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Full text of "La crise agricole dans ses rapports avec la baisse des prix et la question monétaire"

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LA 


CRISE  AGRICOLE 


DANS    SES    RAPPORTS 


LA  BAISSE  DES  PRIX  ET  LA  (ilJESTIOX  MONETAIRE 


LA 


CRISE  AGRICOLE 


DANS    SES    KAPPORTS 


LA  BAISSE  DES  PRIX  ET  LA  QUESTION  MONÉTAIRE 


I).    ZOLLA 

Lauréat  de  rriistitul, 

Professeur  -à  l'Ecole  de   Grignon  et  à  l'Ecole  libre 

des   Sciences  politiques. 


OiisToge  couronné  par  i Académie  des  Sciences  morales 
et  politiques  [Prit  liossi). 


a 


PARIS 

MASSOX   ET  C%   ÉDITEURS 

LIHI4A1KES     DE    l' ACADÉMIE    DE    MÉDECINE 
120,  Houlovard  Saiiit-(îpi-inaiii 


(jdB 


OCT  1  0  t9j2 


A  MA  MERE 


En  témoignage  de  mon  respect  et  de 
ma  reconnaissante  affection. 


LA  CRISE  AGRICOLE 

DANS    SES    RxVPPORTS 

AVEC  LA   BAISSE  DES   PRIX   ET   LA   QUESTION 
MONÉTAIRE 


INTRODUCTION 


On  trouvera  dans  cette  Introduction  le  plan  que  nous 
avons  adopté,  c'est-à-dire  la  succession  et  Tenchaîne- 
ment  logiques  des  divers  chapitres. 

En  premier  lieu  nous  exposons  et  nous  analysons 
les  faits  ;  nous  remontons  ensuite  aux  causes  qui 
les  expliquent.  Nous  montrons  les  conséquences  si 
diverses  des  phénomènes  économiques  qui  constituent 
ou  provoquent  la  Crise  agricole.  Enfin,  nous  nous 
demandons  quels  remèdes  peuvent  en  atténuer  les 
effets. 

Ce  sont  là  les  quatre  divisions  de  cet  ouvrage. 

Qu'est-ce  que  la  Crise  agricole  ?  Premières 
distinctions  à  faire. 

Depuis  tantôt  vingt-cinq  ans  on  parle  de  la  crise 
agricole.  Il  n'est  pas  inutile,  au  début  d'une  étude  qui 

ZoLLA.  —  La  Crise  agricole.  i 


2  lyTRODUCTION 

s'y  rapporte,  de  chercher  à  préciser  ce  qu'on  entend 
par  ce  mot. 

Une  pareille  expression  désigne  évidemment  un  état 
de  malaise,  de  trouble,  de  crainte  et  de  souffrance.  Il 
s'est  opéré  un  changement  dans  la  situation  des  agri- 
culteurs, et  ce  changement  les  affecte  douloureuse- 
ment. 

Ici  une  distinction  s'impose.  Nous  avons  la  fâcheuse 
habitude  de  donner  le  nom  d'agriculteurs  à  tous  ceux 
qui  coopèrent  à  la  production  agricole.  Le  public  est 
ainsi  disposé  à  confondre  les  chefs  d'exploitation,  qui 
sont  des  patrons,  des  entrepreneurs  de  culture,  et,  par 
suite,  de  véritables  industriels,  avec  les  collaborateurs 
salariés  connus  sous  le  nom  d'ouvriers,  de  domes- 
tiques, de  chefs  de  culture,  etc.,  etc.  Cette  confusion 
est  regrettable  à  plus  d'un  titre.  L'ouvrier  agricole  ne 
doit  pas  plus  être  confondu  avec  l'entrepreneur  de  cul- 
ture que  le  salarié  de  l'industrie  avec  le  propriétaire 
d'une  usine  et  l'ingénieur  qui  la  dirige.  A  un  point  de 
vue  très  général  et  très  élevé,  on  peut  dire  que  les 
intérêts  des  patrons  industriels  sont  liés  à  ceux  de  leurs 
ouvriers.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  ces  intérêts 
sont  parfois  opposés,  et  les  dissentiments  ou  les  luttes 
retentissantes  qui  se  produisent  entre  employeurs  et 
employés,  nous  révèlent  clairement  l'antagonisme  de 
ces  deux  catégories  de  «  travailleurs  »  et  de  «  produc- 
teurs )). 

Pourquoi  en  serait-il  autrement  dans  l'industrie  agri- 
cole ?  Pourquoi,  dès  lors,  donner  le  même  nom  à  des 
hommes  dont  les  fonctions,  la  fortune,  l'instruction  et 
la  situation  sociale  sont  évidemment  différentes  ? 


QU  EST-CE   QUE  LA    CRISE   AGRICOLE?  3 

La  crise  agricole,  notamment,  affecte-t-elle  de  la  même 
façon  tous  les  agriculteurs  ? 

Les  salaires,  par  exemple,  ont-ils  subi  une  réduction 
égale  à  celle  qui  affecte  les  profits  des  entrepreneurs  de 
culture  ? 

Cet  état  de  malaise,  de  trouble,  de  crainte  et  de  souf- 
france appelé  «  crise  »,  présente-t-il  les  mêmes  carac- 
tères lorsque  Ton  étudie  la  situation  des  salariés  et 
celle  des  patrons  agricoles,  celle  des  locataires  d'héri- 
tages ruraux  appelés  fermiers  ou  métayers,  et  celle 
des  petits  propriétaires-cultivateurs  ? 

Cette  question  comporte  certainement  une  réponse 
négative.  Non,  la  «  crise  »  n'a  pas  affecté  de  la  même 
manière  la  situation  financière  et  matérielle  de  ces  trois 
grandes  catégories  d'  «  agriculteurs  ».  Cette  distinction 
est  fondamentale.  Elle  se  rattache  tout  à  la  fois  aux 
causes  et  aux  effets  de  la  crise  agricole.  Elle  permet 
d'en  étudier  la  haute  portée  sociale. 

Quand  on  parle  d'une  crise  agricole.,  on  semble, 
enfin,  viser  uniquement  les  agriculteurs.  C^est  là  une 
vue  trop  étroite.  L'observation  des  faits  actuels  et 
l'étude  des  phénomènes  analogues  dans  le  passé,  nous 
apprennent  bien  vite  que  les  propriétaires  fonciers  qui 
amodient  ou  afferment  leurs  domaines  ruraux  sont 
atteints  par  une  crise  agricole.  Tout  le  monde  sait,  en  \ 
réalité,  que  depuis  quelques  années  le  revenu  des  biens-  [ 
fonds  ruraux  a  diminué  en  France. 

Les  exceptions  à  cet  égard  confirment  la  règle. 

D'autre  part,  la  réduction  des  revenus  nets  habituels 
a  exercé  une  action  sur  la  valeur  vénale  de  ces  mêmes 
biens.    Les    propriétaires    qui    ne    cultivent    pas    eux* 


4  I.\TIiODUCTIOy 

mêmes,  mais  qui  «  donnent  en  location  »  leurs  terres, 
constituent  par  conséquent  une  dernière  catégorie  de 
personnes  dont  la  crise  actuelle  modifie  la  situation. 
Quand  nous  étudierons  les  efïets  et  les  causes  de  la 
crise  agricole,  il  y  aura  donc  lieu  de  rappeler  la  qua- 
druple division  que  nous  indiquons  dès  à  présent.  Les 
entrepreneurs  de  culture,  les  propriétaires  cultivateurs, 
les  propriétaires  de  biens-fonds  affermés  ou  amodiés, 
et  enfin  les  salariés,  seront  l'objet  d'études  successives 
destinées  à  montrer  dans  quelle  mesure  ils  ont  à  souf- 
frir d'un  état  de  choses  nouveau,  et  pour  quelles  raison 
ils  s'en  trouvent  diversement  affectés. 

Les  caractères  de  la  crise  agricole. 

Les  caractères  de  la  crise  que  nous  traversons  ne 
diffèrent  pas  seulement  quand  il  s'agit  de  fermiers, 
de  métayers,  de  petits  propriétaires,  etc.,  etc.  Ils  varient 
également  avec  la  nature  des  produits  agricoles  et,  par 
conséquent,  avec  les  régions  dans  lesquelles  ces  pro- 
duits sont  habituellement  obtenus.  Nous  aurons,  par 
conséquent,  à  marquer  les  différences  qui  s'observent 
d'une  extrémité  à  l'autre  de  notre  pays  et  à  rechercher 
les  causes  qui  les  expliquent. 

Ces  différences  correspondent  à  des  caractères  spé- 
ciaux. 

Mais  il  est  un  caractère  très  général  et  non  plus  spé- 
cial que  nous  devons  indiquer  immédiatement,  car  il 
mar([ue  la  différence  profonde  qui  sépare  la  crise  agri- 
cole actuelle  des  difficultés  passagères  ou  même  des 
désastres   et  des  fléaux.    La   crise   agricole  est,   avant 


LES   CARACTERES  DE  LA    CRISE  AGRICOLE  5 

tout,  une  crise  économique.  Elle  se  rapporte  à  des 
questions  financières,  à  la  réduction  des  profits,  à  la 
baisse  des  loyers  agricoles,  à  la  question  si  obscure  des 
prix  de  revient  dans  leur  rapport  avec  les  prix  de 
vente,  et  non  pas  à  l'état  des  récoltes  que  des  intem- 
péries, des  maladies  nouvelles  auraient  pu  diminuer. 

Sans  doute  finvasion  phylloxérique  constitue  un  évé- 
nement d'une  si  grande  importance  qu'elle  a  provoqué 
une  crise  dans  les  régions  viticoles.  Mais  cette  crise 
dont  la  cause  est  bien  connue  ne  saurait  être  confondue 
avec  la  crise  agricole  elle-même,  dont  les  effets  se  sont 
fait  sentir  dans  la  France  entière. 

S'il  s'agissait  de  la  rareté  de  certaines  récoltes,  la 
crise  agricole  eût  été  restreinte  à  quelques  régions,  à 
(juelques  pays  tout  au  plus.  Après  les  années  d'épreuve, 
on  eût  traversé  de  nouveau  une  période  de  prospérité 
et  d'abondance.  Rien  n'eut  changé,  ni  le  prix  des  den- 
rées, ni  les  bénéfices  attachés  à  l'exploitation  du  sol, 
ni  la  valeur  locative  des  terres. 

C'est  précisément  l'inverse  que  nous  ol)servons. 
.  Depuis  vingt  ans,  la  masse  des  produits  agricoles  obte- 
nus chaque  année  a  certainement  augmenté  ;  nous  avons 
réalisé  d'incontestables  progrès.  Notre  sol  est  mieux 
travaillé,  mieux  fumé,  plus  intelligemment  sollicité  à 
produire,  parce  que  l'on  a  tenu  compte  de  ses  aptitudes 
naturelles  ;  il  est  devenu  plus  fécond.  Nos  animaux 
domestiques  sont  à  la  fois  plus  nombreux,  mieux  con- 
formés, plus  pesants,  et  en  somme  plus  productifs. 
Nous  avons  triomphé  du  phylloxéra,  reconstitué  en 
grande  partie  nos  vignobles  ravagés,  lutté  avec  succès 
contre  des  maladies  nouvelles.  Le  perfectionnement  de 


6  INTRODUCTION 

notre  outillage  mécanique  et  la  prédominance  de  plus 
en  plus  marquée  des  cultures  fourragères  ont  réduit 
les  frais  de  main-d'œuvre.  Nos  voies  de  communication 
de  toutes  catégories  sont  plus  nombreuses.  Dans  bien 
des  cas,  les  tarifs  de  transport  ont  subi  sur  nos  chemins 
de  fer  des  réductions  notables.  L'esprit  d'association 
s'est  développé  dans  nos  campagnes.  Les  syndicats 
agricoles,  les  sociétés  coopératives  de  production  ren- 
dent sur  mille  points  des  services  signalés.  Il  n'est  pas 
jusqu'à  l'instruction  agricole  que  l'on  n'ait  répandue 
avec  la  plus  louable  persévérance,  sinon  avec  le  succès 
le  plus  éclatant. 

Et  pourtant  le  public  agricole  ne  cesse  de  faire 
entendre  des  plaintes.  Les  profits  agricoles  ont  diminué 
et  la  baisse  du  prix  des  terres  s'est  accentuée. 

Cette  situation  n'est  pas    spéciale    à  la  France.    On 
nous  la  signale  en  Angleterre,  où  une  commission  offi- 
cielle vient  précisément  d'étudier  les  effets  et  de  recher- 
cher les   causes    de   cette  crise   agricole   dont  tout  le 
monde  parle.  Dans  l'Europe  entière,  les  mêmes  signes 
de   malaise  s'observent  et  les  mêmes  plaintes   retcn- 
\  tissent.   Aux  États-Unis,  nos  concurrents   si  redoutés 
I  paraissent  souffrir  du  même  mal.  La  crise  agricole  est 
donc  très  générale.  C'est  encore  là  un  de  ses  caractères 
jles  plus  saillants. 

La  crise  agricole,  la  baisse  des  prix  et  des  profits. 

Nous  pouvons  dire  dès  à  présent  qu'un  phénomène 
économique  de  la  plus  haute  importance  et  d'une  remar- 
quable généralité  coïncide  avec  cette  crise  et  l'explique 
en  partie. 


LÀ    BAISSE  DES    l'IlIX  ET  DES  PROFITS  7 

Nous  voulons  parler  de  la  baisse  du  prix  des  pro-  j 
duits  agricoles.  i 

Cette  baisse  est  le  fait  capital  que  nous  avons  à  étu- 
dier tout  d'abord.  Nous  allons  suivre  les  fluctuations 
des  cours  avant  d'en  rechercher  les  causes  ou  d'en 
montrer  les  effets. 

Mais,  si  intéressante  que  soit  l'étude  des  fluctuations 
de  prix,  elle  ne  nous  fournira  pas  tous  les  renseigne- 
ments dont  nous  avons  besoin. 

La  baisse  des  prix  n'agit  sur  les  profits  qu'à  la  con- 
dition de  réduire  les  recettes.  Or,  les  recettes  brutes 
du  cultivateur  ne  sont  affectées  par  la  baisse  ou  par  la 
hausse  que  s'il  s'agit  de  produits  effectivement  vendus. 
Il  faut  donc  chercher  à  savoir  quels  sont  les  produits 
du  sol  portés  sur  les  marchés  et  les  distinguer  avec 
soin  des  denrées  qui  constituent  de  véritables  matières 
premières  transformées  dans  l'exploitation  et  vendues 
lorsque  cette  transformation  a  été  opérée. 

Il  est  clair,  par  exemple,  que  la  plupart  des  fourrages 
ne  sont  point  vendus.  Ils  servent  d'aliments.  Le  bétail 
les  transforme  en  viande,  en  lait,  en  laine,  et  ils  sont 
vendus  sous  cette  forme  spéciale.  Les  denrées  con- 
sommées immédiatement  par  les  chefs  d'exploitation, 
leur  famille  et  leur  personnel  salarié  ne  sont  point  non 
plus  portées  sur  le  marché  et  les  variations  de  leur 
prix  n'affectent  pas  les  recettes  brutes  de  l'entrepreneur 
de  culture  ou  ses  profits. 

Voilà  déjà  une  première  question  à  étudier.  Ce  n'est 
pas  la  seule. 

L'augmentation  de  la  production  peut  atténuer,  dans 
une  certaine  mesure,  l'effet  de  la  dépression  des  cours. 


ISTRODUCTIOy 


En  tout  cas,  la  diminution  du  produit  brut  cultural  est 
moins  marquée  si  les  quantités  récoltées  augmentent 
pendant  que  le  prix  de  vente  s'abaisse. 

Il  y  a  donc  lieu  de  se  demander  si  les  progrès  tech- 
niques réalisés  en  France  depuis  vingt  ans  n'ont  pas  eu 
précisément  pour  conséquences  un  développement 
appréciable  de  la  production.  Ce  développement  doit 
avoir  d'autant  plus  d'importance  qu'il  est  plus  rapide, 
plus  marqué  et  qu'il  porte  sur  des  denrées  produites 
par  masses  plus  considérables. 

C'est  encore  là  une  seconde  question  intimement 
liée  au  problème  de  la  crise  agricole.  11  est  impossible 
d'apprécier  et  de  mesurer  les  conséquences  réelles 
de  la  baisse  des  prix  sans  tenir  compte  des  circons- 
tances qui  se  rapportent  à  l'augmentation  de  la  produc- 
tion. 

Mais  en  revanche,  le  développement  rapide  de  la  pro- 
duction  n'a-t-il  pas  provoqué  ou  précipité  la  baisse  des 
cours?  L'analyse  des  faits  serait  incomplète  si  nous 
n'examinions  pas  cette  question. 

Voici  maintenant  une  autre  série  de  faits  à  étudier  : 

Quand  on  parle  de  la  baisse  des  prix,  on  songe  exclu- 
sivement aux  cours  des  produits  que  vendent  les  agri- 
culteurs. 

Pourquoi  ne  tiendrait-on  pas  compte  également  de  la 
baisse  des  denrées  ({u'achètent  les  cultivateurs  et  qui 
sont  de  véritables  matières  premières  ?  Est-il  indiffé- 
Bent,  par  exemple,  que  le  cours  des  engrais  industriels 
se  soit  abaissé  ou  que  le  prix  des  résidus  industriels 
tels  que  les  tourteaux  alimentaires,  ait  diminué  ?  Evi- 
demment non  !  ïl  en  est  de  même  en   ce  qui  concerne 


LA   BAISSE   DES   Plil.Y  ET  DES   PROFITS  <) 

la  valeur  des  machines  et  outils  que  nos  agriculteurs 
ont  intérêt  à  acheter. 

Il  y  aurait  lieu  de  se  demander  également  si  la  baisse 
des  salaires  et  des  loyers  agricoles  ne  vient  pas  réduire, 
à  son  tour,  les  dépenses,  diminuer  par  conséquent  les 
prix  de  revient  et  compenser  partiellement,  au  moins, 
la  contraction  des  recettes  brutes. 

Nous  pensons,  toutefois,  que  la  question  des  salaires 
et  celle  des  variations  du  prix  des  terres  doivent  être 
étudiées  à  part,  en  môme  temps  que  les  conséquences 
ou  elFets  de  la  baisse  des  prix  et  de  la  crise  agricole. 
Voici,  enfin,  un. autre  problème  d'autant  plus  intéres- 
sant qu'il  a  été  jusqu'à  présent  moins  étudié  et  moins 
bien  compris. 

Il  n'est  pas  douteux  que  la  crise  agricole  ne  se  tra- 
duise, en  définitive,  par  une  diminution  des  profits 
attachés  à  la  culture  du  sol  et  à  l'emploi  des  capitaux 
cVexploilalioii  : 

Quelle  est  donc  la  répercussion  d'une  baisse  des  prix 
de  vente  et  de  la  contraction  des  recettes  brutes,  qui 
est  la  conséquence  de  cette  baisse,  sur  les  profils  cultu- 
raux? 

Suffit-il  de  réduire  les  dépenses  dans  la  proportion 
où.  sont  réduites  les  recettes  brutes  pour  réaliser  les 
mêmes  profits  ?  La  baisse  ou  la  hausse  la  plus  légère 
des  cours  ne  peut-elle  pas,  au  contraire,  abaisser  ou 
élever  rapidement  la  valeur  du  produit  brut  cultural 
et  exercer  immédiatement  une  influence  considérable 
sur  le  montant  des  profits  ? 

Qui  ne  voit  l'intérêt  exceptionnel  de  ce  problème  ? 
La  solution  qu'il    comporte    peut  éclairer  d'un  jour 


lo  lyTRODUCTION 

nouveau  la  question  de  la  crise  en  montrant  quelle  est 
la  portée  d'une  baisse  des  prix  amenant  une  contraction 
immédiate  des  recettes  brutes,  alors  même  que  les 
dépenses  correspondantes  pourraient  être  réduites 
dans  des  proportions  analogues. 

On  ne  saurait  donc  trop  mettre  en  lumière  la  réper- 
cussion des  fluctuations  de  prix  sur  les  profits  cultu- 
raux. 

C'est  là,  en  vérité,  le  fond  môme  de  la  question  des 
crises  agricoles  ou  industrielles  provoquées  par  des 
variations  de  prix. 


Les  causes  de  la  crise.  —  La  concurrence  étrangère. 

En  étudiant  le  mouvement  des  prix,  les  variations  du 
produit  brut  des  exploitations  rurales  et  la  répercussion 
de  ces  phénomènes  économiques  sur  les  profits  cultu- 
raux,  nous  allons  surtout  constater  ou  analyser  des  faits 
presque  immédiatement  visibles. 

C'est  là,  aux  yeux  du  public,  vuie  tâche  aisée  et  une 
besogne  presque  stérile. 

«  Tout  le  monde,  nous  dira-t-on,  sait  que  le  prix  des 
produits  agricoles  a  diminué  et  que  les  profits  culturaux 
se  sont  abaissés.  Quelle  est  la  cause  de  cette  baisse? 
N'est-ce  point  la  concurrence  étrangère  ?  N'est-ce  point 
la  démonétisation  de  l'argent,  la  rareté  de  l'or,  la  con- 
currence des  pays  à  étalon  d'argent?  Voilà  ce  qui  nous 
intéresse,  car  en  déterminant  exactement  la  cause  du 
mal  dont  nous  souffrons,  il  sera  possible,  sans  doute, 
d'en  montrer  le  remède,  w 


LES   CAUSES  DE  LA    CRISE  ii 

Nous  serons  donc  amenés  à  parler  des  faits  écono- 
miques qui  expliquent  la  baisse  des  prix. 

En  premier  lieu,  il  nous  faudra  signaler  la  concur- 
rence. C'est  elle  que  l'on  accuse  tout  d'abord,  car  la 
concurrence,  étrangère  ou  intérieure,  n'est  jamais  vue 
d'un  bon  œil  par  le  producteur.  Mais  ici  une  distinc- 
tion est  nécessaire. 

Comment  la  concurrence  étrangère  se  manifeste-t-elle  ; 
quels  sont  les  faits  qui  la  révèlent? 

Ce  sont  évidemment  les  importations  étrangères  (i) 
qui  révèlent  par  leurs  variations  l'influence  probable  de 
la  concurrence  extérieure  sur  le  cours  des  produits 
nationaux. 

Il  y  aura  donc  lieu  d'étudier  nos  importations  agri- 
coles principales,  celles  qui  se  rapportent  notamment 
aux  céréales  et  au  bétail,  et  de  suivre  la  marche  simul- 
tanée de  ces  importations  et  des  prix.  Beaucoup  de  per- 
sonnes admettent  sans  discussion  que  la  baisse  du  ])lé 
en  France  résulte  immédiatement  de  l'accroissement 
de  nos  importations  et  qu'il  en  est  de  même  pour  le 
bétail.  Il  est  tout  au  moins  permis  de  vérifier  l'exactitude 
de  cette  affirmation  et  de  se  demander  si,  à  d'autres 
époques,  les  variations  de  prix  observées  ont  coïncidé 
avec  le  développement  ou  la  réduction  des  importations 
étrangères. 

Est-il  vrai,  par  exemple,  que  le  prix  d'un  produit 
agricole  comme  le  froment  ait  diminué  lorsque  les  impor- 
tations étrangères  augmentaient,  et  se   soit  relevé,  au 


(i)  Ou  qualifiées  telles,  car  nos  slalislicjucs  considèreul  comme  pro- 
duits étrangers  ceux  qui  viennent  de  nos  colonies.  Il  est  bon  de  signaler 
cette  définition  tout  administrative. 


12  INTRODUCTION 

contraire,  lorsque  les  importations  diminuaient?  Est-il 
exact  que  le  cours  de  la  viande  ait  fléchi  dans  noire 
pays  quand  les  entrées  de  bétail  étranger  étaient  consi- 
dérables et  qu'il  ait  augmenté  quand  ces  importations 
diminuaient? 

Disons-le  tout  de  suite  :  ces  deux  affirmations  si  faci- 
lement acceptées,  ces  déductions  logiques,  mais  fort 
imprudentes,  ne  sont  nullement  confirmées  par  Tétude 
des  faits  dans  notre  pays. 

Le  cours  du  blé  a  diminué  rapidement  en  France  sous 
la  Restauration,  et  il  est  resté  fort  bas  pendant  long- 
temps, bien  que  nos  importations  fussent  à  cette  époque 
insignifiantes  ou  nulles. 

Le  prix  du  froment  a  augmenté  rapidement  de  i85o  à 
1875  et  à  ce  moment  les  importations  augmentaient  aussi . 

Depuis  vingt  ans,  nos  importations  de  blés  étrangers 
se  sont  fort  peu  développées,  et,  cependant  les  cours 
ont  fléchi  dans  une  proportion  considérable.  Le  cours 
de  la  viande  a  légèrement  diminué,  lui  aussi,  et  pour- 
tant nos  importations  de  bétail  ont  subi  une  réduction 
incontestable. 

Ce  ne  sont  là  ni  des  affirmations  ni  même  des  expli- 
cations ;  ce  sont  des  faits  que  tout  le  monde  peut  étu- 
dier et  constater  comme  nous.  Il  suffit  pour  cela  de 
relever  les  prix  du  blé  ou  de  la  viande  sur  nos  marchés 
et  de  suivre  en  même  temps  la  marche  des  importations. 
Ceux  qui  voudront  bien  ne  pas  nous  accuser  immédia- 
tement de  soutenir  une  thèse  paradoxale  auront  toute- 
fois le  droit  de  nous  demander  quelle  est  la  cause  ou 
bien  quelles  sont  les  causes  des  variations  de  prix 
observées. 


LA    QUESTION  MONÉTAIRE  i3 

Rien  de  plus  juste  ;  et  nous  nous  efforcerons  préci- 
sément de  montrer  tout  d'abord  que  les  variations  de 
prix   ne  sauraient  être  attribuées   à  une   seule   cause. 

La  complexité  des  phénomènes  économiques  doit  faire 
écarter  les  solutions  simples  et  les  affirmations  catégo- 
riques. La  hausse  ou  la  baisse  des  prix  est  la  résultante 
d'un  très  grand  nombre  de  faits.  Or,  la  concurrence 
étrangère  et  le  chiffre  des  importations  ne  sont  pas  les 
seuls  faits  dont  on  doive  tenir  compte.  lien  est  d'autres, 
extrêmement  importants,  que  l'on  ne  saurait  négliger. 

La  question  monétaire. 

La  plupart  des  économistes  admettent  aujourd'hui  que 
la  hausse  générale  du  prix  des  produits  agricoles  durant 
la  période  iSSo-iSjo  peut  être  attribuée  —  partiellement 
—  à  l'aiUux  d'or  qui  se  produisit  au  même  moment. 

Nous  aurons  à  discuter  une  opinion  du  même  genre, 
à  propos  de  la  baisse  actuelle  qui  s'est  fait  sentir  depuis 
1873  ou  1880. 

Beaucoup  de  personnes  supposent  que  la  démonéti- 
sation de  l'argent  et  la  suspension  de  la  frappe  libre  de 
ce  métal  après  1870  ont  provoqué  une  baisse  énorme 
du  métal  blanc.  D'autre  part,  ils  admettent  que  l'or 
restant  seul  chargé  du  rôle  monétaire  qui  était  rempli 
précédemment  par  les  deux  métaux  précieux,  a  pu 
devenir  plus  rare.  Cette  rareté  ou  cette  «  appréciation  » 
a  déterminé,  suivant  les  mêmes  personnes,  une  baisse 
générale  des  prix. 

Les  bimétallisles  ne  se  contentent  pas  d'affirmer  que 
la  rareté  de  l'or  est  la  cause  de  la  baisse  ;  ils  demandent 


i4  jy'JIWDUCTION 

qu'on  rouvre  les  hôtels  de  monnaie,  et  notamment  les 
nôtres,  à  la  frappe  libre  de  l'argent.  La  hausse  des 
prix  et  la  prospérité  seraient,  à  leurs  yeux,  les  consé- 
quences immédiates  de  cette  politique  monétaire.  A  vrai 
dire,  les  bimétallistes  désireraient  qu'une  conférence 
internationale  fixât  le  rapport  nouveau  qui  servirait  à 
établir  le  pouvoir  d'achat  réciproque  des  deux  métaux 
monétaires  devenus  désormais  capables  de  se  suppléer 
l'un  l'autre  et  de  solder  les  dettes  de  pays  à  pays. 

11  nous  faudra  encore  étudier  ce  problème.  D'avance 
nous  pouvons  dire  que  nous  repousserons  les  solutions 
extrêmes.  Nous  n'admettrons  point  que  la  démonétisation 
de  l'argent,  et  sa  baisse  prodigieuse,  aient  été  sans  aucune 
influence  sur  les  prix.  Il  nous  a  paru  impossible  de 
démontrer  que  l'or  avait  conservé  la  même  puissance 
d'acquisition.  Cette  incertitude  doit  nous  faire  douter  ; 
et  nous  estimons  qu'il  est  sage  de  ne  point  se  prononcer 
en  ce  moment  d'une  façon  catégorique.  Peut-être,  en 
effet,  l'or  est-il  aujourd'hui  plus  «  apprécié  »,  ce  qui 
expliquerait  en  partie,  mais  en  partie  seulement,  la 
baisse  générale  des  prix.  Remarquons,  d'ailleurs,  que 
le  développement  extraordinairement  rapide  de  la  pro- 
duction de  l'or  depuis  1892  rendra,  dans  une  dizaine 
d'années,  F  «  appréciation  »  de  l'or  tout  à  fait  hypothé- 
tique ou  chimérique  (i). 
(  Quant  au  rêve  des  bimétallistes,  nous  le  croyons  bien 
}  décevant,  et  sa  réalisation  nous  apparaît  comme  très 
\  dangereuse. 

Attendons,  d'ailleurs,   qu'une  conférence  internatio- 


(i)  Voir  à  ce  propos  larliclc  de  M.  de  P'ovillc  public  dans  la  Revue 
des  Deux  Mondes  (i5  novembre  1898)  :  «  L'or  du  Klondyko.  » 


LA    QUESTION  MONÉTAIRE  i5 

nalc  se  soit  prononcée  sur  Topportiinité  de  la  reprise  de 
la  frappe  du  métal  blanc. 

Mais  voici,  maintenant,  un  autre  problème  qui  se  pose. 
La  démonétisation  et  la  baisse  de  Targ-ent  n'ont  pas  eu 
seulement  pour  conséquence  1'  «  appréciation  de  l'or  ». 
Il  ne  faut  pas  oublier,  dit-on,  que  si  la  plupart  des 
nations  d'Europe  sont,  en  droit  ou  en  fait,  monométal- 
listes-or,  certains  pays  sont  restés  monométallistes- 
argent  (i). 

Or,  la  concurrence  des  pays  à  étalon  d'argent  a,  dit- 
on,  pour  effets  : 

1°  De  nous  inonder  do  produits  à  vil  prix  achetés  dan-s 
ces  pays  aux  prix  cV  autre  fois  avec  un  métal  qui  a  perdu 
5o  p.  loo  de  sa  valeur-or  ; 

i"  De  rendre  impossibles  les  exportations  des  pays 
à  étalon  d'or  forcés  de  vendre  leurs  produits  deux  fois 
plus  cher  en  monnaie  d'argent,  puisque  ce  métal  est 
déprécié  de  5o  p.  loo  par  rapport  à  son  change  en  or. 

C'est  là  encore  une  affirmation  dont  nous  étudierons  [ 
la  valeur  et  la  portée.  A  nos  yeux,  elle  équivaut  simple- 
ment à  une  hypothèse  qui  est  d'ailleurs,  fort  souvent  en 
contradiction  manifeste  avec  la  réalité. 

Il  est  possible  que  la  dépréciation  brusque  de  l'unité 
monétaire  d'argent  dans  des  pays  comme  l'Inde  ait 
abaissé  momentanément  le  prix  en  or  des  produits 
exportés.  Mais  les  conclusions  catégoriques  et  les  déduc- 
tions logiques  de  ceux  qui  attribuent  la  baisse  des  prix 
à  la  concurrence  des  «  pays  blancs  »  ne  doivent  point 
être  acceptées  sans  discussion.  Il  en  est  de  môme  en  ce 

(i)  Cependant  la  frappe  de  l'argent  est  suspendue  dans  l'Inde  depuis 
1893,  et  le  Japon  a  adopté  l'étalon  d'or. 


i6  lATEODUCnON 

qui  concerne  les  pays  à  circulation  fiduciaire  soumis  au 
régime  du  papier-monnaie. 

On  n'a  point  établi  que  le  prix  des  denrées  agricoles 
cultivées  exclusivement  dans  les  pays  à  étalon  d'argent 
eut  toujours  baissé  depuis  vingt  ou  vingt-cinq  ans;  la 
marche  des  cours  en  or  n'est  nullement  parallèle  à  celle 
de  l'argent  coté  en  or. 

Il  n'est  pas  davantage  démontré  que  le  prix  des  den- 
rées produites  dans  les  pays  à  étalon  -d'or  soit  resté 
fixe  ou  ait  augmenté. 

L'Agriculture  et  l'impôt. 

Mais  à  quoi  bon,  dira-t-on,  chercher  si  loin  la  cause 
d'une  crise  qui  résulte  en  grande  partie  des  injustices 
fiscales  dont  l'agriculture  est  victime  ?  L'industrie  agri- 
cole est  accablée  par  l'impôt.  Elle  acquitte  de  ce  chef  de 
25  à  3o  p.  ICO  de  son  revenu,  et  ce  tribut  écrasant  est  une 
des  causes  de  la  crise  agricole,  si  ce  n'est  pas  la  seule. 

En  réalité  cette  opinion  ne  repose  que  sur  des  calculs 
dépourvus  de  toute  valeur  scientifique.  Après  avoir 
dressé  la  liste  de  toutes  les  taxes  directes  ou  indirectes 
qui  frappent  la  terre,  les  bâtiments  ruraux,  et  la  popu- 
lation agricole  tout  entière,  on  en  calcule  le  montant 
annuel  d'une  façon  tout  arbitraire.  Mais  cela  n'est  rien. 
L'ensemble  des  impôts  directs  ou  indirects  acquittés 
par  la  population  agricole  ne  peut  être  prélevé  que  sur 
ses  revenus.  C'est  donc  au  total  des  revenus  agricoles, 
profits,  gages,  salaires,  fermages,  récoltes  partagées  en 
nature,  qu'il  faut  comparer  le  total  correspondant  des 
charges  fiscales.  Et  c'est  précisément  ce  que  l'on   ne 


L  AGRICULTURE   ET  L'IMPOT  17 

fait  pas.  On  se  contente  de  confondre  le  revenu  net  de 
la  population  agricole  avec  l'ensemble  du  revenu  net 
imposable  de  la  terre  qui  n'en  représente  qu'une  frac- 
tion. Cette  erreur  enlève  toute  valeur  et  toute  portée  à 
l'opinion  de  ceux  qui  considèrent  la  crise  agricole 
comme  une  conséquence  de  l'énormité  des  charges 
fiscales  imposées  aux  populations  rurales. 

Les  véritables  causes  de  la  crise  agricole. 

Le  développement  de  la  production  dans  le  monde  et 
la  transformation  des  moyens  de  transport. 

Après  avoir  étudié  la  baisse  et  recherché  les  causes 
qui  l'expliquent,  nous  ne  serons  pas  encore  parvenus  à 
l'ormuler  des  conclusions  définitives.  Nos  solutions 
auront  plutôt  été  des  solutions  négatives. 

Quels  sont  donc  les  faits  décisifs;  quelles  sont  les 
transformations  nouvelles  dont  les  conséquences  se 
traduisent  depuis  vingt  ans  par  une  baisse  si  remarquable 
et  si  générale  du  prix  des  denrées  agricoles  ?  Ces  faits 
et  ces  transformations  se  rapportent  au  développement 
de  la  production  agricole  dans  le  monde  et  aux  trans- 
ports. 

Nul  phénomène  économique  n'a  eu,  sans  doute,  plus 
d'influence  sur  la  marche  des  prix. 

C'est  ce  que  nous  essaierons  de  prouver. 

Il  nous  sera  impossible  d'exposer,  même  en  les  résu- 
mant, tous  les  faits  relatifs  à  la  production  agricole  et 
aux  transports.  Nous  nous  efforcerons,  tout  au  moins, 
d'indiquer  les  principaux,  ceux  qui  sont  plus  topiques 
et  plus  frappants.  Nous  nous  garderons  bien,  en  tout 

ZoKLA.  —  La  Crise  agricole.  2 


lyTRODVCTION 


cas,  d'isoler  les  faits  relatifs   au  développement  de  la 

production   sans  indiquer  le  lien  si  étroit  qui  rattache 

Faccroissement  des  récoltes  de  tout  genre  et  des  den- 

1     rées  de  toute   espèce  aux  transformations  des  moyens 

de  transport.  Ces  deux  questions  sont  si  intimement  liées 

qu'on  ne  saurait  les  séparer  si  l'on  veut  les  bien  étudier. 

Dans  les  pays  neufs  particulièrement,  et  aux  États-Unis 

»  que  nous  connaissons  mieux,   c'est   la   réduction   des 

\  tarifs  de  chemin  de  fer  ou  des  frets  qui  explique  le  déve- 

I  loppement  des  cultures. 

Malgré  la  baisse  des  principaux  produits  agricoles, 
non  seulement  en  Europe,  mais  dans  l'est  des  État-Unis, 
la  culture  du  blé  et  l'élevage  du  bétail  sont  restés  lucra- 
tifs pour  les  agriculteurs  du  centre  et  de  l'ouest, />rt/"ce 
que  la  réduction  des  frais  de  transport  a  compensé,  au 
moins  partiellement,  la  baisse  des  cours  pratiqués  sur 
les  grands  marchés. 

Il  en  résulte  que  dans  les  États  qui  sont  encore  de 
grands  producteurs  de  froment,  on  n'observe  pas  une 
baisse  de  prix  analogue  à  celle  que  l'on  constate  dans 
notre  pays  ou  même  dans  l'est  des  États-Unis. 

Le  contraste  est  môme,  parfois,  saisissant. 

Cette  observation,  appuyée  sur  des  statistiques  nom- 
breuses et  précises,  nous  paraît  présenter  un  très  grand 
intérêt  et  une  portée  très  générale. 

Les  mêmes  phénomènes  ont  pu  se  produire  dans 
d'autres  pays  nouvellement  mis  en  culture,  et  ils  nous 
font  comprendre  pourquoi  le  développement  rapide  de 
la  production  agricole  n'a  pas  été  arrêté  par  la  baisse 
des  cours  cotés  en  Europe  ou  sur  les  marchés  d'expor- 
tation de  ces  pays  eux-mêmes. 


CONSÉQUENCES   DE   LA    CRISE   AGRICOLE  19 


Les  conséquences  de  la  crise  agricole.  Sa  haute  portée 

sociale. 

La  baisse  des  prix  et  la  crise  agricole  n'ont  pas  seu- 
lement une  très  grande  importance  économique;  elles 
ont  également  une  haute  portée  sociale.  La  situation 
nouvelle  faite  aux  propriétaires  fonciers  et  aux  entre- 
preneurs de  culture  est  toute  différente  de  celle  des 
salariés  ruraux. 

Depuis  fort  longtemps  —  au  moins  dix  ans  —  nous 
avons  recueilli,  notamment,  des  informations  précises 
sur  la  marche  des  loyers  agricoles,  des  profits  et  des 
salaires  dans  notre  pays. 

Le  contraste  est  frappant  entre  la  baisse  si  rapide  des  I 
fermages^  qui  a  été  la  conséquence  (i)  de  la  réduction    v 
générale  des  profils  culturaux   et  Vétat  stationnaire,    l 
sinon  la  hausse  des  salaires. 

L'enquête  récente  de  1899,,  qui  vient  d'être  publiée, 
nous  paraît  avoir  atténué  la  baisse  réelle,  mais  inégale, 
des  fermages  et  exagéré  la  réduction  des  salaires. 

Cette  réduction  des  salaires  nous  semble  d'autant 
plus  singulière  que  le  document  officiel  signale  une 
hausse  pour  les  gages  des  domestiques  de  ferme,  hausse 
importante  : 


(i)  Nous  considérons  en  effet  la  baisse  des  loyers  agricoles  comme 
une  conséquence  de  l'abaissement  des  profits  réalisés  par  les  agricul- 
teurs. M.  Levasseur  dit  avec  raison  :  «  Le  fermier  paie,  en  boime  jus- 
tice, l'usage  de  rinslrumcnt  pour  ce  qu'il  rapporte.  »  — 1/ Agriculture 
nu. r  Étals-Unis,  par  E.  Levasseur,  1894,  p.  73. 


INTRODUCTION 

Hausse  des  gages 
188M802. 

Maîtres,  valols 28  p.  loo 

Laboureurs  et  charretiers 36     — 

Bouviers,  bergers 20     — 

Servantes  de  ferme 33     — 


Nos  informations  personnelles  (i)  nous  permettent  de 
conclure  que  la  baisse  des  salaires  a  été  exceptionnelle. 
En  Angleterre,  où  la  crise  agricole  a  sévi,  on  n'observe 
pas  non  plus  des  réductions  de  salaires  ruraux,  sauf 
exceptions.  Les  nombreux  rapports  publiés  sur  «  VAgri- 
cultural  dépression  »  signalent  également  le  constraste 
que  présente  la  situation  des  ouvriers  ou  domestiques 
comparée  à  celle  des  «  landpwners  »  ou  des  «  tenants  «. 

L'enquête  agricole  française  de  1892  nous  parait 
optimiste  dans  ses  conclusions  relatives  à  la  baisse  des 
loyers  agricoles. 

Sur  ce  point  encore,  nos  informations  personnelles 
nous  ont  donné  des  résultats  différents,  sauf  pour  les 
régions  de  l'Ouest  où  l'on  observe  parfois  môme  des 
hausses  de  prix  sur  des  terrains  schisteux  et  grani- 
tiques (2). 

L'état  stationnaire  des  fermages  est  également  certain 


(i)  Indépendamment  des  notes  pi'iscs  par  nous,  il  nous  a  été  possible 
de  faire  relever  par  des  jeunes  agriculteurs,  les  salaires,  les  gages,  les 
profits  et  les  fermages  dans  un  grand  nombre  de  régions.  Ces  rensei-^ 
gncments,  empruntés  à  la  comptabilité  des  cultivateurs,  nous  paraissent 
puisés  à  des  sources  sûres.  Nous  possédons  ainsi  une  centaine  de  mono- 
graphies. 

(2)  Il  est  très  curieux  et  insti'hjctif  de  noter  que  dans  le  Royaume- 
Uni  on  constate  les  mêmes  faits  quand  il  s'agit  des  terres  appartenant 
aux  mêmes  formations  géologiques. 

Il  y  aurait  sur  ce  point  une  élude  technique  et  économique  à  faire 
qui  serait  d  une  grande  portée. 


