U-poninifcinia.jiim iibi-
que vulgata, novo exornari splcndore
visa est postqiiam periliam opcram-
quc convcrlistis ad voluminum cdi-
tioiiem, quœ et religioncm ac pieta-
tem promovent et historiœ simul,
scientiœ ac artibiis sitffraganliir,
caritmqiic altricem demonstrant F.c-
clcsiam. Ejusmodi certe ccnscnda
suut vita Jesu Cliristi, acta sanctœ
Cœciliœ, et liistoria insignis virginis
Joannœ ab Arco, ciii nobilis victoria
de Anglis relata celebcrrimiim Piicl-
lœ Aurelianensis cognomem adjecit.
Hisce libris non pantin delectatus
fuit SiViclissimus Doiniiius Nostei-
Pius IX, tiim ob intrinsecam eorum
indolem. tum ctiam quia egregias il-
las considerans imagines c sculptura,
pictura, cœlatura variarum œtatum
petit as, quibus ornantur pagina' et
facta illustrantur, ineluctabile vidit
e singulis emergere argumeutum
illis objiciendum, qui infensam ca-
lumniantw artibus et scientiœ catho-
licam religionem. Gratulari igitur
suo nomine me vobisjussit, gralum-
qiie teslari animiim ob historiam
clarissimœ Puellœ ei niiper oblatam;
Très-illustre Monsieur,
La réputation de vos presses, déjà
partout répandue, a paru resplendir
d'un nouvel éclat, du jour où vos soins
et votre habileté professionnelle se sont
tournés vers la publication d'ouvrages
qui en même temps qu'ils contri-
buent à l'avancement de la religion et
de la piété, plaident la cause de l'his-
toire, de la science et des arts, et dé-
montrent que leur éducation s'est
faite dans le giron de l'Eglise. C'est
à cette classe assurément, qu'appar-
tiennent la Vie de Jésus-Christ, les
Actes de sainte Cécile, et l'Histoire de
cette vierge insigne, Jeanne d'Arc, à
qui sa noble victoire sur les Anglais
avl u l'immortel surnom de Pucelle
d'Orléans. De tels ouvrages n'ont pas
médiocrement charmé Notre Très-
Saint Seigneur Pie IX, non-seulement
en raison de leur mérite intrinsèque,
mais aussi parce qu'en examinant
toutes ces belles illustrations, em-
pruntées à la sculpture, à la peinture,
à la gravure des différents âges , qui
ornent les pages et mettent en relief
les faits racontés, 11 y a vu un argu-
ment inéluctable ù l'encontre des
calomnies qui présentent la religion
catholique comme hostile aux arts et
à la science. Sa Sainteté m'a donc or-
donné de vous féliciter en Son nom, et
de vous témoigner sa gratitude pour
l'Histoire de la très-glorieuse Pucelle,
LETTRE ADRESSEE AUX EDITEURS.
(.7C siDUil lutrtari, lit siciiti pcr alio-
mm temporum aliariimquc artiinn
monumenta altcriun ex Ecclesiiv bc-
neficiis obiecistis oculis , sic eamdcm
gloriam ci confirmarc nitamini per
artem qua cxccllitis, alla cdcndo
atqne a lia opcra qiuv. relii;ioiii fo-
vcndœ dicala, dciuoiistrciil scicii-
tiam et artes ea auspicante Jlorere.
Faustiim hitjiismodi cœpto idem
Sanctissimiis Dominus exitiim omi-
nattir ; ac intérim superni favoris
auspicem paternœque benevolcntiœ
suce pignus Apostolicam Benedictio-
nem vobis peramanter impertit.
Qiuv diiin rubis iiltro ac libenter
pro meo minière luintio, peculiarisque
gratulationis meœ ac œstimationis
officia exhibée, omnia vobis secuiida
et salutaria adprecor ex animo.
Perillustris Domine,
Addictissimus famu lus
Franciscus Merccrelli ,
Sanctiss. Dum. noslr. a Brevibiis J-i Principes.
Roiitcv, \- fcbruarii 1876.
Perillustri Domino Firmin-Didot
ejiisque sociis
EJitoribus Pai'isiensibus.
dont vous Lui avez fait récemment
roffrande. Elle m'a chargé en même
temps, puisque déjà, par les monu-
ments artistiques d'autres époques ,
vous avez t'ait ressortira tous les veux
un des bienfaits de l'Eglise, de vous
exhorter à faire tous vos efforts pour
lui assurer la même gloire au moyen
de l'art dans lequel vous excellez, en
mettant au jour beaucoup d'autres
i_euvres qui , consacrées à la défense
de la religion, prouvent que la science
et les arts ont fleuri sous ses auspices.
Sa Sainteté présage un heureux succès
d'une telle entreprise; et, en atten-
dant, comme augure de la céleste fa-
veur et comme gage de Sa paternelle
bienveillance . Elle vous accorde très-
affectueusement Sa bénédiction Apos-
tolique.
En vous transmettant spontané-
ment et volontiers cet avis, suivant le
devoir de ma charge , et en vous adres-
sant mes félicitations personnelles
avec l'assurance de mon estime , je
souhaite de cœur que tout vous succède
d'une manière agréable et salutaire.
J'ai l'honneur d'être,
Très- illustre Monsieur,
Votre tout dévoué serviteur,
Francesco Mercurelli,
Secr" du T.-S.-P., pour les Brefs aux Princes.
Rome, 17 fcvrier 1S76.
Au très-illustre Monsieur Firmin-Didot
et à ses associés. Editeurs à Paris.
duo m;iim=crit latin du XV sitclc. Bibliulhc.iue de iL .ijiibroise Finuin-Didul
PRÉFACE
'i L est un épisode émouvant dans nos anna-
les , c'est assurément la vie de Jeanne
d'Arc. La vie de Jeanne d'Arc est comme
une légende au milieu de F histoire ; c'est
un miracle placé au seuil des temps mo-
dernes comme un défi à ceux qui veulent
nier le merveilleux. Jamais matière ne
parut plus digne de la haute poésie :
elle réunit en soi les deu.x conditions de
V épopée, sujet national , action surnatu-
relle. Mais Jamais sujet ne tenta plus
malheureusement les poètes. La poésie vit de Jictions , et la figure de
Jeanne ne comporte aucune parure étrangère. Sa grandeur se su [fit à
elle-même; elle est plus belle dans sa simplicité. A ce titre rien ne devait
attirer davantage, et mieux récompenser le ■{èle des historiens. Un fait
SI plein d'éclat, à une époque déjà féconde en chroniques et en écrits de
toute sorte, a agi sur tous les esprits et laissé sa trace dans tous les écri-
vains du temps; et les deux j>i-o:ès qui ont poursuivi tour à tour par tant
PREFACE.
d' interrogatoires et d'enquêtes la condamnation de Jeanne dWrc et sa
réhabilitation, ont recueilli une masse de témoignages qui, sans cette
cause toute providentielle , eussent été j.\'rdus pour l'iiistoire. Or, il
j- a un double écueil à éviter parmi tant de richesses : c'est tout à la fois
de trop confondre et de trop distinguer.
Le plus souvent, on a trop confondu. L'histoire a paru si merveilleuse
en elle-même, qu'on n'a pas vu grand inconvénient adjoindre la légende.
Tout se mêle alors sa)is que rien laisse voir ce qui est de l'une ou de
l'autre. Il send^le que l'exposition ?i'r perde rien ; mais eu proposant du
même ton au lecteur les choses qui dérivent des traditions les moins auto-
risées et celles qui s'appuient des témoig)iages les plus forts, on l'am'ene
nécessairement, même dans les livres les plus éloignés de l'esprit de sjs-
téme, à les recevoir ou à les rejeter de la même sorte. Et pourtant, quand
on les jugerait au fond de même nature, encore serait-il bon d'en signaler
et d'en discuter l'origine, afin que chacun pfit voir ce qu'il en doit pretidre
ou laisser. D'autres fois, au contraire, on établit plus de distinctio)i qu'il
)ie faut. Les deu.x procès ont un caractère et un esprit bien opposés; mais
on ne peut pas dire qu'ils )ious fassent de Jeaniie d'Arc deu.x portraits
différents. Le second procès, autant qu'il l'a pu faire, a puisé , s'il est
permis de le dire, aux sources du premier. Il en a appelé, non pas les
témoins, mais les acteurs, les hommes les plus intéressés à le défendre :
Jean Beaup'ere, le second de Pierre Cauchon ; Thomas de Courcelles, qui
mit le procès-verbal en latin; les greffiers, l'huissier, et presque tous les
assesseurs encore l'ivants ; et quand bien même les autres dépositions
recueillies pourraient être regardées comme produites au nom de l'accu-
sée, elles ne feraient encore que rendre au premier pj-ocès un élément qu'on
ne peut , sans injustice, retrancher de la cause. Leur appréciation ne
ressemblera pas à celle des juges ; mais apprécieront-ils moins justement?
Et Jeanne, dans leurs témoignages , sera-t-elle autre qu'on ne la voit
quand elle se montre elle-même dans son procès ? Sont-ce les dépositions
de Dunois, de Louis de Contes et du duc d'Alenson qui ont subi cette
« tournure de commande » et « fourni les traits de cette froide image y
des histoires posté}-ieures? Oit trouve-t-on Jeanne plus vire, plus pleine
de vigueur et d'oitrain, soit que, ai'riva)it devant Orléans, et s'en voj-ant
PREFACE.
scparéc par la Loire, elle interpelle rudement Danois sur le détour que
la timidité des chefs a fait prendre, en la trompant, au c<ini'oi qu'elle
amène ; soit que, se réveillant à la nourelle de l'attaque de Saint-Loup,
elle gourmande son page : .< Ah ! sanglant garçon, vous ne me disie:{pas
que le sang de L^rance ffit répandu! « soit qu'à Jargeau elle e)itraine
aux murailles, criant au duc d'Alençon qui veut attendre : « Ah! gentil
duc, as-tu peur? « Est-elle moins ferme et moins prompte à la réplique
dans le téjuoignage de Seguin, un des examinateurs de L^oitiers , que
dans le procés-rerhal des juges de Rouen?...
On n'a donc pas le droit de dire que les deux p)-ocès, à les prend)-e, je
ne dis pas dans les articles de l'accusation ou dans ceux de la défense ,
mais dans les interrogatoires du premier et dans les enquêtes du second
{et c'est là qu'il faut les voir), offrent de Jeanne d'Arc deux portraits
différents. Si diros qu'ils soient par leurs coJicl usions, loin de se contre-
dire à cet égard, ils se complètent et ils servent à titre égal à représenter
la Pucelle dans toute sa vérité. Nous réunirons leurs matériaux , non
pas aveuglément sans doute, mais en disant où nous puisons, et sans
oublie)- que, si l'un a été suscité par les amis de Jeanne, l'autre {on parait
trop ne point s'en souvenir) est l'œuvre de ses ennemis; et, d'autre part,
nous chercherons à distinguer ce qui est de la légende et ce qui est de
l'histoire, non pour supprimer la première, mais pour l'admettre à so)i
vrai titre, sans farder la seconde des fausses couleurs qu'elle en pourrait
recevoir.
Cette nouvelle édition contient les éléments suivants, qui ne se trou-
vaient point dans les éditions précédentes :
1. — ÉCLAIRCISSEMENTS.
I" .leanne dans la Littérature, dans la Poésie, dans le Drame;
2" Jeanne dans l'Art (Iconographie de la Pucelle. — La Musique et Jeanne) ;
3° Le Costume militaire à l'époque de Jeanne;
4° La Géographie de la France durant la mission de Jeanne (avec une Carte de la France
féodale, en i43o) ;
5° La Famille de Jeanne d'Arc.
PREFACE.
II. — ll.l.rSTR.ATION.
a. Représentation exacte de tous les lieux illusti'e's par le pas-
sage de la Pucelle , de tout le théâtre de sa mission ,
de tout ce qui a conservé quelque trace de sa vie et de
sa mort.
h. Fac-similé de ses principales Lettres.
c. Ornementation (bordures, lettrines et culs-de-lampe) em-
pruntée uniquement à des manuscrits du xv* siècle.
Reproduction des plus belles œuvres d'art qui ont été consa-
crées à la Pucelle depuis le xv" siècle jusqu'à nos jours.
1" Illiistrcition historique.
2" Illiistralioii artistique. !
1° Table par ordre alphabétique des matières ;
2" Table des gravures.
// so-ûi/ sitpcyjhi de rcpctcr ce qui a été dit, dans Li préface de la
première édition , du soin donné à rUltistration et des mérites qui la
reco7nmandent. Le public en a apprécié la vérité par le succès qu'il a fait
à l'ouvrage. Dans la nouvelle édition, on l'a enrichie de quelques pv'èces,
entre autres : le Départ de Jeanne d'Arc de ]'aucouleurs (d'après un
bas-relief en bois, sculpture du xv'^ siècle, communiqué par M. Desno3'ers,
membre de l'Institut' ; — Jeanne d'Arc apj-ès la journée de Compi'egne
(tableau de M. J. Patrois, au musée d'Orléans, 1864); — Jeanne d'Arc
(buste en bronze de M. A. Le Véel, 1N75); — Poton de Xaintrailles
(médaillon en bronze du xvi^ siècle, communiqué par M. Fillon).
INTRODUCTION
JEANNE DABC. 111.
Ornement tiré des' Clinmirjvrs ile Monstreht, j
INTRODUCTION
La Guerre de cent ans. — Charles VU et Henri \'I.
Le Siese d'Orle'ans.
LA GlERRE DE CENT ANS.
/JAMAIS la France ne fut plus en péril qu'au
moment où parut Jeanne d'Arc.
L'Angleterre, jadis conquise par les
Normands français, prenait à son tour
possession de la France : c'étaient les re-
présailles de la conquête , et le terme où
semblait aboutir la longue rivalité qu'elle
avait provoquée.
La seconde phase de ce grand débat,
la Guerre de cent ans, que Jeanne fut
appelée à terminer, se partage en deux
grandes périodes où les succès et les revers alternent pour l'Angleterre et
pour la France. Dans la première, la France, vaincue par Edouard III
sous Philippe de Valois et sous Jean, se relève avec Charles V pendant la
vieillesse d'Edouard et la minorité de Richard II , son petit-fils. Dans la
seconde, après un intervalle où se produit, d'une part, l'usurpation des
Lancastres (Henri IV), de l'autre, la rivalité des Armagnacs et des Bour-
guignons, la France, vaincue sous Charles VI par Henri V, se relèvera
INTRODUCTION.
sous Charles VII contre Henri ^'I. Mais de quel abîme elle se relève et par
quelle grâce inespérée! Pour le faire entendre, signalons au moins les faits
saillants de cette lamentable histoire.
Les Français éprouvent d'abord les plus grands désastres. Sous Phi-
lippe VI, la bataille de Crécy (1346), et la prise de Calais ,1347', qui don-
nait à l'Angleterre une porte toujours ouverte en France; sous le roi Jean,
la bataille de Poitiers (i356), qui livra au vainqueur non pas une ville.
'I I — i (. ria Tin i^ott rrt. 10 Ils famillesdes \aincus\icnnt.ni tll mj tr^ lI l \i.rleurb
morts WmiùXuTe <li,s Chroniques Je \ormanJie ms du w* s ^ la bibliolh dt M Ambroise Firmin
Didot. — Par cette victoire, Guillaume, vassal du roi de France comme duc de Normandie, monte sur le
trône d'.\ngleterre et devient en état de faire la loi à son suzerain.
mais le roi, c'est-à-dire comme un gage du royaume; et le traité de Bré-
tigny (i36o), déplorable traité commandé par les circonstances, mais qui
ne sauvait la couronne qu'au prix de la moitié de la F'rance laissée en toute
souveraineté au roi d'Angleterre.
Le dauphin qui dut signer ce traité, devenu roi de France sous le nom
de Charles V, sut en réparer les conséquences, et, mettant à profit les
fautes du gouvernement anglais, il lui reprit plusieurs de nos provinces.
Mais ce retour de fortune fut cruellement compensé sous le règne
suivant.
INTRODUCTION.
Les deux pays, après Kdouard III et Charles A', avaient subi des vicissi-
tudes analo2;ucs : de part et d'autre, une minorité, des tiraillements, causés
par les vues ambitieuses des oncles du roi, et des excès qui provoquèrent
également des mouvements populaires : Wat Tyler en Angleterre, et en
France les Maillotins. Seulement en Angleterre, le roi, devenu majeur, prit
Fig. 2. — Pendant U démence de Chai les VI, Louis d Or L ii | ,, u\Lrr i j lume avec Jean sans
Peur, duc de Bourgogne, est assassine par les ordres de ce deiniei (1407). Miniatuie des Chroniques de
Monstrelet, Pans, Verard, vers 1490, exemplaire sur peau de vélin, biblioth. de M. Ambr. Firmin-Didot.
en main le pouvoir; et quand Tautorité qu'il exerçait eut dégénéré en
tyrannie, une révolution porta au trône une branche intéressée à relever
son usurpation par des victoires. En France, à la minorité du roi succéda
bientôt sa folie, c'est-à-dire le gouvernement des proches sans responsabilité,
des rivalités de pouvoir sans frein; et, pour conséquence, une guerre civile
qui préparera tous les malheurs de la guerre étrangère.
INTRODUCTION.
La rc\"olution qui ren\ersa Richard II au profit de Henri I\' ne rompit
point immédiatement la paix que Richard avait conclue avec la France.
Henri IV n'en eut pas le loisir : il avait à réprimer à Tintérieur les mouve-
ments e.xcités au nom du prince qu'il avait mis à mort, ou des réformes
qu'il n'avait pas accomplies; mais, au prix de cette lutte, son fils Henri V
se trouva libre de tirer parti des troubles de la France. La France était
plongée tout à la fois et dans le schisme et dans l'anarchie : le schisme
fomenté par elle depuis que la papauté s'était soustraite à la captivité
Fig. 3. — Bataille d'Azincourt (25 octobre I4i5), où les Français sont défaits par les Anglais. Miniature des
Vigiles du roi Charles VU, ms. fr., n" io54, daté de 1484, à la biblioth. nationale. — Henri V d'An-
gleterre, voyant la France divisée par les factions, avait résolu d'en faire la conquête.
d'Avignon ; l'anarchie née de la rivalité des ducs d'Orléans et de Bour-
gogne. Le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, après avoir tué le duc
d'Orléans et triomphé insolemment de son assassinat, se trouvait n'avoir
vaincu que pour devenir à Paris l'homme des Bouchers; et il y tombait
avec eux, laissant la place au parti de son rival devenu, par une alliance
avec les hommes du Midi, le parti des Armagnacs. Entre les deux partis,
les Anglais avaient le choix des alliances, et Henri IV avait soutenu tour à
tour le duc de Bourgogne et le jeune duc d'Orléans. Henri V, mis comme
son père en demeure de choisir, prit pour ennemi celui qui était au pou-
voir; c'était se rouvrir la voie des conquêtes, et donner à cette guerre d'am-
INTRODUCTION.
bition les dehors d'une guerre sainte, en attaquant les derniers fauteurs de
la papauté schismatique.
Fig. 4. —Assassinat du duc de Bourgogne, Jean sans Peur, sur le pont de Montereau (1419), en rcpre'saillcs
du meurtre de Louis d'Orléans. Miniature des Chroniques de Monstrelet, ms. du xV s., A la bibliothèque
de l'Arsenal, à Paris.
La prise d'Harfleur, un autre Calais, un Calais aux bouches de la Seine,
ouvrant la P>ance à l'Angleterre, fermant la mer à Rouen, à Paris; la
journée d'Azincourt (1415), répétition sanglante des journées de Crécy et
INTRODUCTION.
de Poitiers, tels furent les débuts de la guerre:, et la suite y répondit.
Henri V, à son retour de Londres, où il est allé mettre en sûreté des pri-
sonniers (parmi eux les ducs d'Orléans et de Bourbon), trouve les villes
presque sans défense (141 7) : les garnisons en ont été rappelées pour la
lutte des Armagnacs contre les Bourguignons. Caen, Bayeux, etc., sont
réduits à capituler; la Bretagne, l'Anjou, sollicitent du vainqueur des traités
de neutralité, tels qu'il en a déjà avec la Flandre. Ainsi couvert sur ses
flancs, il peut avancer en toute liberté, divisant son armée pour accomplir,
au milieu de la terreur universelle, plus de sièges en même temps (1418).
La chute des Armagnacs, la rentrée du duc de Bourgogne à Paris, n'ar-
rêtent pas ses progrès en Normandie. Rouen succombe (i 3 janvier 1419) :
c'est au duc de Bourgogne, à son tour, d'en répondre à la France.
La prise de Rouen avait excité la plus vive émotion. Un cri s'élève de
partout, qui commande la fin des luttes civiles. Les partis font trêve. Le duc
de Bourgogne, ayant le roi, aurait été jusqu'à la paix, et le dauphin, qui était
avec les Armagnacs, n'y répugnait pas : il n'avait point de grief personnel
contre le duc; et il avait tout intérêt, comme héritier du trône, à s'assurer
de son concours. Mais la paix ne se pouvait pas faire entre eux sans sup-
primer toute l'importance des Armagnacs. Ce furent ces perfides conseillers
qui préparèrent et accomplirent, au nom du dauphin, le guet-apens du pont
de Montereau [10 septembre 1419).
Le meurtre du duc de Bourgogne, à Montereau, avait vengé le meurtre
du duc d'Orléans; mais cette vengeance était un assassinat, et ce nouveau
crime, loin de rien réparer, devait mettre plus bas encore et le dauphin et la
France. Les Parisiens se déclarèrent contre les meurtriers; Philippe le Bon,
fils de Jean sans Peur, ne pouvait pas faire défaut à son parti. Il vint,
résolu de venger son père, mais par les Anglais, et, par conséquent, aux
dépens de la France. Une conférence fut tenue à Arras, et l'on y fixa les
bases de la paix, qui fut signée à Tro3'es (21 mai 1420).
Le traité de Troyes semblait être la conclusion définitive de la lutte qui
avait si longtemps divisé la France et l'Angleterre. Il donnait pour bases à
la paix l'union permanente des deux pays sous un même roi, la fusion des
deux familles royales en une seule famille. Le dauphin était proscrit, il est
vrai; c'était le salaire du crime de Montereau. Mais la fille de Charles VI
INTRODUCTION.
et d'Isabeau épousait Henri V-, elle partageait avec lui le trône d'An-
gleterre en attendant le trône de France : et c'était à leurs descendants
qu'était assurée la possession des deux royaumes. Tout le monde , hormis
Fiq ^ — A.iliani.<. d n^ a\<.^ k r i t Vn.,lttuiL ^ )ntrt li 1 in^
Chiomjue'. i {n„UUiit,mi fr du xV s., n" S', \ h bihlioth mt
le dauphin , paraissait gagner à cet arrangement : le duc de Bourgogne était
vengé; Charles VI gardait sa couronne-, et la France y trouvait l'assurance
de voir se rétablir un jour l'union de ses provinces. Jamais paix avait -
elle tant donné aux vaincus? — Mais le vainqueur n'y perdait rien que
l'odieux même de la victoire. La conquête, se voilant sous les apparences
JEANNE d'arc. III. — 2
INTRODUCTION,
d'un bon accord , y trouvait le moyen de s'affermir et de s'accroître. Que si.
pour porter la couronne, Henri V devait attendre la mort de Charles VI.
Fig. 6. — Isabeau de Bavière, iciihiil- ne i,ii,n ks \1, en grande parure de cuui, avec deux suivantes <^ui
portent : l'une, laqueuedeson manteau, Tautre, ceUedtsîrobe. TWédu PortefcuilleGaignières, d'après
une peinture du temps. Biblioth. nationale. — Par le traité de Troyes (1420), Isabeau dépouillje son
propre fils (Charles VII) et donne à Henri V d'Angleterre, c'poux de sa fille, le titre de régent et d'héritier
de la couronne de France.
il n'attendait rien pour en exercer tous les droits. II allait gouverner à la
place du roi malade, et poursuivre en son nom, avec les ressources des deux
couronnes, la s^uerre contre le dauphin et les Armagnacs. Charles VI sem
INTRODUCTION.
blait ne plus vivre que pour couvrir cette intrusion et la faire mieux agréer
de la France.
Disons-le donc : jamais la P>ance ne fut si bas dans l'histoire qu'à Tépoque
du traité de Troyes. Ce traité, sous prétexte d'unir les deux pays, abandon-
nait en une fois à l'Angleterre, non pas seulement ce qu'elle avait conquis.
Fig. 7. — Portrait de Henri V d'Angleterre, avec une le'geiide latine qui signifie ; Roi et sfi^'ncur J'Ilihcrnie
(Irlande), Roi d'Angleterre et de France. Gravure du xvii"' s., d'après une peinture du temps. — Henri V
mourant au château de Vincennes, près Paris, institua ses deux frères régents de son fils mineur ; Bcdford
pour la France, Glocester pour TAngleterre.
mais ce qui lui restait à conquérir. Le vainqueur voulait bien n'être que
l'héritier du vaincu , et promettait de lui laisser, sa vie durant , les orne-
ments de la royauté , un état honorable , la résidence en son royaume \
mais au fond il était roi déjà , ayant la capitale et tous les grands instruments
du pouvoir. La France, livrée par tous ceux qui la devaient défendre, le
INTRODUCTION.
roi, les princes, les états généraux, le parlement et Funiversité de Paris,
n'avait de refuge pour sa nationalité qu'auprès d'un prince déshérité par
son père comme assassin, et dans le camp plus que jamais odieux des
Armagnacs. C'est là que Henri V comptait lui porter bientôt le dernier
coup lorsqu'il mourut, et Charles VI après lui (!3 1 août et 22 octobre 1422).
CHARLES VII ET HENRI VI.
La mort de Henri V préservait le dauphin d'une perte immédiate, sans le
sauver pourtant.
Henri VI , proclamé roi de France après la mort de Charles VI , était un
enfant de dix mois, et une telle minorité convenait peu à de si grandes
affaires; mais Henri V avait sagement pourvu à la régence. De ses deux
frères , il avait désigné le plus jeune , Glocester, pour l'Angleterre; l'aîné ,
Bedford, le plus capable, pour la F'rance : et cet arrangement avait été
maintenu au fond par le parlement, avec un changement dans les titres,
propre à calmer les susceptibilités du peuple anglais. Désigner l'aîné des
princes pour la France , n'était-ce pas donner à la France le pas sur l'An-
gleterre? Bedford fut régent des deux royaumes; Glocester, son lieutenant
en Angleterre , sous le nom nouveau de protecteur ; et, de cette façon , le plus
habile pouvait demeurer où était le danger.
Le dauphin avait été proclamé aussi à la mort de Charles VI , sous le
nom de Charles VII, et il était, lui , en âge de régner. Mais la faiblesse de
son caractère, un incroyable abandon à l'empire des autres au moment où
il devenait le chef de l'État, le rendaient comme étranger aux affaires. Il
semblait se complaire dans l'inaction où on le retenait : « N'avoit point cher
la guerre s'il s'en eût pu passer. » La conduite du royaume restait donc à
ceux qui l'entouraient : or c'étaient les plus fougueux des Armagnacs , des
hommes qui n'avaient rien à attendre du parti contraire ; qui , pour s'en
mieux garder, n'avaient pas craint de se faire une barrière de l'assassinat :
Tannegui du Chastel, Narbonne, Louvet, et divers seigneurs, parmi les-
quels le sire de Rais, de sinistre mémoire , des étrangers tels que le conné-
table de Buchan (Jean Stuart' , Douglas, le Lombard Théode de Valpergue
INTRODUCTION.
(Valperga) , ou bien encore, parmi les meilleurs, quelques hardis chefs de
bandes, Poton de Xaintrailles, la Hire : la Hire, qui jurait que Dieu le
Père, s'il se faisait gendarme, se ferait pillard, et qui, en raison de cette
confraternité, s'écriait « en son gascon , » avant de se jeter dans la bataille :
« Dieu , je te prie que tu fasses aujourd'hui, pour la Hire autant que tu
voudrois que la Hire fît pour toi, s'il étoit Dieu et que tu fusses la
Hire ' ! »
Tout l'avantage demeurait donc au jeune Henri VI. Avec les ressources
de FAngleterre et ce qu'elle avait directement conquis en France , il avait ce
que lui donnait dans le royaume le parti du duc de Bourgogne, c'est-à-dire
presque tout le Nord; il avait Paris et tous les grands corps de l'Etat; et ses
alliances venaient encore de s'affermir et de s'étendre. Dans une conférence
tenue par Bedfort à Amiens (vers Pâques, 1423), le duc de Bretagne et
son frère Richement s'étaient rencontrés avec le duc de Bourgogne; et un
double mariage resserra par des liens de famille l'union des pays : le duc de
Bourgogne cionnait une de ses sœurs à Bedford et une autre à Richemont.
Charles VU retenait dans sa cause les princes du sang royal, moins le duc
de Bourgogne, savoir: les maisons d'Orléans, d'Anjou, d'AIençon, de
Bourbon, maisons dont les chefs, il est vrai (Orléans et Bourbon), ou en
partie les domaines (Anjou et Alençon) , étaient entre les mains des Anglais.
Il avait encore généralement sous ses lois les seigneurs et les provinces du
centre et du Midi, entre la Guj'enne, domaine des Anglais, d'une part, et
d'autre part le prince d'Orange, allié des Bourguignons, et le duc de
Savoie qui inclinait du même côté, tout en cherchant à ménager la pai.x avec
le roi de France. Il s'était fait, des conseillers de Paris restés fidèles à sa
cause, une ombre de parlement à Poitiers. Il avait réuni après son avéne-
1 Gilles de Laval, seigneur de Rais, né vers iSgô. Il commença à paraître aux armées vers 1420, et nous le
retrouverons avec la Pucelle. Nul ne fut plus indigne de cet honneur. 11 fut le type de Barbe-Bleue; mais la
fiction n'approche pas de la réalité, le conte est fort au-dessous de l'histoire. — Le connétable dt; Buclian
Jean Stuart, deuxième fils du ducd'Albany, vint en France avec 6,000 Écossais en 1420, et fut nommé conné-
table de France, le 14 avril n-n. — Douglas {Arcliibald). U avait combattu les Anglais à la frontière d'Ecosse
avant de venir les retrouver en France. — Poton de Xaintrailles. Son prénom le distingue de Jean, seigneur
de Xaintrailles, qui figura dans les armées de Charles VII. U fut un des plus brillants jouteurs et un des
plus audacieux aventuriers d e ce temps-là. Pris et racheté plusieurs fois (en 142 1 , en 1423), il sut regagner pi us
que sa rançonsur l'ennemi. — Lii Hire (Etienne de Vignoles), né vers iSgo, compagnon inséparable de Poton
de Xaintrailles, Gascon comme lui, et comme lui attaché au service du dauphin vers 14 iS, après que Tan ne-
guy du Chaste 1, l'enlevant de Paris, l'eut sauvé des Bourguignons. — L'étrange prière de la Hire est rapportée
dans la chron-qu:; de Jacques le Bouvier, dit Berri, publiée par Godefroi, Vie de Charles VU, p. 45.S.
INTRODUCTION.
ment les états généraux du ro}'aunie à Bourges; il réunit successivement
chaque année les états soit de Langue d'Oc, soit de Langue d'Oil ou des
deux langues ensemble, à Carcassonne, à Selles en Berri, à Poitiers, à
Béziers, à Chinon : c'était pour lui le seul moyen d'avoir un peu d'argent.
Mais , avec tout cela, sa détresse était extrême. L'argent allait au superflu et
manquait au nécessaire. La guerre, pour laquelle les états votaient des sub-
sides, n'en avait que la moindre part. Les troupes du roi, composées en
partie d'Ecossais et de Lombards (les Écossais par haine de l'Angleterre-,
les Lombards par attachement à la maison de Valentinc de Milan , et tous
un peu par amour de la solde ou du pillage), ses troupes, ainsi formées,
donnaient à sa cause un air que la présence des Gascons d'Armagnac ne
rendait pas beaucoup plus national , et la manière d'agir de cette armée
faisait bien plus douter encore qu'elle fût française : car il lui fallait vivre,
et elle vivait aux dépens du pays. On avait donc tout à gagner en l'envoyant
en pays ennemi, et l'on chercha, par son moyen, à se rouvrir les voies de
communication avec les villes demeurées fidèles en Champagne et en Picar-
die. Mais des deux côtés on échoua. Vers la Champagne, on se fit battre
en voulant reprendre Cravant (sur l'Yonne) aux Bourguignons (i"' juillet
1423); en Picardie, on laissa le Crotoy tomber aux mains des Anglais
(3 mars 1424), et tandis que Compiègne et d'autres places du Nord étaient
perdues de même, un partisan bourguignon, Perrin Grasset, prenait la
Charité et la gardait, donnant déjà à son parti un passage sur la Loire ( pre-
miers mois de 1424 .
Heureusement pour la France, Henri VI avait pour oncle non pas seu-
lement Bedford , mais aussi Glocester ;, et , tandis que le premier faisait tout
pour se mieux assurer l'alliance du duc de Bourgogne, l'autre faillit la
rompre. Il décidait Jacqueline de Hainaut à répudier le duc de Brabant ,
cousin de Philippe le Bon, pour l'épouser lui-même, froissant par là le duc
de Bourgogne dans ses intérêts les plus chers; car Jacqueline, par son
divorce, rompait les liens de famille qui l'attachaient à ce prince, et par son
nouveau mariage elle lui enlevait l'espoir d'une succession qui semblait
infaillible , tant qu'elle aurait eu pour mari le valétudinaire duc de Brabant.
Cette querelle, qui absorbait justement toute l'attention de Bedford, donna
quelque relâche au roi de France. Il eut même un instant l'espoir de se
INTRODUCTION.
relever et de porter à ses adversaires un coup décisif. De nouveau.x renforts
lui étaient venus d'Ecosse et d'Italie; pour se les mieux attacher, il prodi-
guait à leurs chefs des titres et des honneurs qui excitaient Tenvie des sei-
gneurs indigènes. Cette mésintelligence fit tourner en défaite la bataille
qu'on espérait gagner. Les Français venaient de laisser prendre Ivrj' par
Bedford ; par compensation ils s'étaient fait livrer Verneuil, donnant à croire
FIg. n. ~ l,e uuc de l.caioid, retient de France au nom de Henri VI d'Angleterre, mineur. Bedford est
entouriS de divers personnages; un auteur, à genou, lui offre son Mvrt le Pèlerinage de l'âme. IWs. fr.de la
première moitié du xv' s., n" 602, à la bibliotli. nat.
au gouverneur qu'ils revenaient de battre le régent. Mais Bedford arriva
bientôt sous les murs de la place, et, mettant pied à terre, rangea ses troupes
en bataille derrière une ceinture de pieux aiguisés. Douglas voulait attendre
qu'il en sortît-, le vicomte de Narbonne répondit à son conseil en se jetant
au cœur des troupes anglaises, là où était Bedford , et il fut suivi des Écos-
sais. La Hire, Xaintrailles, qui menaient une des ailes, renversèrent tout
sur leur passage et poursuivirent ceux qu'ils chassaient, croyant trop tût à
la victoire. Les Lombards, qui étaient à l'autre aile, devaient tourner l'en-
INTRODUCTION.
nemi ; et déjà ils avaient repoussé les archers préposés à la garde des che-
vaux et des bagages : mais ils se mirent à piller les bagages et à emmener
les chevaux •, et les archers anglais, demeurés libres de se porterau fort de la
bataille, décidèrent delà journée. Nos troupes succombèrent, privées de
ceux qui les devaient soutenir. Le jeune duc d'Alençon ', le maréchal de
la Fayette ■ et maint autre chevalier furent pris. Le vicomte de Narbonne,
le connétable de Buchan, Douglas, etpresque tous les Ecossais demeurèrent
sur la place (17 août 1424'.
Ainsi rien ne réussissait à Charles VIL Dans cette lutte où FAngleterre
n'avait pu rentrer encore avec toutes ses forces, il avait tenté doux coups un
peu plus décisifs, à Gravant, à Verneuil, et il avait été battu. Tout n'était
point perdu encore, grâce à la diversion du Hainaut. Glocester, ayant
épousé Jacqueline, voulait entrer en possession de ses Etats. Qu'eut- il
gagné à prendre la femme sans la dot? Mais c'était ce que le duc de Bour-
gogne se montrait le moins disposé à laisser prendre. La lutte était immi-
nente : les ducs de Bourgogne et de Glocester s'étaient défiés réciproque-
ment (mars 1425). Bidford avait fait annuler le défi, sans écarter d'ailleurs
la cause de la querelle; et depuis quelque temps déjà le duc de Bour-
gogne semblait se refroidir à l'égard de l'Angleterre. Il venait d'épouser
{'io novembre 1424; Bonne d'Artois, veuve du comte de Nevers, tué
à Azincourt, et sœur du comte d'Eu, retenu depuis lors prisonnier par
les Anglais. C'était une voie qui !c pouvait ramener vers la France.
D'autres l'attiraient du même côté, et par exemple le frère du duc de
Bretagne, le comte de Richemont , qui, blessé d;s défiances et des
refus de Bedford, venait de rompre avec lui (mars 1424) malgré les
liens de famille nouvellement contractés. Le pape Martin V, le duc de
Savoie, sollicitaient Philippe à la réconciliation : et il avait, dans une cir-
constance récente, accueilli, sans trop les décourager, plusieurs prélats
députés par Charles 'VII (Màcon, décembre 1423). Que fallait-il pour
qu'il se rapprochât du roi? Il fallait qu'il ne trouvât plus auprès de lui ces
chefs armagnacs auteurs de la mort de son père. Il le disait à des ambas-
1 Jean II, surnommé le Beau, fils de Jean le Sage, né le 2 mars 1409 et héritier du duché d'Alençon
en 1415.
2 Gilbert de la Fayette, né vers i38o. Il avait embrassé de bonne heure la cause de Charles VU, alors
dauphin; il était, depuis 1420, maréchal de France.
INTRODUCTION. 17
sadeurs qui excusaient le roi sur sa jeunesse au temps du crime, et sur ses
mauvais conseillers : « Que ne s'en est-il débarrassé encore ? » Le moment
en était venu. C'est ce que comprit une femme de grand sens, qui savait do-
miner Charles VII par l'autorité de sa position comme par l'ascendant de
son esprit, la reine de Sicile, Yolande d'Aragon, veuve de Louis II d'Anjou
et mère de la jeune reine de France. Ce fut par ses conseils qu'il eut avec
Richemont, à Angers, une entrevue (octobre 1 424) où il lui offrit l'épée de
connétable de France. Richemont, frère du duc de Bretagne et beau-frère
du duc de Bourgogne, nommé connétable avec l'assentiment de l'un et de
l'autre (ô mars i425\ pouvait devenir un lien entre le roi et ces deux
princes. Les chefs armagnacs ne tentèrent pas longtemps de retenir un pou-
voir qui leur échappait; et le principal, Tannegui du Chastel, couvrit au
moins sa retraite d'une noble parole : « Que jà à Dieu ne plut, que pour
lui demeurât à faire un si grand bien, comme le bien de paix entre le roi et
Monseigneur de Bourgogne. »
Cette petite révolution de palais pouvait tout changer dans la France.
Mais les espérances que l'on avait conçues furent trompées : Richemont,
appelé par son frère, le duc de Bretagne, à prendre le commandement des
troupes bretonnes, se fit battre à l'attaque de Saint-James de Beuvron
(6 mars 1426) ; et les choses n'allaient pas mieux à l'intérieur. Fier du con-
cours qui se faisait autour de lui, il ne gardait pas de mesure et se rendait
odieux par son despotisme. Trop rude pour mener le jeune roi par lui-
même, il avait imaginé de le conduire par des favoris que le prince accep-
tait de sa main ; or, ces hommes mêmes ne songeaient à user de la faveur du
roi que pour secouer le joug du connétable. Ces intrigues dominèrent toute
autre- chose : elles faisaient avorter les campagnes ; et en somme l'œuvre de
Richemont se réduisit à faire tuer deux de ses favoris (Giac et Beaulieu'
et à se faire chasser par le troisième (la Trémouille) ' (1427).
Le gouvernement revenait donc aux Armagnacs; plus d'espoir, ni du
1 Georges de la Trémouille, né vers i385, fort lié avec le duc deCuyenne, alors dauphin, combattitetlut
prisàAzincourt. En 1416, il épousa Jeanne, comtesse de Boulogne et d'Auvergne, et devint un des familiers
delà courd'Isabeau de Bavière. En 141S, assiégé dans sa résidence de Sully-sur-Loire par les partisans du
nouveau dauphin, il fut pris, et se fit Armagnac, sans rompre d'ailleurs toute relation avec les Bour-
guignons. Devenu veuf, il épousa la veuve de Giac, qu'il avait aidé à renverser; ce ne fut pas sa seule
part dans ses dépouilles, puisque bientôt il obtint sa place auprès du roi avec le titre de grand cham-
bellan, et toute facilité pour évincer le connétable.
INTRODUCTION.
côté de la Bretagne, qu'on avait laissée retourner aux Anglais faute de la
secourir 1^1427- 1428^ ni du côté de la Bourgogne, qu'on n'avait pas su en
détacher à temps; et, pendant que ces fautes se commettaient à la cour de
Charles ^'II, Bedford avait pourvu de son côté aux dangers les plus pres-
sants. Il avait mis un terme aux fatales querelles de Glocester, soit avec le
duc de Bourgogne, soit avec révêque de Winchester : avec Winchester, en
détournant ailleurs Tambiiion du cardinal-, avec le duc de Bourgogne, en
dissipant toutes les craintes que les projets de Glocester lui avaient causées.
Le mariage de ce prince et de Jacqueline avait été cassé par le pape; bien
plus, le duc de Brabant, le mari légitime, étant mort (i 7 avril 1427 ', Glo-
cester n'avait pas même songé à renouer l'union rompue, et il avait laissé
Jacqueline et le comté de Hainaut pour épouser sa maîtresse. Le duc de
Bourgogne, un instant incertain, comme le duc de Bretagne, un instant
ennemi, était donc plus étroitement rattaché à l'alliance anglaise, et Char-
les \'II restait seul avec son triste entourage. C'était pour Bedford le moment
de reprendre enfin l'œuvre interrompue de Henri V. L'échec de War-
wick ' devant Montargis, délivré par l'heureuse audace du bâtard d'Orléans
et de la Hire (5 septembre 1427), ne l'ébranla point. Il voulut imprimer à
la guerre un mouvement tout autrement décisif, passer la Loire, et ne plus
laisser même à Charles VII le triste nom de roi de Bourges. Une seule
chose restait à résoudre : où passer la Loire? A Angers ou à Orléans? En
Angleterre on avait pensé à Angers. C'est de ce côté que l'on avait fait le
plus de progrès. On s'était même engagé envers le duc d'Orléans, prison-
nier, à ménager, en récompense de quelques bons offices, les terres de son
apanage. Mais Orléans était le cœur du royaume : c'est là que Bedford vou-
lait porter le coup. Salisbury -, rappelé d'Angleterre pour remplacer War-
wick à la tète de l'armée, reçut l'ordre d'assiéger Orléans (mai ou juin
1428).
1 Edmond de Beauchamp, comte de Warwick, un des principaux capitaines de Henry V ; il devint
quand il fut rappelé du continent après cette campagne^ gouverneur du jeune Henri VI.
i Thomas de Montague, comte de Salisbury; Henri l'avait lait comte du Perche.
INTRODUCTION.
19
LE SI li(}h: I) OKLliANS.
Orléans avait une importance capitale dans cette crise suprême. On pou-
vait passer la Loire ailleurs, mais on ne se croyait point en sûreté au delà
si Ton n'avait Orléans. C'était là qu'il fallait conquérir les clefs du centre de
la France. La ville, située sur la rive droite du fleuve, était reliée à la rive
gauche par un pont à la tète duquel s'élevait un fort composé de deux tours
et appelé les Tourelles. Ce fut par là que Salisburv vint l'attaquer. Il occupa
Fij;. 9. — Salisbury, monté au deuxième étage de la forteresse des Tourelles pour considérer Orléans
est blessé h mort d'un éclat de boulet. Ms. fr., 5o54, du xv' s., à la bibliotli. nat.
au voisinage un couvent à demi ruiné dont il se tit une bastille, les Augus-
tins-, et de là il battit et enleva les Tourelles. Mais il n'alla pas plus loin. Il
était monté au second étage de l'une des tours, et il examinait l'enceinte de
la place, quand un éclat de boulet le frappa au visage, et le renversa, blessé
à mort, auprès d'un chevalier tué du même coup. Les Anglais l'emportèrent
à Meun en secret, mais non pas de telle sorte que la nouvelle n'en vînt à
Orléans ; elle s'y répandit avec des circonstances merveilleuses. On disait
que Glasdale, nommé par Salisbury capitaine des Tourelles, lui en faisait
les honneurs et lui montrait Orléans de la fenêtre, disant : « Monseigneur,
INTRODUCTION.
regardez ici votre ville ; vous la voyez d'ici bien à plein. « Salisbury regarda
et reçut le coup dans l'œil. L'attaque était suspendue après la rude affaire
de cette journée", les canonniers étaient allés dîner : c'était un enfant qui,
rôdant sur les remparts et voyant une pièce abandonnée, avait eu l'idée d'y
mettre le feu. Jamais coup visé n'atteignit mieux le but (21 octobre).
En forçant les Tourelles, Salisbury n'avait pas songé sans doute à péné-
trer par là dans Orléans. Il voulait tenir la tête du pont, fermer à la ville ses
communications avec le sud de la Loire, et préparer l'attaque sérieuse qui
se devait faire par le nord. Les Tourelles, isolées du pont par la rupture des
deux premières arches, furent laissées sous la garde de Glasdale, homme de
cœur et de tête ; et vers la fin de l'année Talbot et Suflblk arrivèrent sur la
rive droite pour commencer vraiment le siège. Ils s'établirent à l'ouest delà
ville près de la Loire, sur les ruines de l'église Saint- Laurent, dont ils firent
une bastille : deux boulevards formés de terre et de fascines, l'un dans l'île
Charlemagne, l'autre sur la rive opposée, au champ Saint- Privé, la reliaient
aux Augustins et aux Tourelles : et d'autre part ils étendaient leur front d'at-
taque vers le nord en élevant successivement le boulevard de la Croix-Bois-
sée, en face de la porte Renard, et la bastille entre Saint-Ladre et Saint-
Pouair, en face de la porte Bannier, sur l'emplacement actuel de la porte du
même nom.
Les forces des deux côtés n'étaient pas très-considérables. Les Anglais
avaient 800 hommes sur la rive gauche, dans les Tourelles et dans les
Augustins, et 3,700 hommes sur la rive droite. Les Orléanais avaient reçu
lia i,3oo hommes de garnison et pouvaient armer environ 5, 000 des
leurs. Ils avaient à leur tête, comme lieutenant de leur duc prisonnier, le
jeune bâtard d'Orléans (Dunois), celui dont Valentine de Milan, voyant en
lui le digne héritier et le vengeur de son mari, disait : « On me l'a volé ' ! »
et comme bailli du même prince et gouverneur de la ville, un brave cheva-
lier, Raoul de Gaucourt, qui avait combattu à Nicopolis en i3()(3, et
vaillamment défendu H arfleur contre les Anglais en 1415. Si les Orléanais
étaient résolus à se défendre, le bâtard d'Orléans ne l'était pas moins à
1 Le bâtard d'Orléans sera quelquefois appelé par anticipation Dunois dans notre récit, comme il l'est
dans les chroniqueurs qui ont écrit postérieurement à l'époque où il reçut du duc d'Orléans, son frère,
le comté de ce nom (21 juillet I 0g).
INTRODUCTION.
garder dans leur ville l'apanage de son frère; et Raoul de Gaucourt, retenu
depuis la prise d'Harflcur dans les prisons des Anglais, venait d'en sortir
après onze ou douze ans avec le désir de prendre sur eux une éclatante
revanche.
Une rencontre d'où la ville attendait son salut fit pencher la balance du
côté des assiégeants.
Falstolf amenait de Paris aux Anglais un renfort de 2,5oo hommes envi-
ron et un convoi de vivres. La cour, pressée par les Orléanais, se décida à
envoyer le comte de Clermont avec 3 à 4,000 hommes pour l'arrêter. Une
autre troupe de i,5oo hommes avec la Hire et Poton de Xaintrailles par-
tit d'Orléans à la même fin. Le convoi sortait par longue file de
Rouvray-Saint-Denys, quand ceux d'Orléans le rencontrèrent. Rien de
plus facile que de le rompre. La Hire voulait charger, mais le comte de
Clermont, qui n'était pas encore là, ordonnait qu'on l'attendît. Ce fut la
perte de la journée. Falstolf eut le temps de se faire de ses chariots une bar-
ricade. L'attaque mal conduite échoua; et le vainqueur put amener aux
bastilles anglaises tout son convoi, moins un certain nombre de tonnes de
harengs qui , défoncées par le canon, jonchèrent le champ de bataille de leurs
débris : d'où le nom de Journée des Harengs (12 février i429\
Les Anglais ainsi ravitaillés purent donner plus d'extension à leur attaque.
Rappelant à eux leurs garnisons voisines, ils construisirent une nouvelle
bastille à Saint-Loup, à l'est d'Orléans, et deux boulevards qui resserraient
l'espace demeuré libre dans l'intervalle : ils nommèrent le premier Londres,
le second Rouen. Un peu après ils achevèrent leur bastille du nord entre
Saint-Pouair et Saint- Ladre, et la nommèrent Paris. Ainsi le blocus deve-
nait plus étroit, et le moment semblait proche où les Anglais, maîtres des
principales routes, pourraient, en interceptant les arrivages de vivres, tour-
ner contre la ville le nombre même des habitants. Les Orléanais, n'espé-
rant plus rien du roi de France, tentèrent une démarche qui les pouvait
du moins soustraire aux Anglais. Ils voyaient des Bourguignons parmi les
assiégeants : ils s'adressèrent au duc de Bourgogne, le priant de prendre
en garde l'héritage du duc d'Orléans, son cousin; et Philippe le Bon
accueillit volontiers ce message. Mais Bedibrd, auquel il s'adressa, récon-
duisit sans beaucoup de formes, disant « qu'il seroit bien marry d'avou"
INTRODUCTION.
battu les buissons et que d'autres eussent les oisillons. « Le duc blessé rap-
pela du siège ceux de son obéissance.
C'était une perte de i ,000 à i ,200 hommes pour les Anglais. Ils ne s'en ému-
rent pas. Ils se disaient qu'ils seraient seuls à garder la conquête : le duc de
Bourgogne se retirait à point pour perdre le fruit qu'il aurait pu attendre de
Fif;. 10. — « Comment Poton (Poton de Xaintraillcs) fut vers le Juc Je Bourgogne |H)ur la
les Anglais. » Ms. fr. n° 5o54, daté de 1484, à la biblioth. nat.
son concours; et, malgré le départ très-précipité des Bourguignons, ils élevè-
rent à Saint-Jean-le-Blanc, sur la rive droite, une nouvelle bastille qui con-
courut avec celle de Saint-Loup à la garde de la haute Loire. Quant aux
Orléanais, ils se consolèrent aussi en voyant qu'ils restaient à eux-mêmes :
car déjà avait paru celle qui se disait envoyée de Dieu pour les délivrer,
celle qui devait associer leur nom au plus beau nom de l'histoire : Jeanne
d'Arc, la Pucelle d'Orléans.
JEANNE DARC
m;t^
Ornement tire iVuii ms. du xv bh;cIo n" ïti/a a lu lutjlioth. imt.
DOMREMY ET VAUCOULEURS
L'Enfance de Jeanne d'Arc. — Le Départ.
l'enfance de je.anne d'arc.
\. vallée de la Meuse, de Neufchàteau à
Vaucouleurs et au delà, se prolonge entre
deux chaînes de coteau.x ou de mamelons,
séparés l'un de l'autre par des gorges plus
ou moins profondes. Les hauteurs gardent
encore quelques restes des bois qui les
couvraient jadis; la vigne en a pris la place
sur les pentes les moins roides et les mieux
exposées; le blé succède à la vigne et des-
cend jusqu'aux prairies, qui occupent, sur
une largeur de douze à quinze cents pas,
le fond uni de la vallée. La Meuse y serpente capricieusement d'un côté
à l'autre, dans un lit toujours vert. Trop peu profonde pour que la main
de l'homme ait entrepris de l'asservir au commerce en la redressant, elle
va, dans son cours sinueux, baigner successivement de nombreux villages.
Nommons entre plusieurs autres : Frebecourt, au pied de la colline d'où
le château de Bourlemont semble porter au loin l'œil du maître; Cous-
sey, Domremy, sorte d'annexé de Greux qui s'élève au débouché de la
JEANNE d'arc, m. — 4
26 JEANNE D'ARC.
route de Gondrecourt -, Maxe}- , au confluent du Vair, Bure3'-la-Côte ,
Burey-en-Vau\, et Chalaines en face de Vaucouleurs : Vaucouleurs, senti-
nelle avancée de la vieille France, fièrement campée sur son coteau, comme
pour mieux surveiller la chaussée qui continue, à travers la vallée, le pont
de la Meuse et le chemin de la Lorraine. Cette longue prairie, presque au
niveau de la rivière , qui , chaque année, sans effort et sans péril, la recouvre
de ses bienfaisantes inondations, présente, en la saison où Therbe fleurit, un
immense tapis de verdure émaillé des plus vives couleurs : d'oii le nom de
Vaucouleurs [vallis colorum) , donné au lieu le plus important du pays , et
qui peint la vallée tout entière.
Entre tous les villages disséminés sur ces bords frais et paisibles, le plus
illustre à jamais c'est le plus humble : c'est la petite commune de Domremy.
Là naquit Jeanne d'Arc ' le 6 janvier i \\2. Son père, Jacques d'Arc était
né à Séfond (Ceffonds), près Montier-en-Der, en Champagne (Haute-
Marne)^ sa mère, Ysabellette Romée, à V^outhon, village situé sur la route
de Greux à Gondrecourt, dans le Barrois (Vosges). Jeanne elle-même, née
à Domremy, est-elle de la Lorraine, de la Champagne ou du Barrois ? Si
l'on veut parler du territoire, Jeanne est une enfant de la Meuse : car la
Meuse est la mère commune de tous ces villages qu'elle arrose, sans dis-
tinction de Lorraine, de Barrois ou de Champagne. Mais s'il s'agit de na-
tionalité, Jeanne d'Arc était Française. Son père était Français, son village ,
français. Son village était partagé, il est vrai, entre le Barrois mouvant
(c'est-à-dire relevant de la couronne de France) et le domaine direct de la cou-
ronne. Un petit ruisseau d'eau vive marquait cette division : la rive droite,
où l'on comptait vingt à trente feux, était au Barrois mouvant •, la rive gau-
che, au domaine, rattachée avec Greux, et toute cette portion de la vallée
jusqu'à Vaucouleurs, à la prévôté d'Andelot et au bailliage de Chaumont-
en-Bassigny (Champagne). Or la maison de Jeanne, qui subsiste encore, est
1 On a prétendu, et fait croire à beaucoup trop de monde, que le vrai nom de la Pucellc était Jeanne
Darc. On le lit ainsi dans les manuscrits contemporains, sans aucun doute; mais c'est que l'apostrophe
était alors inconnue. Depuis qu'elle existe, on a dn l'appliquer à ce nom comme'aux autres; ou bien il
faudrait aussi appeler Jeanne, la PuccUe Dorléar.s, et lui donner pour compagnon le duc Dalençon, pour
ennemi le roi Dangleterre : car la véritable étymologie du nom est le mot Arc^ le lieu ou l'objet appelé arc.
L'arc, cette arme populaire, cette arme aimée du paysan, figurait dans le blason rustique de sa famille. Le
mot Darc est unmot étranger qui n'a de sens que dans les langues germaniques. Darck, en anglais, i< sombre,
ténébreux. » — « Fille des ténèbres! » Les Anglais du temps n'auraient pas mieux trouvé. Laissons donc
là la forme barbare de Darc et gardons à la Pucelle son nom français.
28 JEANNE D'ARC.
sur la rive gauche. Mais quand elle eût été sur la rive droite, Jeanne en
serait-elle moins Française? Tous les habitants de Domrem}', ceux de la
droite comme ceux de la gauche, excepté un, dit-elle elle-même, étaient
Armagnacs, c'est-à-dire du parti national \ et quel est , après Dieu , celui que
Jeanne appelle son seigneur et son roi ? Le roi de France. — C'est la mar-
que irrécusable de sa nationalité. Que si Ton en veut la preuve directe et pour
elle et pour son pays, on la trouvera dans des pièces authentiques. On la trou-
vera dans son procès : dans sa propre déclaration et dans l'enquête ordonnée
par ses juges. On la trouvera, avant son procès, dans deux actes de Charles^'! 1 :
dans les lettres d'anoblissement, où elle est dite « de Domremy , au bailliage
de Chaumont » ^Champagne', et dans celles oij, en reconnaissance de ses
services et à sa requête, le roi accorde exemption d'impôts [ce qui est bien le
signe de l'empire^ aux lieux qui l'ont vue naître, aux deux villages unis de
Greux et de Domremy.
Les parents de Jeanne étaient de simples laboureurs « de bonne vie et
renommée, » n'ayant, avec leur chaumière, qu'un bien petit patrimoine;
mais, considérés dans leur état, vrais et bons catholiques, et soutenant avec
honneur leur pauvreté. Ils eurent trois fils : Jacques, Jean et Pierre, et deux
filles, Jeanne ou Jeannette et Catherine.
Des deux sœurs, Jeanne était l'aînée. Elle grandit auprès de sa mère,
formée par elle à la religion et au travail : c'est un témoignage qu'elle ne
craignit pas de se rendre à elle-même; car, par ce témoignage, c'est sa
mère qu'elle honorait. « Elle était bonne, simple et douce fille, » dit une
amie de son enfance; « point paresseuse, » ajoute un voisin : et elle tra-
vaillait de bon cœur, tantôt filant, jusque bien avant dans la nuit, aux
côtés de sa mère, ou la remplaçant dans les soins du ménage; tantôt par-
tageant les devoirs plus rudes de son père, pourvoyant à l'étable, allant aux
champs, mettant la main , selon qu'il le voulait, à la herse, à la charrue , et
quelquefois aussi gardant pour lui dans la prairie commune le troupeau du
village, quand le tour en était venu.
« Bonne fille, » c'est le cri de tous; honnête, chaste et sainte, parlant en
toute simplicité, selon le précepte de l'Évangile : « Oui, non; cela est, cela
n'est pas. » — « Sans manque, » sine defectu, voilà tout ce qu'il lui arrivait
d'ajouter à sa parole pour en attester la vérité. Un pur rayon de l'amour
DOMREMY ET VAUCOU LEII RS.
divin illuminait cette vie si occupée, et donnait du charme à ses labeurs. Le
petit jardin de la maison paternelle touchait au cimetière, qui est comme le
jardin d'une église de village. Jeanne usait du voisinage pour aller à l'église
le plus souvent qu'elle le pouvait : elle y goûtait une douceur extrême. On
Fis. '-• — Jeanne travaillait de bon cœur, tantôt filant jusque bien avant dans la nuit, aux côtés de sa
mère, tantôt partageant les devoirs plus rudes de son père. — Sculpture de M. Lefeuvre, à l'Exposition
de 1S75, à Paris.
l'y voyait prosternée devant le crucifix, ou bien les mains jointes, les yeux
levés vers l'image du Sauveur ou de la Vierge sa mère. Tous les matins,
pendant le saint sacrifice, elle était au pied des autels; et le soir, quand la
cloche qui sonnait les compiles la surprenait aux champs, elle s'age-
JEANNF. D'ARC
nouillait, et son âme s'élevait à Dieu. Elle se plaisait à entendre chaque soir
ce commun appel à la prière. Quand le sonneur de l'église ^on le sait de lui-
même) venait à roublier, elle le reprenait, disant que ce n'était pas bien, et
promettait de lui donner des lunes (quelque espèce de gâteaux) pour qu'il se
montrât plus diligent. Elle ne se bornait pas aux devoirs que la religion
prescrit à tout fidèle. Cette jeune fille qui avait accompli de si grandes choses
à dix-neuf ans, est tout entière à ces pratiques naïves de dévotion où les
âmes simples et pures ont tant de charme ù se répandre. A moins d'une
lieue au nord de Domrem}', sur le penchant de l'un des coteaux qui des-
cendent vers la Meuse, il 3- avait un ermitage dédié à Notre-Dame de Ber-
mont. Jeanne aimait à le visiter; et le jour que l'Église a plus spécialement
consacré à Marie, le samedi, vers la fin de la journée, elle se joignait à
d'autres jeunes filles pour y venir prier ensemble et y brûler des cierges :
symbole consacré par l'Église pour rappeler aux fidèles la foi qui veille et
l'amour qui doit brûler pour Dieu.
Jeanne fut donc, dès sa plus tendre enfance, un modèle de piété. Elle
n'avait point, disait le curé, sa pareille au village. Les jeunes gens se mo-
quaient bien un peu de sa dévotion; les jeunes filles en jasaient aussi. Men-
gette, sa petite amie, trouvait elle-même et lui disait qu'elle était trop
pieuse; et ce reproche était pour Jeanne comme un éloge qui la faisait rougir.
Mais sa foi se traduisait en bonnes œuvres. Si peu d'argent qu'elle eût, elle
en avait pour l'aumône. Elle consolait les malades, elle recueillait les pau-
vres, elle leur donnait place au foyer, elle leur cédait même son lit, se-
condée dans sa charité par la religieuse condescendance de ses parents. Aussi
était-elle aimée de tout le monde.
Elle ne cherchait point d'ailleurs à se distinguer des autres, et se mêlait
à ses compagnes dans les fêtes du village. Sur la pente même où s'adosse le
village de Domremy, entre les bords fleuris de la Meuse et la sombre forêt
de chênes, le bois Chesnii, qui en couronnait les hauteurs, il y avait un
hêtre d'une remarquable beauté, « beau comme un lis, n dit l'un des habi-
tants, large, touffu, dont les branches retombaient jusqu'à terre. On l'appe-
lait « Aux loges les Dames, » Ad lobias Dominannn, ou encore « l'Arbre
des Dames. » Autrefois, quand le château de Domremy était encore habi- '
table, les seigneurs et les dames du lieu, avec leurs damoiselles et leurs
DOMREMV Kl" VAUCOULEURS.
suivantes, venaient, au retour du printemps, faire un repas champêtre
sous son ombrage. Peut-être un jour ces joyeuses réunions avaient-elles
amené quelque mystérieuse aventure qui changea de nature et de forme en
passant dans la tradition. Le nom de dames, donné au.v femmes de haut
parage, était aussi le nom donné aux fées dans le langage populaire. On ra-
contait qu'un chevalier, seigneur de Bourlemont, venait y voir une fée,
conversait avec elle. Jeanne Thiesselin, Tune des marraines de Jeanne, avait
entendu dire qu'on le lisait dans un roman '. L'arbre des Dames était
donc aussi l'arbre des Fées. C'étaient les fées qui, dans les anciens temps.
l-ig. i;i.— Dcbris de la chapulle de Notre-Dame de linmiemy, où Jeanne allait prier. Musée de Jeanne
d'Arc, à Domremy. — Cette chapelle avait été restaurée, à la lin du seizième siècle, par Hordal, descen-
dant de Pierre d'Arc, troisième frère de la Pucelle.
venaient danser sous le beau hêtre; on disait même qu'elles y venaient en-
core. Cela n'empêchait pas les habitants de Domremy de faire ce que faisaient
leurs pères. L'arbre était toujours aussi beau. Au printemps, on se rassem-
blait sous sa large voûte de verdure. On l'inaugurait, en quelque sorte,
avec les beaux jours, le dimanche de la mi-carême [Lîetare). En ce jour,
qu'on nommait aussi le dimanche des Fontaines, les jeunes garçons et les
jeunes filles venaient sous l'arbre fameux faire ce qu'on appelait leurs fon-
taines. Ils emportaient, comme provision de la journée, de petits pains faits
exprès par leurs mères, et s'y livraient aux ébattements de leur âge, chantant,
1 Récit en langue vulgaire.
JEANNE D'ARC.
dansant, cueillant des fleurs aux alentours pour en faire des guirlandes dont
ils ornaient les rameaux du bel arbre; puis, quand ils avaient mangé, ils
allaient se désaltérer aux eaux limpides d'une source voisine, tout ombragée
de groseilliers.
Jeanne y venait comme les autres ; Mengette, son amie, dit qu'elle y fut
et y dansa plus d'une fois avec elle. Pourtant elle n'était point danseuse; et
souvent, au milieu de la fête, elle se détournait vers une petite chapelle
élevée au voisinage sur l'un des points les plus riants de la colline, Notre-
Dame de Domremy, et suspendait à l'image de la Vierge les guirlandes
qu'elle avait tressées des premières Heurs des champs .
C'est du milieu d'une vie si calme et si paisible qu'elle fut appelée à
s'armer pour la France.
La mission de Jeanne d'Arc produisit une si complète et si rapide révo-
lution dans les destinées de la France, qu'assurément rien n'est plus digne
de fixer l'attention de l'historien. D'où vient-elle? Jeanne nous dit qu'elle l'a
reçue de Dieu. Est-ce une illusion de son esprit? Jeanne est-elle une mysti-
que? Le mysticisme n'est pas le caractère de son pays, et ses révélations
nettes et précises n'ont rien de commun avec les vagues épanchements des
illuminés de son temps. Ce n'était pas non plus une jeune fille maladive
dont la nature imparfaitement développée la fît sujette aux hallucinations.
Le témoignage d'où on l'a voulu conclure est une simple opinion, un ouï-
dire qui ne prouve que l'e.xtrême délicatesse de sa pudeur; et tous s'accordent
àdéclarerqu'elle était aussi forte que belle: « belle et bien formée; » «grande
et moult belle; » « de grande force et puissance; » d'une force qui n'avait
rien de viril : elle avait la voix douce, une voix de femme, disent ceux qui
l'ont entendue; d'une puissance qui marquait dans la jeune fille l'entier dé-
veloppement de la femme. C'était une âme religieuse dans un corps robuste
et sain.
Ce que le mysticisme n'explique pas, le doit-on rapporter au seul amour
delà patrie? Jeanne assurément n'était pas insensible aux malheurs de son
pays. La vieille querelle des Armagnacs et des Bourguignons partageait,
jusque dans ce coin reculé de la France, les villages, les familles même, et
la haine était vive entre les deux partis. Domremy {Dompnus Remigius),
ancien domaine de l'église métropolitaine de Reims, devenu plus tard un des
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DOMREMY ET VAUCOULEURS. 33
apanages de la seigneurie de Joinville, et rattaché depuis au domaine de la
couronne, était resté fidèle au roi. Tout le monde y était Armagnac, sauf
un seul homme, et Jeanne avoue qu'elle aurait vu sans regret qu'on lui
coupât la tète, « si toutefois c'était la volonté de Dieu. » A Maxey, au con-
traire, tout à côté, sur l'autre rive de la Meuse, les habitants étaient Bour-
guignons, et la lutte s'engageait souvent entre les enfants des deux villages.
Jeanne vit plus d'une fois ceux de Domrcmy revenir de la bataille le visage
meurtri et sanglant. C'était une image de la guerre civile;, mais on n'a pas de
preuve qu'elle ait sévi entre les habitants de ces contrées autrement que par
ces combats d'enfants. On n'y souffrit pas beaucoup plus de la guerre étran-
gère. Cette marche de la Lorraine, aux frontières de l'Allemagne, n'était
pas le chemin des Anglais:, ils l'avaient laissée aux entreprises des Bourgui-
gnons, qui, au nombre de quatre ou cinq cents partisans, ravagèrent le Bar-
rois en 1424, réunirent en 142S (i''' juillet), postérieurement aux premières
démarches de Jeanne [l'i mai), quelques soldats pour attaquer 'V^aucouleurs,
et probablement se séparèrent sans avoir rien tenté. Cette sanglante guerre
paraît s'être réduite, pour les habitants de Domremy, à quelques alertes.
Parfois, à l'approche d'une troupe de p;irtisans, on sauvait les bestiaux
dans l'île formée devant le village par les deux bras de la Meuse. Un jour
même, tous les habitants s'enfuirent à Neufchâteau. Jeanne y suivit ses
parents et demeura quatre à cinq jours, ou mènie quinze jours, avec eux,
chez une honnête femme nommée la Rousse. Après quoi on revin^au vil-
lage, et rien ne dit que ce fut alors ou en pareille circonstance qu'il ait été
brillé. Voilà tout ce que les recherches les plus habiles et les plus minutieuses
ont pu faire découvrir sur la part de Domremy aux malheurs du temps. As-
surément, c'est quelque chose, et il ne faut pas tenir pour nulle l'impression
que Jeanne en put recevoir. Mais, sans aucun doute, si le sentiment des
souffrances que la guerre apporte, si la haine qu'inspire la vue du conqué-
rant, maître du sol natal, avait suffi pour donner un sauveur à la France,
il serait né partout ailleurs.
D'où vient donc la mission de Jeanne d'Arc? Nous ne voulons pas tran-
cher d'avance la question. Notre unique objet, au contraire, est de mettre
en garde contre les explications prématurées. Revenons à la vie de Jeanne.
Écoutons ce qu'elle a dit, et voyons ce qu'elle a fait. L'entière manifestation
JEANNE d'arc. III. — i
JEANNE D'ARC.
de son caractère dans la suite de Thistoire, sa franchise, sa droiture, sa
netteté d'esprit et son parfait bon sens, montreront mieux que toutes les
raisons du monde quelle idée on se doit faire de sa personne, quelle foi on
peut avoir en ses discours.
LE DEPART.
Le récit de la vocation de Jeanne d'Arc ne nous est pas venu par la tradi-
tion populaire : si merveilleux qu'il paraisse, il ne fait pas Tobjet d'une lé-
gende. C'est Jeanne elle-même qui parle : ce sont ses juges qui ont fait
écrire ses paroles dans la rédaction officielle de son procès.
Elle raconte qu'à Fàge de treize ans (cela reporte à l'an 1425) elle eut une
voix de Dieu qui l'appela. C'était un jour d'été, à l'heure de midi, dans le
jardin de son père. La voix se lit entendre d'elle à la droite, du côté de l'é-
glise, et une grande clarté lui apparut au même lieu; et rarement depuis
elle entendit la voix sans qu'elle vît en même temps cette lumière. La pre-
mière fois elle eut grand'peur; mais elle se rassura, elle trouva que la voix
était digne : et elle déclare à ses juges qu'elle lui venait de Dieu. A la troi-
sième fois, elle connut que c'était la voix d'un ange.
C'était, comme elle le sut plus tard, l'archange saint Michel. Il se fit voir
à elle entouré de la troupe des anges : « Je les ai vus des yeux de mon corps
aussi bien que je vous vois, disait-elle à .ses juges-, et lorsqu'ils s'en allaient
de moi je pleurais, et j'aurais bien voulu qu'ils me prissent avec eux. »
L'ange, dans ces premières apparitions, ne faisait que la préparer à son
œuvre : il lui disait de se bien conduire, de fréquenter l'église, d'être bonne
fille, et que Dieu lui aiderait. Déjà pourtant il lui faisait entrevoir le but de
sa mission. Il lui apprenait qu'un jour il lui faudrait venir en France-, qu'elle
y viendrait au secours du roi ; et il lui racontait la pitié qui était au royaume
de France. Mais que faire pour y porter remède? L'ange ne lui en donnait
point encore le secret; seulement il lui promettait d'autres apparitions plus
familières en quelque sorte et plus intimes. Sainte Catherine et sainte Mar-
guerite devaient venir à elle pour la guider : il lui ordonnait de croire à leurs
paroles, que c'était le commandement de Dieu. Et dès ces premiers temps,
les saintes lui apparurent et commencèrent à gouverner sa vie.
DOMRKMY ET VAUCOULEURS.
33
Aux premières marques de cette vocation divine, Jeanne se donna tout
entière à Dieu en lui vouant sa virginité. Elle vivait dans le commerce de
ses saintes, ne changeant rien d'ailleurs à sa manière de se conduire. On la
voyait bien quelquefois quitter ses compagnes, se recueillir comme si elle
Kl g. I (. — L archange ^atnt Michel se fait voir à Jeanne, entt>urê J une trouj^e d'anges : " Je les ai vusJcs
yeux de mon corps aussi bien que je vous vois, disait-elle plus tard à ses juges de Rouen ; et lorsqu'ils
s'en allaient de moi, je pleurais, et j'aurais bien voulu qu'ils me prissentavec eux. « — L'artiste a figuré
en face de saint Michel le léopard anglais. Bas-relief de M. Foyatier, à Paris, xn^ siècle.
était devant Dieu, et les autres s'en moquaient. Mais nul ne sut ce qui se
passait en elle, pas même celui qui l'entendait en confession. Elle garda la
chose secrète, non qu'elle se crût obligée à la taire, mais pour se mieu,\ as-
surer du succès quand le temps viendrait de l'accomplir : car elle craignait
les pièges des Bourguignons, elle craignait les résistances de son père.
36
JEANNE D'ARC.
Cependant les périls s'étaient accrus. Tandis que tout manquait à Char-
les MI, qu'on l'engageait à se retirer en Dauphiné, qu'il songeait lui-même
à chercher un asile soit en Espagne, soit en Ecosse, Bedford venait de raf-
fermir ses alliances sur le continent, et Salisbur}' passait en France pour
porter enfin la guerre au cœur des paj-s demeurés fidèles au roi national. Les
apparitions de Jeanne lui venaient plus fréquentes. Deux et trois fois par
semaine, la voix lui répétait qu'il fallait partir et venir en France; et un
jour enfin il lui fut ordonné d'aller à Vaucouleurs auprès de Robert de Bau-
Fig. i5. — Sainte Catherine et sainte Marguerite, annoncées à Jeanne par Tarchange saint Michel, lui
apparaissent et commencent à gouverner sa vie.— Bas-relief de M. Vilal-Dubray, à Orléans, xis' siècle.
dricourt, capitaine du lieu, qui lui donnerait des gens pour partir avec elle.
Partir, quitter sa mère, ses jeunes amies, ses paisibles travaux, pour se
jeter en pareille compagnie dans cette vie de hasards, c'était chose qui devait
troubler étrangement cette âme simple et recueillie. Elle disait plus tard
qu'elle eût mieux aimé être tirée à quatre chevaux, que de venir en France
sans la volonté de Dieu. Jusque-là, le caractère de sa mission pouvait se
dérober à ses 3'eux dans les ombres de l'avenir et l'attirer par le mystère.
Quand les voix lui disaient qu'il fallait aller au secours de la France, elle se
sentait pleine d'ardeur et d'impatience : « Elle ne pouvait durer où elle était. »
Mais quand les voiles tombèrent, quand le présent se montra avec toutes
les misères, les dégoûts de la réalité, et qu'il fallut partir, elle s'effraya.
DOMREMY ET VAUCOULEURS.
37
Elle répondit qu'elle n'était qu'une pauvre fille qui ne saurait ni monter à
cheval, ni faire la guerre. Mais la voi\ avait parle : elle triompha de ses ré-
pugnances. Et Jeanne, sans étouffer le cri de son cœur, n'eut plus qu'une
pensée : ce fut de concourir de toute sa force à raccomplisscment de la vo-
lonté de Dieu.
Elle alla chez son oncle Durand Laxart, qui demeurait à Burej'-le-Petit
Fig. 16. — Maison de Durand Laxart, oncle de Jeanne, à Burey-le- Petit, distant de deux lieues de Dom-
remy. Etat actuel, d'après une photographie communiquée par M. Edm. I,c Bas, garde-mines à Bar-le-
Duc. — Jeanne s'ouvrit à son oncle de ses projets, et lui demanda de la conduire au sire de Baudricourt,
(Burey-en-"Vaux), non loin de Vaucouleurs, comme pour passer quelque
temps près de lui ; et au bout de huit jours elle s'ouvrit à lui de ses projets.
Elle lui dit qu'elle voulait aller en France vers le dauphin pour le faire cou-
ronner. Comme il s'étonnait de son dessein : « N'est-il pas dit, ajouta-t -elle,
qu'une femme perdrait la France et qu'une jeune fille la relèverait? « Et
quand elle le vit ébranlé, elle le pria de venir avec elle à Vaucouleurs pour
3S JEANNE D'ARC.
demander au sire de Baudricourt de la faire conduire au lieu où était le
dauphin.
Il se rendit à sa prière, et la mena à Vaucouleurs vers le temps de l'As-
cension ( 1 3 mai 1428). Elle se présenta dans ses habits de paysanne au sire
de Baudricourt, qu'elle distingua parmi les siens sans l'avoir jamais vu :
« Mes voix, dit-elle, me le firent connaître; » et elle lui dit qu'elle venait
de la part de son Seigneur, afin qu'il mandât au dauphin de se bien tenir et
de ne point assigner bataille à ses ennemis, parce que le Seigneur lui don-
nerait secours avant le milieu du carême. Elle disait que le royaume n'ap-
partenait pas au dauphin, mais à son Seigneur; mais que son Seigneur vou-
lait que le dauphin devînt roi et qu'il eût ce ro\-aume en commende ; qu'en
dépit de ses ennemis il serait roi, et qu'elle-même le conduirait au sacre.
« Et quel est ton Seigneur? dit Robert.
— Le Roi du ciel. »
Le sire de Baudricourt l'estima folle, et l'aurait volontiers livrée aux
grossiers ébats de ses soldats. Il crut la ménager fort en disant à son oncle
qu'il ferait bien de la ramener à son père bien souffletée.
Elle revint à Burey |car ses voix lui avaient prédit cet affront '> et de là
dans la maison de son père, reprenant ses occupations accoutumées, mais
toujours ferme dans sa résolution; et on aurait pu la deviner à plusieurs
paroles. Peu de temps après son retour, la veille de la Saint-Jean-Baptiste,
elle disait à un jeune garçon de son village qu'il y avait entre Coussey et
Vaucouleurs ( Domremy est entre les deux) une jeune fille qui, dans l'an-
née, ferait sacrer le roi. Une autre fois elle disait à Gérardin d'Epinal :
« Compère, si vous n'étiez Bourguignon, je vous dirais quelque chose. »
Il crut alors qu'il s'agissait de mariage. Des bruits, d'ailleurs, avaient pu
revenir de son voyage à ^'aucouleurs. Elle dit dans son procès, que pen-
dant qu'elle était encore chez son père, il avait rêvé qu'elle s'en irait avec les
gens d'armes. Sa mère lui en parla plusieurs fois et se montrait, comme son
père, fort préoccupée de ce songe : aussi la tenait-on dans une plus grande
surveillance, et le père allait jusqu'à dire à ses autres enfants : « Si je pen-
sais que la chose advînt, je vous dirais : Noyez-la ; et si vous ne le faisiez,
je la noierais moi-même. » On essaya quelque moyen moins violent de la dé-
tourner de ces pensées. On voulut la marier : un homme de Toul la de-
JEANNE D'ARC.
manda, et comme elle refusait, il l'assigna devant l'officialité, prétendant
qu'elle lui avait promis mariage; mais elle parut devant le juge et confondit
son étrange adversaire.
Cependant, le temps qu'elle avait marqué approchait. Jeanne voulut
faire la démarche décisive. Son oncle s'y prêta encore; il se rendit à Dom-
rem\', et, alléguant les soins que réclamait sa femme nouvellement accou-
chée, il obtint des parents de Jeanne qu'elle la vînt servir. Elle partit sans
prendre autrement congé de ses parents. Dieu avait parlé : « Et quand j'au-
rais eu, disait-elle à ses juges, cent pères et cent mères et que j'eusse été
fille de roi, je serais partie. » Néanmoins elle leur écrivit plus tard pour leur
demander pardon. Avec ses parents, elle laissait derrière ellcdcbien chères
compagnes. Elle vit en partant la petite iMengette, et s'en alla, la recom-
mandant à Dieu. Quant à Hauviette, l'amie de son enfance, aurait-elle pu
lui cacher la cause réelle de son départ : Elle aima mieux lui laisser igno-
rer son voyage et partit sans la \'oir. Hauviette, dans sa déposition, dit
comme elle en a pleuré.
Jeanne reparut à A'aucouleurs dans son pauvre habit de paysanne, une
robe grossière de couleur rouge, et revit le sire de Baudricourt sans se faire
mieux accueillir. Mais elle ne se laissa plus congédier. Elle prit domicile
chez la femme d'un charron ; Henri le Royer), et demeura trois semaines, à
diverses fois, dans sa maison, toujours simple, bonne fille et douce, filant
avec elle, et se partageant entre ces travaux familiers et la prière. Un témoin,
qui était alors enfant de cnœur de Notre-Dame de A'aucouleurs, déposa
qu'il la voj'ait souvent dans cette église : « Elle y entendait, dit-il, les messes
du matin et y demeurait longtemps en prière, ou bien encore elle descen-
dait dans la chapelle souterraine, et s'agenouillait devant l'image de Marie,
le visage humblement prosterné ou levé vers le ciel. » L'objet de son voyage
n'était plus un mystère pour personne : elle disait hautement (son hôte, qui
l'entendit, en dépose; qu'il fallait qu'elle allât trouver le dauphin; que son
Seigneur, le roi du ciel, le voulait ; qu'elle venait de sa part, et que, dût-
elle V aller sur ses genoux, elle irait.
Plusieurs des hommes d'armes qui , sans doute , l'avaient entendue de-
vant le sire de Baudricourt, voulurent la revoir. Jean de Nouillonpont, ap-
pelé aussi Jean de Metz , l'un d'eux, la vint trouver chez le charron et lui dit :
DOMREMY ET VAUCOULEURS.
« Ma mie, que faites-vous ici ? Faut-il que le roi soit chassé du royaume,
et que nous devenions Anglais ? »
Elle répondit :
Fig. i8 et 19. — Statues de la Vierge devant lesquelles Jeanne d'Arc a prié. A gauche, celle de l'ermitage
dédié il Notre-Dan:ie de Bermont, situé à une lieue de Domremy. Jeanne s'y rendait le samedi , vers In
fin delà journée.— A droite, la Vierge, dite Notre-Dame des Voûtes, anciennement dans la chapelle
souterraine de l'église Sainte-Marie deVaucouleurs, et présentement dans l'église paroissiale. Cette der-
nière a été mutilée en 1793. Les deux mains brisées de la Vierge sont restituées. L'Enfant Jésus détruit
n'a pas été refait.
« Je suis venue ici, à chambre de roi (dans une ville royalel, parler à
Robert de Baudricourt pour qu'il me veuille mener ou faire mener au roi.
Mais il ne prend souci ni de moi ni de mes paroles. Et pourtant, avant le
milieu du carême, il faut que je sois devers le roi, quand je devrais user
JEANNE D ARC. III.
42 JEANNE D'ARC.
mes jambes jusqu'aux genoux; car nul au monde, ni rois, ni ducs, ni fille
du roi d'Ecosse, ni aucun autre ne peut recouvrer le royaume de France;
et il n'y a point de secours que de moi : et certes j'aimerais bien mieux filer
auprès de ma pauvre mère, car ce n'est point mon état; mais il faut que
j'aille et que je le fasse, parce que mon Seigneur veut que je le fasse.
— Qui est votre Seigneur? dit Jean.
— C'est Dieu. »
Le brave soldat, mettant ses mains dans les siennes, jura par sa foi que,
Dieu aidant, il la mènerait au roi, et lui demanda quand elle voulait
partir.
« Plutôt maintenant que demain, plutôt demain qu'après, » dit-elle.
Un autre, Bertrand de Poulengy, s'engagea, comme .lean de Metz, à la
conduire.
Après ccsadhésions publiques le sire de Baudricourt ne pouvait plus pren-
dre la chose avec autant d'indifférence. Jeanne lui avait fait part de ses révé-
lations; mais fallait-il l'en croire, et même alors qu'en fallait-il croire? Sicile
avait des visions, d'où venaient-elles? Pour éclaircir ce point, le capitaine la
vint trouver un jour chez le charron, ayant avec lui le cure : le curé, revêtu
de son étole, se mit en devoir de l'e.xorciser, lui disant que s'il y avait ma-
léfice, elle se retirât d'eux, sinon qu'elle s'approchât. Jeanne s'approcha du
prêtre et se mit à ses genoux, — toujours humble , mais gardant dans sa
soumission même toute sa liberté de juger. Elle dit après , qu'il n'avait pas
bien fait, puisqu'il l'avait entendue en confession : il devait donc savoir si
c'était l'esprit malin qui parlait par sa bouche. — Comme l'épreuve n'était
pas de nature à dissiper les doutes du capitaine , Jeanne lui cita la prophétie
populaire : Qu'une femme perdrait la France et qu'une jeune fille la sauve-
rait. On disait dans le pays, « une jeune fille des marches de Lorraine ;» et
la femme de Henry le Royer, témoin de la scène, en demeura vivement
frappée; car elle avait ouï cette tradition que Jeanne s'appliquait. Mais Ro-
bert de Baudricourt doutait encore.
Cependant Jeanne était pressée de partir ; «. Le temps , dit le même té-
moin, lui pesait comme à une femme qui va être mère. » Et tous, excepté
le sire de Baudricourt, semblaient conspirer avec elle. Les deux hommes
d'armes qui s'étaient offerts à la conduire avaient pris sur eux les frais du
DOMREMY ET VAUCOULEURS.
43
voyage; le menu peuple, qui de plus en plus croj-ail en elle, y voulut con-
courir aussi. Pour s'en aller parmi des hommes de guerre, il lui fallait
prendre leur habit. Les gens de Vaucouleurs se chargèrent de Féquiper. Ils
lui donnèrent ce qui composait en ce temps le costume militaire : gippon ou
justaucorps, espèce de gilet; chausses longues liées au justaucorps par des
m '
1-1
- Dtpait di. JeannL d An. de \ auLOuleurs, Il .3 ti.vrn.i 1429. Dapies un bab 1 elief en bois
de o"',40 de largeur sur 0™, 44 de hauteur; sculpture du xv" siècle. Communiqué parM.J. Desnoyers,
membre de Tlnstitut.
aiguillettes-, tunique ou robe courte tombant jusqu'aux genoux ; guêtres
hautes et éperons, avec le chaperon, le haubert, la lance, et le reste. Un
autre aida son oncle à lui acheter un cheval. Déjà tout à Tentour il n'était
bruit que de la Pucelle, de ses révélations; et le duc de Lorraine , qui était
malade, la voulut voir et lui envoya un sauf-conduit. Elle se rendit à son
44
JEANNE D'ARC.
appel, ne voulant négliger aucun moyen qui pût servir à son voyage. Jean
de Metz l'accompagna jusqu'à Toul; elle continua la route avec son oncle
et se présenta devant le duc. Le duc la consulta sur sa maladie. S-ilon un
témoin qui prétend le tenir d'elle-même, elle lui dit qu'il se gouvernait mal
et ne guérirait pas s'il ne s'amendait; et elle l'exhorta à reprendre » sa bonne
femme, » dont il vivait séparé. Dans le procès, Jeanne se borne à dire que,
consultée par le duc , elle déclara ne rien savoir sur sa maladie , et qu'elle lui
Fig. 21. — Porte de France à Vaucouleurs. État actuel, d'après une photographie. — Suivant une tradition
conservée dans le pays, c'est par cette porte que Jeanne sortit, le 23 février 1429, pour se rendre auprès
du roi.
exposa en peu de mots l'objet de son voyage, ajoutant que s'il lui voulait
donner son fils et des gens d'armes pourla mener en France, elle prierait Dieu
pour sa santé. Le duc évita de s'engager à ce point dans l'affaire, mais il la
congédia avec honneur, et lui donna, dit-on, un cheval et de l'argent'.
1 Le cheval acheté par son onclccoûta 16 francs. Cettesommcpeutêtreregardée comme lepriid'uncheval
ordinaire. Dans l'extrait des comptes de Hémon Raguier, on trouve qu'il a été payé pendant la campa-
gne du sacre à M. de Rosiers, de Provins, 3o 1. t. pour deux chevaux ; un cheval donné à Jeanne à Soissons
coûta JS 1. 10 s., un autre à Senlis, 13; 1. 10 s. (Ms. Gaignières, n»77a, f" 55S et 55g.) L'an 1529, la livre
Pra'.on'i'K -''"-P F:rjTiin-I)idol i!<C''Parii
LA PROPHÉTIE DE MERLIN
.. I.'ne uietyi- meiiiira ,/ortf //■ c/u'vnl foulera le dos des archers. ■< Otle prophétie est rappeler par Oirisline de Pisaii
IVinture de M. Kavinond Balze, à Paris
4b JEANNE D'ARC.
Après avoir mis à profit cette excursion , pour aller à deux lieues de
Nanc}', faire ses dévotions à Saint-Nicolas, but fameux de pèlerinage,
elle revint à Vaucouleurs. Son départ ne pouvait plus être différé. Le
sire de Baudricourt, soit qu"il eût pris l'avis de la cour de Bourgogne,
soit qu'il dut céder à l'entraînement qui se manifestait autour de lui,
n'essaya plus d'y faire obstacle. On dit que le jour où se donna la bataille
de Rouvray ij'ournée des Harengs, Jeanne le vint trouver et lui dit:
« En nom Dieu (au nom de Dieu : c'est sa manière d'affirmer depuis
le commencement de sa mission ">, en nom Dieu, vous mettez; tardez) trop
à m'envover : car aujourd'huy le gentil ^ noble) dauphin a eu assez près
d'Orléans un bien grand dommage; et sera il taillé (il est en péril)! encore
de l'avoir plus grand, si ne m'envoyez bientôt vers lui. » Il céda, et dès le
lendemain, premier dimanche de carême v i3 février 1429)!, elle put se dis-
poser à partir avec sa petite escorte, savoir : Jean de Metz et Bertrand de
Poulengy, Jean de Honnecourt et Julien, leurs servants, et deux autres,
Colet de Vienne, messager du roi, et Richard l'archer. Plusieurs s'eflVa3'aient
de voir Jeanne s'aventurer en si petite compagnie : six hommes armés,
c'était assez pour la signaler à l'ennemi, trop peu pour la défendre. Mais
Jeanne n'avait pas sa confiance dans le secours des hommes. Ce n'était point
une armée qu'elle était venue chercher à Vaucouleurs. Elle dissipait ces
craintes, elle disait avec assurance qu'elle avait son chemin ouvert , et que si
elle rencontrait des hommes d'armes sur sa route. Dieu son seigneur lui
fraj'erait la voie jusqu'au dauphin qu'elle devait faire sacrer : « C'est pour
cela, disait-elle, que je suis née. » Le sire de Baudricourt vit la petite
troupe au départ; il recommanda aux compagnons de Jeanne de lui faire
bonne et sûre conduite. Il lui donna, à elle, uneépée, et, doutant jusqu'à la
fin, il la congédia en disant : « Allez donc, allez, et advienne que pourra! »
(i3 février 1429.)
valut en avril, 5 fr. 64 c; en mai, 5 fr. 49 c. ; en juin, 3 fr. y5 c. ; en novembre, 9 fr. 22 c. , valeur intrin-
sèque. La valeur relative élèverait fort sensiblement ces prix; mais ici les bases d'évaluation sont très-in-
certaines.
;as-reliefs de la statue de l
Œuvre en bronze de > '
DEPART DE JEANNE D ARC DE VA
Jeanne se mit en chemin accompagne'e de Jean de Metz, de Bertrand de Poulengy et de quatre hommes d'armes. Ceta
chargés de l'équiper. Le sire de Baudricourt lui donna une épée, et, doutant
JEANNE ENTRE A ORLEANS, Ll
Le peuple était accouru à sa rencontre, portant des torches et manifestant une aussi grande joie «que
ou de la bourgeoisie d'Orléan.'
PLACE DU MARTROl, A ORLEANS.
it;il-Dubrav. xix'' siccle.
lU L E U R s , LE I J FEVRIER I 4 2 (J .
eu pour la défendre ; mais elle disait avec assurance qu'elle avait le chemin ouvert. Les gens de Vaucouleurs s'e-taient
u'ii la tin, il la congédia en disant : « Allez donc et advienne que pourra ! o
) AVRIL 1429. i,Voir page 74. ;
avaient vu Dieu descendre parmi eux » : Plusieurs nobles seigneurs et des hommes de la garnison
ient venns lui taire cortège.
Ornement tiré d'n
II
ORLÉANS
L'Epreuve. — L'Entrée à Orléans. — La Délivrance d'Orléans.
L EPREUVE.
E voyage de Vaucouleurs à Chinon , où se
trouvait la cour, était déjà, pour la mission
de Jeanne, comme une première épreuve.
Tout le pays était au.\ Anglais et aux Bour-
guignons : il fallait éviter leur rencontre
et passer plusieurs rivières, la Marne,
TAube, la Seine, TYonne, dans une sai-
son où la crue des eaux ramenait presque
forcément les voyageurs aux villes ou aux
ponts gardés par eux. Ils allèrent ainsi
pendant onze jours, marchant le plus com-
munément la nuit. Jeanne n'approuvait pas ces mesures d'une prudence
tout humaine. Elle eijt voulu s'arrêter au moins chaque jour dans quelque
village, pour rendre à Dieu ses devoirs accoutumés. « Si nous pouvions
entendre la messe, leur disait-elle, nous ferions bien. » Mais se montrer
semblait un péril tant que l'on était en paj's ennemi. Ils ne cédèrent que
deux fois à ses désirs : une fois peut-être dans l'abbaye de Saint-Urbain,
f^jî où l'on passa la nuit, et l'autre fois dans la principale église d'Auxerre.
JEANNE D'ARC.
Jeanne, à son tour, condescendit, pour tout le reste, à leur manière de
la conduire; mais elle leur rappelait les autres guides qu'elle avait au
ciel. Quand ils lui demandaient si elle ferait ce qu'elle avait annoncé, elle
leur disait de ne rien craindre, qu'elle ne faisait rien que par comman-
dement, et que ses frères du paradis lui disaient tout ce qu'elle avait à faire.
Jeanne, pour ses compagnons, n'était déjcà plus de la terre. Pendant ce
voyage, quoiqu'on marchât la nuit, on s'arrêtait néanmoins pour prendre
du repos. Jeanne couchait au milieu d'eux , renfermée dans son habit
d'homme. Mais ce vêtement , qu'elle avait adopté par pudeur, n'était point
sa seule sauvegarde en cette compagnie d'hommes de guerre. Tel était
l'ascendant qu'elle avait pris sur eux, que les plus jeunes, loin de songer
à lui rien dire ou faire qui put l'offenser, affirment qu'ils n'ont même
jamais eu la pensée du mal auprès d'elle : ils étaient comme enflammés de
l'amour divin qui était en son âme, et devenaient chastes et purs par la
contagion de sa sainteté.
Ils passèrent la Loire à Gicn, et parvinrent à Sainte-Catherine-de-Fier-
bois. en Touraine, où Jeanne, par honneur pour la patronne du lieu,
l'une de ses deux patronnes, et comme pour compenser les p'rivations
qu'elle avait acceptées durant la route, entendit jusqu'à trois messes le
même jour. Depuis qu'on n'avait plus à craindre une surprise de l'ennemi,
ses compagnons ne cachaient plus l'objet de son voyage. De Gicn , la nou-
velle était venue aux habitants d'Orléans qu'une bergerette, nommée la
Pucelle, accompagnée de quelques nobles de Lorraine, avait passé, disant
qu'elle venait faire lever le siège de leur ville et mener le roi à Reims pour
qu'il y fût sacré. Du hameau de Sainte-Catherine, elle-même écrivit, ou,
plus exactement, fit écrire au roi, pour lui demander la permission de l'aller
trouver à Chinon. Elle lui mandait qu'elle avait fait cent cinquante lieues
pour lui venir en aide; qu'elle savait plusieurs bonnes choses qui le tou-
chaient : et, pour lui donner comme un premier gage de sa mission, elle
déclarait qu'elle le saurait distinguer parmi tous les autres.
Le bruit de son voyage avait sans doute devancé sa lettre à Chinon, et la
petite cour qui s'agitait autour de Charles "VII l'avait fort diversement
accueilli. La position du roi devenait chaque jour plus critique; sa détresse
était extrême : son trésorier déclarait qu'il n'avait pas quatre écus en caisse.
ORLEANS.
tant de l'argent du prince que du sien. Le roi ne savait plus que faire pour
.sauver Orléans, et, Orléans pris, rien n'était sur pour lui au midi même
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X
Fig. 23. — Yolande d'.Vragon, reine de Sicile, bellc-meie Je Charles VU. Yolande éiait l'âme du pary
national en France. — D'aprésla remarquable publication de M. E. Hucher, les Vitraux du Mans. .vv« s.
de la Loire. Il en était réduit à se demander en quel pays il chercherait
un refuge : en Dauphiné, ou même au delà des monts, en Castille? La
reine de Sicile, mère de la reine, et ceux qui gémissaient de l'état des
5o JEANNE D'ARC.
affaires, étaient disposés à tout risquer pour sortir de cet abînie; au con-
traire, rhomme en faveur, la Trémouille, craignait par-dessus tout un
cliangement de conduite qui pouvait soustraire le prince à son influence,
en le tirant de cette torpeur. Pour un tel homme, le succès même était
un péril. Mais pouvait-on refuser de voir au moins celle qui promettait de
si grandes choses? On lui permit donc de venir, et, sur la route, il paraît
qu'on lui tendit une embuscade : c'était une manière aussi de la mettre à
répreuve ! L'épreuve réussit mal : ceux qui la voulaient prendre demeu-
rèrent, dit un témoin de Poitiers, comme cloués au lieu où ils étaient.
Jeanne \int donc à Chinon (6 mars} -, mais elle voulait parler au roi :
nouvel obstacle à vaincre. Fallait-il aller jusqu'à compromettre le prince
dans une entrevue avec une tille des champs, que l'on pouvait, sur les
rumeurs populaires, soupçonner d'être folle ou pis encore? C'est ce qu'on
agita dans le conseil. Plusieurs la virent, et la pressèrent de dire à eux-
mêmes ce qu'elle se réservait dédire au roi. Elle parla-, mais, en l'écou-
tant, ils s'affermirent dans la pensée que le roi ne devait point l'entendre.
D'autres même croyaient qu'il le devait d'autant moins, qu'elle se disait
envoj'ée de Dieu; et les ecclésiastiques furent consultés sur ce point. Tout
bien examiné, ceux-ci ne crurent pas qu'il y eut lieu d'empêcher le roi de la
recevoir : mais, comme ces scrupules n'étaient pour plusieurs que des
prétextes, une semblable décision ne sulîisait point à les dissiper; et quand
Jeanne vint au château, elle rencontra de nouveaux obstacles dans le
conseil. Cependant la raison finit par triompher : on allégua au roi que
Jeanne venait à lui avec une lettre de Robert de Baudricourt ; on lui dit les
périls qu'elle avait affrontés et dissipés comme par miracle pour arriver
jusqu'à sa résidence. C'était le dernier espoir des habitants d'Orléans; ils
avaient envoyé une ambassade au roi à la nouvelle de ce secours inespéré;
leurs députés étaient là, attendant la décision du prince. Et Jeanne n'avait
pas seulement pour elle la lettre, très-froide, sans doute, du sire de Bau-
dricourt : elle avait ses compagnons de route. Les deux hommes qui avaient
cru en elle dès son séjour à Vaucouleurs, s'étaient sentis bien mieux affer-
mis dans leur foi, après l'épreuve de ce voyage; mandés au conseil, ils y
parlèrent avec toute la chaleur de leur conviction, et persuadèrent.
Après deux jours d'attente, Jeanne fut donc introduite au château par le
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ORLEANS.
comte de Vendôme. Elle se présenta simplement et avec assurance. « Elle
fit les inclinations et révérences accoutumées de faire aux rois, ainsi que si
elle eut été nourrie en la cour, » dit Jean Chartier. « Le roi, continuc-t-il,
pour la mettre à l'épreuve, s'était confondu parmi d'autres seigneurs plus
pompeusement vêtus que lui, et quand Jeanne, qui ne l'avait jamais vu,
le vint saluer, disant : « Dieu vous donne bonne vie, gentil roi! — Je ne
(( suis pas le roi, dit-il : voilà le roi; » et il lui désignait un des seigneurs.
Mais Jeanne répondit : « En nom Dieu, gentil prince, vous l'êtes, et non
'( un autre. " Et, abordant l'objet de sa mission , elle lui dit que Dieu l'en-
Fii;. 24-. — Jeanne d'Arc introduite au château de Chinon; Bas-relief de M. N'it.U-Dubray, à Orléans. —
Jeanne distingue le roi confondu parmi les seigneurs, et, faisant les révérences accoutumées, lui dit :
« Gentil roi, Dieu m'envoie pour vous aider et secourir. «Quelques jours après, elle lui dit encore : «Dieu
a pitié de vous, de votre royaume et de votre peuple, car saint Louis et Charlemagne sont ù genoux
devant Lui en faisant prière pour vou'^. »
voyait pour lui aider et secourir; elle demandait » qu'il lui baillât gens, «
promettant de faire lever le siège d'Orléans, et de le mener sacrer à Reims.
Elle ajoutait « que c'étoit le plaisir de Dieu que ses ennemis les Anglois s'en
« allassent en leur pays; que le pays lui devoit demeurer, et que, s'ils ne
« s'en alloient , il leur mescherroit » (arriverait malheur).
Parmi les princes que le favori n'avait point écartés de la cour, se
trouvait le jeune duc d'Alençon. Pris à Verneuil (1424), il avait résisté à
toutes les séductions mises en ceuvre pour l'attirer à la cause de Henri VI;
et il avait dû paver sa fidélité à Charles VII par une captivité de trois ans
JEANNE D'ARC.
et une rançon qui le ruinait '. Dans les loisirs que le roi faisait aux siens, il
s'en était allé non loin de là, à Saint-Florent-le;^-Saumur, et j' passait le
temps, chassant aux cailles. Ayant su par un de ses gens Tarrivée à
Chinon d'une jeune fille qui se disait envoyée de Dieu pour expulser les
Anglais et faire lever le siège d'Orléans, il s'y rendit, et il entra comme elle
parlait au roi. Charles l'ayant nommé à Jeanne : « Soyez le très-bienvenu,
dit-elle : plus il y en aura ensemble du sang royal de France, mieux en
sera-t-il. « Le lendemain elle fut à la messe du roi, et, le prince l'ayant
prise à part avec Alençon, qui le raconte, et la Trémouille, elle lui fit plu-
sieurs requêtes ; elle lui demandait « de donner son royaume au Roi des
cieux, et que le Roi des cieux, après cette donation, ferait pour lui comme
pour ses prédécesseurs, et le rétablirait dans son ancien État. »
Mais qui était-elle pour parler avec cette autorité? et quel signe donnait-
elle de sa mission? L'heureuse issue de son voyage pouvait bien, après
tout, n'être pas un si grand prodige, et le fait d'avoir reconnu le roi sans
ra\oir jamais vu, fournir des armes à ceux qui ne voulaient voir dans tout
cela qu'une tritfferie (tromperie). Au lieu de la foi, elle rencontrait même,
non- seulement le doute, mais quelquefois l'outrage. Le jour qu'on la pré-
senta au château, un homme à cheval la voyant entrer : « Est-ce là la
Pucelle? « dit-il, et il raillait grossièrement sur son titre, reniant Dieu.
« Ah ! dit Jeanne , tu le renies, et tu es si près de ta mort ! » Avant qu'il
fût une heure, l'homme tombait à l'eau et se noyait.
Ceux qui étaient les plus favorables ne savaient qu'attendre et voir encore.
Le roi l'avait donnée en garde à Guillaume Bellier, son lieutenant à Chinon,
dont la femme était de grande dévotion et de bonne renommée. En même
temps qu'il envoyait dans son pays natal des religieux chargés de s'informer
secrètement de sa vie, il la faisait paraître devant sa cour-, il la soumettait
à l'examen des gens d'Eglise : et elle savait garder en toute rencontre la
même aisance, la même fermeté; parlant avec assurance de sa mission,
soit devant la Trémouille, soit devant les évêques, et montrant, au besoin,
que dans cette carrière des batailles où elle voulait ramener le roi, elle-
même saurait faire bonne figure. Un jour, après le dîner, le roi étant allé
se promener dans la prairie, elle y courut, la lance au poing, et de si bonne
1 Sa rançon aval tété de i2o,oooécu5; mais il lui en coûta 200,000 (pi us de deux mil lions de notre monnaie.
OR [.F. ANS.
53
manière que le duc d'Alençon, charme, lui donna un cheval. Les épreuves
se continuaient jusque dans la demeure qui lui avait été assignée. De grands
personnages la venaient voira la tour du fort du Coudrav, attenante nu
Fig. 25. — N'iie Je la clicimbre du château de Chinon où Jeanne fut reçue par le roi, le 8 mars 1428.
Portefeuille Gaigniires, au Cabinet des estampes, à Paris.
château même, et elle répondait à leurs questions. Mais, quand clic était
seule, elle priait et pleurait.
Un jour enfin elle vint trouver le roi et lui dit : « Gentil Dauphin, pour-
quoi ne me croyez-vous? Je vous dis que Dieu a pitié devons, de votre
JEANNE D'ARC.
royaume et de votre peuple : car saint Louis et Charlemagne sont à genoux
devant Lui, en faisant prière pour vous; et je vous dirai, s'il vous plaît,
telle chose qu'elle vous donnera à connoître que me devez croire. » Et elle
lui dit « une chose de grande conséquence qu'il avoit faite bien secrète,
dont il fut fort ébahi : car il n'y avoit personne qui le pijt savoir que Dieu
et lui. » «■ Ce qu'elle lui a dit, nul ne le sait, écrit Alain Chartier peu de
mois après juillet 1429), mais il est bien manifeste qu'il en a été tout
rayonnant de joie, comme à une révélation de l'Esprit saint. »
Qu'était-ce donc que ce signe ? Jeanne elle-même est convenue du fait
devant ses juges ; et elle confirme les derniers témoignages allégués , en disant
" qu'elle ne pense pas que personne ait été avec le roi, quoiqu'il y eût
bien des gens assez près. » >Lais. en même temps, elle déclara qu'elle n'en
voulait rien dire. Elle persista longtemps dans ce refus, protestant que , sur
ce point, on n'aurait pas d'elle la vérité; et, d'autant plus pressée qu'elle
se récusait davantage, elle finit par se dérober à ces instances par le biais
que ses juges mêmes semblaient lui offrir en l'interrogeant sur l'ange qui
avait apporté une couronne au roi : bruit populaire qu'elle accueillit comme
exprimant sa mission sous le voile d'une allégorie fort transparente. Par
cette allégorie qu'elle expliqua plus tard, elle dépista ses juges : le signe
leur demeura donc caché; car c'était le secret du roi. Mais une parole avait
été entendue dans cette conversation entre elle et lui : parole d'une singu-
lière autorité, et dont l'accent put frapper les oreilles de ceux qui se tenaient
non loin du prince : « Jeté dis , de la part de Messire , que tu es vray héri-
tier de France et fils du roy. » Cette parole, reproduite en français, parmi
les autres déclarations de Jeanne, dans la déposition de Pasquerel , son
aumônier, reçut plus tard une explication inattendue , et se trouve rattachée
au signe dont il s'agit par les confidences mêmes du roi. Le sire de Boisv,
qui, dans sa jeunesse, avait été l'un des chambellans les plus familiers de
Charles VII , a raconté en effet à Pierre Sala, comme le tenant du roi lui-
même, qu'un. jour, au temps de ses plus grandes adversités, ce prince,
cherchant vainement un remède à tant de maux, entra un matin, seul,
dans son oratoire, et que là, sans prononcer une parole, il fit à Dieu , du
fond de son cœur, cette requête : Que s'il était vrai héritier, issu de la
maison de France ' ce doute était possible avec la reine Isabeau" , et que le
EPISODES
L'HISTOIRE DE CHARLES VII ET DE JEANNE D'ARC.
I. — Comment les Anglais se moquaient et appelaient Charles
le roi de Bourges.
Charles VII , cherchant en vain un remède aux maux qui l'accablaient, entra
un matin seul dans son oratoire, et là, sans prononcer une parole, lit à Dieu, du
tond de son cœur, cette requête : que s'il était vrai héritier, issu de la maison
de France, et que le royaume lui dût justement appartenir^ il plût à Dieu de le
lui garder et défendre, sinon, de lui faire la grâce d'échapper sans mort ou
prison, et qu'il se pût sauver en Espagne ou en Ecosse. — C'est cette prière
connue de Dieu seul que la Pucelle rappela plus tard à Charles VII.
II. — Comment la Pucelle vint par devers le Roi au château de Chinon.
Jeanne, arrivée au terme de son voyage , fut logée au château de Coudray , à
une lieue de Chinon. C'est là qu'après bien des hésitations , le comte de
Vendôme vient la chercher pour l'introduire auprès du roi. Elle est suivie de
ses deux fidèles compagnons de route, Jean de Metz et Bertrand de Poulengy.
III. — Comment la Pucelle et les Français vinrent devant Pa)-is.
Jeanne assure que Paris sera pris s'y l'on continue le siège. Elle donne l'ordre
d'apporter des fagots qu'elle fait jeter dans le fossé, pour y établir un passage.
\)m\
EPISODES DE L HISTOIRE DE CHARLES Vil ET DE JEANNE D ARC
MiluHlures des l'uftlei du roi Charles Vil . manusri-il IV ii° ")054- . daté lie IW4 . a l<i Bilihi>lhec|uf tialionali-
Voii- lex^ilicatioii ci-corti-f
ORLEANS.
55
ro^'auinc lui dût justement appartenir, il plût à Dieu de le lui garder et
défendre, sinon, de lui faire la grâce d'échapper sans mort ou prison, et
qu'il se pût sauver en Espagne ou en Ecosse, où il voulait, en dernier
recours, chercher un refuge. — C'est cette prière connue de Dieu seul que
kl Pucelle rappela à Charles VII : et on s'explique maintenant la joie qu'au
dire des témoins il manifesta, sans que personne en sût alors le motif.
Jeanne, par cette révélation, n'avait pas fait seulement qu'il crût en elle;
Kig. 2li. — Tour de la chapelle du château
de Chinon. xiii" siècle.
Fig. 27. — Tour de rhorlogc du château
de Chinon. Fin du xiv* siècle.
État actuel, d'après les photographies de M, Giard, à Port-Boulet.
elle faisait qu'il crût en lui-même, en son droit, en son titre. « Je te dis
(jamais Jeanne n'a parlé au roi de la sorte : c'est quelque chose de supérieur
qui parle par sa bouche) , je të dis, hE la part de Messire, que tu es vray
HÉRITIER DE FrANCE ET FILS Dl" ROY. »
Ce n'était point assez : il fallait que personne n'eût le droit de révoquer
en doute sa mission ou d'en suspecter l'origine. Le roi , comme les autres,
à cet égard, avait besoin, même après cette révélation, d'être rassuré. Il
ne précipita rien; il résolut de mener Jeanne à Poitiers, où était le par-
lement , où siégeait le conseil , où se trouvaient réunis plusieurs des
56 JEANNE D'ARC.
membres de l'Université de Paris, restés fidèles. Il voulait lui faire subir
une épreuve plus solennelle, mettre en lumière non-seulement le lait, mais
la source même de son inspiration, et donner à la résolution qu'on pren-
drait la sanction des hommes les plus autorisés dans l'Église et dans l'Etat.
Jeanne partit donc, et quand elle sut où on la menait : « En nom Dieu,
dit-elle, je sais que j'y aurai bien allaire : mais Mcssire m'aidera. Or, allons
de par Dieu. »
Elle vint à Poitiers, et fut, comme à Chinon , confiée à la garde de l'une
des plus honorables familles de la cité , celle de Jean Rabateau, avocat
général au parlement. L'archevêque de Reims , Regnault de Chartres , chan-
celier de France, et l'un des principaux chefs du parti dominant, d'accord
avec les membres du conseil, convoqua les évêques présents et les docteurs
les plus renommés entre ceux qui avaient suivi la fortune de Charles VII :
Gérard Machet, évêque de Castres, confesseur du roi; Simon Bonnet,
depuis évêque de Senlis ; l'évêque de Maguelonne et l'évèque de Poitiers;
maître Pierre de Versailles, depuis évêque de Meau.x, et plusieurs autres ,
au nombre desquels le dominicain frère Seguin , à qui l'on doit le récit le
plus étendu de ces conférences'. On leur dit qu'ils avaient commission du
roi pour interroger la Pucelle et en faire leur rapport au conseil; et, au
lieu d'appeler Jeanne devant eux, on les envoya vers elle, chez maître
Jean Rabateau.
Dès qu'elle les vit entrer dans la salle, elle alla s'asseoir au bout du banc,
et leur demanda ce qu'ils voulaient. Ils lui dirent qu'ils la venaient trouver
parce qu'elle avait dit au roi que Dieu l'envoyait vers lui; et ils lui remon-
trèrent, « par belles et douces raisons , » qu'on ne la devait pas croire.
« Ils y furent , dit la Chronique , plus de deux heures , où chacun d'eux parla
sa fois; et elle leur répondit , dont ils étoient grandement ébahis, comme une
si simple bergère , jeune fille , pouvoit ainsi répondre. » Nous n'avons plus
les procès-verbaux de ces conférences, tenues par des hommes défiants sans
doute (c'était leur devoir), mais sincères : actes auxquels Jeanne, dans son
1 II faut joindre à Ceux que nous avons nommés : Jordan Morin, député du duc d'Alençon; Jean Lom-
bard, professeur de théologie à l'Université de Paris; Guillaume Lcmaire ou Lemarié, chanoine de Poi-
tiers; Guillaume Aymeri, professeur de théologie de l'ordre des frères Prêcheurs; frère Pierre 'rurlure,
autre dominicain; maître Jacque Madclon; Mathieu Ménage; Procès, t. UI, p. ly (Fr. Garivel); p. 74
(Gob. Thibault); p. 92 (Alençon); p. 2o3 (Seguin).
ORLEANS.
"ig, 28.— Palais des comtes de Poitou, aujourd'hui Palais de justice de Poiticis. xiv= siècle. État actuel.
— En 1422, Charles VII y fut proclamé roi. Suivant une tradition locale, les docteurs charge'sde cons-
tater la vérité de la mission de Jeanne, et qui allèrent interroger la Pucelle chez maitre Jean Raba-
teau, se réunirent aussi dans le palais des comtes de Poitou. — « Je ne sais ni A ni B, leur dit-elle,
étant chez maître Jean Rabateau; mais je viens de la part du Roi des deux pour faire lever le siège
d'Orléans et mener le roi à Reims, afin qu'il y soit couronné et sacré. » .
JKANNK d'arc. III. — 8
58 JEANNE D'ARC.
procès, renvoie plusieurs fois en toute assurance, et où Ton trouverait les
libres effusions de son âme, recueillies sans réticence et sans altération.
Mais, à défaut de ce monument qui a péri de bonne heure, il reste une sorte
d'écho fidèle encore, quoique plus lointain, de sa parole, dans les dépo-
sitions de deux témoins : Gobert Thibault, écuyer du roi, et frère Seguin,
docteur en théologie.
Dans la première visite, après diverses questions sur elle, sur sa famille,
sur son pays , Jean Lombart lui ayant demandé qui l'avait poussée à venir
vers le roi, elle lui dit ses visions, comme ses voix lui avaient appris la
grande pitié qui était au royaume de France, et qu'il fallait qu'elle y allât.
A ces paroles, elle s'était mise à pleurer; mais la voix avait commandé. Et
elle racontait comment elle avait entrepris ce voyage, accompli, parmi tant
d'obstacles, en toute sûreté, selon qu'il lui était prédit.
« Jeanne, lui dit Guillaume Aymeri, vous demandez gens d'armes, et
dites que c'est le plaisir de Dieu que les Anglois laissent le royaume de
France et s'en aillent en leur pays. Si cela est, il ne faut point de gens
d'armes, car le seul plaisir de Dieu peut les déconfire et faire aller en leur pays.
— En nom Dieu , reprit Jeanne, les gens d'armes batailleront, et Dieu
donnera victoire. »
Maître Guillaume avoua que c'était bien répondu.
Alors Seguin, un « bien aigre homme, >< dit la Chronique, voulant savoir
que penser de ses voix , lui demanda quelle langue elles lui parlaient.
« Meilleure que la vôtre , « répondit-elle.
Il parlait limousin.
« Croyez-vous en Dieu ? dit le docteur visiblement blessé.
— Mieux que vous , répliqua Jeanne sur le même ton.
— Eh bien! reprit Saguin, Dieu défend de vous croire sans un signe qui
porte à le faire; » et il déclara que, pour sa part, il ne donnerait point au
roi le conseil de lui confier des gens d'armes et de les mettre en péril sur sa
simple parole.
— « En nom Dieu, répliqua Jeanne, je ne suis pas venue à Poitiers pour
faire signes; mais menez-moi à Orléans, et je vous montrerai les signes
pour quoi je suis envovée. Qu'on me donne si peu de gens qu'on voudra,
j'irai à Orléans. »
ORLÉANS. 59
Le frère Seguin, si aigre homme que le dise la Chronique, a eu du moins
la bonhomie de nous garder ces traits sans leur rien ôter de ce qu'ils avaient
de piquant pour lui-nicme , moins soucieux de son amour-propre que de la
vérité.
L'examen se prolongea pendant trois semaines, et Jeanne en témoigna
parfois son impatience. Le jour que vint Gobcrt Thibault, en compagnie
de Jean Érauh et de Pierre de Versailles, la Pucelle, voyant entre les deux
docteurs Técuyer du roi, qu'elle avait sans doute rencontré à Chinon, lui
frappa familièrement sur l'épaule, et lui dit « qu'elle voudroit bien avoir
plusieurs hommes d'aussi bonne volonté. » Puis, s'adressant à Pierre de
Versailles :
« Je crois bien, dit-elle, que vous êtes venu pour m'interroger : je ne sais
ni A ni B; mais je viens de la part du Roi des cieux pour faire lever le siège
d'Orléans, et mener le roi à Reims, afin qu'il^y soit couronné et sacré. «
Et ensuite :
Avez-vous du papier, de l'encre ? » dit-elle à Jean Erault. « Écrivez ce
que je vous dirai : " Vous, Suftbrt, Classidas et la Poule, je vous somme
ce par le Roi des cieux que vous en alliez en Angleterre. »
La lettre, écrite alors, se retrouvera en original à l'époque où elle eut
enfin acquis le droit de l'envoyer aux Anglais.
On ne l'interrogea point seulement sur ses révélations : on la fit surveiller
par des femmes dans sa manière de vivre, on l'interrogea sur sa croyance.
Car ses visions fussent-elles constantes, il fallait savoir d'où elles venaient :
si elles venaient du diable, on était convaincu qu'il se trahirait par quelque
mot malsonnant touchant la foi. Jeanne sortit tout aussi heureusement de
ces épreuves. Elle n'avait pas compté en vain sur Celui dont elle disait aux
docteurs : « Il y a es livres de Notre-Seigneur plus que es vôtres. » Malgré
ces vivacités de langage contre la science des docteurs, ils l'admiraient et
confessaient qu'elle leur avait répondu avec autant de prudence que si elle
eût été un bon clerc. Plusieurs crurent sincèrement à son inspiration. Le
confesseur du roi et d'autres voyaient en elle celle qu'annonçait une pro-
phétie (la prophétie de Merlin, sans doute, alléguée, en ce temps même,
dans les vers de Christine de Pisan). Jean ÉrauIt, cherchant à la révélation
de Jeanne un appui dans une autre, cita à l'assemblée ce que l'on rappor-
6o JEANNE D'ARC.
tait de Marie d'Avignon. On disait que cette femme, renommée alors par
ses prédictions, était venue jadis trouver le roi, et lui avait communiqué ses
visions sur la prochaine désolation de la France. Elle avait vu quantité
d'armes ; elle avait craint que ce ne lui fut un signe d'aller à la guerre. Mais
elle avait été rassurée : il lui avait été dit que ce signe ne la touchait pas-,
qu'une pucelle viendrait après elle, qui porterait ces armes et délivrerait la
France de l'ennemi. Jean Erault ne doutait point, pour sa part, que Jeanne
ne fût la pucelle prédite.
Sans aller aussi loin, les docteurs ne laissèrent pas de conclure en faveur
de Jeanne. Ils louaient le roi de n'avoir, dans cette nécessité pressante du
royaume, ni rejeté la Pucelle, ni cru trop légèrement à ses promesses; mais
de l'avoir éprouvée en cherchant dans sa vie et en demandant à ses actes la
preuve qu'elle était envoyée de Dieu. Sa vie, disaient-ils, a fait l'objet d'une
enquête sérieuse : Jeanne, pendant six semaines, a été gardée par le roi, vi-
sitée par toutes sortes de personnes ; et l'on n'a rien trouvé en elle, que
« bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplesse. » Son signe,
c'est devant Orléans qu'elle prétend le montrer. Puisque la première preuve
est faite, il ne faut pas refuser la seconde qu'elle offre ; il faut la mener à
Orléans : car la délaisser sans apparence de mal, « ce seroit répugner au
Saint-Esprit et se rendre indigne de l'aide de Dieu. » Les matrones firent
leur rapport à leur tour. La reine de Sicile, les dames de Gaucourt et de
Trêves attestèrent que Jeanne était digne de porter son surnom populaire,
et dès lors la démonstration était complète : car on n'admettait pas que
l'âme pure d'une vierge eût commerce avec le démon.
Le peuple, pour croire en elle, n'avait pas demande tant d'épreuves. Les
plus incrédules ne résistaient point à l'accent de sa parole : tel qui, en ve-
nant, déclarait ses promesses pures rêveries, ne s'en allait pas sans avouer
que c'était une créature de Dieu; et plusieurs en revenant pleuraient à
chaudes larmes. Jeanne avait gagné tous les suffrages. Les hommes d'église
rendaient témoignage à sa vertu et à sa foi ; les hommes de guerre s'émer-
veillaient de la façon dont elle parlait sur le fait des armes; et les dames et
les demoiselles ne s'étonnaient pas moins de trouver une simple jeune fille
dans celle qui faisait l'admiration des hommes de guerre et des docteurs.
Elle qui, sous les armes, semblait égale aux plus habiles par sa tenue, par
ORLEANS.
Fig. 20. — Église de Sainte-Catherine de Fierbois, où fut trouvée l'Jpéc marquée de cinq croix que
Jeanne, sur l'ordre de ses patronnes, y fit chercher derrière l'autel. L'église actuelle a été rebâtie sur
l'emplacement de l'ancienne, par Charles VII et Louis XI, en mémoire de la Pucelle. — D'après une
photographie de M. Giard, à Port-Boulet.
ses discours, elle se retrouvait, quand elle avait dépouillé le harnois, ce
qu'elle était dans son village, « moult simple et peu parlant, » toujours
JEANNE D'ARC.
pieuse et recueillie, priant dans le secret, et accueillant avec bonté les
hommes de toute condition que la curiosité attirait autour d'elle, mais prin-
cipalement les femmes. Elle parlait si doucement et si gracieusement,
dit la Chronique, qu'elle les faisait pleurer. Elle s'excusait auprès d'elles de
l'habit qu'elle portait : et les femmes surtout la devaient comprendre. L'ha-
bit d'homme, qui effaroucha tant la pudeur du tribunal institué par les
Anglais, n'excita pas les mêmes scrupules parmi les évèques et les docteurs
du parti de Charles VII. Il n'en est pas dit un mot dans ce qui est resté de
l'enquête de Poitiers ; et si la question s'y posa , elle fut résolue par le bon
sens, comme elle l'a été dans la consultation que l'archevêque d'Embrun
envoya au roi, peu de temps après la délivrance d'Orléans, sur les actes de
la Pucelle : '< Il est plus décent, dit le prélat , de faire ces choses en habit
d'homme, puisqu'on les doit faire avec des hommes. »
Le roi ne différa plus. Il l'envoya à Tours (vers le 20 avril), et lui com-
posa toute une maison militaire. Les deux plus jeunes frères de Jeanne
(Jean et Pierre) l'étaient .venus rejoindre-, ses deux guides, Jean de Metz et
Bertrand de Poulengy, ne l'avaient point quittée. Le roi les maintint dans
sa compagnie. Il lui donna pour maître d'hôtel, ou chef de sa maison mili-
taire, Jean d'Aulon, honnête écuyer ^ pour pages, Louis de Contes, qui
s'était déjà trouvé près d'elle à la tour du Coudrai, et un autre du nom de
Raimond ; de plus, quelques varlets, deux hérauts d'armes. Un religieux
augustin, frère Jean Pasquerel, connu de ceux qui avaient amené Jeanne à
Chinon, lui fut présenté par eux et devint son aumônier. Le roi fit faire à la
Pucelle une armure complète et lui donna des chevaux pour elle et pour
ses gens. Mais à l'épée qu'il lui offrit, elle en préféra une qu'elle semblait
tenir de ses patronnes. Sur son indication (nous redisons ce qu'elle en rap-
porte\ on alla dans la chapelle de Sainte-Catherine de Fierbois , et l'on
trouva derrière l'autel, à une petite profondeur, une épée marquée de cinq
croix, toute couverte de rouille. La rouille céda facilement, et l'épée fut en-
voyée à Jeanne avec deux fourreaux magnifiques, l'un de velours vermeil,
l'autre de drap d'or : elle s'en fit faire un autre de cuir fort, pour l'usage
ordinaire. On lui fit, d'après les instructions qu'elle donna , un étendard
en linon, brodé de soie, au champ d'argent (blanc) semé de lis-, on
y voyait, sur la face, avec l'inscription jesus .vi.\.r[.\, l'image de Dieu assis
ORLEANS.
63
sur les nuées du ciel, portant le monde dans sa main, et de chaque enté un
ange lui présentant une fleur de lis qu'il bénissait; et sur le revers, l'écu de
France, tenu par deux anges. Elle s'était fait faire en outre un pennon, sorte
de petite bannière, où était peinte une Annonciation -, la Vierge et l'ange un
'ig. _io. — C.iailes \ II investit Jeanne d All. Ju LommanJement de 1 armée. Jeanne tient en main 1 lIl
dard, qui était le signe du commandement général. — Bas-relief de M. Foyatier, à Paris, xix" siècle.
lis à la main. Elle aima son épée; mais, comme elle le dit en son procès, elle
aimait quarante fois plus son étendard. Car ce drapeau, bien plus que
son épée, était pour elle le signe et l'instrument de la victoire. Jamais elle
ne tua personne. Pour ne point s'y e.xposer dans la bataille, elle abordait
l'ennemi l'étendard à la main.
64 JEANNE D'ARC.
ENTREE A ORLEANS.
Il n'y avait plus de temps à perdre, si l'on voulait sauver Orléans. Les
Anglais achevaient leurs bastilles ; ils avaient fortifié par de nouveaux bou-
levards et relié par des fossés leurs positions à l'ouest et au nord de la place
;^dc la fin de mars au i5 avril), et ils s'établissaient à l'est dans les bastilles
de Saint-Loup (lo mars) et de Saint-Jean le Blanc (20 avril). Le blocus
allait donc se resserrant chaque jour, et l'on devait compter de moins en
moins à l'intérieur sur ces arrivages, en quelque sorte furtifs, qui, échappant
à l'ennemi grâce à leur médiocrité même, renouvelaient de temps à autre
les ressources des assiégés. C'était d'une tout autre sorte et dans d'autres
proportions que Jeanne voulait ravitailler la place. Son concours étant enfin
accepté, on prépara un grand convoi de vivres. La reine de Sicile, qui était
l'âme du parti national , fut chargée de le réunir à Blois, avec le duc d'A-
lencon, Ambroise de Loré et l'amiral Louis de Culan. L'argent manquait :
le roi en sut trouver, cette fois; et bientôt Jeanne vint elle-même à Blois en
la compagnie de Regnault de Chartres, archevêque de Reims, chancelier de
France, et du sire de Gaucourt, chargés sans doute de donner les derniers
ordres pour le départ. Le maréchal de Boussac et le seigneur de Rais, in-
vestis du commandement, y vinrent très-peu après, avec la Hire, Poton de
Xaintrailles, et tous ceux qui devaient faire l'escorte. Dans son procès
Jeanne n'é\'alue pas à moins de 10 ou i 2,000 hommes le nombre des gens
que lui donna le roi. Le procès-verbal peut être suspect ici d'inexactitude,
sinon d'altération. Les Anglais avaient intérêt à grossir le nombre des
troupes qui leur firent lever le siège. Dunois, dans sa déposition, dit que l'es-
corte ne lui avait point paru assez nombreuse pour aller droit à travers les
Anglais, lesquels n'étaient pas dix mille hommes, divisés entre les deux rives
de la Loire. Monstrelet, un ennemi, en réduit le nombre à sept mille -, Eber-
hard de Windecken, un écrivain désintéressé, et qui paraît assez bien ren-
seigné ici, à trois mille : on ne saurait le faire descendre plus bas.
Avant d'engager la lutte, Jeanne essaya de la prévenir, marquant du
signe de la paix le premier acte de sa mission; car sa mission, c'était aussi
LES ENSEIGNES DE JEANNE D'ARC
Jeanne d'Arc avait trois enseignes : l'Etendard, le Pennon, la Bannière.
L'Etendard et le Pennon étaient le signe du commandement général. Jeanne se
déclara investie de ce commandement en vertu de sa mission : « Je suis envoyée de
par Dieu Je suis chef de guerre. » — L'Étendard (drapeau étendu) servait à rallier
l'armée; le Pennon, de petite dimension, servait à réunir autour de Jeanne les com-
battants choisis qui se tenaient près de sa personne '.
La Bannière de Jeanne était un signe purement religieux, qu'elle avait fait faire
pour grouper ceux qu'on pouvait appeler ses convertis -. Ces pillards, ces écorcheurs,
qu'elle avait su transformer en soldats chrétiens, se réunissaient sous cette bannière
pour les exercices religieux que Jeanne avait introduits dans l'armée.
.Aucun document figuré d'une exactitude et d'une authenticité parfaites ne nous a
transmis l'image de l'une ou l'autre de ces enseignes, exécutées sur l'ordre et d'après
les indications de Jeanne, conseillée par ses voix célestes. Mais des textes précis et
concordants, dont les principaux ne sont autre chose que les réponses mêmes de la
Pucelle à ses juges, laissent peu de prise à l'erreur.
Les trois enseignes de Jeanne représentaient des sujets religieux. On voyait sur
l'Étendard les mots Jésus, M.\ria, et Dieu assis sur l'arc-en-ciel, bénissant une fleur de
lis que lui présentait un ange. Cet étendard était garni et entoure d'une frange de soie,
et le champ ou le fond en était blanc, semé de fleurs de lis d'or. Sur le Pennon était
peinte une Annonciation, et sur la Bannière figuraient Jésus crucifié, la Vierge et
saint Jean. Nous avons la certitude que l'étendard était de toile blanche, très-grosse et
lustrée, qu'on connaît encore sous le nom de bougran [eratque coloris albi de tela alba
vel boucassino. Procès, l, p. 78'.
Les textes prouvent également qu'un certain nombre de pennonceau.v de même
couleur, dont plusieurs étaient semés de fleurs de lis, furent alors portés dans l'armée
française, à l'imitation des enseignes de la Pucelle et comme une multiplication de son
étendard et de son pennon.
Le souvenir de Jeanne et l'influence de la couleur adoptée par elle, laquelle couleur
était déjà depuis deux siècles au moins celle de la croi.v de France portée sur l'habit
militaire, et transportée de son temps ou un peu avant elle sur les étendards français,
ce souvenir et l'influence de cette couleur furent probablement l'origine de la valeur
du blanc comme couleur symbolique de la France. La miniature reproduite ci-contre
au-dessous des enseignes de la Pucelle est empruntée au manuscrit, exécuté pour
Charles VIII, des Vigiles de Charles VII, œuvre de Martial d'Auvergne (ms. fr., 5o54,
fol. 33 \°j. Cette miniature représente la France en prière aux pieds delà sainte Trinité.
La France est figurée par une jeune femme, vêtue d'une tunique blanche semée de
fleurs de lis d'or, et accompagnée de deux acolytes qui portent des tuniques bleues
fleurdelisées. Cette allégorie conduit à penser qu'à l'époque où fut exécuté le manuscrit
des Vigiles, le blanc avait décidément pris le pas sur le bleu, qui depuis Philippe-
Auguste avait été considéré comme la couleur de la royauté et de la nation françaises.
On pourrait donc rattacher à l'influence de Jeanne d'Arc la valeur de jour en jour
plus grande que prit, à partir de son époque, le drapeau blanc, qui, enseigne suprême
de commandement militaire de Charles "VU à François I", drapeau de guerre de la
France de François l" à Henri IV, devint, sous ce dernier prince, le drapeau national
proprement dit.
Le pennon du général d'armée ne doit pas être confondu avec !e pennon du simple geniillionuiie servant
sous un chevalier banneret. Quoique la forme en fiit la même, l'emploi en était différent : l'un était une enseigne
personnelle, une sorte de blason flottant ; l'autre une enseigne de commandement, et comme un dédoublement
de l'étendard. Le pennon de Jeanne était de ce dernier genre.
La bannière proprement dite était la marque de commandement du banneret qui avait sous ses ordres un
certain nombre de chevaliers ; mais, par analogie, on avait donné ce nom aux enseignes portées dans les
cérémonies religieuses, et dont l'usage remonte à une haute antiquité.
a p^ i ù<o}j çinxi^Ucc pav fmruc(.
' •- ' .-.': Imt' Fraillsrv
I Lestnseu/nejiiù- Jauirie tl'Arc Sm miUeu,rEtrndapiiag'aui:lie.lePeimon;a droite. la Baimiere(Ess<u de RcstauKxUoui..
ï . .'l/lét/orie rie la France eti prière. }&s. fr. a° 505i. daté de IWi- a la Biblioth. nat .
ORLEANS. 65
la paix aux hommes de bonne volonté. Mais comment obtenir de la bonne
volonté des Anglais ce que réclamait le droit de la France à être libre?
Jeanne ne s'en crut pas moins obligée à leur envoyer ce message , dont les
termes ont été gardés textuellement.
« Jhesus Maria,
« Roi d'Angleterre, et vous duc de Bethfort qui vous dites régent le royaume
de France; Guillaume Lapoule (Pôle), comte de Suffort (Sutfolk), Jehan, sire
de Thalebot (Talbot), et vous, Thomas, sire d'EscalIes (Scaies), qui vous dites
lieutenans dudit de Bethfort, faites raison au Roi du ciel de son sang royal ;
rendez à la Pucelle cy envoyée de par Dieu le Roi du ciel, les clefs de toutes les
bonnes villes que vous avez prises et violées en France. Elle est venue de par
Dieu, le Roi du ciel, pour réclamer le sang royal; elle est toute preste de
faire paix, si vous lui voulez faire raison, par ainsi que France vous mettez sur
(rendez ) et paiez de ce que l'avez tenue. Entre vous, archers, compagnons de
guerre gentils, et autres qui estes devant la bonne ville d'Orliens, allez-vous-en,
de par Dieu, en vos pays ; et si ainsi ne le faites, attendez les nouvelles de la
Pucelle qui vous ira voir brièvement à vostre bien grand dommage. Roi d'An-
gleterre, si ainsi ne la faites, je suis chef de guerre, et en quelque lieu que j'at-
taindrai vos gens en France, je les en ferai aller, veuillent ou non veuillent; et
s'ils ne veulent obéir, je les ferai tous mourir, et s'ils veulent obéir, je les pren-
drai à merci. Je suis cy venue de par Dieu, le Roi du ciel, corps pour corps,
pourvous bouter hors de toute France, encontre tous ceux qui voudroient porter
trahison, malengin ni dommage au royaume de France. Et n'ayez point en
vostre opinion, que vous ne tiendrez mie (que vous tiendrez jamais) le royaume
de France de Dieu, le Roi du ciel, tils de sainte Marie, ains (mais) le tiendra le
roi Charles, vrai héritier; car Dieu, le Roi du ciel, le veut ainsi, et lui est
révélé par la Pucelle : lequel entrera à Paris en bonne compagnie. Si vous ne
voulez croire les nouvelles de par Dieu de la Pucelle, en quelque lieu que nous
vous trouverons, nous ferrons (férirons, frapperons) dedans à horions, et si
(ainsi) ferons un si gros hahaye, que encore a mil années (il y a mille ans) que
en France ne fut fait si grand, si vous ne faites raison. Et croyez fermement que
le Roi du ciel trouvera [ou envolera) plus de force à la Pucelle que vous ne lui
sauriez mener de tous assauts, à elle et à ses bonnes gens d'armes; et adonc
verront lesquels auront meilleur droit, de Dieu du ciel ou de vous. Duc de
Bethfort, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous faites pas
destruire. Si vous faites raison, encore pourrez venir en sa compagnie l'où que
les François feront le plus beau fait qui oncques fut fait pour la chrestienté. Et
JEANNE d'abc. 111. — 9
JEANNE D'ARC.
faites réponse en la cité d'Orliens, si vous voulez faire paix ; et si ainsi ne le
faites, de vos bien grands dommages vous souvienne brièvement.
« Escrit le mardi de la semaine sainte.
« De par la Pucelle. »
Et au-dessus : « Au duc de Bethfort, soi-disant régent le royaume de France,
ou ù ses lieutenans estans devant la ville d'Orliens. »
Cette lettre, datée du -2 2 mars et probablement écrite à Poitiers, ne fut
sans doute adressée au.\ Anglais qu'après que Jeanne fut agréée de
Charles VII; peut-être seulement quand elle vint à Blois. Elle fut ac-
cueillie d'eu.x avec insulte. Ils ne se bornèrent point à des outrages envers
la Pucelle , ils allèrent jusqu'à une violation du droit des gens sur son mes-
sager : ils le retinrent , et ils n'attendaient pour le brûler que l'avis de l'Uni-
versité de Paris.
Jeanne n'avait donc plus de ménagements à garder envers eux. Pendant
qu'on prenait les dernières dispositions pour le départ, elle s'y préparait
elle-même à sa manière. Indépendamment de son étendard, elle avait
fait faire une bannière où était peinte l'image de Jésus en croix; et chaque
jour, matin et soir, des prêtres se rassemblaient alentour pour chanter les
hymnes de Marie. Jeanne y venait, et elle eut souhaité que tous y fussent
avec elle : mais nul homme d'armes n'y était admis qu'il ne fût en état de
grâce, et Jeanne les engageait à se confesser aux prêtres qui étaient là, tout
disposés à les entendre. Au moins voulut-elle qu'avant de partir chacun
mît ordre à sa conscience. « Elle leur fit ostcr leurs fillettes. » Il n'3' avait
point de place pour elles dans une armée conduite par la Pucelle, sous
l'invocation de la Vierge , Mère de Dieu.
La congrégation qu'elle avait formée autour de cette pieuse bannière fut
son avant-garde, lorsque le jeudi 28 avril elle sortit de Blois pour aller à
Orléans : c'était elle qui ouvrait la marche, au chant du l 'eiii Crcalor. Jeanne
eût voulu qu'on marchât droit sur Orléans par la rive où la ville s'élève. On
passait à travers les plus fortes bastilles des Anglais; mais on arrivait sans
autre obstacle', et elle avait déclaré que les Anglais ne bougeraient pas.
Toutefois les capitaines de Charles VII ne pouvaient point fonder leur plan
de campagne sur cette assurance, que Talbot, Sufiolk et les Anglais, mai-
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68 JEANNE D'ARC.
très des positions, laisseraient passer entre leurs mains, sans tenter de le
prendre , un convoi de vivres dont ils pouvaient eux-mêmes si bien faire leur
profit. Ils résolurent donc de suivre la rive gauche (côté de la Sologne),
laissant le fleuve entre leur troupe en marche et les principaux établissements
de Tennemi. De ce côté, en décrivant un cercle , on évitait les bastilles occu-
pées par les Anglais aux abords du pont d'Orléans, et , en passant la Loire
au-dessus de leurs dernières positions, on pouvait revenir vers la ville par
la rive droite, à travers une plaine moins garnie de bastilles. La marche se
fit ainsi. On trompa la simple jeune fille sur la vraie position d'Orléans; on
traversa le pont de Blois, et l'on passa devant Baugency et Meun , sans que
l'ennemi, qui occupait ces places, fît rien pour inquiéter le convoi. On cou-
cha en rase campagne (Jeanne , qui ne voulut pas quitter ses armes, en fut
toute meurtrie) , et on gagna Olivet , derrière les bastilles anglaises de la rive
gauche. Jeanne put reconnaître alors comme on s'était joué de son igno-
rance. Elle était devant Orléans, mais séparée de la ville par la rivière.
Elle en fut vivement affectée. Elle eût voulu au moins ne s'en pas éloigner
davantage, et sans prétendre forcer, dès l'arrivée, les bastilles qui défen-
daient l'accès du pont, elle demandait qu'on attaquât la plus occidentale et
la plus isolée, celle de Saint-Jean le Blanc ; les Anglais s'y attendaient si
bien, qu'ils en rappelèrent la garnison aux Augustins et aux Tourelles,
croyant la position trop faible pour être défendue. Mais les autres jugèrent
le lieu trop rapproché de l'ennemi pour y tenter le passage , et ils se dirigè-
rent vers l'île aux Bourdons, devant Cliécy (à deux lieues d'Orléans), où ils
trouvaient le double avantage d'embarquer le convoi plus sûrement et de le
débarquer en lieu plus commode.
La ville d'Orléans attendait avec anxiété l'issue de l'entreprise. On ne
doutait pas que les Anglais ne fissent tout pour la traverser. Il fut ordonné
que chacun fût sous les armes, prêt à agir; et Dunois vint avec quelques
autres rejoindre le convoi, comme il se trouvait à la hauteur de l'église
Saint- Loup , au lieu dhport du Boiischet , pour aviser aux meilleurs moyens
de lui faire passer le fleuve et de l'introduire dans la ville. Le chose n'était
pas si facile encore. Il fallait des bateaux : on ne pouvait les faire venir que
d'Orléans, sous le feu des bastilles ennemies, et le vent était contraire.
Jeanne était moins touchée de ces difficultés que du parti qu'on avait pris
ORLEANS. 6q
d'en éviter par là de plus grandes, au risque de montrer, dès le début de
l'entreprise, si peu de confiance en elle et surtout si peu de foi en Dieu.
« Etes-vous le bâtard d'Orléans? dit-elle à Dunois quand il l'aborda.
• — Oui, et je me réjouis de votre venue.
— Est-ce vous, reprit-elle sans autrement répondre au compliment, qui
avez donné le conseil de me faire venir ici par ce côté de la rivière , et non
pas directement où étaient Talbot et les Anglais? »
Dunois répondit que lui et de plus sages que lui avaient donné ce conseil ,
croyant mieux faire et plus sûrement.
« En nom Dieu, s'écria Jeanne, le conseil de Messire > Dieul estplussûr
et plus sage que le vôtre. \^ous m'avez cuidé (pensé j décevoir et vous vous
êtes déçus vous-mêmes , car je vous amène le meilleur secours que eut
oncques chevalier, ville ou cité; et c'est le plaisir de Dieu et le secours du
Roi des cieux; non mie pour l'amour de moi , mais il procède purement de
Dieu. Lequel, à la requête de saint Louis et saint Charles le Grand, a eu
pitié de la ville d'Orléans, et n'a pas voulu souffrir que les ennemis eussent
le corps du duc d'Orléans et sa ville. »
En ce moment sa parole sembla se confirmer par un signe : le vent
changea tout à coup; les bateaux purent venir d'Orléans. On v plaça la
charge du convoi, blé, vivres et bœufs, puis la flottille redescendit le tleuve
comme elle l'avait remonté, par le chenal de la rive gauche (c'était alors le
principal) , s'engagea entre l'île Saint- Loup et l'île Saint-Aignan , depuis île
aux Toiles, et atteignit la pointe orientale d'Orléans, où on la déchargea.
Mais les mo\'ens manquaient pour faire passer tous les hommes de la
même sorte. Un pont de bateaux eut été difficilement établi, car la Loire
était haute. Point d'autre passage que le pont de Blois, d'où l'on venait.
Plusieurs proposèrent donc de les y reconduire; Dunois se bornait à prier
Jeanne de venir avec lui dans la ville ce soir même : car Orléans eut cru ne
rien avoir, recevant les vivres sans elle. Jeanne en fut très-irritée. Elle ne
savait se décider ni à laisser partir les siens ni à les suivre : car elle ne venait
pas seulement ravitailler Orléans, mais la sauver. Or elle avait là des
hommes préparés comme elle l'avait voulu, >> bien confessés, pénitents, et
de bonne volonté : » — « En leur compagnie, disait-elle, je ne craindrais
pas toute la puissance des Anglais; » — et elle redoutait qu'une fois
JEANNE D'ARC.
partis , leur troupe ne vînt à se dissoudre. « Il v en avait, en effet, dit Jean
Charrier, qui faisaient dilficulté de mettre tant de gens en ladite ville,
pour ce qu'il 3' avait trop peu de vivres : » on eut craint sans doute cà la cour
d'être obligé de refaire bientôt les frais d'un nouveau convoi. Dunois, voyant
qu'on ne la pouvait point avoir autrement , vint trouver les capitaines qui com-
mandaient l'escorte, et il supplia, au nom de l'intérêt du roi, de laisser
Jeanne et de la décider à le suivre dans la ville, en lui promettant d'aller à
Blois passer la Loire pour la rejoindre bientôt à Orléans. Les capitaines
firent ce qu'il désirait, et Jeanne agréa leur promesse. Elle laissa à ses
hommes la bannière autour de laquelle elle avait coutume de les réunir :
elle leur laissait Pasquerel son aumônier, et les prêtres qui les entretenaient
dans leurs pieux exercices ; et elle-même , avec Dunois , Lahirc et deux cents
lances, passa le fleuve à la suite du convoi.
De ce côté, les Anglais n'avaient qu'une seule bastille, celle de Saint-
Loup : pour leur ôter la tentation d'en sortir et de troubler l'opération, les
Orléanais les 'y assaillirent eux-mêmes, et de telle sorte, qu'ils en rappor-
tèrent une bannière; mais, ce qui valait mieux, les chalands, grâce à la di-
version , étaient déchargés en sûreté et les approvisionnements introduits par
la porte de Bourgogne. Jeanne et ses hommes d'armes étaient restés près de
Chécy. Pour éviter l'empressement tumultuaire delà foule, on était convenu
qu'elle n'entrerait dans la ville que la nuit, et un acte public nous apprend
qu'elle passa au château de Reuilly quelques heures de cette journée. Elle
entra dans Orléans à huit heures du soir, armée de toutes pièces et montée
sur un cheval blanc. Elle s'avançait précédée de sa bannière , ayant à sa
gauche Dunois, richement armé, et derrière elle plusieurs nobles seigneurs
etquelqueshommesdela garnison ou delà bourgeoisie d'Orléans qui étaient
venus lui faire cortège. Mais c'est en vain qu'on eiàt voulu tenir la foule
éloignée : tout le peuple était accouru à sa rencontre, portant des torches et
manifestant une aussi grande joie « que s'ils avaieflt vu Dieu descendre
parmi eux. » Jeanne, en effet, était pour eux comme l'ange du Dieu des
armées. « Ussesentoient, dit le Journal du siège, tous reconfortés et comme
désassiégés par la vertu divine qu'on leur avoit dit être dans cette simple
pucelle. » Tous se pressaient autour d'elle, hommes, femmes et petits en-
fints, cherchint à la toucher, à toucher au moins son cheval (dans leur
JEANNE D'ARC.
empressement, ils faillirent de leurs torches briàler son étendard); et ils
l'accompagnèrent ainsi , lui faisant « grant chère et grant honneur, » à
l'église principale, où elle voulut, avant toute chose, aller rendre grâces à
Dieu-, puis jusqu'auprès de la porte Renart, en l'hôtel de Jacques Boucher,
trésorier du duc d'Orléans, où elle fut reçue avec ses deux frères et les deux
gentilshommes qui l'avaient amenée de ^'aucouleurs ^20 avril).
LA DÉLl V RAXC£ d'oRLÉANS.
Jeanne avait dès ce moment changé la face des choses. Les Orléanais,
d'assiégés , devenaient décidément assiégeants. Le peuple avait repris tant
de confiance, qu'autrefois ic'est Dunois qui l'avance) deux cents Anglais
eussent mis en fuite plus de huit cents hommes de l'armée du roi, et main-
tenant quatre ou cinq cents hommes d'armes osaient braver toutes les
forces anglaises.
