LA
CRISE AGRICOLE
DANS SES RAPPORTS
LA BAISSE DES PRIX ET LA (ilJESTIOX MONETAIRE
LA
CRISE AGRICOLE
DANS SES KAPPORTS
LA BAISSE DES PRIX ET LA QUESTION MONÉTAIRE
I). ZOLLA
Lauréat de rriistitul,
Professeur -à l'Ecole de Grignon et à l'Ecole libre
des Sciences politiques.
OiisToge couronné par i Académie des Sciences morales
et politiques [Prit liossi).
a
PARIS
MASSOX ET C% ÉDITEURS
LIHI4A1KES DE l' ACADÉMIE DE MÉDECINE
120, Houlovard Saiiit-(îpi-inaiii
(jdB
OCT 1 0 t9j2
A MA MERE
En témoignage de mon respect et de
ma reconnaissante affection.
LA CRISE AGRICOLE
DANS SES RxVPPORTS
AVEC LA BAISSE DES PRIX ET LA QUESTION
MONÉTAIRE
INTRODUCTION
On trouvera dans cette Introduction le plan que nous
avons adopté, c'est-à-dire la succession et Tenchaîne-
ment logiques des divers chapitres.
En premier lieu nous exposons et nous analysons
les faits ; nous remontons ensuite aux causes qui
les expliquent. Nous montrons les conséquences si
diverses des phénomènes économiques qui constituent
ou provoquent la Crise agricole. Enfin, nous nous
demandons quels remèdes peuvent en atténuer les
effets.
Ce sont là les quatre divisions de cet ouvrage.
Qu'est-ce que la Crise agricole ? Premières
distinctions à faire.
Depuis tantôt vingt-cinq ans on parle de la crise
agricole. Il n'est pas inutile, au début d'une étude qui
ZoLLA. — La Crise agricole. i
2 lyTRODUCTION
s'y rapporte, de chercher à préciser ce qu'on entend
par ce mot.
Une pareille expression désigne évidemment un état
de malaise, de trouble, de crainte et de souffrance. Il
s'est opéré un changement dans la situation des agri-
culteurs, et ce changement les affecte douloureuse-
ment.
Ici une distinction s'impose. Nous avons la fâcheuse
habitude de donner le nom d'agriculteurs à tous ceux
qui coopèrent à la production agricole. Le public est
ainsi disposé à confondre les chefs d'exploitation, qui
sont des patrons, des entrepreneurs de culture, et, par
suite, de véritables industriels, avec les collaborateurs
salariés connus sous le nom d'ouvriers, de domes-
tiques, de chefs de culture, etc., etc. Cette confusion
est regrettable à plus d'un titre. L'ouvrier agricole ne
doit pas plus être confondu avec l'entrepreneur de cul-
ture que le salarié de l'industrie avec le propriétaire
d'une usine et l'ingénieur qui la dirige. A un point de
vue très général et très élevé, on peut dire que les
intérêts des patrons industriels sont liés à ceux de leurs
ouvriers. Il n'en est pas moins vrai que ces intérêts
sont parfois opposés, et les dissentiments ou les luttes
retentissantes qui se produisent entre employeurs et
employés, nous révèlent clairement l'antagonisme de
ces deux catégories de « travailleurs » et de « produc-
teurs )).
Pourquoi en serait-il autrement dans l'industrie agri-
cole ? Pourquoi, dès lors, donner le même nom à des
hommes dont les fonctions, la fortune, l'instruction et
la situation sociale sont évidemment différentes ?
QU EST-CE QUE LA CRISE AGRICOLE? 3
La crise agricole, notamment, affecte-t-elle de la même
façon tous les agriculteurs ?
Les salaires, par exemple, ont-ils subi une réduction
égale à celle qui affecte les profits des entrepreneurs de
culture ?
Cet état de malaise, de trouble, de crainte et de souf-
france appelé « crise », présente-t-il les mêmes carac-
tères lorsque Ton étudie la situation des salariés et
celle des patrons agricoles, celle des locataires d'héri-
tages ruraux appelés fermiers ou métayers, et celle
des petits propriétaires-cultivateurs ?
Cette question comporte certainement une réponse
négative. Non, la « crise » n'a pas affecté de la même
manière la situation financière et matérielle de ces trois
grandes catégories d' « agriculteurs ». Cette distinction
est fondamentale. Elle se rattache tout à la fois aux
causes et aux effets de la crise agricole. Elle permet
d'en étudier la haute portée sociale.
Quand on parle d'une crise agricole., on semble,
enfin, viser uniquement les agriculteurs. C^est là une
vue trop étroite. L'observation des faits actuels et
l'étude des phénomènes analogues dans le passé, nous
apprennent bien vite que les propriétaires fonciers qui
amodient ou afferment leurs domaines ruraux sont
atteints par une crise agricole. Tout le monde sait, en \
réalité, que depuis quelques années le revenu des biens- [
fonds ruraux a diminué en France.
Les exceptions à cet égard confirment la règle.
D'autre part, la réduction des revenus nets habituels
a exercé une action sur la valeur vénale de ces mêmes
biens. Les propriétaires qui ne cultivent pas eux*
4 I.\TIiODUCTIOy
mêmes, mais qui « donnent en location » leurs terres,
constituent par conséquent une dernière catégorie de
personnes dont la crise actuelle modifie la situation.
Quand nous étudierons les efïets et les causes de la
crise agricole, il y aura donc lieu de rappeler la qua-
druple division que nous indiquons dès à présent. Les
entrepreneurs de culture, les propriétaires cultivateurs,
les propriétaires de biens-fonds affermés ou amodiés,
et enfin les salariés, seront l'objet d'études successives
destinées à montrer dans quelle mesure ils ont à souf-
frir d'un état de choses nouveau, et pour quelles raison
ils s'en trouvent diversement affectés.
Les caractères de la crise agricole.
Les caractères de la crise que nous traversons ne
diffèrent pas seulement quand il s'agit de fermiers,
de métayers, de petits propriétaires, etc., etc. Ils varient
également avec la nature des produits agricoles et, par
conséquent, avec les régions dans lesquelles ces pro-
duits sont habituellement obtenus. Nous aurons, par
conséquent, à marquer les différences qui s'observent
d'une extrémité à l'autre de notre pays et à rechercher
les causes qui les expliquent.
Ces différences correspondent à des caractères spé-
ciaux.
Mais il est un caractère très général et non plus spé-
cial que nous devons indiquer immédiatement, car il
mar([ue la différence profonde qui sépare la crise agri-
cole actuelle des difficultés passagères ou même des
désastres et des fléaux. La crise agricole est, avant
LES CARACTERES DE LA CRISE AGRICOLE 5
tout, une crise économique. Elle se rapporte à des
questions financières, à la réduction des profits, à la
baisse des loyers agricoles, à la question si obscure des
prix de revient dans leur rapport avec les prix de
vente, et non pas à l'état des récoltes que des intem-
péries, des maladies nouvelles auraient pu diminuer.
Sans doute finvasion phylloxérique constitue un évé-
nement d'une si grande importance qu'elle a provoqué
une crise dans les régions viticoles. Mais cette crise
dont la cause est bien connue ne saurait être confondue
avec la crise agricole elle-même, dont les effets se sont
fait sentir dans la France entière.
S'il s'agissait de la rareté de certaines récoltes, la
crise agricole eût été restreinte à quelques régions, à
(juelques pays tout au plus. Après les années d'épreuve,
on eût traversé de nouveau une période de prospérité
et d'abondance. Rien n'eut changé, ni le prix des den-
rées, ni les bénéfices attachés à l'exploitation du sol,
ni la valeur locative des terres.
C'est précisément l'inverse que nous ol)servons.
. Depuis vingt ans, la masse des produits agricoles obte-
nus chaque année a certainement augmenté ; nous avons
réalisé d'incontestables progrès. Notre sol est mieux
travaillé, mieux fumé, plus intelligemment sollicité à
produire, parce que l'on a tenu compte de ses aptitudes
naturelles ; il est devenu plus fécond. Nos animaux
domestiques sont à la fois plus nombreux, mieux con-
formés, plus pesants, et en somme plus productifs.
Nous avons triomphé du phylloxéra, reconstitué en
grande partie nos vignobles ravagés, lutté avec succès
contre des maladies nouvelles. Le perfectionnement de
6 INTRODUCTION
notre outillage mécanique et la prédominance de plus
en plus marquée des cultures fourragères ont réduit
les frais de main-d'œuvre. Nos voies de communication
de toutes catégories sont plus nombreuses. Dans bien
des cas, les tarifs de transport ont subi sur nos chemins
de fer des réductions notables. L'esprit d'association
s'est développé dans nos campagnes. Les syndicats
agricoles, les sociétés coopératives de production ren-
dent sur mille points des services signalés. Il n'est pas
jusqu'à l'instruction agricole que l'on n'ait répandue
avec la plus louable persévérance, sinon avec le succès
le plus éclatant.
Et pourtant le public agricole ne cesse de faire
entendre des plaintes. Les profits agricoles ont diminué
et la baisse du prix des terres s'est accentuée.
Cette situation n'est pas spéciale à la France. On
nous la signale en Angleterre, où une commission offi-
cielle vient précisément d'étudier les effets et de recher-
cher les causes de cette crise agricole dont tout le
monde parle. Dans l'Europe entière, les mêmes signes
de malaise s'observent et les mêmes plaintes retcn-
\ tissent. Aux États-Unis, nos concurrents si redoutés
I paraissent souffrir du même mal. La crise agricole est
donc très générale. C'est encore là un de ses caractères
jles plus saillants.
La crise agricole, la baisse des prix et des profits.
Nous pouvons dire dès à présent qu'un phénomène
économique de la plus haute importance et d'une remar-
quable généralité coïncide avec cette crise et l'explique
en partie.
LÀ BAISSE DES l'IlIX ET DES PROFITS 7
Nous voulons parler de la baisse du prix des pro- j
duits agricoles. i
Cette baisse est le fait capital que nous avons à étu-
dier tout d'abord. Nous allons suivre les fluctuations
des cours avant d'en rechercher les causes ou d'en
montrer les effets.
Mais, si intéressante que soit l'étude des fluctuations
de prix, elle ne nous fournira pas tous les renseigne-
ments dont nous avons besoin.
La baisse des prix n'agit sur les profits qu'à la con-
dition de réduire les recettes. Or, les recettes brutes
du cultivateur ne sont affectées par la baisse ou par la
hausse que s'il s'agit de produits effectivement vendus.
Il faut donc chercher à savoir quels sont les produits
du sol portés sur les marchés et les distinguer avec
soin des denrées qui constituent de véritables matières
premières transformées dans l'exploitation et vendues
lorsque cette transformation a été opérée.
Il est clair, par exemple, que la plupart des fourrages
ne sont point vendus. Ils servent d'aliments. Le bétail
les transforme en viande, en lait, en laine, et ils sont
vendus sous cette forme spéciale. Les denrées con-
sommées immédiatement par les chefs d'exploitation,
leur famille et leur personnel salarié ne sont point non
plus portées sur le marché et les variations de leur
prix n'affectent pas les recettes brutes de l'entrepreneur
de culture ou ses profits.
Voilà déjà une première question à étudier. Ce n'est
pas la seule.
L'augmentation de la production peut atténuer, dans
une certaine mesure, l'effet de la dépression des cours.
ISTRODUCTIOy
En tout cas, la diminution du produit brut cultural est
moins marquée si les quantités récoltées augmentent
pendant que le prix de vente s'abaisse.
Il y a donc lieu de se demander si les progrès tech-
niques réalisés en France depuis vingt ans n'ont pas eu
précisément pour conséquences un développement
appréciable de la production. Ce développement doit
avoir d'autant plus d'importance qu'il est plus rapide,
plus marqué et qu'il porte sur des denrées produites
par masses plus considérables.
C'est encore là une seconde question intimement
liée au problème de la crise agricole. 11 est impossible
d'apprécier et de mesurer les conséquences réelles
de la baisse des prix sans tenir compte des circons-
tances qui se rapportent à l'augmentation de la produc-
tion.
Mais en revanche, le développement rapide de la pro-
duction n'a-t-il pas provoqué ou précipité la baisse des
cours? L'analyse des faits serait incomplète si nous
n'examinions pas cette question.
Voici maintenant une autre série de faits à étudier :
Quand on parle de la baisse des prix, on songe exclu-
sivement aux cours des produits que vendent les agri-
culteurs.
Pourquoi ne tiendrait-on pas compte également de la
baisse des denrées ({u'achètent les cultivateurs et qui
sont de véritables matières premières ? Est-il indiffé-
Bent, par exemple, que le cours des engrais industriels
se soit abaissé ou que le prix des résidus industriels
tels que les tourteaux alimentaires, ait diminué ? Evi-
demment non ! ïl en est de même en ce qui concerne
LA BAISSE DES Plil.Y ET DES PROFITS <)
la valeur des machines et outils que nos agriculteurs
ont intérêt à acheter.
Il y aurait lieu de se demander également si la baisse
des salaires et des loyers agricoles ne vient pas réduire,
à son tour, les dépenses, diminuer par conséquent les
prix de revient et compenser partiellement, au moins,
la contraction des recettes brutes.
Nous pensons, toutefois, que la question des salaires
et celle des variations du prix des terres doivent être
étudiées à part, en môme temps que les conséquences
ou elFets de la baisse des prix et de la crise agricole.
Voici, enfin, un. autre problème d'autant plus intéres-
sant qu'il a été jusqu'à présent moins étudié et moins
bien compris.
Il n'est pas douteux que la crise agricole ne se tra-
duise, en définitive, par une diminution des profits
attachés à la culture du sol et à l'emploi des capitaux
cVexploilalioii :
Quelle est donc la répercussion d'une baisse des prix
de vente et de la contraction des recettes brutes, qui
est la conséquence de cette baisse, sur les profils cultu-
raux?
Suffit-il de réduire les dépenses dans la proportion
où. sont réduites les recettes brutes pour réaliser les
mêmes profits ? La baisse ou la hausse la plus légère
des cours ne peut-elle pas, au contraire, abaisser ou
élever rapidement la valeur du produit brut cultural
et exercer immédiatement une influence considérable
sur le montant des profits ?
Qui ne voit l'intérêt exceptionnel de ce problème ?
La solution qu'il comporte peut éclairer d'un jour
lo lyTRODUCTION
nouveau la question de la crise en montrant quelle est
la portée d'une baisse des prix amenant une contraction
immédiate des recettes brutes, alors même que les
dépenses correspondantes pourraient être réduites
dans des proportions analogues.
On ne saurait donc trop mettre en lumière la réper-
cussion des fluctuations de prix sur les profits cultu-
raux.
C'est là, en vérité, le fond môme de la question des
crises agricoles ou industrielles provoquées par des
variations de prix.
Les causes de la crise. — La concurrence étrangère.
En étudiant le mouvement des prix, les variations du
produit brut des exploitations rurales et la répercussion
de ces phénomènes économiques sur les profits cultu-
raux, nous allons surtout constater ou analyser des faits
presque immédiatement visibles.
C'est là, aux yeux du public, vuie tâche aisée et une
besogne presque stérile.
« Tout le monde, nous dira-t-on, sait que le prix des
produits agricoles a diminué et que les profits culturaux
se sont abaissés. Quelle est la cause de cette baisse?
N'est-ce point la concurrence étrangère ? N'est-ce point
la démonétisation de l'argent, la rareté de l'or, la con-
currence des pays à étalon d'argent? Voilà ce qui nous
intéresse, car en déterminant exactement la cause du
mal dont nous souffrons, il sera possible, sans doute,
d'en montrer le remède, w
LES CAUSES DE LA CRISE ii
Nous serons donc amenés à parler des faits écono-
miques qui expliquent la baisse des prix.
En premier lieu, il nous faudra signaler la concur-
rence. C'est elle que l'on accuse tout d'abord, car la
concurrence, étrangère ou intérieure, n'est jamais vue
d'un bon œil par le producteur. Mais ici une distinc-
tion est nécessaire.
Comment la concurrence étrangère se manifeste-t-elle ;
quels sont les faits qui la révèlent?
Ce sont évidemment les importations étrangères (i)
qui révèlent par leurs variations l'influence probable de
la concurrence extérieure sur le cours des produits
nationaux.
Il y aura donc lieu d'étudier nos importations agri-
coles principales, celles qui se rapportent notamment
aux céréales et au bétail, et de suivre la marche simul-
tanée de ces importations et des prix. Beaucoup de per-
sonnes admettent sans discussion que la baisse du ])lé
en France résulte immédiatement de l'accroissement
de nos importations et qu'il en est de même pour le
bétail. Il est tout au moins permis de vérifier l'exactitude
de cette affirmation et de se demander si, à d'autres
époques, les variations de prix observées ont coïncidé
avec le développement ou la réduction des importations
étrangères.
Est-il vrai, par exemple, que le prix d'un produit
agricole comme le froment ait diminué lorsque les impor-
tations étrangères augmentaient, et se soit relevé, au
(i) Ou qualifiées telles, car nos slalislicjucs considèreul comme pro-
duits étrangers ceux qui viennent de nos colonies. Il est bon de signaler
cette définition tout administrative.
12 INTRODUCTION
contraire, lorsque les importations diminuaient? Est-il
exact que le cours de la viande ait fléchi dans noire
pays quand les entrées de bétail étranger étaient consi-
dérables et qu'il ait augmenté quand ces importations
diminuaient?
Disons-le tout de suite : ces deux affirmations si faci-
lement acceptées, ces déductions logiques, mais fort
imprudentes, ne sont nullement confirmées par Tétude
des faits dans notre pays.
Le cours du blé a diminué rapidement en France sous
la Restauration, et il est resté fort bas pendant long-
temps, bien que nos importations fussent à cette époque
insignifiantes ou nulles.
Le prix du froment a augmenté rapidement de i85o à
1875 et à ce moment les importations augmentaient aussi .
Depuis vingt ans, nos importations de blés étrangers
se sont fort peu développées, et, cependant les cours
ont fléchi dans une proportion considérable. Le cours
de la viande a légèrement diminué, lui aussi, et pour-
tant nos importations de bétail ont subi une réduction
incontestable.
Ce ne sont là ni des affirmations ni même des expli-
cations ; ce sont des faits que tout le monde peut étu-
dier et constater comme nous. Il suffit pour cela de
relever les prix du blé ou de la viande sur nos marchés
et de suivre en même temps la marche des importations.
Ceux qui voudront bien ne pas nous accuser immédia-
tement de soutenir une thèse paradoxale auront toute-
fois le droit de nous demander quelle est la cause ou
bien quelles sont les causes des variations de prix
observées.
LA QUESTION MONÉTAIRE i3
Rien de plus juste ; et nous nous efforcerons préci-
sément de montrer tout d'abord que les variations de
prix ne sauraient être attribuées à une seule cause.
La complexité des phénomènes économiques doit faire
écarter les solutions simples et les affirmations catégo-
riques. La hausse ou la baisse des prix est la résultante
d'un très grand nombre de faits. Or, la concurrence
étrangère et le chiffre des importations ne sont pas les
seuls faits dont on doive tenir compte. lien est d'autres,
extrêmement importants, que l'on ne saurait négliger.
La question monétaire.
La plupart des économistes admettent aujourd'hui que
la hausse générale du prix des produits agricoles durant
la période iSSo-iSjo peut être attribuée — partiellement
— à l'aiUux d'or qui se produisit au même moment.
Nous aurons à discuter une opinion du même genre,
à propos de la baisse actuelle qui s'est fait sentir depuis
1873 ou 1880.
Beaucoup de personnes supposent que la démonéti-
sation de l'argent et la suspension de la frappe libre de
ce métal après 1870 ont provoqué une baisse énorme
du métal blanc. D'autre part, ils admettent que l'or
restant seul chargé du rôle monétaire qui était rempli
précédemment par les deux métaux précieux, a pu
devenir plus rare. Cette rareté ou cette « appréciation »
a déterminé, suivant les mêmes personnes, une baisse
générale des prix.
Les bimétallisles ne se contentent pas d'affirmer que
la rareté de l'or est la cause de la baisse ; ils demandent
i4 jy'JIWDUCTION
qu'on rouvre les hôtels de monnaie, et notamment les
nôtres, à la frappe libre de l'argent. La hausse des
prix et la prospérité seraient, à leurs yeux, les consé-
quences immédiates de cette politique monétaire. A vrai
dire, les bimétallistes désireraient qu'une conférence
internationale fixât le rapport nouveau qui servirait à
établir le pouvoir d'achat réciproque des deux métaux
monétaires devenus désormais capables de se suppléer
l'un l'autre et de solder les dettes de pays à pays.
11 nous faudra encore étudier ce problème. D'avance
nous pouvons dire que nous repousserons les solutions
extrêmes. Nous n'admettrons point que la démonétisation
de l'argent, et sa baisse prodigieuse, aient été sans aucune
influence sur les prix. Il nous a paru impossible de
démontrer que l'or avait conservé la même puissance
d'acquisition. Cette incertitude doit nous faire douter ;
et nous estimons qu'il est sage de ne point se prononcer
en ce moment d'une façon catégorique. Peut-être, en
effet, l'or est-il aujourd'hui plus « apprécié », ce qui
expliquerait en partie, mais en partie seulement, la
baisse générale des prix. Remarquons, d'ailleurs, que
le développement extraordinairement rapide de la pro-
duction de l'or depuis 1892 rendra, dans une dizaine
d'années, F « appréciation » de l'or tout à fait hypothé-
tique ou chimérique (i).
( Quant au rêve des bimétallistes, nous le croyons bien
} décevant, et sa réalisation nous apparaît comme très
\ dangereuse.
Attendons, d'ailleurs, qu'une conférence internatio-
(i) Voir à ce propos larliclc de M. de P'ovillc public dans la Revue
des Deux Mondes (i5 novembre 1898) : « L'or du Klondyko. »
LA QUESTION MONÉTAIRE i5
nalc se soit prononcée sur Topportiinité de la reprise de
la frappe du métal blanc.
Mais voici, maintenant, un autre problème qui se pose.
La démonétisation et la baisse de Targ-ent n'ont pas eu
seulement pour conséquence 1' « appréciation de l'or ».
Il ne faut pas oublier, dit-on, que si la plupart des
nations d'Europe sont, en droit ou en fait, monométal-
listes-or, certains pays sont restés monométallistes-
argent (i).
Or, la concurrence des pays à étalon d'argent a, dit-
on, pour effets :
1° De nous inonder do produits à vil prix achetés dan-s
ces pays aux prix cV autre fois avec un métal qui a perdu
5o p. loo de sa valeur-or ;
i" De rendre impossibles les exportations des pays
à étalon d'or forcés de vendre leurs produits deux fois
plus cher en monnaie d'argent, puisque ce métal est
déprécié de 5o p. loo par rapport à son change en or.
C'est là encore une affirmation dont nous étudierons [
la valeur et la portée. A nos yeux, elle équivaut simple-
ment à une hypothèse qui est d'ailleurs, fort souvent en
contradiction manifeste avec la réalité.
Il est possible que la dépréciation brusque de l'unité
monétaire d'argent dans des pays comme l'Inde ait
abaissé momentanément le prix en or des produits
exportés. Mais les conclusions catégoriques et les déduc-
tions logiques de ceux qui attribuent la baisse des prix
à la concurrence des « pays blancs » ne doivent point
être acceptées sans discussion. Il en est de môme en ce
(i) Cependant la frappe de l'argent est suspendue dans l'Inde depuis
1893, et le Japon a adopté l'étalon d'or.
i6 lATEODUCnON
qui concerne les pays à circulation fiduciaire soumis au
régime du papier-monnaie.
On n'a point établi que le prix des denrées agricoles
cultivées exclusivement dans les pays à étalon d'argent
eut toujours baissé depuis vingt ou vingt-cinq ans; la
marche des cours en or n'est nullement parallèle à celle
de l'argent coté en or.
Il n'est pas davantage démontré que le prix des den-
rées produites dans les pays à étalon -d'or soit resté
fixe ou ait augmenté.
L'Agriculture et l'impôt.
Mais à quoi bon, dira-t-on, chercher si loin la cause
d'une crise qui résulte en grande partie des injustices
fiscales dont l'agriculture est victime ? L'industrie agri-
cole est accablée par l'impôt. Elle acquitte de ce chef de
25 à 3o p. ICO de son revenu, et ce tribut écrasant est une
des causes de la crise agricole, si ce n'est pas la seule.
En réalité cette opinion ne repose que sur des calculs
dépourvus de toute valeur scientifique. Après avoir
dressé la liste de toutes les taxes directes ou indirectes
qui frappent la terre, les bâtiments ruraux, et la popu-
lation agricole tout entière, on en calcule le montant
annuel d'une façon tout arbitraire. Mais cela n'est rien.
L'ensemble des impôts directs ou indirects acquittés
par la population agricole ne peut être prélevé que sur
ses revenus. C'est donc au total des revenus agricoles,
profits, gages, salaires, fermages, récoltes partagées en
nature, qu'il faut comparer le total correspondant des
charges fiscales. Et c'est précisément ce que l'on ne
L AGRICULTURE ET L'IMPOT 17
fait pas. On se contente de confondre le revenu net de
la population agricole avec l'ensemble du revenu net
imposable de la terre qui n'en représente qu'une frac-
tion. Cette erreur enlève toute valeur et toute portée à
l'opinion de ceux qui considèrent la crise agricole
comme une conséquence de l'énormité des charges
fiscales imposées aux populations rurales.
Les véritables causes de la crise agricole.
Le développement de la production dans le monde et
la transformation des moyens de transport.
Après avoir étudié la baisse et recherché les causes
qui l'expliquent, nous ne serons pas encore parvenus à
l'ormuler des conclusions définitives. Nos solutions
auront plutôt été des solutions négatives.
Quels sont donc les faits décisifs; quelles sont les
transformations nouvelles dont les conséquences se
traduisent depuis vingt ans par une baisse si remarquable
et si générale du prix des denrées agricoles ? Ces faits
et ces transformations se rapportent au développement
de la production agricole dans le monde et aux trans-
ports.
Nul phénomène économique n'a eu, sans doute, plus
d'influence sur la marche des prix.
C'est ce que nous essaierons de prouver.
Il nous sera impossible d'exposer, même en les résu-
mant, tous les faits relatifs à la production agricole et
aux transports. Nous nous efforcerons, tout au moins,
d'indiquer les principaux, ceux qui sont plus topiques
et plus frappants. Nous nous garderons bien, en tout
ZoKLA. — La Crise agricole. 2
lyTRODVCTION
cas, d'isoler les faits relatifs au développement de la
production sans indiquer le lien si étroit qui rattache
Faccroissement des récoltes de tout genre et des den-
1 rées de toute espèce aux transformations des moyens
de transport. Ces deux questions sont si intimement liées
qu'on ne saurait les séparer si l'on veut les bien étudier.
Dans les pays neufs particulièrement, et aux États-Unis
» que nous connaissons mieux, c'est la réduction des
\ tarifs de chemin de fer ou des frets qui explique le déve-
I loppement des cultures.
Malgré la baisse des principaux produits agricoles,
non seulement en Europe, mais dans l'est des État-Unis,
la culture du blé et l'élevage du bétail sont restés lucra-
tifs pour les agriculteurs du centre et de l'ouest, />rt/"ce
que la réduction des frais de transport a compensé, au
moins partiellement, la baisse des cours pratiqués sur
les grands marchés.
Il en résulte que dans les États qui sont encore de
grands producteurs de froment, on n'observe pas une
baisse de prix analogue à celle que l'on constate dans
notre pays ou même dans l'est des États-Unis.
Le contraste est môme, parfois, saisissant.
Cette observation, appuyée sur des statistiques nom-
breuses et précises, nous paraît présenter un très grand
intérêt et une portée très générale.
Les mêmes phénomènes ont pu se produire dans
d'autres pays nouvellement mis en culture, et ils nous
font comprendre pourquoi le développement rapide de
la production agricole n'a pas été arrêté par la baisse
des cours cotés en Europe ou sur les marchés d'expor-
tation de ces pays eux-mêmes.
CONSÉQUENCES DE LA CRISE AGRICOLE 19
Les conséquences de la crise agricole. Sa haute portée
sociale.
La baisse des prix et la crise agricole n'ont pas seu-
lement une très grande importance économique; elles
ont également une haute portée sociale. La situation
nouvelle faite aux propriétaires fonciers et aux entre-
preneurs de culture est toute différente de celle des
salariés ruraux.
Depuis fort longtemps — au moins dix ans — nous
avons recueilli, notamment, des informations précises
sur la marche des loyers agricoles, des profits et des
salaires dans notre pays.
Le contraste est frappant entre la baisse si rapide des I
fermages^ qui a été la conséquence (i) de la réduction v
générale des profils culturaux et Vétat stationnaire, l
sinon la hausse des salaires.
L'enquête récente de 1899,, qui vient d'être publiée,
nous paraît avoir atténué la baisse réelle, mais inégale,
des fermages et exagéré la réduction des salaires.
Cette réduction des salaires nous semble d'autant
plus singulière que le document officiel signale une
hausse pour les gages des domestiques de ferme, hausse
importante :
(i) Nous considérons en effet la baisse des loyers agricoles comme
une conséquence de l'abaissement des profits réalisés par les agricul-
teurs. M. Levasseur dit avec raison : « Le fermier paie, en boime jus-
tice, l'usage de rinslrumcnt pour ce qu'il rapporte. » — 1/ Agriculture
nu. r Étals-Unis, par E. Levasseur, 1894, p. 73.
INTRODUCTION
Hausse des gages
188M802.
Maîtres, valols 28 p. loo
Laboureurs et charretiers 36 —
Bouviers, bergers 20 —
Servantes de ferme 33 —
Nos informations personnelles (i) nous permettent de
conclure que la baisse des salaires a été exceptionnelle.
En Angleterre, où la crise agricole a sévi, on n'observe
pas non plus des réductions de salaires ruraux, sauf
exceptions. Les nombreux rapports publiés sur « VAgri-
cultural dépression » signalent également le constraste
que présente la situation des ouvriers ou domestiques
comparée à celle des « landpwners » ou des « tenants «.
L'enquête agricole française de 1892 nous parait
optimiste dans ses conclusions relatives à la baisse des
loyers agricoles.
Sur ce point encore, nos informations personnelles
nous ont donné des résultats différents, sauf pour les
régions de l'Ouest où l'on observe parfois môme des
hausses de prix sur des terrains schisteux et grani-
tiques (2).
L'état stationnaire des fermages est également certain
(i) Indépendamment des notes pi'iscs par nous, il nous a été possible
de faire relever par des jeunes agriculteurs, les salaires, les gages, les
profits et les fermages dans un grand nombre de régions. Ces rensei-^
gncments, empruntés à la comptabilité des cultivateurs, nous paraissent
puisés à des sources sûres. Nous possédons ainsi une centaine de mono-
graphies.
(2) Il est très curieux et insti'hjctif de noter que dans le Royaume-
Uni on constate les mêmes faits quand il s'agit des terres appartenant
aux mêmes formations géologiques.
Il y aurait sur ce point une élude technique et économique à faire
qui serait d une grande portée.
LES REMEDES PROPOSES ai
dans des régions d'herbages comme le Nivernais.
Ailleurs, nous avons relevé les loyers agricoles des
domaines appartenant aux hospices de Sainl-Qiientin,
du Mans, d'Angers, de Rouen, etc., etc. La baisse
dépasse largement ao p. loo en moyenne depuis 1880
jusqu'à 1896.
En résumé, la crise agricole a été surtout pénible
pour les entrepreneurs de culture et les propriétaires '
de bien amodiés ou affermés. — A cet égard, elle a eu
une portée sociale qu'il est intéressant de signaler. J
Les remèdes proposés et la véritable solution.
« A l'heure actuelle, dit-on, les prix de vente des
produits agricoles sont tombés au-dessous des prix de
revient, et cela est surtout vrai pour les céréales. Une
pareille situation ne saurait se prolonger sans entraî-
ner la ruine des agriculteurs. 11 convient par consé-
quent de prévenir un pareil désastre. C'est la baisse
des cours qui a provoqué une crise redoutable ; c'est
donc la baisse qu'il s'agit de limiter, d'arrêter; c'est la
hausse des prix qu'il faut obtenir. L'adoption du régime
protecteur s'impose et c'est la concurrence étrangère
qu'on doit écarter. »
Nous avons déjà parlé de ce remède en étudiant
l'effet qu'a produit sur les cours le régime de protec-
tion douanière établi depuis près de dix ans dans notre
pays. Il nous semble qu'il sera inutile d'insister. Les '
droits de douane ont atténué les effets de la baisse des
prix, mais ils n'ont pas provoqué une hausse suffisante •
puisque de tous côtés les plaintes retentissent. ^
\
i2 INTRODUCTION
Ce remède a, d'ailleurs, les plus grands inconvénients.
Une hausse artificielle impose aux acheteurs des sacri-
fices ; elle provoque, parfois, une augmentation de la
production qui rend inutiles les droits de douane établis
sur les produits étrangers. C'est ce que l'on constate,
notamment, dans notre pays pour le froment et le vin.
La solution de la crise et celle du prol)lème de la
production agricole nous semble tout autre. Le prix de
revient, dit-on, a dépassé le prix de vente. Eh bien !
Ce n'est pas la hausse des prix qu'il faut provoquer c'est
l'abaissement des prix de revient qu'il s'agit d'obtenir.
Toutes les ressources dont nous disposons, tous les
moyens d'action qui sont en notre pouvoir doivent être
employés dans ce but. Applications et diffusion des
découvertes scientifiques récentes, développement ou
perfectionnement de l'outillage mécanique agricole,
groupement de plus en plus fréquent des agriculteurs
en vue de faciliter les recherches expérimentales et
l'amélioration des méthodes de production, exportation
des produits, développement des opérations de crédit
réel ou personnel, telle est, suivant nous, la solution
véritable du problème très redoutable et très grave (|ui
se pose aujourd'hui. Cette solution correspond à une
conception économique générale.
La protection n'est qu'une forme du monopole, une
méthode spéciale d'arriver à obtenir une répartition
des richesses que l'État impose par la loi. C'est là une
modalité de l'idée socialiste et une application de la
doctrine de l'Etat Providence.
A cette théorie et à cette doctrine nous croyons qu'il
est utile d'en opposer une autre. Le rôle de l'Etat ne
LES REMÈDES PROPOSÉS 'l'i
doit pas consister à répartir la richesse selon telle ou
telle conception considérée comme supérieure ; ce rôle
doit consister à faciliter la libre production de ces
richesses et surtout leur développement.
Nous sommes convaincus que la question sociale !
qu'on trouve au fond de toutes les questions écono-l
miques ne peut être résolue, si — jamais elle doit Fêtre — 1
que par Taccroissement des richesses produites et circu-
lant librement.
La protection douanière, n'accroît pas la masse des /
richesses; elle en modifie simplement la répartition./
C'est pourquoi nous ne la considérons pas comme une/
solution définitive. Elle ne constitue qu'un expédient'
économique ou politique.
L'association libre des efforts individuels, l'applica-
tion de plus en plus féconde de la science et des
recherches expérimentales d'ordre technique commer-
cial ou financier représentent au contraire des moyens
d'actions de l'homme sur les choses, des méthodes de
production assurant le développement de la richesse
et une solution définitive.
CHAPITRE PREMIER
LA BAISSE DE PRIX DES PRINCIPAUX PRODUITS AGRICOLES
DEPUIS VINGT ANS
Il est utile de distinguer, tout d'abord, deux catégo-
ries de produits agricoles : i° les denrées végétales;
'>!* les denrées d'origine animale.
Le produit brut de lagriculture française n'est pas,
en effet, constitué uniqu(ïmentpardes produits végétaux.
Sur un total Ae dix milliards àe recettes brutes annuelles,
les animaux de ferme, et de basse-cour, le lait et ses
dérivés, la laine, la soie, le miel et la cire assurent aux
producteurs agricoles un revenu de plus de trois mil-
liards de francs ! En étudiant les variations de prix
des principaux produits agricoles nous ne saurions donc
laisser de côté les denrées d'origine animale.
Nous verrons, en outre, que les fluctuations des
cours n'ont pas affecté de la même manière ces deux
catégories de produits agricoles. La baisse a été beau-
(;oup plus sensible pour la première que pour la seconde.
11 en résulte que selon l'importance relative des recettes
brutes provenant des denrées végétales ou des produits
d'origine animale, les effets de la crise agricole ont
été tout différents. Ces conséquences ont été particu-
26 LA BAISSE DES PU IX
lièrement graves et douloureuses, par exemple, dans
les régions à céréales; elles ont été beaucoup moins
sensibles dans les régions d'élevage. La double étude
à laquelle nous allons nous livrer est donc entièrement
justifiée.
I
Les produits végétaux
I. — LE FROME>'T
Parmi les denrées végétales, il y a lieu de citer, en pre-
mière ligne, les céréales et notamment le froment dont
la baisse a soulevé tant d'émotion.
En prenant comme terme de comparaison les cours
pratiqués durant la période 1876- 1880, nous relevons
les variations suivantes pour le prix de l'hectolitre de
blé en France par périodes quinquennales.
Prix du froiiiont Varialioiis
par hccloliire (2). p. 100.
fr. c.
1876-1880 22 3o 100
1881-1885 tgSi 87
1886-1890 1829 82
1891-1895 1692 7:)
1896 1482 66
1897 18 85 84
1898 1990 89
1899 i5 35 68
1900 i4 77 66
Si nous ramenons à loo les prix de la période quin-
quennale 1876-1880, nous voyons que la baisse s'est
progressivement accentuée. Elle atteint la proportion
de yj p. 100 depuis 1876-80 jusqu'à 1891-95. Cette
(i) Chiffres cniprunlc's au Bulletin du Ministère de l'Agriculture.
LES PRODUITS VEGirr AUX 'l'j
dépression a été souvent plus marquée durant certaines
années de bas prix et notamment en 1894, 1890 et 1896.
L'année 1897-98 a été marquée, au contraire, par une
brusque élévation des cours, et l'année 1898-99 par une
baisse énorme.
Nous montrerons plus tard à quels faits économiques
et agricoles sont liées ces fluctuations. Ajoutons dès à
présent que le prix du blé en France a été évidemment
et certainement modifié par les remaniements succes-
sifs de notre régime douanier. Avant i885, les blés
étrangers n'étaient frappés à la frontière que d'un
simple droit fiscal ou de statistique. A partir de i885,
le Parlement a voté une taxe protectrice de 3 francs par
quintal. Ce droit fut successivement porté à 5 francs
en 1887 Gt à 7 francs en 1894.
Le but ouvertement poursuivi par le législateur était
le relèvement des cours.
Ce but n'a pas été atteint puisque le prix du froment
a constamment fléchi, mais les taxes protectrices ont
atténué la baisse. Les droits de douane imposés aux
blés étrangers ont soutenu les cours au-dessus du
niveau normal résultant de la libre concurrence. Rien
n'est plus facile que de le prouver. Il suffit pour cela
de comparer les prix du froment, en France, aux cours
pratiqués en Angleterre, pays où le blé n'est frappé
d'aucun droit de douane.
Cette comparaison va nous permettre, en outre, de
montrer que la baisse du froment a été un phénomène
général (i).
(i) Les chiffres du tableau ont été empruntés : 1° pour la France,
28
LA BAISSE DES PRIX
Prix de l'hectolitre de blé en France et en Ansslcterre.
PÉRIODES
Prix.
Prix .
Écart entre
TRIENNALKS en France.
en Angleterre.
les deux cours
fr. c. ■
fr. c.
fr. c.
1876-1878 . . . 2i38
21 40
098
1877-1879
2 2 80
21 10
I 70
1878-1880
22 63
1930
3 33
1879-1881
22 33
19 10
3 23
1880-1882
22 23
19 3o
293
1881-1883
2098
1890
208
1882- 1884
1947
17 10
2 37
i883-i885
1790
i5 70
2 20
I 884-1 886
17 16
14 3o
286
i88)-i887
1729
i3 8o
349
1886-1888
1798
i3 70
428
1887-1889
1848
i3 8o
4 68
1888-1890
■ 1879
i3 40
5 3o
1889-1891
1936
14 10
526
1890-1892
1916
14 20
4 9*^
189 1-1893
18 33
i3 4o
493
1892-1894
16 54
Il 40
5 14
1893-1895
i5 38
io3o
5 08
1893-1896
1481
10 3o
4 5i
1895-1897
16 02
1 1 3o
472
Ce tableau présente une singularité. Au lieu de rele-
ver les cours annuels, nous les avons groupés de façon
à constituer des moyennes triennales successives qui
ne diffèrent les unes des autres que par les chiffres
relatifs à l'année nouvelle. Cette méthode a l'avantage
d'atténuer les brusques variations tout en laissant voir
la tendance générale des cours à s'élever ou à s'a-
baisser. Dans les documents anglais, il en est fait
aux statisliques officielles et notaininent au Bulletin du Ministère de
l Agriculture ; 2° pour rAiigletcrre, au.K mercuriales publiées par le
Board of Agriculture.
LES PRODUITS VEGETAUX
29
un fréquent usage (i), et nous l'avons adoptée ici.
Il est visible que les cours du froment se sont gra-
duellement abaissés en Angleterre comme en France.
La baisse est môme plus rapide et plus marquée chez
Aimées gKèSgSàgii^giSlèÉS?
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nos voisins, surtout à partir de i885. 'L'écart moyen
existant entre les cours français et anglais s'accentue
à la même époque. C'est là très certainement une con-
séquence de l'application des droits de douane qui ont
atténué la baisse dans notre pays.
(i) Voir notamment les Rapports de la Commission royale chargée
de procéder à une enquête sur la crise agricole.
3o LA BAISSE DES PRIX
Le graphique que nous insérons ici retrace, d'ailleurs,
avec fidélité, le double mouvement des cours. Les deux
premières courbes s'abaissent ou s'élèvent presque
toujours simultanément et marquent clairement la ten-
dance à la dépression graduelle des prix. La troisième
courbe, qui en figure l'écart, s'élève rapidement à
partir du moment où le froment étranger est frappé en
France d'un droit de douane (période 1 883- 1 88 5).
Conclusion. — En résumé, depuis vingt ans, le prix
du froment a subi en France une réduction moyenne
de !i5 p. 100, et cette baisse a pu atteindre 34 p. loo
en 1896 et 1900, lorsque les cours sont tombés au
niveau le plus bas que l'on ait constaté depuis la fin du
xviii'' siècle (i).
Enfin, l'examen des cours pratiqués en Angleterre
nous prouve que la dépression caractéristique des prix
du blé dans notre pays n'est pas un phénomène isolé
dépendant de causes locales.
II. AUTRES CÉRÉALES
D'ailleurs, les autres céréales ont subi en France une
dépréciation analogue à celle du froment. Qu'il s'agisse
du sarrasin, cultivé plus spécialement dans l'ouest, du
maïs, qui est surtout récolté dans le sud-ouest et le
sud-est, de l'orge et de l'avoine, dont faire géogra-
phique est très étendue, les mêmes causes générales
paraissent avoir agi et déterminé une baisse notable.
(i) Voir la courbe relative au prix de riieclolitrc de blé en France,
tracée par M. Levasseur.
LES PRODUITS VEGETAUX
3i
Voici les variations de cours que nous relevons pour
la dernière période de vingt- cinq ans (1876-1900).