LES  REMEDES   PROPOSES  ai 

dans  des  régions  d'herbages  comme  le  Nivernais. 
Ailleurs,  nous  avons  relevé  les  loyers  agricoles  des 
domaines  appartenant  aux  hospices  de  Sainl-Qiientin, 
du  Mans,  d'Angers,  de  Rouen,  etc.,  etc.  La  baisse 
dépasse  largement  ao  p.  loo  en  moyenne  depuis  1880 
jusqu'à  1896. 

En  résumé,  la  crise   agricole  a  été   surtout  pénible 
pour  les  entrepreneurs  de  culture  et  les  propriétaires  ' 
de  bien  amodiés  ou  affermés.  —  A  cet  égard,  elle  a  eu 
une  portée  sociale  qu'il  est  intéressant  de  signaler.       J 

Les  remèdes  proposés  et  la  véritable  solution. 

«  A  l'heure  actuelle,  dit-on,  les  prix  de  vente  des 
produits  agricoles  sont  tombés  au-dessous  des  prix  de 
revient,  et  cela  est  surtout  vrai  pour  les  céréales.  Une 
pareille  situation  ne  saurait  se  prolonger  sans  entraî- 
ner la  ruine  des  agriculteurs.  11  convient  par  consé- 
quent de  prévenir  un  pareil  désastre.  C'est  la  baisse 
des  cours  qui  a  provoqué  une  crise  redoutable  ;  c'est 
donc  la  baisse  qu'il  s'agit  de  limiter,  d'arrêter;  c'est  la 
hausse  des  prix  qu'il  faut  obtenir.  L'adoption  du  régime 
protecteur  s'impose  et  c'est  la  concurrence  étrangère 
qu'on  doit  écarter.   » 

Nous  avons  déjà  parlé  de  ce  remède  en  étudiant 
l'effet  qu'a  produit  sur  les  cours  le  régime  de  protec- 
tion douanière  établi  depuis  près  de  dix  ans  dans  notre 
pays.  Il  nous  semble  qu'il  sera  inutile  d'insister.  Les  ' 
droits  de  douane  ont  atténué  les  effets  de  la  baisse  des 
prix,  mais  ils  n'ont  pas  provoqué  une  hausse  suffisante  • 
puisque  de  tous  côtés  les  plaintes  retentissent.  ^ 


\ 


i2  INTRODUCTION 

Ce  remède  a,  d'ailleurs,  les  plus  grands  inconvénients. 
Une  hausse  artificielle  impose  aux  acheteurs  des  sacri- 
fices ;  elle  provoque,  parfois,  une  augmentation  de  la 
production  qui  rend  inutiles  les  droits  de  douane  établis 
sur  les  produits  étrangers.  C'est  ce  que  l'on  constate, 
notamment,  dans  notre  pays  pour  le  froment  et  le  vin. 

La  solution  de  la  crise  et  celle  du  prol)lème  de  la 
production  agricole  nous  semble  tout  autre.  Le  prix  de 
revient,  dit-on,  a  dépassé  le  prix  de  vente.  Eh  bien  ! 
Ce  n'est  pas  la  hausse  des  prix  qu'il  faut  provoquer  c'est 
l'abaissement  des  prix  de  revient  qu'il  s'agit  d'obtenir. 

Toutes  les  ressources  dont  nous  disposons,  tous  les 
moyens  d'action  qui  sont  en  notre  pouvoir  doivent  être 
employés  dans  ce  but.  Applications  et  diffusion  des 
découvertes  scientifiques  récentes,  développement  ou 
perfectionnement  de  l'outillage  mécanique  agricole, 
groupement  de  plus  en  plus  fréquent  des  agriculteurs 
en  vue  de  faciliter  les  recherches  expérimentales  et 
l'amélioration  des  méthodes  de  production,  exportation 
des  produits,  développement  des  opérations  de  crédit 
réel  ou  personnel,  telle  est,  suivant  nous,  la  solution 
véritable  du  problème  très  redoutable  et  très  grave  (|ui 
se  pose  aujourd'hui.  Cette  solution  correspond  à  une 
conception  économique  générale. 

La  protection  n'est  qu'une  forme  du  monopole,  une 
méthode  spéciale  d'arriver  à  obtenir  une  répartition 
des  richesses  que  l'État  impose  par  la  loi.  C'est  là  une 
modalité  de  l'idée  socialiste  et  une  application  de  la 
doctrine  de  l'Etat  Providence. 

A  cette  théorie  et  à  cette  doctrine  nous  croyons  qu'il 
est  utile  d'en  opposer  une  autre.  Le  rôle  de  l'Etat  ne 


LES   REMÈDES    PROPOSÉS  'l'i 

doit  pas  consister  à  répartir  la  richesse  selon  telle  ou 
telle  conception  considérée  comme  supérieure  ;  ce  rôle 
doit  consister  à  faciliter  la  libre  production  de  ces 
richesses  et  surtout  leur  développement. 

Nous   sommes   convaincus  que    la    question    sociale  ! 
qu'on  trouve  au  fond  de  toutes  les  questions  écono-l 
miques  ne  peut  être  résolue,  si  —  jamais  elle  doit  Fêtre  — 1 
que  par  Taccroissement  des  richesses  produites  et  circu- 
lant librement. 

La  protection  douanière,  n'accroît  pas  la  masse  des  / 
richesses;  elle  en  modifie  simplement  la   répartition./ 
C'est  pourquoi  nous  ne  la  considérons  pas  comme  une/ 
solution  définitive.   Elle  ne  constitue  qu'un  expédient' 
économique  ou  politique. 

L'association  libre  des  efforts  individuels,  l'applica- 
tion de  plus  en  plus  féconde  de  la  science  et  des 
recherches  expérimentales  d'ordre  technique  commer- 
cial ou  financier  représentent  au  contraire  des  moyens 
d'actions  de  l'homme  sur  les  choses,  des  méthodes  de 
production  assurant  le  développement  de  la  richesse 
et  une  solution  définitive. 


CHAPITRE   PREMIER 

LA  BAISSE  DE  PRIX  DES  PRINCIPAUX  PRODUITS  AGRICOLES 
DEPUIS  VINGT  ANS 


Il  est  utile  de  distinguer,  tout  d'abord,  deux  catégo- 
ries de  produits  agricoles  :  i°  les  denrées  végétales; 
'>!*  les  denrées  d'origine  animale. 

Le  produit  brut  de  lagriculture  française  n'est  pas, 
en  effet,  constitué  uniqu(ïmentpardes  produits  végétaux. 
Sur  un  total  Ae  dix  milliards  àe  recettes  brutes  annuelles, 
les  animaux  de  ferme,  et  de  basse-cour,  le  lait  et  ses 
dérivés,  la  laine,  la  soie,  le  miel  et  la  cire  assurent  aux 
producteurs  agricoles  un  revenu  de  plus  de  trois  mil- 
liards de  francs  !  En  étudiant  les  variations  de  prix 
des  principaux  produits  agricoles  nous  ne  saurions  donc 
laisser  de  côté  les  denrées  d'origine  animale. 

Nous  verrons,  en  outre,  que  les  fluctuations  des 
cours  n'ont  pas  affecté  de  la  même  manière  ces  deux 
catégories  de  produits  agricoles.  La  baisse  a  été  beau- 
(;oup  plus  sensible  pour  la  première  que  pour  la  seconde. 
11  en  résulte  que  selon  l'importance  relative  des  recettes 
brutes  provenant  des  denrées  végétales  ou  des  produits 
d'origine  animale,  les  effets  de  la  crise  agricole  ont 
été  tout  différents.  Ces  conséquences  ont  été  particu- 


26  LA   BAISSE  DES   PU IX 

lièrement  graves  et  douloureuses,  par  exemple,  dans 
les  régions  à  céréales;  elles  ont  été  beaucoup  moins 
sensibles  dans  les  régions  d'élevage.  La  double  étude 
à  laquelle  nous  allons  nous  livrer  est  donc  entièrement 
justifiée. 

I 
Les  produits  végétaux 

I.    —    LE    FROME>'T 

Parmi  les  denrées  végétales,  il  y  a  lieu  de  citer,  en  pre- 
mière ligne,  les  céréales  et  notamment  le  froment  dont 
la  baisse  a  soulevé  tant  d'émotion. 

En  prenant  comme  terme  de  comparaison  les  cours 
pratiqués  durant  la  période  1876- 1880,  nous  relevons 
les  variations  suivantes  pour  le  prix  de  l'hectolitre  de 
blé  en  France  par  périodes  quinquennales. 

Prix  du  froiiiont  Varialioiis 

par   hccloliire    (2).  p.   100. 

fr.     c. 
1876-1880 22  3o  100 

1881-1885 tgSi  87 

1886-1890 1829  82 

1891-1895 1692  7:) 

1896 1482  66 

1897 18  85  84 

1898 1990  89 

1899 i5  35  68 

1900 i4  77  66 

Si  nous  ramenons  à  loo  les  prix  de  la  période  quin- 
quennale 1876-1880,  nous  voyons  que  la  baisse  s'est 
progressivement  accentuée.  Elle  atteint  la  proportion 
de   yj    p.    100    depuis    1876-80  jusqu'à    1891-95.    Cette 

(i)  Chiffres  cniprunlc's  au  Bulletin  du  Ministère  de  l'Agriculture. 


LES    PRODUITS    VEGirr AUX  'l'j 

dépression  a  été  souvent  plus  marquée  durant  certaines 
années  de  bas  prix  et  notamment  en  1894,  1890  et  1896. 
L'année  1897-98  a  été  marquée,  au  contraire,  par  une 
brusque  élévation  des  cours,  et  l'année  1898-99  par  une 
baisse  énorme. 

Nous  montrerons  plus  tard  à  quels  faits  économiques 
et  agricoles  sont  liées  ces  fluctuations.  Ajoutons  dès  à 
présent  que  le  prix  du  blé  en  France  a  été  évidemment 
et  certainement  modifié  par  les  remaniements  succes- 
sifs de  notre  régime  douanier.  Avant  i885,  les  blés 
étrangers  n'étaient  frappés  à  la  frontière  que  d'un 
simple  droit  fiscal  ou  de  statistique.  A  partir  de  i885, 
le  Parlement  a  voté  une  taxe  protectrice  de  3  francs  par 
quintal.  Ce  droit  fut  successivement  porté  à  5  francs 
en  1887  Gt  à  7  francs  en  1894. 

Le  but  ouvertement  poursuivi  par  le  législateur  était 
le  relèvement  des  cours. 

Ce  but  n'a  pas  été  atteint  puisque  le  prix  du  froment 
a  constamment  fléchi,  mais  les  taxes  protectrices  ont 
atténué  la  baisse.  Les  droits  de  douane  imposés  aux 
blés  étrangers  ont  soutenu  les  cours  au-dessus  du 
niveau  normal  résultant  de  la  libre  concurrence.  Rien 
n'est  plus  facile  que  de  le  prouver.  Il  suffit  pour  cela 
de  comparer  les  prix  du  froment,  en  France,  aux  cours 
pratiqués  en  Angleterre,  pays  où  le  blé  n'est  frappé 
d'aucun  droit  de  douane. 

Cette  comparaison  va  nous  permettre,  en  outre,  de 
montrer  que  la  baisse  du  froment  a  été  un  phénomène 
général  (i). 


(i)  Les  chiffres  du  tableau  ont  été  empruntés  :    1°  pour  la   France, 


28 


LA   BAISSE  DES  PRIX 


Prix  de  l'hectolitre  de  blé  en  France  et  en  Ansslcterre. 


PÉRIODES 

Prix. 

Prix . 

Écart  entre 

TRIENNALKS                  en  France. 

en  Angleterre. 

les  deux  cours 

fr.  c.  ■ 

fr.  c. 

fr.  c. 

1876-1878    .     .     .         2i38 

21  40 

098 

1877-1879 

2  2  80 

21    10 

I  70 

1878-1880 

22  63 

1930 

3  33 

1879-1881 

22  33 

19  10 

3  23 

1880-1882 

22  23 

19  3o 

293 

1881-1883 

2098 

1890 

208 

1882- 1884 

1947 

17  10 

2  37 

i883-i885 

1790 

i5  70 

2  20 

I 884-1 886 

17   16 

14  3o 

286 

i88)-i887 

1729 

i3  8o 

349 

1886-1888 

1798 

i3  70 

428 

1887-1889 

1848 

i3  8o 

4  68 

1888-1890 

■            1879 

i3  40 

5  3o 

1889-1891 

1936 

14  10 

526 

1890-1892 

1916 

14  20 

4  9*^ 

189 1-1893 

18  33 

i3  4o 

493 

1892-1894 

16  54 

Il  40 

5  14 

1893-1895 

i5  38 

io3o 

5  08 

1893-1896 

1481 

10  3o 

4  5i 

1895-1897 

16  02 

1 1  3o 

472 

Ce  tableau  présente  une  singularité.  Au  lieu  de  rele- 
ver les  cours  annuels,  nous  les  avons  groupés  de  façon 
à  constituer  des  moyennes  triennales  successives  qui 
ne  diffèrent  les  unes  des  autres  que  par  les  chiffres 
relatifs  à  l'année  nouvelle.  Cette  méthode  a  l'avantage 
d'atténuer  les  brusques  variations  tout  en  laissant  voir 
la  tendance  générale  des  cours  à  s'élever  ou  à  s'a- 
baisser.   Dans   les    documents    anglais,  il    en  est    fait 


aux  statisliques  officielles  et  notaininent  au  Bulletin  du  Ministère  de 
l  Agriculture  ;  2°  pour  rAiigletcrre,  au.K  mercuriales  publiées  par  le 
Board  of  Agriculture. 


LES  PRODUITS    VEGETAUX 


29 


un   fréquent  usage    (i),    et  nous   l'avons   adoptée    ici. 
Il  est  visible  que  les  cours  du  froment  se  sont  gra- 
duellement abaissés  en  Angleterre  comme  en  France. 
La  baisse  est  môme  plus  rapide  et  plus  marquée  chez 


Aimées      gKèSgSàgii^giSlèÉS? 
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nos  voisins,  surtout  à  partir  de  i885.  'L'écart  moyen 
existant  entre  les  cours  français  et  anglais  s'accentue 
à  la  même  époque.  C'est  là  très  certainement  une  con- 
séquence de  l'application  des  droits  de  douane  qui  ont 
atténué  la  baisse  dans  notre  pays. 


(i)  Voir  notamment  les  Rapports  de  la  Commission  royale  chargée 
de  procéder  à  une  enquête  sur  la  crise  agricole. 


3o  LA   BAISSE  DES  PRIX 

Le  graphique  que  nous  insérons  ici  retrace,  d'ailleurs, 
avec  fidélité,  le  double  mouvement  des  cours.  Les  deux 
premières  courbes  s'abaissent  ou  s'élèvent  presque 
toujours  simultanément  et  marquent  clairement  la  ten- 
dance à  la  dépression  graduelle  des  prix.  La  troisième 
courbe,  qui  en  figure  l'écart,  s'élève  rapidement  à 
partir  du  moment  où  le  froment  étranger  est  frappé  en 
France  d'un  droit  de  douane  (période  1 883- 1 88 5). 

Conclusion.  —  En  résumé,  depuis  vingt  ans,  le  prix 
du  froment  a  subi  en  France  une  réduction  moyenne 
de  !i5  p.  100,  et  cette  baisse  a  pu  atteindre  34  p.  loo 
en  1896  et  1900,  lorsque  les  cours  sont  tombés  au 
niveau  le  plus  bas  que  l'on  ait  constaté  depuis  la  fin  du 
xviii''  siècle  (i). 

Enfin,  l'examen  des  cours  pratiqués  en  Angleterre 
nous  prouve  que  la  dépression  caractéristique  des  prix 
du  blé  dans  notre  pays  n'est  pas  un  phénomène  isolé 
dépendant  de  causes  locales. 

II.    AUTRES    CÉRÉALES 

D'ailleurs,  les  autres  céréales  ont  subi  en  France  une 
dépréciation  analogue  à  celle  du  froment.  Qu'il  s'agisse 
du  sarrasin,  cultivé  plus  spécialement  dans  l'ouest,  du 
maïs,  qui  est  surtout  récolté  dans  le  sud-ouest  et  le 
sud-est,  de  l'orge  et  de  l'avoine,  dont  faire  géogra- 
phique est  très  étendue,  les  mêmes  causes  générales 
paraissent  avoir  agi  et  déterminé  une  baisse  notable. 


(i)  Voir  la  courbe  relative  au  prix  de  riieclolitrc  de  blé  en  France, 
tracée  par  M.  Levasseur. 


LES  PRODUITS    VEGETAUX 


3i 


Voici  les  variations  de  cours  que  nous  relevons  pour 
la  dernière  période  de  vingt- cinq  ans  (1876-1900). 


Prix  moyen  de  Vheclolitre  des  principales  céréales  autres  que  le 
froment  en  France. 


1877-1880  1881-1885  1880-1890  1891-1893  1890-1900 


fr.  c. 

fr.  c. 

fr.  c. 

fr.  c. 

fr.   c. 

Sciglo  .    . 

.      i5  23 

l3  28 

II  90 

II  47 

II  26 

Orge.    .    . 

.      i3  i./, 

II  83 

10  70 

10  40 

10  58 

Sai'rasin  . 

i3  27 

II  77 

jo  3o 

10  27 

10  53 

Maïs.    .    . 

i5  52 

1469 

12  5o 

12  86 

1253 

Avoine .    . 

991 

931 

862 

880 

8  5i 

Aimées     S§|||||g||||||||§§|p 

23 
22 

In 

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10 

9 

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En  comparant  les  cours  de  la  première  période  (1877- 
80]  à  ceux  de  la  dernière  (1896- 1900),  on  trouve  que  la 
baisse  ressort  à  : 


32  LA   BAISSE  DES  PRIX 

■26  p.  100  pour  le  seigle. 

19  p.  100  pour  l'orge.  * 

20  p.   100  pour  le  sarrasin. 
19  p.  100  pour  le  maïs. 

14  p.   100  pour  l'avoine. 

Pour  montrer  la  généralité  de  ce  mouvement,  nous 
comparerons  encore  les  prix  anglais  aux  cours  français 
en  groupant  les  uns  et  les  autres  par  périodes  trien- 
nales successives  qui  diffèrent  seulement  par  les  chiffres 
relatifs  à  la  dernière  année. 

Pour  plus  de  clarté,  nous  ramenons  à  100  les  cours 
de  la  première  période  1876-78. 

Voici  les  résultais  qui  se  rapportent  à  Forge  et  à 
l'avoine  : 

Cours  de  large  et  de  l  avoine  en  Angleterre  et  en  France  (1876-1896). 


. 

ORGE 

AVOINE 

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Périodes  Iricimalos.          France. 

Angleterre. 

France . 

Anjiloterre 

1876-1878    ...            100 

100 

100 

100 

1877-1879 

98 

99 

97 

94 

1878-1880 

97 

93 

96 

90 

1879-1881 

94 

86 

94 

•87 

1880-1882 

97 

84 

96 

87 

1881-1883 

90 

83 

93 

85 

1882-1884 

89 

82 

91 

83 

i883-i885 

85 

80 

88 

8i 

I 884-1886 

82 

76 

87 

78 

1885-1887 

79 

71 

83 

73 

1886-1888 

78 

69 

82 

68 

1887-1889 

78 

68 

83 

66 

1888-1890 

81 

71 

87 

69 

1889-1891 

84 

72 

88 

73 

1 890-1 892 

82 

72 

87 

76 

1891-1893 

81 

70 

87 

76 

I 892-1 894 

77 

66 

88 

73 

1893-1895 

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75 

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73 

88 

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66 

LES   PRODUITS    VÉGÉTAUX  33 

le   froment.  Nous  voyons  que  pour  l'une  et  l'autre  la 
baisse  des  cours  est  manifeste. 

En  France,  elle  est  moins  accentuée  qu'en  Angleterre, 
mais  cet  écart  peut  être  attribué  en  grande  partie  à 
l'influence  des  droits  de  douane  qui  frappent  les  impor- 
tations étrangères  dans  notre  pays. 

III.    —   INFLUENCE    DE    CERTAINS    PRODUITS    SUR  LA 
PROSPÉRITÉ    DE   l'iNDUSTRIE    AGRICOLE 

Avant  de  poursuivre  l'étude  de  la  marche  des  prix 
relatifs  aux  denrées  végétales,  il  nous  faut  rechercher, 
maintenant,  quels  sont  précisément  les  produits  dont 
les  variations  de  cours  ont  pu  exercer  une  sérieuse 
influence  sur  la  prospérité  de  l'industrie  agricole. 

Nous  empruntons  au  volume  de  l'enquête  officielle 
de  1892,  publié  en  1898,  le  tableau  qui  résume  les 
valeurs  des  diverses  productions  végétales. 

Valeur  de  la  production  (i)  végétale  en  France. 

Valeur  eu  francs 
(millions). 

Céréales  grains 3.354 

—         paille i.3i3 

Grains  alimentaires  autres  que  les  céréales  94 

Pommes  de  terre 670 

Fourrages  annuels,  prairies  arlilicielles  et 

racines i-^og 

Produit  des  prairies  naturelles  et  herbages  1.237 

Produit  des  cultures  industrielles   ....  373 

Produits  des  vignes goS 

Produits  de  l'horticulture,  cultures  maraî- 
chères, potagères,  arborescentes  de  ver- 
gers      867 

Produits  des  bois  et  forêts 289 

Total.     .    .    .        10.61 1 

(i)  Enquête  agricole  de  1892.  —  Introduction,  p.  44o. 

Zoi.LA.  —  La  Crise  agricole.  3 


34  i-A   BAISSE   DES   PRIX 

Nous  faisons  les  plus  expresses  réserves  au  sujet  de 
la  valeur  scientifique  et  de  la  portée  économique  d'un 
pareil  tableau.  La  seule  indication  que  nous  ayons 
l'intention  d'y  puiser  se  rapporte  à  l'importance  de 
certaines  productions  végétales. 

Il  est  clair  que  les  céréales  viennent  au  premier  rang. 
C'est  d'ailleurs  pour  celte  raison  que  nous  en  avons 
parlé  tout  d'abord.  La  statistique  officielle  fait  toutefois 
une  distinction  intéressante.  La  valeur  des  grains  est 
comptée  à  part  de  celle  des  pailles.  Or,  nous  avons 
négligé  de  parler  plus  haut  de  ce  dernier  produit.  Cette 
omission  est  toute  volontaire.  La  paille  constitue,  en 
effet,  dans  l'immense  majorité  des  cas,  un  moyen  de 
production  et  non  pas  un  produit  destiné  à  la  vente. 
Sans  doute,  il  y  a  des  exceptions  à  cette  règle  ;  notam- 
ment aux  environs  des  grandes  villes,  beaucoup  d'agri- 
culteurs vendent  leurs  pailles  et  achètent  des  fumiers. 
La  baisse  du  prix  des  pailles  a  donc  eu,  parfois^  une 
certaine  importance  économique.  On  peut  ajouter  même 
que  l'usage  de  la  tourbe  comme  litière  a  réduit  dans 
une  certaine  mesure  les  demandes  de  pailles  et  contri- 
bué à  la  dépréciation  de  cette  denrée. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'en  règle  générale  la 
paille  est  et  reste  un  «  immeuble  par  destination  »  que 
les  fermiers  ne  sont  pas  autorisés  à  vendre.  Elle  cons- 
titue tout  à  la  fois  un  aliment  et  une  matière  première, 
puisqu'elle  sert  à  la  fabrication  des  fumiers.  Comme  ali- 
ment, la  paille  peut  remplacer,  dans  une  certaine  mesure, 
le  foin.  La  paille  hachée  et  mêlée  aux  racines  décou- 
pées, aux  pommes  de  terre,  etc.,  constitue  le  com- 
plément d'une  ration.  11  n'est   donc  pas  étonnant  que 


LES   PRODUITS    VÉGÉTAUX  35 

le  cours  des  pailles  suive  la  même  marche  que  celui 
des  foins. 

Nous  avons  pris  soin  de  relever  les  cours  du  marché 
de  Paris  d'après  les  mercuriales  que  publie  le  Journal 
cC agriculture  pratique.  On  voit  qu'il  s'est  produit  une 
baisse  depuis  1881  jusqu'à  1887.  Les  cours  se  relèvent 
parallèlement,  en  1888,  à  la  suite  d'une  mauvaise  récolte 
de  fourrages  ;  puis  ils  s'abaissent  encore  jusqu'en  1890. 
Les  années  de  sécheresse  1872  et  1893  provoquent  un 
renchérissement  brusque,  mais  les  prix  retombent 
ensuite  au  niveau  le  plus  bas  que  l'on  ait  observé. 

En  définitive,  il  y  a  eu  baisse,  et  cette  dépression 
n'est  pas  négligeable.  Nous  avons  souvent  entendu  les 
fermiers  des  environs  de  Paris  se  plaindre  de  la  dimi- 
nution de  recettes  qui  en  était  la  conséquence. 

Toutefois,  quand  on  calcule  les  moyennes  quinquen- 
nales relatives  à  la  période  1 881- 1896,  la  compensation 
se  fait  entre  les  années  de  hauts  et  de  bas  prix. 


PRIX 

des  500 

kil. 

à  Paris 

Foin. 

~  ^— 

Taille? 

fr. 

IV. 

63      » 

40      » 

5  2        » 

32      » 

65     » 

40      » 

i88i-i885 
1886-1890 
1891-1895 


Quant  aux  années  de  bonnes  récoltes  fourragères^ 
1896,  1897,  elles  sont  marquées  par  une  baisse  de 
14  p.  100  relativement  aux  foins,  et  de  3o  p.  loo  relative- 
ment aux  pailles,  si  l'on  compare  les  cours  de  ces  deux 
années  aux  moyennes  quinquennales  i88i-85. 

Il  ne  faudrait  pas,  d'ailleurs,  exagérer  la  portée  de 


36  LA    BAISSE   DES   PRIX 

cette  baisse,  en  admettant  même  qu'elle  ne  fût  pas  acci- 
dentelle, et  nous  saisissons  l'occasion  qui  se  présente 
de  rappeler  un  principe  général. 

Les  variations  des  cours  n'intéressent  l'agriculteur 
que  si  elles  se  rapportent  à  des  denrées  destinées  à  la 
vente.  Les  produits  qu'il  consomme  sur  place,  sans  les 
acheter,  et  ceux  qu'il  transforme  avant  de  les  vendre  ne 
rentrent  donc  pas  dans  le  cadre  d'une  étude  sur  les  fluc- 
tuations des  cours.  A  coup  sûr,  il  n'est  pas  indifférent 
que  les  aliments  consommés  par  le  cultivateur,  sa 
famille  et  son  personnel  haussent  ou  baissent  de  prix. 
Ces  variations  peuvent  réagir  sur  la  nature,  la  compo- 
sition et  la  quantité  de  ces  aliments.  Mais,  au  moins 
momentanément,  le  produit  brut  agricole  n'est  directe- 
ment aff'ecté  que  par  les  fluctuations  de  prix  se  rappor- 
tant aux  denrées  habituellement  portées  sur  le  marché. 

Voici,  maintenant,  des  denrées  destinées  à  être  trans- 
formées dans  l'intérieur  des  exploitations  pour  obtenir 
un  \)Yoà\\\\.  nouveau  ;  il  est  clair  que  nous  avons  seule- 
ment à  nous  préoccuper  des  variations  de  prix  relatives 
à  ce  dernier  produit  et  non  à  la  matière  première  que 
l'on  a  employée  pour  le  fabriquer. 

Nous  montrerons  tout  à  l'heure  l'intérêt  et  la  grande 
portée  de  ces  observations. 

Dès  à  présent,  nous  en  trouvons  l'application.  La 
statistique  officielle  nous  indique,  dans  le  tableau  précé- 
dent, la  valeur  des  fourrages  et  des  racines  fourragères  ; 
la  valeur  du  produit  des  prairies  naturelles  et  même  des 
herbages^  c'est-à-dire  des  prairies  pâturées.  Or,  il  est 
presque  évident,  croyons-nous,  que  le  foin,  les  racines 
et  surtout  l'herbe  verte,  consommée  sur  place,  des  lier- 


LES   PRODUITS    VÉGÉTAUX  87 

bages,  ne  constituent  pas  des  denrées  de  vente,  mais 
des  moyens  de  production. 

Sans  doute  les  agriculteurs  vendent  des  foins  et  des 
racines  fourragères,  mais  la  plupart  du  temps  ces  den- 
rées sont  consommées  à  la  ferme.  Ce  sont  des  aliments 
que  le  bétail  transforme,  et  leur  valeur,  c'est-à-dire  ici 
leur  prix,  n'a  pas  pour  nous  un  très  pressant  intérêt.  Nous 
allons  donc  nous  borner  à  fournir  quelques  indications 
sur  la  marche  des  prix.  En  ce  qui  concerne  : 

1"  Les  grains  alimentaires  autres  que  les  céréales; 

2°  Les  pommes  de  terre  ; 

3"  Les  plantes  industrielles,  et  notamment  les  bette- 
raves à  sucre  ; 

4"^  Le  vin  ; 

5°  Les  bois. 

Si  intéressantes  que  puissent  être  les  fluctuations  des 
cours  se  rapportant  aux  produits  de  l'horticulture,  il 
nous  paraît  impossible  de  les  préciser,  dans  l'état  actuel 
de  nos  connaissances. 

IV.  LES  GR.UNS  ALIMENTAIRES  AUTRES  QUE  LES  CEREALES 

Fèves,  haricots  ^  pois  ^  lentilles^  etc.  —  La  statistique 
agricole  de  1892  nous  indique  les  variations  de  prix 
suivantes  depuis  1882  : 

PRIX  MOYEN 

par      hectolitre.  BAISSE 

1882  1892  p.  100 

fr.  c.  fr.  c. 

Fèves  et  féveroUes  .      19  3 1  i5  06  22  p.  100 

Haricots   ,    ,    .    .    .     3o  20  2282  a5      — 

Pois 26  80  21  97  19      — 

Lentilles 29  98  29  o3  4      — 


38  LA    BAISSE  DES  PRIX 

La  baisse  accusée  par  ces  chiffres  varie  de  4  à  aS  p.  loo 
Elle  ne  présente  pas  une  importance  comparable  à  la 
dépression  du  cours  des  céréales  parce  que  les  quan- 
tités auxquelles  s'appliquent  les  cours  dont  nous  par- 
lons sont  réellement  très  faibles,  4  à  5  millions  d'hec- 
tolitres tout  au  plus.  Encore  faut-il  remarquer  que  les 
féverollessonten  partie  utilisées  pour  l'alimentation  des 
animaux  domestiques. 


LES    POMMES    DE   TERRE 


La  pomme  de  terre  a  une  importance  commerciale 
singulièrement  plus  grande.  Non  seulement  elle  cons- 
titue un  alliment  que  tout  le  monde  recherche,  mais 
les  usages  industriels  de  la  pomme  de  terre  sont  nom- 
breux. La  fabrication  de  la  fécule,  qui  est  elle-même 
une  matière  première  pour  la  glucose,  exige  l'emploi 
d'une  masse  considérable  de  tubercules. 

La  statistique  décennale  évalue  à  6  fr.  4^  en  1882,  et 
à  4  fr.  33  en  1892  le  prix  moyen  du  quintal.  La  baisse 
serait  donc  égale  à  2  fr.  09  ou  à  32  p.  100. 

Dans  un  pays  où  l'on  produit  des  quantités  considé- 
rables de  pommes  de  terre,  en  Allemague,  la  baisse 
des  prix  a  été  très  sensible  depuis  vingt  ans.  M.  Leroy- 
Beaulieu  la  signalait,  il  y  a  quelques  années,  dans  un 
article  de  V Économiste  français  (i). 

«  Une  des  denrées  qui  ont  le  plus  baissé,  ce  sont  les 
pommes  de  terre.  Sur  les  places  de  Magdebourg,  de 
Stettin,  de  Breslau,  de  Berlin,  les  pommes  de  terre,  si 


(i)  Numéro  du  4  avril  1896   :  De  l'inanité  des  campagnes  himéial- 
listes,  par  P.  Leroy-Bcaulieu. 


LES  PRODUITS    VÉGÉTAUX  39 

Ton  prend,  non  pas  une  seule  année,  mais  les  trois 
années  1893,  1894  et  189D,  et  qu'on  les  compare  aux 
trois  années  1879,  1880  et  1881,  de  façon  à  éviter  l'in- 
fluence d'une  année  particulièrement  mauvaise,  ont 
fléchi  de  3o  à  4o  p.  ïoo.  » 

Nous  avons  relevé  les  prix  du  quintal  de  pommes  de 
terre  —  variété  dite  Hollande  —  sur  le  marché  de 
Paris,  et  voici  les  chiffres  que  nous  avons  trouvés  pour 
les  moyennes  des  périodes  1882-85  et  1895-98  : 

Ir.    c.      , 

i88'i-i885 1280    ;  Prix  du  quinlal 

„„„„  qq'iIo  pommes  de  terre 

1895-1898 8»'2,         dite  ..  Hollande  . 

'  à  Paris. 

Diiré ronce.    ...  3  89   , 

La  baisse  relative  serait  donc  égale  à  3o  p.  loo. 

VI.    CULTURES    INDUSTRIELLES 

11  y  a  lieu  de  distinguer: 

i"  Les  cultures  de  plantes  oléagineuses  ; 

2**  Les  cultures  des  plantes  textiles  ; 

3"  La  culture  de  la  betterave  à  sucre. 

La  culture  des  graines  oléagineuses  n'a  plus  qu'une 
médiocre  importance.  Tout  le  monde  sait  que  l'usage 
du  pétrole  et  du  gaz  d'éclairage  est  devenu  général. 
Les  huiles  destinées  à  être  brûlées  ne  sont  donc  plus 
aussi  nécessaires. 

Quant  aux  huiles  comestibles  et  à  celles  que  l'on  uti- 
lise dans  l'industrie,  elles  sont  directement  concurren- 
cées par  les  produits  obtenus  en  traitant  les  graines 
étrangères  de  sésame,  d'arachide,  de  coton,  etc.,  etc. 

L'olive  est  produite,  en  Algérie  ,  en  Tunisie,  en 
Espagne,  en  Italie,  en  Grèce,  en  Dalmatie,  etc.,  etc. 


4o  LA    BAISSE   DES   PRIX 

Il  est  donc  très  naturel  que  le  prix  de  nos  graines 
oléagineuses,  de  colza  de  navette,  d'œillette,  de  camelinè 
de  lin,  et  les  fruits  de  l'olivier  ou  du  noyer  aient  subi 
une  dépréciation  marquée  depuis  vingt  ans. 

Sans  entrer  dans  de  longs  détails,  bornons-nous  à 
indiquer  les  variations  de  prix  des  graines  de  colza  sur 
un  des  principaux  marchés  français,  celui  de  Douai. 

Voici  les  moyennes  triennales  relatives  aux  cours  du 
quintal  depuis  1877  : 

Prix  des  100  kil. 

dos  graines  de  colza 

à  Douai. 

fr.    c. 

1877-1880 23  42 

1882-1885 22  52 

1887-1890 18  12 

1895-1898 1594 

De  la  première  à  la  dernière  période,  la  baisse  abso- 
lue est  de  7  fr.  48  ou  de  3i  p.  100. 

Il  en  est  de  même  pour  nos  plantes  textiles.  La  réduc- 
tion des  surfaces  cultivées  en  lin  et  chanvre  nous 
prouve  clairement  que  la  culture  en  est  à  la  fois  moins 
utile  et  moins  lucrative  : 

SURFACES    CULTIVÉES    EN    HECTARES 
Chanvre.  Lin. 

1840     176.000  98.000 

i852  laS.ooo  80.000 

1862  160.000  io5.ooo 

1882  63. 000  44 -000 

1892  ........  39.000  25.000 

La  culture  de  la  betterave  à  sucre  présente  un  intérêt 
plus  sérieux,  bien  qu'on  ait  exagéré  son  importance. 
En  fait,  cette  culture  est  concentrée  presque  exjulusive- 


LES   PRODUITS    VEGETAUX  4i 

ment  dans  six  départements  ;  elle  n'ocupe  pas  plus  de 
2;70.ooo  hectares. 

La  législation  de  1884  fait  porter  l'impôt  non  pas  sur 
le  produit  fabriqué  mais  sur  la  matière  première,  c'est- 
à-dire  sur  la  betterave.  Une  savante  complication  de  nos 
dispositions  légales  et  une  adroite  distinction  entre  les 
rendements  présumés  et  les  rendements  réels  ont 
obligé  les  cultivateurs  à  augmenter  rapidement  la 
richesse  saccharine  de  leurs  betteraves.  On  peut  dire 
que  le  prix  de  vente  des  racines  dépend  surtout  de 
cette  richesse  et  varie  dans  des  limites  assez  étendues 
selon  que  le  rendement  en  sucre  atteint  ou  dépasse  la 
proportion  à  partir  de  laquelle  les  fabricants  réalisent 
un  profit  additionnel  sur  les  «  indemnes  »,  c'est-à-dire 
sur  le  poids  du  sucre  qui  dépasse  le  rendement  légal 
présumé.  Cet  excédent  est  resté  longtemps  non  taxé, 
bien  qu'il  pût  être  vendu  au  même  prix  que  le  sucre 
ayant  effectivement  acquitté  le  droit  de  consommation. 
Aujourd'hui  encore,  cet  excédent  est  moins  fortement 
taxé  et  la  différence  de  droit  correspond  à  un  boni  de 
fabrication. 

Le  prix  des  betteraves  a  donc,  actuellement,  un 
caractère  artificiel;  il  est  lié  intimement  au  régime  fis- 
cal des  sucres.  Cette  solidarité  a  évidemment  pour 
objet  et  pour  conséquence  d'intéresser  les  producteurs 
de  betteraves  au  maintien  d'une  législation  favorable 
aux  intérêts  des  fabricants. 

Voici,  d'après  l'administration  des  Contributions 
indirectes,  le  prix  de  vente  des  bette  raves  depuis  1 881  (1)  : 


(1)  Voir  le  document  officiel  publié  par  l'administi'ation  des  Conlii- 


4u 


LA    BAISSE  DES  PRIX 


Prix  moyen  de  la  tonne  de  betteraves  et  rendements  en  poids  de 
betteraves  à  l'hectare. 

(Evaluation  de  l'administralion  des  Contributions  indirectes.) 


CAMPAGNES 

PRIX 

RENDEMENT 

PRODUIT 

sucrières                   des  betteraves 

des  betteraves 

brut. 

par  t.OOO  k. 

[lar  liectare. 

par  hectare 

fr.  c. 

kilos. 

fr. 

1881-1882.     .     .               2087 

33.793 

700      » 

1882-1883 

2099 

34.928 

729      » 

1883-1884 

■20  64 

35.356 

727       » 

1884-1885 

1908 

31.289 

592       » 

i885-i886 

22  73 

29.457 

667       » 

1886-1887 

23  97 

3 1 . 900 

762       » 

1887-1888 

26  26 

22 .469 

586     » 

1888-1889 

27  55 

24.537 

673     » 

1889-1890 

3098 

32.364 

998     » 

1890-1891 

2476 

29.319 

723     » 

1891-1892 

26  33 

25.199 

660     » 

1892-1893 

2698 

25.6o5 

688     » 

I 893-1 894 

28  20 

23.863 

671     » 

1894-1895 

2597 

29.553 

764     » 

1895-1896 

2643 

26.424 

696     » 

1896-1897 

24  3o 

27.400 

665     » 

1897-1898 

2597 

27.700 

719     » 

1898-1899 

3o  24 

25.700 

777     » 

1899-1900 

3007 

27.800 

834     » 

Le  graphique  suivant  montre  encore  plus  clairement 
—  si  c'est  possible  —  que  la  législation  de  1884  a  élevé 
les  prix  de  vente  sans  augmenter  à  beaucoup  près  dans 
la  même  mesure  le  produit  brut  par  hectare. 

Les  rendements  ont,  en  effet,  diminué  parce  que  Ton 
imposait  aux  agriculteurs  la  culture  des  racines  très 
riches  en  sucre.  L'élévation  des  prix  n'a  pas  toujours 
compensé  la  réduction  des  quantités  récoltées. 


butions  indirectes  :  Les  fabriques  de  sucre  et  leurs  procédés  de  fabri- 
cation. Bulletin  de  statistique  du  ministère  des  finances,  année  1895, 
II,  p.  65o,  et  années  suivantes. 


LES   PRODUITS    VÉGÉTAUX 


43 


D'ailleurs,  les  prix  que  nous  citons  plus  haut  pour  la 
tonne  de  betteraves  constituent  des  moyennes.  En  fait, 


OOOOOOOO 
lOOiOO       >0O»/5O 


•S    «2   O 


U       g      r 


CJ       CM        W        Cl       CM       CJ        M 


les  recettes  correspondantes  des  cultivateurs  ont  varié 
avec  la  richesse  saccharine  de  leurs  racines. 

Pour  marquer  avec  plus  de  précision  les  fluctuations 
de  cours,  nous  avons  relevé  les  prix  de  vente  de  cinq 
exploitations  agricoles  du  département  de  l'Aisne  avant 


44  LA   BAISSE   DES    PRIX 

et  après  l'application  de  la  loi  de  1884.  Ces  renseigne- 
ments n'auraient  aucune  valeur  si  nous  ne  les  complé- 
tions pas  en  indiquant  les  poids  des  betteraves  récoltées. 
Les  racines  riches  en  sucre  ne  donnent  pas,  en  effet, 
des  rendements  aussi  considérables  que  les  betteraves 
moyennement  riches.  Il  en  résulte  que  la  recette  totale 
peut  être  plus  faible  avec  des  betteraves  riches  qu'avec 
des  betteraves  de  richesse  moyenne,  bien  que  le  prix 
de  vente  par  tonne  soit  plus  élevé  pour  les  premières 
que  pour  les  secondes. 

CulUire  des  betteraves  dans  cinq  fermes  de  l'Aisne  (1880-1897). 


RKNDEMEJiT 

PRIX 

PRODUIT 

BRUT 

à  riiectaro. 

par  tonne. 

à  l'heclare. 

kilos. 

fr.  c. 

fr. 

i88o-i885.    . 

.     .          42.000 

21     » 

882 

» 

1886-1896.    . 

.     .          34.000 

•24  40 

829 

» 

1897.    . 

.     .         34.800 

28     » 

994 

» 

Il  est  vrai  que  nous  ne  constatons  pas  une  baisse  de 
prix  par  tonne  de  betteraves  vendue,  mais  le  produit 
brut  a  baissé  parce  que  le  rendement  moyen  a  diminué. 

Nous  ne  nous  croyons  cependant  pas  en  droit  de 
généraliser.  Il  est  fort  possible  qu'en  certains  points 
l'élévation  des  prix  ait  compensé  la  diminution  des  ren- 
dements. 

La  crise  qui  atteint  l'industrie  sucrière  est,  d'ailleurs, 
fort  grave.  Nous  Tavons  étudiée  ailleurs  (i).  Disons 
seulement  que  le  prix  des  betteraves  diminuera  fort 
probablement  d'ici  quelques  années. 


