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LA
GORPOBATION DES MÉNÉTRIERS
1
i
l ET
LE ROI DES VIOLONS
Extrait de T Investigateur,
Journal de la Société des Études historiques.
Septembre-Octobre 4879.
TIRAOE
150 exemplaires à Ifr. 50 c.
50 — • sur velin fort à. . . i2 50
LA 14 f> ^
/
3^
CORPORATION DES MÉNÉTRIERS
ET
LE ROI DES VIOLONS
PAR
EUGENE D'AURIAC
BIBLIOTHECAIRE A LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE
PARIS
E. DENTU, ÉDITEUR,
Librairie île la Société des Gens de Lettres
PALAIS-HOYAL, 15-17-19, GALERIE d'oRLÉANS
1 8 8
ftB 18 1971
^ »
r
.-^
LA CORPORATION DES MENETRIERS
ET
LE ROI DES VIOLONS
I
TROUVÈRES ET TROUBilDOURS, BATELEURS ET BALADINS.
À une époque où il est sans cesse question de concerts, d'orphéons,
de fanfares et de symphonies, quand le goût de la musique se répand
de plus en plus dans toutes les fractions de la société, j'ose espérer
qu'on ne trouvera pas déplacée la tentative que je fais de raconter
l'existence souvent accidentée de la corporation des Ménétriers ou
joueurs de violon.
Et d'abord, qui donc a donné naissance aux diverses sociétés
chorales et instrumentales, si ce n'est le modeste violoneux? Cet
humble musicien n'était pas toujours, il faut le dire, un simple
racleur d'instrument, un musicien de carrefour, dont les talents,
bornés à l'amusement du peuple, devaient être relégués dans les
guinguettes. C'était souvent un artiste. Dans les pays du Nord, on
le nommait trouvère; dans le Midi, il prenait le nom de troubadour,
et plus tard on l'appela partout ménestrel.
i
2 LA CORPORATION
Les artistes musiciens de nos jours me pardonneronl-ils de faire
remonter leur origine à de pauvres jongleurs? J'ose l'espérer.
Toutefois ils m'en voudront, j'en suis sûr, si je constate que la
cupidité, l'insolence et les mœurs déréglées dç ces jongleurs les firent
bannir du royaume par Philippe-Auguste. Mais je me hâte d'ajouter
qu'un autre roi, un roi pieux, Louis IX, les autorisa à rentrer et à
exercer hbrement leur profession. Et, le croirait-on, il leur ouvrit
gratuitement les portes de la capitale ! Ce bon roi les exempta, en
outre, du droit de péage imposé à tous les habitants, à l'entrée de
Paris, sous le Petit-Ghâtelel > à la seule condition qu'ils feraient sauter
leurs singes et chanteraient une chanson devant le péager (1).
C'est donc à ces sauteurs musiciens, à ces artistes ambulants que
l'on peut faire remonter le proverbe si connu : Payer en gambades ou
en monnaie de singe.
Les jongleurs étaient, comme leur nom l'indique, des bateleurs,
des baladins qui amusaient le peuple ; aussi ne doit -on pas s'étonner
si, dans un temps où il n'y avait pas de spectacles, pendant les xi® et
XII® sièclesj ils eurent un grand succès. Quelquefois ils accompagnaient
les trouvères, et alors ils remplissaient par des tours d'adresse les
intermèdes entre les chants du poète. « Leurs fonctions consistaient
à faire des tours de gibecière, à faire sauter des singes, à exercer
dî^ns les cercles ou devant la populace curieuse les autres fonctions
de bateleurs, au son des vielles dont ils se faisaient accompagner » (2).
Parmi les conseils donnés à un troubadour du xiir siècle, 'se trou-
vent les suivants qu'il est bon de connaître :
d Sache, bien trouver, bien rimer, bien proposer un jeu-parti (3) ;
sache jouer du tambour et des cymbales, et faire retentir la symphonifi
(la vielle) ; sache jeter et retenir des petites pommer avec les couteaux,
imiter le chant des oiseaux, faire des tours avec des corbeilles et faire
(1) Livre des Métiers^ d'Etienne Boileau, publ. par Depping, p. è87.
(2) Abrégé historique de la Méneslrandieypar Besche l'aîné. Versailles, 1774. Voyez
aussi, pour Ids divers talents exigés des jongleurs, le Jioman de Flamenca, dans le
Lexique de Raynouard, et le Fadetjoglar dans les Poésies des Troubadours du môme
éditeur,
(3) Les jeux-partis, fort usités au m^yen-â^e, se composaient généralement de
demandes et de réponses que se renvoyaient deux personnes.
DES MÉNÉTRIERS. 3
sauter au travers de quatre cerceaux ; sache jouer de la citole (1) et
de la mandole, manier le manicorde et la guitare, garnir la roue avec
dix-sept cordes, jouer de la harpe et bien accorder la gigue pour égayer
Tair du psaltérion. Jongleur, tu feras préparer neuf instruments de
dix cordes. Si tu apprends à en bien jouer, ils fburniront à tous les
besoins ; fais aussi retentir les lyres et résonner les grelots. t> (2)
Aux fêtes du mariage de Robert, comte d'Artois, firère d^
Louis IX, qui furent célébrées à Compiègne, le 14 juin 1238, étaient
de véritables jongleurs exploitant également la poésie, la danse, la
musique, l'escamotage, la prestidigitation, la lutte et l'éducation des
animaux. Us chantaient eux-mêmes leurs poésies^ en s'accompagnant
de la vielle, de la guilerne et du rebec ; mais, dans les intervalles de
leurs chants, l'un traversait les airs sur une corde, un second se
faisait remarquer par son agilité ; enfin d'autres, montés sur des
bœufs couverts de drap écarlate, sonnaient du cor à chaque plat que
l'on servait sur la table du roi (3).
Allant de ville en ville, de village en village, les ménestrels
célébraient Jour-à-tour la valeur des héros et les exploits des chefs,
les doux combats de l'amour et les tendres conquêtes dps amants, la
vie tumultueuse des camps et l'existence paisible des cloîtres. De
l'humble chaumière ils montaient au donjon féodal, portaient souvent
des messages et favorisaient les entreprises galantes* Enfin, par le jeu
de leurs instruments, ils égayaient les spectacles publics, les fêtes
solennelles et les entrées triomphales des souverains.
N'oublions pas d'ajouter que partout on aimait à entendre les
poétiques accents de leur muse. Admis dans l'intimité du foyer
domestique, ils prenaient part aux divertissements de famille,
composaient des épithalames pour les jeunes mariés, amusaient de
leurs récits les convives, et faisaient ensuite danser tout le monde (4).
Du reste, flatteurs du peuple comme il$ étaient flatteurs des grands,
(1) C'était probablement, dit Bottée de Toulmon, un instrument à cordes analogue
à la lyre.
(2) Ghéruel. Dict. hisU des institutions, mœurs et coutumes de la France. y° Jongleurs.
(3) Histoire de saint Louis, par le M" de Villeneuve-Trans. T. I, p. 225.
(k) G. Kastnér. Les Danses des Morts. Paris, 1852, p, 144.
i LA CORPORATION
ils cherchaient partout à m concilier les sufirages de leurs auditeurs,
mais malheureusement, c'était trop souvent aux dépens de la vérité.
Quelques-uns cependant osaient parler avec franchise au nom de la
justice et du droit méconnus. Ils se faisaient ainsi les interprètes des
ressentiments ou des jalousies des castes qui divisaient alors la
société ; et dans ces cas, ils avaient souvent l'adresse de mêler à leurs
gracieux accents des traits fins et acérés, qui allaient droit au but,
sans blesser directement personne.
En résumé, les jongleurs et ménestrels étaient d'amusants conteurs
qui venaieut égayer le foyer domestique. Ils y exécutaient leurs chants
accompagnés de musique, et se montraient même quelquefois ora-
teurs habiles, sachant déguiser avec art leurs témérités.
Il
JONGLEURS, TROMPEURS ET FAISEURS DE VIELLES.
Dans les temps anciens, on ne saurait trouver, parmi les ménestrels
et joueurs d'instruments divers, que des individus isolés, n'ayant entre
eux d'autre lien que celui de la communauté de profession. Cepen-
dant ces individus devaient avoir une certaine importance, si l'on en
juge par les poésies qui nous restent d'eux et par le nombre de fabliaux
dans lesquels ils jouent un rôle au moyen-âge (1).
Quelques uns d'entre eux ont en effet laissé des chansons, des com-
plaintes, des légendes qui sont parvenues jusqu'à nous. Ainsi Rutebeuf,
dont Achille Jubinal publia les œuvres en 1839, allait partout chan-
tant ses satires pleines de verve et d'originaUté. Jean Bretel, d'Arras
et Jean Bodel, également d'Arràs, qui accompagna Louis IX à sa pre-
mière croisade, acquirent de la même façon une grande célébrité.
Chacun récitait leurs poésies comme on chantait par les rues et sur
les places publiques les gais refrains composés par Vynot le Bour-
guignon.
(1) Voyez, dans les Fabliaux el Contes recueillis par Barbazan et Legrandd'Aussy,
DES MÉNÉTRIERS. 5
C'est à cette époque^ au xiip siècle seulement que l'on peut établir
les premières traces d'association chez ces artistes nomades. Un
nouvel ordre de chose commence alors pour eux. La corporation se
forme ; l'esercice de Tart ne tardera pas à être soumis à des règles
et à des devoirs.
Dès Tan 1292, nous voyons, dans les rôles des tailles payées à là
ville de Paris, qu'il existait un certain nombre de musiciens désignés
sous la qualification àejugléeurs ou jongleurs, trompéeurs ou joueurs
de trompe, et enfin de féseurs de vielles. Ces individus, presque tous
réunis sur un même point de la ville, avaient déjà donné leur nom à
la rue des Jugléeurs (\), qui devint, au commencement du xv*» siècle,
la rue des Ménestrels, puis enfin celle des Ménétriers (2).
C'était donc à la rue des Jugleurs que Ton s'adressait pour se
procurer ceux qu'on voulait employer dans les fêtes, dans les noces et
dans toutes les assemblées de plaisir. On y trouvait tout à la fois « les
jongleurs d'aucuns instruments et les ménestrels de bouche qui
exploitaient plus particulièrement le domaine de la chanson » (3).
Connus comme jongleurs parmi le peuple, ils étaient surtout aimés
et recherchés comme musiciens et comme poètes parmi les grands.
C'est par eux que les poésies romanesques et burlesques se ré-
pandaient dans toutes les classes de la société. Sans eux, un poète
n'aurait jamais pu se faire connaître. Aussi ne tardèrent-ils pas à
acquérir une véritable importance, et l'on verra bientôt que leur
profession devint rapidement lucrative et honorable.
Hâtons-nous de dire que la profession de jongleur était très
populaire vers la fin du xiii^ siècle. Et quand je dis très populaire,
les deux Ménétriers, saint Pierre et le Jongleur^ etc.
(1) H. Géraud. Paris sous Philippe le Bel. Paris, 1837, p. 61, 68.
(2) On peut, à titre de curiosité, rappeler ici que Talmavit le jour dans. cette rue des
Ménétriers le 15 janvier 1763. L'historiographe A. Jal, qui a reproduit l'acte de nais-
sance de notre grand tragédien dans son Dictionnaire critique de biographie et
d'histoire, nous apprend que Talma était fils de Michel -François- Joseph Talma, valet
de chambre et d'Anne Mïgnolet, son épouse. Il nous rappelle également que le père
de Talma quitta un jour le tablier de domestique pour embrasser la profession de
dentiste qu'il alla exercer à Londres.
(3) Pour les ménestrels de bouche, v. Comptes de Vhâlel du roi Charles F/,
chap. Dons. — Archives nationales, K 242,
/
6 LA CORPORATION
je donne à ce mot toute Textension doB^ il est susceptible, car il ne
faut pas oublier que, s'ils étaient les musiciens du peuple, les
jongleurs s'employaient également à divertir les grands.
Ainsi nous savons, d'après certains états des officiers <le la cour,
que Philippe-le-Hardi, fils de saint Louis, et Philippe-*le-Bel, entre-
tenaient auprès d'eux des jugleurs et trompeurs formant un corps de
musique. A côté des musiciens de Paris, ils appelaient même parfois
ceux de la province, et nous remarquons, dans le nombre, deux
diampenois : i^ Jean Charmillon, qui finit par devenir chef des
màttestréls de la ville de Troyes (4) ; 2® Colin Muset, célèbre ménestrel
du XIII® siècle, dont nous avons quelques poésies, et « qui alloit, dit
Cl. Fauchet, par les cours des princes, jouant d'un vielle qui n'étoit
point pareille à celle dont on se servit plus tard yi> . Fauchet veut
certainement désigner ici le rebecy espèce de violon à trois cordes,
accordé de quinte en quinte, et dont le son était, parait-il, fort aigre.
m
PREMIER RâGL£MENT DBS JONGLEURS BT MÉNESTRELS.
Il n'est personne qui ne sache que nos rois faisaient jadis des
distributions annuelles de vêtements aux personnes de la cour, et je
(a'ois inutile de rappeler que ce fut ainsi que Louis ÏX enrôla pour la
croisade nombre de gentilhommes auxquels il fit prendre des
casaques toutes préparées la nuit de Noël 1245. (2) Eh ! bien, les
ménestrels de la cour, d'après un règlement de l'hôtel du roi, donné
par Philippe-le-Long en 1347, prenaient part à ces distributions
annuelles de vêtements. Ils avaient aussi bouche à la cour, c'est-à-
dire qu'ils recevaient le pain, le vin et la.viande aux principales fêtes
de l'année.
Ainsi admis auprès des princes, ils égayaient, par leurs voix et par
leurs instruments,. les festins royaux. On les nommait alors ménestreux
(1) Abrégé hislor, de la Ménestrandie, car M. Besche Taîné, VersailleB, 1774. p. 7,
- Du Gange. Glossarium, v. JugkAores,
(2) H. Martiu. HisU de France, 4« édit., t. IV. p. 206.
DES MÉNÉTRIERS. 7
OU ménestrels du mot latin ministrelluSy diminutif de minuter, qui
signifiait petit officier. Or, ce4te dénomination, employée d'abord pour
désigner seulement les instrumentistes attachés à la maison du roi,
devint bientôt générale, car elle ne tarda pas à passer, comme un titre
d'honneur, à tous ceux qui exerçaient la profession de musicien.
Cependant, les joueurs d'instruments, comprenant que leur industrie
était l'une des plus recherchées, songèrent à la régulariser à l'exemple
des autres métiers. Quelques-uns d'entre eux se réunirent donc, dans
le courant de l'année 1321, pour se concerter. Ils discutèrent leurs
droits, leurs devoirs, et s'entendirent pour concentrer entre leurs
mains les privilèges aussi bien que les profits du métier. Enfin, le
lundi 44 septembre de cette même année 4321, le jour de la Sainte-
Croix, un règlement composé de onze articles fut présenté à la
sanction du prévôt de Paris,, Gilles Haquin, par le ménestrel du roi,
Pariset, au nom de vingt-neuf de ses conôrères et de huit ménestrelles
ou jongleresses (1).
Or, je ferai remarquer tout d'abord que le règlement présenté par
les ménétriers était tout simplement un monopôle que les associés
prenaient en main. En effet, il avait moins pour objet de déterminer
les conditions d'entrée dans le corps que d'exclure du droit d'exercer
la profession quiconque refuserait de faire partie de l'association.
Ainsi rédigé dans un but d'exclusion, et tout imparfait qu'il fôt,
cet acte fut pourtant sanctionné par le prévôt. Vingt ans plus tard, le
22 octobre 1341, il fut vidimé par Guillaume Gourmont, et resta dès
lors comme la base des statuts qui devaient par la suite régir la
société (2).
A dater de cette époque, les ménétriers vécurent sous l'administra-
tion d'un chef qui prit le titre de Roi.
Qu'on ne s'étonne pas de cette qualification. Le nom de Roi
s'employait presque toujours autrefois pour désigner le chef d'un
(1) J*ai cru devoir conserver les noms de ces huit femmes tels qu'ils sont inscrits
au bas du premier document concernant la corporation des ménétriers. C*est
d*abord Isabelle la Rousselle, puis Marcel la Ghartraine; Liegart, famé Bienvie-
gnant ; Marguerite, la famé au Moine ; Jehanne la Ferpière ; Alison, fam^ Guillot-
Guérin ; Adeline, famé G. L*Anglois ; enfin, Ysabiau la Lorraine.
(2) Bibliothèque de VEcole des GMrUt. Série A, t. III, p. 400.
f I
8 LA CORPORATION
corps ou d'une corporation. Ce n'était pas assez d'avoir le Roi de
France^, on se plaisait encore à créer des rois imaginaires, et on
avait alors le roi des archers, le roi des merciers, le roi de la Bazoche,
le roi des barbiers, le roi des ribauds, le roi des ménétriers, et bien
d'autres dont la liste serait trop longue.
On a remarqué que le règlement ou les premiers statuts, dont il
vient d'être question, indique les noms de huit femmes désignées
comme jongleresses ou ménestrelles. La corporation n'avait donc pas
exclu les femmes de la profession, soit qu'elles l'exerçassent en leur
propre nom, soit qu'elles ne fissent que continuer le métier de leur
père ou de leur époux. « Nulle part, en effet, dit B. Bernhard, les
femmes ne pouvaient être admises à plus juste titre que dans une
compagnie ayant pour objet l'art musical, puisque, indépendamment
du chant, à elles appartiennent presque exclusivement le jeu de cer-
tains instruments, tels que la harpe, le luth et la guitare » (1).
