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Full text of "Jeunes fleurs : exercices poétiques"

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A 


1. 


FAGUS 


JEUNES  FLEURS 


EXERCICES   POÉTIQUES 


REIMS 

ÉDITION  DE  LA  REVUE  LITTÉRAIRE 
DE  PARIS  ET  DE  CHAMPAGNE 


HORS  COMMERCE 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/jeunesfleursexerOOfail 


JEUNES  FLEURS 


OUVRAGES    DU    .MEME    AUTEUR 


Testament  de  sa  vie  première,    vers 
Colloque  sentimental,  vers    .... 


Ixion,  Poème  (Edition  de  La  PI  unie)      .      .     .      . 

Les  Eglogues  de  Virgile,  traduites  en  vers  . 
Calendrier  de  Sylvie 


1898 
1898 

1903 

inédit 
inédit 


TIRE  A  =00  EXEMPLAIRES 


TAIS  TA  STATOI 


FAOUS 


JEUNES  FLEURS 


EXERCICES   POÉTIQUES 


REIMS 

ÉDITION  DE  LA  REVUE  LITTÉRAIRE 
DE  PARIS  ET  DE  CHAMPAGNE 

MCMVI 

y^     BIBLIOTHECA 
-^  ^sviensis 


nia 


JEUNES 

FLEURS 


Pour  mes  sœurs 
MARGUERITE    &    HÉLÈNE 


AU   LECTEUR 


Le  mieux  serait  pcui-cire^  scigii-il  de  nos  productions  les 
plus  minces^  que  seule  la  mort  ViOus  arrêtât  de  retoucher. 
Sa7îs  cependant  pousser  jusqu  à  ne  se  tolérer  d'ouvrages  que 
posthumes^  du  nioins  ne  devrait-on  se  hâter  de  mettre  au 
jour  ses  écrits:  aussi  kien^  ce  qui  se  montre  comme  vraiment 
bon  ne  perd  rien  à  attendre  et  demeure  bon  éternellement. 

Je  me  vois  un  exemple  de  nos  excès  d'impatience.  Préoccupé 
d'ouvrer  un  édifice  de  poèmes  aux  vastes  envergures^ paru  le 
premier  y  Ixion,  je  m'aperçus  bien  que  tout  ne  s  y  montrait 
pas  parfait^  et  que  Vauteur  eût  plus  sagement  agi^  soit  en 
tardant  davantage,  soit  en  éditant  d'abord  les  seuls  frag- 
ments dont  il  pensait  avoir  lieu  d'être  satisfait.  Ainsi  me 
conduirai- je  à  V avenir^  et  je  V essaie  ici. 


n:ijNtS    FLFURS 


Des  pièces  réunies  ccans^  et  généraleinent  destinées  aux 
ensembles  futurs,  la  majorité  parut  sous  une  autre  forme^ 
voilà  un  peu  plus  de  dix  ans,  dans  deux  recueils^  mort-nés 
comme  réelleme)it  c  était  justice.  Certaines  datent  sans 
doute^  certaines  sont  bonnes  peut  être,  et  certaines  non  : 
lesquelles,  je  ne  le  saurais  dire,  ni  persoiine.  Toutes  ont  été 
fort  remaniées,  et  il  est  possible  qii  elles  te  soient  encore 
quand  elles  reparaîtront  à  leur  place,  si  tant  est  qu'elles 
doivent  reparaître.  Jusque  là,  elle  veulent  se  voir  tenues 
pour  de  véritables  Exercices  Poétiques:  des  gammes,  si 
Von  veut,  et  qui  vaudront  surtout,  si  elles  valent,  par  les^. 
noms  des  personnes  à  qui  Vauteur  en  commun  avec  sa 
femme,  les  offre,  en  signe  d\imitié  on  de  sympathie. 


JEUNES   ARDEURS 


JEUNES    FLEURS  I3 


D 


lEU  trouble,  insaisissable  maître  ; 
Si  tu  te  prête  au  vain  jeu  d'être 
Tel  que  t'ont  fait,  ou  le  paraître, 
Le  Fou,  le  Poète,  le  Prêtre, 

Et  puis  t'avise  un  rien  de  nous, 
Milliers,  milliards  de  poux 
Qui  tremblent,  les  glorieux  fous. 
Sur  nos  trombes  de  grains  de  boue  ; 

Si  tu  suis  chacune  vermine 
Et  sa  fortune,  (et  j'imagine 
Cette  ommniprésence  divine 
Si  simple  quand  on  examine  !) 

Dieu  un  sous  l'infini  des  dieux. 
Toujours  au  futur  !  Dieu  plus  vieux 
Que  l'éternité,  en   tous  lieux 
Manifeste,  invisible  aux  yeux  ! 

Mon  imperceptible  existence 
Balance  pour  ta  providence 


14  JEUNFS    FLEURS 


Tout  l'univers  en  importance, 

Ni  moins,  ni  plus,  en  tes  balances  : 

Sois,  grand  Dieu,  favorable  et  bon, 
Trouve  ton  enfant  vagabond, 
Enivre  son  noir  abandon 
Et  dispense-lui  ce  seul  don  : 

Point  les  richesses  de  la  terre  : 
Pour  mon  grand  cœur  c'est  la  misère, 
Heur  ni  science   :  il  en  sait  faire. 
Mais  la  grâce  cVêtre  sincère. 


Mais,  sont  tous  destins  arrêtés, 
Depuis  la  toute  éternité  : 
Toi  ni  moi  n'en  pouvons  ôter, 
Rien,  comme  leur  rien  ajouter  ; 

Si  par  hypotèse  impossible, 
(Absurde)    un  angle  imperceptible 
Osait  m'écarter  de  la  cible 
Où  m'envoie  la  Parque  inflexible 

Dont  est  fatalité  la  loi, 
Moi,  tout  l'univers  avec  moi 
S'eifondreraient  tout  comme  toi, 
Pour,  grand  Dieu,  finira  la  fois. 


JEUNFS    FLl-URS 


PANTOUM 


c 


HER  moi-même  amoureux  (le  savoir  qu(M  nous  sommes 
Et  notre  ambition, 
Chante-nous  \e  De  Profiindis  des  jeunes  hommes, 
Ma  génération. 

—  Hélas,  hélas,  la  fi  axiiiclle 

Vainement  fleurit 
Dans  la  prairie, 
Vers  la  venelle  ! 

Enfants,  enfcints  piteux,  plus  vieux  que  les  vieillards, 

Nous  vivons  sans  vivre, 
Abstèmes  que  beauté,  gloire,  amoureux  hasards, 

Ni  nul  vin  n'enivrent  ; 

—  Les  cloches  de  la  cathédrale 
Tremblent  dans  V air  frais  dit  matin; 

Par  les  jardins  la  digitale 
Se  balance  aux  vents  clandestins  ; 


i6  jruNHS   i-i.i:;:rs 

Quoi  nous  a  décrépits  avant  d'avoir  été. 

Quel  ennui   nous  tue, 
Que  faire,  tenter  quoi,  que  n'aient  d'autres  tenté, 

Toi  qui  t'évertue... 

—  L  i  rosée  en  gouttelettes 
DUiroreiit,  d' or  et  de  cristal. 
S'évapore  des  fleurettes 
Au  soleil  de  Floréal... 

...  A  de  soi  extirper  ce  vieux  frisson  nouveau. 

Gai  !  sachant  d'avance. 
Sachant  ton  gluant  cœur  et  ton  flasque  cerveau 

Racornis  et  rances  ? 

—  Se  m  nient  les  cicindeles 
Au  creux  hrûlarJ  du  sillon  ; 

Sti'id ulent  les  sauterelles 
Ht  les  grillons... 

Or  pressurer  ce  cœur  comme  une  anticjue  orange. 

Qu'en  va-t-il  sortir, 
Hors  un  dégoût  de  soi,  ver  triste  qui  le  mange. 
Oui  le  fait  pourrir  ? 

—  Ruisselets.  filtre:^  sous  le^  feuilles^ 
Sinueux  réseaux  d\irge/it  ; 
Les  poissons  d\)r,  (ambres  qui  brillent . 
Vont  plongeants,  frétillants,  nageants 


JEUXl-.S    FLEURS  1"] 


Plus  de  fièvres,  vers  quoi  ?  les  vieux  ont  tout  usé 

Jusqu'à  l'espérance  ! 
Sous  nous  un  sable  fuit,  qui  tout  avons  brisé 
Par  indifférence  ! 

—  Le  ciel  tout  or  et  toutes  flammes 

Vibre  et  vibre,  délirant  luth, 
Arpèges,  trilles,  fébriles  gammes 
De  lumière,  tournent  sans  but  ! 

Gai,  croisons-nous  les  bras,  laissons  donc  fuir  le  temps 

Tel  un  mauvais  rêve, 
Comme  fuient  au  reflux,  les  flots  cataractants 

Au  loin  de  la  grève  ! 

—  Sourdre  voici  Vapotéose 
Du  matin  clair  incandescent  ; 
Tout  ccartèle  de  flots  roses ^ 
Tout  s'empourpre  de  jeune  sang  ! 

Ou  fuyons-le  plutôt,  ce  temps  qui  ronge  et  vide 

Tel  le  rat  son  œuf, 
Quêtons,  rats  affamés,  hors  de  ce  globe  vide 

Quelque  univers  neuf! 

—  Evoké,  le  soleil  est  né  ! 
Epique  enfant  crachant  ses  langes 

Il  éparpille  les  nuages 
Et  (rravit  son  trône  enchanté  ! 

o 


l8  JHUNl-S    FLEURS 


Du  neuf,  ah  c'est  en  nous  et  non  ])as  au  dehors 

Qu'il  gît,  l'afFable  havre 
Où  nous  dirons  :  Enfin  !  nous  qui  sommes  plus  morts 

Qu'un  pauvre  cadavre  I 

—  Voici  qu'on  sonne  V introït, 

La  messe   hante  se  célèbre 
Dîc  jour  qni  chasse  la  ténèbre, 
Et  V astre  s'adresse  au  \énith  ! 

Mais  qu'une  bonne  fois  un  hoquet  nous  d.élivre 

De  ce  vieux  moi  vil  : 
Alors,  peut-être,  alors,  oui  saurons-nous  revivre  : 

Oh,  qu'ainsi  soit-il  î 

Tout  est  lumière,  tout  est  joie. 
Evanouissez-vous,  douleurs  ! 
E arche  vertigineuse  é ploie 
Lécharpe  aux  vingt  mille  couleurs  ; 

De  la  sylve  silencieuse. 
De  la  campagne  ensonnneillée, 
S\'Sso/-e  Vodeîir  bienheureuse 
De  V aube  aurore  ensoleillée  ; 

Les  moUiJirs  d'or  dansent  la  ronde 
Dans  nn  rovon  du  soleil  d\u\ 

Les  fourmis  dévalent  en  bande 
Conquérir  un  limaçon  mort  ; 


JEUNFS    FLHURS  '  I^ 


Les  moineaux  francs  caquettent^  piaillent 
Sur  la  handière  des  vieux  bois, 
La  mésange  livre  bataille 
Au  hibou,  et  dans  la  broussaille 
Un  merle  sifflote  à  mi-voix  : 

Et  c  est  le  printemps  en  gala^ 
Alléluia!!! 

—  JVlaîs,  si  le  moribond  ne  voit  plus  clair  déjà  ? 


20  TFL'NIS    FI.l  URS 


OBERON 


A  Madame  Fagus.  D'une  aritenne  de  Sautrelle 

Bon  maître  Pijck  se  saisit; 
Sur  une  aile  de  phalène, 
I^'une  haleine  il  écrivit  : 


\J  E  mis  prisonnier  l'arc-en-ciel 
Dans  le  réseau  d'une  araignée 
Où  dansaient  les  rais  du  soleil 
Sur  les  globules  âes  rosées: 

Pour  que  lui  fût  la  prison  douce 
J'ai  dit  aux  clochettes  du  thym 
D'enceindre  en  leur  cage  de  mousses 
Un  frais  carillon  de  parfums  ; 

Le  jeune  Arc-en-ciel  s'est  dressé, 
Se  réchauffant  au  soleil  clair, 
Riant  d'aise  a  secoué 
Ses  jupes,  angéliques  braises, 


JHIIXHS     FLIURS  'ai 


Qu'il  agite  :  et  danse,  oh,  léger, 
Sous  la  brise  ;    flammes  et  or, 
Or  vert,  nacre  rose  irisée, 
Qui  vous  mêlez  :    fluide  corps, 

Vois-tu  à  travers  lui  vibrer 
Les  ailes  d'eau  des  libellules, 
Les  colonnes  d'air  onduler 
Que  soulève  une  canicule  ? 

O  sortilège,  il  me  harcèle, 
Ces  bruissements  de  couleurs 
Dans  la  molle  lumière,  isolent 
L'extase  d'une  étrange  fleur  : 

Mon   cœur  découvre  Ton  visage. 
Puis  Ton  corps  enfin  dévoilé... 
—  Dans  l'air  passait  un  nuage  : 
Tout  s'est  envolé  ! 


DES  SYLPHES 

Brises  frêles,  aquilons, 
Par  les  dunes,  par  les  grèves, 
Au  gré  des  souffles,  des  rêves, 
D'aile  en  aile  nous  allons. 


j:;U\ES  FLKURS 


UN    CREPUSCULE  D'HIVER 


D'un  grillon  vibre  le  sistre 
Et  devant  le  soleil  blanc, 
Vois,  filandière  sinistre, 
L'hyémale  Arachné  tistre 
Un  linceul  frêle  et  tremblant. 


JHUN'KS    FI/rURS 


^3 


ARACHNE 


A  Alfred  Jarry. 


P 


LUS  aérienne  que  l'oiseau, 
Je  me  pends  par  ma  chevelure 
De  nacre  fluide  qui  tremble 
Et  s'étire  de  mon  cerveau  ; 

Plus  aérienne  que  l'oiseau 
Je  monte  et  je  descends  et  danse 
Et  me  poste  et  guette  les  vents  : 
Ea  brise  exquise  me  balance, 
Pleureuse,  et  m'entraîne  en  chantant 
Ee  long-  de  mes  cheveux  je  danse, 
Et  vire  et  monte,  et  redescends. 

Ee  long  de  leur  nacre  soyeuse 
E'arc-en-ciel  se  glisse  en  rampant. 
Egrène  en  fleurs  mes  perles  d'eau 
Et  m'emprisonne  d'auréoles  : 
Il  s'envole,  et  je  redescends  ; 


24  JEUNES  FI.FURS 


Vers  mon  prestige  qui  s'exhale. 
Mille  menus  poètes  bleus 
Au  cœur  plus  vaste  que  leurs  ailes 
S'emportent,  plaintifs  amoureux, 
Et  s'engluent  au  réseau  torpide 
De  l'électrique  chevelure. 

Et  vierge  lascive  et  trop  belle, 

Mon  baiser  goulu  les  endort 

Volu])tueusement  ravis  : 

Et  quand  j'ai  humé  donc  leur  vie, 

Harassée  et  non  assouvie. 

Voici  qu'à  mon  tour  je  m'endors  ; 

Mais  d'une  secousse  engourdie 
D'abord  j'éjecte  les  corps  frêles 
Des  chers  époux  par  dessus  bord 
Ce})endant  je  garde  les  ailes. 


Jl-UNl-.S    FLtURS  2^5 


A    MKS    FILS    FÉLICIEN    KT    GeORGFS. 


A 


H,  vivre  sans  savoir  pourquoi!  vivre  pour  vivre, 
Comme  ce  moucheron  trempé  d'or  qui  s'enivre 
D'un  rayon  de  soleil  et  frissonne  au  travers  ! 

Cela  se  contenter  d'être  :    onde  qui  vibre 

Avec  l'infinitude  d'ondes  l'Univers, 

Bulle  qui  pense,  onde  qui  voit  :   esclave  libre  ! 

Etre  l'indispensable  infinitésimal^ 
Rêve,  rêve  et  réel,  et  le  sentir  tel  !  joie. 
Joie  et  joie  à  te  boire,  ô  vie  qui  te  déploies 
Libre  des  vanités  serviles,  bien  et  mal  ! 

Et  savoir  qu'on  en  est,  saintement  immoral. 
Joie  de  vivre,  vertige  où  la  raison  tournoie. 
Océan  d'allégresse  où  la  sagesse  noie, 
Sublimité  d'un  dieu  issant  d'un  animal  ! 


o6  JHUNIS    FLEURS 


MAI 

Variante    du    Chant  XÏV    de    «  îxion  » 

A   Madame  Stuart  Merrill. 


A 


iMi'.z  !  c'est  venir  Mai,  le  mois  sacré  des  roses. 

C'est  Mai  venir.  foudro3'ant  de  ])arfums  ; 
Ressus(^itez  sous  Toroiaciue  appel  des  choses, 
Inerte  tourbillon  de  nos  êtres  défunts  : 

C'est  venir  Mai,  le  mois  sacré  des  roses  ! 

L'Univers  apaisé  s'ouvre  l'ininiense  fleur 

D'oii  la  bonté  ruisselé  intiiue  : 
La  sainte  affre  d'aimer  écartèle  les  c^œurs  : 
Impérial  Eté,  lève  ta  voix  bénie. 


Sens- tu  ton  cœur  s'ouvrir  comme  la  gerbe  mùr 
Travaillé  des  ferments  de  l'amour  éclater, 
Kt  se  dis})ersant  tout  d ms  l'énorme  natnre 
Dont  se  tend  la  matrice  avec  avidité. 
S'ouvrir  ton   cœur  comme  la  qerbe  mûre  ? 


TI-UNFS    FLinRS 


Aimée,  ô  bien-aimée,  c'est  vous  tout  l'univers 
Et  c'est  tout  moi  !  c'est  l'unique,  l'iminense, 
L'invincible,  le  dieu,  l'unique  et  le  divers  ! 
Le  monde  a  frissonné  d'amoureuse  démence, 
O  bien-aimé  Amour,  transe  des  univers  ! 

—  Prions  !  puis  au  labeur  :  tout  rit  dans  la  lumière, 
Mondes  en  fleur,  tournez,  nous  sommes  avec  v'ous  : 
La  joie  gardons  et  des  cœurs  purs  ;  que  notre  ardeur 
Au  combat  sonne  où  les  clartés  sont  en  péril  : 
La  nuit  et  ses  destins  néfastes  se  relèvent^ 
Et  les  races  maudites  et  les  volcans  éteints  : 
Père,  gravis  ton  char,  brandis  ta  fronde,  tonne  ! 

Voici  tes  fils,  pasteur  des  matins  ! 

L'éclair  reluit,  le  sol  trépide  et  g-ronde, 

Le  sang  a  soif,  la  lumière  s'éteint, 
La  lumière  chancelle. 
Le  maître  de  la  vie  se  lève  et  nous  appelle 
Au  joyeux  labeur  î 


irUNF.S    FL   URS 


ÉPIGRAFES 


UN  EPOUX 


T, 


es  ongles  me  raclent  le  cœur 
Comme  racle  an  râteau  la  terre. 
O  ma  femme  chérie,  ô  ma  sœur, 
O  ma  douce  amie  et  mon  frère, 
O  mon  esclave  et  mon  vain([ueur, 
O  la  délice  dont  je  meurs  ' 


UN  AMANT 


Un  oiseau  flagellé  des  vagues  aveuglantes 
Va  s'assommer  sans  voir  aux  récifs  assassins 
Et  fait  noyer  aux  flots  une  loque  sanglante  : 
Ainsi  s'est  déchiré  mon  cœur 
Aux  pointes  roses  de  tes  seins  ! 