(1)  Voir  Annales  de  l'Ecole  des  Sciences  politiques,  1898.  La  ques- 
tion des  sucres  par  D.  Zolla. 


LES   PRODUITS    VÉGÉTAUX  45 

Il  ne  faut  pas  oublier,  non  plus,  que  la  betterave  est 
souvent  utilisée  pour  la  fabrication  de  l'alcool.  On 
compte  dans  notre  pays  un  grand  nombre  de  distilleries 
agricoles.  Les  variations  de  prix  des  alcools  nous 
intéressent  donc  au  môme  titre  que  le  prix  de  la  bet- 
terave elle-même.  En  relevant  les  cours  de  l'alcool 
3/6  à  90  degrés,  nous  avons  obtenu  les  moyennes  sui- 
vantes : 

Prix  de  riieclolitrc  (I) 
ji      dalcool  à  90°. 

fr.  c. 
1877-1880 5969 

i883-i885 5o25 

1887-1890 41  09 

1895-1898 33  o5 

La  baisse  constatée  est  très  considérable.  Elle  atteint, 
de    la  première  à  la  dernière   période,   26   fr.    64,   ou 

44  P-  *oo- 

On  voit  combien  est  sensible  la  dépression  des  cours 
pour  les  produits  que  nous  avons  étudiés  jusqu'ici. 

En  est-il  de  môme  pour  les  autres  denrées  d'origine 
végétale  dont  la  production  a  une  importance  considé- 
rable en  France,  et  notamment  pour  les  vins  et  les  bois  ? 

C'est  ce  que  nous  allons  nous  demander  maintenant. 

VII.    LE    VIN 

Nous  ne  saurions  oublier,  dans  cette  revue  rapide, 
un  des  produits  les  plus  importants  :  le  vin.  Le  vin 
€st  une   des  richesses  de  la  France  et  la  plus  impor- 


(i)  Il  s'agit  ici,  bien  entendu,  des  cours  de  l'alcool  avant  le  paiement 
des  droits  de  consommation  ou  de  dénaturalion. 


46 


LA   BAISSE   DES   PRIX 


tante  de  ses  productions  végétales  après  les  céréales. 
Tout  le  monde  sait  que  le  phylloxéra  a  malheureusement 
dévasté  ou  détruit  successivement  depuis  vingt  ans  les 
vignobles  français.  Il  était  naturel  que  ce  désastre 
exerçât  une  influence  très  marquée  sur  le  prix  des 
vins,  et  des  vins  ordinaires  principalement.  Les  cours 
se  sont,  en  effet,  relevés  d'une  manière  très  sensible 
malgré  le  développement  rapide  des  importations 
étrangères. 

Nous  empruntons  aux  publications  officielles  de 
l'administration  des  contributions  indirectes  les  chiffres 
qui  se  rapportent  : 

i"  A  nos  récoltes  annuelles; 

2°  Aux  prix  de  vente  (détail). 


Récoltes  des  vins  et  prix  de  vente  au  détail  relevés  par  l'administration 
des  Contributions  indirectes  (1876-if 


876 

877 
878 

879 
880 
881 
88  i 
883 
884 
885 
886 
887 
888 
889 
890 
891 


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3o 
36 
34 
28 

25 

24 
3o 

23 

27 
3o 
29 


PRIX  DE  VENTE 

au  détail 
par  hectolitre. 

fr.  c. 
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58  80 
61  40 

63  60 

74  10 
73  80 

76  3o 

77  70 
76  10 

75  60 

78  » 
7960 
7950 

78  » 
7040 
81  » 

79  » 


LES   PRODUITS    VÉGÉTAUX  4? 

RÉCOLTES  PRIX    DE    VENTE 

ANNÉES  —  au  détail 

par  hectolitre. 
—  Millions  — 

d'hectolitres.  fr.  c. 

1893 5o         77  60 

1894 .      39  70  » 

1895 26  70  » 

1896 44       74  » 

1897 32         73  » 

A  mesure  que  nos  récoltes  diminuaient,  les  prix 
augmentaient. 

Nous  nous  sommes  livrés,  pour  établir  ce  fait,  à  une 
longue  enquête.  En  relevant  les  prix  de  vente  des  vins 
produits  dans  le  Languedoc,  dans  le  Bordelais,  dans  la 
Bourgogne  et  le  Beaujolais,  on  constate  que  les  cours 
se  sont  relevés  à  mesure  que  la  production  diminuait  (i). 
C'est  là  le  trait  caractéristique  d'une  première  période 
durant  laquelle  nos  vignobles  successivement  ravagés 
ou  détruits  par  le  phylloxéra  n'étaient  pas  encore 
reconstitués. 

Depuis  quelques  années,  cette  œuvre  de  reconsti- 
tution est  presque  achevée  ;  les  vignes  récemment 
plantées  sont  devenues  productives.  L'augmentation 
des  récoltes  a  été  considérable  et  soudaine  dès  que  les 
circonstances  atmosphériques  sont  devenues  favorables. 
En  1898,  la  production  ne  dépassait  pas  encore  32  mil- 
lions d'hectolitres.  Brusquement  elle  s'élève  à  47  mil- 
lions en  1899,  à  67  millions  en  1900.  Les  prix  baissent 
alors  et  la  crise  inévitable  se  produit.  Il  ne  saurait  être 
question  de  l'étudier  ici.  La  «  mévente  »  des  vins  cons- 


(i)  Voir  notre  série  d'études  publiée  dans  les  Annales  agronomiques, 
1899,  t.  XXV,  p.  145  et  seq. 


48  LA    BAISSE   DES  PRIX 

titue   un  phénomène  économique  spécial   que  l'on   ne 
doit  pas  confondre  avec  une  crise  agricole  générale. 


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VIII. 


LES    BOIS 


Les  bois  constituent  également  un  élément  fort  impor- 
tant de  notre  production  agricole.  Nous  possédons 
9.500.000  hectares  de  forêts  dont  le  rendement  annuel 
s'élève  en  totalité  à  27  millions  de  mètres  cubes.  Il  est 
superflu  d'insister  sur  l'importance  de  ces  chiffres.  La 
statistique  agricole  décennale  de  1892  constate  en  ces 
termes  la  réduction  du  prix  des  bois.  «  Depuis  1882  est 
survenue  une  baisse  générale  des  produits  ;  elle  peut 
être  approximativement  mesurée  par  les  «  Index  Num- 


LES   PRODUITS    VÉGÉTAUX  .49 

bers  »  dressés  par  M.  Sauerbeck,  de  la  Société  de  sta- 
tistique de  Londres,  «  Index  Niimbers  »  qui  sont  repré- 
sentés par  86  en  1880  et  71  en  1892,  le  nombre  100 
exprimant  le  niveau  moyen  des  prix  de  1 869-1 877  ;  c'est 
donc  un  abaissement  de  i5  p.  100,  On  peut  admettre 
que  cet  abaissement  a  été  de  i4  p.  100  pendant  la 
période  de  1881-1892.  » 

Il  nous  a  paru  intéressant  de  rechercher  si  les  coupes 
de  forêts  faites  en  France  avaient  subi  cette  réduction 
de  prix.  Pour  le  savoir,  nous  nous  sommes  adressés 
notamment  à  un  grand  propriétaire  de  bois  qui  possède 
des  forêts  dans  le  centre  de  la  France  et  dans  la  Fran- 
che-Comté. Il  résulte  de  la  comparaison  faite  du  pro- 
duit des  coupes  de  taillis  que  le  prix  de  ces  coupes  a 
diminué  de  10  à  12  p.  100  depuis  vingt  ans.  Ce  n'est  là, 
sans  nul  doute,  qu'une  indication  :  pour  étudier  la 
marche  du  prix  des  bois,  il  faudrait  distinguer  les 
diverses  catégories  de  bois  d'industrie,  de  bois  d'œuvre, 
de  résineux,  etc.,  etc. 

On  devine  sans  peine  les  difficultés  et  les  lenteurs 
d'une  pareille  enquête.  Nous  nous  bornerons  ici  à  men- 
tionner une  baisse  générale  et  moyenne  qui  n'est  pas 
inférieure  à  10  p.  100  mais  a  pu  s'élever  plus  haut. 

IX.    CONCLUSION    GÉNÉRALE 

Il  nous  est  possible,  maintenant,  de  formuler  une 
conclusion  générale  à  propos  des  variations  de  prix  des 
denrées  végétales. 

Ces  variations  se  sont  toutes  produites  dans  le  même 
sens  et  c'est  une  baisse  que   l'on   constate.  Celle-ci  a 

ZoLLA.  —  La  Crise  agricole.  4 


5o  LA   BAISSE  DES   PRIX 

été  particulièrement  sensible  pour  certaines  céréales 
et  notamment  pour  le  froment.  Ce  phénomène  est  d'au- 
tant plus  intéressant  que  les  grains  représentent  la 
denrée  de  vente  la  plus  importante,  celle  qui  assure 
dans  une  grande  partie  de  la  France  les  principales 
recettes  brutes  du  cultivateur. 

Toutefois,  la  baisse  ne  peut  exercer  une  influence 
sur  le  produit  brut  qu'en  ce  qui  touche  les  céréales 
effectivement  vendues.  Ce  serait  commettre  l'erreur  la 
plus  grave  que  de  considérer  comme  une  perte  ou  une 
diminution  des  revenus  agricoles,  la  réduction  de 
valeur  qu'a  subie  l'ensemble  des  céréales  produites. 
Signalons,  dès  à  présent,  cette  erreur  si  souvent 
commise.  La  même  observation  doit  être  faite  à  propos 
des  autres  produits  végétaux  dont  la  baisse  de  prix  a 
été  très  marquée  ;  les  pommes  de  terre  par  exemple. 

En  revanche,  la  plupart  des  graines  oléagineuses  et 
presque  tous  les  bois  sont  effectivement  vendus.  La 
diminution  de  leur  prix  n'a  pu  qu'aggraver,  sur  divers 
points,  la  crise  agricole. 

Il  en  est  de  même  pour  les  alcools  fabriqués  dans 
nos  fermes. 

La  situation  de  la  culture  des  betteraves  à  sucre  nous 
paraît  dangereuse  et  trop  intimement  liée  à  celle  du 
marché  des  sucres.  Le  prix  de  la  betterave  peut  dimi- 
nuer demain  dans  des  proportions  énormes  si  le  cours 
des  sucres  vient  à  fléchir.  A  cet  égard,  il  y  a  lieu  de 
redouter  les  plus  graves  mécomptes.  Nous  sommes 
forcés  d'exporter  plus  de  la  moitié  des  quantités  de  sucre 
fabriquées  dans  nos  usines.  Le  jour  où  le  marché  étran- 
ger nous  sera  partiellement  fermé,  la  culture  de  la  bette- 


^£■5    PRODUITS   D'ORIGIXE    AMMALE  5i 

rave  sera  très  sérieusement  menacée  dans  notre  pays. 

La  crise  viticole  est  toute  récente  ;  elle  doit  être  rat- 
tachée à  une  surproduction  momentanée  qu'ont  provo- 
quée des  circonstances  atmosphériques  exceptionnelle- 
ment favorables.  Néanmoins,  l'augmentation  de  notre 
production  tient  aussi  à  des  causes  permanentes  et  en 
particulier  à  la  reconstitution  de  nos  vignobles.  La 
baisse  du  prix  des  vins  n'est  donc  pas  un  phénomène 
passager.  11  y  a  lieu  d'en  tenir  compte  et  de  la  prévoir. 

Examinons,  maintenant,  la  marche  des  cours  relatifs 
aux  produits  d'origine  animale. 

II 
Les  produits  d'origine  animale. 

Pour  nous  rendre  compte,  tout  d'abord,  de  l'impor- 
tance relative  des  éléments  qui  constituent  notre  pro- 
duction d'origine  animale,  nous  reproduisons,  ci-des- 
sous, le  tableau  qu'en  a  dressé  l'administration  de 
l'Agriculture  (i). 

Production  animale  (valeurs  en  millions  de  francs). 

PRODUITS  VALEURS 

Animaux  français  aballus  ou 

exportés 1.763  millions  de  francs. 

Lait I  211  — 

Laine 48  — 

Volailles,   lapins,  œui's,  etc.  3 16 

Cocons  de  vers  à  soie.    ...  32  — 

Miel  et  cire i6  — 

Travail  des  animaux  de  trait.  2.946  — 

Fumier 832  — 

1 

Total.    .    .    .        7.204  millions  de  f.-ancs. 
(i)  Enquête  agricole  de  1892.  Introduction,  p.  44o- 


52  LA   BAISSE  DES  PRIX 

Une  première  observation  est  indispensable.  Il  nous 
paraît  impossible  de  songer  sérieusement  à  faire  figurer 
dans  le  produit  brut  agricole  le  travail  des  animaux  de 
trait  et  le  fumier.  La  valeur  de  ce  travail  est  représentée 
uniquement  par  celle  des  récoltes  que  les  façons  cul- 
turales  ont  permis  d'obtenir.  Une  partie  des  récoltes  a 
servi,  en  outre,  à  la  nourriture  des  animaux  vendus 
ou  des  produits  d'origine  animale  portés  sur  le  marché 
par  les  cultivateurs.  Compter  à  la  fois  la  valeur  des 
produits  et  la  valeur  du  travail  qui  a  permis  de  les 
obtenir,  c'est  évidemment  compter  deux  fois  la  même 
chose.  11  y  a  un  siècle  que  Lavoisier  (i)  s'est  attaché  à 
faire  cette  démonstration. 

Le  fumier  n'est  pas  non  plus  un  produit;  c'est  un 
résidu  industriel,  un  moyen  de  production,  mais  non 
un  produit  et  encore  moins  une  denrée  destinée  à  la 
vente  (2).  Les  agriculteurs  achète'nt  parfois  du  fumier; 
il  leur  est  interdit  d'en  vendre  quand  ils  sont  loca- 
taires, et  en  fait  ils  n'en  vendent  jamais. 

La  valeur  du  fumier  se  confond  avec  celle  des  récoltes. 

].    LK    BKTAIL    ET    LA    VIA>DK 

Ces  réserves  faites,  nous  voyons  immédiatement  que 
le  principal  élément  du  produit  brut  d'origine  animale 
est  représenté  par  les  animaux  de  boucherie  élevés  en 
France,  abattus,  ou  exportés. 


(i)  Rapport  à  rAsscmbléc  conslituante  sur  la  production  territoriale 
du   royaume. 

(2)  La  valeur  du  travail  des  attelages  et  celle  des  l'umiers  sont,  d'ail- 
leurs, retranchées  du  produit  brut  par  la  statistique  oflîciellc. 


LES    PRODUITS    D'ORIGINE   ANIMALE  53 

La  valeur  de  ces  animaux  dépend  surtout  du  cours 
de  la  viande.  11  nous  reste  donc  à  étudier  les  variations 
de  prix  qui  se  rapportent  à  cette  dernière.  Nous  emprun- 
tons au  Bulletin  du  Ministère  de  V Agriculture  les  chiffres 
suivants  relatifs  au  prix  moyen  du  kilo  de  viande  pour 
le   bœuf,  le  mouton  et  le  porc  dans  la  France  entière. 

Variations  de  prix  du  kilo  de  viande  (  hœiif,   mouton,  porc)  dans  la 
France  entière  ;  par  périodes  (/uine/uennales. 
Pcriotk's.  Hretif.  Mouton.  Poi'c. 

ff.  c.  fr.  c.  fr.  c. 

18-7-1880  ....  I  6a  I  80  I  65 

i88i-i885  ....  I  61  I  83  i  64 

1888-1890  ....  I  49  17'^  I  48 

1891-1895  ....  I  59  I  83  I  54 

1896-1903  ....  I  57  1  83  I  5o 

En  prenant  comme  ternie  de  comparaison  les  prix  de 
la  période  1877-1880,  nous  voyons  que  les  cours  de  la  der- 
nière série  (1896-1900)  sont  fort  peu  diminués,  excepté 
en  ce  qui  concerne  le  porc.  A  la  vérité,  nos  moyennes 
masquent  des  fluctuations  très  accusées  qui  se  sont  pro- 
duites durant  ces  vingt  dernières  années. 

Pour  mettre  en  évidence  ces  variations,  nous  plaçons 
sous  les  yeux  du  lecteur  le  graphique  de  la  page  (54) 
qui  retrace  avec  fidélité  le  mouvement  des  cours  pour 
le  bœuf,  le  mouton  et  le  porc. 

Les  oscillations  sont  évidemment  très  accusées,  mais, 
dans  leur  en&emble,  les  courbes  ne  nous  révèlent  pas 
une  tendance  à  la  baisse  comparable  à  celle  que  l'on 
observe  pour  les  céréales.  Les  cours  ont  fléchi  en  1880 
et  1881  ;  mais  ils  se  relèvent  en  i883,  1884.  La  baisse 
s'accentue  de  nouveau  en  1887  et  1888:  puis  nous 
observons  une  hausse  rapide  de  1890  à  189?..  Enfin,   la 


54 


LA    BAISSE  DES   PRIX 


sécheresse  de  1893  provoque  une  dépression  marquée 
des  cours  qui  est  suivie  d'un  relèvement.  Toutefois, 
depuis  1895,  une  baisse  nouvelle  s'accuse  et  sera  peut- 
clro  suivie  d'une  hausse. 

En  somme,  le  prix  de  la  viande  n'a  pas  suivi  la  même 
marche  que  le  cours  des  céréales  et  des  autres  produits 
végétaux.  Il  reste  plutôt  stationnaire,  bien  que  l'on  ait 
observé  des  dépressions  brusques  et  prolongées.  Cette 
dépression  est  très  accusée  depuis  trois  ans. 


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Une  pareille  conclusion  a  évidemment  une  très 
grande  importance.  Nous  signalons  les  faits  sur  lesquels 
elle  s'appuie  en  nous  réservant  d'en  rechercher  la  signi- 
fication et  d'en  montrer  la  portée.  Toutefois,  les  varia- 
tions du  prix  de  la  viande  présentent  un  si  grand  intérêt 
que  nous  voudrions  les  étudier  encore  d'une  autre 
façon  et  comparer,  notamment,  les  fluctuations  des 
cours  sur  les  marchés  français  et  anglais. 


LES    PRODUITS   D' ORIGINE    ANIMALE  55 

Eludions   d'abord    la   marche    des   prix    en    France. 

En  groupant  les  moyennes  annuelles  de  manière  à 
constituer  les  prix  moyens  de  périodes  triennales  suc- 
cessives, on  obtient  les  résultats  suivants  pour  le  kilo 
de  viande  nette,  première  qualité,  sur  le  marché  de  la 
Villette,  à  Paris.  Nous  empruntons  les  prix  annuels  au 
relevé  des  opérations  du  marché  de  la  Villette  que 
publie  le  Bulletin  du  Ministère  de  l'Agriculture. 

Prix  du  kilogramme  de  viande  nette  (i^°  qualité)  sur  le  marché  de  la 

Villette. 
Périodes.  Bœuf.  Moulon. 

fc.  c.  fr.  c. 

1879-188 1 I  69  I  97 

1880-1882 I  67  201 

1881-1883 I  71  206 

1 882-1884 I  73  207 

i883-i885 I  69  I  98 

1884-1886 I  60  I  87 

1885-1887 I  5o  I  77 

1886-1888 I  45  I  77 

1887-1889 143  I  81 

1888-1890 .  I  5o  I  95 

1889-1891 j  55  2o3 

1890-1892 I  57  2  04 

1891-1893 '.  I  54  I  95 

1892-1894 I  56  I  94 

1893-189J I  57  I  96 

1894-1896 I  57  2  » 

1895-1897 I  5o  I  92 

1896-1898 I  46  I  85 

1897-1899 I  44  I  84 

1898-1900 I  43  1 89 

Les  oscillations  ont  ici  moins  d'amplitude  ;  le  mouve- 
ment des  prix  est  plus  continu  et  une  tendance  à  la 
baisse  se  manifeste,  surtout  pour  la  viande  de  bœuf, 
depuis    la  période    1879-1881    jusqu'à   1898-1900.   Cette 


56  LA    BAISSE  DES  PRIX 

baisse  est  de  7  p.  100  pour  le  bœuf  et  de  4  p-  100  pour 
la  viande  de  mouton. 

En  Angleterre,  la  baisse  est  plus  accusée.  Nous  avons 
également  groupé  les  cours  qui  se  rapportent  à  la  viande 
de  i"""  qualité  sur  le  «  Metropolitan  Market  »  de  Londres, 

Voici  les  résultats  obtenus.  Nos  moyennes,  calculées 
en  francs,  se  rapportent  également  au  kilogramme. 
Pour  opérer  les  conversions  nécessaires,  nous  avons 
admis  que  le  shilling  équivalait  à  i  fr.  25,  et  la  livre 
anglaise  (Lb.)  à  45^^  grammes. 

Prix  du  kilogramme  de  viande  de  bœuf  et  de  mouton  pour  la  première 
qualité  sur  le  Metropolitan  Market,  à  Londres. 

Périodes.  Bœuf.  Mou  Ion. 

fr.  c.        fr.  c. 

1877-1879 

1878-1880. 

1879-1881  

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1882-188} 

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1884-1883  

1885-1887  

1886-1888 


1890-1892  

1891-1893  

1892-1894  .  . 

1893-1895  

1894-1896 

1895-1897  

La  baisse  est  ici  beaucoup  plus  accusée,  ainsi  que 
Hous  le  disions  tout  à  l'heure. 


I  99 

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LES    PRODUITS    L'ORIGINE    ANIMALE 


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Prix  du  Mouton 


à,  Paris      •>-— -^ 
à  Londreso- o 


Notre  graphique  relatif  aux  prix  anglais  et  français 
le  montre  clairement. 

Sans  doute,  nous  observons  encore  des  inflexions 
marquées  analogues  à  celles  qui  caractérisent  le  graphi- 


58  •/-4   BAISSE  DES  PRIX 

que  des  cours  français;  mais  ces  inflexions  sont  moins 
accusées;  les  courbes  des  prix  ne  se  relèvent  pas  à 
Londres  aussi  haut  qu'à  Paris  après  les  périodes  de 
baisse. 

Il  nous  paraît  très  vraisemblable  que  les  droits  de 
douane  établis  en  France  sur  le  bétail  vivant  et  les 
viandes  importées  peuvent  expliquer  ces  différences. 

Remarquons,  en  outre,  que  le  prix  de  la  viande  de 
i'"''  qualité [i)  est  sensiblement  plus  élevé,  par  kilo,  sur 
le  marché  de  Londres.  L'écart  entre  les  prix  anglais  et 
français  était  très  sensible  jusque  vers  i89:>.,  c'est-à-dire 
jusqu'au  moment  où  notre  tarif  douanier  a  été  remanié 
et  les  droits  sur  la  viande  et  le  bétail  vivant  singulière- 
ment rehaussés. 

Conclusion.  —  En  résumé,  le  prix  de  la  viande  n'a 
pas  subi,  en  France,  une  baisse  comparable  à  celle  du 
froment  ou  môme  des  autres  céréales;  les  cours  sont 
plutôt  stationnaires.  En  étudiant  les  fluctuations  des 
moyennes  triennales,  nous  obtenons  les  mômes  résultats 
et  nous  aboutissons  aux  mêmes  conclusions  qu'en  exa- 
minant la  marche  des  prix  annuels. 

On  observe,  cependant,  une  tendance  marquée  à  la 
baisse  sur  des  marchés  francs  comme  celui  de  Londres. 
Il  est  vraisemblable  que  rinfTuence  de  nos  tarifs  protec- 
teurs se  fait  sentir,  et  l'on  doit  admettre  que  les  cours 
suivront  en  France  une  marche  analogue. 


(.)  11  y  aura  lieu  de  voir  en  efTet  si  le  prix  des  viandes  de  dernière 
qualité  a  suivi  la  même  marche.  Nous  examinerons  cette  question  un 
peu  plus  loin. 


LES    PRODUITS   D'ORIGINE    ANIMALE 


H 


En  tous  cas,  sur  le  marché  de  Paris,  la  baisse  est 
sensible  depuis  1894  pour  les  viandes  de  i"""  qualité. 
Nous  verrons  qu'il  n'en  est  pas  de  môme  pour  d'autres. 


Influence  de  la  qualité  des  viandes  sur  les  variations 
de  prix.  — Enfin,  il  est  fort  intéressant  de  savoir  si  les 


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Prix,  du  Bœuf 


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À  Londres(>- 


Prix  du  Mouton 


à  Paris     e-  — —  — • 
à.  Londreao o 


viandes  de  qualité  inférieure  n'ont  pa&  subi  une  baisse 
plus  accentuéeque  la  viande  de  i'"  qualité. 

Le  graphique  ci-dessus  répond  à  cette  question.  On 
voit  qu'en  efïet  la  viande  de  dernière  qualité  (Inferior 
quality),    sur   le  Métropolitain   Market   de  Londres,  a 


6o  LA    BAISSE   DES  PRIX 

baissé  de  prix  plus  rapidement  que  la  viande  de  i"""  qua- 
lité. Cette  dernière  n'est  plus  directement  concurrencée 
par  les  viandes  de  conserve  ou  les  quartiers  importés 
sur  les  navires  pourvus  de  chambres  iVigorifiques.  Les 
viandes  de  dernière  qualité  sont,  au  contraire,  directe- 
ment exposées  à  cette  concurrence. 

Voici,  d'ailleurs,  les  écarts  de  prix  que  nous  relevons, 
pour  le  bœuf  et  le  mouton,  entre  la  première  et  la  der- 
nière qualité  (i). 

Ecarts  de  prix  par  kilogramme  entre  les  viandes  de  première 
et  dernière  qualité,  à  Londres . 
Pi^i-iodcs.  Bœuf.  Mouton. 

fr.  c.  fV.  c. 

1877-1879 

I 878-1 880 

1879-1881   

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1882-1884  

i885-i885 

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1886-1888 

1887-1889  

1888-1890  

1889-1891  

1890-1892 

1891-1893  

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1893-1895  

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1890-1897  .    .    .    .  , 


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»  73 

(i)  Ce  que  nous  appelons  ici  viandes  de  dernière  qualité  sont  des 
viandes  parfaitement  saines  d'ailleurs  mais  cotées  «  Inferior  quality  » 
sur  le  Metropolitan  Market.  //  s'agit  de  viande  provenant  d'animaur 
élevés  en  Angleterre . 


LES    PRODUITS    D'ORIGJyE    A  MM  A  LE  6i 

Notons  avec  soin  que  les  écarts  de  prix  augmentent  à 
•  mesure  que  l'on  se  rapproche  de  Tépoque  actuelle.  Cela 
lient  précisément  à  ce  fait  que  les  viandes  de  qualité  infé- 
rieure baissent  plus  rapidement  de  prix  que  les  autres. 

Les  viandes  de  choix  représentent  une  denrée  de  luxe 
réservée  aux  plus  fortunés.  Pour  les  gens  de  fortune 
modeste,  les  viandes  importées  ou  les  catégories  infé- 
rieures des  viandes  provenant  d'animaux  anglais  cons- 
tituent un  aliment  à  bas  prix  relativement. 

En  France,  nous  n'observons  pas  le  même  phénomène. 
La  marche  des  prix,  pour  les  deux  catégories  de  viande, 
est  presque  semblable.  Enfin,  au  lieu  d'augmenter, 
l'écart  de  prix  entre  les  qualités  diminue  d'une  façon 
apprécialjle.  Il  en  résulte  que  les  classes  relativement 
pauvres  n'ont  pas  bénéficié  dans  la  même  mesure  qu'en 
Angleterre  de  la  baisse  des  prix.  Il  y  a  plus.  Nous  avons 
montré  précédemment  que  le  prix  de  la  viande  de 
i'"  qualité  était  resté  longtemps  plus  élevé  à  Londres 
qu'à  Paris.  A  partir  de  1892,  au  contraire,  l'écart  entre 
les  prix  diminue  jusqu'à  devenir  nul.  Il  nous  parait  cer- 
tain que  nos  tarifs  de  douane  ont  soutenu  les  cours,  en 
France,  pendant  que  les  prix  continuaient  à  baisser  en 
Angleterre. 

Le  graphique  (p.  5y)  met  clairement  ce  phénomène 
en  évidence. 

Pour  les  viandes  de  dernière  qualité,  il  en  a  été  de 
môme.  Les  prix  cotés  sur  le  Metropolitan  jNIarket,  à 
Londres,  ont  baissé  très  rapidement.  A  partir  de  la 
période  1884-1886  ils  tombent  au-dessous  des  cours  fran- 
çais. En  outre,  l'écart  s'accentue  à  mesure  que  l'on  se 
rapproche  de  la  période  actuelle.  Nos  prix  restent  à  peu 


62  LA    BAISSE  DES  PRIX 

près  stationnaires  tandis  que  les  cours  de  Londres  sont 
en  baisse. 

C'est  ce  que  montre  le  graphique  de  la  page  09. 

Pour  les  viandes  de  i""*  qualité  consommées  par. les 
classes  riches,  nous  sommes  ainsi  arrivés  à  relever  le 
niveau  de  nos  cours,  qui  sont  aujourd'hui  semblables  ou 
supérieurs  aux  cours  cotés  à  Londres.  Pour  les  viandes 
I  de  la  dernière  qualité,  consommées  par  les  classes  pau- 
vres, nous  avons  obtenu  ce  résultat  singulier,  d'en 
\élever  le  prix  beaucoup  au-dessus  des  cours  anglais. 

Il  nous  paraît  fort  probable,  nous  le  répétons,  que 
nos  droits  de  douane  frappant  le  bétail,  les  conserves, 
les  viandes  congelées,  etc.,  etc.,  ont  amené  ce  résultat. 

En  ce  qui  concerne  spécialement  les  intérêts  du  pro- 
ducteur agricole,  il  est  visible  que  l'état  stationnaire 
du  prix  des  viandes  de  la  dernière  catégorie,  en  France, 
leur  est  favorable. 

Voici,  d'ailleurs,  à  titre  de  document,  le  tableau  des 
cours  pratiqués  à  Paris  sur  le  marché  de  la  Villette,  et 
à  Londres  sur  le  Metropolitan  Market,  pour  les  viandes 
fraîches  de  la  dernière  qualité. 

Il  s'agit  de  viandes  provenant  d'animaux  élevés  et 
abattus,  soit  en  France,  soit  en  Angleterre. 

Prix,  par  kilogramme  des  viandes  de  dernière  qualité,  à  Paris  et  à 

Londres. 

BŒUF  MOUTON 

Périodes.  Paris.         Lomircs.  Paris.        Londres, 

fr.  c.  fr.  c.  fr.   c.  fr.  c. 

1879-1881 I  23  I  5o  1  38  I  90 

1880-1882 I  20  I  52  I  61  I  98 

1881-1883 I  27  I  5o  I  80  208 

1882-1884 I  32  I  47  I  84  -2  05 


LES   PRODUITS   D'ORIGINE   ANIMALE  63 


Périodes. 


I 883-1 885 

1884-1886 

1885-1887 

1 886-1 888 

1887-1889 

1888-1890 

J889-1891 

1 890-1 892 

1891-1893 

1892-1894 

1893- 1895  . 

1894-1896  . 

1895-1897 


BŒUF 

MOUTON 

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Paris. 

Londres. 

Paris. 

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I  26 

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I  18 

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I  62 

I  20 

II.  LE  LAIT 

Le  lait  est,  après  la  viande,  le  principal  élément  du 
produit  brut  d'origine  animale.  Nos  vaches  laitières 
produisent  77  millions  d'hectolitres  de  lait  dont  la 
valeur  moyenne  serait  de  o  fr.  16  le  litre  d'après  la 
statistique  agricole  de  1899..  Cette  énorme  quantité  est 
utilisée  en  partie  pour  la  fabrication  des  beurres  et  des 
fromages.  On  consomme  le  reste  à  l'état  de  lait  frais. 
Nous  n'avons  pas  de  renseignements  précis  analogues 
à  des  mercuriales  en  ce  qui  touche  le  lait  frais.  Il  est 
fort  probable  que  le  prix  de  cette  denrée  a  peu  varié 
depuis  quinze  ou  vingt  ans.  Peut-être  même  a-t-il  aug- 
menté au  lieu  de  diminuer.  Les  exigences  de  la  clientèle 
riche  sont  plus  grandes;  le  souci  de  l'hygiène  est  plus 
général;  les  sacrifices  faits  pour  se  procurer  du  lait  de 
très  bonne  qualité  sont  à  coup  sûr  plus  visibles.  L'usage 
de  vendre  du  lait  garanti  pur  dans  des  vases  scellés  s'est 


64  LA    BAISSE   DES  PRIX 

répandu,  au  moins  à  Paris  et  dans  les  grandes  villes. 
Ailleurs,  nous  n'avons  jamais  observé  une  baisse.  Le 
prix  du  litre  de  lait  frais  oscille  entre  i5  et  aS  centimes, 
la  moyenne  est  de  20  centimes  en  province. 

III.   LE    BEURRE 

Le  beurre  est  un  produit  très  important."  Depuis  quel- 
ques années,  sa  valeur  tend  à  diminuer  et  Ton  parle 
bien  souvent  de  la  mévente  des  beurres  ;  c'est  là  le  terme 
consacré.  Une  distinction  est  ici  nécessaire.  Le  cours  des 
beurres  fins  ne  nous  paraît  pas  avoir  baissé.  En  relevant 
les  mercuriales  du  marché  de  Paris,  nous  avons  trouvé 
les  moyennes  suivantes  qui  se  rapportent  aux  produits 
dits  d'Isigny,  fins  et  demi-fins  • 

Prix  du   kilogramme  de   beurres  ditu  d  Isigiiy  à  Paris. 

BlîURKI':    FIN  Bi:URRIi   DEMI-FIN 

Périodes,  Miiiima.  Maxima.         Miniina.  Maxima. 

1880-1883.    .     . 
1894-1897.     .     . 

Ainsi  nous  observons  une  hausse  très  visible  et  non 
pas  une  baisse.  Les  beurres  ordinaires  fabriqués  dans 
de  bonnes  conditions  semblent,  cependant,  avoir  subi 
une  réduction  de  prix  depuis  quelques  années.  Voici, 
par  exemple,  les  prix  obtenus  par  une  laiterie  coopéra- 
tive de  la  Vendée  qui  expédie  son  beurre  aux  halles  de 
Paris  : 


h:   C. 

iV.  c. 

fr.  c. 

fr.  c. 

390 

6  10 

3  5o 

4  5o 

590 

660 

4  10 

490 

1894 

1895 

1896 

1897 229 


rix  du  kilo. 

fr.  c. 

239 

246 

2  3o 

LES    PRODUITS    D'ORIGINE   ANIMALE  65 

Les  beurres  ordinaires  de  Bourgogne  ont  sul)i  à 
Paris  une  baisse  de  prix  plus  marquée.  En  comparant  les 
cours  des  mois  de  grosse  production,  juin,  juillet,  août, 
septembre  nous  obtenons  la  moyenne  suivante  : 

PRIX 

du  kilo  à  Paris. 

fr.  c. 

189a 207 

1893 -i  09 

T894 I  80 

1895 I  68 

1896 I  70 

1897 I  70 

1898 I  83 

11  y  a  donc  eu  baisse  ;  mais  cette  baisse  ne  dépasse 
pas  7  à  8  p. 100. 

En  Angleterre,  la  baisse  constatée  est  encore  plus 
faible.  Voici  les  cours  que  nous  relevons  et  qui  se  rap- 
portent :  i^à  la  valeur  moyenne  des  beurres  importés  ; 
1"  au  prix  du  beurre  venu  de  France  : 

Prix  des  beurres  importés  eu  Augleterre  (i). 
Prix  par  iOO  iiilos  (2  c\\ls). 

Valeur  niojciiuc.  Beurre  français. 

fr.  fr. 

1886 264  280 

1887 264  270 

1888 266  270 

1889 266  272 

1890 260  270 

1891 272  284 

1892 274  278 

1893 274  286 

1894 262  276 

1895 25o  268 

(i)  Voir  :  Royal  Commission  of  Agriculture.  Fiual  Report,  p.   77, 
ZoLLA.  —  La  Crise  agricole.  5 


66  LA   BAISSE  DES  PRIX 

Val  ou  r  nioyciino.  iJciirrc  français. 

fr.  fr. 

1896  (l) 202  » 

1897 245  » 

En  prenant  comme  termes  de  comparaison  les  années 
1886  et  1897,  on  constate  une  baisse  de  19  francs  par 
quintal,  ou  de  7  p.  100  seulement,  en  ce  qui  concerne 
la  valeur  moyenne  des  beurres  importés  dans  le 
Royaume-Uni. 

IV.    LES    rROMAGP:S 

Les  fromages  constituent  une  part  très  importante 
des  produits  de  la  laiterie.  Nous  donnons  ci-dessous  le 
cours  des  gruyères  dans  les  fruitières  du  Doubs  et  du 
Jura  : 

PRIX 
du  quiiilal  de  gruyère 

dans  les  fruitières 
du  Doul)S  et  du  Jura. 

fr. 
1876-1880 142       » 

i88i-i885 i33  » 

1886-1890 120  » 

1891-1895.  . i34  » 

1896 118  )) 


>7 


i3i 


On  voit  que  les  cours  se  sont  abaissés  jusqu'en  1890. 
Ils  se  relèvent  ensuite,  peut-être  sous  l'influence  des 
droits  protecteurs  votés  en  1891  et  appliqués  en  \^Ç)'>.. 
Mais,  en  somme,  les  variations  ne  sont  pas  très  accu- 
sées. Depuis  1876-1880  jusqu'à  la  période  1886-1890,  la 
baisse  ne  dépasse  pas  i5  p.  100. 

(i)  Voir  pour  les  prix  moyens  en  1896  et  1897,  Board  of  Agriculture^ 
Agricultural  Returns,  1897,  p.  139. 


LES    PRODUITS    D'ORIGINE    ANIMALE  67 

Nous  ne  pouvons  songer  à  suivre  les  fluctuations  de 
prix  des  fromages  si  divers  consommés  en  France.  Les 
courtes  indications  qui  précèdent  nous  paraissent, 
d'ailleurs,  suffisantes  pour  montrer  que  les  variations 
de  cours  n'ont  pas  eu  comme  résultante  une  baisse 
accentuée  analogue  à  celle  que  Ton  constate  pour  la 
plupart  des  denrées  végétales. 

V.    LA    LAINE 

La  laine,  qui  est  un  produit  important,  a  subi,  au 
contraire,  une  baisse  très  marquée  ;  depuis  1876  jusqu'à 
i883,  notamment,  le  cours  des  laines  a  diminué  de  plus 
de  3o  p.  100. 

11  en  a  été  de  môme  en  Angleterre  pour  les  laines  pro- 
duites dans  le  pays  aussi  bien  que  pour  les  laines 
importées.  Voici,  à  titre  d'exemple,  les  variations  de 
prix  de  deux  catégories  de  laines,  variations  qui  mon- 
trent la  généralité  du  mouvement  de  baisse  et  l'iinpor- 
tance  considérable  de  la  réduction  de  prix  : 

Prix  par  livre  (453  gr)  en  francs  (i). 

LAINES   ANGLAISES  LAINES    IMPORTÉES 

Soutlidowii.  Liuco!n.       X  -Zélandc.  Auslralie. 


fr.  c. 

fr.  c. 

fr.  c. 

fr.  c. 

1876.  .  .. 

I  70 

I  70 

I  5o 

I  5o 

1877.  .  . 

I  60 

1  60 

I  5o 

I  5o 

1878.  .  . 

I  5o 

I  5o 

I  40 

I  40 

1879.  .  . 

I  3o 

I  -PO 

I  40 

I  40 

(i)  Voir  Final  Report  on  Agi icultiiral  Dépression,  p.  75.  Londres, 


68 


LA    BAISSE  DES  PRIX 


LAINES    ANGLAISES  LAINES    IMPORTEES 

Soullidown.  Lincoln.       N.-Zélando.  Australie. 


fr.  c. 

fr.  c. 

fr.  c. 

fr.  c. 

1880.  ...    I  40 

I  5o 

I  40 

140 

I88I. 

I  5o 

I  20 

I  40 

I  40 

1882. 

1  40 

I  10 

I  20 

I  20 

i883. 

I  20 

I  » 

I  i5 

I  20 

i884. 

i  i5 

I  » 

i  20 

I  20 

1885. 

I  o5 

I  » 

I  » 

I   » 

1886. 

I  o5 

I  » 

o85 

090 

1887. 

I  o5 

I  o5 

I  » 

I   » 

1888. 

I  » 

io5 

I  » 

I   » 

1889. 

I  10 

I  10 

I  » 

I   » 

1890. 

I  20 

I  10 

I  » 

I  10 

1891. 

I  i5 

095 

095 

090 

1892.  . 

I  10 

o85 

095 

090 

1893.  . 

I  10 

1  o5 

095 

080 

1894.  . 

I  o5 

I  » 

090 

080 

1895.  . 

I  » 

I  20 

080 

080 

En  France  même,  les  prix  des  laines  indigènes  ont 
l)aissé  de  i4  p.  100  depuis  i885  jusqu'à  1895  : 


Prix  du  quintal  de  laine  en  France  (i). 

i885 

1886 

1887 

1888 

1889 

1890 , 

1891 

1892 

i89i 

X894 


fr. 
164 

i57 
160 
i54 
i54 
i54 
178 
144 
144 
141 


La  laine  est  certainement  un  des  produits  agricoles 
(!oiil  le  prix  a  diminué  le  plus  rapidement  depuis  vingt- 


[i)  Enquête  agricole  de  1892.  lulroduclion,  p.  3 12. 


LES    PRODUITS   D'ORIGINE   ANIMALE  69 

cinq  ans.  Celte  baisse  n'est  pas  inférieure  à  5o  p.  loo. 
Ilfaiitnoter,  d'ailleurs,  que  cette  tendance  est  très  mar- 
quée depuis  fort  longtemps.  On  peut  dire  que  le  cours 
des  laines  s'abaisse  depuis  le  commencement  de  la  Res- 
tauration (i). 

Avant  de  terminer  ce  long  chapitre,  il  ne  nous  reste 
plus  qu'à  parler  de  trois  produits  d'importance  inégale  : 
la  soie,  le  miel  et  la  cire  dont  la  valeur  ne  laisse  pas 
que  d'être  assez  élevée  en  France. 

VI.    —    LES    COCONS 

Les  cocons  de  vers  à  soie  ont  subi  depuis  quinze  ans 
une  baisse  très  marquée.  Le  prix  du  kilogramme  qui 
s'était  élevé  très  souvent  à  5  francs  de  1870  à  1880,  tom- 
bait ensuite  à  3  fr.  5o.  Depuis  1892,  ces  cours  ont  encore 
fléchi  : 

fr.  e 

1892 3^5 

1893 434 

1894 2  60 

1895 282 

1896 2  56 

Cette  baisse  explique  les  plaintes  si  vives  des  sérici- 
culteurs français,  qui  ont  réalisé  des  profits  de  moins 
en  moins  élevés. 

