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Full text of "Jésus"

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JÉSUS 


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Jean  QÂicard 


JÉSUS 


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PARIS 

ERNEST    FLAMMARION,    ÉDITE(:R 

:6,  RUi^  RACINE  (près  l'odéon) 

1896 


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MON    GRAND-PÈRE 
JACQUES  AICARD 

MORT 
LE    29    SEPTEMBRE    1872 


A    MON    GRAND-PERE 


Avant  d'aller  dormir  près  de  toi  dans  la  terre. 
J'ai  voulu,  pour  ta  joie,  écrire  ce  Mystère^ 
Tel  un  pâtre  ignorant,  sur  un  morceau  de  bois, 
De  son  couteau  grossier  sculpte  un  Jésus  en  croix. 
El  j'ai  fait  ce  travail,  où  se  complut  mon  âme. 
Grand-père,  en  souvenir  de  cette  belle  flamme 
Que  mon  regard  surprit  vivante  au  fond  du  tien, 
^uand,  tourné  vers  l'Espoir,  tu  mourus  en  chrétien. 

27  juillet  1895. 


LES    PELERINS 


PRIÈRE     DANS     LE    SOIR 


LES     PÈLERINS 


PRIÈRE  DANS  LE  SOIR 


Vers  Emmaûs,  à  l'heure  où  la  clarté  finit, 
Lentement,  —  ils  devaient  marcher  soixante  stades,  - 
Deux  hommes  cheminaient,  causant  en  camarades. 
Une  Ombre,  qui  venait  derrière  eux,  les  joignit. 


Disciples  de  Jésus,  ils  parlaient  de  leur  maître 
Que  Magdeleine  et  Jean  croyaient  ressuscité. 
Une  Ombre  maintenant  marchait  à  leur  côté. 
C'était  Jésus,  mais  rien  ne  le  faisait  connaître. 


8  JESUS. 

Il  leur  dit  :  «  De  quoi  donc  parliez-vous  en  marchant? 
Et  pourquoi  semblez-vous  si  tristes,  pauvres  hommes?  « 
«  Tristes,  lui  dirent-ils,  tristes,  oui,  nous  le  sommes  !  » 
Et  le  son  de  leur  voix  était  grave  et  touchant. 

«  Es-tu  donc  tellement  étranger  à  la  Ville, 
Que  tu  ne  saches  pas  notre  malheur  récent? 
Jésus  de  Nazareth,  un  prophète  puissant, 
Depuis  trois  jours  à  peine  est  mort  d'une  mort  vile. 

«  Les  sacrificateurs,  les  docteurs  de  la  Loi, 
Nos  magistrats,  l'ont  tous  condamné.  Quelle  honte  ! 
...  Mais,  toi,  reste  avec  nous  parce  que  la  nuit  monte... 
Inconnu,  nous  aimons  à  causer  avec  toi.  » 

Or,  depuis  un  instant,  leurs  paroles  funèbres 
Retombaient  sur  leur  cœur,  dans  la  nuit,  lourdement; 
Un  deuil  affreux  venait  sur  eux,  du  firmament  ; 
En  eux,  comme  autour  d'eux,  tout  n'était  que  ténèbres. 


LES    PÈLERINS. 


Et  dans  l'abandon  triste  où  les  laissait  le  jour, 
Vainement  ils  cherchaient,  au  ciel  vide,  une  étoile  ; 
lis  voyaient  l'étranger  comme  à  travers  un  voile, 
Mais  ils  sentaient  en  lui  comme  un  attrait  d'amour. 

S'il  s'éloignait  un  peu,  leur  cœur,  empli  de  troubles, 
Aussitôt  amoindri,  défaillait  et  pleurait... 
S'il  se  rapprochait  d'eux,  tout  contents  en  secret. 
Us  se  sentaient  monter  au  cœur  des  forces  doubles. 

C'était  alors  en  eux  comme  un  flot  de  chaleur, 
Le  doux  rayonnement  d'une  intime  lumière  ; 
Us  ne  comprenaient  plus  leur  détresse  première 
Ni  pourquoi  le  chemin  leur  devenait  meilleur. 

Et  les  deux  pèlerins  que  le  Spectre  accompagne 

Répétaient  à  Celui  que  l'on  ne  peut  pas  voit  : 

«  Reste  avec  nous.  Seigneur,  parce  que  c'est  le  soir, 

Et  notre  angoisse  croit  dans  la  nuit  qui  nous  gagne.  » 

l. 


10  JÉSUS. 

Or,  Christ,  ressuscité  depuis  dix-huit  cents  ans, 
Vient  de  mourir  encor,  mais  d'une  mort  tout  autre  ; 
Et  dans  ce  siècle  obscur  il  a  plus  d'un  apôtre 
Et  plus  d'un  pèlerin  dans  les  doutes  présents. 

Nos  Scribes,  attachés  à  la  lettre  du  Livre, 

Par  sottise  les  uns,  d'autres  par  intérêt, 

N'ont  plus  ni  les  rigueurs  ni  l'amour  qu'il  aurait; 

Mais  dans  la  nuit  qui  vient  nous  le  sentons  revivre. 

11  vit.  La  nuit  immense  a  beau  venir  sur  nous, 
Ténèbres  de  l'esprit  qui  nie  et  qui  calcule, 

Nous  avons  beau  sentir,  dans  l'affreux  crépuscule, 
Défaillir  à  la  fois  nos  cœurs  et  nos  genoux. 

Chacun  de  nous  revoit,  dans  la  nuit  de  son  âme. 
Ce  fantôme  divin,  pur  esprit,  noble  chair, 
Qui  nous  a  fait  tout  homme  et  tout  enfant  plus  clier, 
Notre  mère  plus  tendre  et  plus  douce  la  femme. 


LES    PÈLERINS.  U 


Chacun  de  nous  le  voit,  le  doux  spectre  voilé, 
Luire  ineflfablement  dans  l'ombre  intérieure, 
Dans  l'ombre  aussi  qui  tombe,  en  cette  mauvaise  heure, 
Du  vide  qui,  jadis,  fut  un  ciel  étoile. 

A  son  charme  infini  qui  de  nous  se  dérobe? 
Ignorant  ou  savant,  qui  donc  est  bon  sans  lui  ? 
Tous  les  astres  sont  morts  qui  pour  d'autres  ont  lui, 
Mais  nous  sommes  frôlés  des  lueurs  de  sa  robe. 

Là-bas,  derrière  nous,  l'affreuse  Ville  en  deuil, 
Dressant  sur  le  ciel  rouge,-^  en  noir,  les  toits  du  Temple, 
La  hautaine  cité  du  crime  sans  exemple, 
Nous  envoie  en  rumeurs  les  cris  de  son  orgueil. 

C'est  un  bruit  d'or  tintant  sous  de  hauts  péristyles, 
C'est  l'appel  des  soldats  veillant  sur  les  remparts  ; 
Et  le  monde  ébranlé  craque  de  toutes  parts 
Sous  le  riche  oublieux  des  mendiants  hostiles 


12  JESUS. 

Mais  en  nous,  contre  nous,  nous  avons  un  recours, 
C'est  la  bonté,  c'est  la  pitié,  c'est  l'Évangile  : 
Nous  sentons  tout  le  reste  incertain  et  fragile. 
Le  ciel  est  vide  et  noir  ;  et  c'est  la  fin  des  jours  ; 

Mais  le  spectre  d'un  Dieu  marche  encor  dans  nos  routes 

Avec  sa  forme  humaine  au  sens  mystérieux. 

Nos  chemins  effacés  s'éclairent  de  ses  yeux. 

Et  sa  blancheur  nous  guide  à  travers  tous  les  doutes. 

Oh!  puisque  la  nuit  monte  au  ciel  ensanglanté, 
Reste  avec  nous.  Seigneur,  ne  nous  quitte  plus,  reste  ! 
Soutiens  notre  chair  faible,  ô  fantôme  céleste, 
Sur  tout  notre  néan  t  seule  réalité  ! 

Ta  force  heureuse  rentre  en  notre  âme  plaintive 
Et  même  les  tombeaux  sont  clairs  de  tes  rayons... 
Toi  par  qui  nous  aimons,  toi  par  qui  nous  voyons, 
Reste  avec  nous,  Seigneur,  parce  que  l'ombre  arrive  I 


LES    PÈLERINS.  13 


Seigneur,  nous  avons  soif;  Seigneur,  nous  avons  faim; 

Que  notre  âme  expirante  avec  toi  communie  ! 

A  la  "table  où  s'assied  la  Fatigue  infinie. 

Nous  te  reconnaîtrons  quand  tu  rompras  le  pain. 

Reste  avec  nous,  Seigneur,  pour  l'étape  dernière; 
De  grâce,  entre  avec  nous  dans  l'auberge  des  soirs... 
Le  Temple  et  ses  flambeaux  parfumés  d'encensoirs 
Sont  moins  doux  que  l'adieu  de  ta  sourde  lumière. 

Les  vallons  sontcomblés  par  l'ombre  des  grands  monts, 
Le  siècle  va  finir  dans  une  angoisse  immense  ; 
Nous  avons  peur  et  froid  dans  la  mort  qui  commence... 
Reste  avec  nous.  Seigneur,  parce  que  nous  t'aimons. 


JÉSUS 


i 


LES  BERGERS   DANS  LA  MONTAGNE 


UN  VIEUX  BERGER. 


Bonjour,   berger. 


UN  JEUNE  BERGER. 


Bonjour. 


LE  VIEUX   BERGER. 

Connais-tu  la  nouvelle  ? 


18  JÉSUS. 


LE  JEUNE  BERGER. 

Te  moques-tu  de  moi?  Sur  ce  coteau  perdu, 

Nos  troupeaux  sont  muets.  Pas  un  agneau  ne  bêle. 

Le  silence  est  partout.  Je  n'ai  rien  entendu. 

LE  VIEUX  BERGER. 

Trois  amis  m'ont  conté,  trois  vieux  pasteurs  de  chèvres, 
Qu'ils  ont  vu  dans  le  ciel  un  ange,  cette  nuit  ; 
Il  leur  a  dit,  parlant,  comme  toi  par  tes  lèvres  : 
«  Le  Messie  est  né  I  » 

LE  JEUNE   BERGER. 

L'ange  aura  parlé  sans  bruit... 
Et  pour  moi  je  n'ai  vu  que  deux  blanches  nuées. 

LE  VIEUX  BERGER. 


Oui,  les  ailes  de  l'ange. 


LES  BERGERS  DANS  LA  MONTAGNE.   19 

LE  JEUNE  BERGER. 

Il  ne  m'a  point  parlé. 
Mes  oreilles,  au  grand  silence  habituées, 
Sauraient  si  même  un  cri  d'oiseau  l'avait  troublé. 

LE   VIEUX   BERGER. 

Tu  n'as  rien  entendu  ? 

LE    JEUNE  BERGER. 

Pas  même  les  chouettes. 

LE    VIEUX   BERGER. 

Tu  n'as  rien  vu  ? 

LE  JEUNE   BERGER. 

Là-haut,  toujours  au  même  lieu, 
Les  constellations  qui  parlent  en  muettes. 


20  JESUS. 

LE   VIEUX   BERGER. 

Je  t'annoncerai  donc  la  naissance  d'un  Dieu. 

LE   JEUNE  BERGER. 

Je  n'en  connais  qu'un  seul.  C'est  celui  de  Moïse. 

LE    VIEUX   BERGER. 

Un  autre  vient  de  naître  ;  un  meilleur,  un  plus  doux. 

LE   JEUNE  BERGER. 

Parle,  vieux  1  je  t'écoute  avec  peine  et  surprise  : 
La  vieillesse  radote.  On  respecte  les  fous. 

LE   VIEUX   BERGER. 

Ne  ris  pas  !  Ce  Seigneur  est  né  dans  une  étable. 
Comme  il  fait  froid,  un  âne,  un  bœuf,  soufflent  dessus. 
Ils  l'aiment,  devinant  qu'il  sera  charitable. 
Et  c'est  un  messager  de  Dieu  nommé  Jésus. 


LES    BERGERS    DANS    LA    MONTAGNE.       2i 


LE  JEUNE   BERGER. 

Dieu ,  c'est  un  Salomon,  compère,  un  vieux  monarque 

Il  a  des  légions,  des  trônes  et  de  l'or  ; 

Un  envoyé  du  ciel  porterait  mieux  sa  marque 

Et  viendrait  sous  l'éclair  au  sommet  du  Thabor. 

LE  VIEUX  BERGER. 

Pense  comme  tu  veux  ;  moi,  je  crois  aux  prophètes  : 
Je  vais  à  Bethléem,  pour  voir  ce  nouveau-né. 

LE  JEUNE  BERGER. 

Mais...  si  je  te  suivais,  qui  garderait  nos  bétes  1 

LE  VIEUX  BERGER 

Le  Dieu  par  qui  l'enfant  nouveau  nous  est  donné; 

LE  JEUNE  BERGER. 

Eh  bien...  je  vais  te  suivre. 


22  JÉSUS. 


LE   VIEUX  BERGER. 

Iras-tu  la  main" vide?   ' 

LE   JEUNE   BERGER. 

Toi,  que  lui  portes-tu? 

LE   VIEUX   BERGER. 

Moi,  je  suis  pauvre,  ami  : 
Pas  un  seul  n'est  à  moi  des  moutons  que  je  guide. 
Et  j'en  suis  si  fâché  que  je  n'ai  pas  dormi. 
Mais  je  compte,  n'ayant  à  moi  brebis  ni  laine. 
Pour  l'enfant  qui  nous  vient  tout  nu  comme  un  oiseau, 
Dans  la  flûte  que  j'ai  souffler  à  perdre  haleine, 
Et  mettre  tout  mon  cœur  dans  ce  pauvre  roseau... 

LE  JEUNE   BERGER. 

Et  moi  j'égorgerai  mes  deux  jeunes  colombes, 
Si  ta  nouvelle  est  vraie,  en  l'honneur  de  ton  Dieu  I 


LES    BERGERS    DANS    LA    MONTAGNE.        23 


LE   VIEUX   BERGER. 

Mon  Dieu...  fera  sortir,  frère,  les  morts  des  tombes! 
Rien  ne  doit  plus  périr  par  le  fer  ou  le  feu. 
Porte-lui  des  agneaux  vivants  :  il  les  caresse. 
Porte-lui  des  ramiers  :  il  les  baise  en  pleurant. 
Mais  déjà  le  bœuf,  l'âne,  ont  connu  sa  tendresse... 
Partons  vite  :  un  Dieu  bon,  mon  frère,  est  le  seul  grand  I 


II 


L'HOTELLERIE   DE   BETHLÉEM 


JOSEPH. 

Il  fait  froid  ; 

:  donne- 

nous  une  place 

à  ton  feu. 

Non. 

l'hôtelier. 

JOSEPH. 

Ma  femme  est  enceinte. 

l'hôtelier. 

Ehlj 

'entends. 

JOSEPH. 

Je  t'en 
2 

prie 

26  JESUS. 


l'hôtelier. 


Non  !  quand  tu  serais  diable  ou  quand  tu  serais  dieu, 
Je  n'ai  plus  une  place  en  mon  hôtellerie. 

JOSEPH. 

Elle  souffre.  Son  sein  porte  un  fruit  innocent  : 
Veux-tu  que  notre  espoir,  frère,  meure  en  naissant? 

l'hôtelier. 
Pauvre  femme  !...  Veux-tu  coucher  dans  mon  étable  ? 

MARIÉ. 

Bien  volontiers. 

l'hôtelier. 

Venez.  C'est  tout  ce  qu'il  vous  faut. 
Et  si  vous  ne  trouvez  dans  le  foin  lit  ni  table, 
L'âne  et  le  bœuf,  qui  sont  très  doux,  vous  tiendront  chaud. 


III 


LES  BERGERS    DANS  L'ÉTABLE 


LE   VIEUX      BERGER  . 

Regarde.  On  a  posé  près  de  lui,  sur  la  paille, 
Bien  des  présents  déjà,  des  œufs  frais,  du  froment, 
Tous  les  meilleurs  trésors  du  pauvre  qui  travaille 
Voudra-t-on  écouter  ma  flûte  seulement? 
Frère,  ofifre-lui  d'abord  tes  blanches  tourterelles.. 

LE  JEUNE   BERGER. 

Je  vous  ofifre.  Seigneur,  deux  oiseaux  que  j'ai  pris. 


28  JESUS. 


LE   VIEUX  BERGER. 

Regarde  :  avec  ses  bras,  il  imite  leurs  ailes  ! 

LE  JEUNE   BERGER. 

Écoute  :  avec  sa  lèvre,  il  imite  leurs  cris  ! 

LE   VIEUX   BERGER. 

Pour  moi,  joli  Seigneur,  je  suis  pauvre  et  j'apporte. 

MARIE. 

Quoi  donc? 

LE   VIEUX   BERGER. 

Je  n'ose  pas  vous  dire.  C'est  si  peu  ! 

JOSEPH. 

Quel  est  tout  ce  grand  bruit  qui  se  fait  à  la  porte  ? 


LES    BERGERS    DANS    L'ÉTABLE.  29 


UN  PAGE,  entrant. 

Les  Mages  d'Orient  viennent  voir  l'Enfant-Dieu  : 
Une  étoile  fidèle  a  guidé  le  voyage. 

LE   VIEUX   BERGER. 

Frère,  retirons-nous,   pour  l'instant;  cachons-nous; 
Laissons  entrer  ces  rois  et  tout  leur  équipage. 
Restons  là,  dans  un  coin  de  l'étable,  à  genoux. 

LE  PAGE,  aux  serviteurs  qui  se  "pressent  à  la  porte. 

Le  toit  est  bas.  Laissez  dehors  les  dromadaires. 

//  annonce  les  Mages. 
Le  seigneur  Balthazar!  —  Le  seigneur  Melchior! 
Le  roi  Gaspard!...  suivi  de   ses  hauts  dignitaires... 
Et  tous  viennent  offrir  l'encens,  la  myrrhe  et  l'or. 

LE   JEUNE   BERGER. 

Sortons  de  notre  coin.  Viens  donc  que  je  les  voie. 


30  JESUS. 

LE   VIEUX   BERGER. 

Ils  riraient  de  nous  voir  sous  nos  pauvres  sayons, 

LE   JEUNE   BERGER. 

Ils  ont  mis  leur  couronne  et  leurs  manteaux  de  soie. 

LE  VIEUX  BERGER. 

Oui,  mais  Jésus  a  mis  sa  couronne  en  rayons  ! 

LES  TROIS   MAGES. 

0  Seigneur,  roi  du  ciel... 

MARIE. 

Pardonnez-moi,  grands  Mages, 
Mais  un  homme  était  là,  quand  vous  êtes  entrés, 
Qui  n'avait  pas  fini  de  rendre  ses  hommages 
\  mon  petit  Enfant  que  tous  vous  adorez. 
Il  croii'ait  que  pour  vous  peut-être  on  le  rebute 


LES    BERGERS    DANS    L'ÉTABLE.  31 

Au  vieux  berger. 
Pourquoi  te  caches-tu,  brave  homme,  dans  un  coin? 

LE   VIEUX   BERGER. 

C'est  que. ..  je  ne  peux  rien  offrir. . .  qu'un  air  de  flûte... 

MARIE. 

Viens  donc...  Pour  voir  l'enfant  tu  serais  un  peu  loin... 
Allons,  sonne,  berger  !  Nous  aimons  la  musique. 

LE  VIEUX  BERGER,  ttu  jeune. 
J'obéis,  mais  j'ai  peur. 

LE  JEUNE   BERGER. 

Souffle  en  fermant  les  yeux. 

LE   VIEUX  BERGER. 

Non,  je  veux  voir  l'Enfant  ! 


32  JÉSUS. 


Le  vieux  berger  joue  de  la  flûte. 

MARIE. 

Il  dit,  dans  son  cantique, 
La  paix  de  son  bon  cœur  et  la  gloire  des  cieux. 

JOSEPH, 

La  musique  s'arrête. 

MARIE. 

Et  l'Enfant  va  sourire. 

JOSEPH. 

Que  diront  Balthazar,  Gaspard  et  Melchior? 

MARIE. 

C'est  bien.  Merci,  berger. . .  Grands  rois  que  l'on  admire, 
A  présent,  vous  pouvez  offrir  la  myrrhe  et  l'or. 


IV 


NAISSANCE   DE   LA  PITIÉ 


Ces  nombres  d'or:  «  Aimez- vous  bien  les  uns  les  autres,  » 
Dans  l'Acte  et  dans  le  Mot  ne  régnaient  pas  encor  ; 
11  fallait  qu'un  sublime  étranger  les  fît  nôtres 
Et  que,  du  lingot  brut,  il  fît  sa  pièce  d'or. 

Pour  que  la  Charité  s'envolât  d'âme  en  âme, 
Il  fallait  lui  donner  l'aile  des  beaux  discours, 
Et  que,  vie  et  parole,  elle  devînt  un  drame 
Dont  le  héros  charmant  suscitât  des  amours. 


34  JÉSUS. 

Il  fallait,  pour  toucher  les  âmes  paysannes, 

Que,  blond  comme  la  gerbe,  il  eût  des  yeux  d'azur; 

Que  sa  simplicité  cheminât  sur  des  ânes 

Et  qu'il  sût  distinguer  la  nielle  du  blé  mûr; 

Que  celle  en  qui  dormait  l'espoir  de  l'Évangile, 
N'eût  pas  où  déposer  son  fruit  mystérieux 
Et  que  cet  abandon  fît,  sur  l'enfant  fragile, 
Par  les  fentes  du  toit  étinceler  les  cieux. 

Né  d'une  pauvre  femme,  il  fallait  que  le  Maître, 
Qu'attendaient  le  bœuf,  l'âne  et  les  rois  à  genoux, 
Inspirât  la  pitié  même  avant  que  de  naître. 
Pour  que  les  malheureux  disent  :  Il  vient  chez  nous. 


LA  FUITE  EN   EGYPTE 


Lorsqu'Hérode  eut  appris  que  pour  voir  un  enfant 
Dans  une  étable,  rois,  bergers,  tous  à  la  ronde 
Accouraient,  l'appelaient  Maître  et  Sauveur  du  inonde, 
Le  saluaient  Messie  et  roi,  Dieu  triomphant, 

Le  tétrarque,  tremblant  pour  ses  droits  éphémères, 
Furieux,  donna  l'ordre  aux  bourreaux  étonnés 
D'égorger  en  tous  lieux  les  enfants  nouveau-nés 
Et  partout  tressaillit  d'effroi  le  cœur  des  mères. 


36  JÉSUS. 

Et  de  bons  laboureurs,  prenant  Joseph  à  part, 
Lui  dirent  en  secret  l'effroyable  nouvelle. 
Mais,  tout  terrifié  de  ce  qu'on  lui  révèle, 
Joseph  ne  songea  pas  tout  d'abord  au  départ 

Le  péril  est  partout.  Que  faire  et  comment  faire  ? 
11  n'osait  prévenir  Marie,  et  restait  là. 
Alors  la  voix  d'un  pauvre  animal  lui  parla  : 
Mon  Dieu,  oui,  tout  à  coup,  l'âne  se  mit  à  braire. 

H  Mettons  vite  le  bât  sur  l'âne,  se  dit-il, 

Et  fuyons  en  Egypte  et  plus  loin,  tous  les  quatre  !  » 

L'âne  partit  gaîment  et  sans  se  faire  battre  ; 

On  eût  dit  qu'il  avait  flairé  ce  grand  péril. 

Joseph  marchait,  la  bride  en  main,  et  l'âne,  agile, 
Berçait  sur  son  vieux  dos  la  mère  de  Jésus 
Qui  tenait  ses  deux  bras  bien  sernés,  et,  dessus, 
L'Enfant-Dieu  qui  portait,  sous  son  front,  l'Évangile^ 


LA    FUITE    EN    EGYPTE.  37 

L'âne,  quoique  naïf,  peut-être  un  peu  rêveur, 
Jaloux  des  grands  chameaux  dont  le  pas  est  si  large, 
Vif  et  comme  léger  sous  cette  triple  charge. 
Paraissait  tout  joyeux  de  sauver  le  Sauveur. 


VI 


L'ENFANT  AU   BERCEAU 


Tous  les  matins,  avant  le  réveil  des  oiseaux, 

Sur  le  berceau,  dont  elle  entr'ouvrait  les  longs  voiles 

Sa  mère  déposait  des  fleurs,  fines  étoiles, 

Du  bleu  de  ses  yeux,  bleus  comme  les  claires  eaux. 

Elle  y  posait  des  lys  plus  soyeux  que  la  soie. 
Droits  et  purs,  mieux  vêtus  que  le  roi  Salomon, 
Car  la  beauté  vaut  mieux  que  1  "éclat  de  Mammon, 
El  la  candeur  inspire  aux  âmes  de  la  joie. 


40  JESUS. 

Parfois  elle  apportait  aussi  des  épis  d'or, 
Blonds  comme  les  cheveux  du  petit  enfant  rose, 
Et  jamais  près  de  lui  ne  laissait  une  chose 
■Qui  ne  lui  parût  pas  plus  riche  qu'un  trésor. 

Près  du  berceau  dormaient,  entre  des  branches  frêles, 

Colombes,  passereaux,  libres,  apprivoisés; 

Et  lui,  dès  le  réveil,  envoyait  des  baisers 

Aux  fleurs,  aux  passereaux,  aux  douces  tourterelles. 

Il  grandit.  Quand  il  fut  en  âge  de  courir, 
Il  jouait,  façonnant,  avec  un  peu  d'argile, 
Des  oiseaux  et  des  fleurs,  d'une  grâce  fragile, 
•Qu'il  souhaitait  de  voir  ou  voler  ou  s'ouvrir. 