JKUNIS    FLEURS  29 


EDEN 


A   Madame  Félix  Fénéon. 


L 


E  Printemps  m'a  percé  le  cœur. 
Mon  cœur  avec  bonheur  se  meurt 
De  sa  frissonante  blessure, 
Le  Printemps  m'a  percé  le  cœur 
Et  j'en  expire  de  bonheur  : 

Voici  l'heure... 

Je  deviens  femme  je  sens  bien, 
J'immerge  au  grand  tout  féminin, 
Univers,  infinie  femelle  ! 
Je  deviens  femme, .je  sens  bien, 
O  viols  que  j'attends,  ô  faims  !.. 

Ah,  c'est  qu'aussi  c'est  trop  de  fleurs, 

Trop  d'exténuantes  odeurs, 

O  fadeurs  où  se  voir  dissoudre  ! 

C  est  trop  de  fleurs,  c'est  trop  de  fleurs, 

Je  sens  s'y  dissoudre  mon  cœur  : 

Voici  l'heure  ! 


IKL'NtS   Ff.EURS 


Mon  cœur  s'est  envolé  de  moi  ; 

Dispersé  dans  l'air  et  les  bois 

Mon  sang  coule  avec  l'eau  des  sources  ; 

xMon  cœur  s'est  envolé  de  moi, 

Plus  rien  ne  suis-je  qu'une  voix, 

Plus  rien  ne  suis-je  qu'un  parfum, 
Rien  qu'un  des  mille  effluves  tins. 
Haleine  obscure  de  la  terre, 
Plus  rien  ne  suis-je  qu'un  parfum. 
Il  vibre^  insaisissable,  et  rien  ! 
Voici  l'heure  : 

Et  bulle  d'air  je  fuis  et  vogue  en  l'eau  des  sources  ; 

Sous  un  vert  et  or  soir  de  vapeur  d'or  lavé 

Je  danse,  buée  d'eau  qu'une  l^rume  balance, 

Violette,  au  sommet  des  vieux  soleils  qui  saignent 

Je  suis  odeur  encor,  voyageuse  en  délire. 

Dont  se  j)arfument  du  crépuscule  les  ailes  ; 

Je  suis,  qui  plane,  l'arc-en-ciel  versicolore. 

Ou  frêle  diamant  d'eau  dans  la  neige,  ou  l'ecunie 

Sur  la  vague  dansante  et  qu'allume  la  Lur.e. 


Trrvi';  fi.^-urs 


LA  SYMPHONIE  EN  SI  b 
DE  SCHUMANN 

A  Madame  Paul  Fort. 


J 


E  te  vois,  ô  mon  Robert, 
Je  te  vois  à  travers  toi, 
Bel  étudiant  d'Heidelberg-  ou  de  Bonn 
Tes  flaves  cheveux  longs, 
Ta  barbe  blonde  et  molle, 
Et  ta  querelleuse  toque, 
Et  ton  g-rand  sabre  plat  ! 

La  cathédrale  tinte 
Et  le  grand  sabre  plat 
Brimbale  et  cliquetaille. 
Et  le  vieux  père  Rhin 
Plus  allègre  se  hâte  : 
C'est  dimanche  matin  ; 

Et  tu  vas  allongeant  tes  long-ues  jambes  maii 
(Et  le  grand  sabre  plat 
Tressaute  et  cliquetaille 


fc> 


JIUNKS    FLl-lTR: 


Tant  tapageusenient  sur  le  pave  pointu  1) 
Vers  ce  chemin  fameux  où  ta  Gretchen  à  toi 
(Je  vous  vois  ô  mon  Robert. 
A'ous  tous  deux  mon  cœur  vous  voit  !) 
Tout  lentement,  oh  la  rouée  1  s'amène 
Afin  cjue  tu  Ui  surprennes, 
La  surprennes  sûrement. 

Et  puis  alors,  et  puis  s'épuise  la  chanson  : 
C'est  la  nôtre,  c'est  la  tienne. 
C'est  la  nôtre  et  c'est  la  mienne, 
(C'est  la  toujours,  toujours  même) 
Et  le  g'rand  sabre  plat  en  danse  d'allégresse 
Et  la  blanche  Gretchen  à  la  messe  s'envole  : 
C'est  dimanche  qui  sonne. 
C'est  dimanche  matin. 

Et  })uis  et  })uis  et  j)uis  tout  seul  on  s'en  revient 
Le  long  du  fleuve  Rhin 
Aux  eaux  bleuies  qui  roulent 
Des  colères  enfuies, 

Et  le  grand  sabre  ])lat  les  pavés  choque  et  luit  '. 
On  philosophiquement  soliloque. 
On  doctoralement  analvse 
Selon  Hegel  et  Fichte  et  Kant 
La  substance  de  son  amotn*. 
La  substance,  et  l'accident  : 


JEUNES    FLEURS  j^ 


Sous  sa  propre  profondeur 
On  se  pantèle  ébloui  ! 
Et  puis  on  redescend  du  nuage  bleu  clair 
Pourvoir  sa  philosophie 
Elle  aussi  d'une  substance  : 
La  brasserie  ! 
La  saucisse  et  la  bière  et  le  schnaps  et  les  pipes, 
Et  le  grand  sabre  toujours, 
Et  les  lieds  qu'on  soupire, 
Et  les  lieds  qu'on  vocifère, 
Et  toujours  le  grand  sabre 
Mène  son  train  d'enfer! 

Et  les  dissertements  éthiques  et  esthétiques 
Font  greloter  les  vitres, 
Et  les  chopes  c[u'on  entrechoque  : 
—  Prostta 
Et  puis  et  puis,  Broum  !  c'est  qu'on  roule  sous  les  tables, 
Et  la  philosophie  en  est. 
Et  le  bleu  clair  amour  en  est, 
Et  le  sabre,  le  saljre  aussi, 
Tout  ça  roule. 
Et  s'écroule, 
Et  se  coule 
Dans  la  nuit  \ 


34  jrUXF.S    FLEURS 


PLUS  LOliN  QUE  LE  TEMPS 
ET  L'ESPACE 


A    Madame  Auguste  Kodin. 


L 


ES  parfums,  les  couleurs  et  les  sons  se  répondent  : 

Ainsi  font  à  travers  les  mondes 
l.es  âmes  élues  ; 

Eclairs  aux  nues  spirituelles, 

Elles  déflagrent,  nous  saluent, 

Puis  elles  sombrent,  pour  renaître  ; 
Comme  de  longs  échos  qui  de  loin  se  confondent 
Dans  une  ténébreuse  et  j)rofonde  unité, 

Et  sont  les  humaines  ondes 

De  l'universelle  iTarté. 

Plus  loin  que  le  temjis  et  r(\space 

En  la  commune  gémouie. 

Sous  le  crcuTiement  de  sa  nies 

De  l'immorielle  })opulace 

Se  rejoint  \otre  heure,  ô  génies  I 


Jl'UNES    FLEURS  35 


Les  aveugles  :  —  Coïncidences  ! 
Et  ricanent.  Nous  voyons,  nous, 
D'angéliq.ues  correspondances 
L'obscur  va-et-vient,  entre  vous 
Ennemis  du  peuple,   purs  fous  ; 

Et  par  l'un  de  vous  en  secret 
Que  la  même  courbe  ourdie 
Se  doit  un  jour  des  temps  a])rès 
Trouver  par  l'autre  épanouie  : 

Car  le  prophète  d'un  coup  d'aile 
Se  multiplie  en  son  reflet  ; 
S'il  se  })rédit,  c'est  qu'il  lui  plaît 
D'alterner  sa  vie  parallèle: 

Sous  tant  de  noms  dont  on  le  nomme 
Il  n'est  c[u'un  Messie  à  la  fois  ; 
Il  n'est  qu'un  homme  entre  les  homaies, 
Le  même  sur  la  même  croix  : 

Les  parfums,  les  couleurs  et  les  sons  se  répondent, 

Telles  font^  fleurs  inattendues, 
Comme  de  longs  échos  qui  de  loin  se  confondent, 
Les  âmes  élues. 


36  jr-UNTS 


VALSE  LENTE  ET  BREVE 


A  Madami-:  Veuve  Aubert; 
A  J.-René  Aubert. 

înfrangihlement  enlacés 
(La  vie  est  un  rêve,  une  bulle) 
Lentement  les  couples  totirnoient 
Et  les  molles  étreintes  ploient 
(Ah,  la  vie  :  une  bulle  d'air  !) 
Leurs  joies  mêmement  enlacées. 


L^Amonr  a  dit  :  Commence:^ 


«  —   On  m'a  dit  :  LAnwnr 
C'est  rêve  et  folie. 
C'est  rêve  d'un  jour. 
Et  r aurore  oublie. 
Et  rêve  est  la  vie. 
Rêver  ou  rêver 
Je  veux  s  moi,  rêver. 
Des  yeux  de  m^imie.  » 

UAmoiir  a  dit  :  Commeucei. 

Langoureusement  enlacés. 

Les  couples  sans  arrêt  tournoient. 


F.UXFS    FLEURS  )'] 


C'est  rêve  et  rêve  et  tout  est  rêve, 

Et  la  vie  une  bulle  d'air  ; 

Elle  s'enfle,  au  ciel  elle  monte,  elle  crève, 

Demain  éternel,  éternel  hier! 

«   —  O/i  me  dit  eiicor  : 

Aimer  est  mal  diffne 

Du  cœur  juste  et  fort  : 

Et  je  me  résigne^ 

Néant  pour  néants 

A  la  fin  bénigne 

D'être  fainéant 

Aux  bras  de  ni*amie  !...  » 

L Amour  a  dit:  Commence^. 
Et  les  molles  étreintes  ploient 
Les  co! ps  à  jamais  enlacés. 

Un  rêve  est  la  vie,  une  bulle, 

Et  vivants  qui  rêvons  agir, 

Quoi  sommes-nous  que  somnambules 

Et  qui  s'éveillent  pour  mourir? 

u  —  Et  qu'importe  à  eux 
Délire  ou  paresse  ? 
Aimer  e^t  si  mieux 
Que  toute  sagesse  ! 
Vivent  ma  faiblesse 
Et  ta  force,  Amour  ! 


38  JEUN I  s    FI.EUR'; 


Laisse^-moL  l  \}inotLî\ 
Enfin,  de  m  amie  l  » 

Inéluctablement  poussés 
(Un  rêve,  un  rêve  et  c'est  la  vie) 
Par  les  lents  ritlimes  qui  séploient 
Implacablement  cadencés, 
Sans  arrêt  les  conf)les  tournoient, 
(C'est  rêve  et  rêve  et  tout  est  rêve  î) 
Layigoiir  eu  sèment  enlacés. 

Gloire,  amours,  extases  mystiques. 
Cauchemars  noirs,  rêves  d'enfants. 
Frissons  ailés,  blanches  musiques, 
Bercez-nous  doux  en  attendant  1 

Langoureusement  enlacés 

Les  couples  sans  rien  voir  tournoient^ 

Et  la  Mort  dit  :  C'est  assei. 

Et  ardemment  enlacés 
Tournoient  la  Mort  et  V Amour. 


UNE  CLOCHE 

Je  tonne;  c'est  la  voix  du  Maître  qui  t'appelle, 
Je  martelle  ta  joie  et  tes  deuils  sous  mes  Ijonds, 
J'avertis  les  vivants,  j'endors  les  moribonds, 
Et  j'éveille  les  morts  à  la  vie  éternelle. 


JEUNES    FLEUR3  }() 


SCHERZANDO 


A  Mademoiselle  Yvonne  Périn. 


J 


E  t'avoue  avec  gourmandise, 
Révérende  Fainéantise 
Et  dont  la  friande  hantise 
Me  prend,  et  tant  ! 

Quiétude,  béatitude, 
Nonchaloir  suave  !  attitude 
De  sage  ou  de  fleur,  noble  étude 
Où  se  prétend 

Désormais  tendre  ma  vie  : 
Ne  rien  faire!  aimable  envie 
Des  cœurs  jo3^eux 

Qui  voient  tant  que  leur  tant  belle 
Existence  d'ange^  est  celle 
Du  i-.iresseux  ! 


40  JE'JNKS    I- LEURS 


UN  POETE 


A  Madamk  «  LhON  DE  Saiis"t-Valery.  » 


Je  ne  suis  qu'une  huitre,"  une  huitre  malade, 
Son  devoir  trompant  d'être  comestible  : 
Je  suis  inutile,  impropre  et  nuisible, 
Je  frustre  la  ligue  et  d'où  je  m'évade. 

Et  sous  ma  falaise  où  le  flot  déferle 
Je  vole  ma  vie  ;  avec  cette  vie 
A  vous  tous  volée,  frères  I  j'édifie 
L''inutilité  suprême  :  la  Perle. 


JEUXFS    FLFURS  41 


ECCLÉSIASTE 

A  Madame  Ernest  Kaynaud. 

V— /UE  ne  pus-je  être,  Itvs,  cet  impayable  chien  î 

Sur  son  flanc  déroulé  au  soleil  méridien, 

Il  cuit  sa  carcasse,  il  fait  celui  qui  sommeille, 

Et  puis,   battant  de  l'œil  tel  un  qui  se  réveille. 

Baille,  s'étire,  et  —  pour  se  pourvoir  d'un  maintien?  — 

Mordille  en  ronchonant  le  \ydn  de  son  oreille. 

Ce  que  j'admire  en  toi,  frère  poilu,  n'est  pas 
Ton  fastueux  mépris  dedervis  ou  majja 
A  tout  indifférent  sous  le  brasier  solaire  : 
Je  serais  tel,  et  mieux,  si  m'agréait  de  faire  ; 
Homme,  le  don  j'envie  dont  toi,  chien,  m'excipas  : 
Se  g-rig-noter  son  apendice  auriculaire  ! 

Un  demain  vague  où  rien  ne  m'espoinçonàt  mieux,. 
Comme  en  somme  un  sort  faut-il  faire  à  ses  aïeux, 
Je  promouvrai  grand  homme  et  c'est  pas  difficile 
Ou  bien  scélérat  grand  :  mais  ce  poil  m'horripile, 
Et  c'est,   fûs-je  le  plus  bruyamment  glorieux 
Des  mortels,  ou  —  voire  et  —  leur  plus  bel  imbécile, 


42  JEUNES    FLEURS 


Je  ne  pourrai  jamais  abstraire  un  tel  désir 
<^ue  succombe  (i)  ce  chien  que  je  vois  là  gésir  : 
Tout  m'est  ])ermis,  je  suis  le  maître  de  la  terre, 
Tout  je  détiens,  et  la  clef  d'or  de  tout  mystère, 
Et  tu  me  fuis  et  pour  l'éternité,  plaisir  : 
Pétrir  la  mienne  oreille  en  mon  clapier  dentaire 


MoiL  Dieu,  mon  Dieu,  mon  Dieu, 
Les  chiens,   qu'ils  sont  heureux 
De  se  pouvoir  mordre  F  oreille  l... 


(I)  Sic. 


JEUNES    FLEURS  .  43 


INVENTION  DU  SONNET 


A   M ADiixrorsKLLP:  France  Matiiiku. 


A 


UX  jours  d'or  oùlesdieux  reconnaissant  leurs  frères 
Essaimaient  par  la  terre  et  se  mêlaient  à  nous, 
A  ces  jeunes  humains  robustes,  beaux  et  doux. 
Ils  léguèrent  la  lyre  aux  quatre  cordes  paires  ; 

Quand  Terpandre  eut  trouvé  les  trois  voix  septénaires, 
Les  maîtres  dans  leur  cœur  se  sentirent  jaloux  : 
Nous,  filleuls  délaissés  soudain  réveillés  loups, 
Oubliâmes  la  lyre  ;  or  les  dieux  émigrèrent  ; 

Deux  revinrent  ;  des  fibres  d'un  grand  cœur  saignant 

Tendirent  chacun  une  lyre  et  les  joignant 

—  Pétrarque  d'Arezzole  et  Dante  de  P^lorence  — 

Pour  qu'à  nouveau  l'on  pût  chanter  par  l'univers 
Les  fastes,  la  beauté,  les  deuils  et  l'espérance, 
Le  Sonnet  fils  des  dieux  ourdit  deux  fois  sept  vers. 


44 


TFUVTS    FIEURS 


SAMOTHRACE 


A  Madami:  F.  Pii.lon. 


I  o  Pœan  Pœan  1  aux  palmes  t^appelle. 
Ecoute,  l'entends-tu,  la  Vierge  au  vol  dansant? 
Elle  te  frôle,  elle  te  cherche,  elle  descend, 
Suspendue  à  ses  bondissantes  ailes  1 

Et  nous  tous  alors  que  portent  des  ailes^ 

Un  branle  universel  nous  enlève  à  l'instant. 

Nous  bandons  l'aile  en  chœur  et  partons  enchantant. 

Et  tu  nous  revois,  ardents  et  fidèles  ! 

Que  clameurs  et  fumées  s'écrasent  donc  vers  nous  : 
Rions,  frères,  rions,  ripostons  sans  courroux, 
Et  pour  anéantir  la  malice  en  ses  toiles, 

Nous  les  secouerons,  ces  ailes  de  feu 

Gonflées  des  futurs,  et  par  un  beau  jeu 

Nous  en  ferons  descendre  une  neige  d'étoiles  ! 

Mais  elle,  ô  Voyageuse  ailée  au  vol  dansant. 
Nous  appelle,  t'ai)pelle,  et  passe  en  frémissant  1 


JI'UNES  FLF.UKS  45 


GUIRLANDE 


A 


moins  que  je  meure  ou  bien  que  mon  cœur 
(C'est  tant  faible,  un  cœur  !)  quemon  cœur  défaille, 
Tant  que  hennira  ta  rauque  bataille 
Jusqu'au  soir  doré  qui  t'aura  vainqueur, 

Chaque  jour  enfin  à  cette  même  heure^ 
Un  chant  et  qu'avant  m'inclure  au  travail 
Voué  je  t'aurai,   cherra  du  vantail 
Anonimement  fleurir  ta  demeure, 
A  moins  que  je  meure  ; 

Tu  ne  liras  pas,  sans  doute  :  les  vers 
Sont  intrus,  je  pense,  en  ton  univers. 
Telle  une  amusette  hélas  puérile? 

Ce  n'importe  pas_,  car  à  ton  insu 
T'aura  pénétré  leur  vertu  virile, 
Parfum  d'un  sachet  balsamique  issu, 
Ou  bien  de  mon  cœur. 


jnUNES   FLEURS 


MORALE 


A   Madamk  IvANHûi:  Ramuossûn. 


T, 


ON  baiser  emprisonne  le  léger  havane, 
Lèvre,  et  hume  son  âme  hors  l'artificiel 
Fruit  acre  et  succulent,  un  poivre  sous  un  miel, 
Qui  se  fusèle,  en  l'air  s'allonge,  et  se  pavane  ; 

Et  tel  l'eau  du  canal  dont  tu  lèves  la  vanne,  ^ 

Celte  âme  aristocrate,  en  un  torrentiel 
Tournoiement  d'esprits  bleus  s'émanant  vers  le  ciel 
Je  l'expulse,  et  [)artez,  la  svelte  caravane  ! 