Dès le lendemain matin > 3o avril , les plus impatients, et dans le nombre
Florent d'Illiers, arrivé de Chàteaudun l'avant-veille avec quatre cents
combattants, sortirent enseignes déployées, chargèrent les Anglais et les
refoulèrent vers leur bastille voisine de Saint- Pouair )sur la route de Paris) ;
et déjà on ne parlait dans la ville que d'apporter de la paille et des fagots
pour y mettre le feu : mais l'attaque ne fut pas soutenue. Jeanne n'avait
rien su de l'entreprise, et, si pressée qu'elle fût de combattre, on peut croire
qu'elle l'eût désapprouvée : car, avant d'attaquer l'ennemi, elle le voulait
sommer encore. Mais elle entendait qu'on ne différât pas davantage. Elle
ne voulait pas même attendre sa propre troupe, qui devait passer la Loire
à Bloij, et se refusait à ce que Dunois l'allàt chercher, aimant mieux qu'il
restât pour faire immédiatement sommation, ou, en cas de refus, donner
l'assaut aux Anglais. Dunois ne se refusa point à lui laisser faire telles som-
mations qu'il lui plairait; mais il tint à ne point combattre avant d'avoir
reçu ses moyens d'attaque, et Jeanne dut cédera son tour. Elle écrivit donc
aux Anglais dans le même sens que la première fois, réclamant le héraut
qui leur avait porté sa lettre de Blois. Ceux qu'elle envoyait d'Orléans
pouvaient bien avoir le même sort : car les Anglais ne se croyaient point
ET^TREE DE JEANNE D'ARC A ORLEANS
Après avoir franchi les lignes aiio'l.uses. Jeaimc. montée sur un cheval blanc et prcccdci- de sa haTiiiicrc, enlrc
à Oi-lcans. Le pcupLc se presse auloui- d'cUc,.voulaiU la louclicr ou au moins louchci- sou cheval. « .W-.v.sv/Y'(Oieu).
" dil elle, m'a cnvoi/cr poiuwfiowir lo 6o/i/u- iiillt- iiOi-lcans. » — Frojcl de vitrail de M. Lechcvallicr-Chcsi-
anard, à Paris, conurumiqué par M. Ch. des Granges, à Clermoul-Ferraud, et desLiué à la calhcdi'ale d'Orléans.
ORLÉANS. 73
tenus du droit des gens envers cette tille qu'ils réputaientpour le moins hé-
rétique ; mais Dunois leur manda en même temps que s'ils ne les renvoyaient
tous, il ferait mourir les Anglais prisonniers et ceux qu'on avait envoyés
pour traiter de la rançon des autres. Ils cédèrent à cette menace, selon le
Journal du siège. Selon d'autres témoignages qui trouvent ailleurs leur confir-
mation , des deux messagers ils retinrent l'un, et ne renvoyèrent l'autre que
pour avoir l'occasion de publier ce que leur haine avait dès lors résolu contre
la Pucelle. Ils lui mandèrent « qu'ils la brûleroient et feroient ardoir (périr
dans les flammes) ; » et, mêlant l'insulte à la menace, ils ajoutaient « qu'elle
n'étoit qu'une ribaude, et, comme telle, s'en retournât garder ses vaches. »
Jeanne fut vivement émue de ces insultes grossières; mais, au risque de
les subir en face, elle voulait, avant de commencer l'attaque, adjurer elle-
même les Anglais de l'éviter en se retirant. Elle s'en alla donc au boulevard
de la Belle-Croix, position avancée des Orléanais sur le pont, et de là elle
somma Glasdale (Glacidas) et les soldats qui occupaient les Tourelles de se
rendre de par Dieu, ne leur assurant que la vie sauve. On devine comment
cette sommation fut accueiUie. « Glacidas et ceux de sa rote, dit le Journal,
répondirent vilainement , l'injuriant et appelant vachère, comme devant,
criant moult haut qu'ils la feroient ardoir s'ils la pouvoient tenir. » La Pu-
celle prit encore en patience les injures; mais elle leur déclara qu'ils s'en
iraient bientôt, et à leur chef qu'il ne le verrait pas. Sa parole s'accomplit :
mais les Anglais n'en seront que plus ardents à tenir leur promesse.
Puisque Dunois ne voulait point combattre sans les troupes renvoyées à
Blois, le plus sûr et le plus court était peut-être encore qu'il les allât cher-
cher. Il partit donc le dimanche matin, i*^'' mai, avec Boussac, d'Aulon et
plusieurs autres, passant fièrement sous les bastilles anglaises. La Pucelle
était venue s'établir entre ces bastilles et la ville, et sa présence avait suffi
pour que l'ennemi, si fort qu'il fût, ne remuât pas.
Rentrée en ville, elle employa les loisirs qu'on lui faisait pour se mettre
plus intimement en rapport avec la population, en lui communiquant, avec
sa foi en Dieu, sa confiance dans la victoire; et en la préparante braver les
Anglais dans leurs forts, si les Anglais continuaient de rester sourds à ses
invitations.
Et d'abordelle voulut donner satisfaction à l'empressement populaire. Les
JEANNE d'arc. 111. — 10
74 JEANNF. D'ARC.
Orléanais se portaient en tel nombre' vers son hôtel, qu'ils en rompaient
presque les portes. Elle parcourut à cheval les rues de la ville, cl la foule
était si grande sur son chemin qu'à grand'peine pouvait-elle s'ouvrir un pas-
sage : car le peuple « ne se pouvoit saouler de la voir. » Tous admiraient sa
bonne grâce à cheval, sa tenue militaire; et ils sentaient qu'elle ne se trom-
pait pas lorsque, tournant vers Dieu leur confiance, elle allait répétant sans
cesse : « Messire m'a envoyée pour secourir la bonne ville d'Orléans. » Puis
elle renouvela auprès des Anglais de la rive droite ses démarches si mal
accueillies à la rive gauche. Elle vint près de la croix Morin, invitant ceux
qui tenaient la bastille voisine à se rendre, la vie sauve, et à s'en retourner
en Angleterre. Mais ils lui répondirent comme aux Tourelles par des in-
sultes : « Voulez-vous donc, s'écriait le Bastard de Granville, que nous
nous rendions à une femme? » Et il jetait à la face des Français, dont elle
était suivie, des injures qui retombaient encore sur elle.
Le lendemain (lundi, 2 mai), elle sort à cheval et s'en vient par les champs
examiner les bastilles et les positions des Anglais; et le peuple la suivait en
grande foule, prenant plaisir à la voir et à être autour d'elle, sans souci de
l'ennemi : comme si avec Jeanne nul péril ne les pût atteindre. Et en effet ,
les Anglais ne bougèrent pas; et Jeanne, après avoir inspecté leurs fortifi-
cations tout à loisir, rentra dans la ville et vint à l'église Sainte-Croix en-
tendre vêpres.
Le mardi, jour de l'invention de la Sainte-Croix, fête de la cathédrale,
grande procession à laquelle elle assiste avec les capitaines, afin de tourner
les cœurs, par cette manifestation publique, vers Celui de qui elle atten-
dait son secours : car pour elle, elle ne mettait point en doute la défaite des
ennemis, et si quelque sage homme lui disait : << Ma fille, ils sont forts et bien
fortifiés, et sera une grande chose à les mettre hors, » elle répondait : « Il
n'est rien d'impossible à la puissance de Dieu. «
Ce jour-là, on vit arriver les garnisons de Gien, de Chàteau-Regnard, de
Montargis, cette brave ville qui, après avoir vaillamment repoussé les
Anglais en 1427, prêtait, à la même fin, si volontiers secours aux autres.
Mais de Blois, personne encore : et cependant, si les capitaines avaient
tenu leur promesse, c'est en ce jour qu'on les devait voir revenir. Enfin, le
soir, on apprit qu'ils étaient en marche.
ORLEANS.
Ce n'était pas sans raison que Dunois avait jugé utile d'aller à leur ren-
contre; car, lorsqu'il arriva, leur départ était mis en question. On délibérait
devant le chancelier de France. Quelques-uns opinaient que chacun rc-
tournrit en sa garnison; c'était probablement l'avis du chancelier et de ses
adhérents : car, ^our les capitaines, presque tous voulaient revenir à Orléans
comme ils s'y étaient engagés. Dunois montra que si cette petite armée,
réunie avec tant de peine et déjà réduite des deux tiers, venait à se dissoudre,
c'en était fait de la ville. Il l'emporta. On résolut de revenir à Orléans avec
des munitions nouvelles, et d'y revenir comme on l'avait arrêté, comme
Jeanne l'avait voulu d'abord, par la Beauce (la rive droite \ à travers les
principales bastilles des Anglais.
Jeanne n'était plus parmi ces soldats que par la bannière commise à Pas-
querel et au.\. prêtres. Mais elle devait être là quand on passerait devant
l'ennemi. Le mercredi (4 mai), apprenant leur approche, elle vint au-devant
d'eu.\ jusqu'à une lieue d'Orléans, son étendard à la main, suivie de la
Hire, de Florent d'Illicrs et de plusieurs autres. Et tous ensemble ils repas-
sèrent avec leur convoi à travers les bastilles anglaises, processionnellemem,
les prêtres chantant des cantiques, sans que les Anglais, qui avaient l'avan-
tage de la position et du nombre, fissent rien pour les arrêter. Cet ennemi,
qui était le plus fort et qu'on ne pouvait point soupçonner de manquer de
courage, était resté comme frappé d'impuissance devant celle que la veille
encore il outrageait.
C'était maintenant aux Anglais de se défendre-, et ce n'était pas sans une
vive sollicitude qu'ils attendaient des renforts à leur tour. La Pucelle ne les
redoutait pas. Ce jour même, après le dîner, Dunois l'étant venu trouver
pour lui dire que P'alstoft' leur amenait des vivres et des hommes, et qu'il
était déjà à Janville : « Bastard, bastard, s'écria-t-elle dans une saillie de
joie, en nom Dieu, je te commande que tantôt (aussitôt) que tu sauras la
venue dudit Falstolf, tu me le fasses savoir : car, s'il passe sans que je le
sache, je te promets que je te ferai ôter la tête. » Dunois lui dit sur le même
ton de ne rien craindre : qu'il le lui ferait bien savoir.
Ce fut pourtant sans rien lui dire que l'on commença l'attaque.
Elle s'était jetée sur un lit pour se reposer un moment des fatigues de la
journée, quand tout à coup elle se leva, et réveillant d'Aulon, son écuyer.
76 JEANNE D'ARC.
qui dormait sur un autre lit : « En nom Dieu, dit-elle, mon conseil m'a dit
que j'aille contre les Anglois-, mais je ne sais si je dois aller à leurs bastilles
ou contre Falstolf qui les doit ra\itaillcr. » Comme il l'armait, on entendit
grand bruit : on criait dans la ville que les ennemis portaient grand dom-
mage aux Français. Elle quitte d'Aulon, qui lui-même se revêt de ses
armes, sort précipitamment de sa chambre, et rencontrant son page :
« Ah! sanglant garçon, s'écrie-t-elle, vous ne médisiez pas que le sang de
France fut répandu ! Allez quérir mon cheval. » Elle achève de s'armer
avec l'aide de la dame du logis et de sa fille; puis sautant sur le cheval
que le page amenait, elle l'envoie chercher son étendard, le reçoit par la
fenêtre sans lui laisser le temps de descendre, et part, courant droit par la
grande rue vers la porte de Bourgogne, si vite que les étincelles jaillissaient
du pavé yûg. 34).
C'est de ce côté qu'était l'action, dont le bruit s'était répandu dans la
ville. Après l'entrée du convoi, ceux d'Orléans qui l'avaient escorté, ayant
pris leur repas à la hâte, étaient allés à l'hôtel de ville, où ils se firent
donner des coulevrines, des arbalètes, des échelles, et ils étaient partis
pour attaquer Saint-Loup. .Mais cette bastille, qui commandait le passage
de la Loire en amont et le chemin de la Bourgogne, avait été fortement mise
en défense par Talbot. Il y avait là trois cents Anglais d'élite : malgré
l'absence de leur capitaine, Thomas Gucrrard, ils résistaient avec vigueur
aux assaillants, et bon nombre de blessés étaient rapportés vers la ville.
Jeanne s'arrêta au premier dont elle fit la rencontre, et sachant que c'était
un Français : » Jamais, dit-elle, je n'ai vu sang de François que les che-
veux ne me levassent en sur » (sur la tête). Elle arriva devant la bastille :
elle avait été rejointe par son écuyer, son page, tous ses gens; et bientôt
Dunois et plusieurs autres vinrent soutenir l'attaque si témérairement com-
mencée. Jeanne leur ordonna d'observer l'ennemi, et d'empêcher qu'il ne
vînt des autres forts au secours de Saint-Loup. Elle-même, debout sur le
bord du fossé, son étendard à la main, encourageait ses hommes à l'assaut.
Les Anglais tinrent troisheures, forts di leur propre résolution et comptant
sur le secours des autres. Talbot, en ell'et, donna Tordre de sortir des
retranchements pour faire diversion en menaçant la ville; et ceux de Saint-
Pouair, cette grande bastille que les Anglais avaient nommée Paris, plus
ORLEANS.
77
Fis- 33. " L^ LJu:» „ u:. , ,, „.;. „^ l)„n. . ,. .:i .^,.l^;.i.„ .,,.,.;:,u. Son pCic Ltiit I uis duc dOr-
léans, frère de Charles VI, roi de France. Armoriai du hérault Bcrry, exécuté vers 1450, et conservé à
la biblioth. nat. — Danois se laissa conduire entièrement par la Pucelle. « Bastard, bastard, lui dit un
jour Jeanne dansune saillie de joie, je te commande qu'aussitôt que tu sauras la venue de Falstolf
(capitaine ani;lais), tu me le fasses savoir : car, s'il passe sans que je le sache, je te promets que je te
ferai ôter la tête. »
rapprochc.s de la bastille attaquée, tentèrent de la dégager en prenant à dos
les assaillants. Mais, par deu.\ fois, la cloche du beffroi dénonça leur entre-
JEANNE IVARC.
prise, et les Orléanais, sous la conduite de Boussac, de Graville et de
quelques autres, sortant aussitôt de la place au nombre de six cents, se
rangèrent en bataille et les contraignirent à rétrograder. Ceux de Saint-
Loup ne se laissèrent point encore abattre, et, disputant le terrain pied à
pied, se retirèrent au clocher de Téglise; mais, naalgré leur bravoure, ils y
furent forcés et tués ou pris. Quelques gens d'Eglise qui étaient parmi eux,
ou de soi-disant tels, vinrent, sous Thabit ecclésiastique, se présenter à
Jeanne. Elle les reçut, empêcha qu'on ne leur fît aucun mal, et les emmena
dans son hôtel. C'était assez de tués en cette journée. « Elle pleurait
sur eux, dit Pasquerel, en pensant qu'ils étaient morts sans confession. »
Les Erançais trouvèrent à Saint-Loup grande quantité de vivres et
d'autres biens qu'ils pillèrent, et ils mirent le feu à la bastille. Quand ils
furent rentrés à Orléans, les Anglais eurent bien la pensée de la reprendre;
mais, à la vue des flammes, ils rebroussèrent chemin, la jugeant décidé-
ment perdue pour eux.
Ce premier succès fut célébré dans Orléans comme le premier acte de la
délivrance. Jeanne, qui avait mené le peuple à la victoire, lui rappelait qui
en étiit l'auteur. Elle répondait à l'empressement dont elle était l'objet, en
menaçant ses hommes d'armes de les quitter s'ils ne se rapprochaient de
Dieu par la pénitence; elle les exhortait à lui rendre grâces, et promettait
que, dans cinq jours, le siège serait levé, et qu'il n'y aurait plus un seul
Anglais devant Orléans. Le peuple la croyait. On courait aux églises, et le
son des cloches portait comme un retentissement de cette joie publique aux
Anglais étonnés d'être vaincus.
La Pucelle ne voulait point qu'on leur laissât le temps de se ralTermir.
Dès le lendemain, quoique ce fût le jour de l'Ascension, elle demandait
qu'on les attaquât au cceur même de leurs positions, à la bastille de Saint-
Laurent. Mais les capitaines se refusèrent à ses instances, alléguant la
sainteté du jour. Jeanne céda, et sut elle-même honorer la fête et y cher-
cher de nouveaux moyens de succès, non-seulement en allant recevoir dans
la communion le pain des forts, mais en rappelant à ses compagnons les
vraies conditions de la victoire promise. Depuis qu'elle était à l'armée,
elle n'avait cessé de combattre en eux le désordre et le vice, comme leur
plus dangereux ennemi et le plus grand obstacle à leur triomphe. Elle
8o JEANNE D'ARC.
ordonna que personne ne sortît le lendemain pour combattre, qu'il ne fût
confessé, et renouvela la défense qu'aucune femme dissolue ne les suivît,
parce que Dieu pourrait permettre qu'ils fussent battus à cause de leurs
péchés.
En même temps, elle voulait offrir à l'ennemi un dernier moyen d'éviter
une plus sanglante défaite. Elle lui écrivit une nouvelle lettre, que Pasque-
rel, son fidèle compagnon en toutes ces journées, reproduit en ces termes :
<. A vous, hommes d'Angleterre, qui n'avez aucun droit en ce royaume
de Erance, le Roi du ciel ordonne et mande par moi que vous laissiez vos
bastilles et vous en alliez en votre pays, ou sinon je vous ferai un tel hahu
[ou hahaye} qu'il en sera perpétuelle mémoire. Voilà ce que je vous écris
pour la troisième et dernière fois, et je ne vous écrirai pas davantage.
Jhesis Maria. Jeanne la Piicelle. »
Elle ajoutait , après avoir signé :
« Je vous aurois envoyé mes lettres plus honorablement, mais vous me
r^-tenez mes hérauts. Vous m'avez retenu mon héraut Guyenne. Renvoyez-
le-moi, et je vous renverrai quelques-uns de vos gens pris dans la bastille
Saint-Loup; car ils ne sont pas tous morts. »
Elle prit alors une flèche, y attacha la lettre, et la fit lancer aux Anglais
avec ce cri : « Lisez, ce sont nouvelles. » Les Anglais la relevèrent, et,
l'ayant lue, se mirent à cri^r : a Voilà des nouvelles de la des Arma-
gnacs. » Jeanne, à ces mots, soupira et répandit d'abondantes larmes,
appelant à son aide le Roi du ciel. Et le Seigneur la consola.
Pendant que Jeanne cherchait tout à la fois à rendre la lutte décisive, ou
à la prévenir s'il se pouvait encore, les chefs, dans un conseil tenu chez le
chancelier du duc d'Orléans, délibéraient à part sur la manière de la
conduire. Jeanne avait proposé d'aller droit à la grande bastille des Anglais.
Ils convinrent d'adopter son plan, mais seulement en apparence : ils vou-
laient, par une fausse attaque sur la rive droite, y attirer ceux de la rive
gauche, et profiler de la diversion pour enlever les bastilles de cette rive,
dégarnies de leurs défenseurs. De cette sorte, ils devenaient maîtres du
pont; ils rendaient toute liberté à leurs communications avec la Sologne,
et se ménageaient les moyens d'introduire dans la place de quoi soutenir
unlong siège : car ils n'avaientpointd'autre -ambition que de lasser l'ennemi.
ORLEANS. 8i
Jeanne n'était pas de ce conseil , et plusieurs même voulurent qu'on ne
lui dît rien de l'attaque projetée contre les bastilles de la Sologne, c'est-à-
dire du véritable but de la journée, de peur qu'elle n'en parlât. En effet,
quand on l'appela, on ne lui fit part cjue du projet d'attaquer la grande
bastille de la Beauce; et l'on croyait la tromper d'autant mieux, que ce
projet répondait cà ses vues. Quand le chancelier du duc d'Orléans lui eut
fait l'exposition concertée, elle répondit, indignée de ces subterfuges :
« Dites ce que vous avez conclu et appointé. Je célerois bien plus grande
chose. »
Et elle allait et venait par la salle, marchant à grands pas.
« Jeanne, » lui dit Dunois, voulant réparer l'effet de cette injurieuse
maladresse, « ne vous courroucez pas, on ne peut pas tout dire à une fois.
Ce que le chancelier vous a dit a été résolu; mais, si ceux de l'autre côté
se départent pour venir aider la grande bastille de par deçà, nous avons
résolu de passer la rivière pour y besogner ce que nous pourrons. Et nous
semble que cette conclusion est bonne et profitable. »
Jeanne se calma, et répondit qu'elle était contente, et que la conclusion
lui semblait bonne, pourvu qu'elle fut ainsi exécutée. De quelque côté que
portât le coup , elle sentait qu'il serait décisif; mais sa défiance n'était que
trop légitime : ils ne firent rien de ce qu'ils avaient résolu.
On se décida à se porter directement sur la rive gauche.
Les Anglais occupaient, on l'a vu, la tête du pont ou la bastille des Tou-
relles, et, un peu en deçà des Tourelles, la bastille des Augustins, l'une et
l'autre couvertes par leur boulevard. Ils avaient de plus, en aval du fleuve,
le boulevard de Saint-Privé, qui était relié à la grande bastille de Saint-
Laurent (rive droite) par un boulevard élevé dans l'île Charlemagne; et,
en amont, la bastille de Saint-Jean-le-Blanc, qui était moins une forteresse
qu'un poste fortifié, ou, selon l'expression du Journal, « un guet pour
garder ce passage : » poste abandonné une première fois à l'approche de
Jeanne, et occupé de nouveau après son entrée dans la ville.
Ce fut par ce côté que la Pucelle et les capitaines allaient commencer leur
attaque.
Il y avait là une petite île , appelée depuis île aux Toiles, et alors île Saint-
Aignan, séparée do la rive par un étroit canal. Rien ne convenait mieux
jiiiANM-: d'arc, ni. — i i
82 JEANNE D'ARC.
pour disposer à loisir une attaque dirigée d'Orléans contre les positions
des Anglais sur la rive gauche; et les Orléanais en avaient usé plusieurs
fois. Ils y passèrent cette fois encore. Deux bateaux, amarrés entre l'île et la
rive gauche, furent comme un pont qui mena de Tune à l'autre. Mais,
quand ils vinrent à Saint-Jean-le-Blanc, ils le trouvèrent encore abandonné.
Glasdale, menacé d'une attaque sérieuse , avait jugé plus sûr d'en rappeler
ses soldats dans les bastilles qui défendaient le pont.
La Pucelle vint les y attaquer aussitôt, sans même attendre que tout
son monde eût passé de l'île à la rive opposée, et elle planta sa bannière
sur le rebord du boulevard des Augustins. Mais ses compagnons ne sou-
tinrent pas son audace. Une terreur panique les saisit tout à coup. Le bruit
se répand que les Anglais viennent en grande force du côté de Saint-Privé.
On fuit, on cherche à regagner le pont de bateaux, atin de se mettre en
sûreté dans l'île de la Loire ; et les Anglais, sortant de leurs bastilles, pour-
suivent à grands cris les fu3'ards, insultant de leurs grossiers propos la
Pucelle qui cherchait à couvrir leur retraite. Elle se retourne alors, et leur
faisant tète, si peu de gens qu'elle eût autour de soi, elle marche à eux, sa
bannière déployée. Les Anglais s'effrayent, et, sans l'attendre, fuient à leur
tour jusque dans leur bastille des Augustins; mais Jeanne les presse, et,
plantant de nouveau son étendard sur le fossé du boulevard, elle rallie
alentour les Français ramenés par son exemple.
A la vue des Anglais sortant de leurs bastilles, on pouvait croire que ceux
de la rive droite, comme les Français, avaient passé la Loire, et venaient,
par Saint- Privé, au secours des places attaquées; et, dans ce cas, la pru-
dence commandait peut-être de rentrer dans la ville. Mais la Pucelle, en
changeant l'aspect des choses, avait changé les résolutions des capitaines.
Ils arrivaient, et ne songeaient plus qu'à forcer avec elle l'ennemi dans son
refuge.
Deux chevaliers qui, dans ces alternatives de retraite et d'attaque,
s'étaient déliés à qui ferait le mieux son devoir, étaient déjà au pied des palis-
sades : mais un Anglais, grand, puissant et fort, occupant à lui seul tout le
passage, les tenait en échec. D'Aulon le signala au fameux canonnier Jean
le Lorrain, qui l'abattit d'un coup de sa coulevrine; et les deux chevaliers,
entrant dans la place, y furent suivis d'une foule d'assaillants.
ORLEANS. 83
Tous les Anglais périrent ou cherchèrent un abri derrière le boulevard
des Tourelles. La forteresse contenait des vivres et du butin en abondance;
pour ôter aux vainqueurs la tentation du pillage et leur en éviter les périls,
la Pucelle fit mettre le feu à la bastille, et tout fut brijlé.
Restaient les Tourelles : on les investit immédiatement, mais on remit
l'attaque au lendemain , et la Pucelle rentra le soir même avec les principaux
chefs dans la ville.
Ce ne fut pas sans appréhension pourtant et sans regret qu'elle laissait
une partie de ses gens devant l'ennemi sans y être avec eux-, et si elle les
quittait, elle ne le faisait point parce qu'elle s'était blessée aux chausse-
trapes, ni parce qu'elle ne manquait jamais d'aller passer la nuit parmi les
femmes, quand cela n'était pas impossible. Une cause plus décisive la rap-
pelait dans Orléans : c'est que le succès du jour avait besoin d'être affermi,
et celui du lendemain préparé; or, il y fallait sa présence.
Les capitaines, tout en acceptant son concours, ne voulaient pas avoir
l'air de suivre sa direction; et, plus on allait, plus ils semblaient craindre
de lui laisser l'honneur de la victoire. Mais chaque fois leur opposition avait
tourne contre eux-mêmes. La Pucelle avait toujours voulu porter le coup
au cœur de la puissance anglaise. C'est contrairement à son avis qu'ils
l'avaient amenée à Orléans par la Sologne; et elle leur avait bien prouvé
que son avis était le meilleur, lorsque, trois jours après, elle y fit entrer un
autre con\oi , trois fois moins escorté, par cette route de la Beauce, à
travers ces mêmes bastilles anglaises qu'ils avaient craint d'affronter
d'abord. C'est contrairement à son avis, et, autant qu'il avait été en eux, à
son insu, qu'ils avaient résolu d'attaquer les bastilles de la rive gauche;
et c'était elle qui avait fait réussir leur attaque au moment même qu'ils se
décidaient à l'abandonner. Après cet éclatant succès, qui promettait le
dégagement du pont pour le lendemain , ils voulurent s'arrêter encore. Le
soir, quand Jeanne eut pris un peu de nourriture (contre son habitude, dit
Pasqucrel, elle n'avait point jeûné ce vendredi-là; parce qu'elle était trop
fatiguée , un des notables chevaliers lui vint dire que les capitaines avaient
tenu conseil. Il leur avait semblé, ajoutait-il, qu'ils étaient bien peu, vu
le nombre des Anglais, et que Dieu leur avait déjà fait une grande grâce en
leur accordant ce qu'ils avaient obtenu; que, la ville étant pleine de vivres.
S4 JEANNE D'ARC,
il leur serait facile de la bien garder en attendant le secours du roi, et
que, par suite, il ne paraissait pas opportun au conseil de faire sortir le
lendemain les gens de guerre. Jeanne lui répondit : « Vous avez été en votre
conseil, et j'ai été au mien, et croyez que le conseil de Dieu s'accomplira
et tiendra ferme, et que cet autre conseil périra; » et, se tournant vers son
confesseur, qui le raconte : « Levez-vous demain de grand matin, dit-elle,
et vous ferez plus qu'aujourd'hui. Tenez-vous toujours auprès de moi;
car demain j'aurai beaucoup à faire, et plus que je n'ai jamais eu : demain
le sang coulera de mon corps au-dessus du sein. »
Ce qui peut expliquer jusqu'à un certain point, sinon excuser entière-
ment, l'étrange résolution des capitaines, c'est que les Anglais, après la
prise des Augustins et l'investissement des Tourelles, avaient rappelé, sur
la rive droite, dans leur bastille de Saint-Laurent, les hommes qui occu-
paient, sur l'autre rive, le boulevard de Saint-Privé. Ils renonçaient donc
à aller directement au secours des Tourelles : mais ne se réservaient-ils
point de tenter une forte attaque contre la ville elle-même? et, dans ce cas,
n'était-il pas prudent de les observer et d'attendre? La Pucelle ne le crut
point, non plus que les habitants de la ville. Jeanne pensait à ces braves
gens qu'elle avait laissés devant les Tourelles exposés sans elle aux sorties
des Anglais; quant aux habitants d'Orléans, ils passèrent cette nuit à leur
envoyer des vivres et des munitions, et à préparer tous les engins qui pou-
vaient servir à désarmer le boulevard ennemi de ses défenses et à en rendre
l'accès plus praticable aux assaillants.
Le lendemain de grand matin, Pasquerel dit la messe, et Jeanne partit
pour l'assaut. Au moment du départ, son hôte la voulait retenir pour man-
ger d'une alose qu'on venait de lui apporter. « Gardez-la jusqu'au soir,
dit-elle dans une saillie de bonne humeur, et je vous amènerai un g'odon
(on reconnaît le sobriquet populaire) qui en mangera sa part; » et elle pro-
mettait de repasser par-dessus le pont. Mais les capitaines persistaient dans
leur opposition à l'entreprise, et ils avaient donné ordre au gouverneur
d'Orléans, Gaucourt, de garder les portes pour empêcher qu'on ne sortît.
Jeanne le trouvant devant elle comme elle voulait passer : « Vous êtes un
méchant homme, dit-elle; et, qu'il vous plaise ou non, les gens d'armes
viendront et gagneront comme ils ont gagné. Gaucourt aurait vainement
ORLEANS.
85
essayé de résister à ceux qui suivaient Jeanne, et il ne s'était déjà que trop
mis en péril. Jeanne fit ouvrir la porte de Bourgogne et une petite porte,
près de la grosse tour, qui donnait directement sur la l.oire, et, passant le
^1^ — i en i c nb 1 CL a ntL Catl L ne et de sainte Ma pUt.r t«- Las cliefde M. Foyatier, à
Pan<; xi\* sieele — Comme il ne para ssait pis oppoitun aux cap ta nés de faire une sortie contre les
Anglais, Jeanne répondit : " Vous avez été en votre conseil, et j'ai été au mien; et croyez que le con-
seil de Dieu s'accomplira. Qu'il vous plaise ou non, les gens d'armes viendront et gagneront comme
ils ont gagné. »
fleuve, elle alla rejoindre avec ces nouveaux combattants ceux qu'elle avait
laissés devant le fort ennemi.
Les capitaines, même ceux qui l'avaient voulu arrêter, la suivirent : ja-
loux de ■vaincre sans elle, ils ne se souciaient guère qu'elle triomphât sans
eux. Avec Dunois et la Hire, qui paraissent toujours plus prêts à la secon-
86 JEANNE D'ARC.
der, on compta bientôt devant les Tourelles, Rais, Graville, PotondeXain-
tniilles, Thibaut d'Armagnac, seigneur de Termes, Louis de Culan et Gau-
court lui-même. La lutte s'engagea dès six ou sept heures du matin.
Anglais et Français rivalisaient d'ardeur. Ceux d'Orléans voyaient dans la
victoire le gage de leur délivrance ; ceux de la bastille combattaient pour
leur vie et pour leur liberté, car ils n'avaient point de refuge. Les Français
descendaient dans les fossés du boulevard, et, sous le feu des canons ou les
traits des arbalètes, ils cherchaient à gravir l'escarpement « avec une telle
vaillance, qu'il scmbloit à leur hardi maintien qu'ils Guidassent être immor-
tels-, » mais lorsqu'ils touchaient au sommet, ils trouvaient l'ennemi armé
de haches, de lances et de maillets de plomb; ils ne cédaient qu'accablés
par le nombre dans des combats corps à corps. Ces assauts, toujours re-
poussés, recommençaient toujours; la Pucelle était là, soutenant les cou-
rages et disant : « Ne vous doubte/, (ne craignez pas), la place est vôtre. »
L'attaque se prolongeait sans résultat, lorsque, vers une heure après midi,
elle descendit dans le fossé et dressa une échelle contre le parapet : au même
instant, elle fut atteinte entre l'épaule et la gorge d'un trait d'arbalète qui la
perça de part en part. Se sentant blessée, elle eut peur et pleura. Que crai-
gnait-elle, et pourquoi pleurer? N'était-elle plus sijre de la victoire, ou
craignait-elle de mourir? Non, car elle avait prédit qu'elle serait blessée et
qu'elle en guérirait. Ce fait, tout merveilleux qu'il est, se trouve établi par
les témoignages les plus irrécusables. Ce n'est pas seulement Jeanne dans le
procès de Rouen, ce ne sont pas seulement les témoins du procès de réhabi-
litation qui le constatent : c'est une lettre qui a date authentique , lettre
écrite de Lyon à Bruxelles, après qu'elle eut prédit sa blessure et avant
qu'elle l'ei^it reçue. Cet accident confirmait donc sa parole; mais la femme
demeurait dans l'héroïne et dans la sainte : elle eut peur et pleura. Cepen-
dant elle fut consolée, comme elle disait. Elle arracha le fer de la plaie, et
comme plusieurs hommes de guerre lui proposaient de charme?- la blessure,
elle s'y refusa, disant : « J'aimerois mieux mourir que de rien faire que je
susse être péché ou contre la volonté de Dieu ; » mais elle ne refusait pas
qu'on entreprît de la guérir, si l'on y pouvait appliquer quelque remède
permis. On lui mit une compresse d'huile d'olive; après quoi elle se con-
fessa, versant des larmes.
ORLEANS. 87
Cette longue résistance des Anglais et l'accident de Jeanne avaient décou-
ragé les assaillants. Les chefs la vinrent trouver, et, tout en lui exprimant
leur peine de la voir blessée, ils lui dirent qu'il \alait mieux laisser l'assaut
jusqu'au lendemain. Elle ne répondit à ces ouvertures que par les plus
nobles paroles, les exhortant à ne pas faiblir ; mais, fort touchés de ce
langage, ils ordonnèrent de suspendre l'assaut, et se retirèrent à distance,
songeant à ramener dans Orléans et leurs troupes et leur artillerie : car elles
n'eussent plus été fort en sûreté, même pour une nuit, de ce côté de la
Loire, après un échec avoué. Jeanne, malgré ses souffrances, vint alors
elle-même trouver Dunois, et le supplia d'attendre un peu encore : " En
nom Dieu, disait-elle, vous entrerez bien brief (bientôt 1 dedans, n'ayez
doute, et les Anglois n'auront plus de force sur vous. C'est pourquoi re-
posez-vous un peu, buvez et mangez. » Ils le firent, car sa parole avait un
accent qui les subjuguait ; et alors : « Maintenant, dit-elle, retournez de par
Dieu à l'assaut derechef : car, sans nulle faute, les Anglois n'auront plus la
force de se défendre, et seront prises leurs Tournelles et leurs boulevards. »
L'attaque recommença, ou plutôt reprit avec une ardeur nouvelle , car
elle n'avait jamais été entièrement suspendue. Jeanne demanda son cheval,
et, laissant son étendard à d'Aulon, son écuyer, s'en vint à l'écart dans une
vigne voisine, pour faire à Dieu son oraison : mais elle reparut bientôt, et,
prenant elle-même sa bannière, elle dit à un gentilhomme qui était auprès
d'elle : « Donnez-vous garde ^regardez) quand la queue de mon étendard
touchera contre le boulevard. » Un peu après il lui dit : « Jeanne, la queue
y touche ! » Elle s'écria : « Tout est vôtre , et y entrez. »
A sa voix, ils reviennent à l'assaut. « Et oncques, dit un contemporain,
on ne vit grouée d'oisillons eux parquer sur un buisson comme chacun
monta contre ledit boulevard. » En même temps ceux d'Orléans venaient,
du boulevard de la Belle-Croix, attaquer, par le pont, les Tourelles. De ce
côté, les Anglais étaient séparés des assaillants par plusieurs arches qu'ils
avaient rompues; mais les Orléanais, apportant avec eux des échelles, de
vieilles gouttières de bois, se mirent en devoir de les jeter d'un pilier à
l'autre; et, comme la plus longue de ces gouttières était encore trop courte
de trois pieds, ils la rajustèrent, l'étayèrent comme ils purent. C'est sur ce
pont de nouvelle sorte qu'un chevalier de Rhodes, le commandeur Nicole
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2 5 §
JEANNE
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JEANNF. D'ARC.
de Giresme, s'aventura le premier tout armé. Les Anglais étaient donc
assaillis des deux côtés à la fois-, mais ce, qui les terrifiait, c'était de voir,
présidant à l'assaut sur la rive gauche, cette femme qu'ils se flattaient d'a-
voir tuée. L'étonnement paralysa leurs forces : comme Jeanne l'avait an-
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y»inijjidiiiiiiiii
F,
\ers iD(.o appartcnanta M Bouniol^, au clntcui d I spinci (1 arn et Gironnc
nonce, ils ne firent presque plus de résistance. Ils cherchaient à fuir du
boulevard dans les Tourelles , par le pont jeté entre les deux places; mais,
là aussi , ils se trouvaient prévenus par l'intrépide activité de ceux d'Orléans.
Pendant que l'attaque se poussait sur les deux côtés, contre la bastille et
contre le boulevard, un bateau chargé de matières combustibles fut amarré
ORLEANS.
9'
SOUS le pont qui joignait l'un à l'autre; et, quand les Anglais, torcés dans
le boulevard , voulurent se retrancher dans les Tourelles , le pont , attaqué
par les flammes, céda, et presque tous furent précipités dans les flots. La
Pucelle eût voulu les sauver : « Glacidas! Glacidas! criait-elle à leur chef,
rends-ti, rends-ti (rends-toi) au Roi du ciel. Tu m'as appelée -, j'ai
grand'pitié de vos âmes ! » Mais Glasdalefut entraîné avec les autres, et la
Pucelleneput voir sans verser des larmes cette fin misérable de tant de braves
Fig. 38. — « Comment les François levèrent le siénc vaillamment et entrèrentdans Orléans, u — Ce grand
siège durait depuis sept mois : Jeanne y met fin en une semaine. Ms. fr., n" 5o54, daté de 1484. à la
bibliotli. nat.
gens. Il ne resta sur la rive gauche aucun Anglais qui ne fût tué ou pris.
Il était soir quand les Tourelles furent occupées. La Pucelle y demeura
une partie de la nuit, afin de voir si les Anglais de Saint-Laurent ne tente-
raient rien pour venger leurs compagnons et regagner la position perdue-,
« mais ils n'en avoient nul vouloir. » La Pucelle rentra donc dans Orléans.
En moins de trois heures , les Orléanais avaient su rendre le pont praticable ,
si bien que Jeanne put, comme elle l'avait dit, le repasser pour entrer
dans la ville. « Et Dieu sait, dit Perceval de Cagny,à quelle joie elle et ses
gens y furent reçus. » On la débarrassa de ses armes, on mit un nouvel
appareil sur sa blessure. Elle prit un peu de pain trempé dans du vin mé-
langé d'eau , et alla se reposer.
JEANNE D'ARC.
Tandis que les cloches d'Orléans saluaient cette nouvelle victoire , les
Anglais , qui , pendant ces deux jours, n'avaient rien fait pour la prévenir,
ne songeaient plus qu'à la rendre définitive en se retirant. C'était bien se
déclarer vaincus par celle qu'ils avaient accueillie de tant d'outrages. La
terreur seule qu'elle avait inspirée peut expliquer cette impuissance et cette
résolution parmi des hommes qui, depuis si longtemps, avaient pris l'habi-
tude de vaincre les Français. Le dimanche donc, de grand matin, ils sor-
tirent de leurs bastilles -, mais , en capitaine consommé , Talbot comprit que ,
s'il laissait voir de la peur, sa retraite deviendrait une déroute. Bien loin de
fuir, il rangea son armée devant la ville, comme pour offrir la bataille aux
Français. Les Français sortirent aussitôt et se disposèrent en ordonnance
de combat, sous les bannières de leurs capitaines. La Pucelle était sortie
avec les autres, revêtue d'une simple cotte de mailles. Mais cette fois les
Français, impatients de combattre, attendirent vainement qu'elle leur en
donnât le signal. C'était dimanche. Elle défendit de commencer la bataille,
disant que c'était la volonté de Dieu qu'on les laissât s'ils s'en voulaient
aller; mais que, s'ils attaquaient, on aurait la victoire. En attendant, elle
voulut d'abord qu'on dît la messe; elle fît dresser un autel, et deux messes
furent célébrées en présence de l'armée. La cérémonie achevée : « Or, re-
gardez, dit-elle, si les Anglois ont le visage tourné devers vous ou le dos. »
On lui répondit qu'ils se tournaient vers Meun : « En nom Dieu, reprit-elle,
ils s'en vont, laissez-les aller; il ne plaît pas à Messire qu'on les combatte
aujourd'hui : vous les aurez une autre fois. »
Les Anglais , après être restés en ligne une heure entière, s'étaient retirés
en bon ordre, brûlant leurs bastilles et emmenant leurs prisonniers : mais
ils ne se retiraient point si librement qu'ils ne dussent laisser derrière eux
une partie de leur artillerie et de leurs approvisionnements, et même, selon
la Chronique , leurs malades ; et les hommes d'armes n'obéirent point si
complètement à la Pucelle, qu'ils ne s'en allassent avec la Hire faire quel-
ques escarmouches et gagner du butin sur les derrières de l'ennemi.
Pendant que les Anglais se retiraient vers Meun et Baugency, les habi-
tants d'Orléans couraient aux bastilles qui depuis si longtemps les tenaient
emprisonnés : ils les démolirent et en rapportèrent en triomphe les canons ,
bombardes et approvisionnements de toute sorte que l'assiégeant y avait dû
ORLEANS.
93
Fig. 3g.— La Pucclle, à cheval, abaisse son épée en signe d'action de grâces. Menant le peuple à la victoire, elle lui rappelle
aussi qui en est l'auteur. Travail en bronze de M. Foyatier, à Orléans, xi.t" siècle.
94
JEANNE D'ARC.
laisser. Puis, guides encore par Jeanne d'Arc, ils allèrent d'église en église
rendre grâces à Celui qui leur avait donné la victoire , improvisant dans la
joie du triomphe cette procession dont Tévèque d'Orléans institua peu après
la solennité , et qui s'est perpétuée d'ùge en âge sous l'invocation de la Pu-
celle : témoignage durable de la vénération de la France pour la sainte fille
qui, en un jour de péril, sauva la patrie.
Mais la Pucelle n'était encore qu'aux débuts de sa mission. Elle avait
hâte de la mener à son terme. Le lendemain donc elle se déroba à l'enthou-
siasme des Orléanais et aux fêtes de la victoire pour se rendre à la cour de
Charles MI, où elle allait avoir d'autres ennemis à vaincre, d'autres obs-
tacles à surmonter.
Fig. 40.
Borne qui servit à Jeanne pour monter à cheval lorsqu'elle partit de Poitiers, en 1429,
afin d'aller délivrer Orléans. Conservée au musée de Poitiers.
On lit dans les AnnaJf.i (fAquitnine, de Jean Bonchet: « J'ai oui dire en ma jcnncsse, en l'an mil quatre cent quatre v
qutnEe, à feu Christofle du Peirat, lors demeurant À Poitiers et près ma maison, et qui était &gè de près de cent ans, q
maditc mai»)n y avait en hôtellerie où pendait l'enseigne de la Rose, où ladite Jeanne était logée; et qu'il la TÎt mont
cheval toute annùc à blanc, pour aller au lieu d'Orléans. Et me montra une petite pierre qui est au coin de la rue Saint-Étic
où elle prit avantage pour monter sur son chevaL d
BAS-RELIEFS DE LA STATUE DE LA
Œuvre en l^ronzc Je M.
3yjaSS«afeigKictfSfiSKfc.jaAiaMi*!MiHtaB9fcEw«^^a^'«aMW^^ -its:.-it^«î«^iaw.a?L<fafr imMl^yM}uù4mm3ffi»>fal(miit»iM^tim!^i^•*y^\' ;
PRISE DU FORT
Le 7 mai 1429, contre l'avis des capitaines, le fort des Tourelles fut attaqué. L'attaque se prolongeait sans résultat
touchera contre le boulevard, d Un peu après, on lui dit : « Jeann
LE S.VCRE DE CH.^RLES VII D.\NS I. \
La Pucelle se tenait debout aux côtés du roi, son étendard à la main : « Il avait été à la peine, c'était bien raison qu'il
« et lorsqu'on lui posa la couronne sur la tête, tous les assistants crièrent Noël! et les trompettes sonnèrent d'une
pieds du roi, lui embrassa les genoux, et, pleurant à chaudes larmes : « Gjntil roi, dit-elle, ores est exécuté le pi li
celui auquel ce royaume doit appartenir. » Elle pleurait, et les seigneurs qui étaient là pleuraient avec elle.
'LACE DU MARTROI, A ORLEANS.
Lil-Duhrav. xix" siècle.
TOURELLES.
ind Jeanne^ prenant sa bannière en main, dit : « Donnez-vous garde (regardez) quand la queue de mon étendard
queue y touche! » Elle s'écria : « Tout est vôtre, et y entrez, n
ÉDRALE DE REIMS. (Voir page l38.)
j'honn;ur, » dit-elle plus tard à ses juges de Rouea qui lui en faisaient un grief. — Au moment où le roi fut sacré,
nanière qu'il semblait que les voûtes de l'église se dussent fendre. » — Après la cérémonie, la Pucelle, se jetant aux
Dieu, qui vouloit que vous vinssiez à Reims pour recevoir votre digne sacre, en montrant que vous êtes vrai roi et
Chopiteflu et frise du transept de la ciithtdrale de Uciras. Xlir siècle.
III
REIMS
La Campagne de la Loire. — Le Sacre. — La Pucelle.
L.\ CAMP.\GNE DE L.V LOI RE.
RLÉANs délivré, tous les esprits en ressenti-
rent une impression profonde. La Pu-
celle avait donné son signe. Ce grand
siège, qui durait depuis sept mois, elle y
avait mis fin en une semaine. Ces bastilles
qui s'appu3'aient les unes les autres, elle
les avait enlevées Tune après l'autre, ou
plutôt il avait suffi qu'elle en prit trois
pour que tout le reste lût évacué.
Jeanne était donc bien l'envoyée de
,iiai„bi,oth. iwt. Dieu, c'était le cri du peuple; c'était aussi
le sentiment des docteurs les plus autorisés : Jacques Gelu, archevêque
d'Embrun; Jean Gerson, la plus grande voix du quinzième siècle.
Les avis des docteurs, il est vrai, n'étaient plus bien nécessaires pour que
le peuple crût à Jeanne-, mais leurs conseils étaient loin d'avoir perdu leur
opportunité auprès du roi. Les conseillers intimes de Charles VII, voyant
la confiance qu'elle inspirait autour d'elle, l'avaient acceptée sans trop de
peine pour délivrer Orléans. Si elle n'en chassait l'ennemi, ils étaient forcés
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JEANNE D'ARC.
de déloger eux-mêmes. Les Anglais, maîtres de la Loire, ne leur per-
mettaient plus d'y demeurer en sûreté. Mais l'affaire n'en était plus là :
Orléans délivré, la Pucelle voulait mener le roi à Reims, et l'entraîner,
après le sacre, à la délivrance du royaume. Il fallait donc qu'ils payassent
de leur personne, ou du moins qu'à la suite du roi ils se missent en route à
travers les provinces occupées par l'ennemi. Cela coûtait à leur lâcheté, ou,
si l'on veut, à leur nonchalance; et ils étaient résolus de prendre tous les
prétextes pour en reculer le moment.
Jeanne leur devait laisser peu de loisir.
En quittant Orléans, elle était venue à Blois, puis à Tours, où le roi vint
de Chinon à sa rencontre. Charles la reçut avec de grands honneurs.
Quand la Pucelle se présenta devant lui, l'étendard à la main, et lui fit ré-
vérence, le roi lui-même, dit une ancienne chronique, « ôta son chaperon et
l'embrassa en la saluant, et, comme il sembla à plusieurs, volontiers l'eût
baisée de la joie qu'il avoit. » Il n'ignorait point quelle part elle avait eue à
cette victoire aussi prompte qu'inespérée. Dans sa lettre aux habitants de
Narbonne, lettre écrite pendant qu'on apprenait, pour ainsi dire, coup sur
coup, la prise de Saint- Loup, puis des Tourelles, et enfin la levée du siège,
le roi, sans dire encore tout ce qu'elle avait été dans le succès, leur signalait
les choses merveilleuses qu'on rapportait d'elle, la nommant seule et cons-
tatant qu'elle avait été présente à tout. Il pouvait maintenant en savoir bien
davantage. Aussi lui fit-il « grande chère. >> Il voulait même qu'elle prît
pour armoiries les lis de France et la couronne avec l'épée tirée pour la con-
quérir : c'est le blason qui demeura dans sa famille. Mais Jeanne n'était
pas venue chercher la récompense, elle venait solliciter l'achèvement de son
œuvre, et c'est ce qu'on semblait le moins disposé à lui accorder.
Charles convoqua ses capitaines et « autres sages de sa cour. » Il tint
plusieurs conseils (à Tours), et la prudence des conseillers eut plus d'une
excellente raison à opposer aux desseins de la jeune fille. On alléguait la
grande puissance des Anglais et des Bourguignons et la détresse du roi,
qui n'avait pas de quoi soudo\'er l'armée nécessaire au vo3'age. La Pucelle
ne demandait pas tant de choses pour le conduire, lui et sa compagnie, jus-
qu'à Reims, « sûrement et sans destourbier » ^empêchement), mais elle
voulait qu'on se pressât. Elle disait « qu'elle ne durerait guère plus d'un an.
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JEANNE D'ARC.
et qu'on songeât à bien besogner cette année : « car elle avait beaucoup à
faire. Après le sacre, elle avait encore, disait-elle, au rapport du duc d'A-
lencon, à chasser les Anglais, à délivrer le duc d'Orléans. Si l'on croyait à
sa mission, c'était bien le cas de faire, selon l'avis de Jacques Gelu : imposer
silence à toutes les objections et la suivre. Mais ceux qui ne la voulaient pas
suivre affectaient de croire que ce n'était pas si clairement l'ordre de Dieu.
Un jour, la Pucelle, impatiente de ces lenteurs, vint avec Dunois au châ-
teau de Loches, et fut menée à la chambre de retrait , où le prince était
conversant avec Christophe d'Harcourt, l'évèque de Castres, son confesseur,
et le seigneur de Trêves (Robert le Maçon\ ancien chancelier de France.
Elle frappe à la porte, et dès qu'elle est introduite, elle se jette aux pieds^
du roi, et embrassant ses genoux :
« Gentil Dauphin, dit-elle, ne tenez plus tant et de si longs conseils,
mais venez au plus tôt à Reims pour recevoir votre digne couronne. »
Christophe d'Harcourt lui demanda si ses voix lui avaient dit cela.
« Oui, répondit-elle, je suis fort aiguillonnée touchant cette chose.
— Ne voudriez-vous pas, ajouta d'Harcourt, nous dire ici, devant le roi,
comment font vos voix quand elles vous parlent?
— Je conçois bien, dit-elle en rougissant, ce que vous voulez savoir, et
vous le dirai volontiers. «
Et comme le roi, la voyant émue, lui demandait s'il lui plaisait de s'ex-
pliquer devant les assistants, elle répondit qu'elle le voulait bien, et raconta
comment, lorsqu'elle s'affligeait des doutes que l'on opposait à sa mission,
elle se retirait à part et priait Dieu , se plaignant de ce qu'on ne la voulait
pas croire-, et, sa prière faite, elle entendait une voix qui lui disait : « Fille
Dé (de Dieu}, va, va, va, je serai à ton aide, va! « et quand cette voix lui
venait , elle était bien réjouie et elle eût voulu être toujours en cet état.
En rapportant les paroles de ses voix, elle rayonnait d'une joie divine et
levait les yeux au ciel.
Ces paroles prenaient leur autorité des merveilles qu'elle venait d'accom-
plir. Le roi et personne autour de lui ne le devaient méconnaître : mais
pouvait-on aller à Reims, en laissant les Anglais derrière soi sur la Loire,
à Baugency, à Meun, à Jargeau? Les Anglais, en effet, chassés de devant
Orléans, s'étaient repliés sur ces villes. Talbot avait occupé Meun -, Suffolk,
JEANNE D'ARC.
Jargeau, et naguère, après la levée du siège d'Orléans, quand Dunois,
Boussac, Graville, Xaintrailles, voulant profiter de l'impression que Jeanne
avait produite, et peut-être de son absence, s'étaient portés sur Jargeau dans
l'espoir d'enlever la place, ils y avaient dû renoncer. Les Anglais tenaient
donc toujours, et il y avait à craindre que cette marche aventureuse vers le
Nord ne leur abandonnât le Midi. D'ailleurs, pour rassembler les princes
et les seigneurs qui devaient accompagner le roi au sacre, il fallait du temps :
le pouvait- on mieux employer qu'en enlevant au.v Anglais leurs dernières
positions sur la Loire ? Jeanne adopta le projet ; selon Perceval de Cagn}',
ce fut même elle qui le proposa. On réunit, à l'aide des capitaines revenus
d'Orléans, une petite armée qui fut placée sous les ordres du jeune duc d'A-
lençon. Libéré enfin de sa rançon au prix des plus durs sacrifices, il briàlait
de venger son ancien échec et de regagner, au service du roi, l'équivalent
de ce qu'il y avait perdu. Le roi répondit à ses désirs en lui donnant le
commandement de cette expédition-, mais il plaçait auprès de lui la Pucelle,
avec la recommandation expresse qu'il ne fit rien sans son avis.
Jeanne avait pris dès lors un ascendant auquel personne ne pouvait plus
se soustraire, et elle l'exerçait avec un naturel qui, dans cette àme simple
et sans prétention, témoigne bien de la source où elle puisait tant d'autorité.
Gui de Laval, dans une lettre écrite le 8 juin 1421), au milieu des der-
niers préparatifs de la campagne, en fait à sa mère et à sona'ieule un tableau
animé ,_ où la Pucelle est peinte au vif dans toute la grâce et la séduction de
son rôle, traitant famiHèrement avec les plus hauts personnages, donnant
tour à tour le signal des prises d'armes ou des processions. Le roi était venu
à Saint-Aignan (Berri), et Jeanne d'Arc s'était rendue à Selles, à quatre
lieues de là, où toutes les troupes devaient se réunir pour entrer en cam-
pagne. Gui de Laval étant venu rejoindre le roi, le prince lui fit un excellent
accueil, voulut qu'il vît Jeanne, et, comme il se rendait lui-même à Selles,
il la fit venir au-devant de lui. « Et fit, dit le jeune comte, ladite Pucelle,
très-bonne chère à mon frère et à moi, armée de toutes pièces, sauf la tête,
et tenant la lance en main. Et après que fumes descendus à Selles, j'allai à
son logis la voir; et fit venir le vin, et me dit qu'elle m'en feroit bientôt boire
à Paris; et ce semble chose toute divine de son fait, et de la voir et de
l'ouïr. » Puis, racontant comment le même soir (6 juin) elle partit pour
JEANNE D'ARC.
Romorantin avec une portion des troupes : « Et la vis monter à cheval,
armée tout en blanc, sauf la tête, une petite hache en sa main, sur un grand
coursier noir, qui à l'huis de son logis se démenoit très-fort, et ne souffroit
qu'elle montât. Et lors elle dit : « Menez-le à la croix, « qui étoit devant
réglise auprès, au chemin. Et alors elle monta, sans qu'il se mût, comme
s'il fût lié. Et lors se tourna vers l'huis de l'église qui étoit bien prochain ,
et dit en assez bonne voi.x de femme : « ^'ous, les prêtres et gens d'église,
« faites procession et prières à Dieu. » Et lors se retourna à son chemin, en
disant : « Tirez avant, tirez avant, » son étendard ployé que portoit un
gracieu.x page, et avoit sa hache petite en la main. »
Cette lettre témoigne en même temps de l'enthousiasme et du zèle que la
Pucelle inspirait. Tout le monde voulait l'accompagner : « ne oncques gens
n'allèrent de meilleure volonté en besogne. » La cour manquait d'argent,
et on n'avait rien à attendre d'elle, mais on savait y suppléer : on se ruinait
pour combattre avec Jeanne. « Pour ce, continue le prince, vous, madame
ma mère, qui avez mon sceau, n'épargnez point ma terre par vente ni par
engage, là où nos personnes sont à être sauvées, ou aussi par défaut abais-
sées, et par aventure en voie de périr. » La dame de La\al, par un senti-
ment bien pardonnable à une mère, en envoyant ses deu.x fils à la cour,
aurait voulu qu'ils demeurassent auprès du roi : elle avait écrit en ce sens à
la Trémouille son parent, et peut-être aussi à la Pucelle. Jeanne, entrant
dans ses vues, voulait faire patienter le jeune comte, lui disant que, lorsque
le roi prendrait le chemin de Reims, il irait avec lui. « Mais jà Dieu ne
veuille, s'écrie-t-il tout bouillant d'ardeur, que je le fasse et que je ne aille.
Et autretant (tout autant) en dit mon frère et comme Monseigneur d'A-
lençon : Abandonné seroit celui qui demeureroit ! »
On était dans le mouvement du départ. Le duc d'Alençon venait d'ar-
river avec sa compagnie l'avant-veille (lundi G juin;^ le seigneur de Rais
était attendu dans la journée (mercredi 81, et, ce même jour, Alençon,
Dunois et Gaucourt devaient quitter Selles pour rejoindre Jeanne, qui, dès
le 6, avait pris les devants. On disait même que le roi partirait le lendemain
pour se rapprocher de l'armée. « Et on espère, continuait Gui de Laval,
qu'avant qu'il soit dix Jours, la chose sera bien avancée de côté ou d'autre.
Mais tous ont si bonne espérance en Dieu que je crois qu'il nous aidera. »
Iv" E I M s .
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II ne se trompait pas, même pour le temps. Il écrivait le N : le 18, après
deux sièges et une bataille, la campagne était terminée.
Le mercredi après-midi, Vendôme, Boussac et autres avaient rejoint le
l'iy.44.— l'sliscde .sclK^-sur-i, t 1 [ u |. l | IL
Jeanne se rendit à Selles, où se reun ssaient les troupes qui devaient entrer en campagne Son cheval
se démenant très-fort et ne souffrant pas qu'elle montât, elle dit : « Menez-le à la croix. » (Cette croix
était située en face de l'église actuelle.) Et alors elle monta sans que le coursier bougeât comme s'il
eût été lié.
général en chef; la Hire était proche : « Et ainsi, disait Laval dans une
addition à sa lettre, on besognera bientôt. Dieu veuille que ce soit à notre
désir ! » Le lendemain (q juin), la petite armée rentrait dansOrléans, où elle
fut reçue avec une joie extrême, et surtout la Pucellc, « de laquelle voir,
dit encore le Journal du siège, ne se pouvoient saouler. )> Ils en partirent
104 JEANNE D'ARC.
le I I, au nombre de huit mille hommes, dont six cents lances amenées par
le duc d'Alcnçon, six cents par Dunois, Florent d'IUiers et quelques autres,
et le reste du commun, c'est-à-dire du peuple d'Orléans et lieux voisins;
et ils s'avancèrent vers Jargeau, que défendait le comte de Suflblk avec six
à sept cents hommes d'élite, bien résolus et pourvus de canons. Les Fran-
çais n'avaient point laissé leur artillerie en arrière; mais à peine venus, et,
selon le témoignage du duc d'Alençon, avant même d'être arrivés, plusieurs
voulaient rebrousser chemin. On disait que Falstolf venait au secours de la
ville avec une nombreuse troupe. Et, en effet, Bedford, apprenant l'expé-
dition préparée contre ses places de la Loire, l'avait fait partir de Paris
avec cinq mille hommes, et levait partout d'autres soldats qui le devaient
rejoindre. Falstolfs'avançait avec lenteur. Il s'arrêta quatre jours à Étampes,
quatre jours à Janville, voulant avoir tous ses renforts avant d'attaquer
une armée conduite par la Pucelle. Mais dans l'armée de la Pucelle il y en
avait encore qui ne s'étaient point désaccoutumés de craindre les Anglais,
et il leur semblait périlleux de les attendre devant une place occupée par
leurs troupes. Plusieurs partirent, et Jeanne ne retint les autres qu'en leur
allirmant que Dieu conduisait l'entreprise : « Si je n'en étois sûre, disait-
elle, j'aimerois mieux garder les brebis que de m'exposer à tant de périls. »
Jeanne voulait, dès l'arrivée, loger l'armée dans les faubourgs. Tandis
que les gens d'armes cherchaient un abri, les gens du commun, pensant
que rien ne pouvait résister à la Pucelle, se jetèrent dans les fossés, et, sans
attendre qu'elle fût à leur tête, attaquèrent la place. Les Anglais firent une
sortie, et les forçaient à se replier en désordre, quand Jeanne, prenant son
étendard, vint leur rendre courage, et l'on fit tant que cette même nuit on
s'établit dans les faubourgs, comme elle l'avait voulu.
Avant de commencer l'attaque en règle de la ville, Jeanne, selon son ha-
bitude, voulut faire sommation à ses défenseurs. Elle leur enjoignait de s'en
aller en leur petite cotte, la vie sauve, sinon qu'on les prendrait d'assaut.
Les Anglais demandaient quinze jours de suspension d'armes : c'était plus
qu'il n'en fallait pour donner à leurs renforts le temps d'arriver. On répon-
dit qu'on les laisserait partir avec leurs chevaux, mais dans l'heure même.
Suftolk tenta quelque autre moyen de traiter ou de traîner en longueur en
parlant à la Hirc; mais on rappela la Hire, et l'attaque fut résolue.
REIMS.
io5
Pendant le reste de la nuit, on s'occupa des travaux préparatoires. Dès
le matin, les canons et les bombardes étaient en batterie, et à neuf heures,
quoique ce fiât dimanche, Jeanne fit sonner les trompettes et cria au duc
d'Alençon : « Avant, gentil duc, à l'assaut! » Le duc trouvait que c'était
trop tôt commencer-, mais Jeanne lui dit : « Ne doutez point, c'est l'heure
quand il plait à Dieu ; il faut besogner quand Dieu veut. Travaillez, et Dieu
travaillera. » Et elle ajoutait : « Ah ! gentil duc, as-tu peur? Ne sais-tu pas
que j'ai promis à ta femme de te ramener sain et sauf? » Et en effet, quand
le duc d'Alençon avait quitté sa femme pour venir avec Jeanne à l'armée.
Fig. 45. — Sceau armorié et contre-sceaux du duc JAIençun. Archives nationales de France. — Jeanne,
dés son arrivée à Chinon, avait salué dans le jeune duc !'un des soutiens du trône, « et faisoit pour
lui ce qu'elle n'eust fait pour ung autre. » Le roi avait confié au duc la charge de la Pucelle, avec ordre
de lui obéir en tout.
la duchesse avait exprimé ses craintes à la Pucelle : le duc sortait à peine de
captivité, et il avait tant dépensé pour sa rançon ! Mais Jeanne lui avait
dit : « Ne craignez point, madame, je vous le rendrai sain et sauf, et en tel
point qu'il est ou mieux encore. »
Elle tint parole, et dans cet assaut même un mot d'elle lui sauva la vie.
Comme il observait l'attaque d'un endroit découvert : « Retirez-vous, dit-elle,
car voici un engin qui vous tuera-, « et elle lui montrait un canon aux murs
de la ville. Il se retira, et un moment après, le seigneur de Lude était tué
à cette même place d'un coup parti de la pièce désignée.
Les Anglais soutinrent l'assaut avec vigueur. Parmi eux, il y en avait un,
JEANNE D'ARC.
grand et fort, qui se tenait à découvert sur les murailles, accablant les
assaillants de boulets et renversant les échelles et les hommes. Mais là,
comme à Tassant des Augustins, il y avait parmi les Français le fameux
canonnier de Lorraine. Le duc d'Alençon lui montra le redoutable Anglais,
et d'un coup de sa coulevrine Jean le renversa mort dans la ville. Comme
l'attaque durait depuis trois ou quatre heures, Jeanne, et le duc d'Alençon
lui-même, tout commandant qu'il était, descendirent dans le fossé et cou-
rurent aux murailles. Suffolk comprit le péril; il voulut parler au duc, mais
ne fut plus écouté. Déjà la Pucelle montait à l'échelle, tenant en main son
étendard, quand cette bannière fut atteinte, et elle-même frappée à la tète
d'une pierre qui se brisa sur son casque. Elle tomba par terre, mais elle se
releva criant aux hommes d'armes : « Amis, amis, sus! sus! notre Sire a
condamné les Anglais. Ils sont nôtres à cette heure. Ayez bon courage! »
Et les Français, excités par ces paroles, escaladèrent hardiment les murs et
prirent la ville. Sutîolk et les Anglais se replièrent vers le pont, et l'un des
deux frères du capitaine fut tué dans cette retraite ; les autres ne purent
tenir davantage. Suffolk, vivement pressé par un écuyer d'Auvergne, nommé
Guillaume Regnault, lui demanda s'il était gentilhomme.
« Oui, dit-il.
« — Etes-vous chevalier ?
« — Non. »
Le comte le fit chevalier et se rendit à lui.
Quatre à cinq cents hommes avaient péri dans l'assaut; le reste fut pris à
rançon, et dans le nombre l'autre frère de Suffolk. La ville, l'église même
où les Anglais avaient serré leurs biens, tout fut pillé. Le lundi, Jeanne et
le duc d'Alençon, après avoir pourvu à la garde de Jargeau, revinrent à
Orléans, et l'on peut se figurer l'accueil qu'ils y reçurent. Après avoir mandé
au roi leur victoire, ils y restèrent les deux jours suivants, ralliant à eux
tous ceux qui n'avaient pas eu le temps de les rejoindre au premier siège : les
seigneurs de Laval et de Lohéac, ces deux jeunes frères dont on a vu la
lettre à leur mère et à leur aïeule ; Chauvign}', la Tour d'Auvergne, le vi-
dame de Chartres. Le mardi, la Pucelle appela son beau duc, comme elle
nommait Alençon, et lui dit : « Je veux demain, après-midi, aller voir
ceux de Meun : faites que la compagnie soit prête à partir à cette heure. »
REIMS.
107
Tout le monde fut prêt. On vint à Meun. On attaqua vivement et on prit le
pont que les Anglais avaient solidement fortifié, et on l'occupa laissant pour
le moment la ville. On était, sur ce point, maître du passage : on avait
hâte d'en faire autant à Baugencw
-, -I I 1 e 11, Ijr^L u I '.auqui; Juranl Jupuii Iruis uu qualrc heuic.-., J^-Juac nioiUi; .1 l L..hci;c,
criant iu\ hommes d di mes : « Amis, amis, sus! notre Sire (Dieu) a condamné les Anglais. Ils
sont nôtres à cette heure ; ayez bon courage! n I-es Français escaladent les murs et prennent la
ville. — Bas-relief de M. Foyatier, à Paris, xix" siècle.
A Baugency, à leur approche, les Anglais désemparèrent la ville pour se
retrancher dans le château et sur le pont. Ce ne fut point cependant sans
laisser derrière eux quelques soldats déterminés à vendre chèrement la place
qu'ils abandonnaient. Mais les Français, arrivant le jeudi matin, les refou-
lèrent dans le château où les autres s'étaient retirés, et disposèrent leurs
io8 JEANNE D'ARC.
canons et leurs bombardes pour les forcer dans cette dernière retraite.
Le siège fut marqué par un incident qui faillit diviser, par le contre-coup
des intrigues de la cour, l'armée si bien unie contre les Anglais.
Richemont, retiré dans sa seigneurie de Parthenay, ne se résignait point
à l'inaction où le condamnait l'ingrate et misérable jalousie de la Trémouillc.
Après l'arrivée de la Pucelle, quand on alla au secours d'Orléans, il voulut
en être, et leva une troupe qui ne comptait pas moins de quatre cents lances
et de huit cents archers. Mais, comme il était à Loudun, le roi lui fit dire de
s'en retourner; que , s'il passait outre , on le combattrait. Le connétable dut
s'arrêter, et il put d'ailleurs apprendre bientôt qu'Orléans avait été délivré
sans son aide. Mais, quand il sut qu'on recommençait une campagne sur la
Loire, il reprit sa marche; il passa le lleuve à Amboise, dont le capitaine,
plus homme de bien qu'homme de cour, n'entreprit point de l'arrêter, et,
apprenant qu'on faisait le siège de Baugenc}', il y alla.
L'arrivée de Richemont était fort mal vue des chefs. Alcnçon avait reçu
les ordres du roi ; il déclara à Jeanne que, si le connétable venait , lui-même
s'en irait. Le succès était donc compromis par une démarche faite pour l'as-
surer;mais il n'y avait aufondde tout cela, on le savait, que la jalousie d'un
courtisan, point de haine personnelle aux chefs; il ne fallait pour les rap-
procher qu'un prétexte et du bon vouloir. Le prétexte fut l'ennemi , dont la
venue était annoncée; et le bon vouloir, c'est Jeanne qui l'inspira. Elle qui
cherchait si peu l'aide des hommes, elle dit au duc d'Alençon qu'il fallait
s'aider; et elle régla les formes de l'accord : car elle seule paraissait avoir
assez de crédit pour le faire goûter de Charles VIL A la prière du connétable
et des seigneurs, elle se chargea donc de ménager la paix de Richemont
avec ce prince. Le connétable jura devant elle et devant les seigneurs qu'il
servirait toujours loyalement le roi , et le duc d'Alençon et les autres chefs se
portèrent garants de sa réconciliation.
La troupe anglaise dont l'arrivée hâta la conclusion de cet accord était
celle que Falstolf avait voulu amener au secours de Jargeau. Il avait appris
pendant son séjour àJanville la perte de cette place; et Talbot, venant de
la Loire, avait pu lui faire connaître presque en même temps que le pont de
Meun était pris , et Baugency à la veille d'être forcé. Falstolf était d'avis
qu'on en laissât la garnison capituler, représentant que depuis les affaires
'■''S-+7- —Attaque du pont de Meun. Partie supérieure dun vitrail de rjglise
près Meun, exécuté en 1875 par M. L. Ottin, à Paris.
: Notre-Dame de Cléry.
JEANNE D'ARC.
d'Orléans les troupes étaient « moult amaties et effrayées. » Il pensait donc
qu'il \ alait mieux ne rien risquer, se renfermer dans les forteresses les plus
sûres et 3' attendre que leurs gens eussent repris confiance et que Bedford
leur eût envo3'^é tous les secours promis. Mais Talbot s'indigna de cette cir-
conspection et Jura que, n'eût-il que sa gent et ceux qui le voudraient suivre,
il irait combattre Tennemi, à l'aide de Dieu et de monseigneur saint Georges.
Falstolf céda, et le lendemain on mit les troupes aux champs; mais avant
départir il réunit les capitaines et leur remontra encore les périls de l'entre-
prise : ils n'étaient, disait-il, qu'une poignée de gens au regard des Fran-
çais, et, « si la fortune tournoit mauvaise sur eux, tout ce que le feu roi
Henri avoit conquis en France à grand labeur et long terme seroit en voie
de perdition. » Mais ses remontrances n'étant pas mieux goûtées, il com-
manda aux étendards de prendre la route de Meun.
Les Français, laissant une partie des leurs autour du château de Bau-
gency, vinrent au-devant des Anglais et les rencontrèrent « à une lieue près
de Meun et assez près de Baugency. •» Wavrin, qui parle seul expressé-
ment de ce mouvement, porte leur nombre à ^ix mille environ, et nomme
parmi les chefs Alençon, Danois, la Fayette, la Hire, Xaintrailles et la
Pucelle. Ils se postèrent sur une éminence , observant'les ennemis. Les chefs
anglais, s'attendant à la bataille, firent mettre pied à terre, avec ordre aux
archers de s'entourer de leur ceinture de pieux; puis, voyant que les Fran-
çais ne bougeaient pas , ils envo3'èrent des hérauts les défier, s'ils voulaient
descendre dans la plaine. Mais ils eurent cette réponse des gens de la Pu-
celle : « Allez vous loger pour maishu3' (aujourd'hui' , car il est tard; mais
demain , au plaisir de Dieu et de Notre-Dame, nous nous verrons de plus
près. »
Les Anglais vinrent se loger à Meun , où ils avaient garnison, et chan-
gèrent de tactique. Au lieu de marcher droit sur les assiégeants de Baugenc3',
ils canonnèrent toute la nuit le pont de Meun, qui était aux Français,
comptant l'enlever et gagner par l'autre rive le pont de BaugencA' qui était
aux leurs. Ils entraient ainsi sans nul obstacle dans le château assiégé, et
demeuraient libres ou d'en sortir'avec toutes leurs forces pour attaquer, ou
de se borner à s'3' défendre. Mais les Français avaient emplo3'é le temps
bien mieux encore : ils avaient pris la place qu'on voulait délivrer.
REIiMS.
Fig. 4S.— Richemont, connétable de France, en costume d'apparat. D'après r.lra;oi-/i!/ Jii liérault Bcrry
exécuté vers 1450 et conservé à la bibliotli. nationale — A la prière du connétable et des seigneurs,
Jeanne se chargea de ménager la paix de Richemont avec le roi.
Les défenseurs du château de Baugency étaient, comme ceux de Jargcau,
les débris de l'armée d'Orléans : c'étaient déjà des vaincus de la Pucclle. Or
ils voyaient des renforts venir aux assiégeants avec Richemont. et ils avaient
JEANNE D'ARC.
perdu Tcspcrance d'en recevoir eux-mêmes : car le départ et le retour si
prompt de la Pucelle leur avaient fait croire que Tarmée de Falstolf était
venue et s'en était allée. En ces circonstances, et avant que la situation de-
vînt plus critique (elle devait l'être, si Richemont achevait de les investir en
les attaquant par l'autre côté du fleuve comme on l'avait résolu), le bailli
d'Évreux, qui le commandait, proposa et obtint pour les siens une capitula-
tion. On convint qu'ils sortiraient de la place avec les honneurs de la guerre,
emmenant leurs chevaux avec leurs harnais, et la valeur d'un marc d'argent
au plus. Ils promettaient de ne point reprendre les armes avant dix jours.
Ils partirent le i8 au matin, et la nouvelle en fut portée à Meun par un
poursuivant d'armes, quand les Anglais, ayant canonné le pont toute la
nuit, s'apprêtaient à lui donner l'assaut. Ils furent heureux de ne l'avoir
point passé , et ne songèrent plus qu'à reprendre , avec la garnison de Meun ,
la route qu'ils avaient suivie naguère. Ils tirent d'ailleurs leur retraite en bon
ordre. Derrière une première troupe, conduite par un chevalier anglais,
marchaient l'artillerie et les bagages; puis venait le corps de bataille sous
les ordres de Falstolf, de Talbot, deRaveston-, puis l'arrière-garde, toute
composée d'Anglais de race.
Cependant les Français, maîtres du château de Baugency, avaient hâte
de voir les Anglais de près, comme ils l'avaient promis la veille. Ils avaient
cru les retrouver à Meun-, mais, l'ennemi ayant fait retraite à la première
apparition de leur avant-garde, ils gagnèrent au plus vite la route de Blois
à Paris, où ils espéraient le rejoindre. Les Anglais, avertis de leur marche
par les coureurs de l'arrière-garde, ne songèrent plus qu'à trouver un lieu
favorable où ils pussent s'arrêter et les attendre, commeà Crécy. On donna
donc à l'avant-garde l'ordre d'aller s'établir, a\'ec l'artillerie et les bagages,
le long d'un petit bois (près du hameau de LigneroUes) qui couvrait les
abords de Patay. Pour y parvenir, il fallait traverser un bas-fond , et au
delà un passage resserré entre deux haies très-fortes. Quand le corps prin-
cipal y arriva, Talbot, mettant pied à terre, promit d'y tenir avec cinq cents
archers d'élite, jusqu'à ce que l'arrière-garde eût rejoint le corps de bataille;
il comptait ensuite, faisant retraite le long de ces haies, gagner à son tour
la position où l'avant-garde avait précédé, et où tous se devaient réunir pour
soutenir le combat.
Fi^. 49. ~ Miniature tirée du missel de campagne de Jean Talbol, ms. français du xve siècle. Biblioth. de
M. Ambr. Firmin-Didot. ~ Devant la Vierge sont agenouillts : a gauche, Jean Talbot, assisté par saint
Georges qui terrasse le dragon; adroite, Marguerite de Beauchamp, seconde femme de Talbot (fille
du comte de Warwick), assistée par sainte Marguerite, qui terrasse aussi le dragon. Talbot, armé de
toutes pièces, est vêtu d'une cotte blasonnée; on voit au-dessous la bannière de Talbot et celle de
Warv^ick. Les deux bannières surmontent les insignes de l'ordre de la Jarretière, renfermant le petit
chien des Talbot, sous Talbot, et l'ours des Warwick, sous Warwtck. Le chiffre enlace des deux époux
(Jean et Marguerite) est surmonte dune couronne ducale. Les marguerites qui ornent cette composition
sont une allusion au nom de Marguerite de Beauchamp.
\
114 JEANNE D'ARC.
Mais il en arriva autrement. Les Français marchaient en avant, ne sa-
chant au juste où était l'ennemi, mais allant toujours, sur la foi de la
Pucelle. Elle leur avait dit que les Anglais les attendraient, et, comme on
lui demandait où, elle avait répondu qu'on chevauchât sûrement et qu'on
aurait « bon conduit. >> Ils allaient donc dans la direction où l'on croyait
que marchaient les Anglais, ayant pour éclaireurs soixante ou quatre-vingts
de leurs chevaliers les plus braves et les mieux montés. Ils n'avaient rien vu
encore , empêchés par le pli du terrain , lorsqu'un cerf, qu'ils tirent lever, alla
donner dans le corps de bataille des Anglais , où il fut reçu à grands cris. Ces
cris donnèrent l'éveil aux chevaliers français, qui reconnurent l'ennemi, et
bientôt le purent découvrir, marchant en parfaite ordonnance. Ils se hâtèrent
d'en avertir le gros de leur armée, disant qu'il était l'heure de besogner,
qu'on les aurait bientôt en face. A cette nouvelle le duc d'Alençon demanda
à Jeanne ce qu'il fallait faire.
« Avez-vous de bons éperons? « lui dit-elle.
Plusieurs l'entendant s'écrièrent :
« Que dites-vous? Nous tournerons donc le dos?
« — Nenni, en nom Dieu, dit Jeanne, ce seront les Anglois; ils seront
déconfits, et vous aurez besoin des éperons pour les suivre. »
Comme on disait qu'ils avaient plus de mille hommes d'armes :
« Ahl beau connétable , dit-elle à Richemont, vous n'êtes pas venu de
par moi-, mais, puisque vous êtes venu, vous serez bien venu. » Et quel-
ques-uns manifestant encore des doutes, sinon de la crainte : « En nom
Dieu, dit Jeanne, il les faut combattre; quand ils seroient pendus aux
nues, nous les aurons, parce que Dieu nous les envoie pour que nous les
châtiions. » Et elle répondait de la victoire : « Le gentil roi, disait-elle,
aura aujourd'hui la plus grant' victoire qu'il eût pièça (de longtemps'. Et
m'a dit mon conseil qu'ils sont tous nôtres. »
Elle voulait être à l'avant-garde. On la retint malgré elle, et on v mit
la Hire, mais avec l'ordre d'attaquer les Anglais assez vivement pour leur
faire tourner le visage, point assez pour qu'ils tournassent le dos. On
voulait , en les retenant à cette escarmouche , donner au gros de l'armée
française le temps d'arriver, sans leur laisser à eux celui de gagner la
position où ils comptaient se réunir. Mais l'impétuosité de la Hire, et sans
JEANNE D'ARC.
doute aussi la terreur que Jeanne, même de loin, inspirait, déjouèrent ce
calcul. Les Français tombèrent sur l'arrière-garde des Anglais et la disper-
sèrent. Talbot pourtant demeurait ferme à son défilé, et Falstolf, fidèle
au plan qu'on avait arrêté , faisait diligence pour aller rejoindre Tavant-
garde dans ses positions sur les derrières. Mais Favant-garde, le voyant
venir à elle, crut qu'il se retirait, et , pour ne point perdre son avance, elle
prit la fuite. Falstolf voulut se retourner alors et marcher à l'ennemi : il
était trop tard. Déjà Talbot se voyait enveloppé; la panique était générale,
et les Français, maîtres du champ de bataille, tuaient ou prenaient ceux
qui leur tombaient sous la main. Falstolf céda enfin aux instances de ceux
qui l'entouraient, et s'enfuit avec peu de monde. Dans son escorte était
Wavrin, qui a fait ce récit de la bataille. Il dit que les Anglais perdirent
deux mille morts et deux cents prisonniers. Dunois, sans distinguer, évalue
leur perte à quatre mille hommes. Talbot était parmi les prisonniers.
Comme on le présentait au duc d'Alençon , le jeune prince lui dit : « Vous
ne pensiez pas, le matin, que cela vous arriverait. » Il répondit : « C'est
la fortune de la guerre. »
Cette journée eut des résultats considérables. Tout le pa}'s , qui détestait
les Anglais, ne chercha plus à cacher sa haine. Ceux de Janville , à qui ils
avaient laissé leur argent au départ, leur fermèrent la porte; et , quant aux
places qu'ils possédaient encore au voisinage, Mont-Pipeau, Saint-Sigis-
mond, etc., les garnisons s'empressèrent d'y mettre le feu et d'en partir.
Nulle citadelle ne leur semblait sûre. Ce qui était plus grave, c'est que,
même en plaine, ils ne paraissaient plus à craindre. Les Anglais, grâce
à l'habile emploi des armes de trait , à l'excellence de leur infanterie et à
une tactique qui reléguait au second rang les brillants usages de la cheva-
lerie, avaient acquis dans les combats en rase campagne un renom de
supériorité consacré par les souvenirs de Crécy, de Poitiers et d'Azincourt.
Ce prestige se dissipait comme les autres. Toute leur tactique avait été
déjouée dans le lieu le plus propre à leur faire retrouver la gloire de ces
grandes journées; tout leur corps de bataille avait été mis en fuite par une
simple avant-garde, mais une avant-garde animée de l'esprit de la Pucel'e.
Qui pouvait douter maintenant qu'elle ne menât le roi à Reims comme
elle le promettait ? Jeanne avait prouvé qu'elle saurait s'ouvrir les chemins
ii8 JEANNE D'ARC.
comme elle savait forcer les citadelles. On Tavait vue à Tœuvre : et pourtant
on différait encore.
Jeanne avait déjà rencontré bien des résistances à l'accomplissement de
sa mission. Elle en avait rencontré de toutes sortes : à Domremy, à Vau-
couleurs, à Chinon, à Poitiers. Elle avait triomphé alors, sans persuader
encore. Comme on l'avait laissée aller à. Chinon, on l'envoya à Orléans :
mais la défiance la suivait. Si le peuple avait foi en elle , les grands se
servaient d'elle sans la croire. Ils la mettaient devant, et décidaient à son
insu, qu'il s'agît de la marche du convoi ou de l'attaque des forteresses
anglaises : il avait fallu qu'elle commençât par leur faire en quelque sorte
violence à eux-mêmes, pour forcer les Anglais dans leurs bastilles et les
chasser d'Orléans. La délivrance d'Orléans, qui était plus qu'une victoire,
avait imprimé un élan immense à tous les esprits. Il n'y avait qu'à le
soutenir et à le suivre : on le laisse retomber, et Jeanne doit lutter encore
et contre l'inertie et contre la malveillance. Elle demandait le voyage de
Reims : on lui offre une campagne sur la Loire. Elle accepte, comme en
attendant : et l'on a vu avec quelle rapidité elle la termine. Le ii juin,
elle attaque Jargeau, et le prend le i 2 ; le i3 elle est à Orléans, où elle
rallie ses troupes; le i5 elle occupe le pont de Meun; le lô elle attaque
Baugency, qui se rend le 17. Les Anglais, partis pour secourir Jargeau,
arrivent à Meun le jour même où Baugency capitule ; ils n'arrivent que
pour faire retraite, mais non si vite qu'ils ne soient rejoints et battus le 18
à Patay. Une semaine a tout achevé. •
L'épreuve est donc complète. Jeanne a prouvé sa mission et dans les
sièges et dans les batailles. Ce n'est plus seulement le peuple, ce sont les
soldats, ce sont les capitaines et tous les seigneurs qui croient en elle et ne
demandent qu'à la suivre. Eux qui, au siège d'Orléans, montraient encore
tant de défiance, n'avaient plus, dans la dernière campagne, rien fait que
par sa direction. Mais c'était ce qui effrayait ceux qui, dans le plus intime
des conseils du roi, l'avaient toujours sourdement combattue , et notam-
ment le favori la Trémouille. Sa puissance était fondée sur l'inertie du
prince et sur son isolement. Elle était fort compromise, si le roi voulait
agir enfin, s'il s'entourait des princes du sang, de toute la noblesse : car il
trouvait nécessairement en eux, dans cette voie, une concurrence fatale
REIMS.
à son crédit. Or, Jeanne, qui venait d'imprimer ce grand mouvement,
devait en cela lui être suspecte à plus d'un titre. Elle avait salué, dans le
jeune duc d'Alençon, l'un des soutiens du trône, et illustré par le triomphe
le commandement dont il avait été revêtu. Elle avait, dans le cours de
fig. 52. — Apres la victoire de Patay, Jeanne et les chefs Je l'arme-e française, re'unis autour des tiuphées
conquis, remercient Dieu. — Bas-relief de M. Foyatier, à Paris, xix*^ siècle.
cette rapide campagne, accueilli le connétable : elle lui avait promis de
faire sa pai,\ avec le roi ; elle y avait engagé le duc d'Alençon et les princi-
pau.x capitaines; et, comme pour rendre l'engagement plus sacré, elle
Tavait scellé de la commune victoire. Elle allait donc ramener à la cour
un homme qui n'y pouvait paraître sans que la Trémouille, si considé-
rable qu'il lut par ses grands biens, rentrât sous terre. La Trémouille, sans
JEANNE D'ARC.
aller de front contre un mouvement qui Peut emporté, fit en sorte que le
roi ne s'}' abandonnât que le moins possible, et sut ainsi, en l'y suivant
lui-même avec prudence, gagner le jour où, l'entraînement ayant perdu de
sa lorce, il fût possible de l'en retirer. C'est le triomphe de sa politique et
le malheur de la France.
LE SACRE.
La Pucelle était revenue le dimanche matin (iq juin) de Patay à Orléans,
et les habitants, joyeux et fiers d'un succès qui couronnait et consacrait leur
délivrance, ne doutaient point que le roi n'y vînt lui-même : c'était montrer
l'importance qu'il attachait à leur ville et l'estime qu'il faisait de leur dé-
vouement. Mais laisser aller le roi à cette armée tout enivrée de sa victoire,
au sein d'une ville qui était comme le monument du triomphe de la Pucelle,
c'était l'exposer à la contagion de l'enthousiasme populaire ; et le favori
sentait bien qu'elle ne gagnerait pas le prince à son profit. Le roiresta donc
à Sully-sur-Loire, domaine de la Trémouillc, et les habitants d'Orléans,
qui s'étaient mis en grande dépense pour le recevoir plus dignement, ornant
les maisons et tendant les rues, en furent, à leur grand déplaisir, pour leurs
frais de décoration.
Ce premier succès en promettait un autre à la Trémouille. La Pucelle ,
n'a\'ant pas trouvé le roi à Orléans, vint- avec le duc d'Alençon et les sei-
gneurs à Sully, pour accomplir auprès de lui l'engagement pris à l'égard de
Richemont : ils le suppliaient de pardonner à un homme qui avait eu sa part
aux derniers succès, et qui venait mettre quinze cents combattants à son ser-
vice. Le roi lui pardonna; mais il refusa absolument de l'admettre au
voyage de Reims « pour l'amour du seigneur de la Trémouille; ce dont
la Pucelle fut très-déplaisante; et si furent plusieurs grands seigneurs...,
mais toutefois n'en osoient parler, parce qu'ils voyoient que le roi faisoit, de
tout, ce qu'il plaisoit à celui seigneur de la Trémouille. » Le voyage même
lui plaisait peu, et il s'eflVayait de ce grand rassemblement d'hommes qui
ne demandaient rien que de servir à leurs dépens sous la Pucelle, mais qui
ne pouvaient pas longtemps servir ainsi le roi sans péril pour le favori ;
JEANNE DaRC, III. — 1 1>
JEANNE D'ARC.
c'est ce qu'atteste Jean Chartier : « Et parlemoyend'icelle Jehanne la Pu-
celle venoient tant de gens de toutes parts devers le roi pour le servir à
leurs dépens, qu'on disoit qu'icelui de la Trimolle et autres du conseil
étoient bien courroucés que tant y en venoit, pour le doubte (crainte) de
leurs personnes. Et disoient plusieurs que si ledit sire de la Trimolle et
autres du conseil du roi eussent voulu recueillir tous ceux qui venoient au
service du roi, ils eussent pu légèrement recouvrer tout ce que les Anglois
tenoient au roj'aume de France. »
Cependant le voyage de Reims fut résolu : et le roi vint à Saint-Benoît-
sur-Loire, près Châteauneuf, où les capitaines furent réunis en conseil. La
Pucelle était l'àme de tout ce qui tendait à ce but : et le roi se montrait
touché de la peine qu'elle se donnait -, il lui commanda même, en cette ren-
contre, de prendre du repos. Mais ce qui peinait la Pucelle, c'étaient ces
hésitations et ces retards : elle se mit à pleurer, et dit au roi qu'il ne doutât
point, et qu'il recouvrerait son roj'aume et serait bientôt couronné.
Il fut décidé que les troupes d'Orléans viendraient à Gien, où le roi se
rendrait lui-même avec tous ceux qui le devaient accompagner. Jeanne re-
vint donc à Orléans pour tout préparer, et, le vendredi matin 24, elle fit
donner le signal du départ. On fut à Gien le jour même -, et, dès le len-
demain, elle adressait une lettre aux habitants de Tournay, cette brave et
royale ville qui, au milieu des provinces de la maison de Bourgogne, restait
attachée à la France et à son roi. Elle leur annonçait les succès remportés
en huit jours sur les Anglais, leurs villes de la Loire conquises, leur armée
battue et dispersée, leurs chefs tués ou pris; et elle les invitait au sacre du
roi, les priant de se tenir prêts à venir au-devant de lui quand ils auraient
nouvelle de son approche.
Mais les choses étaient moins avancées qu'elle ne l'avait cru. C'étaient
chaque jour encore de nouveaux conseils. Quelques-uns des princes du sang
royal, dit Dunois, et d'autres capitaines remettaient même en question le
vovage de Reims, proposant une entreprise plus hardie : il s'agissait d'aller
au cœur de la puissance anglaise, non à Reims, mais à Rouen. D'autres
admettaient le voyage de Reims en principe ; mais, sous prétexte de lui
donner plus de siàreté ou plus d'éclat, ils ne cherchaient qu'à le faire ajour-
ner. On attendait la reine, que Ion voulait faire couronner avec le roi, et, en
REIMS. 123
l'attendant, on proposait aux capitaines quelques petites entreprises qui
étaient comme à la portée de la main. Les Anglais avaient généralement
abandonné leurs forteresses de la Beauce; mais, par eux-mêmes ou par les
Bourguignons, ils en gardaient encore plusieurs sur la Loire : Marchénoir,
Bonny, Cosne et la Charité. Ne pouvait-on les en déloger d'abord? C'était
même déjà chose commencée. Le 26, Louis de Culan prenait Bonny; ceux.
de Marchénoir offraient de se rendre, à la nouvelle que Richemont, demeuré
à Baugency, les voulait attaquer; Cosne et la Charité refusaient de capi-
tuler : mais serait-il si difficile de les prendre? Cependant, encore fallait-il
les aller prendre l'une après l'autre; et aller prendre Cosne et la Charité,
c'était ramener le roi à Bourges. Jeanne le voulait mener à Reims. Elle
sentait que ce temps perdu à de petites choses, quand on en pouvait faire
de grandes, n'était bon qu'cà rendre même les petites plus difficiles : ainsi
ceux de Marchénoir qui avaient donné des otages et obtenu dix jours pour
emporter leurs biens, apprenant la conduite du roi envers Richemont,
usèrent du délai pour saisir quelques otages à leur tour et garder la place.
— LaPucellene voulait plus admettre aucune cause nouvelle de retard; et,
voyant où l'on cherchait à l'entraîner, elle quitta la ville dès le 27, et alla
se loger aux champs. Agir sans elle, c'était tout perdre. On se rendit. Par
un reste de crainte sur les hasards du voyage, la reine, arrivée à Gien, fut
renvoyée à Bourges; Cosne et la Charité furent laissées là, et le 29 juin,
jour de la Saint- Pierre, on partit pour Reims.
Le roi emmenait dans cette expédition, avec la Pucelle, leducd'Alehçon,
les comtes de Clermont, de Vendôme et de Boulogne, le bâtard d'Orléans,
le maréchal de Boussac (Sainte-Sévère), l'amiral Louis de Culan, les sei-
gneur de Rais, de Laval, de Lohéac, de Chauvigny, la Hire, Poton de
Xaintrailles, la Trémouille et plusieurs autres, avec environ douze mille
combattants. Il prit d'abord le chemin de Montargis, et Ton put croire qu'il
marcherait sur Sens ; mais il se tourna vers Auxerre. Les habitants, sans se
déclarer contre lui, auraient voulu ne se point compromettre à l'égard des
Anglais. Ils envoyèrent donc une députation au roi pour tâcher d'accom-
moder ses vues à leur politique. Jeanne voulait qu'ils se rendissent ou
qu'on les prît : un acte de vigueur au début ne pouvait qu'aplanir les diffi-
cultés de la route. Mais Jeanne ne commandait plus ici : elle ne pouvait
JEANNE D'ARC.
qu'agir auprès du roi ; et près du roi était la Tréniouille, gouverneur en
titre de la ville, et qui, loin de s'en faire ouvrir les portes, se laissa gagner,
dit-on, mo_yennant deux mille écus d'or, à la résolution de les tenir fermées
à Charles VII. On accorda aux habitants la trêve qu'ils demandaient, au
grand mécontentement de la Pucelle et des capitaines. Ils promettaient
de faire ce que feraient ceux de Troyes , de Chillons et de Reims. La seule
chose qu'ils concédassent pour le moment aux gens du roi, ce fut de leur
donner, à prix d'argent, des vivres, dont on avait négligé de se pourvoir.
Après trois jours passés devant Auxerre, on alla à Saint-Florentin, qui
se rendit de bonne grâce, et, chemin faisant, on se préparait la voie par des
messages. Dj Brinon-l' Archevêque, le roi écrivit à Reims (le 4 juillet) ,
mandant aux habitants les choses qui venaient de s'accomplir à Orléans, à
Jargeau, à Baugency, etc., « plus par grâce divine que œuvre humaine; »
il leur annonçait son voyage, et les invitait à le recevoir comme ils avaient
coutume de faire ses prédécesseurs, sans rien craindre du passé, « assurés
d'être traités par lui en bons et loyaux sujets. » Le même jour, comme on
était à Saint-Phal, à quelques lieues de Troyes, la Pucelle, à son tour, en-
voya aux habitants de cette ville un message qui les invitait à se soumettre,
ne leur laissant d'autre alternative que d'être forcés. Mais il y avait à Troyes
une garnison de cinq à six cents Anglais et Bourguignons qui gouvernaient
les résolutions de la bourgeoisie. Au lieu de répondre au roi, ils écrivirent
à Reims pour qu'on leur vînt en aide et qu'on demandât des secours au
régent.
Le 5, à neuf heures du matin, l'armée royale était devant leurs murs, et
elle s'y établit malgré une sortie de la garnison, qui fut repoussée. Le roi
reprit les négociations, espérant amener les habitants à une soumission vo-
lontaire. On prit ses lettres des mains du héraut, sans le laisser entrer dans
la ville; on les lut au conseil, et on y répondit que les habitants avaient
juré au duc de Bourgogne de ne recevoir en leur ville, sans son ordre ex-
près, aucune force capable de leur faire la loi. Ils ajoutaient, pour s'excuser
eux-mêmes, qu'ils avaient actuellement chez eux une multitude de gens de
guerre auxquels ils n'étaient pas en état de résister; et ils ne le prouvaient
que trop par de nouvelles lettres aux habitants de Reims, où ils parlaient de
ces messages, des réponses qu'ils y avaient faites, des dispositions qu'ils
REIMS.
125
avaient prises, et de leur résolution de combattre jusqu'à la mort. Ils leur
parlaient aussi de la Pucelle, une Cocqiiardc, comme ils l'appelaient : ils
certifiaient que c'était une folle pleine du diable; que sa lettre n'avait ni rime
ni raison, ajoutant qu'après s'en être bien moqués, ils l'avaient jetée au feu
sans daigner y répondre.
La Pucelle n'avait point laissé de faire de nouveaux efforts pour les ra-
mener au roi. Il y avait alors à Troyes un moine augustin, d'autres disent
cordelier, qui avait fait grand bruit en ce temps-là. Frère Richard (c'était
Fig. 5+ — La ville Je '1 rnycs tarJ.im a so lenLirc, on ^ n_c i t i lt\(.i 1<- s e. M k iiuil Mnt dire au
roi ; n Gentil royde France, si vous voulez cy demeurer devant votie ville de Troyes elle sera en votre
obéissance avant deui jours, soit par force ou par amour; et n'en faites nul doute. • — Ms. fr., n" 5o54,
daté de 1484, à la biblioth. nationale.
son nom", après avoir visité les saints lieux, était allé à Paris, au commen-
cement d'avril 1429, et y avait prêché avec un succès extraordinaire : il
parlait cinq à six heures de suite, et ne comptait pas moins de cinq ou six
mille personnes à ses sermons. Les Anglais avaient fini par prendre om-
brage-de ce concours. Il était donc sorti brusquement de Paris, avait par-
couru la Bourgogne et la Champagne. Il se trouvait à Troyes, quand vinrent
le roi et la Pucelle. Ayant ouï ce qu'on disait d'elle, il la voulut voir, mais
craignant un peu qu'elle ne fût ce que disaient les habitants de Troyes, il
s'approcha avec défiance, faisant des signes de croix et jetant de l'eau bé-
nite. — « Approchez hardiment, lui dit la Pucelle, je ne m'envolerai pas. »
JEANNE D'ARC.
Et, après l'avoir rassuré, elle le chargea de nouvelles lettres pour la ville
assiégée. Mais elles n'eurent pas plus de succès.
On était là depuis cinq jours, attendant que la ville se rendît. Elle n'en
faisait rien, et l'on se cro\'ait si peu en état de l'y contraindre qu'on ne son-
geait plus, dans le camp de Charles, qu'à lever le siège. L'armée royale,
partie sans provisions, commençait à sentir la famine. On tint conseil, et
l'archevêque de Reims, aussi peu pressé de rentrer dans sa cathédrale que
d'y mener le roi, démontra fort pertinemment qu'on ne pouvait demeurer
devant Troyes davantage.
Jeanne, apprenant qu'on délibérait, vint frapper à la porte. On la fit
entrer, et le chancelier lui exposa ses raisons ; Jeanne, se tournant vers le
roi , lui demanda s'il la voudrait croire.
« Parlez, dit le prince, et, si vous dites chose profitable et raisonnable,
volontiers on vous croira.
« — Me croirez- vous ? répéta Jeanne.
c( — Oui, selon ce que vous direz.
« — Gentil roi de France, dit-elle, si vous voulez cy demeurer devant
votre ville de Troyes, elle sera en votre obéissance dedans (avant) deux
jours, soit par force ou par amour; et n'en faites nul doute.
« — Jeanne, reprit le chancelier, qui seroit certain de l'avoir dedans six
jours, on l'attendroit bien. Mais dites-vous vrai? »
Elle dit derechef qu'elle n'en faisait nul doute; et l'on se résolut à at-
tendre.
Jeanne monta achevai, et, sa bannière à la main, elle s'en vint dans le
camp, et ordonna de tout préparer pour l'assaut. Chevaliers, écuyers, tous
se mirent en besogne, rivalisant de zèle à porter des fagots, des ais de portes,
des tables, des fenêtres et autres choses propres à couvrir les approches de
la place et à favoriser l'établissement des batteries. Elle-même avait dressé
sa tente près du fossé, et faisait , au témoignage d'un homme qui s'}' con-
naissait , plus que n'eussent pu faire deux des plus habiles et des plus fa-
meux capitaines. Le lendemain matin , tout était prêt , et déjà la Pucelle
faisait jeter les fascines dans les fossés et criait « A l'assaut ! » quand
l'évêque et les principaux de la bourgeoisie et des gens d'armes vinrent de-
mander à capituler.
REIMS.
127
Fig. 55. — « Comment ceux de Troyes se réduisirent au roy. » — Ms. fr., n° 5o54,
daté de i-|'S4, à la biblioth. nationale.
Dès la veille, quand on la vit à l'œuvre, une grande fermentation s'était
manifestée parmi le peuple. Les habitants de Troyes ne subissaient pas
Fig. 56. Il CcininiLiii Lciix Je Châlons vinrent au-devant duroy. » — AK. l'r., n" 3o?|,
daté de 1484, à la biblioth. nationale.
sans murmure, on le peut croire, cette faction étrangère qui les dominait ,
et ils n'étaient pas d'avis de se mettre, eux et leurs biens, en péril pour elle.
JEANNE D'ARC.
Quand le matin ils virent l'assaut tout prêt, ils résolurent de le prévenir.
L'évèque (Jean Laiguisé), natif de Troyes et puissant dans la ville, se pro-
nonça un des premiers. On s'entendit sans peine sur les conditions.
Charles VII n'avait d'autre intérêt que de s'attacher et d'attirer à lui, par
des ménagements, les villes qui voudraient se rendre. Il donna donc aux
habitants toute garantie pour les personnes et pour les biens, accordant aux
troupes étrangères la permission de s'en aller avec ce qu'elles possédaient.
Le lendemain, dimanche lo juillet, le roi entra dans Troyes en grande
pompe avec tous les seigneurs et capitaines , et la Pucelle auprès de lui ,
portant son étendard. La garnison sortit librement, selon la convention;
mais, comme plusieurs, en vertu de l'article qui leur laissait leurs biens,
emmenaient leurs prisonniers, Jeanne ne le voulut point souffrir. « Elle se
tint à la porte en disant que, en nom Dieu, ils ne les emmèneraient pas; et
de fait les garda. « Le roi, pour mettre d'accord la lettre du traité avec ces
justes résistances, les racheta de leurs maîtres, argent comptant.
La soumission de Tro3'es décida celle de Châlons : avant d'arriver aux
portes delà ville, Charles VII rencontra l'évêque et un grand nombre de
bourgeois qui se venaient mettre en son obéissance. Jeanne eut à Châlons
une grande consolation. Elle y vit des gens de Domremy : Jean Morel, à
qui elle donna un habit rouge qu'elle avait porté; Gérardin , d'Epinal, qui
sans doute n'était plus bourguignon, car elle lui dit qu'elle ne craignait
qu'une chose : les traîtres. Ce fut, au milieu de sa marche triomphante,
comme une apparition des lieux de son enfance. Si peu de mois et tant de
prodiges s'étaient accomplis depuis qu'elle les avait quittés ! — Elle n'y
demeura qu'un jour. Le roi logea la nuit dans la ville avec son armée, et le
lendemain partit pour Reims.
Comment les Anglais, qui le savaient en route, ne s'étaient-ils pas mis en
mesure d'y être avant lui? Charles avait tout à conquérir sur le chemin, et
pour eux tout leur était soumis, y compris la ville elle-même. — C'est que
déjà ils n'étaient plus autant les maîtres en France qu'on le pouvait croire,
et Bedford était bien forcé de se le dire, la rage dans le cœur. Quand il
avait vu, au moment où il se croyait siàr de la victoire, toutes ses espéran-
ces confondues : ses bastilles enlevées, ses troupes battues en rase campagne,
les garnisons capitulant et l'esprit des soldats, naguère si fier, complètement
REIMS.
129
abattu , il n'avait pu croire que ce fût là l'œuvre d'une simple jeune fille. Il
y reconnaissait quelque chose de surnaturel, et n'hésitait point à le rapporter
au démon : il le déclare dans une lettre, où il confesse en même temps et
l'importance des pertes éprouvées par ses gens, et la démoralisation de ceux
qui restent. A la nouvelle de la délivrance d'Orléans, lui-même avait quitté
précipitamment Paris pour se retirer à Vincennes, craignant que le contre-
coup de la défaite n'e.xcitât un mouvement populaire. Il avait eu de la peine
à former l'armée qui, venue pour secourir les villes de la Loire, se fit battre
à Pata3' ; et depuis cette défaite, qu'il vengea par la dégradation fort immé-
ritée de P'alstolf, les difficultés étaient bien plus grandes encore.
L'Ile-de-France et le voisinage lui faisant défaut , il s'était tourné vers
Fig. 57. — Le château de Vincennes. D'après une gravure du dix-septième siècle. — A la nouvelle de la
délivrance d'Orléans, Bedford avait quitté précipitamment Paris pour se retirer à Vincennes, craignant
que le contre-coup de la défaite n'excitât un mouvement populaire.
l'Angleterre et vers le duc de Bourgogne. Leparlement anglais commençait
à se lasser d'une guerre qui savait si peu pourvoir à ses propres besoins,
même en pays de conquête. Bedford crut faire mieux en s'adressant direc-
tement au cardinal de Winchester. Le cardinal, après tous les soucis qu'il
avait donnés au régent du côté de l'Angleterre, lui promettait un secours in-
espéré dans sa détresse. Pour se débarrasser de lui, on l'avait mis à la tête
d'une croisade contre les hussites, et il s'était recruté une armée des deniers
de l'Église. Or, il n'était point parti encore ; et Bedfort, tirant profit de ces
retards, l'avait décidé à mettre provisoirement cette armée au service du roi
en France iV'' juillet ;. Quelles meilleures troupes diriger contre celle qu'il
appelait un limier de l'enfer, et à quoi pouvait-on mieux gagner les indul-
gences de la croisade ? D'autre part, il avait pressé le duc de Bourgogne de
venir à Paris : il lui avait envoyé à Hesdin, de concert avec les gens de
D >RC. ni. —
JEANNE D'ARC.
Paris, une solennelle ambassade : un évèque, deux notables docteurs, plu-
sieurs des plus puissants bourgeois ; et le duc s'étant rendu à cette invitation
, lo juillet), on ne négligea rien pour réchauffer sa haine contre le prince qui
s'était souillé du meurtre de son père : sermon à Notre-Dame, assemblée
solennelle au palais, où on relut le traité conclu entre Jean sans Peur et le
dauphin, pour raconter ensuite le meurtre qui le déchira. Le succès fut
complet. Le duc renouvela sa plainte contre Charles; et toute l'assemblée, le
serment de fidélité aux actes du traité de Troyes. Tout se réparait donc, ce
semble; mais il fallait du temps encore pour entrer en action , et Bedford ,
en ce moment, ne pouvait combattre la marche du roi vers Reims que par
des messages adressés à la ville.
Les habitants de Reims ne lui demandaient d'ailleurs aucun renfort : ils
inclinaient secrètement pour le roi ; mais ils craignaient, en laissant percer
leurs sentiments, d'affaiblir la confiance qu'on avait en eux, et de se faire
envoyer quelque grosse garnison qui les gênât dans leurs résolutions posté-
rieures et les ruinât, en attendant, sous prétexte de les défendre. Ils pre-
naient donc toutes les mesures nécessaires pour rassurer les Anglais en se
réservant de se garder eux-mêmes, et les extraits des délibérations de leur
conseil, du mois de mai au mois de juillet, depuis la bataille de Patay jus-
qu'à la veille du sacre, en offrent des traces curieuses.
Les Anglais attendaient-ils beaucoup du concours de la ville pour arrêter
la marche du roi ? Peut-être ne semblaient-ils y croire que parce qu'ils
n'étaient point en mesure de s'en passer encore. Quoi qu'il en soit, les avis
arrivaient de toutes parts à Reims, comme au centre, de la résistance à l'en-
treprise de Charles VIL Le duc de Bourgogne, Guillaume de Chàtillon ,
capitaine de Reims, alors absent, Jean de Chàtillon, son frère, envoyaient
des messages aux habitants pour leur donner les nouvelles qui les pouvaient
raffermir et aussi pour atténuer celles qui les devaient ébranler. C'était ce que
faisait, en dernier lieu, Jean de Chàtillon, cherchant à expliquer à sa ma-
nière la soumission de Troyes.
Vains efforts! les habitants de Reims recevaient en même temps une
nouvelle lettre de ceux de Troyes, puis une autre écrite de Troyes par leur
archevêque, dont le rang auprès du roi était pour eux, au besoin, une ga-
rantie des sentiments que le roi lui-mêmeleuravait exprimés. Après Troyes,
l32
JEANNE D'ARC.
c'était Châlons qui se rendait et pressait Reims d'imiter son exemple ( 1 6 juil-
let); et le roi , arrivant en même temps que la lettre, s'arrêtait à Septsault,
à quatre lieues de Reims, n'attendant plus que la députation des habitants.
Cette démarche ne se fit pas longtemps attendre. Guillaume de Châtillon ,
voyant que les événements se précipitaient , s'était rendu à Reims avec les
seigneurs deSaveuseetde Lisle-Adam. Il avoua aux habitants que l'armée
dont on leur avait tant parlé ne serait prête que dans cinq ou six semaines :
il les priait de tenir jusque-là , promettant qu'ils recevraient alors du secours.
Mais ceux de Reims avaient si peu envie d'en recevoir, qu'ils n'avaient
Fig. 59. — » Comment ceulx de Reims ouvrirent les portes au roy, et après fut sacré et couronne'. >
iMs. fr., n° 5034, daté de 14S4, à la biblioth. nat.
même pas voulu laisser entrer dans leurs murs les hommes que Châtillon ,
Saveuse et Lisle-Adam avaient amenés en grand nombre à leur suite. Les
trois seigneurs se retirèrent; et ils n'étaient pas encore bien loin, que les
notables, tenant conseil, envoyèrent, du consentement de tous, des députés
au roi. Le roi les reçut, leur assura par lettres pleine amnistie, et le même
jour fit son entrée dans la ville (i() juillet).
L'archevêque Regnault de Chartres , qui l'y avait précédé dès le matin ,
vint à sa rencontre à la tête des corporations et de la bourgeoisie; et le peu-
ple faisait entendre autour de lui le joyeux cri de A'oi'l : mais tous les re-
gards étaient pour la Pucelle, qui suivait le prince avec l'armée. Le reste
REIMS.
i33
du jour et toute !a nuit furent employés aux préparatifs du sacre, qui eut
lieu le lendemain dimanche, 17 juillet. Les maréchaux de Boussac et de
Fig. 60. — Reliquaire de la sainte ampoule pour le sacre Jes rois de France, tel qu'il était avant ijo?,
dans réslise Saint-Remi, ù Reims. D'après les Eglises Je Reims, par Tarbé, in-4°, 1S43. — La samte fiole
était portée par une colombe d'or, au bec et aux pieds de corail, fixée sur un plateau de vermeil riche-
ment ciselé et orné de pierreries. Une chaîne d'argent permettait au grand prieur de suspendre à son
cou le reliquaire, lorsqu'il le portait aux cérémoniesdu sacre. Ses dirnensions étaient de 16 centimètres
de large sur 19 de hauteur. Ce reliquaire fut brisé solennellement à Reims, au mois d'octobre lyyl',
et les débris envoyés à la Convention nationale, qui les partagea entre le Trésor et la Monnaie.
Rais (Rais fut fait maréchal ce jour-là;, le sire de Graville, grand maître
des arbalétriers, et le sire de Culan, amiral de France, allèrent à cheval,
bannière au vent, chercher à Saint-Remyla sainte ampoule, qu'ils jurèrent,
JEANNE D'ARC.
Kig. 6i. — Jeanne, portant sa bannière, assiste au sacre de Charles VII, dans la cathe'drale de Reims. Elle
est accompagnée de d'Aulon, son écuyer, de Jean Pasquerel, son confesseur, religieux augustin, de ses
pages Louis de Contes, etc. — Tableau de Ingres, au musée du Louvre, xix*^ siècle.
selon le cérémonial, de conduire et de ramener sijrement; et sous leur
escorte, Tabbé, revêtu de ses habits pontificaux, la porta solennellement
jusque devant l'église de Saint-Denis, où l'archevêque, à la tête du chapitre,
la prit de ses mains pour la déposer sur le grand autel de Notre-Dame.
fi? 0-' - La cathédrale dL Reims ou eut heu le bdLrc lu ro. Monument du xiii= siècle - I a façade,
renommée entre les plus belles, est couverte de tout un peuple de statues.
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JFANNE d'.ARC. III. — l8
i38 JEANNE D'ARC.
Au pied de Tautel était le roi. Selon l'antique usage, il devait être en-
touré des douze pairs du royaume. Comme on ne pouvait ni les réunir ni
les attendre, les principaux seigneurs et les évèques présents tenaient la
place des absents : comme pairs laïques, le duc d'Alençon pour le duc de
Bourgogne , l'allié des Anglais -, les comtes de Clermont et de \'endôme, les
sires de Laval, de la Trémouille et de Beaumanoir; comme pairs ecclésias-
tiques, l'archevêque de Reims, Tévêque de Laon et l'évêque de Chalons , en
vertu de leur titre; les évcques de Séez , d'Orléans, et un sixième au nom
des autres titulaires. L'archevêque de Reims officiait; le sire d'Albret tenait
l'épée devant le roi. Mais il y avait encore un personnage que l'antique cé-
rémonial ne prévovait pas : c'était la Pucelle , debout aux côtés du roi , son
étendard à la main. Après la cérémonie , quand le prince , fait chevalier par
le duc d'Alençon, eut reçu de l'archevêque l'onction sacrée et la couronne,
la Pucelle, se jetant à ses pieds, lui embrassa les genoux , et, pleurant à
chaudes larmes : «. Gentil roi, dit-elle, ores est exécuté le plaisir de Dieu,
qui vouloit que vinssiez à Reims recevoir votre digne sacre , en montrant
que vous êtes vrai roi et celui auquel le royaume doit appartenir. » Elle
pleurait , et les seigneurs qui étaient là pleuraient avec elle.
I. A prcEi.i.ir.
C'était le roi, c'étaient les seigneurs et le peuple , que , par ces paroles,
Jeanne prenait à témoin de la vérité de sa mission : et qui d'entre eux la
pouvait mettre en doute? Orléans délivré en quatre jours de combat; les
Anglais, en moins d'une semaine, chassés de leurs principales positions
sur la Loire et battus en rase campagne dans leur retraite; le roi , mené à
Reims avec une armée dépourvue de tout, à travers un pays occupé par
l'ennemi , entrant dans les villes et atteignant le but de son vo3'age sans coup
férir : voilà ce qu'elle avait fait; et sa façon d'agir n'était pas moins surpre-
nante que les résultats obtenus. Dans la première campagne, elle avait
montré non-seulement l'inspiration qui enlève le succès, mais l'habileté qui
le prépare, étonnant les plus vieux capitaines par une connaissance de la
guerre que l'on ne pouvait attendre ni de son sexe ni de son âge. Et dans
JEANNE D'ARC.
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140 JEANNE D'ARC.
cette nouvelle entreprise , où Ton avait affaire moins aux Anglais qu'à des
enfants égarés de la France, elle avait su prendre les villes sans qu'une
seule goutte de ce sang français, qui lui était si cher, fût répandue.
Mais ce qui commandait surtout la foi en sa mission , c'est qu'elle l'affir-
mait. Elle se plaisait à dire que son œuvre n'était que ministère, c'est-à-dire
qu'elle ne faisait, humble servante, que ce qui lui était commandé; et
quand on lui disait que jamais en aucun livre on n'avait lu choses sem-
blables, elle répondait : « Mcssire a un livre oi!i nul clerc n'a jamais lu, si
parfait qu'il soit en cléricature. » C'est donc à Dieu qu'elle en rapportait
le principe; et quand elle l'affirmait, comment ne l'en pas croire ? Tout en
elle était d'une sainte. Sa piété, sa ferveur sont attestées à toutes les époques
de sa vie. Il ne lui suffisait pas d'accomplir ses devoirs de bonne chré-
tienne : elle le faisait avec un zèle à en chercher les occasions parmi les
empêchements de toute sorte, où l'on pouvait voir qu'ils n'étaient pas
seulement pour elle une obligation de conscience, mais une joie de l'âme.
Souvent, à la messe, pendant l'élévation ou quand elle communiait, ou
bien encore lorsqu'elle était en prière, on la voyait verser des larmes. Elle
se plaisait au son des cloches, simple et religieuse harmonie qui n'est point
seulement un appel à la prière, mais comme une voix de la terre au ciel.
Elle se plaisait aux chants consacrés, et chaque jour, à l'heure du crépus-
cule, pendant que les cloches sonnaient , elle se retirait dans les églises, et,
rassemblant les religieux mendiants qui suivaient l'armée du roi, elle leur
faisait chanter quelqu'une des hymnes de la Vierge. Elle aimait surtout les
petits et les simples, et cherchait à se confondre parmi eux pour approcher
de Celui qui a dit : Lais.sez venir à moi les petits enfants. « Quand elle se
trouvait, dit Pasquerel , dans un endroit où il y avait des couvents de
moines mendiants, elle me disait de lui remettre en mémoire les jours où
les petits enfants des mendiants recevaient la communion, afin que, ce
jour-là, elle la reçût avec eux : ce qu'elle fit bien des fois. »
Ce n'était point assez pour elle que de rendre honneur à Dieu : elle eut
voulu qu'il fut honoré de tout le monde; elle voulait que les soldats fussent
comme elle dans la grâce de Celui en qui elle cherchait sa force. On a vu
à quel titre elle admettait les troupes autour de sa bannière, quelles
conditions elle réclamait pour l'assaut ou pour la bataille : elle fit que
REIMS. 141
«
la Ilire se confessât. Ce n'était pas, sans doute, chose bien rare en ce
temps, mais, ce qui était bien plus commun alors comme aujourd'hui,
c'étaient les jurons, les blasphèmes, cette déplorable habitude qui fait
qu'on renie Dieu et qu'on se damne soi-même comme sans y penser.
Jeanne ne se lassait pas de la combattre auprès des seigneurs comme auprès
des soldats : 't Ah ! maître , disait-elle à un des principaux chevaliers qu'elle
entendait jurer ainsi, osez-vous bien ainsi renier notre Sire et notre Maître ?
En nom Dieu, vous vous en dédierez avant que je parte d'ici. » Et le che-
valier se repentit et se corrigea. Elle reprenait les ducs, les princes comme
les autres. On n'osait plus jurer en sa présence, et le duc d'Alençon déclare
que sa vue seule le contenait. Mais c'est l'habitude même qu'elle eût voulu
déraciner de leurs cœurs-, et, ne la pouvant détruire, elle cherchait à la
transformer en proposant à cet instinct, devenu machinal, une manière
inoffensive de se produire. Elle avait décidé la Hire à ne plus jurer que
par son bâton, et elle-même, comme pour tâcher d'en mettre l'usage à la
mode, elle avait, si l'on en croit Perceval de Cagny, famihèrement adopté
cette expression : Par mon martin (par mon bâton)!
Sa chasteté, sa pudeur, ne pouvaient jamais mieux se montrer que dans
cette vie toute militaire. On s'étonnait de la voir à cheval si longtemps
comme étrangère aux nécessités qui l'auraient pu forcer d'en descendre.
Quand elle le pouvait, elle allait passer la nuit chez l'hôte le mieux famé
de la ville ou du voisinage, et partageait son lit avec quelqu'une des filles
de la maison. Quand elle ne le pouvait pas, elle couchait, comme les
autres, à la paillade , mais toute vêtue et renfermée dans ses habits
d'homme. C'était peu que d'être chaste et pure : elle inspirait la chasteté
aux autres. D'Aulon, son écuyer, qui la voyait plus familièrement que
personne, quand il l'armait, quand il dut panser ses blessures; Alençon,
qui l'avait près de lui dans toute la campagne de la Loire; Dunois, qui
la suivit presque partout, s'accordent à dire, comme les deux braves
soldats sous la garde desquels elle vint de Vaucouleurs, que jamais sa vue
n'éveilla en eux aucune pensée dont elle eut pu rougir. Il est inutile de dire
qu'elle ne pouvait souffrir la présence de ces femmes qui se mêlaient aux
armées, à la honte de leur sexe. Plusieurs fois, elle ordonna qu'elles fussent
toutes renvovées. Aucune n'eût osé se montrer devant elle, et elle ne tolé-
JEANNE D'ARC.
rait pas davantage qu'une fille suivît son amant, fût-il chevalier, à moins
de se marier. Un jour elle en poursuivit une, l'épée levée, mais sans la
frapper pourtant, et en Tavertissant avec douceur de ne plus se trouver
dans la société des hommes d'armes, ou qu'elle lui ferait déplaisir. Une
autre fois elle fit plus : elle brisa son épée sur le dos de l'une d'elles, l'épée
de sainte Catherine ! Le roi en fut fâché pour l'épée, et lui dit qu'elle aurait
mieux fait de prendre un bon bâton. Mais elle tenait plus à Thonneur de
son sexe qu'à Fépée de sainte Catherine.
Si elle voulait rappeler le soldat aux devoirs du chrétien, elle tâchait,
à plus forte raison, de le soustraire à ces habitudes de pillage et de meurtre
qui trouvent dans la vie des camps trop d'occasions de se satisfaire. Elle
avait horreur du sang versé. C'était pour ne tuer personne qu'elle portait à
la main son étendard dans les batailles. Elle n'imposait pas cette loi aux
siens, sans doute, mais elle condamnait tout ce que la nécessité ne com-
mandait pas. Vn jour, un Français ayant frappé à la tcte et blessé griève-
ment un des Anglais prisonniers qu'il avait sous sa garde , Jeanne descendit
de cheval, soutint le blessé par la tète, et lui fit donner les secours de la
religion tout en lui prodiguant les siens. Quant au pillage, cette cause de
violences et quelquefois de -meurtres, elle ne le tolérait pas plus volontiers.
Elle ne répondait de la victoire qu'à la condition qu'on ne prendrait rien
à personne et qu'on ne ferait aucune violence aux pauvres gens. Pour sa
part , même quand on manquait de vivres , elle refusait de prendre rien de
ce qui avait été enlevé. Sa bonté était extrême et s'étendait à toutes les
misères. E]le faisait volontiers l'aumône; elle donnait aux autres pour
qu'ils la fissent aussi ; elle disait qu'elle était envoyée pour la consolation
des indigents et des pauvres. Quant aux blessés, qui étaient plus spéciale-
ment confiés à sa sollicitude, elle avait les mêmes soins pour tous, qu'ils
fussent Anglais ou Français. Et avec tout cela, elle était si simple, que sa
bonté faisait oublier sa grandeur, et qu'un des témoins du procès déclare
nai'vement qu'il voudrait avoir une aussi bonne fille.
Cette simplicité, cette innocence, cette douceur qui se gardaient inalté-
rables jusque dans les troubles de la vie des camps, rendaient plus éton-
nantes encore les grandes qualités qu'elle montrait dans la conduite des
armées. Ses compagnons admiraient en elle, non-seulement le courage du
KKIMS.
■43
chevalier ou le coup d'œil du grand capitaine, mais une science et comme
une habitude de ht guerre que le temps semble seul pouvoir donner. Le
duc d'Alençon, qui, dans la campagne de la Loire, commandait à côté
d'elle, et on peut dire sous elle, n'hésite point à constater, par le récit des
faits, et à reconnaître expressément, par ses paroles, cette supériorité dont
tout le monde s'étonnait : « Fin toutes choses, dit-il, hors du fait de la
guerre, elle était simple et comme une jeune fille; mais, au fait de la
guerre, elle était fort habile, soit à porter la lance, soit à rassembler une
Fig. 65. — Comment la Puceiie b.ittit deux tilles mauvaises, et rompit sur leur Jos son épé
de sainte Catherine. — Ms. fr., n" 5nJ-|, daté de i |S|, à la bilioth. nat.
armée, à ordonner les batailles ou à disposer l'artillerie. Et tous s'éton-
naient de lui voir déplo\'er dans la guerre l'habileté et la prévoyance d'un
capitaine exercé par une pratique de vingt ou trente ans. Mais on l'admirait
surtout dans l'emploi de l'artillerie, oii elle avait une habileté consommée »
Ce n'est point là le propre d'une mystique, et la SHij-He frunçaisL', comme
l'appelait un clerc allemand dans un écrit de ce temps-là (juillet-sep-
tembre 1429), ne ressemblait guère à toutes celles qu'il énumère en tête
de son livre pour la rattacher à des antécédents. Jeanne, dont on voudrait
faire une visionnaire, à cause de ses visions, était loin, quelque pieuse
qu'elle fût, d'être absorbée dans les paisibles contemplations de l'extase.
Fig. 66. - Jeanne ayant demandé au Conseil de la ville de Tours qu'il donnât cent écus pour trousseau de mariage à la fille
(lustrait de l'un des anciens registres conservés
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'Jc-r^ûe- <5;0ay- (Z, -ptv^^ CLy)P ^-<ir:iLy^ / o ^- S^-xyx- 'y^'t^^' y^^Cl, ii^jx»^'-
Aft7»*v^"'^«*t)»v^ .S>û.^ VSSec- ,j^.,vO-, *«JvQe*«^eé~/ r^v^^wvf- rp6*^ Ûvvw<K*v- o^-^..^
•â.-^^*^ ^jcv^-cvCOo '^♦v— «-Ç «-CVV* S^^^ Q(s^ v£yak<^ j^-^ov»v- V?»>vwtH*^ «jzw^^laii^
o^SchÇ qv^«u* Qkv5o^ -»vov.*vvs,^ âc-fi*^^2»cY>S^»«9c^^^«^AfiA^/^
SvMoc^ -^ôx^ Cî>l>w^ a^^ 8t*^v^v«^^*vy^cu>x*0 Qrpa^ S-^v«-/W
du peintre Hcnncs Poluoir, qui avait décoré son étendard, le Conseil prit la résolution rapportée dans la pièce suivante,
à la mairie de Tours.) — Voir page 146.
Pour la fiUc Hernies.
Lecture. — Le yw jour de février, l'an m iiii« xxix. au lieu de la Massequière, présens Jehan Godeau,
lieutenant, etc.. et Guion Farineau, juge de Touraine , se sont assemble^ les esleuj : Maistre Pierre l'Er-
mite, officiai de Tours , pour Mgr l'arcevesque ; maistre Jehan Chevrier, chanoine et arcepresbtre de l'église
de Tours , pour ladicte église ; maistre Jehan des Landes , dit Boucandry, pour chappitre de Monseigneur
Saint Martin; Jehan de Brion , Macé de la Bretonnière, Pierre Briçonnet , Jehan Besaintre , Guillaume de
Montbason , Jehan Laillier, Colas de Montbason, Jehan Hervieu, Jean Peslieu, Roulet Berthelot , Gillet
de Brion, Guillaume de Montbason et autres.
Par les quclx a esté délibéré que à la fille de Hennés Poluoir, paintre. qui de nouvel est mariée, pour
l'onneur de Jehannc la pucelle . venue en ce royaume devers le roy pour le fait de sa guerre, disant à hti
avoir esté envoyée de par le roy du Ciel contre les Anglais ennemis de ce royaume : la quelle a rescript à la
ville que. pour le mariage de ladicte fille , icelle ville lui paie la somme de cent escu^ : que, de ce, riens ne
lui sera paie ne baillé, pour ce que les deniers de ladicte ville convient emploier es réparacions de ladicte
ville et non ailleurs. Mais, pour l'amcmr et honneur de ladicte Pucelle, iceul.v gens d'église, bourgeois et
habitants feront honneur à ladicte fille à sa bénédiction , qui sera juedi prouchain; et d'icelle feront prier
ou nom de ladicte ville .• et pour faire ladicte prière aux hommes notables d'icelle ville , est ordonné Michau
Hardouin , notaire de ladicte ville. Et à icelle fille sera donné du pain et du vin le jour de saJicte béné-
diction: c'est assavoir, le pain d'ung sextier de froment , et quatre jalayes de vin.
Pour la fille Hennés.
Traduction. — Le septième jour de février 142g, au lieu delà Massequière, présens Jehan Godeau,
lieutenant, etc., et Guion Farineau, juge de Touraine , se sont assemblés les élus : maître Pierre l'Ermite ,
officiai de Tours , pour Msi" l'archevêque ; maître Jean Chevrier, chanoine et archiprêtre de l'église de Tours,
pour ladite église; maître Jean des Landes, dit Boucandry, pour le chapitre de Ms^ saint Martin; Jean de
Brion, Macé de la Bretonnière, Pierre Briçonnet, Jean Besaintre, Guillaume de Montbazon , Jean Her-
vieu, Jean Peslieu, Roulet Berthelot, Gillet de Brion , Guillaume de Montbason et autres.
Par lesquels il a été délibéré que, à la fille de Hennés Poluoir, peintre, qui est nouvellement mariée',
et pour l'honneur de Jehanne la Pucelle, venue en ce royaume vers le roi, pour l'aider dans sa guerre,
et lui disant qu'elle lui était envoyée de par le Roi du ciel contre les Anglais, ennemis de ce royaume.
Laquelle Pucelle a écrit à la ville pour lui demander qu'à l'occasion du mariage de ladite fille, la ville
lui payât la somme de cent écus. Il est décidé que de cette somme rien ne lui sera payé ni donné, vu que
les deniers de la ville doivent être employés aux réparations des murailles et non ailleurs. Mais pour
l'amour et en l'honneur delà Pucelle, eux tous gens d'église, bourgeois et habitants feront honneur à
ladite fille à sa bénédiction nuptiale, qui aura lieu jeudi prochain, et ils feront prier pour elle au nom de
la ville, et pour faire dire ces prières aux gens notables de la cité est désigné Michel Hardouin, notaire
de Tours. Et de plus à cette fille sera donné du pain et du vin le jour de son mariage : savoir le pain
d'un septier de froment et quatre jalaies Je vin.
' On verra par la suite du texte qu il faut entendre ici fuince'e. Les fiançailles étaient l'engagement réciproque de s'épouser.
D ABC. m.
146 JEANNE D'ARC.
C'était, comme on Fa pu voir déjà par le tableau même de ses premières
campagnes, une nature pleine de vivacité et d'entrain, faisant pour sa part
métier de soldat et de chef de troupes , et ne différant des autres que par
ces illuminations de l'esprit et ces vertus angéliques, où l'on pouvait voir
un rayonnement de la force qui l'animait.
Si les résistances devaient survivre au sacre en certain lieu, les hom-
mages n'avaient point attendu jusque-là pour lui venir de toutes parts. Les
chevaliers abandonnaient leurs propres panonceaux pour s'en faire faire
sur le modèle des siens. Le roi lui avait donné un état de maison qui la
faisait l'égale d'un comte, ne voulant pas que personne dans l'armée eût
lieu de mépriser son dénùment ; et elle soutenait son rang parmi les sei-
gneurs sans vanité comme sans fausse modestie. Elle avait reçu des Orléa-
nais une robe à la livrée du duc d'Orléans-, du duc de Bretagne, des com-
pliments d'abord, et à la suite de la bataille de Patay une dague et des
chevaux de prix. Elle recevait ces présents : elle en faisait à son tour, et
même aux plus grandes dames, usant familièrement de réciprocité sans
prétendre les égaler d'ailleurs, et s'excusant avec grâce de la modicité de ses
dons. Mais elle aimait, surtout à donner, selon le précepte de l'Evangile,
à ceux de qui elle n'espérait rien recevoir; et, pour cela, elle ne craignait
pas de recourir à son crédit. Pendant qu'elle demeurait à Tours, elle
avait pris en amitié la fille du peintre qui décora son panonceau et sa ban-
nière. Cette jeune fille se mariant, elle demanda, par une lettre adressée
au conseil de Tours, qu'il lui donnât cent écus pour son trousseau. Après
le sacre, ce qu'elle demanda au roi et ce qu'elle obtint pour prix de cette
couronne qu'elle avait fait poser sur sa tête, c'est qu'il usât de sa préroga-
tive pour exempter d'impôt le village oij elle était née. Le père de Jeanne,
qui vint rejoindre sa fille à Reims, put en rapporter la nouvelle aux habi-
tants de Domremy.
Si Jeanne recevait des grands ces honneurs, que ne devait-elle pas
attendre du peuple ? « Et l'appeloient ly aulcuns du commun de France ,
l'Angélisque-, et en faisoient et cantoient (chantaient) plusieurs canchons
(chansons"), fables et bourdes, moult merveilleuses, « dit le haineux auteur
d'une chronique bourguignonne. C'était comme une adoration, et elle ne
savait comment s'en défendre. On se jetait aux pieds de son cheval; on
REIMS. 14-
baisait ses mains et ses pieds ; et Taccusation , qui plus tard devait recueillir
précieusement les moindres traits de ces hommages populaires pour les
faire tourner à sa perte, constate que l'on portait des médailles à son effigie ,
qu'on plaçait son image dans les églises, et qu'on la mentionnait dans les
prières de la messe. Jeanne ne demandait pas mieux que de savoir qu'on
priât pour elle; mais son bon sens la mettait en garde contre l'enivrement
de ces honneurs-, et, quand les docteurs lui disaient qu'elle faisait mal de
les souftrir, qu'elle entraînerait les peuples à l'idolâtrie, elle répondait avec
simplicité : « En vérité, je ne m'en saurais garder, si Dieu ne m'en gardait
lui-même. »
La foi en elle, l'enthousiasme était donc général, et il yen a, dans le temps
Fig. 67. — Mc-Jaille représentant d'un côté le Père éternel, de l'autre les armoiries octroyées par le roi à la
Pucelle et à sa famille. D'après la Notice sur des plombs historiés trouvés dans la Seine, par M. Arthur
Forgeais. — Le procès de Rouen constate que l'on portait des médailles à l'effigie de la Pucelle, qu'on
plaçait son image dans les églises, et qu'on la mentionnait dans les prières de la messe.
même, des témoignages de diverses sortes. Le comte d'Armagnac lui écri-
vait pour savoir à quel pape il fallait se soumettre (août i.pg); Bonne
Visconti, pourqu'elle la rétablit dans le duché de Milan; et sa lettre portait
cette suscription : « A très-honorée et très-dévote Pucelle Jeanne , envoyée
du Roi des cieux pour la réparation et extirpation des Anglois tyrannisans
la France. « Christine de Pisan , presque septuagénaire , sentait se ranimer
en elle un reste d'inspiration pour chanter celle qui avait conduit son
peuple comme Josué, qui l'avait sauvé comme Gédéon, qui avait surpassé
en prodiges Esther, Judith et Débora. « Et sachez, s'écrie-t-elle,
<i Et sachez que par elle Anglois
« Seront mis jus (à bas) sans relever,
« Car Dieu le veult. >>
Et déjà elle vo3'ait non-seulement Paris ouvrant ses portes à Charles VII
Fig. 68. — Collecte inlroJuite dans l'office de la messe en faveur de la Pucelle. Ms. fr.. n"73oi,à la hiblioth. nat. —
Plustard, les juges de Rouenalléguèrentcesoraisonscommeungrief contre Jeanne dans le procùs de condamnation.
Oratio , c/c.
Lecture. — Deiis , actor pacis, qui sine archu et sagitta inimicos in te sperantes elidis,
subveni, quesumus , Domine, ut nosiraw prnpitius thueare adversitatem , ut [et], sicut populum
tuum per manum femine Uberasti, sic Karolo. régi nostro, brachium Victoria' érige ut liostes
qui in sua confidunt multitudine . ac sagittis et suis lanceis gloriantur, queat in presenti
superare, et tandem ad te, qui via, vcrilas et vita es, una cum sibi commissa plèbe, gloriosa
valeat permancre. Per Dominum nostrum Jesum Christum.
Explicit oralio PuclLv per regem ' Francia-, etc.
Oraison, etc.
Traduction. — Dieu, auteur de la paix, qui, sans arc et sans flèche, détruisez les ennemis
qui espèrent en vous, venez à notre aide, nous vous en prions, Seigneur, et dans votre
bonté secourez notre malheur. Et de même que vous avez délivré votre peuple par la main
d'une femme, de même donnez à Charles, notre roi, un bras victorieux, afin qu'il puisse
dans le présent vaincre ses ennemis , qui se fient en leur multitude et s'enorgueillissent de
leurs flèches et de leurs lances, et qu'il parvienne un jour glorieusement près de Vous', qui êtes
la voie, la vérité et la vie, avec le peuple qui lui a été confié. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Fin de l'oraison de la Pucelle pour le roi de France, etc.
1 Le texte latin porte per regcm, au lieu de pro rcge.
2 Dans la traduction de ce passage, nous n'avons pas suivi littéralement le texte latin, qui porte par erreur; glo-
riosa valeat permanere, au lieu de la bonne leçon : gloriose valeat pcrvcnîre.
REIMS.
«49
et les Anglais chassés de France, mais TKglise pacifiée et la terre sainte
reconquise.
Mais une plus franche poésie se développait dans les traditions qui s'atta-
chaient à sa personne. Déjà la légende naissait pour elle à côté de l'histoire,
et rimagination populaire parait de ses fantaisies les prodiges bien plus
sérieux qu'elle opérait. Au siège d'Orléans, les Anglais déclaraient avoir vu
deux prilats chïminant en habits pontificaux tout à l'entour des murailles
Fig. 69. — Jeanne comparée à Judith. Tiré du Champion des dames, œuvre de Martin le Franc, ms.
exécuté à .\rrasen 1440; biblioth. nat., n" 12476 fr. — Christine de Pisan, presque septuagénaire, chan-
tait Jeanne, qui avait conduit son peuple comme Josué, qui avait surpassé en'prodigesEsther, JudiUi
et Débora.
de la ville; et Ton ne doutait pas que ce ne fussent les deux patrons de la
cité, saint Euverte et saint Aignan, qui l'avaient jadis sauvée des mains
d'Attila. Au moment où Jeanne avait donné le signal du dernier assaut ,
une colombe avait paru, planant au-dessus de son étendard; à Troyes,
« une infinité de papillons blancs » voltigeant à l'entour; et à la veille du
voyage de Reims on avait vu , dans le Poitou , « des hommes armés de
toutes pièces chevaucher en l'air sur un grand cheval blanc , se dirigeant
des mers d'Espagne vers la Bretagne et criant aux populations etlrayées :
i5o JEANNE D'ARC.
(1 Nevousesma3'ez » (n'aj^ez peur). — C'est l'Angleterre qui devait trembler.
Il était plus facile encore de répandre le merveilleux sur sa naissance,
sur ses premières années. Sa naissance avait été divinement présagée. La
nuit qu'elle vint au monde (c'était l'Epiphanie), les gens du peuple avaient,
sans savoir pourquoi, senti en eu\ une joie inexprimable; ils couraient çà
et là, demandant ce qu'il y avait de nouveau; les coqs avaient fait entendre
des chants inaccoutumés, et, pendant deux heures, on les vit battant de
l'aile comme en présage de cet événement. Son enfance n'avait pas été
moins bénie. Pendant qu'elle gardait les brebis, les oiseaux des champs
venaient à sa voix , comme privés, manger son pain dans son giron ; jamais
le loup n'approcha du troupeau confié à sa garde , ni l'ennemi ou le mal-
faiteur, du toit paternel, tant qu'elle l'habita. Quand elle eut sa première
révélation, ses compagnes jouant avec elle la défiaient à la course; elle
courait, ou plutôt elle volait; ses pieds rasaient le sol sans y toucher. — •
Voilà ce qu'on disait, voilà ce que recueillait déjà Perceval de Boulain-
villiers dans une lettre écrite au duc de Milan le 21 juin 1429, trois jours
après la bataille de Patay, et terminée pendant le voyage de Reims. « Cette
Pucelle, » ajoutait-il , plaçant auprès de ces fictions un portrait fait au natu-
rel, «est d'une rare élégance, avec une attitude virile. Elle parle peu et
montre une merveilleuse prudence dans ses paroles. Elle a une voix douce
comme une femme, mange peu, boit peu de vin; elle se plaît à cheval
sous une armure brillante. Elle aime autant la société des gens de guerre
et des nobles, qu'elle aime peu les visites et les conversations du grand
nombre; elle a une abondance de larmes et le visage serein; infatigable
à la peine, et si forte à porteries armes, que, pendant six jours, elle
demeure complètement armée jour et nuit. »
Bien d'autres lettres, sans doute, et il en est resté plusieurs, portaient
au loin le bruit de sa renommée. Celles mêmes qui laissent de côté le mer-
veilleux de fantaisie témoignent de la même foi en ses succès, en ses pré-
dictions, jusque dans les termes où les exagérait le bruit populaire. Des
envoyés de quelque ville ou prince d'Allemagne qui donnent une curieuse
et très-précise relation du siège d'Orléans et de la campagne de la Loire,
y compris la bataille de Patay, et qui, par conséquent, écrivent après le
18 juin, disent que « la Pucelle a garanti qu'avant que le jour de la Saint-
REIMS.
Jjan-Baptiste de l'an 20 arrive avant huit jours', il ne doit pas y avoir un
Anglais, si fort et si vaUlant soit-il, qui se laisse voir par la France, soit
Fig. 70. — René d'Anjou, duc de Lorraine, comte de Provence, roi de Sicile et de Je'rusalem,- qui vint
assister au sacre du roi. — D'après un diptyque en bois, peint et doré, appartenant à M. Ambroise
Firmin-Didot. Ce portrait passe pour être tœuvre de René lui-même, l.e prince est décoré du collier
de l'ordre de Saint-Michel; ii tient à la main les insignes de l'ordre du Croissant, fondé par lui en 144S,
et dont le nombre de petits bâtons travaillés en forme de colonnes représentait le riombre des com-
bats où le chevalier s'était distingué.
en campagne, soit en bataille; » et le terme n*a rien qui les étonne : on
croit que rien ne lui peut résister. Le secrétaire de la ville de Metz, qui
écrit pendant le voyage de Reims, le i() juillet, ne met en doute aucun des
i52 JEANNE D'ARC.
bruits qui lui signalent les villes comme prises et comme près de l'être : car
« tout ce que le dauphin et la pucelle entreprennent leur réussit en tout
sans aucune résistance; « et il montre qu'il y avait tout à l'entour autant
de répugnance à l'aller combattre que d'empressement à servir avec elle. Le
duc de Bourgogne s'était vu réduit à Tinaction, les Flamands et les Picards
refusant de l'aider hors de leur pays; et, au contraire, beaucoup de che-
valiers partaient des pa\'s allemands pour « aller trouver le dauphin à
Reims. « On l'apprend par cette lettre; et l'on voit, en eflet, Robert de
Sarrebruck, seigneur ou damoiseau de Commercy, on voit le duc de Bar,
René d'Anjou, héritier désigné de la Lorraine, qui naguère avait fait
hommage à Henri VI, venir rejoindre le roi, la veille du sacre.
On était donc plein de confiance et d'espoir. Le sacre, loin d'être le
terme où l'on dût s'arrêter, ne se montrait que comme le point de départ
de la conquête. La couronne que le prince y recevait était le gage du
rovaume qu'il avait à reprendre, et dans l'armée et dans le peuple il y
avait un élan immense pour l'y aider. Comment ces espérances furent-elles
déçues? La mission de Jeanne se terminait-elle au sacre? et la victoire
a-t-elle dès lors cessé de la suivre, parce que la force qui la faisait vaincre
ne la dirigeait plus? C'est une question qui se pose d'elle-même, et marque
un point d'arrêt dans le récit au moment où l'on passe de la période
triomphante qui aboutit à Reims à celle qui a pour terme Rouen.
■■■■ ^' "- -^{^^^ -d^- t'^ ■^'■\'-'jmlkiM
■ llrira». XIU- siixlc.
IV
PARIS
La Campagne de Paris. — L'Attaque de Paris.
LA CAMPAGNE DE PARIS.
uN'ois raconte qu'après le sacre, quand
Charles VII traversa la Fierté et Crespy
en Valois, comme le peuple accourait
criant Noël, Jeanne, qui était à cheval
entre Tarchevêque de Reims et lui-même,
dit : « Voilà un bon peuple, et je n'ai
jamais vu peuple qui se réjouît tant de
l'arrivée d'un si noble prince. Et puissé-je
être assez heureuse pour finir mes jours
et être inhumée en cette terre ! — O
•"•" '' ' '' Jeanne, lui dit l'archevêque, en quellieu
croyez-vous mourir? » Elle répondit : « Où il plaira à Dieu, car je ne suis
assurée ni du temps ni du lieu plus que vous-même. Et que je voudrois
qu'il plût à Dieu, mon créateur, que je m'en retournasse maintenant,
quittant les armes, et que je revinsse servir mon père et ma mère à garder
leurs troupeaux avec ma sœur et mes frères, qui seroient bien aises de me
Cette anecdote, racontée par Dunois lui-même, et reproduite non sans
ANNK d'arc. III. —
i54 JEANNE D'ARC.
altération dans la Chronique de la Pucelle et dans le Journal du siège
d'Orléans, est devenue le fondement principal de Topinion qui marque au
sacrç de Reims le terme de la mission de Jeanne d'Arc. On lésa rapprochées
de celles qu'elle dit à Charles VII après la cérémonie : « Ores est exécuté le
plaisir de Dieu, qui vouloit que vinssiez à Reims recevoir votre digne sacre en
montrant que vous êtes vrai roi. » On a même fait du tout une scène oij
Jeanne, qui veut s'en aller, cède aux instances qui la veulent retenir; et les
larmes qu'elle répand dans la joie du triomphe sont rapportées au pressen-
timent de sa fin prochaine, ou pour le moins à la peine qu'elle éprouve
quand cessant d'être l'envoyée de Dieu, elle se résigne à devenir l'instru-
ment de la politique des hommes.
Laissons là les fictions et revenons au fait. Suivons Jeanne dans la car-
rière où elle continue de marcher; et si l'on veut savoir à quel titre elle y
marche, c'est elle seule qui le peut dire, c'est à ses déclarations les plus au-
thentiques que l'on doit le demander! Or il y en a une qui remonte au com-
mencement de sa mission, et qui est contenue dans un document signé
d'elle : je veux parler de la lettre qu'elle adressa aux Anglais avant de les
attaquer. Dans cette lettre, datée du 22 mars 1429, elle leur dit expressé-
ment : « Je suis cy venue de par Dieu le Roi du ciel, corps pour corps,
pour vous bouter hors de toute F'rance. » C'est ce qu'elle avait dit à Vau-
couleurs, à Chinon, à Poitiers; c'est ce qu'elle répéta aux diverses époques
de sa courte carrière, si l'on s'en réfère aux témoignages les plus autorisés.
C'est ce qu'elle déclare encore dans son procès. Dans le dixième des 70 ar-
ticles proposés contre elle, on lit qu'elle prétend « avoir eu par saint Michel,
sainte Catherine et sainte Marguerite, cette révélation de Dieu, qu'elle
ferait lever le siège d'Orléans, couronner Charles, qu'elle dit son roi, et
chasserait tous ses adversaires du royaume de France. » Et l'on ne peut pas
dire que ce soit une allégation mensongère de ses juges, invention dont on
les pourrait bien croire capables, à voir toute les faussetés que l'accusation
y ajoute pour entacher sa prédiction de sortilège quand l'événement la véri-
fiait ! Jeanne en convient : <f elle confesse qu'elle porta les nouvelles de par
Dieu à son roi, que notre Sire lui rendroit son royaume, le feroit couronner
à Reims et mettre hors ses adversaires; » et elle ajoute, « qu'elle disoit tout
le royaume, et que si monseigneur le duc de Bourgogne et les autres sujets
I
-^ o
•f o
S c I
i36 JEANNE D'ARC.
du royaume ne venoient en obéissance, le roi les y feroit venir par force. »
Elle confirme enfin ses précédentes déclarations sur ce sujet, lorsque le 2 mai,
dans la séance dé Tadmonition publique, interrogée sur Thabit d'homme
qu'elle portait toujours, et pourquoi elle le portait sans nécessité, par exemple
dans la prison (on verra si dans la prison il lui fut inutile), elle répondait :
« Quand j'aurai fait ce pour quoi je suis envoyée de par Dieu, je prendrai
habit de femme. » Même dans sa prison de Rouen, et à la veille de monter
au bûcher, elle ne croyait donc pas sa mission terminée; elle ne le pouvait
pas croire tant qu'elle vivait, et qu'il y avait un Anglais en France.