Et  c'est  pourquoi,  jeune  homme,  il  sut  dire  aux  Apôtres: 
—  «  Si  vous  comprenez  bien  ce  que  j'ai  sous  le  front. 
Les  âmes  fleuriront,  les  cœurs  s'envoleront... 
"Suivez  ma  voie.  Il  faut  s'aimer  les  uns  les  autres.  » 


VII 


A    DOUZE   ANS 
i 

Or,  cette  année,  après  la  Pâque,  grande  fête 
D'où  les  enfants  devaient  revenir  assagis, 
Le  bon  Joseph,  avec  bien  des  soucis  en  tête, 
Quittant  Jérusalem,  retournait  au  logis. 

C'était  loin,  Nazareth.  Et  voisins  et  voisines. 
Par  groupes  et  nombreux  faisaient  ce  long  chemin^ 
Et  les  petits,  tentés  par  les  fleurs  des  collines. 
Trompant  leur  mère  lasse  abandonnaient  sa  main. 


42  JÉSUS. 

—  Où  donc  est-il,  ce  diable?  Ah  !  l'engeance  maudite  ! 

—  Je  l'aperçois  là-bas  qui  se  pique  aux  chardons. 

—  Voyez,  il  court  offrir  ses  fleurs  à  ma  petite. 

—  Ils  reviendront  toujours,  bien  sûrs  de  nos  pardon^. 

Et  tout  le  long  du  jour  ce  sont  mêmes  paroles, 
Et  les  enfants,  d'un  groupe  à  l'autre,  vont,  rieurs. 
Se  montrant  de  grands  lys,  buvant  dans  les  corolles, 
Apparaissant  ici  quand  on  les  croit  ailleurs. 

Et  Joseph,  sérieux,  répétait  à  Marie  : 
«  Le  cèdre  du  Liban  se  vend  toujours  plus  cher  !  » 
Et  mille  autres  propos  sur  la  charpenterie, 
Tandis  qu'elle  songeait  à  la  chair  de  sa  chair... 

—  Et  Jésus?  disait-elle.  —  Il  joue  avec  les  autres  ; 
Tous  ceux  de  Nazareth  sont  en  bande  là-bas. 

—  Avez-vous  vu  mon  fils  ?  —  Il  entraîne  les  nôtres, 
Voisine.  —  Et  les  parents  ne  le  rappelaient  pas. 


A    DOUZE    ANS.  ^3 


Or,  on  avait  marché  tout  un  long  jour  sans  ombre, 
Et  les  enfants  plaintifs  revinrent  un  par  un 
S'accrocher  à  leur  mère,  ayant  peur  dans  le  sombre, 
Et  leur  bouquet  trop  lourd  devenait  importun. 

Quel  âge  a-t-il?. ,  «  Douze  ans. . .  »  Mais  alors  c'est  un  homme  ; 
Il  saura  bien  toujours  retrouver  ses  parents... 
—  Mon  fils  est  égaré,  bon  passant...  II  se  nomme 
Jésus.  Il  est  tout  blond  avec  des  yeux  très  grands. 

Et  dans  la  nuit  montante,  au  bord  de  la  vallée, 
Revenant  sur  leurs  pas,  par  le  chemin  désert, 
Marie  avec  Joseph,  d'une  voix  désolée, 
Appelaient...  De  tout  temps  Marie  a  bien  souffert. 

Jusqu'à  Jérusalem,  pleins  d'angoisse  mortelle, 
Il  fallut  retourner...  Songez  donc  quelle  nuiti 
Oh  I  que  ne  souffrit  pas  Marie  !  et  que  dit-elle, 
Lorsqu'on  se  retrouva  dans  la  ville,  sans  lui  \ 


44  JESUS. 

Deux  jours  sans  le  revoir!  Deux  longues  nuits  encore  l 
Des  rêves  sans  sommeil...  Oh  !  des  rêves  affreux  ! 
Quelle  couleur  de  deuil  eut  la  troisième  aurore  1 
Et  les  parents,  pleurant  sur  lui,  pleuraient  sur  eux. 

Et  le  troisième  soir,  sur  les  places  publiques, 
Comme  ils  erraient  encor,  pâles,  tremblants  d'effroi  : 

—  Cet  enfant  de  douze  ans  a  de  fortes  répliques, 
Dirent,  passant  près  d'eux,  des  docteurs  de  la  Loi. 

—  Oh  !  par  pitié,  de  qui  parlez-vous?  dit  la  femme. 

—  D'un  petit  charpentier  que  l'on  nomme  Jésus... 
Elle  court...  «  C'est  mon  fils  I  »  Et  ses  mains  et  son  âme, 
Attirant  le  beau  front,  se  reposaient  dessus. 

Elle  l'éloigné  un  peu,  lui  sourit,  le  contemple, 
Et  le  gronde  :  «  Il  n'a  pas  songé  que  nous  pleurions  !  » 
...Depuis  trois  jours,  l'enfant,  très  grave,  dansle Temple, 
Aux  docteurs  attentifs  posait  des  questions  ; 


A    DOUZE    ANS.  45 


Et  tous  l'interrogeaient,  admirant  ses  réponses... 

—  «  Ah  !  le  méchant  !  méchant  petit  insoucieux  !  » 
Mais  lui,  tranquillement,  répondit  aux  semonces  : 

—  «  Avant  tout  je  me  dois  à  mon  Père  des  cieux  : 

«  Pourquoi  me  cherchiez-vous?  » 

On  revint  au  village. 
Eux,  ne  comprenant  point,  grondaient  toujours  un  peu. 
Et  depuis  ce  temps-là,  toujours  plus  grand,  plus  sage, 
Il  leur  était  soumis  et  croissait  devant  Dieu. 


3. 


VIII 


LE   GRAND   CHAGRIN 


Or,  Jésus  adorait  sa  mère,  qui,  divine, 
L'avait  si  tendrement  bordé  dans  son  berceau 
Réchauffé  dans  le  nid  comme  un  petit  oiseau, 
Et,  lorsqu'il  avait  peur,  caché  dans  sa  poitrine. 

Mais  le  désir  naissait  en  lui  d'approcher  Dieu, 

De  hausser  son  esprit  pour  être  utile  aux  hommes; 

Il  songeait  :  «  Nous  serions  meilleurs  que  nous  ne  sommes. 

Si  nous  réalisions  nos  rêves,  fût-ce  un  peu.  » 


48  JESUS. 

C'est  alors  qu'il  allait,  en  fraude,  dans  le  Temple, 
Où,  grave,  il  s'attaquait  aux  docteurs  de  la  Loi. 
Sa  mère  le  cherchait  partout...  —  «  Malheur  sur  moi  ! 
Mon  fils  donne  aux  enfants  le  plus  méchant  exemple  ! 

«  Rentre  au  logis,  petit  bavard  !  taille  des  planches  ! 
Au  lieu  de  tant  parler,  travaille  de  tes  mains  !  » 
Il  s'échappait,  cueillant  des  fleurs  par  les  chemins, 
Et  pour  sa  gerbe  heureuse  il  préférait  les  blanches. 

Et,  devant  lui,  Marie  ayant  dit  tristement  : 
—  «  Ce  n'est  pas  tout  bonheur,  allez,  d'être  sa  mère  !  » 
L'enfani  pleura,  trouvant  cette  parole  amère, 
Et  son  cœur  ressentif  déjà  l'isolement. 


IX 


IL    CROISSAIT    DEVANT    DIEU 

Et  puis?...  De  ces  douze  ans  sublimes  jusqu'à  trente? 
Comment  fît-il  son  âme  en  faisant  son  métier? 
Que  disait  Dieu  le  Père  à  cette  âme  parente  ? 
Que  répondait  à  Dieu  le  fils  du  charpentier? 

D'un  an,  d'un  jour  à  l'autre  on  voudrait  bien  le  suivre  l 
Par  qui  l'adolescent  divin  fut-il  guidé? 
Le  monde,  là-dessus,  ne  voit  rien  dans  le  Livre, 
Et  ce  temps-là  demeure  un  mystère  insondé. 


50  JESUS. 

Il  dit  plus  tard:  —  «  Soyez  béni,  Père  suprême, 
Car  vous  avez  caché  ces  choses  au  savant, 
Mais  vous  les  révélez  à  l'enfant  qui  vous  aime.  » 
Et  dans  le  Livre  saint  l'enfant  paraît  souvent. 

Or  la  sagesse  est  là;  c'est  là  tout  l'Évangile  : 

«  Sois  pareil  aux  petits,  souris  et  tends  les  bras. 

L'esprit,  comme  la  chair,  est  chose  bien  fragile. 

Le  cœur  est  tout.  Sois  humble  et  tu  me  connaîtras.  » 

Ce  qu'il  fait  de  douze  ans  à  trente?  Il  songe.  Il  garde, 
Divinement,  comme  un  trésor,  son  cœur  d'enfant. 
Il  travaille  en  rêvant;  sa  mère  le  regarde; 
Contre  le  mal  subtil  son  rêve  le  défend. 

Pour  l'homme  de  sagesse  il  n'y  a  que  deux  âges. 
Avec  deux  noms  :  Aimer,  Penser.  Or  pour  Jésus 
La  pensée  est  amour,  mais  c'est  l'amour  des  sages 
Qui  n'ont  que  des  fils  d'âme  en  leur  âme  conçus. 


IL    CROISSAIT   DEVANT    DIEU.  51 

Peut-être  qu'au  moment  de  sa  force  montante 
Quelque  Samaritaine  attira  son  regard, 
Et  son  cœur,  s'éloignant  du  trouble  qui  nous  tente, 
Souffrit  de  se  tourner  vers  «  la  meilleure  part  ». 

Pour  garder  la  vertu  qui  sort,  lorsqu'on  le  touche, 
De  sa  chair  guérisseuse  et  de  ses  vêtements. 
Pour  garder  ce  sourire  apaisant  sur  sa  bouche, 
Il  veut,  vierges  en  lui,  tous  ses  pouvoirs  aimants. 

Il  ne  veut  rien  donner  au  charme  périssable. 
Pour  qu'un  charme  éternel  sorte  de  ses  yeux  purs. 
Il  ne  fondera  point  un  foyer  dans  le  sable  : 
Seuls  les  amours  du  cœur  ont  des  fondements  sûrs. 

Et  Jésus  à  vingt  ans  pensait  déjà  ces  choses  ; 
Il  se  tenait  songeur  dans  les  lieux  écartés; 
n  préférait  les  lys  tout  blancs  aux  roses  roses 
Et  les  grâces  du  cœur  aux  visibles  beautés. 


52  JESUS. 

Il  admirait  comment,  mis  en  terre,  un  grain  lève; 
En  dépit  du  Sabbat,  il  lève  nuit  et  jour. . . 
EL  le  long  des  sentiers  parfumés  Jésus  rêve, 
Et  Dieu  sur  toute  vie  épand  le  même  amour. 

Les  blés  mûrs,  les  figuiers,  les  nids,  tout  l'intéresse. 
Sans  doute  il  a  connu,  parmi  des  travailleurs, 
Ces  ouvriers  tardifs  qui,  malgré  leur  paresse, 
Touchent  le  même  prix,  le  soir,  que  les  meilleurs... 

Il  approuve  du  cœur  l'indulgence  du  maître 
Qui  juste  envers  les  bons  a  pitié  des  mauvais  : 
—  «  Ma  charité  n'est  pas  selon  leurs  lois,  peut-être. 
Mais  c'est  vers  la  cité  d'un  Père  que  je  vais.  » 

Sur  le  figuier  stérile  en  vain  cherchant  la  figue, 

Il  le  soignait  avant  de  le  jeter  au  feu. 

Peut-être  a  t-il  aussi  connu  l'enfant  prodigue 

Et  qu'il  dît  aux  parents  :  «  Pardonnez  comme  Dieu.  » 


IL    CROISSAIT    DEVANT    DIEU-  53 


Et  quand  il  ouvre  enfin  son  âme  révélée, 
Quand,  discoureur  sublime  et  martyr  triomphant, 
Il  nous  donne  d'un  coup  sa  vie  accumulée, 
Ce  qui  nous  éblouit,  c'est  son  âme  d'enfant. 


X 


JEAN-BAPTISTE 


Écoutez,  je  suis  Jean  ;  je  suis  la  voix  qui  crie 

Seule,  dans  le  désert. 
Mon  peuple,  dont  la  peine  exalte  ma  furie, 

A  trop  longtemps  soufFert. 

Repentez-vous,  puissants  !  La  feinte  est  inutile  : 

On  n'évite  pas  Dieu  ! 
L'heure  approche,  elle  accourt,  où  tout  arbre  stérile 

Périra  dans  le  feu  I 


56  JÉSUS. 

Je  viens  pour  terrasser  l'audace  sanguinaire 

Des  maîtres  d'ici-bas  ; 
Mais  un  autre  est  le  Dieu;  je  ne  suis  qu'un  tonnerre 

Et  le  bruit  de  son  pas. 

Préparez  les  sentiers,  aplanissez  la  voie 

Pour  un  autre,  meilleur  ; 
J'apporte  la  menace,  il  apporte  la  joie 

Qui  sort  de  sa  douleur. 

Écoutez-moi  ;  je  suis  vêtu  de  peaux  de  bêtes; 

Ma  ceinture  est  de  cuir  ; 
Lorsque  mon  fouet  serpente  en  sifflant  sur  les  têtes, 

Le  plus  grand  ne  peut  fuir. 

Écoutez-moi.  Sauvage  est  le  miel  que  je  mange; 

Ma  ruche  est  dans  le  roc. 
Quand  ma  voix  parle  aux  rois  des  hontes  qu'elle  venge, 

Us  vacillent  au  choc. 


JEAN-BAPTISTE.  57 

Les  Hérodes  ont  peur  de  ma  parole  rude  ; 

Je  suis  le  Précurseur  ; 
Je  suis  un  cri;  j'annonce,  esprit  de  solitude, 

Aux  foules  —  la  douceur. 


Je  ne  suis  pas  celui  qu'on  aime  ;  attendez  l'autre  : 

C'est  le  grain";  moi,  le  vent. 
Il  est  le  Maître.  Moi,  je  ne  suis  qu'un  apôtre 

Qu'il  envoie  en  avant. 

Lui  seul  pardonnera,  tandis  que  je  condamne. 

Selon  qu'il  est  écrit. 
Il  s'avance  paisible  et  monté  sur  un  âne; 

En  pleurant,  il  sourit. 

J'annonce  aux  manteaux  d'or  des  riches  de  Judée 
Les  haillons  d'un  vainqueur  1 

Je  blâme  :  il  aimera  ;  je  ne  suis  que  l'idée  : 
Je  vous  annonce  un  cœur. 


\ 


S8  JESUS. 

Ma  voix  est  au  désert;  la  sienne  est  dans  la  vigne 

Où  le  travail  est  doux. 
Sa  sandale  est  divine,  et  je  voudrais,  indigne, 

L'attacher  à  genoux. 

Ma  voix  est  au  désert  ;  la  sienne  est  aux  bourgades 

Qu'entourent  les  moissons. 
Il  bénit  les  enfants  ;  il  charme  les  malades; 

Il  reste  et  nous  passons. 

Sous  l'onde  du  Jourdain  par  mes  deux  mains  versée, 

Ruisselante  sur  eux, 
Les  fronts  las  oublîront  la  poussière  amassée 

Dans  les  chemins  pierreux. 

Mais  celui  qui  me  suit  baptisera  de  flamme 

Le  monde  racheté. 
Je  baptise  la  chair  ;  et  lui  baptise  l'a  me 

D'espoir  et  de  bonté. 


JEAN-BAPTISTE.  59 


Il  a  son  van  en  main,  il  neltoîra  son  aire, 

Mais  sa  grange  est  au  ciel. 
Ma  voix  rude  l'annonce  ;  elle  est  comme  un  tonnerre  ; 

La  sienne  est  comme  un  miel. 

Sa  voix  coule  en  chantant  ;  torrent,  la  mienne  roule, 

Grondante  sans  pardon. 
Je  meurs,  sévère  aux  rois  ;  il  est  doux  à  la  foule  : 

Il  mourra  d'être  bon. 

Quand  ilviendracourbersoTifrontsousl'eau  qui  tombe, 

Cet  humble  et  grand  vainqueur, 
Le  Dieu  dur  des  combats  va  se  faire  colombe, 
Pour  entrer  dans  son  cœur  ! 


Xî 


LA    TENTATION 


Et  ce  Démon  qui  parle  au  cœur  de  tous  les  hommes 
Lui  fit,  comme  du  haut  d'un  mont  ou  d'une  tour, 
Voir  de  beaux  palais  d'or  où  s'entassaient  des  sommes, 
El  les  jardins  fleuris  qui  riaient  alentour. 

—  «  Si  tu  veux,  je  ferai  ta  vie  heureuse  et  belle; 
Tu  mangeras,  dit-il,  dans  l'or  et  dans  l'argent...  « 
Mais  Jésus  répondit  :  —  «  La  misère  m'appelle. 
Pauvre,  je  saurai  mieux  consoler  l'indigent.  » 


62  JÉSUS, 

Et  le  Démon  disait  :  -r-  «  On  trouve  dans  ma  voie 
Les  rires,  les  chansons,  les  coupes  et  le  vin.  » 

—  «  Et  comment  peut-on  boire  à  la  coupe  de  joie» 
Quand  la  misère  a  soif?  »  lui  dit  l'Homme  divin. 

Le  Démon  répondit  :  «  Laisse  la  pitié  vaine  ; 

Sois  un  roi  sur  ton  peuple  ;  écrase-le  sous  toi  !  »  t 

—  «  Dans  mon  peuple,  j'entends  pleurer  la  race  humaine. 
Hélas  !  comment  peut-on  dormir,  quand  on  est  roi?  » 

Le  Démon  lui  montra,  comme  du  haut  d'un  temple^ 
Des  présents  sur  l'autel  et  des  lampes  en  feu  : 

—  «  Dieu  seul  jouit  de  tout.  L'espace  le  contemple. 
La  terre  le  redoute  et  tu  peux  être  un  Dieu  1 

«  Si  tu  veux  m'écouter,  la  terre  est  à  toi,  toute  l 

Tu  seras  riche,  roi,  dieu  des  hommes  jaloux. 

Des  anges  te  tiendront  soulevé  sur  ta  route, 

De  peur  que  ton  pied  nu  ne  se  heurte  aux  cailloux  !  » 


LA    TENTATION.  63 

Et  Jésus  répondit  :  —  «  Le  ciel  est  sans  délices, 
Quand  l'homme  souffre  au  pied  des  trônes  bienheureux  I 
Mon  Dieu  ne  goûte  pas  la  chair  des  sacrifices  ; 
Mon  Dieu  souffre  avec  les  souffrants,  en  eux,  pour  eux  ! 

«  Le  bonheur  de  Celui  dont  j'apporte  le  régne, 
C'est  de  prendre  sa  part  de  tous  les  maux  humains  ; 
L'homme  pleure?  je  pleure  ;  il  saigne?  mon  cœur  saigne. 
Et  mes  pieds  sont  meurtris,  carj 'ai  vu  leurs  chemins  !  » 

Alors,  comme  au  lever  de  l'étoile  première, 
Dansleslieux  qu'habitait  l'Homme  aux  divinsdiscours, 
On  vit  naître  et  monter  une  grande  lumière, 
Et  le  monde  riait  à  ce  matin  des  jours. 


XII 


LE   FILET 


Ils  tiraient  leurs  filets  ruisselants,  hors  des  lames. 

—  «  Venez  et  vous  serez  désormais  pêcheurs  d'âmes, 
Leur  dit-il,  et  jetant  sur  le  monde  étonné 
L'Évangile  divin  que  je  vous  ai  donné, 
Du  fond  des  passions,  comme  d'une  mer  sombre. 
Vous  tirerez  au  jour  des  cœurs,  des  cœurs  sans  nombre. 
Que  vous  verrez,  frappés,  tous,  d'un  rayon  pareil, 
Aux  mailles  du  filet  refléter  mon  soleil.  » 

Alors,  traînant  leur  barque  à  terre  avec  le  câble. 

Ils  la  laissèrent  seule  au  soleil,  sur  le  sable. 

4. 


xm 

DISCOURS   SUR    LA    MONTAGNE 

Comme  sur  la  montagne  ils  étaient  bien  dix  mille, 
Jésus,  au  milieu  d'eux,  parla  tout  l'Évangile: 

—  «  Excepté  ma  parole,  ici-bas  tout  périt. 

Heureux  les  pauvres  en  esprit 
Parce  qu'ils  comprendront  les  premiers  ma  parole. 

Heureux  les  affligés  parce  que  je  console. 


68  JESUS. 

Heureux  les  doux  :  sur  terre  ils  possèdent  le  cieL 

Heureux  tous  les  souffrants  d'injustice  et  de  haine  : 
Ils  boiront,  altérés  d'amour,  à  ma  fontaine  ; 
Affamés  de  justice,  ils  goûteront  mon  miel. 

Heureux  les  cœurs  touchés  d'une  pitié  sincère  : 
On  aura  pitié  d'eux  au  jour  de  leur  misère. 

Heureux  les  cœurs  purs  :  ils  ont  Dieu 
Comme  une  eau  pure  en  elle  a  tout  le  grand  ciel  bleu. 

Lorsque  la  lampe  est  allumée, 
On  ne  la  pose  pas  sous  l'ombre  du  boisseau. 

Mais  sur  la  tige  du  flambeau, 
Et  la  maison  sourit  à  la  lumière  aimée. 

Comme  sur  la  montagne  on  élève  une  tour, 
Dressez  l'espoir  ;  plantez  votre  pitié  féconde  ; 


DISCOURS    SUR    LA    MONTAGNE.  69 

Soyez  la  lumière  du  monde  : 
Les  hommes  vous  verront  et  béniront  l'amour. 

Si  vous  n'entrez  pas  mieux  dans  la  lumière  vraie 

Que  les  Scribes  bavards  et  les  Pharisiens, 

Vous  n'êtes  bons  qu'à  mettre  au  feu,  comme  une  ivraie 

Vous  savez  quelle  loi  fut  donnée  aux  anciens  : 
«  Il  ne  faut  pas  tuer,  »  dit  la  Loi  redoutable. 
Or,  est-on  juste  et  bon,  pour  n'être  pas  coupable  ? 
Et  je  dis,  moi,  qu'il  faut  aimer;  soyez  très  doux, 
Soyez  indulgents;  aimez-vous. 

Ne  t'irrite  jamais  sans  raison  contre  un  frère. 
Si  ton  frère  a  gardé  contre  toi  sa  colère 
Et  si  tu  t'en  souviens  en  montant  à  l'autel, 
Ayant  l'offrande  en  main,  laisse  là  ton  offrande. 
Cours  chez  ton  frère,  et  qu'il  t'embrasse,  à  ta  demande. 
La  paix  des  cœurs,  voilà  la  vraie  offrande  au  ciel, 
La  plus  pure,  la  seule  grande. 


70  JESUS. 

Point  d'adultère,  a  dit  la  Loi. 

Et  voici  ce  que  je  dis,  moi  : 
«  Quand  tes  yeux  seulement  désirent  une  femme, 
L'adultère  est  commis;  ta  faute  est  dans  ton  âme.  » 


Si  tes  yeux  ou  ta  main  compromettent  ton  corps, 
Sauve-le,  coupe-les  :  jette  ces  membres  morts! 


Vous  dites  que  la  Loi  vous  permet  le  divorce? 

C'est  vrai,  mais  qu'est-ce  qui  vous  force 
A  l'accepter  dans  sa  rigueur? 
La  dureté  de  votre  cœur. 


Soyez  humble  devant  ce  qui  domiue  l'homme. 
Point  de  pompeux  serment,  de  sacrilège  vœu. 
L'homme  le  plus  puissant  est  peu  de  chose ,  en  somme. 
Qui  donc  a  le  pouvoir  de  créer  un  cheveu? 


DISCOURS    SUR    l.A    MONTAGNE.  71 


Ou  vous  apprit  uuc  Loi  dure 

Qui  dit  :  «  Dent  pour  dent,  œil  pour  œil.  » 

Moi,  je  dis  :  Subissez  l'injure  ; 

Votre  bonté  vaut  mieux  que  l'instinct  de  nature  ; 

Un  humble  amour  vaincra  les  haines  et  l'orgueil. 

Aimez  celui  qui  vous  déteste. 
Soyez  grands,  purs  et  généreux, 
Comme  la  lumière  céleste 
Qui  connaît  les  méchants  et  qui  brille  sur  eux. 

Amis,  si  vous  n'aimez  que  l'homme  qui  vous  aime, 
Quel  mérite  avez-vous  ?  L'impie  en  fait  autant. 

Soyez  bons  comme  Dieu  lui-même 
Qui  promet  son  royaume  au  pécheur  repentant. 

Donnez,  pour  que  le  bien  que  vous  faites  console 

Ceux  à  qui  vous  faites  ce  bien, 
Mais  quand  votre  main  droite  a  donné  son  obole, 

Que  la  gauche  n'en  sache  rien  ; 


72  JÉSUS. 

Oui,  donnez  comme  on  se  dévoue, 
Parce  que  vous  aimez,  non  point  pour  qu'on  vous  loue. 

En  priant  Dieu,  priez  avec  simplicité. 

Souhaitez  que  son  règne  vienne, 

Et  bénissez  sa  volonté. 
Demandez- lui  le  pain,  la  force  quotidienne. 
Demandez-lui  que  vos  péchés  soient  effacés 
Si  vous  pardonnez  ceux  qui  vous  ont  offensés. 
Dites-lui  :  «  Rends-nous  forts  contre  ce  qui  nous  tente  ; 

Délivre-nous  du  mal  subtil. 
Par  ton  Règne  et  ta  Force  et  ta  Gloire  éclatante. 
Ainsi  soit- il.  » 

N'amassez  pas  sur  terre,  où  tout  n'est  qu'un  vain  songe, 
Des  trésors  que  le  ver  ou  que  la*  rouille  ronge, 

Que  déroberont  les  voleurs  : 
C'est  dans  nos  cœurs  que  sont  nos  trésors  les  meilleurs. 