Prix moyen de Vheclolitre des principales céréales autres que le
froment en France.
1877-1880 1881-1885 1880-1890 1891-1893 1890-1900
fr. c.
fr. c.
fr. c.
fr. c.
fr. c.
Sciglo . .
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l3 28
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Orge. . .
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10 40
10 58
Sai'rasin .
i3 27
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10 27
10 53
Maïs. . .
i5 52
1469
12 5o
12 86
1253
Avoine . .
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En comparant les cours de la première période (1877-
80] à ceux de la dernière (1896- 1900), on trouve que la
baisse ressort à :
32 LA BAISSE DES PRIX
■26 p. 100 pour le seigle.
19 p. 100 pour l'orge. *
20 p. 100 pour le sarrasin.
19 p. 100 pour le maïs.
14 p. 100 pour l'avoine.
Pour montrer la généralité de ce mouvement, nous
comparerons encore les prix anglais aux cours français
en groupant les uns et les autres par périodes trien-
nales successives qui diffèrent seulement par les chiffres
relatifs à la dernière année.
Pour plus de clarté, nous ramenons à 100 les cours
de la première période 1876-78.
Voici les résultais qui se rapportent à Forge et à
l'avoine :
Cours de large et de l avoine en Angleterre et en France (1876-1896).
.
ORGE
AVOINE
--.
^- - Il
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Périodes Iricimalos. France.
Angleterre.
France .
Anjiloterre
1876-1878 ... 100
100
100
100
1877-1879
98
99
97
94
1878-1880
97
93
96
90
1879-1881
94
86
94
•87
1880-1882
97
84
96
87
1881-1883
90
83
93
85
1882-1884
89
82
91
83
i883-i885
85
80
88
8i
I 884-1886
82
76
87
78
1885-1887
79
71
83
73
1886-1888
78
69
82
68
1887-1889
78
68
83
66
1888-1890
81
71
87
69
1889-1891
84
72
88
73
1 890-1 892
82
72
87
76
1891-1893
81
70
87
76
I 892-1 894
77
66
88
73
1893-1895
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88
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66
LES PRODUITS VÉGÉTAUX 33
le froment. Nous voyons que pour l'une et l'autre la
baisse des cours est manifeste.
En France, elle est moins accentuée qu'en Angleterre,
mais cet écart peut être attribué en grande partie à
l'influence des droits de douane qui frappent les impor-
tations étrangères dans notre pays.
III. — INFLUENCE DE CERTAINS PRODUITS SUR LA
PROSPÉRITÉ DE l'iNDUSTRIE AGRICOLE
Avant de poursuivre l'étude de la marche des prix
relatifs aux denrées végétales, il nous faut rechercher,
maintenant, quels sont précisément les produits dont
les variations de cours ont pu exercer une sérieuse
influence sur la prospérité de l'industrie agricole.
Nous empruntons au volume de l'enquête officielle
de 1892, publié en 1898, le tableau qui résume les
valeurs des diverses productions végétales.
Valeur de la production (i) végétale en France.
Valeur eu francs
(millions).
Céréales grains 3.354
— paille i.3i3
Grains alimentaires autres que les céréales 94
Pommes de terre 670
Fourrages annuels, prairies arlilicielles et
racines i-^og
Produit des prairies naturelles et herbages 1.237
Produit des cultures industrielles .... 373
Produits des vignes goS
Produits de l'horticulture, cultures maraî-
chères, potagères, arborescentes de ver-
gers 867
Produits des bois et forêts 289
Total. . . . 10.61 1
(i) Enquête agricole de 1892. — Introduction, p. 44o.
Zoi.LA. — La Crise agricole. 3
34 i-A BAISSE DES PRIX
Nous faisons les plus expresses réserves au sujet de
la valeur scientifique et de la portée économique d'un
pareil tableau. La seule indication que nous ayons
l'intention d'y puiser se rapporte à l'importance de
certaines productions végétales.
Il est clair que les céréales viennent au premier rang.
C'est d'ailleurs pour celte raison que nous en avons
parlé tout d'abord. La statistique officielle fait toutefois
une distinction intéressante. La valeur des grains est
comptée à part de celle des pailles. Or, nous avons
négligé de parler plus haut de ce dernier produit. Cette
omission est toute volontaire. La paille constitue, en
effet, dans l'immense majorité des cas, un moyen de
production et non pas un produit destiné à la vente.
Sans doute, il y a des exceptions à cette règle ; notam-
ment aux environs des grandes villes, beaucoup d'agri-
culteurs vendent leurs pailles et achètent des fumiers.
La baisse du prix des pailles a donc eu, parfois^ une
certaine importance économique. On peut ajouter même
que l'usage de la tourbe comme litière a réduit dans
une certaine mesure les demandes de pailles et contri-
bué à la dépréciation de cette denrée.
Il n'en est pas moins vrai qu'en règle générale la
paille est et reste un « immeuble par destination » que
les fermiers ne sont pas autorisés à vendre. Elle cons-
titue tout à la fois un aliment et une matière première,
puisqu'elle sert à la fabrication des fumiers. Comme ali-
ment, la paille peut remplacer, dans une certaine mesure,
le foin. La paille hachée et mêlée aux racines décou-
pées, aux pommes de terre, etc., constitue le com-
plément d'une ration. 11 n'est donc pas étonnant que
LES PRODUITS VÉGÉTAUX 35
le cours des pailles suive la même marche que celui
des foins.
Nous avons pris soin de relever les cours du marché
de Paris d'après les mercuriales que publie le Journal
cC agriculture pratique. On voit qu'il s'est produit une
baisse depuis 1881 jusqu'à 1887. Les cours se relèvent
parallèlement, en 1888, à la suite d'une mauvaise récolte
de fourrages ; puis ils s'abaissent encore jusqu'en 1890.
Les années de sécheresse 1872 et 1893 provoquent un
renchérissement brusque, mais les prix retombent
ensuite au niveau le plus bas que l'on ait observé.
En définitive, il y a eu baisse, et cette dépression
n'est pas négligeable. Nous avons souvent entendu les
fermiers des environs de Paris se plaindre de la dimi-
nution de recettes qui en était la conséquence.
Toutefois, quand on calcule les moyennes quinquen-
nales relatives à la période 1 881- 1896, la compensation
se fait entre les années de hauts et de bas prix.
PRIX
des 500
kil.
à Paris
Foin.
~ ^—
Taille?
fr.
IV.
63 »
40 »
5 2 »
32 »
65 »
40 »
i88i-i885
1886-1890
1891-1895
Quant aux années de bonnes récoltes fourragères^
1896, 1897, elles sont marquées par une baisse de
14 p. 100 relativement aux foins, et de 3o p. loo relative-
ment aux pailles, si l'on compare les cours de ces deux
années aux moyennes quinquennales i88i-85.
Il ne faudrait pas, d'ailleurs, exagérer la portée de
36 LA BAISSE DES PRIX
cette baisse, en admettant même qu'elle ne fût pas acci-
dentelle, et nous saisissons l'occasion qui se présente
de rappeler un principe général.
Les variations des cours n'intéressent l'agriculteur
que si elles se rapportent à des denrées destinées à la
vente. Les produits qu'il consomme sur place, sans les
acheter, et ceux qu'il transforme avant de les vendre ne
rentrent donc pas dans le cadre d'une étude sur les fluc-
tuations des cours. A coup sûr, il n'est pas indifférent
que les aliments consommés par le cultivateur, sa
famille et son personnel haussent ou baissent de prix.
Ces variations peuvent réagir sur la nature, la compo-
sition et la quantité de ces aliments. Mais, au moins
momentanément, le produit brut agricole n'est directe-
ment aff'ecté que par les fluctuations de prix se rappor-
tant aux denrées habituellement portées sur le marché.
Voici, maintenant, des denrées destinées à être trans-
formées dans l'intérieur des exploitations pour obtenir
un \)Yoà\\\\. nouveau ; il est clair que nous avons seule-
ment à nous préoccuper des variations de prix relatives
à ce dernier produit et non à la matière première que
l'on a employée pour le fabriquer.
Nous montrerons tout à l'heure l'intérêt et la grande
portée de ces observations.
Dès à présent, nous en trouvons l'application. La
statistique officielle nous indique, dans le tableau précé-
dent, la valeur des fourrages et des racines fourragères ;
la valeur du produit des prairies naturelles et même des
herbages^ c'est-à-dire des prairies pâturées. Or, il est
presque évident, croyons-nous, que le foin, les racines
et surtout l'herbe verte, consommée sur place, des lier-
LES PRODUITS VÉGÉTAUX 87
bages, ne constituent pas des denrées de vente, mais
des moyens de production.
Sans doute les agriculteurs vendent des foins et des
racines fourragères, mais la plupart du temps ces den-
rées sont consommées à la ferme. Ce sont des aliments
que le bétail transforme, et leur valeur, c'est-à-dire ici
leur prix, n'a pas pour nous un très pressant intérêt. Nous
allons donc nous borner à fournir quelques indications
sur la marche des prix. En ce qui concerne :
1" Les grains alimentaires autres que les céréales;
2° Les pommes de terre ;
3" Les plantes industrielles, et notamment les bette-
raves à sucre ;
4"^ Le vin ;
5° Les bois.
Si intéressantes que puissent être les fluctuations des
cours se rapportant aux produits de l'horticulture, il
nous paraît impossible de les préciser, dans l'état actuel
de nos connaissances.
IV. LES GR.UNS ALIMENTAIRES AUTRES QUE LES CEREALES
Fèves, haricots ^ pois ^ lentilles^ etc. — La statistique
agricole de 1892 nous indique les variations de prix
suivantes depuis 1882 :
PRIX MOYEN
par hectolitre. BAISSE
1882 1892 p. 100
fr. c. fr. c.
Fèves et féveroUes . 19 3 1 i5 06 22 p. 100
Haricots , , . . . 3o 20 2282 a5 —
Pois 26 80 21 97 19 —
Lentilles 29 98 29 o3 4 —
38 LA BAISSE DES PRIX
La baisse accusée par ces chiffres varie de 4 à aS p. loo
Elle ne présente pas une importance comparable à la
dépression du cours des céréales parce que les quan-
tités auxquelles s'appliquent les cours dont nous par-
lons sont réellement très faibles, 4 à 5 millions d'hec-
tolitres tout au plus. Encore faut-il remarquer que les
féverollessonten partie utilisées pour l'alimentation des
animaux domestiques.
LES POMMES DE TERRE
La pomme de terre a une importance commerciale
singulièrement plus grande. Non seulement elle cons-
titue un alliment que tout le monde recherche, mais
les usages industriels de la pomme de terre sont nom-
breux. La fabrication de la fécule, qui est elle-même
une matière première pour la glucose, exige l'emploi
d'une masse considérable de tubercules.
La statistique décennale évalue à 6 fr. 4^ en 1882, et
à 4 fr. 33 en 1892 le prix moyen du quintal. La baisse
serait donc égale à 2 fr. 09 ou à 32 p. 100.
Dans un pays où l'on produit des quantités considé-
rables de pommes de terre, en Allemague, la baisse
des prix a été très sensible depuis vingt ans. M. Leroy-
Beaulieu la signalait, il y a quelques années, dans un
article de V Économiste français (i).
« Une des denrées qui ont le plus baissé, ce sont les
pommes de terre. Sur les places de Magdebourg, de
Stettin, de Breslau, de Berlin, les pommes de terre, si
(i) Numéro du 4 avril 1896 : De l'inanité des campagnes himéial-
listes, par P. Leroy-Bcaulieu.
LES PRODUITS VÉGÉTAUX 39
Ton prend, non pas une seule année, mais les trois
années 1893, 1894 et 189D, et qu'on les compare aux
trois années 1879, 1880 et 1881, de façon à éviter l'in-
fluence d'une année particulièrement mauvaise, ont
fléchi de 3o à 4o p. ïoo. »
Nous avons relevé les prix du quintal de pommes de
terre — variété dite Hollande — sur le marché de
Paris, et voici les chiffres que nous avons trouvés pour
les moyennes des périodes 1882-85 et 1895-98 :
Ir. c. ,
i88'i-i885 1280 ; Prix du quinlal
„„„„ qq'iIo pommes de terre
1895-1898 8»'2, dite .. Hollande .
' à Paris.
Diiré ronce. ... 3 89 ,
La baisse relative serait donc égale à 3o p. loo.
VI. CULTURES INDUSTRIELLES
11 y a lieu de distinguer:
i" Les cultures de plantes oléagineuses ;
2** Les cultures des plantes textiles ;
3" La culture de la betterave à sucre.
La culture des graines oléagineuses n'a plus qu'une
médiocre importance. Tout le monde sait que l'usage
du pétrole et du gaz d'éclairage est devenu général.
Les huiles destinées à être brûlées ne sont donc plus
aussi nécessaires.
Quant aux huiles comestibles et à celles que l'on uti-
lise dans l'industrie, elles sont directement concurren-
cées par les produits obtenus en traitant les graines
étrangères de sésame, d'arachide, de coton, etc., etc.
L'olive est produite, en Algérie , en Tunisie, en
Espagne, en Italie, en Grèce, en Dalmatie, etc., etc.
4o LA BAISSE DES PRIX
Il est donc très naturel que le prix de nos graines
oléagineuses, de colza de navette, d'œillette, de camelinè
de lin, et les fruits de l'olivier ou du noyer aient subi
une dépréciation marquée depuis vingt ans.
Sans entrer dans de longs détails, bornons-nous à
indiquer les variations de prix des graines de colza sur
un des principaux marchés français, celui de Douai.
Voici les moyennes triennales relatives aux cours du
quintal depuis 1877 :
Prix des 100 kil.
dos graines de colza
à Douai.
fr. c.
1877-1880 23 42
1882-1885 22 52
1887-1890 18 12
1895-1898 1594
De la première à la dernière période, la baisse abso-
lue est de 7 fr. 48 ou de 3i p. 100.
Il en est de même pour nos plantes textiles. La réduc-
tion des surfaces cultivées en lin et chanvre nous
prouve clairement que la culture en est à la fois moins
utile et moins lucrative :
SURFACES CULTIVÉES EN HECTARES
Chanvre. Lin.
1840 176.000 98.000
i852 laS.ooo 80.000
1862 160.000 io5.ooo
1882 63. 000 44 -000
1892 ........ 39.000 25.000
La culture de la betterave à sucre présente un intérêt
plus sérieux, bien qu'on ait exagéré son importance.
En fait, cette culture est concentrée presque exjulusive-
LES PRODUITS VEGETAUX 4i
ment dans six départements ; elle n'ocupe pas plus de
2;70.ooo hectares.
La législation de 1884 fait porter l'impôt non pas sur
le produit fabriqué mais sur la matière première, c'est-
à-dire sur la betterave. Une savante complication de nos
dispositions légales et une adroite distinction entre les
rendements présumés et les rendements réels ont
obligé les cultivateurs à augmenter rapidement la
richesse saccharine de leurs betteraves. On peut dire
que le prix de vente des racines dépend surtout de
cette richesse et varie dans des limites assez étendues
selon que le rendement en sucre atteint ou dépasse la
proportion à partir de laquelle les fabricants réalisent
un profit additionnel sur les « indemnes », c'est-à-dire
sur le poids du sucre qui dépasse le rendement légal
présumé. Cet excédent est resté longtemps non taxé,
bien qu'il pût être vendu au même prix que le sucre
ayant effectivement acquitté le droit de consommation.
Aujourd'hui encore, cet excédent est moins fortement
taxé et la différence de droit correspond à un boni de
fabrication.
Le prix des betteraves a donc, actuellement, un
caractère artificiel; il est lié intimement au régime fis-
cal des sucres. Cette solidarité a évidemment pour
objet et pour conséquence d'intéresser les producteurs
de betteraves au maintien d'une législation favorable
aux intérêts des fabricants.
Voici, d'après l'administration des Contributions
indirectes, le prix de vente des bette raves depuis 1 881 (1) :
(1) Voir le document officiel publié par l'administi'ation des Conlii-
4u
LA BAISSE DES PRIX
Prix moyen de la tonne de betteraves et rendements en poids de
betteraves à l'hectare.
(Evaluation de l'administralion des Contributions indirectes.)
CAMPAGNES
PRIX
RENDEMENT
PRODUIT
sucrières des betteraves
des betteraves
brut.
par t.OOO k.
[lar liectare.
par hectare
fr. c.
kilos.
fr.
1881-1882. . . 2087
33.793
700 »
1882-1883
2099
34.928
729 »
1883-1884
■20 64
35.356
727 »
1884-1885
1908
31.289
592 »
i885-i886
22 73
29.457
667 »
1886-1887
23 97
3 1 . 900
762 »
1887-1888
26 26
22 .469
586 »
1888-1889
27 55
24.537
673 »
1889-1890
3098
32.364
998 »
1890-1891
2476
29.319
723 »
1891-1892
26 33
25.199
660 »
1892-1893
2698
25.6o5
688 »
I 893-1 894
28 20
23.863
671 »
1894-1895
2597
29.553
764 »
1895-1896
2643
26.424
696 »
1896-1897
24 3o
27.400
665 »
1897-1898
2597
27.700
719 »
1898-1899
3o 24
25.700
777 »
1899-1900
3007
27.800
834 »
Le graphique suivant montre encore plus clairement
— si c'est possible — que la législation de 1884 a élevé
les prix de vente sans augmenter à beaucoup près dans
la même mesure le produit brut par hectare.
Les rendements ont, en effet, diminué parce que Ton
imposait aux agriculteurs la culture des racines très
riches en sucre. L'élévation des prix n'a pas toujours
compensé la réduction des quantités récoltées.
butions indirectes : Les fabriques de sucre et leurs procédés de fabri-
cation. Bulletin de statistique du ministère des finances, année 1895,
II, p. 65o, et années suivantes.
LES PRODUITS VÉGÉTAUX
43
D'ailleurs, les prix que nous citons plus haut pour la
tonne de betteraves constituent des moyennes. En fait,
OOOOOOOO
lOOiOO >0O»/5O
•S «2 O
U g r
CJ CM W Cl CM CJ M
les recettes correspondantes des cultivateurs ont varié
avec la richesse saccharine de leurs racines.
Pour marquer avec plus de précision les fluctuations
de cours, nous avons relevé les prix de vente de cinq
exploitations agricoles du département de l'Aisne avant
44 LA BAISSE DES PRIX
et après l'application de la loi de 1884. Ces renseigne-
ments n'auraient aucune valeur si nous ne les complé-
tions pas en indiquant les poids des betteraves récoltées.
Les racines riches en sucre ne donnent pas, en effet,
des rendements aussi considérables que les betteraves
moyennement riches. Il en résulte que la recette totale
peut être plus faible avec des betteraves riches qu'avec
des betteraves de richesse moyenne, bien que le prix
de vente par tonne soit plus élevé pour les premières
que pour les secondes.
CulUire des betteraves dans cinq fermes de l'Aisne (1880-1897).
RKNDEMEJiT
PRIX
PRODUIT
BRUT
à riiectaro.
par tonne.
à l'heclare.
kilos.
fr. c.
fr.
i88o-i885. .
. . 42.000
21 »
882
»
1886-1896. .
. . 34.000
•24 40
829
»
1897. .
. . 34.800
28 »
994
»
Il est vrai que nous ne constatons pas une baisse de
prix par tonne de betteraves vendue, mais le produit
brut a baissé parce que le rendement moyen a diminué.
Nous ne nous croyons cependant pas en droit de
généraliser. Il est fort possible qu'en certains points
l'élévation des prix ait compensé la diminution des ren-
dements.
La crise qui atteint l'industrie sucrière est, d'ailleurs,
fort grave. Nous Tavons étudiée ailleurs (i). Disons
seulement que le prix des betteraves diminuera fort
probablement d'ici quelques années.
(1) Voir Annales de l'Ecole des Sciences politiques, 1898. La ques-
tion des sucres par D. Zolla.
LES PRODUITS VÉGÉTAUX 45
Il ne faut pas oublier, non plus, que la betterave est
souvent utilisée pour la fabrication de l'alcool. On
compte dans notre pays un grand nombre de distilleries
agricoles. Les variations de prix des alcools nous
intéressent donc au môme titre que le prix de la bet-
terave elle-même. En relevant les cours de l'alcool
3/6 à 90 degrés, nous avons obtenu les moyennes sui-
vantes :
Prix de riieclolitrc (I)
ji dalcool à 90°.
fr. c.
1877-1880 5969
i883-i885 5o25
1887-1890 41 09
1895-1898 33 o5
La baisse constatée est très considérable. Elle atteint,
de la première à la dernière période, 26 fr. 64, ou
44 P- *oo-
On voit combien est sensible la dépression des cours
pour les produits que nous avons étudiés jusqu'ici.
En est-il de môme pour les autres denrées d'origine
végétale dont la production a une importance considé-
rable en France, et notamment pour les vins et les bois ?
C'est ce que nous allons nous demander maintenant.
VII. LE VIN
Nous ne saurions oublier, dans cette revue rapide,
un des produits les plus importants : le vin. Le vin
€st une des richesses de la France et la plus impor-
(i) Il s'agit ici, bien entendu, des cours de l'alcool avant le paiement
des droits de consommation ou de dénaturalion.
46
LA BAISSE DES PRIX
tante de ses productions végétales après les céréales.
Tout le monde sait que le phylloxéra a malheureusement
dévasté ou détruit successivement depuis vingt ans les
vignobles français. Il était naturel que ce désastre
exerçât une influence très marquée sur le prix des
vins, et des vins ordinaires principalement. Les cours
se sont, en effet, relevés d'une manière très sensible
malgré le développement rapide des importations
étrangères.
Nous empruntons aux publications officielles de
l'administration des contributions indirectes les chiffres
qui se rapportent :
i" A nos récoltes annuelles;
2° Aux prix de vente (détail).
Récoltes des vins et prix de vente au détail relevés par l'administration
des Contributions indirectes (1876-if
876
877
878
879
880
881
88 i
883
884
885
886
887
888
889
890
891
RKCOLTKS
Millions
illicclolit es.
41
56
48
•2 5
•^9
34
3o
36
34
28
25
24
3o
23
27
3o
29
PRIX DE VENTE
au détail
par hectolitre.
fr. c.
5i 10
58 80
61 40
63 60
74 10
73 80
76 3o
77 70
76 10
75 60
78 »
7960
7950
78 »
7040
81 »
79 »
LES PRODUITS VÉGÉTAUX 4?
RÉCOLTES PRIX DE VENTE
ANNÉES — au détail
par hectolitre.
— Millions —
d'hectolitres. fr. c.
1893 5o 77 60
1894 . 39 70 »
1895 26 70 »
1896 44 74 »
1897 32 73 »
A mesure que nos récoltes diminuaient, les prix
augmentaient.
Nous nous sommes livrés, pour établir ce fait, à une
longue enquête. En relevant les prix de vente des vins
produits dans le Languedoc, dans le Bordelais, dans la
Bourgogne et le Beaujolais, on constate que les cours
se sont relevés à mesure que la production diminuait (i).
C'est là le trait caractéristique d'une première période
durant laquelle nos vignobles successivement ravagés
ou détruits par le phylloxéra n'étaient pas encore
reconstitués.
Depuis quelques années, cette œuvre de reconsti-
tution est presque achevée ; les vignes récemment
plantées sont devenues productives. L'augmentation
des récoltes a été considérable et soudaine dès que les
circonstances atmosphériques sont devenues favorables.
En 1898, la production ne dépassait pas encore 32 mil-
lions d'hectolitres. Brusquement elle s'élève à 47 mil-
lions en 1899, à 67 millions en 1900. Les prix baissent
alors et la crise inévitable se produit. Il ne saurait être
question de l'étudier ici. La « mévente » des vins cons-
(i) Voir notre série d'études publiée dans les Annales agronomiques,
1899, t. XXV, p. 145 et seq.
48 LA BAISSE DES PRIX
titue un phénomène économique spécial que l'on ne
doit pas confondre avec une crise agricole générale.
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Ind
taa
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VW
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Se
VIII.
LES BOIS
Les bois constituent également un élément fort impor-
tant de notre production agricole. Nous possédons
9.500.000 hectares de forêts dont le rendement annuel
s'élève en totalité à 27 millions de mètres cubes. Il est
superflu d'insister sur l'importance de ces chiffres. La
statistique agricole décennale de 1892 constate en ces
termes la réduction du prix des bois. « Depuis 1882 est
survenue une baisse générale des produits ; elle peut
être approximativement mesurée par les « Index Num-
LES PRODUITS VÉGÉTAUX .49
bers » dressés par M. Sauerbeck, de la Société de sta-
tistique de Londres, « Index Niimbers » qui sont repré-
sentés par 86 en 1880 et 71 en 1892, le nombre 100
exprimant le niveau moyen des prix de 1 869-1 877 ; c'est
donc un abaissement de i5 p. 100, On peut admettre
que cet abaissement a été de i4 p. 100 pendant la
période de 1881-1892. »
Il nous a paru intéressant de rechercher si les coupes
de forêts faites en France avaient subi cette réduction
de prix. Pour le savoir, nous nous sommes adressés
notamment à un grand propriétaire de bois qui possède
des forêts dans le centre de la France et dans la Fran-
che-Comté. Il résulte de la comparaison faite du pro-
duit des coupes de taillis que le prix de ces coupes a
diminué de 10 à 12 p. 100 depuis vingt ans. Ce n'est là,
sans nul doute, qu'une indication : pour étudier la
marche du prix des bois, il faudrait distinguer les
diverses catégories de bois d'industrie, de bois d'œuvre,
de résineux, etc., etc.
On devine sans peine les difficultés et les lenteurs
d'une pareille enquête. Nous nous bornerons ici à men-
tionner une baisse générale et moyenne qui n'est pas
inférieure à 10 p. 100 mais a pu s'élever plus haut.
IX. CONCLUSION GÉNÉRALE
Il nous est possible, maintenant, de formuler une
conclusion générale à propos des variations de prix des
denrées végétales.
Ces variations se sont toutes produites dans le même
sens et c'est une baisse que l'on constate. Celle-ci a
ZoLLA. — La Crise agricole. 4
5o LA BAISSE DES PRIX
été particulièrement sensible pour certaines céréales
et notamment pour le froment. Ce phénomène est d'au-
tant plus intéressant que les grains représentent la
denrée de vente la plus importante, celle qui assure
dans une grande partie de la France les principales
recettes brutes du cultivateur.
Toutefois, la baisse ne peut exercer une influence
sur le produit brut qu'en ce qui touche les céréales
effectivement vendues. Ce serait commettre l'erreur la
plus grave que de considérer comme une perte ou une
diminution des revenus agricoles, la réduction de
valeur qu'a subie l'ensemble des céréales produites.
Signalons, dès à présent, cette erreur si souvent
commise. La même observation doit être faite à propos
des autres produits végétaux dont la baisse de prix a
été très marquée ; les pommes de terre par exemple.
En revanche, la plupart des graines oléagineuses et
presque tous les bois sont effectivement vendus. La
diminution de leur prix n'a pu qu'aggraver, sur divers
points, la crise agricole.
Il en est de même pour les alcools fabriqués dans
nos fermes.
La situation de la culture des betteraves à sucre nous
paraît dangereuse et trop intimement liée à celle du
marché des sucres. Le prix de la betterave peut dimi-
nuer demain dans des proportions énormes si le cours
des sucres vient à fléchir. A cet égard, il y a lieu de
redouter les plus graves mécomptes. Nous sommes
forcés d'exporter plus de la moitié des quantités de sucre
fabriquées dans nos usines. Le jour où le marché étran-
ger nous sera partiellement fermé, la culture de la bette-
^£■5 PRODUITS D'ORIGIXE AMMALE 5i
rave sera très sérieusement menacée dans notre pays.
La crise viticole est toute récente ; elle doit être rat-
tachée à une surproduction momentanée qu'ont provo-
quée des circonstances atmosphériques exceptionnelle-
ment favorables. Néanmoins, l'augmentation de notre
production tient aussi à des causes permanentes et en
particulier à la reconstitution de nos vignobles. La
baisse du prix des vins n'est donc pas un phénomène
passager. 11 y a lieu d'en tenir compte et de la prévoir.
Examinons, maintenant, la marche des cours relatifs
aux produits d'origine animale.
II
Les produits d'origine animale.
Pour nous rendre compte, tout d'abord, de l'impor-
tance relative des éléments qui constituent notre pro-
duction d'origine animale, nous reproduisons, ci-des-
sous, le tableau qu'en a dressé l'administration de
l'Agriculture (i).
Production animale (valeurs en millions de francs).
PRODUITS VALEURS
Animaux français aballus ou
exportés 1.763 millions de francs.
Lait I 211 —
Laine 48 —
Volailles, lapins, œui's, etc. 3 16
Cocons de vers à soie. ... 32 —
Miel et cire i6 —
Travail des animaux de trait. 2.946 —
Fumier 832 —
1
Total. . . . 7.204 millions de f.-ancs.
(i) Enquête agricole de 1892. Introduction, p. 44o-
52 LA BAISSE DES PRIX
Une première observation est indispensable. Il nous
paraît impossible de songer sérieusement à faire figurer
dans le produit brut agricole le travail des animaux de
trait et le fumier. La valeur de ce travail est représentée
uniquement par celle des récoltes que les façons cul-
turales ont permis d'obtenir. Une partie des récoltes a
servi, en outre, à la nourriture des animaux vendus
ou des produits d'origine animale portés sur le marché
par les cultivateurs. Compter à la fois la valeur des
produits et la valeur du travail qui a permis de les
obtenir, c'est évidemment compter deux fois la même
chose. 11 y a un siècle que Lavoisier (i) s'est attaché à
faire cette démonstration.
Le fumier n'est pas non plus un produit; c'est un
résidu industriel, un moyen de production, mais non
un produit et encore moins une denrée destinée à la
vente (2). Les agriculteurs achète'nt parfois du fumier;
il leur est interdit d'en vendre quand ils sont loca-
taires, et en fait ils n'en vendent jamais.
La valeur du fumier se confond avec celle des récoltes.
]. LK BKTAIL ET LA VIA>DK
Ces réserves faites, nous voyons immédiatement que
le principal élément du produit brut d'origine animale
est représenté par les animaux de boucherie élevés en
France, abattus, ou exportés.
(i) Rapport à rAsscmbléc conslituante sur la production territoriale
du royaume.
(2) La valeur du travail des attelages et celle des l'umiers sont, d'ail-
leurs, retranchées du produit brut par la statistique oflîciellc.
LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE 53
La valeur de ces animaux dépend surtout du cours
de la viande. 11 nous reste donc à étudier les variations
de prix qui se rapportent à cette dernière. Nous emprun-
tons au Bulletin du Ministère de V Agriculture les chiffres
suivants relatifs au prix moyen du kilo de viande pour
le bœuf, le mouton et le porc dans la France entière.
Variations de prix du kilo de viande ( hœiif, mouton, porc) dans la
France entière ; par périodes (/uine/uennales.
Pcriotk's. Hretif. Mouton. Poi'c.
ff. c. fr. c. fr. c.
18-7-1880 .... I 6a I 80 I 65
i88i-i885 .... I 61 I 83 i 64
1888-1890 .... I 49 17'^ I 48
1891-1895 .... I 59 I 83 I 54
1896-1903 .... I 57 1 83 I 5o
En prenant comme ternie de comparaison les prix de
la période 1877-1880, nous voyons que les cours de la der-
nière série (1896-1900) sont fort peu diminués, excepté
en ce qui concerne le porc. A la vérité, nos moyennes
masquent des fluctuations très accusées qui se sont pro-
duites durant ces vingt dernières années.
Pour mettre en évidence ces variations, nous plaçons
sous les yeux du lecteur le graphique de la page (54)
qui retrace avec fidélité le mouvement des cours pour
le bœuf, le mouton et le porc.
Les oscillations sont évidemment très accusées, mais,
dans leur en&emble, les courbes ne nous révèlent pas
une tendance à la baisse comparable à celle que l'on
observe pour les céréales. Les cours ont fléchi en 1880
et 1881 ; mais ils se relèvent en i883, 1884. La baisse
s'accentue de nouveau en 1887 et 1888: puis nous
observons une hausse rapide de 1890 à 189?.. Enfin, la
54
LA BAISSE DES PRIX
sécheresse de 1893 provoque une dépression marquée
des cours qui est suivie d'un relèvement. Toutefois,
depuis 1895, une baisse nouvelle s'accuse et sera peut-
clro suivie d'une hausse.
En somme, le prix de la viande n'a pas suivi la même
marche que le cours des céréales et des autres produits
végétaux. Il reste plutôt stationnaire, bien que l'on ait
observé des dépressions brusques et prolongées. Cette
dépression est très accusée depuis trois ans.
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Une pareille conclusion a évidemment une très
grande importance. Nous signalons les faits sur lesquels
elle s'appuie en nous réservant d'en rechercher la signi-
fication et d'en montrer la portée. Toutefois, les varia-
tions du prix de la viande présentent un si grand intérêt
que nous voudrions les étudier encore d'une autre
façon et comparer, notamment, les fluctuations des
cours sur les marchés français et anglais.
LES PRODUITS D' ORIGINE ANIMALE 55
Eludions d'abord la marche des prix en France.
En groupant les moyennes annuelles de manière à
constituer les prix moyens de périodes triennales suc-
cessives, on obtient les résultats suivants pour le kilo
de viande nette, première qualité, sur le marché de la
Villette, à Paris. Nous empruntons les prix annuels au
relevé des opérations du marché de la Villette que
publie le Bulletin du Ministère de l'Agriculture.
Prix du kilogramme de viande nette (i^° qualité) sur le marché de la
Villette.
Périodes. Bœuf. Moulon.
fc. c. fr. c.
1879-188 1 I 69 I 97
1880-1882 I 67 201
1881-1883 I 71 206
1 882-1884 I 73 207
i883-i885 I 69 I 98
1884-1886 I 60 I 87
1885-1887 I 5o I 77
1886-1888 I 45 I 77
1887-1889 143 I 81
1888-1890 . I 5o I 95
1889-1891 j 55 2o3
1890-1892 I 57 2 04
1891-1893 '. I 54 I 95
1892-1894 I 56 I 94
1893-189J I 57 I 96
1894-1896 I 57 2 »
1895-1897 I 5o I 92
1896-1898 I 46 I 85
1897-1899 I 44 I 84
1898-1900 I 43 1 89
Les oscillations ont ici moins d'amplitude ; le mouve-
ment des prix est plus continu et une tendance à la
baisse se manifeste, surtout pour la viande de bœuf,
depuis la période 1879-1881 jusqu'à 1898-1900. Cette
56 LA BAISSE DES PRIX
baisse est de 7 p. 100 pour le bœuf et de 4 p- 100 pour
la viande de mouton.
En Angleterre, la baisse est plus accusée. Nous avons
également groupé les cours qui se rapportent à la viande
de i""" qualité sur le « Metropolitan Market » de Londres,
Voici les résultats obtenus. Nos moyennes, calculées
en francs, se rapportent également au kilogramme.
Pour opérer les conversions nécessaires, nous avons
admis que le shilling équivalait à i fr. 25, et la livre
anglaise (Lb.) à 45^^ grammes.
Prix du kilogramme de viande de bœuf et de mouton pour la première
qualité sur le Metropolitan Market, à Londres.
Périodes. Bœuf. Mou Ion.
fr. c. fr. c.
1877-1879
1878-1880.
1879-1881
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1882-188}
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1884-1883
1885-1887
1886-1888
1890-1892
1891-1893
1892-1894 . .
1893-1895
1894-1896
1895-1897
La baisse est ici beaucoup plus accusée, ainsi que
Hous le disions tout à l'heure.
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LES PRODUITS L'ORIGINE ANIMALE
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Prix du Bœuf
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à Londres o-
Prix du Mouton
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Notre graphique relatif aux prix anglais et français
le montre clairement.
Sans doute, nous observons encore des inflexions
marquées analogues à celles qui caractérisent le graphi-
58 •/-4 BAISSE DES PRIX
que des cours français; mais ces inflexions sont moins
accusées; les courbes des prix ne se relèvent pas à
Londres aussi haut qu'à Paris après les périodes de
baisse.
Il nous paraît très vraisemblable que les droits de
douane établis en France sur le bétail vivant et les
viandes importées peuvent expliquer ces différences.
Remarquons, en outre, que le prix de la viande de
i'"'' qualité [i) est sensiblement plus élevé, par kilo, sur
le marché de Londres. L'écart entre les prix anglais et
français était très sensible jusque vers i89:>., c'est-à-dire
jusqu'au moment où notre tarif douanier a été remanié
et les droits sur la viande et le bétail vivant singulière-
ment rehaussés.
Conclusion. — En résumé, le prix de la viande n'a
pas subi, en France, une baisse comparable à celle du
froment ou môme des autres céréales; les cours sont
plutôt stationnaires. En étudiant les fluctuations des
moyennes triennales, nous obtenons les mômes résultats
et nous aboutissons aux mêmes conclusions qu'en exa-
minant la marche des prix annuels.
On observe, cependant, une tendance marquée à la
baisse sur des marchés francs comme celui de Londres.
Il est vraisemblable que rinfTuence de nos tarifs protec-
teurs se fait sentir, et l'on doit admettre que les cours
suivront en France une marche analogue.
(.) 11 y aura lieu de voir en efTet si le prix des viandes de dernière
qualité a suivi la même marche. Nous examinerons cette question un
peu plus loin.
LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE
H
En tous cas, sur le marché de Paris, la baisse est
sensible depuis 1894 pour les viandes de i""" qualité.
Nous verrons qu'il n'en est pas de môme pour d'autres.
Influence de la qualité des viandes sur les variations
de prix. — Enfin, il est fort intéressant de savoir si les
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Prix, du Bœuf
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Prix du Mouton
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viandes de qualité inférieure n'ont pa& subi une baisse
plus accentuéeque la viande de i'" qualité.
Le graphique ci-dessus répond à cette question. On
voit qu'en efïet la viande de dernière qualité (Inferior
quality), sur le Métropolitain Market de Londres, a
6o LA BAISSE DES PRIX
baissé de prix plus rapidement que la viande de i""" qua-
lité. Cette dernière n'est plus directement concurrencée
par les viandes de conserve ou les quartiers importés
sur les navires pourvus de chambres iVigorifiques. Les
viandes de dernière qualité sont, au contraire, directe-
ment exposées à cette concurrence.
Voici, d'ailleurs, les écarts de prix que nous relevons,
pour le bœuf et le mouton, entre la première et la der-
nière qualité (i).
Ecarts de prix par kilogramme entre les viandes de première
et dernière qualité, à Londres .
Pi^i-iodcs. Bœuf. Mouton.
fr. c. fV. c.
1877-1879
I 878-1 880
1879-1881
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188.-1883
1882-1884
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1886-1888
1887-1889
1888-1890
1889-1891
1890-1892
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» 69
» 73
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.,73
» 73
(i) Ce que nous appelons ici viandes de dernière qualité sont des
viandes parfaitement saines d'ailleurs mais cotées « Inferior quality »
sur le Metropolitan Market. // s'agit de viande provenant d'animaur
élevés en Angleterre .
LES PRODUITS D'ORIGJyE A MM A LE 6i
Notons avec soin que les écarts de prix augmentent à
• mesure que l'on se rapproche de Tépoque actuelle. Cela
lient précisément à ce fait que les viandes de qualité infé-
rieure baissent plus rapidement de prix que les autres.
Les viandes de choix représentent une denrée de luxe
réservée aux plus fortunés. Pour les gens de fortune
modeste, les viandes importées ou les catégories infé-
rieures des viandes provenant d'animaux anglais cons-
tituent un aliment à bas prix relativement.
En France, nous n'observons pas le même phénomène.
La marche des prix, pour les deux catégories de viande,
est presque semblable. Enfin, au lieu d'augmenter,
l'écart de prix entre les qualités diminue d'une façon
apprécialjle. Il en résulte que les classes relativement
pauvres n'ont pas bénéficié dans la même mesure qu'en
Angleterre de la baisse des prix. Il y a plus. Nous avons
montré précédemment que le prix de la viande de
i'" qualité était resté longtemps plus élevé à Londres
qu'à Paris. A partir de 1892, au contraire, l'écart entre
les prix diminue jusqu'à devenir nul. Il nous parait cer-
tain que nos tarifs de douane ont soutenu les cours, en
France, pendant que les prix continuaient à baisser en
Angleterre.
Le graphique (p. 5y) met clairement ce phénomène
en évidence.
Pour les viandes de dernière qualité, il en a été de
môme. Les prix cotés sur le Metropolitan jNIarket, à
Londres, ont baissé très rapidement. A partir de la
période 1884-1886 ils tombent au-dessous des cours fran-
çais. En outre, l'écart s'accentue à mesure que l'on se
rapproche de la période actuelle. Nos prix restent à peu
62 LA BAISSE DES PRIX
près stationnaires tandis que les cours de Londres sont
en baisse.
C'est ce que montre le graphique de la page 09.
Pour les viandes de i""* qualité consommées par. les
classes riches, nous sommes ainsi arrivés à relever le
niveau de nos cours, qui sont aujourd'hui semblables ou
supérieurs aux cours cotés à Londres. Pour les viandes
I de la dernière qualité, consommées par les classes pau-
vres, nous avons obtenu ce résultat singulier, d'en
\élever le prix beaucoup au-dessus des cours anglais.
Il nous paraît fort probable, nous le répétons, que
nos droits de douane frappant le bétail, les conserves,
les viandes congelées, etc., etc., ont amené ce résultat.
En ce qui concerne spécialement les intérêts du pro-
ducteur agricole, il est visible que l'état stationnaire
du prix des viandes de la dernière catégorie, en France,
leur est favorable.
Voici, d'ailleurs, à titre de document, le tableau des
cours pratiqués à Paris sur le marché de la Villette, et
à Londres sur le Metropolitan Market, pour les viandes
fraîches de la dernière qualité.
Il s'agit de viandes provenant d'animaux élevés et
abattus, soit en France, soit en Angleterre.
Prix, par kilogramme des viandes de dernière qualité, à Paris et à
Londres.
BŒUF MOUTON
Périodes. Paris. Lomircs. Paris. Londres,
fr. c. fr. c. fr. c. fr. c.
1879-1881 I 23 I 5o 1 38 I 90
1880-1882 I 20 I 52 I 61 I 98
1881-1883 I 27 I 5o I 80 208
1882-1884 I 32 I 47 I 84 -2 05
LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE 63
Périodes.
I 883-1 885
1884-1886
1885-1887
1 886-1 888
1887-1889
1888-1890
J889-1891
1 890-1 892
1891-1893
1892-1894
1893- 1895 .
1894-1896 .
1895-1897
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I 62
I 20
II. LE LAIT
Le lait est, après la viande, le principal élément du
produit brut d'origine animale. Nos vaches laitières
produisent 77 millions d'hectolitres de lait dont la
valeur moyenne serait de o fr. 16 le litre d'après la
statistique agricole de 1899.. Cette énorme quantité est
utilisée en partie pour la fabrication des beurres et des
fromages. On consomme le reste à l'état de lait frais.
