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Full text of "Kitab el-istiqça li akhbar doual el-Maghrib el-Aqça: (Histoire du Maroc)"

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aAfHCCO: Z7 BOOKSEGO00O0 LE ECON 


ARCHIVES 
MAROCLAINES 


PUBLICATION 


DE LA 


MISSION SCIENTIFIQUE DU MAROC 


VOLUME IX 


PARIS 
ERNEST LEROUX, EDITEUR 


28, RUE BONAPARTE, VI® 


1906 


Pages. 


69 4b62 AA A 30 


Fana wr/‏ ارد 
leu zel‏ 
55 .26 .+ 
12e‏ 


TABLE DU TOME IX 


1 906: 


EUGENE .FUMEY 


CHRONIQUE DE LA DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 


Dynastie des chérifs Sijilmasis de la famille de ‘Ali Echchérif; leur 
généalogie et leurs débuts. : we 

Arrivée de Moûlay Elhasan ben ( Dêzê au ı Mağgrib : ا‎ s'éeltablit û 
Sijilmûsa. . . 

Postérilé de Modlay Hasan ben Qasém, s son ı développement dans le 
Mağrib, et quelques traits de Monilay ‘Ali Echchérif. 

Comment Moûlay Echchérif ben “Ali arriva au pouvoir ; lulle ¢ ntre 
lui et Bon Hassoûn Essémlûli surnomnmé Boû Dméi‘a. 

Ëmirat de Moûlay Mhammed ben Echchérif : «sa proclamation ûi 1 
Sijilmûsa ; causes de ces événements. . 

Monlay Mhammed conquiert le Dra‘ et en chasse Abod Hassoùn 
EssémlAali . . 

Affaire d’Elqèa ‘a qui aurvint entre Moûlay Mhammed ben Eehe hê rif el 
les gens de la Zaouyat Eddila ; ses conséquences. . 

YMoûlay Mhammed ben Echchérîf prend Féês, puis l'abandonne ù la mor 1 
de Sidi Mohammed El‘ayyûchi. . . 
Moûlay Mpammed ben Echchérif prend Oujda et dirige des i incur- 
sions sur Tlemsên et ses environs ; conséquences de ces acles. 
‘Otsmûn Pacha. dey d' Alger, écrit ù Moûlay Mhammed : corre»pon- 
dance échangée entre eux û cette occasion .. . 

Révolte du moqaddim Abonil'abbas Elkha«lir Ğeilan Elgorofli Ji ıns 
la région dQ’ Elhibt. > a» . ۾‎ 

Mort de Monlay Echchérif ben Ali . 

Incursion de Modûlay Mihammed ben Echclhérif chez les Arabs 
Elhayaîna des environs de Fès, et ses conséquences. 

Révolte de Modûlay Errechîid ben Echchérif contre son frere Moùlay 
Mhamıned 'et meurtre de ce dernier. 

Règne du Prioce des Croyants Moûlay Errechid ben Hehehérit. 


ل مەن ت 7 ٣‏ ن .م 


I1I ARCHIVES MAROCA:INES 


Pages. 
Prise de Taza et de Sijilmasa, et faits qui se placent entre ces deux 
événements. . r. 44 
Siège et prise de Fès : chatiment infligé aux ' rêvoltés e 45 
Prise de la Zûaouyat Eddilê ; exil de ses membres û Fès; événe- 
ments qui en sont la suite... . 48 
Conquête de Morrdakch et meurtre de émir Boû ‘Bkeur Echchebani 
et de ses partisans. . . e. ]ق‎ 
Construction du pont de I’ Oued Sbou, près de Fès . r. 52 
Conquête de Taroûùdant, d’Ilig et de tout lc Soûs. . .. . 53 
Constitution du guéich des Chraga ; leur origine ; explication de 
leur dénomination. . . r. 54 
Mort du Prince des Croyants Moûlay Errechid. r 56 
` Règne du Prince des Croyants victorieux par Dieu Aboûnnaşr Modlay 
Ismê îl ben Echchérîif . . . . 59 
Révollte de Moûlay Aboaûl‘abbds Ahmed ben Mahrèz ben Echchérif, 
etfin de ce dernier. a. . . . 60 
Révolte des gens de Fès, qui tuent le qid Zéîdûn et proclament Ben 
Mahrèz ; siège de la ville par le Sultan. . . . 61 
Le Prince des Croyants, Moûlay Ismê fil, reconstruit Méknasét 
Ezzéitoûn et en fait sa capitale. . . . 63 
Arrivée ù Morrûakch de Moûlay Ahmed ben Malırèz, qui prend la 
ville; le Sultan se met en route pour aller l'y assiéger. . . . 65 
Formation du « guéich » Eloûdêya, ses diverses fractions et leurs 
origines. . . . o . 66 
Révolte des Berbers, partisans des Dilaîs qui se ‘réunissent autour 
d'un des membres de cette famille, Ahmed ben ‘Abdallah ; le Sul- 
. 70 


tan les réduil. . . . .. 
Reconstruction de la capilale de Méknasét Ezzéitoûn . >. 71 
Création du « guéich » des ‘Abids d'Elbokhêri ; son origine et expli- 


cation des noms qui lui furent donnés . 74 
Expédilion du Prince des Croyants, Moûlay lsmê‘il, dans la région 
du Cherg; conclusion de la paix entre Jui et le gouvernement turc 
JAlger. . . 78 
Révolte des trois fils de Modlay Echchérîf ben ‘ “Ali, freres du Sultan, 
dans le Salıûra. 79 
Transport des Zirûra et des Chebanêt a Oujda: ‘construction de qaş- 
bas sur les frontièreé . . . .»« 81 
Prise d'Elmehdiya ; combats contre Ben Malırèz au Sods : événe- 
ments intermédisireS. . . 83 
Persécutions infligées aux Qadis et leurs causes. 8 
Expédition contre les Berbers et construction de qasbas a cûté de 
leurs forteresses . e 87 
Conquête de Tanger . . 84 
Deuxième expédition contre les Berbers et construction de forts 
90 


gur les limites de leur territoire . . . . . ... 


Pagc :. 
Le sultan Moûlay ‘Abdallah fait démolir Medinat Erriyad ù Méknêès. 18: 
Le sultan Moûlay ‘Abdallah envoie le « guéîch » des ‘Abids contre 
les gens du Fêzzêûz qui le mettent en déroute.. . . . . „. 66 
Révolte des ‘Abîids contre Moûlay ‘Abdallah, qui s'enfuit ãa Oued 
Noûl ; ses conséquences.. . . 188 
Règne du Prince des Croyants Moùlay Aboùlhasan “Ali ben Ismê il, 
surnommé Ela ‘réj . . 189 
Révolte des gens de Fès contre leur gouverneur Més ûd Errodsi ; 
leur rupture avec le sultan Abodûlhasan. . 190 
Expédition du sultan Aboûlhasan avec les ‘Abfds contre les habi- 
tants du Djebel Fêzzaz ; sa défaite . 192 
Le sultan Moûlay ‘Abdallah quilte le Sods ; ; le sultan Moùlay 
Aboûlhasan se réfugie chez les Ahlêf; ce qır'il fait jusqu'a sa 
morl. . . 193 
Deuxième règne du Prince des Croyants Moûlay ‘Abdallah ben 
Ismail . . 194 
Règne du Prince des Croyanls Moûlay Mohammed ben lamd ا‎ sur- 
nommé Ben ‘Arbiya : ses causes. . 196 
Lautorité du sultan Moûlay Mohammed ben ‘Arbiya commence e4 
diminuer : conséquences de cette décraissance. . . 197 
Attaque de Pécurie de Méknès par le sullan Moûlay ‘Abdallah: « ses 
conséquenCces. . 198 
Derniers événements du règne du ‘sultan Modlay Mohammed ben 
‘“Arbiya : troubles el misère qui les accompagnent. 199 
Règne du Prince des Croyants Moûlay Elmostadi ben [smd il. 202 
Le sultan Moûlay Elmostadi commet des actes d'’injustice qui 
amènent des désordres. 203 
` Le bdacha Aboùl‘'abb4as Ahmed ben Ali Errifl réduit les habitants 
de Tétouan.. . . 206 
Révolte des Abids contre Modlay Elmostagi, qui 8 enfuit 4 Mor- 
rakch . : 207 
Les ‘Abîds se rangenl de nouveau Sous Tautorité du sullan Molay 
‘Abdallah et embrassent son parti . . . 208 
Venue .du sultan Moùlay ‘Abdallah ù Méknès : sa conduite envers 
les habitants de cette ville . 209 
Aboûl‘abbas Ahmed ben ‘Ali Errifi met en ı déroute les trihus du 
Ğarb ; autres événements de cette époque. 210 
Révolte des ‘Abîds contre Moùlay ‘Abdallêah, qui e’enfuit, pour la 
seconde fois, chez les Berbers. . . 212 
Règne du Prince des Croyants Modûlay Zin El ‘Abidin ‘ben Ismê’ il. 212 
Suite des faits se rapportant ù Modûlay Zin El ‘abidin, et décrois- 
sance de son pouvoir . . . 214 
Troisième règne du Prince des ‘Croyants Moûlay ‘Abdallah. 215 
Moûlay Elmostadi vient de Morrakch et combat son frère Modlay 
e 216 


Iv ARCHIVES MAROCAINES 


‘Abdallah ; événements «jui en sont la suite. 


VI ARCHIVES MAROCAINES 


Pages. 
„~~  vice-royauté que Sidi Mohammed ben ‘Abdallah exerça û 
Morrakch. . . . 265 
- لے‎ Règne du Prince des Croyants Sidi Mohammed ben ‘Abdallah. ıu 0 
De la venue du sultan Sidi Mohammed èa Fès après la bér‘a, et de 
ce qui lui arriva en cette circonstance. . . . 272 
ËÈtablissements du meks ù Fès et dans les autres villes el opinions 
exprimées è cesujel. . . : 275 


Mise è mort de Boûşsşsekhoûr Elkhomsi : ce qu était ce ; personnage. 280 
Voyage du sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah aux places fron- 


tières, et inspection de leur situation . . 281 
Rêprcssion par le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah de la 

révolte des Oùdêèêya el ses causes. . . 283 
Nouveau voyage du sultan Sidi Mohammed de Morrakch a au Garb, 

et incidents qui marquèrent ce déplacement. . . 288 
Le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah chalie la tribu de 

Mesfiona: molifs de cetle répression. . . : ۰. ۰. 0 
Construction de la ville d' Essouéîra. . . 293 
Les Français attaquent Salé et El'arêîch. et s'en éloignent après 

avoir subi un êchec. . . . 29 
Correspondance éêchangée entre le sultan Sidi Mohammed ben 

‘Abdallah et le despote d Espagne :; ses résultats. . . . 297 


latértt porté par le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah è la place 

dEl'arêîch. qu'il pourvoil de Farmement nécessaire pour la 
guerre sainte . . . 32 

Le sultan Sidi Mohammed ben ‘\hdallah méduit les ît Zemmoùr 
du Tadla etl les transporte ã Selfãi : motifs de cetle expédilüon. 303 

“ Le sultan Sidi Mohammed ben 'Abdallah fait organiser une expédi- 
ton contre les AN Idrasên : motifs de celte décision. . . 304 

Exéculoa de ‘Abtdelhaqq Fennich Esslacui et déchéëéance de sa 
famille. . . . . . . 305 

Arnvée des présents envoyés par le sultan olloman Moustafa au 
sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah. . . . . 309 

Alliance enlre le sultan Sidi Mohammed ben "Abdallah e1 le chérif‏ ~ے 
Semir. sulian de kh Mekke. . . 312‏ 

Le sultan Sidi Mohammed ben ‘Ahdallah z'inléresse aux "Abids du 
Sois etl de la Qibla.et les fail venir dans TAgdal de Rahat Elfelh. 313 
Prse dEljedida . . -. . 384 

Efforts déployés par le sultan &idi Mohammed hen ‘Ahdallah pour 

ohtenir la liherté des captifs musulmans i; ce que Dieu accorda 


par son intermédikir. . 317 
Le sultan Sidi Mohammed hen ‘Ahdallah  ھدچن مخ‎ 1a ville de 

Melilla. place forte cxspagnvle. . .. 319 
Expedition da sallan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah conlre les 

RrAaber ATI Om Malou i sez molfS. . . . 321 


Ce quîl advint des YégChENn\a. que le Sultan avant fait entrer au 
gence Ci choisi dans les thus du Hoz. . . . . . <. 


TABLE DES MATIERES VI! 
Pages 
Les ‘Abîds se révoltent contre le sullan Sîdi Mohammed et pro- 
clament son fils Moùlay Yazid ; ce qui en résulte. 327 
Remarquables mesures de répression prises par le sultan Sidi 
Mohammed ben ‘Abdallah û I'encontre des ‘Abîds. . . . 330 
Le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah réduit les Ouldad Bessebd' 
et les disperse dans le Şahêra ; événements suivants. . 33+ 
Voyage du sultan Sfdi Mohammed ben ‘Abdallah au Tarilêlt, qu "il 
pacifie : motifs de cette expédition. . هه‎ 3:6 
Voyage que fit le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah a Essouéira, 
pour se distraire et se reposer, et ce qui lui arriva au cours de 
ce dêéplacement. . . 334 
Motif de la colère du sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah contre 
son fils Motlay Yazid. 343 
De ce qui eut lieu entre le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah ek 
les gens de la zaouya de Boûlja‘d. . 346 
Nombre des soldats des ports durant Je règne du sullan Sidi 
Mohammed ben ‘Abdallah, et montant de leur solde. . 48 
Moûlay Yazid revient d'Orient et se réfugie dans le mausolêée du 
chéikh ‘Abdesselam ben Mechich. Motifs de sa conduite. 351 


Mort du Prince des Croyants Sidi Mohammed ben ‘Abdallah. 

Derniers renseignements sur le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdal- 
lah; ses aeuvres ; sa politique. : 

Règne du Prince des Croyants Moûlay Yazid ben Mohammed : SeB 
premières années, son développement. .. 

Prestation de serment au Prince des Croyants Moùlay Yazid ben 
Mohammed . . 

Transfert des Odeya de Méknès 4 Fès et des ‘Abids des ports a 
Méknès. . . . 

Rupture de la paix avec les Espagnols ; sidge de Ceuta. 

Les gens du Hoùûz abandonnent le sultan Moilay Yazid ben 
Mohammed et proclament son frère Moûlay Hichûam 

Révolution au Magrib : apparition de trois rois fils de Sidi Moham- 
med ben ‘Abdallah ; résultats de cette situation. . . 

Règne du Prince des Croyants Aboûrrabi‘ Moûlay ben Mohammed. 

Le sultan Moûlay Sliman combat son frère Moùlay Moslama et le 
repousse dans le pays de I'Est. eee ees 

Pillage par les ‘Arabs Angûad de la caravane du pèlerinage 
m‘ gribin et ses conséquences. 

Le sultan Moùlay Sliman envoie des troupes dans le Hoùz : : il part 
après elles pour Rabat Elfeth, puis revient ù Fès. . 

Révolte de Mohammed ben ‘Abdesselam Elkhomsi, surnommé 
Zéîtan, dans le Djebel. 


EUGENE FUMEY 


L'auteur de cet ouvrage, trop vite enlevé aux siens et ã 
Fceuvre de la France au Maroc, était un des fonction- 
naires les plus appréciés de la Légation de France û Tan- 
ger, où sa mort laissa un vide difficile a combler. 

Diplûomé de Ecole des Langues orientales pour les 
langues arabe, turque et persane, il débuta dans la car- 
rière consulaire en qualité d’élève-drogman a Alep, en 
1893 ; mais la Syrie ne l'attirait pas, et, année suivante, 
il était, sur sa demande, envoyé ù Tanger, où devait se 
développer en lui une véritable vocation pour Uétude du 
dialecte maghrebin et des choses du Maroc. 

La question marocaine n’avait pas encore acquis l'im- 
portance qu'elle a prise depuis lors ; aussi, les fonction- 
naires de la Légation et les consuls ne faisaient, û Tanger 
ou dans les différentes villes de la cûte, que des séjours 
assez courts et se souciaient peu de se spécialiser : les 
ouvrages sérieux sur le Maroc étaient rares et le pays 


fort peu étudié. 


x EUGÈNE FUMEY 


Doué d'une aptitude remarquable pour les langues. 
M. Fumey acquit bientêt une connaissance approfondie 
de Tarabe littéraire et du dialecte maghrebin. Mais il avait 
aussi, au plus haut degré, le sens de observation: ses ca- 
marades se souviennent de UPintérêt avec lequel il s’entre- 
tenait, non seulement avec les fonctionnaires chérifiens, 
mais aussi avec les gens du peuple, cherchant ù pénétrer 
leur psychologie, a s'’enquérir de leurs idées particulières 
sur Europe, saisissant dans ces existences, que cûtoie 
FEuropéen sans les pénétrer, le trait révélateur de esprit 
du pays et de la race. Il avait un goût particulier pour la 
conversation des vieux Mokhazni, se faisait conter par eux 
les « harka » auxquelles ils avaient assisté, les anecdotes 
relatives aux campagnes de Motûlay Mohammed ou Moû- 
lay Elhasan. Et ces Musulmans, habituellement si fermés, 
causaient sans arrière-pensée avec ce jeune homme con- 
naissant si bien leur langue et leur histoire, et qui savail 
garder, avec la cordialité qui met èڍ‎ aise, la courtoisie iû 
laquelle Tindigène, û quelque classe qu’il appartienne, est 
si sensible. Šix mois passêés û Fès, comme gérant intéri- 
maire du consulat, lui fournirent l'occasion d’achever ses 
tudes de sociologie pratique, au milieu de la société 
maure, ol se recrutent la plupart des hauts fonctionnaires 
du Makhzen. 

Un parell agent est une bonne fortune pour une Léga- 
lion i ses chefs le comprirent et il fut nommé premier drog- 
man û Tanger, en LSQ7. û Age de vingt-sept ans, avance- 


ment lout û fall c\ceptionnel dans la carriètre. Il fut, dès 


EUGÈNE FUMEY XI 


lors, associé par une étroite et utile collaboration ù nos mi- 
nistres a Tanger, M. Revoil et M. Saint-René Taillandier. 
Les événements allaient bientût donner une singulière 
importance aux choses du Maroc et ouvrir la « question 
d'Occident ». Le grand-vizir Ba Ahmed, qui avait su main- 
tenir son pays fermé aux intrigues européennes, mourait ; 
le jeune Sultan, jusqu’alors tenu en lisières par une tutelle 
éGtroite, laissait la gestion des affaires a son favori Mnebhi, 
jeune caid èڍ‎ esprit ouvert et d’agréable caractêere, mais 
insuffisamment préparé û tant de responsabilités... les im- 
prudences qui furent alors commises pendant la derniére 
année du séjour du Sultan ù Marrakech sont encore ù la 
mémoire de tous ceux qui s’occupent des choses du Maroc. 
Elles eurent d’abord, pour conséquence, une très vive ri- 
valité entre les politiques française et anglaise — rivalité 
a laquelle mit heureusement fin Uentente cordiale des 
deux nations — enfin Jinsurrection de Boû Hamara, el 
une situation intérieure de plus en plus anarchique. 
Pendant toute cette période d'’évolution politique du 
Gouvernement marocain, le rêle du premier drogman de la 
Légation de France devait être très actif. M. Fumey fut 
d’abord attaché ù Pambassade extraordinaire du ministre 
des Affaires étrangères du Sultan, Sî ‘'Abdelkérîim ben Slî- 
mûn, ù Paris, au cours de été 41900 ; puis fut envoyé en- 
suite en mission spéciale auprès de la Cour chérifienne è 
Marrakech. Ce fut l'année suivante que le Sultan quitta sa 
capitale du Sud pour se rendre èڍ‎ Fès. Selon usage, il 


s’arrêta plusieurs mois ù Rabat : la rivalité franco-anglaise 


XII EUGENE FUMEY 


avait pris alors une tournure inquiétante pour nos intérêts 
au Maroc. Le ministre de France fit encore une fois appel 
û 'expérience de M. Fumey et èã sa connaissance des hom- 
mes du Makhzen, pour lui confier une nouvelle mission 
auprès de celui-ci. 

Mais le travail qu'il fournissait sans compter avait déjè 
usé 8a santé ; 1l lui fallut tout son dévouement pour retour- 
ner û Rabat quelques semaines plus tard, au mois de jan- 
vier 1902, accompagnant UÛambassade extraordinaire de 
M. Saint-René Taillandier. Ce fut alors qu’il contracta la 
maladie dont il ne devait jamais complètement se remet= 
tre. .\près une convalescence précaire, le sentiment de sa 
responsabilité lui fit reprendre trop tût la direction de son 
service û la Légation où il s’était rendu indispensable ; il 
dut bientût rentrer en France subir une opération. L’in- 
tervention chirurgicale sembla, d' abord, avoir vaincu le 
mal; trop faible pour supporter, pendant Uhiver, les ri- 
gueurs du climat de Besançon, sa ville natale, il se repo- 
suit près de Toulon. û Samary. où le dèvouement d'une 
swur avait suivi, quand il fut emporté le 27 mars 1903, 
è Tage de trente-trois ans, par une hémorragie consécu- 
tive û la maladie de foie dont il souffrait. Il venait d'être 
proposeê pour la croix, mais ne devait pas avoir la satisfac- 
tion de la recevoir avant sa mort. ۰ 

Ce malheur, qui consterna ses amis de Tanger et ses 
cmarades de la Lêgation de France. fut aussi vivement 
rexgsentî au Makhren,. oû il avait su se faire apprécier, et 


lo ministre des Aflairrs etrangeêres du Sultan écrivit au 


BUGÈNE FUMEY XIII 


۰ 


représentant de la France ù Tanger, pour lui exprimer 
les sentiments de condoléances de son maitre et du Gou- 
vernement marocain. 

Pendant ses rares loisirs, M. Fumey avait pris une quan- 
tité de notes et commencé plusieurs études, qu'il n’eut pas 
le temps de compléter ou d’achever. 

Les premiers travaux furent relatifs ù la linguistique 
vulgaire. De nombreux ouvrages de vulgarisation ont été 
édités sur ce sujet en Algérie, mais avec les particularités 
dialectiques du Maghreb central ; il voulait combler cette 
lacune par un vocabulaire et un choix de contes. Ses étu- 
des avaient surtout un caractère pratique et comprenaient : 
le dialecte parlé dans les milieux populaires et celui des 
« fqîih », ce dernier usant abondamment de la terminologie 
littéraire pour exprimer des idées abstraites ; puis la lan- 
gue écrite, dans le style courant des lettres du Makhzen, 
souvent rédigées par des secrétaires possédant fort bien 
la langue littéraire. M. Fumey almait ù soutenir cette opi- 
nion que, contrairement ù idée généralement répandue, 
le dialecte marocain n’est pas plus incorrect que celui d’AI- 
gérie et dÊgypte. Les arabisants sont souvent frappés par 
les mots espagnols que les indigènes de la cûte introdui- 
sent dans leur langage, mais ceux-ci ne sont pas plus 
nombreux que les mots français, italiens et grecs em- 
ployés dans les autres pays de langue arabe, limmuabi- 
lité de la vie sociale des Musulmans marocains ayant peu 


favorisé, d’ ailleurs, Pintroduction des néologismes étrane 


gers. 


XIV EUGÈNE FUMEY 


Absorbé par ses occupations professionnelles, M. Fu- 
ıney dut renoncer è ce travail absorbant et ingrat qu’ est 
la rédaction d'un vocabulaire. I]l] abandonna ù ses jeunes 
camarades de la Légation les contes qu'il avait recueillis 
en dialecte tangérien. 

Il se borna èù publier son Choiz de correspondances ma- 
rocaines (1), recueil de cinquante lettres officielles du Makh- 
zen, choisies dans les archives de la Légation de France 
el reproduites en fac-similé. Ces lettres sont traduites et 
acçompagnées de notes instructives sur les termes em- 
ployés, les coutumes du Makhzen et sa façon de traiter les 
aflaires ; rangées par ordre chronologique et présentant 
ainsi un spéêécimen de toutes les époques, depuis Sidi Mo- 
hammed Ben Abdallah, petit-fils de Moûlay Ismail, jus- 
qu'è nos jours, elles montrent Févolution survenue dans 
les relations de la Cour chérifienne avec les représentants 
étrangers au cours du dix-neuvième siècle. 

le dernier travail de M. Fumey. et celui auquel il s’in- 
lêrcesait le plus, fut sa traduction du Aifdb Elistiqşd, pu- 
bliêe aujourd'hui par les ArcAtres marocaines . 

le Atldb Elistiqşd est un long rêsumeé de histoire du 
Marve depuis les debuts de Tlslam jusqu'a nos jours, 
dont Uauteur, le fqth Ahmed Ennûşiri Esslaout. fonction- 
nai du Gomerncment cherien. remplit. a ce titre, dif- 


fêrents ecmplois sous les rêgnes de Sidi Mohammed et de 


U Lihtraıne orientale ci amertcaine J. Maisonneuve. ™. rue Madame. 
IM. 


EUGÈNE FUMEY XV 


Moûlay Elhasan. Les parties de ouvrage antérieures au 
dernier siècle ne sont pas très intéressantes, Ennûşiri 
n’ayant fait souvent que paraphraser ou même reproduire 
le Rodd Elqarlas, le Nozhet Elhadi et Eitorjemdn Elmou- 
arib, ouvrages déja traduits. Mais il n’en est pas de 
nême pour la période contemporaine, celle dont M. Fu- 
mey entreprit la traduction ; la, auteur avait pu recueil- 
lir de témoins oculaires les événements dont il se fait le 
narrateur, Ou Jy avait assisté lui-même. Son ouvrage, qui 
permet de suivre la politique des derniers Sultans vis-è- 
vis des tribus de leur empire et vis-a-vis des puissances 
européennes, devient le plus intéressant des monuments 
historiques... indispensable ù qui veut bien saisir orga- 
nisation de ce gouvernement rudimentaire que on nomme 
le Makhzen, et pénétrer sa politique si simple dans son but 


et s1 compliquée dans ses moyens. 


[l. GAILLARD. 


2 ARCHIVES MAROCAINES 


Cette généalogie, qui a mérité d'être qualifiée de chaîne 
d'or, a été ainsi donnée par nombre de savants, tels que le 
chéikh Aboûl'abbas Ahmed ben Aboûlqasém Eşşoûm i, 
le chéikh Abon ‘Abdallah Mohammed El‘arbi ben Yoûsef 
Elfèsi et le très docte chérîf Aboû Mohammed ‘Abdesselêm 
Elqadiri dans son livre intitulé: Eddorr essant fiman bi-Fêès 
min ennasabıi-lhasant. Nous avons déja dit, a propos de la 
dynastie saadienne, qu'il convenait d’ajouter dans la ligne 
directe de cette généalogie chérifienne, après le dernier 
Qasém : fils dJElhasan, fils de Mohammed, fils de ‘Abdallah 
Elachter, fils de Mohammed Ennéfs Ezzakiya... etc. 

Abot ‘Abdallah Elfèsi dit dans Elmerd'a que les « Ché- 
rîfs, sur origine desquels il n’y a aucun doute, sont nom- 
breux au Magrib : ce sont, entre autres, les DjJoufts, qui 
sont Hasanis ][drîsis, les Chorfa de Tafilêlt qui sont Hasa- 
nis Mhammédis, les Sqallis, et les ‘Irdqis qui sont Ho- 
séinis. Il n'y a pas deux personnes qui soient en désac- 
cord sur leur noblesse, ni parmi leurs compatriotes, ni 
parmi les étrangers qui les connaissent. » Le Chéikh 
eljemd'a, imam Aboû Mohammed ‘Abdelqader Elfèsi(Dieu 
lui fasse miséricorde !) qui partage les chérifs du Magrib 
en cinq groupes, suivant leur origine plus ou moins for- 
tement établie, a classé les seigneurs Stjilmdsis dans le 
premier groupe, parmi les familles dont la noblesse est 
universellementconsidérée comme indiscutable. Le chéikh 
Aboû ‘Ali Elyoûsi (Dieu lui fasse miséricorde !) dit èã son 
tour que la noblesse des seigneurs Sijtlmdsis est une 
chose dont 1l est aussi peu permis de douter que de la 
clarté du soleil dans la matinée. Le chéikh Aboûl‘abbêas 
Ahmed ben Ma‘n Elandalousi disait, parait il, que, depuis 
les Idrisis, le gouvernement du Magrib n’avait pas appar- 
tenu ù une famille d'une origine aussi authentique que les 
chérîifs de Tafilêlt. 

En résumé, la noblesse de ces seigneurs Sijilmasis est 
pour tous les habitants du Mağgrib un fait incontesté et dont 


4 ARCHIVES MAROCAINES 


‘qoûb ben ‘Abdelhaqq Elmerîni : nous avons déja rapporté 
cela en son lieu et place. Dans sa Rıhla, le très docte 
Aboû Salém El'ayyêchi prétend que Moûlay Elhasan vint 
au Magrib dans le courant du septiètme slècle. 

Elhasan habitait dans un village voisin de Yenboû', ap- 
pelé Beni Brahim. 

En résumé, tous les auteurs que je viens de citer s’ac- 
cordent ã dire que Uarrivée du Chériîf eut lieu dans le cours 
du septième siècle : c’est la sans doute, s'il plait ù Dieu, 
que doit être la vérité. D’autres prétendent bien que cet 
événement arriva dans le sixième siècle, mais cette date 
parait bien reculée. 

On n’est pas d'accord sur les motifs qui amenèrent ce 
seigneur au Magrib: L' auteur du livre intitulé: Elanoudr 
essaniya fimd bi-Sijilmdsa mîn ennisbat Elhasaniya fait è 
cet égard le récit suivant: La caravane du pèlerinage Ma- 
gribin venait souvent en cet endroit visiter les chérifs. 
Le chef de la caravane, qui était ù cette époque un habitant 
de Sijilmasa, probablement Sîdî Boû Brahim, rencontra le 
Séyyid Hasan è la foire qui se tient après le pèlerinage. 
Comme a cette époque il n'y avait aucun chérîf ni ù Sijil- 
masa ni dans toute la région, le chef de la caravane insista 
tant sur les charmes du séjour du Magrib et spécialement 
de celui de Sijilmêsa, qu’ Elhasan se laissa entrainer ù reve- 
nir avec la caravane. Boû Brahim ramena donc avec lui 
le chérîf, qui s’ installa a Sijilmasa. 

Son descendant Moûlay Aboû Mohammed ‘Abdallah ben 
‘Ali ben Tahar affirme, suivant une note écrite d’après ses 
dires, que les habitants de Sijilmasa qui ramenèrent avec 
eux le chérif, appartenaient aux Ould el Bachir, aux Ou- 
lad el Menzêûri, aux Oulad el Mo'taşim et aux Oulad ben 
‘Aqila : ceux avec lesquels il s’allia furent les Oulad el 
Menzari. auteur de PArjodza dit que le chéikh Bot 
Brahim qui amena le chérîf était un descendant de ‘Omar 
ben Elkhattab; Dieu soit satisfait de lui ! 


0 ARCHIVES MAROCAINES 


Un auteur dit encore que les gens de Sijilmasa s’ étaient 
adressés a Moûlay Qasém ben Mohammed pour le prier de 
leur envoyer un de ses fils, parce que ce personnage était, 
a cette époque, le plus en renom et le plus dévot de tous 
les chérîifs du Hedjaz. Moûlay Qasém voulut éprouver ses 
enfants, qui étaient, dit-on, au nombre de huit, avant de 
désigner celui qui conviendrait le mieux ù cette mission ; 
il les interrogea donc successivement, en leur disant : 
« Comment vous conduiriez-vous a 'égard de quelqu’ un 
qui vous aurait fait du bien ? » Tous répondirent qu'ils lui 
feraient du bien. « Et, ajouta-t-il alors, comment vous 
conduiriez-vous envers celui qui vous aurait fait du mal ? » 
Chacun des enfants, a qui cette question avait été posée, 
ayant répondu qu'il rendrait le mal pour le mal, le père 
leur avait dit de s’asseoir; mais arrivé a Moûlay Elhasan 
Eddakhil, et lui ayant adressé la même question, celui-ci 
répondit : « Je lui ferais du bien. » — « Et s’il continue è 
te faire du mal, répliqua le père. » — « Je lui ferais encore 
du bien, et je persévérerais jusqu'a ce que mes bontés 
viennent ڍ‎ bout de sa méchanceté, reprit Moûlay Elhasan. » 
En entendant cette réponse, le visage de Moûlay Qasém 
s’illuınina, et se sentant pénétré par l'inspiration hachimite, 
il appela les bénédictions du ciel sur ce fils et ses descen- 
dants. Dieu exauça sa prilêre. 

Moûlay Elhasan Eddûkhil était un homme vertueux et 
dune grande piété, il était versé dans diverses sciences, 
particulièrement dans celle de la logique qu’il possédait ã 
fond : Il venait de s’installer a Sijilmûsa et de prendre un 
peu de repos dans sa nouvelle résidence, lorsque le chéikh 
Boû Brahim lui fit épouser sa fille ; il habitait dans cette 
ville endroit appelé Elmeşlah. Lorsqu’il mourut, une dis- 
cussion, si vive qu'elle faillit dégénérer en lutte û main 
armée, s'’éleva entre les gens de Sijilmûsa au sujet de en- 
droit où on Uenterrerait, on se mit d’accord pour partager, 
ù l'aide decordes, la ville en quatre partieségales eton fit sa 


8 ARCHIVES MAROCAINES 


aussi quelque temps dans le bourg de Sefroîû, oüù il laissa, 
dans sa succession, des terres et des fondations quiexistent 
encore aujourd'hui. Il en laissa également dans le pays de 
Guers, û deux journées et demie de marche de Sijilmûsa, 
où il vécut un certain temps, 

Moûlay ‘Ali alla plusieurs fois en Andalousie, pour y 
prendre parta la guerre sainte, et séjourna longtemps dans 
la péninsule. Lorsqu'il eut quittée pour rentrer û Sijil- 
mûsa, les Andalous lui écrivirent pour lesupplier de revenir 
dans leur pays et lui inspirer de I"intérêt pour les choses 
de la guerre sainte; ils lui exposaient, en même temps, 
que les habitants de 'Andalousie étaient trop faibles pour 
résister ù ennemi et qu'il leur fallait quelqu'un qui ralliat 
toutes les sympathies. Durant son séjour en Andalousie, 
ils l'avaient déja pressé d'accepter leur serment de fidélité 
et la royauté, lui prometlant leur obéissance et leur appiüi, 
mais Moûlay ‘Ali avait repoussé ces propositions par piété, 
par ımnodestie et aussi par indifférence pour les pompes de 
ce monde. 

« J'ai vu, dit Elyéfréni (Dieu lui fasse méricorde !), de 
nombreuses lettres qui lui furent adressées par les ‘oulamê 
de Grenade. Dans cette correspondance, ils engageaient 
vivement Moûlay Ali ù passer la mer pour venir chez eux 
et exciter les guerriersde la foi û prendre en main la défense 
de leur drapeau. Ils lui disaient que tous les habitants 
de Grenade, ‘oulamû, personnages religieux, et chefs de 
partis, s’étaient imposés sur leurs biens particuliers, et en 
dehors des impositions levées par le Sultan, une contribu- 
tion considérable qui serait affectée aux troupes qu'il amê- 
nerait avec lui du Magrib. Voici comment ils s'adres- 
saîent û lui dans une de ces lettres : « Au lion magnanime, 
le pêle de tous les chevaliers de 'Islûm, le brave auda- 
cieux, le lion hardi, le grave, le pieux, Uéclaireur de la 
milice des guerriers de la foi, le glorieux des glorieux, 
celui qui apporte la victoire dans ces contrées, celui qui 


10 . ARCHIVES MAROCAINES 


Brahim El‘amri et pour les inviter aussi ù accepter la pro- 
position qui leur était faite. Elle fut composée par le doc- 
teur Aboû Fûarès ben Errabi ‘Elgarnêti : ۰ 

« O toi qui chevauches, dévorant les déserts et les soli- 
tudes, puisses-tu être dans la bonne voie et arriver sain et 
sauf. 

« Va d’étape en étape, accélère ta course, la nuit, le jour, 
marche, car tu te diriges vers un astre brillant qui se 
lêve. ۰ 

« Emporte — que Dieu te protège ! — de ma part, vers 
cet asile, le salut dun homme enflammé de désirs que le 
souvenir rend encore plus ardent; 

« Le palais principal de Sijilmasa, ce palais qui renferme 
è la fois la puissance et la gloire; 

« Salue-le, salue ses habitants du salut d'un ami qui ne 
peut supporter la séparation; 

« Car affection que j’ ai pour eux court dans toutes mes 
veines; mes os, mon Sang, mes cheveux, en sont im- 
prégnés. 

« Cest lè le séjour de la religion, du bien et de ortho- 
.doxie, que hommes pieux se sont élevés dans son ciel 
comme des pleines lunes ! 

« Ce sont des hommes en compagnie desquels on 
n’éprouve aucune peine, car des groupes de fleurs répan- 
dent en se balançant leurs parfums au milieu d’eux. 

« Dis-leur : O famille de la Qibla, vous qui êtes toujours 
les premiers ù accourir au milieu du danger quand on vous 
appelle au moment dun grave événement,; 

« Toi surtout, descendant d’Elhachmi, du rejeton de 
son gendre ‘Ali dont le rang s’élève au-dessous de Saturne; 

« Aboûlhasan Moûlay Echchérif, qui a fait briller ã 
POccident le soleil de la victoire sur le Sahara; 

« Lui dont les merveilleuses qualités ont brillé ù Pho- 
rizon des coeurs, et qui, par elles, a mis les esprits dans un 
tel ravissement qu'ils se croient enchantés. 


DYNASTIE ALAOUIE DÜ MAROC 11 


«Il est un faucon quand les braves brandissent leurs 
armes, un lion chaque fois que on combat avec les dents 
et les griffes. ٤ 

« Il est le sauveur quand la meule de la guerre roule 
dans la mêlée; il est la pluie bienfaisante alors que le 
nuage ne laisse tomber que quelques gouttes d'eau. 

«Jl a lutté contre les chrétiens; il a anétanti leurs batail- 
lons; il a tué les uns et fait les autres prisonniers. 

« A Tanger, la mort a été douce pour les quelques 
hommes qui défendaient la ville et qui espèrent que Dieu 
les en récompensera. 

«Il les avait appelés de Uextrémité du Soûs, ces héros 
qui ont aussitêt sellé leurs coursiers au poil ras, sans plus 
réfléchir. 

« Ãlors les étriers des cavaliers ont résonné;; le soleil a 
brillé, et les soldats de Dieu ont infligé une défaite a en- 
neıni. 

«Il n’y a rien d’étonnant ù ce que ceux parıni lesquels 
ilse trouvait aient été les lions du pays du mont Jalma qui 
ont mis a mort Marhab '. 

« Viens au secours de ton voisin affligé par ses malheurs, 
û Aboûlhasan; accours a la délivrance de ton Ile verte. 

- « Appelle è ton aide notre ami Aboû ‘Abdallah; grace 
a lui, tu apporteras la joie au milieu des calamités. 

« Il est le descendant @Aboû Ishaq; en le secourant, 
fais honneur èa un père qui a laissé une postérité pure, hon- 
nête et vertueuse. 

« N'est-ce pas lui qui a répondu û appel des gens de 
Tanger, qui en un instant a réuni toutes les populations de 
Garb. 

« Et qui a infligé aux infidèles une défaite, et quelle 
défaite ! Ceux qui n'ont pas péri par le glaive sont morts 
de frayeur. 


1. Marhab, nom du juif que tua ‘Ali (Dieu soit satisfait de lui !) û la 
journéte de Khéıbar (Nole marginale de Tauleur). 


12 ARCHIVES MAROCAINES 


« Aussitêt la citadelle de la religion a souri en montrant 
ses blanches dents, tandis que la face de Yinfidélité était 
envahie par la tristesse et la terreur. 

« Dieu lui a déja accordé la félicité et la satisfaction, et 
lui réserve les jardins de Eden pour le jour où il revien- 
dra è lui. 

« Ah! parle, û homme juste, que tous les hommes pieux 
ont pris comme chef, et qui tes élevé jusqu’ aux hauteurs 
ot séjourne Sirius. 

« Je vois tous ceux qui sont dans le Garb désespérés; ils 
attendent votre venue pour secourir Andalousie. 

« Grenade la brillante vous crie : Venez tous deux, ap- 
portez étendard blanc pour secourir Alhambra; 

« Ses habitants ont tous placé en vous leurs espérances, 
les vieillards comme les enfants et les vierges aux seins 
arrondis. 

« Nous nous précipiterons avec ceux de notre pays, nous 
les appuyerons, fantassins ou cavaliers, brillants sei— 
gneurs, 

« Protecteurs des opprimés, vaillants défenseurs, hommes 
généreux qui rivalisent avec UPorage, le torrent et la mer. 

« Allons ! sus aux infidèles ! leurs tyrans seront faits 
prisonniers! les oiseaux de proie et les bêtes fauves se ras= 
sasieront (les cadavres de leurs morts. 

«lls ont voulu nous soumettre èãڍ‎ leur domination et 
ravager, sur nos terres, les récoltes et les moissons. 

« Tout notre pays, places fortes et bourgades, vous 
appellent pour les délivrer de cette amnère infortune. 

« Ah! combien il y a ici d'’êtres faibles dont le corps ne 
peut se mouvoir, de vieillards qui ont dépassé cent dix ans, 

« De filles brunes et blondes, belles comme des statues, 
de jeunes enfants au berceau qui ne distinguent ni le bien, 
ni le mal, 

« De chaires réservées aux sermons et aux prilères, de 
mosquées pour la prière et 'enseignement, 


10 ARCHIVES MAROCAINES 


Moûlay 'Ali eut neuf fils : Moûlay Echchérif, nê en 997, 
ancêtre de nos rois; Moûlay Elhafîid; Moûlay Hajjûj, Moû- 
lay Mahrêz, Moûlay Harroûn, Moûlay Fdil, Moûlay Boû 
Zakaria, Moûlay Mbûrék, et Moûlay Saîd. De tous ces 
enfants de Moûlay ‘Ali, Moûlay Echchérif était le plus ver- 
tueux et le plus éminent. Celui-ci (Dieu lui fasse miséri- 
corde !) eut un grand nombre d'enfants, tous étoiles bril- 
lantes, pleins de qualités remarquables, parmi lesquels 
étaient Moûlay Mhammed l'aîiné, Moûlay Errechîid, Moûlay 
Isma'îl, qui arrivèêrent tous trois ù la royauté du Mağrib, 
Moûlay Elharrûn dont nous parlerons plus tard, Moûlay 
Mahrêèz, Moûlay Yoûsef, Moûlay Ahmed, Moûlay Elkebîr, 
Moûlay Hammada, Moûlay ‘“Abbûs, Moûlay Saîd, Moûlay 
Hûchém, Moûlay ‘Ali et Moûlay Mehdi, frêére germain 
d'Ismû' îl. Voila ce que nous pouvons rapporter de cette 
famille chérifienne aux ombres étendues : Dieu est le pro= 
tecteur. 


Comment Moûlay Echchérif ben ‘Ali arriva au pouvoir ; lutte 
entre lui et Boû Hassoûn Essemlêli, surnommêé Boû Dmêéî ‘a *. 


Comme nous avons précédemment rapportéê, c'est 
sous le rêgne du sultan Zêidûn ben Elmanşoûr Essa di 
que s'était révélé Boû Hassoûn EssemlÃli. Il avait d'abord 
conquis le pays Solûsi, puis il avail étendu son autorité sur 
les régions de Drû'‘ et de Sijilmûsa. Il prit, dit-on, Sijilmûsa 
en 10/41 : appelé par Moûlay Echchérîf ben ‘Ali, qui lui 
demandait son appui contre ses ennemis les Beni Ezzoûbêr 
de Tûbou'aşûmt, ainsi que le raconte le Bouslûn il s'y était 
rendu, mais il avait pris possession du pays et était ensuite 
retourné û sa résidence dans le Soûs, aprês avoir nomımé 
un gouverneur pour administrer la contrée en son nomi. 


1. Texle arabe, IV parlie, pagê 1. 


18 ARCHIVES MAROCAINES 


dernier, se dévouant, eux et leurs enfants, ù son service, et 
lui témoignant une amitié et un dévouement sans bornes; 
ils espéraient ainsi arriver è le brouiller avec Moûlay Ech- 
chérif qu'il avait soulenu contre eux. Ils travaillèrent s1 
bien dans ce sens que bientêt les relations se tendirent 
entre les eux princes, que inimitié s’établit entre eux et 
que se multiplièrent les motifs de discorde. 

« Quand il vit ce qui se passait, son fils Moûlay Mham- 
med ben Echchérif attendit la première occasion pour se 
venger des habitants de Tûbou 'aşamt. Une nuit, il partit ã 
la tête de deux cents cavaliers environ, simulant un départ 
pour une autre direction, puis tomba sur eux ù improviste 
et escalada leur citadelle. Les habitants n’étalent pas sur 
leurs gardes: aussi Moûlay Mhammed et sa troupe leur 
donnèrent du sabre et les égorgêèrent sans quills pussent 
se dêfendre. Il se rendit maitre eux et s'empara de leurs 
trêésors. Ce succès guérit le ceur de son pêre des senti- 
ments de vengeance qu'il conservait contre eux. 

« Lorsque cette nouvelle parvint a Boû Hassoûn, il en 
ful mortitiê et entra dans une violente colère. Il écrivit èù 
gon gouverneur û Sijilmûsa, qui s'appelait Boû Bkeur, de 
chercher un moyen de s'emparer de Moûlay Echchérif, et 
de le lui envoyer ensuite prisonnier. Le gouverneur exé- 
cul cet ordre. Il Sempara de Motlay Echchérif par trahi- 
son, en fmisant le malade et le priant de venir le visiter 
pour recevoir sa hêénêdiclon. Quand il eut pris, il Ten- 
vVoya au Sots, ol Bol Hassoûn le retint captif dans une 
citadelle. 

« Moûlay Echecherif demeura prisonnter jusqu’ au jour où 
sen hls ache sx lhbere par une somme d argent con- 
siderable ; Û rı int ensuite û Sijilmêşza. mais il serait trop 
long de later les incidents de ce voyage. Ces êvénements 
ge passêrent ans le courant de annee 1047. 

« auteur du Boustdr ajoute que Boi Hassoûn donna 
ã Mvûlaı Ëchcherif. pour le semir pendant sa captivité, 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 19 


une esclave mulatresse qui se trouvait parmi les captifs 
des Mğafra et qui devint la mère de Moûlay Isma'îl et 
de son frere Moûlay Mehdi. » 

Je ne sais pas ce que cet auteur entend par la, car si cette 
djûria était apparentée aux Mğgêfra, elle était de condition 
libre, et les rapports de Moûlay Echchérif avec elle n’ont 
dû avoir lieu qu’après un acte de mariage : c’est la opi- 
nion la plus vraisemblable, elle est appuyée par ces paro- 
les que le grand sultan Moûlay Ismail prononça quand il 
réunit le guéich des Oudéya: « Vous êtes mes oncles 
naternels! » et dans lesquels il faisait allusion ù cette 
alliance. Si, au contraire, c’était une esclave des Mğafra 
qui appartint ensuite a Aboû Hassoûn, les rapports ont eu 
lieu en vertu du droit de butin. Dieu sait quelle est la 
vérltê. 

L’auteur du Bousildn rapporte souvent des faits sans dis- 
cernement et sans attention. Il convient de n’accepter 
quavec réserve ce qu'il est seul ù raconter: Dieu nous 
protege ! 


Emirat de Moûlay Mhammed ben Echchérif : sa proclamation 
èa Sijilmêsa ; causes de ces événements '. 


Pendant que Moûlay Echchérîf était dans la prison où 
avait mis Aboû Hassoûn, son fils se préparait ù extermi- 
ner jusqu’au dernier les habitants de Tabou'aşamt et ù 
extirper cet ulcère. Renforcé en partie par les richesses 
quil leur avait enlevées au cours de la première affaire, il 
soccupa, dès que son père fut éloigné du Soûs, èa réunir 
une armée, dans laquelle vinrent s’incorporer un certain 
nombre de gens de Sijilmasa et des environs (1045). Les 
mauvais traitements des agents de Aboû Hassoûn envers 


1. Texte arabe, I1V° partie, page 8. 


30 ARCHIVES MAROCAINES 


les gens de Sijilmasa et leur cupidité avaient outré la 
population et fait germer dans tous les ceurs la haine de 
la domination des princes du Soûs. L’oppression de ces 
fonctionnaires était allée jusqu'a prélever le Kharddj dans 
le pays de Sijilmasa sur toutes choses et même jusqu’è taxer 
les gens qu’ils trouvaient au soleil en hiver, eta 'ombre en 
été. Ainsi opprimés, les habitants de Sijilmêasa mépri- 
sêrent ces fonctionnaires et les prirent en dégoût. Aussi 
quand Moûlay Mhammed se présenta, fort déja des gens 
qui s'étaient réunis èã lui, et qu'il invita la population 
è attaquer les habitants du Soûs, tous le suivirent, car ils 
avaient des motifs pour cela ; ils se rallièrent èù lui et réso- 
lurent de faire disparaitre de leur pays le parti de Aboû 
Hassoûn. lls attaquèrent aussitût leurs gouverneurs, et les 
chassèrent de leur territoire après un combat acharné. 
Ensuite ils tombèrent accord pour proclamer Moûlay 
Mhammed et lui prêtêrent serment en 1050, son père étant 
encore en vie. Tous les chefs de Sijilmêasa adhérèrent è 
la bêrî a. Dès lors, le succès s’attacha a lui, la destinée le 
protégea, la bonne fortune aida; la porte du Magrib 
s'ouvrait pour lui. Dieu, quand il veut une chose, en pré- 
pare les moyens. 


Moùlay hammed conquiert le Drã‘ et en chasse Aboû Hassoûn 
Essémlêli '. 


Après sa proclamation, Dieu rêunit Moûlayv Mhammed è 
son pêre, comme nous avons vu ; ce prince se hûta dal 
ler serrer de prês Aboû Hassoûn Essêémlali et les gens 
du ŠSoùs, dans la province de Dra‘, qui était soumise ù Pau- 
toritê de ce dernier, comme nous [avons vu. Il se rendit 
auprès de lui û la tête de troupes très nombreuses. Les 


1. Texte arabe. I\ ° partie. page Z&. 


24 ARCHIVES MAROCAINES 


nous serons impitoyables et n’accepterons aucune excuse. 
Vous prêchez Pabstention des crimes et vos ceurs sonl 
remplis de mauvaises pensées ; quand on vous contraint ğ 
ne point faire mal, vous dites: « Pardon! nous n'en vou- 
lions rien faire »; mais quiconque a enfanté une chose 
reste apparenté avec elle, quiconque a redouté un événe- 
ment en devient la victime. 

« Quant aux Berbers et aux ‘Arabs que contiennent 
les plaines du Garb, nous espérons de Dieu qu'il les sou- 
mettra èڍ‎ notre autorité, dès qu'il sera possible de nous 
rendre auprès d'elles; mais si nous ne parvenons pas ã 
nous en emparer, eh ! bien, cela sera réservé ù nos fils et ù 
nos frères, car dans toutes les dynasties euvre créée par 
le premier est continuée par le second. Examinez ce qui 
pourrait ramener le calme dans vos esprits, nous vous 
l'accorderons de suite. Comme il a été bien inspiré par 
Dieu le Dğoûgi, qui a fait connaitre vos turpitudes dans 
ces vers que nous a récités Modûlay Mohammed ben 
Mbarék : 

« Sache que tu es un des antéchrists du Mağgrib, que ta 
« puissance périra sous les coups des disciples de Jésus ; 

« Vous n’êtes tous que des bûtards rejetons d'une pros- 
« tituée, tandis que votre aieul Aboû Isîr était Djaloût. 

« Vos jeunes gens sont des mignons et vos hommes des 
« cornards, euvre de votre chéikh Pentremetteur. 

« Les cieux de la gloire ont horreur de votre dynastie, 
«et ni la terre, ni Elbehnıoût ne peuvent vous supporter. » 

« Pour toi, tu n’es en réalité qu’ un simple singe ; tu n’es 
même que le tique collé dans les poils du chien galeux. 
Vous nous déclarez que les traités de paix entre princes 
ne sont que des pièges, mais le sultan Aboû Hammo, Dieu 
lui fasse miséricorde ! avait déja dit bien avant nous. 

« Maintenant, si vous désirez la paix, c'est également 
mon désir et Paimant de ma volonté; si vous préférez 
autre chose, je vous répondrai par ce vers d' Elmotanabbi. 


26 ARCHIVES MAROCAINES 


avec lui rentrèrent chez eux et fermèrent les portes de la 
ville. Ettsamli et ses hommes les assiégèrent et leur cou- 
pêrent l'eau. Des événements graves se passêrent, au COuUrs 
desquels périrent nombre de notables de Fès, comme ‘Ab- 
delkérîm Ellirini Elandalousi et Mohammed ben Sliman 
(derniers jours de şafar 1061). Les gens Eddilê finirent 
par reprendre la ville, et Mohammed Elhaddj y nomma 
comme gouverneur son fils Ahmed. 

(Quelque teınps après, il demanda aux gens: de Fès de 
faire sortir du mausolée de Moûlay Idris les malfaiteurs et 
les chefs de la révolte, mais le chérif Aboûlhasan ‘Ali ben 
Dris Eldjoûti voulut intervenir en leur faveur et prendre 
leur défense, mais ce fut en vain et il dut se cacher. Cou- 
vert par amdn, on le conduisit ù la zaouya du quartier 
d’Elmokhfiyê, d’où il quitta Fès pour ne plus y revenir. La 
révolte fut alors calmée (raınadêan 1061). 

.\hmed Eddilêî demeura émir de Fès jusqu’a sa mort 
(20 rabi‘ [°" 1064) et fut remplacé par son frère Mohammed 
qui mourut en 1070. Dieu leur fasse miséricorde ù tous. 

Plus tard, Fès Eljedid fut attaqué par Aboû ‘Abdallah Ed- 
dridi, qui s'en empara. 


Moûlay Mhammed ben Echchérif prend Oujda et dirige des incur- 
sions sur Tlemsên et ses environs ; conséquences de ces 
actes’. 


Voyant qu'il ne pouvait s’emparer de Fès et du Magrib, 
Motilay Mhammed ben Echchérif résolut d’étendre son 
autorité sur les nombreuses tribus du Sahara et de la 
région (lu Cherg. Il parcourut les campements, les villages 
et les bourgs, et atteignit la plaine de Angad. Il fut pro- 
clamé par les Ahlûf, qui sont formés de deux branches 


1. Texte arabe, 1V°* partie, page 10. 


28 ARCHIVES MAROCAINES 


Le plus grand désordre régnait dans tout le Magrib 

moyen, et ses habitants étaient sur le point de se révolter 
contre les Turcs. Le bey de Mascara s'empressa d'orga- 
niser sa défense et préêvint le dey d'Alger, Eddaola comme 
ils Pappelaient, des pillages commis au détriment de ses 
sujets par le prince de Sijilmêûsa. Le dey fit partir le plus 
promptement possible des troupes et des canons, dans le 
but de combattre Moûlay Mhammed, et en confia le com- 
mandement û son représentant qui vint jusqu'a Tlemsên; 
mais Moûlay Mhammed rentra a Oujda, renvbya les ‘Arabs 
qui s’étaient alliés û lui, et leur donnant rendez-vous pour 
le printemps suivant, il reprit le chemin de Sijilmûsa, 
aprés avoir allumêé le brandon de la guerre dans le pays 
des Turcs, avoir ravagé et y avoir semé une révolte 
générale. 
. Quant ù I'armée turque, elle apprit seulement ã 
Tlemsên le départ de Moûlay Mhammed pour le Tûfilêlt. 
Elle se repentit d'être venue, car elle avait trouvé le pays 
désert; tous les habitants avaient quitté leurs demeures 
pour se réfugier dans les montagnes, et personne ne lui 
apporta ni moûna, ni impûts. A Tlemsên elle fut mal reçue 
par les habitants qui avaient pris parti pour Moûlay Mharm- 
med et prorionçaient la kthofba en son nom, et bientêt elle 
reprit le chemin d'Alger. 

Les Turcs comprirent que leur pays ne leur appartenait 
plus entiêérement et que leur puissance était ébranlée. 

Nous allons dire ce qui en résulta. 


'Otsmûan Pacha, dey d'Alger, écrit ã Moûlay Mhammed : 
correspondance échangée entre eux û cette occasion, 


Au retour de I'armée turque û Alger, le dey 'Otsmûn 
Pacha Eddaola fut informêé par elle de la situation des popu- 


1. Texle arabe, 1V* parlie, page I11. 


80 ARCHIVES MAROCAINES 


sur la blancheur des gorges : que la miséricorde etla béné- 
diction du Très-Haut soient sur vous, tant qu'il laissera 
se succédler immolation des victimes pures et licites. 

« Ensuite : 

« Nous vous écrivonsde la ville d’ Alger, demeure du gain 
facile pour habitant, le voyageur et le visiteur, ribat du 
Djerid, — que Dieu le protège sur mer et sur terre et pré- 
serve son territoire des secousses des ouragans et des tem- 
pêtes! — pour faire briller ù vosyeux les trésors du pouvoir 
et les satellites de la chiromancie, des horoscopes et de la 
physiognomonie, et vous découvrir un ciel entiéerement pur 
de tout nuage, de toute pouùssière, une matinée dont la 
lumière se répandrait après qu'on aurait déployé sur elle 
les couleurs dun parterre de verdure. 

« La connaissance des choses de la royauté n’a certes 
pas négligéê de prendre place dans les arcanes de votre 
science : û vos festins n'ont manqué ni leur Zéîd, ni leur 
Omar. Car le généreux qu'il soit loué !) vous a gratifié de 
la majestê, de la noblesse en vous donnant la générosité, la 
clêémence et la bravoure,. et a choisi pour vous Sijilmasa, 
dont le nom seul indique la protection qu'elle donne dans 
les plaines de la sêcuritê. Cependant les secrets d'une 
politique avisêe vous échappent et vous faites chevaucher 
û votre fermetê le coursier rétif de ignorance et de la 
lêgçèrete. Mais Cest lû. en vêriteê, le fait de tout fondateur 
de guouıernement : il n’arrive û le contenir que par les 
crimes de la guerre el du comhat. 

«a Cest ainsi que tu as dêchirê le manteau de la force 
nouvelle de UEmpire de 'Otsman. depuis Oujda la 
Higarrce jusquau\ contins du Djêrid. Tu as soulevê contre 
nous les esprits de ces mauvais sujets d Arabs, qui en 
gont \enus û nous refuser les moindres choses. 

« Tu es \euu faire une incursion chez les Beni Ya‘qûêb, 
tu as fMuche jusqu au\ vestiges de leur race en frappant 
au tendons du hia et tu as fait une foule de malheureux 


32 ARCHIVES MAROCAINES 


ils n’auraient pas oublié ce qu’ils doivent ù notre bonté 
très ancienne et ù notre générosité envers eux, et ils t'au- 
raient retiré le rideau et le tapis. Leur désir est que tu 
déchaîines contre nous la violence du dragon. Nous sommes 
bien certains pourtant que notre arbre ne sera pas ren- 
versé par les tempêtes, ni ses traces détruites quand bien 
même s’effondreraient sur lui les montagnes de Djaian, et 
que la pierre ne se laisse pas broyer par le pisé. Ainsi 
ton armée, par exemple, au départ et ù I'arrivée, ne peut 
résister aux foudres de la poudre, et les cottes de mailles 
ne servent que dans les incursions contre les campements 
des tribus. Quant aux murailles des grandes armées et des 
forts escadrons, rien ne peut les frapper ni les détruire, 
que les torrents de cavaliers et les archers solides. Ton 
audace a fait goiter aux Beni ‘Amer les attraits de la fuite 
sous 'égide de Iinfidèle : Satan et la ruine sont entrés dans 
les montagnes de Trara, de Mdagğra et des Beni Snoûs. Les 
sujets aiment que le lait gonfle leurs mamelles afin de 
cacher dans la paille de leur imposture l'épi de leurs ré- 
coltes ; aussi si tu acceptes leurs dires et leurs actes, leur 
naturel les excitera de nouveau contre le gouvernement 
et ils deviendront comme des ogres. 

« Prends bien garde surtout de te laisser séduire par ce 
que tu as vu dans le livre d'’Elbotni, dans les notes d@Es- 
sonyotti, de ‘Ali Bêûdi et de Ben Elhaddj, et dans la lettre 
des gens de Ceuta ù ‘Abdelhaqq ben Aboû Said Elnıe- 
rîni, et de te croire élu qui va gravir ces degrés. Tu en 
es encore bien loin. Tu n'y arriveras pas en passant des 
nuits au bivouac et en multipliant les pommeaux des poi- 
gnées de sabre. Que les piquets des tentes des Chrétiens 
et des Turcs disparaissent du sol du Mağgrib, qu'il ne reste 
plus personne pour vous le disputer en vous faisant la 
guerre ou en vous livrant combats, il ne faudrait pas que 
tu tentes de saisir cette occasion dy arriver, ni ce moyen 
de disperser ce qu'a groupe et réuni notre résolution. Tu 


34 ARCHIVES MAROCAINES 


voir qui est pétrie de Ponguent du salut ou de la mort. 
Mais renonce au pays des sables et de la poussière, et ne 
taventure pas dans les déserts et les défilés. Par tes 
grands-pères paternel et maternel, et par tous tes frères 
et oncles paternels et maternels, écarte-toi du sol de Tlem- 
sên, et n’y viens pas amener la foule des archers et des 
cavaliers. Si les ‘Arabs veulent se razzier les uns les autres, 
laisse-les faire : il en a toujours été ainsi sur tout le terri- 
toire, et nous avons toujours pris ensuite au vainqueur le 
cinquième de ses biens. Vous saurez par la qu’ils ne savent 
pas ce qu'ils font, et qu'ils sont tous malfaisants et traitres, 
et que les gouvernements ne doivent pas avoir pour eux 
plus de considération que pour les infidèles. De cette 
façon la paix régnera toujours entre nous, et nous ne ferons 
pas attention aux intrigues des tribus. 

« Nous vous avons envoyé quatre de nos serviteurs, 
dont la conversation réjouit les ceurs et les demeures : 
ce sont le fqîth distingué, Si ‘Abdallah Ennefzi et le fqîh 
honorable Si Elhaddj Mohammed ben ‘Ali Elhadri Elmez- 
gennêi ; ils sont accompagnés de deux braves Turcs mem- 
bres de notre conseil et fonctionnaires de notre palais. 

« Nous désirons une réponse favorable, sincère et 
véridique. 

« Dieu très haut nous conduise clans le chemin le plus 
louable et, au jour de la résurrection, nous place auprès 
de votre aieul au nombre des élus! Ainsi soit-il. 

« Salut. 

« Ëcrit le 15 du mois sacré de rejeb unique 1064. » 

Quand ces ambassadeurs lui eurent remis cette missive, 
Modlav Mhammed, apres avoir lue, fut vivement irrité 
des blames qu'elle contenait. Avant fait venir les ambas- 
sadeurs, il leur reprocha les paroles de leur maitre et 
ses bravades envers lui. Ils lui répondirent: « Nous sommes 
ambassadeurs, nous Uavons apporté une lettre du bachê 
dF Alger: donne-nous la réponse, mais ne nous reçois pas 


36 ARCHIVES MAROCAINES 


PEnvoyé de Dieu, sur lui soient les prières de Dieu et le 
salut! Ce que tu fais chez nous, nous serions capables de 
le faire dans ton pays, sur tes sujets, nous qui sommes 
considérés par vous comme nous livrant ã injustice et ã 
la tyrannie, mais la dignité de notre Sultan s’élève contre 
cette opinion. » 

Ces paroles produisirent une profonde impression sur 
Motlay Mhammed qui en éprouva un frisson d’horreur. Le 
Roi de la vérité releva son esprit et il comprit sa faute. 
« Par Dieu ! dit-il aux ambassadeurs, ce sont ces diables 
d’ "Arabs qui se servaient de moi pour triompher de leurs 
ennemis et qui m'ont mis en état de révolte contre Dieu. 
Et je les ai fait arriver èã leurs fins! Il n'y a de force et de 
puissance qu'en Dieu! Je vous promets devant le Trêès- 
Haut que dorénavant je ne toucherai plus ni votre terri- 
toire, ni vos sujets. Je m’engage par Dieu et par son Pro- 
phète û ne pas dépasser la Tûfna pour me rendre chez 
vous, sauf s'il s’agissait dune euvre agréable Dieu et ù 
son Prophète. » 

Il écrivit cette promesse au Pacha d’ Alger et se contenta 
des conquêtes que Dieu lui avait fait faire de Sijilmasa, 
du Dra’ et de toutes leurs provinces. Il ne dirigea plus 
d'expédition dans le Cherg, jusqu'au moment où Moûlay 
Errechid s'y révolta contre lui. Il advint alors ce que nous 
allons rapporter s'il plait ù Dieu. 


Révolte du moqaddim Aboûl'abbês Elkhadir Gêéîlan Elgorofti 
dans la région d Elhibt '. 


Aboûl abbas Elkhadir Gérlan. un des compagnons de 
Abou ‘Abdallah El'ayyachi, était moqaddim des combat- 
tants dans la région FElhibt. Quand El'ayyachi fut tué èã 


1. Texle arabe, IV ° parlie, page 14. 


88 ARCHIVES MAROCAINES 


Jusqu’ au moment où la vérité vint le surprendre le 14 ra- 
madan 1069 ù Sijilmasa, son pays natal, qui avait été le 
séjour (dle sa fortune, et qui fut le berceau de ses glorieux 
descendants, et le point de départ des rois et des princes 
issus de lui. 

Moûlay Mhammed fut proclamé de nouveau, mais son 
frère Motlay Errechid se sépara de lui et se retira dans les 
montagnes, où il ne cessa d’aller de tribus en tribus jus- 
qu'au moment où survinrent les événements que nous 
allons rapporter. 


Incursion de Moûlay Mhammed ben Echchérif chez les ‘Arabs 
Elhaydina des environs de Fés, et ses conséquences ^. 


A la fin de année 1073, Moûlay Mhammed ben Echché- 
rîf fit une incursion sur les terrains de culture des Haydina, 
dans le voisinage de Fes, et les dévasta entiètrement. 
Une grande famine s’en suivit : les gens en furent réduits 
a manger des cadavres d'animaux, des bêtes cle somme 
et même de la chair humaine. Les maisons furent aban- 
données, les mosquées devinrent (désertes, et les gens de 
Fès partirent pour demander secours èa la famille d’Ed- 
dila. Le chérîf Aboû ‘Abdallah Mohammed ben ‘Abdallah 
ben ‘Ali ben Tahar Elhasani, qui était venu ù Fès pour se 
faire proclamer, mais sans succès, quoiqu’on ait dit qu'il 
fût soutenu par quelques personnes, se mit en marche 
avec les Ilayûina pour attaquer Moûlay Mhammed ben 
Echchériîf, mais il ne put I'atteindre. 

Dans les premiers jours de année 1074, le roi d@"Angle- 
terre fut mis en possession de Tanger par les Portugais, 
qui, suivant auteur dF Elboustdn, étaient alors trop faibles 
pour résıster aux musulmans, car ceux-ci, au cours de 


1. Texte arabe, I1V° partie, page J4. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 39 


deux affaires successives, venaient de leur faire tuer 
600, puis 400 hommes. Manuel le Castillan, dans son his- 
toire du Maroc, donne ù cette cession une autre raison. 
Selon lui, le roi de Portugal Juan VI (dont le nom se pro- 


nonce indistinctement avec le zou avec le ج‎ voulant affer- 


mir amitié qui le liait au roi d@PAngleterre, Charles I1I, 
lui donna sa fille en mariage en lui remettant comnıe dot 
les clefs de Tanger. Cette ville resta au pouvoir de celui-ci 
pendant vingt-deux ans, puis il Pabandonna aux musul- 
mans. 


Révolte de Moûlay Errechid ben Echchérif contre son frère 
Moûlay Mhammed et meurtre de ce dernier (Dieu lui fasse 
miséricorde !) . 


Nous avons vu que Moilay Errechid avait fui son frère 
Moûlay Mhammed dès le jour de la mort de leur pêre. Il 
se rendit alors a Toudğga où il demeura quelque temps, 
puis de la a Demmêt, d’où, après un court séjour, il alla 
ù la zaouya des gens d’Eddila. La il séjourna assez long- 
temps. On dit qu’ un des gens de cette zaouya lui conseilla 
de s’en aller de peur qu'il ne fût trahi, parce que, suivant 
une tradition conservée chez eux, les Dilais prétendaient 
que la destruction de cette zûouya devait être opérée, par 
lui. Moûlay Errechid suivit ce conseil et partit pour la 
montagne d’Azrou, d'où, peu de temps après, il alla ù Fès, 
avec une escorte peu nombreuse. Il passa la nuit en 
dehors de Fès Eljedid: le chef de la ville, Aboû ‘Abdal- 
lah Eddridi, lui donna une très large hospitalité. Le len- 
demain il partit pour Taza et de la chez les ‘Arabs Elah- 
laf. « Il arriva è la suite de ses pérégrinations, dit le No- 


1. Texte arabe, IV° parlie, page 14. 


40 ARCHIVES MAROCAINES 


zha, ù la qaşba de Ben Mech'al. Ce Juif possédait d’im- 
menses richesses et de précieux trésors ; il opprimait les 
musulmans et tournait en dérision la religion et ses sec- 
tateurs. Moûlay Errechid chercha longtemps un moyen de 
faire tomber ce Juif dans un guet-apens ; enfin Dieu lui 
en fournit occasion, a la suite dévénements qu’il serait 
trop long de rapporter ici. Moûlay Errechîd tua donc ce 
Juif, s'empara de ses richesses et de ses trésors, qu'il 
distribua ù ceux qui avaient suivi et aux ‘Arabs Angad, 
et autres gens qui se joignirent èa lui, ce qui accrut ses 
forces et augmenta le nombre de ses partisans. » 

Selon auteur du Nachr Elmatsdni, « Moùlay Errechid, 
en quittant Fès, alla trouver le chéikh Aboû ‘Abdallah 
Ellouati qui vivait dans le voisinage de Taza. Ce person- 
nage, qui professait Pascétisme, et qui vénérait les gens 
de la Famille du Prophète, lui fit une réception enthou- 
siaste. Tandis que Moûlay Errechîid était chez lui, il vit 
passer un jour un homme entouré d’ esclaves, de suivants 
et de cavaliers, qui chassait dans un appareil royal. Ayant 
demandé qui il était, il apprit que c’était un Juif de Taza, 
nommé Ben Mech'‘al. Il mit un couteau dans sa bouche et 
se rendit auprès du chéikh Ellouati. En le voyant dans 
cette attitude, le chéikh fut eflrayé et lui dit: « Ma fortune 
et ma vie sont è toi, mais que t’est-il arrivé ? — Ordonne 
ù un certain nombre de tes compagnons de partir avec 
moi afin dexterminer ce Juif, pour la défense de la reli- 
gion, lui répondit Moûlay Errechîd. — C’est chose faite, 
dit le chérkh, aucun d'entre eux ne te désobéira. » Moûlay 
Errechid en choisit quelques-uns parmi eux et leur donna 
rendez-vous pour attaquer le Juif la nuit et s’emparer de 
sa maison, qui était dans la campagne èã une étape environ 
a est de Tûza. Lorsque la nuit fixée fut venue, Moûlay 
Errechid se présenta chez Ben Mech'al, sous prétexte 
de lui demander Phospitalité. Celui-ci la lui accorda. Au 
milieu de la nuit, la maison fut cernée par les gens de 


42 ARCHIVES MAROCAINES 


Motlay Mhammed était plein de courage et d’audace 
dans les combats ; il ne s’inquiétait pas du danger et ne 
craignait rien de ses semblables. Il ne connaissait ni ad- 
versité, ni la frayeur. Les gens de la Zûouyat Eddila ont 
ainsi dépeint : C’ était un véritable gerfaut aussi insensible 
au simoun de la nuit qu’a ardeur accablante du soleil de 
été, et pareil a Faigle fauve, il était constamment perché 
sur la cime des rocs. La possession des richesses ne lui 
suffisait que s’il cou pait les têtes. Sa bravoure était célèbre, 
et avec cela il était vigoureux et solidement membré : on 
ne pouvait jamais lui tenir tête dans le corps ãڍ‎ corps, ni 
lui faire lacher pied dans la défense. 

On raconte qu un jour, pendant un des sièges de Tabou- 
‘aşûmt, il plaça sa main dans un des trous pratiqués dans 
le mur de la forteresse, et qu'un nombre incalculable de 
guerriers purent monter sur son bras, aussi solide qu’ une 
poutre fichée dans un mur ou qu’ une assise de briques. 
Il était d'une nature généreuse ; il donna au littérateur 
célèbre qui excella dans la poésie régulière et dans la 
poésie vulgaire, Aboû ‘Otsmûan Sa id Ettlemsêani, auteur de 
la Qasida El'aqîqiya, environ vingt-cinq livres d’or pur, 
en récompense d'un panégyrique qu'il avait fait de lui. 
Les anecdotes de ce genre relatives a ce prince sont, 
MPailleurs, bien connues 

Lorsqu'il fut tué, son fils, Moûlay Mhammed Essegîr, 
essaya «le lui succéder ù Sijilmasa, mais sans succês. 
Une partie de son histoire va suivre, s’il plait ù Dieu. 


Rêégne du prince des croyants Moûlay Errechid ben Echchérîf, 
(Dieu lui fasse miséricorde !) ’. 


Motûlay Mhammed ben Echchérif ayant été tué ù la date 
précitée, toutes ses troupes allèrent grossir armée de 


1. Texte arabe, IV° partie, page 16. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 43 


Moûlay Errechid, et lui prêtèrent serment de fidélité. Les 
Ahlaf, les Beni Yznasén, etc., lui jurérent obéissance. Il 
envoya des émissaires chez les ‘Arabs et les Berbers de 
cette région, pour les inviter a se soumettre et ù s’unir ã 
lui. Leurs délégations lui apportéèrent des présents. Ilins- 
crivit sur les registres du guéîich ceux qui avaient servi la 
cause de son frère et leur donna (les vêtements, des armes 
et des chevaux. Sa situation devint considérable, et sa 
puissance grandit. 

Mais il avait besoin d'argent. Comme Il avait emmené 
le fils du Juif Ben Mech‘al le jour du meurtre de son père, 
sa mêre vint lui demander ã le racheter. Il usa d’habileté 
et datermoiements envers elle jusqu'au jour où il lui dit: 
« Je ne délivrerai ton fils que si tu n’indiques où se trou- 
vent les biens (dle ton mari, sinon je le tue. » Cette femme 
accéda a sa demancle, et il partit avec elle ù la qaşba, où 
elle lui montra une armoire dans une chambre. Il la frac- 
tura et y trouva des jarres pleines d'or et d'argent. Il 
enleva ces richesses qui amélioraient sa position, et'les 
distribua aux ‘Arabs, aux Berbers et û toutes les troupes 
qui se trouvaient avec lui. Sa situation et la leur deve- 
naient meilleures, et il considéra cela comme un heureux 
présage. 

Dès qu'il eut organisé ses troupe, il envoya ses émis- 
saires dans toutes les directions, auprès des populations 
soumises et des populations révoltées, pour leur faire des 
promesses, ou des menaces. Voulant faire la conquête du 
Mağgrib que son frère avait tentée sans succês, il partit 
après eux, et s’installa sur les bords de Oued Melouiya, 
où il resta quelques jours pour se reposer et attendre la 
venue des gens de cette région, comme les gens du Gûrét 
et du Rif, mais personne ne se rendit auprès de lui. 


44 ARCHIVES MAROCAINES 


Prise de Tûza et de Sijilmêsa, et faits qui se placent entre ces 
deux événements '. 


Modûlay Errechid, après avoir séjourné quelque temps 
sur la Melouiya, et voyant que personne ne venait auprès 
de lui, marcha sur Têza. Après une longue lutte, il 
réussit ù emporter cette place. Les gens de la ville et les 
tribus des environs lui prêtêèrent serment de fidélité. 
Quand la nouvelle leur en parvint, les gens de Fès se 
réunirent èڍ‎ leurs voisins les ‘Arabs Elhayûina, aux Bhê- 
lil et aux gens de Şefroû ; ils s'engagèrent par serment ã 
faire la guerre è Moûlay Errechid et ù s'’abstenir de 
prendre aucune part è sa béi‘a. Ils ne voulaient pas s’expo- 
ser û être pillés et tués, comme I'avaient été les Hayûina 
par son frère Moûlay Mhammed. Les chefs de Fès ordon- 
nèrent èã la population d'acheter des chevaux et des armes 
en grande quantité ; chaque maison dut avoir son fusil, 
et quiconque n’en possédait pas fut puni. On en acheta 
donc bien plus qu'il n’en fallait, et on se réunit ù Bab 
Elftêuh pour passer en revue les armes et les chevaux, 
et on se livra au jeu connu sous le nom de. Mîz (tir ù la 
cible}. Une nouvelle réunion eut lieu avec les Haydina, et 
on y renouvela le serıment de faire la guerre ù Moûlay 
Errechid. 

Quand il eut connaissance des dispositions des gens de 
Fès, Moûlay Errechid les laissa de cöté, et partit pour 
Sijilmasa. C’était tout è fait raisonnable de sa part de 
commencer par le plus facile et de rechercher en premier 
lieu les plus simples. Il attaqua Sijilmasa et Uassiégea 
pendant environ neuf mois. A la fin, son neveu, Moûlay 
Mhammed Essegîr, qui avait pris le pouvoir, ù la mort de 
son père, prit la fuite et s'échappa pendant la nuit. Moû- 


1. Texle arabe, 1V parlie, page 16. 


48 ARCHIVES MAROCAINES 


11 rejeb, et, après avoir inspecté la ville et les environs, 
il revint a Fès dans le mois de chaouêal de la même année. 
Il destitua ensuite El' agutd, gouverneur de Méknès. Le 
second jour de Il’ ‘aid elkebîr, il fit une expédition contre 
les Beni Zerouêal, et s'empara d’Echchérif, chef des révol- 
tés, qu’il envoya emprisonné ù Fès, où il revint le 2 mo- 
harrem 1078. Moûlay Errechîd alla également a Tétouan, 
la il fit arrêter Aboûl'abbas Enneqsîs, le chef de la ville, et 
un certain nombre de notables de son parti, qu’il ramena 
avec lui èڍ‎ Fès, où il les emprisonna tous, les premiers 
jours de rabi’ 1°“ 1078. Nous dirons plus loin ce qui leur 
advint ensuite. 


Prise de la Zêouyat Eddila; exil de ses membres û Fêès ; 
événemenıts qui en sont la suite’. 


Le matin du jJeudi 12 doûl:a'da 1078, le Prince des 
Croyants Moûlay Errechîid partit en expédition contre la 
Zaouyat Eddilêa, après avoir nomımé comme moufli le juris- 
consulte Abo ‘Abdallah Mohammed ben Ahmed Elfèsi. 
Il rencontra les troupes dildies, commandées par Ould 
AMhammed Elhaddj, a Botn Erroummdan, dans le Fêzzaz. A 
la suite du combat qui fut livré, les Dilais, défaits, se 
retirèrent û la zaouya. 

Le chéikh Elyoùûsi, dans ses 1fohd{ardt, dit ce qui suit : 
« Le réis Aboû ‘Abdallah Mohammed Elhaddj Eddilai 
s'était emparé de tout le Garb, où il régna de longues 
années, et la fortune lui sourit ainsi qu’a ses enfants, ù ses 
frères et ù ses cousins. Quand le sultan Moûlay Errechid 
ben Echchérif eut attaqué et mis en déroute ses troupes ù 
Batn Erroummam, nous nous rendimes auprès de lui, 
car ll m'avait pas pu assister au combat ù cause de sa débi- 


1. Texte arabe, 1¥° partie, page 17. 


60 ARCHIVES MAROCAINES 


Son ombre s'était enfuie. Pendant si longtemps elle avait 
reflété I'éclat de la splendeur d’Aboû Bekr et de ses des- 
cendants ! Pendant si longtemps elle avait été embauméee 
de leur parfum ! D’elle étaient sortis les nobles écrivains 
dont le visage fait dissiper les ténèbres ! Ceux qui habi- 
talent effaçaient les traces des vents: ce sont maintenant les 
vents qui effacent leurs traces. Les nuits ont emporté leurs 
corps. mais elles maintiennent leur souvenir. Ce trêne est 
détruit aujourd'hui. Le temps a passé dès que la discorde a 
élé apaisée, sans que les lances, ni les épées n’aient pu être 
reprises et sans que ces grûces Iincomparables aient pu 
être utilisées! Qu'il périsse le monde qui n’a pas respecté 
leurs droits et n'a pas fait durer leur éclat! Les jours 
ne préêservent pas contre les crimes qu'ils apportent : ã 
peine les a-t-on rejoints ou approchés qu'ils s’enfuient. 
(est ainsi qwWont été réduits en poussiéère les monu- 
ments de Djoulaq. qu'a été éteint le feu d' Elmouhallaq, 
abaissée la puissance du fils de Cheddad et détruit le 
chateau crenelê de Sindêad. Lheure de tout homme est 
avancée ou retardée, et la destinée atteint un beau jour 
son terme. 

Aussi faut admirer celui sur qui s'amoncelèrent leurs 
bienfaits, celui qui reconnait leur générosité et leur bien- 
faisance, le Chéêîrkh de tous les chéêîkhs du Magrib, Imam 
dont la science et les wuvres sont universellement louées, 
Abo ‘Ali Elhasan ben Mês'oûd,. Elyoûsi Dieu lui fasse 
misericorde !. qui pleura sur cette Zûouya et se lamenta 
sur ses jours passés, dans sa cêlèbre et longue élégie en Z4 
qui commence ainei : 

« la paupiêre estelle donc obligée de rêépandre des 
perles, et st elle sv refuse, la cornaline doit-elle se trans- 
former en vIn" v 

Dans celte poeste, le chéêikh EËl\ oûsîi ne prononce pas de 
noms pır eganl pour le Sultan et pour observer les con- 
venances. Dieu soll miseriordlieux envers le chéîkh 


52 ARCHIVES MAROCAINES 


teur de la mosquée d'Elqarouiyin, le /qîh Aboû ‘Abdallah 
Mohammed Elboû 'inûni. 

Le 15 rejeb, Moûlay Errechid entreprit une چ دا‎ 
contre les Chûoudiya. Revenu û Fès le 7 ramadan, il 
pardonna aux Dilûîis et les renvoya dans leur pays ; il fit 
exception pour Mohammed Elhûddj et ses enfants, qui 
furent exilés ù Tlemsên, où ce personnage mourut. Plus 
tard, Moîilay Ismêû'îl, cédant û des interventions en leur 
faveur, permit le séjour de Fès û ses fils, commê nous 
I'avons déja rapporté. 

Le 417 doûlheddja, Moûlay Errechîd fit une E 
contre les Aft 'Ayyach, qui sont des Berbers de la brn: 
che Şenhûdja. 

La même année, il fit frapper la monnaie Reçhîdiya et 
prêta poür un an une somme de 1052 mitsqûls aux négo- 
ciants de Fès pour faire du commerce, 

Ce fut ù cette même époque que le roi d' Espagne reçut 
Ceuta des Portugais, û la suite d'un traité qui fut conclu 
entre eux û Lisbonne. Cette place est restée jusqu'a nos 


jours au pouvoir des Espagnols. 
۱ 


Construction du pont de 1 Oued Sbou, près de Fês'. 


Le samedi 14 doûlqa'da 1079, Moûlay Errechîid ordon- 
na la construction de quatre arches du pont de "Oued 
Sbou, prês de Fès. On prépara aussitêt les matériaux et on 
se mit ù creuser les fondations. Le 15 djoumada II, on com- 
mença ã construire le pont avec des briques et de la chaux : 
il fut bientêt ıterminé, dans les meilleures conditions. 

Dans ses Mohûdardl, au cours de étude du Hadits 
suivant lequel « le plus vil des noms aux yeux de Dieu 
serait celui d'un homme qui s'appellerait le Roi des Rois », 


1. Texte arabe, IV" parlie, page 19. 


54 ARCHIVES MAROCAINES 


(1070). Ce prince était clément et répugnait ù verser le 
sang : aussi était-il très aimé. A sa mort, son fils Aboû 
‘Abdallah Mohamıned ben Boû Hassoûn lui succéda. 

En 1081, Moûlay Errechid (Dieu lui fasse miséricorde !) 
fit une expédition dans le pays de Soûs. Il s'empara de 
Taroidant le 4 şafar. Il décima les Hestoûka, auxquels il 
tua plus de 1.500 hommes ; il attaqua ensuite les gens du 
Sahel qui perdirent plus de 4.000 hommes ; enfin, il enleva 
la forteresse d’ Ilir, résidence de Boû Hassoûn, le 1°" rabi’ [°" 
et tua plus de 200 hommes au pied de la montagne. Par 
cette expédition, 1l se rendit maitre du Soûs. 

Le 7 rabi’ [°" de la nıême année, Moûlay Isma'îl, qui 
était représentant de son pêre ù Fès, mit ù mort 60 cou- 
peurs de routes des Ould Djama', qu'il crucifia sur la 
muraille du Bordj Eljedid. 

Dans le mois de djoumdada I1, Moûlay Errechid: fit frapper 
les /lods de cuivre rond, qui remplacèrent la monnaie 
carrée appelée Elouchqoubiya. Le Sultan décida qu'il y 
aurait dorénavant 24 de ces flods pour une mouzodna, au 
lieu de 48. 

Rentré a Fès le A4 rejeb, Moùlay Errechîd fit entre- 
prendre, le 1“ cha‘ban, la construction de la Mdersat 
Echcherrattn, ù Dar Elbacha ‘Azzoùz, ù Fès. Il avait déjè 
ordonné de construire une grande mdersa ù cûté de la 
mosquée du chéikh Abou ‘Abdallah Mhammed ben Şalah 
a Morrûakch. 

Dieu ne prive pas de récompense celui qui a fait une 
bonne @uvre. 


Constitution du guéîich des Chrêga; leur origine ; explication 
de leur dénomination '. 


Au cours des événements relatifs ù la dynastie des 


1. Texle arabe, IV ° parlie, page 20. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 55 


Saadiens, nous avons fait remarquer que le nom de Chrdga 
était appliqué aux ‘Arabs de la campagne de Tlemsên et ù 
ceux qui s’étalent joints ù eux, parce qu'ils se trouvaient 
a est par rapport a 'Extrême-Magrib. De même pourquoi 
les gens de Tlemsên appellent Mdgğrbd les gens de FEx- 
trême-Magrib, et que ceux-ci les appellent au contraire 
Mchdrga. Cependant, dans la langue vulgaire, ce mot 


devient Chrdga, par la suppression du tfechdîtd du ر‎ rû, 


et la substitution du J au J. 


Les Saadiens avaient eu, comme nous avons vu, un 
corps de troupes composé de ces ‘Arabs. Nous avons dit 
qu'a Uavêènement du Prince des Croyants, Moûlay Erre- 
chîd, les ‘Arabs FAnjad et ceux que nous avons déja indi- 
qués étaient venus se placer sous son autorité, ainsi qu’ un 
grand nombre de tribus de cette région, les unes arabes, 
les autres berbêres, qui étaient soumises aux Turcs. Comme 
tribus arabes, il y avait : des Cheja', des Beni ‘Amér, et 
comme tribus berbêères, des Medioûna, des Howûra et des 
Beni Snots. 

Motlay Errechid, qui avait accepté la soumission de ces 
tribus, ordonna la construction «le la Qaşbat Eljedida è 
Fès, sur emplacement des maisons de Lemtoûn et de la 
‘Arşat Ben Şèlah. Il donna ù ses gens et a ses qûids 
1.000 mitsqûls pour Uédification de la muraille, et leur 
prescrivit de construire des maisons ã l'intérieur de la 
qaşba. Il fournit également aux Chrûga 1.000 dinars pour 
la construction de la Qaşbat Elkhamis, où ils vinrent 
habiter. Ils avaient été installés d’abord dans les envi- 
rons de Fès ; mais les gens de la ville ayant eu ù se 
plaindre des dommages qu’ils leur causaient, le Sultan leur 
avait ordonné de transporter leur campement sur les ter- 
ritoires de Şaddina et de Fichtdla, entre le Sbou et le 
Ouarga, dont il leur donna en fief les terrains. Il sépara 
ceux d'entre eux qui étaient célibataires et leur fit cons- 


56 ARCHIVES MAROCAINES 


truire leurs maisons è part. Il réunit tous ces éléments en 
une seule tribu, où on ne distingue plus aujourd'hui les 
‘Arabs des Berbers. 

Le A ramadan, Modûlay Errechîd alla en pèlerinage au 
tombeau du chéikh Aboû Ya'‘zza ; de la il se rendit è 
Salé, dont il visita les tombeaux de saints, et revint ù Fès 
le 29 ramadan. 

Dans l'année suivante (1082), au cours du mois de şafar, 
le Sultan envoya de la cavalerie pour combattre les infi- 
dèles ù Tanger, et un autre détachement, le 15 djoumada I1, 
dans le Soûs, sous la conduite de Aboû Mohammed 
‘Abdallah Ñ'aras. Parti ensuite ù la chasse ù Tafratast, il 
apprit la que son neveu Moûlay Mhammed ben Mharm- 
med s'était révolté ù Morrêakch. Il revint aussitût èڂ‎ Fès, où 
il arriva le samedi 11 ramadan ; il en repartit le nême 
jour dans I'après-midi; arrivé ù Fzûza, il rencontra ses 
gens qui lui amenaient son neveu prisonnier. Il le dirigea 
sur Tafîlêlt et poursuivit sa route vers Morrêkch. Pendant 
le mois de doûlqa‘da il envoyait a Fès son qûid Zéîdan 
El‘amri pour lui mener des troupes, en vue de les en- 
voyer au Sols : mais les gens de ce pays étant venus 
faire leur soumission, il n'y avait plus lieu de leur envoyer 
une farka. Les troupes avaient déja dressé leurs tentes sur 
les bords de Oued Fes. 

Les capitales du royaume étaient dès lors entre les 
mains de Moflay Errechîd : la dynastie était définitive- 
ment établie. 


Mort du Prince des Croyants Moûlay Errechid 
(Dieu lui fasse miséricorde 1) *. 


Le Prince des Croyants, Mollay Errechîd (Dieu lui fasse 
miséricorde !), resta a Morrêakch jusqu’a la fête des sacri- 


1. Texte arabe, IV partie, page 20. 


68 ARCHIVES MAROCAINES 


raconte, comme fait curieux ã cet égard, que le très docte 
Aboû ‘Abdallah Mhammed Elmrabet ben Mhammed ben 
Boû Bkeur Eddilêai se trouvait un jour en présence du 
Sultan après la destruction de la Zûouya et Ûexil de sa 
famille a Fès. Le Sultan, faisant allusion û ce savant, se 
mit û réciter ce vers d’Aboûttayyib Elmoutanabbi : 

« Une des ironies (le ce monde est qu'un homme libre 
voit son ennemi et ne peut pas s’empêcher de Paimer 
sincêrement. » 

Aboû ‘Abdallah Elmrdabet comprit l'allusion et lui répon- 
dit: « Dieu fortifie le Prince des Croyants ! Cest une bonne 
fortune pour un homme que d'avoir un adversaire intelli- 
gent. » Cette réponse impromptue fut fort gottée par les 
assistants, qui admirèrent sa beauté et la délicatesse de 
Son auteur. 

L'auteur du Kıtdb Eljéich raconte le fait suivant qui té- 
moigne de la simplicité de Moûlay Errechid quand il se trou- 
vait avec des savants. Il avait fait mander un savant de son 
temps pour lire un ouvrage avec lui. Ce savant refusa de 
revenir et répondit comme I'inıûm Malék (Dieu soit satis- 
fait de lui !) : « On vient è la science, elle ne vient pas è 
vous. » Moûlay Errechîid se rendit souvent ã la maison de ce 
savant et étudia sous sa direction. Selon auteur du Nachr 
Elmalsdni, ce prince assistait aux leçons du chéikh Elyoûsi 
a Université d'Elqaroüiiyin. Sa vertu était glorieuse et les 
souvenirs qu'il a laissés sont considérables, que Dieu ac- 
corde sa miséricorde aux hommes généreux qui traitent la 
science comme elle le ımérite et qui en connaissent le prix. 

« On raconte encore que, comme il était d'une grande 
libéralité, on venait û lui de tous cûtés, et nême d’Orient 
et d'ailleurs. Un taléb d Alger, qui s'était rendu auprès 
de ce prince, en fit éloge dans le distique suivant : 

« Le fleuve de Euphrate a débordé dans toutes les 
« contrées, répandant par tes mains la générosité comme 
« une onde douce et pure ; 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 69 


« Tout le monde y a puisé, et la misère, impuissante è 
« trouver son salut, a dû périr. » 

« Moûlay Errechîid donna èã ce tûléb une gratification 
de 2.050 dinars. Il serait impossible, dit Elyéfréni, de 
relever tous les actes de générosité de ce prince ; d’ail- 
leurs, les anecdotes a ce sujet sont connues. Sous son 
régne, la science fut florissante ; les savants jouirent de 
grands honneurs et de considération, la paix et labondance 
régnéerent partout. » 

Les vivres étaient û très bas prix. On va jusqu’a dire 
que le jour où il fut proclamé èڍ‎ Fès, le moudd de blé valait 
le matin 5Š onces, tandis que, le soir, il ne valait plus qu’ une 
demi-once; son rêgne fut une époque heureuse pour la 
population, qui la regretta. Dieu le sait mieux que nous. 


Rêgne du Prince des Croyants victorieux par Dieu Aboûnnaşr 
Moûlay Ismê il ben Echchérîf (Dieu lui fasse miséricorde!). 


La nouvelle de la mort de Molilay Errechid (Dieu lui 
fasse miséricorde), qui survint ã la date précitée, fut appor- 
tée a Méknêsét Ezzéitoün, ù son frère, qui était son khalifa 
pour la région du Garb. La population de la ville le 
proclama souverain et fut d'accord pour son avènement. 
Ensuite les notables, les savants et les chérifs de Fès 
vinrent lui apporter leur serment de fidélité. Toutes les 
villes et les campagnes du Garb lui envoyèrent des dépu- 
tations, pour lui apporter leurs présents et leur béi'a, sauf 
Morrakch et la région environnante, qui n'envoyêrent pas 
un seul délégué. Le Sultan demeura ù Méknêes pour rece- 
voir toutes les députations, et en profita pour y régler ses 
affaires. Il décida même de s’y fixer d'une façon définitive, 
séduit qu'il était par eau et le climat de cette ville. C'est 


1. Texte arabe, IV° partie, page 21. 


00 ARCHIYES MAROCAIN ES 


du moins ce que rapporte le Bousldn. D’aprêés Aboû 
‘Abdallah Elyéfrêni, dans le Nozha, et suivant le récit ã 
peu prêés semblable du Nachr Elmatsûni « la nouvelle de 
la mort de Moûlay Errechîd fut apportée û Moûlay Ismê'îil, 
qui était alors lieutenant du prince û Fês Eljedid, le mardi 
soir 15 du mois de doûlheddja 1062. On prêta serment de 
fidélité û Moûlay Isımnêû'îil et tous les notables, et saints, per- 
sonnages du Mağrib prirent part û cette cérémoniie. Pers 
sonne ne fit d'opposition û la proclamation du nouveau 
souverain, car chacun reconnaissait que Moûlay Ismê îl 
avait plus de droits et plus de titres que tous ceux qui 
auraienl pu être ses concurrents, » Le prestige der ce 
prince fut augmenté par la présence et l'adhésion ù sa bét‘ a 
des savants et des chérîfs, arbitres des deslinées de TEm- 
pire, comme le chéîkh Aboû Mohammed 'Abdelqader ben 
‘Ali Elféesi, le chéîkh Aboû 'Ali Elyoûsi, Aboû ‘Abdallah 
Mohammed benı ‘Ali Elfilali, Aboûl'abbûs Ahmed ben Sa'id 
Elmguildi, Aboû ‘Abdallah Mohammed ben ‘Abdelqader 
Elfèsi, son frére Aboû Zéid : auteur du Nadm El’ amal, le 
qadi Boû Medien, et plusieurs autres hauts personnagês, 
La proclamation eut lieu û deux heures de aprês-midi, 
le mercredi 16 doûlheddja précilé, qui correspondait au 3 
(vieux style}. Le prince avait alors 26 ans, car il était né en 
avril année de la bataille PTElqa'a, qui eut lieu, selon des 
historiens dignes de foi, en année 1056. La cérémonie du 
serment terminée, Moûlay Ism4' il se mit aussitût en devoir 
d'exercer sa royaulé et prit habilement la direction des 
affaires politiques. 


Révolte de Moûlay Aboûl ‘abbãs Ahmed ben Mahrèz ben Echchérîf, 
et fin de ce dernier '. 