VII.    LE    MIEL    ET    LA.    CIRE 

Le  miel  et  la  cire  n'ont  pas  subi  une  baisse  analogue; 
les  cours  restent  stationnaires  depuis  dix  ans,  et  cette 


(i)  Voir  à  ce  sujet  le  tableau  graphique  publié  en  1880,  par  M.  César 
Poulain,  ancien  président  de  la  Chanîbre  de  commerce  de  Reims, 
Paris,  Guillauniin. 


70  LA   BAISSE.    —   CONCLUSION   GÉNÉRALE 

particularité  nous  montre  combien  sont  diverses  les 
influences  qui  s'exercent  sur  le  prix  des  produits  agri- 
coles. La  résultante  de  toutes  les  causes  différentes  est 
une  baisse  générale,  mais  parfois  aussi  un  état  station- 
naire  des  cours. 

Voici  les  fluctuations  de  prix  du  miel  et  de  lu  cire 
depuis  i885  jusqu'à  1895,  d'après  l'enquête  agricole 
de  1892. 

PRIX  PAR  KILO 

Miel.         Cire. 

fr.  c.  fr.  c. 

i885 I  42  2  28 

1886 I  42  2  18 

1887 I  39  2  21 

1888 I  39       2  38 

1889 I  39  2  27 


2  2 


1890 I  40 

1891 I  52  2  24 

1892 1 49      ^19 

1893 1 42       2  20 

1894 I  41       212 

Conclusions  générales.  —  La  baisse  des  produits 
d'origine  végétale  et  animale.  —  Nous  venons  d'étudier 
successivement  les  variations  de  prix  des  principaux 
produits  d'origine  végétale  ou  animale.  Un  phénomène 
économique  de  la  plus  haute  importance  se  dégage 
nettement  de  cet  examen  :  c'est  la  baisse  des  prix.  En 
revanche,  cette  baisse  est  très  inégale.  Les  produits 
végétaux  ont  baissé  de  prix  beaucoup  plus  rapidement 
que  les  produits  d'origine  animale,  et  en  outre,  la 
dépréciation  des  denrées  végétales  a  été  beaucoup  plus 
marquée.  Nous  constatons,  enfin,  une  extrême  diver- 
sité dans  les  fluctuations  de  prix  des  produits  agricoles. 


LES    PRODUITS   D'OIUGIXE    ANIMALE  /i 

La  dépréciation  du  froment  est  bien  plus  marquée  que 
celle  de  Tavoine  ;  les  prix  des  laines  ont  diminué  de 
;")o  p.  loo  en  France,  tandis  que  le  cours  de  la  viande  et 
du  bétail  ne  subissait  guère  qu'une  dépression  de  4  ^ 
9  p.  ICO. 

Il  résulte  de  ces  différences  que  la  l^aisse  des  prix  a 
exercé  une  influence  décisive  sur  les  profits  lorsque  la 
production  locale,  dans  nos  régions  agricoles,  a  porté 
sur  des  denrées  plus  spécialement  affectées  par  la 
baisse.  La  crise  agricole  n'a  ni  les  mômes  caractères 
ni  la  môme  intensité  dans  les  régions  à  céréales  et 
dans  les  centres  d'élevage,  dans  les  départements  essen- 
tiellement viticoles  et  dans  ceux  où  la  production  laitière 
a  pris  un  développement  plus  rapide. 

Nous  aurons  soin  de  signaler  plus  tard  ces  diffé- 
rences qui  se  traduisent,  notamment,  par  des  variations 
de  la  valeur  du  sol.  11  était  utile  de  déterminer  la  cause 
des  contrastes  qui  s'observent.  Cette  cause  principale 
est  évidemment  la  diversité  des  fluctuations  de  prix 
relatives  aux  principaux  produits  vendus  par  le  cultiva- 
teur et  constituant  les  grosses  recettes  des  exploitations 
rurales. 

Avant  d'étudier  cette  question,  c'est-à-dire  avant 
d'examiner  les  conséquences  de  la  baisse  générale  des 
prix,  nous  devons  toutefois  nous  demander  si  le  déve- 
loppement de  la  production  agricole  dans  notre  pays 
n'a  pas  jusqu'à  un  certain  point  atténué  les  effets  de  la 
baisse.  Il  est  clair,  en  effet,  qu'une  augmentation  rapide 
des  récoltes  et  des  rendements  peut  compenser  par- 
tiellement une  baisse  des  prix. 

D'un  autre  côté,  nous  devrons  chercher  à  savoir  si 


72  LA  n  Aïs  SE  DES  PRIX 

raugmentatioiî  très  rapide  de  la  masse  des  produits 
agricoles  obtenus  ne  peut  pas  expliquer  la  baisse  que 
l'on  observe. 

Ce  sont  ces  deux  problèmes  que  nous  allons  main- 
tenant nous  efforcer  d'étudier  et  de  résoudre. 

III 

La  baisse  des  prix  et  l'augmentation  de  la  production 

en  France. 

Avant  d'étudier,  disions-nous  plus  haut,  les  consé- 
quences de  la  baisse  du  prix  des  principales  denrées 
agricoles,  il  est  indispensable  de  nous  demander  si 
l'augmentation  des  récoltes  n'a  pas  compensé  jusqu'à 
un  certain  point  la  diminution  des  cours. 

Sans  nul  doute,  tout  accroissement  des  rendements 
et  de  la  production,  en  général,  suppose  une  augmen- 
tation des  dépenses.  Les  façons  culturales  mieux  faites 
ou  plus  nombreuses,  l'emploi  d'engrais  complémen- 
taires, une  sélection  plus  attentive  des  semences,  etc., 
etc.,  exigent  des  avances  plus  considérables. 

Il  en  est  de  même  pour  la  production  d'origine  ani- 
male. L'accroissement  du  poids,  du  nombre,  de  la  qua- 
lité des  animaux  et  de  leur  productivité  suppose  des 
dépenses  plus  élevées  relatives  au  choix  des  reproduc- 
teurs et  à  l'alimentation. 

Mais  dans  tous  les  cas,  le  développement  de  la  pro- 
duction n'est  possible  que  s'il  est  lucratif;  l'augmenta- 
tion des  dépenses  a  donc  été  largement  compensée  par 
celle  des  recettes.  On  ne  saurait  admettre,  un  seul  ins- 
tant, qu'en  produisant  une  masse  plus  considérable  de 


LE  DÉVELOPPEMENT  DE  LA   PRODUCTIOX  7^ 

denrées,  nos  agriculteurs  aient,  d'une  façon  générale, 
fait  des  sacrifices  stériles.  C'est  le  contraire  qui  nous 
paraît  vrai. 

Tout  progrès  technique  doit  avoir  pour  conséquence 
un  excédent  de  recettes,  déduction  faite  des  dépenses 
nouvelles  que  le  progrès  entraîne  avec  lui. 

Il  est  donc  parfaitement  permis,  nous  le  répétons,  de 
se  demander  si  la  baisse  récente  des  prix  n'a  pas  eu 
comme  correctif  une  augmentation  de  notre  production 
agricole. 

I.  —  En  ce  qui  concerne,  notamment,  les  céréales, 
le  doute  ne  semble  pas  permis.  Le  développement  de 
la  production  a  corrigé  ou  atténué  TefTet  de  la  baisse  du 
prix.  D'après  la  statistique  décennale  de  i89'2,  on  cons- 
taterait un  excédent  moyen  annuel  de  production  assez 
considérable  en  comparant  les  deux  périodes  décen- 
nales, 1876-85  et  1886-95. 

Voici  les  chiffres  qui  se  rapportent  à  ces  deux  séries 
d'années,  pour  les  grains  seulement  : 

PUODUCTION    ANNUELLE    TOTALE 

Céivalcs.  187C-I885  1886-180d 


Fromeiil  .  .  , 
Seigle  .  .  . 
Orge  .... 
Méteil  ... 
Avoine  .  .  . 
Maïs  cl  millel 
Sarrasin    .    . 


En  définitive,  les  augmentations  ou  diminutions  de 
production  moyenne  seraient  les  suivantes  : 


Millions 

d'hectolitres. 

01.6 

107. 1 

24.9 

23.5 

18.3 

17. 1 

6.2 

4.4 

80.7 

87.2 

9-7 

9-9 

10. 0 

9.3 

74 


LA   BAISSE   DES  PRIX 


Froment 

Seigle    

Orge 

Méteil 

Avoine 

Maïs  et  niiilct.    .    . 
Sarrasin 

Totaux. 


Augmcnlation 

Diuiinution 

Millions 

d'Iiectolit 

rcs. 

5.3 

» 

» 

1.4 

» 

1.2 

» 

1-7 

6.5 
o.i 

» 

11.9 


Les  augmentations  portent  sur  le  iroment,  chose  fort 
importante,  et  sur  l'avoine.  Elles  s'élèvent  à  plus  de 

La  Production  du  hlé  en  France  de  i83o  à  1900 


■^  .?<?_ 


I 


m 


I 


■ 


M 


m 


m 


m 


M  m 


I 


i 


i 


i 


i 


7  millions  d'hectolitres,  déduction  faite  des  réductions 
qui  se  rapportent  aux  autres  céréales.  Malheureusement, 
il  paraît  établi  par  la  statistique  officielle  que  si  les 
quantités  récoltées  ont  augmenté,  cet  excédent  atténue 
la  baisse    des    prix   sans  la  compenser.   Voici  quelles 


LE   DÉVELOPPEMENT  DE   LA   PRODUCTION  70 

seraient  les  différences  de  valeurs  obtenues  en  appli- 
quant à  la  production  moyenne  totale  les  prix  afférents 
à  chaque  période. 

Diminution  de  valeurs  entre  les  périodes  1876-1883  et  1 886-1 895 
pour  les  récolles  *. 

Millions  de  francs. 

Fi'omcut 290 

Seigle 83 

Orge 5o 

Méteil 43 

Avoine aô 

Maïs  et  millet iï 

Sarrasin 28 

L'Administration  de  l'Agriculture  conclut  en  ces 
termes  :  «  La  valeur  des  céréales  (les  grains  seulement) 
récoltées  durant  la  période  1886- 1893  a  donc  été  infé- 
rieure par  an,  en  moyenne,  de  546  millions  à  celle  de 
la  période  1876-1885.  » 

Nous  faisons,  tout  d'abord,  les  plus  expresses  réserves 
à  propos  du  mot  «  valeur  »  qui  est  ici  employé  et  pour- 
rait faire  supposer  que,  toutes  les  céréales  étant  desti- 
nées à  la  vente,  les  recettes  des  cultivateurs  ont  dimi- 
nué de  546  millions  ;  cela  ne  serait  pas  exact.  Nous 
l'avons  fait  voir  dans  un  autre  chapitre  (p.  35). 

En  tout  cas,  il  est  évident  que  la  valeur  totale  de 
notre  récolte  de  céréales  eût  subi  une  réduction  plus 
forte  encore  si  l'augmentation  de  la  production  n'avait 
pas  atténué  dans  une  certaine  mesure  la  baisse  des  prix 
qui  se  rapporte  à  chaque  hectolitre. 

Ajoutons^  enfin,  que  la  surface  consacrée  aux  céréales. 


(i)  Voir  Introduction  à  l'enquête  agricole  de  1892,  p.   104. 


76  LA    BAISSE  DES   PRIX 

et  notamment  au  froment,  iia  cependant  pas  augmenté. 
Elle  a  plutôt  légèrement  décru  d'après  la  statistique 
officielle. 

Le  développement  de  la  production  est  donc  bien  dû 
à  une  augmentation  des  rendements. 

2.  —  Après  les  céréales,  nous  savons  que  les  pommes 
de  terre  constituent  un  des  principaux  éléments  du 
produit  brut  d'origine  végétale.  Nous  constatons  encore 
un  développement  de  la  production  qui  corrige  les 
effets  de  la  baisse.  Les  rendements  par  hectare  se  sont 
notamment  élevés  de  75  à  i5o  quintaux  par  hectare 
entre  1882  et  189a.  Cette  augmentation,  jointe  à  l'exten- 
sion des  surfaces  cultivées,  qui  ont  passé  de  1.337.000 
à  I.474-O00  d'hectares,  explique  l'accroissement  de 
valeur  correspondant  à  notre  production  totale.  Cette 
valeur  attribuée  aux  pommes  de  terre  ne  s'élevait  qu'à 
648  millions  de  francs  en  1882  ;  elle  atteint  670  millions 
en  1892.  Bien  entendu,  cette  valeur  ne  correspond  ici 
qu'à  une  donnée  statistique  sans  rapport  immédiat  avec 
la  réalité.  L'ensemble  de  notre  récolte  de  pommes  de 
terre  n'est  pas  davantage  l'objet  de  ventes  effectives 
que  l'ensemble  de  notre  récolte  de  céréales. 

Nous  constatons  simplement  que  l'hectare  de  pommes 
de  terre  produisait,  en  1882,  70  quintaux  valant  en 
moyenne  6  fr.  42,  d'après  les  évaluations  officielles.  Le 
produit  brut  moyen  par  hectare  s'élevait  à  481  francs. 
En  1892,  io5  quintaux  valant  chacun  4  fr-  33  donnent 
encore  un  produit  de  4^4  francs.  La  diminution  des 
recettes  brutes  n'est  donc  égale  qu'à  27  francs,  et  la 
baisse  relative  n'atteint  que  5  p.  100. 

3.  —  Nous  négligerons  diverses   productions    d'un 


LE  DÉVELOPPEMENT  DE   LA    PRODUCTION  77 

moindre  intérêt  pour  nous  occuper  immédiatement  des 
betteraves  à  sucre. 

Il  suffira,  d'ailleurs,  de  rappeler  les  conclusions  aux- 
quelles nous  nous  sommes  arrêtés  à  propos  de  la  baisse 
des  prix. 

Le  cours  des  betteraves  à  sucre  est  intimement  lié  à 
leur  richesse  saccharine.  La  législation  fiscale  oblige 
les  fabricants  à  traiter  des  racines  assez  riches  pour 
que  le  poids  de  sucre  extrait  réellement  dépasse  le  ren- 
dement «  légal  ».  C'est  pour  cette  raison  que  le  prix  de 
vente  des  betteraves  augmente  très  rapidement  à  partir 
d'un  certain  degré  de  richesse.  En  revanche,  il  est 
démontré  que  les  rendements  en  racines  par  hectare 
cultivé  diminuent  quand  la  richesse  de  la  betterave 
augmente.  11  en  est  résulté  que  le  produit  brut  moyen 
par  hectare  —  évalué  en  argent  —  ne  s'est  pas  accru  ou 
s'est  faiblement  accru,  depuis  1884,  malgré  l'augmenta- 
tion du  prix  moyen  de  la  tonne  des  racines. 

Jusqu'à  présent,  la  baisse  a  été,  du  moins,  prévenue. 
Le  produit  brut,  loin  de  diminuer,  a  plutôt  augmenté 
légèrement  sur  quelques  points. 

4.  —  Nous  ne  croyons  pas  devoir  signaler  les  progrès 
de  la  production  relatifs  aux  produits  maraîchers.  Les 
évaluations,  à  cet  égard,  sont  bien  difficiles.  Pour  les 
produits  maraîchers  de  grande  culture,  la  statistique 
de  1892  constate,  il  est  vrai,  une  augmentation  des 
valeurs  créées  ;  mais  cet  accroissement  correspond  à  une 
extension  des  surfaces,  et,  de  plus,  la  moitié  de  la  plus- 
value  devrait  être  attribuée  au  développement  de  la  cul- 
ture des  pommes  de  terre,  dont  nous  avons  déjà  parlé. 
Quant  aux  jardins  maraîchers  proprement  dits,  l'Admi- 


7»  LA   BAISSE  DES  PRIX 

nistration  de  FAgriculture  ne  peut  nous  fournir  aucune 
indication  relative  à  Taccroissement  de  la  production. 

5.  — Nous  pouvons,  au  contraire,  noter  les  variations 
de  la  production  du  cidre,  dont  la  fabrication  est  évi- 
demment liée  à  Tabondance  des  récoltes  de  pommes. 
La  production  du  cidre  est  de  plus  en  plus  abondante, 
bien  que  l'on  obtienne  des  différences  très  marquées 
selon  les  années  considérées.  Les  moyennes  quinquen- 
nales sont  les  suivantes  : 

Production  du  cidre. 

MillioBS  d'hectolitres. 
1876-1880 8.6 

1881-1885 i5.6 

1886-1890 8.8 

1891-1895.  . 19.0 

1896-1900 i5.i 

6.  —  11  y  aurait,  semble-t-il,  quelque  imprudence  à 
parler  du  développement  de  la  production  en  ce  qui 
concerne  le  vin.  Tout  le  monde  sait  combien  ont  été  ter- 
ribles les  ravages  du  phylloxéra.  Nos  vignobles  détruits 
ont  été  pourtant  reconstitués  avec  une  rapidité  qui  tient 
du  prodige.  Nous  ne  savons  s'il  faut  louer  davantage  la 
ténacité,  le  courage  ou  l'habileté  de  nos  viticulteurs. 
Depuis  quelques  années  l'augmentation  des  récoltes  a 
été  extraordinaire. 

Voici  quelles  ont  été  les  moyennes  quinquennales 
relatives  à  nos  récoltes  depuis  1876  jusqu'à  1895. 

Millions  (]"hectolitros. 
1876-1880 40.4 

i88i-i885 32.8 

1886-1890 26.0 

1891-1895 34.9 

1896-1900 44.6  - 


LE   DEVELOPrEMENT  DE   LA   PRODL'CTIOX  79 

Durant  la  première  période,  nos  vignes  n'étaient  pas 
encore  détruites.  Les  années  1879  ®^  1880  avaient  seules 
témoigné  par  rabaissenientsubitdes  récoltes  de  l'étendue 
des  ravages  déjà  constatés. 

Durant  les  dix  années  suivantes,  le  phylloxéra  achève 
son  œuvre  de  destruction  ;  mais,  en  même  temps,  la 
reconstitution  du  vignoble  est  commencée,  surtout  dans 
tes  départements  du  Midi  à  grosse  production. 

Enfin,  durant  la  dernière  période,  un  accroissement 
appréciable  de  la  production  nous  est  révélé  par  l'élé- 
vation de  la  moyenne  quinquennale  1896-95.  La  récolte 
exceptionnelle  de  1898  explique,  sans  doute,  ce  relève- 
ment, mais  le  chiffre  de  notre  production  s'élève,  cepen- 
dant, ensuite  à  44  millions  d'hectolitres  de  1896  à  1901. 
C'est  la  moyenne  la  plus  élevée  que  l'on  ait  constaté 
depuis  vingt-cinq  ans. 

7.  —  Au  premier  rang  parmi  les  éléments  de  notre 
richesse  agricole,  il  faut  placer  le  bétail.  Nous  pouvons 
constater  avec  satisfaction  une  augmentation  notable 
des  efl'ectifs  et  surtout  un  accroissement  marqué  du  poids 
des  animaux  domestiques.  Depuis  1882  jusqu'à  1892, 
l'augmentation  du  nombre  des  représentants  de  l'espèce 
bovine  et  de  l'espèce  porcine  a  été  la  suivante  : 

Tétcs. 

Espèce  bovine 711.000 

Espèce  porcine 274.000 

C'est  là  un  fait  très  important.  Il  est  vrai  que  l'on 
constate  les  diminutions  suivantes  : 

Tôiei. 

Espèce  chevaline 43. 000 

Espèce  ovine 2.693.000 


8o  LA  BAISSE  DES  PRIX 

L'Administration  de  l'Agriculture  a  raison  de  faire 
observer  que  la  réduction  du  nombre  des  moutons  est 
due  surtout  aux  progrès  et  à  l'intensité  de  la  culture,  à 
la  suppression  des  jachères  et  des  parcours,  au  défri- 
chement des  landes  et  à  leur  boisement,  et  enfin  au 
développement  de  la  petite  culture,  qui  a  plus  d'intérêt 
à  entretenir  des  vaches  laitières  que  des  moutons.  11 
conviendrait  même  d'ajouter  que  la  diminution  du 
nombre  des  ovidés  est  un  phénomène  très  général,  hors 
de  France,  dans  les  pays  bien  cultivés. 

En  outre,  deux  faits  viennent  corriger  les  consé- 
quences que  l'on  pourrait  être  tenté  d'attribuer  à  la 
réduction  des  effectifs. 

Le  poids  de  chaque  animal  s'est  accru  depuis  vingt 
ans.  C'est  là  un  effet  de  la  sélection  intelligemment  prati- 
quée et  d'une  meilleure  alimentation.  Les  bons  éleveurs 
se  sont  même  attachés  et  ont  réussi  à.  obtenir  des  animaux 
dont  le  rendement  en  viande  nette  fiit  de  plus  en  plus 
considérable.  Enfin,  l'on  est  même  parvenu  à  augmenter 
la  proportion  des  morceaux  de  première  et  deuxième 
catégorie.  Ce  n'est  donc  pas  seulement  le  poids  de  viande 
fourni  par  chaque  animal  qui  a  augmenté  ;  la  qualité  de 
cette  viande  s'est  trouvée  également  améliorée.  Il  faut 
noter  aussi  que  nos  ovidés,  mieux  sélectionnés  et  mieux 
nourris,  étant  plus  précoces,  peuvent  être  abattus  plus 
jeunes.  Avec  des  effectifs  réduits,  il  est  donc  possible 
que  nos  agriculteurs  livrent  à  la  consommation  autant 
d'animaux  qu  autrefois,  et  surtout  autant  de  viande. 
Toutes  ces  transformations  correspondent  à  d'incontes- 
tables progrès  techniques  ;  elles  peuvent  atténuer,  dans 
une  mesure  appréciable,  les  conséquences  de  La  baisse 


LE  DÉVELOPPEMENT  DE  LA   PRODUCTION  8i 

des  prix.  Ceci  est  d'autant  plus  important  que  Thabileté 
de  nos  éleveurs  et  les  progrès  de  la  science  zootech- 
nique ont  permis  d'obtenir  les  mêmes  résultats  en  ce 
qui  concerne  les  animaux  des  espèces  bovine  et  porcine. 
Quant  aux  augmentations  de  poids  constatées  depuis 
1882  jusqu'à  1892,  elles  s'élèvent,  d'après  la  statistique 
officielle,  à  i53  millions  de  kilogrammes,  déduction 
faite  des  diminutions  qui  paraissent  correspondre  à  la 
réduction  de  nos  effectifs  pour  les  chevaux  et  les  mou- 
tons. Nous  disons  avec  intention  que  la  réduction  des 
effectifs/;(7/'rt/7  seulement  correspondre  à  une  diminution 
de  poids.  Pour  les  moutons,  notamment,  ce  que  nous 
avancions  au  sujet  de  l'accroissement  du  poids  vif  par 
bête  justifie  notre  hésitation. 

La  statistique  officielle  nous  fournit,  d'ailleurs,  un 
argument. 

Voici  quelle  a  été  l'augmentation  du  poids  net  en 
viande  des  animaux  français  abattus  ou  exportés,  depuis 
1882  jusqu'à  1892  : 

AUGMENTATIONS 

du  poids  net  en  viande 

Absolues.       Rflatiïes. 

Millions  de  kilog.  p.  100 

Bœufs,  vaches,  taureaux  ....  -iS  4  5 

Veaux 246  i5 

Moutons  et  brebis o5  o5 

Agneaux,  chevreaux 04  3  o 

Porcs 95  4  24 

Totaux-moyennes.    .    .    .  149^  »   » 

Nous  constatons  une  augmentation  du  poids  de  viande 
fourni  par  les  animaux  de  l'espèce  ovine,  malgré  la 
diminution  des  effectifs .  Quant  aux  animaux  des  espèces 

ZoLLA.  —  La  Crise  agricole.  6 


82  LA   BAISSE  DES  PRIX 

bovine  et  porcine,  il  est  clair  qu'ils  Iburnissent  une 
quantité  de  viande  largement  supérieure  à  celle  que 
Ton  avait  cru  pouvoir  constater  dix  ans  auparavant.  Les 
observations  que  nous  faisions  plus  haut  à  propos  des 
progrès  accomplis  dans  l'élevage  sont  encore  confir- 
mées par  la  statistique  officielle.  Nos  animaux  domes- 
tiques destinés  à  la  boucherie  sont  plus  précoces; 
leurs  poids  par  tête  est  aujourd'hui  plus  considé- 
rable; leur  rendement  en  viande  s'est  élevé,  et  la  qua- 
lité de  cette  viande  a  été  améliorée.  Enfin,  leur  valeur 
moyenne  par  tète  n'a  pas  diminué  malgré  la  baisse  du 
prix  de  la  viande.  Voici  les  chiffres  que  nous  fournit, 
à  cet  égard,  U  statistique  agricole  de  1892: 

Valeur  des  animaux  français  abattus  et  exportés  en  1882  et  1893. 

PAR    TÈTE  TOTALE 

1882       1892  1882  1892 

fr.  fr.  Millions  de  francs. 

Bœufs,  vaches,  lauroaux.    .        871  38i  763          780 

Veaux 69  80  223         282 

Moutons,  brebis 3o  33  i58          191 

Agneaux,  chevreaux.    ...          10  i5  22            26 

Porcs    . 116  93  461          456 

Totaux 1-629      1.734 

Il  ne  semble  donc  pas  que  la  valeur  de  notre  produc- 
tion en  viande  ait  diminué.  En  supposant  même  que  les 
conclusions  de  la  statistique  oflicielle  soient  trop  opti- 
mistes, il  n'est  pas  moins  démontré  que  les  recettes 
brutes  provenant  du  bétail  de  boucherie  n'ont  point 
diminué  dans  la  même  mesure  que  le  produit  brut  végé- 
tal. Or,  quelle  est  l'importance  relative  du  bétail  de 
boucherie  par  rapport  à  Vensembla  des  produits  d'ori- 


LE   DÉVELOPPEMEyT  DE   LA   PRODUCTION  83 

gine  animale  efFectivement  vendus  ?  La  statistique  ofïi- 
cielle  nous  apprend  que  les  ventes  effectuées  en  1892 
étaient  les  suivantes  : 

Millions  de  francs. 

Animaux  de  boucherie i  .  763 

Lait  (et  SOS  transformations) 1.261 

Laine 48 

Produits  de  la  basse-cour 3i6 

Cocons  de  vers  à  soie 32 

Miel  et  cire 16 

Total.    ....  3.426 

Le  bétail  vendu  pour  la  boucherie  représente  5i 
p.  100  du  montant  de  ce  produit  brut  considérable  qui 
s'élève  à  3  milliards  4^6  millions  de  francs.  Bien  que 
les  prix  se  soient  abaissés,  les  recettes  brutes  de  l'agri- 
culture n'ont  pas  éprouvé,  de  ce  chef,  une  réduction 
notable  parce  que  la  quantité  et  la  qualité  des  pi  oduits 
ont  toutes  deux  augmenté. 

8.  —  Le  lait  constitue,  après  le  bétail  de  boucherie, 
l'élément  principal  du  produit  brut  d'origine  animale, 
dont  il  représente  plus  du  tiers  (36  p.  loo).  Or,  la  sta- 
tistique décennale  récemment  publiée  évalue  à  i,25i 
millions  de  francs  la  valeur  de  la  production  du  lait(i). 

En  1882,  cet  élément  important  des  recettes  agri- 
coles n'était  évalué  qu'à  1,1 57  millions  de  francs.  L'aug- 
inentation  du  nombre  des  vacheslaitières,  et,  sans  doute, 
l'accroissement  des  rendements  par  tète,  explique, 
croyons-nous,  l'élévation  du  produit  brut.  Nous  sommes 
obligés,  cependant,  de  faire  quelques  réserves. 

La   statistique  officielle  î^évalue  à  21  millions  d'hecto- 


(i)  Y  compris  le  lait  des  chèvres  et  brebis. 


84  LA   BAISSE  DES   PRIX 

litres  la  quantité  de  lait  utilisée  pour  la  fabrication  des 
fromages  (lait  de  vaches). 

La  production  des  beurres  s'élève  à  182  millions  de 
kilos,  correspondant  sans  doute  à  l'emploi  de  33  mil- 
lions d'hectolitres  de  lait,  à  raison  de  20  litres  par 
kilo  de  beurre.  Or,  la  valeur  des  beurres  et  fromages, 
c'est-à-dire  celle  des  54  millions  d'hectolitres  de  lait 
qu'ils  représentent,  ne  s'élève,  nous  dit-on,  qu'à  428  mil- 
lions de  francs.  D'autre  part,  la  production  totale  de 
lait  est  égale  à  77  millions  d'hectolitres  valant  i  .223  mil- 
lions. 11  en  résulte  que  33  millions  d'hectolitres  vendus 
ou  consommés  par  les  agriculteurs  ont  une  valeur  de 
1.223  —  4^3  =  860  millions  de  francs.  Cette  estimation 
porte  le  prix  du  litre  de  lait  à  24  centimes,  chiffre  que 
nous  croyons  exagéré.  C'est  d'ailleurs  là  une  simple 
réserve  utile  à  faire.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
notre  production  de  lait  s'est  accrue;  nous  croyons  que 
la  qualité  même  de  nos  fromages  et  surtout  de  nos 
beurres  a  été  améliorée.  Enfin  le  produit  brut  corres- 
pondant n'a  pas  diminué  et  c'est  là  le  point  important. 

Conclusion.  —  En  définitive,  il  est  établi  que  notre 
production  s'est  accrue  depuis  une  vingtaine  d'années. 
A  cet  égard,  les  progrès  réalisés  sont  remarquables. 
Malheureusement  ce  développement  ne  peut  compenser 
la  baisse  des  prix  dans  tous  les  cas  et  notamment  pour 
les  céréales. 

11  nous  reste  à  savoir  si  l'augmentation  des  récoltes 
et  des  produits  ne  peut  pas  expliquer  en  partie  la  baisse 
des  cours.  C'est  ce  que  nous  allons  examiner  très  rapi- 
dement dans  le  chapitre  suivant. 


LA   PRODUCTION  ET  LES   PRIX  85 

IV 

La  production  intérieure  et  les  prix. 

Les  variations  des  prix  ne  dépendent  pas  exclusive- 
ment, comme  on  paraît  le  croire  fort  souvent,  de  la  con- 
currence étrangère  et  du  chiffre  des  importations. 

Elles  sont  intimement  liées  à  l'augmentation  ou  au 
déficit  momentané  des  récoltes  ou,  pour  être  plus  exact, 
de  la  production  intérieure. 

C'était  là,  autrefois,  une  vérité  presque  évidente  par 
elle-même.  Les  transports  étaient  longs  et  coûteux.  On 
observait,  donc,  des  écarts  de  prix  très  considérables 
pour  une  même  denrée,  comme  le  blé,  dans  les  régions 
différentes  d'un  pays.  Nos  compatriotes  souifraient  de 
la  disette  en  Bourgogne,  alors  que  la  récolte  de  grains 
était  satisfaisante  dans  le  Languedoc  ou  la  Picardie. 
Pour  provoquer  des  mouvements  effectifs  de  denrées, 
des  échanges  entre  provinces,  il  fallait  que  la  différence 
des  cours  compensât,  et  au  delà,  les  frais  de  transport 
qui  restaient  toujours  très  élevés.  L'amplitude  des  fluc- 
tuations de  cours  était  considérable  et  résultait  des 
variations  accidentelles  de  la  production. 

Il  semble  qu'aujourd'hui  tout  soit  changé  à  cet  égard 
grâce  aux  merveilleuses  transformations  des  moyens  de 
transport.  Le  nivellement  des  prix  a  été,  en  effet,  la 
conséquence  de  l'abaissement  du  coût  de  transport, 
grâce  aux  chemins  de  fer,  ou  de  la  réduction  des  frets 
maritimes.  Cela  est  vrai,  non  seulement  quand  on  con- 
sulte au  même  moment  les  mercuriales  des  différents 


86  LA    BAISSE   DES   PRIX 

marchés  d'un  pays,  mais  encore  lorsque  Ton  examine 
la  cote  des  diverses  places  de  l'Europe  pour  une  même 
marchandise. 

Dans  son  beau  livre  sur  la  Transformation  des  moyens 
de  transport,  M.  de  Foville  a  montré,  par  exemple,  que 
Técart  entre  les  cours  du  froment  à  New-York,  à  Odessa, 
à  Londres,  etc.,  avait  rapidement  diminué.  Ce  qui  est 
vrai  pour  le  blé,  dont  on  parle  volontiers,  ne  Test  pas 
moins  pour  les  autres  produits  agricoles. 

On  peut  dire,  sans  exagération,  \^our certaines  denrées 
agricoles  tout  au  moins,  qu'il  faut  tenir  compte,  aujour- 
d'hui, des  quantités  offertes  et  demandées  sur  le  marché 
du  monde.  Des  variations *de  prix  môme  légères  chan- 
gent la  destination  des  produits  qui  affluent  toujours  là 
où  les  cours  sont  plus  élevés.  Les  droits  de  douane 
eux-mêmes  sont  loin  de  limiter  ou  de  restreindre  tou- 
jours les  importations.  Dans  les  pays  soumis  au  régime 
protecteur,  les  cours  se  trouvent  simplement  surélevés; 
la  hausse  compense  fort  souvent  pour  les  importateurs 
les  taxes  à  acquitter,  et  cette  barrière  une  fois  franchie, 
les  denrées  étrangères  pénètrent  dans  Fintérieur  du 
pays. 

Nous  ne  songeons  donc  point  à  nier  la  réalité  de  ce 
phénomène  économique  important  que  l'on  appelle  le 
nivellement  des  cours. 

En  revanche,  nous  croyons  qu'il  serait  impossible  de 
contester  l'influence  qu'exerce,  aujourd'hui  encore,  la 
production  intérieure  sur  la  marche  des  prix. 

Les  variations  simultanées  des  récoltes  et  des  cours 
du  froment  sont,  à  cet  égard,  tout  à  fait  caractéris- 
tiques. Les  prix  baissent  rt  la  suite  d'une  belle  récolte; 


LA    PnODUCTIOX  ET  LES  PRIX 
Prix     pan     hectolitre. 


87 


Récoltes  en  millions  d'hectolitres. 

CD  oa  co  *fl  o  o 


»o  ro 


88  LA   BAISSE  DES  PRIX 

ils  s'élèvent  au  contraire  quand  la  production  a  diminué. 
Ce  n'est  pas  là  un  phénomène  observé  un  petit  nombre 
de  fois.  Il  s'agit  bien  d'une  répercussion  normale  et 
régulière  de  la  production  sur  les  prix.  On  constate, 
aujourd'hui  encore,  que  les  cours  subissent  l'influence 
des  récoltes. 

Pour  s'en  convaincre,  il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  le 
graphique  ci-joint  (voy.  p.  87).  Depuis  i852  jusqu'à 
1 898,  les  deux  courbes  qui  se  rapportent  au  prix  de 
l'hectolitre  et  aux  récoltes  présentent  des  inflexions 
opposées.  L'une  s'élève  quand  l'autre  s'abaisse. 

Il  est  certain  que  ni  la  rapidité  et  le  bon  marché  des 
transports,  ni  le  développement  extraordinaire  de  la 
production  du  froment  dans  le  monde  ne  compensent 
et  n'effacent  entièrement  l'action  exercée  par  les  varia- 
tions de  nos  récoltes  sur  les  cours. 

On  pourrait  donc  soutenir  avec  quelque  raison  que 
l'augmentation  graduelle  mais  ininterrompue  de  la  pro- 
duction en  France  explique  la  baisse  des  prix.  Cette 
hypothèse  ne  nous  paraît  pas  admissible.  L'accroisse- 
ment de  la  consommation  du  froment  est  notamment 
plus  rapide  que  le  développement  de  la  production.  En 
outre,  on  n'observe  point  une  hausse  bruque  et  très 
marquée  du  chiffre  de  nos  récoltes  au  moment  où  les 
cours  ont  commencé  à  fléchir.  La  baisse  se  fait  sentir 
aussi  bien  pour  les  céréales  dont  la  production  a  diminué 
en  France,  comme  le  seigle  et  l'orge,  que  pour  le  fro- 
ment dont  la  récolte  moyenne  a  augmenté.  La  produc- 
tion des  textiles  et  des  graines  oléagineuses  a  subi  une 
réduction  très  notable  et  pourtant  les  cours  de  ces 
denrées  se  sont  abaissés  rapidement  depuis  vingt  ans. 


LA   PRODUCTION  ET  LES  PRIX  89 

Le  développement  incontestable  de  notre  production 
en  viande  et  en  lait  est  également  trop  faible  pour  per- 
mettre de  lui  attribuer  la  baisse  que  Ton  constate  en  ce 
qui  concerne  au  moins  le  bétail.  A  l'étranger,  dans  des 
pays  cultivés  depuis  de  longs  siècles,  le  développement 


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MOKi 

cf.O 

<» 

de  laproduction  agricole  n'explique  nullementla marche 
des  prix.  En  vérité,  il  nous  semble  inutile  d'insister.  Ce 
n'est  point  l'augmentation  des  récoltes,  en  France,  et, 
d'un  façon  générale  ,  l'abondance  extraordinaire  des 
produits  qui  peuvent  avoir  provoqué  la  dépression  des 
prix.  Il  est  vrai  que  pour  certains  produits  comme  les 
céréales,  le  vin  et  le  bétail,  on  observe  des  hausses  ou 
des  baisses  accidentelles  et  passagères.  C'est  l'abon- 
dance ou  la  faiblesse   des  récoltes  qui  expliquent  les 


90  LA   BAISSE   DES  PRIX 

variations  de  prix  des  céréales.  C'est  l'abondance  ou 
la  rareté  des  fourrages  qui  expliquent,  d'autre  part,  les 
(luctuations  delà  valeur  marchande  des  animaux  domes- 
tiques. 

Le  prix  du  bétail  diminue  quand  le  cours  des  four- 
rages s'élève,  parce  que  les  agriculteurs  ne  peuvent 
plus  nourrir  leurs  animaux  et  les  vendent  au  même 
moment;  il  s'élève,  au  contraire,  quand  les  fourrages, 
sont  abondants  et  à  bas  prix  parce  que  l'on  peut  garder 
le  bétail,  le  nourrir  aisément,  ou  môme  élever  un  plus 
grand  nombre  d'animaux. 

La  valeur  des  porcs  varie  avec  celle  des  pommes  de 
terre,  qui  conslitiient  leur  principal  aliment 

Mais  ce  sont  là  des  fluctuations  de  prix  essentielle- 
ment accidentelles  et  passagères.  Elles  ne  sont  point 
comparables  à  celles  que  nous  observons  depuis  vingt 
ans.  La  hausse  succède,  d'ailleurs,  à  la  baisse  quand  il 
s'agit  de  ces  accidents  économiques  qui  résultent  des 
influences  atmosphériques.  Or,  nous  constatons,  au 
contraire,  une  tendance  marquée,  un  mouvement 
presque  continu  dans  le  sens  de  la  baisse  quand  nous 
étudions  la  marche  des  prix  depuis. 1870  ou  1880. 


V 

La  baisse  du  prix  des  matières  premières 
de  l'industrie  agricole. 

I.  —  Il  ne  faut  pas  se  borner  à  constater  les  varia- 
tions de  prix  des  objets  que  produisent  et  vendent  les 
agriculteurs.  Ce  serait  là  une  vue  trop  étroite  des  phé- 


LA    BAISSE   DES  MATIERES   PREMIERES  91 

nomènes  économiques  qui  se  rapportent  à  la  crise  agri- 
cole. Nous  devons  tenir  compte  des  fluctuations  de 
prix  qui  concernent  les  matières  premières  de  l'indus- 
trie rurale. 

L'agriculture  a  pour  objet,  comme  l'industrie  propre- 
ment dite,  d'opérer  des  transformations .  La  terre  et  la 
plante  sont  à  vrai  dire  des  machines  comparables  — 
quoique  non  semblables  —  aux  machines  industrielles. 

La  terre  transforme  réellement  les  matières  premières 
qu'elle  renferme  ou  qu'on  lui  confie  et  les  met  à  la 
disposition  des  plantes.  Ces  matières  premières  sont 
les  substances  organiques  ou  minérales  qui  doivent 
devenir  solubles  et  être  absorbées  par  les  radicelles  de 
végétaux.  Les  engrais,  tels  que  les  nitrates,  les  phos- 
phates, les  sels  de  potasse  ou  de  chaux,  sont  des  matières 
premières.  11  en  est  de  même  pour  une  foule  de  matières 
fertilisantes  qui  sont  des  résidus  industriels  (tourteaux, 
noirs  de  rafiinerie,  sulfate  d'ammoniaque  provenant 
des  usines  métallurgiques,  débris  de  peaux,  de  cornes, 
de  chifTons  de  laine,  etc.,  etc.). 

La  terre  n'est  pas,  ainsi  qu'on  l'a  cru  longtemps,  un 
agrégat  de  substances  inertes  :  elle  renferme  une  foule 
d'organismes  vivants.  Quand  on  incorpore  au  sol  les 
engrais,  ces  organismes  les  transforment  et  élaborent 
la  matière  alimentaire  qu'utilisera  la  plante.  Aujour- 
d'hui, il  est  presque  toujours  avantageux  et,  par  consé- 
quent utile  de  compléter  la  terre  arable  au  moyen  de 
fumures  qui  sont  précisément  constituées  par  des  rési- 
dus industriels  ou  des  engrais  organiques  et  minéraux. 

Les  variations  de  prix  de  ces  matières  premières,  dites 
fertilisantes,  offrent  donc  un  très  grand  intérêt.  Or,  il 


92  •  LA   BAISSE  DES  PRIX 

est  certain  que  la  plupart  des  engrais  industriels,  ou 
des  résidus  dont  nous  parlons,  ont  baissé  de  prix  depuis 
quinze  ou  vingt  ans.  Voici,  par  exemple,  le  nitrate  de 
soude,  qui  est  le  principal  engrais  azoté  et  de  beaucoup 
le  plus  employé. 

D'après  les  recherches  de  Sauerbeck,  le  statisticien 
anglais  bien  connu,  le  cours  du  nitrate  de  soude  aurait 
varié  de  la  façon  suivante  : 

Prix  ramené  à  loo  pour  la  période  1867-1877. 

1867-1877 100 

1877-1887 85 

1887-1893 67 

Il  se  serait  donc  produit  une  baisse  de  33  p.  100  en 
moins  de  vingt  ans. 

C'est  là  un  pointfort  important,  non  seulement  parce 
que  le  nitrate  de  soude  est  très  souvent  employé,  et 
qu'on  en  vend  dans  notre  pays  d'énormes  quantités, 
mais  surtout  parce  que  le  cours  de  cet  engrais  azoté 
règle  le  prix  de  l'unité  ou  kilo  d'azote  renfermé  dans 
une  foule  d'autres  engrais  ou  résidus  industriels  achetés 
sur  analyse. 

Nous  avons  relevé  les  cours  du  nitrate  de  soude  en 
France  depuis  1877.  Voici  les  prix  cotés  pendant  des 
périodes  triennales  différentes  (i)  : 

Prix  des  loo  kilos  de  nitrate  de  soude. 

fr.    c. 