DISCOURS    SUR    LA    MONTAGNE.  73 

L'œil  des  aveugles  fait  en  eux  leur  nuit  profonde  : 
Si  l'œil  est  ténébreux,  tout  sera  ténébreux  : 

Le  soleil  généreux 

N'a  jamais  vu  le  monde 
Que  plein  d'éclat,  d'amour,  et  de  chaleur  féconde. 

Qui  sert  Dieu  ne  peut  pas  servir  aussi  Mammon. 
De  tous  les  soins  qu'on  prend,  plus  d'un  est  inutile  : 
Voyez  les  lys.  Lequel  d'entre  eux  travaille  et  file  ? 
Pourtant  ils  sont  vêtus  mieux  qu'un  roi  Salomon. 
Juste  est  Dieu. Tous  les  nids  d'oiseaux  chantent  son  nom. 


Qui  d'entre  vous  se  peut  grandir  d'une  coudée  ? 
Ayez  Dieu  pour  seul  rêve  et  pour  unique  idée. 
Il  protège  et  bénit  le  cœur  simple  qui  croit. 

Laissez  l'inquiétude  vaine, 
Cherchez  l'amour;  le  reste  arrive  par  surcroît; 

A  chaque  jour  suffit  sa  peine. 


74  JESUS. 

Ne  jugez  point,  afin  qu'on  ne  vous  juge  pas. 
Dieu  seul  peut  pénétrer  les  causes  d'une  faute, 

Et  la  justice  d'ici-bas 
Pour  bien  voir  tout  ne  peut  jamais  être  assez  haute; 
Ne  jugez  point  afin  qu'on  ne  vous  juge  pas. 

Vous  voyez  une  paille,  un  rien,  dans  l'œil  d'un  autre, 
Mais  vous  ne  sentez  pas  la  poutre  dans  le  vôtre. 

Demande  et  l'on  te  donnera  ; 
Cherche,  tu  trouveras  ;  frappe  et  l'on  t'ouvrira. 

Pères,  si  votre  fils  —  si  votre  enfant,  ô  femmes,  — 

Vous  prie,  et  demande  du  pain, 
Mettrez-vous  en  réponse  un  serpent  dans  sa  main  ? 

...Dieu  seul  serait-il  un  père  inh^main? 

Il  ne  peut  tromper  l'attente  des  âmes. 

Fais  pour  les  autres,  c'est  la  Loi, 
Tout  ce  que  tu  voudrais  qu'un  autre  fit  pour  toi. 


DISCOURS    SUR    LA   MONTAGNE.  7b 

Choisis  toujours  la  porte  étroite  :  c'est  la  bonne  ; 
Car  une  porte  large,  un  chemin  spacieux, 

N'ont  jamais  conduit  personne 

Dans  le  royaume  des  cieux. 

Gardez-vous  bien  des  faux  prophètes  : 
De  la  peau  des  brebis  leurs  tuniques  sont  faites  : 

Des  loups  ravisseurs  se  cachent  dedans. 

Mais  voyez  leur  griffe  et  voyez  leurs  dents  ! 
Interrogez  leur  vie  et  pesez  la  réponse... 
S'ils  font  souffrir  les  cœurs,  ceci  vous  les  dénonce. 
La  figue  ou  le  raisin  viennent-ils  du  chardon? 
On  reconnaît  un  arbre  au  fruit  mauvais  ou  bon. 

Celui  donc  qui  fera  ce  que  je  viens  de  dire, 
Homme  prudent,  bâtit  sa  maison  sur  le  roc. 
En  vain  les  eaux,  le  vent,  tout  voudra  la  détruire, 
Tout  la  pousse  et  la  heurte  :  elle  résiste  au  choc. 
Parce  qu'elle  est  construite  en  pierres,  sur  le  roc. 


76  JÉSUS. 

Mais  celui  qui  construit  sa  maison  sur  le  sable, 
Faute  d'avoir  suivi  le  bon  conseil  donné, 
Est  un  fou  qui  veut  faire  une  œuvre  périssable... 
Sa  maison  croulera  sous  le  vent  déchaîné, 
Parce  qu'il  a  bâti  follement  sur  le  sable.  » 

Or,  ceci  n'était  pas  un  discours  répété, 

Comme  d'un  faux  savant  qui  s'attache  à  la  lettre. 

Jésus  parlait  au  peuple  avec  autorité, 

Et  c'est  ici  l'esprit,  l'âme  et  le  cœur  du  Maître. 


XIV 


LA   PAIX   EN   RETOUR 


Vous  direz,  dès  le  seuil  des  maisons,  vous,  les  miens 
«  Bénis  soient  la  maison,  le  jardin  et  la  vigne  1  » 
Et  la  paix  descendra,  si  le  maître  en  est  digne, 
Sur  le  maître,  sur  sa  maison,  sur  tous  ses  biens. 
Mais  s'il  n'en  est  pas  digne,  alors,  par  un  mystère, 
Votre  paix  reviendra  sur  vous.  Paix  sur  la  terre. 


XV 


LE    LUMIGNON 


Or  comme  on  lui  disait:  Repousse  celui-ci  1 

Sa  langue  qui  t'implore  est  menteuse  et  funeste  : 

—  «  Dans  un  vase  fêlé  qui  retient  l'eau,  l'eau  reste. 
Dit  il.  La  mèche  éclaire  avec  un  bout  noirci... 
Le  plus  méchant,  dès  qu'il  m'appelle,  je  l'assiste; 
L'humble  vase  brisé  me  sert,  tant  qu'il  résiste  ; 
Je  n'éteins  pas,  sur  le  flambeau  de  cuivre  ou  d'or, 
Le  lumignon  mourant  mais  chaud,  qui  fume  encori  » 


X.VI 


BONS   GRAINS 


L'homme  ne  vit  pas  de  pain  seulement  : 
Il  lui  faut  un  pain  pétri  de  pensées  ; 
Nourris  donc  les  cœurs  de  choses  sensées 
N'empoisonne  pas  le  divin  froment. 


Et  les  Pharisiens,  qui  sont  les  hypocrites, 

Lui  répétaient  :  «  Pourquoi  fréquentes-tu  ces  gens, 

5. 


82  JÉSUS. 

Qui  sont  des  péagers,  des  gueux,  des  indigents?... 
Nous  les  fuyons,  tandis  que  toi  tu  les  visites  !  » 

—  «  Depuis  quand,  répondit  Jésus,  le  médecin 

I 

Ne  va-t-il  visiter  que  des  gens  au  corps  sain  ?  » 


Voici  l'amour  :  mangez;  buvez;  je  vous  convie; 
Venez  à  moi,  vous  tous  qui  portez  dans  vos  cœurs 
La  charge  des  soucis,  le  souci  de  la  vie. 
Je  porterai  vos  maux;  je  prendrai  vos  langueurs. 


Aveuglés  par  Satan  moqueur. 
Ils  sont  sans  yeux  pour  les  merveilles, 
Et,  plus  sourds  que  les  durs  d'oreilles, 
Ils  ne  comprennent  pas  du  cœur  I 


BONS    GRAINS.  83 


S'il  perd  une  brebis,  —  dans  l'effroi  qu'il  éprouve. 
Laissant  là  son  troupeau  tout  entier,  le  berger 
La  cherche  à  travers  monts,  et,  joyeux  s'il  la  trouve. 
Il  l'emporte  en  ses  bras  pour  la  mieux  protéger. 


Tu  suspectes  ma  foi,  tu  blâmes  mon  pardon. 
Ton  œil  est-il  malin  de  c"e  que  je  suis  bon? 


J'avais  faim  ;  vous  m'avez  donné  de  quoi  manger. 
J'avais  soif;  vous  avez  désaltéré  ma  lèvre. 
Vous  m'avez  accueilli,  moi  pourtant  étranger, 
Vous  m'avez  visité  lorsque  j'avais  la  fièvre. . . 
Oui,  quand  j'étais  malade,  en  prison,  sans  espoir, 
Hommes  justes,  bons  cœurs,  vous  m'êtes  venus  voir. 


84  JESUS. 


Tout  jeune  tu  ceignais  ta  ceinture  toi-même, 
Tu  choisissais  ton  heure  et  ton  lieu,  tes  chemins  ; 
Mais  quand  tu  seras  vieux,  faible,  tendant  les  mains, 
Pour  qu'on  te  mène  où  tu  voudras,  il  faut  qu'on  t'aime. 


XVII 


LA   FILLE   DE   JAIRE 


Une  ombre  avait  voilé  la  porte  ; 
Les  flûtes  pleuraient  sur  le  seuil  ; 
Tout  semblait  mener  le  grand  deuil 
De  l'espérance  humaine,  morte. 

Le  Dieu  de  Moïse  était  dur, 
Stricte  la  Loi,  la  règle  étroite. 
Jésus,  la  paix  dans  sa  main  droite, 
Vint,  le  ciel  dans  ses  yeux  d'azur. 


86  JÉSUS. 

Pan  régnait  sur  toute  la  terre, 
Avec  Rome  partout  vainqueur: 
Pas  un  dieu  n'avait  un  bon  cœur... 
Mors  vint  l'Homme  du  mystère. 

Et  Jaïre  dit,  à  genoux  : 
—  «  Seigneur,  notre  espérance  est  morte. 
Les  joueurs  de  flûte,  à  ma  porte. 
Sonnent  des  airs  de  deuil  pour  nous. 

«  Seigneur,  ressuscite  ma  fille  !  » 
Jésus,  la  prenant  par  la  main. 
Dit  au  père  :  «  Le  genre  humain 
Qui  pleure  en  toi,  c'est  ma  famille. 

«  Pourquoi  sitôt  croire  à  la  mort?  " 
Vous  faisiez  tous  un  mauvais  rêve... 
Je  veux  que  ta  fille  se  lève!... 
Elle  n'est  pas  morte.  Elle  dorl.  » 


XVIII 


LE    BON    SAMARITAIN 


Tu  demandes  quel  est  ton   prochain?  Or,  écoute 
Un  homme  à  Jéricho  s'en  allait  à  pied,  seul; 
Des  voleurs  embusqués  l'assaillirent  en  route 
Et  le  laissèrent  là,  tel  qu'un  mort  sans  linceul. 

Un  sacrificateur,  passant  près  du  pauvre  homme, 
Le  vit  et,  l'ayant  vu,  poursuivit  son  chemin. 
Un  lévite,  après  lui,  passa  :  ce  fut  tout  comme; 
Un  troisième  passant  eut  un  cœur  plus  humain. 


88  JÉSUS. 

C'est  un  Samaritain  qui,  du  haut  de  sa  bête, 

Dit  :  «  Pauvre  homme  1  »  Il  était  monté  sur  un  cheval. 

Il  descendit  vers  l'homme  et,  soulevant  sa  tête. 

Il  le  plaignait,  disant  :  —  «  Où  donc,  frère,  as-tu  mal  ?  » 

Il  oignit  d'un  vin  pur  toute  sa  chair  meurtrie. 
Il  le  prit  à  cheval  encore  inanimé, 
Puis  il  paya  son  gîte  en  quelque  hôtellerie... 
Le  bon  Samaritain  sera  toujours  aimé. 


XIX 


LE   PAIN    MULTIPLIE 


Ne  dis  pas  :  Si  je  suis  tout  seul  dans  ce  grand  nombre, 
Quel  bien  fera  mon  humble  effort,  mon  pauvre  amour? 
Car  si  chaque  flambeau  s'allume  seul  dans  l'ombre, 
Tous  se  trouvant  brûler  ensemble,  il  fera  jour. 

Si  chaque  homme  s'attache  à  consoler  un  homme, 
Tous  donneront  et  tous  recevront  la  pitié. 
Écris  ton  chiffre  unique,  —  et  Dieu  fera  la  somme  : 
C'est  ainsi  que  mon  pain  sera  multiplié. 


90  JÉSUS. 

Chaque  jour  est  un  jour  utile,  et  le  temps  coule; 

Laisse  ton  siècle  rire,  incrédule  et  moqueur  : 

Un  mot,  un  seul,  suffit  à  guider  une  foule  ; 

Tous  les  cœurs  grandiront  nourris  par  mon  seul  cœur. 


XX 


LES   FOURMIS 


Aidez-vous,  et  tout  mal  deviendra  guérissable. 
Un  champ  fut  recouvert  de  sable  par  la  mer  ; 
Dieu  dit  à  la  fourmi  d'enlever  tout  ce  sable 
Dans  le  temps  que  mesure  une  lueur  d'éclair. 

Et  beaucoup  de  fourmis,  en  nombre  insaisissable, 
Ayant  sur  l'heure  même  envahi  ce  terrain, 
Cent  mille  ont  enlevé  cent  mille  grains  de  sable 
Dans  le  temps  qu'une  seule  employa  pour  un  grain. 


XXI 


TROP    PEU    D'OUVRIERS 


Tous  les  soufTrants,  de  tous  les  côtés  rassemblés, 
Plaintifs  et  plus  nombreux  que  des  épis  de  blés, 
L'imploraient  en  disant  :  «  Parle-nous  ta  parole  !  » 
Pour  chacun, il  trouvait  le  doux  mot  qui  console. 
Mais  ils  venaient  en  foule,  et  ne  sufflsant  pas 
A  consoler  tous  ceux  qui  marchaient  dans  ses  pas, 
Lui,  s'arrêtait,  pleurant  sur  la  misère  humaine. 
Et  tous  ces  malheureux  se  couchaient  dans  la  plaine, 


94  JESUS. 

Languissants  et  pareils  aux  troupeaux  sans  pasteur. 

Alors  il  s'écria,  debout  sur  la  hauteur  : 

«  Arrête-toi,  Seigneur,  qui  jettes  la  semence  ! 

J'ai  trop  peu  d'ouvriers  pour  ma  moisson  immense,  » 


XXII 


LES  COLOMBES 


Et  Jésus,  qui  blâmait  la  Loi,  fit  un  exemple. 
Devant  les  faux  docteurs  surpris  et  consternés... 
Il  vit  un  nouveau-né  qu'on  apportait  au  temple  : 
On  consacrait  à  Dieu  les  mâles  nouveau-nés; 

Et  l'on  sacrifiait  alors  deux  tourterelles 

Dont  le  sang  pur  coulait  sur  l'autel  tristement. 

Et  Jésus  les  saisit  et  délia  leurs  ailes 

En  s'écriant  :  «  Le  Dieu  que  j'annonce  est  aimant! 


96  JÉSUS. 

«  Croyez-vous  qu'il  se  plaise  aux  douleurs  des  victimes? 
0  race  de  serpents  !  descendants  de  Gain  ! 
Je  vous  dis  que  le  ciel  est  lassé  de  vos  crimes 
Et  qu'il  vient  délivrer  l'innocent  par  ma  main  ! 

«  Jérusalem  !  ô  ville  horrible,  qui  lapides 

Tes  prophètes,  et  qui  tortures  l'innocent  ! 

Je  viens  sauver  les  doux,  défendre  les  timides... 

Dieu  ne  veut  pas  de  haine  et  ne  veut  plus  de  sang. 

«  Or,  vous  ne  m'aurez  pas  toujours...  Venez  en  foule, 
Je  veux  fonder  l'amour  ;  entrez  dans  mes  desseins  ; 
Je  veux  vous  rassembler  en  moi,  comme  la  poule, 
Chaque  soir,  sous  son  aile,  assemble  ses  poussins  1  » 

Il  parlait,  incompris  par  le  prêtre  farouche 
Qui  savait  égorger  les  ramiers  sans  remord. 
Et  qui,  la  rage  au  cœur,  l'injure  sur  la  bouche, 
S'écartait  de  sa  route  en  méditant  sa  mort. 


XXIII 


LA  BARQUE  ENGRAVÉE 


Or,  il  vit  des  pêcheurs  qui,  les  pieds  dans  le  sable, 
S'efforçaient  d'entraîner  leur  barque  dans  la  mer, 
La  poussant  par  l'arrière  ou  tirant  sur  le  câble, 
Tandis  qu'elle  semblait  scellée  avec  du  fer. 

«  Nous  aurons  vent  contraire  1  »  Et,  parmi  leurs  blasphèmes, 
Lui  s'avança  paisible  et,  saisissant  l'avant, 
Comme  un  bœuf  à  l'araire  il  tira  plus  qu'eux-mêmes, 
Et  la  barque  partit,  le  flot  la  soulevant. 


98  JESUS. 

Et  comme  ils  connaissaient  sa  parole  divine, 
Ils  furent  tous  émus  de  sa  simplicité^ 
Et  sentirent  l'amour  entrer  dans  leur  poitrine, 
Avec  le  vent  joyeux  qui  vint  du  bon  côté. 


XXIV 


LA    PROUE 


Tout  un  peuple,  nombreux  comme  les  grains  de  sable, 
Sur  le  rivage  blanc,  par  un  matin  très  clair, 
Dans  l'espoir  d'écouter  son  verbe  impérissable, 
Le  pressait,  le  portait,  houleux  comme  la  mer. 

Une  barque  était  là,  tirée  à  terre,  vide. 
Il  y  monta,  tourné  vers  les  grands  flots  humains. 
Et,  debout  sur  la  proue,  à  cette  foule  avide 
11  parlait  sa  parole  en  élevant  les  mains. 


100  JÉSUS. 

Derrière  lui  l'aurore  éclatait,  —  et  les  âmes 
Croyaient  voir  s'avancer,  du  fond  du  gouffre  bleu, 
Un  bateau  de  secours  auréolé  de  flammes. 
Et  la  proue  était  blanche  et  représentait  Dieu. 


XXV 


IL    COMMANDE   AUX   TEMPÊTES 


Or  vous  vous  tourmentez  pour  bien  des  choses  vaines  ; 
La  vie  est  plus  heureuse  à  qui  désire  moins  ; 
Le  monde  est  une  mer  troublée,  amours  et  haines, 
Et  je  porte  avec  moi  la  paix.  Soyez  témoins. 

Vos  folles  passions,  c'est  la  mer  soulevée, 

Et  vous  luttez  contre  elle  avec  beaucoup  de  mal  ; 

Mais  la  barque,  où  je  suis  près  de  vous,  est  sauvée. 

Car  les  flots  tourmentés  tombent  à  mon  signal. 

6. 


102  JESUS. 

Je  sais,  pour  apaiser  les  flots,  des  mots  suprêmes  : 
Ayez  l'âme  des  lys  ou  l'âme  des  oiseaux  ; 
Donnez-moi  votre  main,  ayez  foi  dans  vous-mêmes, 
Et  vous  saurez  marcher  comme  moi  sur  les  eaux. 


XXVI 


L'INFINI  MIRACLE 


Ses  sœurs  le  cherchaient,  et  Marie, 
Toujours  craintive  d'un  danger, 
Toujours  prête  à  la  gronderie, 
Disait  :  «  A-t-il  de  quoi  manger?  » 

Le  peuple  autour  de  lui  fourmille, 
Implorant  les  mots  guérisseurs. 
On  lui  dit  :  «  Voici  ta  famille  ; 
Ta  mère  approche  avec  tes  sœurs.  » 


104  JESUS. 

—  «  Mes  frères,  mes  sœurs  et  ma  mère, 
Dit-il  au  peuple,  c'est  vous  tous  ; 
La  vie  est  une  plante  amère, 
Mais  le  miel  de  ma  ruche  est  doux. 

«  Je  suis  la  tendresse  promise  ; 
Sur  vos  maux  je  viens  me  pencher  ; 
Et  je  suis  plus  grand  que  Moïse 
Qui  fit  jaillir  l'eau  du  rocher  : 

«  C'est  la  dureté  des  cœurs  même 
Que  je  frappe,  et  l'amour  en  sort; 
Le  ciel  est  en  nous  lorsqu'on  aime...^ 
L'amour  est  plus  fort  que  la  mort. 

«  Possédés  d'orgueil  et  de  haine, 
Je  chasse  de  vous  ces  démons. 
J'apporte  la  tendresse  humaine  : 
Nous  avons  Dieu  quand  nous  aimons. 


L'INFINI  MIRACLE.  105 

«  Buvez  à  ma  source  d'eau  vive, 
Car  je  sauve  celui  qui  croit. 
Votre  esprit  boite  ?  qu'il  me  suive  : 
11  saura  marcher  vite  et  droit. 

«  Votre  cœur  est  sourd?  qu'il  m'entende  1 
Muet?  qu'il  parle.  Renaissez  ! 
Frappez  :  ma  porte  s'ouvre  grande. 
Reposez  sur  moi,  cœurs  lassés  I 

«  Levez-vous,  ô  paralytiques, 
Marchez,  emportez  votre  lit  !  » 
...  Et  dans  la  joie  et  les  cantiques 
Le  monde  inQrme  tressaillit  1 

—  «  Un  aveuglement  les  égare  ; 
Us  t'ont  mis  sous  terre  vivant... 
Lazare,  Lazare,  Lazare, 
Lève-toi!  Marche  mieux  qu'avant.  » 


106  JESUS. 

Et  l'esprit  humain  se  redresse 
Et  quitte,  plus  fort  et  plus  beau, 
Au  grand  appel  de  la  tendresse. 
Les  bandelettes  du  tombeau. 

0  temps  d'allégresse  première 
Où  l'aveugle  des  grands  chemins 
Se  voyait  rempli  de  lumière 
Quand  Jésus  élevait  les  mains  ! 


XXVII 


LES   PETITS   ENFANTS 


«  Je  suis  la  paix,  l'amour,  et  mon  règne  commence,  » 
Disait-il,  et  tous  les  souffrants  suivaient  ses  pas... 
Comme  il  était  pressé  par  une  foule  immense, 
Les  enfants,  qui  voulaient  le  voir,  ne  pouvaient  pas. 

Les  disciples  disaient  «  Laissez  passer  le  Maître  I  » 
Et  plusieurs  éloignaient  les  gens  avec  leur  main, 
Et  les  petits  enfants  qui  voulaient  le  connaître 
Se  trouvaient  écartés  aussi  de  son  chemin. 


( 


108  JÉSUS. 

Les  mères  tout  à  coup  sentaient  leur  main  lâchée 
Par  le  petit  garçon  et  sa  petite  sœur, 
Et  les  enfants,  grimpant  sur  l'arbre  de  Zachée, 
Regardaient  de  là-haut  l'Homme  de  la  douceur. 

Quelques-uns  à  cheval  sur  le  cou  d'un  bon  père, 
Et  d'autres  sur  le  bras  de  leur  mère  et  pleurant, 
Tous  voulaient  voir  Celui  qui  disait  :  «  Peuple,  espère  !  » 
...  Ils  le  sentaient  si  près  de  leur  cœur,  quoique  grand  ! 

Et  Jésus,  très  fâché  de  voir  qu'on  les  repousse  : 
«  Laissez  venir  à  moi  tous  ces  petits  enfants... 
Ceux-là  seuls  qui,  comme  eux,  ont  l'âme  pure  et  douce, 
Au  royaume  du  Père  entreront  triomphants. 

«  Et  malheur  à  qui  met  un  trouble  dans  leurs  âmes  î 
S'il  n'est  pas  criminel  ou  stupide,  il  est  fou! 
Il  vaudrait  mieuxpour  Inique,  maudit  parles  femmes, 
On  le  jette  à  la  mer  avec  la  pierre  au  cou! 


LES    PETITS    ENFANTS.  100 


«  Car  ces  petits  cœurs-là,  c'est  la  source  profonde 
Qui  sera  fleuve,  et  court  vers  des  lieux  ignorés. 
N'oubliez  pas  qu'ils  sont  l'espérance  du  monde, 
Et  l'avenir  sera  ce  que  vous  les  ferez.  » 

Il  écarta  la  foule,  et,  foule  plus  petite, 
Des  centaines  d'enfants  accouraient,  tout  joyeux, 
Recevant  dans  leur  cœur,  où  l'avenir  palpite, 
La  bénédiction  qui  tombait  de  ses  yeux. 

Sa  main,  sa  belle  main  légère,  les  caresse, 
Passant  avec  douceur  sur  leurs  longs  cheveux  bruns; 
11  donne  à  tous  sa  paix,  et  la  même  tendresse... 
Et  pourtant  son  regard  s'arrête  à  quelques-uns. 

II voudrait  à  chacun  parler  selon  leurs  âmes; 
Il  les  baptise  en  lui  de  paix,  d'espoir,  de  feu, 
Surtout  les  plus  petits,  nichés  au  sein  des  femmes, 
Oiseaux  à  peine  éclos  des  mystères  de  Dieu. 


liO  JliSUS. 

Il  les  attire  tous  dans  sa  tiède  pensée, 

Comme  la  poule  prend  sous  l'aile  ses  poussins, 

Et  les  garde,  nichée  incertaine  et  pressée, 

Un  instant  au  berceau  de  ses  profonds  desseins. 

Tous  passent  un  instant  dans  cette  âme  féconde. 
Et  tous  l'aiment,  sentant  que  tous  ils  lui  sont  chers, 
Et  le  Dieu  porte  ainsi  tout  l'avenir  du  monde 
Dans  son  cœur  maternel  qui  refait  l'univers. 


XXVIII 


LES    COMMÉRAGES 


t 


Il  revint  au  pays,  et,  devant  ses  discours, 
Les  gens  de  Nazareth  même  et  des  alentours, 
Étonnés,  se  disaient  :  —  «  Il  parle  comme  un  ange. 
Et  cependant  il  est  d'ici  !  c'est  bien  étrange  ! 
Son  père  n'est-il  pas  Joseph  le  charpentier 
Dont,  tout  jeune,  il  apprit  assez  mal  le  métier? 
...  Bon  Joseph,  faible  en  tout,  même  en  charpenterie I 
lit  sa  mère... 

—  Allons  donc? 

—  Mon  Dieu,  oui,  c'est  Marie' 


112  JESUS. 

—  Quoi  !  celle  que  Joseph  retusa  tout  d'abord? 

—  Oui 

—  Ah  I  je  me  souviens I  Certe  I  il  n  avait  pas  tort. 

—  Jacques,  Joseph,  Simon  et  Jude... 

—  Oui,  des  drôles  1... 

—  ...  Sont  ses  frères.  - 

—  Tu  dis? 

—  Je  hausse  les  épaules! 