Quand la nouvelle de la mort de Moûlay Errechîd par- 


1. Texle arabe, 1V* parlie, page 22. 


62 ARCHIVES MAROCAINES 


siège devant la ville. Au bout de quelques jours de com- 
bat, les gens de Fès mandèrent a Moûlay Ahmed ben 
Mahrèz de venir auprès d'eux, qu’ils le prendraient pour 
maitre. Celui-ci arriva a Debdou, campa au bord de Oued 
Melouiya et envoya un courrier pour annoncer sa venue. 
Il fut aussitût acclamé, le jeudi 20 djoumdada II, et, ù la 
fin du ınois, dix cavaliers furent envoyés è sa rencontre ã 
Taza. En mêıne temps arrivait a Fès un courrier de Elkha- 
dir Géilan annonçant qu'il était venu d’ Alger par mer et 
avait débarqué û Tétouên, où la famille Ennaqsis, qui était 
maitresse de la ville, avait embrassé son parti. Les avis 
furent dès lors partagés, il en résulta de multiples causes 
de désordre, et le pays fut considérablement divisé; la 
révolution éclata. Un chérîf de la famille de Dûr Elguéi- 
toûn, Mollay Ahmed ben Dris, tua un des fils de Aboûr- 
rabt' Slimêan Ezzerhoûni, le révolté dont nous avons parlé 
précédemment. Ensuite, un individu du parti d’ Ezzerhoûni 
tua û son tour Moûlay Hafid ben Dris, frere de ce chérîf ; 
bref, il se passa des événements que je ne saurais rap- 
porter. 

Motlay Ismê'il, ù la nouvelle de 'arrivée de Ben Mahrèz, 
avait marché sur Taza avec ses troupes ; il assiégea pen- 
dant des mois son com pétiteur, qui s’enfuit jusqu’au Şahara. 
Quand Il connut sa fuite, Moûlay Ismail se dirigea sur le 
pays dQ Elhabt pour aller combattre Elkhadir Géilan, qu'il 
atteignit et tua le lundi 20 djoumdada I°' 1084. Il revint 
ensuite û Fès Eljedid vers le milieu du mois suivant, et 
cerna la ville, sans provoquer au combat. A la fin, les habi- 
tants firent leur soumission, ourvrirent la ville et se ren- 
dirent auprês du Sultan en lui manifestant leur repentir. 
Celui-ci leur pardonna (17 rejeb 108/4). Leur révolte avait 
duré quatorze mois et huit jours. Le qaûid Aboûlbbas 
Ahmed Ettlemsêûni fut nommé gouverneur de la vieille 
ville, et le vizir Abo Zéid ‘Abderrahmdan Elmenzari, gou- 
verneur de Fès Eljedid. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 63 


Le Sultan partit pour Méknêès, mais revint bientûdt ù Fès, 
où ses deux gouverneurs se livraient è toutes sortes d’in- 
justices, et avaient terrorisé le pays par le meurtre et les 
exactions. Il les destitua et retira également au fqîh Aboû 
‘Abdallah Elboû ‘inêni les fonctions de prédicateur d’ Elqa- 
rouiyîn, qu’il confia au qûdi Aboû ‘Abdallah Elmeggaşı 
(fin de rejeb). 


Le Prince des Croyants, Moûlay Isma'îl, reconstruit Méknûsét 
Ezzéitoûn et en fait sa capitale '. 


Méknasét Ezzéitoûn est une des plus anciennes villes du 
Magrib : elle fut construite par les Berbers avant Islam. 
Dès le début de la dynastie des Moûwahhidin, les princes 
de cette famille avaient assiégé cette ville, mais ils n’avaient 
pu s’en emparer qu’au bout de sept ans, vers le milieu du 
sixiètme siècle. Ils détruisirent la ville, puis édifièrent la 
nouvelle Méknêès, appelée Tagrart, ce qui signifie le cam- 
pement. Les Beni Mrîn, après eux, s’intéresséêrent a cette 
cité et y batirent la qaşba. Ils y fondèrent également des 
mosquées, des mdersas, des zdouyas et des caravansé- 
rails. Elle était alors la résidence des vizirs, tandis que Fêès 
Eljedid était celle des émirs. 

Méknès est unique pour excellence de son terroir, la 
douceur de son eau, la salubrité de son air; de plus, les 
provisions ne s’y gatent pas. Ibn Elkhatîb en a fait la des- 
cription dans plusieurs passages de ses ouvrages, notam- 
ment dans les livres intitulés Ennafdda et Elmaqdmdl. Il 
l'a chantée en vers et en prose, et a cité ces vers d'un de 
ses habitants, Ibn ‘Abdoûn : 

« Si Fès peut s’enorgueillir de ce qu’ elle renferme et de 
la beauté de son aspect, 


1. Texte arabe, 1V° partie, page 23. 


64 ARCHIVES MAROCAINES 


« Méknès et sa ceinture la valent bien, car elle possède 
les deux choses les meilleures : son air et son eau. » 

Aussi le Prince des Croyants, Motlay Ismê ‘il (Dieu lui 
fasse miséricorde !) ne voulait pas échanger contre une 
autre ville, et, dès qu'il eut terminé les affaires de Fès, il 
vint s’y établir et entreprit aussitêt la construction de ses 
palais. Il commença par abattre les ınaisons contiguës è la 
qaşba et contraignit les propriétaires ù en transporter les 
décombres et, ayant fait élever une muraille sur le cûté 
ouest de la ville, ù batir leurs maisons èڍ‎ Iintérieur de 
ladite muraille. La partie orientale de la medîna fut égale- 
ment détruite, et l['emplacement ainsi obtenu servit ã 
agrandir Pancienne qaşsba et ù en dégager les abords. Le 
tout fut transformé en une seule qaşba. Il construisit la 
muraille de la ville, qui fut séparée de la qaşba. I1 fit tra- 
vailler sans interruption, aux constructions, des ouvriers 
qu'il fit venir de toutes les villes du Magrib ; mais, comme 
il trouvait qu'il n'en avait pas encore assez, il obligea les 
tribus è lui fournir èã tour de rêle, chaque mois, un nombre 
déterminé de travailleurs etde mules; les villes qui devaient 
fournir également des ouvriers et des artisans spéciaux 
envoyêèrent de même un nombre déterminé de maçons, de 
menuisiers, etc. Moûlay Ismê il fit encore édifier la Grande 
Mosquée qui se trouve ã Jintérieur de la qaşba et qui 
avoisine le qaşr ennşar, bati par lui sous le règne de son 
frère Moûlay Errechid (Dieu lui fasse miséricorde !) Il fonda 
ensuite Edddr Elkoubra (grand Palais), qui se trouve près 
du mausolée du Chéikh Elmejdoûb. 

Il continua èڍ‎ planter et ù bêtir ù Méknès pendant plu- 


sleurs années; nous rapporterons cela en son lieu et place, 
si Dieu le veut. 


66 ARCHIVES MAROCAINES 


Mais le 2 rabi’ II 1088, Ben Mahrèz, qui se trouvait dans 
Pinpossibilité de soutenir le siètge plus longteınps, s’enfuit 
de Morrakch, accompagné des quelques fidèles que la 
guerre lui avait laissés, et le sultan Motûlay Ismê 'il entra 
de vive force dans la ville, qu'il livra au pillage ; sept des 
principaux chefs furent mis a mort et trente d'entre eux 
eurent les yeux brûlés. 

La révolte était ainsi apaisée et les jours d’épreuves 
étalent passés. 


Formation du « guéich » Eloûdêya, ses diverses fractions 
et leurs origines '. 


Ce guéich est un des plus importants de cette dynastie 
chérifienne (Dieu maintienne ses mérites et étende sur le 
pays et sur ses serviteurs sa fortune et sa justice !) Il se 
divise en trois refhas : le reha des Ehl Soûs ; le reha d’E]- 
mgğêfra et celui Eloûdêya. Le nom dOûdêya est donné 
collectivement è tout le gaéich. 

Les Ehl Soûs sont composés des tribus suivantes : Ou- 
lad Jerrar, Oulad Mta', Zirara, Echchebanat, qui sont 
toutes des tribus dle ‘Arabs Ma 'qil et composaient autre- 
fois armée de la dynastie saadienne. Les princes de cette 
famille les convoquaient avec leurs caınpements quand ils 
avaient des expéditions èڍ‎ effectuer, suivant une habitude 
qu’ils avaient prise a 'époque où ils résidaient encore dans 
le Sahara. 

Ensuite, ils les installèrent dans la plaine d’Azgêr : 
c’était pour faire pièce aux ‘Arabs Djochém d’Elkhlot et de 
Sefian. Les Khlot avaient été les soutiens des Beni Mrin 
auxquels ils étaient unis par des alliances ; ils n'avaient 
pas voulu reconnaitre la dynastie saadienne, et avaient pro- 


1. Texte arabe, IV° partie, page 24. 


68 ARCHIVES MAROCAINES 


d’aller le chercher cet homme, et on l'amena en présence 
du Sultan, qui se mit û l'interroger. Cet homme se déclara 
originaire de Ouadi, tribu de la souche des ‘Arabs Ma 'qil 
du Şahara qui avait quitté le Sud, chassée par la disette. 
« Nous sommes venus d’abord dans le Sos, ajouta-t-il, en 
très grand nombre, et lû nous nous sommes dispersés ; 
chaque groupe s'est dirigé vers une tribu et s'est installê 
chez elle. Nous, nous habitons avec les Chebûnût. » — 
« Comment, lui dit le Sultan, vous êtes mes oncles mater- 
nels, vous avez entendu parler de moi et vous n'êtes pas 
venus me voir! Eh bien, désormais, toi, tu seras mon pro- 
tégé ! Va reconduire tes moutons û ta tente et reviens me 
voir û Morrãkch. » Il recommanda û quelqu'un de I'intro- 
duire auprès de lui quand il se présenterait. 

Effectivement, quelques jours après, Boûch-chefra venait 
voir le Sultan, qui lui fit cadeau d'un vêtement et d'une 
monture, et envoya avec lui des cavaliers pour réunir ses 
contribules dans toutes les tribus du Hoûz. 

Bolch-chefra groupa tous ceux qu'il put trouver, et les 
amena au Sultan, qui les inscrivit dans les Dfouûn et leur 
donna des vêtements et des chevaux. Peu de temps aprês 
il les envoya avec leurs familles pour résister û Méknã- 
sét Ezzéitoûn, résidence royale et siége du khalifat. Un 
autre groupe vint ensuite : Moûlay Isma'îl Pinscrivit éga- 
lement dans le Dîoudûn et, après l'avoir traité avec la plus 
grande générosité, lui assigna comme résidence le quar- 
tier de Méknés appelé Erriyûd, dans le voisinage de la 
qaşba. Il leur donna ordre d’'y construire leurs maisons, 
et gralifia leurs chefs et les principaux d'entre eux des 
revenus des zûouyas qui n'ont pas û payer d'impûts comme 
les tribus. 

Un troisiéme groupe se présenla û son tour, venant diı 
Sud, il fut inscrit et traité comme ceux qui avaient pré- 
cêédê. 

Quand Moûlay Ismê’ il déplaça plus tard les Zirûra et les 


70 ARCHIVES MAROCAINES 


Révolte des Berbers, partisans des Dilêis qui se réunissent autour 
d'un des membres de cette famille, Ahmed ben ‘Abdallah ; le 
Sultan les réduit *. 


Pendant que le sultan Moûlay Ismê ‘il (Dieu lui fasse mi- 
séricorde !) était encore ù Morrakch, après la fuite de Moû- 
' lay Ahmed ben Mahreèz, il apprit que les Berbers Şenhêja 
s8’ étaient rassemblés autour de Ahmed ben ‘Abdallah Ed- 
dilêt, et venaient attaquer les tribus arabes de leur voisi- 
‘nage depuis le Tãdla jusqu’a Sûis. I1 envoya une armée au 
Têdla pour soutenir les habitants de ce pays contre les 
Berbers, mais ceux-ci les mirent en déroute, tuéèerent 
Ikhlef, se livrèrent au pillage et s’emparèrent du Tadla. 
Une seconde armée, composée de 3.000 cavaliers, et con- 
mandée par Ikhlêf, fut également défaite par les Berbers 
qui mirent û mort Ikhlêf et pillèrent son campement. Un 
troısiêtme corps de troupes eut le sort des deux pre- 
miers. 

Pendant ce temps, le sultan de Morrakch, qui surveillait 
Ben Mahrèz dans le Sots, apprenait que son frère, Moûlay 
Hammada, s’était révolté dans le Şahêara et faisait la guerre 
a un autre agitateur, son frère Moûlay Mahrèz, père de 
Moûlay Ahmed du Soûs. Néanmoins, allant au plus pressé, 
Il vint faire la guerre aux Berbers du Têdla, dans la 
crainte que la plaie faite ù la dynastie ne s’étendit. Il 
trouva la son frère Moûlay Elharran, qui venait lui deman- 
der son secours contre Hammãda. Il s’avança contre les 
Berbers, les tailla en pièces et fit couper sept cents têtes 
de vaincus qu'il envoya portera Fès par ‘Abdallah ben Ham 
doûn Erroûsi. Le Nachr Elmalsdni dit que 3.000 Berbers 
furent tués ce jour-la. La ville fut pavoisée et on tira des 
salves d’artillerie : ce fut un jour de fête. Après la bataille, 


1. Texte arabe, IV° parlie, page 25. 


72 ARCHIVES MAROCAINES 


il fit établir une immense pièce d'eau, sur laquelle pou 
vaient circuler des canols et des embarcations de plai- 
sance. Il ordonna également la construction dans la qaşba 
d'un grenier (hert) ù provisions pour le blé et les autres 
grains, dont les angles formaient voûte, et qui pouvait 
contenir les grains de tous les habitants du Mağgrib. Dans 
le voisinage, étaient des conduites d'eau très profondes et 
recouvertes de voûtes, Tout en haut de la qaşba fut bûtie 
une grande batterie circulaire, d'où les canons pouvaient 
tirer dans toutes les directions. 

Dans la qaşba fut également construite une vaste êécu- 
rie (işfabl) pour ses chevaux el ses mules : elle avait une 
parasange de longueur et de largeur. Les cûlés suppor- 
talent le toit, qui était en forme de berceau et reposailt sur 
des portiques et des arcs immenses, dans chacun desquels 
il y avait place pour un cheval. Entre chaque animal il y 
avait une largeur de 20 empans. Dans toute Uécurie, on 
pouvait attacher, dit-on, 12.000 chevaux. Pour chaque bête, 
il y avait un palefrenier musulman qui étail servi par un 
garçon d'écurie pris parmi les captifs chrétiens. Tout au- 
tour de Pécurie, coulait une rigole d'eau recouverte de 
maçonnerie, dans laquelle était pratiquée, devant chaque 
cheval, une ouverture en forme de réservoir pour lui per- 
mettre de boire. Au centre du bûtiment, se trouvaient 
des constructions voûtées pour remiser les selles des che= 
vaux. Un grand grenier carré et en forme de dûme, conês- 
truit avec des porliques et des arcs, était desliné û rece- 
voir les armes des cavaliers qui montaient les chevaux ; la 
lumière y pênétrait par des grillages en fer établis sur les 
quatre faces du bûtimnent ; chaque grillage pesait plus d'un 
quintal. Sur ce grenier était élevêé un palais appelé Elman- 
şoûr, qui atteignait la hauteur d'au moins 100 coudées, 
50 en bas et 50 en haut. Il contenait 20 pavillons, dans 
chacun desquels était une fenêtre munie d'un grillage de 
fer d'où Pon avait vue sur la ville tout entiére dune col- 


74 ARCHIVES MAROCAINES 


tagnes, et tous les ambassadeurs turcs ou chrétiens qui 
errent dans ces ruines s’étonnent de leur grandeur; ils se 
refusent è croire que ce soit une euvre humaine, qu’ on ne 
pourrait pas évaluer en numéraire. 


Création du « guéich » des ‘Abids d'Elbokhûari; son origine 
et explication des noms qui lui furent donnés ‘. 


Ce guéich esl un des plus importants de cette dynastie 
fortunée. Les raisons pour lesquelles il fut créé sont expli- 
quétes en détail dans un cahier du fqîh distingué Aboûl- 
‘abbas Ahmed Elvahmédi, qui fut secrétaire et grand-vizir 
de la dynastie isma'ilienne. « Lorsque, dit-il, le sultan 
Moûlay Isma'îl ben Echchérif entra pour la première fois 
a Morrêkch dont il venait de s’emparer, il choisit ses sol- 
dats parmi les tribus libres, comme nous avons vu. Un 
jour, le secrétaire Aboû Hafş ‘Omar ben Qûasém Elmor- 
rakchi, surnommé ‘Alilich, vint le trouver. Il appartenait 
ù une ancienne famille de fonctionnaires, et son père avait 
été secrétaire d’Elmanşoûr Essa'di et de ses enfants. 
Aboû Hafş entra au service de Motlay Isma'îl et lui pré- 
senta un registre sur lequel figuraient les noms de tous 
les esclaves noirs: Abids) qui avaient fait partie de armée 
dElmanşoûr. Le Sultan lui ayant demandé s’il restait 
encore quelques-uns de ces nêgres, il lui répondit qu’ il y 
en avait encore beaucoup qui étaient disséminés avec leurs 
enfants û Morrakch, dans les environs, et dans les tribus 
du Dîr, et proposa au Sultan de les lui réunir. Moûlay 
Isma'îl le chargea de cette mission, et écrivit aux gouver- 
neurs (les tribus pour les inviter è le seconder et a lui 
prêter leur appui dans Peuvre qu’il allait entreprendre. 
‘Alilich se mit û la recherche des nêgres qui se trouvaient 


1. Texte arabe, 1V partie, page 26. 


76 ARCHIVES MAROCAINES 


3.000 autres nêégres, que le Sultan envoya, apréês les avoir 
armés et habillés, ù Elmhalla, sous le commanderment de 
leurs qûîds. 

« Ben El'ayyûchi revint ù son tour : il rapportait un 
registre où étaient inserits 2.000 ‘A bîds, mariés ou céliba- 
taires. Des ordres furent également envoyés au qûid 
Aboûlhasan ‘Ali ben ‘Abdallah Errîfi, gouverneur de la 
région d@'Elhabt. Il devait acheter û Tétouûn des né- 
gresses pour les célibataires, les habiller, donner aux _ 
hommes des armes, leur désigner des chefs, et enfin les 
envoyer û Elmhalla. Les premiers ‘Abîds qui se fixèrent û 
cet endroit finirent par être au nombre de 8.000. 

« Le Sultan obligea ensuite les tribus de Tûmesna et de 
Doüıkkûla û lui amener les ‘A bids du Maklyen qui se trou- 
vaient chez elles, Elles ne purent qu'obéir, réunirent tous 
les esclaves qui vivaient au milieu d'elles, en achetérent 
d'autres, leur donnêrent des chevaux, des armes et des 
vêtements, et les lui envoyêèrent. Ces deux provinces four- 
nirent chacune 2,000 ‘A bîds. Le Sultan les installa d'abord 
a Oujéh ‘Aroûs, près de Méknès ; plus tard, il ft cons- 
truire la qaşba d@Adékhşûn, qu'il assigna comme rési- 
denıce aux ‘Abîds de Doûkkûla ; quant aux 'Abîds de Tû- 
mesna, il les établit ù la Zûouyat Eddilã. _ 

« Dans année 1089, Moûlay Isma'îl fit une expédition 
dans le Sahûra de Soûs, et s'avança par Aqqa, Tûta, Tassint 
et Chenguît, jusqu'aux conlins du Soudan. Il y recut les 
députations de toutes les tribus arabes Ma qil de cette 
région, du Sahel et du Sud, Dlîim, Barboûch, Elmgûfra, 
Ouadi, Mtû', Jerrûr, qui lui apportêrent leur soumission. 
A la tête de ces députations se trouvait le chéfkh Bekkûr 
Elmgafri, pêre de la noble dame Khenûtsa, mêre du sultan 
Moûlay ‘Abdallãh ben Isma'îl. Ce chéikh offrit sa fille au 
Sultan : elle était belle, instruite et bien élevée, Moûlay 
Ismû'il lépousa et en eut des enfants. [l ramena également 
de son expédition dans ces régions 2.000 Harrafîn avec 


الگاھے ` 


78 ARCHIVES MAROCAINES 


tions du livre ; ils reçurent ordre de conserver précieu- 
sement cet exemplaire, de le transporter avec eux quand 
ils monteraient a cheval et de le porter en avant dans 
leurs guerres, comme Parche d’alliance des fils dIsraël. 
Cet usage est encore suivi de nos jours. 

Voila pourquoi on les a appelés les ‘Abids d’Elbo- 
khêrı. 

Mais, dit auteur dE/bousldn, il advint des troupes d’ElI- 
bokhûari sous les successeurs de Moûlay Isma'îl, ce qui 
advint des Turcs, avec les successeurs d’ Elmo ‘taşim ben 
Errechid El'abbasi. Ils finirent par être les maitres ; ils 
nommêrent les gouverneurs et répandirent le sang, jus- 
qu au jour où, les desseins de Dieu ù leur sujet s’exécu- 
tant, ils se disloquèrent et se dispersêrent de tous cûtés. Le 
défunt Sultan, Moûlay Mohammed ben ‘Abdallah, les réu- 
nira de nouveau, mais, dès qu'ils auront augmenté en 
nombre, ils se révolteront contre Moûlay Yazid, et se 
livreront aux mêmes actes que par le passé, ainsi que 
vous apprendrez bientûdt, s’il plaît ù Dieu. 


Expédition du Prince des Croyants, Moûlay Ismail, dans la région 
du Cherg; conclusion de la paix entre lui et le gouvernement 
turc d’ Alger '. 


Le Prince des Croyants, Moûlay Ismail (Dieu lui fasse 
miséricorde !), entreprit ensuite une campagne dans la 
région du Cherg. Laissant ù sa gauche Tlemsên, il s’en- 
gagea dans la direction du Sud. Il reçut la les députations 
des ‘Arabs Doûi Meni’, Dkhisa, Hamiyan, Elmhaya, El- 
‘omoûr, Oulad Djerir, Sgoûna, Beni ‘Amer, Elhachém, et 
partit avec elles jusqu’a Elqouit’a, ù la source de Oued 
Chélif, appelé aujourd’ hui Oued Zû ; c’ étaient les Beni 


1. Texte arabe, I1V° partie, p. 28. 


%2 AMNHIVIS MAD AISES 


N) Cavaliers Lirara. aves: maissicn de ne pas laisser les 
Sens Yin venir dans la plaine de Trifa. pour leurs 
lalsyurs ou leurs approvisiooneinents. Il fit également 
betir a El oyin. sur les confins de leur territoire. un 
autre: firt cys Je: séssse «aid installa aussı 500 cavaliers de 
sa tribu. De: rmérme. il en fit construire un troisième ã la 
lisnite de leur pays sur la Melouiya. avec une garnison de 
AN) Cavaliers, (4:5 trois qagbas furent placées sous la sur- 
veillance du qaid El avyachi qui résidait aã Oujda avec 
1NN cavaliers. Il ¥ avait donc 2.500 hommes inscrits sur 
jecss regislres. 

Au ınois de djournada II de année 1091, le Sultan quitta 
la capitale 4a la tête de ses troupes, pour aller chez les Beni 
Yznasén qui persistaient dans leur insoumission : il gravit 
la montagne occupée par cette tribu, détruisit les campe- 
ments, ravagea les cultures, pilla les troupeaux, brûla les 
bourgs, tua les coımbattants et emmena leurs enfants. Il 
accorda ensuite a cette tribu amdn qu’elle avait sollicité, 
ınais û condition qu’ elle lui livrerait ses armes et ses che- 
vaux, ce qu'elle fit sans retard, en affirmant malgré elle sa 
BOUIHISSION. 

f)¢ la le Sultan descendit dans la plaine Angad: Les 
tribus d'Elalhlaf et de Sgoûna, qui vinrent auprès de lui, 
durent livrer leurs arınes et leurs chevaux qui leur furent 
enlevés, et les chéikhs furent invités a réunir tout ce qui 
pouvait encore rester dans les campements. Même mesure 
ful priue û égard des tribus dElmhaya et de Ilamiyêan. Le 
Sultan reprit alors la route du Magrib et, ù son passage è 
F'Oued ZA, ordonna de restaurer la qaşba de Taouriîrt, qui 
avail élé Cdifiéce par le sultan Yoûsef ben Ya‘ qoûb ben 
‘Abdelhaqq Flmerini ; ily établit une garnison de 500 ca- 
valiers choisis parmi ses ‘Abîds, accompagnés de leurs 
femmes et de leurs enfants. A Oued Mesoûn, il fit cons- 
truire une autre qaşba, dans le voisinage de Pancienne, et 
y mil une garnison de 400 cavaliers ‘Abîds. A Taza, il laissa 


84 04 -, ARCHIVES MAROCAINES 


qu'au jour ol elle fut prise par armée du sultan Moûlay 
Ismail en-49027L’auteur de Vozha dit: « Un des princi- 
paux titres de gloire du thgne ir dé- 
barrassé le Mağrib. 

mis un terme aux agressions de I'ennemi chrétien. Mod: 
lay Isma'îl a, en effet, conquis un certain nombre de villes 
dont la possession entre les mains des chrétiens était une 
cause de troubles pour le Mağgrib et une source d'inquié- 
tude pour les musulmans. Parmi ces villes, il faut citer 
Elma '‘moûra, qui fut prise ,d'assaut après un assez long 
siêge, le jeudi 24 rabî’ II de l'année 1092; 300 infidèles 
environ furent faits prisonniers dans cette ville. » L'auteur 
du Nachr Elmalsdni dit: « La conquête d'Elmehdiya eut 
lieu de force pendant la priêre du vendredi 15 rabîi ‘II de 
cetle année. Suivant une autre version, elle aurait été prise 
sans combat ; les conduites d'eau ayant été coupées, les 
chrétiens qui s'y trouvaient furent faits prisonniers et pas 
un seul musulman ne périt. » 

« Le sultan Ismû'îl, dit auteur d'E/bousldn, apprit 
en 1092 que son neveu Moûlay Ahmed ben Mahrêèz, qui 
habitait le Soûs, s'était emparé du pays des Ait Zîinéb 
et voyait grandir sa puissance. Aussitût il fit distribuer la 
solde et préparer ses troupes qui devaient quitter Fês pour 
marcher contre lui. Son armée était déjè partie le § rabî ["" 
quand on lui annonça que les soldats qui assiégeaient 
Elmehdiya n’attendaient plus que son arrivée pour con- 
quérir la ville, Il partit aussitût et put assister û la prise 
de cette place. Le commandant des chrétiens et 308 hommes 
faits prisonniers reçurent Uamdn. (Quant au bulin, il fut 
réservé aux guerriers de la foi du Fahş et du Rif qui cer- 
naient la ville sous les ordres du qûîd ‘Omar ben Haddo 
Elbottoûi. » Cette expédition terminée, le Sultan rentra û 
Méknês, après avoir laissé ù Elmehdiya, pour I'habiter, un 
certain nombre de ‘Abîds du Sols. Plusieurs combattants 
volontaires de Salé prirent part û cette conquêle : parmi 


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7 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 85 


eux se trouvait le saint pieux, Aboûl'abbûs Sidi Ahmed 
Hajjî, lun des saints personnages célêbres de cette ville. 

Les fortifications qui existent encore de nos jours û 
Elmelıdiya ont été bûties par les Portugais û l'époque où 
ils s'en emparêrent du teınps de la dynastie des Ouattûsis 
comme nous l'avons rapporté. 

Aussilûl après la prise d'Elmehdiya, les guerriers de la 
foi se relirêrent : leur chef, ‘Omar ben Haddo, ayant suc- 
combê û la peste en route, ce fut son frère, le qûîd Ahmed 
ben Haddo qui pril leur commandement, qu'il partagea 
avec le qãîd Aboûlhasan ‘Ali ben ‘Abdallah Errifi. La 
famille Errîfi est aussi célèbre par son ardeur dans la 
guerre Sainte, sa bravoure et son habileté dans le combat 
que les familles Ennaqsis et Boû-llîf et autres guerriers 
de la foi (Dieu leur fasse û tous miséricorde !) 

En 1093, aprês une expédition dans la région du Cherg, 
olû İl razzia les Beni 'Ãmer, le Sultan revint û Méknés. Il 
fit sortir les Juifs de la capitale jet leur fit construire un 

qllartier spécial en dehors de la ville, ù Berrîima. Il fit venir 
3ã Méknêés les Filûla qui étaient û Fès, et leur assigna comme 
résidence ancien quartier des Juifs : ils s'y installêrent 
moyennant loyer, et finirent par le remplir. 

Bieitêt il reçut la nouvelle qu’ une armée turque était 
weniüe prendre possession des Beni Yznûsén et de Dûr 
Ben Mech'al; il apprH également qu'il y avait entente 
enlre les Turcs et Ben Mahrêèêz, qu'il y avait eu de part el 
<Iaulre envoi de messagers, et que l'accord s'était fait 
enlré eux pour le combaltre. Cette nouvelle lui ayant été 
<onfirmée par son représentant û Morrûkch, il envoya 
Wordre û ce dernier de surveiller la ville avec toute la vigi- 
Bance possible, el de tenir tête a Ben Malhırêèz jusqu'a ce 
auil fût de retour de son expédition conlre Tlemsên. Il 
Partit alors (Dieu lui fasse miséricorde !} pour lutter contre 
1es Turcs, mais il apprit bientût que ceux-ci étaient 

retournés dans leur pays, û la nouvelle que les chréliens 


86 ARCHIVES MAROCAINES 


êtaient venus alttaquer Cherchell : ils avaient marché contre 
eux et devaient remporter une brillante victoire, Le Sultan 
revint donc sur ses pas. 

En 1094, le moment était venu pour le Sultan de partir 
pour Morrûkch, d'où il se ınit en route, aprês s'être reposé, 
pour le Sols. La rencontre entre lui et son neveu Moûlay 
Ahmed ben Mahrèz eut lieu ù la fin de rabi’ I[. Le combat 
qui s'engagea dura environ vingt-cinq jours; un nombre 
incalculable d'hommes périrent de part et d'autre. Enfin 
Ben Mahrêèz se retira û Tûroûdûnt et s'y forlifia. Les vivres 
étaient chers û ce moment-la, et les hommes de la hark, 
ne pouvant supporter cette situation, se mirent û déser- 
ter. On dut les emprisonner et les baltre pour leur faire 
rejoindre leurs compagnons sur-le-champ. Un second 
combat fut livré; environ 2.000 hommes périrent, et le 
Sultan, ainsi que Ben Mahréèz, furent blessés, vers le 
15 djoumada II. Celte situation se prolongea jusqu'au 
mois de ramadûn. 

Aboû ‘Abdallah Akensoûs rapporte qu'il « tient d'une 
personne digne de foi que le sultan Moûlay Ismû'il était 
fatigué de lutter contre son neveu. Il se leva un matin 
effrayé et désolê, et raconta èù son vizir le fqih Aboûl'abbãs 
Elyahınédi qu'il avait eu la nuit précédente ur songe qui 
l'avait rempli de tristesse. « Quel est ce songe ? lui dit le 
vizir, peut-être est-il heureux ? — J'ai vu en rêve, répon- 
dit le Sultan, ces armées qui sont en ce moment avec 
nous: pas un seul homme n'en restait, Il n'y avait plus 
que toi et moi, nous étions cachés dans une obscure ca- 
verne. » Entendant ces mols, le vizir se jette ù genoux, 
remercie Dieu et reste longtemps prosterné. Enfin, rele- 
vant la tête, il dit: « Réjouissez-vous de la bonne nouvelle, 
û Nolre Maitre, car Dieu nous secourt contre cet homme, 
— Comment sais-tu cela ? demanda le Sultan. — Je le sais 
par cette parole de Dieu : L'un des deux hommes qui sont 
dans la caverne dit û son compagnon : Ne sois pas (riste 


88 ARCHIVES MAROCAINES 


ses troupes pour les montagnes de Fêzzûz afin de corm battre 
les Brûbér Senhûdja de cetle région. Dês que ceux-ci 
connurent la venue du souverain, ils gagnêèrent la Melo- 
uiya. Le Sultan entra aussitût sur leur territoire et fit 
construire un fort au pied de leur montagne, û ‘Aîrı 
Elloûh. Il descendit aussi û Azrou, oû il ordonna égale- 
ment d'édifier un fort au pied de la montagne ét de la, 
suivant les traces de ces Berbers jusqu'au Djebel El'ayya- 
chi, il resta en observation sur la Melouiya jusqu'a la sai- 
son d'hiver, pour donner le temps d'achever les murailles 
des deux forts. (Juand il décida de s'en retourner, il laissa 
au fort d'Azrou 1.000 cavaliers, et 500 au fort de ‘Aîn 
Elloûh : ces deux garnisons prirent possession des défilés 
de ces tribus, et la plaine de Sûîs fut débarrassée de leurs 
brigandages. Privées de leurs terrains de culture, ne 
pouvant plus recevoir de provisions, manquant de vivres, 
ces tribus durenl s'humilier et députêrent û Méknês des 
envoyés qui exprimérent leur repentir au Sultan, Celui-ci 
leur accorda lamdn û la condilion qu'ils livreraient leurs 
armes et leurs chevaux, et qu'ils ne s'oceuperaient doréna- 
vant que de leurs terres et de leurs troupeaüx. Les Ail 
Idrûsén (tel est le nom de ces tribus) acceptêrent humble- 
ment ces conditions. 

De son cûté, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde!) remit 
20.000 moutons, qu'ils avaient charge de paitre el de soi- 
gner; il les exonéra également d'impûts. Leur conduite 
s'améliora plus tard, car, tous les ans, ils apportaient la 
laine et le beurre de ces moutons au Sultan, qui leur remêel- 
tait toujours de nouveaux animaux, si bien que leur chiffre 
atteignit 60.000. De cette façon, ils perdirent leur force et 
furent désormais incapables de nuire. 


90 ARCHIVES MAROCAINES 


Fès, qu’ il leur envoya. Cette opération dura quarante jours. 
Dieu triomphe toujours ! 


Deuxiéme expédition contre les Berbers et constructions de forts 
sur les limites de leur territoire’. 


Dans année 1096, le Sultan partit en expédition pour la 
région de la Melouiya et passa par la ville de Şefroû. Les 
tribus berbères se réfugiterent sur les sommets de leurs 
montagnes; ces tribus étaient les Ait Yoûsi, les Ait Chegd- 
rouchchen, Eyyotb, ‘Alahoum, les Qadém, Hayyoûn et 
Medioûna. Le Sultan fit construire des qaşbas, une è A ‘Til, 
sur le cours inférieur de Oued Guigo, autre sur Oued 
Sekkoûra, et la troisième sur Oued Tdchouadkt. Quand il 
se porta ensuite sur la Melouiya, les tribus s’enfuirent au 
Djebel El 'ayyûchi et se répandirent dans les ravins de cette 
montagne. Il donna aussitêt ordre de construire des forts 
a Dûr Ettema', a Tababoûst, a Qşar Beni Mtir, ù Aoutêt et 
a Elqşabi. Le Sultan demeura environ une année sur la 
Melouiya, dirigeant des incursions contre les Berbers, pour 
achever la construction des murailles de ces forts, dans 
chacun desquels il installa une garnison de 400 cavaliers 
‘Abids avec leurs familles. Il reçut bientöt les députations 
des Berbers, qui vinrent exprimer leur repentir et annon- 
cer leur soumission ; 1l leur accorda amdn, ù condition 
qu'ils livreraient leurs chevaux et leurs armes. Cette remise 
assura la pacification de la région orientale du Djebel 
Deren. C’est Dieu qui accorde la grace de son assistance. 


1. Texte arabe, IV°* partie, p. 32. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 91 


Meurtre de Moûlay Ahmed ben Mahrêz ; prise de Taroûdûnt 
et événements qui s'y rattachent '. 


Le sultan Moûlay Isma'îl (Dieu lui fasse misêricorde !) 

était de retour û Méknêès cette année-lû (1096), quand il 
apprit que son frère, Moûlay Elharrûn, et son neveu, Moûlay 
Ahmed ben Mahrèz, avaient pris la qaşba de Taroûdûnt et 
S'étalent rendus maitres de toute la région. Il se mit en 
route aussitût, a marches forcées, et vint û Uimproviste 
assiéger Tûroûdûnt, où il les bloqua. Or, il arriva qu'un 
jour Ben Mahrèz, qui élait sorti avec un certain nombre de 
ses esclaves pour visiter un sanctuaire, fut rencontré par 
un parli de Zirûra, soldats du Sultan, qui, ne le connaissant 
pas et croyant avoir û faire û un de ses qûids, Uattaquêrent, 
et, aprês une courte bataille, le tuêrent. Ils ne le recon- 
nurent que quand il fut mort. Dêès qu'il connut la nouvelle, 
le Sultan vint voir le cadavre et le reconnut. Il ordonna 
ensuite de célébrer ses funérailles et de l'enterrer avec 
Elğarnûfi, qui avait été tué ce jour-la. Ahmed ben Malhrêèz 
mourut donc au milieu de doûlqa'da 1096, aprês quatorze 
années de lutte contre le Sultan. A quelque temps de lè, 
des gens de Tûroûdûnt sortirent la nuit de la ville, fouil- 
Iêérent la tombe de Moûlay Ahmed et celle d'Elğarnêti, pour 
rechercher le cadavre du prince, et, quand ils eurent reltiré 
les deux corps et reconnu celui de Moiûlay Ahmed, ils 
Iemportérent dans son cercueil, laissant Elgarnûti sur le 
bord de la fosse. 

Moûlay Elharrûn resta assiégé dans Tûroûdûnt et la lutte 
continua, Au cours d'un combat qui eut lieu en 1097, le 
qûîd Zéitoûn, le bûchêa Hamdûn et d'autres chefs périrenlt 
avec 600 hommes de leurs troupes. Un second, puis un 
troisléme combat eurent lieu ensuite, et coûlêérenl la vie 


1. Texte arabe, IV* parlie, p. 32. 


92 ARCHIVES MAROCAINES 


au qûîd Aboû Zéîd ‘Abderrahmêûn Erroûsi, qui fut rem- 
placé par le fils dElğgarnati, Le siége se prolongeait encore 
quand enfin, au cours du mois de djoumaûda 1° 1098, le 
Sultan enleva la ville de vive force et s'en rendit maitre : 
Moûlay Elharran prit la fuite et se réfugia en lieu sûr. 

Dès que la nouvelle de celte victoire fut connue û Fês, 
les habilants choisirent des députés parmi les principaux 
personnages, les chérifs et les ‘oulama, pour aller porter 
au Sultan leurs félicitations, sous la conduite de son fils, 
Moûlay Mohammed ben [sma ‘il. Cette dépulation fut aima- 
blement reçue par le Sultan. Les membres de la famille 
Ennaqsîs, qui s'étaient réfugiés û Ceuta aprês le meurtre 
d'Elkhadir Géilûn, vinrent aussi se présenter devant le 
Sultan au milieu de son armée û Taroûdûnt ; celui-ci les 
renvoya û Tétouûn, où il les fit mettre û mort, en même 
temps que leurs parents qui étaient emprisonnés û Fês 
(Dieu lui fasse miséricorde!). 

L'année suivante (1099), le Sultan quitta le Solis et rentra 
dans sa capitale de Méknès, oûù il prit quelque repos, Il 
envoya l'ordre au gouverneur de Fès de faire partir les 
Rifains de cette ville pour Tûroûdûnt, afin de la peupler, 
car il n'y restait plus d'habitants. Le 5 djoumûda I", il 
invita les savants de Fès ù assister û la fin de la leeture du 
Tefsîr, par son qûdi Aboû ‘Abdallah Elmeggûşi. Une grande 
réception leur fut faite et des cadeaux leur furent distri- 
bués. 


Expédition contre les Berbers de Fêzzûz et construction du fort 
d'Adékhsãn '. 


Dès qu'il eut terminé ses préparatifs d'expédition contre 
les habitants du Djebel Fêzzûz, le Sultan se mil en route et 


franchit la montagne du cûté de Ouest. Les premiéres 


1. Texle arabe, IV parlie, page 32. 


1 ۹ 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 93 


tribus des Brûbér qui vinrent lui apporter leur soumission, 
furenl les Zemmoûr et les Beni Hkim. Le Sultan confirma 
leur chef, Bû Ichcehê Elqebli, dans ses fonctions. Celui-ci 
leur fit livrer leurs chevaux et leurs armes, et alla rmıême 
jusqu'a leur demander de lui remettre leur argent, ce qu'ils 
firent. Il vint présenter tout cela au Sultan, qui se trouvait 
alors dans la plaine d'Adékhsûn. Le souverain refusa de 
I'accepter et lui demanda pour quelle raison il avait ainsi 
agi sans avoir reçu d'ordre. « O notre Maitre, lui répon- 
dit-il, sî vous voulez sauvegarder leurs intérêts et si vous 
leur voulez du bien, je n'ai pas fait aulre chose pour vous 
et pour eux. Mais si vous vous conduisez autrement û leur 
gard, ils vous lasseront et se lasseront eux-mêrmes. Pour 
moi, je me suis borné û les purifier des biens illicites afin 
qu'ils s'occupent dorénavant de posséder les biens licites, 
qui enrichissenıt et améliorent. » Le Sultan goûita ses paroles 
etl approuva sa conduite., 

Moûlay Isma'îl (Dieu lui fasse miséricorde !) resta ù 
Adékhsûãn une année entiére, pour combattre les Ait 
Ou Malou et bûlir la nouvelle qaşba dAdékhsûn sur l'em- 
placement de l'ancienne qui était en ruines et qui avait été 
consiruite par Emir des musulmans, Yoûséf ben Tûchfin 
(Dieu lui fasse miséricorde!) Dans cette qaşba, il installa, 
dês que Ihiver fut venu, 2.500 cavaliers des ‘Abîds de 
Doûkkûla, qui se trouvaient ù Oujêh ‘Aroûs et qu'il fit venir 
avec leurs familles. A la Zûouyat Eddilê, il y établit aussi 
une garnison de 2.500 cavaliers choisis parmi les ‘Abîds 
dEchchûouiya, qu'il fit aussi venir d'Oujéh 'Aroûs avec 
Jeurs familles. Ces troupes reçurent pour mission de blo- 

qüaer les Berbers, pour les empêcher de venir cultiver dans 
la plaine ou faire paitre leurs troupeaux. Le Sultan reprit 
ensuite la route de Méknès. 

Lauteur du JFHousldn, Belqûsém Ezzayûni, raconte : 

« Dans ce voyage, le Sultan ramena avec lui ù Méknêés mon 
&rand-pére, le /qîh, le docteur, Aboûlhasan ‘Ali ben Brûhîm, 


94 ARCHIVES MAROCAINES 


accompagné de ses enfants. Lorsqu’il était campé ù Adé- 
khsûn, ayant autour de lui tous les chérîifs d’Arko, il leur 
demanda de lui indiquer un homme instruit et pieux qui 
lui servît d’ imam pour ses prières. Ils lui répondirent : « I1 
n’y a pas d’ homme plus dévêt que Sidi ‘Ali ben Brahim. » 
On lui amena mon grand-père, qui, depuis lors, lui servit 
dimam pendant U'expédition, fut retenu par lui, quand il 
retourna ù Méknêès. » « Voila, ajoute cet auteur, comment 
mon grand-pêre a quitté Arko pour venir s’établir ù la 
ville. » 


Ëducation des enfants des ‘Abids du « Diouêûn » : conditions dans 
lesquelles était opérée leur instruction *. 


Nous avons déja vu que le noyau des ‘Abîds d’Elbokhêãri 
était installé a Elmhalla, près de Mechra' Erremla ; lè, ils 
s’ étaient multipliés et étaient devenus excessivement nom- 
breux. En 1106, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) 
ordonna a ces ‘Abîids de lui amener leurs enfants, garçons 
et filles, au-dessus de dix ans. Les filles furent partagées 
entre les divers pavillons de son palais et confiées ù une 
‘arîfa qui devait les élever et les instruire. Quant aux gar- 
çons, ils furent répartis entre les maçons, les menuisiers 
et les artisans de tout genre, pour apprendre leurs métiers, 
travailler avec eux, conduire les anes et s’exercer ãa les 
monter. Au bout de la première année, ils étaient employés 
a conduire les mulets chargés de briques, de zoulléij, de 
tuiles, de bois, etc. L'année suivante, ils devaient apprendre 
۾‎ damer et è faire du pisé. La quatriètme année, ils étaient 
promus û la première classe dans armée : on leur donnait 
des vêtements et on leur confiait des armes, avec lesquelles 
ils devaient s’exercer en vue du service militaire, et ap- 


1. Texle arabe, 1V° partie, page 33. 


DYNASTIE ALAOUTE DU MAROC 05 


prendre û tirer. La cinquiême année, on leur consignait 
des chevaux, qu'ils devaient monter ù cru sans selle et 
amener sur le champ de mang@euyres pour s'exercer û 
I'équitation. Si, û la fin de cette année-lû, ils arrivaient û 
être mailres de leur cheval, on leur donnait des selles afin 
d'apprendre l'attaque el la retraite, et d'acquêérir de l'adressê 
û la joule et au lir û cheval. Au bout d'un an, ils étaient 
admis dans lUarmée cormbattante. Le Sultan leur désignait 
alors une des jeunes filles venues avec eux, la leur donnait 
en mariage, et alltribuait a homme 10 mitsqûls comme dot 
de sa femmê, et û la jeune fille ö5 mitsqûls pour son trous- 
seau. Puis on les plaçait sous le commandement de l'un de 
leurs ancêtres, qui recevait le titre de qûîd et û qui on 
donnait de quoi bûtir sa maison et construire pour ses 
hommes les chaumiéres connues chez nous sous le nom 
de noudil, et on les envoyait résider û Elmhalla, après les 
avoir inscrits sur le Dîoudn de Uarmée. 

Depuis année 1100 jusqu'a la mort du Sultan (Dieu lui 
fasse miséricorde!) qui survint û la date que nous indique- 
rons plus loin, ce systême d’êducation reste en vigueur. 
Chaque année, il venait dMElmhalla un petit nombre 
d' hommes, et le Sultan y en renvoyait un plus grand 

Le nombre de Uarmée d'Elbokhûri atteignit le chiffre de 
150.000 hommes, dont 70.000 résidaient û Elmhalla ; le 
reste étaıt réparti entre les diverses forteresses du Magrib, 
oû ils avaient été installés pour garder les routes. 

Les forts que Moûlay Isma'îl (Dieu lui fasse miséri- 
corde !) fit élever dans le Magrib sont au nombre de 76; 
ils subsistent encore aujourd'hui dans toutes les contrées, 
et chacun les connait. 

Ces renseignements sont puisés dans les cahiers du fqth 
Aboûrrabît Slîimûn ben ‘Abdelqûder Ezzerhoûni, mort û 
Taroûdûnt en 1138, qui fut secrétaire de Moûlay Errechîd 

et de Moûlay Ismû'îl et qui possédait le registre de toute 


96 ARCHIVES MAROCAINES 


'armée, des troupes du groupe principal comme de celles 
qui étalent réparties dans les forts du Magrib. 

« Bt dire, s'écrie auteur Elbousldn, que les historiens 
ont cité comme une chose surprenante les 18.000 esclaves 
que le khalife Elmo ‘taşim ben Errechid avait fait venir du 
pays des Turcs, ou qu'il avait achetés! S1 ces forteresses 
avaient été des bateaux, des navires pour la guerre sainte 
et que le Prince des Croyants, Moûlay Ismê ‘îl, ait employé 
ce nombre d’esclaves qu'il avait réunis èڍ‎ traverser la mer 
pour aller en Andalousie, il en aurait certainement fait la 
conquête. La protection vient de Dieu! » 

Ces paroles sont justes : mais homme est enserré dans 
une rêgle inflexible, et le cours de toutes choses se trouve 
entre les mains de Dieu seul. Aussi celui qui voudrait 
entreprendre en son temps une chose différente de celle 
que Dieu a décidée pour cette époque serait un ignorant 
achevé. (In poète a dit : 

«Il n'y a pour bien connaitre le désir ardent que celui 
qui éprouve ; pour bien.connaitre affection profonde que 
celui qui la ressent. » 

Un autre poéte a dit : 

« Ne blamez pas de ses désirs celui qui désire ardem- 
ment, tant que votre cceur n’aura pas pénétré dans le 
sien. » 

Un autre poêéte a dit encore : 

« Quand le poltron ne se trouve pas tout seul dans un 
pays désert, il veut frapper et descendre dans l'arène tout 
seul. » 

Il y a encore un proverbe courant qui dit : 

« Celui qui est assis sur le bord Pune riviére, sait tou- 
jours bien nager. » 

Les réflexions qui précèdent sont des faits observa- 
tion, mais si on consulte la loi sainte, on y trouve cette 
parole de Dieu Très-Haut : « Préparez contre eux toutes 
les forces que vous pourrez... etc. » En tous cas, ils ne 


98 ARCHIVES MAROCAINES 


prise postérieurement. L'auteur du Nozha dit que les mu- 
sulmans ne s’emparêèrent de la place qu’au prix d’énormes 
difficultés. Ils creusèerent sous Uégotût, ouvrant dans les 
murs de la ville ù cûté du port, des mines qu'ils remplirent 
de poudre et qu’ils allumèrent. L’explosion qui s'en suivit 
ayant fait tomber un pan de muraille, les musulmans se pré- 
cipitèrent par cette brèche et se ruèrent sur les chrétiens 
qui garnissaient les remparts. Un sanglant combat s’enga- 
gea alors et les autres chrétiens durent se réfugier dans la 
citadelle d@Elqobîibût, construite autrefois par Elmansoür 
Essa‘di, où ils soutinrent encore le siège pendant un jour 
et une nuit; puis, saisis de terreur, ils demandêèrent 
Pamdn, qui leur fut donné, sur l'ordre du Sultan, par le 
qaid Aboûl'abbdas. Tous les chrétiens furent faits prison- 
niers : leur chef seul fut épargné. La conquête de cette 
ville fut terminée le mercredi 18 moharrem 1101. Le Bous- 
ldn et auteur du DJéich, qui s’apgpuie sur lui, disent que 
les chrétiens d’El'arêich soutinrent le siège dans la cita- 
delle d’Elqobîibêt pendant une année entière: c’est une 
erreur inadmissible ; avant la prise de la ville, El ‘'arêîich 
renfermait 3.200 chrétiens ; les musulmans firent 2.000 pri- 
sonniers et tuêèrent 1.200 hommes. On trouva dans la place 
un immense approvisionnement de poudre et darmes et 
environ 180 canons, dont 22 en bronze et le reste en fer. 
Parmi ces canons se trouvait celui qu’on appelait Elgaşşab, 
qui avait 35 pieds de long et dont le boulet pesait 45 livres ; 
la culasse était de telles dimensions que quatre hommes 
pouvaient ù peine 'embrasser ; du moins, c'est ce qu'on a 
entendu dire ù des témoins oculaires qu’on avait interro- 
gés sur ce sujet: le Nozha le rapporte également. Manuel 
prétend que les chrétiens ne se rendirent pas avant d’avoir 
stipulé un certain nombre de clauses importantes, que le 
Sultan viola ensuite. 

Le qêdi Belqasém El'amiri raconte le fait suivant dans 
la Fahrasa. Les chrétiens d'’El'arêich ayant prétendu que 


DYNASTIE ALAOUIE DÛ MAROC 99 


la prise de la ville eut lieu paciiquement, lranquillement 
et de vive force, le Sultan, voyant la discussion se prolon- 
ger, ordonna au qûdi de Méknêès, Aboû 'Abdallûh Moham- 
med Boû Medien de trancher cette question, Ce magistrat 
rendit une décision très longue, aussi conforme que pos- 
sible û la loi mahométane, concluant è la captivité de ces 
chrétiens. Cette décision est rapportée tout au long par 
El'amiri dans sa Fahrasiü, où on peut la trouver. 

Sur ordre du Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !), e 
«hrétiens qui, suivant le Boustdûn, étaient au nombre de 
1800, furent envoyés ù Méknasét Ezzéitoûn, oü ils furent 
«mployés, avec les autres prisonniers et captifs, û la cons- 
truction des palais du Sultan. Ils travaillaient pendant le 
Jour, et la nuit, on les logeait dans les souterrains, qu'on 
appelle, dans la langue commune des Mağgribins, heri. Le 

Sultan fit venir des gens du Rif pour habiter El'arêich, et 
ordonna û leur qûîd de leur construire deux mosquées 
etl un bain, et de batir lui-même sa maison dans la qaşba. 

A l'occasion de la prise d’El'arêich, le prêdicateur élo- 

quent, le littérateur de Fès, le moufti de cette ville, Aboû 
Mohammed ‘Abdelouahed ben Mohammed Echchérîtf El- 
bou inAni récita le poème suivant : 

« Allons ! réjouissez-vous : celte conquête est brillante, 

êl, grûce û votre puissance, les affaires sont rétablies. 

« Loiseal du bonheur a chanté très haut, et nos ceurs 

$e sont épanouis en apprenant votre victoire. 

« Léclat du triomphe nous illûmine, et la clarté de la 

gloire tourne vers nous. 

« Tous les bonheurs vous accom pagnent : existence est 

douce et la joie ne cesse pas. 

« Vous avez protégé le drapeau de IIslûm lorsqu'il a 

veillé sur les places de guerre avec Veil de la vérité. 

« Vous avez fait la guerre sainte, vous avez combattu ; 

Tous êtes pour la religion de Dieu les pleines lunes qui 
brillent. 


100 ARCHIVES MAROCAINES 


« Vous avez fait briller vos glaives comme des étoiles 
dans une mêlée avec les infidèles. 

« Aux jours de paix, vous êtes la pleine lune dans toute 
sa beauté et, au jour de la mêlée, vous êtes le lion ter- 
rible. 

« Et dans la place d’El'arêich, votre gloire s’est élevée 
au-dessus de Sirius. 

« Les rois avaient voulu U'acheter a des prix très élevés, 
ils avaient convoitée, mais elle s'était reculée effrayée. 

« Mais quand vous êtes venu, elle s’est rendue ù vous 
en disant: « Cest vers vous, jen jure par Notre Maitre, 
que j irai. » 

« Vous avez, en les civilisant, pris les rênes de sa puis- 
sance ; vous ne devez vos succès ni au blocus ni au pas- 
sage du fleuve. 

« Vous avez vaincu, grace èù de vaillants héros qui, tous, 
dans la mêlée, sont audacieux. 

« Que d’infidêles, le soir, ont eu la tête séparée du tronc 
et qui rêlaient alors qu’on les traînait. 

« A combien de gorges nos lances ont servi de collier, 
que de pointes de lances se sont plantées dans leurs poi- 
trines ! 

« Que de captifs, que de morts gisant è terre ! que de 
blessés dont le sang se répandait ! 

« Les oiseaux de proie passaient et s’en abreuvaient ; 
pendant toute la nuit, les chacals s’en nourrissaient. 

« Le matin, nos troupes étaient grisées et pleines 
d’ivresse, sans avoir bu cependant de boissons fermen- 
tées. 

« Réjouissez-vous de cette brillante victoire. Réjouissez- 
vous des faveurs accordées par le Dieu cléımnent ! 

« Grace ù ce succès, votre renommée s’est encore élevée, 
et votre récompense future sera grande. 

« Allons ! troupe d’infidèles, ce prince vous anéantira, 
car il ne faillira pas è sa tache. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 101 


« Allons, gens de Ceuta ! le Sultan redoutable va vous 
apporter lé glaive de Dieu. 
« S'il vient a Ceuta le soir, le lendemain de bonne heure, 
la ville l'appellera ù elle. 
« Oran appelle et répète chaque jour : « Quand viendra 
l'Imûm ? quand s'avancera-t-il ? » 
« Aussitût qu'il apparaîtra, il conquerra la ville, et tous 
les habitants de la cité seront anéanlis. 
« Illes mettra en fuite, il les tuera, il fera des prison- 
niers; le glaive de la vérité brillera ù son poing. 
« Allons, û notre Mattre, levez-vous, partez, allez vite 
vers Andalousie, vous en serez émir. 
« Faites la guerre sainte aux chrétiens, combattez-les, 
dispersez-les ; Dieu vous donnera la victoire. 
« Rien ne vous arrêlera, grûce ã Dieu, ni la terre, ni les 
mers, comme on le dil. 
« Chaque jour, la renommée vous adresse son appel que 
tous les ceurs savenl comprendre. 
« C'est a Cordoue que vous acquerrez toute votre gloire ; 
lû que vous trouverez la puissance et laroyauté suprêmes. 
« Avec l'aide de Dieu, cela vous sera facile, et grûce û 
lû faveur d'en laut dont vous jouissez, Ventreprise sera 
peu de chose. 
« O Moûlay Ismû'îl, votre humble serviteur, implorant 
votre appui, 
« Vous appelle, vous appelle et fait des veux que la For- 
tune ne dédaignera pas. 
« O Mailre des homınes, û mon Dieu, û Miséêricordieux, 
û le meilleur des protecteurs, 
« Répands sur ce prince tous les bienfaits, fais que ses 
©enftreprises ne périclitent point. 
« Perpétue le pouvoir entre ses mains et entre celles de 
Ses fils, en dépit des Zéid ou des ‘Omar. 
« Nous sommes des sujets, nous comptons sur la félicitê, 
-  @ar par le Sultan s'organiseront toutes choses, 


e 


102 ARCHIVES MAROCAINES 


« Sur vous soit le salut de votre humble serviteur, 
tant que le monde durera ; que ce salut parfumé 

« Enveloppe Votre Majesté, tant qu'un amoureux par- 
lera. Allons! réjouissez-vous, car cette victoire est bril- 
lante. » 

Le savant et scrupuleux docteur, Pillustre Aboû Moham- 
med ‘Abdesselam ben Hamdoûn Guessoûs a composé aussi 
les vers suivants sur le même sujet : 

« Les habitants de Ceuta ont élevé la voix pour se plain- 
dre è toi de la terreur qui les assaille. 

« Avec elle, Bûadès et Brîja demandent pitié et s’éveil- 
lent pour que tu prêtes oreille è leurs plaintes. 

« O héritier du Prophète Mohammet Elhachmi, û Prince 
des Croyants, dis-leur: « Me voici ! » 

« Tu as donné satisfaction û El'ardich eta Tanger ; don- 
nez èã leur tour ãڍ‎ ces villes les satisfactions qu’ elles es- 
péêrent. 

« C’est une honte pour toi qu’elles soient encore pri- 
sonnières èڍ‎ cêûté de toi, près de tes troupes qui combattent 
pour elles. 

« Si tu ne les venges pas, qui viendra rompre leurs liens ? 

« N’écoutez pas les ignorants, les obstructeurs, les cher- 
cheurs de difficultés qui ne connaissent pas la situation de 
ces places. 

« Les ainés ont pavé de leurs personnes et de leurs biens 
dans la guerre sainte pour des villes placées dans la même 
situation. 

«Ils les ont reprises, se sont partagé les richesses et les 
hommes qu’ elles contenaient. 

« Envoie-leur des braves en toute hête: tu les verras 
bientût installés sur les montagnes voisines. 

« Secours ces guerriers avec des provisions et des armes, 
afin de couper les communications par mer de ces places. 

« Relève la tête de ce Garb ; car il restera faible tant que 
les troupes ennemies fouleront son sol. 


DYNASTIE ALAOUIE DÛ MAROC 103 


« Le Maitre te maintiendra dans le khalifat pendant de 
longues années, oû tu pourras encore faire des actions 
durables en veillant û l'application de la loi sacrée, 

« Accepte le présent de celui qui, pour faire une bonne 
@uvre, Uapporte un conseil : ne trouve pas trop humble 
celui qui te exprime. » 

Le Nachr Elmatsdni rap porte tout au long un poême que 
vous pourrez trouver, si vous le désirez, dans cet ouvrage 
et dont Uauteur fut le chérîf três cultivêé, Aboû Mohammed 
‘Abdesselam ben Ettayyêb Elqûdiri. En voici le début: 

€ Le trûne de la religion de Dieu s’est élevêé au-dessus 
de tous les trênes, et la forteresse d'El'arêich a été détruite 
avec le secours de Dieu. » 

Le 22 rabî’ 1°" de cette année, le Sultan interdit le port des 
chaussures noires et fil proclamer cette décision dans 
toutes les villes du Mağgrib. Depuis lors, on dut porter des 
chaussures jaunes, parce qu'on prétendait que le port des 
chaussures noires avail commencéê lors de la prise d'El- 
'aréîch par les Espagnols secondés par Elmûamoûn Es- 
sa ‘di. 

Dans les premiers jours du mois de doûlheddja, le Sul- 
tan fit tuer 68 hommes de la confrérie connue soûs le nom 


d'El'akakza. 


Prise d'Aséîla £ 


Quand ils eurent pris El'artich, les Moujdûhidin vin- 
rent atltaquer la ville d'Aşéila. Ils bloquêrent pendant une 
année entiêre les chrétiens qui s'y trouvaient et qul étaient, 
je crois, des Espagnols. Ne pouvant supporter le siêge 
plus longtemps, ceux-ci se décidêrent, û la fin, û demander 
lamdn, qui leur fut accordé sur I'assentiment du Sultan. 
Mais peu confiants dans cet amûn, ils profitèrent de la nuit 


1 Tekle arabe, IV" parlic, page “û. 


_ 


104 ARCHIVES MAROCAINES 


pour s'embarquer sur leurs vaisseaux et s'enfuir vers leur 
pays. Les musulmans entréêrent alors dans la ville et en 
prirent possession (1102). Les gens du Rif vinrent la peu- 
pler, et leur qûîd y construisit deux mosquées, une mdersa, 
un bain ainsi que sa propre maison, qu'il ût édifier dans la 
qaşba. Dieu sait quelle est la vérité ! 


Siége de Ceuta. 


D’Aşéila, les champions de la foi partirent pour Ceuta. 
Ils se présentérent devant la place pour en faire le siège, 
et se mirent û I'attaquer avec la plus grande énergie. Le 
Sultan les appuya avec une armée tirée de ses ‘Abids ; en 
même temps, les tribus du Djebel et les habitants de Fès 
recevaient ordre d’envoyer leurs contingents respectifs, 
pour venir former un rabdt devant Ceuta. Le nombre des 
mordbef était de 25,000. Le Sultan vint prendre lui-même 
le commandement des troupes, qu'il dirigea avec énergie 
et ténacité. Le combal ne cessait ni le matin, nîi le soir. 
Comme la lutte se prolongeait, le Sultan soupçonna les 
chefs des assiégeants de manquer de sincérité dans leurs 
conseils qu'ils donnaient pour la prise de la place, de peur 
qu aussitût après il ne les envoyût faire le siége d'Elbrija, 
et ne fussent ainsi longtemps tenus éloignés de leur pays : 
cependant ces qûîids avaient pris 'habitude des voyages 
et des difficultés des expéditions. Et la même situation sê 
continua jusqu'au jour où mourut le qûîid Aboûlhasan “Ali 
ben ‘Abdallah Errîfi, qui fut remplacé par son fils le qûîd 
Aboûl'abbas Ahmed ben ‘Ali. Et le combat durait toujours 
sans que la situation changedt, et les troupes étalent re- 
nouvelées chaque année. Pendant ce temps, le Sultan élait 
occupé û pacifier le Magrib et û combattre les Brûabér du 


1. Texte arabe, IV* parlie, page 37. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 105 


Djebel Fêzzûz. Dieu ne voulait pas lui accorder la prise de 
On peut encore voir, de nos jours, la mosquée que le 
qûîd Ahmed ben ‘Ali fit construire près de Ceuta pendant 
le siêge et sa maison. 
Elğgazzûl, dans sa Rifla, raconte qu'il a vu dans une des 
portes de Ceuta un trou trés ancien, qui n'avait pas été 
réparé. Il en demanda l'explication aux habitants de la place, 
qui lui répondirent que c'était un souvenir du siège de 
la place par l'armée isma ‘ilienne : un boulet avait percé la 
porte et avait pénétré dans la ville. « Nous avons laissé la 
chose telle quelle, ajoutêrent-ils, afin que cela serve 
d'avertissement ù nos successeurs et qu'ils redoublent de 
circonspection et de fermeté. » Tel était du moins le sens 
de leurs paroles. Dieu Três-Haut sait quelle est la vérité ! 


Expédition du sultan Moûlay Ismã îl chez les Brûbér de Fêzzãz 
qu'il réduit û l'obéissancer, 


Le sultan Moûlay Ismû'îl (Dieu lui fasse miséricorde !) 
employa toute cette période û pacifier le Magrib en délo- 
geant les populations de leurs forteresses, il {init par se 
rendre maître de tout le pays, et créa des postes forlifiés 
ol il installa des garnisons de défense. [| ne lui restait plus 
û soumettre dans tout le Mağrib que les cimes du Djebel 
Fêzzûz, qui étaient habitées par les Aît Ou Mûlou, les Ait 
Yafelmûl et les Ait Isri. Décidé ù marcher contre ces 
tribus et û aflronter les sommets oû elles vivaient, il se 
prépara û marcher contre elles et commença par laisser, 
pour le représenter û Fès Eljedid, Painé de ses fils 
Moiûlay ‘Aboûl'oulê Mahrèz. Il laissa û Méknès Moûlay 
Mohammed surnommé Zéîdûn, qui était le plus brave des 


1. Texte arabe, IV“ partie, page 37. 


106 ARCHIVES MAROCAINES 


enfants qu'il avait alors, et envoya ù Morrakch un autre de 
ses fils, Motlay Aboûlyamn Elmamoûn, en ordonnant au 
chef de cette capitale, le fqîh Aboûl'abbas Ahmed Elyah- 
médi, qui était chef des secrétaires, de lui remettre le pou- 
voir et de lui faire les recommandations nécessaires. Moû- 
lay Elmamoûn, quoique mal disposé pour ce vizir, se 
rendit auprès de lui, a contre-ceur, et, pour obéir aux 
ordres de son pêre,reçut de ses mains le pouvoir et écouta 
ses conseils. Mais bientêt il revint auprès du Sultan et 
lui dit: « O notre Maitre, Elyahmédi te manque de res- 
pect : il prétend que c’est lui qui t'a enseigné la reli- 
gion. » Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) lui répon- 
dit: « S'il a dit cela, il n’a dit que la vérité : c'est lui, en 
effet, qui m'a enseigné ma religion et qui m’a fait con- 
naitre mon Dieu. » Cette anecdote est rapportée par lau- 
teur du Boustdn et par auteur du Djéich, qui prétendent 
tous deux avoir entendue de la bouche de feu le sultan 
Moûlay Sliman ben Mohammed (Dieu lui fasse miséri- 
corde !) Elle est, en tout cas, toute ãڍ‎ la louange de Moûlay 
Ismê îl et elle indique qu'il s’inclinait devant la vérité, et 
qu’il savait la reconnaître. Dieu leur fasse ù tous miséri- 
corde ! 

Quand commença année 44103, le Sultan, bien que tou- 
jours décidé ù se rendre ù Fêzzaz, envoya la solde et des 
armes aux gens de Fès, et leur ordonna de partir pour le 
pays des Turcs sous le commandement de son fils Motlay 
Zéidan. Cette troupe quitta la ville dans le mois de rama- 
dan. Apres la fête, le Sultan commença ses préparatifs 
d'expédition pour Fêzzaz, mais, changeant d’idée, il se mit 
en route pour rejoindre Moûlay Zéidan qu’il atteignit sur 
les confins du Mağrib moyen. Après avoir conclu la paix 
avec les Turcs, il revint a Méknès. C'est ainsi que auteur 
du Boustdn relate ces faits. Mais j’ai lu la version sui- 
vante dans le Nachr Elmatsdni : 

Le sultan Motlay Ismail choisit pour conclure la paix 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 107 


avec les Turcs, aprês la bataille FElmchûré’ qui eut lieu 
avec eux, vers larmée 1103, le fqih Abo ‘Abdallah Mo- 
hammed Ettayyêb Elfèêsi, dont il connaissait la science et 
I'habileté, ainsi que la famille ù laquelle il appartenait. 
Cet envoyé š§e mil en route pour Alger, accompagné 
de Moûlay ‘Abdelmalék, fils du Sultan, du secrétaire 
Aboû 'Abdallûh surnommé Elouzîir, et de plusieurs 
autres hauts fonctionnaires de la cour isma'‘ilienne. Ils 
approchaient dAlger quand le prince de cette ville en 
sortait avec ses lroupes, répandant partout le meurtre el 
le pillage. Le bruit courut bientêût ã Fès que tous ces am- 
bassadeurs avaient élé tués; la nouvelle arriva le jour 
même de la fête de ‘Ãchoûrû. La tristesse fut si grande 
que personne ne put se décider a faire des dépenses, et les 
objels qu'on a Thabitude d’acheter ce jour-la furent laissés 
de cêté, car chacun était rempli de chagrin. Mais peu de 
temps aprês, on apprit qu'ils arrivaient sains et saufs et 
qu'ils se t(rouvaient déjû û Tûza. La joie se répandit alors 
dans la ville, et les gens se mirent û dépenser leur argent 
comme au jour de . lh 

Ba Ichcho Elqebli étant mort, le Sultan donna le com- 
mandement des Zemmolir et des Beni Hkim û son fils Aboû- 
Ihasan ‘Ali ben Ichcho. 

Bienlél, on ful en 1104. Le Sultan termina alors ses 
préparatifs d'expêdilion contre les Berbers de Fêzzûz. Il 
convoqua les tribus, réunit ses troupes, et, muni de tous 
§es Canons, mortiers, balistes et autres machines de siége, 
il alla d'abord cam per avec les ‘Abids dans la plaine d'Adé- 
khsûn. Apréês avoir réparli les soldats en divers groupes 
qui dêevaient opérer dans toutes les directions contre les 
Brabér, il donna au bûchû Msûhél 25.000 fantassins; ce 
péersonnage devait monter de Tûdla û Oued El'abîd, pour 
prendre ã revers les Ait Isri. 'Ali ben Barakût fut envoyé 
avec les Ail Zemmoûr et les Ait Idrûsên pour occuper 
Tigûllin. Ali ben Ichcho devait se tenir û ‘Ain Choû'a 


108 ARCHIVES MAROCAINES 


avec les Zemmoûr et les Beni Hkim. Le Sultan envoya 
ensuite aux habitants de Toudga, de Ferkla et de Geris, et 
aux Sebbûh, l'ordre de venir avec leurs contingents 
rejoindre ‘Ali ben Ichcho. Les artilleurs avaient aussi 
l'ordre d'amener û celui-ci les canons, les mortiers et les 
autres appareils de guerre, que les chrétiens de El‘arêîich 
devaient trainer par la route d'A'lîl, puis par (Qsar Beni 
Mtir, pour faire leur jonction û ‘Ain Chژêu'a‎ avec ‘Ali ben 
Ichcho. Le Sultan donna aux chefs des corps de troupe 
T'ordre de n’engager l'action qu’aprês un signal convenu. 
« Telle nuit, au moment du ‘achd, leur dit-il, les artilleurs 
commenceront û tirer le canon et les mortiers û lançêr 
des bhoulets et des bombes, et le feu durera toute la nuit 
pour effrayer les Berbers. Le lendemain matin, chaque 
qûîd partira de 'endroit qui lui a été assigné, et engagera 
action, de façon qu’ au même moment le combat .com- 
mence de tous les cûtés ù la fois. » Ces ordres furent fidêè- 
lement exécutés. Quand le soir désigné fut venu, les Ber- 
bers n'’entendirent que le fracas des canons et des mortiers 
qui éclatait dans les airs, tandis que leur feu perçait les 
ténèbres de la nuit. L'écho de la canonnade se répercutait 
de montagne en montagne dans toutes les directions. 
Saisis d’effroi, ils pensèrent que la terre allait les englou- 
tir, ils démontêèrent leurs tentes, et chargêèrent leurs fa- 
milles sur des animaux pour s'enfuir, mais aucune ruse 
n'était possible, car aucun chemin ne s'ouvrait devant 
eux. 

Le lendemain, le Sultan quitta son poste pour se porter 
au-devant d'eux et les soldats se présentèrent de tous les 
cêtés, Après une lutte terrible, les Brûbér furent taillês 
en pièces et se dispersèrent en déroute dans les ravins et 
les vallées ; û tous les cols, ù toutes les trouées, ils trou- 
vaient des soldats qui leur barraient le chemin, êl des 
canons braqués sur eux. C'en fut fait d'eux et le malheur 
s'acharna apréês eux comme il voulut. Les hommes furent 


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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 109 


tués ; les femmes et les enfants faits prisonniers ; les effets 
pillés ; les animaux, les bestiaux enlevés ; les chevaux et 
les armes pris comme butin. Le combat et le pillage durê- 
rent {rois jours, pendant lesquels les soldats allaient recher= 
cher les Brûbér ça et lû dans les ravins et les vallêes, et 
les faire sortir des grottes et des cavernes. Le Sultan donna 
Iordre aux qûids Msûhél, “Ali ben Ichcho, et ‘Ali ben Bara- 
kût de réunir les têtes des morts, ainsi que les chevaux et 
les armes, et de venir les lui apporter û Adékhsûn. Ils 
rarmassérent tout ce qu'ils purent trouver: il y avait plus 
de 12.000 têtes, plus de 10.000 chevaux et plus de 30.000 

Par cette victoire sur les Berbers, le sultan Moûlay 
IsmA'îl terminait la conquête du Magrib. II avait soumis 
tout entier, et plus une seule de ses artères ne battait, 

Mille cavaliers des Ait Zemmoûr furent inscrits dans le 
_Dioudûn, et formèrent, sous les ordres de ‘Ali ben Ichcho, 
la garnison de la forteresse de Tigûllîn qui commandait la 
région principale des Ait Ou Malou. 

Le Sultan n’avait laissé ù aucune tribu du Mağgrib, ni 
chevaux, ıi armes. Seuls en possédaient les ‘Abids, les 
Oûdêya, les Aît Zemmoûr et les Rifains qui faisaient la 
guerre sainte û Ceuta. 

« En alfaiblissant les tribus musulımanes, dit Aboû ‘Ab- 
dallÃh Akensoüs (Dieu lui fasse miséricorde !), par la con- 
fscaltion de leurs chevaux et de leurs armes, le sultan 
Moûlay IsmA'il avait paré au moins considérable des dan- 
gers et au moindre des inconvénients, tandis que ce qu'il 
faut rechercher avant tout,ce sont les moyens de renforcer 
les tribus pour faire face û lennemi infidêle, conformé- 
ment û la parole de Dieu : « Préparez contre eux toutes les 
forces qlüe vous pourrez,.. » Moûlay Ismû'il, au contraire, 
considéra qu'en organisant cette forte et puissante armée, 
İl avait rempli ses devoirs envers les musulmans, leur 
avail assuré le nécessaire et les avait débarrassés du souci 


110 ARCHIVES MAROCAINES 


de se procurer des chevaux et des armes. Il convient de 
remarquer, il est vrai, que, dès que les tribus possèdent 
des chevaux et des armes, on voit apparaître un mal plus 
considérable ; elles coupent les routes, se livrent au pil- 
lage et cherchent ù se soustraire ù Pobéissance. » Cet 
auteur ajoute : « Mes arguments en faveur du Sultan sont 
aussi évidents que possible. Ils ont probablement échappé 
au chéikh Elyoûsi lorsqu’il lui écrivit sa lettre bien con- 
nue. » 

Je dirai a mon tour que la politique du sultan Moûlay 
Ismû'il (Dieu lui fasse miséricorde !) avait des avantages 
très clairs, et chacun sait ù quel point de vue elle est plau- 
sible. Les gens raisonnables savent bien que les gens de 
Fêzzêaz et ceux qui leur ressemblent, n’ont pas des che- 
vaux et des armes pour faire un jour la guerre sainte : le 
Sultan n’avait donc pas besoin d’être défendu û cet égard. 
Il n’est pas exact, d’autre part, de prétendre que cet argu- 
ment ait échappé au chétkh Elyoûsi ; car celui-ci n’a pas 
parlé au Sultan de ces tribus et de celles qui leur ressem- 
blent. Il lui a fait envisager seulement trois questions : 
1° la perception et emploi réguliers des impûöts ; 2° Por- 
ganisation de la guerre sainte et Uétablissement de com- 
battants et d'approvisionnements d’armes dans toutes les 
places de guerre ; 3° Uéquité en faveur des opprimés 
contre les oppresseurs et la cessation des injustices dont 
sont victimes les administrés. 

Voici le texte de sa lettre : 

« Louange a Dieu. 

« Les priêres et le salut soient sur notre Seigneur Mo- 
hammed, sur sa famille et sur tous ses compagnons. 

« O pêle et centre de la gloire, asile et manteau de 
l[honneur, fondement et source de la haute noblesse, 
point de départ et siege de la vertu, sultan magnifique, 
majestueux et glorieux, Notre Maitre Ismaîl, fils de Notre 
Maitre Echchérif ! 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 111 


« Puissent ses étendards remporter toujours la victoire 
«| ses jours se passer seulement dans la puissance et la 
bonne forlune ! 

« Salut, miséricorde et bénédictions de Dieu sur Notre 
Seigneur ! 

« Ensuile il ne me reste plus qu’a témoigner mon aflec- 
tion, mon respect et ma vénération sans bornes pour notre 
Seigneur et û lui adresser mes vceux pour sa prospéritê : 
Cest lû une bieû faible partie de ce que je dois û sa main 
toujours ouverte vers moi pour la bienfaisance el la génê- 
rosité, û sa vertu, û son énergie, û ses bienfaits el ù ses 
largesses ; c'est encore bien peu en comparaison de, ce 
qué nous devons tous û sa dignité impériale et û son 
rang puissant de.descendant de Fûtima. 

« Je Yous éeris celte lettre, car il ne m'est plus possible 
de garder le silence. Depuis longtemps je vois que Notre 
Seigneur recherche les exhortations el les conseils, et 
qu'il désire voir s'ouvrir les portes de la prospérité et 
du suecés,. Aussi j'ai voulu écrire ù Notre Seigneur une 
leltre qui, s'il veut en tenir compte, me laissera espérer 
pour lui les bienfaits de ce bas monde et ceux de lUéter- 
nité, et élévation aux degrés les plus glorieux ; et si je 
ıe suis pas digne d'adresser des exhortations, j'espêre 
que Notre Seigneur sera digne de les recevoir et s’abs- 
tiendra de reproches. 

« (Que notre Seigneur sache donc que la terre avec tout 
ce qu'elle contient est le royaume de Dieu Três-IHaut qui 
ıi'a pas d'associé, et que les créatures sont les esclaves de 
Dieu et ses serviteurs. Notre Seigneur est un de ces 
esclaves, û qui Dieu a donné le pouvoir sur ses esclaves 
pour lUéprouver et le faire souffrir. S'il les administre 
avec juslice, avec miséricorde, avec équilé el avec inté- 
grité, il est le lieutenant de Dieu sur la terre et lombre de 
Dieu sur ses esclaves : il jouit aupres de Dieu d'un rang 
(levé. Mais s'il les gouverne avec tyrannie, avec dureté, 


118 ARCHIVES MAROCAINES 


avec orgueil, avec injustice et avec oppression, il se 2: 
en révolte contre Son Maitre dans son royaume, il nest 
qu'un usurpateur insolent et s'expose au plus terrible chû- 
timent de la part de Son Maitre et ù sa colère. Or Notre 
Seigneur sait ce qui est réservé ù celui qui veut tyranniser 
ses sujets sans le consentenent du Maitre et en faire des 
esclaves, et le sort qui attend, le jour où ilest entre ses 
mains. 

« Je dirai ensuite que sur le Sultan pêèsent de nom- 
breuses obligations que je ne pourrais pas indiquer entiê- 
rement dans cette lettre. J'en citerai seulement trois, qui 
sont le principe de toules les autres : La première est de 
recueillir les impûOts et de les dépenser d'une façon juste. 
La seconde est d'organiser la guerre sainte pour faire 

triompher la parole de Dieu, el, dans ce but, de munir les 
places de guerre de tout ce qui leur est nécessaire en 
hommes et en armes. La troisiéême consiste û faire rendre 
justice ù Popprimé contre oppresseur, et, dans ce but, 
û faire cesser les dénis de justice. 

« Ces trois obligations restent lettre morte sous le 
rêègne de Notre Seigneur, aussi suis-je obligé de lui signa- 
ler cette situation, afin qu'il ne puisse pas s'excuser 
ensuile de n’avoir pas été avisé et de n'avoir pas su. Sil 
tient compte de cet avis et le met û profit, c'est le salut 
pour lui ; c'est encore la sauvegarde des intérêts du mo-= 
ment, des intérêls de tous, c'est le bien-être et la pros- 
périté. Dans le cas contraire, j’ aurai la satisfaction d'avoir 
fait mon devoir. 

« Pour ce qui concerne le premier point, que Notre 
Seigneur sache que les impûts qu'il perçoit sur les sujets 
sont lestinés ã faire face aux ceuvres utiles qui servent û 
consolider la religion et û améliorer les choses de ce 
monde. Ils doivent être dépensés pour les chérifs, les 
'oulamê, les qûdis, les imûms, les guerriers de la foi, les 
troupes, les mosquées, les ponts, etc. Ces gens sont 


114 ARCHIVES MAROCAINES 


reuse aux gens d’élite, c’est-a-dire aux gens qui pratiquent 
la vertu et la piété, aux gens de bien, afin de se concilier 
leur amitié, leurs éloges et leur appui. 

« Vos bienfaits vous ont fait gagner trois choses : ma 
main, ma langue et mon ceur qui est caché », a dit le 
poete. ۰ ) 

« Les ceurs, en effet, sont remplis de affection de ceux 
qui sont généreux envers eux, et qui ne les négligent pas, 
sans quoi, ils désirent le changement et appellent de tous 
leurs veux un autre règne. 

« Si, sous un rêégne, homme est privé de deux choses : 
un peu d’avoir et du bonheur, il désire la fin de ce règne. 

« Non pas par haine pour lui, mais plutêt parce qu’il en 
veut un autre et qu'il aimerait un changement. 

« Que Notre Seigneur sache aussi que si le Sultan prend 
les biens du peuple, les distribue aux gens d’élite et les 
dépense dans des @uvres dutilité publique, le peuple lui 
sera soumis, il saura qu’il a un vrai Sultan et son ceur se 
tranquillisera quand il verra son argent dépensé dans des 
ceuvres qui lui profitent ; sinon, ce sera le contraire et le 
Sultan sera exposé aux traits agiles des imprécations des 
sujets opprimés, tandis que s'il est généreux envers les 
gens Q’élite, ceux-ci souhaitent pour lui la prospérité, la 
santé et une longue vie. Or les veux attirent les veux et 
Dieu est le protecteur. 

« Le second point est aussi gravement compromis. 

« Dans les circonstances actuelles, une des premières 
nécessités est d’affermir les places de guerre. Or Notre 
Seigneur les ayant négligées, elles sont aujourd’hui dans 
un état de faiblesse extrême. J’ étals moi-même a Tétouêan 
du temps de Moûlay Errechîid (Dieu lui fasse miséri- 
corde !}) Dès que on entendait appeler au secours, la 
terre tremblait sous les pieds des cavaliers et des fantas- 
sins. J’apprends maintenant qu un jour on entendit un 
appel de ce genre du cûté de la mer, et que les habitants 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 118 


sont aussitét sortis marchant û pied û grand'peine, sans 
autres armes que des batons et des frondes, Cest une véri- 
table faiblesse pour la religion, un véritable danger pour / 
les musulmans, Cette faiblesse û laquelle ils sont réduits 
vient de ce qu'ils sont accablés d'impûts et ont ù subir les 
charges des expéditions et û fournir des armes comme 
lous T€S autres administrêés. Notre Seigneur doit examiner 
toutes les cûtes, depuis Qal'iya jusqu'a Mûssa, exhorter 
leurs habitants û la guerre sainte et û une vigilance conti- 
nuelle, et, dans ce but, répandre sur eux ses bienfaits, les 
exonérer des charges qui pêsent sur les autres sujets, leur 
laisser leurs chevaux et leurs armes, et même leur fournir 
tout ce dont’ils ont besoin, car ce sont eux qui protéêgent 
les abords du territoire de I'Islam. Il doit choisir, pour le 
gouvernement de ces régions, des hommes qui soient 
animıés de la plus vive ardeur pour la guerre sainte, qui 
soient capables de sortir avec habileté des situations dif- 
ficiles et qui prennent jalousement la défense de Islam. 
Il ne doit pas nommer dans ces pays-lû des gens qui ne 
cherchent qu'a satisfaire leurs appétits et û passer leur 
lemps allongés sur des coussins, Dieu est le protecteur ! 

« La troisiême question est, elle aussi, inexistante, car 
ceux qui, dans les diverses contrées, sont chargés de 
rendre la justice, c’est-a-dire les gouverneurs et leurs 
subordonnés, ne font que commettre des injustices. Com- 
ment pourraient faire cesser l'arbitraire ceux qui s'y livrent 
eux-mêémes ? A peine quelqu'un veut-il se plaindre qu'ils 
se précipitent û la porte pour le dénoncer et qu'ils le 
clhargent encore : il n'est plus possible a personne de 
porter ses doléances. 

«& Notre Seigneur craigne Dieu, qu'ilcraigne les ré- 
criminations de lopprimé, car entre elles et Dieu il n'y 
a pas de voile ; qu'il s'efforce de répandre la justice, car il 
est le chef de Etat ; c'estlui qui est chargé de soutenir les 
intérêts de la religion et ceux de ce bas monde. 


116 ARCHIVES MAROCAINES 


« Dieu a dit: « Dieu ordonne la justice et la bienfaisance, 
la libéralité envers ses parents ; il défend la turpitude et 
iniquité et injustice... » Il a dit aussi : « Dieu assistera 
celui qui l'assiste ! Dieu est fort et puissant. » Il a indiqué 
aussi ceux û qui il donne son appui et û quelles condi-= 
tions : « Il assistera ceux qui, mis en possession de pays, 
observent exactement la prière, font laumûne, comman- 
dent le bien et interdisent le mal. » 

« Dieu a donc promis aux rois son appui, mais aux quatre 
conditions qui précêdent. Aussi quand ils voient leurs 
sujets se livrer au désordre, qu'ils deviennent le jouet de 
perturbateurs qui ébranlent le gouvernement, ils doivent 
savoir que c'est Uinobservation de ces conditions vis-ã- 
vis de leurs sujets qui en estla cause et ils doivent revenir 
û Dieu, examiner les ordres qu'il leur a donnés et tenir 
compte des avertissements qu'il leur a envoyés. 

« Les sages arabes et étrangers s'accordent û dire que 
la tyrannie ne peut assurer la force d'un empire et sa 
bonne organisation, mais que la justice, même chez les 
infidêles, est la base de sa bonne organisation. On a vu, 
en effet, les rois infidêles vivre des cenlaines d'années 
dans un royaume bien administré, oû leur parole est 
écoutée et ù 'abri de toute inquiétude, parce qu'ils fai- 
saient rendre la justice parmi leurs sujets et veillaient ã la 
défense de leurs biens matériels. Comment n'en serail-il 
pas ainsi pour un prince qui voudrait défendre û la foîs 
les biens matériels et les biens spirituels ? 

« Un sage a dit : « Un royaume est une construction ; 
I'armée en est le fondement. Si ce fondement est faible, 
la construction s’écroule. Il n'y a pas de Sultan sans 
armée, pas d'’armée sans argent, pas d'argent sans impêf, 
pas d’'impût sans prospérité, pas de prospérité sans juSs- 
tice : la justice est donc la base de tout. » Le philosophe 
Aristote fit pour le roi Alexandre une figure géométrique 
circulaire sur laquelle il écrivit ceci : « Le monde esl un 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 117 


jardin dont le gouvernement est la haie, le gouvernement 
est un Sultan que soutient la loi ; la loi est une base admi- 
nislralize que manauvre le roi; le roi est un berger que 
soutient Uarmée ; Uarmée est un auxiliaire qu'assure l'ar- 
gent ; l'argent est un bien que réunissent les sujets ; les 
sujels sonl des esclaves que la justice conduit ; la justice 
est ıune Synthêse qui régit le monde; le monde esl uri 
jardin, etc. » 

« Le Prophêète (sur lui soient les prières de Dieu et le 
salut) a dit: « Vous êtes tous des bergers et chaque berger 
doit rendre compte de son troupeau. » « Il y a des hommes 
qui gaspillent injustement le bien de Dieu ; leur chûtiment 
le jour de la résurrection sera l'enfer. » « Pas un seul fone- 
tionnaire ne viendra le jour de la résurrection sans avoir 
les mains liées: la justice le dêlivrera ; injustice le fera 

a Nolre Maitre ‘Ali ben Aboû Taléb (Dieu soit satisfait de 
lui !) a dit : « J'ai vu, û Elabtah, ‘Omar monté èa chameau 
sur ün bût: jé lui ai dit: « Où vas-tu? û Prince des 
Croyants ? — Un des chameaux destinés aux aumênes, me 
répondit-il, a disparu : je le recherche. — Tu veux donc 
rabaisser tous les successeurs ? lui dis-je. — Ne me fais 
pas de reproche, répartit-il ; par celui qui a fait apporter la 
véritê par Mohammed (que Dieu prie sur lui !) si la moindre 
chevrette était perdue sur le bord de 'Euphrate, il en serait 
demandé compte û ‘Omar au jour du jugement dernier. I] 
n'est digne d'aucun respect le prince qui cause du tort au 
musulman pas plus que limpie qui jette le trouble parmi 
les croyants. » 

& Ali vit aussi un vieux Juif qui mendiait aux portes : 
« Nous n'avons pas agi avec justice envers toi, lui dit-il; 
nous l'avons fait payer la djézia, tant que lu étais jeune, et 
maintenant te voila réduit ù la misêre par notre faute, » et 
il lui fit payer par le Trésor de quoi le nourrir. 

« Que Notre Seigneur sache qu'en fait de justice, il doit 


118 ARCHIVES MAROCAINES 


d'abord être juste pour ce qui le concerne : il ne doit s'at- 
tribuer comme argent que ce û quoi il a droit. Il consultera 
les ‘oulamê sur ce qu'il aura û prendre et ã donner. Chez les 
Beni Israîl, émir était sous les ordres d’un prophéte ; celui- 
ci ordonnait et êmirse bornait ù exécuter, Comme ce peuple 
disparu a vu s'éteindre chez lui la prophétie û la venue du 
sceau des prophétes (Dieu lui accorde ses bénédictions et lui 
accorde le salut !), ce sont les ‘oulamêa qu"ilfaut prendre pour 
guides. Le Prophêète a dit : « Les oulamê de mon peuple 
sont comme les prophêètes des Beni Isrdil ; il est juste que 
mon peuple leur obéisse et ne procède que par leur inter- 
médiaire ù la perception et au paiement. » Quand il mourut 
(Dieu lui accorde ses bénédictions et son salut !) il désigna 
pour son successeur Aboû Bekr (Dieu soit satisfait de lui !) 
Celui-ci, jusqu' alors, se livrait au commerce sur le marché 
pour entretenir sa famille. Quand il fut khalife, il prit l'ar- 
gent qui servait û son négoce, et voulut aller au marché 
suivant son habitude. Mais les ‘oulamû des compagnons 
du Prophête l'en empêchêèrent, en lui disant qu'il avait 
suffisamment û faire avec le pouvoir sans aller au ımarché, 
et lui attribuêrenl les sommes rnıécessaires pour lui et sa 
famille : un amîn fut chargé des finances. L'égalité la plus 
parfaite était êtablie pour tous : il ne prenait, comme les 
autres, que ce que lui attribuait la Loi sacrée. Telle fut la 
rêgle û laquelle se conformêèrent les khalifeš ses succes- 
seurs. 

« Notre Seigneur doit prendre modéêle sur ces saints 
personnages, au lieu d'imiter ceux qui suivent leurs pas- 
sions. Qu'il interroge û cel égard les docteurs de confliancê 
qu'il a auprès de lui, comme Sidi Mohammed ben Elhasan, 
Sîdi Ahmed ben Sa'îid et autres savants qui eraignent Dieu 
el qui ne redoutent pas ses reproches. Au nombre des 
choses que jai indiquées et de celles dont je n'ai point 
parlé, faites ce qu'ils ordonneront, et abstenez-vous de ce 
qu'ils interdiront. Telle est la vie du salut, s'il plût ã Dieu ! 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 119 


« Je demande au Très-Haut de vouloir bien protéger 
Notre Seigneur, le diriger et le fortifier, alin que, sous son 
égide, la prospérité rèêgne dans le pays, et d'exterminer 
de son glaive les tyrans et les obstinés. 

«¢ Ainsi soit-il. 

« Louange û Dieu, maitre des mondes. » 

Lorsque le Sultan en eut fini avec l'affaire de Fêzzûz et 
avec les Ait Ou ‘Malou, comme les gens de la tribu de 
Guerouûn se livraient au brigandage û Oued Ziz, sur la 
route de Sijilmasa, et pillaient les caravanes, il convoqua 
‘Alî ben Ichcho, lui donna 10.000 cavaliers, et lui dit: « Je 
Te veux plus te revoir tant que tu ne seras pas tombé sur 
les Guerouan, et que tu ne m'auras pas rapporté autant de 
têtes qu'il y en a ici. » Celui-ci partit aussitût ; il alla piller 
leurs campements et leurs troupeaux, et leur tua beau- 
coup de monde. Ensuite il fit proclamer dans ces tribus 
que quiconque lui apporterait une tête de Guerouûni rece- 
vrait 10 mitsqûls. Tous les Guerouûni eurent la tête 
cou pée par ceux chez qui ils s'étaient réfugiés, et les têtes 
furent apportées û ‘Ali ben Icheho. Les recherches conti- 
nuêrent dans les maisons et dans les tentes jusqu'a ce qu'il 


Seulement un mitsqûl aux gens qui lui apportaient une tête, 
et en rapporila lui-même 12.000 au Sultan. C'était le chiflre 
qui luî avait été demandé ; c' était aussi celui des têtes déja 
réunies û Adêékhşan. Le Sultan lui adressa des éloges et 
lui donna le commandement de toules les tribus arabes 
etl berbères. 

Dans l'année 1105, il ne se passa aucun événement digne 
d'être rapporté. 

Au mois de rabi' de année suivante (1106), Moûlay 
léîdûn, fils du Sultan, partit pour Tlemsên après avoir mis 
û morl le reprêsentant du prince ù Fès, Aboûl'abbêas 
Almed Esslaoui. Il guerroya contre les Turcs, et revint 
ûprês avoir pris du butin. 


120 ARCHIVES MAROCAINES 


Dans l'année 1107, il ne se passa aucun événement digne 
d'être rapporté. 

Le jour de ‘Arafa de année 1108, dix personnages arri- 
vèrent de Constantinople, ıporteurs d'une lettre que le 
sultan ottoman Mouştafa ben Mohammed enyvoyait au sul- 
tan Moûlay Ismê''îl, pour lui enjoindre de conclure la paix 
avec les Algériens. Moûlay Ismû'îl déféra û cette de- 
mande. 


Le sultan Moûlay Ismã'‘il ordonne aux '‘oulamêã de Fès d'écrire 
leur avis approbatif sur le rûle des ‘Abids : leur refus ; consé- 
quences de ces faits '. 


Au mois de doûlqa‘da 1108, le qûdi et les ‘oulamêû de 
Fès reçurent du Sultan une lettre de blûmes et de repro- 
ches, au sujet de leur refus de reconnaître la légitimité de 
la possession des ‘Abîds inscrits sur le Dîouûn. Dans une 
lettre ultérieure, le Sultan faisait éloge du peuple, blû- 
mait, au contraire, les ‘oulamû, révoquait le qûdi et les 
notaires. C'est du moins ce que rapporte l'auteur du 
Boausldn. 

« Les faits rapportés par auteur du Boustûn, dil Aboû 
‘Abdallah Akensoûs, sur le sultan Moûlay Ismû'il deman- 
dent examen. Ce qu'il dit est três vague. En effet, les 
conditions dans lesquelles les 'Abids ont été réunis sont 
rapportées en détail sur le grand registre de Moûlay 
IlamA'il. Or, ce document établit une distinéetion entre les 
esclaves qui ont été achetés moyennant paiement dans les 
formes légales, et par actes d’adoûl; de ceux-ci il ne peut 
pas être question. Quant a ceux inscrits sur le Diouûn qui 
ont élé amenés des diverses tribus, le Sultan n'a jamais prê- 

tendu en être le propriétaire : la seule question û examiner 


1. Texle arabe, IV" partie, p. 42. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 121 


est celle de la légitimité de leur enrêlement forcé dans 
I'armée. Or le Sultan avail demandé leur avis, û cet égard, 
û des 'oulamê du Magrib et de Orient, qui tous lui avaient 
envoyé des réponses signées de leur main et concluant ù la 
légilimité. Ces réponses sont transerites en entier sur le 
registre et il y en a un grand nombre. A Dieu ne plaise 
qu'un sultan comme Moûlay Ismû ‘il ait prétendu posséder 
des hommes de condition libre. 