Divers manuscrits du xiv® siècle, témoignent, d'ailleurs, du goût
particuUer des femmes pour la musique à cette époque. De jolies
miniatures nous les montrent jouant du luth, de l'orgue, de la harpe,
du tympanon, et même du rebec (2), espèce de violon que nous avons
déjà signalé, et dont Rabelais parle dans son Pantagruel : « Plus me
plaît, dit-ih le son de la rustique cornemuse que les fredonnements
de luths, rebecs et violons antiques. »
Nous ne connaissons aucun document qui nous permette d'affirmer
que les femmes allaient, comme les hommes, faire danser aux fêtes
et aux noces des particuliers ; mais de nombreux témoignages sont là
pour attester qu'elles continuaient à chanter sur les places, dans les
tavernes et dans les hôtels, en s'accompagnant de quelque instrument.
Nous pouvons citer, entre autres, comme preuve de l'exercice des
femmes, un compte de l'hôtel du duc de Berry, fils du roi Jean, où
nous lisons qu'une gratification de trois francs soixante sols fut
donnée à trois femmes ménétrières qui avaient été appelées « pour
chanter et faire feste devant Monseigneur, en son hôtel, à Paris » (3).
(1) n>id. p. 387.
(2) De Laborde, Essai sur Vhistoire de la musique^ U I, p. 256.
(3) Archives nationales, K 229. f» 22.
DES MÉNÉTRIERS. 9
IV
FLEURIE DE CHARTRES. — FONDATION DE L'HOSPICE
ET DE LA CHAPELLE DE S. JULIEN-LE-PAUVRE.
Du moment où lesjoueurs d'instruments de Paris avaient résolu de
former une association, en se donnant des statuts, ils s'étaient sentis
assez forts déjà pour maintenir les privilèges qu'ils voulaient attribuer
à leur profession. Mais un événement important, qui arriva peu de
temps après leur constitution, vînt ajouter à la puissance de la cor-
poration et contribuer à sa stabilité.
.Ils fondèrent d'abord l'hospice de Saint- Julien-le-Pauvre, puis la
chapelle du même nom, qui fut plus tard appelée Saint-Julien des
Ménétriers. Voici ce qui donna lieu à ces deux fondations.
Au commencement de l'année 1328, les habitants de la rue Saint-
Martin connaissaient tous une pauvre femme, dite la Fleurie de
Chartres ou Fleurie la Chartraine, qui était paralytique et avait établi
son domicile dans une charrette. Or, cette charrette semblait éternel-
lement fixée sur un terrain vague, dans la rue Saint-Martin, au coin
de la rue Jean Paulée (1). La malheureuse Fleurie, priant et
souffrant, n'en bougeait ni jour ni nuit. Elle y restait exposée à l'in-
tempérie des saisons et vivait des aumônes des bonnes gens (2).
Un jour, deux ménétriers d'origine étrangère, « lesquels s'entre
aimoient parfaitement et estoient toujours ensemble », furent émus
de compassion et prirent en pitié la pauvre paralytique : ils résolurent
de lui venir en aide d'une manière efficace. A cet effet, ils achetèrent
(1) La rue Jehan Paulée, ainsi nommée, d'après un rôle de 1313, était encore dé-
signée sous le nom de rue Palée ou rue Jehan Palée, dans une déclaration des reli-
gieuses de Montmartre du 3 juillet 1551. Elle allait de la rue Saint-Martin à la rue
Beaubourg. Quelquefois on l'appelait rue Saint-Julien, à cause de son voisinage de
l'église, ou bien encore rue de la Poterne, parce qu'elle aboutissait dans la rue
Beaubourg, à peu de distance de la poterne do Nicolas Huidelou. EnOn en 1640, elle
était connue sous le nom de rue cour du More, et elle est actuellement appelée rue
du Maure.
(2) Du Breul. Théâtre des antiquités de Paris. Paris, 1639, p. 737 et seq.
10 LA CORPORATION
de Tabbesse de Montmartre, moyennant cent sols de rente et huit
livres payables dans six ans, l'emplacement sur lequel Fleurie la
Chartraine avait établi sa résidence.
L'acte est daté du dimanche avant la Saint-Denis de l'an 133Ô (1).
Mais non contents de cette acquisition qui leur donnait une conte-
nance de 36 toises en long et en large, bien insuffisante pour le but
qu'ils se proposaient, nos deux ménétriers achetèrent encore, moyen-
nant une rente de 12 livres 10 sols par an, une maison voisine, située
au coin de la rue Jehan Paulée, et appartenant à Etienne d'Auxerre,
avocat (2).
Comme il me paraît intéressant de faire connaître ces deux braves
ménétriers du xiv* siècle, je dois dire que l'un était Lorrain, l'autre
Lombard. Le premier, nommé Huet, était guette (3) du palais du roi ;
le second, Jacques Grare, dit Lappe, était né à Pistoie, en Toscane.
Devenus ainsi maîtres d'un terrain suffisant, nos deux ménétriers
firent élever sans retard une salle dans laquelle on plaça quelques lits
c au premier desquels fut couchée la pauvre femme paralytique, la
malheureuse Fleurie de Chartres, et n'en bougea jamais jusques à son
décès >.
On pendit à la porte une boite destinée à recevoir les aumônes ; un
clerc, Janot Brunel, qui faisait l'office d'écrivain, de procureur et de
gardien de la maison, eut la mission d'aller quêter par la ville ; enfin,
une femme, nommée Edeline de Dammartin, qui avait abandonné tous
ses biens au nouvel établissement, se chargea volontairement de
veiller aux soins à donner aux malades. Elle avait pension sur l'hôpi-
tal de 48 deniers par semaine (4).
Ainsi se trouva constitué, d'une manière fort modeste, le nouvel
hospice, qui fut placé sous l'invocation de S. Julien le Pauvre, patron
des pauvres voyageurs, et de S. Genest, comédien romain, martyrisé
(1) Ibid. p. 737.
(2) Millin, Antiquités nationales^ t. IV. XLI, p. 5. •
(3) Ce mot, qui vient de guetter, se prenait tantôt pour la haute tour du château
où se tenait celui qui faisait le guet, tantôt pour la personne chargée d'épier, d'ob-
server ceux qui chercheraient à nuire. « Cet homme, dit V. Hugo, passe sa vie dans
la guette, petite cage qui a quatre lucarnes aux quatre vents. »
(4) Du Breul. Théâtre des Antiquités, p. 739.
DES MÉNÉTRIERS. U
sdus Fempereur Dioclétien, en Tan 303. Pour sceller leurs actes, les
fondateurs de Thospice,^ firent exécuter un sceau de cuivre, dont le
sujet était emprunté à la légende de S. Julien.
c Au milieu estoit Nostre Seigneur dans une nef, en guise de cadre;
S. Julien, à l'un des bouts, tenant deux avirons, et à Tautre bout, sa
femme tenant un aviron d'une main et de l'autre une lanterne.,..
Auprès de S. Julien estoit S. Génois tout droit tenant une vieille,
comme s'il vielloit.... Autour du scel estoit escript : C'est le scbI de
l'hospital de Sainct Julien et Sainct Génois i>. (1)
Cependant Jacques Grare et Huet le Lorrain n'avaient pas eu seule-
ment en vue de venir au secours de quelques malheureux. Telle
qu'elle était, leur œuvre était incomplète. Ils voulaient surtout, con-
formément à cet esprit qui régnait au moyen-àge, élever un asile pour
leurs co-associés invalides et offrir un lieu d'hébergement aux méné-
triers étrangers qui passeraient par Paris. En conséquence, ils convo-
quèrent une assemblée de tous leurs confrères, les jongleurs et méné-
triers ; ils leur firent part de leur dessein, et ceux-ci d'une voix una-
nime, décidèrent que la communauté serait établie en confrérie, sous
les noms de Saint-Julien et Saint-Genest. Tous s'engagèrent aussi
à contribuer dès ce jour, selon leurs facultés, aux frais d'achèvement
et de dotation de l'hospice qui venait d'être fondé (2).
Ceè diverses résolutions avaient été prises et arrêtées le 21 août
4831 ; dès le 23 novembre de la même année, la nouvelle confrérie
étfdt approuvée ; enfin, trois ans plus tard, les ménétriers ne possé-
daient pas seulement un hospice, bien installé et pourvu des choses
nécessaires, ils avaient encore pu faire construire une diapell».
Guillaume de Chanac, alors évêque de Paris, leur accorda, sans
tarder, la permission d'y mettre des cloches et de célébrer l'office
dirin ; puis, pour augmenter les ressources des fondateurs, il accorda
vingt jours de pardon à ceux qui visiteraient la nouvelle église, laquelle
fut érigée en bénéfice à la nomination des ménétriers. Ajoutons
cependant que ces autorisations n'avaient été accordées qu'à la suite
d'un engagement écrit, pris en 1333 par Huet le Lorrain et ses compa-
(1) Du Breul, Théâtre des Antiquités^ p. 738.
(2) Ibid.,p. 739.
12 LA CORPORATION
gnons, devant Jean de Milon, garde de la prévôté de Paris. Les méné-
triers s'y obligèrent, tant pour eux que pour les autres confrères et
œnsueurs présents et à venir, à doter, dans l'espace de quatre années,
la nouvelle chapelle d'une rente annuelle de seize livres parisis pour
l'entretien d'un chapelain, de le fournir de tous les objets nécessaires
au service divin, et provisoirement à payer ladite rente au prêtre qui
célébrerait l'office dans l'égUse (1).
La communauté ne se borna pas à prendre cet engagement, elle
contracta encore l'obligation d'indemniser le curé de la paroisse Saint-
Méry, qui prétendait aux droits paroissiaux, sur la nouvelle chapelle,
et, hâtons-nous de le dire, elle donna bien au-delà de ses promesses.
Moyennant une somme de 190 livres, provenant de charités, parmi
lesquelles figure une somme de cent sous donnée par le roi Philippe
de Valois, la communauté acheta, le 15 avril 1337, de Guillemin le
Vicomte, seigneur d'OthyoUes, sur la recelte de la vicomte de Corbeil,
une rente de 20 livres parisis. Et comme le vendeur tenait cette rente
en fief noble du roi, celui-ci, par lettres du 4 janvier 1338, autorisa
la communauté à la tenir au même titre, sans payer finance (2).
Quand toutes ces fondations eurent été bien établies, les ménétriers
et jongleurs procédèrent, par devant Guillaume Gomont, garde delà
prévôté de Paris, à l'élection des maîtres et gouverneurs de l'hôpital.
Ils nommèrent Henriet de Montdidier et Guillaume Amy, fleutettrs,
lesquels, en leur qualité d'administrateurs, poursuivirent auprès du
pape et de l'évêque de Paris l'érection de la chapellenie de Saint-
Julien en bénéfice perpétuel. Le 11 avril 134'4', une bulle du pape
Clément VI leur accorda la collation qu'ils demandaient et, en consé-
quence de cette bulle, Guillaume du Chanac, évêque de Paris, érigea
le 29 juillet suivant, la chapellenie en bénéfice perpétuel qu'il conféra à
Jean de Villars, prêtre du diocèse de Sens, présenté par l'administration.
Dans le règlement qu'il donna pour la nouvelle chapelle, l'évêque
statua que chaque jour, au levé de l'aurore, le chapelain serait tenu
de dire ou faire dire une messe basse à l'autel de S. Julien, et que
(1) Félibien. Histoire de la ville de Paris, i, V, p. 648.
(2) Bibliothèque de VÉcole des Chartes, série A, t. III, p. 392. — Félibien. Hisl. de
la ville de Pam, t. V, p. 652.
DES MENETRIERS. 13
tous les dimanches, ainsi qu'aux cinq grandes fêtes annuelles, aux
fêtes de la Vierge, et à celle de S. Julien, il devrait célébrer une
grand'messe (1). Les administrateurs étaient tenus de lui procurer les
ecclésiastiques nécessaires ; ils fournissaient aussi le luminaire et
donnaient au desservant un logement près de la chapelle (2).
•■ Pendant plusieurs siècles, cette petite chapelle fonctionna sous la
protection de ses premiers règlements ; mais un jour, lé 22 novembre
4644, l'archevêque de Paris, Jean-François de Gondi, voulut enlever
aux ménétriers leur droit de nomination, et, de sa propre autorité, il
commit les prêtres de la Doctrine chrétienne, pour célébrer le service
divin dans Téglise de Saint-Julien. Mais les joueurs d'instruments
n'étaient pas hommes à se laisser déposséder sans se plaindre. Us
réclamèrent et réclamèrent avec énergie. Ils prouvèrent sans peine
que leurs prédécesseurs avaient 'obtenu le droit de nomination à des
conditions qu'ils avaient remplies et, à la suite de divers arrêts, dont
nous parlerons plus loin, ils furent enfin maintenus dans leur an-
cienne prérogative de nommer le chapelain de Saint-Julien des
Ménétriers.
r r
MENETRIERS ERRAWTS ET MENETRIERS ATTACHES AUX PRINCES.
Dans l'origine, les ménétriers étaient poètes aussi bien que musi-
ciens. Comme les troubadours, ils chantaient leurs poésies ; mais,
dans la suite, on distingua le poète du ménétrier qui ne fut plus que
musicien. Le premier cessa d'aller chanter ses vers de château en
château (3), et le second ne tarda pas à devenir un artiste ambulant,
un chanteur des rues, un musicien de carrefour.
(1) Du Breul, dans son Théâtre des AnliquiléSj nous apprend que la première grand'-
messe fut cliantée à Saint-Julien par le prieur des Carmes le dimanche de devant la
Saint-Remi de l'an 1335.
(2) Félibien. Hist, de la ville de Paris,^ t. V, p. 649-654.
(3) Il est reconnu aujourd'hui que les poèmes du xi* au xiv siècle étaient en gé-
néral composés pour le chant. C'est pourquoi ce genre de production était partout
appelé chanson de geste»
/
14 LA CORPORATION
Il paraît cependant que l'on dut mettre un frein à^ rbq|n.eui^i vaga-
bonde des ménétriers, car, le 27 octobre 1372, il leur fut défendu de
jouer, après l'heure du couvre-feu, si ce n'était pour les mariages et
dans l'intérieur des maisons seulement; « que doresnavant nuls
menestriers ne soient si osés ne bardys, disait Varrét, de jouer n^
faire leur métier, soit en tavernes ou dehors, après Theure du couvre-
feu sonnée, si ce n*est que ils soyent à nopces et en l'hostel où les
nopces seront^ sur peine de perdre instruments et de quarante sols
parisis d'amende au roi ». (1)
Et comme à la chanson de geste ils se permettaient trop souvent
d'ajouter la chanson poUtique ou satirique, on leur enjoignit encore,
le 15 septembre 1395, d'avoir à ne plus parler, dans leurs ballades
ou chansons, du pape, du roi, ni des seigneurs de France, « ^ou$
peine d'amende volontaire, et d'être mis en prison deux mois au paio
et à l'eau ». (2)
Il n'est pas besoin de dire que ceux qui se permettaient de critiquer
ainsi le roi ou les seigneurs ne pouvaient être que des ménétriers
errants. En effet, les princes avaient tous, dès le milieu du xjv« siècle,
des ménestrels attachés à leur personne. Ainsi, Charles de Blois, celui-là
même qui ne cessa de défendre ses droits sur la Bretagne contre le
comte de Montfort, Charles de Blois, dis-je, avait des ménestrels. Nous
les trouvons mentionnés dans les relevés de ses Comptes en 1340,
1342 et 1345. L'un d'eux s'appelait Guillot, et un second répondait au
surnom de Trompette.
Le duc d'Alençon, fils de Charles de Valois, n'appréciait peut-être
pas autant les joueurs de vielle ou de rebec, car en 1360, quand il fut
donné en otage aux Anglais pour le roi Jean, il n'avait à son service
que des joueurs de trompe, dits trompeurs.
Trente ans plus tard, les ducs de Bavière et de Bourbon aimaient
au contraire les ménestrels et se plaisaient souvent à les entendre. Ils
les payaient généreusement et leur donnaient même des gratifications
dans les circonstances extraordinaires.
(1) Bibliothèque de VEcole des Charles. Série Â, t. 3. p. 403.
(2) Ibid., p. 404.
DES MÉNÉTRIERS. ; 15
Quand le malheureux ï'oi Charles VI commença à avoir ces accès
de démence qui devaient être si funestes à l'Etat, on essaya de le dis-
traire en appelant son attention sur la musique et le chant des mé-
nestrels. On ne saurait dire, d'après les documents qui nous sont par-
venus, quel était le nombre de ces musiciens ; mais nous pouvons
citer cependant Gubozo et Triboux, qui touchaient des gages dès Tan
1393, et Jean d'Avignon, à qui le roi, ou plutôt la reine Isabeau de
Bavière, fit don, le 24 janvier 4417, d'une rente de soixante sols pari-
sis sur une maison de Paris, pour les bons et agréables services qu'il
avait faits depuis plus de vingt-quatre ans.
Le duc de Savoie, le comte de Nevers, le comte de la Marche,
avaient également leurs ménestrels; mais parmi tous ces princes et
seigneurs de la cour, il en était un surtout qui se faisait particulière-
ment remarquer par son goût pour la musique et les musiciens ;
c'était le duc d'Orléans.