Nous n'avons pas de renseignements précis analogues
à des mercuriales en ce qui touche le lait frais. Il est
fort probable que le prix de cette denrée a peu varié
depuis quinze ou vingt ans. Peut-être même a-t-il aug-
menté au lieu de diminuer. Les exigences de la clientèle
riche sont plus grandes; le souci de l'hygiène est plus
général; les sacrifices faits pour se procurer du lait de
très bonne qualité sont à coup sûr plus visibles. L'usage
de vendre du lait garanti pur dans des vases scellés s'est
64 LA BAISSE DES PRIX
répandu, au moins à Paris et dans les grandes villes.
Ailleurs, nous n'avons jamais observé une baisse. Le
prix du litre de lait frais oscille entre i5 et aS centimes,
la moyenne est de 20 centimes en province.
III. LE BEURRE
Le beurre est un produit très important." Depuis quel-
ques années, sa valeur tend à diminuer et Ton parle
bien souvent de la mévente des beurres ; c'est là le terme
consacré. Une distinction est ici nécessaire. Le cours des
beurres fins ne nous paraît pas avoir baissé. En relevant
les mercuriales du marché de Paris, nous avons trouvé
les moyennes suivantes qui se rapportent aux produits
dits d'Isigny, fins et demi-fins •
Prix du kilogramme de beurres ditu d Isigiiy à Paris.
BlîURKI': FIN Bi:URRIi DEMI-FIN
Périodes, Miiiima. Maxima. Miniina. Maxima.
1880-1883. . .
1894-1897. . .
Ainsi nous observons une hausse très visible et non
pas une baisse. Les beurres ordinaires fabriqués dans
de bonnes conditions semblent, cependant, avoir subi
une réduction de prix depuis quelques années. Voici,
par exemple, les prix obtenus par une laiterie coopéra-
tive de la Vendée qui expédie son beurre aux halles de
Paris :
h: C.
iV. c.
fr. c.
fr. c.
390
6 10
3 5o
4 5o
590
660
4 10
490
1894
1895
1896
1897 229
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fr. c.
239
246
2 3o
LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE 65
Les beurres ordinaires de Bourgogne ont sul)i à
Paris une baisse de prix plus marquée. En comparant les
cours des mois de grosse production, juin, juillet, août,
septembre nous obtenons la moyenne suivante :
PRIX
du kilo à Paris.
fr. c.
189a 207
1893 -i 09
T894 I 80
1895 I 68
1896 I 70
1897 I 70
1898 I 83
11 y a donc eu baisse ; mais cette baisse ne dépasse
pas 7 à 8 p. 100.
En Angleterre, la baisse constatée est encore plus
faible. Voici les cours que nous relevons et qui se rap-
portent : i^à la valeur moyenne des beurres importés ;
1" au prix du beurre venu de France :
Prix des beurres importés eu Augleterre (i).
Prix par iOO iiilos (2 c\\ls).
Valeur niojciiuc. Beurre français.
fr. fr.
1886 264 280
1887 264 270
1888 266 270
1889 266 272
1890 260 270
1891 272 284
1892 274 278
1893 274 286
1894 262 276
1895 25o 268
(i) Voir : Royal Commission of Agriculture. Fiual Report, p. 77,
ZoLLA. — La Crise agricole. 5
66 LA BAISSE DES PRIX
Val ou r nioyciino. iJciirrc français.
fr. fr.
1896 (l) 202 »
1897 245 »
En prenant comme termes de comparaison les années
1886 et 1897, on constate une baisse de 19 francs par
quintal, ou de 7 p. 100 seulement, en ce qui concerne
la valeur moyenne des beurres importés dans le
Royaume-Uni.
IV. LES rROMAGP:S
Les fromages constituent une part très importante
des produits de la laiterie. Nous donnons ci-dessous le
cours des gruyères dans les fruitières du Doubs et du
Jura :
PRIX
du quiiilal de gruyère
dans les fruitières
du Doul)S et du Jura.
fr.
1876-1880 142 »
i88i-i885 i33 »
1886-1890 120 »
1891-1895. . i34 »
1896 118 ))
>7
i3i
On voit que les cours se sont abaissés jusqu'en 1890.
Ils se relèvent ensuite, peut-être sous l'influence des
droits protecteurs votés en 1891 et appliqués en \^Ç)'>..
Mais, en somme, les variations ne sont pas très accu-
sées. Depuis 1876-1880 jusqu'à la période 1886-1890, la
baisse ne dépasse pas i5 p. 100.
(i) Voir pour les prix moyens en 1896 et 1897, Board of Agriculture^
Agricultural Returns, 1897, p. 139.
LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE 67
Nous ne pouvons songer à suivre les fluctuations de
prix des fromages si divers consommés en France. Les
courtes indications qui précèdent nous paraissent,
d'ailleurs, suffisantes pour montrer que les variations
de cours n'ont pas eu comme résultante une baisse
accentuée analogue à celle que Ton constate pour la
plupart des denrées végétales.
V. LA LAINE
La laine, qui est un produit important, a subi, au
contraire, une baisse très marquée ; depuis 1876 jusqu'à
i883, notamment, le cours des laines a diminué de plus
de 3o p. 100.
11 en a été de môme en Angleterre pour les laines pro-
duites dans le pays aussi bien que pour les laines
importées. Voici, à titre d'exemple, les variations de
prix de deux catégories de laines, variations qui mon-
trent la généralité du mouvement de baisse et l'iinpor-
tance considérable de la réduction de prix :
Prix par livre (453 gr) en francs (i).
LAINES ANGLAISES LAINES IMPORTÉES
Soutlidowii. Liuco!n. X -Zélandc. Auslralie.
fr. c.
fr. c.
fr. c.
fr. c.
1876. . ..
I 70
I 70
I 5o
I 5o
1877. . .
I 60
1 60
I 5o
I 5o
1878. . .
I 5o
I 5o
I 40
I 40
1879. . .
I 3o
I -PO
I 40
I 40
(i) Voir Final Report on Agi icultiiral Dépression, p. 75. Londres,
68
LA BAISSE DES PRIX
LAINES ANGLAISES LAINES IMPORTEES
Soullidown. Lincoln. N.-Zélando. Australie.
fr. c.
fr. c.
fr. c.
fr. c.
1880. ... I 40
I 5o
I 40
140
I88I.
I 5o
I 20
I 40
I 40
1882.
1 40
I 10
I 20
I 20
i883.
I 20
I »
I i5
I 20
i884.
i i5
I »
i 20
I 20
1885.
I o5
I »
I »
I »
1886.
I o5
I »
o85
090
1887.
I o5
I o5
I »
I »
1888.
I »
io5
I »
I »
1889.
I 10
I 10
I »
I »
1890.
I 20
I 10
I »
I 10
1891.
I i5
095
095
090
1892. .
I 10
o85
095
090
1893. .
I 10
1 o5
095
080
1894. .
I o5
I »
090
080
1895. .
I »
I 20
080
080
En France même, les prix des laines indigènes ont
l)aissé de i4 p. 100 depuis i885 jusqu'à 1895 :
Prix du quintal de laine en France (i).
i885
1886
1887
1888
1889
1890 ,
1891
1892
i89i
X894
fr.
164
i57
160
i54
i54
i54
178
144
144
141
La laine est certainement un des produits agricoles
(!oiil le prix a diminué le plus rapidement depuis vingt-
[i) Enquête agricole de 1892. lulroduclion, p. 3 12.
LES PRODUITS D'ORIGINE ANIMALE 69
cinq ans. Celte baisse n'est pas inférieure à 5o p. loo.
Ilfaiitnoter, d'ailleurs, que cette tendance est très mar-
quée depuis fort longtemps. On peut dire que le cours
des laines s'abaisse depuis le commencement de la Res-
tauration (i).
Avant de terminer ce long chapitre, il ne nous reste
plus qu'à parler de trois produits d'importance inégale :
la soie, le miel et la cire dont la valeur ne laisse pas
que d'être assez élevée en France.
VI. — LES COCONS
Les cocons de vers à soie ont subi depuis quinze ans
une baisse très marquée. Le prix du kilogramme qui
s'était élevé très souvent à 5 francs de 1870 à 1880, tom-
bait ensuite à 3 fr. 5o. Depuis 1892, ces cours ont encore
fléchi :
fr. e
1892 3^5
1893 434
1894 2 60
1895 282
1896 2 56
Cette baisse explique les plaintes si vives des sérici-
culteurs français, qui ont réalisé des profits de moins
en moins élevés.
VII. LE MIEL ET LA. CIRE
Le miel et la cire n'ont pas subi une baisse analogue;
les cours restent stationnaires depuis dix ans, et cette
(i) Voir à ce sujet le tableau graphique publié en 1880, par M. César
Poulain, ancien président de la Chanîbre de commerce de Reims,
Paris, Guillauniin.
70 LA BAISSE. — CONCLUSION GÉNÉRALE
particularité nous montre combien sont diverses les
influences qui s'exercent sur le prix des produits agri-
coles. La résultante de toutes les causes différentes est
une baisse générale, mais parfois aussi un état station-
naire des cours.
Voici les fluctuations de prix du miel et de lu cire
depuis i885 jusqu'à 1895, d'après l'enquête agricole
de 1892.
PRIX PAR KILO
Miel. Cire.
fr. c. fr. c.
i885 I 42 2 28
1886 I 42 2 18
1887 I 39 2 21
1888 I 39 2 38
1889 I 39 2 27
2 2
1890 I 40
1891 I 52 2 24
1892 1 49 ^19
1893 1 42 2 20
1894 I 41 212
Conclusions générales. — La baisse des produits
d'origine végétale et animale. — Nous venons d'étudier
successivement les variations de prix des principaux
produits d'origine végétale ou animale. Un phénomène
économique de la plus haute importance se dégage
nettement de cet examen : c'est la baisse des prix. En
revanche, cette baisse est très inégale. Les produits
végétaux ont baissé de prix beaucoup plus rapidement
que les produits d'origine animale, et en outre, la
dépréciation des denrées végétales a été beaucoup plus
marquée. Nous constatons, enfin, une extrême diver-
sité dans les fluctuations de prix des produits agricoles.
LES PRODUITS D'OIUGIXE ANIMALE /i
La dépréciation du froment est bien plus marquée que
celle de Tavoine ; les prix des laines ont diminué de
;")o p. loo en France, tandis que le cours de la viande et
du bétail ne subissait guère qu'une dépression de 4 ^
9 p. ICO.
Il résulte de ces différences que la l^aisse des prix a
exercé une influence décisive sur les profits lorsque la
production locale, dans nos régions agricoles, a porté
sur des denrées plus spécialement affectées par la
baisse. La crise agricole n'a ni les mômes caractères
ni la môme intensité dans les régions à céréales et
dans les centres d'élevage, dans les départements essen-
tiellement viticoles et dans ceux où la production laitière
a pris un développement plus rapide.
Nous aurons soin de signaler plus tard ces diffé-
rences qui se traduisent, notamment, par des variations
de la valeur du sol. 11 était utile de déterminer la cause
des contrastes qui s'observent. Cette cause principale
est évidemment la diversité des fluctuations de prix
relatives aux principaux produits vendus par le cultiva-
teur et constituant les grosses recettes des exploitations
rurales.
Avant d'étudier cette question, c'est-à-dire avant
d'examiner les conséquences de la baisse générale des
prix, nous devons toutefois nous demander si le déve-
loppement de la production agricole dans notre pays
n'a pas jusqu'à un certain point atténué les effets de la
baisse. Il est clair, en effet, qu'une augmentation rapide
des récoltes et des rendements peut compenser par-
tiellement une baisse des prix.
D'un autre côté, nous devrons chercher à savoir si
72 LA n Aïs SE DES PRIX
raugmentatioiî très rapide de la masse des produits
agricoles obtenus ne peut pas expliquer la baisse que
l'on observe.
Ce sont ces deux problèmes que nous allons main-
tenant nous efforcer d'étudier et de résoudre.
III
La baisse des prix et l'augmentation de la production
en France.
Avant d'étudier, disions-nous plus haut, les consé-
quences de la baisse du prix des principales denrées
agricoles, il est indispensable de nous demander si
l'augmentation des récoltes n'a pas compensé jusqu'à
un certain point la diminution des cours.
Sans nul doute, tout accroissement des rendements
et de la production, en général, suppose une augmen-
tation des dépenses. Les façons culturales mieux faites
ou plus nombreuses, l'emploi d'engrais complémen-
taires, une sélection plus attentive des semences, etc.,
etc., exigent des avances plus considérables.
Il en est de même pour la production d'origine ani-
male. L'accroissement du poids, du nombre, de la qua-
lité des animaux et de leur productivité suppose des
dépenses plus élevées relatives au choix des reproduc-
teurs et à l'alimentation.
Mais dans tous les cas, le développement de la pro-
duction n'est possible que s'il est lucratif; l'augmenta-
tion des dépenses a donc été largement compensée par
celle des recettes. On ne saurait admettre, un seul ins-
tant, qu'en produisant une masse plus considérable de
LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTIOX 7^
denrées, nos agriculteurs aient, d'une façon générale,
fait des sacrifices stériles. C'est le contraire qui nous
paraît vrai.
Tout progrès technique doit avoir pour conséquence
un excédent de recettes, déduction faite des dépenses
nouvelles que le progrès entraîne avec lui.
Il est donc parfaitement permis, nous le répétons, de
se demander si la baisse récente des prix n'a pas eu
comme correctif une augmentation de notre production
agricole.
I. — En ce qui concerne, notamment, les céréales,
le doute ne semble pas permis. Le développement de
la production a corrigé ou atténué TefTet de la baisse du
prix. D'après la statistique décennale de i89'2, on cons-
taterait un excédent moyen annuel de production assez
considérable en comparant les deux périodes décen-
nales, 1876-85 et 1886-95.
Voici les chiffres qui se rapportent à ces deux séries
d'années, pour les grains seulement :
PUODUCTION ANNUELLE TOTALE
Céivalcs. 187C-I885 1886-180d
Fromeiil . . ,
Seigle . . .
Orge ....
Méteil ...
Avoine . . .
Maïs cl millel
Sarrasin . .
En définitive, les augmentations ou diminutions de
production moyenne seraient les suivantes :
Millions
d'hectolitres.
01.6
107. 1
24.9
23.5
18.3
17. 1
6.2
4.4
80.7
87.2
9-7
9-9
10. 0
9.3
74
LA BAISSE DES PRIX
Froment
Seigle
Orge
Méteil
Avoine
Maïs et niiilct. . .
Sarrasin
Totaux.
Augmcnlation
Diuiinution
Millions
d'Iiectolit
rcs.
5.3
»
»
1.4
»
1.2
»
1-7
6.5
o.i
»
11.9
Les augmentations portent sur le iroment, chose fort
importante, et sur l'avoine. Elles s'élèvent à plus de
La Production du hlé en France de i83o à 1900
■^ .?<?_
I
m
I
■
M
m
m
m
M m
I
i
i
i
i
7 millions d'hectolitres, déduction faite des réductions
qui se rapportent aux autres céréales. Malheureusement,
il paraît établi par la statistique officielle que si les
quantités récoltées ont augmenté, cet excédent atténue
la baisse des prix sans la compenser. Voici quelles
LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION 70
seraient les différences de valeurs obtenues en appli-
quant à la production moyenne totale les prix afférents
à chaque période.
Diminution de valeurs entre les périodes 1876-1883 et 1 886-1 895
pour les récolles *.
Millions de francs.
Fi'omcut 290
Seigle 83
Orge 5o
Méteil 43
Avoine aô
Maïs et millet iï
Sarrasin 28
L'Administration de l'Agriculture conclut en ces
termes : « La valeur des céréales (les grains seulement)
récoltées durant la période 1886- 1893 a donc été infé-
rieure par an, en moyenne, de 546 millions à celle de
la période 1876-1885. »
Nous faisons, tout d'abord, les plus expresses réserves
à propos du mot « valeur » qui est ici employé et pour-
rait faire supposer que, toutes les céréales étant desti-
nées à la vente, les recettes des cultivateurs ont dimi-
nué de 546 millions ; cela ne serait pas exact. Nous
l'avons fait voir dans un autre chapitre (p. 35).
En tout cas, il est évident que la valeur totale de
notre récolte de céréales eût subi une réduction plus
forte encore si l'augmentation de la production n'avait
pas atténué dans une certaine mesure la baisse des prix
qui se rapporte à chaque hectolitre.
Ajoutons^ enfin, que la surface consacrée aux céréales.
(i) Voir Introduction à l'enquête agricole de 1892, p. 104.
76 LA BAISSE DES PRIX
et notamment au froment, iia cependant pas augmenté.
Elle a plutôt légèrement décru d'après la statistique
officielle.
Le développement de la production est donc bien dû
à une augmentation des rendements.
2. — Après les céréales, nous savons que les pommes
de terre constituent un des principaux éléments du
produit brut d'origine végétale. Nous constatons encore
un développement de la production qui corrige les
effets de la baisse. Les rendements par hectare se sont
notamment élevés de 75 à i5o quintaux par hectare
entre 1882 et 189a. Cette augmentation, jointe à l'exten-
sion des surfaces cultivées, qui ont passé de 1.337.000
à I.474-O00 d'hectares, explique l'accroissement de
valeur correspondant à notre production totale. Cette
valeur attribuée aux pommes de terre ne s'élevait qu'à
648 millions de francs en 1882 ; elle atteint 670 millions
en 1892. Bien entendu, cette valeur ne correspond ici
qu'à une donnée statistique sans rapport immédiat avec
la réalité. L'ensemble de notre récolte de pommes de
terre n'est pas davantage l'objet de ventes effectives
que l'ensemble de notre récolte de céréales.
Nous constatons simplement que l'hectare de pommes
de terre produisait, en 1882, 70 quintaux valant en
moyenne 6 fr. 42, d'après les évaluations officielles. Le
produit brut moyen par hectare s'élevait à 481 francs.
En 1892, io5 quintaux valant chacun 4 fr- 33 donnent
encore un produit de 4^4 francs. La diminution des
recettes brutes n'est donc égale qu'à 27 francs, et la
baisse relative n'atteint que 5 p. 100.
3. — Nous négligerons diverses productions d'un
LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION 77
moindre intérêt pour nous occuper immédiatement des
betteraves à sucre.
Il suffira, d'ailleurs, de rappeler les conclusions aux-
quelles nous nous sommes arrêtés à propos de la baisse
des prix.
Le cours des betteraves à sucre est intimement lié à
leur richesse saccharine. La législation fiscale oblige
les fabricants à traiter des racines assez riches pour
que le poids de sucre extrait réellement dépasse le ren-
dement « légal ». C'est pour cette raison que le prix de
vente des betteraves augmente très rapidement à partir
d'un certain degré de richesse. En revanche, il est
démontré que les rendements en racines par hectare
cultivé diminuent quand la richesse de la betterave
augmente. 11 en est résulté que le produit brut moyen
par hectare — évalué en argent — ne s'est pas accru ou
s'est faiblement accru, depuis 1884, malgré l'augmenta-
tion du prix moyen de la tonne des racines.
Jusqu'à présent, la baisse a été, du moins, prévenue.
Le produit brut, loin de diminuer, a plutôt augmenté
légèrement sur quelques points.
4. — Nous ne croyons pas devoir signaler les progrès
de la production relatifs aux produits maraîchers. Les
évaluations, à cet égard, sont bien difficiles. Pour les
produits maraîchers de grande culture, la statistique
de 1892 constate, il est vrai, une augmentation des
valeurs créées ; mais cet accroissement correspond à une
extension des surfaces, et, de plus, la moitié de la plus-
value devrait être attribuée au développement de la cul-
ture des pommes de terre, dont nous avons déjà parlé.
Quant aux jardins maraîchers proprement dits, l'Admi-
7» LA BAISSE DES PRIX
nistration de FAgriculture ne peut nous fournir aucune
indication relative à Taccroissement de la production.
5. — Nous pouvons, au contraire, noter les variations
de la production du cidre, dont la fabrication est évi-
demment liée à Tabondance des récoltes de pommes.
La production du cidre est de plus en plus abondante,
bien que l'on obtienne des différences très marquées
selon les années considérées. Les moyennes quinquen-
nales sont les suivantes :
Production du cidre.
MillioBS d'hectolitres.
1876-1880 8.6
1881-1885 i5.6
1886-1890 8.8
1891-1895. . 19.0
1896-1900 i5.i
6. — 11 y aurait, semble-t-il, quelque imprudence à
parler du développement de la production en ce qui
concerne le vin. Tout le monde sait combien ont été ter-
ribles les ravages du phylloxéra. Nos vignobles détruits
ont été pourtant reconstitués avec une rapidité qui tient
du prodige. Nous ne savons s'il faut louer davantage la
ténacité, le courage ou l'habileté de nos viticulteurs.
Depuis quelques années l'augmentation des récoltes a
été extraordinaire.
Voici quelles ont été les moyennes quinquennales
relatives à nos récoltes depuis 1876 jusqu'à 1895.
Millions (]"hectolitros.
1876-1880 40.4
i88i-i885 32.8
1886-1890 26.0
1891-1895 34.9
1896-1900 44.6 -
LE DEVELOPrEMENT DE LA PRODL'CTIOX 79
Durant la première période, nos vignes n'étaient pas
encore détruites. Les années 1879 ®^ 1880 avaient seules
témoigné par rabaissenientsubitdes récoltes de l'étendue
des ravages déjà constatés.
Durant les dix années suivantes, le phylloxéra achève
son œuvre de destruction ; mais, en même temps, la
reconstitution du vignoble est commencée, surtout dans
tes départements du Midi à grosse production.
Enfin, durant la dernière période, un accroissement
appréciable de la production nous est révélé par l'élé-
vation de la moyenne quinquennale 1896-95. La récolte
exceptionnelle de 1898 explique, sans doute, ce relève-
ment, mais le chiffre de notre production s'élève, cepen-
dant, ensuite à 44 millions d'hectolitres de 1896 à 1901.
C'est la moyenne la plus élevée que l'on ait constaté
depuis vingt-cinq ans.
7. — Au premier rang parmi les éléments de notre
richesse agricole, il faut placer le bétail. Nous pouvons
constater avec satisfaction une augmentation notable
des efl'ectifs et surtout un accroissement marqué du poids
des animaux domestiques. Depuis 1882 jusqu'à 1892,
l'augmentation du nombre des représentants de l'espèce
bovine et de l'espèce porcine a été la suivante :
Tétcs.
Espèce bovine 711.000
Espèce porcine 274.000
C'est là un fait très important. Il est vrai que l'on
constate les diminutions suivantes :
Tôiei.
Espèce chevaline 43. 000
Espèce ovine 2.693.000
8o LA BAISSE DES PRIX
L'Administration de l'Agriculture a raison de faire
observer que la réduction du nombre des moutons est
due surtout aux progrès et à l'intensité de la culture, à
la suppression des jachères et des parcours, au défri-
chement des landes et à leur boisement, et enfin au
développement de la petite culture, qui a plus d'intérêt
à entretenir des vaches laitières que des moutons. 11
conviendrait même d'ajouter que la diminution du
nombre des ovidés est un phénomène très général, hors
de France, dans les pays bien cultivés.
En outre, deux faits viennent corriger les consé-
quences que l'on pourrait être tenté d'attribuer à la
réduction des effectifs.
Le poids de chaque animal s'est accru depuis vingt
ans. C'est là un effet de la sélection intelligemment prati-
quée et d'une meilleure alimentation. Les bons éleveurs
se sont même attachés et ont réussi à. obtenir des animaux
dont le rendement en viande nette fiit de plus en plus
considérable. Enfin, l'on est même parvenu à augmenter
la proportion des morceaux de première et deuxième
catégorie. Ce n'est donc pas seulement le poids de viande
fourni par chaque animal qui a augmenté ; la qualité de
cette viande s'est trouvée également améliorée. Il faut
noter aussi que nos ovidés, mieux sélectionnés et mieux
nourris, étant plus précoces, peuvent être abattus plus
jeunes. Avec des effectifs réduits, il est donc possible
que nos agriculteurs livrent à la consommation autant
d'animaux qu autrefois, et surtout autant de viande.
Toutes ces transformations correspondent à d'incontes-
tables progrès techniques ; elles peuvent atténuer, dans
une mesure appréciable, les conséquences de La baisse
LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION 8i
des prix. Ceci est d'autant plus important que Thabileté
de nos éleveurs et les progrès de la science zootech-
nique ont permis d'obtenir les mêmes résultats en ce
qui concerne les animaux des espèces bovine et porcine.
Quant aux augmentations de poids constatées depuis
1882 jusqu'à 1892, elles s'élèvent, d'après la statistique
officielle, à i53 millions de kilogrammes, déduction
faite des diminutions qui paraissent correspondre à la
réduction de nos effectifs pour les chevaux et les mou-
tons. Nous disons avec intention que la réduction des
effectifs/;(7/'rt/7 seulement correspondre à une diminution
de poids. Pour les moutons, notamment, ce que nous
avancions au sujet de l'accroissement du poids vif par
bête justifie notre hésitation.
La statistique officielle nous fournit, d'ailleurs, un
argument.
Voici quelle a été l'augmentation du poids net en
viande des animaux français abattus ou exportés, depuis
1882 jusqu'à 1892 :
AUGMENTATIONS
du poids net en viande
Absolues. Rflatiïes.
Millions de kilog. p. 100
Bœufs, vaches, taureaux .... -iS 4 5
Veaux 246 i5
Moutons et brebis o5 o5
Agneaux, chevreaux 04 3 o
Porcs 95 4 24
Totaux-moyennes. . . . 149^ » »
Nous constatons une augmentation du poids de viande
fourni par les animaux de l'espèce ovine, malgré la
diminution des effectifs . Quant aux animaux des espèces
ZoLLA. — La Crise agricole. 6
82 LA BAISSE DES PRIX
bovine et porcine, il est clair qu'ils Iburnissent une
quantité de viande largement supérieure à celle que
Ton avait cru pouvoir constater dix ans auparavant. Les
observations que nous faisions plus haut à propos des
progrès accomplis dans l'élevage sont encore confir-
mées par la statistique officielle. Nos animaux domes-
tiques destinés à la boucherie sont plus précoces;
leurs poids par tête est aujourd'hui plus considé-
rable; leur rendement en viande s'est élevé, et la qua-
lité de cette viande a été améliorée. Enfin, leur valeur
moyenne par tète n'a pas diminué malgré la baisse du
prix de la viande. Voici les chiffres que nous fournit,
à cet égard, U statistique agricole de 1892:
Valeur des animaux français abattus et exportés en 1882 et 1893.
PAR TÈTE TOTALE
1882 1892 1882 1892
fr. fr. Millions de francs.
Bœufs, vaches, lauroaux. . 871 38i 763 780
Veaux 69 80 223 282
Moutons, brebis 3o 33 i58 191
Agneaux, chevreaux. ... 10 i5 22 26
Porcs . 116 93 461 456
Totaux 1-629 1.734
Il ne semble donc pas que la valeur de notre produc-
tion en viande ait diminué. En supposant même que les
conclusions de la statistique oflicielle soient trop opti-
mistes, il n'est pas moins démontré que les recettes
brutes provenant du bétail de boucherie n'ont point
diminué dans la même mesure que le produit brut végé-
tal. Or, quelle est l'importance relative du bétail de
boucherie par rapport à Vensembla des produits d'ori-
LE DÉVELOPPEMEyT DE LA PRODUCTION 83
gine animale efFectivement vendus ? La statistique ofïi-
cielle nous apprend que les ventes effectuées en 1892
étaient les suivantes :
Millions de francs.
Animaux de boucherie i . 763
Lait (et SOS transformations) 1.261
Laine 48
Produits de la basse-cour 3i6
Cocons de vers à soie 32
Miel et cire 16
Total. .... 3.426
Le bétail vendu pour la boucherie représente 5i
p. 100 du montant de ce produit brut considérable qui
s'élève à 3 milliards 4^6 millions de francs. Bien que
les prix se soient abaissés, les recettes brutes de l'agri-
culture n'ont pas éprouvé, de ce chef, une réduction
notable parce que la quantité et la qualité des pi oduits
ont toutes deux augmenté.
8. — Le lait constitue, après le bétail de boucherie,
l'élément principal du produit brut d'origine animale,
dont il représente plus du tiers (36 p. loo). Or, la sta-
tistique décennale récemment publiée évalue à i,25i
millions de francs la valeur de la production du lait(i).
En 1882, cet élément important des recettes agri-
coles n'était évalué qu'à 1,1 57 millions de francs. L'aug-
inentation du nombre des vacheslaitières, et, sans doute,
l'accroissement des rendements par tète, explique,
croyons-nous, l'élévation du produit brut. Nous sommes
obligés, cependant, de faire quelques réserves.
La statistique officielle î^évalue à 21 millions d'hecto-
(i) Y compris le lait des chèvres et brebis.
84 LA BAISSE DES PRIX
litres la quantité de lait utilisée pour la fabrication des
fromages (lait de vaches).
La production des beurres s'élève à 182 millions de
kilos, correspondant sans doute à l'emploi de 33 mil-
lions d'hectolitres de lait, à raison de 20 litres par
kilo de beurre. Or, la valeur des beurres et fromages,
c'est-à-dire celle des 54 millions d'hectolitres de lait
qu'ils représentent, ne s'élève, nous dit-on, qu'à 428 mil-
lions de francs. D'autre part, la production totale de
lait est égale à 77 millions d'hectolitres valant i .223 mil-
lions. 11 en résulte que 33 millions d'hectolitres vendus
ou consommés par les agriculteurs ont une valeur de
1.223 — 4^3 = 860 millions de francs. Cette estimation
porte le prix du litre de lait à 24 centimes, chiffre que
nous croyons exagéré. C'est d'ailleurs là une simple
réserve utile à faire. Il n'en est pas moins vrai que
notre production de lait s'est accrue; nous croyons que
la qualité même de nos fromages et surtout de nos
beurres a été améliorée. Enfin le produit brut corres-
pondant n'a pas diminué et c'est là le point important.
Conclusion. — En définitive, il est établi que notre
production s'est accrue depuis une vingtaine d'années.
A cet égard, les progrès réalisés sont remarquables.
Malheureusement ce développement ne peut compenser
la baisse des prix dans tous les cas et notamment pour
les céréales.
11 nous reste à savoir si l'augmentation des récoltes
et des produits ne peut pas expliquer en partie la baisse
des cours. C'est ce que nous allons examiner très rapi-
dement dans le chapitre suivant.
LA PRODUCTION ET LES PRIX 85
IV
La production intérieure et les prix.
Les variations des prix ne dépendent pas exclusive-
ment, comme on paraît le croire fort souvent, de la con-
currence étrangère et du chiffre des importations.
Elles sont intimement liées à l'augmentation ou au
déficit momentané des récoltes ou, pour être plus exact,
de la production intérieure.
C'était là, autrefois, une vérité presque évidente par
elle-même. Les transports étaient longs et coûteux. On
observait, donc, des écarts de prix très considérables
pour une même denrée, comme le blé, dans les régions
différentes d'un pays. Nos compatriotes souifraient de
la disette en Bourgogne, alors que la récolte de grains
était satisfaisante dans le Languedoc ou la Picardie.
Pour provoquer des mouvements effectifs de denrées,
des échanges entre provinces, il fallait que la différence
des cours compensât, et au delà, les frais de transport
qui restaient toujours très élevés. L'amplitude des fluc-
tuations de cours était considérable et résultait des
variations accidentelles de la production.
Il semble qu'aujourd'hui tout soit changé à cet égard
grâce aux merveilleuses transformations des moyens de
transport. Le nivellement des prix a été, en effet, la
conséquence de l'abaissement du coût de transport,
grâce aux chemins de fer, ou de la réduction des frets
maritimes. Cela est vrai, non seulement quand on con-
sulte au même moment les mercuriales des différents
86 LA BAISSE DES PRIX
marchés d'un pays, mais encore lorsque Ton examine
la cote des diverses places de l'Europe pour une même
marchandise.
Dans son beau livre sur la Transformation des moyens
de transport, M. de Foville a montré, par exemple, que
Técart entre les cours du froment à New-York, à Odessa,
à Londres, etc., avait rapidement diminué. Ce qui est
vrai pour le blé, dont on parle volontiers, ne Test pas
moins pour les autres produits agricoles.
On peut dire, sans exagération, \^our certaines denrées
agricoles tout au moins, qu'il faut tenir compte, aujour-
d'hui, des quantités offertes et demandées sur le marché
du monde. Des variations *de prix môme légères chan-
gent la destination des produits qui affluent toujours là
où les cours sont plus élevés. Les droits de douane
eux-mêmes sont loin de limiter ou de restreindre tou-
jours les importations. Dans les pays soumis au régime
protecteur, les cours se trouvent simplement surélevés;
la hausse compense fort souvent pour les importateurs
les taxes à acquitter, et cette barrière une fois franchie,
les denrées étrangères pénètrent dans Fintérieur du
pays.
Nous ne songeons donc point à nier la réalité de ce
phénomène économique important que l'on appelle le
nivellement des cours.
En revanche, nous croyons qu'il serait impossible de
contester l'influence qu'exerce, aujourd'hui encore, la
production intérieure sur la marche des prix.
Les variations simultanées des récoltes et des cours
du froment sont, à cet égard, tout à fait caractéris-
tiques. Les prix baissent rt la suite d'une belle récolte;
LA PnODUCTIOX ET LES PRIX
Prix pan hectolitre.
87
Récoltes en millions d'hectolitres.
CD oa co *fl o o
»o ro
88 LA BAISSE DES PRIX
ils s'élèvent au contraire quand la production a diminué.
Ce n'est pas là un phénomène observé un petit nombre
de fois. Il s'agit bien d'une répercussion normale et
régulière de la production sur les prix. On constate,
aujourd'hui encore, que les cours subissent l'influence
des récoltes.
Pour s'en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur le
graphique ci-joint (voy. p. 87). Depuis i852 jusqu'à
1 898, les deux courbes qui se rapportent au prix de
l'hectolitre et aux récoltes présentent des inflexions
opposées. L'une s'élève quand l'autre s'abaisse.
Il est certain que ni la rapidité et le bon marché des
transports, ni le développement extraordinaire de la
production du froment dans le monde ne compensent
et n'effacent entièrement l'action exercée par les varia-
tions de nos récoltes sur les cours.
On pourrait donc soutenir avec quelque raison que
l'augmentation graduelle mais ininterrompue de la pro-
duction en France explique la baisse des prix. Cette
hypothèse ne nous paraît pas admissible. L'accroisse-
ment de la consommation du froment est notamment
plus rapide que le développement de la production. En
outre, on n'observe point une hausse bruque et très
marquée du chiffre de nos récoltes au moment où les
cours ont commencé à fléchir. La baisse se fait sentir
aussi bien pour les céréales dont la production a diminué
en France, comme le seigle et l'orge, que pour le fro-
ment dont la récolte moyenne a augmenté. La produc-
tion des textiles et des graines oléagineuses a subi une
réduction très notable et pourtant les cours de ces
denrées se sont abaissés rapidement depuis vingt ans.
LA PRODUCTION ET LES PRIX 89
Le développement incontestable de notre production
en viande et en lait est également trop faible pour per-
mettre de lui attribuer la baisse que Ton constate en ce
qui concerne au moins le bétail. A l'étranger, dans des
pays cultivés depuis de longs siècles, le développement
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de laproduction agricole n'explique nullementla marche
des prix. En vérité, il nous semble inutile d'insister. Ce
n'est point l'augmentation des récoltes, en France, et,
d'un façon générale , l'abondance extraordinaire des
produits qui peuvent avoir provoqué la dépression des
prix. Il est vrai que pour certains produits comme les
céréales, le vin et le bétail, on observe des hausses ou
des baisses accidentelles et passagères. C'est l'abon-
dance ou la faiblesse des récoltes qui expliquent les
90 LA BAISSE DES PRIX
variations de prix des céréales. C'est l'abondance ou
la rareté des fourrages qui expliquent, d'autre part, les
(luctuations delà valeur marchande des animaux domes-
tiques.
Le prix du bétail diminue quand le cours des four-
rages s'élève, parce que les agriculteurs ne peuvent
plus nourrir leurs animaux et les vendent au même
moment; il s'élève, au contraire, quand les fourrages,
sont abondants et à bas prix parce que l'on peut garder
le bétail, le nourrir aisément, ou môme élever un plus
grand nombre d'animaux.
La valeur des porcs varie avec celle des pommes de
terre, qui conslitiient leur principal aliment
Mais ce sont là des fluctuations de prix essentielle-
ment accidentelles et passagères. Elles ne sont point
comparables à celles que nous observons depuis vingt
ans. La hausse succède, d'ailleurs, à la baisse quand il
s'agit de ces accidents économiques qui résultent des
influences atmosphériques. Or, nous constatons, au
contraire, une tendance marquée, un mouvement
presque continu dans le sens de la baisse quand nous
étudions la marche des prix depuis. 1870 ou 1880.
V
La baisse du prix des matières premières
de l'industrie agricole.
I. — Il ne faut pas se borner à constater les varia-
tions de prix des objets que produisent et vendent les
agriculteurs. Ce serait là une vue trop étroite des phé-
LA BAISSE DES MATIERES PREMIERES 91
nomènes économiques qui se rapportent à la crise agri-
cole. Nous devons tenir compte des fluctuations de
prix qui concernent les matières premières de l'indus-
trie rurale.
L'agriculture a pour objet, comme l'industrie propre-
ment dite, d'opérer des transformations . La terre et la
plante sont à vrai dire des machines comparables —
quoique non semblables — aux machines industrielles.
La terre transforme réellement les matières premières
qu'elle renferme ou qu'on lui confie et les met à la
disposition des plantes. Ces matières premières sont
les substances organiques ou minérales qui doivent
devenir solubles et être absorbées par les radicelles de
végétaux. Les engrais, tels que les nitrates, les phos-
phates, les sels de potasse ou de chaux, sont des matières
premières. 11 en est de même pour une foule de matières
fertilisantes qui sont des résidus industriels (tourteaux,
noirs de rafiinerie, sulfate d'ammoniaque provenant
des usines métallurgiques, débris de peaux, de cornes,
de chifTons de laine, etc., etc.).
La terre n'est pas, ainsi qu'on l'a cru longtemps, un
agrégat de substances inertes : elle renferme une foule
d'organismes vivants. Quand on incorpore au sol les
engrais, ces organismes les transforment et élaborent
la matière alimentaire qu'utilisera la plante. Aujour-
d'hui, il est presque toujours avantageux et, par consé-
quent utile de compléter la terre arable au moyen de
fumures qui sont précisément constituées par des rési-
dus industriels ou des engrais organiques et minéraux.
Les variations de prix de ces matières premières, dites
fertilisantes, offrent donc un très grand intérêt. Or, il
92 • LA BAISSE DES PRIX
est certain que la plupart des engrais industriels, ou
des résidus dont nous parlons, ont baissé de prix depuis
quinze ou vingt ans. Voici, par exemple, le nitrate de
soude, qui est le principal engrais azoté et de beaucoup
le plus employé.
D'après les recherches de Sauerbeck, le statisticien
anglais bien connu, le cours du nitrate de soude aurait
varié de la façon suivante :
Prix ramené à loo pour la période 1867-1877.
1867-1877 100
1877-1887 85
1887-1893 67
Il se serait donc produit une baisse de 33 p. 100 en
moins de vingt ans.
C'est là un pointfort important, non seulement parce
que le nitrate de soude est très souvent employé, et
qu'on en vend dans notre pays d'énormes quantités,
mais surtout parce que le cours de cet engrais azoté
règle le prix de l'unité ou kilo d'azote renfermé dans
une foule d'autres engrais ou résidus industriels achetés
sur analyse.
Nous avons relevé les cours du nitrate de soude en
France depuis 1877. Voici les prix cotés pendant des
périodes triennales différentes (i) :
Prix des loo kilos de nitrate de soude.
fr. c.
1877-1880 37 5o
i88-2-i885 Si 36
1887-1890 a4 21
1895-1898 '9 72
(i) Mercuriales du Journal à! Agriculture pratique.
LA BAISSE DES MATIERES PREMIERES gS
Depuis la première série d'années 18^7-1880 jusqu'à
la période 1890-1898, la baisse est de 17 fr. ou de
47 p. 100.
La valeur marchande des autres engrais azotés a subi
une dépression analogue. C'est là un fait d'une impor-
tance considérable et qu'on ne paraît pas avoir mis
sufïisamment en lumière.
Voici maintenant un autre engrais, d'un usage très
répandu, le superphosphate de chaux (i). En prenant
comme type le superphosphate d'os, et en considérant
seulement des sels d'égale richesse en acide phospho-
rique, nous avons obtenu les moyennes suivantes rela-
tives aux prix cotés en France :
Prix des loo kilos de superphosphates d'os.
fr. b.
1877-1880 17 43
1882-1885 l5 70
1887-189.) i5 »
1895-1898 891
De la première à la dernière période, nous constatons
une baisse de 8 fr. Sa par 100 kilos ou de 48 p. 100. Il
est assez curieux que cette dépréciation soit presque
égale à celle qu'a subie le nitrate de soude.
Tout le monde sait également que de nombreux et
importants gisements de phosphates ont été découverts
en France, en Algérie et en Tunisie. Les craintes mani-
festées par quelques publicistes mal informés à propos
de la rareté des phosphates, sont purement chimériques.
(l) Le produit appelé superphosphate est obtenu en traitant le phos-
phate de chaux des os, ou des phosphates minéraux par l'acide sulfu-
rique. Le prix de l'acide sulfurique exerce une influence sur la valeur
des superphosphates, etc., etc...
94
LA BAISSE DES PRIX
Nous pouvons être assurés que rinclustrie agricole se
procurera l'acide phosphorique nécessaire aux récoltes
dans des conditions de prix qui seront de plus en plus
satisfaisantes.
Aimées nrtr-icocoeoeoojeo oooocooo
Soseocooococôâ
r. B0H£J.MAkiS Se.
Ce qui se passe pour les nitrates de soude et les
phosphates de chaux peut être constaté à propos des
autres matières fertilisantes ou des résidus industriels.
Leur valeur est en effet réglée par celle du kilo d'azote
ou d'acide phosphorique qu'ils renferment.
Il nous paraît inutile d'insister.
Quant aux plantes mêmes, dont la valeur comme
agents de transformation peut être fort variable, il est
hors de doute que leur productivité a été accrue par un
meilleur choix des semences. Or, nos agriculteurs se
procurent aujourd'hui à bien meilleur compte qu'autre-
fois et avec toutes les garanties désirables, quand ils
savent les exiger, ce qu'on appelle des semences /pw/ri-,
sélectionnées, et de qualité excellente au point de vue
des facultés germinatives.
La baisse des prix est donc ici favorable, dans une
LA BAISSE DES MATIÈRES PREMIÈRES 9^
certaine mesure, aux intérêts des agriculteurs. Il y a
lieu de noter ce fait, qui n'est point sans importance.
Le bétail de rente ou de irait doit être également con-
sidéré comme un agent de transformation industrielle.