« D'ailleurs nous avons vu la lettre du chéîikh Elyoûsi oû 
se trouvent exposés tous les reproches qu'il adressait au 
Sultan. Si celui-ci eût réellement agi comme le dit Ezzayûni, 
c'eût été un des premiers griels dont eût parlé Elyoûsi, 
qui u'aurait certes pas gardé le silence, puisqu'il reprocha 
au Sultan des choses bien plus légêres que celle-li, 

« Toutelois, le registre porte diverses catégories de 
nêégres distinctes qui, aux yeux du Sultan, étaient indubita- 
blement des esclaves d' Elmansoûr Essa ‘di, et qui s'étaient 
dispersés dansles tribus, ûla chute de la dynastie saadienne. 
C'étaient les esclaves qui étaient inserits sur le registre 
de ‘Alîlich. Des enquêtes avaient été eflectuées au sujet 
de leur condition d'esclaves; on avait interrogé û leur 
égard les vieillards des tribus, qui avaient indiqué ceux 
qui étaient esclavês et ceux qui ne étaient pas. Tout cela 
élait entiérement établi aux yeux du Sultan. Malgré cela, 
il ne les comprit pas dans les esclaves ordinaires qui 
avaient été achetés û prix d'argent, et les classa dans une 
calégorie û part. Il y avail, en ellet, trois caltégories û part, 
dans ce corps de troupes ;: la premiere comprenait les 

esclaves purs ; la seconde, les hommes vraiment libres, et 
la troisiéenmıe était composée de gens oscillant entre ces 
deux catégories. » 

Dieu sait quelle est la vérité. 


123 ARCHIVES MAROCAINES 


Le sultan Moûlay Ismê ‘il partage les provinces du Magrib 
entre ses fils ; conséquences de ce partage'’. 


En 141 11, le sultan Moûlay Ismê îl partagea les provinces 
du Magrib entre ses fils. 

Il donna a son fils Moûlay Ahmed Têdlê, avec résidence 
èa la qaşba de cette province et un corps de 3.000 ‘Abids. 
Comme le Sultan avait ordonné ù ce prince d’agrandir 
cette qaşba, il en construisit une nouvelle, où il éleva son 
palais, ainsi qu’ une mosquée plus grande que celle qu’avait 
batie son pêre dans la première. Il résida dans la nouvelle 
qaşba. 

Moûlay ‘Abdelmêalék eut en partage la province de Dra’, 
avec sa résidence dans la qaşba de cette région et un 
corps de 1.000 cavaliers. 

Moûlay Mohammed, surnommé El ãlém, reçut le com- 
mandement du Soûs, avec 3.000 cavaliers. 

Moûlay Elmamoûn, 'aîné, qui était a Morrakch, fut en- 
voyé ù Sijilmasa et dut résider dans la qaşba que le Sul- 
tan fit construire pour lui û Tizîmi. Il avait avec lui 
500 cavaliers. Quand il mourut, deux ans après, le Sultan 
le remplaça par un autre de ses fils, Motlay Yoûsef. 

Moûlay Zéidêan reçut le commandement du Cherg. Il ne 
cessa de faire des incursions sur les sujets turcs, qu'il 
finit par chasser des environs de Tlemsên. Dans une de 
ses courses il parvint même jusqu’a Mascara et, profitant 
de absence du gouverneur, ‘Otsman Bey, qui était en 
expédition, il s’empara de la ville, pilla le palais du bey et 
emporta tout ce qu'il y trouva, tapis et matelas, usten- 
siles de ménage, beurre, etc. Cet acte, et principalement 
le pillage du palais du bey, ne fut pas approuvé par le 
Sultan, en raison de la paix qu’il avait conclue avec le sul- 


1. Texte arabe, 1V° partie, p. 42. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 123 


tan ottoman Mouştafa; aussi retira-t-il le gouvernement du 
Cherg û Moûlay Zéidûn, pour le donner è son frère Moûlay 

L’année suivante (1112), le Sultan fit une expédition dans 
la région du Cherg et profita de la rupture de la paix pro- 
vYoquée par les incursions de Moûlay Zéîdûn pour atta- 
quer les Turcs de cette contrée. Au retour, beaucoup de 
ses soldats périrent de soif; les gens de Fès furent les 
plus éprouvés, 0 d'entre eux moururent. 

La même année, le qûîd ‘Abdelkhûleq ben ‘Abdallûh 
Erroûsi ayant tué un des esclaves du palais du Sultan qui 
avait pénélré chez lui sans son autorisation, Moûlay Ismê ''îl 
Uenvoya chercher par son fils Moûlay Hafîid, qui ft pour 
cela le voyage de Méknêès û Fès. Sur la prière des 'oulamê 
et des chérîfs de la ville, 'Abdelkhûleq ne fut pas enchatné 
et fut conduit librement a Méknès. Quand il arriva auprès 
du Sultan, il reçut son pardon et rentra ù Fês, sain et sauf. 

L'année suivante (1113), le Sultan manda de nouveau 
‘Abdelkhûleq Erroûsi et le fit mettre û mort dês son arri- 
vée. Il envoya û Fès son fils Moûlay Zêîdûn, en le faisant 
accompagner par Hamdoûn ben ‘Abdallûh Erroûsi, qui 
«dlevail prendre le commandement de Fês, en remplace- 
znent de son frère qui venait d'être tué. 


Rivalités entre les fils du Sultan. Révolte de Moûlay Mhammed 
El'ãlém alü Soûs: sa mort !. 


En I14, Moûlay ‘Abdelmûlék, fils du Sultan et gou- 
werneur du Drû', arriva au mausolée de Moûlay Idrîs 
Elakbar dans le Zerhoûn. Il venait d'être mis en dêroute 
par son [rére Moûlay Benneşer, qui s'était emparé du Dra’ 
el avail pris possession de toute la région, Le Sultan 


1. Texle arabe, IV®* partie, p. 43. 


- _ 


124 ARCHIVES MAROCAINES 


envoya aussitêt dans le Drû' son fils Moûlay Echchérif, 
comme gouverneur de cetle province. En même temps, 
Moûlay Mhammed El'Além se révoltait dans le Soûs, cher- 
chait û se faire proclamer roi, et se dirigeait sur Morrakch 
qu'il se mit û assiéger en ramadûn. Le 20 chouwêûl, il pre- 
nait cette ville de vive force et la livrait au meurtre et au 
pillage. Aussitêt que la nouvelle parvint au Sultan, il 
envoya Moilay Zéîdûn avec des troupes pour lui faire la 
guerre. Lorsque ce prince arriva û Morrûkch, Moûlay 
Mhammed avait quitté la ville et était retourné û Tûroû- 
dûnt, mais ses soldats en prolitêrent pour y comınettre 
toutes sortes d'excéês, Il suivit son frére jusqu'au Soûs el 
vint camper sous les murs de Tûroûdûnt. La guerre entre 
les deux frêres se poursuivit sans répit, 

L'’année suivante (1115), Moûlay Hafid vint s'êétablir ã 
Fès Eljedid et imposa une três lourde contribution aux 
habitants de la ville. Ezza'îm, qui était venu comme gou 
verneur de la cité, fut bientêt destitué et remplacé par Boû 
‘Ali Erroûsi, qui fil mourir un grand nombre d'habitants 
qui furent ensuite crucifiés. A la fin de chouwûl, Moûlay 
Hafid mourut ù Fès Eljedîid. Pendant ce temps, la guerre 
continuait entre Moûlay Zéidan et Moûlay Mhammed 
El'além. 

Le 3 safar 1116, les habitants de Fès reçurent ordre du 
Sultan de fournir un arçon de selle par maison : personne 
ne fut exempté de cette contribution. Le 21 du même mois, 
on apprit que Moûlay Zéidûn avait occupé Taroûdûnt et 
emprisonné son frêére Mhammed El ûlém, û la suite d'une 
guerre qui avait Curé trois ans, et au cours de laquelle 
avaient péri une foule de gens, des qûids, des chefs, des 
notables, dont la mention serait trop longue. Moûlay Zéî- 
dûn, selon le Bousldn, avait, dès son entrée de vive force 
dans la ville, tué tous les habitants qu'il y avait trol- 
vés, même les femmes et les enfants. Moûlay Mhamnmed 
El ûléêm arriva emprisonné, le 4 rabî [°", ù Oued Beht. Le 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 125 


Sultan envoya quelqu'un pour lui couper un pied d'un cûté 
du corps et une main de l'autre, û ‘Aqbat Behıt ; le 15 du 
même mois, il mourait en arrivant û Méknês,. Dieu lui 
fasse miséricorde ! 

« Quand Moûlay Mhammed El'Além fut mort, dit le qûdi 
Aboû ‘Abdallah Akensoûs, ce fut le qûdi Aboû ‘Abdallah 
‘Mhammed El‘arbhi Bordala qui prononça les priêres 
d’usage. Des jaloux, voulant proliter de cette circonstance 
pour se venger de lui, cherchêrent ã indisposer le Sultan 
contrê lui. « Cet homme vous déteste », lui dirent-ils, « sans 
quoi il n’aurait pas mis tant de hûte ù prier sur votre ennemi 
qui s'est révolté contre vous et qui voulait vous ravir la 
royautêé ! » Le Sultan ayant écrit au qûdi Bordala une lettre 
de menaces et de reproches, il lui répondit qu'en priant sur 
le défunt, il avait agi comme Elhasan Elbaşri priant sur 
Elhajjûj ben Yoûsef. Comme on lui reprochait sa conduite, 
il répondit : « Si j'avais trouvé trop grande la faute d'Elhajjûj, 
j'aurais rougi devant le Très-Haut qui est si généreux et qui 
est le clément, le miséricordieux par excellence. D'ailleurs, 
je n'ai pas procédé ù ces prières sans avoir été autorisêé. La 
permission m'est venue du palais seigneurial, et le fait est 
si connu qu'il n’est plus possible d'en douter ; elle m’a été 
apportée par unintermédiaire quiétait linterprète de ordre 
émanantde Sa Majesté. Comment prétendre maintenant que 
je l'ai inventée ? Mon devoir, au contraire, était de faire ces 
priéres, même sans autorisation, par égard et par respect 
pour la personne de notre Maitre (Dieu le secoure !). 
Lorsque le Prophète (sur lui soient les priéres et le salut !} 
dit û ‘Alî ben Aboûı Tûléb (Dieu soit satisfait de lui !) lors 
de l'affaire d'’Elhodétbiya : « Eflace le mot d'Envoyé de 
Dîeu ! » et qu "Ali répondit : « Par Dieu ! je ne J'elfacerai 
pas! » celui-ci, pris entre la nécessité d'obéir aux ordres 
du Prophéte qui lui disait d'elfacer, et celle de témoigner 
des égards û son rang élevé, inclina pour ce dernier parti. 
La vérité est qu une faute punie est une faute expiée, car 


16 ARCHIVES MAROCAINES 


on trouve dans le Şa/fhth ces paroles de ‘Obada ben Eşş4- 
met (Dieu soit satisfait de lui !) : « Sti quelqu’ un commet 
une faute de ce genre et en est puni dans ce bas monde, 
le chatiment lui est compté comme une expiation. » 

Akensoûs poursuit: « Cette affaire fut une de celles qui 
troubla le plus le Magrib : sans la clémence de Dieu tous 
les habitants du Sods y eussent été impliqués, et même 
Jes ‘oulamd qui étaient en rapport avec Moûlay Mhammed 
El 'além. Le chéikh Aboû ‘Abdallah Elmesnûoui Eddilêi, 
qui était un des intimes de ce prince, fut accusé auprès du 
Sultan, d'avoir eu avec lui des relations assez intimes pour 
avoir eu connaissance de ce projet de révolte, et par suite 
pour l'avoir encouragé. Heureusement, un des amis du 
Sultan qui avait de la sympathie pour Elmesnêoui excusa, 
.en disant quُil avait fait son possible pour détourner 
Moûlay Mhammed de ses résolutions. Il récita en faveur 
d’Elmesnêûoui les vers suivants : 

« Attends, car tout a une fin. Le temps se charge de 
déjouer les stratagêmes des rusés. 

« Ni la pleine lune ni le soleil ne donnent tout d'un coup 
leur lumière éclatante. 

« Si elle se cache derriêère un rideau, aussitêt commence 
a se manifester une clarté qui grandit peu ù peu en force 
et en beauté. » 

Le Sultan se rendit ù ces raisons et fut convaincu de 
Pinnocence du chéikh Elmesnêoui (Dieu fasse miséricorde 
a tous !). 

« J’ai dit, explique Akensoûs, que tous les habitants du 
Soûs eussent été englobés dans cette affaire, parce que le 
Soûs seul en fut le théatre, et que tous les gens de cette 
région qui faisaient profession de science et de piété 
étaient d’accord avec Moûlay Mhammed El ‘além, et soute- 
nalent ses actes. » 

« Moûlay Mhammed, dit le Nachr Elmatsdnt, possédait de 
nombreuses sciences, comme la grammaire, la logique, la 


DYNASTIE ALAOUIE DÛ MAROC 1237 


dialectique, la lhéologie dogmatique, et la méthode. Il 
golitait fort la poésie et était enclin û favoriser les lettres. 
Son frêre Moûlay Echchérîf, ayant commencé une mis- 
sive qu'il lui écrivait par ces paroles qu'avait adressées 
Sêîf Eddaaola ben Hamdan û son frêre Nêsir Eddaola : 

« J'ai consenti, bien que j'y eusse droit, û te laisser 
oceuper la premiére place, et j'ai déclaré qu'entre mon 

frêre et moi İl y avait une différence. 

« Ne consentirais-tlu pas û ce que je sois le second ù la 
course, Si je consens moi-même û ce que tu sois le pre- 
mier ? » 

Moûlay Mhammed chargea de la réponse le chéikh Abo 
‘Abdallah Elmesnûoui, qui était venu alors auprès de lui. 
Le chéîkh répondit : 

« Oui, je consens même û ce que tu sois le premier, 
Celui qui posséde l'avance chante aussi ta gloire. 

« Pourquoi ne consentirais-je pas û ce que la gloire soit 
tout entîêre pour toi, car tu es û la vérité mon frère de 
sang. 

« Mais les envieux ont fait cesser l'amitié entre nous: 
leurs intrigues JYont trahie et l'ont mélangée d'eau 
trouble. » 

A celte date-la, c'est-û-dire en 1117, les Anglais avec une 
faible armêée enlevêrent Gibraltar aux Espagnols, après un 
siêége de trois jours par mer et par terre. Ils profitèrent 
pour s'en emparer du moment ol les Espagnols étaient 
occupés par des révoltes intérieures. Les nations euro-= 
péennes, et particuliêrement les Espagnols et les Fran- 
çais, furent très attristés de la prise de cette place, qui 
rendait les Anglais maîtres de la porte de Europe. Elles 
tentêrent plusieurs fois de la reprendre, mais. sans y 
réussir. Celte place est restée jusqu'a nos jours au pou= 
voir des Anglais. 

En 1119, on apprit la mort de Moûlay Zéidûn, fils du 
Sultan, ã Tûroûidûnt : il fut apporté dans son cercueil û 


128 ARCHIVES MAROCAINES 


Méknès et enterré nuitamment ã cûté de son frère Moûlay 
Mhammed. La même année, le Sultan donna Jordre de 
démolir le palais d’Elbedi', qui avait été construit par 
Elmanşoûr Essa ‘di dans la qaşba de Morrakch, et dont 
nous avons parlé précédemment. Elyéfréni dans le Nozha 
dit « qu'il n’y eut pas une seule ville du Magrib qui ne 
reçut quelques débris d@Elbedî' ». 

L’année suivante (1120), les Turcs prirent la ville d’ Oran 
aux Espagnols qui la possédaient depuis longtemps. Dieu 
la rendit alors aux musulmans. La même année, le Sultan 
donna ordre de lire, tous les vendredis, dans les mosquées 
le Hadits Elinşdl, au moment où le prédicateur entre et 
s’assied dans la chaire. 


Mauvais traitements infligés au /qth Aboû Mohammed 
‘Abdesselam ben Hamdoûn Guessoûs *. 


Nous avons rapporté que le sultan Motlay Isma'îl (Dieu 
lui fasse miséricorde !) avait donné aux ‘oulama ordre 
d’approuver par écrit inscription des ‘Abîds sur le Dîoudn, 
et que ces docteurs avaient refusé. La persécution recom- 
mença en 1120. Le gouverneur, Aboû Mohammed ‘Abdal- 
lah Erroûsi ordonna aux docteurs de Fès d'écrire une 
sentence favorable au sujet du Dîoudn : ceux qui ¥ 
consentirent furent épargnés ; ceux qul résistéerent furent 
emprisonnés. Il fit ainsi arrêter les gens de la famille 
Guessoûs et s’empara de leurs biens. Il força un doc- 
teur de cette famille, le chéikh Aboû Mohammed 'Abdes- 
selam ben Hamdoûn Guessoûs, ù s’asseoir enchainé en 
plein marché et ù mendier sa rançon, puis il le fit trans- 
porter ù Méknêès, où 1l fut mis en prison. 

L’année suivante (1121), le Sultan lui pardonna et lui ren- 


1. Texle arabe, IV° parlie, p. 44. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 129 


dit la liberté. Il le fit partir pour Fês, avec mission d'expé- 
dier û Méknêès les [arrdtîn qui s'y trouvaient. 1l les envoya 
au mois de rabî’ [*". Plus tard, ce docleur mourut, tué par 
le qûîd Boû ‘Ali Elhasan ben ‘Abdelkhêûleq Erroûsî, sur 
l'ordre du Sultan, suivant les uns, sans son ordre, selon les 
autres, 

J’ai lu, dans une nole écrite de la main de notre chéîkh 
le fqîh Aboû ‘Abdallah Mohammed ben ‘Abdel'azîz Mah- 
boûba Esslaoui (Dieu lui fasse miséricorde !), qui élait un 
lomme de sens rassis, que « Uêpreuve ù laquelle fut sou- 
mis le docteur Mohammed Guessoûs fut provoquée par son 
refus d'approuver le Dîtoudn des Harrûtîn que ‘Alilich El- 
morrûkchi avait institué, pour le noble sultan Moûlay 
Isma'îl (Dieu lui fasse miséricorde !) Quelque mauvais sujet 
tourna én ridicule ce prince et tourna en ridicule la ville 
de Fês ù cause de lui. Le Sultan reporta sa haine contre lui, 
lui conlisqua tous ses biens et lui infligea des tourments de 
toute sorte. Tout fut vendu : ses maisons, ses propriélés, 
ses livres el tout ce qu'il possédait, lui, ses enfants el ses 
femmes. On le promena dans les marchés en criant : 
« (Jui est-ce qui veut rachelter ce captif ? » et on lui jetait 
de l'argenl, des bijoux el bien d'autres choses précieuses. 
Pendant plusieurs jours, ceux qui étaient chargés de lui 
em portaient ce qu'on lui jetait ù endroit où on avait trans- 
porlé ses richesses, Il en ful ainsi pendant près d'une 
année : Célail un véritable opprobre pour lui et pour lous 
les musulmans. Quand le moment de sa mort approcha 
[Dieu lui fasse miséricorde !) el qu'il se sentil perdu, il 
ferivil sur un pelit billet qu'il jela dans la foule : « Louange 
û Dieu. Je soussigné déclare et prends ù témoin Dieu 
Três-Haut, ses anges et loules ses créalures que je n'ai pas 
refusé d'approuvêr la légitimité de la propriété des 'Abids. 
Mais je n'ai lrouvé dans le Chera' ni le moyen, ni la voie, 
ni lautorisation pour le faire. Si je avais approuvée spon- 
lanémienl ou contre Inon gré, j'aurais péché contre Dieu, 

ARCH. MAROC. 9 


130 ARCHIVES MAROCAINES 


contre son Prophêète et contre le Chera'. J’ai eu peur d être 
jeté en enfer pour cette raison. J'ai consulté également les 
histoires des anciens Pères de la Loi; quand ils n’ont pas 
consenti èڍ‎ faire une chose qui ne leur paraissait pas con- 
forme au Chera', ils n'ont pas été inquiétés, ni dans leurs 
personnes, ni dans leurs biens, pour leurs convictions reli- 
gieuses ; on aurait craint par la d’atteindre la Loi sacrée et 
de faire tomber les créatures clans erreur. Dieu jugera 
entre moi et quiconque n'a pas pensé comme moi et m'a 
attribué quelque chose que je n’ai ni dit ni fait. Dieu me 
suffit: c’est le meilleur mandataire. Salut. Ecrit par ‘Abdes- 
selam ben Hamdoûn Guessoûs, Dieu lui Da dSRHG "ses 
fautes et solt indulgent pour ses vices dans ce monde et 
dans autre ! le mardi matin 23 rabî’ II de année 1121. » 
Deux jours après, Boû ‘Ali Erroûsi le fit mettre ù mort. Il 
fut étranglé, vers le matin, dans la nuit du mercredi au 
jeudi 25 rabî II de cette année-lè, après avoir fait ses ablu- 
tions et dit de nombreuses priéeres. Le qûid Bol ‘Ali Er- 
roûsi le fit enterrer la nuit suivante. » 

L’affaire du fqih Aboû Mohammed (Dieu lui fasse misé- 
ricorde !) est une chose regrettable pour Islam. Les rai- 
sons qui Pont provoquée d'’abord, et qui Pont grossie en- 
suite jusqu’au moment où les ordres de Dieu furent exécu= 
tés, sont les unes trés claires, les autres obscures. Dieu 
sait quelle est la vérité dans cet incident. Cependant, on 
sait du caractère de ce docteur, qu'il était intransigeant 
dans les questions de religion et tout a fait scrupuleux. 
D’ailleurs, sa déclaration qui vient d'être rapportée en 
est une preuve. Cette aflaire a été objet de versions con- 
tradictoires dans lesquelles la passion s'est mêlée : aussi 
on n’en connait pas le fin mot. La clémence de Dieu est ou- 
verte ã tous, il donne la force et le pardon. 

Aboû ‘Abdallah Akensoûs dit: « On parla une fois en 
présence de feu le sultan Moûlay Sliman ben Mohammed 
de affaire du fqîh Aboû Mohammed ‘Abdesselam. Ce 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 131 


prince prétendait qu'il n'avait pas été tué par Moûlay 
Isma'îl, mais par la populace de Fêès. Je n'ai pas pte lui 
demander quelle est la version exacte. » 

Au mois de cha'bûn de cette année, le Sultan enleva ù Boi 
"Ali Erroûsi le gouvernement de Fês et le donna û Hamı- 
doûn Erroûsi. Peu de temps aprês, celui-ci fut révoqué et 
Boû ‘Ali rentra en fonctions. Dans le cours de cetle même 
année, ‘Abdallah Erroûsi arriva û Fês, porleur d'ordres du 
Sultan pour la vente des propriétêés appartenant aux moı- 

„jdouir en Orient, c'est-a-dire dans les deux villes saintes. 


Rêvolte de Moûlay Bennser, fils du Sultan, dans le Soûs ; sa mort 
(Dieu lui fasse miséricorde !)'. 


En 1123, Bennşer, fils du sultan Moûlay Ismû''îl, se souleva 
dans le Soûs, et dirigea la révolte avec une grande aclivité. 

L'année suivante (112/4), le Sultan fit sortir de prison son 
secrétaire Elkhhayyût ben Manşoûr et lui donna le gouver- 
nmement du Dra’. 

En 1125, le Sultan le fit mettre û mort en même temps 
que son frêre, ‘Abderrahmûn : le Sultan reçut aussi la nou- 
welle que les Oulûd Délim, ‘Arabs du Soûs, avaient tué son 
fils rêvolté Moûlay Bennşer. 

En 1126, le Sultan fit tuer le qûid Boûddechich et trois 
aulres qûîds, avec dix-sept ‘Abîds û Mechra' Erremla. Au 
ıiıois de djoumûda 1°" de année suivante (1127) mourut la 
moble dame 'Aîtcha Mbûrka, épouse du Sultan, qui était la 
aınêre de Moûlay Aboûlhasan ‘Ali, dont nous allons parler. 

Eni 1129, Moûlay Boû Merouûn, fils de Moûlay Ismê'îl, 
Pîûrtit en pêlerinage pour le Hedjûz. Au mois de ramadan, 
lu gouverneur d'Oujda envoya ã la Cour cent têtes de Beni 

Yznûsén. 
Ern 1130, on reçut û Fêès une leltre du Sultan suivant la- 


1. Texle arabe, IV* parlie, page 45. 


132 ARCHIVES MAROCAINES 


quelle les habitants de la ville devaient être exemptés de 
toute contribütion. Cette lettre fut suivie bientût d’un 
autre message dans lequel le Sultan leur adressait des re- 
proches et leur donnait ù choisir entre ¢tre gu¢ich ou ndîba. 
Un individu nommé Ould Eşşahrêoui, qui avait dit : « Nous 
ne parlerons que devant le Sultan », fut mis a mort et cru- 
cifié le lendemain. Dès qu'il apprit cela, le Sultan fit emı- 
prisonner Boû ‘Ali Erroûsi et ses gens, et le remplaça par 
Hamdofin Erroûsi. Peu de teınps après, celui-ci arrêta 
injustement ‘Abdelkhaleq ben Yoûsef et le fit mettre i 
mort. Il fut aussitût emprisonné, lui et son frère Més‘'otd, 
et Hammo Qaşşûra fut nommé gouverneur de Fès. Au bout 
de quelques jours, Boû ‘Ali Errotısi rentrait ù Fès comme 
gouverneur. 

Dans le courant de la ınême année, la nouvelle arriva de 
la mort de Motlay Boû Merouên en Orient. Le Sultan re- 
tira ù ses fils les gouvernements qu'il leur avait confiés, 
sauf ù Théritier présomptif, Moûlay Ahmed, û qui il laissait 
le Tadla. Son fils Moûlay ‘Abdelmûlék fut envoyé ù Mor- 
rakch comme gouverneur du Soûs : les aflaires s’arrangê- 
rent, les populations s’apaisèrent, et le pays devint tran- 
quille. Le Sultan s’occupa alors de la construction de ses 
palais et de la plantation cle ses jardins. 

Le pays était parfaitement sûr : une femme et un Juif 
pouvaient aller d'Oujda ù Oued Noûl sans rencontrer per- 
sonne qui leur demanddt d’où ils venaient et où ils allaient. 
l’abondance régnait partout : le blé, les animaux étaient a 
vil prix. Les gouverneurs percevaient les contributions et 
les administrés les payalent sans difficulté. Les habitants 
«du Magrib devinrent comme les Fellahs Egypte : ils tra- 
vaillaient et payaient des impûöts toutes les semaines, tous 
les mois, tous les ans. S'il leur naissait un poulain, ils Péle- 
vaient et, dès qu'on pouvait le monter, ils le remettaient au 
gouverneur avec 10 miisqdls pour acheter sa selle. Si c’était 
une pouliche, il la gardait et ne donnait au gouverneur que 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 188. 


1 milsqdl. Dans tout le Magrib, on n'aurait pas trouvé un 
voleur ou un coupeur de route. Quiconque se rendait 
coupable d'un acte de brigandage el s’enfuyail dans les 
tribus élait arrêté par la Lribu chez laquelle il passait, ou 
dans les bourgades où il apparaissait: on le poursuivait 
aussi partout oû il avait pu passer. Les inconnus qui pas- 
saient la nuit dans un douar ou dans une bourgade étaient 
gardêés û vue jusqu’a ce qu'on sût qui ils étaient. Quiconque 
les laissait partir, ou ne les surveillait pas, était responsable 
de leurs crimes et payait ce qu'ils avaient volé ou le prix 
«du sang de leurs victimes. 

le rêgne de ce Prince (Dieu lui fasse miséricorde !) fut 
aُbondant en pluies et en bénédictions, La culture et le 
commerce étaient florissants, ainsi que tous les moyens de 
gaghêr existence. La terre produisit beaucoup, et il y eut 
une abondance prolongée telle que tout resta ù bon marché 
pendant tout son rêgne, et ne renchéritl qu'une seule fois, 
Le blé élait û 6 onces le moudd ; orge i 3 onces. Un mou- 
lon valail 3 onces, un beuf de 1 û 2 milsqdls : on avait 
2 livres de beurre pour 1 mouzodna, | livres d'huile pour 
1 mouzoûna également. J'emprunte ce qui précêde è l'au- 
teur d'Elbousldn : c'est en contradiction avec les événe- 
ments qui vont suivre, et oû l'on verra que la stérilité et la 
diselle avait alleint le dernier degré dans les années 1090 
et suivantes, Ce que dit Uauteur d' El/boustdn doit se rap- 
porter aux derniéres années du rêgne de Moûlay Ismêû''îl. 
Telle est, en général, habitude de Dieu dans les choses 
de ce genre. Dieu sait quelle est la vérité. 


Travaux opérés aux tombeaux des deux imûms Moûlay Idris 
lanê, et Moûlay Idris le jeune (Dieu soit satisfait d'eux !)' 


En 1132, le Sultan donna l'ordre de démolir la qoubba 


1. Texte arabe, 1V" partie, page 46. 


EN. 


134 ARCHIVES MAROCAINES 


du mausolée de Moûlay Idris Paîné (Dieu soit satisfait de 
lui !) dans le Zêouya de Zerhoûn, et d'acheter les proprié- 
tés avoisinant sur les quatre faces, pour les adjoindre au 
mausolée après avoir détruit les constructions qui sy trou- 
vaient. La qoubba fut démolie et réédifiée d'une façon ma- 
gnifique. Les travaux de construction de ce noble tom- 
beau durèrent jusqu’ en 4113/4, selon le Boustdn et d’autres 
ouvrages. 

On trouve dans le Nachr Elmalsdnt : 

« En 1132, le sultan victorieux Moûlay Ismê il ordonna 
la restauration du tombeau de notre Seigneur Idris le 
jeune, dans la ville de Fès qu’il avait fondée, et y fit cons- 
truire la qoubba qui le recouvre aujourd'hui, avec tous les 
ornements qui la rendent si précieuse. Il fit élargir la cour 
de la mosquée, telle qu'on la voit aujourd’ hui, et qui n’a 
pas sa pareille ù Fès. Le toit de la qoubba fut terminé le 
dernier jour de doûlheddja de cette année-la. Ensuite, le 
Sultan ordonna la prière du vendredi dans ce mausolée, 
usage qui est encore suivi ù notre époque. Dieu place cet 
acte dans la balance de celui qui l'a ordonné et de celui qui 
1'a effectué! Ainsi soit-il! » 

En 1133, le qûîid ‘Abdallah Erroûsi mourut ڍ‎ Féês. Le Sul- 
tan, irrité contre les gens de Fès, leur envoya Hamdoûn 
Erroûsi et son frère Bol ‘Ali, avec ordre de les maltraiter 
et de les pressurer. Les chérifs et les ‘oulamêa de la ville 
cherchèrent vainement è le fléchir, il resta sourd èù leurs 
sollicitations. Les gens de Fêès se mirent ù payer cette 
contribution dont on ne sait pas le chiffre, et personne ne 
put s'y soustraire. La ville se dépeupla, car tous les gens 
aisés abandonnèrent. 

La même année, au mois (le moharrem, armée espa- 
gnole sortit de Ceuta et fondit ù Pimproviste sur les mu- 
sulmans, dont elle prit le campement après avoir pillé. 
Les Espagnols s’emparèrent aussi de la tente du qaîd Aboûl- 
hasan ‘Ali ben ‘Abdallah Errifi, se livrèrent au pillage et 


DYNASTIE ALAOUIE HU MAROC 135 


au meurtre, occupêrent les retranchements et les ouvrages 
de défense des musulmans, s'emparêrent de la qaşba 
d'Afrag, et firent prês de 1.000 martyrs musulmans. Ils 
rentrérent ensuite û Ceuta, d'ol ils s'embarquérent pour 
la Péninsule, ne laissant dans la place que la garnisorn 
habituelle. Les musulmans prirent leur revanche dans la 
suite : environ 3.000 Espagnols restérent entre leurs 

Au mois de molharrem de année 1134, mourut a Oujda 
le bûchê Gazi ben Chûgra, gouverneur de Morrûkch. Au 
mois de şafar, mourut également Ba ‘Aziz ben Seddoûq, 
gouverneur de Tûroûdûnt. Moilay ‘Abdelmûlék transporta 
û ce moment sa résidence û Tûroûdûnt, où il demeura jus- 
qu aux événements que nous rapporterons quand nous 
arriverons û son rêégne, s'il plait û Dieu. 


Mort du Prince des Croyants, Moûlay Ismê il (Dieu lui fasse 
miséricorde !) ' 


. Le rêgne du Prince des Croyants, Moûlay Isma'îl (Dieu 
lui fasse miséricorde !\, fut, comme nous avons dit, une 
époque de sécurité, de tranquillité et d’ordre. Les malfais= 
leurs et les perturbateurs ne savaient plus où s’abriter, où 
chercher un refuge : aucune terre ne voulait les porter, 
aucun ciel ne consenltait û les couvrir. 

Ce prince avait été khalifa et représentant de son frère 
NMoûlay Errechîid pendant sept ans; son règne, comme 
Sullan et comme souverain, dura cinquante-cinq ans. Les 
‘Arabsignorants étaient persuadés qu'il ne mourrait pas. On 
dif mûmê que certains de ses enfants, trouvant que sa mort 
êtlail lente û venir, l'appelaient le vivant éternel. Aucun 
khalife de LVIslam n'avait eu un règneê aussi long et une 


1. Textê arabe, IV“ parlie, page 47. 


136 ARCHIVES MAROCAINES 


aussi grande puissance, sauf Elmoustanşir El'abidi, sultan 
d'Egypte, dont le khalifat dura soixante ans. 

Cependant il y a une différence entre ces deux princes : 
Moûlay Isma'îl put, pendant son règne, recueillir les fruits 
du pouvoir et en goûter entiêrement les délices. Il com- 
mença û gouverner au moment oû il en était capable, puis- 
qu'il avait plus de vingt ans, et où il pouvait supporter le 
poids de la royauté, aussi bien quand il fut khalifa que 
quand il fut Sultan. Il n'eut pas de régence, et son rêgne 
ne fut jamais troublé, que par la révolte de Ben Mahréz, 
celle de son fils Moûlay Mhamnmed El‘ ûlém et celle de ses 
proches qui imitérent leur exemple : et encore ils avaient 
semêé le trouble aux extrémités de "Empire, de sorte qu'ils 
ne portérenl pas grand préjudice au pouvoir royal. Elmous- 
tanşir El'abîdi, au contraire, prit le pouvoir û lage de 
sept ans, el son rêgne commença par une régence. Il fut 
marqué par une affîreuse diselle. « On n'en avait jamais vu 
de pareille en Egypte, dit Ibn Khallikan, depuis le temps 
de Joseph, sur lui soient les priêres et le salut! Elle dura 
sept ans. Les hommes se mangeaient entre eux. Un pain 
se vendait cinquante dinars. 

Dans cetle détresse, Elmoustansir montait û cheval tout 
seul et les gens de sa suite marchaienl û pied derriêre lui, 
parce qu'ils n’avaient pas de bêtes û monter, Quand ils 
allaient dans les rues, on les voyait tomber les uns aprês 
les autres, mourant de faim. C'est pour cela que nous 
disons que on ne peut comparer le rêgne de Moûlay 
Ismû'îl û celui d'Elmoustansir (Dieu leur fasse imiséri- 
corde !) 

Le Prince des Croyants, Moûlay Isma'îl, commença û 
souffrir en 1139 du mal dont il devait mourir. On lit, dans 
le Nachr Elmalsdni « qu'il tomba malade le 2 djoumada I" 
de cette année-la. Dês qu'il sentit qu'il perdait ses forces, 
il manda son fils, Moûlay Ahmed, qui commandait le Tûdlã. 
Ce prince vint de suite, et, trois jours après son arrivêe, 


138 ARCHIVES MAROCAINES 


Suite des événements qui eurent lieu sous le régne de Moûlay 
Ismê il; monuments élevés par ce prince ; sa politique '. 


Elyéfréni dit, dans le Nozha : « Le Prince des Croyanls 
Ismail (Dieu lui fasse miséricorde!) ne cessa dle guerroyer 
contre ses ennemis que lorsqu'il eut dompté tout le Magrib, 
et qu'il se fut emparé des plaines et des montagnes. Il éten- 
dit son pouvoir jusqu’ aux fronlières du Soudan. Les parties 
peuplées de son empire avaient atleint un développement 
de surface que n’ avait pas connu, avant lui, Elmanşoüûr 
ssa di. Du cûté de Est, son royaume allait jusqu'a Biskra, 
dans le Bilad Eldjerid, englobant tout le territoire dépen- 
dant cle Tlemsên. Dieu sait ù qui il confie ses missions. » 

On lit, dans le Bousldn : « Moûlay Isma'îl, suivant ce que 
Pon rapporte, eut 500 enfants mèles et un nombre égal de 
filles, ou peu s’en faut. Ceux de ses fils qui eurent des 
enfants formèrent 105 faınilles, ainsi que je lai vu de mes 
propres yeux dans le registre du sultan Moûlay Mohammed 
ben ‘Abdallah, qui leur faisait chaque année des présents, 
qwil nrenvoyait leur distribuer û Sijilmûasa. Ceux qul 
n'avaient pas eu de postérilté, ou dont la postérité s’était 
éteinte, ne figuraient pas sur le registre. Ses petits-fils et 
leurs descendants étaient au nombre de 1560, au temps du 
sultan Moûlay Mohammed ben ‘Abdallah ; ce chiffre s’est 
augmenté encore pendant le rêégne du sultan Moûlay Sli- 
man ben Mohammed, qui continue ù faire les dons ù ceux 
qui sont inscrits sur les registres de son pêre, et û y ins- 
crire ceux qui naissent. Personnellement, jai connu (le 
nom et de vue, pendant le rêgne du sultan Moûlay Moham- 
med, 28 fils de Modûlay Ismû' il et a peu près le même 
nombre de ses filles; le sultan que je viens de nommer les 
avait installées dans le palais de Hammo ben Bekka, et leur 


1. Texte arabe, IV' partie, page 48. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 139 


faisait donner réguliérement tous les ans leur mofina, leurs 
vêltements et des cadeaux, et faisait demeurer avec elles 
leurs niêcês qui n'éltaient pas mariées. Chacune des cent 
cinq maisons de Sijilmûsa appartenaitl aux propres fils de 
Motilay lsmaû'îil. Dès qu’arrivait û la majorité un de ses fils, 
qil ne voulait pas laisser vivre dans le Magrib, il Uen- 
voyait ã Sijilmûsa, lui faisait construire une maison ou un 
palais, lui donnait des palmiers, des terrains de culture et 
de labour, un certain nombre d'esclaves pour le servir 
dans sa mıaison et culliver ses lerres en été et en hiver. Ces 
fiefs variaient avec le rang que ce fils occupait auprês de 
lui et la situation dont jouissail sa mère. Ses fils eurent û 
leur tour des enfants et leurs familles se développêrent. 
Dieu les rendit considérables et maintint leur organisa= 
tion. 

« Moûlay Ismû'îl (Dieu lui fasse miséricorde !) fut bien 
inspiré €n faisant quilter Méknês ù ses fils et û leurs mères 
pour aller habiter le Tafilêlt avec les chérifs, leurs cousins; 
c élait le moyen de les habituer de bonne heure û Uexis- 
lence qu'ils devaient toujours mener dans ce pays, De 
plus, il le§ préservait contre les vicissitudes du temps et 
les affronts de la pauvreté consécutifs û la mort de leur 
pêre, pour le jour où la prospérité devait cesser, et où le 
manteau de la royautéê, qui les couvrait, devait ûtre replié. 
Aussi vêcurent-ils heureux et prospéres, tandis que leurs 
frêres, qui étaient restés û Mêéknês, el qui y avaient vécu 
jüüsqu au jour ot mourut leur pêre, avaient pris leurs habi- 
tudes et s'étaient accoutumés û satisfaire tous leurs ca- 
prices. Leur postérité ne se développa pas comme celle de 
ceux qui sS'êtaient fixés dans le Sahûra. 

« Voila pour les descendants de Moilay Ismê'il. 

« Quant û ses constructions dans la citadelle de Méknês, 
ses palais, ses mosquées, ses mdersas, ses jardins, elles 
forment un ensemble extraordinaire bien supérieur ù celui 
des dynasties anciennes et modernes de la Perse, de la 


i 


140 ARCHIVES MAROCAINE 


Grêce, des Romains, des Aralbes el des Turcs, et leur 
magnificence dépasse celle des constructions des Cosroés 
a Elmedain, des Pharaons au Caire, des princes romains 
a lome et a Constantinople, des Grecs a Antioche et è 
Alexandrie, des rois et des grandes familles de Islam, 
comme les Oméyyades ù Damas, les ‘Abbasides a Bagdad, 
les ‘Abidites en Ifriqiya et en Egypte, les Almoravides, 
les Almohades, les Mérinides et les Saadiens dans le 
Magrib. Quest le Bédi' dElmanşoûr ù cêté d'un de ses 
palais? le Boustan Elmserra a cêté d'un de ses parcs? Dans 
le seul parc de Djenan Hamriya, il y avait 100.000 pieds 
doliviers, dont Il avait attribué les revenus aux deux villes 
saintes, et quoique, depuis sa mort, Uanarchie, les révo- 
lutions, alent passé sur ce parc et qu'on Y ait coupé du 
bois, il n'en a pas apparemment souffert. Moûlayv Mohanm- 
med ben ‘Abdallah, a son avènement, restaura ce parc, ¥ 
fit établir des conduites d'eau et fit dresser Pinventaire 
des arbres qu’il contenait : il en restait encore 60.000, dont 
le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) envoyait le produit 
chaque année aux deux villes saintes, pour se conformer 
aux volontés de son aieul. Moûlay Slîman, son fils, fit de 
même. » L’' auteur du Boustdn dit encore : « Jai vu presque 
tous les monuments laissés par les rois ; je n'en ai pas vu 
qui fussent aussi considérables, aussi beaux et aussi nom- 
breux que les palais construits par Moûlay Isma'îl. Les 
autres rois qui s’étaient intéressés ãڍ‎ la construction des 
monuınents avaient fait, tout au plus, édifier un seul palais 
et avaient mis tout leur soin è le faire solide et beau. Notre 
Sultan, au contraire, ne s’est pas borné èڍ‎ construire un 
palais, ni dix, ni vingt; û Dintérieur de cette seule qaşla 
de Méknès, ila élevé autant de nonuments qu'il y en a sur 
la surface du globe. Tout le gibier, dit le proverbe, est 
réuni dans le ventre de onagre. » 

Telles sont les paroles de auteur du Boustdn, qui dit : 
« Ses prisons contenaient plus (le 25.000 captifs, qui tra- 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 141 


vaillaîent û la construction de ses palais; parmi eux se 
trouvaient des marbriers, des sculpteurs, des menuisiers, 
des forgerons, des astronomes, des ingénieurs et des méde- 
cins; jamais il ne consentit au rachat d'un seul captif. Dans 
les prisons, il y avait aussi environ 30.000 criminels, tels 
qu assassins, révollés et voleurs; le jour, ils travaillaient 
avec les captifs infidêles, et la nuit, ils étaient enfermés 
dans des cachots et des greniers soulerrains. Dés que Tun 
d'eux mourait, son cadavre étail emmuré. De cette façon, 
İl n'y avail plus une seule artêre qui ballit chez les agita- 
teurs. 

« L'éloge de Moûlay Ismê'il (Dieu lui fasse miséricorde! 
a élé fait par le fqih, le litlérateur, Aboû ‘Abdallah Moham- 
med ben ‘Abdallah Elguezoûli, dans une qaşîda, dont 
jexiraîs les vers suivants : 

« O Mollay Ismû'il, û soleil des créatures, û loi ù qui 
lout ce qui existe a élé soumis, 

« Tu m'es autre chose que Uépée de Dieu sortie de son 
fourreau, agite-la sur les eréalures. 

« Celui qui ne croit pas devoir t'obéir, c'est Dieu qui l'a 
rendu aveugle et qui légare hors du bon chemin. » 

Nous dirons maintenant les événemenls antérieurs iû 
cette époque. 

En 1071 mourut le chétkh Aboû 'Abdallah Sidi Moham- 
med Elmoufaddal, fils du chéikh Aboûl'abbûs Ahımed 
Hlmoursi, lequel était fils de Pillustre chéîkh Aboû 'Abdal- 
lh Sîdi Mhammed Echcharqi. C'était un pieux person- 
age, un homme de bien, qui fut un des plus vertueux de 
son temps. Il econnaissait par ceur le (Jorûn et les sept 
maniéres de le lire. Il jouissail dune très grande réputa- 
lion, mais cherchait ù s'y soustraire, et si quelqu'un lui 
demandait s'il voulait être son professeur, il répondait : 
Nous sommes tous frêres en Dieu, et le dirhem complet 
est fait pour qu'on le dépense. Il apprit les lectures (Qirûal 
du (Jorûn du fqîh, du professeur, Aboû Zéîtd '‘'Abderrahmên 


144 ARCHIVES MAROCAINES 


son, İl répondit «ue cette croyance était fausse et sans fon- 
dement, et il récita cette parole de Dieu : « Nous n’en- 
voyons les versets que pour effrayer. » Il ajouta : « Un 
sage dit que le tremblement de terre est produit par une 
compression du vent dans Uintérieur de la terre. » 

Le lundi 28 rejeb 1077 mourut innocent béni, Sidi 
Qasém ben Ahmed Boû ‘Asriva, connu sous le nom de Ben 
Elleiloûcha, dont le tombeau se trouve sur Oued Erdem, 
dans le district CAzğar. Il ne s'était jamais marié et ne 
laissa pas enfants. Ce fait est rapporté par le Vachr 
Elmatsdnt, mais Cest peut-être une erreur. I[lmourut exac- 
tement, comme on le verra plus loin, en 1097. Dieu sait 
quelle est la vérite ! 

En 1085, survint la mort du Chéîkh de la Sounna guide 
(Imdmi: de la voie spirituelle, \bot ‘Abdallah Sidi Moham- 
med ben Mohammed ben Ahmed ben Mohammed ben 
Elhouséîn ben Nêãşer ben ‘\mar Edder'i Eliglani, connu 
sous le nom de Ben Nûser, du nom de son aieul. Son dis- 
ciple le chéikh Aboû ‘Ali Elvoûsi dit de lui dans sa Fa- 
hrasa : « Le chéikh . Dieu soit satisfait de lui !. était versé 
dlans les branches de la science : le droit, la langue arabe, 
la théologie dogmatique, Tinterprétation du Coran,les Tra- 
ditions du Prophète Hadits , et le souflisme : c’était un 
dêvot, un ascête, un homme scrupuleux, austêre, connais- 
sant Dieu, pratiquant la voie spirituelle et buvant ã la 
source de la Vêrité. En même temps qu'il s'appliquait û 
Pétude du soulisme et suivait le chemin de la voie spiri- 
tuelle, il ne manquait pas de s'’adonner û la science des 
choses externes : Il enselgnait, écrivaill, annoltait et corri- 
geatt. .linsi il fut doublement bienfaisant.IÎ eut pour conı- 
pagnons des orientaux et des occidentaux : un grand 
nombre de gens recurent ses enselgnements. I] enseignait 
el confêrailt linitiallon ouerd ù ces nouveaux adeptes par 
sa parole et par sexs actes. Il ajoutait encore û sa noblesse 
par son gênie êlevê, sa science solide, sa clairvovance des 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 145 


choses cachées, son don de persuasion et la profonde im- 
pression qu'il produisait. Quand il parlait, ses paroles se 
grayaient dans le ceur, et s'il exhortait, il ramenait la paix 
dans les endroils ulcérés. » Le chéîkh Elyoûsi donne sur 
lui de nombreux détails biographiques, el cite plusieurs 
faveurs surnaturelles dont il fut objet. Il a peint son 
caractêre et son portrait dans la célèbre qaşîida Eddûliya 
qu'il a com posée en son honneur, où il apporle û ce chéîkh 
un tribut d'honneur et de glorification qui lui attira un 
grand renom. Ce chéikh eut de nombreux maitres et dis- 
ciples qui sont indiqués dans les livres des [Imûms où ces 
sujels sont traités. On connait aussi la voie spirituelle qu'il 
a établie, et qui se ratlache û 'Envoyé de Dieu (sur lui 
solent les priêres et le salut!) Son père Sidi Mohammed 
ben Ahmed était un grand saint, qui reçut de nombreux 
ouerd el qui ne cessait pas de réciter des oraisons, comme 
l'a rapporté plus d'un auteur (Dieu sait quelle est la vérité !) 
Ici auteur (Dieu lui pardonne!) dil: « Ce chêikh est mon 
aieul : c'est û lui que je fais remonler ma généalogie. Je 
m appelle Ahmed, fils de Khûled, fils de Hammêûd, fils de 
Molanmed Elkébir, fils dMAhmed, fils de Mohammed 
Eşşegîr, fils de Mohammed Ben Nûşer qui est le chéîikh, 
Dieu nous soit par lui profitable et répande sur nous 
son appui et celui de ses semblables. Au-dela de ce 
chéîklı, mes ancêtres font remonter leur origine ù Notre 
Seigneur Dja'far ben Aboû Tûlêéb (Dieu soit satisfait de 
lui ! Je n'en suis pas encore exactement sûr, mais peut- 
dire établirai-je authenticité de cette généalogie dans un 
autre ouvrage, s'il plait ù Dieu. » 

Vers 1090, il y eut une sécheresse qui amena la disette. 
Le chérîf Aboû ‘Abdallah Mohammed ben E{tayyêb Elqû- 
dîri dit, dans son ouvrage intitulé Elazhûr Ennadiya, qu'en 
raison dû manque de pluies, « le blé alteignit û cette 
époque le prix de 40 onces le moudd qui contient un şa’ el 
demi. La population fit des prières, pour demander la 


ANCH. MAROC. 10 


146 ARCHIVES MAROCAINES 


pluie. Le premier imûm qui dirigea cette prièére fut le 
qêadi Aboû Abdallah Mohammed El'arbi Bordala. I1 la 
renouvela trois fois; il tomba un peu de pluie, mais en 
quantité insuffisante. On recommença une quatritme fois 
les priéres, qui furent dirigées alors par le docteur Aboû 
‘Abdallah Mohammed Elboû ‘inûni ; la cinquitme fois, elles 
furent prononcées par le qûdi Bordala, et la sixième fois 
par Aboû ‘Abdallah Mohammed Elmorabet Eddilêi. A ce 
moment-la le blé avait nonté jusqu'a 60 onces ; jamais on 
n'avait entendu parler d'une pareille hausse. On dit encore 
les priêres pour la septiéme fois, sous la direction de Aboû 
‘Abdallah Elboû 'inêani. Au bout de la huitiéme fois, le 
chéikh, le saint, austere Aboû ‘Abdallah Mohammed 
El'arbi Elfichtêli ayant servi de Afhefîb, vers le soir, la 
pluie commença û tomber, accompagnée d'éclairs et de 
coups de tonnerre. Les musulmans se réjouirent et ren- 
dirent graces a Dieu. Pour la neuviéeme fois on recom- 
mença la prière, sous la direction du qûdi Bordala. Ce jour- 
la, dans le cortêge, le chéikh ElislÃm, la bénédiction de la 
nation, Timam Aboû Mohammed Sidi ‘Abdelqûder Elfêsi, 
sortit monté sur son ãÃne, faisant marcher devant lui les 
chérifs de la Famille Pure. et demandant û Dieu de se lais- 
ser fléchir û leur intercession. Au retour de la procession, 
il tomba un peu de pluie. le lendemain. une pluie bien- 
faisante et abondante se mit ù tomber. Le prix des denrées 
baissa aussitût, et le blé descendit ù 30 onces. Les prières 
avaient élé répétées neuf fois. La derniêre eut lieu le lundi 
ö moharrem 1091. 

Dans la nuit du jeudi au vendredi 12 cha bûn de cette 
année, mourut le célèbre chéikh Motlav Aboû Mohammed 
‘Abdallah Echchêrif Elouazzanı, û Uûage de 85 ans. Son fils, 
le chéîkh Moûlay A\boû ‘Abdallûh Mohammed. mourut au 
momenltdu ‘'achd dans la nuit du jeudi au vendredi 28 mo- 
harrem 1120, ûgé de S0 ans. Le fils de celui-ci, le chéikh, 
le pûle gqofb’ Moùlay Ettahami ben Mohammed, mourut au 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 147 


lever du soleil le lundi 1" moharrem 1127, û I'ûge de 
66 ans. Le chéikh Moiûlay Etayyêb ben Mohammed moü- 
rut le dimanche 18 rabî' 11 1181, ûgé de plus de 80 ans. 
Son fils, le chéikh Moûlay Ahmed, mourut le samedi matin 
18 şafar 1196. Son fils, le chéikh Moûlay ‘Ali ben Ahmed, 
mourut le mardi dernier jour de rabî’ [°" 1226. Son fils, le 
chétkh Sidi Elhûddj El'arbi ben ‘Ali, mourut le mercredi 
premier jour de année 1269. Nous avons donné ici, pour 
plus de commodité, et parce que occasion se présentail, 
la généalogie toute enliêre de ces nobles chérifs d'Ouûz- 
tîn dont origine se rattache û Moûlay Idris ben Idrîs (Dieu 
sSoît satisfait d'eux, nous fasse mourir, aimés par eux, et 
nous place dans leur cortêége !) 

En 1090, survint la grande peste du Magrib, dont nous 
avons déjû parlé et pendant laquelle les ‘Abîds du Sultan 
repousSsaient sur toutes les routes les gens qui sê rendaient 
û Méknûsét Ezzéîtoûn. 

Le mercredi 8 ramadûn 1091, au moment du dokr, tré- 
passa le cehéîkh de la communauté musulmane de Fés et 
dü Mağgrib, le grand imûm, le savant célêbre, le chétkh 
Abo Mohammed ‘Abdelqûder ben ‘Ali ben Yoûsef Elfèsi, 
qui esl trop connu (Dieu soil salisfailt de lui!) pour qu'il 
Soil nécessaire de rappeler ici ses euvres. On a fail juste- 
ment remarquer que, malgré 'étendue de son savoir et les 
bienfaits dont ilfit profiter les habitants des trois Magribs, 
il n'a pas composé le moindre ouvrage déterminê, ni le 
moindre commentaire : il se bornait û écrire des réponses 
excellentes (A Joutba) û des questions qui lui étaient posées, 
êl qui ont été réunies en un seul volume par un de ses 
corm pagnhons, 

En 1095, mourut le saint vertueux Aboû Mohammed 
‘Abdallûh El'aouni, dont le tombeau est ù Salé, el qui 
étail ün des compagnons du chéikh Sidi Mohammed El- 
moufaddal. 


En 1096, mourut le chéîkh três docte versé dans toules 


148 ARCHIVES MAROCAINES 


les sciences, Aboû Zéîd ‘Abderrahmûn ben '‘Abdelqêder 
Elfêsi, auteur de précieux ouvrages, nolammenl du poême 
intitulé Vadm ‘Amal Fès et du livre appelé Elouqnodûm fî 
mabddi l'oulodm. 

En 1097, mourut le chéikh qui connult Dieu, qui eut 
des extases, et qui fut doué de la connaissance divine, Bel- 
qûsém ben Ahmed Elletlotcha Essefiûni, surnomımé Boû 
‘Asriya, parce qu'il se servait de sa main gauche plus que 
de sa droite. Il fut de ceux qui furent absorbés dans l'es- 
sence de Dieu : İl avait des extases (Alhoudl]) et proférait 
alors des paroles mystiques (chafha), On raconte qu'encorê 
enfant, il fut porté au chéîkh Boû 'Obéid Echcharqi, quî 
le bénil et, faisant apporter des outres d'eau, les versa sur 
lui en disant: « Si nous n'avions pas refroidi cet enfant, 
les lumiêres l'auraient brûlê ! » C'est pourquoi Boû ‘Asriya 
faisait loujours éloge de Boû 'Obétid, proclamait son nom 
três frêquemment et attribuait tous ses aces û sa béné- 
diction. 

En110M1, le Sullan interdit le port des babouches noires, 
qui ne devaient plus être portées que par les Juifs, comme 
nous avons rapporlé û la suite de la conquête d'El'arêich. 

En 1102, mourut le chéîkh, imam, le dernier des 'ou- 
lamêû du Magrib, sur la science et la piétê duquel les airs 
sont unanimes, Abo ‘Ali Elhasan ben Més'oûd Elyoûsi, 
originaire de la tribu des Ait Yoûısi, Brabér de la Melouiya. 
Par son savoir, sa justesse esprit, son austérité et sa 
crainte de Dieu, il était le Gazzûli de son époque, Dans sa 
Fahrasa, il dit: « Tout ce que j'ai étudié, ou û peu prês 
tout, je ai appris par la faveur divine. J'ai reçu en par- 
tage, grûce û Dieu, des aptitudes excellentes, et il me suf- 
fisail d'entendre pour que Dieu me fit relenir. Si j entends 
une partie d'un livre, Dieu me fait la faveur de le con- 
nattre tout entier d’une façon palpable, et j'arrive, û cet 
égard, û un degré auquel personne n'est, je erois, arrivé. 
Il est advenu souvent que je ne connaissais pas ün livre 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 149 


et qu'en entendant un peu des sciences dont il traite je 
commençais û le connaitre : c'est de celle façon que, grûce 
û la volonté de Dieu, j'ai appris ce que m'enseignaient 
mes maîtres. Ne vous étonnez pas de ce que je viens de 
dire. Vous croyez peul-êlre que le profit doit toujours être 
proportionné au capital. Vous êtes dans l'erreur : un seul 
dirhem peut rapporter mille mitsqûls ? et c'est peu pour 
Dieu. » Il fit la plupart de ses études ù la Zûouyat Eddilê 
ol il demeura, s’appliquant û acquérir la science et û la 
développer, jusqu'au moment où elle fut conquise par 
Molilay Errechîid. Ce prince envoya û Fês.Il y vécut un 
certain temps, puis quilta cette ville pour aller vivre û la 
campagne. Il finit par se fixer dans sa tribu où il mourut. 
(Dieu lui fasse miséricorde !) 

Le chéikh Elyoûsi s’adonnait avec ardeur aux sciences 
spéculatives et aux sciences praliques. Il dit même, dans 
son ouvrage intilulé Elqûl elfsal f{i-lfarqi bêina-lkhaşgdli 
oua-lfaşl, qu'il élait arrivé dans ces connaissances au même 
degré que le chéîikh Sa'd Eddin Elteflazûni, el que Sidi 
Eldjordjûni et leurs émules. Quelqu'un lui ayant posé une 
question au cours dune de ses leçons, il répondit: 
« FEcoule, ce que tu vas entendre, tu ne l'entendras de la 
bouche d'aucun homme,tu ne le trouveras écrit dans aucun 
recueil, et tu ne le verras tracé par aucune main, car 
c'esl un don du Clêment. » Quand il arriva û Morrûkch, 
il professa la science de I'interprétation du Qoran (lef'sîr) 
2ã la mosquée des Chérifs (| Dûma’ Elachrdûf), et passa prêés 
de trois mois û enseigner l'interprétation de la Fûliha. 
Chaque jour il comnmıençait une explication surprenante el 
une [hêése éltonnanle. L'abondance de son fonds scienli- 
fique étonnait tout le monde, d’ autant que, le plus sou- 
vent, il passail la nuit dans le tombeau d'un saint avec 
d'aulres personnes, el le matin il s'asseyait dans sa chaire 
et se meltlait û discourir de façon û éblouir ses auditeurs, 
sans avoir regardé un livre, ni consulté un auteur. La 


150 ARCHIVES MAROCAINES 


poécsie était pour lui une chose plus facile que la respira- 
tion, et secs vers étalent tous des sentences et des pro- 
verbes com parables aux poêémes des anciens Arabes. La 
qasida Eddûliya qu il composa en Phonneur de son maitre 
Ben Nûser donne la mesure de Tétendue de son talent et 
de sa supériorité comme savant et comme érudit. Aussi 
combien sont belles ces paroles de Timam Aboû Sãalém 
El'ayydachi quand il dit: 

« Gelui qui n’a pas pu fréquenter Elhasan Elbasşri, il lui 
suffira de fréquenter Elhasan Elvoûsi. » 

En résumé, ce personnage fut le dernier des profonds 
savants ; non, il fut le sceau des hommes û esprit péné- 
trant. Un chéikh a dit de lui que, par son savoir et par ses 
actes, Il était le réformateur du commencement du siéecle. 
imam de son tenıps et l'ascète de son époque. Dieu lui 
fasse miséricorde et soit satisfait de lui ! 

Dans la nuit du mardi au mercredi 7 rabî’ I" 1103, 
mourut le saint vertueux Aboûl'abbãas Sidi Ahmed Hèjji, 
duquel le chéikh Aboûl' abbas Sîdi Ahnıed ben ‘Abdel- 
qader Ettestaouti a dit : « Il était un homme de bien, un 
homme vertueux ; jai eu des relations avec lui ù Méknès 
en 1096, et je n’ai vu de lui que du bien. » Il fut reımplacé 
a sa mort par son fils, qui fut U'héritier de ses secrets. A 
cêûté de lul est enterré, dans le ınêıme tombeau, le saint 
vertueux Sidi Aboû Mohammed ‘Abdallah Hajji. sur- 
nommé FElguezzûar : leur mausolée ù Salé est une mzdûra 
célèbre. 

En 1109 ou 1110, mourut le fqih, le notaire, le casuiste, 
homme savant dans les préceptes divins, Uarithmélicien 
Aboûlhasan ‘Ali ben Mohanımed, surnommé Bol Cha ‘ra, 
Esslaoui. Il fut enlterré près du tombeau du chéikh Ben, 
AÃcher (Dieu soit satisfait de lui !: 

En 1115, au mois de djoumûda 1°", mourut l'imûam, le 
fqih, le littérateur, le poête, le prosateur Belqasém ben 
Elhouséin Elgerisi Esslaoui, surnommé Boû Zaida, qui 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 151° 


ful enlerré prês du tombeau du chéikh Ben 'Ãcher (Dieu 
soit satisfait de lui !) 

Le mercredi malin 28 molarrem 1118, il y eut une 
éclipse lolale du soleil : cette année-lû fut nommée ‘Am 
Eddoléima (année des petites ténêébres). 

En 1119, le mardi 7 djoumûda 1", mourut le chéikh, 
Iimûn Abofi Serhan Sidi Més'otıd Joumol' Eêsi Esslaoui, 
le [rês docte héros, auteur d'utiles ouvrages sur loules 
les sciences, argument fait homme, dont la bêénédiction 
était apparenle pendant sa vie et l'a été aprês sa mort. Il 
ful enlerré û l'intérieur de la ville de Salé, dans la zûouya 
du ehêéîikh Sidi Ahmed IHûjji. 

Le lundi 3 djoumûda II 1120, mourut le saint vertueux, 
le pieux, le bon conseiller Aboûl'abbûs Ahmed ben ‘Ab- 
dallûh Ma'n Elandalousi, qui habitait le quartier d'Elmokh- 
fiya û Fés (Dieu la garde !) 

Dans le courant de cette année-lû, fut instituée la lec- 
ture du Hadits oû l'on ordonne le silence et oû il est dit 
trois fois de suite : « Taisez-vous ! que Dieu vous fasse 
miséricorde ! » 

Celte lecture a lieu le vendredi, au moment oû imûm 
sort de la chambre de la mosquée et s'assied dans la chaire. 

Le mardi 22 safar 1122, au moment du ‘'agsr, mourul 
le saint vertueux, Sidi Abo Mohammed 'Abdallah, fils 
de Sidi Allmed Hûjji, surnommé Elguezzûr, qui fut enterré 
devant son pêre, comme nous venons de le rapporter. 

Le mercredi 20 rabi’ Il de la même année, mourul le 
fqih três savant Aboû ‘Abdallah Mohammed, fils de 
amîn Elhaddj Mohammed Essobaihi Esslûoui, sur lequel 
le celhêéîkh Aboûl'abbûs Sidi Ahmed ben 'Abdelqûder Et- 
testaouli lil Uélégie suivanle : 

« Bien que nous sachions que, quand il a décidé une 
chose, Dieu se hûte de l'exécuter, nous sommes affligés 
parla morl de imam choisi, du savant intêgre, Eşşobaîhi. 
qui élait le meilleur de son époque. 


E 


152 ARCHIVES MAROCAINES 


« Celui que Dieu a élu est aussi celui que nous avons 
choisi ; nous lui souhaitons une félicité générale et com- 
plète. » 

Il fut pleuré aussi dans un poême par son aimable ami 
le chéikh Abotûl'abbas Ahmed ben '‘Acher Elhêfi Esslaoui 
(Dieu leur fasse ù tous miséricorde !) 

Dans la nuit du mardi au mercredi 1%“ rejeb 1127, 
mourut le saint vertueux, le savant qui fit de bonnes 
ceuvres, le célèbre chéikh Aboul'abbas Ahmed ben ‘Ab- 
delqader Ettestêaouti, un des principaux compagnons du 
chéikh Ben Nûşer, descendant d@’Aboû ‘Abdallah Moham- 
med ben Mbûarék Ezza'ri déja cité. Les actes mémorables 
de ce chéikh sont trop connus pour que je les rapporte 
ici : ses zûouyas sont autant de sources de profits et de 
bénédictions dans le Mağrib. Il mourut ù Méknêasét Ez- 
zéitoûn : son tombeau célèbre se trouve dans le cirıetiére 
de Sidi ‘Abdallah ben Hamed (Dieu soit satisfait d'eux et 
nous les rende profitables !) 

Le 18 rabi’ 1°", mourut le chéikh, le nodeèle, imam 
glorieux Abotl'abbas Sidi Ahmed ben Mhammed Ben 
Naşer Edder'1, fils du chéikh Ben Naşer déjèa cité, son 
khalifa et héritier de son secret et de sa grace (Dieu soit 
satisfait de lui !) Il est trop célèbre pour qu'il faille insis- 
ter ù son sujet. Cependant, dans son ouvrage Intitulé : 
Errûé{ elyani ‘elfdih f mandqib echchéikh Aboûd ‘Abdal- 
ldh Esşdlih, le chéikh Aboû ‘Ali Elhasan ben Mohammed 
Elma ‘dêani raconte anecdote suivante : « Voici ce que 
m’a rapporté un savant émérite : Lorsque le chéikh Aboûùûl- 
‘abbas Ahmed Ben Nûşer Edder'i alla a Médine lors de 
son dernier pélerinage, je le vis assis, dit ce savant, 
devant le tombeau du Prophêèête. On se pressait autour de 
lui pour recevoir DPinitiation et louerd, et 1l paraissait s’en 
réjouir beaucoup. Je me dis en moi-même que cet homme 
était aveuglé par sa vanité, pour se mettre ainsi en éVi- 
dence dans cet endroit où viennent s'’ humilier les rois et 


154 ARCHIVES MAROCAINES 


dun empan, ajoute-t-il en mettant sa main sur son cou, 
doit 'allonger jusqu'a une coudée », et en même temps 
il étendit son bras. 

« Les ‘oulamê qui étaient avec lui se réjouirent de ces 
paroles : ils furent convaincus que le chéikh et eux-mêmes 
n’avaient rien û craindre, car ils savaient avec quelle 
générosité Dieu avait 'habitude de le traiter. Eflecti- 
vement, le Sultan vint en personne auprès de lui au 
moment où il se trouvait dans la Rada du chéikh Aboû 
‘Otsmaûn Said ben Boû Bekr. Il lui témoigna beaucoup 
d’amabilité, de respect, de vénération et dhonneurs : il 
lui donna la main et s'’assit avec lui pendant quelque 
temps a Tintérieur de la chapelle. En sortant, le Sultan 
(Dieu lui fasse miséricorde !} se mit a crier ù ses gens : 
« Visitez Sîdi Ahmed Ben Nûşer ! Visitez Sidi Almed Ben 
Naşer! » Il répéta plusieurs fois ces paroles qui venaient 
du fond de son ceur. « Quand le Sultan fut sorti de chez 
le chéikh, raconte Sidi ohamıned ben Brahîm, j’ entrai 
auprès de lui et lui demandai s’il ne craignait pas que le 
Sultan ne le fit installer, lui et ses compagnons, dans le 
mausolée du chéikh Sidi ‘Abderrahmdûn Elmejdoûib et ne 
les y laissat longtemps. Le chéikh répondit qu'il ne 
bougerait pas de 'endroit où il était, et que le surlende- 
main il s'en retournerait dans son pays. En effet, il reçut 
du Sultan ordre de venir s’installer dans le mausolée du 
chéikh Elmejdoûb, il répondit qu'il ne resterait que la où 
il était. Le Sultan lui envoya aussitût après ordre de 
retourner dans son pays, chargé de cadeaux et objet de 
toutes sortes ('égards. » 

Dans la nuit de la fête de la rupture du jeûne de I'an- 
née 1129, mourut le /fqih savant, le qadi Aboûl'abbês 
Ahmed, fils du très docte Aboûlhasan ‘Ali Elmorrakchi ; 
les prières funéraires furent dites le lendemain, et on 
lenterra ù Rabût Elfeth, û Tendroit appelé El'eloû. 

Dans la nuit du samedi au dimanche 18 moharrem 41131, 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 155 


mourut le chéikh vertueux Aboû ‘Ali Elhasan ben ‘Ab- 
dallah El'Aidi Essejiri : il ful enlerré û Salê, dans sa 
zûouya du quartier MEssouéîqa dont la qoubba fut ter- 
ıninêée au mois de rejeb de année suivante. 

Le lundi 15 rejeb 1133 mourult le docteur [rês savanl, 
le dernier des savants consommés, le dernier qûdi im- 
partial de Fès, le chéikh ‘Abdallah Mohammed El'arbi ben 
Ahmed Bordala. A la même dale mourut û Morrûkch le 
chéîkl três docte et source de bénédictions Aboûl'abbûs 
Ahmed ben Slîimûn, auteur de nombreux ouvrages, no- 
tammentl sür Uarithmélique (Dieu lui fasse miséricorde !) 

En 1138, dans le mois de chaouûl, les Deux-Rives, Salé 
et Ribût Elfeth, et leurs environs furent envahis par les 
sauterelles. Aprês elles, les criquets, qu'on appelle dans 
le langage du Magrib Amred, se répandirent comme un tor- 
rent el ne laissêrenl pas une seule feuille verte sans la 
dérorer. 

Le mercredi 12 şalar 1139 mourut le chéîikh qui connut 
Dieu, Sidi Mohammed Esşûlah, fils du chéîkh qui connut 
Dieu, Sidi Mohammed Elma'ti, fils de Sîdi 'Abdelkhaleq, 
fils de Sîdi ‘Abdelqûder, fils du grand chéikh Sidi Moham- 
med Echcharqi. L'ouvrage intilulé Errûd ‘'elfdih fi mand- 
qib echchéikh Abdallah Eşşûlih, de Aboû ‘Ali Elma'‘dûni, 
se charge de déêcrire ses vertus. 

La même année, û 'aube du samedi 8 doûlqa'da, mou- 
rut le fqih lrês érudit, le savant consommé Sidi Boti Bker 
ben ‘Ali Elfarji Elmorrûkchi Esslaoui. Toute la population 
voulut faire cortége ù son enterrement, et il y eut une telle 
foule autour de la civiêre que des rixes furent sur le 
point d'éclater. Il ful enterré non loin de sa maison dans 
la zûouya de Sîdi Mgéits, û la Tala de Salé; Dieu le pro- 
lêge ! 


156 ARCHIVES MAROCAINES 


Premier règne du Prince des Croyants Moûlay Aboûl ‘abbãs 
Ahmed ben Ismê il, surnommé Eddéhébi (Dieu lui fasse misé- 
ricorde 1) 


Après la mort de Moûlay Ismail (Dieu lui fasse miséri- 
cordle !) les chefs de la milice d@Elbokhari, les qûids des 
Oùdêya, les hauts fonctionnaires, secrélaires et qûdis du 
gouvernement, se réunirent et prêtêerent serment ù Moûlay 
Aboûl'abbas Ahmed ben Isma'il, qui élait surnommé 
Eddéhébi ù cause de sa grande libéralité. Akensoûs dit que 
cet acte était dû ù un conseil des ‘A\bids qui ressemblait è 
un ordre et non pas èû un engagement pris envers son pêre. 
La béi'a fut envoyée dans toutes les contrées. Dêès que la 
nouvelle dela mort du Sultan fut connue è Fès, la premiere 
chose que firent les habitants fut de tuer leur qûîd Boû ‘Ali 
Erroûsi. Ensuite ils proclamêèrent le sultan Moûlay Ahmed, 
etrédigêrent leur prestation de serment, qu'ils envoyèrent 
a Méknès par des notables de la ville. En présence du 
sultan Motlay \hmed, ces délégués firent acte de fidélité 
et obéissance. Celui-ci les reçut et, sans leur laisser 
paraîitre de mauvaise pensée pour le meurtre de leur 
qêîid qu'ils venaient de commettre, il donna aux oulamd et 
aux chérîfs les cadeaux d'avêénement et leur nonıma agcomıme 
gouverneur le qûîd Elmahjoûb El'eulj. Les gouverneurs 
des tribus et des villes, les notables des cités et des cam- 
pagnes vinrent apporter aussi leur serment et faire acte 
dobéissance. Le Sultan leur fit bon accueil et, aprês avoir 
distribué ã tous des cadeaux variant suivant leur rang, les 
congédia. 

Libre alors de s'occuper de ses affaires, il inaugura son 
administration par exécution de ceux qui avaient été les 
gouverneurs de son pêre et les colonnes «le son empire. 
C'est ainsi qu'il fit mettre a mort le chef des Berbers, 


1„ Texte arabe, I1V° partie. page ö4. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 157 


'Ali ben Ichcho Elqebli et le chef de la région de Fès et 
de la province voisine d'Elhabt, Allmed ben ‘Ali. La vérité 
est que celui-ci étant incarcéré au moment de 'avènement 
de Moûlay Ahmed, ‘Ali ben Icheho avait persuadé au Sul- 
tan de l'égorger dans sa prison. Dieu fit tomber cel intri= 
gant dans les mains du Sultan qui le fit mettre û mort, 
lui donnant ainsi une récom pense analogue û sa conduite. 
Le Sultan fit mettre aussi û mort le bûcha Ben Elachqar 
et Mordjûn Elkebîr, qûîd des esclaves nêégres du palais elt 
gardien des trésors, qui avait sous sa surveillance 
2.200 eunuques, réparlis entre les porles des apparte- 
ments des palais. Chacun de ces eunuques avait pour les 
servir plus de deux ou trois esclaves. 

Moûlay Ahmed (Dieu lui fasse miséricorde !) était sous 
la tutelle des ‘Abids, qui, dans la plupart des questions, 
n'avaient qu'a lui conseiller quelque chose pour qu'il le 
fit: c'est ainsi qu'ils engagêrent û tuer les principaux 
chefs de lermpire qu'il mit û mort. Il fit tuer encore d'au- 
tres qûtds et d'autres secrétaires. Il fit ensuite l'inspection 
des trésors, des magasins où se trouvaient les armes et 
les vêtements, et ordonna de distribuer tout cela aux 
‘Abids et aux qûids du guéîich. Il donna plus qu'il ne fallait, 
Il fit des largesses aux ‘oulamê, aux chêrîfs, aux tolba. 
Il donna même des sommes importantes û de simples sol- 
dals. Aussi on se prit d'afeclion pour lui et on le vanta 
beaucoup. Dieu lui fasse miséricorde ! 


Attaque de Tétouan par le qûid Aboûl ‘abbas Ahmed ben ‘Ali 
Errîfi : incidents survenus entre lui et le fqîh Aboû Hafs 
‘Omar Elouaqqûch (Dieu lui fasse miséricorde !) 


Le guerrier de la foi, le qûîd Aboûl'abbûs Ahmed ben ‘Ali 
Errifli, avait succédé û son pêre dans le commanderment 


1. Texte arabe, I[V® parlie, page 66. 


158 ARCHIVES MAROCAINES 


des volontaires de la guerre sainte «les places de la région 
PFElhabt, au tenıps du sultan Modlay Isına ‘il. Son père et 
lui avaient joué le principal rêle dans la prise de Tanger 
et PEl'arêich, comme nous avons déja vu en partie, et 
il jouissait, pour cette raison, dune grande influence 
auprès du gouvernement et surtout dans la région d’El- 
habt. 

Il y avait alors comme gouverneur ù Tétouan le fqih, le 
littérateur Abot I[lafş ‘Omar Elouaqqach. Il appartenait a 
une famille de cette ville qui avait été déja au pouvoir. I1 
avait rempli autrefois les fonctions de secrétaire auprès du 
sultan Moûlay Isma'îl, Dieu lui fasse miséricorde ! qui 
Pestimait beaucoup. Ce prince lui avait donné le gouver- 
nement de la ville et de la province de Tétouan, quand 
son ãge ne lui avait plus permis de rester au service impé- 
rial. ۰ 

Une certaine animosité régnait entre Elouaqqûch et le 
qûaid Aboûl'abbêas Errifi. Elle avait été provoquée par le 
fait de leur voisinage et de leur contemporanéité ; et elle 
était entretenue par les propos qui leur étaient rapportés 
de chacun eux sur le compte de l'autre. Il en fut ainsi 
jusqu'a la mort du sultan Moûlay Ismê 'il (Dieu lui fasse 
miséricorde !}. Quand Mollay Ahmed arriva au pouvoir, il 
laissa fléchir Tautorité et négligea Tarmée, si bien que le 
Sultan n’avait plus de prestige auprès des gouverneurs des 
diverses régions. .\botl'abbêas Errifi voulut en profiter, 
pour prendre sa revanche contre les habitants de Tétouan. 
Il marcha contre la ville, accompagné d’ une troupe nom- 
breuse, et y entra par surprise. Mais quand il voulut user 
de violence avec eux, le fqih Aboû Hafş Elouaqqûch se 
mit û la têle des habıtants, lui livra combat et eut le des- 
sus. Il infligea û son ennemi une défaite plus sérieuse que 
celle que celui-ci comptait lui faire subir : il tua un grand 
nombre de ses soldats, et le qêaid Aboiûl'abbas lui-même 
eut grand’ peine ù s échapper. 


- 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 159 


Cette victoire, û laquelle il ne s'attendait pas, remplit 
de joie le fqîh Aboû Hafs. Dans l'ivresse de son triomphe, 
il alla jusqu'a convoilter la royauté, et parla de ce qu'en 
homme sensé il aurait dû cacher. Il composa alors sa 
qasîda célèbre, dans laquelle il reprochait aux gens du 
Rif leur conduite, abaissait leur gouvernement, se met- 
tait au-dessus des gens de Fès et de tous, el annonçait 
la fortune û laquelle il arriverait. Malgré son grand 
ûge, celte altitude était indigne de lui, car c'étail un 
homme três fin, plein de science et d'autorité. Voici celte 
qaşîda : 

« J'ai atteint dans la gloire le point que j’avais espéré. 
Ma vie est devenue meilleure, el Toiseau y a chanté. 

« L'annonciateur de la bonne nouvelle a proclamé en 
termes éloquents et clairs, a crié : Viens, û Aboû Hafş ! la 
première place Lattend. 

« Je me suis levé pour répondre ã cet appel, bondissant 
de joie, el ni Zéîd, ni ‘Omar n'ont fait alors attention 
û moi. 

« Je me suis mis, grûce û Dieu, û rechercher la royauté, 
el jai dit (le Maître en soit louê et remerciê !) : 

« Cest moi qui suis Tilluslre ‘Omar : si lu ne mê con- 
nais pas, informe-toi : tu sauras que je possêéde la préémi- 
nence, et je ne me vante pas ! 

« C'esl moi qui suis Omar qui se dislingue par le eou- 
rage el la générosité; c'est moi qui suis ‘Omar dont il est 
question dans les prédictions. 

« Je Suis venu pour ranimer la religion en décadence. 
Bonheur ã celui qui voit le pouvoir venir û lui ! 

« Il ne reste plus dans notre Garb de roi sans vigueur; 
c'est û moi que finissaient la science proclamée et les se- 
crels. 

« C'est moi qui suis Villusltre 'Omar : dans les corm- 
bats je suis le héros du premier rang; je suis le grand 
savant. 


160 ARCHIVES MAROCAINES 


« J'ai dominé mon pays, et jai répondu èã appel dautres 
régions. Dans peu de temps ma situation et mon rang 
auront augmenté. 

« J’apporte la justice û [exemple des deux Imams ; je 
suis le troisième qui a été annoncé, unique. » 

(C’est-a-dire le troisitme ‘Omar; il le déclarait lui- 
même [Nolte de Pauleur').) 

« Fertûöto, Errahınoûn et Elköt sont mes partisans. 
Rêagoüûn est mon trésor, et Esseğir mon agent (exécution. 

« Voila mes auxiliaires, les membres de mon gouverne- 
ment : quant ù ma famille et a mes alliés, ce sont les étoiles 
qui brillent. 

« L'écho de ma grandeur et cle ma puissance se réper- 
cute dans les nuages, et ma gloire commence partout 
comme une aube. 

« Mon croissant a paru quand Hilêali a pris mon parti, 
et ma fortune a grandi quand Géilan m’a répondu. 

« Le pouvoir des Rifains est définitivement miné et je 
n’ai, en vérité, plus rien ù faire contre lui. 

« En voyant leurs barbes, notre courage a été si meur- 
trier, qu'ils se sont enfuis en toute hte et que les sabres 
et les lances 

« Ont fait voler leurs mains et leurs avant-bras. Bravo ! 
on a raison d’être satisfait de moi ! 

« Car leur chef est parti en cachette et tremblant : il 
n’a pas échappé èã notre punition et ù nos représailles. 

« Qui donc voudrait se comparer ù moi ? j’ai des biens 
immenses, et mon nom remplit la terre et la mer! » 

Ce poème continue, mais il n’y a pas intérêt ù le rap- 
porter en entier. Le fqîh Abo ‘Abdallah Mohammed ben 
Bejja Errifi El'arêichi y répondit par une qaşîda, dans 
laquelle il disait : 

« Dans les pages de l'histoire, nous trouvons des ensei- 
gnements : nous apprenons, par exemple, que Fane se 
prétend un humain. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 141 


« Celui qui a passé sa jeunesse sans avoir rien Vu 
d'étonnant n'a que la vieillesse pour l'instruire de la 
merveille de son temps. » 

Cette qasîda est longue, mais son auteur était un poète 
médiocre ; c'est pourquoi nous ne la citons pas en en- 
tier. 

Quand la nouvelle de ces faits parvint au Prince des 
Croyants Moûlay Ahmed (Dieu lui fasse miséricorde !) il 
détourna les yeux de l'un et de autre, et rentra dans son 
palais où il se livra entiérement aux plaisirs, sans s’occu- 
per de ses sujets, ni de leurs affaires. Aussi de graves 
dêésordres se produisirent, entre les tribus et les repré- 
sentants du Makhzen, dans les régions du Garb et MElqşar 
el dans les dislricts environnants. 

Nombre de gens périrent dans ces troubles ; le khalifat 
y perdit son prestige, et le bon ordre du royaume fut 
rompu d'un seul coup, surtout par le meurtre des grands 
chefs qui conduisaient les affaires: c’éêtait le but que 
poursuivaient les 'Abids, En effet, ‘Ali ben Ichcho était 
le plus grand chef et commandait les Berbers el d'autres 
tribus. Ahmed ben ‘Ali étail chef des montagnes de Mer- 
moûcha, de Beni Ouarûîn, des ‘Arabs Elhayûina et des 
Berbers de Gayyûtsa et des montagnes. Il était Uauxiliaire 
de ‘Ali ben I[chcho et rivalisait avec lui pour conseiller le 
gouvernement et lui fournir de argent. Ils avaient tous 
deux comme auxiliaire Ben Elachqar, qui élait chef des 
Zrûhna et était chargé en même temps du 'achour, notam- 
ment des tribus du Garb et de Beni Isen. Enfin le qûid 
Mordjûn était le gardien des trésors et tenait le registre 
des entrées et des sorties, de sorte qu’il connaissait les 
sommes que les gouverneurs apportaient chaque année. 
Aussi, dès qu'ils furent tués (Dieu leur fasse miséricorde !) 
les sujets ne sentirent plus le poids de leur autorité, et 
se virent débarrassés de ceux qui mettaient un obstacle 
entre eux et les désordres, et qui les punissaient pour 

ARCH. MAROC. 11 


162 ARCHIVES MAROCAINES 


leurs mauvaises actions. Les Berbers surtout, sur les- — 
quels pesait un joug d’airain, le secouèrent dès que ‘Ali #& 


م 
3# 


ben Ichcho fut mort et, achetant des chevaux et des armes, 
revinrent èù leurs anciens égarements. Les autres tribus 
arabes les imitéerent comme si c’eût été un mot d’ordre, 
et les brigandages reprirent sur les routes. Les plaignants 
affluèrent èù la porte du Sultan, mais ils ne trouvaient per- 
sonne èڍ‎ qui parler, du moins ù Méknès. A Fès, ce furent 
les Oûdêya qui se chargêèrent d'y remplacer les Berbers, 
dans le pillage : la ‘situation était de plus en plus cri- 
tıque. 

Au mois de moharrem 11/40, les Oûdêya envahirent le 
Soûq Elkhamis ãڍ‎ Fès, s’y livrèrent au pillage et au meurtre, 
et s’emparèrent d’un certain nombre de gens de la ville, 
qulils jetêrent en prison èڍ‎ Fès Eljedid. Une députation de 
chérifs fut aussitût envoyée par la population de cette 
ville auprès du Sultan a Méknès, pour porter plainte 
contre les injustices des Oûdêya, mais, aux portes de la 
capitale, les délégués furent attaqués par Mohammed ben 
‘Ali ben Ichcho, qui les emprisonna avant qu'ils aient pu 
être reçus par le Sultan. Quand ils apprirent le sort fait èã 
leurs envoyés ù Méknès, les gens de Fès déclarèrent la 
guerre aux Oûdêya et leur fermèrent les portes de la ville. 
Aussitêt ceux-ci envoyêrent au Sultan un message pour 
lui faire savoir que les habitants de cette cité avaient secoué 
le joug de 'obéissance et s’étaient révoltés. Sur-le-champ 
des renforts furent envoyés : ils étaient armés de fers 
tranchants et acérés, la situation s’aggrava, le chasseur 
fut aux prises avec archer, et on dressa des canons, des 
mortiers et des catapultes pour faire le siège de Fès. Les 
hostilités durèrent jusqu’au moment où le Sultan expédia 
son frère Moûlay Elmostadi avec un groupe de chérifs de 
Méknès accompagnésdeschérîfs qu’ avaitincarcérés Mohanı- 
med ben ‘Ali ben Ichcho, afin d’arranger les choses et de 
rétablir la paix entre les Oûdêya et les habitants de Fès. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 163 


La paix fut conclue et les soldats du Sultan retournéêrent 
A Méknês, mais au bout d'un jour ou dêux elle fut violée, 
el les Oûdêya recommencèrent le siêge de la ville et y 
lancèrent des bombes et des boulels. La lutte reprit de 
plus belle, jusqu'au moment où, envoyé par le Sultan, le 
qûîd Aboû 'Amrûn Moûsa Eljerrûri vint tûacher de rétablir la 
paix et entra en pourparlers û cet effet avec les habitants 
de Fêès. Ceux-ci se soumirent et, après avoir pris en oltage 
des compagnons d' Aboû '‘Amrûn, envoyêrent avec lui une 
délégation de notables ‘oulamêû et chérîfs, qui devait aller 
trouver le Sultan et en finir avec cette alfaire. Mais quand 
ces envoyés arrivérent ù Méknès, on ne les laissa pas 
pénétrer auprês du Sultan, et ils durent revenir ù Fêès sans 
avoir accompli leur mission. 

La situation resta la même jusqu'au jour où les ‘Abids 
leur firent porter une lettre où ils leur demandaient s'ils 
approuveraient la déposition du sultan Moûlay Ahmed et 
la proclamation de son frère Moûlavy 'Abdelmûlék, gou- 
verneur du Soûs. Les gens de Fés acquiescèrent ù celte 
proposilion, et lraitéerent généreusement leurs émissaires, 
auxquels ils jurêérent fidélité. Les ‘Abîds retournêrent û 
Méknés salisfaits: des pourparlers eurent lieu aussilûl 
entre les qûîds de l'armée qui étaient dans la ville. Ils 
examinêrent les désordres auxquels s'était livrée la popula- 
tion, linsécurilté des routes et Uarrêl des affaires, et se 
rendirent compte qu'ils avaient fait une faute en favorisanl 
l'avénement de Moûlay Ahmed, qui faisait peu de faveurs 
et était ignorant des devoirs du khalîfa. Il fut alors dé- 
cîdé de le déposer et de le remplacer par un autre. 

Dés que lUaccord fut complet, ils envoyérent un grou pe 
de cavaliers û Moûlay ‘Abdelmûlêk, pour lui remettre une 
lettre oû ils Uengageaient û venir et informaient de leur 
décision. Ce prince répondit ù leur priêre, et se mit rapi- 
demênt erı route pour Méknês. Dêès qu'ils le surent arrivû 
ã Oued Béht, les ‘Abîds entrêrent auprès du sultan Mol- 


164 ARCHIVES MAROCAINES 


lay Ahmed, s’en emparèrent, le chassèrent de son palais, 
et Pinternèrent dans la maison qu'il habitait en dehors 
de la qaşba avant son avênement. Ceci se passait au mois 
de cha ‘ban 11/40. 


Rêgne du Prince des Croyants Moûlay Aboû Merouan ‘Abdelmalék 
ben Ismû il (Dieu lui fasse miséricorde!) 


Le lendemain du jour où le sultan Moûlay Ahmed (Dieu 
lui fasse miséricorde !) fut déposé et interné en dehors de 
la qaşhba, tout le guéich se réunit pour aller au-devant de 
Motlay Aboû Merouan ‘Abdelmalék ben Ismû'îl. La ren- 
contre eut lieu en dehors de Méknès, les honneurs impé- 
riaux lui furent rendus, et il enlra dans la capitale avec 
la ponmıpe royale et les attributs du Sultan, sous Tescorte 
des troupes. Les hauts fonctionnaires, les chefs, les 
qadis, les ‘oulamê et les chérifs du gouvernement vinrent 
ensuite prêter serment de fidélité. La béi'a fut envoyée 
dans toutes les provinces. Le lendemain, une députation 
de notables de Fès, composée de ‘oulamêa et de chérifs 
apportêrent leur serment. Ils furent introduits auprès du 
Sultan et le reconnurent. Toutes les villes et les cam- 
pagnes envoyêrent ensuite leurs délégués pour féliciter le 
souverain. Celui-ci donna audience û toutes ces députa- 
tions et les reçut avec toule Tamabilité nécessaire. Quand 
il eut terminé ces réceptions, il songea û la question de 
son frère Moûlay Ahmed qui avait été déposé, et ordonna 
qu'il fitconduit û Fêés, pour y être emprisonné, puis il se 
ravisa el envoya è Sijilmêsa. 

L’auteur @Elazhdr Ennadiya dit qu'en envoyant son 
frère Motlay Ahmed au Tèfilêlt, le sultan Moûlay Aboû 
Merouan écrivit au gouverneur de cette province de lui 


. Texle arabe, IV° partie, page i7. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 105 


crever les yeux dês son arrivée. Moûlay Ahmed fut pré- 
venu de cet ordre et s'enfuit û la zûouya du chétkh Aboû 
'Otsmaûn Sidi Sa 'îd Ahenşûl.Le modqaddem de cette zûouya, 
Sidi Yoûsef, qui était alors le fils de ce chéîikh el qui sa- 
vait prédire les événements, annonça ù Moûlay Ahmed 
qu'il rentrerail au pouvoir. Cette prophétie se réalisa. 

On avait ecru que le sultan Moûlay Aboû Merouûn resserm- 
blerait û son pêre, qu'il continuerait sa politique et qu'il 
saurait contenir le pays comme lui, mais cette espérance 
ful déçue et les efforts qui avaient été déployés restêerent 
inutiles. 

« Si le jeune chameau n'est pas accouplé avec un autre, 
il ne peut arriver ù posséder la force des grands cha- 
meaux. » 

Dieu empêcha sa main de donner : pas unı dirhem ne fut 
remis aux soldals et aux députations. Ce fut une des prin- 
cipales raisons de son impopularité et de la décomposition 
de son empire. Le corps des Bokharis lui ayant réclarmêé, 
selon usage, le don de joyeux avênement, il leur envoya 
A.000 milsqdls, tandis que, du temps de Moûlay Ismû'il, 
leur solde était de 100.000 milsqdls, et qu'en arrivant au 
pouvoir, Moûlay Ahmed l'avait augmentlée de 50.000 mils- 
qûls. Quand ils virent le don que leur envoyait le Sultan, 
ils ecommencêrent ù se repentir de ce qu'ils avaient fait, et 
com prirent qu'ils n'avaient rien gagné en meltant ce prince 
sur le trûne, [ls résolurent de le déposer, mais ils gardè- 
rent le secret, attendant qu'une occasion favorable se pré- 
sentûl. Prévenu de leurs projets, le Sultan prit ses précau- 
tions. Pensant que les tribus arabes pourraient tenir tête 
aux ‘Abids, il leur envoya des messages, où il leur faisait 
de belles promesses en éveillant leur convoilise, et les 
engagealt û rester unies, pour être en mesure de lui ser- 
vir un jour. Dun autre cûtéê, il écrivait aux Berbers pour les 
exciler contre les 'Abîds, et il excitait les ‘Abîds contre les 
Berbers, en leur disant notamment que jamais la situation 


` 1e ARCHIVES MAROCAINES 


ne s’aplanirait si ces Berbers n’étaient pas subjugués, I1I 
les occupail même par des préparatifs d'expédition. I1 écri- 
vit, d'autre part, aux gens de Fès de lui envoyer leurs ar- 
chers ã sa capitale pour marcher contre les Berbers, En- 
fin, il cherchait û créer un antagonisme entre les soldats 
et les Berbers. Mais les ‘Abîds se rendirent compte de ses 
desseins et, s’écartant de lui avec la rapidité d'un onagre, 
se mirent d'accord pour le déposer et pour remeltre au 
pouvoir son frère Moûlay Ahmed, qui était généreux et tou- 
jours prêt û donner. C'était la une erreur de leur part, car 
Moûlay Aboû Merouan (Dieu lui fasse miséricorde !) était 
plus digne du khalilat que Moûlay Ahmed : il était habile 
et énergique, et avait résolu de débarrasser la capitale et 
le gouvernement des menées des ‘Abîds et de les réduîre 
dans leurs fourrés comme des bêtes fauves, Mais il avait 
mal su s'y prendre, et les ‘Abiîds l'avaient devancê. 

Quand il connut, d'une façon certaine, le projet qu'avaient 
formé les ‘Abîds de le déposer, il dépêcha auprès d'eux le 
chétkh béni Moûlay Efayyêb ben Mohammed Elouaz= 
zûni pour les sermonner. Ce saint personnage leur adressa 
des exhortations, leur promit des récompenses s’ils renon- 
çaient ù leur entreprise, les invita û ne pas se révolter 
eontre le Sultan, en leur faisant craindre la colère de Dieu 
pour une pareille action. Mais ces objurgations ne firent 
qu’ augmenter leur hardiesse, car ils envoyêrent peu aprês 
une troupe de cavaliers û Sijilmûsa pour ramener Moûlay 
Ahmed. En attendant, ils montérent û cheval, quittêrent le 
Diîoudn et vinrent attaquer Méknès. Après avoir razzié les 
troupeaux, ils entrêrent dans la ville, et la mirent au pil- 
lage : ils ne respectèrent pas les choses les plüus sacrées, 
et firent périr tous les hauts personnages dont ils purent 
s'emparer, Ils entrêrent ensuite dans le palais impérial, 
pour ac. aN Moûlay Aboû Merouûn, mais ils ne 
l'y trouvêèrent Plus, car, dès qu'il avait appris ce qu’avaient 
fait les ‘Abîds dans la ville, il s'étaitenfui ù Fès, accom pa- 


DYNASTIE AT.AOUIE DU MAROC 107 


gné de quelques-uns de ses gens, et était allé se réfugier 
dans U'enceinte sacrée de Moûlay Idrîs (Dieu soit satisfait 
de lui !) Les gens de Fès, ù qui il demanda leur protection, 
lui promirent de lui rester fidèles. Quand les ‘Abîds surent 
dans quel endroit de Fês Moiilay Aboû Merouêûn se trou- 
vait, et connurent la promesse que les habitants de cette 
ville lui avaient faite, ils s'emparêrent des archers fêsis 
qui étaient venus û Méknêès pour prendre part û 'expédi- 
lion contre les Berbers, comme nous l'avons indiqué plus 
haut, et les arrêlêrent en attendant l'arrivée du sultan Moû- 
lay Ahmed de Sijilmûsa, qui déciderait de leur sort et de 
celui de son frère. Ceci se passait au mois de doûlheddja 
1110. 


Deuxiéme rêgne du Prince des Croyants Moûlay Aboûl ‘abbûs 
Ahmed Eddehebi (Dieu lui fasse miséricorde!)' 


Informé a Sijilmûsa par les ‘Abîds de la décision qu'ils 
avaient prise de déposséder son frère du pouvoir pour le 
lui rendre, Moûlay Ahmed ben Ismû'îl se hûta de partir 
pour Méknêés, où il arriva û la date précitée. Les grands de 
Empire, qûtds, qûdis et secrétaires le proclamêèrent pour 
la seconde fois et envoyèrent la béi'a dans toutes les pro- 
vinces. 