—  Ces  gaillards  font  les  fiers  1...  Leur  Jésus  n'est  qu'un  fou, 

—  Ses  sœurs  ont  un  orgueil  I... 

—  Et  ça  n'a  pas  le  sou  ! 

Et  Celui  qui  marchait  vers  la  croix  triomphale 
Était  dans  son  village  un  sujet  de  scandale. 


XXIX 


LA   FEMME 


Cherchez  l'éternel,  môme  en  l'amour  éphémère; 
Prenez  garde  à  la  femme,  aux  chaînes  de  ses  mains  ; 
Ses  lourds  cheveux  sont  des  liens;  elle  est  amère 
Comme  la  mort.  Veillez,  6  faibles  cœurs  humains. 

Certains  hommes  sont  nés  sans  la  puissance  d'homme; 
D'autres  sont  mutilés  en  arrivant  au  jour; 
D'autres,  cherchant  la  loi  de  Celui  que  tout  nomme, 
Oublîront  les  amours  pour  mieux  trouver  l'amour. 


114  JÉSUS. 

Amis,  la  chair  est  faible  ;  elle  est  aisément  lâche 
Quand  la  femme  l'appelle  et  lui  dit  :  «  Reste  là  I  » 
Samson  était  marqué  pour  une  grande  tâche  : 
Prenez  garde  aux  ciseaux  des  sœurs  de  Dalila  ! 

Vous  abandonnerez  cependant  mère  et  père, 
0  chastes  épousés,  pour  ne  faire  qu'un  seul, 
Puis  de  vous  sortira  l'avenir  qu'on  espère, 
Puis  Dieu  vous  roulera  dans  le  même  linceul. 


XXX 


LA    SAMARITAINE 


LA   SAMARITAINE. 

Étranger,  que  fais-tu  près  de  cette  fontaine, 
Assis  et  tout  poudreux  sur  le  bord  du  chemin? 

JÉSUS. 

Fais-moi  boire. 

LA   SAMARITAINE. 

Seigneur,  je  suis  Samaritaine... 
Et  lu  veux  de  cette  eau  que  va  puiser  ma  main  i 
Les  Juifs  n'ont  pas  commerce  avec  ceux  de  ma  race. 


H6  JÉSUS. 

JÉSUS. 

Si  tu  savais  quel  don  j'apporte,  qui  je  suis, 
Qui  te  parle,  c'est  toi  peut-être  qui,  par  grâce, 
Demanderais  un  peu  d'eau  vive  de  mon  puits. 

LA   SAMARITAINE. 

Comment  puiserais-tu  ?  la  fontaine  est  profonde  ; 
Tu  n'as  rien  pour  puiser;  tu  te  tiens  en  repos... 
Es-tu  plus  que  Jacob?...  Il  a  bu  de  cette  onde 
Où  ses  enfants  et  lui  conduisaient  leurs  troupeaux 

JÉSUS. 

On  aura  soif  encor,  douce  Samaritaine, 
Quand  on  boit  de  cette  eau,  calme  comme  le  ciel  ; 
Mais  celui  qui,  lassé,  s'abreuve  à  ma  fontaine, 
Il  garde  en  lui  la  source  et  le  calme  éternel. 


XXXI 


MARIE-MAGDELEINE 


Quand  Magdeleineappritqu'un  jeune  homme  à  l'œil  clair, 
Simple  et  beau,  soumettait  le  peuple  à  sa  parole, 
Ayant  rêvé  longtemps  de  lui,  la  vierge  folle 
Désira  le  soumettre  à  ses  charmes  d'enfer. 

L'orgueil  seul,  son  orgueil  naïf  de  fille  d'Eve, 

L'inspirait,  —  et,  voulant  se  mesurer  au  Dieu, 

Elle  partit,  le  cœur  brûlant,  la  joue  en  feu. 

Elle  vint  à  celui  qu'elle  admirait  en  rêve. 

7. 


118  JÉSUS. 

Elle  comptait  bien  faire,  avec  des  cheveux  blonds, 
Un  câble  pour  lier  ses  pieds,  ses  mains,  son  âme... 
Le  vainqueur  de  Satan  vaincra-t-il  une  femme? 
Et,  tremblante  d'orgueil,  elle  murmure:  Allons! 

Elle  vint.  —  «  0  Seigneur,  lui  dit-elle  inclinée, 
Laisse  mes  doux  parfums  couler  sur  tes  pieds  nus  !  » 
Et,  menteuse,  elle  prit  des  regards  ingénus, 
Mais  son  âme  au  dedans  ne  s'était  pas  donnée. 

Le  Dieu,  calme,  sourit  au  mensonge  banal, 
Et,  triste,  il  la  laissa,  recevant  comme  on  donne, 
Verser  l'ambre  et  le  nard  sur  la  chair  qui  frissonne. 
Mais  l'esprit  disait  :  «  Dieu,  préservez-nous  du  mal  ! 

«  Qu'elle  s'élève  à  moi  par  la  tendresse  entière. 
Celle  qui  vient  à  moi  pour  l'amour  sensuel  ; 
Tous  les  chemins  d'en  bas  conduiront  à  mon  ciel. 
Puisque  l'âme  est  par  vous  liée  à  la  matière.  » 


MARIE-MAGDELEINE.  H9 

El,  dominant  sa  peine  et  les  frissons  nerveux 
Qui  couraient  sur  ses  pieds  avec  la  chaude  haleine, 
.  Jésus  soufflait  son  rêve  au  cœur  de  Magdeleine 
Qui,  lente,  dénouait  pour  lui  ses  grands  cheveux. 

En  vain  elle  écrasa  sur  les  pieds  nus  sa  bouche, 
Les  baisant,  les  mordant  des  talons  à  l'orteil. 
Lui,  songeait,  l'œil  au  ciel,  tourné  vers  le  soleil  : 
«  Sauvons  ce  cœur  captif  dans  la  chair  qui  me  touche  !  » 

Et  les  beaux  pieds  du  Dieu,  sous  le  baiser  charnel. 
Rayonnaient  vers  le  front  de  la  femme  abaissée, 
Qui  dit  enfin,  debout  et  droite  de  pensée  : 
«  Pardon!  je  t'aimerai.  Seigneur,  dans  l'éternel I  » 


XXXIl 


MARTHE   ET   MARIE 


Elles  étaient  deux  sœurs,  Marthe  aux  cheveux  châtains, 
Et  Marie  aux  yeux  clairs,  plus  jeune,  rose  et  blonde, 
Et  Celui  qui  devait  léguer  l'amour  au  monde 
Était  le  guide  sûr  de  ces  cœurs  incertains. 

Marthe,  tout  orgueilleuse,  était  la  ménagère, 
Les  soins  et  les  soucis  donnant  l'autorité. 
L'autre,  offrant  un  secours  chaque  fois  écarté, 
Dans  sa  propre  maison  semblait  une  étrangère. 


122  JÉSUS. 

Or  Marthe  ayant  reçu  Jésus  dans  sa  maison, 
Marie,  aux  pieds  du  Maître  assise,  écoute  et  songe, 
Et  lui,  par  des  discours  qu'elle-même  prolonge. 
Forme  attentivement  sa  naïve  raison. 

—  «  Maître,  dis-moi,  crois-tu  que  mon  âme  est  gâtée? 
C'est  ta  brebis  perdue?...  Oh!  si  c'était  cela, 
Je  la  ferais  pour  toi  légère....  porte-la!  » 
Et  sans  fin  elle  boit  la  parole  écoutée. 

Il  aime  mieux  Marie  et  le  bleu  de  ses  yeux, 

Ses  cheveux  blonds  et  lourds,  tels  que  des  moissons  mOrcs, 

Sa  lèvre  où  la  parole  a  de  si  frais  murmures 

Et  son  sourcil  pareil  au  croissant  d'or  des  cieux. 

Marthe,  le  ton  grondeur,  le  visage  un  peu  sombre, 
Jalouse  quand  sa  sœur  veut  sa  part  de  travail, 
Maîtresse  en  tout,  s'acharne  au  plus  petit  détail, 
Comptant  sans  fin  des  plats  dont  elle  sait  le  nombre. 


MARTHE    ET    MARIE.  123 


—  «  Oh  !  Maître,  dit  Marie,  oh  !  que  tu  parles  bien 
Des  lys  vêtus  de  soie  et  des  douces  colombes  I 
Dis-moi,  tu  seras  là,  quand  s'ouvriront  les  tombes? 
Alors,  si  je  te  vois,  je  ne  craindrai  plus  rien  !  » 

Un  jour,  tournant  les  yeux  vers  sa  blonde  cadette. 
Irritée  à  la  voir  se  plaire  aux  chers  discours  : 

—  «  Tu  ne  fais  rien,  quand  moi  je  travaille  toujours! 
Dit  Marthe.  Il  serait  temps  de  me  payer  ta  dette.  » 

—  «  Viens  écouter  comme  elle  et  te  repose  un  peu,  » 

Dit  Jésus.  —  u  Commandez,  dit  Marthe,  qu'elle  m'aide!  » 

Or  l'irritation  la  fit  paraître  laide. 

Et  par  l'entêtement  elle  déplut  au  Dieu. 

—  «  Marthe,  Marthe,  dit-il,  laisse  ta  pauvre  tâche  ; 
Ta  sœur  veut  bien  la  faire  et  tu  m'écouteras...  » 
Mais  Marthe  répondit  :  «  J'aime  occuper  mes  bras. 

Ma  maison  est  trop  grande  et  mon  cœurn'est  point  lâche.  » 


124  JÉSUS. 

Voyant  son  injustice,  il  répondit  encor  : 

—  «  La  part  que  se  choisit  Marie  est  la  meilleure.  » 
Et  tandis  que,  tout  bas,  la  petite  sœur  pleure, 
Jésus,  posant  sa  main  sur  les  beaux  cheveux  d'or  : 

—  «  Cette  meilleure  part  ne  peut  plus  être  ôtée 

A  l'enfant  qui  me  cherche  et  qui  veut  mes  leçons...  » 
Et,  pensive,  Marie,  avec  de  doux  frissons, 
Boit,  les  yeux  sur  Jésus,  la  parole  écoutée. 


XXXIII 


L'INSCRIPTION  SUR  LA  TERRE 


Lorsqu'on  vint  lui  parler  de  la  femme  adultère. 
Avant  d'éterniser,  par  un  mot  de  son  cœur, 
La  suave  indulgence  et  le  pardon  vainqueur, 
Il  traça  de  son  doigt  des  signes  sur  la  terre. 

Courbé  vers  le  limon  d'où  l'homme  fut  tiré, 
Que  traçait-il  à  terre  avec  son  doigt  sublime  ? 
Ilésitait-il  encore  à  pardonner  ce  crime? 
Cherchait-il  à  parfaire  un  mot,  le  mot  sacré? 


126  JÉSUS. 

La  femme  qu'on  avait  surprise  à  demi  nue, 
Demeurait  là,  debout,  triste  et  baissant  les  yeux, 
Muette,  à  regarder  l'homme  mystérieux 
Qui  traçait  sur  le  sol  une  chose  inconnue. 

—  «  Celui  qui  d'entre  vous  se  trouve  sans  péchô 
Lui  jette  la  première  pierre  !  »  dit  le  Maître. 
Puis,  se  baissant  encore,  il  refit,  lettre  à  lettre. 
Ce  qu'il  traçait  du  doigt,  à  genoux  et  penché. 

Pourquoi  les  laisse-t-il,  sans  parler  davantage. 
Tous  ces  Pharisiens  au  sourire  hideux  ? 
Pourquoi  la  laisse-t-il  souffrir  au  milieu  d'eux, 
Pâle  et  debout,  le  sang  de  la  honte  au  visage? 

Ils  partirent,  voyant  qu'il  écrivait  toujours  ; 
Elle  resta,  sans  qu'il  parût  y  prendre  garde. 
Qu'attend-elle  de  lui,  l'âme  qui  le  regarde? 
Écrit-il  son  dégoût  des  terrestres  amours? 


l'inscription    sur    la   terre.  127 

S'il  écrit  sur  la  terre,  ah  !  c'est  que  notre  terre, 
Qui  nourrit  les  vivants  et  se  nourrit  des  morts. 
Lourde  origine,  impose  à  la  chair  sans  remords 
Le  baiser,  redoutable  et  beau  comme  un  mystère  ! 

C'est  qu'elle  est  toute  cause  et  toute  excuse  en  nous, 
Comme  nous  à  la  fois  chose  infime  et  sublime; 
L'eau  du  ciel  l'alourdit  mais  un  rayon  l'anime  : 
C'est  pourquoi,  sur  la  terre,  il  écrit  à  genoux... 

Et  ce  qu'il  confiait  à  l'éternelle  argile. 
C'est  l'éternel  pardon  que  répandaient  ses  mains; 
Dans  la  terre  qu'il  creuse,  il  met  tout  l'Évangile, 
Pour  que  le  sol  lui-même  en  parle  aux  pieds  humains; 

Pour  que,  par  nos  talons,  le  sol,  argile  ou  sable. 
En  tremblant  nous  l'envoie  au  cœur  et  sous  le  front, 
Et  qu'éternellement,  dans  tous  ceux  qui  naîtront. 
Ce  qui  périt  ressente  un  verbe  impérissable. 


128  JÉSUS. 

Et  seul  avec  la  femme,  il  dit,  se  relevant  :• 
«  Vous  a-t-on  condamnée?  » 

Elle  dit  :  Non  ! 

—  «  0  femme, 
Je  ne  condamne  pas  non  plus  !  Paix  à  votre  âme  !  » 

Alors  elle  partit,  consolée  et  rêvant... 


XXXIV 


LE   BOEUF 


Comme  il  passait  au  bord  d'un  champ  où,  tête  basse, 
Un  bœuf  tirait  l'araire  et  creusait  des  sillons» 
Un  instant  II  rêva,  l'œil  fixé  sur  sa  trace, 
Puis,  ouvrant  les  deux  mains,  Il  sema  des  rayons. 

Et  songeant  au  bon  grain,  à  l'ivraie,  au  mystère. 
L'homme  que  le  travail  des  hommes  attendrit. 
Bénit  l'humble  animal  qui  labourait  la  terre. 
En  murmurant  :  «  Le  pain  du  corps  soutient  l'esprit.  * 


XXXV 


L'ANE 


Or  comme  il  cheminait  en  suivant  son  beau  songe, 
Sous  un  frôle  olivier,  tout  au  bord  du  chemin, 
Un  vieil  âne  pelé,  qui  tirait  sur  sa  longe, 
Avançant  les  naseaux,  vint  effleurer  sa  main. 

Et  Jésus  s'arrêta,  songeant  à  cette  crèche 
Où  l'àne,  avec  le  bœuf,  l'accueillirent  enfant. 
Où  tous  deux,  à  genoux  dans  de  la  paille  tratche, 
Sur  ses  petits  bras  nub  suulUdient,  ie  réchauffant. 


132  JÉSUS. 

Longtemps  il  regarda  cette  humble  et  lourde  tête, 
Ces  poils  longs  et  rugueux,  ces  deux  gros  yeux  surpris, 
Puis  sa  main  caressa,  sur  les  flancs  de  la  bête, 
La  trace  du  bâton  qui  les  avait  meurtris. 

Vers  l'âne  enfin  Jésus  pencha  sa  face  auguste. 
Et  le  pauvre  animal,  se  mettant  à  trembler, 
Soufflait,  tout  haletant,  sur  les  lèvres  du  Juste, 
Ce  grand  soupir  des  cœurs  qui  ne  peuvent  parler. 


XXX  VI 


L'ARGILE 


De  tout  petits  enfants,  jouant  avec  l'argile, 
Façonnaient  gauchement  des  oiseaux  et  des  fleurs; 
Et,  s'arrêtant  près  d'eux,  l'homme  de  l'Evangile 
Songeait  :  «  Il  est  ici,  l'espoir  des  temps  meilleurs  ! 

«  En  façonnant  les  cœurs  d'enfants,  argile  molle, 
On  ferait  l'homme  bon  et  plus  beau,  sûrement...  » 
Et  Jésus  caressait  d'une  douce  parole 
Ceux  dont  pourrait  sortir  un  avenir  aimant. 


134  JÉSUS. 

Il  admirait  comment  leur  naïve  tendresse 
Accourt  au  moindre  appel,  tend  les  bras  et  sourit; 
Il  faut  que  la  leçon  leur  semble  une  caresse  ; 
C'est  grandir  notre  espoir  que  grandir  leur  esprit. 

—  «  Montre-moi  cet  oiseau,  laisse  que  je  l'achève  ; 
Lorsque  j'étais  petit,  j'en  faisais  de  pareils...  » 

Et  l'enfant,  tout  deboiit,  tendant  l'oiseau,  l'élève 
Vers  l'homme  bienveillant  qui  donne  des  conseils. 

Mais  quand  aux  mainsde  l'Homme  ilcherche  aie  reprendre, 
Tandis  que  ses  amis  se  pressent  à  l'entour. 
L'enfant  laisse  échapper  l'oiseau  d'argile  tendre 
Et  qui  s'écrase  aux  pieds  du  Prophète  d'amour. 

—  u  Oh  !  mon  oiseau  1  l'oiseau  que  j 'avais  f^it  moi-même  I 
Que  je  voulais  montrer  à  ma  mère  l  »>.  —  Il  pleurait 

Et  l'ouvrier  des  cœurs,  qui  savait  comme  on  aime,  ' 

Souffrait  avec  l'enfant  de  ce  louchant  regret. 


L'ARGILE.  135 

—  «  Fais-en  bien  vite  un  autre  I . . .  un  plus  j  oli  peut-être  !  » 
Et,  ses  deux  belles  mains  dans  un  limon  visqueux, 
Afin  que  les  petits  fussent  contents,  le  Maître 
S'était  assis  à  terre  et  jouait  avec  eux. 


XXXVII 


CHEZ   MARIE    MÈRE   DU    CHRIST 


UNE   VOISINE. 

Je  VOUS  plains!  cet  enfant  vous  met  en  grand  souci. 

MARIE. 

Et  cependant  il  a  l'âme  d'une  colombe  ! 

LA    VOISINE. 

Hélas  !  mais  il  en  a  les  deux  ailes  aussi  : 

Jamais  au  colombier!...  Nos  enfants,  c'est  ainsi... 

Il  vous  tourmentera  toujours,  jusqu'à  la  tombe. 

8. 


138  JESUS. 

MARIE. 

A  douze  ans,  il  faisait  aux  Scribes  la  leçon! 

LA   VOISINE. 

...  Le  mien  est  assidu  chez  un  maître  maçon. 
Le  vôtre  a  de  l'orgueil  ? 

MARIE. 

Oh  !  non  ! 

LA   VOISINE. 

Quel  est  son  âge 

MARIE. 

Trente  ans...  ce  cher  petit! 

LA    VOISINE. 

Et  ça  croit  tout  savoir\ 

MARIE. 

Mon  Dieu,  non  !  mais  beaucouiD  disent  que  c'est  un  sage. 


CHEZ    MARIE    MÈRE    DU    CHRIST.  139 

LA   VOISINE. 

Jean,  le  baptiste,  on  dit  qu'il  est  allé  le  voir?... 
Il  s'est  fait  baptiser? 

MARIE. 

Ça,  c'était  du  courage  : 
Voici  Jean  en  prison. 

LA  VOISINE. 

Vous  ne  savez  donc  rien  ? 
Il  est  mort. 

MARIE. 

Mort! 

LA  VOISINE. 

Hérode  a  fait  trancher  sa  tête. 
La  fille  de  la  reine  ayant  dansé  très  bien  : 
«  Que  veux-tu?  »  lui  dit-il.  La  réponse  était  prête. 
La  femme  du  létrarque  en  voulait  au  prophète 


140  JÉSUS. 

Qui  traita  son  second  mari  d'incestueux, 

Et  l'enfant  dit  au  roi  :  «  Je  sais  ce  que  je  veux  : 

Je  veux,  sur  un  plat  d'or,  la  tête  du  baptiste  !  » 

MARIE. 

C'est  effrayant,  cela  ! 

LA    VOISINE. 

N'est-ce  pas  que  c'est  triste? 

MARIE. 

Mon  fils  a  des  amis  vraiment  bien  dangereux  ! 

LA   VOISINE. 

Puisque  vous  comprenez  qu'un  danger  le  menace. 
Je  peux  vous  en  parler? 

MARIE. 

Que  savez- vous,  de  grâce? 

LA   VOISINE. 

Hérode,  ayant  appris  qu'avec  autorité 


CHEZ   MARIE    MÈUE    DU    CIIIUST.  141 

Voir»  fils  parle  au  peuple  et  qu'il  est  écouté, 
S'inquiète  de  lui...  Vous  serez  courageuse?... 
11  prêtent  que  Jésus,  c'est  Jean  ressuscité  1 

MARIE. 

Mon  Dieu  !  mon  Dieu  !  mon  Dieu!  que  je  suis  malheureuse! 

.l'ai  prévu  tout  cela  quand  il  était  petit. 

Voilà  bien  dix-huit  ans  au  moins  qu'il  n'a  rien  dit. 

Je  le  croyais  changé,  mais  nonl  Ce  grand  silence, 

('o  n'était  que  travail  et  longue  patience  ! 

.lo  le  vois  :  il  lisait  tout  ce  qui  fut  écrit. 

LA   VOISINE. 

Oui,  l'enfant,  qu'on  croyait  corrigé  —  recommence  ! 
Pauvre  femme!...  On  ne  voit  que  lui,  sur  les  chemins' 

MARIE. 

11  touche  des  lépreux  avec  ses  pauvres  mains  1 

LA  VOISINE. 

On  le  rencontre  avec  des  vagabonds,  des  filles  ! 


142  JÉSUS. 

MARIE. 

Il  dit  qu'on  doit  avoir  des  sentiments  humains  ? 
Je  le  sais... 

LA   VOISINE. 

Mais  on  doit  des  égards  aux  familles! 

MARIE. 

Mon  Dieu  !  mon  Dieu  !  comment  cela  finira-t-il  ? 
Hérode  est  irrité...  c'est  le  plus  grand  péril... 

LA   VOISINE. 

Et  les  Pharisiens,  les  grands  docteurs  du  Temple, 
Ont  droit  de  se  fâcher,  quand  il  leur  dit  :  «  La  Loi 
A  fait  son  temps  ;  pensez  et  prêchez  comme  moi  ! 
Moïse  n'est  plus  rien  !  c'est  moi  qui  suis  l'exemple, 
Le  seul  Maître  !  » 

MARIb:. 

Oh  I  mon  Dieu,  pourquoi,  mon  Dieu!  pourquoi 


CHEZ    MA'RIE    MÈRE    DU    CIUUST.  143 


Nos  fils,  devenus  grands,  nous  font-ils  tant  de  peine? 
...  Il  m'aime  bien,  pourtant  1 

Elle  s'agenouille. 

Dieu  juste,  éternel  Dieu, 
Ayez  pitié  de  moi,  Clémence  souveraine  1 

Jésus  parait  devant  elle. 

JÉSUS. 

Mère,  je  pars  encor  :  je  viens  vous  dire  adieu. 
Mes  amis  les  pêcheurs  m'ont  préparé  leur  barque  ; 
Je  dois  fuir  pour  un  temps  Hérode,  le  tétrarque. 
Je  pars. 

MARIE. 

0  mon  Jésus  !  ô  mon  fils  !  ô  mon  sang, 
Ma.  chair  !  —  je  vis  par  toi  dans  l'éternelle  crainte! 
J'ai  bien  souffert  de  toi  lorsque  j'étais  enceinte. 
J'ai  bien  souffert  encor  par  toi,  pauvre  innocent. 
Lorsqu'il  fallut  s'enfuir  au  désert,  sur  notre  âne  I 


144  JESUS. 

Mais  tu  n'y  pouvais  rien,  quand  tu  ne  savais  pas  ; 
Aujourd'hui,  tu  devrais  au  moins  parler  plus  bas  : 
Hérode  te  poursuit  I  Le  Temple  te  condamne  ! .. , 
Es-tu  sûr,  mon  Jésus,  d'avoir  raison  ? 

JÉSUS. 

Adieu, 

Ma  mère.  Vous  aussi  vous  ignorez  mon  âme. 
Nul  homme  n'est  si  loin  de  l'homme  —  que  la  femme. 
Ma  mission  commande  et  j'obéis  à  Dieu, 
Et  vous,  vous  ne  songez  qu'à  des  choses  humaines 
Hélas  1  de  tout  mon  cœur  j'ai  pitié  de  vos  peines, 
Mais  ne  puis  m'attarder  aux  humaines  amours. 
Pleurez,  car  vous  non  plus  ne  m'aurez  pas  toujours  ! 
Pleurez,  femme  :  je  dois  subir  toutes  les  haines; 
Pleurez  :  vos  pleurs  aussi  deviendront  un  secours. 
Moi,  j'ai  tout  à  souffrir  pour  consoler  la  terre. 
Et  si  vous  compreniez  je  souffrirais  bien  moins, 
Car  le  plus  grand  malheur  est  d'être  solitaire... 
Et  le  fond  de  mon  cœur  doit  rester  sans  témoins. 


CHEZ    MARIE    MÈRE    DU    CHRIST.  14i 


MARIE. 

Change  ta  volonté...  Tout  le  monde  te  blâme. 
Mon  reproche  est  si  doux...  il  te  semble  importun? 

JÉSUS. 

Hélas  !  ma  mère,  hélas  !  vous  n'êtes  qu'une  femme. 
Hélas!  femme,  entre  nous  qu'y  a-t-il  de  commun? 