.Mon  œil  les  accompagne  avec  détachement 
Un  à  un  se  réscnidre  au  bleu  du  firmament  : 
Un  seul  crime  sachant,  un  vers  plat,  mais  grandcrime. 

Pour  nous  mieux  vaut  qu'agir  rêver,  et  que  rêver 
Dormir,  et  ([ue  dormir  être  mort  ;  transe  intime, 
llélas.  un  mauvais  vers  est  si  vite  arrivé  1 


JKUNFS    FLFURr. 


PRiNClPES 


A    P.-N.    RoiNAKD. 


IL  me  semble  pourtant  que  j'oublie  quelque  cliose, 
Quoi,  je  ne  sais  pas  dire,  et  i)ourtant  je  sens  bien^ 
Ce  recueil-là  n'est  pas  complet  !  quelle  donc  chose 
Lui  ])eut  manc|uer  pour  être  bien,  tout  à  fait  l)ien  ? 

iMalheureux,tun'aspoint])romulgué  ta  technique  ! 
Voilà  l'àpre  hiatus  !  le  voilà  le  souci 
Qui  ce  cœur  dévastait!  Seulement  de  technique. 
Il  faut  donc  l'avouer,  je  n'eus  jamais  souci. 

Il  urge  cependant  que  je  m'en  découvre  une. 
Tant  de  héros,  jamais  n'ayant  produit  rien  phis 
N'en  sont  héros  que  plus  !  je  vais  en  bâtir   une. 
Fais -lui,  Lecteur,  accueil  :  quoi  te  faut  il  de  })!us  ? 


48  JEUNES    FLEURS 


TECHNIQUE 


Tu  veux  naître  Poète,  eh  fils?  baise  ta  })lume. 
Tes  brosses,  ton  burin,  ton  ébauchoir  ;  écris, 
Ou  peins,  vers  blancs,  vers  carrés,  proses  ;  sois  tout  gris 
Ou  tout  resijlendissant  ;  mastique   de  la  brume 

Ou  travaille  l'azur  :  mais  ([ue  ton  cerveau  fume 
D'un  intérieur  feu,  cher  amour  1  aux  esprits 
Peignés  songe,  ou  bien  sois  un  ange  malappris, 
Comme  l'enfant  Siegfried  bête  et  dieu,  fends  l'enclume. 

.^lais  comme  lui  façonne  un  glaive  de  géant;    ^ 

Car  le  reste  n'est  pas,  car  le  reste  est  néant, 

('ar  l'art  sans  rag-e  aux  reins,  c'est  niorne   apostasie  ; 

lintends  ce  seul   avis,  il  semble  insane,  c[ue  : 
L'unique  arcane  pour  fleurir  en  Poésie, 
C'est  se  sentir  Po^te,  et  le  reste  un  beau  jeu  ! 


TENDRESSES 


JHUNKS    FLEURS  SI 


A  Mon  Perk. 


L/N  s'enfuyant  l'année  efface  d'un  coup  d'aile, 
Tel  un  doigt  blond  d*enfant  l'aile  d'un  papillon, 
Efface  plus  avant  la  poussière  infidèle, 
Papillons  d'un  été.  dont  nous  nous  habillons  ! 

Lambeau  donc  à  lambeau  nous  nous  éparpillons 
Sous  le  fouet  effaré  des  brises  éternelles 
Hélas  l'un  contre  l'autre  nous  brisant,  cruelles  ! 
Et  jetant  à  l'oubli  nos  haillons  :  oublions, 

Puisque  déchiquetés  chaque  heure  davantage 
Par  l'oubli  nous  devons  finir,  et  nous  mêler 
A  l'anonime  abîmé,  oublions  quels  orages 

Nous  firent  entre-heurter  !  essavons  de  voler 
Côte  à  côte  le  temps  que  nos  ailes  débiles 
Nous  saurons  soulever  sur  les  gouffres  mobiles  ! 


52  jl-UNES     FLEURS 


TRISTIS 


A  Madame  Francis  Vielé-Griffin. 


V, 


OUS  savez  ?  quand  on  rentre  après  l'enterrement 
D'un  être  chéri  tendrement  ?  un   froid  silence 
Nous  oppresse,  et  la  chambre  semble  immense,  immense  ! 
L'illusion  nous  tient  que  c'est  réellement 

Soi  qu'on  vient  d'inhumer,  et  notre  appartement 
Le  sépulcre,  et  notre  âme,  on  la  sent  si  vidée 
Qu'on  croirait  que  l'autre  sépulcre  l'a  gardée. 
Ou  bien  l'instant  dernier  d'un  déménag'ement  : 

Tout  est  parti^  le  log*is  est  vide  et  résonne, 

Oh,  résonne  comme  un  grand  tombeau;  plus  rien,  non... 

On  croit  pourtant  avoir  malgré  qu'on  se  raisonne, 

Oublié  d'emporter  quelque  chose  :  quoi  donc  ? 

Un  pan  de  notre  vie  à  ces  murs  attachée 

Par  grands  lambeaux  y  pend,  à  jamais  arrachée. 


1 


II'.UNKS    FLT-URS 


GRAND'GARDE 


A  Madame  Edmond  Pilon. 


M 


A  sœur,  le  vent  pleure  à  la  vitre, 
Pleure  comme  un  petit  enfant, 

La  pluie 
Le  flagelle,  il  sanglote  aux  vitres. 
Les  bat  d'un  million  d*élitres  : 
Ecoute  pleurer  aux  vitres  le  vent. 

Oh  !  qu'il  fait  froid  !   nos  chairs  meurtries 
Grelotent  !   Serrons-nous  plus  fort, 

Bien  fort 
L'un  contre  l'autre,  ô  ma  chérie... 
Oh  les  soldats  aux  mains  meurtries, 
Qu'ils  ont  faim,  qu'ils  ont  froid,  dehors  [ 

Le  vent,  ma  sœur,  pleure  à  la  porte, 
Il  tourne  autour  de  la  maison 
Glacée, 


^4  JF.UNES    FLEURS 


Il  la  secoue,  sous  chaque  porte 
11  pousse  ses  raucpies  cohortes 
Nous  envahir  en  trahison  ! 

Oh  la  nuit  est  pesante  et  noire. 

Elle  s'assied  sur  notre  cœur, 
La  nuit 

L'étoufFe  en  ses  ouates  noires... 

Pauvres  soldats  sans  feu  ni  boire. 
Perdus  seuls  dans  la  nuit,  le  froid  et  la  douleur, 
Endolorissons-nous  de  leur  douleur,  ma  sœur  î 


JFUXES    FIJ-URS  ^^ 


A  UNE  MÉMOIRE 


CiNERES 


L/LLE  s'éteignit  comme  une  lampe  qu'on  souffle  : 

Ce  fut  cela  et  rien  de  plus  ; 
Flamme  étiolée,  vie  exténuée,  un  souffle 

La  but  toute  :  elle  n'était  plus. 

Vivante,  ombre  déjà  semblait-elle,  oh  légère, 

Oh  légère,  effleurant  sans  plus 
La  terre  :  cette  terre  au  moins  lui  soit  légère  ! 

La  terre,  hélas  !  elle  n'est  plus 

Qu'un  menu  tas  de  cendres  froid...  pauvres  chers  êtres 
Sous  ce  feu  barbare,  bien  que  morts 

Il  semble  que  vous  souffriez  par  tout  votre  être... 
Oh,  ne  brûlons  jamais  nos  morts  î 

Depuis  qu  elle  n'est  plus  c'est  deuil  et  solitude  : 
Vous  tous  ne  le  sentez-vous  pas 

Qu'il  fait  plus  froid  et  noir  et  qu'une  solitude 
Nous  pèse,  ne  sentez-vous  pas? 


t-^6  JEUNES    FLEURS 


Ne  le  sentez-vous  pas  qu'elle  a  pris  notre  vie, 
Que  plus  qu'elle  nous  sommes  morts  ? 

Nous  errons  comme  nos  fantômes  dans  la  vie, 
Des  morts  oubliés  par  les  morts, 

Et  si  s'attarde  en  nous  quelque  ombre  de  lumière. 

C'est  son  reflet  qui  vient  encor 
Nous  approcher  :  ah,  laisse-nous  de  ta  lumière, 

L'ombre  chère  nous  suivre  encor  ! 

Sans  pleurs  ni  chants  donc  pélerinons  vers  sa  tombe 

Et  vètons-la  de  fraîches  fleurs, 
Descendons  efl:euiller  les  myrtes  sur  sa  tombe, 

Qu'elle  dorme  au  milieu  des  fleurs  ! 

Elle  s'éteignit  comme  une  lampe  qu'on  souffle. 

Ce  fut  cela  et  rien  de  plus  ; 
Flamme  étiolée,  vie  exténuée,  un  souffle 

La  but  toute  :  elle  n^était  plus. 


JEUNF.S   FLEURS  ^y 


Puisse  le  Nouvel  An  que  va  ce  jour  déclore 
Rendre  accomplis  vos  vœux  à,  peine  que  formés  ; 
Puisse-t-il  être  à  vous,  à  ceux  c^ue  vous  aimez, 
Un  seul  éternel  jour  en  éternelle  aurore  ! 

Se  puissent  tous  vos  ans  d'avrils  être  semés 
Plus  que  de  fleurs  les  prés  qu'Avril  versicolore  ; 
Puissent  les  joies  couler  ainsi  que  de  l'amphore 
Dans  les  temps  s'épandaient  les  lourds  vins  parfumés! 

Mais  quel  délire  est  mien,  et  l'infertile  vie 
Je  vous  allais  ourdir,  veule,  blafarde,  unie, 
Mortelle  à  en  .invoquer  la  more  1   non,  je  veux. 

Non,  vous  saurez  encor,  je  veux,  la  jouissance 
Torride  des  rancœurs,  des  deuils,  de  la  souffrance  : 
Oh,  quels  acres  sanglots  défleuriront  tes  3^eux  ! 


JîUNliS    FLEURS 


A  LA  BELLE  QUI  SANS  VOIR  PASSA 


B 


ELLE,  quand  VOUS  ])assez,  d'un  nonchaloir  hautain 

Suavement  drapée. 
Pleur  !  retient-il  si  fort  une  âme  emprisonnée. 

Ce  moi  clandestin, 
Ou'in)j)lcical)lement  vos  clairs  yeux  s'éteignent 
Quand  nous  lious  (offrons,  nous  les  délaissés; 
Qu'à  ne  luire  plus  leurs  feux  se  contraignent. 
Foudres  éblouies,  astres  qui  ne  daignent. 

Quand  vous  })assez  ? 


Belle,  quand  vous  passez,  oli  ne  dérobez  pas 

Ce  (ju'on  s{)lli(Mte 
D'un  r(\L4ard  devers  nous,  et  disparu  si  vite 

Ou'ai)paru  hélas  1 
N'assassinez  pas  nos  brèves  fi)rtunes 
Et  sera  mon  cœur  bienheureux  assez, 
Et  si  noire  ajipel  donc  vous  importune. 
Que  n'en  tiennent  })oint   vos  chers  yeux  rancune 

Quanti  vous  passez  1 


JHUNFS    FI.F.URS  39 


EN  GRATITUDE  DU  JOYEUX  BONSOIR 
ET  DU  JOLI  SOURIRE 


1      RINCESSE  de  là-bas,  pour  le  103'al  sourire 
Attestant  que  l'enfui  n'est  pas  ou])lié  tant, 
Et  le  Bonsoir  sans  plus,   si  fidèle  pourtant, 
Recevez  le  salut  tendre  autant  qu'on  peut  dire 

Du  passant  que  jadis  il  vous  a  plu  d'élire  î 
Parfums  des  fleurs  d'hier  î  fanfares  î  feux:  d'antan, 
Obsédez-la,  papillons  de  flamme,  hantant 
L'œil  qui  poursuivit  tant  les  soleils  ardre  et  luire  I 

Et  je  les  veux  garder  ces  fiers  reflets  d'alors, 

O  senteurs  d'herbe  sèche  en  tel  coffre  aux  vieux  ors. 

Trésors,  pourpres  et  pleurs  î  éclats  de  joie  !  folie! 

Et  le  bonsoir  câlin  et  le  sourire  ailé 
Scelleront  le  recueil  des  visions  tollies. 
Fermail  riche  au  coffret  pieusement  celé  ! 


6o  JKUNES  FLEURS 


Oui  je  suis  cet  enf^mt,   méchant  le  plus  de  tous  ; 
Mon  corps  et  mon  lamentable  cœur  sont  l'asile 
Où  se  donnent  tous  affreux  penchants  rendez-vous. 
Où  les  péchés  sans  nombre  élisent  domicile  ; 

Et  gourmand  1  orgueilleux,  coléreux,  indocile. 
Luxurieux  (bravo!)  comme  un  camp  de  matous, 
Commedeuxcamps,commetroiscamps, comme  trois  mille. 
Jaloux,  il  le  faut  dire,  insolemment  jaloux, 

Fantasque,  par  à-coups  cruel,  capricieux, 

Insaisissable  cœur...  je  ne  suis  envieux. 

Vaniteux   moins  encor  :   mais,  Dieu,    quelle  paresse! 

Oui^  de  vices  pétri  :  mais  pour  tout  racheter. 
Ce  cœur  voit  ses  trésors  et  livre  sans  compter  : 
Naïveté,  ferveur,  fidélité,  tendresse. 


JEUXF"  FLEURS  6l 


LA  PLUS  JOLIE 


r 

V^ESyeux,  magiques  yeux,  mirages  redoublés. 
D'amour  iLs  émouvront  le  mieux  damné  des  bagnes  ; 
Prunelles  d'or,  regards  d'ombre^  vous  assemblez 
Une  vierge  en  Hellas  à  l'Infante  d'Espagne  ! 

Vous  passez  :  un  vainqueur  élan  vous  accompagne 
Et  fait  longtemps  frémir  nos  frêles  cœurs  troublés, 
Et  l'ondoyant  corps  blond  et  tel  que  les  grands  blés 
Quand  d'^^oût  les  baleinées  soulèvent  les  campagnes. 

Alors  ne  parlez  plus,  la  féerie  s'éteindrait, 
Nos  cœurs  désenchantés  en  vous  ne  salueraient 
Qu'Eve  plus  belle  I  allez  de  silence  vêtue  : 

Menez  à  votre  insu  votre  divinité. 

Tant  à  l'insu  de  vous  I  —  et  mouvante  statue 

De  la  jeunesse  en  fleur  pour  l'immortalité  I 


jf:i;Ni:s  flkurs 


LITANIES  A  LA  NOTRE-DAME 
DE  TOUTES  NOS  DOULEURS 


[      ARFolS  jusqu'à  ce  cœur  les  rampantes  pensées 
Se  s(3nt  haussées  ;   pardonne-moi  ! 

ions  l'ortie  aux  vireux  buissons  des  jalousies 
Il  t'a  meurtrie,  pardonne-moi  ! 

Pardonne  au  faible  roi  qui  t'aime, 
O  sa  Reine  pardonne-moi  ! 
Pardonne  larmes,  anathèmes, 
Et  blasphèmes,  et  mon  amour  même. 
Si  faible,  faible  devant  toi, 
Pardonne-moi  ! 

Sois-moi  légère,  sois-moi  lionne, 
Larmes,  blasphèmes,  absous-moi  ! 
Le  Dieu,  ô  ma  Patronne,  ordonne. 
Sans  tin  il  faut  qu'un  cœur  pardonne 
Pour  sans  fin  être  aimé  :  ô  toi, 
Pardon  ne- moi  ! 


ji-i:nfs  Fr.ix'RS 


63 


Dame  mienne  et  madone, 
Empérière  lionne 
De  mes  moi, 
Pardonnez-moi,  pardonnez- moi 

Fièvre  à  cpioi  je  m'adonne, 
Gloire  dont  se  fleuronnent 
Mes  émois, 
Consolez-moi,  consolez-moi, 

Et  ces  lières  courojines 
Qu'à  mes  frères  tu  donnes, 
Donne,  donnez-moi  : 
Exaucez-mc^i,  exaucez-  moi  ! 


Arcane  de  sagesse 


Gaie  ampoule  d'ivresse, 
Keine-roi, 
Pardonnez-moi,  ])ardon nez-moi 

Très  haute,  mes  j^aresses 
Te  vouent  cette  faiblesse, 
.Mon  arroi  : 
Consolez-moi,  consolez-moi  ; 

Trop  aimable  prêtresse. 
Nef  d'or  en  mes  détresses, 
Oui  fuyez,  oh  ])ourquoi  ? 
Exaucez-moi,  exaucez-moi 


64  jF.UNFS  FLEURS 


Toute  aline  Notre-Dame,  ' 
Réconfort  pour  toute  âme 
Aux  abois, 
Exaltez-moi^  exaltez-moi  ; 

Mirifique  dicta  me. 
Liqueur,  glace,  or  et  flamme. 
Que  je  bois. 
Elancez-moi,  élancez-moi  ! 

Etoile  (les  vèprées 
D'aurores  diaprée 
Oue  je  vois. 
Eclairez-moi.  constellez -moi  ; 

Triple  Lune  obsécrée, 
Prônée  et  consacrée 
Par  ma  voix. 
Consolez-moi,  consolez-moi  ; 

Muse  haut  célébrée 
Par  la  lyre  enivrée 
Et  l'allègre  hautbois. 
Exaucez-moi,  exaucez-moi  ; 

Ostensoir  salutaire 
Où  tremble  ma  prière. 
Quand  je  crois, 
Pardonnez-moi,  pardonnez-moi  : 


à 


JEUNHS    FLEURS  65 


Amoureux  sanctuaire, 
Trésors,  électuaire 
De  ma  foi. 
Consolez-moi,  consolez-moi  ; 

.    Registre  obituaire 
Où  tous  deuils  se  gravèrent 
Tant  et  tant  de  fois. 
Epargnez-moi,  épargnez-moi  I 

Adorable  spectacle, 
P'ier-écrin,  réceptacle 
Des  minois, 
Réjouissez-moi,  réjouissez-moi  ; 

Bienheureux  habitacle, 
Saint  des  saints,  tabernacle, 
Champ  d'or  aux  tournois, 
Protégez-moi,    protégez-moi  1 

Sempiternelle  idole, 
Irrésistible  embole 
Des  effrois, 
Tardonnez-moi,  pardonnez-moi  ; 

Bouche  dont  la  parole 
Et  rassure  et  console 
Un  cœur  froid, 
Consolez-moi,  consolez-moi  ■ 


66 


JEUNES    FLEURS 


S3-mbole  des  symboles, 
Espoirs,  palme,  auréoles 
De  gloire  et  de  joie, 
Exaucez-moi,  exaucez-moi  ; 

Reine  et  esclave  née, 
Mensonge  invétéré 
Que  je  crois, 
Pardonnez-moi,  pardonnez-moi  ; 

Par  vous,  claire  àme-fée 
La  mienne  est  arrachée 
x\  ses  croix  : 
Consolez-moi,  consolez-moi  : 


Vous  avez  délivré 
Cette  sœur  esseulée, 

Veuillez  par  siircr.)]:. 
Exaucez-moi,  exaucez-moi  ! 

iMusique  })our  nos  fêtes. 
Harpe  cTor  des  j)rophélev 
Sous  DOS  doigts. 
Inspirez-moi.  inspirez-moi  ; 

Et  bondisse  et  parfaite 
La  seule  hymne  de  fête 
Qu'un  tel  cœur  vous  doit  : 
Accueillez-le,  accueillez-moi  ! 