Dêès qu'il eut pris possession du palais impérial, il distri- 
bua de l'argent et des vêltements aux soldats, aux '‘oulamêû 
et aux chérîfs : il fut très généreux, car il se souvenait de 
ce qui avait provoqué la vengeance des ‘Abîds contre son 
frère. Cependant, la politique de son frêére eût été plus 
proche de la véritê, s'il avait su se maintenir dans un juste 
milieu, et s'il avait dirigé ses affaires en homme éner- 
gique. Mais ce que Dieu veut est, et cê qu'il ne veut pas 
n'est pas ! 


1. Texte arabe, IV* parlie, page 58. 


168 ARCHIVES MAROCAINES 


Siege de Fês par le Prince des Croyants, Moûlay Ahmed; 
ses causes’. 


Aussitût après avoir été proclamé pour la seconde fois, 
Moûlay Ahmed reçut les délégations des tribus et des 
villes, auxquelles il fit un accueil généreux. Seule, la 
ville de Fès ne lui envoya aucun délégué. Comme, ù son 
arrivée (dle Sijilmasa, dès qu'il avait eu connaissance du lieu 
«le refuge de son frère et de Pendrait où étaient retenus û 
Mêéknès les archers de Fès, il avait ordonné d’emprisonner 
ces derniers et duser de rigueur a leur égard, les gens 
de Fès s'’attendaient ۾‎ être maltraités par ce prince et 
avaient évité de se rendre auprès de lui. De plus, sentant 
peser sur eux le crime qu'ils avaient comınis en mettant èù 
mort Boû ‘Ali Erroûsi dont ils avaient pillé la maison et 
les biens, en nême temps qu'ils s' étaient emparés de Par- 
gent du Makhzen qui était entre ses mains, ils redoutaient 
la colère de Moûlay Ahmed, qui, trop occupé de ses pro- 
pres aflaires au début de son rêgne, avait dû les laisser de 
cêtê. .\ussi, lorsque le pouvoir lui fit retour, ils se méfiè- 
rent de lui et ne voulurent pas lui obéir. Ils allèrent, au 
contraire, auprès de Moûlay 'Abdelmalék, ãù qui ils prêtè- 
rent de nouveau serment, et annoncèrent qu'il avait été 
proclamé souverain et qu'il fallait se soumettre a ses 
ordres. 

Mais bientût ils reçurent une lettre du sultan Motlay 
Ahmed qui les invitait èڍ‎ lui livrer son frère. ou ã autori- 
ser è aller le comhattre. Se déêclarant en rébellion., ils fer- 
mêrent les portes de la ville et se préparèrent ã subir le 
siège. Le Sultan leur envoya alors le qaîd Ellirini. chef 
des archers emprisonnés ã Meêknès. avec ordre de leur 
proposer de se soumettre, en #êchange de quoi il donne- 


1. Texle arabe, IV ° partie, page 58. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 109 


rait la liberté ù leurs frères prisonniers. Celui-ci avait û 
peine terminé la lecture de la lettre du Sultan qu'il 
avait été chargé de leur apporter, qu'ils se précipitèrent 
sur lui, et, aprês avoir tué, trainèrent son corps par un 
pied, et le suspendirent au mûrier du quarlier d'Eşşeffa- 
rin. Elkhayyût ‘Adéyil fut également tué sur le seuil de 
sa maison. 

Le chérîf Aboû Mohammed ‘Abdallah ben Drîis Elidrisi 
parlilt aussitût û la tête de cavaliers et d'archers pour 
Zoudûgğa : lû, il fondit û Uimproviste sur les troupeaux des 
Oûdêya et enleva un grand nombre de beufs et de mou- 
tons qu'il ramena û Fêès. On vendil ces animaux û vil prix 
el on fit le partage : on dit qu'une vache se vendit 6 mou” 
zoûnas, el une brebis | mouzodna. La guerre se lrouvail 
déclarée entre la ville de Fès et les Oûdêya. 

Le 1° moharrem 11/41, le sultan Moûlay Ahmed quitta 
Méknês û la tête des troupes ‘Abid et Oûdêya de sa capi- 
tale et vint camper le lendemain sous les murs de Fès. Des 
canons, des mortiers et des machines de guerre furent 
braqués contre la ville, et les soldats, envahissant les jar- 
dins, pillêrent les fruits et ravagêrent les plantations. Le 
Sultan ordonna aux artilleurs de lancer sans interruption, 
nuit et jour, contre la ville des boulels, des hombes et des 
blocs de pierre. Le tir commença et bientût il causa des 
dégûls considérables et démolit une grande partie des 
maisons. Le siêge dura cinq mois, pendanl lesquels nombre 
de combattanls périrent, les uns dans le combat, et les 
autres sous les décombres et les pierres. 

Au bout de ce temps, la situation était critique : les ha- 
bilfants, incapables de résister plus longtemps et voyant 
les vivres diminuer et hors de prix, reconnurent Mollay 
Ahmed, qui fit la paix û condition qu'ils lui livreraient son 
frére Moûlay 'Abdelmûlék et qu'ils le lui remettraient 
sous le couverl de lamdûn. Le Sultan envoya donc deman- 
der û celui-ci de choisir entre Uexil û Sijilmasa et le séjour 


170 ARCHIVES MAROCAINES 


dans le sanctuaire I[drîsi: il préféra le séjour dans le 
horm. Le Sultan ordonna alors aux habitants de Fès de 
ne plus avoir de rapports ni de communications avec son 
frère, et de ne rien vendre ni acheter ù ses serviteurs : 
quiconque enfreindrait ces prescriptions serait puni. 
Voyant avec quelle rigueur son frère le traitait, Moûlay 
‘Abdelmalék manda aussitêt son fils auprès des ‘Abids 
pour les prier de lui garantir la vie sauve et leur promettre 
de les suivre partout où ils voudraient. 

Le bacha Salem Eddoûkkali se rendit alors auprès de 
lui avec cinquante qaids, et tous lui jurèrent dans le sanc- 
tuaire Idrîsi qu’ aucun mal ne lui serait fait. Ils sortirent 
du horm avec lui et l'amenèrent devant son frère qui or- 
donna de le conduire enchaîné ù Méknès. Dès qu'il arriva 
dans cette ville, il fut emprisonné dans la maison du bû- 
cha Msahél. 

Le sultan Moûlay Ahmed quitta Fès pour rentrer a Mék- 
nêès et tomba malade ù peine arrivé. Quand il sentit venir 
la mort, il donna ordre d’étrangler son frère ‘Abdelmê- 
lék: Pexécution eut lieu dans la nuit du lundi au mardi 
41°" cha ‘ban. Le samedi suivant, Š cha bn, le Sultan expi- 
rait, trois jours après son frère. Dieu leur fasse miséri- 
corde ! ٠ 

Le récit que nous venons de faire est celui que Fon 
trouve dans le Boustdn : il a été reproduit fidèlement par 
Abot ‘Abdallah Akensoûs. 

J’ai trouvé la note suivante écrite de la main de mon 
grand-père paternel, le fqth, le professeur Aboû ‘Abdallah 
Mohammed ben Qûasém Elidrisi Elyahyaoui Eljébbêari, 
connu sous le nom de Ben Zerroûq, qui vivait è cette 
époque-la : « Moûlay Ahmed ben Ismail, surnommé 
Eddehebi, fut proclamé le jour de la mort de son père 
(Dieu lui fasse miséricorde !) Il se produisit ù cette époque 
dans le Magrib, et notamment ù Elqşar et dans les envi- 
rons, entre les tribus et les agents du Makhzen, de graves 


DYNASTIE ALAOUTE DU MAROC 171 


désordres au cours desquels nombre de gens trouvêrent 
la mort. Ce Prince fut déposé après un an et six mois de 
rêégne, et remplacé, le dernier jour de rejeb 11/1, par son 
frère, qui se trouvait alors û Tûroûdûnt, dans T'extrême- 
Soûs. Celui-ci arriva au palais impérial de Méknès dans 
la nuit du 27 ramadûn. Son frère Moûilay Ahmed Elmekhlod 
se révolta contre lui le 10 moharrem 11/32 et lui enleva de 
force le palais impérial, une forte sédiltion éclata dans la 
ville de Méknês : un grand nombre d'hommes tombèrent 
dans le combat, et plusieurs furent même tués aprés la 
lutte. Moûilay ‘Abdelmûlék s’enfuit û Fès, il fut suivi par 
Moûlay Ahmed qui vint l'y assiégêéer pendant près de quatre 
mois, et dut se rendre û lui sous le couvert de Tamdn. Il 
fut mis en prison û Méknès, et fut étranglé dans les der- 
niers jours de rejeb. » Lû finit cette note. Dieu sait quelle 
est la vériléê. 

Mofilay Ahmed (Dieu lui fasse miséricorde !) ressem blait 
beaucoup, dit-on, û Elamîn, fils d@Errechîd El'abbûsi, par 
sa mise, par sa frivolité et son amour du plaisir, son 
manque de droiture et de sérieux, qui furent la cause des 
troubles et de l'anarchie qui se produisirent. Ses contem-= 
porains affirment qu'arant d'arriver au pouvoir il n'avait 
jamais assisté ù un combat, et qu'il était pourtant coura- 
geux, Les choses allêrent avec lui comme nous l'avons 
dit : Dieu seul ordonne avant et après. 


Rêégne du Prince des Croyants Moûlay ‘Abdallah ben Ismê ‘il 
(Dieu lui fasse misériccorde !) ' 


Moûlay ‘Abdallah ben Ismû'îl, qui avait pour mère la 
noble dame Khenûtsa, fille du chéikh Bekkar Elmgafri, 


s'était joint, pendant le rêgne de son père, û son autre frère 


1. Texle arabe, IV" parlie, page 59. 


172 ARCHIVES MAROCAINES 


Moûlay ‘Abdelmêalék et était demeuré avec lui dans le Soûs. 
Quand celui-ci fut proclamé è la place de Moûlay Ahmed 
qui venait d'être déposé, il vint avec lui ù Méknès et ne 
le quitta pas. Lors de la révolte des ‘Abids contre Moûlay 
‘Abdelmalék, quand celui-ci alla se réfugier dans le sanc- 
tuaire de Moûlay Idris, Moûlay ‘Abdallah partit pour Sijil- 
mûsa et y vécut dans sa maison jusqu’a la mort de Moûlay 
Ahmed, a la date que nous avons indiquée. 

Les grands de Empire, ‘Abid et Oûdêya, tous les qûids 
et les chefs, se réunirent alors et tombèrent d’accord pour 
prêter serment de fidélité a Moûlay ‘Abdallah ben Ismê ‘il 
qui était ù cette époque a Sijilmasa. Après avoir proclamé 
son nomı, et annoncé son avênement a Elmhalla et ù Mék- 
nês, ils envoyêèrent une troupe de cavaliers pour le rame- 
ner. Ils écrivirent en même temps aux gens de Fès, en 
leur exprimant leurs regrets au sujet de ceux de leurs 
concitoyens qui avaient péri pendant le siège et en les 
invitant û adhérer û la b¢i'a de Moûlay ‘Abdallah ben: 
Ismail. Dès que leur lettre arriva ڍ‎ Fès, elle fut lue dans 
la chaire de la mosquée d’ Elqarouiyîn, et la proposition 
qu'elle contenait fut agréée par la population. 

Pendant ce temps, les cavaliers arrivaient auprès de 
Moilay ‘.\bdallah et lui faisaient part de accord qui s’ était 
établi û son sujet dans la population. Le prince se mit 
rapidement en marche et descendit a U'extérieur de Fès 
a Tendroit appelé Elmehrês. Les ‘oulamd, les chérifs et 
les autres notables de la ville se portèrent ù sa rencontre 
et vinrent le saluer. Ils témoignêèrent de la joie de le voir 
arriver, et le Sultan lui-même leur fit un accueil aimable, 
leur adressa des paroles aflables, leur promit sa bien- 
veillance, et leur annonça que le lendemain il entrerait 
dans leur ville pour visiter Motûlay Idris Dieu soit satis- 
fait de lui !'. Ils le quittèrent ravis et satisfaits, et le 
lendemain, parés de leurs plus beaux vêtements et de 
leurs armes, et précédës de leurs bannières, ils se trou- 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 173 


vêrent au rendez-vous fixé par le Sultan. Moûlay ‘Abdal- 
lh monta aussitût û cheval, entouré de sa cour et des 
gens de sa suite, parmi lesquels se trouvait Ilamdotn 
Erroûsi, ennemi des habitants de Fés. Il fit son entrée 
dans la ville par Bûb Elfetoûh. 

Lorsque le Sultan fut au milieu de Fès Elbûli, certains 
courtiers de révolte, les fils de Ben Yoûsef, reconnurenl 
Hamdoûn Erroûsi, qui avait tué leur pêre, et se dirigêrent 
vers lui. Celui-ci, qui les avait remarqués, s'était d'abord 
êéloigné d'eux, mais quand il se vit suivi par eux, il com- 
prit leur dessein, et, mettant son cheval au galop, il arriva 
auprês du Sultan, lui fit part de attitude des fils de Ben 
Yolisef, elt en profita pour médire de toute la population 
de Fês. Le Sultan qui se trouvait déjû au pont (Erreşîf 
chan gea de décision, et retournant par le chemin de Jûma' 
'Elhoût et par Gzû Ben 'Ãmer, sortit de la ville par Bal 
Elladid, se dirigeant sur Fês Eljedid, sans avoir accompli 
sa visite û Moûlay Idris. Personne ne savait alors le motif 
de cette détermination, mais bientût on le connut partout. 
Les ‘oulamû de Fêès et les chérifs se rendirent auprès du 
Sultan et lui apportêrent leur serment de fidélité. Un des 
fqths qui étaient lû lui présenta des excuses en lui disant 
que ce qui s'était passé au sujel de Hamdoûn n'était le 
fail que de quelques mauvais sujets. Le Sultan feignil de 
né rien entendre et fit la sourde oreille. 

La bêt'a que les délégués de Fès avaient apportée au 
Sultan avait été rédigée par le fqih, le savant distingué 
Aboûl'oulûa Drîis ben Elmehdi Elmechechat Elmouêfi (cet 
ethnique indique la descendance de ‘Abd Manûf ben Qaşi) 
qui avait été désigné autrefois par Moûlay Ismû'îl pour 
se rendre û Tûdla avec son fils Moûlay Ahmed lorsqu’ 1 
confia û ce dernier le gouvernement de cette province, 
comıne nous lavons vu. Voici le texte de ce docu” 
ment. 

« Louange û Dieu qui a établi la justice comme soutien 


14 ARCHIVES MAROCAINES 


de empire, des sujets et des créatures, et Dinjustice= 
comme germe de mort pour la culture, les animaux e 
tout le pays, qui dirige le juste de sa sollicitude et réserve=s 
au tyran son chûatiment pour le jour du jugement, qum 
placera les justes dans les chaires lumineuses au jour d= 
la résurrection et jettera les oppresseurs dans les tour— 
ments, les tristesses et les peines! Le plus bienheureux_ 
parmi les rois au jour du jugement dernier sera celui qui 
aura suivi le droit chemin envers ses sujets, et qui aura 
réparé les dégdts causés sur la terre par le tyran. 

« Nous lui rendons graces d’avoir daigné nous donner 
un chef juste ; nous le remercions de nous faire adminis- 
trer par un prince qui devant le bon droit ne prêtera pas 
Poreille aux propos des calomniateurs, puisqu’il a choisi 
pour nous gouverner un khalife de la descendance de notre 
intercesseur au jour du jugement dernier. 

« Nous attestons qu'il n'y a pas d’autre Dieu que Dieu 
seul, qu’il n’a pas d’associé, qu'il ne doit pas compte de 
ses actes, qu’il donne le pouvoir et le retire a qui bon lui 
semble, au moment qui lui plait. 

« Nous attestons que notre Seigneur, notre Prophète et 
notre Maitre Mohammed est son esclave et son Envoyé, 
qu'il sera Iintercesseur cde tout son peuple, le jour où 
aucune excuse ne pourra servir aux méchants, et où on 
n'acceptera plus des tyrans une rançon en biens récents 
ou anciens. Que Dieu prie sur lui et sur les membres de 
sa famille qui ont apporté la Loi sainte et effacé injustice 
d'un trait de plume ! 

« Ensuite : 

« Nous commençons par louer Dieu qui a prescrit 
Pobéissance au Souverain et a promis le triomphe avec 
son appui èû celui qui soutient la religion. En effet, le Pro- 
phêète sur lui soit le salut !) a dit: « Celui qui mourra 
sans porter ù son cou la béi'a mourra comme on mourait 
au temps de erreur. » Dans le Şafth de Moslim, on rap 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 17 


porte que le Prophêète (Dieu prie sur lui et lui donne le 
salut $) a dit: « Si quelqu'un veut diviser ce peuple, qui 
forme un tout complet, faites tomber sa tête d'un coup 
d'épêe. » Dans le Şa/th de Moslim, on rapportle aussi que 
le Prophêète (Dieu prie sur lui et lui donne le salut !) a dit : 
« Si quelqu'un vient auprès de vous au moment ol vous 
êtes tous d'accord sur un seul homme, et veut répandre 
la division parmi vous, tuez-le. » Dans le Şa/fîh d'Elbo- 
khûri, on rapporte que Ibn '‘Abbûs (Dieu soit salisfait de 
lui !) a dit: « L'Envoyé de Dieu (Dieu prie sur lui et lui 
donne le salut !) a dit : « Celui qui aura ã souffrir en quelque 
chose de la part de son prince devra patienter, car celui 
qui s'écarlera d'un seul empan du Sultan mourra comme 
on mourait au lemps de l'erreur. » Dans le même recueil, 
on rapporte que Aboû Horéira (Dieu soit salisfait de lui !) 
a dit: « L'Envoyé de Dieu (Dieu prie sur lui et lui donne 
le salut !) a dit: « Quiconque m’obéira obéira û Dieu ; qui- 
conque me désobéira désobéira û Dieu. Quiconque obéira 
û mon souverain, m'obéira ; quiconque désobéira û mon 
souverain, me désobéira. » Le Prince des Croyants, ‘Omar 
ben Elkhattab (Dieu soit satisfait de lui!) a dit û Ibn 
'Oqba : « Tu ne me reverras peut-être plus ù partir de ce 
jour : je te recommande de craindre Dieu et d'obéir au 
Prince, fût-il même un noir abyssin. » Les Pêres de la 
religion s’accordent û dire que la constitution d'un chef 
est obligatoire pour tous les musulmans, et que Uobser- 
vation de cette obligation est un de leurs devoirs, ainsi 
que le prouvent les textes des fAadils et des versets. Le 
poêéte a dit : 

« A quoi sert un peuple d'égaux qui n'a pas de chef : 
Il n'y a pas de chef si ce sont les sots qui sont les 
maitres, » 

« Dieu ayanl ordonné 'exécultion de sa volonté et de ses 
décrets en rappelant û lui son khalifa et en 'envoyant dans 
la tombe, les musulmans ont été effrayés et ont redouté la 


176 ARCHIVES MAROCAINES 


continuation des guerres et des révoltes. Ils se sont adres- 
sés ã lui (qu'il soit glorifié !) pour qu'il fasse rentrer les 
épées dans leurs fourreaux, et ont prié d’avoir la bien- 
veillance d’écarter d'eux toutes sortes de persécutions et 
de tourments. Le généreux a accédé a leurs prières : il a 
dissipé le chagrin et la tristesse ; il a étendu sa miséri- 
corde et oublié ses ressentiments ; les cceurs qui étaient 
dans Uadversité ont retrouvé le bonheur ; les visages qui 
étaient attristés sont devenus souriants ; les guerres et les 
révoltes se sont enfuies ; les signes de la paix et de la tran- 
quillité sont apparus. Dieu a dirigé vers les bonnes 
@uvres les cohortes musulmanes et leur a inspiré une 
détermination utile aux intérêts des affaires humaines, de 
la religion, du pasteur et de ses brebis, leur avis bien 
dirigé, leur jugement guidé et droit, a décidé de prêter 
serment a celui qui s’est élevé dans le séjour de la félicité 
dont la pleine lune s'est levée et est montée dans le firma- 
ment de la gloire, û Imam magnanime, issu de ‘Ali, issu 
de Hûchem, qui est la justice même dans les jugements, 
qui se distingue par sa générosıité, sa bravoure, son éner- 
gie, sa fermeté, sa vigueur et son audace, qui s’ humilie 
devant Dieu, et qui s'en remetèa Dieu de toutes ses affaires, 
au Prince (des Croyants, notre Maitre ‘Abdallah, fils du 
chérîif glorieux, illustre et noble, du Prince des Croyants 
notre Maitre Ismû' il, fils de notre Maitre Echchérif. Elles 
lui ont prêté serment (Dieu le glorifie !) conformément au 
Livre de Dieu’ et è la loi de son Prophète, et dans une pen- 
sée de justice qui est leur plus cher désir : leurs ceurs et 
leurs bouches se sont engagés û respecter ce serment vers 
lequel têtes et pieds se sont hûalés avec humilité et sou- 
mission. Les musulmans ne cesseront pas de lui obéir, 
et ne s’écarteront pas du chemin de la communauté. Ils 
ont pris ù témoin contre eux le monde invisible qui sait 
tout ce qui est caché, en disant: « Nous t'avons proclamêé : 
nous tavons pris pour chef, afin que tu nous gouvernes 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 177 


avec justice, bienveillance, fidélité û tes engagements et 
sincérité et alin que tu tranches nos différends conforméê- 
ment û la vérité, ainsi que l'a dit le Très-Haut au Prophéte 
û qui il inspirait la révélalion: « O David, nous Uavons 
nommé notre lieutenant sur la terre : rends la justice aux 
hommes conformément û la vérité. » Dieu a dit encore elt 
sa parole est une parole de vérité : « Celui qui observera 
la promesse qu'il aura faite envers Dieu, je lui réserverai 
une immense récompense. » Le Tréês-Hault a dit aussi : 
« Ne souliéens pas les traitres. » 

« Ces sujets demandent û leur Maitre de soutenir et 
d’aider leur souverain, de jeter la frayeur dans le ceur 
de ceux qui voudraient lui résister, de lui facililer ce qui 
n'a pu être réalisé par un autre, et de lui donner 'appui 
de son puissant secours. Il peut ce qu'il veut elt sait exau- 
cer les priéres ; il tient entre ses mains la force et le pour 
voir. (uel excellent maitre ! quel excellent aide ! 

« Témoilgnage est donné de ce qui précêde en son 
propre nom el au nom de ses compagnons par esclave 
humble, criminel et méprisable, qui la dicte et écrit, Dris 
ben Elmehdi Elmechchût, en présence d'un tel et d'un 

"tel (Suivent les noms des fqîlıs et des notables) le lundi 
7 ramadan de année 11/1. » 

Le Sultan partit de suite pour Méknêès, comme nous 

allons le rapporter. 


Inimitié entre le Prince des Croyants Moûlay ‘Abdallah 
et les gens de Fêés; ses motifs 1. 


Nous venons de rapporter que Hamdoûn Erroûsi avait 
indisposé le sultan Moûlay 'Abdallah contre les gens de 
Fés et qu un des fqîhs avait présenté des excuses ù cel 


1. Texte arabe, IV" parlie, p. û1. 
ARCH. MAROC. 12 


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égard au Sultan. A la suite de cela. celui-ci leur avait 
ordonné de lui envoyer un contingent d' hommes quli 
devraient Taccompagner suivant usage. Ils lui fournirent 
les 500 hommes qui prenaient part aux expéditions avec 
les souverains ses prédécesseurs ;: cette troupe partit avec 
lui pour Méknés. 

(Quand le Sultan fut installé dans sa capitale, il reçut les 
notables du Dioudn. les gouverneurs des tribus et les 
députations des villes et des campagnes, et distribua de 
Pargen!' ù tout le monde, excepté aux gens de Féès qu'il 
exclut entièrement de ses libéralités. A la fête de la rup- 
ture du jeûne, les délégations des villes vinrent assister 
comme de coutume aux cérémonies avec le Sultan. Les 
envoyés de Fés vinrent aussi et accompagnéêrent le Sul- 
tan au Msallû pour la prière de la fête. Au retour de la 
priéere, les gens apporltêrent leurs cadeaux au Sultan. et 
parmi eux élaienl les gens de Fés, comme d'habitude. Des 
présents furent distribués : les délégués de Fès ne reçu- 
rent encore rien cetle fois. 

Je suis persuadé qu'un diable û forme humaine avait 
pris possession de ce Sultan et Texcitait contre les gens 
de Fés pour faire naitre Tinimitié entre eux et lui, sinon, 
comment expliquer qu un grand roi ait ainsi de propos 
délibéré cherché a Irriter contre lui des sujets qui 
forment Uélite, le noyau el le centre de la population, et û 
semer la haine dans leurs cwurs ? En supposant nême 
qu'ils alent manqué aux convenances û son égard. est-ce 
qu'on ne ne doit pas autant que possible ne pas faire atten- 
tion û pareille chose, un Sultan plus que tout autre. Les 
moundftqg moleslalent û tout moment le Prophete de Dieu 
(Dieu prie sur lui et lui donne le salut !j el ses com pagnons, 
mais il était indulgent envers eux. « Ne les tuerons-nous 
pas? » lui dit un de ses compagnons. « Comment ? Lon 
pourrait dire que Mohammed tue ses compagnons ? » 
répondit le Prophéete. II y a une ancienne maxime qui dit : 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 179 


la cêcitê feinte écarte bien des maux. Un poête a dit aussi : 
Nul riche n'est prince sur ses com patriotes ; le vérilable 
maitre dans son pays est celui qui feint imbécillilê. » 

Le lendemain, le Sultan fit venir les gens de Fês du 
Mechauar. I1 Sortit pour les recevoir, et quand ils se 
furenl levés û son arrivée et lui eurent fait les saluls 
d'usage, il leur dit +: « O gens de Fêès, écrivez û vos frêres 
de me livrer les bastions el les qaşbas de votre ville qui 
apparliennent au Makhzen et rentrent sous son adminis- 
tration ; s'ils s'y refusent, j'irai moi-même ruiner leur 
misérable bourgade. » Les gens de Fés se déclarérent 
prêts û obéir et renlrêrent dans leurs campements. Le 
soir même, ils partirent, marchêèrent toute la nuit, el le 
lendemain ils étaient aux portes de Fés. Ils s'entretinrent 
aussitêûl avec leurs concitoyens et leur firent part des dis- 
cours du Sultan et des projets qu'il avait arrêtés contre eux. 
Dans une réunion qu'ils tinrent, les notables exarninérent 
l'attitude de la population et celle du Sultan, puis ayant 
fait apporter une copie de la béi‘a, ils déclarêrent, aprês 
avoir revu ses clauses, qu'ils n'avaient pas juré fidélité 
au Sultan pour qu'il les traitat de cette façon et procla- 
mêrent sa déposition. Les décrets appartiennent û Dieu 


seul ! 
Siége de Fêès par Moûlay ‘“Abdallêh '. 


Aprêés avoir proclamé la destitution du sultan Moûlay 
"Abdallah, les gens de Fès, décidés ã lui résister énergi- 
quement, §e préparêrent û subir le siêge. lls commencê- 
rent par fairé annoncer dans la ville que les étrangers qui 
voulaient s'en retourner dans leur pays, ou se mettre en 
lieu sûr, avaient trois jours pour le faire, puis fermêérent 
les pores, prêlts û combattre. 


1. Texle arabe, IV* parlie, p. 62. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 181 


le Sultan le destitua et le remplaçca par un des fils de [lam- 
doûn Erroûsi, appelé Elbûdési. Peu de temps aprés, ce- 
lui-ci fut révoqué et ‘Abdennébi ben ‘Abdallêh Erroûsi fut 
nomıné û sa place, puis destitué avant le départ du Sullan 
pour Méknês. Le Sultan quitta Fés le 20 rabî’ |", en y lais- 
sant comme gouverneur Hanıdoûn Erroûsi, ennemi juré 
de la populalion. 

Cette année-lû, il envoya au IHedjûz, pour y accomplir le 
pêlerinage, son [ils Moilay Mohammed, qui était encore 
impiübêre, él sa mêre, la séyyida Khenûtsa. L' auteur du 
Nachr Elmalsûni place ce pêlerinage en l'année 11/3. Il 
ajoute : « La séygida Khenûtsa Elmgafriya, fille du chéikh 
Bekkûr, et mêre du sultan Moûlay ‘Abdallah, supplia son 
fils de la laisser partir pour Orient alin d'y accom plir le 
pélerinage û la maison sacrée de Dieu. Celui-ci accéda ù 
cetle demande, et lui prépara lout ce dont elle pouvait 
avoir besoin. Il fit parlir avec elle son fils Sidi Mohammed 
ben ‘Abdallah, par lequel Dieu a aflermi les affaires de ce 
monde et de autre. Il fit le pêlerinage avec elle en lan” 
née 11/3. » 


Expédition du sultan Moûlay ‘Abdallêh contre les Berbers, 
et leur défaite''. 


Rentrêé û Méknêès, Moûlay ‘Abdallah se préoccupa de la 
situation des Berbers et constata qu'ils étaient revenus û 
leurs anciens errements : ils possédaienl des chevaux et 
des armes et se livraient au brigandage sur les routes. Il 
ordonna alors aux '‘Abîds de se préparer ù entrer en cam- 
pagne, alin de pacilier le pays et de meltre fin ù leurs 
crimês,. Puis il parlit pour le Tûdla, dans le but de réduire 
les Aît Zemmolr. Cette tribu était venue s'établir dans 


1. Texte arabe, IV* parlie, p. 62. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 183 


Fès Eljedîd. Pendant ce temps, le Sultan éerivit qu'il par- 
donnait aux gens de Fès et qu'il ne leur reprochait plus 
rien ; ce que voyant, Elamdoûn Errolsi, inquiet du sort 
qui l'attendait, s'enfuit au Zerhoün. 

Au retour de son expédition dans le Tûdla, le Sultan 
demeura peu de temps ù Méknêès, puis dirigea une autre 
campagne dans le Soûs. Il pacifia celle région et revint û 
Méknês vıctorleux., 

La même année, il lit construire û Méknêès la porte appe- 
lée Bûb Manşotür El'eulj, remarquable par ses grandes 
proportions el sa beauté, et termina dans les meilleures 
conditions le mur de la çaşba. Dieu sait quelle est la vérilê ! 


Le sultan Moûlay ‘Abdallãh fait démolir Medîinat Erriyad 
a Mèknês ^. 


Medinat Erriyûd (la ville des jardins) était la parure et 
la beauté de Méknêès. C'était lû que se lrouvaient les cons- 
tructions élevées par les grands de Umpire du Prince 
des Croyants, Moûlay Ismê îl (Dieu lui fasse miséricorde !) 
Elle renfermait les maisons des gouıverneurs, des qûids, 
des secrêlaires et de tous les hauts fonctionnaires de la 
Cour isna îlienne : bref, quiconque possédait un em ploi 
au service du Sullan y avail fait élever son habilation. Les 
grands el les hauts personnages avaient û envi construit 
de belles demeures, de beaux palais et avaient réussi. La 
naison de ‘Ali ben Ichcho, par exemple, contenail vingt- 
quatre enceintes commandées par une seule porte. Celle 
du qûîd ‘Abdallah Erroûsi et de ses enfants était aussi 
considérable, peul-êlre même plus vaste et plus élégante, 
el formait û elle seule un vérilable quartier. Les autres 
qûãîds avaient des demeures du même genre, ou û peu 


1. Texle arabe, IV“ parlie, p. 03. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 185 


vernemêent. Deux cents hommes de la tribu de Hajaoua 
furent tués û cause d'une réclamation pour un vol û main 
armée qui s'était produit sur leur territoire. (Juand, leur 
exécution ordonnée, ces gens furent conduits û Uendroit 
ol ils devaient être mis û mort, des curieux el des badauds 
de la ville étaient allêés voir ce spectacle û Bab Elbetioui. 
Le Sultan sorlit inopinément par celte porte et, voyant 
cet altroupement, se dirligea de son cûté. Lffrayés, ces 
gens s'enfuirent vers une caverne proche de lû et s'y ca- 
chêrent. Le Sultan les suivit jusqu'a la porte de la caverne 
prês de laquelle se trouvaient des pierres qui avaient été 
placées lû pour y faire des constructions. Il ordonna aus- 
silûl aux msakhriîn qui 'accompagnaient de déposer leurs 
armes, el de boucher entrée de la caverne avec les 
pierres el de la terre. Cet ordre fut aussitût exécuté, et 
les nombreuses personnes qui étaient lû moururent étouf- 
fées : on n'a jamais su ce qu elles élaient devenues et on 
n'a jamais connu leur nombre. En apprenant ces actes 
ignobles (Dieu les lui pardonne !) les 'Abîds du Diouûn de 
Mechra’' Erremla écrivirent au Sultan pour lui faire part 
de Vhorreur que leur inspirait le meurtre immérité de ces 
musulmans : Molûlay ‘Abdallah leur répondit en leur en- 
voyant leur solde êt en leur donnant ordre de se préparer 
û partir en expédition contre les habitants du Fezzûz, alin 
de détourner leur attention. 

Cette année-la, le Sultan envoya û Fêés Mohammed ben 
‘Ali ben Ichcho Ezzemmoûri Elqebli comme gouverneur, 
en lui faisant la recommandation suivante : « Prends l'ar- 
gent de ces gens-la et jette-le dans Oued Boû Lkherê- 
réb ; ne leur laisse rien : ce n'est que argent qui les a 
rendus tellement orgueilleux qu'ils ont méprisé le pou- 
voir. » Mohammed ben 'Ali s’installa, û son arrivée, û Fês, 
dans la maison de Boû ‘Ali Erroûsi û Elma' ûdi. Il désigna 
par chaque quartier des espions connaissant bien les gens 
aisés, avec mission de les lui amener. Quand ils furent 


186 ARCHIVES MAROCAINES 


tous réunis chez lui, il les fit mettre en prison. Ensuite, 
il imposa û la population abord 500.000 mitsqdls : chaque 
négociant ou propriétaire devait contribuer au paiement 
de ce chillre par des sommes variant entre 1.000 û 10.000 
milsqdls. ((uand il se mit ù percevoir cette imposition, 
ceux qui monltréerent peu d'empressement ù payer furent 
batonnés et mis en prison : quant ù ceux qui s'enfuirent, il 
emprisonna soit leur fils, solt leur femme, soit leur frère ; 
il arriva ainsi û se faire verser la somme tout entière. Ce 
fut ensuite le tour des artisans, des ouvriers d’ industries 
et des propriétaires de terrains en dehors de la ville, en- 
tre autres cles laboureurs : ceux-ci durent payer une forte 
somıme pour laquelle la part contribulive de chacun variait 
de 100 û 1.000 mitsqdls. De cette façon, il n'y eut personne 
dans la ville qui n'etût été taxé. Il se produisit alors un grand 
exode des habitants vers les campagnes, les bourgades et 
les montagnes : des gens allèrent même jusqu’ au Soudan, 
û Tunis, en Egypte et en Syrie. Il ne resta plus û Fès que 
les femmes, les enfants et les misérables. Ceux qui avaient 
été emprisonnêés s’enfuyailent eux-mêmes, des qu'ils avaient 
recouyré la liberté, sans s'occuper de leur famille et de 
leurs enfants. Mohammed ben ‘Ali se livra û ces actes 
pendant treize mois: au fur et û mesure qu'il recevait de 
Uargent, il Uenvoyait au Sultan, û Méknéês. Ces affaires se 
passéêrent entre [année 1143 ou 1144 et année 1145. 


Le sultan Moülay ‘Abdallah envoie le « guéich » des ‘Abids contre 
les gens de Fezzûêz qui le mettent en déroute'. 
En L146, le Sultan réunit un corps de troupe composé 


de 15.000 hommes du guétich des ‘Abids commandés par le 
bêãcha Qûsém ben Réêîisoûn, auquel Il adjoignit 3.000 hom- 


1. Texle arabe. [1V ° partie, p. 64. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 187 


mes du guéich Eloûdêya, sous les ordres du qûid 'Abdel- 
maûlék ben Boû Chefra, et envoya dans les montagnes 
des Ait Ou ‘Mãlou. (Juand cette armée eut franchi Oued 
Oumm errabi' au pont d@Elbroûj et qu'elle se fût installée 
dans la plaine dAdékhsûn, les Berbers firent sem blant de 
s'enfuir devant elle et allêèrent se cacher dans les mon- 
tagnes, 

Les 'Abids les poursuivirent et s’engagêrent dans les 
montagnes : ils dévalaient dans les ravins et les Berbers 
s'enfuyaient devanl eux de tous cûtés, Landis que la pour- 
suite des ‘Abîds continuait. Enfin, le soir, les Berbers en- 
voyêrent des gens pour barricader les cols el les passes 
par lesquels était entrée larmée du Sultan. Le lenderıain 
malin, quand toutes les ouvertures furent complêétement 
bouchées avec des troncs'de cêédre et des blocs de rochers, 
les Berbers fondirent de tous cûlês sur le guêîich et lui 
livrêrent combat avec impétuosité. Les ‘Abids furent mis 
en déroute, et quand ils arrivêrent aux cols par lesquels 
ils étaient entrés, ils les trouvêrent obstrués. Pris de peur, 
en pleine détresse, ils se poussérent devant ces obstacles 
et durent descendre de leurs chevaux et abandonner leurs 
montures, leurs armes, leurs lentes et leurs bagages, qui 
tombêérent au pouvoir des Berbers. Les autres soldats 
furent dépouillés de leurs vêtements, mais pas un seul 
homme ne fut tué par les Berbers. Les 'Abids revinrent û 
Méknêès û pied et complétement nus. Cette défaite, jointe 
aux exécutions sanglantes dont leurs chefs avaient été vic- 
times, provoqua la haine des ‘Abîds contre le sultan Moû- 
lay ‘Abdallêh, û instigation duquel, disaient-ils, celte ex- 
pédition avait été entreprise. Malgré cela, le Sultan leur 
donna de argent et des vêtements et leur promit de rêpa- 
rer toutes les pertes qu'ils avaient subies. Ils retournê- 
rent ensuite a Mechra’ Errermla, irriltés de sa conduile û 
leur égard. 


lk 


188 ARCHIVES MAROCAINES 


Révolte des ‘Abids contre Moûlay ‘Abdallah, qui s'enfuit ã Oued 
Noûl ; ses conséquences’. 


En année 1147, les choses achevêrent de se gûter entre 
les ‘Abids et le sultan AMoûlay ‘Abdallah (Dieu lui fasse 
miséricorde !) qui avait tué presque tous leurs chefs pour 
venger le meurtre qu"ils avaient commis de son frère 
Mollay ‘Abdelmalék, avec lequel il était en bons rapports. 
Il fit ainsi disparaitre tous ceux qui avaient combiné cet 
assassinat, qul ¥ avalent pris part ou qui avaient approuvé : 
plus de 10.000 ‘Abids furent mis a mort pour cette raison. 
Il fut donc décidé entre eux qu'ils le déposeraient et le 
tuerailent. Informé de ce dessein par un deux, Moûlay 
‘Abdallah s'enfuit de Méknêès, pendant la nuit ; le lende- 
main matin, il arriva au campement des Ait Idrasén. Les 
gens de cette tribu furent heureux de le recevoir et le 
traitérent avec déférence. Quand il voulut partir, ils UPac- 
conıpagnêrent jusqu'au Tadla ; la ils lui firent leurs adieux 
et retournêrent dans leur pays. Le Sultan continua sa 
route jusqu'a Morrûkch, et de la se rendit dans le Soûs où 
İl s'arrêta chez ses oncles maternels, les Mğafra a Oued 
Noûl. Il était accompagné de ses fils, Motlay Ahmed qui 
venalt datteindre la puberté, et Moûlay Mohamıned qui 
devint plus tard Sultan et qui était encore enfant. Il resta 
chez les Mgaûfra plus de trois ans. 

Quant au gouverneur de Fés, Mohammed ben ‘Ali ben 
Icheho, il senfuit de Fêès pendant la nuit. dès qu'il apprit 
ja fuite du Sultan de Mêknês, et alla se réfugtier dans le 
Zerhoün. oi il arriva le lendemain matin. 


l. Texle arabe. IV’ partie, p. 64. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 189 


Rêéqgne du Prince des Croyants Moûlay Aboûlhasan ‘Ali ben 
Ismû 'il, surnommé Ela 'réj (Dieu lui fasse miséricorde!) 


Apres la fuite du Prince des Croyants, Moulay ‘Abdal- 
lh ben Isma'îl de Méknés vers Oued Noûl, les 'Abids du 
Dîouûn se réunirent et se mirent d'accord pour mettre sur 
le trêne Moûlay Aboiûlhasan ben Isma'îl, surnommé Ela'- 
réj. Comme ce prince était alors û Sijilmãsa, ils lui firent 
part de cette nouvelle et lui envoyêrent leur lettre par 
une troupe de cavaliers qui devaient le ramener. Il se mit 
en marche en toute hûte et trouva, en arrivant û Sefroû, 
une députation des notables de Fès, composée de ché- 
rifs et de ‘'oulamêû, qui était venue pour lui prêter ser- 
ment de fidélité. Il fit un accueil aimable ù ces envoyés et 
leur lémoigna de la bienveillance. Il arriva jusqu'a Fès 
Eljedîd, el leur donna comme gouverneur Més'oûd Er- 
roûsi (rabî' II 11/7), ù qui il recomnîanda de ne percevoir 
sur les habitants que les zsekals et ‘achours légaux et les 
petites taxes habituelles de hédigyas. 

Ce prince (Dieu lui fasse miséricorde !) était clément et 
modéré, et n'avait aucun instinct sanguinaire : Dieu le 
protégea sur la fin de son rêgne et lui assura le salut. 

De Fès, il se rendit ensuite û Méknês, ol, dés son arri- 
vée, il reçut le serment du gu¢tich. Tel est le récit que 
lon trouve dans le Bouslûn. J'ai entre les mains la note 
suivante écrite de la main de mon aîieul paternel, le fqîh, 
le professeur Aboû ‘Abdallah Mohammed ben Qûsém ben 
Zerroûq Elhasani Elidrîsi : « Le 1°" djoumûda 1" 11/7, les 
'Abîids d'Erremel se révollêérent contre le Prince des 
Croyants Moûlay ‘Abdallah ben I[smû'il et annulérent sa 
bêt'a. Ils proclamêérent ù sa place son frère Moûlay ‘Ali, 
dont la mère était ‘Atcha Mbûrka. Molılay '‘Abdallûh quitta 


1. Texte arabe, I1V* partie, p. ûû, 


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son palais de Méknés, en emportant des chevaux, des 
armes et de Pargent, sans qu'il y ait eu ni bataille, ni 
combat, et son frére, Moûlayv ‘Ali, yv entra le vendredi 
1°" djoumada II de la même année. Ëcrit le 2 du même 
mols, par Mohammed ben Zerroûq, Dieu le protège de 
sa grûce ! » 

Arrivé û Méknès, le Sultan reçut les députations de 
toutes les provinces, qui lui apportaient leur serment et 
leurs présents : il les en remercia, puis distribua au gauéichk 
tout UTargent qu'il possédait. I1 fit alors arrêter la noble 
dame Khenatsa, fille de Bekkûr et mère du sultan Mofılay 
‘Abdallah, et lui enleva tous ses biens. I1 la tortura ensuite 
pour lui faire indiquer argent qu'elle pouvait avoir ca- 
ché, mais sans résultat. Cet acte fut une de ses fautes. 
Dieu la lui pardonne! Aboû ‘Abdallah Akensoûs dit que 
cette Khenaitsa qui fut la mère des Sultans (Dieu les glo- 
rilie } élait une femme vertueuse, dévote et savante, qui 
avait reçu les enseignements de son père, le chéikh Bek- 
kar. J'ai vu, dit-il, son écriture en marge d’ un exemplaire 
de PZşdaba de Ibn Hajar. certiltiée par quelqu'un qui avait 
éerit: « Celle écriture est sans aucun doute celle de la 
noble Khendtsa, mère du sultan Monilay ‘Abdallah. » 


Révolte des gens de Fès contre leur gouverneur Més ‘oûd Erroûsi : 
leur rupture avec le sultan Aboùlhasan ;Dieu lui fasse miséri- 
corde !)' 


Mesoud Erroüsi. gouverneur de Fès, fit mettre a mort 
injustement Elhaddj Ahmed Boidi, chef des Lemtivin, et 
lit trainer son corps û Rûh Elfetoûh. pour le punir d'avoir 
inspire le meurtre de son frere Boû ‘Ali Erroûsi après la 
mort du sultan Moûlay Isma'il: nous avons déja parlé de 


l. Texte arahe. 1\ ° parte. pF. 65. 


DYNASTIE ARAOUIE DU MAROC 191 


ce fail. Cel acte de Més'oid détermina les gens de Fêés û 
se réunir el û sS’armer pour se rendre chez le gouverneur, 
qu'ils voulaient tuer afin de lui faire expier le meurtre de 
leur amî. Mais Més‘'olid s'enfuit, sans qu'ils pussent le re- 
joindre. Ils marchêèrent alors sur la prison, en Iracturê- 
rent les portes, tuêrent les gardiens et les geoliers qui 
s'y trouvaienl et mirent les prisonniers en liberté. Quand 
le Sultan apprit cela, il feignit de n'en rien savoir et en- 
voya û Fês son frére Moûlay Elmouhtadi, accompagné du 
qûîd Gêném Elhûddji, et porteur d'une lettre annonçant 
aux habitants la destitution de Més'oûd Erroûsi et la no- 
mination de Gûaném Elhûddji. Mais ils ne voulurent pas 
accepter ce dernier, qui dut repartir le lendemain pour 
Méknês. Cependant, sur les observations de gens de bien, 
ils changêrent bienlêt d'opinion, et firent partir avec Moû- 
lay Elmouhtadi une députation de 'oulamê et de chérifs, 
qui devailent présenter un cadeau considérable au Sultan, 
en réparalion de leur inconduite. Dêés qu'ils furent reçus 
par le souverain, celui-ci prit leur cadeau, leur énuméra 
leurs fautes, puis les fit mettre en prison. La nouvelle de 
cette arrestation produisit û Fês la révolutlion : la popula- 
tion ferma les porles de la ville et se déclara en rébellion. 
Les gens de Més'oûd Errolısi et tous ceux qui avaienl 
quelques rapports avec lui subirent tous les genres de 
mort. La guerre fut déclarée également aux Ofidêya sur 
tous les points. Au mois de ramadûn de l'année suivante, 
le Sultan dépêcha ۾‎ Fès un des qûîds des 'Abids, le qûîd 
Abo Mohammed ‘Abdallah Elhamri. Ce personnage réu- 
iit les habitants de la ville, excuse le Sultan auprès d'eux 
et leur demanda d'envoyer û leur souverain une députa- 
tion pour renouer avec lui de bonnes relations. Ce con- 
sell fut écouté : la population fit partir aussitût des ‘oulamê 
et des chérîfs, qui portaient au Sultan un cadeau tré& prê- 
cieux. ‘Abdallah Elhamri écrivit lui-même û Moîlay ‘Ali, 
pour les disculper et plaider leur cause. Le Sultan recut 


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ces envoyés, et après leur avoir adressé des reprocher., 
leur pardonna et donna la liberté a leurs frères em prison- 
nés. Le qûid ‘Abdallah Elhamri fut nommé gouverneur d°? 
la ville, mais, année suivante (41148), il fut destitué et rem- 
placé par ‘Abdallah ben Elachqar. Le calme revint et les 
choses rentrêérent ù peu près dans ordre. 


Expédition du sultan Aboûlhasan avec les ‘Abids contre les 
habitants du Djebel Fezzûaz ; sa défaite '. 


„\ la fin de cette année 1147, le Sultan fit secs prépa- 
ratifs de caınpagne contre les Ait ou ‘Malou ; il accédait 
aux désirs des ‘Abids qui voulaient prendre leur revanche 
de la dernière défaite que leur avaient infligée les Ber- 
bers, du temps du Sultan Moûlay ‘Abdallah. Le Sultan se 
mit en route au mois de moharrem 1149, ù la tête d’une 
nombreuse armée de ‘Abids. Avertis de ses projets, les 
Berbers firent semblant de fuir, ù son approche, commie 
ils avaient fait la première fois. A mesure qu'ils recu- 
laient, le Sultan marchait derrière eux et faisait les mêmes 
étapes qu’ eux. Ils franchirent ainsi Oued Oumm Errabi' 
et s'’engagéerent dans leurs montagnes. Le Sultan traversa 
le fleuve derrièêre eux ; les ‘Abids s’avancérent û leur 
tour cet gravirent les montagnes et les pentes escarpéees. 
Quand ils furent en pleine montagne, les Berbers les as- 
saillirent tous èù la fois, et fondant sur eux de tous les 
cols comme des aigles, ils les cernérent de tous cûtés. Les 
‘Abids, mis en déroute, S'enfuirent aussitût et se pous- 
sèrent auprès des gorges ; lè ils furent traités comme ù 
la défaite précédente,ct durent abandonner leurs chevaux, 
leurs armes, leurs tentes et leurs bagages. Ils ne purent 
sauver que leur propre personne, car les Berbers les 


1. Texte arabe, IV partie, p. 66. 


DYNASTIE ALAOUTE DU MAROC 193 


dêpouillèrent même de leurs habits. Seul le cortège du 
Sultan et sa suite ne furent pas inquiétés : les Berbers se 
contentêrent de marcher derriêre lui jusqu'a ce qu'il eit 
franchi "Oued Oumm Errabi'. En rentrant û Méknêès, les 
‘Abids réclamêérent au Sullan leurs costumes, leurs armes 
et leur solde, mais celui-ci n'avait rien û leur donner, ce 
qui provoqua leur mécontentement contre lui et leur 
donna des velléités de révolte. L'auteur du Nachr Elmal- 
sûnî résurne ces nouvelles de la façon suivante : En 11/19, 
Dieu fit périr tous ceux qui s'étaient révoltés contre le 
sultan Moûlay 'Abdallûh : les séditions augmentêrent, le 
prix des denrées monta, la pluie fut rare, et la population 
eut beaucoup û souflrir de la cherté des vivres ; la graisse 
el la viande manquêérent; enfin, nombre de personnes 
moururentl, et, comme la situation empirait, les gens 
émigrêrent ailleurs. 


Le sultan Moûlay ‘Abdallah quitte le Soûs ; le sultan Moûlay 
Aboûlhasan se réfugie chez les Ahlãf; ce qu'il fait jusqu'a sa 
mort '. 


Au mois de doilheddja 1119, on apprit que le sultan 
Moûlay ‘Abdallah avait quitté Oued Noûl, et était arrivé 
dans le Tûdla. Une grande émotion se produisit aussitût 
chez les 'Abîids, et beaucoup d'entre eux parlaient de le 
ramener au pouvoir. Mais Sûlém Eddoûkkûli et ses parlti- 
sans étaient d'un avis different, et déclaraient qu'ils res- 
teraient soumis û Moûlay ‘Ali. C'êtaient eux, en ellet, qui 
avaient provoqué la déposition de Moûlay ‘Abdallah et 
qui avaient fait monter son frêre Moûlay ‘Ali sur le trêne. 
Mais le parti de Moûlay ‘Abdallah, s’affermissant de plus 
eh plüs, nit par Uemporler el proclarma ce prince. SAlém 


1, Texte arabe, IV* parlic, page Ûû. 
ARCH. MAROC. 13 


ha ||. 


194 ARCHIVES MAROCAINES 


et les qûids qui étaient avec lui durent s'enfuir ã la Zaouya 
de Zerhoûn, où il se réfugia. Dêès qu'il apprit ce qui 
se passait, le sultan Moûlay Aboûlhasan quitta Meknès et 
s'enfuit û Fès Eljedid; les Oûdêya lui avant refusé entrée 
de la ville, il descendit jusqu’ au pont de Oued Sbou, où 
il demeura un jour, ou une demi-journée, pour régler 
quelque affaire, et prit le lendemain la route de Taza. De 
cette ville, il se rendit chez les ‘Arabs Elahlaf. Il s’ins- 
talla chez eux, car ils lui avaient fait bon accueil et avaient 
traité avec égards. Comme ils lui ollrirent même une de 
leurs filles en mariage, il resta plusieurs années dans 
cette tribu, ne songeant plus ù la royauté et ne faisant 
aucun effort pour la reprendre. Plus tard il revint a 
Méknès, où il se fixa, sur ordre de son frère, le sultan 
Moûlay ‘Abdallah, qu'il était venu voir a Dar Eddebibağ, 
près de Fès, en 1169, et qui lui avait donné de argent, 
des jardins et des terrains de culture appartenant au 
Makhzen a Méknès. Il y vécut dans sa maison, mais au 
bout de peu de temps, les ‘Abids emprisonnèrent a l'im- 
proviste et envoyèrent ù son frère, le sultan Moûlay ‘Ab- 
dallah, en lui disant que ce prince leur avait gûté leur 
pays. Le Sultan, après avoir maintenu auprès de lul, 
'envoya en liberté au Tèafilêlt, où il demeura jusqu’a sa 
mort, que nous allons relater (Dieu lui fasse miséri- 
corde !) 


Deuxiéme rêégne du Prince des Croyants Moûlay ‘Abdallah 
ben Ismê ‘îl (Dieu lui fasse miséricorde 1) 


Quand le sultan Moilay Aboûlhasan s'enfuit de Méknès 
chez les Ahlaf, les ‘Abids et les Oûdêya se mirent d’ac- 
cord pour proclamer Sultan Moilay ‘Abdallah et lui prê- 


1. Texle arabe, IV°* partie, page 07. 


OYNASTIE ALAOUIE DÛ MAROG 195 


têrenl serment de fidélité, au moment où il se trouvait 
encore dans le Tûdla : leur exemple fut suivi par les gens 
de Fêès elt par toutes les tribus. Ensuite Sûlém Eddoûk- 
kali, qui était dans le Zerhoûn, écrivit û la population de 
Fés que le Dîouûn était unanime ù décider la déposition 
de Moûlay ‘Abdallah et ù reconnaitre comme souverain 
Sidi Mohammed ben Ismû'îl, surnommé Ben ‘Arbiya, et 
demandait conseil û ce sujet aux ‘oulamda de cette ville. 
Ceux-ci répondirent qu'ils régleraient leur attitude sur 
celle du Dîoudn, Dès qu'ils apprirent la conduite de Sûlém 
Eddoûkkûli et les propos qu'il leur avait attribués, les 
‘Abids partirent d'Elmhalla pour le Zerhoûn, eta prés s'être 
emparés de ce personnage et des qûids qui étaient avec 
lui, ils les envoyêrent au Sultan dans le Tûdla. Moûlay 
‘Abdallah demanda au qûdi Boû 'Inûn, qui était alors avec 
lui, quelle décision il convenait de prendre ù leur égard : 
celui-ci ayant émis l'avis qu'il fallait les tuer, il les fit exê- 
cüuler. Moûlay Mohammed ben 'Arbiya, qui était dans le 
Tafilêlt, eut connaissance des dires de Salém Eddoûkkali. 
Il les conSidéra comme répondant ù la réalité des faits, et 
s'em pressa de se meltre en route. Mais quand il arriva û 
Sefroüû, il apprit que son frêére Moûlay ‘Abdallêh avait été 
proclamé Sultan, et que la population s'était de nouveau 
soumiseê û lui. Tout décontenancé par cette nouvelle, il se 
rendit en cachette û Fês, oû il demeura dans la maison du 
chéikh Aboû Zétd ‘Abderrahmûan Echchûami. Celui-ci, qui 
était son ami et en qui il avait confiance, lui promit qu'il 
monterailt Sur le (rûne. A son arrivée du Tadla, le sultan 
Moûlay ‘Abdallûh fut salué par les gens de Fès, parmi 
lesquels se trouvaient les 'oulamû et les chérîfs, et aussi 
par les habitants de Méknêès, ù Qasbat Boû Fekrûn. Quand 
ces députations furent emn sa présence, le Sultan leur 
adressa des reproches, et aprês leur avoir rappelé tous les 
crimes qu'ils avaient commis, il fit mettre ù mort les 
notables. Il agit de même envers les délégués de Méknès, 


1%6 ARCHIVES MAROCAINES 


dont il confisqua les biens, et révoqua leur qûdi Belqasém 
El'amiri. Les chérîfs et les ‘oulama de Fès s’en retour- 
nêrent, effrayés du sort qui les attendait, car le Sultan 
leur avait encore donné comme gouverneur Mohammed 
ben ‘Ali ben Ichcho. Moûlay ‘Abdallah resta encore 
quelque temps a Qaşbat Boû Fekran : il ne voulut pas 
venir ù Fès, car il n’avait aucune confiance dans ses habi- 
tants. 


Régne du Prince des Croyants Moûlay Mohammed ben Ismê ‘îl 
surnommé Ben ‘“Arbiya: ses causes ' . 


La conduite de Motlay ‘Abdallah envers les notables 
de Fès et de Méknès qu'il avait tués et dont il avait con- 
fisqué les biens, et le séjour qu'il faisait ù Qaşbat Bou 
Fekran pour éviter d’entrer en rapport avec la ville, 
enhardirent les meneurs des Oùdêya de Fès Eljedid, qui 
se mirent è infester les routes de leurs brigandages. Un 
jeudi, ils fondirent sur les troupeaux de la ville et sur 
les animaux amenés au marché, et leur donnèerent la 
chasse : ils ne laissèrent aux gens de Fêès ni vaches, ni 
moutons, ni mules. Voyant cela, la population se réunit et 
s’engagea par serment û déposer le sultan Moûlay ‘Abdal- 
lah et ù choisir pour souverain Moûlay Mohammed ben 
‘Arbiya. On se rendit aussitût auprès de ce prince, qui 
étalt dans la maison du chéikh Aboû Zéid Echchami, on 
le pria de sortir et on conclut un pacte avec lui. Le 
10 djoumdda I" 1150, il fut proclamé. Tout ce dont il avait 
besoin en fait de chevaux, d’ armes et d'appareils de 
guerre, lui fut fourni; on vint a envi se soumettre è lui 
et le servir. La béi'a fut écrite le 15 du même mois et 
signée par tous les docteurs. Quelques-uns d’ entre eux 


1. Texte arabe, IV“ partie, page 67. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 197 


ayant refusé de la signer en disant que, la bêt'a de Moûlay 
'Abdallûh étant encore obligatoire pour eux, ils ne pou- 
vaient pas le déposer, furent révoqués de leurs fonctions 
et soumis û des vexations. Les gens de Fês écrivirent aux 
‘Abîids du Dîouûn pour les aviser de ce qu'ils avaient fait 
et leur demander leur adhésion. Ceux-ci accueillirent 
favorablement cette proposition el proclamêrent Moûlay 
Mohammed ben ‘Arbiya. Voyant que le succés de son 
frêre était complet, le sultan Moûlay 'Abdallûh s’enfuit 
dans les montagnes des Berbers, et y demeura. Les portes 
de Fès furent ouvertes ensuite, et le Sultan se rendit û 
Fês Eljedid. Il partit le lendemain pour Méknês, où, dès 
son arrivée, il reçut le serment de fidélité des 'Abids ; ce 
fut lû que les députations de toutes les contrées vinrent 
lui apporter leurs présents. La réception terminée, le 
Sultan distribua aux 'Abîls tout argent qu'il possédait. 


L'autorité du sultan Moûlay Mohammed ben ‘Arbiya commence 
ãa diminuer : conséquences de cette décroissance. 


Les ‘Abîds ne se contentêèrent pas de l'argent que leur 
avait distribué le sultan Moilay Mohammed ben ‘Arbiya, 
quî leur avait cependant donné tout ce qu'il possédait, et 
réclamêèrent davantage. Il laissa alors (Dieu le lui par- 
donne 1) piller les biens des musulmans, et se mit lui- 
mêmê û faire enlever de force dans toutes les maisons de 
Mêéknês les grains et les provisions qui s'y trouvaient. Il 
fit fouiller tous les greniers et les silos. Si on lui signa- 
lait quelqu'un qui possédait du blé ou de Uorge, il le fai- 
sait arrêter et ne le relûchait qu'aprêès avoir obtenu la 
remise de ce qu'il détenait. Il s'empara aussi des grains 
que les gens de la campagne apportaient ù la ville. Le mé- 


1. Texle arabê, IV" partie, page û7, 


198 ARCHIVES MAROCAINES 


contentement devint général, et agitation se propagea 
partout. Les habitants de Méknêès quittêrent la ville. (Qui- 
conque sortait était pillé: les routes furent coupées, et 
la population se trouva dans une situation très difficile. Les 
décrets appartiennent ۾‎ Dieu seul ! 


Attaque de l'écurie de Méknès par le sultan Moûlay ‘Abdallah : 
ses conséquences '. 


Le sultan Motlay ‘Abdallah, qui était chez les Berbers, 
entra pendant une nuit û Méknêès, accompagné dun cer- 
tain nombre de ses gens; il pénétra dans 'écurie, tua 
tous les ‘Abids qu’il y trouva, et partit apres avoir mis le 
feu è leurs chaumières. Aussitêt qu'il apprit cela, le Sultan 
Moûlay Mohammed ben ‘Arbiva fit sonner la trompette 
pour mettre tout le monde sur pied, et montant ãڍ‎ cheval, 
accompagné de ses cavaliers et de ses fantassins, marcha 
contre le sultan Moûlay ‘Abdallah qui était alors a Elhûjéb. 
Guand celui-ci vit les soldats qui s’avançaient contre lui, 
et les cavaliers qui se pressaient ãڍ‎ sa poursuite, il aban- 
donna ses tentes et tout ce qu’ elles contenaient, et prit la 
fuite. Les ‘Abids se livrêèrent au pillage de son cam pe- 
ment, et le suivirent jusqu’a Oued Melouiva, mais lè, 
il s’engagea dans les montagnes et ils perdirent sa piste. 
A leur retour, les Berbers leur barrêrent la route, fon- 
dirent sur eux comme des torrents de tous les ravins et de 
tous les pics, et aprês les avoir mis en déroute, leur enle- 
vêrent tous leurs bagages, si bien qu'ils dûrent se cacher 
pour revenir. L'auteur du Boustdn ajoute que, lorsqu’ils 
arrivêrent aux environs de Şefroû, Moûlay Mohammed 
ben ‘Arbiya envova un détachement du guéich contre les 
faibles habitants de la région, notamment entre Flmzûdég 


1. Texte arabe, I1V° partie, page 68. 


DYNASTIE ALAOUTITE DU MAROC 199 


et autres bourgades, pour couper des têtes, qu'il envoya 
ensuite û Fês en les faisant passer pour des têtes de Ber- 
bers. Dieu sait quelle est la vérité ! 


Derniers événements du rêgne du sultan Moûlay Mohammed 
ben ‘“Arbiya ; troubles et misêre qui les accompagnent '. 


A son retour de Uexpédition qu'il avait conduite û la 
poursuite de son frêre Moûilay ‘Abdallûh, le sultan Moûlay 
Mohammed ben ‘Arbiya, qui était encore û endroit que 
nous avons indiqué, envoya û Fêès son frère, Moûlay 
Elouûlîid ben Isma'îl. Ce prince avait pour mission d'im- 
poser aux habitants de la ville Tenvoi d'un contingent, 
mais ce n'était qu'un moyen d'arriver ù prendre leur 
argent, car ceux qui donneraient de argent devaient 
rester dans leur maison ; mais ceux qui refuseraient par- 
tiraient avec le contingent. L'émoi fut grand dans la 
ville dês que Moûlay Elouûlîd y arriva. Il arrêta aussitût 
Elhaddj Boû Jida Barrûda qui refusait de se soumeltre, et 
après avoir tué, s'empara de ses biens et vendit ses pro- 
priétés. Il emprisohna aussi Elhaddj ‘'Abdelkhaleq ‘Adéyyil, 
dont il prit également les biens. Il s'attaqua ensuite aux 
gens des zûouyas, qu'il dépouilla, et a tous ceux qui lui 
étaient signalés comme ayant quelque aisance. Sa mission 
terminée, il se rendit û Mêéknês, oû il se livra aux mêmes 
actes qu'a Fêés envers les habitants, dont un petit nombre 
seulement échappérent û ses exactions. 

Avec cela, une autre épreuve non moins terrible était 
imposée en ce moment û la population, par la famine, 
les troubles et le pillage des maisons pendant la nuit. Les 
gens aisés ne dormaient pas. Presque tout le monde 
s'adonma au vol. Les Ofidêya passaient leur temps dans 


1. Texle arabe, IV' parlie, pige 8. 


200 ARCHIVES MAROCAINES 


les jardins en dehors de la ville ; ils attaquaient les fou- 
lons au bord de Oued Fès, et quand ceux-ci se mirent ã 
blanchir leurs toiles ù Mesmoûda, ils les leur volêèrent ; 
enfin ils allèrent jusqu’a s’emparer des caravanes dans les 
fondaqs eux-mêmes. Le Sultan ne faisait rien pour em- 
pêcher cela et n’en prenait nul souci. 

Aussi que de monde mourut de faim dans le cours de 
cette période. Le gardien du Mûristûn a raconté que pen- 
dant les mois de rejeb, cha ‘bûn et ramadan, il avait fait 
enterrer plus de 80.000 personnes, sans compter celles 
qui avaient été inhumées par les soins de leurs familles 
et de leurs amis. 

En résumé, le rêègne de ce Monilay Mohammed ben 
‘Arbiya fut une période néfaste et malheureuse pour les 
musulmans, de même que celui de son frère Moûlay El- 
mostadi, auquel notre récit va nous conduire. Tout cela 
était dû, Dieu sait si c’est vrai, ù ce que les ‘Abids s’étaient 
emparés du gouvernement qu’ils menaient avec leurs 
intrigues, et dont ils se servaient pour satisfaire leurs 
passions et arriver è leurs fins. Il est bien certain, en effet, 
que les dépositions fréquentes suivies de nouvelles pro- 
clamations ne peuvent qu’amener un pareil résultat. Nous 
demandons a Dieu sa bienveillance et la sauvegarde de 
nos familles, de notre religion et de nos biens dans le pré- 
sent et dans Ûavenir. 

En parlant de cette année-la ,)1150؛‎ auteur du Nachr 
Elmatsdni la dépeint ainsi : « Cette année-lè, 'armée des 
révoltés contre Moilay ‘Abdallêh (les 'Abids) subirent une 
défaite complète, après avoir provoqué des désordres 
considérables. Cette défaite leur fut infligée par les Ber- 
bers. Les prix des denrées atteignirent une hausse très 
élevée; les voleurs venaient attaquer les gens, la nuit, 
dans leurs maisons, et les tuer : ils avaient beau appeler 
au secours, personne ne leur répondait. Il y avait du dan- 
ger même aux portes des maisons qui forment la lisière 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 201 


de Fês : ainsi personne n'osail dépasser Bab Meşmoûda, 
dans El'odoia, ni la porte de la vieille qaşba, û la Tûl'a, 
ni le quartier d'Elhalffûrîin, ù Bûb Elguîsa. Un grand 
nombre de maisons furent démolies pour prendre les 
poutres : il y eut des ruines en masse ; des quartiers en- 
tiers se vidèrent: un derb qui comptait plus de 20 mai- 
sons était abandonné complêètement. » 

« Pendant cette période, le fqih très docte Aboûl" baqê 
[ich Echchûoui fut mis ù mort dans sa maison du quar- 
tier dEddoüûh : sa mort fut le signal de 'évacuation de ce 
quartier. Des gens qui étaient considérés comme des 
hommes de bien et de piété se couvrirent de déshonneur. 
Tous ceux qui purent s'enfuir de Fêés, partirent, mais 
bien peu reslêrent sains el saufs aprês leur sortie de la 
ville. Un grand nombre d’habitants partirent pour Tétouan 
et les régions voisines, afin d'en rapporter des provisions 
de grains. Dieu avait bien voulu charger 'ennemi infidéle 
d'amener des vivres dans le pays des musulmans. Les 
gens de Fés leur avaient fait des achats considérables, 
mais les chameliers refusérent de les transporter et neleur 
firent û ce sujet que des promesses dilatoires. Le chef du 
pays, qui était ù cette époque le bûcha Ahmed ben ‘Ali 
Errifi, fut saisi de leur plainte, et tout en feignant de 
prendre leur défense, les trompa parce qu'il était en rébel- 
lion contre le Sultan et contre quiconque lui était attaché. 
Les chameliers, qui appartenaient û la tribu de Bdûoua, ne 
firent que s’enhardir dans leur refus et leur mauvais vou- 
loir ; les gens de Féèés ne purent expédier leurs provi- 
sions qu'’au bout de cinq mois environ : ce qui [it périr 
de faim un grand nombre de gens, dont la mort pêse sur 
Ahmed ben ‘Ali Errîfi. On ne pouvait se procurer des 
vivres, ni avec de l'argent, ni avec d'autres biens, et si 
Dieu n'avait pas chargé Uennemi infidêèle d'apporter des 
approvisionnements de grains au Magrib, je crois que la 
population tout entiêre aurait succombé, 


mem 


202 ARCHIVES MAROCAINES 


« Cette situation était le résultat des émeutes et des 
révolutions contre les rois. Les propriétés et les mar- 
chandises n’atteignaient pas le dixième de leur prix habi- 
tuel. Dieu ne fit revenir la tranquillité au Mağrib que le 
jour où il voulut bien rappeler au pouvoir le sultan Mot- 
lay ‘Abdallah. » 

Ici s’arrête le récit de auteur du Nachr Elmatsûnt, le 
fqih, Thistorien Sidi Mohammed ben Ettayyêb ben ‘Abdes- 
selam Elqddiri. Cet écrivain a été témoin des faits qu'il 
raconte, car ll vivait û celte époque. 

Le 2/4 şafar de année suivante 1151), alors que la popu- 
lation était dans la plus grande misêre, les ‘Abids se révol- 
têrent contre le sultan Moûlav Mohammed ben ‘Arbiya ; 
ils s’emparêrent de ce prince et de son qûid, le chérif Abot 
Mohammed ‘Abdelméjid Elmchamri, gouverneur de Fès, 
et leur mirent les fers aux pieds. Ils chassêèrent ensuite 
Ben ‘Arbiya et sa famille du palais impérial et Pinternê- 
rent dans sa maison sur Oued Ouislén, a Djenûn Ham- 
riya, sous la surveillance d'un poste de ‘Abids. En même 
temps ils écrivirent û son frére Moûlay Elmostadi ben 
Ismê il, qui était au Tûfilêlt, pour le prier de venir auprès 
d'eux afin de recevoir le pouvoir. 


Rêgne du Prince des Croyants Moûlay Elmostadi ben Ismê ‘il 
(Dieu lui fasse miséricorde!) 


Aussitêt après avoir emprisonné le sultan Moûlay 
Mohammed ben ‘Arbiva, les ‘Abids proclamêèrent Pavène- 
ment de sonfrére Motlay Elmostadi ben Ismû ‘ilet écrivirent 
dans toutes les provinces pour faire part de cet événe- 
ment : la population leur accorda son adhésion. Ils envoyè- 
rent aussitêt, suivant leur habitude, une troupe de cava- 


1. Texte arabe, IV° partie page 69. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 203 


liers pour ramener le nouveau souverain, qui se mit en 
route en toute hûte. A Sefroû, il reçut la députation de 
chêrîfs et ‘oulamû envoyée par la ville de Fès, qui lui 
remit la bêf'a et le ramena avec elle û Fês Eljedid. Aprês 
s'y dtre reposéê, le Sultan donna comme gouverneur, aux 
habitants de Fés, le qûîd Aboil'abbûs Ahmed Elga'îdi, 
qui lui-même désigna, pour lui servir d'intermédiaire au- 
prês d'eux, Cha'chonû 'Eliazgi. Mais la situation ne changea 
pas, et l'oppression continua. Le sultan Moûlay Elmos- 
tadi se transporta ensuite û Méknés, oüû il reçut le ser- 
ment de fidélité des ‘Abîds. Les dêputations des tribus et 
des villes apportêrent ensuite leurs cadeaux : elles furent 
bien accueillies, Le régne de ce Sultan commençait d'une 
maniêre réguliére., 


Le sultan Moûlay Elmostadi commet. des actes d'injustice 
qui amêènent des désordres '. 


Une fois installé û Méknêès, le sultan Moûlay Elmostadi 
commença par envoyer son frére Moûlay Mohammed ben 
‘Arbiya enchaîné û Fêès et de lè û Sijilmêsa, oû il fut mis 
en prison, Il envoya ensuite son qûîd Sidi '‘Abdelméjîd 
Elmchûmri et le chéîkh Aboli Zétd ‘A bderrahmêûn Echchûmi 
û Fês Eljedid, pour y être emprisonnés. La maison d'Elm- 
ehûmri ful pillêée, et lui-même subit la torture jusqu'a ce 
qu'il expirût. 

Le Sultan envoya ensuite aux habitants de Fês une lettre 
qui devait être lue û Fés Eljedîid en présence des notables 
de la ville. Mais, soupcçonnanl un piége, ceux-ci nê se 
rendirenl pas û la convocation qui avait été faite, sauf une 
vingtaine d'entre eux, qui furent arrêtés et emprisonnés. 


1. Texle arabe, 1V" parlie page f0. 


A 


204 ARCHIVES MAROCAINES 


Une contribution très considérable leur fut ensuite im po- 
sée, mais ils ne purent pas la payer. 

Pendant le rèêgne de ce souverain, le gouvernement était 
três pauvre et le Sultan avait besoin d'argent pour réduire 
au silence les  Abids. Il se mit donc a fouiller les magasins 
de Moûlay Isma'îl, qu aucun roi n’avait songé è toucher 
avant lui. Il commença par vider le magasin du fer, et 
vendit tout ce qu'il contenait. Puis il s’attaqua ensuite au 
grand magasin qui renfermait 1.000 quintaux de soufre et 
une grande quantité de salpêtre, d'alun, de boqdm et autres 
produits, qui avaient été apportés ã la capitale et qui pro- 
venaient du butin fait sur les nations européennes : il ven- 
dit tout cela. Il arracha ensuite les grillages des fenêtres 
de la qoubba dite Echchatrendjiya qui étaient en cuivre 
doré, les derbodz de fer choisi qui se trouvaient ù droite 
et a gauche de cette qoubba, depuis Bãab Errekham jus- 
qu’ au palais de Moûlay Yoûsef. Il fit acheter de force ces 
matérlaux aux Juifs moyennant un prix exagéré. Il fit dé- 
monter après cela les canons de bronze des forts de la 
capitale, les fit briser, et se servit du cuivre pour faire 
frapper des /lods. Mais il ne retira en réalité aucun béné- 
fice de tout cela. 

Durant cette période, le Sultan fit mourir plus de 
80 ‘Arabs de la tribu des Beni Hsen. Il infligea la torture 
aux prisonniers de Fès pour leur faire verser de I'argent, 
ceux-ci payèrent ce qu'ils purent. Après cela, il ordonna 
Parrestation des négociants de Fès. pour les forcer è ache- 
ter les propriétés de leurs prisonniers, et les fit torturer : 
ils ne purent payer qu une partie de la somme. Les ‘oulamd 
décidérent que la vente de ces propriétés était valable, 
la sauvegarde des personnes devant passer avant celle des 
biens. 

Le Sultan arrêta ensuite un chérif ‘irûqi, de la famille 
qui habite le quartier de Guerniz, qu'il soupçonnait d’avoir 
reçu un dépût de la noble dame Khenûtsa, fille de Bekkar. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 203 


Le chérif reçut la bastonnade et fut soumis û la tor- 
ture. 

Il nomma ensuite gouverneur de Fêès, Moûlay Aboû 
Hafş ‘Omar Elmadani, qui était son com pagnon et son 
comınensal habituel. Celui-ci se fit représenter auprês des 
habitants de la ville par un individu nommé Ben Ziyan 
El'aouar, û qui il recommanda de malmener les chérifs 
de Fès et de s'emparer de leurs biens. Ces ordres furent 
strictement exéculés. La cause de tout cela était que Aboû 
Hafş avait eu sa maison û Fès pillée du temps de Moûlay 
Molamımned ben ‘Arbiya et que pas un habitant de Fêès ne 
s'était opposé û cet acte. Il avait contenu son désir de 
vengeance jusqu'au jour où les gens de Fés farent en son 
pouvoir. Quand Ben Ziyûn eut exécuté les ordres qu'il 
avait reçus, le sultan Moûlay Elmostadi le fit arrêter : on 
le promena par la ville sur un ûne, et pendant qu'on lui 
donnait des coups de fouet dans le dos, on le forçait û 
dire: « Telle est la punition de ceux qui maltraitent les 
chérifs. » Aprês cetle tournée, on lui coupa la tête, et on 
la suspendit au-dessus de Bûb Elmahroûq. Néanmoins, 
la persécution contre les chérifs continua. 

Aprês cela, le Sultan ordonna de lui envoyer tous les 
prisonniers de Fés, et quand ils furent arrivés en sa prêé- 
sence avec leurs chaîines et leurs carcans, il les fit tuer 
jusqu'au dernier, û la porte de la qaşba. Il donna aussi 
l'ordre de chasser du Horm de Moûlay Idris Ould Mûmi, 
qu'il fit mettre û mort dês qu'on le lui eut amenê. Le Sul- 
tan ne cessait de tuer et de tyranniser: il voulait qu'on 
pût le comparer û son frêére Moûlay ‘Abdallah qui avait tiré 
le glaive, il est vrai, mais avait été três généreux, rache- 
tant ainsi ses défauts par ses libéralités. Mais ce fut sans 
succês, car Molıilay Elmostadi était, dit-on, três avare et 
manquait de jugement. (Que Dieu Uenveloppe de sa miséê- 
rîicorde, de son pardon et de sa clémence, lui, nous et tous 
les musulmans ! Le Sultan fit périr ensuite le qûtd Gûném 


206 ARCHIYES MAROCAINES 


Elhaddji, le qûid Sa'doûn, gouverneur de Méknès, et six 
personnes de la famille d’Ezziyûti, gardiens de la prison. 
Pendant ce temps, les Berbers, û Pinstigation du sultan 
Moûlay ‘Abdallah qui était chez eux, firent des incursions 
contre les Oûdêya et se livrêèrent au brigandage sur les 
routes de leur territoire. Les cheımins étant coupés, il fut 
difficile de se procurer des vivres. Mollay Zin El‘ abidin 
ben Ismû'il était enmıprisonné par son frêre, le sultan Moû- 
lay Elmostadi; celui-ci le fit un jour sortir de prison pour 
comparaitre devant lui. Quand il fut en sa présence, il le 
fit rouer de coups, au point qu'il en faillit mourir, il le 
fit couvrir de chaines et Uexpédia a Tafilêlt sous la con- 
duite un chérif de ce pays qui devrait le mettre en prison. 
Mais les ‘Abîids envovêrent des émissaires, qui enlevèrent 
le prisonnier des mains de ses gardiens et le conduisirent 
chez les Beni Yûzga, au qûid Aboûl'abbas Ahmed Elga 
‘îdi, lequel fut chargé de veiller ù sa sécurité et de prendre 
soin de lui. 


Le bêacha Aboiül‘abbas Ahmed ben ‘Ali Errifi réduit 
les habitants de Tétouan'. 


Nous avons déja rapporté que le bûcha Aboûl abbas 
Ahmed ben ‘Ali Errifi, gouverneur de Tanger, avait atta- 
qué la population de Tétouan et que Aboiûl I[afş Elouaq- 
qûch lui avait infligé une défaite et tué ses gens. L’inimitié 
n’avait fait qu’ augmenter depuis cette époque entre ces 
deux personnages, et Errifi ne cessait de guetter occasion 
favorable de prendre sa revanche contre Elouaqqach. Sur 
ces entrefaites, le sultan Moûlay Elmostadi fut proclamé ; 
pas un habitant de Tétouan n’alla le saluer, et la ville tout 
entiere refusa de se soumettre a lui. Aboûl'abbas Errifî 


1. Texte arabe, IV° partie, page 70. 


UYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 207 


pensa que le moment de prendre sa revanche était arrivé. 
Excitant le Sultan contre les gens de Téêtouan, il lui insi- 
nua qu'ils avaient fait acte d'insoumission et qu’ ils s' étaient 
mis en état de rébellion. Ces propos et les rapports qui 
lui avaient êté faits sur cette qaşîda altribuée au fqîh Aboû 
Hafs, et où il déclarait qu'il convoitait la royauté, finirent 
par inlluencer Moûlay Elmostadi, qui écrivit û Errîfi pour 
lui ordonner de fondre sur la population de Tétouan. Sai- 
sıssanl aussilût l'occasion, Abonll'abbûs Errifl vint û 
l'improviste prendre cette ville avec ses troupes ; il la mit 
au pillage, ft périr environ 800 notables, et imposa aux sur- 
vivants une très lourde contribution. Aprês avoir dêémoli 
les fortifications, 1l établit û Tétouan Uadministralion des 
villes dontil avait fait la conquête, et y construısit le palais 
du commandement, qui s'y trouve encore aujourd'hui. 


Révolte des ‘Abids contre Moûlay Elmostadi, qui s‘enfuit 
a Morrêkch 1. 


Vers le milieu du mois de doûlqa da 1152, les ‘Abîids de 
Méknêés se soulevêèrent contre le sultan Moilay Elmostadi, 
et décidèrent de le déposer et de se soumettre de nou- 
veau û Moûlay ‘Abdallah. Dês qu'il pressentit leur décision, 
Moûlay Elmostadi s'enfuit de Méknés avec ses partisans 
et ses auxiliaires, et prit la route du mausolée du chéikh 
Aboû Mohammed ‘Abdesselûm ben Mchîich (Dieu soit 
satisfait de lui !). Moûlay ‘Abdallah se mit û sa poursuite 
avec quelques ‘Abîds et le rejoignit sur la route, mais il 
fut attaqué par son frêére et forcé de le laisser continuer 
son chemin. Celui-ci [init par arriver û Tanger, oû il sé- 
journa près de deux mois chez Ahmed ben 'Ali Errifî, et 
partit ensuite pour Morrûkch : la population de cette ville, 


1. Texte arabe, IV“ parlie, page 70. 


208 ARCHIVES MAROCAINES 


où son frère, Moûlay Ennûşer, le représentait, venait de le 
proclamer. Dès qu'il s'y fut installé, il écrivit aux tribus 
du Hoûz, pour leur demander leur appui contre Moûlay 
‘Abdallah et les inviter a marcher avec lui contre son 
frere, mais les tribus de ‘Abda et FErrhamna, ainsi que 
les gens du Sods, qui étaient partisans de ce dernier, ne 
répondirent pas û son appel. Molilay Elmostadi, voyant 
qu'il n’avait plus pour lui que les gens de Doûkkala, ses 
oncles maternels et les Beni Hsen, ‘Arabs du Garb, puisque 
les tribus du Hoûz abandonnaient, demeura û Morrêkch, 
attendant les événements, jusqu’a année 1155. Nous ver- 
rons plus loin, s’il plait a Dieu, que le gouverneur de Tan- 
ger, le bachaã Aboûl'abbds Errîifi, è force endoctriner les 
‘Abiîids, qui avaient prêté serment de fidélité ù Moûlay Zin 
El'abidin, après avoir déposé le sultan Moûlay ‘Abdallah, 
finirent par le décider ù proclamer de nouveau Modlay 
Elmostadi. 


Les ‘Abiîds se rangent de nouveau sous l autorité du sultan Moûlay 
‘Abdallah et embrassent son parti’. 


Nous avons vu que le sultan Molûlay ‘Abdallah, qui était 
demeuré pendant tout ce temps chez les Berbers, avait 
poursuivi Motlay Elmostadi a sa sortie de Méknés et avait 
dû revenir sur ses pas. Quand il apprit que son frère était 
en route pour Morraûkch, il partit pour lui barrer le pas- 
sage, mais, arrivé ù la qûşba de Oued Alzém et n'ayant 
. aucune nouvelle de lui, il séjourna dans cet endroit pour 
guetter son arrivée. Pendant qu'il se trouvait dans cette 
localité, les ‘A\bids décidèrentdele proclamer et lui jurêèrent 
fidélité au commencement de année 1153. Apres avoir 
rédigé leur bei'a, ils la lui firent porter par une députation 


1. Texte arabe, IV® parlic, page 71. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 209 


de leur choix. Les habitants de Fês et les Oûdêya, û qui 
ils éerivirent aussitûl, leur donnêérent leur adhésion : ils 
proclamêèrent Sultan Moûlay ‘Abdallah, au nom duquel le 
prûne fut fait dans les mosquées, et pavoisérent la ville. En 
présence de cette situation, le vizir de Moüûlay Elmostadi, 
Aboûlhasan El'amiîri, s'enfuit de Méknès, et son frère le 
qûdi Belqasém El'amiri se réfugia dans le mausolée d'un 
saint de cette ville, La ville de Fês envoya des chérifs et 
des 'oulamû pour porter sa béf'a au sultan Moûlay ‘Abdal- 
lah : ces délégués étaient accompagnés de négociants et 
de pèlerins de la caravane du Hedjûz qui lui apportêrent 
leurs présents. Le Sultan restait toujours û la qaşba d'Al- 
zém et les 'Abîids, trouvant qu'il s'attardait trop, prirent le 
commandement de Méknès et agirent comme s'ils étaient 
indépendants vis-a-vis du gouvernement. Ils envoyêrent 
. de leur propre autorité, û Fès, le qûid Aboû Mohammed 
‘Abdallûh Elhamri, comme gouverneur de la ville, en décla- 
rant que c' était par ordre du Dîtoudn. Les brigandages se 
multipliêérent sur les routes et les voleurs pullulêrernt dans 
la ville. Les ‘Abîids étaient retombés dans leurs anciens 
égaremenls. 


Venue du sultan Moûlay ‘Abdallah û Méknês : sa conduite 
envers les habitants de cette ville! 


Le 15 rejeb 1153, le sultan Moûlay ‘Abdallûh quitta 
Alzém et se rendit ù Méknêès. Il fit arrêter aussitût le qûdi 
de cette ville, le fqih Belqûsém El'amiri, Si Aboûl'abbãs 
Ahmed Echcheddadi, El'abbas ben Rahhûl, et le fqîh Elm- 
lîti : il leur arracha leurs turbans et les couvrit d'humilia- 
tion en leur disant : « Comment avez-vous osé marier mes 
femmes û mon frêre, moi étant encore en vie? » Puis, 


1. Texle arabe, IV* parlie, p. î1. 
ARCH, MAROC, 14 


210 ARCHIVES MAROCAINES 


aprês les avoir abreuvés d’outrages, il les fit jeter en pri- 
son. Il donna ensuite la maison du qûdi El 'amiri ù un des 
‘Abids et dit ãڍ‎ ces soldats que quiconque désirait une mai- 
son û Méknès n’avait qu’a la prendre. Les ‘Abîds se mirent 
aussitÖût û exercer leur cupidité sur la population : ils ve- 
naient û la porte des maisons et disaient au propriétaire : 
« Mon Seigneur nı’a donné ta maison, » ou « Mon Seigneur 
m’a donné ta fille, » et le propriétaire devait payer une 
rançon. On ne saurait décrire ce que les ‘Abids firent sup- 
porter aux habitants de la ville, qui étaient punis et empri- 
sonnés s’ils portaient plainte. Le Sultan, pendant ce temps, 
n’entrait pas dans la qaşba ol avait résidé Moûlay Elmos- 
tadi : il demeurait a Bêab Errih. 

Durant cette période, il nomma comme gouverneur de 
Fès Elhaddj ‘Abdelkhdleq ‘Adéyyil, chef de la caravane du 
pèlerinage, et comme qûdi, le fqih Aboû Ya qoûib Yoûsef 
ben Boû ‘Inûn : il donna pour instructions ã ce dernier de 
destituer dans tout Empire les qadis et les khetibs qui 
avaient fait la prière au nom de Moûlay Elmostadi. 

Quant aux Oûdêya qui n’ avaient pas envoyé un seul 
d'entre eux auprès de Moûlay ‘Abdallah, ils ne lui prê- 
têrent pas serment de fidélité. Ilen fut de même du bèacha 
Ahmed ben ‘Ali Errifi, des gens du Rif et du Fahs, et des 
tribus du Djebel. Le Sultan en conçut un vif chagrin. Plus 
tard, sur les prièeres de sa mère, la noble dame Khendtsa, 
il reçut une députation de ses contribules, les Oûdêya, 
que celle-ci lui envoyva, et leur accorda son pardon. 


Aboûl‘abbas Ahmed ben ‘Ali Errifi met en déroute les tribus 
du Garb ; autres événements de cette époque '. 


Bientût après ce qui précêde, le sultan Moûlay ‘Abdal- 


1. Texte arabe, IV partie, p. 72. 


DYNASTIE ALAOUTE DU MAROC 211 


lah apprit que le qûid Aboûl ‘abbûs Ahmed ben ‘Ali Errîf 
était venu faire une incursion sur les territoires d'Elqsar 
Elkébîr, et qu'il avait enlevé des richesses considérables 
aux habitants du Garb et ù tous ceux qui n’étaient pas, 
comme lui, partisans d'un soulèvement contre le Sultan. 
Moûlay ‘Abdallah envoya aussitût un nombreux corps de 
‘Abîds de Mechra' Erremla, pour tenir garnison û Elqşar 
Elkébîr et protéger la ville et la contrée avoisinante. Dês 
qu'il avait appris cela. Errifi avait distribué de l'argent û 
son armée et se préparaita marcher contre les 'Abîds, quand 
une troupe d'Oûdêya et de 'Abîd de Méknès vinrent lui 
annoncer que cette armée avait rebroussé chemin, parce 
que, « dans un pareil moment, on ne pouvait obéir ù per- 
sonne, ni parmi les sujets, ni parmi les soldats ». 

Le gouverneur du Sulan, le qaid Aboûl'abb4s Ahmed 
Elqa'îidi, qui avait été chargé du commandement des 
‘Arabs Elhayûîina et des habitants du Djebel Ezzebîb, pour 
leur faire payer leurs zekdls et leurs ‘achodrs, fut assailli 
et tué chez les Hayûina. Cette nouvelle causa une peine 
profonde au sultan Moûlay ‘Abdallûh, car ce qûid était le 
soutien de son gouvernement. Sa mort fut, en eflet, le 
signal du désordre. Les routes furent infestées de brigands 
et partout on se livra au pillage. 

Dêés le commencement de U'année 1054, le Sultan or- 
donna aux Msakhrîn qui l'accompagnaient de faire main 
basse sur les céréales des habitants de Méknés. Une grande 
émeute s'en Suivit, et le Sultan im posa aux gens de la ville 
la lourde contribution de lui payer sa modûna et celle de 
ses serviteurs et de lui fournir des manceuvres en vue de 
constructions û Bûb Errih. A plusieurs reprises, ils implo- 
rêérent sa clémence, mais il fut inexorable. Dieu sait quelle 
est la vérité. 


212 ARCHIVES MAROCAINES 


Révolte des ‘Abids contre Moûlay ‘Abdallah, qui s’enfuit 
pour la seconde fois chez les Berbers *. 


Au mois de rabi 1*"1054, les ‘Abids se soulevèrent contre 
le sultan Moûlay ‘Abdallah, et songêèrent ù le déposséder 
et ù s’emparer de sa personne. Avertie de leurs projets, 
sa mêre, la noble dame Khendtsa, fille de Bekkar, quitta 
Méknêès et s’enfuit ù Fès Eljedid. Le lendemain, son fils, 
Moiûlay ‘Abdallah partit pour la rejoindre et campa èù Rês 
Elmê ; la il reçut les Oûdêya et les habitants de Fès, venus 
pour lui témoigner leur respect et leur joie ù occasion de 
sa venue. Le Sultan chercha a se les concilier et leur dit : 

« Vous êtes mes soldats et mes armes, ma nıain droite 
et ma main gauche ; je vous demande de m’être entière- 
ment fidèles. » Après des promesses réciproques, ils ren- 
trêrent en ville. Au même moment, le Sultan apprit que 
Ahmed ben ‘Ali Errifi, après un échange de correspon- 
dances avec les ‘Abids de Mechra' Erremla, était tombé 
d’accord avec eux pour le déposer et proclamer ù sa place 
son frère Zin El Abidin, qui était son hête ۾‎ Tanger. Le 
Sultan en fut fort attristé, et, quand il vit ensuite le rapide 
succêès de la cause de Moûlay Zin El ãabidin, il s’enfuit dans 
le pays des Berbers. 


Règne du Prince des Croyants Moûlay Zin El‘ãbidin ben Ismê‘îl 
(Dieu lui fasse miséricorde 1) *. 


La première fois qu’il fut question du sultan Moûlay Zîn 
El'abidin, ce fut au moment où il vint ù Méknès, sous le 
règne de son frère Motlay Elmostadi, qui, ù peine informé 


1. Texte arabe, IV° partie, p. 72. 
2. Texte arabe, IV° parlie, p. 72. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 213 


de son arrivée, le fit mettre en prison avant de le recevoir. 
Aprês un assez long emprisonnement, il le fit sortir un 
jour de son cachot et le fit rouer de coups, au point qu'il 
faillit en mourir ; il était resté tout le temps enchainé et 
n avait pas prononcé une seule parole. Après avoir remis 
en prison, le Sultan l'envoya, toujours enchaîné, û Sijilmûsa 
pour y être détenu avec d'autres chérifs déjû incarcérés la. 
Des qûids des ‘Abids, qui avaient appris la nouvelle, avaient 
envoyé aussitûl û sa suite des gens qui avaient rejoint û 
Sefroû et avaient ramené û Fès, puis avaient fait con- 
duire chez les Beni Yûzğga, auprês du qûid Aboûl'abbês 
Ahmed Elqa'‘idi, en recommandant û ce dernier de le 
traiter avec égards et respect. Lorsque son frêere, Moûlay 
Elmostadi s'’êétant enfui de Mêéknêés, les 'Abîids s'étaient 
soumis de nouveau au sultan Moilay ‘Abdallah, Moûlay 
Zîn El ûbidîn était revenu ù Fès. La déposition de Moûlay 
Elmostadi et le retour au pouvoir de Moûlay ‘Abdallah 
l'avaient rempli de joie. Il était revenu û Méknês, d'où, 
apréês un séjour assez long, il était parti pour Tanger. Le 
bãacha Ahmed ben ‘Ali Errîfi, gouverneur de cette ville, 
chez qui il s'était rendu, lui avait fait une brillante récep- 
tion et lui avait accordé une large hospitalité. Il demeura 
chez lui assez longtemps, jusqu'au jour oû, ayant écrit û 
son sujet aux ‘Abids du Dioudn et ayant reçu leur adhésion 
û sa proclamation, ce bûcha lui prêta serment de fidélitê, 
et aprês lui, les populations de Tanger, de Tétouan, du 
Fahş et des montagnes, qui firent la priêre en son nom. 
Le bûcha Ahmed lui prépara aussitêt une troupe de cava- 
liers, formée notamment de ‘A bids du Dîoudn, pourl'accom- 
pagner jusqu'a Méknèés. Il arriva dans cette ville au prin- 
temps de année 1154. Lû, il fut l'objet d'une proclama- 
tion générale, et reçut lii députations des tribus et des 
villes, qu'il traita avec tous les égards nécessaires. Le 
sultan Moûilay ‘Abdallûh, en présence de son succès, quitta 
aussitût Rûs Elmû et s'enfuit dans le pays des Berbers. Pas 


214 ARCHIVES MAROCAINES 


un seul des Oùûdêya, pas un seul habitant de Fès, ne se 
rendirent auprès du sultan Moûlay Zin El ãbidin. 

Ce prince était doux et généreux. Il] ne commit pas 
d’injustice et ne dépouilla personne de son bien, mais, 
comme İl avait peu de ressources, il dut diminuer la solde 
des ‘Abîids, ce qui les détacha de sa cause, comme nous le 
verrons bientût. 


Suite des faits se rapportant a Moûlay Zin El ‘ãbidin, 
et décroissance de son pouvoir '. 


Après avoir séjourné prês de deux mois dans la capitale 
de Méknès, le sultan Motlay Zin El 'abidin se prépara ã 
aller combattre les Oûdêya et les gens de Fès qui n'avaient 
pas participé ù sa proclamation. Le 15 djoumdada 1°" 115A, 
il quitta Méknès è la tête du guéîich des ‘Abids, qui vint 
camper èã Sidi ‘Améira afin de mettre le siège devant Fès. 
Mais dans la nuit la discorde se mit parmi les ‘Abids, qui, 
dès le lendemain matin, démontèrent leurs tentes et par- 
tirent pour Méknêès, non sans avoir incendié les aires où 
se trouvaient les grains des Oûdêya au Khamês. Dieu pré- 
serva contre eux les Oûdêya et les gens de Fès. A peine 
arrivés a Méknès, ils pillèrent les fruits des jardins, et, 
après avoir fait tous les ravages possibles dans la ville, ils 
retournêrent è Mechra' Erremla. Ceux d'entre eux qui 
entrêèrent a Méknêès avec le Sultan, lui réclamêèrent leur 
solde avec une vive insistance, et comme il n'avait pas de 
quoi les satisfaire, ils se soulevêèrent contre lui et ne lui 
obéirent presque plus. 