Or, le prix des résidus industriels employés comme
aliments a certainement diminué plus rapidement que
le prix du bétail lui-même. On peut, aujourd'hui, cons-
tituer des rations alimentaires qui permettent éga-
lement d'utiliser des matières de faible valeur ou de
rendre plus assimilable des substances employées jus-
qu'ici presque exclusivement. Nous pouvons substituer
encore des aliments bon marché à des aliments d'un
prix élevé pour abaisser le prix d'entretien de nos ani-
maux de ferme. L'emploi de plus en plus répandu des
tourteaux, du maïs, des féverolles, etc., etc., à la place
de l'avoine pour l'alimentation des chevaux de trait,
est un fait connu de tous ceux qui s'intéressent à ces
questions. L'agriculteur peut ainsi, et pourra surtout,
profiter de ces découvertes scientifiques pour abaisser
le chiffre des dépenses de nourriture en ce qui con-
cerne les animaux de ferme. Cette réduction des
dépenses sert de contre-partie à l'abaissement des
recettes brutes provoqué par l'avilissement du cours
des produits vendus. La baisse des denrées agricoles
a eu pour les cultivateurs et pour les propriétaires une
double conséquence : elle a réduit les profits culturaux
et les fermages. Une des méthodes les plus sûres d'at-
ténuer les effets de la crise consiste précisément à
faire un usage intelligent des engrais qui ont baissé de
prix.
Quant aux moyens financiers, ils peuvent être tri^s
96 LA BAISSE DES PRIX
divers. C'est une question de crédit. A nos yeux, ce
problème devrait être résolu par une association plus
intime entre les propriétaires fonciers et leurs loca-
taires, fermiers ou métayers.
2. — Les engrais et les aliments destinés au bétail ne
sont pas les seules marchandises achetées par les agri-
culteurs et dont la baisse soit favorable à leurs intérêts.
Ainsi les machines agricoles ont diminué de prix
assez rapidement depuis 1870 jusqu'à 1892. Un spécia-
liste bien informé, M. Ringelmann, a confirmé sur ce
point nos conclusions personnelles en nous disant que
celte baisse pouvait être évaluée à i5 ou 20 p. 100.
Malheureusement, les tarifs protectionnistes de 1892
ont modifié la marche des prix, et ont provoqué depuis
dix ans une hausse équivalente, d'après les informations
puisées à de bonnes sources par le même auteur (i).
Enfin, l'usage même des machines agricoles peut,
dans beaucoup de cas, être considéré comme diminuant
le prix de revient de certaines productions ou les
dépenses qu'elles exigent.
M. Leroy-Beaulieu fait remarquer avec raison, dans
son Traité cVécoiwmie politique^ que les appareils et
machines utilisés en agriculture ne concourent pas
seulement à l'augmentation des récoltes, mais encore
à la diminution des frais de culture ou de semailles (2).
En résumé, la baisse générale des prix n'est pas un
mal sans compensations, comme on affecte trop souvent
(i) M. Ringelmann est professeur de mécanique agricole à l'Institut
agronomique et directeur de la station d'essai des machines agricoles,
à Paris .
(2) V. t. I, Réfutation des arguments de M. Gide, relativement à
la productivité des machines agricoles.
LA BAISSE ET LES RECETTES BRUTES 97
de le croire. Sans nul doute, les profits agricoles sont
moins élevés aujourd'hui qu'il y a vingt ou vingt-cinq
ans, mais, toutefois, il est impossible de ne pas cons-
tater que la réduction de valeur des produits achetés
par l'agriculture atténue la crise dont elle souffre.
VI
Erreur relative à, Tinfluence qu'a exercée la baisse
des prix sur les recettes brutes des cultivateurs
I. — Nous avons consacré plusieurs chapitres de ce
travail à l'étude des variations de prix de nos princi-
paux produits agricoles. En règle générale, c'est, à coup
sûr, une baisse que l'on a observée depuis vingt ans
dans notre pays. Il reste à déterminer la portée de ce
phénomène économique.
A ce propos, beaucoup d'écriyains, d'administrateurs
et d'hommes politiques commettent, croyons-nous, une
erreur d'observation et de raisonnement qui est singu-
lièrement grave.
« Le froment, disent-ils, a perdu depuis quelques
années 25 p. loo de sa valeur marchande. Or, nous
récoltons annuellement loo millions d'hectolitres qui
valaient autrefois 2 milliards et ne représentent plus
aujourd'hui que i.Soo millions. L'agriculture française
perd donc 5oo millions.
« Nous produisons chaque année du seigle, de
l'avoine, etc., de la paille, du foin, des racines, etc.
L'ensemble de ces récoltes valait 10 milliards. Aujour-
d'hui, les prix ont baissé de 20 p. 100 et la valeur de
la production agricole n'atteint plus que 8 milliards.
ZOLLA. — La Crise agricole. 7
98 LA BAISSE DES PRIX
« L'agriculture française a donc perdu encore 2 mil-
liards ! »
Il y a là une erreur. Puisque Ton parle ici des prix et
de leurs variations,' on ne songe évidemment qu'aux
opérations commerciales dans lesquelles les cours et
les prix jouent un rôle capital, et notamment aux ventes.
Or, les agriculteurs ne vendent point tout ce qu'ils pro-
duisent.
Ils ne vendent, en règle générale, ni leurs fourrages,
ni leurs racines fourragères, ni l'avoine qui est con-
sommée par leurs chevaux, ni l'orge et les pommes de
terre que le bétail reçoit comme aliments, ni les
semences qui servent à produire une récolte nouvelle.
Gela est de toute évidence. Les productions du sol que
le bétail utilise et transforme pour donner du lait, de
la viande, de la laine et des peaux ne sont nullement
vendues. Comment, dès lors, admettre que les variations
de prix et la baisse., notamment, puissent intéresser
l'agriculteur en exerçant une influence immédiate sur
le montant de ses recettes brutes ou de ses proiits .?
La hausse ou la baisse des prix n'affecte donc la situa-
tion financière de l'agriculture que si cette hausse ou
cette baisse porte sur le cours des denrées effectivement
vendues.
Parmi les productions végétales, quelles sont les
denrées destinées à la vente?
Pour le savoir, examinons les principaux éléments
du produit brut d'origine (i) végétale. Voici tout d'abord
les céréales :
[i) Yorr l'Enquèle décennale de 1892»
LA liAfSSE ET LES RECETTES BRUTES 99
PRODUCTION EN 1 892
Grains PailLs
• (millions ^millions
d heclolitrcs). de qninlaux).
Froment ii7-1 i47-^
Seigle 24.3 34-8
Orge i5.8 12.4
Méteil 4-2 5.4
Avoine 86.8 61.7
Maïs 9.3 6.6
Sarrasin 10. i 9.1
Millet 0.3 o.i
Pour les grains de froment, il y aurait lieu de tenir
compte des semences représentant près de i4 millions
d'hectolitres, et de la consommation personnelle des
cultivateurs, dont nous parlerons bientôt. Quant à la
paille de froment, elle est, en grande partie, consommée
dans les exploitations rurales. Celle que Ton vend
n'est utilisée, dans les villes, bourgs et villages, que
pour la nourriture des chevaux, ânes et mulets, seuls
animaux de trait qu'emploient les particuliers, les com-
merçants, les industriels, les entreprises de transport
et Farmée. Nous exagérons certainement en supposant
que la moitié de la paille de froment est effectivement
vendue et que les deux tiers des grains sont portés sur
le marché.
Le seigle est surtout consommé parles populations
agricoles pauvres du centre et de l'est de la France. Ses
usages industriels sont rares et les grains qui ne
servent pas à Falimentation de l'homme sont utilisés
pour la nourriture du bétail. En tenant compte des
semences, on ne saurait sans doute admettre que plus
de la moitié du seigle récolté soit l'objet d'une vente.
Quant à la paille, très estimée, il est possible que
lOO LA BAISSE DES PRIA'
les trois quarts en soient livrés au commerce et à Fin-
ci us trie.
L'orge donne un produit de i5 à i6 millions d'hecto-
litres de grains. Cette céréale n'est utilisée, en France,
que pour la fabrication de la bière. Or, nous produi-
sons à peu près 8 millions d'hectolitres de bière dont la
fabrication exige tout au plus l'emploi de 8 millions
d'hectolitres d'orges françaises. En tenant compte des
semences (1.700.000 hectol.), on voit que sur une pro-
duction totale de 16 millions d'hectolitres, le tiers de la
récolte, soit 5 millions d'hectolitres est utilisé pour la
nourriture du bétail. Il en est de même pour la paille.
Le méteil sert exclusivement à la nourriture des cul-
tivateurs et la paille est fort probablement utilisée dans
les exploitations rurales.
L'avoine est, au contraire, une denrée de vente, mais
ce serait exagérer que d'évaluer à plus de la moitié la
part des grains et des pailles portée sur le marché. En
outre, il faut tenir compte des semences (18 millions
d'hectolitres au moins). L'agriculture ne vend donc
guère plus de 38 millions d'hectolitres de grains et de
3o millions de quintaux de paille.
Le maïs sert surtout à la nourriture du bétail et des
volailles, ou à la consommation des cultivateurs (sud-
ouest et sud-est de la France). La paille, c'est-à-dire les
« spatlies » qui enveloppent l'épi, n'a pas d'usages
industriels. On ne vend donc pas le tiers de la produc-
tion annuelle de grains et de paille.
Le sarrasin est consacré presque exclusivement à
l'alimentation du bétail, des volailles, et à la nourriture
des cultivateurs dans nos régions granitiques et schis-
LA BAISSE ET LES RECETTES BRUTES lOl
teuses. Les ventes ne portent sans doute pas sur plus
du tiers de la récolte en grains. La paille, de très mau-
vaise qualité, n'est pas vendue.
En résumé, si nous tenons compte à la fois des
semences et de la consommation des cultivateurs, de
leur famille et du personnel, nous pensons que les frac-
tions des récoltes effectivement livrées au commerce
sont les suivantes :
Grain-. raille.
ij-i
,/.
l/.
3/4
1/3
»/3
,/a
i/.
1/3
1/3
1/3
o
Froment . . .
Seigle ....
Orge
Avoine ....
Maïs et niilK'l.
Sarrasin . . .
Certes, les proportions que nous venons d'indiquer
dans le tableau précédent peuvent paraître arbitraires
et par conséquent critiquables. En tout cas, il est cer-
tain qu'une fraction très importante de nos récoltes de
céréales est utilisée dans les exploitations rurales où
l'orge, le seigle et leurs farines, le maïs, le sarrasin,
l'avoine, les pailles et les sons de toute origine servent
à l'alimentation du bétail ou des animaux de basse-cour,
aux litières^ etc.
Nous comptons en France dans nos domaines ruraux :
2.794.000 chevaux.
217.000 mulets.
368. 000 ânes.
13.708.000 bovidés.
21. II 5. 000 ovidés.
7.421.000 porcs.
1. 81 5. 000 chèvres.
102 LA BAISSE DES PRIX
Ces animaux consomment évidemment une masse
énorme d'aliments et, parmi ceux-ci, figurent des grains
et des pailles. La litière, que l'on doit regarder comme
une des matières premières des fumiers, est presque
toujours constituée par des pailles. A l'inverse, les
grains ou pailles vendus par les agriculteurs ne servent
qu'à la nourriture des animaux de trait entretenus hors
des exploitations rurales. Ces animaux sont assurément
beaucoup moins nombreux que ceux dont l'agriculture
utilise les services.
Il n'est pas moins certain qu'une partie notable des
grains récoltés sert à la nourriture du cultivateur, de sa
famille et du personnel. Or, nous comptons en France,
d'après l'enquête de 1892 :
2.199.000 propriétaires cultivateurs.
1. 061. 000 fermiers.
344 000 métayers.
Total. 3.604.000
En multipliant par quatre le nombre de ces chefs de
famille, nous obtenons le total des bouches à nourrir,
total qui s'élève à 14.4^6.000 personnes. 11 faut, en outre,
faire état de i. 832. 000 domestiques et servantes nourris
par leurs maîtres.
On peut donc admettre que plus de 16 millions de
personnes consomment des grains qui ne sont pas
portés au marché ou que l'on rachète ensuite sous
forme de farines et de pain. Sans doute, on peut dire
que le cultivateur achète son pain et vend son grain. En
fait, cette vente qui constitue un double échange n'a
pas toujours lieu. L'agriculteur donne au boulanger du
blé, du seigle et il reçoit du pain.
LA BAISSE ET LES RECETTES lilll TES io3
Dans toutes les hypothèses, la baisse des prix irinté-
resse pas le producteur agricole, quand il consomme
immédiatement ses grains, les échange contre du pain,
ou les rachète sous cette dernière forme. On peut tout
au plus soutenir, dans ces deux derniers cas, que les
frais de mouture ou de panification sont parfois trop
élevés.
Conclusions. — En résumé, si nous tenons compte
à la fois :
1° Des céréales utilisées comme semences ;
2° Des grains et pailles servant à Talimentation du
bétail et des animaux de basse-cour ;
3° Des grains consommés par les cultivateurs, leur
famille et le personnel nourri à la ferme, il est possible
d'évaluer le montant des ventes effectivement réalisées.
D'une période à l'autre, ces ventes ont évidemment
varié tant au point de vue des quantités qu'au point de
vue des valeurs.
Elles ont varié au point de vue des quantités, car le
chiffre de notre production s'est élevé depuis vingt ans.
Elles ont varié au point de vue des valeurs, car le
prix de chaque hectolitre de grain a, au contraire,
diminué.
Pour tenir compte de ces deux facteurs, nous com-
parerons entre elles les périodes décennales 1876-1885
et 1886-1893, en tenant compte à la fois des récoltes et
des cours moyens annuels officiellement établis.
Voici tout d'abord les chiffres qui se rapportent à la
production totale et aux valeurs correspondantes.
// s'agit seulement des grains.
io4
LA BAISSE DES PRIX
PRODUCTIO>
' VALEUR
totale
de la i»roduclion
totale
annuelle
annuelle
(Millions d'iicctoli
ta).
(Millions
de francs.)
—
-^
.—' ■^—
^^-— i
—
1876-1885 1886-1893
1876-1885
1886-180:)
Froment . .
ICI. 9 1
07.1
2.176
I
.885
Seigle . . .
24.9
23.5
358
274
Orge. . . .
18.3
17. 1
23l
180
Avoine . . .
80.7
87.2
787
760
Maïs et millel
9-7
9-9
148
125
Sarrasin . .
10. 0
9-5
i37
99
245.5
254.3
3.827
3.323
En utilisant les coefficients proposés plus haut qui se
rapportent aux quantités effeclivemeut vendues, nous
obtenons les résultats suivants :
Froment . ,
Seigle . . .
Orge. . . .
Avoine . . .
Maïs et millet
Sarrasin . .
QUANTITES
effectivement vendues.
(Millions d'hectolitres.)
correspondantes.
(■Millions de francs.
1876-1885 1886-1895 1876-1885 1888-1895
68.0
12.4
6.1
40.3
3.2
3.3
74.8
II. 7
5.7
43.6
3.3
3.2
1.451
179
77
393
49
4^
2. 191
1.287
137
60
38o
41
33
1.938
La réduction des valeurs correspondant aux quan-
tités effectivement vendues ressort, ainsi, d'une période
à l'autre :
à 164 millions de francs pour le blé.
i3
pour le seigle.
pour l'orge.
pour 1 avoine.
pour le maïs et millet.
pour le sarrasin.
Total
253 millions de francs.
LA BAISSE ET LES RECETTES UIIUTES io5
La diminution de recettes s'élèverait seulement à
a53 millions de francs, et non plus à 5o4 millions, comme
le ferait supposer l'évaluation portant sur les chiffres
de la production totale.
Quelle est, d'autre part, la valeur des pailles vendues
et quelle réduction ont subie les recettes provenant de
ces ventes ?
Sans entrer dans de longs détails, nous supposerons :
1° Que cette valeur est égale au tiers de la valeur des
grains, proportion voisine de celle qu'indique l'Admi-
nistration de l'Agriculture :
S4° Que la baisse des prix les a affectées dans la même
mesure que les grains.
La diminution de recettes serait alors représentée par
84 millions de francs.
Ainsi, dans l'espace (Je vingt ans, depuis 1876 jus-
qu'à 1896, le produit des ventes réalisées effective-
ment et portant sur les céréales ou les pailles, a subi
une réduction maxima de 337 millions de francs. Il est
clair, d'ailleurs, que ce chiffre a lui-même varié en
même temps que les récoltes et les cours. Nous n'avons
pas, d'ailleurs, la prétention d'évaluer avec une rigou-
reuse précision les effets de la baisse des prix.
Ce que nous tenions à signaler, c'est une erreur
d'observation.
Il n'est pas exact que nos cultivateurs aient vu dimi-
nuer leurs recettes dans la proportion où baissaient les
prix de tous les produits du sol et notamment des grains
ou des pailles.
2. — Cherchons, maintenant, s'il en est ainsi pour
d'autres éléments de la production végétale.
io6 LA BAISSE DES PRIX
L'importance relative de ces éléments est clairement
indiquée par les valeurs qui leur sont attribuées. L'en-
quête de 1892 nous fournit les chiffres suivants, qui'
vont permettre de comparer la valeur des fourrages à
celle des céréales :
VALEURS
en millions de francs.
^, , 1 i' (irains 3.354 )
Céréales. * 4.667
' l'ailles i.3i3 )
Fourrages annuels, prairies artilî-
cielles cl racines i-Sog )
Prairies naturelles et herbages . . T.aS- j
Voilà, notamment, le groupe des plantes fourragères,
dont la production totale, y compris celle des her-
bages, est officiellement évaluée à 2 milliards 74^^ mil-
lions de francs. Il est certain que la plupart de ces four-
rages ne sont pas vendus ou môme ne peuvent pas l'être.
On ne vend pas les herbes que broutent les troupeaux
après la seconde coupe des foins ; on ne vend pas davan-
tage, sauf de rares exceptions, les racines fourragères.
Ce sont les animaux de ferme qui utilisent et transfor-
ment tous ces aliments. Les agriculteurs ne vendent
que du foin et quelques betteraves consommées par les
vaches laitières des « nourrisseurs » de nos grandes
villes.
Quels sont les animaux nourris en dehors des exploi-
tations rurales? On ne peut guère faire état que des
chevaux de trait.
Or, l'agriculture ne possède pas plus de 2 millions
de chevaux adultes. Il nous paraît bien difficile d'ad-
mettre que les particuliers, l'industrie, le commerce, les
entreprises de camionnage ou de transport, et, enfin,
LA BAISSE ET LES RECETTES BRUTES 107
Tarmée, emploient un nombre de chevaux supérieur à
celui-là. Or, deux millions de chevaux ne reçoivent cer-
tainement pas plus de 60 millions de quintaux de foin,
à raison de 3. 000 kilos par cheval et par an.
Les prairies naturelles et herbages produisent déjà
127 millions de quintaux ayant une valeur de 1.200 mil-
lions en chiffres ronds. L'agriculture ne vend donc pas,
au maximun, plus de 60 millions de quintaux valant,
peut-être, 600 à 700 millions de francs. Cette somme
représente le quart de la valeur attribuée aux produc-
tions fourragères par l'Administration de l'agriculture.
Les variations de prix n'ont pu exercer une influence
sur les recettes du cultivateur que dans la mesure où
des ventes ont été réellement effectuées. En ce qui
concerne les fourrages de toute nature, une très faible
part de la production totale est portée sur le marché. Il
est même, à ce propos, fort important de remarquer
que la transformation des fourrages par les animaux
permet d'obtenir des produits spéciaux dont le prix est
resté presque stationnaire depuis vingt ans, tandis que
le cours des denrées végétales subissait au contraire,
une baisse très marquée.
Nous terminons ici les observations qui se rapportent
à l'action réelle qu'exerce la baisse des prix sur les
recettes provenant de la production végétale.
Nous pourrions, il est vrai, chertdier à évaluer la con-
sommation des cultivateurs, de leur famille et de leur
personnel en ce qui concerne le vin, les fruits, les
bois, etc., etc.. C'est là toutefois une tâche délicate, et
rien ne serait plus difficile que de calculer cette con-
sommation avec quelque précision.
lo8 LA BAISSE DES PRIX
Ce que nous avons dit à propos des céréales suffît à
montrer que la baisse des prix n'affecte pas l'ensemble
de la production.
3. — La même conclusion s'applique aux produits
d'origine animale, et notamment à la viande de bou-
cherie et au lait qui représentent 67 p. 100 du produit
brut total.
On peut discuter, à propos de la consommation des
producteurs agricoles, de leur famille et de leur per-
sonnel. Rien de plus difficile, à coup sur, que de l'évaluer
avec précision. Ce que l'on ne saurait nier, c'est que la
consommation personnelle des propriétaires-cultiva-
teurs, des fermiers, des métayers et des domestiques
ou ouvriers nourris à la ferme n'est pas négligeable.
La viande et le lait, le fromage et le beurre con-
sommés dans l'exploitation par l'entrepreneur de culture
sa famille et son personnel ne sont point vendus. Cela
est de toute évidence.
Les variations de prix, en ce qui concerne des pro-
duits consommés par le producteur, n'affectent pas
immédiatement ses recettes. Tout à l'heure, nous por-
tions à 16 millions le nombre des chefs d'entreprise,
des membres de leur famille et des salariés qu'ils nour-
rissent. Abaissons encore ce chiffre à i3 millions, ce
qui représente le tiers de la population française. Admet-
tons même que la consommation du groupe professionnel
ainsi visé ne s'élève qu'au quart de la consommation
moyenne des Français. 11 n'en résulte pas moins que le
douzième des animaux abattus et du lait consommé n'est
point destiné à la vente.
Enfin, nous ne pouvons que répéter ce que nous disions
LA BAISSE ET LES RECETTES BRUTES 109
plus haut en parlant du travail des animaux et des
fumiers considérés comme des éléments du produit brut
agricole d'origine animale.
Ni le travail mécanique du bétail de trait, ni les
fumiers ne sont des produits. On ne vend pas le travail
des bœufs ou des chevaux utilisés dans les exploitations
rurales. On ne vend pas davantage les fumiers, qui sont
des « immeubles par destination » (art. 524 du Code
civil).
Il n'existe point de cours relatifs à ces services et à
ces denrées. Si l'on attribue au travail et au fumier un
prix quelconque, ce n'est là qu'un artifice de compta-
bilité, une simple évaluation variant, hélas ! au gré de
ceux qui ont une thèse à défendre.
Ces prix introduits dans la tenue des comptes en
partie double sont purement fictifs et nécessairement
arbitraires. Il servent trop souvent de base à des calculs
sans valeur se rapportant aux prix de revient de tels ou
tels produits. Hormis le cas où un cultivateur loue des
attelages et achète des fumiers, le prix du travail des
animaux et des engrais de ferme ne saurait donc nous
intéresser.
VII
La baisse de prix des denrées agricoles,
les recettes brutes et les profits.
I. — Personne n'ignore que la crise agricole doit être
attribuée à la baisse du prix des principaux produits
vendus par nos cultivateurs et notamment à la baisse
des céréales. Le froment, dont on parle si souvent à ce
LA BAISSE DES PRIX
propos, a subi une réduction de prix de 36 p. loo depuis
1878 jusqu'à 1896. On peut dire, il est vrai, que la
dépression des cours n'a pas toujours été aussi forte.
Le blé a singulièrement augmenté de prix en 1897.
D'autre part, Favoine, le seigle, l'orge, le maïs, etc.,
n'ont pas subi la même dépréciation. Enfin, les produits
d'origine animale : viande, lait, fromage, beurre, etc.,
conservent parfois les mêmes valeurs. A tout le moins,
on ne constate pas de baisse comparable à celle
que subissent le blé et la plupart des produits végé-
taux.
D'autres faits corrigent également ou atténuent les
effets de la baisse. Nos rendements se sont élevés, nos
méthodes culturales se sont perfectionnées ; le prix des
matières fertilisantes a diminué. Les dépenses de cul-
ture ont elles-mêmes été réduites, grâce à l'emploi des
instruments mécaniques et surtout au développement
des cultures fourragères.
Gomment peut-on expliquer cependant la persistance
d'une crise générale? Gomment sejustifient les doléances
des agriculteurs ? N'est-il pas incontestable que les
profits attachés à l'exploitation du sol ont rapidement
diminué et que cette réduction explique la vivacité des
plaintes ?
Nous sommes ainsi amenés à étudier un des pro-
blèmes économiques les plus intéressants et les plus mal
connus : celui qui se rapporte à l'influence de la baisse
des prix sur les profits agricoles.
Nous disions tout à l'heure que nos cultivateurs
avaient pu atténuer les effets de cette baisse :
1° En augmentant les rendements ;
LA BAISSE ET LES PROFITS m
2° En réduisant les dépenses.
Ce sont là deux hypothèses favorables. Supposons,
cependant, qu'elles soient toutes deux exactes.
Voici une exploitation où Ton n'a constaté qu'une
réduction de lo p. loo portant sur le chiffre du produit
brut total. En même temps les dépenses ont diminué
de lo p. loo.
« Dans ce cas, dira-t-on, les profits sont restés les
mômes, puisque les frais se sont abaissés dans la même
proportion que les recettes. »
C'est là, en vérité, une erreur grossière ; mais l'opi-
nion que nous reproduisons est si communément et
facilement acceptée qu'il est utile de la combattre. Non ;
il n'est pas vrai que le chiffre des profits reste constant
quand les dépenses diminuent dans la même proportion
(jue les recettes. En fait, les profits décroissent, au
contraire, dans la même proportion que les recettes et
les dépenses. Il suffit de réfléchir un moment pour s'en
convaincre.
Supposons les recettes égales à loo et les frais égaux
à 80. La différence constituant le profit est représentée
par :
Si les dépenses et les recettes diminuent de 10 p. 100,
nous obtenons comme profit :
90 — 7'-^ =: 18
Les bénéfices ont diminué également d'un dixième.
Ceci n'est que l'application d'un théorème d'arithmé-
tique bien connu :
112 LA BAISSE DES PRIX
« Quand on multiplie ou quand on divise les deux
termes d'une dilïerence par un nombre, la diflerence se
trouve multipliée ou divisée par ce nombre. »
Notre hypothèse n'est d'ailleurs exacte que dans un
petit nombre de cas. La plupart du temps, les dépenses
n'ont pas diminué dans la même proportion que les
recettes.
Admettons une réduction de lo p. loo sur le produit
brut et de 5 p. loo sur les frais.
Les profits s'élèveraient comme plus haut à
lOO 80 ^ 10
Ils ne sont désormais égaux qu'à :
90 — 76 r= 14
Et l'on voit qu'ils ont diminué de 33 p. 100.
Ainsi, une baisse de prix entraîne une diminution
de 10 p. 100 du produit brut; pour compenser cette
baisse de recettes, un cultivateur s'efforce de réduire
ses dépenses, et il les diminue, en effet, d'un vingtième.
Eh bien, malgré ses efforts, les profits se trouvent
réduits d'zf/i tiers.
Mais voici maintenant une autre hypothèse. La baisse
des prix a été brusque, l'accroissement des rendements
est très faible ; la réduction des dépenses est nulle. Et
c'est là, qu'on le remarque bien, l'hypothèse qui permet
d'expliquer l'intensité de la crise actuelle, aussi bien
que la généralité et la violence des plaintes qui se font
entendre.
Depuis i85o ou i855 jusqu'à 1875, le prix des den-
rées agricoles s'est toujours élevé. Rien ne faisait près-
LA BAISSE ET LES PROFITS ii3
sentir une baisse. Sans doute, il n'était point indiffé-
rent à cette époque d'augmenter la masse des produits
portés sur le marché ou de réduire les dépenses de
culture. Toutefois, nulle nécessité pressante ne se fai-
sait sentir. Les moyens d'action eux-mêmes faisaient
défaut. On ne connaissait encore, d'une façon suffisante,
ni l'usage d'engrais complémentaires, ni l'importance
du choix des semences. Les hommes placés à la tête
de nos exploitations rurales appartenaient à une géné-
ration qui avait ses habitudes et ses traditions. H
leur a paru naturel et prudent de continuer, tout
d'abord, à cultiver le sol comme ils l'avaient cultivé
jusque-là.
La baisse qui survint brusquement les a donc pris
à l'improviste. Beaucoup d'entre eux ont attendu une
hausse nouvelle; ils se sont plaints sans rien changer
au système de culture suivi jusque-là et dont une longue
expérience paraissait avoir consacré le mérite. Aucune
circonstance favorable, aucun effort ne vient atténuer
les effets de le baisse. Le produit brut diminue et les
dépenses restent les mêmes. Dans ces conditions, la
plus faible réduction de prix portant sur les principales
denrées de vente a exercé une influence considérable
sur le montant des bénéfices.
Le même exemple et le même calcul vont nous le
prouver. Supposons le produit brut d'une ferme égal
à ICO et les dépenses correspondantes s'élevant à 80.
Le profit est représenté par la différence :
100 — 80 = 20
Une baisse de prix de 5 p. 100 seulement réduit les
ZoLLA. — La Crise agricole. s
ii4 l^A BAISSE DES PRIX
recettes à gj, sans que les dépenses aient diminué. Le
profit s'abaisse à i5 et se trouve ainsi réduit de aS
p. lOO.
Une baisse de lo p. loo frappant les recettes brutes
diminuerait de moitié les bénéfices. Ce n'est là, peut-
on dire, qu'un simple calcul théorique. Dans la réalité
les choses se passent-elles ainsi? Assurément non;
mais notre calcul montre du moins clairement quelle
peut être la portée économique de la baisse des
prix.
Voici, maintenant, un exemple pris sur le vif. 11 s'agit
d'une ferme située dans le département de l'Aisne.
Cette exploitation a une surface de 200 hectares,
ainsi répartis :
Froment 60 hectares.
Avoine 3o —
Seigle 5 —
Fourrages 78 —
Betteraves 2 5 ■ —
Pommes de terre 2 —
Total. . . 200 hectares.
Indépendamment du froment qui constitue Xdi princi-
pale denrée de vente, il existe un troupeau de mou-
tons de 5oo têtes, des vaches laitières et des porcs.
Vingt-cinq chevaux servent aux travaux culturaux.
Toute l'avoine récoltée est utilisée pour leur nourri-
ture.
Le capital d'exploitation s'élève à loo.ooo francs.
Durant la période 1 876-1 880, les recettes et les
dépenses étaient les suivantes :
LA BAISSE ET LES PROFITS Il5
i" Recettes.
Froment (i.3oo quintaux à 3o fr.). . . 39.000 fr.
Seigle (100 quintaux à 18 fr.) 1.800
Betteraves (800 tonnes à ii fr.). . . . 16.800
Laines (1.400 kilos à i fr. 80) .... 2.5ao
Ventes de moutons et agneaux .... i-770
Produit de la vacherie 2,i5o
Produit de la porcherie 900
Produit de la basse-cour 45o
Tolal. . . 65.370 fr.
2° Dépenses.
Fermage 18.000 fr.
Impôts et assurances a.aoo
Entretien et frais généraux 'i.3oo
Domestiques et nourriture 8.5oo
Travaux à la tâche 12.000
Semences achetées 4 • 3oo
Acliat d'aliments pour le bétail .... 1.700
Amortissement du bétail de trait et achats
d'animan.v 2.5oj
Total. . . 5i .5oo fr.
En définitive, les profits étaient réprésentés par
l'écart suivant :
Recettes 63.370 fr.
Dépenses 5i.5oo
Profit. . . 13.870 fr.
La situation du fermier était bonne sans être bril-
lante.
Dix ans après, le froment est vendu 22 francs par
quintal au lieu de 3o francs; le seigle i5 francs au lieu
de 18 francs. Quant aux autres recettes, elles n'ont
guère varié. Le prix des betteraves a passé de 21 à 27
francs la tonne, mais les rendements se sont abaissés
Iiff LA haïsse des prix
et les produits bruts ne se sont élevés que de quelques
centaines de francs.
En résumé, la diminution des recettes ressort à :
1 . 3oo quintaux de blé vendus 22 fr. au lieu de
3o f'r 10.400 fr.
100 quintaux de seigle vendus 1 5 fr. au lieu de
18 fr 3oo
Total. . . 10.700 fr.
Dès lors, les recettes et les dépenses sont respecti-
vement :
Recettes 54.670 fr.
Dépenses 5i.ioj
Prodls. . . 3. 170 fr.
Les bénéfices s'élevaient à 13.870 francs ; ils tombent
à 3.170 francs seulement, et diminuent ainsi de 77
p. 100.
Or, la baisse du froment ne s'élevait qu'à 26 p. 100
et celle du seigle à 16 p. 100, mais ici, ce sont moins
les proportions que les chiffres absolus qui nous inté-
ressent.
Un capital de 100.000 francs, administré par le fer-
mier, lui permettait de réaliser i3.5oo francs de profits.
Quelques années plus tard ces bénéfices tombent à
3.000 francs. Une pareille somme ne suflit point à
rémunérer un capital aussi important et à indemniser
le fermier des risques que comporte la culture.
Nous verrons bientôt comment il a été possible
d'abaisser le chiffre des dépenses en diminuant la part
du produit brut attribué au propriétaire. Cette question
est assez importante pour qu'on l'étudié avec soin. En
ce moment, nous nous demanderons simplement pour-
LÀ BAISSE ET LES PliOFJTS 117
quoi la baisse du froment a exercé une influence aussi
décisive sur le chifl*re des profits. Cela tient évidem-
ment à ce fait que les recettes provenant du blé cons-
tituent la plus grosse part du produit brut total. Dans
l'exploitation dont nous venons de parler, les ventes de
froment représentaient 59 p. 100 des recettes durant la
période 1876-1880. La baisse des prix a donc porté sur
la principale denrée de vente.
On voit très nettement quelle a été la répercussion
de la baisse des prix : 1° sur le produit brut ; y" sur les
profits.
Etait-il possible de cultiver désormais d'autres céréales
dont le prix restait relativement plus élevé ? C'est ce
que nous allons nous demander, car cette question
présente, en efi*et, un intérêt considérable.
2. — Voici la moyenne des cours relatifs à deux
céréales en 1877-1880 et durant la période 189 1-1896 :
Prix de l hectolitre.
1877-1880
1801-J89;i
fi-. c.
fr. c.
FVoinent
-li 3o
16 9'2
8 80
Avoine . .
Q qi
La baisse des cours ressort à 24 p. 100 pour le blé et à
12 p. looseulement pour l'avoine. La conclusion est fort
simple, dira-t-on : « Faites de l'avoine et non du blé. »
Eh bien, nous croyons que cette solution n'est pas
acceptable, et l'on n'a pas été tenté de substituer dans
nos fermes l'avoine au blé parce que cette substitution
eut été désastreuse.
Malgré la baisse qui l'a frappé, le blé estencore lacéréale
qui donne, à l'hectare, le plus gros produit brut. Voici,
ii8 LA BAISSE DES PRIX
par exemple, les chiffres officiels que nous emprun-
tons à la statistique décennale de 1892. On entend, ici,
par produit brut, la valeur obtenue en multipliant le
rendement (grain et paille) par les cours moyens de
l'année 189?..
Produit bpul
Cér<5alcs. par lioclare (1892).
fr. c.
Froment 38o »
Seigle wjS »
Orge 247 ')
Avoine 244 »
Maïs 243 »
Sarrasin '77 "
Aucune céréale ne donne un produit brut en argent
aussi élevé que le froment. L'écart est môme sensible ;
il dépasse loo francs par hectare. Substituer l'orge, le
seigle ou l'avoine au froment, ce serait donc réduire le
produit brut et aller, par conséquent, au-devant d'un
désastre. Les frais de culture des céréales inférieures
ne sont guère moins élevés et, par conséquent, la plus
légère réduction des recettes brutes correspondrait,
nous l'avons prouvé, à une baisse énorme des profits.
Il faut donc continuer à faire du blé, si toutefois l'on
persiste à cultiver des céréales sans réduire la surface
qui leur est consacrée. Nous soulignons ces derniers
mots, parce qu'il est, en effet, possible de réduire la
surface consacrée aux céréales et cela sans diminuer nos
récoltes totales.
Nous aurons l'occasion d'insister sur ce point ; mais
signalons, dès à présent, une des conséquences les plus
importantes de la supériorité que présente le froment
au point de vue des recettes brutes réalisées.
LA BAISSE ET LES l'ROEITS l'.g
C'est, eu réalité, cette supériorité qui explique le
prodigieux développement de la culture et de la produc-
tion du blé dans le monde, depuis vingt ans. Les « Far-
mers » américains, les Fellahs de l'Egypte ou les
paysans de Russie font du blé et surtout du blé, parce
que le produit brut de cette culture dépasse les recettes
obtenues en cultivant d'autres céréales. Il en est ainsi
partout ; et partout aussi on ne pourrait substituer au
blé une autre céréale, sans abaisser la valeur de la
récolte et réduire les profits.
Quant aux conséquences du développement de la
production du froment comparé à l'extension de la cul-
ture des autres céréales, elles sont singulièrement
inq)orlantes.
La baisse des cours du blé est certainement l'effet du
développement rapide de la production. Et pourquoi le
seigle, Favoine, Forge ou le sarrasin n'ont-ils pas subi
la même dépréciation, si ce n'est précisément parce
([u'on n'a pas eu autant d'intérêt à en étendre la culture ?
Tous ces faits économiques qui ont une aussi haute por-
tée sont expliqués par la curieuse influence qu'exercent
les variations du produit brut sur le montant des profits.
Dans ces conditions, les questions de pure technique
agricole restent au second plan. On aurait pu, sur les
mêmes sols, sous les mêmes climats, avec les mêmes
capitaux d'exploitation, produire de l'orge, de l'avoine
ou du maïs. Les dépenses de culture auraient même été
plus faibles ; mais en revanche le produit brut eût été
sensiblement moins élevé et le bénéfice net de l'opéra-
tion se fut abaissé, peut-être, jusqu'à devenir nul.
Dans les régions à céréales, c'est le froment qui est
J^o LA BAISSE DES PRIX
la principale denrée de vente. La baisse de prix qui
raffecte a donc eu sur le produit brut et les profits une
répercussion immédiate.
Toute dépression des cours portant sur une produc-
tion principale ou même sur la seule production d'une
région aurait les mêmes conséquences.
3. — Observons, maintenant, ce qui se passe dans les
exploitations où la production est variée et dans les-
quelles les produits d'origine animale ont une impor-
tance prépondérante.
Nous voici, par exemple, dans le Limousin, pays
d'élevage. Une métairie de 4» hectares donne les pro-
duits suivants (i) :
Année 1894- iSg^.
1° Receltes provenant du bétail, déduction faite des
animaux achetés et des aliments importés. . . 4-5'2a 85
Total. . . 4.5-22 85
2"^ Recettes végétales : 74-9 hectol. de seigle à
10 fr. 5o 791 70
3** Recettes végétales : 44-5 hoctol. d'avoine, à
9 fr. 3o 4i6 10
Total. . . 1 . 207 80
Il y a lieu de tenir compte des engrais achetés et
dont la valeur doit être retranchée du produit
brut végétal, soit à soustraire .... 161 85
Il reste en définitive : produit d'origine animale . 4-522 85
Produit végétal i.o45 85
Total. . . 5.568 70
Les dépenses payées par le propriétaire et son
métayer s'élèvent, d'autre part, à 702 85
Le bénéfice net à partager s'élève, en conséquence,
à la somme de 4-865 85
(i) Ces chiffres ont été puisés dans les livres de compte d'un pro-
priétaire .
LA BAISSE ET LES PROFITS lil
Les comptes se rapportent à Tannée agricole 1894-
1895. Cherchons quelles auraient été les recettes quinze
ans auparavant.
1° Les recettes d'origine animale eussent été les
mômes, le cours du bétail n'ayant pas sensiblement varié;
2° Les recettes d'origine végétale n'auraient diminué
qu'en raison de la vente du seigle dont le cours s'éle-
vait à i5 fr. 10 par hectolitre au lieu de 10 fr. 5o.
Le cours de l'avoine reste le même.
Quant aux dépenses, nous les supposerons égales.
Dans ces conditions nous trouvons :
I. — Recelles quinze ans tiuparavanl :
i'' Produits d'origine animale \.^-ii 85
2° Produits d'origine végétale 1.385 i5
Total. . . 5.908 »
II. — Dépenses 701 »
Bénélice net . . . 5 . 206 »
Le bénéfice de Tannée 1894-1895 sélevanl à . . . 4 855 85
La différence en baisse s'élèv? à 3.;o 1 5
Ainsi, durant l'espace de quinze années, la réduction
des profits ne dépasse pas ici 34o francs, correspondant
à une diminution de 6,5 p. loo.
Cette baisse est presque insignifiante. Deux faits
expliquent la faible variation des profits : i" la prépon-
dérance des produits d'origine animale qui n'ont pas
subi de dépréciation ; 2° la très médiocre importance du
seul produit végétal qui ait diminué de prix, c'est-à-
dire du seigle.
Cet exemple nous fait comprendre, en outre, pourquoi
la crise agricole a été bien moins grave dans les pays
d'élevage, comme le Limousin, que dans d'autres
1-2% LA BAISSE DES PRIX
régions, et notamment dans les régions à céréales.
Nous constaterions les mêmes faits et nous abouti-
rions aux mêmes conclusions en étudiant les variations
simultanées du produit brut agricole et des profils dans
un pays d'élevage ou d'engraissement comme le Niver-
nais.
On voit donc quelle est la très curieuse inttuence
exercée par les variations de prix sur les recettes brutes
et les profits.
Dans nos régions à céréales, la baisse des prix des
grains a provoqué une crise redoutable. La réduction
des profits a été considérable bien que la dépréciation
des céréales n'ait pas dépassé 20 à 25 p. 100.
Dans nos régions d'élevage, la crise agricole n'a pas
été très redoutable parce que, les recettes brutes ayant
fort peu fléchi, les bénéfices culturaux n'ont pas subi
de réduction soudaine et marquée.
Ces faits sont d'ailleurs connus, et nous n'avons nul-
lement la prétention de les signaler pour la première
fois. Il nous a paru, cependant, intéressant et utile
d'étudier avec quelque précision la répercussion des
variations du prix des produits agricoles sur les recettes
brutes et les profits.
On ne saurait comprendre sans cela la nature et les
caractères de la crise agricole.
4. — Nous avons montré, jusqu'à présent, les consé-
quences de la diminution du produit brut résultant d'une
baisse des prix.
L'hypothèse inverse n'est pas moins intéressante à
étudier.
Une hausse des prix de vente élève, en effet, rapide-
LA HAUSSE ET LES PROFITS 1*3
ment la valeur du produit brut des cultures et exerce
immédiatement une action décisive sur le montant des
profits. Cette influence est même d'autant plus marquée
que les principaux éléments de dépenses, tels que les
fermages et les salaires, ne subissent pas la môme
hausse, au moins pendant la période de début (i).
L'étude des faits observés à différentes époques de
notre histoire met clairement ce phénomène en évidence.
Reprenons l'exemple théorique cité déjà plus haut et
représentons : i° par loo, 2° par 80, les recettes et les
dépenses d'un domaine rural. Le profit est équivalent à :
100 — ^80 =: -lO
En supposant les dépenses constantes, ce qui est
parfaitement admissible au début d'une période de
hausse, nous voyons que si les recettes sont majorées
de 5 p. 100, par suite de l'élévation des prix, le profit
devient égal à :
io5 — 80 =r 25
11 a donc augmenté de 25 p. 100.
La hausse des profits eslcinq fois plus forte que celle
des cours !
Si la hausse des produits, et, par suite, celle des
recettes brutes, est de 10 p. 100, le profit s'élève à :
110 — 80 = 3o
L'augmentation relative des bénéfices est de 5o p. 100.