Louis, deuxième fils du roi Charles V et frère de Charles VL aimait le
plaisir, le luxe et les fêtes. Or,ies ménestrels donnaient tant de charme
à ses réunions qu'il en avait toujours auprès de lui. Au nombre des
joueurs de vielle, nous pouvons mentionner Georgelin, Bourgeois,
Henry Plansof, qui recevaient des gages et des gratifications ; puis Colli-
net et Arbelin, auxquels le duc accorda une pension dès l'an 1396(1).
Le duc d'Orléans avait aussi un habile joueur de rebec, Groulet de
Coulongne ; un joueur de luth, Henry de Gavière ; un trompeur,
Piètre Girart, et un harpeur, nommé Jehan Petit-Gay. Mais, non
content de son personnel ordinaire, il appelait encore parfois auprès
de lui, pour fêler ses hôtes, d'autres ménestrels qui venaient augmenter
la troupe de ses musiciens. Ainsi, nous savons qu'en 1392, Jehan
Portevin, roy des ménestriers du royaume de France y et ses com-
pagnons, vinrent « faire leurs esbastements » en l'hôtel du duc
d'Orléans, devant le roi, la reine et les ducs de Berry et de Bourgo-
gne, ses oncles.
Quatre ans plus tard, en 1396, au mois d'avril, plusieurs ménestrels
qui étaient venus « corner » devant le duc d'Orléans, au dhiâteau
{\)Cii&mi^\l\on'FïgeeLCy Louis et Charles, ducs d'Orléans, Paris. 1844, p. 81,
16 LA CORPORATION
d'Asniéres, recevaient une livre cinq sols tournois. Enfin, dans le re-
levé des œmptes de la maison d'Orléans, nous trouvons que le duc fit
donner, en 4406, dix livres à Hennequin de Coulongne et à Hennés
Hokiv^ech, ménétriers du comte d'Ostrevant, en témoignage du plaisir
qu'ils lui avaient fait.
On sait que le duc d'Orléans fit, en 1401, un voyage vers le
Luxembourg et qu'il visita quelques parties de l'Allemagne. Or,
pendant la durée de ce voyage, il se fit toujours présenter, pour les
faire jouer devant lui, les ménestrels des différents princes ou person-
nages chez lesquels il s'arrêta. Il remarqua particulièrement et ré-
compensa ceux du duc de Bavière, ceux de l'évêque de Mayence, et
une troupe d'excellents musiciens composée de Laurent de Parde,
Georges de Passo, Angelin Constant et Angelin Doussin, qui lui avait
été amené par un seigneur allemand (I).
Tandis que le duc d'Orléans voyageait, les méjiétriers du prince
avaient ordre de se mettre aux ordres d'Isabeau de Bavière, et, dans
ces circonstances, ils se réunissaient au principal ménétrier de la
reine de France, à Jehan d'Avignon, pour la réjouir par leurs jeux et
par leurs chants.
A la fin du xiv® siècle, l'auteur du Songe du viel Pèlerin, qui mourut
en 1405, âgé de 93 ans, Philippe de Maizières, ne pouvait voir sans
douleur les ménestrels ainsi admis auprès des princes ; il ne com-
prenait pas qu'on eût autant de goût pour ces jongleurs. Notre
moraliste loue cependant la coutume d'avoir des ménestrels en grosse
troupe, mais seulement en l'honneur de Dieu et partout où il y aura
des solennités royales. « Encore et est chose convenable, ajoute-t-il,
que le Roy aye des ménestrels à bas instruments pour aucune
récréation, faisant bonne digestion de la personne royale après les
causauls et travauls ». (2)
.^^
(1) Champollion-Figeac, Louis et Charles, ducs d'Orléans, p. 119.
(2) Champollion-Figeac, Louis et Charles, ducs d'Orléans, p. 234-235.
DES MÉNÉTRIERS. 17
VI
CHRONOLOGIE DES ROIS DES MÉNÉTRIERS.
J'ai dit que les ménétriers étaient placés sous la domination d'un
Roi ; mais je regrette d'avoir à constater que la dynastie ou plutôt la
suite chronologique de ces souverains n'est pas bien exactement
connue. Bien des noms manquent, et il y a là une lacune très regret-
table ; mais il faut espérer qu'elle ne tardera pas à être comblée.
En attendant et pour venir en aide à ceux qui voudraient essayer
de dresser cette liste, nous devrons recueillir ici tous les actes pouvant
servir à cette curieuse reconstitution.
Le plus ancien document sur lequel on puisse s'appuyer est un Etat
des officiers de la maison de Philippe -le -Bel, dans lequel on voit
figurer, en 1288, un Roi des joueurs de flûte, sans que le nom soit
désigné (1). Cet oubli est d'autant plus fâcheux que nous voyons,
sous le même règne de Philippe-le-Bel, un célèbre jongleur, nommé
Jehan Charmillon, prendre également le titre de Roi dans une ville de
province. Ce Jehan Charmillon, né en Champagne, vers le milieu du
XIII® siècle, avait été désigné comme Roi des ménestrels de la ville de
Troyes, par lettres-patentes de 1295.
Sous le règne de Louis X, c'est un certain Robert qui est nommé
Roi des ménestrels , dans une ordonnance datée de l'an 1315, et nous
voyons aussi paraître ce titre en tête des signataires des premiers
statuts de la corporation, en 1321. a Paris, ménestrel le Roy, pour
luy et ses enfans ». Du Cange nous a conservé les noms de plusieurs
personnages qui furent revêtus de la même dignité. Il cite d'abord un
document de Tan 1338, où l'on trouve Robert Caveron (2), iroy des
ménestrels du royaume de France, déjà connu comme ayant participé.
(1) Du Cange. Glossarium medix et infimx laiinitatis. t. V, p. 762.
(2) Nommé Robin de Gavron en 1322, parmi les ménétriers de Gharles-le-Bel à
côté d'un autre Robert Petit, décoré du titre du roi. — Officiers cirnls et militaire»
des rois de France. Ms. de la Bibl. Nat. supp. fr. p. 74.
2
le LÀ éOR]f>oriÂTlON
en 4326, à une distribution de vêtements faite à l'occasion du couron-
nement de la reine Jeanne d'Eweux, femme de Charles-le-Bel. On le
retrouve encore dans un compte de Thôtel de Jean, duc de Normandie,
de Tannée 1349, à l'occasion d'une somme de 60 livres, qu'il fut
chargé de distribuer âtfi'mênéti4ers (^ui àvaieW assîstê atfx noces du duc.
A Robert Caveron succéda Coppin de Brequin, mentionné dans
divers titres de 4357, 1362 et 1367, mais qui était déjà enrôlé dans
là bande des ménétriers du duc de Normandie en 1349. Cet artiste
distingué, dont il reste une curieuse composition, une chanson à trois
voix, se fit remarquer par son dévouen>ent pour son maître ; il
accompagna le roi Jean en Angleterre, lors de sa première captivité,
en 1359 (1).
Deux actes de la fin du Xiv® siècle désignent sous le titre de Roy des
ménesiriers du royaume de France Jehan Portevin, lequel reconnaît
avoir reçu du trésorier de Louis, duc d'Orléans, une somme de
cinquante francs « pour plusieurs esbatements faits avec ses compa-
gnons pendant le repas que le prince donna en son hôtel, le 14 no-
vembre 1392, au roy et à ses beaux-oncles de Berry, de Bourgogne et
de Bourbon t>.
Jehan Boisard, dit Verdelet, dont le nom figure dans un compte des
menus plaisirs de la reine Isabeau de Bavière, paraît avoir succédé
à Jehan Portevin en qualité de Roi des ménétriers. Il est cité avec ce
titre dans une charte du 19 février 1420, mentionnant une gratification
de 200 livres faite à ses ménétriers par le régent Charles VII.
Jehan Boisard ne resta pas longtemps à la tête de la corporation,
car nous trouvons Jehan Fascien ou Facion, désigné comme roy des
ménestrels dans un rôle des pauvres officiers auxquels le malheureux
Charles VI légua, en 4422, quelques modiques sommes par son tes-
tament (2).
Après Jehan Facien, nous perdons la trace des rois ménétriers
pendant plus d'un siècle. Le premier que nous retrouvons, François
(1) Livre et journal auquel est contenu la receple et despense de Ihostel du roy
de France en Angleterre y diQ^Mis le 1" jour de juillet MCCGLIX. Ms. de la Bibl.
Nàt, suppl. fir.
(2) Officiers civils et militaires des rois de France. Ms. de la Bibl. Nat. suppl. tr.
p. 1300.
DES IVIÉNÉTRIERS. 19
ïloussel, gouvernait ïa corporation en 1572, et eut pour successeur
Claude de Bouchandon, hautbois de Henri ill, à qui le roi accorda, le
13 octobre- 1575, des lettres de provision d'e Toffice de Roy et maistre
des ménestriers et de tous les joueurs d^instrumens du royaume^ office,
dit l'acte, possédé naguère par le nommé Jfoùssel (l).
Sous le règne de Henri IV, en 1590, Claude Nyon, violon ordinaire
de la chambre du roi, reçut à son tour le titre et la charge de Roy des
ménestriers, qu'il céda dix ans plus tard à son fils Guillaume-Claude
Nyon, dit Lafont, également violon de la chambre du roi. Dans les
lettres de provision qui furent accordées à ce dernier, le 8 février
1600, il est qualifié Roy des joueurs d'instrumens par tout le
royaume (2). Ùri recueil de ballets fait en l'année 1600 signale une
pièce â quatre dessus composée par ce Latoni pour le chef-d'œuvre de
quelques éls de maîtres, et notamment de soù propre fils.
Nous ne savons rien de ce fils ; mais, dans tous les cas^ il ne suc-
céda pas à l'office de Claude-Guillaume Nyon, car ï'arrêt du parle-
ment, rendu le 7 mars 1620, dans rafifaire des violons de la chambre,
mentionne, sous le titre de Roy des joueurs d'ihstrumens, le siéur
François Richomme ou Rishomme, violon ordinaire du roi (3).
Quatre ans après, le sceptre de la ménestrandie passe eh d'autres
mains. En effet, le 12 décembre 1624, Louis XHI investit Louis-Cons-
tantin, l'un de ses violons ordinaires, de l'état et office de roy et
maître des ménétriers et de tous les joueurs d' instruments ^ tant haut
que bas du royaume (4).
Vient ensuite la dynastie des Du Manoir, dont il va être question.
Quant au dernier souverain, à celui qui perdit là couronne, il avait
un nom véritablement prédestiné : on l'appelait : Guignon (Jean-Pierre) .
Pauvre Guignon ! Quel triste sort fut le sien ! Il lutta, il combattît
(1) Archives nationales. Sect. judiciaire. Ofdànn. de Henri JIL
(2) Archives nationales, Sect. judiciaire. Ordonn. de Henri IV.
(3) Bihliùlh. de VEcole des Charles. Série A, t. lY, p. 542.
(4) Ce Constantin, auteur de plusieurs pièces à cinq et six parties, pour le violon, la
viole et la basse, fut un des musiciens les plus distingués de son temps. Il laissa un fils,
Jean Constantin, dont le nom figure, en 1657, parmi les vingt-quatre violons de la
chambre.
20 LA CORPORATION
vaillamment, et pourtant il dut un jour se résigner : il finit par abdi-
quer. Après trente ans d'un règne fort agité, pendant lequel il n'avait
pu percevoir aucun des* droits attribués à sa haute dignité, Guignon
dut déposer la couronne.
Mais n'anticipons pas sur les événements.
VII
NOUVEAUX STATUTS DES MÉNÉTRIERS.
En Fan de grâce 1407, alors que les malheureux français voyaient
les princes se disputer le pouvoir sous un monarque en démence, les
ménétriers reconnaissaient pour leur roi Jehan Portevin, celui-là
même que nous avons vu aller ce faire ses esbastements », en 1392,
chez le duc d'Orléans. Or, Jehan Portevin voulut marquer son passage
sur le trône de la ménestrandie (1), et peut-être illustrer son règne.
En conséquence il fit rédiger, pour la corporation des ménétriers, de
nouveaux statuts, qui furent acceptés et confirmés par le Conseil du
roi, le 24 avril 1407, sept mois avant l'assassinat du duc d'Orléans par
les agents du duc de Bourgogne.
Les premiers statuts n'avaient eu qu'un but, cçlui d'interdire
l'exercice de la profession à tous ceux qui n'ét^^ent pas associés. Ils
déterminaient moins les conditions d'entrée que les motifs emportant
exclusion. De plus, ils ne renfermaient aucune idée de prééminence
au profit du roi des ménétriers sur les ménétriers des provinces.
Les statuts de 1407 eurent une bien plus grande importance. En
premier lieu, ils rétablissaient le bon ordre parmi les ménétriers
souvent désunis ; puis ils fixaient les conditions d'admission dans la
corporiation, ainsi que la durée de l'apprentissage, indiquaient les
redevances dues à l'hospice de Saint-JuHen, et déterminant les attri-
butions et le pouvoir du Roi de^ Ménétriers dû royaume de France.
(1) Le terme de ménestrandie ou ménestrandise forme, (Jurant le moyen-âge, une
locution d'un sens étendu, et désignant aussi bien la musique instrumentale en
général que la profession spéciale du ménétrier.
DES MÉNÉTRIERS. 21
Placé à la tête du corps, le roi des ménétriers était chargé d'y
maintenir la police ; il jugeait souverainement et en dernier ressort
tout ce qui concernait Texercice de l'industrie. C'était lui qui accordait
les brevets de maîtrise ; il accordait ou retirait l'autorisation d'exercer
' la profession d'instrumentiste ; modifiait le règlement pour la durée
de l'apprentissage, qui était de six ans ; accordait le droit d'ouvrir
école, et pouvait même autoriser le ménétrier qui n'avait point juré
l'observation du règlement, à exercer la profession. Il percevait pour
émoluments de sa charge la moitié de la taxe levée sur tout aspirant à
la maîtrise, et le quart de toutes les amendes (1).
D'après ce qui précède, on peut s'assurer que des pensées de con-
quête avaient germé dans l'esprit du roi des ménétriers. Il avait
réussi, car tout individu, exerçant cette profession, qui venait s'établir
à Paris, devait se soumettre à sa juridiction. Bientôt nous le verrons
faire un pas de plus, en exigeant certaines redevances perçues par des
lieutenants autorisés. Ainsi, par acte passé le 26 mars 4508, le maître
des ménétriers de France donne pouvoir à Nicolas Hestier d'exercer,
pendant six années, dans la ville de Tours et en Touraine, les droits
- •
dont il jouit lui-même (2).
La Corporation des Ménétriers, ainsi réorganisée, vécut tranquille
pendant toute la durée du xv® du xvi* et une partie du xvii* siècle.
Ce fut la seconde période de son existence et celle où elle atteignit
son plus grand développement. Aussi la voyait-on gagner chaque jour
de l'importance, tandis que l'autorité de son chef était respectée.
Mais pour maintenir leur pouvoir, les chefs de la Corporation pre-
.naient soin de faire souvent confirmer leurs statuts par l'autorité
royale. Ainsi que tous les corps .d'arts et de métiers, la communauté
des' joueurs d'instruments s'était contentée dans les premiers temps de
faire autoriser ses statuts par le prévôt de Paris. A dater du xv« siècle,
elle les fit approuver par les rois de France qu'elle avait intéressés à
leur maintien, en admettant le fisc pour une part, non seulement dans
les droits anciens, mais encore dans les amendes qui en sortaient.
(1) Ordonnances des Rois de France, t. IX, p. 198.
(2) Archives nationales. Dossier S.Julien des Ménétriers, carton 0, 1215.
22 * LA CORPORATION
Le règlement de 44-07 fut ainsi confirjné par les rois Charles VII, le
2 mai 1454 ; Louis XI, au mois de septembre 1480 ; Charles VIII, au
mois d'août 1485 ; Louis XII, au mois de Juillet 1499 ; François I®'',
au mois de mars 1515 ; et de nouveau par le même roi, le 22 sep-
tembre 1545 (1).
Les troubles politiques et la courte durée des règnes de Henri II,
François II et Charles IX ne permirent pas à la communauté de
demander des lettres de confirmation à ces princes ; mais on la voit en
solliciter et en obtenir de Henri III, au mois de mars 1576, et de
Henri IV, au mois de janvier 1594 (2). Depuis ce jour, il n'existe plus
de lettre de confiri;nation jusqu'au règne de Louis XIV, qui autorisa
rémission d'un règlement nouveau en Tannée 1658.
VIII
TROUPE DU DUC D'ORLÉÀNS. — PREMIER BALLET EN FRANGE.
A mesure que l'on avançait dans le xv® siècle, la profession de
joueur d'instrument prenait une plus grande importance. C'est ainsi
que le comte de Dunois, l'ambassadeur du roi de Naples, le maréchal
de Gié, la duchesse de Montferrat, M^^ Marguerite de Flandre, et bien
d'autres seigneurs avaient Içurs ménestrels, trompettes, tabourins,
joueurs de musette et de rebec. Mais la meilleure troupe, celle que
l'on aimait le plus à entendre, était certainement celle des ménestrels
attachés à la maison d'Orléans. Les documents qui nous sont parvenus
ne laissent aucun doute à cet égard.
L'époux de Valentine de Milan, mort assassiné dans la nuit du 23
au 24 novembre 1407, Louis, duc d'Orléans, dont le goût pour les
arts est connu, avait eu pour successeur son fils Charles, né le 26 mai
1391 . Comme son père, Charles d'Orléans ne perdait aucune occasion
d'entendre ses musiciens, et Marie de Glèves sa troisième épouse, qui
(1) Recueil des Ordonnances des rois de France, t. IX, XIV, XVIII. — Bibliothèque
de l'École des Chartes. Série A, t. IV, p. 533.