Pendant ce temps, le sultan Moülay ‘Abdallah était dans 
les montagnes des Berbers, surveillant la capitale et prêt 
a agir ù la première occasion. Dès qu'il sut dans quelle 


1. Texte arabe, IV partie, p. 73. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC ` 215 


situation chancelante se trouvait Moûlay Zîn El'ûbidin, il 
descendit de la montagne et s'avança jusqu'a Fês Eljedid 
ol il entra, le 16 djoumûda IT, salué par les Oûdêya et les 
habitants de la ville qui se réjouirent de son arrivée, Le 
ıméme jour, il alla s’installer û Dûr Eddebibağ. En appre- 
nant cela, son frére Moûilay Zin El'ûbidin, se sentant trop 
faible, quitta dès le lendemain Méknés, et alla se réfugier 
en lieu sûr, abandorınant le pouvoir et tout ce qui Taccorm- 
pagne. ll resta ignoré jusqu'a sa mort (Dieu lui fasse 
miséricorde !) 


Troisiême rêgne du Prince des Croyants, Moûlay ‘Abdallah 
(Dieu lui fasse miséricorde !)'. 


Aprés la fuite du sultan Moûlay Zin El' bidin de Mêknês, 
les 'Abîds se réunirent et décidèrent de se soumettre de 
nouveau û Motılay ‘Abdallah. Ils lui envoyêrent un déta- 
chement de cavaliers, qui arrivérent aupres de lui le 
15 ramadûn. Il était alors û Dûr Eddebibag. Aprêés l'avoir 
salué, ces déléguéês lui firent connaitre que leurs frères 
d'armes avaient proclamé et qu'ils avaient déposé Molû- 
lay Zîn El ûbidin. Leur arrivée fit un grand plaisir ù Moû- 
lay ‘Abdallah. Les Oûdêya se rendirent auprês des '‘Abîds, 
et leur manifestérent la joie que leur causait leur venue. 
Ils firent galoper les chevaux dans le champ de la course 
et du jeu de la poudre, et la ville fut pavoisée. On procéda 
aussitût û la béi'a générale qui fut prêtée par les Oûdêya, 
les gens de Fès et les tribus arabes et berbêères. La situa- 
tion ne change pas jusqu’au dernier jour de doûlqa'da : il 
advint alors ce que nous allons rapporter. 


1. Texte ûrabe, IV* parlie, p. 73. 


316 ARCHIVES MAROCAINES 


Moûlay Elmostadi vient de Morrêakch ét combat son frére 
Moûlay ‘Abdallah; événements qui en sont la suite‘. 


lc sultan Molûlay ‘Abdallah, sous obéissance duquel 
s'étaicnt rangés les Oûdêya et tous les habitants du Garb, 
demeurailt a Dûr Eddebîbağg, quand, ù la fin du mois de 
doûlqa da de année 115A, les ‘Abids s’inquiétèrent de le 
voir séjourner la aussi longtemps au lieu de venir résider 
au milieu d'eux ù Méknès, capitale de 'époque, et lui tour- 
nant le dos impudemment, suivant leur habitude, ils firent 
venir de Morrûkch Moûlay Elınostadi pour le proclamer. 
Aussitût avisé qu’ ils avaient envoyé des cavaliers ù ce der- 
nier pour le ranıener, Moûlay ‘Abdallah prit de suite les 
dispositions que comportait la situation, et décida de 
prendre des mesures énergiques. Il forma un parti avec 
les tribus arabes et berbêres du Garb, qu'il unit entre 
elles, et leur fit faire cause commune avec les Oûdêya et 
les habitants de Fes. Il établit la fraternité entre tous ces 
êlêments, qui s'engagèrent sur leur foi a mourir pour lui. 
Ses cflorts dans ce sens furent couronnés de succès. 

Sur ces entrefaites, arriva û Fès, venant de Morrêakch, 
Elhaddj Ahmed Essoûsi. On préêtendit qu'il incitait les 
habitants de cette ville û se soumettre de nouveau ã Moû- 
lay Elmostadi et ù embrasser son parti : le sultan Moûlay 
Abdallih vint èû le savoir et ordonna de le mettre a mort. 

Au mois de moharrem de Uannée suivante 1155 „. Elmos- 
tai quitta Morrêkech pour se rendre dans le Nord. Il entra 
A Meêknès è la tête des 'Abids., des Beni Hsen et des autres 
tribus. Û êtalt accompagné également du vizir Aboûlhasan 
ElUamiri et de son frère le qûdi Belqêasêm. A la fin du 
mots, le qûid Aboûl abbhûs Ahmed Errift êecrivit aux habi- 
tants de Fes, pour les engger û reconnaitre son maitre 


lL. Tee arate, [N° NMrtie. Pp. 3 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 217 


Moûlay Elmostadi et û se ranger sous son obéissance, mais 
comme ils restêerent fermés û ces ouvertures et les écar- 
têrent, Moûlay Elmosladi vint au mois de rabi’ I" camper 
avec le guéîch des ‘Abids ù Dhar Ezzûoûya, prés de Fês. 
Moiûlay “Abdallah quitta aussitût Dûr Eddebibağg pour se 
réfugier chez les Ait Idrûsén. Dès le lendemain, le combat 
s'"engagea entre les ‘Abids et les Oûdêya, les gens de Fês, 
les Hayûina, les Chrûga et les Oulûd Djama'. De part elt 
d'autre, on perdit beaucoup de monde. Mais, le f rabî’ Il, 
le sultan Moûlay ‘Abdallûh arriva, amenant û sa suite des 
contingents berbêres pris parmi les tribus de Zemmoûr, 
Beni Hkim, Guerouûn, Ait Idrûsén et Ait Ou ‘Malou, en 
nombre si considérable que leur créateur seul aurait pu 
les compler : la richesse de leurs costumes elt la force de 
leurs armes étaient de nature ù réjouir lami et û faire du 
mal û ennemi. En présence de si nombreuses troupes, 
Moûlay Elmostadi et ses ‘Abids, se rendant compte qu'ils 
n’ étaient pas de force û lutlter contre eux, profitérent de 
la nuit pour s'enfuir en lieu sûr, et le lendemain malin, il 
nıe restait lû que la trace de leur campement. Tout le 
monde s'en réjouit et remercia Dieu de ce que ces troupes 
s'étaient dispersées sans combat. 

Le û djoumûda 1", mourut la noble dame Khenûtsa 
Elmgafriya, fille de Bekkûr el mère du Sultan (Dieu lui 
fasse miséricorde !) qui était une femıme trêés versée dans 
les sciences et les belles-lettres. Elle fut enterrée dans le 
cimeliére des chérifs, û Fés Eljedid. 

Au mois de djoumûda Il, un conflit s'éleva û Fés entre 
Elhûddj ‘Abdelkhûleq 'Adéyyil et le chérif Moûlay 'Abdal- 
lah Mohammed Elğûli Elidrisi. ‘Adéyyil se plaignit au 
Sultan, qui ordonna d'arrêter le chérif; mais celui-ci par- 
vint û se réfugier dans le tombeau de son ancêtre (Dieu 
soit salisfait de lui !} Le Sultanı enjoignit alors aux gens de 
Fés de I'en faire sortir : ceux-ci le tinrent si étroitement 
bloqué, qu'il demanda 'amdûn. Ils le conduisirent alors, 


218 ARCHIVES MAROCAINES 


sous le couvert de amdn, auprès du Sultan, qui, après lui 
avoir adressé de vifs reproches, le fit batonner, puis mettre 
en prison, et enfin donna ordre aux gens de Fès de tuer 
ses gens. 


Présent du sultan Moùlay ‘Abdallah (Dieu lui fasse miséricorde!) 
au sanctuaire du Prophéte (les priéres et le salut soient sur 
son noble habitant !)'. 


Cette année-la 1155, le Prince des Croyants, Modûlay 
‘Abdallah (Dieu lui fasse miséricorde!) protita du départ de 
la caravane magribine pour les deux sanctuaires pour 
envoyer un cadeau somptueux dans lequel figuraient vingt- 
trois exemplaires du Qordn de dimensions diverses, cou- 
verts d'or et parsemés de rubis. Au nombre de ces Qorans 
se trouvait le grand .Moushaf El'oqbdant que les princes 
se transmettaient par héritage, en même temps que le 
Moushaf El'olsmdnt, que possédaient les Beni Oméyya de 
TAndalousie et qui avait été apporté sur cette rive magri- 
bine par ‘\bdelmotmén ben ‘Ali. Nous nous sommes déja 
longuement étendus sur ce livre. Le Moushaf El oqbûnt 
avait appartenu ã 'Oqba ben Nèfi' Elfihrı, Tillustre con- 
quérant du Magrib. Il avait été copié a (Qairouan, sur le 
Moushaf El'olsmdnt, dit-on, et avait appartenu èڍ‎ divers 
personnages du Magrib: il était tombé enfin entre les 
mains des chérifs saadiens. Ce fut sur ce Qoran que Elman- 
şoûr lit promettre û ses fils d'obéir èڍ‎ leur frère Echchérkh. 
Quand le sultan Moilay ‘Abdallah en fut possesseur, il 
lui fit quitter le Magrib pour le noble sanctuaire : ainsi la 
perle revint û son pays d'origine. et or pur fit retour ù sa 
mine. Le chérkh Aboû ‘Abdallah Elmesnêaoui Dieu lui 
fasse miséricorde! dit: « Jal pu voir ce Moushaf au mo- 


1l. Texte arabe, IV parlie. p. 4. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 219 


ment où Moûlay ‘Abdallah (Dieu lui fasse misêricorde !) le 
sorlit pour envoyer û la Noble Pierre : il m'a semblé que 
la date de sa copie û Qairouûn était discutable, en raison 
de la dilférence existant entre les deux exemplaires. » En 
même temps, le Sultan envoya deux mille sept cents pierres 
précieuses de diverses couleurs pour la tombe du Pro- 
phête (sur celui qui 'habite soient les meilleures priéeres 
et le salut le plus pur!) Puisse Dieu agréer la belle euvre 
du Sultan et lui accorder une large récompense ! Ainsi] 
soit-il. 


Alliance du bãcha Aboûl‘abbas Errifi avec Moülay Elmostadi 
contre Moüûlay ‘Abdallãh ; arrivée de ce bãcha ã Fês, et ce qui 
sen suivit!. 


Dêès le début de l'année 1156, le bûcha Aboûl' abbas 
Ahmed ben ‘Ali Errîû, ù la tête des contingents du Fahsş, 
du Djebel et du Rif, marcha sur Fèês et la région environ- 
nante, et vint camper dans les champs de culture de cette 
ville û El'assûl (21 moharrem). Il chercha ù persuader les 
habitants de secouer le joug de l'obéissance û Moûlay 
‘Abdallah, mais sans succês. Le 22 şafar, Moûlay Elmostadi 
vint cam per prês de lui avec les ‘'Abids qui étaient comman- 
dés par le qûîid Fûtéh ben Ennouini, L'arrivée de ces deux 
bandes provoqua une grande émolion dans la région, et la 
population fut effrayée de voir venir ce Rili, û la tête de 
troupes plus nombreuses que jamais, Les Hayûina, les 
Chrûga et les Oulûd Djûma' vinrent jusque sous les murs 
de Fêès et établirent leurs campements û IJ'intérieur et û 
l'extérieur de la ville. Leurs terrains de culture et leurs 
jardins furent dévastés et leurs troupeaux pillés. Nombre 
de gens moururent de faim et de misêre. Le désordre res- 


1. Texle arabe, I1Ve partie, p. 14. 


30 ARCHIVES MAROCAINES 


semblait aux vagues de la mer. Le prix des denrées monta. 
La population se trouva dans la plus grande détresse. 
Matin et soir, le canon tonnait, et les tambours battaient 
dans les mhallas de Moùlay Elmostadi et d’Errifi. Tout le 
monde se préparait ù la guerre. 

Quant au sultan Moûlay ‘Abdallah, il quitta Dar Edde- 
bibağg et, accompagné d'une dizaine de cavaliers, s’enfuit 
en toute hate chez les Ait Idrasén, dans la plaine de ‘Achêr. 
Arrivé aux campements de ‘Abdallah ben Ichcho, il re- 
tourna sa selle en présence des gens de cet endroit. Ceux 
qui se trouvaient la se réunirent autour de lui et lui dirent: 
« Qu'est-il arrivé û notre Maitre ? — « Je suis venu, leur 
répondit-il pour que vous me prêtiez votre appui contre ce 
Jeblt, qui était mon serviteur et mon esclave. L’argent 
qu'il a amassé ù mon service l’a rendu arrogant. Il a voulu, 
depuis lors, me couvrir de honte, et nıon frère Elmostadi 
l'a excité contre moi, parce qu'il veut s’emparer de mon 
pays, qui est le vötre en réalité. C’est vous qu'il veut insul- 
ter : vous serez les premiers ù prêter votre appui aux does- 
cendants du Prophète, pour empêcher le scandale. Le 
salut soit sur vous. » Et remontant a cheval, il reprit sa 
route et rentra le soir même a Dûr Eddebibağ. 

Le lendemain, Ahıned Errifi se dirigea vers le territoire 
dés Hayûina pensant que cette tribu y¥ était restée, mais 
n'y ayant trouvé personne, il revint sur ses pas. Le jour 
suivant, un combat sans importance eut lieu entre les 
Oûdêya et leurs alliés, les Hayaina, les Chraga et les Ould 
Djama'. Le troisième jour, Ahmed Errifi se mit en route, 
accompagné «dle ses archers, et vint se poster sur la colline 
de Tamzazit, au-dessus du pont ; ses troupes traversêrent 
la riviere et s'établirent a Aroûrèt. A son tour, Moûlay 
Elmostadi, laissant è son camp les archers, les canons et 
les bagages, franchit la rivière avec les ‘Abids et échelonna 
ses troupes dans la plaine. Les Oùdêya, les gens de Fès, 
les Hayûina, les Chrêaga et les Oulad Djêanıa', puis les Berbers 


TYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 221 


en troupes nombreuses, s'établirent sur les hauteurs qui 
dominaient leurs ennemis, depuis El'aîn Elmqaboiwa 
jusqu'a Dûr Ben ‘Amar. Apercevant dans la plaine les 
troupes de Moûlay Elmostadi et de son vizir Errifi, les 
partisans de Moûlay ‘Abdallah poussèrent de grands cris, 
et fondant sur elles comme un seul homme, les mirent en 
déroute, semant avec acharnement le meurtre et le pillage. 
Celles-ci vinrent se presser sur le pont et nombre d'hom- 
mes tombêérent dans la riviére oû ils se noyèrenl : les Ber- 
bers les suivirent et continuéêrent û tuer et û piller. Quant 
û Errîfi, lorsqu'il vit que la bataille allait être perdue, il 
monıta û cheval et se sauva « sur un coursier bridé » dans 
état dépeint par Aboû Etfayyêb, quand ıl dit: 

« L'homme ne compte pas sur le maximum et il l'atteint. 
I1 veut s'emparer du minimum, mais il est pris au piêge. » 
Mais ni lui, ni aucun des vaincus, ne put atteindre la 
mhalla avant les Berbers, qui, abandonnant leur poursuite, 
se précipitêrent pour les devancer, et s'emparéêrent des 
tentes, des chevaux et des effets. Ils n'y laissêrent que les 
canons, les mortiers et les munitions de guerre, boulets, 
bombes et poudre, qui furent pris par le qûîd Bol ‘Azza, 
Şûheb Echcherbîl. 

Tous les partisans de Moûlay ‘Abdallûh revenaient char- 
gés de butin, quand ils furent assaillis par des Berbers 
qui n'avaient pas pris part au combat, et qui leur enlevêèrent 
tout ce qu'ils rapportaient. 

L'auteur du Bousldn raconte ù cet égard ce qui suit: 
Feu le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallûh m'a fait le 
récit suivant, au sujet de cette affaire û laquelle il avait 
assisté, encore adolescent: « Mon pêre, dit ce prince, 
fı avalt envoyé avec nos oncles maternels, les Oûdêya : 
Quand le vent de la victoire commença û souffler, el que 
Lernınermi fut rapidement mis en déroute, nous allûmes de 
suite ù la mhalla. J'avais avec moi des Oûdêya et des gens 
ã mon service, en tout, cinquanle cavaliers. Nous recon- 


Em. 


222 ARCHIVES MAROCAINES 


nûmes la qoubba du bacha Ahmed et nous nous en empa- 
rames. Je fis venir les muletiers, qui chargêèrent vingt mules 
de caisses pleines de douros. Je fis emporter du drap et 
de la toile sur trente chameaux qui appartenaient aux cha- 
meliers arabes Bdêoua. Ils transportèrent aussi deux qoub- 
bas ; Pune était celle de Ahmed Errifi, et Pautre était, je 
crois, celle de Moûlay Elmostadi. Quant aux ‘Arabs, aux 
Berbers, aux Oûdêya et aux gens de Fès, ils prirent, cha- 
cun de leur cêté, tout ce qu’ils purent emporter. Mais en 
quittant la mhalla, nous fûmes assaillis par des troupes de 
Berbers qui n’avaient pas pris part au combat. A peine 
nous avalent-ils rejoints, qu'ils se précipitèérent sur notre 
butin : nous ne savions plus où étaient les mules et les 
chameaux, car autour de chaque mule et de chaque cha- 
meau il y avait plus de cinquante ou de soixante cavaliers. 
Nous fûmes tous dispersés et nous revinmes comme nous 
étions venus. Ce furent seulement ceux de nos partisans 
qui se mirent du cêté des Berbers qui purent rapporter 
quelque chose du pillage. » Quand le pillage fut terminé, 
les ‘Abids du Sultan rassemblêrent les têtes des ennemis : 
il s'en trouva entre les noirs et les blancs, environ neuf 
cents, parmi lesquelles la tête du bûcha Fatéh ben En- 
nouini. Le sultan Monlayr ‘Abdallah envoya ensuite des 
mulets pour trainer les canons et les mortiers, et charger 
les boulets et les bombes : tout cela fut amené a Dûr Edde- 
bibag. Il envoya ensuite d'autres muletiers pour chercher 
la poudre : on trouva trois cents barils, chacun d'un quin- 
tal de poudre excellente. On les déposa au magasin de Fès. 
Feu le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah (Dieu lui fasse 
miséricorde! ajoute: « Ce fut la premiéêre fois que mon 
pêre m’envoya en expédition., et le premier combat auquel 
J’ assistai. J'avais atteint alors age de adolescence. J’ étais 
passionné pour jouer et frapper de la lance, et je devins 
ensuite très adroit. » 

A leur passage au Djebel Ezzebîb, les vaincus furent 


DYNASTIE ALAOUTE DU MAEROC 228 


arrêtés par les gens de cette région, qui leur livrêrent com- 
bat et tuêrent, entre autres, Sidi Mohammed fils d'Elmos- 
tadi, qu'ils prirent pour un fRifain, Errifi et ses gens 
gagnêèrent Tanger avecde grandes diflicultés. Cette bataille 
fut une victoire pour le Prince des Croyants Moûlay ‘Ab- 
dallAh et pour ses partisans. L'auteur du Nachr Elmalsûni 
dit: « Un grand nombre de ‘Abîds rentrèrent sous obéis- 
sance de Moûlay ‘Abdallah et les tribus lui apportêrent 
leurs présents de toutes parties du Magrib. Il les reçut 
avec douceur et amabilité. Il ordonna ensuite aux 'Abîds de 
partir pour Tanger afin de comhbaltre Errîifi. Mais ils revin- 
rent bientût sans avoir trouvé le moyen de Patteindre. » 


Nouvelle expédition de Ahmed Errifi contre Fês; ses démêlés 
avec le sultan Moûlay ‘Abdallah jusqu'a sa mort *. 


Arrivé û Tanger, Ahmed Errîli s'occupa de réparer les 
pertes que lui et ses troupes avaient subies en chevaux, 
armes, lentes, etc. Après avoir remplacé au guéich des 
‘Abîds et aux gens du Rif ce qu'ils avaient perdu, il se 
prépara û faire une nouvelle expédition contre Fês, et jura 
de ne pas manger de viande ni de boire de lait caillé, tant 
qu'il ne serail pas enlré ù Fês et n'aurait pas pillé cette 
ville, comme ses habitants avaient pillé sa mhalla. Il en- 
voya û son sultan Moûlay Elmostadi deux cents chevaux, 
deux cents tentes, mille fusils et cinquante mille mitsqûls 
pour les distribuer aux ‘Abîds, et lui fixa le lieu oû l'on se 
réunirait pour aller livrer combat au sultan Moûlay ‘Abdal- 
lûl et û ses partisans, les Oûdêya et les gens de Fêès. Il 
advint des dépenses dErrîifi ce qu'a dit Dieu Trées-Haut: 
« Ils dêpenseront, puis subiront des revers et seront 
vainCeus, » 


1. Texle arabe, IV* parlie, p. 7ê. 


۴ 


224 ARCHIVES MAROCAINES 


Au mois de djoumada 1°" 1156, Ahmed Errîfi quitta 
Tanger. Il se dirigeait sur Fès è la tête d'une armée puis- 
sante et aguerrie. Dès que le sultan Motlay ‘Abdallah 
apprit son départ, il ne put tarder davantage ù se porter û 
sarencontre. ll écrivitaussitÖt aux ‘Arabs Elhayûîina, Chrê ga 
etOulad Djûma', aux ‘Arabs du Garb, Sefin et Beni Malék, 
et ù tous ses partisans, pour les appeler au combat et les 
inviter a lui apporter leur appui. II distribua le rafeb aux 
‘Abids, aux Oùdêya et aux Zirara, et reçut de la population 
de Fès le contingent qu'elle fournissait habituellement. 
Il prévint également les tribus des Ait Idrûsén et des 
Guerouûn de sa résolution d’attaquer Errifi et de se porter 
contre lui: Il ajoutait: « Si vous voulez de argent et du 
butin, préparez-vous a marcher contre Tanger. » Malgré 
quelques défections, ces tribus envoyêrent 2.000 cava- 
liers et un plus grand nombre de fantassins. Dans les 
derniers jours de djoumêda 1°", le Sultan sortit de Fès, et 
s’arrêta a Oued Sboû pour avoir le temps de passer en 
revue ses troupes et de les organiser. Il forma un reha 
avec les fantassins, ‘Abids et un reha avec ceux de Fès; 
ces deux refas furent placés sous le commandement du 
qûid Boû ‘Azza, homme au cherbîl. Il organisa, avec les 
fantassins et les cavaliers des Oûdêya, des Zirara et d’Ehl 
Sots, un seul reha, ù la tête duquel il mit son /djéb, le 
qûid ‘'Abdelouahhûb Elyvimmoûri. Il se mit en route avec 
ce corps d'armée, et rencontra en chemin les Chraga, les 
Oulêad Djêûma' et les Oulêd' Isa dont il fit un reha sous les 
ordres du chéikh Aboûl'abbûs Ahmed ben Moûsa Ech- 
chergui. .\prêès avoir franchi Oued Ouarga, il trouva les 
contingents du Garb qui Fattendaient: ils caınpèrent la 
nuit avec lui û ‘Ain Gerouêch. Le lendemain, il fit un reha 
des Beni Malek, avec leur qûid Bol Selham Elhammêdi 
pour chef, et un autre des Sefian avec leur qûid ‘Abdal- 
lah Essefrani pour chef. Il partit ensuite ù la tête de toute 
cette armée, û Taube de la victoire et de la félicité. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 225 


Quant û Moûlay Elmostadi, il était avec les '‘'Abîds et les 
Beni Hsén. Quand il apprit que le sultan Moûlay ‘Abdallah 
avait quitté Fès, il prit le chemin de la résidence royale de 
Méknés, et y pénétra û Uimproviste. Il se mit û piller et 
a saccager les maisons, et les Beni Hsen se livrêrent ù des 
acles monstrueux, comme d'enlever des femmes et des 
enfants. Mais les gens de la ville se ressaisirent bientûêt, 
et, se groupant pour com battre leur ennemi, ils luttéerent 
au milieu de la ville contre les Beni Hsen, qu'ils mirent en 
déroute et qu'ils chassêrent aprês leur avoir tué un nom bre 
considérable d' hommes. 

Pendant ce lemps Ahmed Errîfi était arrivé ù Elqşar, où 
il alttendail son sultan Moûlay Elmostadi qui devait se 
joindre û lui. Il avait avec lui des troupes innombrables, 
formées de gens du Rif, du Fahş, du Djebel, de El'arêîch, 
d'Elqsar, et des tribus d'Elkhlot, de Tlig et de Bdûoua. Ne 
voyant pas venir’ son allié, et apprenant que le sultan 
Moûlay ‘Abdallah s'était mis en marche contre lui, il quitta 
Elqsar pour aller û la rencontre de son ennemi. Les deux 
armées se trouvêrent en présence le soir même, û Dûr 
El'abbûs, sur le bord de Oued Loukkos. « La rencontre 
eut lieu, dit auteudur Vachr Elmatsdni, dans les environs 
d'Elqşar, û endroit appelé Elmenzêh, le 4 djoumêûda II 
1156, » Quand les deux partis se trouvêèrent en présence, 
Varmée du sultan Moûlay ‘Abdallah voulut mettre pied û 
terre, mais il dit û ses hommes: « Nous ne camperons 
qu aprês avoir pris du butin ou avoir été battus. » Il fran- 
chit ensuite la riviére avec ses troupes, et fondit avec ses 
‘Abîds et les Oûdeya sur l'armée d'Ahmed Errîfi, avant 
quelle n’ait pu mettre pied û terre. Il défit d'abord I'avant- 
garde qui se composait de gens du Fahs et des tribus de 
Bdûoua, Tlig et Elkhlot. Quand se présenta ensuite le corps 
des gens du Rif qui formaient le ceur de 'armée ennemie 
et oll se trouvait le bûcha Ahmed ben ‘Ali, le Sultan char- 
gea sur eux et leur fit subir le même sort qu'a Uavant- 


ABECH. MAROC, 16 


2% ARCHIVES MAROCAINES 


garde. Les troupes d’Errifi se dispersèrent de tous cûtés 
et furent mises rapidement en déroute. Elles prirent la 
fuite, et furent poursuivies par les soldats du Sultan, qui 
leur tuêèrent du monde et firent des prisonniers jusqu'a la 
nuit. Errifi avait été tué dans le combat; ses troupes 
avaient laissé les tentes et les bagages au pouvoir du Sul- 
tan, qui en profita pour installer son campement a Dèr 
El ‘abbês. Le soir, les soldats revinrent chargés de butin 
et rapportant la tête du bacha Ahmed ben ‘Ali Errifi. Le 
cadavre de celui-ci avait été reconnu parmi les morts par 
un soldat du Sultan, qui lui avait coupé la tête pour l'ap- 
porter a son maitre. Moûlay ‘Abdallah se réjouit en la 
voyant, et 'expédia a Fès, oû elle fut suspendue ù Bèb 
Elmahroûq. Ainsi finit Ahmed Errifi, dont les jours étaient 
arrivés ã leur terme. La vie est éphémêère ; seul demeure 
ton maitre qui possêde la gloire et la générosité. 

Errifi a laissé ù Tanger, a Tétouan et dans la région de 
ces villes, de nombreuses constructions, qui témoignent de 
la grandeur de sa situation. Dieu lui fasse miséricorde ! 


Le sultan Moûlay ‘Abdallãah se porte sur Tanger 
et sen empare '. 


Après s’être débarrassé des soucis que lui causait Errifi, 
le sultan Moûlay ‘Abdallah :Dieu lui fasse miséricorde !) 
partit le lendemain matin pour Tanger. A peine était-il 
en vue de la ville que la population alla a sa rencontre, les 
hommes portant des Corans sur leurs têtes, et les enfants 
tenant devant eux leurs planchettes, pour implorer son 
pardon et exprimer leur repentir. Le Sultan leur pardonna, 
sauf èa ceux qui formaient, pour ainsi dire, la doublure 
d’Errifi. Il fit son entrée dans la ville et en prit possession. 


1. Texte arabe, IV° partie, p. 77. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 227 


Et faisant établir une garde autour de la maison (@'Errifi et 
de ses propriétés, il ordonna au négociant ‘Adéyyil et û 
un certain nombre de marchands de Fès de dresser in- 
ventaire de ce qui s'y trouvait. Ils pénétrêrent dans sa 
maison, fouillérent tous les magasins, et rassemblêrent 
tout ce qu'ils trouvèrent en fait d'argent, d'armes, de 
selles, de vêtements, de draps, de toile, de matelas, d'us- 
tensiles de ménage et d'effets mobiliers. Il y en avait une 
quantlité considérable. Il fil Uinventaire de tout, et dressa 
également une liste des esclaves, des négresses, des che- 
vaux, des mules, et de tout le bétail, chameaux, baeufs et 
moutons. Le tout attelgnait un chilfre élevê. Le bétail fut 
donné aux Berbers. Quant aux mer's, ils furent abandonnés 
au guéich ; les soldats s'emparèrent de tout le blé et Uorge 
qu'ils y trouvêrenl. Le Sultan s'occupa ensuite des qûids, 
des secrétaires et de tous les gens qui avaient des liens 
avec Errîli, et leur enleva leur argent et leurs trésors. Ce 
Rîfi avait fait de Tanger et de toute la région le sièêge de la 
gloire. Son influence avait grandi du fait de l'appui que son 
pêre et lui, dans la suite, avaient donné au gouvernement, 
après la conquête. En s'em parant de ses magasins, le Sultan 
fit une capture comparable ù celle des trésors de Qûroûn. 

Pendant ce temps, le Sultan reçut des députations des 
îribus de la région, auxquelies il pardonna en leur donnant 
l'amdn. Il resta quarante jours û Tanger, et parlit ensuite 
pour Fês, victorieux et plus fort car la protection vient de 
Dieu. 


Moûlay Elmostadi suscite au sultan Moûlay ‘Abdallah 
des difficultés dont il est victime; carnage des Beni Hsen, 


Moûlay Elmostadi, qui, aprês avoir bataillé contre les 


1. Texle arabe, IV" parlie, Pp. 17. 


28 ARCHIVES MAROCAINES 


gens de Méknès, avait été ensuite battu, se rendit aux 
campements des Beni Hsen, et vécut dans cette tribu. II 
apprit la mort d@Ahmed Errifi, son auxiliaire, et de son 
vizir : cette nouvelle affaiblissait son bras et détruisait 
tout lédifice qu’il avait élevé. Quand il sut ensuite que 
Tanger avait été pris, et que le Sultan s’en était emparé, 
il s’arma de décision, et pressa les Beni IIsen et les ‘Abids 
de fournir de nouveaux contingents, afin d’aller couper la 
route û son frère, le sultan Moûlay ‘Abdallah, ù son retour 
de Tanger. Le chef des Beni Hsen, qui était alors Qasém 
Boû ‘Eurif, se mit ù parcourir la tribu, pour réunir des 
combattants en vue de la guerre. Moûlay Elmostadi, accom- 
pagné d'une partie des principaux chefs des ‘Abîds, se ren- 
dit ù Machra' Erremel, et y réunit un contingent de 10.000 
cavaliers. (Jasém Boû ‘Eurif alla 'y rejoindre avec un nom- 
bre égal de Beni Hsen. Ses troupes formaient donc un total 
de 20.000 hommes, sans compter les renforts qui vinrent 
ensuite se joindre û eux. Ils se ınirent aussitût en marche 
pour aller barrer le passage au Sultan, qui ignorait la 
venue de ses adversaires. Moûılay Elmostadi envoya devant 
lui des espions, qui revinrent avec la nouvelle que le 
Sultan devait passer cette nuit-la a Dûr El 'abbês. Il se porta 
aussitût au-devant de lui avec ses troupes pour le sur- 
prendre. Dês que Moûlay ‘Abdallah vit s’avancer Pavant- 
garde des cavaliers, il disposa son armée èù la hûte et fit 
garder tout le pourtour de la Mhalla par les fantassins. 
Puis, marchant contre ses adversaires avec sa cavalerie, il 
leur livra combat : au bout une heure, les Beni Hsen, 
qui formaient aile droite, étaient battus et se repliaient 
en arriêre. Il attaqua ensuite Moûlay Elmostadi, qui tenait 
bon avec son aile gauche formée des ‘Abids, et lui livra 
combat. Le vent de la victoire commença èa souffler, et, 
mis en déroute, Moûlay Elmostadi et ses ‘Abids prirent la 
fuite en toute hûte, sans avoir remporté le moindre avan- 
tage. Le Sultan envoya aussitêt ù leur poursuite le qûid 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 229 


Boû ‘Azza, U'intendant du cherbîl, avec une troupe de 
cavaliers, en leur recommandant de ne pas tuer un seul 
des ‘Abids, mais seulement de les dépouiller. Pas un seul 
homme des ‘Abîds ne fut tué dans cette affaire : tout effort 
fut dirigé contre les Beni Hsen, qui perdirent plus de 
1.000 hommes tués et se virent enlever environ 5.000 che- 
vaux et un nombre d’armes aussi considérable. Cette 
bataille anéantit la puissance des Beni IIsen. Moûlay El- 
mostadi parvint û s'échapper dans la déroute et alla s'éta- 
blir dans leur campement, attendant un revirement de la 
fortune. Chez cette tribu qui, avec les gens de Doûkkala 
et de Morrûkch, formait son parti, nous avons déja vu que 
son frère Moûlay Ennûşer était son khalîfa dans cetle 
ville. 

Le sultan Moûlay ‘Abdallûh prit la route de Fès Eljedid, 
oû il ne tarda pas û entrer. Après avoir distribué de I'ar- 
gent û ses oncles maternels et û ses ‘Abids, ainsi qu'aux 
gens de Fêès, il alla s'installer a Dûr Eddebibag. Il y reçut, 
au mois de rabî’ II de année 1157, une députation de 
qûîds des ‘Abids, qui vinrent lui exprimer leur repen- 
tir et rêéprouver leurs actes en faisant leur soumission. 
Il leur adressa de vifs reproches et leur dit : « Je n'ai 
rien û vous dire aujourd'hui : il faut avant tout que 
j extermine les Beni Hsen et tous les autres partisans de 
Moûlay Elmostadi. » Il leur pardonna ensuite et leur 
distribua leur solde, puis leur ordonna de venir le re- 
joindre a Méknès pour aller combaltre les Beni Hsen. 
Tandis que les ‘Abîds retournaient û Mechra’ Errerınla, 
avec le projet de se conformer aux ordres du Sultan, 
celui-ci commença des préparatifs d'entrée en campagne. 
Il quitta Fès, û la tête du gutîch des ‘Abîds, des Oûdêya, 
des gens de Fès, des Iayûina, des Chrûga, des Oulûd 
Djûma' et des tribus arabes du Garb. En arrivant û 
Méknês, il y trouva les ‘Abids de Mechra' Erremla, qui 
étaient venus avec leurs chefs et leurs principaux nota- 


20 ARCHIVES MAROCAINES 


bles : ceux-ci lui renouvelêrent expression de leur 
repentir et jurêrent fidélité, en présence des qûdis et des 
‘oulama, lui promettant tous obéissance. Dieu finit tou- 
jours par lemporter. 


Le (sultan Moûlay ‘Abdallah part pour le Hoûz et le subjugue; 
Moûlay Elmostadi s'enfuit effrayê “. 


Moûlay Elmostadi était chez les Beni Hsen, comme 
nous avons dit, pendant que les ‘Abids juraient fidélité 
au sultan Moûılay ‘Abdallah. Celui-ci partit ù la poursuite 
de son frère et de ses partisans les Beni [Isen. Il suivit la 
route du défilé, de façon èa couper aux Beni Hsen le chemin 
de la ınontagne. L'armée les surprit ainsi dans la plaine de 
Zbéida, au moment où ils faisaient la sieste : Moûlay El- 
mostadli était avec eux. Avant qu’ils eussent eu le temps de 
se reconnaitre, les cavaliers fouillèrent leurs tentes, chassê- 
rent devant eux leurs bestiaux et leurs moutons, et pillè- 
rent leurs effets et tout ce qu’ils possédaient. Les Beni 
Hsen se dispersèrent dans toutes les directions, Motlay 
Elmostadi eut lui-même grand’ peine è s’enfuir. Les sol- 
dats se partagêèrent les prisonniers. Alors les Beni Hsen 
revinrent en toute hête demander pardon au Sultan, qul 
ordonna de les laisser tranquilles, leur rendit leurs pri- 
sonniers et leur laissa leurs chevaux. 

De la, le Sultan se rendit chez les tribus de Doûkkala, 
chez lesquelles il avait appris que Motlay Elmostadi s’ était 
réfugié. A peine eut-il ınstallé son campement û Qaşhbat 
Boûl'aouûn, et celui de ses troupes devant lui dans cette 
plaine de Doûkkêla, que les habitants s’enfuirent avec 
Mouûlay Elmostadi du cûté des montagnes, et allèrent 


1. Texte arabe, IV' partie, p. 78. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 231 


camper prêés de Demnût. Les soldats se mirent alors û 
retirer les grains des mers, û enlever les trésors de la terre, 
û dêétruire les villages et û couper les arbres. Ils restêrent 
environ une année dans cette plaine : quand ils avaient 
fini de dévastler un endroit, ils allaient dans un autre. Le 
Sultan demeurait pendant ce temps û la qaşba. Quand il 
eut fini de raser complétement la région de Doûkkûla, 
qu'il laissa plus dénudée que la paume de la main, car un 
oiseau n'aurail pu y trouver de quoi manger, ni un égaré 
de quoi s'abriter, il se transporta dans le pays de Serûgna. 
A peine était-il arrivé au milieu de ce territoire, que les 
délégations de ce pays elt des autres tribus de ces mon- 
tagnes vinrent lui apporlter leurs modnas et leurs hédigyas. 
Le Sultan les accepta et leur pardonna. De la, il alla û 
Demnût ; Moûlay Elmostadi et les gens de Doûkkûla s'en- 
fuirent devant lui et se forlifiêrent dans les montagnes des 
Mesfioua, qui avalent proclamé Moûlay Elmostadi et em- 
brassé son parti. Le Sultan s'avança jusqu’a Oued Ezzût où 
il établit son campement. Les ‘Arabs Errhãûmna, Zemrûn 
et tous les gens du Iolûz qui lui obéissaient, vinrent carm- 
per auprês de lui. Les soldats ravagêèrent le pays des Mes- 
ffoua, oüû ils semèrent le pillage et la destruction. La lutte 
conılinua avec lant d’acharnement contre Moûlay Elmos- 
tadi que Oued Ezzût devint plus pelé que le ventre d'un 
ûne. De lû le Sultan transporta son campement û Oued 
Kigui : les soldats y recommencéerent leur euvre de des- 
truction, et les gens du pays ne purent les repousser : 
leurs forteresses furent démolies, leurs villages brûlês et 
leurs arbres coupés. Oued Kigui devint plus dévasté que 
Oued Ezzat. Les habitants finirent par demander lamdn : 
ils proclamêérent leur sourm ission et amenéêrent leurs en- 
fants pour intercéder en leur faveur. Le Sultan leur ayant 
déclaré qu'il leur pardonnerait s'ils lui livraient Moûlay 
Elmostadi, ils lui répondirent qu'il s'était enfui la veille, 
sans quoi ils le lui auraient amené,. Le Sultan leur accorda 


232 ARCHIVES MAROCAINES 


néanmoins son pardon. Les gens de Doûkkala vinrent 
ensuite, avec leurs femmes et leurs enfants : 

« Voici nos femmes et nos enfants, lui dirent-ils. Nous 
n'avons plus d’argent, nous n’avons même plus de quoi 
nous nourrir. Faites de nous ce que vous voudrez. » 

Le Sultan leur accorda sa grûce et leur permit de re- 
tourner dans leur pays. Ces événements se passaient vers 
la fin de année 1157. 

L'année suivante (1158), le Sultan quitta le pays des 
Mesfioua et vint camper ù Qaşbat Alzam, où il reçut, 
comme nous allons le voir, une députation de Mor- 
rdkch. 

Quant ù Moùlay Elmostadi, après s'être enfui de chez 
les Mesfioua, il avait tenté d’entrer ù Morrakch, mais les 
‘gens de la ville, qui avaient abandonné son parti, lui avaient 
fermés leurs portes et avaient proclamé leur soumission au 
sultan Moûlay ‘Abdallah. Comme il n'avait plus rien èã 
faire ù Morrakch, car son frère Moûlay Ennêşer venait de 
mourir, on lui envoya les effets laissés par ce dernier. 
Après en avoir pris possession, il reprit le chemin du Fahş. 
Il fut repoussé de contrée en contrée, jusqu’a son arrivée 
ù Tanger, se contentant de son exil grace è la santé de son 
corps. Nous verrons bientêt, s'il plait a Dieu, le reste de 
son histoire. 


Les habitants de Morrakch envoient une députation a Alzam 
auprès du sultan Moûlay ‘Abdallah, qui leur donne comme 
khalifa son fils Sidi Mohammed ‘. 


Après avoir chassé de leur pays Motilay Elmostadi, les 
habitants de Morrakch s’étaient consultés et avaient décidé 
de se soumettre au sultan Moûlay ‘Abdallah. Ils désignè- 


1. Texte arabe, [V° partie, p. 79. 


DYNASTIE ALAOUIE DÛ MAROC 233 


rent un certain nombre de notables pour les envoyer au 
Sultan, qui était a Qaşbat Alzam ; cette députation se ren- 
dit aupréês de lui et lui apporta le serment de fidélité de 
la ville, en lui faisant part du sort subi par Moûlay Elmos- 
tadi et de la façon dont ils avaient éloigné,. Le Sultan 
leur ayant pardonné, aprês leur avoir adressé des repro- 
ches, ils le priéêerent, eux et toutes les tribus du Hoûz, de 
venir sur leur territoire et d'entrer dans leur ville. Le Sul- 
tan le leur promit. Il reçut également les délégations de 
toutes les tribus du Dîr, qui vinrent le saluer lorsqu'il était 
a son campement. 

Mais, quand il voulut se rendre compte de Uétat de l'ar- 
mée avec laquelle il avait quitté Méknès, il s'aperçut qu'il 
n'avait plus que la moitié des troupes du Makhzen, et que, 
sur les contingents des tribus, il n'avait plus avec lui que 
les notables qui étaient restés avec leurs tentes ; le reste 
avait désertéê, ã cause de la longueur de U'expédition, des 
nombreux combats qu'il avait fallu livrer, et du manque de 
provisions. Dans ces conditions, il lui était impossible 
d'entrer û Morrûkch, mais, pour témoigner de ses bonnes 
dispositions envers les habitants de cette ville, il leur laissa 
son filsSidi Mohammed (Dieu lui fasse miséricorde !) en leur 
disant qu'il avait désignê pour être son mandaltaire auprês 
d'eux ; ils en furent satisfaits et s'en réjouirent, L'arbre de 
la dynastie ‘Alaouie était planté pour la première foils û 
Morrakch, qui devint çapitale et résidence royale : aupara- 
vant, les Sultans n'avaient voulu rien changer û la situation 
de Méknêès. 

Le Sultan envoya ensuite son autre fils, Moûlay Ahmed, 
qui était plus ûgé que Sidi Mohammed, comme Khalifa û 
Rabût Elfeth, en placant sous son commandement les tri- 
bus d'Echchûouiya et de Beni Hsen. 

Peu de temps après, il autorisa ‘Abdelkhaleq ‘Adéyyıl, 
gouverneur de Fès, ù retourner ã son poste, mais celui-ci 
tomba malade en route et mourut après son arrivée û 


234 ARCHIVES MAROCAINES 


Fès : il fut cnterré dans la zêouya de Sidi ‘Abdelqader 
Elfèsi. 

Le Sultan prit ensuite le chemin de Méknès par le Tûãdla, 
après un séjour de près d’ une année dans le Hoûz. Il arriva 
۾‎ sa capitale dans le mois de rabi' II 1158. Quand il fut en 
vue de Méknêès, il ne voulut pas Y entrer, et établit son 
cam pement èû (Qaşbat Bot Fekran. La, 1l reçut une députa- 
tion de guerriers de la foi venue de Tanger et composée 
de plus de cent Rifains ; avec eux se trouvaient la veuve du 
bacha Ahmed Errîfi et ses deux enfants. Le Sultan accepta 
le présent considérable que lui apportait cette députation, 
mais mit û mort les deux enfants et tous les Rifains venus 
avec eux. Il fit tuer en même temps trois cents Beni Hsen, 
qui étaient venus le féliciter de son retour. Ces actes de 
cruauté détachèrent de lui la population, et provoquèrent 
de facheux commentaires de la part de son armée et de ses: 
sujets, qui ne craignaient pas de les proférer en plein mar- 
ché. Toute la population ct les gensde Fès eux-mêmes, sans 
compter les autres, se ınontrêrent très froids ù son égard. 


Le sultan Moûlay ‘Abdallah maltraite les notables Berbers, en 
trahissant les engagements pris par Mohammed Ou ‘Aziz envers 
eux ; il les remet ensuite en liberté’. 


Le meurtre des Rifains et des Beni Hsen provoqua même 
chez les Berbers un refroidissement vis-a-vis du sultan 
Motlayv ‘Abdallûh : pas un entre eux ne vint le saluer. 
Aussi, comme ils possédaient des terrains de culture dans 
les environs de Méknés, le Sultan ordonna aux ‘Abids de 
les saccager, quand la récolle serait mûre. Les ‘Abids pro- 
cédêrent û la moisson et au battage de leurs grains, et se les 
appropriéerent. Cette altitude n’ayant fait qu augmenter les 


1. Texle arabe, I1V* partie, p. 79. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 235 


velléités de révolte des Berbers contre lui, le Sultan, qui 
s'apercevait de leur froideur û son égard, s'adressa û leur 
chef Mohammed Ou ‘Azîz. Ce personnage avait des rapports 
três amicaux avec le Sultan, qui l'appelait son pêre. Moham- 
med Ou ‘Azîz avait en effet réuni, pour l'appuyer, les con- 
tingents berbers et avait pris son parti contre son ennemi 
Ahmed Errîfi, qui avait fini par être tué. Le Sultan lui écri- 
vit pour lui reprocher sa réserve vis-û-vis de lui el le retard 
apporté par ses adeptes û venir se présenter û son poste, 
puisquils étaient ses partisans et ses allranchis, En rece- 
vanl cetle leltre, Mohammed Ou ‘Azîz se vil dans obliga- 
tion d'y répondre ; il consulta cependant û ce sujet les 
gens de son elan. Ceux-ci ne partagéêrent pas son avis. 
Commê il insislait, ils lui répondirent : « N'as-tu donc pas 
vu ce qui est arrivé û ceux qui se sont rendus auprés de 
lui ? — Mais tout ira bien », répondit Mohammed, qui les 
pressa tant qu'ils finirent par accéder û son désir et se sé- 
parêrent pour aller réunir leurs cadeaux et désigner les 
membres de la délégation. Quand ils eurent rassem blé ce 
qu'ils purent, ilsrevinrent auprès de Mohammed et lui firent 
part une seconde fois de leur crainte de guet-apens. « Cela 
ne sera pas, leur dit celui-ci; vous n’êtes point dans les 
mêmes conditions que les autres. » Ils dureênt se rendre û 
celle raison else mirent en route avec Mohamıned Ou ‘Aziz 
pour la (Jaşbat Boû Fekrûn, oû se trouvait le Sultan. Ils 
eurent d' abord une entrevue avec le /dûj¢éb, Aboû Molıam- 
med ‘Abdelouahhûb Elyimmoûri. En les voyant arriver, 
celui-ci ı'en put croire ses yeux, et se sentit pris de corm- 
passion pour ses fréres berbers ; mais il élait trop tard 
pour les renvoyer. Ils étaient une centaine environ, lous 
nolables. Ils descendirent de cheval, et après avoir déposé 
leurs armes, ils furent inlroduils auprês du Sultan. Celui- 
ci était assis sur son trûne au milieu de la citadelle,. Quand 
ils eurent terminê leurs salutations, le Sultan leur répon- 
dit qu'ils étaient les bienvenus, et les invita û s'asseoir 


236 ARCHIVES MAROCAINES 


devant lui. Aussitdt les gardes et les sbires du Sultan vin- 
rent se poster derrière eux et les entourêèrent. Le Sultan 
se mit alors ù leur reprocher de se livrer au brigandage 
sur les routes, de faire des incursions sur les faibles tri- 
bus, arabes et autres, de voler les marchandises des négo- 
ciants ; il leur reprocha aussi la façon dont ils avaient traité 
les soldats des souverains qu’ils avaient dévalisés et enle- 
vés. Après leur avoir rappelé les anciennes inimitiés et 
tous leurs méfaits, il ordonna ù ses gardes de saisir les 
envoyés ; ceux-la fondirent aussitdt sur eux comme des 
oiseaux de proie, et, en un clin d'@il, ils furent présentés 
au Sultan liés avec des cordes. Mohammed Ou ‘Aziz seul 
ne fut pas arrêté : « Sire, s'écria-t-il, si c’est une trahison 
après 'amdn, je ne l'ai pas méritée ! — Ces gens, répondit 
le Sultan, ont désobéi ù la religion : il est donc licite de 
prendre leurs biens et leur vie. Ils se sont soustraits ãa 
Pobéissance et sont révoltés. Je suis fatigué d'eux. Si je 
reviens maintenant ûڍ‎ d’anciens errements, la faute en 
est ù eux seuls. Je veux mettre face è face ce bouc noir :les 
‘Abîds) et ce bélier blanc (les Berbers) ; un des deux périra 
et alors je serai débarrassé de ses fureurs ; quant ù autre, 
je saurai le tenir dans ma main. Si tu n'étais pour moi 
comme un père, je ne taurais pas dévoilé le secret cle mon 
ceur. Va-Uen, maintenant, sous la protection de Dieu : 
aucun mal ne te sera fait. — Je ne partirai pas d’ici, répondit 
Mohammed ; je veux rester avec mes frères partout où ils 
seront : s’ils meurent, je mourrail avec eux et votre trahi- 
son sera complète ; s’ils restent sains et saufs, je serail 
sauvé avec eux. On ne pourra pas dire que je les ai amenés 
ici pour les faire égorger, et que moi je suis resté sain et 
sauf. Comment puis-je maintenant n'en retourner auprês 
de leurs enfants ? Quel pays pourra me protéger contre 
leurs familles ? Où pourrai-je aller ? Si leur meurtre est iné- 
vitable, il vaut mieux pour moi que vous me tuiez avec 
eux. Il n'y aura pas de faute, ni de honte pour vous è le 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 237 


faire, puisque c'est moi qui Yous les ai amenés, qui les ai 
poussés devant vous, quoiqu’ils m’eussent prévenu de tout 
ce qui allait arriver, et que je ne les aie pas écoutés. » En 
entendant ces paroles magnanimes, le Sultan fut saisi par 
la force de leur vêrité et se mit û y réfléchir. Puis se tour- 
nant vers le hûjéb 'Abdelouahhûb, il lui dit : « O 'Abdel- 
ouahhab, il n'y a pas de bien û espérer d'un homme qui en 
appelle un autre son pére, et qui refuse d'accueillir son 
intercession en faveur de ses gens : mettez-les en liberté! » 
Ces Berbers furent élargis : ils sortaient pour ainsi dire 
de leurs tombeaux. Reprenant aussitût leurs chevaux, ils 
rentrêérent dans leurs campements, Ils auraient pu dire ces 
paroles de Arabe qui avait été bûtonné et emprisonné par 
Elhaddjûdj pour avoir uriné û Ouûsit, puis mis en liberté: 

« Quand nous aurons dépassé la ville de Ouûsit, nouspour- 
rons c¢.,. el uriner, nous n’ aurons plus rien û craindre. » 


Les Berbers viennent attaquer a Boû Fekrûn le Sultan, 
qui s'enfuit ù Méknêès !. 


Une fois arrivés û leurs campements, les Berbers allè- 
rent trouver Mohammed Ou ‘Azîz, et lui reprochêrent de 
les avoir exhortés û se rendre auprès du Sultan et ù se rap- 
procher de lui, puisqu’ils avaient été traités ainsi, alors 
qu'ils auralent pu se passer de cette démarche. « Nous 
êétions morts et nous voici ressuscités, lui dirent-ils : main- 
tenant, il faut que nous nous vengions ! — Faites comme 
il vous plaira, répondit Mohammed Ou ‘Aziz. » Aprês avoir 
délibéré et s'être concertés sur ce qu'il y avait ã faire, ils 
convinrent de se mettre en campagne contre le Sullan 
trois jours aprês et de brûler la tente de quiconque dans la 
tribu refuserait de marcher. Mohammed Ou “Azîz leur dit: 


1. Texte arabe, IV“ parlie , p. 80. 


238 ARCHIVES MAROCAINES 


« Gardez-vous d’attaquer sur les routes; pour le reste, 
faites ce que vous voudrez. » Après cette délibération, cha- 
cun rentra dans son douwar pour se préparer au combat. 
Le quatrıéême jour, tous, jeunes et vieux, furent exacts au 
rendez-vous. Le Sultan, qui était a Boû Fekrûn, fut toutsur- 
pris quand il vit des étendards apparaitre du cûté d’Elhê- 
jéb, et avec eux des cavaliers descendant les vallées et les 
ravins. Jl n'eut que le temps de faire charger ses bagages, 
de faire monter ses femmes sur des mules et de les expé- 
dier devant lui avec un refa de msakhrîn èڍ‎ pied, qu'il fit 
suivre d'un reha de msakhrîn ù cheval. Il partit ensuite 
avec son cortége, et un troisiétme refa de ‘Abids è cheval, 
qui venait derriére lui. Il ınarcha dans le lit de la riviere ; 
les troupes le flanquaient a droite et a gauche en cötoyant 
la riviêére, et chaque fois que les cavaliers berbers 
venaient charger les mnsakhrîn, le reha des cavaliers et le 
cortêge du Sultan, ils recevaient une grêle de plorınb, qui 
abattailt de A0 ù 50 hommes. Ce combat ne cessa qu'’au 
moment où la colonne arriva a Bûb Elqasdir et entra è 
Méknès. Les ‘Abids avaient perdu environ 300 hommes et 
les Berbers près de 500, ù ce que on dit. Ceux-ci ramas- 
sêerent leurs ımorls et les enterrèerent aprés les avoir 
enveloppés dans les tentes des ‘Abids, qui étaient entre 
leurs mains iils n’avalient pu s'emparer d’autre chose:. Cette 
affaire cut lieu dans le milieu de année 1159. 

Nous avons dû employer ici diflérents vocables, entre 
autres reha et msakhrîn. Ces mots servent ù désigner des 
portions de larmcée de cette dynastie fortunée. I] est néces- 
saire d’en indiquer ici la signification usuelle. 

L'armée impériale de la dynastie chérifienne se divise 
actuellement en trois groupes, qui sont : les aşhdb, les 
msakhriîin, et le guéich. 

Les aşfhdb sont cette partie des troupes qui accompa- 
gnent le Sultan dans ses séjours û la capitale et dans ses 
voyages, et ne labandonnent jamais. Ce sont ceux qui 


DYNASTIE ALAOUTE DU MAROC 239 


rem plissent les diverses fonctions makhzêntennes. Parmi 
les aşhûb, il y a les secrétaires (koutlûb) qui sont placés 
sous la surveillance du grand-vizir (elouzir ela‘ dam), et les 
diverses catégories de serviteurs, qu'il serait trop long 
d'indiquer, et qui ont chacune leur chef : nous citerons 
cependant les gens chargés du lit (ferrdch) du Sultan, les 
intendlants qui s'occupent de la nourriture el de la boisson, 
les. gens de Iablution, elc. 

Les msakhrîn demeurent également auprês du Sultan, 
quand il séjourne û la capitale, ou quand il voyage, Ils sont 
le plus souvent montés, mais il y en a aussi qui sont û 
pied. Puissants et avantagés, ce sont eux qui sont envoyés 
pour s'occeuper des affaires importantes, car ils sont experts 
dans les questions qui touchent le Makhzen, ainsi que Uin- 
dique leur nom de msakhrîn. Lorsque le Sultan sort û che- 
val, ou fait une expédition, ils se séparent en deux groupes: 
un, dans lequel se trouvent des 'Abîds, marche derrière 
lui, parce que ce sont des affranchis, el autre, qui com-=- 
prend des Oûdêya et des Chrûga, marche devant lui. 

Le guédich, comme indique son nom, est la pépiniéère 
du tout : c'est dans son sein que sont choisis les groupes 
(tdifa) précédents. Ilforme l'armée du Sultan et son Diouûn. 
La majorité des hommes qui le composent sont dispersés 
dans des campements ou dans des villes spéciaux, et quand 
le Sultan veut faire une expédition, il les convoque en tota- 
lité ou en fractions, ù tour de rûle, suivant une rêégle éta- 
blie entre eux. 

Le reha est le nom appliqué û un groupe de mille 
hommes du gu¢îeh, ù cheval ou ù pied. Ce chiffre peut être 
augmenté oll diminué suivant les cas. Dieu sait quelle est 
la vérité ! 


310 ARCHIVES MAROCAINES 


Révolte des ‘Abids contre le sultan Moûlay ‘Abdallah qui se trans- 
porte èڍ‎ Fès, tandis que les ‘Abîds du Dioudn quittent Mechra 
Erremla pour se fixer ù Méknês '. 


Ên revenant û Méknès, les ‘Abîids qui étaient a Boû 
Fekrûn avec le sultan Moûlay Abdallah retrouvèrent leurs 
frêres qui étaient restés dans la capilale, et leur commu- 
niquêèrent leurs ressentiments contre le Sultan. Exhalant 
toute la haine qu'il leur avait inspirée, 1s leur rapportèrent 
les paroles qu'il avait dites û Mohammed Ou ‘Aziz : « Je 
veux mettre aux prises ce bouc noir et ce bélier blanc. » 
Ces mots, passés de bouche en bouche, causèrent parmi 
eux une grande émolion. « Nous ne pouvons plus douter, 
dirent-ils, que cet homme n’a d’ autre désir que de nous 
exterminer : examinez ce que vous avez èã faire, ou bien 
laissez-le agir. » Ils écrivirent ensuite au Dîoudn, pour 
annoncer ù leurs contribules les propos tenus a leur sujet 
par le Sultan et les consulter sur la décision ù prendre ã 
son sujet. Prévenu par un des ‘Abids de Méknès, espion du 
Sultan, des conciliabules qui avaient eu lieu entre les sol- 
dats, et de leur lettre aux homınes du Dîoudn, le Sultan 
écrivit en toute hûte aux Oûdêya de Fès Eljedid, en leur 
disant que s’ils tenaient au fils de leur seur, ‘Abdallah, 
ils devaient immédiatement se rendre auprès de lui. Puis 
il fit réunir ses eflets mobiliers, ses matelas, charger son 
argent, seller ses chevaux et réunir son infanterie, et dit 
a ses aşshdb que le lendemain on retournerait û Boû 
Fekrûn. Au moment du ‘achd, 400 cavaliers du guéich 
des Oldêva arrivaient û Bûb Elqasdir. Il leur confia 
ses bagages, son argent et ses femmes, et monta û cheval 
avec ses fidèles. On marcha toute la nuit ; le soleil n’ était 


1. Texte arabe, [IV parlie, p. 81. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 241 


pas encore levé quand on arriva û Fès Eljedîd. Le ادان‎ 
se rendit û sa maison et s'y mit û abri. 

Quant aux ‘Abîds du Dîorûn, en recevant la lettre de ا‎ 
camarades de Méknès, ils se dirent aprês I'avoir lue : « Il 
ne convient pas que nous demeurions au milieu des Beni 
Hsen : nous ne servons de rien û nos camarades, qui, eux, 
ne nous servent pas davantage, » Ils résolurent alors de 
décamper et d'aller s’établir û Méknêès. Trois jours aprês, 
ils se meltaient en route, abandonnant Mechra'’ Erremla, 
pour le grand repos des habitants de cette contrée, et prin- 
cipalement de Salé et de ses environs, qui avaient û se 
plaindre de leur oppression et avaient subi plusieurs 
alfronts de leur part. Arrivés û Méknès, ils s’établirent 
dans la ville, û la qaşba dans Uécurie (sfabD), ù Berrima, 
a Hedraûch, et dans toutes les places étendues, et retrou- 
vêrent leurs contribules. 

Le jour de la fête de la rupture du jeûne de l'année 1159, 
ils envoyêérent auprès du Sultan, ù Fêès, une députation 
composée de leurs qûîds, accompagnés du qûdi, des savants 
et des chérîfs de Méknês. Aprês avoir assisté û la fête selon 
l'usage, ils lui demandèrent de revenir û Méknès et s’excu- 
sêrent en lui demandant grûce. Le Sultan le leur promit 
et leur distribua de argent; puis ils retournêrent û 
Méknês. Arrivés û Eljediîida, prês de la ville, ils furent 
assaillis par les Berbers, qui les dépouillêrent entiérement 
etl ne respectérent que le qûdi Belqûsém, auquel ils lais- 
sêérent sa mule. Le ımatin, toute la députation était û la 
porte de Méknêés : ils étaient complèêlement nus les uns en 
présence des autres, 


ARCH. MAROC, 16 


242 ARCHIVES MAROCAINES 


Complot de Mohammed Ou ‘Aziz contre le Sultan, qui est aban- 
donné par les gens de Fêès et par les tribus '. 


Quand les Berbers furent revenus dans leur pays aprês 
affaire de Boû Fekrûn, Mohammed Ou ‘Aziz écrivit aux 
gens de Fès, pour se plaindre de la tyrannie du sultan 
Modûlay ‘Abdallah et leur faire part de la façon dont il avait 
trahi les engagements qu'il avait pris envers ses contri- 
bules en les faisant tomber dans un guet-apens. Il leur 
demandait de plus de s’allier ù lui. Les gens de Fès accep- 
tèerent et entrêrent dans le clan des Berbers. Ou ‘Aziz 
écrivit dans le même sens aux ‘Arabs du Garb, Sofiên et 
Beni Mêlék, dont le chef était alors Habib Elmêãlki ; ils lui 
répondirent : « Nous vous suivrons : nous ferons la guerre 
et la paix avec vous. » De tous cûtés, la rupture fut com- 
plète et la lutte commença entre les Oûdêya et les gens de 
Fès. Peu de jours après, on apprit que la caravane des 
pèlerins était arrivée ù Taza et qu’ elle s’y trouvait retenue. 
Les gens de Fès demandèrent aussitêt assistance aux Ber- 
bers, qui leur envoyêrent «cle suite cinq cents cavaliers pour 
marcher sur Tãza. Ils passèrent par le pays des ‘Arabs 
Elhavûina, qui se joignirent ù eux et entrèrent dans leur 
clan. Ils partirent tous pour Tûza et délivrèrent les pèlerins 
qu'ils ramenêrent û Fès. La caravane fit son entrée dans la 
ville par Bûb Elfetoûh, et les Berbers campèrent avec les 
Hayûina dans les oliviers. Un certain nombre d’entre eux 
entrèrent en ville pour y faire des achats. Les Oûdêya en 
profitèerent pour les disperser et en tuèrent un certain 
nombre. Le Sultan ordonna de suspendre les têtes des 
morts au mur de la qaşba des Chrûga. 

Peu après, les gens de Fès commencèrent a obéir de 
nouveau au Sultan et firent cffectuer une démarche auprès 


1. Texte arabe, I1V° partie, p. 82. 


<× 
۹ 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 243 


de lui. Moûlay ‘Abdallah leur fit répondre de venir le 
trouver. Les 'oulamÃa, les chérîfs et les notables se ren- 
dirent auprês de lui ; aprês les avoir reçus, il leur retraça 
leurs méfaits, leur adressa des reproches et leur irmposa 
diverses conditions, parmi lesquelles, celle de lui remettre 
les grains appartenant aux gens du Garb qui étaient emma- 
gasinês chez eux, de dêtruire leurs maisons, de construire 
avec les matériaux de démolition Dûr Eddebtbag, et de 
choisir entre être gu¢îch ou ndîba. 11s lui répondirent qu'ils 
allaient conférer de ces propositions avec leurs conci- 
toyens, et qu'ils lui feraient connaitre ensuite leur déci- 
sion. Mais aussitêt arrivés en ville, ils fermêèrent les portes 
et dirent qu'ils n’accepteraient rien de tout cela. La guerre 
recommença une nouvelle fois, le prix des denrées aug- 
menta, et les calamités s'appesantirent sur la population. 

Le 7 doûlheddja 1159, la populace de Fès s'empare des 
caftans appartenant au Makhzen qui étaient au Fornıdaq 
Ennejjûrin, et dont amîn Elhûddj Elkhayyêt 'Adéyyil avait 
la garde. On voulut le contraindre û livrer l'argent appar- 
tenant au Makhzen qu'il avait entre les mains : il se débar- 
rassa de cette exigence moyennant 3,000 milsqûls, et fut 
relAché ensuite, car il avait été emprisonnê. Il y avait 
3.000 caftans, que lon distribua aux soldats de la ville, qui 
les revêtirent pour la fête des victimes. 

La guerre continuait entre les gens de Fês et les Oûdêya 
qui avaient avec eux lous les partisans du Sultan. Dans les 
premiers jours du mois de djoumûda 1°" 1160, les tribus 
berbêres et les tribus du Garb vinrent participer avec les 
gens de Fêsè la lutte contre le Sultan. Mohammed Ou ‘Azîz 
et les Berbers installêrent leur campement au Djebel Tgût, 
tandis que Habîb Elmêlki, avec les gens du Garb, les Tlig 
et Elkhlot, s’établissait û Dûr Eddiyêf. Les Oûdêya se reli- 
rérent û Fêès Eljedid et les ‘Abîds û la Qaşba des Chrûga. 
Le Sultan était û Dûr Eddebibağ. La situation était critique 
pour lui et pour son parti. 


244 ARCHIVES MAROCAINES 


Dès le lendemain matin, Habîb monta ù cheval avec ses 
‘Arabs et alla attaquer le Sultan a Dûr Eddebîtbağ, suivi par 
les Berbers. En arrivant au fossé qui entoure cette rési- 
dence, il apprit que les Berbers se livraient au pillage de 
sa Mhalla. Il revint aussitût sur ses pas, traversa la rivière 
et retourna dans son pays. Quant aux Berbers, lorsqu'ils 
eurent fini de piller la Mhalla des gens du Garb, ils s’en 
fuirent dans la direction de Sis. On prétend que le Sultan 
avait, pendant la nuit, soudoyé ù prix d'argent Mohammed 
Ou ‘Azîz pour qu'il préparat la défection de ces troupes et 
les dispersdt. Il y réussit en faisant piller la Mhalla des 
gens du Garb. Avec une tête d’ãne on peut racheter le sabot 
d’ un cheval. 

Après la dispersion de toutes ces troupes qui retour- 
nèrent dans leur pays, les gens de Fès combattirent encore 
pendant plus de deux ans, comme nous le verrons. Dans 
I'intervalle, ils envoyêrent des émissaires auprès de Moûlay 
Elmostadi qui était dans les environs de Tanger, pour lui 
dire que, s'il venait chez eux, ils le proclameraient et lui 
obéiraient tous. Mais ce prince renvoya ces délégués avec 
la moelle des Jarrets et avec une promesse de ‘Ourqoub. 


Motifs pour lesquels le sultan Moûlay ‘Abdallah envoya des 
armées contre les habitants du Garb. qui rentrèrent sous son 
obéissance'. 


Dans année 1160, tandis que les Oûùdêva faisaient la 
guerre aux gens de Fès,. une députation de ‘Arabs Beni 
Hsen vint se plaindre au sultan Moûlay ‘Abdallah de ce 
que les gens du Garb, en s'en retournant avec tous leurs 
contingents dans leur pays. avaient passé par leurs cam- 
pements et les avaient attaqués et pillés. Le Sultan, 


1. Texte arabe, I\* partie. p. &. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 245 


oubliant les ressentiments qu'il nourrissait contre eux, leur 
envoya une armée nombreuse, composée de soldats des 
‘Abîds et des Oûdêya, avec mission de se jeter sur les gens 
du Garb, de piller leurs biens et de ne leur rien laisser. 
Quand ils apprirent que Uarmée se mettait en marche 
contre leur pays, les habitants du Garb s'enfuirent rapide- 
ment de leur territoire et, suivis par les tribus de Tlig et 
d'Elkhlot, se sauvérent ù El'arêîch, oû ils se fortifiérent. 
L'armée suivit leurs traces et vint investir la ville, qu'elle 
assiégea pendant trois mois, durant lesquels périrent de 
faim tous les troupeaux des habitants. Un détachement 
d'Oûdêya vinrentaprês cela leur apporter 'amûn du Sul- 
tan, en même temps que son Coran et son chapelet, et con- 
clurent la paix avec les assiégés. L'armêée se relira et les tri- 
bus se rendirent avec les Oûdêya auprès du Sultan, qui, 
aprês avoir accepté leurs fédiyas, leur pardonne et leur 
donne comme gouverneur leur chef Habib Elmûlki, auquel 
fut également conlié le commandement des tribus du 
Djebel. 

L’armée d’El'arêich alla camper devant Qşar Ketûma ; 
les habitants de la ville lui donnêrent toute 'hospitalité 
possible, en pourvoyant û la nourriture des hommes et des 
animaux. Malgré cela, le lendemain, les troupes péné- 
traient dans la ville et la mirent û sac : elles se livrêrent 
au pillage, û des enlêvements et ù des meurtres, et com- 
mirent pendant six jours les plus graves excêés. La popu- 
lation tout entiére fut attristée de ces actes et les désap- 
prouva (molharrem 1161). 


Attaque des Oûdêya par les Berbers, soutenus par la population 
de Fès*. 


Au mois de djoumêda I1 1161, le Sultan décida une expé- 


1. Texle arabe, IV* parlie, p. 83. 


245 ARCHIVES MAROCAINES 


dition contre les Berbers, et se rendit a Boû Fekran où il 
établit son campement. Il espérait que ses soldats vien- 
draient 'y rejoindre comme d’habitude, mais personne ne 
répondit a son appel. Il fit convoquer les ‘Abîds, qui lui 
répondirent qu'ils ne se rendraient auprès de lui que 
lorsque les Oûdêya et les tribus seraient allés se joindre 
ù lui. En présence de la résistance générale, il rentra dans 
son palais et abandonna son projet. En apprenant son 
départ, les Berbers réunirent une expédition pour tenter 
de s’emparer de sa personne. Sur les conseils de Moham- 
med Ou ‘Aziz qui leur dit: « Mon avis est que nous devons 
descendre dans la plaine de Sûis, et couper les communi- 
cations entre le Sultan et les ‘Abids », ils s’avancèrent jus- 
qu’a la plaine de Sûis et y établirent leur campement. lls 
vinrent jusqu’ auprès de Fès Eljedid saccager les cultures 
et attaquer les Oûdêya, dont ils pillèrent les troupeaux et 
les grains, et qu’ils tinrent étroitement bloqués. Ils arri- 
vèrent ainsi ù rejoindre les gens de Fès et entrèrent dans 
la ville, où ils se mirent û faire du commerce, vendant et 
achetant, pendant dix jours ; après quoi ils s’en retournè- 
rent, pleins de joie, dans leurs tribus. 

Le 1°" rejeb, on reçut la nouvelle que les Rifains de 
Tanger avaient arrété Moûlay Elmostadi, qui vivait dans 
leur pays, lui avaient enlevé ses chevaux, ses effets et son 
argent, en attendant le moment de le remettre ãڍ‎ son frére 
Moûlay ‘Abdallah. Ils avaient ainsi. agi envers lui parce 
quwil opprimait la population du Fahş et de Tanger, et 
parce qu'il avait fait arrêter le qûid ‘Abdelkérîim ben ‘Ali 
Errifi, frere de Ahmed ben Ali dont nous avons parlé, lui 
avait pris son argent et lui avait crevé les yeux. Quant 
aux gens de Tétouan, ils nce lui avaient pas juré fidélité et 
n'avaient pas fait un seul pas vers lui. 

lu mois de cha‘ bûn, les Oûdêya vinrent brûler les 
battants de Bãab Elmahrotq pendant la nuit, mais les gar- 
diens s'en aperçurent û temps et les empêchêèrent de fran- 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 247 


chir la porte. Le lendemain, on placa deux nouveaux bat- 
tants. 


Retour des gens de Fês ã l'obéissance du sultan Moüûlay ‘Abdal- 
lãh; établissement de la paix entre eux et les Oûdêya'. 


Las de ce siêge qui durail depuis si longtemps, ruinés 
par hostilité de leurs voisins les Oûdêya, et fatigués de 
la guerre, les gens de Fès se rendirent comple qu'il fallait 
faire la paix et obéir au Sultan. Comme parmi eux se trou- 
vait un chérîf du Tafilêlt, ils envoyêrent auprês du Sul- 
tan en qualité de négociateur, et le chargêrent d'une lettre 
ol ils présentailenl leurs excuses et exprimaient leur repen- 
tir. Le Sultan s'en montra satisfait et heureux, et leur écri- 
vit une lettre deslinée ù écarter leurs appréhensions et 
calmer leurs haines. Il leur jura que jamais il n'avait donné 
l'ordre de les combaltre, ni de leur faire du mal, et que 
tout cela provenaitdes Oûıdêya, qui avaient fait spontané- 
ment. A la réception de la lettre du Sultan, le calme se fit 
dans leurs eceurs et ils furent remplis de joie. Ils dési- 
gnêérent aussilût un certain nombre de docteurs, de ché- 
rîfs et de gens respectables pour se rendre auprês du 
Sultan a Méknês. Cette députation arriva dans la capitale 
au mois de chouwêûl. Le Sultan leur fit un accueil aimable 
el leur distribua des cadeaux ; il leur déclara qu'il leur 
pardonnait et était salisfait d'eux. Cette réception leur fut 
agréable, et ils retournaient auprès de leurs corm patriotes, 
pour leur apprendre la bonne nouvêélle, 

Puis la paix fut faite entre eux et les Oûdêya au tom- 
beau de Moûlay Idris (Dieu soit satisfait de lui !) Les portes 
de la ville furent alors ouvertes, aprês un siége qui avait 
duré deux ans et trois mois, Ces faits se passaient pen-= 


1. Texte arabe, IV parlie, p. 83. 


348 ARCHIVES MAROCAINES 


dant le mois de doûlqa ‘da 1161. Lors de la fête, les gens 
de Fès voulurent aller porter cette nouvelle au Sultan qui 
était ù Méknès, mais rebroussèrent chemin, parce qu'ils 
avaient peur des Berbers. 


Les ‘Abids se révoltent contre le sultan Moûlay ‘Abdallah et 
proclament son fils Sidi Mohammed ; motifs de leur conduite '. 


Les Berbers avaient vu d'un mauvais eil les habitants 
de Fès obéir de nouveau au sultan Moûlay ‘Abdallah et se 
réconcilier avec les Oûdêya, parce que le désordre cessait. 
Quand ils apprirent en outre que le Sultan convoquait les 
‘Abids en vue d’une expédition contre eux, ils cherchèrent 
un moyen de semer la division parmi leurs ennemis. Ils 
commencêèrent èڍ‎ se livrer ù des incursions sur les ‘Abids 
de Méknès, è les bloquer dans la ville, et ù voler leurs 
enfants dans les potagers et les vergers. Les ‘Abids leur 
écrivirent pour leur demander èù vivre en paix et en bonne 
harmonie avec eux : ils leur répondirent qu’ils agissaient 
ainsi d'après les ordres du Sultan. Les ‘Abîds ne conçurent 
aucun doute sur leur sincérité ; ils crurent aussitdt que 
le Sultan voulait les punir de leur conduite envers lui et du 
peu d'empressement qu'ils avaient mis ù se rendre auprès 
de lui pour combattre les Berbers, lorsqu'il était campé 
a Boû Fekrên, ce qui avait forcé ù rentrer ù Méknès. 
Tous furent d’avis de se saisir du Sultan et de le déposer. 
Mais le Sultan, informé de leur résolution, s’enfuit de 
Méknès a Dûr Eddebibag, où il était en lieu sûr. Ceci se 
passalt au mois de şafar 1162. 

Se sentant impuissants contre les Berbers, les ‘Abids 
leur proposêèrent la paix. Les Berbers accueillirent favo- 
rablement leur proposition, ù condition qu'ils proclame- 


1. Texle arabe, IV° partie, p. 834. 


DYNASTIE ALAOUTIE DU MAROC 2419 


raient Sîdi Mohammed ben ‘Abdallah. Les ‘Abîds jurêrent 
aussitût fidélité ù ce prince û Méknêés et lui firent porter 
leur bét'a û Morrûkch, où il se trouvait alors, par un 
groupe de notables d'entre eux ; ils firenten même temps 
prononcer la Khofba en son nom û Méknês et dans le 
Zerhoûn. Le Sultan était pendant ce temps, û Dûr Eddebî- 
bag, réduit û impuissance. Quand la députation des 
‘Abîds arriva, Sidi Mohammed ben ‘Abdallah repoussa 
leur bêi'a et leur reprocha leur conduite envers son pêre. 
Il les concilia en leur donnant un peu d'argent, mais 
refusa de prêler la moindre attention û leur serment, car 
il avait une grande piété filiale et faisait tous ses efforts 
pour faire plaisir ù son pêre, ù qui il envoya en cadeau, 
dans le mois de safar de cette année-lû, une somme d'ar- 
gent s'élevant, dit-on, û 30.000 mitsqûls. La députation 
des ‘Abîds revint, désespérée de la réponse que leur avait 
faite Sîdi Mohammed. Malgré cela, on continua û pronon- 
cer la khotba au nom du prince û Méknêés et dans le 
Zerhoün. 

Se voyant abandonné, tandis que les ‘Abids et les Ber- 
bers tournaient leurs regards vers son fils Sidi Moham-= 
med en qui ils plaçaient leurs espérances, le sultan Moû- 
lay ‘Abdallah (Dieu lui fasse miséricorde !) voulut sauver 
sa situation, et chercha û se réconcilier avec ses sujets et 
û les attirer è lui. Dês le mois de cha 'bûn, il fit proclamer 
dans les marchés de Fès que les ‘Abîids qui ne se ren- 
drailent pas aupréês de lui û Dûr Eddebîibağ, ù un moment 
donné, n'auraient û faire des reproches qu'a eux-mêmes. 

Les ‘Abîds qui étaient û Fès se prêésentêrent tous : le 
Sultan donna cinq dinars û chacun d'eux en lui disant : 
Faites prêévenir vos frêres de Méknêés : lous ceux d'entre 
eux qui viendront û moi recevront la même chose que 
vous. » Mais ces proposilions ne firent qu'augmenter leur 
aversion pour le Sultan, car ils écrivirent aux Berbers 
qui étaient û Sûîs pour leur dire de tuer tous les ‘Abids 


250 ARCHIVES MAROCAINES 


qu'ils rencontreraient sur le chemin «le Fès, et procla- 
mêrent la déposition du Sultan. Moûlay ‘Abdallah con- 
voqua alors Mohammed Ou ‘Azîz, chef des Berbers. Séduit 
par ses promesses, celui-ci se rendit avec une députation 
de ses contribules, dans le mois de ramadan, auprès du 
Sultan, qui leur donna 10.000 dinars, et leur fit encore 
remettre pareille somme lorsqu’ils vinrent assister ãù la 
fête. les Oûdêya et les gens de Fês reçurent également 
10.000 dinars. Les ‘Abids persisterent dans leur rébellion 
contre le Sultan, mettant autant d'impétuosité ù s'éloigner 
de lui qu’èa s'en rapprocher. 


Sidi Mohammed ben ‘Abdallah vient de Morrakch û Méknês et 
intervient pour réconcilier les ‘Abiîids avec son père (Dieu leur 
fasse miséricorde ã tous deux!) 


Dans les derniers jours de djoumada 1°" 1163, Moûlay 
Mohammed, fils du sultan Moûlay ‘ABdallah, partit de 
Morrakch et vint û Méknês : comme les ‘Abids faisaient 
encore prêcher en son nom, il leur adressa des reproches 
a ce sujet et leur dit: « Je n'ai rien û voir avec vous, et 
je ne suis pas responsable de ce que vous faites, car je 
ne suis qu'un servilteur cle mon pêre. » Ils cessèrent de 
faire la priéere en son nom et, revenant de leur égare- 
ment, renouvelérent leur serment de fidélité au Sultan. 
En sesoumettant de nouveau a lui, ils sauvaient leur situa- 
tion. (était la septiécme fois que les ‘Abids juraient fidé- 
lité û Moûlay Abdallah : ils avaient déjû déposé six fois, 
comme nous avons rapporté. 

Quand Sidi Mohammed eut accompli la mission qu'il 
s'était donnée de faire rentrer les ‘Abids dans Tobéissance 
û son pêre, Il quitta Méknêès û la tête de Uarmée qu'il avait 


1. Texle arabe. 1¢ partie, p. 34. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 251 


amenée avec lui de Morrûkch et qui se com posait d'environ 
ı.000 hommes, sans com pter les délégués des 'Abîds qui 
étalent revenus avec lui. Il se rendit auprès de son pêre 
ã Dûr Eddebibağ. Les Oûdêya et les gens de Fès allèrent 
a sa renconlre et se réjouirent de son arrivée. En arrivant 
auprês du Sultan, il le salua et, aprês lui avoir offert un 
présent somptueux, intercéda en faveur des ‘Abids. Le 
Sultan leur accorda leur grûce, mais lui demanda de ne 
pas passer la nuit û Dûr Eddebibag. Sidi Mohammed obéit 
respeclueusement et alla camper û Rûs Elmû ; le lende- 
main, il se mettait en routede bonne heure pour Morrûkeh. 
Les ‘Abîds se présentêrent alors. En même temps le Sul- 
tan reçut une députalion envoyée par les Guerouan et 
les Beni M{tir, auxquels il donna une gratification de 
20.000 mitsqûls. (Quand il reçut les qêûids des 'Abids de 
Méknès, il ne leur fit aucun don. 

Cette année-la, mourut û Fês Moûlay ‘Ahmed, fils du 
sultan Moûlay: ‘'Abdallêh ; il fut enterré dans le cimetière 
des chérifs. (Dieu lui fasse miséricorde !) 


Les ‘Abîids s'éloignent pour la seconde fois du sultan Moiûlay ‘“Ab- 
dallãh et vont chercher protection auprês de son fils Sidi 
Mohammed ãa Morrûkch ; motifs de leur conduite t. 


Méconlents de voir que le sultan Moûlay ‘Abdallûah, qui 
avait gralifié les Beni Mtir et les Guerouaûn de 20.000 mils- 
qûls, ne leur avait rien distribué, les ‘Abids se révoltêrent 
comme d'habitude contre lui et prirent ù son égard une atti- 
tude insolente. Ils convinrentde se rendre auprés de son lils 
Sidi Mohammed û Morrûkch. Arrivés dans le mois de doûl- 
qa da de année 1164, ils tinrent û ce prince le langage 
suivant : « Vous serez notre Sullan, sinon nous proclame- 


1. Texle arabe, 1V" parlie, p. 85. 


252 ARCHIVES MAROCAINES 


rons votre oncle Moûlay Elmostadi. » Puis ils se plaigni- 
rent de attitude indifférente de son père qui les tenait ù 
distance, réservant toute sa générosité pour les Berbers, 
pour les ennemis du gouvernement. Sîdi Mohammed, pour 
les calmer, leur distribua un peu d'argent, puis leur remit 
pour son pêre une lettre, dans laquelle il les recommandait 
a sa bienveillance. Ils s'en retournêrent satisfaits. Pendant 
ce temps, le Sultan, û la nouvelle du départ des ‘Abîds pour 
Morrakch, avait donné 410.000 douros aux Oûdêya et 
3.000 douros aux ‘Abîids qui étaient avec lui. Lorsque les 
‘Abids de Méknès lui apportêrent la lettre de son fils, il 
leur pardonna et leur distribua 20.000 douros. La réconci- 
liation ainsi effectuée entre le Sultan et les ‘Abîids, 
ceux-ci partirent pour Méknès entièrement gagnés ù sa 
cause. 

Dans cette même année, Sidi Mohammed envoya de 
Morrakch û son pêre un présent, qu'il lui fit apporter par 
un certain nombre de ses serviteurs. Le Sultan fit a cette 
occasion 'éloge de son fils et prononça des veux pour 
lui. 

On apprit aussi dans le courant de cette année que les 
gens de Tétouan avaient assassiné leur gouverneur, 
Elhûaddj Mohammed Atımîim. « Vous aviez vous-même 
choisi cet homme pour gouverneur, dit le Sultan aux habi- 
tants de cette ville qui vinrent lui demander pardon de cet 
acte, et vous avez tué. Désignez maintenant qui vous 
voudrez. » Leur choix s’étant porté sur Aboû ‘Abdallah 
Elhêaddj Mohammed ben ‘Omar Elouaqqach, celui-ci 
fut nommé gouverneur, et ils s'en ıetournêrent dans 
leur pays. 

En 1165, les gens de Tétouan vinrent aupréês du sultan 
Moûlay ‘Abdallah pour assister û la fête du Mouloûd glo- 
rieux, et lui apportêrent une hédiya de 30.000 mrisqdls. 11s 
étaient accompagnés de'ambassadeur Espagne, qui venait 
demander la liberté des captifs de sa nation et qui oflrit au 


DYNASTIE AILAOUIE DU MAROC 253 


Sultan un présent de 100.000 douros et des pièces de soie, 
de drapet de toile en rapport avec cette somme, Le Sultan 
accepta argent, mais répondit ù 'ambassadeur qu'il n'ac-= 
cèderait û sa demande que lorsqu'il lui amêènerait leurs 
captifîs musulmans. Il distribua une parlie de cet argent 
aux ‘Abîids et ù leurs femmes, û raison de 2 douros par 
tête : ils étaient 2.200. 

Dans I'"année 1166, les ‘Abîds de Méknès étant venus 
célêébrer la fête avec le Sultan, celui-ci leur donna 
10.000 douros. 

Les gens de Fès se mirent û acheter des chevaux et des 
armes en très grande quanlité. 

Dans cette année-lûa, un traitéê fut conclu entre le Sullan 
et la nation des Eştados, qui sont formés de sept tribus 
flamandes. Ce traité comprend vingt-deux articles, qui 
slipulent la conclusion de la paix et de la sécurité entre les 
deux pays, è la faculté pour la nation des Esfados d"établir 
où ils voudront, dans notre pays, des consuls qui doivent 
donner leur signature, appelée passeport, ù nos bateaux qui 
se rendront dans leur pays, la réciprocité des mêmes avan-=- 
tages en notre faveur, ele. 

Dans la même année approximalivement, les chrétiens 
d'’Eljedîida attaquêrent Azemmoûr et pénétrêérent pendant 
la nuit dans le mausolée du chéikh Boû Cha'îib, oû ils 
tuêerent prês de 50 habitants de la ville. Ceci eut lieu dans 
la nuit du vendredi, que les habitants d'Azemmoûr ont 
I'habitude de passer dans le mausolée de ce chéikh. Les 
chrétiens d@Eljedida étaient au courant de cet usage, c'est 
ainsi qu'ils purent pénétrer ù Iimproviste avec leurs 
armes ; après avoir éteint les lampes, ils se mirent û tuer; 
et comme on était dans Uobscurilêe, les musulmans eux-= 
mêmes se tuêrent entre eux. Les chrétiens partirent en- 
suite. Luiz Maria, historien d'Eljedida, rapporte ainsi cet 
incident : « Dans la nuit du 12 novembre de l'année1 752 de 
êre chrétienne, 10 Portugais d'Eljedîda allêérent ù Azem- 


254 ARCHIVES MAROCAINES 


moûr ct pénétrêrent dans le tombeau du chérkh Boû Cha'ib 
et y tuerent A0 musulmans. L'épouvante se répandit dans la 
ville et, bon gré mal gré, chacun courut aux armes. Les 
chrétiens s’en retournêrent aussitêt, mais rejoints en route 
par les musulmans, les uns furent blessés et les autres 
purent se sauver, mais avec beaucoup de peine. » Luiz 
prétend que les chrétiens étaient au nombre de 10 : mais 
les gens d@Azemmoûr assurent qu’ils étaient beaucoup 
plus nombreux. Dieu sait quelle est la vérité. 

Dans année 1167, il ne se passa rien dans le gouverne- 
ment. année suivante (1168) mourut Mohammed Ou ‘Aziz, 
chef des tribus des Ait Idrasén, qui obéissaient ù ses 
ordres et dont toutes les affaires étaient conduites sui- 
vant ses indications. 


Révolte des Ait Idrûsén et des Guerouên qui s'allient aux Oûdêya : 
motifs de ces événements . 


Mohammed Ou‘Aziz mort, il n’y avait plus personne 
chez les Ait Idrêasén pour lui succéder. La discorde éclata 
aussitût entre ces tribus et celle de Gueroudn. Les Ait 
Idrasén attaquêèrent les gens de Guerouan, qui s’enfuirent 
en déroute et allêrent se réfugier ù Dûr Eddebîtbagğg, où ils 
demandêèrent protection au Sultan. Ne sachant plus où vivre 
et n’ayant plus de pûturages, ils se mirent û vendre leurs 
animaux : sur le marché de Fès, les vaches se vendaient 
5 onces, et les brebis 1 once. Le sultan Motlay ‘Abdallah 
ordonna alors aux Oûdêva de leur venir en aide, et établit 
entre eux une alliance fraternclle. Les Oûdêya les prirent 
aussitût sous leur protection et leur défense, et livrèrent 
combat û Ieurs ennemis. Les Ait Idrasén furent battus ; 
leurs cavaliers s'enfuirent détruits et, de tous cûtés, leurs 


1. Texte arabe, IV* partie, p. 86. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 255 


combattants furent tués ; ils perdirêent environ cinq cents 
hommes dans cette affaire. Ceux qui purent s'échapper 
allêrent chercher asile dans le pays des Chrûga. Telle fut 
l'origine de l'alliance entre les Oûıdêya et les Guerouûn. 

En 1169, les ‘Abids de Méknês vinrent demander alu 
Sultan de revenir avec eux dans cette ville, qui était sa 
rêsidence royale, aprês avoir été celle de son pêre. « Com- 
ment puis-je partir avec vous, leur répondit le Sultan, 
alors que parmi vous se trouvent un tel et un tel » ; et il 
leur nomma un certain nombre entre eux qui lui refu- 
salient leur soumission. En reentrant dans leurs campe- 
ments, les ‘Abîds, la nuit venue, assaillirent dans leurs 
tentes tous ceux que le Sultan leur avait désignés et leurs 
semblables, et les mirent û mort pour être agréables û 
Moûlay ‘Abdallah et le gagner. Parmi les morts, étaient 
le qûîd Mohammed Esslaoui, le qûîid Slimûn ben El'asri 
et le qaid Za‘ boîl. Quand il sut cela, le Sultan leur fit 
porter 40.000 mitsqûls de solde, et les renvoya ù Méknês 
en leur promettant que, dês qu'il aurait lerminé ses affaires, 
il irait les rejoindre. 

Cette année-lû, le qûîfd Aboû 'Abdallah Mohammed 
Elouaqqûch vint, accompagné de gens de Tétouan, appor- 
ter au Sultan un cadeau de 1.000 douros, ainsi que des 
caplifs et des marchandises que ses corsaires avaient enle- 
vés aux chrétiens. Le Sultan recut ce qûid avec généro- 
silé et lui fit don de deux djdrias : il s'en retourna plein 
de joie auprês de ses compatriotes. 

Cette année-la, le Sultan reçut également û Dûr Edde- 
bibağ la visite de son frère Moûlay Aboûlhasan ‘Ali qui 
avait été dêposê. Après lui avoir donné de l'argent et des 
objets mobiliers pour une valeur de 10.000 mitsqals, il 
lui oflrit le choix entre la résidence de TAfilêlt et celle de 
Méknès. Moûlay ‘Ali ayant choisi Meknêès, le Sultan lui 
concéda les revenus du meks de cette ville et ceux des 
jardins dü Makhzen, ainsi que des terrains de culture. 


256 ARCHIVES MAROCAINES 


Moûlay Abotûlhasan alla se fixer ù Méknès et trouva cette 
ville agréable ù habiter. Lors de la saison du labour, il fit 
labourer ses terres, mais les ‘Abîds l'attaquèrent, et, après 
lui avoir mis les fers aux pieds, 'envoyêèrent au Sultan en 
lui disant : « Cet homme a gûté notre pays ; décide entre 
lui et nous. » Le Sultan lui donna la liberté et envoya a 
Sijilmasa. 

Les Berbers voléêrent, cette année-la, tous les trou- 
peaux des Olidêya, et ravagerent leurs champs et leurs 
pota gers. 

Dans année 1170, une guerre sanglante éclata entre 
les Ait Idrasén et la tribu de Gueroudn, qui fut soutenue 
par les Olùdêya. Les Ait Idrasén furent battus dans la 
plaine @Ennkhila, qui fait partie de la plaine de Sûis. 
Dieu sait quelle est la vérité. 


Mort du Prince des Croyants Moûlay ‘Abdallah ben Ismail 
(Dieu lui fasse miséricorde!)'. 


Le Prince des Croyants, Moûlay ‘Abdallah ben Ismê ‘il 
(Dieu lui fasse miséricorde !) mourut a Dar Eddebibag, le 
Jeudi 27 du mois de safar béni de année 1171. Il fut en- 
terré û Fêès Eljedid, au cimetiéere des chérifs où était en- 
seveli son fils Moûlay Ahmed (Dieu leur fasse ã tous deux 
miséricorde !). « Le Prince des Croyants Moûlay ‘Abdallah, 
dit auteur du Boustdn, était dur et violent : c’est pour- 
quoi il était détesté de 'armée et de la population. Il 
demeura plusieurs années dans abandon û Dar Eddebi- 
bag, sans que personne se rendit auprès de lui : les habi- 
tants du pays avaient sa b¢i'a suspendue èã leur cou et ils 
le fuyaient, ù cause du sang qu'il versait sans raison appa- 
rente. Il demeura dans cette situation pendant douze ans, 


1. Texte arabe, IV° parlie, p. 86. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC ° 257 


de 1159 ù 1171. Dieu lui fasse miséricorde et lui accorde 
‘son pardon, ainsi qu'a tous les musulmans ! » 

Parmi les panégyriques qui ont été faits de ce Sultan, 
nous cilerons le suivant : 

« Salut û toi, û lumiêre de univers, ف‎ gloire des ché- 
rifs de la famille de Hûchem ; : 

« O toi qui t'es élevé pour ` abattre tous les ignorants ; 
toi par qui chaque monde s'est réveillé enchanté ; 

« Toi qui, ombre de Dieu sur la terre, est venu regar- 
der les malheureux d'un ceil charitable; 

a Toi que Dieu a revêltu d'un respect mêlé de crainte 
pour hurmilier les étrangers ; 

« Toi qui possêdes énergie, la résolution et la force 
qui écrase sous Ueffroi les ceurs des lions. 

« 11 doit suffire û ta gloire de posséder une puissance 
évidente et une générosité qui fait oublier celle de Hûtém ; 

« Et d'avoir les qualités naturelles dont la bonne odeur 
s'est répandue, et quifont les rois glorieux et généreux. 

« J'en jure par ma vie! Toutes les grandeurs t'ont 
tendu leurs rênes pour les conduire, car tu es lê résolu 
des résolus ; 

« Tu es monté sur le trûne aux angles solides, vers 
lequel on est chassé par les épées et les lances, 

« Le Dieu des hommes a dispensé de réunir des sol- 
dats en te donnant un jugement droit qui met les armées 
en déroute ; 

« Au moment oû tu es venu, le mal dans le Garb avait 
dépassé toutes les limites ; les marchés étaient des foires 
de crimes ; 

« Le feu de la discorde brûlait dans tous les défilês, et 
les mauvais sujets pouvaient û leur aise profaner les choses 
sacrées. 

« Tu l'as subjugué, au moment où le plus petit oiseau 
de proie pouvait devenir un aigle, et où de simples pas- 
leurs de troupeaux devenaient les maitres. 


ANCI. MAROC. 17 


"258 ` ARCHIVES MAROCAINES 


« Tu nous as donné la sécurité contre les agresseurs, 
et tu nous as protégés contre les astucieux assaillants. » 


Retour en: arriére pour raconter l'histoire de la fin de Moûlay 
Elmostadi (Dieu lui fasse miséricorde!)'. 