(i) Ceci osl surtoul vrai pour les salaires. Voir à ce sujet les inté-
ressantes observations faites à cet égard p;u' M. Levasseur, pour la
période i85o-i86o, dans son livre sur la Question de lor.
•
124 LA HAUSSE DES PRIX
Remarquez, en outre, que pour obtenir un pareil
résultat, le cultivateur n'a eu besoin, ni de modifier les
méthodes culturales, ni d'accroître les rendements, ni
de chercher à réduire ses dépenses ! Sans difficulté,
sans efforts, Fagriculteur voit l'aisance remplacer la
gêne, et la prospérité effacer jusqu'au souvenir de la
crise passée. Que faut-il pour cela? Une hausse légère.
Est-il même nécessaire que ce mouvement ascen-
sionnel des prix entraîne tous les cours ? En aucune
façon ! Il suffit dans les régions à céréales que le cours
du blé s'élève ; dans les pays d'élevage ou d'engraisse-
ment, que la valeur de la viande augmente de quelques
centimes par livre; dans les départements viticoles, que
le prix du vin augmente de quelques centimes par
litre !
Or, cette augmentation si légère et pourtant si bien-
faisante des prix de chaque hectolitre de froment, de
chaque livre de viande ou de chaque litre de vin ne
passera-t-elle pas inaperçue, ne sera-t-elle pas insigni-
fiante pour le consommateur ?
Qui donc saura et voudra voir clair (i), en démon-
trant, par exemple, qu'un modeste droit de douanes,
simplement compensateur., provoquera une hausse et
que le producteur recevra précisément à titre de subven-
tion ce que le consommateur lui donnera — sans s'en
douter — en payant quelques centimes de plus par kilo
ou par litre son pain, sa viande et son vin ?
Nous n'avons pas, d'ailleurs, à traiter ici la question
(i) M. Levasseur a eu le courage de dire la vérité à ce propos dans
son livre plein de faits et si exact dans ses appréciations : [.'Agricul-
ture aux Etats-Unis. p. 433.
LA HAUSSE ET LES PROIITS laS
des droits de douane el de leur incidence. Les dévelop-
pements c[ue ce sujet comporte trouveront leur place
ailleurs.
Le phénomène économique d'une si haute portée que
nous voulions mettre en lumière, c'est l'influence de la
hausse des prix sur la marche des profits. Est-il besoin
de dire que celte influence d'une hausse générale et
persistante n'est pas spéciale aux profits agricoles ?
Voilà pourquoi la « haasse » est saluée avec enthou-
siasme par tous ceux qui voient grossir leurs gains,
de même que la « baisse » est considérée comme la
plus fâcheuse et la plus redoutable calamité par tous
les industriels qu'elle atteint si douloureusement dans
leurs intérêts.
Voilà aussi ce qui nous explique pourquoi les agri-
culteurs, ou ceux qui parlent en leur nom, attachent
une importance extrême aux questions économiques.
Les recherches des agronomes, les découvertes les
plus surprenantes et les plus fécondes pour l'avenir
sont loin d'attirer au même degré l'attention du public
agricole, et cela est aisé à comprendre.
Pour le cultivateur, la production n'est qu'un moyen.
Le but véritable de son labeur persévérant, c'est le pro-
fit. Or, celui-ci ne varie point seulement avec les capi-
taux dont dispose l'agriculteur, avec les débouchés
ouverts, avec les perfectionnements des procédés tech-
niques ou avec les rendements eux-mêmes. Ce sont les
fluctuations des prix qui font varier le produit brut et
élèvent ou abaissent en même temps le chiffre des
profits.
CHAPITRE DEUXIEME
LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
I
Les importations de produits agricoles
et la baisse des prix.
Les importations étrangères exercent-elles une
influence sur les prix? Il semble que ce soit là une
question oiseuse.
« N'est-il pas certain et presque évident, nous dira-
t-on, que la concurrence étrangère a pour conséquence
une baisse des cours ? Or, la concurrence étrangère se
manifeste et s'exerce au moyen des importations. On
ne peut donc pas douter de l'action que doit avoir
l'importation d'un produit sur le cours de cette denrée
à l'intérieur du pays importateur.
« Bien entendu, il s'agit ici de denrées importées,
capables de concurrencer directement les marchandises
produites dans le pays où elles sont vendues. »
Nous n'ignorons point que telle est, en effet, l'opi-
nion de beaucoup de personnes ; mais nous la croyons
fausse.
Pour que les importations étrangères fassent baisser
les cours, il parait, tout d'abord, nécessaire que les
marchandises offertes et vendues soient cotées à un
128 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
prix moins élevé que les denrées semblables produites
dans le pays importateur. Or, cette inégalité de prix, à
qualité égale, n'est point certaine, a priori. Il peut se
faire, tout simplement, que l'importation serve à combler
le déficit accidentel ou normal de la production inté-
rieure dans le pays qui achète des denrées étrangères.
Pourquoi ne serait-ce pas, dans ce cas, le cours du pays
importateur qui réglerait celui des marchandises impor-
tées? Admettre immédiatement que les étrangers sont en
état de produire des denrées agricoles ou de fabriquer
des produits industriels en si grandes quantités et à des
prix si bas qu'ils puissent envahir nos marchés et pro-
voquer la baisse, c'est faire une supposition toute gra-
tuite que rien ne justifie a priori.
Les variations de prix sont à coup sûr réglées par les
lois de l'offre et de la demande. Est-il évident que la
concurrence étrangère tende toujours à augmenter
l'offre plus rapidement que la demande ne se déve-
loppe ? En admettant que ce soit là une vérité, encore
faudrait-il la démontrer, car cette vérité n'est pas évi-
dente par elle-même.
Il n'est pas non plus évident et certain, comme on
affecte de le croire, que l'étranger soit toujours en
état de produire ou de fabriquer à plus bas prix que
nous.
La question des prix de revient est, notamment, une
des plus difficiles et des plus obscures que l'on puisse
avoir à résoudre. Les agriculteurs l'ont surabondam-
ment prouvé, puisqu'ils ne sont jamais parvenus à
s'entendre sur le prix de revient de leurs principales
productions.
LES IMPORTATIONS ET LES PRIX 129
Tout le monde a entendu dire qu'il était impossil)le
de produire, en France, du blé avec profit, quand le
cours de cette céréale tombait au-dessous de 20 francs
l'hectolitre. Il n'en est pas moins vrai que depuis quinze
ans les prix se sont abaissés au-dessous de ce niveïiu
sans que la production et les surfaces ensemencées aient
diminué. Nous ne croyons pas, cependant, que les
agriculteurs perdent, chaque année, une somme impor-
tante en continuant à faire du froment. On a mal calculé
le prix de revient, et surtout l'on n'a pas songé que, toutes
les opérations culturales étant étroitement liées les
unes aux autres, il était singulièrement difficile ou
même impossible, d'isoler une culture pour déterminer
un prix de revient spécial.
Mais, nous dira-t-oii encore, pouvez-vous nier l'in-
fluence qu'a exercée sur les prix le développement pro-
cUgieux de la production agricole ou industrielle dans
le monde depuis vingt ou trente ans ?
Non, certes, nous ne songeons nullement à nier ou
même à contester cette influence. Nous y songeons si
peu qu'au besoin nous nous efforcerions de prouver que
la baisse du prix des produits agricoles est surtout expli-
quée par le développement rapide de la production dans
le monde entier et par la réduction des frais de trans-
port.
Oui, il est même fort probable que nos importations
exercent, aujourd'hui, une influence marquée sur le
mouvement des prix. Mais cela tient à ce que l'accrois-
sement extraordinaire et récent de la masse des produits
récoltés dans toutes les parties du globe a augmenté
TofFre très rapidement.
ZoLLA. — Lu Crise tigrlcole. o
i3o LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
Gela tient encore à ce fait que la rapidité et la facilité
des communications ont permis d'apporter, sans frais
exagérés de transport, sans pertes et avaries, les mar-
chandises produites à quelques milliers de lieues du
pays qui devait les consommer.
Voilà quelles sont les transformations dont Tinfluence
explique la marche des prix, au moins dans la plus large
mesure ; mais ces transformations sont récentes, et la
conséquence apparente des importations, c'est-à-dire la
baisse des prix, est elle-même un phénomène récent.
Nous n'avons pas constaté autrefois cette consé-
quence en ce qui touche l'industrie agricole , et il
n'est pas vrai que les importations aient fait toujours
baisser les prix. La période actuelle ne diffère pas
essentiellement des autres périodes qui l'ont précédée
depuis la seconde moitié du xviii" siècle. Aujourd'hui
encore, il n'est pas possible de soutenir que toute
augmentation des importations ait immédiatement pour
conséquence une baisse des prix, ou que toute diminu-
tion des entrées ait pour effet de relever le niveau des
cours. Quand on étudie la marche simultanée des impoi'-
tations et des cours, pour une même denrée, comme
le blé et le bétail, on observe^ au contraire, que les
importations augmentent toutes les fois que les prix
s'élèvent et quelles diminuent si les cours viennent a
baisser.
Le public a donc tort quand il attribue immédiate-
ment la baisse à l'augmentation des importations. Ce
n'est pas seulement la masse, la quantité des produits
importés, pendant une ou plusieurs années; qui peut
expliquer les variations des cours. Les mêmes impor-
LES IMPORTATIONS ET LES PRIX i3i
tations auraient pu se produire à une autre époque,
sans provoquer de baisse ou sans coïncider avec une
hausse si, d'autre part, les conditions de la production
et des transports dans le monde n'avaient pas rapide-
ment changé.
Enfin, les prix ne varient pas seulement sous l'in-
fluence de la concurrence étrangère.
Est-ce que les récoltes n'exercent pas également une
action marquée et très rapide sur les fluctuations des
prix? Le déficit révélé par la moisson de 1897 n'a-t-il
pas eu pour conséquence d'élever en France le cours
du froment ? A l'inverse, il nous paraît certain que la
baisse extraordinaire constatée en 1894, 1895 et 1896
doit être attribuée beaucoup moins à la concurrence
étrangère qu'à des récoltes de blé exceptionnellement
abondantes dans notre pays.
En résumé, pour mieux préciser le caractère et dis-
cerner les causes de la crise agricole actuelle, qui est
intimement liée à la baisse des prix, il nous semble
indispensable d'étudier les variations simultanées des
importations et des cours.
Prenons comme exemple le prix du blé, et cherchons
({uelles ont été les fluctuations simultanées des cours
d'une part et des importations d'autre part. Il est clair
que si les importations étrangères agissent réellement
et tendent à faire fléchir les prix, nous devons cons-
tater :
1° Des importations fortes quand les prix sont bas ;
2" Des importations faibles quand les prix sont
élevés.
Voici une période de baisse ; elle commence en 1820
lii LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
pour finir en i85o. Quel était le cours du blé en 1820 ?
Ce terme de comparaison nous est indispensable.
Depuis 1791 jusqu'à 1820, les moyennes quinquennales
ont été les suivantes ; nous les indiquons ici pour bien
montrer qu'il ne s'agit pas d'une hausse momentanée
due à une série de mauvaises récoltes (i) :
PRIX
VFUiODES de riicctolilre
de blé.
h. c.
1791-1795 27 5o
1796-1800 20 80
i8oi-i8o5 21 76
i8o6-i8io 18 II
1811-181) 24 08
18 16-1820 25 33
Depuis 1791 jusqu'en 18 19, les blés étrangers n'ont pas
été taxés à l'importation, et cependant, le prix moyen
de la période de trente ans (1791-1820) s'élèveà 22 fr. 93.
En 1819, l'échelle mobile est votée ; des droits élevés et
variables frappent les blés étrangers ; ces droits
augmentent lorsque les prix baissent, de façon à
devenir prohibitifs quand le cours du blé tombe au-
dessous de i5 francs l'hectolitre.
Voici maintenant les variations simultanées des
importations et des prix après le vote de la loi protec-
trice :
(i) D'ailleurs, le prix des produits agricoles a constamment augmenté
depuis la fin du règne de Louis XV jusqu'en i8i5. Voir à ce sujet
les Etudes que nous avons publiées sur l'histoire de la propriété fon-
cière depuis le commencement du xvii'' siècle jusqu'à nos jours.
{Annales de V Ecole des Sciences politiques, 1893 et 1894; cl Annales
agronomiques, 1888-1889.)
LES IMPORTATIONS ET LES PRIA' i33
PRIX IMPORTATIONS
PKRIODKS par (milliers
hoctolilro. d'hcctolilresV
fr. c.
1791-1820 2 2 9'J »
1820 19 i3 49^
1821 17 79 442
1822 i5 59 »
1823 17 52 »
1824 l6 22 »
1825 i5 74 »
1826 i5 85 »
1827 18 21 44
1828 22 o3 85o
1829 22 59 1.207
Ainsi, les importations tombent à zéro depuis 1822
jusqu'à 1827 ; la concurrence étrangère ne peut donc
exercer aucune influence sur les cours, et cependant
ces derniers tombent à i5 ou 16 francs, alors qu'ils
s'étaient élevés jusqu'à 22 fr. 93, depuis 1791 jus-
qu'à 1820. Il est vrai que les prix se relèvent en 1828 et
1829, mais les importations augmentent au même mo-
ment.
A partir de i83i, les cours sont encore fort bas ; le
niveau moyen dépasse cependant celui que nous avons
indiqué depuis 1820 jusqu'à 1828. Aussi les importa-
tions, bien loin cVavoir diminue', se sont-elles dévelop-
pées.
PRIX IMPORTATIONS
PÉRIODES par (milliers
hectolitre. d'hectolitres).
fr. c.
l83l-i8f5 18 II I.I2I
i836-i84o 19 81 804
1841-1845 19 6i 1.193
1846-1830 19 87 3.25a
i34 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
Les mauvaises récoltes des années 1846 et 1847 déter-
minent une augmentation imprévue des importations ;
mais c'est là un événement extraordinaire.
En résumé, les prix restent au-dessous du niveau
atteint depuis 1 791 jusqu'à 1820 et les importations étran-
gères, entravées d'ailleurs par des droits de douane,
ne peuvent être accusées d'avoir provoqué la baisse.
Après i85o, nous entrons dans une période de hausse
presque générale. Les cours montent brusquement et
les importations s'élèvent en même temps.
l'KIX IMPORTATIONS
PÉRIODES par (milliers
lieclolilre. d'hectolitres).
fr. c.
i856-i86o 'il 76 3.3i3
i86i-i865 io 40 4- 721
1866-1870 2 2 40 5.7'^2
1871-187") 23 70 8.431
Il n'est aucun de ces faits qui ne soit en contradiction
avec l'hypothèse de l'influence des importations étran-
gères sur les cours.
Ces derniers restent bas lorsque les importations
sont faibles, et ils s'élèvent au moment où les importa-
tions augmentent. C'est précisément le contraire de ce
qui devrait se produire si la concurrence étrangère
avait toujoui's pour eff'et d'abaisser les prix.
En présence de ces faits, et en s'appuyant sur une
expérience de quarante ans, il est impossible d'affirmer
que ce sont les importations qui ont fait baisser les prix
du blé, depuis 1820 jusqu'à i85o, et que ce n'est pas
davantage la diminution de ces entrées qui a pu amener
le relèvement des cours entre i85o et 1875.
LES IMPORTATIONS ET LES PRIX i'î5
Cette observation s'appliqiie-t-elle seulement à la
France, et sommes-nous en présence d'un phénomène
exceptionnel ?
En aucune façon. L'exemple de l'Angleterre nous le
prouve clairement. Les coni-laws de i8i5 avaient inter-
dit l'importation du froment quand le prix du « quarter »
n'atteindrait pas 88 shellings. Ce cours, qui correspond
à 34 francs l'hectolitre, fut très rarement atteint à par-
tir de 1820, de telle sorte que les importations restèrent
insignifiantes ou furent nulles jusque dans les années
qui précédèrent l'abrogation àe'S, corn-la\\'s (1846-1849).
Voyons-nous cependant les prix s'élever tandis que
les importations diminuent au point de devenir nulles ?
En aucune façon.
Voici le prix moyen du froment en Angleterre par
hectolitre jusqu'à 1810 :
PRIX
do
PÉRIODES riiectolilrc de blé
eu Auglçlerre.
fr. c.
1800-1810 36 41
1810-1820 39 27
i820-i83o a5 70
i83o-i84o 24 44
i84o-i85o 24 »
Après i85o, les droits de douane sur les blés étran-
gers ont été abolis, les importations augmentent rapi-
dement.
IMPORTATIONS PRIX
PÉRIODES de blé de
en Angleterre. l'heclolilre.
millions de quinl. fr. c.
i856-i86o 9.3 22 84
i86i-i865 13.9 20 34
1866-1870 i5.8 23 27
1871-1875 21.8 23 27
l'iG LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
Sans doute, la brusque suppression des droits de
douane prohibitifs a provoqué une baisse ; mais celle-ci
est hors de proportion avec Ténorme accroissement des
importations étrangères. Il s'est même produit une
hausse depuis i865 jusqu'à 1870, bien que les entrées
de froment eussent passé de i4 à 22 millions de quin-
taux.
Nous pouvons donc répéter que, sans nie]' le moins
du monde, en thèse générale, l'influence des importa-
tions sur les prix, il est prouvé, par l'étude des faits,
que ces importations n'ont pas toujours pour consé-
([uence une baisse de prix. D'autres causes peuvent agir
qui relèvent les cours ou les font monter.
Enfin, l'augmentation de la production dans le monde
n'avait pas été assez considérable et rapide, la réduction
des frais de transport n'avait pas, non plus, été assez-
sensible pour que le niveau moyen des cours du froment
s'abaissât encore.
Les observations précédentes visent seulement le
blé ; mais nous pouvons signaler les mêmes faits et
tirer les mêmes conclusions de leur examen à propos du
bétail.
Depuis 1820 jusqu'à 1840, nos importations de bétail
sont restées insignifianLes.
A-t-on vu, cependant, le prix de la viande augmenter?
Tout au contraire, il a diminué.
On pourrait dire, il est vrai, que la paix a rendu l'éle-
vage plus facile et la production plus abondante. Il nous
semble bien difficile de soutenir que cette seule cause
ait provoqué la baisse jusqu'en 1840 ou i85o.
LES IMPORTATIOXS ET LES PRIX 13;
^'oic^ (railleurs quels ont été les cours de la
viande (i) :
PRIX
ANKKES du kilo de viande ;i Paris.
— B(Eiil'. Mouton.
fr. c. fr. c.
l8l'3 I l3 I i;
1814 I 08 I O)
181 5 I 08 I 07
I8I6 I 08 I 20
I8I7 I 09 I 19
1818 1 10 I 24
I8I9 I 07 II)
1820 » 96 I 08
1821 » 97 I 01
1822 » 89 » 90
1823 » 87 » 93
1824 » 86 » 94
1825 » 91 » 92
182G »" 93 I 01
1827 » 98 I 02
1828 I 06 I 07
1829 I 04 I 07
Ainsi, à partir de 1820, la baisse est visible.
Après i83o, elle est encore assez marquée, et, à partir
tle 1841 jus([u'en i852, les prix restent encore fort bas.
PRIX .MOYEN
PHIUODES (le kilo de viando à Paris.
— Bœuf. Mouton.
fr. c. fr. c.
1813-1820 I 09 I l5
i820-i83() » 94 » 99
i83o-i84o I » I 14
i84o-i85o I o5 I 17
i8jo » 87 02
18 )i » 84 I 09
i8)2 )) 86 I 04
(i) Voir l'ouvrage de M. Block, de l'Institut, intitulé : Statistique de
la France; 2 vol., Paris, Guillaumin.
i38 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
En i853, la hausse commence à se manifester et ne
cessera que trente ans plus tard, en i883.
Les importations de bétail ont-elles pourtant diminué ?
En aucune façon. Elles se sont accrues, au contraire,
avec une extrême rapidité. En voici la preuve. Nous
indiquons simultanément le prix du kilogramme de
viande et les importations étrangères pour le bœuf et
le mouton.
Variations simultanées des prix et des importations (i) pour le bétail
en France.
PÉRIODES Prix du kilo Importations Prix du kilo Importations
de bœuf. (milliers de de mouton (milliers de
tôtes\ tctcs).
fr. c. Ir. c.
i83o-i84o. .
I »
32
I 14
i34
i84o-i85o. .
. I o5
44
I 17
i35
i83o-i86o. .
I i3
93
I 3o
260
1860-1870. .
I 3i
180
1 46
869
1870-1880. .
I 56
194
I 73
i.5i7
Il est clair que les importations, loin de diminuer,
ont augmenté à mesure que les prix s'élevaient. On ne
saurait donc soutenir que les importations ont fait
baisser les cours.
Les entrées de bétail étranger augmentent ou dimi-
nuent selon que le prix de la viande s'élève ou s'a-
baisse.
L'élévation des cours provoque l'importation d'un
(i) Les chiffres relatifs aux importations ont été empruntés au
tableau inséré dans la Statistique agricole de 1892, Introduction, p. 290
et seq. Ces chiffres diffèrent quelque peu de ceux que 1 on trouve dans
d'autres publications ofilcielles.
LES IMPORTATIONS ET LES PRIX iSg
nombre plus considérable d'animaux; la baisse des
cours produit un effet opposé. Elle restreint les impor-
tations.
A partir de 1880, nous entrons dans une période nou-
velle.
Le prix du froment baisse rapidement en F'rance, et
cependant les importations augmentent fort peu. Exa-
minons, par exemple, des moyennes décennales de façon
à atténuer l'influence des bonnes et des mauvaises
récoltes. Nous trouvons :
PEItlODES
187I-1880
1881-189O
189I-1897
IMPORTATIONS
PRIX
de froment
de
(nii lions d liectol.)
de riioctoliire,
fr. c.
12.9
i3.4
23 »
18 80
l3.5
16 89
Ainsi, les importations étrangères s'accroissent avec
une extrême lenteur^ et pourtant, les prix fléchissent
très rapidement.
Pour le voir plus clairement encore, il suffit de
ramener à 100 les importations et les prix de la pre-
mière période 1871-1880 :
PÉRIODES IMPORTATIONS PRIX
1871-1880 loo 100 »
1881-1890 io3 81 »
189I-1897 104 73 »
Tout le monde sait que la dernière période 1 891- 1897
a été marquée par deux années de mauvaises récoltes.
l/fO
LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
Pr-ù)C^ en. Francs.
,•*- »o »c r« hj is) le
■«>■ O, 0;^i Oo^ O «-kj to'^i-.Oj-^Co'û O
ImportcUxOTis en,. Aimions- et' fiectoUtrekS- .
M t» ï=- Cri <>iM Ce'-O s
LES IMPORTATIONS ET LES PRIX i4i
1891 et 1897. Comparée à la première décade 1871-
1880, cette série d'années 1891-1897 ne présente, cepen-
dant, qu'une augmentation d'importation de 4 P- 100.
En revanche, les prix ont fléchi de 27 p, 100.
Est-ce là une apparence ou le résultat d'un groupe-
ment déchiffres destiné à masquer la vérité ?En aucune
façon.
Il suffit, pour le premier, de tracer deux courbes
retraçant avec fidélité les fluctuations simultanées des
prix et des importations. Les deux courbes de ce
graphique suivent la même marche. Les importa-
tions s'abaissent et se relèvent en même temps que les
cours.
Depuis 1879, les importations de froment ont même
diminué. Elles retombent, en 1896, au niveau le plus
bas que l'on ait constaté depuis 1872, et les prix, cepen-
dant, s'abaissent graduellement.
Les choses ne se passent point autrement en ce qui
concerne le bétail.
Nous avons \x\ que depuis i83o jusqu'à 1880 les prix
s'étaient toujours élevés, pendant que les importations
s'accroissaient.
A partir de i883, les cours de la viande s'abaissent
et les importations diminuent en même temps.
Voici le tableau des variations simultanées de prix de
la viande et des importations :
1^2
LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
Variations simultanées du prix de la viande et des importations
de bétail en France *.
i«79
1880
1881
i88'2
i883
1884
i885
188G
1887
1890
1891
1892
1893
1894
1895
1896
OVIDES
BOVIDÉS
Priv
du kilogramme
(le mouton.
Importations
(milliers de
tètes).
Prix
du kilogramme
de bœuf.
Importations
(milliers do
tôtes).
fr. c.
fr. c.
I 96
2.029
I 75
253
I 98
2.085
I 69
196
I 97
I .721
I 64
i5o
2 09
2.166
1 70
194
2 l3
2.289
1 8i
2l5
I 99
2. 109
I 69
176
I 84
1.956
I 59
l52
I 79
1.629
I 53
i54
I 70
1.259
I 39
99
I 82
i.5i3
I 44
74
I 92
2.348
I 45
81
1 12
I 142
1 61
99
2 07
I 171
I 60
82
I 95
1 .401
I 52
36
I 86
1.195
1 5o
20
2 o3
1.993
I 66
201
2 01
1.786
1 56
149
I 96
1.342
I 5i
86
I 80
1.364
I 44
58
La conclusion à tirer de ces faits est très importante.
Il est visible que les entrées de bétail diminuent quand
les prix baissent. Le graphique de la page i43 le
démontre avec la dernière évidence.
On doit donc, d'une façon générale, admettre que la
baisse du prix des principaux produits agricoles, en
France, n'est pas due immédiatement et exclusivement
au développement des importations étrangères.
(i) Le cours de la viande est celui du kilo de viande nette, première
qualité, sur le marché de la Villelte, à Paris. Les importations sont
exprimées en nombre de tètes, d'après les documents officiels. Voir
notamment l'enquête agricole de 1892, lac. cit.
LES IMPORTATIONS ET LES PRIX
II
43
8881-
988t-
^i881-
S881-
0881-
81.81-
9181-
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0£8l-
8981-
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098T-
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i44 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
II
La crise monétaire et la baisse des prix.
Nous devons oxposer ici une théorie fort intéres-
sante relative à l'influence qu'a pu exercer la « crise
monétaire » sur la baisse des prix. Beaucoup de per-
sonnes admettent que la démonétisation de l'argent et
la suppression de la frappe libre de ce métal après 1876
ont provoqué une baisse énorme du métal blanc. D'autre
part, elles admettent aussi que l'or restant seul chargé
du rôle monétaire qui était rempli précédemment par
les deux métaux précieux, a pu devenir plus rare. Cette
rareté ou cette « appréciation » a déterminé, suivant
les mêmes personnes, une baisse générale des prix.
Nous allons résumer cette discussion, reproduire
impartialement l'opinion de ceux qui attribuent la baisse
des prix à la démonétisation de l'argent, à la réduction
de la valeur de ce métal en or, et à « l'appréciation »
de ce dernier. Nous présenterons ensuite nos conclu-
sions personnelles.
I, LA BAISSE DE l'aRGENT ET l'aPPRÉCIATION DE l'oR
Il n'est pas douteux que le cours de l'argent évalué
en or ait diminué très rapidement depuis trente ans.
Pour le démontrer nous n'avons qu'à relever le prix
de l'once d'argent à Londres :
l'rix do rargonl en or,
il Londres.
Pence-or.
1871 60. 5o
1875 56.87
1880 52.25
i885 48.62
1890 47-68
1893 33.12
LA CRISE MONÉTAIRE M^
A partir de 1893, la dépréciation de l'argent prend
les proportions d'un véritable effondrement. Deux nou-
veaux faits expliquent cette crise récente. Une loi
datant du 28 février 1878, obligeait le Trésor des Etats-
Unis à acheter chaque mois, pour le monnayage, 2 mil-
lions d'onces d'argent, soit 746.000 kilos par an(i)~
Cette masse énorme de métal blanc ne parut pas encore
suffisante aux propriétaires des mines d'argent et à
leurs associés politiques. Une seconde loi du i4 juillet
1890 porta à 1.700.000 kilos le poids d'argent qui dut
être acheté parle Trésor américain. En 1898, on abro-
gea cette loi qui avait entraîné les plus graves abus,
bien qu'elle contribuât à soutenir le cours du métal
blanc. Brusquement la cote de Londres tomba de 40 à
33 pence-or ! Enfin, l'Inde anglaise, qui est un pays
monométalliste-argent, assurait un très large débouché
au métal chassé d'Europe par les mesures dont nous
avons parlé. Il est probable que 700.000, et peut-être
800.000 kilos d'argent venaient s'y faire monnayer (2).
Pour relever le cours en or des roupies d'argent,
l'Angleterre suspendit la frappe de ces monnaies
(i) M. Leroy-Baulieu fait remarquer avec raison, dans son Traité
d économie politique (t. III, p. 299), que ces achats d'argent compen-
saient la fermeture des Hôtels de monnaie d'Europe à la frappe de
l'argent, et contribuaient par conséquent à soutenir le cours de ce métal.
(2) M. de Foville dans son rapport sur l'administration des monnaies
1897 (Annexes, p. 219), nous apprend que l'on a frappé dans l'Inde les
quantités d'argent suivantes :
Millions de roupies.
i8;)5-i856— i864-i865 908
1865-1866—1874-1875 5l2
1875-1876-1884-1885 648
Or, la roupie pèse ii gr. 66 d'argent.
ZoLLA. — La Crise agricole. lo
i46 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
(juin 1893), Le prix de Tonce d'argent s'abaisse aussi-
tôt à Londres et tombe à 29 pence-or ! Il n'est donc
pas égal à la moitié de la cote correspondant à l'an-
cien rapport —r-r . En d'autres termes, i kilo d'or pou-
vait s'échanger en 1893, contre plus de 3i kilos d'argent,
tandis que vers 1870, il ne permettait d'en acquérir que
i5 kil. 5oo !
La dépréciation inouïe de l'argent par rapport à l'or
est un phénomène bien établi, dont personne, d'ailleurs
ne conteste la réalité. Cette dépréciation coïncide avec
la fermeture de ses anciens débouchés.
Pendant la période décennale qui a précédé la démo-
nétisation de l'argent par l'Allemagne, la frappe de
l'argent avait, en Europe, l'importance suivante :
kil.
Allemagne 256. 000
France 179.000
Belgique 157.000
Italie 166.000
Pays-Bas 171.000
1.029.000
De plus, les Etats-Unis, les Etats Scandinaves, la
Russie, l'Inde, etc., etc., absorbaient des quantités
considérables de métal blanc. Tous ces débouchés ont
été successivement fermés. L'argent a perdu son
ancien rôle monétaire. Chassé d'Europe, il est mainte-
nant chassé également de l'Inde. Est-il donc étonnant
que son prix ait baissé par rapport à l'or, qui conserve
seul le rôle de métal monétaire international?
C'est précisément le rôle actuel de l'or qu'il s'agit
maintenant d'étudier pour arriver à montrer comment
LA CRISE MO y ET Al RE i47
la crise monétaire actuelle peut avoir exercé une
influence si décisive sur la baisse des prix.
II. LA RARETÉ RELATIVE DE l'oR
Avant la démonétisation de l'argent par l'Allemagne
et avant la suspension de la frappe dans les pays de
l'union latine, en Russie, dans l'Inde, etc., etc., il est
évident que les deux métaux monétaires, l'or et l'ar-
gent, pouvaient servir à régler les échanges internatio-
naux et à fixer le niveau moyen des prix.
Aujourd'hui, l'on ne peut plus se servir de l'argent
puisque ce métal n'est accepté qu'avec la réduction
énorme qu'il subit par rapport à l'or.
C'est en or que sont cotés tous les cours, et comme
ce métal n'a pas été produit en plus grande quantité (i),
comme, d'autre part, il remplit seul, à cette heure, le
rôle qu'il jouait avec l'argent il y a vingt ans, on ne
peut guère se refuser à reconnaître qu'il est devenu
plus rare.
(i) Il s agit ici de la production jusqu'en i888 ou 1890. Depuis cette
époque, la production s'est accrue au contraire avec une grande rapi-
dité, ainsi que le montrent les dernières lignes du tableau suivant :
Poids d"or
(production annuelle).
kilos.
i856-i86o U01.750
i86i-i865 i85.o57
1866-1870 195.026
1871-2875 173.904
1876-1880 166.095
i88i.i885 153.643
1886-1890 169.862
1891-1895 245.175
1886-1900 ..... 387.866
i48 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
On peut dire, il est vrai, que les instruments de crédit,
tels que les lettres de change, billets à ordre, chèques,
virements décompte, billets de banque, etc., etc., rem-
placent la monnaie, et suppléent à son insuffisance.
« La rareté de l'or, dit-on, n'est qu'une hypothèse
« contredite par les faits ; on a suppléé à son insuffi-
« sance et à celle de l'argent par les instruments de
« crédit qui remplacent les métaux précieux. S'il s'agit
« d'éteindre une dette contractée par un Français à
« l'égard d'un Anglais, d'un Russe ou d'un Américain
« des Etats-Unis, c'est avec une lettre de change ou
« un chèque que cette dette sera acquittée. Le dévelop-
« pement de ces affaires de banque rend de moins en
« moins utile le rôle de la monnaie, et celui de l'or par
« conséquent ; il vient compenser la réduction des
« espèces métalliques en circulation. »
Cette conclusion n'est pas à l'abri de toute critique.
En réalité, les instruments de crédit ne remplacent pas
la monnaie au point de vue de la fixation du niveau
des prix. Ces derniers sont représentés par une cer-
taine quantité du métal qui est généralement accepté
dans les échanges ; les instruments de crédit expriment
des sommes qui doivent être définitivement payées en
monnaies métalliques parce que ces espèces monétaires
possèdent seules les qualités d'une monnaie ; elles
seules permettent d'éteindre une dette qui est toujours
payable en or ou en argent et stipulée payable de cette
façon seulement.
Dans son Traité d'Economie politique, Joseph Garnier
a fort bien expliqué ce rôle des instruments de crédit, à
propos du billet de banque.
LA CRISE MONETAIRE l49
« Il supplée, dit-il, à la monnaie, à beaucoup d'égardy
mais il ne la remplace pas absolument, et il ne la reni-*
place i[\\Q provisoirement. Partout où il intervient, on le
reçoit comme titre de créance sur la banque, comme
promesse d'un payement futur et rapproché en espèces;
c'est un instrument perfectionné propre à transmettre
la créance sans pouvoir l'éteindre. La monnaie, au con-
traire, est une recette définitive qui éteint les obliga-
tions. La monnaie est une marchandise intermédiaire
douée de valeur intrinsèque ; le billet est un signe inter-
médiaire qui n'a de valeur qu'autant qu'il peut donner
droit à des espèces métalliques. Si le billet de banque
comme les autres effets, diminue l'emploi de la mon-
naie et tend à déprécier un peu sa valeur^ il n'attaque
en rien les qualités intrinsèques du métal. Celui-ci con-
serve les propriétés qui le font rechercher de tout le
monde, et la spéculation se hâte de le ramener aux
lieux où elle l'avait rendu plus rare et plus cher. Quand
donc on dit que les billets de banque remplacent la
monnaie, on n'a raison que dans une certaine mesure
et pour une certaine proportion ; on fait une méta-
phore qu'il ne faut pas prendre à la lettre ; et, quand
on raisonne sur l'émission et la circulation de ces titres
comme sur l'émission et la circulation des écus, on ne
tarde pas à errer grossièrement (i). »
Ce que Joseph Garnier dit des billets de banque
reste vrai pour les autres instruments de crédit. Certes,
les lettres de change et les chèques épargnent l'emploi
de la monnaie métallique, mais celle-ci doit toujours,
(i) Traité d'économie politique, par J. Garnier, 5" édition, p. 349-
iio LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
en définitive, balancer les soldes. Si on les accepte
en paiement, c'est parce que l'on croit pouvoir se pro-
curer de la monnaie par leur intermédiaire, et le métal
précieux dont ils représentent un certain poids reste le
véritable régulateur des prix. A la moindre alerte, on
s'adresse aux banques publiques ou privées pour con-
vertir en monnaie métallique les billets qu'elles ont
émis ou les effets de commerce qu'elles escomptent.
Toutes les crises commerciales sont caractérisées par
les demandes de remboursement en espèces et l'es-
compte eu monnaie des lettres de change. Aujourd'hui,
l'or est le seul métal ayant, dans les pays d'Europe et
aux États-Unis, un pouvoir libératoire illimité. Tous les
prix sont évalués en or. L'existence des instruments
de crédit ne saurait empêcher l'or d'être plus rare
qu'autrefois, puisqu'il joue seul le rôle que l'argent
pouvait remplir autrefois avec lui. La rareté relative du
métal jaune est donc bien certaine.
Notons de plus que si le développement de l'usage
des instruments de crédit avait suppléé à l'insuffisance
de l'or, ce ne serait pas une baisse de prix mais une
hausse que l'on constaterait. J. Garnier le fait remar-
quer lorsqu'il dit : « Le billet de banque diminue
l'emploi de la monnaie et tend à en déprécier un peu la
valeur. »
Ces instruments de crédit et toutes les opérations
de banque destinées à économiser l'emploi de la mon-
naie étaient en usage avant 1873, c'est-à-dire avant la
baisse des prix. En 1880, un statisticien bien connu,
M. Giffen, dit que les procédés adoptés pour remplacer
la monnaie étaient aussi perfectionnés depuis i85o
LA CRISE MONETAIRE ui
jusqu'à 1873, période de hausse, que depuis 1873 jus-
qu'à nos jours, période caractérisée par une baisse
générale (i).
Il faut également tenir compte de ce fait important :
Les échanges sont devenus plus importants et plus
nombreux depuis vingt-deux ans. La population des
nations commerçantes s'est accrue ; par conséquent, la
masse de monnaie nécessaire aux transactions inté-
rieures et surtout aux affaires internationales est devenue
plus considérable. Or, nous le savons, la production
de l'or est restée stationnaire (1875-1890) précisément
au moment où son emploi exclusif est devenu indis-
pensable, puisque l'argent a perdu son rôle monétaire
pour tomber au rang de simple marchandise.
Enfin, il faut tenir compte d'un troisième fait qui a
une grande importance. Dans l'état de crise permanente
où se trouvent aujourd'hui le commerce, l'industrie et
l'agriculture, les grandes banques publiques ont besoin
de posséder dans leurs caisses des masses considé-
rables du seul métal qui ait cours dans le monde, c'est-
à-dire de l'or. En France et en Allemagne, l'accumula-
tion d'une grosse réserve d'or est une nécessité
politique. L'éventualité d'une guerre rend indispensable
cette thésaurisation. Nulle monnaie autre que la mon-
naie d'or ne permettrait, en effet, d'opérer immédiate-
ment des achats à l'étranger.
Mais, d'un autre côté, les réserves puissantes qui
s'élèvent à plusieurs milliards (a) ne proviennent pas
(i) Voir l'article de M. Giffen dans la Conlemporary Res'iew, juin i885.
— Trade dépression and lo»' priées.
(2) A l'heure actuelle, l'encaisse métallique de la Banque de France
r52 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
d'un Stock nouveau. Pour s'en convaincre, il suffit de
noter les quantités d'or monnayées chaque année. Ces
quantités sont très faibles, et môme, parfois, elles sont
nulles. En France, par exemple, la frappe de l'or a été
considérable depuis i85o jusqu'à 1870. Elle atteignait le
plus souvent, chaque année, un demi-milliard. Or,
voici les quantités monnayées depuis 1879 :
Frappe de l'or en France (i).
Frappes totales Refontes.
Millions de francs. Millions do franc*.
Ï879 24.5 »
1880 » »
1881 2.1
i88-2 3.7 »
i883 ,, ,,
1884 » »
i885 0.2 »
1886 23.5 »
1887 24.6 »
1888 0.5 »
1889 17.4 8.2
1890 20.6 II. 9
1891 17.4 12.7
1893 4.5 4.6
1893 5o.9 3.5
s'élève à un chiffre qui n'avait pas été encore atteint depuis le com-
mencement du siècle, soit 2 milliards 464 millions (1901).
(i) En revanche, depuis 1898, la frappe a rapidement augmenté jus-
qu'en 1899. En voici la preuve :
Millions de francs.
1894 9.8
1895 108.0
1896 II 2.0
1897 221 .0
1898 177.0
1899 54.0
1900 3o.o
Voir Rapport de l'Administration des monnaies (1901). •
LA CRISE MONÉTAIRE i53
Depuis 1879 jusqu'à 1893, la frappe totale n'a jamais
dépassé 5o millions, et encore faudrait-il retrancher de
ce total 3 millions et demi de refontes ! La frappe de l'or
a diminué dans la proportion de 10 à i depuis vingt-
cinq ou trente ans. En Angleterre, dans ce pays où
affluent les métaux précieux, et où existe le plus grand
marché d'or qu'il y ait au monde, la frappe est devenue
insignifiante. De i853 à 1872, elle s'élevait à plus de
125 millions de francs par an; durant ces dernières
années, elle s'ahaisse au quart de ce chiffre. Parfois
même, elle est nulle !
Frappe de l'or en Angleterre (i).
Millions do francs.
1H79 »
1880 100
i88i »
1882 »
i883 26
1884 57
i885 7^)
1886 »
Movenno .... 3-2
^i) Depuis 1886 la frappe s'est accrue rapidement :
Millions de francs.
1887 47
1888 5o
1889 187
1890 192
1891 168
1892 347
1893 23l
1894 395
1895 120
1896 44
1)4 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
Dans la plupart des pays d'Europe ou du monde le
monnayage de l'or a diminué. Voici les chiffres
empruntés aux tableaux du D"" Sœtbeer, (Nous opérons
la conversion des marcs en francs.)
Monnayage do l'or (l).
Frappe de l'or.
iMillions de francs.
l8)l-l88") 841
1886 441
1887 597
1888 65o
Il s'est donc produit au moins momentanément
une diminution de la frappe de l'or. Elle tombe de
841 millions de francs (i85i-85) à 44^ en 1886.
L'augmentation des réserves des grandes banques
publiques a, peut-être, appauvri la circulation inté-
rieure de chaque Etat, et par suite la circulation moné-
taire du monde entier.
Il faut tenir compte également de l'emploi industriel
de l'or, des exportations en Orient, du frai (2) des
monnaies, des pertes. Sœtber et M. Giffen estiment que
la quantité d'or laissée libre pour le monnayage est
presque nulle !
(i) Après 1888, les chiffres du monnayage sont les suivants (Voir
rapport de Foville. Annexes, p. 34i).
Millions de francs.
1889 840
1890 745
1891 595
1892 860
1893 I . 160
1894 I . i35
1895 i.i55
1896 975
(2) On désigne ainsi la perte résultant de l'usure des pièces.
LÀ CRISE MONÉTAIRE i55
Comment se refuser à admettre, en présence de
pareils faits, que Tor soit devenu plus rare ? Mais cette
rareté relative a pour conséquence nécessaire une
augmentation de la puissance d'acquisition du métal
jaune, et, par conséquent, la baisse des prix. Qu'est-ce
aujourd'hui que le prix d'une marchandise, si ce n'est,
en effet, le poids d'or que cette marchandise permet
d'acheter ? Et si l'or a augmenté de pouvoir d'achat,
n'est-ce pas dire, en d'autres termes, qu'il en faut
moins pour se procurer la même denrée ou que cette
dernière a baissé de prix ?
Cette explication d'une crise générale soulève, cepen-
dant, une objection maintes fois opposée à ceux qui
attribuent l'effondrement des cours à la rareté de l'or.