1877-1880 37  5o 

i88-2-i885 Si  36 

1887-1890 a4  21 

1895-1898 '9  72 


(i)  Mercuriales  du  Journal  à! Agriculture  pratique. 


LA   BAISSE   DES  MATIERES   PREMIERES  gS 

Depuis  la  première  série  d'années  18^7-1880  jusqu'à 
la  période  1890-1898,  la  baisse  est  de  17  fr.  ou  de 
47  p.   100. 

La  valeur  marchande  des  autres  engrais  azotés  a  subi 
une  dépression  analogue.  C'est  là  un  fait  d'une  impor- 
tance considérable  et  qu'on  ne  paraît  pas  avoir  mis 
sufïisamment  en   lumière. 

Voici  maintenant  un  autre  engrais,  d'un  usage  très 
répandu,  le  superphosphate  de  chaux (i).  En  prenant 
comme  type  le  superphosphate  d'os,  et  en  considérant 
seulement  des  sels  d'égale  richesse  en  acide  phospho- 
rique,  nous  avons  obtenu  les  moyennes  suivantes  rela- 
tives aux  prix  cotés  en  France  : 

Prix  des  loo  kilos  de  superphosphates  d'os. 

fr.  b. 

1877-1880 17  43 

1882-1885 l5  70 

1887-189.) i5  » 

1895-1898 891 

De  la  première  à  la  dernière  période,  nous  constatons 
une  baisse  de  8  fr.  Sa  par  100  kilos  ou  de  48  p.  100.  Il 
est  assez  curieux  que  cette  dépréciation  soit  presque 
égale  à  celle  qu'a  subie  le  nitrate  de  soude. 

Tout  le  monde  sait  également  que  de  nombreux  et 
importants  gisements  de  phosphates  ont  été  découverts 
en  France,  en  Algérie  et  en  Tunisie.  Les  craintes  mani- 
festées par  quelques  publicistes  mal  informés  à  propos 
de  la  rareté  des  phosphates,  sont  purement  chimériques. 

(l)  Le  produit  appelé  superphosphate  est  obtenu  en  traitant  le  phos- 
phate de  chaux  des  os,  ou  des  phosphates  minéraux  par  l'acide  sulfu- 
rique.  Le  prix  de  l'acide  sulfurique  exerce  une  influence  sur  la  valeur 
des  superphosphates,  etc.,  etc... 


94 


LA    BAISSE   DES    PRIX 


Nous  pouvons  être  assurés  que  rinclustrie  agricole  se 
procurera  l'acide  phosphorique  nécessaire  aux  récoltes 
dans  des  conditions  de  prix  qui  seront  de  plus  en  plus 
satisfaisantes. 


Aimées  nrtr-icocoeoeoojeo     oooocooo 


Soseocooococôâ 


r.  B0H£J.MAkiS  Se. 


Ce  qui  se  passe  pour  les  nitrates  de  soude  et  les 
phosphates  de  chaux  peut  être  constaté  à  propos  des 
autres  matières  fertilisantes  ou  des  résidus  industriels. 
Leur  valeur  est  en  effet  réglée  par  celle  du  kilo  d'azote 
ou  d'acide  phosphorique  qu'ils  renferment. 

Il  nous  paraît  inutile  d'insister. 

Quant  aux  plantes  mêmes,  dont  la  valeur  comme 
agents  de  transformation  peut  être  fort  variable,  il  est 
hors  de  doute  que  leur  productivité  a  été  accrue  par  un 
meilleur  choix  des  semences.  Or,  nos  agriculteurs  se 
procurent  aujourd'hui  à  bien  meilleur  compte  qu'autre- 
fois et  avec  toutes  les  garanties  désirables,  quand  ils 
savent  les  exiger,  ce  qu'on  appelle  des  semences /pw/ri-, 
sélectionnées,  et  de  qualité  excellente  au  point  de  vue 
des  facultés  germinatives. 

La  baisse  des  prix  est   donc  ici  favorable,  dans  une 


LA   BAISSE  DES  MATIÈRES  PREMIÈRES  9^ 

certaine  mesure,  aux  intérêts  des  agriculteurs.  Il  y  a 
lieu  de  noter  ce  fait,  qui  n'est  point  sans  importance. 

Le  bétail  de  rente  ou  de  irait  doit  être  également  con- 
sidéré comme  un  agent  de  transformation  industrielle. 
Or,  le  prix  des  résidus  industriels  employés  comme 
aliments  a  certainement  diminué  plus  rapidement  que 
le  prix  du  bétail  lui-même.  On  peut,  aujourd'hui,  cons- 
tituer des  rations  alimentaires  qui  permettent  éga- 
lement d'utiliser  des  matières  de  faible  valeur  ou  de 
rendre  plus  assimilable  des  substances  employées  jus- 
qu'ici presque  exclusivement.  Nous  pouvons  substituer 
encore  des  aliments  bon  marché  à  des  aliments  d'un 
prix  élevé  pour  abaisser  le  prix  d'entretien  de  nos  ani- 
maux de  ferme.  L'emploi  de  plus  en  plus  répandu  des 
tourteaux,  du  maïs,  des  féverolles,  etc.,  etc.,  à  la  place 
de  l'avoine  pour  l'alimentation  des  chevaux  de  trait, 
est  un  fait  connu  de  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  ces 
questions.  L'agriculteur  peut  ainsi,  et  pourra  surtout, 
profiter  de  ces  découvertes  scientifiques  pour  abaisser 
le  chiffre  des  dépenses  de  nourriture  en  ce  qui  con- 
cerne les  animaux  de  ferme.  Cette  réduction  des 
dépenses  sert  de  contre-partie  à  l'abaissement  des 
recettes  brutes  provoqué  par  l'avilissement  du  cours 
des  produits  vendus.  La  baisse  des  denrées  agricoles 
a  eu  pour  les  cultivateurs  et  pour  les  propriétaires  une 
double  conséquence  :  elle  a  réduit  les  profits  culturaux 
et  les  fermages.  Une  des  méthodes  les  plus  sûres  d'at- 
ténuer les  effets  de  la  crise  consiste  précisément  à 
faire  un  usage  intelligent  des  engrais  qui  ont  baissé  de 
prix. 

Quant  aux  moyens  financiers,   ils  peuvent  être  tri^s 


96  LA   BAISSE  DES  PRIX 

divers.  C'est  une  question  de  crédit.  A  nos  yeux,  ce 
problème  devrait  être  résolu  par  une  association  plus 
intime  entre  les  propriétaires  fonciers  et  leurs  loca- 
taires, fermiers  ou  métayers. 

2.  —  Les  engrais  et  les  aliments  destinés  au  bétail  ne 
sont  pas  les  seules  marchandises  achetées  par  les  agri- 
culteurs et  dont  la  baisse  soit  favorable  à  leurs  intérêts. 

Ainsi  les  machines  agricoles  ont  diminué  de  prix 
assez  rapidement  depuis  1870  jusqu'à  1892.  Un  spécia- 
liste bien  informé,  M.  Ringelmann,  a  confirmé  sur  ce 
point  nos  conclusions  personnelles  en  nous  disant  que 
celte  baisse  pouvait  être  évaluée  à  i5  ou  20  p.  100. 

Malheureusement,  les  tarifs  protectionnistes  de  1892 
ont  modifié  la  marche  des  prix,  et  ont  provoqué  depuis 
dix  ans  une  hausse  équivalente,  d'après  les  informations 
puisées  à  de  bonnes  sources  par  le  même  auteur  (i). 

Enfin,  l'usage  même  des  machines  agricoles  peut, 
dans  beaucoup  de  cas,  être  considéré  comme  diminuant 
le  prix  de  revient  de  certaines  productions  ou  les 
dépenses  qu'elles  exigent. 

M.  Leroy-Beaulieu  fait  remarquer  avec  raison,  dans 
son  Traité  cVécoiwmie  politique^  que  les  appareils  et 
machines  utilisés  en  agriculture  ne  concourent  pas 
seulement  à  l'augmentation  des  récoltes,  mais  encore 
à  la  diminution  des  frais  de  culture  ou  de  semailles  (2). 

En  résumé,  la  baisse  générale  des  prix  n'est  pas  un 
mal  sans  compensations,  comme  on  affecte  trop  souvent 


(i)  M.  Ringelmann  est  professeur  de  mécanique  agricole  à  l'Institut 
agronomique  et  directeur  de  la  station  d'essai  des  machines  agricoles, 
à  Paris . 

(2)  V.  t.  I,  Réfutation  des  arguments  de  M.  Gide,  relativement  à 
la  productivité  des  machines  agricoles. 


LA   BAISSE   ET  LES   RECETTES   BRUTES  97 

de  le  croire.  Sans  nul  doute,  les  profits  agricoles  sont 
moins  élevés  aujourd'hui  qu'il  y  a  vingt  ou  vingt-cinq 
ans,  mais,  toutefois,  il  est  impossible  de  ne  pas  cons- 
tater que  la  réduction  de  valeur  des  produits  achetés 
par  l'agriculture  atténue  la  crise  dont  elle  souffre. 

VI 

Erreur  relative  à,  Tinfluence  qu'a  exercée  la   baisse 
des  prix  sur  les  recettes  brutes  des  cultivateurs 

I.  —  Nous  avons  consacré  plusieurs  chapitres  de  ce 
travail  à  l'étude  des  variations  de  prix  de  nos  princi- 
paux produits  agricoles.  En  règle  générale,  c'est,  à  coup 
sûr,  une  baisse  que  l'on  a  observée  depuis  vingt  ans 
dans  notre  pays.  Il  reste  à  déterminer  la  portée  de  ce 
phénomène  économique. 

A  ce  propos,  beaucoup  d'écriyains,  d'administrateurs 
et  d'hommes  politiques  commettent,  croyons-nous,  une 
erreur  d'observation  et  de  raisonnement  qui  est  singu- 
lièrement grave. 

«  Le  froment,  disent-ils,  a  perdu  depuis  quelques 
années  25  p.  loo  de  sa  valeur  marchande.  Or,  nous 
récoltons  annuellement  loo  millions  d'hectolitres  qui 
valaient  autrefois  2  milliards  et  ne  représentent  plus 
aujourd'hui  que  i.Soo  millions.  L'agriculture  française 
perd  donc  5oo  millions. 

«  Nous  produisons  chaque  année  du  seigle,  de 
l'avoine,  etc.,  de  la  paille,  du  foin,  des  racines,  etc. 
L'ensemble  de  ces  récoltes  valait  10  milliards.  Aujour- 
d'hui, les  prix  ont  baissé  de  20  p.  100  et  la  valeur  de 
la  production  agricole  n'atteint  plus  que  8  milliards. 

ZOLLA.  —  La  Crise  agricole.  7 


98  LA   BAISSE   DES  PRIX 

«  L'agriculture  française  a  donc  perdu  encore  2  mil- 
liards !  » 

Il  y  a  là  une  erreur.  Puisque  Ton  parle  ici  des  prix  et 
de  leurs  variations,'  on  ne  songe  évidemment  qu'aux 
opérations  commerciales  dans  lesquelles  les  cours  et 
les  prix  jouent  un  rôle  capital,  et  notamment  aux  ventes. 
Or,  les  agriculteurs  ne  vendent  point  tout  ce  qu'ils  pro- 
duisent. 

Ils  ne  vendent,  en  règle  générale,  ni  leurs  fourrages, 
ni  leurs  racines  fourragères,  ni  l'avoine  qui  est  con- 
sommée par  leurs  chevaux,  ni  l'orge  et  les  pommes  de 
terre  que  le  bétail  reçoit  comme  aliments,  ni  les 
semences  qui  servent  à  produire  une  récolte  nouvelle. 
Gela  est  de  toute  évidence.  Les  productions  du  sol  que 
le  bétail  utilise  et  transforme  pour  donner  du  lait,  de 
la  viande,  de  la  laine  et  des  peaux  ne  sont  nullement 
vendues.  Comment,  dès  lors,  admettre  que  les  variations 
de  prix  et  la  baisse.,  notamment,  puissent  intéresser 
l'agriculteur  en  exerçant  une  influence  immédiate  sur 
le  montant  de  ses  recettes  brutes  ou  de  ses  proiits  .? 
La  hausse  ou  la  baisse  des  prix  n'affecte  donc  la  situa- 
tion financière  de  l'agriculture  que  si  cette  hausse  ou 
cette  baisse  porte  sur  le  cours  des  denrées  effectivement 
vendues. 

Parmi  les  productions  végétales,  quelles  sont  les 
denrées  destinées  à  la  vente? 

Pour  le  savoir,  examinons  les  principaux  éléments 
du  produit  brut  d'origine  (i)  végétale.  Voici  tout  d'abord 
les  céréales  : 


[i)  Yorr  l'Enquèle  décennale  de  1892» 


LA   liAfSSE   ET  LES   RECETTES   BRUTES  99 

PRODUCTION    EN     1 892 

Grains  PailLs 

•  (millions  ^millions 

d  heclolitrcs).       de  qninlaux). 

Froment ii7-1  i47-^ 

Seigle 24.3  34-8 

Orge i5.8  12.4 

Méteil 4-2  5.4 

Avoine 86.8  61.7 

Maïs 9.3  6.6 

Sarrasin 10. i  9.1 

Millet 0.3  o.i 

Pour  les  grains  de  froment,  il  y  aurait  lieu  de  tenir 
compte  des  semences  représentant  près  de  i4  millions 
d'hectolitres,  et  de  la  consommation  personnelle  des 
cultivateurs,  dont  nous  parlerons  bientôt.  Quant  à  la 
paille  de  froment,  elle  est,  en  grande  partie,  consommée 
dans  les  exploitations  rurales.  Celle  que  Ton  vend 
n'est  utilisée,  dans  les  villes,  bourgs  et  villages,  que 
pour  la  nourriture  des  chevaux,  ânes  et  mulets,  seuls 
animaux  de  trait  qu'emploient  les  particuliers,  les  com- 
merçants, les  industriels,  les  entreprises  de  transport 
et  Farmée.  Nous  exagérons  certainement  en  supposant 
que  la  moitié  de  la  paille  de  froment  est  effectivement 
vendue  et  que  les  deux  tiers  des  grains  sont  portés  sur 
le  marché. 

Le  seigle  est  surtout  consommé  parles  populations 
agricoles  pauvres  du  centre  et  de  l'est  de  la  France.  Ses 
usages  industriels  sont  rares  et  les  grains  qui  ne 
servent  pas  à  Falimentation  de  l'homme  sont  utilisés 
pour  la  nourriture  du  bétail.  En  tenant  compte  des 
semences,  on  ne  saurait  sans  doute  admettre  que  plus 
de  la  moitié  du  seigle  récolté  soit  l'objet  d'une  vente. 
Quant    à  la   paille,    très    estimée,  il  est  possible   que 


lOO  LA    BAISSE  DES  PRIA' 

les  trois  quarts  en  soient  livrés  au  commerce  et  à  Fin- 
ci  us  trie. 

L'orge  donne  un  produit  de  i5  à  i6  millions  d'hecto- 
litres de  grains.  Cette  céréale  n'est  utilisée,  en  France, 
que  pour  la  fabrication  de  la  bière.  Or,  nous  produi- 
sons à  peu  près  8  millions  d'hectolitres  de  bière  dont  la 
fabrication  exige  tout  au  plus  l'emploi  de  8  millions 
d'hectolitres  d'orges  françaises.  En  tenant  compte  des 
semences  (1.700.000  hectol.),  on  voit  que  sur  une  pro- 
duction totale  de  16  millions  d'hectolitres,  le  tiers  de  la 
récolte,  soit  5  millions  d'hectolitres  est  utilisé  pour  la 
nourriture  du  bétail.  Il  en  est  de  même  pour  la  paille. 

Le  méteil  sert  exclusivement  à  la  nourriture  des  cul- 
tivateurs et  la  paille  est  fort  probablement  utilisée  dans 
les  exploitations  rurales. 

L'avoine  est,  au  contraire,  une  denrée  de  vente,  mais 
ce  serait  exagérer  que  d'évaluer  à  plus  de  la  moitié  la 
part  des  grains  et  des  pailles  portée  sur  le  marché.  En 
outre,  il  faut  tenir  compte  des  semences  (18  millions 
d'hectolitres  au  moins).  L'agriculture  ne  vend  donc 
guère  plus  de  38  millions  d'hectolitres  de  grains  et  de 
3o  millions  de  quintaux  de  paille. 

Le  maïs  sert  surtout  à  la  nourriture  du  bétail  et  des 
volailles,  ou  à  la  consommation  des  cultivateurs  (sud- 
ouest  et  sud-est  de  la  France).  La  paille,  c'est-à-dire  les 
«  spatlies  »  qui  enveloppent  l'épi,  n'a  pas  d'usages 
industriels.  On  ne  vend  donc  pas  le  tiers  de  la  produc- 
tion annuelle  de  grains  et  de  paille. 

Le  sarrasin  est  consacré  presque  exclusivement  à 
l'alimentation  du  bétail,  des  volailles,  et  à  la  nourriture 
des  cultivateurs  dans  nos  régions  granitiques  et  schis- 


LA    BAISSE   ET  LES   RECETTES   BRUTES  lOl 

teuses.  Les  ventes  ne  portent  sans  doute  pas  sur  plus 
du  tiers  de  la  récolte  en  grains.  La  paille,  de  très  mau- 
vaise qualité,  n'est  pas  vendue. 

En  résumé,  si  nous  tenons  compte  à  la  fois  des 
semences  et  de  la  consommation  des  cultivateurs,  de 
leur  famille  et  du  personnel,  nous  pensons  que  les  frac- 
tions des  récoltes  effectivement  livrées  au  commerce 
sont  les  suivantes  : 


Grain-.         raille. 


ij-i 

,/. 

l/. 

3/4 

1/3 

»/3 

,/a 

i/. 

1/3 

1/3 

1/3 

o 

Froment  .  .  . 
Seigle  .... 

Orge 

Avoine .... 
Maïs  et  niilK'l. 
Sarrasin  .    .    . 


Certes,  les  proportions  que  nous  venons  d'indiquer 
dans  le  tableau  précédent  peuvent  paraître  arbitraires 
et  par  conséquent  critiquables.  En  tout  cas,  il  est  cer- 
tain qu'une  fraction  très  importante  de  nos  récoltes  de 
céréales  est  utilisée  dans  les  exploitations  rurales  où 
l'orge,  le  seigle  et  leurs  farines,  le  maïs,  le  sarrasin, 
l'avoine,  les  pailles  et  les  sons  de  toute  origine  servent 
à  l'alimentation  du  bétail  ou  des  animaux  de  basse-cour, 
aux  litières^  etc. 

Nous  comptons  en  France  dans  nos  domaines  ruraux  : 

2.794.000  chevaux. 
217.000  mulets. 
368. 000  ânes. 
13.708.000  bovidés. 
21. II 5. 000  ovidés. 
7.421.000  porcs. 
1. 81 5. 000  chèvres. 


102  LA    BAISSE   DES   PRIX 

Ces  animaux  consomment  évidemment  une  masse 
énorme  d'aliments  et,  parmi  ceux-ci,  figurent  des  grains 
et  des  pailles.  La  litière,  que  l'on  doit  regarder  comme 
une  des  matières  premières  des  fumiers,  est  presque 
toujours  constituée  par  des  pailles.  A  l'inverse,  les 
grains  ou  pailles  vendus  par  les  agriculteurs  ne  servent 
qu'à  la  nourriture  des  animaux  de  trait  entretenus  hors 
des  exploitations  rurales.  Ces  animaux  sont  assurément 
beaucoup  moins  nombreux  que  ceux  dont  l'agriculture 
utilise  les  services. 

Il  n'est  pas  moins  certain  qu'une  partie  notable  des 
grains  récoltés  sert  à  la  nourriture  du  cultivateur,  de  sa 
famille  et  du  personnel.  Or,  nous  comptons  en  France, 
d'après  l'enquête  de  1892  : 

2.199.000  propriétaires  cultivateurs. 
1. 061. 000  fermiers. 
344  000  métayers. 


Total.      3.604.000 

En  multipliant  par  quatre  le  nombre  de  ces  chefs  de 
famille,  nous  obtenons  le  total  des  bouches  à  nourrir, 
total  qui  s'élève  à  14.4^6.000  personnes.  11  faut,  en  outre, 
faire  état  de  i. 832. 000  domestiques  et  servantes  nourris 
par  leurs  maîtres. 

On  peut  donc  admettre  que  plus  de  16  millions  de 
personnes  consomment  des  grains  qui  ne  sont  pas 
portés  au  marché  ou  que  l'on  rachète  ensuite  sous 
forme  de  farines  et  de  pain.  Sans  doute,  on  peut  dire 
que  le  cultivateur  achète  son  pain  et  vend  son  grain.  En 
fait,  cette  vente  qui  constitue  un  double  échange  n'a 
pas  toujours  lieu.  L'agriculteur  donne  au  boulanger  du 
blé,  du  seigle  et  il  reçoit  du  pain. 


LA    BAISSE   ET  LES  RECETTES   lilll  TES  io3 

Dans  toutes  les  hypothèses,  la  baisse  des  prix  irinté- 
resse  pas  le  producteur  agricole,  quand  il  consomme 
immédiatement  ses  grains,  les  échange  contre  du  pain, 
ou  les  rachète  sous  cette  dernière  forme.  On  peut  tout 
au  plus  soutenir,  dans  ces  deux  derniers  cas,  que  les 
frais  de  mouture  ou  de  panification  sont  parfois  trop 
élevés. 

Conclusions.  —  En  résumé,  si  nous  tenons  compte 
à  la  fois  : 

1°  Des  céréales  utilisées  comme  semences  ; 

2°  Des  grains  et  pailles  servant  à  Talimentation  du 
bétail  et  des  animaux  de  basse-cour  ; 

3°  Des  grains  consommés  par  les  cultivateurs,  leur 
famille  et  le  personnel  nourri  à  la  ferme,  il  est  possible 
d'évaluer  le  montant  des  ventes  effectivement  réalisées. 
D'une  période  à  l'autre,  ces  ventes  ont  évidemment 
varié  tant  au  point  de  vue  des  quantités  qu'au  point  de 
vue  des  valeurs. 

Elles  ont  varié  au  point  de  vue  des  quantités,  car  le 
chiffre  de  notre  production  s'est  élevé  depuis  vingt  ans. 

Elles  ont  varié  au  point  de  vue  des  valeurs,  car  le 
prix  de  chaque  hectolitre  de  grain  a,  au  contraire, 
diminué. 

Pour  tenir  compte  de  ces  deux  facteurs,  nous  com- 
parerons entre  elles  les  périodes  décennales  1876-1885 
et  1886-1893,  en  tenant  compte  à  la  fois  des  récoltes  et 
des  cours  moyens  annuels  officiellement  établis. 

Voici  tout  d'abord  les  chiffres  qui  se  rapportent  à  la 
production  totale  et  aux  valeurs  correspondantes. 

//  s'agit  seulement  des  grains. 


io4 


LA   BAISSE  DES  PRIX 


PRODUCTIO> 

'              VALEUR 

totale 

de  la  i»roduclion 

totale 

annuelle 

annuelle 

(Millions  d'iicctoli 

ta). 

(Millions 

de  francs.) 

— 

-^ 

.—' ■^— 

^^-— i 

— 

1876-1885         1886-1893 

1876-1885 

1886-180:) 

Froment  .    . 

ICI. 9           1 

07.1 

2.176 

I 

.885 

Seigle    .    .    . 

24.9 

23.5 

358 

274 

Orge.    .     .    . 

18.3 

17. 1 

23l 

180 

Avoine  .    .    . 

80.7 

87.2 

787 

760 

Maïs  et  millel 

9-7 

9-9 

148 

125 

Sarrasin    .    . 

10. 0 

9-5 

i37 

99 

245.5 


254.3 


3.827 


3.323 


En  utilisant  les  coefficients  proposés  plus  haut  qui  se 
rapportent  aux  quantités  effeclivemeut  vendues,  nous 
obtenons  les  résultats  suivants  : 


Froment  .  , 
Seigle  .  .  . 
Orge.  .  .  . 
Avoine  .  .  . 
Maïs  et  millet 
Sarrasin    .    . 


QUANTITES 

effectivement  vendues. 
(Millions  d'hectolitres.) 


correspondantes. 
(■Millions  de  francs. 


1876-1885       1886-1895       1876-1885         1888-1895 


68.0 
12.4 

6.1 
40.3 

3.2 

3.3 


74.8 
II. 7 

5.7 
43.6 

3.3 

3.2 


1.451 
179 

77 
393 

49 

4^ 

2. 191 


1.287 

137 

60 

38o 

41 
33 

1.938 


La  réduction  des  valeurs  correspondant  aux  quan- 
tités effectivement  vendues  ressort,  ainsi,  d'une  période 
à  l'autre  : 

à   164  millions  de  francs  pour  le  blé. 


i3 


pour  le  seigle. 

pour  l'orge. 

pour  1  avoine. 

pour  le  maïs  et  millet. 

pour  le  sarrasin. 


Total 


253  millions  de  francs. 


LA   BAISSE   ET  LES  RECETTES  UIIUTES  io5 

La  diminution  de  recettes  s'élèverait  seulement  à 
a53  millions  de  francs,  et  non  plus  à  5o4  millions,  comme 
le  ferait  supposer  l'évaluation  portant  sur  les  chiffres 
de  la  production  totale. 

Quelle  est,  d'autre  part,  la  valeur  des  pailles  vendues 
et  quelle  réduction  ont  subie  les  recettes  provenant  de 
ces  ventes  ? 

Sans  entrer  dans  de  longs  détails,  nous  supposerons  : 

1°  Que  cette  valeur  est  égale  au  tiers  de  la  valeur  des 
grains,  proportion  voisine  de  celle  qu'indique  l'Admi- 
nistration de  l'Agriculture  : 

S4°  Que  la  baisse  des  prix  les  a  affectées  dans  la  même 
mesure  que  les  grains. 

La  diminution  de  recettes  serait  alors  représentée  par 
84  millions  de  francs. 

Ainsi,  dans  l'espace  (Je  vingt  ans,  depuis  1876  jus- 
qu'à 1896,  le  produit  des  ventes  réalisées  effective- 
ment et  portant  sur  les  céréales  ou  les  pailles,  a  subi 
une  réduction  maxima  de  337  millions  de  francs.  Il  est 
clair,  d'ailleurs,  que  ce  chiffre  a  lui-même  varié  en 
même  temps  que  les  récoltes  et  les  cours.  Nous  n'avons 
pas,  d'ailleurs,  la  prétention  d'évaluer  avec  une  rigou- 
reuse précision  les  effets  de  la  baisse  des  prix. 

Ce  que  nous  tenions  à  signaler,  c'est  une  erreur 
d'observation. 

Il  n'est  pas  exact  que  nos  cultivateurs  aient  vu  dimi- 
nuer leurs  recettes  dans  la  proportion  où  baissaient  les 
prix  de  tous  les  produits  du  sol  et  notamment  des  grains 
ou  des  pailles. 

2.  —  Cherchons,  maintenant,  s'il  en  est  ainsi  pour 
d'autres  éléments  de  la  production  végétale. 


io6  LA    BAISSE  DES  PRIX 

L'importance  relative  de  ces  éléments  est  clairement 
indiquée  par  les  valeurs  qui  leur  sont  attribuées.  L'en- 
quête de   1892   nous  fournit  les   chiffres  suivants,  qui' 
vont  permettre  de  comparer  la  valeur  des  fourrages  à 
celle  des  céréales  : 

VALEURS 

en  millions  de  francs. 

^,    ,  1         i'  (irains 3.354   ) 

Céréales.  *       4.667 

'   l'ailles i.3i3  ) 

Fourrages  annuels,   prairies   artilî- 

cielles  cl  racines i-Sog  ) 

Prairies  naturelles  et  herbages    .    .         T.aS-  j 

Voilà,  notamment,  le  groupe  des  plantes  fourragères, 
dont  la  production  totale,  y  compris  celle  des  her- 
bages, est  officiellement  évaluée  à  2  milliards  74^^  mil- 
lions de  francs.  Il  est  certain  que  la  plupart  de  ces  four- 
rages ne  sont  pas  vendus  ou  môme  ne  peuvent  pas  l'être. 
On  ne  vend  pas  les  herbes  que  broutent  les  troupeaux 
après  la  seconde  coupe  des  foins  ;  on  ne  vend  pas  davan- 
tage, sauf  de  rares  exceptions,  les  racines  fourragères. 
Ce  sont  les  animaux  de  ferme  qui  utilisent  et  transfor- 
ment tous  ces  aliments.  Les  agriculteurs  ne  vendent 
que  du  foin  et  quelques  betteraves  consommées  par  les 
vaches  laitières  des  «  nourrisseurs  »  de  nos  grandes 
villes. 

Quels  sont  les  animaux  nourris  en  dehors  des  exploi- 
tations rurales?  On  ne  peut  guère  faire  état  que  des 
chevaux  de  trait. 

Or,  l'agriculture  ne  possède  pas  plus  de  2  millions 
de  chevaux  adultes.  Il  nous  paraît  bien  difficile  d'ad- 
mettre que  les  particuliers,  l'industrie,  le  commerce,  les 
entreprises  de  camionnage  ou  de  transport,  et,  enfin, 


LA  BAISSE  ET  LES  RECETTES   BRUTES  107 

Tarmée,  emploient  un  nombre  de  chevaux  supérieur  à 
celui-là.  Or,  deux  millions  de  chevaux  ne  reçoivent  cer- 
tainement pas  plus  de  60  millions  de  quintaux  de  foin, 
à  raison  de  3. 000  kilos  par  cheval  et  par  an. 

Les  prairies  naturelles  et  herbages  produisent  déjà 
127  millions  de  quintaux  ayant  une  valeur  de  1.200  mil- 
lions en  chiffres  ronds.  L'agriculture  ne  vend  donc  pas, 
au  maximun,  plus  de  60  millions  de  quintaux  valant, 
peut-être,  600  à  700  millions  de  francs.  Cette  somme 
représente  le  quart  de  la  valeur  attribuée  aux  produc- 
tions fourragères  par  l'Administration  de  l'agriculture. 

Les  variations  de  prix  n'ont  pu  exercer  une  influence 
sur  les  recettes  du  cultivateur  que  dans  la  mesure  où 
des  ventes  ont  été  réellement  effectuées.  En  ce  qui 
concerne  les  fourrages  de  toute  nature,  une  très  faible 
part  de  la  production  totale  est  portée  sur  le  marché.  Il 
est  même,  à  ce  propos,  fort  important  de  remarquer 
que  la  transformation  des  fourrages  par  les  animaux 
permet  d'obtenir  des  produits  spéciaux  dont  le  prix  est 
resté  presque  stationnaire  depuis  vingt  ans,  tandis  que 
le  cours  des  denrées  végétales  subissait  au  contraire, 
une  baisse  très  marquée. 

Nous  terminons  ici  les  observations  qui  se  rapportent 
à  l'action  réelle  qu'exerce  la  baisse  des  prix  sur  les 
recettes  provenant  de  la  production  végétale. 

Nous  pourrions,  il  est  vrai,  chertdier  à  évaluer  la  con- 
sommation des  cultivateurs,  de  leur  famille  et  de  leur 
personnel  en  ce  qui  concerne  le  vin,  les  fruits,  les 
bois,  etc.,  etc..  C'est  là  toutefois  une  tâche  délicate,  et 
rien  ne  serait  plus  difficile  que  de  calculer  cette  con- 
sommation avec  quelque  précision. 


lo8  LA    BAISSE   DES   PRIX 

Ce  que  nous  avons  dit  à  propos  des  céréales  suffît  à 
montrer  que  la  baisse  des  prix  n'affecte  pas  l'ensemble 
de  la  production. 

3.  —  La  même  conclusion  s'applique  aux  produits 
d'origine  animale,  et  notamment  à  la  viande  de  bou- 
cherie et  au  lait  qui  représentent  67  p.  100  du  produit 
brut  total. 

On  peut  discuter,  à  propos  de  la  consommation  des 
producteurs  agricoles,  de  leur  famille  et  de  leur  per- 
sonnel. Rien  de  plus  difficile,  à  coup  sur,  que  de  l'évaluer 
avec  précision.  Ce  que  l'on  ne  saurait  nier,  c'est  que  la 
consommation  personnelle  des  propriétaires-cultiva- 
teurs, des  fermiers,  des  métayers  et  des  domestiques 
ou  ouvriers  nourris  à  la  ferme  n'est  pas  négligeable. 

La  viande  et  le  lait,  le  fromage  et  le  beurre  con- 
sommés dans  l'exploitation  par  l'entrepreneur  de  culture 
sa  famille  et  son  personnel  ne  sont  point  vendus.  Cela 
est  de  toute  évidence. 

Les  variations  de  prix,  en  ce  qui  concerne  des  pro- 
duits consommés  par  le  producteur,  n'affectent  pas 
immédiatement  ses  recettes.  Tout  à  l'heure,  nous  por- 
tions à  16  millions  le  nombre  des  chefs  d'entreprise, 
des  membres  de  leur  famille  et  des  salariés  qu'ils  nour- 
rissent. Abaissons  encore  ce  chiffre  à  i3  millions,  ce 
qui  représente  le  tiers  de  la  population  française.  Admet- 
tons même  que  la  consommation  du  groupe  professionnel 
ainsi  visé  ne  s'élève  qu'au  quart  de  la  consommation 
moyenne  des  Français.  11  n'en  résulte  pas  moins  que  le 
douzième  des  animaux  abattus  et  du  lait  consommé  n'est 
point  destiné  à  la  vente. 

Enfin,  nous  ne  pouvons  que  répéter  ce  que  nous  disions 


LA   BAISSE   ET  LES  RECETTES   BRUTES  109 

plus  haut  en  parlant  du  travail  des  animaux  et  des 
fumiers  considérés  comme  des  éléments  du  produit  brut 
agricole  d'origine  animale. 

Ni  le  travail  mécanique  du  bétail  de  trait,  ni  les 
fumiers  ne  sont  des  produits.  On  ne  vend  pas  le  travail 
des  bœufs  ou  des  chevaux  utilisés  dans  les  exploitations 
rurales.  On  ne  vend  pas  davantage  les  fumiers,  qui  sont 
des  «  immeubles  par  destination  »  (art.  524  du  Code 
civil). 

Il  n'existe  point  de  cours  relatifs  à  ces  services  et  à 
ces  denrées.  Si  l'on  attribue  au  travail  et  au  fumier  un 
prix  quelconque,  ce  n'est  là  qu'un  artifice  de  compta- 
bilité, une  simple  évaluation  variant,  hélas  !  au  gré  de 
ceux  qui  ont  une  thèse  à  défendre. 

Ces  prix  introduits  dans  la  tenue  des  comptes  en 
partie  double  sont  purement  fictifs  et  nécessairement 
arbitraires.  Il  servent  trop  souvent  de  base  à  des  calculs 
sans  valeur  se  rapportant  aux  prix  de  revient  de  tels  ou 
tels  produits.  Hormis  le  cas  où  un  cultivateur  loue  des 
attelages  et  achète  des  fumiers,  le  prix  du  travail  des 
animaux  et  des  engrais  de  ferme  ne  saurait  donc  nous 
intéresser. 

VII 

La  baisse  de  prix  des  denrées  agricoles, 
les  recettes  brutes  et  les  profits. 

I.  —  Personne  n'ignore  que  la  crise  agricole  doit  être 
attribuée  à  la  baisse  du  prix  des  principaux  produits 
vendus  par  nos  cultivateurs  et  notamment  à  la  baisse 
des  céréales.  Le  froment,  dont  on  parle  si  souvent  à  ce 


LA    BAISSE   DES    PRIX 


propos,  a  subi  une  réduction  de  prix  de  36  p.  loo  depuis 
1878  jusqu'à  1896.  On  peut  dire,  il  est  vrai,  que  la 
dépression  des  cours  n'a  pas  toujours  été  aussi  forte. 
Le  blé  a  singulièrement  augmenté  de  prix  en  1897. 
D'autre  part,  Favoine,  le  seigle,  l'orge,  le  maïs,  etc., 
n'ont  pas  subi  la  même  dépréciation.  Enfin,  les  produits 
d'origine  animale  :  viande,  lait,  fromage,  beurre,  etc., 
conservent  parfois  les  mêmes  valeurs.  A  tout  le  moins, 
on  ne  constate  pas  de  baisse  comparable  à  celle 
que  subissent  le  blé  et  la  plupart  des  produits  végé- 
taux. 

D'autres  faits  corrigent  également  ou  atténuent  les 
effets  de  la  baisse.  Nos  rendements  se  sont  élevés,  nos 
méthodes  culturales  se  sont  perfectionnées  ;  le  prix  des 
matières  fertilisantes  a  diminué.  Les  dépenses  de  cul- 
ture ont  elles-mêmes  été  réduites,  grâce  à  l'emploi  des 
instruments  mécaniques  et  surtout  au  développement 
des  cultures  fourragères. 

Gomment  peut-on  expliquer  cependant  la  persistance 
d'une  crise  générale?  Gomment  sejustifient  les  doléances 
des  agriculteurs  ?  N'est-il  pas  incontestable  que  les 
profits  attachés  à  l'exploitation  du  sol  ont  rapidement 
diminué  et  que  cette  réduction  explique  la  vivacité  des 
plaintes  ? 

Nous  sommes  ainsi  amenés  à  étudier  un  des  pro- 
blèmes économiques  les  plus  intéressants  et  les  plus  mal 
connus  :  celui  qui  se  rapporte  à  l'influence  de  la  baisse 
des  prix  sur  les  profits  agricoles. 

Nous  disions  tout  à  l'heure  que  nos  cultivateurs 
avaient  pu  atténuer  les  effets  de  cette  baisse  : 

1°  En  augmentant  les  rendements  ; 


LA    BAISSE   ET  LES   PROFITS  m 

2°  En  réduisant  les  dépenses. 

Ce  sont  là  deux  hypothèses  favorables.  Supposons, 
cependant,  qu'elles  soient  toutes  deux  exactes. 

Voici  une  exploitation  où  Ton  n'a  constaté  qu'une 
réduction  de  lo  p.  loo  portant  sur  le  chiffre  du  produit 
brut  total.  En  même  temps  les  dépenses  ont  diminué 
de  lo  p.  loo. 

«  Dans  ce  cas,  dira-t-on,  les  profits  sont  restés  les 
mômes,  puisque  les  frais  se  sont  abaissés  dans  la  même 
proportion  que  les  recettes.  » 

C'est  là,  en  vérité,  une  erreur  grossière  ;  mais  l'opi- 
nion que  nous  reproduisons  est  si  communément  et 
facilement  acceptée  qu'il  est  utile  de  la  combattre.  Non  ; 
il  n'est  pas  vrai  que  le  chiffre  des  profits  reste  constant 
quand  les  dépenses  diminuent  dans  la  même  proportion 
(jue  les  recettes.  En  fait,  les  profits  décroissent,  au 
contraire,  dans  la  même  proportion  que  les  recettes  et 
les  dépenses.  Il  suffit  de  réfléchir  un  moment  pour  s'en 
convaincre. 

Supposons  les  recettes  égales  à  loo  et  les  frais  égaux 
à  80.  La  différence  constituant  le  profit  est  représentée 
par  : 


Si  les  dépenses  et  les  recettes  diminuent  de  10  p.  100, 
nous  obtenons  comme  profit  : 

90  —  7'-^  =:  18 

Les  bénéfices  ont  diminué  également  d'un  dixième. 
Ceci  n'est  que  l'application  d'un  théorème  d'arithmé- 
tique bien  connu  : 


112  LA  BAISSE   DES    PRIX 

«  Quand  on  multiplie  ou  quand  on  divise  les  deux 
termes  d'une  dilïerence  par  un  nombre,  la  diflerence  se 
trouve  multipliée  ou  divisée  par  ce  nombre.  » 

Notre  hypothèse  n'est  d'ailleurs  exacte  que  dans  un 
petit  nombre  de  cas.  La  plupart  du  temps,  les  dépenses 
n'ont  pas  diminué  dans  la  même  proportion  que  les 
recettes. 

Admettons  une  réduction  de  lo  p.  loo  sur  le  produit 
brut  et  de  5  p.  loo  sur  les  frais. 

Les  profits  s'élèveraient  comme  plus  haut  à 

lOO  80  ^    10 

Ils  ne  sont  désormais  égaux  qu'à  : 

90  —  76  r=  14 

Et  l'on  voit  qu'ils  ont  diminué  de  33  p.  100. 

Ainsi,  une  baisse  de  prix  entraîne  une  diminution 
de  10  p.  100  du  produit  brut;  pour  compenser  cette 
baisse  de  recettes,  un  cultivateur  s'efforce  de  réduire 
ses  dépenses,  et  il  les  diminue,  en  effet,  d'un  vingtième. 
Eh  bien,  malgré  ses  efforts,  les  profits  se  trouvent 
réduits  d'zf/i  tiers. 

Mais  voici  maintenant  une  autre  hypothèse.  La  baisse 
des  prix  a  été  brusque,  l'accroissement  des  rendements 
est  très  faible  ;  la  réduction  des  dépenses  est  nulle.  Et 
c'est  là,  qu'on  le  remarque  bien,  l'hypothèse  qui  permet 
d'expliquer  l'intensité  de  la  crise  actuelle,  aussi  bien 
que  la  généralité  et  la  violence  des  plaintes  qui  se  font 
entendre. 

Depuis  i85o  ou  i855  jusqu'à  1875,  le  prix  des  den- 
rées agricoles  s'est  toujours  élevé.  Rien  ne  faisait  près- 


LA    BAISSE  ET  LES  PROFITS  ii3 

sentir  une  baisse.  Sans  doute,  il  n'était  point  indiffé- 
rent à  cette  époque  d'augmenter  la  masse  des  produits 
portés  sur  le  marché  ou  de  réduire  les  dépenses  de 
culture.  Toutefois,  nulle  nécessité  pressante  ne  se  fai- 
sait sentir.  Les  moyens  d'action  eux-mêmes  faisaient 
défaut.  On  ne  connaissait  encore,  d'une  façon  suffisante, 
ni  l'usage  d'engrais  complémentaires,  ni  l'importance 
du  choix  des  semences.  Les  hommes  placés  à  la  tête 
de  nos  exploitations  rurales  appartenaient  à  une  géné- 
ration qui  avait  ses  habitudes  et  ses  traditions.  H 
leur  a  paru  naturel  et  prudent  de  continuer,  tout 
d'abord,  à  cultiver  le  sol  comme  ils  l'avaient  cultivé 
jusque-là. 