Nous avons déja raconté que le sultan Moûlay ‘Abdallah 
était parti, en 1157, ù la poursuite de son frère Moûlay 
Elmostadi; qu’il avait ravagé les pays du Hoûz ù cause de 
lui, qu'il avait forcé ù s’enfuir des montagnes de Mesfioua, 
que celui-ci s'était sauvé ù Morrakch, dont les habitants 
[avaient repoussé ; que, ne trouvant pas d’abri sûr dans le 
Hoûz, il avait poursuivi sa route ù travers les campagnes 
et les bourgs, obligé de voyager la nuit, qu'il avait tra- 
versé le Doûkkêla, le Tamema, les Beni Hsen qui n’avaient 
pas voulu Uaccueillir, et qu'il était enfin parvenu ã Tanger, 
où il avait fixé sa résidence, et ol, après avoir opprimé la 
population pendant longtemps, il avait fini par s’emparer 
du qûid ‘Abdelkerîm Errîfi, avait emprisonné, lui avait 
crevé les yeux et s'était emparé de ses biens. Nous avons 
.vu que les Rifains avaient arrêté, lui avaient pris ses 
chevaux, ses matelas et ses effets, et avaient dévalisé ses 
gens, qu'ils Iavaient soumis û la torture, et voulaient 
.Tenvoyer a son frère Moûlay ‘Abdallah, et qu’ enfin, chan- 
geant d’idée, ils avaient mis en liberté. Alors, débarrassé 
de .leurs persécutions, il écrivit a son frère Moûlay 
‘Abdallah, qui était ù Fès, pour s’excuser sur sa conduite 
passée et demanda de lui assigner un endroit où il pour- 
rait s’établir. Le sultan Moilay ‘Abdallah lui répondit : 
« Tu n’as commis aucune faute envers moi, et tu ne m’as 
fait aucun mal car tu n’as cherché, comme moi, qu’a recou- 
vrer le trûne de ton père. Si maintenant tu veux, comme 


1. Texle arabe, IV° partie, p. 87. 


DYNASTIE ALAOUIE DÛ MAROC 259 


moi, vivre sans éclat, établis-toi ù Asétla, cela vaudra mieux 
que Dûr Eddebibag oû je suis. Repose-toi comme moi. Si, 
au contraire, tu recherches le pouvoir, c'est ton affaire, et 
quant û moi, je ne te le diputerai pas. » Quand il reçüut 
la lettre de son frère, Moûlay Elmostadi se mit en route 
pour Aşéila. Il s'y établit, s'occupa d’y faire les améliora- 
tiorıs nécessaires, et, après l'avoir fait réparer, s'installa 
dans la maison d'Elkhadir ĞGeilan, qui se trouve dans la 
qaşba. Cêédant ensuite aux instigations de certains aven- 
turiers cupides qui Uentouraient, il se mit ù embarquer 
des grains pour les infidèles. Ces aventuriers lui servirent 
d’intermédiaires pour s’'entendre û ce sujet avec un négo- 
ciant chrétien de Tanger, et conclurent un traité avec ce 
dernier. Ce négociant vint en personne ù Aşéila ; il chargea 
des grains sur son bateau el paya la şdka afférente û cette 
marchandise, c’est-a-dire les droits. Moûlay Elmostadi, 
voyant que cette opération était avantageuse, voulut gagner 
davantage, et chercha ù faire le commerce des grains avec 
tous les négociants qui se présentaient. Les chrétiens 
furent bientût tous informés qu'on pouvait embarquer des 
grains dans le port d'Aşéila, et au bout de peu de jours 
leurs bateaux vinrent de tous cûtés mouiller dans le port, 
qui se remplit de vaisseaux. Les ‘Arabs de la région appor- 
térent leur blé et leur orge : Moûlay Elmostadi les leur 
achetait et les revendait aux chrétiens, de sorte que les 
bateaux embarquaient tout ce qu'ils pouvaient. De cette 
façon, le prince avait un bénéfice double, celui qu'il réa- 
lisait sur les prix et la şûka. La situation devint bientût 
três forissante ; il s'enrichit et le nombre de ses partisans 
augmenta. Il se mit alors ù acheter des armes û Tétouan, 
pour armer ses gens et les rendre puissanls. 

Apprenant ce qui se passait, le sultan Moûlay ‘Abdallah 
se repentlit d'avoir autorisé son frêre û résider û Aşéila. 
Il écrivit au qûid Aboû Mohammed ‘Abdallah  Essefiûni, 
pour Jinviter û ûller assiéger Moûlay Elmostadi dans 


, 200 ARCHIVES MAROCAINES 


Aşéîila et en expulser. Il manda en même temps è son 
fils Sidi Mohammed ù Morrakch, d’envoyer quelqu'un pour 
le chasser de cette ville, de concert avec le qaid ‘Abdallah 
Essefiani, qui aurait avec lui cinq cents cavaliers. Sidi 
Mohammed fit partir avec cent cavaliers son cousin et 
ami, Moûlay Idris ben Elmontaşir, et lui donna ordre de 
rejoindre d'abord en chemin ‘Abdallah Essefiani et ses 
cinq cents cavaliers, conformément au plan établi par son 
père, puis d'aller bloquer Moûlay Elmostadi dans Aşéîla 
jusqu'a ce qu'ils en fissent sortir. Moûlay Idris et Essefiani 
vinrent donc camper devant la ville et assiégêèrent Moûlay 
Elmostadi. Celui-ci se rendit auprès d'eux et chercha ã 
persuader son cousin Moûlay Idris de lever le siège et de 
le laisser en paix. Il s'excusa en disant que le Sultan lui 
avait permis de demeurer ù Aşéila et lui avait permis de 
percevoir ã son profit les revenus du port. Mais Moûlay 
Idris resta inflexible et finit par faire sortir de la ville 
Moûlay Elmostadi. Il s’enıpara de tout ce qu'il trouva dans 
sa maison, argent, armes, poudre, etc., et le porta ù son 
oncle Moûlay ‘Abdallah. 

Motûlay Elmostadi, en quittant Aşéila, partit pour Fès, 
où il demeura dans le mausolée du chéikh Boû Bkeur 
ben El'arabi (Dieu soit satisfait de lui!) Il envoya son 
fils auprès du sultan Moûlay ‘Abdallah, pour se plaindre 
de la conduite a son égard de son fils Sidi Mohammed 
ben ‘Abdallah, qui avait levé des troupes pour marcher 
contre lui et avait expulsé d’ Aşéila. Le Sultan répondit : 
« Dis ù ton pêre que je n’ai aucun pouvoir sur mon fils, 
car il est plus puissant que lui et moi. Que ton père aille 
donc au pays de son père et de ses ancêtres, et qu'il ne 
se donne pas tant dle peine, car ni lui, ni moi n’avons plus 
longlemps ã vivre. » 

Quand les paroles du Sultan lui furent rapportées, Molû- 
lay Elmostadi partit pour Şefroû, où il s’installa dans la 
maison du gouverneur de cette ville. Il laissa sa famille è 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 261 ˆ 


Fèês, dans la maison du chérîf Moûlay Ettahûmi, dans le 
quartier CLEldjoûtiyin. Lorsque Moûlay Idrîs ben Elmon- 
taşir apporta les effets et l'argent de Moûlay Elmostadi 
au Sultan, celui-ci conserva pour lui la poudre et les 
armes, et pour le reste il manda au Gouverneur de Fês 
d'écrire au prince, pour Uinviter ù envoyer un délégué de 
sa part pour prendre possession de son avoir. Moiûlay 
Elrmostadi expédia aussitêt quelqu'un, qui prit livraison de 
son argent et de ses effets, et les remit û ses femmes, qui 
étaient dans la maison de Moûlay Ettahûmıi. 

Aprês avoir séjourné quelque temps û Sefroû, Moûlay 
Elmostadi convoqua les notables de la tribu Ait Yolûsi, 
qui vinrent le trouver. Il leur proposa de le proclamer et 
de prendre sa cause en mains, mais ils ne lui montrêrent 
aucun em pressement et lui répondirent qu'il fallait d'abord 
qu'il se rendit chez les Ait Idrûsén et les Guerouûn, et que 
si ceux-ci accédaient û ses propositions, ils régleraient leur 
attitude sur la leur. Voyant qu'il n'obtenait aucun résultat 
a Sefroû, Moûlay Elmostadi envoya quelqu'un û Fés pour 
lui ramener sa famille et ses effets, el partit pour Sijil- 
masa, où il se fixa (1166). Il resta désormais û Uécart du 
pouvoir et cessa de le rechercher. Il demeura au Tafilêlt 
jusqua sa mort, qui survint en 1173. Dieu lui fasse miséri- 
corde et lui pardonne ! 


Retour én arriêre pour raconter l'histoire des 'Abids réunis par 
le sultan Moûlay Ismûã'îl, depuis la mort de ce prince jusqu'au 
règne du sultan Sidi Mohammed’, 


Nous avons rapporté avec quel soin le sultan Moûlay 
IsmA il avait réuni les ‘Abîds, dont le nombre avait atteint 


la chifîfre de 150.000, et les avait fait instruire et entraîner. 


1. Texle arabe, IV* parlie, p. 88. 


262 ARCHIVES MAROCAINES 


Sous le règne cle ce prince, leur puissance et leur richesse, 
la grandeur de leurs maisons et de leurs palais, le nombre 
de leurs chevaux de race, le choix de leurs armes, Uéten- 
due de leur fortune et la beauté de leurs costumes, avaient . 
atteint un degré auquel personne n’était parvenu avant 
eux. . 
A la Mhalla de Mechra' Erremla, il y en avait 70.000, 
tant cavaliers que fantassins. Les yégchdriya, qui étaient 
sous les ordres du bûacha Msahél, étaient au nombre de 
25.000 ; ils étaient tous ù pied, et leurs qûids seuls étaient 
montés. A Tanoût et a Oujéh ‘Aroûs, il y avait 5.000 'Abids 
qui avaient tous le titre de qûid et étaient montés. Les 
50.000 autres étaient fractionnés dans les qaşbas, dont ils 
formaient les garnisons et où ils veillaient è la garde des 
routes et ù la défense des places. Ils jouissaient d’ une 
très grande aisance, car chaque tribu venait apporter ses 
‘achour èù la qaşba bûtie sur son territoire, où ils servaient 
a nourrir la garnison et les chevaux. ) 

Cet état de choses se maintint jusqu’a la mort de Moû-, 
lay Ismêã''il (Dieu lui fasse miséricorde !). Après lui, les 
garnisons des qaşbas cessêrent de recevoir ces vivres 
nécessaires ã leur entretien. Ses fills, au cours des discus- 
sions qui se produisirent entre eux, négligèrent de s’oc- 
cuper des ‘Abîds et ne firent pas attention ù eux, si bien 
que leurs ressources diminuèrent, que leur situation 
s’aflaiblit beaucoup, et qu’ils finirent par se répandre dans 
les tribus voisines de leurs garnisons, où ils se mirent ã 
posséder pour subvenir ù leurs besoins et ù ceux de leurs 
enfants. Dès qu'ils eurent abandonné ces qaşbas, les tribus 
arabes et berbêres, sur le territoire desquelles elles se 
trouvaient, se mirent è les piller et a les démolir, enlevè- 
rent les portes et les poutres de bois, ainsi que tous les 
matériaux légers qu’ils y trouvèrent, et les laissèrent en- 
tiéerement vides. Les murailles seules restérent debout. 

Jl en fut de même û la Mhalla de Mechra ‘Erremla. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 263 


Dês que les ‘Abîids Teurent quittée pour aller se fixer 
û Méknês, sous le rêégne du sultan Moûlay ‘Abdallah, 
les Beni Hsen se mirent û piller et a démolir. Ils 
dévalisêrent entièêrement tous les retardataires qu'ils trou-. 
vèrent ets'emparêrent des objets pesants que les ‘Abîds: 
Jy avaient laissés dans l'espoir de les retrouver quand ils 
reviendraient de nouveau ù Mechra' Erremla. Les Beni 
Hsen allêrent même jusqu'a démolir les maisons et les 
palais et û transporter û Salé les portes et les poutres de 
bois, qu'ils vendirent û vil prix. Il y avait, en effet, û la 
Mhalla des maisons et des palais comme on n'en voyait pas 
dans les grandes villes. Les qûids rivalisaient entre eux de 
magnificence en construisant des maisons plus solides, 
mieux ornementées et plus brillamment peintes que celles 
de leurs collègues. Mais les Beni Hsen saccagêèrent toutes 
ces constructions, les renverséêrent de fond en comble et 
les anéantirent en moins de temps qu'il n’en faut û un 
chien pour se lécher le nez, Ils ne laissêèrent debout que les 
murailles, qu'ils démolirent dans la suite petit û petit. Ils 
pratiquêrent même des fouilles dans le sol, pour chercher 
des trésors, et en découvrirent une trés grande quantité. 

Lorsque les ‘Abîds de Elmhalla se transportêrent û Mék- 
nês, il en arriva jusqu'a la ville moins de la moitié : les 
autres se dispersêrentdansles tribus au moment du départ, 
retournant les uns û leur tribu, les autres û leur village 
d'origine. Ceux qui s'’établirent a Méknès n'y demeurêèrent 
pas longtemps. Leurs ressources étaient modiques, le prix, 
des denrées très élevé, et les famines et les troubles très 
fréquents dans cette période, Il ne resta plus ù Méknês 
que les qûids qui étaient dans l'aisance, et les artisans qul 
pouvaient gagner leur vie en travaillant. De plus, leur 
séjour dans la ville devint plus dangereux encore, ù cause 
des incursions des Berbers, plus forts qu’ eux, qui vinrent 
plus d'une fois leur voler leurs enfants dans, les potagers 
et les vergers, La plupart allérent petit ù petit chercher de 


“= = 
204: ARCHIVES MAROCAINES 
4 E ا‎ 


quoi vivre dans les bourgades et les tribus, et finirent par’ 
oublier le service militaire et la manceuvre individuelle et 

en groupes nombreux. Ainsi se dispersa cette forte troupe. 

A Dieu revient la fin de toutes choses. Un grand nombre ' 

de ‘Abîids (on en compte 5.000) périrent dans le tremble- 

ment de terre qui se produisit û Méknêès en 1169, et dont 

nous parlerons dans les faits divers. 

C’est ainsi qu'ils allêèrent toujours en diminuant et en 
s'affaiblissant jusqu'au rêgne du grand sultan Moûlay 
Mohammed ben ‘Abdallah (Dieu lui fasse miséricorde !) 
qui, les ayant trouvés réduits û néant et formant une misé- 
rable troupe, s'intéressa ù eux, les rappela des tribus où 
ils s'étaient dispersés, leur donna de la vigueur, leur ren- 
dit importance qu'ils avaient perdue, les morta avec des 
chevaux de prix, releva leurs drapeaux et leurs étendards, 
et en fit une légion des plus puissantes, Ce fut lui d'ailleurs 
qui, par sa bonne administration et son intelligence [or- 
tunée, sut restaurer et vivifier ce gouvernement isma 'ilien 
qui était tombé, qui avail perdu son éclat, et dont toutes 
les franges s’étaient déchirées. Dieu Très-Haut lui fasse 
miséricorde et soit satisfait de lui ! 

Ici finit ce que nous avons û dire sur les nobles ehêérifs, 
fils de Moûlay Ismû'îl (Dieu leur fasse miséricorde !) Aken- 
soûs dit: « Il est hors de doute que ceux des lils de cê 
prince qui se sont emparés du pouvoir aprêés la prestation 
de serment au sultan Moûlay 'Abdallûh doivent être consi- 
dêérés comme des révoltés sans qualité d'Imdam. Lêeur his- 
toire doit être comprise dans celle du rêgne de Moûlay 
‘Abdallah. » Il faut porter le même jugement en ce qui 
concerne le sultan Moûlay Ahmed ben Isma'îl, qüi fut un 
imam remarquable, et Moûlay ‘Abdelmêûlék qui se révolla 
contre lui, car on sait par les théories des Ach'ariyd que 
le fait de libertinage ne suffit pas pour provoquer la dê-ٌ' 
chéance de 'imûm. Dieu sait quelle est la vérité, et est le 
meilleur juge ! ۰ : 


DYNASTIE ALAOUTE DU MAROC 20 


Retour en arriére pour raconter, du commencement û la fin, la 
vice-royauté que Sidi Mohammed ben ‘Abdallah exerça û 
Morrûkch !. 


Nous avons dit précédemment que le sultan Moûlay 
‘Abdallah était parti en année 1057 ù la poursuite de son 
frère Moûlay Elmostadi et finalement J'avait chassé du 
territoire de Mesfioua. Les habitants de Morrûkch s’étaient 
alors rendus auprès de lui et l'avaient sollicité de venir 
dans leur ville, mais les circonstances ne le lui avaient pas 
permis. Décidêé û rentrer dans le Garb, il avait envoyé 
Moûlay Ahmed, son fils atné, ù Rabût Elfeth pour l'y repré- 
senter, et avait placé sous son autorité les tribus CEch- 
chûouya, de Beni Hsen et les tribus intermédiaires. Puis 
il avait dirigé son jeune fils, Sîdi Mohammed, avec les 
gens de Morrûkch, avec mission de le représenter dans 
cette ville : par cet acte commença la plantation û Morrûkch 
de I'arbre de la dynastie ‘alaouie et le choix de cette ville 
comme capitale de la famille impériale. 

En arrivant ù Morrûkch, Sidi Mohammed s’installa dans | 
la qaşba, qui tombait en ruines. On n'y trouvait plus que 
quelques vestiges des constructions des Saadiens et des 
Almohades, démolies par l'action du temps et servant de 
nids aux chouettes et aux hiboux. Il dressa ses tentes au 
milieu de ces ruines, et fit creuser les fondements de sa 
demeure dans un vaste emplacement éloigné des palais 
détruits, en dedans de la muraille. A peine avait-on com-= 
miencé les travaux, que les ‘Arabs Errhûman, qui depuis 
longtemps répandaient la terreur autour de Morrûkch et 
qui ne voulaient pas y voir s'installer un gouvernement 
susceptible de les contenir, se mirent d’accord pour faire 
obstacle ù ses projets. Une troupe de mauvais sujets de 


1. Texle arabe, IV* parlie, p. 89. 


266 ARCHIVES MAROCAINES 


cette tribu marchèrent contre Sidi Mohammed et, le sur- 
prenant a Pimprovistë, le chassèrent de la qaşba. Sidi 
Mohammed se rendit alors a Aşf. 

Quant a Moûlay Ahmed, gouverneur des Deux-Rives, il 
s'était établi dans la qaşba de Rabût, ayant sous ses ordres 
les ‘Abîds de la qaşba. Il exerça ses fonctions de khalifa 
dans cette ville, jusqu'au jour où les habitants des Deux- 
Rives, ayant appris la façon dont les Rhamna avaient traité 
le khalifa, de Morrûkch, convinrent de le chasser de leur 
pays. Ils lui déclarèrent la guerre, assiégèrent la qaşba où 
il se trouvait avec les ‘Abîids Foullan qui y tenaient garnison 
depuis Pépoque du sultan Moûlay Ismail; ils leur cou- 
pêrent les vivres et eau, si bien que, exténués et ravagés 
par le siège, les assiégés durent demander amdn pour 
leurs personnes et Pobtinrent. Moûlay Ahmed se rendit è 
Asfi où il rejoignit son frère Sidi Mohammed. On a vu pré- 
cédemment ce qu'il advint de lui : il mourut ù Fès en 1160. 
Dès qu'il fut parti, les gens de Rabat se précipitèrent sur 
les ‘Abids de la qaşba, les en chassèrent et les dispersèrent 
dans la ville, afin d’annihiler leur force et leur cohésion. 
Ainsi se passa le khalifat de Moûlay Ahmed. 

Quant ù Sidi Mohammed, pendant son voyage de Mor- 
rakch ù Asfi, il avait été salué par les tribus de ‘Abda et 
de Hmar, qui lui avaient donné Phospitalité sur leur terri- 
toire, lui avaient offert des présents, avaient exécuté des 
fantasias en son honneur, avaient joué le jeu de la poudre 
pour marquer la joie que leur causait sa venue et le 
respect qu'ils professaient pour sa personne, et avaient. 
accompagné jusqu’a Asfi. Arrivé la, il fut bien reçu par la 
population et s’établit dans la qaşba. Sa bonne étoile le 
suivalt partout. 

Aussitêt qu'il fut installé, les gens d’ Asfîi lui présentèrent 
leurs cadeaux. Les négociants chrétiens et juifs firent de 
même, rivalisant entre eux et redoublant d’empressement. 
Les ‘Arabs de ‘Abda, notables et simples particuliers, 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 267 - 


arrivêrent en foule auprês de lui, lui offrant leurs enfants 
pour qu'il les prît ù son service, et lui apportant tout ce 
qu'ils pouvaient. Il accorda aux négociants l'exportation 
des marchandises par le port. Aussi nombre de navires 
vinrent y débarquer des marchandises du pays des chré- 
tiens, et les négociants affluèrent de tous cêtés avec des 
cargaisons, pour vendre et acheter. Le bien-être augmenta 
et les richesses s'accrurent. La situation de Sidi Moham- 
med grossit ainsi, et sa renommée s’'étendit dans tout le 
Hoûz. Les tribus d’Echchiadhama et de Hûha se rangêrent 
alors sous son autorité et se mirent avec empressement 
û son service. Six mois ne s'étaient pas écoulés qu'il sortait 
déja avec une escorte d'environ mille cavaliers. A leur 
tour, les Rhûmna, apprenant le résultat qu’avaient Gbtenu 
leurs adversaires de ‘Abda et de Hmar en lui servant 
d'auxiliaires et en venant le servir, leur portêrent envie 
et changêéêrent d'attitude. Un certain nombre de leurs 
notables se rendirent û Asfi, et envoyêrent des présents û 
Sidi Mohammed, pour chercher ù rentrer en grûce auprès 
de lui. Quand ils furent introduits devant lui, ils s'excu- 
sêrent de leur conduite, et rejetant toute la responsabilité 
de leurs actes sur quelques mauvais sujets de la tribu, ils 
déclarêèrent qu'ils n'avaient rien ordonné, ni approuvé de 
ce genre, et. finirent par jurer que, dussent-ils rester û sa 
porte unê année entiére, ils ne quitteraient pas Asfi, sans 
emmener avec eux û Morrûkch. Le khalîfa céda ù leurs 
irisStances el partit avec eux. Il fut accompagné par un 
millier de cavaliers de ‘Abda. Quant û ses gens et û ses 
serviteurs, ils formaient un cortège d'environ 500 per- 
sonines, tous montés sur des chevaux de prix, magnifique- 
ment habillés et armés de pied en cap. 

Arrivé û Morrûkch, Sidi Mohammed s'établit dans la 
qaşba, où les gens de la ville, les tribus du Hoûz, puis 
cell»s du Dir, lui apportêrent leurs présents, Les Rhûmna, 
rivalisant de zêle avec les ‘“Abda et les Hmar, lui amenêrent 


908 ARCHIVES MAROCAINES 1 


leurs enfants pour qu'il les prît au service impérial. Les 
gens du Hoûz firent tous de même. Î , il reçut 
les 'Abids de Doûkkûla qui s'êtaient établis ù Salé, ef qui 
furent très bien traités. Apprenant cela, les 'Abîids de 
Méknès s'enfuirent a Morrûkch, où ils furent em ployês aux 
constructions et élevêrent des maisons pour eux-mêmes. 
Sidi Mohammed fit construire de suite son grand palais 
dans la qaşba et Ihabita dès qu'il fut terminé. Puis il fit 
restaurer la partie de la muraille de la qaşba qui était en 
mauvais état, y établit des portes, et la sépara du reste de 
la ville. Il emplanta également un grand parc attenant û son 
grand palais du cûté de ouest et appela Ennîl. A Uextrê- 
mité ouest de ce pare, il econstruisit un autre palais qu'il 
nomma Elqşar Elakhdar, et qui s'appelle aujourd'hui 
Elmanşoûr. A chacun des coins de ce pare, il édîifia quatrê 
portes (il n'y en a plus que trois actuellement) et en éleva 
deux autres, une û Lest conduisant au grand palais, et 
autre û Vé conduisant au Oşgar Elakhdar. Au milieu 
il fit construire un pavillon isolé, des quatre faces duquel 
yartaient des allées conduisant û d'autres pavillons égale- 
ent isolês. La dimension de ce parc est d'environ 200 pas 
en longueur et en largeur. La même distance sépare les 


_, deux palais, Eddar Elkoubra et Elqşar Elakhdar. 


٤ Le _ khalifa restaura ensuite la mosquée _dElmansoir_ 


> سے — 


qui se trouve dans la qaşba et qui était alors en ruine. Il 


2 fonda pour la khotba û proximité de son palais une aufré 


mosquée, qu'on appelle aujourd'hui la mosquêe de Berrîma. 
Il fit construire également dans la qaşba delux ıx_ mdersas 


, pour les folba et d'autres mosquées pour les aflraichis et 


les esclaves. Il distribua û ceux de ces derniers qui s'étaient 
attachés û lui, de argent pour édifier leurs habitations et 
construire en pierres leurs maisons, qul étaient aupa- 
ravant en terre et en roseaux. Il organisa de petits et de 
grands corps de troupes, et vit ainsi se réunir autour de 


lui 1.500 'Abids, tous montés et armés, autant de cavaliers 
کک‎ 


یا 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 209 


de ‘Abda et de Hmar, et 1.000 cavaliers des Rhûmna et des 
tribus du Hoûz. rr 

Quand les ‘Abîds de Méknêés, qui s'étaient révoltés contre 
son pêre, vinrent lui prêter serment, il leur adressa de 
vifs reproches, se rendit dans cette ville et les réconcilia 

vec son pêre, comme nous avons vu précédemmenî. 

En 1169, il ft une expédition dans le Sous qu'il subjugua 
et dont il calma les diverses régions, ll laissa une garni- 
son û Tûroûdûnt. De lû il se rendit û Agûdir, où il arrêta 
le t{ûléb Salah qui s'était révolté et s'était approprié les 


revenus du port. Il l'arrêta, lui enleva tous les bénéfices 


que le port lui avait procurés, et établit également une 
garnison û Agadir. Plus tard, le taléb Salah |se coupa le 
cou dans sa prison. Il est resté três célèbre dans la région du 
Sois : c'est son sceau qu'on trouve encore sur les fusils, 


„sabres et poignards fabriqués dans ce pays, et qui y sont 


trés recherchés. 

Le khaliîifa Sidi Mohammed rentra û Morrêûkch, victorieux 
et plus fort. Au bout de quelques jours, il se mit en route 
celte même année pour la région d'Echchûouiya, dont les 
habitants étaient en révollte, coupaient les routes et se 
livraient au pillage. Il tua plusieurs notables et envoya les 


autres enchaîinés û Morrûkch. Puis 1l se rendit dans la 


région de Salé, et passa d'’abord la nuit û Rabût Elfeth, 
dont les habitants allèrent au-devant de lui, lui apportant 
la moûna et des cadeaux, et se réjouirent de son arrivée, 
Mais pas un habitant de Salé ne se porta au-devant de lui ; 
le gouverneur de cette ville, ‘Abdelhaqq ben ‘Abdel'azîz, 
Fennich lui ferma les portes de la ville. Sidi Mohammed 
laissa de cêté Salé et traversa la riviére û un gué plus haut 
que les deux villes. Il se rendit a Qşar Ketama, dans la 
région d'’Elhabt, où il fut rejoint par les 'Abids de Méknès 
venus avec leur chef, le bûcha Ezziyûni. Le jour même, 
ceux-ci mirent û mort leur bûcha et tuèrent également le 
qûîd Yoûsef Essellûh ; ils leur reprochaient de les avoir 


270 ` ARCHIVES MAROCAINES 


empêchés de se rendre ù Morrêakch auprès de Sidi 
Mohammed. Il leur donna pour chef le qûid Sa'id ben 
El'ayyachi. Le lendemain, il se mit en route pour Tétouan. 
Il y fut bien reçu par la population et par le gouverneur 
Mohammed ben ‘Omar Elouaqqach, qu'il. mit d’abord en 
prison pour IPeffrayer, et qu’il relacha ensuite. De lè il 
partit dans la direction de Ceuta, et après avoir considéré 
la ville, depuis les hauteurs, il alla a Tanger, d’où il se 
rendit a Morrdkch en passant par El'arêîich et par Salé, 
où, ‘Abdelhaqq ayant persisté dans son attitude ù son 
égard è lui, il remit ù plus tard sa décision. Cest ù Mor- 
rakch que vint le trouver la royauté, après la mort de son 
père. 


Rêgne du Prince des Croyants Sidi Mohammed ben ‘Abdallah 
(Dieu lui fasse miséricorde 1). 


Lors de la mort du Prince des Croyants Moûlay ‘Abdallah 
ben Ismail, ù la date précitée, c’est-a-dire le 27 şalar 
béni 1171, les populations étaient saturées du désordre et 
des séditions, fatiguées des difficultés et des troubles, et 
désiraient la fin de la guerre. Le règne de ce prince, sur- 
tout pendant la dernière période, avait été comme une 
époque d’interrègne où il n'y a pas de souverain : les 
sujets étaient plongés dans l'anarchie. 

Ce fut la plus grande cause du mouvement qui entraina 
les habitants du Magrib ù proclamer Sultan Sidi Moham- 
med et ù s’accorder sur son choix. De plus, pendant son 
khalifat, ce prince s’était signalé comme un habile poli- 
tique, un homme énergique et intelligent, possédant un 
Sens exact de la direction des: affaires et les conduisant 
comme il convenait. On Paimait, on mettait son espoir en 


. 1. Texle arabe, 1V° partie. PF. 92. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MANRNOG 271 


lui. On lui reconnaissait des qualités que ne possédaient 
pas ses frères. Aussi fut-il proclamé û la fois par les 
bouches et par les ceurs, 

Dès que son pêre fut mort, les gens de Fès s'empres- 
sêrent de rédiger leur bêi'd : ils n'y mirent ni hésitation, 
ni lenteur. « Notre maitre, notre pêre, le glorieux sultan 
Sidi Mohammed ben ‘Abdallah, dit, dans son ouvrage 
intitulé Dourrat Essoulodk, son fils, le fqîh Aboû Moham- 
med Moûlay ‘Abdesselam ben Mohammed ben “Abdallah, 
reçut un serment de lidélitê unanime valable et complet. 


Il fut prêté par un grand nombre de savants, comme ` 


Si Saîd El'amiri, qûdı-l-jamd'a de Méknès; Sî 'Abdel- 
qûder Boû Kherîş, qûdi-l jJamdû'a de Fès ; Si Mohammed ben 
Qûsém Guessoûs, chêikh eljamd'a de Fès; 'Imûrm reconnu 
celui qui porte l'étendard des sciences spéculatives et des 
sciences pratiques, le chéikh Aboû Hafs ‘Omar Elfési ; le 
cousin de ce dernier, Si Boû Médién Elfèsi, qui écrivit 
lui-même la bét'a; le professeur Moûlay ‘Abderrahmûn 
Elmendjra, imûm de la mosquée des Chorfa û Fês; le 
chéîikh très docte Si Ettaoudi ben Soûda Elmourri ; Si 
'Abdallah Essoûsi, imûm de la grande mosquée de Fès 
Eljedid ; imam, le hûfîd Sidi Aboûl‘oulû Drîs El'irûqi et 
une foule d'autres personnages qu'il serait trop long d'énu= 
mérer. » Le qûdi de Mêknès n'était pas Si Saîd El'amiîri, 
mais son lils, Belqûsém El'amiri. 

La nouvelle de la mort de son pêre vint trouver Sîdi 
Mohammed û Morrûkch : il en fut très attristé, 

Les gens de Morrûkch, les tribus du Hoûz et du Dir le 
proclamêérent en foule; des députations vinrent du Soûs 
et de Hûha lui apporter des cadeaux, Puis ce fut le tour 
des 'Abîds, des Oûdêya, des 'oulamû, des chérifs et des 
notables de Fès, des tribus arabes et berbêres, des tribus 
des montagnes et des habitants des ports : tous appoftérent 
leur béî'a et leurs cadeaux. Pas une seule population du 
Magrib ne manqua. Sidi Mohammed reçut toutes ces dépu- 


32 ‘“. ARCHIVES MAROCAINES - 


lations jusqu'a la dernière, puis les autorisa ù partir. Tou- 
tefois, pour témoigner de la place qu’il leur attribuait dans 
le gouvernement, il donna beaucoup de chevaux et d’ armes 
aux 'Ablds qui s'en retournêrent satisfaits et pleins de 
dévouement ù sa cause. 


De la venue du sultan Sidi Mohammed û Fêès aprés la bét'a 
et de ce qui lui arriva en cette circonstance *. 


les» préparatifs de départ pour le Garb commencèrent 
dlês que Sidi Mohammed eut fini de recevoir les délégations. 
Accuompagné des soldats et des notables du Hoûz, il quitta 
Morrûkch et s'arrêta û Méknès. Il s'y installa dans le palais 
impêrial. Son premier soin fut de distribuer des chevaux, 
des armes et de Uargent aux ‘Abids, que les excès des 
Berbers avaient mis dans un état de grande détresse et 
. dle faiblesse, car ils venaient leur voler leurs enfants dans 
les jardins et les vergers, pour les vendre dans leurs tri- 
bus, ainsi que nous Uavons deja dit. 

Dieu mit un terme û cette situation en élevant au pou- 
vuir ce noble Empereur. Ses allaires terminées a Méknès, 
Û partit pour Fès. II s'arrêta avec ses soldats a Eşşefşafa, 
ol İÜl reçut la visite des Oûùdêya et des gens de la vılle. Il 
fut aimahle pour tous et se mêla ã la foule; chacun Ten- 
lourall et hauigait les pans de ses vêtements. en toute 
lherte. U distribua de Uargent., des vêtements et des armes 
au Uûdêva et aux 'Abids d Ës؛sloûqiva.‎ I it des dons aux 
fqihx, aun cherifs, aux tola. aux eleves des mdersas et 
dex ecules, au imêmg. aux meualdins. aux pauvres ef aux 
malhceurcun. Û xtisht tout le monde et ne neşgligea per- 
sunne. Le \endrali, il quitta la Mballa. dans un cortège 
bellant et KAaxgtRigte el. eourte des hıNitaats des deus 


lL TENE gE. ON? Tome. 7. 


Si uu‏ ا 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC TI ˆ 


villes venus pour le voir, au milieu d'une foule de soldats 


et de spectateurs, il entra û Fêès Eljedîid où il fit sa priêre. 


I1 reçut ensuite les fqihs de Tépoque et se les fit présenter 
les uns après les autres. Puis il alla|lvisiter le mausolée de 
son pêre, et ordonna d'y répandre des aumênes et d'y 
établir des lecteurs. Il entra ensuite dans le palais des 
femmes, oû il trouva ses seurs. Il chercha û les consoler 
de la mort de leur pêre et les encouragea û la résignation. 
Le soir même, il rentra û la Mhalla, où il passa la nuit. 
Le lendemain, il alla û Dûr Eddebîbağ, pour s'occuper 
de ce qu'avait laissé son pére en fait d'argent, d'elfets, 
d'armes et de chevaux. Il examina tous ces biens, en Iit 
linventairé et les laissa entre les mains des servilteurs de 
son pêre û qui ils étaient déja confliés. 11 leur recommanda 
d'en prendre garde et chargea de la surveillance le /djeéb 
Aboû Mohammed ‘Abdelouahhêûb Elyimmoûri. Il fut bien- 
veillant envers les serviteurs de son pêre, les prit sous sa 
protection, leur parla avec beaucoup de douceur, et leur 
remit une somme d'argent qu'ils se partagêrent. Plus tard 
il se fit rendre par eux le dépût qu'ils détenaient. La for- 
tune laissée par son pêre consistait en grande partie en or : 
elle était contenue dans mille sacs (les Marocains appellent 


ces sacs semdût; ils sont en cuir de Tûfilêlt) fermés, de 


2.000 dinars chacun. Ces sacs étaient porlés sur les selles 
de ses chevaux dans les voyages ; dès Y'arrivée de l'armée 
au campement, et aussitût que les tentes étaient dres- 
sées, les hommes préposés û ce service enlevaient chacun 
le sac dont ils avaient la consigne, et le portaient û la qoubba 
du Sultan. Au départ il en était de même, et les sacs ne 
leur étaient remis qu'aprês que leur contenu avait élé 
compté et pris en note. 

Parmi ces biens se trouvaient aussi 100 cistres d'or 
pur, semblables û des rondelles de cire, du poids de 
1.000 douros chacun. On les portait en voyage sur des 
mules, dans des panniers de charge recouverts de tapis 

ARCH. MAROC. 18 


2714 ARCHIVES MAROCAINES 


(les Marocains les appellent fhéndbél) serrés avec des: 
corcles : comme dans chaque panier double on plaçait 
(untre diucques, le tout était porté sur 25 mules qui mar- 
chuient devant Moilay ‘Abdallah, et quand la colonne 
urrivail au camp, on le déposait dans la tente impériale, 
(luns len ınê¢mes conditions que les sacs. Moûlay ‘Abdallah 
ben lInmA4'Il considérait comme très prudent de porter son 
urgent nvec lui partout où il allait, sans jamais s’en sépa- 
rer. Dans Uhéritage de son pêre, Sidi Mohammed trouva 
uıınni 225.000 douros et environ 20.000 mouzodnas minces 
dle lu frappe qu'il avait fait effectuer. 

\Voild ce que laissa Moûlay ‘Abdallah comme biens « ina- 
nimes »; il les confiait toujours è la surveillance d’ un de 
n ouyî/s, le qûild ‘'Allal ben Més'oûd. Le Prince des 
C(royants prit possession de ces richesses, les transporta è 
la AMlalla, oû il les confia û ses gardiens. I] recommanda ã 
«ex gens de traiter avec égards les serviteurs de son pêre 
qil enrodla A son service. Ceux Pentre eux qui se distin- 
guerent, İl les rapprocha de lui : quant aux autres, il les 
vloigna bient\t. 

U recut ensue une dêputation de toutes les tribus du 
Garh, qui vinrent lui apporter des cadeaux et des présents : 
ÛÛ fut gunereux, comme il convenait, envers chacun des 
delegues. 

Au dehut de son rêgne. Sidi Mohammed était dun 
ats fale. ٠ ا‎ 

U maintint en fonctions tous les qaids des tribus et les 
erneurs des \illes, qui pendant le règne de son pêre 
alten! pour ainsi dire independants. ll leur laissa leurs 
nmandements cf nen ecarta anın sanz avoir prîz ã son 
UN Hos miornations (mpirtes. Seul. le goaverneur de 
Teionas, Auk ANialah M Shamma ten Omar Elaaq- 
ORR. iG ONT YF REVA PES VCRLL FC cher quand il 
4S Khal Te 4 MOTION, N Fi. NYU LR? ETE 3e ai 
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 276 


û Tenvoyé : « Une femme ne se marie pas avec deux 
hommes ! » ou tenait d'autres propos de ce genre. Ce qui 
signifiait : qu'il lui suffisait d'obéir déja au sultan Moûlay 
‘Abdallah. Aussi quand Sidi Mohammed fut proclamé Sultan 
et se rendit a Fês, Elouaqqûch, redoutant sa punition pour 
ses méfaits précédents, resta sur la réserve et alla şe 
réfugier au mausolée du chéikh ‘Abdesselûm ben Mechich, 
emmenant ayec lui sa famille et em portant son argent. Les 
habitants de Tétouan se rendirent auprès du Sultan, pro- 
testérent de leur soumission et de leur innocence des 
actes de leur gouverneur, et lui donnêèrent des détails sur 
son compte. Le Sultan leur’ désigna comme gouverneur 
le fqih Aboû Mohammed ‘Abdelkerîm ben Zûkoûr, un 
de ses secrétaires, qu'il avait déjû nommé gouverneur 
d’El'aréich et qui avait déja quitté Morrûkch. Il le donna 
néanmoins aux gens de Tétouan, car c'étail comine eux 
un fadari raffiné. 

„ Le sultan Sidi Mohammed prolongea encore son séjour 
` û Fêès de deux mois, et retourna ensuite ù Méknês. 


Ëtablissements du me/'s ã Fês et dans les autres villes, 
et opinions exprimées û ce sujet *. 


Lors du séjour que le sultan Sidi Mohammed ben 
‘Abdallah fit dans la capitale de Fês aprês son avêénement, 
les habitants de cette ville lui présentèrent leurs doléances 
au sujet des taxes qu'ils payaient û son pêre Moûlay 
‘Abdallah et qui frappaient les balances, comme celles de 
Sidi Fréj, du marché au beurre fondu, du marché aux 
huiles, etc. Ces taxes formaient un total de 300 mitsqûls 
par mois, soit 3,600 mitsqûls par an. Lorsque les juriscon- 
sultes de Fês se rendirent auprès de lui, le Sultan les 


1. Texle arabe, IV’ partie, p. 93. 


276 ARCHIVES MAROCAINES 


entretint de ces taxes et de son désir (le baser sur leur 


| fetoua]la décision qu'il prendrait ù ce sujet. Ceux-ci décla- 


rèrent que si le Sultan n’avait pas d’argent, il avait le 
droit de percevoir sur ses sujets les sommes nécessaires 
pour payer la solde de Parmée. Le Sultan les ayant priés 
de lui donner cette réponse par écrit, ils établirent un 
rapport qui servit de base au Sultan pour taxer les portes, 
les produits de la terre et les marchandises. Le très docte 
professeur Ettaoudi ben Soûda, le très docte chéikh Aboû 
‘Abdallah Mohammed ben Qasém Guessoûs, le maitre 
Aboû Hafş ‘Omar Elfèsi, le fqih, le jurisconsulte Aboû 
Zéid ‘Abderrahmêan Elmendjra, le jurisconsulte Abod 
‘Abdallah Mohammed ben ‘Abdeşşadeq Ettrabelsi, et le 
jurisconsulte et qêdi Aboû Mohammed ‘Al.delqader Boû 
Kheriş furent parmi ceux qui rédigêèrent ce rapport. 

Le meks a toujours été une source de calamités dans 
tous lëš pays, sous toutes les dynasties, et depuis les temps 
les plus reculés. Il n'est donc pas sans intérêt de rap- 
porter ce que les savants ont écrit ù ce sujet. 

Voici quelle est en cette matièére opinion de Imam, 
argument de IIslam, Aboû Hamed Elğgazzûli (Dieu soit 
satisfait de lui !) dans son livre intitulé Chtfd Eljalîl : 

« La thèse que on soutiendra peut-être est la sui- 
vante : L’imposition du Kharddj et la taxation des 
immeubles sont une nécessité évidente. Sans elles les 
gouvernements n’ont pas de quoi subvenir ù Ientretien 
de Parmée et ne peuvent ni profiter de son assistance, ni 
établir la puissance de Islam. Aussi le Kharddj a-t-il 
existé ù toutes les époques, et les souverains, quels que 
fussent leur politique ou leur caractêre, ont tous imposé 
et n’ont pas pu y échapper. C’est que les intérêts spiri- 
tuels et matériels ne peuvent être défendus avec fruit que 
par un prince obéi, un gouvernement respecté, qui réunit 
les éléments épars de la foi, qui assure Pautorité de la reli- 
gion et la pureté de Islam, qui défend le bien des musul- 


7 


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٤‏ 


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DYNASTIE ALAOUTE DU MAROC 277 


mans et veille û leur prospérité. Il n’arrive û ce résultat 
que par Uénergie, Pautorité et Uarmée. Celle-ci lui sert 
û combaltre les infidèles, défendre les places frontiéres, 
contenir les impies révoltés, et les empêcher de porter 
atteinte aux richesses, aux choses sacrées et aux épouses. 
Elle est la gardienne de la religion : elle préserve ses 
colonnes de la ruine et 'empêche de se dissoudre sous 
effet de invasion des infidéèles dans les pays musulmans. 
Elle protege le pouvoir temporel contre le désordre qui 
nait de la révolte et du pillage suscités par les mauvais 
sujets. Or lon sait quelles dépenses considérables 
entraînent la nourriture des soldats, leur entretien et 
celui dê leurs familles. Ceux-ci ont droit au dixiêtme du 
butin et du tribut, mais cela ne suffit pas le plus souvent 
û couvrir leurs dépenses et ù subvenir ù tous leurs besoins, 
On ne saurait y faire face qu’en taxant les riches. Donc, 
si vous voulez faire face aux nécessités, vous devez admettre 
que cet impût est permis dès que la nécessité se mani- 
feste. 

7 « Voici votre réponse û cette thêse: L'impût dont il s'agit 
est légilime quand il est réclamé par la nécessité, Or en 
qüoı consıiste cette nécessilé ? 

« Nous dirons, en premier lieu, qu'a 'époque actuelle, 
le caractêére de imposition et son application en font une 
pure injustice que rien ne légitime. En effet, si toute leur 
solde était versée û la plupart des soldats et qu'elle fût 
répartie également entre tous, elle leur suffirait pendant 
un certain temps. Mais combien en a-t-on vu qui ont pris 
des habiludes de bien-être et de fainéantise, et qui gas- 
pillent leur superflu pour s'élever' par la popularité et le 
luxe au-dessus des Chosroés! Dans ces conditions comment 
évaluer leurs besoins, pour calculer la quotité du kKharddj 
qui doit les entretenir et les soutenir, puisque tous les 
riches eux-mêémes sont pauvres par rapport ù eux. Mals, si 
nous envisageons Thypothése d'un prince obéi, qui aurait 


378 ARCHIVES MA\ROCAINES 


besoin d'augmenter le nombre (le ses troupes pour forti- 
fier les places frontières et protéger un royaume agrandi 
et étendu, mais dont le trésor serait vide, et dont les 
troupes n’auraient ni ce qui leur serait suffisant, ni même 
ce qui leur est indispensable, nous pensons que ce prince 
devrait imposer aux riches ce qu'il jugerait suffisant tem- 
porairement, en attendant que l'argent revienne au Tré- 
sor. Ensuite il apprécierait l'opportunité de faire rendre 
cet impût aux produits de la terre et aux denrées, de façon 
que le fait de rejeter les charges sur une minorité ne 


. provoquût pas de mécontentement, ni de récriminations. 


De cette façon le peu viendrait du superflu, aucun dommage 
ne serait causé, et le résultat proposé serait atteint. 

Le chéikh Aboû Hamed appuie cette opinion sur des 
arguments scientifiques et philosophiques, qu'il serait trop 
long de rapporter. 

Dans son livre intitulé Elmoslasf@, il dit encore : 

« imposition de kharddj étant une question d’intérêt 
public, par quel moyen I'établir, dira-t-on ? Je répondrai : 
par aucun, si les troupes sont dans une grande aisance. 
Mais si elles ne possèdent rien, que le Trésor ne contienne 
pas de quoi payer la solde des soldats, alors même que 
ceux-ci ne sont pas licenciés et occupés ù gagner de 
Pargent, et si on craint Pinvasion des infidéèeles dans le 
pays de Û Islam, il est permis au Prince de faire supporter 
aux riches les sommes suffisantes pour l'armée. Ensuite, 
s'il le juge possible, il n’y a pas d’inconvénient dans la 
répartition ù imposer uniquement les terres. Nous savons, 
en effet, qu'en présence de deux maux, il faut écarter le pire: 
or la part payée par les contribuables sera peu le chose 
en comparaison du danger que courront leurs personnes 
et leurs biens. Tandis que si le gouvernement de Islam 
est dépourvu d'un prince qui par sa puissance fasse respec- 
ter le bon ordre des choses et coupe lé mal dans sa 
racine, c’ est la perte du pays et de ses habitants. » Notre 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 279 


auteur veut dire par les riches, ceux qui ont la possibililé 
et les moyens de payer quelque chose sans ên soulffrir. 

Le qûdi Aboû ‘Omar ben Manşoûr indique, dans une 
réponse, que, dans Pétablissement du k#harddj et dans 
son application aux denrées, il faut observer certaines 
xeonditions : 

1° Il faut que le Trésor public soit videl et qu'il soit 
nécessaire d'avoir des troupes. En effet, si le Trésor est 
en mesure d'assurer cette dépense, il n'est pas légal 
d'imposer quoi que ce soit aux sujets. Le Prophéte (que 
Dieu prie sur lui et lui donne le salut !) a dit : « Celui qui 
aura établi le meks n'entrera pas au paradis, car il aura 
fait payer de I'argent injustement. » 

2° Le prince doit employer les fonds dune façon juste : 
il lui est interdit de les dépenser pour d'autres que pour 
-les musulmans, de les gaspiller, de les donner ã ceux 
qui n'y ont pas droit, ou de donner ù quelqu'un plus que 
sa part. 

3° Il doit baser Uemploi de ces fonds sur l'utilité et les 
besoing, et non sur l'arbitraire ou sur I'intérêt : (cette 
troisiêéme condition rentre dans la seconde). 

® La taxe doit être imposée ù ceux qui sont ù même de 
la payer sans en soufîrir : ceux qui ne possèdent rien, Ou 
n’ ont que de faibles ressources, doivent en être exempts. 

° TIÎmûm doit exercer une vigilance constante, car le 
moment peut arriver où il n’est plus nécessaire de rien 
ajouter aux revenus habituels du Trésor. 

De même si le bien public réclame l'assistance corpo- 
relle, et que les ressources pécuniêres soient insuffisantes, 
les gens seront contraints de la fournir personnellement 
en vue de l'objet qui la rend nécessaire, mais û condition 
que leurs forces le leur permettent, que le bien public 
la réclame et que ce soit une nécessité. Dieu sait quelle 
est la vérité. e 


220 ARCHIVES MAROCAINES 


Mise ù mort de Boû şekhoûr Elkhomsi : ce qu était ce personnage ‘ 


A son retour de Fès, le sultan Mohammed ben ‘Abdallah 
demeura quelque temps ù Méknês. Puis il se mit en route 
pour les montagnes de Gomûara, où on lui avait annoncé 
que le mrdbet, Aboû ‘Abdallah_ Mohammed __El'arbi 
BIkhomsi, i, surnommé Boûşşekhoûr, qui jouissait d’une 
‘influence et d'une renommée considérables parmi les 
tribus cle ces montagnes, annonçait la fin prochaine de 
son régne. Ce personnage se faisait remarquer par son 
ascélisme et sa plété : il prétendait se faire seryir_ par .les 
djinnSmet les paysans avalent en lui la plus grande 
croyance. Le Sultan se saisit de lui, le tua et envoya sa 
tête ù Fès; le bûcha El'ayyachi fut nommé gouverneur 
des tribus de Gomûra, dElkhemas et de toute la région 
environnante, avec Chefchaoun pour résidence. 

Le Sultan retourna û Méknès : il ¥ arriva, malade 
(1°" moharrem 1172). Les perturbateurs disaient que sa 
maladie était la punition du meurtre de Boûşşekhoûr et la 
réalisation de la prédiction de ce mrabet sur la fin pro- 
chaine du regne du Sultan. Mais Dieu le guérit bientût, ù 
la confusion des mauvais sujets. 

Apré ès avoir séjourné û Méknès pendant tout le mois de 
moharrem, au cours duqucel il fit transporter dans cette 
capitale les ‘Abids JPEssloûqiya qu'il réunit ù leurs contri- 
bules, Il se mit en route pour Morrakch en şafar, accom- 
pagné cle 1.000 cavaliers pris parmi eux. Aussitût arrivé 
û Morrûkch, il les renvoya ù Méknès, après les avoir 
habıillés, armés et montés. 1.000 autres ‘Abids, revinrent 
les remplacer, et furent û leur tour pourvus d' armes, de 
chevaux et de costumes. Il] continua ainsi jusqu’a ce qu'ils 
fussent tous pourvus de chevaux, armes et de vêtements, 


1. Texte arabe, IV° parcie, p. 9t. 


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۹ ۳ 
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 281 


el ne leur demanda pas compte de ce qu'ils possédaient 
aux jours de la révolte. 


Voyage du sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah aux places | 
frontiêres, et inspection de leur situation’, 


Le Prince des Croyants quitta Morrûkch dès le début de 
l'année 1173 et se rendit a Méknés. Lû il distribua aux 
‘Abîds leur rdûleb, etl envoya le leur aux Oûdêya, qu'il 
invita û se mettre en route avec lui pour une tournêée 
dans les places maritimes du Magrib. Il alla d'abord ù 
Tétouan, où il séjourna. Il y fit construire le bordj de 
Martil et distribua de argent aux '‘Abîds qui y tenaient 
garnison depuis U'époque du sultan Moûlay Isma'îl. Ces 
. nêégres étaient les derniers 'Abîds de Ceuta, c’est-a-dire de 
ceux {ui avaient fait le siêge de cette ville. A la mort de 
ce prince, empire était livré û IJanarchie, les ‘Abids 
qui assiégeaient Ceuta s'étaient dispersés el avaient 
gagné leurs tribus respectives. Comme il en restait un 
millier qui n'avait pas de tribu, ils avaient été transportés 
û Martil par Aboû Hafş Elouaqqêch, qui avait été gênêéreux 
pour eux et les avait employés û tenir en réspect les 
tribus du voisinage. 

Le Sultan se mil ensuite en route pour Tanger, eli 
passant par CeutaDqu'il voulait reconnaître. Il vit que 
«cette place était forte et inaccessible, et se rendit compte 
que ce serait une sérieuse affaire que de la convoiter, Sur 
son ordre, les soldats qui étaient auprêés de lui firent 
avec leurs fusils le feu de salve, qu’ on appelle comnıuné- 
menl Addroûn, Les chrétiens répondirent par une salve 
de canons 6t de mortiers, qui fit trembler les montagnes. 
Le Sultan en fut charmêé. 


1. Texle arabe, IV® parlie, p. 90. 


282 ARCHIVES MAROCAINES 


Son voyage û Ceuta n'avait eu d'autre ‘but que de 
reconnaitre cette place, qu'il n’avait pu étudier d'une 
façon complète lors de son premier voyage. Aprêés cet 
examen, il remit cette affaire è plus tard. 

Il ne partit pas sans avoir recommandé aux gens d’ And- 
jera de désigner un certain nombre d’ hommes armés, 
pour garder les abords de Ceuta et surveiller la frontière, 
et sans leur avoir donné de argent pour leur permettre 
d'assurer ce service. 

Le Sultan campa dans le voisinage de Tanger. Les 
notables et les principaux Rifains de la ville vinrent 
auprès de lui, sous la conduite de leur bacha ‘Abdeşşadeq 
ben .\hmed ben ‘Ali Errîfi, qui s’était déja rendu auprès 
de lui ù Morrakch quand il était khalifa. Après les avoir 
reçus, cette fois, le Sultan leur fit des cadeaux, et leur 
distribua de argent et des vêtements. Le bacha ‘Abdeşşê- 
cdleq reçut ordre d’envoyer son frère ‘Abdelhêdi ù Tétouan, 
„pour y surveiller la construction des galiotes. 


ل 


— „X El'arêich, le Sultan trouva la ville déserte, il n’y res- 


tait pas plus de deux cents Rifains environ, qui étaient 
sous la protection des gens du Garb. ‘Abdesselam ben 
‘Ali Ou ‘Addi fut nommé gouverneur de la ville, où le 
Sultan fit venir cent ‘Abîds de Méknêès. 

De lè il alla ù Salé, franchit la rivière et campa ù Rabût 
Elfeth, où il demeura quelques jours. Il ordonna au gou- 
verneur, Aboûlhasan ‘Ali Marsîl, de bêtir une şqdûla, c’est- 
a-dire un grand fort dominant la mer : il ordonna égale- 
ment au gouverneur de Salé, ‘Abdelhaqq Fennich, d'en 
élever un second èã۾‎ Salé, en face de celui de Rabêt. 
L’ordre ful également donné de construire denx elsseaur, 
Pun pour les gens de Salé, autre pour les habitants de 
-Rabût. Jusqu’ alors, ces deux villes n'avaient possédé qu’ un 
seul navirce, qu’ celles avaient construit pour leur usage 
commun lors de l'interrègne. Il leur avait servi ù se rendre 
a la place Agadir, doù leur députation était allée 


DYNASTIE ALAOUIE UU MAROC 283 


saluer Sidi Mohammed ben ‘Abdallah au moment oü il 
était khaltfa ù Morrûkch +: celui-ci les avait bien reçiüs et 
leur avait remis de fortes sommes d'argent pour les 
moujdhidîin des Deux-Rives. Pendant son séjour û Rabûf, 
le Sultan renvoya dans leurs foyers le gutieh des ‘Abîds et 
les Oûdêya. 

Reparti pour Morrûkch, il écrivit, dês son arrivée, aux 
‘négociants chréliens d'’Asfi pour les inviter ù lui acheter les 
agrés niécessaires aux bateaux corsaires, comme des mûts, 
des cables, des ancres, des cordages, des voiles, des ba- 
rils, etc. Les marchands rivalisérent entre eux pour ces 
ichats et s'empressèrent de faire venir ces agrês et de les 
choisir pour le Sultan. 

Sîdi Mohammed convoqua ensuite les Harrdûtîn du Sahûra 
des tribus dEljebûbra, Elma‘ arka et Oulûd Boû Ahmed, 
qui vivaient û Erréteb et û Tafilêlt ; il avait appris qu'ils 
prêtaient leur appui û son oncle Moûlay Elhasan pour 
faire la guerre aux chérîls de cette région. Il les trans- 
porta û Méknêès, les habilla, leur donna des armes et les 
inscrivit sur le Dîouûn du gutich. 

Celte année-la, lè Sultan reçut la nouvelle de la mort de 
Moûlay Elmostadi ben Isma'îl au Tafilêlt, comme nous 
l'avons déjû vu. 


Répression par le sultan Sîdi Mohammed ben “Abdallah 
de la révolte des Oûdêya et ses causes '. 


Les Oûdêya étaient un des corps les plus importants de 
I'armée iSma'îlienne, comme nous l'avons rapporté pré- 
cêdemînent. Motılay Isma'îl s'était intéressé ù eux et s'en 
était servi. Il les avait groupés et enrichis, et leur avait 
assigné comme résidence Fès Eljedid et les environs, Ils 


1. Texle arabe, IVe parlie, p. %6. 


281 ARCIHIVES MAROCAINES 


J vécurent et s'y habituêerent si bien, qu'ils devinrent plu- 
tût que les autres troupes les véritables habitants de cette 
ville. Ils se distinguaient par leur grande richesse. Ils 
habitaient des palais. Chaque mois, chaque année, leur 
apportait plus de force, plus de fierté arrogante. 

A sa mort (Dieu lui fasse miséricorde !) ils étaient par- 
venus, a Fêès Eljedid, au faite de la puissance et de la 
cohésion, étaient en mesure de résister au gouverne- 
ment, et leur force se montra dans toute sa rigueur 
envers ceux qul, étant au pouvoir, voulaient leur nuire. 
Aussi ils n'obéissaient pas aux ordres des fils de Moûlay 
Ismê il, surtout quand ils purent se glorifier d'être deve- 
nıuıs les oncles du sultan Moûlay ‘Abdallah, qui fut le plus 
puissant et le plus populaire de ces princes. Celui-ci, néan- 
moins, tantût se servait d'eux, et tantût les faisait atta- 
quer. 

Les désordres furent continucls pendant cette période : 
nous les avons déja exposés en détail. 

A la fin du règne du sultan Monlay ‘Abdallah, la discorde 
était survenue, aprés la mort de Mohammed Ou ‘Aziz, 
centre les Ait Idrûsén et les Gueroudn. 

La lutte avait éclaté entre eux par deux fois, et les gens 
de Guerouan, soutenus par les Oûdêya, avaient harcelé 
les Ait Idrasén, qu'ils tuaient et pillaient, et les avaient 
chassés de ce pays. Quand le sultan Sidi Mohammed fut 
proclamé, les Ait Idrêasén vinrent se réfugier auprès de 
lui, car ils avaient été les partisans de son père, au temps 
de Mohammed Ou ‘Aziz. Il leur donna comme gouverneur 
le fils de celui-ci et leur assigna comme résidence la 
banlicue de Méknêès. Le Sultan n’ignorait pas comment 
les Gueroudan et les Oûdêya s’étaient comportés vis-û-vis 
d'eux, la façon dont ils les avaient battus. I] savait de plus 
que ces derniers attaquaient les voyageurs sur les routes 
ct leur faisaient payer de argent pour obtenir leur pro- 
tection. Ils avaient, û ce moment, pour chef un individu 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 285 


nommé Jebboûr, qui était un brigand consommé. Le sultan 
Sîdi Mohammed établit une alliance entre les Ait Ildrûsên 
el les Ait Zemmoûr, dont il forma un clan, et les recom- 
manda au gouverneur de Méknês. En même temps, il 
invita les Guerouûn û cesser de tourmenter les Ait I[draûsén, 
mais, loin de changer d'attitude, ceux-ci ne firent que les 
combaltre de nouveau, soutenus par les Oûdêya, qui vou- 
laient continuer û les traiter comme du temps du sultan 
Moûlay ‘“Abdallûh ; ils pensaient pouvoir arriver û leurs 
fins avec son fils Sîdi Mohammed, et cependant : 

« Si le lion montre ses dents, ne crois pas que le lion 
sourie. » 

Quand il apprit ce qui se passait, le Sultan donna l'ordre 
au qûîd des ‘Abîds et û celui des Ait Zemmoûr de prêter 
leur appui aux Aît Idrûsén, et d'aller les secourir contre 
les Guerouûn, puisque ceux-ci étaient soutenus par les 
Oûdêya. 

La guerre commença avec impéltuosiléê, découvrant ses 
dlents et relevant son manteau au-dessus de ses cuisses. 
Les Oûdêya vinrent au complet camper sur Oued Fès, le 
1°“ ramadûn, et demeurêrent lû, sans jeûüıner, profanant le 
respect dû au jene par ce voyage illicite. 

Aprêés avoir opéré leur jonction avec les Guerouan, ils 
marchérent dans la direction de Méknéês. Les Ait Idrûsén 
s'avancérent contre eux avec les 'Abids etles Ait Zemmoûr, 
leurs alliés. La rencontre eut lieu sur les bords de Oued 
Ouîslén, où une bataille fut livrée. Les Ait Idrûsén furent 
victorîieux et mirent leur ennemi en déroute, Ils pillérent 
les campements des Guerouûn et la Mhalla des Oûdêya ; 
prés de 500 de ces derniers furent tués et les têtes des 
notables furent coupées et suspendues ù Méknêès, au-dessus 
de Bûb Eljedîd. Les Oûdêya revinrent ù Fès en déroute : 
ils n’avaient jamais essuyé une pareille défaite. 

Quand il apprit cela, le Sultan fut très irrité contre les 
Oûdêya, qui lui avaient désobéi et avaient violé les droits 


28 ARCHIVES MAROCAINES , - 


«dle leurs voisins, et conçut le projet de se venger d'eux, 
mais il dissimula cette résolution. 

lı‘ Sultan demeura ù Morrakch jusqu'a année 1174. A. 
celte é¢poque Il quitta cette ville pour se rendre ù Méknêès, 
uvec Pintention cachée de réduire les Oûdêya. Ceux-ci se 
doutaient dle ses dispositions, et quand il arriva ù Méknêès, 
ils lui envoyêrent leurs femmes 4Agées, pour intercéder en 
leur faveur et lui présenter leurs excuses. Elles le rejoi- 
gnirent en roule, et firent appel èڍ‎ leurs liens de famille 
cl û leur parenté avec lui. Le Sultan leur témoigna de la 
bienveillance et leur distribua des vêtements et de argent. 
Wiles revinrent avec lui û Fès. Le Sultan établit son cam- 
pement et celui de ses soldats a Eşşefşûafa. Les gens de 
I's» et les Odeya allèrent le saluer : il leur adressa des 
paroles aimables et leur fit bon accueil. Le lendemain, il 
douna Uordre de tenir le Mechouar ù Dar Eddebibag. Les 
gens de Feés lui apportêèrent, suivant usage, les victuailles 
de Uhospitalitê, que le Sultan fit porter èã Dintérieur de 
Dir Kddebihbağk. Après la prière du 'aser, il se rendit au 
Mechouar pour la rêception et se tint la pour recevoir les 
depukitions qui lui apportaient leurs présents. Il avait 
poste dans un coin de la place un milher de MsakArîn, qui 
deovalenl semparer des notables Oûidêva. Quand ceux-ci 
ontrêrent, les portes furent fermées et les Msakhrin se 
prvvipiltêrent sur eux, leur enlevèrent leurs armes, les 
lUguttérent et les coucherent par terre. Lorsque le gaétch 
ct toutes les autres pergonnes eurent termine leur repas, 
le Sultan em wa des cavaliers pour attaquer le campement 
les Uda cet drs Mğifrm. û Lemta. Ces cavaliers se 
mirent en rornte, et le Sultan. aNVmpRgne Je son cortêge, 
N0 RRA MS aA ies sui. han? {e wWucher du soleil. au 
NNN SU HFS 4 Îce de Fes Ealid. les Uüûdêva 
ANOTORS Jos MOIS SUT UUÛ JU Îî Jes NFR. Miis sans 
SANS A MONE PELL APTN 4 LEZTIR appelle Dair 


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BoC. o 0 \ a ® ا١ ا‎ ® n. > ەق‎ ww = TAFE ygient ES 


DYNASTIE ALAUUIE DU MANOC 28T 


prisonniers, des bagages et des tentes, car ils avaient entiê- 
rement dêvalisê le campement des Oûdêya. Les notables 
d'entre eux qui étaient ù Fès Eljedîd profitèrent de la nuit 
pour se sauver, chacun de leur cûté : les uns allérent se 
réfugier au mausolée du chéikh Aboûl'abbûãs Ahmed 
Echchûoui, les autres û la zûouya du chéikh Elyoûsi, 
d'autres enfin au mausolée de Sidi Boû Sergîn û Şefroû. 
Il ne restait plus û Fès Eljedid que les plus misérables 
d'entre eux, qui demeurérent sur la muraille de la ville, 
demandant amdûn. Attendri par les liens de famille, le 
Sultan se montra bienveillant et leur pardonna. Il les 
envoya û Fès-le-Vieux et mit û leur place, ù Fèés Eljedid, 
1.000 familles de ‘Abîds, qui vinrent y tenir garnison. C'est 
ainsi que le Sultan se débarrassa des Oûdêya, qui avaient 
été pendant si longtemps ses favoris, 

Bientêt le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) fit mettre 
en liberté quatre prisonniers Oûdêya. L'un d'entre «eux 
était le célèbre qûid Qaddoûr ben Elkhadir. Il leur donna 
l'ordre de faire une enquête au sujet de leurs camarades 
emprisonnés, de déterminer ceux d'entre eux qui étaient 
des mauvais sujets et de lui en apporter la liste : il leur 
recommanda en même temps de faire ce travail avec sin- 
cérité. Ils désignêrent cinquante prisonniers, comme étant 
des batailleurs et des mauvais sujets. Le Sultan leur fit 
mettre les kebûl aux pieds et ordonna de les accoupler 
deux û deux avec une chaîne. Il les envoya ensuite û 
Morrakch, hisséês par couple sur des chevaux. Le pays ful 
ainsi purifié de leurs diableries. 

Peu de temps aprês, le Sultan (Dieu lui fasse tisl 
corde !) ordonna au qûid Qaddoûr ben Elkhadir de mettre 
en liberté ses autres contribules encore prisonniers, d'en 
prendre un certain nombre pour compléter, avec les 
Oûdêya et les Mğgafra, le chiffre de 1.000 et de renvoyer 
les autres dans leurs tribus et leurs campements. Ces 
mille hommes furent ensuite envoyés.a écurie de Méknês 


288 ARCHIVES MAROCAINES 


qui devait leur servir de qaşba. Ils transportèrent leurs 
familles a Méknêès et s’y fixèrent avec les ‘Abîids ; ils étaient 
toutefois seuls a habiter l'écurie. 

Le qûid Qaddoûr ben Elkhadir reçut du Sultan le com- 
mandement de cette troupe; bien que le plus jeune de 
tous, il était le plus intelligent et le serviteur le plus 
dévoué. Il eut pour mission de les instruire et de les 
administrer. Ils finirent par s’habituer a 'obéissance au 
gouvernement et se soumirent ã ses ordres, observant ses 
prescriptions et ses défenses. Le Sultan leur fournit peu 
ù peu des chevaux, des armes et des vêtements, et finit 
par leur donner è tous des montures. Leur situation devint 
prospêre, et ils se développêèrent par la suite. Ils demeu- 
rêèrent û Méknès et furent transportés (le nouveau èù Fêès 
Eljedîd par Moûlay Yazid ben Mohammed, au début du 
règne de ce prince, comme nous le verrons, s'il plait ù 
Dieu. ) 

Cette année-la (1174), le Sultan vendit les meks de Fès, 
pour une somme annuelle de 12.000 mifsqdls, au gouver- 
neur de cette ville, Elhaddj Mohammed Esşşeffar. Il se 
rendit ensuite ù Morrakch ; nous allons rapporter ce qu'il 
fit après son entrée dans cette ville. 


Nouveau voyage du sultan Sidi Mohammed de Morrdkch au Garb 
et incidents qui marquêrent ce déplacement ‘. 


En 1175, le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah, Dieu 
lui fasse miséricorde! quitta Morrakch pour se rendre 
dans le Garb. Mais il se détourna de sa route pour passer 
chez quelques tribus qui se livraient encore ù des méfaits, 
les réduisit et les désunit. En arrivant chez les Chûouiya, 
il livra les habitants au pillage, leur enleva tous leurs 


1. Texle arabe, I1\° parlie, p. 97. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 289 


biens, en tua un certain nombre, et fit de nombreux pri-=- 
sonniers, qu'il envoya enchainés û Morrûkch. Il §'écarta 
ensuite de son chemin pour aller du cûté de Tûdla. Il 
passa par le pays des Brûabér Chqirén, qui font partie des 
Ait Ou ‘Malou, les livra au pillage et tua tous ceux qu'il 
put saisir. Puis il se mit en route pour les pays du Garb, 
dans le but de soumetitre les Hayûina, qui comımettaient 
des méfaits et s'étaient révoltés. Il commença d'abord par 
piller les Att Skûto, puis les Beni Sûddén, el enfin les 
Hayûina, qui s'enfuirent devant lui vers les montagnes des 
Gıayyûtsa, où ils se fortifiêrent. Le Sultan laissa ses troupes 
dans leur pays pour ravager leurs cultures, et se rendit û 
Tûza. Il attaqua les Ilayûina dans les montagnes des 
ĞGayyûtsa, leur tua un certain nombre de gens et les mit 
en déroute, tandis que ses soldats ravageaient leurs cul- 
tures, brûlaient leurs douwars et fouillaient le sol pour 
trouver leurs trésors. Quand ils eurent entiérement rasé 
leur territoire, le Sultan revint û Méknès. 

Pendant le séjour qu'il fit dans cette ville, il fit arrêter 
le chéikh Mahmoûd Echchenguiti, qui faisait profession de 
soufisme et agitait la population de Fêès. Ce personnage 
était venu de son pays se fixer dans la sacristie de la 
mosquée dMElqarouiyin et affectait une grande piété. Les 
notables de Fés et les négociants se réunissaient autour 
de lui et avaient foi en lui. « Il ne se bornait pas, dit lau- 
teur du Bousldn, û recevoir les gens, ce qui était son 
affaire, mais Il se mit û parler du gouvernement, û corres- 
pondre avec les Berbers et ù prétendre que le Sultan 
d’alors n'était pas légitime, puisque pas un seul person- 
nage saint ne l'avait reconnu. Le Sultan fut informé de 
ces propos et le fit emprisonner. Il le (it envoyer èã la pri- 
son de Morrûkch. Plus tard il fut soumis a la torture et 
mourut, sans que ni la terre, ni le ciel ne le pleurassent. » 
« Il disait, raconte Akensoûs, que le Sultan mourrait au 
bout d'un mois. Ses paroles se répandirent parmi les 


ARCH. MAROC. 19 


39) ARCHIVES MAIROCAINES 


gens du peuple, qui se mirent a acheter du charbon et du 
boin et û faire les provisions. Une émeute ayant éclaté ã 
la suite de cela a Fês, le Sultan écrivit aussitût au gouver- 
neur «le cette ville d’arrêter ce personnage et de l'en- 
voyer û Morrûkch. » 

Pendant qu'il était encore ù Méknès, le Sultan fit aussi 
amprinonner Pantin Elhaddj Elkhayyat ‘Adéyyil et ses 
freres, (ui lui devaient de argent. Une partie des sommes 
qil leur réclamait était due par leur père. A la fin de 
anunée, il les ft mettre en liberté. L'un d’ entre eux, 
Hlihaddj Hlkhayyat, et Si Ettahar Bennani Errebêti furent 
envoyés comme ambassadeurs auprès du Sultan de Cons- 
untinople, Mousfafa ben Ahmed Elotsmani. 

le Sultan Dieu lui fasse miséricordle !i nomma son cou- 
ain AMotlay ldris ben Elmontagir, khalifa èڍ‎ Fès, et lui 
(dlonna le commandement de toutes les tribus du Djebel. 

Dans ll même annëe, il donna UTordre de conslituer en 
Rhehous, en fveur de toutes les mosquées du Magrib. les 
li res de kh Hibliothéque Isma'ilienne, qui se trouvait ã la 
Doucirat Elkoutoub û Mêknès, et qui contenait plus de 

SAK \olumes. Les hibliotheéques des mosquêes sont, 
enoure de nos jours, remplies de ces livres. sur lesquels est 
insert UÛacte ctablissant leur constitution en Aabous au 
num de ce Sultan. 

Sih Mrhimmnd retvurna ensuite ã Meêknès. Cette 
annce-la, l0 gnerneur de Fes. Elhidd] Mohammed 
Fgeear acheta les wets de la ıille pour une samme 
ANNU de RIM erra. 


Le «lax Sli Mikhame} bea AۍMšallab‎ dite la trıîu 
جێڕ‎ ke ¿ motنdج‎ + ete TECTED °. 


a> > ا‎ m= - . bS up > ` ي‎ = - - ٣ 0 - = 
CS MILIAN IMAI INIT, OO SIS DCTS. 


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TINE SN NS it F7 8 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 201 


le parti de Moûlay Elmostadi, mais ils avaient fait leur 
soumission û Moûlay ‘Abdallah, quand celui-ci, au cours 
de Uexpédition qu'il avait conduite dans le Ilolz, avail 
obligé Moûlay Elmostadi û s'enfuir de chez eux, et leur 
avail infligé la répression que nous avons rapportée. 
Cependant leur soumission au Sultan n'était qu'apparente, 
leurs ressentiments couvaient toujours dans leurs ceur's, 
et l'obéissance qu'ils avaient manifestée n'était qu'un 
armistice conclu avec une arriére-pensée. Aussi, quand 
commença le rêégne du sultan Sîdi Mohammed (Dieu lui 
fasse miséricorde !) ils recommençêrent leurs méfails. 
« Ces Mesfioua, dit Uauteur du Bouslûn, êtalent d'auda- 
cieux rebelles, qui manifestêrent pour le gouvernement, 
dês le jour oû Sidi Mohammed fut nommé khalifa û 
Morrûkch, un dédain qui altelgnit un degré inouî, Ce 
prince employa, pour guérir leur maladie, lous les remêédes 
possibles : aucun antidote ne réussit. (Juand il vint û 
Morrûkch, lors de ce voyage, il reçut une députalion de 
cent cinquantle notables de cette tribu. Il saisit l'occasion 
qui se présentait et mit û mort tous ces délégués, û 
Texceplion du qûdi. En même temps, des cavaliers furent 
envoyés pour altaquer leurs campements, les saccagérent 
at leur causèrent des dommages considérables. Cette opé- 
ration anéantit leurs forces ; dans la suite, leur soumission 
fut réelle, et leur situation devint normale. » 

En 1176, le Sultan quitta Morrûkch et se mit en route 
pour le Garb. Sur son passage, il pilla les Ait Sîbér, qui 
font partie des Zemmoûr Echchleuh, et les dissémina. 
Arrivé û Méknêés, il ordonna aux tribus de payer leurs 
zekdts et leurs ‘'achours. Les Hayûina, les Chrûga et loutles 
les tribus du Hoûz vinrent remelttre leurs contributions 
anı heri de Fêès, et les gens du Garb, les Beni Hsen et 
les Berbers les apportêrent au hert de Méknès, Le Sullan 
partil ensuite en expédition contre les Mermoûcha : ses 
Soldats ayant subi un premier échec, il prit lui-même 


2393 ARCHIVES MAROCAINES 


(Dieu lui fasse miséricorde !) le commandement des 
troupes et, accompagné de ses Msakhrin des ‘Abids, il 
battit cette tribu, pilla ses biens, s’eınpara de ses qaşbas 
et lui tua un grand nombre d'hommes. Les ayant ainsi 
défaits et mis en déroute, il partit pour Tûza, dont il 
rétablit les affaires, et pacifia les environs, puis rentra 
victorieux et sain et sauf. 

Cette année-la, mourut le qûid des qaids, qui jouissait 
auprês du Sultan du rang de vizir, Aboû ‘Abdallah 
Mohammed ben Haddo Eddoûkkali. Sidi Mohammed 
avait abord donné û ce personnage le commandement 
de Doùkkala, au début de son rêgne ; plus tard il adjoignit 
a son commandement celui du Tûmesna et du Tadla, en 
remplacement d’Elboûzirari Eljabri, qui fut une des 
colonnes du rèêgne de ce prince (Dieu lui fasse miséri- 
corde !) Le Sultan nomma ù sa place son cousin, le qûid 
Aboû ‘Abdallah Mohammed ben Ahmed. 

L’année suivante (4477), le Sultan fit construire la 
qoubba du chéîikh Aboùûlhasan ‘Ali ben Hirzihim, a Fêès. 
A la même époque, eut lieu, dans le Şahûra de Fîguig, 
la révolte d'un individu appelé Ahmed Elkhadir, qui pré- 
tendait être Moûlay ‘Abdelmèlék et déclara ensuite qu'il 
était son agent. Il répandit le désordre parmi les popu- 
lations de cette région et fut la cause de nombreux com- 
bats. Le Sultan manda aux ‘Arabs de cette contrée de le 
tuer : ils lui envoyêèrent sa tête ù Méknès. I1 se trouvait 
encore dans cette ville retenu par la maladie, mais Dieu 
le guérit. 

II se mic en route ensuite pour Morrûakch. A son passage 
a Rabût Elfeth, il envoya le réis Elhaddj Ettahami Mdou- 
war Errebati comme ambassadceur en Sueède, pour lui 
rapporter les agre¢s de navires et de la poudre. Il fit partir 
également comme ambassadeur en Angleterre le réis 
Aboû ‘Abdallêh Mohammed El'arbi Elmestiri Errebûti, 
pour réparecr ses corsaires et les gréer a neuf. Ce per- 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 293 


sonnage partit, répara ses corsaires et revint avant la fin 
de année, rapportant des agrês pour deux vaisseaux, des 
canons de bronze, elc. 

Au cours de l'année 1178, furent célébrées û Morrûkch les 
noces de Moûlay ‘Ali, fils du Sultan, avec la fille de son 
oncle Moûlay Ahmed ben 'Abdallêûh, et celles du fils de son 
frére, Sidi Mohammed ben Ahmed, avec la fille du Sultan. Il 
y eut un repas somptueux, auquel assistèrent tous les gens 
du Magrib, qui apportêrent leurs cadeaux les plus riches. 
Tout alla bien, dês lors, pour le Sultan (Dieu lui fasse 
miséricorde !) 


Construction de la ville d'Essouéîra (Dieu la garde !) 


Apréês avoir terminé la célébration des noces de ses 
enfants, le sultan Sidi Moharnmed ben '‘Abdallûh (Dieu lui 
fasse miséricorde !}) se mit en route pour le pays où se 
trouve Essoucira, alin de construire celte ville et de la 
peupler. 1l s'occupa de la tracer et de faire creuser les 
fondalions, et laissa au travail les macons elt les divers 
artisans. Il donna ordre û ses gouverneurs et û ses qûids 
d'y construire leurs maisons. Il retourna ensuite ù Mor- 
rûkch. Dans sa Rihla, le secréltaire Aboûl'abbûs Ahmed 
ben Elmehdi Elgazzal dit, en résumé, que le motif de la 
fondation d‘Essouéira fut le suivant : Le sultan Sidi 
Mohammed ben ‘Abdallah était passionnê pour la guerre 
sainte. Dans cette pensée, 1l avait fait construire des cor- 
saires de guerre qui, le plus souvent, étaient ancrés dans 
le port des Deux-Rives et dans celui d'El'arêteh. Pendant 
deux mois de année, au moment de la saison des pluies, 
ces mavires ne pouvaient pas prendre la mer, parce que 
ces ports ne faisaient qu'un avec les riviêres. Dans 


1. Texle arabe. IV* partie, p. 99. 


394 ARCHIVES MAROCAINES 


les autres saisons, il y avait trop peu d’eau et le sable 
obstruait Tembouchure des riviéères, de telle sorte que les 
bateaux ne pouvaient les franchir. Le Sultan (Dieu lui 
fasse miséricorde!), après avoir réfléchi aux moyens sus- 
ceptibles d'assurer le vovage de ses corsaires ù n’importe 
quel moment de Pannée, s’appliqua û construire Pşşouéîra, 
dont le port ne présentait pas de pareils inconvénilents. 

Un autre auteur qu’ Elğgazzal prétend que le Sultan 
décida la fondation Esşşouéira pour une autre raison. La 
place Agadir était le refuge de révoltés du Sots, comme 
tûléb Şalah, entre autres, qui laissaient faire par la une 
exportation clandestine (les marchandises et conservaient 
pour eux les bénéfices réalisés. Le Sultan pensa qu'il ne 
pouvait y avoir d'autre moyen de mettre fin û celte situa- 
tion que de créer un autre port, également rapproché de 
cette région et du centre de Empire, afin de diminuer 
petit ù petit les gains qw Agûdir procurait û ces rebelles, 
car personne n’ avait plus intérêt û s'y rendre. Il fonda 
donc Eşşouéira, la construisit solidement et s'’appliqua û 
en faire unc ville bien bûtie. Il arına de canons les deux 
iles, la grande et la petite, qui forment comme I'enceinte 
du port, et fit élever un fort bien armé sur le rocher qui 
avance dans la mer, de telle sorte qon ne peut entrer 
dans le port sans être û portée des canons û la fois de Il'ile 
et du fort. 

Quand la ville fut terminée, le Sultan y fit venir des 
négociants chrétiens pour faire du commerce et, pour les 
attirer, les dispensa de loute taxe douaniéere. Les conmı- 
mercçants affluètrent bienlOot de tous cûtés et vinrent s’éta- 
blir dans ce port, qui fut peuplé en peu de lemps. L'aban- 
don des droits de douane dans ce.te ville dura encore 
nombre années : plus tard, les droits de sûka et autres 
contributions vy furent Ctablis comme dans les autres 
ports. La même situation existe encore de nos jours. 
Dieu sait quelle est la vérité ! 


DYNASTIE ALAOUTE DU MAROC 295 


Les Français attaquent Salé et El ‘arêîich et s'en éloignent 
après avoir subi un échec !. 


Nous avons rapporlé précédemment que le Sultan était 
passionné pour les choses maritimes et pour la guerre 
sainte Sur mer. Ses corsaires allaient et venaient le long 
de toutes les cûtes, et surveillaient les abords des places 
de 'infidélité, pour tuer, faire des captifs et prendre du 
butin. Bientût, les infidêèles ne surent plus oû naviguer, 
el peu s'en fallut qu'on fût complêtement débarrassé d'eux. 
Il y en eut parmi eux qui, elfrayés, demandérent la paix et 
des relations de bon voisinage, et autres qui, s'illusion- 
nant sur leur sort, voulurent prendre leur revanche. 
Parmi ces derniers se trouvalent les Francais. Les corsaires 
du Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !j avaient capturé un 
de leurs bateaux et avaient amené dans le porl d’El'arêich : 
ce n'était pas d'ailleurs la seule caplure qu'ils leur avaient 
faite : ily en avait eu beaucoup d'autres, Cette derniére 
les détermina û venir attaquer Salé vers la fin de I'an- 
née 1178. Dans sa Rifla, Elğgazzûl dit : « Les Français 
lancêérent sur Salé des obus el des bombes, avec lesquelles 
ils pensêrent produire un résultal effectif, mais on leur 
en renvoya le double, et il ne se passa pas beaucoup de 
temps avant que leurs baleaux ne prennent la fuite, les 
derniers retardant la marche des premiers; Uennemi 
s'échappa en déroute, amenant son pavillon et couvert de 
honte. » Le fqih très docte Aboûl'abbãas Ahmed ben 
Elmékki Essedrati Esslaoui (Dieu lui fasse miséricorde !) 
raconte celte allaire de la façon suivante, dans une note 
écrite de sa main qui m'a été communiquée : « Les Fran- 
cals vinrent mouiller devant la ville de Salé, le vendredı 
11 doûlheddja 1178. Ils restêrent en vue, sans rien faire 


I. Jexle arabe, 1V parlie, p. 99. 


296 ARCIIIVES MAROCAINES 


le vendredi et le samedi. Le dimanche, leurs vaisseaux se 
rapprochèrent et lançèrent 178 bombes. Des maisons 
furent démolies ; les femmes et les enfants se sauvèrent 
en dehors de la ville où il ne resta que peu de monde. Ce 
fut une journée mémorable. Le lundi matin, Dieu fit 
souffler contre eux un vent qui dissipa leurs bateaux ; et 
le Très-Haut soulagea les musulmans. Les Français revin- 
rent le samedi suivant et lançêèrent encore 4120 bombes: le 
mardi, 23 dotlheddja, ils en jeterent encore plus de 130. 
Un seul musulman périt pendant toute cette période. » 

« Après avoir réparé les avaries faites ù leurs navires 
pendant le bombardement de Salé, les Francais, dit 
Elgazzal, allèrent attaquer la place d’El'arêîich. » « Ils 
lançèrent sur cetle place, dit Esseddrati, d’après ce que 
l'on raconte, plus de 4.030 obus, qui démolirent les mai- 
sons et la mosquée. » Cette attaque eut lieu le premier 
jour de l'année 1179. Le jeudi 2 moharrem, et suivant une 
autre version le 9, dans la nuit de ‘achoûra, ils entrêèrent 
dans le port avec 15 canots, montés par environ mille 
hommes et armés d'un grand nombre de soldats et d’offi- 
ciers. Puis, remontant le cours de la rivière, ils s’avan- 
cèrent vers les bateaux du Sultan qui étaient èڍ‎ Uancre, 
et mirent le feu û un d'eux, qui était précisément celui 
que les musulmans leur avaient capturé. lls s’attaquêèrent 
ensuite û un autre vaisseau avec des barres de fer et des 
haches. Mais bientût’'les musulmans les entourêèrent : les 
Beni Gorfet et les gens du Sahel leur livrèrent combat et les 
forcèrent èã se retirer. Au moment ol ils retournaient vers 
leurs bateaux, ils trouvêèrent devant eux les ‘Arabs du Garb, 
commandés par leur qaîid Habib Elmalki, qui leur barraient 
le passage, ù entrée du port où ils s’étaient postés sur les 
rochers. Dicu envoya du cûté de la mer un vent qui fit 
enfler les vagues et les empêcha de sortir du port, de 
telle sorte que, lorsquils allaient au milieu de la riviére 
pour s’échapper, le vent les repoussait, et que, s’ils vou- 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 297 


laient suivre Tune des deux rives, les musulmans leur 
lançaient des balles. Ils furent tous exterminés, car les 
musulmans abordèrent ensuite leurs barques û la nage 
et s'emparêrent de onze canots : quatre seulement purent 
se sauver. Les musulmans se partagêrent les morts et les 
prisonniers, qui furent dispersés chez les ‘Arabs et dans la 
campagne. Plus tard, le Sultan ordonna de les réunir et 
donna ã quiconque lui en amenait un de I'argent et un 
vêtement. Il en rêunit ainsi une cinquantaine, qui demeu- 
rérent en captivité jusqu’ au jour oû le despote d'Espagne 
s'entremit dans cette aflaire et les racheta moyennant une 
somme considérable. 

Environ quatre-vingts têtes de ceux qui avaient été tués 
furent, sur Uordre du Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) 
envoyées û Salé et suspendues û la şsqûla voisine du mauso- 
lée du chéiklh Ben '‘Ãcher (Dieu soit satisfait de lui !) Dans 
la suite, la paix fut faite avec les Français, et un traité fut 
conclu, comme nous allons le raconter, s'il plait û Dieu. 

Après cette affaire, le Sultan (Dieu lui fasse miséri- 
corde !) se rendit û El‘arêîch, où il demeura un mois, pour 
y faire construire des forts et des balteries : celte place 
devint une des plus fortes de Empire. Les changements 
de la destinée sont entre les mains de Dieu ! 


Correspondance échangêe entre le sultan Sidi Mohammed ben 
‘Abdallah (Dieu lui fasse miséricorde!) et le despote d' Espagne ; 
ses résultats '. 


La correspondance qui fut envoyée par le sultan Sidi 
Mohammed ben ‘Abdallah (Dieu lui fasse miséricorde !) 
au despote d'Espagne fut motivée par de nombreuses 


lettres que lui avaient envoyées un certain nombre de 


1. Texle arabe, IV" parlie, p. 100. 


298 ARCHIVES MAROCAINES 


captifs musulmans qui se trouvalent en Espagne, pour 
lui faire connaitre la détresse où les avait réduits leur 
captivité, et les traitements insultants et avilissants que 
leur faisaient subir les infidéèles. Parmi eux se trouvaient 
des gens de science et qui récitaient le Qoran. Leurs 
lettres avaient été lues au Sultan, qui en avait élé vive- 
nent impressionné. Il fit aussitût écrire au despote 
dEspagne, en lui disant : « Il n’est pas permis dans 
notre religion de négliger les captifs et de les abandonner 
aux liens de la captivité. Celui qui a reçu de Dieu le pou- 
voir n’a pas le droit de les laisser de coté. Nous pensons 
qu’il en est de même dans votre religion. » Il lui recom- 
mandait aussi d'avoir des égards principalement pour les 
musulmans qui, parmi eux, étaient adonnés ù la science 
et avaient entre leurs mains le Qorêûn, et de ne pas les 
traiter comme des captifs ordinaires. « Cest ainsi, ajou- 
tait-il, que nous agissons envers les religicux qui se 
trouvent parmi vos captifs. Nous ne leur imposons aucun 
travail, et nous ne leur faisons payer aucun tribut. » 

En recevant cette lettre, le despote d' Espagne, tout en 
témoignant sa vénération, faillit bondir de joie. Il ordonna 
sur-le-champ de rendre la liberté aux captifs qui se trou- 
valent (lahs sa capitale et les envova au Sultan, en lui 
promettant de lui mander bientût ceux qui se trouvaient 
dans les autres pays. Le Sultan ‘Dieu lui fasse miséri- 
corde ! fut três satisfait de ce résultat, qu'il regarda comme 
tres important, et comme il avait ame généreuse et qu'il 
ne voulait pas se laisser surpasser en générosité, 1l accorda 
au (despote FFEspagne la liberté de tous les captifs de sa 
nation qui se trouvaient aupres de lui, et y joignit de plus 
des captifs autres nations, pour lui permettre de recueillir 
tous les avantages de cette mesure vis-a-vis des autres 
pays. Il les lui fit conduire par Uintermédiaire du gouver- 
neur de Ceuta, en même temps qu'un présent, dans lequel 
fguraient un certain nombre de lions. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 299 


Egaré par la joie qui le saisit en recevant cet envoi, le 
despote prépara en toute hûte un cadeau aussi riche qu'il 
lui fût possible, et le fit porter au Sultan par des religieux 
et des officiers dun rang élevê, qui furent chargés de 
remettre au Sultan une lettre oû il Iûi exprimait toute son 
aımitié, reconnaissailt sa générosilé et sa bienveillance, et 
lui demandait de vouloir bien lui envoyer un des grands 
de son Empire, pour honorer son pays de sa visite et con- 
sacrer aux yeux des nations européennes ces bonnes rela- 
tions et ces rapports bienveillants, ce qui grossirait son 
prestige et mettrait le comble ù sa gloire. Le Sultan (Dieu 
lui fasse miséricorde !) accéda ù son désir. Il lui envoya 
deux de ses oncles les Oûdêya, les réîs Aboû Ya'lû 
‘Amûra ben Moûsa et Aboû ‘Abdallah Mohammed ben 
Taser, auxquels il se borna û adjoindre, en qualité de secrê- 
taire, son [Kdtlêéb Aboûl'abbûs Ahmed Elğazzûl. Lorsque 
cette am bassade fut arrivée ù Gibraltar, Elğazzûl écrivit û 
un des vizirs du Sultan pour le prier de prévenir le Prince 
des Croyants que, ces deux envoyés n'ayanl aucune con- 
naissance des usages des chrétiens, il redoutait les conséê- 
quences de leur façon d'envisager les choses, et que le 
Prince des Croyants ne devrait pas lui faire supporter la 
responsabilité de ce qui pourrait arriver. 

Le vizir donna connaissance de ce message au Sultan, 
qui répondit : « Il a raison : j'ai déja regretté de leur 
avoir donné le pas sur lui, mais je n'avais envisagé que 
leur rang hiérarchique. Herivez de suite au despote, dites- 
lui que je lui ai envoyé mon secrétaire Ahmed Elgazzal, 
en qualité d'ambassadeur, et faites parvenir la lettre û 
celui-ci, qui devra s'en saisir, se faire remeltre la première 
lettre qui est entre les mains dé mes oncles, el prendre 
lui-mêıne la direction de 'ambassade. » En recevant la 
lettre du Sultan, Elgazzûl se conforma û ces instructions 
et régla les affaires dans les conditions désirées, laissant 
ainsi une bonne renommée (Dieu lui fasse miséricorde !). 


300 ARCHIVES MAROCAINES 


Cette année-la (1179), le Sultan invita les gens de Fêèsè 
fournir pour Eşşouéira une garnison, composée de cin- 
quante hommes ù pied, avec un qêûid, un /fqîk pour leur 
enseigner la religion, un mououqqit, un moueddin et deux 
notaires, et les dispensa ã avenir du contingent de 500 fan- 
tassins qu'ils avaient dû donner èڍ‎ ses prédécesseurs. Les 
gens de Fès, après beaucoup de tergiversations, dési- 
gnêèrent cecontingent et envoyêrent ù Morrakch au Sultan, 
qui les fit partir pour Eşsouéira, où il leur assigna leur 
modna et divers bénéfices. Ils assurèrent le service du 
port et eurent une part dans ses revenus. Leur situation 
devenant prospêre, ils s’attachèrent ù ce pays. Ils s'y 
trouvent restés encore dans les mêmes conditions. 

Dans la même année, le Sultan envoya en France le réîs 
Aboûlhasan ‘Ali Mêrsil Errebati, pour rédiger la paix avec 
les Français, se faire payer la rançon des prisonniers 
d@FEl'arêich et acheter des agres. Les Français se sou- 
mirent û donner argent et les agrêès. 

Le Sultan fit partir également, comme ambassadeurs 
auprès du sultan ottoman Mouştafa, souverain de Constan- 
tinople, les fqihs Si Ettûhar ben ‘Abdesselam Esslaoui et 
Si Ettahar Bennûani Errebati. Ces envovés emmenêrent 
avec eux des présents somptueux, consistant en chevaux 
de race dont les selles étaient surchargées d’or et rehaus- 
sées de perles, de rubis et de pierres précieuses, des 
sabres ornés d'or et garnis de pierres de diverses couleurs, 
et des bijoux û la facon du Mağgrib. Le sultan ottoman 
accepta ce cadeau avec joie et, en échange, envoya un 
bateau chargé de tous les appareils de guerre, canons, 
mortiers, poudre, et dune grande quantité de tous les 
agréês nécessaires aux navires corsaires. 

La même année. le Sultan fit un vovage dans le Rif, il 
passa par Tétouan. puis par le pays de Gomara et se rendit 
de lû dans le Gûrét et dans le Rif. Il pacifia toute cette 
région et revint par la route de Tèza. Moûlay ‘Ali, fils et 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 301 


khalifa du Sultan, vint voir son père : il s'établit ù Fés 
Eljedîd et reçut, en plus de son commandement, celui des 
tribus du Djebel et du Rif. 

Cette année-lû, la maitresse du palais impérial, la Moû- 
lat Fûtma, fille de Solîimûn, vint de Morrûkch ù Fès pour 
y faire des visiles pieuses. Dans une seule nuit, elle se 
rerıdil successivement, sur sa monture, aux mausolées de 
Moûlay Idrîs (Dieu soit satisfait de lui}, du chéikh 
Aboûlhasan ‘Ali ben IHirzihim et du chéikh Aboû 
‘Abdallah Ettûoudi. Elle y fit ses dévotions, immola plus 
de cent taureaux et répandit de nombreuses aumûnes. 
Après cela, elle alla û Sefroû, y visita les tombeaux du 
chéikh Sidi Boû Sergîn et de Sidi Aboû ‘Ali, immola des 
victimes et fit des aumûnes, puis revint û Fês. Puis elle 
partit en pêélerinage au chéîikh ‘Abdesselûm ben Mechich 
(Dieu soit satisfait de lui !) accompagnée des notables, dês 
chérifs el des 'oulamû de Fés. Elle fut saluée en route 
par les gouverneurs du Garb, qui vinrent au-devant d'elle 
avec leurs présents et dans leurs plus beaux costumes. 
Les qûids des villes la rejoignirent au mausolée du chétkh 
‘Abdesselûm, entourés de leur cortège, de leurs cavaliers 
et de leurs hommes û pied. Le Sultan leur avait donné 
des instructions û cet ellet. « J'étais, û cette époque, dit 
lauteur du Boustûn, gouverneur d’El'arêîich et je me 
trouvais lû avec mes collêgues. » Lorsqu'elle eut terminé 
son pêlerinage, elle distribua de argent aux chérîfs du 
Djebel Elalam et prodigua ses dons aû tout le monde. 
De lû elle se rendit û Elqsar, puis û El'arêîich, où elle 
demeura trois jours. A ce moment les qûids rejoignirent 
leur poste, tandis qu'elle se remettait en route pour ren- 
trer ù Morrûkch, avec une escorte de 1.000 cavaliers ‘Abîids 
qui avaient accompagnée dans tout son voyage et qui 
étaient commandés par le qûîid Mesbûh, Ses actes peuvent 
être cilés parmi les grandes euvres et les faits glorieux. 
Dieu lui fasse miséricorde ! 