à 


ll.UNVS    FLHURS 


J'ai  profané  ma  foi, 
J'ai  péché  contre  toi, 

Oublie! 
Je  suis,  ô  toi  !  sans  toi, 
Arbrisseau  frêle,  bois 

Qui  plie  ! 
Là-haut,  là-haut  emporte-moi. 
Entends  comme  ma  voix 

Supplie, 
Aile  sur  aile  emporte-moi 

Vers  toi  ! 


Le  Poète,  dégrisé  : 

—  Je  ne  suis  qu'une  huitre,  une  huitre  malade  : 

O  Muse,  rapprends-moi  les  fiers  chants  du  Ménale  ! 


68  JEUNES    FLEURS 


UNE  AMANTE 


V^  c'ÉTERXELLE^rEXT  Dieu  bénisse  l'heure 
Où  ton  cœur,  Ami,  retrouva  mon  cœur, 
Et  l'emprisonna,  m3^stique  demeure, 
Sous  un  seul  réseau  de  roses  en  fleur  1 

Je  t'aime  toi  seul  :  vaines,  les  années 
Détreindre  voudront  nos  deux  destinées, 
Sanctuaire  en  fleur  par  rien  profané. 
Pour  toujours  à  toi  ce  cœur  s'est  donné  : 

Qu'éternellement  Dieu  bénisse  l'heure 
Où  mon  cœur.  Ami,  retrouva  ton  cœur! 

Toutes  m'aies,  cher  cœur,  gardées  tes  pensées 
A  Theure  où  la  Mort,  de  ses  mains  glacées 
Gercera  ce  cœur,  sans  jamais  laisser 
L'oubli  basilic  en  toi  se  glisser   : 

Qu'éternellemesit  Dieu  bénisse  l'heure 
Où  ton  cœiu-,  Ami,  retrouva  mon  cœur'. 


Ji;UNi:S   FLFURS  69 


Par  trois  roses,  trois,  sont  douleurs  calmées, 
Chassé  le  malheur,  le  mal  écarté  ; 
Un  ang-e  est  v^enu  qui  les  a  nommées 
Innocence,  x\mour,  et  Fidélité  : 

Est-ce  un  espoir  vain  dont  l'effort  me  leurre  ? 
Au  ciel  entr'ouvert,  mystique  demeure 
Des  jeunes  amours^  s'envola  mon  cœur. 
Espérance  aimée,  indicible  ardeur  ! 


Le  Poète,  différemment  gris  : 

—  Les  chiens,  qu'ils  sont  heureux. 
Mon  Dieu,  mon  Dieu,  mon  Dieu  ! 


70  JI-UNF.S    FLEURS 


Marie 


D 


ANS  le  ventre  de  la  roche 
Apre,  rude  et  désolée. 
Mes  mains  frêles  ont  creusé 
Un  retrait  mystérieux; 

—  Ave  Maria.  Gratia  plena.  — 

Un  autel  tout  d'or  y  tremble 
Baigné  des  molles  ardeurs 
De  cent  cierges  odorants  ; 
L'autel  c'est  moi  tout  enseml)le, 

—  Ave  Maria,  Gratia   plena.  — 

Sur  l'autel  d'amour  nimbée. 
S'illumine  une  madone 
Toute  belle  et  toute  aimée 
A  qui  mon  zèle  se  donna  ; 

—  Ave  Maria,  Gratia  jdena.  — 

Je  ne  suis  qu^une  huitre,  une  huitre  malade 


JFUNES   FI.FURS  ']  l 


UNE   AMANTE 


T, 


ENDKE,  féal,  silencieux. 
Amour  soupire  et  parle  peu  ; 
Par  subtils  effluves  s'émanent 
Ses  effusions  les  plus  pures  ; 
Souvent  une  larme  muette 
Dit  plus  que  l'éloquent  discours  : 
Tes  sons  mystérieux,  amour, 
Sont  l'expresse  harmonie  du  cœur. 

Merci,  cœur  aimé  qui  m'as  prise: 
Vers  toi  je  me  tends  en  silence 
Et  mon  cœur  bat  selon  ton  cœur  ; 
Bienaimé,  fidèle  à  toujours, 
Pardonne  si  je  sais  me  taire  : 
Il  parle  peu  Tamour  sincère  ; 
Ses  effusions  les  plus  pures 
S'émanent  par  subtils  effluves. 


7^  JEUNFS  fi.i:i;rs 


(VBRGISS  MEIi\  NIC  HT) 

Œil  bleu  qui  te  meurs  de  te  .souvenir 
En  son  honneur  toujours  tu  fleuriras  : 
Croître  pourras-tu,  fleur,  to;it  à  loisir  : 
Ta  sève  est  mon  sani^-  :  tu  l'epuiseras 
Tout  à  loisir  ; 

Quand  tout  mon  sang  à  la  fin  m'ayant  fui. 
L'auguste  mort  viendra  prendre  mes  yeux, 
Vergiss  mein  niclit  tu  fleuriras  pour  lui, 
Sur  mon  cœur  noir,  loin  d'un  monde  odieux, 
Rien  (^ue  pour  lui  ! 


—  Et  je  te  vis. 
Et  je  fus  perdu  î 

Une  folie 
Emporta  mes  sens  : 
O  Muse,  oh  rapprends-moi  les  fiers  chants  du  ,Ménale  ! 


JïïUNF-S    FI-FUR*;  73 


FIN  D'IDYLL 


A  AlADAMic  1.A  Comtesse  Mac-Grkgor  dk  Glinmlk 


R 


EVE  d'un  paradis  retrouv'^é  })ar  i;n  rêve  ! 
Revenu  l'univers  son  ouragan  de  fleurs, 
I"  roisonnement  d'ciniour  d'avant  les  premiers  pleurs, 
Et  resurgement  là  du  couple  xidani  et  Eve 

Pour  refaire  une  hum-^nité  de  l'àue  d'or 

En  un  baiser  d'enfants  ai  meurs  sans  impostuie  ! 

Cynique  pureté  sous  l'aug-uste  nature 

Oui  s'y  Ijerce   en  chantant  et  sc^mnole  et  s'eiidijrt  I 

Hélas,  hélas  !  le  rêve  y  dé'chire>ses  ailes 
De  fleur  et  de  lumière  à  tes  griffes  mortelles, 
O  glacée,  ô  desséchante  réalité  ! 

Fauchés  les  paradis  et  toi  beau  coujde  tendre, 

Qu'étrangle  l'affreuse  vieillarde  humanité, 

Oui  mange  ses  enfanls   sans  rien  voir  id  entendre  ! 


JKUXFS    FLKURS 


A  Madame  Gfxrg!^-s  Pékin, 


C 


OMMr:  s'allait  retraire  en  son  palais  de  deuil 
a\lon  à  me  solitaire, 
A  l'instant  de  passer  le  himen table  seuil 
Une  blancheur  à  terre 
Interrogea  mon  œil  : 

Et  regardant,  je  \is  s'indiquer  nn<,'  plume. 
Une  ])lume  iroiseaii. 

Et  de  mon  ccpur  souchiin  s'eiuola  l'amerluir.e. 
Délitant  le  réseau 
De  ses  trames  de  brume; 

Car  rêvant  au  ])rodigf^  en  nsai-je  inférer 
Le  plus  joveux  présage  : 

C'était  la  blanc^lie  j^enne  au  fin  l)ec  ac^éré 
Tel  j>our  de  fiers  ou \' rages. 
Et  ee  bec  enfin  dirigé 

Vers  l'huis  de  mon  rcnluit,  effleurant  son  orée 

Irréfutablement, 
Et  sa  blanclunn-  se  propag^eait.  immaculée 

A\  i  ra  (ni  leu  sèment. 

Sur  la  brique  souillée  ; 


JEUNES    FLEURS  7 7 


Elle  annonçait  inadroite  et  c'était  au  matin. 
Et  l'élevant  du  rhoml)e 

Rugueux,  je  reconnus,  augure  plus  certain, 
Qu'elle  était  de  colombe. 


LORRAINE 


JEIINK.-.    FLKURS  79 


VOSGES 


A    M.    ET    Mi'ic    EUGKNE    MATtlIKC. 


L 


ES  hauts  sapins  frileux  grelotants  sous  les  bises 
lîntrefroissent  sans  fin,  sistres,  voix  indécises, 
l.es  paillettes  d'argent  du  gel  ; 

O  géants  noirs  et  verts  roitlls  aux  blancs  plumages. 
De  iièches  hérissés,  fantômes  des  vieux  ào-es 
spectres  perclus,  froids  immortels, 


Un  soleil  lourd  de  neige  en  frissonnant  se  glisse 
Et  gèle  sur  les  prismes  du  givre  :  ah,  que  puisse 
Dans  ces  squelettes  sous  le  ciel, 

Atteindre  un  jour,  Printemj^s,  ton  chaud  ei  profond  souffle. 
Et  que  souffre  mon  cœur  quand  les  sapins  engouffrent 
La  froide  bise  de  Noël  ! 

Forêt  de  Vitnmont, 


8o  .        JF.U.KES    FLEURS 


LORRAINE 


A  Madame  Gkokgks  Denoînvill 


T, 


ÉTANT  la  pipe  en  porcelaiiie 
I-Lii  tel  cabaret  délaissé, 
J'exliunie  longuement  l'iialeine 
Qui  s'essore  d'un  cher  passé  ; 
Le  soleil  filtre  par  les  vitres 
Kt  fciit  des  ronds  Idancs  s:ir  le  mur  : 
Il  vagabonde  entre  les  litres 
Kt  les  verres  aux  reflets  durs  ; 
Des  mouches  fileut,  caracolent 
Va  font  des  zig-zags  tourno\'ants. 
Tourbillonnent  et  se  bousculent  ; 
Les  (doches  brament  lourdement  ; 
Pucelles  gentement  niaises, 
Trottent,  missel  d'or  à  la  main. 
Offrir  à  Dieu  l'éveil  fervent 
Du  cher  petit  cœur  en  dentelle 
Oui  cherclie,  cherche  son  chemin  ; 
L'amour  s'exhale  de  la  terre 
Lu  un  baistM"  lent  et  brûlant: 
Il  grise,  il  emporte,  il  altère, 
Vertigineusement  ! 

Linn'ii//,: 


.1  HUNES    FLEURS  8l 


VESPER 


A  Mademoiselle  Viviane  Saunier. 


T 


ANDIS  qu'en  soupirant  je  veille 
Et  réveille  un  rêve  divin, 
La  lourde  S3dve  s'ensommeille, 
Le  jour  sombre  et  pleure  sa  fin  ; 
JYdles  les  sonnailles  des  mules 
Se  dissolvent  dans  le  soir^bleu, 
Des  muguets  et  des  campanules, 
Sans  bruit  les  parfums  et  les  feuK 
Se  renvoient  leurs  voix  étouffées 
A  l'appel  des  sourdes  bouffées 
Qui  passent  comme  leur  haleine 
Et  drainent  leurs  muets  soupirs: 
C'est  l'heure  indécise  et  sereine 
Où  tout  s'apaise,  où  tout  expire  ; 
Dans  l'immensité  déserte 
De  tes  solitudes  vertes 
Enviant  de  s'assoupir 
Sous  les  ailes  du  crépuscule, 
D'obscures  ondes  s  accumulent. 

Forêt  de   Vitrimont. 


82 


^,e:.;nes  fleuri 


ADIEUX  A  LA  LORRAINE 


A  MON  Capitaine,  M.  Michel, 

De^  Chasseurs  a  pied  de  Lunévili.k 


L 


ORRAIXK,  aïeule  trois  fois  belle,  6  juvénile. 
Vierge  batailleuse,  uière  de  fils  hardis 
Et  de  vierges  bardées  de  la  grâce  virile, 
Depuis  qu'on  m'exila  sous  ton  grand  ciel  niol.)i!e. 
Je  fus  ton  ravi  pèlerin,  tant,  je  le  dis, 
Qu'il  me  semble  que  c'est  à  ])résent  ({u'on  m'exile. 

Avant  de  te  quitter  je  t'invoque  debout. 

Rose  est  ton  ciel  ainsi  Cjue  la  cliair  tle  tes  femmes 

Et  que  ton  vin  et  que  ton  sol,    et  veut  j)ariout 

Ce  même  afflux  fébrile  écartelé  de  flammes  : 

Votre  sang,  fourmillants  ancêtres  1  Mans  ce  ciel. 

Dans  ce  sol  fauve  imbu  de  lièvres,  il  circule, 

Il  bout  sous  ton  raisin  mordoré  d'or,  il  brùlc 

Au  cœur  de  tes  Lorrains  son  feu  blond  comme  un  miel. 


JEUNES    FLEURS  %) 


Lorraine  ô  tant  de  fois  dépecée  et  meurtrie, 
Le  fer  vit  ruisseler  ce  sang,  triste  patrie. 
Tant  de  fois,  et  l'incendie  allumer  ce  sol  : 
Comme  une  aigle  blessée  au  travers  de  son  vol, 
Que  tu  laisse  où  tu  passe  une  odeur  de  tuerie. 

Martire  qui  sans  fin  saigne,  lutte  et  souris, 
Terre  des  gestes  fiers  et  des  justes  audaces. 
Elégante  Lorraine  aux  tendres  bois  fleuris, 
Je  te  salue  et  ton  acharnement  vorace 
A  devers  tous  brandir,  insignes  de  ta  race, 
La  fièvre  de  l'honneur  et  l'amour  du  pays.' 


LA  DÉFAITE  DU  SPHINX 


JEUNI-S    FLEURS  87 


LA  DÉFAITE  DU  SPHINX 


A   Francis  Vielé-Griffin. 


L 


E  métal  bout  et  l'air  rutile, 
Le  ciel  roui  flamboie  comme  un  astre  d'enfer, 
Tout  suffoque,  l'ombre  est  lourde 
Et  autant  brûle  que  la  lumière  ; 
Ma  bouche  ahane  après  les  flasques  bouffées  d'air, 
Ma  langue  desséchée  dans  ma  bouche  torride 
Mesure  une  fiévreuse  salive,  acre  et  chaude^ 
La  cendre  comble  ma  narine. 

Fureurs,  assauts,  folie 

Et  déluge  au  zénith  ; 
Sardanapale  en  feu  hurle,   se  rit  et  crache 
Les  flèches  à  milliers  du  haut  carquois  brûlant  ; 

Or  et  flammeSj  la  vie  d'un  dieu, 
Et  sang,  à  resplendissants  flots  pleut  et  ruisselle; 
Le  soleil  escalade  la  céleste  cité 
Et  s'assej^ant,  roi  formidable,  au  faîte, 
A  l'amoncellement  sublime  a  mis  le  feu. 


88 


TF,UNES    FLEURS 


Opulences  accumulées, 
Que  tout  déflagre  et  tout  s'effondre, 
Que  tout  sombre  aux  feux  éblouis. 
Au  centre,  flamme  au  cœur  des  flammes^ 
Tremble,  flambe  dans  l'orgueil  fou. 
Et  massacre,  et  rit,  et  blasfème, 
Le  roi  Soleil,  satrape  et  dieu. 

L'univers  haletant  n'est  plus  que  cendre  et  braise. 
Pourtant 

Sur  l'aire  calcinée  dont  le  sable  poudroie, 

Un  sphinx  blanc  et  rose  demeure, 
Un  bizarre  petit  sphinx. 
Du  feu  l'ouragan  en  fureur 
S'acharne,  et  saura-t-il  gercer 
L'exquise  chair  de  granit  rose, 
Peut-il  éblouir  la  prunelle 
De  lazulite  bleu  glacé  ? 
En  vain,  en  vain  le  flamboiement  s'épuise, 
En  vain  l'essaim  démuselé  des  bises 
Bouillantes  comme  l'eau  des  désirs 
En  sifflant  halète  et  tourne,  et  se  brise 
Sur  l'orgueilleuse  pointe  fraîche, 
O  sphinx,  de  tes  clairs  petits  seins! 

—  O  monstre  immobile, 
Atone  et  vide  est  ton  regard  ; 


JEUNFS    FLFURS  89 


Ton  œil  qui  scintille  et  qui  dort 
Attire  et  draine  tel  un  gouffre  ; 

—  Amour  et  mc^rt  î  — 

Tapi  au  cœur  de  ta  prunelle 
Flamme  gélive  et  bleu  de  soufre, 
Le  vertige  assis  trône  et  guette  ; 

—  x\mour  et  mort  !  — 

—  O  Sphinx  impassible! 
L'eau  sans  remous  de  ta  prunelle 
Sans  fond  et  nulle  tel  un  beau  ciel, 
Est  pesante  comme  les  mondes  ; 
J^'infortuné  que  joint  son  onde, 
A  cet  œil  sans  regard  où  frissonne  l'énigme, 

—  Amour  et  mort  !  — 

Il  s'en  voit  pour  Jamais  le  domaine  et  la  proie. 
D'indicibles  chaînes  Ty  rivent, 

L'énigme  à  flots  muets  le  soutire  et  l'imboit. 
Sans  que  nulle  magie  humaine 
L'en  jamais  vienne  délivrer; 

—  Amour  et  mort  !  — 

O  Sphinx  blanc,  ô  chair  insensible  ! 
L'œil  lourd,  muet  et  magnétique, 
Sans  qu'un  clignotement  décide, 
O  sournoise  sérénité  ! 


90  JKUXHS    FLFUR'; 


Cette  paui)ière  vierge  et  veuve, 
L'emmène  avec  tlouceur  et  lentement  le  boit  ; 

—  Amour  et  mort  1  — 

Et  lui  donc  pénétré  de  cette  morne  soif 

(O  Sphinx  blanc,  granit  impassible  î) 
D'envahir  le  gouffre  magique 
Et  le  boire  et  en  être  Iju, 
S'offre  au  suçoir  irrésistil)le. 

—  Amour  et  mort  1  — 

Vertiofe  effrovable  et  si  doux. 
Le  gouffre  aspire  et  corps  et  âme 
A  travers  son  triste  cristal  ; 
Désir  sans  nom,  amours  atroces, 
Ep{)uvanta1)le  \olupté. 
L'amant  xoit  s'écouler  son  cœur 
Goutte  à  goutte  au  gouffre  sans  [\}n(\. 

—  Amour  et  mort  ! 

—   Si)hinx  aux  lèvre'  irrassasiées. 
Les  ossements  de  tes  innom])rables  amants 
l^^)nt  l'affreux  piédestal  à  ta  croupe  de  pierre. 
A  tes  chers  seins  menus  et  roses. 
Aux  l)elles  griffes  translucides 
Et  ])lus  tranchantes  cpie  des  faux  ; 
Un  piédestal  d'horreur  à  ce  ventre  de  piei-re, 
.Vux  flancs  i;lacés  que  nulle  ardt^n-, 
Oue  nul  spasme  n'atiédit  ! 


4 


JEUNES  FLEURS  9I 


Car  ton  masque  seul  est  de  femme, 
Ton  lourd  ventre  est  privé  de  la  molle  blessure 
Aux  lèvres  affamées  du  baiser  amoureux, 
Et  c'est  un  impudent  prestige 
Que  l'orgueil  de  tes  deux  mamelles  ; 
Fantôme  horrible  et  cher,  ô  Sphinx, 
Monstre  atroce  et  charmant,point  mâleet  point  femelle, 
Adonis- Astarté^ 
Démon  insexué 
Des  stérilités, 
Autant  mort  aux  transports  de  la  virilité 
Qu'aux  long-s  et  chauds  élans  de  la  fécondité  I 

Or  moi,  me  prétendis  le  lumineux  vainqueur 

Du  monstre  à  l'énigme, 
Et  tels  les  musculeux  lutteurs  tout  baignés  d'huile 

Errent  sur  l'arène  en  tournant, 
Soupèsent  la  minute  et  la  place  propices 

A  l'étreinte  dont  tout  dépend, 
Ainsi,  moi^  rôdais  à  l'entour 
Du  monstre  d'amour  et  d'horreur. 