La  baisse  qui  survint  brusquement  les  a  donc  pris 
à  l'improviste.  Beaucoup  d'entre  eux  ont  attendu  une 
hausse  nouvelle;  ils  se  sont  plaints  sans  rien  changer 
au  système  de  culture  suivi  jusque-là  et  dont  une  longue 
expérience  paraissait  avoir  consacré  le  mérite.  Aucune 
circonstance  favorable,  aucun  effort  ne  vient  atténuer 
les  effets  de  le  baisse.  Le  produit  brut  diminue  et  les 
dépenses  restent  les  mêmes.  Dans  ces  conditions,  la 
plus  faible  réduction  de  prix  portant  sur  les  principales 
denrées  de  vente  a  exercé  une  influence  considérable 
sur  le  montant  des  bénéfices. 

Le  même  exemple  et  le  même  calcul  vont  nous  le 
prouver.  Supposons  le  produit  brut  d'une  ferme  égal 
à  ICO  et  les  dépenses  correspondantes  s'élevant  à  80. 
Le  profit  est  représenté  par  la  différence  : 

100  —  80  =  20 
Une  baisse  de  prix  de  5  p.  100  seulement  réduit  les 

ZoLLA.  —  La  Crise  agricole.  s 


ii4  l^A    BAISSE   DES   PRIX 

recettes  à  gj,  sans  que  les  dépenses  aient  diminué.  Le 
profit   s'abaisse    à    i5  et  se    trouve  ainsi  réduit  de   aS 

p.   lOO. 

Une  baisse  de  lo  p.  loo  frappant  les  recettes  brutes 
diminuerait  de  moitié  les  bénéfices.  Ce  n'est  là,  peut- 
on  dire,  qu'un  simple  calcul  théorique.  Dans  la  réalité 
les  choses  se  passent-elles  ainsi?  Assurément  non; 
mais  notre  calcul  montre  du  moins  clairement  quelle 
peut  être  la  portée  économique  de  la  baisse  des 
prix. 

Voici,  maintenant,  un  exemple  pris  sur  le  vif.  11  s'agit 
d'une  ferme  située  dans  le  département  de  l'Aisne. 

Cette  exploitation  a  une  surface  de  200  hectares, 
ainsi  répartis  : 

Froment 60  hectares. 

Avoine 3o         — 

Seigle 5         — 

Fourrages 78         — 

Betteraves 2  5         ■ — 

Pommes  de  terre 2         — 

Total.    .    .      200  hectares. 

Indépendamment  du  froment  qui  constitue  Xdi princi- 
pale denrée  de  vente,  il  existe  un  troupeau  de  mou- 
tons de  5oo  têtes,  des  vaches  laitières  et  des  porcs. 
Vingt-cinq  chevaux  servent  aux  travaux  culturaux. 
Toute  l'avoine  récoltée  est  utilisée  pour  leur  nourri- 
ture. 

Le  capital  d'exploitation  s'élève  à  loo.ooo  francs. 

Durant  la  période  1 876-1 880,  les  recettes  et  les 
dépenses  étaient  les  suivantes  : 


LA    BAISSE  ET  LES  PROFITS  Il5 

i"  Recettes. 

Froment  (i.3oo  quintaux  à  3o  fr.).    .    .  39.000  fr. 

Seigle  (100  quintaux  à  18  fr.) 1.800 

Betteraves  (800  tonnes  à  ii  fr.).    .    .    .  16.800 

Laines  (1.400  kilos  à  i  fr.  80)    ....  2.5ao 

Ventes  de  moutons  et  agneaux    ....  i-770 

Produit  de  la  vacherie 2,i5o 

Produit  de  la  porcherie 900 

Produit  de  la  basse-cour 45o 

Tolal.    .    .      65.370  fr. 

2°  Dépenses. 

Fermage 18.000  fr. 

Impôts  et  assurances a.aoo 

Entretien  et  frais  généraux 'i.3oo 

Domestiques  et  nourriture 8.5oo 

Travaux  à  la  tâche 12.000 

Semences  achetées 4  •  3oo 

Acliat  d'aliments  pour  le  bétail   ....  1.700 
Amortissement  du  bétail  de  trait  et  achats 

d'animan.v 2.5oj 

Total.    .    .      5i  .5oo  fr. 

En  définitive,  les  profits  étaient  réprésentés  par 
l'écart  suivant  : 

Recettes 63.370  fr. 

Dépenses  5i.5oo 

Profit.    .    .      13.870  fr. 

La  situation  du  fermier  était  bonne  sans  être  bril- 
lante. 

Dix  ans  après,  le  froment  est  vendu  22  francs  par 
quintal  au  lieu  de  3o  francs;  le  seigle  i5  francs  au  lieu 
de  18  francs.  Quant  aux  autres  recettes,  elles  n'ont 
guère  varié.  Le  prix  des  betteraves  a  passé  de  21  à  27 
francs  la  tonne,  mais  les  rendements  se  sont  abaissés 


Iiff  LA    haïsse   des   prix 

et  les  produits  bruts  ne  se  sont  élevés  que  de  quelques 
centaines  de  francs. 

En  résumé,  la  diminution  des  recettes  ressort  à  : 

1 .  3oo  quintaux  de  blé  vendus  22  fr.   au  lieu  de 

3o  f'r 10.400  fr. 

100  quintaux  de  seigle  vendus  1 5  fr.    au  lieu  de 

18  fr 3oo 


Total.    .    .      10.700   fr. 

Dès  lors,  les  recettes  et  les  dépenses  sont  respecti- 
vement : 

Recettes 54.670  fr. 

Dépenses 5i.ioj 

Prodls.    .    .        3. 170  fr. 

Les  bénéfices  s'élevaient  à  13.870  francs  ;  ils  tombent 
à  3.170  francs  seulement,  et  diminuent  ainsi  de  77 
p.   100. 

Or,  la  baisse  du  froment  ne  s'élevait  qu'à  26  p.  100 
et  celle  du  seigle  à  16  p.  100,  mais  ici,  ce  sont  moins 
les  proportions  que  les  chiffres  absolus  qui  nous  inté- 
ressent. 

Un  capital  de  100.000  francs,  administré  par  le  fer- 
mier, lui  permettait  de  réaliser  i3.5oo  francs  de  profits. 
Quelques  années  plus  tard  ces  bénéfices  tombent  à 
3.000  francs.  Une  pareille  somme  ne  suflit  point  à 
rémunérer  un  capital  aussi  important  et  à  indemniser 
le  fermier  des  risques  que  comporte  la  culture. 

Nous  verrons  bientôt  comment  il  a  été  possible 
d'abaisser  le  chiffre  des  dépenses  en  diminuant  la  part 
du  produit  brut  attribué  au  propriétaire.  Cette  question 
est  assez  importante  pour  qu'on  l'étudié  avec  soin.  En 
ce  moment,  nous  nous  demanderons  simplement  pour- 


LÀ    BAISSE   ET  LES   PliOFJTS  117 

quoi  la  baisse  du  froment  a  exercé  une  influence  aussi 
décisive  sur  le  chifl*re  des  profits.  Cela  tient  évidem- 
ment à  ce  fait  que  les  recettes  provenant  du  blé  cons- 
tituent la  plus  grosse  part  du  produit  brut  total.  Dans 
l'exploitation  dont  nous  venons  de  parler,  les  ventes  de 
froment  représentaient  59  p.  100  des  recettes  durant  la 
période  1876-1880.  La  baisse  des  prix  a  donc  porté  sur 
la  principale  denrée  de  vente. 

On  voit  très  nettement  quelle  a  été  la  répercussion 
de  la  baisse  des  prix  :  1°  sur  le  produit  brut  ;  y"  sur  les 
profits. 

Etait-il  possible  de  cultiver  désormais  d'autres  céréales 
dont  le  prix  restait  relativement  plus  élevé  ?  C'est  ce 
que  nous  allons  nous  demander,  car  cette  question 
présente,  en  efi*et,  un  intérêt  considérable. 

2.  —  Voici  la  moyenne  des  cours  relatifs  à  deux 
céréales  en    1877-1880  et  durant  la  période  189 1-1896  : 


Prix  de  l  hectolitre. 

1877-1880 

1801-J89;i 

fi-.    c. 

fr.    c. 

FVoinent 

-li  3o 

16    9'2 

8  80 

Avoine    .    . 

Q    qi 

La  baisse  des  cours  ressort  à  24  p.  100  pour  le  blé  et  à 
12  p.  looseulement  pour  l'avoine.  La  conclusion  est  fort 
simple,  dira-t-on  :  «  Faites  de  l'avoine  et  non  du  blé.  » 
Eh  bien,  nous  croyons  que  cette  solution  n'est  pas 
acceptable,  et  l'on  n'a  pas  été  tenté  de  substituer  dans 
nos  fermes  l'avoine  au  blé  parce  que  cette  substitution 
eut  été  désastreuse. 

Malgré  la  baisse  qui  l'a  frappé,  le  blé  estencore  lacéréale 
qui  donne,  à  l'hectare,  le  plus  gros  produit  brut.  Voici, 


ii8  LA   BAISSE  DES  PRIX 

par  exemple,  les  chiffres  officiels  que  nous  emprun- 
tons à  la  statistique  décennale  de  1892.  On  entend,  ici, 
par  produit  brut,  la  valeur  obtenue  en  multipliant  le 
rendement  (grain  et  paille)  par  les  cours  moyens  de 
l'année  189?.. 

Produit  bpul 
Cér<5alcs.  par  lioclare  (1892). 

fr.     c. 

Froment 38o   » 

Seigle wjS  » 

Orge 247   ') 

Avoine 244  » 

Maïs 243   » 

Sarrasin '77   " 

Aucune  céréale  ne  donne  un  produit  brut  en  argent 

aussi  élevé  que  le  froment.  L'écart  est  môme  sensible  ; 

il  dépasse  loo  francs  par  hectare.  Substituer  l'orge,  le 

seigle  ou  l'avoine  au  froment,  ce  serait  donc  réduire  le 

produit  brut  et  aller,  par  conséquent,  au-devant  d'un 

désastre.  Les  frais  de  culture  des  céréales  inférieures 

ne  sont  guère  moins  élevés  et,  par  conséquent,  la  plus 

légère  réduction    des  recettes   brutes    correspondrait, 

nous  l'avons  prouvé,  à  une  baisse  énorme  des  profits. 

Il  faut  donc  continuer  à  faire  du  blé,  si  toutefois  l'on 

persiste  à  cultiver  des  céréales  sans  réduire  la  surface 

qui  leur  est  consacrée.  Nous  soulignons  ces  derniers 

mots,  parce  qu'il  est,  en  effet,  possible  de  réduire  la 

surface  consacrée  aux  céréales  et  cela  sans  diminuer  nos 

récoltes  totales. 

Nous  aurons  l'occasion  d'insister  sur  ce  point  ;  mais 
signalons,  dès  à  présent,  une  des  conséquences  les  plus 
importantes  de  la  supériorité  que  présente  le  froment 
au  point  de  vue  des  recettes  brutes  réalisées. 


LA    BAISSE   ET  LES   l'ROEITS  l'.g 

C'est,  eu  réalité,  cette  supériorité  qui  explique  le 
prodigieux  développement  de  la  culture  et  de  la  produc- 
tion du  blé  dans  le  monde,  depuis  vingt  ans.  Les  «  Far- 
mers  »  américains,  les  Fellahs  de  l'Egypte  ou  les 
paysans  de  Russie  font  du  blé  et  surtout  du  blé,  parce 
que  le  produit  brut  de  cette  culture  dépasse  les  recettes 
obtenues  en  cultivant  d'autres  céréales.  Il  en  est  ainsi 
partout  ;  et  partout  aussi  on  ne  pourrait  substituer  au 
blé  une  autre  céréale,  sans  abaisser  la  valeur  de  la 
récolte  et  réduire  les  profits. 

Quant  aux  conséquences  du  développement  de  la 
production  du  froment  comparé  à  l'extension  de  la  cul- 
ture des  autres  céréales,  elles  sont  singulièrement 
inq)orlantes. 

La  baisse  des  cours  du  blé  est  certainement  l'effet  du 
développement  rapide  de  la  production.  Et  pourquoi  le 
seigle,  Favoine,  Forge  ou  le  sarrasin  n'ont-ils  pas  subi 
la  même  dépréciation,  si  ce  n'est  précisément  parce 
([u'on  n'a  pas  eu  autant  d'intérêt  à  en  étendre  la  culture  ? 

Tous  ces  faits  économiques  qui  ont  une  aussi  haute  por- 
tée sont  expliqués  par  la  curieuse  influence  qu'exercent 
les  variations  du  produit  brut  sur  le  montant  des  profits. 
Dans  ces  conditions,  les  questions  de  pure  technique 
agricole  restent  au  second  plan.  On  aurait  pu,  sur  les 
mêmes  sols,  sous  les  mêmes  climats,  avec  les  mêmes 
capitaux  d'exploitation,  produire  de  l'orge,  de  l'avoine 
ou  du  maïs.  Les  dépenses  de  culture  auraient  même  été 
plus  faibles  ;  mais  en  revanche  le  produit  brut  eût  été 
sensiblement  moins  élevé  et  le  bénéfice  net  de  l'opéra- 
tion se  fut  abaissé,  peut-être,  jusqu'à  devenir  nul. 

Dans  les  régions  à  céréales,  c'est  le  froment  qui  est 


J^o  LA   BAISSE  DES  PRIX 

la  principale  denrée  de  vente.  La  baisse  de  prix  qui 
raffecte  a  donc  eu  sur  le  produit  brut  et  les  profits  une 
répercussion  immédiate. 

Toute  dépression  des  cours  portant  sur  une  produc- 
tion principale  ou  même  sur  la  seule  production  d'une 
région  aurait  les  mêmes  conséquences. 

3.  —  Observons,  maintenant,  ce  qui  se  passe  dans  les 
exploitations  où  la  production  est  variée  et  dans  les- 
quelles les  produits  d'origine  animale  ont  une  impor- 
tance prépondérante. 

Nous  voici,  par  exemple,  dans  le  Limousin,  pays 
d'élevage.  Une  métairie  de  4»  hectares  donne  les  pro- 
duits suivants  (i)  : 

Année  1894- iSg^. 

1°  Receltes  provenant  du  bétail,  déduction  faite  des 

animaux  achetés  et  des  aliments  importés.    .    .      4-5'2a  85 

Total.    .    .     4.5-22  85 

2"^  Recettes  végétales   :   74-9   hectol.    de  seigle   à 

10  fr.  5o 791   70 

3**   Recettes  végétales    :    44-5    hoctol.    d'avoine,   à 

9  fr.  3o 4i6   10 

Total.    .    .      1 .  207  80 

Il  y  a  lieu  de  tenir  compte  des  engrais  achetés  et 
dont  la  valeur  doit  être  retranchée  du  produit 
brut  végétal,  soit  à  soustraire   ....      161   85 
Il  reste  en  définitive  :  produit  d'origine  animale   .      4-522  85 
Produit  végétal i.o45  85 

Total.    .    .     5.568  70 

Les   dépenses  payées  par  le  propriétaire  et   son 

métayer  s'élèvent,  d'autre  part,  à 702  85 

Le  bénéfice  net  à  partager  s'élève,  en  conséquence, 

à  la  somme  de 4-865  85 

(i)  Ces  chiffres  ont  été  puisés  dans  les  livres  de  compte  d'un  pro- 
priétaire . 


LA    BAISSE   ET  LES   PROFITS  lil 

Les  comptes  se  rapportent  à  Tannée  agricole  1894- 
1895.  Cherchons  quelles  auraient  été  les  recettes  quinze 
ans  auparavant. 

1°  Les  recettes  d'origine  animale  eussent  été  les 
mômes,  le  cours  du  bétail  n'ayant  pas  sensiblement  varié; 

2°  Les  recettes  d'origine  végétale  n'auraient  diminué 
qu'en  raison  de  la  vente  du  seigle  dont  le  cours  s'éle- 
vait à  i5  fr.  10  par  hectolitre  au  lieu  de  10  fr.  5o. 

Le  cours  de  l'avoine  reste  le  même. 

Quant  aux  dépenses,  nous  les  supposerons  égales. 

Dans  ces  conditions  nous  trouvons  : 

I.  —  Recelles  quinze  ans  tiuparavanl  : 

i''  Produits  d'origine  animale \.^-ii  85 

2°  Produits  d'origine  végétale 1.385    i5 

Total.    .    .      5.908    » 

II.  —  Dépenses 701    » 

Bénélice  net  .     .     .      5  .  206   » 
Le  bénéfice  de  Tannée  1894-1895  sélevanl  à    .    .    .      4   855  85 
La  différence  en  baisse  s'élèv?  à 3.;o   1 5 

Ainsi,  durant  l'espace  de  quinze  années,  la  réduction 
des  profits  ne  dépasse  pas  ici  34o  francs,  correspondant 
à  une  diminution  de  6,5  p.  loo. 

Cette  baisse  est  presque  insignifiante.  Deux  faits 
expliquent  la  faible  variation  des  profits  :  i"  la  prépon- 
dérance des  produits  d'origine  animale  qui  n'ont  pas 
subi  de  dépréciation  ;  2°  la  très  médiocre  importance  du 
seul  produit  végétal  qui  ait  diminué  de  prix,  c'est-à- 
dire  du  seigle. 

Cet  exemple  nous  fait  comprendre,  en  outre,  pourquoi 
la  crise  agricole  a  été  bien  moins  grave  dans  les  pays 
d'élevage,   comme    le    Limousin,    que    dans    d'autres 


1-2%  LA    BAISSE   DES   PRIX 

régions,  et   notamment  dans    les   régions  à    céréales. 

Nous  constaterions  les  mêmes  faits  et  nous  abouti- 
rions aux  mêmes  conclusions  en  étudiant  les  variations 
simultanées  du  produit  brut  agricole  et  des  profils  dans 
un  pays  d'élevage  ou  d'engraissement  comme  le  Niver- 
nais. 

On  voit  donc  quelle  est  la  très  curieuse  inttuence 
exercée  par  les  variations  de  prix  sur  les  recettes  brutes 
et  les  profits. 

Dans  nos  régions  à  céréales,  la  baisse  des  prix  des 
grains  a  provoqué  une  crise  redoutable.  La  réduction 
des  profits  a  été  considérable  bien  que  la  dépréciation 
des  céréales  n'ait  pas  dépassé  20  à  25  p.  100. 

Dans  nos  régions  d'élevage,  la  crise  agricole  n'a  pas 
été  très  redoutable  parce  que,  les  recettes  brutes  ayant 
fort  peu  fléchi,  les  bénéfices  culturaux  n'ont  pas  subi 
de  réduction  soudaine  et  marquée. 

Ces  faits  sont  d'ailleurs  connus,  et  nous  n'avons  nul- 
lement la  prétention  de  les  signaler  pour  la  première 
fois.  Il  nous  a  paru,  cependant,  intéressant  et  utile 
d'étudier  avec  quelque  précision  la  répercussion  des 
variations  du  prix  des  produits  agricoles  sur  les  recettes 
brutes  et  les  profits. 

On  ne  saurait  comprendre  sans  cela  la  nature  et  les 
caractères  de  la  crise  agricole. 

4.  —  Nous  avons  montré,  jusqu'à  présent,  les  consé- 
quences de  la  diminution  du  produit  brut  résultant  d'une 
baisse  des  prix. 

L'hypothèse  inverse  n'est  pas  moins  intéressante  à 
étudier. 

Une  hausse  des  prix  de  vente  élève,  en  effet,  rapide- 


LA   HAUSSE  ET  LES  PROFITS  1*3 

ment  la  valeur  du  produit  brut  des  cultures  et  exerce 
immédiatement  une  action  décisive  sur  le  montant  des 
profits.  Cette  influence  est  même  d'autant  plus  marquée 
que  les  principaux  éléments  de  dépenses,  tels  que  les 
fermages  et  les  salaires,  ne  subissent  pas  la  môme 
hausse,  au  moins  pendant  la  période  de  début  (i). 

L'étude  des  faits  observés  à  différentes  époques  de 
notre  histoire  met  clairement  ce  phénomène  en  évidence. 

Reprenons  l'exemple  théorique  cité  déjà  plus  haut  et 
représentons  :  i°  par  loo,  2°  par  80,  les  recettes  et  les 
dépenses  d'un  domaine  rural.  Le  profit  est  équivalent  à  : 

100  — ^80  =:  -lO 

En  supposant  les  dépenses  constantes,  ce  qui  est 
parfaitement  admissible  au  début  d'une  période  de 
hausse,  nous  voyons  que  si  les  recettes  sont  majorées 
de  5  p.  100,  par  suite  de  l'élévation  des  prix,  le  profit 
devient  égal  à  : 

io5  —  80  =r  25 

11  a  donc  augmenté  de  25  p.  100. 

La  hausse  des  profits  eslcinq  fois  plus  forte  que  celle 
des  cours  ! 

Si  la  hausse  des  produits,  et,  par  suite,  celle  des 
recettes  brutes,  est  de  10  p.   100,  le  profit  s'élève  à  : 

110  —  80  =  3o 

L'augmentation  relative  des  bénéfices  est  de  5o  p.  100. 


(i)  Ceci  osl  surtoul  vrai  pour  les  salaires.  Voir  à  ce  sujet  les  inté- 
ressantes observations  faites  à  cet  égard  p;u'  M.  Levasseur,  pour  la 
période  i85o-i86o,  dans  son  livre  sur  la  Question  de  lor. 


• 


124  LA    HAUSSE   DES  PRIX 

Remarquez,  en  outre,  que  pour  obtenir  un  pareil 
résultat,  le  cultivateur  n'a  eu  besoin,  ni  de  modifier  les 
méthodes  culturales,  ni  d'accroître  les  rendements,  ni 
de  chercher  à  réduire  ses  dépenses  !  Sans  difficulté, 
sans  efforts,  Fagriculteur  voit  l'aisance  remplacer  la 
gêne,  et  la  prospérité  effacer  jusqu'au  souvenir  de  la 
crise  passée.  Que  faut-il  pour  cela?  Une  hausse  légère. 
Est-il  même  nécessaire  que  ce  mouvement  ascen- 
sionnel des  prix  entraîne  tous  les  cours  ?  En  aucune 
façon  !  Il  suffit  dans  les  régions  à  céréales  que  le  cours 
du  blé  s'élève  ;  dans  les  pays  d'élevage  ou  d'engraisse- 
ment, que  la  valeur  de  la  viande  augmente  de  quelques 
centimes  par  livre;  dans  les  départements  viticoles,  que 
le  prix  du  vin  augmente  de  quelques  centimes  par 
litre  ! 

Or,  cette  augmentation  si  légère  et  pourtant  si  bien- 
faisante des  prix  de  chaque  hectolitre  de  froment,  de 
chaque  livre  de  viande  ou  de  chaque  litre  de  vin  ne 
passera-t-elle  pas  inaperçue,  ne  sera-t-elle  pas  insigni- 
fiante pour  le  consommateur  ? 

Qui  donc  saura  et  voudra  voir  clair  (i),  en  démon- 
trant, par  exemple,  qu'un  modeste  droit  de  douanes, 
simplement  compensateur.,  provoquera  une  hausse  et 
que  le  producteur  recevra  précisément  à  titre  de  subven- 
tion ce  que  le  consommateur  lui  donnera  —  sans  s'en 
douter  —  en  payant  quelques  centimes  de  plus  par  kilo 
ou  par  litre  son  pain,  sa  viande  et  son  vin  ? 

Nous  n'avons  pas,  d'ailleurs,  à  traiter  ici  la  question 


(i)  M.  Levasseur  a  eu  le  courage  de  dire  la  vérité  à  ce  propos  dans 
son  livre  plein  de  faits  et  si  exact  dans  ses  appréciations  :  [.'Agricul- 
ture aux  Etats-Unis.  p.  433. 


LA    HAUSSE  ET  LES   PROIITS  laS 

des  droits  de  douane  el  de  leur  incidence.  Les  dévelop- 
pements c[ue  ce  sujet  comporte  trouveront  leur  place 
ailleurs. 

Le  phénomène  économique  d'une  si  haute  portée  que 
nous  voulions  mettre  en  lumière,  c'est  l'influence  de  la 
hausse  des  prix  sur  la  marche  des  profits.  Est-il  besoin 
de  dire  que  celte  influence  d'une  hausse  générale  et 
persistante  n'est  pas  spéciale  aux  profits  agricoles  ? 
Voilà  pourquoi  la  «  haasse  »  est  saluée  avec  enthou- 
siasme par  tous  ceux  qui  voient  grossir  leurs  gains, 
de  même  que  la  «  baisse  »  est  considérée  comme  la 
plus  fâcheuse  et  la  plus  redoutable  calamité  par  tous 
les  industriels  qu'elle  atteint  si  douloureusement  dans 
leurs  intérêts. 

Voilà  aussi  ce  qui  nous  explique  pourquoi  les  agri- 
culteurs, ou  ceux  qui  parlent  en  leur  nom,  attachent 
une  importance  extrême  aux  questions  économiques. 
Les  recherches  des  agronomes,  les  découvertes  les 
plus  surprenantes  et  les  plus  fécondes  pour  l'avenir 
sont  loin  d'attirer  au  même  degré  l'attention  du  public 
agricole,  et  cela  est  aisé  à  comprendre. 

Pour  le  cultivateur,  la  production  n'est  qu'un  moyen. 
Le  but  véritable  de  son  labeur  persévérant,  c'est  le  pro- 
fit. Or,  celui-ci  ne  varie  point  seulement  avec  les  capi- 
taux dont  dispose  l'agriculteur,  avec  les  débouchés 
ouverts,  avec  les  perfectionnements  des  procédés  tech- 
niques ou  avec  les  rendements  eux-mêmes.  Ce  sont  les 
fluctuations  des  prix  qui  font  varier  le  produit  brut  et 
élèvent  ou  abaissent  en  même  temps  le  chiffre  des 
profits. 


CHAPITRE  DEUXIEME 

LES  CAUSES   DE   LA  BAISSE   DES    PRIX 

I 

Les  importations    de  produits  agricoles 
et  la  baisse  des  prix. 

Les  importations  étrangères  exercent-elles  une 
influence  sur  les  prix?  Il  semble  que  ce  soit  là  une 
question  oiseuse. 

«  N'est-il  pas  certain  et  presque  évident,  nous  dira- 
t-on,  que  la  concurrence  étrangère  a  pour  conséquence 
une  baisse  des  cours  ?  Or,  la  concurrence  étrangère  se 
manifeste  et  s'exerce  au  moyen  des  importations.  On 
ne  peut  donc  pas  douter  de  l'action  que  doit  avoir 
l'importation  d'un  produit  sur  le  cours  de  cette  denrée 
à  l'intérieur  du  pays  importateur. 

«  Bien  entendu,  il  s'agit  ici  de  denrées  importées, 
capables  de  concurrencer  directement  les  marchandises 
produites  dans  le  pays  où  elles  sont  vendues.  » 

Nous  n'ignorons  point  que  telle  est,  en  effet,  l'opi- 
nion de  beaucoup  de  personnes  ;  mais  nous  la  croyons 
fausse. 

Pour  que  les  importations  étrangères  fassent  baisser 
les  cours,  il  parait,  tout  d'abord,  nécessaire  que  les 
marchandises  offertes   et  vendues   soient  cotées  à   un 


128  LES    CAUSES    DE    LA    BAISSE   DES  PRIX 

prix  moins  élevé  que  les  denrées  semblables  produites 
dans  le  pays  importateur.  Or,  cette  inégalité  de  prix,  à 
qualité  égale,  n'est  point  certaine,  a  priori.  Il  peut  se 
faire,  tout  simplement,  que  l'importation  serve  à  combler 
le  déficit  accidentel  ou  normal  de  la  production  inté- 
rieure dans  le  pays  qui  achète  des  denrées  étrangères. 
Pourquoi  ne  serait-ce  pas,  dans  ce  cas,  le  cours  du  pays 
importateur  qui  réglerait  celui  des  marchandises  impor- 
tées? Admettre  immédiatement  que  les  étrangers  sont  en 
état  de  produire  des  denrées  agricoles  ou  de  fabriquer 
des  produits  industriels  en  si  grandes  quantités  et  à  des 
prix  si  bas  qu'ils  puissent  envahir  nos  marchés  et  pro- 
voquer la  baisse,  c'est  faire  une  supposition  toute  gra- 
tuite que  rien  ne  justifie  a  priori. 

Les  variations  de  prix  sont  à  coup  sûr  réglées  par  les 
lois  de  l'offre  et  de  la  demande.  Est-il  évident  que  la 
concurrence  étrangère  tende  toujours  à  augmenter 
l'offre  plus  rapidement  que  la  demande  ne  se  déve- 
loppe ?  En  admettant  que  ce  soit  là  une  vérité,  encore 
faudrait-il  la  démontrer,  car  cette  vérité  n'est  pas  évi- 
dente par  elle-même. 

Il  n'est  pas  non  plus  évident  et  certain,  comme  on 
affecte  de  le  croire,  que  l'étranger  soit  toujours  en 
état  de  produire  ou  de  fabriquer  à  plus  bas  prix  que 
nous. 

La  question  des  prix  de  revient  est,  notamment,  une 
des  plus  difficiles  et  des  plus  obscures  que  l'on  puisse 
avoir  à  résoudre.  Les  agriculteurs  l'ont  surabondam- 
ment prouvé,  puisqu'ils  ne  sont  jamais  parvenus  à 
s'entendre  sur  le  prix  de  revient  de  leurs  principales 
productions. 


LES  IMPORTATIONS  ET  LES   PRIX  129 

Tout  le  monde  a  entendu  dire  qu'il  était  impossil)le 
de  produire,  en  France,  du  blé  avec  profit,  quand  le 
cours  de  cette  céréale  tombait  au-dessous  de  20  francs 
l'hectolitre.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  depuis  quinze 
ans  les  prix  se  sont  abaissés  au-dessous  de  ce  niveïiu 
sans  que  la  production  et  les  surfaces  ensemencées  aient 
diminué.  Nous  ne  croyons  pas,  cependant,  que  les 
agriculteurs  perdent,  chaque  année,  une  somme  impor- 
tante en  continuant  à  faire  du  froment.  On  a  mal  calculé 
le  prix  de  revient,  et  surtout  l'on  n'a  pas  songé  que,  toutes 
les  opérations  culturales  étant  étroitement  liées  les 
unes  aux  autres,  il  était  singulièrement  difficile  ou 
même  impossible,  d'isoler  une  culture  pour  déterminer 
un  prix  de  revient  spécial. 

Mais,  nous  dira-t-oii  encore,  pouvez-vous  nier  l'in- 
fluence qu'a  exercée  sur  les  prix  le  développement  pro- 
cUgieux  de  la  production  agricole  ou  industrielle  dans 
le  monde  depuis  vingt  ou  trente  ans  ? 

Non,  certes,  nous  ne  songeons  nullement  à  nier  ou 
même  à  contester  cette  influence.  Nous  y  songeons  si 
peu  qu'au  besoin  nous  nous  efforcerions  de  prouver  que 
la  baisse  du  prix  des  produits  agricoles  est  surtout  expli- 
quée par  le  développement  rapide  de  la  production  dans 
le  monde  entier  et  par  la  réduction  des  frais  de  trans- 
port. 

Oui,  il  est  même  fort  probable  que  nos  importations 
exercent,  aujourd'hui,  une  influence  marquée  sur  le 
mouvement  des  prix.  Mais  cela  tient  à  ce  que  l'accrois- 
sement extraordinaire  et  récent  de  la  masse  des  produits 
récoltés  dans  toutes  les  parties  du  globe  a  augmenté 
TofFre  très  rapidement. 

ZoLLA.   —  Lu  Crise  tigrlcole.  o 


i3o  LES   CAUSES    DE   LA    BAISSE  DES  PRIX 

Gela  tient  encore  à  ce  fait  que  la  rapidité  et  la  facilité 
des  communications  ont  permis  d'apporter,  sans  frais 
exagérés  de  transport,  sans  pertes  et  avaries,  les  mar- 
chandises produites  à  quelques  milliers  de  lieues  du 
pays  qui  devait  les  consommer. 

Voilà  quelles  sont  les  transformations  dont  Tinfluence 
explique  la  marche  des  prix,  au  moins  dans  la  plus  large 
mesure  ;  mais  ces  transformations  sont  récentes,  et  la 
conséquence  apparente  des  importations,  c'est-à-dire  la 
baisse  des  prix,  est  elle-même  un  phénomène  récent. 
Nous  n'avons  pas  constaté  autrefois  cette  consé- 
quence en  ce  qui  touche  l'industrie  agricole ,  et  il 
n'est  pas  vrai  que  les  importations  aient  fait  toujours 
baisser  les  prix.  La  période  actuelle  ne  diffère  pas 
essentiellement  des  autres  périodes  qui  l'ont  précédée 
depuis  la  seconde  moitié  du  xviii"  siècle.  Aujourd'hui 
encore,  il  n'est  pas  possible  de  soutenir  que  toute 
augmentation  des  importations  ait  immédiatement  pour 
conséquence  une  baisse  des  prix,  ou  que  toute  diminu- 
tion des  entrées  ait  pour  effet  de  relever  le  niveau  des 
cours.  Quand  on  étudie  la  marche  simultanée  des  impoi'- 
tations  et  des  cours,  pour  une  même  denrée,  comme 
le  blé  et  le  bétail,  on  observe^  au  contraire,  que  les 
importations  augmentent  toutes  les  fois  que  les  prix 
s'élèvent  et  quelles  diminuent  si  les  cours  viennent  a 
baisser. 

Le  public  a  donc  tort  quand  il  attribue  immédiate- 
ment la  baisse  à  l'augmentation  des  importations.  Ce 
n'est  pas  seulement  la  masse,  la  quantité  des  produits 
importés,  pendant  une  ou  plusieurs  années;  qui  peut 
expliquer  les  variations  des  cours.  Les  mêmes  impor- 


LES  IMPORTATIONS   ET  LES   PRIX  i3i 

tations  auraient  pu  se  produire  à  une  autre  époque, 
sans  provoquer  de  baisse  ou  sans  coïncider  avec  une 
hausse  si,  d'autre  part,  les  conditions  de  la  production 
et  des  transports  dans  le  monde  n'avaient  pas  rapide- 
ment changé. 

Enfin,  les  prix  ne  varient  pas  seulement  sous  l'in- 
fluence  de  la  concurrence  étrangère. 

Est-ce  que  les  récoltes  n'exercent  pas  également  une 
action  marquée  et  très  rapide  sur  les  fluctuations  des 
prix?  Le  déficit  révélé  par  la  moisson  de  1897  n'a-t-il 
pas  eu  pour  conséquence  d'élever  en  France  le  cours 
du  froment  ?  A  l'inverse,  il  nous  paraît  certain  que  la 
baisse  extraordinaire  constatée  en  1894,  1895  et  1896 
doit  être  attribuée  beaucoup  moins  à  la  concurrence 
étrangère  qu'à  des  récoltes  de  blé  exceptionnellement 
abondantes  dans  notre  pays. 

En  résumé,  pour  mieux  préciser  le  caractère  et  dis- 
cerner les  causes  de  la  crise  agricole  actuelle,  qui  est 
intimement  liée  à  la  baisse  des  prix,  il  nous  semble 
indispensable  d'étudier  les  variations  simultanées  des 
importations  et  des  cours. 

Prenons  comme  exemple  le  prix  du  blé,  et  cherchons 
({uelles  ont  été  les  fluctuations  simultanées  des  cours 
d'une  part  et  des  importations  d'autre  part.  Il  est  clair 
que  si  les  importations  étrangères  agissent  réellement 
et  tendent  à  faire  fléchir  les  prix,  nous  devons  cons- 
tater : 

1°  Des  importations  fortes  quand  les  prix  sont  bas  ; 

2"  Des  importations  faibles  quand  les  prix  sont 
élevés. 

Voici  une  période  de  baisse  ;  elle  commence  en  1820 


lii  LES   CAUSES    DE    LA    BAISSE  DES  PRIX 

pour  finir  en  i85o.  Quel  était  le  cours  du  blé  en  1820  ? 
Ce  terme  de  comparaison  nous  est  indispensable. 

Depuis  1791  jusqu'à  1820,  les  moyennes  quinquennales 
ont  été  les  suivantes  ;  nous  les  indiquons  ici  pour  bien 
montrer  qu'il  ne  s'agit  pas  d'une  hausse  momentanée 
due  à  une  série  de  mauvaises  récoltes  (i)  : 

PRIX 

VFUiODES  de  riicctolilre 

de  blé. 

h.    c. 

1791-1795 27  5o 

1796-1800 20  80 

i8oi-i8o5 21  76 

i8o6-i8io 18  II 

1811-181) 24  08 

18 16-1820 25  33 

Depuis  1791  jusqu'en  18 19,  les  blés  étrangers  n'ont  pas 
été  taxés  à  l'importation,  et  cependant,  le  prix  moyen 
de  la  période  de  trente  ans  (1791-1820)  s'élèveà  22  fr.  93. 
En  1819,  l'échelle  mobile  est  votée  ;  des  droits  élevés  et 
variables  frappent  les  blés  étrangers  ;  ces  droits 
augmentent  lorsque  les  prix  baissent,  de  façon  à 
devenir  prohibitifs  quand  le  cours  du  blé  tombe  au- 
dessous  de   i5  francs  l'hectolitre. 

Voici  maintenant  les  variations  simultanées  des 
importations  et  des  prix  après  le  vote  de  la  loi  protec- 
trice : 


(i)  D'ailleurs,  le  prix  des  produits  agricoles  a  constamment  augmenté 
depuis  la  fin  du  règne  de  Louis  XV  jusqu'en  i8i5.  Voir  à  ce  sujet 
les  Etudes  que  nous  avons  publiées  sur  l'histoire  de  la  propriété  fon- 
cière depuis  le  commencement  du  xvii''  siècle  jusqu'à  nos  jours. 
{Annales  de  V Ecole  des  Sciences  politiques,  1893  et  1894;  cl  Annales 
agronomiques,  1888-1889.) 


LES  IMPORTATIONS  ET  LES  PRIA'  i33 

PRIX         IMPORTATIONS 
PKRIODKS  par  (milliers 

hoctolilro.       d'hcctolilresV 

fr.  c. 
1791-1820 2  2  9'J  » 

1820 19  i3  49^ 

1821 17  79  442 

1822 i5  59  » 

1823 17  52  » 

1824 l6  22  » 

1825 i5  74  » 

1826 i5  85  » 

1827 18  21  44 

1828 22  o3  85o 

1829 22  59  1.207 

Ainsi,  les  importations  tombent  à  zéro  depuis  1822 
jusqu'à  1827  ;  la  concurrence  étrangère  ne  peut  donc 
exercer  aucune  influence  sur  les  cours,  et  cependant 
ces  derniers  tombent  à  i5  ou  16  francs,  alors  qu'ils 
s'étaient  élevés  jusqu'à  22  fr.  93,  depuis  1791  jus- 
qu'à 1820.  Il  est  vrai  que  les  prix  se  relèvent  en  1828  et 
1829,  mais  les  importations  augmentent  au  même  mo- 
ment. 

A  partir  de  i83i,  les  cours  sont  encore  fort  bas  ;  le 
niveau  moyen  dépasse  cependant  celui  que  nous  avons 
indiqué  depuis  1820  jusqu'à  1828.  Aussi  les  importa- 
tions, bien  loin  cVavoir  diminue',  se  sont-elles  dévelop- 
pées. 

PRIX         IMPORTATIONS 
PÉRIODES  par  (milliers 

hectolitre.      d'hectolitres). 

fr.    c. 
l83l-i8f5 18    II  I.I2I 

i836-i84o 19  81      804 

1841-1845 19  6i     1.193 

1846-1830 19  87     3.25a 


i34  LES   CAUSES   DE    LA    BAISSE  DES  PRIX 

Les  mauvaises  récoltes  des  années  1846  et  1847  déter- 
minent une  augmentation  imprévue  des  importations  ; 
mais  c'est  là  un  événement  extraordinaire. 

En  résumé,  les  prix  restent  au-dessous  du  niveau 
atteint  depuis  1 791  jusqu'à  1820  et  les  importations  étran- 
gères, entravées  d'ailleurs  par  des  droits  de  douane, 
ne  peuvent  être  accusées  d'avoir  provoqué  la  baisse. 

Après  i85o,  nous  entrons  dans  une  période  de  hausse 
presque  générale.  Les  cours  montent  brusquement  et 
les  importations  s'élèvent  en  même  temps. 

l'KIX         IMPORTATIONS 
PÉRIODES  par  (milliers 

lieclolilre.       d'hectolitres). 

fr.     c. 

i856-i86o 'il  76  3.3i3 

i86i-i865 io  40  4- 721 

1866-1870 2 2  40  5.7'^2 

1871-187") 23  70  8.431 

Il  n'est  aucun  de  ces  faits  qui  ne  soit  en  contradiction 
avec  l'hypothèse  de  l'influence  des  importations  étran- 
gères sur  les  cours. 

Ces  derniers  restent  bas  lorsque  les  importations 
sont  faibles,  et  ils  s'élèvent  au  moment  où  les  importa- 
tions augmentent.  C'est  précisément  le  contraire  de  ce 
qui  devrait  se  produire  si  la  concurrence  étrangère 
avait  toujoui's  pour  eff'et  d'abaisser  les  prix. 

En  présence  de  ces  faits,  et  en  s'appuyant  sur  une 
expérience  de  quarante  ans,  il  est  impossible  d'affirmer 
que  ce  sont  les  importations  qui  ont  fait  baisser  les  prix 
du  blé,  depuis  1820  jusqu'à  i85o,  et  que  ce  n'est  pas 
davantage  la  diminution  de  ces  entrées  qui  a  pu  amener 
le  relèvement  des  cours  entre  i85o  et  1875. 


LES  IMPORTATIONS   ET  LES  PRIX  i'î5 

Cette  observation  s'appliqiie-t-elle  seulement  à  la 
France,  et  sommes-nous  en  présence  d'un  phénomène 
exceptionnel  ? 

En  aucune  façon.  L'exemple  de  l'Angleterre  nous  le 
prouve  clairement.  Les  coni-laws  de  i8i5  avaient  inter- 
dit l'importation  du  froment  quand  le  prix  du  «  quarter  » 
n'atteindrait  pas  88  shellings.  Ce  cours,  qui  correspond 
à  34  francs  l'hectolitre,  fut  très  rarement  atteint  à  par- 
tir de  1820,  de  telle  sorte  que  les  importations  restèrent 
insignifiantes  ou  furent  nulles  jusque  dans  les  années 
qui  précédèrent  l'abrogation  àe'S,  corn-la\\'s  (1846-1849). 

Voyons-nous  cependant  les  prix  s'élever  tandis  que 
les  importations  diminuent  au  point  de  devenir  nulles  ? 
En  aucune  façon. 

Voici  le  prix  moyen  du  froment  en  Angleterre  par 
hectolitre  jusqu'à  1810  : 

PRIX 
do 
PÉRIODES  riiectolilrc  de  blé 

eu  Auglçlerre. 

fr.    c. 

1800-1810 36  41 

1810-1820 39  27 

i820-i83o a5  70 

i83o-i84o 24  44 

i84o-i85o 24  » 

Après  i85o,  les  droits  de  douane  sur  les  blés  étran- 
gers ont  été  abolis,  les  importations  augmentent  rapi- 
dement. 