302 ARCHIVES MAROCAINES 


Intérêt porté par le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallêah ã la 
place d’El arêich, qu'il pourvoit de l'armement nécessaire pour 
la guerre sainte '. 


Nous avons vu que le sultan Sidi Mohammed ben 
‘Abdallah iDieu lui fasse miséricorde !; s'était rendu èã 
El‘ arêîch après I'affaire des Français, s'était occupé de 
cette place a laquelle il s’intéressait, et y avait faitconstruire 
des forts, des batteries et des murailles. Dans la suite, son 
fils, Moûlay Yazid, arriva a cette date ù Fès, amenant avec 
lui un certain nombre de capitaines de bateaux et d'ar- 
tilleurs expérimentés dans le tir. Il avait été convoqué par 
le Sultan pour présider au transport des canons et des 
mortiers de bronze qui étaient û Féès Eljedid et ù Méknès 
et qui devaient être trainés ù El arêich. Les tribus placées 
sur la route reçurent ordre d’assurer la traction de ces 
canons, et chacune d’elles les traina sur son territoire 
jusqu'au territoire voisin. Les canons parvinrent ainsi au 
gué de Msi'ida (Seboû). « Je reçus, dit auteur du Boustdn, 
Pordre du Sultan de quitter El'arêich et d’aller au-devant 
de ces canons avec les troupes et les tribus du Iloûz », 
c’est-a-dire du lloûz d'’ El’ arêîich : « je les trouvai au Sebot. 
Les gens du Garb trainèrent ces canons et ces mortiers 
jusqu'a Oued Edderdar, près de Tagudout. Puis les gens 
d’El'arêîich et les tribus des environs les trainèrent jusqu'a 
la ville. Le jour ot ils arrivèrent, ce fut une grande fête. 
Des coups de canon et des coups de fusil furent tirés. Les 
tribus firent des courses (e chevaux et se livrèrent au 
jeu de la poudre jusqu'au soir. Moûlay Yazid retourna 
ensuite auprès du Sultan ù Méknêès, accompagné des chefs 
de la marine et de Tartillerie, après avoir terminé cette 
opération. 


1. Texte arabe, IV° partie, p. 102. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 303 


Le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah réduit les Ait Zem- 
moûr du Tûdla et les transporte ã Selfût : motifs de cette expê- 
dition'. 


Une fois débarrassé des affaires d'El'arêîch, le Sultan 
eut le loisir de régler les derniêres questions ayant trait 
ãa ses sujets. Il quitta Méknés et se rendit dans le Tûdla, 
sans laisser voir qu'il voulait chûlier les Ait Zemmoûr, 
dont les méfaits lui avaient été rapportés. Arrivé au Tûdla, 
il usa de ruse envers eux, en leur envoyant demander de 
lui fournir leurs cavaliers et leurs fantassins, comme s'il 
avait résolu de préparer secrêtement une expédition contre 
les Aît Ou ‘Mûlou. Dês qu'ils se présentêrent devant lui, il 
ordonna une revue de toutes les troupes. Il se tint prês 
de la qaşba et fit défiler devant lui les soldats de armée, 
puis les tribus les unes après les autres, Dêèés qu'une tribu 
avail défilé, il la faisait placêr dans un endroit qu'il indi- 
quait. Il fit de même avec le gutich, de telle sorte que la 
place était couverte de cavaliers et de fantassins et cernée 
de tous cûtés. Quand les Aît Zemmoûr, (qui restalent les 
derniers, eurent défilé, il ordonna û son reha de tirer sur 
eux un feu de salve, qui en fit tomber un grand nombre. 
Les troupes qui les cernaient avaient l'ordrée de tirer dês 
qu'ils s’approcheraient d'eux, dans n'im porte quelle direc- 
tion. Aussi chaque fois qu'ils s'avançaient pour se sauver, 
ils recevaient des coups de fusils de la troupe voisine. Un 
nombre considérable fut tué successivement : les autres 
finirent par s'échapper du cûté des gens de Doûkkala. Il 
en ımnourut ainsi plus de 800. Le Sultan fit couper les têtes 
des morts et les envoya û Fès, où elles furent suspendues 
au-dessus des murailles, Les soldats pillêrent leurs cam- 
pemenls et firent une soû0/a de leurs bestiaux, de leurs 


1. Texle arabe, IV* parlie, p. 102. 


304 ARCHIVES MAROCAINES 


tentes et de leurs effets. Ceux qui parvinrent ù s’échapper 
s’enfuirent dans la montagne des Ait Isri. 

Le Sultan se remit ensuite en route et, peu de jours 
après son arrivée ù Morrdakch, il reçut une députation des 
Ait Zemmoûr, qui venaient hum blement lui exprimer leur 
repentir. Il leur pardonna et les transporta au Djebel 
Selfat, dans les environs de Fès, où ils s’établirent pen- 
dant un certain temps. 


Le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah fait organiser une 
expédition contre les Ait Idrêsén : motifs de cette décision '. 


Le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah avait témoigné 
beaucoup de bienveillance aux Ait Idrasén, car il avait 
chatié û cause eux les Oldêya, qui étaient cependant le 
noyau de I'armée et l'appui du gouvernement. Mais sa 
bonté les avait encouragés au mal et ils en avaient abusé. 
Comme ils avaient commis nombre d’actes répréhensibles, 
le Sultan se vit obligé de les punir. Pendant son séjour ã 
Morrûkch, il écrivit aux Oûdêya de leur faire la guerre, et 
enjoignit en même temps aux ‘Abids et aux Guerouêûn de 
se joindrc û eux, pour comhbattre les Ait Idrasén et les 
réduire. Les Oûdêya n'avaient pas de plus grand désir : 
aidés de leurs auxiliaires, ils les attaquèrent sur leur terri- 
toire et leur livrêrent de sanglants combats. Les Ait 
Idrasén finirent par être battus, leurs campements furent 
pillés, et nombre d'entre ceux furent tués ou faits prison- 
niers et envoyés enchaînés auprès du Sultan a Morrakch. 

Cette année-la ;1179:. le Sultan ordonna la formation du 
corps des Y¢égchêriya, qui devait être composé de gens 
des tribus du Hoûz. Le qûid ‘Abdennébi Elmnébbébi recut 
mission de réunir les contingents et de les inscrire dans 


1. Texle arabe, IV° parlie, p. 102. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 305 


le Dîoudn de l'infanterie. Il devait également inscrire tous 
les célibataires qui voudraient s'engager dans Uarmée. Il 
réunit ainsi 4.500 hommes. Le Sultan leur donna des vête- 
ments et des armes et les utilisa pendant un certain temps. 
Mais ils finirent par retourner dans leurs tribus et au prêés de 
leurs contribules, et furent, comme eux, soumis aux contri= 
butions. 

Dans le courant de cette année-la, mourut Elhûddj 
Mohammed Esşşeffar, gouverneur de Fès ; le Sultan dési- 
gna, pour le remplacer, son fils, El'arbi ben Mohammed 
EssefMar. 

L'année suivante (1180), le Sultan vint û Méknés, il fit 
arrêter le qûîd ‘Abdesşûdeq ben Ahmed Errifi, gouverneur 
de Tanger, et une centaine de ses proches et des gens de 
sa famille, et les jeta en prison. Il alla ensuite ù Tanger, 
pilla la maison de ‘Abdessûdeq, et transporla les gens de 
sa tribu et leurs enfants û Elmehdiya, où ils demeuréêrent 
sous les ordres d'un des leurs, Mohammed ben ‘Abdel- 
mûlék. Il ne laissa en fait de Rifains, û Tanger, que ceux 
qui étaient honnêtes et sérieux, et établit û cûté d'eux 
1.500 ‘'Abîds d'Elmehdiya, qui, se trouvant ainsi en nombre 
égal û celui des Rifains restés dans cette ville, ûlêrent û 
ceux-ci toute velléité de révolle. 

Suivant une note écrite de la main du fqîh Aboûl'abbûs 
Ahmed Esseddrûti, le transfert des Rifains û Elmehdiya 
aurait eu lieu quatre ans plus tard. Dieu sait quelle est la 
vérité ! 


Exécution de ‘Abdelhaqq Fennich Esslaoui et déchéance 
de sa famille *. 


Nous avons parlé, û la fin du rêgne du sultan Moûlay 


1. Texte arabe, [V* parlie, p. 103. 
ARCH. MAROC, 20 


806 ARCHIVES MAROCAINES 


‘Abdallah, des troubles qui s'’ étaient produits dans les villes 
et les campagnes du Magrib, et qui avaient permis ãù cer- 
tains qaids et gouverneurs des villes de se déclarer indé- 
pendants. Parmi eux était ‘Abdelhaqq ben ‘Abdelaziz 
Fennich, gouverneur de Salé. Il avait fini par gouverner 
pour son propre compte ù Salé et dans la région environ- 
nante, grûce ã ses compagnons et û ses partisans. Lorsque 
Sidi Mohammed avait passé par Salé, en allant de Morrakch 
a Elqşûr, du temps de son père, ‘\bdelhaqq lui avait fermé 
les portes de la ville et ne lui avait témoigné aucun égard, 
ni û J'aller, ni au retour. Quand Dieu eut nommé, plus 
tard, Prince des musulmans, Sidi Mohammed voulut 
oublier les fautes passées de ‘Abdelhaqq et lui laissa le 
commandement de sa ville. Mais, au bout dun certain 
temps ‘Abdelhaqq, qui était un homme cruel et barbare, 
fit mettre a mort un des notables de Salé. Les uns disent 
que la victime était un de ses proches, les autres que 
c’ était une personne de la famille Znibîr. Les parents du 
mort allèêrent se plaindre au Sultan û Méknès, ‘Abdelhaqq 
comparut avec eux, et il fut établi que la mise ù mort de 
cet homme était injuste. Le Sultan, qui ne put retenir la 
haine qu’il nourrissait contre ‘Abdelhaqq, le fit arrêter et 
le livra aux parents de la victime, pour qu'ils le missent 
eux-mêmes û mort. Mais ceux-ci n’avant pas osé com- 
mettre un pareil acte, le Sultan le fit exécuter en leur pré- 
sence par ses sbires, qui le firent périr, dit-on, ù coups de 
ınanches de haches. Le Sultan envoya ensuite quelqu'un 
pour s’emparer des biens de ‘Abdelhaqq et cle tous les 
Fennich, et fit vendre leurs propriétés, aprês avoir fait 
établir des actes constatant que les Fenntch étaient perdus 
de dettes, que tout leur avoir avait été acquis au moyen 
de rapts et par autres procédés illicites, car ils impo- 
salient des taxes aux pauvres et aux malheureux, même û 
occasion de leurs mariages. Toutes les proprictés (le 
‘Abdelhaqq et de ses familiers, qui étaient au nombre de 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC A07 


plus de cent maisons ou terrains, furent vendues aux 
Beni Hsen (1180). 

Le Sultan les exila ensuite û El'arêich, oû ils demeu- 
rêérent en prison pendant assez longtemps. Plus tard. quel- 
ques-uns d'entre eux furent envoyés û Eşsouéira. Le Sul- 
tan leur pardonna dans la suile et les rapprocha de lui. Il 
leur confia le commandement du tir au mortier et au canon 
connu sous le nom de commandement des fobdjiya, et les 
nomma dans les diverses places. Ils furent ainsi envoyés 
û El'arêich, û Tanger, û Rabût Elfeth eta Eşsouéira. Il leur 
donna de belles maisons et des immeubles de rapport, el 
leur attribua des trailtements élevés. Ils acquirent dês lors 
par leur richesse, leur puissance et leur influence, une 
situation qu'aucun d'eux n'avait altteinte sous son rêégne 
(Dieu lui fasse miséricorde !}). Ces renseignements sont 
puisés dans le Boustdn. 

Parmi les qûîds qui s'étalent rendus indépendants 
sous le rêgne du sultan Moûlay ‘Abdallûh, et qui furent 
poursuivis au bout de peu de temps par le sultan Sidi 
Mohammed, il y eut aussi le qûîd Aboûlhasan Elhûddj 'Ali 
ben El'aroûsi Eddoûkkaûli Elboûzirûri. Ce personnage 
avait été nommé par Moûlay Elmostadi après son avène- 
ment. Lorsque Sidi Mohammed prit le pouvoir, il le fit 
arrêter et emprisonncr dans un souterrain pendant plu- 
sieurs années. Il lui rendit ensuite la liberté et le nomma 
gouverneur de la ville de Chefchûoun. Ses fils lui succé- 
dérent plus tard. Ils ont laissé des constructions dans la 
place d'Eljedida, entre autres la mosquée, sur laquclle est 
encore inscrit le nom de celui qui Uédifia. 

Au nombre de ces qûîids, 1l y eut aussi le gouverneur de 
Tûmesna, nommé Ould Elmejjûtiya et celui de Tûdla, 
Erradi Elourdîgi. Le sultan Sidi Mohammed les destitua 
et donna le commandement de Tûdla au qûîid Mohammed 
ben Haddo Eddoûkkûli, dont nous avons déjù parlé, Il y 
eut encore Boû ‘Eurif, qûîd des Beni Hsen, qui fut destitué 


308 ARCHIVES MAROCAINES 


par le Sultan et remplacé par .Aboû ‘Abdallah Mohammed 
Elqastali, et le bacha IIlabib Elmalki, gouverneur du Garb. 
Ce dernier était le plus grand chef du temps de Moûlay 
‘Abdallah. Sidi Mohammed emprisonna dans un souter- 
rain, fit démolir son palais, dont les matériaux furent 
transportés ã El'arêîich, et s'’empara de son argent et de 
ses troupeaux. Quand il fut jeté dans le souterrain, le 
bãacha Elhabîb ne voulut ni manger ni boire, et finit par 
mourir dune mort de paien. Dieu nous en préserve ! 

Ces gouverneurs avaient entre les mains les tribus. Le 
Sultan poursuivit leurs partisans Pun après autre, jus- 
qu’a ce qu'il eût entièrement débarrassé le gouvernement 
du préjudice qu'ils lui causaient. Dieu sait quelle est la 
vérité ! 

Cette année-lèa ‘11801, un traité fut conclu entre le sul- 
tan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah et la nation des Fran- 
çais. Il contenait 20 articles, qui étaient relatifs ù la conclu- 
sion de la trêve et de la paix et aux relations commerciales. 
Il stipulait des égards et des marques de respect réci- 
proques. Si un de leurs bateaux quittait un de leurs 
ports pour venir dans notre pays, il devait être muni d’ un 
papier. noınmé passeport, délivré par le grand-amiral 
établi dans chacun de leurs ports, indiquant le nom du 
bateau, celui du capitaine, la nature des marchandises 
chargées sur lui, le port de départ et celui de destina- 
tion, et portant le sceau du grand-amiral, c’est-a-dire le 
sceau du gouvernement. De même, si un de nos bateaux 
partait dun de nos ports pour aller dans leur pays, il 
devait également em porter un certificat signé du consul 
de cette nation dans le port de départ, scellé du cachet 
de son gouvernement, et indiquant le nom du bateau. 
celui du capitaine et son chargement. La règle était 
que leurs bateaux devaient posséder notre cachet el 
notre signature pour être respectés, et que nous devions 
être munis de leur cachet et de leur signature, pour 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 300 


être respectés par eux. Mais comme nous n'’avions pas 
habitude d'établir des agents consulaires dans leurs 
ports, leur cachet fut bientût reconnu suffisant pour 
les deux pays, car le résultat était le même. Les capi- 
taines de bateaux savent, en effet, distinguer les uns 
des autres les sceaux des nations, elt, lorsque deux 
bateaux se renconltrent, ils savent, par la production de 
leurs papiers, quelle est leur nationalité respective et 
sont traités en conséquence. 


Arrivée des présents envoyês par le sultan ottoman Moustafa au 
sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah (Dieu lui fasse miséri- 
corde !) 


Dans cette même année (1180) le sultan Sidi Mohammed 
ben ‘Abdallûh envoya son servilteur, le réis ‘Abdelkerîm 
Rûgolûn Ellétfûouni, en qualité d'ambassadeur, aupréês du 
sultan ottoman Moustafa. Il le chargea de porter û ce 
prince des présents somptueux, en échange des cadeaux 
qu'il lui avail envoyés par Sî Efûhar ben ‘Abdesselam 
Esslaoui et Sî Eftûhar Bennûni Errebûti, ainsi que nous 
lavons rapportéê. Elhaddj ‘Abdelkerîm Rûğgoûn revint 
de son ambassade auprês du Sultan Ottoman en 1181 ; 
il ramenail un cadeau plus considérable que le précé- 
dent. Il consislailt en un navire chargé de canons 
el de morliers de bronze avec leurs munitions, et de tous 
les agrês nécessaires pour les baleaux corsaires, comme 
mals, ancres, volles, cables, cordages, barils et autre 
matériel naval. Ce bateau amenait également des maîlres 
trêés experls dans la fonte des canons et des mortiers, 
bornbes et boulets, et dans la construction des navires. 
Parmi eux se trouvait un maitre des plus expérimentés 


1. Texle arabe, IV® parlie, [. 10%. 


810 ARCHIVES NAROCAINES 


dans le tir au mortier. Ils débarquèrent ù El'arêîch. 
« J'étais alors, dit auteur du Boustdn, gouverneur de 
cette ville. Je reçus du Sultan ordre d'envoyer ces maitres 
a Fês, où ils devaient attendre 'arrivée du Sultan de Mor- 
rakch et aller le rejoindre ù Méknès. » Lorsque le Sultan 
arriva a Méknêès, ils se rendirent auprès de lui. Il s'entre- 
tint avec eux des travaux ù eflectuer,. car il avait Pinten- 
tion de rétablir [arsenal (le construction de navires de 
guerre sainte qui avait existé ù Salé du temps des Almo- 
hades et des Beni Mrin. « II faudrait nous construire, lui 
dirent-ils, un arsenal de telle et telle forme et dans telles 
et telles conditions. » Et ils lui dressèrent sur le papier 
le plan de cet arsenal. Le Sultan se rendit compte qu'il 
fallait vingt ans au moins pour terminer ces travaux, et 
que de très fortes sommes seraient a peine suffisantes. Il 
abandonna donc son projet. Il envoya les maitres pour les 
bombes è Tétouan : un d'eux pouvait fondre des bombes 
de deux quintaux. Il expédia les maitres constructeurs de 
navires a Salé, où ils établirent trois escadrilles. Quant 
au maitre artilleur, il fut envoyé a Rabat Elfeth et fut chargé 
de T'instruction des canonniers de Salé et de Rabût. II 
forma de très bons élèves. Les gens d’El'odouatéin 
se transmirent la connaissance de ce métier pendant long- 
temps, mais aujourd'hui il ne leur en reste plüs que le nom. 
Les fondeurs de canons et de mortiers furent renvovés û 
Fês, où ils demeurêèrent jusqu'a leur mort. Dieu leur fasse 
ımıiséricorde ! 

Cette année-la. le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah 
conclut un traité avec le Danemark. Il contenait vingt arti- 
cles, stipulant également Fétablissement de la paix et de 
la sécurité entre les deux puissances. Le premier article 
stipulait que administration des ports marocains cesse- 
rait dappartenir désormais aux négociants danois, en rai- 
son de la dissolution de la compagnie qui avait le mono- 
pole des ports, que le consul de cette nation s'enga- 


DYNASTIE ALAOUIE DU ‘MAROC 311 


geait û payer 12.500 douros, qui restaient dus de ce fait 
par les négociants de son pays, et que désormais les ports 
ne pourraient en aucune façon retournerentre leurs mains, 
Le dernier article contenait pour le despote de Danemark 
obligation de fournir annuellement au Sultan vingt 
canons de fer, dont les boulets devaient peser de 18 û 
2A livres, trente cûbles, deux mille panneaux de bois de 
« Roabli » de diverses dimensions, et Û.500 douros, le 
tout livrable û Uendroit que voudrait le Sultan. Le des- 
pote de Danemark avait la faculté de se libérer de cette 
obligation moyennant 25,000 douros. 

Le même traité fut conclu avec la Suêde, sauf toutefois 
que la somme annuelle qu'elle devait payer n'était que de 
20.000 douros. D'autres traités furent passés avec d'autres 
nations, moyennant d'autres charges. 

Ces dispositions restérent en vigueur jusqu'a Uan- 
née 1361 : elles cessèrent d'être appliquées sous le rêgne 
du sultan Moûlay ‘Abderrahmûn ben Hichûm (Dieu lui 
fasse miséricorde ) dans les conditions que nous rappor-= 
terons en temps utile. 

La même année (1180) eut lieu insurrection dê l'impos- 
teur Kelkh û Morrûkch. Cet individu était un gueux 
nommé Omar, qui se prétendait disciple du chéikh 
Aboûl'azm Sîdi Rahhûl. Il opérait devant la populace des 
miracles simulés, et s'était formé un parti considérable ‘de 
campagnards ignorants, en leur promeltant de leur ouvrir 
le Trésor où ils pourraient prendre a leur aise l'or et l'ar- 
gent qu'il conlenait. La population accourut auprès de cet 
imposteur, qui rentra un beau jour ù Morrûkch, û la tête 
d'une foule de mauvais sujets. Leur cri de ralliement 
était ces deux mots : « Kellekh, Chellekh! » qu'ils criaient 
û lue-tête. Ils étaient comıne un torrent se précipitant des 
hauteurs. Un grand tumulte se produisit dans la ville et les 
marchés furent fermés. Averti aussitêûl, le Sultan, qui 
étail dans son palais, Hit partir les hommes de sa garde et 


813 ARCHIVES MAROCAINES 


les ‘Abîtds qui se saisirent de Kelkh, au moment où il allait 
entrer dans la qaşba. Dès qu'il fut entre leurs mains, les 
émeutierş prirent iımmédiatement la fuite ; il fut amené au 
Sultan, qui le fit mettre a mort. Le désordre fut calmé sur- 
le-champ. 


Alliance entre le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah et le 
chérif Seroûr, sultan de la Mekke (Dieu lui fasse miséricorde ! )' 


Le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah aimait et 
recherchait la renommée ; 1l désirait faire le bien et avait du 
penchant pour ceux qui le faisaient. Ses yeux se portaient 
sur le lieu que Dieu avait attribué comme résidence et 
comme territoire au chérif Seroûr, sultan de la Mekke, 
(Dieu lui fasse miséricorde !) Il voulut s’unir ù lui par une 
alliance et accorda sa noble fille. En 1182, lorsquc la cara- 
vane du pèlerinage mağgribin se disposa a se mettre en 
route pour le Hedjaz, le Sultan envoya sa fille avec les 
pélerins auprès de son mari. Il fit partir en même temps 
son fils ainé et khalifa, Moûlay ‘Ali ben Mohammed, pour 
accomplir obligation du pèlerinage, et le fit accompagner 
par son frère Moûlay ‘Abdesselûm, qui n’était pas encore 
pubére et qui devait tenir compagnie û sa sceur. Il les 
chargea en même temps un cadeau pour le prince de 
Tripoli, pour le prince FEgyple et de Syrie, de présents 
considérables pour les deux nobles sanctuaires, de fortes 
sommes d'argent destinées û être distribuées entre les 
chérifs du Hedjaz et du Yémen, et de dons très riches pour 
les ‘oulama, les naqibs et les fonctionnaires de la Mekke 
et de Médine. Enfin le Sultan envoya avec eux des per- 
sonnages importants du Magrib, des fils de gouverneurs 
et de chéikhs de tribus, et un grand nombre de ses servi- 


1. Texle arabe, IV* parlie, p. 105. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 313 


leurs el de ses gens, montés sur des chevaux de prix, 
armés de pied en cap et portant de beaux costumes. Dans 
tout Orient, on en parla pendant un certain temps. Le 
lrousseau de la fille du Sultan était composé de bijoux, 
de pierres précieuses et de perles valant plus de 100.000 di- 
nars. Le jour de son entrée û la Mekke fut une journée 
mémorable, tous les pêlerins venus de toutes les contrées 
y assisltérent : les caravanes et les voyageurs s'en trans- 
mirent le récit. 


Le sultan Sidi Mohammed ben ‘“Abdallãh s'intêéresse aux '‘Abids 
du Soûs et de la (Qibla, et les fait venir dans 1'Agdêûl de Rabût 
Elfeth '. - 


Celte année-la (1182) le sultan Sidi Mohammed ben 
‘Abdallah envoya dans le Soûs son cousin Moûlay ‘Ali ben 
Elfdîl et son secrétaire, Abo ‘Otsmûn Sa'îd Echchlih 
Elguezoûli, pourréunir les ‘Abîds du Makhzen qui s'y lrou= 
valent. En même temps, il envoya son ousîf Elmahjoûb, 
fils d'un qûîd sans commandement, dans les régions de 
Tata, Aqqa et Tichiît, qui font partie des pays de la Ortbla, 
pour y réunir également les ‘Abîids. Ils ramenérent 2.000 
‘Abîds du Sois avec leurs enfants et 2,000 de la Oibla avec 
leurs enfants également. Le Sultan les lit camper û l'ex- 
térieur de Morrakch, leur donna des armes et des vêle- 
ments, mit ù leur tête le qûid Elmahjoûb, et quand il 
parlit pour Rabat Elfeth, il ordonna de raser les jardins 
MAgdûl qui se trouvaient en dehors de la ville pour y 
installer les ‘Abids. Il leur fit construire des maisons, une 
mosquée, une école, un bain el un ınarchéê, et établil avec 
eux 2.500 Oûdêya qu'il fit venir des tribus. Tous ces 
hommes furent inscrits dans le Dioudn ; ils faisaient pen- 


1. Texle arabe, I1V* partie, p. 105. 


314 ARCHIVES MAROCAINES 


dant aux ‘Abids et aux Oûdêya de Méknès. I1 leur distribua 
beaucoup argent, pour qu’ils s’établissent dans cet avant- 
poste de l'Islam. 


Prise d’Eljedida ‘. 


Luiz Maria a raconté cette conquête : nous résumerons 
le récit qu’il en a fait : 

Depuis son avènement a Empire du Magrib, le sultan 
Sidi Mohammed ben ‘Abdallah ne se sentait pas en repos, 
ã cause du voisinage du Portugal qui détenait une parcelle 
de son territoire. C’était un homme énergique, plein 
d’initiative et dorgueil. Il consulta les conseillers du gou- 
vernement sur les conditions dans lesquelles il pourrait 
diriger une expédition contre Eljedida et en faire la 
conquête. «Que notre Seigneur, répondirent-ils, ne s’ima- 
gine pas qu'il pourrait s’emparer de cette ville en dirigeant 
contre elle un seul effort des musulmans. Ce moyen 
n’amêènerait d’autre résultat que de faire tuer des hommes, 
comme cela a eu lieu du temps du sultan Elğgûlib billah 
Essa di. Il n’arrivera a en faire la conquête qu’ en orga- 
nisant un slége prolongé par terre et par mer. » Le Sul- 
tan adopta cette manière de voir, qu'il avait repoussée au 
début. 

Quand il eut décidé de marcher contre Eljedida, il 
forma une armée nombreuse, formée de contingents de 
diverses tribus, notamment des tribus de Morrakch, du 
Hoûz et du Sois. Selon Luiz, il aurait réuni ainsi environ 
70.000 combattants, mais il y a lieu de croire que c’est la 
une des exagérations habituelles de cet auteur. Cette 
armée vint camper devant Eljedida le 4 mars du calendrier 
étranger de année 1768 de J.-C. Les histoires islamiques 


1. Texte arabe, IV° parlie, p. 106. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 315 


fixent cet événement au 1" ramadûn de l'année arabe 1182. 
Le Sultan commença par faire creuser tout autour de la 
ville des fondements de redoutes, sur lesquelles furent 
établis 35 canons de divers calibres. Pendant plusieurs 
jours de suite, il fit lancer des boulets et des bombes : il 
en tomba dans la place plus de 2.000, qui détruisirent un 
grand nombre de constructions et tuerent des quantités 
de gens. Parıni les habitants de cette ville, se trouvait un 
soldat ûgé de plus de 70 ans, qui avait femme et enfants. 
Il n'avait pas pu prendre part au combat. Quand il vit les 
hombes tomber les unes aprês les autres comme la pluie, 
il voulut se sauver lui etsa famille, et alla se cacher dans 
un nmiagasin, au-dessus duquel étaient des dépûts de blé. 
D’autres personnes s'y cachêrent avec lui. Ils pensalent 
que les bombes ne pourraient pas traverser le dépût de blé, 
percer son plancher et arriver jusqu'au magasin. Mais Dieu 
décréla qu'une borînbe pénétrûl ù travers le blé et le plancher 
et vint tomber sur le vieillard qu'elle tua. Les autres per- 
sonnes qui étaient avec lui furent atteintes également : 
neuf d'entre elles furent tuées, et les autres blessées., 
Voyant que le siêge se prolongeait, les habitants d'Elje- 
dida écrivirent û leur despote, qui leur donna ordre 
d'évacuer la place s’ils étaient impuissants û la défendre. 
Cette lettre avait été envoyée ù U'insu de la population, qui 
vit un beau jour arriver un bateau venant de Lisbonne. 
Tout le monde pensait qu'il amenait des renforts, tandis 
qu'il n'apportait qu'une lettre du despote ordonnant aux 
habitants d'évacuer la ville, de s'embarquer avec leurs 
enfants et leurs femırmées dans ses navires, et de livrer la 
place aux musulmans. Quand la populace sut la vérité, elle 
refusa de se soumettre et se mit û insulter la lettre et celui 
qui Uenvoyait. « Nous ne quilterons pas la place, dirent les 
gens du peuple, nous mourrons jusqu'au dernier, car ce 
sol nous a été légué par nos ancêétres, il a été arrosé de 
leur sang ; nos chefs et nos nobles ont donné leur vie pour 


816 ARCHIVES MAROCAINES 


lui. » Mais, grace èù l’intervention de leurs religieux entre 
la populace et le gouverneur, la conciliation se fit et le 
peuple se laissa convaincre. Le gouverneur de la place 
écrivit au sultan Sîdi Mohammed ben ‘Abdallah pour lui 
demander de cesser le feu et de lui accorder un délai de 
trois jours pour lui livrer la ville. Le Sultan accéda ã cette 
demande, en imposant comme condition que les habitants 
emporteraient seuleınent avec eux les vêtements qu'ils 
avaient sur le (los, et rien d'autre. Les Portugais accep” 
têrent cette condition. « Un soldat portugais, dit Luiz, 
avait emporté un second vêtement quُil ne voulait pas 
abandonner. Le gouverneur s'en aperçut au moment où il 
allait s'embarquer, lui enleva son costume et le jeta è la 
mer. Comme İls ne pouvaient rien emporter avec eux, ils 
brûlêrent leurs effets et leurs meubles, coupêèrent le jarret 
û leurs chevaux, tuêrent leurs troupeaux, brisèrent leur 
vaisselle et leurs armes, et mirent hors d ` usage plus de cent 
canons. » A la fin, ils creusèrent dans tous les quartiers de 
la ville des mines qui contenaient chacune plus de 40 barils 
dle poudre, et laissèrent un forgeron, nommé Petros, qui. 
dit-on. mit le feu ù la mine au moment où les musulmans 
entrèrenlt dans la ville. Cinq mille personnes pérırent et 
la muraille septentrionale de la ville fut dêmolie. 

Quand les Portugais arrlvèrent û Lisbonne. leur despote 
les envoya dans une petite ville. nommêe Baylen. où plus 
de trots cents entre eux moururent d ennui. Ils partirent 
ensuite pour le Bresil et v fondèrent une ville. è laquelle 
ils donnêrent le nom de Nouvelle-Mazagan., en souvenir 
dFEljedida. 

Tel est le resume du récit de Luiz. 

Suhant une note ecrite de la main du très docte fqih 
Aboil ablûs Ahmed Esceddritü. la prise d Eljedida eut lieu 
le smal matin 2 doûlqa da LIS. qul correspond au 
XR ferier du calendrter etranger et qui etait? le troisttme 
Jour du deki tae. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 317 


Parmi les personnes qui assistêerent û la prise de cette 
ville, il y eut le maitre Elhûddj Slîmûn Eltourki, qui était 
très habile au tir du mortier et qui fit des prodiges de 
valeur, et un certain nombre de gens de la famille Fennîich 
de Salê, qui se distinguêrent par leur bravoure, 

Le Sultan repeupla la ville avec des gens de Doûkkûla, 
puisqu'elle était située dans leur territoire, et leur adjoignit 
une garnison recrultée parmi les Yégchêriya de son armée. 
Leurs descendants se trouvent encore de nos jours û 
Eljedida. Dieu sait quelle est la vérité ! 


Efforts déployés par le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah 
pour obtenir la liberté des captifs musulmans ; ce que Dieu 
accorda par son intermédiaire '. 


Nous avons rapporté précédemment que le Sultan avait 
envoyé auprês du tyran d'Espagne ses oncles les Oûdêya, 
‘Amûra ben Moûsa et Mohammed ben Naser, accompagnêés 
de son secrétaire Aboil'abbûs Elğazzûl, que ce dernier 
avait négocié la paix et avait accompli heureusement sa 
mission, Au cours de cette ambassade eut lieu, comme 
nous l'avons vu, Uéchange des captlifs entre le Sultan et 
le despote. ) 

Dans le courant de cette année-la (1182), le despote 
d'Espagne écrivit au Sultan qu'il ne restait plus dans son 
pays un seul captif musulman et que les seuls captifs qu'il 
possédait encore étaient des gens d' Alger, où se trouvaient 
encore des caplifs espagnols, et lui demanda d'intercéder 
auprês du possesseur d' Alger pour le décider û un échange; 
or les captlifs espagnols étaient de beaucoup plus nombreux 
que ceux d'Alger ; le roi d' Espagne exprimait le désir que 
lêéchange eût lieu par son intermédiaire ; un capitaine 


1. Texle arabe, [Ve parlie, p. 107. 


318 ARCHIVES MAROCAINES 


serait échangé contre un capitaine, un pilote contre un 
pilote, un commissaire ,contre un commissaire, un marin 
contre un marin, un soldat contre un soldat, et si Dun ou 
Pautre possédaient encore «des captifs, un marin serait 
racheté moyennant 500 douros et un capitaine de bateau 
pour 1.000 douros. Le Sultan consentit ù cette démarche 
et déploya ses efforts pour délivrer les musulmans des 
mains des infidéèles, afin de plaire a Dieu, dans Pespoir 
d’en être récompensé. Bien qu'il eût écrit aux Espagnols 
par Uintermédiaire d’Elgazzal et de ses deux compagnons 
pour demander la liberté de tous les captifs musulmans, 
le roi Espagne ne lui envoya que les Magribins, disant 
qu'il gardait encore les captifs algériens pour les échan ger 
contre les captifs espagnols. Le Sultan correspondit alors 
avec les gens d’ Alger, pour leur faire part de la demande 
du despote d’ Espagne. Comme on lui répondit par un 
refus, il écrivit de nouveau au bey dP’ Alger, qui repoussa 
encore sa demande. Il lui écrivit une troisième fois, pour 
Pexhorter ûڍ‎ sauver les captifs musulmans, en lui faisant 
craindre le chûtiment de Dieu et en lui donnant Uespoir 
d'une récompense céleste. Les Algériens finirent par se 
soumettre et demandêèrent au Sultan de leur envoyer, pour 
présider au rachat, une personne de son entourage ù qui 
ils livreraient leurs prisonniers, et qui se ferait remettre 
un nombre égal de leurs com patriotes. Dês qu'il reçut la 
réponse des habitants Alger, le Sultan écrivit au despote 
pour lui donner ordre de faire conduire a Alger, dans un 
bateau, les captifs musulmans qui se trouvaient chez lui. 
De son cöté, il désigna, pour remplir cette mission. son 
secrétaire Abotl'abbas Elğgazzêûl et ses deux compagnons. 
Au moment même de Uarrivée de ces délégués ù Alger, le 
bateau espagnol vint mouiller en vue du port, et plus de 
1.600 captifs musulmans en furent débarqués. Les Algé- 
riens remirent è leur tour plus de 1.600 captifs chrétiens, 
et comme Il leur restait encore des captifs, les Espagnols 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 319 


les rachetêrent et se retirêrent ensuite. L’ambassadeur et 
ses compagnons s'en retournêrent û la Cour du Sultan. 
Dieu a écrit sur les pages du livre de Sidi Mohammed la 
récom pense de cetle ceuvre. 

En 1183, le Sultan dirigea une expédition contre les 
tribus de Tûdla, qui avaient commis des méfaits et luttaient 
constamment entre elles : il pilla leurs biens, les dispersa 
de tous cûtés et leur donna pour gouverneur le qûid Sûlah 
ben Brradi Elourdiğgi. Celui-ci les pressura, si bien qu'il 
les réduisil û une misêre telle qu'ils ne pouvaient même 
plus se rendre d'un lieu û un autre, faute d'animaux. 

En 1184, il lit une expédition contre les Brûbér Gue- 
rouûn, qui avaient commis des méfailts et qul, réunis autour 
de Mohammed Ou Nûser, surnommé Mhûouch, le chef de 
la rêvolte, et tout dévoués û son service, avalent encouragêé 
son fils Moulay Yazid û convoiter le pouvoir. Venu de 
Morrakch, il les attaqua ù Oued Gourigra, les tailla en 
piéces, les pilla et leur tua environ 500 hommes. Rêéduits 
û mendier û Fès et û Méknêès, ils furent ensuite transportés 
dans la plaine dF Azgûr au milieu des ‘Arabs. Le mal qu'ils 
faisalent fut ainsi coupé dans sa racine. 


Le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah assiége la ville 
de Melilla, place forte espagnole '. 


A la fin de l'année 118/1, le sultan Sidi Mohammed ben 
‘Abdallah dirigea une expédition contre la ville de Melilla, 
qui était au pouvoir des chrétiens dEspagne. Il fit cerner 
la ville par ses troupes et dressa contre elle ses canons 
et ses mortiers. Le siêége commença le premier jour du 
mois de molharrerm 1185 et dura plusieurs jours. Le despote 
d'’Espagne adressa des représentations au Sultan au sujet 


1. Texle arabe, IV® parlie, p. 108. 


830 ARCHIVES MAROCAINES 


de ce siêège, en lui rappelant la trêve et la paix conclue 
entre eux : « Voici, disait-il, la signature de votre secré- 
taire Elğazzêl, qui a servi d’intermédiaire entre vous et 
moi pour la conclusion de la paix. » (Dieu lui fasse misé- 
ricorde !) Le Sultan répondit: « La paix que j’ai faite avec 
vous ne concerne que la mer; en ce qui concerne les 
villes que vous possédez sur notre territoire, il n'y a pas 
de paix entre nous aù.ce sujet. Si la paix avait englobé ces 
villes, vous seriez venus auprès de nous et nous serions 
entrés chez vous. Comment pouvez-vous invoquer la paix 
quand vous recourez ã une pareille trom perie ? » Le despote 
d@Espagneayantenvoyé original du traité, qui s'appliquait, 
en effet, aussi bien è la terre qu’a la mer, le Sultan fit cesser 
attaque et lever le siège, et laissa sur place tout son 
matériel de guerre, canons, mortiers, chariots, bombes, 
boulets et poudre. Comme les musulmans auraient eu 
beaucoup de peine a transporter tout ce matériel par la 
voie de terre, il posa comme condition de son départ au 
despote d’ Espagne qu'il le ferait rem porter sur ses bateaux 
dans les ports d' où il avait été amené. Celui-ci lui accorda 
cette faveur et expédia ses navires, qui conduisirent ce 
matériel, partie a Tétouan, partie ù Eşşouéîra, d’oüù il était 
venu. 

A la suite de cette affaire, Elgazzèl perdit ses fonctions 
de secrétaire. Resté sans emploi, il mourut après avoir 
perdu la vue. «Dieu lui fasse miséricorde !) 

Dans une conversation sur les conditions dans lesquelles 
cette paix était intervenue, jai entendu un fqih contem- 
porain dire : « En signant la paix, Elğazzal (Dieu lui fasse 
miséricorde ! écrivit ces mots sur le traité : la paix con- 
clue entre nous est sur « mer et non sur terre » ıba/fhran 
ld berran’. Quand ils eurent sa signature entre les mains, 
les chrétiens grattêrent le ldm-aléf ld et écrivirent û sa 
place un oudou ‘ouaı, ce qui fit « sur mer et sur terre » 
(bahran oua berran:. Le Sultan (Dieu lui fasse miséri- 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 321 


corde !j ne disgracia son secrétaire que parce qu'il avait 
adoplé un texte trop concis, ce qui avait permis aux Chré- 
tiens de I'altêrer. Il aurait dû rédiger une phrase longue 
et détaillêée qui n’aurait pas pu être modifiée, et dire par 
exemple : la paix conclue entre nous ne sera que sur mer ; 
quant û la terre, il n'y régnera pas de paix entre nous et 
vous, ol toute autre phrase qu'il n'eût pas été possible 
de changer. Les gens expérimentés dans la science de la 
rédaction des actes disent, en effet : « Celui qui écrit une 
convention doit détailler autant que possible, et êéviter une 
coneision dangereuse et tout ce qui peut y conduire d'une 
façon quelconque. » Dieu sait quelle est la vérité. 


Expédition du sultan Sidi Mohammed ben “Abdallah contre les 
Brûber Ait Ou Mûlou : ses motifs '. 


En 1187, le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah partit 
en expédition dans les montagnes des Ait Ou Mûlou. Il 
décida cette campagne pour soutenir son qûid, Belqûsém 
Ezzemmoûri. Celui-ci avalt reçu le gouvernement de ces 
tribus, mais avait été repoussé par elles. Il avait demandé 
des renforts au Sultan, qui lui avait donné 3.000 cavaliers, 
en plus de ses contribules des Zemmoûr et des Beni Hkim. 
ll s'était mis en route, quand, arrivé û Oued Oumm 
Errabî' près de Tûdla, il fut attaqué par les Ait Ou Mûlou 
et obligé de se replier sans avoir pu prendre sa revanche. 
La nouvelle de sa défaite était parvenue au Sultan, qui, 
vivement irrilé contre les Ait Ou Malou, se prépara û 
marcher contre eux el fit sortir ses soldats en dehors de 
Mêéknêés. Les chefs des tribus arabes et berbêres auxquelles 
il envoya l'ordre de partliciper û la campagne, vinrent le 


1. Texle arabe, 1¥" parlie, p. 103. 
ARON. MAROC. o | 


84 ARCHIVES MAROCAINES 


rejoindre a Méknêès, bon gré, mal gré, et quand ses 
troupes furent toutes réunies, il se mit en route. 

lauteur du Boustdn, le secrétaire Belqasém Ezzayêani 
(dont le nom s’écrit avec un şdd prononcé comme un 
£4 palalal, comme le mot Şirat, suivant la prononcia- 
lion de Ilamza), qui faisait partie de cette expédition, a 
dit au cours «(le son récit : « Je me trouvais avec le Sultan 
qui me tenait û écart ù cette époque, au point que chaque 
jour jo craignais qu'il ne me fit mettre ù mort, èù cause 
dle» letlres que lui avait écrites ù mon sujet ce qaid Belqa- 
sêm Hzzemmoûri, qui prétendait que c’ était mol qui avait 
soulevé ses administrés contre lui. » Le Sultan ayant 
rejoint la Mhalla de Belqasém et ayant fait camper ses 
troupes dans la plaine de Gourigra, ce dernier lui con- 
seilla de diviser ses forces en trois groupes : un d'eux 
installerait û Tasmakt, sur les derrières des ennemis ; 
le second û ZAouyat Eddila, sur la route qui conduit dans 
leur pays; et le troisième irait avec lui sur la route de 
Tiqit. Quant au Sultan, il marcherait avec ses soldats jus- 
qu .ldekhzin, ot il camperait. De cette façon Tennemi 
devalt tre cerne de tous cûtëês. Ezzemmoüûri représenta 
au Sultan comme etant très proches des points très éloi- 
gues, car ÛÎ ne connalsgait point le pays. 

le lendemain, les troupes se disloquerent et chaque 
groupe nar'ha dans lk direction qui lui avait etê indiquee. 
le Sultan saxanca dans la direction d Adekhsãan. Arrive 
4 UUund Uumm Èrrabi . Û envova devant lui les Guerouan 
pour hie une attaque wntre les Ait Uu Malvu. Les 
Uuenmin rtirent : arrites 4 (tushat Adekhsèn. ıls nv 
INNER MS le moindre ow haud et v attendirent Î arrivee 
it SINR + UO URiLS krtsrds (elute. — Nous 
RANORS VU TERIN. NANNIES ef IGS xmmes 
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AINS OU MIN UO 4 TETEY 2 JEL Ta ezl F cheval 


FX FN FI EF NUNIT TI FEIT SeugSe Ezra vini 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 328 


« Je m’eınpressai, dit celui-ci, d'arriver auprês du Sultan, 
qui me dit : « Connais-tu ce pays ? 

— Je le connais parfaitement. 

— Oiü sont ses habitants ? 

— Dans leur montagne. 

— Mais leur montagne n’est-elle pas lû? Ne sommes- 
nous pas û Adékhsûn. 

— Nous sommes, en effet, ù la Qasşbat du Makhzen, mais 
leur montagne se trouve au delû de ces cols si noirs, lui 
dis-je en lui montrant les cols. 

— Oüù est la Zaouya par laquelle le guéich est parti avec 
Qaddoûr ben Elkhadir et Mesroûr ? 

— Elle est û droite des cols dans la plaine. 

— Où est Tãsmûkt, que doivent gagner les Berbers avec 
Ould Mohammed Ou ‘Azîz ? 

— Tasmûkt est au dela des cols : d'ici il faut deux étapes 
pour y arriver. 

— D'où doit venir le qûid Belqasêém ? 

« Lui rmontrant le col par lequel il devait remonter, je 
lui dis : 

« Il ne peut être ici que demain, s'il ne lui arrive pas 
malheur. 

— Et qu avons-nous fait, nous ? 

— Nous avons donné des coups sur du fer û froid ¢ ceux 
qui sont û la Zûouya ne serviront a rien, pas plus que ceux 
qui sont ù Tûsmakt, el pendant ce temps les Ait Ou MA- 
lou sont fortifiés dans leur montagne. Belqûasém est un 
hamme qui porte malheur. Dieu préserve notre Maitre de 
ladversité qu’il fait naitre ! » 

« Le Sultan se rendit alors compte que Belqûsém était tout 
autre qu'on le lui avait dépeint, et futconvaincu du mauvais 
conseil qu'il lui avait donné ; il ne douta plus qu'il s’étail 
rendu coupable d'avoir conduit aveuglément les Musulmans 
ã une défaite. Je lui expliquai les raisons pour lesquelles 
les Ait Ou Mûlou évitaient Belqasém, et il les comprit. 


324 ' ARCHIVES MAROCAINES  - . 


« Ecris aux Zayûn tes contribules, me dit le Sultan, de 
venir auprês de moi. Je leur pardonne. » 

« Je leur écrivis aussitût et leur envoyai ma lettre 
Adékhsan par un chérîf et deux hommes du Sultan. Ils 
marchèrent toute la nuit et arrivèrent chez les Zayûn assez 
tût pour que quatre hommes de cette tribu puissent se pré- 
senter le lendemain matin avec leurs cadeaux. Je les intro- 
duisis auprès du Sultan, qui les accueillit aimablement et 
accepta leurs cadeaux en leur disant : « Je vous fais grace en 
considération de mon secrétaire un tel. » Puis il les ren- 
voya, remplis de joie, auprès de leurs contribules. Cette 
nuit-la, les soldats n’eurent ni orge, ni paille. 

« Le lendemain, on vit paraitre la Mhalla de Belqûsém, 
accompagné de Mokhtar et des ‘Abîds, qui avaient passé 
toute la nuit ù combattre. Quand ils arrivèrent, le Sultan 
fit camper les ‘A\bids èڍ‎ cûté de lui, et ordonna ù Belqasém, 
auquel il ne témoignait aucune attention, de camper avec 
ses tribus, Zemmoûr et Beni Hkim. Il lui donna ensuıte 
Tordre de renvoyer ses contribules dans leurs pays, et 
autorisa les tribus èڍ‎ s'en retourner. Une fois ces troupes 
disloquées, il se mit en route pour rentrer dans le Tûdla. » 

Ceux qui étaient allés camper û Têasmakt avec Ould 
Mohammed Ou ‘Aziz furent attaqués pendant la nuit et 
dispetsés dans toutes les directions par les Ait Ou Malou. 
qui pillérent leur camp et leur tuerent un grand nombre 
fFhommes. Ils retournèrent en déroute û Méknès. 

Quand le Sultan arriva è Ezzerhoûniyva pour ¥ passer 
la nuit. des gens de Qaddoùr ben Elkhadir vinrent lui 
apporter une lettre, où ce dernier disait : « Les Berbers 
nous cernent de tous cûtés: si notre Seigneur ne vient pas 
nous rejoindre. nous sommes perdus. » « Le Sultan ın’or- 
donna. dit Ezzayûni, de me rendre auprès eux et de 
trouver un moyen quelconque pour les sauver. Avec cent 
cavaliers quil m'avait données. j atteignis la Zãouyat Eddi- 
laîva. oû je trouvai les Berbers rêéunis autour de nos 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 327 


troupes. J'eus une entrevue avec les Ait Isri et je leur 
promis que le Sultan leur ferait:un riche cadeau s'ils ou- 
vraient .une issue ù son armée et la faisaient passer par 
leur pays. Ils y consentirent, et, dês Taube, Parmée leva le 
camp; nous nous éloignûmes avec elle des Ait Ou Mûlou 
et, après avoir traversé la riviêre, ‘nous entrûmes ‘sur le 
territoire des Ait Isri, accompagnés de cent notables de 
cette tribu qui nous escortêrent jusqu'a 'Oued' Tûqball 
dans le Tûdla. Arrivés la, ils s'en retournéêrent. Je me 
rernıdis alors auprès du Sultan, et lui annonçai que l'armée 
était sauvée et qu'elle était arrivée û Oued Tûqbêûlt. Il 
s'en réjouit et me remercia, puis, ım’ ordonnant de retour’ 
ner auprêés de armêée, il me donna de l'argent pour le dis- 
tribuer aux hommes, et me chargea de leur indiquer les 
élapes qu'ils auraient û faire pour rentrer û Méknêès, où 
ils devraient attendre le Sultan. Je retournai aussitût au- 
prês d'eux et leur appris que le Sultan ordonnait la mise 
en marche sur Méknês. Je leur désignai leurs élapes, 
comme jen avais reçu ordre, et le lendemain, après que 
je leur eus distribué I'argent, ils levèrent le camp pour 
rentrer ù Méknêès. Je revins vers le Sultan, que je trouvai 
û (Qaşbat Tadla, malade de la fièvre. Il était soigné par le 
médecin Aboil'abbûs Ahmed Aderraq : seuls, ce dernier, 
Elhûddj ‘Abdallah, son officier de bouche et moi, nous en- 
trions aupréês du Sultan. Quand il fut guéri, il fit cadeau 
au médecin de 1.000 dinûrs. Il rentra ensuite ù Méknès, A 
peine arrivéê, il fit arrêter Belqasém Ezzemmoûri et lui ' 
confisqua ses biens. Il nomma Ould Mohammed Ou ‘Aziz 
gouverneur des Zemmoûr et des Beni Hkim. 

« Depuis cette époque, lê Sultan me donna le pas sur 
mes collégues, et me chargea, dans la suite, des missions 
1ımportantes,. » 

Lannée suivante (1187), un traité fut conclu entre le Sul- 
tan et le Portugal. Ce traité renferme vingt-deux arlicles sli- 
pulant, comme les traités précédents, la paix et la sécurité. 


33%6 ARCHIVES MAROCAINES 


Ce qu'il advint des Yégchêriya, que le Sultau avait fait entrer 
au service et choisis dans les tribus du Hoûz “. 


Nous avons vu que le sultan Sîdi Mohammed ben *Abdal- 
lah (Dieu lui fasse miséricorde !) avait restauré le corps 
d'infanterie du gu¢îch, appelé les Yégchêriya (du nom de 
celui qui avait précédé’, et qu’il en avait chargé le qad 
‘Abdennebi Elmnebbehi. Mais cette troupe causait un tort 
considérable aux populations, qui en souffraient dans leurs 
femmes et dans leurs biens. Quand ils étaient en cam- 
pagne, ils détruisaient les récoltes des vergers partout où 
ils passaient. Ces méfaits étaient devenus chez eux une 
telle habitude, que, partout où ils campaient une nuit, ils 
I1Imposaient aux habitants de Pendroit des exigences que 
ceux-ci étaient impuissants èڍ‎ satisfaire, et si les notables 
du pays les invitaient èa plus de douceur, ils répondaient 
que c’était chez eux une habitude è laquelle ils resteraient 
fidêèêles et qui était une des rêègles du gouvernement. 

Quand le Sultan fut informé de la tyrannie qu'ils exer- 
çaient, il les raya de Parmée, leur enleva leurs armes, et 
les envoya auprès de leurs contribules, où ils durent 
comme eux payer des impûts. Le pays fut ainsi débarrassé 
de leurs méfaits. ١ 

En 1188. le Sultan enleva au qèaîd Mohammed ben Ahmed 
Elboûzirari le commandement des tribus de Tamesna, 
de Tèdla et des régions voisines, et ne lui laissa que celui 
des Dotkkèla, ses contribules. Il nomma Abotû ‘Abdallah 
Mohammed. surnommé Eşşegir, gouverneur des Seragna, 
Şãalah ben Erradi Elourdiği. gouverneur des habitants de 
Tadla. le qûîd Saheb Ettaba' Elmzèbi, gouverneur des 
Ouled Boû Rzeg. et Omar ben Boû Selhim Elmzèãbi, 
gouverneur des Ouled Boi ‘Atiya. Il donna UFordre èa 


1. Texte arabe. 1° partie. p. 110. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 397 


Mohammed ben Ahmed de faire restituer û ’'ceux de ses 
contribules qui avaient été gouverneurs de ces tribus les 
sommes qu'ils avaient volées pendant qu'ils étaient en 
fonctions : il leur fit payer ainsi 150.000 douros. 


Les 'Abîids se révoltent contre le sultan Sidi Mohammed et 
proclament son fils Moûlay Yazid ; ce qui en résulte '. 


En 1189, eut lieu la grande insurrection : ce fut la 
révolte des ‘Abîids contre le sultan Sidi Mohammed ben 
‘Abdallah et la proclamation de son fils Moûlay Yazid. 
Voici l'origine de ces événements : 

Le Sultan, se trouvant ù Morrûkch, leur avait envoyéê 
l'ordre de désigner parmi eux mille familles, pour se trans- 
porter û Tanger où elles habiteraient. Il leur avait fait por- 
ter la lettre contenant cet ordre par le qûid Echchûhéd, qui 
devait les prendre sous son commandement. Ce fut lui qui 
fut la cause de la révolle, car, lorsqu'il apporta la lettre 
aux 'Abîds, il leur dit : 

« Je nm'’emmênerai avec moi que les notables parmi 
vous, ceux {ui possêdent une maison, des terres et des 
propriétés, et je ne partirai qu'avec les gens de mon rang. » 
En apprenant ses prétentions arbitraires, ces ignorants 
se lancêrent têle basse dans opposition, et le dêmon les 
appela û son aide, si bien que, revenant a leurs anciens 
errements et imitant la conduite honteuse de leurs pêères, 
ils déclarêrent qu'ils déposaient le Sultan. Quand cette 
nouvelle parvint au Sultan, il leur envoya son fils Moûlay 
Yazid qui était auprês de lui û Morrûkch, avec mission de 
rétablir l'ordre parmi eux, mais leur mauvaise conduite ne 
fit qu'augmenter et leur opposition que s'aggraver. 

« J'êtais alors, dit Vauteur du Boustdûn, ù Rabat Elfeth. 


T. Texle arabe, 1V® parlie, jp. 110. 


828 ARCHIVES MAROCAINES 


En me rendant ù Morrêakch, je rencontrai Moûlay Yazid a 
Essûnia, ù une demi-journée environ de cette ville. Comme 
il me demandait des nouvelles des ‘Abîds, je lui racontai 
ce que je savais. Il s'en réjouit et pressa sa marche. Je 
compris aussitût ses Intentions, et je sus ce qui allait se 
passer. » Cet auteur prétend, que lorsqu'il fut reçu par le 
Sultan, il le blama d’avoir fait partir Moûlay Yazid, et que 
Sidi Mohammed reconnut son erreur. 

Quand Moûlay Yazid atteignit Méknès, la première 
chose que firent les ‘Abids fut de le proclamer et de pro- 
noncer la Khotba en son nom. ll ouvrit le trésor public et 
leur donna tout argent qu'ils purent désirer. Ensuite il 
ouvrit les magasins où se trouvaient les armes et la poudre, 
et leur en fit une distribution. Les tribus arabes et ber- 
bères du voisinage lereconnurent, ù exception des Oûdêya, 
des Ait Idrasén et des Guerouan, qui refusèrent de se 
joindre a lui, parce qu’ils étaient les partisans du Sultan. 
« Trois jours après, raconte auteur du Bousidn, Sidi 
Mohammed me chargea de me rendre auprès des Oûdêya 
et de leurs alliés pour leur remettre des lettres : ce que je 
fis. Je restai auprès d'eux jusqu’ au moment où Modûlay 
Yazid, ù la tête des ‘Abids, marcha contre eux. Les ‘Abids 
se trouvaient ù Erroua. Les Ait ldrasén et les Guerouan 
étaient entrés dans la ville avec les Oûdêya pour les sou- 
tenir contre leurs adversaires. Un combat eut lieu a El- 
mechtehi, ù intérieur de la qaşba. Les ‘Abids et leur Sul- 
tan furent battus et mis en déroute, perdant 500 hommes 
tués, sans compter un nombre incalculable de blessés. » 
A la nouvelle de ces événements, le Sultan quitta Mor- 
rakch è la tête de ses troupes et des tribus du Hoûz, pour 
se rendre ù Méknès. A peine était-il parvenu è Salé que 
Moûlay Yazid, apprenant son arrivée, s’enfuit au mausolée 
du chéikh Aboûlhasan ‘Ali ben Hamdoûch, puis ù celui de 
Moûlay Idris I'ainé (Dieu doit être satisfait de lui !) dans 
le Zerhoûn. Le Sultan se rendit au Zerhoûn, et quand il 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 320 


entra dans le noble mausolée, les chérifs de Zerhoûn lui 
amenêrent son fils Moûlay Yazîd, ù qui il fit grace. Il le 
ramena ensuite avec lui û Méknêès. Au moment où il allait 
entrer dans la ville, une centaine de ‘Abids des plus hauts 
placés, suivis de leurs enfants et de leurs femmes, vinrent 
au devant de lui, accompagnés des chérîfs et des mara- 
bouts. Il leur pardonna, mais ù la condition de quitter 
Mêknès ; ils se soumirent û cette condition. Le Sultan 
demeura dans cette ville pour régler le sort des ‘Abîds et 
les répartit dans les ports. Il en envoya deux rehas ù Tan- 
ger, deux û El'arêich et un û Rabût Elfeth. En les disper- 
sant ainsi, il voulait se garantir contre le retour de leurs 
méfaits et affaiblir leur esprit de corps. Plus tard, il sépara 
encore les ‘Abids du Rabût Elfeth et en envoya 1.000 dans 
le Soûs, tout en maintenant 2.000 d'entre eux dans cetle 
ville auprès des ‘Abîds de Méknès qui y étaient en exil. 
Le gouvernement fut ainsi débarrassé de leurs iniquités 
pour quelque temps. 

Ensuite, les ‘Abids de Tanger se révoltèrent contre leur 
gouverneur, le qûid Echchéikh, et contre le qûid des 
Rifains, Mohammed ben ‘Abdelmûlêk, et voulurent les 
mettre û mort ; ces derniers s'enfuirent û Aşéila. A cette 
nouvelle, le Sultan, qui était encore û Méknêès, éerivit 
une lettre de menaces aux notables des ‘Abids, qui arrê- 
têrent les instigateurs de cette mutinerie et les lui envoyê- 
rent, pour témoigner de leur innocence. Le Sultan fit 
couper une main et un pied alternés ù chacun des cou- 
pables. Les ‘Abids étant revenus û une attitude plus paci- 
fique, les deux qûids rentrêrent û Tanger. 

Le Sultan se rendit ensuite û Morrêkch et emmena avec 
lui les ‘Abids de Méknès. installa û Elmanşoûriya, prês de 
Oued Ennefifékh, les ‘Abîds de la Qaşba, qui étaient les 
principaux rebelles, et conduisit les autres avec lui ù Mor“ 
rûkch. Il leur assigna cette ville comme résidence, des- 
titua ceux de leurs qAîds qui avaient pris parta affaire de 


380 ARCHIVES MAROCAINES 


Moûlay Yazid, et les laissa ù 'écart, puis leur donna des 
«Alds choisis en dehors des ‘Abîds. 


Remarquables mesures de répression prises par le sultan Sidi 
Mohammed ben ‘Abdallah ã I'encontre des ‘Abids. ^ 


Dans les ports, les ‘Abids se livrèrent au brigandage, et 
firent beaucoup (le tort ù la population, en portant atteinte 
aux jardins des gens, ù leurs biens et ù leur honneur. 
Prévenu de leur conduite, le Sultan, las de leurs excêès et 
voyant qu'il n'avait obtenu aucun résultat en les disper- 
sant pour les punir, recourut û un autre genre de chûti- 
ment tout nouveau, qui fut comme un antidote pour cou per 
la maladie, et comme un cautêre pour faire disparaître la 
racine même du mal. Voici a quel procédé il recourut. 

Quandilapprita quel degré étaient parvenuesleurtyrannie 
et leur audace, il quitta Morrakch, décidé èã les exterminer. 
Arrivé û Rahat Elfeth, il écrivit aux 'Abids de Tanger et 
MElU'aretch la lettre suivante: « Je suis satisfait de vous, 
el je suis revenu sur le serment que j’avais fait de vous 
éloigner de Méknès dans les ports. Maintenant, dès qu’ar- 
viveront auprès de vous les chameaux et les mules que je 
Vous envoule, ceux entre vous qui sont a Tanger doivent 
charger sur ces animaux leurs familles et leurs bagages, 
et se rendre û Dair 'Arbi. dans le pays de Sefian. où ils 
Tmstalleront. Us renverront ensuite les chameaux et les 
uules û ceux dentre vous qui sont ã El'arêîch. et qui 
devnmt charger leurs enfants el leurs bagages et se ren- 
dre egalement ã Dêr ‘\rhi. Quand vous serez tous réunis, 
Je \ous enierrdi mes mulets, dont vous vous servirez pour 
nm\enir tous û NMeknês. + Quand ils reçurent cette lettre. 
ls kimndirent de joie, car ils dezsiraient vivement retour- 


«» 


Telie TAN. (NRE. FF TT. 


DYNASTIE ALAOUTITE DU MAROC 331 


ner ù Méknês. Dêès que les chameaux et les mules furent 
arrivés, ils quittérent Tanger. Dans I'intervalle, le Sultan 
envoya le qûid Sa'îid ben El'ayyûchi, qu'ils avaient déposé 
pendant leur révolte, a Dûr 'Arbi avec mission de demeurer 
lû et d'’y attendre les ‘Abîds de Tanger et d'El'arêîich. I1 
était déja arrivé quand se présentèrent les 'Abîds de Tan- 
ger, qui vinrent camper près de lui. Lorsque les chameaux 
et les mules furent arrivés û El'arêîch, les Abids de cette 
ville vinrent û leur tour et campêèrent û cûté de leurs com- 
pagnons, comme l'avait ordonné le Sultan. 

Celui-ci (Dieu lui fasse miséricorde !) quitta alors Rabût 
Llfeth ; il franchit "Oued Sbou au gué de Msi'ida et vint 
jusqu'au Soûq Elarba''a, dans le pays de Sefiûn. Il ordonna 
alors aux tribus du Garb et aux Beni Hsen de marcher 
contre les ‘Abîids et de camper autour d’eux, de façon û les 
cerner de tous cûtés. Quand les tribus eurent formé un 
cercle autour des ‘Abîds et les eurent entourés d’aussi près 
que le blanc de eil est proche de la prunelle, le Sultan 
arriva et convoqua les chefs des tribus, Dêés qu'ils furent 
rêéunis, il leur dit: « Je vous fais cadeau de ces 'Abîds, de 
leurs enfants, de leurs chevaux, de leurs armes et de tout 
ce qu'ils possêdent. Partagez le tout entre vous. Chacun 
de vous prendra un homme, une femme et leurs enfants: 
le mari labourera, la femme pétrira, et l'enfant gardera 
les troupeaux. Prenez-les, ceignez-vous de leurs armes, 
montez sur leurs chevaux et revêtez-vous de leurs habits: 
que Dieu les fasse ainsi servir û votre prospérité ! Ce ne 
sont plus eux qui sont mes soldats et mon armée. Mes sol- 
dats et mon armée, c'est vous, » Aussitût aprês avoir 
entendu ces paroles du Sultan, les tribus du Garb et les 
Beni Hséên se ruêrent sur les ‘Abids sans la moindre hésita- 
tion, et se les partagêrent avec plus de rapidité que le 
chien ne se lèche le museau ; ils en firent un exemple pour 
ceüx qui s'instruisent par des exemples, 

Le Sultan regagna ensuite Rabat Elfeth et, ù peine arrivê 


3883 ARCHIVES MAROCAINES 


dans cette ville, expédia a Morrakch des ‘Abtds qui sy 
trouvaient, après avoir révoqué leurs qûlds et les avoir 
remplacés par d’autres. [ 

Les ‘Abids de Tanger et d'El'arêîch restèrent dispersés 
dans les tribus pendant quatre ans. Le Sultan leur par- 
donna ensuite et les fit revenir des tribus pour les réin- 
tégrer dans l'armée. Il leur donna alors des chevaux, des 
vêtements et des armes, mais sans les réunir. I] les 
groupa toutefois par tribus. Ceux des tribus d’Elkhlot et 
de Tlig durent résider ù Qşar Ketama ; ceux des tribus de 
Sefin et de Beni Mûlék ù Msi ‘ida ; ceux des Beni Hsen û 
Sidi Qasém ; et ceux des Hayûdîna et des tribus du Djebel 
a Tamdart, dans la région de Fès. Ils demeurèrent dans 
ces postes pendant de nombreuses années, envoyant leurs 
contingents dans les expéditions et faisant colonne avec 
le Sultan quand celui-ci avait besoin d'eux. Après cela, le 
Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) les réunit de nouveau 
et les transporta a Morrakch où il leur fit beaucoup de lar- 
gesses: ils devinrent meilleurs qu'ils ne avaient jamais 
été. Changeant ensuite d’ idée, il envoya les 'Abids du Soùs 
a Taroûdant, ceux de Haha et d' Echchebêanêt a Eşşouéira, 
ceux des Serûğgna, de Tèdla et de Demnãta Tit Elfitr, ceux 
de Doùûkkèla ù Azemmoûr, ceux de Chêouiya ã Ãnfa, ceux 
de Za'ir et d' Eddoğmd ù Elmanşoûriya, et ceux des Beni 
Hsen èã Elmehdiya. II ne conserva avec lui ù Morrakch que 
les ‘\bids des tribus de Sefin. Beni Malék. Elkhlot et Tlig 
et les Msakhrin commandés par El'abbès. 

La révolte de ces 'Abids avait amené la désorganisation 
de empire du Magğrib et la division: leurs méfaits avaient 
donné le mauvais exemple ù toutes les tribus, berbêres et 
arabes, et les insurrections étaient nombreuses. 

Le manque de pluies occasionna une disette qui dura 
près de sept ans, depuis lannête 1190 jusqu'a lannée 1196. 
La famine fut si grande que les gens en furent réduits ã 
manger des animaux morts, du sanglier et même de la 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 333 


chair humaine. La majeure partie de la population mourut 
de faim. Pendant tout ce temps, le Sultan avait û lutter 
contre les plus grandes difficultés. Il dépensa pour 'armée 
des sommes considérables, donnant aux soldats solde sur 
solde et cadeaux sur cadeaux ; il les sauva ainsi de la 
famine et travailla en même temps au bien général. Dans 
toutes les villes, il fixa pour chaque quartier une certaine 
somme qui devait être distribuée aux malheureux. Il prêta 
beaucoup d'argent aux tribus, qui le répartirent entre les 
pauvres ; elles devaient le rendre au Sultan quand I'abon- 
dance serait revenue. Mais quand les gens furent sauvés 
de la famine et voulurent lui rembourser cet argent, il 
leur en fit grûce, en disant : « Je ne vous l'ai pas donné 
dans intention de vous le réclamer. Je vous ai dit que 
c’était un prêt, uniquement pour que cet argent ne fût pas 
accaparé par vos chéîkhs et vos notables, ce qu’ils eussent 
fait s'ils avaient su que c’était un don de ma part. » 

Il dégreva aussi (Dieu lui fasse miséricorde !), pendant 
tout ce temps, les lribus du Magrib de toutes leurs con- 
tributions et redevances, jusqu'au moment où elles purent 
revivre et s’enrichir. Il donna de argent aux négocianls 
pour faire venir des vivres de chez les Chrétiens : quand 
ces provisions arrivaient, il leur faisait vendre au prix 
d'achat, par bienfaisance envers les Musulmans, et par 
charité envers les pauvres el les malheureux. Enfin, en 
1197, la pluie tomba au Magrib; les populations se sen- 
tirent revivre ; les terres furent labourées, le grain senê 
arriva û maturité : les prix baissêrent et tout fut û bon 
marché, Les imıpûts furent abondants, et le Prince des 
Croyants (Dieu lui fasse miséricorde !} se remit, pour la 
seconde fois, û rétablir l'ordre dans le Mağgrib et recom- 
ımmença ses travaux avec le plus grand soin. 


334 ARCHIVES MAROCAINES 


Le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah réduit les Ouled Bes- 
sebû ‘ et les disperse dans le Sahûra ; événements suivants ‘. 


Tandis qu’avait lieu au Magrib la révolte que nous 
avons rapportée, et que le Sultan était trop occupé ã faire 
vivre les malheureux pour tenir fermement les districts 
éloignés et en punir les perturbateurs, les fauteurs de 
troubles semèrent la sédition dans certaines tribus, qui 
revinrent è leurs anciens égarements. Parmi ces tribus 
était celle des Ouled Besseba' dans la région de Morrakch. 
Depuis longtemps, ces gens commettaient les crimes les 
plus odieux : en révolte ù chaque instant, ils attaquaient 
leurs voisins et venaient les piller jusque sur leurs terri- 
toires, et même dans leurs demeures. Aussi, cette année- 
la (1197), le Sultan dirigea une expédition contre eux : on 
leur livra combat, et quand on en eut tué un certain 
nombre et qu'on leur eut pillé leurs biens, on les repoussa 
en déêroute dans le Soûs. Le Sultan arrêta un grand 
nombre de leurs notables, les jeta en prison è Méknêès, 
où ils restêrent jusqu'a leur mort. I] prescrivit aux tribus 
du Sots de chasser les derniers survivants de cette tribu 
et de les repousser jusque dans les contrées du Sud. leur 
terre natale, d'où était sortie leur puissance avec leur mal- 
faisance. Ses ordres furent exécutés. Après avoir battu la 
tribu de Zemrêûn. il la transporta dans le pays des Ouled 
Bessebê'. pour le repeupler. Il tit ensuite partir pour le 
nord. où elles vinrent résider ù Feès Eljedid et dans les 
environs, les tribus de Tekna. Mejjat et Doùi Blãl qui 
étaient dans le Haiz. ã Choûchãoua. Il ht revenir. aprês 
cela. leş Aît Yimmoûr du Djebel Selfat au Tèadla. tandis 
quil renvoyait dans le Garb les Gtaîa. Semket et Mejjat. 


i. Texte arabe. IV* partie. p. 112. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 3B 


qui étaient dans le Tûdla. Les Guerouûn furent rappelés 
de Azğûr, pour rentrer dans leur montagne. 

Ce fut aussi dans cette année-li qu'eut lieu lU'affaire de 
I'imposteur Mohammed Ou lhûddj Elyimmoûri. Ce per- 
sonnage se prétendait un saint ; il parlait des choses du 
monde invisible et déclarait qu'il attendait le Maitre de 
Pheure. Le mal provoqué par lui se répandit d’abord dans 
toute sa tribu, puis gagna les autres tribus. De tous cûtés, 
les ignorants Berbers se rendirent auprès de lui. Il excita 
contre les ‘Arabs des tribus voisines les Ait Yimmoûr, qui 
étaient encore û Selfût ù cette époque. Le gouverneur de 
la tribu de Sefiãn, Aboû ‘Abdallah Mohammed Elhachmi 
Essefiûni, voulut marcher contre eux et, accompagné de 
nombreux contingents fournis par les tribus du Garb, 
parlit pour attaquer limposteur qui élait dans sa tribu, 
les Ait Yimmoûr. Il franchit le Sbou et organisa Uattaque 
contre cette tribu, mais il fut vaincu, et les troupes du 
Garb furent mises en défaite. Le qûîd Elhûchmi ainsi 
qu'un grand nombre de notables de sa tribu furent tués. 
Leur Mhalla resta au pouvoir des Berbers, avec toul ce 
qu'elle contenait. La renommée de imposteur ne fit 
qu'augmenter ; les gens de sa tribu n’en devinrent que 
plus arrogants et la contagion de leur égarement se répan- 
dit. Dés que le Sultan arriva û Méknês, il envoya quelqu'un 
pour arrêter l'imposteur et le lui ramener. 1l le fit alors 
mettre û mort, débarrassant ainsi la population de ses 
suggestions diaboliques. 

Cette année-la, le Sultan envoya aussi son fils Moûlay 
‘Abdesselûm accomplir l'obligation du pêlerinage : il 
n'était pas arrivé û Uûge de la puberté lorsqu'il avail 
accompagné son frêére Moûlay ‘Ali. 

En 1198, le Sultan fit une expêdition contre les Zem- 
moûr et les Beni Hkim, A son approche, ils se réfugièerentl 
dans les défilés dé Tûfoûdûît, où ils se fortifèrent. Il usa 
de ruse avec eux : il leva le camp et invita les Ait Idrûsén 


336 ARCHIVES MAROCAINES 


et les Gueroudn ù les guetter et ù les razzier au moment 
où ils descendraient dans la plaine. Dès quill se mit en 
route pour regagner Morrakch, les Zemmoûr sortirent de 
leurs retraites ; aussitêt les Beni Idrdasén et les Gueroudn 
les entourèrent et leur enlevèrent tous leurs biens, qu'ils 
se partagêrent. Ils en furent réduits èڍ‎ aller tendre la 
main. 


Voyage du sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah au Tafilêlt, 
qu’il pacifie : motifs de cette expédition “. 


Soutenu par les Berbers du Şahara, Ait ‘Atta et Ait 
Yafelmal, le chérîif Moûlay Hasan ben Isma'îl, oncle du 
Sultan, qui résidait au Tûfilêlt, se servait de ces tribus 
pour combattre les chérifs de Sijilmasa, dès qu’ un diffé- 
rend survenail entre ces derniers et lui. Il aurait même 
tué un d’ eux. Le Sultan, qui savait un peu ce qui se pas- 
sait, en était très affligé et il lui eût été pénible d’user de 
rigueur vis-a-vis de son oncle, d’autant plus qu’il était 
retenu par des affaires plus graves. Mais bientÖt il reçut 
des chérifs de Sijilmdsa des plaintes si nombreuses contre 
son oncle, qu'il ne put faire autrement que de Péloigner 
du pays et de dégager les chérîifs de ses partisans ber- 
bers. Il résolut donc de se rendre lui-même è Sijilmêûsa. 
Mais ne voulant pas laisser derrière lui son fils Moûlay 
Yazid qui était alors dans le Garb, de peur qu’il ne sou- 
levat quelque révolte, il éloigna en Penvoyant au Hedjaz 
accomplir obligation clu pêlerinage. Pour éviter ses 
intrigues, il le fit partir seul, en dehors de la caravane du 
pélerinage, accompagné seulement dun amin, qui devait 
subvenir a ses dépenses, et de quelques personnes pour le 
servir. Le Sultan se mit ensuite en route pour Sijilmûsa, 


1. Texte arabe, IV* partie, p. 113. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 337 


pour aller visiter la patrie de son ancêtre Moûlay ‘Ali 
Echchérîif (Dieu soit satisfait de lui !) et pour mettre uri 
terme aux agissements coupables de son oncle Moûlay 
Hasan et de ses partisans. (Juand il fut en vue de Tafilêlt, 
il envoya en avant Belqasém Ezzayûni, pour expulser les 
Berbers de leurs qsoûr sous le couvert de 'amdûn, et leur 
payer, le cas échéant, leurs grains et leurs dattes, s’ils 
prétendaient ne pouvoir les abandonner, afin qu'ils ne 
puissent pas invoquer pareille excuse, Il devail les préve- 
nir que s'İls restaient dans leurs qsoûr jusqu'a ce que le 
Sultan vint les y chercher, ils m'auraient ù s'en prendre 
qua eux-mêmes. Les Berbers se soumirent û cet ordre et 
vinrent dans le Şahûra ; il ne restait plus un seul homme 
dans leurs qsodûr quand le Sultan arriva, û l'exception de 
Moûlay Hasan, dont la puissance était ainsi détruite. Le 
Sultan lui envoya alors Belqûsém Ezzayûni, pour lui pro- 
poser de résider û Méknêés, auquel cas il recevrait les ani- 
rmaux nécessaires pour transporter sa famille etses bagages. 
« Je me rendis auprês de lui, dit Ezzayûni, et Uentretins 
de cetle proposition, qu'il finit par accepter. Le lende- 
main, je parlis avec lui pour Méknès, où le Sultan m'’avait 
donné l'ordre de lui donner une maison pour son habita- 
tion et de lui fixer une somme de 300 mitsqûls par mois 
pour ses besoins et ceux de sa famille. J'avais l'ordre éga- 
lementl, dês que j'aurais accompli ma mission relative û 
son oncle, de lui ramener ses trois enfants, Moûlay Sli- 
mûn, Moülay Hasan et Moûlay Houséîn, de lui rapporter 
de l'argent, et en même temps de revenir avec un certain 
rniombre de canons, de mortiers et de bombes, que je 
devais faire traîner par une troupe de canonniers renégats 
allemands et un millier de bons soldats des ports. Je 
m'acquittai convenablement de cette mission, et je rejoi- 
gnis le Sultan ã Sijilmûsa, ayant avec moi tout ce que j'avais 
charge de lui amener. En route, nous apprîmes la mort de 
Moiilay “Ali ben Mohammed, fils du Sultan et son khalîfa 


ARCH. MAROC. 232 


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a Fêès. » Ce prince fut un des Alaouis les plus marquants. 
C'était un homme de bien et qui était cité pour son intel- 
ligence, sa science, ses connaissances littéraires, sa géné- 
rosité et sa noblesse de caractêère. L’'auteur du Bousldn 
ajoute : « Sa salle de réception était le rendez-vous des 
gens vertueux, des littérateurs et des personnages de dis- 
tinction. Par sa générosité et son instruction littéraire, il 
rappelait le caractèere de Moûùlay Mohammed El‘ ãlém, 
fils de Moûlay Ismû'îil. Il aimait èù copier les livres de 
sciences rares et les ouvrages de littérature. Il] envoyait 
souvent ses poésies et ses discours aux gens de son temps 
et aux lettrés de son époque, comme les Fèsiyin, les 
Bekriyin et les Qadiriyîin, de même que Moûlay Moham- 
med El 'além était passionné pour les poésies des descen- 
dants du sultan Şalah Eddîn ben Eyyoûb Elkourdi. Dieu 
leur fasse ù tous miséricorde ! » 

Quand les enfants du Sultan furent arrivés dans les 
environs de Sijilmasa, ils en avisèrent leur père et Jui 
demandèrent la permission de se rendre auprès de lui. Le 
Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) se porta ù leur ren- 
contre et ordonna èڍ‎ tous les chérifs et ãڍ‎ tous les gens du 
pays d’aller les saluer, pour voir des appareils de guerre 
inconnus dans leurs contrées. Le Sultan était au milieu de 
son cortège, suivi de ses soldats èڍ‎ cheval dans leurs plus 
beaux costumes et en ordre parfait. Cette journée fut un 
jour de fête. 

Après avoir terminé ce qu’il avait ù faire a Sijilmasa, 
contenu les abords de cette région, pacifié les ‘Arabs et 
les Berbers et mis fin aux actes malfaisants des Ait ‘Atta 
et des Ait Yafelmêal, auxquels il donna comme gouverneur 
un de ses principaux qûids et un des grands de son gou- 
vernement, le qûid ‘Ali ben Hamida Ezzirari, le Sultan se 
mit en route pour Morrakch, après un séjour d'un mois è 
Sijilmêsa, en passant par le chemin d’Elfûija. 

« Le Sultan, dit auteur du Bousldn, m’avait envoyé de 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 339- 


nouveau dans le Garb, pour former un guéich composé des 
enfants des ‘Abîds des ports. Je devais le lui ramener û 
Morraûkch, où ils devaient être incorporés dans son armée 
et recevoir leurs armes et leurs vêtements. » 

Arrivé au col d@Elglûaoui, le Sultan fut arrêté par une 
tourmentê de neige qui obstruait le chemin. L’armée fut 
dispersée de tous cûtés, et la neige 'empêcha de rejoindre 
ses tentes et ses bagages. Le Sultan passa la nuit loin de 
ses matelas et de ses tentes, sans manger ni boire. Pas un 
seul groupe de 'armée ne put retrouver son chef. Quand 
le soleil s'’éleva sur horizon, Dieu les dêbarrassa de la 
neige : c'êtait le matin de la fête des victimes. La khotba 
fut prononcée au nom du Sultan, qui exprima ses Yeux 
pour le sultan ottoman ‘Abdelharnid ben Ahmed. 

Le Sultan arriva û Morrûkch, sain et sauf. Dieu délivra 
l'armée de cette neige : pas un seul homme ne mourut. 
Dieu soit louê ! 


Voyage que fit le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah ã 
Essouéîira pour se distraire et se reposer, et ce qui lui arriva 
au cours de ce dêéplacement '. 


A son retour de Sijilmûsa, le sultan Sidi Mohammed ben 
‘Abdallah (Dieu lui fasse miséricorde !}) demeura ù Mor- 
rãakch jusqu'au printemps. Il résolut alors d’aller ù Eş- 
şouéîira, pour se rendre compte de son état et voir ses cons- 
tructions, car il airnait cette ville qu'il avait fondée et en 
était satisfait. Il voulait en profiter pour visiter les saints 
de Regrûga dans le Sûhel et recueillir la bénédiction de 
leurs tombeaux. Il eflectuait ce voyage pour son agrément, 
pour le repos de son esprit et pour sa distraction. Il 
emmena avec lui un certain nombre de ‘oulamêû et dimûms 


1. Têxle arabe, IV* parlie, p. 11l4. 


344 ARCHIVES MAROCAINES 


dle Vépoque, auxquels il devait dicter des extraits des 
hadlls du Prophêète, et qui devaient les réunir suivant ses 
indications. Parımi eux, étaient le fqih très docte et uni- 
versel, Aboû ‘Abdallah Mohammed, fils de imam Sidi 
‘Abdallah Elgarbi Errebati, le fqih très docte ; le scru- 
tateur Abot ‘Abdallah Mohamıned Elmir Esslaoui ; le fqih 
trén perspicace Aboû ‘Abdallah Mohammed Elkamél 
Hrrechidi et le fqih très docte Aboû Zétd ‘Abderrahmêan 
Botti Kheris. Ces personnages lui tenaient compagnie : ils 
rédigeaient pour lui et mettaient en ordre tous les extraits 
qu'il tirait des livres de /ftadits qu'il avait fait venir 
dM'Orient, entre autres le Mesned de imam Ahmed, le 
Mesned de Aboû Ilanifa. Il avait également avec lui un 
trés grand nombre de secrétaires habiles dans la rédaction 
«Lla correspondance, comme Si Elmehdi Elhakkêak Elmor- 
rakehi, Si ‘Abderrahlmêan ben Elkêamel Elmorrêakchi, Si 
Ahmed ben 'Otsman BlImeêknêsi, Sî Ahmed Elgazzal Elfèsi, 
Si Mohammed Skiréj Elfèêsi, Si Efttahar Bennêni Errebêûti, 
Si Bihar ben 'Abdesselam Esslêaoui, Si Said Echchlih 
Hlguezouli, Si Brahim Agbil Essoûsi, Belqaséem Ezzayêni, 
auteur du Boustdn, et plusieurs autres. 

ll sortit de Morrdkceh pour cette excursion au prin- 
lemps de Uannéte 1198. Mu préalable, il fit dresser ses 
lentes autour de la ville, et les entoura du mur d'enceinte 
appele .l/rdyg. .lu centre de toutes ces tentes, était la 
grande yqoubba que lui avait donne le despote des Frendj:. 
Blle était doublêe de brocart; les panneaux muraux. décou- 
pes en forme de wmikhrûbs. êtalent de velours An de diverses 
culeurs, ses garnltures en gallon dor, et les cordes qui 
la teundaient, de sole purr. On pretend que le despote avait 
depense, pour la faire fabriquer. près de 25.000 dinars. La 
prune cen esl que la pomme qui surmontailt le poteau 
gntral, et qu on appelle communement dJdmoir. etait en 
or pur cl pesait [MN mifsyg.ls or. Le Sultan Dieu lui fasce 
miserktvnle sen senlt û Cle cxaslon pour s en rejouir 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 341 


la rue. Les qûîds, les secrétaires et tous ceux qui par- 
tirent avec lui emportèrent leurs tentes les plus belles et 
les plus riches. Dans ce cortèêge merveilleux, il visita les 
contrées pittoresques et les beaux sites qui sont agréables 
û la vue, qu’ on est impuissant û décrire, qui dilatent 'Ame 
et tiennent compagnie. Après une excursion de deux mois 
employés û parcourir ces plaines, ù satisfaire toutes les 
délices, û se promener dans ces contrées, et ù chasser le 
gibier de plume et de poil, il arriva û Eşşouéira. Quand il 
eut examiné la ville et réalisé entiêérement le but qu'il 
s'était proposé, il reprit la route de sa capitale. Il passa 
par Ribat Chêkér, qui est une des mzdra les plus cêlèbres 
du Magrib, et qui est, depuis les anciens temps, le ren- 
dez-vous des saints. Dans le Tachawotf, Chakér, qui a 
donnê son nom û ce ribûf, est indiqué comme ayant été 
un compagnon de ‘Oqba ben Nûfi' Elfihri, conquérant 
du Magrib, et c'est lû que se trouve son tombeau. A son 
passage dans cette localité, lors de ce voyage, le sultan 
Sidi Mohammed ben ‘Abdallah ordonna de restaurer la 
mosquée et de faire des fondations et des murs nou- 
veaux. 

En revenant, il remonte le cours de Oued Neffis, jus- 
qu'û lû ville d'Ağmêût, où il visita le mausolée du chéîkh 
Aboû ‘Abdallah Elhezmîri et les autres saints de cette 
cité, Sa mhalla était installée en dessous de la ville. 
Lorsque son campement fut établi, un certain nombre 
d'habitants du pays vinrent, avec leur qûdi, lui apporter 
un superbe bélier et des vases contenant des rayons de 
miel. Le qûdi fut introduit auprês du Sultan, qui ge mit û 
parler avec lui, et lui demanda quels avaient été ses pro- 
fesseurs, Celui-ci lui fit des réponses extravagantles. Se 
tournant alors vers le Hdûjib, le Sultan lui dit: « Conduis 
ce qûdi û la tente du qûdi Aboû Zéid ‘“Abderrahmûn ben 
Elkûmél ; c'est lui qui s'en ira comme qûdi avec la mhalla 
au Soltis, s'il plait û Dieu ! Fais-le installer dans sa tente 


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.et remets-lui ce bélier et ce miel. » Le Hdûjib conduisit le 
qêdi ù la tente du qûdi de 'armée Aboû Zéid ben Elkamél, 
emmenant en même temps le bélier et le miel. Il recom- 
manda ã ce dernier de bien traiter le qadi pendant la nuit 
qu'il passerait chez lui. 

Le lendemain, le Sultan se mit en route pour regagner 
Morrakch. Arrivé a Oued Neffis vers le milieu de la jour- 
née, il fit dresser le pavillon de repos au bord de la 
riviere et convoqua le qûadi Aboû Zéid et tous les secré- 
taires. Quand ils furent tous assis devant lui, il se mit ã 
interroger le qûdi pour plaisanter : « Comment as-tu traité 
ton höte pour le remercier de son bélier et de son miel ? » 
lui dit-il. Le qadi balbutia une réponse quelconque : il 
comprit que le Sultan voulait le mettre dans 'embarras 
en lui posant une pareille question, bien qu'il n’eût cepen- 
dant pas négligé son hête dune nuit. Le voyant embar- 
rassé, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) lui dit: « Je 
crois que tu ne Jas pas traité comme il fallait. Si tu lui 
avais fait au moins son éloge pour son bélier et son miel, 
tu aurais réalisé ce qu'on attendait de toi, et ta responsa- 
bilité eit été dégagée, car je ne tai envoyé ce qûdi qu'a 
cause de ce bélier et de ce miel. J’ai passé toute la nuit 
sans dormir, me rappelant ce qui s’était passé entre 
Elmanşoûr Essa 'di et ses secrétaires, ù propos d'un inci- 
dent semblable. Je vois bien qu'aujourd’hui il n'y a plus 
de secrétaires, plus de fins lettrés ni de princes. Je vais 
vous faire entendre ce qu’il survint a Elmanşoûr lors de 
sa visite dans ce bourg d’Ağmêat. » I fit alors lire par son 
secrétaire Ben Elmbûrek le récit donné par Elfichtêli, 
dans les Menahtl Eşşafd, du voyage que fit Elmanşoûr 
Essa di ù Ağgmêãt pour y faire un pèlerinage et se distraire. 
les poésies qui furent échangées entre le qûadi Aboû 
Mûlék ‘Abdelouahed Elhamidi et celui qui lui fit cadeau 
du bélier et du miel, enfin tout ce que les secrétaires du 
gouvernement lui attrıbuent ù ce sujet. Nous avons réuni 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 348 


tautes les informations relatives ù ce voyage d' Elmanşolûr 
en traitant précédemment de son règne. L'auteur du Nozha 
cite les vers dElhamiîidi: celui qui désire les lire doit se 
reporter û cet ouvrage. Quand le secrétaire eut fini de 
lire le récit contenu dans le livre d’Elfichtûli, le Sultan 
leur reprocha l'insuffisance dont ils avaient fait preuve 
dans un incident semblable ù celui dont il venait de leur 
être donné lecture. Je crois que le Sultan (Dieu lui fasse 
miséricorde !) leur ordonna de copier ce récit et de Uétu- 
dier, pour leur servir de leçon. Dieu sait quelle est la 
vérité ! 


Motif de la colère du sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah 
contre son fils Moûlay Yazid (Dieu lui fasse miséricorde !) *., 


En 1199, Moûlay ‘Abdesselam, fils du Sultan, revint du 
Hedjaz ; il reçut alors de son père le commandement de 
Tûroûdûnt, du Soûs et des régions adjacentes. Puis, quand 
vint le moment du départ de la caravane du Iedjûz, le 
Sultan fit partir son neveu et son gendre Moûlay ‘Abdel- 
mûlék ben Drîs, ses secrétaires Aboû ‘Abdallah Mohûrm- 
med ben 'Otsmûn Elméknêsi et Aboû Hafs 'Omar Elouzi- 
req, ainsi que le Chéikh Errekb Aboû Mohammed ‘Abdel- 
kérîm ben Yahya, et leur confia une somme de 350.000 dou- 
ros pour être remise aux chérîifs de la Mekke, de Méêdine, 
du Hedjaz et du Yémen. Il les chargea de porter également, 
pour diflérentes personnes, des cadeaux qui étaient conte- 
nus dans des cassettes cachetées ; sur chacune d'elle était 
écrit le ıom du destinataire. Il leur ordonna de se rendre 
d'abord û Constantinople, d'où ils devaient se mettre en 
route pour le Hedjûz avec Amîn Eşşourra, envoyé chaque 
année par le Sultan ottoman aux deux sanctuaires. Toutes 


1. Texle. arabe, IV°* partie, p. 115. 


844 ARCHIVES MAROCAINES 


ces précautions furent prises èڍ‎ cause de Moûlay Yazid qui 
aurait pu couper la route èڍ‎ la caravane et la dépouiller de 
son argent. Le Sultan envoya les voyageurs par mer sur 
un corsaire du sultan ‘Abdelhamid, ù qui il écrivit pour lui 
demander de les faire partir avec son Amîn Eşşourra. Mais 
lorsqu’ils arrivèrent ù Constantinople, Amîn Eşşsourra 
était déja parti avec la caravane pour le Hedjaz, et ils res- 
têrent dans cette ville. Ils n’effectuèrent leur voyage que 
l'année suivante, en compagnie de la caravane. Dès leur 
arrivée a Médine Déclatante, ils distribuèrent aux gens de 
cette ville et ù tous les chérifs du Hedjaz argent qui leur 
était réservé. Quand ils arrivèrent a la Mekke, Moûlay 
Yazid était la, guettant leur venue. Ils remirent de suite 
aux gens de cette ville leurs cadeaux, ne conservant que 
les présents destinés aux chérifs du Yémen et les cassettes 
«or. Mais, profitant de heure de la sieste, Moûlay Yazid, 
accompagné de plusieurs de ses gens, s’introduisit auprês 
des voyageurs dans la maison de ‘Abdelkérîm ben Yahya, 
Chéikh Errekb; il prit tout ce qu'il put emporter, s’em- 
para des cassettes et partit. Le Chétikh Errekb, Moûlay 
‘Abdelmdalék et les deux secrétaires allèrent aussitêt trou- 
ver le chérîf Seroûr, émir de la Mekke et lui firent part de 
ce qui s’était passé. Celui-ci envoya immédiatement ses 
gardes chercher Moûlay Yazîd, et quand on eut amené, il 
invita a rendre argent et lui adressa des menaces. Le 
coupable rendit une partie de ce qu'il avait pris, et nia 
s’être emparé du reste. Telle fut, dit-on, la cause de la 
colère contre lui du Sultan, qui renia Moûlay Yazid, et fit 
part de ce reniement dans des manifestes qu'il envoya 
dans toutes les contrées, et qui furent suspendus û la 
Ka‘ba, è la pierre du Prophète, a Jérusalem, au mausolée 
de Moûlay ‘Ali Echchérif ù Taèfilêlt, au mausolée de Moû- 
lay Idris dans le Zerhoûn et ù celui de Moûlay Idris a Fès. 
Le Sultan écrivit de plus au sultan ‘Abdelhamîd de ne pas 
donner asile ù son fils s’il se réfugiait chez lui. Moûlay 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC B4 


Yazid, qui ne pouvait plus se présenter devant son pêre 
après sa mauvaise action, demeura en Orient jusqu'a Uan- 
née 1203, comme nous allons le rapporter s'il plait û 
Dieu. 

La même année (1109), les gens d’ Alger enlevêrent une 
chrétienne, parente du despote Espagne qui allait, dans 
son bateau, d’ Espagne ù Naples pour visiter son cousin, 
possesseur de cette ville. Les Algériens refusêrent de la 
rendre contre n’ im porte quelle rançon, lorsqu'ils surent 
quel était son rang parmi les siens. Le despote d'Es- 
pagne écrivit alors au Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) 
pour le prier de s'occuper de son rachat au prix que 
demanderaient les Algériens. Le possesseur d'Alger 
repoussa les prières du Sultan. Celui-ci fit part de ce qui 
se passait au sultan ‘“Abdelhamîd, qui adressa (Dieu lui 
fasse miséricorde !} au possesseur d'’Alger des remon- 
trances énergiques pour n'avoir pas accédé aux demandes 
du Sultan. « Il faut, lui écrivit-il, que vous accordiez au 
Sultan sa liberté sans argent. Quel que soit le prix de 
cette chrétienne, si le Sultan du Mağgrib me demandait 
mille chrétiennes, je les lui enverrais. Maintenant, je vous 
ordonne de lui envoyer cette chrétienne, même si c'est 
une reine, et je vous défends de vous faire payer quoi que 
ce soit pour sa rançon. Vous repoussez les demandes du 
roi du Mağgrib en faveur d'une chrétienne sans importance! 
vous avez donc oublié qu'il a fait rendre la liberté aux 
caplifs turcs de toute origine, si bien qu'il n'y a plus un 
seul Musulman qui soit captif chez les infidêèles. Ne com- 
mettez pas une nouvelle action de ce genre, sans quol mes 
sentiments û votre égard changeraient. Salut. » Quand ils 
reçurent le firman du sultan ‘Abdelhamîd, les Turcs ne 
purent qu'envoyer la chrétienne auprès du Sultan (Dieu 
lii fassê miséricorde !} et s'excusêrent en disant: « Nous 
nm’ avons pas voulu la rendre, de peur que notre souverain 
n'en fût informé, car nous ne voulions pas le tromper : 


246 ARCHIVES MAROCAINES 


c’était le devoir que nous imposaient nos fonctions et 
notre obéissance. Nous prions notre Seigneur d’accepter 
notre excuse et de ne pas croire que nous avons été gui- 
dés par d’autres motifs. Salut! » 


De ce qui eut lieu entre le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah 
et les gens de la zaouya de Boûlja ‘d (Dieu le protège!) “. 