Et  j'ai  crié  :  Jette  à  moi  ton  énigme  : 
Que  je  devine, 
Ou  que  tu  me  dévores  ! 
-Elles  n'ont  point  vibré,  les  ouïes  de  granit  rose, 
Et  les  lèvres,  amas  de  rubis  écrasés. 


JEUNES    FLEURS 


Infrangibles,  stupidement  closes 
Sont  demeurées. 

J'invoquai  dans  ma  frénésie 
La  furie  du  soleil  au  zénith  guerroyant, 
Et  c'est  en  vain  que  Touragan  des  brises 
Vint  assaillir  le  ventre  de  granit, 
Le  froid  granit  ne  s'est  pas  échauffé. 

Et  j'ai  crié  :  —  Monstre  stupide 
Qui  nous  broie  sans  voir  ni  savoir, 
Ouvre  l'enfer  de  ta  mâchoire  : 
Que  je  devine. 

Ou  que  tu  me  dévores  ! 
Déclos  ta  bouche  close,  rose  et  avide 
Comme  un  sexe  de  vierge  en  fleur  : 

Kt  nulle  lèvre  n'a  frémi. 

Alors,  alors,  hors  de  moi -même, 

J'ai  plongé  comme  un  double  harpon 
De  mes  deux  yeux  Téclair  dans  les  prunelles  bleues, 

En  hurlant,  de  l'écume  au  cœur  : 
—  Dévore-moi  mais  parle  !  énonce  ton  énigme, 
Crache-le,  le  venin  de  la  phrase  perfide, 

Dont  l'attente  fait  que  je  meurs! 

Les  clairs  yeux  et  glacés  sont  restés  inflexibles. 

Et  les  fouillant,  j'appris  avec  horreur, 

Avec  terreur,  j'ai  vu  qu'ils  étaient  deux  trous  vides, 


JEUNES    FLEURS  9^ 


C'étaient  les  trous  d'une  tête  de  mort 
Béant  sur  de  la  nuit  ! 

Amour  et  mort  !  il  n'y  avait  pas  d'énigme  ! 

Alors, 
Sans  retourner  la  tête  et  comme  un  chien  voleur, 

Le  dos  lourd  je  me  suis  enfui 
A  gros  bruit  sanglotant  de  n'avoir  su  comme  eux, 

Les  autres, 
Mourir  d'amour,  de  peur,  et  d'infernals  désirs, 
Et  me  courir  anéantir 
Dans  le  clair  gouffre  souriant, 
Amour  et  mort  ! 

Au  réveil,  le  Sphinx  blanc  s'était  évanoui. 


PAYSAGES    PARISIENS 


JEUNI-S    FLEURS  97 


LE  CONCILE  DES  CHATS 


A  Madame  Adolphe  AVillette. 


D 


\)\J  sortent  -ils,  qui  saura  d'où? 
Est-ce  deux  cents,  est-ce  dix  mille  ? 
Combien  sont-ils  ?  tous  les  matous  î 
Sous  la  blême  lune  et  tranquille 
Tous  ils  en  sont,  tous  ils  sont  là 
Qui  tiennent  un   grave  concile, 
Le  grand  concile  des  chats  1 

L'ombre  se  peuple  de  chats, 
O  le  sabbat  adorable, 
On  se  miaule  tout  bas, 
Dc'.ns  la  nuit  pàlote  et  claire. 
Sous  le  (^iel  vert  qui  scintille, 
P'ar  les  vergers^  sur  les  toits, 
Ils  tiennent  le  grave  concile, 
Le  grand  concile  des  chats. 


98  JEUNES   FLEURS 


Lune,  Lune,  sœur  sereine, 
Chanoinesse  des  Immobiles, 
O  leur  dame  souveraine, 
Aimant  des  filles  nubiles, 
Reine  des  quatre  semaines, 
Qui  présides  tout  là-bas 
Au  grave,  tant  grave  concile, 
Au  grand  concile  des  chats, 

Marraine  Lune  qui  soûles 
La  grave  et  fantasque  foule 
De  tes  beaux  matous  chéris, 
Empérière  des  maboules. 
Chattes,  chats,  poètes,  femmes, 
Tant  que  ronflent  les  maris, 
A  nos  péchés  noctambules, 
De  tout  là-haut  tu  souris, 

Lune,  Lune,  reine  chérie  ! 


Au  C/i.i/-Xoi/\  A"////   de  /.j  Saint-Jean,   189: 


JEUNES    FLEURS  '    QC) 


PARAPLUIE  ET  CAOUTCHOU 

(Invective  au  mois  de  Mars) 

A  Madame  Lucien  Schnegg. 


Opongieux!  spongieux!  spong-ieuxî  spongieux! 
Laquais  marécageux  du  Printemps  !  (Il  t'habille 

Des  guenilles  de  Février, 
Printemps,  ce  beau  bâtard  mendiant  des  étés. 
Parasite  discret  et  perfide,  et  qui  cache 

Ses  grifFes  d'or  en  souriant  !) 
O  mois  boueux,  piteux,  hargneux,   l'Hiver  te  crache, 

Fils  lâche  et  louche,  et  qui  te  caches 
Quand  le  soleil  dissout  les  portes  d'Orient  ! 

Mois  filandreux,  mois  le  plus  long  de  tous. 
Dont  on   ne  sait  ce  que  tu  veux. 
Entremetteur  !  la  vierge  Neuve  Année 
A  la  virginité  si  proche  et  si  lointaine, 
A  même  sa  couche  de  neiges 
Par  ton  maître  faites  boues, 
Tu  la  livres  et  la  loues 
Au  Roi  Soleil  cousu  d'or  des  Etés  i 


lOO  JEUNES    FLEURS 


Mois  interlope  et  qui  t'égouttes 
Sur  mon  cœur  et  dans  mes  souliers. 
Mois  qui  triche,   soudard  famélique, 

Mois  visqueux,  m  ois  aqueux,  m  ois  boiteux,  mois  oblique, 
Tu  nous  désoles  et  me  dégoûtes, 

Spongieux,  spongieux,  spongieux,  spongieux! 

Vents  de  neiges,  ciels  de  boue^ 
Ah  c'que  tu  es  bien  fait  pour  ce  sale  Paris 
Dont  je  suis  pourtant,  dont  je  suis, 
Que  j'exècre,  dont  je  jouis^ 
Et  que  j'aime,  oui  que  j'aime. 
Ah  que  j'aime  comme  un  fou  ! 


JHUXES    FLKUKS  lOI 


ENTRE  DEUX  AVERSES 


A  Madame  Alfred  Vallette. 


JLj\51:  alors  !  le  Printemps  fait  de  l'impressionisme  ! 
Vieux  éternel  gamin  1  Jésus  banalisé, 
Transe  du  cœur  des  vierges  et  de  notre  organisme, 
Prudhomme,  démocrate,  il  te  faut  du  l3^risme  : 
Tu  veux  donc  te  refaire  une  virginité  ? 
Va  donc,  eh  raté  ! 

Pillant  nos  complémentaires, 
Tu  fais  sourdre  aux  éventaires 
Des  petites  marchandes  de  fleurs 
De  si  merveilleuses  horreurs, 
Que  le  bourgeois  pris  de  coliques 
Croit  voir  les  splendeurs  hérétiques 
De  Van  Gogh  et  de  Pissarro  : 
Et  recommande  avec  terreur 
En  passant  devant  vos  boutiques, 
Petites  marchandes  de  fleurs. 


I02  JEUNES    FLEURS 


Sa  belle  âme  à  Notre-Seigneur, 
A  Notre-Seigneur  Bouguereau  ! 

(Premier  bourgeois  :  —  Que  d'eau,  que  d'eau  ! 

Second  bourgeois  :  —  C'est  trop  de  fleurs'. 

Et  la  jeune  personne  :  —  O  mon  pauvre  petit  cœur  !) 

A  lourdes  brassées  tu  brandis  les  houx, 
Bons  houx,  lames  de  t(Me  et  de  zinc  vernissées 
Bons  houx  lancéolés  tout  hérissés  de  dards. 
Houx  où  tant  de  mille  boules 
D'un  saignant  corail, 
Aprement  vibrent  I 

Sur  ce  chantier  vert  sombre  aux  n^ordorures  vives, 
Sur  ce  désastre  d'ombres. 

Tendrement  répands-tu  les  idylles  plaintives, 
Molle  églogue  des  violettes, 
Vierges  de  Nice  et  de  .Meudon, 
Avec  pour  assoupir  les  teintes 

Leurs  filleules  de  Parme  aux  pâleurs  maladives 
Et  dolemment  éteintes, 

O  jeunes  reines  s'en  allant  de  la  poitrine  ! 

Or  sur  ce  sage  et  triste  et  paisible  poème 
Viennent  cataracter  les  ])rimeroles  d'or. 
Et  les  molles  ])rimeroles 
Se  bousculent,  s'entrechoquent 


JEUNES    FLnCRS  I03 


S'entrechoquent,  tournent,  tintent  : 
Oh  les  filles,  filles  folles, 
Oh  les  belles  filles 
Dont  vibrent  les  corps. 
Et  tapageusement  écrivent 
En  corolles  qui  se  cabrent 
Les  grands  airs  de  bravoure 

Du  jaune  vainqueur  ! 
Pour  assagir  les  frivoles 
—  Vole,  vole,  mon  cœur^  vole  !  — 
Tu  fais  intervenir  les  lilas,  grandes  sœurs 
Aux  douceurs  recueillies  et  comme  maternelles  : 
—  O  noble,  bienveillante,  ô  pudique  quiétude, 
Saveur  jamais  fade, 
Candeur  jamais  rude  — 
Les  lilas,  lilas  à  peine, 
Les  lilas  triomphais  d'un  blanc  tel  que  les  lys, 
Et  les  lilas  au  blanc  viride, 
O  hiver  ! 

Puis  les  touffes  de  narcisses, 
Neiges  collerétées  des  diamants  en  paillettes 

Du  soufre. 
De  partout  qui  s'offrent, 

Jaillissent  ! 

Vous,  mimoses,  tremblotantes  flammes  d'or  grêles, 
Egrenez  les  arpèges  graves 


:o4  .       jrUNES    FLEURS 


Qui  bimbulent,  qui  s'égarent, 
Si  savoureusement,  savoureusement  frêles!.. 
(Il  n'est  si  joli  mois  d'avril 
Qui  n'ait  son  chapeau  de  grésil.) 

Et  là-dessus,  Printem})s  délicieux 

Tu  verses  à  grands  floLs  de  lumière  glacée 

L'or  diaphane  et  somptueux 
De  ton  frileux  soleil,  spectre  de  Février, 
O  fol  Printemps,  Printemps  fallacieux  ! 

—  Mais  nous  n'y  coupons  plus  dans  ta  mission  d'artiste 

Et  pas  même  toi, 
Pour  nous  tu  n'es,  monsieur,  ([u'un  désastreux  fumiste, 
Un  tout  pur  bourgeois  : 
Lorsque  couvrant  d'orgueil  l'art  utilitariste 

Et  selon  les  vœux 
Des  lapidaires  de  bouchons  de  carafes, 
Rayon  à  rayon  tu  vends  aux  photografes 
De  ton  soleil  Tor  pluvieux! 


Jl'UNES    FI.EUrxG  10^ 


ENCORE  UNE  GIBOULEE 


A  Madame  Heniii  Strentz. 


L/ST-CE  le  rire,  est-ce  la  larme, 
Printemps  leste,  prince  joli  ? 

Printemps  frêle,  vainqueur  ami, 
Ingénument  fleuri  de  g'ràces  cavalières, 
Quels  Embarquements  jjour  Cythère 

ïu  fais, 
Aux  quiosques  des  bouquetières  : 
Est-ce  le  rire,  est-ce  la  larme  ? 

Aux  quiosques  des  bouquetières 
Il  passe,  il  voiète  un  reflet, 
Duquel  de  vous  hélas,  adorés  vexillaires 
Du  discret  et  de  l'indiscret. 
Héros  en  qui  se  meurt  l'attrait 
De  nos  élégances  dernières, 
Watteau,  Fragonard  ou  Lancret 
(Est-ce  le  rire,  est-ce  la  larme  ?) 


io6 


TEUNES    FLEURS 


En  des  camps  de  verdures  vagues 
Voici  pour  lors  monter  la  garde 
(...  —  La  garde  î  la  garde  !) 
Aux  grands  Houx  porie-hallebarde 
( —  ...  ardes,  main  1   portez...  ardes  ! 

—  ^Messieurs,  le  Roi. 

—  A^ive  le  Roi  !) 

Féroces  houx,  durs  pomjjons  rouges, 
Colichemardes,  fers  de  pique  ! 
( —  Quoi,  nous  n'irons  plus  au  bois?) 
Rassurons-nous  :  pas  un  ne  bouge. 
Et  l'on  se  venge  des  eifrois 
Où  nous  jetèrent  les  moustaches 
De  ces  bravaches  mirifiques 
En  s'écriant  :  Ils  sont  en  bois  î 

Aux  idvUes  que  nos  cœurs  rêvent 
( —  .\.u  bois  nous  irons  encor  ?) 
Ils  font  fragment  du  décor 
Qu'un  ra3'on  de  soleil  achève 
En  féerie  vert,  pourpre  et  or  ; 

Près,  ])lus  près,  proche  le  bord, 
La  Pastorale  Italienne 

—  Tutu,  pan  pan,  hautbois  et  cor  — 
Verlainienne  et   Panvilienne, 

Et  se  démène  et  fait  des  mines  : 


JEUNES    FLEURS  IO7 


—  Quoi,  au  bois  nous  n'irons  plus  ?  ■ 
Bergerettes  Pompadour, 

Nous  irons  au  bois  toujours  ! 

Bergerettes  Pompadour, 
Ménines,  petites  reines... 
( —  Et  si  tu  rencontr'  la  Reine  ? 

—  Je  lui  dirai  mes  amours  !) 
Linons,  moires  et  velours, 
Courtes  traînes,  vertugades, 
Ingénues  qui  font  manières 

Toutes  fières  trottinent 
Les  violettes  menues. 

Pour  lors  en  satin  mauve  et  bleu, 
Et  bouillonnes  qui  tout  frissonnent, 
Chiffonnées  Isabelles 
Les  Violettes  de  Parme 
S'avancent  qui  nous  égrènent 
(Est-ce  le  rire,  est-ce  la  larme?) 
Les  couplets  de  la  Zerline, 
Et  Rosine  et  le  grand  air, 

Et  la  frêle  cavatine 

Du  Pré-aux-Clercs  : 

Bons  houx  porte-hallebarde, 

La  Dame  Blanche  vous  regarde  : 

—  C'est  la  Jacinthe  qui  se  farde, 


I08  JEUXES    FLEURS 


La  Dame  Blanche  vous  entend  : 

—  C'est  l'Azalée  tout  en  neige, 
Ou  le  Lilas  blanc... 

Peu  loin  les  Henri  II,  les  hauts  seig'neurs  musqués, 

Les  Narcisses  fluets,  élégants  et  corrects. 
En  pourpoint  blanc  et  or,  en  fraise  et  collerette 
De  perles  rehaussées, 
Mignons  et  menins  au  sexe  suspect... 
( —  Irons-nous  au  bois,  fillettes  ?) 
Et  puis  :  xMais  Apollon  se  cache  pour  tousser... 

—  Cymbales  !  —  Tout  s'est  éclipsé  ! 
(Est-ce  le  rire,  est-ce  la  larme  ?) 

Mais  j'ai  gardé  les  Pensées  : 

((   C'est  pour  que  vous  pensiez  à  moi.  » 


JEUNES    FLEURS  IO9 


Aimez,  c'est  venir  Mai  le  mois  sacré  des  roses  ! 


A    MON    FRÈRE    AnDRÉ. 


D 


IMANCHE  mariné  dans  dir  protestantisme 
Comme  dans  sa  saumure  un  hareng  saur  en  daube  ! 
Il  me  pleut  des  v^ersets  de  la  Bible  aux  épaules  : 
Oh,  cela  me  transit  soudain  mon  tout  lyrisme! 

Percé  jusques  au  fond  du  cœur  par  le  mufiisme 
De  mes  aqueux  contemporains,  et  par  la  pluie 
Grise  comme  un  Calvin  détrempé  dans  la  suie, 
J'immerge  tout  vif  dans  un  acre  maboulisme  : 

Il  pleure  dans  mon  cœur  comme  il  pleut  sur  la  ville, 
Du  papier  sale,  une  eau  jaune  comme  une  urine, 
Du  vin  poisseux,  du  vent  avec  des  barbarismes, 
Des  hoquets,  du  civisme,  et  des  sergents  de  ville  ! 

Notre  faute  si  le  soleil  gaulois  abjure  : 
Aviner  son  printemps  d'orgies  électorales, 
Ses  fastes,  les  meurtrir  aux  cacades  murales, 
O  Phébus  qui  s'enfuit  en  pleurant  sous  l'injure  ! 


IIO  JEUNES    FLEURS 


Il  pleure  dans  mon  cœur  comme  il  pleut  sur  la  ville, 
Mon  cœur  hurle  à  la  lune,  hélas  et  point  de  lune, 
Mon  cœur  tout  gros  d'amour  :  ô  les  urnes,  les  urnes, 
O  les  urnes  d'amour  dont  nos  grands  cœurs  sont  pleins: 
^lon  cœur  est  plein  de  «   caporal  »  ! 


D^iiiie  Section  de  vote. 


JIUNKS    FLFURS  I  I  I 


LUCIFER 


A  Hknri  de  Rkgnier. 


1    oui(iMiLLANTE  cité.  Cité  pleine  de  rêves, 
Où  le  spectre  en  plein  jour  raccroche  le  passant  ! 
Les  mystères  sans  fin  coulent  comme  des  sèves 
Dans  les  canaux  étroits  du  colosse  puissant.  — 

—  Dans  la  cour  d'une  usine  à  midi  tout  à  l'heure, 
Sans  en  mourir  d'effroi  j'ai  vu  trois  sphinx  en  vie, 
Immobiles,  muets  dans  le  soleil^  dardant 
Six  gerbes  de  phosphore  où  sombraient  des  étoiles. 