Est-ce à dire que Jeanne dut faire tout cela par elle-même sous peine de
voir ses révélations démenties et sa mission reniée? Non assurément. Elle
disait qu'elle était envo3'ée pour le faire, mais non qu'elle le ferait en tout
état de cause. Et Gerson, le lendemain de la délivrance d'Orléans, tout en
proclamant le caractère divin de sa mission , en avait averti : « Que le parti
qui a juste cause prenne garde de rendre inutile par incrédulité, ingratitude
ou autres injustices, le secours divin qui s'est manifesté si miraculeusement,
comme nous lisons qu'il arriva à Moïse et aux enfants d'Israël: car Dieu,
sans changer de conseil, change l'arrêt selon les mérites. » Pour atteindre
avec elle au but qu'elle proposait, il fallait qu'on récoutàt. Et les choses
qu'elle avait annoncées au roi finirent après tout par s'accomplir. Seguin, un
de ceux qui l'entendirent à Poitiers, constate, à l'honneur de Jeanne, qu'on
les a vues réalisées.
Le rôle de Jeanne n'était donc point terminé à Reims, et si le succès ne
répond plus à ses efforts, ce n'est point que la grâce de sa mission lui fasse
défaut. Serait-ce qu'elle-même a manqué à sa mission? C'est ce que l'histoire
va nous montrer.
Quand on reprend la série des faits, une réflexion vient ajouter une nou-
velle force aux conclusions que nous avons tirées des témoignages : c'est
que si Jeanne, après le sacre, avait songé à retourner dans sa famille, ce
n'est pas la politique de Charles VII qui l'en eût empêchée : car cette poli-
tique était toujours celle de Regnault de Chartres et delà Trémouille. C'était
pour eux un grand effort que d'avoir achevé le voyage de Reims. La chose
faite, ils n'avaient pas lieu de regretter d'être venus jusque-là sans doute ;
mais la suite permet de croire qu'ils n'étaient pas tentés d'aller plus loin.
I
PARIS.
Le roi sacré à Reims , la Pucelle voulait qu'il entrât dans Paris. Tout le
Fig.72. — Gcrson, chancelier de runiversilc de Paris. D'après une gravure attribuée à Léonard Gaultier.
ÏVII' siècle. Bibliotli. nat. — Gerson, proclamant le caractère divin de la mission de Jeanne, avait donne
cet avertissement : « Que le parti qui a juste cause prenne gardede rendre inutile, par incrédulité ou in
gratitude, le secours divin qui s'est manifesté si miraculeusement. «
monde s'y attendait, et Bedford le premier. Dans une lettre datée du
K) juillet, la veille du sacre, le régent, annonçant au conseil d'Angleterre
i58 JEANNE D'ARC.
que Reims, après Troyes et Chàlons, devait le lendemain ouvrir ses portes
au dauphin (le dauphin y entra ce jour même), ajoutait : « On dit qu'in-
continent après son sacre il a l'intention de venir devant Paris et a espérance
d"v avoir entrée, mais, à la grâce de N.-S. , aura résistance. » Mais si les
villes, de Gien à Reims, avaient montré si peu d'ardeur à le combattre,
devaient-elles, après le sacre, résister mieux, de Reims à Paris? Le ton
même du message de Bedford prouve qu'il n'en était pas si assuré. Le
sacre, il le sentait bien, devait produire partout une impression considé-
rable en France. C'est pour cela que dans cette lettre il manifeste tant de
regrets que le jeune Henri Yl n'ait pas prévenu son rival, tant d'impatience
qu'il vienne en France se faire sacrer à son tour « en toute possible célérité : ><
car, ajoute-t-il, « s'il eut plu à Dieu que plus tôt y fût venu, ainsi que déjcà
par deux fois lui avoit été supplié par ambassadeurs et messagers, les in-
convénients ne fussent pas tels qu'ils sont. » A défaut de Notre-Dame de
Reims, il fallait donc lui garder au moins Notre-Dame de Paris. Or, dans
cet ébranlement général, Paris nième n'était pas sûr-, et, pour le garder, le
régent en était réduit à compter sur deux hommes qui n'étaient là ni l'un ni
l'autre : le duc de Bourgogne, qui venait de partir, et le cardinal de 'Win-
chester, qui n'arrivait pas.
^^^inchester n'arrivait pas, et il n'y avait guère lieu de s'en alarmer en-
core. Le traité par lequel il s'engageait à mettre sa troupe au service du roi
était du !'■'■ juillet:, l'ordre de lui rembourser ce qu'il avait dépensé, du 5 :
mais Bedford ne peut contenir son impatience. Il annonce qu'il se rend le
surlendemain en Normandie, puis en Picardie, pour aller à sa rencontre :
il semble qu'il veuille le prendre au débarquement, de peur qu'il ne lui
échappe.
Leduc de Bourgogne était parti ce jour même (le i()), promettant d'ame-
ner des renforts ; et Bedford se loue extrêmement des services qu'il a rendus
et de ceux qu'il va rendre; il va jusqu'à dire que, sans lui, « Paris et tout le
ramenant (le restant) s'en alloit à cop (sur le coup) ! » Et cela n'est pas
exagéré. Il importait donc qu'il revînt au plus vite. Aussi la duchesse de
Bedford, sa sœur, comme pour mieux y veiller, partait-elle avec lui. Mais
le duc avait-il bien sincèrement oublié tant de griefs personnels, si capables
de contre-balanccr en lui les raisons qui l'avaient entraîné vers les ennemis
~ig. 73. — Philippe le Bon, duc de Bourgogne, allié aux Anglais contre Charles VU, et le plus puissant
prince de son temps. Tiré du Champion des dames, œuvre de Martin le Franc, ms. exécuté à Arras en
1440 et conservé à la biblioth. nat. sous le n° 12476 fr. L'auteur de cet ouvrage en fait hommage au
prince. On voit en bordure les blasons des divers pays qui composaient ses États : Bourgogne, Brabant,
Flandre, Franche-Comté, Hollande, Namur, Basse-Lorraine, Luxembourg, Artois, Haihaut, Zélande,
Frise, Malines et Salins. En tête figurent les armes du prince, accostées de l"écu de France , avec le cri
de guerre : Montjoie. A droite et à gauche sont reproduites des scènes relatives aux histoiies de ce li-
vre. Dans le bas, on remarque l'emblème personnel du duc et la devise qu'il prit à son troisième ma-
riage : Autre n'aitray.
i6o JEANNE D'ARC.
de sa race: les prétentions de Glocester sur le Hainaut, les refus de Bedford
touchant Orléans? et ne savait-il pas, n'avait-on pas du moins cherché et
réussi peut-être à lui faire croire que ceux-là mêmes qui venaient de lui rap-
peler avec tant d'éclat le meurtre de son père, avaient naguère eu la pensée
de se débarrasser de lui de la même sorte? Invité par la Pucelle à se rendre à
Reims, il était venu à Paris. Mais la campagne qui avait si rapidement
conduit au sacre pouvait bien Tébranler comme les autres. Le 16, après les
cérémonies qui avaient eu lieu à Paris par les soins de Bedford , on avait .
pu le voir partir avec quelque espérance. Le 17, après les cérémonies de
Reims, on ne pouvait plus être assuré de le voir revenir.
Telle était la situation de Bedford : tout semblait se dérober à lui, et Paris
même était au roi , si le roi suivait ce mouvement qui devait s'accroître à
chaque pas et devenir, par son progrès, irrésistible. C'était ù quoi poussait
Jeanne d'Arc ; et d'abord elle parut y avoir réussi. Le roi consentait à mar-
cher sur Paris, où la Pucelle promettait de le conduire : c'est ce qu'annon-
cent les trois gentilshommes angevins qui , le jour même du sacre, écrivent
de Reims pour en faire le récit à la reine et à sa mère. « Demain, disent-ils,
s'en doit partir le roi tenant son chemin vers Paris... La Pucelle ne fait
doute qu'elle ne mette Paris en l'obéissance. » Et le duc de Bourgogne, sur
qui comptait Bedford, semblait bien près de lui faire défaut. Parti de Paris
le 16, il s'était arrêté à Laon pour députer immédiatement vers le roi , dont
il apprenait l'arrivée à Reims (les gentilshommes angevins en parlent le i 7
dans leur lettre'; et Ton comprend avec quelle joie ses envo3'és durent être
accueillis du roi : on croyait déjà la paix faite. « A cette heure, disent nos
gentilshommes , nous espérons que bon traité se trouvera avant qu'ils par-
tent. » Mais cette démarche , en ouvrant tout à coup à la cour la voie des
négociations, servit peut-être plus que toute autre chose à faire manquer le
but marqué par la Pucelle.
Ce n'est pas que Jeanne répugnât aux voies pacifiques. C'est par là qu'elle
avait procédé tout d'abord à l'égard des Anglais eux-mêmes ; et si elle sou-
haitait moins de vaincre l'ennemi que de faire qu'il se retirât volontairement,
à plus forte raison désirait-elle user de persuasion envers des Français.
Elle avait déjà écrit à Philippe le Bon avant le sacre. Elle lui écrivit le
jour même de la cérémonie, à l'arrivée de ses messagers; et la lettre lui fut
PARIS.
iGi
portée sans doute par la députation que le roi lui envoyait pour répondre
à ses ouvertures. Jeanne aussi veut triompher de sa résistance; mais comme
Fig. 74. — Le roi de Fiance, ayant été sacrc.sc rend à rahbaye de Saint-Marcoul, où il guérit les écrouelles.
Miniature du xvi" s. D'après les Peiiilur<;s cl onienwnls Jcs mLiiiuicrits /'iwiçais, de M. de Bastard.
la lettre qu'elle lui adresse dilïèrc par le ton et l'accent des lettres qu'elle
avait écrites au.\ Anglais avant de les combattre! Les Anglais sont des en-
nemis : elle les somme de partir, sans autre alternative que d'être mis
JEANNE d'arc, tll. — 2 1
i62 JEANNE D'ARC.
dehors : car c'est pour cela qu"'elle est envoyée. Le duc de Bourgogne est
du sang royal , c'est un fils égaré de la France : elle le supplie, elle le con-
jure à jjhiins Jointes de faire la paix, ne craignant pas de se faire trop
humble; car une chose la relève dans cet abaissement , et donne une singu-
lière autorité à ses prières : c'est qu'elle sait , c'est qu'elle affirme que s'il
refuse il ne peut être que vaincu. Elle prie donc, non par aucun intérêt de
parti, mais parce que « sera grant pitié de la grant bataille et du sang
qui y sera respandii ; » car c'est le sang de France.
Jeanne s'accordait donc avec la cour pour négocier; mais tout en négo-
ciant elle voulait agir aussi : elle croyait que l'action était tout à la fois un
moyen de soutenir les négociations ou d'y suppléer au besoin. D'ailleurs,
si peu disposé que l'on fut à courir de nouveaux hasards, il y avait à faire ,
aux alentours, plusieurs conquêtes qui promettaient d'ajouter sans péril au
prestige du voyage. En attendant que le duc de Bourgogne eut donné suite
à la réconciliation projetée, le roi s'occupa de rallier les villes disposées à se
soumettre. Après quatre jours passés à Reims, ayant accompli dans l'ab-
baye de Saint-Marcoul les pratiques de tout roi nouvellement sacré , il vint
à Vailly-sur-Aisne , où les bourgeois de Soissons et de Laon lui apportèrent
les clefs de leur ville. Le 23, il se rendit à Soissons, et de là de nouvelles
députations vinrent mettre en obéissance Château-Thierry, Provins, Cou-
lommiers , Crécv en Brie.
Il y avait pourtant un ordre à suivre dans cette marche victorieuse, pour
la faire aboutir à la délivrance du royaume. Le roi avait reçu sa couronne :
Jeanne voulait qu'il reprît sa capitale; et cette suite de soumissions, obte-
nues à si peu de frais lorsqu'elles n'étaient pas entièrement spontanées,
devait, selon son plan, mener droit à Paris. Mais les courtisans trouvaient
maintenant plus sûr et plus commode de prendre Paris par le duc de Bour-
gogne. Philippe le Bon, moins touché des raisons de Jeanne qu'effrayé de
son approche, affectait de plus en plus de répondre aux intentions du roi;
et les conseillers intimes de Charles MI, ne demandant pas mieux que de
se croire à la veille de la paix, prenaient occasion des otTres de soumission
qui leur venaient des villes d'alentour pour modifier, selon leurs vues, l'iti-
néraire de la Pucelle. Le 2Q juillet, on vint à Château-Thierry , où le sire de
Chàtillon, connaissant les dispositions du paupi?, n'essaya pas de tenir plus
Lettre de Jeanne au duc de Bourgogne, écrite à Reini;
— • Jeanne presse le
. ''>navi(\
-]- Jlu'sus Maria.
Lecture. — Haiilt et redoublé prince, duc de Bourgoitigne, Jehanne la Piicelle vous re,
facicj bonne pai.v ferme, qui dure longuement. Pardonne^ l'un à l'autre de bon cuer, entier
Sarapns. Prince de Bourgoigne, je vous prie, supplie et requiers, tant humblement que req
et briefment vo^ gens qui sont en aucunes places et forteresses dudit saint royaume; et de
en vous. Et vous f ai':; à savoir de par le Roy du ciel, mon droicturier et souverain seigneur,
rencontre des loyaul.v François, et que tous ccul.v qui guerroient oudit saint royaume a
souverain seigneur. Et vous prie et requiers à Jointes mains, que ne faictes nulle bataille ne
gens que vous amener; contre nous, qu'ils; n'y gaigneront mie, et sera grant pitié de la grant
que je vous avoye escript et envoie bonnes lettres par ung liérault. que f eussiez au sacre du ri
dont je n'ay eu point de response, ne n'ouy oncqucs puis nouvelles dudit hérault. A Dieu
audit lieu de Reims, ledit xvu" jour de juillet.
f Jcsus Maria.
Traduction. — Haut et redouté prince, duc de Bourgogne, .Jeanne la Pucelle vous rcc
une bonne paix, ferme et qui dure longtemps. Pardonnez-vous l'un à l'autre de bon co
allez la faire aux Sarrasins. Prince de Bourgogne, je vous prie, supplie et requiers, auss
retirer incontinent et sans retard vos gens qui sont en les places et forteresses de ce saint n
si vous ne vous y refusez. Et je vous fais savoir de par le roi du ciel, de droit mon souvei
bataille h l'encontre des loyaux Français, et que tous ceux qui guerroient contre le saint rc
mon souverain seigneur. Et je vous prie et vous requiers, à mains jointes, de ne plus faire
nombre de gens que vous ameniez contre nous, ils n'y gagneront rien et ce sera grande pit
trois semaines que je vous avais écrit et envoyé de bonnes lettres par un héraut, pour qu
en la cité de Reims. Mais je n'en ai pas eu de réponse, ni reçu depuis lors nouvelles dudit
mette bonne paix. Ecrit audit lieu de Reims, le i/' jour de juillet.
: jour du sacre du roi, 17 juillet 1429. Archives du Nord, à Lille.
: de faire la paix avec le roi.
MH^
■*t viov^p o4%cq'i^<^ ~
'i^'^fn^i^chi/Qsv^v^'
•/ de par le Roy du ciel, mon droicturier et souverain seif;nctir. que le roy de France et vous,
II, ainsi que doivent faire loyaulx christians ; et s'il vous plaist à gucrroicr, si ale-^ sur] les
vous puis, que ne guerroie^ plus en saint royaume de France, et faictes retra're incontinent
■ri du gentil roy de France, il est prest de faire paix à vous, sauve son honnei.r, s'il ne tient
- rostre bien et pour vostre honneur et sur »of vie, que vous n'y gaignere^ point bataille à
-ance. guerroient contre le roy Jhesus, roy du ciel et de tout le monde, mon droicturier et
uerroiej contre nous, vous, vof gens ou subgie^ ; et croie^ seurement que, quelque nombre de
ille et du sang qui y sera respendu de ceux qui y vendront contre nous. Et a trois sepmaines
li, aujourd'hui dimanche wu" jour de ce présent mois de juillet, ce fait en la cite' de Reims :
commens et soit garde de vous, s'il lui plaist; et prie Dieu qu'il y mecte bonne pacs. Escript
:, de par le roi du ciel, de droit mon souverain seigneur, que le roi de France et vous fassiez
entièrement, comme doivent faire de loyaux chrétiens. Et s'il vous plaît de faire la guerre,
iblement que je le puis, de ne plus guerroyer dans le saint royaume de France, et de faire
ne. Et quant au noble roi de France, il est prêt à faire la paix avec vous, sauf son honneur,
ieigneur, pour votre bien et votre honneur, et sur votre vie, que vous n'y gagnerez pas de
ne de France, guerroient contre le roi Jésus, roi du ciel et de tout le monde, de droit
ataille ni de guerre contre nous, vous, vos gens et sujets, et cro\ez sûrement que, quelque
la grande bataille et du sang qui y sera répandu par ceux qui viendront contre nous. Il y a
is veniez au sacre du roi qui, aujourd'hui dimanche 17" jour de ce mois de juillet, se fait
ut. Je vous recommande à Dieu pour qu'il vous garde , s'il lui plaît, et je prie Dieu qu'il y
PARIS. i63
d'un jour. Le i'-''"aoQt, on était à .Montmirail; le 2, à Provins. On retournait
vers la Loire.
Les retards du roi avaient donné à Bedford le temps de se reconnaître;
sa marche en arrière lui offrait l'occasion de reprendre Toffensivc. Il nV
manqua point. Le 2 5 juillet il avait amené dans Paris les cinq mille hommes
de Winchester : cinq mille hommes bien résolus, ce semble. Ils venaient
gagner les indulgences de la croisade, et l'un des capitaines portait « un
étendard tout blanc, dedans lequel avoit une quenouille avec cette devise :
Or vienne la belle ! en signifiant qu'il lui donneroit à filer. » Le 3 aoiùt, le
régent signait une proclamation qui appelait tous ses feudataires de France
et de Normandie à venir dans le mois accomplir leur service; et, sans les at-
tendre, il quittait Paris avec la troupe de ^\'inchester et un nombre égal
d'autres soldats recrutés par lui-même; il arrivait par Corbeil à Melun
(4 août). Sur le bruit que les Anglais venaient, l'armée royale sortit de
Provins et alla jusqu'à la Motte-de-Nangis. Mais on ne vit rien; et, le bruit
courant que Bedford regagnait Paris, le roi reprit le chemin de la Loire.
C'est derrière ce fleuve que les courtisans voulaient aller se reposer d'une
campagne qu'ils trouvaient assez longue.
Leurs intentions furent pourtant déconcertées.
En quittant la Motte-de-Nangis, le roi était venu à Bray, où il comptait
passer la Seine. Les habitants avaient promis obéissance, et l'on avait remis
le passage au lendemain. Mais pendant la nuit, une troupe d'Anglais, dé-
tachée sans doute par Bedford, s'établit dans la ville, et les premiers qui
s'approchèrent furent tués ou détroussés. Le passage ne fut pas forcé; car
il n'y aurait eu que les courtisans pour l'entreprendre : toute l'armée avait
vu avec indignation qu'on s'en allât quand tout invitait à marcher en avant.
Aussi cette déconvenue était-elle une bonne fortune; le duc de Bar (René
d'Anjou) et le duc d'Alençon, les comtes de Clermont, de Vendôme et de
Laval, comme Jeanne et tous les autres capitaines, laissèrent voir la joie
qu'ils en avaient.
On revint donc au plan de la Pucelle : et cela se voit par une lettre qu'elle
écrit ce jour même, SaoïJt, aux habitants de Reims. Elle les rassure contre
les craintes que leur devait inspirer la retraite du roi vers la Loire. Elle leur
apprend le fait qui a suspendu ses progrès et trompé l'impatience de leur
l64 JEANNE D'ARC.
attente : le roi a conclu avec le duc de Bourgogne une trêve de quinze jours,
à l'expiration de laquelle le duc lui doit rendre Paris. Elle convient que,
malgré cette promesse, elle n'est point contente de trêves ainsi faites; « et
ne sais, dit-elle, si je les tiendrai, mais si je les tiens, ce sera seulement
pour garder Thonneur du roi. » Du reste, elle affirme qu'on n'abusera
pas le sang royal, et qu'au terme de quinze jours l'armée sera prête à agir
s'ils ne font la paix. Et pour ne laisser aucun doute sur le but vers lequel on
marche , elle date sa letttc « cmprès un logis sur champ au chemin de Paris. »
Si le duc de Bourgogne devait, au terme de quinze jours, rendre Paris,
il convenait sans doute d'être à portée de le recevoir : la trêve même que
l'on disait conclue faisait un devoir à la cour de se rapprocher de la capi-
tale. Le roi reprit le chemin de Provins : le 7 il était à Coulommiers; le 10,
à la F'erté-Milon; le 11, à Crespy en 'V^alois. Ce brusque changement dans
la marche de l'armée française alarma justement Bedford. Le régent }' avait
été pour quelque chose, si, comme on le peut croire, c'est lui qui avait en-
voyé les troupes que l'on a vues à Bray; et lui-même s'était porté à Mon-
tereau-faut-Yonne, pour appu\er ce mouvement. Mais apprenant que le
roi, loin de chercher à forcer le passage, regagnait le Nord, il lui écrivit une
lettre où ses appréhensions se cachent sous les termes du mépris et de l'in-
sulte. Il écrit à « Charles, qui se disait dauphin et ose maintenant se dire
roi; » il lui reproche ce qu'il entreprend tortioiinaircnieiii sur la couronne
du roi Henri, naturel et droiturier roi de France et d'Angleterre, et les
moyens qu'il emploie pour abuser le simple peuple, comme de s'aider
« d'une femme désordonnée et difl'amée, étant en habit d'homme et de gou-
vernement dissolu, et aussi d'un frère mendiant (frère Richard), apostat et
séditieux, tous deux, selon la sainte Ecriture, abominables à Dieu; >■ il
ajoute qu'il le poursuit de lieu en lieu sans pouvoir le rencontrer, et lui
offre cette alternative : ou de fixer un jour et un endroit pour une confé-
rence à laquelle il pourra venir avec l'escorte de « la difl'amée femme et
apostat dessusdits et tous les parjures, et autre puissance >> qu'il voudra ou
pourra avoir, mais à la condition qu'il s'agisse d'une paix « non feinte, cor-
rompue, dissimulée, violée ni parjurée, ■>' comme celle de Montereau , où le
dauphin a fait assassiner Jean sans Peur; ou bien de terminer promptement
la querelle par les armes, afin d'épargner au pauvre peuple les malheurs de
Lettre de Jeanne aux habitants de Reims, 5 août i.pç). — D'après l'orii
•yc>W*^
/V>>'^w*-
Lecture. — Mes Mers et bons amis, les bons et loyaux François de la cite
vous requiert que vous ne faictes nul doubte en bonne querelle que elle mqyne pour
que je vivray. Et est vrai que le roy a faict trêves au duc de Boiirgoigne quinze
quinze jours. Pourtant ne vous donnés nulle merveille se je ne y entre si brieffv
sçay si je les tiendray ; mais si je les tiens, ce sera seulement pour garder Z'o»;;
et maintendray ensemble l'armée du roy pour estre toute preste au chieff desdict^
vous, prie que vous ne vous en donnés malaise tant comme je vivray, me:; vous req
se il y a nuls triteurs qui vous vcullent grever, et au plus brie/ que je pourray,
soit garde de vous.
Escript ce vendredy. cinquiesmc jour d'auust, empr'es un logcis sur champs o,
Traduction. — Mes chcrs et bons amis , les bons et loyaux Français de la
vous requiert que vous n'ayez nulle inquiétude sur la bonne querelle qu'elle souti
pas tant que je vivrai. Il est vrai que le roi a fait trêve avec le duc de Bourgogne
au bout de quinze jours. Pourtant ne soyez pas surpris si je n'y entre aussi vitt
les tiendrai. Mais si je les observe, ce sera seulement pour garder l'honneur du
maintiendrai réunie l'armée du roi pour être toute prête au bout de ces quinze je
prie de ne pas vous en donner de souci aussi longtemps que je vivrai, mais vous
a nuls oppresseurs qui vous veuillent faire tort, et aussi vite que je le pourrai,
à Dieu pour qu'il vous garde.
Écrit ce vendredi, 5' jour d'août, près d'un logis au\ champs, sur la route d
jppartcnant à M. le comte de Male)■s^ie, à Houvillc, prés Cliartr
Se Grue ^f)Wv^ jd?v'->iwv-^;t?-vKX^é ^^^ /xwv-c*/y2
xk>i^'yy^''^SiLi „iSowê-v>il cii '<x, oo'vvwc ciw^i^vcCt'
*Vvv«w
I O'wvtivw^r- /VvV-
Raiiis , Jehanne la Pucelle vous fjict assavoir de ses nouvelles . et vous prie et
ang royal : et je vous promet et certiffy que je ne vous abandonneray point tant
•s durant, par ainsi qu'il ly doit rendre la cité de Paris paisiblement au chieff de
t, combien que des trêves qui ainsi sont faictes je ne soy point contente et ne
du roy , combien aussi que i^ ne rabuseront point le sang royal, car je tendray
n^e jours, s'ils ne font la paix. Pour ce, mes très chiers et parfaicts amis, je
•s que vous faictes bon guet et garde^ la bonne cité du roy; et me faictes savoir
es en osteraj-; et me faictes savoir de vos nouvelles. A Dieu vous command qui
emin de Paris.
': de Reims, Jeanne la Pucelle vous fait savoir de ses nouvelles, et vous prie et
pour le sang royal, et je vous promets et certifie que je ne vous abandonnerai
ize jours durant, à la condition qu'il doit lui rendre la cité de Paris paisiblement
irce que je ne suis pas contente des trêves ainsi faites, et je ne sais pas si je
. Comme aussi ils ne réussiront pas à abuser le sang royal , car je tiendrai et
s'ils ne font la paix. Pour cette raison, mes très-chers et parfaits amis, je vous
aiers de faire bon guet et de garder la bonne cité du roi, et faites-moi savoir s'il
"DUS en délivrerai ; et faites-moi savoir de vos nouvelles. Je vous recommande
'ig. 75. — Église de Baron, près Scnlis; xm*-xvi<' siècle. État actuel. D'après un dessin de M. J. Gérin ,
professeur, secrétaire du Comité archéologique de Senlis. — Selon toute probabilité, c'est dans cette église
que Jeanne communia, la veille de l'Assomption, en compagnie du comte de Clermont et du duc J'Alen-
çon. Ce renseignement résulte des recherches faites par M. Ernest Dupuis, vice-président du Comité
archéologique de Senlis.
i66 JEANNE D'ARC.
la guerre, et lui rendre ce repos » que tous rois et princes chrétiens qui ont
gouvernement doivent quérir et demander. »
Ce fut le II, à Crespy en Valois, que le roi reçut cette lettre, et déjà
Bedford était au voisinage (à Mitry, au sud de Dammartin), prêta donner
la bataille qu'il offrait, mais à une condition pourtant : c'est qu'on la vînt
chercher dans ses lignes ^ car il comptait sur l'impétuosité française pour
qu'elle renouvelât à son profit les journées de Crécy, de Poitiers et d'Azin-
court. Ainsi provoqué, le roi vint à Lagny-le-Sec, poussant son avant-garde
à Dammartin, et il envoya la Hire et quelques autres capitaines pour re-
connaître la position des Anglais. Pendant toute la journée du 1 3, il y eut de
fortes escarmouches autour de Thieux, entre Dammartin et Mitry, en avant
de l'armée anglaise. Mais tout se borna là : car les capitaines jugèrent que
les Anglais s'étaient trop assuré l'avantage du terrain ; et Bedford, ne se
voyant pas autrement attaqué, se replia le soir même sur Paris pour cher-
cher des renforts.
Ces hésitations des Anglais, ces défis suivis sitôt de la retraite, ne faisaient
qu'encourager les villes à se donner au roi. Le roi les pressait d'ailleurs par
ses messages. Revenu à Crespy, il envoya ses héraults à Compiègne, à Beau-
vais, et il marchait lui-même vers la première de ces villes, quand il apprit
que Bedford était à Louvrcs, d'où il ramenait, avec ses troupes, celles qu'il
attendait. Il revint sur ses pas, et, arrivé à Baron, il envoya Loré et
Xaintrailles s'assurer des mouvements de l'armée anglaise. Il ne fut pas
longtemps sans recevoir d'eux la nouvelle qu'elle marchait sur Senlis,
qu'ils l'avaient vue tout entière : mais, quelque hâte que l'on fît, on arriva
trop tard pour l'empêcher de franchir l'étroit passage de la rivière qui coule
de Baron à Senlis (la Nonette) et de s'y établir près d'un lieu où les Anglais,
fort superstitieux, selon les témoignages du temps, devaient trouver un fa-
vorable augure, l'abbaye de Notre-Dame de la Victoire. Il était soir; après
quelques escarmouches, les Français se logèrent près de Montépilloy.
Le lendemain, i5 août, malgré la solennité de la fête, tous s'attendaient
à la bataille. La messe fut dite à la première heure; et aussitôt chacun de
monter à cheval et de se préparer au combat. L'armée s'était formée en
trois corps : le premier sous le duc d'Alençon et le comte de Vendôme; le
second sous René d'Anjou, duc de Bar; le troisième, formant l'arrière-
i68 JEANNE D'ARC.
garde, où était le roi avec le comte de Clermont et la Trémouille : les ma-
réchaux de Boussac (Sainte-Sévère) et de Rais commandaient les ailes; Gra-
ville, les archers. Il y avait en outre, pour faire escarmouche et subvenir à
tout, une autre troupe qui ne devait pas avoir la moindre part à la journée,
car elle avait à sa tète Dunois, la Hire et la Pucellc.
On marcha donc vers les Anglais ; mais il restèrent immobiles dans leur
position. Ils avaient passé la nuit à la fortifier avec leur industrie accoutu-
mée. Protégés sur les derrières par la rivière et un étang et sur les côtés par
de fortes haies d'épines, ils s^étaient barricadés de leurs charrois et couverts
sur leur front par des fossés garnis de palissades. C'est là qu'ils attendaient
l'attaque : les archers faisaient la première ligne, tous à pied avec leurs pieux
aiguisés fichés en terre devant eux-, et derrière, les seigneurs à pied aussi,
formant un seul corps de bataille, où dominaient avec l'étendard de Saint-
Georges, les deux bannières de France et d'Angleterre : car le régent com-
battait au nom des deux nations. La Pucelle, voyant qu'ils ne faisaient
point mine de sortir, se vint mettre à l'avant-garde, et alla frapper de son
étendard leurs retranchements-, mais ils ne répondirent à ce défi qu'en re-
pousant les plus hardis à l'assaut. Vainement, pour les amener dehors, la
Pucelle fit-elle retirer tous ses gens jusqu'au corps de bataille; vainement
leur olTrit-on de faire reculer toute l'armée elle-même, pour leur donner
loisir de se mettre aux champs et de se ranger. Ils s'obstinèrent à demeurer
dans leur position, n'en sortant que pour des escarmouches : ils refoulaient
les assaillants, qui, revenant en plus grand nombre à la charge , provo-
quaient à leur tour une sortie plus nombreuse; et vers la fin, la mêlée fut
telle qu'au milieu d'un nuage de poussière on ne distinguait plus Français,
ou Anglais.
Avant que les choses en vinssent à ce point, la Trémouille s'était laissé
séduire par ce simulacre de bataille. Il s'avança, monté sur un coursier su-
perbe et richement paré, et, la lance au poing, il donna des éperons et fondit
sur l'ennemi. Mais son cheval tomba et le fit rouler parmi les Anglais. On
s'empressa de l'en tirer, et l'aventure aurait pu lui être fatale, car ce n'était
point tournoi de chevalerie. Il y avait en jeu des haines nationales : « et n'é-
toit homme, dit Monstrelet, de quel étal qu'il fût, qui fût pris à finances :
ains (mais) mettoient tout à mort sans pitié ni miséricorde. »
I
JEANNE d'arc. 111. —
JEANNE D'ARC.
Le roi voyant que les Anglais ne sortiraient pas, s'en revint le soir à
Cresp3\ La Pucelle, le duc d'Alençon, et tout leur corps d'armée passèrent
la nuit sur le champ de bataille; et le lendemain de grand matin, pour
éprouver si l'ennemi, les vo\'ant moins nombreux, ne se déciderait point à
les poursuivre, ils se reculèrent jusqu'à Montépilloy. Mais les Anglais ne
songèrent à profiter de ce mouvement que pour opérer leur retraite plus à
l'aise. Vers une heure, la Pucelle fut informée qu'ils avaient regagné Senlis,
et qu'ils se dirigeaient sur Paris. Il était trop tard pour les suivre. Elle vint
donc à Crespy rejoindre le roi.
Rien ne devait plus arrêter le mouvement qui ramenait les villes à
Charles VIL Les hérauts qu'il avait envoyés à Compiègne, à Beauvais,
y recevaient le meilleur accueil. A Beauvais, le peuple ne vit pas plutôt
l'homme du roi, portant les armes de son maître, qu'il se mit à crier :
« Vive Charles, roi de France! » et chanta le Te Deutn, au grand déplaisir
de révêque-comte, Pierre Cauchon, partisan déclaré des Anglais. Le peuple
proclama que tous ceu.x qui ne voudraient pas se soumettre au roi pour-
raient s'en aller, et il les laissa emporter leurs biens. Mais Cauchon ne pou-
vait emporter son évêché et sa seigneurie. Il emporta sa haine, qu'on
retrouvera plus tard.
Le 17, le roi reçut à Crespy, oij il était encore, les clefs de Compiègne.
Il s'y rendit le lendemain, et fut accueilli avec de grands honneurs. Il voulait
donner la capitainerie de cette ville à la Trémouille. Mais Compiègne,
placée par son adhésion à Charles VII entre les convoitises du duc de Bour-
gogne et les haines des Anglais, avait besoin d'avoir chez soi à demeure un
bon officier qui la siàt défendre. Les bourgeois demandèrent à Charles VII
d'y maintenir Guillaume de Flavy, qu'ils avaient pris pour capitaine.
C'était un gentilhomme du pays, allié d'ailleurs à la famille du chancelier
Regnault de Chartres et qui avait servi sous la Trémouille. La Trémouille
eut le titre, mais Guillaume de Flavy, sous le nom de lieutenant , garda la
charge avec tous ses pouvoirs.
Avant de quitter Crespy pour se rendre à Compiègne, Charles VII avait
ordonné au comte de ^"endôme et au.\ maréchaux de Boussac et de Rais de
marcher sur Senlis. Les habitants n'eurent garde de résister à une armée
devant laquelle ils venaient de voir Bedford battre en retraite. Ils accueilli-
172 JEANNE D'ARC.
rent Vendôme , qui en demeura gouverneur. La nouvelle en arriva au roi à
Compiègne, en même temps que Tannonce de Tadhésion si cntliousiaste de
Beauvais.
Il vit aussi "arriver à Compiègne les ambassadeurs qu'il avait envoyés au
duc de Bourgogne, et bientôt ceux du duc lui-même. Les quinze jours de
la suspension d'armes finissaient. Paris n'était pas rendu ; et il était trop
clair que le duc de Bourgogne, en eût-il la volonté, n'était pas en mesure
de le rendre. Le roi, ainsi déçu, ne pourrait-il pas vouloir s'en dédommager
à ses dépens? Cette marche de Crespv sur Compiègne, quand Compiègne
se donnait de soi-même, semblait trahir la secrète pensée d'aller prendre
Paris ou à Lille ou dans Arras. Il y avait donc au moins des ménagements
à observer; et la plupart des conseillers du duc inclinaient franchement à la
paix; mais le duc lui-même était trop circonvenu par les agents de Bedford.
Le régent le sut retenir par de fortes remontrances; et le duc se borna à en-
voyer Jean de Luxembourg et l'évêquc d'Arras à Charles VII, pour lui
donner de belles paroles. On parlait de paix générale : le duc de Savoie s'en
faisait le médiateur. Pour la préparer, on fit une trêve à laquelle les Anglais
avaient faculté d'accéder, trêve qui devait durer jusqu'à Noël et comprenait
tout le pays situé au nord de la Seine , de Nogent à Harfleur, excepté les
villes ayant passage sur la Seine. De Paris, pas un mot, si ce n'est pour
laisser au duc la liberté de « s'emplo3'er, pendant la trêve, lui et ses gens,
à la défense delà ville » contre tous ceux qui l'attaqueraient. Le duc, il est
vrai, ne révoquait pas la promesse trompeuse qu'il avait faite de la livrer au
roi; mais, en attendant, c'était lui qui devait tenir du roi Compiègne pour
tout le temps de la trêve (28 août).
Le roi était là depuis plusieurs jours, recevant la soumission d'une foule
de places du voisinage : Creil, Pont-Sainte-Maxence , Choisy-sur- Aisne,
Gournai-sur-Aronde , Chantilly, etc. ; et il aurait pu, sans ces négociations
avec le duc de Bourgogne, amener à lui les villes les plus considérables de
la Picardie : Saint-Quentin, Corbie, Amiens, Abbaville; car « la plupart
des habitants d'icelles, dit l'historien bourguignon Monstrelet, étoient tout
prêts de le recevoir à seigneur, et ne désiroient au monde autre chose que
de lui faire obéissance et pleine ouverture. >> Mais la Pucelle ne le voyait
pas sans chagrin oublier parmi ces soumissions volontaires, abandonner sur
PARIS. ,73
une folle espérance , la \'ille sans laquelle la possession des autres n'avait
rien de durable ni d'assuré. Pour le tirer de sa fausse quiétude, elle lit ce
qu'elle avait fait à Gien pour l'entraîner au voyage de Reims. Elle ne prit
conseil de personne. Elle appela le duc d'Alençon et lui dit : « Mon beau
duc, faites appareiller vos gens et ceux des autres capitaines ; je veux aller
voir Paris de plus près que je ne l'ai vu. »
' I.'.4TT.\QUE DE PARIS.
Le mardi 23 août, la Pucelle et le duc d'Alençon partirent en eiïet de
Compiègne avec une nombreuse troupe d'hommes d'armes. Ils rallièrent
en passant une partie de ceux qui étaient demeurés à Senlis, et le vendredi
suivant, 2(î , ils se logeaient à Saint-Denis. Le roi, sous peine de rester
presque seul à Compiègne, était bien forcé de les suivre, car tous les vou-
laient rejoindre. La trêve signée, il vint donc jusqu'à Senlis d'abord (du 28
au 3o), « à grant regret, » dit l'historien du duc d'Alençon ; — et la teneur
de l'acte qu'il venait de conclure marque bien en effet que cela n'entrait pas
dans ses vues: — « et sembloit qu'il fût conseillé au contraire du vouloir de
la Pucelle, du duc d'Alençon et de ceux de leur compagnie. »
Au moment où le roi hésitait à se rapprocher de Paris, Bedford n'osait
plus y rester, craignant le soulèvement , non point tant de la ville que de la
Normandie. A Paris, les haines civiles lui donnaient encore, dans le parti
bourguignon , des auxiliaires contre les Armagnacs. Mais la Normandie
n'était point travaillée des mêmes passions : l'empire des Anglais y était de-
venu une domination étrangère , et au commencement de cette année même
on avait découvert un complot qui ne tendait pas moins qu'à leur enlever
Rouen. L'exemple de Beauvais, puis d'Aumale, montrait au régent la dé-
fection gagnant de proche en proche; et il savait aux frontières de cette
province le connétable , qui, exclu du vo3'age de Reims, briàlait de montrer
ce qu'il pouvait à lui seul. Il laissa donc, pour garder Paris, Louis de
Luxembourg , évêque de Thérouanne , son chancelier de France , un cheva-
lier anglais, nommé Radie}', avec environ deux mille Anglais, et l'Isle-
Adam avec ses Bourguignons, et il partit pour Rouen.
174 JEANNE D'ARC.
Les représentants de BeJford , à Paris, ne négligèrent rien pour assurer
la défense de !a ville. Le 26, le jour où la Pucelle et le duc d'Alençon arri-
vaient à Saint-Denis, le chancelier Louis de Luxembourg réunit en la
chambre du parlement tous les membres du corps, Tévèque et le prévôt de
Paris (Simon Morbier*, les maîtres des comptes, les prieurs des couvents,
les curés des paroisses, etc., et il leur fit renouveler le serment de fidélité
qu'ils avaient déjà prêté en présence de Bedford, et tout récemment encore
avant son départ; puis il commit deux magistrats pour aller dans les cou-
vents et les églises recevoir pareil serment des clercs, tant réguliers que sé-
culiers. En même temps les vingt-quatre chefs de quartiers s'occupaient de
fortifier, chacun dans sa section, les portes de la ville et les maisons qui
étaient sur les murs. On y mettait les canons en batterie; on y disposait des
tonnes pleines de pierres; on réparait les fossés, on établissait de nouvelles
barrières au dedans et au dehors. Il fallait des hommes pour donner force à
ces dispositions : on excitait la muhitude en faisant appel à la haine et à la
peur. On disait que le prétendu roi avait promis d'abandonner à ses gens
Paris tout entier, hommes et femmes, grands et petits, et que son intention
était de passer la charrue sur la ville : « ce qui n'est pas facile à croire, »
dit l'honnête grellier du parlement , auquel on doit ces détails; mais la foule ,
en pareil cas, croit tout sans raisonner.
Le duc d'Alençon avait commencé par inviter les échevins à recevoir le
roi, et il avait fait jeter des proclamations dans la ville pour agir sur le peu-
ple. Mais on lui répondit comme il pouvait l'attendre de ceux qui comman-
daient au nom des Anglais, et on l'engagea à s'abstenir de pareilles démar-
ches. Il en vint donc aux armes, et il ne se passait pas de jour qu'il n'y
eijt deux ou trois escarmouches aux portes de Paris, sur un point ou sur un
autre, et notamment auprès d'un moulin qui s'élevait entre la porte Saint-
Denis du temps et la Chapelle '. La Pucelle assistait à ces escarmouches et
examinait avec grande attention la situation de Paris, afin de voir où donner
l'assaut. Mais l'assaut ne pouvait se donner tant que le roi n'amenait pas le
reste des troupes. Les messages qu'on lui envoyait restant sans réponse, le
duc d'Alençon vint lui-même à Senlis, le 1" septem'Dre, puis, sa démarche
• Le moulin dont il est question était, selon toute apparence, sur la hauteur où s'élève aujourd'hui
l'église de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle.
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JEANNE D'ARC.
n'ayant pas eu plus de résultat le 3 , cette fois il fit tant que le roi se
mit en route et vint, le mercredi 7, dîner à Saint-Denis. Son arrivée fut
saluée comme une victoire. On ne doutait plus du succès, après avoir
triomphé de cette étrange résistance-, et il n'3' avait personne qui ne dît dans
Tarmée : « Elle mettra le roi dedans Paris, si à lui ne tient. »
Dès que le duc d'Alençon eut rapporté l'assurance que le roi venait , la
troupe, logée à Saint-Denis, alla s'établir à la Chapelle i le ô). Le jour même
de son arrivée de 7), il y eut une plus forte escarmouche; et les Parisiens, se
figurant que dès cette heure on voulait prendre la ville, s'applaudissaient
comme d'un triomphe du résultat de la lutte. Ils étaient fiers surtout d'avoir
tenu contre « cette créature qui étoit en forme de femme avec eux, que on
nommait la Pucelle. Que c'étoit. Dieu le sait, « dit le Bourgeois de Paris.
L'assaut, qu'on ne songeait point à donner ce jour-là, fut tenté plus
sérieusement le lendemain.
C'était encore un jour de fête (la Nativité); mais la Pucelle ne croyait
pas que ces temps fussent moins propices à la sainte mission qu'elle avait
reçue. Et si, comme elle le dit dans son procès, les seigneurs qui eurent la
pensée d'attaquer Paris en ce jour, ne voulaient faire encore « qu'une escar-
niouche ou une vaillance d'armes, » elle avait résolu « d'aller outre » et de
les entraîner après elle au delà des fossés. Ils partirent à huit heures de la
Chapelle, divisés en deux corps : les uns devaient attaquer, les autres de-
meurer en observation pour prévenir les sorties et couvrir les assaillants.
Alençon et Clermont, chargés du second rôle, allèrent se loger derrière une
forte butte le marché aux Pourceaux, depuis butte des Moulins ou butte
Saint-Roch , d'où ils pouvaient surveiller la porte Saint-Denis. Rais, Gau-
court et la Pucelle se dirigèrent vers la porte Saint-Honoré-, et dès l'abord
ils forcèrent la barrière et enlevèrent le boulevard qui la protégeait. Comme
la porte restait close et que d'aucun côté on ne sortait de la ville, la Pucelle,
tenant à la main son étendard, se jeta avec les plus hardis dans les tossés,
sous le feu de la place. Pierriers, canons, coulevrines étaient dirigés contre
les assaillants; et un obstacle imprévu les tenait exposés à tous les coups
sans qu'ils pussent arriver aux murailles. Ils avaient bien franchi le premier
fossé, qui était à sec, et le dos d'àne; miis au revers ils avaient trouvé le
second fossé rempli d'eau.
JEANNE d'aHC. III. — 23
178 JEANNE D'ARC.
Jeanne, quoique surprise, ne s'en rebuta point; et, tout en sommant la
ville de se rendre, elle sondait du bois de son étendard la profondeur de Teau
et donnait ordre d'apporter des fagots qu'elle y faisait jeter pour établir un
passage, quand elle fut frappée à la cuisse d'un trait d'arbalète. Il était soir,
et cependant Jeanne, bien qu'elle fût blessée, demeurait là; elle continuait
de faire combler le fossé, et pressait les soldats de courir aux murs, leur
disant que la place serait prise. Et en effet, l'émotion était grande dans le
peuple. Dès le commencement de l'assaut, on avait vu des gens criant par la
ville que tout était perdu, que les ennemis étaient entrés dans Paris, qu'il
n'y avait plus qu'à songer chacun à soi-même; et la multitude, que les pré-
dicateurs haranguaient dans les églises, s'enfuyait en désordre; on rentrait
dans les maisons, on fermait les portes. Mais l'assaut durait depuis midi;
et les capitaines, voyant les troupes lasses et Jeanne blessée, résolurent de
le suspendre. Vainement elle insistait, refusant de s'éloigner : ils rappelèrent
les troupes. Quant à elle, il fallut que le duc d'Alençon, Gaucourt et d'au-
tres vinssent la prendre de force et la missent à che\al pour la ramener à la
Chapelle; et, sous le feu des canons qui, de la porte Saint- Denis, la pour-
suivaient de leurs boulets jusque par de là Saint-Lazare, elle ne cessait de
protester, aflirmant que la place eût été prise.
Jeanne comptait bien encore qu'elle le serait. Le lendemain, malgré sa
blessure, elle se leva de grand matin; et, faisant appeler le duc d'Alençon
qui était toujours comme l'interprète de ses volontés dans le commandement,
elle le pria de faire sonner les trompettes et monter à cheval pour retour-
ner devant Paris, promettant de n'en point partir qu'elle n'eût la ville. Le
duc d'Alençon et plusieurs autres ne demandaient pas mieux; et leur espoir
n'était pas sans fondement. Quoique dominée par les Anglais, cette grande
cité était loin d'être unanime dans le parti bourguignon, et l'on a vu le
trouble excité la veille, moins par l'assaut peut-être qu'à l'occasion de
l'assaut. Au milieu de ces alarmes, il n'eût pas été difficile , il était encore
possible de forcer la place. Et ce n'était pas seulement une multitude cédant
à la peur : c'étaient les plus nobles de la chevalerie, qui regardaient la venue
de la Pucelle comme un signal de se rallier au roi. Au moment où le duc
d'Alençon donnait l'ordre de marcher sur la ville, le baron de Montmorency
et cinquante ou soixante gentilshommes en sortaient pour se joindre à la
PARIS.
'79
compagnie de la Pucelle. Mais, comme tous réunis approchaient des mu-
railles, pleins d'ardeur, René d'Anjou et le comte de Clermont vinrent au
nom du roi inviter la Pucelle à retourner vers lui à Saint-Denis; ordre était
donné en même temps au duc dWlençon et aux autres capitaines de revenir
et de la ramener.
Ils obéirent, la douleur dans l'àme. Mais, en s'éloignant de la place, ils
ne perdaient point Tespérance d'y retourner par un autre chemin. Le roi
avait cédé peut-être à la crainte de renouveler contre de trop forts obstacles
un assaut malheureux. Or le duc d'Alencon avait fait jeter un pont sur la
Fig. Si. — Jeanne, blessée à la cuisse d'un trait d'arbalète devant Paris, est ramenée de force au camp par
le duc d'Alençon et le sire de Gaucourt. Elle ne cesse de protester, affirmant que, si l'on continuait
l'assaut, la place serait bientôt prise. — Bas-relief de M. Vital-Dubray, à Orléans, xix» siècle.
Seine à Saint-Denis : on pouvait passer la rivière et attaquer brusquement la
ville par un côté où elle ne craignait rien. Le roi ne s'expliqua point sur ce
projet; mais dans la nuit suivante (du vendredi au samedi), il fit détruire le
pont. C'était assez déclarer qu'il ne voulait plus attaquer Paris d'aucune
manière. Il demeura quelques jours encore à Saint-Denis. « Il s'y fit intro-
niser, selon l'usage, « dit Thomas Basin. Mais il semblait qu'une fois
investi de tous les symboles de la royauté, il pût sans inconvénient en aban-
donner tous les gages. Il tint plusieurs conseils : il y pourvut au gouverne-
ment des pays récemment réunis. Il les confia au comte de Clermont, et
laissa à Saint-Denis le comte de Vendôme et le sire de Culan , amiral de
i8o JEANNE D'ARC.
France, avec des forces capables de surveiller momentanément, mais non
plus de menacer Paris. Évidemment il ne s'agissait plus que de protéger le
roi dans sa retraite. Il partit le i3 , adressant, de ce jour même, aux princi-
pales villes une circulaire où il donnait pour motif à son départ la trêve
conclue avec le duc de Bourgogne jusqu'à Noël, la nécessité d'alléger le
pays de la présence des troupes qu'il ne pouvait plus employer au fait de la
guerre, et le dessein d'aller outre Seine rassembler une armée plus grande,
afin de poursuivre le recouvrement du reste de sa seigneurie. La trêve ne le
gênait pas du côtédes Anglais-, et , s'il avait eu vraiment à cœur de travailler
à l'achèvement de la conquête, ce ne sont pas les troupes qui lui faisaient
défaut.
Quand la Pucelle vit que par aucune raison elle ne pouvait plus le retenir,
elle vint dans l'abbaye de Saint-Denis, et déposa ses armes en offrande au
pied de l'image de la sainte ^'ierge et devant les reliques du samt patron du
royaume : pieux hommage à celui qu'on invoquait dans les batailles, « pour
ce que c'est le cry de France, » dit-elle-, et en même temps protestation
muette contre une résolution qui désarmait le roi. ^lais elle-même ne le
quittait point, parce que moins que jamais elle devait croire sa mission ter-
minée. Elle le suivit donc, pleine de tristesse, dans un chemin si différent
de celui où elle le conduisait naguère. Naguère on marchait en avant , et
chaque pas était marqué par un triomphe qui acheminait vers la libération du
royaume : maintenant on se retirait de cette capitale où Jeanne avait compté
introduire son roi couronné; et la retraite se faisait avec une telle précipi-
tation , que parfois elle aurait pu ressembler à une fuite. On passait non
par les villes qu'il eût fallu rallier encore, mais parcelles dont la soumission
promettait un plus sûr passage : Lagny, Provins, Bray. Cette fois, les
Anglais n'étaient plus là pour fermer la route. Sens refusait d'ouvrir ses
portes : on passa l'Yonne à gué, près de la ville, et l'on revint enfin par
Courtenay, Château- Regnart et Montargis à Gien, d'où l'on était parti en
un bien autre appareil trois mois auparavant 21 septembre .
Quelle était la cause de ce départ précipité du roi, et quelles raisons
pouvait-on alléguer dans ses conseils pour l'amener à cette retraite, quand
celle qui avait délivré Orléans, vaincu l'Anglais et accompli le voyage de
Reims, selon qu'elle l'avait prédit contre toute apparence, continuait de
PARIS.
dire qu'elle mettrait le roi dans Paris? Ce qu'on alléguait, c'étaient les
promesses du duc de Bourgogne, promesses qu'il venait de renouveler,
dit-on, par un héraut, devant Paris même, et auxquelles on affectait tou-
jours de croire. Mais ne valait-il pas mieux prendre Paris sans le duc que
1^;. Si — Saint 4ndré s appuyant sur sa croix et ie duc Je Bourgogne à genoux. Miniature des ClironiLjucs
Je Bnui^n^nte, ms. du W- siècle, à la bibliothèque Je Bruxelles. — Les partisans du duc Je Bourgogne à
Pans portaient la croix Je Saint-André.
par le duc? Oui, sans doute, de l'aveu de tout le monde, à l'exception
toutefois de ceux qui dominaient dans les conseils de Charles VII. Prendre
Paris sans le duc de Bourgogne, c'était le prendre par la seule force de la
Pucelle et de l'armée; c'était faire passer aux capitaines toute l'importance
que se donnaient les favoris : car il ne suffisait pas de le prendre, il le
i82 JEANNE D'ARC.
fallait garder. Il eût donc fallu que le roi fut dès lors ce qu'il devint plus
tard, qu'il entrât sérieusement dans la conduite de son gouvernement •, et,
pour cela, il avait besoin d'autres hommes. Prendre Paris par le duc de
Bourgogne, c'était peut-être le lui laisser -, mais on acquérait la sécurité
sans contracter l'obligation d'agir, et le roi pouvait continuer plus à l'aise
la vie qu'il menait dans ses châteaux de la Loire. Le choix des courtisans
fut donc bien vite arrêté. C'était à leur corps défendant, et comme sous la
contrainte de la Pucelle, qu'ils avaient laissé le roi aller de Compiègne à
Scnlis, et de Senlis à Saint-Denis : l'accident qui avait fait suspendre
l'assaut avait été pour eux une trop bonne occasion d'y renoncer. On partit,
sans vouloir se dire que partir après une attaque manquée , c'était en faire
un véritable échec ; c'était exalter dans Paris les ennemis du roi, et mettre
le duc de Bourgogne, l'eùt-il voulu, dans l'impossibilité de lui donner la
ville. Et on le vit bientôt. Le duc de Bourgogne, muni du Çauf-conduit du
roi, vint à Paris (3o septembre\ traversant tout le pays repris par les
Français, salué au passage par l'archevêque de Reims, chancelier de
France, et par le comte de Clermont, commandant des troupes françaises
en CCS contrées; et il répondit à ses avances en resserrant son alliance avec
Bedford. Bedford lui donna la lieutenance du royaume et bientôt l'investi-
ture de la Champagne, c'est-à-dire la charge de reprendre Reims et de
garder Paris, ne retenant pour lui-même, avec son titre de régent, que le
gouvernement de la Normandie-, et les Anglais, qui avaient craint même
pour cette province, se prirent de nouveau à espérer la conquête de la
France.
Cette retraite devait avoir une autre conséquence fâcheuse-, mais il semble
qu'au gré des courtisans ce fût encore une bonne fortune : c'était de com-
promettre l'autorité de la Pucelle. Jeanne avait dit qu'elle était envoyée
pour délivrer Orléans, faire sacrer le roi à Reims et chasser les Anglais
du ro3'aume. On l'avait volontiers laissée délivrer Orléans; on l'avait
suivie de mauvaise grâce jusqu'à Reims, et par contrainte jusqu'à Paris.
Si on entrait à Paris comme à Reims, il faudrait donc lui obéir encore
quand elle voudrait ne laisser aucun repos que l'Anglais ne fut chassé de
France. Il était plus que temps de s'arrêter si on ne voulait être jeté dans
le mouvement de cette grande guerre. L'échec de Paris mettait en doute
i84 JEANNE D'ARC.
une parole que le peuple tenait pour prophétique, et dispensait de lui céder
à Tavenir. A voir comme les ennemis triomphent de cet échec, on peut
deviner combien les esprits dans le camp du roi pouvaient être ébranlés.
« Elle leur avoit promis , dit le faux Bourgeois, que, sans nulle faute, ils
gagneroient à celui assaut la ville de Paris, par force, et qu'elle y gîroit
celle nuit, et eux tous, et qu'ils seroient tous enrichis des biens de la cité...
Mais Dieu, qui mua la grande entreprise d'Holopherne par une femme
nommée Judith, ordonna par sa pitié autrement qu'ils ne pensoient. » Est-il
besoin de répondre aux allégations du Bourgeois? Les paroles de Jeanne et
les faits n'en sont-ils pas une réfutation suffisante ? Jeanne disait aux siens
que la place serait prise; mais à une condition, c'est qu'on persévérât. Pour
prendre aussi une comparaison dans la Bible, elle n'avait pas dit que
devant son étendard les murs de Paris crouleraient comme ceux de Jéricho
devant l'Arche ; mais qu'on les assaillît, qu'on fît effort, et que Dieu aide-
rait. A Orléans aussi, de\'ant les Tourelles, les capitaines voulaient se
retirer après sa blessure : elle les retint, et la bastille fut prise. Si à Paris
on eut fait de même, on aurait eu, tout permet de le croire, semblable
succès. L'affaire de Paris ne prouve donc rien contre la Pucelle et sa mis-
sion. Sa mission, comme elle l'avait définie dans sa lettre à Bedford,
impliquait bien qu'elle y menât le roi. Après Reims, c'est à Paris qu'il
fallait aller pour hâter l'heure où les Anglais seraient «boutés horsde toute
France. » C'est ce qu'avait fait Jeanne. Même après son échec, ses voix lui
commandaient (elle-même le déclare" de persévérer en demeurant à Saint-
Denis; mais elles ne lui avaient pas révélé qu'on y entrerait, quoi qu'on
fît, ni que l'assaut dàt réussir ou échouer. C'est à ceux qui l'arrêtèrent
quand elle disait d'aller en avant, et le lendemain quand elle voulait renou-
veler la tentative, c'est à ceux-là de répondre de l'échec.
V siiclc, a- 189, il la Biblioth. nnt.
COMPIEGNE
Le Séjour sur la Loire. — Le Sie'ge de Compiègne.
LE SEJOUR SUR LA LOIRE.
retour du roi à Gicn eut les suites quel'on
pouvait prévoir. Presque aussitôt après son
dupart de Saint-Denis, la garnison qu'il y
a\ lit laissée avec Vendôme se repliait sur
Scnlis : les Anglais, se jetant sur la ville,
la pillèrent, et sans crainte du sacrilège
emportèrent, comme en trophée , les armes
que la Pucelle avait déposées dans Féglise
^^^-LS de Fabbaye. Puis ils élevèrent une nouvelle
^'^ ' forteresse dont ils firent capitaine le prévôt
de Paris, Simon Morbier. Le mal était
réparable si le duc de Bourgogne tenait ses promesses ; et le comte de
Clermont, lieutenant du roi dans ces contrées, paraissait y compter
toujours. Le premier usage qu'il fit de ses pouvoirs fut d'expédier au duc,
au nom du roi, des lettres qui comprenaient, dans la trêve de quatre mois
faite avec lui, Paris et ses environs, savoir : Saint- Denis et le château de
Vincennes, les ponts de Charenton et de Saint-Cloud (i8 septembre:. Le
duc de Bourgogne y vint donc alors à travers l'armée royale, muni du
JEANNE d'arc. Ili. — 24
i8G JEANNE D'ARC.
sauf-conduit du roi (on a vu avec quels honneurs), et il parut encore donner
suite aux négociations entamées. Il envoyait à son tour un sauf-conduit
au chancelier de France. Il le faisait recevoir à Saint-Denis par Jean de
Luxembourg et le sire de Lannoy; et plusieurs jours se passèrent en
conférences : mais tout se borna aux conventions déjà signées. Ce n'était
point pour livrer Paris au roi de France que le duc de Bourgogne acceptait
de Bedford la charge de le gouverner. Le roi, en le comprenant dans les
trêves, n'avait fait que fournir au duc le mo_ven d'inaugurer son avènement
au pouvoir par un acte agréable aux Parisiens. La trêve qui les touchait
fut publiée devant le duc et les bourgeois assemblés, en même temps que
les lettres qui l'investissaient de la lieutenance du roj'aume.
Paris demeurait donc aux Anglais avec l'assurance qu'on ne l'inquiéte-
rait pas; mais les Anglais n'avaient aucun engagement de ce genre envers
les pays soumis à Charles VIL II fallait que le roi, tout en s'abstenant
d'attaquer sur ce point, songeât à se défendre sur tous les autres. Il parut
bien ne vouloir délaisser aucune des villes qui venaient de se donner à lui.
A peine arrivé à Gien, il écrivit (le 23 septembre) aux habitants de Troyes
qu'il avait donné ordre à Vendôme de leur venir en aide. Pourquoi Ven-
dôme? N'avait-il pas bien assez de garder Senlis ? et était-ce trop, pour l'Ile-
de-P'rance, du comte de Clermontet des seigneurs demeurés avec lui? Mais
l'armée que Charles VII ramenait sur la Loire et qu'il avait tant d'occa-
sions d'employer ailleurs, était à la veille de se dissoudre. Le duc d'Alençon
s'en alla en sa vicomte de Beaumont, où l'attendait sa femme; et les autres
capitaines, chacun en son gouvernement.
Jeanne était demeurée auprès du roi, presque seule, et fort triste de
l'inaction où elle était réduite. Cependant le duc d'Alençon, qui partageait
si complètement ses vues, revint bientôt s'offrir pour l'en tirer. Il avait réuni
des hommes d'armes, et proposait d'entrer en Normandie par les marches
de la Bretagne et du Maine, pourvu qu'on lui donnât la Pucelle : car,
selon qu'elle serait ou ne serait pas avec lui, sa troupe allait bientôt se
grossir ou se disperser. Les circonstances paraissaient favorables. Les Fran-
çais avaient dans le pays des partisans : Étrépagny, Laval, Torcy, venaient
de leur être livrés. On refusa. L'archevêque de Reims, la Trémouillc et
le sire de Gaucourt, « qui lors gouvernoient le corps du roy et le fait de sa
COMPIEGNE.
187
guerre, » ne voulurent à aucun prix consentir à cette réunion du duc
d'Alençon et de la Pucelle. Le duc, ils le sentaient bien, aurait gagné en
Fig. 84. — Charles V'II entouré de sa cour. D'après un dessin à la sanguine de la fin du quinzième siècle ,
communiqué par M. de Braux,àBoucq (Meurthe). — Charles Vil, assis sur son trône, est environné de ses
principaux gentilshommes, parmi lesquels se distinguent à la fois par leurs insignes et par leurs noms; le
connétable de Richement, qui, en sa qualité de connétable, porte l'épée du roi; le comte de Dunois, grand
chambellan; Jean Bureau, grand maître de l'artillerie;Joachim Roua ult; le grand sénéchal Pierre de Brézc ;
et derrière, au premier plan, Jeanne la Pucelle. — Cette composition se retrouve en miniature dans deux
mss. de Jean Chartier, tous deux du xv' s.: l'un à la biblioth. de l'Arsenal, à Paris; l'autre à la biblioth.
de Rouen.
importance tout ce qu'il eut ajouté à la fortune du roi. L'historien Perccval
de Cagny a bien le droit de mettre à la charge du conseil les conséquences
JEANNE D'ARC.
/ 'v"^ '^ de cette résolution, et de lletnr cette résistance délibérée a
la CTrâce dont la Pucelle était la messagère (octobre 1420;.
Le roi allait donc promenant ses loisirs en Touraine,
en Poitou, en Berri ; et, pendant ce temps-là, tout était
en proie dans le pays qu'il avait abandonné. Ces riches campagnes furent
ruinées, les villes mises à rançon. On leur voulait faire sentir ce qu'il en
coûtait d'abandonner si légèrement les Anglais pour un roi impuissant à
es défendre. Et, en effet, on eût pu croire le pays entièrement délaissé.
Le comte de Clermont, lieutenant du roi, s'en allait veiller à ses propres
COMPIÈGNE. 189
domaines-, le comte de Vendôme, substitué à sa ciiarge , avait déjà bien
assez de garder Senlis-, Chabnne, à Crcil, se laissa prendre. Le maréchal
de Boussac vint, il est vrai, amenant mille combattants environ; mais
que faire avec cette troupe quand les Anglais et les Bourguignons pos-
sédaient tout le pa\'s alentour, la Normandie, la Picardie, la Bour-
gogne? Il eut fallu être présent partout pour contenir les uns ou pour
observer les autres : car les trêves ne liaient pas les Anglais et arrêtaient
peu les Bourguignons. Au lieu de se réduire à cette défense laborieuse,
tous ces hommes d'armes trouvaient plus commode et plus profitable
d'aller à leur tour porter le ravage sur le territoire de Tenncmi. Ainsi le
mal ne faisait que s'étendre et devenir plus général. Paris même, quoique
doublement protégé par les armements des Anglais et par les trêves des
Bourguignons, souffrait de cet état de choses dans toutes les classes de
ses habitants : « Nul homme de Paris, dit le Bourgeois, n'osoit mettre
le pied hors des faubourgs, qui ne fût mort, ou perdu, ou rançonné. Le
cent de petits cotterets valoit 24 sols parisis, deux œufs, 4 deniers; un
petit fromage tout nouvel fait, 4 blancs ' et n'étoit nouvelle ni pour
Toussaint, ni pour autre fête en celui temps, de harengs frais ni de quel-
que marée. »
Les provinces du Nord, et en particulier TIle-de-France, étaient donc
livrées aux ravages de la guerre; et le contre-coup de ces événements pou-
vait provoquer des périls au voisinage même des résidences royales. Toute
la Loire , en effet, n'appartenait pas au roi. L'ennemi était fortement établi
à la Charité; il possédait encore Saint-Pierre-le-Moustier, Cosne et quel-
ques autres places : et ces positions, qu'on avait eu raison de négliger pour
marcher sur Reims et sur Paris , semblaient maintenant plus menaçantes.
Un conseil fut tenu à Meun-sur-Yèvre, et il parut qu'il y avait tout avan-
tage à satisfaire de ce côté l'impatience que la Pucelle avait d'agir. Il fut
décidé qu'on l'enverrait faire le siège de la Charité, et qu'on préluderait à
cette conquête par celle de Saint-Pierre-le-Moustier.
< La livre tournois varia cette année de 3 fr. gS c. à (i fr. 21 c. Je notre monnaie, valeur intrinsèque. Les
blancs de Charles VII étaient de S deniers tournois. Voy. le Mémoire de M. de Vailly sur les Vjriations de
la livre tournois depuis le r'epie de saint Louis, Mém. de l'Académie des inscriptions, t. XXI, 2» partie,
p. 224, et le tableau n° V, p. 402. La monnaie parisisétait à la monnaie tournois comme 5 est à 4; ellevalait
un quart en sus.
JEANNE D'ARC.
86. — Agnelou moutond'orde Henry V,
ordonnéle ajseptembre 1419.
Cours: iSgr.de 2od. — Val.intrins.: 1 1 fr. 54c.
go. — Grand blanc ou florelte de Henry V,
frappée à Rouen à partirde 1419.
Cours : 10 deniers. — Val. inirins. : 29 c.
87. - Salut d'or de Henry VI,
frappe à Rouen à partir de 1425.
Cours : i 1. 2 s. G d. — Val. inirins. : i3 fr. 38 c. ■
é^f%.
II. — Grand blanc ou florette de Henry V,
frappée iï Rouen à partir de 1420.
Cours : 20 deniers. — Val.intrins.: 68 c.
88. — Salut d'orde Henry V(RR),
frappé de 1420 a 1421.
Cours: i livre 5 sous. — Val. intrins.:^3 fr. 38c. -
92. — Grand blanc ou florette d'arsentde Henry V
ordonnée le 12 janvier 1419.
Cours : 20 deniers, — Val. intrins. : 67 c.
frappé à Rouen à partir de 1427.
Cours: i5 sous. — Val, intrins.: S fr. 02 c. -^.
(j3. — Grau J blanc aux écus de Henry VI (bîllon),
frappé à Rouen à partirde 1423.
Cours : 10 deniers. — Val. intrins. : 28 c. —-.
Fig. 86 à loi. — Monnaies frappées en France par les Anglais. La plupart reproduisent les types des
monnaies françaises, les rois anglais se déclarant héritiers légitimes de la couronne de France. — Au droit,
la légende de ces monnaies est : i" sur la fig. 86, « Agnus Dei qui toUis peccata mundi, miserere nobis
(Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde, ayez pitié de nous); » 2° sur la figure 87 : <■ Henricus
Dei gratia Krancorum et Anglia; rcx (Henri par la grâce de Dieu roi de France et d'Angleterre) ; » 3" sur
la fig. 88: « Henricus Dei gratia re.\ Angliae, hères Francias (Henri par la grâce de Dieu roi d'Angleterre,
héritier de France); » 4" sur les fig. 89, 93, 99, 100, loi : <■ Henricus Francorum et Angliœ rex (Henri,
roi de France et d'Angleterre); » 5** sur les fig. 90 et 92 : « Henricus Francorum rex (Henri, roi des
COMPIEGNE.
191
94. — Petit blanc aux écus de Henry VI (billon),
frappé à Paris à partir de 1422.
Cours: 5 deniers. — Val. intrins.: i ^ c. ^.
g8. — Petit tournois ancien de Henri VI (billon),
frappé à Rouen à partirde 1422.
Cours: I dernier. — Val. intrins.: 2 c. -^.
r^^^
95. — Triple tournois ou denier trézin de Henry VI (billon), RR, 99. — Double denier par isis de Henri VI (billon),
frappé à Paris à partir de 142!!. frappé à Paris à partir de 1423.
Cours: 3 deniers. — Val. intrins.: S c. -^. Cours : 2 deniers -'■. — Val. intrins. : 7 c. -^.
y6. — Double tournoisblanc de Henry V, dit ni\;Ht'/ (billon), 100. — Petit denier Parisis noirde Henry V (billon).
frappé à Rouen à partir de 1421. frappé à Paris à partir de 1423.
Cours : 2 di;nicrs. — Val. intrins. : 5 c. ^. Cours : 1 denier -. — Val. intrins. : 3 c. '— .
97. — Petit denier tournois noir de Henry V (billon),
frappé à Rouen il partir de 1419.
Cours : i denier. — Val. intrins. ; 2 c. -^.
loi. — Petit denier parisis noir de Henry VI (billon),
frappé à Paris à partir de 1426.
Cours : i denier -. — Val. intrins. : 3 c. 'J-.
Français); » 5° sur les fig. gi et 96 : » H. rex Angliae, hères Francia; (Henri, roi d'Angleterre, héritier de
France); » sur les fig. 94, 93, 97, 98 : « Henricus rex (Henri, roi). » — Au revers on lit : 1° sur les fig. 86,
87, SS et 89 : « Christus vincit, Christus régnât, Christus imperat (le Christ est vainqueur, le Christ régne, le
Christ commande) ; » 2° sur les fig. 90, 91, 92, gS, 94 et 96 : » Sit nomen Domini bencdictum (Que le nom
du Seigneur soit béni); » 3" sur la fig. 93 : « Turonus triplex franc. (Triple tournois de France); » 4* sur la
fig. 97 : « Turonens civis (Cité de Tours); » i" sur la fig. gS : « Turonus Francù-e (Tournois de Francel; «
6° sur leslig. 99, 100 et loi : « Parisius civis (Cité de Pans). » — Xoti. Toutes les pièces qui portent un H au
coeur de la croix et celles qui portent le titre de Hcrcs Frjncuv { héritier de France), résultat du traité de
Troyes, sont de Henri V d'Angleterre.
JEANNE D'ARC.
102. Écu d'or à la couronne de Charles \'II, no. — Royal d'or de Charles Vil,
frappé à Frontenay en I435. frappé à Lyon de 1429 à 1432.
Cours: i livre 5 sous. — Val. intrins.: 12 fr. 34 c. ~- Cours: i livre 5 sous. — Valeur intrins. : i3 fr. 17 c. ^.
io3.— Écu d'or à la couronne de Charles VI,
frappé vers 1389.
Cours: i 1. 2 s. 6d. — Val. intrins. : 12 fr. 77c. ■^.
106. — Grand blanc d'argent, dit Jentelé,
frappé à Orléans en 143 1.
Cours : 10 deniers. — Val. intrins.: 27 c. ^.
104. — Demi-écud'oràlacouronnede(;harlesVII(RR),
créé le 26 avril 1438.
Cours : 12 sous 6 deniers. — Val. intrins.: 6 fr. 38 c.
107. — Gros d'argent, dit iiu rottJeLÏu.
créé le 8 octobre 1430.
Cours : i5 deniers. — Val. intrins.: 57 c. —
loS. — Plaque d'argent, copie des doubles gros flamands de Philippe le Bon,
frappés à Tournai avant 142Ô.
Cours : i3 deniers. — Val. intrins. : 41 c. -^^.
Fig. 102 à loS. — Monnaies françaises frappées sous les règnes de Charles VI et de Charles VU. Au droit, la
légende commune à toutes ces monnaies est : « Carolus Dei gratia Francorum rex (Charles, par la grâce de
Dieu roi de France). » — Au revers, on lit : 1° sur les figures 102, io3, 104 et io5 : « Christus vincit, Chrislus
régnât, Christus imperat (le Christ est vainqueur, le Christ règne, le Christ commande); » 2» sur les figures
io5, io5 et 107 : « Sit nomen Domini benedictum (Que le nom du Seigneur soit béni). • — Bibhoth. nat. de
Paris, cabinet des médailles.
!li|lli|||g||i|l|pil!ffl^
m
Fig. 103. — Portail nord de l'église Saint-Pierre-le-Mousticr. Jc'sus-Clirist, bénissant un _qli)be, est entouré des
quatre évangélistes. Sous l'archivolte, deux anges portent des llambeaux, deux autres tiennent des encensoirs.
x\i' siècle. État actuel, d'après une photographie. — Au siège de Saint-Pierre-le-Moustier, d'Aulon, écuyer de
Jeanne, la voyant avec quatre ou cinq hommes au plus devant les murailles, lui demanda ce qu'elle faisait
là seule, la pressant de se retirer. Mais Jeanne, ôtant son casque, répondit qu'elle n'était pas seule, qu'elle
avait en sa compagnie cinquante mille de ses gens; et elle cria ; « Aux fagots et aux claies, tout le monde ! »
En un instant elle est obéie, et la ville est prise d'assaut. — Jeanne sut préserver du pillage les biens que les
habitants avaient réunis dans l'église de Saint-Pierre.
Pig. , 10. — Notedediverses provisions de guerre fournies par la ville de Clermont-Ferrand à la requête de
à la Bibliothèque de Clcrmont-Kerrand.
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la Pucelle. Extrait du registre appelé le I^apier du tlliien (registre recouvert d'une peau de chien), conservé
(L'écriture du titre du registre est re'duite.)
Lecture. — C'est le papier dej mémoires et diligences de la ville de Clermont appelle le papier
du chien, fait et ordenné par Loys Chauchat, Guillaume Boudet , Guillaume Vidal et Jehan
dou Mas. esleu'f sur le gouvernement de la dicte ville le viii'jour du nuns de may lan mil iiijc
et dix.
Memuyre soit que la pucela Jchanna et messaige de Dieu et nions' de Lebret envoyèrent à la
ville de Clermont le vii" jour de nouvcmbre l'an mille quatre cens et vint et neuf unes lettres faysant
mencion que la ville leur voulssit aider de poudre de canon et de trait et d'artillerie pour le
siecge de la Charité. Etfust ordenné pour Messeigneurs d'igli^e esleuj et habitans de ladicte ville
de leur envoyer le^ chausej qui s'enssuivent lesquelles leur furent envoyées par Jehan Merlle ,
fourier de Mons' le dauphin, corne appert par sa quittance . laquelle est en cest papier. Et pre-
mièrement deux quintau.x- de saupelre , im g quintal seuphre , deu.v quaysses de trait contenant ung
melher, et pour lapersonne de ladicte Jehanne une espée, deux dagues et une apche d'armes. Et
fut cscript à mess" Rocbert Atndrieu. qui estait devers ladicte Jehanne , qu'il présentât ledit arnoys
la dicte Jehanne et Seii^neur de Lebret.
Traduction. ■ — C'est le registre des mémoires et diligences de la ville de Clermont, appelé le
Registre du Chien, fait et ordonné par Louis Chauchat, Guillaume Boudet, Guillaume Vidal et
Jean du Mas, élus pour le gouvernement de ladite ville, le 8 mai 1410.
Mémoire soit que la Pucelle Jeanne, messagère de Dieu, et Monseigneur d'Albret envoyèrent
à la ville de Clermont, le 7 novembre 142Q, une lettre demandant que la ville voulîit bien les
aider en poudre à canon, en traits et en artillerie pour le siège de la Charité. Et il fut ordonné
par les seigneurs d'église, les élus et les habitants de cette ville de leur envoyer les choses qui
suivent; lesquelles leur furent envoyées par Jean Merle, fourrier de Monseigneur le Dauphin,
ainsi qu'il résulte de sa quittance, qui est jointe à ce registre. Et premièrement, deux quintaux
de salpêtre, un quintal de soufre, et deux caisses contenant un millier de traits, et pour la per-
sonne de ladite Jeanne une épée, deux dagues et une hache d'armes. Et il fut écrit à messire
Robert Andrieu, qui était auprès de ladite Jeanne, qu'il lui présentât ledit armement ainsi
qu'au seigneur d'Albret.
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iqS • JEANNE IVARC.
La Pucelle aurait mieux aimé aller en France, c'est-à-dire vers Paris.
Elle se rendit à Bourges pour réunir les troupes destinées à cette entre-
prise; puis elle vint, en compagnie du sire d'Albret (frère utérin de ia
Trémouille, assiéger Saint- Pierre-le-Moustier, comme il avait été résolu.
Jeanne, selon son habitude, se portait au plus fort du péril et y demeurait,
sans compter ceux qui restaient auprès d'elle. D'Aulon, son écuyer, qu'une
blessure à la jambe tenait éloigné de l'assaut, la voyant avec quatre ou
cinq hommes au plus devant les murailles, monta à cheval, courut à elle,
lui demanda ce qu'elle faisait là seule, et pourquoi elle ne se retirait pas
comme les autres. Mais elle, ôtant son casque, lui répondit qu'elle n'était
pas seule, qu'elle avait en sa compagnie cinquante mille de ses gens, et
ne partirait point de là que la ville ne fût prise. Comme il insistait, elle
lui ordonna de faire apporter des fascines pour franchir le fossé, et en
même temps elle s'écria : « Aux fagots et aux claies, tout le monde, afin
de faire le pont ! » En un instant elle fut obéie, le pont dressé et la ville prise
d'assaut. Tout était en proie aux vainqueurs, mais Jeanne sut leur faire
respecter l'église où les assiégés avaient mis leurs biens en dépôt (premiers
jours de novembre i429\
De là on devait aller assiéger la Charité. Mais la place était forte et bien
approvisionnée par les soins de Perrin Grasset, qui l'occupait depuis tantôt
sept ans; et la petite armée dj la Pucelle manquait des choses les plus
indispensables à l'attaque. La cour ne sachant pas trouver le moyen d'y
pourvoir, elle s'adressa aux villes. On a encore , en original , une lettre
signée d'elle aux habitants de Riom (Moulins, 9 novembre 1429) : elle leur
annonce le siège qu'on vient de terminer heureusement et celui qu'on pré-
pare; et elle les prie, par l'attachement qu'ils ont au bien et à l'honneur du
roi, d'envoyer « poudres, salpêtre, soufre, traits, arbalètes fortes et autres
habillements de guerre. " On commença le siège avec ce qu'on avait, et,
tout en le poussant, on continuait de s'adresser aux villes les plus inté-
ressées à déloger l'ennemi de leur voisinage. La ville de Bourges engagea
ses octrois, afin d'avoir les i3oo écus d'or qu'on lui demandait pour entre-
tenir l'armée et la garder devant la place. La ville d'Orléans eut aussi à
porter dans ses comptes diverses sommes dépensées pour entretenir ou
équiper des capitaines, des gens d'armes, des « joueurs de coule\rines, »
COMPIEGNE.
'99
envoyés au siège en son nom. Mais ces secours partiels étaient insuffisants
pour une telle entreprise, et le roi n'envoyant rien , Tarmée, dépourvue
d'argent et de vi^Tes, dut lever le siège, au grand déplaisir de la Pucelle
(fin de novembre 1420).
Elle fut reçue à la cour avec non moins d'honneur : car à quel titre le roi
lui eùt-il imputé cet échec? On l'anoblit, elle et toute sa famille, et, par un
privilège signalé comme unique dans nos annales, on stipula que cette
noblesse se transmettrait dans sa race, non-seulement par les hommes,
mais par les femmes. On lui avait composé un blason où figuraient les lis
de France; ses frères en prirent le nom de du Lis : mais elle garda son
nom et son étendard. Tous ces honneurs lui étaient donnés « en considéra-
tion des louables et utiles services qu'elle avait rendus au royaume et lui
devait rendre encore. » On ne renonçait donc point à ses services : et que
demandait-elle, pour prix de ceux qu'elle avait rendus, que de servir encore?
Mais on ne se pressait pas de la mettre en demeure de le faire.
Elle resta donc dans l'inaction, suivant la cour à Bourges, à Sully-sur-
Loire, ou visitant les bonnes villes qu'elle avait délivrées, Orléans, par
exemple, qui a retenu dans les registres des comptes la trace de son pas-
sage; et elle édifiait toujours, par sa sainteté, ceux qu'elle n'étonnait plus
par ses exploits. Marguerite la Touroulde, veuve de René de Bouligny,
chez qui elle demeura environ trois semaines au retour du voyage de
Reims, nous peint encore en elle ces habitudes de recueillement et de piété
qui avaient traversé sans altération la vie des camps-, cette simplicité que
n'avaient pas corrompue les adorations de la foule, et ce bon sens admi-
rable qui s'appliquait à détruire le faux prestige dont on la voulait entourer.
A ceux qui lui disaient qu'elle n'avait point à craindre d'aller à l'assaut
parce qu'elle savait bien qu'elle ne serait pas tuée, elle répondait qu'elle
n'en était pas plus assurée que les autres; et quand les femmes venaient
en sa maison pour lui présenter des patenôtres et autres signes en la
priant de les toucher : « Touchez-les vous-mêmes, leur disait-elle en riant,
ils seront tout aussi bons. »
Elle fit preuve du même bon sens quand une femme, nommée Cathe-
rine de la Rochelle, se disant inspirée, la vint trouver pendant son séjour
à Jargeau et à Montfaucon en Berri. Cette Catherine prétendait qu'une
JEANNE D'ARC.
dame blanche, vêtue de drap d'or, lui commandait d'aller dans les bonnes
villes, et de faire crier, par les hérauts du roi, que tous ceux qui auraient
de l'or ou de l'argent caché l'apportassent sans retard, annonçant en même
temps qu'elle connaîtrait ceux qui ne le feraient pas, et saurait trouver leurs
trésors: c'était pour payer les gens d'armes de Jeanne. Quel auxiliaire pour
un chef de troupes ! Frère Richard voulait qu'on la mît à l'œuvre, et plu-
sieurs agréaient fort son procédé. Jeanne lui dit de retourner à son mari,
d'aller faire son ménage et nourrir ses enfants. Cependant, ne voulant point
juger témérairement de l'inspiration des autres, elle consulta ses saintes,
et elle offrit à Catherine de coucher avec elle pour être témoin de ses appa-
ritions. Elle partagea son lit, en cllet, veilla jusqu'à minuit, et, ne voyant
rien, s'endormit. J>e matin, l'autre lui dit que sa dame était venue, mais
que, Jeanne dormant, elle ne l'avait pu réveiller. Jeanne s'enquit d'elle si la
dame devait revenir la nuit suivante, et lui demanda de renouveler l'épreuve.
Mais cette fois elle prit soin de dormir le jour, de telle sorte qu'elle put rester
éveillée toute la nuit ; et de temps à autre elle demandait à sa compagne :
« Viendra-t-elle point? — Oui, tantôt, » disait l'autre.
Inutile de dire que la dame ne \int pas.
Jeanne écrivit donc au roi que le fait de Catherine n'était que néant et
folie. Frère Richard en fut très-mécontent, et les familiers du roi aussi sans
doute: c'était un moyen si commode de trou\er de l'argent 1 Cette Cathe-
rine, qui promettait de leur en fournir, n'entrait pas moins dans leurs vues
par sa politique. Tout en offrant de recueillir de l'argent pour les soldats,
elle ne pressait pas de faire la guerre : elle refusa d'aller au siège de la
Charité, disant qu'il faisait trop froid. Flic proposait de se rendre près du
duc de Bourgogne pour faire la paix. A quoi Jeanne répondit « qu'il lui
semblait qu'on n'y trouverait point de paix, si ce n'était par le bout de la
lance. »
Les événements le démontraient de plus en plus. La trêve avec le duc de
Bourgogne, qui expirait à Noël, avait été prorogée jusqu'à Pâques, et, à
défaut de Compiègne qui s'y était refusée, Pont-Sainte-Maxcnce lui avait
été livrée en garantie. Mais la trêve n'engageait pas les Anglais-, et les Bour-
guignons, en se cachant sous leur bannière, avaient toute facilité de porter
avec eux le ravage dans les pays qui s'étaient donnés au roi. La terreur y
COMPIÈGNE.
était grande partout, et plus d'un sanglant exemple avait montré combien
elle était légitime.
Les habitants de Reims, les plus menacés dans cette tentative de restau-
ration, comme les plus signalés par le sacre, écrivirent à la Pucelle pour lui
communiquer leurs craintes. Ils redoutaient la vengeance des Bourgui-
gnons; ils redoutaient le délaissement du roi, à qui l'on avait dit qu'il y
Kl,:;. 1 ij. — Ruines Jui,h.iK-a u-(i,iillaid, ou B.irba/an lut retenu prisonnier Jes.\nt;lai', pendant huit ans.
La Hire le délivra le 24 février i-t.io. D'après Vllistoire de la ville Jes AtidcUs, de M. Brossard de Ruville
avait des traîtres parmi eu.x prêts à livrer la ville. La Pucelle leur adresse
une première lettre, le 16 mars 1430, afin de les rassurer sur le siège :
« Sachez, leur disait-elle, que vous n'aurez pas de siège si je les puis ren-
contrer; et si je ne les rencontre et qu'ils viennent vers vous, fermez vos
portes, j'y serai et je leur ferai chausser leurs éperons en telle hâte qu'ils ne
sauront par où les prendre. » Le 28 , elle leur écrit pour les rassurer touchant
les dispositions du roi et leur promettre une prompte assistance : « Si vous
ANNE DARC. III.
JEANNE D'ARC.
prie et requiers, très-chers amis, ajoutait-elle, que vous gardiez bien ladite
bonne cité pour le roi, et que vous fassiez bon guet. Vous orrez (oirez)
bientôt de mes bonnes nouvelles plus à plein. Autre chose quant à présent
ne vous rescris, fors que toute Bretagne est françoise, et doit le duc envoj'er
4U roi trois mille combattants payés pour deux mois. A Dieu vous command
(recommande) qui soit garde de vous. Ecrit à Sully, le 28'^ de mars. »
Ces bonnes nouvelles qu'elle leur promettait d'elle, c'était sa prochaine
arrivée sur le théâtre de la guerre. Elle écrivait la veille peut-être de son
départ : car sa lettre est du 28 mars, et c'est au mois de mars qu'elle partit,
selon l'historien Cagny. Lasse déjouer un rôle de parade, et désolée de voir
comment le roi et son conseil entendaient arriver au recouvrement du
royaume, elle prit la résolution de se séparer d'eux et d'aller rejoindre ceux
qui combattaient.
On combattait en Normandie, et, quoique les Anglais parussent vouloir y
concentrer leurs forces, plusieurs nouveaux succès avaient couronné les efforts
des Français. La Hire s'était emparé de Louviers (décembre 1429), d'où il
faisait des courses jusqu'aux portes de Rouen, puis de Chilteau-Gaillard, où
il avait délivré Barbazan (24 février i4'3o ); Torcy avait résisté aux Anglais
qui voulaient y rentrer. Mais c'était dans le Nord que la question était sur-
tout reportée depuis le voyage de Reims. Sauver les places qui s'étaient
ralliées à Charles VII, défendre la ligne de l'Oise contre le duc de Bour-
gogne, ramener Parisau roi en l'isolant de plus en plus, voilà la vraie ma-
nière de reprendre l'œuvre interrompue le 8 septembre; et tout y invitait.
Depuis la dernière entrevue de Bedford et du duc de Bourgogne (octobre
1429) , Paris dans ses rapports avec eux n'avait eu que des sujets de plainte.
Le régent (Bedford) s'en était allé en Normandie: le lieutenant général
(Bourgogne), dans ses propres États, recommandant aux Parisiens, s'ils
voyaient venir les Armagnacs, de se bien défendre : et il les laissait sans
garnison ! Du reste, les Parisiens avaient plus d'une raison de ne point re-
gretter qu'il emmenât ses six mille Picards : « Six mille aussi forts larrons,
comme il parut bien en toutes les maisons où ils furent logés. « Mais le
champ restait libre aux Armagnacs-, et la désolation des campagnes, la
cherté des vivres, augmentaient l'irritation populaire.
La multitude souffrait, la bourgeoisie commençait à se tourner vers
Lettre de Jeanne aux habitants de Reims, i6 mars 1430. — D'après l'or
J^KU^uD ^y^ f«^"' bU(^-(^ Oy^^yy^ C»*-r ^^vUi u<t.iv<î -iJCWw/ rt, V 6.4.
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Lecture - Très Mers et bien ai.uJs et bien desiries à venir. Jehannc la Pucelle c
narés point, si je les puis rencontrer bien bref: et si ainsi fut que je ne les rencontrasse, ne
y sont je leur ferey chausier leurs éperons si à aste qu'il ne saront par ho les prandre
soye; toutjours bons et loyals. Je pry à Dieu que yous ai, en sa guarde. Escr.t a Sully, l
Je vous mandesse anquores auqunes nouvelles de quoy vous sériés bien joyeux; mats j
Traduction. -Très-chers et bien-aimés, que je désirerais l^icn voir, je, Jeanne la Pi
n'en aurez pas, si je puis sous peu rencontrer les ennemis. Et s'il arrivait que ,e rte les
près de vous, et s'ils y sont, je leur ferai chausser leurs éperons en telle hâte qu ils ne
chose pour le présent, sinon que vous soyez toujours bons et loyaux. Je prie Dieu qu .1 v
Je vous annoncerais encore bien d'autres nouvelles dont vous seriez bien |oyeux; m;
,1 appartenant à M. le comte de Maleyssie, à Houville, près Chartres.
e^ct/Yv-riC,
■ec» vo»5 letres faisent mancion que vous vous doptiés d'avoir le scie.e. Ve.lhes savcr ,ue vous
V- venissent devant vous, si .ous fermés vous pourtes, car je serey bien brief vers vous; et a eu.v
leur cil y est si brief que ce sera bientost. Autre chouse ne vous escry pour le présent, nus que
,■1" jour de tnars. , ,. ,,
nL que les letres ne feussent prises en chemin et que Ion ne v.t les dates nouvelles.
Jehanne.
le ai reçu vos lettres faisattt mention que vous craigne, un siège. Veuillez être assurés que vous
contras'se pas et qu'ils vinssent au-devant de vous, fermez-leur vos portes, car je serat bientôt
ront par où les prendre, et cela leur arrivera si vite que ce sera bientôt. Je ne vous ecr.s autre
5 ait en sa garde. Écrit à Sully, le i6= jour de mars.
craindrais que mes lettres ne fussent prises en route et que l'on ne vît lesdites nouvelles.
Jeanne.
COMPIEGNE. 2o3
d'autres espérances. Dans les commencements d'avril, on découvrit une
conspiration où se trouvaient impliqués des membres du parlement et du
Châtelet, avec plusieurs marchands notables ou gens de métier; et les
Armagnacs étaient aux portes. Le 23 mars ils surprenaient Saint-Denis;
le 25 avril ils s'établissaient à Saint-Maur.
La Pucelle, ici comme avant de marcher sur Reims et sur Paris, ne de-
manda conseil à personne ni pour résoudre ni pour agir. Un jour donc,
sans prendre congé du roi, elle partit, fit semblant d'aller « en aucun ébat, »
et s'en vint à Lagny-sur-Marne, « pour ce que ceux de la place faisoient
bonne guerre aux Anglois de Paris et ailleurs. » Elle aurait pu se laisser
ébranler cette fois. Comme elle était, dans la semaine de Pâques ;vers le
1 5 avril), à Melun, ville qui venait de chasser les Anglais pour se donner au
roi, ses voix lui dirent qu'elle serait prise avant la Saint-Jean; et depuis elles
le lui répétaient tous les jours. Mais elles ne la détournaient point d'aller
en avant; elles lui annonçaient sa captivité comme une chose qu'elle devait
souffrir; et Jeanne, quoiqu'elle eût mieux aimé la mort, marchait sans peur
à l'accomplissement de son œuvre.
LE SIEGE DE CO.MPIEGXE.
Jeanne débuta à Lagny par un coup de main propre à réveiller parmi
les siens toutes les espérances. Les Anglais, au nombre de trois à quatre
cents, étaient allés, sous la conduite d'un gentilhomme nommé Franquet
d'Arras, faire le ravage dans le pays d'alentour. Ils revenaient, rapportant
leur butin, quand la Pucelle, informée de leur retour, fit monter ses gens à
cheval, et vint en force à peu près égale leur disputer le passage. Les
Anglais mirent pied à terre , s'établirent derrière une haie; mais les Fran-
çais les assaillirent à pied et à cheval, et firent si bien que tous leurs enne-
mis furent tués ou pris. Au nombre des prisonniers était leur chef, Fran-
quet d'Arras. Ce Franquet, si vrai gentilhomme qu'il fût, n'était pas
seulement un ennemi, c'était un brigand, particulièrement odieux au pays
par ses meurtres et ses rapines. Le bailli de Senlis et les gens de justice de
Lagny le réclamèrent comme leur justiciable. Jeanne eût voulu le sauver
JEANNE D'ARC.
pour réchanger contre un homme de Paris, qui tenait l'hôtel de l'Ours;
mais, ayant su que cet homme était mort, et le bailli lui reprochant de faire
grand tort à la justice, elle ne fit plus obstacle à ce qu'elle suivît son cours.
Ce retour de la Pucelle sur le théâtre de la guerre eut un grand retentis-
sement dans Paris; et le succès qui le signalait devait ajouter encore à l'im-
pression de terreur qu'elle avait faite au loin, en Angleterre. Au témoignage
de Thomas Basin, des Anglais affirmaient par serment qu'à son noni seul,
ou à la vue de son étendard, ils n'avaient plus le courage de se défendre,
ni la force de bander leurs arcs et de frapper l'ennemi. Et cette terreur
superstitieuse est attestée par des actes publics. Les Anglais paraissaient se
décider à envoyer enfin leur jeune roi se faire sacrer en France. Plusieurs
fois le bruit de son arrivée avait été répandu à Paris. L'administration l'a-
vait salué par des feux de joie, « ce dont le mçnu peuple n'étoit pas bien
content, dit le Bourgeois, pour la bûche qui tant étoit chère. » Cette fois
pourtant la chose était sérieuse : l'argent nécessaire avait été ordonnancé,
les vaisseaux requis, les troupes louées. Or, les provisions faites, les soldats
et les capitaines qui s'étaient engagés à se mettre, le i" mai, à la disposition
du roi pour le suivre en France , restaient chez eux , sans tenir compte de leur
marché, ni des périls du prince qui venait de passer le détroit presque seul
^23 avril i43o'*. Le roi s'en plaint dans un édit adressé le 3 mai par Glo-
cesteraux vicomtes de Londres, en leur enjoignant de rechercher les réfrac-
taires et de les expédier à Sandwich ou à Douvres et de là en France, sous
peine de dégradation ou d'emprisonnement. La Pucelle n'est pas nommée
dans le décret, mais elle l'est dans une rubrique du temps qui en exprime
toute la pensée et en marque la cause : « Proclamation contre les capitaines
et les soldats retardataires terrifiés par les enchantements de la Pucelle. «
Mais la face des choses allait changer.
Il y avait dans le nord de la France une ville qui était alors pour Phi-
lippe le Bon comme la clef du royaume : c'était Compiègne. Placée aux
portes de l'Ile-de-France, elle la fermait ou l'ouvrait aux Bourguignons,
selon qu'elle était au roi ou au duc. Elle était au roi, et l'imprévoyant
Charles VII avait été sur le point de la donner au duc pour de vaines es-
pérances de paix. Elle lui aurait été remise, on l'a vu, par une clause
secrète de la suspension d'armes du -j-S août pour lui rester pendant la trêve,
JEAN NE D'ARC.
si les bourgeois ne s'étaient refusés à l'arrangement ; et le comte de Cler-
mont, par une lettre du 20 octobre 14-29, promettait encore au duc de la
lui livrer, dès que le roi en aurait le pouvoir, ou de lui en laisser faire le
siège. Le roi, cherchant à satisfaire le duc sans qu'il en vînt à ces e.vtrémités,
lui avait livré Pont-Sainte-Maxence ; mais le duc voulait Compiègne, et,
n'ayant pu l'avoir ni par cet accord ni par la corruption, il songeait à la
prendre de force. La trêve à peine expirée (17 avril i43o), il se mit en cam-
pagne, et, pour n'avoir rien qui le gènàt aux alentours pendant le siège de
la ville, il réduisit Gournai-sur-Aronde, et vint assiéger Choisy-sur-Aisnc,
que (luillaume de Flavy, capitaine de Compiègne, avait confié à Louis de
Flavy, son parent.
Le i3 mai, la Pucelle vint à Compiègne, où elle fut reçue avec honneur,
logée chez ^Larie le Boucher, la femme du procureur du roi ; et elle re-
doubla par sa présence l'ardeur et la confiance des habitants. Le chancelier
Regnault de Chartres, le comte de Vendôme, lieutenant du roi dans ces pa-
rages, et plusieurs autres chefs, se trouvaient réunis dans la ville. On résolut
d'aller au secours de Choisy, qui ne pouvait plus longtemps se défendre.
Montgommeri et ses Anglais occupaient Pont-l'Evèque (près Noyon), et le
duc de Bourgogne avait laissé Brimeu, Saveuse et leurs gens à Noyon pour
garder derrière lui, avec eux, le passage de l'Oise. La Pucelle, Jacques de
Chabanne, Poton de Xaintrailles, Valperga et plusieurs autres capitaines,
attaquèrent Pont-l'Evèque, et ils allaient y forcer la troupe anglaise, quand
les seigneurs postés à Noyon vinrent l'aider à repousser les assaillants.
L'Oise étant défendue, on imagma de tenter une nouvelle attaque sur les
derrières du duc de Bourgogne, en allant passer l'Aisne à Soissons. Mais le
capitaine qu'on devait croire ami, puisqu'il gardait la place pour le comte
de Clermont, en refusa l'entrée aux troupes : il n'y voulut admettre que le
chancelier, Vendôme et la Pucelle, avec peu de monde -, et, dès qu'ils furent
partis, il se démasqua en vendant la ville au duc de Bourgogne : il le vint
rejoindre devant Choisy, qui fut pris et rasé.
Dès ce moment, le siège de Compiègne ne pouvait plus lontemps se faire
attendre. Jeanne y revint, sans s'y enfermer pourtant-, car elle se muhipliait
pour réchaufferie zèle de ceux qui soutenaient encore la cause du roi. Elle
était à Crespv ;2'3 mai), quand elle apprit que le duc de Bourgogne et le
F'S- 1 ■ |. — Kglise d Elaincourt-Sainte-Cathcrine, près Compiègne. xii= siècle. Ktatactuei, d'après une photogra-
phie. — Cette église étant dédiée à l'une de ses patronnes, Jeanne (suivant une tradition conservée dans !e
pays) s'y rendit en pèlerinage à la fin d'avril ou au commencement de mai 14.I0.
2o8 JEANNE D'ARC.
comte d'Arundel étaient venus s'établir devant la place. Sa résolution fut
bientôt prise. Sur le minuit, elle réunit trois à quatre cents combattants-, et
comme on lui disait qu'elle avait bien peu de monde pour traverser le camp
des ennemis : « Nous sommes assez, dit-elle. J'irai voir mes bons amis de
Compiègne. » Et au soleil levant elle entrait dans la ville sans perte ni
dommage (24 mai).
La ville de Compiègne, placée sur la rive gauche de l'Oise, domine la
rivière et la vallée, qui s'étend de l'autre côté en une prairie basse et hu-
mide, large d'un quart de lieue, avant d'atteindre à l'escarpement du bord
de Picardie. La ville y communique par un pont et une chaussée qui se
prolonge au-dessus de la prairie jusqu'au versant de la colline. La place était
donc forte par elle-même; et un boulevard, faisant tète de pont, lui assurait
le libre accès de l'autre bord. Les ennemis qui l'assiégeaient étaient bien
loin de l'avoir investie. Ils ne tenaient que la rive de l'Oise opposée à la
ville : le duc de Bourgogne était à Coudun, sur l'Aronde, à une lieue au
nord; Jean de Luxembourg un peu plus près, à Clairoix, au confluent de
l'Aronde et de l'Oise, au nord-est •, et Haudon de Noyelle, avec un corps
détaché, à Margny, à l'issue de la chaussée devant la place ; à l'ouest,
Montgommeri et les Anglais occupaient Venette.
A peine arrivée, la Pucelle voulut chasser l'ennemi de ses positions. Dé-
loger brusquement les Bourguignons de Margny, les poursuivre et les acca-
bler à Clairoix, pour se porterensuite à \'enette contre lesAnglais, telle devait
être la suite de ses opérations. D'après ce plan, elle courait un double péril :
elle poussait les Bourguignons vaincus sur leur principal corps de bataille,
et elle tournait le dos aux Anglais. Mais elle pensait que le corps de Margny,
dispersé, jetterait plus de confusion à Clairoix qu'il n'y trouverait d'appui,
et elle comptait sur ceux de Compiègne pour arrêter les Anglais à la
chaussée, s'ils osaient sortir de Venette afin de l'attaquer sur les derrières.
Le plan s'exécuta d'abord comme elle l'avait conçu. Le 24 mai, vers cinq
heures du soir, elle sortit avec cinq ou six cents hommes à pied et à cheval.
Flavy était resté dans Compiègne pour garder la ville; il avait fait réunir
sur l'Oise quelques bateaux couverts, garnis d'achers et d'arbalétriers, pour
protéger au besoin la retraite des assaillants. Jean de Luxembourg, qui
command:tit à Clairoix, se trouvait alors à Margny, observant la place : il
COMPIEGNE. 209
fut surpris avec les autres, et repoussé vivement sur Clairoix; mais ceux
qu'il y avait laissés accoururent à son aide, et la lutte se soutint dans la
prairie avec des alternatives qui en retardaient le résultat. Les Anglais
entreprirent d'en profiter. La chose était prévue, et les archers disposés par
Guillaume de Flavy derrière les épaulements du boulevard du pont,
devaient leur rendre le passage de la chaussée fort difficile. Mais ce mou-
vement intimida ceux qui combattaient aux derniers rangs dans la troupe
de la Pucelle. Ils craignirent d'être coupés de la place, et, fuyant pour s'y
mettre à couven, ils suscitèrent le mal qu'ils redoutaient. Les Anglais, en
effet, encouragés par leur fuite, se portèrent avec plus d'ardeur vers la
chaussée , et s'y logèrent sans péril , protégés par les fuyards eux-mêmes
contre ceux du boulevard , qui ne pouvaient plus tirer sans frapper indis-
tinctement amis et ennemis-, et, d'autre part, les Bourguignons attaquaient
plus vigoureusement ceux qui tenaient encore avec la Pucelle.
Déjà ceux-ci commençaient à plier, et ils la pressaient de regagner la
ville. Elle résistait : « Taisez-vous, leur disait-elle; il ne tiendra qu'à vous
qu'ils ne soient déconfits. Ne pensez que de férir sur eux. » Mais, quoi
qu'elle dît, ils voulurent pourvoir autrement à leur salut, et elle fut bien
forcée de les suivre , marchant la dernière et soutenant Teftort des assaillants.
Malheureusement, ceux contre lesquels elle luttait n'étaient pas les seuls à
craindre. Beaucoup d'autres, témoins de sa retraite, se portèrent en foule
vers le pont pour lui en disputer le passage-, et Flavy, appréhendant qu'ils
n'entrassent avec les siens dans Compiègne , fit lever le pont de la ville et
baisser la herse. Les gens de pied furent recueillis, pour la plupart, sur les
bateaux rangés, comme il a été dit, le long de la rivière. La Pucelle demeura
dehors, acculée à la levée de la chaussée et au fossé du boulevard, avec le
petit nombre de chevaliers qui s'étaient attachés à sa fortune. Elle était
vivement pressée; cinq ou six hommes d'armes s'étaient jetés sur elle en
même temps, criant :
« Rendez-vous à moi et me baillez la foi.
— J'ai juré et baillé ma foi à un autre qu'à vous, dit-elle, et je lui en
tiendrai mon serment. »
Mais vainement résistait-elle en face : elle fut tirée par ses longs habits à
bas de son cheval et prise par un archer du bâtard de ^^'andonne, un des
JEANNE d'arc. 111. — 27
JEANNE b'ARC.
chevaliers de Jean de Luxembourg. Son frère Pierre, son écuyer d'Aulon,
et Poton de Xaintrailles, qui ne l'avaient pas quittée, eurent le même sort.
Ainsi fut prise la Pucelle , au.\ portes mêmes de la ville qu'elle voulait
défendre, abandonnée de ceu.x qu'elle était venue sauver : c'est le commen-
cement de sa passion'. Fut-elle livrée aussi par un des siens, et cette poli-
tique funeste, qu'elle avait eu tant de peine à vaincre jusqu'à Reims, et qui,
depuis Paris, la tenait en échec , a-t-elle triomphé d'elle par un acte formel
de trahison ? On l'a dit, et on l'a voulu établir par le témoignage même de
la Pucelle. On lit, en efi'et, dans le Miroir des femmes vertueuses, petit
livre du commencement du xvi'= siècle, qu'un matin, la Pucelle, à Com-
piègne , ayant fait dire la messe et communié dans l'église Saint- Jacques,
se retira près d'un pilier de l'Eglise, et, trouvant là plusieurs gens de la ville
et une centaine d'enfants rassemblés pour la voir, leur dit : « Mes enfants
et chers amis, je vous signifie que l'on m'a vendue et trahie, et que de brief
(bientôt) serai livrée à la mort. Si (ainsi) vous supplie que vous priiez Dieu
pour moi-, car jamais n'aurai plus de puissance de faire service au roi ne au
royaume de France. »
La scène peut dillicilement se rapporter au dernier séjour de Jeanne à
Compiègne ; car Jeanne , entrée le matin dans cette ville , fit son attaque et
fut prise le soir. Elle savait qu'elle devait être prise, mais elle ne savait ni
quand ni comment : elle a déclaré elle-même que, si elle eût su qu'elle dût
l'être à cette sortie, elle n'y serait point allée. Ces paroles peuvent donc
avoir été comme un épanchement de la tristesse qu'elle avait dans le cœur
en songeant à sa captivité prochaine; et la scène a paru se placer assez
convenablement quelques semaines plus tôt, quand Jeanne, voulant passer
l'Aisne à Soissons, pour tomber sur le duc de Bourgogne au siège de
Choisy, se vit arrêté par la trahison du capitaine de la place , et qu'elle
revint tout affligée dans Compiègne. Le jour où elle fut prise, elle redoutait
si peu d'y être trahie, qu'elle y était venue exprès le matin même; et Flavy
était le dernier dont elle eût à craindre une trahison , car elle venait libre-
ment défendre la ville qui était sa fortune , et qu'il défendit lui-même avec
1 Passion de Jeanne : Le rapprochement que ce mot implique a déjà été fait par TAbréviateur du procès
de Jeanne d'Arc, quand il dit de ses juges : « Ne se monstrêrent pas moins affectés à faire mourir la dicte
Pucelle, que Cayphe et Anne et les scribes et pharisées se monstrêrent affectés à faire mourir Nostre-Sei-
gneur. « (J. Quichcrat, Procès de Jeanne J' Arc, t. IV, p. 263.)
COiMPIÈGNE.
tant de vigueur pendant six mois. Ajoutons que la Pucelle ne l'en soupçonna
pas plus après qu'avant sa captivité : son idée fixe dans sa prison, idée qui
prévalut en elle jusque sur Tautorité de ses voix, était d'en sortir au péril
même de la vie, pour aller sauver la ville où Flavy semblait près de suc-
comber.
C'est donc à tort que Ton a rapporté à la trahison de cet homme la cap-
tivité de la Pucelle. Il ne suffit pas qu'il ait été pupille de Regnault de
Chartres et lieutenant de la Trémouillc pour l'accuser d'un crime qui,
Fig. 1 15. — « Comment la Pucelle fut prise devant Compiègne. » Ms. fr., n" 5o54, daté de 1484, à la biblioth.
nat. — Cinq ou six hommes d'armes s'étaient jetés sur elle en lui criant : « Rendez-vous à moi et me baillez
la foi. » Jeanne répondit : « J'ai juré et baillé ma foi à un autre qu'à vous, et je lui en tiendrai mon serment. »
Mais, tirée par ses longs habits À bas de son cheval, elle fut faite prisonnière. Son frère Pierre, son écuyer
d'Aulon et Poton de Xaintrailles, qui ne l'avaient pas quittée, eurent le même sort.
accompli dans ces conditions, atteindrait à un degré d'énormité inouï,
puisqu'il y impliquerait le concert du favori du roi et du chancelier de
France. Et l'on ne peut davantage rapporter la trahison à l'amour de l'or.
Flavy avait résisté aux tentatives de corruption du duc de Bourgogne, qui
voulait avoir Compiègne; et si, dans un procès, l'avocat de son adver-
saire a pu contester sa vertu en ce point, s'il répondait à son défenseur :
« N'est à croire qu'il en refusât 3o,ooo écus, vu qu'il ferma les portes à
Jehanne la Pucelle, .par quoi fut pri?e, et dit-on que pour fermer lesdites
portes il eut plusieurs lingots d'or-, » c'est là une réplique d'avocat, dont
JKANNE D'ARC
l'assertion se couvre d'un ou dit et demeure dénuée de toute preuve, tandis
que l'autre a pour garantie un fait incontestable : Compiègne défendue
pendant six mois, au milieu des plus dures extrémités, et à la fin sauvée,
avant toute chose , par sa persévérance. S'il avait traité avec le duc de
Bourgogne pour livrer Jeanne, la ville, on peut le croire, eût été comprise
dans le marché.
li faut donc se défier de cet entraînement à trouver à toute grande cata-
strophe un grand coupable. L'histoire, parce qu'elle ne juge que des morts,
ne doit pas être moins réservée dans ses condamnations. Flavy répugnait
peu au crime : les suites sanglantes de son histoire le prouvent; et toute-
fois, si corrompu qu'il ait été, on ne peut l'accuser ni comme auteur
principal d'une trahison qui devait avoir pour première fin la perte de
Compiègne (car il a sauvé Compiègne), ni comme instrument d'un complot
dont la réalité même reste à prouver. Mais, s'il n'a point livré la Pucelle,
est-il complètement innocent de sa perte? Évidemment, en cette occasion ,
il se montra moins préoccupé de la sauver que de garder sa ville. Or, la
Pucelle était d'assez grande importance pour que tout fût à risquer, même
Compiègne, afin de la sauver; et une sortie énergique de la garnison aurait
sufli peut-être pour dégager le pont, ne fût-ce qu'un seul moment, et
donner à la Pucelle le temps de rentrer dans la place. Ainsi elle fut vic-
time, sinon de la trahison , au moins d'un abandon inspiré par le plus
aveugle égoïsme; et, à cet égard, l'événement de Compiègne répond trop
bien à cette funeste politique qui , depuis si longtemps, minait sourdement
ou entravait l'œuvre de Jeanne d'Arc. Ce n'est donc pas entièrement sans
raison qu'un annaliste de Metz contemporain (pour le reste assez mal
informé) rapportait sa captivité, comme l'échec de Paris, à la jalousie d^
la Trémouille : » Et fut dit qu'il n'estoit mie bien lo\'aux audit roy, son
seigneur, et qu'il a\'oit envie des faicts qu'elle faisoit et fut coupable de sa
prise. » Jeanne d'Arc ne fut livrée par personne, mais elle fut constamment
trahie par tous ceux qui la devaient le plus soutenir.
Ce coup, dont elle ne doit point se relever, est-il un suprême démenti
à la vérité de sa mission ? Ce serait bien mal la comprendre. Jeanne d'Arc
a pu révéler des choses qui lui étaient inspirées-, mais, pas plus que les
prophètes, elle ne s'est jamais donnée comme sachant tous les secrets de
BAS-RELIEFS DE LA STATUE DE L
Œuvre en bronze de M.
JEANNE EST PRISE AU SIEGE D
Les François, craignant d'ctre coupés de la place , fuient pour s'y mettre à couvert. La Pucelle marche la
abandonnée de ceux qu'elle était venue sai
SUPPLICE DE JEANNE, LE J
Trois échafauds avaient été dressés sur la place du Vieux-Marché de Rouen : l'un pour les juges, l'autre pour plusi
rénumération de tous les crimes qui lui étaient imputés. — Jeanne serre une croix sur sa poitrine, se rappelant que ses
Elle acceptait la mort comme rentrant dans l'ordre de sa mission.
PLACE DU MARTROI, A ORLÉANS.
ital-Dubrav. xixi" siècle
OMPIEGNE, LE 2J MAI I4JO.
■nière, soutenant l'effort des assaillants; mais, acculée au fossé du boulevard, elle est faite prisonnière,
: c'est le commencement de sa passion.
.ni 1431. \ uir page 332.
i prélats et de hauts personnages, le troisième en maçonnerie pour Jeanne. Devant elle était un écriteau contenant
X lui ont dit : « Prends tout en gré; ne te chaille (soucie) de ton martyre; tu t'en viendras au royamnc du Paradis. »
\
JEANNE D'ARC.
l'avenir. Les phophètes ont eu des révélations déterminées- et, parmi les
choses mêmes qu'ils avaient mission de publier, il en est qui ne se sont
point accomplies, comme la ruine de Ninive, prèchée par Jonas : car les
actes de la Providence ne sont point des actes de la fatalité; et si Dieu peut
suspendre les effets de sa colère en faveur des pécheurs repentants, il peut
aussi, devant une indifierence aveugle à la grâce, révoquer les promesses
de sa miséricorde. Jeanne avait déclaré l'objet de sa mission : c'était de
chasser les Anglais. Elle avait dit qu'elle délivrerait Orléans et ferait sacrer
le roi à Reims; et, quand elle le mena devant Paris, elle pressa les siens
d'être fermes à l'assaut, disant qu'ils y entreraient. Elle le disait encore,
blessée, au pied des murailles; mais, pour cela, il fallait qu'on la suivît
comme à Orléans, comme à Reims. Pour ce qui la concerne, elle avait su,
et elle avait dit, qu'elle serait blessée à Orléans, qu'elle ne durerait guère
plus d'une année, qu'elle serait prise. Quand et comment? elle ne l'avait
pas su, et elle disait très-franchement, on l'a vu, que, si elle avait su
qu'elle dût l'être dans cette sortie, elle n'y serait point allée. Prisonnière,
sa vie active est terminée; mais sa mission ne l'est pas encore, et cette
phase où elle entre en est le couronnement et la consécration. Où a-t-on
jamais vu que le martyre fût un jugement de Dieu contre ses envoyés ?
Sans sa captivité, plusieurs traits de son caractère seraient demeurés
obscurs; sans son procès, sa mission serait restée dans le demi-jour de
la légende. Son procès, et je parle surtout du procès de condamnation,
est à lui seul un témoignage qui n'a rien de comparable dans l'histoire.
Ses ennemis, qui la pouvaient tuer, ont cru faire plus que de lui ôter la
vie , ils ont voulu perdre sa mémoire : et ils lui ont élevé un monument
que personne n'a le droit de récuser, puisqu'il est l'oeuvre de leurs mains;
un monument qui ne surpasse en valeur aucun de ceux où sont établis
les droits des saints à la vénération des fidèles. Sa belle et grande figure
brille plus, parmi ces outrages, qu'elle ne l'eût fait parmi les formules
respectueuses d'un procès canonique; et toute la suite de cette longue et
insidieuse procédure , en mettant journellement à l'épreuve la sincérité de
sa parole, la fermeté de son jugement et ce bon sens exquis dont elle était
douée, servira mieux que nulle autre chose à montrer ce qu'il faut croire
de son inspiration.
Ornement tiré d'u
iùcle, n' jO, à U biblîoth. nationale.
VI
ROUEN — LES JUGES
Le Marché. — Le Tribunal.
LE MARCHE.
Riso.wiÈRE du bâtard de Wandonne, la
Pucelle fut menée au camp de Margny,
"ù bientôt accoururent, poussant des
cris de joie, tous les chefs anglais et
bourguignons, et après eu.\ le duc de
Bourgogne, arrivé trop tard pour la
bataille. Que lui dit-il ? Que lui dit
Jeanne elle-même? Monstrelet , présent
à l'entrevue , n'en a rien rapporté. Le
duc était du sang de France, et Jeanne,
à plusieurs reprises, lui avait écrit pour
le ramener au roi; mais depuis la campagne de Paris elle n'espérait plus le
détacher des Anglais que par la force. — Le bâtard de Wandonne étant de
la compagnie de Jean de Luxembourg , c'est à ce prince que Jeanne appar-
tenait. Après trois ou quatre jours passés au camp, il l'envoya à son château
de Beaulieu , jugeant peu sûr de la retenir si près de la ville assiégée.
Ce n'étaient pas seulement les assiégés que le sire de Luxembourg devait
craindre, s'il voulait garder la captive dont le droit de la guerre l'avait fait
2i6 JEANNE D'ARC.
maître. La Pucelle avait été prise le 24 mai 1430. Le ib , on le sut à Paris.
Dès le 26, le vicaire général de l'Inquisition adressait au duc de Bourgogne
un message que dut accompagner ou suivre de bien près une lettre de
r Université, conçue dans le même sens : l'Université priait le duc délivrer
Jeanne, comme idolâtre, à la justice de l'Église; l'inquisiteur la réclamait
en vertu de son office et « sur les peines de droit. » Mais il y avait , derrière
l'Inquisition et l'Université, une puissance bien autrement redoutable pour
la Pucelle, je veux dire les Anglais. Ils vo3'aient en elle la cause unique
de leurs revers, et ce n'était point assez pour leur sécurité que de savoir
aux mains des Bourguignons celle qui avait relevé la fortune de la France.
Comment douter que Charles VII ne sacrifiât, s'il le fallait, le meilleur
de son royaume , pour recouvrer celle qui l'avait sauvé d'une entière con-
quête et promettait de le reconquérir entièrement ? Et comment se flatter
que !c sire de Luxembourg résistât à ces offres ? Le comte avait repoussé
leurs premières ouvertures : n'était-cepas dans l'espoir d'avoir de Charles VI I
un meilleur prix? Pour lui disputer Jeanne, il fallait aux Anglais plus
que de l'argent : il leur fallait l'autorité de la religion mise au service
de leurs intérêts. C'est par l'Église qu'ils tentèrent de la prendre, comme
c'est par elle qu'ils la voulaient frapper : entreprise d'une hypocrisie infer-
nale, où ils déployèrent assez d'habileté, sinon pour égarer le sentiment
populaire, au moins pour donner le change à certains esprits trop prompts
à relever comme idées nouvelles des apparences dont le bon sens public a,
de tout temps, fait justice.
Les Anglais n'ont pas eu seulement la première idée de ce procès, ils
en ont eu la direction.
Pour juger la Pucelle, il la fallait avoir. Pour l'avoir, comme pour la
juger, ils employèrent un homme à eux, Pierre Cauchon, évêque de
Beauvais.
Pierre Cauchon parait dans le procès l'organe le plus accrédité de l'uni-
versité de Paris. Dès le temps de Charles VI, il avait été appelé, par les
sulTragesde ce corps, aux fonctions de recteur, et il était devenu le conser-
vateur de ses privilèges. Mais les circonstances l'avaient particulièrement
attaché au parti des Anglais. Évêque de Beauvais , grâce à l'appui du duc
àz Bourgogne, il avait été chassé de son siège par un mouvement du peuple
JEANNE d'arc. IU. — 28
JEANNE D'ARC.
en faveur de Charles Vil; réfugié à Rouen, il convoitait ce siège archié-
piscopal vacant alors, et il l'attendait de Fintervention du roi d'Angleterre
auprès du pape. Ce fut lui que les Anglais choisirent pour se faire livrer et
pour juger la Pucelle. La Pucelle avait été prise dans le diocèse de Beau-
vais, et, à ce titre, relevait de Tévêque du lieu. Pierre Cauchon n'eut garde
de s'excuser de son absence : le siège d'où il était chassé lui offrait le moyen
d'arriv'er à l'autre; l'ambition et l'esprit de vengeance conspiraient en lui
au profit des volontés de l'Angleterre. S'étant concerté avec l'université de
Paris, il vint, le 14 juillet, au camp de Compiègne, et réclama du duc de
Bourgogne la prisonnière, comme appartenant à sa justice; il présentait à
l'appui de sa demartde les lettres adressées par l'université de Paris au duc
et à Jean de Luxembourg. La main qui dirigeait tout se trahissait d'ailleurs
dans sa requête. Cette requête était accompagnée d'offres pécuniaires : un
évêque n'offre pas de l'argent pour juger ceux qui sont de sa juridiction.
Aussi l'offre était-elle faite purement et simplement au nom du roi d'An-
gleterre. On offrait 10,000 francs d'or, somme au prix de laquelle, selon la
coutume de France, le roi avait le droit de se faire remettre tout prisonnier,
fût-il de sang royal.
Jean de Luxembourg était de cette illustre maison qui avait donné des
rois à la Bohême, à la Hongrie, et des empereurs à l'Allemagne. Mais il
était cadet de famille, peu apanage, attendant tout du duc de Bourgogne et
de la guerre entreprise au profit des Anglais. Pour le soutenir contre ces
obsessions, il eût fallu que Charles VII fît des démarches , des offres même ;
il eût fallu aussi que le clergé, qui avait reconnu la mission de la Pucelle,
fît voir que toute TÉglise n'était pas du côté de ceux qui la voulaient juger.
Or il n'y a nulle trace d'aucun acte de cette nature. Charles VII demeure
immobile, et son clergé se tait. Je me trompe : on a l'extrait d'une lettre du
chancelier Regnault de Chartres , archevêque de Reims , aux habitants de sa
ville épiscopale. Il leur annonce la prise de la Pucelle, et y veut voir comme
un jugement de Dieu, « comme elle ne vouloit croire conseil, ains (mais)
faisoit tout à son plaisir; » il leur apprenait , par une sorte de compensation ,
« qu'il étoit venu devers le roi un jeune pastour, gardeur de brebis des
montagnes de Gévaudan, en l'évêché de Mende, lequel disoit ne plus ne
moins que avoit fait la Pucelle, et qu'il avoit commandement d'aller avec
ROUEN. — LES JUGES.
les gens du roi et que sans faute les Angloiset les Bourguignons seroient
déconfits. » Bien plus, « sur ce que on lui dit que les Anglois avoient fait
mourir Jeanne la Pucelle, le pastour répondit que tant plus il leur en mes-
cherroit, et que Dieu avoit soutlert prendre Jeanne, pour ce qu'elle s'étoit
constituée en orgueil, et pour les riches habits qu'elle avoit pris , et qu'elle
n'avoit fait ce que Dieu lui avoit commandé, ains avoit fait sa volonté. »
Ainsi ce n'était pas seulement les Anglais et les Bourguignons qui triom-
phaient de la chute de la Pucelle : c'étaient les conseillers de Charles VII !
La Pucelle succombait, parce qu'elle ne les avait point écoutés. Dieu avait
jugé : un envoyé plus docile (au.\ conseillers, on le peut croire} venait
prendre sa place , et c'était de la réprobation de Jeanne qu'il faisait les préli-
minaires et comme le fondement de sa mission. Les Anglais avaient donc
bien eu tort de tant craindre d'être traversés dans leurs négociations :
Charles VII n'avait garde de leur faire concurrence. Que s'ils poussaient
leur haine jusqu'au bout, s'ils faisaient mourir Jeanne d'Arc, tant mieux
encore, puisque, d'après le « jeune pastour » de l'archevêque de Reims,
« tant plus il leur en mescherroit (arriverait malheur) . «
Le sire de Luxembourg céda , et l'évêque revint tout joyeux en apporter
la bonne nouvelle àceux qui l'avaient envoyé. C'est l'Angleterre qui payait,
mais c'était la Normandie et les pays de conquête qui devaient donner
l'argent; on en répartit la somme par surcroît à l'impôt que ces provinces
devaient fournir pour une levée de soldats : la Pucelle valait bien, sans
doute, une armée '.
Le marché faillit manquer par certains incidents qui n'avaient pas été
prévus au contrat.
Jeanne avait subi avec courage l'épreuve si dure de la captivité. Si l'évé-
nement de Compiègne, qui comblait de joie tousses ennemis, avait, jusque
parmi les siens , donné satisfaction aux jaloux et ébranlé les faibles , il n'avait
pas diminué sa foi. Sa captivité lui avait été prédite, et ses saintes ne l'a-
vaient point abandonnée. Elle se résignait donc, mais elle se tenait toujours
prête à reprendre l'œuvre qu'elle estimait seulement interrompue. Un jour,
1 Les 10,000 francs offerts par révëque de Bcauvais se réduisent dans les comptes du payement à
10,000 livres tournois, soit 6i,i25 fr. 69 c. de notre monnaie, la livre valant alors 6 fr. 1 1 à 12 c, valeur
intrinsèque, La valeur relative était beaucoup plus grande.
JEANNE D'ARC.
à Beaulieu, elle crut en avoir trouvé Toccasion; elle faillit s'échapper à tra-
vers les ais de sa prison. Elle était déjà sortie de la tour, et, pour mieux
assurer sa fuite, elle allait y enfermer ses gardiens, quand elle fut aperçue
du portier, qui la reprit.
De Beaulieu , où elle demeura trois ou quatre mots (mai-aoLit\ le sire de
Luxembourg la fit passer en son château de Beaurevoir, près de Cambrai,
à une distance du théâtre de la guerre qui devait rendre moins facile toute
tentative soit d'évasion , soit d'enlèvement. Là résidaient la femme et la tante
de ce seigneur -, et Jeanne n'eut qu'à se louer de leurs soins : mais elle refusa
les vêtements de femme que ces dames lui offraient , disant qu'elle n'en avait
Fig. Ii8. — Écu de Jean Je Luxembourg, fonnaiU le linteau supérieur d'une porte du château de
Beaurevoir, aujourd'hui ruiné. D'après les Etudes Sainl-Qiicntinoises de M. Gomart. — Après l'avoir
tenue prisonnière pendant quatre mois, Jean de Luxembourg vendit la Pucelle aux Anglais pour
10,000 livres tournois, équivalant à 61, 12? fr. 23 c. de notre monnaie.
pas congé de Notre-Seigneur, et qu'il n'était pas temps encore. Si les habits
d'homme lui étaient nécessaires dans la vie des camps , parmi les gens de
guerre qui respectaient en elle l'envoyée de Dieu et la messagère delà vic-
toire , l'étaient-ils moins parmi des ennemis dans l'isolement de la prison ?
Jeanne put en faire l'expérience dans ce château même. Les jeunes seigneurs
voulaient la voir et lui parler, et plus d'une fois elle eut à se défendre contre
leurs indécents badinages. D'ailleurs elle ne croyait point sa mission ter-
minée, et n'avait pas renoncé à ses projets de fuite. Le sire de Luxembourg
les redoutait fort : il la tenait dans un donjon très-élevé, et il craignait
encore qu'elle n'échappât par art magique ou par quelque moyen subtil.
Jeanne n'y mit point tant de subtilité. Elle savait qu'elle était vendue aux
ROUEN. — LES JUGES.
Anglais; elle savait queCompiègne, vivement pressée, tenait encore, mais
sans être secourue : elle résolut de sauter du haut de la tour. Elle-même a
raconte les luttes qu'elle eut à soutenir contre l'inspiration à laquelle elle
avait jusque-là toujours obéi. Vainement ses voix blâmaient-elles ce dessein
périlleux ; vainement sainte Catherine lui répétait tous les jours que Dieu lui
aiderait , et même à ceux de Compiègne; elle avait réplique à toute objection.
Elle répondait que, puisque Dieu y devait aider, elle y voulait être; et
comme la sainte lui disait de prendre patience, qu'elle ne serait point déli-
vrée tant qu'elle n'eût vu le roi d'Angleterre, elle protestait qu'elle ne le
voulait point voir, et qu'elle aimerait mieux mourir que d'être mise en la
main des Anglais. Ce combat si pénible pour Jeanne durait déjà depuis
longtemps, quand on lui dit que Compiègne était à la veille d'être prise,
qu'elle serait détruite et tous les habitants mis à mort depuis l'âge de sept
ans. A cette nouvelle, elle s'écria : «Comment Dieu laissera-t-il mourir ces
bonnes gens de Compiègne, qui ont été et sont si loyaux à leur seigneur? »
Dès ce moment elle n'écouta plus rien, et, se recommandant à Dieu et à
Notre-Dame, elle sauta du haut de la tour, ou plutôt se laissa glisser parla
fenêtre au moyen de lanières qui rompirent. Elle tomba, et demeura sur la
place sans mouvement; ceux qui la relevèrent la croyaient morte, et leur
crainte n'était pas sans vraisemblance , car on ne peut guère supposer à cette
tour moins de soi.xante pieds de haut. Toutefois elle reprit ses sens; dans
le moment elle avait perdu la mémoire : il fallut qu'on lui dît qu'elle avait
sauté du haut du donjon. Elle fut deux ou trois jours ne voulant, ou , pour
mieux dire, ne pouvant ni boire ni manger. Mais sainte Catherine, dit-elle,
la réconforta : elle la reprit doucement de son imprudence , elle lui dit qu'elle
se confessât et demandât pardon à Dieu , ajoutant, pour la consoler, que
Compiègne serait secourue avant la Saint-Martin d'hiver (ce qui arriva :
le siège de Compiègne fut levé le 26 octobre). Elle se prit donc à revenir et
à recommencer à manger, et en peu de jours elle fut guérie.
Ainsi le marclié put s'accomplir. Le sire de Luxembourg avait éprouvé
qu'une pareille prisonnière est de garde difficile, et, malgré les résistances
de sa tante, il la livra ^novembre i43o\ — De Beaurevoir on la mena à
Arras et de là au Crotoy, où elle fut remise aux Anglais par les officiers du
duc de Bourgogne avant le 21 novembre). Le duc de Bourgogne, qui avait
JEANNE D'ARC.
besoin des Anglais pour se relever de l'échec de Compiègne , comme pour
achever de s'affermir dans ses récentes acquisitions aux Pays-Bas, s'était
prêté de bonne grâce à la négociation, et n'était point fâché de paraître dans
la conclusion du marché. Par cet acte de condescendance, il acquérait de nou-
veaux titres à leur faveur. Qu'il en garde la responsabilité devant l'histoire!
Avant de la livrer, comme elle était encore à Arras, on lui oflrit des vê-
tements de femme -, mais, parmi les Anglais, elle devait plus que jamais avoir
besoin de ses habits d'homme : elle refusa. Au Crotoy, où elle séjourna jus-
Fig. 119. — • Comment les Français levèrent le siège devant Compiègne et déconfirent les Angla
Ms. fr. n" 5o54, daté de 14S4., à la biblioth. nationale.
qu'à ce que les dernières mesures fussent arrêtées pour son procès, sa capti-
vité ne paraît pas avoir été fort rigoureuse encore. Elle y pouvait assister à
la messe. Un chancelier de l'église cathédrale d'Amiens, qui se trouvait
alors dans le château , l'entendait en confession et lui donnait l'eucharistie.
Les dames même d'Abbeville étaient admises à la visiter : et c'est une jus-
tice à rendre aux femmes , que , parmi tant d'outrages dont elle fut l'objet,
pas un seul ne lui vint de leur part. On ne cite d'elles que des témoignages
d'admiration et d estime pour celle qui , elles le sentaient bien , ne déshono-
rait pas leur sexe sous ces habits dont la pudeur des hommes se montrait si
fort scandalisée. La Pucelle fut touchée de ces honneurs rendus à ses chaînes;
elle remerciait ses nobles visiteuses, « se recommandait à leurs prières, »
et c'était en « les baisant amiablement, » qu'elle leur disait : « A Dieu! »
ROUEN. — I.ES JUGES. 223
LE TRIBUN.M,
Les Anglais n'avaient acheté la Pucelle que pour la juger; c'est à ce titre
qu'ils l'avaient fait réclamer par l'évèque de Beauvais. Beauvais appartenant
à Charles VII, où allaient-ils dresser le tribunal? L'université de Paris ré-
clamait pour Paris.
L'université, qui avait montré tant de crainte que la Pucelle n'échappât
lorsqu'elle était encore aux Bourguignons, apprenant qu'elle était aux An-
glais, se met aussitôt en campagne. Dès le 21 novembre, elle écrit au roi;
elle le complimente d'avoir entre ses mains cette ennemie de la foi, et le
presse de la livrer enfin à la justice, c'est-à-dire à l'évèque de Beauvais et à
l'inquisiteur ; elle le prie de la faire conduire à Paris, pour donner au procès
plus de sûreté et d'éclat : « Car par lesmaistres docteurs et autres notables
personnes estant par deçà en grant nombre, seroit la discussion d'icelle
de plus grant réputation que en autre lieu. » Le même jour, elle écrivait à
l'évèque de Beauvais une lettre acerbe, que l'évèque ne manque pas d'in-
sérer parmi les pièces de procédure , comme pour rendre sa responsabilité
moins lourde en la partageant. L'université s'étonne de si longs retards ;
elle s'en prend à la négligence de l'évèque : « Si votre Paternité , dit-elle,
avait mis plus de zèle dans la poursuite de TalTaire, cette femme serait
déjà en justice. Il ne nous importe pas si peu, tandis que vous êtes re-
vêtu d'une si grande dignité dans l'Église, d'ôter les scandales commis
contre la religion chrétienne, surtout quand il se trouve que le soin d'en
juger est de votre juridiction. » Elle le prie donc de ne pas laisser plus long-
temps en souffrance l'autorité de l'Église , et de faire en sorte que le pro-
cès se poursuive à Paris, où il y a tant de sages et de docteurs.
Mais les Anglais ne se souciaient point d'y conduire la Pucelle : car, bien
que la ville fût à eux, ils ne s'y sentaient pas assez les maîtres. Les Ar-
magnacs poussaient encore leurs courses jusqu'au Bourget, jusqu'à la porte
Saint-Antoine : le (5 novembre, le roi d'Angleterre donne à l'évèque de
Thérouanne, son chancelier pour la Prance, la faculté de différer la ren-
JEANNE D'ARC.
trée du parlement en raison des dangers de la route; et la ville même n'était
pas sijre. On le voit par les plaintes perpétuelles du Bourgeois sur Tabandon
où elle est laissée, sur la cherté des vivres. Les Anglais ne voulaient donc
point de Paris. Un coup de main des Armagnacs, un mouvement populaire
pouvait tout emporter. Peut-être même ne se souciaient-ils pas de faire le
procès si près de l'université elle-même : car ce corps, quoique fort pas-
sionné, était indépendant. Ils entendaient bien s'en servir, mais non se livrer
à sa discrétion; et pour cela, rien de mieux que de placer leur tribunal à
distance et d'y appeler, par des choix réfléchis, les plus sûrs des docteurs pa-
risiens. Ils se décidèrent pour Rouen. La Pucelle fut menée en barque du
Crotoy à Saint-^'alery, de l'autre côté de la Somme, et de là conduite à che-
val, sous bonne garde, par Eu et par Dieppe, jusqu'à Rouen. Là, quelques
impatients se seraient même passés du secours des docteurs de Paris : ils
voulaient la mettre dans un sac et la jeter à la Seine. On croyait, en effet,
parmi les Anglais, qu'aucun succès n'était possible tant qu'elle serait en vie,
et le siège qu'on voulait mettre devant Louviers fut ajourné jusqu'après sa
mort. Mais l'expédient qui semblait tout finir, laissait les Anglais sous le
coup de leurs défaites. Pour les en relever, c'était peu que de tuer Jeanne;
il fallait la flétrir. Jeanne s'était dite envoyée de Dieu pour chasser les An-
glais, et elle les avait vaincus partout où on l'avait voulu suivre. Dieu était-il
donccontreles Anglais? Il fallait montrer qu'elle n'étaitpassonenvoyée, mais
bien une magicienne et un suppôt du diable. A ce prix-là seulement, Tau-
torité des Anglais devait se rétablir dans leurs conquêtes : brûler Jeanne
comme sorcière, ce n'était pas seulement pour eux une affaire d'amour-
propre, mais une question de domination.
On la mit, dès son arrivée, non dans les prisons de Tofficialité, ni dans les
prisons communes, mais au château , et on l'enferma dans une cage de fer.
Un peu plus tard, on se contenta de la tenir à la chaîne; mais combien elle
eut à regretter sa cage , dans la compagnie des soldats qu'on lui donnait
pour gardiens, ou des seigneurs qui la venaient \isiter! De ce nombre, on
vit un jour venir à sa prison, avec Stafl'ord et Warwick, gouverneur du
jeune Henri VI, Jean de Luxembourg devenu comte de Ligny , qui l'avait
vendue. Il osa lui dire qu'il venait la racheter, si elle voulait promettre de ne
plus jamais s'armer contre l'Angleterre. « En nom Dieu, lui répondit-elle.
3SANNE D ARC. 111. — 29
226
JEANNE D'ARC.
VOUS VOUS moquez de moi , car je sais bien que vous n'en avez ni le vouloir
ni le pouvoir; » et elle le répéta plusieurs fois. Comme il insistait, elle
ajouta : « Je sais bien que ces Anglais me feront mourir, croyant après ma
mort gagner le royaume de France; mais quand ils seraient cent mille
Godons plus qu'ils ne sont à présent, ils n'auront pas le royaume. » Le comte
de Startbrd indigné tirait sa dague pour la frapper, mais Warwick le retint.
On a vu qu'il avait ses raisons.
Les Anglais avaient le juge, l'évèque de Bcauvais. Il lui fallait un tribu-
Fig. 121. — Le château deCrotoy,où Jeanne fut enfermée le 21 novembre 1430. Ce château est aujourd'hui
détruit. Dessin du commencement du dix-septième siècle, communiqué par M. 0. Macqueron, à Abbeville.
nal, puisque son siège était à l'ennemi. On avait rejeté Paris, et choisi
Rouen : le siège était vacant; il semblait qu'on n'y dût faire ombrage à per-
sonne. Mais le choix était peu goûté du chapitre, dans la crainte que le
prélat chassé de Beauvais ne se fit un titre de cet e.xercice des fonctions
épiscopales à Rouen pour parvenir au siège. Il fallut toute l'habileté an-
glaise pour négocier avec les chanoines, et obtenir d'eux concession du droit
territorial à l'évèque de Beauvais.
L'évèque de Beauvais ainsi installé à Rouen , il fut moins dilhcile de lui
ROUFN.
.F.S JUGES.
227
composer son cortège judiciaire. Il prit pour procureur général, ou promo-
teur, son vicaire général, qui partageait son exil et ses haines , Jean d'Es-
tivet, dit Benedicite'. Quant aux assesseurs, l'université de Paris s'était trop
avancée pour qu'on ne fût pas sûr d'en trouver parmi ses principaux doc-
teurs : on appela donc et Ton vit arriver sur cet appel Jean Beaupère, rec-
teur en .'412 et depuis chancelier en l'absence de Gerson ; Jacques de
Fij;. 122. — \'iie;généi-ale Ju vieux château de R'iueii, c^mstruit par Philippe-Auguste en i2o5. Liétruit
en partie en ÔQO. Ce château, de forme circulaire, était défendu par sept tours. Celle du donjon ou
Grosse tour subsiste encore. C'est dans la tour qui suit le donjon, à la droite du dessin, que Jeanne fut
emprisonnée. Cette tour, démolie partiellement en 1780, a été entièrement rasée vers iSog. — Livre des
fontaines^ ms. du xvi' siècle, conservé à la biblioth. de Rouen.
Touraine, Nicole Midi, Thomas de Courcelles , déjà alors recteur émérite,
quoique âgé de trente ans seulement, l'une des lumières de l'Église galli-
cane, dont il défendit avec éclat les privilèges au concile de Bàle. On en tira
aussi du diocèse où le jugement allait s'accomplir : Gilles, abbé de Fécamp,
conseiller du roi d'Angleterre; Nicolas Loyseleur, etc. Plusieurs paraissent
avoir accepté ce mandat sans répugnance , soit par conviction , soit par am-
bition-, mais d'autres ne cédèrent qu'à la peur. Le \ice-inquisiteur lui-même
228 JEANNE D'ARC.
laissa commencer sans lui le procès dont il devait être un des juges. Il n'y
accéda que sur l'ordre de l'inquisiteur général , et , dit-on , sur l'avis confi-
dentiel qu'il était en péril de mort s'il s'obstinait à refuser. On en cite un
qui sut se montrer indépendant : ce fut Nicolas de Houppeville. Il osa sou-
tenir que le procès n'était pas légal, parce que l'évèque de Beauvais était du
parti ennemi de la Pucelle, et parce qu'il se faisait juge d'un cas déjà jugé
par son métropolitain , la Pucelle ayant été approuvée dans sa conduite
par Tarchevcque de Reims, de qui Beauvais relevait. L'évèque, furieux,
l'exclut de l'assemblée quand il vint prendre séance, et le fit assigner devant
lui; mais l'intimé refusa de comparaître , comme ne relevant que de l'offi-
cialité de Rouen. Il allait se présenter ù ses juges , quand il fut arrêté, con-
duit au château et mis en prison; et on lui dit que c'était par l'ordre même
de révêque, dont il avait récusé la compétence. On ne voulait pas s'en tenir
là : il était question de l'exiler outre-mer ; on parlait même de le jeter à
l'eau, mais il fut sauvé par les autres.
Voilà donc le tribunal. On n'y trouve guère d'Anglais, mais il n'y a per-
sonne qui n'y soit sous la main des Anglais. Le juge est à leurs ordres.
Quand Jeanne le récuse comme son ennemi, il répond : « Le roi m'a or-
donné de faire votre procès, et je le ferai. » Il s'y porte de tout cœur. On a
vu sa joie quand il rapportait au roi et au régent le contrat qui leur livrait
Jeanne ; et à présent qu'il la tient il s'applaudit de ce qu'il va faire « un beau
procès. )) Mais le juge n'est dans le procès que le fondé de pouvoir de l'An-
gleterre. Les deux oncles du roi, Bedford et Winchester, le surveillent. Le
tribunal siège au château, au milieu des Anglais. Ils travaillent aux frais
des Anglais. L'exacte comptabilité de l'Angleterre en donne la preuve pour
chacun par livres et par sous; et, s'ils ne travaillent pas bien, on a vu de
quelle manière sommaire on entendait régler leurs comptes. Il y en eut
encore un autre exemple dans le cours du procès. Quelqu'un ayant dit de
Jeanne une chose qui ne plut point à Stafford, le noble seigneur le pour-
suivit, l'épée à la main, jusque dans un lieu sacré. Il l'eût frappé, s'il n'eût
été averti qu'il allait violer un asile! D'ailleurs, quelque garantie que
trouvent les Anglais dans un juge dévoué et un conseil asservi à leur in-
fluence, le procès n'est qu'une épreuve dont ils n'ont rien à redouter. Si,
contre toute attente, il n'aboutit pas à la condamnation de la Pucelle, ils se
ROUEN.
l,ES JUGES.
229
réservent de la reprendre : c'est une clause formellement exprimée dans la lettre
royale qui la livre à son juge-, et même alors ils ne s'en dessaisissent point. La
Fig. 123. — Jean Je I.jncavtre, Jiic Je BeJford, rJ^ent ^^'^ France pour le roi d'Angleterre. BeaforJ, qui,
vaincu par Jeanne d'Arc, ne voulait attribuer sa défaite qu'aux malélicesdu démon, se fit livrer la Pucelle
dèsqu'ellefut prise, pourla faire juger comme sorcière, et futainsi leprincipal auteur de son procès et de
sa mort. — Missel de Bed/orJ, ms. fr. du .\v*^ s., conservé au Bristish Muséum. — Bedford est à genoux
devant saint Georges, qui est revêtu du manteau de Tordre de la Jarretière. Derrière le saint, un écuyer porte
son pennon et son bouclier décorés de la croix de saint Georges. Les racines sont un symbole personnel
à Bedford. La devise : «.1 vous entier, » est à l'adresse de la duchesse de Bedford, fille de Philippe le Bon.
règle que l'accusée soit remise aux mains du juge est oubliée. La Pucelle est
gardée dans le château de Rouen par les Anglais : Pierre Cauchon , si jaloux
d'observer les formes de la justice, dut subir ici la volonté de ses maîtres.
23o JEANNE D'ARC.
Ainsi Jeanne demeura aux mains des Anglais, non plus dans la cage,
mais dans une tour du château , les fers aux pieds, liée par une chaîne à une
grosse pièce de bois , et gardée nuit et jour par quatre ou cinq soldats de bas
étage, des houce-paillers (houspilleurs), comme dit Massieu. Cette circons-
tance, si étrangère aux habitudes des juges ecclésiastiques, n'est pas indif-
férente; on peut même dire qu'elle fut capitale au procès : on verra que,
sans elle, il eut été bien ditiicile de trouver un prétexte pour condamner la
Pucelle.
Lorsqu'il est prouvé que le procès de la Pucelle ne fut qu'une œuvre de
parti , il est assez indifférent de rechercher s'il s'est fait dans les formes lé-
gales. Mais l'observation, même rigoureuse , des formes de la justice, n'est
pas un signe qu'on en garde l'esprit. Y eut-il désir sincère d'arriver à la
vérité dans la poursuite du procès? Y eut-il au moins respect de la vérité
dans la reproduction des interrogatoires et des enquêtes? Et que sera-ce si
des enquêtes sont supprimées-, si les interrogatoires sont altérés; si le procès-
verbal , même ainsi rédigé , on le soustrait à la connaissance de ceux que l'on
consulte, pour ne les mettre en présence que d'un réquisitoire? Or toutes
ces énormités se retrouvent au procès de Jeanne d'Arc.
Des enquêtes ont été faites, et supprimées au procès-verbal : l'enquête sur
sa virginité, réputée si capitale pour juger de la nature des visions; l'en-
quête sur ses antécédents, indispensable dans les procès d'hérésie; — ■ sup-
primées comme lui étant favorables. Les interrogatoires eux-mêmes sont
justement suspects d'erreurs ou d'omissions calculées sur des points capi-
taux. Qu'on en juge par ce trait de la déposition de Jean Fabri ou Lefebvre,
religieux augustin , depuis évêque de Démétriade. Un jour que la Pucelle
étant interrogée sur ses visions, on lui lisait une de ses réponses , J. Le-
febvre y reconnut une erreur de rédaction et la fit remarquer à Jeanne, qui
pria le greffier Manchon de relire. Il relut, et Jeanne déclara qu'elle avait
dit tout le contraire; et Manchon promit de faire plus d'attention à l'avenir.
Voilà pour les erreurs, et, quant aux omissions , voici un fait bien grave,
constaté par le témoignage d'Isambard de la Pierre. Lorsqu'à la persua-
sion de ce dernier, Jeanne déclara qu'elle se soumettait au concile alors
réuni (le concile de Bâle), l'évêque furieux s'écria: « Taisez-vous, de par
le diable! » et Manchon lui avant demandé s'il fallait écrire sa déclaration.
ROUEN. — LES JUGES.
23l
levcquc répondit: << Non, ce n'est pas nécessaire-, » sur quoi Jeanne lui
dit : « Ah! vous écrivez bien ce qui est contre moi, et vous n'écrivez pas
Ci qui est pour moi. »
Fig. 124. — Statue équestre de Jeanne JAic; bronze tranfaisdu nV siècle (ancienne collection Carrand).
Communiqué par M. J. Charvet,au château de la Source, près le Pecq.