« La baisse des prix » n'est pas, dit-on, un phénomène
général. Certaines marchandises ont haussé, d'autres
ont baissé. Si la crise attribuée à une augmentation du
pouvoir d'achat de l'or était réellement une crise moné-
taire, tous les prix auraient dû subir la même réduc-
tion. Or, il n'en est rien. L'explication fournie n'est
donc pas satisfaisante. »
En réalité, cette objection ne porte pas. Des causes
différentes et agissant en sens inverse peuvent avoir
pour résultat une hausse, une baisse, ou un état station-
naire des cours. Les faits économiques sont extrême-
ment complexes, et soumis à l'influence de phénomènes
fort nombreux.
Pendant la période de hausse qui s'étend de i855 à
1875, le perfectionnement des procédés de fabrication
a pu enrayer ou annuler l'élévation des cours. De nos
jours, les terrains bâtis peuvent augmenter de valeur,
i56 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIA
alors que le territoire agricole diminue de prix. Les
salaires ne varient pas dans la même mesure et le
même sens que le cours des denrées alimentaires.
Une série de mauvaises récoltes peut augmenter le prix
du blé, du vin, des fourrages ou des autres produits
agricoles ; les caprices de la mode font varier ceux des
productions industrielles, soumises à la loi de l'offre
et de la demande. Ces contrastes et ces apparentes con-
tradictions ne prouvent pas autre chose que Texistence
des causes nombreuses dont l'action sur les cours
s'ajoute ou se retranche, s'unit ou s'annule, comme les
forces naturelles dont les effets particuliers ne sau-
raient être niés, bien que leur résultante définitive
nous étonne et nous déconcerte.
La colonne de mercure d'un baromètre peut s'élever,
bien que la pression de l'air reste constante, si l'action
de la température dilate le métal. Dira-t-on, cepen-
dant, que la pression atmosphérique n'a pas pour effet
de faire monter ou descendre la colonne de mercure ;'
Il en est de même lorsqu'il s'agit des phénomènes
économiques et non plus de phénomènes physiques on
chimiques. Ce ne sont pas telles ou telles variations
de prix qu'il s'agit de noter, mais les variations géné-
rales et moyennes d'un nombre considérable de mar-
chandises. Or, nous l'avons prouvé, la baisse des prix
est un phénomène général dont il est impossible de
nier l'existence.
Les exceptions observées sont toutes expliquées par
l'action de causes particulières ; elles ne prouvent
nullement que la rareté de l'or n'ait pas provoqué
l'abaissement général du niveau des prix.
LA CRISE MONÉTAIRE iSy
Nos conclusions personnelles. — Nous nous sommes
efforcés d'exposer avec une exacte impartialité les argu-
ments que Ton peut, raisonnablement (i), invoquer
pour prouver que la baisse des prix doit être rattachée
à une contraction monétaire. La valeur de ces argu-
ments est fort inégale. Sans doute, la dépréciation de
l'argent doit être attribuée en grande partie au pro-
digieux développement de la production de ce métal
depuis vingt-cinq ans.
Production annuelle (2).
de l'argent.
Millions de francs.
1805-1870 1.339
1871-1875 1.969
1876-1880 10.979
i88i-i885 i3.3o7
1886-1890 16.937
1 891-189) 2 j.461
11 serait même puéril de nier Tinfluence d'un pareil
accroissement de production sur le prix en or du métal
blanc. On a fait observer qu'autrefois, de 4761 à 1780,
puis de 1781 à iS-io, le rapport du poids de l'or extrait
des mines au poids d'argent s'était abaissé jusqu'à
~ et -— . C'est là un fait incontestable : mais si, depuis
il 49 ' ' 1
1881 jusqu'à 1890, ce rapport est plus élevé et remonte à
— ou — , il n'en est pas moins vrai que les quantités
IQ 21 * 1 J
(i) 11 nous semble certain, en effet, que les bi-mélallistes sont en
dehors de la vérité et ne raisonnent point comme des hommes de
science.
(2) Voir rapport de M. de Foville déjà cité (1898), p. 327.
i58 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
absolues, c'est-à-dire la masse de métal blanc jetée dans
la circulation est vingt ou trente fois plus considérable
qu'elle ne Tétait dans la seconde moitié du xviii® siècle
ou dans les trois premiers quarts du xix°.
Un pareil phénomène explique donc la baisse de
l'argent, sans compter que ce métal constitue une
monnaie encombrante (i).
Il nous paraît, toutefois, prudent de tenir compte d'un
fait aussi visiblement important que la suspension do
la frappe en Europe à partir de 1876, dans les pays de
l'union latine, et de la démonétisation du métal blanc
depuis 1873. Nous ne sommes pas en état d'affirmer
que la fermeture des ateliers monétaires dans plusieurs
grands pays n'a pas exercé une influence, c'est-à-dire
n'a pas précipité et consacré la baisse de l'argent. 11
nous paraît raisonnable de douter et de tenir compte
d'un pareil fait.
Voici, maintenant, quelle est la question importante
et délicate :
L'or possède-t-il aujourd'hui une puissance d'acqui-
sition plus grande qu'il y a vingt-cinq ans, parce qu'il
est relativement plus rare ?
11 nous paraît également impossible de répondre
catégoriquement : « Non, cela n'est pas ! » Nous croyons
que personne ne peut démontrer la fixité du pouvoir
d'achat du métal jaune.
On trouve à coup sûr d'autres explications à la baisse
générale sinon universelle des prix. Ainsi, M. Leroy-
(i) Voir le Traité d'Economie politique de M. Leroy-Beaulicu, t. III,
p. 277. « Supériorité de l'or comme monnaie, etc. »
LA CRISE MONÉTAIRE iSg
Beaulieu dit avec raison : « La baisse des prix vient de
l'abondance de la production, de la réduction des prix
de revient, du perfectionnement de l'outillage commer-
cial et de la diminution des frais de transport (i). »
Nous ne sommes pas moins convaincu que lui de
l'action décisive de ces transformations économiques
sur les variations des cours. Mais est-il défen^^lu de
penser qu'à ces causes de baisse, la rareté relative de
l'or a pu s'ajouter et faire fléchir les prix ?
Il ne s'agit point de nier l'essor extraordinaire de la
production agricole dans le monde depuis trente ans,
mais d'admettre que la démonétisation de l'argent a
rendu l'or plus rare parce qu'elle a, désormais, conféré
au seul métal jaune le pouvoir de balancer les dettes
internationales des grands pays civilisés. A propos de
l'afflux d'or qui se produisit en Europe de i85o à 1870,
M. Leroy-Beaulieu émet l'opinion suivante (2) :
« D'un autre côté, l'or n'était pas la seule monnaie du
monde civilisé ; l'argent, comme on le verra, non pas
dans tous les pays, mais dans plusieurs des principaux
pays, avait un pouvoir libératoire égal à l'or; il existait
entre les deux métaux, dans ces pays, un rapport légal
qui, malgré les fluctuations que nous étudierons, était
maintenu en ce sens que les hôtels des monnaies
restèrent constamment ouverts à la frappe des deux
métaux sur la base de ce rapport légal.
« Il résulte de cet ensemble de circonstances que,
dans la recherche de l'influence qu'a pu avoir cet
(i) Economiste français, 1896, p. 419.
(2) Traité d'Économie politique, t. III, p. 207.
i6o LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
accroissement de la production de l'or dans cette
période, il ne faut pas comparer isolément les quantités
d'or produites dans ces vingt-cinq années aux quan-
tités de ce métal préalablement existantes ; il faut
réunir la production des deux métaux précieux dans
cette décade et la comparer à l'ensemble du stock des
deux métaux précieux préalablement existants. »
Et l'auteur conclut :
« On saisit ainsi les causes qui ont fait que l'énorme
accroissement de la production de l'or de i85i à 1870
n'a amené autant qu'on peut en juger, qu'une assez
faible dépréciation de ce métal... »
Admettons, en effet, que cette dépréciation ait été
assez faible ; il n'en est pas moins certain qu'elle s'est
produite et qu'on n'en conteste pas l'influence sur la
marche des prix en général.
Brusquement, en 1873 et durant les années suivantes,
l'argent est démonétisé ; la frappe en est interdite, non
point dans tous les pays du monde, mais en France,
en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Espagne, en
Suisse, etc., etc. Quelques-unes, les grandes nations
commerçantes, et non des moins riches, sont devenues
en fait monométallistes-or.
Il ne faut donc plus u comparer isolément les quan-
tités d'or produites depuis 1876 aux quantités de ce
métal préalablement existantes ».
Il faut rapprocher, plutôt, la production de l'or de la
production des deux métaux précieux et de l'ensemble
du stock de ces deux métaux monétaires qui possé-
daient également, autrefois, un pouvoir libératoire illi-
mité.
LA CRISE MONÉTAIRE i6i
Ace moment même, la quantité d'or extraite annuelle-
ment restait stationnaire.
En voici la preuve :
Production annuelle
de l'or
dans le monde (1).
Milliers de kilos.
1866-1870 196
1871-1875 173
1876-1880 166
1881-1885 l53
1886-1890 »... 169
La production de l'or a môme momentanément fléchi,
alors que son rôle monétaire devenait singulièrement
plus important, non seulement parce que le métal jaune
cessait d'être lié au métal blanc de façon à constituer
une même masse, mais encore parce que le mouvement
général du commerce prenait une importance sans
cesse croissante.
Est-il donc impossible que l'or ait été « apprécié »,
suivant l'expression à la mode, ou, en d'autres termes,
que son pouvoir d'achat ait augmenté ?
On nous accordera qu'il est permis de douter. S'il
nous paraît singulièrement téméraire ou même dérai-
sonnable d'attribuer à 1' « appréciation » de l'or une
influence précise sur les prix, on ne saurait, en revanche,
l'écarter absolument sans admettre qu'elle ait eu une
importance quelconque.
Il est, suivant nous, possible et probable que cette
cause a agi dans le même sens que le développement
de la production, la réduction des prix de revient,
l'abaissement des prix de transport, etc., etc.. Les
(i) Rapport de Fovillc déjà cité, p. 829.
ZoLLA. — La Grise agricole. 11 •
i62 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
variations de prix constatées depuis vingt ans, et
notamment la baisse générale, sont les résultantes de
ces diverses transformations économiques.
Faut-il, pour cela, regretter qne Ton n'ait pas maintenu
l'ancien rapport légal de -^ dans un pays comme la
France, et autorisé la frappe des pièces de 5 francs
sans limitation ?
Nous repoussons, cela va sans dire, une pareille
interprétation de notre pensée et une semblable con-
clusion.
La solution proposée par les bimétallistes ne nous
paraît ni satisfaisante ni même acceptable un seul ins-
tant. La déchéance de l'argent et sa dépréciation sont
consommées. Les discussions et les conférences rela-
tives au bimétallisme sont simplement oiseuses, et
donnent tout au plus une satisfaction platonique aux
« Inflationist » ou au public protectionniste qui voit avec
dépit les cours fléchir malgré le relèvement des droits
de douane.
Il est inutile de nous étendre sur ce point; aussi bien
avons-nous hâte de signaler, soigneusement, en termi-
nant l'augmentation rapide et considérable de la pro-
duction et du monnayage de l'o/' durant ces dernières
années.
Depuis 1891, les quantités extraites ont été les sui-
vantes :
Milliers de kilos.
1891 196
1892 220
1893 236
1894 272
i«95 299
LA CRISE MONÉTAIRE i63
Milliers (Je kilos.
1896 301
1897 355
1898 i3i
1899 461
1900 385
Voici, d'autre part, pour servir de terme de compa-
raison, la production moyenne annuelle de i85i à 187;").
i85i-55 199 milliers de kilogr.
i856-6o 20I — —
i86i-65 i85 — —
1866-70 195 — —
1871-75 173 — —
La production de l'or dépasse donc actuellement celle
que l'on constatait entre i85o et 1870. 11 est môme pos-
sible que les quantités extraites dans quelques années
soient encore plus considérables.
Nous ne saurions prétendre que la hausse des prix
sera la conséquence immédiate ou prochaine de cet afflux
de métal jaune. En tous cas, il y aura là une cause de
fermeté des cours ou de limitation de la baisse actuelle.
II. LA CONCURRENCE DES PAYS A KTALON D ARGENT
Voici maintenant un autre problème qui se pose. La
démonétisation et la baisse de l'argent n'ont pas eu seu-
lement pour conséquence V appréciation de l'or. 11 ne
faut pas oublier, dit-on, que si la plupart des nations
d'Europe sont, en fait, ou en droit, monométallistes-or,
certains pays sont restés monométallistes-argent (i).
(i) Cependant la frappe de l'argent est suspendue dans l'Inde depuis
1893 et le Japon a adopté l'étalon d'or.
i64 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
Or, la concurrence des pays à étalon d'argent a pour
effets :
1° De nous inonder de produits à vil prix achetés
dans ces pays aux prix d'autrefois, avec un métal qui
a perdu 5o p. loo de sa valeur-or ;
2" De rendre impossibles les exportations des pays à
étalon d'or forcés de vendre leurs produits deux fois
plus cher en monnaie d'argent, puisque ce métal est
déprécié de 5o p. 100 par rapporta san change en or.
Telle est, résumée en quelques lignes, une théorie
séduisante, consistant en un certain nombre d'hypo-
thèses dont il s'agit d'étudier la valeur. Nous avons pré-
cisément examiné ce problème dans les Annales agro-
nomiques il y a quelques années (i), et il nous paraît
inutile de nous répéter. Nous nous contenterons, aujour-
d'hui, de reproduire les conclusions de notre étude.
« i^ On a soutenu, a priori^ que la dépréciation de
l'argent avait eu pour conséquence une baisse égale du
change en or des monnaies d'argent de l'Orient.
<( Cette hypothèse n'est pas entièrement exacte,
notamment en ce qui touche la « roupie » indienne. La
dépréciation de cette monnaie (valeur en or) reste infé-
rieure à celle du métal blanc.
2" On a prétendu, également que les cours cotés en
monnaies d'argent, dans les pays à étalon blanc,
n'avaient pas varié.
Cette hypothèse n'est point vérifiée par l'expérience.
Des fluctuations très marquées ont été, au contraire,
observées dans l'Inde, et la hausse des cours compense
{1) Ann.agron., t. XXI clXXll. Laqueslioii monétaire, par D. Zolla.
LA CRISE MONÉTAIRE l65
partiellement la baisse du change de riinitc monétaire.
« y Beaucoup de personnes admettent a priori que
les exportations des pays à étalon d'argent se sont
rapidement développées, de telle sorte que les énormes
quantités de marchandise ainsi jetées sur les marchés
à étalon d'or ont déterminé la baisse des prix.
« Cette conséquence, déduite d'une théorie abstraite
n'a pas été vérifiée.
« 4° Enfin, on a dit que la baisse du change rendrait
difficiles ou impossibles les exportations des pays à
étalon d'or vers les pays à étalon blanc. Cette consé-
quence est également en contradiction avec les faits. Les
importations dans l'Inde des marchandises provenant
des pays à monnaie d'or se sont accrues ; l'augmen-
tation de leur valeur totale en monnaie d'argent com-
pense la baisse du change, et les excédents d'exporta-
tions de rinde dans les pays d'Europe ont même
diminué, durant ces dernières années.
« Tels sont les traits saillants du commerce extérieur
d'un grand pays à étalon d'argent comme l'Inde, w
On voit avec quelle réserve il convient d'accepter les
conclusions, trop absolues et trop pessimistes, de ceux
qui croient pouvoir attribuer la baisse générale des
prix en Europe à la concurrence des pays d'Orient où
l'argent constitue l'étalon monétaire.
Sans doute, l'étude des faits relatifs au commerce
extérieur de l'Inde ne saurait permettre de porter un
jugement définitif sur les conséquences économiques
de la baisse du change dans les pays à étalon d'argent.
Mais, restreinte et limitée, notre enquête montre tout
au moins les dangers des solutions que le public accepte
i66 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
comme définitives. Elle prouve clairement, croyons-
nous, que la baisse de l'argent n'a pas exercé sur le
prix des produits agricoles européens, concurrencés
par ceux de l'Inde, l'influence qu'on a tant exagérée
pour pouvoir expliquer l'impuissance des tarifs protec-
teurs.
Quelle est donc, en définitive, la cause de la baisse
dont nous souffrons ? — Cette cause n'est point unique.
Le développement extrêmement rapide de la produc-
tion est le trait caractéristique de la période que nous
traversons. Dans le monde entier, la quantité des pro-
duits agricoles obtenus s'est accrue ; partout, au môme
moment, les moyens de communication sont devenus
plus nombreux et les frais de transport moins élevés.
L'activité industrielle des vieux pays, le besoin crois-
sant de s'ouvrir des débouchés nouveaux a précipité ce
mouvement et accéléré le développement de la produc-
tion agricole dans les colonies. Pour devenir des con-
sommateurs de produits européens, les peuples de
l'Orient et les colons de la métropole doivent donner
quelque chose en échange. Que pourraient-ils fournir,
si ce n'est précisément des denrées alimentaires ou des
matières premières capables de faire concurrence aux
produits similaires de l'Europe ? Dans notre empire
colonial, devenu aujourd'hui si étendu, n'est-ce pas la
production agricole que l'on s'efforce de développer,
non seulement pour suffire aux besoins des colons
eux-mêmes et des populations indigènes, mais encore
pour rendre possibles les échanges des produits colo-
niaux contre ceux de la mère-patrie ?
La baisse des prix résulte nécessairement de ces faits.
L'AGRICULTURE ET L'IMPOT 167
Elle est également liée à l'augmentation du pouvoir
d'achat de l'or, et, dans une certaine mesure, à la baisse
du change dans les pays à monnaie dépréciée. Il n'est
pas possible d'assigner à ces causes diverses leur
importance relative. Prétendre que l'une de ces causes
agit seule et se refuser à reconnaître l'action qu'exer-
cent toutes les autres, c'est commettre la plus grave
erreur.
III
L'Agriculture et l'Impôt.
Un certain nombre de publicistes et d'hommes poli-
tiques ont accrédité, à ce propos, une légende : l'agri-
culture, selon eux, serait accablée par l'impôt. Voici
comment on peut résumer cette opinion.
« Le cultivateur est la bête de somme du budget.
Nous avons cherché ce que chaque industrie, ce que
chaque classe de contribuables paye pour loo de son
revenu. A la suite de ces recherches, des chiffres ont
été produits à la tribune qui jettent un grand jour sur
les inégalités de notre régime d'impôts où V Agricul-
ture est plus chargée que toutes les autres branches de
notre activité nationale.
u Voici ces chiffres accusateurs :
La propriété rurale (l'auteur disait tout à 1 heure
l'agriculture), non compris les impôts de con-
sommation, paye . '^j p. 100
La propriété immobilière urbaine payait en 1889 . 17 —
Les valeurs mobilières 4.7 —
Le commerce et l'industrie i3 —
Les salaires, les gages et les traitements .... 7 —
i68 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
« De tels chiffres prennent notre régime fiscal en fla-
grant délit d'iniquité ! »
Un homme politique très connu calculait ainsi les
charges de l'industrie agricole :
Contribution sur la propriété non bâtie. . 196 millions.
— — bâtie. ... 3o —
— personnelle et mobilière . . 61 —
— portes et fenêtres 3o —
Prestations 58 —
Impôts du timbre et de l'enregistrement . 355 —
721 millions.
Quant au revenu net agricole, correspondant à ces
charges fiscales, il s'élèverait, d'après la même per-
sonne, à 2.645 millions, et l'agriculture acquitterait
sous forme de taxes 27 p. 100 de son revenu !
Ce calcul est inexact pour deux raisons :
1° L'auteur ne tient pas compte de toutes les charges
fiscales et notamment des impôts indirects autres que
ceux du timbre et de l'enregistrement ;
2** Il évalue à 2.645 millions le revenu net agricole,
c'est-à-dire l'ensemble des revenus de la population qui
acquitte les impôts dont le montant est précédemment
indiqué. Ce chiffre de 2.645 millions est inexact, et bien
inférieur au total véritable des revenus de la population
agricole. L'erreur ainsi commise conduit l'auteur à une
conclusion fausse.
Nous ne pouvons pas songer à étudier cette question
dans ses détails; nous avons, d'ailleurs, publié à ce
propos, un travail étendu (i). Contentons-nous d'en
reproduire les conclusions.
(i) Voir nos Etudes d'économie rurale. Paris-Masson, 1896.
V AGRICULTURE ET L'IMPOT 169
Nous estimons que les charges fiscales de la popula-
tion agricole peuvent être ainsi évaluées :
Impôts directs 142.800.000 fr.
Droits de timbre et d'enregistrement. 101.200.000 —
Impôts des boissons 65.3oo.ooo —
Autres impôts indirects et produit
des monopoles de l'Etat 3'}4iooooo —
Total. . . . 663.400.000 fr.
Pour savoir quel est le poids relatif de ces impôts, il
est, maintenant, indispensable de déterminer avec une
approximation suffisante les différents revenus sur les-
quels ils sont prélevés. Nous ne parlons ici, jjien
entendu, que des revenus provenant de la terre, de sa
location ou de son exploitation, des gages et des salaires.
S'il nous fallait chercher à déterminer la richesse véri-
table des agriculteurs, supputer le nombre des valeurs
mobilières françaises ou étrangères qu'ils possèdent, y
joindre le total des dépôts faits dans les caisses d'épar-
gne, et la hauteur des piles d'écus rangés dans les
armoires, nous ne pourrions pas aboutir à une conclu-
sion. Nous aurions également pour devoir, de tenir
compte des impôts qui peuvent grever la richesse
acquise, comme la taxe de 4 P* loo sur le revenu des
valeurs mobilières. Un pareil travail est au-dessus de
nos forces.
Nous croyons simplement que les revenus visibles
de la population agricole sont constitués : i° par la
valeur locative (ou revenu net) des propriétés rurales,
déduction faite des charges déjà calculées qui la grèvent;
1° par les profits réalisés par les entrepreneurs de cul-
ture^ propriétaires-cultivateurs, fermiers et métayers ;
170 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
3° par les salaires et gages prélevés eux aussi sur le
produit brut de l'agriculture. Nous laissons de côté la
valeur locative des habitations occupées par les journa-
liers propriétaires. Ce revenu sera compensé par une
omission toute volontaire que nous ferons tout à l'heure
en négligeant les charges relatives aux droits de muta-
tion ou transmission f|ui s'y rapportent.
Or, le revenu net des propriétés non bâties s'élevait,
en 1879, à 1 milliards 645 millions de francs. En faisant
subir à cette somme une réduction de 26 p. 100 pour tenir
compte très largement des effets de la crise actuelle,
il reste, environ, 1.984 millions. On doit ajouter à
cette somme 35o millions correspondant à la valeur
locative des bâtiments ruraux dont les charges ont été
comptées à part (i).
Les revenus de la propriété rurale s'élèvent donc
très vraisemblablement à 2.334 millions de francs.
Déduction faite des impôts montant à 286 millions, il
reste seulement un revenu disponible de 2.048 millions.
D'autre part, les bénéfices des entrepreneurs de cul-
ture sont évalués dans l'enquête agricole de 1882 à
i.i55 millions de francs. Nous réduirons ce chiffre de
25 p. 100, pour tenir compte des conséquences de la
crise actuelle. Enfin, les gages et salaires, évalués
en 1882 à 4.i5o millions, n'ont probablement pas subi
de diminution sensible ; nous conserverons le chiffre
de 4 milliards.
(i) Nous ne discutons pas ici la question de savoir si les bâtiments
ruraux ont une valeur locative distincte de celle des terres. Ayant tenu
compte de l'impôt sur les propriétés bâties qui grève les bâtiments
ruraux, il nous paraît logique d'évaluer ici leur revenu.
L'AGRICULTURE ET L'IMPOT 17'
En résumé, les revenus disponibles de la population
agricole nous paraissent être les suivants :
francs.
Revenu des propriétaires 2.048.000
Prolits des exploitants 867.003
Gages et salaires 4.0:0.000
Total. . . . 6.915.000
Comparées à ce total, les charges fiscales, évaluées
par nous à 662 millions, représentent 9,5 p. 100 des
revenus, profits et salaires, prélevés sur le produit brut
de Tagriculture française.
Il nous semble que l'on pourrait maintenant examiner
la question des droits de transmission relatifs à la pro-
priété rurale. S'il ne nous paraît pas démontré que ces
droits, beaucoup trop élevés malheureusement, doivent
être retranchés du revenu net des héritages ruraux,
nous sommes d'avis qu'ils grèvent l'ensemble des
revenus des propriétaires et de la population des cam-
pagnes. On peut, en tout cas, les comparer aux revenus
que nous venons de calculer; c'est là, un renseigne-
ment utile et intéressant. Or, les droits de transmission
et de mutation par décès se rapportant aux immeubles
s'élevaient, en 1892, à 24^ millions.
La valeur des propriétés non bâties étant à peu
près double de celle des propriétés bâties, nous comp-
terons les 2/3 de ce chiffre à la charge des revenus
agricoles. On obtient ainsi i63 millions, en chiffres
ronds. Si l'on ajoute i63 millions aux 662 millions
déjà indiqués, les charges fiscales de la population
rurale s'élèvent à 825 millions de francs et représen-
172 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
tent 11,9 P- ïoo des revenus de la propriété rurale et
de l'agriculture.
En admettant môme que cette proportion soit trop
faible, et nous ne le pensons pas, on est loin d'arriver
à ces conclusions bizarres et douloureuses auxquelles
ont abouti ceux qui voudraient nous faire voir dans
l'agriculteur la « bête de somme » du budget. Pas plus
que le propriétaire rural, l'agriculteur n'abandonne au
fisc le quart de son revenu. Notre législation finan-
cière, malgré ses imperfections et ses erreurs ne doit
pas être accusée de la monstrueuse iniquité qu'on lui
reproche. Nous avons la ferme conviction qu'une répar-
tition réellement équitable des impôts ne fait pas peser,
en général, un trop lourd fardeau sur nos populations
rurales.
En tous cas, il nous paraît impossible d'admettre un
seul instant, que l'énormité des charges fiscales de
l'agriculture ait été la cause de la crise récente que
nous étudions en ce moment. Ces charges ne sont pas
excessives, et d'autre part elles ne se sont pas accrues
depuis vingt-cinq ans.
IV
Le développement de la production agricole dans le
monde et la transformation des moyens de trans-
port.
Ces deux questions sont si intimement liées l'une à
l'autre qu'il nous paraît difficile de les étudier séparé-
ment. Le développement de la production agricole eût
été, en effet, presque impossible dans la plupart des
LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS ij'i
« pays neufs » si les agriculteurs n'avaient pu faire
transporter leurs denrées jusqu'au marché le plus
proche, ou jusqu'au port le plus voisin. L'utilité / /
d'une route, d'un canal, d'un fleuve, d'un railvvay,
d'une flotte marchande, est presque évidente par elle-
même.
L'élévation des prix de transport a été également,
pendant fort longtemps, un obstacle insurmontable iau
développement de la production agricole, dont les élé-
ments sont constitués par des marchandises lourdes et
encombrantes relativement à leur valeur.
Une denrée comme le blé, qui vaut ou valait sur les
marchés européens de 20 à 3o francs le quintal, ne sau-
rait être impunément grevée de frais de transport très
élevés. 11 en est de môme pour les vins et les textiles
communs, les graines oléagineuses, les bois d'œuvre
ordinaires, et à plus forte raison pour le bétail dont le
rendement en viande ne dépasse guère 5o p. 100, ou
pour la viande elle-même, qui ne saurait être trans-
portée à de grandes distances si l'on ne dispose pas
à la fois d'appareils perfectionnés qui en assurent la
conservation, et de moyens de transport rapides et peu
coûteux.
Des tarifs élevés ou des frets considérables ne lais-
sent pas aux producteurs agricoles une marge de profits
assez large pour qu'ils puissent mettre en valeur des
territoires nouveaux.
Pour arriver à doter un pays comme les Etats-Unis
d'un réseau de chemins de fer, pour perfectionner les
moteurs, réduire les dépenses de construction des
navires à vapeur, etc., etc., il a fallu faire de longs
174 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
efforts, trouver les applications d'un nombre considé-
rable de découvertes scientifiques ; il a fallu, même,
attendre que Ton eût épargné et groupé des capitaux
énormes; à cet égard, le talent des financiers n'a pas
été moins utile que celui des ingénieurs, et le déve-
loppement de la richesse générale a seul permis de
faire les avances que nécessitait l'outillage mécanique
dès « pays neufs ».
A la suite d'une évolution de plus en plus rapide, de
transformations incessantes et, en somme, de progrès
scientifiques, industriels, commerciaux et financiers
simultanés, les conditions anciennes de la production
agricole dans le monde ont été brusquement changées.
Nous disons : brusquement ; car cela est vrai. Le der-
nier progrès réalisé, la dernière transformation accom-
plie, tout change brusquement.
I. — Voyez ce qui s'est passé pour les Etats-Unis.
On ne comptait dans cet immense pays que 48.000 kilo-
mètres de chemins de fer en 1860 (i).
Voici la progression que l'on observe à partir de
cette date :
1870 83. 000 kilomètres.
1875 119.000 —
1880 149.000 — -
i885 206.000 —
1890 -267.000 —
1895 291.000 —
Ces milliers de kilomètres de railways ne servent
point seulement à assurer le transport des marchandises
dans les vieux Etats anciennement colonisés. Le chemin
(i) Voir le Statistical ahstract ofihe United-States.
LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS 173
de fer s'enfonce dans Fouest ; après avoir dépassé le
centre (i), il va jusque dans la vallée du Mississipi, et
plus loin encore, dans les plaines du Dakota. La popu-
lation s'accroît; elle se porte en même temps vers
l'ouest. Ce que Ton appelle les centres de population se
déplacent dans ce sens. Le lien est visible entre le déve-
loppement du réseau ferré et celui des surfaces mises
en culture.
Les frais de transport diminuent pendant que la pro-
duction agricole se développe.
Voici, par exemple, les frets (r>.) par le canal depuis
Buffalo, à Textrémilé du lac Erié, jusqu'au port de Ncm-
York, en utilisant l'Hudson-River :
PHIX
ANNÉES du transport
du bushel (3| de blé.
cpnls(4).
1870 9.1
1875 7-3
1880 6 5
i885 3.8
1890 3.8
1895 2.2
En prenant comme point de départ le port de Chicago,
la décroissance du fret jusqu'à New-York n'est pas
moins certaine :
(i) Expression consacrée par l'usage aux États-Unis, mais qui n'est
pas exacte au point de vue géographique.
(2) Statislical ahslract of the United-Stales. — Voir aussi les divci-s
Annual Reports of Board of Trades, pour New-York, Buffalo, Chi-
cago, Saint-Paul, Uululh, etc., etc.
(3) Le bushel équivaut à 36 litres environ.
(4) Le cent est la centième partie du dollar dont la valeur varie de
5 francs à 5 fr. 25 en or; mais ici nous avons dû tenir compte des
variations de change du dollar-papier, entre 1862 et 1878.
176 LES CAUSES DE LÀ BAISSE DES PRIX
PRIX
du transport du bushel
AN'>'ÉES de blé par les lacs
et le canal.
cents.
1870 17. II
1875 11.43
1880 12. 27
i885 5.85
1890 5.87
1895 4. II
Quant aux prix de transport par mer depuis Chicago
jusqu'aux ports européens, il est lui-môme devenu très
faible. Si nous prenons comme point d'arrivée les
docks de Londres, nous relevons les frets suivants par
100 livres (45 kil. 3oo) :
FRETS
A?iNÉES de Chicago à Londres.
cents.
1886 40
1887 39
1888 38
1889 »
1890 35
1891 42
1892 34
1893 37
1894 32
1895 33
Ce dernier chiffre de 33 cents par 100 livres de blé
correspond à 3 fr. 70 par quintal.
Sans nul doute, ce prix de transport n'est pas celui
qui grève le froment américain du lieu de production^
c'est-à-dire de la ferme elle-même, jusqu'au marché
européen. Il faudrait tenir compte en outre des dépenses
qui incombent au « farmer » américain pour amener
son blé jusqu'à un grand entrepôt de céréales, véritable
port de mer, comme Chicago ou Duluth. On oublie trop
LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS 177
souvent de faire cette observation et ce calcul, qui sont,
cependant, singulièrement importants.
Néanmoins la réduction des prix de transports inté-
rieurs depuis les villes des grands lacs jusqu'aux ports
atlantiques est incontestable et l'on ne saurait se refuser
à en admettre toute l'importance économique.
En outre, la multiplication si remarquable des voies
ferrées dans les «-randes réofions à céréales des Etats-
Unis et la mise en culture des terres qui bordent ces
voies ont permis de réduire également les dépenses de
transports intérieurs.
La conséquence fort naturelle de l'augmentation des
surfaces cultivées aux Etats-Unis et de la réduction
simultanée des frais de transport a été le dévelop-
pement extrêmement rapide de la production agricole.
Il y a lieu, toutefois, de faire ici une observation. La
population s'est accrue aux Etats-Unis, comme dans
beaucoup d'autres « pays neufs ». — Nous devons tenir
compte de l'accroissement de consommation coïncidant
avec l'augmentation de laproduction. G'estlà, d'ailleurs,
une observation générale d'un très réel intérêt. Il est
même indispensable d'insister sur le développement
parallèle de la consommation et de la production. Si,
dans les régions nouvellement cultivées du globe, l'ac-
croissement de la population avait été égal à celui de la
production, on comprendrait difficilement que les
exportations agricoles fussent devenues possibles et,
a fortiori, assez considérables pour provoquer une
baisse générale des prix.
D'autre part, l'augmentation de la population dans
les vieux pays n'a-t-elle pas été assez rapide pour que
ZoLLA. — La Crise agricole. ri
178 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
la consommation absorbât les excédents de production
des territoires nouvellement cultivés ? Dans ce cas^ la
demande serait restée égale h l'offre et le développe-
ment de la production des céréales ou des autres den-
rées agricoles ne saurait expliquer la baisse de leur prix.
Nous signalons avec impartialité cette hypolhèse ;
elle constitue, aux yeux de quelques statisticiens, une
objection sérieuse opposée à ceux qui voient dans le
développement rapide de la production agricole, depuis
vingt ans, la cause principale de la baisse des prix et
de la crise agricole.
C'est ainsi que sir R. GifFen constate tout d'abord un
accroissement considérable de la population dans le
monde, et le compare au développement de la produc-
tion agricole (i).
Voici le tableau dressé par lui :
Augmentation de la population, de la surface cultivée en céréales,
du nombre des têtes de gros bétail,
des moutons et des porcs, depuis vingt ans [dans le monde).
Population
Surface cultivée en blé
orge.
avoine
seigle
Têtes de gros bétail
— moutons .
— porcs. . .
Il y a
Aujour-
AUG.MENTATION
vingt ans.
d'iiui.
absolue.
p. 100
(Millions
d'habitants.'
366
462
96
26
(Millions d'acres.)
i33
i58
25
19
43
45
2
5
81
104
23
28
io5
100
— 5
— 5
(Millions de têtes.)
i54
211
57
37
4o5
478
71
18
80
lOI
21
26
(i) The real Agricultural development of the last Uventy years, by
sir R. Giffen. — Appendix to the final Report of Commissioners
apointed to inquire into subject of Agricultural dépression, p. 73 et
seq., Londres, 1897.
LA PRODUCTIOy ET LES TRANSPORTS 179
On voit, par exemple, que la population s'est accrue
de 26 p. 100, tandis que la surface cultivée en blé n'a
augmenté que de 19 p. 100. Sir R. GifFen en conclut
que la baisse des prix du froment lïest pas due à un
développement considérable de la production relative-
ment à l'accroissement du nombre des consommateurs.
Il admet, au contraire, que la consommation aurait dû
s'accroître plus rapidement que la production puisque
le chiffre de la population a augmenté de 26 p. 100 tan-
dis que la surface cultivée en froment n'augmentait que
de 19 p. 100.
Quelle serait donc la cause de la baisse des cours du
blé ?
Sir Giffen admet que l'on consomme aujourd'hui
moins de blé, mais, en revanche, plus de viande. Il y
aurait substitution d'un aliment à un autre aliment, et
ce phénomène serait expliqué par le développement
général de la richesse.
Le nombre des têtes de gros bétail s'est accru, en
effet, de 87 p. loo, pendant que la population humaine
augmentait de 26 p. 100 seulement.
C'est là une vue ingénieuse, mais nous ne croyons
pas qu'elle soit juste, ou du moins entièrement
juste.
Voici, en effet, avec quelle rapidité les Etats-Unis
ont développé leurs exportations de froment — grains
et farines — après avoir gardé ce qui était nécessaire
à la consommation intérieure :
l8o LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
EXPORTATIONS
annuelles de froment
PÉRIODES des Étals-Unis
(grains et farines).
mill. d"hoctol.
1860-1869 6.2
187O-1879 18.3
1880-1889 ,. 44.3
1890-1896 5o.6
Comparons, maintenant, le mouvement de la popu-
lation aux chiffres des exportations de froment :
POPULATION MOYENNE EXPORTATIONS
des de froment
deux années extrêmes. (millions d'hectolitres).
PÉRIODES p. 100 p. 100
Absolue. on Absolues. en
1800-1800. 1800-1809.
1860-1869. ... 35 100 6.2 100
1870-1879. ... 44 1^5 18.3 295
1880-1889. ... 56 160 44.3 714
1890-1896. ... 66 188 5o.6 816
Il est clair que Taccroissement des excédents de pro-
duction exportés a été plus rapide que le développe-
ment de la population.
On peut dire^ maiiitenaiit^ que la demande est restée
égale à V offre puisque les énormes exportations de fro-
ment des États-Unis ont trouvé des acheteurs.
C'est l'évidence même ; et sur ce point, sir R. Giffen
a certainement raison.
Mais il s'agit de savoir si la consommation du fro-
ment, comme celle de beaucoup d'autres produits agri-
coles, ne s'est pas développée parce que de grandes
quantités de denrées jetées au même moment sur le
marché du monde ont déterminé une baisse qui a solli-
cité les demandes.
LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS i8l
Il est donc fort possible que les choses se soient
passées de la façon suivante :
« Le développement des voies de communication
coïncidant avec l'augmentation de la production a
déterminé un apport considérable de denrées agri-
coles sur les marchés des vieux pays riches et pro-
voqué une baisse qui a sollicité et étendu la consom-
mation.
« Ces débouchés une fois ouverts , et lesfrais de
transports s'abaissant, en môme temps, la production'
s'est développée de plus en plus rapidement, provoquant
une baisse nouvelle en sollicitant la demande avec un
succès croissant. »
On serait probablement, arrivé assez vite au point où
la baisse des prix sur les lieux de production aurait
découragé les agriculteurs et arrêté le développement de |
la culture ; mais la décroissance simultanée et rapide
des frais de transport a permis de payer les denrées
assez cher pour que la mise en valeur de nouvelles
régions restât possible parce qu'elle était encore lucra-
tive.
Nous trouvons une confirmation très intéressante d&
cette hypothèse dans l'étude de la marche des prix à
Y Ouest des États-Unis.
Ces variations de cours n'ont point été sembla-
bles à celles que l'on observait au même moment
dans les Etats de l'Est ou sur le marché de New-
York.
Quel a été par exemple, le prix du bushel (i) de blé
(i) Bushel d'environ 36 litres.
iSa LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
— en or (i) — depuis 1867 jusqu'à 1894, dans TEtat de
Pensylvanie, qui est un des vieux États de TEst ancien-
nement colonisés ?
Les prix indiqués sont ceux des principaux mar-
chés.
PRIX
du boisseau de blé
PÉRIODES (en or) '
en Pensylvanie.
dollar-or.
1867-1873 i.35o
1874-1880 1.161
1881-1887 0.998
1888-1894 0.847
En ramenant à 100 les chiffres de la première période,
on obtient les résultats suivants :
PÉRIODES PRIX
1867-1873. , 100
1874-1880 85
1881-1887. . .' "73
1888-1894 62
Ainsi le prix du froment a baissé de 38 p. 100 depuis
la première période jusqu'à la dernière.
Cela prouve-t-il que dans les États américains^ et
notamment dans Vouest^ il en ait été ainsi? Nallement ;
et voici, par exemple, les observations observées dans
Vlowa. — Il s'agit ici encore des cours pratiqués sur
les principaux marchés ruraux :
(i) Les prix sont cotes d'après la valeur du dollar en or, de façon à
éliminer les causes d'erreur provenant des variations du change depuis
1862 jusqu'en 1878. Nous indiquons plus loin les sources auxquelles
nous puisons.
LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS i83
PRIX
du boisseau de blé (en oc).
PKRIODES - ' ~ ^-
dollar-or p. 100.
1867-1873 0.725 100
1874-1880 0.734 lOI
1881-1887 0.690 95
1888-1894 0.724 100
Dans cette région, la valeur absolue du boisseau de
froment est plus faible qu'en Pensylvanie ; il faut tenir
compte, en effet, du coût de transport depuis les lieux
de production jusqu'aux grands marchés de l'est, mais
la marche des prix est toute différente.
On n'observe plus de baisse!
La réduction des frais de transport, a probablement,
compensé la diminution sur les marchés de l'est, où les
blés de Cîowa sont portés.
Ce qui nous autorise à le supposer, c'est que les
différences constatées entre les prix du blé en Pensyl-
vanie et dans l'iowa diminuent rapidement.
En voici la preuve :
PKI.V
eu dollar-or du boisseau
PÉRIODES J"" ^^^- DIFFÉRENCES
New -York. lowa.
1867-1873 i.35o 0.725 0.625
1874-1880 0.161 0.734 0.427
188 1 -1887 0.998 0.690 0.408
1888-1894 0.847 0.724 O.I23
Le contraste curieux qui s'observe entre la marche
des prix dans l'iowa et la Pensylvanie, peut être cons-
taté également si l'on prend comme exemples l'Etat de
New- York à l'est et le Minnesota à l'ouest.
Voici les prix du boisseau de blé dans ces deux
i84 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
régions et les différences relevées entre eux depuis
1867 jusqu'à 1894.
PRIX
eu dollar
-or du
boisseau
de blé,
DIFFÉRENCES
.^-.'^d
^ —
Xew-York
Miiiucsola.
1.434
0.723
0.709
i.i8i
0.790
0.392
I .OO'l
0.716
0.286
0.912
0.685
0.226
PERIODES
1867-1873
1874-1880
1881-1887
1888-1894
Il est clair que les cours du froment sont restés
presque stationnaires dans le Minnesota pendant qu'ils
diminuaient rapidement dans l'Etat de New-York. On
voit également que les écarts de prix subissent des
diminutions considérables à mesure que l'on se rap-
proche de la dernière période.
Il est fort probable que la réduction des frais de
transport explique ce nivellement des prix.
Prenons, enfin, comme exemple, un autre Etat de
l'ouest dans lequel la baisse du blé ait été plus mar-
quée.
Voici la marche des cours dans l'Illinois et l'Etat de
New-York :
PÉRIODES
1867-1873
1874-1880
1881-1887
1888-1894
Pour rendre plus visibles les variations de prix, nous
ramènerons à 100 les cours de la première période :
PRIX
en dollai
•-or
du
boisseau
New-York,
do
blé.
Illinois.