C'étaient  trois  chats  assis  sur  trois  b.alles  de  toile, 
C'était  rien  que  trois  chats  en  chœur  me  reçardamt 
Six  ventouses  d'or  vert  me  Iniyèrent  les  moelles, 
Six  cribles  dévorants  me  burent  jusqu'au  cœur, 

Et  je  partie,  écume  du  tournoieineut  t^-huique 
Six  fois  multiplié,  vers  l'intangible  li. tireur 
D'un  reculant  passé  d'animalités  raiiques 
Remuant  un  tréfonds  d'humanités  perduts  : 


JEUNES    FLEURS 


Stalactites  glacés  d'une  faune  mythique 
Pétrifiée  vivante  au  bord  des  temps  perclus. 
Les  trois  monstres  figés  dans  l'éternel  silence 
En  distillaient  l'énig-me  avec  un  calme  affreux 

Au  creux  vertigineux  de  leurs  yeux  erratiques  ; 
Et  le  hagard  reflet  des  existences  feues 
Sous  son  mag'nétique  halo  m'invite  aux  transes 
Et  danse  dans  mes  yeux  et  me  suivra  partout. 


i 


JFUNF.S    FLF.URS  II3 


ALLELUIA  DANS  LES  CAMPAGNES 


A  Madame  Adrien  Mitiiouard, 

1    RAIS  ES,  fraises,  fraises,  fraises  ! 
Hélà  les  roses,  hélà,  hélà  ! 
Les  colicots  (*) 
Claquenl  aux  vents, 
Sous  la  voûte  des  bois  c'est  un  pépiement  fou, 
Et  le  soleil  rit  de  partout, 
Mon  grand  enfant  ! 

Trilles,  trilles,  trilles,  trilles  î 
Les  hirondelles  en  délire 
Fauchent  les  prairies  bleues  du  ciel 
Et  vrillent  Tair  chaud  de  leurs  cris  : 

Noël  ! 
lit  sœur  alouette  de  là-haut 

Appelle  : 
—  Aline,  Aline,  hé  1  Philomèle, 

Hohiho  1 

—  Noël  1 

-(*)  Coquelicots. 


114  jf:.:nfs  flel'rs 


Les  colicots 
Claquent  aux  vents. 
Les  jeunes  blés  couleur  de  miel 
Enlacent  les  bluets  si  doux, 
Les  marguerites  et  les  nielles  ; 
Les  tendres  seigdes  murmurants 

Vont  sous  les  vents, 
Et  le  soleil  rit  de  partout. 

Sous  la  voûte  des  bois  c'est  un  j^épiement  fou  ; 
Au  creux  des  sillons 
Le  g'ai  liseron  se  convoKulute, 
Et  se  trémoussent  les  grillons; 
Le  velours  rose  des  luzernes 
Palpite  sous  de  lents  remous  : 


Rires,  trilles,  rires,  trilles  1 

Les  papillons,  les  belles  filles. 

Et  les  grillons,  et  tout  mon  cœur, 

Et  le  soleil  qui  pleure  et  rit. 

Tout  chante,  tout  reluit,  tout  brille  ; 

Comme  un  sable  ailé  l'air  scintille 

Et  se  balance  tout  bouillant; 

Vx  pïouïtt  et  1  ïouïtl  î 
L'alouette  de  France 
S'arrache  au  sillon 


JEUNES    FLEURS  I  i  ^ 


Et  perce  le  ciel 
Et  s'élance  encore  : 
Allons  I 
—  Où  donc  est  ma  sœur,  s^'écrie  l'hirondelle  ? 
Du  fond  du  soleil  un  cri  lui  répond  : 
—  Lumière,  lumière,  lumière  ! 
Amour,  patrie  et  lil^erté, 
Azur  ! 

Et  près  des  logis  et  vers  les  églises 
Les  hauts  lys  jiubiles 
Fébrilement  blancs. 
S'épuisent  d'amour  et  montent  vers  Dieu, 
Et  vont  s'éclater, 
Eteindre  et  dissoudre 
Au  paradis  d'or. 

Pater  Noster  qui  es  in  Cœlis, 
Sanctiftcetur  Nomen  Tuum. 


Matin  de  la  Satut-Jean, 


Tl6  JEUNES    FLEURS 


PANTOUM 


A  MAiMMîi  Gaston  Schnegg. 


S 


OUS  une  averse  de  lumière 
La  Ville  bout  dans  sa  poussière. 

—  Mon  cœur  émigré  :  où,  le  sait-il  ? 
Vers  tout  coin  d'or,  d'ombre,  et  d'avril. 

—  Dans  le  ciel  de  braise  et  de  cendre 
Je  vois  Tair  cuit  monter,  descendre. 

—  Loin  du  dur  soleil  dessécheur 
Me  dissoudre  dans  la  fraîcheur'.... 

—  Des  nues  de  cuivre  s'accumulent 
Où  l'électricité  circule... 

—  Dans  l'eau  courante,  oh,  me  mouiller 
Les  mains,  comme  un  chien  jki touiller  î 

Le  ciel  devient  du  ]:)l()mb,  il  pèse, 
Il  rissole,  c'est  la  fournaise... 


JEUNES    FLEURS  '  II7 


—  M'endormir  comme  un  bienheureux 
Au  revers  d'un  vieux  chemin  creux  ; 

—  L'orage  éclate,  croule,  écume, 
11  bat  le  ciel  à  coups  d'enclume... 

—  Dans  la  campagne  sans  un  bruit 
Entendre  s'approcher  la  nuit... 


Belleville. 


JEUNES    FLEURS 


DIX  HEURES  DU  SOIR 


A  Madame   Paulin  Betrand, 


C 


'est  Chloris  en  court  jupon, 
C'est  Mélibée  eu  casquette. 
Qui  jouent  des  mains  et  coquettent 
Dans  l'ombre,  aux  Buttes  Chautnont 

C'est  la  plastique  en  paillons 
Des  volumineux  athlètes 
Qui  trouble  des  populations 
Boulevard  de  la  Villette  ; 

C'est  Fagus  en  faction 
Dans  sa  cellule  d'ascète 
Qui  fait  tout  seul  la  causette 
Comme  un  grand  g-arçon. 


Belleville. 


JEUNKS    FLEURS  II' 


LE  BONHEUR  EST  CHOSE  LÉGÈRE 


A  Madame  Maurice  de  Faramond. 


O 


LA  joie,  la  joie  angéUque  ! 
Par  nos  voies  cosmopoHtanes, 
Les  fruits,  les  fleurs,  ô  marées,  dévalent, 
O  débordantes  voiturées  î 
Voguantes,  roulantes  tartanes, 
Sous  tant  de  vie  accumulée. 
C'est  la  joie,  la  joie  angélique, 
O  juiHet,  ô  rues,  ô  matins  ! 

Mais  midi  tombe,  tout  s'éteint 

Sous  l'écrasement  du  soleil 

Qui  goutte  à  goutte,  immense,  pleut. 

Vers  le  soir,  jardins  des  banlieues, 
Jardins  des  faubourgs,  une  vie 
Sourdement  tressaille  et  s'éveille, 

Palpite  et  bruit  : 
C'est  la  paix,  l'angélique  paix. 
Des  amoureux  velus  pleut  le  vol  ahuri 
Qui  tourne  autour  de  nos  oreilles  : 
Les  hannetons  de  blés  tout  blonds,  ronflants  et  lourds, 
Les  phalènes^  chers  cœurs  tout  ouate  et  tout  velours, 


20  JEUNES    FLEURS 


Titubent  dans  l'air  : 
C'est  la  paix,  l'angélique  paix. 
Ils  se  laissent  tomber  sur  les  roses  légères, 
Se  frottent  à  leurs  joues,  leurs  lèvres,  qui  se  meurent 
En  tremblant  de  bonheur. 

Au  loin  frémit  un  éclair  de  chaleur. 

Les  passeroses  allument  leurs  veilleuses 
Aux  étoiles  qui  lentement  se  multiplient... 
—  Encore  un  éclair  de  chaleur  — 
Des  flottants  pieds-d'alouette 
Sombre  et  se  mêle  au  sol  la  nébuleuse  bleue 
Qui  se  fait  violette 
Et  puis  disparait. 
Une  chauve-souris,  puis  deux,    puis  trois,   volètent  ; 
C'est  la  paix,  l'angélique  paix  : 
O  l'heure  à  la  douceur  étrange  ! 
Tout  homme  se  ressent  saintement  animal 
Et  l'animal  devient  un  ange... 
Un  cri  de  charrette,  un  pas  de  cheval, 
Un  chien,  deux  chiens,  trois  chiens  discutent  ; 
Une  poule  qui  rêve  mal 
Se  démène  une  minute 
Dans  le  poulailler,  puis  se  tait. 


Et  l'aboiement  d'un  chien  au  loin  se  répercute. 

BeUeviîU. 


i 


JEUNES   FLEURS  121 


L'ORAGE 


A  Madami:  Gaston  Prunier. 


L 


E  vieux  cheval  blanc 
Sous  le  hangar  tremble; 
L'air  est  haletant, 
L'orage  s'assemble  ; 
L'univers  attend. 

Voici  qu'une  trombe 
De  poussière  arrive 
Où  tout  l'azur  sombre  : 
Et  soudain  remonte 
Et  s'évanouit 

Une  goutte  tombe. 

Silence  sinistre. 

Soudain  un  éclair  : 
—  Que  Dieu  nous  assiste  ! 
Un  coup  de  tonnerre 
Secoue  l'univers. 


132  JF.UNES    FLEURS 


iMille  coups  répondent 
Et  mille  éclairs  bleus; 
Le  ciel  crève  en  pluie, 
C'est  la  fin  du  inonde. 

L'air  se  rafraîchii. 

L'averse  redouble. 

Les  nues  se  dissolvent  ; 
Un  coin  de  ciel  bleu, 
Une  fumée  blonde. 
Enfin  l'arc-en-ciel... 
O   merci,  mon  Dieu  ! 


JEUNKS    FLEURS  I23 


SOIR  SUR  LA  TERRASSE 


A    MA   MÈRE. 


L 


A  Lune  dispersant  ses  blancheurs  ingénues 
Mène  par  le  ciel  bleu  le  blond  troupeau  des  nues  ; 
Peu  loin  un  violon  languissament  gémit_, 
On  ne  sait  où  :  c'est  comme  une  fleur  défaillante 
Qui,  anonimement,  rend  son  âme  à  la  nuit 
Dans  un  parfum  qui  soit  un  chant,  et  se  lamente, 
Et  plane  obscurément  sous  l'azur  endormi. 
O  tendresse  partout  !  subtile  ardeur  errante  ! 
Un  couple  chat  miaule  exaspéré  d'amour. 
Un  chien  sentimental  sans  fin  hurle  à  la  Lune, 
En  vain  lui  vouant  son  cœur  de  chien  ;  et  tambour 
Assourdi,  tout  là-bas  bruit  l'affreux  faubourg. 
Les  heures  d'un  clocher  s'égrènent  une  à  une, 
Et  je  suce  ma  pipe  avec  docilité, 
Humant  le  bon  pétun  à  la  svelte  clarté 
De  la  Lune  assoupie  ;  et  contre  moi  Denyse, 
Dans  le  fauteuil  profond  silencieuse  assise, 


124  JliUNES    FLEURS 


Nous  rêvons  qu'il  serait  bien  doux  auprès  de  toi, 

Mère,  de  respirer  la  multiforme  voix  — 

—  Ainsi  submergés  dans  la  caresse  indécise 

Dont  la  Lune  voluptueuse  nous  poursuit  — 

Respirer  si  mélancoliquement  exquise, 

La  voix,  la  vaste  voix  muette  de  la  nuit. 


BeilevtUe 


JEUNES    FLEURS  12'y 


FRANCIS  JAMMES 


0 


UAND  les  punaises  lucifuges 
Dont  le  contact  nous  donne  la  nausée  de  nous, 
Regagnent  bien  repues  leurs  ténébreux  refuges, 
C'est  l'instant  de  s'offrir  aux  baisers  du  mois  d'août 

Aurore  !  la  torpeur  des  bourdons  noirs  et  jaunes 
Achève  de  cuver  le  pollen  dans  le  cœur 
Des  roses  trémières  couleur  sang,  couleur  feu, 
Couleur  soufre,  couleur  midi,  couleur  aurore, 

Et  les  pieds-d'alouette 

A  leur  pied  végètent, 

Voraces  et  bleus. 
L'horizon  rose  et  vert  se  trame  d'or  :  la  brise, 
Sur  le  sol  imbibé  de  rosée  fraîche,  glisse  ; 
L'escargot  ébloui  bave  un  chemin  d'argent 
Et  retourne  chez  soi  ;  les  poules  se  trémoussent, 
L'araignée  des  buissons  d'un  geste  diligent 
Inspecte  son  filet,  une  cloche  s'égrène  : 
C'est  l'église,  et  plus  loin  gémit  une  sirène  : 
C'est  l'usine,  puis  une  autre  encor  ;  les  matous. 
Les  oreilles  dressées  en  bataille^  ramènent 

Leurs  échines  harrassées  ; 


là  TEUNFS    FLEURS 


Les  f(jurmis  sortent  de  leurs  trous. 

Ah,  (pie  de  peine  ils  ]:)rennent  tous, 
Que  de  peine  pour  vivre  et  vivre  quoi  ?  une  heure  ! 
Oui,  mais  qu'en  savent-ils  ?  hé  rien  !  Eh  bien,  et  nous  ? 

L'heure  est  active  niais  sereine 

Voilà  la  vérité  et  que  c'est  le  bonheur... 
— Le  bonheur,  est-ce  ainsi  ?  Ou^en  savent-ils? — Et  nous? 
Le  plus  clair, el  c'est  bête,  est  qu'il  faut  travailler  : 

La  commune  fièvre  nous  mène, 
Poète,  insecte,  fleur,  et  là- bas  l'ouvrier. 
Et  c'est  là  le  bonheur,  et  c'est  bête  à  pleurer. 

Tant  ])ourtant  de  peine, 
Oui,  c'est  le  bonheur  : 
Voyez  comme  est  l'heure 
Active  et  sereine  ! 
Au  labeur,  crie  mon  cœur!  et  la  chaleur  dit  non. 
Et  mon  cœur  conclut  comme  elle: 
Vois,  déjà  tout  chancelle, 
La  fleur  et  l'oisillon  ; 
Il  vient  huit  heures  et  déjà  le  ciel  brûle  : 
Travailler,  essayez-y  donc  ! 
Ah  canicule,  canicule, 
Que  de  maux  on  souffre  en  ton  nnm  ! 
Les  bêtes  et  les  fleurs  déjà  tout  s'ensomeille, 
Si   tant  se  hâte  daine  abeille 
C'est  (pi'elle  nnmrra  dans  l'instant  : 


JEUNES   FLEURS  I  27 


Ah  pauvre  de  nous,  piteux  maîtres, 
Ce  qu'on  a  réfléchi  depuis  le  gai  printemps  ! 
Mourir,  dormir,  rêver  ])eut-ètre. 
Voilà  le  bonheur  f[u'on  attend  1 

Le  sol  en  cor  s'échauffe  et  c'est  la  neuvième  heure. 

O  cruel  Alexis,  Soleil  î  de  mon  malheur 

Pitié  point  n'auras-tu,  ni  souci  de  mes  chants  ? 

J'en  mourrai,  vois-tu  bien  :  le  veux-tu  que  je  meure? 

Voici  rheure  que  s'en  vont  les  bétes,  cherchant 

Quelque  fraîcheur,  cherchant  quelque  ombre,   voici  l'heure 

Où  sous  la  ronce  herbue  se  cachent  les  lézards  ; 

Le  sol  s'enfièvre  encore  et  la  lumière  crie, 

Tout  fuit,  tout  cuit,  du  feu  danse  sous  mon  regard, 

Midi  en  feu  descend  ;  Thestylis  et  Lucie, 

Broient  pour  les  moissoneurs  écrasés  de  soleil 

L'ail  odorant  et  le  serpolet.  C'est  deux  heures, 

Les   bêtes  et    les    fleurs   en   chœur  tout    s'ensomeille  ; 

Une  paix  des  cieux  tombe  ;  ô  fin  d'après-midi. 

Silence^  on  sent  je  ne  sais  cjuoi  qui  prend  le  cœur, 

On  sent  qu'alors  on  mourrai:  de  bonheur 

Si  l'on  n'avait  toujours  quelque  douleur  : 
Quoi,  le  bonheur,  est-il  ceci? 

Est-ce  encor  du  Virgile,  est-ce    du     Francis    Jammes 

Que  va  mon  âme  rabâchant? 
La  rose  et  la  rose  trémière  se  diffament 

Et  se  dissout  mon  âme 


128  JEUNES  '.FLEURS 


Sous  ce  ciel  sourd  et  desséchant, 
Poètes,  bêtes,  fleurs,  ah,  tout  se  meurt  déjà  : 
Il  fait  toujours  midi  en  août  :  qu'importe  l'heure  ? 
L'énorme  potiron  imbécile  et  béat. 
L'ahuri  tournesol  jaune,  effaré  vainqueur, 
L'obscène  piment  rouge  sang,  et  voilà  tout 
Du  jardin  ce  qui  reste  en  ce  rauque  mois  d'août   : 
Spasnie,  spasme  de  couleurs 
Et  d'ampleurs  démesurées, 
Ou  bien  des  fleurs 
Décolorées, 

Digitale  ou  citronelle. 
Héliotrope.,,  immortelles... 
Du  liseron,  et  tout  là-bas 
Un  lénitif  essaim  de  mauves  ! 

Toi  poète,  tu  vas  t'installer  une  alcôve 

Sous  la  clématite  :  il  fait  vert, 
Il  fait  frais,  il  fait  sombre,  et  C(uUemplap.t  les  mauves 
Tu  vas  faire  senil)lant   de  produire  des  vers. 

Or,  garde  toi  d'écrire  :  dors. 

Laisse  étendu   monter  la  nuit  ; 

Dormir  (^'est  travailler  encore'. 
Laisse  en  repos  pointlre  l'heure  attendrie 

Où  les  ])unaises  lucifuges 

Tracpiant  riinmain   dans  ses  refuges. 

Crient  an  poète  :  A  b.is  du  lit  ! 


JEUNES    FLF.URS 


NOCTURNE  PARISIEN 


A  Jean  Moréas. 


L, 


E  fleuve  gronde, 
Frissonne,  luit  ; 
Lourde  et  profonde 
L'onde  bruit  : 
C'est  tout  un  monde  ! 
Il  croule  et  fuit  ; 
iMon  rêve,  lui, 
Sans  but  te  suit, 
Voix  vagabonde  ! 

Haut,  dame  Lune 
Minaude, ardant 
La  gaze  brune 
Des  occidents. 
Crible  d'argent 
Du  Roi  de  Thune  : 


no 


ji-[jîj:c  fliïur; 


Un  beau  nuage 
Presque  de  neige 
A  son  passage 
Se  désagrège  ; 
O  Lune  sage, 
A  ton  image 
Il  fait  cortège. 

Va,  coule,  eau  noire, 
File  et  bruis_, 
Roule  ta  nuit, 
Et  conte-lui 
L'antique  histoire. 
Au  \  ent  d'ici  1 
Tourne,  mijote, 
Plus  qu'éternel 
Flot  caramel  ; 
Pleure,  clapote, 
Fn  la  bouillote 
A  rFternel  : 

Frêles  chimères 
Sans  lendemain. 
Nuits  de  prières, 
F.s})oirs  gamins  ; 
Sottes  misères. 
Jeunes  cluigriiis. 
Boissons  amères. 
Fades  levains... 


I 


JEUNES    FLEURS  I  ;  I 


Ah,  c'est  en  vain 
Qu'on  se  souvient  : 
Que  tout  s'y  noie, 
En  ces  ûois  noirs, 
Rancœurs,  espoirs, 
Mystiques  soirs, 
Et  désespoirs  ! 

Douleurs  sans  causes, 
Courses  sans  but_, 
Apothéoses    - 
A  l'eau  (le  roses 
Qu'aux  soirs  moroses 
Un  cœur  élut, 
Thèmes  et  gloses, 
On  vous  dit  zut. 