Nous n'accusons point Manchon de faux dans ses écritures : nous ad-
mettons qu'il n'a pas été le docile instrument de toutes les volontés de
l'évèque, qu'il a su même lui résister quelquefois, bien qu'il ait eu beau
jeu de l'affirmer au procès de'réhabilitation ; mais, en présence de ces faits
JEANNE DARC.
constants, il est difficile de dire que l'on tient de lui une rédaction rigou-
reusement exacte, et que jamais il n'a rien concédé à la colère d'un homme
dont la violence envers ceux qui avaient Fair de ne point penser comme lui,
est attestée pour des faits bien moins graves. Un jour que Thuissier Massieu
ramenait Jeanne en prison, un prêtre lui ayant demandé : « Quête semble
de ses réponses? Sera-t-elle arse ^brûlée' ? » il avait répondu : « Jusqu'ici je
n'ai vu que bien et honneur en elle; mais je ne sais ce qu'elle sera à la fin;
Dieu le sache ! » Sa réponse fut rapportée ; il fut mandé par l'évèque, qui
lui dit de bien prendre garde, ou qu'on le ferait boire plus que de raison.
Et il déclare que, sans le greffier ^lanchon, il n'eut point échappé. Mnn-
chon , qui l'excusa, dut profiter delà leçon pour lui-même.
Concluons-donc : le procès-verbal n'offre pas ces caractères assurés de
sincérité qu'on doit attendre de la justice : le juge lui-même a pesé sur la
rédaction pour la corrompre et l'altérer. Que s'il n'a pu y réussir complè-
tement, c'est qu'ayant pris pour greffier principal un prêtre, greffier de
Rouen, il s'est trouvé aux prises avec les habitudes honnêtes d'un homme
qui savait les devoirs de sa charge , et y demeura généralement fidèle , sans
toutefois se défendre toujours de l'ascendant des maîtres au service desquels
il écrivait. On doit donc prendre avec défiance certaines réponses où le tour
de la phrase peut changer le sens de la pensée, quand une altération de ce
genre est si facilement concevable avec les obsessions ou les préventions du
moment. Mais, cette réserve faite, nous acceptons les procès-verbaux comme
base de notre jugement. Il y a dans Jeanne d'Arc une telle force de raison,
une telle vigueur de réplique, que sa parole, comme un glaive aigu, tra-
verse tous les doubles du texte dûment collationné par Manchon, Taquel
et Boisguillaume ; il y a de telles illuminations dans ses réponses que,
malgré les voiles de ce résumé si habilement serré, on en est encore ébloui.
. fr. rlu XV* Bii^cle,;n" %m^, K la bihlioth. nationale.
VII
ROUEN — L'INSTRUCTION
Les Interrogatoires publics. — Les Interrogatoires de la prison. — Les Témoins.
LES INJERROGATOIRES PUBLICS.
ANS la journée du 9 janvier 1431 , Tévêque
de Beauvais réunit dans le conseil du
roi , près du château de Rouen , les abbés
de Fécamp et de Jumiéges, le prieur de
Longueville, et cinq autres ecclésiastiques,
parmi lesquels Nicolas Loyseleur, cha-
noine de la cathédrale, et il leur e.xposa
rétat de l'affaire. Une femme qui désho-
norait son sexe par son habit, qui profes-
sait et enseignait le mépris de la foi catho-
lique, Jeanne, dite la Pucelle, avait été
prise à la guerre dans les limites de son diocèse. Réclamée du duc de
Bourgogne et de Jean de Luxembourg, par l'université de Paris et par
l'Inquisition, réclamée par lui-même et par le roi, elle venait enfin d'être
livrée au roi, et par le roi soumise à son jugement. Il les consultait sur la
marche à suivre. Les docteurs furent d'avis qu'il fallait commencer par des
informations. L'évèque en avait déjà recueiUi : il ordonna qu'on les com-
plétât et qu'on en fît le rapport au conseil. Puis, sur l'avis des mêmes doc-
JEANNE D'.XnC. îll. — ■ 3o
Initiale d'an ms. fr. du J
à la bibliotli.
234 JEANNE D'ARC.
leurs, il nomma promoteur ou procureur général dans la cause Jean d'Esti-
vet, chassé comme lui de Beauvais, où il était son procureur général-, juge
commissaire (juge d'instruction', Jean de la Fontaine, maître es arts-, gref-
fiers, Guillaume Colles ou Boisguillaume, et Guillaume Manchon, notaires
apostoliques à l'officialité de Rouen; et huissier, Jean Massieu, prêtre,
doven rural de Rouen. C'étaient les officiers du procès qui allait commencer.
Le r3 janvier, il réunit dans sa maison la plupart des mêmes docteurs,
avec G. Haiton, secrétaire des commandements du roi, et leur donna lec-
ture des informations dont il a été parlé. On résolut de les réduire à un
certain nombre d'articles pour mettre de l'ordre et de la clarté dans la
matière , dit le juge , et offrir un texte où l'on put voir plus sijrement s'il 3'
avait lieu d'accuser de crime contre la foi. Des articles ainsi dressés cou-
raient grand risque de substituer à la parole des témoins la pensée du juge.
Aussi le résultat ne fut-il point douteux. Dans une nouvelle séance, tenue
le ■2:< , on décida que les articles serviraient de base à l'interrogatoire qu'au-
rait à subir la Pucelle , et l'évêque , invité à commencer l'information prépa-
ratoire, en commit le soin à Jean de la Fontaine.
On différa jusqu'au milieu du mois suivant, et le temps ne dut pas être
perdu pour l'instruction de l'affaire; car on y employa des manœuvres que
révélera un autre procès- verbal. Le i3 février, l'évêque tint un conseil plus
nombreux. Il v avait appelé, avec les précédents, plusieurs des principaux
docteurs de l'université de Paris : Jean Beaupère, Jacques de Touraine,
Nicole Midi, Pierre Maurice, Gérard P^euillet, Thomas de Courcelles, etc.
Le 19, il résolut, sur leur avis, de s'adjoindre, en l'absence de l'inquisiteur
de France, le vice-inquisiteur Jean Lemaître. Celui-ci allégua que sa com-
mission était pour le diocèse de Rouen, et que l'évêque, bien que s'étant
fait donner régulièrement le droit territorial dans ce diocèse, informait
d'une aflaire qui se rapportait au diocèse de Beauvais.
L'objection était spécieuse; toutefois, le conseil déclara que la commis-
sion était valable, mais que, pour plus de sûreté, on inviterait l'inquisiteur
à venir lui-même ou à envoyer des pouvoirs plus explicites; et Lemaître,
tout en gardant ses scrupules, dit qu'il ne faisait point opposition à ce qu'on
agît sans lui.
Tout était prêt : Jeanne nous va revenir.
ROUEN. — L'INSTRUCTION.
i35
Fig. 12 5.- Pierre Cauchon, juge de Jeanne d'Arc. Effigie placée sur le tombeau qui lui fut élevé dans la
cathédrale de Lisieux et qui a été détruit pendant la révolution de i703. D'après le dessin du Portefeuille
Gaigni'eres, à la biblioth. nat. — Bedford fit espérer à Cauchon, pour prix de son zèle dans le procès de
Jeanne, l'archevêché de Rouen, qui vaquait en ce moment.
235 JEANNE D'ARC.
Le 20 février, sans plus attendre, elle fut sommée de comparaître devant
l'assemblée de ses Juges, le lendemain mercredi, à huit heures du matin.
Elle répondit qu'elle le ferait volontiers : mais, sachant bien qui étaient ses
juges et pourquoi on la voulait juger, elle demanda que l'évèque s'adjoignît
des ecclésiastiques du parti de la France en nombre égal à ceux du parti
de l'Angleterre; en même temps, elle sollicitait de lui, comnie une faveur,
qu'il lui permît d'entendre la messe avant de comparaître. L'huissier chargé
de l'assignation transmit à l'évcque sa demande et sa prière : mais l'une ne
fut pas plus goûtée que l'autre. L'évèque, ayant pris conseil des docteurs,
jugea que, vu les crimes dont elle était accusée et l'abominable habit qu'elle
s'obstinait à porter, il n'y avait pas lieu de l'admettre aux divins oflices.
Quant à la demande touchant le tribunal, il n'en fut pas même question.
Au jour et à l'heure fixés (21 février, à huit heures du matin), l'évèque
siégea dans la chapelle du château. Aux assesseurs qu'il avait déjà réunis,
il avait adjoint d'autres docteurs-, mais ce n'étaient pas ceux que demandait
Jeanne : c'étaient, pour la plupart, des prêtres de la province de Rouen.
Lecture faite des pièces de procédure, le promoteur Jean d'Estivet demanda
que la prévenue fût amenée et interrogée.
Jeanne parut donc.
L'évèque, ayant rappelé sonimairement les circonstances qui le faisaient
juge de la captive, le bruit public qui l'accusait, l'ordre du roi, l'enquête,
l'avis des docteurs, invita Jeanne à parler en toute sincérité, sans subterfuge
et sans détour, et la requit judiciairement de prêter serment de dire la vérité
sur toute chose dont on l'interrogerait.
Jeanne dit : « Je ne sais de quoi vous me voulez interroger. Peut-être me
demanderiez-vous des choses que je ne vous dirai pas.
— Jurerez- vous, reprit l'évèque, de dire la vérité sur les choses qui vous
seront demandées touchant la foi et que vous saurez? — Pour ce qui est
de mon père et de ma mère et de ce que j'ai fait depuis que j'ai pris le
chemin de France, je jurerai volontiers; mais, pour les révélations que j'ai
eues de Dieu, je n'en ai jamais rien dit à personne qu'au roi Charles, et je
n'en dirai rien , dût-on me couper la tète, parce que mon conseil (ses voix)
m'a défendu d'en rien dire à personne; au reste, avant huit jours, je saurai
bien si je le dois révéler. «
Fig. I2i3.— Jeanncd'Arc devant ses juges. Fac-similé du eommcnccmcnt d'une copjc du Procès
de condamnation, ms. latin de la fin du xv° s., n" Syôij à la biblioth. nationale.
' de condamnation, ms. latin de la fin du xv" s., n" Syôij à la biblioth. nationale.
11 nôromt ocmtnu dvatx) ^^O
Lecture. — 7» iwmine domiiii , amen.
Incipit processus in causa fidei contra quamdani inulierem Johannam vulgariler
dictani la Pucelle. '
Universis prœsentes Utteras inspecturis Petrus miseralione divina belvacensis
episcopus et /rater Johannes Magistri ordinis fratrum prcedicarum a magna'
religionis atque circitmspectionis viro magistro Johanne Gravèrent in sacra
pagina prof essore eximio
Traduction. — Au nom du Seigneur, ainsi soit-il!
Ici commence le procès en matière de foi contre une certaine femme Jeanne,
vulgairement appelée la Pucelle.
A tous ceux qui verront les présentes écritures, Pierre, par la miséricorde
divine, évëque de Béarnais, et frère Jean Lemaîtrc, de l'ordre des frères
prêcheurs, (chargé) par maître Jean Gravèrent, homme de grande piété et
prudence, professeur éminent des textes sacrés
238
JEANNE D'ARC.
L'évêque eut beau redoubler ses instances, il ne put la faire renoncer à
cette réserve. Les genoux en terre et les deux mains sur TEvangile, elle
jura de dire, autant qu'elle le pourrait, la vérité, mais seulement sur les
choses dont elle serait requise touchant la toi.
Alors révèque lui demanda quel était son nom, son surnom. — « Dans
mon pays, dit-elle, on m'appelait Jeannette; depuis que je suis en France,
on m'appelle Jeanne. Du surnom, je ne sais.
^^'
Fig I , I) H res un dessin Je f e not, u ; ' lU Je celui
de la page 2;, qui est authoiuiquc. Communiqué par M. Jcuffiain-Cartier, à Amboisc. - Luc précieuse
décoration, due sans doute à la munificence del.ouis XI, dit M. J. Quicherat, relevait autrefois la devan-
ture de cette maison. On y avait peint les exploits de la Pucelle; Michel de Montaigne en vit encore
quelque chose en 1 58o : « Le devant de la maisonnette oij elle naquit est tout peint de ses gestes ;
mais l'aage en a fort corrompu la peinture. • Journal du voyagf de Michel de Montaigne en Italie. Rome
et Paris, in-4"*, 1774.
— OÙ êtes-vous née? — A Domremy, qui lait un avec Greux. C'est à
Greux qu'est la principale église.
— Comment s'appellent votre père et votre mère? — Mon père s'appelle
Jacques d'Arc, et ma mère Isabelle.
— Où avez-\ous été baptisée? — A Domremy. «
L'évèque l'interrogea sur ses parrain et marraine, sur celui qui la
baptisa; sur son âge, à elle : elle avait environ dix-neuf ans! Et comme il
lui demandait ce qu'elle savait : « J'ai, dit-elle, appris de ma mère Notre
JEANNE D'ARC.
Père; Je vous saluL\ Marie; Je crois en Bien. C'est de ma mère que je
tiens ma croyance.
— Dites Xotre Père. — Je vous le dirai si vous voulez m'entendre en
confession. »
Elle le demandait pour juge au tribunal de Dieu! Et comme il offrait
de lui donner un ou deux personnages de langue française devant lesquels
elle dirait Notre Père, elle répondit : « Je ne le dirai que s'ils m'entendent
en confession. »
L'évêque, avant de la renvoyer, lui défendit de sortir de prison, sous
peine d'être réputée convaincue du crime d'hérésie. Elle répondit qu'elle
n'acceptait pas la défense, et que, si elle s'échappait, nul ne lui pourrait
reprocher d'avoir violé sa foi, parce qu'elle ne Favait donnée à personne-,
et elle prit cette occasion de se plaindre d'être liée par des chaînes de fer.
Mais, comme l'évêque répondait que ces précautions étaient commandées
par ses tentatives d'évasion antérieures, elle n'insista pas, et loin de cher-
cher une excuse : « C'est vrai, dit-elle, j'ai voulu et je voudrais encore m'é-
chapper de prison, comme c'est le droit de tout prisonnier. »
Elle fut commise à la garde de Jean Gris, écuycr du roi, et de deux
autres Anglais, qui jurèrent sur l'Evangile de ne la laisser communiquer
avec personne ; et on l'ajourna au lendemain pour la suite de l'interroga-
toire.
Cette première séance avait bien peu avancé l'affaire. On n'y trouve, avec
les préliminaires communs de tout procès (le serment, les noms, l'origine),
que la demande du Pater et du Credo, formalité d'usage dans les procès
d'hérésie, et l'injonction de ne point chercher à fuir. Mais ce vide même
du procès-verbal fait comprendre combien vif et prolongé avait été le débat
sur le serment, signalé a\'ant l'interrogatoire; et cela est confirmé par les
dépositions postérieures. Au témoignage du greffier Manchon, ce fut une
scène de tumulte. Quand il fut question de visions, sans doute quand
Jeanne fit ses réserves sur ce point, chacun prenait la parole : elle était
interrompue à chaque mot; et, pour que le fond fût digne de la forme, il
y avait, derrière un rideau, dans l'encoignure d'une fenêtre, des greffiers
apostés par l'évêque, qui recueillaient les charges, supprimant les excuses,
et venaient effrontément opposer leur minute à celle des greffiers officiels.
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 241
Le scandale fut si grand, au moins pour le débat, que l'on dut changer de
salle et prendre quelques dispositions propres à le diminuer.
Le lendemain, le tribunal se réunit dans une chambre dite chambre de
parement îparamenti), située au bout de la grande salle du château. Jeanne
étant amenée, Tévêque Tinvita à prêter le serment pur et simple de dire la
vérité sur tout. Elle dit qu'elle avait juré la veille, et qu'il suffisait. On in-
sista ; elle répondit : « Je vous ai prêté serment hier, cela vous doit suffire ;
vous me chargez trop-, « et, quoi que l'on fit, elle ne prêta encore que le
serment de dire la vérité sur les choses qui touchaient la foi.
L'évêque remit à Jean Beaupère le soin de poursuivre l'interrogatoire.
Le savant docteur essaya de prendre Jeanne par la douceur et par l'équi-
voque-, il l'exhorta à bien répondre sur ce qu'on lui demanderait, comme
elle l'avait juré. " Vous pourriez bien, répondit Jeanne, démêlant l'ar-
tifice, me demander telle chose dont je vous dirai la vérité, tandis que, sur
telle autre, je ne vous la dirai pas. » Et, gémissant en elle-même de voir
des hommes d'Église, des ministres de Dieu, persécuter ainsi l'œuvre de
Dieu, elle ajouta : « Si vous étiez bien informés de moi, vous devriez
vouloir que je fusse hors de vos mains; je n'ai rien fait que par révé-
lation. »
Jean Beaupère, craignant de l'effaroucher, la ramena sur un terrain où
elle pouvait s'abandonner sans défiance. Il lui demanda l'âge qu'elle avait
lorsqu'elle partit de la maison de son père, si elle avait appris quelque
métier dans sa jeunesse. Elle dit qu'elle avait appris à coudre et à filer -,
ajoutant, avec un naïf orgueil de jeune fille, qu'elle ne craignait à ce métier
aucune femme de Rouen ; enfin, que, tant qu'elle fut dans la maison de
son père, elle s'occupait des soins du ménage, et n'allait pas (commu-
nément) aux champs garder les brebis ou le bétail.
Le docteur alors, changeant de matière, sans paraître changer de ter-
rain, lui demanda si elle se confessait tous les ans. Elle répondit, sans le
moindre embarras, qu'elle se confessait à son curé, ou, s'il était empêché,
à un autre avec sa permission-, qu'elle communiait à la fête de Pâques.
« Et à d'autres fêtes? — Passez outre. »
De ses communions à ses révélations, le passage était naturel. Jeanne
n'hésita point à le franchir. Elle dit à quel âge et comment elle avait entendu
'EANNE d'arc. III. — 3l
242 JEANNE D'ARC.
pour la première fois la voix qui lui venait de Dieu, les clartés qui se mani-
festaient à elle avec la voix, les avis qu'elle en avait reçus, pour se conduire
et venir en France; son impatience d'}' obéir, sa défiance de soi-même, et
comment enfin, sur la révélation précise du but à atteindre et de la voie à
suivre, elle alla avec son oncle à Vaucouleurs, reconnut le sire de Baudri-
court et obtint de lui, après plusieurs refus, l'escorte avec laquelle elle
vint, en habit d'homme, trouver le roi à Chinon.
Ce récit avait été entrecoupé de questions qui cachaient autant de pièges :
sur l'habit d'homme qu'elle avait pris et par quel conseil ; sur le duc d'Or-
léans; sur plusieurs expressions de sa lettre aux Anglais devant Orléans;
sur la manière dont elle avait reconnu le roi. La Pucelle en devina plusieurs
et les sut éviter. On avait répandu divers bruits sur le signe qu'elle avait
donné au roi pour se faire agréer. Elle refusa absolument de rien dire qui
s'y rattachât. Elle déclarait seulement avoir su de la voix, qu'à son arrivée
le roi la recevrait sans trop de retard. Elle dit que ceux de son parti avaient
bien reconnu la voix comme venant de Dieu, et elle citait en témoignage
Charles de Bourbon, comte de Clermont, et deux ou trois autres. Elle
ajoutait qu'il ne se passait pas de jour qu'elle n'entendît cette voix, et
qu'elle en avait bien besoin; que d'ailleurs elle ne lui avait jamais demandé
d'autre récompense que le salut de son àme.
L'interrogatoire se termina par plusieurs questions qui avaient pour
objet de convaincre ses voix de mauvais conseils, par exemple dans l'affaire
de Paris. Jeanne confessa que la voix lui avait dit de rester à Saint-Denis.
Elle déclara qu'elle }' voulait demeurer, qu'elle en avait été emmenée par
les seigneurs contre sa volonté; qu'elle n'en serait point partie, si elle
n'avait pas été blessée. Sa blessure rappelait son échec; elle convint qu'elle
avait commandé une escarmouche contre la ville de Paris.
« N'était-ce pas, dit le docteur, un jour de fête ? — Je le crois, dit Jeanne.
— Était-ce bien? reprit le docteur — Passez outre. «
On s'arrêta pour ce jour-là : et la journée devait sembler bonne aux
ennemis de Jeanne. Toute cette histoire de ses révélations, ce qu'elle en
avait dit, ce qu'elle n'en avait pas voulu dire, offrait assez de prise aux
commentaires envenimés. On comptait bien y revenir dans la séance sui-
vante, qui fut remise au samedi.
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 243
Dans cette troisième séance, à laquelle assistèrent un plus grand nombre
de docteurs, Tévêque revint à la charge pour obtenir de Jeanne un serment
absolu et sans condition. Elle lui dit : « Laissez-moi parler. Par ma foi,
vous pourriez me demander des choses que je ne vous dirai pas; » et e.xpli-
quant sa pensée : « Il se peut que de plusieurs choses que vous pourriez
me demander je ne vous dise pas la vérité, en ce qui touche mes révélations,
par e.xemple. Car vous pourriez me contraindre à dire telle chose que j'ai
juré de ne pas dire, et ainsi je serais parjure : ce que vous ne devriez pas
vouloir. » Et comme Tévêque insistait, rappelant sans doute le droit qu'il
en avait comme juge, elle ajouta : « Je vous le dis, prenez bien garde à
ce que vous dites que vous êtes mon juge : car vous prenez sur vous une
grande charge, et vous me chargez trop. C'est assez, il me semble, d'avoir
juré deu.x fois en jugement. » L'évèque lui remontra qu'il ne lui demandait
qu'un serment, un serment tout simple et sans réserve. Elle répondit :
« Vous pouvez bien surseoir (ne pas insister davantage:, j'ai assez juré par
deux fois. — Mais en refusant de jurer vous vous rendez suspecte. » Même
réponse.
Sur de nouvelles instances, elle répondit « qu'elle dirait ce qu'elle savait
et point tout ce qu'elle savait; >< et, fatiguée de ce débat : « Je viens de la part
de Dieu, dit-elle, et je n'ai rien à faire ici; renvoyez-moi à Dieu de qui je
viens. » Et, comme l'évèque la sommait de jurer, sous peine d'être tenue
pour coupable des choses qu'on lui imputait, elle répondit : <f Passez
outre. »
Il fallut bien que l'évèque se résignât à passer outre. Il se réduisit à
requérir qu'elle jurât de dire la vérité sur ce qui toucherait le procès. Dans
ces termes, sa conscience était en repos : elle fit le serment.
L'évèque s'en remit encore à Jean Beaupère pour l'achèvement de l'in-
terrogatoire.
Jean Beaupère commença par une question qui pouvait sembler pleine
d'intérêt pour Jeanne : il lui demanda depuis quand elle se trouvait n'ayant
bu ni mangé. On était en carême; et , si elle avait pris la moindre chose,
elle devenait, malgré son jeune âge, véhémentement suspecte de mépris
pour les commandements de l'Église. Elle répondit : « Je n'ai bu ni mangé
depuis hier à midi. « C'est à jeun qu'il lui fallait soutenir les émotions et les
JEANNE D'ARC.
fatigues de ces journées! Puis il revint sur le sujet de ses voix. Il lui
demanda à quelle heure elle avait entendu la voix qui venait à elle. Elle
répondit : « Je Tai entendue hier et aujourd'hui.
— A quelle heure, hier? — Le matin, à vêpres et à VAre Maria, et il
m'est plusieurs fois arrivé de l'entendre bien plus souvent.
— Que faisiez-vous hier matin quand la voix est venue à vous? — Je
dormais, et elle m'a éveillée.
— Est-ce en vous louchant le bras? — Elle m'a éveillée sans me toucher.
— Était-elle dans votre chambre? — Je ne sais-, mais elle était dans le
château.
— L'avez- vous remerciée ? avez-vous fléchi les genoux ? » Elle répondit
qu'elle l'avait remerciée, et, qu'étant dans son lit, elle s'était assise et avait
joint les mains, après avoir imploré son conseil et demandé son secours
auprès de Dieu pour qu'il l'éclairât dans ses réponses.
« Et que vous a dit la voix? — Elle m'a dit de répondre hardiment, et
que Dieu m'aiderait.
— La voix vous a-t-elle dit quelques paroles avant que vous l'eussiez im-
plorée? — Oui, mais je n'ai pas tout compris; et, quand je fus éveillée, elle
dit de répondre hardiment, w Et se tournant vers l'évêque : « Vous dites
que vous êtes rpon juge : prenez garde à ce que vous faites, parce qu'en
vérité je suis envoyée de Dieu, et vous vous mettez en grand danger. »
Mais le juge était aveugle, et tout l'effort du procès tend visiblement
moins à découvrir la vérité qu'à justifier l'accusation.
En l'interrogeant sur ses visions, Jean Beaupère avait voulu savoir
d'abord si ce n'était point quelque illusion de son esprit. Il y revient, non
plus pour en contester la réalité, mais pour en attaquer l'origine, en les
convainquant de mensonge ou d'erreur. Il lui demande si la voix n'a point
varié dans ses conseils : — « Non, dit Jeanne, elle ne s'est jamais contre-
dite. Elle m'a dit dès cette nuit même de répondre hardiment.
— Vous a-t-elle défendu de dire tout ce qu'on vous demanderait? — Je
ne vous répondrai pas sur ce point : j'ai des révélations qui touchent le roi
et que je ne vous dirai point. » Et elle ajouta : « Je crois fermement, aussi
fermement que je crois la foi chrétienne et que Dieu nous a rachetés des
peines de l'enfer, que cette voix vient de Dieu. »
ROUEN. - L'INSTRUCTION. 245
Le juge, la suivant dans le sens de sa déclaration, lui demanda si cette
voi.K, qu'elle disait lui apparaître, était un ange ou venait de Dieu immé-
diatement, ou si c'était la voix d'un saint ou d'une sainte. Elle répondit :
« Cette voix vient de la part de Dieu, et je crois bien que je ne vous dis pas
à plain [plané] tout ce que je sais. Mais j'ai plus peur de manquer en
disant quelque chose qui déplaise à ces voix, que je n'ai peur de vous
répondre à vous-même. Pour cette fois, je vous prie de me donner
délai. »
« Croyez-vous donc, dit le juge, qu'il déplaise à Dieu qu'on dise la
vérité? — Les voix m'ont commandé de dire certaines choses au roi et point
à vous; » et, ne craignant pas d'irriter une curiosité qu'elle ne voulait pas
satisfaire, elle ajouta : « Cette nuit même la voix m'a dit plusieurs choses
pour le bien du roi que je voudrais bien que le roi sijt , quand je devrais ne
pas boire de vin jusqu'à Pâques; car, s'il le savait, il en serait plus aise
à son dîner.
« Mais, dit le juge, ne pourriez-vous tant faire auprès de cette voix
qu'elle vouliàt, sur votre demande, en porter au roi la nouvelle? — Je ne
sais si la voix le voudrait faire; elle ne le ferait que si Dieu le voulait.
Dieu lui-même, s'il lui plaît, le pourra bien révéler au roi, et j'en serais
bien contente.
— Et pourquoi la voix neparle-t-elle pas au roi, comme elle faisait quand
vous étiez en sa présence? — Je ne sais si c'est la volonté de Dieu : sans la
grâce de Dieu je ne ferais rien. »
Cette réponse ne devait pas tomber sans être relevée. Après plusieurs
autres questions sur ses visions : Si la voix lui avait révélé qu'elle dtit sortir
de prison; si elle lui avait donné cette nuit des avis pour répondre; si, dans
les deux derniers jours, elle avait été accompagnée de lumière; si elle avait
des 3'eux, etc.; le juge, qui n'avait point perdu de vue cette parole : « Sans
la grâce de Dieu, je ne ferais rien, » lui demanda si elle savait qu'elle fût
dans la grâce : question redoutable, qui excita des réclamations et des mur-
mures au sein même de cette assemblée d'hommes prévenus. « Nul ne sait
s'il est digne d'amour ou de haine, » dit rÉcriture. Et l'on voulait qu'une
pauvre fille ignorante dît si elle était, oui ou non, dans la grâce de Dieu!
Un des assesseurs osa dire qu'elle n'était pas tenue de répondre : — « ^'ous
2^6 JEANNE D'ARC.
auriez mieux fait de vous taire, » dit aigrement Tévèque, qui croyait déjà
tenir sa proie; car la demande cachait un argumenta deux tranchants :
« Vous savez-vous dans la grâce? » Si elle disait Non, quel aveu ! et si elle
disait Oui, quel orgueil 1 Elle répondit : « Si je n'y suis. Dieu veuille m'y
mettre -, et si j'y suis, Dieu veuille m'y garder ! »
Le juge demeura confondu ; — et il n'avait même pas la ressource d'accu-
ser cette réponse d'une sorte d'indifférence : Jeanne ajoutait qu'elle serait
plus affligée que de toute chose au monde si elle savait qu'elle ne fût pas
dans la grâce de Dieu. Puis, invoquant pour elle-même ce qu'on voulait
tourner contre son inspiration, elle dit que, si elle était dans le péché, elle
crovait que la voix ne viendrait point à elle.
Le docteur de Paris n'essaya plus de l'interroger sur ce chapitre; il lui
demandai quel âge elle avait entendu la voix pour la première fois (c'était
à treize ans environ, elle l'avait déjà dit;; et, par cette transition, il en vint
à Domremy. Il s'enquit d'elle si l'on y était du parti de Bourgogne, si ceux
de Maxei n'en étaient pas; si la voix lui avait dit de détester les Bourgui-
gnons, si elle allait avec les enfants de son village dans les combats qu'ils
livraient aux enfants de Maxei; si elle avait un grand désir de combattre les
Bourguignons; si elle eut souhaité d'être homme pour aller en France. 11
voulaitvoir si des haines de parti n'étaient point la principale source de son
inspiration, et il n'oubliait pas ce qui pouvait rendre cette inspiration plus
suspecte encore. Il lui reparlait de ses premières occupations et des lieux où
s'était passée son enfance, de l'arbre des fées, etc. — Et elle, n'ayant rien à
taire, s'abandonnait volontiers à ses souvenirs. Elle répétait ce qu'on disait
de l'arbre des fées, de la fontaine voisine et du bois Chenu. Elle sait que les
malades venaient à la fontaine boire de l'eau pour guérir: guérissaient-ils?
elle n'en sait rien. Elle sait encore que les convalescents allaient se pro-
mener sous le bel arbre qu'on appelait le beau Mai ; elle y allait elle-
même avec ses compagnes tresser des couronnes pour l'image de la sainte
Vierge. Elle a oui dire que les fées venaient sous cet arbre ; elle l'a
ouï dire de sa marraine, qui prétendait les avoir vues; mais pour elle,
elle ne sait si c'est vrai, elle ne les a jamais vues. Elle y venait pourtant
avec les jeunes filles, qui se plaisaient à orner de guirlandes les branches de
l'arbre, à chanter et à danser sous son ombre. Elle ajoutait qu'elle avait
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 247
fait comme les autres ; mais que, depuis qu'elle l'ut appelée à venir en
France, elle se donna beaucoup moins aux jeux et aux promenades, et
qu'elle ne savait même si, depuis Fàge de discrétion, il lui arriva jamais de
danser sous l'arbre; qu'elle a pu le faire, mais qu'elle a plus chanté que
dansé. Quant au bois Chenu, que l'on voit de la maison de son père, à la
distance de moins d'une lieue, elle n'a point ouï dire qu'il fût hanté par les
fées. Elle a bien su par son frère qu'on disait dans son village qu'elle avait
eu sa vocation sous l'arbre des Dames; mais cela n'est pas. De même,
quand elle est venue en France, plusieurs lui ont demandé s'il n'y avait
point dans son pays un bois que l'on appelait le bois Chenu , parce que ,
selon les prophéties, de ce bois devait venir une jeune fille qui ferait des
merveilles; mais elle déclare qu'elle n'y eut point foi.
Ainsi toutes les questions où on la croyait prendre n'avaient révélé les
superstitions de son pays que pour prouver combien elle-même avait su y
demeurer étrangère. Maisii y avait un crime dont on était toujours bien sûr
delà convaincre : c'était celui déporter l'habit d'homme; car elle-même s'y
obstinait, et la candeur des juges n'en soupçonnait pas les raisons. Chaque
invitation qu'on lui faisait sur ce point, en la montrant plus endurcie, la
rendait plus coupable. On lui demanda, en finissant, si elle voulait reprendre
l'habit de femme : « Donnez-m'en un, dit-elle, et je le prendrai, pourvu
qu'on me laisse partir; sinon, je ne le prendrai pas, et je me contenterai de
celui-ci, puisqu'il plaît à Dieu que je le porte. »
L'audience fut renvoj'ée au mardi suivant.
Le mardi 27, l'évêque, ouvrant la séance par sa sommation ordinaire,
invita Jeanne à prêter serment de dire la vérité sur les choses qui touchaient
le procès : c'est la formule qu'elle avait acceptée; mais dans la bouche de
l'évêque elle lui devenait suspecte. Elle répondit, faisant plus expressément
ses réserves, qu'elle dirait la vérité sur les choses qui touchaient son procès,
et non surtout ce qu'elle savait. L'évêque la pressa vainement de jurer pour
tout ce qu'on lui demanderait; elle répondit : « Vous devez être contents,
j'ai assez juré. «
Jean Beaupère reprit donc l'interrogatoire, et, débutant toujours avec
une feinte bonhomie, il lui demanda comment elle s'était portée depuis le
samedi précédent : « Vous le voyez, dit-elle, le mieux que j'ai pu.
248 JEANNE D'ARC.
— Jeûnez-vous tous les jours de carême ? ajouta-t-il. — Est-ce de votre
procès? répondit Jeanne.
— Oui. — Eh bien, oui vraiment, j'ai toujours jeûné ce carême. »
On le pouvait assez savoir d'ailleurs. Jean Beaupère revint alors à ses
visions. Il lui demanda si, depuis samedi, elle avait entendu sa voix : —
« Oui vraiment, et plusieurs fois, répondit-elle.
— Le samedi même, Favez-vous entendue dans le lieu où Ton vous inter-
rogeait? — Cela n'est pas de votre procès. »
Mais elle ajouta qu'elle l'avait entendue.
« Que vous a-t-elle dit? — Je ne l'ai pas bien entendue; je n'ai rien
entendu que je puisse vous redire, jusqu'à ce que je fusse revenue dans ma
chambre.
— Et que vous a-t-elle dit alors? — Elle m'a dit de vous répondre har-
diment. »
Elle ajouta qu'elle lui demandait conseil sur les choses dont on l'interro-
geait; qu'elle répondrait sur tous les points où elle aurait congé de Dieu,
mais que, pour ce qui regarde les révélations touchant le roi de France, elle
ne dirait rien sans congé de sa voix : « Car, si je répondais sans congé ,
dit-elle, peut-être n'aurais- je plus mes voix en garant; mais, quand j'aurai
congé de Dieu , je ne craindrai point de parler, parce que j'aurai bon
garant. »
Sans chercher à savoir ce qui était le secret d'elle et de ses voix, le juge
voulut au moins la faire parler sur ces voix elles-mêmes. C'est un des points
qu'il avait touchés déjà et sur lesquels elle avait voulu d'abord les consulter.
Il lui demanda si c'était la voix d'un ange, d'un saint, d'une sainte ou de
Dieu sans intermédiaire. « C'est, dit-elle, la voix de sainte Catherine et
de sainte Marguerite.
— Comment savez-vous que ce sont les deux saintes? les distinguez-
vous bien l'une de l'autre.
— Je sais que ce sont elles et je les sais distinguer.
— A quel signe?
— Par la manière dont elles me saluent. »
Elle ajouta que depuis sept ans elles l'avaient prise sous leur direction, et
qu'elle les connaissait parce qu'elles se nommaient à elle.
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 249
Elle avait parlé du secours qu'elle avait reçu de saint Michel. On lui
demanda quelle était la première voi\ qui vint à elle , comme elle avait treize
ans. Elle répondit que c'était saint Michel. « Je l'ai vu, dit-elle , devant
mes yeux, et il n'était pas seul , mais bien accompagné des anges du ciel.
— Avez-vous vu saint Michel et les anges réellement et corporellement?
— Je les ai vus des yeux de mon corps aussi bien que je vous vois, et quand
ils s'éloignaient de moi, je pleurais et j'aurais bien voulu qu'ils m'empor-
tassent avec eux.
— En quelle figure était saint Michel ? — Je n'ai point de réponse à vous
faire, je n'en ai point congé encore.
— Que vousa-t-il dit cette première fois ? — Vous n'aurez point de ré-
ponse aujourd'hui. »
Elle déclara d'ailleurs qu'elle avait dit au roi, tout en une fois, ce qui lui
avait été révélé , parce que c'est à lui qu'elle était envoyée, et qu'elle vou-
drait bien que le juge eut connaissance du livre où l'on avait consigné ses
réponses à Poitiers, pourvu que Dieu en fût content. Elle ajouta qu'elle eiùt
mieux aimé être tirée à quatre chevaux que devenir en France sans permis-
sion de Dieu.
Le jugeremit en avant la question de l'habit qu'elle avait pris alors. Et
elle, ramenant cette affaire qu'on voulait faire si grosse à sa véritable
mesure, dit que l'habit était peu de chose, la moindre des choses : " Et je
ne l'ai pris, ajouta-t-elle, par le conseil d'aucun homme au monde. Je ne
l'ai pris et je n'ai rien fait que par le commandement de Dieu et des anges.
— N'est-ce point par l'ordre de Robert de Baudricourt? — Non.
— Croyez-vous avoir bien fait en prenant un habit d'homme ? — Tout ce
que j'ai fait par commandement de Dieu, je crois l'avoir bien fait, et j'en
attends bon garant et bon secours.
— Mais, dans ce cas particulier, croyez-vous avoir bien fait en prenant
un habit d'homme ? — Je n'ai rien fait que par commandement de Dieu. »
Le juge n'avait pu l'amener à une parole qui la mît en contradiction avec
l'Écriture. Il revint à ses visions, à la lumière qui les accompagnait, à ses
relations avec le roi surtout, et lui demanda s'il y avait un ange au-dessus
de la tête du roi quand elle le vit pour la première fois : — « Par la bien-
heureuse Marie, dit-elle, s'il yen avait un, je ne sais, je ne l'ai pas vu.
JEANNE d'arc. III. — 32
25o JEANNE D'ARC.
— Y avait-il une lumière? — • Il y avait là plus de trois cents soldats et
de cinq cents torches, sans compter la lumière spirituelle. J'ai rarement
des révélations qui ne soient accompagnées de lumière.
— Comment votre roi a-t-il ajouté foi à vos paroles? — Par les signes
qu'il en a eus et par le clergé.
— Quelle révélation votre roi a-t-il eue? — Vous ne le saurez pas de moi
cette année. »
Mais ils avaient d'autres moyens d'y croire, et elle y renvoyait : « Pendant
trois semaines, dit-elle, j'ai été interrogée par le clergé, tant à Chinon qu'à
Poitiers. Le roi a eu un signe touchant mes faits, avant de vouloir y croire;
et le clergé de mon parti a été d'opinion que, dans mon fait, il n'y a rien
que de bien. »
On ne la poussa pas davantage sur ce point; on aima mieux, pour ce
jour, la faire parler de certains détails d'où l'on comptait faire sortir l'accu-
sation de sorcellerie. On lui demanda si elle n'avait pas été à Sainte-Cathe-
rine de Fierbois. On lui en parlait à cause de l'épée trouvée, sur son indica-
tion , derrière l'autel de cette église. Elle ne fit pas difficulté de raconter
comment l'épée avait été découverte. « J'ai su qu'elle était là par mes voix,
dit-elle, et je n'avais jamais vu l'homme qui l'alla chercher. Elle n'était
point fort avant sous la terre derrière l'autel , comme il me semble. Après
qu'elle eut été trouvée, les gens d'église du lieu la frottèrent , et la rouille
tomba sans effort. »
Elle ne l'avait plus quand elle fut prise, mais elle l'avait portée constam-
ment jusqu'à son départ de Saint-Denis, après l'attaque de Paris. Cette
épée, ainsi découverte et si longtemps victorieuse, était suspecte de magie.
On lui demanda quelle bénédiction elle avait faite ou fait faire sur elle : —
<i Aucune, dit-elle. Je l'aimais parce qu'elle avait été trouvée dans l'église
de Sainte-Catherine, que j'aimais beaucoup.
— Ne l'avez-vouspas posée sur l'autel afin qu'elle fût heureuse? — Non,
que je sache.
— N'avez-vous pas fait quelques prières pour que cette épée fût heureuse?
— Il est bon à savoir que j'eusse voulu que mon harnois fût heureux. «
On lui fit redire qu'elle n'avait plus cette épée quand elle fut prise; que
c'est une autre qu'elle avait déposée à Saint-Denis. A Compiègne, elle avait
ROUEN. — L'INSTRUCTION.
l'épée de ce Bourguignon qu'elle avait pris à Lagny ^Franquet d'Arras);
elle Tavait gardée , parce qu'elle était bonne pour la guerre ; bonne , disait-elle
avec une familiarité toute militaire, pour donner de bonnes buffes et de
bons torchons. Ce qu'était devenue l'autre épée, cela ne touchait point le
procès. Mais elle dit que ses frères avaient ses biens, ses chevaux, son épée
à ce qu'elle croit, et le reste valant plus de douze mille écus.
Après l'épée, on la fit parler de sa bannière. On lui demanda ce qu'elle
aimait le plus, de sa bannière ou de son épée : — « J'aime beaucoup plus,
quarante fois plus, la bannière que l'épée. » Elle ajouta qu'elle portait sa
bannière quand elle chargeait l'ennemi, pour éviter de tuer personne : « Et
je n'ai jamais tué personne, » dit-elle.
On en prit occasion de l'interroger sur ses campagnes. On lui demanda
si , à Orléans, au moment de l'assaut , elle n'avait pas dit à ses gens qu'elle
recevrait seule les flèches, les viretons, les pierres lancées parles canons ou
les machines : — « Non, dit-elle; et la preuve, c'est qu'il 3^ eut plus de cent
blessés. Je leur dis de ne point douter, et qu'ils feraient lever le siège. Moi-
même à la bastille du pont j'ai été blessée d'une flèche au cou ; mais j'ai eu
grand confort de sainte Catherine, et j'ai été guérie dans les quinze jours sans
cesser d'ailleurs de monter à cheval et d'agir.
— Saviez- vous que vous seriez blessée? — Je le savais, et l'avais dit au
roi, mais, nonobstant, qu'il ne laissât point d'agir. » Elle avait eu cette
révélation de ses deux saintes, sainte Catherine et sainte Marguerite.
D'Orléans on passa à Jargeau , et on lui demanda pourquoi elle n'avait
pas reçu à rançon le capitaine de cette ville : — « Les seigneurs de mon
parti, dit-elle, ont refusé un délai de quarante jours qu'ils demandaient,
leur otïrant de s'en aller avec leurs chevaux à l'heure même. Pour moi , j'ai
dit qu'ils s'en iraient de Jargeau en leur petite cotte, la vie sauve, s'ils vou-
laient", sinon qu'ils seraient pris d'assaut. — Les voix vous l'avaient-elles
conseillé? — Je n'en ai pas souvenir. »
L'interrogatoire de Jeanne, si habilement qu'il fut conduit, ne menait à
aucun des résultats qu'on espérait atteindre. On l'avait fait parler de son
enfance, de sa vie tout entière, et on n'avait pu trouver en elle rien qui
démentît l'innocence de ses mœurs, la pureté de sa foi, la droiture de son
252 JEANNE D'ARC.
jugement, même sur des points où quelque participation aux superstitions
communes à son pa3's ou à son temps n'aurait certes pas donné le droit de
l'accuser d'hérésie. Une seule chose restait extraordinaire dans ses paroles,
c'est ce qu'elle disait des visions qu'elle avait eues, qu'elle prétendait avoir
toujours. Aucun des juges n'avait la pensée de les déclarer impossibles : ils
voulaient , on l'a vu , s'assurer si elles n'étaient pas feintes , ou , en les admet-
tant comme réelles, en savoir l'origine-, et tous les efforts qu'ils avaient faits
pour les rapporter à l'esprit du mal en y trouvant l'erreur, la contradiction
ou le mensonge, étaient restés sans résultat. Ils ne se tenaient cependant pas
encore pour vaincus en ce point. Il y avait dans les réserves persévérantes
de Jeanne sur le serment qu'on lui demandait chaque fois , et dans ses réti-
cences déclarées sur le sujet de ses révélations, quelque chose qui, en
cachant un mystère, provoquait la curiosité des juges et redoublait leur
envie d'en soulever les voiles pour la confondre. On résolut donc d'y reve-
nir encore.
A la séance suivante, le jeudi i*-' mars, après avoir prêté le serment dans
les termes dont elle n'avait jamais voulu se départir, elle ajouta , pour m.on-
trer à ses juges combien elle était résolue d'être sincère en tout ce qu'il lui
était permis dédire: « Pour ce qui touche le procès, je vous dirai volon-
tiers toute la vérité; je vous la dirai comme si j'étais devant le pape de
Rome. » On lui demanda quel pape elle reconnaissait véritable. Elle répon-
dit en demandant s'il y en avait deux : réponse accablante pour cette race
ds politiques et de docteurs dont l'orgueil avait pendant si longtemps nourri
le schisme de l'Église. L'incident toutefois donna lieu de lui demander si
elle n'avait pas reçu du comte d'Armagnac des lettres où il la priait de lui
dire auquel des trois papes rivaux il devait obéir. Jeanne convint du
message comme de sa réponse, à laquelle elle ne parut pas attacher grande
importance. Elle montait à cheval quand elle la fit : ce qu'elle s'en rappelait ,
c'est qu'elle promettait au comte de répondre à sa lettre quand elle serait à
Paris ou ailleurs, en repos.
« Mais , dit le juge, faites- vous doute vous-même sur celui à qui le comte
devait obéir? — Je ne savais que mander au comte, parce qu'il voulait
savoir à qui Dieu commandait qu'il obéît. Mais pour moi, ajouta-t-elle, je
tiens et je crois que nous devons obéir à notre seigneur le pape qui est à
ROUEN. — L'INSTRUCTION. i53
Rome : » tranchant ainsi, avec le bon sens d'une âme simple, une question
que la science et la passion des docteurs et des grands du monde avaient
si fort embrouillée.
La lettre qu'on lui avait présentée portait les noms de Jésus et de Marie
avec une croix. On lui demanda si ce n'était pas le signe dont elle marquait
ses lettres : — « Oui, quelquefois, dit-elle, et d'autres fois, non; et quel-
quefois je mettais une croix en sign: que celui de mon parti à qui j'écrivais
ne fit pas ce que je lui écrivais. » — Déclaration recueillie précieusement.
On en fera un sacrilège.
Avec la lettre au comte d'Armagnac, on avait encore une autre lettre de
Jeanne : cette lettre si hardie et si fîère qu'elle écrivit aux Anglais pour les
sommer de lever le siège d'Orléans. Elle la reconnut, sauf quelques mots
où elle se mettait plus en avant qu'il n'était dans sa pensée de le faire : ren-
de\ à la Pucclle pour rendes au roi; chef de guerre dit d'elle-même; corps
pour corps appliqué à Dieu : mots que son secrétaire substitua peut-être à
d'autres, ou dont elle avait perdu le souvenir. Au surplus, elle déclara
qu'elle seule avait dicté cette lettre -, qu'elle s'était bornée à la communiquer
à ceux de son parti-, et loin de rien rétracter, même dans ses fers, des espé-
rances qu'elle exprimait alors, elle fit une prédiction qu'on n'accusera pas
d'êtresupposée depuis l'événement : le procès-verbal même la constate. Elle
annonça qu'avant sept ans les Anglais laisseraient un plus grand gage que
devant Orléans, et qu'ils perdraient toute la France. « Ils éprouveront,
ajouta-t-elle, plus grand dommage qu'ils aient jamais eu en P'rance, et ce
sera par une grande victoire que Dieu enverra aux Français. »
Cinq ans après, en 1436, les Anglais perdaient leur gage, Paris, et,
bientôt après , le reste du royaume.
« Comment savez-vous cela? lui dit-on. — Je le sais par révélation, et
je serais bien courroucée (affligée) que cela fijt tant différé. » Et sans s'in-
quiéter si ces paroles ne soulevaient point contre elle toutes les colères de
ses ennemis, elle ajouta qu'elle le savait aussi sûrement qu'ils étaient là
de\ant elle.
« Quand cela arrivera-t-il ? — Je ne sais ni le jour ni l'heure.
— En quelle année ? — Vous ne le saurez pas encore, mais je voudrais
bien que ce fût a\ant la Saint-Jean.
JEANNE D'ARC.
— N'avez-vous pas dit que ce serait avant la Saint-Martin d'hiver ? —
Avant la Saint-Martin on verra bien des choses, et il se peut qu'on voie les
Anglais jetés bas.
— De qui savez-vous que cela arrivera ? — De sainte Catherine et de sainte
Marguerite. »
On la reprit sur ces apparitions. On lui demanda si saint Gabriel n'était
point avec saint Michel quand il lui apparut : ^ « Je ne m'en souviens pas.
— Depuis mardi dernier, avez-vous conversé avec sainte Catherine et
sainte Marguerite? — Oui, mais je ne sais l'heure.
— Quel jour ? — Hier, aujourd'hui , il n'y a pas de jour que je ne les
entende. »
On lui demanda si elle les voyait toujours dans le même habit : —
K C'est, dit-elle, toujours la même forme.
— Et comment, dit grossièrement le juge, savez-vous que ce qui vous
apparaît est un homme ou une femme: — A la \'oix, et parce qu'elles me
Font révélé. Je ne sais rien que par révélation et par ordre de Dieu.
— Quelle figure voyez- vous ? — La face.
— Les saintes qui se montrent à vous ont-elles des cheveux ? — Cela est
bon à savoir.
— Leurs cheveux sont-ils longs et pendants? — Je n'en sais rien. »
Elle ne répondit pas davantage sur ce qu'on lui demandait de leurs bras
et du reste de leur corps; et, ramenant ses juges à ce qui était pour elle ses
saintes, elle dit que leurs paroles étaient bonnes et belles et qu'elle les en-
tendait bien.
« Comment, dit le juge, parlent-elles, puisqu'elles n'ont pas démembres?
— Je m'en réfère à Dieu. »
Et comme elle ajoutait que cette \oix était belle, douce et humble, et par-
lait français, le juge lui demanda si sainte Marguerite ne parlait pas anglais:
— Et comment, lui dit Jeanne, parlerait-elle anglais, puisqu'elle n'est pas
du parti des Anglais? » — Des saintes qui ne parlent pas anglais! Cette
réponse tiendra sa place parmi les chefs d'accusation.
Le juge, reprenant son thème favori, la description physique des appa-
ritions, demanda à Jeanne si les saintes portaient a\ec leurs couronnes des
anneaux aux oreilles. Mais Jeanne dit qu'elle n'en savait rien. A cette occa-
ROUEN. — L'INSTRUCTION.
.sion il lui demanda si elle n'a\ ait pas elle-même des anneaux. Elle en a\ait
deu.\qui lui a\aicnt été pris depuis sacapti\ité. Jeanne, se tournant \ers
ré\èque : « Vous en avez un à moi; rendez-le-moi; » et elle le pria de lui
montrer s'il l'avait. Cet attachement à ses anneaux répondait à la pensée
de ses juges, fort enclins à y soupçonner quelque vertu magique. On lui
demanda de qui elle tenait celui qu'avaient les Bourguignons. Elle dit
qu'elle l'avait reçu àDomremy de ses parents : il n'avait point de pierre et
portait gravés les noms de Jésus et de Marie. Quant à l'autre, celui qu'avait
l'évêque, elle le tenait de son frère, et elle chargeait l'évèque de le donner à
l'Église. Elle repoussait d'ailleurs ce qu'on disait de la \ertu de ses anneaux
et déclarait qu'elle n'avait jamai guéri personne par leur attouchement.
On avait déjà essayé de rattacher ses visions aux superstitions de son pays.
Ses saintes, n'étaient-ce pas ces fées dont on parlait à Domremy, que sa
marraine même prétendait a\'oir \ ues ! On lui demanda donc si elle n'a\ait
pas conversé avec sainte Catherine et sainte .Marguerite, sous l'arbre dont il
avait été mention déjà : — « Je ne sais, dit-elle.
■ — Et à la fontaine qui est près de l'arbre? — Oui, quelquefois, mais je
ne me rappelle pas ce qu'elles m'y ont dit.
— -Que vous ont-elles promis là ou ailleurs ! — Elles ne m'ont fait aucune
promesse que ce ne soit par congé de Dieu.
— Mais quelles promesses vous ont-elles faites ? — Cela n'est pas de votre
procès en tout point ; mais elles m'ont dit que Messire (le roi) sera rétabli
dans son royaume , que ses ennemis le veuillent ou non ; et elles m'ont pro-
mis de me conduire en paradis.
— Avez-vous quelque autre promesse ? — Oui , mais je ne la dirai pas , cela
ne touche pas votre procès. Avant trois mois, je vous dirai l'autre promesse.
— Vos voix vous ont-elles dit que vous seriez délivrée avant trois mois ?
— Cela n'est pas de votre procès; néanmoins , je ne sais quand je serai déli-
vrée , mais ceux qui voudront m'ôter du monde pourront bien s'en aller
avant moi.
— Votre conseil vous a-t-il dit que vous seriez délivrée de cette prison ?
— Reparlez-m'en dans trois mois, et je vou.s répondrai. >>
On est au i " mars ; trois mois après , presque jour pour jour (3o mai) ,
elle échappait à la prison par la mort. *
JEANNE D'ARC.
Comme on la pressait de répondre : — « Demandez, dit-elle, aux assis-
tants, qu'ils disent, sous la foi du serment, si cela touche le procès. »
Et après que le conseil eut déclaré que cela était du procès, elle ajouta :
« Je vous ai toujours bien dit que vous ne saurez pas tout. Il faudra qu'un
jour je sois délivrée. Je veux avoir congé pour le dire. C'est pourquoi je
demande un délai.
« Les voix vous défendent-elles de dire la vérité ? reprit le juge. — Vou-
lez-vous que je vous dise ce qui regarde le roi de France ? Il }' a bien des
choses qui ne touchent pas le procès. Mais , ajouta-t-elle, je sais que Messire
(le roi) gagnera le royaume de PVance , et je le sais comme je sais que vous
êtes là devant moi, siégeant au tribunal. Je serais morte sans cette révéla-
tion qui me conforte tous les jours. »
Après diverses questions sur certaines croyances superstitieuses de son
pays , questions dont l'unique résultat fut de montrer une fois de plus com-
bien Jeanne, par l'élévation de son âme, était au-dessus de ces puérilités,
on revint à ses apparitions pour les prendre encore au sens le plus bas. On
lui demanda en quelle figure lui était apparu saint Michel : — « Je ne lui
ai pas vu de couronne, dit-elle; pour ses vêtements, je ne sais.
— Etait-il nu? — Pensez-vous que Dieu n'ait pas de quoi le vêtir ? »
Le juge, rappelé à la pudeur par ce langage simple et digne, se rejeta
dans quelques platitudes :
« Avait-il des cheveux : — Pourquoi lui seraient-ils coupés ?
— Tenait-il une balance ? — -Je ne sais. »
Et, s'élevant à la pensée de ses divins protecteurs, elle disait naïvement,
comme si cela pou\ ait élever aussi l'âme de ses juges , qu'elle avait grande
joie en le voyant-, « et il me semble , continuait-elle , que quand je le vois, je
ne suis point en péché mortel. » Elle ajoutait que sainte Catherine et sainte
Marguerite la faisaient se confesser quelquefois.
Se confesser, c'est avouer ses fautes. Le juge, cherchant à prendre son
innocence en défaut, lui demanda si, quand elle se confessait, elle croyait
être en péché mortel : — « Je ne sais, dit-elle, si j'ai été en péché mortel; je
ne crois pas en avoir fait œuvre, et Dieu me garde d'avoir jamais été en
cet état ; Dieu me garde de faire ou d'avoir jamais fait œuvre qui charge
mon âme. »
6 -^
6 .2
258 JEANNE D'ARC.
On revint alors sur ce signe donné au roi, signe qui , selon le bruit public,
avait eu de nombreux témoins , et dont elle avait toujours fait mystère :
car elle n'en pouvait parler sans livrer au public ce que le roi n'avait dit qu'à
Dieu, et révéler un doute qui, entre les mains des ennemis du prince, deve-
nait comme un désaveu de son origine et une artne propre à ruiner ses
droits. Elle répondit : « Je vous ai dit que vous n'en auriez rien de ma
bouche; allez lui demander.
— Avez-vous donc juré de ne point révéler ce qu'on vous demande tou-
chant le procès ? — Je vous ai déjà dit que je ne vous dirai pas ce qui touche
le fait du roi ; je ne dirai rien de ce qui le regarde.
— Savez-vous le signe que vous avez donné au roi? — Vous n'en saurez
rien de ma part. «
On lui demanda alors si, lorsqu'elle montra ce signe au roi , il n'y avait
point quelqu'un avec lui : — « Je ne pense pas, bien qu'il y eiùt assez de
monde au voisinage. » (Elle avait parlé au prince en secret, mais à la vue de
plusieurs témoins.)
« Avea-vous vu la couronne sur la tète du roi quand vous lui avez mon-
tré ce signe? — Je ne puis vous le dire sans parjure.
— Le roi avait-il la couronne à Reims? ■ — Le roi, je pense, a pris volon-
tiers la couronne qu'il a trouvée à Reims; mais une bien plus riche cou-
ronne lui fut apportée par la suite.
Avez-vous vu cette couronne plus riche? — Je ne puis vous le dire sans
parjure. Et si je ne l'ai pas vue, j'ai ouï dire qu'elle était riche et magnifique
{opulent a). »
On n'en put rien savoir davantage : cette couronne, qui était pour le roi
comme le gage et le prix de sa mission , était-ce une chose réelle ou un pur
symbole? c'est ce qui restait encore entouré de mystère. On renvoya l'inter-
rogatoire au lendemain.
La séance qui se tint le samedi 3 mars, la dernière qui fut publique, je
veux dire tenue devant les assesseurs dans la chambre de parement, est une
de celles qui offrent le plus de désordre dans l'interrogatoire. On avait hâte
d'en finir, et l'on voulait, avant de clore les débats, obtenir de Jeanne quel-
ques paroles qui donnassent plus d'apparence aux accusations dont elle
était l'objet.
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 259
Après un serment qu'on persistait à lui demander pur et simple, et qu'elle
renfermait toujours dans les termes accoutumés, on la ramena à ses appa-
ritions :
« Vous avez dit que saint Michel avait des ailes (Est-ce alors? Elle n'en
a rien dit auparavant ; mais si elle ne relève pas l'affirmation , il sera constant
que, de son aveu, saint Michel avait des ailes), et vous n'avez point, conti-
nue le juge , parlé des corps de sainte Catherine et de sainte Marguerite :
qu'en voulez-vous dire? — Je vous ai dit ce que je savais et je ne vous répon-
drai pas autre chose.
— Croyez-vous que saint Michel et saint Gabriel avaient des têtes natu-
relles? — Je les ai vus eux-mêmes de mes yeux, et je crois que ce sont eux
aussi fermement que Dieu est.
— Croyez-vous que Dieu les ait faits en la forme où vous les vo3fez?
— Oui.
— Croyez-vous que Dieu les ait créés ainsi dans le commencement ? —
V'ous n'aurez de moi rien autre que ce que je vous ai répondu. »
Les réponses de Jeanne excluant l'idée que ses visions fussent une simple
illusion de son esprit, il y avait, on l'a vu, pour les juges, un moyen de les
faire tourner contre ces voix elles-mêmes : c'était de montrer qu'elles l'avaient
trompée. On se crut assez sûr de la bien tenir, pour les convaincre d'impuis-
sance ou d'imposture en lui faisant cette question :
« Savez-vous par révélation que vous deviez vous échapper? — Cela ne
touche pas votre procès. Voulez-vous que je parle contre moi ? »
Parole de bons sens qui était la condamnation de tout ce système d'en-
quête : que voulait-on autre chose, en effet, depuis qu'on l'interrogeait?
« Vos voix vous l'ont-elles dit? reprit le juge insistant. — Ce n'est pas de
votre procès. Je m'en rapporte au procès : si tout vous regardait , je vous
dirais tout. » Et elle ajouta : « Par ma foi, je ne sais ni le jour ni l'heure
où je m'échapperai.
— Vos. voix vous en ont-elles dit quelque chose en général? — Oui, vrai-
ment : elles m'ont dit que je serai délivrée (mais je ne sais ni le jour ni l'heure),
etfjue je fasse bon visage. »
Le juge n'avait rien à lui demander de plus sur cette matière. 11 passa à
l'affaire de l'habit : si c'était un crime, elle ne pouvait pas le nier. Mais on
26o JEANNE D'ARC.
n'était pas fâché de savoir si le roi et son clergé , et peut-être les voix elles-
mêmes, ne pouvaient pas être reconnus fauteurs de l'hérésie. On lui demanda
donc :
« Lorsque vous êtes venue auprès du roi, ne s'est-il pas enquis si c'était
par révélation que vous aviez changé d'habit ? — Je vous ai répondu; cepen-
dant je ne me rappelle pas si cela me fut demandé. Cela a été écrit à Poitiers.
— Les docteurs qui vous ont examinée ailleurs ne vous ont-ils pas inter-
rogée sur ce changement d'habit ? ■ — • Je ne m'en souviens pas. Cependant
ils m'ont demandé où j'avais pris cet habit d'homme, et je leur ai répondu :
A Vaucouleurs. »
La chose était assez simple et assez naturelle,. en effet, pour qu'un juge
impartial n'eût pas l'idée d'en chercher la légitimité dans une révélation. On
insista pourtant, mais on ne put obtenir d'elle que cette réponse : « Je ne
m'en souviens pas.
— Et la reine ? — Je ne m'en souviens pas.
— Le roi, la reine ou quelque autre de votre parti vous ont-ils quelquefois
demandé de quitter l'habit d'homme? — Cela n'est pas de votre procès.
— Croyez-vous que vous auriez péché en prenant l'habit de femme ?^
J'ai mieux fait d'obéir et de servir mon souverain seigneur.
— Mais (dit le juge, revenant par ce détour à la complicité de ses voix,
et supposant, par une tactique assez grossière, la question résolue au fond,
pour tirer d'elle sur un point accessoire une déclaration qui l'engageât),
quand Dieu vous a révélé de changer votre habit en habit d'homme, fut-ce
par la voix de saint Michel, ou par la voix de sainte Catherine ou de sainte
Marguerite? — Vous n'en aurez maintenant autre chose. »
On en vint alors à son étendard et aux panonceaux de ses gens , pour y
chercher quelque trace de superstition ou de magie. On lui demanda si les
gens de guerre, lorsque son roi la mit à l'œuvre et qu'elle se fit faire son
étendard , n'avaient pas fait faire des panonceaux à la manière du sien. Elle
répondit : « Il est bon à savoir que les seigneurs maintenaient leurs armes ; »
disant d'ailleurs que ses compagnons de guerre firent faire leurs panonceaux
à leur plaisir. Elle n'avait que deux ou trois lances dans sa compagnie, et si
ces hommes faisaient leurs panonceaux à la ressemblance des siens , c'était
pour se distinguer des autres.
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 261
« Étaient-ils souvent renouvelés ? — Je ne sais; quand les lances étaient
rompues, on en faisait de nouveaux.
— N'avez-vous pas dit, ajouta le juge, dévoilant le fond de sa pensée,
que les panonceaux faits à la ressemblance des vôtres étaient heureux ? — Je
disais à mes gens : « Entrez hardiment parmi les Anglais, » et j'y entrais
moi-même.
— Les compagnons de guerre ne faisaient-ils point mettre en leurs panon-
ceaux Jcsus^ Maria? » On lui aurait fait un crime de se placer sous Tin-
vocation de ces noms sacrés ! ) Elle répondit : « Par ma foi , je n'en sais rien.
— N'avez-vous point porté ou fait porter, par manière de procession , des
toiles autour d'un autel ou d'une église, pour en faire des panonceaux? — •
Non, et je ne l'ai point vu faire. »
On l'interrogea ensuite sur frère Richard. Elle dit qu'elle ne l'avait jamais
vu avant de venir devant Troyes, et raconta la scène de leur rencontre, qui
a été rapportée en son temps. Mais Jeanne elle-même avait été l'objet d'hon-
neurs que l'on voulait maintenant tourner à sa perte. On lui demanda si
elle n'avait pas vu, ou si elle n'avait pas fait faire quelque image ou peinture
d'elle-même. Elle répondit qu'elle avait vu à Arras (au moment où elle fut
livrée aux Anglais) une peinture entre les mains d'un Écossais; qu'elle y
était figurée tout armée, un genou en terre, présentant des lettres au roi.
Elle ajouta qu'elle n'avait jamais vu ou fait faire aucune image à sa ressem-
blance.
« Savez-vous, lui dit alors le juge, que ceux de votre parti aient fait dire
des messes ou des prières en votre honneur ? — Je n'en sais rien , et , s'ils l'ont
fait, ce n'est point par mon commandement. Toutefois, s'ils ont prié, il
m'est avis qu'ils n'ont pas fait mal.
— Ceux de votre parti croient-ils fermement que vous êtes envoyée de
Dieu ? — Je ne sais s'ils le croient ; je m'en attends à leur courage ^conscience) ;
mais, s'ils ne le croient, je n'en suis pas moins envoyée de Dieu.
— Pensez- vous qu'en croyant que vous êtes envoyée de Dieu, ils aient
bonne croyance? — S'ils croient que je suis envoyée de Dieu, ils n'en sont
point abusés.
— -Connaissiez-vous les sentiments de ceux de votre parti quand ils vous
baisaient les pieds, les mains et les vêtements? — Beaucoup de gens me
JEANNE D'ARC.
voyaient volontiers, et ils baisaient mes mains le moins que je pouvais; mais
les pauvres gens venaient volontiers à moi parce que je ne leur faisais point
de déplaisir, mais je les supportais selon mon pouvoir.
— Navez-vous point levé quelque enfant des fonts de baptême ' ? — J'en ai
levé un à Troyes, mais de Reims je n'ai point de mémoire, ni de Château-
Thierry. J'en ai levé aussi deux à Saint-Denis, et je nommais volontiers les
fils CIuD'lcs pour l'honneur du roi, et les filles Jeanne, et quelquefois selon
que les mères voulaient.
— Les bonnes femmes de la ville ne touchaient-elles point de leurs anneaux
l'anneau que vous portiez? — Maintes femmes ont touché mes mains et mes
anneaux, mais je ne sais point leur intention. «
Après d'autres questions sur les gants que le roi portait au sacre, sur son
étendard qu'elle portait elle-même près de l'autel à cette cérémonie, on lui
demanda si, quand elle allait par le pays , elle recevait souvent le sacrement
de confession et le sacrement de l'autel : — « Oui, dit-elle.
— Les receviez-vous en habit d'homme? — Oui, mais je n'ai point mé-
moire de les avoir reçus en armes. »
Que faisaient les armes? c'était assez de l'habit pour qu'elle demeurât
convaincue de sacrilège par son aveu. Aussi ne lui en demanda-t-on point
davantage. On lui parla de la haquenée de l'évêque de Senlis : autre profa-
nation; elle l'avait prise comme cheval de guerre. Il est vrai qu'elle l'avait
achetée 200 saluts 12, 43o fr. environ). L'évêque avait-il été payé? au moins
avait-il reçu mandat pour l'être; mais d'ailleurs elle lui avait écrit qu'elle
lui rendrait son cheval s'il voulait; qu'elle ne s'en souciait pas, que la bête
ne valait rien pour la peine.
L'interrogation révéla un fait que l'histoire n'a point mentionné , et sur
lequel Jeanne s'explique avec une simplicité qui n'ôte rien à la vertu de sa
prière. On lui demanda quel âge avait l'enfant qu'elle avait ressuscité à
Lagny. Elle répondit qu'il avait trois jours. On le porta devant l'image de
la sainte Vierge, et on lui dit, à elle, que les jeunes filles de la ville étaient
devant cette image : on l'invitait à y aller elle-même, prier Dieu et Notre-
Dame pour qu'il donnât la vie à l'enfant. Elle y alla, et pria avec les autres;
et finalement il donna signe de vie et bâilla trois fois. I! fut baptisé, et aussi-
* Nous dirions, selon nos usages, tenu sur les fonts Je baptême.
LA VIER&E AVEC LENFANT JESUS, S. MICHEL ET JEANNE DARC
Peinture au blanc d'oeuf, excculfc du temps inénic de la Puccllc, nouvelleiiaent découverte et commiuiiquéc
par M. Auvray, à Paris. — Saint Mickei pofte la balance dans la(\uelle il pèse les âmes. La FaccUe tient
d'ime main son étendard. 'et de Vautre son éciiarmorié. Comme la Vierge, l'h.nfanl Jésus et Saint ^ficliel ,
r!U poi-te le nlinbe. attribut de la sainteté. .
ROUEN. - L'INSTKUCTKJN. 263
tôt mourut et fut mis en terre sainte. « Kt il y avait trois jours, comme on
disait, ajouta-t-elle, que l'enfant n'avait donné aucun signe de vie, et il
était noir comme ma cotte; mais, quand il bailla, la couleur lui commença
à revenir. « Tout ce que Jeanne dit d'elle-même en ce récit, c'est qu'elle
était avec les jeunes filles, à genoux devant Notre-Dame , faisant sa prière.
« N'a-t-on pas dit par la ville que c'est vous qui avez fait faire cela , et
que cela se fit par votre prière? — Je ne m'en informai point. >>
Après cela, on lui parla de Catherine de la Rochelle, cette femme qui
voulut faire l'inspirée, et à qui Jeanne conseilla bonnement de retourner
à son mari et de faire son ménage. Jeanne raconta l'entrevue qu'elle eut
avec elle, comme elle s'offrit d'être témoin de ses visions et comme elle ne
vit rien.
Puis on en vint à ce siège de la Charité, où Catherine ne lui conseillait
point d'aller, parce qu'il faisait trop froid; où Jeanne était allée pourtant,
mais sans succès : c'est un échec que l'on opposait victorieusement à son
inspiration. « Pourquoi, lui dit-on, n'y êtes- vous pas entrée, puisque vous
aviez commandement de Dieu ? «
Elle répondit : « Qui vous a dit que j'avais commandement d'y entrer?
— N'avez-vous paseu conseil de votre voix? — Je voulais venir en France,
mais les gens d'armes me dirent que c'était le mieux d'aller devant la Charité
premièrement. »
On l'interrogea enfin sur son séjour à Baurevoir. Elle raconta comme
elle avait voulu s'en échapper, sautant du haut de la tour, malgré ses voix,
et comme sainte Catherine l'avait consolée en lui disant qu'elle guérirait
et que ceux de Compiègne auraient secours. On \oulait faire de cette tenta-
tive d'évasion une tentative de suicide. On lui demanda, pour en insinuer,
l'intention , si elle n'avait point dit qu'elle aimerait mieux mourir que d'être
en la main des Anglais : — « J'ai dit, reprit-elle sans se soucier du piège, que
j'aimerais mieux rendre l'âme à Dieu que d'être en la main des Anglais. »
On termina par l'accusation la plus étrange. On prétendait qu'en repre-
nant ses sens, elle s'était courroucée et avait blasphémé le nom de Dieu. Et
de même, qu'en apprenant la défection du capitaine de Soissons, elle avait
renié Dieu. — « Je n'ai, répondit-elle , jamais maugréé ni saint ni sainte , je
n'ai point coutume de jurer. »
264 JEANNE D'ARC.
LES INTERROGATOIRES DE LA TRISON.
Jeanne fut ramenée à sa prison sans autre assignation à comparaître. Le
spectacle de ces débats, la candeur de la jeune fille, sa présence d'esprit, sa
fermeté, sa droiture dans cette lutte soutenue avec les docteurs les plus
habiles, devaient produire dans IWme des assistants les moins prévenus une
impression que ne recherchaient pas ses ennemis. P. Cauchon déclara donc
que, voulant continuer sans interruption le procès, il choisirait quelques
savants docteurs pour recueillir et mettre en écrit les principaux aveux de
Jeanne, et que, si des éclaircissements paraissaient encore désirables, il don-
nerait à quelques commissaires le soin de l'interroger, sans fatiguer par de
nouveaux débats la multitude des assistants.
En conséquence, Tévèque, réunissant plusieurs « solennels » docteurs,
employa les cinq jours suivants à extraire des réponses de Jeanne ce qui
pouvait fournir matière à une information nouvelle , et il commit Jean de
la Fontaine pour l'aller interroger dans sa prison.
Cette nouvelle enquête se continua presque sans interruption toute une
semaine, du 10 mars au 17, et plusieurs fois les séances commencées le
matin recommencèrent après midi. L'évêque y amena le premier jour et y
accompagna plusieurs fois son commissaire. Mais de plus il eut la satisfac-
tion de s'y adjoindre enfin le collègue désiré. Le i3 mars, Jean Lemaître
vint, par ordre de l'inquisiteur, prendre part en son nom au procès.
Les interrogatoires de la prison sont, en plusieurs points, comme une
édition nouvelle des interrogatoires publics. C'est toujours la même pensée
qui y préside , et c'est aussi à peu près le même thème. Le caractère et les
particularités des visions de Jeanne, le signe par lequel le roi y a cru, les
circonstances en raison desquelles on refuse d'y croire, à savoir, les échecs
de Paris, de la Charité, de Compiègne, opposés à son inspiration, et tout
ce qu'on peut relever dans sa vie, dans son enfance, dans les actes de sa
mission, pour établir l'indignité de l'inspirée : voilà le cercle où continuera
de rouler le débat. Malgré ces répétitions, l'étude est loin d'en être sans
intérèti car une chose y paraît toujours la même aussi, et d'autant plus
ROUEN. — L'INSTRUCTION.
255
admirable qu'elle dure sans jamais s'altérer : c'est le calme et la fermeté de
Jeanne parmi ces assauts redoublés. D'ailleurs, les redites du juge feront
jaillir des traits nouveaux de la Pucelle; et, de plus, c'est parmi ces répéti-
tions, lorsque le juge a retourné en tous sens les griefs de l'accusation sans
Fig. i3o. — Tour Jii château de Rouen, appelée d'abord Tour vers les champs, et depuis Tour Je Ui Pucelle,
parce que Jeanne y fut enfermée pendant tout le temps de son procès. Etat de i8oS, un an avant sa
destruction totale. — D'après une lithographie de T. de Jolimonl, 1842, communiquée par M. F. Bouc-
quel, à Rouen.
y rien découvrir, qu'on le verra trouver dans le sentiment même de sa
défaite l'idée d'une attaque nouvelle, où Jeanne, un instant, semble n'avoir
d'autre alternative que de se rendre à sa merci ou de succomber sous ses coups.
Les révélations de Jeanne étaient-elles feintes ou réelles? Pour l'éprouver,
rien ne semblait plus sûr que de connaître quel signe elle en avait donné au
JEANNE d'arc. 111. — ^4
266 JEANNE D'ARC.
roi. Elle avait d'abord refusé net d'en rien ré\éler. Elle n'en avait rien
voulu dire que le temps, le lieu, toutes choses accessoires. C'était donc le
point où il convenait surtout de la presser. Lorsqu'on lui en parla : — « Il
est, dit-elle, beau et honoré; il est bien croyable et bon, et le plus riche qui
soit au monde.
• — Où est-il? — Au trésor du roi.
— Est-ce or, argent , pierre précieuse ou couronne ? — Je ne vous en dirai
autre chose. Et ne saurait-on deviser aussi riche chose comme est le signe.
Toutefois, le signe qu'il vous faut, c'est que Dieu me délivre de vos mains;
c'est le plus certain qu'il vous sache envoyer. »
Elle raconta ensuite comment c'était sur la foi de ce signe qu'elle était
venue trouver le roi. Ses voix lui avaient dit : i< Va hardiment; quand tu
seras devers le roi , il aura bon signe de te recevoir et croire. » Et répondant
ensuite à diverses questions qui ne sont pas toutes exprimées, mais que
suppose le manque de liaison de ses réponses dans la suite du procès-ver-
bal, elle dit que ce signe l'avait délivrée de la peine que lui faisaient les
clercs chargés d'arguer contre elle. Elle en avait remercié Dieu et s'était
agenouillée plusieurs fois. C'est un ange envoyé de Dieu et non d'aucun
autre qui l'avait donné au roi. Le roi le vit et ceux qui étaient avec lui; et
quand elle se fut retirée dans une petite chapelle au voisinage, elle ou'it
dire qu'après son départ plus de trois cents personnes le virent encore :
Dieu l'ayant ainsi permis pour qu'on cessât de l'interroger. Comme on lui
demandait si son roi et elle-même n'avaient pas fait de révérence à Fange
quand il apporta le signe, elle neditrien du roi, mais répondit que, pour elle,
elle avait fait révérence, qu'elle s'était agenouillée et avait ôté son chaperon.
Ces réponses, assez précises en apparence sur un point où elle avait
déclaré qu'elle ne voulait pas et qu'elle ne pouvait pas dire la vérité, encou-
rageaient par leur demi-clarté les investigations du juge, et lui laissaient
l'espoir d'arriver à une entière révélation. Il se promit bien de n'en pas
rester là. Il y revint dès la séance suivante. Il lui demanda si l'ange qui
avait apporté le signe au roi ne lui avait point parlé : — « Oui, dit-elle, il
lui a dit qu'on me mît en besogne et que le pays serait tôt allégé.
— Est-ce le même ange qui vous est premièrement apparu? — C'est
toujours tout un, et jamais il ne m'a failli. -
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 267
Cette parole fit dévier le juge de la question. Mais il la reprit le lende-
main avec plus d'insistance. Elle répondit : c< Seriez-vous content que je me
parjurasse?
— Est-ce que, lui dit le même inquisiteur, vous avez promis à sainte
Catherine de ne point dire ce signe? — • J'ai juré et j'ai promis de ne point
dire ce signe, et je l'ai fait de moi-même, parce qu'on me chargeait trop de
le dire. » Et elle ajouta : «Je promets que je n'en parlerai plus à personne. »
Tout ce qu'elle en voulut dire, c'est que l'ange avait certifié au roi, en lui appor-
tant la couronne, qu'il aurait tout le royaume de France avec l'aide de Dieu et
le labeur de la Pucelle; ajoutant qu'il la mît en besogne, c'est-à-dire qu'il lui
donnât des gens d'armes : autrement, il ne serait sitôt couronné et sacré.
On lui demanda comment l'ange avait apporté la couronne au roi, s'il la
lui mit sur la tête. Elle répondit, mêlant à dessein la promesse et la cérémo-
nie du sacre, la scène deChinon et celle de Reims : « Elle fut donnée à un
archevêque, à Tarchevêque de Reims, comme il me semble, en la présence
du roi. L'archevêque la reçut et la donna au roi, et j'étais présente; et la
couronne fut mise au trésor du roi.
— En quel lieu fut-elle apportée? — En la chambre du roi, au château
de Chinon.
— L'ange qui l'apporta venait-il de haut, ou s'il venait par terre? — Il
venait de haut. » Et elle déclara qu'elle l'entendait ainsi, en ce qu'il venait
par le commandement de Notre-Seigneur : déclaration gardée par la minute
française et supprimée dans la rédaction latine du procès.
Elle parlait d'un ange, et c'est à elle qu'elle pensait dans tout ce discours.
Les juges, prenant ses paroles à la lettre, insistaient de mille manières, et
elle se dérobait à leur curiosité sous le voile de son allégorie.
« En quel lieu l'ange vous a-t-il apparu?
— J'étais presque toujours en prière, afin que Dieu envo3'àt le signe du
roi. J'étais à mon logis, chez une bonne femme, près du château deChinon,
quand il vint. Et puis, nous nous en allâmes ensemble vers le roi. Et il était
bien accompagné d'autres anges que chacun ne voyait pas. » Et elle ajouta
que plusieurs virent l'ange (connurent sa céleste mission), qui ne l'eussent
pas vu si ce n'était pour l'amour d'elle et pour la mettre hors de peine des
gens qui l'arguaient.
JEANNE D'ARC.
« Tous ceux qui étaient là avec le roi ont-ils vu l'ange?
— Je pense que Farchevèque de Reims, les seigneurs d'Alençon et de
la Trémouille et Charles de Bourbon l'ont vu-, pour ce qui est de la cou-
ronne, plusieurs gens d'Eglise et autres la virent, qui ne \'irent pas Fange.
— • De quelle figure et de quelle grandeur était Fange?
— Je n'ai point congé de le dire, je répondrai demain. »
Les juges la retinrent sur ce chapitre où elle semblait s'abandonner. Ils lui
demandèrent si ceux qui étaient dans la compagnie de Fange étaient tous de
même ligure : « Ils s'entre-ressemblaient volontiers pour plusieurs, et les
autres non , en la manière que je les voyais : les uns avaient des ailes, d'au-
tres des couronnes. » Elle ajouta que sainte Catherine et sainte Marguerite
étaient en leur compagnie, et qu'elles furent avec l'ange désigné et les autres
anges jusque dans la chambre du roi : que l'ange l'avait quittée dans la petite
chapelle où il s'était montré à elle; qu'elle en fut bien courroucée et pleu-
rait, et qu'elle s'en fut volontiers allée avec lui.
« Est-ce par votre mérite que Dieu a envo3-é son ange? — Il venait pour
grandes choses. Ce fut en espérance que le roi crijt le signe et qu'on cessât
de m'arguer, pour donner secours aux bonnes gens d'Orléans, et aussi pour
le mérite du roi et du bon duc d'Orléans.
— Et pourquoi vous, plutôt qu'un autre? — Il plut à Dieu ainsi faire par
une simple pucelle, pour rebouter les adversaires du roi.
— Vous a-t-il été dit où l'ange avait pris cette couronne? — Elle a été
apportée de par Dieu, et il n'y a orfèvre au monde qui la siJt faire si belle
ou si riche. Où il la prit, je m'en rapporte à Dieu , et ne sais point autre-
ment où elle fut prise.
— Avait-elle bonne odeur, était-elle reluisante? — Je n'en ai point mé-
moire-, je m'en aviserai. » Et elle ajouta aussitôt : " Elle sent bon et elle
sentira, pourvu qu'elle soit bien gardée, ainsi qu'il appartient.
— L'ange vous a-t-il écrit des lettres? — Non.
— Quel signe eurent le roi, les gens qui étaient avec lui et vous-même,
pour croire que c'était un ange? — Le roi le crut par l'enseignement des
gens d'Eglise qui étaient là , et par le signe de la couronne.
— Et les gens d'Eglise? — Par leur science et parce qu'ils étaient clercs. >>
Les gens d'Église qu'elle avait de\'ant elle n'en demeuraient pas aussi
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 269
convaincus; mais s'ils ne devinaient pas Tallégorie dont Jeanne usait en
cette rencontre, c'est qu'en général, dans le récit de ses visions, ils recher-
chaient tout autre chose qu'une feinte.
On reprit donc toute cette matière.
Jeanne avait dit qu'en ses grandes affaires, quelque chose qu'elle fît, ses
voi.x l'avaient toujours secourue : « Et, disait-elle, allant hardiment au-
devant de la secrète pensée du juge, c'est un signe que ce soient bons esprits.
— N'avez-vouspas, dit le juge, d'autres signes que ce soient bons esprits?
— Saint Michel me Ta certifié avant que les voix ma vinssent.
— Et comment avez- vous connu saint ^Michel? — Par le parler et le lan-
gage des anges.
— Si l'ennemi se mettait en forme d'ange, comment connaîtriez vous que
ce fût bon ange ou mauvais ange? — Je connaîtrais bien si c'était saint
Michel ou une chose contrefaite à son image. » Elle avoua d'ailleurs qu'à la
première fois elle fit grand doute si c'était saint Michel, et qu'elle eut grand'-
pcur, et qu'elle le vit mainte fois avant de savoir si c'était lui.
« Pourquoi, cette dernière fois le conniàtes-vous plutôt que la première ?
— La première fois j'étais jeune enfant, et j'eus peur; mais depuis il m'en-
seigna et me montra tant de choses, que je crus fermement que c'é-
tait lui.
— Quelle doctrine vous enseigna-t-il ? — Sur toutes choses il me disait
que je fusse bonne enfant, et que Dieu m'aiderait. Il me disait encore, cnu"e
autres choses, que je vinsse au secours du roi de F'rance. Et la plus grande
partie de ce que l'ange m'enseigna est dans ce livre (elle parlait peut-être du
livre de ses interrogatoires à Poitiers), et l'ange me racontait la pitié qui
était au ro\'aume de France. »
Les juges ne tentèrent pas d'en savoir davantage sur ce point; ils aimè-
rent mieu.v l'interroger sur la grandeur et la stature de l'ange. Elle les
ajourna à la séance suivante. Et quand alors ils lui demandèrent en quelle
forme et espèce, grandeur et habit lui avait apparu saint Michel, elle répon-
dit : '< Il était en la forme d'un très-vrai prud'homme; et de l'habit et autre
chose je n'en dirai pas davantage. Quant aux anges, je les ai vus de mes
yeux, et on n'en aura rien de plus de moi.
— Ne savez-vous point que sainte Catherine et sainte Marguerite haïssent
270 JEANNE D'ARC.
les Anglais? — Elles aiment ce que Notre-Seigneur aime, et haïssent ce que
Dieu hait.
— Dieu hait-il les Anglais? — De Tamour ou de la haine que Dieu a aux
Anglais, je ne sais rien; mais je sais bien, dit-elle hardiment, qu'ils seront
boutés hors de France, excepté ceux qui y mourront, et que Dieu enverra
victoire aux Français contre les Anglais.
— Dieu était-il pour les Anglais quand ils étaient en prospérité en France?
— Je ne sais si Dieu haïssait les Français, mais je crois qu'il voulait per-
mettre de les laisser battre pour leurs péchés, s'ils y étaient. »
Des voix si peu favorables aux Anglais ne pouvaient pas être fort bien
famées auprès des juges. On demanda à Jeanne, si, quand elles venaient,
elle leur faisait révérence, absolument comme à un saint ou à une sainte : —
« Oui, dit-elle, et si parfois je ne l'ai fait, je leur en ai crié pardon et merci;
et je ne leur sais faire de si grande révérence comme il leur appartient : car
je crois fermement que ce sont sainte Catherine, sainte Marguerite et saint
Michel.
— N'ave/.-vous point fait à ces saints et saintes qui viennent à vous obla-
tion de chandelles ardentes ou d'autres choses, à l'église ou ailleurs, comme
on fait volontiers aux saints du Paradis? — Non, si ce n'est en faisant
offrande à la messe en la main du prêtre et en l'honneur de sainte Cathe-
rine; et je n'en ai point tant allumé comme je ferais volontiers à sainte
Catherine et à sainte Marguerite, qui sont en paradis : car je crois fermement
que ce sont elles qui viennent à moi.
— Quand vous mites ces chandelles devant l'image de sainte Catherine,
les mites-vous en l'honneur de celle qui vous est apparue? — Je le fais en
l'honneur de Dieu, de Notre-Dame et de sainte Catherine, qui est au ciel,
et ne fais point de différence de sainte Catherine qui est au ciel et de celle
qui se montre à moi.
— Les mites-vous en l'honneur de celle qui s'est montrée à vous? >' dit le
juge, insistant dans une intention que l'on devine. — '^ Oui, car je ne mets
point de différence entre celle qui se montre à moi et celle qui est au ciel. »
A propos de l'un de ses anneaux, qui portait les noms Jésus, Maria,
comme on lui avait demandé pourquoi elle le regardait volontiers allant à
la guerre, elle avait répondu ; «. Par plaisance et pour l'honneur de mon
ROUKN. — L'INSTRUCTION.
père et de ma mère, et parce qu'ayant cet anneau en ma main, j'ai touche
sainte Catherine.
— En quelle partie ave/.-vous touché sainte Catherine? s'écria le juge
avec empressement. — \"ous n'en aurez chose.
— N'avez- vous jamais baisé ou accolé .^embrassé sainte Catherine ou
sainte Marguerite? — Je les ai accolées toutes les deux.
— Fleiiraieiit-cWes bon? — Il est bon à savoir qu'elles sentaient bon.
— En les accolant ne sentiez-vous point de chaleur ou autre chose? — Je
ne les pouvais point accoler sans les sentir et toucher.
— Ne leur avez-vous point donné de guirlandes ou de couronnes? — En
l'honneur d'elles, j'en ai plusieurs fois donné à leurs images dans les églises;
quant à celles qui se montrent à moi, je ne leur en ai point baillé, que j'en
aie mémoire.
— Quand vous mettiez des guirlandes à l'arbre, les mettiez-vous en
l'honneur de celles qui vous apparaissaient? — Non.
— Quand ces saintes venaient à vous, ne leur faisiez-vous pas révérence,
comme de vous agenouiller et incliner? — Oui, et le plus que je pouvais
leur faire de révérence, je le faisais, car je sais que ce sont bien celles qui
sont au royaume du paradis. »
Le juge avait les déclarations qu'il voulait. Les voix de Jeanne étaient des
êtres véritables : elle les avait honorées comme des saints; mais, si c'étaient
de mauvais esprits, Jeanne se trouvait par là atteinte et convaincue d'ido-
lâtrie. Il ne s'agissait donc que de faire voir qu'ils procédaient du démon :
c'est ce qu'on avait voulu déjà établir par maintes questions dans l'interro-
gatoire public, et c'est encore le principal objet qu'on a en vue dans ce nou-
vel interrogatoire.
Une chose déjà rendait suspectes les voix de Jeanne : c'est qu'elle avait eu
si longtemps commerce avec elles, sans en rien dire à personne. Il lui était
arrivé de les mentionner à propos des incidents de son enfance, et on lui
avait demandé si elle en avait parlé à son curé ou à quelque autre homme
d'Église; elle répondit : ■< Non, mais seulement à Robert de Baudricourt et
au roi. « L'aveu dut paraître grave, car on lit en marge du procès-verbal :
«. Elle a celé ses visions à son père, à sa mère et à tout le monde. >■ Mais,
si ses voix étaient de Satan, elles devaient se trahir, dans les œuvres de
JEANNE D'ARC.
Jeanne, par ce qui est de Satan : la révolte, l'orgueil, la vanité, l'impudicité,
le mensonge; elles devaient se manifester à la tin par l'impuissance et par le
désespoir. Le juge va rechercher tous ces signes dans Tinspiration et dans
les actes de la Pucelle.
Il crut en trouver la marque à l'origine même de sa mission. Elle était
partie sans la permission de ses parents. Il lui demanda si elle pensait bien
faire de partir sans le congé de ses parents, puisqu'on doit honorer père
et mère : — « En toute autre chose, répondit-elle, je leur ai bien obéi, excepté
de ce partement; mais depuis, je leur en ai écrit, et ils m'ont pardonné. >>
Elle leur a demandé pardon : elle se jugeait donc coupable? On lui
demanda si, en quittant son père et sa mère, elle ne croyait point pécher:
— '( Puisque Dieu le commandait, il le convenait faire. Quand j'aurais eu
cent pères et cent mères, et que j'eusse été fille de roi, je serais partie.
— • N'avez- vous pas demandé à vos voix si vous deviez en parler à votre
père et à votre mère? — Pour ce qui est de mon père et de ma mère, les
voix étaient assez contentes que je leur disse, n'était la peine qu'ils m'eussent
faite si je leur avais dit mon départ; et, quant à moi, je ne le leur eusse dit
pour chose quelconque. »
On aurait voulu mettre ses voix elles-mêmes en contradiction avec le sou-
verain commandement d'honorer père et mère; mais elle persista à dire
que ses voix l'avaient laissée libre de leur en parler ou de s'en taire.
La révolte contre l'autorité légitime a son principe dans l'orgueil, et l'or-
gueil p:;ut aller jusqu'à rechercher" des adorations sacrilèges. Le juge
demanda à Jeanne si les voix ne l'avaient point appelée fille de Dieu. Elle
répondit en toute simplicité qu'avant la levée du siège d'Orléans, et depuis,
tous les jours, quand les voix lui parlent, elles l'ont plusieurs fois appelée :
'c Jeanne la Pucelle, fille de Dieu. »
Autres signes ou matière d'orgueil : son étendard, ses armoiries, ses
richesses. On lui demanda ce que signifiait sur son étendard l'image de Dieu
tenant le monde, avec deux anges à ses côtés : — ■ « Sainte Catherine et sainte
Marguerite, répondit-elle, me dirent de prendre et porter hardiment cet
étendard, et d"y faire mettre en peinture le Roi du ciel. Et je l'ai dit au roi
bien malgré moi. Quant à la signification, je n'en sais autre chose. »
Sur ses armoiries, elle dit qu'elle n'en avait jamais eu; « mais le roi.
ROUEN. - L'INSTRUCTION. 273
dit-elle, en a donné à mes frères : c'est à savoir un écu d'azur avec deux
fleurs de lis d'or et une épée parmi •, et ce leur fut donné par le roi à leur
plaisance, sans requête de moi et sans révélation. «
On lui demanda encore quel cheval elle avait quand elle fut prise; qui le
lui avait donné ; si elle tenait du roi quelque autre richesse : — « Je n'ai rien
demandé au roi, si ce n'est bonnes armes, bons chevaux, et de l'argent à
payer les gens de mon hôtel.
— N'aviez-vous point de trésor? — Dix à douze mille (écus?' que j'ai vail-
lants; ce n'est pas grand trésor à mener la guerre. » Elle ajouta que ses
frères en avaient le dépôt, et que c'était de l'argent du roi.
On revint à plusieurs reprises sur cette matière. Son étendard, son épée,
ses anneaux, n'étaient vus des juges qu'avec une défiance extrême. Les actes
mêmes où respirait sa piété, sentaient pour eux la supersdtion et la magie.
Les noms de Jésus et de Marie, qu'elle mettait dans ses lettres, leur étaient
suspects. On lui demanda quelles armes elle avait offertes à saint Denis :
— « Un blanc harnois, avec une épée que j'avais gagnée devant Paris.
— A quelle fin cette offrande ? — • Par dévotion, ainsi qu'il est acoutumé
par les gens de guerre quand ils sont blessés; et, parce que j'avais été bles-
sée devant Paris, je les offris à saint Denis, pour ce que c'est le cri de
France.
— N'était-ce pas pour qu'on les adorât? — Non.
— Qui vous mut de faire peindre des anges avec bras, pieds, jambes,
vêtements? — Vous y êtes répondus.
— Les avez-vous fait peindre tels qu'ils viennent à vous? — Je les ai fait
peindre en la manière qu'ils sont peints dans les églises.
— Les vîtes- vous jamais en la manière qu'ils furent peints? — Je ne vous
en dirai autre chose.
— Pourquoi n'y fîtes-vous peindre la clarté qui venait à vous, avec les
anges et les voix? — Il ne me fut point commandé. »
On la ramena au même sujet à la reprise de la séance. On lui demanda si
les deux anges qui étaient peints sur l'étendard représentaient saint Michel
et saint Gabriel : — « Ils n'y étaient que pour l'honneur de Notre-Seigneur
qui était peint en l'étendard, tenant le monde, et j'ai tout fait par le com-
mandement de mes voix.
JEANNt: d'arc. III. — 35
274 JEANNE D'ARC.
— Ne leur avez-vous pas demandé si, en vertu de cet étendard, vous
gagneriez toutes les batailles où vous iriez? — Elles me dirent que je prisse
hardiment Tétendard, et que Dieu m'aiderait.
— Qui aidait plus, vous à l'étendard, ou l'étendard à vous? — Delà vic-
toire de l'étendard ou de moi, c'était tout à Notre-Seigneur.
— .Mais l'espérance d'avoir victoire était-elle fondée en votre étendard ou
en vous? — • Elle était fondée en Notre-Seigneur, et non ailleurs.
— Si un autre que vous l'eût porté, eût-il eu aussi bonne fortune? — Je
n'en sais rien ; Je m'en attends à Notre-Seigneur.
— • Si un des gens de votre parti vous eût baillé son étendard cà porter,
eussiez-vous eu aussi bonne espérance comme en celui qui vous était donné
de Dieu, ou en celui de votre roi? — Je portais plus volontiers celui qui
m'était ordonné par Notre-Seigneur, et toutefois du tout je m'en attends à
Notre-Seigneur.
— ■ Ne fit-on point flotter ou tourner votre étendard autour de la tète du
roi, comme on le sacrait à Reims? — • Non, que je sache.
— Pourquoi fut-il plutôt porté au sacre, en l'église de Reims, que ceux
des autres capitaines? — 11 avait été à la peine, c'était bien raison qu'il fût
à l'honneur. »
La marque où l'on croyait voir le plus sûrement l'esprit diabolique, c'est
l'impudicité. Mais Jeanne était vierge, et les juges ne le savaient que trop.
Rien ne les embarrasse plus que ce point. Ils voudraient croire qu'elle a
voué sa virginité au diable. On lui demanda si elle parlait à Dieu quand
elle lui promit de la garder : — « Il devait bien suffire, dit-elle, de la pro-
mettre à ceux qui étaient envoyés de par lui, c'est à savoir sainte Catherine
et sainte Marguerite. »
On affecta de croire qu'elle avait voulu rompre son vœu en promettant
mariage à un jeune homme, en le voulant épouser, en l'assignant sur son
refus à comparaître devant l'otiicialité de Toul. C'est Jeanne, on se le rap-
pelle, qui avait au contraire repoussé cette étrange poursuite-, elle le raconta
à ce propos, et ajouta que ses voix l'avaient assurée qu'elle gagnerait son
procès.
Mais du moins, elle portait l'habit d'homme. On lui demanda si elle
l'avait pris à la requête de Robert de Baudricourt ou au commandenient de
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 275
.ses voix^ si en le prenant elle pensait mal faire : — « Non, dit-elle, et encore
à présent, si j'étais en cet habit d'homme avec ceux de mon parti, il me
semble que ce serait un des grands biens de la France que je fisse comme je
faisais avant d'être prise. «
Elle se rapportait d'ailleurs au commandement de Dieu : « Puisque
je l'ai fait par commandement de Notre-Seigneur, et en son service, je ne
cuide point mal faire; et quand il lui plaira de commander, il sera tantôt
mis là. Il
Ou crut avoir une manière sûre de prouver que Dieu ne lui avait pas
commandé de le prendre, en mettant son obstination à le garder en opposi-
tion avec un autre commandement de Dieu. On lui demanda ce qu'elle
aimerait le mieux, prendre habit de femme et entendre la messe, ou
demeurer en habit d'homme et ne point entendre la messe : — « Certifiez-
moi, dit-elle, que j'entendrai la messe si je suis en habit de femme, et je
vous répondrai.
— Je vous le certifie, dit le juge. — Et que dire/.-vous, reprit-elle, si j'ai
juré et promis à notre roi de ne point quitter cet habit? Toutefois je vous
réponds : Faites-moi faire une robe longue jusques à terre, sans queue, et
me la baillez pour aller à la messe, et puis, au retour, je reprendrai l'habit
que j'ai. >- Et elle requérait en l'honneur de Dieu et de Notre-Dame qu'elle
pût ouïr la messe dans cette bonne ville.
Mais comme on insistait pour qu'elle prit l'habit de femme simplement et
absolument :
« Baillez-moi, dit-elle, un habit comme en ont les filles de bourgeois,
c'est à savoir une houppelande longue, et je le prendrai, et même le cha-
peron de femme pour aller entendre la messe; » marquant bien qu'elle ne
le prendrait que pour cela, et demandant encore avec instance qu'on lui lais-
sât l'habit qu'elle portait, et qu'on lui permit d'entendre la messe sans le
changer.
Si le juge avait voulu comprendre pourquoi elle tenait tant à l'habit
d'homme il y en aurait eu plus d'une occasion dans le cours de ce débat. A
la séance suivante, comme il revenait sur l'habit de femme et sur la messe,
elle refusa, mais elle dit :
i' Si ainsi est qu'il me faille mener jusque en jugement, qu'il me faille
276 JEANNE D'ARC.
dévêtir en jugement, je demande aux seigneurs de TÉglise qu'ils me donnent
la grâce d'avoir une chemise de femme et un couvre-chef en ma tête. ^
Le juge crut la prendre en contradiction. « \'ous avez dit que vous por-
tiez rhabit d'homme par le commandement de Dieu : pourquoi demandez-
vous chemise de femme en article de mort? — Il suffit qu'elle soit longue. «
Le juge, déconcerté, se rejeta sur une tout autre question ; mais il revint
bientôt à l'habit. N'avait-elle pas dit qu'elle prendrait l'habit de femme,
pourvu qu'on la laissât aller, s'il plaisait à Dieu? Jeanne redressa sa
réponse, et lui donna un autre moyen d'entendre pourquoi elle ne renonçait
point à cet habit qui était sa sauvegarde, non-seulement dans la prison, mais
encore à la guerre, et comme la marque de sa mission : « Si on me donne
congé en habit de femme, dit-elle, je me mettrai tantôt en habit d'homme,
et ferai ce qui m'est commandé par Notre-Seigneur. Je l'ai autrefois ainsi
répondu, et ne ferai pour rien le serment de ne m'armer et mettre en habit
d'homme pour faire le plaisir de Notre-Seigneur.
— Quel garant et quel secours attendez-vous de Notre-Seigneur, de ce
que vous portez habit d'homme? — Tant de l'habit que d'autres choses que
j'ai faites, je n'en ai voulu avoir d'autre loyer que le salut de mon àme. »
C'était peu que de lui reprocher de porter l'habit du soldat-, on aurait
voulu montrer qu'elle en avait pris les mœurs, l'assurer, la convaincre de
jurements, de cruautés, de rapines. Elle nia tout jurement; pour le reste,
on ne trouvait à lui objecter que la haquenée de l'évêque de Senlis, qu'elle
avait prise pour de l'argent et fait rendre au prélat, et la mort de Franquet
d'Arras, meurtrier, larron et traître, pour qui au contraire elle avait inter-
cédé et qu'elle n'avait pu sauver de la justice.
Mais si l'esprit malin ne se manifestait point dans ses actes, ne se trahis-
sait-il pas au moins dans ses prédictions et dans ses échecs? Elle avait
échoué à Paris, à la Charité, à Pont-l'Évêque; elle avait dit qu'elle avait à
délivrer le duc d'Orléans, et elle avait été prise elle-même à Compiègne. —
Pour tous ces lieux, elle répondit qu'elle n'y était point allée par le conseil
de ses voix, mais à la requête de gens d'armes, comme elle l'avait déjà
déclaré. Depuis qu'elle avait eu révélation à Melun qu'elle serait prise, elle
se rapportait surtout du fait de la guerre aux capitaines, sans leur dire
toutefois qu'elle sût par révélation qu'elle dût être prise.
278 JEANNE D'ARC.
« Fut-ce bien fait, le jour de la Nativité de Notre-Dame, un jour de fête,
d'aller attaquer Paris? — C'est bien fait de garder les fêtes de Notre-Dame,
et en ma conscience il me semble que ce serait bien fait de garder les fêtes
de Notre-Dame depuis un bout jusqu'à l'autre.
— Ne pensez-vouspasavoir fait péché mortel en attaquant Paris ce jour-là?
— Non , et si je l'ai fait, c'est à Dieu d'en connaître, et en confession à Dieu
et au prêtre.
— N'avez-vous point dit devant Paris : « Rendez la ville de par Jésus? »
— Non, mais j'ai dit : « Rendez la \ille au roi de France. »
Quant à la délivrance du duc d'Orléans, on fut curieux de savoir com-
ment elle l'aurait opérée : — « J'aurais pris en France assez d'Anglais pour
le ravoir, et si je n'en eusse assez pris de çà , j'aurais passé la mer pour
l'aller quérir en Angleterre à puissance (par la force). »
On lui demanda si sainte Marguerite et sainte Catherine le lui avaient dit
ainsi : — « Oui. Je l'ai dit à mon roi, et je lui ai demandé qu'il me laissât
faire des prisonniers. » Elle ajouta que, si elle avait duré trois ans sans
empêchement, elle l'eût délivré.
Mais elle-même était prisonnière. N'était-ce point assez pour qu'elle
reniât ses voi\ comme l'avant déçue? — « Sainte Catherme et sainte Mar-
guerite, dit-elle, m'ont dit que je serais prise avant qu'il fut la Saint-Jean ,
qu'il le fallait ainsi, que je ne m'en ébahisse point et prisse tout en gré, et
que Dieu m'aiderait. » Elle ajouta que ses voix le lui avaient souvent an-
noncé depuis son passage à Melun; qu'elle leur demandait de mourir quand
elle serait prise, sans long travail de prison; mais elles lui disaient toujours
qu'elle prît tout en gré, qu'il le fallait ainsi, sans lui faire connaître l'heure.
« Si les voix vous eussent commandé de faire la sortie, et signifié que
vous seriez prise, y seriez-vous allée? — Si j'avais su l'heure que je dusse
être prise, je n'y serais point allée volontiers-, toutefois, j'aurais fait leur
commandement quelque chose qui me dut advenir. »
Le juge revint à la question, la pressant de répondre précisément sur ce
point : « Si ses voix lui avaient commandé de sortir ce jour-là? » comme
s'il voulait au moins les rendre , de son propre aveu, complices de sa capti-
vité. Elle répondit que ce jour-là elle ne sut point qu'elle serait prise, et
qu'elle n'eut autre commandement de sortir.
ROUEN. - L'INSTRUCTION. 279
Il y avait pourtant, depuis sa captivité, une circonstance qui semblait
condamner infailliblement Jeanne ou ses voix, selon qu'elle leur avait obéi
ou qu'elle leur avait résisté : c'est l'affaire de Beaurevoir, lorsque Jeanne
avait sauté de la tour. Elle répéta qu'elle l'avait fait parce qu'on disait que
l'ennemi voulait tout tuer dans Compiègne, et parce qu'elle savait qu'elle
était vendue aux Anglais : « Et, dit-elle, j'eusse eu plus cher mourir que
d'être en la main des Anglais mes adversaires. « Elle ajouta qu'elle l'avait
fait non par le conseil, mais contre l'avis de ses voix, retraçant avec une
vivacité singulière le débat qu'elle avait eu, à ce propos, si longtemps avec
elles. Elle avouait qu'elle avait mal fait de sauter de la tour. Sainte Cathe-
rine, qui l'en avait détournée , lui avait dit, la chose faite, de s'en confesser
et de demander pardon à Dieu. Mais on voulait, malgré les explications si
nettes et si franches qu'elle en donnait, faire de cette imprudence un tout
autre crime. Elle avait dit qu'après sa chute « elle fut deux ou trois jours
qu'elle ne voulait manger; « nouvel argument pour le juge. Il est vrai que
le procès- verbal, qui le lui donne, le lui ôte lorsque aussitôt il ajoute : « Et
même aussi pour ce saut fut grevée tant qu'elle ne pouvait ni boire ni
manger. »
Ce n'était donc pas l'aveu qu'on voulait. On tenta d'en obtenir plus direc-
tement un autre. On lui demanda si en sautant de la tour elle n'avait pas
pensé se tuer : « Non , répondit-elle; en sautant je me recommandai à
Dieu, et je pensai, par le mo}'en de ce saut, échapper et éviter que je ne
fusse livrée aux Anglais. « Elle renouvela l'aveu qu'elle avait mal fait, ajou-
tant qu'elle s'en était confessée , comme sa voix lui en avait donné le conseil ,
et qu'elle avait eu pardon de Notre-Seigneur.
« En avez-vouseu grande pénitence? — J'en portai une grande partie du
mal que j'ai eu en tombant.
— Etait-ce péché mortel? — Je m'en attends à Notre-Seigneur. »
Ainsi Jeanne s'accusait d'une faute, mais d'une faute dont elle avait fait
pénitence et qui prouvait en faveur de ses voix , car ces voix l'en avaient
détournée : elles lui avaient commandé, comme l'eiJt pu faire l'évèque, de
s'en confesser, et, ce qu'elles seules pouvaient faire, elles l'avaient secourue
et gardée de la mort. Ses voix n étaient donc pas ce qu'on voulait croire, et
elle même apparaissait d'autant plus sainte qu'on l'éprouvait davantage.
JEANNE D'ARC.
Tous les fantômes de l'accusation se dissipaient à la lumière de cette âme
pure: au lieu des œuvres diaboliques, de Torgueil, de la vanité, de l'impu-
dicitc, de la violence, du blasphème, du désespoir et du mensonge, on
n'avait trouvé en elle qu'humilité, honnêteté, douceur, simplicité, confiance
en Dieu. Elle semblait ne pas soupçonner la malice de ses juges, tant elle
mettait de franchise, quand elle s'en croyait libre, à leur répondre, sans se
soucier si elle ne provoquait pas la perfidie de ses accusateurs ou les ressen-
timents de ses ennemis. A propos de sa tentative d'évasion de Beaulieu , elle
avait dit qu'elle ne fut jamais en aucun lieu prisonnière sans avoir la
volonté de s'échapper. « Et il me semble, ajoutait-elle, qu'il ne plaisait pas
à Dieu que je m'échappasse pour cette fois, et qu'il fallait que je visse le roi
des Anglais , comme les voix me l'ont dit. »
On lui demanda si elle avait congé de Dieu ou des voix de partir de
prison toutes les fois qu'il lui plairait : — « Je l'ai demandé plusieurs
fois, mais je ne l'ai pas encore.
— Partiriez-vous de présent si vous trouviez l'occasion de partir ? — Si je
vo\'ais la porte ouverte, je m'en irais, et ce me serait le congé de Notre-
Seigneur. Mais sans congé, je ne m'en irais, à moins que ce ne fût pour
faire une entreprise, afin de savoir si notre Sire en serait content. » Et elle
alléguait le proverbe : « Aide-toi, Dieu t'aidera, « ajoutant qu'elle le disait
afin que, si elle s'en allait, on ne dît pas qu'elle s'en fijt allée sans congé.
Sa prison ne lui était donc pas si odieuse, qu'elle n'aimât mieux y demeu-
rer que de manquer à la volonté de Dieu ou de paraître fausser sa foi.
C'est pourquoi, au risque de se la rendre plus dure encore, elle disait
haut par quels liens elle s'y croyait uniquement retenue. Sa délivrance lui
était chère pourtant, maiselle ne la séparait pasde la délibération de la F'rance
et du salut de son âme : c'étaient les trois choses qu'elle*demandaitenmême
temps à ses saintes. Elle songeait aussi au salut de ses persécuteurs. Elle
avait dit à l'évêque de Beauvais qu'il se mettait en grand danger en la met-
tant elle-même en cause. On voulut qu'elle s'expliquât sur ce point : « J'ai
dit à Mgr de Beauveais, reprit-elle : « Vous dites que vous êtes mon juge ; je
« ne sais si vous l'êtes, mais avisez bien que vous ne jugiez mal, car vous
« vous mettriez en grand danger-, et je vous en avertis afin que , si Notre-
« Seigneur vous en châtie, j'aie fait mon devoir de vous le dire. »
ROUEN. — L'INSTRUCTION.
281
— .Mais quel est ce péril ? » dit le juge.
Elle n'hésita point à s'ouvrir devant lui davantage, tant elle croyait la
force des hommes impuissante contre la volonté de Dieu. Elle déclara que
sainte Catherine lui avait dit qu'elle aurait secours. Comment? « Je ne sais,
disait-elle, si ce sera à être délivrée de la prison, ou si, lorsque je serai au
Fig. i32. — Sceau de Henri IV d'Angleterre, tiré d'un acte de 1430 conservé aux archives de France. Sols
un dais d'architecture, le roi est assis sur un trône dont les bras sont terminés par deux fleurs de lis natu-
relles, supportant deux écus couronnés ; à gauche, de France; à droite, d'Angleterre. Il tient le sceptre
de la main droite, et la main de justice de la main gauche, ses pieds portant sur deux lions. La lé-
gende latine signifie ; « Henri par la grâce de Dieu roi de France et d'.Angleterre. 'i
jugement, il y .surviendra aucun trouble par le moyen duquel je puisse être
délivrée. »
Le greffier, prenant acte de ses paroles, écrit en marge de sa minute :
« Au jugement il pourra y avoir trouble par quoi elle soit délivrée. »
« Je pense, continua Jeanne, sans y prendre garde autrement, que ce
sera l'une ou l'autre chose; ce que mes voix me disent le plus, c'est que je
282 JEANNE D'ARC.
serai délivrée par grande victoire, et elles ajoutent : « Prends tout en gré,
'< ne te chaille (soucie) de ton martyre, tu t'en viendras enfin au royaume
« de Paradis. » Pour cela, mes voix me l'ont dit simplement et absolument,
sans faillir. »
Son martyre! le paradis! Ses juges n'étaient-ils que des persécuteurs
devant lesquels elle confessait la foi? Jeanne l'entendait plus humblement
d'elle-même : son martyre, c'était la peine et l'adversité qu'elle souffrait en
la prison. « Et je ne sais, ajoutait-elle, si je souffrirai plus, mais je m'en
attends à Notre-Seigneur. »
Le juge lui voulut faire un piège même de ses paroles : il lui demanda si,
depuis que ses voix lui ont dit qu'elle ira à la fin au royaume du paradis,
elle se croyait assurée d'être sauvée et de ne pas être damnée en enfer.
Elle répondit : « Je crois fermement ce que mes voix m'ont dit, c'est à
savoir que je serai sauvée, aussi fermement que si j'y fusse déjà.
— Cette réponse est de grand poids, dit le juge. — Mais aussi je la tiens
pour un grand trésor.
— Croyez-vous donc, après cette révélation, que vous ne puissiez plus
faire péché mortel? — Je n'en sais rien, mais je m'en attends du tout à
Notre-Seigneur. « Elle dit pourtant à quelle condition elle espérait être
sauvée : c'est qu'elle tînt le serment qu'elle avait fait de bien garder sa vir-
ginité de corps et d'âme.
« Pense/.-vous, dit le juge cherchant toujours à ressaisir le préte.xte qui
lui échappait, pensez-vous qu'il soit besoin de vous confesser, puisque vous
croyez à la parole de vos voix que vous serez sauvée? — On ne saurait trop
nettoyer sa conscience. «
Toutes ces questions, toutes ces réponses n'avaient rien fourni de sérieux
contre la Pucelle. Il y avait des matières qu'elle avait réservées, où elle
avait déclaré elle-même qu'elle ne pourrait pas dire la vérité, parce que cette
vérité était le secret d'un autre : le signe du roi. A cet égard, pressée de
questions, elle avait fini par calquer ses réponses sur les demandes qu'on lui
adressait, prenant au sens allégorique l'idée grossière que s'en faisaient les
juges; et quand on aurait pu l'accuser de s'être trop complaisamment
arrêtée au développement de son allégorie, en se jouant de la curiosité
qu'elle ne voulait pas satisfaire, ce n'était pas un crime capital. Les juges.
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 283
d'ailleurs, lorsqu'ils s'attaquaient à ses visions, songeaient moins à y trouver
des fictions (le cas était véniel) que des voix réelles, révélant la source de
leur inspiration par leurs impostures. Mais tous leurs efforts pour amener
Jeanneà se faire leur complice en rejetant sur ses voix ses échecs ou ses fautes,
n'avaient point abouti. Ni dans l'affaire de Paris ou de la Charité, ni dans
l'affaire du saut de Beaurevoir, elle n'avait rien dit qui n'allât contre leur
but. Ses voix ne lui avaient rien commandé que de bon, rien révélé que
devrai; sa captivité même, elles la lui avaient prédite. Sur aucun point on
n'avait donc pu les prendre en défaut; sur aucun point on ne l'avait pu
incriminer elle-même. Une tentative d'évasion, un chevalier pillard aban-
donné à la vindicte de la justice, la haquenée de l'évèque de Senlis, un
mauvais cheval acheté fort cher et renvoyé dès qu'on le réclama, ce n'était
point là de quoi la faire réputer hérétique : elle ne l'était que dans son
habit. Toutefois, si le crime ici était patent, il était de telle sorte qu'on
sentait le besoin, pour la condamner, d'en avoir un autre à mettre à sa
charge. On commençait à en désespérer, lorsqu'on trouva dans la défiance
même de Jeanne à l'égard de ses juges un piège d'où il ne semblait pas
qu'elle put sortir.
C'est le commissaire Jean de la P'ontaine qui rit entrer le procès dans
cette voie. Mais à la perfidie et à l'habileté de la manœuvre on sent qu'une
autre main la dirige; et il parut en témoigner lui-même par les efforts qu'il
fit un peu plus tard pour tirer Jeanne du péril où il l'avait amenée.
Le jeudi i5, dès le début de la séance (nouveau signe de préméditation',
la question s'engage, mais paisiblement, sans éclat ni rien qui pût faire
ombrage à l'accusée. Le commissaire lui dit « avec des exhortations chari-
tables, » et comme pour en finir amiablement, que s'il se trouve qu'elle ait
fait quelque chose contre la foi, elle doit vouloir s'en rapporter à la déter-
mination de notre sainte mère l'Eglise. Jeanne, justement défiante, demanda
que ses réponses fussent vues et examinées par les clercs, et qu'on lui dît
s'il y avait en elles quelque chose contre la foi chrétienne : « Et alors,
dit-elle, je saurai bien dire par mon conseil ce qui en sera; » ajoutant
d'ailleurs que, s'il y avait rien contre la foi chrétienne, elle ne le voudrait
soutenir, et serait bien courroucée (fâchée) d'aller à l'encontre.
A ses juges elle opposait ses saintes. On lui expliqua la distinction de
284 JEANNE D'ARC.
rÉglise triomphante et de TÉglise militante, et on la requit de se soumettre
présentement à la détermination de l'Église pour « tout ce qu'elle avait
fait ou dit, bien ou mal. » Elle dit : « Je ne vous répondrai autre chose pour
le présent. »
On n'insista pas, et l'interrogatoire passa comme deplain-piedaux détails
ordinaires; mais on y revint un peu après, et on lui répéta la question :
« Voulez- vous vous soumettre et rapportera la détermination de l'Église? »
Elle répondit dans le même sens : u Toutes mes œuvres et mes faits sont
en la main de Dieu, et je m'en attends à lui, et je vous certifie que je
ne voudrais rien faire ou dire contre la foi chrétienne; si j'avais rien fait
ou dit qui fût, au jugement des clercs, contre la foi chrétienne, je ne le
voudrais soutenir, mais le bouterais hors. »
Ces protestations générales n'étaient pas ce que voulait le juge : il lui
fallait une déclaration nette et précise, et il lui demanda encore si elle ne s'en
voudrait point soumettre en l'ordonnance de FÉglise. Elle dit : « Je ne vous
en répondrai maintenant autre chose; mais samedi, envoj'ez-moi le clerc
si vous ne voulez venir, et je lui répondrai sur ce point à l'aide de Dieu,
et il sera mis en écrit. »
C'est ce qu'on entendait bien faire. Le samedi 17 mars, on lui posa
donc plus catégoriquement encore la question : « Voulait-elle s'en remettre
à la détermination de l'Église de tous ses dits et faits, soit de bien, soit de
mal? » Si elle disait oui, elle abandonnait sa mission elle-même à l'arbi-
traire de ses juges; si elle disait non, elle se rendait suspecte d'hérésie.
Jeanne ne se laissa pas prendre au piège; elle distingua entre les matières
de foi et l'objet de sa mission : « Quant à l'Église, dit-elle, je l'aime et la
voudrais soutenir de tout mon pouvoir pour notre foi chrétienne; ce n'est
pas moi qu'on doive empêcher d'aller à l'église et d'entendre la messe (le
mot d'Église rappelait surtout à cette simple lille le lieu où elle faisait ses
dévotions). Quant aux bonnes œuvres que j'ai faites et à ma venue, il faut
que je m'en attende au Roi du ciel, qui m'a envoyée à Charles, fils de
Charles, roi de France, qui sera roi de France. Et vous verrez, s'écria-t-elle,
que les Français gagneront bientôt une grande besogne que Dieu leur
enverra, tant qu'il branlera presque tout le royaume de France. Je le dis,
afin que, quand ce sera advenu, on ait mémoire que je l'ai dit. »
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 285
« Quand cela sera-t-il? dit le juge. — Je m'en attends à Notre-Seigneur. »
Le juge la rappela à sa question : Vous en rapportez-vous à la déter-
mination de l'Église? — Je m'en rapporte à Notre-Seigneur qui m"a
envoyée, à Notre-Dame et à tous les benoîts saints et saintes du paradis.
Il m'est avis que c'est tout un de Notre-Seigneur et de l'Église, et qu'on
n'en doit point faire de difficulté. Pourquoi, ajouta-t-elle, interpellant ses
juges, faites-vous difficulté que ce ne soit tout un? »
On lui redit la distinction de l'Église triomphante et de l'Église mili-
tante : « Il y a l'Église triomphante, où est Dieu, les saints, les anges et
lésâmes sauvées; l'Église militante, c'est notre saint-père le pape, vicaire
de Dieu, les cardinau.x, les prélats de l'Église , le clergé et tous les bons
chrétiens et catholiques, laquelle Église bien assemblée ne peut errer et est
gouvernée du Saint-Esprit. Ne voulez-vous pas vous en rapporter à l'Église
militante? — Je suis venue au roi de France de par Dieu, de par la Vierge
Marie et tous les benoîts saints et saintes du paradis et l'Église victorieuse
de là-haut, et de leur commandement; et à cette Église-là je soumets tous
mes bons faits et tout ce que j'ai fait ou à faire. Pour l'Église militante,
je n'en répondrai maintenant autre chose. »
C'était assez pour les juges qu'elle ne répondit pas. Mais il était un autre
point sur lequel on croyait pouvoir compter qu'elle ne répondrait pas davan-
tage. On n'y arriva pas sur-le-champ. On passa aux questions ordinaires,
l'habit d'homme, les fées, les visions, et on reprit de la même sorte la
séance di l'après-midi, que l'évèque de Beauvais vint présider lui-même
pour clore cette enquête. On lui demanda s'il lui avait été révélé qu'en
perdant sa virginité elle perdait son bonheur, si ses voix lui viendraient
encore après qu'elle serait mariée. On lui demanda même si elle pensait que
son roi fît bien de tuer ou de faire tuer le duc de Bourgogne. — « Ce fut
grand dommage pour le royaume de France, dit-elle, et, quelque chose
qu'il y eût entre eux, Dieu m'a envoyée au secours' du roi de France. »
Alors on lui dit : « \'ous avez dit à M''' de Beauvais que vous répondriez
à lui ou à ses commissaires comme vous feriez devant notre saint-père le
pape, et toutefois il y a plusieurs interrogatoires à quoi vous ne voulez
répondre. Ne répondriez-vous pas devant le pape plus pleinement que vous
ne faites devant M^' de Beauvais? — J'ai répondu tout le plus vrai que j'ai
JEANNE D'ARC.
su, et, s'il me venait à la mémoire quelque chose que je n'aie dite, je la
dirais volontiers.
— Voussemble-t-il que vous soyez tenue de répondre pleinement au pape,
vicaire de Dieu, sur tout ce qu'on vous demanderait touchant la foi et le fait
de votre conscience? — Menez-moi devant lui, et je répondrai tout ce que je
devrai répondre. »
La question tournait donc contre le juge; il n'avait introduit le nom du
pape que pour le faire récuser, et il n'avait fait que donner à Jeanne l'occa-
sion de le reconnaître et d'en appeler à lui.
Il était grand temps d'en fmir. Après quelques questions encore sur le
menu détail des superstitions où on l'eût voulu engager, sur ses anneaux,
sur ceux qui vont en l'erré {qui errant) avec les fées, et sur son étendard,
l'évèque la laissa enfin, assuré d'avoir dans ses procès-verbaux la matière
de son accusation.
I.ES TliMOINS.
C'est uniquement des procès-verbaux que nous avons tiré l'exposition
de ces débats, et nous avons pris leur texte comme faisant foi, sous cer-
taines réserves préalablement indiquées. Mais il y a tout un supplément
à cette enquête, supplément fourni par les greffiers, les assesseurs et autres
témoins qui, après avoir figuré au jugement de condamnation, ont com-
paru pour la réhabilitation de la Pucelle ; et il serait bien étrange d'écarter
les ténioignages du second procès comme suspects de faveur, pour s'en tenir
uniquement aux actes du premier, quand celui-ci porte si évidemment la
trace de la prévention et de la haine. C'est d'ailleurs par le texte même de ce
premier procès qu'on peut vérifier ce qui est dit au second des pièges tendus
à Jeanne, des difficultés proposées à son ignorance, de la continuité acca-
blante de l'épreuve, et de cette tactique habile qui entrecoupait les de-
mandes et changeait de matières, pour tacher de la faire varier dans ses
déclarations. Les juges entassaient questions sur questions, à peine com-
mençait-elle à répondre à l'un qu'un autre l'interrompait^ et plusieurs
fois elle dut leur dire . « Beaux seigneurs, faites l'un après l'autre. »
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 287
Les assesseurs cu.x-mcmes sortaient harassés de ces séances. Jeanne
avait bien le droit d'en être aussi fatiguée; elle se plaignait qu'on la tour-
mentât de questions inutiles. Un jour même, au rapport du procès- verbal,
elle demanda que si on la devait mener à Paris, on lui donnât le double
de ses interrogatoires, « afin, dit-elle, que je le baille à ceux de Paris et leur
puisse dire : Voici comment j'ai été interrogée à Rouen et mes réponses,
et que je ne sois plus travaillée de tant de demandes. » Elle eut voulu
n'avoir plus à répondre, et pourtant c'était là son triomphe! Tous les
témoins en déposent, et la pâle copie où sa parole est reproduite suffit en-
core pour confirmer ce qu'ils en déclarent.
On peut donc les en croire quand ils disent que plus d'une fois les asses-
seurs eux-mêmes, que les gens les plus habiles, que de grands clercs
auraient eu grand'peine à satisfaire aux questions dont elle se tirait ; on
peut les en croire quand ils vantent sa simplicité, son bon sens, sa présence
d'esprit, sa mémoire, et cette prudence dans ses réponses, et cette hardiesse
de langage qui témoignaient tout à la fois de la sûreté de son jugement et
de la droiture de son cœur. Ils n'approuvent pas tout dans ce qu'elle dit,
et c'est une marque de l'entière liberté de leur témoignage. Jean Lefebvre
trouve qu'elle insistait trop sur ses révélations; Isambard de la Pierre dit
que, quand elle parlait des affaires publiques et de la guerre, elle semblait
animée du Saint-Esprit; mais que, quand elle parlait de sa personne, elle
feignait beaucoup de choses. Malgré la terreur qui régnait dans l'assemblée,
des voix s'élevèrent pour protester contre l'esprit et les procédés de l'interro-
gatoire. Un jour, dit-on, Jean de Châtillon osa dire, comme autrefois Jean
Lefebvre dans la question de la grâce, qu'elle n'était pas tenue de répondre,
et, comme il se faisait un grand tumulte parmi les assistants, il ajouta : « Il
faut bien que je décharge ma conscience. » Mais l'évêque lui ordonna de
se taire et de laisser parler les juges. D'autres fois, quand Jeanne trompait
l'interrogateur par la précision de sa réplique, il y en eut qui s'écrièrent :
« \'ous dites bien, Jeanne. » Des gens que n'avaient pu convaincre les mer-
veilles de sa mission étaient vaincus par cette nouvelle preuve et commen-
çaient à la croire inspirée. Des Anglais même furent émus en l'entendant.
Un jour un docteur (Jacques de Touraine), qui voulait sans doute faire
preuve de zèle pour eux, au risque d'irriter leur ressentiment contre Jeanne,
288 JEANNE D'ARC.
lui demanda si elle avait jamais été en un lieu où des Anglais eussent été
tués : — « En nom Dieu, sy ai (j'y ai été :, dit-elle : comme vous parlez douce-
ment! Pourquoi ne voulaient-ils pas se retirer de France et retourner dans
leur pays? » Un des seigneurs anglais qui étaient là s'écria : « C'est vrai-
ment une bonne femme; si elle était Anglaise! »
Ce qui rendait plus vive encore rimpression des débats, c'est que Jeanne,
aux prises avec tant de docteurs, était seule à soutenir leur attaque. Pas
une main dont elle pût s'appu3'er, pas un seul de tous ces maîtres en droit
civil ou en droit canon qui fut près d'elle pour mettre en garde sa simplicité
contre le péril ou éclairer son ignorance. Au commencement elle avait,
selon Massieu, demandé qu'on lui donnât un conseil, et c'était de droit
strict pour une accusée mineure de vingt ans; mais on lui dit qu'elle n'en
aurait pas, qu'elle eut à répondre comme elle voudrait. Après ce refus elle ne
pouvait guère espérer que personne vînt s'otTrir à elle. Cependant l'humanité
ne perd jamais entièrement ses droits, et quelquefois, quand les questions
étaient trop difficiles, des assesseurs, par un mouvement naturel, prenaient
la parole pour la guider; mais ils en étaient durement repris, soit par l'évê-
que, soit par Jean Beaupère, chargé, comme on l'a vu, d'interroger pour
lui dans plusieurs des séances publiques. On les notait comme favorables;
or il en pouvait résulter autre chose que la réprimande de l'évèque : car
près de l'évèque il y avait au procès les Anglais, et ils faisaient qu'on ne
l'oubliât point. Parmi les assistants on comptait plusieurs dominicains,
entre autres Isambard de la Pierre, l'un des acolj'tes du vice-inquisiteur
Jean Lemaître, et qui ne paraît pas avoir vu de meilleur œil que lui toute la
conduite de cette affaire. Quand il venait avec le vice-inquisiteur aux inter-
rogatoires de la prison, il se plaçait volontiers à la table auprès de la
Pucalle, et ne manquait pas l'occasion de l'avertir en la poussant, ou par
quelque autre signe. On le remarqua, et un jour, comme il revenait au
château l'après-midi, pour admonester Jeanne avec Jean de la Fontaine,
commissaire de l'évèque, il rencontra Warwick, qui l'accueillit, l'insulte et
la menace à la bouche : « Pourquoi, lui disait-il dans sa fureur, pourquoi
souches-tu ; soutiens-tu j le matin cette méchante, en lui faisant tant de
signes? Par la mordieu, vilain, si je m'aperçois plus que tu mettes peine de
la délivrer et avertir de son profit, je te ferai jeter en Seine. »
ROUEN. — L'INSTRUCTION. 289
On aurait même voulu lui ravir dans cet isolement la consolation et la
force qu'elle cherchait dans sa foi. Pendant les interrogatoires publics,
quand Jeanne, conduite de sa prison dans la grande salle des séances,
passait devant la chapelle du château, elle demandait à l'huissier Massieu
si le corps de Jésus-Christ était là, et le requérait qu'il lui permît de s'ar-
rêter à la porte pour y faire sa prière. Le promoteur, l'ayant su, gourmanda
violemment l'huissier : « Truant, lui disait-il, qui te fait si hardi de laisser
approcher cette... excommuniée de l'Eglise, sans hcence? Je te ferai mettre
en telle tour que tu ne verras lune ni soleil d'ici à un mois, si tu le fais
plus. » Et comme l'huissier ne tenait pas trop rigoureusement compte de la
menace, le promoteur, guettant sa victime au passage, vint plusieurs fois
s'interposer entre elle et la porte de la chapelle, pour empêcher qu'elle n'j^
priât.
Jeanne était donc seule et sans conseil de la part des hommes; je me
trompe : elle eut des conseillers, mais pour la trahir et pour la perdre. Le
bruit public en signala plusieurs qui se chargèrent de cette mission infâme :
le greffier Boisguillaume nomme entre autres ce même promoteur, qu'on
trouve au premier rang dans tous les actes de violence ou de perfidie à l'égard
de Jeanne. Mais on s'accorde à donner le principal rôle dans cette machina-
tion à un chanoine de Rouen, nommé Nicolas Loyseleur. Avant même que
le procès commençât, Loyseleur avait été mis à l'œuvre auprès de Jeanne.
Il feignit d'être de sa province et de son parti, homme de métier, prisonnier
comme elle; et, trouvant moyen de lui plaire par les nouvelles qu'il lui
donnait du pays, il cherchait à tirer d'elle à son tour, dans les entretiens
qu'on savait leur ménager seul à seule, des confidences qui pussent donner
prise à l'accusation. L'évêque et Warwick, auteurs de la ruse, voulaient
même donner à ces infamies un caractère authentique : ils s'étaient placés
dans une chambre voisine d'où l'on pouvait, par une ouverture faite exprès,
entendre tout ce qui se dirait dans la prison, et ils y avaient amené les gref-
fiers pour recueillir cette conversation prétendue secrète. Mais les greffiers
refusèrent leur office, disant qu'il n'était pas honnête de commencer de la sorte
le procès. Le juge n'y perdit rien. Loyseleur, abusant de la confiance de
Jeanne, se chargeait de porter lui-même à l'évêque les paroles qu'il avait
recueillies-, et c'est par là, selon toute apparence, que l'information com-
JEANNE d'arc. UI. — '^"J
290
JEANNE D'ARC.
mença. Mais il n'eut pas seulement mission de surprendre ses secrets; il
était chargé de lui donner des conseils, d'égarer sa simplicité, de l'entraîner
et de l'affermir dans la voie où Ton comptait la perdre. Pour donner plus
d'expansion aux confidences de Jeanne , plus d'autorité à ses propres conseils ,
il avait repris l'habit de prêtre, et venait à elle en qualité non-seulement de
compatriote et de compagnon d'infortune, mais de confesseur.
Cette perfidie ne fut pas sans résultat. Loj'scleur ne tira de Jeanne aucune
confidence qui la pût compromettre, mais il lui donna des conseils qui pré-
parèrent l'œuvre de l'accusation. Dans cette question si complexe de la
soumission à l'Église, il ne put pas faire que Jeanne ne démêlât avec son
sens ordinaire la vérité, et ne distinguât clairement ce qu'elle devait à
l'Église universelle et au pape comme une simple tidèle, et ce qu'elle avait
le droit de refuser à l'évêque de Beauvais comme à son ennemi ; mais il
contribua peut-être à donner des apparences suspectes à ses justes défiances,
à lui faire ajouter des réserves équivoques à ses actes de soumission-, il fît
que la chose parut sulHsamment embrouillée pour que le juge, même après
l'épreuve si triomphante pour Jeanne de ses interrogatoires, soit publics,
soit privés, put encore se dire avec une joie homicide ce qu'il disait au com-
mencement à son greffier .Manchon : « Nous allons faire un beau procès. »
Fig, i33. — Poton de Xaintrailles, médaillon en bronze du xvi* siècle, communiqué par M. B. Fillon
il la Court de Saint-Cyr en Talmondais.
VIII
. la bibliothèque niitionalo.
ROUEN — LE JUGEMENT
L'Accusation. — Les Douze Articles. — Les Consultations et l'Admonition charitable.
La Deuxième Admonition.
L ACCUSATION. '
3^ u cours de l'instruction, un clerc de Nor-
mandie, de grand renom, maître Jean Lohier,
étant venu à Rouen, l'cvêque de Beauvais dé-
sira avoir son avis sur le procès commencé.
On lui communiqua les pièces, on lui donna
deu.x ou trois jours pour répondre : mais la
réponse trompa Tattente du juge. Lohier dé-
clara que le procès ne valait rien , parce qu'il
n'était point en forme de procès ordinaire,
qu'il était « traité en lieu clos et fermé, où
les assistants n'étoient point en pleine et pure
liberté de dire leur pleine et pure volonté; » parce que l'on y touchait à
l'honneur du roi de France sans l'appeler lui-même , ni personne qui le re-
présentât', enfin, parce que les articles n'avaient point été communiqués, et
qu'on n'avait donné à l'accusée, une simple jeune fille, aucun conseil pour
répondre en si grande matière à tant de maîtres et de docteurs. Pour toutes
ces causes, le procès lui semblait nul. L'évèque de Beauvais fut, comme
on l'imagine, furieu.\ du résultat de sa consultation. Il vint trouver les
JEANNE D'ARC.
maîtres et docteurs plus dociles : Jean Beaupère, Jacques de Touraine,
Nicole Midi, Pierre Maurice, Thomas de Courcelles, Loyseleur, et
leur dit : « Voilà Lohier qui nous veut bailler belles interlocutoires en
notre procès! Il veut tout calomnier, et dit qu'il ne vaut rien. Qui le
voudroit croire, il faudroit tout recommencer, et tout ce que nous
avons fait ne vaudroit rien. » Et passant en revue ses objections :
« On voit bien de quel pied il cloche, ajouta-t-il. Par saint Jean! nous
n'en ferons rien, ains ^mais) continuerons notre procès comme il est
commencé. « Le lendemain, le greffier Manchon, qui rapporte l'incident,
ayant rencontre Lohier dans l'église Notre-Dame, lui demanda à lui-même
ce qu'il pensait de Taflaire. « Vous vo\'ez, dit le docteur normand , la
manière comment ils procèdent. Ils la prendront, s'ils peuvent, par ses
paroles, c'est à savoir dans les assertions où elle dit : Je sais de certain
ce qui touche les apparitions \ mais si elle disoit : // me semble, pour ces
paroles : Je sais de certain, il m'est avis qu'il n'est homme qui la pût
condamner. Il semble qu'ils procèdent plus par haine que par autrement;
et pour cette cause je ne me tiendrai plus ici, car je n'y veux plus être. » Il
quitta Rouen , et il fit bien : on le voulait jeter à la rivière.
L'évêque poursuivit donc son œuvre. Dès le lendemain du jour où l'inter-
rogatoire avait fini, le dimanche i8 mars, il réunit dans sa maison le vice-
inquisiteur et dix ou douze des assesseurs que l'on a vus, et soumit à leur
examen quelques propositions extraites des réponses de Jeanne. Sur leur
avis, il fut arrêté que les extraits de ces réponses seraient réduits en articles
et communiqués aux docteurs, pour servir de base à leurs délibérations,
ou, le cas échéant, à des informations nouvelles (22 mars).
Avant d'y procéder, on voulut avoir l'aveu de Jeanne au procès-verbal
de ses interrogatoires. Jean de la Fontaine, commissaire de l'évêque, le
vice-inquisiteur et quelques autres vinrent donc, le samedi 24, lui donner
lecture de la minute française. Comme le greffier s'apprêtait à la lire, le
promoteur Jean d'Estivet s'engagea à en prouver la vérité, dans le cas où
Jeanne songerait à en récuser quelque chose. Jeanne promit de ne rien
ajouter à ses réponses qui ne fut vrai. Elle interrompit le lecteur à propos
de son nom, pour dire qu'on la nommait d'Arc, ou encore Romée, parce
que dans son pays les filles portaient le nom de leur mère. Elle l'invita
ROUEN. — LE JUGEMENT. zgS
à poursuivre la lecture, tenant pour vrai ce qu'elle ne contredirait pas, et
n'ajouta qu'une chose touchant son habit : <f Donnez-moi une robe de
femme pour aller à la maison de ma mère ,et je laprendrai ; » déclarant d'ail-
leurs qu'elle ne la prendrait que pour sortir de prison, et que, lorsqu'elle
serait hors de prison, elle demanderait conseil sur ce qu'elle devrait faire.
Cet habit, le seul crime qu'on eût trouvé en elle , et l'on a vu par quelle
impudeur, devait fournir à l'hypocrisie de ses juges l'occasion d'une belle
scène le lendemain.
C'était le dimanche des Rameaux. L'évêque, accompagné de plusieurs des
docteurs de Paris, Jean Beaupère, Nicole Midi, Pierre Maurice et Thomas
deCourcelles, vint trouver Jeanne dans sa prison. Il lui rappela que sou-
vent, et notamment la veille, elle l'avait prié , à cause de la solennité du
jour, de lui permettre d'entendre la messe, et lui demanda si elle voulait
bien pour cela quitter son habit d'homme et reprendre les vêtements de
femme, comme elle faisait dans son pays, et comme faisaient les femmes de
son pays. — Était-elle donc dans son pays, parmi les femmes de son pays ?
Si cela eût été sérieux, elle y avait déjà répondu, et l'on savait ses condi-
tions.— Elle répondit cette fois en demandant, avec lapermission d'enten-
dre la messe en habit d'homme, celle de communier à Pâques.
« Répondez à ma question, dit l'évèque :Quitterez-vous l'habit d'homme,
si je vous l'accorde? — Je ne suis point avisée, je ne puis prendre l'autre
habit.
— Vouiez- vous avoir le conseil de vos saintes? — On pourrait bien me
permettre d'entendre la messe dans cet état, comme je le désire vivement;
quant à l'habit, je ne puis le changer, cela n'est pas en mon pouvoir. » Et
comme les docteurs insistaient: « Il ne dépend pas de moi de le faire,
répliqua-t-elle •, si cela dépendait de moi, ce serait bientôt fait. »
On l'invita encore à consulter ses voix, afin de savoir si elle pouvait re-
prendre l'habit de femme pour communier à Pâques. Mais Jeanne répondit
que, pour ce qui était d'elle, elle n'irait pas communier en changeant son
habit contre un habit de femme \ elleajouta, pour que l'on accédâtau moins à
sa demande d'entendre la messe en habit d'homme, que cela ne chargeait
pas son âme, et que porter cet habit n'était pas contre l'Eglise. — Le pro-
moteur se fit donner acte de ces déclarations.
29V JEANNE D'ARC.
Tout ce qui s'était fait jusqu'à présent, les enquêtes, les interrogatoires ,
n'était que l'instruction du procès : le procès même se trouvait en état. Le
lundi 26 mars, l'évêque, réunissant chez luises conseillers ordinaires, leur
donnalecturedespropositionsqucle promoteurdevait soutenir. On approuva
les articles-, on les reçut comme base de l'accusation; on chargea le pro-
moteur de les défendre, soit par lui-même, soit par quelque « solennel »
avocat , et il fut décidé que si Jeanne refusait d'y répondre, elle en serait
réputée convaincue.
On remit au lendemain pour l'interroger et l'entendre sur ces propo-
sitions.
Le lendemain, en effet, une nombreuse assemblée de docteurs se tint,
sous la présidence de l'évêque, dans la chambre voisine de la grande salle
du château de Rouen. Jeanne comparut, et le promoteur présenta sa requête
et déposa l'acte d'accusation des 70 articles. Les docteurs délibérèrent. Ils
furent généralement d'avis que l'on commençât par lire les articles à Jeanne;
qu'elle fût contrainte de jurer de dire la vérité en ce qui touche le procès; et
qu'avant de la déclarer excommuniée on lui donnât quelque délai.
Alors l'évêque, s'adressant à Jeanne, lui représenta que les juges devant
lesquels elle comparaissait étaient des gens d'Église, qui voulaient pro-
céder envers elle en toute piété et mansuétude , ne cherchant point à la châ-
tier dans son corps, mais bien plutôt à l'instruire et à la ramener dans la
voie de la vérité et du salut. Et, conime elle n'était pas assez instruite pour
se consulter sur ce qu'elle devrait faire ou répondre, il l'invitait à se choisir,
à titre de conseil, un ou plusieurs des assistants, ou, si elle ne savait
choisir, à en recevoir de sa main (c'était sans grand péril donner satis-
faction à l'un des griefs de Lohier); après quoi il requit d'elle le serment
de dire la vérité sur toutes les choses qui toucheraient son fait.
Jeanne répondit : « Premièrement, de ce que vous m'admonestez tou-
chant mon bien et notre foi, je vous remercie et toute la compagnie aussi.
Quant au conseil que vous m'offrez, aussi je vous remercie -, mais je n'ai
point intention de me départir du conseil de Notre-Seigneur. Quant au
serment que vous voulez que je fasse, je suis prête de jurer dire la vérité
de tout ce qui touchera votre procès. » Et elle prêta serment sur les Evan-
giles.
"^sii SMjit frafrea- oftjinDtv Anriinncnsts-
in T)tf4. sva. t*a ; - , ,
|:u«iJ)ii'woujiijyysp:iqïSsydrs)JîWJi(^viXX]v???"çw<l''Ë'':>''3i''|'/'l'''^]*J^^
'■»"' "i-^i"»'
I JIM^.ii.iu.i.im.i nl'.m '
Fig. 134. — Thomas de Courcelles et son frère Jean, docteurs en the'ologie de l'université de Paris, dans
l'exercice de leurs fonctions. Ils sont entourés de leurs élèves. Près de chacun d'eux se tient un tnassUr,
espèce d'huissier ou appariteur. Pierre tombale du xV siècle, autrefois dans la chapelle Saint-Martin et
Sainte-.\nne, derrière le chœur de Notre-Dame de Paris; détruite pendant la révolution de 1793. D'après
Mn dessin à la plume communiqué par M. A. Lcnoir, à Paris. — Thomas de Courcelles, l'un des prin-
cipaux assesseurs de Cauchon et le rédacteur du procès sous sa forme latine, joua durant le procès un
rôle des plus actifs, ce qui lyi fît une situation difficile en 1456, lors de la réhabilitation de la Pucelle,
296 JEANNE D'ARC.
Thomas de Courcelles commença alors la lecture des articles contenus
dans l'acte d'accusation, lecture qui tint les deux séances du mardi et
du mercredi.
Jeanne dut subir pendant deux iours la lecture de ce réquisitoire. Elle
savait qu'elle avait des ennemis dans ses juges, et la suite de ses interroga-
toires lui avait suffisamment révélé leur esprit. Mais ces questions, si per-
fides qu'elles fussent, avaient au moins pour prétexte de chercher la vérité :
elle y avait répondu, et aucun démenti n'avait été donné à sa parole. Quel
ne dut pas être son étonnement, quand elle vit ce qu'elle devait croire acquis
au débat, remplacé par un tissu d'imputations calomnieuses et d'impos-
tures, et ses réponses transformées en nouveaux griefs par l'habileté de
l'interprétation? Elle soutint cette nouvelle épreuve avec son calme et sa
fermeté accoutumés. Le plus souvent elle se tait, elle renvoie à ce qu'elle a
dit, déclarant que, pour la conclusion, elle s'en attend à Notre-Seigneur-,
et les extraits de ses interrogatoires, ajoutés après chacun des articles dans
le procès-verbal, en sont plus d'une fois le démenti le plus complet. Mais
quelquefois pourtant elle reprend la parole, et sa réplique sillonne d'un
trait de lumière les ténèbres amassées par l'accusation.
Ainsi, dès l'article premier, quand le promoteur proclama le droit de
l'évèquc et de l'inquisiteur sur les hérétiques, elle proteste contre l'applica-
tion que le préambule en faisait assez clairement à sa personne, et elle éta-
blit nettement comment elle accordait ces deux faits qu'on prétendait
opposer l'un à l'autre : sa foi en l'Eglise et sa foi en ses révélations. « Je
crois bien, dit-elle, que notre saint-père le pape de Rome et les évcques et
autres gens d'Église sont pour garder la foi chrétienne et punir ceux qui
défaillent ; mais quanta moi, en ce qui touche mes faits, je ne me soumet-
trai qu'à l'Église du ciel, c'est à savoir à Dieu, à la vierge Marie et aux
saints et saintes du paradis; et je crois fermement que je n'ai point défailli
en notre foi chrétienne, et. je n'y voudrais défaillir. » (Art. i".)
Elle repoussa de même l'accusation d'idolâtrie rattachée aux hommages
qu'on lui rendait : « Si aucuns, dit-elle, ont baisé mes mains et mes vête-
ments, ce n'est point par moi ni de ma volonté, mais je m'en suis gardée
selon mon pouvoir. « (Art. 2.)
On avait rapporté ses prétendues erreurs à l'ignorance et aux supers-
ROUEN. — LE JUGEMENT. 297
titions où elle avait été nourrie, et on en trouvait une nouvelle preuve
dans cet aveu, qu'elle ne savait pas si les fées étaient de mauvais esprits :
— <f Les fées , répondit-elle , je ne sais ce que c'est , mais j'ai pris ma créance
et j'ai été enseignée bien et dùnient comme un bon enfant doit faire. » Et
comme on la requérait de dire son Credo, elle répondit : « Demandez au
confesseur à qui je l'ai dit. » (Art. 4. )
Elle n'ajouta rien à ses premières déclarations, impudemment travesties
dans l'exposé que l'accusateur faisait des temps de son enfance, et quand il
produisit pour la première fois cette scène aussi absurde qu'indécente et
sacrilège, où il la montre se vantant d'avoir un jour trois enfants, dont l'un
serait pape, l'autre empereur, l'autre roi, elle dit avec sa simplicité ordi-
naire, qu'elle ne s'était jamais vantée d'avoir un jour ces trois enfants.
(Art. II.)
L'habit d'homme avait tenu une grande place dans les articles comme dans
les interrogatoires. Le porter, disait-on, était une violation des Écritures;
en attribuer le commandement à Dieu, un blasphème: — « Je n'ai, dit
Jeanne, blasphémé ni Dieu ni ses saints. »
Le juge voulant lui faire répéter en public ce qu'elle avait dit le dimanche
des Rameaux dans la prison, lui demanda si elle consentirait à prendre
l'habit de femme pour recevoir son Sauveur à Pâques : — « Je ne laisserai
point mon habit encore, pour quelque chose que ce soit, ni pour recevoir,
ni pour autre chose. Je ne fais point de différence d'habit d'homme ou de
femme pour recevoir mon Sauveur, et on ne doit point me le refuser pour
cet habit. » (Art.. i3.)