IMPORTATIONS  PRIX 

PÉRIODES  de  blé  de 

en  Angleterre.       l'heclolilre. 

millions  de  quinl.  fr.    c. 

i856-i86o 9.3  22  84 

i86i-i865 13.9  20  34 

1866-1870 i5.8  23  27 

1871-1875 21.8  23  27 


l'iG  LES   CAUSES   DE    LA    BAISSE   DES  PRIX 

Sans  doute,  la  brusque  suppression  des  droits  de 
douane  prohibitifs  a  provoqué  une  baisse  ;  mais  celle-ci 
est  hors  de  proportion  avec  Ténorme  accroissement  des 
importations  étrangères.  Il  s'est  même  produit  une 
hausse  depuis  i865  jusqu'à  1870,  bien  que  les  entrées 
de  froment  eussent  passé  de  i4  à  22  millions  de  quin- 
taux. 

Nous  pouvons  donc  répéter  que,  sans  nie]'  le  moins 
du  monde,  en  thèse  générale,  l'influence  des  importa- 
tions sur  les  prix,  il  est  prouvé,  par  l'étude  des  faits, 
que  ces  importations  n'ont  pas  toujours  pour  consé- 
([uence  une  baisse  de  prix.  D'autres  causes  peuvent  agir 
qui  relèvent  les  cours  ou  les  font  monter. 

Enfin,  l'augmentation  de  la  production  dans  le  monde 
n'avait  pas  été  assez  considérable  et  rapide,  la  réduction 
des  frais  de  transport  n'avait  pas,  non  plus,  été  assez- 
sensible  pour  que  le  niveau  moyen  des  cours  du  froment 
s'abaissât  encore. 

Les  observations  précédentes  visent  seulement  le 
blé  ;  mais  nous  pouvons  signaler  les  mêmes  faits  et 
tirer  les  mêmes  conclusions  de  leur  examen  à  propos  du 
bétail. 

Depuis  1820  jusqu'à  1840,  nos  importations  de  bétail 
sont  restées  insignifianLes. 

A-t-on  vu,  cependant,  le  prix  de  la  viande  augmenter? 
Tout  au  contraire,  il  a  diminué. 

On  pourrait  dire,  il  est  vrai,  que  la  paix  a  rendu  l'éle- 
vage plus  facile  et  la  production  plus  abondante.  Il  nous 
semble  bien  difficile  de  soutenir  que  cette  seule  cause 
ait  provoqué  la  baisse  jusqu'en  1840  ou  i85o. 


LES  IMPORTATIOXS  ET  LES  PRIX  13; 

^'oic^     (railleurs    quels     ont     été     les   cours    de    la 
viande  (i)  : 

PRIX 
ANKKES  du  kilo  de  viande  ;i  Paris. 

—  B(Eiil'.  Mouton. 

fr.    c.  fr.    c. 

l8l'3 I    l3  I    i; 

1814 I    08  I    O) 

181 5 I  08  I  07 

I8I6 I  08  I  20 

I8I7 I  09  I  19 

1818 1  10  I  24 

I8I9 I  07  II) 

1820 »  96  I  08 

1821 »  97  I  01 

1822 »  89  »  90 

1823 »  87  »  93 

1824 »  86  »  94 

1825 »  91  »  92 

182G »"  93  I  01 

1827 »  98  I  02 

1828 I  06  I  07 

1829 I  04  I   07 

Ainsi,  à  partir  de   1820,  la  baisse  est  visible. 
Après  i83o,  elle  est  encore  assez  marquée,  et,  à  partir 
tle  1841  jus([u'en  i852,  les  prix  restent  encore  fort  bas. 

PRIX    .MOYEN 
PHIUODES  (le  kilo  de  viando  à  Paris. 

—  Bœuf.  Mouton. 

fr.    c.  fr.    c. 

1813-1820 I   09  I    l5 

i820-i83() »  94  »  99 

i83o-i84o I     »  I   14 

i84o-i85o I  o5  I   17 

i8jo »  87  02 

18  )i »  84  I  09 

i8)2 ))  86  I  04 


(i)  Voir  l'ouvrage  de  M.  Block,  de  l'Institut,  intitulé  :  Statistique  de 
la  France;  2  vol.,  Paris,  Guillaumin. 


i38  LES    CAUSES    DE    LA    BAISSE  DES   PRIX 

En  i853,  la  hausse  commence  à  se  manifester  et  ne 
cessera  que  trente  ans  plus  tard,  en  i883. 

Les  importations  de  bétail  ont-elles  pourtant  diminué  ? 
En  aucune  façon.  Elles  se  sont  accrues,  au  contraire, 
avec  une  extrême  rapidité.  En  voici  la  preuve.  Nous 
indiquons  simultanément  le  prix  du  kilogramme  de 
viande  et  les  importations  étrangères  pour  le  bœuf  et 
le  mouton. 

Variations  simultanées  des  prix  et  des  importations  (i)  pour  le  bétail 

en  France. 


PÉRIODES             Prix  du  kilo      Importations  Prix  du  kilo  Importations 

de  bœuf.          (milliers  de  de  mouton  (milliers  de 

tôtes\  tctcs). 

fr.     c.  Ir.    c. 


i83o-i84o.  . 

I  » 

32 

I  14 

i34 

i84o-i85o.  . 

.   I  o5 

44 

I  17 

i35 

i83o-i86o.  . 

I  i3 

93 

I  3o 

260 

1860-1870.  . 

I  3i 

180 

1  46 

869 

1870-1880.  . 

I  56 

194 

I  73 

i.5i7 

Il  est  clair  que  les  importations,  loin  de  diminuer, 
ont  augmenté  à  mesure  que  les  prix  s'élevaient.  On  ne 
saurait  donc  soutenir  que  les  importations  ont  fait 
baisser  les  cours. 

Les  entrées  de  bétail  étranger  augmentent  ou  dimi- 
nuent selon  que  le  prix  de  la  viande  s'élève  ou  s'a- 
baisse. 

L'élévation    des    cours  provoque   l'importation    d'un 


(i)  Les  chiffres  relatifs  aux  importations  ont  été  empruntés  au 
tableau  inséré  dans  la  Statistique  agricole  de  1892,  Introduction,  p.  290 
et  seq.  Ces  chiffres  diffèrent  quelque  peu  de  ceux  que  1  on  trouve  dans 
d'autres  publications  ofilcielles. 


LES  IMPORTATIONS  ET  LES  PRIX  iSg 

nombre  plus  considérable  d'animaux;  la  baisse  des 
cours  produit  un  effet  opposé.  Elle  restreint  les  impor- 
tations. 

A  partir  de  1880,  nous  entrons  dans  une  période  nou- 
velle. 

Le  prix  du  froment  baisse  rapidement  en  F'rance,  et 
cependant  les  importations  augmentent  fort  peu.  Exa- 
minons, par  exemple,  des  moyennes  décennales  de  façon 
à  atténuer  l'influence  des  bonnes  et  des  mauvaises 
récoltes.  Nous  trouvons  : 


PEItlODES 


187I-1880 
1881-189O 
189I-1897 


IMPORTATIONS 

PRIX 

de  froment 

de 

(nii  lions  d  liectol.) 

de  riioctoliire, 

fr.     c. 

12.9 

i3.4 

23       » 

18    80 

l3.5 

16    89 

Ainsi,  les  importations  étrangères  s'accroissent  avec 
une  extrême  lenteur^  et  pourtant,  les  prix  fléchissent 
très  rapidement. 

Pour  le  voir  plus  clairement  encore,  il  suffit  de 
ramener  à  100  les  importations  et  les  prix  de  la  pre- 
mière période  1871-1880  : 

PÉRIODES  IMPORTATIONS         PRIX 

1871-1880 loo     100  » 

1881-1890 io3      81   » 

189I-1897 104  73        » 

Tout  le  monde  sait  que  la  dernière  période  1 891- 1897 
a  été  marquée  par  deux  années  de  mauvaises  récoltes. 


l/fO 


LES   CAUSES    DE    LA    BAISSE   DES  PRIX 


Pr-ù)C^  en.  Francs. 


,•*-    »o    »c    r«    hj    is)    le 


■«>■   O,  0;^i    Oo^    O    «-kj    to'^i-.Oj-^Co'û    O 


ImportcUxOTis  en,.  Aimions-  et' fiectoUtrekS- . 

M    t»  ï=-  Cri  <>iM     Ce'-O    s 


LES  IMPORTATIONS   ET  LES   PRIX  i4i 

1891  et  1897.  Comparée  à  la  première  décade  1871- 
1880,  cette  série  d'années  1891-1897  ne  présente,  cepen- 
dant, qu'une  augmentation  d'importation  de  4  P-  100. 
En  revanche,  les  prix  ont  fléchi  de  27  p,   100. 

Est-ce  là  une  apparence  ou  le  résultat  d'un  groupe- 
ment déchiffres  destiné  à  masquer  la  vérité  ?En  aucune 
façon. 

Il  suffit,  pour  le  premier,  de  tracer  deux  courbes 
retraçant  avec  fidélité  les  fluctuations  simultanées  des 
prix  et  des  importations.  Les  deux  courbes  de  ce 
graphique  suivent  la  même  marche.  Les  importa- 
tions s'abaissent  et  se  relèvent  en  même  temps  que  les 
cours. 

Depuis  1879,  les  importations  de  froment  ont  même 
diminué.  Elles  retombent,  en  1896,  au  niveau  le  plus 
bas  que  l'on  ait  constaté  depuis  1872,  et  les  prix,  cepen- 
dant,   s'abaissent  graduellement. 

Les  choses  ne  se  passent  point  autrement  en  ce  qui 
concerne  le   bétail. 

Nous  avons  \x\  que  depuis  i83o  jusqu'à  1880  les  prix 
s'étaient  toujours  élevés,  pendant  que  les  importations 
s'accroissaient. 

A  partir  de  i883,  les  cours  de  la  viande  s'abaissent 
et  les  importations  diminuent  en  même  temps. 

Voici  le  tableau  des  variations  simultanées  de  prix  de 
la  viande  et  des  importations  : 


1^2 


LES   CAUSES    DE    LA    BAISSE  DES  PRIX 


Variations  simultanées  du  prix  de  la  viande  et  des  importations 
de  bétail  en  France  *. 


i«79 
1880 
1881 
i88'2 
i883 
1884 
i885 
188G 
1887 


1890 
1891 
1892 
1893 
1894 
1895 
1896 


OVIDES 

BOVIDÉS 

Priv 

du  kilogramme 

(le  mouton. 

Importations 

(milliers  de 

tètes). 

Prix 
du  kilogramme 
de  bœuf. 

Importations 

(milliers  do 

tôtes). 

fr.    c. 

fr.    c. 

I    96 

2.029 

I    75 

253 

I    98 

2.085 

I    69 

196 

I    97 

I  .721 

I    64 

i5o 

2    09 

2.166 

1    70 

194 

2    l3 

2.289 

1  8i 

2l5 

I  99 

2.  109 

I  69 

176 

I  84 

1.956 

I  59 

l52 

I  79 

1.629 

I  53 

i54 

I  70 

1.259 

I  39 

99 

I  82 

i.5i3 

I  44 

74 

I  92 

2.348 

I  45 

81 

1   12 

I   142 

1  61 

99 

2  07 

I   171 

I  60 

82 

I  95 

1 .401 

I     52 

36 

I  86 

1.195 

1  5o 

20 

2  o3 

1.993 

I  66 

201 

2  01 

1.786 

1  56 

149 

I  96 

1.342 

I  5i 

86 

I  80 

1.364 

I  44 

58 

La  conclusion  à  tirer  de  ces  faits  est  très  importante. 
Il  est  visible  que  les  entrées  de  bétail  diminuent  quand 
les  prix  baissent.  Le  graphique  de  la  page  i43  le 
démontre  avec  la  dernière  évidence. 

On  doit  donc,  d'une  façon  générale,  admettre  que  la 
baisse  du  prix  des  principaux  produits  agricoles,  en 
France,  n'est  pas  due  immédiatement  et  exclusivement 
au  développement  des  importations  étrangères. 

(i)  Le  cours  de  la  viande  est  celui  du  kilo  de  viande  nette,  première 
qualité,  sur  le  marché  de  la  Villelte,  à  Paris.  Les  importations  sont 
exprimées  en  nombre  de  tètes,  d'après  les  documents  officiels.  Voir 
notamment  l'enquête  agricole  de  1892,  lac.  cit. 


LES   IMPORTATIONS   ET   LES   PRIX 


II 


43 


8881- 
988t- 
^i881- 
S881- 
0881- 
81.81- 
9181- 
■litSl- 
2L8X- 
0£8l- 
8981- 
998T- 
■WBI- 
S981- 
098T- 
898T- 
9S8T- 
•li98T- 
SS8t- 

1 

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1 

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CDcon©iOd<«         oiiHOœoOri 

^            ^            H             -             H            ^"            W             r-'            -;            r:            o"            O            O 

sniiDj    -p   -dpiana    ^    cqr^  rtp  -oot-ucL  nrp  ànàip^ 

^y>«      CM       OlM      f*3,C       '"'      ^       '"' 

•^  hS       (  TP^'^  -auqujou  irp  ^'rtD'3j2enp3'swopwtu.s^  ^^nojj 

i44  LES    CAUSES   DE   LA    BAISSE    DES    PRIX 

II 

La  crise  monétaire  et  la  baisse  des  prix. 

Nous  devons  oxposer  ici  une  théorie  fort  intéres- 
sante relative  à  l'influence  qu'a  pu  exercer  la  «  crise 
monétaire  »  sur  la  baisse  des  prix.  Beaucoup  de  per- 
sonnes admettent  que  la  démonétisation  de  l'argent  et 
la  suppression  de  la  frappe  libre  de  ce  métal  après  1876 
ont  provoqué  une  baisse  énorme  du  métal  blanc.  D'autre 
part,  elles  admettent  aussi  que  l'or  restant  seul  chargé 
du  rôle  monétaire  qui  était  rempli  précédemment  par 
les  deux  métaux  précieux,  a  pu  devenir  plus  rare.  Cette 
rareté  ou  cette  «  appréciation  »  a  déterminé,  suivant 
les  mêmes  personnes,  une  baisse  générale  des  prix. 

Nous  allons  résumer  cette  discussion,  reproduire 
impartialement  l'opinion  de  ceux  qui  attribuent  la  baisse 
des  prix  à  la  démonétisation  de  l'argent,  à  la  réduction 
de  la  valeur  de  ce  métal  en  or,  et  à  «  l'appréciation  » 
de  ce  dernier.  Nous  présenterons  ensuite  nos  conclu- 
sions personnelles. 

I,    LA    BAISSE    DE    l'aRGENT     ET    l'aPPRÉCIATION     DE    l'oR 

Il  n'est  pas  douteux  que  le  cours  de  l'argent  évalué 
en  or  ait  diminué  très  rapidement  depuis  trente  ans. 

Pour  le  démontrer  nous  n'avons  qu'à  relever  le  prix 
de  l'once  d'argent  à  Londres  : 

l'rix  do  rargonl  en  or, 
il  Londres. 

Pence-or. 

1871 60. 5o 

1875 56.87 

1880 52.25 

i885 48.62 

1890 47-68 

1893 33.12 


LA    CRISE  MONÉTAIRE  M^ 

A  partir  de  1893,  la  dépréciation  de  l'argent  prend 
les  proportions  d'un  véritable  effondrement.  Deux  nou- 
veaux faits  expliquent  cette  crise  récente.  Une  loi 
datant  du  28  février  1878,  obligeait  le  Trésor  des  Etats- 
Unis  à  acheter  chaque  mois,  pour  le  monnayage,  2  mil- 
lions d'onces  d'argent,  soit  746.000  kilos  par  an(i)~ 
Cette  masse  énorme  de  métal  blanc  ne  parut  pas  encore 
suffisante  aux  propriétaires  des  mines  d'argent  et  à 
leurs  associés  politiques.  Une  seconde  loi  du  i4  juillet 
1890  porta  à  1.700.000  kilos  le  poids  d'argent  qui  dut 
être  acheté  parle  Trésor  américain.  En  1898,  on  abro- 
gea cette  loi  qui  avait  entraîné  les  plus  graves  abus, 
bien  qu'elle  contribuât  à  soutenir  le  cours  du  métal 
blanc.  Brusquement  la  cote  de  Londres  tomba  de  40  à 
33  pence-or  !  Enfin,  l'Inde  anglaise,  qui  est  un  pays 
monométalliste-argent,  assurait  un  très  large  débouché 
au  métal  chassé  d'Europe  par  les  mesures  dont  nous 
avons  parlé.  Il  est  probable  que  700.000,  et  peut-être 
800.000  kilos  d'argent  venaient  s'y  faire  monnayer  (2). 
Pour  relever  le  cours  en  or  des  roupies  d'argent, 
l'Angleterre    suspendit    la    frappe    de    ces     monnaies 


(i)  M.  Leroy-Baulieu  fait  remarquer  avec  raison,  dans  son  Traité 
d  économie  politique  (t.  III,  p.  299),  que  ces  achats  d'argent  compen- 
saient la  fermeture  des  Hôtels  de  monnaie  d'Europe  à  la  frappe  de 
l'argent,  et  contribuaient  par  conséquent  à  soutenir  le  cours  de  ce  métal. 

(2)  M.  de  Foville  dans  son  rapport  sur  l'administration  des  monnaies 
1897  (Annexes,  p.  219),  nous  apprend  que  l'on  a  frappé  dans  l'Inde  les 
quantités  d'argent  suivantes  : 

Millions  de  roupies. 

i8;)5-i856— i864-i865 908 

1865-1866—1874-1875 5l2 

1875-1876-1884-1885 648 

Or,  la  roupie  pèse  ii  gr.  66  d'argent. 

ZoLLA.  —  La  Crise  agricole.  lo 


i46  LES    CAUSES    DE   LA    BAISSE    DES    PRIX 

(juin  1893),  Le  prix  de  Tonce  d'argent  s'abaisse  aussi- 
tôt à  Londres  et  tombe  à  29  pence-or  !  Il  n'est  donc 
pas  égal  à  la  moitié  de  la  cote  correspondant  à  l'an- 
cien rapport  —r-r  .  En  d'autres  termes,  i  kilo  d'or  pou- 
vait s'échanger  en  1893,  contre  plus  de  3i  kilos  d'argent, 
tandis  que  vers  1870,  il  ne  permettait  d'en  acquérir  que 
i5  kil.  5oo  ! 

La  dépréciation  inouïe  de  l'argent  par  rapport  à  l'or 
est  un  phénomène  bien  établi,  dont  personne,  d'ailleurs 
ne  conteste  la  réalité.  Cette  dépréciation  coïncide  avec 
la  fermeture  de  ses  anciens  débouchés. 

Pendant  la  période  décennale  qui  a  précédé  la  démo- 
nétisation de  l'argent  par  l'Allemagne,  la  frappe  de 
l'argent  avait,  en  Europe,  l'importance  suivante  : 

kil. 

Allemagne 256. 000 

France 179.000 

Belgique 157.000 

Italie 166.000 

Pays-Bas 171.000 

1.029.000 

De  plus,  les  Etats-Unis,  les  Etats  Scandinaves,  la 
Russie,  l'Inde,  etc.,  etc.,  absorbaient  des  quantités 
considérables  de  métal  blanc.  Tous  ces  débouchés  ont 
été  successivement  fermés.  L'argent  a  perdu  son 
ancien  rôle  monétaire.  Chassé  d'Europe,  il  est  mainte- 
nant chassé  également  de  l'Inde.  Est-il  donc  étonnant 
que  son  prix  ait  baissé  par  rapport  à  l'or,  qui  conserve 
seul  le  rôle  de  métal  monétaire  international? 

C'est  précisément  le  rôle  actuel  de  l'or  qu'il  s'agit 
maintenant  d'étudier  pour  arriver  à  montrer  comment 


LA    CRISE    MO  y  ET  Al  RE  i47 

la    crise   monétaire    actuelle    peut    avoir    exercé    une 
influence  si  décisive  sur  la  baisse  des  prix. 

II.  LA  RARETÉ    RELATIVE    DE    l'oR 

Avant  la  démonétisation  de  l'argent  par  l'Allemagne 
et  avant  la  suspension  de  la  frappe  dans  les  pays  de 
l'union  latine,  en  Russie,  dans  l'Inde,  etc.,  etc.,  il  est 
évident  que  les  deux  métaux  monétaires,  l'or  et  l'ar- 
gent, pouvaient  servir  à  régler  les  échanges  internatio- 
naux et  à  fixer  le  niveau  moyen  des  prix. 

Aujourd'hui,  l'on  ne  peut  plus  se  servir  de  l'argent 
puisque  ce  métal  n'est  accepté  qu'avec  la  réduction 
énorme  qu'il  subit  par  rapport  à  l'or. 

C'est  en  or  que  sont  cotés  tous  les  cours,  et  comme 
ce  métal  n'a  pas  été  produit  en  plus  grande  quantité  (i), 
comme,  d'autre  part,  il  remplit  seul,  à  cette  heure,  le 
rôle  qu'il  jouait  avec  l'argent  il  y  a  vingt  ans,  on  ne 
peut  guère  se  refuser  à  reconnaître  qu'il  est  devenu 
plus  rare. 


(i)  Il  s  agit  ici  de  la  production  jusqu'en  i888  ou  1890.  Depuis  cette 
époque,  la  production  s'est  accrue  au  contraire  avec  une  grande  rapi- 
dité, ainsi  que  le  montrent  les  dernières  lignes  du  tableau  suivant  : 

Poids  d"or 
(production  annuelle). 

kilos. 

i856-i86o  U01.750 

i86i-i865  i85.o57 

1866-1870  195.026 

1871-2875  173.904 

1876-1880  166.095 

i88i.i885  153.643 

1886-1890  169.862 

1891-1895  245.175 

1886-1900  .....  387.866 


i48  LES    CAUSES    DE    LA     BAISSE    DES  PRIX 

On  peut  dire,  il  est  vrai,  que  les  instruments  de  crédit, 
tels  que  les  lettres  de  change,  billets  à  ordre,  chèques, 
virements  décompte,  billets  de  banque,  etc.,  etc.,  rem- 
placent la  monnaie,  et  suppléent  à  son  insuffisance. 

«  La  rareté  de  l'or,  dit-on,  n'est  qu'une  hypothèse 
«  contredite  par  les  faits  ;  on  a  suppléé  à  son  insuffi- 
«  sance  et  à  celle  de  l'argent  par  les  instruments  de 
«  crédit  qui  remplacent  les  métaux  précieux.  S'il  s'agit 
«  d'éteindre  une  dette  contractée  par  un  Français  à 
«  l'égard  d'un  Anglais,  d'un  Russe  ou  d'un  Américain 
«  des  Etats-Unis,  c'est  avec  une  lettre  de  change  ou 
«  un  chèque  que  cette  dette  sera  acquittée.  Le  dévelop- 
«  pement  de  ces  affaires  de  banque  rend  de  moins  en 
«  moins  utile  le  rôle  de  la  monnaie,  et  celui  de  l'or  par 
«  conséquent  ;  il  vient  compenser  la  réduction  des 
«   espèces  métalliques  en  circulation.  » 

Cette  conclusion  n'est  pas  à  l'abri  de  toute  critique. 
En  réalité,  les  instruments  de  crédit  ne  remplacent  pas 
la  monnaie  au  point  de  vue  de  la  fixation  du  niveau 
des  prix.  Ces  derniers  sont  représentés  par  une  cer- 
taine quantité  du  métal  qui  est  généralement  accepté 
dans  les  échanges  ;  les  instruments  de  crédit  expriment 
des  sommes  qui  doivent  être  définitivement  payées  en 
monnaies  métalliques  parce  que  ces  espèces  monétaires 
possèdent  seules  les  qualités  d'une  monnaie  ;  elles 
seules  permettent  d'éteindre  une  dette  qui  est  toujours 
payable  en  or  ou  en  argent  et  stipulée  payable  de  cette 
façon  seulement. 

Dans  son  Traité  d'Economie  politique,  Joseph  Garnier 
a  fort  bien  expliqué  ce  rôle  des  instruments  de  crédit,  à 
propos  du  billet  de  banque. 


LA   CRISE   MONETAIRE  l49 

«  Il  supplée,  dit-il,  à  la  monnaie,  à  beaucoup  d'égardy 
mais  il  ne  la  remplace  pas  absolument,  et  il  ne  la  reni-* 
place  i[\\Q  provisoirement.  Partout  où  il  intervient,  on  le 
reçoit  comme  titre  de  créance  sur  la  banque,  comme 
promesse  d'un  payement  futur  et  rapproché  en  espèces; 
c'est  un  instrument  perfectionné  propre  à  transmettre 
la  créance  sans  pouvoir  l'éteindre.  La  monnaie,  au  con- 
traire, est  une  recette  définitive  qui  éteint  les  obliga- 
tions. La  monnaie  est  une  marchandise  intermédiaire 
douée  de  valeur  intrinsèque  ;  le  billet  est  un  signe  inter- 
médiaire qui  n'a  de  valeur  qu'autant  qu'il  peut  donner 
droit  à  des  espèces  métalliques.  Si  le  billet  de  banque 
comme  les  autres  effets,  diminue  l'emploi  de  la  mon- 
naie et  tend  à  déprécier  un  peu  sa  valeur^  il  n'attaque 
en  rien  les  qualités  intrinsèques  du  métal.  Celui-ci  con- 
serve les  propriétés  qui  le  font  rechercher  de  tout  le 
monde,  et  la  spéculation  se  hâte  de  le  ramener  aux 
lieux  où  elle  l'avait  rendu  plus  rare  et  plus  cher.  Quand 
donc  on  dit  que  les  billets  de  banque  remplacent  la 
monnaie,  on  n'a  raison  que  dans  une  certaine  mesure 
et  pour  une  certaine  proportion  ;  on  fait  une  méta- 
phore qu'il  ne  faut  pas  prendre  à  la  lettre  ;  et,  quand 
on  raisonne  sur  l'émission  et  la  circulation  de  ces  titres 
comme  sur  l'émission  et  la  circulation  des  écus,  on  ne 
tarde  pas  à  errer  grossièrement  (i).  » 

Ce  que  Joseph  Garnier  dit  des  billets  de  banque 
reste  vrai  pour  les  autres  instruments  de  crédit.  Certes, 
les  lettres  de  change  et  les  chèques  épargnent  l'emploi 
de  la  monnaie  métallique,  mais  celle-ci  doit  toujours, 


(i)  Traité  d'économie  politique,  par  J.  Garnier,  5"  édition,  p.  349- 


iio  LES    CAUSES   DE    LA   BAISSE    DES  PRIX 

en  définitive,  balancer  les  soldes.  Si  on  les  accepte 
en  paiement,  c'est  parce  que  l'on  croit  pouvoir  se  pro- 
curer de  la  monnaie  par  leur  intermédiaire,  et  le  métal 
précieux  dont  ils  représentent  un  certain  poids  reste  le 
véritable  régulateur  des  prix.  A  la  moindre  alerte,  on 
s'adresse  aux  banques  publiques  ou  privées  pour  con- 
vertir en  monnaie  métallique  les  billets  qu'elles  ont 
émis  ou  les  effets  de  commerce  qu'elles  escomptent. 
Toutes  les  crises  commerciales  sont  caractérisées  par 
les  demandes  de  remboursement  en  espèces  et  l'es- 
compte eu  monnaie  des  lettres  de  change.  Aujourd'hui, 
l'or  est  le  seul  métal  ayant,  dans  les  pays  d'Europe  et 
aux  États-Unis,  un  pouvoir  libératoire  illimité.  Tous  les 
prix  sont  évalués  en  or.  L'existence  des  instruments 
de  crédit  ne  saurait  empêcher  l'or  d'être  plus  rare 
qu'autrefois,  puisqu'il  joue  seul  le  rôle  que  l'argent 
pouvait  remplir  autrefois  avec  lui.  La  rareté  relative  du 
métal  jaune  est  donc  bien  certaine. 

Notons  de  plus  que  si  le  développement  de  l'usage 
des  instruments  de  crédit  avait  suppléé  à  l'insuffisance 
de  l'or,  ce  ne  serait  pas  une  baisse  de  prix  mais  une 
hausse  que  l'on  constaterait.  J.  Garnier  le  fait  remar- 
quer lorsqu'il  dit  :  «  Le  billet  de  banque  diminue 
l'emploi  de  la  monnaie  et  tend  à  en  déprécier  un  peu  la 
valeur.  » 

Ces  instruments  de  crédit  et  toutes  les  opérations 
de  banque  destinées  à  économiser  l'emploi  de  la  mon- 
naie étaient  en  usage  avant  1873,  c'est-à-dire  avant  la 
baisse  des  prix.  En  1880,  un  statisticien  bien  connu, 
M.  Giffen,  dit  que  les  procédés  adoptés  pour  remplacer 
la  monnaie    étaient   aussi    perfectionnés   depuis    i85o 


LA    CRISE    MONETAIRE  ui 

jusqu'à  1873,  période  de  hausse,  que  depuis  1873  jus- 
qu'à nos  jours,  période  caractérisée  par  une  baisse 
générale  (i). 

Il  faut  également  tenir  compte  de  ce  fait  important  : 
Les  échanges  sont  devenus  plus  importants  et  plus 
nombreux  depuis  vingt-deux  ans.  La  population  des 
nations  commerçantes  s'est  accrue  ;  par  conséquent,  la 
masse  de  monnaie  nécessaire  aux  transactions  inté- 
rieures et  surtout  aux  affaires  internationales  est  devenue 
plus  considérable.  Or,  nous  le  savons,  la  production 
de  l'or  est  restée  stationnaire  (1875-1890)  précisément 
au  moment  où  son  emploi  exclusif  est  devenu  indis- 
pensable, puisque  l'argent  a  perdu  son  rôle  monétaire 
pour  tomber  au  rang  de  simple  marchandise. 

Enfin,  il  faut  tenir  compte  d'un  troisième  fait  qui  a 
une  grande  importance.  Dans  l'état  de  crise  permanente 
où  se  trouvent  aujourd'hui  le  commerce,  l'industrie  et 
l'agriculture,  les  grandes  banques  publiques  ont  besoin 
de  posséder  dans  leurs  caisses  des  masses  considé- 
rables du  seul  métal  qui  ait  cours  dans  le  monde,  c'est- 
à-dire  de  l'or.  En  France  et  en  Allemagne,  l'accumula- 
tion d'une  grosse  réserve  d'or  est  une  nécessité 
politique.  L'éventualité  d'une  guerre  rend  indispensable 
cette  thésaurisation.  Nulle  monnaie  autre  que  la  mon- 
naie d'or  ne  permettrait,  en  effet,  d'opérer  immédiate- 
ment des  achats  à  l'étranger. 

Mais,  d'un  autre  côté,  les  réserves  puissantes  qui 
s'élèvent  à   plusieurs  milliards  (a)  ne  proviennent  pas 


(i)  Voir  l'article  de  M.  Giffen  dans  la  Conlemporary  Res'iew,  juin  i885. 
—  Trade  dépression  and  lo»' priées. 

(2)  A  l'heure  actuelle,  l'encaisse  métallique  de  la  Banque  de  France 


r52  LES    CAUSES    DE   LA    BAISSE    DES    PRIX 

d'un  Stock  nouveau.  Pour  s'en  convaincre,  il  suffit  de 
noter  les  quantités  d'or  monnayées  chaque  année.  Ces 
quantités  sont  très  faibles,  et  môme,  parfois,  elles  sont 
nulles.  En  France,  par  exemple,  la  frappe  de  l'or  a  été 
considérable  depuis  i85o  jusqu'à  1870.  Elle  atteignait  le 
plus  souvent,  chaque  année,  un  demi-milliard.  Or, 
voici  les  quantités  monnayées  depuis  1879  : 

Frappe  de  l'or  en  France  (i). 

Frappes  totales  Refontes. 

Millions  de  francs.    Millions  do  franc*. 

Ï879 24.5            » 

1880 »             » 

1881 2.1 

i88-2 3.7            » 

i883 ,,           ,, 

1884 »           » 

i885 0.2          » 

1886 23.5          » 

1887 24.6          » 

1888 0.5          » 

1889 17.4  8.2 

1890 20.6  II.  9 

1891 17.4  12.7 

1893 4.5  4.6 

1893 5o.9  3.5 


s'élève  à  un  chiffre  qui  n'avait  pas  été  encore   atteint  depuis  le  com- 
mencement du  siècle,   soit  2  milliards  464  millions  (1901). 

(i)  En  revanche,  depuis  1898,  la  frappe  a  rapidement  augmenté  jus- 
qu'en 1899.  En  voici  la  preuve  : 

Millions  de  francs. 

1894 9.8 

1895 108.0 

1896 II  2.0 

1897 221  .0 

1898 177.0 

1899 54.0 

1900 3o.o 

Voir  Rapport  de  l'Administration  des  monnaies  (1901).  • 


LA    CRISE  MONÉTAIRE  i53 

Depuis  1879  jusqu'à  1893,  la  frappe  totale  n'a  jamais 
dépassé  5o  millions,  et  encore  faudrait-il  retrancher  de 
ce  total  3  millions  et  demi  de  refontes  !  La  frappe  de  l'or 
a  diminué  dans  la  proportion  de  10  à  i  depuis  vingt- 
cinq  ou  trente  ans.  En  Angleterre,  dans  ce  pays  où 
affluent  les  métaux  précieux,  et  où  existe  le  plus  grand 
marché  d'or  qu'il  y  ait  au  monde,  la  frappe  est  devenue 
insignifiante.  De  i853  à  1872,  elle  s'élevait  à  plus  de 
125  millions  de  francs  par  an;  durant  ces  dernières 
années,  elle  s'ahaisse  au  quart  de  ce  chiffre.  Parfois 
même,  elle  est  nulle  ! 

Frappe  de  l'or  en  Angleterre  (i). 

Millions  do  francs. 

1H79 » 

1880 100 

i88i » 

1882 » 

i883 26 

1884 57 

i885 7^) 

1886 » 

Movenno  ....  3-2 


^i)  Depuis  1886  la  frappe  s'est  accrue  rapidement  : 

Millions  de  francs. 

1887 47 

1888 5o 

1889 187 

1890 192 

1891 168 

1892 347 

1893 23l 

1894 395 

1895 120 

1896 44 


1)4  LES     CAUSES    DE    LA     BAISSE    DES    PRIX 

Dans  la  plupart  des  pays  d'Europe  ou  du  monde  le 
monnayage  de  l'or  a  diminué.  Voici  les  chiffres 
empruntés  aux  tableaux  du  D""  Sœtbeer,  (Nous  opérons 
la  conversion  des  marcs  en  francs.) 

Monnayage  do  l'or  (l). 
Frappe  de  l'or. 

iMillions  de  francs. 

l8)l-l88") 841 

1886 441 

1887 597 

1888 65o 

Il  s'est  donc  produit  au  moins  momentanément 
une  diminution  de  la  frappe  de  l'or.  Elle  tombe  de 
841  millions  de  francs  (i85i-85)  à  44^  en  1886. 

L'augmentation  des  réserves  des  grandes  banques 
publiques  a,  peut-être,  appauvri  la  circulation  inté- 
rieure de  chaque  Etat,  et  par  suite  la  circulation  moné- 
taire du  monde  entier. 

Il  faut  tenir  compte  également  de  l'emploi  industriel 
de  l'or,  des  exportations  en  Orient,  du  frai  (2)  des 
monnaies,  des  pertes.  Sœtber  et  M.  Giffen  estiment  que 
la  quantité  d'or  laissée  libre  pour  le  monnayage  est 
presque  nulle  ! 

(i)  Après  1888,  les  chiffres  du  monnayage  sont  les  suivants  (Voir 
rapport  de  Foville.  Annexes,  p.  34i). 

Millions  de  francs. 

1889 840 

1890 745 

1891 595 

1892 860 

1893 I  .  160 

1894 I .  i35 

1895 i.i55 

1896 975 

(2)  On  désigne  ainsi  la  perte  résultant  de  l'usure  des  pièces. 


LÀ    CRISE    MONÉTAIRE  i55 

Comment  se  refuser  à  admettre,  en  présence  de 
pareils  faits,  que  Tor  soit  devenu  plus  rare  ?  Mais  cette 
rareté  relative  a  pour  conséquence  nécessaire  une 
augmentation  de  la  puissance  d'acquisition  du  métal 
jaune,  et,  par  conséquent,  la  baisse  des  prix.  Qu'est-ce 
aujourd'hui  que  le  prix  d'une  marchandise,  si  ce  n'est, 
en  effet,  le  poids  d'or  que  cette  marchandise  permet 
d'acheter  ?  Et  si  l'or  a  augmenté  de  pouvoir  d'achat, 
n'est-ce  pas  dire,  en  d'autres  termes,  qu'il  en  faut 
moins  pour  se  procurer  la  même  denrée  ou  que  cette 
dernière  a  baissé  de  prix  ? 

Cette  explication  d'une  crise  générale  soulève,  cepen- 
dant, une  objection  maintes  fois  opposée  à  ceux  qui 
attribuent  l'effondrement  des  cours  à  la  rareté  de  l'or. 
«  La  baisse  des  prix  »  n'est  pas,  dit-on,  un  phénomène 
général.  Certaines  marchandises  ont  haussé,  d'autres 
ont  baissé.  Si  la  crise  attribuée  à  une  augmentation  du 
pouvoir  d'achat  de  l'or  était  réellement  une  crise  moné- 
taire, tous  les  prix  auraient  dû  subir  la  même  réduc- 
tion. Or,  il  n'en  est  rien.  L'explication  fournie  n'est 
donc  pas  satisfaisante.  » 

En  réalité,  cette  objection  ne  porte  pas.  Des  causes 
différentes  et  agissant  en  sens  inverse  peuvent  avoir 
pour  résultat  une  hausse,  une  baisse,  ou  un  état  station- 
naire  des  cours.  Les  faits  économiques  sont  extrême- 
ment complexes,  et  soumis  à  l'influence  de  phénomènes 
fort  nombreux. 

Pendant  la  période  de  hausse  qui  s'étend  de  i855  à 
1875,  le  perfectionnement  des  procédés  de  fabrication 
a  pu  enrayer  ou  annuler  l'élévation  des  cours.  De  nos 
jours,  les  terrains  bâtis  peuvent  augmenter  de  valeur, 


i56  LES    CAUSES    DE   LA   BAISSE   DES   PRIA 

alors  que  le  territoire  agricole  diminue  de  prix.  Les 
salaires  ne  varient  pas  dans  la  même  mesure  et  le 
même  sens  que  le  cours  des  denrées  alimentaires. 
Une  série  de  mauvaises  récoltes  peut  augmenter  le  prix 
du  blé,  du  vin,  des  fourrages  ou  des  autres  produits 
agricoles  ;  les  caprices  de  la  mode  font  varier  ceux  des 
productions  industrielles,  soumises  à  la  loi  de  l'offre 
et  de  la  demande.  Ces  contrastes  et  ces  apparentes  con- 
tradictions ne  prouvent  pas  autre  chose  que  Texistence 
des  causes  nombreuses  dont  l'action  sur  les  cours 
s'ajoute  ou  se  retranche,  s'unit  ou  s'annule,  comme  les 
forces  naturelles  dont  les  effets  particuliers  ne  sau- 
raient être  niés,  bien  que  leur  résultante  définitive 
nous  étonne  et  nous  déconcerte. 

La  colonne  de  mercure  d'un  baromètre  peut  s'élever, 
bien  que  la  pression  de  l'air  reste  constante,  si  l'action 
de  la  température  dilate  le  métal.  Dira-t-on,  cepen- 
dant, que  la  pression  atmosphérique  n'a  pas  pour  effet 
de  faire  monter  ou  descendre  la  colonne  de  mercure  ;' 

Il  en  est  de  même  lorsqu'il  s'agit  des  phénomènes 
économiques  et  non  plus  de  phénomènes  physiques  on 
chimiques.  Ce  ne  sont  pas  telles  ou  telles  variations 
de  prix  qu'il  s'agit  de  noter,  mais  les  variations  géné- 
rales et  moyennes  d'un  nombre  considérable  de  mar- 
chandises. Or,  nous  l'avons  prouvé,  la  baisse  des  prix 
est  un  phénomène  général  dont  il  est  impossible  de 
nier  l'existence. 

Les  exceptions  observées  sont  toutes  expliquées  par 
l'action  de  causes  particulières  ;  elles  ne  prouvent 
nullement  que  la  rareté  de  l'or  n'ait  pas  provoqué 
l'abaissement  général  du  niveau  des  prix. 


LA    CRISE  MONÉTAIRE  iSy 

Nos  conclusions  personnelles.  —  Nous  nous  sommes 
efforcés  d'exposer  avec  une  exacte  impartialité  les  argu- 
ments que  Ton  peut,  raisonnablement  (i),  invoquer 
pour  prouver  que  la  baisse  des  prix  doit  être  rattachée 
à  une  contraction  monétaire.  La  valeur  de  ces  argu- 
ments est  fort  inégale.  Sans  doute,  la  dépréciation  de 
l'argent  doit  être  attribuée  en  grande  partie  au  pro- 
digieux développement  de  la  production  de  ce  métal 
depuis  vingt-cinq  ans. 

Production  annuelle  (2). 
de  l'argent. 

Millions  de  francs. 

1805-1870 1.339 

1871-1875 1.969 

1876-1880  10.979 

i88i-i885  i3.3o7 

1886-1890  16.937 

1 891-189) 2  j.461 

11  serait  même  puéril  de  nier  Tinfluence  d'un  pareil 
accroissement  de  production  sur  le  prix  en  or  du  métal 
blanc.  On  a  fait  observer  qu'autrefois,  de  4761  à  1780, 
puis  de  1781  à  iS-io,  le  rapport  du  poids  de  l'or  extrait 
des   mines    au    poids    d'argent    s'était  abaissé  jusqu'à 

~  et  -—  .  C'est  là  un  fait  incontestable  :  mais  si,  depuis 
il        49  '  '       1 

1881  jusqu'à  1890,  ce  rapport  est  plus  élevé  et  remonte  à 
—  ou  —  ,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  les  quantités 

IQ  21  *  1  J 


(i)  11  nous  semble  certain,  en  effet,  que  les  bi-mélallistes  sont  en 
dehors  de  la  vérité  et  ne  raisonnent  point  comme  des  hommes  de 
science. 

(2)  Voir  rapport  de  M.  de  Foville  déjà  cité  (1898),  p.  327. 


i58  LES    CAUSES   DE    LA    BAISSE   DES   PRIX 

absolues,  c'est-à-dire  la  masse  de  métal  blanc  jetée  dans 
la  circulation  est  vingt  ou  trente  fois  plus  considérable 
qu'elle  ne  Tétait  dans  la  seconde  moitié  du  xviii®  siècle 
ou  dans  les  trois  premiers  quarts  du  xix°. 

Un  pareil  phénomène  explique  donc  la  baisse  de 
l'argent,  sans  compter  que  ce  métal  constitue  une 
monnaie  encombrante  (i). 