Vieille  défroque 

Des  idéals, 

ïu  pendeloques 

Et  t'effiloques 

Au  vent  banal 

Du  bien-ou-mal  ; 

Bats  la  berloque, 

Bel  idéal, 

Va,  je  m'en  moque  : 

Ça  m'est  égal, 

Mes  idéals  ! 


3  2  JEUNES    FLEURS 


Non,  l'eau  c'est  bête 
A  voir  couler  ; 
Moi  je  m'entête 
A  m'écouter 
Plaire  la  bête  : 
Mieux  s'en  aller  ! 


Pont  de  Lx  Concorde. 


JEUNES   FLEURS  l}} 


QUAND    LE    CLOCHER 
SONNAIT  DOUZE 


A  Madame  Henry  Vernot. 


B 


AISERS  blancs,  baisers  verts  d  une  Lune  engourdie, 
Baisers  d'eau,  baisers  d'air^ 
Nacres  vous  déla3'ant  au  lac  d'azur  liquide, 

Perles  fluides, 
Et  pour  vous  long'uenient  égouter  au  travers, 
Baisers,  du  mol  azur  par  vous  décoloré, 

Eveillez,  tristes  feux,  leurs  regards  effarés 
Aux  lents  alignements  de  vitreuses  prunelles 
Des  monuments  perclus  sans,  voix,  ombre  ni  vie  ! 

Faites  grâce,  fluides  perles 

Aux  colonnades  éternelles, 

Fantômales,  cataleptiques. 
Grâce  aux  sourds  blocs  somnambules 
Dont  immense  et  morne  la  grève  se  pétrifie, 

Perspectives  hallucinées 

Qui  se  déplacent  et  reculent  ! 


134  JEUNFS    FLEURS 


Molles  lueurs  funéraires, 

Magiques  baisers  lunaires 
D'un  tel  ciel  qui  muet  s'égoiite  sur  la  terre, 
Souriez  au  fond  de  votre  océan  qui  dort. 

Lugubrement  fantastique, 

A  la  ville  géométrique 
Justement  immergée  en  le  sommeil  des  morts, 
Qu'illumine  de  loin  un  blême  astre  aquatique. 


Place  de  Li  Concorde,  minuit. 


à 


JEUNES    FLEURS  13^ 


TEMPO  DI  RUBATO 


A  MA  SŒUR  Marguerite. 


L, 


ES  nobles  roses  trémières 
Montent  dans  le  matin  rose, 
Ivres  d'air  et  de  lumière, 
Des  infantes  les  dernières, 
Fieras  comme  au  temps  des  preux, 

Trajets  verts  sur  le  ciel  bleu. 
Jaillissent  les  tiges  feuillues, 
Les  corolles  translucides 
Sont  les  cratères  splendides 
Orfévris  par  le  bon  Dieu  ; 

C'est  la  neige  du  nuage 
D'or  pétri,  d'ombre  et  de  feu. 
Les  dentelles  où  l'Aurore, 
Parfilant  un  lent  trésor. 
Goutte  à  goutte  sème  l'or... 


136  JEUNES    FLEURS 


Un  beau  rêve  y  tourne  et  vire, 

Et  s'ébruite  un  décor  : 

Et  cela  dure  le  rire 

D'un  vieux  merle  ostentieux 

Quand  midi  trépide  aux  cieux  : 

Des  nobles  roses  trémières 
Qui  bercent  les  jardins  vieux, 
Voient  nos  rêves  s'agiter 
Les  multicolores  ailes, 
Menuet  silencieux, 

Où  des  marquises  Louis  quinze 

S'embravourent  les  parures. 

Soufre  traversé  de  rose, 

Rose  écartelé  d'azur, 

Mauves  blêmissants  qui  tremblent  ; 

Blancheurs,  feux,  pourpres  diffuses, 
Nacres,  givres,  tout  s'irise, 
Tendres  braises  apaisées  ; 
Un  parfum  suprême  en  fuse. 
Des  élégances  passées  : 

Les  nobles  roses  trémières 
Balancées  vers  le  soir  bleu. 
Des  infantes  les  dernières, 
Sont  les  âmes  en  prière 
De  nos  rêves  trépassés. 


JEUNE?  FLEURS 


>  / 


L'immobile  ronde  oscille  : 
Effort  d'ailes  d'un  phalène 
Qui  mollement  ivre-mort, 
Roule  des  fleurs  qui  se  ferment 
Sur  une  feuille  et  s'endort. 

Et  les  mourantes  haleines 
Des  brises  voluptueuses 
Emeuvent  le  sang  des  veines  : 
Sous  leurs  caresses  dormeuses 
Les  corolles  s'abandonnent  ; 

Molles  lèvres  d'amoureuses 
Qu'un  tiède  vent  fit  trembler, 
Comme  des  femmes  heureuses 
Toutes  les  roses  frissonnent 
Et  notre  cœur  est  troublé. 

Mais  Dame  Lune  se  dresse 
Et  la  paix  se  rétablit  ; 
Sur  l'horizon  qui-  pâlit, 
Se  renaissent  les  princesses 
D'un  passé  triste  et  joli  : 

Je  me  vois  ressouvenir 
De  l'angélique  manière 
Dont  ta  paupière  se  voile. 
Ma  douce  amie,  au  venir 
Du  sommeil  parmi  tes  3'eux  : 


] 3^  JEUNES    FLEURS 


Sous  l'extase  des  étoiles 
Au  ciel  portant  la  prière 
Des  univers  endormis. 
Les  nobles  roses  trémières 
Se  balancent  dans  la  nuit. 


BcUeviU 


JEUNES  FLEURS  I39 


L'EAU  NOIRE  QUE  LA  RAME 
EFFLEURE 


A  Madame  J.-L.  Perrichon. 


D 


IFFUS  s'admirent  dans  les  eaux 
Les  hauts  arbres  dont  en  silence 
L'aile  du  soir  (quoi  se  balance  ?) 
Ameute  les  obscurs  rameaux  ; 

Voici  l'heure  ; 

Le  soleil  s'éteint  tout  à  l'heure  ; 
Seuls  se  meurent  d'errants  fanaux 
Allumant  du  bord  des  canots 
L'eau  noire  que  la  rame  effleure. 
—  Quoi  se  balance  ? 

La  berge  entend  le  rire  gras 
D'Arthénice  qui  pâme  au  bras 
D'un  canotier  qui  la  chatouille. 
Foule,  bruis  ! 


140  jnUNES    FLEURS 


Voici  le  vertige  écumant 

D'un  rauque  bastringue  en  plein  vent 

Où  du  peuple  s'agite  et  grouille  ; 

—  O  voix  des  eaux, 

Ailes  du  soir  ! 

Foule,  bruis  !  rouis,  démence, 

Mon  cœur  ! 
Un  vent  se  lève  et  l'herbe  se  balance, 
Le  soleil  s'éteint,  voici  l'heure  : 
Eau  noire  que  la  rame  effleure, 
Dissous  mon  cœur  et  sa  souffrance, 

O  voix  du  soir, 

O  voix  des  eaux  ! 


J  0  in  V  ille-Ie  -Pont. 


JEUNFS   FLEUKS  1  4 I 


VERSAILLES 


A  MA  SŒUR  Hélène. 


L, 


E  soir  est  descendu  sur  les  eaux  et  les  marbres, 
Sur  les  arbres  perclus  est  descendu  le  soir  ; 
Massifs  ors  verts  pétris  en  tombes  colossales 
Que  décharné  la  rousse  rouille,  arbres  sans  voix, 

Verdure  qu'on  croirait  devoir 
Ne  reverdir  jamais  plus^ 

Bassins^  étangs,  eau  verte,   eau  noire 
A  force  d'être  froide, 

Canaux  inertes,  eau  morte,  ombres  géométriques, 
Arbres,  marbres,  bassins  perclus, 
O  Versaille,  ô  bois,  ô  portiques  ! 

Le  soir  est  descendu  vous  tistre  des  linceuls 
Avec  ses  brumes  irisées, 


14^  JEUNFS  FLEURS 


L'amétiste  et  l'opale  aux  caresses  filleules, 
Sur  vous,  aïeules^ 
Se  sont  posées  ; 
Une  brise  gémit  comme  un  cœur  délaissé 
Sans  éveiller  même  un  écho. 
Sans  émouvoir  même  une  feuille  ; 

Le  soir  est  descendu  figer  les  pièces  d'eau, 
Les  statues,  les  gazons,  les  terrasses  plus  seules, 
L'air  se  fait  gris^  l'eau  se  fait  noire, 
Les  verts  massifs  sombrent  sans  bruit, 
Et  le  château  tout  plein  de  bruissante  histoire, 
Se  désagrège  dans  la  nuit. 

Je  crois  encore  ouïr  se  plaindre 
La  brise  aux  lents  soupirs,  Ikis,  lointains  et  furtifs 
Tel  un  dernier  sanglot  de  femme  : 
Ce  n'est  peut-être  que  mon  cœur; 
L'omijre  monte  tout  éteindre, 
Geste,  reflet,  lueur  et  bruit. 
Elle  emprisonne  l'onde  et  l'heure  : 
La  nuit  est  là,  tout  est  fini. 

Ombres  d'André  Chénier,  de  .Marie-Antoinette, 
O  Versaille,  ô  bois,  o  portiques, 
Arbres  perclus,  mornes  reliques. 

Géométrie  funèbre  et  majestés  muettes, 


jr.L-NI-S     FLEURS  14- 


O  Versaille  I  ô  mélancolie, 
Endormez-vous  avec  les  fastes  abolis, 

Endormez- vous,  endormez-moi, 
Douce  blessure  au  cœur  que  jamais  on  n'oublie 

Ouand  on  l'a  sentie  une  fois  ! 


A  U  HA  ME  A  U  DE  TRI  A  NON 

Sur  ce  mourant  gazon  qu'une  eau  mourante  arrose, 
O  passant  que  tes  pas  se  hâtent  en  tremblant  : 
Là  toujours  veille  l'ombre  de  la  Reine,  et  pose 
L'ongle  rose  de  son  pied  blanc. 


^'4  4  Ji:UNES    FLEURS 


EMMA 


A  Madame  Hexrv  de  Groux. 


A 


ME  frêle  d'enfant,  plus  frêle  que  la  fleur, 
Comme  elle  éclose,  ô  rose,  et  puis  morte  avec  elle, 
La  vie  au  vol  aveugle,  avare  et  dessécheur, 
La  disperse  et  l'efface  à  la  frôler  de  l'aile. 

Pleur  d'amour  endormi  sous  Taube  pellicule 
Du  bouton  d'une  fleur  !  un  sanglot  arôme 
S'en  essore,  et  poème  adorable  de  mai 
Que  délivre  la  brise  d'or  d'un  crépuscule  ! 

Brasse  l'ombre  au-dessous,  tom])eau  iiiinultucux. 
Béant  monstre  de  l)ri(iue  et  de  plâtre,  ô  boueux. 
Impassible  Paris,  milliard  de  prunelles  ! 

L'enfant  ]-)enclie,  r.spirée  obscnirément  par  elles; 
Morte,  la  fleur    des(XMid  <mi  tournant   vers  le  gouffre 
Nostalgique  élégie  aux  cœurs  jeunes  qui  souffrent  ! 


IhUNES    FLirjRS 


45 


CHUCHOTE 


A  Madame  Jacques  Mathieu. 

v^UE  loin  les  fiers  avrils  et  l'extase  vernale  : 
A  peine  un  souvenir  en  rôde  !  et  quoi  circule 
De  l'automne  en  allé,  un  relent  inutile  : 
Tout  s'annule;  l'Hiver  lève  sa  face  pâle, 
Kt  ses  mourantes  fleurs. 

Des  dolentes  ardeurs  des  primes  primeroles, 
Des  violettes  écho  de  frivoles  idylles, 
De  la  molle  anémone  et  des  houx  qui  rutilent, 
Des  roses  de  Noël,  des  roses  du  Bengale 
(O  Paradis!) 

Des  fées  du  Sud,  qu'un  lucre  en  nos  ciels  noirs  exile, 
De  celles  que  l'étuve  ouvre  avant  que  nubiles, 
Que  gèlent  nos  brouillards  et  que  nos  gelées  brûlent, 
Du  chrysanthème  en  or  aux  dix  mille  pétales 
(O  dieux  proscrits  !) 


I.t6  JEUNES    FLEURS 


Du  gui  qui  pleure  et  l'hyacinthe  qui  s'esseule, 
Du  lilas  blanc  de  cave  aux  morbides  veinules, 
Des  bruyères  meurtries  au  viol  des  rafales 
(O  nos  sœurs  !) 

Des  blêmes  perce-neige  aux  tristesses  tombales, 
Des  mimosas  dont  les  boules  frêles  bimbulent 
Où  vibre  un  jaune  aigu  comme  un  choc  de  cymbales 
(O  mes  frères  !) 

De  l'herbe  même,  un  frileux  arôme  s*exhale, 

Ondule  indolemment,  imprécise  auréole 

Où  plane  l'âme  en  deuil  de  la  flore  hivernale, 

Et  tournant  dans  l'air  froid  se  dis{)erse  et  s'envole. 


LA  DÉVOTION 

AUX  PRINCESSES  GARDIENNES 
SONATE 


JEUNES    ELEURS  I49 


A  Mesdemoiselles  D.  M.  et  F.  M. 


A  LA  BLONDE 


u 


N  blême  soleil  en  tes  cheveux  se  joue^ 
O  ma  Princesse  blonde  ! 
Sous  ta  prunelle  bleue  un  océan  candide 

Roule,  aux  musiques  de  son  onde, 
Le  sommeil  des  futurs  aveux, 
Un  océan  du  Nord  glacé,-  profond,  limpide, 
O  ma  Princesse  blonde  ! 

II 

Vous  êtes  la  très  pure  hôtesse  du  vitrail  ; 

Vogue  votre  reflet    de  l'abside  au  portail 
Dans  les  cathédrales, 
Gloire  mystique,  ardeur  égale, 
Assomption,  assomption. 
Apothéose  et  passion 
De  la  Princesse  blonde  ! 


r^O  JEUNES  FLEURS 


A  LA  BRUNE 

Le  mystère  adoré  des  soirs,  aux  bois  sacrés 

Du  clair  temple  ionique^ 

A  drapé,  fille  hellénique^ 

Ton  jeune  corps  blanc  et  nacré  ; 
Tes  cheveux  et  tes  yeux,  mouvante  nuit  sans  ombre 

Auréolent  ton  front  de  lait, 

Vierge  d'Argos  ou  de  Milet, 

O  ma  Princesse  brune  l 


II 


Ta  voix,  dis-nous  quel  soir ,  mena  le  chœur  dansant 

Aux  jeux  éleusiaques, 
Quel  soir  ton  doigt  scanda  Vhymne  diojiysiaque 

Du  choc  des  sistres  bruissants  ? 
Péplos  de  lin  si  blanc,  nuage  sur  la  lune, 

Brume  aérienne  tu  volais 

Battant  d'un  pied  multiplié 

Le  sol  de  nacre  sous  la  lune^ 

O  ma  Princesse  brune  ! 


JEUNES   FLl-L'RS  I  ^  I 


II    VARIATIONS    FUGUEES 


L. 


fE  sanglot  d'un  pâle  soleil, 
Un  soleil  hyperboréal... 


Le  rnvstère  odor.xiit  des  lourdes  nuiis  du  sud,.. 


—  Sur  vos  cheveux  de  nacre  et  de  bel  or  fluides 
Verse  son  givre  voltigeant, 


Vous  environne  toute,    enfant,   trop  belle  enfant^ 


—  Flots  aigus  d'un  glauque  soleil, 
Givre  ébloui  nàonté  de  buées  blondes, 


—  Temple,  ineffable  abri  sous  les  grands  lauriers-rosesy 
Lauriers-roses  du  bois  sacré  ! 


—  Il  pleut,  lumineuse  cuirasse  d'eau,  descend, 
Inonde  'd'un  cristal  mouvant  vos  deux  prunelles. 
Vasque  d'onde  glacée  comme  les  flots  du  Nord, 

—  Les  rameaux  sonores  vibrent 
Telles  les  lyres  d'Eole 
Sous  la  caresse  amoureuse 
Des  brises  du  crépuscule... 


1^2 


JEUNES    FLEURS 


—  Cruellement  limpide,  effrayammenl  profonde, 
Où  se  déroule,  autre  océan  silencieux, 
Muette  cataracte,  un  astre  ébloui. 


—  Sons  Li  caresse  tiède 
Des  brises  que  meut  la  mer 

Un  voile  se  suspend,  de  parfums  frais  et  d'ombre. 
Effleure  le  fronton  en  marbre  blanc  d'Egine  : 
Il  découvre  et  puis  dissimule  : 


—  Cnduleux  océan  de  lumières  dorées 
Qui  la  baigne,  l'emplit  de  ses  molles  cascades 
Le  vertige  de  vos  cheveux. 


—  Ainsivous,  belle  enfant,  Vombre  dansvosyeux  danse 
Et  sur  vos  cheveux  l'ombre 


—  Vos  cheveux  écroulés,  lentes  lueurs  liquides, 

Vous  illuminent 
D'indicibles  reflets  somptueux  et  glacés. 


—  Menant  planer,  vierge  en  Hellas, 

Sur  votre  front  poli,  votre  Jeune  corps  blanc. 


—   Musique  de  clartés  richissimes  et  froides, 


—   Un  voile  bruissant  qui  passe  et  qui  repasse. 
De  sereine  mélancolie  : 


—   Dans  le  silence  morne 
De  quelque  soleil  de  minuit  ! 


Musique  du  plus  beau  des  soirs  / 


ÏKUNES    FLHURS  1  ^^ 


II 


—   O  SaniotJirace  I  6  Céramique 

Erechteion,  Erechteion  ! 

O  lieux  sacrés,  ô  double  cime  ! 


—  C'est  la  Vierge  au  vitrail  incluse, 
La  rose  de  la  cathédrale. 


O  Vierg3  Canépliore  aux  bas-reliefs  vétustés 
Des  temples  bloc  a  bloc  croulant 
Aux  rivacres  vieillis  d'Hellas  ! 


Quel  embrasement  allume 
(Ou  quel  irrée    soleil  ?) 


lemples  blancs   caressés  du  flot  bleu  qui  gémit ^ 
Et  vous  uésjgri'geant  dans  Pâpre  solitude  : 


—  Vos  translucidités  blondes  et  bleues  et  roses 

De  surnaturelle  clarté, 
Divinement  surnaturelle,  ô  sainte  ! 


—  Amphion  de  Dircé  sur  Vactique  Aracyiithe 
A   vu  close  sa  lèvre  et  so)i  pipeau  brisé, 
Et  de  tes  gra/.-ds  roseaux  et  de  tes  lauriers-rose.s 
Eurotas^  Eurotas,  les  plaintes  ont  cessé  ! 


—  Quelle  gloire  mystique  et  de  splendeur  astrale 
Allume  notre  cœur  et  ces  pierres  chantant  ! 