Circonstance aggravante : elle avait sacrifié à cet habit l'obligation même
d'entendre la messe : — « J'aime plus cher mourir, dit Jeanne hardiment,
que révoquer ce que j'ai fait du commandement de Notre-Seigneur. »
Et comme l'accusateur avait la maladresse de lui reprocher non-seule-
ment de se vêtir en homme, mais d'agir en homme, délaissant les œuvres
de femme : — « Quant aux œuvres de femme, dit-elle, il y a assez d'au-
tres femmes pour les faire. » (Art. ib.)
L'habit d'homme se rattachait à sa mission. Elle la soutint, même dans
ses fers, aussi entière qu'elle l'avait proclamée au début. Elle confessa
qu'elle était venue de par Dieu annoncer au roi que Dieu lui rendrait
JEANNE D'ARC.
son royaume, le ferait couronner à Reims, et mettrait hors ses ennemis :
« Et de ce, dit-elle , je fus messagère de par Dieu. Je dis au roi qu'il me mit
hardiment en œuvre et que je ferais lever le siège d'Orléans. » Et pour ne
pas laisser croire que sa mission se bornât là : «■ Je dis, tout le royaume,
ajouta-elle; et si monseigneur de Bourgogne et les autres sujets du roA'aume,
ne viennent en obéissance, le roi les y fera venir par force. » (Art. 17.)
Mais cette mission , disait l'accusateur, c'était la guerre et l'elTusion du
sang humain. Jeanne répondit simplement : « Je requérais d'abord qu'on
fit la paix, déclarant que, dans le cas où on ne la voudrait pas faire, j'étais
toute prête à combattre. » (.4rt. 25.) L'accusateur, pour amasser sur elle
plus de haine, mettait ensemble Anglais et Bourguignons. Elle distingua :
« Quant au duc de Bourgogne, dit-elle, je l'ai requis par lettres ou par ses
ambassadeurs qu'il y eut paix entre lui et le roi. Quant aux Anglais, la paix
qu'il y faut, c'est qu'ils s'en aillent en leur pays, en Angleterre. » (Art. iS.)
Même à l'égard des Anglais, elle avait pourtant donné un signe de ses
dispositions pacifiques, en les sommant avant de les attaquer; mais on lui
en faisait un nouveau crime : on y voyait une marque d'orgueil. Elle ré-
pondit touchant ces lettres : « Je ne les ai point faites par orgueil ou par
présomption, mais par le commandement de Notre-Scigneur; » et elle en
confessa le contenu, sauf les trois mots qu'elle avait déjà signalés. Elle
ajouta que si les Anglais eussent cru ses lettres, ils eussent fait que sages:
« Et avant qu'il soit sept ans, dit-elle, renouvelant sa prophétie, ils s'en
apercevront bien. » (Art. 21.)
Les réponses de Jeanne, s'intercalant à chacun des articles , a\ aient fait que
la lecture n'avait pu s'en achever dans la journée du mardi. Le mercredi,
après lui avoir fait prêter serment, on l'invita à donner les explications
qu'elle avait promises touchant son habit. Elle répondit fermement sur
l'habit et les armes portés par elle, qu'elle les avait portés par le congé de
Dieu; et comme on l'adjurait encore de laisser son habit, elle ajouta : « Je ne
le laisserai pas sans le congé de Notre-Seigneur, dût-on me trancher la tête.»
Dans la lecture du reste des articles, qui ont trait surtout à ses révéla-
tions, elle montra la même présence d'esprit, la même constance. On les
voulait rapporter au diable; elle repoussa l'imputation : — « Je l'ai fait,
dit-elle, par révélation de sainte Catherine et de sainte .Marguerite, et je le
ROUEN. ^ LE JUGEMENT. 299
soutiendrai jusqu'à la mort. » Et revenant sur un passage du procès-verbal
où on lui faisait dire : « Tout ce que j'ai fait, c'est par le conseil de Notre-
Seigneur; » elle dit qu'on doit lire : » Tout ce que j'ai fait de bien. »
A son signe, le siège d'Orléans, on ne manquait pas d'opposer ses échecs
devant la Charité, devant Paris. On lui demanda si elle avait fait bien ou
mal d'aller devant la Charité : — « Si j'ai fait mal, dit-elle, on s'en confes-
sera. » Quant à Paris, elle répéta que les gentilshommes de France voulu-
rent l'attaquer. Mais elle n'a garde de leur en faire un blâme : « De ce faire ,
dit-elle, il me semble qu'ils firent leur devoir en allant contre leurs aciver-
saires. » (Art. 32. )
La faute n'était pas d'avoir été à l'assaut, mais de n'y avoir point per-
sévéré.
On objectait à ses révélations sa simplicité, son ignorance : — « Il est à
Notre-Seigneur, dit-elle, de révéler à qui il lui plaît. » (Art. 33.) On objec-
tait ses désobéissances mêmes : à Beaurevoir, à Saint-Denis ; — « Je m'en
tiens à ce qu'autrefois j'en ai répondu , » déclarant toutefois qu'à son départ
de Saint-Denis, elle eut congé de s'en aller.
« Mais, dit le juge, faire contre le commandement de vos voix, n'est-ce
pas pécher mortellement? — J'en ai autrefois répondu, et m'en attends à
ladite réponse. » (Art. 07. )
On objectait encore le mystère qu'elle avait fait de ses révélations : com-
ment y croire, et quelles raisons elle-même avait-elle eues d'y croire? — •
« Si ceux, dit-elle, qui demandent des signes n'en sont dignes, je n'en peux
mais-, et plusieurs fois j'ai été en prière, afin qu'il pliât à Dieu qu'il le
révélât à aucun de ce parti. » Elle ajouta que pour y croire elle ne deman-
dait conseil à évêque ni à personne, et qu'elle cro^^ait que c'était saint
Michel, pour la bonne doctrine qu'il lui montrait.
« "Vous a-t-il dit : Je suis saint Michel ? — J'en ai autrefois répondu. »
Mais pour ne laisser aucun doute sur la constance de sa foi, elle ajouta :
« Je crois aussi fermement que je crois que Notre-Seigneur Jésus-Christ a
souffert mort pour nous racheter des peines de l'enfer, que ce sont saints
Michel et Gabriel, saintes Catherine et Marguerite que Notre-Seigneur
m'envoie pour me conforter et conseiller. )> (Art. 48.)
L'accusateur y croyait beaucoup moins ; et il faisait de ces communica-
3oo JEANNE D'ARC.
lions un de ses principaux griefs contre Jeanne: invoquer ces voix, c'était
invoquer le démon : — « J'ai répondu, dit Jeanne; et je les appellerai en
mon aide tant que je vivrai.
— De quelle manière les requérez- vous? — Je réclame Notre-Seigneur et
Notre-Dame, qu'ils m'envoient conseil et confort.
« En quels termes les requérez-vous? — « Très-doux Dieu, en l'honneur
« de votre sainte Passion, je vous requiers, si vous m'aimez, que vous
« me révéliez ce que je dois répondre à ces gens d'Eglise. Je sais bien,
« quant à l'habit, le commandement comme je l'ai pris-, mais je ne sais
« point par quelle manière je le dois laisser. Pour ce, plaise vous à moi
« l'enseigner. » Et tantôt ils viennent. »
Elle fut beaucoup plus brève dans sa réponse sur le signe du roi. Elle
se borna à relever ce qu'on lui faisait dire des mille millions d'anges : elle
n'en avait point souvenir, du moins quant au nombre \ et quant à la cou-
ronne, où elle fut faite et forgée, elle s'en rapporte à Notre-Seigneur.
vArt. 5i.) Mais en tout ce qui touchait sa mission même, elle savait rega-
gner tous ses avantages. On l'accusait d'avoir osé, contre les préceptes de
Dieu et des saints, prendre empire sur les hommes et se faire chef de
guerre : ■ — <« Si j'étais chef de guerre, dit-elle hardiment, c'était pour
battre les Anglais. » (Art. 5'3.)
On l'accusait d'avoir vécu parmi les hommes : — « Mon gouvernement,
était d'hommes -, mais, quant au logis et au gîte, le plus souvent j'avais une
femme avec moi. Et, quand j'étais en guerre, je couchais vêtue et armée là
où je ne pouvais trouver de femme. « (Art. 54. '
On lui reprochait les bienfaits du roi et ce qu'il avait donné à ses frères,
comme si c'était pour des biens temporels qu'elle eijt, à la manière des faux
prophètes, vendu ses prédictions: — « J'ai répondu, dit-elle. Quant aux
dons faits à mes frères, ce que le roi leur a donné, c'est de sa grâce, sans
ma requête. Quant à la charge que me donne le promoteur et à la conclu-
sion de l'article, je m'en rapporte à notre Sire. « (Art. 55.
On faisait de ses voix des démons familiers, sous le nom de « conseillers
de la fontaine, » et l'on ajoutait que, selon la déclaration de Catherine de
la Rochelle, elle sortirait de prison par le secours du diable, si elle n'était
bien gardée : — « Les conseillers de la fontaine, dit-elle, je ne sais ce que
ROUEN. — LE JUGEMENT. 3oi
c'est; mais je crois bien qu'une fois j'y entendis sainte (Catherine et sainte
Marguerite. Quant à la conclusion de l'article, je la nie, et j'affirme par
mon serment que je ne voudrais point que le diable m'eiùt tirée hors de la
prison. « (Art. 56.)
On lui reprochait de s'adresser souvent à Dieu pour en obtenir une révé-
lation sur sa manière d'agir, ce qui était tenter Dieu : — « Je ne requiers
point Dieu sans nécessité, et je voudrais qu'il m'envoyât encore des révéla-
lions, afin qu'on aperçût mieux que je viens de par Dieu, que c'est lui qui
m'a envoyée. » (Art. 65.)
A toutes les accusations d'hérésie, de sortilège, etc., ramassées par forme
de récapitulation vers la fin du réquisitoire, elle se contenta de répondre :
« Je suis bonne chrétienne; je m'en rapporte à Notre-Seigneur. » (Art. 66.)
Et comme le juge, la reprenant par ce côté, lui demandait si, dans le cas
où elle eût fait quelque chose contre la foi chrétienne, elle s'en voudrait
soumettre à l'Église et à ceu.x à qui en appartient la correction, elle dit :
« Samedi après dîner, je répondrai. » (Art. Gtj.)
Le samedi donc, veille de Pâques, l'évèque, prenant avec lui un certain
nombre d'assesseurs, se rendit dans la prison de Jeanne pour recevoir ses
déclarations sur les articles où elle avait requis délai. On l'interrogea d'abord
sur ce qui, par des malentendus habilement ménagés, était devenu le point
capital du procès, sa soumission à l'Église. On lui demanda si elle se voulait
rapporter au jugement de l'Église, qui est sur la terre, de tout ce qu'elle
avait dit ou fait, bien ou mal, et spécialement des crimes ou délits qu'on
lui imputait, et de tout ce qui touchait son procès. Elle répondit : « Je m'en
rapporterai de ce qu'on me demande à l'Église militante, pourvu qu'elle ne
me commande chose impossible à faire.
— Qu'appelez-vous impossible? — C'est que les choses que j'ai dites ou
faites, comme je l'ai déclaré au procès, touchant les visions et les révéla-
tions que j'ai eues de par Dieu, je ne les révoquerai pour quelque chose que
ce soit; et ce que notre Sire m'a fait faire et commandé, et commandera,
je ne le laisserai à faire pour homme qui vive : il me serait impossible de
le révoquer. >> Elle ajoutait que, dans le cas où l'Église lui voudrait faire
faire autre chose, au contraire du commandement de Dieu, elle ne le ferait
pour rien au monde.
JEANNE D'ARC.
« Si l'Église militante, dit le juge dévoilant toute sa pensée, vous dit
que vos révélations sont illusion, ou chose diabolique, ou superstition, ou
mauvaise chose, vous en rapporterez- vous à l'Eglise? — Je m'en rappor-
terai à Notre-Seigneur, duquel je ferai toujours le commandement. Je sais
bien que ce qui est contenu en mon procès est venu par le commandement
de Dieu, et ce que j'ai affirmé audit procès avoir fait du commandement
de Dieu , il me serait impossible de faire le contraire.
— Et si l'Église militante vous commandait de faire le contraire? — Je
ne m'en rapporterais à homme du monde, fors (excepté) à Notre-Seigneur,
que je ne fisse toujours son bon commandement.
— Ne croyez-vous point que vous soyez sujette à l'Église qui est en terre,
c'est à savoir à notre saint-père le pape, aux cardinaux, archevêques,
évèques et autres prélats de l'Église? — Oui, notre Sire premier servi (Notre-
Seigneur servi d'abord \
— Avez-vous commandement de vos voix de ne vous point soumettre à
l'Église militante qui est en terre et à son jugement? — Je ne réponds chose
que je prenne en ma tète; ce que je réponds, c'est du commandement de
mes voix; et elles ne me commandent point de ne pas obéir à l'Église, notre
Sire premier servi. »
Avant de la quitter, les juges lui demandèrent si à Beaurevoir, à Arras
ou ailleurs, elle n'avait point eu des limes : on craignait qu'elle ne limât ses
fers : — « Si on en a trouvé sur moi, dit-elle, je ne vous en ai autre chose
à répondre. »
LES DOUZE ARTICLES.
Le lundi de Pâques et les deux jours suivants, on s'occupa de reviser
les soixante-dix articles et les réponses de Jeanne, pour les réduire, selon
l'avis des docteurs de Paris, à douze articles nouveaux où fût comprise
toute la substance de Taccusation. Les soixante- dix articles contenaient
bien des inutilités ou des redites; les douze nouveaux devaient être de
nature à entraîner sans partage la décision des docteurs auxquels on les
voulait soumettre. Ces douze articles vont être la base et le pivot de tout le
ROUEN. — LE JUGEMENT. 3o3
procès. Dans les interrogatoires, si la pensée du juge se trahit par la forme
des questions, la vérité se fait jour par les réponses de Jeanne; et elle
confond, par l'éclat qu'elle répand, la malignité de son adversaire. Dans
les soi.\ante-di.\ articles, la haine et le venin de l'accusateur peuvent se
donner libre carrière. On y trouve, comme un résumé des aveu.\ de Jeanne,
des paroles détournées de leur sens, des faits défigurés et transformés du
blanc au noir, et même des assertions calomnieuses qui se produisent pour
la première fois; mais Jeanne est là : elle renvoie à ses déclarations, elle
redresse ou elle nie. Si résolu qu'on soit de ne lui point faire raison, il faut
qu'on l'entende, et sa simple et brève parole tient en échec toute la furie de
l'accusation. Dans les douze articles, œuvre sans nom d'auteur, la dernière
trace de la parole de Jeanne est effacée. On n'y trouve plus, il est vrai, la
violence du réquisitoire : elle s'est renfermée tout entière dans la lettre
d'envoi qui les accompagne. Ce sont des faits, mais des faits choisis, dis-
posés et rapprochés de telle sorte que la pensée du juge s'y produit tout
entière, et qu'à chacun des articles on est amené à joindre, de soi-même,
les conclusions que l'accusateur en a fort habilement retranchées.
Cet acte, qui prétend résumer tout le débat, et que l'on pose comme
fondement au procès, ne fut point communiqué à l'accusée. On n'a donc
pu le rectifier sur ses réclamations; on n'a pu }' consigner ses répliques.
C'est une œuvre clandestine qui va directement du juge aux docteurs dont
il veut solliciter les lumières : mais qu'en doit-on attendre, si la réponse est
dictée par la forme même de la question? Les demandeurs au jugement de
réhabilitation insistent avec beaucoup de force sur l'illégalité de ce procédé;
et, fût-il légal en soi, ils ont signalé un fait qui, à lui seul, suffirait pour
l'entacher de fraude : c'est que non-seulement Jeanne n'a pas été mise en
demeure de contester les douze articles, mais, de plus, que des corrections
arrêtées par les assesseurs eux-mêmes n'y ont pas été faites, et que la pièce ,
déclarée inexacte, a été envoyée par le juge aux docteurs telle qu'il l'avait
d'abord rédigée.
Une note du greffier lui-même a permis de constater la fraude.
Mais toutes les corrections eussent-elles été introduites, les douze articles
n'en resteraient pas moins ce qu'ils sont, une œuvre délo3'ale et perfide,
établissant en fait des choses qui ont toujours été niées, ou présentant les
3o4 JEANNE D'ARC
déclarations de Jeanne de telle sorte qu'elles perdent leur sens naturel ,
pour prendre celui que leur veut donner l'accusation. On y dit que sainte
Catherine et sainte Marguerite se sont, d'après ses aveux, montrées à elles
corporellement près de Wirbre i.ies Fées (ce rapprochement n"est.pas sans
intention); qu'elles lui ont commandé de partir à Tinsu de ses parents (elle
a dit le contraire} (I). On y raconte le signe donné au roi, sans aucun des
traits qui peuvent en révéler l'allégorie ou en lever les contradictions appa-
rentes ^11}. On tourne contre la solidité de sa foi ce qu'elle disait, pour
marquer, par le terme le plus fort, la fermeté de sa croyance à ce qui,
pour elle, était l'évidence même : à savoir, qu'elle croit à ses apparitions
comme elle croit à la Rédemption (III}; ses révélations deviennent des
divinations suspectes (IV'; son habit, une violation impudique des pré-
ceptes de l'Ancien et du Nouveau Testament, et un sacrilège : il semble
qu'elle ne l'ait pris que par dérèglement ou par une dérision impie pour aller
communier ^^"). Le signe de la croix dont elle marque ses lettres e? ^ une
profanation (AT); sa mission, une révolte contre l'autorité paternelle v^'II' ;
sa tentative d'évasion, une tentative de suicide (VIII}; son innocence, de
l'orgueil TX); son inspiration, de la témérité (X'; sa vénération pour ses
voix, de l'idolâtrie (XP; son refus de les mettre en question, un refus
d'obéir à l'Église (XIT.
Ce grief, postérieur au procès, en est devenu, il le faut dire. Tunique fon-
dement. Car, sérieusement, que pouvait-on reprocher à Jeanne? Ses visions?
Aucun des juges ne les pouvait déclarer impossibles. Ezéchiel avait eu des
visions, et les histoires des saints en sont remplies. On avait le droit de les
nier, sans doute ; mais il fallait tout l'aveuglement de la passion pour atlir-
mer, en les tenant pour réelles, qu'elles lui venaient du démon. Quant à
l'habit d'homme, elle avait à diverses reprises assez clairement répondu;
et chacun eût pu faire la réponse pour elle. La règle commune ne fait pas
loi pour tous les cas. Si d'ailleurs pour absoudre Jeanne il fallait une décision
canonique, elle l'avait eue. La question avait été examinée et résolue par
les docteurs de Charles Vil. Or, Jeanne avait le droit de ne pas croire que
ce que l'Eglise avait trouvé bon à Poitiers, fijt mauvais à Rouen, ni
qu'il y eût plus d'autorité dans l'éveque de Beauvais que dans l'archevêque
de Reims, son métropolitain. Restait donc la question de l'Eglise, ques-
ROUEN. — LE JUGEMENT. 3o5
tion née du débat et où il avait paru si facile de mettre son ignorance
en défaut. La première fois qu'on lui en parla, on Ta vu, elle profita de
Foccasion pour demander pourquoi on ne l'y laissait point aller enten-
dre la messe-, et, quand on lui eut expliqué la distinction des deux
Églises, elle répondit selon iMassieu : « Vous parlez d'Église militante et
d'Église triomphante. Je n'entends rien à ces termes; mais je me veux sou-
mettre à l'Église comme le doit une bonne chrétienne : « et elle l'avait bien
montré à Poitiers. Là aussi elle avait atlirmé ses visions, et elle n'avait pas
refusé de les soumettre à l'examen des prélats et des docteurs. Pendant trois
semaines ils l'avaient éprouvée avec toutes sortes de précautions et de scru-
pules, comme le constate, sinon ces registres si malheureusement perdus,
auxquels Jeanne renvoie plusieurs fois, au moins le résultat qu'on en publia.
Ils l'avaient éprouvée, et ils l'avaient approuvée. C'était une sanction ecclé-
siastique comme une autre:, et ici encore elle avait bien le droit de ne pas
vouloir soumettre la décision du métropolitain au sulVragant, le jugement
d'hommes défiants, mais équitables et sincères, au jugement de ses ennemis.
C'est à cela que se borne au fond le refus que le procès-verbal de Rouen
constate. Mais ce procès-verbal le constate aussi : tout en maintenant la
vérité de ses révélations, Jeanne acceptait toujours le jugement de l'Église
là où elle la trouvait libre et impartiale, c'est-à-dire, dans son chef; et les
témoignages consignés au procès de réhabilitation reproduisent sa réponse
dans une forme qui fait voir clairement le fond de sa pensée, quand elle
répondait à des instances sans bonne foi. Comme on la sollicitait de se sou-
mettre à l'Éghse : — « Qu'est-ce que l'Église? » dit-elle. On lui dit que c'était
le pape, les prélats et tous ceux qui président en l'Église militante. Elle
répondit qu'elle se soumettait volontiers au pape, requérant d'être menée à
lui, mais qu'elle ne se soumettait point au jugement de ses ennemis et en
particulier de l'évèque de Beauvais, « parce que, lui dit-elle, vous êtes mon
ennemi capital. « Isambard de la Pierre lui conseilla de se soumettre au
concile général de Bàle, qui venait de se réunir (le 6 mars i43i) : elle de-
manda ce que c'était que concile général ; et comme il lui expliquait que
c'était une assemblée de l'Église universelle et de la chrétienté, et qu'en ce
concile il y en avait autant de son parti que du parti des Anglais : — <( Oh !
s'écria-t-elle, puisque en ce lieu sont aucuns de notre parti, je veux bien me
JEANNK d'arc. 111. — 39
3o6 JEANNE D'ARC
rendre et soumettre au concile de Bille. — Taisez- vous , de par le diable! »
s'écria l'évèque un peu trop tard. Il avait bien laissé faire la demande, il ne
s'attendait pas à la réponse.
Le procès-verbal n'a mentionné ni l'un ni l'autre. Il ne parle dans les
interrogatoires que de la soumission au pape en cette forme : « qu'elle soit
menée devant lui, puis répondra devant lui tout ce qu'elle doit répondre. »
[Séauce du ly mars.) Mais on apprend par la déposition d'Isambard de la
Pierre, qui, au témoignage du même document otliciel, était présent à la
séance comme l'évèque, pourquoi le reste ne s'y trouve pas. Le greffier
demandant à Pierre Cauchon s'il devait écrire la soumission de Jeanne au
concile, l'évèque lui dit que ce n'était pas nécessaire. — « Ah ! reprit Jeanne,
vous écrivez bien ce qui est contre moi ; mais vous ne voulez pas écrire ce
qui est pour moi. »
Voilà donc les douze articles, voilà leur sincérité, leur exactitude ! Ce ne
sont pas seulement des points de droit que l'on soumet à la discussion des
légistes-, ce sont des faits qu'on suppose établis, faits affirmés d'autant plus
hardiment que l'accusée n'est point appelée à y contredire, et qu'on a eu
soin de taire les démentis qu'elle y a donnés. C'est donc en toute sécurité
que l'évèque, dans sa lettre du 3 avril, invite les maîtres et les docteurs à
lui donner leur avis sur la pièce qu'il leur envoie, et les prie de lui faire
connaître par écrit avant le mardi suivant ce qu'ils en pensent : « si les choses
arguées leur paraissent contraire à la foi orthodoxe, scandaleuses, témé-
raires, perturbatrices de la chose publique, injurieuses ou entachées de
crimes contre les bonnes mœurs. » Les qualifications qu'il sollicite sont tout
entières dans ces lignes. Sa lettre d'en\oi contient en résumé la réponse
qu'il attend.
LES CONSULTATIONS ET l' A DMON ITI O N CHARITABLE.
On réunit d'abord un certain nombre de consulteurs ( seize docteurs et six
bacheliers), dont la réponse devait donner le ton aux autres. Ils s'assem-
blèrent, le jeudi 12 avril, sous la présidence d'Érard Emengard, dans la
chapelle du palais archiépiscopal de Rouen, et déclarèrent que, consi-
ROUEN. — LE JUGEMENT.
3o7
'ig. i35. — Denis Gastinel, docteur de l'université de Paris, l'un des juges de Jeanne d'Arc. Pierre tombale
de 14.^0, à la cathédrale de Rouen. D'après un dessin exécuté par M. Deville. — Dans la consultation
demandée par P. Cauchon, Denis Gastinel opina, d'une façon générale, que l'on devait livrer le cou-
pable au bras séculier, s'il s'obstinait, et le condamner, s'il abjurait. Dans le dernier jugement il fut
d'avis d'abandonner Jeanne sans merci au bras séculier, c'est-à-dire à la mort.
3o8 JEANNE D'ARC.
dcrant la qualité delà personne, ses dits , ses faits et le mode de ses appa-
ritions, etc., ses révélations leur paraissaient fictives ou procédant du
diable, etc. Les autres avis ne tardèrent pas à suivre : la délibération des
seize consulteurs donnait aux plus incertains une base où s'appuyer. La
plupart s y réfèrent absolument, quelques-uns avec des sentiments d'humi-
lité, d'autres avec un empressement qui va au-devant de tous les désirs du
juge. Plusieurs, tout en approuvant, font pourtant quelques réserves. Onze
avocats de Rouen , réunis après les docteurs dans la chapelle de l'archevêché ,
donnent une consultation conforme: « A moins pourtant, disent-ils, que
ces révélations ne viennent de Dieu. « Ils se hâtent d'ajouter que cela d'ail-
leurs ne leur paraît pas croyable, et s'en rapportent aux théologiens. Mais
un évêque (l'évèque de Lisieux^ avait déclaré que, vu, entre autres choses,
« la basse condition de la personne, >> on ne devait pas croire qu'elles lui
vinssent de Dieu ! Le chapitre de Rouen, malgré quelques adhésions indi-
viduelles , montra moins d'empressement à se prononcer. Lorsqu'on le con-
voqua pour la première fois, le i3 avril, on ne put réunir qu'une vingtaine
de membres. Ils s'ajournèrent au lendemain, avec menace de retenir les
distributions pendant huit jours à qui ne viendrait pas. Ils furent trente et
un alors, et décidèrent que, pour donner un a\is plus sûr, ils atten-
draient qu'on leur mît sous les yeux la délibération de l'université de Paris.
Parmi ces réponses, on en trouve une encore fort longuement motivée,
et de nature à plaire à l'évèque par ses développements, sauf un point
cependant. L'auteur trouve qu'en prenant l'habit d'homme Jeanne a fait
une action « indécente, indigne d'une femme qui se dit pucelle; — à moins
pourtant, ajoute-t-il, qu'elle ne l'ait fait pour se défendre contre la violence
et garder sa virginité. » L'accusation n'avait jamais paru se douter de cette
raison-là! De plus, il concluait que, pour donner à la sentence plus de
force et de sûreté et la défendre contre tout soupçon d'injustice, pour l'hon-
neur de la majesté royale et de l'évèque , et pour la paix de la conscience de
plusieurs, il convenait de soumettre les assertions de Jeanne à l'examen du
souverain pontife.
Ni l'évèque de Beauvais, ni ses adhérents, ne se souciaient de renvo3'er la
question au souverain pontife. Quant à l'université de Paris, sa décision leur
était moins suspecte. Six de ses membres avaient assisté au procès dès le
ROUEN. — LE JUGEMENT.
3og
commencement : trois d'entre eux , Jeun Ik-aupè-i-c, Jacques de Touraine et
Nicole Midi, de\ aient lui porter la pièce qui tenait lieu des débats, les douze
articles, Mais, pour aller plus avant, on n'attendit pas la réponse.
Fig. i?6. — Chat 1 J \\ r 1 lii LU tort n. si. k \ r latie dit n en ii'i
par Ethelflede, fille d Alfred le Grand Etat du \viii« siècle d apici une j, avure angla se Ine partie
de ce château a été dévorée par l'incendie, le 3 décembre 1871. — Richard Beauchamp, comte de
Warwick, était gouverneur du jeune roi Henri VI. Cet homme, d'une âme dure et d'une politique
inflexible, semble avoir été, avec Bedford, l'agent principal de la mort de Jeanne d'Arc.
Jeanne était tombée malade ; grand trouble parmi les Anglais : si elle
échappait à la condamnation par la mort ! Des médecins furent mandés
aussitôt par le cardinal de Winchester et le comte deWarwick. « Prenez-en
bien soin , dit le comte : le roi ne veut pour rien au monde qu'elle meure de
3io JEANNE D'ARC.
mort naturelle. Le roi Va chère, car il l'a achetée cher et ne \eut pas qu'elle
meure, si ce n'est par justice et qu'elle soit brûlée. Faites donc en sorte
qu'elle guérisse. »
Les médecins l'allèrent voir, conduits par Jean d'Estivet. Ils lui deman-
dèrent d'où lui venait son mal : — « L'évêque de Beau\'ais, dit Jeanne, m'a
envo\'é une carpe, dont j'ai mangé, et c'est peut-être la cause de ma maladie.
— Paillarde, s'écria le promoteur, tu as mangé des harengs [haUccas) et
autres choses qui t'ont fait mal. »
Les médecins, lui trou\'ant de la fièvre, crurent qu'une saignée serait
bonne, et le dirent au comte de Warwick. « Gardez-vous de la saigner, dit
le comte; elle est rusée, elle pourrait se tuer. « On la saigna pourtant et elle
se trouva mieux. Mais Jean d'Estivet revint la voir, et, tout ému encore du
péril qu'a\ait couru l'édifice de son accusation, il redoubla d'injures, à tel
point que Jeanne en reprit la fièvre. Le comte, inquiet, intima au promo-
teur de ne plus l'injurier à l'avenir.
Cet incident avait montré qu'il fallait se hâter. Jeanne n'était point encore
remise, que l'évêque voulut, sans plus attendre, donner suite aux consul-
tations qu'il avait déjà réunies. Il \'int donc, avec plusieurs docteurs, la
trouver dans sa prison, afin de lui faire les exhortations charitables qui
étaient un premier degré pour la mener au bûcher. Il lui représenta que,
parmi ses réponses, plusieurs avaient paru à de savants hommes mettre la
foi en péril; et, comme elle était sans lettres, sans connaissance des Ecri-
tures, il lui offrait de remettre à des hommes de probité et de science le soin
de l'instruire : elle n'avait qu'à choisir parmi les docteurs présents ou dési-
gner quelque autre, si elle en savait de capables. « Noussommes, ajoutait-il,
des gens d'Église , disposés par notre volonté comme par notre vocation à
vous procurer par toutes les \'oies possibles le salut de l'âme et du corps ,
comme nous le ferions pour nos proches ou pour nous-mêmes. Nous vou-
lons faire ce que fait l'Eglise, qui ne ferme pas son sein à qui lui revient. »
Jeanne répondit en le remerciant de ce qu'il lui disait pour son salut, et
elle ajouta : « Il me semble, vu la maladie que j'ai, que je suis en grand
péril de mort; s'il en est ainsi , que Dieu veuille faire son plaisir de moi , je
vous requiers avoir confession et mon Sauveur aussi, et qu'on me mette en
la terre sainte.
ROUKN. — l,E JUGEMENT.
— Si VOUS voulez avoir les sacrements de l'Église, dit le juge, il faudrait
que vous fissiez comme les bons catholiques doivent faire, et que vous vous
soumissiez à la sainte Église. — Je ne vous en saurais maintenant autre
chose dire.
— Plus vous, craignez pour \'0tre \ ie , plus vous devriez amender votre
vie; \ous n'auriez pas les droits de TEgiise comme catholique, si vous ne
\ ous soumettiez à PÉglise. — Si le corps meurt en prison , je m'attends que
vous le fassiez mettre en terre sainte-, si \ous ne le faites mettre , je m'en
attends à Notre-Seigneur.
— Autrefois vous a\iez dit en votre procès que, si vous a\iez fait ou dit
quelque chose qui fût contre notre foi chrétienne, vous ne le voudriez sou-
tenir. — Je m'en attends à la réponse que j'en ai faite et à Notre-Seigneur.
— Croyez-vous que la sainte Écriture soit révélée de Dieu ? — Vous le
savez bien , il est bon à savoir que oui. »
On la somma de nouveau de prendre conseil des clercs et des docteurs , et
on lui demanda, pour finir, si elle se soumettait, elle et ses faits, à notre
sainte mère l'Église. Elle répondit : « Quelque chose qui m'en doive advenir,
je n'en ferai ou dirai autre chose que ce que j'ai dit devant, au procès. »
Les docteurs qui accompagnaient l'évcque prirent tour à tour la parole,
alléguant les autorités de l'Écriture et des exemples pour l'amener à se sou-
mettre. Nicole Midi lui cita, entre autres, le passage de saint Mathieu : « Si
votre frère a péché contre vous, etc., » et ce qui suit : '<. S'il n'écoute pas
l'Église, qu'il vous soit comme un païen et un publicain. » Il le lui dit en
français, et il lui représenta que si elle ne voulait se soumettre à l'Église,
il faudrait qu'on l'abandonnât comme une Sarrasine. Jeanne répondit : « Je
suis bonne chrétienne, j'ai bien été baptisée; et je mourrai comme une
bonne chrétienne.
— Puisque vous requérez que l'Église vous donne votre Créateur, sou-
mettez-vous à l'Église, et on promettra de vous le donner. — Je n'en répon-
drai autre chose que ce que j'ai fait : J'aime Dieu, je le sers, je suis bonne
chrétienne, et je voudrais aider et soutenir l'Église de tout mon pouvoir.
— Ne voudriez- vous pas, ditrévèque,qui avait son projet , que l'on or-
donnât une belle et notable procession pour vous réduire en bon état si vous
n'y êtes ? — Je veux très-bien que l'Eglise et les catholiques prient pour moi. »
3i2 JEANNE LVARC.
Cependant, parmi les docteurs consultés, plusieurs avaient été d'avis que
Jeanne fût de nouveau instruite et admonestée sur les faits mis à sa charge.
Le mercredi 2 mai, Jeanne fut amenée dans la salle du château, où les
assesseurs étaient réunis , et l'évèque l'engagea à se rendre aux exhortations
qu'on allait lui faire, faute de quoi, elle se mettait en péril pour l'âme et
pour le corps. Alors l'archidiacre, prenant la parole, commença par lui
remontrer que tous les fidèles chrétiens étaient tenus de croire les articles de
foi, et il l'invita , par forme de monition générale, à corriger et réformer ses
faits et dits selon la délibération des docteurs. Comme il tenait à la main le
texte de ses exhortations : — « Lisez votre livre, dit Jeanne, et puis je vous
répondrai. Je m'attends de tout à Dieu mon Créateur; je l'aime de tout
mon cœur. »
L'archidiacre lut donc le discours qu'il avait écrit : c'étaient les douze
articles réduits à six, mais sous une forme singulièrement tempérée par les
raisons qu'on donne à Jeanne et les considérations qu'on y ajoute pour la
convaincre ou la séduire. Cette remontrance fut faite à Jeanne en français,
et sur plusieurs points on la pressa d'y répondre.
Après qu'on lui eut déclaré ce qu'était l'Eglise militante, et qu'on l'eut
pressée d'y croire et de s'y soumettre : — « Je crois bien l'Église d'ici-bas ,
dit-elle, mais de mes faits et dits, ainsi qu'autrefois je l'ai dit , je m'attends
et rapporte à Dieu.
— Cro\'ez-vous que l'Église puisse se tromper? — Je crois bien que l'Église
militante ne peut errer ou faillir ; mais quant à mes dits et mes faits, je m'en
rapporte à Dieu, qui m'a fait faire ce que j'ai fait. » Elle ajouta qu'elle se
soumettait à Dieu son créateur qui lui a fait faire ces choses, et s'en rappor-
tait à lui , à sa propre personne.
« Voulez-vous dire que vous n'avez point de juge sur la terre? et notre
saint-père le pape n'est-il pas votre juge ? — Je ne vous en dirai autre chose.
J'ai bon maître, c'est à savoir Notre-Seigneur, à qui je m'attends de tout,
et non à autre.
— Si vous ne voulez croire l'Église et l'article Ecclcsiain sanctam caiho-
licam, vous serez hérétique en vous y obstinant, et punie du feu par la sen-
tence d'autres juges. — Je ne vous en dirai autre chose ; et, si je voyais le
feu, si dirais-je ce que je vous dis , et n'en ferais autre chose. »
ROUEN. — LE JUGEMENT. 3i3
(Sitperba respousio ! écrit le greffier en marge de son procès-verbal.)
« Si le concile général, comme notre saint-père, les cardinaux et autres
membres de l'Église, étaient ici, voudriez-vous vous en rapporter et vous
soumettre à eux? — Vous n'en tirerez de moi autre chose. »
Mais le juge insista : « Voulez-vous vous soumettre à notre saint-père le
pape? — Menez-m'y, et je lui répondrai. »
C'était une réponse sérieuse à une question qui ne l'était pas : car per-
sonne dans le parti anglais ne voulait de l'appel au pape. Le juge vit qu'il
était allé trop loin, et changea de matière.
Il passa à la question de l'habit et ne fut pas plus heureux. Jeanne, faisant
tomber d'un mot toutes les fausses imputations de ses accusateurs, répondit
qu'elle voulait bien prendre longue robe et chaperon de femme pour aller à
l'église et recevoir son Sauveur, comme elle l'avait dit autrefois (ce point est
à noter), pourvu que tantôt après elle le quittât et reprît l'autre. On insista
sur ce qu'elle l'avait pris sans nécessité, et spécialement depuis qu'elle était
en prison. Et elle, sans rien dire des raisons impérieuses qui les lui faisaient
garder en prison, elle répondit : « Quand j'aurai fait ce pour quoi je suis
envoyée de par Dieu, je prendrai habit de femme.
— Croyez-vous bien faire de prendre l'habit d'homme? dit le juge, en sui-
vant imperturbablement son thème. — Je m'en attends à Notre-Seigneur. «
Et comme le juge lui remontrait qu'en prétendant qu'elle faisait bien, et
en disant que Dieu et les saints le lui faisaient faire, elle les blasphémait,
elle répondit simplement : « Je ne blasphème point Dieu ni ses saints. »
On insista encore pour qu'elle renonçât à porter l'habit d'homme et à
croire qu'elle faisait bien de le porter; mais elle dit qu'elle n'en ferait autre
chose.
On en vint alors à ses apparitions : si elles n'étaient feintes, elles étaient
diaboliques; on n'admettait pas d'autre alternative. On lui demanda si,
toutes les fois que sainte Catherine et sainte Marguerite venaient elle se si-
gnait du signe de la croix : — « Quelquefois, dit-elle, sans attacher à la
question d'autre importance, je fais le signe de la croix; d'autres fois,
non. »
De ses révélations et de ses prédictions, elle dit qu'elle s'en rapportait à
son juge, c'est à savoir Dieu; et elle ajouta qu'elles lui venaient de Dieu
JEANNE d'arc. IIl. — 40
3i4 JEANNE D'ARC.
sans autre intermédiaire. Quant au signe donné au roi, on lui demanda si
elle voulait s'en remettre à larchevèque de Reims, au sire de Boussac, à
Charlesde Bourbon, à la Trémouille, à la Hire, qui étaient présents, avait-
elle dit, quand l'ange apporta la couronne, ou si elle voulait s'en rapporter
à d'autres de son parti qui écriraient sous leur sceau ce qui en était : — « Bail-
lez-moi un messager, dit-elle, et je leur écrirai de tout ce procès. »
Ce n'est que dans ces conditions et sous cette forme qu'elle accepta de
s'en rapporter à eux.
« Si on vous envoie trois ou quatre chevaliers de votre parti, qui vien-
dront ici par sauf-conduit, voudrez-vous vous en remettre à eux de vos
apparitions et des choses contenues en ce procès? — Qu'on les fasse venir et
je répondrai. «
On lui demanda enfin si elle voulait s'en référer à l'Eglise de Poitiers où
elle avait été examinée. Mais Jeanne, excédée de ces offres sans bonne
foi : « Me cuidez-vous prendre par cette manière, et par là m'attirer à
vous? »
On conclut en l'exhortant en général à se soumettre à l'Eglise, sous peine
d'être laissée par TÉglise. « Et si l'Église vous laissait, continua le juge,
vous seriez en grand péril de corps et d'âme; car vous pourriez bien encourir
la peine du feu éternel quant à l'âme, et du feu temporel quant au corps par
la sentence des juges.
Elle répondit : « Vous ne ferez jà ce que vous dites contre moi, qu'il ne
vous en prenne mal au corps et à l'âme. »
On lui demanda de dire une cause pourquoi elle ne s'en rapportait point
à l'Église. Elle aurait pu dire qu'elle ne s'en rapportait point à l'Église
des Anglais-, mais elle ne voulut faire aucune réponse. Vainement les doc-
teurs insistèrent tour à tour dans le même sens : ils n'obtinrent rien de
plus. Enfin l'évèque l'avertit d'y faire bien attention et de se bien aviser sur
les admonitions et conseils charitables qu'elle venait de recevoir. — <> Quel
temps me donnez-vous pour m'aviser? dit Jeanne. — C'est à présent même
qu'il le faut faire. » Et comme elle ne répondait pas davantage, l'évèque se
retira, et elle fut ramenée à sa prison.
On voulut employer le dernier moyen pour la faire parler, la torture.
Le Q mai l'évèque la fit amener dans la grosse tour du château de Rouen.
3i6 JEANNE D'ARC.
Il lui signala plusieurs points de son procès où elle était soupçonnée de
n'avoir pas dit la vérité; puis il lui dit que, si elle ne la voulait déclarer, on
la mettrait à la torture , et il lui en montrait les instruments étalés à l'entour.
Les bourreaux étaient là, tous prêts à remplir leur office <( pour la ramener
dans les voies de la vérité, » comme disait Févèque, « afin d'assurer par là
le salut de son âme et de son corps , si gravement compromis par ses inven-
tions erronées. »
Jeanne répondit : « Vraiment, si vous me deviez faire détraire (arracher)
les membres et faire partir Tàme hors du corps, si ne vous dirai-je autre
chose ; et si je vous disais autre chose , après je vous dirais toujours que
vous me l'auriez fait dire par force. >'
C'était d'un mot faire voir ce que vaut la torture. Elle ne refusa point
d'ailleurs de parler, mais elle le fit pour confirmer toutes ses déclarations.
Les juges, frappés de sa fermeté, comprirent que la torture n'y ferait
rien, et crurent sage d'y surseoir. Ils se réunirent, le i 2 , pour en délibérer
de nouveau , et résolurent d'y renoncer définitivement , les uns disant que
la question était inutile, que l'on avait sans torture assez ample matière;
les autres, que le procès était bien fait, et qu'il ne fallait point l'exposer
par là à la calomnie. Dans la minorité qui approuvait la torture, on compte
le jeune et brillant docteur Thomas de Courcelles, et celui qui s'était fait
agréer comme confesseur de Jeanne, Nicolas Loyseleur.
LA DELXIE.ME AD .MO N I TIO N.
Les choses marchaient vers la conclusion. Dès après la séance du 2 mai,
quand Jeanne eut publiquement refusé de s'en remettre , touchant ses faits ,
à la décision de l'Église dans les termes où on l'y invitait, le chapitre de
Rouen se réunit, et, renonçant au délai qu'il avait réclamé d'abord, il
n'hésita plus à déclarer que l'opinion des docteurs sur les assertions de
Jeanne lui paraissait fondée en raison, et que Jeanne, vu son obstination,
devait être réputée hérétique (4 mai'. C'était déjà un suffrage important
pour l'évèque de Beauvais; mais depuis il en avait reçu un autre de bien
ROUEN. — Lli JUUEMKN 1
3.7
^ig. il^s. — Grosse tour ou bonjon Ju château de l'hiiippe-Auguste. après sa restitution complète exécu-
tée par les soins du comité de souscription nationale pour le raciiat de cette tour, et sur les plans de
M. L. Desmarct, architecte en chef du département de la Seine-Inférieure. — État actuel, d'après une
photographie. La teinte moins foncée indique le point de départ des constructions nouvelles. On voit,
à droite de la tour, une partie du couvent des Ureulines, la tour carrée de l'église Saint-Godard et la
fljche de l'église Saint-Maclou; à gauche, les deux aiguilles du portail et la tour de l'église Saint-Ouen.
plus grande autorité, un suffrage auquel beaucoup d'autres s'étaient référés
par avance; je veu.v dire l'avis ofticiel de l'université de Paris.
3i8 JEANNE D'ARC.
A Farrivce des envoyés de Rouen, l'université s'était assemblée. La
faculté de théologie et la faculté des décrets furent invitées à examiner,
chacune à part, les douze articles, et elles avaient apporté leurs conclusions
à l'assemblée générale.
La faculté de théologie prenait les articles et les jugeait l'un après l'autre :
i" Les apparitions de Jeanne : Elle les déclare fictives, mensongères,
séductrices et inspiréesplutùt par les esprits diaboliques; et elle les nomme :
à savoir, Belial, Satan et Behemnioth. 2" Le signe du roi : Mensonge pré-
somptueux et pernicieux, et attentatoire à la dignité des anges. 3° Les
insites de saint Michel, de sainte Cal/ierine et de sainte Marguerite,
et la foi quy a la Pucelle : Croj^ance téméraire et injurieuse dans sa com-
paraison aux vérités de la foi. 4° Les prédictions : Superstition, divination,
et vaine jactance. 5" L'habit d'homme porté par commandement de Dieu :
Blasphème envers Dieu, mépris de Dieu dans ses sacrements, violation de
la loi divine et des sanctions ecclésiastiques, et suspicion d'idolâtrie. G" Les
lettres : Elles peignent la femme : traîtresse, pcrtîde , cruelle, altérée de
sang humain, séditieuse, poussant à la tyrannie, blasphématrice de Dieu.
7" Le départ pour Cliinon : Impiété filiale, violation du commandement
d'honorer père et mère, scandale, blasphème, aberration dans la foi, etc.
8" Le saut de Beaurevoir : Pusillanimité tournant au désespoir et à l'homi-
cide, assertion téméraire touchant la remise de la faute, erreur sur le libre
arbitre, if Confiance de Jeanne dans son salut : Assertion présomptueuse
et téméraire, mensonge pernicieux, etc. 10" Que sainte Catherine et sainte
^L^rguerile ne parlent pas anglais, etc. .• Blasphème envers sainte Cathe-
rine et sainte Marguerite:, violation du précepte de l'amour du prochain.
11° Les honneurs quelle rend à ses saintes : Idolâtrie, invocation des
démons, etc. i 2" Refus de s'en rapporter de ses faits à l'Eglise : Schisme ,
mépris de l'unité et de l'autorité de l'Eglise, apostasie, obstination dans
Terreur.
La faculté des décrets résumait un jugement pareil en six points, et con-
cluait que, si Jeanne, avertie charitablement, ne voulait pas revenir à
l'unité de la foi catholique et donner satisfaction, elle devait être abandon-
née aux juges séculiers pour subir le châtiment de son crime.
Lecture faite des d^ux sentences , l'université se sépara pour en délibérer
ROUEN. — LE JUGEMENT.
3.9
par faculté et par nation, et bientôt, se réunissant en assemblée générale
elle déclara qu'elle les approuvait.
■■ig 1 >9 — Ecu de Frani-e, en 120S, sous Philippe-\ugustc, dei.iiuvi.il tii 1 ^, t, dans le don)on, derniei
vestige du château bati a Rouen parce prince. D après un dessin de M. L Desmarest, architecte, que
le comité de souscription nationale pour le rachat de la tour a charge' de sa restitution. La communi-
cation en est due à iVl. F. Bouquet, à Rouen. — Cet écu, orienté nord-sud, orne la clef de voûte de la
salle du rez-de-chaussée. La salle a de 9 à 10 mètres d'élévation, 6 m. 60 de largeur, avec des murail-
les de 4 m. 20 d'épaisseur. C'est dans ce même rez-de-chaussée, croit-on, que Jeanne, mise en pré-
sence des instruments de la torture, fit aux juges cette réponse : « Vraiment, si vous me deviez faire
« détraire (arracher) les membres et faire partir l'âme hors du corps, je ne vous dirai autre chose; et
« si je vous disais autre chose, après je vous dirais toujouis que vous me l'auriez fait dire par force. »
L'acte en fut e.xpédié aussitôt et remis au.\ trois envoyés de Rouen , avec
des lettres tant pour l'évêque de Beauvais que pour le roi d'Angleterre.
L'université complimentait l'évêque du zèle qu'il avait montré , comme un
320 JEANNE D'ARC.
bon pasteur, contre cette femme dont le venin avait infecté tout le troupeau
des fidèles en Occident-, elle louait la marche du procès et sa conformité au
droit, vantait les docteurs qui nV avaient épargné ni leurs personnes ni
leurs peines, et recommandait à la sollicitude paternelle de Pévèque de
ne rien négliger jusqu'à ce qu'il eÎJt vengé la majesté divine de l'insulte
qu'elle avait reçue. Dans sa lettre au roi d'Angleterre, elle louait le prince
de l'ardeur qu'il avait mise en cette occasion à défendre la foi et à extirper
l'erreur. Elle rappelait les lettres qu'elle lui avait écrites elle-même touchant
la Pucelle; et, donnant son approbation au procès, elle suppliait le roi de
faire toute diligence pour qu'il fût mené à terme brièvement.
Ces pièces à peine arrivées, le 19 mai, l'évèque de Beauvais réunit les
assesseurs dans la chapelle du palais archiépiscopal de Rouen pour leur en
donner lecture. Tous y adhérèrent, et alors chacun fut invité à opiner sur
la marche à suivre pour arriver à la conclusion. D'après l'avis du plus
grand nombre, l'évèque déclara qu'il recourrait encore à l'admonition cha-
ritable; après quoi, il devait prendre jour pour prononcer la sentence.
Le 23 mai, il fit amener Jeanne dans une salle voisine de la prison où
elle était détenue. Pierre Maurice fut chargé d'exposer à l'accusée les fautes,
les crimes et les erreurs où elle était tombée, au sentiment de l'université
de Paris, c'est-à-dire de lui reproduire en substance, et sous les voiles de
son discours, l'acte capital qu'on lui dérobait toujours dans sa forme offi-
cielle, et de l'inviter à renoncer à ses erreurs et à se soumettre au jugement
de l'Église.
" Jeanne, disait-il, tu as dit que, depuis Tàge de treize ans environ, tu
as eu des révélations; que des anges, que sainte Catherine et sainte Mar-
guerite te sont apparus, que tu les as vus fréquemment des yeux de ton
corps , qu'ils t'ont parlé et te parlent encore souvent , qu'ils t'ont dit plusieurs
choses exposées plus pleinement dans ton procès. Or, les clercs de l'uni-
versité de Paris et d'autres , considérant le mode et la fin de ces apparitions ,
la matière des choses révélées et la qualité de ta personne, ont dit que ces
choses sont feintes, séductrices et pernicieuses, ou que de telles révélations
et apparitions procèdent des esprits diaboliques. Tu as dit... » Et il re-
prenait ainsi , en résumé, chacun des douze articles, les faisant suivre du
jugement de l'université de Paris. Après quoi , procédant à l'exhortation
ROUEN. — LE JUGEMENT.
32.
^
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^k^4^
<:vT
omciualaliismûi .4t ^
pmuïiispiomniHuttniee:
Fig 140 — Le )eune Htmi VI d InglUeire est présente pai siint Louis a 1 Entant Jebus que tient la
Vierge. De sa personne part un phylactère, dont l'inscription latine signifie : « Seigneur, donnez-moi
votre sagesse secourable, afin que je fasse ce qui vous est agréable en tout temps. » Miniature du Psau-
tier de Henri VI, ms. du xv*" s., conservé au Musée britannique, collection Cotton. — On voit, dans cette
composition, quelle était la constante préoccupation des souverains anglais de s'affirmer héritiers de
la dynastie de France.
charitable : « Jeanne^ ma très-chère amie, dit-il, il est temps, maintenant
que l'on touche au terme de votre procès, de bien peser ce qui a été dit... )'
JEANNE D ARC. III.
322 JEANNE D'ARC.
Il lui rappelait combien de fois on l'avait pressée de se soumettre à l'Eglise,
l'obstination de ses refus et la longanimité de ses juges, qui, étant en
mesure de prononcer dans la cause, avaient voulu soumettre ses paroles à
l'examen de l'université de Paris. L'université a répondu , et les juges
veulent encore supplier Jeanne de revenir sur ses résolutions, de ne se point
faire retrancher de la communion de Jésus-Christ pour aller se perdre avec
les ennemis de Dieu. Le prédicateur l'invitait à se défier de cet ennemi du
genre humain, qui, pour le séduire, se transforme quelquefois en ange de
lumière; il la pressait de se soumettre à l'Église, d'accepter son jugement.
« En agissant ainsi, disait-il, vous sauverez votre àme et rachèterez,
comme je pense, votre corps de la mort. Mais, si vous ne le faites et que
vous vous obstiniez, sachez que votre àme sera frappée de damnation, et je
crains la destruction de votre corps : desquelles choses daigne vous préser-
ver Jésus-Christ ! «
Jeanne écouta cette admonition, et, sans se laisser ébranler par les prières
plus que par les menaces, elle dit : « Quant à mes faits et mes dits que j"ai
dits au procès, je m'y rapporte et les veux soutenir.
— Croyez-vous que vous ne soyez point tenue de soumettre vos dits et
faits à l'Eglise militante ou à autre qu'à Dieu? — La manière que j'ai tou-
jours dite et tenue au procès, je la veux maintenir quant à ce. » Et elle
ajouta : « Si j'étais en jugement et voyais le feu allumé, et les bourrées
allumées et le bourreau prêt à bouter le feu; si j'étais dans le feu, je n'en
dirais autre chose et soutiendrais ce que j'ai dit au procès, jusqu'à la mort. »
Le juge demanda au promoteur et à Jeanne s'ils n'avaient rien de plus à
dire; et, sur leur réponse négative, il déclara le débat clos, renvoyant au
lendemain pour prononcer la sentence et procéder au delà, « comme de
droit et de raison. »
Ornement tir</ d'un lus. fr. du XV* sit-clc, n* 267(*, A la bililiothL-tinc nationale,
IX
ROUEN
L'ABJURATION
Le Cimetière de Saint-Ouen. — [,a Relapse.
I.E CIMETIERE DE SAlNT-OUE\.
^ ES juges pouvaient maintenant condamner
Jeanne-, mais tant qu'elle demeurait ferme
dans ses affirmations, l'impression qu'elle
avait faite dans les esprits restait entière,
et le jugement, en quelque nom qu'on le
prononçât , était révocable au tribunal de
l'opinion publique. Il fallait donc obtenir
qu'elle se condamnât elle-même, qu'elle
abjurât. On tenta un dernier etïort pour
ébranler la jeune fille. Ni la prison, ni le
secret des interrogatoires privés, ni la
solennité des séances générales n'avaient pu l'émouvoir : on voulut éprou-
ver ce que feraient le spectacle de la foule ramassée sur la place publique,
et la vue du bourreau.
Au jour fixé par l'évèque, le jeudi après la Pentecôte, 24 mai, deux
échafauds furent dressés dans le cimetière de l'abbaye de Saint-Ouen. Sur
l'un siégeait Tévèque, ayant avec lui le cardinal de Winchester, grand-
JEANNE D'ARC.
oncle du roi, et une nombreuse assistance d'abbés, de prêtres et de doc-
teurs; Tautre attendait Jeanne.
Avant de l'y conduire, on n'avait rien négligé qui pût servir à la fin pro-
posée. Dès le matin, Jean Beaupère, le plus habile et le plus considérable des
docteurs, le bras droit de Tévèque, Tétait venu trouver à la prison pour lui
annoncer la cérémonie préparée. Il lui dit que, si elle était bonne chrétienne,
elle déclarerait s'en remettre de tout en l'ordonnance de notre sainte mère
l'Eglise : et, de quelque manière qu'il lui ait présenté la chose, il prétendit,
au jugement de réhabilitation , qu'elle promit de le faire. Nicolas Loyseleur
vint ensuite : il lui avait été donné à titre de conseil; et sur le lieu même
de la cérémonie, comme on avait placé Jeanne au seuil d'une petite porte,
avant de la faire monter sur l'échafaud, il était près d'elle, l'exhortant de
toute sa force à faire ce qu'on lui demanderait, et l'assurant qu'il ne lui
arriverait rien de mal, qu'elle serait remise à l'Église. C'est ainsi préparée
qu'elle arriva sur l'échafaud, où un prédicateur de grand renom, Guillaume
Erard, devait porter le dernier coup.
Il prêcha sur ce texte de saint Jean : « La branche ne peut produire de
fruit elle-même, si elle ne demeure sur la vigne. » Et il exposa avec am-
pleur comment tous les catholiques doivent demeurer sur la vraie vigne de
notre sainte mère l'Église, que la main de Jésus-Christ a plantée; montrant
que Jeanne, par ses erreurs et par ses crimes, s'était séparée de l'unité de
l'Église, et avait, de mille sortes, scandalisé le peuple chrétien. Au milieu
de cette longue diatribe, qui se résumait en ces mots : sorcière, hérétique,
schismatique, le prédicateur, entraîné par son ardeur : « O France ! s'ccria-
t-il, tu es bien abusée ! Tu as toujours été la chambre (maison) très-chré-
tienne ; et Charles, qui se dit roi et de toi gouverneur, s'est adhéré comme
hérétique et schismatique (tel est-il) aux paroles et aux faits d'une femme
inutile, difïaniée et de tout déshonneur pleine; et non pas lui seulement,
mais tout le clergé de son obéissance et seigneurie, par lequel elle a été
examinée et non reprise, comme elle a dit. » Puis, se tournant vers Jeanne ,
et, pour donner plus de force à l'apostrophe, l'interpellant de la main :
« C'est à toi, Jeanne, à qui je parle, et te dis que ton roi est hérétique et
schismatique. »
Jeanne avait accepté toutes ces injures pour elle ; mais, entendant qu'elles
ROUEN. — L'ABJURATION.
32 3
montaient jusqu'au roi : « Par ma foi! sire, dit-elle, révérence gardée, je
Fig. 141. — Vue de l'abbaye de Saint-Ouen , à Rouen. D'.iprès le Momislicon gallicanum. L'emplace-
ment du cimetière de l'abbaye oii Jeanne fit abjuraûon restait inconnu; il a été découvert par l'abbé
Cochet, de regrettée mémoire, en mars 1S71. C'est vers l'endroit placé entre les lettres A et S, près
de l'église Saint-Ouen, que, dans la matinée du 24 mai 1431, Jeanne, épuisée par la lutte, et comme
étourdie par des voix de toutes sortes, conseils, menaces, prières, fit abjuration publi.^ue d'erreurs don
elle était innocente. Nous la verrons quatre jours après rétracter cette abjuration.
VOUS ose bien dire et jurer, sur peine de ma vie, que c'est le plus noble
chrétien de tous les chrétiens, et, qui mieux, aime la foi et 1" Église.
— Fais-la taire, •>• dit à l'huissier le prédicateur, mal content de son inter-
pellation.
326 JEAN NE D'ARC.
Il reprit son discours, et. à la lin, s'adressant à elle sur un ton plus
adouci :
« Voici, dit-il, messeigneurs les juges qui, plusieurs fois, vous ont
sommée et requise de soumettre tous vos faits et dits à notre sainte mère
r Église, vous montrant qu'en vos dits et faits étaient plusieurs choses les-
quelles, comme il semblait aux clercs, n'étaient bonnes à dire et à sou-
tenir. »
Il s'attendait sans doute au dénoùment dont l'avait pu flatter Jean Beau-
père. Jeanne dit : " Je vous répondrai. » Et, vraiment inspirée : « Quanta la
soumission à l'Église, je leur ai répondu. Je leur ai dit en ce point, que
toutes les choses que j'ai faites ou que j'ai dites soient envoyées à Rome,
devers notre saint-père le pape, auquel, et à Dieu premier, je me rapporte;
et quant aux dits et faits que j'ai faits, je les ai faits de par Dieu. » Elle
ajouta que de ces faits et dits, elle ne chargeait personne, ni son roi, ni
aucun autre, et que s'il y avait quelque faute, c'est à elle et non à un autre
qu'il la fallait rapporter.
On lui demanda si elle ne voulait pas révoquer ceux de ses faits ou de ses
ditsqui étaient réprouvés par les clercs, elle répondit: « Je m'en rapporte à
Dieu et à notre saint-père le pape. »
Cette scène, où les juges avaient cherché la glorification publique de leur
procès, allait tourner à leur confusion. Comment accuser de ne point se sou-
mettre à l'Église celle qui s'en rapportait au pape? Ne pouvait-on pas,
avec bien plus de raison, accuser de mépris pour l'autorité de l'Église ceux
qui ne tenaient aucun compte de cet appel fait à son chef? Les juges embar-
rassés représentèrent « qu'on ne pouvait pas aller quérir notre saint père si
loin; que les ordinaires étaient juges chacun dans leur diocèse; qu'il fallait
qu'elle s'en rapportât à notre sainte mère l'Église ainsi entendue, et qu'elle
tint ce que les clercs et les gens en ce se connaissant en disaient et avaient
diterminé de ses dits et de ses faits. »
Tous les voiles tombaient donc : l'Église, c'étaient ses juges; c'est à l'en-
nemi qu'elle avait eu mission de combattre et de chasser de F'rance que l'on
voulait que, sous peine de schisme et d'hérésie, elle s'en remît de la vérité
de sa mission. Il fallait bien conclure. Érard prit la cédule où étaient énu-
mérées les diverses choses dont on l'accusait, et la somma de les abjurer.
ROUEN. — I.'AI5JURATI0N. 327
Mais qu'était-ce qu'abjurer? elle n'en savait rien, ni surtout combien ce
qu'on lui présentait comme moyen de salut offrait de périls Elle de-
manda donc ce que cela voulait dire, et l'huissier Massieu , chargé par Érard
de le lui expliquer, en profita pour luidireà quoi elle s'exposait si elle reve-
nait jamais sur le désaveu qu'on aurait obtenu d'elle. Elle suivit son con-
seil, et dit à haute voix : « Je m'en rapporte à l'Eglise universelle si je dois
abjurer ou non. — Tu les abjureras présentement ou tu seras arse (brûlée)
aujourd'hui même, » s'écria Erard furieux.
N. Loyseleur, qui ne l'avait point quittée, lui répétait : » Faites ce que je
vous ai dit; reprenez l'habit de femme. » Tout le monde la pressait :
« Faites ce qui vous est conseillé. Voulez-vous vous faire mourir? )> Et les
juges eux-mêmes prenaient le langage de la compassion : « Jeanne, nous
avons tant pitié de vous! Il faut que vous retranchiez ce que vous avez dit,
ou que nous vous livrions à la justice séculière. » Jeanne protestait toujours
qu'elle n'avait rien fait de mal , qu'elle croyait aux douze articles de foi et
aux commandements de Dieu , disant de plus qu'elle s'en référait à la cour
de Rome et croyait ce que la cour croyait. Et comme on insistait : — « Vous
vous donnez bien du mal pour me séduire, )■ ajoutait-elle.
Cependant l'évêque, a3'ant par trois fois inutilement renouvelé ses som-
mations, commença à lire la sentence. L'heure était redoutable : et qui s'é-
tonnera qu'une pauvre fille y succombe? Epuisée par la lutte et comme
étourdie par ces voix de toutes sortes, conseils, menaces, prières, elle
tombe tout à coup, dans ce silence imposant où il semble que tout le monde
l'abandonne, devant le juge qui la condamne et le bourreau qui l'attend.
Elle cède; elle dit : « Je me soumets à l'Eglise; » et elle priait encore saint
Michel de l'aider et de la conseiller. On se hâta de prendre acte de sa sou-
mission en forme authentique. Ce long débat , et plus encore la lutte inté-
rieure qu'elle avait dû soutenir, avaient brisé tout ressort en elle. L'huissier
Massieu lui lisait la formule, et elle la redisait après lui, comme sans savoir
ce que cela voulait dire; elle souriait en répétant les mots, si bien que plu-
sieurs croyaient qu'elle se moquait.
La formule d'abjuration, telle qu'elle est au procès, donnait pleine satis-
faction aux juges. Jeanne contre-signait les douze articles et les plus violentes
qualifications de l'accusateur. Elle confessait qu'elle avait très-grièvement
328 JEANNE D'ARC.
péché en feignant mensongèrement « avoir eu des révélations et apparitions
de par Dieu, en séduisant les autres, en faisant superstitieuses divinations,
en blasphémant Dieu et ses saints^ » qu'elle avait transgressé la loi divine,
la sainte Écriture et les canons « en portant habit dissolu , difforme et dés-
honnête contre la décence de nature, et cheveux rognés en rond en guise
d'homme contre toute honnêteté du sexe defemnie; » en portant les armes,
« en désirant crueusement (cruellement' effusion de sang humain; » en
disant qu'elle avait fait tout cela par commandement de Dieu , et qu'elle
avait bien fait; " en méprisant Dieu et ses sacrements-, » en faisant sédition,
idolâtrant et invoquant les mauvais esprits. Elle confessait de plus qu'elle
avait été schismatique et par plusieurs manières avait erré dans la foi. Les-
quels crimes et erreurs elle abjurait, se soumettant à la correction de l'Eglise
et à bonne justice, et promettant à saint Pierre et au pape, comme à l'évê-
que et aux juges présents, de n'y plus retomber.
Cette formule, qui figure au procès et en français et en latin, a pourtant
contre elle des difficultés assez graves. C'est qu'elle est très-longue (nous
l'avons considérablement abrégée}, et, au témoignage de tous ceux qui l'ont
vue et entendue, la formule lue à Jeanne était fort courte. Elle dura à peu
près comme un Pater iiostcr, dit Pierre Miget ; et elle fut lue deux fois,
Jeanne répétant les mots après Massieu. Elle avait six lignes de grosse écri-
ture, dit le greffier Taquel , qui était proche; six ou sept lignes, disent
J. Monnet et G. de la Chambre; et ce dernier ajoute qu'il était assez près
pour en voir les mots. Mais on n'a pas seulement le témoignage de ceux
qui l'ont vue ou entendue, on a la parole de celui qui l'a lue à Jeanne.
Massieu déclare « que la formule contenait huit lignes au plus, et fju'il sait
fermement que ce n'est pas celle dont il est parlé au procès; que la formule
insérée au procès n'est pas celle qu'il a lue lui-même et que Jeanne a
signée. »
Il n'est pas impossible, en effet, qu'en vue de l'accusation, on ait dressé
cette longue formule qui la résume et la sanctionne. Mais il n'est pas invrai-
semblable non plus qu'en vue de l'accusée et de ce qu'on voulait obtenir
d'elle, on en ait fait une autre moins susceptible de provoquer la révolte de
sa conscience. Le procès- verbal a-t-il faussement donné, avec son signe et
son nom, une pièce qu'elle n'a pas signée, ou comment a-t-elle signé un
Fig. 142. — Eglise de l'abbaye de Jumiége», xu'- et xm'^ siècle. Élat des ruine» en 1620, daprês les Vuyagcs
dans l'ancienne France, par J. Taylor. — Nicolas le Roux, abbé de Jumiéges, assista au procès de condam-
nation Je la Pucelle et à la scène d'ah)uration.
JEANNE o'arC. III. — 42
33o JEANNE DARC.
pièce qu'on ne lui a pas lue? Le faux n'étant guère supposable avec la con-
nivence du greffier, on doit le chercher-dans une substitution d'une autre
sorte, et l'on en peut trouver la trace dans un témoignage recueilli au procès
de réhabilitation. Si l'on en croit Haimond de Macy, qui était là, un An-
glais, le secrétaire du roi d'Angleterre, Jean Calot, serait venu ici en aide
aux juges. Dès que Jeanne eut cédé, dit le témoin, il tira de sa manche un
petit papier qu'il lui donna à signer, et ce fut lui qui, mal content du signe
qu'elle y avait tracé, lui tint la main et la guida pour qu'elle y mît en toutes
lettres son nom.
Une chose pressait encore les juges d'abréger la scène : c'est qu'elle était
fort mal goûtée des Anglais. Les Anglais croyaient toucher au terme de ce
procès, dont les longueurs suspendaient tout pour eux : car, tant que Jeanne
vivait, ils n'osaient, on l'a vu, rien entreprendre. Ils étaient venus, sûrs
de la ressaisir enfin : puisque, si elle s'obstinait, comme on devait s'y
attendre, la sentence la livrait au bras séculier, et le bourreau était là. Ils
ne comprenaient donc rien aux efforts des juges pour obtenir qu'elle abjurtu,
et plus d'une fois ceux-ci furent interrompus par des murmures. Mais,
quand on vit qu'ils avaient réussi , la fureur fut au comble : on leur jeta des
pierres; un chapelain du cardinal de Winchester, qui se trouvait auprès de
l'évéque, l'appela traître. — » Vous avez menti, » dit l'évéque.
L'évèque avait raison : le chapelain avait menti.
Pour rendre à l'Angleterre l'autorité qu'elle avait perdue, il ne suffisait
pas de brûler Jeanne , comme le croyait cette soldatesque superstitieuse qui
ajournait jusqu'à sa mort toute espérance de la victoire. C'était peu que de
la faire mourir, si l'on ne frappait d'abord sa mission. Or, pour l'atteindre,
rien de sûr, nous l'avons dit , que son propre désaveu. Il le fallait avoir à
tout prix, dût-on l'acheter pour le moment par la grâce de la vie. D'ail-
leurs, l'abjuration acquise, la grâce était facilement révocable. La fermeté
avec laquelle Jeanne avait, pendant près de deux ans, soutenu devant ses
juges la vérité de sa mission, marquait assez comme elle en était convain-
cue : et ces convictions ne se perdent pas dans un moment d'étourdissement,
de lassitude ou même de faiblesse. De plus, elle n'avait pas seulement re-
noncé à ses idées, elle avait renoncé à son habit d'homme. Or il y avait un
mo3ren infaillible de lui faire reprendre cet habit : c'était, au pis aller, de
ROUEN. — L'ABJURATION. 33i
ne point lui en laisser d'autre. Il n'en fallait pas plus pour qu'elle devînt
relapse. L'évèque de Beauvais savait donc bien ce qu'il faisait; et le cardi-
nal de Winchester ne l'ignorait pas non plus, sans doute. Il impcsa dure-
ment silence à son chapelain, et quand l'évèque, après l'abjuration, prit son
avis sur ce qu'il fallait faire : <f L'admettre à la pénitence, » dit le cardinal.
L'évèque prononça donc la sentence.
Après avoir rappelé son devoir de pasteur et résumé tout le procès , il
énumérait les crimes déjà vus dans la formule d'abjuration prêtée à Jeanne,
et l'en déclarait coupable; mais, considérant qu'à la suite de tant d'avertis-
senients charitables elle était rentrée au sein de l'Eglise et avait publique-
ment abjuré ses erreurs, il l'absolvait de l'excommunication. Toutefois,
comme elle avait péché contre Dieu et l'Église, pour sa salutaire péni-
tence il la condamnait à la prison perpétuelle, au k pain de douleur et à
l'eau d'angoisse, » afin qu'elle y apprît à pleurer ses fautes et à ne plus les
commettre.
Jeanne , absoute de l'excommunication , aurait bien pu espérer sa mise
en liberté. C'est par là qu'on avait tenté de la séduire : Érard lui avait dit
qu'en abjurant elle serait délivrée de prison. Condamnée à la prison par
forme de pénitence, elle devait compter au moins n'en avoir pas d'autre que
celle de l'Église. C'était de droit, tout le monde s'y attendait. Plusieurs en
parlèrent à l'évèque; et Jeanne elle-même, comme Loyseleur la félicitait,
'< d'avoir fait une bonne journée, n Jeanne disait à ceux qui l'entouraient :
« Or çà, entre vous, gens d'Église, menez-moi en vos prisons , et que je ne
sois plus en la main des Anglais. » Mais l'évèque dit : « Menez-la où vous
l'avez prise. « — Pouvait-il la renvoyer ailleurs? Jeanne était aux Anglais :
ils avaient fait leurs conditions en la livrant à l'évèque. Ils ne la lui avaient
donnée que pour la juger, condamnée ou non, elle retombait en leur puis-
sance. Mais c'était à l'évèque de ne point accepter des conditions qui déna-
turaient le caractère de la peine et ne laissaient à son jugement de force que
pour la mort; c'était à lui de ne pas tromper sa victime sur les suites de la
soumission qu'il avait tant tra\aillé à lui surprendre. En la remettant aux
Anglais, il s'avouait leur complice : il rendait infaillible cette parole d'un
docteur à Warwick , comme il se plaignait que le roi était mal servi et que
Jeanne échappait : « Sire, n'ayez cure, nous la rattraperons bien. »
332 JEANNE D'ARC.
LA RELAPSE.
Dans l'après-midi du même jour (jeudi), les juges vinrent trouver Jeanne
à la prison. Ils lui rappelèrent la grande miséricorde qu'ils lui avaient faite
en la recevant au pardon de TÉglise, rengagèrent à se bien soumettre et à
ne plus revenir à ses erreurs : l'avertissant que l'Église, si elle y retombait
encore, ne la recevrait plus. Puis ils l'invitèrent à laisser l'habit d'homme et
i\ vêtir l'habit de femme , comme l'Église l'avait ordonné : et Jeanne pro-
mit d'obéir en toute chose et elle accepta l'habit qu'on lui présentait.
Mais le dimanche, un bruit se répand tout à coup : Jeanne a repris ses
habits d'homme; elle est relapse, c'en est fait d'elle! Il fallait constater la
chose : encourut à la prison; et ce ne fut pas sans péril. On se défiiat de ces
prêtres; on soupçonnait qu'ils avaient encore dessein de tout accommoder.
Quand ils arrivèrent dans la cour du château, ils virent fondre sur eux une
centaine d'Anglais criant qu'eux, gens d'Église, étaient tous faux, traîtres,
Armag-neaux et faux conseillers; et ils eurent grand'peine à échapper à ces
furieux, qui les menaçaient de leurs épées et de leurs haches. Rien ne se fit
ce jour-là; et le lendemain le greffier Manchon, mandé au château pour
y remplir son office, était encore si elTra^'é qu'il refusa de s'v rendre, s'il
n'avait sûreté : il n'y vint que sous la protection de l'un des gens du
comte de "V\''ar\vick.
Ce même jour lundi 28 mai', l'évêque et le vice-inquisiteur, accompa-
gnés de sept ou huit maîtres, se rendirent eux-mêmes à la prison. En même
temps que l'on prenait acte du fait, il n'était pas sans intérêt d'en savoir la
cause. Jeanne n'était pas libre là où elle était. Comment, si bien gardée,
avait-elle repris l'habit d'homme? Il fallait de la part de ses gardiens de la
connivence au moins, sinon autre chose. Dans tous les cas, il était bon d'en
savoir les motifs avant d'en rien décider : un des assesseurs, Marguerie, osa
en faire l'observation. ■> Taisez-vous , de par le diable! » lui dit quelqu'un;
et les soldats , l'appelant traître Armagnac , avaient levé leurs lances pour
l'en frapper.
Les juges vinrent donc, et demandèrent à Jeanne pourquoi elle avait pris
|Bi
ROUEN. L'ABJURATION
333
Kig. 14:*. — Jeanne en prison, dessin de lienoiiville, (Communiqué par M""^ Marjolin-ScheHer, à Paris.
cet habit et qui le lui avait fait prendre. Elle répondit, selon le procès-
verbal, qu'elle l'avait pris de sa volonté , sans nulle contrainte; qu'elle aimait
mieux l'habit d'homme que l'habit de femme.
334 JEANNE DARC.
a Mais, lui dit-on, vous aviez promis et juré de ne pas reprendre cet
habit. — Je n'ai jamais entendu faire serment de ne pas le reprendre.
— Pourquoi donc Favez-vous repris? — Parce qu'il est plus con-
venable d'avoir habit d'homme étant entre les honimes , que d'avoir
habit de femme. » Et elle ajouta d'ailleurs qu'elle avait eu le droit de le
reprendre, puisqu'on ne lui avait pas tenu ce qu'on lui avait promis,
c'est-à-dire d'aller à la messe, de recevoir son Sauveur et d'être mise hors
des fers.
» Vous aviez abjuré, et tout spécialement promis de ne pas reprendre
l'habit d'homme. — J'aime mieux mourir que d'être aux fers. Mais si on
me veut laisser aller à la messe et m'ôter des fers, si on veut me mettre en
prison gracieuse, et que j'aie une femme, je serai bonne et ferai ce que
l'Église voudra. »
L'Église, telle que la faisait Pierre Cauchon, n'avait plus de conditions
à débattre avec elle. Le juge, bien sijr de la trouver relapse autrement que
par l'habit, lui demanda si depuis le jeudi, jour de l'abjuration, elle n'avait
point entendu ses voix : — « Oui , dit Jeanne sans éviter le piège qu'on lui
tendait.
— Et que vous ont- elles dit ? »
Elle répondit (on lit à la marge des manuscrits authenthiques ces mots :
Réponse mortelle, responsio mortifera) :
« Dieu m'a mandé par sainte Catherine et sainte Marguerite la grande
pitié de la trahison que j'ai consentie en faisant abjuration pour sauver ma
vie; que je me damnais pour sauver ma vie. « Elle ajouta qu'avant le jeudi
même, ses voix lui avaient dit ce qu'elle ferait en ce jour-, que sur l'écha-
faud , elles lui disaient de répondre hardiment à ce prêcheur, à ce faux
prêcheur, comme elle l'appelait elle-même , qui l'avait accusée d'avoir fait
des choses qu'elle n'avait pas faites-, et, affirmant de nouveau sa mis-
sion : « Si je disais que Dieu ne m'a pas envoyée , je me damnerais : la
vérité est que Dieu m'a envoyée. >> Elle finissait par s'accuser de sa fai-
blesse : '< Mes voix, disait-elle, m'ont dit que j'avais fait une grande mau-
vaiseté de confesser n'avoir pas bien fait ce que j'ai fait, « ajoutant que
c'est par peur du feu qu'elle avait dit ce qu'elle avait dit.
« Crovez-vous que vos voix soient sainte Marguerite et sainte Catherine ?
ROUEN. — L'ABJURATION. 335
dit le juge, reprenant avec empressement tous les points de rabjuration. — -
Oui, qu'elles sont de Dieu.
— Mais sur l'échafaud vous aviez dit que mensongcrement vous vous
étiez vantée que c'était sainte Catherine el sainte Marguerite. ^ Jene Ten-
tendais point ainsi faire ou dire. »
Elle afiirma derechef qu'elle n'avait jamais entendu révoquer ses appari-
tions, et que , si elle avait révoqué quelque chose , c'était par crainte du feu et
contre la vérité. — Elle pouvait maintenant avouer cette peur, car elle ne
l'avait plus, et elle savait où la menaient ses paroles. Mais elle déclarait
qu'elle aimait mieux faire sa pénitence en une fois, c'est-à-dire mourir, que
d'endurer plus longuement la prison. Elle protestait qu'elle n'avait jamais
rien fait contre Dieu ou la foi, quelque chose qu'on lui ait fait révoquer;
qu'elle n'entendait rien révoquer sans le bon vouloir de Dieu. Elle ajoutait
que si les juges voulaient, elle reprendrait l'habit de femme (elle en avait dit
les conditions), et que du reste elle n'en ferait autre chose.
Les juges se retirèrent. Tout était consommé. Plusieurs s'en aflligèrent
sincèrement, Pierre Maurice, par exemple; mais d'autres s'en réjouirent en
témoignant bruyamment leur joie. L'évèque, sortant de la prison, vit le
comte de Warwick et une multitude d'Anglais qui attendaient avec impa-
tience le résultat de cette visite; et ne voulant pas le tenir plus longtemps
en suspens : « Fareivell , Fareivell, cria-t-il en riant; faites bonne chère :
c'est fait. »
Cette fière déclaration semblait pourtant détruire tout ce qu'on avait gagné
par la scène de l'abjuration; mais on ne pouvait tout faire à la fois, et,
pour le moment, elle donnait au juge la satisfaction de mener le procès où
les Anglais voulaient qu'il aboutît, sans avoir rien sacrifié des formes impo-
sées par la procédure de l'Eglise. La procédure a suivi toutes ses phases
sans précipitation; mais la conscience du juge en est-elle plus assurée, et
l'habileté qu'il montre dans cette conduite ne le rend-elle pas plus cou-
pable ? Son intelligence ne s'abuse pas, mais il refuse de voir et d'entendre.
Et qu'est-ce donc s'il supprime ou s'il voile ce qui, aux veux des autres,
pourrait laisser percer la vérité?
En effet, dans ce dernier et solennel interrogatoire, notamment sur le
point qui le motiva, la reprise de l'habit d'homme, le procès-verbal a-t-il
Fi<*. 144. — Jeanne affirme qu'elle n'a jamais entendu révoquer ses apparitions, et que, si elle a révoqué quelque chose,
comme reljysf. Le greffier a écrit en marge : Réponse vwrtellc. — Fac-similé de l'un des
OrUcHvCs^^ I^Uvt-VA^r <1^vwi1cvOh^'ui Ct louera ftOHr:p^A£^iii,
^ St^ fxJ?' '■^I^lf ^^>>v^ #^t»i^ -^^^ \^« -pQKitp^ flêj
c'est par peur du leu et pour sauver sa vie. C'est en effet sur cette déclaration que Jeanne fut condamnée
manuscrits autlientiques Ju texte du procès, conservée à la bibliothèque nationale, fonds latin, n° Sgôô.
Lecture. — Inlerrogata qiiid sibi dixerunt : respondit qiiod Deus mandavit sibi,
per sanctas Katharinam et Margaretam, magnam pietatem illius grandis proditionis
in quam ipsa Johanna ainsenserat , faciendo abjuralioncm et revocalionem pro sahando
vilain snani ; et quoj ipsa se damnaverat pro salvando vilatn suani. Item di.vit quod,
ante diem jovis, voces suae sibi dixerunt illud quod ipso illo die faceret et quod protuni
ipsa fecit. Dixit ultra quod voces suae sibi dixerunt quando erat in scafaldo seu
ambone, coram populo, quod audacter responderet illi praedicatori, qui tune praedi-
cabat . dicebatque eadein Johanna quod ille erat falsus praedicaior et quod plura
dixerat eam fectsse quae ipsa non fecerat. Item dixit quod, si ipsa diceret quod Deus
non mississet eam, ipsa damnaret se, et quod veraciter Deus ipsam misit.
Affirma ut supra. Boscguillaume.
Responsio
mortifera.
Traduction. — Interrogée sur ce qu'elles lui ont dit , a répondu : Que Dieu lui
a mandé, par sainte Catherine et sainte Marguerite, la grande pitié qu'elle a eue de
cette grande trahison à laquelle elle-même a consenti, en faisant abjuration et révo-
cation pour sauver sa vie, et qu'elle s'était damnée pour sauver sa vie. De même
elle dit qu'avant jeudi dernier ses voix lui avaient dit ce qu'elle ferait et ce qu'elle a
fait ce jour-k'l. Elles dit encore que ses voix lui dirent, quand elle était sur l'échafaud
devant le peuple, de répondre hardiment au prêcheur qui parlait. Et Jeanne disait
aussi qu'il était un faux prêcheur, et qu'il lui avait reproché d'avoir fait beaucoup
de choses qu'elle n'avait pas faites. Enfin, elle déclara que, si elle disait que Dieu
ne l'avait pas envoyée, elle se damnerait , car la vérité est que Dieu l'a envoyée.
J'affirme comme ci-dessus. Boisguillaume.
Réponse
mortelle.
JEANNE D ARC. III
338 JEANNE D'ARC.
tout dit? Thomas de Courcelles, qui le mit en latin, s'exprime dans le
procès de révision à peu près comme le faisait le texte officiel : « Interrogée
sur ses motifs, elle répondit qu'elle l'avait fait parce qu'il lui paraissait plus
convenable de porter l'habit d'homme parmi les hommes que Thabit de
femme. » Mais Manchon, qui tenait la plume alors, ajoute comme
témoin à ce qu'il avait écrit comme greffier : « Elle répondit qu'elle
Tavait fait pour défendre sa pudeur, parce qu'elle n'était point en sûreté
sous ses habits de femme avec ses gardiens qui voulaient attenter à sa
pudeur. »
Qu'on se rappelle comment Jeanne était gardée, et quelles étaient les
dispositions des Anglais envers elle. Jeanne était aux fers sous la garde de
cinq soldats, dont trois se tenaient dans sa prison et deux à la porte : « Je
sais, )) dit l'huissier Massieu, celui qui l'allait prendre à la prison pour la
mener au tribunal, « je sais de certain que de nuit elle était couchée ferrée
par les jambes de deux paires de fer à chaîne, et attachée moult étroitement
d'une chaîne traversante par les pieds de son lit, tenante à une grosse pièce
de bois de longueur de cinq à six pieds, et fermante à clef, par quoi ne
pouvoit se mouvoir de la place. » Plusieurs fois, sous ses habits d'homme
qu'elle ne quittait jamais, elle avait été en butte aux brutalités de ses gar-
diens : l'évêque le savait bien; il avait reçu ses plaintes, et un jour il avait
fallu que "Warwick accouriit pour la sauver du dernier outrage parmi ces
délégués de la justice! Mais maintenant la sentence était portée-, l'évêque
l'avait rendue aux Anglais : elle leur était comme livrée. Lorsqu'on la ra-
menait de Saint-Ouen, les valets [mangones) l'insultaient et les maîtres les
laissaient faire. A quoi n'était-elle point exposée, seule dans la prison, en-
chaînée, en compagnie de ces cinq hotispilleiirs , comme ils sont appelés
quelque part! Isambard de la Pierre, qui est nommé au procès-verbal
parmi les assistants de l'évêque en ce même interrogatoire, confirme, comme
l'ayant entendu lui-même, ce qu'en a dit dans sa déposition le greffier
Manchon, et il ajoute que « de fait, » quand il entra, « il la vit éplorée, son
visage plein de larmes, défigurée et outragée en telle sorte qu'il en eut
pitié. )> Il en sut davantage de Jeanne dans un entretien qu'il eut plus tard
avec elle : et ici son témoignage est confirmé par celui de Martin Ladvenu,
qui la confessa et l'administra pour la dernière fois. Ce ne furent pas seule-
ROUEN. - L'ABJURATION.
339
ment ces soldats de bas étage, ces hoitspilleiirs placés auprès d'elle : c'est
un milord anglais qui entra dans son cachot et tenta de la violer.
Voilà pourquoi Jeanne reprit Thabit d'homme, dût-elle après cela mourir.
L'huissier Massieu en donne une autre raison encore. Le dimanche matin
Jeanne, étant dans son lit, dit à ses gardiens : « Déferrez-moi et je me
lèverai. » Mais l'un d'eux, s'approchant, lui retira ses vêtements de femme,
et ils lui jetèrent son habit d'homme que l'on gardait (pourquoi?) dans un
sac en quelque coin delà prison. « Messieurs, leur dit Jeanne, vous savez
Fig. 145. — Jeanne, en prison à Rouen et chargée de chaînes, est insultée par ses geôliers.
Bas-relief de M. Vital-Dubray, à Orléans, xix'^ siècle.
qu'il m'est défendu : sans faute, je ne le prendrai pas. » Mais ils ne voulu-
rent point lui en donner d'autre , et à la fin, forcée de se lever, elle le dut
prendre et garder, nonobstant ses protestations. Il n'est pas impossible, en
effet, que les Anglais, n'ayant pu parvenir à leurs fins, aient résolu d'en
finir avec elle de cette autre manière; mais si Jeanne réclama ses habits de
femme, voulant savoir à quelle intention on les lui ôtait, il est douteux
qu'elle ait tant insisté pour les reprendre. Elle put donner cette raison à
Massieu, parce que cela suffisait bien pour l'excuser; elle n'en dit rien
devant ses juges, parce qu'elle était résolue de ne plus se vêtir en femme, à
moins d'être gardée dans une autre prison, « aj'ant une femme avec elle. »
C'est un trait que Thomas de CourccUes a supprimé de sa rédaction ofîi-
340 JEANNE D'ARC.
cielle, comme insignifiant sans doute ! mais qu'on retrouve dans la copie de
la minute française du procès-verbal ; et il achève de répandre la lumière
sur ceux qu'on y a gardés. La minute même n'a-t-elle pas supprimé autre
chose ? On serait en droit de le conclure en rapprochant ce que Manchon
a écrit alors et ce qu'il a dit plus tard. Que si rien d'important n'a été sup-
primé, il faut croire que les paroles de Jeanne, avec le commentaire qu'on
avait sous les yeux, en disaient assez pour la faire comprendre , puisque
deux témoins de la scène, l'un assesseur, l'autre greffier du juge, l'ont com-
prise ainsi.
Le juge l'avait bien comprise lui-même sans doute, et, s'il eût voulu
reconnaître que la pudeur de la femme n'est pas moins sacrée que son habit,
il aurait dû s'accuser d'avoir mis Jeanne dans la nécessité de retomber, en
la renvo3'ant dans ces prisons où il fallait qu'elle sacrifiât l'une des deux
choses à l'autre. Or, pour Jeanne, l'alternative n'était pas douteuse, dût-
elle se placer par son choix en présence de la mort. Mais il ferma son cœur
à ce sentiment; et, bien loin d'être touché de cet héroïsme, il avait ramené
Jeanne à d'autres questions où il était bien sur de la retrouver telle qu'elle
était au procès , comme pour l'entraîner de chute en chute au plus profond
de l'abîme où elle devait périr. Les Anglais avaient donc calomnié Pierre
Cauchon : il n'était pas traître au roi. Tout en satisfaisant sa propre haine,
il avait bien gagné son argent.
Le lendemain , mardi , l'évêque réunit dans la chapelle du palais archi-
épiscopal une nombreuse assemblée d'abbés et de docteurs. Il leur rappela
tout ce qui s'était passé depuis la veille de la Pentecôte : l'abjuration de
Jeanne, et comment, après avoir accueilli ses admonitions et reçu l'habit de
femme , elle avait repris l'habit d'homme et renouvelé toutes ses affirmations
touchant ses voix. Il fit lire l'interrogatoire qui avait suivi et ses réponses
consignées au procès- verbal. Puis il prit l'avis de chacun. Tous la déclarè-
rent relapse, non-seulement Nicolas Loyseleur, le traître, mais Isambard
de la Pierre et Martin Lad venu, qui l'assistèrent à ses derniers moments; et
pourtant ils ne se faisaient aucune illusion sur le crime qu'elle pouvait avoir
commis en reprenant l'habit d'homme : ils témoignent au procès de révision
des raisons capitales qui l'y contraignirent. Personne n'entreprit de l'excuser,
je ne dis pas de la défendre. La plupart, à l'exemple de l'abbé de Fécamp,
342
JEANNE D'ARC.
furent d'avis qu'on lui relût la formule d'abjuration (cela les décharge au
moins de toute complicité dans la substitution d'une fausse formule) , et
qu'on l'avertît charitablement touchant le salut de son âme; mais ils
voulaient qu'on lui déclarât qu'elle n'avait plus rien à espérer dans la vie
présente. Elle devait être livrée au bras séculier.
L'évêque, ayant recueilli les avis, remercia ses conseillers, et fit assigner
Jeanne à comparaître le lendemain sur la place du Vieux-Marché; c'était
là qu'il devait achever la procédure en livrant Jeanne au ]uge civil , et par ce
juge au bourreau.
ignatures des trois notaires d'église : Boisguillaume , (i. Manchon et N. Taqucl ,
employés comme greffiersau procès de la Pucelle.
Tiré du ms. authentique, conservé à la biblioth. nat.,sous le n" Soûj latin.
r9^:
'/ik'^^-'\
- \ ,- ,'
fi^:^- >^
, biblioth^quo de M. Arabroîse F.-TJHi
ROUEN
LE SUPPLICE
La Visite à la- prison. — La Place du Vieux-Marché
LA VISITE A LA PRISON'.
:s le matin, le mercredi 3o mai, frère
Martin Ladvenu et frère Jean Tout-
mouillc vinrent, sur Tordre de révèque,
trouver Jeanne dans la prison pour la
préparer à mourir. Jeanne, en révoquant
Initiale d'an manuscrit latin du XV- si.
Biblioth, de M. Ambroise F.-Didot.
>ur tous les points son abjuration , savait
à quoi elle s'exposait; en avouant qu'elle
avait cédé à la peur de la mort , elle mon-
trait bien qu'elle ne la craignait plus.
Néanmoins , la première annonce du sup-
plice auquel on la destinait réveilla en
elle toute la sensibilité de la femme. « Quand ledit'Ladvcnu , dit l'autre frère,
annonça à la pauvre femme la mort dont elle devoit mourir ce jour-là ,
qu'ainsi ses juges l'avoient ordonné et entendu , et qu'elle ouït la dure et
cruelle mort qui lui étoit prochaine , elle commença à s'écrier douloureuse-
ment et piteusement , se destraire (tirer) et arracher les cheveux : « Hélas I
« me traite-t-on si horriblement et cruellement, qu'il faille que mon corps
<i net en entier, qui ne fut jamais corrompu, soit aujourd'hui consumé et
344 JEANNE D'ARC.
« rendu en cendres ! Ah ! ah ! j'aimerois mieux être décapitée sept fois que
« d'être ainsi brûlée. Hélas! si j'eusse été en la prison ecclésiastique à
« laquelle je m'étois soumise , et que j'eusse été gardée par les gens d'Église ,
« non pas par mes ennemis et adversaires, il ne me fût pas si misérable-
« ment meschu , comme il est. Oh ! j'en appelle devant Dieu, le grand juge,
« des grands torts et ingravances qu'on me fait. »
Comme elle se plaignait ainsi, survint l'évèque. A sa vue, elle s'écria :
« Évêque , je meurs par vous ! — Ah ! Jeanne , dit l'évèque , prenez en pa-
tience. Vous mourez pour ce que vous n'avez tenu ce que vous nous aviez
promis, et que vous êtes retournée à votre premier maléfice. »
Et la pauvre Pucelle, continue le frère, lui répondit :
« Hélas! si vous m'eussiez mise en prison de cour d'Église, et rendue
entre les mains des concierges ecclésiastiques compétents et convenables ,
ceci ne fût pas advenu : pour quoi j'appelle de vous devant Dieu. »
Que venait faire le juge à la prison? et pourquoi devançait-il le moment
qu'il avait marqué à Jeanne pour comparaître ? »
Ce qui le ramenait auprès de Jeanne, ce n'était point cette question de
l'habit. Il savait trop bien ù quoi s'en tenir sur ce point. D'ailleurs, que
faisait maintenant l'habit? Il avait accompli son office, puisqu'il menait
Jeanne à la mort ; et la Pucelle ne le réclamait pas davantage. Elle le vou-
lait pour être en prison ; elle ne le demandait point pour mourir. Lorsqu'au
milieu de ses refus de quitter l'habit d'homme, elle avait prié ses juges de
lui donner, si elle devait être menée au supplice, « s'il la falloit dévcstir en
jugement, » une chemise de femme, et que ceux-ci s'en étonnaient comme
d'une contradiction , elle avait répondu : « Il suffit qu'elle soit longue. »
Mais il y avait d'autres points de sa rétractation qui mettaient à néant tout
le résultat de cette procédure. Tant d'ellbrts pour ruiner par sa propre
parole l'autorité de sa mission, pour y montrer une illusion du diable, et
retourner ainsi contre le roi de France l'impression qu'elle avait faite en
faveur de ce prince, devaient-ils donc être perdus? Non. Pour l'amener à
l'abjuration, on lui avait laissé la vie:, pour lui reprendre la vie, on l'avait
poussée à s'en dédire. Il s'agissait de la ramener à son premier désaveu, à
présent que cela même ne pouvait plus la sauver de la mort.
Le moven aurait été trouvé , si l'on en croit une information faite le jeudi
ROUEN. — 1,E SUPPLICE. 345
7 juin, le neuvième jour après la mort de Jeanne, information qui figure à
la suite du procès, écrite de la même main que le procès lui-même, mais
sans signature.
D'après les témoignages produits dans cette prétendue enquête , le jour de
l'exécution, Pierre Maurice, qui avait témoigné de l'intérêt pour Jeanne, et
Nicolas Loyseleur, qui avait gagné sa confiance pour la trahir, étaient
venus dès la première heure à la prison, sous le prétexte de l'exhorter et de
la faire penser à son salut. Ils la pressèrent de dire la vérité sur ses appari-
tions , et notamment sur Tange qui avait apporté au roi une couronne. Elle
dit que l'ange, c'était elle , et la couronne, la promesse du couronnement
qu'elle apportait au roi en s'engageant à le faire couronner. Quant à ses
apparitions, elle les affirmait. Sous quelle forme lui venaient-elles? Elle ne
le déterminait pas proprement. Mais elle a vu deses3'eux, elle a entendu de
ses oreilles; et comme Pierre Maurice lui faisait observer que souvent, au
bruit des cloches, on croit entendre et comprendre certaines paroles, elle
rejeta l'explication et dit qu'elle avait réellement entendu ces voix. Il y avait
un fait d'ailleurs qu'on ne cherchait point à contester, et dont on voulait
s'appuyer pour ébranler la confiancede Jeanne en ses visions : c'est qu'elles
lui avaient promis sa délivrance, et Jeanne allait mourir. Pierre Maurice
lui rappela cette parole, et lui remontra qu'il apparaissait bien que c'étaient
de mauvais esprits, puisqu'ils l'avaient trompée. — « Soient bons, soient
mauvais esprits , dit Jeanne, ils me sont apparus. — Étaient-ils bons ou mau-
vais ? — Je ne sais, disait-elle, je m'en attends à ma mère l'Eglise, » ou bien
encore, « à entre vous, qui êtes gens d'Église. »
Lorsque l'évêque arriva avec le vice-inquisiteur et plusieurs autres asses-
seurs, la victoire, selon ce même document, était donc déjà assurée. On a
vu par la déposition de Jean Toutmouillé comme Jeanne l'accueillit. Ici ,
c'est l'évêque qui l'interpelle. Il place immédiatement la question sur le ter-
rain où on avait bien compté la résoudre : « Or çà , Jeanne , dit-il , vous nous
avez toujours dit que vos voix vous disaient que vous seriez délivrée, et
vous voyez comme elles vous ont déçue ; dites-nous maintenant la vérité. »
Jeanne répondit : « Vraiment , je vois bien qu'elles m'ont déçue. » Et elle
ajouta même, selon un autre, que puisque les gens d'Église tenaient pour
certain que ces apparitions venaient de mauvais esprits , elle croyait désor-
JEANNE d'arc. 111. — 14
346 JEANNE D'ARC.
mais ce que crevaient les gens d'Église, et ne voulait plus ajouter foi à ces
esprits. Jeanne abjurait donc de nouveau , mais il fallait rendre l'abjuration
publique. Nicolas Loyseleur se chargea de l'y préparer. Pour ôter Terreur
qu'elle avait contribué à répand;e, une chose, dit-il à Jeanne, lui restait à
faire : c'était de déclarer publiquement qu'elle avait été trompée et qu'elle
avait trompé le peuple, et d'en demander humblement pardon. Jeanne dit
qu'elle le ferait volontiers, mais qu'elle n'espérait pas s'en souvenir quand
il le faudrait au milieu du jugement public. Elle priait donc son confesseur
de le lui remettre en mémoire. — Si elle ne le fait pas , ce sera la faute du
confesseur.
A ces déclarations, l'un de ceux qui étaient là joint un récit qui les cou-
ronne et les complète. Frère Martin venait de confesser Jeanne. Au moment
de lui donner la communion, tenant dans sas mains l'hostie sacrée, il lui
dit : « Crovez-vous que c'est le corps de Jésus? — Oui, dit-elle, c'est lui
seul qui me peut délivrer; je demande qu'il me soit donné. — Croyez- vous
encore en ces voix ? — Je crois en Dieu seul et ne veux pas croire en ces
voix, puisqu'elles m'ont trompée. »
Voilà dans leur ensemble les témoignages dont on a voulu faire comme
un procès-verbal posthume de cette scène capitale. Les visions de Jeanne
sont avouées, mais elles sont déclarées mensongères et par conséquent
diaboliques. Désormais Jeanne refuse d'y croire, souscrivant à tout ce que
les cens d'Église voudront en décider. Le triomphe de l'évèque est donc
complet; il a regagné l'abjuration sans préjudice de la mort.
Mais quelle est la valeur de cette pièce : Pourquoi l'interrogatoire qu'elle
révèle ne figure-t-il point à sa place dans la suite du procès-verbal? Et
pourquoi , sous cette forme singulière d'un interrogatoire , non de l'accusée ,
mais des assesseurs transformés en témoins, n'est-il point cenifié par la
signature des greffiers ? Avait-il si peu d'importance? Nul ne le croira; et
l'évèque ne le croyait pas non plus, sans doute. Ce n'est pas sa faute
si l'acte est dépourvu de cette attestation. Il voulut contraindre Manchon à
le signer, bien que celui-ci n'eût point assisté à la scène. Manchon refusa.
Mais Taquel y était ; et sa signature ne se trouve pas davantage au bas de
la pièce. Qu'est-ce donc que ce procès- verbal rétrospectif que le greffier pré-
sent à l'acte n'a pas signé, et pour lequel on est réduit à réclamer, sans plus
ROUEN. — LE SUPPLICE. 347
de succès, la signature d'un greffier qui n'y était pas? C'est un procès- verbal '
comme l'eût été celui du procès tout entier, si la volonté de l'évèque n'avait
échoué contre l'honnêteté des greffiers, et aussi., il le faut dire, contre le
ferme esprit de Jeanne. Mais cette fois Jeanne était morte, et on se passa des
greffiers ! On a donc le droit de le récuser en tant qu'il peut invalider les
résultatsdu procèsofficiel .'juridiquement , il estnul ^ historiquement, suspect.
Détruire la foi en la mission de Jeanne, c'était tout l'objet du procès : si on
l'avait pu faire par un acte authentique, l'évèque de Beauvais était trop
habile homme pour le faire par une pièce qui se produit avec tous les signes
de la clandestinité.
La forme seule de cette addition au procès-verbal la frappe donc d'un
entier discrédit. Toutefois, nous ne prétendons pas qu'elle doive passer sans
qu'on y regarde davantage. L'interrogatoire est un fait avéré, et les témoi-
gnages qu'on y a recueillis après coup ne sont pas tous à la charge de
Jeanne. Qu'en résulte-t-il en effet? Qu'elle a faussement inventé ses vi-
sions ? Non. Elle explique l'allégorie par laquelle elle avait répondu sur un
point qu'elle ne voulait pas, qu'elle déclarait hautement ne pas vouloir
révéler, le signe du roi. Quant à ses voix, elle les afiirme. Elle a vu de ses
yeux, elle a ouï de ses oreilles: tous les témoins sont d'accord pour certifier
cette solennelle déclaration; et les juges ne les contestent pas davantage,
puisqu'ils s'appuient de leurs révélations mêmes pour les déclarer menson-
gères et décider Jeanne à les renier, comme des inspirations du malin esprit.
C'est ici leur triomphe-, mais c'est aussi le côté suspect du document dressé
en vue de l'établir. Et pourtant, sans vouloir accepter tout ce qu'on y
trouve sur cette défaillance de la foi de Jeanne en ses voix , on peut hésiter
à déclarer le fait sans le moindre fondement. L'attaque des juges fut fort
habile : ils ne prétendent plus accuser Jeannne elle-même de mensonge dans
ce qu'elle disait de ses révélations : sa conscience se serait soulevée contre
une affirmation dont elle eût senti la fausseté au fond de son âme. Ils
acceptent ces apparitions comme réelles-, seulement ils les accusent d'être
trompeuses. Ses voix lui ont parlé, mais elles lui ont menti; et ils allèguent
ses propres déclarations , opposant la réalité à ses espérances -, à la délivrance
qu'elles lui avaient prédite, la mort qui est là. Jeanne a-t-elle résisté à cette
épreuve, et, si elle n'est point allés jusqu'au reniement , n'a-t-elle pas été au
34» JEANNE DARC.
^^^oins jusqu'au doute? Nous ne voulons pas l'iiflirmer; mais ce qui bien
plus sûrement que les témoignages du document suspect nous porterait à le
croire, c'est la douleuretl'amertumïdeses derniers moments. Elle est comme
seule, et elle cherche des appuis parmi ceux mêmes qui lui ont ravi ses con-
seils : « Maître Pierre, dit-elle à P. Maurice, où serai-je ce soir ? — N'avez-
vous pas bonne espérance en Dieu? dit le docteur. — Oh! oui; et par la
grâce de Dieu je serai en paradis, w
Laissée seule avec Martin Ladvenu, elle se confessa et demanda la
communion. Mais pouvait-il donner la communion à une femme qui allait
être publiquement excommuniée? Le cas méritait d'être soumis à l'évêque.
Ladvenu envoya Thuissier ALissieu lui dire que Jeanne s'était confessée, et
qu'elle demandait à recevoir Feucharistie. L'évêque en conféra avec
plusieurs; après quoi il répondit à Massieu : « Allez dire au frère Martin
de lui donner Feucharistie et tout ce qu'elle demandera. >>
L'eucharistie lui fut apportée sans aucun appareil , sur la patène simple-
ment recouverte du linge du calice , sans lumière , sans escorte , sans surplis ,
sans étole. Frère Martin en fut scandalisé; il envoya chercher une étole et
de la lumière; mais ce qui suppléait à l'absence de toute cérémonie, c'était
la vive piété de Jeanne, qui reçut son Sauveur avec une telle dévotion et
une si grande abondance de larmes, que le frère renonce à le décrire.
LA PLACE DL V I L L X - M A RCH li.
Vers neuf heures, Jeanne , qui avait repris l'habit de femme, sortit de
prison pour se rendre à la place du Vieux-Marché. Elle allait au jugement,
mais c'était à la mort , et tout l'annonçait dans l'appareil dont elle était
environnée. Sa sentence était d'avance écrite sur son front : elle était coilTée
d'une mitre où on lisait ces mots : Hérétique ^ relapse , apostate , idolâtre.
Septàhuitcentshommes marchaient autour d'elle portant glaives et bâtons,
« tellement qu'il n'y avoit homme qui fût assez hardi déparier à elle, excepté
frère Martin Ladvenu et maître Jean Massieu » (le confesseur et l'huissier).
Jeanne ne cherchait point à contenir sa douleur. Elle pleurait.... larmes
respectables , qui ne trahissaient pas la sainteté de sa cause : en montrant
ROUEN.
LE SUPPLICE.
349
en elle la faiblesse de la femme, elles témoignaient d'où lui était venue la
force qui l'avait soutenue dans sa mission. Elle pleurait, se recommandant
à Dieu et aux saints; et tout le peuple qui Tentendait pleurait avec elle.
Nicolas Loyseleur lui-même ne put tenir à ce spectacle; c'était en lui que
Jeanne s'était fiée le plus, l'accueillant comme un compatriote, l'écoutant
Fig. 147. — Jeanne sur le lieu du supplice. D'après une miniature Ju commencement du xvi» siècle, apparte-
nant à M. Ambroise Firmin-Didot. — Le mode du supplice se trouve ici défigur»5 : on a substitué la chau-
dière au b lâcher. — Au centre, l'église Saint-Sauveur; à l'angle gauche, l'église Saint-Michel; et, en avant,
les halles du Vieux-Marché. Il résulte de la comparaison de cette vue avec les indications du Uvri: des
t'ont Jincs, qu'on peut la considérer comme un document topographique non sans valeur.
comme un conseiller, le suivant comme un directeur; et on a vu comment ,
jusqu'à la fin, il avait trompé sa confiance. Lorsqu'il vit qu'on la menait
mourir, il sentit le remords , et se précipita vers la charrette pour lui
demander pardon ; mais les Anglais le repoussèrent avec menaces, l'appelant
traître parce qu'il ne l'était plus. Ils l'auraient tué, sans le comte de
35o JEANNE D'ARC.
^^\^^\vick•, et le comte lui déclara qu'il ne répondait pas de sa vie s'il ne
quittait Rouen au plus tôt.
Trois échafauds avaient été dressés sur la place du Vieux-Marché : l'un
pour les juges; l'autre pour plusieurs prélats et de hauts personnages; le
troisième, en maçonnerie, pour Jeanne, avec ces mots inscrits sur un tableau
placé devant: « Jehanne qui s'est fait nommer la Pucelle, menteresse ,
« pernicieuse, abuseresse du peuple, divineresse, superstitieuse, blasphé-
(c meresse de Dieu, présumptueuse , malcréant de la foy de Jésus-Christ,
« vanteresse, idolâtre, cruelle , dissolue , invocateresse de diables, apostate,
« schismatique , hérétique. » Au-dessus s'élevait le bûcher. En attendant
qu'on l'y menât, elle fut placée sur une des estrades (peut-être une
quatrième), où, à la vue d'un peuple immense , elle dut entendre d'abord
le sermon d'un savant docteur en théologie, l'un des assesseurs, maître
Nicole Midi. Il prêcha sur ce texte de saint Paul aux Corinthiens : « Si un
membre souffre, tous les membres soulTrent ; » et sa conclusion était que,
pour préserver les autres membres de la maladie, il fallait retrancher le
membre malade. » Jeanne, disait-il en finissant, va en paix, l'Église ne
peut plus te défendre; elle te livre au bras séculier. «
Jeanne l'écouta en silence, et elle dut écouter encore les exhortations de
révèque,qui l'engageait à pourvoir au salut de son âme, à penser à tous
ses méfaits et à en faire pénitence; à suivre les conseils des clercs, et
notamment des deux frères prêcheurs qu'il lui a\'ait donnés pour l'assister.
Il aurait du, suivant l'avis presque unanime des assesseurs, lui relire sa
formule d'abjuration , d'autant plus qu'il se vanta plus tard de l'y avoir
ramenée. Mais il aurait pu s'attirer de sa part un démenti public, une
déclaration solennelle qu'elle n'avait jamais avoué ces infamies; et, en
démasquant cette fraude, Jeanne aurait , du même coup, rendu impossible
la nouvelle imposture que l'information apocryphe eut pour objet d'accré-
diter. Il n'en fit donc rien; et, sans invoquer ses anciens désaveux, sans
en provoquer de nouveaux, considérant qu'elle ne s'était jamais détachée
de ses erreurs, qu'elle s'était rendue plus coupable encore dans sa malice
diabolique en simulant la pénitence au mépris du nom et de l'inefTable
majesté de Dieu ; la tenant pour obstinée , incorrigible, hérétique et relapse ,
il prononça la sentence. Après avoir invoqué le nom du Seigneur et rappelé
>NNF I'
SUPPLICE DE JEANNE D'ARC, LE 30 MAI 14-31
-Martiix Ladvenu l'exhorte el. !m montre le ciel, et Frère Isambard tient devant elle la croix, inia^e
du Rédempteur. Coname Jésus-Christ, les I^rophêtes et les Apôtres. Jeaivne consomme sa mission par
Talil
■ a,- Ko,:
ROUEN. — LE SUPPLICE. 35i
SCS erreurs, son abjuration, sa réconciliation, sa recliutc avouée, » comme
d'un chien qui retourne à son vomissement, » il la déclarait hérétique et
relapse, et, à ce titre, excommuniée (elle venait de communier avec sa
permission); il la retranchait du corps de l'Église comme un membre
pourri, de peur que l'infection ne gagnât les autres membres; et il la livrait
au bras séculier, priant la puissance séculière de modérer sa sentence, et de
lui épargner la mutilation des membres et la mort. — En face de lui s'élevait
le bûcher!
Jeanne s'agenouilla et redoubla ses dévotes lamentations et ses prières.
C'est son âme pieuse, charitable et dévouée, qui s'épanche tout entière en ces
derniers moments. Frappée par ses ennemis, elle reporta sa pensée sur son
roi qui la laissait mourir ; et ce fut pour le défendre encore contre les
atteintes de la condamnation que l'on faisait peser sur elle. Elle protesta
que jamais il ne l'avait induite à faire ce qu'elle avait fait soit en bien , soit
en mal : établissant sa propre innocence, tout en ne songeant qu'à mettre
hors de doute la sincérité du roi. En même temps, elle s'adressait à tous,
de quelque condition qu'ils fussent, tant de son parti que de l'autre,
demandant humblement pardon, requérant qu'on voulut bien prier pour
elle, conjurant en particulier les prêtres qui étaient là de lui faire chacun
l'aumône d'une messe, et pardonnant à tout le monde le mal qu'on lui
avait fait. Les juges, les Anglais eux-mêmes étaient émus; il n'y avait
point de cœur si dur qui ne fût touché aux larmes.
Délaissée de l'Eglise, de l'Église de ses ennemis, déclarée apostate,
idolâtre, elle s'était tournée vers le signe du salut, voulant mourir avec
l'image du Rédempteur. Elle avait donc prié Massieu de lui procurer une
croix; un Anglais qui était là lui en fit une d'un bâton. Elle la prit de sa
main, la baisa et la mit dévotement dans son sein. Enmême temps qu'elle
portait la croix sur sa chair, elle voulait l'avoir devant les yeux. Elle pria
le frère Isambard de La Pierre d'aller lui cherchei celle de l'église voisine,
pour « la tenir, disait-elle , élevée tout droit devant ses yeux jusques au pas
de la mort, afin que la croix où Dieu pendit, fût dans sa vie continuellement
devant sa vue; » et quand il l'apporta, elle la couvrit de ses baisers et de ses
larmes, invoquant Dieu, saint Michel, sainte Catherine et tous les saints,
et témoignant de sa foi comme de sa piété.
352 JEANNE DARC.
Cependant, parmi les Anglais, beaucoup trouvaient la scène trop longue.
Jeanne était délaissée de l'Église; quels droits l'Église avait-elle encore sur
elle ? Tous ces discours étaient hors de saison ; et comme Massieu paraissait
exhorter la Pucelle, qu'il avait encore en sa garde, plusieurs capitaines
lui crièrent : « Comment, prêtre, nous ferez-vous dîner ici ? » Deux sergents
Tallèrent prendre sur son estrade, et, pour racheter les retards de ce long
procès, le juge ne se donna pas même le temps de prononcer la sentence.
Dès que Jeanne fut devant lui : « Menez, menez, » dit-il aux gardes; et
au bourreau : « Fais ton devoir. »
Si les juges ecclésiastiques avaient laissé durer la scène si longtemps
dans l'espérance d'une abjuration, leur attente fut bien trompée, et te
confesseur qui la devait rappeler à Jeanne remplit bien mal son office.
Jeanne ne fit entendre aucune parole qui impliquât révocation de ses dits
ou de ses faits. Si elle douta, le doute resta au fond de son cœur, ou ne
se trahit que par son trouble et par ses larmes. Elle pleurait sur elle, elle
pleurait aussi sur les autres : « Rouen, Rouen, disait-elle, mourrai-je
ici, seras-tu ma maison? Ah! Rouen, j'ai grand'peur que tu n'aies à
soutTrir de ma mort. » Et la multitude elle-même pleurait; et plusieurs,
détestant cette œuvre d'iniquité, s'affligeaient de voir qu'elle eût lieu dans
Rouen. Quelques Anglais affectaient bien de rire; mais même les auteurs
de l'attentat étaient touchés de ce spectacle. Le cardinal de \Mnchester
pleurait; l'évêque de Beauvais pleurait : larmes stériles, qui n'empêchaient
pas que leur crime s'accomplit !
Le supplice se prolongea; le bûcher, on se le rappelle, avait été construit
sur un échafaud pour être à la vue du plus grand nombre ; et le bourreau
mit le feu par le bas. Quand la flamme monta et que Jeanne l'aperçut, elle
congédia elle-même son confesseur ; elle le pressa de descendre, lui deman-
dant , pour dernier service , de tenir devant elle la croix bien haut , afin
qu'elle la pût voir. Il la quitta; mais déjà elle n'était plus seule. Les saintes
qu'elle invoquait encore, même quand on travaillait, quand on réussit
peut-être à la faire douter de leurs apparitions, ne prolongèrent pas plus
longtemps cette dure épreuve. On l'avait ébranlée, en lui alléguant, devant
sa mort prochaine, la délivrance dont elle avait reçu d'elles la promesse.
Elle se rappela cette autre parole qu'elle avait aussi rapportée à ses juges :
JEANNt d'aiIC , 111. — 45
354 JEANNE D'ARC.
« Prends tout en gré ; ne te chaille de ton martyre; tu t'en viendras au
ro\'aume de Paradis. » Elle ne Tavait pas comprise alors, entendant
humblement son mart3Te des peines de sa prison; elle la comprit à la lueur
des flammes, et elle entendit en même temps la délivrance qui lui était
promise. Dès ce moment la mort même rentrait dans Tordre de sa mission :
elle l'accepta comme elle avait accepté tout le reste. Sur le bûcher comme
dans la prison, devant la mort- comme devant ses juges, « elle maintint et
affirma jusqu'à la fin que ses voix étaient de Dieu ; que tout ce qu'elle
avait fait, elle lavait fait du commandement de Dieu ; qu'elle ne croj'ait
pas avoir été trompée par ses voix, et que les révélations qu'elle avait eues
étaient de Dieu. « C'est le témoignage du courageux confesseur, qui ne la
quitta qu'à l'approche du feu , et ne la quitta que pour tenir devant elle la
croix, image du Rédempteur, divin modèle de son martyre. Au milieu des
flammes qui l'enveloppaient, elle ne cessa de confesser à haute voix le saint
nom de Jésus et d'invoquer les saints et les saintes; une dernière fois on
l'entendit encore prononcer le nom de Jésus, puis elle baissa la tète : elle
achevait sa prière dans le ciel.
j-^l^
« Jésus, Maria, » devise Je Jeanne d'Arc.
Souscription de la lettre qu'elle adressa au duc de Bourgogne le jour du sacre
pour le presser de se réconcilier avec le roi.
Archives du Nord, à Lille.
XI
LA RÉHABILITATION
Ln Mcmnirc ilc Jeanne et la ùussc Jeanne. — Le Second Procès. de Rouen
LA MICMOIRE DE JEANNE ET LA FAUSSE JEANNE.
iNsi les Anglais en étaient venus à leurs
hns : Jeanne d'Arc n'était plus. Mais Tem-
pire qu'elle avait pris dans l'opinion pu-
blique devait-il périr avec elle ? Ils n'en
Lt lient plus aussi assurés; et, à l'heure
même où ils avaient cru vaincre, ils com-
mencèrent à douter de leur victoire. Dès
qu'elle eut expiré, ils commandèrent au
bourreau d'écarter un peu la flamme,
afin qu'on la vît morte, — afin qu'on la
\ it nue, si l'on en croit un de leurs plus
fougueux partisans. Ils avaient peur qu'on ne la prît pour un esprit
ou qu'on ne dit qu'elle avait échappé. Puis on rendit au feu sa proie, afin
de la réduire en cendres, et ses cendres, par ordre du cardinal, furent jetées
dans la Seine. On redoutait jusqu'à la vertu que le peuple , le peuple de la
Normandie, antique berceau des rois d'Angleterre, aurait cherchée dans
ses reliques. Tout le monde, en effet, la proclamait sainte, et non-seulement
son confesseur ou les hommes qui avaient pris part à son procès, comme
JEANNF. n'A RC.
Pierre IMauricc, comme Jean Alespée, qui s'écriait en pleurant : « Je
voudrais que mon àme fût où je crois qu'est l'âme de cette femme, « mais
ses ennemis, et les plus furieux. Un Anglais, qui la haïssait mortellement,
avait juri d'apporter au biicher une fascine, pour que Jeanne fût en
quelque sorte brûlée de sa main. Il accourut pendant l'exécution, et jeta
dans le feu sa fascine; mais, entendant Jeanne qui invoquait le nom de
Jésus, il demeura comme foudroyé, et il allait ensuite exprimant son
repentir et disant qu'au moment de sa mort il avait vu une colombe
s'envoler de la flamme. Plusieurs prétendaient avoir lu, comme écrit dans
la flamme, le nom de Jésus que Jeanne prononçait. Le bourreau lui-même
rendait témoignage qu'elle était morte par t3Tannie; il déclarait qu'au
milieu des cendres son cœur était resté intact et plein de sang, et il courait
au couvent des frères prêcheurs, disant qu'il craignait fort d'être damné
pour avoir brûlé une sainte femme. Ce sentiment avait pénétré jusque dans
les conseils de la Couronne. Tressart, secrétaire du roi, disait tout haut que
c'était une sainte, et les complices de sa mort des damnés; et il s'écriait
dans sa douleur, en revenant du lieu du supplice : « Nous sommes tous
perdus, c'est une sainte qu'on a brûlée. »
Ce fut le cri public, et vainement cssay£i-t-on de réprimer, par quelques
actes de sévérité, ces murmures. Les gens du peuple montraient au doigt
ceux qui avaient pris part au procès : l'horreur publique s'attacha à leur
personne et les poursuivit jusqu'au delà du tombeau. On in\oquait sur eux
le jugement de Dieu. On disait que tous ceux qui s'étaient rendus coupables
de la mort de Jeanne avaient fini d'une mort honteuse : et l'on citait
l'évêque de Beauvais, frappé d'apoplexie pendant qu'on lui faisait la barbe;
Nicole Midi , le prédicateur du Vieux-Marché, atteint de la lèpre peu de
jours après son sermon; Loyseleur, le traître, mort subitement à Bâlc;
et le promoteur Jean d'Estivet, dont on retrouva le cadavre aux portes de
Rouen, dans un égout.
Mais les coupables ne sont pas seulement ceux qui ont fait ou ordonné le
procès : les Bedford, les Winchester, les Warwick et leurs pareils; ce sont
encore ceux qui l'ont laissé faire. Rien dans cette histoire si remplie de
prodiges et si souillée d'infamies, rien de plus surprenant au premier abord
et de plus révoltant quand on y regarde, que la conduite de la cour de
1
•^
^
I l
Fig. 149. — Jeanne d'Arc, vierge et martyre. Statue en plâtre de Georges Clère,
à TExposition de Paris en uSyS.
358 JEANNE D'ARC.
France envers la Pucelle. Jeanne est prise à Compiègne-, elle est gardée
à. la frontière -, elle appartient à un seigneur qui ne demande qu'à tirer le
meilleur parti de sa bonne fortune; elle est sous la haute main du duc de
Bourgogne, qu'elle conibattait comme un allié de l'Angleterre, mais qu'elle
a toujours respecté, ménagé comme un fils de la France : — nulle tentative
pour l'enlever par un coup de main, nulle démarche pour la racheter à prix
d'argent, pour surenchérir sur l'offre des Anglais, quand, pour contre-
balancer les efforts de leur haine, on a les remords du vendeur et les prières
de sa famille ; nulle négociation avec un prince dont les ressentiments
s'étaient déjà fort adoucis, qui avait accepté plusieurs trêves, qui devait
bientôt faire la paix. Jeanne est donc livrée aux Anglais. Avec eux, point
de négociation praticable : ils savent le prix de ce qu'ils tiennent.
Et ne l'eussent donné pour Londres,
Car cuidoient avoir tout gaigné.
.Mais il n'est point impossible de la leur arracher. Les Anglais sont toujours
frappés de terreur : sept mois après qu'elle a été prise, on trouve encore
un édit rendu «■ contre ceux qui fuient elTrayés par les enchantements de
la Pucelle. » Ils croient que le charme reste attaché à sa personne : ils
n'osent pas, elle vivante, attaquer une place où l'ennemi les brave presque
aux portes de Rouen (Louviers\ Si on les attaque, seront-ils plus forts?
Puisque ce n'est pas le génie militaire qu'ils craignent dans la Pucelle,
craindront-ils moins son inspiration en ceux qui combattront non plus
seulement avec elle, mais pour elle; et, dans ces conditions, le château de
Rouen résistera-t-il mieux que les bastilles d'Orléans?...
Mais ceux qui, avant le voj'age de Reims et pour en détourner, par-
laient d'attaquer la Normandie, se taisent; et ceux qui, ayant suivi de bon
gré la Pucelle à Orléans, à Patay, à Reims, à Paris, iraient bien plus
volontiers encore la chercher à Rouen, sont comme enchaînés.
Il y a plus : les Anglais ne veulent pas seulement frapper Jeanne, ils veu-
lent perdre sa mission avec elle; ils la font juger comme hérétique. Dans ce
procès qui lui est fait au nom derÉglise, Jeanne demande des juges qui ne
soient pas seulement à l'ennemi ; elle en appelle au pape et au concile. Pas
une lettre de l'archevcque de Reims, chancelier de France, à l'évèque de
Fig. i5o. — Chapelle de la Vierge de la cathédrale de Lisieux, située au chevet du monument, et construite en partie
aux frais de Pierre Cauchon. Etat actuel. — La tradition constante du clergé de Lisieux est que Pierre Cauchon éleva
cette chapelle et fit de nombreuses londaiions de services religieux, en repentance de son rôle criminel dans le procès
Je Jeanne d'Arc.
JEANNE D'ARC.
Beauvais, le meneur du procès, son sufFragant, pour qu'il lui donne au
moins connaissance de la procédure ; pas une démarche du roi auprès du
pape, pour qu'il relève cet appel et ne laisse pas se consommer, au noin de
rÉglise, un crime judiciaire dont Topprobre doit rester à ceux qui l'ont
acconipli. Il \'a, il est vrai, une lettre de l'archevêque de Reims, non à son
suffragant, mais à ses diocésains -, et c'est elle qui donne le secret de cette
manière d'agir et en dévoile la honte! Lettre qu'on aurait pu révoquer en
doute comme ne nous étant venue que par extrait, mais qui trouve dans
toute la conduite de la cour une trop malheureuse confirmation. C'est de
propos délibéré que Jeanne, prise à Compiègne, est abandonnée à son sort;
et sa mort même entre dans les calculs de ces politiques détestables qui ,
s'appropriant les fruits de ses triomphes, veulent faire peser sur elle, comme
par un jugement de Dieu, ses revers dont ils sont les auteurs. Aux Pierre
Cauchon, aux d'Estivet, aux Loyseleur, aux Bedford, aux Winchester,
aux Warwick, il faut donc associer les Regnault de Chartres, les la Tré-
mouille et tous ces tristes personnages qui, pour garder leur ascendant
dans les conseils du roi, ont sacrifié, avec Jeanne, le prince, la patrie et
Dieu même; car ils ont, autant qu'il était en eux, infirmé ses oracles, en
abandonnant la Pucelle aux mains de ceux qu'elle avait mission de
chasser.
Les Anglais ne s'arrêtèrent point dans leur déplorable triomphe. L'im-
pression que la mort de Jeanne avait faite sur le peuple de Rouen et jusque
sur les hommes de leur parti, de leur conseil, leur signalait un péril à
conjurer. Ils étaient en présence de l'opinion publique : ils voulurent la
mettre de leur côté; et en même temps qu'ils délivraient aux juges et autres
des lettres de garantie qui, sans les décharger de leur part au procès, en
revendiquaient toute la responsabilité pour l'Angleterre, ils en tentaient
l'apologie par des lettres qui sont le digne couronnement de cette œuvre dé-
testable : lettres adressées au nom du roi, en latin, à l'empereur, aux rois et
à tous les princes de la chrétienté; et en français aux prélats, aux ducs,
comtes, seigneurs, et à toutes les villes de France. C'est le venin de l'accu-
sation et le fiel des douze articles confits dans la plus mielleuse protestation
de zèle pour la foi, de pitié pour la coupable, de sollicitude pour tout
le peuple chrétien. Une lettre conçue dans le même esprit était adressée en
LA REHABILITATION. 3bi
même temps par l'université de Paris au pape, à l'empereur et au collège
des cardinaux.
Ces elTorts parurent d'abord réussir. En Angleterre et dans les pays bour-
guignons, la lettre du roi fut reçue comme un oracle. Monstrelet ne trouve
rien de mieu.x que de l'insérer dans son histoire pour y remplir les pages
qui devaient occuper le procès et la mort de Jeanne d'Arc. Le Bourgeois de
Paris, arrivé à cette époque dans son journal, ne laisse à personne le soin de
faire ce récit à sa place : il recueille la fleur des calomnies répandues au pro-
cès, avec des raffinements que le procès même n'avait pas connus. La har-
diesse des réponses de Jeanne lui est une preuve « qu'elle étoit toute pleine
de l'ennemi d'enfer. » On devine après cela s'il croit à la sincérité de sa
déclaration et à l'iniquité de son supplice. Et pourtant, il ne dissimule pas
l'émotion que sa mort fit dans Rouen : « Assez avoit là et ailleurs qui disoient
qu'elle étoit martyre et pour son droit Seigneur. Autres disoient que non ,
et que mal avoit fait qui tant l'avoit gardée. Ainsi disoit le peuple; » et, si
ardent Bourguignon qu'il fût lui-même, il évite de se prononcer : « mais,
dit-il, quelque mauvaiseté ou bonté qu'elle eut faite, elle fut arse (brûlée)
ce jour-là. »
Que les Anglais, après avoir lancé leur manifeste, l'aient accompagné
chez eux de ces mensongers commentaires ; que le pape, l'empereur, les
princes étrangers, n'ayant d'ailleurs aucun renseignement sur l'affaire, n'y
aient pas répondu, cela se comprend; mais comment la cour de France
n'a-t-elle rien fait pour les éclairer à son tour? En F'rance, on ne s'associe
point aux déclarations du roi d'Angleterre, sans doute; mais on se tait.
Même dans les circonstances où il faut parler des derniers événements,
Jeanne est passée sous silence. Dans une assemblée d'états tenue à Blois,
JeanJuvénal des Ursins, rappelant les prodigieux succès du roi, en remercie
Dieu, « qui a donné courage à une petite compagnie d'hommes de ce entre-
prendre, » sans dire un mot de la Pucelle. Même silence dans une lettre
apologétique de Philelphe à Charles VII : silence honteux, mais vraiment
d'accord avec la politique égo'iste qui a laissé périr Jeanne d'Arc. Si la
cour de France n'avait pas, comme celle d'Angleterre, intérêt à perdre sa
mémoire, elle éprouvait le besoin de l'effacer : car, si Jeanne était une
sainte, les Anglais, battus par elle, étaient-ils plus coupables de l'avoir
JLANNE d'arc. III. — 46
362 JEANNE D'ARC.
fait mourir, que les Français, sauvés par elle, de n'avoir rien tenté pour
sa délivrance?
Cependant cette mémoire n'était pas de celles qui s'effacent. Elle vivait
dans le peuple , et la mort même de Jeanne , qui pouvait ébranler la foi en
sa mission chez ceux qui ne l'avaient pas vue mourir, était pour plusieurs
un sujet de doute. On }• croyait sipeuque, cinq ans après, une femme parut
en Lorraine, au voisinage du pays de Jeanne d'Arc, et se tit accueillir de
tous comme étant la Pucelle. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'elle ait été
prise au sérieu.x et dans Orléans et dans la propre famille de Jeanne d'Arc.
Les comptes d'Orléans établissent que la-ville reçut d'elle et lui envoya des
messages; qu'elle donna même de l'argent à Jean du Lys (Jean d'Arc) pour
qu'il allât rejoindre sa sœur. Les choses n'en demeurèrent pas là. Après
avoir été en Italie, où assurément elle n'alla pas voir le pape, mais où elle
prit service dans ses troupes, la fausse Jeanne vint en France, et paraît
avoir reçu des hommes d'armes avec lesquels elle guerroya dans le Poitou
i43(V. Elle y était encore en i4'3N. En 1430, elle n'osa venir à Orléans!
On l'v trouve, dans les comptes de la ville, sous son nom de dame (car elle
s'était mariée) : « Le 2N de juillet, pour dix pintes et chopines de vin pré-
sentées à Jehanne des Armoises , 14SOUS parisis, etc. » Et c'est bien Jeanne
d'Arc, la Pucelle d'Orléans, que Ion entend traiter ainsi. Le jour de son
départ, les Orléanais, par une délibération spéciale de leur conseil, lui
firent don de 210 1., p. « pour le bien qu'elle a fait à la dicte ville durant
le siège. » Par une compensation bien naturelle, le service annuel qu'on
célébrait pour le repos de son àmc était supprimé.
Ces hommages étaient une insulte à la mémoire de la Pucelle. Com-
ment le peuple d'Orléans a-t-il pu être abusé à ce point ? Comment le
roi se fit-il coniplice de cette intrigue? Car on ne peut admettre qu'il en ait
été la dupe un seul instant. A-t-il dissimulé tant qu'il pensa pouvoir tirer
parti de l'erreur populaire? Quoi qu'il en soit, il put voir bientôt qu'on ne
refaisait point une mission de Jeanne d'Arc, même avec le prestige de son
nom. En cette année 1439, le maréchal de Rais la fit remplacer dans le
commandement d'une troupe qu'il dirigea contre le Mans; et bientôt on
acheva de faire tomber le masque. Comme les Parisiens, apprenant qu'elle
était proche et qu'elle avait reçu à Orléans un grand accueil, disaient que
LA REHABILITATION.
363
c'était la Pucelle, l'université et le parlement la firent venir, bon gré, mal
gré, à Paris. Ils voulurent que le peuple la vît tout à son aise, au palais, sur
la pierre de marbre, en la grand'cour. Là, elle dut raconter sa vie, qui
n'était pas de tout point fort édifiante. Puis on la laissa retourner à la
guerre-, mais dès lors on ne parla plus d'elle. On n'en parla que pour com-
penser, à force d'outrages, les honneurs qu'on lui avait rendus.
■ig. i5i. — Comment le roi Henri fut couronné à Paris de deux couronnes par les Anglais. Mmiature
des VigiU's de Charles VU, ms. daté de 14S4, conservé à la biblioth. nat., n" 5o54. Ir. (v. p. ib^). — Le
16 décembre 143 1, Winchester, cardinal d'Angleterre, vint dans Notre-Dame de Paris couronner le jeune
Henri VI d'Angleterre des deux couronnes de France et d'Angleterre.
LE SECOND PROCKS DE ROUEN.
Entre ces honneurs et ces outrages prodigués tour à tour à celle qui avait
pris le nom de Jeanne, que devenait sa mémoire? Le temps venait de dis-
siper les ombres qui pouvaient voiler aux yeux des politiques la vérité de
sa mission : la prédiction de Jeanne s'était accomplie : les Anglais étaient
chassés de France.
Après la mort de la Pucelle, leur parti avait d'abord obtenu quelques
succès. Barbazan qui, de la Champagne, menaçait déjà la Bourgogne,
avait succombé avec René de Bar en voulant l'aider à prendre possession
364
JEANNE D'ARC.
de la Lorraine; dins la bataille engagée contrairement à ses conseils, il fut
tué et René fait prisonnier (Bulligncville, 2 juillet I43i). Poton de Xain-
trailles avait été pris aussi dans une embuscade, aux portes de Beauvais,
avec \e pjstoiircl, que Tarchevêque de Chartres avait eu l'idée de substituer
à Jeanne d'Arc [4 août). La Hire enfin s'était laissé prendre, comme il
Fig. I 52. — La paix conclue à .An n s. le 2\ septembre 1433, entre le roi de France et le duc de Bourgofîne,
est criée à Reims. A la trompette de l'un des deux crieurs pend une banderolle bleue aux trois Meurs de lis
d"or. Miniature de la Chronique de C luiriez VII, par Jean Chartier. ms.du xv'^s., conservé à labibliolh.nal.,
fonds fr., n» 2601.
sortait de Louviers pour aller lui quérir des secours, et la ville avait dû
capituler (25 octobre). Mais les échecs suivirent bientôt. 'N'ainement cher-
cha-t-on à raffermir les affaires de Henri VI en le faisant couronner à
Paris ( 16 décembre i43i ) : la cérémonie ne fit qu'indisposer davantage les
Parisiens par les mécomptes qu'ils y trouvèrent. Tout conspire dès lors
contre les Anglais. En 1433, Richeniont fait enlever la Trémouille de la
cour: c'était un mo3'en d'3' rentrer bientôt lui-même. En 1434, la Nor-
Romanfît 4 C"'
ENTREE DE CHARLES VII A ROUEN, LE 26 OCTOBRE U4-9.
L'arcbevèque de Rouen, les evêq^ues de Lizieox, de Bayeux et de Coutauces furcat pré sealés aia Roi par le coiulc de
Dunois ; on les voit en cajnail et le bonnet sur la tête, qui se retirent après avoir fiiit révérence . Les magistrats de la
ville venaient ensuite. Un d'entre d'dx présente au. Roi les defs de la ville, attachées à une baguette. — Miniature des
Chroniques- de Morul/'elet, ms. Ir, n°2679 à la Biblioth.. nat. xv" siècle.
LA ri:habilitation.
365
mandie commence à se soulever. La Bourgogne aussi supportait impatiem-
ment la guerre, et les liens qui rattachaient le duc au\ Anglais s'étaient
fort relâchés par la mort de la duchesse de Bedford, sa sœur, et le nouveau
mariage du régent ( 1432). Dès le commencement de i435, Philippe le Bon
accueille le projet d'un congrès à Arras ; et, quand il vint à Paris au temps
Fi g. i33. — Bataille de CastiUon, le ij juillet 1453, qui décida de la Conquête de la Guyenne :1e brave Talbot
et son fils y furent tués. Miniature des Chroniques de Monstrelet, ms. conservé à la biblioth. nat. sous le
n" 2670 fonds fr. — La prédiction de Jeanne d'Arc aux Anglais était réalisée : « Je suis venue de par
Dieu, le Roi du ciel, poi'r vous douter hors de toute France. »
de Pâques, les Parisiens eux-mêmes, et l'université la première, insistèrent
auprès de lui pour qu'il le fît aboutir à la paix. Bedford, par un reste d'as-
cendant, y faisait encore obstacle; mais il meurt le 14 septembre, et le 21
la paix est signée à Arras entre le duc de Bourgogne et le roi de France.
Les Anglais, refusant et la paix avec la France et la neutralité de la Bour-
gogne, sont attaqués par les deux puissances à la fois, et le i3 avril 1436
Dunois, Richement et l'Isle-Adam, entrent à Paris.
JEANNE D'ARC.
Ainsi la parole de Jeanne était vérifiée. Au terme qu'elle avait marqué,
les Anglais, comme elle le disait, « avaient laissé un plus grand gage que
devant Orléans. » Paris leur était enlevé : c'était le gage de leur entière
expulsion. En 1449, Rouen était pris à son tour, et bientôt la Normandie
conquise; en 1452 et i453, Bordeaux et toute la Guyenne : Calais seul
leur devait rester encore pendant un siècle, comme un souvenir de leur
domination et un signe de leur impuissance. Il ne fallait pas attendre
jusque-là pour reconnaître que Jeanne avait dit vrai, quand elle se donnait
comme envoyée de Dieu pour les mettre dehors ; car tout le mouvement
qui aboutit à cette fin procédait de l'impulsion qu'elle avait donnée. Aussi,
dès son entrée à Rouen, Charles, mieux entouré désormais et servi par
les hommes qu'il lui aurait fallu au temps de Jeanne, ordonna une enquête
sur le procès moyennant lequel les Anglais, par grande haine, « l'avoient
fait mourir iniquement et contre raison très-cruellement. »
Ce fut Guillaume Bouille, un des principaux membres de l'université de
Paris et du conseil du roi, qui fut chargé d'en recueillir les pièces et les
documents de toute sorte, et d'en faire un rapport au grand conseil (i5 fé-
vrier 1450). Mais le procès avait été fait au nom de l'Eglise : c'est par
l'Eglise qu'il devait être aboli. Le roi mit à profit l'arrivée en France du
cardinal d'Estouteville, légat du saint-siége et en même temps archevêque
de Rouen, pour lui faire commencer par lui-même une enquête sur un fait
que les Anglais avaient précisément rattaché à son diocèse. Le cardinal ,
assisté de l'un des deux inquisiteurs de F'rance , Jean Bréhal, ouvrit d'oHice
l'instruction .t'.v ojjicio incroj^ puis, forcé de partir, il remit ses pouvoirs
au trésorier de la cathédrale, Philippe de la Rose; et celui-ci, assisté du
même Jean Bréhal, donna une nouvelle extension à l'enquête par les
articles qu'il ajouta au formulaire des interrogatoires, et par les témoins
nouveaux qu'il appela (1452).
L'Eglise se trouvait donc engagée dès lors dans la révision du procès par
ses représentants les plus compétents : l'inquisiteur, et l'archevêque de
Rouen, légat du pape. Le cardinal avait été envoyé pour rapprocher les
rois de Franc; et d'Angleterre, et les amener à défendre en commun
l'Europe menacée par les Turcs : or, ce n'était pas faire grande avance à
l'Angleterre que de soumettre à une révision le procès de la Pucelle ; on
LA RÉHABILITATION.
367
n'en pouvait soulever les voiles sans en mettre au jour les violences, ni
Tabolir sans frapper de réprobation aux yeux du monde ceux qui l'avaient
dirigé. L'enquête demeurait donc sans résultat, et la révision semblait
devoir avorter, quand Charles ^'II imagina d'écarter ce qu'il y avait de
politique dans une instance formée au nom d'une cour contre un jugement
rendu au nom d'une autre : ce ne fut plus le roi de France qui se mit en
avant, ce fut la famille de Jeanne, renouvelant auprès du souverain
pontife cet appel que les juges de la Pucelle n'avaient point accueilli.
Fig. 04. — .Médaille J'or de l'année hSi, frappée en mémoire de l'expulsion des Anglais. L'original, con-
servé au cabinet des médailles , à Paris, a 82 millimètres de diamètre. On lit en légende :
Qaant je fu faîct sans âifernnce
Au prudent roi ami de Dieu
On obéîssoit partout en France
Fors à Calais qni est fort lieu
D'or fin suis extrait de dncas
Et fut fait pesant TTII caras
En l'an que verras moi tournant
Les lettres de nombre prenant.
Les deux derniers vers ont besoin d'explication. Dans la légende du côté opposé figurent huit V, onze I,
trois C, un M et deux L, qui, comptés chacun pour leur valeur numérique et additionnés, donnent 1 + 51
pour la date fixée parle chronogramme.
L'afl'aire redevenait privée, et rien n'empêchait plus le pape de faire justice,
sans qu'il parut prendre parti pour la France contre l'Angleterre. Or, tout
criait contre l'arrêt de Rouen, car on n'avait pas seulement, pour voir clair
dans cette iniquité, les dépositions recueillies soit par Guillaume Bouille,
soit par le cardinal d'Estouteville et par son délégué : on avait le procès
même de la Pucelle. Ce procès, les interrogatoires officiels de Jeanne , et
non plus seulement les douze articles, avaient été soumis à leur tour à des
docteurs impartiaux, et ils avaient rendu des avis qui pouvaient, comme
3t)8
JEANNE D'ARC.
le reste des pièces juridiques, être soumis à rexamen du souverain pontife.
Dans le nombre, le procès de révision a gardé deux Mémoires, l'un de
Théodore de Ldiis, auditeur de rote en cour romaine; l'autre de Paul
Pontaniis, avocat au consistoire apostolique; et le premier est déjà une
réhabilitation de la Pucelle. Le grave docteur, rapprochant de chacune des
Fig. i55. — I.e cardinal Guillaume d'Estouteville vient en I45i auprès de Charles VU, avec le titre de
léjjat du pape. — En 1452, il accorda des indulgences pour la fête du 8 mai à Orléans ; en 1450, à
l'instigation de Charles VU, il procéda lui-même avec un grand zèle aux informations juridiques
du procès de la réhabilitation de la Pucelle. — Miniature de la Chronique de Charles Vil, par Jean
Chartier, ms. du .W-" s., conservé à la biblioth. nat., n" 2691 fonds fr.
allégations comprise aux douze articles les faits établis par le procès,
donne dès lors tous les arguments de bon sens et de bonne foi qui renversent
cet échafaudage de diffamation et d'hypocrisie, et ne laissent plus voir
que l'innocence, la vertu et la grandeur de Jeanne d'Arc, à réternellc
confusion de ses juges et de ses bourreaux.
Ce fut Calixte III, élu le N avril 1435, qui, le 11 juin de la même
année, accueillit la requête de la mère de Jeanne et de ses deux frères;
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: I A p. ] , f:
4'03-1461 I
LA REHABILITATION. 369
et, par un rescrit adressé à l'archevêque de Reims et aux évêques de Paris
et de Coutances, il les désigna pour reviser le procès, en s'adjoignant un
inquisiteur.
Ce procès nouveau, qui devait donner enfin le vrai jugement de T Eglise sur
Jeanne et sur sa mission , s'ouvrit avec une grande solennité. Le 7 novem-
bre 1455, Farchevêque de Reims, Tévèque de Paris et l'inquisiteur Jean
Bréhai siégeant à Notre-Dame de Paris, Isabelle, mère de Jeanne, accom-
pagnée d'un de ses fils et d'un nombreux cortège , vint déposer devant eux sa
demande et le rescrit du souverain pontife qui l'avait accueillie. Sept à huit
mois furent consacrés aux formalités de la procédure et à la poursuite des
enquêtes. Le jeudi i3 mai, après plusieurs ajournements, les procès- verbaux
en furent reçus par les juges et mis à la disposition de quiconque y vou-
drait contredire. Assignation fut donnée pour le faire au l'^'^juin.
La lumière brillait enfin de tout son éclat sur Jeanne et sur ses juges. De
toute part s'étaient élevées des voix qui rendaient témoignage à la Pucelle.
Les anciens de son pays , les compagnes de son enfance , les compagnons
de sa vie militaire : Dunois, le duc d'AIenœn, le vieux Raoul de Gaucourt,
Louis de Contes, son page, d'Aulon, son écuyer, Pasquerel, son confes-
seur; et ceux qui l'assistèrent dans la prison et jusque sur le bûcher, Isam-
bard de la Pierre , Martin Ladvenu ; les assesseurs mêmes et les officiers de
ses juges, le greffier Manchon, l'huissier Massieu, venaient tour à tour
reproduire quelque trait de cette belle figure. On retrouvait dans leurs dépo-
sitions la vie pure, simple et retirée de la jeune fille au fo\er paternel,
jusqu'au nioment où elle se vit appelée à délivrer la France*, la même pu-
reté de mœurs, la même simplicité qui était de sa nature, avec la fermeté
de langage et l'accent d'autorité qu'elle tenait de son inspiration, tout le
temps qu'elle parut soit à la cour, soit à l'armée ; et depuis qu'elle tomba
aux mains de ses ennemis, sa constance dans les rigueurs de la prison, sa
hardiesse dans les épreuves du tribunal , avec ses illuminations soudaines
qui jetaient un jour accablant sur les machinations de ses juges; enfin sa
ferme croyance à la mission qu'elle avait reçue, jusqu'au jour où, après
avoir pavé le tribut à la faiblesse de la femme devant les apprêts du sup-
plice, elle se releva par un sacrifice volontaire d'une défaillance plus appa-
rente que réelle, et couronna sa vie de sainte par la niort d'une martyre.
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JEANNE D'ARC.
Le 7 juillet, les commissaires se réunirent enfin dans la grande salle du
palais archiépiscopal de Rouen; et là, en présence de Jean d'Arc, de Pré-
vosteau, représentant Isabelle, la mère de Jeanne, et Pierre d'Arc, son
autre frère, du promoteur Chapitaut et de Pierre Maugier, avocat de la
famille, personne ne se présentant pour combattre les conclusions du pro-
moteur, ils déclarèrent la partie adverse coutumax. Puis, jugeant au fond,
après avoir énuméré toutes les pièces de procédure sur lesquelles ils a\aient
Fig. i5S. — 'lympan Je la porto Sainte-Anne de l'cf^lisc Notre-Dame Je Paris. D'après la Statislique
monumentale de Paris, par Albert Lenoir. La Vierge, assise sous un dais fort riche surmonté d'une coupole ,
porte rEnfant Jésus. Deux anges l'encensent. A sa droite, un évCque suivi d'un personnage assis. A .'^a
gauche, un roi couronné et à genoux tient un phylactère. xn« siècle. On suppose que ce travail, antérieur à
l'architecture qui l'encadre, y a été rapporte au moment de la construction de l'édifice. — C'est dans la
cathcdralede Paris que, le 7 novembre 14? 5, Isabelle Romée,mf:re de Jeanne (Jacquesd'Arc, père de Jeanne,
était mort de chagrin), accompagnée de son fils Pierre et d'un nombreux cortège d'hommes honorables,
ecclésiastiques ou séculiers, et de femmes, se présenta et déposa devant les juges sa requête en réhabilita-
tion de la mémoire de sa fille, et le rescrit du souverain pontife qui l'avait accueillie.
formé leur opinion, ils prononcèrent d'abord que les dou/:e articles. Tunique
base de la sentence rendue contre Jeanne, étaient faux, altérés et calom-
nieux, et ordonnèrent qu'ils fussent arrachés du procès et lacérés judiciai-
ment. De Là ils passaient aux deux sentences, et, après avoir signalé les prin-
cipaux moyens de droit tant de fois opposés aux procédés des premiers
juges, adoptant l'avis des docteurs et des prélats qui n'ont vu dans tout le
procès aucun fondement à l'accusation , ils déclaraient le procès et les scn-
A/A^
^^x^
~is. ibo. — Charles VII, roi de France.