(2) Arcjiiveçi nçLtionftles. Sect. judiciaire; Ordonn» de Henri III et de Henri IV.
partageait seg goiit^ e^t se? jdaisiirs, ^y?iit feitiCiboix de quelqi^çs Riéjaé-
trÂeti:s, parmi lesquels eUe .aimait surtout à ^entendre un jeuijie joueur
de rebec dont nous ignorons le 1310m, et m tamhouria qu'elle appelait
gracieusement Q^ti^Garçon .
Oa sait q<;ie le dw d'Orléans tenait p^dmçiirQip;ieïit sa cour à Bif^is.
Poète lui-même, il appelait les poètes. Ceux-ci yenaient à lu^i, et ^
leur feisaîjL toujours fête. Si on li^i signalait un m,usicien renommé, le
duc ne manquait jamais de le mander pour le faire jouer ou compo^ç^r
en sa présence (i). Il eut ainsi Toccasion d'entendre les ménétr^çr^
des ducs de Bourgogne et de Nevers, ainsi qiie ceux de monseigneîur
d'Argueil ; les tabourins de monseigneur de Clèves et du duc .dç
Bretagne ; les trompettes de messeigneurs 4e Ppurbon et Dunois ;
IçiS harpeurs de monseigneur de Lyon at 4u duc d'APiret, et bien
d'autres joueurs d'instruments français, anglais et lombards. Toujours
il se montra généreux envers les ménestrels, et M. A. Champollion-
Figeac nous cite, d'après les actes qu'il a eus Sipys les yeux, quelque?
dons qu'il leur fit encore, aux derniers temps de 3a vie.
1464t. — ^ Georges Legrecque, joueur de harpe, serviteur de
napiiseigneur le courte de Dunois, don à lui faict pour avoir joué
^vant ma dite dame, le jour dçs noces d^ la fill^ de 1^ nourrice i^
Mademoiselle, la somme de LV sols tournoi?.
A Jehan Ycç^t, May:s^ult, Du Per^t Qt Anthoine Planchechte^
tabourins de mon dit seigneur à Blois, la somme de trois esçus d'Qr,
pour don à eux fait par mojçi dit ?ei^eur le duc, pour avoir i^ué de-
vant ma dite dame, durant sa gésijUe; pour ce III livres II sols yi
deniers tpurnois.
Janvier 14j64. — Aux ménestrels de Pois qui jouèrent devant
ftffonseigneur le jpur de l'an XXVII sols VI deniers (2).
Au surplus, le duc d'Orléans donnait^nai l'exemple aux seigneurs
qui vivaient retirés dans leurs hôtels. Pour se distraire, en ^abseI^ce
d^ spectacles, ils organisaient des fêtes muâcales, et faisaient venir,
ppur les joindre aux ménestrels de leur maison, des joueurs de vielle,
de luth, de musette et de tfimbourin.
(1) A. GhampoUion-Figeac, Louis et Charles, ducs d'Orléans, p, 353 ,360^
(?) GhampolUon-Fig^eac. Lpimef Ç/w^r^^, ducs d'Or^atis,^* p^irtie^ p» 36,
24 LA CORPORATION
Après la mort de son époux, Marie de Clèves se plut sans doute aux
fêtes musicales qui charmaient le duc d'Orléans, car nous relevons
dans Tétat de ses comptes les dons suivants :
1475. — Aux trompettes de messeigneurs de Dunois et de Bourbon,
pour leur peine d'avoir joué devant madame la duchesse^par plusieurs
fois, par cp LX sols VIMeniers.
Au tabourin du duc de Bretagne, pour avoir joué devant ma dite
dame XXX sols III deniers tournois ; à Conrat, joueur de lutz de
monseigneur de Bourbon, qui a joué devant madame ; autres dons
faits au harpeur de monseigneur de Lyon, au joueur deiutz du duc
d'Autriche, au harpeur de monseigneur d'Albret.
1484. — A Jean Bioche, Jehan Mallet, petit Jehan Mallet, son fils,
et Pierre Malaquis, tabourins et ménestrels de la ville de Paris
LXVIII sols tournois.
A un des gens, de madame la princesse d'Orange, joueur de lutz,
la somme de XXXV sols tournois, pour avoir joué de son métier.
Aux ménestrels de Pontoise, la somme de XXXIII ^ols.
1493. — A Conrat, joueur de lutz et à son compagnon, II florins.. »
Nous pourrions multiplier les preuves des largesses de la maison
d'Orléans envers les ménétrels, tabourins, trompettes, hautbois et
joueurs de cor. Nous en trouvons encore des exemples pendant les
années 1493, 1494 et 1495 ; mais les citations que nous avons laites
doivent suffire.
Charles d'Orléans eut pour fils celui qui devait être Louis XII, et
qui partagea les goûts de ses ancêtres. Né le 27 juin 1462, et appelé
au trône le 7 avril 1498, le duc d'Orléans avait précédé Charles VIII
en Italie, lors de la conquête du royaume de Naples. Aussitôt après
son avènement à la couronne, il passa encore une fois les monts pour
marcher à la conquête du Milanais. Mais au milieu de ses triomphes,
il n'oubliait pas l'art, et il fit alors venir d'Italie divers instrumentistes
dont quelques-uns restèrent attachés à sa personne, tandis que les
autres trouvaient facilement un emploi auprès des seigneurs de la* cour.
La mode de la musique italienne devint en peu de temps une
passion. On ne tarda pas à applaudir alors Barthélémy de Florence,
Pierre Pagan, Christophe de Plaisance, Marchande Milan, François de
Virago, Nicolas de Brescia, François de Crémone, Sanxon de Plaisance,
DES MENETRIERS. 25
et surtout Albert de Rippe (1), célèbre joueur de luth mantouan, que
Clément Marot n'a pas craint de comparer à Orphée. Du reste, cette*
concurrence des instrumentistes italiens donna rapidement une
impulsion nouvelle au goût de nos pères. Une révolution s'opéra dans
la musique, grâce à l'invention du contrepoint, et l'on vit bientôt se
former un grand nombre de compositeurs habiles^ parmi lesquels, on
distingue Guillaume Dufay, Jean Ockegheim, et plus tard, Josquin
Déprez, Jean Mouton, son élève, maître de chapelle de François I*^,
enfin Eustache Du Caurroy, le prince des musiciens de son temps, qui
dirigea la chapelle royale sous Charles IX, Henri III et Henri IV (2).
Ces maîtres, indépendamment de la musique d'église, produisirent,
soit pour les voix, soit pour les instruments, une foule de composi-
tions, appelées Musique de. chambre, qui étaient fort estimées et ré-
pandirent vite le goût de l'art.
Ajoutons que l'influence exercée par les artistes étrangers sur les
ménétriers français ne fut pas de courte durée ; elle se fit tellement
sentir dans tout le xvi^ siècle, que Charles IX n'hésita pas, en 1570,
à accorder l'autorisation de fonder une Académie de poésie et de mu-
sique. Ce fut Jean-Antoine de Baïf, l'un des poètes de la Pléiade, qui
obtint ces lettres-patentes du roi, et il établit la nouvelle Académie
dans sa propre maison, au faubourg Saint-Marcel (3).
Cinq ans plus tard, on vit naître la célèbre Confrérie de madame
Sainte-Cécile, fondée par un grand nombre de « musiciens zélateurs
et amateurs de musique ». Les statuts de cette confrérie furent
approuvés le 18 mai 1575, et elle était autorisée à tenir ses assem-
blées dans l'église des Grands-Augustins. « Seront advertis, porte
l'article 9 de ses statuts, tous bons et excellents musiciens ^ de ce
royaume d'envoyer pour la feste de Sainte-Cécile quelques motets
nouveaux ou autres cantiques hounestes de leurs œuvres pour être
chantés, afin de connoistre et remarquer les bons auteurs, notamment
(1) Compte des menus plaisirs du roy François Z*"", du premier décembre 1528 au
dernier décembre 1529, Archives nationales, K 343.
(2) A. Vidal. Les instruments à- archet^ t. II, p. 54, 64,
(3) Ibid. p. 59.
26 LA CORPORATIF
Cjsluy qvii aura le mieux faict pour être honoré et gratiffié de quelque
-présent 'honorable ». (1)
Au goût de l'art que répandirent cette confrérie et les réunions aca-
démiques, il faut nécessairement ajouter la puissance que donna 4 la
musique vocale et instrumentale la mode des baillets, venue d'Ita,liç et
^itrod^uite en France sous le règne de Henri IJI.
RçippeloQs à ce propos que le premier ballet connu fut exécuté, en
1582, aux noces du duc de Joyeuse et de mademoiselle de Vaudemont,
sœur de la reine. Il avait été composé par La Chesnaye, aumônier du
roi, et mis en musique par le sieur de Beaulieu, M« Salmon, musicien
de la chambre, et principalement par Balthiasar de Beaujoyeux, « y^let
de chambre du roy et de madame sa mère » . Ce Balthazar, ou plutôt
Baltazarini dit Beaujoyeux, à cause de la fécondité de son imagination
pour amuser la cour, était venu en France avec une troupe de violons :
il avait été envoyé de Piémont à la reine Catherine de ]\ilédicis par le
maréchal de Brissac en 1577. Dans la description qu'il nous a donnée
de son ouvrage (2), Beaujoyeux nous dit qu'au dedans de la voûte
dorée, il y avait « dix concerts de musique différens les uns des
autres », qui répondaient à tous les couplets chantés sur la scène.
IX
VIOLONS DU ROL — LA GRANDE ET LA PETITE BANAE.
En signalant l'arrivée en France des instrumentistes italieps qui
furent amenés par Charles VIII et Louis XII, nous avons négligé de
dire que, sous le règne de François I®^, d'autres artistes yinren,t
chercher fortune dans le royaume de France. Mais alors ils étaient
accompagnés d'un certain nombre d'ouvriers renommés pour la fabri-
cation des instruments de musique. Parmi ces derniers on remarquait
(1) Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, Série A, t. IV, p. 537.
(2) Balet comique de la Royne, faict aux nopces de monsieur le Duc de Joyeuse
et mademoiselle de Vaudemont sa sœur, Paris 1582.
DES MÉNÉTRIERS. 27
le fameux luthier Gaspard Duiffo-Pruggar, que François I®^ ramena
avec lui de Boulogne, où il était allé signer le concordat en 1516.
Duiffo-Pruggar était tout à la fois luthier, sculpteur et peintre. Il
s'étabht à Lyon et y fabriqua des violes, des violons et des basses
de viole fort remarquables (1). En peu d'années, il fit même ' d'excel-
lents élèves. Cependant, les musiciens français faisaient encore venir
de Crémone les meilleurs instruments de lutherie. Les Amati y avaient
créé une école, et sous leurs mains habiles, le violon était devenu un
chef-d'œuvre. Désormais on reconnaissait que le luthier était doublé
d'un savant ; il avait trouvé d'autres guides que son imagination. Le
rebecde facture grossière, la basse de viole aux formes lourdes et
sans grâce étaient abandonnés pour les violons des frères André et
Nicolas Anjati, qui se faisaient remarquer autant par la simplicité de
leur forme que par leur timbre parfait.
Ce fut des ateliers d'André Amati que sortirent les violons, les violes,
et les basses destinés aux ménétriers attachés à la personne du roi
Charles IX. A cette époque,. ils prenaient le nom de violons de la
chambre du roi. Ils avaient pour mission de faire danser aux bals de
la cour, et ils devaient aussi jouer dans Tantichambre pendant le dîner
du roi. Mais il importe de constater que, du temps de Charles IX, ils
ne furent jamais employés pour le service de la chapelle. C'est au mi-
lieu du xvii« siècle seulement que les instruments, et particulièrement
les violons, furent introduits dans la musique de la chapelle des rois
de France.
Disons plus. Sous le règne de Louis XI V^ il y avait deux bandes de
violons : la grande bande et la petite bande (2).
La Grande Bande était celle qu'on nommait aussi les vingt-quatre
violons du roi. Les fonctions de ces musiciens consistaient unique-
ment à faire danser à tous les bals parés ou masqués qui se donnaient
à la cour. Ils étaient également tenus de jouer des airs, des menuets
et des rigaudons, dans l'antichambre du roi, pendant son lever et à
son grand couvert le premier jour de l'an, le premier mai, le 25 août.
(1) Fétis. Biographie univ, des my.siciem, 1* édit. t. III, p. 74.
(2) Recueil d'édits et arrêts du Conseil du Roi.,, en faveur des musiciens, jp. 75,
HARVARD "NW^''^';;„^«,
CAMBRIDGE 38. MASS.
28 LA CORPORATION
jour de la Saint-Louis, et toutes les fois que le roi arrivait de Fontai-
nebleau et revenait d'un voyage ou de la guerre.
La bande des seize, que l'on appelait la Petite Bande, avait été créée
par Louis XIV, pour remédier à l'insuffisance de talent, de ceux de la
grande. Elle devait jouer aussi aux bals de- la cour, au lever et au
grand couvert.
Ces deux bandes de violons, uniquement composées de ménétriers,
maîtres à danser, formaient un corps à part, et n'avaient rien de
commun avec le corps de la musique de la chambre du roi, lequel
donnait des concerts de voix et de toutes sortes d'instruments dans
l'intérieur de l'appartement royal. Comme le talent et les occupations
de tous ces violons étaient absolument bornés à danser et à enseigner
la danse, Louis XIV n'avait pas jugé à propos de les exempter de se
faire recevoir de la communauté de Saint-Julien. Il s'était contenté de
diminuer jusqu'à un certain point les frais de leur réception, elles
avait dispensés en même temps de faire preuve de leur savoir devant
le roi et maître des ménétriers et devant les jurés de la communauté.
Au commencement du règne de Louis XV, la Petite Bande disparut.
On conserva les charges des vingt-quatre violons ; mais il ne fut plus
permis que ces charges fussent acquises à l'avenir par des ménétriers.
A mesure qu'elles devenaient vacantes, on les donnait à d'autres mu-
siciens, qui ne furent plus soumis à payer aucun droit à la commu-
nauté de Saint-Julien. Aussi ces nouveaux titulaires ne furent-ils
bientôt plus capables de remplir leurs fonctions aux bals de la cour ;
et dans ces occasions, on dut souvent faire venir de Paris des méné-
triers qui étaient loués pour un prix déterminé par séance.
Toutes les charges des vingt-quatre violons furent enfin supprimées
en 1761, et les symphonistes du roi exécutèrent seuls, à dater de ce
jour, les symphonies au lever et au grand couvert du roi.
X
PRÉTENTIONS DES CHEFS DE LA CORPORATION. GUILLAUME DU MANOIR,
ROI DES VIOLONS.
Nous avons dit que les luthiers italiens avaient formé de bons
élèves. Mais les instrumentistes français ne restèrent pas en arrière.
DES MÉNÉTRIERS, 29
Poussés par une louable émulation, ils formèrent aussi des ouvriers
habiles, parmi lesquels on peut compter les Bocquay, les Pi'erret, les
Despons et les Véron. A la fin du xvi« siècle, ils se constituèrent en
corps, après avoir rédigé des statuts qui furent approuvés par le roi,
au mois de juillet 1599, et prirent alors le titre de Maitres feseurs
(T instruments de musique (1).
Ils fournissaient la harpe, le luth, Ja viole, l'orgue et Tépinette aux
musiciens de la chambre. Ils fabriquaient aussi les hautbois, les cor-
nets, les trompettes et les fifres pour la bande de l'écurie, c'est-à-dire
pour les écuyers, pages et gens de livrée. Enfin, ils étaient chargés de
la confection de tous les instruments à corde, violons, violoncelles ou
autres, nécessaires à la grande bande des vingt-quatre violons de là
chambre du roi.
Cependant, tous ces luthiers ou maîtres instrumentistes étaient tenus
de se faire agréer à la corporation des ménétriers, car le roi, Claude
Nyon voulait que tous les sons harmonieux, de quelque nature qu'ils
fussent, rendissent hommage à son sceptrj^ ou plutôt à son archet, et
devinssent tributaires de son empire. Du reste, Sa Majesté ménétrière
était réellement débonnaire. Pourvu que ses sujets fussent exacts à
payer les droits de maîtrise de police et autres, pourvu qu'ils acquit-
' tassent les amendes, les taxes d'apprentissage ou de confrérie, elle
leur laissait pleine et entière liberté de se réunir, même la nuit, et
d'aller en troupes, par la ville, pour donner des sérénades. '
C'était surtout la veille de la fête de S. Julien, leur patron, que les
membres de la corporation, précédés des vingt-quatre violons de la
chambre du roi, parcouraient la cité, en exécutant des airs joyeux
composés pour la circonstance. Mais le Parlement n'était pas aussi in-
dulgent que le roi des ménétriers, et il jugea, peut-être à tort, que ces
promenades nocturnes pouvaient devenir dangereuses. En consé-
quence, par un arrêt, en date du 26 août 1595, défenses furent faites
« à toutes personnes de s'assembler et aller par troupes par les rues,
y porter luth, mandoUes et autres instrumens de musique et, sur
quelque prétexte que ce soit, aller de nuit, à peine de la hart )> (2).
(1) Statuts y ordonnances^ tettres de création de la communauté des mais très fai-
seurs dHnstrumens de musique. Paris, 1741.