—  Quand  revioinent  vos  deuils,  ô  véprées   automnales 
Là-haut  glisse  Arthétnis  en  sa  conque  d  argent, 
Et  lève  encor  pour  de  blêmes  Thesmophories 
Les  vaporeuses  théories 


1^4  JEUNiS     FLEURS 

—  L'amour  divin  nous  envahit, 
Nous  réveille,  nous  ressuscite, 

—  Et  les  gestes  figés  dans  la  pierre 

Et  s\''ceillent 
Et  tressaillent^ 

—  Quand  vous  transparaissez,  recluse  du  vitrail 

Hors  des  pénombres  profondes 
Dans  le  grand  flamboiement  despotiquementtendre, 

—  Et  sans  bruit  se  détachent  des  tristes  frontons 
Et  sons  le  bois  dépouille  processionnent 

Une  procession  furii'ce  ; 

—  Et  parmi  les  cl'"'ches  qui  tonnent 
Et  les  palmes  et  les  cantiques 

—  Et  les  sandales  craquent. 
Les  sistres  et  les  crotales, 
Les  flûtes  et  les  syrinx 

—  En  Votre  apothéose  mvstique. 
Vierge,  vierge  consacrée. 

—  Les  cymbales  et  le  pl/orniinx, 

—  Parmi  les  orgues  qui  grondent. 
Sous  l'encens  et  les  bannières 

—  Lan^nissainnient  colorient 
Les  mourantes  voix  du  rêve 

—  Lorsque  monte  le  ?oloil, 
Ostensoir  du  Tout-  Puissant 
Rendre  resnéranoe  au  monde  ! 

—  Les  mourantes  voix  du  rêve 
Selon  l'arsis  et  la  tliésis.  .  . 


JEUNES    FIEURS  IS^ 


—  Quel  embrasement  allume 
Tel  des  résines  nos  cœurs 

Et  de  bonheur  les  fait  fondre, 
S'offrir  au  ciel  en  encens  ? 

—  O  Eleusis  !  Q  Eleusis  ! 

—  Et  nous  fait  crier  ensemble: 
Christus  !  Christus  resurrexit  ! 

—  Quelle  voix  a  crié  :  Pan,  le  grand  Pan  est  morti 
Christus,  Christus  resurrexit  ! 

—  O  Eleusis,  O  Eleusis  ! 


Un  touriste  fourvoyé 
Dans  ces  mornes  solitudes 
Loin  des  casinos  moqueurs, 
Veut  lever  l'inquiétude 
Prête  à  submerger  son  cœur 
A  l'ouïe  des  bruits  bizarres, 
En  se  répétant  :  Ce  sont 
Les  feuilles  sèches  qui  bruissant. 


1^)6  JEUNES    FLEURS 


III     STRETTE 


BARDIT  A   LA   PRINCESSE  BLONDE 


1  otoïo  !  heïahé  !  hiaïssa  !.. 
Sur  les  nefs  ailées, 
Proues  bariolées 
Sillant  l'eau  glacée 
Lacée  gris  argent, 
Et  changeant   azur 
Où  les  glaçons  virent  ! 

—  lotoïo  !  heïahé  !  hiaïssa  !. 
Fuyant,  voltigeant, 
Plongeant  et  nageant, 
Aux  lueurs  spectrales 

Du  soleil  verdi 

Des  nuits  boréales  !.. 

—  lotoïo  !  heïahé  !  hiaïssa  !. 
Aux  matins  virides 

Où  passe  Brunnhild 
Sur  son  coursier  blanc! 


Vert  et  Or. 


JEUNES    FLEURS  I57 


Cataractes  bleues, 
Horreurs  et  splendeurs 
Qui  croulent  sans  bruit, 
Sauvages  tendresses 
Sans  cesse  ! 

PÉAN  A  LA  PRINCESSE  BRUNE 

Bleu  et  Or 

—  lo  Péan  !  io  Péan  !  io  Péan  ! 
Sur  les  mistrals  rudes 
Bondisse^  du  Sud 

Quand  le  vieux  sol  râle 
De  rut  ! 

—  Io  Péan  !  io  Péan!  io  Péan  ! 
Tournoye^^  rafales^ 

Flot  d'or  qui  déferles, 
Torrent  qui  s'affale. 

A  la  nuit  ! 
Io  Péan  !  io  Péan  !  io  Péan  !.. 

CHORAL  A   LA  PRINCESSE  BLONDE 

Bleu  et  Argent 
TUTTI 

Gloria  in  excelsis  ! 
LES  UNS,  puis  LES  AUTRES,  me:^io  voce 

—  La  nacelle  !.. 

—  Le  cygne  !.. 


I=«8  JEUNES    FLEURS 

—  Un  chevalier  d'argent  ! 

—  La  nacelle  !.. 

—  Elle  glisse  ! 

—  Vo3"ez  1  là...  sous  la  lune 
La  nacelle  d'arg-ent  ! 

—  Le  chevalier  au  c^^gne  ! 
Immobile...  il  se  dresse 
En  son  manteau  d'azur... 

—  Et  l'armure  d'argent  ; 

—  Son  œil  d'azur  tranquille, 
Etincelle,  glacé, 
Inhumainement  })ur! 

—  Vo\^ez,  vo3'ez  le  cygne  !.. 

—  Comme  il  glisse  en  silence  ! 

—  Et  blanc,  et  blanc  de  neige, 
Et  sous  la  lune  pâle 

Dont  le  blanc  rayon  coule 
En  pleurs  de  cristal  !.. 

—  Sur  le  fleuve  bleui! 

—  Et  du  clair  cas(|ue  ailé 
S'épanche  le  flot  pâle 

De  ses  cheveux  si  blonds... 

—  Hélas  !  la  vision 
Se  dissout  en  silence. 
Et  s'évanouit  ! 


TUTTI    PP 


Gloria  in  excelsis  ! 


jFUNF.S    FLFURS  I^C) 


HNUS  A  LA   PRlNCI:S'Sli  BRUAE 


—  Lin  US  I 


Pourpre  et  Noir. 


Pleur €7^  !  Adonis^ 


Attis- Adonis 

Saigne  sur  la  mousse  ! 

Linus  ! 
Le  sang  éclabousse 
Son  doux  ventre  rose 
Et  souille  ses  cuisses  ! 

Linus  ! 
Voye^  !  son  cher  sexe 
Arraché,  s'épuise, 
Cherche  la  Déesse... 

Linus  ! 

Processionnel  en  gémissant  et  vous  lacérant  les 

[s'eins 

Autour  du  corps  désexué  du  fils  de  Vénus  !.. 

Processionne^  en  gémissant  et  secouant  les  sistres 
[et  soufflant  dans  les  flirtes  funéraires, 

Autour  du  corps  désexue  de  f époux  de  Vénus  ! 

Processionnel     en     gémisssant    et    chassant    les 

[hommes  virils 

Autour  du  corps  désexué  du  fils  de  Vénus  ! 

Processionne:[    en  gémissant   et  baise^  à  la  plaie 

{qui  le  dévirilise, 

U époux  de  Vénus  l 

Linus  ! 


l6()  JHUN'I  s    FLEURS 


CANTIQUE  A   LA   PRINCESSE  BLONDE 

Pourpre  et  Or. 

—  Erlœsoung  dem  Erlœser  ! 

—  Prenez  mon  sang  !  Prenez  ma  chair  ■ 

Les  saintes  paroles 

Poisson nent  dans  l'air  ; 

Sous  la  coupole. 

Le  chant  des  cloches 

Résonne,  clair  ; 

La  voix  des  Anges 

Abat  nos  cœurs 

Sous  la  louange 

Du  Rédempteur  : 
Erlœsoung-  dem  Erlœser  ! 
Debout,  6  Chevaliers  pâles, 

A  la  Sainte  Table  ! 

Dévoilez  le  Grâl  î 

Le  sang  aduralde 

Ruisselle,  étim^dle  : 

Un  rav(^n  féal 

Emane  du  Ciel... 

—  Cîrondenl,  \  il)i-ent. 
Les  cloches 
Profondes, 

Au  seuil  les  ténèbres. 


JEUNES    FLEURS  l6ï 


Au  sanctuaire 

On  meurt  d'amour  ; 

Fusent,  frémissent 

Les  cierges  sans  nombre 

Et  se  délivre 

La  vision  : 


IV   DUO  HÉROÏQUE  . 

Ombre  et  Lumière. 

r  ILLE  du  Nord,  salut  ! 

—  Es-tu  ressuscitée  ? 

—  Pouvais-je  donc  mourir  ? 

—  Belle,  comme  elle  est  belle  I 
Harmonieuse  enfant,  laisse-toi  contempler  ! 
Je  le  savais  qu'elle  viendrait,  et  moi  vers  elle 
J'appelais  dans  la  nuit  et  criais  :  Où  est-elle  ? 
Hélas,  je  te  cherchais,  c'est  toi  qui  m'as  trouvée  I 

—  Je  t'ai  trouvée  sans  voir,  sans  savoir  iquandje  danse, 
Quand  je  lève  mes  bras  s'agite  l'univers 

Et  se  figure  un  mort  qui  sort  de  son  tombeau  : 
Les  mondes  à  mon  j)as  se  meuvent  en  cadence, 
Je  vais  sans  savoir  où,  et  mes  deux  bras  ouverts 
Mon  corps  ingénument  danse,  et  c'est  toujours  beau  ! 

—  Tais-toi,  ne  parle  pas,  laisse-toi  contempler, 


l62  JEUXrS    FLKURS 

Danse  !  et  sens  le  soleil  amoureux  de  ta  trace 
Qui  t'enlace  et  te  presse,  et,  ravi,  l'air  trembler  î 
Harmonieuse  enfant,  ô  ma  mère,  ô  Déesse, 
Danse,  ne  parle-pas,  laisse-toi  contempler  ! 

—  Toi  parle-moi,  rêve  tout  haut,  vierge  endormie, 
Ta  somnambule  voix  est  ma  raison  :  tu  vois, 

Kt  je  vais,  et  tu  vois  où  je  vais,  grave  amie. 

Où,  je  ne  sais,  mais  vers  toi  toujours  :  parle-moi  î 

—  Je  parle  dans  la  nuit  et  médite  et  devine. 
Nul  ne  m'entend  et  rien  de  ma  voix  n'est  perdu  : 
A  travers  les  cerveaux  et.les  cœurs  je  chemine 
Comme  la  goutte  d'eau  par  la  racine  bue  : 
Mais  toi  qui  m'es  impénétrable  et  me  domine 
Insaisissable  flamme  en  marche,  cjui  es-tu  ? 

--  Je  suis  la  Vie,  je  suis  l'Amour  et  la  Beauté. 

—  Je  suis  le  Rêve,  la  Pensée  et  sa  musique, 

Je  suis  l'Amour  aussi,  l'amour  grave  et  mystique 
D'un  intérieur  feu  purement  sustenté. 

—  Je  suis  la  Loi. 

—  Je  suis  kl  (irace  et  le  Salut. 

—  Celui,  moi,  qu'on  concpiiert. 

—  lù  moi  celui  qu'on  donnr 
Kt  qu'on  reçoit  aussi,  qui  ne  \  ient  de  personne  ; 
Aumônière  de  l'aumône  imméritée, 
Je  suis  l'Amour  divin  (ju'on   nonnne  Charité. 

—  A  tous  je  donne,  moi,  bien  commun,  la  Lumière. 

—  Moi  le  Mystère^  ses  voluptés,  son  elTroi, 
Son  horreur  et  sa  sainteté  ;  je  suis  la  voix 


J 


JEUNES    FLEURS  163 


Qui  dans  la  nuit  rêve  tout  haut. 

—  Et  moi  je  danse 
Je  danse  et  sous  mon  pied  s'ordonne  l'univers: 
Parle  !  je  vais  danser  ! 

—  Enlace-moi,  ma  sœur, 
Ecoute-moi  pendant  que  moi  je  te  contemple, 
A  nous  deux  qui  faisons  l'unique  intercesseur 
A  l'humain  ébloui  montrant  le  seuil  du  temple. 


V   FINALE 

HYMNE 

V Arc  en  Ciel. 

<_y  ALUT,  clair  Temple  en  moi  !  si  grand  !  tout  l'Univers, 

Tout  ce  qu'on  sent,  ce  qu'on  pressent  et  ce  qu'on  rêve, 

Tout,  d'une  seule  de  tes  innombrables  grèves. 

Nefs  d'ombre  qu'éblouit  l'envol    d'oiseaux,  nos  vers, 

Occuper  ne  saurait  les  lointains  élastiques, 

Superpositions  de  brouillards  parfumés, 

Où  tournent  en  grondant  les  cercles  de  musiques 

Et  de  lumières,  étrangement  animés 

D'une  vie  essaimant  en  songes  eurytmiques  ; 

Où  l'œil  de  notre  esprit  est  l'immense  Oiseau-Tour 

Dont  s^'emporte  le  vol  si  haut  que  de  sa  vue 

S'éteignent  plaines,  monts,  continents^  mers  chenues, 


[64  JEUNES    FLEURS 


Car  s'annulent  ici  haut  et  bas,  nuit  et  jour. 

Et  l'espace  et  le  temps,  ô  bornes  insensées  ! 

Là  jaillissent,  trouant  l'orbe  substantiel. 

Innombrable  forêt  des  colonnes  lancées 

Vers  éternellement  un  intangible  ciel, 

L*énorme  assomption  de  toutes  nos  pensées 

Fusant,  fuyant,  filant  vers  un  monde  irréel, 

Loin  des  grossiers  encens  de  mes  ferveurs  passées. 

Au  centre  frémissant  (Dansez,  ô  sœurs  divines  !) 

Les  deux  incessibles  Princesses  s'examinent  : 

L'une  te  darde,  ô  fièvre  de  vivre,  ô  nos  joies  ; 

L'autre  mène  voguer  la  foule  dévorante 

Des  rêves  que  le  mot  plus  ne  nomme  :  Immortelles, 

Mon  verbe  trébuchant  vous  révère  en  silence. 


^ 


JEUNES    FLEURS  165 


L, 


ES  gloires,  les  apothéoses. 
Aux  vainqueurs  je  les  abandonne, 
Mais  une  auréole  de  roses, 
O  Vénus,  sera  la  couronne 
De  Fagus. 


TABLE 


TABLE 


-Pages 

AU  LECTEUR 9 

JEUNES  ARDEURS. 

Prièrf  (Dieu  trouble,  insaisissable  Maître...) .    ...  13 

Pantoum  (Cher  moi-même  amoureux  de  savoir)...  is 

Obéron  (Je  mis  prisonnier  rarcen-ciel...) 20 

Arachné  (Plus  aérienne  que  l'oiseau. ..) .    .  23 

Ah  !  vivre  sans  savoir  pourquoi  !  . .  .  .    2^ 

Mai  (Aimez  !  c'est  venir  Mai...) 26 

Epigrafes  (Tes  ongles  me  raclent  le  cœur...) 28 

Eden  (Le  Printemps  m'a  percé  le  cœur...) 29 

La  Symphonie  en  si  b  (Je  te  vois,  ô  mon  Robert...).  3  i 

Plus  loin  que  le  temps  et  l'espace  (Les  parfums...).  34 

Valse  lente  et  brève  (Infrangiblement  enlacés)...) .  36 

ScHERZANDO  ( J 6  t'a voue  a vec  goumiandise. . .) 39 

Ecclésiaste  (Q.ue  ne  pus-je  être,  Itys..  ) 41 

Invention  du  sonnet  (Aux  jours  d'or  où  les  dieux  ..)  43 

Samothrace  (Io  Pœan,  Pœan  !..) .  44 

Guirlande  (A  moins  que  je  meure...) 4s 

Morale  (Ton  baiser  emprisone  le  léger  havane...) .  46 

Principes  (Il  me  semble  pourtant...) 47 


17*^  TABI.F 


Page? 

TENDRESSES. 

En  s'enfuyaiit  l'année  efface  d'un  coup  d'aile ^i 

Tristis  (\'olis  savez?  quand  on  rentre..  ) ^2 

Grand'gard;-;  (Ma  sœur,  le  vent  pleure  a.  la  vitre...)  "^3 

A  UNE  MÉMOIRE  (Elle  S  "éteignit  con":me  une  lampe...)  ^^ 

Puisse  le  Nouvel  an  que  va  ce  jour  déclore 57 

A  LA  BELLE  Q.UI  SANS  VOIR  PASSA  (Belle,  quaud  vous..)  ^8 

Fn  gratitude  du  joyeux  bonsoir 59 

Oui,  je  suis  cet  enfant 60 

La  plus  jolie  (Ces  yeux,  magiques  yeux...) 61 

Litanies  a  la  notre-damf  de  toutes  nos  douleurs  ...  62 

Une  Amante  (Qu  éternellement  Dieu  bénisse...).  .  .  68 

Marie  (Dans  le  ventre  de  la  roche...) 70 

Une  AMANTE  (Tendre,  féal,  silencieux...)    71 

Fin  d'idylle  (Rêve  d'un  paradis  retrouvé...) 73 

Comme  s'allait  retrairc   en  son  palais  de  deuil...   .  74 

LORRAINE. 

VosGFS  (I,es  hauts  sapins  frileux  grelotants..  )  .  . . .  79 

Lorraine  (Tétant  la  pipe  en  porcelaine...) 80 

Vesper  (Tandis  qu'en  souriant  je  veille..  ) 81 

Adieux  a  la  lorraine  [Lorraine  trois  fois  belle  !..).  82 

LA  DÉFAITE  DU  SPHINX 87 

PAYSAGES  PARlSIliNS. 

Le  conctle  di:s  chats  (D'où  sortent-ils?..,) 97 

Parapluie  et  caoutcuou  (Spongieux  !  Spongieux  !  .)  99 

Entre  deux  averses  (Zut  alors  !  le  Printemps...).    .  loi 

Encore  une  giboulée  (  Est  ce  le  rire  ..) 10=) 

Dimanche  mariné  dans  du  protestantisme ici) 


TABLE 


171 


Pages 

Lucifer  (Fourmillante  cité..  )   1 1 1 

Alléluia  dans  les  campagnes  (Fraises,  fraises...)  ...  :  [3 

Pantoum  (Sous  une  averse  de  lumière...) 116 

Dix  heures  du  soir  (C'est  Chloris  en  court  jupon.,.)  118 

Le  bonheur  est  chose  légère  (C'est  la  joie,  la  joie...)  119 

L'cRAGE  (Le  vieux  cheval  blanc.) 121 

Soir  sur  la  terrasse  (La  Lune  dispersant...)  ...    . .  123 

Francis  Jammes  (Quand  les  punaises  lucifuges...). .  123 

Nocturne  parisien  ( Le  fleuve  gronde. . .) 129 

Quand  le  clocher  sonnait  douze  (Baisers  blancs...).  133 

Tempo  di  rubato  (Les  nobles  roses  trémières...) .  .  ,  13^ 

L'eau  noire  que  la  rame  effleure  (Diffus...)  .......  139 

Versailles  (Le  soir  est  descendu  sur  les  eaux...)  . .  141 

Emma  (Ame  frêle  d'enfant...) 144 

Chuchoté  (Que  loin  les  clairs  avrils  ..  )    14^ 

LA  DÉVOTION  AUX  PRINCESSES  GARDIENNES  . .  149 

Les  gloires,  les  apothéoses 165 


Achevé   d' imprimer 

le  vingt-cinq  janvier  mil  neuf  cent  six 

par  Emile  PIVOTEAU  et  Fils 

Imprimeurs    à    Saint-Amand  (Cher) 


La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Échéance 


S.: 


The  Library 

University  of  Ottawa 

Dote  due 


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CF.  PQ   2611 

.A3J4  1906 

COO   FAILLET,  GEO  JEUNES  FLEUR 

ACC^  1234021