I 


XXXVIII 


I 


LE   SOMMEIL 


L'homme  miraculeux  qui  portait  dans  son  âme 
Un  ciel  plus  constellé  que  les  ciels  de  la  nuit, 
Dans  son  cœur  un  soleil,  une  source  de  flamme, 
Et  dans  son  calme  esprit  la  vérité  qui  luit, 

L'homme  dont  la  tunique  était  faite  de  gloire. 
De  probité  candide  et  du  lin  le  plus  pur, 
Dont  la  parole  avait  le  poli  de  l'ivoire, 
L'éclat  du  croissant  clair  et  les  tons  de  l'azur, 


148  JÉSUS. 

Dont  chaque  mot  était  un  diamant  superbe 
Que  ramassaient,  courbés,  les  pauvres  en  haillons. 
Celui  dont  chaque  pas  faisait  des  fleurs  dans  l'herbe 
Et  dont  les  yeux  jetaient  aux  âmes  des  rayons, 

Comme  la  nuit  tombait  sur  l'homme  de  lumière, 
Cet  homme,  pauvre  et  seul,  dont  le  cœur  était  dieu, 
S'étant  baissé,  chercha  vainement  une  pierre 
Pour  y  poser  sa  tête  et  s'endormir  un  peu. 


,     XXXIX 


LE   TRIOMPHE 


Or,  comme,  sur  un  âne,  Il  venait  vers  la  ville  : 
«  Le  voici  I  Le  voici  !  »  crièrent  les  enfants. 
L'esprit  d'amour  grandit  la  multitude  vile, 
Et,  tous  en  un,  les  cœurs  se  gonflaient,  triomphants. 

—  «  Déroulons  les  tapis  d'honneur  dans  la  poussière» 
Jetons  devant  ses  pas  des  parfums  et  des  fleurs  I  » 
Et  les  grands,  les  petits,  les  vieux,  la  foule  entière. 
Sentaient  le  cœur  d'un  seul  plus  grand  que  tous  les  leurs. 


ISO  JESUS. 

Au-dessus  de  sa  tête  on  balançait  des  palmes  ; 
Des  riches  étalaient  sous  ses  pieds  leurs  manteaux, 
Et  lui  passait,  un  pur  rayon  dans  ses  yeux  calmes 
Que  la  simplicité  du  cœur  faisait  si  beaux. 

Et  des  marchands  et  des  soldats  venus  de  Rome 
Disaient  :  «  L'ambition  illumine  son  œil  ; 
Cet  homme  sera  roi.  Qu'on  surveille  cet  homme 
Qui  provoque  déjà  les  pompes  de  l'orgueil  !  » 

Mais  Jésus,  faisant  halte  à  Tombre  d'un  platane, 
Et  souriant  :  —  «  Mes  bons  amis,  vous  jugez  mal  : 
Celui  qui  foule  aux  pieds  vos  tapis  —  c'est  mon  âne! 
Je  n'en  suis  pas  plus  fier  que  ce  doux  animal. 

«  Et  je  laisse  partout  flotter  vos  oriflammes, 
Vos  tapis  s'étaler,  vos  fleurs  embaumer  l'air. 
Parce  qu'il  faut  encore  un  signe  aux  pauvres  âmes  : 
Ma  parole  est  esprit;  votre  oreille  est  de  chair. 


LE   TRIOMPHE.  i61 


«  Si  j'avais  quelque  orgueil,  ce  serait  de  moi-même; 
Je  ne  crains  pas  pour  moi  ces  vains  honneurs  d'un  j  our, 
Mais  j'aime  à  voir,  par  moi,  dans  un  orgueil  que  j'aime, 
Dix  mille  cœurs  unis  ne  faire  qu'un  amour... 

«  Pour  triompher,  mon  rêve,  au  niveau  de  ma  tête, 
Prend,  sensible  à  vos  yeux,  l'éclat  matériel, 
Mais  j'ai  mis  les  honneurs  sous  les  pieds  d'une  bête 
Et  mon  cœur  va  plus  haut  que  les  oiseaux  du  ciel.  » 


XL 


I 


SUR    LE    PARVIS    DU  TEMPLE 


UI»r   PHARISIEN. 

Vous  l'avez  entendu? 

UN  SCRIBE. 

Comme  Dieu  nous  entend. 

LE   PHARISIEN. 

Et  que  disait  le  peuple? 

LE   SCRIBE. 

11  paraissait  content. 
9. 


154  JÉSUS. 

LE   PHARISIEN. 

Avez-vous  retenu  sa  harangue  ? 

LE   SCRIBE. 

Oui,  parbnlDes... 
La  voici  donc.  Écoutez-la  : 

.  «  Les  Pharisiens  et  les  Scribes 
Sont  assis  dans  la  chaire  où  Moïse  parla, 
Mais  je  ne  puis  en  eux  respecter  que  cela. 
...  Ils  mettent  sur  le  dos  de  l'homme 
Qui,  plié,  ne  peut  plus  marcher, 
Des  fardeaux  de  bêtes  de  somme, 
Mais  ils  n'y  voudraient  pas  toucher  I  » 

LE   PnARISIE.N. 

C'est  prêcher  la  révolte  ! 

LE  SCRIBE. 

Oh  !  ce  n'est  rien  encore  : 
...  «  Que  leur  fait  la  vertu,  pourvu  qu'on  les  honore? 


SUR    LE    PARVIS    DU    TEMPLE.  15» 


Ils  écrivent  la  Loi  sur  de  gros  parchemins, 

Mais  l'esprit  de  la  Loi  n'entre  pas  dans  leur  âme, 

Avant  chaque  repas  ils  se  lavent  les  mains, 

Mais  c'est  l'impureté  de  leur  cœur  —  que  je  blâme. 

Ils  veulent  être  bien  placés  dans  les  repas  ; 

Tout  leur  désir  est  de  paraître  ! 

Pourvu  qu'on  les  appelle  :  «  Maître  !  » 
Dieu,  — seul  maître  des  cœurs, — ne  leur  importe  pas .  » 

LE  -PHARISIEN. 

C'est  affreux  ! 

LE  SCRIBE. 

Attendez  I  • 

LE  PUARISIEN. 

Par  le  Temple  !  Je  rêve  I 

LE  SCRIBE. 

...  «  Vous  n'avez  qu'un  docteur,  et  c'est  moi  ce  docteur  I 
Le  plus  grand  ne  sera  que  votre  serviteur; 


1S6  JÉSUS. 

J'abaisse  celui  qui  s'élève, 
Et  je  relèverai  ceux  qui  sont  abaissés  1  » 

LE   PHARISIEN. 

C'est  infâme  !...  Ce  sont  des  propos  insensés. 

LE  SCRIBE. 

Il  y  a  mieux  encore.  Écoutez-moi  la  suite: 
«  Pharisiens,  malheur  à  vous,  race  hypocrite! 
Vous  priez  à  grand  bruit  sur  les  parvis  sacrés, 
Mais,  fiers  de  vos  manteaux  dorés  aux  franges  neuves, 
Tout  en  priant,  vous  dévorez 
L'obole  et  la  maison  des  veuves  ! 
Malheur  à  vous  !  car  Dieu  vous  regarde  irrité  I 


Vous  qui,  tout  en  payant  la  dîme, 
Encouragez  le  crime, 
Négligents  de  justice  et  de  fidélité... 


LE   PHARISIEN. 

Abomination!  nous  allons  à  l'abîme 


SUR    I.E    PARVIS    DU    TEMPLE.  157 


Je  ne  vois  plus  pour  nous  nulle  sécurité 
Tant  qu'on  n'arrête  pas  ce  parleur  redoutable. 

LE   SCRIBE. 

—  «  0  sépulcres  blanchis,  vous  êtes  au  dehors, 
Disait-il  en  criant,  —  d'une  blancheur  aimable. 
Mais  pleins  de  pourriture  et  d'ossements  de  morts! 
Oui,  vous  rebâtissez  les  tombeaux  des  Prophètes, 
Mais  qui  les  a  tués,  si  ce  n'est  vos  aïeux? 

Ce  qu'ils  firent^  vous  le  refaites  : 
Vous  versez  le  sang  le  plus  précieux  I 

0  serpents,  race  de  vipères! 

Meurtriers,  dignes  de  vos  pères, 
Car  vous  tûrez  encor,  toujours,  ceux  qui  viendront, 
Jusqu'à  ce  que  retombe  enfin  sur  votre  front 
Tout  le  sang  généreux  répandu  sur  la  terre  I  » 

LE   PHARISIEN. 

Il  a  dit  tout  cela?  Comment  le  faire  taire? 


m  JÉSUS. 


LE    SCRIBE. 


On  pourrait  le  livrer  aux  juges.  Songez  donc. 
Il  remet  les  péchés  1  C'est  en  Dieu  qu'il  se  pose, 
Avec  ces  mots  nouveaux  d'amour  et  de  pardon! 
Jéhovah  Sabaoth  n'est  donc  plus  assez  bon? 

LE   PHARISIEN. 

Il  tente  de  guérir  —  par  ses  mains  qu'il  impose. 
Il  blâme  hautement  le  divorce... 

LE  SCRIBE. 

Autre  chose  : 
Il  se  rit  du  Sabbat  :  hier,  tout  en  marchant, 
Ses  disciples  cueillaient  des  épis  dans  un  champ. 
C'était  jour  de  Sabbat  !  On  en  fît  la  remarque  ; 
Mais  lui,  montant,  au  bord  du  lac,  dans  une  barque, 
Avec  un  très  malin  sourire  nous  parla  : 
«  Votre  âne  et  votre  bœuf  ont-ils  soif  ce  jour-là? 
Dit-il.  N'oubliez  pas  de  leur  donner  à  boire  !  » 


SUR    LE    PARVIS    DU    TEMPLE.  !59 


» 


LE  PHARISIEN. 

II  s'est  tnoqué  de  nous  I 

LE  SCRIBE. 

Je  commence  à  le  croire  ! 
Car  il  a  dit  encor  :  «  Quand  on  sème  du  blé, 
Par  le  jour  du  Sabbat  voit-on  qu'il  soit  troublé? 
Nuit  et  jour  il  travaille,  en  dépit  de  vos  prêtres... 
Venez  à  moi,  venez,  6  cœurs  endoloris  : 
Même  un  jour  de  Sabbat  je  console  et  guéris  !  » 

LE   PHARISIEN. 

L'insolent  1  II  est  temps  de  nous  en  rendre  maîtres  1 
Si  l'on  ne  punit  pas  de  semblables  discours, 
Le  Temple,  s'indignant,  croulera  de  lui-même! 

LE   SCRIBE. 

Il  le  rebâtirait,  prétend-il,  en  trois  jours  1 


160  JESUS. 

LE   PHARISIEN. 

Écrivez  ce  mot-là  :  c'est  son  plus  grand  blasphème  ! 

LE  SCRIBE. 

Vous  savez  que  Judas  nous  prête  son  concours? 

LE   PHARISIEN. 

Pour  combien? 

LE   SCRIBE. 

Oh!  pas  cher!...  C'est  un  homme  que  j'aime 
Il  défend  avec  nous,  contre  cet  exalté, 
L'honneur  et  l'avenir  de  la  société. 


XLI 


I 


LA    COLÈRE 


On  a  vu  plusieurs  fois  sa  face  courroucée, 

Mais  surtout  dans  ce  jour  où,  sur  le  saint  parvis, 

Il  aperçut,  hurlant  dans  la  foule  pressée, 

Des  marchand^  qui  vendaient  oiseaux  et  chènevis. 

Il  y  avait  aussi  des  changeurs  de  monnaie. 

Et  Jésus  indigné  cria,  courant  contre  eux  : 

—  «  Je  viens  pour  séparer  le  bon  grain  de  l'ivraie  ! 

Je  viens  pour  nettoyer  de  leur  mal  les  lépreux  ! 


162  JÉSUS. 

«  Et  ceux-là  sont  la  lèpre  à  la  face  du  Temple, 
Qui  sur  mon  seuil  sacré  viennent  compter  de  l'or. 
Que  le  parvis  lavé  soit  pur  comme  un  exemple  I... 
Hors  d'ici I  Vos  trésors  salissent  mon  trésor! 

«  La  graine  que  l'on  vend  gâtera  ma  semence  ! 
Votre  balance  impure  est  de  mauvaise  foi, 
Vous  qui  faites,  à  l'heure  où  mon  règne  commence, 
Votre  éventaire  avec  les  tables  de  la  Loi  I 

«  Maudits!  Vous  avez  fait  des  ailes  prisonnières! 
Vous  vendez  ma  colombe  et  mes  biens  les  meilleurs. 
Et  du  Temple,  où  jadis  s'envolaient  les  prières. 
On  dira  :  Ce  n'est  plus  qu'un  antre  de  voleurs  !  » 

Et  tables,  escabeaux,  même  les  gens,  tout  tombe 
Sous  sa  main,  seulement  pitoyable  aux  oiseaux... 
La  cage  en  se  brisant  délivrait  la  colombe 
El  l'or  sur  les  degrés  s'en  allait  par  ruisseaux. 


LA    COLÈRE.  163 

—  «  Hors  d'ici,  gens  sans  foi  ni  loi  !  dehors,  canaille  I  » 
Ses  yeux  lançaient  l'éclair  et,  son  fouet  se  levant, 
Tous  couraient  éperdus,  cnassés  comme  la  paille 
Qui  s'enfuit,  tourbillonne  et  s'éparpille  au  vent. 


XLII 

L'INDIGNATION    PUBLIQUE 

Sur  la  place,  devant  le  Temple. 

UN   RICHE. 

Ce  vil  Nazaréen,  ce  bâtard  de  l'étable, 
Commence  à  devenir  un  coquin  dangereux. 
Sa  parole  mielleuse  est  un  cri  redoutable, 
Car  tous  les  indigents  vont  se  liguer  entr'eux. 
Hier,  sur  la  montagne,  ils  étaient  bien  dix  mille; 
Ce  sont  des  péagers,  des  gueux,  des  gens  de  rien, 
Des  filles,  des  pécheurs...  Le  mal  gagne  la  ville. 
Et  même  un  sénateur  trouve  qu'il  parle  bien  ! 


166  JÉSUS. 

Il  m'irrite  à  la  fin,  avec  ses  paraboles 
Qu'on  répète  le  soir  au  seuil  de  la  maison. 
C'est  un  mauvais  levain  que  ses  belles  paroles. 

UN  BANQUIER. 

Une  bonne  potence  en  aura  bien  raison. 

LE  RICHE. 

N'a-t-il  pas  dit  hier  à  son  peuple  en  guenille 

Que  plutôt  qu'un  seul  riche  au  royaume  des  cieux 

Un  gros  câble  entrera  par  le  trou  d'une  aiguille? 

LE   BANQUIER. 

Ce  sont  là  des  propos  vraiment  séditieux! 

LE   RICHE. 

A  quoi  pensent-ils  donc,  tous  les  princes  des  prêtres, 
Les  sacrificateurs,  les  docteurs  de  la  Loi?... 
Tous  les  pauvres  demain  vont  nous  parler  en  maîtres, 
Si  l'on  n'arrête  pas  ce  gueux  —  qui  se  dit  roi  I 


I/INDIGNATION    PUBLIQUE.  167 

A  un  citoyen  romain  qui  Us  aborde. 
Qu'en  pense-t-on  là-bas,  vous  qui  venez  de  Rome  ? 

IB  CITOYEN   ROMAIN. 

Rome  ne  se  croit  pas  en  péril  pour  si  peu. 

Elle  a  coutume  aussi  de  faire  un  dieu  d'un  homme.... 

Pourtant  l'ordre  est  donné  de  surveiller  ce  dieu. 

LE  RicnE. 

Pilate  est  faible  ;  il  veut  plaire  aux  uns  commeaux  autres; 
Il  flatte  Rome  et  veut  surtout  rester  préfet  ; 
Il  flatte  aussi  les  gueux...  de  la  graine  d'apôtres! 
Il  hésite  et  voilà  comme  un  grand  mal  se  fait! 

LE  BANQUIER. 

Ce  farouche  Romain  obéit  à  sa  femme. 

LE  CITOYEN  ROMAIN. 

Elle  croit  Adonis  revenu  dans  ce  dieul 


I 


168  JESUS. 

UN  PRÊTRE, 

Madame  Putiphar,  peut-être...  avant  le  drame  1 

LE   RICHE. 

Vous  riez?  —  Il  est  temps  plutôt  d'agir  un  peu. 
Vous  un  prêtre,  voyons,  songez  que  ce  Messie 
Soulève  un  mouvement  qui  ne  se  peut  souffrir. 
Le  Temple  est  en  danger.  D'où  vient  votre  inertie? 

LE  PRÊTRE,    tout  baS. 

Silence  !  Nous  songeons  à  le  faire  mourir. 


XLIII 


I 


LE   BANQUET 

Lorsqu'il  leur  annonça  qu'un  d'eux  le  trahirait, 

Tous,  le  cœur  incertain,  craignirent  en  secret. 

Même  après  qu'en  Judas  il  eut  marqué  le  traître, 

Ils  restèrent  longtemps  craintifs  de  se  connaître, 

Et  leur  tristesse  emplit  la  salle  du  banquet. 

Or,  Jean,  le  favori,  que  Jésus  remarquait 

Pour  la  grâce  du  cœur  tendre  et  vite  chagrine, 

Inclina  lentement  le  front  vers  sa  poitrine, 

Et  le  divin  trahi,  divinement  humain, 

Sur  le  beau  front  de  Jean  posa  longtemps  sa  main. 

iu 


J\ 


I" 


XLIV 


LA  SUEUR   DE   SANG 


Tandis  que  les  deux  fils  de  Zébédée  et  Pierre 
Sentaient  s'appesantir  lourdement  leur  paupière. 
Le  Dieu,  comme  il  est  dit  aux  livres  qu'on  a  lus, 
Se  chercha  dans  lui-même  et  ne  se  trouva  plus. 
Il  avait  dit  :  Dieu  seul  est  fort.  Croyez  au  Père. 
Il  avait  dit  :  Il  faut  qu'on  aime  et  qu'on  espère. 
Il  avait  dit  :  Heureux  les  tristes  et  les  doux. 
Il  avait  dit  :  La  paix  du  ciel  soit  avec  vous. 


172  JESUS. 

Maintenant,  dans  son  cœur  diminué,  fragile, 
Le  messager  divin  doutait  de  l'Évangile 
Et  sa  robuste  foi  d'espérance  et  d'amour 
Défaillait  comme  autour  de  lui  l'éclat  du  jour. 
...Le  prometteur  de  paix  n'est  qu'une  âme  en  tumulte. 
Sa  promesse  a  menti;  sa  douceur,  on  l'insulte; 
La  trahison  le  suit  dans  l'ombre  pas  à  pas, 
Et  son  Dieu  de  pitié  ne  le  console  pas. 


—  «  Seigneur,  nous  nous  parlions  autrefois  face  à  face. 
Sur  le  bord  des  lacs  bleus  et  le  long  du  blé  mûr, 
Et  voilà  qu'aujourd'hui  votre  image  s'efface, 
Au  moment  où  mon  cœur  demande  un  appui  sûr. 

Ne  m'abandonnez  pas  dans  celte  heure  de  trouble, 
Vous  qui  m'avez  souri  par  les  jours  de  soleill 
Pierre  m'a  renié  déjà  dans  son  cœur  double. 
Et,  tandis  que  je  meurs,  —  mes  amis  ont  sommeil  1 


LA    SUEUR    DE    SANG.  J73 


Seigneur  !  rien  n'estdoncvraidetoutcequej'anaonce? 
Et  la  dette  du  Fils  vous  ne  la  paîrez  pas  ! 
Seigneur,  j'attends  de  vous  un  souffle  pour  réponse,  . 
Je  comprendrai,  Seigneur  :  vous  pouvez  parler  bas  ! 

J'assemble  dans  mon  cœur  tous  les  désirs  de  l'homme 
Et  l'humanité  même  agonise  avec  moi. 
Mon  Père,  répondez  au  Fils  quand  il  vous  nomme.. 
L'espérance  et  l'amour  méritent  bien  la  foi  I 

J'ai  fait  deux  pas  vers  vous,  Maître  de  toute  chose, 
Faites  un  pas  vers  moi  qui  sanglote  à  genoux  ; 
La  foi  n'est  pas  un  bien  dont  notre  âme  dispose  : 
On  vous  attend  devons.  Seigneur!  Exaucez-nous  1 

Ils  ont  derrière  moi  couru  vers  un  fantôme, 

J'ai  trahi  ceux  à  qui  j'ai  promis  votre  amour. 

Si  je  doute  de  vous  et  de  votre  royaume 

Que  j'avais  cru  plus  sûr  que  la  splendeur  du  jour! 

10. 


174  JÉSUS. 

Mais  alors,  ô  Seigneur,  que  vais-je  donc  leur  dire 
En  sortant  de  cette  ombre  où  mon  cœur  a  douté? 
A  quoi  leur  servira  mon  étrange  martyre, 
Si  le  prix  n'en  est  pas  votre  immortalité  ? 

J'ai  dédaigné  pour  vous  les  sujets  de  leur  joie  ; 
\  ma  mère  j'ai  dit  :  Qu'avons-nous  de  commun  ? 
Et  les  pieds  et  les  yeux  rivés  sur  votre  voie, 
Je  n'ai  pris  à  l'amour  terrestre  qu'un  parfum. 

Seigneur  !  ai-je  trompé  les  races  à  ma  suite, 
Et  légué  le  néant  à  tous  ceux  qui  viendront? 
Seigneur,  je  meurs  d'effroi  !  Seigneur,  répondez  vite, 
Car  la  sueur  de  sang  découle  de  mon  front  I 

Ce  supplice,  ô  mon  Dieu!  dépasse  tout  supplice. 
De  douter,  juste  à  l'heure  où  l'on  meurt  pour  sa  foi  I 
Épargnez-moi  l'horreur  de  boire  ce  calice, 
Détournez,  s'il  se  peut,  ce  calice  de  moi  !  » 


LA   SUEUR    DE    SANG.  175! 


Dieu  ne  répondit  pas.  Et  de  la  tête  blonde 

Qui,  lourde,  s'affaissait  sous  les  malheurs  du  monde, 

La  sanglante  sueur,  goutte  à  goutte  tombait... 

Et  ce  doute  suivra  le  dieu  sur  son  gibet!... 

C'en  est  fait.  Tout  est  vain.  Tout  est  faux.  Tout  est  vide  1 

Et  ses  yeux,  dilatés  dans  sa  face  livide, 

Interrogeaient  l'espace  horrible  où  rien  n'a  lui. 

Tout  à  coup  sa  pensée,  en  lui,  revint  sur  lui  ; 

Son  regard,  détourné  du  gouffre  où  Dieu  se  voile, 

Vit  dans  son  propre  cœur  une  lueur  d'étoile, 

Et  Jésus  s'écria  :  «  Ma  lumière  est  en  moi! 

Mon  cœur  se  fera  dieu  pour  qu'ils  aient  une  foi. 

Tout  leur  bonheur  promis,  je  le  ferai  moi-même, 

Etje  crois  à  l'amour  puisque  —  malgré  tout  — j'aime!  » 

Et  Jésus  se  leva,  triste  paisiblement. 

Ses  disciples,  assis,  l'attendaient  en  dormant. 


176  JESUS. 

Sans  avoir  pris  leur  part  de  son  angoisse  sainte. 

L'un  sur  l'autre  appuyés  ils  sommeillaient  sans  crainte, 

Très  calmes  et  l'esprit  roulé  dans  le  sommeil. 

Jésus  aurait  aimé  prendre  un  repos  pareil, 

Mais,  non  loin,  les  soldats  rôdaient  avec  leur  lance, 

Et  Jésus,  s'asseyant  sur  la  pierre  en  silence, 

Se  garda  d'éveiller  trop  vite  ses  amis, 

Parce  qu'il  les  jugeait  heureux  d'être  endormis. 


XLV 


I 


LA   GRANDE   SOLITUDE 


Quand  tous  nos  ennemis,  indifférence  ou  haine, 
S'uniraient  pour  couvrir  d'insultes  notre  cœur; 
Quand  nous  entendrions,  dans  un  rire  moqueur, 
S'élever  contre  nous  toute  la  rage  humaine, 

Nous  pourrions  dire  encor  :  «Ils  comprendront  unjour: 
S'ils  ne  comprennent  point,  ce  n'est  pas  de  leur  faute; 
Ils  n'ont  pas,  pour  bien  voir,  la  pensée  assez  haute  ; 
Ceux  qui  peuvent  haïr  ignorent  tout  amour.  » 


178  JÉSUS. 

Et  nous  accepterions  ce  mal  pour  nécessaire  I 
Mais  que  ceux  dont  on  dit  :  «  Mes  chagrins  sont  les  leurs,  » 
Ne  puissent  pas  nous  suivre  au  fond  de  nos  douleurs, 
C'est  bien  grande  pitié,  c'est  bien  grande  misère  1 

Surtout  quand  notre  mal  vient  d'eux,  souffert  pour  eux, 
Il  est  vraiment  cruel  d'être  seul  dans  l'angoisse, 
Et  que  cette  lueur  qui  venait  d'eux  décroisse, 
Et  que  l'on  soit  plus  seul,  étant  plus  malheureux. 

La  douleur  qui  nous  point,  quelquefois  l'agonie, 
Nous  exalte,  et  nous  fait  tout  scruter  et  tout  voir, 
Et  ceux  pour  qui  la  veille  est  alors  un  devoir, 
Sentent  leur  lassitude  écrasante,  infinie  : 

Ils  s'endorment  !...  0  Christ!  Dieu  de  l'amour  profond. 
Ils  t'ont  laissé  tout  seul  dans  la  grande  ténèbre  ! 
Toi,  quittant  par  trois  fois  ta  prière  funèbre. 
Pour  te  sentir  près  d'eux,  tu  viens  voir  ce  qu'ils  font  1 


LA    r.RANDE    SOLITUDE.  179 


Ils  dorment  !  et  ta  voix,  ils  ne  peuvent  l'entendre  ! 
Elle  n'arrive  plus  au  cœur  de  tes  amis... 
((..  .J  ean,tu  dors?. ..  Pierre,  Jacque ,  êtes- vous  endorm  is  ?» 
Et  Jésus,  par  trois  fois,  vint,  plus  faible  et  plus  tendre. 