(Yiré J'un acte du 3o octobre 1434.)
— Philippe le Bon, duc de Bourgogne-
principal aUié des Anglais.
(Tiré d'un acte du 17 juillet 1464-)
|65. — Jean d'Aulon, écuyer de la Pucelle,
qui la suivit depuis Chinon et fut pris avec elle.
(Tiré d'un acte du 3 mars 143S.)
ihh. — Jean, bâtard d'Orléans, comte do Ounois,
qui cni;ai;ea le roi à accepter les secours de Jeanne et la reçut
dans Orléans.
(Tiré d"un acte du iS février 1420.)
i()2. — Cicorges de la Trémouille, ministre de Charles VII,
dont la politique entrava le plus la mission de Jeanne d'Arc.
O ire' d'un acte du \ novembre U'O.)
163. — htienne de Vignoles, dit la Hirc,
un des plus braves soldats de Charles VU et des plus
dévoués partisans de la Pucelle.
(Tiré d'un acte du 27 janvier 1429.)
167. — Jean de Valois, duc d'Alençon, le
beau duc, comme l'appelait Jeanne. If fut avec
le bâtard d'Orléans un de ses plus fidèles soutiens
(Tiré d'un acte du 6 novembre 1471.)
^^cv^OCVwv^tH»
— Raoul de Gaucourt, pouverneur d'Orlé
pendant le sîége.
(Tiré d'un acte du 22 novembre 1438.)
164. — Poton de Saintrailles. hardi capitaine, plus tard
maréchal de France, l'un de ceux qui aidèrentle plus
à lexpulsion des Anglais.
(Tiré d'un acte du 6 août 143S.)
- Ambroise de Loré, qui concourut à la défense d'Orléans
(Tiré d'un acte du 14 février 1443.)
"i^. iTio à 179. — Amis et ennemis de la Pucelle. Signatures tirées d'actes authentiques. Les numéros 160 et 179 appartiennent
à M. G. au Fresne de Beaucourt, à Paiis; les numéros 162, 164, i65, 166, 168, lôci. 172, 177, 178, communiqués par le
70. — Charles duc d'Orléans, prisonnier des Anglais et que Jeanne
s'était proposé de délivrer.
(Tiré d'un acte du 7 juillet 1450.)
171. — Jacques Boucher, trésorier du duc d'Orléans.
C'est chez lui que Jeanne fut reçue avec ses deux frères, en entrant
à Orléans, le 29 avril 1+29.
(Tiré d'un acte du 3o mai 1424O
172. — Louisde Culan, amiral de France. Il vint
: Jeanne à Orléans et la suivit dans la campagne de la Loire, clc
(Tiré d'un^acte du 12 juillet i + iS.)
175. — René d'Anjou, duc de Lorraine et Bar,
qui vint rejoindre le roi la veille du sacre, à la
nouvelle des succès de la Pucelle.
(Tiré d'un acte du 23 septembre 1463.)
171Î. — Charles d'Albret. chevalier,
Tun des compagnons d'armes de Jeanne.
(Tiré d'un acte du i.| avril 1432.)
177. — Re^nault de Chartres, archevêque
de Reims, chancelier de France, coupable de
l'abandon de Jeanne après qu'elle fut prise.
{Tiré d'un acte du xv*^ s., non daté.)
173. — Jean de Bueil, chevalier. Il concourut à la défense d'Orléans
(Tiré d'un acte du lô juillet ip^.)
178. — Jean de Luxembourg, comte de Lii;ny.
qui vendit la Puce)!e aux Anglais,
(Tiré d'un acte du -xi juillet 11-38.)
J-.
174. — Artus de Bretagne, comte de Richement,
Dnnétablede France, que Jeanne réconcilia avec le roi.
(Tiré d'un acte du 6 septembre 142.)
«<K'*'
I7(). — Pierre Cauchon, évéquc de Beauvais,
et plus tard de Lisieux, qui dirigea le procès
de Jeanne d'Arc.
(Tiré d'un acte du 29 janvier 1423.)
même, font partie de la collection des Titres scellés de Clairambault, à la bibliothèque nationale; les numéros 161, iIkî.
167, 170, 171, 17^3 175 inclus proviennent de la collection de M. Boucher de Molandon, à Orléans, dernier descendant
du trésorier du duc d'Orléans, Jacques Boucher, chez qui Jeanne logea avec ses frères en arrivant dans cette ville.
JEANNE D'ARC.
tcnccs entachés de dol et de calomnie, et par conséquent nuls et de nul effet;
ils les cassaient et les annulaient, déclarant que Jeanne ni aucun des siens
n'en avaient reçu aucune note d'infamie, et les lavant de toute tache sem-
blable autant que besoin était. Ils ordonnaient que la sentence serait immé-
diatement publiée à Rouen en deux endroits : sur la place de Saint-Ouen ,
à la suite d'une procession solennelle; et, le lendemain, au Vieux-Marché,
Fig. iSo. — Fontaine CIcilc, j Rcmun, Jaiis Its iirciniurcs années du xv!' siècle, en l'Iionncur de Jeanne,
sur la place du Marché-aux-Vea'jx, aujourd'hui place de la Pucclie, et détruite en lyS-).. File remplaça la
croix expiatoire, dccrét<îe par les juges lie la réhabilitation en i+So, mais avec un changement de lieu. I.a
croix avait été élevée sur le Vieux-Marché, témoin du supplice, près du chevet de l'église Saint-Sauveur,
à peu de distance du lieu ordinaire des exécutions, tandis que la fontaine fut construite sur la place du
Marché-aux-Veaux, voisine du Vieux-Marché. — D'après la gravure d'Israël Silvestre, vers le milieu du
xvn*^ siècle.
au lieu où Jeanne avait été si cruellement brûlée. La publication devait
être suivie d'un sermon, et de la plantation d'une croix destinée à perpétuer
sa mémoire et à solliciter les prières des fidèles; et la sentence, publiée dans
toutes les autres villes ou lieux du royaume qu'il semblerait bon.
La sentence reçut immédiatement son exécution, à Rouen d'abord, puis
dans plusieurs autres villes, notamment à Orléans, où l'évêque de Cou-
tances et l'inquisiteur Jean Bréhal vinrent de leur personne présider aux
LA REHAHILITATION.
J77
Fig. iSi. — Monument élevé, à Rouen, en ijjo, sur 1 emplacement de 1 ancienne lontainc du xvi'^ siècle,
d'après le plan et sous la direction d'Alexandre Dubois, architecte du roi dans la généralité de Rouen. La
statue qui la surmonte est due au ciseau de Paul-Ambroise Slodtz, professeur de l'Académie, à Paris. Elle
paraît représenter Jeanne en Bellone. — Etal actuel.
JEANNE D ARC. MI. — 4S
37S
JEANNE D'ARC.
Fig. 182. — Premier monument expiatoire élevé sur le pont d'Orléans, en mémoire de la Pucelle. La Vierge
est debout au pied de la croix. Charles VII et la Pucelle sont agenouillés aux deux côtés. D'après une
ancienne gravure sur bois, conservée au musée historique d'Orléans. — Ce monument fut élevé vers la fin
du IV» siècle aux frais des Orléanais et par les contributions empressées des dames et des jeunes filles de la
ville, qui y donnèrent leurs bijoux. Il fut détruit par les calvinistes, en i5ô2.
LA KEHABILITATION.
379
Fig. i83. — Second monument élevé sur le pont d'Orléans en l'honneur de la Pucelle, le i5 mars 1571.
D'après une gravure de Léonard Gauthier. — Charles VII et Jeanne sont agenouillés devant le Christ
mort. Près de la Pucelle se trouve une lance aux armes d'Orléans. En bas, et en allant de gauche à
droite, on voit l'écu de France , les armes d'Orléans et celles de Jeanne d'Arc. Ce monument, déplacé
en 17+5, fut détruit en 1792.
38o JEANNE D'ARC.
cérémonies ordonnées. Les Orléanais n'avaient paseu besoin de ce jugement
pour rendre à la mémoire de Jeanne les honneurs qui lui étaient dus. Ils
avaient recueilli sa mère, voulant s'acquitter au moins auprès de sa famille
de leur dette envers elle; et plus tard, à la place de la croix érigée confor-
mément à la sentence, ils lui éle\èrent à leurs frais, sur leur pont même, en
face du lieu où elle avait accompli l'acte décisif de leur délivrance, un
monument qui, mutilé par les guerres religieuses, supprimé par la révolu-
tion, s'est relevé en un autre lieu et sousune autre forme, attestant parmi
ces vicissitudes leur invariable attachement à sa mémoire. Mais ce qui ,
mieux que les statues et les inscriptions, consacrera la gloire de Jeanne
d'Arc, c'est le procès de réhabilitation lui-même, ce sont les témoignages
recueillis par toutes ces enquêtes, et fixés à jamais parmi les actes du procès;
c'est aussi, c'est surtout, dans le procès de condamnation, les interrogatoires
de la Pucelle. Quant à ce procès même, il ne faut rien diminuer de la juste
réprobation qui le frappe : on pouvait être de bonne foi en le commençant,
on ne pouvait pas l'être en le finissant de la sorte. Point d'excuse à l'ini-
quité de la sentence; point d'excuse aux illégalités de la procédure, et l'on
cherche vainement la preuve qu'elle fut régulière dans le silence qui se fit
sur Jeanne parmi ceux qui devaient le plus avoir à cœur de venger sa
mémoire. Tout ce qu'on pourrait dire, c'est que les fraudes du procès
n'étaient pas encore connues et ne le furent que quand les pièces en vin-
rent aux mains du roi , après l'expulsion des Anglais. Dès ce moment la
réparation est assurée. Le roi parle, il agit avec cette prudence, mais en
même temps avec cette suite et cette fermeté qui présidèrent à ses résolu-
tions dans la seconde partie de son règne. Après avoir flétri l'inqualifiable
abandon où il souflVit que la libératrice d'Orléans, l'ange du sacre de
Reims, succombât devant Compiègne et mourût à Rouen, il est juste de
faire honneur à Charles VII d'avoir su, au risque d'appeler l'attention sur
les circonstances qui le condamnent lui-même, provoquer et mener à bonne
fin le jugement qui la réhabilita.
rlc, bibliolh. Je 51. Amliioiso Firuiin
XII
LA REHABILITATION — L'HISTOIRE
Les Contemporains et )a F'ostériti;, — Conclusion.
LES CONTEMPORAINS ET LA POSTERITE.
V n'avait pas attendu le procès de réha-
bilitation pour protester contre l'acte de
Ilouen. Perceval de Cagny, dans sa
chronique, impute la mort de Jeanne
à Tenvie des Anglais; Jean Charticr dit
qu'ils la brûlèrent « sans procès et de
leur volonté indue, » tenant sans doute
le procès pour nul, soit pour l'absence
du jugement civil, soit pour tout autre
vice de forme : car on ne peut supposer
qu'il en ait ignoré l'existence. Le journal
du siège et la chronique de la Pucelle ne poussent pas le récit jusque-là-,
et certes ce n'est point par crainte que le tableau de la fin de Jeanne d'Arc
ne jette de l'ombre sur les merveilles qu'ils en ont racontées. Il eut été
bien étrange, en effet, que son supplice eut paru ternir sa mémoire. Dans
le Cliampion des Dames , ^etit poëme publié en 1440 et dédié au duc de
Bourgogne, celui-là même qui fit livrer Jeanne aux Anglais, un person-
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(le M Amliroise i V) lot
3Sî JEANNE D'ARC.
nage ayant avancé qu'Outrecuidance a perdu Jeanne, et que Raison l'a
fait bmler à Rouen :
C'est mal entendu, grosse teste, Guères ne font tes argumens
Répond Franc-vouloir prestement. Contre laPucelle innocente.
De quants saints faisons-nous la fesie Ou que des secrez jugemens
Qui moururent honteusement ! De Dieu sur elle pis on sente ;
Pense à Jhésus premièrement , Et droit est que chacun consent e
Et puis il ses martirs benois, A lui donner honneur et gloire
Sy jugeras évidamment Pour sa vertu très-excellente ,
Qu'en ce fait tu ne te cognois. Pour sa force et pour sa victoire.
Le jugement de réhabilitation confirmait avec éclat la croyance populaire.
Devant cette déclaration solennelle, on ne la pouvait plus dire égarée. La
sentence flétrissait énergiquement les calomnies par lesquelles le premier
procès avait cru donner le change à l'opinion publique. Mais pour con-
naître Jeanne, il ne s'agissait pas d'opposer l'un des procès à l'autre; il les
fallait joindre, au contraire, et la contempler elle-même, plus imposante
encore parmi les accusations de ses juges que dans les ténioignages recueillis
au second procès. Or, c'est ce qu'en général on ne songea point à faire.
Il y a des exceptions pourtant.
Thomas Basin, évêque de Lisieux (le faux Amclgard\ qui fut consulté
et qui fit un traité sur le procès de condamnation, ne dut pas rester non
plus étranger au procès de réhabilitation qu'il provoqua lui-même : et le
jugement qu'il porte sur Jeanne est en tout point conforme à l'opinion que
tout esprit sincère s'en fera d'après ces documents. Il signale la perfidie de
ses interrogatoires et le grand sens de ses réponses , sa piété , sa pureté , et
la raison qui la contraignit à prendre l'habit dont on lui fit un crime, mais
aussi l'inutilité de toute raison dans un procès où les Anglais voulaient
à tout prix la perdre , quand sa mort était résolue dans leurs conseils par la
haine et par la peur. Il explique son abjuration par les rigueurs de son em-
prisonnement et parla promesse de liberté qu'on lui fit, sa rechute par
l'inexécution de cette promesse, et il la montre invoquant dans les flammes
Dieu et la Mère de Jésus-Christ. Il ne se prononce pas sur l'origine de ses
révélations, ne sachant rien des signes qu'elle a donnés au roi pour l'y faire
croire, mais il affirme que, de tout le procès, il n'y a rien qui rende sa foi
LA REllAl'.ll.lTATlON. — L'il 1 ST Ol RE.
suspecte ou justifie sa condamnation comme hérétique et comme relapse;
et il réfute avec beaucoup de force ceux qui pourraient douter de sa mission
à cause de sa mort, en citant, comme \c Champion des Darnes^ Jésus-
Christ, et à son imitation les prophètes et les apôtres, qui consommèrent
leur mission divine par le martyre.
Martial d'Auvergne connaît aussi les deux procès, et lisait le parti qu'on
en peut tirer :
Au proci.-s de son innocence Et est une grande plaisance "
Y a des choses singulières, De veoir toutes les deux matières.
Mais la matière des deux procès n'était pointa la mesure de sa chronique
mise en complainte. Tout en sentant l'iniquité du premier, il s'abstient de le
juger lui-même. Tout en rappelant les conclusions du second, il se borne à
dire où on le trouvera. Quant à lui , pour rendre hommage à la Pucelle , il
rimera la chronique de Jean Chartier : cela suffit à sa verve poétique.
Le plus grand nombre, en négligeant les deux procès, ne prirent pas
même la peine d'y suppléer à l'aide des chroniqueurs contemporains. La
tradition, sur ce sujet, se donna libre carrière. Considérant le but atteint,
l'expulsioa des Anglais , elle y accommoda l'histoire et le caractère de Jeanne
selon sa fantaisie. Elle en fît une sorte d'héroïne de théâtre ou de cirque,
sautant à cheval sans toucher l'étrier , chargeant l'ennemi la lance au poing ,
« frappant dedans, » et tuant tous ceux qu'elle touche ; chevauchant ainsi par
toute la France; prenant Bordeaux, Rayonne, et provoquant par ses vic-
toires l'expulsion des Anglais de Paris. Alors elle mène le roi à Reims pour
être sacré , à Paris pour être couronné ; puis , attaquant la Normandie , elle
marche de conquête en conquête jusque devant Rouen, où elle disparaît.
On ne sait, dit notre chronique, ce qu'elle devint : les uns disent que les
Anglais l'ont prise et brûlée-, d'autres, que plusieurs de l'armée l'avaient
fait périr par jalousie. — A cette chronique , on peut joindre les récits de
Philippe de Bergame et de Laonic Chalcondyle. Philippe de Bergame , bien
qu'il ait pris peut-être plusieurs traits de la figure de Jeanne au rapport
d'un chevalier italien qui l'avait vue , dispose du reste en toute liberté. C'est
en faisant son métier de bergère que Jeanne, sautant comme un homme sur
quelque jument du troupeau, se forma toute jeune encore à monter t\
384 JEANNE D'ARC.
cheval, à manier la lance, à déployer contre les troncs des arbres la force
de son bras. Accueillie par Charles VII , elle va faire lever le siège d'Orléans
sur le Rhàiif ; elle prend en trois heures trois bastilles, elle combat les Anglais
durant huit ans en trente batailles. Chalcondyle est plus bref : il la fait pa-
raître en une seule campagne, qui est pour lui toute la guerre de Cent ans.
Tout cela tient plus du roman que de l'histoire. Dans l'histoire la figure de
Jeanne, ensevelie en quelque sorte parmi les pièces du procès , ne demeura
que par l'impression qu'elle avait faite sur les contemporains. Maudite comme
sorcière par les Anglais , qui , ne pouvant l'absoudre sans se condamner, s'en-
durcissent dans leurs sentiments haineux (on en peut voir l'expression dans
Shakspeare^; moins maltraitée des Bourguignons, qui la réduisent à un
personnage ou à une machine politique >_Monstrelet, etc.); admirée des
Français et des autres peuples , sans que pourtant les Français eu.x-mèmes
ce sont des politiques aussi qui écrivent) osent se prononcer sur la source
de son inspiration. Parmi les témoignages les plus remarquables rendus à
sa mémoire, il faut compter celui du pape Pie II (.Eneas Sylvius Piccolo-
mini^ , qui , après avoir raconté sa vie merveilleuse , et constaté que dans son
procès on n'avait rien établi contre sa foi, rien qui parût digne de châti-
ment, si ce n'est cet habit d'homme qui ne méritait pas la mort et qu'on lui
fit reprendre par ruse, s'écrie: « Ainsi périt Jeanne, vierge étonnante et
admirable, qui a rétabli le royaume de France presque ruiné et abattu, et
infligé aux Anglais tant de défaites ; qui, devenue chef de guerriers, a gardé,
au milieu de ses soldats, sa pudeur sans tache, et n'a jamais été l'objet
de propos infamants. Ftait-ce œuvre de Dieu ou invention des hommes?
J'aurais peine à le dire. » Il rapporte ce bruit : qu'on avait imaginé de la
susciter pour mettre un terme aux rivalités des chefs. « Mais , ajoute-t-il, une
chose est bien certaine : c'est que c'est elle qui a fait lever le siège d'Orléans,
conquis par les armes le pays compris entre Bourges et Paris, et amené par
son conseil la soumission de Reims et le couronnement du roi; elle, dont
la vigueur a mis en fuite Talbot et son armée , dont l'audace a briàlé une
porte de Paris, dont l'habileté et l'adresse ont remis en bon état les affaires
de la France. Chose digne de mémoire, et qui trouvera dans la postérité
moins de foi que d'admiration 1 »
Sur ce terrain mal défini , le champ était ouvert aux appréciations les plus
LA REHABILITATION. — L'HISTOIRE.
diverses. Chaque siècle en usa pour se faire Jeanne , en quelque sorte, à son
image. Le seizième siècle en fit une politique ; Du Bellay, sans trop s'en
rendre compte, en prit l'idée à l'opinion bourguignonne", et Du Haillan ne
Fig. 184. — Pie II, pape, successeur Je Cali.xte 111 en 145S. Gravure du .\vi'' siècle, exécutée à la
manière de Jost Amman. Biblioth. nat., cabinet des Estampes. — Pie II, n'étant encore que le car-
dinal ,Eneas Sylvius Piccolomini, rendit ce témoignage à la mémoire de Jeanne d'Arc : « Ainsi périt
Jeanne, vierge étonnante et admirable, qui a rétabli le royaume de France presque ruiné et abattu,
et infligé aux Anglais tant de défaites; qui, devenue chef de guerriers, a gardé au milieu des soldats
sa pudeur sans tache. C'est elle qui a fait lever le siège d'Orléans. Chose digne de mémoire, et qui
trouvera dans la postérité moins de foi que d'admiration! "
craignit point d'accueillir jusqu'aux plus infâmes impostures que la passion
et la haine eussent inspirées aux Anglais. Le dix-septième siècle en fit une
héroïne, mais une héroïne aux couleurs de l'hôtel de Rambouillet : elle périt
ensevelie dans le triomphe que Chapelain lui ménageait en sonpoëme. Le
386 JEANNE D'ARC.
dix-huitième siècle , on sait par quelle indigne profanation il entendit la faire
revivre \ déplorable attentat contre la gloire de la France, qui , sans ternir le
nom de Jeanne, imprime une tache inelTaçable à la mémoire de celui qui se
fit un jeu de le souiller. De nos jours la politique de Du Bellay, rhéroïne de
Chapelain , Tinsuhée de Voltaire, est devenue « une incarnation du peuple. »
Mais c'est par un abus de langage que nous avons prêté à des siècles en-
tiers l'opinion de quelques hommes. Dès la fin du quinzième siècle, au sein
même des Flandres, Jacques Meyer saluait dans Jeanne d'Arc l'envoyée
de Dieu , et il empruntait à un contemporain de la Pucelle (Thomas Basin)
les passages qui témoignaient le plus des merveilles qu'elle opéra dans la
guerre, et de l'inspiration dont elle fit preuve jusque dans son jugement. Au
seizième siècle, Etienne Pasquier relevait avec un sentiment vrai d'admira-
tion la grandeur et le dévouement de Jeanne d'Arc-, et la ville d'Orléans,
qui ne faillit jamais à son culte pour la Pucelle , protestait contre l'indiffé-
rence ou les outrages des écrivains que l'on a vus, en faisant imprimer l'his-
toire du siège dont Jeanne la délivra. Au dix-septième siècle , les descendants
de ses frères publiaient avec un zèle pieux ce qui pouvait la faire mieux con-
naître et honorer; Godefroy donnait pour la première fois , dans son recueil
des historiens de Charles VII, l'une des plus précieuses chroniques, et, selon
un juge fort compétent, des plus autorisées, celle qui porte le nom de la Pu-
celle. Au dix-huitième siècle, on en revint enfin à l'étude des deux procès;
et après Lenglet-Dufresnoy, qui les lut pour en tirer une histoire médiocre,
vint L'Averdy, qui les fit connaître par une analyse exacte, accompagnée
d'une appréciation impartiale dans la Notict; des manuscrits de la Biblio-
thèque du Roi. Enfin, de nos jours, la Société de l'histoire de France
accomplit ce que L'Averdy n'avait fait que préparer, en confiant la publica-
tion des deux procès à l'un des hommes les plus distingués dans la critique
des textes du moyen âge, M. Jules Quicherat.
Ce beau travail, qui ne laisse presque plus rien à faire après lui dans le
champ de l'érudition, n'a pas changé les bases de l'histoire de Jeanne
d'Arc, sans doute : depuis les notices de L'Averdy, nul n'y a touché
sérieusement qu'il n'ait consulté, avec ses analyses, le texte même des
procès -, mais il en a rendu l'assiette plus ferme et les abords plus faciles.
Les histoires se sont multipliées sans changer nécessairement de caractère.
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LA RÉHABILITATION. — L'HISTOIRE. 387
Ce qui serait souhaitable, c'est que Jeanne d'Arc, soustraite désormais à
l'empire des passions et des rivalités nationales, échappât à celui des
systèmes; c'est qu'on l'étudiàt en elle et pour elle. Sa figure, pour être
grande, n'a que faire de grandes formules. On en efface les traits les plus
purs et les plus nets de ma mémoire, quand, par un mélange du sacré
et du profane, on veut me montrer en elle « la France incarnée, » un
« .Messie féminin. » Jeanne s'est dite envoyée de Dieu, il est vrai. Mais, si
on ne l'entend pas comme elle le dit, il serait juste au moins de ne pas
l'entendre contrairement à tout ce qu'elle a dit. Or, c'est ce qu'on a, de
nos jours, voulu faire. A la mission qu'elle s'est attribuée , on en joint une
autre : mission dont elle n'a point parlé , dont assurément elle ne se doutait
pas, qui commence quand l'autre finit, et dont la scène est à Rouen. Le
procès de Rouen devient la lutte de l'inspiration contre l'autorité, du libre
génie gaulois contre le clergé romain, et peu s'en faut qu'on ne dise du
druidisme contre le catholicisme. On écarte les témoignages de la réhabili-
tation ; on admet sans réserve les actes dressés par les premiers juges ,
on adopte pleinement leur manière de voir, non pour condamner Jeanne ,
sans doute, mais pour frapper l'Église par sa déclaration.
Mais c'est en vain que Pierre Cauchon trouve dans nos historiens des
auxiliaires inattendus : tout leur savoir ne suffira point pour donner à sa
haine l'appui que sa conscience elle-même et sa raison ne lui ont proba-
blement jamais assuré. Tout se peut résoudre, en effet, par une simple
question que je pose à ceux qui se montrent si ingénieux à faire de Jeanne
une hérétique. Si Jeanne eut déclaré qu'elle s'en remettait absolument de
ses révélations à l'Église, qui eût jugé au nom de l'Église ? Pierre Cauchon,
sans aucun doute, avec son tribunal à la solde des Anglais : quand elle
en appelait au pape, ils lui ont dit qu'il était trop loin ! Jeanne avait donc
toute raison de s'y refuser. En parlant de ses révélations , elle ne soutenait
aucune doctrine nouvelle : la question de dogme qui s'y pouvait rattacher,
je veux dire la possibilité de ces communications d'en haut, était résolue
par l'Église, et résolue en sa faveur. Elle ne soutenait qu'un fait à elle
propre. Cela n'ôtait pas aux autres le droit de n'y point ajouter foi. C'est
le droit et le devoir des pasteurs de ne pas accepter légèrement de
semblables affirmations -, et, si elles ne semblent pas fondées, d'en garder
JEANNE D'ARC.
les fidèles. Aussi la chose avait-elle été examinée à Poitiers; elle pouvait
l'être de la même sorte à Rouen-, et, si Tarchevêque de Reims y avait cru
et l'avait approuvée , Tévêque de Beauvais avait encore la liberté de n'y
pas croire. Mais, eût-on toute raison de n'y pas croire, Jeanne n'était point
hérétique en y croyant. L'Église, comme Tont établi sans contradiction
les demandeurs et le promoteur au procès de réhabilitation, n'a jamais
entendu se faire juge d'une question réduite ainsi à un fait tout personnel ;
et le pape Pie II, on l'a vu, tout en réservant son jugement sur la réalité
de l'inspiration de la Pucelle, affirme que, dans son procès, on n'a rien
trouvé en elle contre la foi. D'ailleurs, comme cela est établi, non-seule-
ment par les témoins de la réhabilitation , mais par les actes mêmes du
premier procès, elle n'a point refusé le jugement de l'Eglise. Elle l'acceptait
là où elle avait la garantie de ne pas trouver, sous le nom de l'Eglise, ses
ennemis mêmes. Elle l'avait accepté à Poitiers; elle l'acceptait encore
dans le pape, dans le concile, demandant qu'on l'y menât : car elle ne
s'en remettait point volontiers à ses juges du soin d'exposer sa cause; et
l'histoire des douze articles, comme plus tard la lettre écrite au pape au
nom du roi d'Angleterre , montre bien que cette réserve n'était pas
superflue. Elle finit même par renoncer à cette condition si nécessaire.
Elle se réduisit à demander le (procès-verbal lui-même le constate) que
« ses faits et ses dits fussent envoyés à Rome devers notre saint-père le
pape, auquel et à Dieu premier elle se rapportait. « Les juges, on l'a vu,
passèrent outre : les critiques, dans leur zèle à trouver comme eux Jeanne
rebelle à l'Eglise, devraient bien n'en pas foire autant.
Disons-le donc : quelque opinion qu'on se fasse de Jeanne d'Arc, il y a
une chose qu'il faut au moins lui laisser : c'est qu'elle fut comme elle l'a
dit, bonne chrétienne; et ce mot, dans son langage, n'est pas équivoque.
Il faut renoncer à tourner contre l'Église celle qui a déclaré que « quant
à l'Église, elle l'aime et la voudrait soutenir de tout son pouvoir; >■ et elle
le prouvait alors même. Elle la soutenait quand elle refusait une soumission
exigée d'elle en cette forme, et demandait qu'on la menât au pape et au con-
cile, opposant la garantie d'un juge indépendant à ce tribunal passionné qui
compromettait l'Église lorsqu'il prétendait juger en son nom. Personne, du
reste, ne s'est jamais mépris sur le caractère de la condamnation de Jeanne
LA RÉHABILITATION. — L'HISTOIRE. SSç
d'Arc , comme personne ne peut se méprendre sur l'objet de cette justification
tardive de son procès en ce point-là. Jeanne n'a pas été condamnée par
rÉglise; Jeanne a été réhabilitée par l'Église. EUe a été condamnée par
un évèque chassé comme un ennemi par le contre-coup de ses victoires,
et constitué son juge par le choix de ses ennemis. Elle a été relevée de cette
condamnation par un tribunal que le pape institua lui-même, et qu'il
composa de trois évèques et de l'inquisiteur de France. Si ce tribunal, sur
le vu des pièces que nous avons (et nous n'avons que ce qui a passé par
ses mains}, l'a jugée orthodo.xe, on n'a pas le droit d'être plus difficile.
COXCMSION.
Et maintenant que l'on a sous les yeu.x tous les faits de la vie de Jeanne
d'Arc, quel jugement doit-on porter sur sa mission même? Pour ceu.x qui
croient que la Providence ne demeure pas étrangère au.x affaires de ce
monde, qu'elle gouverne les nations et que sa main se peut faire sentir
e.vtraardinairement dans leurs destinées, le choi.x ne sera pas douteux. La
mission de Jeanne a tous les signes des choses que Dieu mène. Elle se fraye
la voie à travers les obstacles que le sens purement humain lui veut
opposer. Il faut que Jeanne triomphe d'elle-même d'abord et de ses propres
répugnances:, il faut qu'elle surmonte les rebuts du sire de Baudricourt
à Vaucouleurs, les défiances du roi à Chinon, des docteurs à Poitiers, des
capitaines jusqu'à Orléans, et des politiques jusqu'à Reims. Elle n'a pas
réussi au delà; elle n'a pas fait entrer le roi dans Paris, et elle n'a pas
chassé les Anglais de France; elle n'a pas tout prévu, et elle n'a pas fait
tout ce qu'elle avait charge de faire. Mais qui a jamais prétendu tout prévoir ?
Le prophète est un homme, et n'est prophète que pour les choses qui lui
sont révélées. Quant à la mission de Jeanne, elle n'avait jamais dit qu'elle
ferait tout. Elle avait dit qu'elle déhvrerait Orléans, si peu de troupes qu'on
lui donnât : mais encore avait-il fallu qu'on lui en donnât. Il fallait
qu'on « la mît hardiment en œuvre « et qu'on se mît à l'œuvre avec
elle. Jeanne avait délivré Orléans; mais elle n'eût pas mené le roi à Reims
malgré lui ; elle ne pouvait le faire entrer dans Paris quand il s'en retirait.
jgo JKANiNE IVARC
En un mot, la mission de Jeanne avait pour signe la délivrance d'Orléans,
pour but Texpulsion des Anglais. Elle a donné son signe-, elle n'a pas
atteint son but, au moins comme elle l'eût voulu faire, et comme elle l'eût
fait sans aucun doute si la cour n'avait pas renoncé à la suivre plus avant.
Mais le but devait être atteint : Jeanne dans les fers eut au moins la conso-
lation de le prédire à ses bourreaux; et sa mission ne fut pas « manquée.»
Elle-même, jusque dans sa prison, elle la continue et la consomme. Cet
échec , où l'on croyait trouver un démenti à sa parole , rentrait dans les
voies de la Providence pour donner à ses déclarations forme authentique
au tribunal de ses ennemis.
Jeanne a donc bien rempli sa mission; et, quand elle aurait elle-même
chassé de France le dernier des Anglais, ce n'est pas là ce qui ajouterait
beaucoup au caractère divin de son œuvre. Les Anglais, assurément, ne
pouvaient pas garder la France. On n'en était plus à la première période
de la rivalité des deux peuples, quand les rois d'Angleterre, fils eux-mêmes
de la France, pouvaient en disputer les provinces aux Capétiens comme
un héritage domestique. Depuis la guerre de Cent ans, la race anglaise est
entrée dans la lutte : c'est une nation qui en attaque une autre; les rois
eux-mêmes, malgré les liens de famille qu'ils invoquent ou qu'ils renou-
vellent , sont devenus Anglais , et leur empire n'aurait pas duré un an à
Paris sans les haines civiles des Armagnacs et des Bourguignons. Leur
domination pouvait s'étendre et se prolonger encore , sans doute : la prise
d'Orléans eût rendu leur joug plus fort et la délivrance plus laborieuse ;
mais, le jour venu, l'élan national eût tout emporté. Là n'est pas le miracle.
Ce qui est merveilleux dans cette histoire , c'est Jeanne , c'est ce qu'elle dit
d'elle-même, quand on connaît par toute sa vie la fermeté de son intelligence
et la simplicité de son cœur; et c'est pour que l'on en juge en toute vérité
que nous avons retracé avec tant de détails les scènes où elle a paru.
(>ette épreuve, nous le savons, ne dissipera point tous les doutes : il y a
sur ces matières des partis pris devant lesquels les faits eux-mêmer-, et des
faits plus forts, restent sans force ; mais ceux mêmes qui, pour ces raisons,
refuseront de croire aux paroles de Jeanne d'Arc, reconnaîtront au moins
que jamais àme ne fut plus digne de foi.
S'il y a dans la vie des saints comme un rcMet des grands modèles qui
LA KKlIMill.lTATION.
LHISTOIRE.
39.
nous sont proposés, où le trouver plus éclatant et plus doux à la fois que
dans celle qui, à la distance où demeure toute semblable imitation, rappelle
en même temps et le Sauveur et sa Mère : la mère de Dieu , dans sa
virginité , dans son trouble et dans ses hésitations à la vue de l'ange qui
l'appelle; le Sauveur, dans les traverses de sa mission, dans le traître
qu'elle rencontra au moins devant ses juges; dans l'hypocrisie de ses juges
^^4V
Fig. iS5. — La Vierge Marie couronnée par le Saint-Esprit. — \\ serait légitime de donner à cette figure le
titre de « Notre-Dame de Paix» ou de» Notre-Dame de France.» Deux groupes d'anges portent ces mots :
« Gloire à Dieu au plus haut des Cicux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ; » la Vierge,
ayant donné Je'sus-Christ au monde, lui a en effet donné la paix. Elleest vêtue de blanc. De la main droite
elle tient un lis, de la main gauche l'écu de France. Le roi, couronné, en manteau bleu à fleurs de lis d'or,
est agenouillé devant elle. Le sens de cette composition est certainement celui-ci : Marie protège la
France, — Miniature des Vigiles de Charles VIF, ms. fr., n» 3o54, daté de 14S4, à la bibliothèque nationale.
( — « Elle a blasphémé ! »); dans la vraie cause de sa mort, car elle meurt
aussi pour son peuple; dans le délaissement de son supplice, comme dans
la paix de son dernier soupir? Après cela, Jeanne n'a pas été déclarée
sainte; mais peut-on dire que l'Eghse ait méconnu son caractère? Les
juges, nommés par le pape à la requête de sa famille, n'avaient pour
mission que de reviser son procès. En réhabilitant sa mémoire, ils ne pou-
vaient lui décerner d'autres honneurs. Et, quand on réfléchit au rôle de
Jeanne d'Arc dans la lutte séculaire des deux principaux peuples de la
JEANNE D'ARC.
chrétienté, on comprend que l'Église n'ait pas voulu alors décréter un culte
qui eijt obligé TAngleferre comme la France. Quand on voit Tinfluence
de l'esprit de parti se perpétuer depuis les écrivains bourguignons jusque
dans les jugements portés en France sur la Pucelle, on comprend qu'elle
ait continué de s'abstenir, laissant le sentiment public se produire libre-
ment dans le domaine de l'histoire. Mais, quelle qu'ait été la diversité des
opinions des historiens, la foi du peuple n'a jamais varié, et on ne peut
pas dire que FEgiise, dans sa réserve même , lui ait jamais fait défaut.
C'est dans une fête religieuse que les honneurs populaires rendus à la
Pucelle se sont perpétués jusqu'à nous : je veux parler de la procession par
laquelle les Orléanais rendent chaque année témoignage à sa mission , en
rapportant à Dieu son signe, l'acte de leur délivrance; et naguère, à l'inau-
guration de son dernier monument, c'est dans la chaire de Sainte-Croix
et par la voix éloquente et vraiment inspirée de leur premier pasteur que
leur culte pour elle a reçu la consécration la plus éclatante. Aujourd'hui
l'opinion est fixée partout. L'Allemagne a rendu à la « Jeune fille d'Orléans»
un touchant hommage dans le livre de G. Gcerres. La Belgique a depuis
longtemps abjuré les haines des Bourguignons ; l'Angleterre elle-même a
répudié , dans le poëme de Robert Southe}' , le crime de Bcdford et les
injures de Shakspeare. En France, on ne dilTère que par la manière de
la déclarer sainte. Quand l'Église jugera bon de le faire selon le mode qui
lui appartient, le travail ne sera pas bien long-, les enquêtes sont, dès à
présent, entre les mains de tous, par l'édition des deux procès : et celui
des deux qui la condamne n'est pas celui qui crie le moins haut pour elle.
Quel plus grand témoignage, en ettet, à la gloire des saints que les actes
mêmes de leur martyre ? Oui, quand on arrive avec les pièces de ce procès
au terme de cette histoire , on peut le dire avec une entière conviction :
Jeanne a été par toute sa vie une sainte, et par sa mort une martyre :
martyre des plus nobles causes auxquelles on puisse donner sa vie , mart\Te
de son amour de la patrie , de sa pudeur, et de sa foi en (^elui qui l'envoya
pour sauver la France I
ÉCLAIRCISSEMENTS
JEANNE d'abc. III.
ichèque nationale.
ARMES ET VÊTEMENTS MILITAIRES
'est à répoque même de la mission de Jeanne,
que Tarmure de fer battu ou armure de
plates accomplit sa dernière évolution. Cet
habillement, qui succédait à l'habillement
de mailles, avait commencé, dès la fin du
treizième siècle , par des boîtes de métal en-
veloppant le genou. Au quatorzième, des
boîtes semblables, réunies par des lames
de fer articulées, enfermaient la totalité des
membres. Les membres supérieurs avaient
Vcp..Tnl!i'rc, le bras, la coudicre, V avant-bras et \q. gantelet; pour les infé-
rieurs, les cuissots, les gcitonillères, Icsgrcj'es ou jambières et lessolerets.
Déjà les coudières et les genouillères étaient munies de gardes, plaques
évasées destinées à garantir le pli de l'articulation.
Il ne restait donc plus qu'à protéger le corps d'après le même système.
Ce résultat fut obtenu après 1400. A cette date, la pièce de métal qui
s'appelait poitrine d'acier au siècle précédent fut remplacée par deux pla-
1 Cette lettre initiale a été gr
de Saint-Denis.
par Sébastien Lcclerc (xvii« siècle) pour une Histoire de l'abbaye
396
ECLAIRCISSEMENTS.
ques, Tune pour la poitrine, l'autre pour le dos. Ces deux plaques descen-
daient jusqu'à la taille et comportaient, à partir de là, une jupe de mailles
recouverte de lames ajustées à recouvrement , nommées /hiildcs.
Telle fut la première cuirasse. Elle s'améliora, bientôt après, par l'addi-
tion de deux autres pièces, de sorte qu'il y eut deux plastrons garantissant
la poitrine et deux autres protégeant le dos.
Ainsi revêtu pour la première fois du harnais complet, depuis les gan-
Fig. 186. — Capitaines. {Chroniques du Haiuauî.
telets à doigts séparés jusqu'aux souliers de fer articulés, ou solercts,
l'homme d'armes adopte pour coilfure la salade, casque conique, muni
par derrière d'un large rebord s'étalant sur le cou et destiné à protéger la
nuque. Sur le devant, était adaptée une visière mobile, appelée garde-rue.
Vers la fin du quatorzième siècle , le camail de mailles avait été remplacé
par un gorgerin et une mentonnière en fer forgé. Cette mentonnière fut éle-
vée au-dessus des narines et projetée en avant ; on l'appela la barieve.
En même temps, prenait naissance un autre casque qui est devenu depuis
igS ÉCLAIRCISSEMENTS.
la dernière expression de la défense de la tète, Varmcl. On le nommait
alors htiaumet. Il consistait en une coiffure ronde assez conforme aux
contours de la tète. La bavière était remplacée par un grillage.
Le chevalier chaussait un éperon à très-longue tige armée d'une grande
molette, la iiiolctlc ra)-onnante.
Fig. iS8. — Éperon à longue tige.
L'écu n"a plus de raison d'être. Après avoir réduit ses dimensions à cha-
que progrès de Tarmure, il disparaît de l'habillement défensif. On ne le
rencontre plus que dans les cérémonies d'apparat et dans les panoplies, on
ne s'en sert plus que comme support de blason.
L'homme de guerre passait par-dessus sa cuirasse tantôt une tunique
courte, sans ceinture, à larges manches, houppelande à corsage fermé et à
collet montant, mais très-raccourcie de la jupe-, ou bien la Inique, sorte de
casaque flottante entièrement ouverte sur le devant, à bords le plus souvent
déchiquetés, sans manches; ou bien encore une huque avec de grandes
manches, dans lequel cas elle devenait le paletot. Il cimait son casque
d'une touffe de plumes d'autruche, fort recherchées dans ce temps, et l'en-
tourait d'une riche cornette ou d'une étoffe légère, chiffonnée à grands
bouillons, qu'on nommait étoffe de tripe.
Là ne se borna pas l'emprunt fait au costume civil. La carrure d'é-
paules étant alors fort estimée, on simulait cet avantage avec des manches
à gigots très-gonflés à la naissance du bras. On appelait ces gigots ma-
heutres. De faux maheutres furent posés sur le harnais de guerre. L'archer
combattant, page 406, fig. 2o3, a les épaules garnies de maheutres.
Les armes offensives, propres à la noblesse, comprenaient la lance et
l'épée. La lance, \q glaive de nos chroniqueurs, comportait un fut de bois
de frêne, un fer en losange, et, près du fer, une pièce d'étoffe rectangulaire,
la. bannière, ou triangulaire, Icpennon, chargés des armoiries héréditaires.
La bannière appartenait aux seigneurs assez puissants pour conduire un
ARMES ET VETEMENTS MILITAIRES.
399
certain nombre d'hommes d'armes à la guerre; au simple gentilhomme
servant sous le chevalier bannerel , le pennon. La longueur de la lance
mesurait quatorze pieds environ; cependant, la veille d'une affaire, lorsque
les hommes d'armes eurent appris des Anglais à descendre de cheval pour
soutenir la bataille, on raccourcissait les fûts de lance, on les retaillait à
Fig. iS
til
a, Bannière du comte de Richemont. — b, Pennon. — c, Epée de Jean sans Peur
d, Épée de Philippe le Bon, d'après un sceau de 1435.
la longueur de cinq pieds. Sous Charles VII, la lance chevaleresque était
passée aux mains des compagnies d'ordonnance; il n'y a plus de pennon.
Les monuments figurés de l'époque offrent des épées élégantes et fortes,
légères à la main. La lame est large du talon, très-aigue de la pointe, à
arête médiane; les quillons sont recourbés d'ordinaire vers la pointe et
quelquefois droits, à extrémités recroisetées ou fleuronnées; les pommeaux
sont en olive, coniques, côtelés, tronqués ou en disque aplati, ornés de
pierres fines ou d'émaux reproduisant le blason du possesseur.
L'habillement du cheval de guerre (on disait le destrier) consistait de-
puis le commencement du treizième siècle en une couverture de fer ou
d'étoffe. On voulut le faire participer au bénéfice de l'armure de plates. La
tête du cheval se garnit d'un chanfrein, plaque d'acier armée d'une crête
ou d'une pointe, qu'on laçait sous la ganache et qu'on accompagnait de
lames articulées bardant le haut de l'encolure et maintenues en dessous par
de la maille. Un rebord saillant garantissait d'ordinaire les j'eux du cheval.
ÉCLAIRCISSEMENTS.
D'autres fois ils étaient abrités derrière un grillage. On fermait complète-
ment les oeillères si le cheval était sujet à se dérober; dans ce cas, le chan-
frein était dit aveugle. Le chanfrein devint pour les seigneurs riches une
occasion d'étaler le plus grand luxe : ils le garnissaient d'or et le couvraient
de pierreries. Les grands sceaux équestres de Philippe le Bon, duc de
Bourgogne, offrent des exemples de chanfrein et de barde de crinière. Le
Fig. 193 et 19+. — Chanfreins et bardes de crinière.
cheval, dans ces types, est enveloppé d'une fine housse de mailles recou-
verte d'une seconde housse, d'étoffe légère et brodée d'armoiries.
La selle d'armes concourt aussi à la défense de: Thomme de guerre. On
la revêt de plaques d'acier. Le pommeau s'évase, ses plaques s'arrondis-
sent et embrassent le devant de la cuisse, comme si elles allaient rejoindre
le troussequin; quelquefois il s'élève assez haut pour couvrir entièrement
le ventre du cavalier, et descend de façon à garantir le genou et la jambe.
Les considérations précédentes s'appliquent seulement à l'homme
d'armes, au privilégié à qui sa naissance donnait le droit de combattre à
cheval, revêtu de l'armure complète. Les soldats, sergents, gens d'armes
et de trait ne jouissaient pas de cette prérogative et ne pouvaient porter
d'ordinaire que les pièces défendant les articulations principales. Ils n'é-
taient mènie pas assujettis à l'uniforme. Du moment où ils possédaient
les pièces principales de l'armement, le reste était abandonné à leur ca-
price. Si l'on songe qu'ils appartenaient à des pays très-divers et conser-
vaient une partie de leur costume national, on se fera une idée de la diffi-
culté qu'il y aurait à se rendre un compte détaillé de leur habillement.
Les pavaisiers maniaient une lance de jet, sorte de javelot, et se couvraient
d'un parais , bouclier rectangulaire qui les abritait presque en entier. Des
manuscrits, un peu antérieurs, il est vrai, les montrent habillés comme les
ARMES ET VETEMENTS MILITAIRES.
hommes d'armes, mais coilïcs d\in cliapeait de fer, chapeau cylindrique à
timbre rond ou pointu, à larges bords plats ou rabattus.
Fig. 195. — Philippe le Bon, duc Je Huurgugne. Sceau de 1424.
Fig. 196 et 197. — Selles d"armes.
Les archers portaient le jaque, pourpoint gamboisé, c'est-à-dire rem-
bourré, avec une jupe à gros plis, ou bien la brigaiidine, pourpoint couvert
de plaquettes de métal. Les chausses étaient de cuir ou d'étoffe gamboisée,
ni. — M
402
ECLAIRCISSEMENTS.
souvent de deux couleurs différentes. Le vêtement du corps était aussi de
deux couleurs. Des boîtes de fer, épaulières, coudières et genouillères, dé-
fendaient les articulations principales ; quelquefois même des plaques proté-
geaient le devant de la jambe et de la cuisse. Dans certains monuments
de 1440 figurent des archers qui sont coiffés de salades à garde-vue; d'au-
Fig. ujS. — Capitaine avec ses archers. {CliroiiLiucs du Hainaut.)
très ont le petit bassinet ou le chapeau de fer. Une trousse de flèches est
accrochée à leur ceinture, où pend quelquefois une forte épée pouvant frap-
per d'estoc et de taille. (Voy. Tarcher combattant, page 406, fig. 2o3.) Leur
arc est le fameux arc anglais de six pieds.
Les arbalétriers, vêtus comme les archers, du jaque ou de la brigandine,
offrent la même variété de coiffure. Leur arme ordinaire était Varbalète à
ARMES ET VETEMENTS MILITAIRES.
4o3
pied, munie d'un étrier dans lequel on passait le pied, afin d'avoir un point
d'appui pour bander la corde. Mais en ce temps, on avait imaginé une
arbalète plus puissante : elle se bandait au moyen d'un treuil qui se portait
accroché à la ceinture. Cette arme nouvelle se nommait le cranequin, et
les arbalétriers armés de cette arbalète spéciale s'appelaient cranequiniers.
Les sergents et gardes du roi, vêtus du même costume que les précédents,
Fig. loq. — Garde armé J'un fauchard ,
el revêtu d'une huque.
{Chroniques du Hainaut.)
Fig. 200. — Soldat armé d'une rouelle.
mais à la livrée, c'est-à-dire aux couleurs de leur maître, avaient pour armes
des/auc/iards, grands coutelas emmanchés au bout d'une hampe, ou la
hallebarde, hache à deux tranchants surmontés d'un fer de lance. Ils por-
taient aussi une lance de jet ou bien le bec de faucon. On voit, page 404,
fig. 201, deux sergents armés d'une courte lance. Tune nue, l'autre accom-
pagnée d'une petite flamme. Un troisième sergent s'appuie sur un bec de
faucon, bâton ferré muni d'un marteau terminé par derrière en une forte
pointe recourbée vers le manche.
Les gens de pied, en général, ne portèrent pas la cuirasse. Aussi ccrtnins
404
ECLAIRCISSEMENTS.
conservèrent un petit bouclier rond, la rouelle, qu'ils suspendaient à la
ceinture.
Une miniature du manuscrit intitulé les Chroniques du Hai)iaut\ posté-
rieur de quelques années à la mort de notre héroïne, représente des artil-
leurs ^fig. 20 1\ Le canon, que l'on dirait fabriqué de douves maintenues par
Fig. 201. — Artilleurs et sergent d'armes. ( Chroniques du Hainaut.)
des cercles, est court et large de la bouche. Il repose sur un affût à deux
roues; le derrière de l'affût se termine en potence et présente à son milieu
une pièce de fer verticale percée de trous de distance en distance. Ces trous
servent à fixer la culasse après qu'elle a été haussée ou abaissée selon la
direction que le pointeur veut donner à son tir. L'un des artilleurs porte
1 La plupart des dessins qui accompagnent cet éctjircisscment sont tires des Chroniques du Hainaut,
ms. exécuté vers 1440 et conservé â la bibl. de Bourgogne, à Bruxelles.
2 3 s
E S e^ i
" S = ï s
ÉCLAIRCISSEMENTS.
un riche pourpoint par-dessus son haubergeon; il est coiffé d'une salade.
Le second, revêtu d'une huque bleue à collet rouge et à galons d'or par-
dessus son jaque, a pour coiffure une toque rouge à retroussis jaune.
Tous deux ont des chausses en étoffe rouge. Un des sergents qui les ac-
compagnent est habillé d'un paletot bleu , brodé, à grandes manches rouges.
Ailleurs ce sont des brigandines recouvertes de soie ou de velours. On voit
par là que l'usage d'un habillement par-dessus le harnais de guerre était
devenu général, et que, dans la grande misère de la France, si l'armure était
en progrès, le luxe avait envahi les armées.
G. Dic.M.w.
2o3. — .A.rchcr combattant. {Clironiques du Hainaut. )
i des Heures de Simon Vostro (150M). Biblîotlicque de M. Ambroise Firmin-Didot.
II
NOTE EXPLICATIVE
CARTE DU ROYAUME DE FRANCE
PENDANT LA MISSION DE JEANNE D'ARC
s^ \ carte du roj^aume de France pendant
y la mission de Jeanne d'Arc a été conçue
dans le même esprit que la » carte de la
France sous le règne de saint Louis »
qui accompagne la dernière édition de
Joinville donnée par M. de Wailly. On
y a tracé, aussi exactement que possible ,
les limites du royaume, ainsi que celles
du domaine royal et des fiefs les plus
importants. On a cru utile, en outre,
de fixer les bornes de la domination an-
glaise lors de Tarrivée de Jeanne d'Arc à Orléans (29 avril 1429'!, —
c'est-à-dire au moment le plus critique pour la nationalité française, —
et l'on a pensé qu'il était nécessaire de déterminer l'étendue du pays occupé
par le parti français au temps de la prise de la Pucelle sous Compiègne
(24 mai 1430"'. Enfin , on a essayé d'indiquer sur cette même carte l'iti-
^o8 ÉCLAIRCISSEMENTS.
néraire suivi par la libératrice d'Orléans, tout au moins pour ceux de ses
voyages sur lesquels on a des renseignements précis.
Nous regrettons de n'avoir pu justifier, ici même, les lignes principales de
la carte-, mais nos lecteurs trouveront, dans un travail que nous venons de
publier sur « les limites de la France et retendue de la domination anglaise
à répoque de la mission de Jeanne d"Arc ', » une étude qui remplacera avan-
tageusement, nous le croyons, la notice dont notre carte aurait pu être
accompagnée. Nous ne dirons donc ici que ce qui est nécessaire pour
rintelligence de ce document.
On n'a pas renfermé dans les limites du royaume de France le Dauphiné ,
parce que cet Etat n'était pas uni au royaume; néanmoins, on l'a teinté en
rose comme faisant partie du domaine du roi.
On s'est attaché à tracer les limites des fiefs les plus importants au
point de vue territorial. On n'a guère omis de comtés antérieurs au trei-
zième siècle-, mais on n'a figuré les comtés érigés au quatorzième et au
quinzième siècle que dans le cas seulement où ils formaient un groupe
de quelque étendue, tels, par exemple, que le comté de Guise et ce-
lui d'Alais. En revanche, on a donné, comme déjà dans la carte de la
France en i25g, les limites de plusieurs vicomtes aquitaines et de quel-
ques seigneuries considérables, comme la seigneurie de Coucy et celle de
Beaujeu.
De même que dans la carte du roj'aume sous le règne de saint Louis ,
on n'a figuré, sauf de très-rares exceptions % que des cités et des chefs-
lieux de châtellenies ou de prévôtés, et on en comptera plus de quinze
cents. On a tenté de distinguer, bien que cela ne fût pas toujours facile,
les châteaux appartenant au haut seigneur de l'Etat où ils étaient com-
pris, de ceux qui étaient tenus en fief par des seigneurs particuliers, et
l'on a employé un signe indicatif de couleur rouge pour ceux-ci , un signe
indicatif de couleur noire pour ceux-là.
Une centaine de fiefs ont été délimités et on n'a séparé que par une
1 Revue des questions historiques (livraison d'octobre iSjS), tome XVIII, p. 444 à 546.
2 Aucun, à Texception du comté de Porhoèt (en Bretagne) et de celui d'Auvergne, en raison de l'cxi-
guîté de ces divisions. On n'a pas délimité non plus les possessions du comte-dauphin d'Auvergne,
disséminées dans la province de ce nom, entre Clermont et Brioude.
3 Comme, par exemple, Domremy, la patrie de la Pucclle, et Sainte-Calherine-de-Fierbois, où Jeanne
commanda de chercher l'épée qui lui était destinée.
CARTE DU ROYAUME. 409
ligne de pointillé noir les fiefs contigus, possédés par un même seigneur :
dans ce cas, le nom du fief principal est inscrit en lettres rouges, tandis que
les dénominations de fiefs secondaires le sont en lettres noires.
Il est regrettable qu'on n'ait pu indiquer, par quelque signe, la commu-
nauté de propriétaire pour les fiefs non limitrophes, maison peut suppléer,
en quelque sorte, à cette lacune, par la liste suivante, qui comprendra les
noms des feudataires possédant plusieurs grands fiefs isolés les uns des
autres : les noms des fiefs formant un groupe seront réunis sous un seul
adverbe numéral :
Jean IV, comte d' Armagnac , possédait : i" les comtés d'Armagnac, de Fézensac et de
rile-en-Joiirdain; les vicomtes de Lomagne, de Brulhois, de Fézensaguet et de Gimoës;
2" la vicomte deMagnoac; 3° la vicomte des Quatre- Vallées ; 4" le comté de Rodez.
René d'Anjou, duc de Bar, possédait: 1° le duché de Bar, dont la partie française était
divisée en trois tronçons ' ; 2" les baronnies du Perche-Gouét '.
Jean I""', duc de Bourbon, possédait: i" les duchés de Bourbonnais et d'Auvergne, le comté
de Forez et la seigneurie de Beaujeu ; 2° le comté de Clermont, en Beauvaisis '.
Philippe le Bon, duc de Bourgogne, possédait: i" le duché de Bourgogne; les comtés
d'Auxerre, de Tonnerre, deCharolais, de Mâcon, et la seigneurie de Bar-sur-Seine;
2" les comtés dé Flandre, d'Ostrevant, d'Artois et de Boulogne'; 3° le comté d'Etampes'.
Jean VI, duc de Bretagne possédait : i" le duché de Bretagne; ^° le comté de Mont-
fort-l'Amaury *.
Jean de Grailly, comte de Foix possédait : i" le comté de Foix ; 2° le comté de Bigorre et
la vicomte de Nébouzan; 3" les vicomtes de Marsan et de Gabardan ''.
Jacques de Bourbon, comte de la Marche possédait : i" le comté de la Marche; 2" celui de
Castres, en Languedoc.
Charles de Bourgogne , comte de Nevers possédait : 1" le comté de Nevers et la baronnie
de Donzy; 2" le comté de Rethel.
Charles, duc d'Orléans, possédait : 1° le duché d'Orléans, les comtés de Blois et de
Dunois; 2" le duché de Valois, le comté de Soissons et la seigneurie de Coucy*;
1 Les deux principaux de ces tronçons sont dc'signes sur la carte par le nom Duché de Bar •, mais la place
manqué pour inscrire ce nom dans le troisième tronçon, enclavé dans l'Empire et formé seulement de la
cliâtellenie de ConHans, prés Luxeuil.
2 René d'Anjou portait aussi le titre de « comte de Guise, » mais ce comté, confisqué avec lui, avait été
donné à Jean de Luxembourg, partisan du roi d'Angleterre, et ce capitaine en avait achevé la conquête
en 142t.
3 Le fils aine du duc de Bourbon portait alors le titre de « comte de Clermont. «
4 11 ne faut pas oublier que Philippe le Bon tenait, en outre, divers grands fiefs impériaux, tels que le
comté de Bourgogne et la seigneurie de Salins, le comté d'Alost, la seigneurie de Matines, ainsi que le comté
de Hainaut et celui de Hollande.
^ P hi lippe le Bon avait aussi des prétentions sur le comté de Gien, au même titre que sur le comté d'Étampes,
mais ce fief était occupé par les partisans de Charles Vil, qui, en 1429, l'avait donné au bâtard d'Orléans.
0 Le titre de « comte de Montfort » était porté par François, fils aîné du duc de Bretagne.
^ I-e comte de Foix possédait, de plus, la vicomte de Béarn, alors indépendante de la couronne.
" Le comte de Soissons et la seigneurie de Coucy étaient indivis, par moitié, entre le duc d'Orléans et la
comtesse de Marie.
ECLAIRCISSEMENTS.
3" le comté de Beaumont-sur-Oise ; 4" le comté de Porcien ' ; 5" le comté de Vertus ;
6° le comté de Périgord *.
Bernard d'Armagnac, comte de ParJiac possédait : i" le comté de Pardiac ; 2" la vicomte
de Cariât, en Auvergne.
Cependant , cette énumération n"est pas rigoureusement exacte pour les
années qui nous occupent, car alors plus d'un partisan du roi Charles VII
était privé de ceux de ses fiefs situés dans la partie du royaume occupée
par les Anglais. Il se forma, en outre, d'autres groupements féodaux à la
faveur des donations faites par le roi d'Angleterre; ainsi, en 1429, le duc
de Bedford , régent du roj'aume de France au nom de Henri Vl , se
qualifiait « duc d'Anjou et d'Alençon, comte du Maine et de Harcourt, »
et, peu de temps après, il ajoutait à ces titres celui de « comte de
Dreux. «
L'itinéraire de la Pucelle a été tracé à l'aide du tableau chronologique
des marches exécutées par Jeanne d'Arc , de Berriat-Saint-Prix , corrigé et
complété par M. Jules Quicherat ■'. On n'a pu , cependant , figurer sur la carte
la voie suivie par Théro'i'que fille de Domremy depuis son départ de ^'au-
couleurs, en compagnie des guides que lui donna Robert de Baudricourt ,
jusqu'à son arrivée près du roi à Chinon , Auxerre et Gien étant à peu près
les seuls points intermédiaires qu'on conniùt. Il n'a pas paru possible, non
plus, d'indiquer les marches et contremarches de la Pucelle pendant la
campagne de l'Orléanais. C'est donc seulement à partir du 24 juin 1429
que nous pouvons véritablement marcher sur les traces de Jeanne, qui, à
cette date, quitte Orléans pour se rendre à Gien, d'où part, trois jours
après, l'expédition du sacre. Nous avons pu la suivre dès lors, non sans
difficulté, jusqu'à son retour dans les pays arrosés par la Loire , au 2 i sep-
tembre suivant.
Jeanne d'Arc ayant passé plusieurs fois par certaines villes, il nous paraît
convenable de présenter ici un résumé de son itinéraire pendant ces quatre
mois; le lecteur pourra, de la sorte, suivre plus facilement, sur la carte, la
marche de l'héroïne.
l Le titre de « comte Je Porcien » était porté par le bâtard d'Orléans, qui, en 1432, se qualifiait aussi
' comte de Périgord. ■»
- Voyez la note précédente.
3 Quicherat, Procès de Jeanne SArc, t. V, p. 378-382.
CARTE DU ROYAUME.
Juin 27. Gien (Loiret,.
— Montargis, (Loiret ;.
Juillet I. Auxerre (Yonne j.
— 3. Saint-Florentin; Brienon l'Archevêque (Yonne;.
— 4. Saint-Phal (Aube).
— II. Troyes (Aube).
— 14. Lettrée (Marne, commune de Dommartin-Lettrée).
— i5. Châlons-sur-Marne (Marne).
— 16. Septsauk; Reims (Marne).
— 21. Corbeny (Aisne).
— 22. Vailly (Aisne).
— 23. Soissons (Aisne).
— 29. Château-Thierry (Aisne).
Août I. Montmirail (Marne).
— 2. Provins (Seine-et-Marne).
— La Motte de Nangis (Seine-et-Marne).
— Bray-sur-Seine (Seine-et-Marne).
— 5. Provins ( Seine-et-Marne !.
— 7. Coulommiers (Seine-et-Marne).
— Château-Thierry (Aisne).
— 10. La Ferté-Milon (Aisne).
— II. Crépy-en- Valois (Oise).
— 12. Lagny-le-Sec (Oise).
— i3. Dammartin-en-Goële ; Thieux (Seine-et-Marne).
— 14. Baron; Montépilloy (Oise).
— i5. Crépy-en- Valois (Oise;.
— 18. Compiègne ( Oise ).
— Senlis (Oise).
— 2 3. Compiègne (Oise).
— 26. Saint-Denis (Seine).
Septembre S. La Chapelle-Saint-Denis (Seine).
— 8. Sous Paris.
— 9. La Chapelle-Saint-Denis (Seine).
— 9. Saint-Denis (Seine).
— 14. Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne).
— i5. Provins (Seine-et-Marne).
— Bray-sur-Seine (Seine-et-Marne).
— Passage de l'Yonne à un gué près de Sens (Yonne).
— Courtenay (Loiret).
— Châteaurenard (Loiret).
— Montargis (Loiret).
— 21. Gien (Loiret).
On comprendra aisément que nous ayons été quelquefois embarrassé
pour choisir, entre les diverses voies de communication reliant dcu\ loca-
412 ÉCLAlRCISSEMliNTS.
litcs, le chemin suivi par Jeanne d'Arc : rétude des routes du moyen âge
est du reste trop peu avancée pour que nous puissions nous flatter d'avoir
réussi le plus souvent. L'une des difficultés les plus graves de ce premier
itinéraire de la Pucelle est certainement le trajet de Gien à Auxerre : le roi
et la Pucelle passèrent-ils alors à Montargis, comme l'écrivit, au commen-
cement du dix-septième siècle, un historien rémois, l'échevin Rogier '? C'est
bien possible, et c'est même probable, si l'on songe qu'aujourd'hui encore
il n'y a pas, à travers le sauvage pays de Puisaye, de communication
directe entre Gien et Auxerre, et que, durant le moyen âge, le seul grand
chemin connu, partant de cette dernière ville et se dirigeant à l'ouest, était
le grand chemin d' Auxerre à Orléans passant par Perrigny, Fleury, Laduz,
Senan, Sépaux, Villefranche , et gagnant ensuite Montargis par Château-
renard-. Voilà pourquoi nous avons cru devoir ajouter le nom de Mon-
targis à l'itinéraire publié par M. Quicherat.
A partir de la fin de septembre jusqu'au siège de Compiègne(mai i43o),
et surtout depuis le mois d'octobre jusqu'au mois d'avril, la pénurie des
renseignements relatifs à Jeanne d'Arc ne permet plus de tracer l'itinéraire
de celte vaillante fille. Nous ne pouvons plus suivre désormais la Pucelle
que depuis le jour où elle fut prise sous les murs deCompiègne (24 mai 1430")
jusqu'à son biùcher de Rouen; les stations connues sont au nombre de
neuf pour cette partie de l'itinéraire :
Mai 24. Compiègne (Oise).
— Beaulieu (Oise).
Août Beaurevoir (Aisne).
Novembre Arras (Pas-de-Calais).
— t)rugy, près Saint-Riquier (Somme).
— 21? Le Crotoy (Somme).
Décembre Saint- Valery-sur-Somme (Somme).
— Eu (Seine-Inférieure).
— Dieppe (Seine-Inférieure).
— Rouen (Seine-Inférieure).
Auguste Longnon.
I Quicherat, Procès Je Jeanne d'Arc, t. IV, p. 2S7.
'■ Quantin, Dictionnaire topogr. du dép. de l'Yonne, p. 33.
. *n lU-tu^ II. i-ar Di
Oruement tiré d'un ms. latin du XV siiclc. Bibliolh. de M. Anilu
m
LA FAMILLE DE JEANNE D'ARC
Son anoblissement. — Sa Jescendance
\ récompense de services qui tenaient du
prodige, Charles VII voulut récom-
penser d'une manière tout exception-
nelle la libératrice de son royaume. C'est
ainsi que, par des lettres-patentes datées
de Meun-sur-Yèvre , du mois de décem-
bre 1429, il éleva à la dignité de nobles
Jeanne, son père, sa mère, ses frères,
leur parenté et leur descendance, née
et à naître, en ligne masculine et en
ligne féminine. On peut cependant croire
que le roi n'avait pas attendu jusque-là pour manifester sa gratitude , et
qu'un autre témoignage d'honneur avait précédé celui dont il vient d'être
question. Nous trouvons en effet dans un manuscrit de la bibliothèque
nationale, daté de i55g, qui paraît présenter certaines garanties d'authen-
ticité, une indication d'après laquelle Jeanne aurait été l'objet d'un pre-
mier anoblissement personnel le 2 juin 1421), après ses glorieux succès
d'Orléans. Dès cette époque, le roi, étant à Chinon , aurait donné à
, la biblioth.
Fig. 204. — Concession d'armoiries par le roi Charles VU à Jeanne d'Arc, le 2 juin 1429, après la délivrance
1559. Ce manuscrit, de l'ancien fonds Baluze, porte le titre i' Evaluation des monnaies d'or et d'argent, et les
éminents. 11 contient la copie, par ordre de dates, de tous les édits mone'taires enregistrés par lachambre
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d'Orléans et avant la campagne de la Loire. Ms. de la biblioth. nat., fonds fr., n° 5524, registre daté de
noms-de Jean Lhuillier s' de Boulancourt, président à la cliambre des comptes, et d'autres magistrais
des monnaies.
Le premier jour de may mil iiij' vingt-neuf,
marc d'argan xvij 57
De la Pucelle Jehanne
Le ij"" jour de jiing yn. iiij'' .wri.v le dit Seigneur roy ayent congneu les
proesses de Jelianne la Pucelle et Victoires du don de Dieu et son conseil
intervenues donna estant en la ville de Chinon arnioyries a la dite Jehanne
pour son estandart et soy décorer du patron qui sensuict donnant charge au
duc Dallcnson et a icelle Jehanne du siège de Jargueau.
TRADUCTION
Le premier jour de mai 1429,
le marc d'argent à dix-sept sous
DelaPucelle Jeanne
Le deuxième jour de juin 1429, ledit seigneur roi ayant connu les
prouesses de Jeanne la Pucelle et les victoires remportées par le don de
Dieu et son conseil , donna , étant en la ville de Chinon, des armoiries à ladite
Pucelle, pour décorer son étendard et elle-même, dont le modèle s'ensuit,
donnant, au duc d'Alencon et à ladite Jeanne , la charge du siège de Jargeau.
4i6 ECLAIRCISSEMENTS.
l'héroïne les armes qui furent un peu plus tard attribuées à sa famille.
Ce qui est en tout cas bien certain , c'est que la pieuse modestie de la
Pucelle lui fit refuser cet honneur, et qu'elle n'usa jamais, pour la décora-
tion de son harnais ni de sa personne, des insignes glorieux qui lui étaient
conférés. Elle considéra tellement cette distinction comme nulle et non
avenue pour elle, qu'elle put, en toute conscience, répondre à ses juges de
Rouen, le lo mars 1431, que « d'écuset d'armes elle n'en eut jamais, mais
« que son roy donna des armoiries à ses frères. » Quant à elle, elle ne
voulut d'autre insigne sur son étendard que le pieux emblème qu'elle v avait
placé, d'autre devise que celle où s'exhalait la première et sainte alVection
de son àme : Jésus, Maria!
Les frères de Jeanne profitèrent des eiVets de la munificence royale. Tous
deux prirent le nom du Lys, et le transmirent à leurs descendants avec les
avantages exceptionnels que le roi y avait attachés.
Les anoblissements en faveur des descendants de l'un et l'autre sexe
n'étaient pas alors chose rare, mais ce qui était un fait véritablement
inouï, c'était le privilège accordé par Charles VU aux filles de la famille
du Lys d'étendre leur noblesse à leurs maris roturiers. Du reste, ce privi-
lège ne tarda pas à être l'objet de sérieuses restrictions
Dès i556, une déclaration de Henry II, publiée par arrêt du parlement
de Rouen, établit que les avantnges du titre de gentilhomme n'appartien-
dront désormais à ceux qui se disent issus delà race delà Pucelle, « qu'au-
tant qu'ils porteront le nom ou seront issus de descendantes de Jacques
d'Arc n'avant dérogé à leur état et ayant été mariées à des gentilshommes
vivant noblement. « Un peu plus tard , ce privilège fut aboli par l'édit de
Henri IV en 1^98, par celui de Louis XIII en 1614, et par les déclarations
du même roi en 1634 et i635.
Mais il faut ajouter que, milgré ces restrictions expresses, les descendants
des filles ont généralement obtenu des lettres patentes qui leur ont permis
de jouir du privilège de leur famille " lorsqu'ils vivaient noblement. »
Ces mesures ne furent pas appliquées à la branche vivant en Lorraine ; car
le duché, encore en possession d'une complète indépendance, n'était en rien
soumis aux lois du royaume de France. Aussi les du Lys de cette branche
continuèrent-ils à jouir de tous les avantages octroyés par Charles VII.
_, 2o5. — Château de Meun-sur-Yévre où Charles VU Junna lui kltres d jnublissemv;nt Je la famille de
Jeanne d'Arc (voir à la page suivante) etoij il mourut le 22 juillet 1461. — i. Vue du château tel qu'il était
en 1731, d'après le dessin de J. Penot, appartenant à M. Lenoir, à Paris. La chapelle qui est au-dessus
de l'entrée et les constructions qui surmontent les tours datent du règne de Charles Vil. — 2. Plan du
château, par M. Dumoutey. D'après le Dictionnaire de l'Académie des beaux-arts, t- "l, 1874.
JEANNE d'arc. III. — 53
4ii
ECLAlRCISSliMtNTS.
LETTRES D ANOBLISSEMENT ACCORDEES PAR CHARLES VU
en Je'cembrc 1429, à Jeanne d'Arc et à sa famille.
Le texte a été colUtionnc sur la pièce K, Ô3 n° 9, conservée aux Archivesde France. — Le caractère particulier
de cet anoblissement est expliqué plus haut, page 4i3.
TEXTE ORIGINAL.
Karûhis. Dei gratta Francorum rex, ad
perpétuant rei memoriatn. Masnificaturi
divinœ celsitiidinis uberrimas nitidissimas-
que grattas celebri mintsterto Ptiellcc , Jo-
hantto! Darc de Dompremeyo. cliarœ et
dilectœ ttostrce, de Ballivia Cahi-Montis
seu ejus ressort is, tiobis elargitas. et ipsa
diviiia coopérante clemetitia , ampUficari
speratas . decens arbitramur et opporttinutit
ipsaiit Pucllam et stiam, tiediim ejus ob ojfficii
nterita, verum et diviita' laudis pra^conia,
totam parentelant , digttis honortitn itostro"
regicetnajestatisinsigniis attolletidam et su-
blimandant. ut divina claritudine sic illustra-
ta, nostrce regiw Uberalitatis aliquod tiiunus
egregitim getteri suo relinquat , quo divina
gloria et tantarutit gratiaruin fama perpe-
litis honoribus accrescat et persei'eret : Xo-
tuin igitur factmtis unircrsis pra-senlibus
et/uturis, quod itos, priPiiiissis attentis, coit-
siderantes insuper laudabilia, grataque et
cotnmodiora servitia nobis et regno nostro
jam per dictant Joattnant Puellant multi-
ntode inipcnsa et quœ infuturum impendi-
speramus, certisque aliis causis ad hoc ani-
mtim nostrum indticenlibus. prœfatatn Puet-
lain , Jacobum Darc dicti loci de Dompre-
ttteyo. patreni: Isabcllaiit ejus iixoreni ,
matrein; Jacquemititn et Joltannent Darc
et Petrunt Pierelo , fratres ipsitis Ptiellœ ,
et totam suant parentelant et lignagittm , et
in favorem et pro contemplatione cjusdem,
etiam et eortim posteritateitt inasculinant et
fœmininani, in legitimo matrimonio natam
et nasciturant , nobilitavimus, et per pré-
sentes, de gratia speciali, et e.v nostra certa
scientia et plenitudine potestatis. nobilita-
tiius et nobiles facimus : concedenles e.v-
presse ut dicta Puella, dicti Jacobus, Isabella.
Jacqueminus. Johannes et Petrus , et ipsius
Puellce tota posteritas et lignagium, ac
ipsorum posteritas. nota et nascitura. in suis
actibus. injiidicio et eA'tra. ab omnibus pro-
TR.VDUCTION.
Charles, parla grâce de Dieu roi de France
pour perpétuelle mémoire. A cette fin de
glorifier les très-abondantes et insignes fa-
veurs dont le Très-Haut nous a comblé, et
que, nous l'espérons , sa divine miséricorde
daignera nous continuer, par le moyen et
le concours éclatant de la Pucelle, notre
chère et bien-aimée Jeanne d'Arc, de Dom-
remy, au bailliage de Chaumont ou dans son
ressort, et pour célébrer ù la fois les mérites
de ladite Pucelle et les louanges divines,
nous estimions convenable et opportun de
l'élever, elle et toute sa parenté , aux hon-
neurs et dignités de notre majesté royale, de
sorte que, illustrée par la grâce divine, elle
laisse à sa race un souvenir précieux de notre
royale libéralité, et que la gloire de Dieu
ainsi que la renommée de tant de bienfaits
se perpétue et s'accroisse dans tous les siè-
cles. C'est pourquoi nous faisons savoir i
tous, présents et à venir, que, eu égard à ce
que dessus , considérant en outre les agréa-
bles , nombreux et recommandables services
que Jeanne la Pucelle a déjà rendus et rendra
â l'avenir, nous l'espérons, à nous et à noire
royaume, et pour autres certaines causes à
ce nous mouvant , nous a\'ons anobli ladite
Pucelle, Jacques d'Arc dudit lieu de Dom-
rémy et Isabeau sa femme , ses père et
mère, Jacquemin et Jean d'Arc et Pierre
Pierrelot ses frères, et toute sa parenté et li-
gnage, et, en faveur et contemplation d'icelle
Jeanne, toute leur postérité mâle et femelle,
née, et à naître, en légitime mariage, et par les
présentes, de notre grâce spéciale, certaine
science et pleine puissance, les anoblissons
et déclarons nobles ; voulant que ladite Pu-
celle, lesdits Jacques, Isabeau, Jacquemin,
Jean et Pierre, et toute la postérité et li-
gnage de ladite Pucelle, ainsi que les en-
fants d'eux, nés et à naître, soient par tous
tenus et réputés nobles, dans leurs actes, en
justice et hors justice , et qu'ils jouissent et
I
LA FAMILI.F. DE JEANNE D'ARC.
419
nnbilihns haheantur el reputentur. et ut pri-
viles;iis . liherlatibus, pra'rogativis aliisque
juribiis, quitus alii nnbiles dicti uoslri regni
ex iiobili s;enere procréait, iiti consueverunt
et ntuntur, f;aiideant pacifiée et fruantur.
Eosdemqiie et dictam eoriim posteritatem ,
aliorum nobilitim dicti nostri regni ex nobili
stirpe procreatoruni consorcio aggref^amus ;
non obstante quod ipsi , lit dictiim est, ex
nobili génère ortiim non simipserint, etfor-
san alteriiis qitani liberœ conditionis exis-
tant : volentes etiain ut iidem pra'nouiinati .
dictaque parcntela et lignagiuni scepefatœ
PuelUv et ciiruni posteritas uiasculina et
ftemiuina, dum et quotiens eisdem placue-
rit, a quocumque milite, mililiie cinguluin
valeant adipisci, seii decorari. Insuper con-
ccdentes eisdem et eoritm posteritati , tam
masculincc qiiain fœmininœ, in légitima ma-
trimonio procreatœ et procreandœ , ut ipsi
feoda et retrofeoda et re.t nobiles a nobilibus
et aliis quibuscumque personis acquirant.
et, tam acquisitas qiiam acquirer.das , reti-
nere, tenere et possidere perpétua valeant
atqiie possint , absque eo quod illas velilla,
ntinc velfuturo tempore, extra manumsuam
innobilitatis occasione ponere cogantur, nec
aliquam financiam nabis vel siiccessoribus
nnstris, propter liane nobilitatem, solvere
qiiovis. modo teneantur aut campellantur :
quam quidem financiam, prcedecessorinn
iutuitu et consideratione , eisdem suprano-
minatis, et dicta' parentelœ et lignagia
prœdictœ Puellœ, ex nastra ampliori gratia
donavimus et quictavimus, donamusque et
quictamiis per présentes, ardinatianibiis ,
statutis, edictis, usu, revacationibus , can-
siietudine. inhibitionibtis et mandatis factis
vel faciendis , ad hoc contrariis , non obstan-
tibus quibuscumque. Qitocirca dilectis et
fidelibiis nostris gentibus campotorum nos-
trorum . ac thesaurariis nec nan generalibiis
et commissariis super facto financiarum
nostrarum ardinatis seu deputandis et balliva
dictœ balliviœ Calvi - Montis , cœterisque
justiciariis nostris. vel eortim locatenentibus
pra'sentibus et futuris, et cuilibet ipsorum,
prout ad eiim pertinuerit , damiis harum
série in mandatis quatenus dictam Johan-
nam Puellam et dictas Jocabiim , Isabcllam
Jacqueminum . Johannem et Petrum. ipsiits-
usent paisiblement des privilèges, franchises,
prérogatives et autres droits , dont sont ac-
coutumés de jouir, en notre royaume , les
autres nobles, extraits de noble lignée, les-
quels et leur dite postérité nous faisons par-
ticiper à la condition des autres nobles de no-
tre royaume, nés de noble race, nonobstant
qu'ils n'aient , comme dit est , une origine
noble, et qu'ils soient peut-être d'autre con-
dition que de condition libre. Voulant aussi
que les susnommés, ladite parenté et lignage
de la Pucelle, et leur prostérité mâle et fe-
melle puissent, quand et toutes fois qu'il leur
plaira, obtenir et recevoir de tout chevalier
les insignes de la chevalerie. Leur permet-
tant en outre , à eux et à leur postérité tant
masculine que féminine , née et à naître en
légitime mariage, d'acquérir des personnes
nobles et autres quelconques tous fiefs, ar-
rière-fiefs et biens nobles, lesquels, acquis ou
à acquérir, ils pourront et leur sera permis
avoir, tenir et posséder il toujours, sans
qu'ils puissent être contraints, maintenant
ni au temps à venir, à s'en dessaisir par
faute de noblesse. Pour lequel anoblisse-
ment ils ne seront en aucune façon tenus ni
forcés de payer aucune finance à nous ni à
nos successeurs; de laquelle finance, en con-
sidération et regard de leurs ancêtres , nous
avons de pleine grâce fait don et remise aux
susnommés et ù ladite parenté et lignage de
la Pucelle, et par les présentes leur en fai-
sons don et remise , nonobstant toutes or-
donnances, statuts , édits , usages, révoca-
tions, coutumes, inhibitions et mandements,
faits ou à faire , it ce contraires. Pour quoi ,
nous donnons en mandement par lesdites
présentes à nos amés et féaux les gens de nos
comptes, aux trésoriers généraux et com-
missaires ordonnés ou à ordonner sur le fait
de nos finances, et au bailli dudit bailliage
de Chaumont, et à nous autres justiciers ou
leurs lieutenants présents et à venir, et à
chacun d'eux, en tant qu'il lui appartiendra,
qu'ils fassent et laissent ladite Jeanne la Pu-
celle, lesdits Jacques, Isabeau, Jacquemin,
Jean et Pierre, toute la parenté et lignage de
ladite Pucelle, et leur postérité susdite, née
et à naitre, comme dit est, en légitime ma-
riage, jouir et user paisiblement de nos pré-
sente grâce, anoblissement et octroi, main-
ÉCLAIRCISSEMENTS.
que PuclUv totam parentelam et ligiiaf^iuni
enrumque posteritatem prœdiclûm in légi-
tima matrimonio . ut dictum est. uatam et
nascituram, iwstris piwsciitibus gratia,
nobilitatione et concessione uti et gaudere
paeijice , mine et imposterum, faciant et
permittant . et contra tenorein piwsentium
cosdem nullaienus inipediant. seu molestent,
aut a quocumque molestari seu impediri
patiantur. Quod ut perpétua slabilitatis
robur obtineat, nostrum pr<esentibus apponi
fecimus sigillum, in absencia rnagni ordina-
tum; nostro in aliis et aliéna in omnibus
jure semper salva. Datum Magduni super
Ebram, mense decembri , anno Damini
millesima quadringentesimo vigesimo tiono,
regni vero nostri actavo.
Sur le repli : « Per regem , episcopo Sa-
giensi, daminis de la Tremoille et de Tre-
i'is et aliis prœsentibus. <•
Et plus bas : Expedita in caméra com-
potorum régis XVI, mensis jamiarii .
anno Damini millesimo CCCC" XXIX",
et ibidem registrata, libre cartarum hujus
tcmporis, fol. CXXI. Signé : A Grkelle.
tenam et au temps avenir, sans leur faire ni
sourtVir qu'il leur soit fait aucun trouble ni
empêchement contre la teneur des présentes.
Et pour que ce soit chose ferme et stable à
toujours , nous avons fait apposer aux pré-
sentes notre sceau en l'absence de notre
grand sceau, sauf en autres choses notre
droit et le droit d'autrui en toutes. Donné
i\ Meun-sur-Yèvre, au mois de décembre,
l'an du Seigneur mil quatre cent vingt-neuf,
et de notre rè.ane le huitième.
Sur le repli : Par le Roi , l'évêque de
Séez , les S'"* de la TrémoilIe , de Trêves et
autres présents. Signées Mallière, et scellées
sur lacs de soie rouge et verte du grand sceau
de cire verte.
Et plus bas : Expédiée en la chambre des
comptes du Roi, le seizième du mois de jan-
vier, l'an du Seigneur mil quatre cent vingt-
neuf et y enregistrée au livre des chartes du
temps, folio cxxi. Signé, A. Gréclle.
LETTRES PATENTES Di; LOUIS XIII.
Pour augmentjtinn d'armes aux armoiries de MM. Du Lys, de la ligne de la Pucclle d'Orléans,
d'après la minute authentique Z 3oS, conservée aux Archives de France.
De la branche cadette de la famille de la Pucelle, l'aîné seul avait pris les armoiries octroyées à Jeanne
et à ses parents par Charles VII. Le puîné, tout en portant le nom de Du Lys, avait adopté, ou, dil-on,
conservé des armes parlantes consistant en un arc de fasce chargé de trois Hèchcs entre-croisées.
Mais la descendance de cet aîné n'existant plus, les Du Lys de la branche cadette sollicitèrent du roi
Louis XIll la permission de reprendre les armes de la Pucelle. Cette autorisation fut l'objet des lettres
patentes de Louis XIII en date du 25 octobre 1612, dont le texte suit:
Louys, par la grâce de Dieu roy de France
et de Navarre, à tous présents et à venir salut.
Nosaméset féaulx Messieurs Charles Du Lis,
nostre conseiller et advocat général en nostre
cour des aydes à Paris, et Luc du Lis, es-
cuyer sieur de Rainemoulin aussi conseiller
notaire et secrétaire de nostre maison et
couronne de France et audiencier en nostre
chancellerie de Paris, frères, nous ont fait
humblement remontrer que , comme durant
les guerres et divisions qui furent en ce
royaume, sous les rois Charles six et Char-
les sept , d'heureuse mémoire , nos prédéces-
seurs , les Anglois ayant , par un long espace
de temps, usurpé nostre ville de Paris et une
grande partie des autres meilleures villes et
provinces de nostre royaume, il eust pieu à
Dieu, vray protecteur de nostre dit royaume,
de susciter des frontières d'iceluy cette ma-
gnanime et vertueuse fille nommée Jeanne
d'Arc, depuis vulgairement appelée la Pu-
celle d'Orléans; laquelle, contre l'opinion
d'un chacun et contre toute apparence hu-
maine, list miraculeusement, en lort peu
LA FAMILLE DE JEANNE D'ARC.
de temps et comme par la main de Dieu,
lever le siège que les Anglois tenoient de-
vant nostre ville d'Orléans, et sacrer le dit
seigneur roy Charles VII, en nostre ville de
Rheims , avec tant de prospérité , que delà en
avant, les Anglois furent entièrement débel-
lés et expulsés de notre dit royaume : en
recognoissance desquels grands et signalés
services rendus à F Estât et couronne de
France, elle fut non seulement annoblye avec
ses père, mère, frères et toute leur postérité
tant en ligne masculine que féminine, mais
par un privilège spécial du dit seigneur roy
Charles VII, lui fut permis ensemble à ses
dits frères et à leur postérité , de porter le lis
tant en leurs noms qu'en leurs armoiries qui
leur furent dès lors octroyées et blasonnées
d'un cscu d'azur, à deux fleurs de lis d'or,
et d'une espée d'argent ii la garde dorée, la
pointe en haut férue en une couronne d'or :
desquels les frères de la dite Pucelle , l'aisné ,
Jehan Darc dit du Lis , prévost de Vaucou-
leurs et les descendans d'iceluy, auroient
continué de porter les dits noms et armes
du Lis jusques à ce aujourd'huy ; et le puisné
Pierre Darc aussy dès lors surnommé du
Lis, suivant la profession des armes, après
estre parvenu à l'ordre et degré de chevale-
rie, par lettres patentes du duc d'Orléans,
données à Orléans le vingt-huictiesme de
juillet mil quatre cent quarante-trois, auroit
été recogneu et récompensé sous le nom de
du Lis, et en qualité de frère germain de la
dite Pucelle , des signalés services pa.- lui
rendus , et faict d'armes , avec sa dite sœur,
et après le déceds d'icelle, tant au dit sei-
gneur roi Charles septiesme qu'au dit duc
d'Orléans, depuis l'heureuse délivrance qu'il
eut de sa longue prison, soubs les auspices de
la dite Pucelle, comme il en appert ample-
ment par plusieurs extraicts de nostre cham-
bre des comptes et autres titres attachés sous
le contre scel des présentes; même que du dit
Pierre du Lis , chevalier, frère puisné de ladite
Pucelle seroient issus et descendus en droite
ligne les dits exposants frères, enfans de
Michel du Lis leur père, fils de Jean du Lis,
leur ayeul , qui fut fils d'autre Jehan du Lis
le )eune, lequel estoit aussi fils puisné du dit
Pierre du Lis chevalier, frère encore puisné
de la dite Pucelle: lequel Jean du Lis le jeune,
bisayeul des dits exposans , fut nommé et en-
voyé pour estre l'un des eschevins en la ville
d'Arras, parle roy Louys unziesme fils et
successeur dudit seigneur roy Charles VII,
lorsqu'il voulut f.iire restablir et repeupler,
par ses lettres patentes données à Chartres,
au mois de juillet mil quatre cent-quatre-
vingt-un, vérifiées en notre cour des Aydes,
le dixiesme septembre ensuivant, il y de-
meura jusques en l'année mil quatre cent
quatre-vingt-onze, que s' estant la dite ville
soustrait de l'obéissance de la couronne de
France, par l'entremise de l'archiduc Maxi-
milien, les bons et vrays François qui y
avoient esté établis par ledit sieur roy Louys
unziesme furent tous pillez et chassez de la
dite ville; notamment le dit Jean du Lis,
lequel fut contraint de se retirer à Lihoms ,
en Santerre, sans néanmoins discontinuer la
profession des armes ; et se voyant le puisné
des puisnés des frères de la dite Pucelle d'Or-
léans , il se seroit contenté de porter le nom
du Lis , retenant les armes du nom et de leur
ancienne famille Darc , qui sont d'azur et l'arc
d'or mis en fasce chargé de trois flesches
entre-croisées les pointes en haut férues, deux
d'or ferrées et plumetées d'argent, et une d'ar
gent ferrée et plumetée d'or et le chef d'ar-
gent au lion passant de gueules; et d'autant
que les dits noms du Lis et armes Darc se
trouvent estre passez depère en fils jusques aux
dits exposans, qu'iceulx sont recogneuz seuls
aujourd'huy représentans le dit Pierre du Lis,
leur trisayeul , au moyen de ce que Jean
du Lis, de son vivant toujours surnommé
la Pucelle, frère germain de la dite Pucelle,
seroit décédé sans hoirs, désireroient re-
prendre les armes du lis octroyées à la dite
Pucelle et ses frères , avec celles Darc, que le
dit Jehan du Lis le jeune, leur bisayeul, et
ses descendans se trouvent avoir retenues et
gardées jusques à présent, et qu'il leur fust
permis les porter toutes deux ensemble escar-
tellées en même escusson , et timbrées de
telle façon qu'il nous plaira leur ordonner,
pour marque des actes valeureux de la dite
Pucelle et de leurs ancestres; mesme y em-
ployer la bannière qu'elle portoiten la guerre,
laquelle estoit de thoilles blanches semées de
fleurs de lis d'or, avec la figure d'un ange,
qui présentoitun lis à Dieu porté par la vierge ,
ECLAIRCISSEMENTS.
sa mère; ce qu'ils doutent pouvoir faire sans
avoir sur ce nos lettres convenables et néces-
saires, humblement requérant icelles. Pour
ce est-il que nous, recognoissans les grands,
mvstérieux et signalés services faits à l'Estat
et couronne de France par la dite Jehanne
Darc, ladite Pucelle d"Orléans et désirans con-
tinuer la recognoissance et gratification qui en
a esté lait à elle et il ses frères et leur posté-
rité, et d'ailleurs bien et favorablement traiter
les dits exposans . tant en contemplation de
leur dite extraction , dont il nous est suffi-
samment apparu par les titres et extraits at-
tachés soubs nostre dit contrescel , que de
plusieurs bons et agréables services qu'ils nous
ont rendes , et au défunt roy Henrv le Grand,
nostre trcs-honoré seigneur et père, d'heu-
reuse mémoire, non-seulement en l'exercice
de leurs offices, mais en plusieurs autres
charges, commissions et négociations, où ils
ont été employés , et s'en sont dignement
acquittez. A ces causes et autres grandes con-
sidérations ù ce nous mouvans, de l'advis
de la Royne régente, nostre très-honoréc
dame et mère, et de nostre conseil, avons de
nostre certaine science, pleine puissance et
autorité royale , par ces présentes signées de
nostre main, permis et permettons aux dits
cxposans d'adjouster les armes du lis ù celles
Darc , dont ils avoient accoutumé d'user, et
icelles porter à l'advenir eux et leur postérité ,
escartelées au quartier droit de celles du Lis ,
qui furent accordées ù la dite Pucelle d'Or-
léans et ses frères, ainsi que les ont retenues
et portent îl présent ceux qui sont recogneus
issus et descendans du frère aîné de la dite
Pucelle Jehan du Lis, qui fut prévost à Vau-
couleur. et au second et troisième quartier
d'icelles Darc, que les dits exposans ont rete-
nues et gardées de père en fils, du dit .lehan
du Lis, le jeune, leur bisayeul. qui fut nommé
comme dit est , pour eschevin en la ville
d'Arras, par le dit sieur rov Louys XI, ainsi
qu'elles sont cy-dessus blasonnées , et re-
présentées sous le contrescel des présentes ;
comme aussy voulons et permettons que
les dits exposans puissent porter leur heau-
me comblé de bourrelet de chevalerie et
noblesse des couleurs armoryales et timbré,
sçavoir est : le dit Charles et les siens d'une •
figure de la dite Pucelle vestue de blanc,
portant en sa main droite une couronne
d'or sou:>tenue sur la pointe de son espée,
et à la gauche sa bannière blanche figurée
et représentée comme de son vivant elle
la portoit; et le dit Luc du Lis, puisné et
les siens , d'une fleur de lis d'or naissante en-
tre deux pennarts, de même blazon que la
bannière de la Pucelle ; et que le cri du dit
Charles et des siens soit : la Pucelle ! et ccluv
du dit Luc, sieur de Reincmonlin, soit : les
Lys! sans qu'ils en puissent cstre troublez,
molestez, ni inquiétez en façon quelconque
ny que le dit changement ou escartelleure et
addition leur puisse nuire ny estre imputé
au préjudice de nos ordonnances : car tel
est nostre plaisir, et afin que ce soit chose
ferme et stable à toujours nous avons fait
mettre nostre scel à ces présentes. Donné à
Paris, le vingt-cinquiesme jour d'octobre,
l'an de grâce mil six cent douze, et de nostre
règne le troisiesme. Signé Louys, et sur le
reply : par le roy, la royne régente, sa mère,
présente, Brulard; scellée sur lacs de soye
rouge et verte du grand sceau de cire verte.
RLDLCTION Df PRIVILEGE DE NOBLESSE
Pour les descenJanls Je la famille d'Arc. Le titre est Je'snrmais restreint aux he'ritiers mâles.
Juin 1614.
Les descendans des frères de la Pucelle
d'Orléans qui vivent à présent noblement,
jouiront à l'avenir des privilèges de noblesse,
et leur postérité, de masle en masle vivant
noblement , mesme ceux qui pour cet effet
ont obtenu nos lettres patentes et arrestz de
nos cours souveraines. Mais ceux qui n'ont
vescu et ne vivent à présent noblement , ne
jouiront plus à l'avenir d'aucuns privilèges.
Les filles et femmes aussi descendues des
frères de ladite Pucelle d'Orléans, n'ano-
bliront plus leurs maris à l'avenir.
Jean
ép.
Âttrij 1
écuyci",
avant 1552
DESCENDANCE DE JACQUES
Jean Ij'Arc du Lys ,
écuyer, capitaine
de Chartres,
prévôt
lie Vftucoultfurs
t 14G0.
h Domrtîiiiy,
■j- apri^s Ji02, s. hoirs,
^p. Nicoh'
Etienne
i Thëvenin) du L
écuyer
vivant en 15V9,
V. DE Seraumon'
Marguerite
DU Lys.
Antoine Bonn
écuyer
s^ de Monts.
t'inude DU
LV!,.
priître
curé (le Doin
léiiix.
t liioU
Didifr nu Lys ,
(leur de Gibaumeix,
archer
du duc de Guise,
ép. Nicole
IiE ItklSSEV.
Uidon
I
u Lvs,
éf
Êtifnttc
T
IlvKKEL,
vivait veuve en
1557.
Nicolas
t sans
Claude DU Lys.
maître d'hdtel et es
des arquebusiers
h cheval du couit
tuinc DU Lys.
* de Gibuumeix
lU). d'artillerie
Fi
uu Lys,
née en
1531,
•ivanl e
n 1613,
épo
sa
Jo
Il DE U
écu
"='■*'""'
Mengin Hiérosme.
à Domrémy.
CM»* i.i
Lvs,
«p.
Français CE
N'&VES,
écuye
k Champ
gny-
de Séfonds,
ép, N.
h A'aucouleurs
Catherine
DU Lys.
ép. Ijouis Massis,
lieut. général
nu bailliage
de Chainpigny
Charles du Ly
né '
1^5».
avocat fi:éiu*ral
h la
cour des aid<
t V. 10^2.
épousa Cathr
Fraiicoi
liu Lvs,
Hcclui
DU Lys,
t t san
alliance.
aprc
1630.
El
isnbcth
L- Lys,
ép
Jem
LE PlCAKll,
srdt
Fuleine.
If)
Extinction
des mâles de la branche aînée,
riprès Ui30,
Charles DU Lys,
né en 1585,
:ipal du collège
de Boissy,
t 1620,
ins alliance.
.4, B, C, D, £■, F, G. H. — Voir à la page su
D'ARC ET ISABELLE ROMÉE
le chevalier du Lys
t 14C9,
^p. Jeanne
DE PROUVILLE.
C'itherine
■ sans alliance
avant 1430.
/
Jean du Lïs,
laine,
dit /« Piicelle,
^r de Villers,
t 1501,
ép. en 1456
Macee DE Vesi;
et en deuxièmes d
avant 148â.
Jeanne de V
Jean du Lys,
le jeune,
écheviu d'Arras,
t vers U92,
ép. Anne
lichvide du Lï
née en 1450 ,
t 153*;.
Catherine du Lys
l'aînée,
allas Jehanne,
Jean du Lys.
dit
le
mp*^Mrand^ehan el
/(? Picard,
éf. à Paris iV.
vers 1515.
^
A'. l>u
Lys.
écuyer.
s'établit
en Bre
agne.
éf. X. Di
RODOR UE
LA tiiE
TR.IYE.
Didon DU Lvs,
née vers 1540,
t 1628,
Gérard Nobles:
à Domrémy.
Jtfic'Aei DU Lys,
gentilhomme
de la
:;haiobre de Henri II.
7 1563.
ép. iV.
Jea
1 DU Lys
avocat
et conse
lier
du roi
sn Bretag
■ne.
ép.
Jsabeau
SÉJOCRNF
Luc DU Lys,
Seigneur
de Reinemoulin,
né vers 1560
conseiller secrétaire
du roi
t après 1C28
ép. Louise Collier
Veuve DU ViviEE-
Jacqueline vu Lys,
ép. Jean Ceanterel,
S"" de Bezons,
conseiller du roï.
capitaine des franci
archers du
comté de Nantes,
Charles du Lys,
ép. en 1583
Eslher Grimaud,
dcHo DE PROCÉ,
t 1599.
A'.
oc Lys.
reli
pieuse.
au val c
e Morieres.
.V. I
u Lys,
pr
eur de
l'abbaye
de Buseav.
Fra
^e DU Lys .
«P-
Louis
VIL
ATREUUMMES. 1
conseiller |
à la
r des aides.
Cnlhe,
' Lys
ép.
Richard de Picuon .
trésorier
(if)
Anne DU Lïs.
ép. René DE Ui Grie.
Sf du Cnastelier,
cap. de chevau-légers.
Extinction
des mâles
de la
brandie endette,
vers 1632.
ite : Descendance de Jeanne d'Arc par les femmes.
LA FAMILLE DE JEANNE DAKC. 42i
DESCENDANCE DES FRÈRES DE JEANNE D ARC PAR LES FEMMES.
Liste Jl' familles encore existantes qui peuvent jitstijier Je cette origine.
A. — La descendance de Jeanne uu Lys se continue :
I" dans le baron des Azards (Alby), par transmission directe.
2" Dans ie baron de Pi.\t de Br.^g.x: (Boucq), par le mariage de Hyacinthe Piat de
BkAb'x, avec Catherine des Hazards ;
3" Dans M.VL Alexandre de Hald.a.t dq Lys (Nancy), par le mariage de Marthe des
Hazards avec Démange Mvnette, père de François My.n'ETTE iyoy. B).
B. — La descendance de Renée du Lys se continue :
i" Dans ALM. Ale.\,\ndre de H^-ldat du Lys, par le mariage de Jean Haldat avec
Marie- Françoise Mynette, et par la transmission du nom et des armes des Haldat
au.\. Alexandre, accordée en 1766 aux enfants de Claire Haldat, veuve àe François
Alexandre, prévôt de Gondrecourt;
2" Dans iM. de Braux par les Courtois de Morancourt, les Haldat et Marie-
Françoise Mynette.
C. — Descendance d'Elisabeth du Lys :
Elle s'est continuée jusqu'en 18 12 dans les d'.Arbamont, par le mariage de François
d'.-Vrbamont, président à Vaucouleurs, avec Elisabeth le Picard.
D. — La descendance d'Hclividc du Lys se continue :
1" Dans MM. le DucHAT(Gorze et Nancy), Dur.\nd de Villers (Paris et Versailles),
par le mariage de Frédéric le Duchat, conseiller au parlement de Metz, avec Antoinette
Hordal, et le mariage à\Antoinette le Duchat avec Paul Dur.\nd, sieur de Villers; et
dans MM. le baron de S.unt-Vincent (Nancy), le comte du Coetlosquet (Metz), de
Mardigny (Nancy), par leur alliance avec la famille Durand de Villers ;
2" Dans MM. le baron de Lépineau (Nancy) et d'Arch.wibault (Toul;, par les le
LiEPVRE et Didier Guillot, époux de Marie Hordal, et M. G. de Tinseau ^Toul), par
son alliance avec M"<^ d'Archambault ; dgns MM. de Beausire, Brou de Cuissart, de
Gouy, J. et L. DE Lardemelle, de Turmel familles messines), par les Goussaud, les
Chazelles et les le Liepvre; dans M^L de Chevigny (Cuvry), le marquis de Cha-
teauneuk (Nice), par les Chelaincourt, les Leco.mte d'Humbepaire , les Chazelles
et les le Liepvre; dans M. Berteaux , M™" de Vidaillan, des Marres et de Bobet,
MM. le baron G. d'HuART et Auricoste de Lazarciue (familles messines), parles Bon y
DE Lavergne, les Bl.iise de Rozerieulles et les Chelaincourt {ut suprà);
3" Dans MM. Pagel du Lys (originaires de Toul), par le mariage de Pierre Pagel
avec Mengeon Hord.^l ; et dans M. Coanet (Nancy), parles Chaumont et Pagel du Lys.
4" Dans MM. Noël du Lys (originaires de Commercy), par le mariage de Jean Noël
avec Claudine M.\réchal, fille de Claudon Hordal (confirmation par Louis XVIII);
et dans MM. Dégrelle (Saint-iMiliiel et Bar) et Baruin (Pierrefitte), par les de Vexault
et Noël du Lys;
5" Dans M. Xicolas Villiau.mé (l'historien de Jeanne d'Arc), par le mariage de son
aieul maternel Xicolas Mandres avec Catherine Hord.\l en 1772.
6" Dans M. l'abbé d'Ambly (Paris), par les Durand de Dieulx et les Hordal et auss
par les Carrière , les Bournon , les Lambert, les Richard , les Mauljean et les mêmes
Hordal. Et dans MM. l'abbé Jeandin (Belrupt), d'Arbigny et de Cruejouls (Langres ;
par leur alliance avec les d'Ambly.
ECLAIRCISSEMENTS
E. — La descendance de Jeanne du Lys se continue :
I" Dans M. de Baii.lard du Lys (Grenoble), par les Garin, les Patris, les le Fournier
DE TouRNEBUS, et Marie de Villebresme;
2" Dans MM. de Parel et Renaudeau d'Arc (Rouen) et de Julienne (Aix), parles
Gauthier d'Arc, les de Launay, les du Chemin, les le Fournier de Tol'rnebus et
Marie de Villebresme (confirmation par Charles X).
F. — La descendance de Catherine du Lys, la jeune, se continue :
I" Dans MM. Alexandre de Haldat du Lys (yqy. B) ;
2" Dans M. Roxart de la Salle (Nancy), par Amélie Alexandre de Haldat; .
3" Dans M. de Braux, par les Courtois de Morancourt, et Agathe de Haldat;
4" Et encore dans M. l'abbé d'Ambly (Paris), par les Marchand de Millv. et Françoise
DE Haldat.
G. — La descendance de Françoise du Lys se continue :
Dans MM. le marquis et les comtes de Maleissye, par le mariage de Jacques de
Tardieu, marquis de Maleissye, avec An)W de Barentin . fille de Marie Quatre-
Hommes, en 1684.
(Les Tardieu de Maleissye sont donc aujourd'hui les représentants les plus rapprochés
du nom de Jeanne d'Arc et en quelque sorte les chefs de cette famille, puisqu'ils descendent
de Charles du Lys, dernier représentant mâle de la lignée de la Pucelle. C'est en cette
qualité d'héritiers directs et de seuls descendants de Charles du Lys que MM. de Maleissye
possèdent tous les papiers et souvenirs de famille relatifs îi Jeanne d'Arc.)
LIGNE MATERNELLE DE JE.\N\E D .\ R C .
Par ses lettres de décembre 1429, Charles VU avait anabli toute la parenté de la famille d'Arc. Le père de
Jeanne n'avait plus de parents. Mais Isabelle Romée, sa raère, avait un frère et une sœur.
Jean Romée, dit de Voiithon, épousa Marguerite Colnel et en eut :
I" Nicolas Romée, profés de l'abbaye de Chcminon, aumônier de la Pucelle;
2° Marguerite Romée, qui épousa Pierre de Perthes de Faveresse, duquel descend
le célèbre géologue M. Boucher de Crèvecœur de Perthes (d'Abbeville).
Aveline Romée épousa Jean de Voiseul et en eut :
i" Jeanne de Voiseul, qui épousa Durand Lassois, dont le fils Thibault, reconnu
noble, comme parent de la Pucelle, le 25 février i525, prit le nom de le Noble et eut
postérité sous ce nom;
2° Démange de Voiseul, dont la petite-fille Marguerite de Voiseul épousa Médard
le Royer, de Chaleines ; le petit-fils de ce dernier, Médard le Royer, gentilhomme
ordinaire du duc de Lorraine, s'allia à l'illustre maison d'Ourches, et reprit le nom
DE Voiseul. (Voir D. Pelletier, Nobil. de Lorr., ar/." Médard.)
E. DE Boute ILLER, ancien député de Meiz.
Nota. — Dans le tableau qui précède, il faut : i" annuler l'indication relative à une alliance des Du Lvs
de la branche aînée avec la famille Tallevart; — 2° à l'indication + s.ins alli^iiicc, ctc, qui suit le nom
de Catlicrine d'Arc, substituer les mots suivants : mariée à Colin le Maire, de Grcux; paraît cire morte
sans hoirs avant i^So,
IV
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES
Poésie. — Théàtr
\L n'y a pas dans notre histoire une figure
qui soit plus vivante et plus réelle que
celle de Jeanne d'Arc, il n'y en a pas
une aussi qui soit plus idéale et plus
pottique. La poésie sort ici spontané-
ment du simple exposé des faits, et
' idéal c'est la réalité même. Toute
iction en altère la sublimité à la fois
naïve et surnaturelle, tout embellisse-
ment l'enlaidit. C'est pourquoi l'art s'y trouve gêné, habitué qu'il est à
traiter en maître la matière qu'il s'est choisie, et ne pouvant se résoudre,
comme ille faudrait ici, à s'y pleinement assujettir. La poésie, qui se sert
ordinairement de l'histoire, est, dans le cas présent, condamnée à la servir.
Il lui faut retourner à ces temps primitifs où elle n'était que l'écho ému des
événements qui ébranlaient les cœurs des hommes ; où le mensonge, pour
ainsi dire, lui était encore inconnu. Mais, lyrique ou épique, elle s'est trop
éloignée de ce caractère pour que le retour lui soit aisé : elle veut orner, elle
veut créer, elle gâte. Il en est de même au théâtre, où le cadre, si large qu'il
soit, est toujours une gène pour l'expression sincère de la réalité. La poésie
JEANNE D ;
420 B'CLAIRCISSEMENTS.
dramatique est accoutumée à un jeu de perspective et à des lois de com-
pensation, qui n'obtiennent la vraisemblance propre à ce genre que par des
sacrifices demandés à la vérité. Or tout sacrifice, si mince qu'il soit, de la
vérité amène une déchéance, quand il s'agit de Jeanne d'Arc, et il ne
saurait y avoir si admirable drame , si magnifique poésie composée en son
honneur, que la réalité ne put murmurer tout bas à l'oreille de l'auditeur ou
du lecteur : Je suis plus admirable et plus magnifique encore.
L'intérêt d'un travail sur Jeanne d'Arc dans les lettres est moins litté-
raire qu'historique. Celui-ci a été conçu comme une chrestomathie, c'est-
à-dire de manière à présenter au lecteur, dans une double galerie, les spé-
cimens, rangés autant que possible par ordre chronologique, des principaux
ouvrages, épiques ou lyriques d'une part, dramatiques de l'autre, qui ont
été composés en l'honneur de la Pucelle. Outre l'intérêt qui s'attache à
cette grande figure, et à la façon diverse dont elle a été comprise dans
chaque pa3's et à chaque époque, cette double galerie, par le seul rappro-
chement des spécimens qui la composent, et dont, surtout pour le théâtre,
nous avons tâché de marquer et de distinguer les genres, cette double
galerie pourra servir à former dans l'esprit du lecteur attentif une idée,
peut-être assez juste, des évolutions et révolutions littéraires depuis le quin-
zième siècle jusqu'à nos jours.
C'est une femme, la savante, pieuse et patriote Christine de Pisan, qui
marche en tête du long cortège des poètes de la Pucelle. Ses vers sur
Jeanne d'Arc ne sont guère, à vrai dire, que de la prose rimée ; mais ils
ont un caractère de vérité qui tient à la date où ils furent écrits. On y sent
une émotion sincère et noble, qu'y a fait passer l'âme de l'auteur, vivement
ébranlée par le réveil du sentiment national et les succès, dus à l'inter-
vention divine, de la cause à la fois dynastique et française dont elle n'a-
vait cessé de pleurer les malheurs. Il y a quelque chose aussi de touchant
dans le naïf orgueil de Christme, fière de voir triompher une jeune fille,
l'honneur de son sexe, là où avaient échoué les guerriers et les politiques.
JEANNE U'ARC DANS LES LETTRES.
Ses vers sur la Pucelle passent pour les derniers qu'elle ait faits, et ce sont
aussi les seuls vers français, écrits du vivant de Jeanne d'Arc en son hon-
neur, qui nous soient parvenus. « Ils furent achevés, dit M. Quicherat ',
le 3i juillet 1421), au moment où Charles VII, maître de Château-Thierry,
Fig. 207. — Christine de Pisan. D'après une miniature de son Liirc i/i" la mutacion de fortune. Bihl. nat.,
fonds fr.; ms. n" (îo?.
pouvait, en trois jours de marche, paraître avec son armée sous les murs
de Paris... En 142Q, Christine avait atteint IVige de soixante-sept ans. De-
puis la révolution de 141!^, elle vivait cloîtrée dans une ahba^'e : on ne sait
laquelle. »
TRADUCTION
Je, Christine, qui ay plouré
Unze ans en abbaye close,
Moi, Cliristine, qui ai pleuré
Onze ans en abbaye fermée ,
1 Procès, t. V, p. 3. Nous empruntons pour nos citations de Christine, et en général des poètes du
xv« siècle, le texte du savant éditeur. Nous en avons revu quelques-unes sur les manuscrits.
428
ECLAIRCISSEMENTS.
Où j'ay tousjours puis demouré
Que Charles (c'est estrange chose!)
Le filz du roy, se dire l'ose,
S'en fouy de Paris , de tire ,
Par la traîson là enclose :
Or à prime me prens à rire...
Où j'ai toujours demeuré depuis
Que Charles (c'est chose étrange!)
Le fils du roi, si j'ose rappeler ce souvenir,
S'enfuit de Paris, tout droit.
Par suite de la trahison là incluse :
Maintenant pour la première fois je me prends
à rire.
L'an mil quatre cens vingt et neuf,
Reprint à luire li soleil;
Il ramené le bon temps neuf
Que on n'avoit veu du droit œil
Puis longtemps; dont plusieurs en deuil
Orent vesqui. J'en suis de ceulx;
Mais plus de rien je ne me deuil,
Quant ores voy ce que je veulx
L'an mil quatre cent vingt-neuf
Recommença à luire le soleil ;
Il ramène le bon temps nouveau
Qu'on n'avait pas vu de l'œil (dirigé vers lui)
Depuis longtemps; dont plusieurs en deuil
Ont vécu. Je suis de ceux-là;
Mais de rien je ne me chagrine plus
Puisque maintenant je vois ce que je veux
Qui vit doncques chose avenir
Plus hors de toute opinion,
Qui à noter et souvenir
Fait bien en toute région:
Que France, de qui mention
En faisoit que jus est ruée.
Soit, par divine mission,
Du mal en si srant bien muée r
Qui vit donc chose advenir
Plus hors de toute attente',
Laquelle à noter et de laquelle se souvenir
Est bon en toute région :
C'est à savoir que France, de qui discours
On faisait qu'à terre était renversée ,
Soit, par divine mission.
Du mal en si grand bien changée ?
Par tel miracle vrayement
Que , se la chose n'est notoire
Et évident quoy et comment,
Il n'est homs qui le péust croire:
Chose est bien digne de mémoire
Que Dieu par une vierge tendre.
Ait adès voulu (chose est voire)
Sur France si grant grâce estendre.
Et cela par tel miracle vraiment
Que, si la chose n'était notoire
Et évidents le fait et la manière ,
Il n'est homme qui le pût croire :
C'est une chose bien digne de mémoire
Que Dieu par une vierge tendre
Ait maintenant voulu (c'est une chose vraie)
Sur la France si grande grâce étendre.
O ! quel honneur à la couronne
De France par divine preuve !
Car par les grâces qu'il lui donne
Il appert comment il l'apreuve
Et que plus foy qu'autre part treuve
En Testât royal, dont je lix
Qu'oncques (ce n'est pas chose neuve )
En foy n'errèrent fleurs de lys
O! quel honneur à la couronne
De France se voit par divine preuve !
Car par les grâces qu'il lui donne
Il paraît combien Dieu l'approuve
Et que plus de foi qu'autre part il trouve
En la maison royale , dont je lis
Que jamais (ce n'est pas une chose nouvelle)
En la foi n'errèrent les fleurs de lis
Tu, Johanne, de bonne heure née,
Benoist soit cil qui te créa!
Pucelle de Dieu ordonnée.
En qui le Saint-Esprit réa
Sa grant grâce ; et qui ot et a
Toute largesse de hault don ,
N'onc requeste ne te véa
Que te rendra assez guerdon...
Toi, Jeanne, à une bonne heure née.
Béni soit celui qui te créa!
Pucelle de Dieu envoyée
En qui le Saint-Esprit fit rayonner
Sa grande grâce ; et qui eus et as
Toute largesse de son haut don ,
Jamais ta requête ne te refusa
Et il te donnera assez grande récompense..
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES.
42 y
Christine metJeanne bien au-dessus de tous les preux du passé :
ne s'appareille
Leur proesse à cestc qui veille
A bouter hors noz ennemis.
Mais ce fait Dieu, qui la conseille,
En qui cuer plus que d'omme a mis..
n'est égale
Leur prouesse à celle-ci qui veille
A jeter hors nos ennemis.
Mais Dieu fait cela , qui la conseille ,
Et qui en elle un cœur plus que d'homme a
Par miracle fut envoiée
Et divine amonition ,
De l'ange de Dieu convoiée
Au roy, pour sa provision.
Son fait n'est pas illusion ,
Car bien a esté esprouvéc
Par conseil , en conclusion :
A l'effect la chose est prouvée
Par miracle fut envoyée
Et par divin avertissement.
Par l'ange de Dieu menée
Au roi, pour pourvoir à son royaume.
Son fait n'est pas illusion,
Car elle a bien été éprouvée
En conseil , et voici ma conclusion :
Par l'effet la chose est prouvée....
Et sa belle vie, par foy !
Monstre qu'elle est de Dieu en grâce
Par quoy on adjouste plus foy
A son fait ; car quoy qu'elle face ,
Tousjours a Dieu devant la face,
Qu'elle appelle, sert et deprye
En fait, en dit; ne va en place
Où sa devocion detrie.
Et sa belle vie, par ma foi !
Montre qu'elle est en la grâce de Dieu ,
C'est pourquoi on ajoute plus de foi
A son fait; car quoi qu'elle fasse ,
Toujours a Dieu devant la face ,
Qu'elle invoque, sert et prie
En actions , en paroles ; en quelque endroit
qu'elle aille.
Elle ne retarde pas ses dévotions.
O! comment lors bien y paru
Quant le siège iert à Orliens,
Où premier .sa force apparu !
One miracle, si com je tiens,
Ne fut plus cler ; car Dieu aux siens
Aida telement, qu'ennemis
Ne s'aidèrent plus que mors chiens.
Là furent prins ou à mort mis.
O ! comme alors cela bien parut
Quand le siège était à Orléans ,
Où en premier lieu sa force apparut!
.lamais miracle, ainsi que je pense.
Ne fut plus clair; car Dieu aux siens
Vint tellement en aide, que les ennemis
Ne se défendirent pas plus que chiens morts.
Là furent pris ou à mort mis.
Hée! quel honneur au féminin
Sexe! que Dieu l'ayme, il appert.
Quant tout ce grand peuple chenin
Par qui tout le règne iert désert.
Par femme est sours et recouvert,
Ce que pas hommes fait n'eussent,
Et les traittres mis à désert,
A peine devant le créussent.
Hé! quel honneur au féminin
Sexe ! que Dieu l'aime il paraît bien ,
Quand tout ce grand peuple misérable comme
chiens
Par qui tout le royaume était déserté,
Par une femme est ressuscité et a recouvré
ses forces,
Ce que hommes n'eussent pas fait,
Et les traîtres ont été mis à ruine ,
A peine auparavant l'auraient-ils cru.
Une fillette de seize ans
(N'est ce pas chose fors nature'r
A qui armes ne sont pesans ,
Ains semble que sa norriture
Une fillette de seize ans
(N'est-ce pas une chose au-dessus de la na-
ture "f )
A qui les armes ne sont pesantes,
Mais il semble que son éducation
43o
ECLAIRCISSEMENTS.
Y soit , tant y est fort et dure ;
Et devant elle vont fuyant
Les ennemis, ne nul n'y dure.
Elle fait ce, maints yeulx voiant.
Et d'eulx va France descombrant ,
En recouvrant chasteaulx et villes,
.lamais force ne fut si grant ,
Soient à cens , soient à miles.
Et (le noz gens preux et abiles
Elle est principal chevetaine.
Tel force n'ot Hector, neAchilles;
Mais tout ce fait Dieu qui la menne
Ait été faite à cela, tant elle y est forte et
dure;
Et devant elle vont fuyant
Les ennemis, et nul n'y résiste.
Elle fait cela, maints yeux voyant.
Et elle va d'eux débarrassant la France,
En recouvrant châteaux et villes.
Jamais force ne fut si grande,
Qu'ils soient par centaines ou par milliers.
Et de nos gens preux et habiles
Elle est principal capitaine.
Telle force n'eut Hector, ni Achille;
Mais tout cela est fait par Dieu qui la mène....
C'est encore la vérité naïve du sentiment qui recommande les vers con-
sacrés à Jeanne d'Arc, neuf annéesaprès sa mort, parun poëte bourguignon,
.Martin le Franc. On reconnaît en ses paroles l'empreinte récente des
événements et le vivant souvenir de la Pucellc. « Cet auteur, dit M. Qui-
cherat', qui était prévôt ele la cathédrale de Lausanne, publia en 1440,
sous le titre de Chaiiipioii des dames , une contre-partie du roman de la
Rose, où il introduisit la curieuse discussion qu'on va lire. Le morceau
rnérite toute considération, non-seulement cà cause de sa date, puisqu'il fut
écrit seize ans avant la réhabilitation juridique de la Pucellc, mais encore
parce que l'ouvrage auquel il appartient fut dédié au duc de Bourgogne. »
Le (Hiainpion des dames défend Jeanne contre les objections de V Adver-
saire^ qui joue un peu ici le rôle d'avocat du diable.
I.E CII.VMPK
... Dient d'elle ce que vouldront ,
Le parler est leur et le taire;
Mais ses loenges ne fauldront
Pour mensonge qu'ilz sachent faire.
Q.ue t'en faut il oultre retrairer
Par sa vertu, par sa vaillance,
En despit de tout adversaire
Couronné fut leroy de France.
TRAnUCTION.
... Qu'ils disent d'elle ce qu'ils voudront,
Ils sont libres de parler ou de se taire ;
Mais ses louanges ne manqueront
Pour mensonge qu'ils sachent faire.
Que te faut-il rappeler autre chose r
Par sa vertu , par sa vaillance ,
En dépit de tout adversaire
Couronné fut le roi de France.
V D v E R s A I R [
Je tieng frivole ce langage,
Car oncques Dieu ne l'envoia.
Je tiens ce langage pour frivole.
Car jamais Dieu ne l'envoya ,
1 Prncis, t. V, p. 44. — On saura désormais que toutes nos citations de M. Quicherat se rapportent
à ce volume.
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES
43.
Dist l'adversaire au faulx visage ,
Qui de Jhenne grant ennoy a.
Ha! ce dit, trop le desvoia
Oultrecuidance , quoy qu"on dye !
Raison aussy le convoia
Ar.irc à Rouen en Normendvc.
Dit l'adversaire au visage faux ,
A qui l'exemple de Jeanne cause grand ennui.
Ha! dit-il , trop IVgara
Outrecuidance, quoi qu'on dise!
Mais aussi Raison la mena
Brûler à Rouen en Normandie.
Fi,a. 2oS. — Le Champion des dames exhorte les nobles cœurs de France à suivre l'exemple de la Pu-
celle. Tiré du Champion des daines, œuvre de Martin le Franc, ms. du xv" siècle, à la bibl. nat., fonds
fr., n° S41.
LE C H A M P I O >
C'est mal entendu, grosse teste,
Respond Franc-Vouloir prestement.
De quants saints faisons nous la feste
Qui moururent honteusement!
C'est mal compris, grosse tête.
Répond Franc- Vouloir prestement.
De combien de saints faisons-nous la fête
Qui subirent une mort honteuse!
432
ÉCLAIRCISSEMENTS
Pense à Jhesus premièrement
Et puis à ses martirs bcnois ;
Sy jugeras evidamment
Qu'en ce fait tu ne te congnois.
Gueres ne font tes argumens
Contre la Pucelle innocente,
Ou que des secrez jugemens
De Dieu sur elle pis on sente;
Et droit est que chacun consente
A lui donner honneur et gloire
Pour sa vertu très excellente,
Pour sa force, pour sa victoire.
Pense à Jésus premièrement
Et puis à ses martyrs bénis.
Et tu jugeras qu'évidemment
En ce tait tu ne te connais.
Guère ne valent tes arguments
Contre la Pucelle innocente ,
Ils ne font point que des secrets jugements
De Dieu sur elle on aie plus mauvaise opi-
nion ;
Et il est juste que chacun s'accorde
A lui donner honneur et gloire
Pour sa vertu très-e.\cellente ,
Pour sa force , pour sa victoire.
Né en i43o, mort en i3o8, Martial d'Auvergne, procureur au Parle-
ment et notaire du Chàtelet, termina en 1484 une sorte de chronique rimce
Fis. 209. — Martial d'Auvergne présente les Vig'iles du roi Charles VII, dont il est l'auteur, au jeune roi
Charles VIll. Ms. fr., a° 5034, à la biblioth. nat. Cet ouvrage, commencé sous Louis XI, avait été ter-
miné en 1.(84.
qu'il offrit à Charles VIII SOUS le titre de yii^ilt's du roi Charles fV/. Il
a recueilli dans cet ouvrage, lequel dans son ensemble offre de très-grands
rapports avec la chronique de Jean Chartier, un bon nombre de souvenirs,
de traditions populaires, qui lui donnent en maint endroit une valeur
originale. Le passage qui a trait à la Pucelle s'inspire, comme les vers de
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES.
433
Christine de Pisan et de Martin le P>anc, de l'image réelle que les actions
de riiéroîque vierge avaient imprimée d'elle au cœur de la France, et que
n'avaient point encore effacée les conceptions fausses qui avec le temps la
recouvrirent. Martial d'Auvergne a de plus une qualité qui lui est propre:
c'est l'élégante facilité de son style et de sa versification. Comme il nous
montre la vraie Jeanne d'Arc, que sa poésie est simplement de l'histoire,
et que de plus l'expression en est heureuse ', on doit dire à son honneur
qu'il est un de ceux qui se sont approchés le plus près de ce but presque
impossible à toucher : faire des vers sur la Pucelle qui ne laissent point
trop désirer la prose. Je n'hésiterais pas, pour ma part, à proposer aujour-
d'hui encore pour modèle aux poètes qui se sentiraient assez hardis pour
tenter l'épreuve, les quatrains de Martial d'Auvergne.
TEXTE.
En ceste saison de douleur
Vint au roy une bergerelle
Du villaige de Vaucoulleur,
Qu'on nommoit Jehannc - la Puccll
C'estoit une povre bergiere
Qui gardoit les brebiz es champs ,
D'une doulce et humble manière ,
De l'aage de dix huit ans.
Devant le roy on la mena ,
Ung ou deux de sa congnoissance ,
Et alors elle s'enclina
En luy faisant la révérence.
Le roy par jeu si alla dire :
M Ha! ma mye , ce ne sui je pas. «
A quoy elle respondit : « Sire ,
« C'estez vous, ne je me faulx pas. n
« Ou nom de Dieu, si disoit elle,
" Gentil roy, je vous meneray
« Couronner à Rains, qui que veille
Cl Et siège d'Orléans ■* leveray. »
Le feu roy sans soy esmouvoir
Clercs et docteurs si fistcslire.
Pour l'interroguer et savoir
Qui la mouvoir de cela dire.
TR.A.DUCT10N.
En ce temps de douleur
Vint au roi une bergerette
Du village de Vaucouleurs,
Qu'on nommait .leanne la Pucelle.
C'était une pauvre bergère
Qui gardait les brebis aux champs ,
Elle était d'une douce et humble façon,
De l'âge de dix-huit ans.
Devant le roi on la mena.
Une ou deux personnes de sa connaissance ,
Et alors elle s'inclina
En lui faisant la révérence.
Le roi -par jeu se mit à dire :
Il Ha! ma mie, cela ne suis-je pas. n
A quoi elle répondit : « Sire ,
" C'est vous, je ne me trompe pas. »
« Au nom de Dieu, ainsi disait-elle,
<i Gentil roi , je vous mènerai
« Couronner à Reims, qui que ce soit qu
veuille le contraire.
Cl Et le siège d'Orléans ferai lever, n
Le feu roi sans s'émouvoir
Clercs et docteurs fit choisir.
Pour l'interroger et savoir
Qui la poussait à dire cela.
1 Nous n'entendons appliquer ce jugement qu'aux passages qui concernent la Pucelle.
■- Prononcez Jeannei
3 Orléans n'a ici que deux sjUabes.
JEANNi: d'arc ui. — 55
434
ÉCLAIRCISSEMENTS.
A Chynon fut questionnée
D'ungs et d'autres bien grandement .
Ausquelz, par raison assignée,
Elle respondit saigement.
A Chinon fut questionnée
Des uns et des autres bien grandement,
Auxquels, par la lumière à elle donnée,
Elle répondit sagement.
Chascun d'elle s'esmerveilla.
Et pour à vérité venir,
De plusieurs grans choses parla
Qu'on a veues depuis advenir.
Chacun sur elle s'émerveilla.
Et pour venir à la vérité ,
De plusieurs grandes choses parla
Qu'on a vu depuis advenir.
Elle dist tout publicquement
Que le feu roy recouvreroit
Tout son royaulme entièrement
Et que Dieu si luy aideroit.
Finiz lesquelz verbes et termes ,
Requist au roy et à ses gens
Qu'on lui baillast harnoys et armes
Pour s'en aller a Orléans...
Elle dit tout publiquement
Que leroi — mort maintenant — recouvrerait
Tout son royaume entièrement
Et que Dieu lui viendrait en aide.
Finis lesquels paroles et propos ,
Elle demanda au roi et à ses gens
Qu'on lui donnât harnais et armes
Pour s'en aller à Orléans...
Elle estoit très doulce, amyable ,
Moutonne, sans orgueil n'envye,
Gracieuse, moult serviable,
Et qui menoit bien belle vie.
Elle était très-douce, aimable.
Telle qu'un mouton, sans orgueil ni
Gracieuse , très-serviable ,
Et elle menait une bien belle vie.
Très que souvent se confessoit
Pour avoir Dieu en protecteur,
Ne gueres feste se passoit
Que ne receust son Créateur.
Plus que souvent elle se confessait
Pour avoir la protection de Dieu ,
Et guère fête ne se passait
Sans qu'elle reçût son Créateur.
Mais ce non obstant les Angloys
Aux vertuz et biens ne pensèrent ,
Ainçoys en haine desFrançoys
Très durement si la traicterent.
Mais nonobstant cela les Anglais
A ses vertus et bonnes actions ne pensèrent,
Mais en haine des Français
Très-durement ils la traitèrent.
Après plusieurs griefz et excès
Inferez en maintes parties ,
Lui tirent ung tel quel procès
Dont les juges estoient parties.
Après plusieurs injustices et excès
Commis contre elle en maintes choses,
Ils lui firent un procès tel quel
Où les juges étaient parties.
Puis au dernier la condempnerent
A mourir doloreusement.
Et brief l'ardirent et bruUercnt
A Rouen tout publicquement...
Puis en fin de compte ils la condamnèrent
A mourir douloureusement.
Et bref ils la livrèrcn; au feu et la brûlèrent
A Rouen tout publiquement...
Ou procès de son innocence
Y a des choses singulières;
Et est une grande plaisance
De veoir toutes les deux matières.
Au procès de son innocence
Il y a des choses singulières;
Et c'est un grand agrément
De voir l'une et l'autre matière.
Ledit procès est enchesné
En la librarie Nostre Dame
De Paris, et fut là donné
Par l'evesque, dont Dieu ait l'ame.
Ledit procès est enchaîné
Dans la bibliothèque de Notre-Dame
De Paris, à laquelle il fut donné
Par l'évêque. dont Dieu ait l'âme.
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 435
C'est aussi un écho de la tradition vraie qui se fait entendre dans cette
strophe de Villon, en sa ballade des Dames du temps jadis :
TEXTE, TRADUCTION.
La royne blanche comme ung lys La reine blanche comme un lis
Qui chantoit à voix de sereine , Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grant pie, Bietris, Ally», Berthe au grand pied, Béatrix, Alix,
Harembourges qui tint le Mayne , Eremburges qui tint le Maine,
Et Jehanne la bonne Lorraine Et Jeanne la bonne Lorraine
Qu'Angloys bruslerent à Rouen , Que les Anglais brûlèrent à Rouen ,
Où sont ils. Vierge souveraine ? Où sont-elles , Vierge souveraine.'
Mais où sont les neiges d'antan ? Mais où sont les neiges de l'an passé r
Mais l'image réelle de Jeanne, cette figure à la fois héro'ique et touchante,
mélange charmant d'entrain guerrier, de charité compatissante, de gaieté
naturelle et finement railleuse, et de piété céleste, tout cela s'altéra de
bonne heure dans les esprits, et plus encore dans les esprits cultivés que
dans Fimagination du peuple, demeuré, en dépit de tout, fidèle au sou-
venir confus de la vraie Jeanne. Les ornements banals d'une poésie de
convention commencèrent, du vivant même de la Pucelle, à défigurer sa
grandeur simple et sa sublimité na'ive. La poésie latine fut la première
coupable. Toutefois, laissons en paix la médiocrité d'Antoine Astezan, qui
versifiait en i53o la lettre adressée au duc de Milan par Perceval de Bou-
lainvilliers. Un opuscule anonyme, transcrit à la suite du procès de réhabi-
litation et de la même main, dans le manuscrit latin 3970 à la biblio-
thèque nationale, et dont l'auteur, versificateur habile, avait probablement
vu la Pucelle, nous offre un exemple de cette prétention mal raisonnée à
l'élégance virgilienne, qui prépare déjà la métamorphose de la vierge de
France en vulgaire héroïne de poème épique. Ecoutons un instant cet ano-
nyme; ses vers latins ont après tout conservé une assez forte empreinte de vé-
rité, et ils valent mieux sans aucun doute que beaucoup de vers français :
Annis nata novem simplex virguncula , patris,
More loci, teneras pecudcs suscepit alendas.
lUa, gregis custos, patriis erravit in agris
Pastorum ritu; fugiens consortia quœque
Humani generis, semper loca sola petebat.
Non lupus insidias pecori, non latro paravit.
Dum custodit oves, oculis manibusque levatis,
Sœpius in cœlum prece sic orabat agresti :
■< O cives superi , pacem deposcite nobis
436 ÉCLAIRCISSF.MENTS.
•< A Christo Domino, necnon et gaudia cœli. »
Respicit Omnipotens dignissima vota precantis,
Tempore nec longo lapso, jam dicta Puella
Audivit vocem supero de cardine missam .
Regni stelliferi : « Salve, veneranda Johanna
" (Virginis id nomen fuerat\ magnalia crede
" Omnia posse Deum cœlum terramque regentcm.
" Hic te prœvidit pro libertate colenda
" Paceque. Francorum regum solabere mœstuni,
" Et regem, patria pulsum de sede, reduces.
" lUius antique populum relevabis ab hoste
<■ Oppressum, multis prius urbibus, ordine recto,
.< Régis in obsequium conductis atque receptis.
" Karolus ut superet , tu fundamenta locabis. ■■
Une simple petite fille, âgcc de neuf années, était chargée, selon la coutume du village, de
mener paître les tendres agneaux de son père. Gardienne du troupeau, elle errait dans les
champs paternels, selon l'usage des pasteurs. Fuyant toute rencontre avec le monde, elle
cherchait toujours les endroits solitaires. Jamais le loup ne dressa d'embûches Ci son trou-
peau, ni le larron. Tandis qu'elle gardait ses brebis, les yeux et les mains levés au ciel, elle
faisait souvent cette prière agreste : « O citoyens célestes, demandez pour nous la paix au
Christ notre Seigneur, et aussi les joies du ciel. » Le Tout-Puissant jette un regard favo-
rable sur les vœux très-méritoires de la suppliante, et après un petit espace , voici que la
Pucelle entendit une voix qui partait du sommet le plus haut du royaume étoile : « Salut,
« Jeanne, digne de vénération (Jeanne était le nom de la jeune vierge}, crois que tous les
■< prodiges sont possibles au Dieu qui régit le ciel et la terre. Il t'a vue et choisie d'avance
« pour le culte de la liberté et de la paix. Tu consoleras l'affliction du royaume de France
i< et tu feras remonter le roi sur le trône de ses ancêtres, d'où il a été chassé. Tu relèveras
« son peuple écrasé par l'antique ennemi de la nation, après avoir d'abord, par une suite
■< logique de succès, ramené, fait recevoir un grand nombre de villes en son obéissance.
•< Tu jetteras les fondements du triomphe futur de Charles. >■
C'est le même procédé qui fut appliqué un peu plus tard dans le poëmc
•en quatre livres de Valerand ^'a^anius, natif d'Abbeville, et théologien de
la faculté de Paris. « Il le composa, de son aveu, dit M. Quicherat, avec
les pièces de l'un et de l'autre procès qu'il avait connus par le manuscrit
de Saint- Victor. L'histoire y est en effet suivie très-exactement, et le poète
ne s'est permis que des fictions conformes cà ce qu'on apprend par les inter-
rogatoires de Jeanne. Toutefois, par l'expression et par la mise en scène,
le sujet se trouve entièrement travesti, et l'on peut dire que l'exactitude des
r^icherches se dérobe sans cesse sous l'emphase du rhétoricien. » Nous lais-
serons désormais de côté la poésie latine.
JEANNK D'ARC DANS LKS LETTRES.
Dans la poésie française nous notons dès le quinzième siècle, à côté du
sentiment juste conservé par Martin le Franc, Villon et Martial d'Auvergne,
une métamorphose du caractère de Jeanne, laquelle, jointe plus tard aux
banalités épiques dont la poésie latine vient de nous offrir Texemple, forma
cette Pucelle fausse qui usurpa la place de la vraie dans notre littérature
au dix-septième siècle. Cette métamorphose dut en partie son origine à
l'usurpation réelle de l'aventurière, qui soutint avec impudence durant plu-
sieurs années le personnage de la libératrice et trompa, dit-on, jusqu'à
Fig. 2Î0. — La Pucelle, gravure sur bois tirée de la .\fer des Histoires. Lyon, Dupre', 1401, 2 vol. in-fol.
la famille de la Pucelle. Le caractère de la dame des Armoises se con-
fondit malheureusement avec celui de Jeanne dans l'esprit d'un grand
nombre de personnes, et de là vint la transformation en une sorte de
virago chevaleresque de la vive et gaie, de l'énergique, mais aussi de
l'humble et douce, de la bonne Pucelle de Domremy. On voit la confusion
commencer dans quelques niéchants vers de l'historiographe officiel de
Bourgogne, Georges Chastellain. qui eut le malheur dans sa Chronique,
suivant l'exemple donné par son maître Philippe le Bon après le funeste
438
ECLAIRCISSEMENTS.
événement de Compiègne, d'abandonner Jeanne aux Anglais. La méta-
Fig. 21 1. — Jeanne d'Arc, d'après une miniature du xvi« siècle, appartenant à .M. Jarry, à Orléans.
morphose du caractère de la Pucelle semble fort avancée dans le Séjour
d'honneur d'Octavien de Saint-Gelais, composé en \-\^<).
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES.
439
Tantost aprcs en champ d'honeur paré
Et siège d'or tapissé de loucnge ,
Je vy ung roy glorieux, préparé,
Fulcy de paix , begnin, doulx comme ung
ange ,
Vaincu par mort; mais son bon bruyt ne
change.
C'estoit Charles, septiesme de ce nom ,
Qui tant voulut acroistre son renom
Q.u'à luy reduyt Guyenne et Normandye ,
Quelque chose qu'Angloys ou Normant dye.
Près luy je vy, sur cheval fier marchant.
Femme qui fut d'harnoys luisant armée.
Pas ne sembloit escolier ou marchant;
Mais robuste, par prouesse affermée ;
Dont m'esbahis de voir femme fermée
De si grant cueur, qui les gens incitoit
Donner dedans et ung chascun citoyt
A guerroyer, comme si tous jours elle
Tint en seurté les souldars soubz son aesle-
Pas n'eut quenoille attachée au costé,
.Mais espée poignante et deffensible ;
Fuyant repos et longue oysiveté ,
Où voulentiers cueur de femme est duysible.
A autre affaire elle n'est entendible
Qu'ordonner gens, pour batailles mouvoir.
Dont je congneu que c'estoit, pour tout voir,
Selon sa geste et manière approuvée.
TRADUCTION.
Tantôt après en un champ paré d'honneur ,
Et sur un siège d'or tapissé de louange,
Je vis un roi glorieux, là disposé,
Appuyé sur la paix, bénin, doux comme un
ange.
Vaincu par la mort ; mais sa bonne renom-
mée ne change pas pour cela.
C'était Charles, septième de ce nom,
Qui voulut tant accroître son renom
Qu'à son obéissance réduisit Guyenne et
Normandie ,
Quelque chose qu'Anglais ou Normand dît.
Près de lui je vis, sur un cheval marchant
fièrement,
Une femme qui était d'un harnais luisant ar-
mée.
Elle ne ressemblait pas à un écolier ou à un
marchand ;
Mais elle était robuste et par prouesse en-
durcie ;
Je m'ébahis de voir une femme affermie
Et d'un si grand cœur, qui les gens incitait
A donner sur l'ennemi et un chacun pous-
sait
A guerroyer, comme si toujours elle
Tenait en sûreté les soldats sous son aile.
Elle n'avait pas une quenouille attachée au
côté ,
Mais une épée bonne pour piquer et se dé-
fendre ;
Fuyant le repos et la longue oisiveté
Où volontiers cœur de femme se complaît.
Elle n'entend à autre affaire
Qu'à disposer ses gens et mouvoir ses ba-
taillons.
D'où je connus que c'était , en toute vérité ,
Selon son histoire et sa manière d'être au-
thentique,
La Pucelle, par miracle suscitée.
La Pucelle, par miracle trouvée.
Cette même métamorphose du caractère de Jeanne, qui, de plus, durant
le siècle suivant, fut fardé du coloris classique et mythologique dont usè-
rent et abusèrent les hommes de la Renaissance, nous apparaît comme
tristement achevée dans un grand nombre de pièces du Recueil publié
par les soins de Charles du Lj's « de plusieurs inscriptions composées
par diverses personnes pour estre mises tant sous l'Image de la Croix et de
la Vierge Marie, que sous les statues du roy Charles VII et de la Pucelle
de France, qui sont eslevées sur le Pont de la ville d'Orléans dès l'an
ECLAIRCISSEMENTS.
TkLlS JR ARMA FVIT BELLACI SCHEMATE VIRGO.
Tunnaîc audentesffnUi:si taie tenehat^
Palladium titubaiisTroia^^ercnnis erat.
Fis. -'-• — '-^ Pucellc, gravure sur cuivre de Léonard Gaultier, datée de iiii2. Tirée du Recueil de
Charles du Lys; Paris, Edme Martin, 1628, in-4''. — On lit autour de la gravure des légendes latines
qui signifient : • Jeanne d'Arc, vulgairement appelée la Pucelle d'Orléans. — Telle se précipite au combat
cette vierge dans cet appareil guerrier. — Combattez, vaillants Français; si Troie chancelante avait eu
un pareil Palladium, elle aurait éternellement subsisté. »
MCCCCLVIII. » Voici, entre autres, une épigramme bien ridicule de
Malherbe :
L'ennemy tous droits violant,
Belle Amazone en vous bruslant ,
Témoigna son ame perfide;
Mais le destin n'eut point de tort
Celle qui vivait comme Alcide,
Devoit mourir comme il est mort.
JEANNE n'ARC DANS LES LETTRES
44'
Fig. 21 3. — La Pucelle, gravure de Charles David, communiquée par M.BoucherdeMolandon, à Orléans,
XVII* siècle. La gravure est accompagnée des vers de Malherbe cités à la page précédente, et qui carac-
lérisent bien le dix-septième siècle.
JEANNE d'arc. III. — 56
44» ECLAIRCISSEMENTS.
Le même recueil nous fournit encore un huitain signé « Malherbe, >- plus
raisonnable que le sixain, et qui, s'il l'a précédé dans la réalité comme il
le précède dans le livre, aurait bien dû rcmpccher de se produire. Voici
ce huitain :
Passans, vous trouvez à redire La raison qui vous doit suffire ,
Qu'on ne void icy rien gravé C'est qu'en un miracle si haut,
De l'acte le plus relevé II est meilleur de ne rien dire,
Que jamais l'histoire ayt fait lire ; Que ne dire pas ce qu'il faut.
Nous relevons dans le recueil de Charles du Lys un quatrain de ma-
demoiselle de Gournay :
Pourquoy portes-tu, je te prie. Cet œil mignarde ma patrie.
L'œil doux, et le bras foudroyant? Ce bras chasse l'Anglois fuyant.
M. Quicherat cite et admire dans ses Aperçus nouveaux unj autre ver-
sion de ce quatrain, qui semble en effet préférable. Cette seconde version
faite , selon le savant éditeur, pour un portrait figurant dans la galerie
du cardinal de Richelieu, est un heureux remaniement de la première :
Peux-tu bien accorder, vierge du ciel chérie,
Cet oeil plein de douceur et ce glaive irrité?
— Mon regard attendri caresse ma patrie
Et ce glaive en fureur lui rend sa liberté '.
Nous empruntons enfin au mènie recueil une petite pièce qui, surtout
par comparaison, nous semble d'un sentiment juste et d'une expression
naturelle et forte. Elle est signée « le Clerc, sieur de la Forest : »
Dieu s'est servy de moy, qui n'estois que Bergère
Pour restablir Testât de la France abbatu,
Plustost que d'une main furieuse et guerrière,
Pour monstrer que par moy luy seul a combatu.
1 Dans les notes de leur troisième édition de Tallemant des Réaus, .M.M. de Montmcrquc et P. Paris
donnent une version un peu différente :
Peux-tu bien accorder, vierge du ciel chérie, La Douceur de mes yeux caresse ma patrie
La douceur de tes yeux et ce glaive irrité ? Et ce glaive en fureur lui rend sa liberté.
C'est à l'obligeance de M. de Bouteiller que nous devons, entre autres communications, celle du re-
cueil de Charles du Lys, où il nous a signalé la première version du quatrain de mademoiselle de
Gournay.
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES.
443
La transformation née du caractère de la dame des Armoises, si mal à
propos attribué à la vierge de Doniremy, et couvert au s;izième siècle d'un
vernis classique et m3fthologique; celle que la banalité de l'époque fausse-
Fig. 214. — Frontispice du poëme de Cluipelain : /,ii Pucclle. un la France délivrée. In-12, Paris, Au-
guste Courbé, i656. — La Pucelle relève la France aflaissée, les léopards et les vaissaux anglais pren-
nent la fuite; deux anges tenant l'un une couronne, l'autre deux fleurs de lis, reproduisent, avec l'é
pée de la Pucelle, la disposition des pièces de ses armes.
ment virgilicnne avait dès le principe produite, comme nous l'avons vu,
dans la poésie latine : ces deu.\ métamorphoses s'unirent de façon à n'en
plus faire qu'une, et en y joignant une mauvaise imitation du Tasse et de
l'école chevaleresque italienne , en recouvrant le tout d'un style sérieuse-
4.J4' ÉCLAIRCISSEMENTS.
ment grotesque et où Fabsurde éclate çà et là naturellement, cette double
transformation produisit le poëme de Chapelain. Il serait injuste pourtant
de ne pas tenir compte à ce dur et infortuné rimeur de sa sincère admira-
tion , de son réel enthousiasme pour la Pucelle ;, de son effort pour suivre
l'histoire dans la disposition assez habile de son poëme; de la place qu'il y
a faite au surnaturel chrétien, en dépit des théories qui triomphaient ou
qui allaient triompher à son époque; de quelques lignes d'un très-grand
sens dans une dédicace d'ailleurs inouïe , et dans l'ouvrage lui-même, de
beaucoup de nobles pensées, d'un certain nombre de beaux vers, et si
étrange que cela paraisse, de quelques traits qui vont jusqu'au sublime, et
qui ne semblent pas néanmoins avoir plus coûté à la verve rocailleuse de
Chapelain, que la platitude habituelle où se dressent çà et là ses énormités
saugrenues. Le poëme commence ainsi ' :
Je chante la Pucelle et la sainte vaillance
Qui dans le point fatal, où perissoit la France,
Ranimant de son Roy la mourante vertu,
Releva son Estât, sous l'Anglois, abbatu.
Le Ciel se courrouça, l'Enfer émut sa rage.
Mais , par son zèle ardent et son masle courage.
Triomphante Martyre, au bûcher comme aux fers.
Elle fléchit les Cieux , et domta les Enfers.
Ames des premiers Corps, Pères de l'Harmonie,
Messagers des Décrets de l'Essence infinie.
Légions qui suyvés l'éternel estandard ,
Et qui, dans ce grand Œuvre, eustes si grande part ;
Pour mieux faire éclater la Guerrière Houlette,
Faites prendre à ma voix l'éclat de la Trompette,
Eschauffés mon esprit, disposés mon Projet,
Et rendes mon haleine égale à mon Sujet
La prière de Charles VII amène une peinture du ciel, qui doit compter
parmi les plus beaux morceaux de la langue française :
Loin des Murs flamboyans, qui renferment le Monde,
Dans le centre caché d'une clarté profonde ,
Dieu repose en luy-mesme, et vestu de splendeur
Sans bornes est remply de sa propre grandeur.