DIFFÉRENCES
1.434
0.987
0.447
1.182
0.911
0.271
1 . 002
0.824
0.178
0.912
0.714
0.198
LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS i85
PÉRIODES NEW-YORK ILLINOIS
1867-1873 100 100
1874-1880 82 9i
1881-1887 69 85
1888-1894 63 72
Il est visible que la baisse a été plus rapide et plus
accentuée dans Test que dans l'ouest, dans l'Elat de
New-York que dans Flllinois. La réduction des prix de
transport peut certainement expliquer ce contraste.
Voici en effet, quels ont été les frais de transports de
Chicago (Illinois) jusqu'au port de New-York :
FRAIS DE TRANSPORT
PÉRIODES par boisseau de blé
— en cculs (valeur or) (1)
1867-1873 17 100
1874-1880 12 70
1881-1887 10 58
1888-1894 8 47
Cette rapide diminution des « railways tariffs » et des
frets ne s'applique pas seulement aux grains.
Comparons les prix de transport pour le bétail
de Chicago à New-York, à deux dates fixes, 1880 et
1897 ('-^) :
(i) La valeur or du dollar en papier a varié dans des limites éten-
dues depuis 1862 jusqu'à 1878. Nous empruntons les chiffres relatifs
à la valeur or et les indications relatives aux prix des céréales, à un
travail très intéressant de M. Powers, Commissionner oflahor of the
State of Minnesota. — Voir Fifth biennal Report of the bureau of
labor of the State of Minnesota (i 895-1896).
(2) Au cours d'un récent voyage aux Etats-Unis, nous avons réuni
un grand nombre de documents sur ces questions. On peut consulter
également : Statistical abstract of the U.S.; Year-Book of the départ,
of agr., et les Rapports annuels des chambres de commerce (Board of
trade) des grandes villes de l'est ou de l'ouest américain.
i86 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
PRIX EN CENTS
par 45 kil. BAISSE
1880 1897 p. 100.
Gros bétail 55 28 49 p. loo
Porcs 43 3o 3o —
Moutons 65 3o 53 —
Quartiers de bœuf .... 88 45 48 —
Ces réductions sont considérables, elles varient de
3o à 53 p. 100 dans Fespace de dix-sept ans ! La décrois-
sance des tarifs sur voie ferrée est également remar-
quable. Voici, encore, à titre d'exemple et de document,
les variations des prix moyens de transport par mille
(1610 mètres) et par tonne sur les grands réseaux amé-
ricains.
PRIX
pai' tonne cl pai" nulle.
1880 189G
cents. cents.
!'■'' compagnie 1.36 o.8tj
'±*^ — 1.20 0.94
3" — 0.87 0.66
4° — 0.83 0.60
^^ — 0.75 0.55
6* — 0.91 0.56
7° — 0.75 0.G6
8« — 0.86 0.42
9" — 1-54 0.74
lo'^ — 1.20 I.OI
Il suffit de comparer les chiffres inscrits dans ces
deux colonnes, sur une même ligne horizontale, pour
constater la réduction, parfois énorme, des tarifs de
transport.
Conclusion. — Une conclusion s'impose, en présence
de ces transformations des moyens de transport et de
leurs prix :
LA PRODUCTIOy ET LES TRANSPORTS 187
Nous croyons que la production agricole des
régions nouvelles n'a pas été limitée et môme brusque-
ment arrêtée par la baisse des prix sur les marchés des
pays importateurs.
La réduction des tarifs et des frets a compensé
cette baisse des prix et le développement de la mise
en valeur des territoires ouverts à la colonisation ne
s'est pas trouvé arrêté.
Dans un pays comme la France ou l'Angleterre,
nous n'observons pas de pareils faits. Le territoire est
trop resserré et les écarts de prix désormais trop
faibles de régions à régions pour que la situation du
producteur agricole ne soit pas immédiatement affectée
par une baisse de prix constatée sur divers points et
qui devient aussitôt générale.
Il n'en est pas de même dans des « pays neufs », où
des distances considérables séparent les centres de
production des entrepôts principaux ou des ports.
Dans ces pays, la réduction des frais de transport
explique fort bien le développement presque continu
de la production agricole.
L'influence exercée par les faits sur la marche géné-
rale des prix nous paraît certaine.
C'est l'action combinée du développement de la
production et de l'abaissement des frais de transport
qui explique la baisse des cours.
2. — Les observations et conclusions qui précè-j
dent se rapportent surtout aux États-Unis, mais, en^
fait, elles ont une portée générale. C'est, toujours, le
développement ou l'amélioration des moyens de trans-
port et la réduction des frais correspondants qui
i88 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
l'ont entrer en scène des pays producteurs nouveaux.
Voici l'Inde, dont il a été si souvent parlé à propos
de la concurrence des pays à étalon d'argent.
« Jusqu'à l'ouverture du canal de Suez, dit M. 0.
Gonor, le commerce du blé de l'Inde était impossi-
ble. La durée et les frais de transport par la route du
cap de Bonne-Espérance avaient pour conséquences
d'exagérer le prix de revient du blé indien à son arrivée
dans les ports d'Europe et d'exposer cette marchandise
aux pertes résultant des charançons (i). »
J usqu'en 1 880, Bombay et Kourrachi ne sont pas encore
reliés par un railway à la grande région de céréales du
nord-ouest ; les exportations ont lieu par Calcutta et
restent faibles. Elles se développent seulement après
1881, lorsque le canal de Suez est ouvert, et quand les
voies ferrées du nord sont achevées.
EXPORTATION
EXPORTATION
PÉRIODES
de blé indien.
PÉRIODES
do blé indien.
1873 . . .
Millions de quint.
1888-1889 •
Milliers de quint
8.800
1877 . . .
3.000(2)
1889-189O .
6.800
ï88i-i88ii .
9.900
189O-189I .
7. 100
1882-1883 .
7.900
1891-189'i .
i5. 100
1883-1884 .
10.400
1892-1893 .
7.400
i884-i885 .
7.000
1893-1894 .
6.000
i885-i886 .
lo.Soo
1894-1895 .
3.400
1886-1887 .
II .100
1895-1896 .
5.000
1887-1888 .
6.700
Il ne faut pas exagérer l'importance de ces exporta-
tions, et surtout il n'est pas permis d'en attribuer
(i) Review of the trade of India (1891-1892).
(2) Suppression des droits d'exportation.
LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS 189
exclusivement le développement à la dépréciation de
l'argent. Mais on voit que les transformations des
moyens de transport ont exercé sur la production agri-
cole de l'Inde leur influence habituelle.
Malgré la baisse des prix du blé sur les marchés
d'exportation comme Bombay, Calcutta et Kourrachi,
la culture de cette céréale reste possible ; l'exportation
n'est pas négligeable. Dans certaines régions, comme
le Pendjab, où l'on a fait de grands travaux d'irrigation,
la surface cultivée en froment s'est môme accrue :
SURFACE
PÉRIODES culliv<:'e en blé (i)
dans le Pendjab
Millions d'acres (40 ares).
1888-1889 6.9
1890-1891 6.2
1892-1893 7.0
1893-1894 8.2
1894-1895 8.0
Bien que la situation de l'Inde ne soit nullement
comparable à celle des Etats-Unis, où la population
peut s'étendre sur d'immenses espaces restés sans cul-
ture, il n'est pas impossible que l'on constate dans cer-
taines régions de l'empire des Indes une diminution
rapide des frais de transport, qui compense, au moins
partiellement, la baisse du prix des blés à l'exportation.
Voici d'autres renseignements empruntés à un article
très intéressant de M. G. Michel dans l'Économiste fran-
çais (i I août 1894).
Le tableau suivant résume les réductions successives
(1) Voir Appendix to final Report of Commissioners on Agricultural
dépression, p. 95. (Renseigacmeuts fournis par VIndia office, de Lon-
dres.)
igo LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
subies par les frets dans la direction de l'Inde et de la
Chine au départ de Marseille. Ces réductions permet-
tent sans doute de préjuger de celles qu'on a observées
pour les voyages en sens inverse :
87 a
873
874
873
876
877
878
879
FRHT
par 1.000 kil.
francs.
325
260
216
223
2o3
191
i83
159
171
883
884
886
887
888
FKET
par 1.000 kil.
francs.
iSg
i5o
142
107
91
104
98
94
86
3. — Il n'est pas, non plus, permis d'oublier que le
développement de la production du froment a été consi-
dérable dans d'autres pays que les Etats-Unis et l'Inde.
Les exportations constatées se sont accrues rapidement
depuis 1870. Le Chili et la République Argentine sont
aujourd'hui des pays exportateurs.
Sans entrer dans de longs détails, nous nous conten-
terons de résumer les chiffres relatifs aux exportations
du Canada, de l'Australie, du Chili et de la République
Argentine, en regard de ceux qui se rapportent aux
États-Unis et aux Indes.
Excédents d'exportations de froment {grains et farines], en quintaux,
des pays ci-après {millions de quintaux) :
République
Années.
Etals-Unis.
Canada.
Indes.
Auslralic.
Chili.
Argentine.
—
—
—
—
—
—
—
1870 .
. 14.4
»
))
»
»
»
1875 .
20.7
I .2
0.5
I .2
»
»
1880 .
50.7
3.4
I.I
1.8
»
»
LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS
191
République
nnées.
États-Unis.
Canada.
Indes.
Australie.
Chili.
Argentine.
1881 .
33.3
2.5
3.7
1-7
))
»
i88'i .
39.0
1.8
10. 0
1.6
1.4
M
i883 .
3o.3
3.0
7.2
1.6
»
))
1884 .
36.1
0.8
10.6
3.1
»
»
i885 .
36.1
0.4
7-9
3.5
I . I
0.8
i886 .
25.7
I . I
10.6
0.2
1.3
0.4
1887 .
41.8
1-9
II. 3
1 .2
1 .2
2.4
1888 .
32.6
t>-9
6.9
3.3
0.9
1.8
1889 .
24.3
»
8.9
0.2
0.4
0. 2
1890 .
3o.o
»
7.5
3.6
0.3
2.4
1891 .
29.0
0.8
i5.6
))
1-7
3.9
1892 .
60.7
2.8
79
»
1.6
4.9
1893 .
52.2
•^■9
6.5
0.4
1.8
10.6
1894 .
44.7
30
3.8
0.4
1 . 2
16.6
1895 .
39-4
2.4
5.4
»
0.8
10.8
1896 .
34.2
2.7
»
»
1.4
6.8'
Dans la République Argentine, notamment (i), le déve-
loppement de la production a été prodigieux depuis
quelques années,
ANNÉES PRODUCTION
Milliers de quintaux
1889 456
1891 7900
1892 9. 400
1893 20. i6o
1894 . 32. 160
Les pays dont nous venons de parler sont devenus
exportateurs depuis peu de temps, ou du moins leurs
envois n'ont acquis une très grosse importance que
depuis peu d'années.
(i) Voir les modifications fournies dans le Filial Be port on Agricul-
tural dépression, p. 58, Londres, 1897.
192 LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX
Il ne faut pas oublier qu'en Europe môme, la Russie,
la Hongrie, les pays du Danube peuvent jeter sur leurs
marchés des masses considérables de froment.
Nous avons à tenir compte également des exportations
de TEgyple, de l'Algérie et de la Tunisie.
Or, le développement parallèle de la production et de
Texportationpour ces divers pays n'est certes pas négli-
geable.
Voici quelques indications à cet égard.
EXCÉDENTS MOYENS AÎNNUELS
exportés des pajs ci-après
(milliers de quintaux).
Russie
Auli'icli(î-Hongiio
Roumanie . . .
Serbie
Bulgarie ....
Egypte ....
Algérie ....
Tunisie ....
L'augmentation est presque toujours très notable
d'une période à l'autre.
Gomment de pareils faits n'auraient-ils pas exercé une
influence sur la marche des prix du blé ?
4. — Nous nous sommes jusqu'à présent occupé
surtout du froment parce que l'on attache une impor-
tance toute spéciale aux fluctuations de son prix. Mais
le développement de la production des autres den-
rées agricoles n'a pas été moins remarquable à cer-
tains égards que l'accroisseinent des récoltes de fro-
ment.
.877-1882
1887-t8y2
17.614
■iS .910
913
4.103
3.5oi
7.884
'ii6
595
1.585
3.092
800
226
738
I .730
i38
i38
LA PRODUCTION ET LES J RANSPORTS igS
Sans doute, la culture des autres céréales n'a pas pris
la même extension. Nous avons signalé la raison de
cette préférence accordée au froment. Cette céréale est
celle qui permet d'obtenir par hectare le produit brut le
plus élevé et les profits nets les plus considérables dans
la plupart des cas.
En revanche, on a vu augmenter la production des
pommes de terre. Sir R. Giffen évalue à 3o p. loo le
seul accroissement des surfaces cultivées.
La culture de la betterave à sucre a pris également
un si grand développement que la baisse du prix du
sucre ou de l'alcool en a été la conséquence visible.
Il en est de même pour la plupart des textiles et des
graines oléagineuses, surtout dans les pays extra-euro-
péens.
Les ravages du phylloxéra ont diminué la production
des vignobles français, mais on a étendu la culture de
la vigne en Italie, en Espagne^ en Algérie et en Tuni-
sie, etc., etc.
En 1894, année de récolte moyenne, la production des
principaux pays était ainsi évaluée :
Millions d'iiectolilres.
Frauco Sg.o
Algérie 3.6
Tunisie o . i
Italie 24.5
Espagne 24.0
Portugal 1.5
Autriche 4.0
Hongrie 2.0
Allemagne '. . 5.0
Russie 3.5
Turquie et Chypre 1.8
Suisse 1.8
Grèce . 1.3
ZoLLA. — La Crise agricole. i3
194 LA PRODCCriON ET LES TRANSPORTS
Cette abondance effraie nos viticulteurs, qui s'effor-
cent d'écarter les vins étrangers du marché français.
Avant le développement des voies ferrées, le trans-
port des vins était fort coûteux. Il n'en est plus de même
aujourd'hui. Quant aux frets maritimes, ils sont extrê-
mement réduits. M. G. Michel cite, à ce propos, des
exemples très curieux. Ainsi la barrique de Bordeaux
valant de loo à i5o francs est transportée en Angleterre
pour 2 fr. 5o ou 3 francs. Or, cette barrique contient
220 litres : le prix du litre est donc majoré dans des pro-
portions quasi infinitésimales. On peut juger par là de
la modicité des frets en ce qui concerne les transports
des vins italiens, espagnols et autres.
Les bois communs eux-mêmes, bois de chêne, de
hêtre, de sapin, etc., peuvent être transportés aujour-
d'hui à bas prix des lieux de production sur les marchés
de vente.
D'immenses forêts qu'il était impossible d'exploiter
autrefois sont soumises depuis vingt ans à un aména-
gement régulier. Au cours d'un récent voyage d'études
en Bosnie, nous avons visité de véritables forêts vierges
de résineux, de bois blancs et de chênes qui sont sou-
mises à des coupes régulières, parce que l'on a cons-
truit les chemins forestiers, établi les chemins de fer
qui conduisent ces bois en Autriche ou du côté des
ports de l'Adriatique.
Les mêmes transformations des moyens de transport
ont permis de livrer à la consommation des richesses
forestières d'une puissance plus grande encore. Aussi
voyons-nous diminuer le prix des bois. Nos proprié-
taires forestiers se plaignent de cette baisse. L'admi-
LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS igS
nistration des forêts signale une réduction de i5 p. loo
portant sur le prix des coupes domaniales. On voit en
même temps le fer remplacer les bois dans les cons-
tructions, et cette concurrence spéciale va probable-
ment précipiter la baisse d'un produit agricole fort
important.
Les fruits eux-mêmes peuvent être transportés à de
grandes distances sans que les frais élèvent démesu-
rément le prix de ces denrées.
Nous avons acheté à Londres au mois de juin, et
dans l'est des Etats-Unis au commencement de juillet,
des poires et des raisins de Californie, dont le prix
était fort raisonnable (o fr. oy5 à o fr. lo la pièce pour
les poires, o fr. 5o à o fr. 70 la livre (453 grammes) pour
les raisins).
En vérité, il n'est guère de miracles, en ce genre, que
la rapidité des transports et la modicité de leur prix ne
puissent opérer.
5. — Les mêmes observations s'appliquent à la pro-
duction et aux transports des produits d'origine ani-
male.
L'élevage du bétail et le commerce de la viande ont
pris depuis 1870 un développement extraordinaire.
Dans les pays neufs, on n'a pas tardé à s'apercevoir
que le bétail pouvait donner des profits ; mais les frais
de transport rendaient ces profits incertains et ne per-
mettaient de se livrer à l'élevage qu'auprès des voies
ferrées ou des ports d'embarquement.
La laine et les peaux, d'un transport plus facile,
ont été les premiers articles et d'exportation. L'Aus-
tralie, la Nouvelle-Zélande, la colonie du Gap, la
196 LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS
République Argentine ont augmenté leurs envois avec
une extrême rapidité. A l'heure actuelle, les -^— des
^ 100
laines employées en Angleterre sont des laines étran-
gères et 70 p. 100 de ces dernières viennent de FAus-
tralasie.
La réduction des prix de transport sur voies ferrées
ou par bateaux à vapeur a permis d'importer en Europe
du bétail, des viandes, des beurres, des fromages. 11
n'est pas jusqu'à la crème qu'on n'expédie en ce
moment de Nouvelle-Zélande en Angleterre pour y
être barattée à l'arrivée et servir à la fabrication du
beurre.
Rien de plus curieux que d'étudier la transformation
qui s'est opérée dans le commerce du bétail étranger
en Angleterre.
Avant 1876, c'était l'Europe qui fournissait les -^ des
animaux vivants (i) importés dans le Royaume-Uni. Les
États-Unis et le Canada ne pouvaient pas encore entrer
en scène. D'année en année cette situation se modifie :
NOMBRE POUR 100
des animaux vivants importés
en Angleterre.
ANNÉES - — , ■ —
Etats- Hépubl.
Unis. Canada. Argentine. Europe.
1876 O I O 99
1880 40 12 O 48
i885 37 18 o 45
1890 60 19 o 'Il
1895 67 23 9 I
Est-il donc possible, aujourd'hui, sans frais exagérés,
[i) Il s'agit du gros bétail (caille).
LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS 197
d'amener sur les marchés de Londres, de Liverpool ou
de Glasgow, des bœufs vivants ? La réponse n'est point
douteuse. Nous avons fait, nous-même, le voyage de
Londres à New-York sur un navire ayant une vitesse
moyenne de 24 '•^ ^5 kilomètres à Fheure, et qui ramène
à chaque voyage, de New-York à Londres, 5oo bœufs
vivants et l'équivalent de 5oo autres animaux dépecés
en quartiers et conservés dans des chambres frigori-
fiques. Quant aux frais de transport depuis Chicago
jusqu'à Londres, ils peuvent être ainsi établis par tête
d'animal.
fr. c.
Transport sur rails Chicago-New-York. . . 3) »
Nourriture à bord du navire i5 »
Fret New-York-Londres 5o »
Frais divers •!"> »
I '2 5 »
Le total varie généralement de ii5 à i4o francs.
Remarquons qu'il ne s'agit pas ici de quelques envois
de faible importance. Voici, à des dates différentes
depuis 1876 le nombre de têtes de gros bétail importées
dans le Royaume-Uni :
1876 •271.000
1880 389.000
i885 373.000
1890 642.000
1893 41 5. 000
On peut observer des faits analogues en ce qui con-
cerne les moutons vivants et les viandes fraîches pro-
venant des Etats-Unis, de l'Australie, de la République
Argentine, etc., etc.
Voici à titre d'indications les poids de viandes de
198 LA PRODUCTION ET LES TRANSPORTS
moutons envoyées en Angleterre et provenant d'Aiis-
tralasie ou de la République Argentine (en tonnes) :
RÉPUBLIQUE
ANNÉES AUSTRALASIE ARGENTINE
i88-2 ... ; i.85o »
i885 16.900 5.600
1890 44.83o 21.750
1895 83.55o 35.730
Nous avons signalé les eli'ets de ces importations sur
les cours des viandes de dernière qualité (i).
6. — Il nous paraît inutile de reproduire ici les sta-
tistiques relatives au développement de la production
du beurre et des fromages dans les colonies anglaises,
comme la Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis, etc., etc.
Insistons seulement sur un fait qui a la plus grande
importance.
On croit communément en France que dans les
régions nouvellement cultivées comme le Far-West
américain, on cultive seulement du blé. C'est là une
erreur. Même dans le Dakota, au milieu de la vallée
de la rivière Rouge, on varie les cultures qui se
succèdent les unes aux autres. Bref on a adopté un
assolement. En outre, l'élevage du bétail prend chaque
année une importance croissante. Ce bétail vit sur les
jachères, fume le sol et en utilise les productions
spontanées pendant une partie de l'année.
Dès que les voies de communications ont été multi-
pliées et les prix de transport réduits, la production du
blé devient de moins en moins importante quant aux
(i) Voir notre chapitre sur la baisse de prix des produits d'origine
animale.
LA PRODUCTION &T LES TRAySPOIÎTS 199
surfaces ensemencées, et c'est encore au bétail que Ton
demande des produits plus abondants, des profits plus
élevés.
Ges combinaisons intelligentes permettent de réduire
le prix de revient du blé et de compenser l'insuffisance
des recettes qui proviennent de sa culture.
Elles permettent également d'obtenir des récoltes,
d'ailleurs médiocres, — nous les avons vues, — mais
assez régulières, sans épuiser le sol.
Autour des villes de l'ouest, près des voies ferrées,
s'établissent des fromageries, des beurreries, quelque-
fois même des ci'èmeries où l'on sépare la crème du
lait. La crème seule est ensuite expédiée dans des
établissements voisins pour y être travaillée.
GOiNGLUSlOxN GÉNÉRALE
Il nous reste maintenant à formuler nos conclusions,
et cette tâche nous parait relativement facile.
Peut-on admettre, en effet, que la prodigieuse trans-
formation à laquelle nous assistons depuis vingt ans,
en ce qui concerne la production agricole et les trans
ports, soit restée sans effets sur le cours des produits ?
Cette opinion est certainement dépourvue de toute
valeur scientifique.
En supposant que des causes spéciales, telles que
« l'appréciation » de l'or aient exercé une influence
dans le même sens, il nous paraît certain que le déve-
loppement rapide de la production agricole et la réduc-
tion des frais de transport ont provoqué la baisse des
prix et donné naissance à la crise agricole.
CHAPITRE TROISIEME
LES REMÈDES
Il ne suffît pas évidemment, de rechercher et de
signaler les causes de la Crise Agricole. Le public désire,
surtout, savoir quels remèdes on peut y apporter.
L'un des premiers et le plus souvent préconisé n'est
autre que la protection douanière. On Ta indiqué
maintes fois depuis les débuts de la crise, c'est-à-dire,
depuis vingt-cinq ans et les agrariens en ont partout
exigé l'application.
Nous allons donc étudier les effets qu'ont produit
dans notre pays les modifications de notre législation
douanière.
La législation douanière et la crise agricole.
On s'est efforcé dans notre pays de relever le cours
des grains, en frappant à l'entrée les céréales étran-
gères. Ce résultat n'a pas été atteint puisque l'on cons-
tate que les prix ont fléchi, mais le législateur est
cependant parvenu à limiter ou à atténuer la baisse, car
le niveau moyen des prix est plus élevé en France que
dans les pays comme l'Angleterre où les grains pénè-
202 LA PROTECTION DOUANIÈRE
trent sans acquitter de droits de douane. Ces droits
établis en France et successivement relevés ont donc
exercé une influence sur les cours. Ainsi nous avons
montré, à propos des variations de prix du blé (i), qu'il
existait un écart entre les cours du froment à Paris et à
Londres. Cet écart, qui s'ajoute aux prix français et les
rehausse artificiellement, est évidemment variable. Il
augmente ou diminue, soit avec l'importance des droits
de douane établis et remaniés depuis i885 jusqu'à 1894,
soit avec l'abondance des récoltes françaises. Parfois,
cet écart de prix est supérieur au montant du droit de
douane. Dans ce cas, le système, dit protecteur, déter-
mine une hausse artificielle qui constitue, chose curieuse,
une prime à l'importation ! A l'égard du producteur de
blé, orge, avoine, etc., le droit de douane équivaut à
une subvention. Celle-ci est proportionnelle, évidem-
ment, au nombre d'hectolitres vendus par l'agriculteur.
Il en résulte par conséquent que les agriculteurs plus
largement subventionnés sont ceux qui vendent les plus
grosses quantités de céréales et notamment de fro-
ment.
Ces faits étant connus et constatés sans discussion,
il est assez facile de calculer le montant de la subven-
tion annuelle accordée sous une forme indirecte et spé-
ciale aux producteurs de blé. Notons, tout d'abord, que
ces derniers ne vendent pas leur récolte tout entière.
Ils en conservent une partie ou ils l'utilisent pour
obtenir une récolte nouvelle.
Il est facile de faire cette double démonstration.
(i) Voir chap. i*^"", page 26 et suiv.
LA PROTECTION DOUANIÈRE uoi
Nos fermiers, nos métayers ou nos propriétaires-cul-
tivateurs mangent, en effet, du pain blanc, pour la plu-
part, tout au moins; enfin ils nourrissent leurs domesti-
ques. Ces mêmes agriculteurs sont, en outre, obligés soit
de mettre en réserve, soit d'acheter les semences indis-
pensables, pour « emblaver », — c'est le terme consacré
— les 7 millions d'hectares consacrés à la culture du
froment dans notre pays.
Les semences, à elles seules, représentent environ
i4 millions d'hectolitres de froment.
11 est moins aisé d'évaluer la consommation person-
nelle des entrepreneurs de culture, celle de leur
famille et de leurs domestiques. Tous ne consomment
pas du froment, cette céréale noble. Pour quelques-uns,
le maïs, le blé noir ou sarrasin, et le seigle représen-
tent la nourriture habituelle. Essayons cependant d'éva-
luer la consommation de froment.
On comptait en France (1892) :
Propriétaires cultivant exclusivement
leurs biens 2.199.000
Fermiers. 1.061.000
Métayers 344-000
Domestiques 1.832. 000
Total. . . . 5.436.000
Ce sont là des « travailleurs agricoles », comme l'in-
diquent nos statistiques et pour avoir le chiffre de la
famille correspondant à leur nombre, il faut multiplier
ce dernier par i,65, ce qui donne 8.969.400 personnes.
Admettrons-nous qu'il existe en France, 5.436. 000 -f-
8.969.400 = 14.405.400 personnes produisant et con-
sommant en même temps du froment? En aucune façon.
204 LA PROTECTION DOUANIÈRE
Sous le nom d'agriculteurs on comprend, en effet, beau-
coup de travailleurs et de producteurs de denrées agri-
coles qui ne cultivent pas de céréales. Est-ce que parmi
nos propriétaires-agriculteurs on n'en compte point
qui sont jardiniers, pépiniéristes, maraîchers, tous
gens qui travaillent la terre mais qui n'ont jamais fait
germer un grain de blé ? Est-ce que dans le midi de la
France et, en particulier, sur le littoral méditerranéen,
il n'existe pas des milliers de propriétaires qui cultivent
à peu près exclusivement leurs vignobles?
Si l'on voulait calculer le nombre réel des producteurs
de blé et surtout le nombre de ceux qui produisent
plus de froment qu'ils n'en consomment, il faudrait
retrancher probablement 3 ou 4 millions du chiffre de
14 millions que nous indiquions tout à l'heure. Pour ne
rien exagérer ou atténuer, nous le conserverons néan-
moins, car nous allons tenir compte tout à l'heure, très
largement, de la population qui assure ou complète sa
nourriture avec d'autres céréales que le froment.
Quelle est, en effet, la consommation moyenne
annuelle d'un Français en blé! Elle est, nous apprend
la statistique officielle, de 2 hectolitres 5o litres. Eh!
bien, admettons seulement le chiffre de 200 litres, soit
un cinquième en moins, puisque certains agriculteurs
se nourrissent de blé noir, de maïs, etc., etc.
Pour i4 millions de personnes, la consommation
s'élève à 28 millions d'hectolitres au minimum. En
ajoutant ce nombre à celui qui correspond aux semences
employées, soit i4 millions d'hectolitres, on trouve un
total de 42 millions. Or, notre production moyenne en
froment s'étant élevée annuellement de 1882 à 1892,
LA PROTECTION DOUANIÈRE 2o5
par exemple, à 109 millions d'hectolitres, si Ton en
déduit 42 millions absorbés par les semences et la
nourriture des entrepreneurs de cultures, de leurs
familles ou de leurs domestiques, il reste seulement
67 millions d'hectolitres. Tel est l'excédent disponible
que les producteurs de blé peuvent vendre et pour
lequel la protection dont ils jouissent se traduit par
une élévation du prix de vente. Cette plus-value est
variable, mais on peut la calculer en relevant les écarts
constatés entre les cours du froment en Angleterre et
en France, depuis l'établissement d'un droit de douane
de 7 francs dans notre pays (1894).
Nous avons déjà fait ce calcul. Nous le reprodui-
sons :
Écarts
entre les cours anglais
et français
par liectolitrc Je Ivomont.
fr. c.
1893-189Î 5 08
1894-1896 4 5i
1895-1897 4 72
Moyenne. ... 4 77
L'écart moyen ressort à 4 fr- 77- En multipliant par
ce nombre l'excédent disponible de 67 millions d'hecto-
litres que vendent réellement les producteurs de blé,
on trouve 819 millions de francs. Pour 7 millions d'hec-
tares cultivés en froment, cette somme représente une
prime annuelle de plus de 4^ francs par hectare.
Tel est le résultat financier de là protection doua-
nière, visiblement favorable aux intérêts des produc-
teurs de froment et des propriétaires ruraux. Il serait
possible de faire le même calcul en ce qui concerne la
206
LA PROTECTION DOUANIERE
prime accordée à la culture des céréales autres que le
blé.
Nous nous contenterons de parler de la législation
douanière applicable au bétail et de son influence sur
le prix de la viande.
Notre législation douanière a beaucoup varié depuis
une quinzaine d'années en ce qui concerne le bétail.
La politique protectionniste lui a été appliquée, ainsi
qu'elle l'avait été sous la Restauration et le Gouverne-
ment de Juillet.
Voici le tableau de ces variations jusqu'en 1892.
Droits de douane par tête.
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de
Tarif
de
Tarif
do
Tarif
de
Tarif
de
Tarif
de
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1874
1881
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3
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5 »
10 »
Le tarif de 1892 est le suivant
Bœufs et vaches.
Moutons ....
10 fr. par loo kilog. de poids vif.
i5 5o — — —
En outre, les viandes sont frappées de droits s'éle-
vant à 32 francs par quintal pour le mouton ; à 12 francs
pour le porc ; à 25 francs pour le bœuf, à 25 francs éga-
LA PROTECTION DOUANIÈRE
207
lement pour le lard, et à 3o francs pour le bœuf salé.
Nous avons dit, à propos des importations dans leur
rapport avec les prix, ce que l'on avait constaté, à l'égard
des variations des cours depuis 1820 jusqu'à 1897.
Prix de la viande de 5"'« (jualiié à Paris et à Londres (1879-98).
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Prix du Bœuf
à Pa.ris
à Londreso-
Prix du Mouton
à PôLris •._—..-•
à. Londreso -o
Fig. 14.
Pendant la Restauration le cours de la viande est resté
très bas malgré l'établissement des droits protecteurs.
Il en a été de même sous le Gouvernement de Juillet.
A partir de i853 la hausse se produit et s'accentue, bien
que le tarif nouveau ait abaissé les droits de douane.
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LA PROTECTION DOUANIÈRE
Prix de la viande de i'" qualité à Paris et à Londres (1877-97).
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Depuis i885, les prix ont fléchi malgré l'élévation des
droits, et le tarif protectionniste de 1892 n'a pas relevé
LA PROTEC TION DOUANIÈRE 209
les cours. Mais il s'est produit pour le bétail la hausse
relative dont nous parlions plus haut à propos du blé. Nos
cours sont certainement un peu moins élevés qu'ils ne
l'étaient en i883, par exemple, c'est-à-dire avant le
relèvement douanier ; mais la baisse est moins sen-
sible qu'elle ne l'eût été si l'on n'avait pas entravé
l'importation du bétail vivant, des viandes congelées,
des conserves, etc., etc.
Nous avons montré que le prix des viandes de pre-
mière et surtout de dernière qualité avait subi à Lon-
dres une dépression qui les faisait tomber au-dessous
des cours pratiqués à Paris, C'est là, sans doute, une
conséquence des mesures de protection douanière.
L'influence de ces dernières ne nous paraît pas dou-
teuse. Nous payons notre viande et surtout la viande de
dernière qualité un prix plus élevé qu'il ne le serait si
le législateur n'avait pas relevé successivement les
droits à l'importation. Les producteurs bénéficient de
cette difterence. C'est là une autre subvention qui équi-
vaut, d'autre part pour les consommateurs, à l'établis-
sement d'un impôt de consommation.
De 1880 à 1900, une baisse de plus de 5o centimes
par kilogramme se produit à Londres pour la viande de
bœuf, première qualité ; elle est à peu près égale pour
la viande de mouton. Cette baisse n'atteint pas en
France aS centimes pour le bœuf et i5 centimes pour
le mouton. Les viandes de seconde et troisième caté-
gorie ont subi en Angleterre une baisse plus accentuée
(|ue celle dont nous parlons plus haut ; en France, au
contraire, les prix sont restés stationnaires.
Nous croyons pouvoir affirmer que la protection doua-
ZOLLA. — Crise agricole. 14
210 LA PROTECTION DOUANIÈRE
nière a soutenu les cours français et déterminé une
hausse relative de o fr. aS par kilogramme de bœuf et de
ofr.3o par kilogramme de mouton — viande nette. Ce
que nous disons ici du bœuf est vrai, bien entendu, pour
tous les animaux de l'espèce bovine. En d'autres ter-
mes, les producteurs ruraux vendent leur bétail plus
cher qu'ils ne le vendraient si les importations étran-
gères n'étaient pas taxées. Cette hausse relative équi-
vaut, croyons-nous, à une subvention de o fr. aS par
kilogramme de viande de bœuf et o fr. 3o par kilo-
gramme de mouton.
Or, voici quelle est la quantité de viande provenant
de bœufs ou moutons français :
Bœufs millions de kilog. 543
Mouton ii3
Total 656
Sans tenir compte des autres viandes, dont le poids
est à peu près égal, la hausse dont nous avons parlé
correspond à i35 millions pour le bœuf et à 34 millions
pour le mouton, soit loo millions, par an, pour ces
deux produits.
Conclusion. — En résumé, il est certain que la légis-
lation douanière nouvelle, inaugurée en 1892, a exercé
une influence décisive sur les prix des principaux pro-
duits agricoles. Elle a provoqué une hausse relative en
ce sens qu'elle a atténué et limité une baisse plus accen^
tuée.
Sans tenir compte des autres denrées d'origine ani-
male dont les cours ont pu être rehaussés par l'appli-
LA PROTECTION DOUANIERE 211
cation de notre tarif douanier, nous trouvons que l'agri-
culture reçoit sous forme de subvention indirecte, cor-
respondant à un impôt de consommation payé par les
populations non agricoles :
i" 268 à 335 millions pour le froment;
^^ 169 millions pour i catégories de viandes, les
autres espèces étant, d'ailleurs, bien supérieures, en
poids, à la consommation des producteurs.
Le total s'élèverait à 437 ou 5o4 millions de francs.
Est-il permis de soutenir que l'agriculture n'a pas été
suffisamment protégée ?
Cette protection n'a malheureusement satisfait per-
sonne, parce que les agriculteurs ne se rendent pas
compte exactement des avantages qui leur ont été con-
cédés. La baisse absolue des cours est un fait précis,
aisé à vérifier, qui masque la hausse relative qu'a pro-
voquée l'établissement des tarifs protecteurs.
D'ailleurs, les bénéfices réalisés dans la culture ont
diminué, parce que les recettes brutes obtenues se sont
abaissées.
Comment un fermier qui gagne moins d'argent
aujourd'hui qu'il y a vingt ans pourrait-il se déclarer
satisfait, c'est-à-dire suffisamment protégé ? D'autre
part, personne n'ignore que la réduction des profits cul-
turaux a eu pour conséquence la baisse des fermages.
La valeur locative du sol représente une fraction des
recettes brutes. Quand les prix des denrées subissent
une baisse, le produit brut diminue et la valeur en
argent de la part réservée au propriétaire se trouve
réduite dans la même proportion.
Les propriétaires fonciers ne sont pas moins mécon-
212 LA PROTECTION DOUANIERE
tents que leurs tenanciers et ils ne sauraient admettre
que la protection dont ils jouissent se traduise par une
diminution de leurs revenus. Or, c'est là le résultat
qu'ils constatent et tous les raisonnements du monde ne
sauraient leur faire admettre qu'ils bénéficient d'une
protection efficace, puisque leur fortune a diminué. Rien
ne peut les empêcher de penser et de dire que la
richesse de la France a décru, puisque la valeur locative
et vénale de leurs domaines se trouve réduite.
Rien ne saurait prouver plus clairement que la pro-
tection douanière n'est qu'un expédient économique et
politique.
La protection des intérêts agricoles.
Pour atténuer les effets de la crise, l'industrie agri-
cole aussi bien que la propriété foncière nous parais-
sent avoir été singulièrement favorisées et protégées
par le législateur depuis vingt ans. C'est ce qu'il est aisé
de démontrer sans contester bien entendu les titres
que pouvaient avoir propriétaires et agriculteurs à la
sollicitude bienveillante qui leur a été témoignée.
Cultivateurs et propriétaires-cultivateurs bénéficient,
tout d'abord, de certaines immunités fiscales dont le
privilège leur a été concédé ou maintenu. La loi du
i" décembre 1887 exonère de l'impôt foncier les ter-
rains nouvellement plantés en vigne ; celle du 8 août 1 890
accorde aux propriétaires ruraux un dégrèvement d'im-
pôt foncier de i5 millions, et, le 21 juillet 1897, la loi de
finances concède encore des remises totales ou par-
tielles sur la contribution foncière des petites pro-
LA PROTECTION DES INTÉRÊTS AGRICOLES 2i3
priétés — non l)âties. Ce dernier dégrèvement repré-
sente, à lui seul, une somme de 20 millions.
La loi sur les boissons du 29 décembre 1900 maintient
le privilège des bouilleurs de cru.
Il est clair que les propriétaires ou cultivateurs con-
tinuent également à n'acquitter aucun droit de circula-
tion pour les boissons qu'ils consomment dans leurs
exploitations.
L'abolition des droits d'entrée et de vente au détail,
et la réduction des droits d'octroi communaux n'ont pu
que favoriser indirectement leurs intérêts en facilitant la
vente de leurs produits.
L'industrie agricole continue à profiter d'une exemp-
tion d'impôt en ce qui concerne les patentes. Après
avoir posé en principe dans l'article premier de la loi
du 1 5 juillet 1880 que tout Français qui exerce en France
une industrie est assujetti à la contribution des patentes,
le législateur prend soin (art. 17) d'exempter expressé-
ment les « laboureurs et cultivateurs ».
Nous sommes, certainement, hostiles à toute aggra-
vation des charges fiscales actuelles de l'industrie agri-
cole très éprouvée par la baisse considérable du prix
de ses produits. L'établissement d'une patente agricole
nous paraîtrait donc souverainement impolitique et nous
ne combattrions pas avec moins d'énergie tout impôt sur
le revenu atteignant les profits agricoles ; mais il nous
paraît, au contraire, très légitime de constater que
l'agriculture bénéficie d'une faveur spéciale. Il est d'au-
tant plus utile de le faire remarquer qu'un certain nombre
de personnes sont disposées à l'oublier. On va même
jusqu'à soutenir que l'agriculture acquitte, elle aussi, sa
2i4 LA PROTECTION DES INTÉRÊTS AGRICOLES
patente spéciale sous forme d'i/npot foncier. Cette opi-
nion ne nous paraît nullement fondée, et il suffit de se
reporter aux textes fondamentaux relatifs à la contribu-
tion foncière ou aux patentes pour le démontrer (i).
Indépendamment des immunités fiscales dont l'indus-
trie agricole a été favorisée, il faut tenir compte des
subventions directes et indirectes dont elle bénéficie.
Les primes accordées à la culture du lin et du chanvre
représentent des primes directes ; il en est de même
pour celles qui doivent favoriser la sériciculture. Les
premières figurent un budget pour a ooo ooo francs, et
les secondes pour 4 228 000 francs.
Les bonis de fabrication et les primes d'exportation
allouées aux fabricants de sucre par diverses lois
depuis 1884, ont eu pour objet, nous a-t-on maintes fois
assuré, de relever le prix d'achat des betteraves. Les
cultivateurs ont bénéficié ou devaient profiter — paraît-
il — des sacrifices énormes imposés aux contribuables
en général. Il s'agit donc là de primes indirectes, et en
tout cas, d'une protection visiblement accordée à la
culture. Ces primes seront distribuées encore pendant
un an, au moins ; nous avons donc le droit d'en parler.
L'Etat a versé plus de 800 millions depuis dix-sept ans
pour favoriser en même temps les producteurs de bette-
raves et les fabricants de sucre; il serait impardonnable
de passer sous silence de pareils témoignages d'intérêt
accordés à l'agriculture.
Toutes ces mesures n'ont eu, pourtant qu'une influence
(i) Voir pour plus de développements : uos Etudes d'économie
rurale, Paris, Masson, 1896.
LA PROTECTION DES INTÉRÊTS AGRICOLES 20
bien médiocre sur la situation générale de l'industrie
agricole.
Ce sont des palliatifs, des encouragements, des satis-
factions accordées à des réclamations pressantes et
bruyantes et non pas des solutions définitives.
Les primes accordées à la culture du lin et du chanvre
n'ont point empêché cette production de décliner.
La législation sucrière a eu pour conséquence un
développement trop rapide de notre production ; elle a
provoqué une crise spéciale qui aura pour sokition un
remaniement complet de notre régime fiscal applicable
aux sucres.
En voici l'explication :
De 1884 à 1900, notre production a doublé tandis que
la consommation intérieure restait stationnaire.
C'est là, semble-t-il, une bizarre anomalie, mais rien
n'est plus naturel et plus logique que cette situation.
La loi de 1884 accordait aux fabricants de sucre des
« bonis » de fabrication représentés, qu'on le remarque
bien, par des remises d'impôt. La taxe frappant les
sucres consommés n'était pas acquittée par tous les
sucres produits. Cette taxe portait — non pas sur le
sucre fabriqué — mais sur la betterave. Un rendement
légal de 7 ^^, 700 par 100 kilos de betteraves était imposé
au fabricant qui payait l'impôt de 60 francs par quintal
de sucre d'après cette hypothèse légale.
Mais tout le sucre extrait réellement par lui de
100 kilos de betteraves, au delà de 7''^, 750, bénéficiait
d'une remise ou détaxe égale :
1° A 3o francs par quintal pour toute la quantité de
sucre extraite au delà de 7^^,750 jusqu'à io''^,5oo.
2i6 LA PROTECTION DES INTÉRÊTS AGRICOLES
2" à 3o francs également pour la moitié du sucre
extrait au delà de io^^,5oo,
Ces remises d'impôt permettaient néanmoins au fabri-
cant de vendre son sucre détaxé au même cours que le
sucre qui avait acquitté le droit plein, — Le bénéfice
du fabricant était donc égal, exactement, à l'impôt dont
il lui était fait remise, et ce bénéfice était ainsi cC autant
plus grand que V impôt était lui-même plus élevé^ ou que
les quantités fabriquées dans l'usine étaient plus consi-
dérables, à la condition bien entendu, que les rende-
ments réels des betteraves traitées fussent toujours
supérieurs, le plus largement possible, au rendement
légal.