(2) Félibien. Hùt. de la ville de Paris, t. V, p. 28.
30 LA CORPORATION
L'arrêt était dur, sévère même ; mais il est à présumer que les mé-
nétriers se montrèrent récalcitrants et ne se soumirent pas tout de
suite, car nous possédons certains airs qu'ils jouèrent encore pendant
les années 1603 et 1604.
D*un autre côté, le chef de la corporation, songeant toujours à ses
droits autant qu'à ses intérêts, poursuivait sans relâche ceux qui se
permettaient d'enseigner à danser sans autorisation. En outre, nous
voyons qu'en 1628, Louis Constantin se plaignait que plusieurs
joueurs d'instruments « quoique non reçus maîtres, entreprenaient
des ïîopces, donnaient des aubades, jouaient dans les cabarets et
heux infâmes, au grand mépris des statuts et à la ruine des maîtres
de l'art ».
Louis Constantin, violon de la musique du roi, avait, depuis 1624,
le titre de Roi des ménétriers et maître des joueurs d'instruments du
royaume. C'était un artiste habile, mais il maintint, peut-être un peu
trop rigoureusement les prétentions de ses prédécesseurs et n'accepta
aucune transaction avec ceux qu'il voulait soumettre à son autorité.
En outre, par iin de ces abus trop fréquents chez les souverains qui ne
savent pas borner leur puissance, il s'opposait aux progrès de Tart,
en ne permettant aux ménétriers nomades, jouant dans les cabarets, .
Tettiploi d'aucun autre instrument que le rebeCy « le tout sous peine
de 24' livres d'amende et bris d'instrumens (1). »
Une pareille prétention devait nécessairement soulever des colères,
ariiener des résistaocès. Chacun défendait donc ses droits avec énergie,
et la lutte était vivement engagée, lorsque Constantin mourut en 1641,
laissant pour successeur dans sa charge de roi des ménétriers Claude
Du Manoir, frère de Mathieu Du Manoir, qui était également qualifié
niaîtf e joueur d'instruments et violon de la chambre du roi.
La royauté de Claude du Manoir ne fut pas de longue durée, car le
21 novembre 1657, cette charge était donnée à son neveu Guillaume
Du Manoir, l'un des vingt-quatre violons de la chambre du roi, à titre
gratuit, c'est-à-dire sans payer finance, et comme récompense de son
mérite (2).
(1) Bitbliohègue de VEcole des Charles. Série A. t. TV, p. 543.
(2) Etat général des officiers, domestiques et commensaux de la maison du Roy
Paris, 1657, p. 169.
' DÈâ ménétriers/ 31
L'uïi des prèMîérs â'cteà dé ce nôù'veau chef des ménétrters fut dé
voùî'oîr côttipréAdre, pàtmî ses vassâiii, les maîtres à darièer. Il
Obtint à cet effet, éii 1658, dé Louis XIV, de nouveaux statuts, en vertu
désiiuêTs* iï pteûèiîi le titré potn'peux de Roi des violonè, maîtres à
danser et joueurs d'instruments tant hauts que bas (1).
Malheu'i^eusèrùént lès le (tf es-patentes du roi de France, enregistrées
au Parlement le 22 août 1659^ devinrent entre les mains de Guillaume
Du Mianoir une source iWèrniinable de procès. La gent musicale he
voulut pas ée soumettre, et Toi'gueil aussi bien que l'intérêt àllufiâ'èrent
ttnè guerre qui devint bièiïtôt très-aïiimée. Alors coraimencérent ces
controverses étranges, ces querelles qui n'étaient pas au fond si
frivoles qu'on pourrait le éupposer. Chacun défendait ses droits, et les
fàcturns, les requêtes et les mémoires se succédaient sans relâche.
D'un côté, uiie certaiile classé d'artistes, composant ce qu'on pour-
rait âjppeléi' l'aristoct'atie musicale^ repolissait toute accointance
avec les ménéfriet's. Ces musiciens signalaient cottime une cause de
déconsidératiôù pour leur profession, souvent rihàptilude, et presque
toujours les mauvaises mœurs des joueurs dé rebec ou de violon
vivant constamment dans tes guinguettes et dans les éabarets. D'àritre
part, le roi des violons fnaiïiteriait des privilèges aussi absolus que
bizarres et qui font notre étonnement aujourd'hui. Mais dé chaque
côté, on s'attaquait avec violence, avec passion, et s'il nous était pôè-
sible de citer les documents qui subsistent de cette singulière lutte,
chaéùn poiii*rait étudier aveé nous sur le vif les moeurs oubliées et
parfois pleines d'originalité de cette société dû xvil® siècle, que certaine
écrivains voudraient voir revivre après deui cents ans.
XI
FONDATION DE L' ACADÉMIE ROYALE DE DANSE.
Lai corporation des ménétriers, créée en 1321, n'avait cessé jus-
qu'alors de croître et de se développer ; mais on peut affirmer qu'elle
était parvenue à son apogée, lorsqu'elle eut obtenu do nouveaux
(1) Statuts et règlements des maîtres de danse et joueurs d'instruments tant hauts
que bas y par toutes les villes du royaume, Paris, 1753.
32 -LA CORPORATION
Statuts en 1658. A dater de ce jour, le système de privilège, qui formait
la base de son existence, allait être attaqué par rétablissement d'autres
corps également privilégiés, et l'art, encore aux prises avec la passion
et la routine, ne devait pas tarder à laisser bien loin derrière lui le
talent modeste du ménétrier.
C'est l'institution de Y Académie royale de danse, fondée au mois de
mars 1661 (1), qui commença à ébranler la puissance du roi des
violons. L'usage établi depuis longtemps était que les maîtres à danser
tenaient alors des salles où ils donnaient des leçons publiques de
danse. Pour afficher publiquement la liaison qu'il y avait entre la
danse et le violon, un de ces instruments leur servait d'enseigne, avec
ces mots tracés au-dessous : Céans ou montre à danser (2).
Louis XIV ayant donc érigé une Académie de danse, composée de
treize personnes, ceux qui y furent admis voulurent changer leur nom
de maîtres à danser en celui d'Académiciens, qui leur paraissait plus
noble. Fiers de leur nouveau titre, ils voulurent encore que la danse
formât un corps libre, absolument indépendant du violon et, à cet
effet, ils rédigèrent des statuts particuliers.
Le violon soutint énergiquement ses prérogatives, et un nouveau
procès s'engagea. Les divers mémoires qui furent publiés à cette oc-
casion ne sont pas seulement utiles pour l'histoire de l'art, ils sont
encore curieux au point de vue littéraire et pour l'élude des mœurs.
Du reste, plus d'un lecteur y reconnaîtrait la source où s'inspira
Molière pour faire la scène du maître à danser et du maître de
musique dans le Bourgeois gentilhomme.
Mais avant de continuer notre récit, qu'il nous soit permis d'inscrire
ici les noms des premiers membres de l'Académie royale de danse. Ils
méritent certainement d'être connus, à cause de la lutte qu'ils sou-
tinrent contre Guillaume Du Manoir. Le premier de tous était François
Galland, sieur du Désert, maître ordinaire à danser de la reine. Après
lui venaient : Jean Renauld, maître à danser du roi, en survivance du
(1) Lettres palenles du Roy pour V établissement de V Académie royale de danse,
en la ville Paris, Paris, 1663.
(2) Factum pour Guillaume Du Manoir.,., à la suite du Mariage de la Musique
avec la danse, Paris, 1664, p. 100.
DES MÉNÉTRIERS. 33
sieur Prévost, et maître à danser de Monsieur, frère du roi (le duc
d'Orléans) ; Thomas le Vacher, qui mourut quelques jours après la
constitution de l'Académie et fut remplacé aussitôt par Bernard de
Manthe ; Hilaire d'Olivet, Guillaume Reynal, maître à danser du
Dauphin ; Jean Reynal son frère, Guillaume Quéru, Nicolas de l'Orge,
Jean-François Piquet, Jean Grigny, Florent Galland du Désert et
Guillaume Renauld (1).
Les ménétriers et le roi des violons, ayant voulu mettre opposition
à Tenregistrement des lettres d'établissement de l'Académie de danse,
furent repoussés par un arrêt du Parlement en date du 30 août
1662 (2). Toutefois ils ne s'avouèrent pas vaincus, et exigèrent le
payement des droits qu'ils prétendaient être dûs à la confrérie par les
membres de l'Académie.
De nos jours, il semble vraiment étrange que la danse et la musique
aient pu être un seul instant en désaccord, et pourtant la brouille fut
tellement forte au xvii® siècle que les deux partis en vinrent à se dire
les choses les plus insensées. Ainsi les membres de l'Académie, pour
défendre leurs prétentions ne craignaient pas d'écrire, dans un long
mémoire (â), que le danse n'a pas besoin des instruments de musique
et qu'elle est absolument indépendante du violon. Et pour le prouver
ils ajoutaient : « Le violon ne fait autre chose qu'animer les danseurs,
qui demeureroient immobiles à tous ces mouvements, s'ils n'avoient
auparavant appris de leurs maîtres ce qu'ils doivent faire tandis que
les violons jouent
i> Que s'il falloit, disaient-ils encore, parler des qualités nécessaires
aux personnes qui dansent et â celles qui jouent du violon, il ne
serbit pas difficile de faire voir que les danseurs ont tout l'avantage.
Ils doivent être bien faits du corps ; ils doivent avoir le corps et l'es-
prit souples, et ils ne sauroient s'introduire chez les personnes de
(1) On remarquera qu'il n'y a que douze "noms, quoiqu'il soit dit que cette
Académie sera composée de treize des anciens et plus expérimentés audit art.
(2) Voyez cet arrêt à la suite des Lettres patentes pour rétablissement de l'Aca-
démie royale de danse , p. 27.
(3) Ge mémoire, ayant pour titre Discours académique se trouve h la suite des
Lettres patentes du Roy, p. 33.
3
3^ LA CORPORATION
çpqditipn, SUS ainoir ou sans contracter des teintures d'honnesteté et
4e cpurtoisjLep qui supposent presque to^jours une honneste aisance»
ojf. d^ mqins june bonne éducation. »
Âcela Guillaume Du Manoir répondait dans un ouvrage spécial (1),
que la maîtrise qu'on recevait était beaucoup plus attribuée à la
tman;ière de danser et d'enseigner la danse qu'au violon ; que le violon
devait toujours rester uni à la danse ; de sorte qu'il était vrai de dire
qu'il n'y avait pas même de msutrise de violon, a sans rattache et
Tencbai^ement de la danse avec cet instrument ». Puis, U ajoutait
que, par le titre de Roi des Ménétriers, on avait de tout temps entendu
et dû Jd^tendre le titre de Roi des Ms^tres à danser, le mot seul de
n^énétriar signiiiapt miaitre k iamer I
Enfin, après un long combat, soutenu des deuK côtés par des rail^
leries multipliées, qui allaient parfois jusqu'à l'injure, il intervint, en
1664 m jugement que l'on pourrait presque considérer comme une
transaction. Tous les joueurs de violon et les imaitres à danser for*-
mèrent une seule et même comnjtunauté, à rexcq[)tion toutefois des
tr^^ mepibres de l'Académie.
XII
nnon's «ur ms iOHBims d'h^strciieni^.
FONDATION DE L'AGADÉMIE ROYALE DE MUSIOUE.
La confrérie de Saint-Julien avait été vaincue par les Académistes,
comme on les appelait. Ceux-ci devei^aient libres et n'avaient plus de
droits à payer à la communauté. Mais Guillaume Du Manoir, « joueur
de violon du cabinet de Sa Majesté, l'un des vingt-cinq de sa grand'-
bande, pourvu de l'office de roi des joueurs d'instraments et des
mdtres à danser de France », avait fait rayer des statuts des membres
de l'Académie l'article 7 portant que tous ceux qui voudraient faire
(1) Le mariage de la musique et de la danse conienant la réponse aU)^lwrê des
reize prétendu» académiciens y Paris, 1664.
DÉS MÈNÊ¥ftïERS. 35
"ptofefesioh de danse iseraîënt ténus de ftiiré enregistrer feùrs notos feur
un registre tenu par eux, sous peine d'être déchus de leurs i|)rîv&èèes
et dû droit d'être jamais admis pai'ml les acàdémistes.
En outre, Du Manoir restait toujoiïrs Tennemi déclaré dfe ses àiidèns
sujets, et, pour se Venger de sa dëfèStë, il se rëtôûrtiâ 'côhtré les
iîïnplés particuliers, auxquels il sustità des procès qui lui furent cette
fois tous favorables. C'est ainsi que le roi des jôtiéùrs ii'îtisfràîmetïts
fit défehdre à toutes personnes nota affiliées à la comtiluirâuté de
jouer aîux noces et de donner dés sérénades. Ses prescrf^tioàs étaieSnt
téllômènt sévères, quTl ne permettait lùèmè à aucun Wïàîti*è dé tnkisôïi
de tenit* réunion où assemblée le dimanche avec pïtisièui's *vîbloiis.
Un Èetii violon |ïâfrticulier devait suffire dans les fStès dé famille ; ist s!i
Ton voulait avoir un plus grand nombre d'ihsti^uifneritl^tes, (m était
tenu de les prehdre parmi les membres de la conlmuhàuté.
Tout cela fe' était accompli, sans qu'il y eût nëcessité de publier tfes
factums ou des mémoires- Les ménétriers et maîtres de dàns(e Jirésèn-
taîent leur rèqtrête, et la justice leur accordait gàfiîi de «àuâè. Aussi,
forts de leur suceès contre lès pârticftfliers, nllêsftêrëfat-îls pt^ â
afctionher les joùétffs de hautbois, en iàrficuliant que ces tousîcièhs
anticipaient sur leurs droits, quaiiïd Us se permettaierit de Mve
danser. Le hautbois, in^runient commode pour la daûse, étaît, en
efifet, assez recherché vers cette éfpoqtie, et cda s'explique d^aiitànft
mieux que ceux qui s'en servaient avaient jusqu'alors 6chap]j>é au
monopole des ménétriers.
Les joueurs de hautbois, fierfe de letii- crédit, essayèrent d'abord de
résister aux empiétements de la communauté ; tnaîs bientôt ils âtfrônt
se soumettre. Toutefois, ce ne fut p^ife satas impoîsèr leurs conditions,
car les méuétriers, autorisés à confondre les joueurs de hautbois dans
leurs rangs, se virent dans la nécessité d'înscrîre leur iiàtù sur la
bannière de la confrérie. Le nouveau chef de la corporation, Guil-
laume-Michel Du Manoir, qui avait succédé à son père, le 15 août
1668, dut même prendre à dater de ce jour le titre de Bot des mé-
néirierSy maîtres à danser, joueurs d'instruments tant hauts ^ue bas et
hautbois (1). Le titre de Roi des violons, choisi par Gûillaùtnè l^^ Du
(1) Archives nationales. Registre 1. 85, fol. 179.
36 LA CORPORATION
Manoir, ayant paru trop ambitieux, avait été abrogé par sentence du
parlement.
A peu près vers la même époque, Guillaume-Michel Du Manoir,
plus hardi et plus entreprenant que son père, voulut protester contre
la fondation de V Académie royale de musiqm, faite en 1672 (1) ; mais
sa réclamation n'eut pas un meilleur succès que le procès intenté
contre T Académie de danse. Un arrêt du conseil fit droit aux préten-
tions du musicien favori du roi, Jean -Baptiste LuUi, et repoussa
la requête de Du Manoir (2). On sentait déjà que la corporation
allait perdre tout son édat. Pendant le premier siècle de sa cons-
titution, elle avait pu fonder un hospice, construire une église et
étabhr une royauté de joueurs d'instruments. A dater de l'an 1407,
jusqu'au milieu du xvii* siècle, elle s'était vue dans sa période d'ac-
croissement, et l'on avait pu suivre son développement. Mais le
moment marqué pour sa décadence était venu; sa décomposition
était prochaine.
Frappé par divers arrêts et forcé de reconnaître qu'il ne pouvait pas
rendre les nouvelles ac^idémies ses tributaires, Guillaume^Michel Du
Manoir dut être convaincu que ses privilèges allaient successivement
disparaître. Voyant alors diminuer sensiblement son autorité, et peut-
être aussi ses revenus, il n'hésita pas à déclarer qu'il était fatigué de
l'exercice d'une charge devenue l'ombre d'elle-même. N'ayant
pas le courage d'assister à la ruine de son pouvoir, il abdiqua ses
hautes fonctions, et, par acte passé devant notaire, le 31 dé-
cembre 1685, il abandonna tous ses profits à la commuhauté, mais en
conservant jusqu'à la fin de ses jours le titre de Roi (3).
En renonçant ainsi à son pouvoir, il restait simple violon du roi,
et ne devait plus recevoir que 365 livres de gages annuels et
50 livres pour récompense de chaque quartier.
(1) Leltres patentes du Roy portant permission au sieur Lulli de tenir Académie
royale de musique, enregistrées au parlement le 27 juin 1672.
(2) Arcbivos nationales. Sect. administrative. Minutes des arrêts du conseil.
Arrêt du i4 août iOlS.
(3) BiUiolK de l'École des Chartes. Série A, t. V, p. 282.
DES MÉNÉTRIERS. 37
XIII
ADMINISTRATION DES JURÉS. — LUTTE CONTRE LES ORGANISTES.