Par  trois  fois  dans  sor  ornière  il  retourna  plus  seul, 
Disant  :  «  La  chair  est  faible,  en  dépit  du  courage  ! 
Ils  n'ont  pas  pu  veiller  et  m'aimer  davantage  ! 
Et  j'ai  froid  comme  un  mort  dans  l'oubli  du  linceul  1 

«  ...  Amis,  la  trahison  se  prépare  et  m'entoure  : 
Veillez  un  peu  ;  priez  I...  »  Ils  se  rendormiront  ! 
L'abandonné  de  Dieu,  sa  sueur  sur  le  front. 
Appelle  —  sans  que  même  un  homme  le  secoure  ! 

Ah  !  j'aime  mieux  la  croix  entre  les  deux  voleurs  ! 
Et  si  l'humanité  veut  consoler  cet  homme, 
Ce  n'est  pas  au  moment  où  sa  mort  se  consomme. 
Qu'elle  doit  revenir  pour  baiser  ses  douleurs... 


180  JÉSUS. 

C'est  là,  c'est  dans  la  grotte  affreuse  où  son  sang  coule, 
Non  celui  de  la  chair,  mais  le  sang  de  l'esprit, 
C'est  quand  il  souffre,  seul,  tout  ce  que  l'on  souffrit. 
Qu'il  faut  mettre  à  genoux  les  pitiés  de  la  foule. 


XLVI 


LA  PREUVE  EST  EN  NOUS 


Comment  ton  cœur  a-t-il  douté 

Que  l'amour  soit,  —  si  ton  cœur  aime  ? 

Tu  n'as  pas  la  bonté  suprême, 

Si  tu  doutes  de  la  bonté. 

Si  tu  doutes  de  la  justice, 

Sois  équitable  dans  ton  cœur  ; 

Tu  vaincras  ton  doute  moqueur, 

Par  la  vertu  d'un  sacriflce. 

Il 


t82  JÉSUS. 

Aie  en  toi  le  vrai  dévoûment, 
Tu  le  croiras  possible  à  d'autres  ; 
C'est  tout  le  secret  des  apôtres  : 
Prouve-toi  l'amour,  en  aimant. 

Le  prix  d'une  pitié  sincère, 
C'est  qu'elle  nous  donne,  en  retour, 
L'espoir,  la  foi,  dans  un  amour 
Doux  à  notre  propre  misère. 

Dans  son  cœur,  mieux  que  sur  l'autel, 
Ainsi  le  chrétien  fait  descendre 
La  foi,  l'espoir  et  l'amour  tendre. 
En  trois  mots  le  Christ  immortel. 

Oui,  je  crois  à  l'amour  — quand  j'aime, 
Et  c'est  là,  dans  l'homme  meilleur, 
Le  paradis  intérieur, 
T^e  royaume  de  Dieu  lui-même. 


XLVII 


LE   BAISER  DE  JUDAS 


Et  Judas,  trahissant  celui  qui  se  dévoue  : 
«  Je  vous  désignerai  rhomme  en  baisant  sa  joue.  » 
Les  soldats  le  suivaient  ;  il  ne  faisait  plus  jour, 
Et  Jésus  dit  :  «  Voici  le  pouvoir  des  Ténèbres  !  » 
Et  Judas,  dont  le  nom  pèse  aux  traîtres  célèbres, 
Par  le  signe  d'amour  perdit  l'homme  d'amour. 


XLVIII 


L'EPEE 


Ils  vinrent  avec  des  bâtons  et  des  lanternes,. 
Des  lances  qui  parfois  reluisaient  dans  la  nuit, 
îiEt  Judas  les  guidait,  l'homme  lâche  aux  yeux  ternes, 
[Heureux  d'être  dans  l'ombre  où  sa  bande  le  suit. 


I — «Que  cherchez-vous?»  leur  dit  en  s'avançant  le  Maître. 

I —  «  Jésus  de  Nazareth.  »  Il  répondit  :  —  «  C'est  moi  !  » 
Ils  reculèrent  tous,  troublés  de  le  connaître, 
ît  sentirent  passer  sur  eux  un  vent  d'effroi. 


186  JESUS. 

Pierre  le  défendit.  Il  avait  une  épée. 

Il  la  tira,  frappant  l'un  des  hommes  obscurs  ; 

Et  Jésus  vit  le  sang  d'une  oreille  coupée, 

Et  dit  :  «  Ne  versez  pas  le  sang.  Restons-en  purs  ! 

«  Le  glaive  appellerait  sans  fin  un  autre  glaive  : 
Ma  douceur  de  victime  est  mortelle  au  bourreau... 
Le  règne  de  la  haine  à  cette  heure  s'achève  : 
Simon  Pierre,  remets  ton  épée  au  fourreau  I  » 

Il  parlait,  rayonnant  sur  les  faces  funèbres  ; 

Et,  plus  forts  que  Tépée  et  plus  étincelants. 

Ces  mots  terrasseront  le  pouvoir  des  Ténèbres 

Et  la  guerre  en  mourra,  fût-ce  après  trois  mille  ansl 


XLIX 


LE   PEGARD 


—  «  Tu  trahiras  trois  fois,  avant  que  le  coq  chante, 
Ton  Maître,  avait  prédit  Jésus,  et  tu  l'aimais  I  » 
El  sûr  de  n'avoir  pas  une  àme  bien  méchante, 
Pierre  avait  crié:  «  Non  1  Jamais,  jamais,  jamais  !  * 


Jésus,  par  les  soldats  conduit  chez  le  grand  prêtre. 
Marchait  au  milieu  d'eux,  traité  comme  un  voleur. 
Pierre  suivit  de  loin,  comme  sans  le  connaître. 
Retenu  par  l'effroi,  poussé  par  sa  douleur. 


i88  JESUS. 

Dans  la  ccur  du  grand  prêtre,  au  seuil  du  juge  infâme, 
Les  soldats  se  chauffaient  près  d'un  brasier  ardent  ; 
Et  Pierre  vint  s'asseoir  comme  eux  devant  la  flamme  ; 
Fidèle,  il  était  là,  mais  se  taisait,  prudent. 

Par  trois  fois,  tour  à  tour,  une  servante,  un  homme, 
Lui  dirent  :  —  «  Étranger,  tu  connais  celui-ci  ?  » 

—  «  Je  ne  sais  même  pas,  moi,  comment  il  se  nomme  1  » 

—  «  N'es-tu  pas  cependant  de  Galilée  aussi?  » 

—  «  Je  ne  le  connais  point  J  »  répète  le  bon  Pierre. 

—  «  Vous  êtes  de  ses  gens?»  —  «  Moi?  non,  en  vérité!  » 
Et  d'un  air  très  naïf,  il  baissait  la  paupière... 

Et  c'est  à  ce  moment  que  le  coq  a  chanté. 

El  Jésus  qu'entouraient  la  menace  et  les  gestes, 
Tourna  vers  cet  ami  tendre  et  faible  de  cœur, 
Dans  la  lueur  du  feu,  ses  yeux,  ses  yeux  célestes 
Où  le  blâme  jamais  n'avait  rien  de  moqueur. 


LE    REGARD.  189 

La  flamme  du  brasier  illumina  sa  face, 
Fit  grésiller  d'éclairs  son  front,  ses  cheveux  d'or; 
Et  ses  yeux,  où  la  joie  expirante  s'efTace, 
Toujours  pleins  de  clarté  brillèrent  plus  encor. 

Oh  1  ce  regard  d'amour,  où  l'amour  agonise. 
Quel  reproche  à  l'ami  traître  par  lâcheté  1 
Du  mensonge  prévu  la  tendresse  est  surprise 
Et  l'espoir  éternel  meurt  pour  avoir  douté  1 

Dans  ces  yeux-là,  l'amour  survit,  mais  sous  un  voile! 
La  flamme  en  sort;  lainour  recule  tout  au  fond. 
Et  c'est  comme  un  ciel  triste  où  fuirait  une  étoile 
Qui  voudrait  ne  plus  voir  ce  que  les  hommes  font. 

—  «  Je  l'avais  bien  prévu  :  ta  bouche  me  renie! 

Mais  j'avais  confiance  en  ton  cœur,  malgré  moi... 

iVois,  dans  mes  yeux,  souflTrir  la  tendresse  infinie, 

Vois  soufl"rir  dans  mes  yeux  l'espérance  et  la  foi  I 

11. 


190  JÉSUS. 

«  A  l'heure  où  j'ai  besoin  d'une  force  suprême, 
Comment  peux-tu  laisser,  toi  l'ami  juste  et  bon. 
Parmi  tant  d'ennemis,  ton  Maître  aimé,  qui  t'aime, 
Plus  malheureux,  plus  seul  par  ton  lâche  abandon  I  » 

Et,  sans  une  parole,  aux  lueurs  de  la  flamme, 
Le  Maître  regardait  son  ami  fixement, 
Et  Pierre,  le  dégoût  de  lui-même  dans  l'âme, 
pleura,  pleura,  d'avoir  trahi  tout  en  aimant! 


LE    SOUFFLET 


Chez  te  sourïerain  sacrificateur. 


Que  prêchais-tu  ? 


ANNE. 


JÉSUS. 


Ce  que  j'ai  dit,  tout  le  proclame. 
J'ai  dit  ce  que  j'ai  dit  ;  je  l'ai  dit  haut,  toujours  ; 
Personne  ne  l'ignore  et  beaucoup  l'ont  dans  l'âmeJ 
Que  ceux  qui  m'écoutaient  répètent  mes  discours. 


492  JESUS. 

UN   OFFICIER. 

Est-ce  ainsi  qu'on  répond,  roi  des  Juifs,  faux  prophète, 
Au  Sacrificateur  souverain  ! 

Il  lui  frappe  la  joue. 

Je  soufflette 
Un  roil 

JÉSUS. 

Si  j'ai  mal  dit,  que  ne  le  prouvais-tu  ? 
Et  si  j'ai  bien  parlé,  pourquoi  m'avoir  battu  ? 


LI 


JUDAS 


—  «  Un  d'entre  vous,  dit-il,  me  trahira.  »  —  La  table 
Frémit.  Tous  à  la  fois,  tremblant,  doutèrent  d'eux, 
Et  tous,  sauf  Jean,  devant  ce  mot  épouvantable, 
Connurent,  dans  leur  cœur  troublé,  des  fonds  hideux. 

«Sera-ce  moi.  Seigneur?  »  disaient  leurs  lèvres  blêmes, 
Et  leurs  regards  plaintifs  imploraient  son  secours, 
Car  ils  ne  trouvaient  point  d'assurance  en  eux-mêmes; 
C'est  par  lui  non  par  eux  qu'ils  espéraient,  toujours. 


194  JÉSUS. 

—  «  Celui  qui  met  sa  main  au  plat  avec  la  mienne. 
C'est  le  traître  !  »  Alors,  tous  ayant  pensé  :  «  Judas!  » 
Le  fourbe  qui  mangeait  à  la  table  chrétienne 
Vit  dans  les  yeux  l'injure  et  sortit  à  grands  pas  î 

Quivendait-il?  pourquoi?  pour  quelle  pauvre  somme? 
Trente  méchants  deniers,  vraiment,  c'était  trop  peu  I 
Ce  n'était  pas  le  prix  que  vaut  un  honnête  homme, 
0  stupide  Judas,  et  tu  vendais  ton  Dieu! 

Quoi  !  depuis  qu'il  te  parle  et  que  toi  tu  l'écoutés. 
Tu  ne  sais  rien  de  lui,  ni  son  cœur  ni  son  prix! 
Ah  !  pauvre  être  gonflé  d'ignorance  et  de  doutes, 
Tu  l'as  bien  mal  vendu,  ne  l'ayant  pas  compris  ! 

Comme  un  sourd  paresseux  tu  marchais  dans  sa  voie; 
Ton  cœur  était  de  roc  sous  le  bon  grain  sacré  ; 
Et  lorsqu'il  vous  parlait  des  lys  vêtus  de  soie, 
Tu  regardais,  jaloux,  ton  manteau  déchiré. 


JUDAS.  195 

Dans  ton  cœur  ténébreux  et  souillé,  dans  ton  âme 
Plus  sale  que  le  bas  de  ta  robe  en  haillons, 
Jamais  n'était  entrée  une  petite  flamme 
Quand  il  ouvrait  son  ciel  d'où  pleuvaient  des  rayons. 

Mais  lorsque,  dans  ta  nuit  sans  joie  et  sans  étoile. 
Tu  songeas  :  «  Quoi  !  demain  je  ne  l'entendrai  pas  !  » 
Sur  ta  tête,  la  nuit  se  fendit  comme  un  voile  : 
Tu  vis  son  ciel  là-haut,  ton  infamie  en  bas  ! 

Pareil  au  malheureux  tombé  dans  un  puits  sombre, 
Tu  vis,  tu  vis,  du  fond  de  ton  gouffre  insondé, 
Tout  là-haut,  par  la  fente  ouverte  sur  ton  ombre, 
Un  ciel  que  tu  n'avais  pas  encor  regardé  ! 

Malheureux  !  tu  revis  toutes  les  choses  calmes 
Dont  il  parlait  :  les  lys,  les  blés,  même  l'ânon; 
Tu  compris  le  langage  et  la  gloire  des  palmes. 
Et  les  petits  enfants  qui  riaient  à  son  nom  ; 


196  JÉSUS. 

Tu  revis  la  clarté  des  eaux  de  sa  fontaine, 
Et  la  même  clarté  limpide  dans  ses  yeux, 
Et  tu  dis:  «  J'habitais  cette  splendeur  lointaine  ! 
Son  cœur,  c'était  déjà  le  Royaume  des  cieux  !  » 

...  Dans  le  champ  du  potier,  jetant  la  bourse  vile, 
Judas  en  murmurant  :  «  0  Jésus  !  »  se  pendit. 
Et  lui-même  maudit  comme  un  figuier  stérile, 
Son  corps  fut  comme  un  fruit  sur  cet  arbre  maudit- 


LU 


LA  JUSTICE   DU    PEUPLE 


Devant  le  palais  de  Pilate. 


PILATE. 


Es-tu  le  roi  des  Juifs? 


JÉSUS. 

Tu  l'as  dit. 


PILATE. 


Peuple,  écoute  ! 
Cet  homme  me  paraît  innocent  ;  dans  le  doute, 


<98  JESUS. 

Qu'il  soit  libre  :  le  cœur  de  son  juge  a  douté. 
Mais  puisqu'on  a  le  droit  de  mettre  en  liberté 
L'un  de  tes  prisonniers,  aujourd'hui  jour  de  fête, 
Délivrons  ce  Jésus. 

LE   PEUPLE. 

Non  !  Non  !  Sa  croix  est  prête! 

UN  OFFICIER,  à  Pilate. 
Ta  femme  m'a  chargé  de  te  dire  tout  bas, 
Seigneur,  d'être  prudent. 

LE  PEUPLE. 

Délivre  Barrabasl 

PILATE. 

Barrabas  !  le  plus  vil  des  gueux  !  le  plus  infâme  ! 
Un  meurtrier,  un  monstre  affreux  ! 

L'OFFICIER,  bas,  à  Pilate. 

Songe  à  ta  femme, 
Seigneur.  Elle  a  rêvé  que  cet  homme  est  un  dieu. 


LA    JUSTICE   DU   PEUPLE.  199 


LA  FOULE. 

Délivre  Barrabas  ! 

l'ILATE. 

0  peuple!  écoule  un  peu.... 

l'officier,  bas,  à  Pilate. 
Entre  cet  homme  et  toi  ne  mets  pas  d'injustice. 

PILATE. 

0  peuple,  réfléchis!  que  ton  cœur  s'amollisse  ! 
Cet  homme  n'a  rien  fait  de  coupable,  à  mes  yeux. 
Apaise  ta  menace  et  ton  cœur  furieux  : 
Dis-nous  son  crime,  au  moins? 

LA  FOULE. 

Non  !  qu'on  le  crucifie  I 

PILATE. 

Cet  homme  est  innocent,  je  vous  le  certifle. 


200  JÉSUS. 

LA  FOULE,  hurlante. 
Délivre  Barrabas....  Barrabas  !...  Barrabas  !... 

.) 

PILATE. 

Ou'on  m'apporte  de  l'eau. 

Si  l'on  ne  m'entend  pas, 
On  me  voit;  c'est  assez...  Moi,  juge  au  nom  de  Rome, 
Je  me  lave  les  mains  du  sang  pur  de  cet  homme. 
C'est  votre  affaire  ! 

LA  FOULE. 

A  mort! 

PILATE,  à  l'officier. 

Ces  gens  sont  inhumains. 

LA  FOULE. 

A  mort,  Jésus  1  à  mort  ! 


LA    JUSTICE    DU   PEUPLE.  201 

PILATE,  à  lui-même. 

Je  m'en  lave  les  mains. 
A  voix  haute  : 
Peuple,  encore  une  fois,  que  ton  cœur  s'amollisse  l 

D'un  ton  insinuant  : 
Voyons,  mes  bons  amis,  vous  voulez  la  justice? 

LA    FOULE. 

Non  1  Barrabas  I 

PILATE. 

Voyons,  vous  voulez,  n'est-ce  pas» 
^  La  justice? 

LA  FOULE. 

Non  I  Non  !  nous  voulons  Barrabas  ! 


LA 


LUI 


LA  VENGEANCE 


LE  BOURREAU. 


Eût-il  été  Satan  qu'il  n'aurait  pu  s'enfuir; 
Nous  l'avons  attaché,  nu  jusqu'à  la  ceinture. 
Et  comme  sur  une  aire  on  bat  la  moisson  mûre, 
J'ai  fouetté,  de  mon  fouet  aux  lanières  de  cuir. 


UN  MARCHAND. 


11  excitait  le  peuple  :  il  fallait  un  exemple  t 
Mais  depuis  quand  es-tu  bourreau? 


'204  JÉSUS. 

LE  BOURREAU. 

Depuis  le  jour, 
Voisin,  où  ce  Jésus,  qui  parle  tant  d'amour, 
M'a  fustigé I...  J'étais  un  des  marchands  du  Temple. 


LIV 


LE   ROSEAU 


Lorsqu'il  eut  dans  la  main  le  roseau  dérisoire 
Et  sur  le  front  l'affreux  diadème  sanglant, 
Tous  riaient,  lui  disant  :  «  0  roi  brillant  de  gloire, 
Ton  peuple  prosterné  te  salue  en  tremblant.  » 

—  «  Les  peuples  et  les  rois  ont  une  même  mère, 

Leur  dit-il.  L'esprit  seul  est  durable  et  seul  fort; 

La  couronne  des  rois  n'est  qu'un  signe  éphémère, 

Et  mon  faible  roseau  va  défier  la  mort.  » 

12 


LV 


LA   CROIX 


—  «  Ta  croix?  Elle  est  encor  chez  l'ouvrier;  pas  prêle. 
Nous  la  prendrons,  au  bas  de  la  côte,  en  passant.  » 
Et  Jésus  chemina,  levant  sa  blonde  tête 
Sous  la  couronne  affreuse  où  l'on  voyait  du  sang. 

Au  pied  du  Golgotha,  dans  sa  boutique  étroite. 

Le  charpentier  se  hâte  :  —  «  Encor  deux  ou  trois  clous,  » 

Grognait-il.  Et  Jésus  regardait  d'un  œil  doux 

Cet  homme  qui  frappait  les  clous  de  sa  main  droite. 


208  JÉSUS. 

—  «  Bon  ouvrier,  dit-il,  te  voilà  bien  pressé  ! 
Livre  toujours,  ami,  ton  œuvre  à  l'heure  dite... 
Surtout  ne  gâte  rien  jamais,  pour  faire  vite... 
Le  mal  présent  est  fait  de  tout  le  mal  passé.  » 

Le  peuple  s'étonnait  de  sa  bonté  tranquille. 

Lui,  quand  l'homme  eutfini,  prit  sa  croix  sur  son  dos; 

Il  sentit  sous  le  faix  craquer  ses  pauvres  os. 

Mais  il  disait  :  «  L'esprit  soutient  la  chair  fragile.  » 

Et  comme  il  s'éloignait  :  «  Il  faut,  dit-il  encor, 
Que  le  forgeron  forge  et  que  le  faucheur  fauche... 
Sois,  pauvre  charpentier,  béni  dans  ta  main  gauche, 
Celle  qui  n'a  jamais  compté  l'argent  ni  l'or.  » 


LVI 


LE   BOIS    VERT 


:    El  Jésus,  sous  la  croix,  entouré  de  blasphèmes  : 

%  «  Ne  pleurez  pas  sur  moi,  femmes,  mais  sur  vous-mêmes  ! 

^  Heureux  le  ventre,  hélas!  qui  n'a  point  enfanté  1 

S 


*-  Heureux  trois  fois  le  sein  qui  n'a  pas  allaité  1 

i 

^Voici  le  temps  de  dire  à  la  montagne  :  «  Tombe  I 

uvre-nous  !  »  Au  coteau  :  «  Ne  sois  plus  qu'une  tombe  !  » 

si  l'on  traite  ainsi  le  bois  vert  et  vivant, 

e  fera-t-on  au  bois  sec,  mort,  celui  qu'on  vend?  » 


12. 


LVII 


LE   JUIF   EBRANT 

JÉSUS. 

Laisse-moi  m'arrêter  sur  ton  seuil,  un  instant. 

LE  JUIF. 

Non  !  marche  !  —  Roi  du  ciel ,  ton  royaume  t'attend  ! 

UN  HOMME,  dans  la  foule. 
Sois  maudite  à  jamais,  race  que  j'abomine! 
Puisses-tu,  toi  qui  ris  du  chemin  qu'il  chemine. 
Marcher  sans  fin,  marcher  sans  voir  ton  dernier  jour! 
Il  crache  à  terre  en  signe  de  mépris. 


212  JÉSUS. 

JÉSUS. 

La  malédiction  blesse  ma  loi  d'amour  : 
Cette  parole  en  moi  ne  s'est  pas  prononcée, 
Mais  un  grand  mal  naîtra  de  la  dure  pensée  : 
Il  marchera  sans  fin,  ce  juif,  partout  banni, 
Et  l'on  m'accusera,  moi,  de  l'avoir  puni  ! 

LE   JUIF. 

Pardonne-moi,  Jésus  !  Que  ton  cœur  compatisse. 

JÉSUS. 

Cherche  en  ton  propre  cœur  l'amour  et  la  justice. 


LVIII 


LE    CYRÉNÉEN 


Au  retour  de  son  champ,  Simon  de  Cyrénéo, 
Comme  tombait  Jésus,  au  pied  du  Golgotha, 
Sautant  à  bas  de  son  pauvre  ânon,  s'arrêta 
Et  cria  tout  à  coup  à  la  foule  étonnée  : 

—  «  N'avez-vous  point  de  honte,  ô  gens  de  peu  de  cœur, 
De  lui  faire  porter  le  bois  de  son  supplice? 
Cœurs  froids  !  cœurs  durs  !  pas  un  que  sa  peine  attendrisse  !  » 
Mais  tous  lui  répondaient  par  un  rire  moqueur. 


214  JESUS. 

Alors  il  leur  jeta  l'insulte  après  l'insulte 
Et  l'imprécation,  fureur  de  sa  bonté  ! 
Mais  le  peuple,  à  son  tour,  follement  irrité, 
L'entoura  de  menace  et  de  cris  en  tumulte. 

—  «  Si  vous  chargiez  ainsi  votre  âne,  il  tomberait! 
Vous  voyez  que  cet  homme  est  faible  ;  elle  est  trop  lourde  I  » 
Et  Simon  criait  fort,  mais  la  foule  était  sourde. 

Et  le  dieu  défaillant  le  bénit  en  secret. 

Sous  le  fardeau,  Jésus,  relevé,  tombe  encore  ; 

Et  comme  on  est  pressé  d'atteindre  au  haut  du  mont, 

La  foule  a  mis  la  croix  sur  le  dos  dé  Simon 

Qui,  penché  vers  Jésus,  à  voix  basse  l'honore  : 

—  «  Eh  bien,  tant  mieux  !  dit-il.  Vois-tu,  je  sais  ton  nom. 
On  m'a  dit  ta  parole,  et  ce  m'est  douce  chose 

De  porter  un  moment  ta  croix.  Ça  te  repose.... 

Mais,  pendant  ce  temps-là,  qui  va  soigner  l'ânon?» 


LE    CYRÉNÉEN.  215 


A  ce  mot  simple,  au  ton  de  ces  paroles  calmes, 
Le  Maître  a  tout  revu  dans  un  songe  obscurci  : 
Bethléem  et  la  fuite  au  désert,  comme  aussi 
Le  triomphe  d'un  jour  sur  l'âne,  et  sous  les  palmes. 

Et  Simon  leur  criait  :  «  N'avais-je  pas  raison 

De  vous  dire  qu'elle  est  trop  lourde?  elle  m'écrase  1 

Jésus,  laisse-moi  faire  !...  » 

Et  Jésus,  en  extase, 
S'arrétant,  regardait  plu&,loin  que  l'horizon. 


LIX 


VÉRONIQUE 


Véronique,  je  viens  à  toi,  les  yeux  noyés. 
Pâle  et  le  front  suant,  au  pied  de  mon  Calvaire, 
^^  Afin  que  de  ta  main  douce,  que  je  révère, 
Mes  yeux,  mon  front  soient  essuyés. 

|i  Oh  I  tout  homme  est  un  Christ  et  subit  l'injustice 

^Mais  tous  ne  trouvent  pas,  en  gravissant  le  mont, 

îomme  j'ai  rencontré  Véronique  et  Simon, 

Un  cœur  tendre  qui  compatisse. 

13 


218  JÉSUS. 

Je  viens  à  toi,  ma  sœur,  comme  un  dieu  châtié, 
Non  pas  pour  que  de  moi  ma  douleur  se  retire, 
Mais  pour  que,  suscitant  l'amour  par  mon  martyre, 
Je  puisse  croire  à  la  pitié. 


LX 


LA   FACE    SUR   LE   VOILE 

Non,  telle  qu'elle  s'est  empreinte  sur  le  voile 
Que  sur  elle  posa  la  tendre  humanité, 
La  face  de  Jésus,  divine  sans  étoile, 
Ne  garde  pas  le  sceau  de  l'affront  supporté. 