Cette zêaouya est une des plus célèbres du Magrib; ses 
mérites sont exprimés par le langage des faits; depuis des 
siècles, elle est dirigée par des hommes éminents qui se 
sont transmis un ãڍ‎ autre Phéritage de la sainteté et de 
la prééminence. Les humbles et les rois, les riches et les 
mendiants lui ont reconnu ces vertus, et les princes de 
cette dynastie et de celles qui Pont précédée Pont toujours 
traitée avec beaucoup d’égards et de respect. Toutefois, 
cet illustre Sultan, si glorieux et si noble, eut ù sévir pen- 
dant son règne contre le chef de cette zaouya, qui était 
le mrdbet baraka Aboû ‘Abdallah Sidi Mohammed El ‘arbi, 
fils du grand chéikh Sidi Elma ti ben Eşşãlah : le chef n’a- 
t-il pas a sévir contre celui qu’ il commande ? L’ homme 
n’est pas impeccable. Toute créature a ses imperfections, 
sauf celles que Dieu a créées parfaites. Il arriva donc que 
le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !), en retournant, cette 
année-la, de Rabût Elfeth a Morrakch, passa par le Tadla et 
alla camper ù la zaouya de Boûlja'd. Il fit détruire, ã ce 
que on raconte, la zêouya et chassa les étrangers qui se 
trouvaient réunis autour de la famille du Chéikh. Il fit 
conduire Sîdi El'arbi et toute sa clientêle ù Morrakch qu'il 
leur assigna comme résidence. Ils y demeurèrent jusqu’au 
moment où mourut le sultan Sidi Mohammed (Dieu lui 
fasse miséricorde !) et où fut proclamé son fils Moûlay 


1. Texte arabe, 1V° parlie, pe. 116. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 347 


Hichûm ben Mohammed, qui leur permit de rentrer dans 
leur pays. Ils retournèrent û leur zûouya et y vécurent 
tranquillement pendant un certain temps. Après lui, le 
sultan Moûlay Slîmûn ben Mohammed maltraita ù son tour 
Sidi El'arbi, en raison de divers propos que quelque intri- 
gant lui avait attribués pour lui nuire. Après des corres- 
pondances et des lettres de reproches qu'il serait trop long 
de rapporter ici, ce Sultan ordonna a Sidi El'arbi de se 
rendre û Fès, où il demeura quelque temps. Il lui permit 
ensuite de retourner dans son pays. 

En 1200, le sultan Sîdi Mohammed ben ‘Abdallah (Dieu 
lui fasse miséricorde !) envoya son secrétaire, Belqûsém 
Ezzayûni, comme ambassadeur aupréês du sultan ottoman 
'Abdelhamid. Il était chargé de lui remettre un présent, 
dans lequel figuraient des charges de lingots d'or pur 
ayant la forme de barres de fer. Le Sultan (Dieu lui fasse 
miséricorde !) voulait par lû faire reconnaitre sa gloire par 
les rois et témoigner de sa richesse et de sa grande opu- 
lence, politique étrange de la part de celui û qui Dieu l'a 
décrétée. A son arrivée ù Constantinople, Belqasém trouva 
Moûlay ‘Abdelmûlék ben Drîs, le Chtikh Errekb et les deux 
secrétaires qui attendalent le moment du pélerinage de 
année suivante. « Je demeural, dit-il, trois mois et dix 
jours û Constantinople, et, quand j’ eus rempli ma mission, 
je revins auprès du Sultan : le sultan ‘Abdelhamîd envoya, 
en même temps que moi, un de ses serviteurs offrir un 
présent û mon souverain (Dieu lui fasse miséricorde !), 
Lorsque nous fûmes rendus auprès du Sultan, il me féli- 
cita en me disant : « Jamais je n'enverrai par d'autre que 
par toi des présents ù "Ottoman », et, comme le rêis Ettûhar 
ben 'Abdelhaqq Fennîch était présent, il ajouta, pour lui 
donner une marque de satisfaction : « De même, je ne 
confierai jamais mes bateaux de guerre qu'a Ettûhar. » Il 
me demanda û combien s’élevait la solde trimestrielle des 
soldats turcs : je lui répondis qu’ils recevaient individuel- 


348 , ARCHIVES MAROCAINES 


lement 60 onces. Comme il trouvait que c’était peu, je lui 
fis savoir qu'en temps d’expédition, ils n’avaient pas a 
fournir leur nourriture ni celle de leurs chevaux, car toutes 
les dépenses de voyage étaient ù la charge du Sultan. » 
Fzzayûni s'étend ensuite très longuement sur la descrip- 
tion de Constantinople et sur la situation de ses habitants : 
mais ce serait sortir du cadre de notre ouvrage que de 
rnpporter ce qwil dit û ce sujet. Dieu est le protecteur. 


Nombre des soldats des ports durant le rêégne du sultan Sidi 
Mohammed ben ‘Abdallah, et montant de leur solde ^“. 


Pendant le rêègne du sultan Sîdi Mohammed ben ‘Abdal- 
lah, il y avait û Eşşouéira, en comptant le gu¢ich, les artil- 
leurs et les marins, 2.500 hommes; a Asfî, 200 artilleurs et 
200 marins; û Tit, 500 'Abids; a Azemmoûr, 500 ‘Abiîds; ù 
.İnfa, 2.000 ‘abids; aux Deux-Rives, 2.000 artilleurs et 
marins; û Elmehdiya, 2.500 'Abids; a El 'arêîch, en comptant 
le guéîch, les artilleurs et les marins, 1.500 hommes ; ã 
.\şêîla et dans le Sahel, 200 artilleurs et marins; ã Tanger, 
3.600 Rifains ; et ù Têtouan, en comptant le guéick, les artil- 
leurs et les marins, §00 hommes. Le nombre total des 
soldats des ports êtait de 10.00 hommes : leur solde indi 
viduelle était de $0 onces par trimestre. c’est-a-dire d’un 
nmitsqdl par mois. Tout d abord, ils touchaient leur solde 
û la tin de chaque mois, mais en Fannée 1200. le Sultan 
(Dieu lui fasse miséêricorde ! „. pour leur venir en aide et 
ameliorer leur situation. accorda aux soldats des ports 
Uavange de leur solde de quinze annêes. ã raison de un 
mifsgril par mois et par homme, ce qui représentait une 
somme onsldêrmhle, environ trwis nillons. 

le Sultan tt ensuite etablir. dans tous les ports du 


1 Texte arabe. Û\* RAF. P. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 349 


Magğrib, un trésor qu'on aurait, û la fin de chaque trimestre, 
pour payer aux soldats de la place préêsents ou absents 
30 onces par tête, pour leur permettre de subvenir aux 
besoins de leurs familles. Quant aux cadeaux d'expédition 
et de ‘achoûra, aux gratifications et aux aumûönes, le Sultan 
les prélevait sur ses biens propres : les trésors n'en sup- 
portaient pas la charge. Il en fut ainsi jusqu'a sa mort (Dieu 
lui fasse miséricorde !) où les 'Abids des ports, a Uinsti- 
gation de Moûlay Yazid, s'emparéêrent des trésors, les 
ouvrirent, et, après avoir enlevé ce qu'ils contenaient, 
retournérent ù Méknêés, leur patrie commune. . 

En 1201, le Sultan dirigea une expédition contre la tribu 
des Chrûga, dans les environs de Fès; il les pilla et les 
mit en déroute, mais leur pardonna ensuite, quand ils se 
réfuglèrent au mausolée de Moûlay Boûchcheta, chez les 
Fichtala. Il marcha ensuite contre les [ayûina; après avoir 
fait moissonner et dépiquer leurs récoltes par le gu¢tich, 
qui enleva leurs grains jusqu'au dernier, il envoya des 
cavaliers û leur poursuite, qui pillêrent leurs campements 
et leurs effets. « A cetle époque, dit auteur du Bousldn, 
j'avais été chargé de conduire une armée au gouverneur 
d'Oujda. A mon retour, je rejoignis le Sultan chez les 
Hayûina : il me nomma gouverneur de Taza. Je m'y rendis 
et ¥ restai ûne année entiêre. » 

La même année, Moûlay Moslama ben Mohammed, fils 
du Sultan, revint d' Orient, où il avait abandonné son frère 
Moûlay Yazid. 

. En 1202, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) dépêcha 
aux Ait 'Atta ordre de lui fournir 600 hommes pris parmi 
eux et de les lui envoyer avec les ‘Abîds de Tûfilêlt, ce qui 
faisait un chilfre de 1.000 hommes ; il voulait les vêtir, les 
armer et les employer û la navigation, en les enrölant en 
même temps dans 'armée. « Quand ces hommes furent 
arrivés auprès de lui a Méknès, dit auteur du Boustûn, 
le Sultan me fit venir de Tûza. Dêés mon arrivée, il me 


850 ARCHIVES MAROCAINES 


donna UPordre de les conduire ù Tétouan, d’où ils devaient 
recevoir des vêtements et des armes, et de la ù Tanger, 
où ils devaient résider. J’étais chargé de les embarquer 
sur les vingt galiotes qui étaient dans le port de cette 
ville, et de les faire naviguer dans le détroit, sur les cûtes 
d' Espagne, pour les habituer ù la mer et les exercer aux 
manceuvres navales. Je les conduisis a Tétouan, comme 
jen avais reçu I'ordre du Sultan (Dieu lui fasse miséri- 
corde!). Quand ils furent habillés et armés, je les emmenai 
ù Tanger, où nous demeurames deux mois. Tous les jours, 
ils s’embarquaient sur les vaisseaux et faisaient la course 
entre eux. Tantûét ils sortalent dans le détroit, tantût ils se 
rendaient sur les cêtes dQ’ Espagne et puis revenaient. A la 
fin, la mer ne les effrayait plus et ne les faisait plus souf- 
frir; ils s'y étaient tout èڍ‎ fait accoutumés. L’hiver appro- 
chait, quand le Sultan m’écrivit de les lui amener. A notre 
arrivée ù Méknès, il donna des prdres pour qu'il y eût 
réunion au Mechouar pour notre réception. Lorsque nous 
fûmes en sa présence, il s’approcha et vint jusqu’au milieu 
de notre groupe. Il adressa la parole aux Berbers dans 
leur langue et leur demanda comment ils avaient effectué 
leurs voyages. Ceux-ci répondirent qu'ils étaient satisfaits. 
D’aussi bonnes dispositions de leur part firent plaisir au 
Sultan, qui en fut très content et leur dit ensuite : « Voici 
mon secrétaire et mon anıi; je vous le donne comme gou- 
verneur et 1l aura sous son autorité mes enfants, mes COU- 
sins, et tous les gens du Şahûra. Ecoutez ce qu’il vous dira 
et obéissez-lui. » A ces mots, mon émotion fut si grande 
que je ne pus prononcer un seul mot. Le Sultan comprit 
que j’avais de la répugnance pour ces fonctions, et, quand 
il fut entré dans son jardin, il m'envoya chercher, et me 
dit, dès que je fus auprès de lui : « Ne crains rien, si je 
ne taimais, je ne taurais pas chargé de gouverner mes 
enfants et les gens de ma famille. Je ne puis pas me passer 
de toi. Ce Ben Hamida, que j'ai nommé gouverneur de 


DYNASTIE AILAOUIE DU MAROC 351 


Sijilmûsa, n'est bon û rien; tous les jours, il m'envoie des 
plaintes contre mon fils Houséin, qui opprime la popula- 
tion, sans qu'il puisse l'en empêcher,. Ce n'est que pour 
cette raison que je te nomme leur gouverneur, car ils te 
redoutent û cause de la faveur dont tu jouis auprés de 
moi, » Il écrivit ensuite û ses enfants et aux principaux 
personnages de Sijilmûsa, et donna des ordres qu une 
somme, dont il indiqua le montant, me fut remise en vue 
de certaines dépenses et pour des constructions. Aprés 
cela, je lui fis mes adieux et pris congé de lui. J'allai d' abord 
de Mêknès û Fès et de lù ù Sijilmûsa; je pris possession de 
mon poste et m’y installai. Le gouverneur qui me précé- 
dait retourna auprès du Sultan, qui le fit arrêter immédia- 
tement et le maltraita. » 


Moûlay Yazîd revient d'Orient et se réfugie dans le mausolée du 
chéîikh ‘Abdesselam ben Mechîch (Dieu soit satisfait de lui !). 
Motifs de sa conduite '. 


En 1203, le fils du Sultan, Moûlay Yazîd ben Mohammed, 
revint d'Orient en compagnie de la caravane des pêlerins 
de Tafilêlt et se rendit ù Sijilmasa. Arrivé au bourg de 
Boû Şemgoûn, il rencontra une caravane de gens de Sijil- 
mûsa et les interrogea sur le pays et sur les gens : il leur 
demanda qui était gouverneur. En entendant prononcer le 
nom de Belqûsém Ezzayûni, Moûlay Yazid fut très troublé 
et eut un moment d'’abattement. Puis, s’adressant au Chtikh 
Errekb, le chérîf Moûlay ‘Abdallah ben “Ali et aux chérîfs 
qui étaient avec lui : « J'avais intention, leur dit-il, d’ aller 
avec Yous jusque dans votre pays et de me réfugier dans 
le mausolée de mon ancêtre Moûlay ‘Ali Echchérîf, d'où 
j aurais envoyé un émissaire, accompagné de mes princi- 


1. Texte arabe, IV° partie, p. 118. 


352 ARCHIYES MAROCAINES 


paux cousins et de leurs égaux, auprès de mon père pour 
intercéder en ma faveur. Mais, maintenant que le gouver- 
neur de ce pays est Ezzayani, je n’arriverai ã rien avec lui 
et ce n’est pas lui qui favorisera un rapprochement entre 
mon père et moi. Voici mes femmes, je vous serai recon- 
naissant de les emmener avec mes gens : ils iront chez 
mon frère Moûlay Slimên, et demeureront auprès de lui. 
Quant a moi, je me rendrai au mausolée du chéikh ‘Abdes- 
selam ben Mechich, où je resterai jusqu'a ce que Dieu ait 
décrété ce que j aurai ù faire. » Il fit partir ses femmes et 
ses gens avec la caravane du pèlerinage et écrivit ù son 
frère Moûlay Sliman pour lui recommander sa famille. Il 
écrivit aussi a sa seur utérine Moûlat Habiba, qui habitait 
Erreteb, et ù ses cousins de cette région. Il chargea ses 
gens de leur remettre ces lettres. A l'arrivée de la cara- 
vane dans le pays d’ Elqenêadsa, un de ses gens remit è 
Moûlay Slîiman les lettres qui lui étaient destinées; celui-ci 
fut tres embarrassé et, ne sachant que faire, porta ces mis- 
sives a Belqêasém Ezzayêni en informant de ce qui se pas- 
sait. « Mon père, lui dit-il, est faché contre lui, et si j’ accepte 
ses femmes, je m’expose û mon tour èù sa colère : que 
faire ? » Belqasém envoya au Chétikh Errekb ordre de ne 
pas emmener avec lui les femmes de Moûlay Yazid, en le 
prévenant qu'il encourrait la colère du Sultan. « Si tu veux 
être sain et sauf, ajoutait-il, envoie les femmes a Moûlût 
Habiba, a Erreteb. Salut. » En recevant cette lettre, le 
Chétikh Errekb, qui ne savait pas èã quoi s’en tenir, fut vive- 
ment impressionné par sa teneur; il fit arrêter la caravane 
pour attendre l'arrivée des gens de Moûlay Yazid et de 
ses femmes, et les fit partir avec quelqu’ un qui leur indiqua 
le chemin d’Erreteb. Ils passèrent par Oued Ketsir et 
s’arrêtêerentchez Moûlêt Habiba. Belqasém Ezzayêûni informa 
le Sultan de tout ce qui s’était passé : il prétend que le 
Sultan approuva sa conduite, et lui ordonna de préparer 
des animaux et des provisions de route pour les faire con- 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 353 


duire aux femmes de Moûlay Yazîd par cinquante ‘Abids 
qui devaient les amener û Dûr Eddebibag. Elles devaient 
y habiter avec sa mère, que le Sultan avait trarısportée du 
palais û cette résidence. Tout cela était Teuvre d’Ezzayani. 
Moûlay Yazid lui garda rancune de cette affaire; aussi, 
quand il eut le pouvoir entre les ınains, il le fit arrêter et 
bûtonner, et lui fit subir dê mauvais traitements. 

Arrivé au mausolée du chéikh ‘Abdesselûm (Dieu soit 
salisfait de lui !), Moûlay Yazîd envoya un cerlain nombre 
de chérifs d'El'alam pour intercéder en sa faveur. Le Sultan 
leur ordonna de lui amener son fils, Ceux-ci supplièrent 
Molilay Yazid de venir, mais il s'y refusa. Deux autres fois, 
le Sultan Uenvoya chercher, il ne voulut pas venir. Le Sultan 
lui écrivit plusieurs fois pour lui pardonner, mais il n’ac- 
cepta pas ce pardon. Au contraire, il manifesta sa déso- 
béissance et se mit nettement en état de révolte, écrivant 
même ù son pêre des lettres où il manifestait ses disposi- 
lions. — C'est, du moins, ce que prétend Ezzayûni. Mais 
l'on sait que cet auteur était son ennemi : aussi ne faut-il 
pas ajouter fo1ı û toutes ces affirmations contre ce prince. 
Dieu sail quelle est la vérité ! Le Sultan envoya alors son 
fréere utérin Moûlay Moslama avec des soldats pour cam per 
auprês de Moûlay Yazid et le serrer de prês; il ne devait 
pas le laisser descendre de l'enceinte sacrée. Une autre 
colonne, commandée par le qaîid El ‘abbas Elboukhûri, alla 
aussi s'installer dans le voisinage du form, sur Uautre ver- 
sant de la montagne, pour bloquer Moûlay Yazîd et paraly- 
ser enliérement son action. Pendant son séjour dans cette 
localité, Moüilay Yazid commença û creuser les fondations 
de sa maison et ù bûtir une mosquée, dont on voit encore 
les restes au pied de la montagne. Il demeura assiégé lû 
jusqu'au moment oü lui parvint la nouvelle de la mort de 
son pêre (Dieu lui fasse miséricorde !). 

Nous raconterons plus loin, s’il plaîtt û Dieu, ce qui advint 
de lui. 


ARE. MANOC, 23 


354 ARCHIVES MAROCAINES 


Mort du Prince des Croyants Sîdi Molammed ben ‘Abdallah 
(Dieu lui fasse miséricorde 1) “. 


Voyant que Moûlay Yazid s’obstinait û rester dans le 
mausolée du chérkh ‘Abdesselam ben Mechich (Dieu soit 
satisfait de lui !) malgré ses exhortations répétées, le Sultan 
quitta Morrakch, pour se rendre en personne auprès de 
son fils, dans Pespoir de le rassurer et de dissiper ses 
craintes et ses appréhensions. Il sortit de Morrakch légè- 
rement malade. La maladie ne fit que s’aggraver en route, 
sous influence de la fatigue occasionnée: par une marche 
rapide, qui le conduisit, en six jours, dans le voisinage de 
Rabêt Elfeth. Ce fut la que la mort vint l'atteindre (Dieu 
lui fasse miséricorde !). Il était dans sa litiére et se trouvait 
a une demi-journée environ de Rabût Elfeth. Le mêıne 
jour, qui était le dimanche 24 rejeb 1204, on porta son 
cadavre en toute hûte ù son palais. Le lendemain, toute la 
population se réunit pour célébrer ses funérailles : les 
gens vinrent de tous cûtés pour y assister. Aprés la céré- 
monie, il fut enterré dans une des salles de son palais. La 
population tout entiére fut affligée de sa mort. Dieu lul 
fasse miséricorde et soit satisfait de lui! 


Derniers renseignements sur le sultan Sidi Mohammed ben 
‘Abdallah; ses euvres ; sa politique ®. 


Le sultan Sidi Mohamıned ben ‘Abdallah (Dieu lui fasse 
miséricorde!) aimait et recherchait les savants et les gens 
de bien ; è tout instant, il en était entouré. C’est ainsi que 
on voyait chez lui tous les savants et les imams de Tépoque, 


س 


1. Texte arabe, IV° partic, p. 119. 
2. Texte arabe, IV°* partie, p. 119. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC : 355 


comme le fqih très docte et universel, Aboû ‘Abdallah 
Mohammed, fils de l'imdm Sîdi ‘'Abdallûh Elgarbi Errebûti ; 
le f7i tres docte, le scrutateur Aboû ‘Abdallah Sidi 
Mohammed Elmir Esslûoui; le fqth très perspicace, Aboû 
‘ABaallîh Mohammed Elkûmel Errechîidi, et le fqth Si 
Aboûı Zéid ‘Abderrahmêûn, surnommé Boû Kherîs, Ceux-ci 
étaient ceux avec qui il s’asseyait pour converser : ils lui 
faisaient la lecture des livres de fhadîls, en discutaient le 
sens et rédigeaient pour lui, suivant ses indications, les 
interprétations qu’il en tirait. Il avait un tel gofit pour 


cette étude qwil avait fait venir d'Orient des livres pré- _ 


cieux de fadîts qıuine se trouvaient pas dans le Magrih, 
entre autres, le Mesned de I'imûm Ahmed, le Mesned 
d’Aboû Hanîfa, etc. Il composa même sur la science des 
hadiils, avec l'aide des fqîhs qui viennent d'être nommês, 
divers ouvrages, parmi lesquels le Kildb Masûnid Ela'im- 
mali-l'arbaa. C'est un ouvrage précieux qui, forme un 
gros volume. Dans ce livre, ila formé un recueil des adits 
sur la rioudya desquels les quatre imûms sont d'accord, ou 
seulement ois ou deux d'entre eux : il a laissé de cûté 
les Aadils Tapportés par un seul des imûms, ou par un 
autre qu' eux. Un tel recueil n'avait pas encore été com- 
posé (Dieu lui fasse miséricorde !). 

Souvent, le vendredi, aprês la priêre, il réunissait, dans 
la maqşoûra de la mosquée, û Morrûkch, les fqîhs de cette 
ville el ceux de Fêès ou des autres villes qui se trouvaient 
la, pour converser sur les fhadîts du Prophêète et leur inter- 
prétation; ces conversations lui faisaient beaucoup de 
plaisir. Il regrettait souvent, dans ces réunions, d'avoir 
« perdu ma vie û ne rien faire » et poussait des soupirs en 
songeant û tout ce qu'il aurait pu apprendre pendant sa 
jeunesse. 

Comme il ne s’était occupé d’aucune branche de la 
science quand il était jeune, il commença par étudier avec 
ardeur les livres d'histoire, les chroniques des peuples, 


“ڪڪ 


3506 ARCHIVES MAROCAINES 


l'histoire des Arabes et ses principaux faits. Il était im- 
prégné de Cette étude, dans laquelle il était arrivé ù un 
dlegré très avancé. 11 savait presque par ceur les .proverbes 


سه ست د .= 


faraj Elişbahani. Mais quand Dieu le ا‎ du gouver- 
nement des Musulmans après la mort de son père, il 
abandonna histoire et la littérature, qu'il aimait pourtant 
passionnément, pour entreprendre la lecture des fhadltts, 
rechercher ceux qui sont étranges, les tirer des sources, 
converser avec les savants et s’entretenir avec eux sur ces 
matiéeres. I] avait organisé,. pour cela, des séances régu- 
lieres qui auraient pu certainement supporter la comparai- 
son avec celles d'’Elmanşoûr Essa ‘di, que raconte Elfichtali 
dans le Mendhil Eşşafd. S’il allait faire un pèlerinage, ou 
s'il faisait une chasse ou une partie de plaisir, au prin- 
temps, et qu'il restat dehors a peu près une semaine, il 
campait, de préférence, dans les endroits où campait 
Elmanşoûr, lorsqu’il se rendait en pèlerinage ù Ağmêat ou 
qu'il en revenait. Et il disait : « C’étaient les campements 
@Elmanşoûr (Dieu lui fasse miséricorde!). 1l est mon maitre 
en pareille matière. » 
Voici une chose Fcurieuse fi son sujet (Dieu lui fasse 
miséricorde ): I1 jugeait que les tolba qui passaient leur leur 
temps û étudier des abrégés (mokhtaşar) sur la science du 
droit ou sur d'autres sciences, en laissant de cûté les 
ouvrages fondamentaux qui contiennent des développe- 
ments clairs, perdent Teur temps sans profit. Il ne voulait 
pas qu on étudidt ainsi et ne laissait personne lire le 
Mokhlasar de Khelil, celui de Ibn 'Arafa, et autres ou- 
Vrages du même genre. Il ne ménageait pas les humilia- 
tons û ceux qui faisaient la lecture de ces ouvrages, si 
hien que le Mokhtaşar de Khelil fut sur le point d’être 
entèrement abandonné. Il recommandait, au contraire. 


. Telude de la Risdla et du Tehdib, et autres traités simi- 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 3357 


laires. Il écrivit même, ù ce sujet, un ouvrage très déve- 
loppé, avec aide de Aboû ‘Abdallah Elgarbi, de Aboî 
„ ‘Abdallah Elmîir, et d'autres savants assıdus de ses réu- \ $4 Jwan 


nions. Le sültan Moûlay Slimûn, quand il arriva au pou r A 
| 


voir, eîcourageail, au contraire, usage du Mokhlagar et ا‎ 
donnait beaucoup d'argent pour ceux qui Papprenaient par 0 : 
-eeur et Penseignailent. Chacun est récompensé suivant Muka 


ses intentions et le but qu'il s'est proposé. 
Je dirai, cependant, que opinion du sultan Sidi Molram- 
med (Dieu Tüt fase _miséricorde !) était la bonne. On 
trouve, en effet, dans les écrits dun certain nombre de 
grands savants, comme imam, le f/ûft{ Boû Bkeur ben 
El'arabi, le chéikh circonspect Aboû Ishaq Echchatbi, le 
très docte, Uérudit Aboû Zéîid 'Abderrahmûn ben Khal- 
doûn, et tant d’autres, que le dessèchement de l'eau de la 
selence et la décroissance du savoir des gens dJ étude dans 
1Islam sont düs î ce {ü on nese sert plüs que des abré- 
gés qui sont difficiles û comprendre, et qu'on laisse de 
cûté les ouvrages des auteurs anciens, dans lesquels les 
idées sont longuement dêéveloppées et les arguments trés 
clairs, et qui permettent û celui qui les étudie d’arriver û 
posséder leur contenu. J’en jure par ma vie, ceux-ci seuls | 
qui en ont fait eux-mêmes 'expérience peuvent être cer- 
tains de ce qui précêde. Nous avons dit aussi, au commen- 
cement deê cet ouvrage, que les rois descendant de 'Abdel- =~ 
moûmén prêchaient le retour aux prescriptions du Coran 
et de la Sounna, témoignant ainsi de importance de la 
science antique et de leur respect des principes qui en 
dêécoulent. Dieu conduit qui bon lui semble dans la voie 2 
droite, 2 
Le sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah (Dieu lui fasse ڪس ادر ر‎ 
miséricorde !) interdisait étude des livres de Touhid éta- لہ‎ 
blis sur les bases de la théologie dogmatique (In LIkalam) 
et rédigêés suivant esprit de la secte de l'imûm Elach'arî.) 
Il recommandait aux gens de s'en tenir û la docfTîîîe 


858 ARCHIVES MAROCAINES 


priınitive, qui consiste ù suivre simplement le dogme tel 
qu'il dérive du sens extérieur du Coran et ا‎ la Sounna, 
pratiquait lui-même : ainsi, è la fin de son livre relatif aux 
hadits extraits des quatre imams, il dit: « Je_suis mdleki 
de rite et /fanrbali de dogme », ce qui signifie qu A 
jugeaıt inutile de s engager dans la science du sens des 
mots, comme le font les modernes. On cite de lui de nom- 
` Breuses anecdotes ù ce sujet. Sur cette matière il avait 
„encore raison, a mon _avisgF en effet, imam Aboû Hûamed 
Elgazzali (Dieu soit satisfait de lui !) dit, dans le Kitdb 
Elahid', que la science du sens des mots est comparable 
a un remêède dont on n’a besoin qu'en cas de maladie: on 
ne doit y recourir qu’en cas d’hérésie. D’ailleurs, on a éta- 
bli dans quelle mesure il convient d’en user vis-a-vis du 
peuple et des autres classes de la société, des commen- 
çants et de ceux qui ont achevé leurs études, des médio- 
cres et des intelligents. Mais ce serait sortir de notre 
sujet que de nous étendre sur cette question. 

Le sultan Sidi Mohammed (Dieu lui fasse miséricorde'!) 
avalt une grande noblesse de caractêere: il aimait la 
gloire et voulait arriver au faite de la splendeur. I] tenait 
aux souverains turcs le langage d'un égal, et ceux-ci, ã 
leur tour, le traitaient en seigneur. Les nombreuses 
sommes d'argent et les cadeaux qu'il leur envoyait lui 
donnêèrent une haute situation auprès d'eux : ils le consi- 
déralent comme plus puissant qu' eux par la richesse et 
le nombre hommes. Il donnait en prince qui ne craint 
pas lappauvrissement, et savait placer ses générosités. 
Il connaissait la valeur des hommes, les traitait en consé- 
quence, et savait leur passer leurs fautes, tenant compte de 
leurs antécédents ã ceux qui avaient rendu des services. 
Il xs Intéressait toujours û ses serviteurs, qu'ils fussent 
bien portants ou malades, et ne dédaignait pas ceux qu'il 
avait connus avant être au pouvoir. 


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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 358 


Il était reconnu comme un des hommes les plus coura- 
geux de son temps : il_conduisait lui-même les expédi- 
. 0 ت‎ - 
lions, el la crainte qu'il inspiraıt suffisait û mettre en 


déroute les troupes ennemies. Il gardait les hommes de, 


valeur et les employait û son service, les réservant pour les 
jours difficiles. Il les appelait par leur nom quand il les 
rencontrait ou qu'ils se présentaient chez lui. [Il les expê- 
diait û la tête d'une tribu, ou d'un groupe de larmée. 
2 ses re: il se conformait toujours aux rêgles de 


ns dont il ene l'habileté et la valeur, il lul 
disait ce vers d'Ibn Doréîd : « Mille hommes ne sont pas 
plus qu ur: seul; un seul homme est autant que mille s'il 
a rêçu ses ordres de nous. » 
En résumé, ce Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) était 
un grand roi. | 
Les muyres qu'il a laissêées dans le Mağrib sont noms 


breuses. On lui doit ù Morrûkeh la reconstitution du mau- 


solée du chéikh Bel'abbûs Essebli avec sa mosquée et 
sa mdersî, du Tiausolée du chétkh Ettebþû' avec sa mos- 
quéey dT mausolée du chéîkh Elguezoûli avec sa mosquée, 
du mausolée du chéifkh Eljezouûni avec Ša mosquée, du 


mausolée du chéîkh, Ben S$ Salah avec sa mosquée, du mau? 


solée de Moûlay ‘Ali Echchérif avec sa grande ımosquée, 


du mausolée du chéikh ` Méimoûn Essahrûoui, de la mos-. 


(uée des rois et de ses deux mdersas ù Berrîima, de la 
mosquée d'Elmansoûr, de la grande mosquée de Bûb 


Doukkûla, de la grande mosquée de Bûb Héilana, de la 


grande mosquée d@Errahba, de la mosquée et des six 
mdersas de la qûşba. Il restaura aussi la mosquée de la 
ZAouyat Echcherrûdi et celle de Ribût Chûkér. Il fonda 
la ville d@'Eşşouéira avec ses mosquées, ses mdersas, ses 
forts, ses batteries et tout ce qu'elle renferme., On lui doit 


encore la mosquée et la mdersa d'Asfi; la mosquée de. 
la ville de Tit: la ville d'Ãnfa, sa mosquée, sa mdersa,: 


860 ARCHIVES MAROCAINES 


son bain, ses şqdlas et ses batteries ; la ville de Fdêla, sa 
mosquée et sa mdersa; Elmanşoûriya_ et sa mosqucée ; 
la mosquée Essounna ù Rabût Elfeth, et les six mosquées 
ainsi que les forts dAgdal; les deux grandes sqdlas de 
Salé et de Rabat Elfeth ; la mosquée d’El'aréich, sa mdersa, 
secs şqdlas, ses batteries et son marché, les şqdlas et les 
batteries de Tanger; la mosquée Elazhar et sa mdersa ù 
PIşsfabl de Méknès ; dans cette ville, la mosqiüée d’El- 
berda 'iyin, le mausolée du chéikh Ben ‘Isa, celui du chéikh 
Abot 'Otsmdn Said avec sa mosquée, la mdersa Eşşahrij, 
fa mdersa Eddar Elbaidê, la mosquée et la mdersa de 
Berrima, la mosquée de Hedrach, la mosquée de Bûb 
Merah; trois arches du pont du Sbou, près de Fès, le 
mausolée du chéikh ‘Ali ben Hirzihim, celui du chéîkh 
Derras ben Isma'îl, celui d’Aboû ‘Abdallah Ettaoudi, la 
mdersa de Bab Elguisa ; la mosquée et la mdersa de Tèza; 
۾‎ Sijilmdasa, le mausolée de Moûlay ‘Ali Echchérif et la 
qaşba F"Eddar Elbaidêa avec sa mosquée et sa mdersa, et la 
mosquéte et la mdersa d’Erréîişani. Ill fit également de 
pieuses fondations en faveur du AMdristdn de Fès et de 
celui de Morrakch. 

Toutes ces wûvres sont assez glorieuses pour perpétuer 
la mêmoire de son noble génie : parmi ces monuments, 
les uns ont été êditiëês par lui, les autres réparés, d'autres 
enlin reconstrults. 

Il assigna aux chorfa de Tafilêlt une somme annuelle de 
10.MN) mitsqdls, dans laquelle n étaient pas compris les 
dons divers qu'il leur faisait dans le courant de année. 
Û servit également une somme annuelle de 100.000 mıfs- 
qdls aux notahles des deux nobles sanctuaires et aux 
ehorla du Nedjaz et du Yêmen. Les chorfa du Mağrib 
RCeVaient la même somme. A chaque fête. il envovait des 
dons aux folbas, aux moueddins. aux lecteurs et aux 
tewims des mosqutes. On ne saurait calculer les sommes 
quill pavait. en vue de la çuerre sainte. aux réis de la mer 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC B61 


et aux artilleurs, ni ce qu'il dépensait pour les bateaux de 

guerre et les appareils de combat dont il remplit les con- VS 8 
trées du Magrib. Mais ces sommes furent encore dépas- er. 
sées par celles qu'il employa_ùa faire mettre en liberté les AG - 
captifs musulmans, puisqu'il ne restait plus dans les pays مہ‎ (٤ 
de Yinfidélité un seul prisonnier de 'Occident ou de yf 
Orient; en une seule année, il obtint la liberté de plus EA | 
de 248.000 captifs. 

Les legs pieux qu'il fit aux deux nobles sanctuaires, | 
ainsi que les Tiyres de science dont il leur fit don, existent | 
encore aujourd'hui. 

Il s'occupa beaucoup des bateaux corsaires : sous son 
rêgne, il y eut jusqu'a 20 grands vaisseaux d’escadre et 
0 régates ot elites: les réfs étaient au nombre de û0, 
ayant tous leurs bateaux et leurs marins; comme ma- 
rins, il y avait 2.000 Orientaux et 3.000 Magribins, et, de 
plus, 2.000 artilleurs. TTT 

Son Infanterie comprenait 15.000 ‘Abîds et 7.000 hommes 
de condition libre : Iinfanterıe fournie par les tribus et 
qui participait aux expéditions avec les réguliers compre- 
nait 8.000 hommes du Hoûz et 7.000 du Garb. 

Il déployait, s'il se rendait au Mechouar, ou lorsqu'il 
sortait avec son cortêège, une splendeur immense dont tout 
le monde parlait. 

Les rois et les despotes européens le craignaient. Leurs 
envoyés lui apportêrent leurs cadeaux et leurs présents 
pour obtenir de vivre en paix avec lui sur mer. Il était 
arrivé û ce résultat par son habile politique et son pres- 
tige. Il accorda la paix ù toutes les nations chrétiennes, 
saul îüx MoScovites, parce qu'ils faisalent la guerre alu 
Sultan ottoman. Quand ils lui envoyerent leurs ami Dasa 
deurs et leurs présents û Tanger, il les repoussa et refusa 
d’accorder la paix. 

ll imposa aux nations chrétiennes des tributs qu’elles 
s'engagérent û lui payer, et qu’elles payaient réُellement 


362 ARCHIVES MAROCAINES 


chaque année. Cet état de choses se prolongea après lui, 
mais il a cessé dans ces dernières années. Les nations 
chrétiennes cherchaient ù lui être agréables par des cadeaux, 
des services et par tous les moyens en leur pouvoir. Dès 
qu'il écrivait pour lui demander quoi que ce fût ù un des- 
pote, celui-ci s’empressait de le faire, même si c’était 
défendu par sa religion. Il obtenait satisfaction d’eux de 
toutes les façons, bon gré mal gré. Ainsi les deux plus 
grands despotes chrétiens, qui étaient le despote d’ Angle- 
terre et le despote de France, refusaient de lui payer ouver- 
tement le tribut comme les autres princes étrangers ; il 
leur faisait, cependant, payer beaucoup plus par une poli- 
tique amicale. 

Il eut un grand nombre d’enfants, qui furent : Aboû- 
Ihasan “Al, qul était l'ainé, Elmamoûn, Hicham, ‘Abdes- 
selam, issus de la maitresse du palais, Lalla Fatma, fille 
de son oncle Slimdn ben Ismail ; ‘'Abderrahmêan, fils d’ une 
femme libre Howûriya des Howûra du Sais; Yazîd et Mos- 
lama, issus d'une captive espagnole convertie ; Elhasan et 
‘Omar, Iissus d'une femme libre des Ahlèf ; ‘'Abdelouahéd, 
issu d'une femme libre de Rabût Elfeth ; Slimêan, Ettavyêb 
et Moûsa, fils dune autre femme libre des Ahlèf ; Elhasan 
et "Abdelqûder, issus Pune autre femme des Ahlèaf ; ‘Ab- 
dallêh, issu une femme libre des ‘Arabs Beni Hsen, et 
Brahim, fils une Européenne convertie. 

Parmi les panégyriques en vers composés en Phonneur 
du sultan Sidi Mohammed ben ‘Abdallah (Dieu lui fasse 
miséricorde !, il y a TArdjodza du fin et éloquent A boûl- 
‘abbas Ahmed Elounnan, intitulée Echchemaqmagiya , qui 
(lébute ainsi : 

« N’ envoie pas encore le chamelier qui doit faire mar- 
cher devant lui les chamelles, et ne leur fait pas faire plus 
qu’ elles ne peuvent. » 

Cette ArdjJodza est célèbre : elle est en vers excellents 
et est composée avec beaucoup d’habileté. Elle témoigne. 


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گر 


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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 308 


de la part de son auteur, d'une grande puissance et d'une 
profonde connaissance de l'histoire des Arabes, de leur 
époque, de leur sagesse el de leurs proverbes. Celui qui 
Uapprendrait par ceur et la comprendrait ù fond pourrait se 
passer de tout autre ouvrage de littérature. A 'époque où je 
me livrais û étude, j'ai soigneusement travaillé û vocaliser 
les mots de ce poême, û éltudier û fond les récits et les 
proverbes qu'il contient, et û disséquer les allusions et les 
métonymies qu'on ¥ rencontre, et que j'étais arrivé û 
reconslituer entiérement. Je me mis ensuite û rédiger sur 
ce poême un commentaire em brassant tous les sens cachés 
el rapportant toutes les sources auxquelles auteur a 
puisé. J'avais écrit environ quatre cahiers, quand les cir- 
constances m'empêchêrent de terminer mon ouvrage. Je 
demande û Dieu d'éloigner de moi les entraves qui me 
retiennent, alin que je puisse travailler pour le bien de 
notre religion et de nos affaires humaines, et de me secou- 
rir de la félicité en ce bas monde et en l'autre, dans mes 
pérégrinations et dans mon repos (1). Lui seul le peut. 
Parmi les vizirs du sultan Sidi Mohammed ben '‘Abdal- 
lûh (Dieu lui fasse miséricorde!), il y eut le ministre célèbre, 
Aboû ‘Abdallah Mohammed El'arabi Qûdoûs, surnommêé 
Efendi. C'était un des familiers du Sultan : il jouissait de 
sû faveur et élait un des grands de son gouvernement. Il 
descendait dun Espagnol converti. Cet homme était une 
véritable étincelle d’intelligence et de vivacité ; par son 
esprit d'organisation et son énergie, 1l était un des soutiens 
du gouvernement (de Sidi Mohamnmied; pas une seule 
allaire de la Cour ne lui échappait. Aussi il avait acquis 
une influence et une autorité sans égales û cette époquê : 
les plus hauts personnages de Empire attendalent û sa 
porte deux, trois jours, sans pouvoir être reçus par lui. 


(1) Dieu a bien voulu me permellre de lerminer cel ouvrage, qui, Dieu 
soil lonê, est parfail dans son genre (Nolte de T"auleur). 


864 ARCHIVES MAROCAINES 


Après la mort du sultan Sidi Mohammed (Dieu lui fasse 
miséricorde !), ce vizir fut maltraité par Moûlay Yazid en 
même temps que d’autres gens de Morrakch, comme nous 
le verrons plus loin. 


Rêgne du Prince des Croyants Moûlay Yazid ben Mohammed : ses 
premières années ; son développement (Dieu lui fasse miséri- 
corde!) ^. 


Modûlay Yazid était objet de la sollicitude de son pêre 
(Dieu lui fasse miséricorde !), qui lui témoignait une très 
grande estime. Tous les habitants du Mağrib, quels qu'ils 
fussent, administrés et soldats, étaient pleins d’affection 
pour lui et mettaient en lui leurs espérances. Son nom leur 
était svmpathique et ils aimaient ù entendre parler de lui. 
En effet, ce prince était généreux, brave ; il était attaché 
fermement aux devoirs de la noblesse ; il était pieux ; il 
tenait ù se montrer bienfaisant envers les descendants du 
Prophète ; il aimait les gens de bien et leur faisait des 
dons ; il exécutait les prières «quand le moment en venait, 
en voyage ou en séjour, et rien ne pouvait len détourner. 
Il était considéré comme un prince parfait. Mais peu ù peu, 
il s'était laissé entourer d ignorants qui étaient a son ser- 
vice, et qui, è la faveur de leurs assiduités, lui vantêrent 
les charmes de indépendance et de la révolte contre son 
père. Leurs intrigues ouvertes et cachées avaient fini par 
faire impression sur lui, et il avait suivi leurs conseils. Ce 
fut le fait de sa jeunesse, véritablement, qui le domina, 
car, quoique n'ayant pas des aspirations exagérées, mais, 
il devança le moment de action en se réêvoltant contre 


1. Texte arabe. IV * partie, p. 122. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 3065 


son pêre, soutenu par le guéich des ‘Abîds, comme nous 
avons vu. On eût pu lui appliquer ces vers : « Si 'Ãmér 
dit que c'est par ignorance, celle-ci peut être mise sur le 
compte de la jeunesse. » 

Il perdit aussitût, auprêés de son père, influence qu'il 
possédait. Celui-ci, en effet, le destinait au khalifat et le 
faisait passer avant ses frères ainés, ù cause de son habi- 
letê, de la bravoure qu'il avait manifestée ù chaque ocea= 
sion, de son penchant pour la guerre sainte et de sa pas- 
sion pour [art du tir au mortier, Il lui avait confié la 
direction des artilleurs et des marins, et envoyait chaque 
année, avec des notables et des artilleurs, dans les divers 
ports, pour inspecter les gens préposés aux forts et aux 
batteries et leur enseigner ce qu'ils avaient besoin d'ap- 
prendre. Voyant avec quelle passion il s'occupait de ce 
service, et la façon dont il réussissait, son père lui fit de 
grands cadeaux ; il le chargea ensuite des relations avec 
les consuls étrangêérs résidant dans les ports, en lui don- 
nant mandat de le représenter dans cette euvre. En 1182, 
le Sultan le nomma gouverneur de la tribu de Gueroudn, 
qui était ù cette époque la tribu berbêère la plus puissante 
en cavaliers et en fantassins. Il lui confia le soin de les 
comnmander et lui donna pour instruction de mettre un 
terme ù leur inimitié avec les Ait Idrûsén. Il se rendit 
auprês de cette tribu et sut se faire aimer par ces gens. Il 
sê mit û les aimer lui aussi : les fils des notables allaient û 
la chasse avec lui, il les aveuglait de cadeaux, leur donnait 
des chevaux, des armes et des vêtements. lls ne le quil- 
talent plus, et finirent par corrompre son caur;, en lui 
conseillant de s’emparer du pouvoir. « Ce trésor {ui est 
ã1 Qoubbat Elkhayyûtîn, lui disaient-ils, est ù ta disposition : 
personne ne empêche de U'en emparer ; lu ten serviras 
pour établir ton autorité. (Juand tu voudras appeler nos 
frères les Ait Ou Mûlon, ils n'hésiteront pas un seul ins- 
tant û venir auprêés de toi, et il r'y a pas d'armée, ni per- 


366 ARCHIVES MAROCAINES 


sonne, qui puisse leur résister. » Ils tournaient continuel- 
lement autour de lui pour Uentrainer dans cette voie, si 
bien qu'il finit par convoiter le pouvoir et ne parla plus 
que de ce sujet. 

C'est ainsi qu'il informa de ses projets le qûîid des Oû- 
dêya, Aboû Mohammed ‘Abdelqader ben Elkhadir, mais 
celui-ci, qui était dévoué au Sultan et le servait avec fidé- 
lité et loyauté, le prévint aussitêt des rapports de son fils 
avec les (GGuerouan, qui se rendaient chez lui par centaines 
a la fois et passaient la nuit avec lui dans la qaşba : « Je 
crains, ajoutait-il, que votre fils ne fasse parler de lui, et 
que vous m'en punissiez ; je vous fais donc part de ce qui 
se passe. » Dêès qu’il reçut sa lettre, le Sultan envoya son 
qaîid El 'abbêas Elbokhûri avec cent cavaliers pour s’emparer 
de Moûlay Yazid. Nous avons dit que armée et tous les 
administrés avaient de la svmpathie pour ce prince. Aussi, 
a peine arrivé ù Salé, le qêid El 'abbês fit secrètement pré- 
venir Moûlay Yazid qu'il allait être arrêté et qu’il n’avait 
qu’a se sauver. Moûlay Yazid quitta Méknès, ù la faveur de 
la nuit, avec ses intimes et ses amis les Guerouan, et se ren- 
dit chez les Ait Ou Mêlou ; aussi, quand le qaid El'abbas 
arriva, Motilay Yazid et ses partisans ne se trouvaient 
déja plus dans la ville. Il s'y installa et fit part de ce qui 
se passait au Sultan, qui envoya, auprès de Moûlay Yazid. 
son secrétaire Aboû ‘Otsmêaên Sa ‘id Echchlîth. Celui-ci alla 
trouver le prince û la Zûaouya des Ait Ishaq, où il s’était 
rendu, n’ayant été accueilli, chez les Ait Ou Malou, que 
par les Ait Mhaouch et les Ait Chqirèn. Quand ce secré- 
taire lui eut présenté la lettre du Sultan qui lui pardon- 
nait, il partit avec lui pour Morrûkch. A son arrivée dans 
cette ville, il alla se réfugier au mausolée de Bel ‘abbûs 
Essebti. Le Sultan lui ayant ensuite accordé sa grace, il 
s’entretint avec lui et se disculpa des accusations portées 
contre lui, rejetant toute la faute sur ces grossiers Gue- 
rouûn et déclarant qu'il n'avait pas approuvé leurs projets. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 3T 


Le Sultan décida dans son for intérieur de les chûtier, et û 
son retour de Morrûkch, en 1184, il marcha contre eux 
jusqu'a Gourîgra, tomba sur eux et leur tua prés de 
500 hommes, comme nous avons rapporté. 

Quant û Moûlay Yazid, il le fit résider û Fês El'ouliê, 
avec ses frères Moûlay ‘Ali et Moulay '‘Abderrahman. Au 
bout d'un certain temps, un combat eut lieu entre lui et 
Moûlay ‘Abderrahmûn, en plein Fêès Eljediîid ; des deux 
cêlês un certain nombre de gens périrent. Aussitût qu'il 
sut cela, le Sultan se rendit û Méknês, d'où il envoya quel- 
qu'un pour arrêter ses deux fils. Moûlay ‘Abderrahmûn 
et ses gens furent seuls pris: Moûlay Yazid s'enfuit au 
tombeau de Moûlay Idris I'ainê, dans le Zerhoûn, puıs 
fut ramené par les chérîfs auprès de son pêre, qui lui par- 
donna et rendit également la liberté û Moûlay 'Abderralı- 
mûn. Le Sultan fit ensuite une enquête sur les serviteurs 
de ses deux fils, et quand il connut ceux d'entre eux qui 
étaient honnêtes et ceux qui ne étaient pas, il les [it Lous 
sortir de prison. Aux premiers, il donna la liberté, et aux 
seconds, qui étaient au nombre de trente, il fit couper un 
pied et une main alternés, Moûlay ‘Abderrahmûn fut 
envoyé û Méknêès, et Moûlay Yazid û Fès. Peu de temps 
aprêés, en faisant une course sur hippodrome et en jouant 
û la poudre, Moûlay ‘Abderrahmûn tua un homme des 
Beni Mtir. Les contribules de la victime étant venus se 
plaindre û leur qûîd Mohamıned ben Mohammed Ou ‘Azîz, 
celui-ci paya de sa poche le prix du sang, et, aprês avoir 
obtenu «qu'ils renonçassent û leur réclamalion, il fit dres- 
ser un acte constatanl ce renoncement. Le calme fut aus- 
sitût rétabli. Sur ces entrefaites, le Sultan envoya son qûîid 
El‘ abbûs û Méknès, pour mettre ù mort divers individus 
qui étaient dans la prison de cette ville. Moûlay ‘Abder- 
rahmûn, qui croyait que son pêre avait eu connaissance du 
meurtre du Mtîri, et que ce qûîid venait pour cette affaire, 
s'enfuil de Méknès pendant la nuit et gagna Oujda et de 


368 ARCHIVES MAROCAINES 


la Tlemsên. Quand le Sultan fut avisé de sa fuite, il de 
manda quelle en était la raison : dès qu'il sut par le qid 
El'abbas ce qui s’était passé, il envoya amdn ù son fils, 
qui, méfiant, quitta Tlemsên et alla èڍ‎ Sijilmasa. Le Sultan 
dépêcha quelqu’un auprès de lui, pour assurer de son 
pardon et le ramener, mais il n’eut pas confiance et s’en- 
fuit dans le Soûs. Puis, le Sultan lui ayant encore envoyé 
'amûan dans le Soûs, il partit pour le Sud, et parcourut 
cette région de tribu en tribu jusqu’a la mort de son père 
(Dieu lui fasse miséricorde !). A ce moment-la, il revint ã 
Taroûdant, où il demeura, cherchant ù obtenir le pouvoir, 
mais sans succèês, puis il mourut (Dieu lui fasse miséri- 
corde !). 

De son cöté, Moûlay Yazid resta ù Fès jusqu'au jour où 
il se rendit a Morrakch, appelé par son père. Sur ces entre- 
faites, était survenue la révolte des ‘Abîids contre le Sul- 
tan, provoquée par la question de la garnison qu'il leur 
avait ordonné denvoyer aû Tanger, comme nous avons 
rapporté. Motlay Yazîd fut envoyé pour calmer cette sédi- 
tion et les ramener dans le droit chemin. Mais quand il 
fut rendu auprès d'eux, ils Ûexcitèrent par leurs propos, 
et remuant chez lui ce qui était en repos, ils firent appa- 
raitre ce qui était caché ; ils le proclamêèrent et pronon- 
cèrent la kKhotba en son nom, ainsi que nous avons déja 
raconté en détail. Qaddoûr ben Elkhadir et les Oûdéêya se 
séparêrent de lui, et repoussêrent les dons considérables 
qu'il leur envoya, quand, ayant ouvert le Trésor, 1l voulut 
se les concilier. Mohammed Ou ‘Aziz et ses Berbers ayant 
fait cause commune avec les Oûdêya, Moûlay Yazid vint 
attaquer ses adversaires. La rencontre cut lieu ù Elmou- 
chtecha, û Méknès ; le prince fut battu et plus de cinq 
cents ‘Abids furent tués. Le Sultan arriva alors avec ses 
soldats et les contingents des tribus. Moûlay Yazid s’'en- 
fuit au Zerhoûn, où son père le poursuivit. Celui-ci, après 
avoir visilé Mofilay Idrîs (Dieu soit satisfait de lui !), accéda 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 309 


aux priéres des chérîfs Drîisis en faveur de son fils et 
lui pardonna. Il l'envoya alors en Orient, oû il commit 
û la Mekke, vis-a-vis du Chéîkh Errekb, Y'acte que nous 
connaissons, et qui conslituail une véritable désobéissance. 
Cette conduite amena le Sultan û le renier. Il revint 
d’Orient en 41203 et se réfugia au mausolêée du chéîkh 
‘Abdesselûm ben Mechîch. Il y demeura jusqu’a la mort 
de son pêre, ainsi que nous l'avons raconté. Dieu est le 
protecteur ! 


Prestation de serment au Prince des Croyants Moûlay Yazid ben 
Mohammed (Dieu lui fasse miséricorde!) 4. 


Moûlay Yazid était dans le sanctuaire Mechtchi, quand 
il reçut la nouvelle de la mort du sultan Sidi Mohammed 
(Dieu lui fasse miséricorde !) qui survint û la date précitée. 
Les chérifs de Tendroit et tous les gens du Djebel le pro- 
clamêrent, ainsi que les hommes de 'armée qui Passié- 
geailent, et dont nous avons parlé. Voyant que le succès 
commençait, il se rendit a Tétouan, qui était la ville la plus 
proche, et reçut le serment de fidélité des habitants et des 
tribus voisines, Il déchaina les soldats sur les Juifs de 
Tétouan, les livra au pillage et s'’empara de leurs biens 
Il reçut ensuite des délégations de Tanger, d'’El'arêîch et 
d'Aşéila, auxquelles il fit accueil nécessaire. Puis il se 
mit en route pour Tanger; les soldats de cette ville se 
portérent û sa rencontre : il leur témoigna sa joie de leur 
venue et leur fit des cadeaux. Arrivé dans cette ville, il 
reçut des gens de Fèês une députation composée de ‘oulamê, 
de chérîfs et de notables ; il traita généreusement ces 
députés et leur donna comme gouverneur Aboû ‘Abdallah 
Mohanmed El'arabi Eddib. De la il se rendit ã El'arêich; 


1. Texle arabe, IV* parlie, p. 124. 
ARCH. MAROC. 24 


370 ARCHIVES MAROCAINES 


il y trouva J’entourage de son père, ses serviteurs et les 
grands de son empire, qui avaient entre les mains ce qu'il 
avait laissé, ses tentes, ses chevaux, ses mules et tous ses 
autres bagages. Il fut généreux envers eux; ils firent 
escorte ù son étrier jusqu’au Zerhoûn. La, il fut salué par 
son frere, Moûlay Sliman, qui venait de Tafilêlt, escorté 
des tribus arabes et berbères du Şahara, apportant la bét’ a 
des gens de Sijilmêsa. Avec lui était arrivé Mohammed Ou 
‘Aziz, qui lui avait demandé protection, dans la crainte où 
il était que Moûlay Yazîd ne voulût se venger de ce qu'il 
s'était écarté de lui du temps de son père, et qui amenailt 
toutes ses tribus; mais le Sultan, en le recevant, lui par- 
donna et lui confirma son commandement. Arrivé a Mék- 
nés, le Sultan reçut toutes les tribus arabes et berbères du 
Garb. Les révoltés Ait Ou Malou cux-mêmes vinrent, con- 
duits par leur dejjdl Mhaouch: il donna, ù ce dernier seul, 
10.000 douros et 100.000 ù ceux qui étaient venus avec lui. 
Puis ce fut le tour des tribus du Hoûz, arabes et berbéres ; 
personne ne manqua d’apporter sa béi'a. Enfin, les gens 
de Morrêakch et des environs vinrent présenter leur ser- 
ment de fidélité, dont voici le texte : 

« Louange ã Dieu, qui, seul, possède la royauté, le pou- 
voir (de créer et d’administrer, qui a créé toutes choses 
par sa sagesse et en a tiré le grand et le petit, qui n’a pas 
besoin dauxiliaire, ni de guide ni de ministre. Il connait 
ses créatures, le Clément qui sait tout. Il donne le pouvoir 
û qui bon lui semble, et il élêve qui il veut; il gouverne 
tout et il peut tout. Il établit les rois pour comprimer les 
oppresseurs; il les nomme pour leur laisser conduire ces 
serviteurs ù 'ombre de la paix et de la tranquillité, et il 
leur fait prêter serment de fidélité pour garantir contre 
les troubles et les révolutions, et punir les méchants et 
les rebelles. Les rois sont ombre de Dieu sur les hommes, 
une forteresse puissante pour les grands et les humbles, 
ainsi que l'a déclaré le Seigneur des Créatures, sur lui soit 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 371 


la priére la plus noble et le salut le plus pur. Qu'il soit 
béni, notre Dieu qui a anobli cette terre et orné cê bas 
monde de ces khalifes bénis, de ces imûms hasanis, hdchmis, 
et ‘alaouis, cette famille de Qoréich issue de Mohammed, 
vers laquelle se tournent tous les visages, et qui fait appa-= 
raître la vérité, dès qu’ on lui proclame fidélité et qu'on. 
invoque son nom obéi. Nous le louons de nous avoir gra- 
tifié de ces imûms fortunés, et nous lui adressons (qulil 
soit glorifié !}) des remerciements qui soient pour nous le 
gage d'une paix croissante et complêète. 

« Nous atltestons qu'il est le Dieu tel qu'il n'y a pas 
d'autre Dieu que lui, qu'il n’a pas d'associé, que tout ce qui 
existe est son @uvre, et qu'il dirige les événements sui- 
vant les dêcisions de sa sagesse et de sa justice. 

« Nous attestons que notre Seigneur, notre Prophéte, 
notre Maître Mohammed est son serviteur et son envoyé, 
Télu qu'il a choisi parmi ses créatures et son ami, le sei- 
gneur de toutes les créatures, hommes et génies, issu de 
la noble famille de Mou'add, fils de 'Adnûn, le fondateur. 
de la Loi pure sur laquelle deux personnes seulement ne 
sont pas en désaccord, de la religion solide qui est la meil- 
leure des religions, celui ù qui Dieu a donné la faveur 
d'être le premier et le chef des prophêètes, celui au peuple 
brillant duquel ont été prescrits la prière et le salut, lui 
dont il a fait l'éloge, el quel noble éloge ! dans son livre 
sag€, en disant : « Ses qualilés et ses noms sont sanc- 
« tifiés : tu es certes une glorieuse et sublime créature. » 

« Que Dieu prie sur lui d'une priêre éternelle, qui con-= 
tinue avec la succession des nuits et des jours; qu'il prie 
sur sa famille généreuse et pure, sur ses compagnons 
nobles, illustres et bons qui nous ont dévoilé clairemenlt 
la véritê, el qui ont établi les bases et les piliers de cette 
religion génêéreuse, et sur ceux qui ont suivi leurs traces 
solides et marché dans la voie droite qu'ils ont tracée, jus= 
qü'au jour du jugement dernier. 


33 ARCHIVES MAROCAINES 


« Ensuite : 

« Dieu Trêès-Haut a voulu que la prospérité de ce monde 
et de ses diverses contrées habitées par les descendants 
d4’ Adam dépendit des imûıns savants et fût assurée par les 
rois qui sont lombre de Dieu sur les créatures. Leur obéir, 
tant qu'ils sont dans la vérité, et qu’ils respectent Dieu 
est un bonheur, et c'est alors un devoir et une façon de 
servir Dieu que de s’appuyer sur leur autorité. Le glo- 
rieux qui parle a dit : « O vous qui avez la foi, obéissez ã 
«Dieu, obéissez au Prophète et ù ceux d’ entre vous qui 

ont le pouvoir. » Il a dit (sur lui soit le salut !) : « Si je 
. vous mettais sous les ordres d’un esclave noir mutilé, et 
.quwil vous administrat conformément au Livre de Dieu, 
vous devriez écouter et lui obéir. » Il a dit aussi (sur lui 
soit le salut !) : « L'homme musulman doit écouter et obéir 
« bon gré mal gré, sauf s’il reçoit ordre de faire un acte 
« de révolte contre Dieu; dans ce cas, il ne doit plus v 
«. avoir de soumission ou d’obéissance. » Il a dit aussi (sur 
hui soit le salut!) : « Quiconque désobéira et se séparera de 
la communauté, s’il ımeurt, mourra dune mort paienne. 
Quiconque combattant sous Pétendard général se fachera 
. contre une minorité, ou fera des veux pour une ınino- 
. rFité, ou secourra une minorité, sil est tué, sera tué en 
. paien. Quiconque ayant a lutter contre nıon peuple s’atta- 
quera aussi bien au bon qu’au mauvais, ne respectera 
pas les croyants et ne tiendra pas les engagements pris 
.envers eux, ne m’appartient pas, et je ne lui appartiens 
pas. » Ces fhadîis ont été tous rapportés par Moslim. Il a 
dit aussi (sur lui soit le salut !): « Le Sultan est l'ombre de 
« Dieu sur la terre pour que le faible se réfugie auprès de 
« lui et que lopprimé lui demande son abri. Quiconque 
« aura honoré le Sultan de Dieu sur la terre, Dieu Thono- 
« rera au jour du jugement dernier. » Il a dit aussi (sur 
lui soit le salut!) : « Le Sultan juste et qui se fait humble 
« est lombre de Dieu et sa gloire sur la terre : Dieu le fera 


RN ££ B&B ® 


RR SB RR RFR RR RR 8R 8 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 393 


« proliter des bonnes ceuvres de soixante-dix justes. .» 

« Les membres de la famille du Seigneur des Envoyés 
étant ceux de Qoréich, qui tiennent la plus grande place 
dans le ceur des croyants, et qui ont le rang le plus élevê 
auprès du Maitre des mondes, le Trêès-Haut leur a assigné 
un mérite considérable parmi ses créatures, et leur a 
accordé la gloire, élévation, la splendeur et la magnifi- 
cence. Dieu Trêès-Haut a dit: « Pour vous laver de la souil- 
« lure du péché et vous purifier, Dieu ne veut pour vous 
« que les gens de la famille du Prophète. » Le Prophète a 
dit (sur lui soient les priêres et le salut!) : « Les étoiles 
« sont la sécurité pour les habitants du ciel; les gens de 
« ma famille sont la sécurité pour mon peuple. » Parmi les 
ınembres de cette noble famille dont Dieu nous a gratifiés 
est celui û qui Dieu a confié la plus noble magnificence et 
la plus magnifique noblesse, qu’il a chargé de sa puissance 
glorieuse, qu'il a élevé au premier rang, la colonne de 
gloire dont l'illustration n'est pas contestée, unique en 
mérite dont la situation et la dignité doivent être glori- 
fiés, imam auquel ont été confiées les rênes du pouvoir, 
auquel ont appelé les hommes de rnérite û cause de son 
mérite, celui auprês duquel le khalifat est venu en éten- 
dant son manteau, et qui l'a pris ù exclusion de ses frères, 
car il ne convient qu'a lui et lui seul en est digne, celui 
qu'aiment tous les ceurs des créatures, et qui, sur cette 
terre, a réuni l'agrément de tous par sa gloire et ses 
hautes aspirations, le Sultan fortuné, qui met sa confianıce 
dans son Maitre qui le soutient et le dirige, notre Seigneur 
et notre Maitre Yazîd, fils de notre Maitre UImûm, le Sul- 
tan, le héros dans la miséricorde de Dieu, Sidi Mohammed, 
fils de notre Seigneur le Prince des Croyants Moûlay 
‘Abdallah, fils du Sultan noble, le Prince des Croyants 
Moûlay Ismû îl, fils de nos maitres et seigneurs les chérifs 
pleins de mérite, de générosité et de justice, que Dieu 
sanctifle leurs ûmes au plus haut point du Paradis, et 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 375 


par les khalifes orthodoxes qui lui ont succédé et par les 
imams bien dirigés et qui ont accompli leurs engagements 
envers lui. Elle comporte la soumission et 'obéissance ; 
elle porte obligation conformément è la Sounna et ù la doc- 
trine orthodoxe. Les soussignés s’en réjouissent et témoi- 
gnent de ce qui précéde en toute sincérité intérieure et 
extérieure. Ils se sont engagés solennellement èڍ‎ observer 
et ont rendu exécutoire d'une façon qui les engage secrê- 
tement et publiquement, dans la joie comnıe dans la peine, 
dans aisance comme dans la gêne. 

« Ce serment a réuni unanimité des arbitres de toutes 
les affaires, de ceux dont les avis sont écoutés dans les 
grandes et les petites questions, de ceux qui se distinguent 
par la science et les fonctions de juge, et de ceux ù qui il 
appartient de défendre et dordonner. Tous sont d’ accord 
a ce sujet, les imams des mosquées, les kKhatîbs, les muflis 
qu’ on consulte et qui répondent, ceux qui étudient une 
opinion et sont susceptibles erreur ou de vérité, les gens 
réputés pour leur piété et leur vertu, les cavaliers qui 
combattent et attaquent, ceux qui savent donner des coups 
de lance ou frapper avec le sabre, les fonctionnaires et les 
magistrats, les savants doctes, ceux qui emploient le sabre 
ou la plume, les notables chérifs, les grands docteurs, et 
ceux dont le rang est humble ou élevé. Ce serment cons- 
titue un bienfait du Dieu unique. Ils disent tous : « Dieu 
« soit loué qui nous a conduits ù cette décision. Si Dieu 
« ne nous avait pas conduits dans la bonne direction, nous 
« ne nous y serlons pas engagés. Ceux qui te prêtent ser- 
« ment de fidélité prêtent serment a Dieu. » 

« Tous les présents, grands et petits, ont fait dresser 
téemoignage du contenu du présent engagement, dont ils 
sobligent ù observer tous les devoirs généraux et particu- 
liers qui en découlent. Ils disent : « O mon Dieu! de même 
« que tu as appelé, avec plus grands honneurs, notre Maitre 
« le Prince des Croyants, que tu as agréé pour remplir la 


B36 ARCHIVES MAROCAINES 


« charge dimam, que tu as choisi parmi les plus nobles, 
« et que, par lut, tu nous as tous préservés du malheur, 
« dlonne-lui ton appui robuste, attribue-lui une part glo- 
« rieuse et abondante de ta protection et de ton soutien, 
« fais-lui obtenir dans tous ses désirs un succès évident, un 
« triomphe qui appuie et le secoure! O mon Dieu! rends- 
« nous heureux par son rêègne, protège-le de ta protection 
« dans ses voyages et ses séjours, fais que la béî a que nous 
« lui apportons éternise ses euvres, fortifie sa grandeur et 
« sa puissance ! O mon Dieu ! aide-le dans la charge que 
« tu lui as confiée des affaires de tes serviteurs, pacifie pour 
« lui les contrées de ton Empire, fortifie-le pour qu’il puisse 
« te satisfaire et qu’il soit par toi un saint et un Sultan vic- 
« torleux! Exauce nos prières, car c’est toi qui en es digne, 
« toi qui le peux! Quel bon maitre, quel bon protecteur tu 
« es! c’est toi seul qui peux répondre è nos vaeux! 

« Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu le sublime, 
« le grand. ١ 

« Dieu prie pour notre Seigneur et notre Maitre Moham- 
« med, pour sa famille et ses compagnons, et leur donne 
« le salut! 
« Notre dernière invocation est : Louange ù Dieu, le 
Maitre des mondes! 
« Le 18 cha‘ ban de année 1204. » 


gn 
e 


Transfert des Oûdêya de Méknès ù Fêès, et des ‘Abids des ports 
da Méknês '. 


Le sultan Moûlay Yazîd (Dieu lui fasse miséricorde !), 
pendant son séjour ù Méknès, ordonna aux Otùdêya de 
quitter cette ville et de retourner û Fès Eljediîid, leur lieu 
d'origine et le point de départ de leur puissance et de 


1. Texte arabe, 1V° partie, p. 127. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 2T 


leur force. Il alloua ù chacun d'eux 50 douros, û titre 
de secours pour leurs Irais de déplacement. Ils retour- 
nêérent donc û Fêès Eljedid, après trente années d'ab- 
sence ù Méknês, dans les conditions que nous avons rap- 
portées. Après cela, il ordonna aux ‘Abîds des ports de 
revenir û Méknès et de s'y réunir tous, et leur fit don des 
sommes qui se trouvaient dans les caisses publiques des 
villes où ils résidaient. Après s'être partagé cet argent, 
ils se mirent en route pour Méknêès, remplis de joie. 


Rupture de la paix avec les Espagnols ; siège de Ceuta '. 


Manuel le Castillan dit, dans son livre d'histoire du 
Maroc : « En arrivant au pouvoir, Moûlay Yazîd ben 
Mohammed (Dieu lui fasse miséricorde !}) manifesta son 
hostilité contre les Espagnols et résolut de leur déclarer 
la guerre. Leur despote employa tous les moyens pos- 
sibles pour échapper û cette menace ; il envoya même un 
ambassadeur ù Tanger auprès du Sultan, pour. le féliciter 
de son avênement et pour obtenir ses bonnes grûces. 
Mais Molilay Yazid repoussa ses avances, fit peu de cas de 
cet ambassadeur et des présents qu'il apporta, et prit des 
mesures contre tous les Espagnols, négociants, freres el 
autres, qui étaient dans ses ports. Il les fit arrêter et con- 
duire enchaînés ù Tanger, où il les mit en prison. Les cor- 
saires de guerre des Musulmans, ajoute Manuel, étaient û 
cette époque au nombre de 16 et armés de 306 canons. » 
Nousavons déjûa rapporté, cependant, qu'il y en avaitun bien 
plus grand nombre. « Les prisonniers chrétiens étaient tou- 
jours en prison quand il arriva qu’ un corsaire espagnol qui 
croisait sur les cûtes d'El'arêîch captura un navire et s'em- 
para d'une partie de équipage. Le Sultan, qui se trouvait 


1. Texle arabe, IV" partie, p. 127. 


318 ARCHIVES MAROCAINES 


alors ù El'arêîch, observait cette capture, avecune lorgnette, 
«le la terrasse de son palais. I] envoya porter des secours 
au navire capturé, mais les Espagnols purent s’échapper. 
Plus tard, le Sultan et le despote d’Espagne échangèrent 
ces captifs contre les prisonniers de Tanger. » 

Le sultan Moûlay Yazid (Dieu lui fasse miséricorde ! !( 
marcha ensuite contre Ceuta, et appela les populations 
ù la guerre sainte pour venir faire le siège de cette place. 
Il emmena avec lui des canons et des mortiers, et fit cons- 
truire devant la ville sept redoutes, qui furent presque 
toutes occupées par les Fennichs de Salé. Des gens des 
villes et des campagnes allèrent volontairement se joindre 
ù lui de toutes les vallées et de toutes les montagnes. 
Après avoir assiégé Ceuta pendant quelque temps, le Sul- 
tan s’éloigna et partit pour Morrakch, appelé par une 
affaire. Mais arrivé a la ville d'Ãnfa, idée lui vint de 
retourner sur ses pas, et il revint camper devant Ceuta, 
où il recommença avec opiniatreté les opérations du siège. 
Il convoqua a la guerre sainte et ù la croisade les tribus 
du Hoûz, mais elles ne répondirent pas a son appel. Il 
était alors sur le point de prendre la ville. Il arriva donc 
ce que nous allons raconter. 


Les gens du Hoûz abandonnent le sultan Moûlay Yazid ben 
Moahmmed et proclament son frère Moûlay Hichêam (Dieu leur 
fasse miséricorde û tous deux !) ‘. 


Lorsque les tribus du Hotz s’ étaient rendues ù Méknès 
auprês du sultan Moûlay Yazid, elles avaient remarqué 
de la part du souverain certaine froideur ã leur égard. Il 
ne leur avait pas fait de cadeau, tandis qu'il en avait dis- 


1. Texte arabe, IV° partie, p. 128. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 3 


tribué notamment au Berbers et aux Oûdêya. Elles avaient 
conçu de lui une mauvaise opinion, et leurs cceurs s'étaienl 
remplis d'amertume contre lui. A leur retour dans leur 
pays, les chefs de ces tribus se rendirent les uns chez les 
autres. Les Rhûmna furent ceux qui s’agitèrent le plus. 
Enfin, les gens de Morrûkch, de “Abda et les autres tri- 
bus du Hoûz se mirent d’accord pour conlier ù Moûlay 
Hichêãm le soin de les gouverner, et lui apportêrent leur 
serment de fidélité et d'obéissance. Apprenant cela, Moû- 
lay Yazid abandonna le siége de Ceuta, partit pour le 
Hoûz, dispersa les tribus et arriva ù Morrûkch, qu'il prit de 
vive force. Son entrée dans la ville eut lieu, dit-on, par 
la porte appelée Bûb Yagğglû. Il mit la ville au pillage, tua 
et arracha les yeux de plusieurs des habitants. Ce fut un 
terrible événement. Moûlay Hichûmréunit pour lecombattre 
les tribus de Doûkkala et de °“Abda, et marcha sur Mor- 
rûkch. Moûlay Yazid se porta contre lui ; une bataille eut 
lieu û Uendroit appelé Tazkoûrt ; les troupes de Moûlay 
Hichûm furent battues et poursuivies par Moûlay Yazid, 
quî fut atteint d'une balle ù la joue. Il rentra û Morrûkc!ı 
pour soigner sa blessure el en mourut (Dieu lui fasse 
miséricorde !}) dans les derniers jours de djoumada II de 
l'année 1206. Il fut enterré dans le cimetière des Chérifs, 
du cûlté méridional de la mosquée d'Elmanşoûr, dans la 
qaşba de Morrûkch. 

Ce prince (Dieu lui fasse miséricorde !) était vraiment 
un des braves, des généreux et des héros deê la famille 
de ‘Ali: son degré d'intelligence el ses capacités altei- 
gnaient û un degré bien connu, et il avait ù cet égard 
cette avance qu'on ne peut pas rattraper. Les tentalives des 
envieux (Dieu leur pardonne ainsi qu'a nous ! ne pou= 
vaient pas l'atteindre, car ils étaient loin de le valoir, et 
la noblesse de son esprit le mettait au-dessus de leurs 
machinations. (Que Dieu les enveloppe tous de son par- 
don et de miséricorde : ainsi soit-il !) 


ا 


32 ARCHIVES MAROCAINES 


on dut les abattre complétement de peur qu’ils ne tom- 
bassent. Les gens furent pris de panique et abandon- 
nêrent leurs boutiques et leurs marchandises. A Salé, la 
mer se retira sur une trés grande étendue. Des gens 
étaient allés voir ce phénoméne. quand tout d’un coup la 
mer revint du cûté du rivage. et dépassa de beaucoup sa 
limite habituelle. Tous ceux qui étaient en dehors de la 
ville de ce cété-la furent engloutis. Une caravane qul se 
rendait a Morrakch. et qui contenait un grand nombre 
d’animaux et de gens, péritentierement. La mer repoussa 
jusqu’a une tres grande distance dans YPintérieur les 
allêges et les canots qui se trouvaient sur le fleuve. Envi- 
ron vingt-six jours après, il se produisit un nouveau 
tremblement de terre, plus violent que le premier, après 
la priéere du ‘acha; ce fut celui-la qui causa tant de dégats 
a Méeknês, que près de 10.000 personnes périrent sous les 
ruines, ainsi qu’a Fes, où il fit beaucoup de mal. » Voyez 
ce que cet auteur dit a ce sujet, car il décrit év énement 
avec beaucoup de développements. 

Le dimanche 28 rabi II 1177, il y eut une éclipse de 
soleil, pendant laquelle le soleil apparut comme un crois- 
sant, puis se remit a briller presque aussitûêt. 

Le dimanche 28 rabi’ II 1181, mourut le chérif baraka 
Moûlay Efttayyêb ben Mohammed Elouazzani, ù age de 
plus de quatre-vingts ans. 

Le mercredi 28 djoumada I[°' 1192, après la prière du 
‘asar, il y eut une éclipse de soleil; obscurité fut si com- 
plêete qu'on vıt les étoiles. Au bout d'une demi-heure en- 
viron, le soleil reparut. 

Dans les années qui suivirent année 1190, eut lieu une 
grande famine dans le Magrib ; il n'y eut pas de pluie, la 
sécheresse se produisit et il y eut des désordres dans le 
pays : cette situation dura près de sept ans. 

Dans les derniers jours de rabi’ II 1194, mourut le 
chéikh très docte, imam, le scrutateur éminent Aboû 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 383 


‘Abdallah Mohammed ben Elhasan Bennûni Elfêsi, le 
fqth bien connu. Il est auteur de beauxouvrages, comme 
sa remarquable Hdûchia sur le commentaire du Mokhiaşar 
de Khelil par le chétkh ‘Abdelbûaqi Ezzerqûni. Dans sa 
Hûchia, le très docte Errhoûni dit qu'a la nouvelle de la 
mort de ce personnage, le chéîkh Ettûoudi ben Soûda se 
mit û pleurer. Quelqu'un l'ayant rencontré lui dit: « Que 
Dieu envoie sur vous sa bénédiction! — I1 ne reste plus de 
bénédiction maintenant que cet homme a disparu », répon- 
dit le chéîikh qui connaissait la valeur du défunt, 

Le samedi 18 safar 1196, au matin, mourut le chérif 
baraka Moûlay Ahmed ben Ettayyêb Elouûzzûni (Dieu lui 
fasse miséricorde et nous le rende utile, lui et ses ancê- 
tres: ainsi soil-il!). 


Révolution au Magrib : apparition des trois rois, fils de Sidi 
Mohammed ben ‘Abdallah ; résultats de cette situation '. 


Aprés le meurtre de Moûlay Yazid (Dieu lui fasse misé- 
ricorde !) û Morrûkch, la division éclata dans le Magrib. 
les gens du Hoûz et de Morrûkch restêrent fidêles au parti 
(dle ا‎ fut vivement soutenu par le qûîd 
Aboî Zêeîd ‘Abderrahmûn ben Nûşer El'abidi, gouverneur 
de Safi et des territoires circonvoisins, par le qûîd Aboû 
‘Abdallah Mohammed Elhûchmi ben °Ali ben El'aroûsi Ed- 
doûkkAli Elboûzirûri. D’un autre cêté, Moûlay Moslana 
ben Mohammed, frère utérin de Moûlay Yazid, quı était 
son khalîfa pour les pays d'Elhabt et du Djebel, et qui 
administrait les ports de cette région, dont il surveillait 
les affaires, se mit, dès qu'il apprît la mort de son fréêre, 
û appeler sous son autorité les habitants de ces contrées 
qui le proclamêèrent d'un commun accord. Enfin, dès qu'ar- 


1. Texlo arabe, IV" partie, p. 139. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 383 


tribus du Şahûra û son frère Moûlay Yazid, qui avait célébrê 
son arrivée et | généreusement traité ses compagnons. 1 
resta ensuite û Fès jusqu’a la mort de Moûlay Yazid, qui 
eut lieu û la date précitée. Dêés qu'ils reçurent la nouvelle, 
les habitants de Fèés s'accordèrent avec les ‘Abids, les 


Oûdêya et les Berbers pour lui prêter serment de fidélité,. 


û cause de sa science, de sa piétê, de son mérite el de 
toutes les glorîetîsés qualités qul le distinguaient spécia- 
lement. Les ‘Abîds et les Berbers de Méknès vinrent après 
cela û Fès se joindre aux notables des Oûdêya et aüix habi- 
tants de la ville, et acclamêrent Moûlay Slimûn Prince des 
Croyants lée de Moûlay Idris (Dieu soit satis- 
fait de lui !) le lundi 17 rejeb 1206. Une fois en possession 
de la bét'a, il se rendit û Fès Eljedîid et s'y installa, au 
Palais impérial. Il y reçut successivement les dépulalions 
des tribus arabes et berbéres apportant leurs présents, 

puis celles des tribus de Beni Hsen et du Garb, ensuite 
les délégués d’El'odoûatéin, Salé et Rabat Elfeth, ù excep- 
tion toutefois d'une partie des habitants de cette ville qui 
ne voulurent pas lui prêter serment, comme nous lê ver- 
rons plus tard, puis les envoyéês des ports d’Elhabt, qui 
tardêrent pendant quelque temps ã lui prêter serment, 
parce que Moûlay Moslama y avait été proclamé, ainsi que 
nous l'avons rapporté. 

Voici le texte de la béî'a des habitants de Fès: 

« Louange ù Dieu seul ! 

« Dieu prie pour notre Seigneur Mohammed, pouf sa 
famille et ses compagnons ! 

« Louauge û Dieu qui a fait du Khalifat le trait d'union 
entre la religion et les aflaires de ce monde, qui lui a 
donné le rang le plus élevéê, qui a fait resplendir son soleil 
sur les mondes, qui a éclairé de sa lumière les routes deê 
la terre, qui, grûce û lui, constitue la vie terrestre et la vie 
future, qui a établi par lui unité des ceurs de ses ser- 
viteurs, citadins ou cam pagnards, qui l'a assigné comme 


ARCH. MAROC. 27 


e 


386 ARCHIVES MAROCAINES 


protecteur des vies, des biens et de Phonneur, qui, p27 

lui, enchaîne les bras des oppresseurs et les empêèche dê 
réaliser leurs projets corrupteurs, qui, par lui, veille au .* 
affaires des créatures et ù exécution des lois sacrées, des 
défenses et des jugements, qui a élevé son flambeau pou —#' 
servir de guide dans la voie droite et appeler ù la vérit@, 
si bien qu’è son ombre spacieuse viennent s’abriter le fort 
et le faible, le vilain et le noble. Béni donc soit celui qu mi 
a décrété et conduit dans la bonne voie, qui n’a pas aban- #®- 
donné homme livré ù lui-même, mais, au contraire, lu mi 
a dicté des ordres et des défenses, l'a mis en garde contra “e 
les passions, et lui a fourni les moyens d’accomplir le sS 
ceuvres obligatoires et surérogatoires, c’ est le plus équitablas Je 
des juges ! Si Dieu n’avait pas soutenu les hommes les un ass 
par les autres, univers eût été livré ù la corruption_ #. 
Mais Dieu est plein de bonté pour le monde. Une dez ss 
marques de sa miséricorde est la création des rois et l'éta— ga- 
blissement des routes, car sil livrait les hommes ù anar— 77~ 
chie, ceux-ci s’entredévoreraient et ce serait la ruine; Z °? 
sans le Khalifat, nous n’aurions point de sécurité sur les ZZ S 
chemins, et le fort dévaliserait le faible. 

« Les prières et le salut soient sur celui qui a été en- îr 
voyé par compassion pour les créatures, qui est origine #* 
et le principe de tout ce qui existe, la perfection complète, 
le seigneur des amis de Dieu, imam des prophètes et 
le chef de tous les purs, — sur sa famille qui a droit è la 
gloire universelle au rang suprême — et sur ses com pa- 
gnons les khalifes orthodoxes, les guides dans la voie 
droite qui ont établi les bases de la religion, fixé ses 
rêgles et appris que le Prophète (Dieu prie pour lui et lui 
donne le salut !) a dit: « Dieu a attribué le privilège de la 
« royauté ù la tribu de Qoréich, et a fait descendre sur 
« elle la révélation : Dieu donne le pouvoir a qui lui 
« plait. » 

« Dieu (qu'il soit glorifié, lui qui seul dure et est éter- 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 887 


nel !) ayant décidé que le trépas inéluctable devait ãtteindre 
celui qui avait la charge du pouvoir immense, et le trans- 
porter dans la demeure où il pardonne et agrée (Dieu le 
place dans le vaste paradis, et répande sur son tombeau 
les ondées de sa miséricorde et de son pardon !) la popu-= 
lation a dû faire choix d'un imûm, en raison de ces pa- 
roles du Prophéète (sur lui soient les priêres et le salut !) : 
« Celui qui meurt sans qu'a son cou soit suspendue une 
« bêt'a, meurt d'une mort paîenne. » Préoccupées de 
savoir qui elles appelleraient û ces hautes fonctions et 
suivrait envers elles la voie droite, leurs pensées et leurs 
imaginations se sont livrées û la réflexion. La bonne direc- 
tion et la protection ‘divine jeu. ont-indiqué_celuî quLa_ 
8 ect de na, la 


E aqas a sotakiataacê des RISES et sı i 

expérience, un jeune homme en qui Dieu a réuni la fer- 
meté_et_la douceur, qu'il a revêtu de considération ef dê 
respect, et û qui il a fait gravir les degrés de la puissance 
et de la gloire, le héros intrépide, le chef courageux aux 
ualités pures et Sans tache, aux euvres glorieuses et évis- 
entes, au rang éleyé, unique de son siecle, le seul des 
temps, :mps,_ Aboûrrabi ' Moûlûna Slimûn, fils ils du Prince des 

Croyan mmed, fils du Prince des Croyants 
Moûlana Abdallah, fils du Prince des Croyants Moûlûna 
Ismã îl, fils de Moûlûna Echchérîf. Les habitants de cette 
capitale idrisienne et des terres qui Tentourent sont tom- 
bés d'accord pour le prendre comme chef et comme imûm : 

il considêrent son élévation ù 'Êmiratet au Khalifat comme 
de bon augure, et s'empressent de le désigner et de luî 
adresser leur bét'a contractée sur les étendards de la vic- 
toire, et dont la félicité s'élêve dans les régions de la paix. 


DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 389 


pour ceux qui rapportent leurs paroles et reçoivent leurs 
enseignements. Ainsi soit-il! 

« Le 18 du mois sacré de rejeb unique de année 1206, 
de 'hégire de UElu, sur lui soient les meilleıures prières 
et le salut le plus pur! » 

« Le plus pauvre des serviteurs du Trêés-Haut, le servi- 
teur de Dieu, Mohammed Ettûoudi ben Ettaleb Gen Soûda 
Elmourri (Dieu le prolêge € re d'égaı 
Ben bttaoudi (Dieu le prenne par la main, le ری‎ en 
toutes choses, et lui fasse obtenir la récompense et la 
rémunéralion !); le serviteur du Très-Haut, Mohammed 
_ ben ‘Abdesselam Elfèsi (Dieu le favorise ! Ainsi soit-il !); 

 "Abdelqêãder ben Amed ben El'arbi Ben n Cheqroûn (Dieu 

le prolége de sa grûce! Ainsi soit-il !); Mohammed ben 
Ahmed Bennis (Dieu le protêge et le secoure:! Ainsi soit- 
il !); l'esclave de son maitre et celui de ses esclaves qul a 
le plus besoin de lui, Mohammed ben ‘Abdelméjid Elfèsi 
(Dieu le favorise !) ; esclave de son maitre, tre, Yah û ben El- 
chchefchûouni Elhasani (Dieu le favorise I; T'es- 
clave de son maitre, Ali ben Dris (Dieu le protêége et le 
favorise ! Ainsi soit-il !}; esclave de son maitre, Mohamı- 
med ben Brûhîim (Dieu le favorise !); esclave de son 
maître, Mohammed ben Mes'oûd Ettrenbûti (Dieu le sou - 
tienne de sa grûce ! Ainsi soit-il !) ; esclave de son maitre, 
Sliman ben Ahmed connu sous le nom d’Elfichtali (Dieu 
le protêége et amêéliore !) ; "esclave de son maître, Mohaın- 
med Elhûdi ben Zéin El Abidin El'irûqi Elhouséîini (Dieu 
la soutienne !); esclave de son maitre, Mohammed Etta- 
hami Tahar Elhasani (Dieu le soulienne ! Ainsi soit-il !) ; 
‘Abdelmûlék ben Elhasan ElfQdili Elhasani (Dieu le favorise ! 
Ainsi soit-1l !) ; esclave de son maitre, Drîs ben Hûchém 
Elhasani Eljoûti (Dieu le favorise ! Ainsi soit-il !). » 


DYNASTIE ALAOUTITE DU MAROC 391 


Bousldn. Cette version est corroborée par celle de la 
famille Fréj, qui attribue û cette affaire origine suivante. 
La famille Merîno, qui jouissait d'une grande influence 
du temps de Moûlay Yazid (Dieu lui fasse miséricorde !), en 
avait profité pour intriguer auprès de lui contre la famille 
Fréj, en prétendant que celle-ci s'était emparée d'un dépût 
d'argent que lui avait confié le vizir Aboû ‘Abdallah 
Mohammed El'arbi (Qûdoûs. Moûlay Yazid avait empri- 
sonné les membres de cette famille et les avait forcês û 
rendre cet argent. L'inimitié avait éclaté entre les deux 
familles, et, û la mort de Moûlay Yazîd, les Merîno et leurs 
partisans s’étaient empressés de proclamer Moûlay Mose 
lama, tandis que leurs antagonistes avaient prêté serment 
a Moûlay Slîmûn. 

Quand El'abbûs Merîno fut mort, les mauvais sujets de 
Rabût Elfeth s’'emparêèrent de son cadavre, lui alttachêèrent 
une corde au pied et le traîinêrent dans les marchés de la 
ville, s'arrêtant successivement devant toutes les bou- 
tiques, car, pendant sa vie, El'abbêûs avait été mohtaseb 
(Dieu lui fasse miséricorde !) 

Pendant ce temps, le sultan Moûlay Slîimûn demeurait û 
Fês el n'en sortait pas, mais bientût Moûlay Moslama, 
possesseur des pays d'’Elhabt, envoya son fils chez les Ait 
Yimmoûr, pour leur ordonner d'attaquer les gens de 
Zerhoîin qui obéissaient au Sultan. Cet ordre fut exécuté 
et les gens de cette tribu se livrêrent au brigandage. Le 
sultan Moûlay Slimûn se rendit alors ù Méknès. Il convo- 

des ‘Abîds etles tribus berbères, puis, rejoint‏ ب ی ا 

par les Oûdêya, les gens de Fès et les Chrûga, il attaqua 
les Aft Yimmoûr, qu'il rencontra prês du fleuve Sbou, û 
Vendroit appelê Elhejar Elouaqéf. Les soldats lombêrent 
Sur eux et leur infligêrent une terrible défaite. Le fils de 
Motilay Moslama prit la fuite et se rendit auprês de son 
pêre, tandis que les Ait Yimmoûr allaient se réfugier au 
Djebel Selfat, abandonnant leurs campements et leurs 


392 ARCHIVES MAROCAINES .. 


effets entre les mains du Sultan, qui les laissa piller par 
les ‘Abids, les Oûdêya et les Berbers de son armée. Le 
Sultan passa la nuit la. Dès le lendemain matin, les 
femmes et les enfants des Ait Yimmoûr vinrent intercéder 
auprês de lui et lui demander grace. Le Sultan leur ayant 


—pardonné,y ils revinrent auprès de lui et lui jurèrent fidé- 


Tité; il leur accorda la restitution de leurs troupeaux et 
de leurs effets, puis rentra ù Fès. 

Ayant apprıis ensuite que Moûlay Moslama battait la 
campagne chez les Hayaûina, il quitta Fès pour marcher 
contre lui et vint attaquer. Moûlay Moslama et son arméee 


furent mis en déroute, tandis que celle du Sultan livrait au 


pillage les campeınents des Hayûaina. Ceux-ci vinrent expri- 
mer leur repentir et reçurent leur pardon, a condition 
qu'ils se rangeraient dans les rangs de la communauté. 
De leur cûté, les ‘Arabs Elkhlot et les habitants du Dje- 
bel qui étaient pour Moûlay Moslama, se séparêèrent de ce 
prince, qul, n’ayant plus avec lui que les gens de son en- 
tourage, ses deux fils et son neveu, Moûlay Hasan ben 
Yazid, partit pour le Djebel Ezzebîtb ; mais les habitants de 
cette montagne le repoussèrent. De lè il se rendit au Rif, 
où on ne fit pas attention û lui, puis dans la montagne 
des Beni Yznãsén, qui le chassèrent, ensuite ù Nedroûma, 
dont le gouverneur, sur ordre qu'il en avait reçu, Uenı- 
pêcha d’aller chez le bey possesseur d@Alger. Enlin il 
arriva a Tlemsên, où il séjourna pendant quelque temps. 
« Je le rencontrai dans cette ville, dit auteur du Bous- 
ldn, dans le mausolée du chéikh Boû Medien, a El'ob- 
bûd. » C'était au moment où cet auteur, qui avait aban- 
donné le sultan Moûlay Sliman, était allé aussi se réfugier 
ù Tlemsên. Il prétend que lorsqu'il retrouva ce prince, 
celui-ci lui reprocha d’ avoir détourné les gens de lui prê- 
ter serment et de les avoir engagés û reconnaitre son 
frère Moûlay Slimûn. « Je lui fis comprendre, dit cet au- 
teur, la situation de Moûlay Slimêan qui continuait les tra- 


394 ARCHIVES MAROCAINES 


ces deux princes au sultan Moûlay Slîman, qui reçut son 
émissaire et lui envoya l'ordre de se rendre a Sijilmdsa, où 
il devrait résider dans la maison de son père, recevrait les 
sommes nécessaires pour sa nourriture et ses vêtements, 
et d’autres cadeaux qui lui étaient promis, mais il devait 
rester è écart des fauteurs de troubles qui ne trouvaient 
aucun moyen d’allumer le flambeau de la révolte. Cette 
réponse de son frère ne le satisfit pas: il retourna en 
Orient, où il ne cessa d’aller et venir jusqu’au moment où 
la mort vint le prendre, le débarrassant des peines de ce 
bas monde (Dieu lui fasse miséricorde !). 


Pillage par les ‘Arabs Angêd de la caravane du pêlerinage 
magribin et ses conséquences!. 


Le sultan Moûlay Slimêan (Dieu lui fasse miséricorde !) 
apprit, peu de temps après, que les ‘Arabs Angad avaient 
attaqué et pillé sur leur territoire une troupe de négo- 
ciants et de pèlerins, qui venaient dQ’ Orient et avaient 
quitté Oujda pour se rendre è Fès. Le Sultan (Dieu lui 
fasse miséricorde !) convoqua aussitût le secrétaire Belqê- 
_sém Ezzayûni, et lui donna l'ordre de partir pour Öujda et 
dy prendre le commandement de cette ville, afin de 
rétablir le calme dans la région environnante. Cette déci- 
sion déplut a Ezzayani qui chercha û en obtenir le retrait, 
mais le Sultan ne écouta pas et l'invita ù rejoindre son 
poste, en le faisant accompagner par cent cavaliers. Il] dut 


' obéir malgré lui, mais résolut, sil quittait le Sultan, de se 


rendre dans un des nobles sanctuaires et d’y passer le 
reste de ses jours. Il réunit donc tout argent qu’il avait 
sous la main et partit. Une caravane de négociants qui 
était retenue ù Fès, profita de son départ pour se mettre 


1. Texte arabe, IV* partie, p. 132. 


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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC 395 


en ٌ rolitêe avec lui. Mais les ‘Arabs Angûd les altendaient, 
et quand ils se trouvêrent sur leur territoire, fondirent 
sur eux et leur livrèêrent combat. Les cavaliers du Sultan 
commencérent par en saisir quelques-uns, mais les ‘Arabs 
étaient plus nombreux et les taillèêrent en pièces. De ces 
cavaliers il ne resta plus que le .qûîd et dix de.ses hommes. 
Les ‘Arabs pillêèrent tous les effets et marchandises des 
négociants de la caravane ; ceux d'entre eux qui s'échap- 
pêrent ne sauvêrent que leur personne. « Nous nous réfu- 
giûmes, dit Ezzayûni, û Qasbat El'oyoûn : notre troupe 
s'était dispersée, sept d'entre nous avaient été tués el 
les autres blessés. Je fis apporter les morts, et quand nous 
les eûmes enterrés, j'envoyai le qad û Oujda avec quel- 
ques ‘Arabs de Yendroit, tandis que je me rendis moi- 
mêmée dans la montagne des Beni Yznûsén, accompagné 
de Berbers de cette tribu, n'ayant plus avec moi que ma 
bête de selle et un autre cheval qui avait servi de mon- 
ture û mon esclave tüé dans le combat. Je finis par arri- 
ver û Oranı, où je descendis chez le bey Mohammed Bûcha. 
Celui-ci me témoigna ses regrets et sa douleur, et insista 
pour mie faire rêster auprès de lui, mais je refusal. » 
Ezzayûni raconte qu’ après cela il alla û Tlemsên, oû il re- 
trouva Moûlay Moslama ; ils s'adressèrent des reproches 
réciproques, ainsi que nous l'avons déja raconté. Ceci se 
passait û la fin année 1206. 


Le sultan Moûlay Slimêan envoie des troupes dans le Hoûz; 
il part aprês elles pour Rabãt Elfeth, puis revient û Fês, 


Ainsi que nous avons précédemment rapporté, les habi- 
tants de Morrûkch et les tribus du Hoûz avaient déjû em- 


brassé lé parti de Moûlay Hichûm ben Mohammed, sous le 


1. Texte arabe, IV* parlie, p. 132.