La retraite de Guillaume-Michel fut suivie d'un interrègne qui se
prolongea jusqu'en il M y et la corporation des ménétriers, marchant
dès lors sans chef, ne cessa d'éprouver des désastres qui préparèrent
insensiblement sa ruine. Quand nous disons sans chef, c'est une
erreur. Tout au contraire, on avait divisé le pouvoir. Un édit de
1691 (1) avait remplacé l'autorité de l'ancien souverain par quatre
jurés héréditaires, érigés en titre d'office. Ces quatre jurés étaient les
nommés Thomas Duchesne, l'un des vingt-quatre violons de la
chambre; Jean Godefroy, maître à danser; Vincent Pesant et Jean
Aubert, aussi des vingt-quatre violons. Ils durent verser d'abord
18,000 livres, en 1691, puis l'année " suivante 12,000 autres livres
pour obtenir leurs provisions.
Louis XIV faisait ainsi succéder à une administration élective une
administration vénale et héréditaire. Mais peu lui importait, pourvu
qu'il put en tirer finance. N'oublions pas de constater que les revenus
de l'ancienne royauté des ménétriers étaient excessivement réduits, et
que cette royauté, maintenue à Guillaume-Michel du Manoir, était
bornée à la vie de celui-ci. Or, pour indemniser les jurés de la
dépense qu'il avaient faite, une déclaration du 2 novembre 1692
vint renouveler les défenses faites à toutes personnes de montrer
à danser, sans avoir été reçues maîtres dans la communauté, à
l'exception toutefois des treize maîtres composant l'Académie royale
de danse, instituée par lettres-patentes du mois de mars 1661 (2).
Cependant, cela ne suffisait pas à l'ambition des jurés de la commu-
(1) Déclaration du Roy portant règlement pour les fonctions de jurés syndics en
titre d'officCy de la communauté des maîtres à danser et joueur^ d'instrun^enls.
Paris, 1692.
(2) Ibid.
3§. LA ÇO^ÏfPB^ncp
nauté des maîtres à danser. Ils voulurent placer sous leurs lois toute
rharmonie de la ville et des provinces et, pour commencer dignement,
irs ne craignirent pas de s'attaquer aux organistes et compositeurs de
musique. Il ne s'agissait plus ainsi (Jp^^ maîtres à danser, ni des joueurs
de hautbois qui venaient d'être incorporés parmi eux, mais bien de
tous ceux qui faisaient profession d'enseigner à toucher le clavecin et
les instruments d'harmonie.
Gfj;lp^ M^e. p^r^ijle congjfâtei ^\t^ bien, fai!^. ppu^: ^ii^Jl Ift co^yoi-
tise des i^énétrierS:; les rj^veçu^ djç la Qommui]iauté pouvasiei^t en ^tre
djoublé^, M^5,l,esçopip.osft.€iurs^ prof^seu^s et qrg^m^tes, rési&tore^t
énergijijuemept, ain^i qu'on doit le^ çQipprendr^. Leurs, d^oif^, Ift li^
berté de leur ^rt, firent défendus avec au,taiit de fernjeté que de
tal^eq^, et, pei^dapt Iqpgtçpaps les factmïis succédèrent aux méraoifn^
dans Içs d^ux camp?, Enfin, l'afff^ir^, d'abprd^ eqg^ée, au Gl^^let, fut,
pojrté^e pa^^ aijpel.au Parl^ipent, auprès 4^g!|fil, Ips i]p[çu^re^ de ^
cp^mufjaut§ mml^ f^t inl^çrvf^fjijir -le^iv" ai^cieu c^^, Qui^)l^umq-]^ffilieil,
Ijq^ J^anoir, psf: u^, W^^P^ ^ ^ janvier ^694
tç mafh^^en^rQi, api;è& dix.aps d'abdiçatijo^,, avajt quiUp m r^.
traite et renoncé aux douceurs de la vie privée, pour sç mettre ^, 1^
tete^dç, sesi trpupe^ (1), Malheureusement pour, lui et pour la c^use
qjli'il, sputquait, sa ppéspifce Uie servit qu'à illuçt^er le triomphe, de^
cej|x qu'il voulait écraser. Par arrê^t du Parleiueut> i;endu 1q 7 m^î
4695, Injures de la comraupauté des maîtres à danser et joueurç;
d'io^trumenjts furient repou^és et déboutés dp leur dp^aude (2),
Malgré cçt insuccès, leç membres de 1^ confrérie de Saiut-Ju^eu
contfpu^reut ^ lutte et firept de upuvelles tentatives contri^ la lib^|rté
des compositeurs de mpsiquj^ et des musiciens se servant de davecius,
d^ luths, et îjutre§ instruments d'harmopjie, Majs cette fois, ils^ u'iig^s-
saieift. pl]us ouvertement; il^ n'attaquaignt pas eu face. lia se bofi^^iaieuit:
(1) G.-M. Du Manoir mourut au commencement de l'année 1697. Un arrêt du
conseil du 22 mai supprima aussitôt la charge de roi des violons, en même temps
que celle de vingt-cinquième violon de la chambre qui y était attachée, —fiibliçth.
de VEcole des Chartes, t. V, p. 284.
(2) Recueil d'édits et arrêts du conseil du roi, lettres-patentes, mémoires, etc., en
faveur des musiciens dû royaume. Paris, 1774, p. 1.
à demander la confirmation de l'exercice de leurs anciens droits, et
ils parvinrent ainsi à se faire accorder, le 5 avril 4707, des lettres-
patentes par lesquelles la communauté des maîtres à danser et les
maîtres qui la composaient étaient maintenus non-seulement dans
l'exercice de leur art, maïs encore autori^s ai ensaig&ev à jouer « de
tous instruments de musique, de quelque^ e^éce que ce puisse être,
sans aucune exception y>. L'acte portait encore qu'ils avaient <t le droit
d'enseigner à jouer du clavecin, du dessus et de la basse de viole, du
théorbe, du luth, de la guitare, de la flûte allem?inde et traversière,
nonobstant tous arrêts et jugements à ce contraires ». (1)
Les orgajiistes et les professeurs de musique virent dans ce nouveau
droit une atteinte à la liberté de leur profession. Ils se hâtèrent de
protester et de porter leurs réclamations à la cour. Insistant sur ce.
point qu'il importait pour leur art qa'ils fussent délivrés de toute
entrave, ils demandaient formellement à ne pas être forcés de subir
Tautorité des ménétriers ou maîtres à danser. Louis XIV écouta la,
voix de la justice, et, le 25 juin 1707, il signa la déclaration suivante :
« Voulant, dîsait-il, traiter favorablement les organistes de notre
chapelle et autres faisant profession d'enseigner la composition et à
toucher les instruments d'harmonie, et les maintenir dans le libre
exercice de leur profession, nous avons, par ces présentes signées de
notre main, ordonné que les maîtres à danser ne pourroient prendre
d'autres qualités qjae celle de maîtres à danser, joueurs d'instruments
tfint hauts que bas et hautbois. En conséquence, leur faisons défense
de troubler les exposants dans l'exercice de leur profession, voulant
que les maîtres à danser se renferment exactement dans les bornes
qui leur ont été prescrites par notre déclaration du 2 novembre 1692
et par.l'm'êt du 7 mai 1695 ». (2)
Ces titres furent enregistrés au Parlement le 4? juillet suivant et si-
gnifiés aussitôt à la communauté des maîtres à danser, qui pendant
longtemps cessa d'inquiéter les organistes et les professeurs.
Du reste, il faut constater ici que la gent ménétrière était alors en
butte à bien d'autres tourments dont nous allons parler.
(1) Recueils d'édûs en faveur des musiciens du royaume^ p. 5.
(2) Ibid. p. 35.
40 LA CORPORATION
XIV
LA GOBPORATION DES MÉNÉTRIERS ET LES PÈRES
DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE.
*
On a vu plus haut que la confrérie des ménétriers avait le droit
d'élire le chapelain de Féglise Saint-Julien. Tout alla bien, tant que les
confrères n'eurent besoin que d'un desservant. Ils étaient les maîtres
de leur chapelle ; mais ils cessèrent de l'être, dès que les besoins du
service religieux en eurent réuni plusieurs. Ces prêtres usurpèrent
l'autorité dans l'église ; des désordres d'une nature fâcheuse s'éle-
vèrent, paraît-il, parmi les prêtres séculiers et, à la demande de la
reine Anne d'Autriche, l'archevêque de Paris crut devoir les renvoyer,
le 22 novembre 4644. Il les remplaça par des Pères de la Doctrine
chrétienne, dont l'ordre avait été fondé en 1593, et qui étaient établis
à Paris depuis huit ans à peine.
Un 'magistrat contemporain, Olivier d'Ormesson, écrit à cette date :
« M. de Morangis nous dit qu'il venoit d'installer les Pères de la
Doctrine chrétienne à Saint-Julien des ménétriers, au lieu de certains
prêtres qui vivoient mal et que la confrérie des violons conférerait
dorénavant à ces places des religieux de la doctrine chrétienne. Il
nous dit comme il y étoit entré par force avec des archers, suivant
l'ordre de M. de Paris et arrêt du conseil, sans le consentement des
maîtres-violons qui en ont la nomination » (1).
Mais en instituant d'autres desservants, on avait introduit de nou-
veaux loups dans la bergerie. Les ménétriers ne tardèrent pas à le
reconnaître. En effet, les prétentions et les exigences des Pères aug-
mentaient chaque jour. Les ménétriers devaient tout céder, tout
accorder, ou sinon ils devaient se préparer à soutenir une lutte contre
des adversaires puissants et habiles ; ils avaient à résister à Tavidité
d'un corps religieux qui convoitait Tentière possession de leurs biens.
(1) Journal d'Olivier d'Ormesson^ publ. par M. Ghéruel. Paris 1860, p. 125.
M
DBS MÉNÉTRIERS. 44
Et ce n'était pas une pure conjecture. D'abord, les Pères de la
Doctrine chrétienne s'étaient bornés à exercer leur ministère ; puis ils
avaient demandé à s'installer dans les bâtiments de Saint-Julien, et ils
y étaient parvenus ; enfin, ils s'étaient approprié les revenus de
Téglise, et comme la communauté s'y opposait, en 1653, ils se firent
mettre en possession de l'église « par force et avec l'aide des archers ï>.
C'était, en vérité^ la fable de La Fontaine, la Lice et sa Compagne,
mise en action.
On comprendra sans peine que les quatre jurés de la communauté
des ménétriers et joueurs d'instruments, ordinairement si prompts à
Fattâque, ne voulussent pas consentir à se laisser dépouiller de leurs
biens. Ils réclamèrent énergiquement contre cette spoliation sans
précédent ; mais ils avaient aflaire à des gens peu disposés à restituer
ce qu'ils avaient pris, et alors commencèrent des procès sans nombre,
procès pénibles, coûteux et d'autant plus terribles pour les ménétriers
et maîtres à danser que Ton faisait constamment intervenir la question
religieuse dans le différend (1).
Le XVII® siècle était fini, le roi Louis XIV était mort, que la guerre
durait encore. Elle menaçait de s'éterniser, lorsque enfin, le 7 mars
1718, le Parlement se décida à mettre un terme à cet état de choses.
Par un arrêt rendu ce jour-là, il rétablit la communauté des mé-
nétriers dans son droit de patronage, maintint le chapelain choisi et
nommé par elle, et ordonna que toutes choses fussent remises sur
l'ancien pied fixé par un arrêt du 2 juillet 1658 et une transaction de
1664. Quant aux Pères de la Doctrine chrétienne, ils durent recon-
naître, bien malgré eux, que, de toute ancienneté et à perpétuité, les
maîtres joueurs de violon étaient les fondateurs, patrons laïques, pré-
sentateurs, gouverneurs et administrateurs de l'égUse. A ces. condi-
tions, ils furent autorisés à se servir de la chapelle, mais seulement
moyennant bail (2).
La restitution de l'église Saint-Julien aux membres de la commu-
nauté fut tellement considérée par eux comme une victoire, qu'ils
(1) Biblioth. de l'École des Chartes. Série A, t. V. p. 348-351.
(2) A. Vidal : La chapelle Saint-Julien des Ménétriers et -les Ménestrels à Paris,
Paris, 1878, p. 16.
« LA; œaPORATiaN
^ulitreat: étePQÎsQP \mt triomphe et comtaten publiquemenfa kum
djroitd» Ej^k ooiii$équem)€i, ih ârenl placer cbna Véglisa divi^rscs înœoi^
tÂcw sjjM^ iKiarhra nom cpu devaieal; rappeler Uml à la foist l'^poquid de;
lat fojodatioQ du momimeot» et le droic de patronage des oaénaiirii^^v
sm l'église.
L'uAe de ces^ iascriptionsy placée £ui-4i9S8U6 du portail de; l'éf^Usev
étaiV ^iil$i coioçue :
« L'an 1331, sous le règne de Philippe de Valois, roi àà Francev
ceitte chapelle et église a été bâtie et fondée par un des vingt^^pistre
violons du roi et par ua des maîtres de la vtUe de Paris, doM les
YÎQgit^quatre violons et les maîtres joueurs d'instrument et à danser die
la ville de Paris ont été et sont de temps immémorial fondateurs,
patrons laycs, seuls possesseurs, dotateurs, gouverneurs et adminis^*
trateurs d'iceUe. — Cette inscriptioa a été posée du ccrnsentement de
la communauté en Tannée MDCGXIX^v par les soins de Mt» François
Bourdin^ Charles Goupil, Auroi et Pierre Deshayes, jurés-députés en
charge i>. (1)
Une seconde inscription, recueillie également par MîiHn etplacée
dons lachapeUe de la Vierge, portait ces mots. :
1 lua communauté des maîtres à danser et joueurs d'instruments dé.
cette ville de Paris, lesquels sont fondateurs, et qui étaient en possession
de temps^ immémorial du droit de patronage, et qui avait été troublée
pendant vingt ans par la négligence de ses jurés ou autrement, a été
&û&n rétabUe solennellement par arrêt du parlement rendu le 7 m»rs
1718, et ce à la poursuite et diligence de lacques Roque, Claude Mul^-
lard, Benoit Malle et François Bourdin, lors jurés en chaîne ; et pour'
paiïpétudle mémoire, ils ont fait apposer la présente inscription laméine:
amée 1718; — Posé du temps de Charles Goupil, lors juré-maître,
Glaude^GharleS; Galand, pr^re bachelier de Sorbonne, nommé pari
eux chapelain titulaire de cette église le 3 avril 1715, intronisé le •
9 avril 1718 t.
Qqand les prêtres de la doctrine chrétienne eurent été soumis, ce
furent les chevaUers de Tordre du Mont-Carmel qui voulurent, à leur
(1) Millin» AniiquUés nationales, U lY, art. XLI. Chapelle de S. Julien des Mô^^-
triers, p. 16. •
DES M]3*ETRIEB§, 43.
tour^ s'emparer de Yé^\m SaUil-JuUea e» 4780; (d> puis, apiîès
soixante ans de tranquillité, le chapitre de S^i^^^y t^A<i9«vain;!9I90nt
encore de déposséder les anciens propriéteii^$>; anfio, le 1,7 décence
1^519, Iç.s, ipénétriers £>llèrent en corps à TAssemblée naUoaalia fjwe
don de leur chapelle à la nation. Un an plus tard, elle fut veiidue et
dçmoliç ppujp faire placç à de nouvelles constructipus.
Ainsi, disparut la chapeUe de Saint-Julien des Ménétriers, qui pw-
daptj plusieurs siècles, ay^itété le lieu de prière de tous les joueursi
4'instruments de Paris. Il n'en resta rien, pasmênie quelques-une$,des
petites statuettes qui ornaient la façade et qui dataient de la fondation.
Voici, d'après un acte de la fin du xvn® siècle (2), quelles étaient Ips
statues qui ornaient le portail :
« Audit portail sont trois grandes figures en pierre, dont Tune posée
dans le milieu représente le Sauveur, celle à droite représente
Saint-Julien, et celle à gauche saint Genès tenant d'une main un violon
et de l'autre un archet (3), et dans le tour du cintre dudit portail sont
insculptés en relief de pierres douze figures assises, qui sont six de
chaque côté.
De cdui de droite, en entrant :
La !'• figure joue d'un instrument difficile à cognoistre, à cause de
l'imtiquitf^.
La 2« figure joue d'une tronjpette marine.
La 3* figure, d'une musette.
La 4® figure, d'une fluste.
La 5® figure, de timballes.
La 6^ figure, qui est tputen haut, représente un musipieu quitieiat
un papier de musique développé.
Et du costé gauche :
La i^^ figure, au dessus de la tête de S. Julien, joue d'un s^ent.
(1) Félibien. Histoire de Paris, t. I, p. 578.
(2) Archives nationales ; Papiers seqxieslrés, carton T, n» 149Î. Pièce datée du
29juUle^.l693,
(3) Quelqi;es personnes ont voulu voir dans cette figure GoUn Muset, Tun dea
jongleurs de Thibaut, comte de Champagne -, mais tout nous porte à croire que les
anciens ménétriers ont eu Tintention de représenter saint Genest, le second patron
dalwjrchApelle.
1
44 LA CORPORATION
La 2« figure joue d'un instrument à six cordes qui est un sistre.
La 3« figure joue d'une harpe.
La 4® figure joue d'un luth.
La 5® figure joue d'un instrument en manière de harpe renversée
dont les cordes sont en large devant luy.