1 Je conserve ici l'orthographe et la ponctuation du temps : on peut considérer l'une et l'autre
comme faisant pour ainsi dire partie de la physionomie de Chapelain.
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 445
Une triple Personne en une seule Essence,
Le suprême Pouvoir, la suprême Science,
Et le suprême Amour, unis en Trinité,
Dans son règne éternel forment sa Majesté.
Neuf corps d'Esprits ardens, de Ministres fidèles,
Devant l'Estre infiny, soustenus sur leurs ailes.
Dans un juste concert de differens degrés
Chantent incessamment des cantiques sacrés.
Sous son throsne estoillé. Patriarches, Prophètes,
Apostres, Confesseurs, Vierges, Anachorètes,
Et ceux qui, parleur sang, ont cimenté la Foy,
L'adorent à genoux, saint Peuple du saint Roy....
Fidèle ici tout ensemble à la \'critc historique et théologique, Chapelain
représente la sainte Vierge intercédant pour la France, dont Dieu lui
promet le salut. Le Très-Haut annonce la mission que l'archange Michel
doit révéler à la jeune bergère , destinée à être Tinstrument de sa miséri-
corde sur les Français et sur leur roi. La peinture de la vision de Jeanne
est un curieu.x mélange de grandeur et d'absurdité :
Sur le Lion bruslant l'Astre de la lumière
Marchoit avec lenteur dans sa longue carrière,
Et raccourcissant l'ombre , en rallongeant le jour,
Eclairoit aux mortels, du plus haut de son tour.
L'Ange , en ce mesme temps , vient d'une aile légère
Porter le grand message à la sainte Bergère ,
De pompe revestu , de splendeur couronné ,
Et d'un globe de feu par tout environné.
Plus pront que n'est l'éclair, qui prévient le tonnerre ,
De sphère en sphère il passe, et descend vers la terre;
Le Monde voit sa cheute avec estonnement ,
Et croit que le Soleil tombe du Firmament.
Ainsi, lorsque la Nuit couvre tout de son voile,
On apperçoit souvent une brillante Estoillé
Se détacher du Ciel, et, se précipitant,
Tracer l'air ténébreux d'un sillon éclatant.
Il tombe sur le bois, où la Fille médite :
L'ombrage s'en esloigne, et ces flammes évite.
Il n'est tronc, ni rameau, qui n'en semble doré.
Et le fort le plus noir en demeure éclairé.
Ce nouvel accident interrompt sa prière;
De frayeur elle tremble, et siUe la paupière;
Ses yeux perdent le jour, à force de clarté ,
Et d'un trouble inconnu son cœur est agité.
446 ÉCLAIRCISSEMENTS.
Du globe lumineux, qui brille autour de l'Ange,
Sort une voix alors, mais une voix estrange,
Dont le son plus qu'humain et les graves accens
Luy pénètrent l'esprit, et ravissent les sens.
Bergère, dit la voix, Pucelle juste et sainte ,
Calme ton tremblement, et dissipe ta crainte;
Du Monarque Eternel je suis l'Ambassadeur,
Et te viens annoncer ta future grandeur.
Aujourd'huy par ton bras l'auguste Providence
Veut redonner la vie aux Peuples de la France ,
Et, pour leur bien monstrer qu'ils la doivent aux Cieux,
Te vient tirer du fond de ces sauvages lieux.
Ton bras sera le bras du grand Dieu des Armées ;
L'Anglois verra par toy ses forces consumées,
Orléans déploré s'affranchira par toy ,
Et par toy Rheims verra le Sacre de son Roy.
A ces faits merveilleux prépare ton courage;
La gloire du Très-Haut luira sur ton visage ;
Et , sa vertu guerrière animant ta vertu ,
Fera mordre la terre à l'Anglois abbatu.
La Fille, à ces grands mots, oppos2 sa foiblesse.
Ne peut, ni ne veut croire à la haute promesse.
Et se renfermant toute en son humilité,
S'anéantit aux yeux de la Divinité.
Mais l'Ange qui l'observe , et connoist sa pensée :
Ton âme, en vain, dit-il, est icy balancée;
Dieu , le Dieu des combats , t'ordonne par ma voix ,
De partir, d'attaquer, et de vaincre l'Anglois.
Puis, d'un céleste feu l'ombrageant toute entière,
Luy souffle du Seigneur la puissance guerrière,
Luy fait, dans les regards, éclater sa terreur.
Et luy met, dans les mains, les traits de sa fureur.
Dans le sein à grands flots il luy respandses grâces;
Il luy fait desdaigner les entreprises basses,
Et, la déterminant aux actes valeureux,
Luy donne un avant-goust du sort des Bien-heureux.
Le jour s'esteint alors, et le lieu solitaire
Demeure dans l'horreur de sa nuit ordinaire;
Le silence y retourne, et son ombrage espais
Redevient le séjour du calme et de la paix.
Elle voit le désert tout semblable à luy-mesme;
Mais elle sent en elle un changement extresme;
De cette nouveauté son esprit est confus.
Elle se cherche en elle, et ne s'y trouve plus
Le poëme de Chapelain n'a pas été sans influence sur l'œuvre qu'un
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 447
poëte anglais, Robert Southcy , consacra dans les dernières années du dix-
huitième siècle à la mémoire de la vierge de Domremy. Southey a fait à la
suite de sa préface une analyse détaillée, avec de nombreuses citations, de
Touvrage de Chapelain, tandis qu'il déclare, avec une noble énergie, n'être
point coupable d'avoir lu jamais l'œuvre honteuse par laquelle un autre
poëte français, traduisant dignement dans ses vers ses doctrines et sa con-
duite, venait d'insulter tout à fois au patriotisme, à la religion, à la
pudeur'.
Il y avait encore en 1 7()5 quelque hardiesse à célébrer en Angleterre
l'héroïsme de Jeanne et ses victoires, et le poëte fut accusé de manquer de
patriotisme, reproche qu'il avait ainsi repoussé par avance : « lia été établi
comme une règle nécessaire pour le poëme épique , que le sujet soit national.
J'ai pris tout justement le contre-pied de cette règle, et choisi pour sujet de
mon poëme la défaite des Anglais. Si parmi mes lecteurs il en est un qui
puisse désirer le succès d'une cause injuste, parce que son pays la soutient,
je ne désire pas l'approbation de cet homme. » Il montre dans sa préface
une véritable intelligence des conditions du sujet, et la nécessité de s'a-
tacher à suivre l'histoire le plus exactement possible. Par malheur, l'in-
suffisance des renseignements qu'il put recueillir, ses préjugés de protestant
philosophe et les opinions sociales et politiques que Southey professait
alors, sous l'influence de la Révolution française, l'ont égaré hors de cette
voie droite où il voulait se maintenir. Son œuvre est un roman historique
en vers, dont les qualités tiennent aux peintures accessoires et non au sujet
lui-même. Le caractère de Jeanne, montrée comme une héroïne libre-
penseuse, romantique et socialiste, et dont le nom est en un endoit bizar-
rement rapproché de ceux de Brissot et de madame Roland, le caractère
de Jeanne est manqué totalement. On peut citer pourtant un ou deux
endroits, où quelque chose de la vérité se retrouve dans les beaux vers du
poëte anglais. Ainsi Baudricourt ayant dit de Jeanne qu'elle était folle ou
possédée , la Pucelle s'écrie :
« Je ne suis pas folle. Possédée, en vérité, je le suis ! La main de Dieu est fortement sur
mon âme, et j'ai lutté vainement avec le Seigneur, dans l'opiniâtreté de ma crainte. Je
1 « I hâve never been guilty of rcading tlie PuccUc of Voltaire, » Jit Southey.
44» ECLAIRCISSEMENTS.
puis sauver ce pays, seigneur, je puis délivrer la France. Oui, il faut que je sauve ce pays !
Dieu est en moi. Je ne parle, ni ne pense, ni ne sens de moi-même. Dieu m'a vue et sancti-
fiée avant ma naissance, il m'a destinée pour les nations, et là où il m'envoie, il faut que
j'aille ; les paroles qu'il me commande, il faut que je les dise; ce qu'il voudra, il faut que je
l'accomplisse; et cela tout à fait sans crainte dans la plénitude de ma foi, parce que le Sei-
gneur est avec moi. >■
Voici la scène de Chinon.
■' Bientôt la cour est réunie ; la couronne ornée de pierreries brille sur la tête d'un cour-
tisan. Parmi la foule se tient le monarque, et anxieux sur l'événement son cœur bat fort.
Elle vient, la Pucelle inspirée, et comme le bâtard (d'Orléans) la conduisait vers le trône,
elle jette seulement un rapide regard sur la Majesté fictive, et fixe en plein son œil sur
Charles: ■< Tu es le Roi. Je viens, moi la vengeresse envoyée du ciel, qui tiens l'arme cour-
•• roucée de laquelle sort la mort. Paralvsés en leurs cœurs féroces par le bras de Dieu, loin,
'• loin d'Orléans les loups anglais hâteront leur désastreuse fuite. Monarque de France, envoie
" ces bonnes nouvelles à travers ton royaume ravagé. La Pucelle est venue, la Pucelle
" missionnaire, de qui la main doit dans les murs consacrés de Reims te couronner, toi
'■ le Roi, l'oint du Seigneur. >■
Le di.\-neuvième siècle sera pour la mémoire de la Pucelle l'âge de la
glorification raisonnée et définitive. A côté de Tœuvre accomplie par la
science et la critique la poésie a voulu faire aussi la sienne. On ne pourra ,
certes, l'accuser d'avoir été en ce siècle avare d'hommages et de chants pour
Jeanne d'Arc : elle a même été trop prodigue. Les innombrables poëmes
consacrés à la Pucelle sous le premier empire i fig. 2 1 5) , la Restauration et
les divers régimes qui se sont succédé jusqu'à nos jours appartiennent, sauf
de rares exceptions , au genre qu'on peut dire illisible. Classiques ou roman-
tiques, ils sont également fastidieux. On nous permettra de ne nous point
plonger dans cet océan , où ça et là seulement on voit quelques auteurs
surnager à tort ou à droit. Les vers ont leur destinée. Celle du plus grand
nombre est d'être oubliés dès leur naissance, aussi justement que le furent
ceux du sieur H...., de Bordeaux, membre correspondant de l'Athénée de
la langue française , qui publia en 1 809 Jeanne D.vx ' surnommée la Pucelle
d'Orléans, poëme héroïque en six chants, dont voici le premier, le second ,
le cinquième et le sixième vers :
L'homme a reçu du ciel la valeur en partage,
La femme rarement obtient cet avantage...
1 L'auteur écrit ainsi, sans apostrophe.
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES.
449
Fig. 2 1 5. — Jeanne s'élance au combat d'un pas rapide et résolu. Statue de bronze, de Gois fils, érigée
en 1804 à Orléans. — Cette statue est d'une exécution remarquable ; mais l'expression belliqueuse et la
pose, contraires à la vérité historique, rappellent l'époque militaire où elle fut élevée : c'est une guer-
rière qui tire sa force d'elle-même et de son épée, rien de plus.
Cependant qilelquefois on voit des héroïnes
Réunir la valeur aux grâces féminines.
JEANNE U ARC. Ul. —
45o ÉCLAIRCISSEMENTS.
Deux des Messénieitnes de Casimir Delavigne ont pour sujet, l'une la vie,
l'autre la mort de Jeanne d'Arc. On peut en admirer l'habile versification
et le souffle lyrique, mais le caractère de Jeanne n'y paraît pas bien com-
pris ; l'enthousiasme et l'attendrissement du poëtc ont même quelque chose
de factice. Pourtant il y a de beaux vers, que l'on fait figurer dans tous les
Morceaux choisis, et qui sont trop connus pour qu'il nous soit permis de
les négliger :
Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l'image;
Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents :
Au pied de l'échafaud , sans changer de visage,
Elle s'avançait îl pas lents.
Tranquille, elle y monta ; quand, debout sur It; faite.
Elle vit ce bûcher qui l'allait dévorer.
Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête;
Sentant son cœur faillir, elle baissa la tète.
Et se prit à pleurer.
Ah ! pleure, fille infortunée !
Ta jeunesse va se flétrir,
Dans sa fleur trop tôt moissonnée !
Adieu, beau ciel, il faut mourir...
Tu ne reverras plus tes riantes montagnes,
Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs ,
Et ta chaumière et tes compagnes.
Et ton père expirant sous le poids des douleurs...
Après quelques instants d'un horrible silence,
Tout à coup le feu brille, il s'irrite, il s'élance...
Le cœur de la guerrière alors s'est ranimé :
A travers les vapeurs d'une fumée ardente,
Jeanne, encore menaçante,
Montre aux Anglais son bras à demi consumé.
Pourquoi reculer d'épouvante.
Anglais? son bras est désarmé.
La flamme l'environne, et sa voix expirante
Murmure encore : ■■ O France! ô mon roi bien aimé!... »
Dans les Annales romantiques de l'année i832 nous trouvons un mor-
ceau assez peu connu d'un très-honorable et très-classique poète, M. Bi-
gnan. Il est intitulé Jeanne cTArc, ou l'Inlerfog-aloire. Malgré un bon
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES.
nombre de fausses notes, le ton général est assez juste, et la diction est
simple et ferme. Il y a telle réponse de Jeanne qu'eu égard aux difficultés
de notre versification on aurait peine à mieu.x rendre :
Un silence profond dans l'assemblée immense
S'étend; l'évêque parle et le crime commence :
« Dis ton nom. — Jeanne d'Arc. — Ton âge? — Dix-neuf ans.
— Ton pays? — Domrémi. — Le sort de tes parents?
— Laboureurs. — Quand r.\nglais vint apporter la guerre,
Quels travaux t'occupaient dans les champs de ton père?
— Je gardais ses troupeau.K, je priais...; quelquefois
Je couronnais de fleurs Notre-Dame des Bois.
— Pourquoi, sans son aveu, fuyant son toît de chaume,
Pourquoi l'as-tu quitté ? — Pour sauver le royaume.
— Pourquoi , bravant de Dieu les saints commandements ,
As-tu pris des combats l'arme et les vêtements?
— Pouvais-je conserver les robes d'une femme ?
L'audace d'un soldat palpitait dans mon âme.
— Qui cherchais-tu? — Mon roi. — Qui t'inspirait ? — Mon Dieu.
— Quelles voix t'ont parlé? dans quel temps? dans quel lieu?
— Partout, se révélant sous leur forme divine,
L'auguste Marguerite et sainte Catherine
M'ordonnaient de m'armer, de courir aux Anglais,
Et de rendre au Dauphin son trône et son palais.
J'ai combattu, fidèle à leur ordre céleste;
Vous savez ma conduite et Charle sait le reste.
— Quels secrets connaît-il? — Allez l'interroger.
— Quand parliez-vous ensemble? — Au moment du danger.
— Le jour où l'huile sainte a coulé sur sa tête.
Dans Reims, ton étendard assistait à la fête?
— Comme il fiât à la peine , il dut être à l'honneur.
— De qui l'as-tu reçu? — Je le tiens du Seigneur.
— .A.s-tu dans ce drapeau placé ton espérance?
— Je n'espère qu'en Dieu. — Dieu chérit-il la France?
— Oui. — Pourtant aux Anglais son courroux te livra.
— Jeanne d'Arc peut mourir, mais la France vivra... »
Quelques vers de madame Louise Colet dans son poëme sur le Musée
de Versailles , couronné en 1839 par l'Académie française, méritent aussi,
ce me semble, de n'être pas oubliés, parmi les vers consacrés à la gloire
de la Pucelle :
Là, parmi les héros dont elle est entourée ,
Pensive, apparaissait cette vierge inspirée
452 ÉCLAIRCISSEMENTS.
Qui ravit la victoire à l'Anglais triomphant ,
Et diilivra la France avec un bras d'enfant.
C'était une blanche statue,
Vierge guerrière revêtue
De l'armure des anciens rois :
Fille pudique au front céleste ,
A l'œil fier, au souris modeste,
Femme, héros tout à la fois!
Il fallait plus qu'un grand artiste
Pour la rendre ainsi calme et triste,
Accomplissant l'ordre de Dieu ;
11 fallait l'art et la croyance :
L'âme d'une fille de France
A réuni ce double feu ;
Et de ses mains s'est échappée
Jeanne d'Arc, pressant son épée
Sur son cœur virginal et fort ,
Qui sous la voix de Dieu tressaille.
Mais qui sait, au champ de bataille,
Intrépide, braver la mort.
En 1S4G vit le jour une grande composition d'Alexandre Soumet, in-
titulée Jeanne d'Arc, trilogie nationale dédiée à la France. Cette trilogie
comprend une idylle : Jeanne d'Arc berg'ere ; une épopée : Jeanne d'Arc
guerrièi-e ; et une ti-agvdie : Jeanne d'Arc marlj-re ; plus vm prologue et
un épilogue. La tragédie avait été représentée non sans succès sous la
Restauration. L'idylle et l'épopée forment un roman bizarre, où la fantaisie
de l'auteur et sa facilité l3Tique également exubérantes se sont donné
libre carrière. L'ensemble est en dehors du bon goût et de la vérité litté-
raire, comme de la vérité historique, essentielle ici. Quelques morceaux
pourtant donnent l'idée de la façon dont le sujet pourrait être traité par un
grand poëte. Ce sont ceux où Soumet, qui, à défaut de génie, avait beaucoup
de talent, s'est tenu le plus près de l'histoire, en s'efforçant de la traduire
en termes simples et nobles. Tel est par exemple le récit des entrevues de
Jeanne avec Baudricourt , dont malheureusement la citation jointe aux autres
serait un peu longue. Voici le début du chant premier :
Oh ! que la destinée a d'étranges secrets !
Il s'était rencontré dans nos vieilles forêts.
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES.
453
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454 ÉCLAIRCISSEMENTS.
Tandis que nous étions sujets de l'Angleterre,
Une vierge semblable à celle de Nanterre.
Ses regards étaient pleins d'une sainte langueur,
Chastes comme sa vie et doux comme son cœur.
Les bergères, ses sœurs, faisaient d'elle, à leurs veilles,
Des récits tout empreints d'innocentes merveilles.
Pour son pauvre pays, depuis ses premiers jours,
Elle priait, priait comme on aime, et toujours.
Une voix lui parla dans la forêt des chênes :
Elle ceignit le fer, partit, brisa nos chaînes !
Ensuite elle tomba dans les mains des méchants ;
Le bûcher s'alluma pour la fille des champs :
Elle y monta... sa cendre au fleuve fut jetée.
Et, trois siècles après, Voltaire l'a chantée.
Ce dernier vers est admirable dans son énergique simplicité. Voici la
scène de Chinon :
Vers le jeune Dauphin, qu'elle ne connaît pas,
La Bergère, sans guide, ayant porté ses pas,
Se prosterne et lui dit , de la foule suivie :
<> Gentil roi, que le ciel vous donne heureuse vie!
— Je ne suis pas le roi que vous cherchez ici.
Et montrant un seigneur de sa cour : Le voici.
Répond Charle.
— Eh ! mon Dieu ! c'est vous ! non pas un autre.
Je n'ai pas vu de roi, mais vous êtes le nôtre,
Reprit-elle ; cessez de m'éprouver enfin.
De par le Roi du ciel, salut, noble Daui)hin.
J'ai nom Jeanne la Vierge. Une voix bien connue
M'a dit de vous chercher, prince... et je suis venue.
Dieu vous mande par moi que dans Reims délivré ,
Vous, son vrai lieutenant, devez être sacré....
.Teanne raconte sa première vision à Charles \'II en termes beaucoup
trop romantiques :
Dès l'âge de treize ans , du côté de l'église,
Gentil Dauphin , j'avais entendu mainte fois
A travers les rameaux venir de saintes voix.
Et ces voix me disaient, — souvenir adorable!
Que pour avoir un jour la paix inaltérable.
Il fallait rester pure ; et de grandes clartés
Venaient à la même heure et des mêmes côtés.
J'attendais ce moment avec beaucoup de joie :
On aime à voir venir ce que Dieu nous envoie !
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 455
Quelquefois de ces voix j'étais intimidée;
Mais leurs sages conseils m'ont toujours bien guidée.
Un jour, — j'en tremble encore et d'extase et d'effroi ! —
Un jour que , priant Dieu pour la France et le roi ,
J'ornais de frais rameaux l'église du village,
— Me croirez-vous?... — je vis resplendir le feuillage ,
Et dans l'air s'avancer, à travers le vieux mur,
Monseigneur saint Michel sous un manteau d'azur.
Du glaive flamboyant sa main était chargée.
Son aile, blanche et grande et d'or toute frangée,
Se déployait en arc , et sur son front béni
Reposait le rayon du bonheur infini.
Son vol. tout lumineux, quim'apparut sans voiles.
Faisait naître en passant des nuages d'étoiles ;
11 brillait à mes yeux, pleins de ravissement,
Comme un saphir tombé du haut du firmament.
Les lis que Salomon admirait, dans leur gloire.
Ont un éclat moins pur que sa robe de moire;
Les airs sont moins légers que ses cheveux flottants;
Et sa voix ressemblait au souffle du printemps,
Lorsqu'il glisse, au matin, sous les branches fleuries
Des tendres amandiers, bouquets de nos prairies.
Je contemplai longtemps, muette de bonheur,
L'archange qui venait de la part du Seigneur;
Et quand je le vis fuir aux voûtes éternelles ,
Je lui dis en pleurant : Prenez-moi sur vos ailes... >■
L'ouvrage Je Soumet s'écarte sensiblement de la forme traditionnelle du
poëme épique, tel qu'on l'avait compris et pratiqué en France depuis le sei-
zième siècle. Des tentatives analo<Tues à la sienne avaient été faites avant lui
sur le même sujet '. L'aspect du château de Chinon lors de l'entrée de
Jeanne d'Arc pour son entrevue solennelle avec Charles VH, est rendu
avec une certaine vérité poétique dans ce passage de la Mission de Jeanne
d' Arc , chronique en vers, par M. George Ozaneaux (i835) :
1 Le temps nous manquerait aussi bien que respacc si nous voulions puiser dans tous les poèmes
plus ou moins épiques, classiques ou romantiques, composés en ce siècle sur Jeanne d'Arc, avant et
depuis celui de Soumet. Nous ne pouvons même pas les énumérer. 11 est juste pourtant de mentionner
tout au moins celui de M. Alexandre Guillemin, qui a consacré une grande partie de sa vie si laborieuse
et si chrétienne à étudier et à chanter l'héroïque vierge de France. Une troisième édition de ce poème
a été publiée récemment (Tours, imprimerie de Jules Bouscrez, 1874, in-12). C'est une édition pos-
thume. — Il faut aussi nommer du moins le poème que l'auteur d'une Histoire de Jeanne d'Arc juste-
ment estimée, M. Lebrun des Charmettes, avait publié en 1S19, quelque temps avant son œuvre his-
torique, sous ce titre ; VOrléanide.
4b6 ECLAIRCISSEMENTS.
Le peuple du palais encombrait les abords :
Les cours, les escaliers, les vastes corridors
Étaient pleins de varlets, de pages et de gardes,
Aux larges boucliers, aux longues hallebardes;
Partout des chevaliers qui devisaient entre eux,
A l'écart, à voix basse, ou par groupes nombreux.
De la salle du trône enfin la porte s'ouvre,
On nomme Baudricourt : et la vierge découvre
Une assemblée immense, où d'avides regards
Sur elle en un moment fondent de toutes parts.
Mais à d'autres pensers son âme est tout entière.
Un éclair invisible a touché sa paupière;
Elle a vu d'un coup d'oeil, et sans l'avoir cherché.
Le Roi, qui dans la foule à dessein s'est caché.
Elle l'aborde, et dit d'une voix résolue :
« Charles, gentil Dauphin, Jeanne d'Arc te salue! >■
Dans les Rimes héroïques, recueil public par M. Auguste Barbier, l'au-
teur, des ïambes , en 1843, c'est-à-dire un peu avant que la grande compo-
sition de Soumet, publiée seulement après sa mort, eût vu le jour, nous
trouvons ce sonnet consacre à Jeanne d'Arc :
S'il est un nom vaillant qui soit cher à la France.
Et qui du temps jaloux doive être le vainqueur,
C'est le rustique nom de la femme de cœur
Qui foudroya l'Anglais des lueurs de sa lance.
Lorraine aux brunes mains, aux yeux pleins d'innocence.
Qui fis si grande chose avec tant de candeur.
Toi qui n'eus qu'un bûcher pour prix de ton ardeur.
Puissent nos plus beaux vers être ta récompense!
Que tous les cœurs chantants deviennent des autels
Où ta louange éclate en hymnes immortels :
Poètes , vengeons-la des bourreaux détestables !
Quand le bien tombe aux pieds du crime injurieux,
I C'est aux enfants du beau , comme frères pieux ,
A réparer du sort les coups épouvantables.
Voici un autre sonnet dont l'auteur est M. le comte de Puymaigre,
connu par ses beaux travaux sur la littérature espagnole du mo\en âge
et sur les chants populaires : cette petite pièce fait partie d'un volume tiré
à peu d'exemplaires et intitule Heures perdues (1866).
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 437
A Jeanne d'Arc.
Qui peut sans être ému , vierge sublime et pure.
Penser à ta grandeur, à ton humilité ,
Se dire que sans toi , pauvre bergère obscure ,
Le courage français allait être dompté !
Nul vice, nulle erreur n'ont jeté la souillure
Sur ton nom que le siècle au siècle a répété ,
Quel guerrier mieux que toi sut illustrer l'armure?
Quel saint eut plus que toi la douceur, la piété ?
La palme et le laurier ombragent ton histoire,
Tu reportais à Dieu l'orgueil de la victoire,
Humble dans les succès, grande dans les combats!
En toi chacun voyait une force divine.
Et tu fus, si du ciel tu ne descendais pas ,
Digne au ciel de monter, noble et chaste héroïne!
Un recueil récent de .M. Théodore de Banville, les Exilés, contient une
pièce intitulée la bonne Lorraine et datée du 3o mai 1872. Nous en dé-
tachons ces quatre vers, où l'un des plus admirables sentiments de Jeanne
est exprimé :
O sainte, ô Jeanne d'Arc, toi la bonne Lorraine,
Tu ne fus pas pour nous avare de ta peine.
Devant notre pays aveugle et châtié,
Pastoure, tu frémis d'une grande pitié
Enfin, nous empruntons quelques strophes d'un beau souffle aux A^ou-
veaux chants du soldat de M. Paul Déroulède (iSyS). La pièce a pour
sujet la statue de la place des Pyramides :
cet être qui plane ,
Ce bras levé, ces yeux ravis,
C'est elle, c'est la sainte et grande Paysanne,
Ta Paysanne, ô mon Pays !
Ah ! quel présage ardent que cette époque sombre ,
Quel avenir que ce passé !
Quand vaincu par la force, et broyé sous le nombre,
Ce peuple gisait terrassé;
Et que le croyant mort, et que s'en croyant maître.
L'enroulant de son noir drapeau ,
JEANNE d'arc. III. — 58
458 ÉCLAIRCISSEMENTS.
L'étranger avait fait un tombeau pour l'y mettre ,
Jeanne a surgi de ce tombeau;
Laissons donc railler ceux qui, prompts i se distraire,
Sont lents à plier les genoux;
Laissons la foule aveugle ignorer sa guerrière,
Nous, les vaincus, prosternons-nous.
La pièce se termine par une belle pensée :
Consacrons nos cœurs recueillis
A Jeanne la Française, à Jeanne la Lorraine,
La patronne des envahis!
L'enthousiasme pour Jeanne d'Arc est à peine moins vif aujourd'hui
en Angleterre qu'en France. Il y a quelques années un prélat anglais,
M^' Gillis, prononçait le panégyrique de la vierge de France , et venait,
pour ainsi dire, au nom de sa nation, faire dans Orléans amende hono-
rable à cette grande mémoire. Southey ne serait plus accusé aujourd'hui
d'audace antipatriotique : on l'accuserait plutôt de timidité scrupuleuse. On
lui reprocherait de n'avoir pas osé conduire l'héroïque Pucelle jusqu'à la
gloire de son martyre, supérieure à celle de son triomphe. C'est ce l'e-
proche qu'a su noblement éviter >L Robert Steggal, qui, dans un poUme
tout récent ', qu'il a dédié « aux sœurs de Jeanne, les filles de la France,
pays que son génie a sauvé, que sa mort rend sublime, « décrit ainsi la
scène lugubre de Rouen :
■. O Rouen, Rouen, est-ce ici que je dois mourir? » crie la victime, tandis qu'en avant,
pieds et mains liés, avec une garde guerrière de soldatesque anglaise, ils la portent à la
place du Marché — gouffre où dès le point du jour ont afflué ù travers toutes les rues de
la ville, conduits gonflés, de vivants courants d'hommes, auxquels se heurte en s'enflant
chaque nouvel afflux, et qui au loin font un bruit de mer en leur lutte continuelle; — ils la
portent tout droit sur un échafaud dans le milieu de la place, où elle sert de point de mire
à un demi-million de regards fixés sur elle ; ils posent sur son front la mitre du diable, ils
font cela sous le clair azur du ciel! D'un œil plein de tristesse elle regarde vis-à-vis d'elle,
li où, élevés sur une plate- forme en terrasse au-dessus de la multitude, parmi les juges,
conseillers et prêtres, Beauvais et Bedford, et lui, le grand Winchester, le Crésus cardinal
d'Angleterre, siègent adossés aux tours solennelles dont les cloches font entendre leur gé-
missement : elle tourne ensuite vers le ciel ses yeux pleins d'une étrange lumière, l'ombre
de l'éternité étant tout près, et elle écoute les douces voix qui ondulent de là haut dans son
1 Jt'jitne Darc and other poems by Robert Steggal. LonJon, Alfred \V. Bennett, i86S, in-i8.
-jTTf
Fi«. îi;. - Supplice de Jeanne d'Arc. Tableau Je Eugène Devéna, au musée d Angers, xix' siècle.
46o ECLAIRCISSEMENTS.
oreille, plutôt que celle qui remplit l'ouïe de la multitude, celle que vomit la bouche ou-
verte pour sa condamnation, avec des mots amers et toute sorte d'affronts menteurs qui
couvrent de leur glose et d'une dérision d'équité le verdict impie. Mais elle n'entend rien, et
enfin lorsqu'elle en perçoit quelque chose, elle tombe à genoux et prie l^ haute voix. Elle
prie Jésus-Christ d'avoir merci de son âme et de la rendre pure, afin qu'elle puisse le join-
dre dans de courts instants; elle le prie de lui envoyer encore une fois ses saints bénis,
afin qu'ils ne soient pas loin d'elle quand elle va mourir et la prennent aussitôt après;
elle le prie de ne la point juger trop strictement, si, mue par les lâches défaillances de
la chair, sa langue a parlé contre le gré de son âme, et renié avec la bonté de Dieu les
merveilles de sa puissance, ù elle révélées dans ses visions. Elle le prie pour sa chère
France, la France de Clovis, royaume de la liberté ! Elle lui demande que de sa mort
puisse naître pour sa patrie une vie nouvelle, et la paix, et une gloire durable. Elle prie
pour eux, même Dour eux, ses exécuteurs, quatre-vingts assassins pour une jeune fille
qui n'a pas vingt ans! Et si en quelque circonstance, non par un acte volontaire, mais en
accomplissant la mission donnée par Dieu, elle a fait quelque mal à ses ennemis, elle leur
en demande pardon ; et avec une effusion de larmes, les dernières que ses yeux répandront,
elle prie que sa mort ne leur soit pas imputée, de peur qu'une souffrance pire que la
sienne, un jugement plus terrible encore que celui qu'elle a dû subir, ne les atteigne un
jour en leur barrant le chemin!
Mais couvrant tout le reste, un millier de misérables crient : « Emportez-la au bûcher ! »
vilains dont la barbare clameur donne une voix au muet désir de leurs misérables lords,
qui n'osent pas eux-mêmes le proférer. Semblables à des démons, chacun s'efforçant de
dépasser l'autre hors des profondeurs infernales du fleuve de feu, ils sont là rouges de la
flamme qui ne doit pas mourir, mais jeter un brûlant affront sur la joue de l'Angleterre
pour toujours ! Ils crient : « Emportez-la ! emportez-la ! A votre ouvrage, bavards, sem-
piternels cracheurs; à votre ouvrage, vôtre ou nôtre! Hâtez-vous avant que nous vous je-
tions la tète la première à sa place, et nourrissions pour elle le bûcher en faisant la chaleur
plus ardente avec votre suif! » — Déjà les larmes de Beauvais ont noyé la pitié d'où elles
naquirent, et voyez, son visage sombre étend sur tous les autres une noirceur pareille,
de même que la nuit approprie à sa teinte les arbres et les fleurs ! — O Dieu! ils mettent
leurs rudes mains sur elle, — ils fendent la foule qui se partage et se referme ensuite, —
ils traînent son corps délicat serré dans une tunique de grosse toile frisonne, avec la furie
d'hommes fo«s, vers le hideux bûcher, où se surentassent bûches et combustibles et dont la
hauteur domine tout, — et au froid poteau ils l'attachent avec une ceinture de fer, — et voici
qu'elle est là seule, une muette prière sur les lèvres, lesquelles brillent comme brille l'ex-
tase d'un saint figurée par la peinture. Bons anges, appelez-la, que ses yeux levés au ciel
ne voient pas le héraut de la mort que voici, pâle de honte et de crainte, se glissant parmi
les fagots 5 la dérobée! — O flammes avides, qui vous élancez pour lécher ses pieds, pour
étreindre son corps tremblant dans votre embrassement cruel, que le ciel vous ravisse vo-
tre victime ! Et voyez, déjà monte la fumée miséricordieuse, dont les serpents gris étouf-
fent les flammes avant qu'elles aient consommé l'effroyable agrippement, et prennent dou-
cement la victime dans leurs tournoyants replis, et la revêtent d'une robe de nuée d'or,
pour que les yeux mortels ne la voient plus! — O Dieu! ce cri perçant, frappant l'air
muet qui en retentit, un long, triste, amer cri pour requiem ! — et voici que du sommet
du monde tombe le suave écho d'une voix d'ange, et tout est silence après.
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 461
THEATRE ' .
Si la poésie a devance le théâtre pour célébrer la gloire de la Puccllc,
c'a été de peu d'années. Le Mistère du siège d'Orléans, sous sa forme pri-
mitive, paraît avoir été représenté publiquement, au jour anniversaire de
la délivrance de cette ville, dès 1435. Il le fut encore en i43(). Mais la ré-
daction que nous possédons, et où se décèlent les mains de divers auteurs
n'écrivant pas tous à la même époque , cette rédaction singulièrement ac-
crue et amplifiée , paraît se rapporter à une représentation que l'on a fixée
par des raisons ingénieuses à l'an 1456 '-. Ce mystère est donc le résultat
d'une collaboration successive et anonyme. Comme la rubrique le dit
elle-même, c'est une compilation, destinée à rendre plus pompeuse la fête
annuelle qui se célébrait et se célèbre encore aujourd'hui à Orléans. Il y
fut représenté sous diverses formes , plus ou moins amples, et à divers in-
tervalles, dans le second tiers du quinzième siècle. Comme dans la plupart
des mystères de la même époque, l'art, sans être tout à fait absent peut-être,
n'apparaît que faiblement dans cette chronique ou mémorial dialogué de
vingt mille cinq cent vingt- neuf vers. Le style et la diction y sont plus
mauvais que dans beaucoup d'autres. Mais on y sent ce souffle de l'enthou-
siasme contemporain, cette impression de vérité, que la représentation ren-
dait plus vive encore, et que, comme nous l'avons dit, rien ne remplace en
ce qui concerne Jeanne. C'est bien la vraie Pucelle, l'authentique vierge
de France que le mystère met en scène, depuis le moment où elle y paraît
pour la première fois, quelque peu après le sept millième vers, et où elle y
reçoit les ordres de Dieu par la voix de l'archange, jusqu'à son glorieux
retour dans Orléans après la victoire de Patay, qui termine la pièce. La
vérité historique et théologique est fidèlement gardée en ce qui est des
causes et des circonstances de sa mission. Le roi Charles VII y est repré-
1 Nous pouvions moins encore songera ûtre complet pour le theâire que pour la poésie e'pique ou
lyrique. Nous nous sommes attaché à donner des spécimens pris, par ordre chronologique, dans les
divers genres par lesquels a passé le drame, depuis les mystères jusqu'à nos jours. — 11 est clair que
surtout pour les écrivains de nos jours, nos omissions n'impliquent rien autre chose que l'impossibililé
de tout voir et la nécessité de nous borner.
2 Etude sur le mystère du siège d'Orléans, etc., par H. Tivier. Paris, Ernest Thorin, iXbS. Le chapi-
tre IV de cette étude est consacré à une comparaison des diffcrciils poèmes composes en l'honneur de
Jeanne d'Arc dont nous avons profité.
4b2
ECLAIRCISSEMENTS.
sente implorant le secours de Dieu, mais prêt, si telle est la volonté du Ciel,
à cesser la lutte , et désespérant de la pouvoir continuer après la chute
d'Orléans :
Plus n'ay d'espoir que à Orléans ;
Or n'y sçay plus que confort querrc
Je voy, par fortune de guerre,
Et suffisant de la tenir.
Je vueil delesser le pays
Et me consent estre desmis,
Vray Dieu, se c'est vostre plaisir.
TRADUCTION.
Je n'ai plus d'espoirquesur la ville d'Orléans;
Or je ne sais plus quel secours chercher
Je vais, — telle est la fortune présente de la
guerre , —
Lequel soit suffisant pour soutenir cette ville.
Je veux abandonner le pays
Et je consens à perdre le trône
Vrai Dieu, si c'est votre plaisir.
Notre-Dame prie son Fils d'exaucer la prière du roi :
Qui est vray roy des crestiens
Et sur tous les rois parmanant,
Esleu par la vostre clémence...
O mon filz ! doulcement vous prie
Que ce fait vous ne souffrez mie,
De nostre bon roy crestien ,
Que perde ainsi la seigneurie
De France et noble monarchie
Qui est si noble terrien.
C'est le royaume ' qui tout soustient
Crcstienté et la maintient ,
Par la vostre divine essence,
Ne autre n'y doit avoir rien :
Au roy Charles luy appartient.
Qu'il est droit héritier de France.
Qui est vrai roi des chrétiens
Et pour être au-dessus de tous les rois élevé
de façon permanente,
A été élu par votre clémence...
O mon fils! doucement je vous prie
Que ce fait vous ne souffriez pas.
Au sujet de notre bon roi chrétien,
Qu'il perde ainsi la seigneurie
De France et la noble monarchie
Qui est si noble territoire.
C'est le royaume qui entièrement soutient
Chrétienté et qui la maintient.
Non, par votre divine essence !
Nul autre n'y doit avoir rien :
C'est au roi Charles que ce royaume ap-
partient ,
Puisqu'il est légitime héritier Je France.
Saint Euverte et saint Aignan, anciens évèques d'Orléans, prient powr
la ville qui fut le théâtre de leurs travaux apostoliques. Dieu déclare que
les malheurs des Français sont le juste châtiment des péchés commis par
toutes les classes de la nation, mais il cède en ces termes aux prières redou-
blées de sa Mère et des deux saints :
Ma mère et vousj met bons amis,
Vueil entendre à vostre requeste.
Combien les avoye permis
A malédiction céieste ,
Pour leur vie faUlse et deshonneste,
Et François principalement ;
Et vUeil que on les admoneste
Que pugniz seront grandement.
Ma mère et VOUS, mes bons amis.
Je veux vous accorder votre requête
Quoique je les eiisse abandonnés
A la malédiction céleste ,
A cause de leur vie pleine de fausseté et
malhonnête,
Et les Français principalement ;
Et je veux qu'on les avertisse
Que pUnis seront grandement.
l Prononcez riiumc.
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES.
4G3
Le royaulme je recouvreray
Au roy Charles par sa prière,
Et en honneur l'exauceray,
Que tout temps en sera mémoire,
Sans que François ayent la gloire
De l'avoir par eulx recouvert,
Ne leur en doriray la victoire ;
On le verra à descouvert.
Michel ange, entend à moy :
Je vueil par toy faire messaige,
Pour subvenir au desarroy
De France , le noble heritaige.
En Barois yras en voyaige.
Et feras ce que je te dy.
Au plus près d'un petit villaige
Lequel est nommé Dompremy,
Qui est situé en la terre
Et seigneurie de Vaucoleur,
Là trouverras, sans plus enquerre,
Une pucelle par honneur.
Est en elle toute doulceur.
Bonne est et juste et innocente,
Qui m'ayme du parfont du'cueur,
Honneste, saige et bien prudente.
Tu luy diras que je luy mande
Qu'en elle sera ma vertu :
Je vueil que par elle on entende
L'orgueil des François abatu,
Et que je me suis consentu
Recouvrer le royaulme de France ;
Par elle sera debatu
Contre les Anglois par oultrance.
Premièrement, tu luy diras
Que par elle vueil qu'i soit fait,
Et de par moy luy commandras
Qu'i soit acomply et parfait.
Sy est qu'elle voise de fait
Pour lever le siège d'Orléans ,
Chasser les Anglois à destroit,
Sy ne s'en vont incontinant.
Puis après, elle le menra.
Le roy Charles, sacrer à Rains.
De par moy elle acomplira
Et en parviendra à ces fins ;
Que de ce ne se doubte point :
Ma vertu sera -avec elle.
Pour acomplir de point en point
Par Scelle jeune pucelle.
Dy lui aussi pareillement
Qu'elle se veste en abit d'omme ;
Je lui donray le hardiment,
Pour mieulx que le cas se consomme.
Puis elle s'en yra en somme
Le royaume je ferai recouvrer
Au roi Charles, selon sa prière,
Laquelle avec honneur j'exaucerai ,
De sorte qu'en tout temps il en sera gardé
mémoire.
Sans que pourtant les Français aient la
gloire
D'avoir par eux-mêmes recouvré le royaume,
Je ne leur donnerai pas telle victoire ;
On verra cela à découvert.
Michel archange, écoute-moi:
Je veux par toi envoyer message.
Pour remédier au désarroi
De France, le noble héritage.
Vers Barrois sera ton voyage.
Et tu feras ce que je te dis.
Tout auprès d'un petit village
Lequel est nommé Domremy,
Qui est situé en la terre
Et seigneurie de Vaucouleurs,
Là tu trouveras, sans plus de recherche,
Une pucelle pleine d'honneur.
En elle est toute douceur.
Elle est bonne, juste «innocente,
Elle m'aime du profond du cœur.
Elle est honnête , sage et bien prudente.
Tu lui diras que je lui mande
Qu'en elle sera ma vertu;
Je veux que par elle on comprenne
Que, tout en abattant l'orgueil des Français
Je me suis pourtant consenti
A sauver le royaume de France ;
Par elle il sera disputé
Aux Anglais en une lutte à outrance.
Premièrement, tu lui diras
Que par elle je veux que tout cela soit fait,
Et de par moi tu lui commanderas
Que ce soit accompli et entièrement exécuté.
C'est-à-dire qu'elle aille de fait
Pour faire lever le siège d'Orléans,
Poursuivre les Anglais et les serrer de près
S'ils ne s'en vont sur-le-champ.
Et puis après, elle le mènera.
Le roi Charles, sacrer à Reims.
De par moi elle accomplira tout cela
Et en parviendra à telles fins;
Que de cela elle ne doute point :
Ma vertu sera avec elle
Pour accomplir tout cela de point en point
Par cette jeune pucelle.
Dis-lui aussi pareillement
Qu'elle revête l'habit d'homme;
Je lui donnerai la hardiesse
Nécessaire pour que sa mission s'accomplisse
au mieux.
Elle s'en ira donc en somme tout d'abord
464
ECLAIRCISSEMENTS.
Devers Robert de Baudrlcourt ,
Pour l'amener en ceste forme
Devers le Roy et en sa court.
MICHEL ANGE.
Mon cliier seigneur, en grant coraige
Acompliray rostre ordonnance
Vers la pucelle bonne et saige ;
I.e cas luy diray en présence ,
J'y voy, sans nulle différence,
Faire vostre commandement.
Vers Robert de B.iudricourt,
Pour qu'il la fasse conduire en telle manière
A'crs le Roi , en sa cour.
l'ange MICHEL.
Mon cher seigneur, avec le plus grand zèle
Je ferai ce que vous me commandez
A l'égard de la pucelle bonne et sage;
Je lui annoncerai directement sa mission ,
J'y vais , sans aucun délai ,
Accomplir votre ordre.
Que elle ayc bonne fiance,
Sans soy esbayr nullement.
Qu'elle ait bonne confiance
Et ne s'épouvante aucunement.
Pose d'orgues. — lît yiciit devers Li Pucelle l'nc pause. Les orgues jouent. L'Ange vient
gardant les brebi:^ de son ycre et <]ueusant en vers la Pucelle qui est en train de garder les
linge. brebis de son père et de coudre du linge.
Jeune pucelle bien eureuse.
Le Dieu du ciel vers vous m'envoye ,
Et ne soyez de rien peureuse,
Prenez en vous parfaicte joye.
Dieu vous mande, c'est chose vraye,
Que y vieult estre avecque vous,
Où vous soyez en quelque voye;
Si n'ayez point doncques de poux.
Sa voulenté et son plaisir
Est cjue vous aillez à Orléans,
Pour Anglois en faire saillir
Et lever le siège devant.
Se de vous sont contredisant ,
En armes vous les convaincrez.
Contre vour. ne seront puissans,
Mes de tout point les subjugrez.
Puis après, y vous conviendra
A Rains mener sacrer le Roy,
Que ainsi Dieu vous conduira,
Et Charles oster hors d'esmoy.
Combien qu'il ait beaucoup desroy
Et par le présent fort à faire.
Dieu le fera paisible en soy.
Que il a ouy sa prière.
Et au seigneur de Baudricourt,
"Vous luy direz que y vous mayne
Incontinent, le chemin court.
Que il est vostre cappitaine.
Ainsi que c'est chose certaine,
Devers le Roy vous mènera.
En abit d'omme, toute saine,
Que Dieu toujours vous conduira.
Jeune pucelle bien heureuse.
Le Dieu du ciel vers vous m'envoie ,
Ne prenez aucune frayeur.
Ayez en vous parfaite joie.
Dieu vous mande , c'est chose vraie,
Qu'il veut être avec vous ,
Partout où vous serez, où vous irez;
Ainsi n'ayez donc point de peur.
Sa volonté et son plaisir
Est que vous alliez à Orléans,
Pour en rejeter au loin les Anglais
Et leur faire lever le siège qu'ils ont mis de-
vant.
S'ils osent vous contredire ,
Vous les convaincrez par les armes.
Contre vous ils n'auront aucune force,
Mais au contraire vous les dompterez de tout
point.
Puis après il conviendra
Qu'à Reims vous meniez §acrer le Roi ,
En tout cela Dieu vous conduira ,
Vous tirerez Charles de ses angoisses.
Quoique ses affaires soient en grand désarroi
Et que pour le présent il ait fort à faire.
Dieu lui rendra l'âme paisible.
Car il a prêté l'oreille à sa prière.
Au seigneur de Baudricourt
Vous direz ceci , qu'il vous mène
Sur-le-champ, par le chemin le plus court,
Car de cette seigneurie où vous êtes il est
capitaine.
C'est une chose tout à fait certaine
Que vers le Roi il vous mènera
En habit d'homme, saine et sauve,
Car Dieu toujours vous conduira.
JEANNE DARC DANS LES LETTRES..
465
LA PUCELLE.
Mon bon seigneur, que dictes vous :
Vous me faictes trop esbaye :
Cecy ne vient point à propoux,
En ce je ne scay que je die.
Moy , povre pucelle, ravye
Des nouvelles que vous me dictes ,
Sachez, je ne les entend mie,
Que y me sont trop auctentiques.
Je no vous pourroye respondre
Ainsi , moy , povre bergercte ,
Vous qui cy me venez semondrc.
Comme une simple pucelete ,
Gardant es champs dessus l'erbete
Les povres bestes de mon père ,
Une jeune simpleJillcte,
Vous dis sont à mon bien contraire.
LA PUCELLE.
Mon bon seigneur, que dites-vous?
Vous me rendez trop ébahie :
Cela ne me paraît pas fort à propos.
Je ne sais quoi en dire.
Moi , pauvre pucelle, toute hors de moi
Des choses que vous me dites ,
Sachez que je ne les comprends pas ,
Elles sont d'un ordre trop élevé pour moi.
Je ne vous saurais répondre
Là-de.ssus , moi , pauvre bergerette ,
A vous qui me venez ainsi appeler.
Je ne suis qu'une simple pucelette ,
Gardant aux champs dessus l'herbette
Les pauvres brebis de mon père.
Une jeune et simple fillette,
Ce que vous dites est à mon bien contraire.
MICHEL ANGE.
Jehanne, ne vous en esmayez;
Que Dieu l'a ainsi ordonné,
Et veut que l'onneur vous ayez
Du royaulme, présent fortuné,
Qui a esté habandonné
Par pechié commis des François;
Par vous sera Roy couronné
Et remis en ses nobles drois
L ANGE MICHEL.
Jeanne, ne vous effrayez pas de cela;
Car Dieu l'a ainsi ordonné,
11 veut que vous ayez l'honneur
De relever ce beau royaume , présent fortuné
De sa main, qui l'avait abandonné
.\ cause des péchés commis par les Français.
Par votre moyen le Roi sera couronné
Et remis en ses nobles droits
Jeanne soumet sa volonté à la volonté de Dieu, et la scène se termine
par un rondeau qui n'est pas dépourvu d'une certaine grâce naïve :
A Dieu , Jehanne , vraye pucelle ,
Qui est d'icelui bien aymée ;
Ayez tousjours ferme pensée
De Dieu estre sa pastorelle'.
Adieu, Jeanne, franche pucelle
Qui êtes de Dieu bien aimée;
Ayez toujours ferme pensée
D'être son humble pastourelle.
En nom Dieu , je vueil estre celle
De le servir, si luy agrée.
En son saint nom, je serai celle
Qui le servira, s'il m'agrée.
A Dieu , Jehanne, vraye pucelle ,
Qui est d'icelui bien avmée.
Adieu, Jeanne, franche pucelle.
Qui êtes de Dieu bien aimée.
Mon bon seigneur, vostre nouvelle
De par moy sera reclamée
Au seigneur de ceste contrée,
Par la voye que dictes telle.
Mon bon seigneur, votre nouvelle
Sera par ma bouche annoncée
Au seigneur de cette contrée,
Je veux suivre une route telle.
JEANNE D'Ane. III. — 5y
^G6
ECLAIRCISSEMENTS.
A Dieu, Jehanne, vraye pucelle ,
Qui est d'icelui bien aymée ;
Ayez tousjours ferme pensée
De Dieu estre sa pastorelle '.
Adieu, Jeanne, franche pucelle,
Qui êtes de Dieu bien aimée ;
Ayez toujours ferme pensée
D'être son humble pastourelle.
Plus d'un siècle après que le Mis/cre du sidgv SOrlcaus eut été repré-
senté sous sa forme la plus ample, — au mois de mai i .^80, le roi de F>ancc
Henri III et sa femme la reine Louise de ^^audemont, devaient se rendre
à Plombières pour y prendre les eaux. Laville de Pont-à-Mousson se pré-
parait à les bien fcter lors de leur passage. Parmi les divertissements pro-
jetés figurait une représentation dramatique. La pièce devait être jouée au
collège des Jésuites et la composition en avait été confiée au P. Fronton
du Duc, âgé alors de vingt-quatre ans, et qui professait la rhétorique. Le
savant et modeste religieux accepta par obéissance la tâche que lui impo-
saient ses supérieurs, et dans le peu de temps qui lui était accordé, il écri-
vit en cinq actes Vllistoire trafique de la Pucelle d'Orléans. La peste
ayant rompu le voyage royal, la représentation fut ajournée au 7 septem-
bre suivant. Elle eut lieu devant Charles III, duc de Lorraine, qu'accompa-
gnaient quelques grands seigneurs de la cour de France. Le duc en fut telle-
ment satisfait qu'il fit présent de cent écus d'or à l'auteur, qui, dit le P. Abram,
historien de l'université de Pont-à-Mousson, lui avait paru couvert d'une
robe qui représentait la pauvreté évangélique. La pièce fut imprimée sans
nom d'auteur en i58i.
Ce n'est pas une merveille assurément. C'est une vraie tragédie de col-
lège. Mais il faut savoir gré à l'auteur du sujet qu'il a choisi, le plus national
de tous, et de l'avoir choisi précisément pour cela :
Or on n"a point choisy ung argument estrange
Sçachant que cil est fol , lequel ayant sa grange
Plaine de grains cueilliz, emprunte à son voisin ,
Laissant pourrir chez soy son propre magasin.
1 Nous avons suivi l'édition donnée par MM. Guessard et de Certain dans les Documents inédits sur
l histoire de France, sauf quelques légers changements que nous nous sommes permis pour remédier
un peu aux fantaisies prosodiques du copiste, lesquelles, à la vérité, sont peut-être aussi de l'auteur.
— La liste des pièces de théâtre sur Jeanne d'Arc, donnée en appendice par les savants éditeurs,
nous a été d'un grand secours.
JEANNE D'ARC
Tableau daté de i5Si, conservé au musée d'Orléans
l/inscription latine rappelle la visite que Henri III et sa jeune épouse
firent solennellement à la ville d'Orléans, le i5 novembre iSyG. En
voici la traduction :
Sur le portrait de Jeanne de Vaucouleurs, Pucelle d'Orléans :
La Pucelle revient chez le P'rançais, heureuse d'y être, même à l'état d'image
muette, elle qu'autrefois Dieu et non une machination a envoyée au secours de la
patrie. Bon roi Henri, salue cet augure. Venue du ciel pour combler tes vœux, qu'une
pure vierge rende fortunés les auspices de ton règne, et qu'elle tienne la balance : que
toutes deux refassent de ton siècle l'antique âge d'or.
Les Orléanais reconnaissants ont dédié cette image à la Pucelle : i58i.
LA PUCELLE.
Tableau date de liSl . consei-vé aa musc
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 467
Il V a là une sorte de protestation contre les excès de la Renaissance alors
triomphante. De plus, le savant et pieux jésuite , par sa science et par sa
piété, en consultant de bons documents et en consultant son cœur, plein de
patriotisme aussi bien que de foi, a su sinon mettre dans son plein jour, du
moins entrevoir et montrer à demi la vraie figure de la Pucelle , si étrangement
travestie avant et après sa pièce par les historiens et par les poètes. Ce n'est
pas lui qui ferait de Jeanne une virago chevaleresque, ou une sorte d'intri-
gante dont usèrent habilement les politiques. Jeanne est renvo\ée de Dieu
pour le salut de la France. Cette vierge héroïque est une pieuse , une hum-
ble, une charitable chrétienne. Voici comme la peint, à l'acte V, un gen-
tilhomme qui déclare avoir quelque temps fait partie de sa garde :
Tous ses propos u'estoient que de choses honnestes :
Son oreiUe abhorrait les paroles mal nettes.
Louant le nom de Dieu en chascune action ,
Elle excitoit les gens à la dévotion ;
Edifioit chacun par sa doulceur humaine ;
Elle jusnoit aussi trois jours en la sepmaine.
Et au jusne joignant l'aumosne, soulevoit
Les pauvres de ses biens, aultant qu'elle pouvoit,
Et sachant les dangers auxquels est exposée
La vie des soldats, humblement confessée
Elle alloit recevoir le très Saint Sacrement
Jusqu'au jour de Dymenche, et d'iceluy s'armant ,
L'ame elle preparoit à la vie éternelle
Devant que son corps vint il la mort temporelle.
Il y a quelque élégance et quelque vigueur d'expression dans Fune des
strophes chantées par le chceur à la fin du quatrième acte. Cette strophe
s'adresse à Pierre Cauchon :
Est-ce ainsi , ô Pasteur lasche, Mais las! ce n'est pas merveille
Qui doibs souffrir qu'on te haschc Si tout pasteur poinct ne veille,
Et tue pour ton troupeau , Car mesme le Roy des cieulx
Que ceste brebis tu donnes Eut pour disciple le traistre
Au gré des bouches félonnes Qui livra son propre maistre
Des loups , craintif de ta peau r Ez mains des Juifz envyeux.
Enfin le patriotisme de l'auteur a mis dans ces deux vers comme un
accent cornélien :
Rendez , selon le droit de la salique loy,
, Nostre Roy à la France , et la France à son Roy.
ÉCLAIRCISSEMENTS.
L.' Histoire tragique de la Piicelle d'Orléans, médiocre et plus que mé-
diocre en elle-même, nous représente assez bien pourtant ce qu'auraient pu
devenir, sans l'excessive réaction de la Renaissance contre les habitudes
littéraires du moyen âge, les sujets nationaux maniés par les grands poètes
du dix-septième siècle. La pièce du P. Fronton du Duc a beaucoup et même
trop des caractères de la tragédie classique, telle qu'on devait la comprendre
et la pratiquer en France, mais elle tient encore pourtant à la tradition natio-
naledes;;y5/ère5, et il y a même une scène les quolibets des soldats anglais
devant Orléans) qui les rappelle tout à fait par sa familiarité naïve, et
paraît précisément analogue à celles qui persistèrent dans le drame shakspea-
rien. Ce drame représente, sans aucun doute, en face de la tragédie classi-
que, la tradition littéraire du moyen âge. Il la représente, il est vrai, soit
pour la pensée, soit pour la forme, à la façon anglaise, naturellement
différente delà façon française, qu'interrompit le triomphe delà Renais-
sance. Les haines soulevées par la guerre décent ans étaient encore vivaces
à la fin du seizième siècle, et la différence de religion, récemment survenue,
devait contribuer à les entretenir. Jeanne d'Arc, aux yeux de la foule, était
encore, en Angleterre, une ennemie détestable, une sorcière, que Bedford
avait justement briilée. C'est ainsi qu'elle apparaît dans la première des
trois parties de Henri T/, partie qui, dit-on, est de Green et a été
seulement revue par Shakspeare. Chose surprenante , et qui atteste bien la
grandeur et la beauté internes , si j'ose dire, de cette renommée , l'attrait
inévitable exercé sur lésâmes par cette chaste et radieuse figure, quelque
chosede la vraie Jeanne paraît à deux endroits de la pièce anglaise. Et d'a-
bord dans ce dialogue avec le duc de Bourgogne (acte III, scène 3) :
LA PUCELLE.
Brave duc de Bourgogne, l'infaillible espoir de la France, arrête un moment, et daigne
accorder à ton humble servante l'honneur de t'entretenir.
LE DUC DE BOURGOGNE.
Parle; mais abrège.
LA PUCELLE.
Contemple ton pays , contemple la fertile France; vois ses villes et ses cités défigurées par
les ravages destructeurs d'un ennemi cruel ; regarde ta patrie de cet oeil de tendresse dont
une mère contemple son jeune enfant mourant au berceau, et prêt à fermer les yeux. Vois,
vois les maux qui consument la France. "Vois les douleurs, les plaies barbares dont ta main
dénaturée a déchiré son malheureux sein. Ah! détourne contre d'autres victimes le fer de
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 469
ton épée ; frappe ceux qui t'offensent , et ne blesse pas ceux qui t'aiment. Une seule goutte
du sang de ta patrie devrait te causer plus de douleur que des flots d'un sang étranger. Expie
donc ce sang par tes larmes, et guéris les plaies de ta malheureuse patrie.
LE DUC DE BOURGOGNE.
Il faut qu'il y ait dans ses paroles un charme surnaturel qui me subjugue , ou bien c'est
la nature qui m'inspire cet attendrissement soudain '.
Dans la dernière scène où paraisse la Pucelle (acte V, scène 5), l'auteur,
complice des haines du public anglais, se laisse aller contre la mémoire
de Jeanne aux inventions les plus outrageantes et les plus absurdes. "N'oici
pourtant un fragment qui, détaché de ce qui le précède et de ce qui le suit, ne
paraîtrait pas indigne du génie, je ne dis pas de Green , mais de Shakspeare :
LA PUCELI-E.
Jamais je n'eus de commerce avec les esprits infernaux. Mais vous, hommes corrom-
pus par la débauche, souillés du sang des innocents, chargés d'iniquités et de vices, parce
que vous êtes privés de la grâce dont d'autres ont reçu les dons, vous jugez impossible d'o-
pérer des merveilles, si ce n'est par le secours des démons. Non! cette Jeanne d'Arc, que
méconnaît votre ignorance, est aujourd'hui comme dans sa plus tendre enfance une vierge,
qui toujours vécut chaste et sans reproche même dans ses pensées; et son sang pur, que vos
mains barbares versent si injustement, criera vengeance contre vous aux portes du ciel'.
On voudrait avoir des raisons de croire que Shakspeare, en revoyant la
pièce de Green , et sans oser braver en face les haineux préjugés des spec-
tateurs, y a intercalé ce fragment comme une sorte de protestation de son
génie et de son cœur contre le public, contre Green et contre lui-même.
Cependant l'école mythologique de la Renaissance, laquelle sut se faire
une place beaucoup trop large jusque dans le drame shakspearien , pour-
suivit en France le cours de ses succès au théâtre comme dans tous les
autres genres. Alors même qu'elle ne dédaignait point de choisir ses sujets
dans rhistoire ou la légende nationale , elle les travestissait en sujets mytho-
logiques et produisait par là le mélange le plus absurde. C'est ainsi que
dans une tragédie représentée à Rouen en 1600, reprise à Paris en i6o'3
et en 16 II, et dont l'auteur est, à ce qu'on pense, un gentilhomme nor-
mand, Jean de Vire_v, sieur du Gravier, Jeanne d'Arc avant reçu sa mission
de Jupiter, déclare qu'elle va quitter la compagnie des « Nimphes » pour
1 et 2 Nous citons d'après la traduction de M. F. iMichel. Paris, Firmin-Didot, iSôçi, in-S", t. II, p. 545
et 502.
470 ÉCLAIRCISSEMENTS.
endosser le « harnois Vulcanien » et se consacrer toute à « l'homicide Mars.
(fig. 218).
Fig. 218. — La Pucellc, avec une léqende latine qui signilîc : La fortune sourit à l'audace. — Ce mé-
daillon, exécuté du temps de François I", est formé de plusieurs pièces fixées sur le fond. Le masque
et le buste sont d'argent, et les ornements sont de vermeil. Musée historique d'Orléans.
Or sus il faut quitter les belles Oreades,
Les Nimphes , le plaisir de ces ondes jasardes :
Le carquois de Diane et son arc, et ses dards ,
Et toute me sacrer il l'homicide Mars
Ce casque martial pressant ma chevelure
Ne convient-il pas mieux qu'une riche coiffure^
Ce harnois endosse œuvre Vulcanien
N'est-il pas plus plaisant que du froid Serien
Les robes peintes d'or, ou de Tyr empourprées ?
Ou les ronds diamans des indiques contrées?...
Depuis que le sommeil sous les pieds d'un ormeau
Me voila les deux yeux, assise près de l'eau,
Et les songes ailez coulans dedans mon ame
Echauffèrent mon cœur d'une divine flame ,
Puis comme messagers du tout-puissant Jupin
Me dirent en tels mots le but de mon destin :
Fille, le seul soucy de la chaste Lucine,
Quite, quiteles bois, arme, arme ta poitrine,
Venge l'injure faite à ton propre pays
Et chasse par le fer les douleurs, les ennuis
Qui comblent maintenant les subjets de ton Prince :
Arme-toy pour l'aider, et sa triste province...
L'héroïne du sieur du Gravier, mettant à profit Térudition mythologique
dont elle est pourvue, s'encourage en se citant d'illustres exemples :
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 471
Pourquoy ne puis-je pas
Fille comme je suis m'endurcir aux combats?
Les escus enlimez, les mains Amazonides
Fendirent par le fer les ondes Thermontides,
Et courant au secours du Troyen affligé
Chassèrent jusqu'au port l'exercite étranger
Du Grégeois inhumain et là Panthasilée
Vosmit la hache au poing une ame ensanglantée...
Puis donc que le renom à cent œles porté
En faveur des guerriers fend l'air de tout costé ,
Et s'ouvrant à la fois cent bouches écumeuses
Eclate les honneurs des femmes belliqueuses,
Qu'attens-je plus long temps par un fait glorieux
De pousser aussi bien ma teste dans les Cieux?
De cercher combatant parmy les morts la Parque,
Et faire que Charon me traine en mesme barque ,
Et mon ame, et ma vie? Hé, que songé-je tant?
Empourprons , empourprons ce coutelas de sang !
Si le destin le veut : si l'heur revient en France ,
Poursuyvons coup sur coup, ayons bonne espérance.
Je doute qu'il soit facile d'être plus insensé. Une autre folie du temps
fut la pastorale, imitée des Italiens. Nicolas Chrestien, sieur des Croix, en
rit, comme tant d'autres poètes, une en cinq actes et en vers, avec un
prologue. Il l'intitula les Amantes, et il eut l'idée singulière, mais après
tout louable, de placer entre chaque acte, en guise d'intermède, un épisode
héroïque tiré de l'histoire de France , sans doute pour relever la fadeur de
la pièce principale. Clovis, Charlemagne, Godefroy de Bouillon, saint
Louis et Jeanne d'Arc sont les héros de ces intermèdes. Dans celui qui
est consacré à la Pucelle, l'auteur a très-bien su oublier les niaiseries des
pastorales pour prendre le ton convenable à son sujet , qu'il a plus que
résumé, mais qu'il a relativement bien compris. Il a fort sagement laissé
la mythologie de côté. Son langage est net, ferme, et dans certains vers
coulés d'un jet, fait sentir l'approche de Corneille.
JEANNE.
Quand l'éternel ouvrier nous advertist d'un fait ,
Il ne faut retarder à le mettre en effect ;
Je doy donc, il le faut, de toute ma puissance
Prudemment accomplir sa céleste ordonnance ,
C'est à luy d'ordonner, à nous de le suivir,
A luy de commander, à nous de le servir.
47*
ECLAIRCISSEMENTS.
Pucelle que je suis, et de race petite,
Mais de sa main élue, et de sa bouche instruite.
J'espère en ma foiblesse avoir trop de pouvoir
Pour accomplir son vueil, et faire mon devoir.
Dieu, de ce qui luy plaist, se sert en ses ouvrages,
Et qui le sert ne peut encourir de naufrages :
A la honte des grands au vice apesantiz,
Il élevé en honneur les foibles, les petits,
Et faisant la foiblesse aparoistre immortelle
Entre les grands guerriers quand il est avec elle :
Qu'on ne s'estonne donc si fille que je suis,
•le porte le cœur d'homme , et plus qu'homme je puis ,
Ayant l'épée au poin, au milieu de la guerre.
Les hommes je combats , et renverse par terre.
Jeanne je suis nommée, et née à Vaucouleurs,
Je viens pour affranchir la France de malheurs,
La remettant en gloire, et d'une ame félonne ,
L'oster du joug anglois abhorrant sa couronne ,
Pour ce, je vay treuver Charles le juste Roy
Afin qu'il soit sacré suivans l'antique loy
Voici la scène de Chinon. C'est Baudricourt lui-même qui a mené
Jeanne vers le roi et qui plaide sa cause devant Charles MI :
CH.\RLES.
Une fille remettre en vigueur nostre estât.
BAUDRINCOURT.
Ce n'est pas une fille ains c'est Dieu qui combat.
CHARLES.
Ce fait aussi n'est-il à son sexe contraire ?
BAUDRINCOURT.
En tout sexe, en tout âge, et en tout Dieu opère :
Mais il faut éprouver si ce fait est de Dieu :
Elle ne vous veit onc cachez- vous en un lieu ,
Et faictes devant vous tous vos Seigneurs parestre
Pour voir s' elle pourra d'entreux vous recognoistre.
CHARLES.
C'est bien dict , faictes la devant nous se treuver.
Pour le bien ou le mal de ce fait éprouver.
JEANNE.
Grand Roy, que vous sert-il vous celer, en croyance
Que vous pourrez tromper de Dieu la congnoissance ?
C'est luy qui donne jour à mes pudiques yeux ,
Afin de vous congnoistre entre ces braves preux ,
Que sert-il de vouloir contre Dieu se défendre,
KCLAIRC;
PuccUe qui.
Mais de sa n
!:■ cornas: DiïU
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES.
Puisqu'il rend acomply ce qu'il veut entreprendre ?
C'est vous qui estes Roy, tel je vous recongnois ,
Bien que je n'eusse veu vostre front nulle fois.
Il m'envoye vers vous , pour vous redonner, Sire,
De vos sacrez ayeuk le triomphant empire.
Vous n'estes point sacré, et Dieu veut que les Roys
Soyent sacrez au désir de ses divines loix ,
Afin que nul ne soit si hardy que de mettre
La main sur leur couronne, et prophaner leur sceptre.
Les parjures Anglois ennemiz de noslre heur
Vous ont jusqu'à ce jour empesché cet honneur :
Mais malgré leurs efforts et leur rage félonne
Vous me suivrez à Raims recevoir la couronne.
Dieu le commande ainsi, grand Prince il sera fait.
Car son aime vouloir a tousjours son effet.
Mais paravant cet acte où je suis engagée ,
Je leur feray quitter Orléans assiégée.
C'est au temps du Cid, d'Horace et de Cinna que fut composée « la
Piicelle d'Orléans, tragédie en prose selon la vérité de Fhistoire et les ri-
gueurs du théâtre , » par François Hedelin , abbé d' Aubignac , laquelle tragé-
die fut mise en vers par la Mesnardière et ainsi représentée en 1641 . L'abbé
d'Aubignac avait de la vérité historique et de la rigueur du théâtre une
idée toute particulière , comme on en peut juger par ces deux passages de son
Avertissoncut : « Pour y mettre une intrigue qui donnast le moyen de
faire jouer le théâtre, j'ay supposé que le comte de Warvick en estoit
amoureux (de Jeanne), et sa femme jalouse : car bien que l'histoire n'en
parle point , elle ne dit rien au contraire ; de sorte que cela vray-sembla-
blement a peu estre , les historiens françois l'ayant ignoré , et les Anglois ne
l'ayant pas voulu dire. » Et ailleurs : « Pour donner de la grâce et de la
force au cinquiesme acte, je faicts que le baron de Talbot, qui n'a voit
point esté d'advis de sa mort , en vient faire le récit au comte de Warvick
extrêmement affligé et à la comtesse, que le remords de la conscience rend
insensée. » Comme on le voit, l'étude approfondie des règles d'Aristote
avait produit sur l'abbé d'Aubignac le même effet qu'il attribue au re-
mords de conscience sur la comtesse deWarwick. Il suffira de citer le début
de la pièce , lequel est du moins conforme à l'histoire en nous montrant
Jeanne consolée dans sa prison de Rouen par une vision céleste.
474 ÉCLAIRCISSEMENTS.
L'ANGE, LA PUCELLE.
( Le ciel s'ouvre pur un i^rand esclair. el l'Aiif^e paroist sur une machine eslevée.)
l'ange.
Fille du ciel, incomparable Pucellc, puissant et miraculeux secours de ton prince, vov
tes prisons qui s'ouvrent , et tes chaisnes qui se brisent ; sors , sors à la faveur des divines
lumières qui t'environnent, et viens apprendre icy quel doit estre le dernier acte de ta gé-
nérosité et le comble de ta gloire.
LA PUCELLE.
Quels mouvements célestes délivrent mon corps de la captivité qui le presse, et donnent
à mon ame une si sensible joye? Est-ce donc toy, sacré Tutelaire de ma vie. Interprète se-
cret des volontez du Dieu vivant? parie seulement et j'obey.
La Mesnardicre a ainsi rendu en vcns ce début :
l'anc.e.
Sainte tille dy ciel, Pucelle incomparable.
De ton prince affligé le secours adorable.
Quitte pour un moment la charge de tes fers,
Et sors par ma faveur de tes cachos ouvers,
Vien apprendre de moy ma dernière assistance
Et de ton sort heureux la plus belle ordonnance.
Dans les tristes horreurs de cette épaisse nuit
Vov ce long trait de feu qui vers moy te conduit ,
Marche, marche et beny l'éclair que je t'envove
Pour tracer à tes pieds une agréable voye.
LA PUCELLE.
Quels nouveaux sentimens d'un céleste bon-heur
M'ouvrent l'ame et les sens à la voix du Seigneur .■'
Ha ! j'entens et je voy son divin interprète
Qui me va déclarer sa volonté sccrette.
Le théâtre français dans son âge pleinement classique, celui qu'illustrè-
rent durant la vieillesse et après la mort de Corneille les tragédies admi-
rables de Racine, s'écarta plus encore qu'il ne l'avait fait des sujets em-
pruntés à l'histoire ou aux traditions nationales. Qui aurait osé, sous l'œil
menaçant de Boilcau, après la catastrophe de Chapelain, produire la Pu-
celle au théâtre ? Nous la trouvons en revanche applaudie à une date un
peu postérieure à cet âge d'or de la tragédie française, sur la scène d'un
pays voisin. L'Espagne , où la renommée de Jeanne , mais aussi la confusion
de la vraie Pucei le avec la fausse, avait pénétré de bonne heure, ne perdit
point ce souvenir, et sans doute ses monuments littéraires, si nous les con-
naissions mieux, nous en offriraient la trace depuis le quinzième siècle jus-
JEAN NE D' ARC
TcLblecLU de Simon Vouet, conservé a.u musée d'Orléans. Dix-sepLième siècle
La. Pucelle devient ici une grande dame
aux manières distin^tjées des femines de l'hôtel de Ra.mtouillei.
JEANNE D'ARC DANS LES EETTRES. 475
qu'au commencement du dix-huitième, époque où l'un des derniers disciples
de la grande école dramatique de Lope de Vega et de Calderon , Antonio
de Zamora, fit paraître sur le théètre de Madrid une comedia famosa di-
visée, selon l'usage, en trois journées, et intitulée La Piicelle de Orléans K
C'est une pièce peu historique, et les extravagances n'y manquent pas.
Mais l'auteur était plein d'admiration pour Jeanne, et voici du moins une
scène où, à défaut de vérité, se retrouve quelque chose des conceptions
hardies, de l'imagination vive et puissante qui distinguent le drame espa-
gnol issu, comme le drame shakspearien, dont il diffère d'ailleurs beau-
coup, de la tradition littéraire du moyen âge. Charles est endormi dans
sa tente et il a cette vision :
(Devant la tente passe un nuage lumineux, et sur ce nuage un ange vêtu de blanc.)
l'ange.
Charles, Charles!
LE ROI , rêvant.
Que me veu.K-tu, ombre brillante, en qui je vois confusément mêlé mon étonnement et
ton prodige, qui es-tu, dis-moi?
l'ange.
Un messager de la divine puissance, envoyé pour te soutenir dans la lutte suprême à la-
quelle la France est en proie. Car opprimé par Henri, le monarque anglais, elle ne te laisse
que le nom de ce que tu as été.
le roi.
11 n'y a que le bras tout-puissant de Dieu qui soit capable de me secourir.
l'ange.
Écoute donc, car sa pitié a voulu que ma voix fût en même temps ailleurs un commande-
ment, ici un avertissement.
{Le nuage passe et glisse jusqu'au pied d'un coteau qui se verra d gauche, et qui laisse
apercevoir sur son sommet les ruines d'un ermitage.)
UNE VOIX, chantant.
Holà ! de l'inculte désert dont la verte solitude nous montre ce bois fleuri ! Holà ! des ruines
rustiques de cet édifice oublié, qui, tour à tour, temple ou chaumière, unit, sous des cou-
leurs diverses, au jaspe de son linteau brisé ses traverses couvertes d'un chaume fragile !
Holà! Jeanne d'Arc!
(D'une cabane qui se dresse sur le sommet du coteau sort Jeanne d'Arc, vêtue en ber-
gère, une houlette à la main.)
JEANNE.
Qui m'appelle? mon Dieu ! qui m'éblouit tellement de l'éclat de sa splendeur, que mes
yeux qu'elle embrase se sentent aveuglés au contact du volcan entrevu ^
1 Jeanne d'Arc sur la scène espagnole, dans la Revue Britannique, octobre 1S74. article de M. Antoine
de Latour. C'est à M. de Latour qu'est empruntée la traduction de la scène citée plus loin.
476 ECLAIRCISSEMENTS.
L ANGE.
Rassure-toi, et ne crains pas de me regarder. Ministre incorporel du Très-Haut, je viens,
en son nom, ô Jeanne! t'enjoindre de quitter la chaumière pour la tente, la houlette pour
le bâton de commandement, la peau de chèvre pour le harnais, et enfin pour le bruit belli-
queux du tambour et du clairon le son pastoral de la fronde et du sifflet. Rends-toi à Or-
léans, embrasse d'un ferme regard les travaux guerriers de l'armée anglaise, prends à ta
charge la défense du monarque français, et que partout refleurissent les lis. Charles, ii qui
Dieu révèle également par moi l'arrêt de sa providence, te donnera le bâton de général, per-
suadé que le miracle qui lui envoie un chef lui assure d'avance la victoire... (On entend
dans le lointain les tambours et les clairons battre et sonner la charge.) Le bruit sourd de
cette marche est l'indice, heureuse bergère, que la colère britannique va mettre le siège
devant Orléans. (Jl continue en chantant.) A Orléans donc pour secourir et vaincre! Puis-
que Dieu te le commande, c'est que Dieu va avec toi.
JKANNE.
Puisqu'on ne peut se soustraire à un tel ordre, et que la prière serait vaine, la résistance
inutile, que mon obéissance, ô brillante merveille! ô secours éclatant de lumière! réponde
avant mes lèvres. Aujourd'hui même je quitte la chère compagnie de mes agneaux et de mes
rochers ; déjà je sens battre dans mon creur l'ardente et généreuse envie de restaurer l'antique
honneur perdu de la France.
( Tous deux reprennent ^ l'ange en chantant et Jeanne en récitant : )
A Orléans donc pour secourir et vaincre! puisque Dieu me le commande, c'est que Dieu
vient avec moi !
(La vision disparaît.)
LE ROI, s'éveillant.
Ecoute, divine merveille! attends, beau prodige! attends, ô Jeanne!
La Piicelle d'OrliJaiis de Schiller, reprcsentcc à Wcimar en iSoi, est
un drame du genre qu'on peut appeler uoiivcaii sliakspcarien , et auquel
se rattache le théâtre allemand moderne. Cette pièce n'est pas beaucoup
plus historique que celle d'Antonio de Zamora; mais le poëte allemand pa-
raît plus coupable en ce point pour deux raisons: la première, que la fiction
romanesque substituée par lui à la vérité est de sa part un acte bien plus
volontaire , bien plus réfléchi que chez l'auteur espagnol , à qui , on peut rai-
sonnablement le croire , l'histoire vraie de Jeanne d'Arc n'était que très-
vaguement connue; la seconde, que l'éminente supériorité du génie de
Schiller aurait dià l'empêcher de tomber dans une pareille faute de goijt.
Quelles qu'en soient les beautés de scène ou de style , et de telles beautés
ne peuvent guère faire défaut dans un drame sorti de ses mains, sa tra-
gédie romantique (tel est le nom qu'il lui donna) est une tragédie manquée.
Nous ne reproduirons ici que la dernière scène du prologue , où se retrouve
quelque chose, mais quelque chose seulement de la vraie Pucelle. Ce mor-
luqucl
> i. j-.i,-. i.^aucoup
lëtc allemand pa-
^re , que la fiction
le manquee.
rcproduu : , où se retrouvu
■h.^tr- .-,-, :• , --.11.-, r,. oin-
Photogravure Coupii $:C'
'-.île de Rouen
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 477
ceau lyrique, admirable sans doute par le souffle ardent qui Fanime , par
la fraîcheur et la vivacité des images, ne semble pas en revanche exempt
d'emphase et de prétention. Placée dans la bouche de Jeanne d'Arc , de
la paysanne de Domremy, cette ode vraiment pindarique , malgré ce
qu'elle peut exprimer d'idées ou de sentiments justes , n'est peut-être bien
en somme qu'une magnifique dissonance.
Adieu, montagnes, et vous, prairies que j'aimais; vallée tranquille et solitaire, adieu!
vous ne me verrez plus promener ici mes pas : Jeanne vous dit un éternel adieu. Plantes que
j'arrosais, arbres que j'ai plantés, conservez votre douce verdure. Adieu, grotte chérie, et
vous, sources transparentes, et toi, écho dont la voix a si souvent répété mes chansons!
Jeanne part, et elle ne reviendra jamais.
Lieux témoins de mes innocents plaisirs, je vous quitte, et pour toujours. Agneaux, dis-
persez-vous sur la bruyère : vous êtes maintenant sans pasteur ; je vais guider d'autres trou-
peaux à travers les périls, au milieu des champs du carnage. Ainsi l'ordonne la voix qui
s'est fait entendre à moi; une passion qui n'a rien de terrestre ni d'illusoire, m'y entraine.
Car celui qui, sur le sommet de l'Horeb, descendit aux yeux de Moïse dans le buisson
ardent pour lui ordonner de se présenter à Pharaon; celui qui jadis envoya au combat ce
jeune berger, pieux enfant d'Isaï; celui qui fut toujours favorable aux bergers, celui-là m'a
parlé à travers les branches de l'arbre : « Va, a-t-il dit, tu dois témoigner pour moi sur
la terre.
" Tu enfermeras tes membres dans un rude vêtement d'acier, et tu couvriras ton sein
d'une armure. Que jamais l'amour d'un homme n'ose approcher de ton cœur; repousse ses
flammes coupables et ses plaisirs terrestres et vains : jamais la couronne nuptiale n'ornera ta
tète; jamais ton sein ne nourrira un doux enfant : cependant je répandrai sur toi la gloire
des armes; tu seras illustre par-dessus toutes les autres femmes.
« Quand les plus braves seront découragés au milieu du combat , quand le destin de la
France semblera toucher à son terme, alors tu élèveras mon oriflamme, et, comme les
moissonneurs abattent les épis, tu terrasseras les vainqueurs orgueilleux; alors tu abais-
seras la roue de leur fortune, tu ranimeras les héros de la France, et tu couronneras
ton roi dans Reims délivré. »
Le ciel m'a avertie par un signe : c'est lui qui m'envoie ce casque ; c'est de là qu'il me
vient. En le touchant j'ai senti une force divine, et le courage des milices célestes a enflammé
mon cœur. Je me sens entraînée dans le tumulte des armes; j'entends qu'on m'appelle au
milieu des orages de la guerre : la trompette sonne, et le coursier frappe la terre de son
pied ' .
Quoique le drame de Schiller ait été traduit en français dès 1802, et
qu'il en ait été publié en 1814 une imitation en vers par un poëte de Gre-
noble, J. Avril, ce n'est point au genre auquel ce drame appartient que
1 Théâtre iie Schiller, traduction de M. do Barante, librairie Firmin-Didot, in-S°, p. loi.
4/8 ÉCLAIRCISSEMENTS.
se rattachent les pièces composées sous TEmpire et sous la Restauration
en l'honneur de la Pucelle. La tragédie classique avait continué de ré-
gner durant tout le dix-huitième siècle, et elle maintint à peu près sauve
durant le premier quart environ du dix-neuvième sa situation dominante.
Mais un mouvement contraire à celui qui l'avait éloignée des sujets natio-
naux, s'était produit après les premiers successeurs de Racine, et par un
besoin de nouveauté auquel il était dilHcile qu'elle échappât, elle s'était eflbr-
cée de faire rentrer dans son cadre conventionnel , d'assouplir à ses formules
de scène et de style quelques épisodes de l'histoire de France, ou plus géné-
ralement de l'histoire du moj^en âge. Ce mouvement , évident déjà dans le
cours du dix-huitième siècle, notamment dans le théâtre de Voltaire , et sur-
tout dans celui de Belloy, s'accentua davantage sous l'Empire et sous la Res-
tauration. Les poètes se forgèrent alors tout un monde romanesque , plein
de sensibles châtelaines , de chevaliers preux et galants , de gracieux pages ,
de traîtres insidieux, de vertueux solitaires, de lugubres tyrans et de gé-
missants troubadours, dont il est resté des traces non-seulement dans leurs
œuvres, qu'on ne lit plus guère, mais sur un bon nombre de pendules.
C'est à ce moyen âge de fantaisie qu'ils empruntèrent la couleur dont ils
essayèrent d'enrichir leur style tragique, servilement calqué sur le style
divin de Racine, dont il aurait fallu se pénétrer seulement. L'alliance du
faux classique avec le faux moyen âge produisit un mélange assez bizarre,
dont la Jeanne d'Arcàe. d'Avrigny, représentée le 4 mai 1819, et celle de
Soumet, jouée le 14 mars 1820, peuvent offrir un spécimen, en même
temps qu'elles donnent l'idée de toutes les pièces du même genre consacrées
à la Pucelle sous l'Empire et sous la Restauration. Ni l'élégance du lan-
gage, trop négligée depuis lors, ni le sentiment et l'habileté poétique ne
manquaient à d'Avrigny, mais le genre qu'il a cultivé est doublement
faux. Nous citerons le discours , la tirade que Jeanne adresse à Bedford :
JEANNE u'ari:, avec une noble fierté.
Si dans ce jour une aveugle furie.
Prince, par ses clameurs n'attaquait que ma vie,
Celle qu'à la vengeance on veut sacrifier
Dédaignerait le soin de se justifier.
Mais au Dieu dont je tiens ma force et mon courage,
Guerrière, je dois rendre un noble témoignage
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 479
Je le dois, je le veux, et ma voL\, sans détours.
De ma vie à vos yeux va présenter le cours.
Mon nom vous est connu... Depuis que je suis née,
L'hiver n'a pas vingt fois vu s'achever l'année.
Sous un rustique toit Dieu cacha mon berceau :
Non loin de Vaucouleurs, quelques prés, un troupeau,
Des auteurs de mes jours composaient la richesse ;
Le travail de leurs mains nourrissait leur vieillesse.
Docile à leurs leçons, heureuse à leur côté.
Mon enfance croissait dans la simplicité ;
Et bergère, comme eux j'errais sur les montagnes,
Chantant le nom du Dieu qui bénit les campagnes.
Chaque jour cependant jusqu'à nous apportés.
Des bruits affreux troublaient nos hameaux attristés :
On disait qu'inondant et nos champs et nos villes,
L'Anglais, à la faveur de nos haines civiles ,
Allait bientôt, brisant nos remparts asservis,
Saper les fondements du trône de Clovis,
Et, de la Loire enfin franchissant la barrière.
Sur les murs d'Orléans arborer sa bannière...
Des maux de mon pays en secret tourmenté.
Tout mon cœur s'indignait jour et nuit agité;
Et du bruit des combats au milieu des prairies.
Seule, j'entretenais mes longues rêveries.
Un soir (il m'en souvient) , de la cime des monts
L'orage, en s'étendant, menaçait nos vallons;
Tout fuyait... Près de là l'ombre d'un chêne antique
Protégeait du hameau la chapelle rustique :
J'y cours; et sur la pierre, où j implorais les cieux.
Le sommeil, malgré moi, vint me fermer les yeux.
Tout à coup, de splendeur et de gloire éclatante.
Du céleste séjour une jeune habitante,
La houlette à la main, se montre devant moi :
•< Humble fille des champs, dit-elle, lève-toi !
Du souverain des cieux l'ordre vers toi m'amène,
Geneviève est mon nom. Les rives de la Seine
Me virent, comme toi, conduire les troupeaux.
Quand du fier Attila les funestes drapeaux
Envoyaient la terreur aux deux bouts de la France,
Ma voix, au nom du ciel, promit sa délivrance.
Le ciel veut par ton bras l'accomplir aujourd'hui.
Du trône des Français, va, sois l'heureux appui.
Le Dieu qui, des bergers empruntant l'entremise.
Jadis arma David et dirigea Moïse,
Dans les murs de Fierbois, au pied des saints autels.
Cacha, depuis longtemps, aux regards des mortels ,
4S0 ECLAIRCISSEMENTS.
Le glaive qui, remis aux mains d'une bergère,
Doit briser les efforts d'une armée étrangère.
En secret, éclairé par un avis des cieux,
Déjà Valois attend le bras victorieux
Que suscite pour lui leur faveur imprévue.
Pleine d'un feu divin va t'offrir à sa vue;
Marche; Orléans t'appelle au pied de ses remparts ;
Marche ; à ta voix l'Anglais fuira de toutes parts ;
Et le temple de Reims verra, dans son enceinte.
Sur le front de ton roi s'épancher l'huile sainte... >■
L'immortelle, à ces mots, remonte dans les airs ;
Et moi, le cœur ému de sentiments divers,
Je m'éveille incertaine, et n'osant croire encore
Au choix trop éclatant dont rÉtcrnel m'honore.
Mais trois fois, quand la nuit ramène le repos.
Je vois les mêmes traits, j'entends les mêmes mots :
« Humble fille des champs, lève-toi ! Dieu t'appelle.
Au ciel, à ton pays, tremble d'être infidèle !... »
Je cède enfin : je pars, respirant les combats...
Le frère de ma mère accompagnait mes pas.
J'avais atteint le front des collines prochaines...
Là, muette et pensive, ù nos bois, à nos plaines,
Par un dernier regard j'adressai mes adieux;
Et le toit paternel disparut à mes yeux...
{Jeanne d'Arc, un moment attendrie, s'arrête et se lait.
LE DUC, avec émotion.
Poursuivez.
JEANNK d'arc.
Au travers du trouble et du ravage.
Vers la cour de Valois le ciel m'ouvre un passage :
J'arrive. On m'interroge; on doute de ma foi;
Mais les pontifes saints ont rassuré mon roi :
Je parais à ses yeux. Sans crainte, sans audace,
J'entre; un de ses guerriers est assis à sa place;
Lui-même, au milieu d'eux, il siège confondu :
Mais un esprit céleste, à mes yeux descendu.
Me le montrait du doigt et planait sur sa tête.
J'approche; et devant lui je m'incline et m'arrête;
Des cieux, à haute voix, j'annonce les décrets...
u Oui, me dit-il, commande; et mes guerriers sont prêts
A suivre sur tes pas l'ardeur qui les transporte. »
Il dit; et de Fierbois, à son ordre , on m'apporte
Le glaive qui bientôt doit venger les Français.
Nous partons... Mais pourquoi retracer nos succès?
Jeune et faible instrument de la faveur céleste.
Je marchais, je parlais... Dieu seul a fait le reste...
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 481
Voici maintenant la dernière scène de la tragédie de Soumet :
HERMANGART. JEANNE D'ARC, ADHÉMAR, le Peuple, Gardes.
JEANNE d'arc.
Allons... Plus de lien qui m'attache à la terre;
Digne Adhémar, souvent votre voix salutaire
A béni ma jeunesse au nom du Dieu sauveur.
De ce cœur affaibli ranimez la ferveur.
De la vie au tombeau ce terrible passage...
L'éternel avenir que la foi nous présage,
Au cœur même du juste inspire un saint effroi.
(Elle tombe à genoux.)
ADHÉMAR.
Pour qui seraient les Cieux s'ils n'étaient pas pour toi?
Ton prince était privé du sceptre légitime.
Au Dieu qui fait les rois tu t'offris en victime,
Et tu fus acceptée; il t'appelle aujourd'hui.
Il réclame l'offrande : elle est digne de lui.
Sa voix parie à ton cœur, son exemple t'attire;
Ton front brille déjà des rayons du martyre.
Le bûcher disparaît et se change en autel ;
Ange libérateur, prends ton vol vers le ciel !
JEANNE d'arc, 5e relevant.
Peuple, j'ai demandé que pour grâce dernière
Au pied de mon bûcher l'on plaçât ma bannière.
HERMANGART, la liti montrant, portée par un soldat.
Vos vœux sont exaucés, elle est devant vos yeux.
JEANNE d'arc.
Oui, je la reconnais.... Drapeau victorieux,
Dans les rangs ennemis nous combattions ensemble.
Que le même bûcher tous les deux nous rassemble.
{Elle prend le drapeau.)
Viens de tes plis sacrés m'entourer aujourd'hui;
Dieu te mit dans mes mains, je te rapporte à lui.
Marchons, accomplissons toute ma destinée.
{Elle monte sur le bûcher, dont l'escalier doit être dérobé au.vj-eu.v des spectateurs.)
ADHÉMAR, à Hermangart.
Regarde-la mourir, toi qui l'as condamnée,
Des tourmens du bûcher son courage vainqueur....
JEANNE d'arc, du liaiit du bûcher.
Ils n'arracheront pas un soupir de mon cœur;
Mais quel ange des cieux me couvre de ses ailes!
C'est lui!... je reconnais ses palmes immortelles.
Il montre l'avenir à mes veux éblouis....
ECLAIRCISSEMENTS.
France, encor un laurier... Terre de saint Louis,
De ces tyrans des mers cesse d'être sujette.
Anglais , disparaissez , la France vous rejette ,
Et , de vos corps sanglants dispersant les lambeaux ,
Pour ses vainqueurs d'un jour n'a plus que des tombeaux.
Elle a brisé ses fers , a relevé sa gloire ,
Et mon âme s'envole au bruit de sa victoire.
Classique sans aucun doute, la tragédie de Soumet Test moins pourtant
que celle de d'Avrigny, et Ton y peut remarquer des concessions faites à la
nouvelle école, qui, après de brillants et durables succès dans la poésie ly-
rique, commençait à porter son ambition vers un renouvellement du théâ-
tre, où elle ne tarda pas à faire paraître le drame dit romantique , issu de
l'imitation de Shakspeare et de ses disciples d'outre-Rhin, mais se distin-
guant du drame anglais et du drame allemand par un certain nombre de
qualités et de défauts, pour la plupart empruntés à cette même tragédie
classique dont le drame nouveau prétendait à prendre la place.
Plusieurs des réformes proposées par Técole romantique, par e.xcmple la
disposition libre du temps et de l'espace, un plus grand mouvement, un
plus grand appareil scénique, plus d'aisance et de familiarité dans le dia-
logue, étaient, ce semble, favorables à l'e.xpression sur le théâtre de l'his-
toire de la PuccUe. Les chefs de l'école ne songèrent pas à tenter l'épreuve.
Mais la tentati\e n'en fut pas moins foite. L'une des premières applications
du nouveau système, application modérée, au grand sujet de Jeanne d'Arc, se
trouve dans la tragédie ce nom fut conservé par l'auteur) publiée en 1843
par .\L Th. de Puymaigrc. Le prologue, le premier acte et plusieurs autres
scènes sont imités de Schiller. Nous citerons une partie de l'interroga-
toire de Jeanne, pour lequel M. de Puymaigre a suivi de fort près l'his-
toire.
d'estivet, à Jeanne.
Sur votre étendard blanc et parsemé de lis,
Le saint nom de Marie et de son divin fils
Brillaient en lettres d'or au-dessous d'un nuage,
Où vous aviez, du Christ, fait retracer l'image?
JEANNE.
Dieu le voulait ainsi.
PIERH K.
Nous direz-vous pourquoi ,
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 483
Alors que l'on sacrait votre prétendu roi,
On vous vit tout le temps que dura le mystère,
Au pied du maître-autel tenir votre bannière?
JEANNE.
Qui prend part au péril, doit l'avoir à l'honneur...
d'estivet.
Pensez-vous à présent être en état de grâce?
JEANNE.
Si j'y suis, Dieu m'y garde, et si je n'y suis pas.
Que Dieu veuille m'y mettre !
PIERRE.
En marchant aux combats
N'avez-vous donc jamais employé de pratiques
Que l'Église réprouve et traite de magiques;
Dit des mots inconnus, étranges?
JEANNE.
Je disais
Jetez-vous hardiment au milieu des Anglais,
Et m'y jetais moi-même
riERRE.
Vous prétendez qu'à vous Dieu s'est manifesté;
Sans doute, vous savez le peuple qu'il préfère?
JEANNE.
Dieu chérit mon pays.
PIERRE.
I! hait donc l'Angleterre ?
JEANNE.
Je le répéterai : les Français vous vaincront :
Hors ceux qui seront morts, tous les Anglais fuiront.
d'estivet.
Qui vous l'a dit '
JEANNE.
Mes voix.
d'estivet.
Quand ?
JEANNE.
Hier, la voix sainte
M'a, de plus, ordonné de vous parler sans crainte,
PIERRE.
Puisque tous les destins vous sont ainsi prédits,
Dites, qui vous attend?
JEANNE.
La paix du paradis.
484 écl.\ircissp:ments.
D ESTIVET.
Charles Sept crut en vous, grâce il quel stratagème?
.IFANMC.
Allez l'interroger, qu'il réponde lui-même...-
d'estivet.
Et vous n'avez pas craint d'irriter votre père ,
De quitter Domremy sans avoir son aveu ?
JEANNE.
Lui désobéissant, j'obéissais il Dieu.
Nous ne saurions passer sous silence l'étude sur les pocics de Jeanne
d'Arc, placée par M. de Puymaigre en tète de sa tragédie, et dont nous
avons profité. L'auteur y donnait les premières marques de cette vocation
pour l'histoire littéraire, dontil a fourni depuis des preuves qui ont placé son
nom parmi les plus estimés de l'érudition française. C'est au mC-me genre
que la pièce composée par lui en l'honneur de la Pucellequese rapportent
le drame de M. J.-J. Porchat : la Mission de Jeanne d'Arc, drame en
cinq journées, en vers (1844^ et celui de AI. Athanase Renard : Jeanne
d'Arc, on la fille dn peuple au quin-i'eme siècle, drame historique en vers
libres et en sept tableaux (i83i). Comme la tragédie de M. de Puymaigre,
ni l'un ni l'autre n'ont été représentés. Voici comment Jeanne, dans le
drame de M. Porchat, raconte à son frère Pierre sa première vision :
J'avais treize ans; c'était il midi, dans ce lieu ,
Dans ce même jardin où j'étais occupée,
D'une voix tout à coup mon oreille est frappée.
On m'appelle deux fois. C'était de ce côté.
Je regarde.... Au milieu d'une blanche clarté :
Un ange aux ailes d'or... sur lui la flamme brille.
.< Je suis Michel, dit-il, je viens pour toi, ma (Me;
Je reviendrai souvent, ne va point l'alarmer,
A voir les bienheureux il faut t' accoutumer. »
Mais sainte Catherine et sainte Marguerite
Bien plus souvent que lui dès lors m'ont fait visite,
Et ce n'est point un songe. Oh ! non, célestes voix !
De mes yeux corporels, mon frère, je les vois.
Je les vois. C'est d'en haut que me vient leur image.
Je connais leur patrie à leur divin langage.
Et sais-tu quels avis j'en reçois tous les jours >...
(Avec force et gravité.]
Il faut qu'à mon dauphin j'aille porter secours.
JEANNE D'ARC DANS LES LETTF^ES. 483
Ses nobles chevaliers laissent périr la France :
De moi seule, de moi viendra la délivrance.
Voici maintenant un fragment de Finterrogatoire :
JEANNE.
Un rapport qui m'accuse, on l'écrit toujours bien;
Ce qui me justifie, on n'en conserve rien.
MAGISTRI '.
Donc tu fais dans l'erreur une chute nouvelle!
JE.\NNE.
A mon Dieu jusqu'au bout je demeure fidèle.
MAGISTRI.
Tu te dis en sa grâce!
JEANNE.
Ah! c'est un bien grand cas.
Si j'y suis, Dieu m'v tienne; et si je n'y suis pas,
M'y veuille recevoir !
MAGISTRI.
Est-ce lui qui t'ordonne
De tuer, d'égorger'
JEANNE.
Je n'ai tué personne.
Je disais à nos gens, mon étendard en main :
■' Entrez chez les Anglais! » Et j'ouvrais le chemin.
Nous empruntons au drame de M. Athanase Renard deux fragments :
l'un se rapporte à la scène de Chinon, l'autre à Tinterrogatoire de Poitiers :
JEANNE.
Je demande à parler au roi.
{Au duc d'Alençon, qui se présente à elle.)
Chevalier, n'en déplaise à votre seigneurie ,
Le roi, ce n'est pas vous... laissez-moi, je vous prie.
Le chercher... je le vois.
[S'approchant du roi, qu'elle a reconnu.)
C'est vous, gentil dauphin.
Pourquoi vous détourner ainsi de mon chemin.
Quand, depuis si longtemps, je cherche votre vue?...
C'est de la part de Dieu que Jeanne vous salue
1 Ce Magistri, dans la pièce de M. Porchat, est un astrologue de Charles VII, qui devient par la suite
un juge de la Pucelle. Cette invention ne me paraît pas fort heureuse.
486
ECLAIRCISSEMENTS.
iteMittij'ii
Fig. 2IQ. — Jeanne est saisie J'effioi en chevauclianl à travers les cadavres couchés sur le champ Je
bataille. — Travail en bronze de la princesse Marie d'Orléans. Hôtel de ville d'Orléans.
GUILLAUME AYMERL
Jeanne , vous demandez qu'on vous donne moyen
De combattre... A quoi bon, si Dieu, dans sa puissance',
A résolu de nous sauver.
Car il peut tout d'un mot.
JEANNE D'ARC DANS LES LETTRES. 48/
JEANNE.
C'est à nous d'achever
Ce que pour nous sa volonté commence ;
Et les jours mauvais passeront.
Les gens d'armes batailleront,
Et Dieu donnera la victoire.
Personne n'ignore qu'à côté du drame en vers Fécole nouvelle fit une
large place au drame en prose. Dès i832 M. Henri Millet écrivait ainsi
une Jeanne d'Arc. Le théâtre de la Gaîté représenta le 17 avril 1N47
un « drame national >. en cinq actes et en dix tableau.x, dont Fauteur était
M. Charles Desnoyer. C'est aussi en dix tableaux que se subdivise le
« drame historique » pubUé par MM. Louis Jouve et Henri Cozic (1S57).
C'est sous ce même titre et la même année que parut la Jeanne d'Arc en
cinq actes et en prose de Daniel Stern (xM""= la comtesse d'Agoult), qui
a jugé bon d'y mêler ses sentiments personnels au point de faire pro-
phétiser à Jeanne la prétendue mission de Luther. Il y a eu encore
sur Jeanne d'Arc d'autres drames en prose. La tragédie classique, cul-
tivée encore par; quelques personnes, le drame romantique en vers, ont
aussi maintenu leurs droits ou leurs prétentions sur ce sublime autant que
difficile sujet. L'alliance ingénieuse du drame en vers et de l'opéra vient de
faire obtenir à la Jeanne d'Arc, en cinq actes, avec chœurs, de M. P.-J.
Barbier, musique de M. Ch. Gounod, représentée pour la première fois à
Paris, sur le théâtre de la Gaîté, le S novembre 1N73 ', un succès vif et
prolongé. M. P.-J. Barbier doit être loué surtout de ses efforts vers la vérité
historique, des nombreux emprunts qu'il a faits aux textes contemporains et
aux paroles authentiques de la Pucelle. Voici comment Jeanne raconte ses
visions à un personnage nommé Thibaut :
JEANNE.
J'avais treize ans ! Déjà nos campagnes ouvertes
Voyaient se rapprocher la guerre et ses alertes ;
Le trouble et la frayeur étaient dans les esprits ,
Et les yeux inquiets regardaient vers Paris !
Un soir, comme j'étais à genoux, en prière,
1 M. P.-J. Barbier avait publié en 1869 une première édition Je son drame, qui ne diffère de la
seconde que par l'absence Jcs scènes ou parties de scènes ajoutées pour recevoir la musique de
M. Gounod.
488 ÉCLAIRCISSEMENTS.
Une voix m'appela , dans un jet de lumière ;
J'eus peur, et je pleurai. La voix s'évanouit,
Et le rayon de feu disparut dans la nuit !
THIBAUT.
Rêve ou délire !
JEANNE.
Non, pour douter veuille attendre.
La clarté reparut; la voix se fit entendre;
Puis d'autres voix encor qui descendaient du ciel !
Je les connus : c'étaient l'archange saint Michel,
Et sainte Marguerite, et sainte Catherine;
Et je les contemplai dans leur splendeur divine !
THIB.\UT
Dieu tout-puissant !. . .
JEANNE.
Dès lors , maîtresses de mes jours ,
Les saintes m'ont conté les villes sans secours ,
Les vainqueurs sans merci, le roi .sans espérance
Et la grande pitié du royaume de France !
Enfin, voici deux mois passés que j'entendis
La voLx du Seigneur même en son saint paradis :
" Jeanne !... il faut que tu sois dans le temps du carême.
Devers ton souverain!... Nul autre que toi-même,
Prince ni duc, ne peut venir en aide au roi!
Sans toi point de secours !... Va ! je serai vers toi!
Va !... fille de Dieu!... va!... »
THIBAUT.
Jésus!...
JEANNE.
Moi, pauvre fille.
Abandonner mon toit ! délaisser ma famille!
Voir le sang des chrétiens couler dans les combats!
Donner la mort! tuer!... Non! je ne tûrai pas!
Ah! l'esprit soulagé de cette angoisse amère,
Que j'aimerais bien mieux , près de ma pauvre mère ,
Filer le lin, le chanvre, et que le ciel m'ôtât
De souci ; car enfin ce n'est pas mon état !
J'ai tant pleuré, prié, demandé cette grâce !...
Si Dieu le veut pourtant , il faut que je le fasse!
Je n'y peux plus durer! Mon cœur est éperdu!...
Le chfcur des femmes du peuple, à la scène première du quatrième acte,
exprime assez bien les sentiments d'admiration, d'amour et de respect
religieu.x que faisaient éclater partout pour leur libératrice, avec un irré-
■ Jeanne écoute ses voix célestes. Sculpture de Rude (i852), autrefois dans le jardin
du Luxembourg, à Paris, aujourd'hui au musée du Louvre.
N'NE D ARC. Ili. — b-2
ECLAIRCISSEMENTS.
sistible enthousiasme, les populations délivrées, dont Pimagination se
plaisait à orner de détails touchants et d'un commencement de légende le
surnaturel simple et vrai de son histoire.
DEMI-CHŒUR.
Sans verser le sang, elle prend les villes!
DEMI-CHŒUR.
I.c mourant renaît à son (.ion\ rcgarJ !
DEMI-CHa;UK.
On voit les oiseaux , à sa voix dociles ,
Descendre des cieux sur son étendard !
DEMI-CI1ŒIM(.
Elle sait d'un mot captiver les Tunes !
DEMI-CHŒUR.
Les anges pour elle ont des chants d'amour
DEMI-CH(EUR.
l'.llc prend les dons des plus grandes dames
I"t , comme une reine, en fait il son touri
LE CHŒUR.
C'est l'ange de Dieu lui-même '
Elle apporte le saint chrême;
Elle vient sécher nos pleurs!
Sa bouche rend des oracles ;
Sa main répand les miracles
Comme Dieu répand les fleurs !
Voici un fragment de l'interrogatoire :
JEAN n ESTIVET.
Oui, tu te plais fi voir couler le sang ciirétien !
JEANNE.
Moi, grand Dieu!... ma seule arme, et vous le savez bien,
Que pour me démentir les morts mêmes renaissent ! —
Était mon étendard!... Les Anglais le connaissent!
WARWICK.
Tu l'avais enchanté, sorcière!... Conviens-en!
JEANNE.
C'est faux ! ... Je le montrais aux miens, en leur disant.
Quand aux rangs ennemis flottait votre bannière :
« Entrez là hardiment!... >■ Et j'entrais la première!
JEANNli D'ARC DANS LES LETTRES. 491
JEAN D ESTIVET.
Et sa forte, dis-tu, ne venait que de toi .'
JEANNE.
Tout en était à Dieu !
JE.VN d'estivet.
S'il est ainsi, pourquoi
Devançait-il au iucre et prince et capitaine?
JEANNE.
N'avait-il pas été le premier à la peine!
C'était raison, je crois, qu'il le fût à l'honneur!
WARSVICK.
Pardieu! son roi croyait la tenir du Seigneur!...
JEANNE.
S'il l'a cru, m'est avis qu'il croyait bien, messirc!
WARWICK.
Lui, ce prince hérétique et sans foi!... lui, le pire
Des bâtards!...
JEANNE.
Vous mentez!... Et moi, je vous soutiens
Que c'est lui le plus noble entre les rois chrétiens!
Si l'ai mal fait, c'est moi qui mérite le blâme!..'.
Une idée fort heureuse, conforme à la vraisemblance historique et thcD-
logiquc aussi bien que propre à Teflet théâtral, c'est d'avoir fait entendre à
Jeanne sur son bûcher, de la part des anges et des deux saintes, ses célestes
conseillères, les mêmes paroles qu'elle avait entendues dans les visions de
son enfance, et depuis, si souvent, durant le cours de ses e.vploits.
JEANNE, dont la figure semble sillttininef.
Ah! le paradis s'ouvre!... arrière, lâches craintes!...
Je comprends maintenant les promesses des saintes!
C'est Dieu qui me délivre!... Ah!... Jésus, Maria!...
LES DEU.X SAINTES INVISIBLES.
Va!... je serai vers toi! va! fille de Dieu, va!...
LE CHŒUR INVISIBLE.
Va!, .je serai vers toi ! va! fille de Dieu , va'...
La flcvnme s'élève: Jeanne incline la tète: un i}nmcnse J'risson-enie::! court dans la
foule.)
LA rouLE.
Ah!!!
La toile Ir.tubc:
ECLAIRCISSEMENTS.
Le drame de .M. Barbier ne sera pas, on peut le croire, la dernière pièce
écrite en rhonneur de l'héroïque vierge, dont la gloire grandit chaque jour
en France, en Angleterre et dans le monde entier. Nous faisons des vœu.x
pour que la poésie dans ses divers genres, ceux du moins à qui un tel sujet
est permis, produise des œuvres dignes de Jeanne. Elle le fera si elle sait
s'inspirer de son histoire; mais cette histoire, encore une fois, elle ne l'éga-
lera jamais.
-Maki us Sepet.
7,1''-"-=:-'-- —-^^r::-
Monument ûlevv à Domremy, en mémoire de la Puccllc,
sous le règne du roi Louis XVIII (1S20).
JEANNE D'ARC ET LA MUSIQUE
\ musique aime à passer des accents les
plus doux aux accents les plus passionnés ,
de la prière à la violence, de l'expression
des sentiments humains et tendres à l'ex-
pression des sentiments cruels, impitoya-
bles. Toute fable qui présente des contras-
tes frappants et beaucoup de variété est
^'"^ essentiellement favorable au génie du mu-
^" sicien,etil semble qu'un sujet cà la fois
pastoral et naïf, héroïque et religieux,
national et tragique, soit le thème le plus
heureux qu'on puisse proposer à un compositeur. Comment se fait-il donc
que la sublime figure de Jeanne d'Arc n'ait pas encore inspiré une seule
mélodie populaire? Pourquoi la vierge d'Orléans n'a-t-elle pas été chantée
par les musiciens de son temps ? Pourquoi nous sera-t-il difficile de citer
des pages musicales appelées à rester au répertoire des théâtres lyriques ou
des concerts? C'est que la poésie et la musique sont des sœurs jumelles, et
que trop souvent, hélas! on les prendrait pour des rivales ou des sœurs
ennemies .
]S bl oth de SI \.mbro se F Didut
ECLAIRCISSEMENTS.
Il ne faut pas s'étonner d'ailleurs si la chanson, d'essence assez frivole,
a oublie Jeanne d'Arc, et s'est souvenue avec délices de la Charviautc
Gabriellc. Le peuple, au commencement du quinzième siècle , ne répétait
guère d'autres refrains que les couplets de l'Homme arme ou de quelques
rondes à danser; et les musiciens de la chapelle de Charles ^'II, à peine
sortis des barbares successions de quintes, de quartes et d'octaves qu'all'ec-
tionnait le moyen âge, se détournaient du but principal de leur art, qui est
de charmer et d'émouvoir, pour s'adonner à toutes les recherches et tomber
dans toutes les puérilités d'une science aride. Sous le règne de Henri I\', au
contraire, la forme ne détrônait plus l'idée , et le sentinient mélodique tendait
à revenir aux plus doctes compositeurs, ainsi que l'a prouvé Eustache
Ducaurroy.
Que les circonstances politiques et sociales, ainsi que l'état de la musique
au temps de Charles VII, aient empêché l'éclosion de chansons populaires
sur Jeanne d'Arc, cela nous paraît facile à comprendre ; mais il est indis-
pensable de connaître à fond l'histoire du théâtre en France, pour s'expli-
quer la tardive apparition de la Pucelle d'Orléans sur nos scènes lyriques.
Nous ne songeons pas à entreprendre ici un travail inutile, après l'étude
si consciencieuse et si intéressante de M. Marins Sepet qu'on a lue dans le
chapitre précédent. Nous nous contenterons de rappeler qu'à l'Opéra, de
même qu'à la Comédie française, on dédaigna pendant longtemps les sujets
empruntés à l'histoire ou aux traditions nationales. — Ce ne fut que douze
ans après la mort de Voltaire ' qu'on entendit pour la première fois une
Jeanne d'Arc à Orléans, comédie en trois actes et en vers|, mêlée d'ariettes :
cette pièce de J.-B. Choudard, dit Desforges, mise en musique par le violo-
niste Rodolphe Kreutzer, fut représentée sur le Théâtre italien, le lo mai
1790. Elle n'a point été imprimée, et nous n'en connaissons que la donnée
générale, qui n'avait rien d'historique. Dans cet opéra comme dans la
chanson de Béranger, on entendait, sans doute, Charles \TI s'écrier :
Je vais combattre, Agnès l'ordonne :
Adieu, repos; plaisirs, adieu!
J'aurai, pour venger ma couronne,
Des héros, l'amour et mon Dieu.
t On sait que Voltaire mourut le 3o mai 1778. Personne, cioyons-nous, n'a jamais l'ait remarquer qu'il
expira le jour anniversaire de la mort de Jeanne d'Arc.
JEANNE D'ARC ET LA MUSIQUE. 495
Anglais, que le nom de ma belle
Dans vos rangs porte la terreur.
J'oubliais l'honneur auprès d'elle;
Agnès me rend tout à l'honneur.
Voici, en effet, la fable qu'avait développée De.sforges : Agnès Sorel, à
l'instigation de Dunois, feignait de quitter le foi, et Charles VII, stimulé
par le désir de plaire à sa maîtresse, volait à la bataille, armait Jeanne
d'Arc, puis recourait à l'épée de la vierge héro'ique pour délivrer Agnès
tombée au pouvoir des Anglais et pour lever le siège d'Orléans.
D'après le témoignage des contemporains, cette pièce obtint du succès,
en dépit des défauts qu'on y remarqua ; quant à la musique, coup d'essai
de Rodolphe Kreutzer au théâtre, elle fit concevoir une opinion fort avan-
tageuse du talent de ce compositeur, puisqu'elle lui valut d'écrire et de
donner huit mois plus tard Paul et l^irginie , son meilleur opéra. Sa par-
tition cependant n'a point été gravée, et aucun morceau n'en est arrivé jus-
qu'à nous sous sa forme première; mais R. Kreutzer en a probablement
intercalé des motifs dans l'un de ses nombreux ouvrages.
Nous croyons que la Giovaiina d'Aven du compositeur napolitain An-
drcozzi (i 7(33- 1 82(3) est aussi restée inédite : tout ce que nous savons rela-
tivement à cet opéra, le plus ancien de ceux qu'ait inspirés en Italie le sou-
venir de la Pucelle d'Orléans, c'est qu'il fut représenté à Venise en 1793.
La tragédie de Schiller, si bien accueillie à Leipzig en i<Soi, devait, en
méritant l'admiration de toute l'Allemagne, exciter tôt ou tard la verve des
musiciens. Bernard-Anselme Weber, le premier, orna de musique la
.Jeanne d'Arc du grand poète. Près et plus de cinquante ans après cet
essai, M. Jos. Klein (à Cologne, en 1S44), M. Damrosch (à Weimar,
en 1837'' et M. Max Bruch à Cologne, en iSSq"), ont également écrit pour
ce drame romantique divers morceaux qui peuvent avoir de l'intérêt, mais
qui, jusqu'à présent, n'ont pas franchi les frontières de la Germanie.
Les Allemands n'ont pas seulement introduit de la musique dans la pièce
de Schiller, ils ont transformé sa tragédie en ballet et en opéra. C'est à
Vienne, en 1821 , que fut représentée ballet d'Aumer, mis en musique par
le comte de Gallenberg-, c'est aussi dans cette capitale, en 1841 , que fut
chanté l'opéra de M. Vesque de Puttlingen, entendu plus tard à Dresde,
4.i6 ÉCLAIRCISSEMENTS.
puis à Berlin. Cet ouvrage n'a pas été traduit en français, et nous doutons
qu'il eût reçu chez nous un favorable accueil. Autant en dirons-nous de la
Jeanne d'Arc représentée ù Londres en iS3(): cet opéra anglais de Balfe
(1808-1870), mélodiste aimable et facile, mais souvent banal, manquait
d'élévation, de grandeur et d'originalité.
Nous venons de rappeler les oeuvres lyriques composées pour ou d'après
le drame de Schiller. Nous allons à présent dire un mot des principaux
opéras sur la Pucelle d'Orléans qui ont été donnés en Itah'e; nous parle-
rons ensuite des partitions françaises.
La Glovanna d'Arco de Vaccaj ( 1 791-1849) date de 1 N27 , il n'en est rien
resté. Celle de Pacini ( 1 796-1867) fut représentée à Milan ,1c 1-2 mars i N3o ;
on Ta oubliée depuis longtemps déjà. Quant à la Giovaiiua d'./rco de Gui-
seppe Verdi, écrite pour la Scala de Milan, où on l'entendit pour la pre-
mière fois en février 1845, elle a fait son apparition au Théi'itre-Italien de
Paris le 28 mars 1868, et elle a eu les honneurs de la traduction en fran-
çais'. Est-ce à dire que Ton classe cet opéra parmi les chefs-d"(euvre? Bien
loin de là, puisqu'il ne s'est point maintenu au répertoire et que, même en
Italie et dès le principe, on l'a vivement critiqué. Le poëme, il est vrai,
passe avec raison pour un des plus misérables qu'on ait imaginés. L'action
ne comprend que trois personnages principaux : un roi qui débite des galan-
teries à celle qui doit l'aider à reconquérir son royaume-, une héroi'ne qui
répond à l'amour qu'on lui déclare; un père assez dénaturé pour accuser sa
fille de sorcellerie et la livrer aux Anglais. Ce n'est point à Rouen, c'est à
Compiègne que se passe le dénoûment : .leannc d'Arc, frappée en combat-
tant d'une blessure mortelle, embrasse l'oriflamme avant d'expirer dans
les bras de Charles Vil et de son père repentant.
Cette donnée, contraire à l'histoire, au bon goût et au sens commun, a
mal servi le compositeur qui avait déjà fait applaudir Nabiicco, i I.om-
bardi et Ernani. ^L Verdi possède toutefois un trop vif instinct de l'efiet
théâtral pour écrire une partition qui ne renferme rien de remarquable ;
aussi, tout en reprochant à sa Jeanne d'.\rc de chanter un peu à la façon
1 Outre la partition française, qui a paru chez .M. Léon Escudier, on a publié cette traduction du livret de
Temistocle Sciera, à Bruxelles, en iS53. Elle forme une brochure in-32 de 6i pages, et elle porte le nom de
Louis ûanglas, pseudonyme de M. Joos.
JEANNE D'ARC ET LA MUSIQUE. 497
des héroïnes de Donizetti et de Bellini, reconnaissons-nous que ce rôle
renferme des passages vraiment poétiques. Le début de la cavatine en la
majeur, par e.xemple, nous semble avoir du charme et de la suavité. Dans
le grand duo de la déclaration, le solo en la bémol est à la fois mélodieux
et puissant' : cette phrase heureuse sert ensuite de dessin principal à un
ensemble sonore et théâtral. Mais la page que nous préférons à toutes les
autres, c'est la romance mélancolique et touchante : O fatidicaforesta.
Malheureusement elle ne gagne pas à être entendue ainsi traduite :
O forêt d'où l'ombre plane ,
O mon père, ô ma cabane,
Comme une humble paysanne ,
Près de vous retourne Jeanne...
Loin des biens que Dieu condamne ,
Rendez-lui la douce paix
Qu'elle ignore en un palais !
Nous renvoj'ons donc à la partition italienne, et nous cro3'ons que cette
mélodie suffira pour empêcher \d. Giovanna d'Arco, de Verdi, de tomber
dans un oubli complet.
Il nous reste maintenant à passer en revue toute la musique française
composée sur le sujet qui nous occupe.
Qui a écrit celle de la pantomime' représentée sur le théâtre de la Gaieté,
le iG avril i8o3 ? Nous supposons qu'elle était de Demeuse, chef d'orchestre
de cette scène populaire, et qu'elle s'adaptait à des divertissements réglés par
le chorégraphe Hus. Il nous a été impossible d'en retrouver une seule
bribe, et nous ne le regrettons guère.
Il n'y a jamais lieu de s'étonner qu'une œuvre d'art décèle l'esprit ou le
gOLit de l'époque où elle a été conçue : sous le premier empire, Jeanne d'Arc
devenait un sujet de pièce militaire; sous la Restauration, elle inspira des
dithyrambes royalistes, à l'Institut aussi bien qu'au théâtre de l'Opéra-Co-
mique.
1 Le programme en a été imprimé à Paris (in-S° de i3 pages) sous ce titre caractéristique -.Jeanne d'Arc, ou
la Pucelle d'Orléans, pantomime en trois actes et à grand spectacle, contenant ses exploits, ses amours, son
supplice, son apothéose; mêlée de marches, chants, combats et danses; par J. -G. -A. Cuvelier. Représentée
sur le théâtre de la Gaieté, le 25 germinal an XI. Paris, au théâtre.
Nous signalons aux collectionneurs de pièces de théâtre unaautrejeanni; d'Arc, pantomime chevaleresque
{.sic) en deux tableaux, par M. Alphonse Keller. Elle fut représentée aux Champs-Elysées, par la troupe des
Funambules, le 29 juillet 1847, et le programme en a été imprimé (in-S" de 4 pages).
JEANNE d'arc. IM. — 63
4<)8 KCLAIRCISSE.MF.NTS.
L'Académie des Beaux- Arts couronne, chaque année, une cantate que
les élèves admis à concourir pour le prix de Rome sont obligés de mettre
en musique dans un délai assez court; en 1818, la scène lyrique choisie
pour ce concours intéressant n'avait qu'un seul personnage : c'était un mo-
nologue de Jeanne d'Arc dans sa prison'. Le poète lauréat Vinat\', après
avoir indiqué où se passe l'action, faisait ainsi parler la jeune captive :
O roi de France, ô ma patrie,
C'est pour vous que je vais mourir,
Heureuse en terminant ma vie
De vous avoir servis jusqu'au dernier soupir.
Et la cantate se termine par cet autre quatrain :
La terre a disparu : vers le ciel élancée .
Sur le bûcher je monte sans effroi.
Mes derniers vœiLx, ma dernière pensée
Sont pour mon Dieu , ma patrie et mon roi.
Faut-il être surpris que de tels \ers n'aient pas enflammé l'imagination
des jeunes gens appelés à les mettre en musique? En 18 iN, l'Académie des
Beaux-Arts ne décerna point le grand prix de Rome : le second prix seule-
ment fut obtenu par Aimé Leborne (ijoy-iSlSô) qui devint ce jour-là l'égal
de F. Halév\% mais qui fut battu par lui l'année suivante. La cantate iné-
dite de Leborne- dénote un bon sentiment de la déclamation et ne brille
guère par l'abondance des idées. Le musicien, obligé de s'exercer sur des
vers de huit, de di\ et de douze syllabes, ne sort de la mesure à quatre
temps que pour adopter un moment la mesure à deux temps : cette simili-
tude de rh\thmes refroidit sa musique et la rend monotone.
L'opéra en trois actes que Michel Carafa (Naples, lySS; — Paris, 1872)
écrivit pour la scène de l'Opéra-Comique se fait remarquer, au contraire,
par le mouvement et par des accents brillants. Cette Jeanne d'Arc à
Orléans, le premier de ses ouvrages français, fut représentée au théâtre
Feydeau le lo mars 1821-'. La pièce, due à la collaboration de Théaulon
et Armand Dartois, appartient au genre troubadour. Le galant Dunois,
1 Cette pièce de vers n'a point été imprimée.
- Bibliothèque du Conservatoire de musique, fonds des prix de Rome.
3 Selon l'usage de ce temps-là, on n'en a publié que la grande partition.
JEANNE D'ARC ET LA MUSIQUE. 499
énamouré d'une jeune bergère qu'il a rencontrée dans la campagne, se met
à la poursuite de cette belle, et chante à son confident ce rondeau qu'ac-
compagnent nécessairement les cors et les trompettes :
Un peu d'amour, beaucoup de gloire,
C'est ma devise désormais :
Pour la beauté , pour la victoire ,
Je veux toujours être Français.
Puis, quand il se trouve en présence de celle qu'il cherchait, il lui débite
ce madrigal :
Daignez, jeune bergère.
Sur moi lever les yeux ,
C'est l'espoir de vous plaire
Qui m'amène en ces lieux.
De son côté, le roi chante arec expression à sa maîtresse :
Gente Agnès, ô ma bien-aimée.
Ah! que m'importent mes revers !
Près de toi mon âme charmée
Sait oublier le trône et l'univers.
Être près de celle qu'on aime
N'est-ce pas le bonheur suprême?
Et le chœur des courtisans de s'écrier :
Au sein d'heureux loisirs
Oublions nos alarmes.
Et que le bruit des armes
Respecte nos plaisirs.
Les vers que nous venons de citer comptent parmi les meilleurs de la
pièce. Ils suffisent pour donner une idée du style de cet opéra très-royaliste,
dont l'action n'a rien d'imprévu. Les auteurs y ont mêlé un paysan et une
paysanne chargés d'égayer le public; mais ils ont eu le bon esprit de ne
point rendre Jeanne d'Arc amoureuse et de la représenter toute à sa mis-
sion providentielle. Elle chante quatre airs, bien écrits pour la voix, très-peu
chargés de roulades et d'une déclamation qui vise à la noblesse. Nous n'en
reproduisons aucun, parce que le tour en a vieilli et ne plairait plus aujour-
d'hui. Nous jugeons inutile également d'extraire un morceau d'ensemble de
ECI^AIRCISSEMENTS.
la partiton de Carafa; seulement nous ferons remarquer que le finale du
premier acte roule sur ces paroles entonnées par Jeanne d'Arc et répé-
tées à satiété :
Partons, honte aux Anglais!
Honneur au nom français!
Au lieu de liante aux Afii^Iais! lisons i^iicrix' aux Anij,lais! et nous
découvrirons l'idée mère du célèbre chant de (Iharlcs l'f qui a rendu
l'opéra d'Halévy populaire.
Quarante-quatre ans après la Jeanne d'Arc à Orléans vint la Jcan>ie
d'Arc dsMM. Méry et Kdouard Duprez, mise en musique par M. Gilbert
Duprez. Cet opéra en cinq actes avec prologue n'eut pas un sort heureux :
il fut représenté au grand théâtre Parisien, le 12 octobre iN()5, mais ne fut
pas exécuté jusqu'au bout ce soir-là, et il fallut remettre la première représen-
tation au 24 du même mois. La pièce parut mauvaise et la musique en fut
jugée sévèrement. On eut raison de reprocher à cet opéra d'oiVrir une suite
de tableaux qui se succèdent sans lien apparent, et, quand on lit cette parti-
tion arrangée pour piano et chant par l'auteur, on ne peut s'empêcher de
redire avec un critique musical fort compétent : « Cet ouvrage est d'un chan-
teur qui a beaucoup appris et d'un comjwsiteur qui a beaucoup retenu. »
(>e n'est pas dans le goijt italien, c'est dans le style néo-germanique
qu'est écrite la Jeanne d'Arc du violoniste anglais Alfred Holmes (iB'iy-
1876). Cette symphonie dramatique, entendue au 'riiéâire-Italien le 10 mai
1870, y reçut un froid accueil, bien que chantée par M"'' Krauss : on la
trouva longue, confuse et monotone.
Aucune réminiscence allemande ne dépare la Jeanne d'Arc de M. Gaston
Serpette, cantate couronnée par l'Académie des Beaux- Arts en 1871.
Les paroles en sont de AL Jules Barbier, qui préludait par ces scènes lyri-
ques à trois personnages au drame en cinq actes et en vers qu'il fit repré-
senter, le 8 novembre 1^73, sur le théâtre de la Gaieté.
On reconnaît dans la disposition de cette cantate un poète expérimenté :
ayant un nombre déterminé de morceaux à présenter au jeune compositeur
pour lequel il travaillait, M. Jules Barbier a placé le trio au ciébut et a ter-
miné sa pièce de vers par un grand monologue qui met en pleine lumière
le personnage principal. Le sujet est exposé en quelques mots :
JEANNE D'ARC ET LA MUSIQUE. Soi
Jésus, notre unique espérance,
Qui donc, au joug de l'étranger
Arrachant la terre de France,
Se lèvera pour la venger ?
Jacques d'Arc s'inquiète de voir sa fille toujours rêveuse, et désire qu'elle
épouse le jeune Raj'mond ; mais à ce voisin qui lui ouvre son cœur et lui
exprime ses vœux, Jeanne répond :
Frère, n'avons qu'une espérance :
L'honneur, le salut de la France !
Elle meurt ! elle meurt ! Ne parle pas d'amour !
En vain l'humble paysanne adresse au ciel cette fervente prière :
Seigneur, Dieu tout-puissant, j'implore ta bonté:
Laisse, laisse ma vie en son obscurité !
en vain Jeanne souhaite d'échapper aux visions qui lui troublent l'esprit ;
ses voix l'appellent, et il lui faut quitter sa famille pour remplir sa mission :
Dieu le veut ! Dieu le veut !
AI. Gaston Serpette a su tirer un bon parti de cette donnée poétique'.
La romance de Raymond a de la fraîcheur et de l'élégance. La prière écrite
en trio :
Seigneur, verse à nos cœurs ta grâce et ta lumière !
De nos larmes touché,
Daigne exaucer nos vœux, entends notre prière!
Défends-nous du péché '.
— cette prière, inspirée de l'oraison dominicale, est bien disposée pour les
voix et d'un caractère vraiment religieux. La scène de la vision nous
paraît habilement exécutée au point de vue de l'effet théâtral \ elle présente
de l'intérêt musical, et le cor y résonne d'une façon heureuse et saisissante
au milieu du chœur des cordes de l'orchestre '-.
Du reste, pour qu'on puisse juger du mérite de cette œuvre, nous
en détachons la romance que nous donnons tout entière :
1 Le manuscrit autographe de cette cantate appartient à la bibliothèque du Conservatoire.
- Ce morceau, très-bien arrangé pour chant et piano, a été publié par M. Heugel, qui a aussi édité la
romance de Raymond.
romancp: de ravmond.
PIANO.
toi de nos jeu-iies an . né . fs, Jours a ja-ni;iis be .
Où, coni - me nos deux mains lune à lautip iMi-cliaî.
Quand nos voix se mè . laient aux Boupiisdt- lu bri _ se
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Dans un chant fniter - nel
Et quand nous e'- COU-
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M.ii du Loi;? elle _ nu nous portions nos ol'. f'iaii . des
FiLlet.tes et g'H' - çoiis-, T«s com. pa . _ gnes l'ai.
uiaienl pa.re' de leurs guir.Lui _ des, Fè - té par leurs chau.
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JEANNE D*ARC. 111. — 64
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Mais tu ne voulais pas,dLuis la foi de ton
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De mitre enl'ance heu- reu - se! 0 Jean . ne, souviens
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5o8 ECLAIRCISSEMENTS.
La cantate de M. Gaston Serpette fut considérée à bon droit comme
un début plein de promesses; la musique que M. Charles Gounod a
composée pour l'ouvrage de .M. Jules Barbier est une improvisation de
grand maître.
Onze morceaux de chant et plusieurs morceaux symphoniques ornent
ce drame de Jeanne d'Arc et le métamorphosent presque en opéra. Nous
y trouvons, à la fin du premier acte, des vers dont le jeune lauréat de
l'Institut avait dû s'inspirer :
Ah! les cloches!... il semble à leur voix familière
Que l'âme vers le ciel s'envole tout entière!
Seigneur, Dieu tout-puissant, j'implore ta bcinté!
Laisse, laisse ma vie en son obscurité!
Mais ce qui formait un récitatif chanté dans la composition de M. Ser-
pette devient ici un monologue déclamé sur une symphonie d'un mouve-
ment modéré dans laquelle on remarque un dessin de cloches, prélude
.de celui qui donne tant de couleur à la marche du sacre.
Le deuxième acte se termine par un chœur où ]\L Jules Barbier a
utilisé aussi le Dieu le veut qu'il avait placé dans sa cantate. Nous
nous applaudissons de pouvoir reproduire, à la page suivante, cette pièce
chorale qui était redemandée à chaque représentation. Volontiers le public
se montre sensible aux sonorités éclatantes, aux rhythmes énergiques, aux
mélodies faciles à retenir. Mais, n'hésitons pas à le déclarer, nous préférons
à ce morceau d'ensemble les couplets en sol majeur ; Rentre^ , Ani^'lats,
rentre^ vos cornes, d'un tour fort piquant; la marche du sacre, sympho-
nie faite à souhait pour remplir la vaste nef d'une cathédrale; et le chœur
des soldats dans la geôle où est enfermée Jeanne d'Arc, chœur coupé par
les voix des saintes qui apportent un céleste encouragement à l'héro'ique
captive. La musique vit de contrastes, ainsi que nous l'avons rappelé, et
l'antithèse que présente ce tableau de la prison produit beaucoup d'effet '.
1 I.a partilînn arrangée pour chant et piano par le regrette Georges Bizet,a été publiée par la maison
E, Gérard et C"".
CHŒUR HEROÏQUE.
Finale du second acte.
DESSUS.
TENOKS.
BASSES.
PIANO.
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JEANNE D'ARC ET LA MUSIQUE. 5i5
Avant et surtout depuis le succès éclatant de l'œuvre de MM. Jules
Barbier et Charles Gounod, on a entendu dans les concerts des mélodies,
des chœurs orphéoniques et des cantates sur Jeanne d'Arc; mais aucune
de ces compositions n'est devenue populaire. Nous nous reprocherions
toutefois de ne pas mentionner ici la symphonie-cantate en trois parties que
M. Adolphe Nibelle a composée sur des paroles de M. Guy Arnault, œuvre
aux larges développements qui fut exécutée à Orléans le 6 mai i855 et fort
bien chantée par Alexis«Dupond, J. Lefort et M"*^ Montigny; le poème
symphonique en cinq parties de M. Georges Pfeiffer, dont la première au-
dition à Paris date du 8 décembre 1872 et dont plusieurs pages ont été
justement applaudies ' ; enfin Jeanne d'Arc à Domrémy, cantate bien écrite
pour mezzo-soprano et chœur de femmes, que M. Charles Poisot a fait
entendre à Paris le 8 mai 1875.
La place nous manque pour anahser l'opéra de M. Mermet, représenté
pour la première fois le 5 avril 1876. Ce drame lyrique en quatre actes et
six tableaux, si longtemps attendu, n'a peut-être pas répondu à toutes les
espérances qu'avait fait concevoir son heureux devancier Roland à Ronce-
vaux. Pour notre part, nous saurons toujours gré à M. Mermet, poëte et
musicien, de s'être inspiré de nos légendes nationales, d'avoir essayé d'en-
flammer les cœurs d'un plus ardent amour de la France et voulu prouver
que l'Académie de musique n'est pas la cathédrale du matérialisme, quoi
qu'en ait dit un poëte que nous aimons-.
Bien que la partition de Jeanne d'Arc vienne d'être publiée, on ne
manquera pas de lire avec beaucoup de curiosité les deux fragments
que nous allons donner à la suite l'un de l'autre^. Le premier est le chœur
des anges invisibles, et forme un des épisodes du finale du premier acte \
le second est emprunté au duo du premier acte, et comprend tout le récit
de l'apparition de saint Michel et des saintes. Ces deux morceaux décèlent
une profonde connaissance de l'effet scénique et comptent parmi les meil-
leurs de l'ouvrage.
1 M. Géo Pfeiffer a fort habilement arrangé pour piano à 4 mains sa partition.
2 M. Victor de Laprade^ Philosophie de la musique,
3 M. Mermet a eu l'obligeance de les réduire à notre intention pour chant et piano : qu'il nous soit
permis de lui en exprimer ici tous nos remercîments: {Note des Éditeurs.)
CHŒUR DES ANGES ;1N VISIBLES).
Fragment du finale du premier acte.
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PIANO.
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RÉCIT DE L'APPARITION DE SAINT MICHEL ET DES SAINTES.
Fragment d'un duo du premier acte.
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JEANNE D ARC. III — 00
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Nous pensons que la Jeanne d'Arc de M. Mermet ne sera pas la der-
nière qu'inspirera le souvenir de l'héroïne d'Orléans. Aussi demandons-
nous à terminer cette revue musicale en formulant un vœu : que désormais
les auteurs dramatiques écoutent la voix de l'histoire et renoncent à mettre
Agnès Sorel et Jeanne d'Arc en présence. Ils se priveront par là d'un
contraste commode, nous ne l'ignorons pas; mais rien n'est beau que le
vrai , et Fart consiste précisément à présenter, d'une façon nouvelle, le
sujet le plus connu. Plus les poètes et les musiciens qui dotent notre théâtre
de drames nationaux se montreront originaux en respectant la stricte vérité
historique, plus ils auront droit aux éloges do la critique et ù l'admiration
générale.
Gustave Choiquet,
(-uiiscrvateur du Musiîc tlu Conservatoire de musique.
N. B. — Les auteurs interdisent formellement toute reproduction, même partielle,
des morceaux de musique publics dans cet ouvrage.
La Pucelle. Médaillon en émail appartenjiu ii M. de Haidat du Lys,
à Nancy, xvi" siècle,
Ornement tiré d'un ms. lîitm «lu xv aieolc. Biblioth. de M. Ambroise Firmin-Didoi
VI
ICONOGRAPHIE
DE JEANNE D'ARC
E n'est point une critique d'art qu'il s'agit
de faire ici, puisque les éditeurs n'ont
nullement songé à produire une créa-
tion artistique nouvelle. Ils ont visé un
autre but. Ce but consistait à explorer
le domaine de l'archéologie nationale
afin d'y rechercher ce qui reste du
quinzième siècle, ce qui s'est fait de-
puis, et, enfin, tout ce qui, de près ou
de loin, en fait de peinture et de mo-
numents, se rapporte à la mission de
Jeanne d'Arc. Telle a été l'unique préoccupation de celui qui a conçu et
exécuté le plan de cette illustration.
Il est certain que l'histoire de Jeanne d'Arc est toujours restée gravée
dans la mémoire du peuple : les peintures les plus imparfaites que nous
voyons reproduites dans cette édition en témoignent; mais elles témoignent
aussi que les souvenirs historiques étaient profondément troublés par des
commotions plus récentes, et que, depuis l'heure du supplice jusqu'à nous,
ik il Amljroîse F.-Diilot.
524 KCLAIRCISSEMENTS.
la noble et douce figure de rhéroïnc était pour ainsi dire voilée par la
fumée du bûcher de Rouen.
Cette fumée subsiste encore, mais, en même temps, une flamme que rien
n\i pu éteindre perce le nuage, et sa clarté pénètre le voile préservateur sous
lequel la réalité et l'idéal s'affirment, et au travers duquel resplendit le
corps glorieux de la vierge martyre. Désormais , tous les efforts de l'art
doivent tendre à rendre plus précis ces caractères. Il ne s'agit donc plus
d'accommoder au goût moderne des tj'pes plus ou moins apocryphes; pour
peindre le sujet au naturel, il faut transfigurer tout à fait la nature et
l'archaïsme. Mais c'est à peine si de nos jours la procédure historique
s'achève, après quatre cent trente ans d'attente. S'il a fallu si longtemps
pour voir naître les historiens de Jeanne d'Arc, pourquoi s'étonnerait-on
de ce que les peintres , les statuaires et les poètes vraiment capables de la
célébrer n'aient pas encore paru^ ?
Ainsi donc, à défaut de chefs-d'œuvre poétiques ou artistiques, conten-
tons-nous de retrouver ici les éléments qui devront contribuer à les faire
édore. Le moindre de ces documents peut contenir un germe d'inspiration :
les plus disparates s'harmonisent dans l'unité de la tradition dont la cons-
tance s'affirme toujours, malgré la diversité du mode expressif, et aussi
malgré les transformations et les altérations du goût et du style national.
Pour bien apprécier ces matériaux, il importe de les grouper par
époques, et d'obvier ainsi, autant que possible, aux discordances de
l'almalgame antiarchéologique résultant de la nécessité de répartir les
planches dans le texte en raison de l'ordre historique des sujets. Les
éditeurs ne pouvaient procéder autrement, mais les observateurs curieux
et studieux peuvent à leur gré transposer et rapprocher les documents
d'après la date originelle de ceu.\-ci, de manière à obtenir une sorte de
tableau généalogique et comparatif de toutes les pièces qui constituerjt
l'iconographie de Jeanne d'Arc.
Nous allons suivre cette méthode en jetant un regard sur ces images
naïves et parlantes du quinzième siècle, où l'inspiration se réfléchit d'autant
plus vivement que les impressions étaient plus récentes, et qu'alors, comme
aux âges précédents, l'art religieux et national ne doutait de rien.
Nous trouvons ici près de soixante sujets, sans compter une multitude
LES TROIS ORDRES DE LA NATION
Miniature de CArbre 'tes Batailles, nis. daté de 1430 et conservé à la bibliothèque
de l'Arsenal à Paris.
En haut, le Clergé, qui a pour chef le Pape. Au milieu, la
Noblesse, qui a pour chef le Roi. Au bas, le Tiers Etat, qui est
divisé en deux groupes : les Bourgeois et les Vilains.
Le Clergé disait : Je prie pour les trois ordres.
La Noblesse : Je combats pour les trois ordres.
Le Peuple : Je travaille pour les trois ordres.
Ce tableau résume véritablement toute la France, telle qu'on
se la représentait à l'époque de Jeanne d'Arc.
Dans le compartiment du milieu, l'artiste a figuré Charles VII
ayant à droite le dauphin qui sera plus tard Louis XI ; à sa
gauche, Richement qui porte, en sa qualité de connétable, l'épée
du Roi.
LES TROIS ORDRES DE LA NATION.
Minialure de VArbj'c des Batailles, ms. dalé de 1450 el conser\'é à la bibliothèque de l'Arsenal à Paris.
ICONOGRAPHIE DE JEANNE D'ARC. 525
de dessins d'armures, de lettres ornées et de vignettes d'encadrement tirées
des anciens manuscrits, et dont l'ensemble reproduit exactement !e mode
décoratif de l'époque. Tout cet ensemble offre un grand intérêt, mais, si
l'on veut bien connaître et prendre sur le vif les caractères et les formes
pittoresques des lieux, des usages et des personnages contemporains de
Jeanne d'Arc, c'est principalement aux vignettes historiées qu'il faut s'atta-
cher. L'héroïne elle-même figure dans plusieurs sujets tirés des Vigiles de
Charles f '//, des Chroniques de Jean Chartier, de celles de Monstrelet ou
d'ailleurs. L'on y retrouve aussi ses principaux compagnons d'armes ,
Lahire, Dunois, Saintrailles, et ceduc d'Alençon, le plus prompt.de tous à
lui prêter la main , mais qui , par malheur, n'était pas auprcs d'elle sous
les remparts de Compiégne.
Pour ceux qui ont présente à la pensée l'histoire de Jeanne d'Arc, toutes
ces images se colorent et s'animent d'une façon merveilleuse. Les imper-
fections disparaissent. Elles ne subsistent que pour les myopes qui observent
ces précieux documents dans le faux jour de l'examen plastique. C'est à la
clarté des souvenirs et de la lumière historique qu'il faut les étudier, et,
dès lors, l'idéale beauté resplendit, et l'impression de la réalité en ressort,
alors même qu'elle n'y est pas imagée, témoin cette miniature tirée de
V Arbre des batailles, et insérée ci-contre. — Qu'y voyons-nous? Les
trois ordres de la nation : au sommet, le clergé qui enseigne et qui prie;
au centre, le Roi et la noblesse qui combat-, à la base, le peuple qui tra-
vaille. Un peintre du quinzième siècle, plus habile ou plus hardi, aurait pu
marquer la place de Jeanne d'Arc dans les trois zones où les forces actives
de la vie sociale sont réparties, puisqu'en effet, dans les différentes périodes
de sa courte et merveilleuse existence, elle a participé à l'action des trois
ordres. L'étendard du sacre, l'épée de Fierboi.s et la houlette de Vaucou-
leurs ne sont pas seulement des symboles, ce sont les pièces probantes de
cette participation. Aussi bien, si novateurs qu'ils soient, les artistes ou
les poètes qui entreprendront de mettre en scène les hauts faits de l'héroïne
devront s'inspirer de cette image. S'ils veulent peindre au naturel et chanter
juste, ils devront nécessairement prendre la note harmonique des chroni-
queurs, et s'approprier autant que possible la couleur et les traits incisifs
des miniaturistes du quinzième siècle.
520 p:claircissements.
Ces caractères ne sont pas moins frappants dans les deux sujets intitules
la Bataille de Fonnigny par les Fraitchois (page 397) et la Journée des
Harengs (page 45). Jeanne n'y est point représentée, puisque la victoire
décisive de Formigny eut lieu seize ans après sa mort, et que la journée
dite des Harengs se passait au moment où elle n'était pas encore en
marche sur le chemin de ^'aucouleurs à ("Jiinon. Pourtant il est impos-
sible de regarder ces deux scènes militaires sans chercher parmi les com-
battants celui qui porterait Tarmure, Técu ou la bannière de la Pucclle
d'Orléans. Il n'y est pas, mais son absence laisse un vide que l'imagi-
nation s'obstine d'autant plus à combler que la peinture elle-même
favorise l'illusion. Le souvenir de Jeanne plane au-dessus de la mêlée,
son image apparaît vivante et ra\onnante , et sa ressemblance est plus
frappante dans ce mirage qu'elle ne l'est dans aucune œuvre d'art peinte ,
gravée ou ciselée, si fruste ou si neuve qu'elle soit.
D'ailleurs, aucune des images conservées et reproduites dans cette publi-
cation ne peut être considérée comme un portrait authentique de Jeanne
d'Arc, mais des témoignages nombreux et dignes de foi nous la représentent
aussi bien douée au physique qu'au moral. Elle était belle et bien for-
mée; bien compassée de membres, et forte; de grande force et
puissance ; elle avait sous ses habits d'homme une tournure mâle et en
même temps élégante. — Assurément ce n'est pas à la vignette tracée par
la main d'un greffier sur la marge d'un acte public qu'il faut demander ce
type. Il ne se rencontre pas davantage dans cette lettre initiale où l'on voit
la Pucelle presque enfant, en armes déjà, et cheminant sur l'herbe fleurie
et sous un ciel étoile. La grâce naïve et poétique s'affirme dans cette
image bien plutôt que la force et l'élégance. Ici , comme dans la miniature
de la page 522, le peintre a dià recourir à un phylactère pour désigner celle
qu'il voulait peindre. La dimension microscopique de ses figurines exclut la
prétention à la moindre ressemblance; cependant on peut croire qu'il n'en
était pas de même pour toutes les peintures contemporaines dont le nombre
et la destination furent constatés par le procès de Rouen. Plusieurs de
ces images, disait-on, étaient exposées à la vénération des fidèles dans les
églises. Le tableau que nous voyons à la page 262 semble justifier cette
assertion , puisque l'on voit figurer à coté du trône de Notre-Dame de Paix ,
ICONOGRAPHIE DE JEANNE D'ARC. 527
avec saint Michel, Jeanne d'Arc armée et nimbée tout comme le saint
archange. Toutefois, il est à croire que devant cette peinture Jeanne d'Arc
n'eût pas consenti volontiers à se reconnaître. Mais elle a pu en voir d'autres
faites de son vivant et qu'elle n'eut pas désavouées. « Interroguéc s'elle avoit
« point veu ou fait faire aucuns \'maiges ou paincturcs d'elle et à sa sem-
tt blance : respond qu'elle vit à Arras une paincturc en la main d'un Escot
« (Écossais), et y avoit la semblance d'elle toute armée et présentoit unes
« lectres(un écrit) à son ro}^ et estoit agenoullée d'un genoul. Et dit que
« oncqiies ne vit ou fist faire autre ymaige ou paincture à la scmblance
« d'elle. » Ce passage, extrait du procès de condamnation, démontre que
jamais un portrait de Jeanne d'Arc ne fut fait d'après nature. Ainsi , dès
l'origine, les peintres du quinzième siècle n'ont dià procéder qu'à l'aide de
leurs souvenirs; et, dans les siècles postérieurs, les types primitifs ont subi
les altérations inhérentes à toute reproduction et au\ variations du style de
chaque époque. Celui de la Renaissance est déjà fort accentué dans le
tableau conservé au musée d'Orléans et qui passe pour être le plus ancien
portrait de la Pucelle. L'ajustement, le collier d'orfèvrerie, la robe plissée
et les manches à crevés ne laissent aucun doute sur sa date. Pourtant
l'attitude du personnage, sa tète inclinée et sa coitîure ont été presque iden-
tiquement reproduites jusqu'à la fin du dix-septième siècle ; seulement la
mode a passé par là , et , si les dames de la cour ou les comédiennes de
l'hôtel de Bourgogne ont bien voulu consentir à porter la cuirasse et l'épée
de la Pucelle, elles n'ont pas renoncé à leurs atours. Dans les grandes
compositions c'est encore pis. Là il ne faut plus songer à retrouver la
moindre trace de traditions ni d'archaïsme. Le type du seizième siècle
lui-même a disparu, et l'idéal s'éclipse ou resplendit à volonté , et autant
que le permet la forme allégorique. C'est ainsi, par exemple, que, dans
le frontispice du poëme de Chapelain (page 443), dans certaines tapis-
series i^page r38i et ailleurs, la Pucelle est figurée .sous les traits d'une
Clorinde frisée ou d'une Pallas empanachée , telles que les concevaient les
ordonnateurs des carrousels et des ballets, à la cour de Louis XIV.