Et  ce  n'est  pas  le  sang  qui,  dessinant  les  lignes, 
En  a,  dans  l'éternel,  fixé  le  beau  contour  ; 
Non,  elle  a  les  candeurs  des  neiges  et  des  cygnes. 
Les  pâleurs  d'un  albâtre  où  veille  un  feu  d'amour. 


220  JÉSUS. 

Sur  le  voile  éternel  où  luit  l'image  auguste, 
Et  que  l'humanité  baise  encore  en  pleurant, 
On  voit,  dans  la  beauté  du  front,  l'âme  du  juste, 
La  paisible  fierté  d'un  humble  resté  grand.^ 

Le  vendu  de  Judas,  le  renié  de  Pierre, 

Devant  aucun  de  ceux  qui  le  crucifieront, 

N'a  jamais  abaissé  cette  calme  paupière  : 

C'est  vers  les  humbles  seuls  qu'il  a  courbé  le  front. 

Et  la  sueur  de  sang  dans  la  grotte  du  doute, 
Les  noirs  caillots,  fleurons  de  ta  couronne,  ô  Christ! 
Sous  tes  yeux  creux,  les  pleurs  égrenés  goutte  à  goutte, 
Toute  l'horreur  s'efface  en  ta  splendeur  d'esprit  1 

La  paix,  la  volonté,  la  force  de  ton  âme. 
Empreintes  sur  ton  front,  dominent  les  efl'rois. 
Et  notre  âme,  pourtant  plus  faible  qu'une  femme, 
Oublie,  —  en  regardant  tes  yeux,  —  l'horrible  croix. 


LXI 


L'HORIZON    DU   CALVAIRE 


Quand  il  fut  sur  le  mont,  il  domina  la  ville 

Et  la  Judée  et  tous  les  pays  d'alentour, 

Et,  par-dessus  les  cris  de  cette  plèbe  vile, 

Plus  loin  que  l'horizon  ses  yeux  portaient  l'amour. 

Son  regard  s'arrêtant  sur  l'Occident,  sur  Rome  : 
—  «  Pan  est  vaincu!  >>  dit-il;  puis  son  esprit  vola 
Versle  Sud,  et  son  cœur  d'enfant  s'émuldans  l'homme, 
Vit  Bethléem  et  dit  :  «  L'étoile  est  toujours  là!  » 


222  JESUS. 

Puis  il  cherche  au  Levant,  vers  le  lac  Asphaltite, 
Les  barques  des  pêcheurs  sur  les  rivages  blancs, 
Ses  amis,  dont  la  foi  lui  semble  bien  petite, 
Puisqu'ils  sont  aujourd'hui  dispersés  et  tremblants. 

Puis,  au  Nord,  il  revoit,  par  delà  Samarie, 
La  douce  Galilée  et  l'aube  des  matins. 
Les  reproches  touchants  de  sa  mère  Marie 
Et  l'outil  maladroit  sous  ses  doigts  enfantins. 

Toute  sa  vie  en  lui  dans  un  éclair  repasse, 

Et  la  terre,  où  ce  roi  commandera  les  rois. 

Lui  rend  justice  et  dit  :  «Ton  cœur  emplit  l'espace  !  » 

Mais  le  bourreau  cria  :  «  C'est  prêt,  viens  sur  ta  croix.  » 


LXII 


LE  TROU  DANS  LE  ROC 


Pour  planter  et  dresser  la  croix  couchée  à  terre, 
II  faut  d'abord  creuser  le  Golgotha  pierreux  ; 
Le  ciel  noir  regardait  s'accomplir  ce  mystère, 
Et  les  gens  commençaient  à  parler  bas  entr'eux. 

Sous  le  fer  jaillissait  le  feu,  des  rocs  rebelles; 
Et  le  trou  qu'il  fallait  se  creusa  lentement, 
lit  Jésus,  regardant  ce  trou  plein  d'étincelles: 
*  —  Ma  maison  doit  durer  sur  un  tel  fondement.  » 


224  JESUS. 

Puis,  quand  ce  fut  fini:  «  Par  ma  mort  je  commence; 
Regardez  donc,  vous  tous  qui  pouvez  approcher  ; 
Dans  ce  trou  de  rocher  je  jette  ma  semence  : 
Ma  moisson  lèvera  dans  un  trou  de  rocher.  » 


LXIII 


LE  BOURREAU  SUR  L'ÉCHELLE 


Et  lorsqu'il  fut  en  croix,  un  homme,  sur  l'échelle, 
Vint  battre  encor  les  clous  qui  retenaient  ses  bras, 
Et  le  martyr,  sentant  que  le  bourreau  chancelle  : 
—  «  Si  tu  veux  te  hâter,  frère,  tu  tomberas  !...  •> 

Et  le  vil  mercenaire  à  qui  le  mot  s'adresse, 

Si  ce  mot  ne  l'eût  pas  mis  en  garde,  tombait... 

Et  c'est  le  cœur  gonflé  d'inutile  tendresse, 

En  pleurant,  qu'il  frappa  sur  les  clous  du  gibet. 

13. 


226  JÉSUS. 

Alors  le  dieu  cria,  sentant  ses  mains  percées, 
Levant  ses  yeux  sanglants  vers  le  grand  ciel  profond, 
Bien  plus  que  de  leurs  clous  souffrant  de  ses  pensées: 
«  Pardonnons-leur,  car  ils  ne  savent  ce  qu'ils  fonl!  » 


.XIV 


LES   INVECTIVES   DE    LA   FOULE 
A  JÉSUS   CLOUÉ  SUR  LA  CROIX 


VOIX   DANS   LE    PEUPLE. 

Eh!  tire-toi  delà,  fils  de  Diou,  Dieu  toi-mOmc  I 

Tu  nous  vois  de  plus  haut  ! 

—  Est-on  bien,  là-dessus 

Ça  t'approche  du  ciel. 

—  Salut  au  roi  Jésus! 
Grand  roi,  qui  t'a  donné  ce  riche  diadème 


228  JÉSUS. 

Où  tant  de  gros  rubis  brillent  comme  du  sang? 

— Eh  bien,tes  douze  amis?  ils  t'ont  vendu  ?  bonne  âme  I 
Ils  t'aimaient,  disais-tu,  malin? 

—  Faux  innocent  ! 

—  Bandit  1 

—  Coquin  1 

—  Sorcier  ! 

—  Lâche! 

—  Imposteur  infâme  ! 

—  Ton  Dieu  si  bon  ne  vient  pas  vite  à  ton  secours  ! 

—  Un  orgueilleux  !  qui  dit  un  jour  à  ses  apôtres  : 

«  Pleurez,  amis,  car  vous  ne  m'aurez  pas  toujours!  » 
Ça  ne  va  pas  tarder  1 

—  Toi  qui  sauves  les  autres, 
Sauve -toi  ! 

—  Tu  m'as  l'air  cloué  solidement... 
Bah!  Pour  un  immortel  qu'est-ce  donc  qu'un  moment! 


LES    INVECTIVES    DE    LA    FOULE.  220 

—  Tu  vas  passer  la  nuit  au  bon  frais,  par  exemple  ! 

—  11  n'est  pas  mal  bâti  ! 

—  Bâti  comme  le  Temple  I 

—  Pour  un  Verbe  tout  pur,  il  semble  bien  en  chair  ! 

—  Quoique  tu  sois  un  pur  esprit,  ton  corps  t'est  cher, 
Car  tu  fais  la  grimace.  Elle  n'est  pas  très  belle, 

JÉSUS. 

ÉlilÉli! 

UN   SOLDAT. 

Eh  bien  !  que  dit-il? 

UN   AUTRE  SOLDAT. 

Il  appelle 
Élie  à  son  secours. 


VOIX  DANS   LE  PEUPLE. 

Chante,  mon  bel  oiseau! 


I 


230  JESUS. 

—  J'aime  à  voir  le  vrai  roi  d'Israël,  dans  sa  gloire  ! 

—  Il  ne  souffle  plus  mot,  ce  grand  parleur. 

JÉSUS. 

A  boire  ! 

PREMIER   SOLDAT. 

Plante-moi  cette  éponge  au  bout  de  ce  roseau. 

DEUXIÈME   SOLDAT. 

Trempons-la  dans  le  fiel,  c'est  très  bon  pour  la  fièvre. 

PREMIER  SOLDAT. 

C'est  bien.  Promenons-la  maintenant  sur  sa  lèvre... 

JÉSUS. 

Dieu!  leur  malignité,  c'est  ma  seule  douleur 

Pardonnez-leur,  pardonnez-leur,  pardonnez-leur. 


i 


LXV 


LES   DEUX   LARRONS 


PREMIER   LARRON. 

qui  te  dis  le  Christ,  sauve-toi  donc  toi-même 
Et  nous  avec  !  —  Ton  Dieu  nous  délivre,  s'il  t'aime  I 

DEUXIÈME  LARRON, 

Tu  ne  crains  donc  pas  Dieu  ?  —  Si  nous  deux  nous  souffrons, 
Si  les  lourds  châtiments  écrasent  nos  deux  fronts, 


232  JÉSUS. 

C'est  justice!  —  Mais  lui  n'a  fait  mal  à  personne... 
Seigneur  crucifié,  Seigneur  dont  l'âme  est  bonne, 
Songe  à  moi  dans  ton  ciel...  Tu  me  le  promets,  dis? 

JÉSUS. 

Tu  viendras  avec  moi,  frère,  en  mon  paradis. 


LXVI 


AU    BON    VOLEUR 


Béni,  sois  béni,  bon  voleur, 
Pour  avoir  dit  ces  deux  paroles. 
Ami,  c'est  toi  qui  nous  consoles 
Dans  cette  suprême  douleur  ; 

Toi  qui  relèves  le  nom  d'homme, 
A  l'heure  de  la  lâcheté, 
Quand  tous  ses  amis  l'ont  quitté, 
Quand  le  grand  crime  se  consomme. 


JESUS. 

Tu  veux  ta  part  de  paradis? 
Mais  ton  cœur  est  bon,  puisqu'il  aime, 
Tandis  qu'ennemi  de  lui-même, 
L'autre  raille  ce  que  tu  dis. 

Sois  béni,  pauvre  misérable, 
Sois  envié  par  les  meilleurs. 
Pour  avoir  mis  sur  nos  douleurs 
Ton  égoïsme  secourable. 

Et  n'est-ce  pas  qu'il  te  fut  bon, 
En  retour  de  ta  confiance, 
Le  mot  du  Dieu  de  patience, 
Son  mot  suave  de  pardon  ? 

N'est-ce  pas  qu'à  la  mauvaise  heure 
Où  l'âme  de  nos  lèvres  sort. 
Tu  trouvas  bon  goût  à  la  mort, 
Un  goût  de  paix  intérieure? 


AU    nON    VO[-KUR.  2:J5 

Quand  ton  souffle  s'est  envolé, 
—  Pour  avoir,  rien  qu'une  seconde. 
Espéré  le  salut  du  monde, 
Tu  te  sentis  tout  consolé.... 

Les  moqueurs  nient,  dans  un  blasphème, 
Qu'on  entre  au  royaume  des  cieux... 
Soit.  C'est  lui  qui,  délicieux, 
Entre  dans  l'âme,  dès  qu'on  aime. 


LXVII 


LE    DOUTE    SUPRÊME 


Alors  la  nuit  se  fit  dans  son  âme  profonde 
Et  tout  le  ciel  immense  en  était  attristé  ; 
Kt  sa  douleur,  qui  plane  encore  sur  le  monde, 
Ke  s'est  pas  consolée  avec  sa  charité  I 

La  croix  ouvrait  les  bras  sur  le  sommet  funeste  ; 
Les  deux  autres  gibets  parurent  plus  petits  ; 
La  terre  s'assombrit  du  soir,  du  deuil  céleste, 
El  tous  les  beaux  espoirs  semblèrent  démentis. 


238  JESUS. 

Où  sont  ceux  qui,  pressés  les  uns  contre  les  autres, 
Afin  d'être  guéris  touchaient  son  vêtement? 
Où  sonlceuxquiraimaient?oùsontles  Douze  Apôtres?. 
11  est  seul,  seul,  tout  seul,  seul  lamentablement  ! 

Point  de  justice.  Rien!  Pas  de  peuple  ;  une  foule... 
Les  femmes  de  pitié  regardent,  mais  de  loin, 
Et  debout  sur  la  croix,  d'où  son  sang  coule  et  coule, 
Il  peut  se  réjouir  de  douter  sans  témoin. 

0  nuit  d'horreur  montante  !  Oh  !  les  basses  nuées! 
La  foule,  qui  serpente  au  flanc  du  Golgotha, 
Envoie  encor  d'en  bas  de  sinistres  huées... 
Alors  le  battement  de  son  cœur  s'arrêta. 

Et  ce  fut  sa  seconde  et  sa  grande  agonie  ; 
Vainement  il  cherchait,  en  d'horribles  efiForts, 
A  rejoindre,  là-haut,  la  Tendresse  infinie... 
Son  âme  était  clouée  au  bois,  —  comme  son  corps  ! 


LE    DOUTE    SLIMIÈME.  2  iO 


Et  rien  ne  descendit  du  ciel  —  qui  semblait  triste, 
Pas  un  souffle  d'espoir,  pas  un  signe  d'amour, 
Et  sur  le  mont  désert,  où  plus  rien  ne  l'assiste, 
Il  doute  dans  la  mort,  et  meurt  avec  le  jour. 

Et  ce  vaincu,  croyant  que  personne  n'écoute, 
Pleurant  éperdument  son  beau  rêve  fini, 
Pousse  alors  le  grand  cri,  son  cri,  le  cri  du  doute: 
M  Éli,  dit-il,  Éli  !  Lamma  Sabacthani! 

«  A  moi,  Seigneur  !  Seigneur,  à  moi  I  tout  m'abandonne  ! 
N'est-ce  donc  pas  de  vous  que  je  fus  l'inspiré?  » 
Et,  penchant  son  front  las  sous  l'horrible  couronne, 
Le  grand  donneur  d'espoir  était  désespéré. 


LXVIII 


Li:    TESTAMENT   D'AMOUR 


Or,  voyant  venir  Jean,  il  oublia  le  doute 
Et  dit,  dans  un  sourire  :  «  0  Jean,  tu  me  suffis!  » 
El  Marie  arrivant  avec  Jean  :  «  Frère,  écoute  : 
Voici  ta  mère  ;  et  toi,  femme,  voilà  ton  fils  !  » 


14 


LXIX 


OU   SONT   LES  AUTRES? 


Quand  il  vit  Jean,  seul  des  Apôtres, 
Au  pied  de  l'arbre  des  douleurs, 
II  se  dit  :  «  Où  sont  tous  les  autres? 
Pourtant  mes  maux  sont  faits  des  leurs  ! 

tt  Ils  me  suivaient  près  des  eaux  calmes, 
Dans  les  blés  mûrs,  dans  la  clarté, 
Dans  les  honneurs,  le  jour  des  palmes... 
L'ombre  vient  :  ils  m'ont  tous  quille  !  » 


JIÎSUS. 

Oh  !  lâches,  lâches,  trois  fois  lâches, 
Ceux  qui,  payés  d'un  tel  amour. 
Ont  fui  devant  les  fortes  tâches. 
Peureux  dès  qu'il  n'a  plus  fait  jour. 

Ils  ont  fait  mentir  l'espérance  1 
Ils  avaient  promis  leur  effort, 
Mais  ils  feignent  l'indifférence 
Pour  l'ami  menacé  de  mort. 

Ils  répéteront  sa  parole 

Quand  il  n'entendra  plus  leurs  voix  ; 

Excepté  Jean,  qui  le  console  ? 

Ils  ont  tous  peur  de  cette  croix  I 

Ils  n'auront  pas  vu  l'agonie! 

Ils  diront:  «  Pardonnez,  Dieu  bon!  » 

Lorsque  la  tendresse  infinie 

Aura  souffert  tout  l'abandon  ! 


ou    SONT    LES    AUTRES? 


Leur  troupe  hier  s'est  dispersée; 
Ces  pêcheurs  ont  repris  hier 
La  barque  qu'ils  avaient  laissée 
Sur  le  sable  au  bord  de  la  mer. 

Renonçant  à  pêcher  des  âmes, 
Ils  jettent  leurs  filets, bien  loin... 
Qui  donc  aura  pitié?  les  femmes; 
Et,  seul  d'entr'eux,  Jean  est  témoin. 

Marie  est  là,  pauvre  âme  en  peine. 
Mais  c'est  sa  mère.  Il  est  l'enfant  1 
Qu'est-ce  après  tout  que  Magdeleine? 
L'autre  amour,  partout  triomphant. 

L'amitié  désintéressée, 
L'amour  issu  du  Verbe  pur. 
C'est  Jean,  le  fils  de  sa  pensée. 
Le  cœur  tendre  et  fort,  l'ami  si^r. 


14. 


JESUS. 

«  C'est  Jean  qui  connaît  ma  doctrine, 
C'est  lui  dont  j'ai  touché  le  front, 
Lui  qui  posa  sur  ma  poitrine 
Sa  tête  où  mes  doigts  se  verront. 

«  Jean,  seul,  vient  quand  je  désespère, 
Quand,  du  fond  des  gouffres  d'en  bas, 
Je  jette  un  grand  cri  vers  mon  Père, 
Qui,  lui  non  plus,  ne  répond  pas  !  » 


LXX 


JEAN 


Quand  il  vit  Jean,  l'ami  dont  l'âme  était  câline, 
Qui,  le  jour  où  Judas  le  trompait  bassement, 
Avait  longtemps  posé  le  front  sur  sa  poitrine, 
Icsus,  dans  son  cœur,  dit  à  son  disciple  aimant  : 

«Jean,mondouxbien-aimé,rhorreuremplitma  bouche. 
Et  ma  lèvre  est  scellée  et  tu  ne  m'entends  pas. 
Mais  ton  âme  m'entend,  mon  angoisse  te  touche, 
Et  c'est  pour  m'épargner  que  tu  pleures  si  bas  ! 


248  JESUS. 

«  Oh  !  Jean,  mon  bien-aimé  !  Jean,  mon  frère  suave, 
Dieu  tout  là-haut  me  fuit,  mais  en  bas,  toi  tu  viens! 
Des  plus  tristes  péchés  la  tendresse  nous  lave, 
L'amour  baptise  seul  ;  seuls,  les  aimants  sont  miens. 

«  Jean,  j'ai  douté  de  ton  amitié,  tout  à  l'heure... 
Maintenant  j'ai  compris  ;  j'avais  manqué  de  foi  ! 
Frère,  tu  consolais  cette  mère  qui  pleure. 
Tu  t'attardais  pour  elle  à  souffrir  loin  de  moi  ! 

«  0  Jean,  mon  adoré,  ne  t'éloigne  plus;  reste; 
Défend  mon  humble  esprit  contre  Satan  moqueur  : 
Ton  cœur  d'homme  est  plus  sûr  que  mon  rêve  céleste... 
Jean,  mon  Dieu  me  répond:  je  l'entends  dans  ton  cœur! 

u  Je  le  cherchais  là-haut  :  je  le  trouve  en  ton  âme; 
J'avais  douté  de  l'homme  et  je  suis  châtié  I 
Le  royaume  de  Dieu,  c'est  la  petite  flamme 
Qui  veille  sur  la  terre  et  qu'on  nomme  pitié. 


JEAN.  249 

«  Je  crois  sentir  encor  ta  tête  caressante 

Peser  sur  mon  épaule  et  sur  mon  cœur  humain, 

Et  même  je  sens  mieux,  dans  cette  horreur  présente. 

Ta  bonté  dans  mon  cœur  que  leurs  clous  dans  ma  mainl  » 

Et  lorsque  le  menton  de  Jésus-Christ  s'écrase 
Sur  sa  poitrine,  avec  un  soupir  innomé, 
C'est  que,  voyant  la  mort,  il  croit,  dans  une  extase, 
S'endormir  sur  le  cœur  de  Jean,  le  bien-aimé. 


LXXI 


LE   CHEMIN   VERS    DIEU 


Quand  l'âme  d'un  vivant  nous  suit  dans  l'agonie, 
C'est  un  bonheur  d'amour  ineffable,  si  grand, 
De  voir  cette  lueur  dans  notre  ombre  infinie, 
Que  tout  le  reste  est  vil  aux  regards  du  mourant. 

11  ne  regrette  plus  ni  la  grâce  des  roses, 

Ni  les  rires  d'enfant,  ni  le  bleu  clair  du  ciel... 

Il  voit  ce  qu'il  chercha  sous  le  spectre  des  choses  : 

L'amour  réalisé  dans  l'immatériel. 


252  JESUS. 

Tout  le  vide  pour  lui  s'emplit  d'une  lumière, 
Tout  le  froid  de  la  mort  rayonne  de  chaleur, 
Et  sa  suprême  joie  est  vraiment  la  première, 
Parce  qu'un  plus  grand  mal  nous  rend  l'espoir  meilleur . 

Au  chevet  des  mourants  fais  donc  veiller  des  flammes  ; 
Parle  bas  :  leur  ouïe  est  fine  quelquefois... 
On  dirait  que  l'espace,  où  vont  entrer  leurs  âmes, 
A  des  échos  sans  fond  qui  décuplent  nos  voix. 

Prends  garde  !  près  des  morts  épure  ta  pensée  : 
Elle  vibre...  Autour  d'eux  elle  ébranle  un  éther 
Qui  la  transmet  entière  à  leur  âme  blessée... 
Ne  les  contriste  pas  des  adieux  de  ta  chair. 

Frère,  il  faut  consoler  d'une  pitié  suprême 

Ceux  qui  sentent  monter  le  flot  mystérieux... 

La  surdité  des  morts  entend  —  lorsqu'on  les  aime  ; 

El  leur  cécité  voit  — '■  quand  nous  baisons  leurs  yeux. 


LE    CHEMIN    VERS    DIEU.  253 


Ils  ne  regrettent  plus  alors  l'éclat  des  roses, 
Ni  les  rires  d'enfants,  ni  le  bleu  clair  du  ciel... 
Ils  voient  ce  qu'ils  cherchaient  sous  le  spectre  des  choses: 
L'amour  réalisé  dans  l'immatériel. 

Aimons-les,  ceux  dont  l'âme  en  fuite,  folle  ou  sage, 
Nous  écoute  déjà'  du  fond  d'un  autre  lieu... 
L'amour  peut  éclairer  lui  seul  le  noir  passage  : 
Être  aimé  dans  la  mort,  c'est  le  chemin  vers  Dieu. 


iô 


LXXII 


PROPOS    DE    FOULE 

Dans  les  sentiers  du  Golgotha. 

UN  HOMME   DU   PEUPLE. 

Est-il  bien  mort  ? 

UN   AUTRE    HOMME  DU   PEUPLE. 

Il  peut  durer  jusqu'à  l'aurore. 

LE  PREMIER. 

La  nuit  doit  sembler  longue  à  ces  gens  mis  en  croix, 


256  JESUS. 

LE    SECOND. 

J'ai  faim;  as-tu  soupe,  Jonathan? 

LE    PREMIER. 

Pas  encore. 

LE   SECOND. 

Ta  femme  va  gronder  ;  qu'en  dis-tu  ? 

LE    PREMIER. 

Je  le  crois. 

UN    SOLDAT. 

Comme  le  sang  coulait  sous  le  bandeau  d'épines  ! 
Moi,  j'aime  à  voir  souffrir.  Je  me  sens  mieux  vivant. 

DEUXIÈME   SOLDAT. 

Le  sang  gisclait  des  mains,  des  yeux  et  des  narines... 
Un  beau  crucifié  ne  se  voit  pas  souvent. 


PROPOS    1)1-:    FOI  IF.  257 


UN  JEUNE  DÉBAUCQÉ. 

Viens  souper,  belle  fille.  En  s'aimant,  on  oublie. 

UNE  COURTISANE. 

Non,  je  veux  souper  seule  et  rester  seule  un  peu. 

LE   DÉBAUCnÉ. 

Tu  pleures?  Ça  te  fait  paraître  moins  jolie. 

LA   COURTISANE. 

Je  pleure  ce  jeune  homme  ;  il  est  beau  comme  un  dieu. 

UN   CITOYEN  ROMAIN. 

Il  est  mort  sans  trembler. 

DEUXIÈME  CITOYEN  ROMAIN. 

Bah  !  au  cirque  de  Rome 
iLo  gladiateur  tombe  en  saluant  César. 


2S8  JESUS. 

PREMIER  CITOYEN  ROMAIN. 

Non,  non,  la  grandeur  vraie  éclate  dans  cet  homme. 

DEUXIÈME   CITOYEN   ROMAIN. 

Vous  n'êtes  qu'un  enfant...  Bien  mourir,  c'est  un  art. 

PREMIER  CITOYEN  ROMAIN. 

Seriez-vous  mort  si  bien  ? 

DEUXIÈME   CITOYEN  ROMAIN. 

Oui,  devant  Cléopâtre. 

PREMIER   CITOYEN    ROMAIN. 

Magdeleine  est  donclà? 

DEUXIÈME  CITOYEN  ROMAIN. 

Parbleu,  mais  un  peu  loin... 

PREMIER   CITOYEN   ROMAIN. 

Donc,  selon  vous,  Jésus?... 


I 


PROPOS    DE    FOUIJ'.  259 


DEUXIÈME    CITOYEN  ROMAIN. 

Un  héros  de  théâtre. 
J'aurais  voulu  le  voir  mis  en  croix  —  sans  témoin  1 

PREMIER    CITOYEN   ROMAIN. 

Allons  souper,  j'entends  me  couronner  de  roses, 
Pour  oublier  un  peu  ce  spectacle  assez  noir. 
Pilate  est  du  festin  ;  il  veut  savoir  les  choses  : 
C'est  pour  les  lui  conter  que  je  suis  venu  voir. 
J'en  parlerai  souvent,  à  mon  retour  dans  Rome. 