La 6® figure qui est tout en hault et à costé de la clef dudit cintre,
joue d'un clavessin en forme d'épinette, et au-dessous de la traverse
de la dicte porte, sont deux figures de chsfque costé, qui représentent
des musiciens, dont deux tiennent en main chacun un rouUeaii de
papier de musique y>.
En résumé, les artistes ni les antiquaires ne sauraient regretter
l'église de Saint-Julien des Ménestriers, dont Millin nous a conservé le
dessin ; elle n'offrait rien de remarquable ni dans son architecture ni
dans ses ornements extérieurs ou intérieurs.
XV
JEAN-PIERRE GUIGNON, ROI DES VIOLONS. — NOUVEAUX STATUTS,
Les organistes vivaient en paix depuis la déclaration royale du 25
juin 1707. N'ayant ni confrérie, ni communauté, ils étaient également
unis par les liens de l'amitié personnelle et par l'amour de leur art.
Aimés et recherchés de tous ceux qui aimaient la musique, ils exer-
çaient avec honneur leur profession, lorsque, après un état de calme
qui avait duré trente-quatre ans, ils furent de nouveau troublés et
menacés dans leur indépendance et leur liberté. Voici dans quelles
circonstances :
Par un beau jour de printemps de l'année 4741, le premier violon
de la chapelle du roi s'était senti saisi d'une ambition extraordinaire;
la gloire troublait son cerveau ; il voulait essayer de la royauté. Mais
pour cela il fallait ramasser une couronne tombée depuis plus d'un
demi-siècle. C'était une tentative hardie, dont la difficulté augmentait
le mérite, et notre artiste musicien se fit fort de triompher des
obstacles qui se présenteraient. Maître de musique du jeune Dauphin
et de madame Adélaïde, il jouissait à ce titre d'une certaine influence
DES MÉNÉTRIERS. 45
à la xour. On Taimait à cause de sa générosité, on Tapplaudissait à
cause de son talent réel de violoniste. Aussi, n'hésita-t-il pas à
solliciter le. rétablissement de la royauté ménélrière comme une
récompense des services qu'il avait pu rendre. Ses jeunes élèves
appuyèrent sa requête auprès du roi, et Louis XV eut la faiblesse de
faire revivre une iponarchie presque oubliée. Il signa les lettres-
patentes de celte étrange résurrection, et les provisions en furent
expédiées le 15 juin il M, en faveur du sieur Jean-Pierre Guignon,
maître violon de la chapelle de Sa Majesté (1), lequel put se parer
désormais du titre de Roi des violons^ anciennement porté par
Guillaume Du Manoir.
Mais qu'on ne croie pas que Guignon fut un sobriquet d'aventure,
un surnom donné par suite d'un insuccès. Nullement. Le nom de
Guignon était bien réel. C'était celui d'un artiste distingué, d'un maître
illustre qui, venu de Turin, s'était en peu de temps créé une grande
réputation par la rare habileté avec laquelle il jouait du violon et du
violoncelle. A peine arrivé en France, il avait été reconnu l'émule
heureux de Leclair, et en même temps qu'il hantait la cour, il semait
la ville d'agréables chansons qui étaient également répétées dans les
salons et dans les guinguettes. Nul ne tirait alors du violon des sons
plus purs, et personne ne dirigeait un orchestre avec plus de précision
et d'intelligence (2).
Guignon était donc l'artiste destiné à faire revivre une triste royauté
que l'on croyait morte à jamais. Après les mfortunes de. Du Manoir,
obligé d'abdiquer, les musiciens avaient le malheur d'avoir pour chef
un homme intelligent, sans doute, un artiste habile, à la vérité ; mais
il avait un nom qui gâtait toutes ses belles qualités ; il se nommait
Jean-Pierre Guignon ! Que voulez-vous ? La fortune a parfois ses
ironies, et quand elle va trahir un homme ou un État, elle se plait
souvent à lui envoyer des présages. C'est ainsi qu'elle fit monter
Guignon sur le trône de la gaité, de la musique et de la danse.
Les considérants des lettres-patentes concédées à Guignon tendent
(1) Archives nationales. Registre 85, f 179 à 184.
(2) Fétis. Biographie des mitsiciens. 2* êdît. t; IV. p. 157. — État actuel de la
musique du Roi, Paris, 1775.
46 LA CÔhPORATION
â pt*ôttY€r que la corporation était tombée bien bas à ixltie èpôd^ne.
Nons en extrayons les lignes suivantes : « La survivance duàit ©fflce
auroit été accordée à Michel-Guillaume Du Manoir fils, lequel s'en
seroit volontairement démis en faveur dé la coôimunauté des maîtres
à danser.... Mais cette réunion n'ayant pu éti*e faite sans nos lettres
d'autorisation, et étant d'ailleurs bien informé que, loin d'avoir été
avantageuse aut maîtres d'instrumens et maîtres de danse, elle a donné
lieu à un dérangement total dans lés al^ires de la communauté, tant
p^ l'inexécution de leurs statuts et règlements que par ïes dettes
considérables que la mauvaise administration des jurés M a fait
contracter, nous nous sommes déterminé à faire revivre un office si
nécessaire au rétablissement du bon ordre dans cette communauté » .
Et Louis XV, « connaissant l'expérience que le sieur Guignctti «'étoit
acquise dans sa profession, les travaux qu'il avoit faits et étant infonnë
dès vœux exprimés par les maîtres de la communauté, ac^îorda au
ÏMPemier violon de sa chapelle l'état et office du roi et m^tre <îés me-
uniers et de tous les joueurs d'instt^umens tant hauts que bas de son
<JbÔissatlce, pour eti jouir comme en avoit joui ou dû jouir Du Manoir ».
Dans les premiers télnps, Guignon, l'excdlent professeur âMt où
^^connaissait les grands services, se montra ce qu'il était réellena^t,
aussi bon ^'intelligent et aussi habile que plein de savoir-faire. Il ne
paraissait nullement songer à la revendication de certains droits de
sa royauté, ni à faire revivre quelques prérogatites oubliées. Cepen-
dant un Jour, six ans après son élévation au frône de la râfèhestran^e,
Quignon crut devoir signaler la puissance ^e son ^[ouverneiment par là
triisè en vigueui* d'un noihreau code intitulé : Rèfflemens approuvés et
confitmés par Sa Majesté pour la communauté des miaîtres d'instru^
mens ti de danse à Paris et par tout^ lés villes du roymime (1).
Ces nouveaux statuts furent mis au jeur le 25 juin 1747 ; ïnais nous
ffe^ons observer tout d'abord que le titre seul dénotait une usurpation,
une extension àe la quaUté du roi des violons. En effet, les lettres-
patentes de 1741 ne lui conféraient pas le droit d'envahir sous son au-
torité tous les instruments en général, mais simplement les ménétriers
et joueurs d'instruments.
{\) Bibliothèqi^ de V École des Chartes, Série A, t. V, p. 364.
DES MÉNÉTRIERS. ^
On remarquait également que ce notreeau règlement, miSEretiflëttt
âaborë, attestait une eartaine habileté administrative, en métne t^ûApè
qu'Ufie votonté clairement formulée de relever la corporation de Télat
d'abaissement moral où elle était tombée. Mais ce qu'il était facîte de
prévoir arriva. A peine ces statuts furent-ils connus qu'une clameur
formidable s'éleva contre e^x parmi la gent musicale. Les organistes,
les compositeurs, les davecinistes de Paris et de Versailles se Mlèrent
de protester; puis les organistes, les clavecinistes de là proviticfe se
joignireint aux premiers, et tous ensemble ils refusèreîït d'obéir à un
chef qui, sans raison comme sans droit, et dans le seul but sans doute
d'alimenter ses révenus, voulait étendre ses pouvoirs et maltipliet
le nombre de ses sujets, ils formèrent donc opposition aux prétentions
du foi fiuignon, le 49 aott 1747, c'est-à-dire moins de deux mois
apiès la publication des derniers statuts.
Alors s'engagea une nouvelle lutte plus vive, plus acharnée que lei^
pjRÔeédentes. La guerre ^ Troie dura dk ans ; ceHe des ménétriers et
des musiciens menaçait d'être éterndle, car elle renouvelait toutes les
quelles anciennes.
Nous ne voulons pas énumérer ici les sigiaifications, les arrêts, les
oppositions, les mémoires et tous les actes enfin qui fiireût falls
durant ce nouveau procès (1). Qu'il nous suffise de dire que les Pères
de la Doctrine chrétienne, établis à Saint-Julien, profitèrent de l'occa-
sion pour s'umir aux emsiemis du roi des violons. Ils lui reprocbaaent
ses entreprises comme autant d'usurpations, avec Tespoèr, s'il ^uœom^
bait^ de rester seuls maîtres et possesseurs de l'église.
XVI
LES ORGANISAS ET t01fi>aBtTÉURS AFFRàiycmS DE LÀ DOBÉENiLTÎON
DES MÉNÉTRIERS.
Ceri^, Gwgnon, dont chacun connaissait et adii!)àirait le talent
incontestable, pouvait être un hon roi des ménétriers ; mais fafiaût^
(t) Touis les fiiéimoires, arrêts, lettrés-patentes concernant ces contestations se
trottVèaïâansle ReàwsUd^édtU.,. m fdv&ttt aies MvJsiciens du royaume. Paris, l'?74.
48 LA CORPORATION
pour cela se laisser dominer par lui quand il voulait asservir, contre
toutes les règles et sans droit, l'orgue, le clavecin et tous les instru-
ments d'harmonie? Aussi lui rappelait-on que, d'après leurs anciens
statuts, ses sujets étaient forcés, sous peine d'amende, de servir tout le
temps qu'ils étaient loués aux noces et festins^ aux bals publics, aux
spectacles et autres lieux. On rappelait également aux ménétriers qu'il
leur était défendu de s'attrouper sur la voie publique, soit le jour ou
la nuit, et même de donner des sérénades.
Or, était-il admissible que les organistes et les musiciens pussent se
transporter au milieu des noces ou dans les bals avec leurs orgues et
leurs clavecins? On ne le pensait certes pas. Et l'on ne risquait pas
assurément davantage de les voir s'attrouper avec leurs instruments
par les rues pour donner des sérénades publiques ou particulières.
L'orgue, disait-on, est un instrument majestueux qui renferme
toutes les parties de l'harmonie et autant d'instruments qu'il y a de
jeux qui le composent. L'artiste qui en fait mouvoir les ressorts, livré
au feu de son génie, peut composer et exécuter dans l'instant des
morceaux à quatre ou cinq parties qui font l'éloge de son esprit, de
sa science et de son talent. En pourrait-il être de même d'un joueur
dû violon qui ne s'est jamais exercé que sur le manche d'un instru-
ment dont il sait à peine tirer quelques menuets ou contredanses
destinés à exciter la joie dans les guinguettes ?
Or, tout en parlant ainsi, les défenseurs des musiciens professeurs
se plaisaient à diminuer la valeur des violonistes au profit de leurs
clients, qui refusaient absolument de se soumettre à l'examen des jurés
et maîtres des ménétriers. Et pour montrer la supériorité de Thar-
moniste sur leviolon, ceux qui faisaient métier d'enseigner la compo-
sition musicale et de toucher de l'orgue citaient parmi les professeurs
nombre de personnes engagées dans l'état ecclésiastique.
4^'était d'abord le sieur Dumont, abbé commendataire de Silly, qui
avait été longtemps organiste de l'église Saint-Paul ; puis l'organiste
de Saint-Leu, Pierre Vinot, et plusieurs autres prêtres, remplissant les
mêmes fonctions à Caen, au Mans et ailleurs.
Les organistes refusaient enfin leur incorporation dans la commu-
nauté de Saint-Julien, parce qu'ils se sentaient humiliés d'être con-
fondus avec tous les violons qui peuplaient les cabarets. L'inscription
DES MÉNÉTRIERS. 49
de leurs noms sur les registres de la corporation aurait été pour eux
une véritable dérogeance, et ils se plaisaient à constater que la pro-
fession de l'harmonie tendait au contraire toujours à s'élever. Ainsi,
Ton avait vu plusieurs gentilshommes s'adonner à l'étude et à l'exécu-
tion de l'orgue, et parmi eux, il fallait citer en première Ugne le sieur
Jean Buterne, écuyer, capitoul de Toulouse, ainsi que les sieurs de
Charbonnières et de Montalant, et ni les uns ni les autres n'avaient
nullement perdu les privilèges de leur noblesse pour s'être consacrés
à cet art.
Cette résistance énergique, soutenue avec une certaine dignité, ne
manqua pas de trouver des approbateurs. Guignon ne fut pas des
derniers à le reconnaître. Aussi, voyant sa cause compromise, jugea-t-il
prudent, dès le 9 avril 1750, d'abandonner toutes ses prétentions à
l'égard des organistes et des joueurs de clavecin. Il les maintint
seulement pour les autres instrumentistes ; mais ses adversaires ne
lui laissèrent même pas cette dernière planche de salut. Ils
repoussaient également toutes les exigences de la corporation, et
demandaient que le corps musical tout entier fût à jamais affiranchi
de la domination des ménétriers. Hâtons-nous de dire qu'ils obtinrent
gain de cause. Leurs justes réclamations furent entendues, et un arrêt
du Parlement, rendu en la Grand'Chambre, le 30 mai 1750 (1),
maintint tous les professeurs d'instruments servant à l'accompa-
gnement des voix dans la liberté dont ils jouissaient. Le sieur Jean-
Pierre Guignon et les maîtres à danser furent déboutés de leurs
prétentions, et les articles de leurs statuts, qui étaient contraires à la
liberté de l'art musical, durent tous être réformés. Enfin, le chef de la
communauté dut prendre à l'avenir le titre plus modeste de Roi et
maître des ménétriers, joueurs d'instruments tant hauts que bas, et
hautbois, et communauté des maîtres à danser.
Quand la signification de cet arrêt fut faite au sieur Guignon, en
son domicile, à l'hôtel de Villeroy, à Versailles, il parut profondément
affecté, mais résigné à son sort. Malheureusement, les jurés de la
communauté n'eurent pas la même soumission. Ils songeaient à résis-
(1) Mémoires t lettres-paienles et arrêts pour les organistes compositeurs de
musique.... contre le roi et maître des ménétriers. Paris, 1751, p. 35.
4
50 LA CORP(MlATION
téi*, â côttAôttre les décisions de la justice,- et le jour où la signification
leur ftit présentée, le 26 juin 1750, ils s'absentèrent et laissèrent une
femine étrsîngère remettre le registre de leurs délibérations à l'huissier
Henry Griveau, qui s'empressa d'y transcrire l'arrêt précité (1).
Malgré quelques petites difficultés, on devait croire que toute lutte
avait cessé, à la suite de l'arrêt rendu par le Parlement, et les
organistes se flattaient que les ménétriers ne tenteraient plus de les
troubler dans l'exercice de leur profession. L'attitude du sieur Guignon
pouvait d'autant plus les entretenir dans cette douce persuasion, que
le malheureux roi paraissait soumis et donnait lui-même Texemple
de l'obéissance aux décisions de la justice. Mais, nous venons de le
dire, les jurés de la conimunauté de Saint- Julien ne se résignaient
pas aussi facilement, et nous les verrons bientôt renouveler leurs
prétentions sous une autre forme.
Tant qu'il avait été convaincu de son droit, Guignon était resté
l'adversaire déclaré des musiciens qu'il voulait soumettre à son
autorité. Mais le jour où il avait été condamné par un arrêt souverain,
il avait dignement accepté sa défaite, il s'était incliné devant le
jugement des magistrats. Bien plus, et pour prouver que dans son
esprit comme dans ses actes il n'y avait jamais eu une pensée de lucre»
il renonça de son propre mouvement à certains droits qui lui étaient
expressément réservés. Ainsi, il ne fit percevoir ni directement ni
indirectement aucune somme sur ceux qui enseignaient la danse en
faisant danser au son de leurs instruments, dans les bals, assemblées,
noces, cabarets et guinguettes, soit à Paris, soit dans les provinces du
royaume.
Guignon était véritablement un artiste de ccôur, et l'on doit croire
que ses iiiteiitîons furent inspirées par un seiHiment louable. Il faut '
donc le plaindre, puisqu'il ne rétira de ses efforts que des déceptions
et des peines. Quoiqu'il en soit, après sa défaite, il montra combien
il était dévoué à son art, en ouvrant gratuitement sa maison aux élèves
peu fortunés (2). Commençait'dl à comprendre que l'avenir de l'art
(1) Mémoires, lettres-patentes et arrêts pour Us^ organistes compositeurs de
intisique.... contre le roi et mûitre des ménétriers. Paris 1751, p. 37.
(2) Etal actuel de la musique du Boi* Paris, 1775.
DES MÉWÉTÎUERS. 51
élBÀiy non pas daos uaê réglementation restriotive^ mais au contraire
dans la liberté la plus complète ? Tout nous porte à le p^oser.
XVII
MATHELIN TAÏLLASSON. — LIEUTENANTS DU ROI DES MÉNÉTRIERS.
Je viens de parler des provinces, et ceci m'amène à dire que le roi
des violons, ne pouvant être présent en personne dans toutes les
villes, possédait, en vertu des statuts, le droit de nommer des lieute-
nants dans les diverses provinces du royaume. Sans doute, il y avait
eu résistance de la part des ménétriers des provinces ; mais il avait
fallu céder, et les principales villes de France étaient devenues, dès le
commencement du xvi® siècle, de véritables succursales de la corpora-
tion de Paris. Il en avait été créé à Orléans, à Amiens, à Bordeaux, à
Abbeville , à Blois et à Tours , ainsi que le prouve l'acte suivant
daté du 26 mars 1508 :• « Le maître des ménestriers de France
donne pouvoir au nommé Nicolas Hestier d'exercer dans la ville de
Tours eii Touraine, pendant six années, les droits dont il jouit luy
méstne ». (1)
H va sans dire que Texercice de ces dfoits en province tfélait
accordé que moyennant une redevance à la corporation de Paris.