De là une triple conséquence résultant de l'applica-
tion de la loi de 1884 •
Inculture de betteraves riches, pour que le rendement
réel en sucre dépassât le rendement légal, ^^^,^^0, à
partir duquel des remises d'impôts accroissaient le béné-
fice industriel du fabricant ;
Q." Accroissement des quantités de betteraves traitées
et du poids de sucre produit, puisque les bonis alloués
étaient proportionnels, toutes choses égales d'ailleurs,
à la production de l'usine :
3" Maintien d'un impôt élevé sur le sucre consommé,
puisque le boni était égal à une fraction de cet impôt.
Cette dernière observation a une importance capitale.
Oui, la loi de 1884, accordant des remises d'impôt sous
forme de a bonis », avait imposé — du même coup — l'élé-
vation de la taxe de consommation. Abaisser cet impôt,
c'était réduire le « boni »; le supprimer, c'eût été faire
disparaître tout « boni » alloué au fabricant.
LA PROTECTION DES INTÉRÊTS AGRICOLES 217
Comprend-on maintenant pourquoi la consommation
restait stationnaire, pendant que la production s'accrois-
sait ?
Une taxe de 60 francs par quintal frappant un produit
— le sucre — qui valait de 3o à 82 francs, en triplait la
valeur et arrêtait, du même coup, le développement de
la consommation intérieure.
D'autre part, cette taxe très élevée favorisait la pro-
duction et la stimulait, en accroissant l'importance des
« bonis » de fabrication.
Enfin, l'état stationnaire de notre consommation inté-
rieure a rendu indispensable l'exportation de nos sucres,
et à l'accroissement des quantités fabriquées correspond,
alors, logiquement, l'accroissement des quantités expor-
tées à l'étranger.
Cette nécessité d'exporter est même devenue si pres-
sante que nous avons donné, en 1897, ^ ^^^ fabricants
des primes directes d'exportation lorsque leurs concur-
rents, abaissant les cours sur les marchés étrangers,
grâce aux primes directes ou indirectes dont ils béné-
ficiaient enx-mêmes, ont rendu cette mesure indis,pen-
sable.
Aujourd'hui, il est vraisemblable que les primes d'ex-
portation, aussi bien que les « bonis », vont être sup-
primés à l'étranger et en France.
Comment pourrons-nous prévenir et atténuer la crise
qui nous menace ? Comment trouverons-nous le moyen
d'assurer l'écoulement des 5 ou 600 000 tonnes repré-
sentant l'excédent de notre production actuelle, si tou-
tefois cette production doit rester aussi élevée?
Nous ne le savons pas encore.
2i8 LES SOLUTIONS DÉFINITIVES
La législation sucrière protectrice, si souvent vantée
par les intéressés n'a donc été, elle, aussi qu'un expé-
dient économique et politique; elle n'est pas conforme
à la nature des choses et aux intérêts permanents de
l'agriculture. Ce n'est môme pas une solution partielle
et acceptable de la crise agricole. D'ici quelques jours
elle va, d'ailleurs, être modifiée.
Les solutions définitives
C'est la baisse des prix qui a provoqué la crise agri-
cole. Une hausse pourrait donc l'atténuer, en arrêter
les effets, ou même faire succéder à une période
d'épreuves une ère de prospérité.
Aujourd'hui, le développement de la production dans
le monde et le bon marché des transports rendent cette
hausse fort peu probable à moins qu'un brusque afflux
d'or ne vienne agir, comme en i85o, sur le niveau
général des cours et les rehausser. L'énorme et rapide
développement de la production du métal jaune, un
moment arrêté par la guerre du Transvaal, permet
d'accepter cette hypothèse.
Dans ce cas, le relèvement des cours aurait pour
conséquence l'augmentation des recettes brutes de
l'entrepreneur de culture et la hausse des profits. Ce
sont les capitalistes agricoles, fermiers et propriétaires
qui souffrent aujourd'hui de la crise; ce sont ces
mêmes personnes qui profiteraient de l'élévation des
prix et des bénéfices culturaux. Mais si le prix des
denrées agricoles et les profits industriels du cultiva-
teur s'élevaient à ce moment, il n'en résulterait nulle-
LES SOLUTIONS DÉFINITIVES 219
ment que la masse générale des produits fut accrue
et que la richesse publique augmentât.
Tout autre est Tinfluence que peuvent exercer le
perfectionnement des moyens de production et l'abais-
sement des prix de revient. Ce sont là des solutions
définitives, des progrès acquis et durables, ayant pour
conséquence Faccroissement des richesses produites
et non pas une modification passagère de leur réparti-
lion entre ces citoyens.
Dans Tordre économique et financier, l'association,
sous toutes ses formes ; dans Tordre industriel et tech-
nique l'application des données de la science contrôlées
par l'expérience; telles sont les solutions de la crise
agricole. Il n'y en a pas d'autres.
Nous ajouterons, cependant, que pour arriver à
obtenir rapidement cette transformation des méthodes
de production il est indispensable que les hommes ins-
truits, actifs et disposant des capitaux suffisants s'in-
téressent aux choses de la terre. Leur collaboration
peut avoir la plus haute portée économique et sociale.
Nous ne saurions mieux faire, à ce propos, que de
reproduire ici les conclusions de notre étude sur
l'Agriculture Américaine.
« Dans nos vieux pays, disions-nous on ne trouve
que trop rarement des propriétaires hardis qui se
mettent à l'œuvre, dirigentla culture de leurs domaines,
résident sur leurs terres, et jouent le rôle du Yankee
de l'ouest américain. A nos yeux, la terre est un place-
ment de père de famille. On achète une ferme ou une
métairie, — ou plutôt, on les achetait — pour asseoir
solidement sa fortune et la mettre à l'abri des fluctua-
220 LES SOLUTIONS DEFINITIVES
tions de cours des valeurs mobilières, ou des revers
qui peuvent atteindre les hommes dont tout l'avoir est
engagé dans « les affaires ».
Dès lors, la principale, sinon l'unique préoccupation
du propriétaire bourgeois, c'était de toucher régulière-
ment ses fermages ou sa part de récolte, de réparer les
bâtiments de son domaine — quand cela était indispen-
sable, — ou de surveiller son tenancier, si besoin était,
pour qu'il cultivât « en bon père de famille », comme
dit le Gode civil.
Ainsi compris, le rôle d'un propriétaire ne laisse pas
que d'être utile. La location môme d'un domaine bien
entretenu, pourvu de bâtiments suffisants, de pailles,
de fourrages, et souvent aussi d'animaux domestiques,
est, en réalité, une opération de crédit. Le propriétaire
met à la disposition des cultivateurs un capital cinq ou
six fois plus considérable que la fortune du fermier.
Quand il s'agit du métayer, c'est même le propriétaire
qui fournit tout ce qui est indispensable à la culture.
L'action directe et l'influence exercée par un pro-
priétaire français sont pourtant moins marquées que
celles du propriétaire américain formant, dirigeant, et
créant, en quelque sorte, son domaine rural. A plus
forte raison, la différence est, plus sensible entre le
propriétaire français et le « farmer » américain de
riowa, de l'Indiana, de l'Illinois, États déjà colonisés
depuis trente ou quarante ans et où il existe une foule
de cultivateurs propriétaires du sol qu'ils exploitent.
A quoi tiennent ces différences? Ce sont les mœurs
qui les expliquent.
En France, nous avons encore le plus profond dédain
LES SOLUTIONS DEFINITIVES iii
pour la profession d'agriculteur. Nous confondons,
sans réflexion comme sans raison, Tentrepreneur de
culture, c'est-à-dire l'industriel agricole qui dirige une
exploitation, avec le domestique ou le manœuvre. Aux
yeux des citadins ignorants qui sont esclaves de leurs
préjugés, un agriculteur ne peut être qu'un rustre, un
serf de la glèbe courbé sur le sillon, et pour tout dire,
« un paysan )). En vain essaiera-t-on de faire com-
prendre même aux « gens du monde » qu'un agricul-
teur ne doit pas plus être confondu avec un manœuvre
qu'un directeur d'usine avec son ouvrier. En vain
répéterez-vous qu'il est tout aussi honorable — et diffi-
cile — de bien faire pousser du blé ou d'élever intelli-
gemment des animaux, que de fabriquer du sucre ou
des bonnets de coton ! Vous ajouteriez même que la
profession d'agriculteur exige, pour être exercée avec
talent et profit, tout autant d'instruction que celle de
commerçant, d'industriel, ou de fonctionnaire, qu'un
agriculteur peut être un galant homme de toutes façons,
que sa situation le rend indépendant, lui assure une
existence souvent très large, une vie active et saine...
Ce serait peine perdue. Le préjugé est là, vivant, majes-
tueux, ridicule, mais respecté.
Oh ! s'il s'agissait d'un ingénieur, d'un fonctionnaire,
d'un attaché au cabinet de d'un auditeur, d'un ins-
pecteur, sa position de fortune, son utilité sociale, son
indépendance et par conséquent sa véritable dignité
d'homme fussent-elles moins hautes, personne n'hési-
terait à le classer dans la catégorie des gens du monde,
de ceux qui ont une « situation ». L'agriculteur n'a
pas de situation, il n'est pas « coté ». Le propriétaire
222 LES SOLUTIONS DEFINITIVES
n'est lui-même accepté qu'à la condition de vivre à la
ville sans déroger, c'est-à-dire sans trop s'intéresser
à ses domaines, si ce n'est à l'automne... quand on
chasse. S'il est très riche, on lui pardonnera de se
faire éleveur ou d'engraisser ses bœufs, mais on le
traitera « d'original », mot indulgent qui excuse sa folie
en lui donnant un vernis de bon ton.
Indépendamment du préjugé qui existe dans notre
pays à l'égard des agriculteurs, il faut noter une autre
opinion concernant l'agriculture.
Beaucoup de gens croient qu'il est impossible de
réaliser des profits sérieux en cultivant la terre. La
preuve ? C'est que les capitaux consacrés à l'achat d'une
propriété rurale ne rapportent que 2,5 ou 3 p. loo —
E<n vérité, c'est se moquer du monde et raisonner
d'étrange sorte !
La terre louée par un propriétaire qui ne la cultive
pas donne un faible revenu par rapport à son prix
d'achat. C'est vrai; mais cela prouve tout simplement
que la concurrence des acheteurs a élevé graduelle-
ment le prix de cette valeur de tout repos, et que l'on
paie très cher un faible revenu pour être sûr ou à peu
près de ne pas perdre le capital lui-même.
Cela ne prouve rien en ce qui touche le profit agri-
cole c'est-à-dire le gain réalisé par l'agriculteur au
moyen des capitaux qui servent à faire produire le sol
ou à utiliser ses récoltes au moyen des animaux de la
f^rme : or, ce capital « d'exploitation » donne un
revenu p. loo trois ou quatre fois plus élevé que
celui du propriétaire. Si ce dernier touche 2,5 ou 3 p. i oo ;
l'agriculteur obtient y, lo ou i5 p. loo. Voilà la vérité.
LES SOLUTIONS DÉFINITIVES 223
Il n'en est pas moins vrai, très malheureusement,
que les deux préjugés dont nous venons de parler,
exercent sur le sort de notre agriculture une détestable
inlluence.
Ils détournent des champs les activités et les capi-
taux qui devraient s'y porter pour le plus grand profit
de notre pays. Nous ne tirons pas de notre sol les
richesses qu'il pourrait nous donner. Nous condamnons
à une vie étroite, sans indépendance, parfois même
sans dignité, des hommes jeunes, actifs, intelligents,
qui chercheront une « place » au lieu de vivre libres,
heureux, en contribuant à développer la fortune de leur
pays.
Il faut rendre aux Américains cette justice que nul
préjugé n'existe dans leur esprit au sujet de l'agricul-
teur et de l'agriculture. Un homme qui était hier ban-
quier, médecin, avocat, ingénieur ou négociant, ne
croira jamais déroger en devenant» farmer ». La qua-
lité d'homme du monde leur paraît résulter moins de
la profession qu'on exerce que de l'éducation, de
l'élévation des idées et de l'étendue des connaissances.
Beaucoup des hommes d'état américains ont été des
agriculteurs. Aujourd'hui on semble voir sans étonne-
ment, un « farmer » ministre de l'agriculture et ses
antécédents ne paraissent pas nuire à son autorité ou
diminuer son prestige.
Ce qui caractérise, d'ailleurs, la société et la vie
sociale américaine c'est l'extrême instabilité des situa-
tions. Tel homme qui se trouve aujourd'hui négociant,
sera demain agriculteur ou homme politique. Les cul-
tivateurs ne forment donc pas une classe où ils se
224 LES SOLUTIONS DEFINITIVES
trouvent enfermés. Demain, le fonctionnaire ou le
médecin qui a acheté une ferme, ne trouvera pas de
locataires et sera forcé de la cultiver lui-même, d'ins-
taller des métayers sur son domaine, d'y créer au
besoin une usine ou d'y exploiter un moulin. Com-
ment dès lors traiter dédaigneusement de « paysan »
l'homme que l'on voyait la veille dans un cabinet
d'affaires et qu'on retrouvera dans un salon six mois
plus tard !
En France, un propriétaire habitué à toucher régu-
lièrement ses fermages les voit diminuer brusquement.
11 se tourmente si sa ferme ne trouve pas preneur, il
accuse le ciel et la terre, demande à grand cris la
protection de l'État et invoque ses droits à la stabi-
lité, à la régularité de ses revenus, voir même à leur
augmentation, signe certain de la prospérité publique.
Aux Etats-Unis, cet état de crise et d'instabilité ne
suscite pas tant d'émotion et ne provoque pas tant de
plaintes. Les propriétaires agissent au lieu de parler et
ils s'occupent de tirer parti de leurs terres au lieu de
demander à l'Etat de les protéger.
Sans doute, il serait facile de citer en France des
propriétaires actifs et aux États-Unis des hommes non-
chalants. Cependant, tous les observateurs impartiaux
conviendront qu'on se désintéresse trop dans notre
pays — et surtout qu'on s'est trop désintéressé jus-
qu'à présent — des choses de la terre. Mais, dira-t-on,
tous les propriétaires n'ont pas le temps de s'occuper
de leurs domaines, et d'ailleurs quand une exploitation
rurale est bien affermée à un tenancier solvable, qn y
a-t-il à faire ?
LES SOLUTIONS DÉFINITIVES 22$
Cette dernière observation est fort juste, et nos
réflexions ne visent pas le propriétaire d'un domaine
confié à un directeur actif, suffisamment riche et habile.
Il existe malheureusement des milliers de fermes qui
ne sont pas dans cette situation. Si leurs possesseurs
ne peuvent ou ne savent pas les exploiter avec profit,
qu'ils s'adressent à des ingénieurs agricoles sortis de
nos écoles, qu'ils se groupent entre eux pour constituer
une surface cultivée assez étendue et réduire les frais
d'administration. Le jour où l'on voudra entrer dans
cette voie on réussira. Mais il faut avoir le courage et
l'intelligence de rompre avec les préjugés régnants. Il
faut oser, et envisager avec calme la situation nouvelle
de notre agriculture européenne.
Ce ne sont pas les procédés de culture usités aux
Etats-Unis qu'il convient d'imiter ou de copier servi-
lement. C'est l'énergie, l'initiative, la hardiesse et
l'esprit d'entreprise de nos rivaux, qu'il est indispen-
sable de posséder pour ne pas succomber misérable-
ment dans la lutte engagée avec eux.
On compte en France plus de a.iooooo proprié-
taires cultivant eux-mêmes leurs héritages. Ce
n'est pas à eux que s'adressent nos observations, ils
souffrent d'ailleurs beaucoup moins de la crise agricole
que les fermiers, les métayers et les propriétaires qui
se contentent de louer leurs terres. Enfin, beaucoup de
propriétaires cultivateurs, dans le Midi notamment,
dirigent effectivement leurs domaines à l'aide d'un
régisseur ou d'un maître valet.
Nous pensons surtout aux grands et moyens proprié-
taires, à ceux qui possèdent des métairies, trop sou-
ZoLLA. — La Grise agricole. i5
•i26 LES SOLUTIOiyS DÉFINITIVES
vent abandonnées aux soins d'un tenancier sans con-
naissances et sans ressources suffisantes.
Nous songeons également à ceux qui ne peuvent pas
louer leur terre ou qui sont forcés de subir des réduc-
tions de fermage considérables.
Dans la plupart des circonstances il y aurait lieu de
modifier les systèmes de culture suivis par les culti-
vateurs, de tracer un nouveau plan, d'en suivre et d'en
modifier rapidement Texécution suivant le cours des
denrées. Il est impossible aujourd'hui de cultiver la
terre de France avec profit comme on la cultivait il y a
trente ans. Peu importe que ce soit là un malheur :
nous sommes forcés de subir cette transformation. Eh
bien, dans une situation nouvelle, il faut employer des
procédés nouveaux et utiliser un personnel ayant d'au-
tres traditions et d'autres connaissances.
Hier c'était des céréales qu'il convenait de cultiver :
demain ce sera l'élevage, l'engraissement, la production
laitière qu'il faudra préférer. En tenant compte de
l'aptitude naturelle des terres, c'est la variété des pro-
ductions qu'on s'attachera à réaliser pour atténuer dans
quelques cas les effets de la baisse des cours, ou pro-
fiter, au besoin, de leur hausse momentanée,
• Se produit-il une élévation du cours des fourrages,
des pailles et autres aliments du bétail, il faut savoir
substituer à ces denrées des résidus industriels ali-
mentaires pour pouvoir porter sur les marchés, les pro-
duits dont la vente deviendra avantageuse.
Une baisse du bétail maigre devra être l'occasion
d'un achat, les variations des cours détermineront éga-
lement le choix des animaux de la race bovine, ovine et
LES SOLUTIONS DÉFINITIVES 'î-i-J
'porcine, dont on préférera Félevage ou dont on prati-
quera momentanément l'engraissement.
Joignez à ces conditions économiques et commer-
ciales les recherches relatives à l'emploi des engrais, à
l'irrigation, au drainage, au choix des semences, à l'op-
portunité des façons culturales, à l'usage des meilleurs
instruments, à l'utilisation intelligente du personnel
ouvrier, et vous pourrez comprendre combien doit être
désormais délicate la tâche d'un cultivateur éclairé
sachant cultiver avec profit.
La meilleure méthode d'enseignement et de vulgari-
sation des connaissances techniques agricoles, c'est
l'exemple. Quels ne seraient pas la portée et l'effica-
cité des méthodes introduites et le développement de
richesse obtenu dans vingt ou trente mille domaines en
France, si les propriétaires voulaient s'en occuper ou
confier la direction de ces entreprises à un personnel
actif, instruit et expérimenté.
Depuis cinquante ans nous cherchons en France la
solution d'un problème financier, celui du crédit
agricole. C'est surtout au profit des fermiers et des
métayers qu'il paraît utile d'organiser le crédit rural.
Aux Etats-Unis, cette question n'a pas le même carac-
tère, bien qu'elle soit encore plus importante.
Les cultivateurs étant presque toujours propriétaires
peuvent se servir de leurs terres pour constituer un
gage. Dans la plupart des cas, l'agriculteur trouve du
crédit auprès des banquiers qui n'hésitent pas à com-
manditer un « l'armer » ou son colon. Ce sont là des
opérations courantes.
En France, nos grands et moyens propriétaires n'em-
228 LES SOLUTIONS DÉFINITIVES
pruntent pas pour cultiver puisqu'ils ne cultivent guère ;
et d'autre part il ne leur vient pas à la pensée de prêter
quelque argent à leurs fermiers ou métayers. Cela se
comprend à la rigueur, car ils ne pourraient ni contrôler
l'emploi, ni apprécier les avantages de ces prêts.
S'ils consentaient, au contraire, à s'intéresser aux
choses agricoles ou s'ils confiaient l'administration de
leurs domaines à des hommes compétents, ils pour-
raient emprunter au besoin sur hypothèque et employer
à la culture des sommes qui seraient productives. Le
problème du crédit rural aurait été ainsi partiellement
résolu.
L'union étroite, l'association intime du propriétaire
et de l'exploitant toutes les fois que ce dernier n'est pas
lui-même propriétaire, voilà, croyons-nous, le remède
efficace de la crise actuelle qui atteint surtout le loca-
taire ou le possesseur d'une exploitation affermée.
Nous avons dit et nous répétons que l'on souffre
comme nous aux Etats-Unis de la baisse des produits
agricoles. C'est l'énergique initiative des propriétaires
qui a permis d'en atténuer les effets. En France on ne
parviendra à obtenir les mêmes résultats qu'en usant
du même moyen.
Il faut que les fils de nos propriétaires acquièrent
une solide instruction agricole et qu'ils dirigent eux-
mêmes la culture de leurs domaines après avoir fait un
stage dans des exploitations biens choisies.
Toutes les fois que cette solution ne peut être adoptée,
les propriétaires devront avoir recours à des directeurs
techniques, à de véritables ingénieurs agricoles qui
exploiteront directement ou surveilleront l'emploi des
LES SOLUTIONS DÉFINITIVES 229
capitaux confiés à des fermiers et à des métayers.
Aujourd'hui cette idée nouvelle aura le sort de tout
ce qui est nouveau; on ne l'acceptera pas. Les gens du
monde nous traiteront d'utopiste, mais le jour où leurs
revenus diminueront au point de devenir nuls, le jour
où ils auront constaté sur différents points, le succès de
cette idée et la réalisation de cette chimère, ils sorti-
ront de leur torpeur et ils comprendront qu'il est
sage de s'occuper de leurs affaires ou de confier ce
soin à ceux qui sont capables de les préserver de la
ruine.
« C'est là, nous dira-t-on, une boutade d'écrivain pes-
simiste. Nous triompherons de la concurrence étran-
gère par nos tarifs de douane. N'avez-vous pas dit
vous-même que les Américains faisaient moins de blé
depuis quelque temps et qu'ils ne pouvaient guère
exporter plus du quart de leur production. Le déve-
loppement de leur population les obligera quelque
jour à réduire ce chiffre de leurs envois et le cultiva-
teur européen sera sauvé. »
Ces espérances nous paraissent hélas bien chiméri-
ques. Laissons de côté, la question des tarifs de douane
qui est surtout une question politique, et parlons de la
concurrence américaine. Il est vrai que sur certains
points la culture du blé a disparu ou a perdu de son
importance aux Etats-Unis. Mais en revanche on étend
cette culture à mesure que l'on défriche de nouvelles
terres. En réalité la production se développe. Quant
aux exportations elles ne diminuent pas, elles changent
de forme. Au lieu d'exporter du froment en grains, il
arrive souvent que Ton expédie des farines.
23o
LES SOLUTIONS DÉFINITIVES
Examinez à ce propos les trois graphiques que nous
mettons sous les yeux du lecteur.
Le premier se rapporte à la production et à l'expor-
tation; depuis quelques années sans doute les récoltes
sont bien supérieures aux expéditions, mais il est
visible que ni les unes ni les autres ne décroissent.
Voici maintenant le double graphique qui se rapporte
Million:
Ctf *■ C O) -J 03 es
d ■ hecto I i t res
aux exportations du froment en grains et à celles des
farines, les dernières augmentent graduellement. Les
premières suivent les oscillations des demandes en
Europe, mais rien n'accuse et ne fait prévoir une
réduction sensible et prolongée. S'il est exagéré d'at-
tribuer à la concurrence améruaine seule, la baisse du
froment, on ne saurait en revanche nier l'importance
de ce facteur économique. Ce que nous disons du blé
est vrai pour les autres céréales et le bétail. Et puis,
nous le répétons, on parle beaucoup des Etats-Unis,
parce que le public a été très frappé des récits merveil-
leux relatifs au Far-West et aux immenses champs de
LES SOLUTIONS DÉFINITIVES
aSi
blé. Mais c'est le monde entier, qui aujourcriiiii déve-
loppe sa production agricole. Les vieux pays eux-
mêmes cherchent à augmenter la productivité de leur
sol dans l'espoir de se suffire à eux-mêmes et de com-
232 LES SOLUTIONS DÉFINITIVES
penser la baisse du prix des denrées par Taccroisse-
ment des rendements. Les colons européens vont en
Asie, en Afrique, en Océanie demander à des terres
nouvelles de nouveaux produits qui font à leur tour
concurrence à l'agriculture de la mère-patrie.
Les pessimistes et les sophistes disaient à ce propos :
« Tout est perdu, nous sommes ruinés! » 11 serait vrai-
ment étrange que l'abondance des richesses fut une
cause de ruine, et que les hommes mourussent de faim
parce qu'ils auraient produit trop de blé, de maïs, de
lait ou de viande. La vérité est tout autre.
Quelle différence existe-t-il entre la France, les Etats-
Unis ou tout autre pays neuf au point de vue de la
production agricole? Notre terre est aussi fertile, notre
climat est plus favorable, nos salaires ruraux sont moins
élevés, nos voies de communications sont plus nom-
breuses, notre richesse acquise plus considérable; enfin
nous n'avons pas besoin de chercher au loin des con-
sommateurs. Notre situation n'est donc pas aussi péril-
leuse qu'on veut bien le dire.
Le sol dira-t-on est d'un prix plus élevé en France!
Gela est vrai, mais cette circonstance prouve simple-
ment que sa culture permet de réaliser plus de profits.
Le revenu et le prix des terres baisseront, d'ailleurs,
en France et en Europe, si ces profits viennent à dimi-
nuer encore.
Ce sont les propriétaires fonciers qui supporteront
le poids de la crise agricole, et parmi eux, les plus dou-
loureusement frappés seront les possesseurs soumis au
régime du fermage et du métayer.
. Qu'ils perdent donc leurs illusions et se mettent à
LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE 233
l'œuvre. Nous avons indiqué le remède, c'est à eux de
l'appliquer résolument.
LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE AGRICOLE
La baisse des prix et la crise agricole n'ont pas seu-
lement une très grande importance économique. Elles
ont également une haute portée sociale qu'il est intéres-
sant de dégager. A l'heure actuelle, il est malheureuse-
ment certain que la baisse du prix des produits ruraux
a eu pour conséquence la réduction des profits attachés
à l'exploitation du sol. Quelles sont maintenant les con-
séquences de cette réduction des profits réalisés par
les entrepreneurs de culture ? Il semble logique qu'elle
ait eu une répercussion immédiate : i° sur la valeur
des terres ; 2° sur les salaires et les gages des travail-
leurs manuels.
La baisse des loyers agricoles ou du prix des terres
doit être, en effet, une conséquence de la diminution
des profits parce que le fermier ou l'exploitant paye
l'usage de l'instrument pour ce qu'il rapporte.
La baisse des salaires paraît être aussi une suite légi-
time de la réduction des profits et des revenus des
propriétaires.
Eh ! bien, l'observation des faits ne confirme nulle-
ment cette dernière hypothèse. Elle nous apprend que
si les revenus fonciers et le prix des terres suivent de
très près les oscillations des profits industriels attachés 7
à l'exploitation du sol, en revanche, la rémunération
du travailleur manuel subit d'autres influences, est
régie en quelque sorte, par d'autres lois, et s'élève len- /
'234 LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE
tement durant les périodes de hausse, tandis qu'elle
diminue plus lentement encore durant les périodes de
baisse et de crise.
Le contraste est frappant entre la baisse si rapide des
fermages qui a été la conséquence de la réduction géné-
rale des profits culturaux et Tétat stationnaire^ ou la
hausse des salaires. C'est ce que nous allons essayer de
démontrer.
Aujourd'hui, tout le monde sait que les prix de fer-
mage diminuent. Voici, pour préciser les faits, les
variations du revenu en argent de vingt- sept domaines
ruraux situés dans la Somme et dans l'Aisne :
1875 152.990
1884 112.440
1894 107.090
En vingt ans la baisse s'élève à 47.900 fr. ouà3i p. 100.
Voici, maintenant, soixante-cinq domaines et marchés
de terre situés dans le département de l'Aisne. Citons,
au hasard, les prix de location par hectare en 1880 et
1896 :
Prix de location par licctaro.
1880 1896
30
4°
\ 8°
\ 9°
\' 11°
i 12^
francs.
francs
I03
70
109
78
87
75
116
80
106
70
75
60
99
70
109
60
104
45
107
70
123
75
108
75
1.248
828
LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE 235
Depuis seize ans, la baisse des revenus fonciers atteint
29 p. 100 en moyenne.
Nous pourrions multiplier les exemples et aller de
région en région. Sauf exceptions, la même observation
peut être faite. i
Il résulte de très nombreuses recherches poursuivies \
par nous depuis dix ans, que les terres labourables ont
baissé de prix en France et que cette baisse s'élève à
20 ou 25 p. 100 si l'on compare les revenus actuels aux
valeurs locatives constatées il y a quinze ou vingt ans.
Certes, il y a des exceptions à cette règle. Et nous
venons de le dire. La nature des cultures et surtout des
aptitudes culturales des terres expliquent les différen-
ces qu'on observe, mais la baisse des loyers agricoles
n'en est pas moins un phénomène très général.
La marche des salaires est toute différente. La rému- >
nération du travailleur manuel a toujours augmenté l
depuis le commencement du siècle, et elle n'a pas dimi- /
nué depuis quinze ou vingt ans, malgré la réduction des
profits de l'entrepreneur de culture.
Voici, par exemple, les salaires des ouvriers non
nourris employés dans une ferme de l'Aisne.
fr. c.
1820-1840 I 25
i84o-i85o I 5o
i85o-i86o I 75
i86o-i865 2 »
1865-1870 2 25
1870-1880 2 35
1880-1890 2 5o
1890-1895 2 5o à 2 75
On pourrait dire, il est vrai, que les salaires en argent
236 LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE
n'ont pas assuré aux ouvriers une situation matérielle
plus satisfaisante, parce que le prix de la nourriture
s'est élevé jusqu'au début de la période actuelle.
Il n'en est rien. En effet, les salaires des journaliers
nourris à la ferme se sont accrus depuis 1880 et ils n'ont
pas diminué depuis cette époque.
En voici la preuve :
Salaire des ouvriers nourris.
fr. c.
i83o-i84o « 75
1 840-1 85o » 75
i85o-i86o I »
i86o-i865 I 25
1865-1870 I 35
1870-1880 I 5o
1880-1890 I 5o
1890-1895 1 60
Il est à peine besoin de faire remarquer l'importance
sociale des faits que nous signalons. A une époque où
il est de mode de « flétrir » le capitaliste, rien n'est plus
instructif pour les esprits éclairés et impartiaux que de
constater la fixité et même la hausse des salaires au
moment où les revenus des propriétaires décroissent.
Cette observation présente déjà un très grand intérêt.
Il est encore utile de montrer que la part du produit
brut des cultures attribuée au cultivateur et au proprié-
taire sont très faibles aujourd'hui et ont décru rapide-
ment depuis quelques années. Grâce à l'élévation des
salaires, la fraction réservée aux travailleurs manuels
est au contraire très importante. Rien ne prouve mieux
l'erreur des socialistes lorsqu'ils affirment que sur le
produit du travail la part de l'ouvrier est de plus en
LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE 237
plus petite tandis que celle du capitaliste grossit tou-
jours.
Pour serrer de plus près la réalité, nous allons faire
la monographie d'une exploitation rurale et emprunter
nos chiffres à la comptabilité d'un agriculteur,
La ferme dont il s'agit est située dans le département
de l'Aisne. Sa position est excellente. Une route dépar-
tementale et une route nationale la bordent ou la traver-
sent et facilitent les charrois.
D'autre part, le domaine est pourvu d'excellents che-
mins d'exploitation. Une sucrerie a été établie non loin
de là et reçoit les betteraves que produit le fermier : ce
dernier peut également y prendre livraison des pulpes
qui serviront à l'engraissement des bœufs. Les con-
dilions économiques sont donc à ces divers points de
vue tout à fait favorables. Les terres ont une surface de
200 hectares d'un seul tenant. Leur qualité est bonne.
Le prix total de location s'élève à i i.ooo francs, soit un
peu plus de 5o francs par hectare.
La répartition de la surface entre les diverses cultures
«st la suivante :
Betteraves à sucre 60 hectares.
Blé 45 —
Seigle lo —
Avoine 4° —
Prairies artificielles 3o —
Prairies naturelles 10 —
Pommes de terre et divers . . 5 —
Le fermier s'est efforcé d'élever les rendements qui
sont très bons, notamment pour les céréales. Il obtient
■25 quintaux de blé à l'hectare, soit 33 hectolitres en
238 LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE
chiffres ronds ; 2^ hectolitres de seigle ; 60 hectolitres
ou exactement 3o quintaux d'avoine, et aS.ooo kilogs de
betteraves riches.
La moitié de l'avoine produite est consommée par les
animaux et notamment par 18 chevaux de trait. La
récolte de 3 hectares de seigle est également réservée
pour la consommation intérieure. Enfin, les coupes de
prairies, les pommes de terre, etc., servent d'aliments
et ne font pas partie du produit brut, c'est-à-dire
des valeurs exportées et constituant une recette en
argent.
Les semences devraient être régulièrement retran-
chées du montant de ce produit. Mais le cultivateur les
achète, il les fait figurer parmi les dépenses. Nous en
parlerons tout à l'heure.
Voici maintenant, pour l'année 1896, le détail des
recettes provenant de la vente des produits végétaux :
fr. c.
i.5oo tonnes de betteraves à 24 ti' "26.000 »
I.I25 quintaux de blé à 18 tV. 5o 20.812 jo
iio quintaux de seigle à 10 t'r. 7 . . . . 1.400 »
600 quintaux d'avoine à i5 l'r 9.000 »
Total 67.212 5o
Tous les ans on engraisse 20 bœufs et vaches. Leur
poids moyen au début de l'engraissement atteint
600 kilos. L'augmentation de poids vif pendant la
période d'engraissement est de 100 kilos. Pour les
20 bêtes soumises à ce régime le gain obtenu est de
2 000 kilos représentant à o fr. 85 par kilo une recette
de 1.700 francs.
Voici le détail des opérations qui se rapportent au
LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE aSg
troupeau de moutons : 200 brebis mères sont achetées,
environ 3o francs pièce, et revendues 56 francs après
avoir donné 180 agneaux; enfin 80 moutons coûtant
35 francs par tête sont vendus 5o francs.
En résumé, les recettes argent peuvent être ainsi éta-
blies :
fr. c.
Plus-value sur brebis, 200 à 26 fr 5. 200 »
Vente de i8o agneaux à 22 fr 3.960 »
Plus-value sur les moutons, 80 à i5 fr. . . 1.200 »
Laine i.5oo »
Total 11.800 »
Les principaux articles de recettes sont donc les sui-
vants :
fr. c.
Produits végétaux 67.212 5o
Produits d'origine animale i3.56o »
Total 80.772 5o
C'est là un produit total apparent. Pour obtenir le
produit brut réel, c'est-à-dire le montant des valeurs
créées dans l'exploitation, il faut en retrancher la valeur
des moyens de production.
Retranchons donc :
Ir. c.
1° Semences 5.964 »
2" Engrais industriels 18.667 »
3° Aliments achetés pour animaux 11.680 »
Total 3 1.3 II ))
Le véritable produit brut de l'exploitation ne s'élève
ainsi qu'à 80.772 — 3i .3i i = 49-4'3i francs; on a 247
francs par hectare. Ce n'est pas là un chiffre considéra-
ble et il pourrait sans doute être accru en modifiant le
système de culture adopté.
24o LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE
Voici le relevé des dépenses dont il est nécessaire de
faire état pour arriver à déterminer les profits.
fr. c.
Fermage 1 1.600 »
Frais généraux 8.900 »
Main-d'œuvre 20.903 »
Amortissement des chevaux de trait .... 2.200 »
Total 43.403 »
Les bénéfices représentent la différence entre le pro-
duit brut corrigé et les frais que nous venons d'indiquer
ils s'élèvent donc à 6. 1 26 francs.
Le capital engagé dans l'exploitation atteint sans
doute 80.000 francs. Cette somme placée en valeurs
sûres pourrait assurer à 3 p. 100 un revenu de
2.400 francs. Le chiffre total des profits n'étant que de
6.162 francs, on voit que, déduction faite de Tintérôt
de 3 p. 100 des capitaux engagés et exposés par lui, le
cultivateur n'obtient à titre de rémunération person-
nelle que 3.762 francs. C'est un résultat fort médiocre
et nous sommes persuadé qu'il pourrait être plus bril-
lant si la ferme était mieux conduite.
Voici en tout cas de quelle façon est réparti le produit
brut :
Part du propriétaire 23.4 P- 100.
Part du cultivateur 12.4 —
Part de la main-d'œuvre 4'^ 2 —
Divers 22.0 —
Total 100. o p. 100.
Les dépenses de main-d'œuvre représentent 4'*^ p- 100
du produit brut, fraction bien supérieure à celle qui cor-
respond au fermage (23 p. 100) et aux profits du cultiva-
teur (12 p. 100), ou même à ces deux parts cumulées.
LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE 241
Depuis vingt ans, le revenu du propriétaire a diminué
de 40 p. 100, et les bénéfices de l'exploitant ont baissé
plus rapidement encore. Les salaires ont, au contraire
légèrement augmenté d'une façon absolue, et la part
réservée aux travailleurs dans la production totale s'est
accrue sans que la quantité de travail fournie soit deve-
nue plus grande. La répartition des richesses agricoles
a donc été modifiée dans un sens favorable à l'ouvrier
ou au domestique rural.
C'est là une des conséquences des plus intéressantes
de la crise agricole actuelle au point de vue social. La
crise dont souffrent les agriculteurs et les propriétaires
n'a fait, d'ailleurs, que hâter l'évolution sociale qui est
toute favorable aux intérêts des travailleurs manuels,
tandis qu'elle nuit aux capitalistes.
En consultant la comptabilité d'un agriculteur de
l'Oise, nous avons pu suivre les transformations succes-
sives des sytèmes de culture et leur influence sur la
répartition de la production agricole.
En i85o , le produit brut par hectare s'élevait à
125 francs seulement. Le fermage atteignait 4» francs
et représentait près du tiers de la production. D'autre
part, le salaire moyen d'un ouvrier était de o fr. 80 par
jour.
Quarante-cinq ans plus tard (1890) le produit brut a
doublé et atteint 260 francs. Le prix de fermage reste le
même, mais ne représente plus que le sixième du mon
tant des valeurs créées. Quant au salaire journalier du
travailleur rural, il est de i fr. 60 et a augmenté, par
conséquent, de 100 p. 100.
Voici un autre exemple que nous empruntons égale-
ZoLLA. — La Crise agricole. i6
242 LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE
ment à la comptabilité d'un agriculteur, lauréat de la
prime d'honneur dans le Loiret.
En cherchant quelle a été l'augmentation moyenne de
tous les gages et salaires depuis i85i jusqu'à 1893, on
trouve les chiffres suivants :
Salaires et gages.
^ francs.
i85i-i86o 100
1891-1893 . i53
En revanche, le prix de fermage par hectare passait
seulement, dans le même intervalle, de 53 francs à
63 francs, de telle sorte que ses variations peuvent être
ainsi traduites :
Prix de fermage. -
francs. '
i85i-i86o loo
1891-1893 ii3
Quant à la part de propriétaire dans le prix brut,
elle a diminué de 20 p. 100. Nous trouvons en effet :
Produit brut par hectare
Fermage par hectare . .
i85i-i86o
1891-1893
^ — ^^---^^ — ^^
"~- ^-— ' — ^
Chiffres absolus
Chiffres absolus
p. 100.
p. 100.
3oo 100
770 100
53 17.6
63 8.1
La part du propriétaire représentait, il y a quarante ans,
17. 6 p. 100 du produit brut ; elle n'est plus aujourd'hui
que : 8. I p. 100.
La diminution dépasse donc 5o p. 100.
j II est utile de comparer ces faits avec les hypothèses
des socialistes qui disent, comme Henri Georges : « La
, rente progressera pendant que les salaires baisseront.
\ Du produit total, le propriétaire prendra une part de
LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE M'a
plus en plus grande, le travailleur une part de plus en
plus petite. »
On peut affirmer sans exagération que l'expérience
inflige à ces prédictions pessimistes un complet démenti.
La rente du sol a baissé, la part du propriétaire a
diminué au lieu de s'accroître, et les salaires seuls se
sont accrus ou sont demeurés stationnaires au milieu de
la crise qui affecte si douloureusement les capitalistes
ou les entrepreneurs.
TABLE DES IMATIERES
] Pages.
Intkoductio.n 1 à .23
Qu est-ce que la crise agricole ? Premières distinctions à
faire i
■Les caractères de la crise agricole 4
La crise, la baisse des prix et des profits 6
Les causes de la crise. La concurrence étrangère lo
La question monétaire i3
L'agriculture et l'impôt i6
Les véritables causes de la crise agricole 17
Les conséquences de la crise. Sa portée sociale 19
Les remèdes proposés et [la vraie solution 21
CHAPITRE PREMIER
LA BAISSE DE PRIX DES PRINCIPAUX PRODUITS AGRICOLES
DEPUIS VINGT ANS aS
I. Les produits végétaux 25
I. Le froment a6
II. Autres céréales 3o
III. Influence de certains produits sux* la prospérité de l'in-
dustrie agricole 33
IV. Les grains alimentaires autres que les céréales. ... 37
V. Les pommes de terre 38
VI. Les cultures industrielles 39
VII. Le vin 45
VIIL Les bois 48
IX. Conclusion générale 49
IL Les produits d'origine animale 5i
1 Le bétail et la viande 5a
II. Le lait 63
246 TABLE DES MATIERES
III. Le beurre 64
IV. Les fromages 66
V. La laine 67
VI. Les cocons 69
VII. Le miel et la cire 69
III. La baisse des prix et l'augmentation de la production
en France 7'^
IV. La production intérieure et les prix 85
V. La baisse du prix des matières premières de lindustrie
agricole 9*^
IV. Erreur relative à l'influence qu'a exercée la baisse des
prix sur les recettes brutes des cultivateurs 97
VII. La baisse des prix des denrées agricoles. Les recettes
brutes et les profits i^9
CHAPITRE DEUXIÈME
LES CAUSES DE LA BAISSE DES PRIX 127
I. Les importations de produits agricoles et la baisse des
prix i'-^7
II. La crise monétaire et la baisse des prix '44
I. La baisse de l'argent et l'appréciation de loi' i44
II. La rareté relative de l'or '47
III. La concurrence des pays à étalon d'argent i6i
III. L'Agriculture et l'impôt 167
IV. Le développement de la production agricole dans le
monde et la transformation des moyens de transport. 172
CHAPITRE TROISIÈME
LES REMÈDES 199
La législation douanière et la crise i99
La protection des intérêts agricoles '^ ' "^
Les solutions définitives '^'8
LA PORTÉE SOCIALE DE LA CRISE AGRICOLE ■ï\i
É V H E r X , I M I' U I M E m E II E CHARLES H E R I S S E Y
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HD Zolla, Daniel
194.5 La crise agricole dans ses
Z7 rapports avec la baisse des
prix et la question monétaire