TROISIÈME   CITOYEN    ROMAIN. 

Peut-être  était-ce  un  dieu?... 

PREMIER   CITOYEN   ROMAIN. 

Je  ne  le  nîrais  pas. 

QUATRIÈME   CITOYEN    ROMAIN. 

Oh  !  cet  homme  est  plus  grand  qu'un  dieu,s'il  n'est  qu'un  homme. 
...Par  Hercule  1  j'aurais  mis  à  mort  Barrabas! 


260  JESUS. 

TROISIÈME  CITOYEN  ROMAIN. 

Ce  qui  veut  dire  ? 

QUATRIÈME  CITOYEN  ROMAIN. 

Eh  I  mais...  que  sa  mort,  un  exemple, 
Va  faire  à  ce  Jésus  mille  apôtres  demain  ! 
Jupiter  est  vaincu;  c'est  temple  contre  temple; 
Et  nous  verrons  la  croix  sur  l'univers  romain. 

UN   SAMARITAIN. 

Moi,  je  ne  croyais  pas  à  ce  Jésus.  Que  dis-je  ! 
J'ai  souhaité  sa  perte  et  qu'il  fût  châtié... 
Ce  qui  me  fait  chrétien,  (sa  mort  est  un  prodige) 
C'est  l'admiration. 

LE  BON  SAMARITAIN. 

Et  moi,  c'est  la  pitié. 


LXXIII 


C'EST   LUI   QUI    VEILLE 


Comme  il  penchait  le  front,  sur  cette  croix  infirme, 
L'Homme  sentit  venir  un  étrange  sommeil 
Qui,  traître,  se  glissait,  souple,  au  serpent  pareil, 
Dans  son  corps  douloureux  où  gémissait  son  âme. 

Et  pourquoi  non?  Marie  est  au  pied  du  gibet, 

Et  Magdeleine  et  Jean,  qui  pleurent  en  silence  ; 

Les  soldats  dorment,  droits,  appuyés  sur  leur  lance, 

Et  Jésus  au  sommeil  perfide  succombait. 

15. 


262  JESUS. 

Il  sentait  s'assoupir  sa  douleur  infinie  ; 

Un  voile  descendait  entre  elle  et  l'univers; 

Tous  ses  maux  lui  semblaient  des  maux  jadis  soufferts, 

Son  présent  déjà  loin  —  et  c'était  l'agonie. 

Mais  il  s'était  promis  de  souffrir  dans  la  mort, 
D'accomplir  jusqu'au  bout  les  choses  du  mystère, 
Car  ses  veilles  tombaient  en  bienfaits  sur  la  terre.. 
Il  se  redressa  donc,  par  un  suprême  effort... 

Rouvrit  tout  grands  ses  yeux,  clairs  dans  la  nuit  profonde, 
Et  pesant  sur  ses  pieds  et  tirant  sur  ses  bras, 
L'Homme  en  croix,  bien  certain  qu'on  ne  l'observait  pas, 
Réveilla  ses  douleurs  pour  saigner  sur  le  monde. 


LXXIV 


L'HOMME    MEURT   SEUL 


Comme  il  allait  mourir,  il  abaissa  les  yeux 
Vers  sa  mère  et  vit  bien  qu'elle  était  assoupie. 
Or  le  Maître  jugea  cette  faiblesse  impie... 
Mais  son  cœur  reconnut  que  cela  valait  mieux. 

Il  bénit  le  sommeil  qui  consolait  la  mère... 
Il  aurait  bien  l'oulu  que  la  mère  eût  compris  ! 
Malheur  aux  dévoués  qui  dévorent  leurs  cris  : 
Les  plus  doux  ont  goûté  la  solitude  amèrc. 


264  JESUS. 

Or  Magdeleîne  et  Jean,  car  c'était  le  matin, 
L'heure  froide  où  la  nuit,  près  de  mourir,  frissonne, 
S'endormirent.  Qui  donc  le  veillait?  Plus  personne. 
Alors  il  se  revit  bien  seul  dans  son  destin. 

Il  retrouva  l'horreur  de  l'angoisse  sacrée. 
Et  de  son  flanc,  rouvert  par  un  regret  blessant, 
Une  liqueur  coula...  Ce  n'était  plus  du  sang... 
Et  sa  force  lui  fut,  par  ceci,  retirée. 

Vainement  il  voulut  faire  un  dernier  effort  : 
Son  menton  s'écrasa,  pesant,  sur  sa  poitrine... 
Un  souffle  s'envola  de  sa  lèvre  divine... 
Et  tout  fut  accompli  par  sa  vie  et  sa  mort. 


LXXV 


LA    GLOIRE   DES   LYS 


LE   TEMPLE. 

Mon  voile  est  déchiré,  mon  voile  se  déchire  : 
Jésus  est  mort! 

LE  BON  GRAIN. 

Pas  plus  que  le  grain  du  froment. 


Jésus  est  mort. 


LE   VENT. 
LES   MOISSONS. 

Tu  dis? 


266  JESUS. 

•  LE   VENT. 

Ce  que  tout  doit  redire  : 
Jésus  est  mort. 

LES    BLÉS. 

Son  grain  vit  éternellement. 

LE   VENT. 

Il  est  mort  dans  l'horreur,  sous  les  coups  et  l'insulte, 
Mis  en  croix,  entouré  de  visages  affreux. 

LA   TERRE. 

Je  me  suis  entr'ouverte  et  les  morts  en  tumulte 
Sont  sortis  des  tombeaux  pour  en  parler  entr'eux. 

LE   CIEL. 

Moi  j'ai  cherché  la  nuit;  ma  face  s'est  voilée 
Et  tout  a  tressailli  d'une  grande  douleur. 

LE   VENT. 

Pleurez,  lys  des  coteaux  ou  lys  de  la  vallée, 
0  vous  tous  qu'il  aima,  choses,  bêtes  et  fleur! 


I,A     r.  1,01  HE    DES     LYS.  267 


L  ANE. 


Mon  humble  cœur  est  plein  d'une  tristesse  amère  : 
.lo  l'ai  beaucoup  connu;  je  l'ai  beaucoup  aimé. 

LE    BŒUF. 

Te  souviens-tu  du  jour  où,  mieux  que  père  et  mère, 
Nous  le  chauffions  tout  nu  dans  le  foin  parfumé?... 

l'ane. 
Comme  il  était  mignon  près  de  toi,  grosse  bétel 

LE   BGEUF. 

Je  n'avais  pas  prévu  cet  horrible  destin. 

l'ane. 
C'était  un  temps  joyeux.  Nous  étions  tous  en  fête. 

le  boeuf. 
C'est  le  deuil  d'un  grand  soir...  C'était  mieux  qu'un  matin. 


268  JÉSUS. 

l'ane. 
Les  hommes  sont  hideux  d'avoir  pris  pour  victime 
Celui  qui  défendit  d'immoler  des  taureaux. 

LE   BœUF. 

Chez  les  ânes  jamais  on  n'a  vu  pareil  crime. 

l'ane. 
Jamais  parmi  les  bœufs  on  ne  vit  de  bourreaux. 

LES  PETITS  POISSONS. 

Nous  les  petits  poissons  qu'il  offrait  à  la  foule, 
Nous  plaindrons-nous  d'avoir  été  ce  qui  nourrit, 
Lorsque,  grain  sous  la  meule  ou  raisin  que  l'on  foule. 
Lui-même  il  s'est  donné,  pain  et  vin  de  l'esprit? 

LA   BREBIS. 

Il  m'a  prise  en  ses  bras  quand  je  m'étais  perdue  ; 
11  aimait  ses  brebis  ;  ce  fut  un  doux  berger. 
J'étais  bien  loin;  ma  voix,  à  grand'peine  entendue, 
Le  guidait,  à  travers  les  monts  et  le  danger. 


LA    GLOIRE    DES    LYS.  269 

LA    COLOMBE. 

Il  a  plus  d'une  fois  baisé  mes  blanches  ailes. 

LE    PASSEREAU. 

Il  m'a  pris  bien  souvent  dans  le  creux  de  sa  main. 

LA   COLOMBE, 

-Mon  bec  rose  a  baisé  ses  mains  blanches  et  belles. 

LE   MOINEAU. 

J'ai  gazouillé  d'amour  au  bord  de  son  chemin. 

LA   GLOIRE   DES  LYS. 

Ne  vous  lamentez  plus,  6  fleurs,  bêtes  et  choses  : 
Nous  ferons  oublier  à  tous  cet  affreux  jour; 
Sous  l'azur,  les  lys  blancs,  bien  plus  beaux  que  les  roses, 
Par-dessus  sa  misère  élèvent  son  amour. 

Devant  ses  pieds  sanglants,  sous  l'effroi  des  prodiges, 
Laissons  les  criminels  s'écraser  à  genoux, 


270  JESUS. 

Mais  nous,  toujours  blancs,  purs,  droits  sur  nos  fermes  tiges 
Nous  dirons  qu'il  fut  jeune  et  blanc  comme  un  de  nous. 

11  était  pur  et  blanc,  droit  comme  nous  le  sommes, 
Et  ses  oiseaux  chéris  le  diront  dans  leurs  chants. 
Ce  fut  un  étranger  divin  parmi  les  hommes  : 
Ce  n'était  qu'un  ami  parmi  les  fleurs  de^champs. 

Laissez  l'homme  gémir,  passereaux  et  colombes! 
Et  nous,  les  innocents,  les  lys  qu'il  regretta, 
Croissons,  multiplions,  couvrons  toutes  les  tombes, 
Et  par  pitié  cachons  l'horreur  du  Golgotha. 


LXXVÏ 


JOSEPH   D'ARIMATHIE    CHEZ    PILATE 


PILATE. 

Quoi!  vous,  un  sénateur,  Joseph  d'Arimalhie, 
Vous  venez  demander  d'ensevelir  Jésus  ! 
El  vous  blâmez  sa  mort,  quand  je  l'ai  consentie  ! 
Ces  sentiments  nouveaux... 

JOSEPH. 

Je  les  ai  toujours  eus. 


272  JESUS. 

Jamais  je  n'approuvai  la  malice  des  autres, 

Mais  j'étais  riche,  faible,  et  môme  sénateur! 

Gomme  sur  lui  la  haine  était  sur  ses  Apôtres  : 

Je  faisais  comme  vous,  Pilate,  j'avais  peur  !... 

J'ai  honte  enfin  de  voir  comment  on  l'abandonne... 

PILATE. 

Quand  on  court  au-devant  du  blâme,  on  a  grand  tort. 
Si  je  vous  ai  dit  non,  ma  raison  est  fort  bonne: 
Quel  bien  lui  ferez-vous  maintenant  qu'il  est  mort? 

JOSEPH. 

Je  soulage  du  moins  la  conscience  humaine. 
Vous  avez  décrété  tant  d'horreur  aujourd'hui, 
Qu'une  vertu  m'a  pris,  que  la  mesure  est  pleine, 
Et  je  vous  secours,  vous,  Pilate,  plus  que  lui. 
Il  ne  faut  pas  qu'on  dise  à  la  race  future 
Qu'après  avoir  fait  fuir,  sous  le  vent  de  l'efTroi, 
Ses  disciples,  des  gens  simples  dans  leur  nature, 
Vous  avez  refusé  le  corps  du  Maître,  à  moi. 


JOSEPH    D'AIUMATIIIE    CHEZ    PILATE.      273 

Je  veux  ensevelir  cet  homme  comme  un  homme, 
Et  vous  le  permettrez,  je  vous  prie,  ou  sinon 
J'irai  dire  partout  que  le  préfet  de  Rome, 
Ayant  tué  Jésus,  tremblait  devant  son  nom. 

piLate. 
Sa  mort  a  fait  souffler  comme  un  vent  de  démence... 
Allez  donc  enfouir  à  tout  jamais  son  corps. 

JOSEPU. 

Sa  mission  finit,  mais  la  nôtre  commence... 
Il  ressuscitera  par  nous,  d'entre  les  morts. 

A  Nicodème  qui  Vattend  au  seuil  : 
Viens,  parais  maintenant,  très  humble  ami  du  MaîtrCi 
Qui,  comme  moi,  suivis  en  secret  ses  leçons. 
Nous  qui  n'osâmes  pas,  vivant,  le  reconnaître, 
Maintenant  qu'il  est  seul  dans  la  mort,  paraissons! 


LXXVII 


MAGDELEINE 


Alors,  à  l'Orient,  une  aube  froide  et  blême, 
Traînant  sur  la  montagne  une  robe  en  haillons. 
Parut.  L'Homme  aussitôt,  sous  les  premiers  rayons, 
Tout  pâle,  rayonna  plus  que  l'aube  elle-même... 

On  eiH  dit  que  de  lui  naissait  le  point  du  jour. 
Et  que  sa  chair  laissait  transparaître  des  flammes  ; 
Tout  sommeillait  encor,  les  soldats,  Jean,  les  femmes... 
Quel  œil  se  lèvera  le  premier  vers  l'amour? 


276  JESUS. 

Jean  était  las.  Marie  était  comme  écrasée. 
Les  plus  grands  désespoirs  font  cet  accablement. 
Un  soldat  s'éveillait.  Dans  ce  même  moment, 
Magdeleine,  en  pleurant,  pressa  la  croix  baisée. 

Elle  éleva  vers  Lui  la  beauté  de  ses  yeux 
Où  l'amour  tendre  et  pur  était  une  lumière, 
Et  fière  de  pleurer,  ce  jour-là,  la  première, 
Elle  aima  dans  la  mort  l'époux  mystérieux. 


LXXVIII 

LA  VISITE  AU  TOMBEAU 
RÉCIT  DE  MAGDELELNE  AUX  DISCIPLES 

HAGDELliilNB. 

l'I  nous  venions,  sa  mère,  et  d'autres  avec  nous, 
Apportant  au  tombeau  la  myrrhe  préparée, 
Mais  nous  ne  vîmes  plus  la  pierre  de  l'entrée; 
Nous  entrâmes  alors  en  pliant  les  genoux. 

Deux  Anges  étaient  là,  blancs,  vêtus  de  lumière, 

Qui  nous  dirent  :  «  Pourquoi  chercher  dans  les  tombeaux  ' 

11  est  vivant.  »  Et  ces  deux  anges  étaient  beaux 

Et  me  dirent  :  «  Tu  dois  le  revoir  la  première.  » 

10 


278  JÉSUS. 

A  terre,  le  linceul  était  demeuré  là, 

Et  comme  je  pleurais,  Jésus  me  dit  :  «  Marie!  » 

L'ayant  vu,  je  dis  :  «  Maître!  »  Alors  il  s'envola. 

LES   DISCIPLES. 

Hélas  !  Hélas  !  Hélas  !  c'est  une  rêverie. 


LXXIX 


LA   RÉSURRECTION 


Or,  il  ressuscita,  si  vivant  dans  leur  âme 
Que  tous  crurent  le  voir  et  le  virent  vraiment. 
Il  apparut  d'abord  dans  le  cœur  d'une  femme, 
Car  on  garde  la  vie  aux  morts  en  les  aimant. 

Et  le  ressuscité  du  cœur  de  Magdeleine 

Passa  dans  tous  les  cœurs,  plus  parlant  que  jamais. 

La  montagne  a  conté  ce  prodige  à  la  plaine 

Et  la  plaine  en  chantant  l'a  redit  aux  sommets. 


280  JÉSUS. 

Et  du  haut  d'un  mont  bas,  vu  de  toute  la  terre, 
Lieu  maudit  entre  tous  comme  le  plus  béni, 
L'ombre  des  deux  grands  bras  de  la  croix  solitaire 
Étreint  le  monde  entier  dans  l'amour  infini. 


LXXX 


LES   DERNIÈRES    PAROLES 
DU   LIVRE  DE  JEAN 


11  fit  beaucoup,  n'ayant  que  peu  de  temps  à  vivre, 
Et  celui  qui  voudrait  tout  écrire  en  détail 
Ne  pourrait  pas  suffire  à  l'immense  travail, 
Et  le  monde  serait  trop  étroit  pour  le  livre. 


H5. 


IL    EST    ÉTERNEL 


IL   EST   ÉTERNEL 


Homme  divin,  au  pied  de  ta  croix  qui  chancelle, 
Arbre  toujours  debout  quoique  battu  du  vent, 
Je  viens,  humble  inspiré  de  l'âme  universelle, 
A  l'heure  d'un  grand  soir,  l'adorer  en  rêvant. 

Des  scribes  nous  ont  dit  qu'avant  ton  Évangile, 
Bien  avant  toi.  Bouddha  se  fit  homme  étant  roi. 
Et  quêta  gloire  ainsi  comme  une  autre  est  fragile, 
Et  que  tu  n'es  plus  rien,  si  Dieu  n'est  plus  en  toi. 


286  JESUS. 

Ils  ont  dit,  pour  nier  ta  charité  sublime, 

Qu'elle  est  un  souvenir  du  mal  qu'on  craint  pour  soi, 

Comme  si  le  peureux,  penché  sur  la  victime, 

Etait  moins  beau,  quand  il  secourt  malgré  l'effroi.  , 

Ce  n'est  pas  tout:  l'horreur  mystique  sort  des  tombes 
Chaque  fois  que  ton  nom  retentit  sur  l'autel  ; 
Des  chrétiens  se  sont  faits  vendeurs  de  tes  colombes  : 
Us  n'ont  plus  le  vrai  sens  de  ton  Verbe  immortel. 

On  a  fait  de  ton  nom  sortir  tous  les  scandales, 

Et  l'on  a  vu  tes  fils,  des  prêtres  et  des  rois, 

Ton  sceptre  en  main,  les  pieds  chaussés  dans  tes  sandales, 

Imitant  tes  bourreaux,  reclouer  l'Homme  en  croix... 

Eh  bien,  qu'importe  à  ceux  que  ta  lumière  inonde  ! 
En  es-tu  moins  la  vie  et  l'espoir  incarné, 
Le  vrai  Verbe  vivant,  le  vrai  salut  du  monde  ? 
Seul  tu  conçus  l'amour,  seul  tu  nous  l'as  donné! 


IL    EST    ÉTEUNEL.  287 


Nul  de  les  précurseurs  n'est  vivant  dans  notre  âme; 
Pour  nous  c'est  ton  nom  seul  qui  signifie  amour; 
Dix-neuf  siècles  déjà  se  sont  transmis  ta  flamme, 
Et  chaque  heure  est  ton  heure  et  chaque  jour  ton  jour  1 

Quelques  versets  tombés  de  ta  lèvre  divine, 
Quelques  gestes  inscrits  dans  un  livre  inspiré, 
Le  drame  d'une  mort  où  l'espoir  se  devine, 
Voilà  de  quoi  le  monde  est  encor  pénétré. 

Par  de  pauvres  chansons  qui  disent  ta  légende. 
Par  des  drames  naïfs  et  des  acteurs  de  bois, 
Ta  parole  aux  enfants  se  transmet  simple  et  grande, 
Et  souffle  en  eux  de  tous  les  côtés  à  la  fois. 

Certes,  nous  sommes  loin  des  beautés  de  ta  vie  : 
L'avarice  et  la  haine  occupent  nos  instants  ; 
Notre  fange  a  couvert  ta  trace  mal  suivie, 
Mais  ton  pur  souvenir  nous  sauve  en  tous  les  temps. 


288  JESUS. 

C'est  un  dernier  rayon  de  ta  lointaine  étoile, 
C'est  un  mot  familier  qui  te  répète  en  nous, 
C'est  Véronique  avec  ta  face  sur  son  voile. 
C'est  le  Cyrénéen  essuyant  tes  genoux  ; 

C'est  Pilate,  lavant  ses  mains  du  sang  du  Juste, 
C'est  l'amitié  de  Jean  qui  n'abandonne  pas, 
Et  nos  cœurs  sont  la  Table  où  ton  Verbe  s'incruste, 
Et  ton  nom  retentit  sous  chacun  de  nos  pas. 

Ta  vie  est  le  flambeau  dont  l'univers  s  éclaire  : 
Sans  la  simplicité  de  tes  légendes  d'or, 
Ton  cœur  n'entrerait  pas  dans  le  cœur  populaire 
Qui  sent,  lorsque  l'esprit  ne  conçoit  pas  encor. 

L'amour  n'est  pas  un  fruit  des  veilles  du  génie  : 
La  mère  et  son  enfant  se  l'expliquent  tout  bas  ; 
Ta  charité,  ce  n'est  qu'une  femme  infinie 
Qui  voit  des  flls  partout  et  ne  distingue  pas. 


IL    EST    ETEU.NEL.  289 


C'est  ce  cœur  élargi  que  tu  nous  fais  comprendre, 
C'est  l'homme  ayant  pitié  de  l'homme  faible  et  nu, 
C'est  l'âme  de  chacun  se  faisant  mère  tendre 
Pour  protéger  dans  tous  l'avenir  inconnu. 

Un  seul  flambeau  qu'on  penche  en  allume  cent  mille. 
Ton  seul  cœur  généreux  suffît  au  genre  humain, 
El  ce  mot:  aimez-vous,   où  tient  tout  l'Évangile, 
Multiplie  à  jamais  tes  poissons  et  ton  pain. 

Pour  que  le  boiteux  marche  et  que  l'aveugle  voie, 
Tu  parlas  de  tendresse....  et  le  sourd  te  comprit  ! 
Et  les  infirmités  tressaillirent  de  joie... 
Voilà  ton  grand  miracle:  il  est  tout  en  esprit. 

L'âme  humaine,  c'était  Lazare.  Elle  était  morte. 

Tu  vins  pleurer  sur  elle.  Oh  !  comme  tu  l'aimais  ! 

Et  maintenant,  toujours  plus  vivante  et  plus  forte, 

Les  yeux  sur  ton  amour,  elle  y  marche  à  jamais , 

17 


200  JÉSUS. 

Elle  y  marche  à  travers  le  crime  et  la  souffrance... 
Comme  Pierre,  elle  t'a  trahi,  mais  en  l'aimant, 
Et  le  chaos  du  mal  n'est  rien  qu'une  apparence 
Où  ton  verbe  caché  monte  invinciblement. 

Deux  mille  ans  ont  à  peine  ouvert  le  gland  du  chêne 
Qui  tiendra  sous  ton  nom  l'univers  abrité... 
Ta  victoire  sur  tous  les  cœurs  n'est  pas  prochaine, 
Mais  qu'importe  le  temps  à  ton  éternité  ? 

Le  monde  passera,  car  il  faut  que  tout  meure, 
La  terre  sous  nos  pieds,  le  ciel  sur  notre  front  ; 
Mais  par  delà  la  mort  ta  parole  demeure  : 
Heureux  les  derniers  nés  du  monde  :  ils  te  verront  ! 


TABLE 


k 


TABLE 


Dédicace ( 

Les     PELERINS,     PRIERE    DANS    LE     SOIR i, 


Les  bergkrs  dans  la  montagne 17 

L'hôtellerie  de   Bethléem 25 

Les  bergers  dans  l'étable 27 

Naissance  de  la  pitié 33 

La  fuite  en  Egypte .  35 

L'enfant  au  berceal 39 


294  TABLE. 

a  douze  ans 41 

Le  grand  chagrin 47 

Il  croissait  devant  Dieu 49 

Jean-Baptiste bS 

La  tentation 61 

Le  filet 03 

Discours  sur  la  montagne 67 

La  paix  en  retour 77 

Le  lumignon 79 

Bons  grains 81 

La  fille  de  Jaïre 85 

Le  bon  Samaritain 87 

Le  pain  multiplié 89 

Les  fourmis 91 

Trop  peu  d'ouvriers 93 

Les  colombes 95 

La  barque  engravée 97 

La  proue 99 

Il  commande  aux  tempêtes 101 

L'infini  miracle 103 

Les  petits  enfants % 107 

Les  commérages 111 

La   femme 112 


TABLE.  295 

La  Samaritaine H5 

Marie-Magdeleine 117 

Marthe  et  Marie 121 

L'inscription  sur  la  terri; 125 

Le  boeuf 129 

L'ane 131 

L'argile .  133 

Chez  Marie  mère  du  Christ 137 

Le  sommeil 147 

Le  triomphe 149 

Sur  le  parvis  du  Temple 1 53 

La  colère -^ 161 

L'indignation  publique IGo 

Le  banquet 1G9 

La  sueur  de  sang 171 

La  grande  solitude ITT 

La  preuve  est  en  nois 1«1 

Le  baiser  de  Judas ...  183 

L'ÉPÉE 185 

Le  regard 187 

Le  soufflet 191 

JUDA 193 

La  justice  du  i>i.l  pl:: 1 97 


296  TABLE. 

La  vengeance 203 

Le  roseau 205 

La  croix , 207 

Le  bois  vert 209 

Le  Juif  errant 211 

Le  Gyrénéen 213 

Véronique 217 

La  face  sur  le  voile 21 9 

L'horizon  du  Calvaire 221 

Le  trou  dans  le  roc 223 

Le  bourreau  sur  l'échelle 225 

Les  invectives  de  la  foule 227 

Les  deux  larrons 231 

Au  bon  voleur 233 

Le  doute  suprême 237 

Le  testament  d'amour 241 

Ou    SONT    LES   autres? 243 

Jean 247 

Le  chemin  vers  Dieu 251 

Propos  de  foule 255 

C'est  lui  qui  veille 261 

L'homme  meurt  seui 263 

La  gloire  des  lys 265 


TA  RLE.  207 

Joseph  d'Akimatiiie  chez  Piute 271 

Magdeleine 275 

La  visite  au  tombeau 277 

Lv    RÉSURRECTION 279 

Les  dermères  paroles  du  livre  ue  Jlan 281 


Il  est  éternel 283 


à 


CE    LIVIIE 
a  âlé  achevé  d'imprimei 

PAR 

ÉD.    CRÉTÉ 
le  24  février  1890 


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Aicard,  Jean  Frangois  Victor 
J^sus 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


PQ 
2152 
A4.J4 
1896 


Aicard,   Jean  François  Victor 
Jésus 


J/      J