De là à l'imagerie du quinzième siècle et au tableau de l'Écossais d'Arras,
il y a loin, et la comparaison n'est pas à l'avantage du grand siècle dont le
style, tout pompeux et orné qu'il est, laisse plus à désirer quant à l'icono-
528 ECLAIRCISSEMENTS.
graphie de la Pucelle que le trait calligraphique de Faukemberg, greffier du
parlement de Paris. Nul doute que des mains plus habiles que les siennes
aient mieux réussi à peindre ces caractères et à vulgariser un type vraiment
ressemblant. Le peintre choisi par Jeanne d'Arc pour décorer sa bannière
a dû s'y employer. Les maisons des bourgeois d'Orléans, les palais publics
et les châteaux disséminés sur les rives de la Loire devaient solliciter ces
productions; mais que sont devenus les tableaux, les tentures, et où retrou-
ver la peinture d'Arras, alors que les maisons, les châteaux, les cités et les
enceintes fortifiées qui les gardaient sont passés de l'état de nature à l'état
de réduction graphique et de poussière archéologique?
C'est seulement sous forme de reproduction d'une ancienne gravure que
nous voyons ici le monument érigé en 1458 sur le pont d'Orléans (page SyS).
La gravure, réduite d'après celle qui est conservée au musée d'Orléans,
laquelle est elle-même une traduction libre, ne nous transmet qu'un
aperçu pittoresque, mais dépourvu, quant aux figures, du caractère
primitif. Détruit par les calvinistes en i362, ce monument fut rétabli et
coulé en bronze en iSyo, puis détruit derechef et refondu en pièces de
canon en lyqS. La statue qui le remplaça en 1804, sous le Consulat,
et celle qui fut exécutée en i855 par F^oyatier (page ()3), semblent
n'avoir été faites qu'afin de perpétuer la tradition locale. Elles n'ofl'rent
pas d'autre intérêt, et ne sont que des jalons provisoires ou des pierres
d'attente destinées à conserver d'impérissables souvenirs dont les sta-
tuaires du dix-neuvième siècle n'ont pas su s'inspirer. D'ailleurs, les
monuments précédents eux-mêmes, si respectables qu'ils fussent par leur
antériorité et le caractère religieux qui les distinguait, étaient loin de
correspondre à l'ampleur des faits historiques qu'ils devaient consacrer.
La simple croix plantée sur la place du marché de Rouen abritait mieux
le souvenir de la mission et du martjTe de Jeanne. Plus tard, cette marque
primitive et symbolique s'est transformée, et l'art du seizième siècle s'est
emparé du champ qu'elle occupait, pour y ériger une œuvre monumentale
dont le style plus élégant que grave n'excluait pas cependant le sens histo-
rique et religieux, surtout lorsqu'on rapproche du dessin d'Israël Sylvestre
la description iconographique des statues qui complétaient l'ensemble. Peu
à peu, malgré les travaux successifs d'entretien et de restauration, l'action
ICONOGRAPHIE DE JEANNE D'ARC. 629
du temps finit par ronger la pierre et ruiner l'édifice. Dès lors rAcadémie,
la municipalité de Rouen et le parlement de Normandie songèrent à le rem-
placer, non sans se réserver le droit de choisir les artistes et de contrôler les
projets. Le plan fut tracé par Jean-Baptiste Ducamp. La statue fut confiée
à Paul-Ambroise Slodtz, sculpteur du roi, et voici comment son œuvre
fut appréciée par les juges contemporains :
« Le monument que nos pères avoient élevé à l'héroïne qui raftèrmit le trône
de la monarchie française, étoit négligé et tomhoit en ruines. Les ouvrages des
arts destinés à immortaliser la gloire des vertus patriotiques ne peuvent estre in-
différents à des magistrats qui en donnent eux-mesmes des exemples publics. Le
parlement de Normandie rendit un arrest pour le rétablissement de la statue de
la Pucelle d'Orléans, et les officiers municipaux choisirent M. Paul-Ambroise
Slodtz pour l'exécuter. — Il remplit l'attente qu'on en avoit conçue. La figure
exposée au concours des connoisseiirs dans la capitale du royaume mérita
leurs suffrages. Elle répond parfaitement à l'idée qu'on aime à se former de ces
personnages extraordinaires que des qualités supérieures ont élevés au-dessus de
l'humanité. Son attitude noble et guerrière conserve cependant la modestie et les
grâces qui conviennent à scn sexe. La teste surtout réunit ces deux caractères.
Les traits de son visage expriment ce genre de beauté dont les anciens étoient si
grands amateurs, parce que leurs âmes élevées dédaignoient, jusque dans les ob-
jets mesmes de leur amour, tout ce qui sembloit annoncer la mollesse et la vo-
lupté ' . »
Aujourd'hui, lorsqu'il s'agit d'apprécier ce même monument, on le prend
sur un autre ton. « Près du lieu où mourut l'héro'ine fut élevée, quelques
années après sa mort , une jolie fontaine triangulaire qui a été détruite et
qu'a remplacée une fontaine ridicule, sculptée par Paul Slodtz. Jeanne
d'Arc est représentée sous le costume de Bellone , mais d'une Bellone
du règne de Louis XV. Les Rouennais forment des vœux pour sa des-
truction-. «
Assurément les Rouennais peuvent souhaiter mieux , mais , en attendant,-
qu'ils ne se pressent pas de détruire. Le style du monument de Rouen est
loin de correspondre au caractère historique du sujet; mais la fontaine de
la place de la Pucelle ne fut pas exclusivement vouée à l'apothéose de
1 Mémoire sur le lieu du supplice de Jeanne d'Arc, par M. Robillard de Beaurepaire.
2 Jeanne, Guide en Normandie.
53o ECLAIRCISSEMENTS.
Bellone. A défaut des moyens expressifs qu'on eût pu attendre d'un art
moins asservi au goût fastueux et futile de l'époque, le vœu de la muni-
cipalité de Rouen s'est traduit dans les inscriptions. C'est là que l'inspi-
ration se fait jour, et que la personnalité et le culte traditionnel rendu à
l'héroïne s'afHrment. L'art était indocile ou impuissant; c'est pourquoi,
pour apprécier comme il convient ce monument, il ne faut pas se borner
à sourire en contemplant Bellone, les dauphins et les jets d'eau, il faut
lire les inscriptions, et surtout ne pas oublier les dates qui ajoutent à leur
éloquence, car le marbre se gravait à Rouen en même temps qu'on
imprimait à Paris le poëme immonde de Voltaire'. Le monument de
Rouen fut une protestation éclatante du sentiment public et la contre-
partie d'une œuvre antinationale. A ce litre il faut y regarder avant de
procéder à sa destruction , car l'on en compte peu qui présentent un si vif
intérêt.
Jeanne d'Arc, au xix'^ siècle, a été célébrée à l'envi par une infinité
d'artistes, de panégyristes et de poètes, sans compter les historiens qui, de
tous, à vrai dire, ont le mieux réussi. Pourtant il ne faut pas dédaigner les
peintures de MM. Ary Schcfler, Bénouville, Raymond Bal/.c, Ingres, etc.,
dont ce recueil nous olTre des reproductions, ainsi que des œuvres de
plusieurs statuaires, parmi lesquelles se distinguent celles de MAL Henri
Chapu et Georges Clère, et le noble et gracieux chef-d'œuvre de la princesse
Marie d'Orléans.
Tous ces ouvrages témoignent du retour de l'art national vers les
traditions dont le livre de AL Wallon conserve le dépôt. Loin de se
ralentir, ce mouvement s'est accentué plus encore pendant le cours
des années qui viennent de s'écouler. On se souvient qu'après le siège,
la place des Pj'ramides se trouva ornée tout à coup d'une statue équestre
de Jeanne d'Arc. Le contraste de ce monument triomphal et des Tuileries
en ruines donnait à cette statue une puissance d'expression tout à fait
' Puellï Regni Servatrici. — Joannœ DarciaCi d ivinitusaJ versus Anglo9eicitat.T,qua: post Aureliaitl obsi-
dioiie liberatam, Jeductum per medios liostes ad sacra Rhemensia Carolum VU, assertum eidem pluribus
victoriis paternum solium, ad Compendium capta, Anglis vendita, in isto urbis angulo combusta, die xiii
maiianno mccccixxi desiit vivere non triumpharc. Cujus mcmoria, constitutisicquioribusa Calixto UIs. p.
judicibus, solemniter in bac civitate tune libéra, die vu Julii,anno mcccclvi , sux- integritati restiluta est.
\un<: ubifons, rogus ante fuit ; furor anglicus olim
Hic peperit Jlammas ; hic dolor urbis aquas.
ICONOGRAPHIE DE JEANNE D'ARC
53i
imprévue. Devant elle les fronts s'inclinaient, les couronnes s'entassaient
jusqu'à menacer de la recouvrir, et les soldats de la république rendaient
les honneurs militaires à l'étendard fleurdelisé.
L'année dernière, le programme officiel de la décoration de l'église
212. — Jeanne d'.\rc. Médaillon en bronze de M. Chapu, sur le chevet de l'église
Saint-.\spais, à Melun.
Sainte-Geneviève imposait la représentation de Jeanne d'Arc. En même
temps, ce même sujet était adopté par la plupart des architectes dont les
plans figuraient au concours de l'église du \'œu national au Sacré-Cœur.
Presque tous avaient assigné une place d'honneur à l'héroïne, soit à
l'intérieur dans les peintures murales, soit à l'extérieur parmi les sta-
532 ECLAIRCISSEMENTS.
tues qui ornaient les arcatures du dôme ou couronnaient les portiques.
Avant eux un jeune artiste, jusqu'alors inconnu, s'était tout à coup révélé
en apportant à l'exposition de 1867 un projet de construction et de décora-
tion intitulé le Catholicon. Ce projet fut couronné par le jury international.
Dans la frise où se déroulait le cortège des figures historiques dont Clovis
et Charlemagne ouvraient la marche, Jeanne d'Arc marchait après saint
Louis'.
En présence de ces manifestations si répétées et si concordantes, qui peut
nier l'attraction exercée sur l'inspiration artistique par des sujets où les
traditions nationales les plus saintes et les plus vives se résument dans
une image où se personnifient la foi, la vaillance et le patriotisme?
Sont-ce les souvenirs poignants et le deuil de l'Alsace et de la Lorraine
qui terniront l'éclat des armes de la vierge de Vaucouleurs? Tant s'en faut,
car, au lendemain de nos défaites, alors que la statue de Jeanne se dressait
près des ruines du palais des Tuileries, l'étendard de la Pucelle apparaissait
aux regards du peuple et de l'armée comme un gage du salut de la
nationalité française.
Ainsi tous les documents collationnés dans cette publication, depuis le
plus ancien jusqu'au plus moderne, témoignentque l'interprétation artistique
est toujours restée fidèle aux traditions. Depuis le quinzième siècle, l'art
n'a jamais cessé d'affirmer sa croyance à la mission divine et à la sainteté
de la libératrice de la France. Toutes ses productions en font f(ji, témoin la
statue exposée en 1875 sous le titre de Supplice de. Jeanne d'Arc, vierge
et martyre, et dont la tête était couronnée d'une auréole*. Cette attribution
emblématique n'était rien moins qu'une innovation, puisque déjà l'icono-
graphie nous a montré l'équivalent dans une peinture du quinzième siècle.
D'ailleurs, on se souvient que ces hommages pieux rendus par les contempo-
rains à l'envoyée du roi du ciel comptèrent parmi les chefs d'accusation
du procès de Jeanne d'Arc. Puissent-ils compter aussi dans le procès de
sa canonisation, et plaider sa cause non moins énergiquement que l'arrêt
des premiers juges, et que l'exécution de leur inique sentence! Aussi bien ne
* Page i55. Dessin de M. Charles Lameire.
2 Page 357. Statue par Georges Clère.
ICONOGRAPHIE DE JEANNE D'ARC. S33
saurait -on voir dans ce culte traditionnel autre chose que la seule forme qui
puisse exactement traduire les gestes de rhéroïne et l'impression profonde
qu'ils ont produite et qu'ils produisent encore. Toutefois, si enraciné et si
populaire que soit ce culte, il ne préjuge rien dans les âmes quant à celui
que l'Eglise seule peut décerner, mais il le sollicite, et Ton peut dire que
l'auteur de ce livre et tous ceux qui de près ou de loin ont contribué à
parfaire cette édition, peuvent compter parmi les promoteurs de la cause.
Plaise à Dieu que le jugement du nouveau procès sanctionne ces témoi-
gnages, et que bientôt Anglais et Français ne soient plus qu'un pour effacer
dans l'œuvre commune de la réparation l'iniquité du meurtre et de l'aban-
don commis par leurs aïeux! Partout l'art chrétien contribuera à sceller
cette alliance; aussi est-il des plus intéressés à ce que l'issue du nouveau
procès détermine l'épanouissement complet de la gloire de Jeanne. C'est
alors que le travail de préparation commencé et continué sans interruption
depuis plus de quatre siècles portera ses fruits. Les monuments disparus
ou existants, les peintures imagées récentes ou primitives, recueillis dans
ce livre à titre de documents iconographiques et archéologiques, seront
désormais refondus et transfigurés; et il en sera d'eux comme de la pous-
sière et de la nuit des catacombes par rapport aux monuments religieux
où les ossements et l'image des saints martyrs sont glorifiés.
Jusqu'ici le parchemin, la toile ou le marbre nous ont fait voir le nom de
la Pucelle inscrit en lettres d'or. Mais où est le portrait authentique ou
l'image idéale, et dans quelle contrée voit-on l'édifice dont les formes archi-
tectoniques et sculpturales correspondent exactement aux dates, aux ac-
tions et aux traditions évoquées par l'immortel souvenir du nom et des
vertus de Jeanne d'Arc? Ce monument n'existe pas. Mais, selon toute
probabilité, ce siècle-ci le verra s'élever, puisque la voix des évêques
réclame instamment pour Jeanne d'Arc ce que la voix du peuple a toujours
proclamé. Ces vceux, formulés avec tant d'éloquence, sont les pierres
d'attente auxquelles l'iconographie et la fiore monumentale de l'histoire de
Jeanne d'Arc viendront se rattacher. A cet effet, le discours prononcé le
8 mai 1869 dans la cathédrale d'Orléans, par M""' Dupanloup, aurait
ici sa place, car il détermine avec autant d'autorité que de précision les
termes et l'accord des éléments naturels et divins qui devront pénétrer
534 ÉCLAIRCISSEMENTS.
l'œuvre artistique. Quiconque voudra orner la triple couronne des vertus
héroïques de Jeanne et la placer sur le front de la Pucelle ou au faîte d'un
édifice , ne pourra mieux faire que d'emprunter le mode et le style de l'orateur
sacré. Que celui-ci ait pu dire, après Bossuet, « toute louange languit à
côté des grands noms, » il n'a pas moins démontré jusqu'où peut s'é-
lever le langage soutenu par l'ardeur de la foi et du patriotisme.
D'ailleurs, là oià s'arrête la parole, l'art commence. C'est à lui de prendre
l'intonation et de produire des harmonies capables de monter plus haut et
de porter plus loin que ne peut l'éloquence. Tout ce qui s'est dit, tout ce
qui se tait, se traduit et vibre dans les créations de l'art. Autrefois il s'était
pour ainsi dire borné à suivre pas à pas, depuis Vaucouleurs jusqu'à Rouen,
la voie triomphale et la voie douloureuse de l'héroïne, en marquant chaque
station du signe de la croix. Tout au plus osait-il caractériser la mission
divine de Jeanne d'Arc, en rapprochant sous le même pinacle sa statue et
celles de Judith, de Jahel et de Débora. Mais bientôt, s'il plaît à Dieu, le
cliamp de l'inspiration va s'agrandir. L'intervention directe de tous nos
saints protecteurs complétera le sj'mbolisme; les rayons lui viendront de
tous les sanctuaires et pourront, sans s'amoindrir, se partager entre sainte
Geneviève et la nouvelle patronne de la France.
Ci.AUDius Lavergne.
Fig. 223. - Jeanne d Arc \lt la U 1 ^ra\i.e par F DomarJ, en iSîJ ,
pour la Galerie métallique des grands, hommes français.
Communiquée par M™* Amélie Finance,
ancienne'garjienne de la maison de Jeanne d'Arc, à Domremy.
5 des Htttrc3 de himon
lôO^'). Uibliutli. de M. Amljroi&€ î'.-Vidvt.
TABLE ANALYTIQUE
DES MATIÈRES
Abbevii.le, disposée à ouvrir ses portes à Char-
les VII, 172. — Les dames de la ville visitent la
Pucelle au Crotoy, 222.
Abram (le P.)i historien de l'université de Pont-
à-Mousson, cité, 466.
Agoult (la comtesse d'). Voy. Stern (Daniel).
AiGNAN (SO, patron d'Orléans, 14g, 462.
Alais (Comté d'), 408.
Albret (Charles 11, sire d'), assiste au sacre de
Charles VII, i3S. — Refoit de Clermont des mu-
nitions de guerre, 194, igS. — Accompagne la
Pucelle, 198.
Alekçqn (Jean de Valois duc d'), prisonnier à Ver-
neuil, 16. — Résiste aux séductions des Anglais,
5 1 . — Donne un cheval à la Pucelle, 53. — Réunit
un convoi de vivres pour Orléans, 64. — Com-
mande, après la levée du siège, une expédition
contre les Anglais, 100, — en compagnie de Jeanne
d'Arc, 102. — Attaque Jargeau. — Jeanne lui
sauve la vie. — Il s'empare de la place, 104-106.
— Prend Meun et Baugency, 107 etsuiv. — Bat les
Anglaisa Patay, 1 14 etsuiv. — Accompagne le roi à
Reims, 123. — Assiste au sacre, i38. — Atteste la
chasteté delà Pucelle, 141, — etses qualités mi-
litaires, 143. — Commande un corpsd'armée, 166,
— Prend part à l'attaque de Paris, 173. — Adresse
des proclamations à la ville, 171. — Ramène au
camp la Pucelle blessée, 178. — Se retire à Beau-
mont. — Propose au roi d'entrer en Normandie
avec Jeanne, 1S6. — Témoin au procès de réha-
bilitation, 368.— Sa signature, 374.
Alespée (Jean), proclame la sainteté de Jeanne
d'Arc, 356.
Alexandre (François), prévôt de Gondrecourt, 423.
Ambly (famille d'), 424.
Ahboise (le capitaine d'), 108.
Ahédée VIII, duc de Savoie, incline du côté des
Bourguignons, i3. — Engage Philippe le Bon à
faire la paix, 16. — Propose sa médiation, 172.
Amelgard (le faux). Voy. Basin (Thomas).
Amiens, disposé à accueillir Charles VU, 172.
Amiens (conférence d'), i3.
Ampoule (la sainte), i33.
Andelot (prévôté d'), 26.
André (S.), patron des Bourguignons, 181.
Andreozzi, compositeur napolitain, auteur de lo-
péra : Giovaniia d'Arco^ 495.
Andrieu (Robert), 194, igS.
Angers. — Progrès des Anglais de ce côté, 18.
Angers (entrevue d'), 17.
Angleterre. — Précis de la guerre de Cent ans, 3
et s.— Voy. Edouard III, Richard II, Henri IV,
Henri V et VI, Bedford.
Anjou (Louis II d'), 17.
Anjou (Marie d'). Voy. Marie.
Anneaux de la Pucelle, 254, 273.
Anoblissement (lettres d') accordées par Char-
les VII à Jeanne d'Arc et à sa famille (texte et
traduction), 418.
Aragon (Yolande d'). Voy, Yolande.
Arbalétriers (armure des), 402, 403.
Arbamont (François d'), président à Vaucouleurs,
423.
Arc (Catherine d'), sœur de Jeanne, 28.
Arc (Jacques d'), père de Jeanne, 26, 238. — Rejoint
sa lille à Reims, 14Ô. — Meurt de chagrin, 372.—
Anoblissement, 418.— Sa descendance (tableau
généalogique), 419.
Arc (Jacquesou Jacquemin d'), frère de Jeanne, 28.
— Anoblissement, 418.— Voy. Lys (du).
Arc (Jean d'), frère de Jeanne, 28.— La rejoint à
Tours, 62. — Appelé Jean du Lys. — Prend au sé-
rieux la fausse Pucelle, 362 Assiste au procès
de réhabilitation, 372. — Lettres d'anoblissement,
418. — Jean d'Arc, prévôt de Vaucouleurs, 421,
422.— Voj. LYS(du).
Arc (Jeanne d'). Voy. Jeanne d'Arc.
Arc (Pierre d'), frère de Jeanne, 28. — Se joint à
536
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
ellg 62. Fait prisonnier avec Jeanne, 210. —
Dép'oscsa requête en réhabilitation, 372. — Ano-
bli; 418.— Crcéchevalier par IcttresduJuc d Or-
léans, 421. — yo_y. LïS (du).
Archers (armure des), 401, 4o3, 4>J''-
Armagnac (Bernard d), comte de Pardiac. - bes
possessions, 410. ^ . , ,
Armagnac (Jean IV, comte d'). - Ecrit à Jeanne
d'Arc 147, 252. — Ses possessions, 409.
Armagnac (Thibaut d"), s' de Termes, 86.
Armagnacs (rivalité des) et des Bourguignons, 3, 6
8 32. - Rupture de Charles VII avec les chefs
armagnacs.- llsreprennentlegouverncment, 17.
Armet, casque, SgS.
Armoiries concédées à Jeanne d Arc, 4>4.
ARi.o.sES(Jcannc des), Ufausse Pucelle. -Puicau
sérieux dans la famille de Jeanne d'Arc. --Reçoit
deshonneursà Orléans.- Démasquée, .)62.-ba
légende contribue à altérer le caractère de la
Pucelle dans la littérature, 437.
Armire. — Transformations successives, SgS. —
Habillement du cheval de guerre, sous Char-
les VII, 399.
Aronde, rivière, 208.
Arras, prison de la Pucelle, 222.
Arras (conférence d'), S.
Arras (évêque d'). Voy. Caveu (Hugues de).
Arras (Kranquet d'). — Pris par Jeanne d'Arc, 2o3.
— Condamné pour ses brigandages et décapite,
2o5. —Son épée gardée par la Pucelle, 251, 27&.
Arras (paii d'), 364, 363.
Artilleurs, sous Charles VII, 404.
Artois (armes d), 159.
Arundel (le comte d') assiège Compiegne, 2o!>.
Assezan (Antoine), versificateur, 435.
Aube, rivière, 47. _ . ,
AuBiGNAC (abbé d'). Voy. Hedelin (François).
AuGLSTiNS (bastille des), construite parles Anglais,
près d'Orléans, 19, 81. — Prise par Jeanne dArc,
AuLON (Jean d'), maître d'hôtel de Jeanned'Arc,62.
— L'accompagne à Orléans, 73, 75, 82.— Reçoit
son étendard, 87. — Assiste au sacre, 134-— At-
teste la chasteté de la Pucelle, 141.— Blessé a
Saint-Pierre-le-Moustier, 198. — Fait prisonnier
avec Jeanne, 209. — Témoin au proccs.de reha-
bilitation, 368.— Sa signature, 374.
AuMALE se soumet à Charles Vil, 173.
Auvergne (comté d'), 408.
Auvergne (Martial d'). Voy. Martial de Paris.
AuxERRE, 47. — Refuse d'ouvrir ses portes à Char-
les VII, 124.
AvERDV (F. de n, cité, 386.
Avignon (Marie d'). Voy. Marie.
AvRiGNi (Charles-Jos. d'). — Extrait de sa tragédie:
Jeanne d'.irc à Rouen, 478.
Avril (J.), autcurd'une imitation en vers de la Pu-
celle de Schiller, 477.
AïMERi (Guill.), professeur de théologie, 5b. — In-
terroge Jeanne d'Arc, à Poitiers, 58.
AziNCOURT (bataille d"), 6, 7, 1 16.
Baillard (de) du Lys, 423.
Bale (concile de), 3o5.
Balfe, auteur dun opéra anglais sur la Pucelle.
496.
Balze (Raymond), 53o.
Bannier (porte) d'Orléans, 20.
Bannière de la Pucelle, t>6, 25i.
Bannières sous Charles VU, 399.
Banville (Théodore de). - Vers sur la Pucelle,
45--
Bar (René de). Voy. René d'.\njou.
BARBAZAN(Arnaud-Guillem,sire de), prisonnier des
Anglais, 201. — Délivré par la Hire, 202. —Tué
à Bullignevillc, 364.
Barbier (Auguste). — Sonnet consacré à Jeanne
d'Arc, 456.
Barbier (P.-Jules). — Vers extraits de sa Jeanne
d'Arc, 4S7 et s.; — de sacantatesur Icmême sujet,
5oo. — .Musique ajoutée parGounod à sondrame,
5o8.— Chœur final du second acte, 509 et suiv.
Barentin (.\nne de), 424.
Baron (église de). — Jeanne d'Arc y communie,
en compagnie du comte de Clermont et du duc
d'Alençon, i65.
Barrois. — Ravagé par les Bourguignons, 33.
Basin (Thomas), évêque de Lisielix (le faux Amel-
gard). — Son jugement impartial sur la Pucelle,
3S2. — Cité, 179, 204.
Baudricourt (Robert de), capitaine de Vaucouleurs,
36.— Jeanne d'-^rc va le trouver à plusieurs re-
prises, 37 et s.— Il se décide à la faire conduire
vers le roi, 46, 242,249,271,274.
Baugencv, 68.— Les Anglais s'y retirent après la
levéedu siège d'Orléans, 92, 98.— Pris par Jeanne
d'Arc, 107 et suiv., 112. — Gardé par Richemont,
123.
Baveux (prise de) par les Anglais, S.
Beauchami' (Edmond de). Vo.)-. Warwick.
Beauchamp (Marguerite de), femme deTalbot, Ii3.
Beauchamp (Richard). Voy. Wabwick.
Beaujeu (seigneurie de), 408.
Beaulieu (château de), prison de la Pucelle, 21 5.
BEAULiEu(Jean Camus deVEBNET,dit de),favoride
Charles VII, 17.
Beaimanoir (s' de).— Assiste au sacre, |38.
Beaumont (vicomte de), 186.
Beaupère (Jean), recteur de l'Université, juge de
Jeanne d'Arc, 227,234. — lU'interrogc et lui tend
des pièges, 241,243 et s., 247 et s.— Reprend
durement les assesseurs qui lui sont favorables,
288, 292, 293. — Porte l'acte d'accusation à l'U-
niversité, 309. — S'efforce d'obtenir l'abjuration
de Jeanne, 324.
Beaurepaire (M. de Robillard de), cité, 529.
Beaurevoir (château de), prison de Jeanne d'Arc,
220.— Tentative d évasion, 221, 263, 279,299.
Beauvais, 166.— Palais des èvêqucs, aujourd'hui
palais de Justice, 169.— La ville se soumet à
Charles VII, 170.
Bedford (Jean duc de), régent de France 11, 12.
— Conférence tenue à Amiens, i3.— Il gagne la
bataille de Verneuil, i5.— S'efforce d'apaiser la
querelleduduc de Bourgogne etde Glocester,i6.
— Rattache Philippe le Bon à l'alliance anglaise.
— Reprend les hostilités et fait mettre le siège
devant Orléans, i3 et suiv. — Message que lui
adresse Jeanne d'.A.rc, 65. — Il envoie Falstolf au
secours de Jargcau, 104.— Attribue ses défaites
au démon. — Quitte Paris et se retire à Vincennes.
— Demande secours à Winchester, 129.— Fait
venir le duc de Bourgogne à Paris. — Envoie des
messages pressants à Reims, i3o. — Annonce au
conseil d'Angleterre l'intention de Charles VII de
marcher sur Paris, 157. — Impatient de faire sa-
crer Henri VI. — Presse Winchester et le duc
de Bourgogne, i58. — Se prépare à la résistance,
1(33. — Écrit à Charles VII une lettre injurieuse,
164. — Lui offre la bataille et bat en retraite. —
Marche sur Senlis, 166. — Ses remontrances au
duc de Bourgogne, 172. — N'osant restera Pans,
il se rend à Rouen, 1/3. — Donne au duc de
Bourgogne la lieutenance du royaume, 1S2.— Se
retire en Normandie, 202. — Principal auteur du
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
537
procès efde la mort de la Pucelle, 228 et suiv.
— S'oppose à la paix d'Arras. — Sa mort, 365.
— Ses titres, 410.
Bedford (la duchesse de), tSS.
Bellay (du), cité, 385.
Belle-Croix (boulevard de la), 73, S7.
Bellier (Guillaume), lieutenant du roi à Chinon,
52.
BENEDICITE. Voy. EsTivET (Jcan d').
Benouville. — Dessin représentant la Pucelle en
prison, 333, 53o.
Bensebade (J. de). — Traduit en vers la tragédie
de Fr. Hedelin : la Pucelle d'Orléans, 473.
Bergame (Philippe de). — Comment il représente
Jeanne d'Arc, 3S3.
Bermont (Notre-Dame de), 3o .—Statue delà Vierge,
41.
Berri (Jacques Le Bouvier, dit) , i3.
Berthelot (Roulet), 144, 145.
Besaintre^ ( Jean), 144, 145.
BÉziERs (Etats tenus à) , 14.
BioNAN(Anne) , poète. — Ses verssur la Pucelle, 451.
Bloïs. — Convoi de vivres préparé pour Orléans,
64, (!t6. — Séjour de la Pucelle, 72, 96.
Boisguillaume( Guillaume Colles ou), greffier du
tribunal institué pour juger la Pucelle, 234, 289, —
Sa signature , 342.
Boisv (le sire de) , chambellan de Charles VII, 54.
Bonne d'Artois, femme de Philippe le Bon , 16.
Bonnet (Simon), évèquede Senlis. — Chargé d'in-
terroger la Pucelle à Poitiers, 5ti.
BoNNY,pris par L. deCulan, I23.
Bordeaux , repris aux Anglais, 36(i.
BoucANDRV. Voy. Landes (Jean i-ies).
Boucher (Jacques), trésorier du duc d'Orléans, 72.
— Sa signature, 375.
BoucHET ( Jean ) , cité , 94.
Boudet (Guillaume), élu de Clermont, 194, igS.
Bouille (Guillaume), membre de l'Université de
Paris. — Chargé de faire un rapport au Grand
Conseil sur le procès de la Pucelle, 33(3.
Boulainvilliers (Perceval de). — Lettre au duc de
Milan relative à la Pucelle, i5o, 435.
Boulancourt (s' de). Voy. Lhuillier (Jean).
BouLiGNv (René de) , 199.
Boulogne (comte de), accompagne le roi ."t Reims,
123.
Boulogne (Jeanne, comtesse de) , 17.
Bourbon (Charles de), comte de Clermont. Voy.
Clermont.
Bourbon (Jean I", duc de), prisonnier des Anglais,
8. — Ses possessions, 409.
Bourbon (Jacques de), comte de la Marche. —
ses possessions. 409.
Bourbon (Louis de), comte de Vendôme. Ko)-. Ven-
dôme.
Bourdons (île aux) . 68.
Bourgeois (le) de Paris. Voy. Paris.
Bourges. — Séjour de Charles VII , I23. — Contri-
bution levée pour entretenir l'armée, 198.
Bourges (États généraux de), 14.
Bourgogne (ducs de). Voy. Jean sans Peur et Phi-
lippe LE Bon.
BotjRGuiGNONS (rivalité des] et des Armagnacs, 3,6,
8 et suiv.
BouRLE.MONT (château de). 25.
BouRLEMONT (Seigneur de ) , 3i.
Bourreau de Jeanne d'Arc. — Rend témoignage de
son innocence. 356.
BouscHET (port du), 68.
BoussAC (Jean de Brosse, dit le maréchal de) , 64.
— Contribue à faire lever le siège d'Orléans, 73.
78. — Seportesur Jargeau, 100. — Rejoint le duc
d'Alençon, io3. — Accompagne le roi à Reims,
123. — Va chercher la sainte Ampoule à -Saint-
Remi, i33, 137. — Soumet Senlis, 170. — ."^méne
des troupes du côte de Paris, 189.
Brabant (armes de), ôg.
Brabant (duc de), 14, 18.
Braux (de), famille descendantdesfrèresdcJeanne
d'Arc par les femmes, 423.
Bray-sur-Seine. — Charles VII y vient, i63, 180.
Brehal (Jean), inquisiteur de France. — Travaille;!
l'enquête sur le procès de la Pucelle, 366. —
Chargé de la révision , 368.
Bretagne (ducs de). Voy. Jean V et Richemont.
Brétigny (traité de), 4.
Bretonnière (Macé de La), 144, 145.
Brezé (Pierre de), grand sénéchal de Normandie,
1S7.
Briçonnet (Pierre), 144, 14?.
Brimeu (s'de), garde Noyon pour Icduc de Bourgo-
gne, 206.
Brinon l'Archevêque, 124.
Brion (Gillet de), 144, 145.
Brion (Jean de), i 14, 145.
Brosse (Jean de). Voy. Boussac.
Bruch (Max), compositeur allemand, 495.
BucHAN(JeanSTUART, comte de), connétable, 12, 1 3.
— Blessé à Verneuil, 16.
BuEiL (Jean de). — Sa signature, 375.
Bulligneville [bataille de), 364.
Bureau (Jean), grand maître de l'artillerie, 1S7.
Burey-en-Vaux et Burey-la-Côte, villages voisins
de Domremy, 26, 36.
Caen (prise de) par les Anglais, 8.
Cagny (Perceval de). — Proteste contre la condam-
nation de la Pucelle, 38i. — Cité, 91, 100, 141, 187.
CALAis(prisede) par les Anglais, 4. — Demeure en
leur pouvoir après la guerre de cent ans, 366.
Calixte 111, pape.— Désigne l'archevêque de Reims
et les évcques de Paris et de Coutances pour re-
viser le procès de la Pucelle, 368. — Extrait de
sa bulle, 370. — Son portrait, 3/1.
Calot (Jean), secrétaire du roi d'Angleterre. — As-
siste à l'abjuration de la Pucelle, 33o.
Canons , sous Charles VII , 404..
Capitaines (armure des) , 402.
Carafa (Michel). — Son opéra : Jeanne .fAre à Or-
léans . 49S. ,
Carcassonne (Etats tenus à ), 14.
Castiglione (Zenon de), évèquede Lisieux. — Con-
clut contre la Pucelle , 3oS.
Castille. — Charles VII songe à s'y retirer, 49.
Castillon (bataille de), 365.
Castres (évêque de). Voy. Cotigny (Pierre de) et
Machet (Gérard).
Catherine(S'«) apparaît à Jeanne d'Arc, 34, 36, 154.
— La console dans sa prison, 221. — Interroga-
toires relatifs à ses apparitions, 248, 234, 256, 25(|
269, 299, 334.
Catherine de la Rochelle. l'o)'. Rochelle.
Cauchon (Pierre), évêque de Beauvais. — Partisan
des Anglais. — Obligé de quitter la ville, 170. —
Organe accrédité de l'Université, dans le procès
de la Pucelle, 216. — 11 la réclame comme appar-
tenant ù sa justice, 21 S. — Son cortège judiciaire,
227. — 11 fait jeter en prison un juge coupable
de soutenir que le procès n'est pas légal, 228. —
Subit la volonté des Anglais. — Altère et cor-
rompt les procès-verbaux, 23o. — Fait procé-
der aux informations, 233.— Nomme les officiers.
— Tient plusieurs conseils, 234. — Son portrait.
235. — U interroge la Pucelle, 236. — Serment
JEANNE D ARC. m.
68
538
TABLE ANALYTIQUE DES ftL\TIÈRES.
qu'il veut lui faire prêter 238, 243, 247. — II fait
procéder aune information nouvelle, 264, — Ef-
forts pour trouver matière à accusation, 283 et
suiv. — 11 reprend durement les assesseurs qui
essaient de guider Jeanne, 2SS. — La fait trahir
par de faux conseillers, 289. — Se présente dans
sa prison pour lui faire quitter ses habits d'homme,
293. — Fait approuver l'acte d'accusation par ses
conseillers, 294 et suiv. — Interroge Jeanne sur
sa soumission à rKglise, 3oi, — Soumet l'accusa-
tion àdiversjurisconsulteset théologiens, 3o6. —
Son admonition charitable à la Pucelle, 3io. —
11 la menace de la torture. — Seconde admoni-
tion, 3i6, 320. — Il obtient de l'Université un
avis selon ses désirs, 3 18. — Arrache à Jeanne
son abjuration, 323 et suiv. — La rend aux An-
î^lais après l'avoir condamnée à la prison perpé-
tuelle, 33i. — Fait constater qu'elle a reprisses
vêtements d'homme, 332. — Joie qu'il en témoi-
gne, 333. — U la fait déclarer relapse, 340. —
Nouvel effort pour obtenir d'elle un désaveu de
sa mission, 344. — Habileté de son attaque. —
Parvint-il à ses fins? 345, 34Ô. — Il assiste au
supplice de Jeanne. — L'exhorte, 35o. — Ne peut
retenir ses larmes, 352. — Sa mort, 350. — Cha-
pelle delà Vierge à Lisieux, construite à ses frais,
339. — Sa signature, 375. — Il ne représentait
pas l'Église, 3S7.
Caïeu (Hugues de), évêque d'Arras. — Envoyé par le
duc de Bourgogne vers Charles VII, 172.
Ceffonds, patrie de Jacques d'Arc, 26.
Cent ans ( guerre de ). — -Vlternée de succès et de
revers pour IWngleterre et la France. — Résumé,
3 et suiv.
Certain (M. de), cité, 466.
Chabannes ( J acques de ). — Perd Creil, 1 89. — Atta-
que Pont-l'Evêque, 206.
Chalaines, village voisin de Domremy, 2(5.
Chalcondvle (Laonic),cité, 383.
Chalon (Louis de), prince d'Orange, i3.
Chai.ons se soumet à Charles VU, 127, 128.
Chalons (évêque de). Voy. Sarrebruck (Jean de).
Champagne, donnée par Bedford au duc de Bourgo-
gne, 182.
Champeaux (Guillaume de), évêque de Laon. — As-
siste au sacre de Charles VU, i38.
Champion des Dames, poème. — Extrait relatifs la
Pucelle, 38 1. — Son auteur Martin le Franc, 43o,
Voy. Le Franc (M.).
Chanfreins, 400.
Chantillv, se soumet à Charles VU , 172.
Chapelain (Jean), littérateur, cité, 385. — Extraits
de son poème : la Pucelle ou la France délivrée,
443 et suiv.
Chapitaut, promoteurdu procès de réhabilitation,
372.
Chapu (Henri), sculpteur. — Statue de Jeanne
d'Arc, 39, 53o, 533.
Charenton (pont de), i85.
Charlemagnï (île), 20, 81.
Charles V, roi de France, 3. — Réparc les consé-
quences du traité de Brétigny, 4, 5.
Charles VI, roi de France, 3. — Guerre civile, con-
séquence de sa folie, 5. — Sa mort, 12.
Charles VU, roi de France, 4. — L'assassinat de
Jean sans Peur commis en son nom, 8. — Deshé-
rité et proscrit. S, 12. — Proclamé roi. — Sa fai-
blesse de caractère. — Ses conseillers, 12. —
Forces et alliances, i3. — États généraux. —
Armée. — Échecs, 4. — Mésintelligence entre
les chefs. — Défaite de Verneuil, i5. — Le roi
rompt avec les chefs Armagnacs. — Nomme Ri-
chemont connétable, 17. — Rend le gouvernement
aux Armagnacs. — Roi de Bourges, 18. — Posi-
tion critique, à l'arrivée de Jeanne d'Arc, 48. —
Entrevue avec elle. — Lprcuves qu'il lui impose,
5i et suiv, — Il lui compose une maison militaire,
62. — L'investit du commandement de l'armée,
63. — Va à sa rencontre, après la levée du siège
d'Orléans. — La reçoit avec de grands honneurs.
— Tient conseil touchant le voyage de Reims,
9Ô . — Interroge Jeanne au sujet de ses voix, 98.
— Donne le commandement d'une expédition au
ducd'Alençon, 100. — Se réconcilie avec le conné-
table de Richemont, sur l'instance de la Pucelle,
108. — Mais il refuse de l'admettre au voyage de
Reims, 120. — Ses hésitations. — Retards causés
par la Tré mouille et ses autres conseillers, 122. —
Départ pour Reims, 123. — Il écrit aux habitants.
— Assiège Troyes, 124, — qui capitule au bout de
six jours, 126. — Soumet Châlons, 128. — Entrée
solennelleà Reims, i3i et suiv. — Cérémonie du
sacre, i38. — Le rni guérit les écrouelles, à
l'abbaye de Saint-Marcoul, i(5i. — Reçoit la sou-
mission de Soissons et de Laon. — Négocie avec
le duc de Bourgogne, 162. — Sa retraite vers la
Loire interrompue, i63. — 11 reprend la route de
Paris. — Reçoit une lettre injurieuse de Bedford,
164. — Offre la bataille aux Anglais, qui ne sor-
tentpas de leurs positions, 168. — Reçoit les clefs
de Beauvais, de Compiègne et de Senlis, 170. —
Conclut une trêve avec le duc de Bourgogne, —
Soumet une foule de places, 172. — Suit à regret
la Pucelle, marchant sur Paris, 173. — Entre à
Saint-Denis, 176. — Rappelle Jeanne près de lui et
renonce à l'attaque de Paris, 179.— Se retire,
contre son intérêt, 180. — Continue à négocier
avec le duc de Bourgogne. — Refuse d'entrer en
Normandie, 186. — Prorogela trêve conclue avec
le duc de Bourgogne , 200. — Ne fait aucune dé-
marche pour délivrer Jeanne prisonnière, 217,
360. — Elle le défend contre les accusations de
ses juges, 324, 325, 35i. — U se fait complice de
la fausse Pucelle, 302. — Conclut la paix à Arras
avec le duc de Bourgogne, 365. — Ordonne une
enquête sur le procès de Jeanne d'Arc, 366. — Sa
signature, 374. — U conduit avec fermeté le juge-
ment de réhabilitation, 38o. — Concède des armoi-
ries à Jeanne d'Arc, 414. — Lettres d'anoblis-
sement pour elle et pour sa famille, 41 S.
Charles I"', duc de Lorraine. — Reçoit Jeanne
d'Arc, 43.
Charles UI ,duc de Lorraine, 466.
Charles, duc d'Orléans. Voy. Orléans.
Chartier ( Alain ), cité , 54.
CHARTiER(Guillaume),évêquede Paris, nommé par
le pape pour reviser le procès de la Pucelle, 368.
Chart I er ( J ean ), cité, 5 1 , 70, 122. — Proteste con-
tre la condamnation de Jeanne d'.\rc, 38i. — Sa
Chronique, 432.
CHARTRES(Regnaultde),archevêquede Reims, 56, —
chancelier de France, 64. — Engage Charles VII
à s'éloigner de Troyes, 126. — Le reçoit à Reims
et le sacre, i32 et suiv., 211. — Considère la
prise de la Pucelle comme un jugement de Dieu,
218. — Ne fait aucune démarche en sa faveur
auprès de l'évêquc de Beauvais, son suffragant,
358,36o. — Sa signature, 375.
Chartres (levidamede). rejoint Jeanne d'Arc, 106.
Chastel (Tannegui du), conseiller de Charles VII,
12. ^ Le gouvernement lui est retiré, 17.
Chastellaïn (Georges), chroniqueur, cité, 437.
Chateaudun, 72.
Chateau-Gaillard, 201. — Pris par la Hire, 202.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
539
Chateauneuf, 122.
Chateau-Regnard, 74, 180.
Chateau-Thierrï, se soumet à Charles VII, 162,
262.
CHATiLLON(GuilIaumede),capitainede Reims, i3o.
— Exhorte les habitants à résister à Charles Vil,
l32.
Chatillon (Jean de), s'efforce de garder Reims
aux .Vnglais, i3o. — Proteste contre le» procédés
de l'interrogatoire de la Pucelle, 287.
Chauchat (Louis), élu de Clermont, 194, loS.
Chaumont-en-Bass[gnv, 26.
CHAuviGNvClesieur de)reioint Jeanned'Arc, 106.—
Accompagne le roi à Reims, I23.
Chazelles (famille de), 423.
Chécv, près Orléans, 68, 70.
Chenu (le bois), près Domremy.— Prophétie y rela-
tive, 30,246,247.
Chevaliers (armure des), SgSetsuiv.
Chevrier (Jean), chanoine de Tours, 144,145.
Chien (registre du), extrait, 194, igS.
Chinon, séjour de la cour de Charles VI 1,45, 5o.—
Introduction de Jeanne d'.A.rc au château, 3i . —
Chambreduchâteauoijellefutreçue, 53.— Tours
de la chapelle et de l'horloge, 55. — Vue du châ-
teau, 237,267,455.
Chinon (États tenus à), 14.
Choisv-sur-.\isne, se soumet à Charles VII, 172.—
Assiégé et pris par le duc de Bourgogne, 206.
Choudard (J.-B.), dit Desforges, auteur de Jeanne
d\Arc à Orléans^ 494.
Chrestien (Nicolas), sieur des Croix. — Vers con-
sacrés à la Pucelle, 471.
Christine de Pisan. ~ Ses vers en l'honneur de
Jeanne d'Arc, 147,149, 426 et suiv. —Son por-
trait, 427.
Chronique de la Pucelle, i54, 38i, 386.
Clairou. - Les Bourguignons y sont attaqués par
la Pucelle, 20S.
Clére (Georges). — Sa statue de Jeanne d'Arc, 357,
53o, 532.
Clermont (Charles de Bourbon, comte de). — Perd
Isi Journée des Harengs. 21, 89. — Accompagne
le roi à Reims, i23. — Assiste au sacre, i3S. —
Prend partà l'assautde Paris, 176, 179. — Négocie
avec le duc de Bourgogne, i85 — Lieutenant de
CharlesVll dans l'Ile-de-France, 182, 1S8. — Pris
à témoin par Jeanne d'Arc, 222.
Clermont-Ferrand. — Provisions de guerre fournies
à la requête de la Pucelle, 194, 195.
Cochet (l'abbé), cité, 325.
Colet (.\I°' Louise). — Ses vers sur la Puce lie, 45 1.
Collecte, introduite dans l'office de la messe en
faveur de-la Pucelle, 148.
Colles (Guillaume). Voy, Boisguillaume.
Colnel (.Marguerite), 424.
CoMpiÈGNE. — Prise par les Anglais, 14, iô6. —
Ouvre ses portes à CharlesVll, 170, 172,182.
— Le duc de Bourgogne veut s'en emparer. —
La Pucelle vient la défendre, 206. — Situation
de la place, 20S. — Prise de Jeanne d'.\rc, 209.
— Plan de Compiègne, 2 i3. — Le siège est levé,
221.
Contes (Louis de), page de Jeanne d'Arc, 63. —
Assiste au sacre, i38. — Témoin au procès de
réhabilitation, 368.
CoRBEIL, l63.
CoRBiE, disposée à se soumettre à Charles Vil, 172.
CosNE, occupé par les Anglais, 123, 189.
CoTiGNv (Pierre de), évêque de Castres. — Interroge
la Pucelle à Poitiers, 98.
Coucv (seigneurie de), 40S.
CouDiÈRE, pièce d'armure, 3gi.
CouDRAV (fort du), 53, 62.
CouDUN, occupé par le duc de Bourgogne, 208.
CouLOM.MiERS. Se soumet à Charles VU, 162, 164.
CouRCELLEs (Jean de), chanoine de Notre-Dame
de Paris. — Portrait, 205.
CouRCELLEs (Thomas de), recteur de l'Université
de Paris. — Juge de la Pucelle, 227, 234, 292,
293. — Son portrait, 295. — Donne lecture de
l'acte d'accusation. 296.— Est d'avis d'employer
la torture, 3i6. — Témoigne contre Jeanne, 338.
Courtenav, 180.
Courtois de iMorancourt, 423.
CoussEv, village près de Domremy, 25.
Coutances (évêque de). Voy. Longueil (Richard
Olivier, card. de).
Cozic (Henri), cité, 4S7.
Gravant (bataille de), 14.
Crécv (bataille de), 4, 1 16.
Crécy-en-Brie, se soumet à Charles VII, 162.
Creil, se soumet au roi, 172. — Chabannes y est
pris, 189.
Crespï-en-Valois. — Charles VII y vient à plu-
sieurs reprises, i53, 164, 166, 170.
Croix (sieur des). Voy. Chrestien (Nicolas).
Croix-Boissée (la), 20.
Crotoy (le), pris par les Anglais, 14. — La Pucelle
y est renfermée, 221. — Vue du château, 226.
Cuissots, pièces d'armure, 395.
CuLAN (Louis de), amiral de France, 64. — Attaque
les Tourelles à côté de Jeanne d'Arc, 86. — S'em-
pare de Bonny. — Accompagne le roi à Reims,
123. — Va chercher la sainte Ampoule à Saint-
Remi, i33. — Assiste au sacre, 137. — Occupe
Saint-Denys, 179. — Sa signature, 373.
CuvELiER (J.-G.-A.), auteur de Jeanne j'Arc, pan-
tomime, 497.
Dammartin, occupé par l'avant-garde de Char-
les VU, 166.
Damrosch (M), compositeur allemand, 495.
Dartois (Armand), librettiste, auteur d'une Jeanne
d'Arc à Or/ej«s, 5oo.
Dauphiné. — Charles VII songe à s'y retirer, 49.—
11 fait partie de son domaine, 408.
David (Charles). —Sa gravure de la Pucelle, 41 1.
Degrelle (famille', 423.
Delavigne (Casimir). — Ses vers sur la Pucelle, 450.
Demeuse, chef d'orchestre de la Gaîté, 499.
Déroulède (Paul). — Vers sur Jeanne d'Arc, 457.
Desforge s. Voy. Choudard (J.-B.).
Desnover (Charles), cité, 487.
Devébia (Eugène). — Son tableau de la mort de
Jeanne d'Arc, 459.
Dieppe, 223. — Combat livré devant ses murs, 40?.
DoMREMV, 25. — Maison de Jeanne d'.Arc; état en
i8ig, 27, 238. — Château, 3o. — Débris de la cha-
pelle Notre-Dame. — Fêtes du village, ji. — 11
reste fidèle au roi, 32. — Sa part dans les mal-
heurs du temps, 33. — Maison de Gérardin, 239.
Donjon (tour du), 3i5,3i7.
Douglas (Archibald), conseiller de Charles VU, 12
i3. — 'Tué à Verneuil, i5.
Douvres, 204.
Drugy (ferme de), près Saint-Riquier, 225.
Duc (Fronton du). — Extraits de sa tragédie : la
Pucelle d'Orle'ans, 466 et suiv.
DucAsip (Jean-Baptiste), trace le plan d'un monu-
ment édifié à Rouen en l'honneur de Jeanne
d'Arc, 529.
DuCAURROv (Eustache), cité, 496.
Du Chemin (famille), 423.
I DuNois (Jean, comte de Longueville et de), bâtard
340
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
d'Orléans.— Repousse Warwick de Montargis, 1 8.
— Défend Orléans, 20, 64, 6S. — Prie Jeanne
d'Arc d'entrer avec lui dans la ville, 69, 70, 72.—
Va à Blois chercher les troupes, 73. — Les amène
à Orléans, 75. — Soutient l'attaque contre les An-
glais, 76. — Prend part à l'assaut du fort des
Tourelles, S5 et suiv. — Accompagne Jeanne au
Château de Loches, 98. — Renonce à emporter
Jargcau, 100.— Rejoint la Pucelle, 102. — Accom-
pagne le roi à Reims. I23. — Atteste la chasteté
de Jeanne, i4i.~Lntre à Paris, 365. — Témoin
au procès de réhabilitation, 3()S. — Sa signature,
374. — Vainqueur des Anglais à Formigny, 397.
— Portrait en costume d'apparat, 77. — Cité,
i53.
DupANLoup (Mgr), discours cité, 533.
DuPREz (Edouard), auteur d'un libretto de Jeanne
d'Arc, 5oo.
DuPREz (Gilbert), compositeur de Jeanne J'.liv.
opéra en cinq actes, 5oo.
Durand de Villers, 423.
DiiREMORT (Gilles de), abbé de Fccamp, juge de la
Pucelle, 227, 341. — Demande qu'on lui relise
la formule d'abjuration, 542
Ecossais, à la solde de Charles VII, 14.
Edouard IIl, roi d'Angleterre, 3, 5.,
Elaincol'rt-Sainte-Catherine. — Eglise, 207.
Embrun (archevêque d'). l'oj. Gelu (Jacques).
E.MENGARD (ÉrardI, jurisconsulte. — Son avis sur
les douze chefs d'accusation portés contre la
Pucelle, 3o6.
Enfant ressuscité à la prière de la Pucelle, à La-
gny, 262.
EpAULiÈRE, pièce d'armure, 395.
Epée de Jeanne d'Arc, 62, 25o, 273.
Epées, 399.
Eperons, gS.
Epinal (Gérardin d'), 38, 12S.
Erard (Guillaume). — Sermon pour obtenir l'abju-
ration de Jeanne, 324, 326.
ICrault (Jean), 59.
EsTivET (Jean d'), dit BcneJicilc; procureur général
du tribunal chargé de juger la Pucelle, 227, 234.
— Son rôle odieux, 289, 292. — Injures qu'il
adresse à Jeanne, tombée malade, 3 10. — 11 meurt
de mort violente, 356.
EsToLTEviLLE (le cardinal d'), archeviiqucde Rouen.
— Ouvre l'enquête sur le procès de la Pucelle,
366. — Portrait, 369.
Etampes. — Falstolf y séjourne, iO|.
Etendard de Jeanne d'Arc, 63, 273.
Etrépaonv. — Ouvre ses portes aux Français, iSii.
Eu, 224.
Eu (comte d'). prisonnier des Anglais, 16.
EuvtRTE (S.), patron d'Orléans, 149,462.
EvREU.t le bailli d), gouverneur de Baugency
pour les Anglais. — Capitule, 1 10.
EzÉCHiEL, 304.
Fabri (Jean), Voy. Lefebvre.
Falstolf, capitaine anglais. — Amène des renforts
aux Anglais devant Orléans, 21, 75. — Envoyé
par Bedford au secours de Jargeau, 104, — et de
Beaugency. 106.— Bat en retraite, 112. — Défait
à Patay, 1 16.— Disgracié, 129.
Farineau (Guion), juge de Touraine. 14. |, 145.
Fauchards, coutelas, 40?.
FÉCAMP (abbaye de), 341.
Fécamp (abbé de). Voy. Dure.mort (Gilles de).
F'erté (la), 1 53.
Fertê-Milon (la), 164.
Feuillet (Gérard), juge de la Pucelle, 23^.
Flandre (armes de), ijy.
FLAVV(Guillaumede),capitainedeCompiègne, 170,
20S. — Résisie aux Bourguignons. — Cause de la
prise de la Pucelle, 209, 210.— Ne l'a pas trahie
21 1.
Flavv (Louis de), frère du précédent. — Laisse
prendre au duc de Bourgogne Gournai-sur-
.^ronde, 206.
FoL\ (comte de). Voy. Graillv (Jean de).
Fontaines (le dimanche des), 3i.
Forest (Le Clerc s' de La). — Ses vers sur la Pu-
celle, 442.
FouMiGNV (bataille de), 397, 520.
FouQUEREL (Jean), évêque de Senlis. — Son cheval
acheté par la Pucelle, 262.
FovATiER (M.), sculpteur,35,63,79,85,g3, 107, 117,
119, 528.
France. — Précis de la guerre de Cent ans, 3 et
suiv. — Voy. Philippe VI, Jean II, Charles V,
Charles VI, Charles VII, Jeanne d'.Vrc.
France (carte de), pendant la mission de Jeanne
d'Arc. — Note explicative. — Limites du royaume»
du domaine royal, des fiefs les plus importants,
— et des possessions anglaises, 407 et suiv. —
Itinéraire de Jeanne d .\rc, 410.
Franche-Comté (armes de), 1^9.
Franquet d'Arras. l'o)'. Arras.
Frebecourt, village voisin de Domremy, 25.
Prise (armes de), 159.
Gabriel (S.), apparaît à Jeanne d'Arc. —Ses juges
l'interrogent sur ce point, 254, 259, 299.
Gallenberg (le comte de), 495.
Gaktelet, pièce d'armure, 393.
Gastinel (Denis), docteur de l'Université, juge de
Jeanne d'.\rc, 3oS.
Gaucourt (dame de), 60.
Gaucourt (Raoul de), gouverneur d'Orléans, 20, 64.
— Veut s'opposer à une sortie de Jeanne d'Arc,
S4.— L'accompagne néanmoins, 86. — La rejoint
à Selles, 102. — Prend part il l'attaque de Paris,
176, 17S. — Ramène au camp la Pucelle blessée,
179. — Témoin auprocèsdc réhabilitation, 368. —
Sa signature, 374.
Gaultier (Léonard). — Sa gravure de la Pucelle,
■l|o.
Gauthier d'Arc, 423.
Gelu (Jacques), archevêque d'Embrun, 62. —
F'avorable à Jeanne d'Arc, 95, 98.
Genouillères, pièces d'armure, 395.
Gérardin d'Epinal, 38, i 28.
GÉRARDIN. — Sa maison à Domremy, 239.
Gerson (Jean), favorable à Jeanne d'Arc, 95. —
Proclame la divinité de sa mission. — Portrait,
i56, 157.
GiAC (Pierre de), favori de Charles VII, 17.
Gien, 48, 74. — Charles Vil y séjourne, 122, 282.
GiLLis (Mgr), prélat anglais. — Fait le panégyri-
que de Jeanne d'Arc, 458.
GiRESME (Nicole de), commandeur de Rhodes. —
Prend part à l'attaque du fort des Tourelles, 87.
Glacidas. Voy. Glasdale.
Glasdale (Guillaume), capitaine anglais au siège
d'Orléans, 19. 20. — Sommé par Jeanne d'Arc de
se rendre, 73, 81. — Sa mort. 91, 97.
Glocester (le duc de), régent d'Angleterre, 11. 12.
— Mécontente le duc de Bourgogne, 14. — Epouse
Jacqueline de Hainaut. — Délie le duc de Bourgo-
gne, 16. — Son mariage est cassé, 18. — Ses pré-
tentions sur le Hainaut. 160. — F'ait rechercher
les réfractaires pour les envoyer en France, 204.
GoDEAU (Jean), lieutenant de Tours, 144 145.
GoDEFROY (Denis), publie la Chronique de la
Pucelle, 386.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
54.
GoERRES (Guido), cité, 392.
Gois, sculpteur. — Statue de la Puccllc, 44g.
GoNDRECOURT {route de), 26.
GouNon (Charles). — Musique ajoutée à la Jeanne
d'Arc de Barbier, 4S7, 5o8. — Choeur liéroique,
finale du second acte. 5oc) et suiv.
Gol'rnai-sur-Aronde. — Se soumet à Charles Vil,
109. — Le duc de Bourgogne s'en empare, 206.
GouRNAY (M"« de). — Quatrain sur la Pucelle, 442.
Graillv (Jean de), comte de Foix. — Ses posses-
sions, 409.
Granville (le bâtard de), 74.
Grasset (perrin), capitaine de la Charité pour les
Anglais , 14. — Soutient le siège contre Jeanne
d'Arc, iqS.
Gravier (s' du). Voy. Vireï (Jean de).
Graville (le s' de). — Repousse les Anglais, 78. —
Prend part à l'attaque du fort des Tourelles, 85.
— Se porte sur Jargeau, 100. — Va chercher la
sainte Ampoule à Saint-Remi, i33. — Assiste au
sacre, 137.
Green, auteur d'une partie du drame de Shakes-
peare : Henri VI, 468.
Creux, près de Domremy, 25, 28, 238.
Grèves, pièces d'armure, SgS.
Gris (Jean), chargé de la garde de la Pucelle, 240.
GuERRARD (Thomas), capitaine anglais, 76.
GUESSARD (F.), cité, 46Ô.
Guillaume le Conquérant, 4.
GUILLE.MIN (Alexandre), auteur d'un poëme sur
Jeanne d'Arc, 455.
GuiLLOT (Didier), 423.
Guise (comté de), 408.
Guyenne, messager de Jeanne d'Arc, So.
Guyenne (Charles, duc de), dauphin, 17.
Haillan (du), historien, cité, 385.
Hainaut (armes de), iSg.
Hainaut (comté de), iS.
Haiton (G.), secrétaire des commandements de
Henri VI. — Assiste au j ugement de la Pucelle, 234.
Hallebardes» 403.
Harcourt (Christophe d').— Interroge Jeanne d'.\rc
à Poitiers, au sujet de ses voix, gS.
Harengs (journée des), 21, 45, 526.
Harfleur pris par les Anglais, 7. — Défendu par
Raoul de Gaucourt, 2o» 172.
Hastings (bataille de), 4.
Haldat du Lys (Alexandre, Amélie, Claire, Fran-
çoise et Jean de), 423, 42-|.
Hauviette, amie de Jeanne d'Arc, 40.
Heaumet, casque, 398.
Hedelin (François), abbé d'Aubignac. — Sa tragé-
die en prose : la Pucelle d'Orléans, 473.
Hennés Poluoir. Voy. Poluoir.
Henri II, roi de France. — Déclaration relative à la
noblesse des descendants de la Pucelle, 416.
Henri III, roi de France, 466.
Henri IV, roi d'Angleterre, 3. — Détrône Richard II.
— Soutient tour à tour le duc de Bourgogne et le
duc d'Orléans, 6.
Henri V, roi d'Angleterre, 3. — Tire parti des trou-
bles de la France, 6. — Ses succès, 8. — Il
épouse la fille de Charles VI. — Alliance avec le
duc de Bourgogne, 9. — Son portrait,- II. — Sa
mort, 12.
Henri VI, roi d'Angleterre, 4. — Proclamé roi de
France, 12. — Ses forces et ses alliances, i3. —
Voy. Bedford. — Projet et préparatifs de son
sacre, 204. — Son sceau, 28 1. — Portrait, 32 1. —
Lettres, adressées en son nom, apologétiques de
sa conduite envers la Pucelle, 3bo. — Son cou-
ronnement à Notre-Dame de Paris, 363, 364.
Hervieu (Jean), 144, 145.
Hesdin. — Ambassade envoyée par Bedford au duc
de Bourgogne, 12g.
Hollande (armes de), i 5g.
Honnecourt (Jean de), compagnon de Jeanne
d'Arc, 46.
HoRDAL. — Restaure la chapelle N.-D. de Domre-
my, 3i.
HoRDAL (Antoinette, Claudon et Marie), 423.
Houppeville (Nicolas de), juge de la Pucelle. —
Soutient que le procès n'est pas légal. — Mis en
prison, 228.
HussiTES. — Croisade préparée contre eux, 12g.
Idolâtrie, imputée à Jeanne d'Arc, 296.
Ile-de-France, livrée aux ravages de la guerre,
189.
iLLiERS(Florentd'). — Accompagne Jeanne d'Arc à
Orléans, 72, 75. — Se porte avec le duc d'Alençon
sur Jargeau, 104.
Ingres. — Tableau représentant Jeanne d'Arc au
sacre de Charles VII, 134, 53o.
Inquisition. — Demande que la Pucelle lui soit li-
vrée, 216.
Isabeau de Bavière, 9. — Son portrait, 10.
IVRY (prise d') par Bedford, i5;
Jacqueline de Hainaut, 14. — Épouse leducde Glo-
cester, 16. — Son mariage est cassé, 18.
Jambières, 3g5.
Janville, occupée par FalstotT, 75, 104. — Ferme
ses portes aux Anglais, 116.
Jargeau. — Occupé par Suftolk, 98. — Attaqué et
pris par Jeanne d'Arc et le duc d'Alençon, 104 et
suiv., 107, igg, 25i.
Jean II le Bon, roi de France, 3.— Bataille de Poi-
tiers, 4.
Jean I"', duc de Bourbon. Voy. Bourbon.
Jean V, duc de Bretagne. — Prend part à la con-
férence d'Amiens, i3, 17. — Retourne aux
Anglais, 18. — Fait des présents à Jeanne d'.Arc,
146. — Ses possessions, 409.
Jean sans Pei.'r, duc de Bourgogne. — Assassinat
du duc d'Orléans, 5. — Chassé de Pans par les
Armagnacs, 6. — Assassiné sur le pont de Mon-
tereau, 7, 8. — Son épée, 399.
Jeanne d'Arc.
I. Enfance. — Départ, 25 et suiv. — Naissance
de Jeanne. — Ses parents. — Sa nationalité. —
Orthographe de son nom, 26. — Ses vertus. —
Travaux de ses premières années, 28. — Témoi-
gnages de sa piété et de son goût pour les bonnes
œuvres, 29, 3o. — L'arbre des Dames. — Fêtes
de Domremy. — Jeanne y prend part, 3i. — Dé-
votion à Notre-Dame. — Sa mission. — Elle ne
peut être expliquée par le mysticisme, 32. — La
doit-on rapporter au seul amour de la patrie ? 33 .
— Récit de Jeanne d'Arc touchant sa vocation.
— Apparitions de saint Michel, des saintes Cathe-
rine et Marguerite, 34, 36. — Hésitations de
Jeanne. — Pressée de nouveau, elle va trouver
Baudricourt, 37. — Moyens employés pour la
détourner de ses pensées. — Second voyage à
Vaucouleurs, 40. — Épreuves auxquelles on la
soumet, 42. — Équipée par les habitants de Vau-
couleurs, elle se rend auprès du duc de Lorraine,
43. — Nouvelle entrevue avec Baudricourt. —
Départ pour Chinon, 46.
II. DéUrrance SOrlcans, 47 et suiv. — Diffi-
cultés du voyage. — Jeanne fait écrire à Charles
VII, 48. — Arrivée à la cour. — Accueil divers
des conseillers et seigneurs, 5o. — Elle est intro-
duite devant le roi. — Épreuve, 5i. — Son assu-
rance. — Signes qu'elle donne de sa mission, 52.
i42
TABLE ANALYTIQUE DES ALVTIÈRES.
— Secret révélé au roi, 5+. — Jeanne comparaît
devant le Parlement, à Poitiers. — Interroga-
toires subis victorieusement, Sôetsuiv. — Autres
épreuves, 5g. — Conclusion favorable des doc-
teurs, — et des matrones. — La PuccUc gaj^ne
tous les suffrages, 60. — Le roi lui compose une
maison militaire. — Épée de sainte Catherine
de Fierbois, 62. — Étendard de Jeanne, 63. —
Nombre des gens d'armes qu'elle conduit au se-
cours d'Orléans, 6+. — Teite du message en-
voyé par elle aux -anglais, Ô5. — Sa bannière.
— L'armée placée sous l'invocation de la Vierge,
66. — Route suivie, contre l'avis de Jeanne. —
Arrivée devant Orléans, ÔS. — Elle pénètre dans
la ville avec Dunois. — Reçue en triomphe, 70.
— Elle écrit de nouveau aux Anglais, 72. — Me-
nace et insulte qu'elle en reçoit. — Somme Glas-
dale de se rendre. — Communique sa confiance à
la population, 73. — Inspecte les fortifications de
l'ennemi. — Assiste à la procession de la Sainte-
Croix, 74. — S'avance au-devant de Bunois qui
amène des renforts, 73. — Attaque et repousse
les Anglais, 76. — Exhorte les soldats ù la péni-
tence, "S. — Nouvelle sommation envoyée à
l'ennemi au moyen d'une flèche. — Plan de
Jeanne. — Conseil tenu à son insu, So. — Elle
s'empare de la bastille des Augustins, 82. — Atta-
que le fort des Tourelles malgré l'opposition des
capitaines, S3 et suiv. — Elle est blessée comme
elle l'avait prédit, 86. — Se retire un instant
pour se faire panser et prier. — Retourne à
l'assaut, 87. — Met les Anglais en fuite, 90. —
Occupe les tourelles. — Rentre dans Orléans, 91.
— Retient l'armée, pour ne pas livrer bataille
un dimanche. — Laisse Talbot opérer sa re-
traite, 92. — Se dérobe à l'enthousiasme des Or-
léanais pour se rendre à la cour, 94.
III. Reims, — Jeanne reconnue comme l'en-
voyée de Dieu, 93. — Charles VU vient de Chi-
non à sa rencontre et la reçoit avec de grands
honneurs. — Elle le presse de se rendre à Reims,
96. — Conversation, au château de Loches, rela-
tive à ses voix, 98. — Ascendant de Jeanne. —
Elle accompagne le duc d'Alençon dans une
nouvelle expédition, 100. — Peinture que fait
d'elle Gui de Laval, 102. — Elle rentre dans
Orléans, io3. — Attaque et prend Jargeau. —
Sauve la vie au duc d'.'VIençon. — Reçoit une
blessure, 10+-106. — S'empare de Meun et de
Baugency, 107 et suiv. — Réconcilie le conné-
table de Richement avec le roi, 108. — Victoire
de Patay, 114 et suiv. — Résumé des faits
accomplis par Jeanne. — Sa mission clairement
démontrée. — Efforts de la Trémouille pour
diminuer son influence sur le roi, 118, iig.
— Elle se rend il Orléans, puis à Sully, auprès
du roi. — Ne peut faire admettre Richement au
voyage de Reims, 120. — Elle insiste pour déci-
der Charles VII à partir. — Écrit aux habitants
de Tournay, 122. — Part pour Reims, avec le
roi, 123. — Ses efforts pour obtenir la soumis-
sion de Troycs, 124, — Fait préparer l'assaut; —
reçoit la ville à composition, 126. — Soumet
Châlons, où elle trouve des gens de Domremy,
128. — Entrée solennelle à Reims, i3i et suiv.
— Jeanne, portant sa bannière, assiste au sacre
de Charles VU, 134. — Paroles qu'elle lui
adresse, après la cérémonie, i38. — A Dieu seul
elle rapporte sa mission. — Sainteté de sa vie,
140. — Elle interdit les jurons et les blasphèmes
aux chefs comme aux soldats. — Sa chasteté,
141. — Elle combat les habitudes de pillage et
de meurtre, 142. — Ses qualités militaires, 143.
— Demande adressée par elle au conseil de la
ville de Tours en faveur de la fille du peintre
Hennés Poluoir, 144, 145. — Honneurs qu'elle
reçoit du peuple et des grands, 146. — Médailles
i son effigie, 147. — Poésies et légendes, 149 et
suiv. — La renommée de Jeanne s'étend au
loin, i5o.
IV. Paris. — La mission de Jeanne se termi-
nait-elle au sacre ? — Anecdote racontée par Du-
nois, altérée dans la Clironiqnc de la Pticclle, \b2
et s. — Déclarations authentiques de Jeanne,
154. — Elle n'a pas songé à retourner dans sa
famille après le sacre. — A-t-elle manqué à sa
mission ? i56. — Son désir de voir le roi entrer
dans Paris, 157, 160. — Elle écrit au duc de Bour-
gogne, 160; — aux habitants de Reims, U)3. —
Défie les Anglais, sans pouvoir leur faire accep-
ter la bataille, 168. — Prend sur elle d'attaquer
Paris, 173. — Examine les positions, 174. —
Donne l'assaut. — Force la barrière Saint-Hono-
ré, 176. — Somme la ville de se rendre. —
Blessée et ramenée à la Chapelle. — Retourne
le lendemain devant Paris. — Invitée par le roi
à retourner vers lui à Saint-Denis, elle obéit à
regret, 178, 179. — Dépose ses armes à l'abbaye
de Saint-Denys. — Suit avec tristesse le roi qui
se retire, 180. — Son autorité compromise par
les courtisans, 1S2. — L'échec de Pans ne prou-
ve rien contre sa mission, 184.
V. Compiègnc, i85 et suiv. — Lettre de Jeanne
aux habitants de Riom, 196, 197. — Elle prend
d'assaut Saint-Pierrcle-Moustier. — Assiège inu-
tilement la Charité, 198. — Est anoblie. — Dé-
masque l'imposture d'une visionnaire, 199. —
Correspond avec les habitants de Reims, 20Ï.
— Quitte la cour et va rejoindre les combattants
à Lagny, 202. — Bat une troupe d'Anglais com-
mandée par F'ranquet d'Arras, 2o3. — Terreur
qu'elle inspire, 204. — Défense de Compiègne
contre les Bourguignons, 206. — Plan d'attaque
de la Pucclle. — Elle fait une sortie, 208. —
D'abord victorieuse, puis obligée de battre en
retraite. — Tombe au pouvoir de l'ennemi,
malgré sa résistance, 20g. — A-t-elle été trahie ?
2 10, 2 1 1. — Sa captivité ne prouve rien contre sa
mission, 212. — Elle en est la suite. — Le Pro-
cès porte témoignage en sa faveur, 2i3.
Procès de la Plcelle.
VI. Houcn. Les Juges, 21 5 et suiv. — Prison»
nière de Jean de Luxembourg, Jeanne est en-
voyée au château de Bcaulieu, 21 5. — Elle est
vendue aux Anglais, 219. — Tentative d'évasion.
— On la transfère à Beaurevoir. — Elle refuse
les habits de femme, 220. — Saute du haut de
la tour. — Sainte Catherine vient la réconforter,
— On la remet aux mains des Anglais, au Cro-
toy, 221. — Elle reçoit la visite des dames
d'.Vbbeville, 222. — Acharnement de l'Univer-
sité, qui presse le roi d'Angleterre de l'amener
à Paris, pour lui faire son procès, 223. — Con-
duite à Rouen pour y être jugée. — Enfermée
dans une cage de fer. — Refuse de s'engager à
ne plus s'armer contre l'Angleterre, 224. -^
Composition du tribunal présidé par Pierre
Cauchon, 226, — sous la main de Bedford et de
Winchester, 228. — Jeanne enchaînée et gardée
par des soldats anglais, 23o. — Illégalité des for-
mes; — enquêtes supprimées, interrogatoires
altérés, 23 I.
VU. L'l7istntction, — Commencement du ju-
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
543
sèment. — Informations, 235. — Jeanne de-
mande en vain qu'on adjoigne à ses iuges des
ecclésiastiques du parti français. — Elle paraît
devant le tribunal. — Premier interrogatoire
public, 236 et suiv. — Jeanne, commise à la
garde de Jean Gris. — Débat sur le serment, 240.
— Jean Beaupère poursuit son interrogatoire,
241. — Pièges qu'il lui tend touchant ses révé-
lations, 242. — 3* séance. Nouvelle insistance
pour le serment, 243, — et au sujet des voix, 244.
— Jeanne raconte son enfance, 246. — 4* au-
dience, 247 et suiv. — ■ Interrogatoire touchant les
voix, 24S : — les habits d'homme, 249; — l'épée
de sainte Catherine de Fierbois, 25o; — la ban-
nière: les opérations militaires, 25 1. — 5" audience.
— Incident relatif à l'obéissance due au pape, 2 52.
— Jeanne interrogée sur sa lettre aux Anglais. —
Prédiction de la prise de Paris, 2 53. — Reprise de
la question desapparitions, 254; — et des croyances
superstitieuses, 256. La Pucelle refuse de rien
diretouchantle signe donné au roi, 258. — 6*^ au-
dience. — Désordre des questions posées, 25o et
suiv,; sur frère Richard ; sur les honneurs rendus à
la Pucelle, 201 ; — sur la résurrection d'un enfant
à Lagny, 262; — le siège de La Charité; le séjour
à Beaure voir, 263. — Interrogatoires Jans la prison,
264 et suiv. — On insiste principalement sur le
signe donné au roi, 266. — Réponse allégorique
de Jeanne. 267. — Questions sur saint .Michel ,
26S; — sainte Catherine et sainte Marguerite, 269.
— Efforts des juges pour établir qu'il s'agissait
de mauvais esprits, 271.— Refus de la Pucelle de
prendre des habits de femme; ses motifs, 275. —
On lui représente son échec comme une preuve
contre la véracité de ses voix, 27S; — sa tentative
d'évasion comme une intention de suicide, 2j().—
Franch ise des réponses, 2f-o.— Elles ne fournissent
rien de sérieux contre elle , 282. — Question insi-
dieuse imaginée par un juge ; Jeanne veut-elle
s'en rapporter à la décision de l'Eglise? 283 et suiv.
— Les Témoins, 2S6 et suiv.— Simplicité, bon sens
et présence d'esprit delà Pucelle. — Protestations
contre les procédés de l'interrogatoire, 2S7. —
Jeanne privée de conseil. — Quelques assesseurs
lui sont favorables, 288. — Elle est trahie par
de prétendus conseillers, 289.
VIII. Le Jugement, 291 et suiv. — Lecture est
donnée à Jeanne du procès-verbal, 292. — Elle
reçoit dans sa prison la visite de P. Cauchon qui
veut lui faire quitter ses habits d'homme, 293. —
Prestation de serment, 204. — L'acte d'accusation ,
tissu d'imputations calomnieuses. — Comment
Jeanne les repousse, 296. — Ses déclarations sur
les articles où elle avait requis délai.— Interrogée
sur sa soumission à l'Église, 3oi et suiv. — Réduc-
tion des articles à douze. — Us ne sont point com-
muniqués à l'accusée, 3o3. — Le prétendu refus
d'obéissance à l'Église, unique fondement du pro-
cès, 304. — .A.vis des jurisconsultes et des théolo-
giens sur les douze chefs d'accusation, 3o8. —
Jeanne tombe m^\cii<t. — Admonition charitable
de l'évêque de Beauvais, 309, 3io. — Réponses
de Jeanne, 3 12. — Elle demande des témoins de
son parii. — Menacée d'être mise à la torture,
3i-|. — Seconde admonition , 3 16, 320. — Jeanne
ne se laisse point ébranler, 322.
IX. L'Abjuration, 323 et suiv.— La Pucelle
amenée sur un échafaud dressé dans le cime-
tière de l'abbaye de Saint-Ouen. — Sermon que
lui adresse Guillaume Érard , 324. — Elle l'inter-
rompt pour défendre Charles Vil , 325. — Sa ré-
ponse inspirée, 326. — Elle se fait expliquer ce
qu'est l'abjuration. — Sommée et pressée par
tous, elle tinit par céder et déclare se soumettre
à l'Église, 327. — La formule d'abjuration insérée
au procès est justement suspectée, 328. — Fu-
reur des Anglais contre les fauteurs de l'abjura-
tion.— Jeanne ne leur échappe pas cependant,
330. — Elle est condamnée à la prison perpé-
tuelle et rendue, contre son attente, aux Anglais,
33 1. — Elle accepte des habits de femme, puis re-
prend ses habits d'homme, 332. — Interrogée,
elle déclare que ses voix lui ont reproché son
abjuration, 334. — Proteste qu'elle préfère la
mort. — Joie de P. Cauchon et des Anglais, 335.—
Véritables motifs de la reprise des habits mascu-
lins: — Brutalité des gardiens de Jeanne; — atten-
tats contre sa pudeur, 338. — Elle est déclarée re-
lapse, 340.
X. Le Supplice, 343 et suiv. — Visite de Martin
Ladvenu et de Jean Toutmouillé à la prison. —
Préparation à la mort. — Scène de douleur et de
larmes. — Nouvel effort de l'évêque de Beauvais
pourobtenirde Jeanne un désaveu de sa mission,
344.^ 11 l'amène à dire que ses voix l'ont déçue,
suivant une information qui ligure à la suite du
procès, 345. — Discrédit de cette pièce, 346. —
Jeanne se confesse et communie. — Elle se rend
au supplice en pleurant, 348. — Inscription placée
surlebiicher. — Sermon de Nicole Midi. — Exhor-
tations de l'évêque, 35o. — Jeanne défend encore
son roi. — Témoignages de sa piété , 35 1 . — Les
Anglais pressent l'exécution. — Les larmes s'é-
chappent de tous les yeux. — Le feu est mis au
bûcher. — Fermeté de Jeanne, au dernier mo-
ment, 352. — Sa mort rentre dans l'ordre de sa
mission , 3 54,
XI. La Réhabilitation, 335 et suiv. — Les cendres
de Jeanne jetées à la Seine. — Elle est proclamée
sainte par tout le monde, — La réprobation publi-
que s'attache aux auteurs de son supplice, 356.—
Conduite révoltante de la cour de France envers
la Pucelle, 358. — Les Anglais tentent l'apologie
de leur conduite, 3do. — Silence affecté des cour-
tisans de Charles VII, 36i. — La fausse Pucelle,
362. — Accomplissement de la prédiction de
Jeanne d'Arc : les .anglais chassés de France,
363 et suiv. — Révision de son procès, 366etsuiv.
— L'Église s'y trouve engagée : — appel au Pape.
— L'artaire, de politique, devient privée, 367. —
Commissaires désignés par le Pape : l'archevêque
de Reims, les évêques de Paris et de Coulances,
et l'inquisiteur J. Bréhal. — Instance introduite
parla mère de Jeanne, — Les témoins, 368. —
Réunion des commissaires dans le palais archié-
piscopal de Rouen. — Leur jugement, 372.
— Publication de la sentence de réhabilitation à
Rouen et à Orléans , 376.
Xll. — Rélmbititation dans l'histoire. — Protos-
tations des chroniqueurs contre la condamnation
de Jeanne, 38i et suiv. — Auteurs de légendes,
379. — Témoignage rendu par Pie II à la mé-
moire de la Pucelie,3S4. — Publication du procès
parM.J.Quicherat, 386. — La condamnation etie
supplice de Jeanne ne sont pas imputables à l'E-
glise, 387 et suiv. — Conclusion : jugement sur
la mission de la Pucelle. —Caractère divin de son
œuvre, 389 et suiv. — Pourquoi l'Eglise ne l'a pas
encore déclarée sainte, 392.
Itinéraire de Jeanne d'Arc, 410.
Anoblissement. — Concessions d'armoiries par
Charles VII à Jeanne, après la délivrance d'Or-
léans, 414. — Elle n'en fait pas usage, 416. —
544
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
Lettres d'anoblissement pour Jeanne et sa familli;
(texte et traduction), 41S. — Sa descendance, 41}.
Jeanne d'Arc dans les lettres. 425 et suiv. —
Poésie, 426 et suiv. Voy. Christine de Pisan,
LE Franc (Martin), Mabtial de paris, Saint-Ge-
LAis (Oct. de), Chapelain (Jean), Southey (Ro-
bert), Delavigne (C), Soumet (A1«.), Barbier
(Aug.), DÉROULÈDE (Paul), Stecgal (Robert). —
Théâtre, 457 et suiv. — Le Mystère du sie'ffe d'Or-
léans, id. — Voy. Duc (Fronton du), Shakespeare,
ViREY (Jean de), Chrestien (Nicolas), Hedelin
(François), Zamora (Antonio de), Schiller, Avri-
cni (Charles-Jos.d'), Pl'vmaigre (Th. de), Porchat
(J.-J.), Renard (.\th.) et Barbier (P.-J.).
Jeanne d'Arc et la musique, 493 et suiv. — Pour-
quoi la Pucelle n'a pas inspiré de chansons popu-
laires, 494. — Opéras et cantates. Voy. Kreutzer
(Rodolphe), Andreozzi, Verdi (Giuseppe), Cabaka
(Michel), — DuPREZ (Gilbert), — Serpette (Gas-
ton), Gounod (Ch.), Pfeiffer (Georges) et Mer-
MET.
Iconographie de Jeanne d'Arc, 523 et suiv.—
Ses portraits, 526. — Imagerie. — Sculptures et
peintures. Voy. Benouville, ChapU (Henri), Clè-
RE(Georges), Foïatier, Ingres, Lameire (Charles),
Orléans (princesse Marie d). Rude , Scheffer
(Ary), Slodtz (Ambr.-Paul), Vital-Durrav.
Vœux pour la canonisation, 532, 533.
Joinville (seigneurie de), 33.
Jouve (Louis), cité, 487.
Judith. — La Pucelle lui est comparée, 119.
Jumiéces (abbaye de), son église, 329.
JuMiÉGES (abbé'de). Voy. le Roux (Nicolas).
JuvÉNAL des URsins (Jean I"). prévôt des mar-
chands, 373.
JuvÉNAL DES Ursins (Jcan II), archevêque de Reims,
36i. — Nommé par le papo pour reviser le pro-
cès delà Pucelle , 368. — Portrait, 373.
Keller (Alphonse), auteur de Jeanne d'Arc, panto-
mime, 497.
Kreutzer (Rodolphe), violoniste.— Met en musi-
que la Jeanne d'.\rc à Orléans de J.-B. Choudard,
494.
La Chambre (G. de), témoin au procès de réhabili-
tation de Jeanne d'Arc, 328.
La Chapelle, près Paris, 176, 17S.
La Charité, prise par Perrin Grasset, 1.4. — Occu-
pée par les Anglais, i23, 1S9. — Assiégée par la
Pucelle, 19S, 263, 299.
Ladvenu (frère Martin). — Déclare Jeanne relapse,
340. — La prépare à la mort, 343. — L'a-t-il ame-
née à se rétracter ? 34?. — Reçoit sa confession et
lui donne la communion, 34S. — Témoin au
procès de réhabilitation, 368.
La Favette (Gilbert de), maréchal de France. —
Prisonnier des Anglais à Verneuil, 16.
La Fontaine (Jean de), juge commissaire de la Pu-
celle, 234. — Chargé de l'interroger dans la pri-
son, 264. — Piège qu'il lui tend, 283. — Lui donne
lecture du procès-verbal, 292.
Lagnv-sur-Marne, 180. — La Pucelle y séjourne,
2o3. — Enfant ressuscité à sa prière, 262.
Lagny-le-Sec, 166.
La Hire (Etienne de Vignoles, dit). — Sa prière
avant la bataille, i3. — Vaincu à Verneuil, i5. —
Repousse Warwick, 18. — Échoue à la journée
des Harengs, 21. — Prend part à la délivrance
d'Orléans, 64, 75, 85. — Poursuit les Anglais qui
se retirent vers Meun, 92. — Rejoint le duc
d'Alençon, ïo3. — Assiste à l'attaque deJargeau,
104. —Commande l'avant-garde à la bataille de
Patay, 1 14. — Accompagne le roi à Reims, 123.—
Renonce, sur les remontrances de la Pucelle, à son
habitude de jurer, 141. — Va reconnaître les po-
sitions des Anglais, ifîii. — Fait des courses dans,
les pays du duc de Bourgogne, 1 88.- S'empare
de Louviers et de Château-Gaillard, 202. — Fait
prisonnier près de Louvicrs,364. — Sa signature,
374-
Laiguisé (Jean), évêque de Troyes, 128.
Lameire (Charles), auteur d'une peinture représen-
tant Jeanne d'Arc, à cheval, tenant la couronne
de France, i55, 53i.
Lancastre (maison de), 3.
Landes (Jean des) dit Boucandry, i | (, i |5.
Langue d'Oc (États de lîi), 14.
Langue d'Oïl (États de la) , 14.
Lannov (le sire de), i8().
Laon, se soumet à Charles VII, 162.
Laon (évêque de). Voy.CHAMPtAUX (GulUnumedcl.
La PiERRE(lsambard de). — Constate l'altération du
procès-verbal d'interrogatoires delà Pucelle, 23 i,
2S7. — Essaie de lui venir en aide. — Menacé
par Warwick, 288. - Conseille à Jeannne de se sou-
mettreau concile de Bâle,3o5. —Témoigne en sa
faveur, 338. — La déclare relapse, 340. — Lui
apporte une croix sur le lieu du supplice, 35 1.—
Témoin au procès de réhabilitation, 368.
Laprade (Victor de), cité, 5i5.
Lassois (Durand et Thibault), dits le Noble, 434.
Latour (Antoine de), cité, 475.
I.AUNAY (de), 423.
Laval, livré aux Français, 186.
Laval (dame de), recommande ses fils :^ la Tré-
mouille, 102.
Laval (Gilles de). Voy. Rais.
LAVAL(Gui de). -Peinture qu'il (aitde Jeanned'Arc
dans une lettre, 100. — Il l'accomp.ignc, 102,106.
— Suit le roi à Reims, 1 23. — Assiste au sacre, i38.
Laxard (Durand), oncle de Jeanne d'Arc, 36, 38. —
Sa maison à Burcy-le-Petit, 37.
Leborne (Aimé), auteur d'une cantate sur Jeanne,
d'Arc, 498.
Le Boucher (Marie), loge la Pucelle â Compiègne,
206.
Le Bouvier (Jacques, dit Berri) , i3.
Lebrun des charmettes (Ph.-A. ), auteur de l'Or-
Icanidc, 455.
I.ECLERC (Sébastien), graveur, 395.
Le Duchat (Frédéric), conseiller au parlement de
Metz, 423.
LEFEnvRE(Jean)ou FABRi.augustin.— Constate une
altération du procès-verbal des interrogatoires de
la Pucelle, 23o, 2S7.
Lefeuvre, sculpteur. — Statue de Jeanne d'Arc,
29.
Le Franc (Martin) , poète bourguignon, auteur du
Championdes Dames. — Ses vers sur Jeanned'Arc,
430 et suiv.
Le Liepvre (famille), 423.
Leliis (Théodore de), auditeur de rote. —Son mé-
moire relatif à la révision du procès de la Pu-
celle, 368.
Lemaire (Guillaume)ouLEMARiÉ, chanoine de Poi-
tiers, chargé par le roi d'examiner la Pucelle, 56.
Lemaître (Jean), vice-inquisiteur, juge de la Pu-
celle, 227, 234, 264. — Ne lui est pas défavo-
rable, 288.
Lemarié (G.). Voy. Lemaire.
Lenglet-Dufresnoy, cité, 386.
Le Picard (Elisabeth) , 423.
L'Ermite (Pierre), officiai de Tours, 144, 145.
Le Roux (Nicolas), abbé de Jumiéges, juge de la
Pucelle, 233, 329.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
545
Le Royer (Henri). — Sa femme loge la Pucelle à
Vaucouleurs, 40, 42.
Le Rover (Médard) de Chaleiiies, 424.
Lhuillier (Jean), s' de Boulancourt, président de-
là Chambre des comptes, 4i5.
Lignerolles, 1 12.
LiGNY {comte de). Voy. Luxembourg (Jean de).
Lis (du). Voy. Lvs (du).
LisiEux (cathe'drale de) , j.it).
LisiEux (évëque de). Voy. Basin (Thomas), et Cas-
TiGLiONE (Zenon de).
L'Isle-Adah (s' de), partisan du duc de Bourgogne,
i32. — Défend Paris contre la Pucelle, 1/3. —
S'en empare pour Charles Vil, 365.
Loches (château de). — Jeanne d'Arc y rend visite
à Charles VII , oS. — Vue de la ville et du châ-
teau, 09.
Lohéac (s' de) rejoint l'armée de Jeanne d'Arc, 106.
— Accompagne le roi à Reims, I23.
LoHiER (Jean), jurisconsulte. — Déclare illégal le
procès de la Pucelle, 291.
Loire, 18, 19,48.— Carte, 67.
Lombard (Jean), professeur de théologie, 56. — In-
terroge Jeanne d'Arc, 5s.
Lombards à la solde de Charles VII, 14. — Pren-
nent part à la bataille de Verneuil, i5.
Londres, S. — (Vicomtes de), 204.
Longueil (Richard Olivier, cardinal de), évêque
de Coutances, nommé par le pape pour reviser
le procès de la Pucelle, 368.
L0NGUEVILLE (comte de). Voy. Dundis.
LoNGUEviLLE (prieur de), juge de la Pucelle, 233.
LoRÉ (Ambroise de). — Prépare un convoi de vi-
vres pour Orléans, 64. — Surveille les mouve-
ments des Anglais aux environs de Senlis, 166.
— Sa signature, 374.
Lorrain (Jean le), canonnier, 82; — au siège de
Jargeau, 106.
Lorraine (duc de). Voy. Charles I", Charles III,
Renë d'Anjou.
Louis XI, dauphin, s'empare d'une bastille devant
Dieppe, 405. — Nomme Jean du Lys le jeune
échevin d'Arras, 421.
Louis XIII. — Lettres patentes pour augmentation
d'armes aux armoiries de MM. du Lys, 420.
Louis de France, duc d'Orléans. Voy. Orléans.
Louis II d'Anjou, 17.
Loudun, ioS.
LouVET (Jean), conseiller de Charles Vil, 12.
Louviers, pris par la Hirc. 202.
LouvRES, occupé par Bcdford, 166.
LoYSELEuR (Nicolas), chanoine de Rouen, juge de
la Pucelle, 227. — Se donne pour son conseiller
et la trahit, 289, 292. — Est d'avis d'employer la
torture, 3i6. — S'etîorce d'obtenir l'abjuration
de Jeanne, 324. — La déclare relapse, 340. —
S'emploie au dernier moment pour lui arracher
le désaveu de sa mission, 345. — Ses remords,
349. — Il meurt subitement, 356.
Lude (le s' du), tué devant Jargeau, io5.
Luxembourg (armes de), 09.
Luxembourg (Jean de), comte de Ligny. — Envoyé
par le duc de Bourgogne vers Charles Vil , 17
186, — Assiège Compiègne, 208. — Repoussé sur
Clairoix, 209. — La Pucelle tombe entre ses
mains, 21 5. — 11 la livre aux Anglais, 219-221
— Lui propose de la racheter, si elle veut s'en-
gager à ne plus s'armer contre l'Angleterre, 224
— Sa signature, 375.
Luxembourg (Louis de), évêque de Thérouanne
chancelier de Bedford à Paris, 173, 174.
LïON, 86, 88.
Lvs (du) ou Lis, nom pris par les frères de Jeanne
d'Arc, 199, 416. — .\n0bli5sement de la famille
du Lys, 416, 418. — Lettres patentes de Louis
XIII pour augmentation d'armes aux armoiries
de Charles du Lys et Luc du Lys, s' de Raine-
moulin, 420. — Descendance des frères de Jeanne
(tableau généalogique); — par les femmes : Re-
née, Elisabeth, Hel-wide, Catherine et Françoise
du Lys, 423, 424. — Voy. Arc.
Lys (Charles du), auteur d'un recueil d'inscriptions
relatives à la Pucelle, 439.
Lys (Jean du). Voy. Arc (Jean d').
Lvs (Jean du\ le jeune, échevin d'Arras. — Con-
traint de se retirer à Lihonsen Santerre, 421, 422.
Machet (Gérard), évëque de Castres. — Chargé
d'examiner Jeanne d'Arc, 56.
Maçon. — Philippe le Bon y reçoit des députés de
Charles VII, 16.
Maçon (Robert Le). Voy. Trêves (s' de).
Macy (Haimond de), témoin au procès de réhabili-
tation de Jeanne d'Arc, 33o.
Madelon (Jacques), 56.
Maguelonne (évëque de), 56.
Maheutres, 398.
Maillotins, 5.
Maleyssie (Jacques de Tard jeu, marquis de), 424.
Malherbe. — Épigramme sur la Pucelle, 440.
Malines (armes de), 159.
Manchon (Guillaume), greffier du tribunal chargé
de juger la Pucelle, 228. — Erreurs et omissions
dans ses procès-verbaux, 23 1, 234, 292. — 11 est
menacé par les Anglais, 332. — Témoignage en
faveur de Jeanne, 338. — Sa signature, 342. — H
refuse de signer une fausse attestation. 346. —
Témoin au procès de réhabilitation, 368. — Ci-
té, 240.
Mandres (Nicolas), 423.
Marchand de Milly (famille), 424.
Marche (le comte de La). Voy. Bourbon (Jacques
de).
Marchenoir, occupé par les Anglais, I23
Maréchal (Claudine), 423.
Margnv, occupé par les Bourguignons, 208.
Mabguerie, juge de la Pucelle.— Menacé par les
Anglais, 332.
Marguerite (sainte) apparaît à Jeanne d'Arc, 34,
36, 154. — Interrogatoires relatifs à ses appari-
tions, 248, 254, 256, 259, 299, 334.
Marie d'Anjou, reine de France. — Reste à Bour-
ges pendant le voyage de Charles VII a Reims,
123.
Marie d'Avignon. — Ses prédictions, 60.
Marin (famille de), 423.
Marle (comtesse de), 409.
Marne, 47.
Martial de Paris dit d'AuvERGNE, procureur au
Parlement, — Auteur des Vigiles de Cluirles VII.
— Vers sur la Pucelle, 383, 432 et suiv.
Martin V, pape, — Essaie de réconcilier Charles
VII et le duc de Bourgogne, 16.
Mas (Jean du), élu de Clermont, 196, 107.
Massieu (Jean), huissier du tribunal chargé de ju-
ger la Pucelle, 228. — Menacé par P. Cauchon
pour s'être montré favorable à Jeanne, 23i, 289.
334. — Chargé de lui expliquer ce qu'est l'abju-
ration, 327, — Témoigne en sa faveur, 338, 339,
— L'accompagne au supplice, 348, 35 1. — Té-
moin au procès de réhabilitation, 368.
Maugier (Pierre), avocat de la famille d'Arc au
procès de réhabilitation, 372.
Maurice (Pierre), juge de la Pucelle, 234, 292, 2q3.
— Chargé de lui exposer ses prétendus crimes •
JEANNE d'arc III. — 6t)
546
TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES.
320. — S'efforce, au dernier moment, d'obtenir
d'elle le désaveu de sa mission, 34 5. — Rend
hommage à sa sainteté, 356.
Maxey, village voisin de Domremy, 26, 33, 246.
Meaux (évêque de). Voy. Versailles (P. de).
IViÉDAiLLE frappée en l'honneur de l'expulsion des
Anglais, 367.
MÉDAILLES à l'effigie de Jeanne d'Arc, 147.
Mehun-sur-Yèvre, 189, 420. — Château de, 417.
Melun, occupé par Bedford, i63, 27S, 533.
Ménage (Mathieu), 54.
Mengette, amie de Jeanne d'Arc, 3o, 32, 40.
Merle (Jean), fourrier du dauphin, 194, igS.
MERMEr (M.), auteur des opéras Roland à Ronce-
vaux et Jeanne d'Arc. 5i5. — Deux fragments
inédits de ce dernier : Chœur des Anges (finale
du premier acte), 5if) et suiv. — Récit de Vappa-
rilion de saint Michel et des saintes (duo du pre-
mier acte), 5iS et suiv.
Mérv, auteur d'un librctto de Jeanne d'Arc, 5o2.
Metz (secrétaire de la ville de), i5i.
Metz (Jean de). Voy. Nouillontont.
Meun, 19, 68. — Les Anglais s'y retirent après la
levée du siège d'Orléans, 92. — Occupé par Tal-
bot, 98. — Pris par la Pucelle, 107 et suiv. —
Attaque du pont, 109. — Les Anglais battent en
retraite, 1 12.
Melse (Vallée de la), =5.
Mëver (Jacques), historien, favorable à la Pucelle,
386.
Michel (S.) apparaît à Jeanne d'Arc, 34, 154. —
Interrogatoires touchant ses apparitions, 249,
254, 256, 259, 26S, 299.
Midi (Nicolei, juge de Jeanne d'Arc, 227, 234, 292,
293. — Porte l'acte d'accusation à l'Université,
309, 3ii. — Assiste au supplice et y prononce
un sermon, 35o. — Kst atteint de la lèpre, 356.
Miget (Pierre), témoin au procès de réhabilita-
tion, 328.
Milan (Philippe-Marie, duc de), i5o.
MiLLOT (Henri), auteur d'une Jeanne d'Arc, drame
en prose, 487.
MiTHv, occupé par Bedford, 166.
Monnaies. — Variations de la livre tournois, 1S9.
— Monnaies frappées en France par les Anglais
reproduisant les types français, 190, 191. — Mon-
naies françaises frappées sous Charles VI et
Charles VII, 192.
Monnet (J.), témoin au procès de réhabilitation, 328.
Monstrelet, cité, 64, 172, 384. — Approuve la con-
duite des Anglais envers la Pucelle, 36i.
Montagu (Thomas de). Voy. Salisburv.
Montaigne (Michel de), cité, 238.
Montargis. — Warwick y échoue, 18. — Secours
envoyé à Orléans, 74, 123, 180.
Montbason (Guillaume de), in-, 145.
MoNTÉpiLLOv, occupé parl'armée française, 166, 170.
Montereaii-faut-Yonne, i5(. — (Pont de), 7.
MoNTFAi'CoN en Berri, 199.
MoNTFORT (Comté de), 409.
.Montcommeri, capitaine anglais. — Occupe Pont-
l'Evêque, 206; — et Venette, 208.
Montier-en-Der, 26.
MoNTMIRAIL, 163.
M0NTM0RENCÏ (Baron de) , sort de Paris pour se
joindre à la Pucelle, 178.
MoNTpiPEAii, évacué par les Anglais, 1 16.
MoRANCouRT (CouRTOis de), 423.
MoREL (Jean), de Domremy, 128.
MoRHiEB (Simon), prévôt de Paris. — Nommé par
les Anglais capitaine Je Saint-Denys, iS5.
MoRiN (Jordan), 56.
MoRiN (la Croix), 74.
Motte-de-Nangis (la), i63.
Moulins (butte des) ou Saint-Roch, 176.
Musique (état de la) sous Charles VU, 104.
Mynette (Marie-Françoise), i5i.
Namur (armes de), 159.
Nancy, 46.
Nariîonne. — Charles VII écrit à ses habitants, 96.
Narbonne (Guillaume, vicomte de), 12. — l'ué à
Verneuil, 16.
N'eufchateau, 25. — Les habitants de Domremy
s'y réfugient, 33.
Nevers (Charles de Bourgogne, comte de). — Ses
possessions, 409.
Nevers (Philippe de Bourgogne, comte de), tué à
.'Vzincourt, 16.
NicorOLis (bataille de), 20.
Noël du Lys (Jean), 423.
Nocent-sur-Seine, 172.
NoNETTE (la), 166.
Normandie, 182. — Se soulève contre les Anglais,
364. — Conquise, 366.
Notre-Dame de la Victoire, abbaye, 166, 167.
Notre-Dame de Paris. — Tympan de la porte
Sainte-Anne, 372.
NouiLi.oNPONr (Jean de) ou de Metz, 40. — Accom
pagne Jeanne d'Arc, 42, 46, 62.
NOVELLE, 208.
NoYoN, occupé par les Anglais, 206.
Oise, rivière, 20S.
Olivet, près d'Orléans, 68.
Orange (Louis de Châlon, prince d'), i3.
Orléans. — S'impose pour subvenir aux frais de la
guerre, 198. — Voyages faits par Jeanne d'Arc à
Orléans, après la levée du siège, io3. 106, 120,
122, 199. — Honneurs rendus par les Orléanais à
la fausse Pucelle, 362. — Publication de la sen-
tence de réhabilitation de Jeanne d'Arc, 376. —
Monuments expiatoires, 378, 38o. — Procession
annuelle, 94, 392.
Okléans (carte J') et des environs, 67. — Vue d'Or
léans en 1429, 71. — Carte des environs, 101
Orléans (siège d'), 18 et suiv., 68 et suiv., 25i. - ~
Attaque des l'ourellcs. — Mort de Salisbury, 19.
— Arrivée de Talbot et de Sutfolk. — Travaux
d'approche. — Forces des assiégés et des assié-
geants, 20. — Journée des Harengs. — Le blocus
se resserre, 21. ~ Le duc de Bourgogne aban-
donne le siège, 22. — Ambassade au roi pour
presser le secours, 5o. — Arrivée de Jeanne d'Arc,
68. — Convoi de vivres introduit. — Entrée de la
Pucelle avec Dunois, 70. — Les assiégés devien-
nent assiégeants, 72. — Renforts amenés par Du-
nois, 75. — Les Anglais repoussés. 76. — Prise
de la bastille des Augustins, 82. — Assaut du fort
des Tourelles, 85 et suiv. — Fuite des Anglais,
00. — Incendie du pont. — Rentrée de Jeanne
dans la ville, 91. — Retraite de Talbot. — Les
Orléanais brûlent les bastilles, 92. — Procession
commèmorative, 94, 3g2.
Orléans (Journal du siège d'), 154.
Oni.tAKS{.\tystèrediisiéged'). — Extraits, 463 et suiv
Orléans (le bâtard d'). Voy. Dunois.
Orléans (évêque d'). Voy. Saint-Michel (Jean de).
Orléans (Charles, duc d'), 409. — Prisonnier des
Anglais, 8, iS. — Jeanne d'Arc promet de le déli-
vrer, 276-278. — Sa signature, 3^i. — Ses posses-
sions, 40Q.
Orléans (Louis de France duc d ), assassiné par
Jean-sans-Peiir, 5.
Orléans (la princesse Marie d'). — Ses statues de
Jeanne d'Arc, 452, 486, 53o.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES.
H7
OzANNEAi'x (Georges). — Extrait de sa Mission Je
Jeanne ii'Arc, chronique en vers, 455.
Pacini (Jean), compositeur italien, 496.
Pagel du Lvs (Pierre), 423.
Palais de justice de Pans, 175.
Pardiac (comte de). Voy. Armagnac (Bernard d'}.
Paris. — Se déclare pour le duc de Bourgogne, S.
— Philippe le Bon y vient trouver Bedford, i?o.
- La garde de la ville confiée .i Winchester et au
duc de Bourgogne, i5S. — Bedford y amène des
troupes, 16H. — Attaqué par la Pucelle, 1-3 et
suiv. — Défense préparée par les -anglais. — Es-
carmouches, 174. — L'assaut, 176. — Vue de l'en-
ceinte voisine de la porte Saint-Honoré, 177. —
Charles V'II renonce à en faire le siège, 178,
179. — Entrée du duc de Bourgogne, 182. —
Cherté des vivres, iSç). — Mécontentement contre
Bedford et la faction bourguignonne, 202. —
Conspiration découverte, 2o3. — Les Parisiens
pressent Philippe le Bon de faire la paix. — Prise
de la ville par Dunois et Richcmont, 365.
Paris (le Bourgeois de) , cité, 176. — Approuve la
conduite des Anglais envers la Pucelle, 36i.
Paris (évêque de). Voy. Chartier (Guillaume).
Parlement, ,i Poitiers, i3. — Interrogatoire subi par
Jeanne d'Arc, 56.
Parthenav (seigneurie de) , 108.
Pasquerel (Jean), aumônier de Jeanne d'Arc, 54,
62. — Assiste au sacre, i38. — Témoin au procès
de réhabilitation, 368. — Cité, 75, So, 82, 83.
PASQUiER(i;tienne), cité, 3S5.
Patay (bataille de). — Victoire de Jeanne d'Arc, 114
et suiv., i5o.
Pavaisiers (armure des), 400,405.
Peirat (Christophe du) , 1)4.
Pennons, 399.
Perthes (Pierre de), 424.
Peslieu (Jean), 144 , 14?.
Pfeiffer (Georges), Cantate sur J. d'Arc, 5i5.
Philelphe. — Lettre à Charles Vil , 36i.
Philippe-Auguste (château de) à Rouen, 3i5, 317.
Philippe VI de Valois, roi de France, 3. —Bataille
de Crécy et perte de Calais, 4.
Philippe LE Bon, duc de Bourgogne. — S'allie aux
Anglais, 8, 9. — Conférence tenue à Amiens, i3.
— Il se refroidit à l'éiiai J Je I Angleterre.- Défie
Clocester, 16. — Sl laitachi; .1 I alliance anglaise,
18. — Retire ses tioui'es du Mct;e d'Orléans, 21,
22. — Vient trouver Bedlord à Paris.— Presse
Reims de résister au roi, i3o. — Son portrait, 159,
181. — La Pucelle lui écrit, 160. — 11 feint de ré-
pondre à ses idéesde conciliation, 162. — Conclut
une trêve de quinze jours, 164. — La prolonge,
172. — Resserre son alliance avec Bedford qui lui
donne la lieutenance du royaume et l'investiture
de la Champagne, 182. — Continue â négocier
avecleroi, 186. — Assiège Compiègne, 20ôetsuiv.,
208. —Travaille à la négociation qui livre la Pu-
cello aux Anglais, 222. — Fait la paix à Arras,
365. — Sa signature, 374. — Son épée, 399. —
Sceau, 401. — Ses possessions. 409.
PiccoLoMiNi (.1-:neasSylvius). Voy. Pie II.
PiCHON-LoNGUEi'iLLE (Ic barou de), 424.
Pie II, pape. — Témoignage rendu à la mémoire de
la Pucelle, 3S4. — Portrait, 385.
PiSAN (Christine de). Voy. Christine de Pisan.
Poitiers.- Séiour de Jeanne d'Arc, 56, 94. — Pa-
lais de justice, 57.
Poitiers (bataille del, 4, 116.
Poitiers (États tenus à), 14.
Poitiers (parlement de). Voy. Parlement.
Pôle (Guillaume), 65.
PoLuoiR (Hennés, peintre). — Délibération du Con
seil de la ville de Tours, relative à la demande
adressée par Jeanne d'Arc en faveur de sa lille,
144, 145.
PONT-A-.MOUSSON , 466.
PoNTA NUS (Paul), avocat au Consistoire apostolique.
— Son mémoire relatif à la révision du procès de
la Pucelle, 36S.
Pont-l'Lvëque, attaqué par la Pucelle, 206.
Pont-Sainte-Maxence, 172, 200, 206.
PoRCHAT (J.-J.). — Extraits de son drame Li Mis-
sion de Jeanne d'Arc, 484.
Porhoet (comté de), 408.
PouLENGï (Bertrand de), 42. — Accompagne Jeanne.
46,02.
Prévosteau, représente Isabelle Romée et Pierre
d'Arc au procès de réhabilitation , 372.
Provins. — Se soumet à Charles Vil, 162, 164, 180.
— Vue de la ville, i83.
Pucelle d'Orléans. Voy. Jeanne d'.-\rc.
Pucelle (la fausse). Voy. .\rmoises (Jeanne des).
PuTTLiNGEN ( Vesque de) , auteur de Jeanne d'Arc,
opéra, 495.
PuYMAiGRE (le comte Th. de). — Sonnet consacré à
la Pucelle, 456. — Sa tragédie de A'(!nBeii'.4rf, 482.
QuANTiN (M,), cité, 412.
QuATRE-HoMMEs (Marie ), 424.
QuiCHERAT (Jules). — SoH édition du procès de la
Pucelle, 386. — Cité, 210, 238, 410,412,427,430,
436, 490.
Rabateau (Jean), avocat général au parlement,
56.
Radlev, chevalier anglais, chargé de la garde de
Paris, 173.
Raguier (Hémon) , 46.
Raimond, page de Jeanne d'.-\rc, 62.
Rainemoulin (Luc du Lvs s' de;. Voy. Lvs (du).
Rais (Gilles de Laval s' de), maréchal de France,
12, i3, 64, 85. — Se rend à Selles, 102. — .Accom-
pagne le roi à Reims, 1 23. — Va chercher la sainte
Ampouleàsaint-Remi, i33, 137. — SoumetSenlis,
170. — Prend part à l'attaque de Paris, 170. — Re-
pousse la fausse Pucelle, 362.
RaViMond (romance de) , paroles de J. Barbier, mu-
sique de .M. G. Serpette, 5o2 et suiv.
RvvisioN (de), capitaine anglais, 112.
Ri t;N \i 1 r (l-iuillaume), écuyer d'.Auvergne. — Fait
Suil.dk [uisonnier, 106.
Reims, 48. — Jeanne d -Arc presse Charles VU
d'aller y recevoir le sacre. — Conseils tenus à ce
sujet, — hésitations,— retards, 96, 122. — Lettre
du roi aux habitants, 124, — qui inclinent secrè-
tement vers lui, malgré les instances de Bedford
et du duc de Bourgogne, i3o. — Entrèesolennelle
du roi et de la Pucelle, i3i et suiv. — Cathédrale
de Reims, i35. — Cérémonie du sacre, i3S. —
Château des archevêques de Reims, 139. — Cor-
respondance des habitants avec la Pucelle, 201
262, 274.
Reims (archevêque de). Voy. Chartres (Regnault
de) et JuvÉNAL DES Ursins (Jean II).
RENARD(Athanase). — Son drame /(."jjau'./'/lrc, 485.
Renard (porte) d'Orléans, 20.
Renaideau d'ARC. 423.
René d'Anjou, duc de Lorraine, roi de Sicile. —
Portrait, i5i. — Il vient rejoindre Charles VII à
Reims, i52. — Duc de Bar, 1 66.- Fait prisonnier
à Bulligneville, 364. — Sa signature, 375. — Ses
possessions, 409.
Reuilly Ichâteau de), 70.
Richard II, roi d'.\ngleterre, 3. — Détrôné, 6.
Richard l'archer. 46.
548
TABLE ANALYTIQUE DES >L\TIKRES.
RiCHARU (frère), augustin ou cordelior. — Visite
J. d'Arc devant Troyes. 125. — Croit aux préten-
dues apparitions de Cath. de la Rochelle, 200, 261.
RicHEMONT (Arthur III del, i3.— Rompt avec Bed-
ford, 16. — Nommé connétable de France.— Battu
à Saint-.'amesde Beuvron. — Impose des favoris
à Charles VII, 17. — Vient au siège de Baugency.
— Se réconcilie avec le roi, à la prière de Jeanne
d'Arc, 108. — Prend part à la bataille de Patay,
1 14. — Le roi refuse de l'admettre au voyage de
Reims, 120. — Il reste à Baugency, I23. — S'a-
vance sur la frontière de Normandie, 173, 187. —
Fait enlever la Trémouille de la cour, 364. —
Entre à Paris, 365. — Sa signature, 37?. — Vain-
queur des Anglais à Formigny, 3ti7. — Sa ban-
nière, 399. — Portrait en costume d'apparat,
m. _
RioM. — Lettre de J. d'.\rc aux habitants, 190, 197.
Rochelle (Catherine de La), visionnaire. — Son im-
posture démasquée par J, d'Arc, 200, 263, 3oo.
RoGiER (l'échevin), historien rémois, cité, 412.
RoMÉE (A véline, Jean, Marguerite et Nicolas), sœur,
frère, nièce et neveu d'Isabelle, 424.
R0.HÉE (Isabelle ou Ysabelette), mère de Jeanne
d'Arc, 26, 238. — Poursuit la réhabilitation, 368,
372. — Anoblissement, 418. — Sa descendance
(tableau généalogique), 423.
RoMORANTIN, 102.
Rose (Philippe de La), trésorier de la cathédralede
Rouen. — Travaille à l'enquête sur le procès de
la Pucelle, 366.
Rosiers (.M. de), 46.
RoTSLAER (le sire de). — Lettre relative à la bles-
sure de la Pucelle, 88, 89.
RoiiAULT (Joachim), maréchal de France, 1S7.
Rouelle, bouclier, 403, 404-
Rouen.— Pris par les Anglais en 1419,8.— La Pucelle
y est amenée prisonnière, 224. 'Voy. Jeanne d'Arc.
— Vue du vieux château, 227, 3ii>. — Tour du
château, 265. — Grosse tour, 317. — Repris par
les Français, 366. — Publication delà jcntcnce de
réhabilitation, 376. — Fontaine et monuments
élevés en l'honneur de Jeanne d'.-Vrc, 377, 529.
Rouen (chapitre de), consulté sur l'acte d'accusation
de la Pucelle, 3o8. — Son avis favorable à P. Cau-
chon, 3 16.
Rousse (la), femmedeNeufchâteau. — Loge Jeanne
d'Arc et ses parents, 33.
Rouvrav-Saint-Denïs, 21.
Rouvres (Robert de), évêque de Séez. — Assiste au
sacre de Charles Vil, i3S.
ROXART DE LA SaLLE, 424.
Rude, sculpteur. — Sa Jeanne d'Arc écotitanl les
voix, 489.
Saint-.Vicnan en Berry. — Charles VU y séjourne,
100.
Saint- Aignan (île), 69, 8i.
Saint-Antoine (tour), à Loches, 99.
Saint-Benoit-sur- Loire. — Porche de son église ab-
batiale, 121. — Charles VII y séjourne, 122.
Saint-Cloud (pont de), |85.
Saint-Denis en France, 174. — Entrée de Char-
les VII, 176, 179.— Abandonné par le comte de
Vendôme. — Pillé par les Anglais, i85. — Sur-
pris par les Armagnacs, 2o3, 262. — La Pucelle
dépose ses armes à l'abbaye, 273, 299.
Saint-Denis, église de Reims, 134.
Sainte-Catherine-de-Kierbois, 48. — Eglise, 61. —
Épée trouvée sur l'indication de Jeanne d'Arc,
62, 25o.
Saint-Florent-lès-Saumur, abbaye, 277.
Saint-Florentin, 32. — Se rend àCharles VU, 124.
Saint-Gelais (Octavien de). — Vers relatifs à la
Pucelle dans son Séjour d'Iiniincur, 438.
SAINT-Honoré (porte), attaquée par la Pucelle, 176,
Saint-James de Beuvron (bataille de), 16,
Saint-Jean-le-Blanc, occupe par les Anglais, 22,
Ô4, 68, Si.
Saint-Ladre.- Bastille construite par les Anglais,
20, 21.
Saint-Laurent (bastille), 78, 81, 8;.
Saint-Laurent (église) d'Orléans, 20.
Saint-Loup (bastille), 21,64,68,69,70,76, 77.
Saint-Marcoil. abbaye, 161, 162.
S»int-.Maur, pris par les Armagnacs, 2o3.
Saint-Michel (Jean de), évêque d'Orléans. — Assiste
au sacre de Charles VU, i38.
Saint-Nicolas, pèlerinage près Nancy, 46,
Saint-Ouen (abbaye de), .i Rouen, 325.
Saint-Ours, église collégiale de Loches, 99.
Saint-Phal, 124.
Saint-Pierre le Moustier, occupé par les Anglais,
1S9. — Portail de l'église, 193. — Pris d'assaut
par Jeanne d'Arc, loS.
SAiNT-Pouair (bastille), 20, 21, 72, 76.
Saint-Privé, près Orléans, 20, 81, 82, 84.
Saint-Quentin, disposé à ouvrir ses poites à Char-
les VU, 172.
Saint-Quiriace, église de Provins, i83.
Saintrailles. Io/. Xaintrailles.
Saint Rémi, de Reims, i33.
Saint-Siois.mond, évacué par les Anglais, 116.
Saint-Urbain (abbaye), 47.
Saint-Valerv sur Somme, 222.
Sala (Pierre), 54.
Salade, casque, 396.
Salins (armes de), iSg.
Salisburv (Thomas de Montaov, comte de).— Met
le siège devant Orléans, 18.— Blessé mortellement
à l'attaque des Tourelles, 19.
Sandwich, 204.
Sarrebruck (Jean de", évêque de Châlons. — Assiste
au sacre de Charles VU, i38.
Saveuse (sieur de), partisan du duc de Bourgogne.
— Envoyée Reims, i32. — Occupe Noyon, 206.
Savoie (duc de). Voy. Amédée \'U1.
ScALEs (Thomas de), 65.
ScHEFFER (Ary). — Croquis représentant le supplice
delaPucellf, 353, 53o.
Schiller. -Son drame: /a PKcW/i7j'Or//<jns, 476. —
Extrait du prologue, 477. — Musique ajoutée par
divers compositeurs, 495.
SEtz (évêque de). Voy. Rouvres (Robert de).
SÉFON'i. V o_) . Ceffonds.
Seguin (frère), dominicain, 56. — Interroge Jeanne
d'Arc, 58. — Reconnaît sa mission, i56.
Seine, 47.
Selles, en Berri. — Les États y sont tenus, 14. —
J. d'Arc y séjourne, 100. — Vue de l'église, io3
Selles d'ar.mes, 400, 401.
Sehlis. — Ouvre ses portes à Charles VII, 170 —
182. — Le comte de Vendôme s'y retire, i85.
Senlis (le bailli de). — Fait exécuter Franquet d'Ar-
ras, 2o3,2o5.
Senlis (évêque de). Voy. Bonnet (Simon) et Fou-
QUEREL (Jean).
Septsaulx. — Charles VU y séjourne, i32.
Sergents (armure des), 400 et suiv.
Serpette ( M. Gaston ), compositeur d'une cantate
sur Jeanne d'Arc, 5oo. — Extrait (paroles et mu-
sique), 5oi, 5o2.
Shakespeare, cité 384, 392. — Extrait du drame
Henri VI, 468.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
549
Sicile (reine dej. Voy. Yolande d'AnACON.
Sicile {roi de). Voy, René d'Anjou.
Slodtz (Paul-Ambroise). sculpteur. — Sa statue de
Jeanne d'Arc, 52g.
SoissoNS, 46. — Se soumet à Charles VII, i(i?. —
Livré au duc de Bourgogne, 206.
SoissoNS (comté de), 409.
Soldats (armure des), (oo et suiv.
SoLERETS, pièces d'armure, 3<)3.
Sorel (Agnès). — Fable de sa capture par les An-
glais, 495.
Soumet (Alexandre). — Extraits de sa trilogie de
Jeanne d'Arc, 4?} et suiv., 481.
SouTHEv (Robert), auteur d'un poème anglais sur
la Pucelle, 392. — Qualités et défauts de son
œuvre. — Extraits, 447.
Stafford — Visite la Pucelle prisonnière, et veut
la frapper de sa dague, 224.
Steggal (Robert), poète anglais. — Extrait de sa
Jeanne d'Arc, 458, 460.
Stern (Daniel) , M"" la comtesse d'AcouLT, auteur
d'une Jeanne d'Arc, drame en prose, 487.
Stuart (Jean). Voy. Buchan.
SuFFoLK. — Assiège Orléans. 20, 65, 66. — Occupe
Jargeau, 98. — Repoussé de cette place par
J. d'Arc, 104 et suiv. — Se rend prisonnier, loô.
SuLLV-suR-LoiRE, 17. — Châtcau appartenant à la
Trémouille. — J. d'Arc y va trouver le roi, 120.
Sylvestre (Israël), 528.
Talbot (Jean). — Assiège Orléans, 20, 65, 66. —
Repoussé par Jeanne d'.^rc, 76. — Bat en re-
traite, 92. — Occupe Meun, 98. — Rejeté de cette
place, 107, 108. — Veut livrer bataille, iio. —
Obligé de se retirer. — Prend position près de
Patay, 112. — Est complètement défait. — Pri-
sonnier, 1 16. —Tué a Castillon avec son fils, 365.
— Portrait et bannière, 1 13.
Taquel, greffier, dépose au procès de réhabilitation,
328, 346. — Sa signature, 342.
Tardieu (Jacques de), marquis de Maleyssie, 424.
Termes (s' de). Voy. Armagnac (Thibault d).
Terrefort (Marie Barbe et Raimond Branda de),
424.
THÉAULON(Emmanuel), librettiste, auteur de Jertnnt'
d'Arc à Orléans , 5oo.
Therquanne (évèque de). Voy. Luxembourg (Louis
de).
Thibault (Gobert), écuyer du roi, 56, 59.
Thiesselin (Jeanne), marraine de Jeanne d'Arc, 'il.
Thieux (combats près de), 166.
Tivier(H.), cité, 461.
Toiles (ile aux), 6y.
ToRCY, 186. — Résiste aux Anglais, 202.
TouL (officiai de). — Jeanne d'Arc assignée devant
lui, 40, 44, 274.
TouRAiNE (.Jacques de), juge de Jeanne d'Arc, 227,
234. — Question qu'il lui pose, 2X7, 292. — Porte
l'acte d'accusation a l'Lniversité, 309.
Tour d'Auverûne (s' de La), rejoint J. d'Arc, loô.
Tourelles (fortdes), prés Orléans, 19, 20,73,74.—
Assaut d'abord repoussé par les Anglais.— Jeanne
d'Arc s'en empare, S6 et suiv.
Tournay — J. d'Arc écrit aux habitants, 122.
Touroulde (Marguerite La) d'Orléans. — Ses rela-
tions avec Jeanne d'Arc, 199.
Tours. — Séjour de J. d'Arc, 02; — de la cour, 96.
Tours (conseil de la ville de). — Extrait des délibé-
rations, 144, 145.
Toutmouillé (frère Jean), prépare la Pucelle à la
murt, 343.
Tremolille (Georges de La), chambellan et favori
de Charles VU, 17. — Cherche à maintenir le roi
.dans l'inaction, 5o. — Assiste à ses entretiens
avec la Pucelle, 52. — La dame de Laval lui re-
commande ses fils, 102. — Son ingratitude envers
le connétable de Richemont, loX. — Efforts pour
diminuerl'inlluencedeJeannesurleroi, 1 18, 1 19.
— 11 empêche Charles de se rendre à Orléans, —
et d'admettre Richemont au voyage de Reims,
120; — qu'il veut retarder, 122. — Accompagne
le roi, 123, 124. — Assiste au sacre, i38. — Prend
part à une escarmouche contre les .\nglais; — est
désarçonné et sur le point d'être pris, 168. — Se
lait donner la capitainerie de Compiègne, 170. —
Ne peut être accusé d'avoir livré la Pucelle, 212
— Responsable néanmoins desamort, 36o. — Ri-
chemont le fait enlever de la cour, 364. — Sa si-
gnature, 374.
Tressart, secrétaire du roi d'Angleterre. — Pro-
clame la sainteté de Jeanne, 356.
Trêves (dame de), 60.
Trêves (Robert Le Maçon, s' de), chancelier de
France, 9S, 420.
Troves. — Refuse d'ouvrir ses portes à Charles VII,
124. — Demande à capituler, 126. — Entrée du roi
et de la Pucelle, 128. — Lettre des habitants à
ceux de Reims, i3o, 186, 262.
Troves (traité de), 8. — Ses conséquences, 11.
Turlure (Pierre), dominicain, 56.
Université de Paris, 56. — Demande que la Pu-
celle soit livrée, comme idolâtre, à la justice de
l'Église, 210, 218. — Presse le roi d'Angleterre
de la faire conduire à Paris, pour instruire son
procès, 223. — hournit des assesseurs au tribu-
nal formé pour la juger, 227. — Consultée sur
l'acte d'accusation, 3oS. — Avis officiel, — favo-
rable à P. Cauchon, 3iS. — Elle écrit au ro
d*.ngleterre pour le louer de son zèle, 32o; — au
pape et à l'empereur, elle fait l'apologie du sup-
plice de Jeanne, 36i.
Vaccai, compositeur italien. — Sa G. d'Arco, 496.
ValenïIne de Milan, 14.
Valeranius (Valeran), théologien, auteur d'un
poème sur Jeanne d'Arc, 430.
Valois (Jean de). Voy. Alençon (duc d').
Valpergue (Théode de), Valperga, Lombard-, con
seiUer de Charles Vil, 12. — Attaque Pont-l'É-
vèque, 208.
Vauloui.eurs, 25. — Origine de ce nom, 26, 36. —
Église Notre-Dame, 40. — Statue de la Vierge,
41. — Les gens de Vaucouleursontfoi en Jeanne
d'Arc, 43, 46, 242.
Vaudemont (Louise de), reine de France, 46I).
Vendôme (château de), 171.
Vendôme (Louis de Bourbon, comte de). — Intro-
duit Jeanne d'Arc devant le roi, 5i. — Rejoint le
duc d'Alençon a Orléans, io3. — Accompagne le
rui à Reims, 123. — Commande un corps d'armée,
ib6. — Soumet Senlis, 170. — Garde Saint-Denis
179. — Se replie sur senlis, i85.
Venette, occupée par les Anglais, 20S.
Verdi (Giuseppe). — Sa Giovanna d'Arco, 498.
Vernet (Jean Camus de). Voy. Beaulieu.
Verneuil (bataille de), i5.
Versailles ( Pierre de), évèque de Meaux, 56, 59.
Vexault (famille de), 423.
Vidal (Guillaume), élu de Clermont, 194, 195.
Vienne (Coict de), 46.
Vigiles de Charles VIL Voj. Martial de Paris.
ViGNOLEs (Etienne de). Voy. La Hire.
ViLLEBRESME (Marie de), 423.
ViLLERS (Durand de), 423.
ViLLiAUMÉ (Nicolas), 423.
Villon (François). — Strophe sur la Pucelle, 43 5 .
TABl.E ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
ViNATV, auteur d'une cantate sur J. d'Arc, 498.
ViNCESNES [château de), 11. — Bedford s'y retire,
129, iS5.
ViREv (Jean de), sieur du Gravier. — Extraits de sa
tragédie de Je:inne d\Arc^ 469.
ViscoNTi (Bonne). — Ecrit à Jeanne d'.\rc, 147.
VnAi.-L)L'BRAY. — Bas-reliefs tires de l'histoire de
Jeanne d'Arc, 36, ^l,94, 179, 2i2,3.'i5.
Viruv(.\Iichellede), femme de Jean 1" Juvénal des
Ursins, 373. .
VoisEt'L (Jean, Jeanne. Démange et Marguerite de),
424.
Voltaire, essaie de souiller la mémoire de la Pu-
celle,3S6, 494, 53o.
VouTHON, patrie de la mère de Jeanne d'Arc, 26.
WAiLuy (N.de), cité, iSg.
Wandonne (le bâtard de). — La Pucelle prise par
un archer de sa compagnie, 209, 21 3.
Warwick (Edmond Beaichamp. comte de). —
Echoue devant .Monîargis, iS. — Sa bannière, 1 13.
Warwick (Richard Beal'Cha.«p, comte de). — Vi-
site la Pucelle prisonnière. 224. — .Menace un
des juges trop compatissant de le jeter à la
Seine. 288. — Kait soigner Jeanne, dans la crainte
qu'elle ne meure de mort naturelle, 309, 3 10. —
Assiste à son supplice, 349.
Wat Tyler, 5.
VVawrin, cité, 110. — Assiste âla bataille de Patay,
et la raconte, 1 16.
Werer (Bernard-Anselme), compositeur, 495.
Winchester (cardinal de), iS. — Recrute une arniéi
pour une croisade contre les hussites. — La me
au service de Bedford, 129. — Son voyage en
France pressé par le régent, i58. — Ses troupes
amenées à Paris, i63. — Surveille le tribuna
formé pour juger la Pucelle, 228. — La fait soi-
gner, 309. — Assiste à son abjuration, 323; — ei
à son supplice, où il ne peut retenir ses larmes
3?2. — Fait jeter ses cendres à la Seine. 355. —
Couronne Henri VI à Notre-Dame de Paris, 363
\\'iNDECKEN (Eberhard de), cité, 6.y.
XAiNTRAiLLEs(Potonde), i3. — Bataille de Verneuil
i5. — Journée des Harengs, 21. — Remet un mes
sage des Orléanais au duc de Bourgogne, 22. —
Suite du siège d'Orléans, 64, 85. — Se porte sur
Jargeau, 100. — Accompagne le roi à Reims, i23
— Va reconnaître les positions anglaises, 166,
— Fait des courses dans les pays du duc de Bour-
gogne, 18S. — Attaque Pont-l'Évêque, 206. — Fait
prisonnier avec la Pucelle, 210. — Tombe dans
une embuscade aux portes de Beauvais, 364. —
Sa signature, 374.
Yolande d'Aragon, reine de Sicile, 17 — Portrait,
49. — .\ttestation en faveur de Jeanne d'Arc, 60,
6 t.— Lettre que lui ad ressent troisgcntilsho m mes
d'.Vnjou le jour du sacre de Charles VII, i36, 137.
Yonne, 47-
Za.W)ra {.Vntonio de), poète espagnol. — Extrait de
son drame : la Ponccla Je Orléans. 475.
/.éland; (armes de), iSg.
iL_ Si^
Fig. 224. — Jeanne d'Arc. Buste en bronze de A. Le Vèel (1875).
; lies //. nnsMc Simon Vostre (Ijon). liiWiuth. de M.'Ambroisc finnin-DUlot
TABLE DES FIGURES
I. CHROMOLITHOGRAPHIES.
1. Jeanne entend des voix célestes. Tableau
de Benouville, à Domremy. . . . Frontispice
2. Vue de Domremy et de la vallée de la
Meuse. Aquarelle de Ch. Pensée. ... 32
3. Prophétie de Merlin. Tableau de M. Balze. ^4
4- Arrivée de Jeanne d'Arc à Chinon. Tapis-
serie allemande du xv^ s 5o
3. Episodes de l'histoire de Charles VII et de
Jeanne d'Arc, Manuscrit du xv*^ s. — Le
roi en prière devant le crucifix. — Jeanne
amenéeau château de Chinon. — Jeanne
au siège de Paris 5 [
6. iï. Les enseignes de la Pucclle. — ^. La
France en prière, ms. du xv" s
Entrée de Jeanne à Orléans. Projet de vi-
trail de M. Lechevallier-Chevignard. . .
Sacre du roi à Reims. Tapisserie du xvii*^ s.
LaViergeavec l'cnfant-Jésus, saintMichel
et Jeanne d'Arc. Peinture du xv<= s. . .
1. Supplice de Jeanne. Tableau de Legrip. .
[. Entrée de Charles VII à Rouen. Chro-
niques de Moustfclet. Manuscrit du XV* s.
i. Banniérecommémorativc de ladélivrance
d'Orléans, donnée par François l*"'. , .
La Pucelle. Musée historiqued'Orléans.
364
465
14. Les trois ordres de la nation. Ms. du xv= s. 524
Carte du royaume de France pendant la
on de Jeanne d'Ar
II. PHOTOGRAVURES.
r. Le roi Charles VU. Tableau du temps, con-
servé au muséedu Louvre 36S
2. Jeanne d'Arc. Tableau de Deruet, apparte-
nant à M. du Haldat du Lys, à Nancy. . . 172 I
3. Jeanne d'Arc. Tableau de Simon Vouet.
conservé au musée d'Orléans 474
4. Jeanne d'Arc. Tableau du xvm"^ s., conservé
à l'hôtel de ville de Rouen 476
III. GRAVURES SUR BOIS.
Abbaye de Saint-Florentin-lès-Saumur. . . . 277
— deSaint-Ouen à Rouen 325
— de la Victoire près Senlis, ruines. . . 1Û7
.Alliance du duc de Bourgogne avec le roi
d'Angleterre g
Ampoule (la sainte) i33
André (S.), appuyé sur sa croix iSi
Anglais chassés du fort des lourelles iio
.\rcher combattant 406
l'iigeg.
Archers to2
Armoiries concédées à Jeanne d'.Arc. . . . 414
.'VrtiUeurs du xv« siècle (0+
Assassinat de Jean sans Peur 7
— de Louis duc d'Orléans 5
Attaque d'une bastille devant Dieppe 403
— du pont de Meun lop
Bannière du comte de Richemont '^[}\^
Bardes de crinière 4°°
552
TABLE DES FIGURES.
Pages.
Bastille devant Dieppe attaquée 40>
Bataille J'Azincourt li
— de CastiUon 305
— de Formigny 397
— de Hastings 4
de Patay 114
Bedford (le duc de) entouré de divers person-
nages i5
— à genoux devant saint Georges. . . 229
Blasons des États de Philippe le Bon, duc de
Bourgogne i5g
Borne qui servit à .leanne d'Arc pour monter
à cheval en partant de Poitiers ot
Calixte 111, pape, portrait, 371
Capitainesdu XV' siècle ?9i>, \fi
Carte d'Orléans, de la Loire et de ses îles. . . 117
— d'Orléans et des environs 101
Cathédrale de I.isieux 359
— de Reims i35
Cathefine (sainte) apparaît à Jeanne d'Arc,
bas-relief de Vital-Uubray 3fi
Cauchon (Pierre), effigie sur son tombeau. . 2?5
Châlons se soumet à Charles Vil 127
Champion (le) des dames 43 1
Chanfreins 400
Chapelle (débris de la) de N.-D. de Domremy. 3 1
— de la Vierge de la cathédrale de I.i-
sieux 3.^9
Charles \'ll entouré de sa cour . 1S7
— guérit les écrouelles à l'abbaye de
Saint-Marcoul 17Ô
— investit Jeanne d'Arc du comman-
dement de l'armée, bas-relict
de Foyatier ()3
— reçoit le cardinal d'Estouteville. 3(i9
— sacré à Reims i32
Château de Chinon. — Chambre où Jeanne fut
reçue par le roi. . . 53
— — Tours de la chapelle et
de l'horloge 55
— — ruinesdu château. . . 257
— du Crotoy 226
— Gaillard, ruines 201
— de Loches 99
— de Mehun-sur-Yévre i-ij
— des archevêques de Reims 139
— (vieux) de Rouen 227
— des ducs de Vendôme 171
— de Vincennes 129
— de Warwick 309
Chinon. Voy. Château.
Christine de Pisan P7
Compiègne (plan de) * 2i3
— levée du siège 222
Courcelles (Thomas de), pierre tombale. . . 2g5
Décapitation de Franquet d'Arras 2o5
Délivrance d'Orléans 90
' Descendance de Jacques d'Arc et Isabelle
Romée 422
Dunois en costume d'apparat 77
Ecu de France sous Philippe-Auguste. ... 319
— de Jean de Luxembourg 220
Église de Baron i65
— de Domremy 239
— d'Élaincourt-Sainte-Catherine .... 207
— de l'abbaye de Jumiéges 329
— de Sainte-Catherine de Fierbois. ... 61
— de Selles-sur-Cher io3
Entrée des Français dans Orléans 91
— solennelle de Charles VII dans la ville
de Reims i3i
r«ses.
Épée de Jean sans Peur. . 399
^ — de Philippe le Bon 399
Éperon à longue tige 39S
Estouteville (Guillaume d'), cardinal, présen-
té à Charles VII 368
Ferme de Drugy, près Saint-Riquier 225
Fontaine élevée à Rouen, en l'honneur de
Jcanned'Arc 376
Frontispice du poème de Chapelain : /j Pu-
celle ou !ci France délivrée 443
Garde armé d'un fauchard 401
Gastinel (Denis), pierre tombale 307
Georges (saint) 229
Gerson, portrait i57
Harengs (journée des) 45
Henri V, roi d'.\ngleterre, portrait 11
Henri VI d Angleterre, couronné à Paris. . . 363
— présenté par saint Louis à l'Enfant-
Jésus 32 1
Isabeau de Bavière 10
Jargeau (prise de) 107
Jeanne d'Arc filant, sculpture de M. Le-
feuvre 29
— écoutant ses voix, sculpture de
M. Chapu 39
— iJ.. sculpture de Rude 489
— partde Vaucouleurs, d'aprèsun
bas-relief en bois, sculpture
du XV' siècle 43
— part de Vaucouleurs — entre à
Orléans, bas-relief de S'ital-
Dubray 46
— introduite au château de Clii-
non, iJ 5 I
— investie du commandement de
l'armée, basreliefde F'oyatier. 63
— va attaquer les Anglais, id. . . 79
— prend conseil des saintes Cathe-
rine et Marguerite, (i 85
' — à la prise des Tourelles, — au sa-
cre de Charles VII, bas-reliefs
de Vital-Dubray 94
— s'empare de Jargeau, bas-relief
de Foyatier . 107
— remercie Dieu après la bataille
de Patay, id 119
— conseille au roi de faire le siège
de Troyes 125
— portant sa bannière, assiste au
sacre de Charles VU, tebleau
de Ingres i3 1
— poursuit deux lilles de mau-
vaise vie 143
— comparée à Judith 149
— blessée à la cuisse devant Paris,
bas-relief de Vital-Dubiay. . 179
— prise devant Compiègne, — sur
le bûcher, id. 212
- amenée à Margny devant le duc
de Bourgogne, tableau de Pa-
trois • 217
— dans la prison, dessin de Be-
nouville 333
— insultée parses geôliers, bas-re-
lief de Vital-Dubray 339
— amenée devant le bûcher. . . 349
— Supplice, tableau d'Eugène De-
véria 459
— id., croquis d'Ary Scheffer. . . 353
— vierge et martyre, statue de
Georges Clère 357
TABLE DES FIGURES.
553
Jeanne d'Arc. Dessin du greffier du Parlement. 97
— Statue équestre, du xv' siècle 2?i
— Gravure sur bois, tirée de la
Mer des Histoires 437
— d'après une miniature du XVI' s. 438
Gravure de Léonard Gaultier . 440
— — de Charles David. . . .141
— StatuedeP.-A.Slodtz,àRouen. 377
— — de Gois, à Orléans. . . 44.9
— Sculptures de la princesse Marie
d'Orléans 432, 4S6
— Statue équestre de Foyatier. . 93
— à cheval, tenant la couronne de
France, par M. Lameire. . . 155
— Buste en bronze, de .■\. Le Véel. 55o
— Monument élevé à Domremy
sous Louis XVIII 490
— Médaillon en bronze de M.
Chapu 53 1
— Médaille gravée par F. Domard. 534
Jubé de l'abbaye de Fécamp 341
Judith tue Holoferne 149
Juvénal des l'rsins (Jean 1" et 11) 373
La Hire fourrage le paysduducdeBourgogne. iSS
' Lettre de Jeanne au duc de Bourgogne,
17 juillet 1429 .... 162
— aux habitants de Reims,
5 aoîit 1429 164
' — aux habitants de Reims,
16 mars 1430 202
Levée du siège de Compiègne. ....... 222
Maison de Durand Laxart à Burey-le-Petil. 237
— de Gérardin à Domremy 239
— de Jeanne d'.\rc à Domrem}-. . 20, 23S
Marguerite (sainte) apparaît à Jeanne d'.\rc,
bas-relief de Vital-Dubray 36
.Maniai d'Auvergne présente à Charles V'ill
les Vigiles Je Charles VU 432
Médaille, aux armes de la Pucelle 147
— à son efligie 55o
— d'orenmémoirede l'expulsion des
Anglais 367
Médaillon à l'efligie de la Pucelle, exécuté
sous François 1" ^^yo
.Michel (S.) apparaît à Jeanne d'Arc, bas-relief
de Foyatier 35
Monnaies françaises sous Charles V'I et VIL 490
— frappées en France par les An-
glais 490, 491
.Monuments expiatoires élevés sur le pont
d'Or'éans, en mémoire de la Pucelle. 378, 379
NûtrL-.Jame de Paix ou Notre-Dame de France. 3oi
Orléans (délivance d"), tapisserie 90
Orléans. Voy. Carte et Vue.
Paix conclue à Arras jc^.
Palais des évêques de Beauvais. ..... 168
Palais des comtes de Poitou . , 5^
— royal de la Cité à Paris, aujourd'hui
palais de Justice 1^5
Paris, porte Saint-Honoré. • 177
Pennon 3(,g
Philippe le Bon, duc de Bourgogne 139
— à genoux devantsaint André. 181
Pie II pape, portrait 3f^s
Pont de Montereau. . j
Porche de l'église de Saint-Benoit-sur-l.oire. 121
Portail de l'église Saint-Pierre-le-Moustier. 193
Porte Saint-Honoré de Paris 177
Prisonniers amenés à Jeanne d'.-\rc après la
bataille de Palay n-
Provins, vue de la ville haute iS3
Reliquaire de la sainte .ampoule. ..... i33
René d'.-Vnjou. duc de Lorraine, roi de Sicile. i5i
Richemont, connétable de France, en cos-
tume d'apparat m
Rouen. \'oy. Château et Tour.
Salisbury blessé à mort ig
Sceau de Jacques Boucher 553
— de Raoul de Gauccurt 553
— et contre-sceaux du duc d'Alençon. io5
— de Henri VI roi d'Angleterre. ... 281
— de Philippe le Bon 401
Selles d'armes ,01
Sergents d'armes. 404
Soldat armé d'une rouelle 403
Talbot (Jean) et sa femme agenouillés devant
la Vierge. ,13
Tour de la chapelle du château de Chinon. 55
— de l'horloge du château de Chinon. . 55
— du château de Rouen 265
— du donjon à Rouen. . ..... 3i5, 317
Troyes se soumet à Charles VU .' 127
Tympan de la porte Sainte-.Anne de Notre-
Dame de Paris 3^2
\'aucouleurs (porte de France à) . . . . 44
Vierge (statues de la) 4,
Vue d'Orléans ' ' „,
Xaintrailles (Poton de) devant le duc de
Bourgogne 22
— fourrage les pays de Philippe
le Bon 1S8
— Médaillon en bronze du xvi'
siècle 290
Yolande d'Aragon, reine de Sicile 49
■^ - ' ' ■" ^^i diï Raoul de Gaucourt, gouvemeor d'Orléans peinlant le sit^ge.
.V di\j;i^, le oL,^iiu de Jacques Boucher, trésorier du duc d'Orléans,
chez qui Jeanne logea avec ses deui frères en entrant à Orléans.
Ces deui pièces ont été communiquées par M. Boucher de Molandon, à Orléans,
dernier descendant de Jacques Boucher.
JEANNE d'.^RC. mi. —
I
Ornement tiré d'un luaouscrit latin du SV' siicle. Bibliothèque de M. Ambroise Firmin-Diil
TABLE DES CHAPITRES
Brefs de Sa Sainteté le Pape Pie IX i
Préface ix
INTRODUCTION.
La Guerre de cent ans. — Charles VII et Henri VI. — Le Siège d'Orléans 3
JEANNE D'ARC.
I. — Domrem}' et Vaucouleurs 25
L'Enfance de Jeanne d'Arc. — Le Départ.
II. — Orléans 4y
L'Epreuve. — L'Entrée à Orléans. — La Délivrance d'Orléans.
III. — Reims ç)5
La Campagne de la Loire. — Le Sacre. — La Pucelle.
IV. — Paris i53
La Campagne de Paris. — L'.\ttaque de Paris.
V. — Compiègne i85
Le Séjour sur la Loire. — Le Siège de Compiègne.
AT. — Rouen. — Les Juges 2i5
Le Marché. — Le TribunaL
556 TABLE DES CHAPITRES.
P«geB
\'II. — Rouen. — L'Instruction 233
Les Interrogatoires publics. — Les Intenogatoiies Je la prison. — Les Témoins.
VIII. — Rouen. — Le Jugement 201
LWccusation. — Les Douze articles. — Les Consultations et l'-Admonition chari-
table. — La Deuxième .-admonition.
IX. — Rouen. — L'Abjuration 323
Le Cimetière de Saint-Ouen. — La Relapse.
X. — Rouen. — Le Supplice 343
La \'isite à la prison. — Le Pilori du N'ieux-Marché.
XL — La Réhabilitation 35.S
La .Mémoire de Jeanne et la fausse Jeanne. — Le Second Procès de Rouen.
XII. — La Réhabilitation. — L'Hi.stoire 38i
Les Contemporains et la Postérit«. — Conclusion.
ÉCLAIRCISSE.MENTS.
I. — Armes et \'ètcments militaires 395
IL — Notice explicative de la Carte du royaume de France pendant
la mission de Jeanne d'Arc 407
Carte du royaume de France.
III. — La famille de Jeanne d'Arc 41 3
Son Anoblissement. — Sa Descendance.
IV. — Jeanne d'Arc dans les lettres 425
Poésie. - Drame.
V. — Jeanne d'Arc dans la musique 493
VI. — Iconographie de Jeanne d'Arc 523
t.\ble an.m-ytiqle des jni.^tikres 535
Table des P^igires 55 1
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Ûïta''!er.s;s
La Bibliolhèque
UnÎTeriilé d'Ollawa
The Library
Uoiversily ef Ollawa
Date due
AUG 2 i 19994
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DEC 0 é 1999
MAR 2 5 2000
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JEANNE C'ARC