En 1608, Claude Guillaume Nyon, dit Lafont, alors roi des violons
de France, fut inforiné de la réputation qu'avait acquise à Toulouse un
certa:in Mathelin Taîllasson, habile joueur de violon. Ce TaiBasson,
dont le frèl'é était rievêtu de la dignité de capitoul en 4613, ne fut pas
seulement chanté par le poète Augîer Gaillard, le cTiarron de Rabas-
tens ; il était teWetneht admiré dans le pays qu'on le citait comme une
des merveilles de Toulouse, dans un distique méridional qui mettait
sur le même rang : 1** la plus jolie femme de l'époque, Paule de
Viguier, dite la Belle Paule ; 2<» une basilique admirable, Saînt-Sernin ;
(1) Archives nationales. Dossier S. JuKm\d^ Ménfistmr»tyG^!i^UmAi:V'\^'
52 LA CORPORATION
3" un moulin sans rival , le Bazacle ; 4° un artiste de talent ,
Matbelin Taillasson.
La Bello Paulo, S^n-Sarni,
Lé Bazaclé, Mathali (1).
Or, Mathelin étant venu à Paris, le roi des violons de France désira
l'entendre. Il fut émerveillé de son talent, et pour lui témoigner toute
son estime, il consentit à le revêtir d'une partie de son autorité, après
ravoir reçu maître. Par acte passé le 21 août 1608, il concéda donc à
Mathelin Taillasson le droit de recevoir tous maîtres joueurs d'instru-
ments tant à Toulouse que dans les villes du ressort du parlement de
cette cité, comme aussi il lui donna l'autorisation de faire toutes cor-
rections et punitions qu'il reconnaîtrait justes et nécessaires (2).
Ce n'est pas ici le lieu de dire comment Mathelin Taillasson dut
défendre et soutenir ses privilèges contre les ménétriers récalcitrants
de son pays. Il me suffit de constater qu'il fut confirmé dans sa pos-
sessior^ par arrêt du parlement de Toulouse, rendu le 26 mars 1609,
et qu'il porta le titre de Roi des violons jusqu'à son dernier jour.
Jean-Baptiste Guignon fut moins heureux dans la seconde moitié du
xviii" siècle, et ses sujets furent la. cause principale de sa perte. En
effet, les jurés de la communauté des ménestriers refusaient de se' con-
former à l'arrêt du 30 mai 1750 ; mais comme ils ne pouvaient agir à
Paris, ils avaient eu la pensée d'atteindre les musiciens de provinces,
persuadés que ceux-ci devaient toujours ignorer les lois qui assu-
raient la liberté de l'art ipusical. En conséquence, ils s'étaient em-
pressés de créer et de vendre, sans le concours et sans l'agrément du
sieur Guignon, diverses charges de lieutenants-généraux du roi des
ménétriers, en leur assignant diverses parties du royaume.
Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'ils avaient rendu ces charges
(1) Un poète gascon, Dastros, a dit aussi dans son ode à Goudoulin :
Toulousa tangue per mir aclé
Soun San-Sami é soun Bazaclé
La Belo Paulo é Matelin.
(2) Biographie Toulousaine, U II, p. 417.
DES MÉNÉTRIERS. m
héï^éâitôire% «t qo^ilB ^svaient eobeédé à eeûx qui 'en étaient fK^nmis,
non^euleiitent le ch^oit de disposer de ielir survivaiDcei, a»aîs.<eQGpFe de
^ nôîiii*ner^e&:lfeuteiittttts{pârtitcffiei?s.
^Un doeuYnênt âtflhèntii)ae, une sentence du liôutenant-géniéral de
police de la v«lteid'Angers/du 28 avril 1772, ao^s a censervé les «aras
de «^étranges Mèntenâsits du roi des ménétriers (1) . Aifl^i^ tes ji^rés
avaient nommé :
^lèan-Baptiiste Le lierre-, lieutenant à Saint^Qèei^in, en Vermandoîs;
Ghai^les^ené QhauV<^yi, à fièois, eii âutrmance d'uH sieilr Sauvageliu,
«^ui êtaït c^aretiier et nlénétrier dans éètte viUè ;
Claude Jouan à Vitry-le-François (2), avec la ^genéraUlé de €bâl^lfê,
<én ^Obumpagne ;
Pierre de Peteieu, à Sôisfeiotis ;
^Àfln, ile si^ùr Etrexine^Benri BarboUn d'Àyrarubt^s^t «avait ae(|uis
de la communaiilé parisienne une Ueuténàttce généttak jp(éFéditaire>
ime sorte de vice^royàuté, sitr les deux tiers environ du royaume. Il
avait, en effet, le droit d'exercer son. pouvoir sur le Lyonoai», le Jûau-
^phiné, la Provenca, èe Languedoc, 1'Auwergi>e, le Bea^}olaifi^, la Bour-
rgogne, le Mvernais, file de Fmnœ, la 'Bcie» la Beauee, rX)rlë»!iBis,
le Blaisois, la Touraine, l'Anjou, le Main«i la Bretagne, les j)n>vince8
^ nessoift dû conseil supérieur de Ptoiliers^ et de la ville de Bordeaux.
La communauté des ménétriers avait cédé cette lieutexiwce.g^nérale
iau sieur Bapbotiti, fmir l'indemniser d'uAe somme de 25r^292 livres
.environ qu'il avait déboursée et îavaaïcéB pour eUe. L'acte en avait été
^8sé le 1®^ décembre 4782, par devant M® Ywlges et^ipn coirfrér^
notaires à Paris (3).
fiffli)otin, à qui on tenait delivmr laplus^ra^departiedela France,
avait été d'après les écrits du temps, « ci-d#vant laquais d'un avocat, de-
meurant dans l'île Saint-Louis et dans l'anticbambre duquel il avait ap-
pris à racler du violon » . Il s'était fait ensuite nommer lieutenant particu-
t^i^dmmm^Êmmma^mm^M^tm^itàÊééÊt^tmmmÉmm^Êt^imtÊK^
(i) Recueil d'Éd&, 'arrêts du Conseil^ p. 188.
(^) Tendant enviroii vingt ans que Claude Joiiân exerça à Vîtry, il eihpôdha tiii setil
musicien, habitant cette ville d'enseigner à jouer dés instrtlnieilts. — Èïàt àciiièï de
la^rmmqvs du Hoi^ p. 21.
(3) Recueil d'Édils,.. en faveur des Musiciens du royaume, p. 194.
4*
54 LA CQŒ\P0RATK)N
lier à Poitiers, maisil n'avait jamais pu faire recoanaître ses pouvoirs (4).
Avec un pareil homme, il était impossible que la ménestrandie pût
se relever dignement. En effet, Barbotin s'empressa de céder ses
pouvoirs à ceux qui voulurent les lui acheter. C'est ainsi qu'il choisit
et nomma divers lieutenants, pour la plupart gens sans aveu ou insol-
vables, lesquels portèrent aussitôt le trouble et le désordre partout où
ils voulaient exercer les droits qu'ils avaient acquis.
Parmi ceux qui tenaient leurs pouvoirs de Barbotin, il faut citer :
Le sieur Houattin, qui prenait le titre de lieutenant du roi des mé-
nétriers, à Saint-Denis en France, pour le diocèse de Paris, à
l'exception de la capitale.
Le sieur Surentine jouissait des mêmes droits, à Dijon, pour la
province de Bourgogne, et son fils s'intitulait lieutenant en survivance.
On a vu plus haut que le sieùr Sauvageau^ cabaretier à l'enseigne
du signe de la Croix, tenait le sceptre du violon à Blois.
Le sieur Charles Champion, perruquier à Chartres, était lieutenant
pour la Beauce (2).
Le sieur Vendimène avait le même titre à Tours.
Un marchand d'orviétan et arracheur de dents, nommé Le Maire,
exerçait son pouvoir à Bourges.
Le sieur Lemierre était lieutenant à Rennes^ pour toutes les parties
de la Bretagne.
Enfin, une espèce de charlatan, Pierre-Olivier Josson, se disant
« musicien et maître à danser de la ville et académie royale d'Angers i>,
prenait le titre de lieutenant du roi des violons pour les provinces
d'Anjou et du Maine.
Nous allons voir maintenant quel fut le résultat de ces concessions
et de toutes ces transactions.
(i) Élat actuel de la Musique du Boi. Paris, 1774, p. 15.
(2) Ce garçon perruquier, natif de Verneuil au Perche, fit rendre et afficher à
Chartres une sentence dans le goût de celle d'Angers, et la fit signifier au sieur
Dupont, abbé et musicien de la cathédrale. Il eut aussi Tinfamie de mettre à con-
tribution les pauvres ménétriers de la campagne, dont la plupart furent obligés de
vendre leurs meubles pour assouvir les exigences de ce concussionnaire. — Voir
V Abrégé historique de la Ménestrandie, où nous trouvons une note manuscrite ainsi
conçue : « Champion et son frère ont été roués en effigie à Chartres, le 4 juin 1774,
pour crime d'aàsassiuat ».
DES MÉNÉTRIERS. 55
XVIII
ARRÊT ANNULANT LES CHARGES DES LIEUTENANTS PROVINCIAUX.
ABDICATION ET MORT DE J.-P. QUIGNON, DERNIER ROI DES VIOLONS.
Certes, personne n'eût fait attention aux lieutenances secondaires qui
avaient été successivement créées, si tous les délégués se fussent con-
tentés de mettre seulement à contribution les instruments hauts et bas
et les hautbois. Mais, imbus des idées des maîtres delà communauté des
ménétriers, ils étaient convaincus que l'arrêt de' 1750 ne pouvait
émanciper les maîtres organistes des provinces. Dès lors, leurs pré-
tentions allèrent jusqu'à exiger le payement desjlroits de maîtrise,
non-seulement des clavecinistes et des musiciens de tout rang, mais
encore des organistes et des maîtrises des églises et des cathédrales.
Ces titulaires indignes poursuivaient ainsi sans pitié tout musicien
qui voulait exercer son art librement; ils attaquaient même les prêtres
qui, dans les églises, enseignaient à jouer de l'orgue ou à chanter à
des enfants de chœur, et ils obtinrent de plusieurs tribunaux des sen-
tences qui défendaient à tous musiciens, ipême à .ceux des églises
cathédrales, d'enseigner la musique vocale et instrumentale, de jouer
des instruments dans les concerts, ni dans aucun spectacle, sans
s'être fait préalablement recevoir maîtres par lesdits lieutenants (1).
De telles poursuites, intentées dans un but de vénalité, irritèrent les
musiciens. Les plaintes et les réclamations devinrent générales. Enfin,
les prétentions exorbitantes des lieutenants du roi des ménétriers
décidèrent par le fait de Taffranchissement de l'art tout entier; ce fut
un événement.
De toutes les parties du royaume, les organistes, les clavecinistes et
compositeurs adressèrent leurs plaintes aux musiciens de la musique
du roi. Non-seulement ceux-ci accueillirent la requête de leurs con-
frères des provinces, mais ils prirent chaudement en main une cause
(1) Sentence de M. le Lieutenant général de police de la ville d* Angers ^ du
22 avril 1772, dans le Recueil d'édils en faveur des musiciens du royaume, p. 188.
()6 LA GOBK)hATlON
dont la justice ne leur paraissait nullement douteuse. Un mémoire
fut rédigé afin de prouver tout l'odieux des persécutions de Barbotin
et de ses agents, et ce mémoire, appuyé et soutenu par les gentils-
hommes de la 4)hambre, fut présenté au Conseil d'État du roi, qui
rendu "un arrêt favorable le 13 février 1773. Or, egdCvmrêtcQiifiméipar
lettres-patentes du 3 avril suivant, annulait toutes les ventes et conces-
sions qui avaient été faites des charges de lieutenants-généraux et
particuliers du roi des violons dans toute l'étendue du'ro^ume (1).
ÏGuignon avait été atterré par îàrrét du 30 Mai 1*750; mais quand
Tarfêt du 13 février vînt lui révéler tout Ce tpxi avait été failt depuis
vingt-trois ans, sans sa participation, par les mettibres de la dôiïitau-
iiaùlé, il coniprit qu'il n'avait été T61 des métiètriers ^ue de tfoïù.
L'àiribition qu'il avait eue de relever sa profession, soft défeîr de
donner plus de relief â l'art musical, ses rèves de gloiï'e è'rifln, iotit
s'êVattotiit. Las de tous ces jprocès auxquels il aurait voulu rester étràh-
gér, désenchanté de toutes choses, il sô décida à renôrïcèr aux vanités
de ce monde et se dèmil volontairement d'une charge qui avait été la
source de tant de contestations. Il fit plus, il demanda là suppression
d'une royauté devenue absolument illusoire et ridicule.
iPar un ëdit du mois de mars 17*73, enregistré au Parlement, le 31
du même mois,* Louis XV accepta la démission de 6uignon et sup-
prima l'office de roi et maître des ménétriers.
« Notre amé Jean-Pierre Guignon, disait cet édit. Nous ayàtit très
humblement supplié d'agréer sa démission pure et simple de Tofiice
de Roy et maître des ménestriers et joueurs d'instrumerits tant hauts
que las dans notre royaume^ donVNous l'avions pourvu par nos lettres
du Ï5 juin 1741, Nous nous sommes fait rendre compte des jpoûvoirs
et privilèges généralement attribues à cette charge ; el bien informé
que l'exercice desdits privilèges que ledit sieur Guignon s'est abstenu
de mettre en usage, paroit nuire à l'émulation si nécessaire au progrès
de l'art de la musique que notre intention est de protéger de plus eh
plus. Nous avons j\igé à propos, en déférant à là demande dudit sieur
Guignon, de supprimer â toujours ladite charge.
(t) Heeueiî d'édiis, arrêts de (^nsHl, en faveur deimUsieiem du rttytmfne, p. 120.
DES MÉNÉTRIERS. 57
a A ces causes et autres, de Tavis de notre conseil et de notre
science certaine, pleine puissance et autorité royale, Nous avons, par
notre édit perpétuel et irrévocable, éteint et supprimé, éteignons et
supprimons la charge de Roi et maître des ménestriers et joueurs
d'instruments tant hauts que bas de notre royaume, vacante par la
démission volontaire qu'en a faite le sieur Guignon.... (1) »
 la suite de son abdication, Guignon conservait encore, outre son
emploi de Tun des vingt-quatre violons de la chambre à 750 livres de
gages, le titre de serpent de la chapelle aux appointements de 900
livres. Il jouissait également d'une pension de 4,000 livres qui lui
avait été accordée le 47 mai 4745 et dont il devait être payé par
chacun an, sa vie durant (2). Moins de deux mois après avoir résigné
ses pouvoirs, le 30 janvier 4775, il mourut à Versailles d'une attaque
d'apoplexie. Jean -Pierre Guigon allait atteindre sa soixante-treizième
année, et tous ceux qui l'avaient connu lui donnaient encore le titre
vain et ridicule de Roi des violons.
Désormais, c'en était fait de la confrérie dé Saint-Julien. L'édit de
Louis .XV, déclarant supprimée la charge de Roi et maître des
ménétriers, avait tué la corporation. Elle était bien morte avec sa
royauté, mais l'édit de février 4776, rendu par Louis XVI, portant
suppression des anciennes communautés d'arts et métiers, vint enfin
mettre un terme légal à son existence.
(1) Recueil d'édils, arrêt du conseil... en faveur des musiciens du royaume, p. 219.
(2) Archives nationales. 0. 89. f> 111.
TABLE DES CHAPITRES.
pages.
I. Trouvères et troubadours, bateleurs et baladins 1
II. Jongleurs, trompeurs et faiseurs de vielles 4
III. Premier règlement des jongleurs et ménestrels 5
IV. Fleurie de Chartres. — Fondation de Thospice et de la chapelle de
Saint-Julien-le-Pauvre 8
V. Ménétriers errants et ménétriers attachés aux princes \Z
VI. Chronologie des rois des ménétriers. i6
VII. Nouveaux statuts des ménétriers. . • .' 19
VIII. Troupe du duc d'Orléans. — Premie^r ballet en France 24
IX. Violons du roi. — La grande et la petite bande 25
X. Prétentions des chefs de la corporation. — Guillaume Du Manoir roi
des violons .....*.*. 27
XI. Fondation de l'Académie royale de danse 30
XII. Droits sur les joueurs d'instruments. — Fondation de TAcadémie
royafe de musique 33
XIII. Administration des jurés. — Lutte contre les organistes 36
XIV. La corporation de ménétriers et les Pères de la doctrine chrétienne . 39
XV. Jean-Pierre Quignon, roi des violons. — Nouveaux statuts . . • . 43
XVI. Les organistes et compositeurs affranchis de la domination des méné-
triers 46
XVII. Mathelin Taillasson. -— Lieutenants du roi des ménétriers .... 49
XVIII. Arrêt annulant les charges des lieutenants provinciaux. — Abdication
et mort de J.-P. Quignon dernier roi des violons. ...... 53
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AHIENS. — TYPOGRAPHIE DBLATTRE-LENOEL, RUE DE LA RÉPUBLIQUE, 32.
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