Il  nous  paraît,  toutefois,  prudent  de  tenir  compte  d'un 
fait  aussi  visiblement  important  que  la  suspension  do 
la  frappe  en  Europe  à  partir  de  1876,  dans  les  pays  de 
l'union  latine,  et  de  la  démonétisation  du  métal  blanc 
depuis  1873.  Nous  ne  sommes  pas  en  état  d'affirmer 
que  la  fermeture  des  ateliers  monétaires  dans  plusieurs 
grands  pays  n'a  pas  exercé  une  influence,  c'est-à-dire 
n'a  pas  précipité  et  consacré  la  baisse  de  l'argent.  11 
nous  paraît  raisonnable  de  douter  et  de  tenir  compte 
d'un  pareil  fait. 

Voici,  maintenant,  quelle  est  la  question  importante 
et  délicate  : 

L'or  possède-t-il  aujourd'hui  une  puissance  d'acqui- 
sition plus  grande  qu'il  y  a  vingt-cinq  ans,  parce  qu'il 
est  relativement  plus  rare  ? 

11  nous  paraît  également  impossible  de  répondre 
catégoriquement  :  «  Non,  cela  n'est  pas  !  »  Nous  croyons 
que  personne  ne  peut  démontrer  la  fixité  du  pouvoir 
d'achat  du  métal  jaune. 

On  trouve  à  coup  sûr  d'autres  explications  à  la  baisse 
générale  sinon  universelle  des  prix.   Ainsi,  M.  Leroy- 


(i)  Voir  le  Traité  d'Economie  politique  de  M.  Leroy-Beaulicu,  t.  III, 
p.  277.  «  Supériorité  de  l'or  comme  monnaie,  etc.  » 


LA   CRISE  MONÉTAIRE  iSg 

Beaulieu  dit  avec  raison  :  «  La  baisse  des  prix  vient  de 
l'abondance  de  la  production,  de  la  réduction  des  prix 
de  revient,  du  perfectionnement  de  l'outillage  commer- 
cial et  de  la  diminution  des  frais  de  transport  (i).  » 

Nous  ne  sommes  pas  moins  convaincu  que  lui  de 
l'action  décisive  de  ces  transformations  économiques 
sur  les  variations  des  cours.  Mais  est-il  défen^^lu  de 
penser  qu'à  ces  causes  de  baisse,  la  rareté  relative  de 
l'or  a  pu  s'ajouter  et  faire  fléchir  les  prix  ? 

Il  ne  s'agit  point  de  nier  l'essor  extraordinaire  de  la 
production  agricole  dans  le  monde  depuis  trente  ans, 
mais  d'admettre  que  la  démonétisation  de  l'argent  a 
rendu  l'or  plus  rare  parce  qu'elle  a,  désormais,  conféré 
au  seul  métal  jaune  le  pouvoir  de  balancer  les  dettes 
internationales  des  grands  pays  civilisés.  A  propos  de 
l'afflux  d'or  qui  se  produisit  en  Europe  de  i85o  à  1870, 
M.  Leroy-Beaulieu  émet  l'opinion  suivante  (2)  : 

«  D'un  autre  côté,  l'or  n'était  pas  la  seule  monnaie  du 
monde  civilisé  ;  l'argent,  comme  on  le  verra,  non  pas 
dans  tous  les  pays,  mais  dans  plusieurs  des  principaux 
pays,  avait  un  pouvoir  libératoire  égal  à  l'or;  il  existait 
entre  les  deux  métaux,  dans  ces  pays,  un  rapport  légal 
qui,  malgré  les  fluctuations  que  nous  étudierons,  était 
maintenu  en  ce  sens  que  les  hôtels  des  monnaies 
restèrent  constamment  ouverts  à  la  frappe  des  deux 
métaux  sur  la  base  de  ce  rapport  légal. 

«  Il  résulte  de  cet  ensemble  de  circonstances  que, 
dans   la    recherche   de    l'influence   qu'a    pu    avoir   cet 


(i)  Economiste  français,  1896,  p.  419. 

(2)  Traité  d'Économie  politique,  t.  III,  p.  207. 


i6o  LES     CAUSES  DE    LA    BAISSE    DES    PRIX 

accroissement  de  la  production  de  l'or  dans  cette 
période,  il  ne  faut  pas  comparer  isolément  les  quantités 
d'or  produites  dans  ces  vingt-cinq  années  aux  quan- 
tités de  ce  métal  préalablement  existantes  ;  il  faut 
réunir  la  production  des  deux  métaux  précieux  dans 
cette  décade  et  la  comparer  à  l'ensemble  du  stock  des 
deux  métaux  précieux  préalablement  existants.  » 

Et  l'auteur  conclut  : 

«  On  saisit  ainsi  les  causes  qui  ont  fait  que  l'énorme 
accroissement  de  la  production  de  l'or  de  i85i  à  1870 
n'a  amené  autant  qu'on  peut  en  juger,  qu'une  assez 
faible  dépréciation  de  ce  métal...  » 

Admettons,  en  effet,  que  cette  dépréciation  ait  été 
assez  faible  ;  il  n'en  est  pas  moins  certain  qu'elle  s'est 
produite  et  qu'on  n'en  conteste  pas  l'influence  sur  la 
marche  des  prix  en  général. 

Brusquement,  en  1873  et  durant  les  années  suivantes, 
l'argent  est  démonétisé  ;  la  frappe  en  est  interdite,  non 
point  dans  tous  les  pays  du  monde,  mais  en  France, 
en  Allemagne,  en  Belgique,  en  Italie,  en  Espagne,  en 
Suisse,  etc.,  etc.  Quelques-unes,  les  grandes  nations 
commerçantes,  et  non  des  moins  riches,  sont  devenues 
en  fait  monométallistes-or. 

Il  ne  faut  donc  plus  u  comparer  isolément  les  quan- 
tités d'or  produites  depuis  1876  aux  quantités  de  ce 
métal  préalablement  existantes  ». 

Il  faut  rapprocher,  plutôt,  la  production  de  l'or  de  la 
production  des  deux  métaux  précieux  et  de  l'ensemble 
du  stock  de  ces  deux  métaux  monétaires  qui  possé- 
daient également,  autrefois,  un  pouvoir  libératoire  illi- 
mité. 


LA    CRISE  MONÉTAIRE  i6i 

Ace  moment  même,  la  quantité  d'or  extraite  annuelle- 
ment restait  stationnaire. 
En  voici  la  preuve  : 

Production  annuelle 

de  l'or 
dans  le  monde  (1). 

Milliers  de  kilos. 

1866-1870 196 

1871-1875 173 

1876-1880 166 

1881-1885 l53 

1886-1890 »...    169 

La  production  de  l'or  a  môme  momentanément  fléchi, 
alors  que  son  rôle  monétaire  devenait  singulièrement 
plus  important,  non  seulement  parce  que  le  métal  jaune 
cessait  d'être  lié  au  métal  blanc  de  façon  à  constituer 
une  même  masse,  mais  encore  parce  que  le  mouvement 
général  du  commerce  prenait  une  importance  sans 
cesse  croissante. 

Est-il  donc  impossible  que  l'or  ait  été  «  apprécié  », 
suivant  l'expression  à  la  mode,  ou,  en  d'autres  termes, 
que  son  pouvoir  d'achat  ait  augmenté  ? 

On  nous  accordera  qu'il  est  permis  de  douter.  S'il 
nous  paraît  singulièrement  téméraire  ou  même  dérai- 
sonnable d'attribuer  à  1'  «  appréciation  »  de  l'or  une 
influence  précise  sur  les  prix,  on  ne  saurait,  en  revanche, 
l'écarter  absolument  sans  admettre  qu'elle  ait  eu  une 
importance  quelconque. 

Il  est,  suivant  nous,  possible  et  probable  que  cette 
cause  a  agi  dans  le  même  sens  que  le  développement 
de  la  production,  la  réduction  des  prix  de  revient, 
l'abaissement    des    prix   de  transport,  etc.,    etc..    Les 

(i)  Rapport  de  Fovillc  déjà  cité,  p.   829. 

ZoLLA.  —  La  Grise  agricole.  11    • 


i62  LES    CAUSES    DE    LA    BAISSE   DES   PRIX 

variations  de  prix  constatées  depuis  vingt  ans,  et 
notamment  la  baisse  générale,  sont  les  résultantes  de 
ces  diverses  transformations  économiques. 

Faut-il,  pour  cela,  regretter  qne  Ton  n'ait  pas  maintenu 
l'ancien  rapport  légal  de  -^  dans  un  pays  comme  la 
France,  et  autorisé  la  frappe  des  pièces  de  5  francs 
sans  limitation  ? 

Nous  repoussons,  cela  va  sans  dire,  une  pareille 
interprétation  de  notre  pensée  et  une  semblable  con- 
clusion. 

La  solution  proposée  par  les  bimétallistes  ne  nous 
paraît  ni  satisfaisante  ni  même  acceptable  un  seul  ins- 
tant. La  déchéance  de  l'argent  et  sa  dépréciation  sont 
consommées.  Les  discussions  et  les  conférences  rela- 
tives au  bimétallisme  sont  simplement  oiseuses,  et 
donnent  tout  au  plus  une  satisfaction  platonique  aux 
«  Inflationist  »  ou  au  public  protectionniste  qui  voit  avec 
dépit  les  cours  fléchir  malgré  le  relèvement  des  droits 
de  douane. 

Il  est  inutile  de  nous  étendre  sur  ce  point;  aussi  bien 
avons-nous  hâte  de  signaler,  soigneusement,  en  termi- 
nant l'augmentation  rapide  et  considérable  de  la  pro- 
duction et  du  monnayage  de  l'o/'  durant  ces  dernières 
années. 

Depuis  1891,  les  quantités  extraites  ont  été  les  sui- 
vantes : 

Milliers  de  kilos. 

1891 196 

1892 220 

1893 236 

1894 272 

i«95 299 


LA    CRISE  MONÉTAIRE  i63 

Milliers  (Je  kilos. 
1896 301 

1897 355 

1898 i3i 

1899 461 

1900 385 

Voici,  d'autre  part,  pour  servir  de  terme  de  compa- 
raison, la  production  moyenne  annuelle  de  i85i  à  187;"). 

i85i-55 199  milliers  de  kilogr. 

i856-6o 20I  —  — 

i86i-65 i85  —  — 

1866-70 195  —  — 

1871-75 173  —  — 

La  production  de  l'or  dépasse  donc  actuellement  celle 
que  l'on  constatait  entre  i85o  et  1870.  11  est  môme  pos- 
sible que  les  quantités  extraites  dans  quelques  années 
soient  encore  plus  considérables. 

Nous  ne  saurions  prétendre  que  la  hausse  des  prix 
sera  la  conséquence  immédiate  ou  prochaine  de  cet  afflux 
de  métal  jaune.  En  tous  cas,  il  y  aura  là  une  cause  de 
fermeté  des  cours  ou  de  limitation  de  la  baisse  actuelle. 


II.    LA    CONCURRENCE    DES    PAYS    A    KTALON    D  ARGENT 

Voici  maintenant  un  autre  problème  qui  se  pose.  La 
démonétisation  et  la  baisse  de  l'argent  n'ont  pas  eu  seu- 
lement pour  conséquence  V appréciation  de  l'or.  11  ne 
faut  pas  oublier,  dit-on,  que  si  la  plupart  des  nations 
d'Europe  sont,  en  fait,  ou  en  droit,  monométallistes-or, 
certains  pays  sont  restés  monométallistes-argent  (i). 


(i)  Cependant  la  frappe  de  l'argent  est  suspendue  dans  l'Inde  depuis 
1893  et  le  Japon  a  adopté  l'étalon  d'or. 


i64  LES    CAUSES   DE   LA    BAISSE    DES    PRIX 

Or,  la  concurrence  des  pays  à  étalon  d'argent  a  pour 
effets  : 

1°  De  nous  inonder  de  produits  à  vil  prix  achetés 
dans  ces  pays  aux  prix  d'autrefois,  avec  un  métal  qui 
a  perdu  5o  p.   loo  de  sa  valeur-or  ; 

2"  De  rendre  impossibles  les  exportations  des  pays  à 
étalon  d'or  forcés  de  vendre  leurs  produits  deux  fois 
plus  cher  en  monnaie  d'argent,  puisque  ce  métal  est 
déprécié  de  5o  p.    100  par  rapporta  san  change  en  or. 

Telle  est,  résumée  en  quelques  lignes,  une  théorie 
séduisante,  consistant  en  un  certain  nombre  d'hypo- 
thèses dont  il  s'agit  d'étudier  la  valeur.  Nous  avons  pré- 
cisément examiné  ce  problème  dans  les  Annales  agro- 
nomiques il  y  a  quelques  années  (i),  et  il  nous  paraît 
inutile  de  nous  répéter.  Nous  nous  contenterons,  aujour- 
d'hui,  de  reproduire   les  conclusions  de   notre  étude. 

«  i^  On  a  soutenu,  a  priori^  que  la  dépréciation  de 
l'argent  avait  eu  pour  conséquence  une  baisse  égale  du 
change  en  or  des  monnaies  d'argent  de  l'Orient. 

<(  Cette  hypothèse  n'est  pas  entièrement  exacte, 
notamment  en  ce  qui  touche  la  «  roupie  »  indienne.  La 
dépréciation  de  cette  monnaie  (valeur  en  or)  reste  infé- 
rieure à  celle  du  métal  blanc. 

2"  On  a  prétendu,  également  que  les  cours  cotés  en 
monnaies  d'argent,  dans  les  pays  à  étalon  blanc, 
n'avaient  pas  varié. 

Cette  hypothèse  n'est  point  vérifiée  par  l'expérience. 
Des  fluctuations  très  marquées  ont  été,  au  contraire, 
observées  dans  l'Inde,  et  la  hausse  des  cours  compense 


{1)  Ann.agron.,  t.  XXI  clXXll.  Laqueslioii  monétaire,  par  D.  Zolla. 


LA  CRISE   MONÉTAIRE  l65 

partiellement  la  baisse  du  change  de  riinitc  monétaire. 

«  y  Beaucoup  de  personnes  admettent  a  priori  que 
les  exportations  des  pays  à  étalon  d'argent  se  sont 
rapidement  développées,  de  telle  sorte  que  les  énormes 
quantités  de  marchandise  ainsi  jetées  sur  les  marchés 
à  étalon  d'or  ont  déterminé  la  baisse  des  prix. 

«  Cette  conséquence,  déduite  d'une  théorie  abstraite 
n'a  pas  été  vérifiée. 

«  4°  Enfin,  on  a  dit  que  la  baisse  du  change  rendrait 
difficiles  ou  impossibles  les  exportations  des  pays  à 
étalon  d'or  vers  les  pays  à  étalon  blanc.  Cette  consé- 
quence est  également  en  contradiction  avec  les  faits.  Les 
importations  dans  l'Inde  des  marchandises  provenant 
des  pays  à  monnaie  d'or  se  sont  accrues  ;  l'augmen- 
tation de  leur  valeur  totale  en  monnaie  d'argent  com- 
pense la  baisse  du  change,  et  les  excédents  d'exporta- 
tions de  rinde  dans  les  pays  d'Europe  ont  même 
diminué,  durant  ces  dernières  années. 

«  Tels  sont  les  traits  saillants  du  commerce  extérieur 
d'un  grand  pays  à  étalon  d'argent  comme  l'Inde,   w 

On  voit  avec  quelle  réserve  il  convient  d'accepter  les 
conclusions,  trop  absolues  et  trop  pessimistes,  de  ceux 
qui  croient  pouvoir  attribuer  la  baisse  générale  des 
prix  en  Europe  à  la  concurrence  des  pays  d'Orient  où 
l'argent  constitue  l'étalon  monétaire. 

Sans  doute,  l'étude  des  faits  relatifs  au  commerce 
extérieur  de  l'Inde  ne  saurait  permettre  de  porter  un 
jugement  définitif  sur  les  conséquences  économiques 
de  la  baisse  du  change  dans  les  pays  à  étalon  d'argent. 
Mais,  restreinte  et  limitée,  notre  enquête  montre  tout 
au  moins  les  dangers  des  solutions  que  le  public  accepte 


i66  LES    CAUSES   DE   LA    BAISSE    DES   PRIX 

comme  définitives.  Elle  prouve  clairement,  croyons- 
nous,  que  la  baisse  de  l'argent  n'a  pas  exercé  sur  le 
prix  des  produits  agricoles  européens,  concurrencés 
par  ceux  de  l'Inde,  l'influence  qu'on  a  tant  exagérée 
pour  pouvoir  expliquer  l'impuissance  des  tarifs  protec- 
teurs. 

Quelle  est  donc,  en  définitive,  la  cause  de  la  baisse 
dont  nous  souffrons  ?  — Cette  cause  n'est  point  unique. 
Le  développement  extrêmement  rapide  de  la  produc- 
tion est  le  trait  caractéristique  de  la  période  que  nous 
traversons.  Dans  le  monde  entier,  la  quantité  des  pro- 
duits agricoles  obtenus  s'est  accrue  ;  partout,  au  môme 
moment,  les  moyens  de  communication  sont  devenus 
plus  nombreux  et  les  frais  de  transport  moins  élevés. 
L'activité  industrielle  des  vieux  pays,  le  besoin  crois- 
sant de  s'ouvrir  des  débouchés  nouveaux  a  précipité  ce 
mouvement  et  accéléré  le  développement  de  la  produc- 
tion agricole  dans  les  colonies.  Pour  devenir  des  con- 
sommateurs de  produits  européens,  les  peuples  de 
l'Orient  et  les  colons  de  la  métropole  doivent  donner 
quelque  chose  en  échange.  Que  pourraient-ils  fournir, 
si  ce  n'est  précisément  des  denrées  alimentaires  ou  des 
matières  premières  capables  de  faire  concurrence  aux 
produits  similaires  de  l'Europe  ?  Dans  notre  empire 
colonial,  devenu  aujourd'hui  si  étendu,  n'est-ce  pas  la 
production  agricole  que  l'on  s'efforce  de  développer, 
non  seulement  pour  suffire  aux  besoins  des  colons 
eux-mêmes  et  des  populations  indigènes,  mais  encore 
pour  rendre  possibles  les  échanges  des  produits  colo- 
niaux contre  ceux  de  la  mère-patrie  ? 

La  baisse  des  prix  résulte  nécessairement  de  ces  faits. 


L'AGRICULTURE  ET  L'IMPOT  167 

Elle  est  également  liée  à  l'augmentation  du  pouvoir 
d'achat  de  l'or,  et,  dans  une  certaine  mesure,  à  la  baisse 
du  change  dans  les  pays  à  monnaie  dépréciée.  Il  n'est 
pas  possible  d'assigner  à  ces  causes  diverses  leur 
importance  relative.  Prétendre  que  l'une  de  ces  causes 
agit  seule  et  se  refuser  à  reconnaître  l'action  qu'exer- 
cent toutes  les  autres,  c'est  commettre  la  plus  grave 
erreur. 

III 
L'Agriculture  et  l'Impôt. 

Un  certain  nombre  de  publicistes  et  d'hommes  poli- 
tiques ont  accrédité,  à  ce  propos,  une  légende  :  l'agri- 
culture, selon  eux,  serait  accablée  par  l'impôt.  Voici 
comment  on  peut  résumer  cette  opinion. 

«  Le  cultivateur  est  la  bête  de  somme  du  budget. 
Nous  avons  cherché  ce  que  chaque  industrie,  ce  que 
chaque  classe  de  contribuables  paye  pour  loo  de  son 
revenu.  A  la  suite  de  ces  recherches,  des  chiffres  ont 
été  produits  à  la  tribune  qui  jettent  un  grand  jour  sur 
les  inégalités  de  notre  régime  d'impôts  où  V Agricul- 
ture est  plus  chargée  que  toutes  les  autres  branches  de 
notre  activité  nationale. 

u  Voici  ces  chiffres  accusateurs  : 

La  propriété  rurale  (l'auteur  disait  tout  à  1  heure 
l'agriculture),  non  compris  les  impôts  de  con- 
sommation,  paye  . '^j  p.  100 

La  propriété  immobilière  urbaine  payait  en  1889    .  17     — 

Les  valeurs  mobilières 4.7  — 

Le  commerce  et  l'industrie i3     — 

Les  salaires,  les  gages  et  les  traitements    ....        7     — 


i68  LES    CAUSES   DE   LA   BAISSE   DES    PRIX 

«  De  tels  chiffres  prennent  notre  régime  fiscal  en  fla- 
grant délit  d'iniquité  !  » 

Un  homme  politique  très  connu  calculait  ainsi  les 
charges  de  l'industrie  agricole  : 

Contribution  sur  la  propriété  non  bâtie.    .      196  millions. 

—  —  bâtie.    ...        3o       — 

—  personnelle  et  mobilière  .    .  61  — 

—  portes  et  fenêtres 3o  — 

Prestations 58  — 

Impôts  du  timbre  et  de  l'enregistrement  .  355  — 

721  millions. 

Quant  au  revenu  net  agricole,  correspondant  à  ces 
charges  fiscales,  il  s'élèverait,  d'après  la  même  per- 
sonne, à  2.645  millions,  et  l'agriculture  acquitterait 
sous  forme  de  taxes  27  p.  100  de  son  revenu  ! 

Ce  calcul  est  inexact  pour  deux  raisons  : 

1°  L'auteur  ne  tient  pas  compte  de  toutes  les  charges 
fiscales  et  notamment  des  impôts  indirects  autres  que 
ceux  du  timbre  et  de  l'enregistrement  ; 

2**  Il  évalue  à  2.645  millions  le  revenu  net  agricole, 
c'est-à-dire  l'ensemble  des  revenus  de  la  population  qui 
acquitte  les  impôts  dont  le  montant  est  précédemment 
indiqué.  Ce  chiffre  de  2.645  millions  est  inexact,  et  bien 
inférieur  au  total  véritable  des  revenus  de  la  population 
agricole.  L'erreur  ainsi  commise  conduit  l'auteur  à  une 
conclusion  fausse. 

Nous  ne  pouvons  pas  songer  à  étudier  cette  question 
dans  ses  détails;  nous  avons,  d'ailleurs,  publié  à  ce 
propos,  un  travail  étendu  (i).  Contentons-nous  d'en 
reproduire  les  conclusions. 


(i)  Voir  nos  Etudes  d'économie  rurale.  Paris-Masson,  1896. 


V AGRICULTURE  ET  L'IMPOT  169 

Nous  estimons  que  les  charges  fiscales  de  la  popula- 
tion agricole  peuvent  être  ainsi  évaluées  : 

Impôts  directs 142.800.000  fr. 

Droits  de  timbre  et  d'enregistrement.  101.200.000  — 

Impôts  des  boissons 65.3oo.ooo  — 

Autres    impôts    indirects   et   produit 

des  monopoles  de  l'Etat 3'}4iooooo  — 

Total.    .    .    .      663.400.000  fr. 

Pour  savoir  quel  est  le  poids  relatif  de  ces  impôts,  il 
est,  maintenant,  indispensable  de  déterminer  avec  une 
approximation  suffisante  les  différents  revenus  sur  les- 
quels ils  sont  prélevés.  Nous  ne  parlons  ici,  jjien 
entendu,  que  des  revenus  provenant  de  la  terre,  de  sa 
location  ou  de  son  exploitation,  des  gages  et  des  salaires. 
S'il  nous  fallait  chercher  à  déterminer  la  richesse  véri- 
table des  agriculteurs,  supputer  le  nombre  des  valeurs 
mobilières  françaises  ou  étrangères  qu'ils  possèdent,  y 
joindre  le  total  des  dépôts  faits  dans  les  caisses  d'épar- 
gne, et  la  hauteur  des  piles  d'écus  rangés  dans  les 
armoires,  nous  ne  pourrions  pas  aboutir  à  une  conclu- 
sion. Nous  aurions  également  pour  devoir,  de  tenir 
compte  des  impôts  qui  peuvent  grever  la  richesse 
acquise,  comme  la  taxe  de  4  P*  loo  sur  le  revenu  des 
valeurs  mobilières.  Un  pareil  travail  est  au-dessus  de 
nos  forces. 

Nous  croyons  simplement  que  les  revenus  visibles 
de  la  population  agricole  sont  constitués  :  i°  par  la 
valeur  locative  (ou  revenu  net)  des  propriétés  rurales, 
déduction  faite  des  charges  déjà  calculées  qui  la  grèvent; 
1°  par  les  profits  réalisés  par  les  entrepreneurs  de  cul- 
ture^ propriétaires-cultivateurs,  fermiers  et  métayers  ; 


170  LES    CAUSES    DE    LA    BAISSE   DES   PRIX 

3°  par  les  salaires  et  gages  prélevés  eux  aussi  sur  le 
produit  brut  de  l'agriculture.  Nous  laissons  de  côté  la 
valeur  locative  des  habitations  occupées  par  les  journa- 
liers propriétaires.  Ce  revenu  sera  compensé  par  une 
omission  toute  volontaire  que  nous  ferons  tout  à  l'heure 
en  négligeant  les  charges  relatives  aux  droits  de  muta- 
tion ou  transmission  f|ui  s'y  rapportent. 

Or,  le  revenu  net  des  propriétés  non  bâties  s'élevait, 
en  1879,  à  1  milliards  645  millions  de  francs.  En  faisant 
subir  à  cette  somme  une  réduction  de  26  p.  100  pour  tenir 
compte  très  largement  des  effets  de  la  crise  actuelle, 
il  reste,  environ,  1.984  millions.  On  doit  ajouter  à 
cette  somme  35o  millions  correspondant  à  la  valeur 
locative  des  bâtiments  ruraux  dont  les  charges  ont  été 
comptées  à  part  (i). 

Les  revenus  de  la  propriété  rurale  s'élèvent  donc 
très  vraisemblablement  à  2.334  millions  de  francs. 
Déduction  faite  des  impôts  montant  à  286  millions,  il 
reste  seulement  un  revenu  disponible  de  2.048  millions. 

D'autre  part,  les  bénéfices  des  entrepreneurs  de  cul- 
ture sont  évalués  dans  l'enquête  agricole  de  1882  à 
i.i55  millions  de  francs.  Nous  réduirons  ce  chiffre  de 
25  p.  100,  pour  tenir  compte  des  conséquences  de  la 
crise  actuelle.  Enfin,  les  gages  et  salaires,  évalués 
en  1882  à  4.i5o  millions,  n'ont  probablement  pas  subi 
de  diminution  sensible  ;  nous  conserverons  le  chiffre 
de  4  milliards. 


(i)  Nous  ne  discutons  pas  ici  la  question  de  savoir  si  les  bâtiments 
ruraux  ont  une  valeur  locative  distincte  de  celle  des  terres.  Ayant  tenu 
compte  de  l'impôt  sur  les  propriétés  bâties  qui  grève  les  bâtiments 
ruraux,  il  nous  paraît  logique  d'évaluer  ici  leur  revenu. 


L'AGRICULTURE   ET  L'IMPOT  17' 

En  résumé,  les  revenus  disponibles  de  la  population 
agricole  nous  paraissent  être  les  suivants  : 

francs. 

Revenu  des  propriétaires 2.048.000 

Prolits  des  exploitants 867.003 

Gages  et  salaires 4.0:0.000 


Total.    .    .    .        6.915.000 

Comparées  à  ce  total,  les  charges  fiscales,  évaluées 
par  nous  à  662  millions,  représentent  9,5  p.  100  des 
revenus,  profits  et  salaires,  prélevés  sur  le  produit  brut 
de  Tagriculture  française. 

Il  nous  semble  que  l'on  pourrait  maintenant  examiner 
la  question  des  droits  de  transmission  relatifs  à  la  pro- 
priété rurale.  S'il  ne  nous  paraît  pas  démontré  que  ces 
droits,  beaucoup  trop  élevés  malheureusement,  doivent 
être  retranchés  du  revenu  net  des  héritages  ruraux, 
nous  sommes  d'avis  qu'ils  grèvent  l'ensemble  des 
revenus  des  propriétaires  et  de  la  population  des  cam- 
pagnes. On  peut,  en  tout  cas,  les  comparer  aux  revenus 
que  nous  venons  de  calculer;  c'est  là,  un  renseigne- 
ment utile  et  intéressant.  Or,  les  droits  de  transmission 
et  de  mutation  par  décès  se  rapportant  aux  immeubles 
s'élevaient,  en  1892,  à  24^  millions. 

La  valeur  des  propriétés  non  bâties  étant  à  peu 
près  double  de  celle  des  propriétés  bâties,  nous  comp- 
terons les  2/3  de  ce  chiffre  à  la  charge  des  revenus 
agricoles.  On  obtient  ainsi  i63  millions,  en  chiffres 
ronds.  Si  l'on  ajoute  i63  millions  aux  662  millions 
déjà  indiqués,  les  charges  fiscales  de  la  population 
rurale   s'élèvent  à  825  millions  de  francs  et  représen- 


172  LES    CAUSES    DE   LA    BAISSE    DES   PRIX 

tent  11,9  P-  ïoo  des  revenus  de  la  propriété  rurale  et 
de  l'agriculture. 

En  admettant  môme  que  cette  proportion  soit  trop 
faible,  et  nous  ne  le  pensons  pas,  on  est  loin  d'arriver 
à  ces  conclusions  bizarres  et  douloureuses  auxquelles 
ont  abouti  ceux  qui  voudraient  nous  faire  voir  dans 
l'agriculteur  la  «  bête  de  somme  »  du  budget.  Pas  plus 
que  le  propriétaire  rural,  l'agriculteur  n'abandonne  au 
fisc  le  quart  de  son  revenu.  Notre  législation  finan- 
cière, malgré  ses  imperfections  et  ses  erreurs  ne  doit 
pas  être  accusée  de  la  monstrueuse  iniquité  qu'on  lui 
reproche.  Nous  avons  la  ferme  conviction  qu'une  répar- 
tition réellement  équitable  des  impôts  ne  fait  pas  peser, 
en  général,  un  trop  lourd  fardeau  sur  nos  populations 
rurales. 

En  tous  cas,  il  nous  paraît  impossible  d'admettre  un 
seul  instant,  que  l'énormité  des  charges  fiscales  de 
l'agriculture  ait  été  la  cause  de  la  crise  récente  que 
nous  étudions  en  ce  moment.  Ces  charges  ne  sont  pas 
excessives,  et  d'autre  part  elles  ne  se  sont  pas  accrues 
depuis  vingt-cinq  ans. 

IV 

Le  développement  de  la  production  agricole  dans  le 
monde  et  la  transformation  des  moyens  de  trans- 
port. 

Ces  deux  questions  sont  si  intimement  liées  l'une  à 
l'autre  qu'il  nous  paraît  difficile  de  les  étudier  séparé- 
ment. Le  développement  de  la  production  agricole  eût 
été,   en  effet,  presque  impossible  dans  la  plupart  des 


LA   PRODUCTION  ET  LES  TRANSPORTS  ij'i 

«  pays  neufs  »  si  les  agriculteurs  n'avaient  pu  faire 
transporter  leurs  denrées  jusqu'au  marché  le  plus 
proche,  ou  jusqu'au  port  le  plus  voisin.  L'utilité  /  / 
d'une  route,  d'un  canal,  d'un  fleuve,  d'un  railvvay, 
d'une  flotte  marchande,  est  presque  évidente  par  elle- 
même. 

L'élévation  des  prix  de  transport  a  été  également, 
pendant  fort  longtemps,  un  obstacle  insurmontable  iau 
développement  de  la  production  agricole,  dont  les  élé- 
ments sont  constitués  par  des  marchandises  lourdes  et 
encombrantes  relativement  à  leur  valeur. 

Une  denrée  comme  le  blé,  qui  vaut  ou  valait  sur  les 
marchés  européens  de  20  à  3o  francs  le  quintal,  ne  sau- 
rait être  impunément  grevée  de  frais  de  transport  très 
élevés.  11  en  est  de  môme  pour  les  vins  et  les  textiles 
communs,  les  graines  oléagineuses,  les  bois  d'œuvre 
ordinaires,  et  à  plus  forte  raison  pour  le  bétail  dont  le 
rendement  en  viande  ne  dépasse  guère  5o  p.  100,  ou 
pour  la  viande  elle-même,  qui  ne  saurait  être  trans- 
portée à  de  grandes  distances  si  l'on  ne  dispose  pas 
à  la  fois  d'appareils  perfectionnés  qui  en  assurent  la 
conservation,  et  de  moyens  de  transport  rapides  et  peu 
coûteux. 

Des  tarifs  élevés  ou  des  frets  considérables  ne  lais- 
sent pas  aux  producteurs  agricoles  une  marge  de  profits 
assez  large  pour  qu'ils  puissent  mettre  en  valeur  des 
territoires  nouveaux. 

Pour  arriver  à  doter  un  pays  comme  les  Etats-Unis 
d'un  réseau  de  chemins  de  fer,  pour  perfectionner  les 
moteurs,  réduire  les  dépenses  de  construction  des 
navires  à  vapeur,  etc.,  etc.,  il  a  fallu  faire  de  longs 


174  LES    CAUSES   DE    LA     BAISSE   DES    PRIX 

efforts,  trouver  les  applications  d'un  nombre  considé- 
rable de  découvertes  scientifiques  ;  il  a  fallu,  même, 
attendre  que  Ton  eût  épargné  et  groupé  des  capitaux 
énormes;  à  cet  égard,  le  talent  des  financiers  n'a  pas 
été  moins  utile  que  celui  des  ingénieurs,  et  le  déve- 
loppement de  la  richesse  générale  a  seul  permis  de 
faire  les  avances  que  nécessitait  l'outillage  mécanique 
dès  «  pays  neufs  ». 

A  la  suite  d'une  évolution  de  plus  en  plus  rapide,  de 
transformations  incessantes  et,  en  somme,  de  progrès 
scientifiques,  industriels,  commerciaux  et  financiers 
simultanés,  les  conditions  anciennes  de  la  production 
agricole  dans  le  monde  ont  été  brusquement  changées. 

Nous  disons  :  brusquement  ;  car  cela  est  vrai.  Le  der- 
nier progrès  réalisé,  la  dernière  transformation  accom- 
plie, tout  change  brusquement. 

I.  —  Voyez  ce  qui  s'est  passé  pour  les  Etats-Unis. 
On  ne  comptait  dans  cet  immense  pays  que  48.000  kilo- 
mètres de  chemins  de  fer  en  1860  (i). 

Voici  la  progression  que  l'on  observe  à  partir  de 
cette  date  : 

1870 83. 000  kilomètres. 

1875 119.000         — 

1880 149.000         — - 

i885 206.000         — 

1890 -267.000         — 

1895 291.000         — 

Ces  milliers  de  kilomètres  de  railways  ne  servent 
point  seulement  à  assurer  le  transport  des  marchandises 
dans  les  vieux  Etats  anciennement  colonisés.  Le  chemin 


(i)  Voir  le  Statistical  ahstract  ofihe   United-States. 


LA    PRODUCTION  ET  LES    TRANSPORTS  173 

de  fer  s'enfonce  dans  Fouest  ;  après  avoir  dépassé  le 
centre  (i),  il  va  jusque  dans  la  vallée  du  Mississipi,  et 
plus  loin  encore,  dans  les  plaines  du  Dakota.  La  popu- 
lation s'accroît;  elle  se  porte  en  même  temps  vers 
l'ouest.  Ce  que  Ton  appelle  les  centres  de  population  se 
déplacent  dans  ce  sens.  Le  lien  est  visible  entre  le  déve- 
loppement du  réseau  ferré  et  celui  des  surfaces  mises 
en  culture. 

Les  frais  de  transport  diminuent  pendant  que  la  pro- 
duction agricole  se  développe. 

Voici,  par  exemple,  les  frets  (r>.)  par  le  canal  depuis 
Buffalo,  à  Textrémilé  du  lac  Erié,  jusqu'au  port  de  Ncm- 
York,  en  utilisant  l'Hudson-River  : 

PHIX 
ANNÉES  du  transport 

du  bushel  (3|  de  blé. 

cpnls(4). 
1870 9.1 

1875 7-3 

1880 6  5 

i885 3.8 

1890 3.8 

1895 2.2 

En  prenant  comme  point  de  départ  le  port  de  Chicago, 
la  décroissance  du  fret  jusqu'à  New-York  n'est  pas 
moins  certaine  : 


(i)  Expression  consacrée  par  l'usage  aux  États-Unis,  mais  qui  n'est 
pas  exacte  au  point  de  vue  géographique. 

(2)  Statislical  ahslract  of  the  United-Stales.  —  Voir  aussi  les  divci-s 
Annual  Reports  of  Board  of  Trades,  pour  New-York,  Buffalo,  Chi- 
cago, Saint-Paul,  Uululh,  etc.,  etc. 

(3)  Le  bushel  équivaut  à  36  litres  environ. 

(4)  Le  cent  est  la  centième  partie  du  dollar  dont  la  valeur  varie  de 
5  francs  à  5  fr.  25  en  or;  mais  ici  nous  avons  dû  tenir  compte  des 
variations  de  change  du  dollar-papier,  entre  1862  et  1878. 


176  LES    CAUSES   DE    LÀ    BAISSE   DES   PRIX 

PRIX 
du  transport  du  bushel 
AN'>'ÉES  de  blé  par  les  lacs 

et  le  canal. 

cents. 

1870 17. II 

1875 11.43 

1880 12. 27 

i885 5.85 

1890 5.87 

1895 4. II 

Quant  aux  prix  de  transport  par  mer  depuis  Chicago 
jusqu'aux  ports  européens,  il  est  lui-môme  devenu  très 
faible.  Si  nous  prenons  comme  point  d'arrivée  les 
docks  de  Londres,  nous  relevons  les  frets  suivants  par 
100  livres  (45  kil.  3oo)  : 

FRETS 

A?iNÉES  de  Chicago  à  Londres. 

cents. 
1886 40 

1887 39 

1888 38 

1889 » 

1890 35 

1891 42 

1892 34 

1893 37 

1894 32 

1895 33 

Ce  dernier  chiffre  de  33  cents  par  100  livres  de  blé 
correspond  à  3  fr.  70  par  quintal. 

Sans  nul  doute,  ce  prix  de  transport  n'est  pas  celui 
qui  grève  le  froment  américain  du  lieu  de  production^ 
c'est-à-dire  de  la  ferme  elle-même,  jusqu'au  marché 
européen.  Il  faudrait  tenir  compte  en  outre  des  dépenses 
qui  incombent  au  «  farmer  »  américain  pour  amener 
son  blé  jusqu'à  un  grand  entrepôt  de  céréales,  véritable 
port  de  mer,  comme  Chicago  ou  Duluth.  On  oublie  trop 


LA   PRODUCTION  ET   LES    TRANSPORTS  177 

souvent  de  faire  cette  observation  et  ce  calcul,  qui  sont, 
cependant,  singulièrement  importants. 

Néanmoins  la  réduction  des  prix  de  transports  inté- 
rieurs depuis  les  villes  des  grands  lacs  jusqu'aux  ports 
atlantiques  est  incontestable  et  l'on  ne  saurait  se  refuser 
à  en  admettre  toute  l'importance  économique. 

En  outre,  la  multiplication  si  remarquable  des  voies 
ferrées  dans  les  «-randes  réofions  à  céréales  des  Etats- 
Unis  et  la  mise  en  culture  des  terres  qui  bordent  ces 
voies  ont  permis  de  réduire  également  les  dépenses  de 
transports  intérieurs. 

La  conséquence  fort  naturelle  de  l'augmentation  des 
surfaces  cultivées  aux  Etats-Unis  et  de  la  réduction 
simultanée  des  frais  de  transport  a  été  le  dévelop- 
pement extrêmement  rapide  de  la  production  agricole. 

Il  y  a  lieu,  toutefois,  de  faire  ici  une  observation.  La 
population  s'est  accrue  aux  Etats-Unis,  comme  dans 
beaucoup  d'autres  «  pays  neufs  ».  —  Nous  devons  tenir 
compte  de  l'accroissement  de  consommation  coïncidant 
avec  l'augmentation  de  laproduction.  G'estlà,  d'ailleurs, 
une  observation  générale  d'un  très  réel  intérêt.  Il  est 
même  indispensable  d'insister  sur  le  développement 
parallèle  de  la  consommation  et  de  la  production.  Si, 
dans  les  régions  nouvellement  cultivées  du  globe,  l'ac- 
croissement de  la  population  avait  été  égal  à  celui  de  la 
production,  on  comprendrait  difficilement  que  les 
exportations  agricoles  fussent  devenues  possibles  et, 
a  fortiori,  assez  considérables  pour  provoquer  une 
baisse  générale  des  prix. 

D'autre  part,  l'augmentation  de  la  population  dans 
les  vieux  pays  n'a-t-elle  pas  été  assez  rapide  pour  que 

ZoLLA.  —  La  Crise  agricole.  ri 


178  LES   CAUSES  DE   LA    BAISSE   DES   PRIX 

la  consommation  absorbât  les  excédents  de  production 
des  territoires  nouvellement  cultivés  ?  Dans  ce  cas^  la 
demande  serait  restée  égale  h  l'offre  et  le  développe- 
ment de  la  production  des  céréales  ou  des  autres  den- 
rées agricoles  ne  saurait  expliquer  la  baisse  de  leur  prix. 

Nous  signalons  avec  impartialité  cette  hypolhèse  ; 
elle  constitue,  aux  yeux  de  quelques  statisticiens,  une 
objection  sérieuse  opposée  à  ceux  qui  voient  dans  le 
développement  rapide  de  la  production  agricole,  depuis 
vingt  ans,  la  cause  principale  de  la  baisse  des  prix  et 
de  la  crise  agricole. 

C'est  ainsi  que  sir  R.  GifFen  constate  tout  d'abord  un 
accroissement  considérable  de  la  population  dans  le 
monde,  et  le  compare  au  développement  de  la  produc- 
tion agricole  (i). 

Voici  le  tableau  dressé  par  lui  : 

Augmentation  de  la  population,  de  la  surface   cultivée  en  céréales, 

du  nombre  des  têtes  de  gros  bétail, 

des  moutons  et  des  porcs,  depuis  vingt  ans  [dans  le  monde). 


Population 

Surface  cultivée  en  blé 


orge. 

avoine 

seigle 


Têtes  de  gros  bétail 

—  moutons    . 

—  porcs.    .    . 


Il  y  a 

Aujour- 

AUG.MENTATION 

vingt  ans. 

d'iiui. 

absolue. 

p.  100 

(Millions 

d'habitants.' 

366 

462 

96 

26 

(Millions  d'acres.) 

i33 

i58 

25 

19 

43 

45 

2 

5 

81 

104 

23 

28 

io5 

100 

—  5 

—  5 

(Millions  de  têtes.) 

i54 

211 

57 

37 

4o5 

478 

71 

18 

80 

lOI 

21 

26 

(i)  The  real  Agricultural  development  of  the  last  Uventy  years,  by 
sir  R.  Giffen.  —  Appendix  to  the  final  Report  of  Commissioners 
apointed  to  inquire  into  subject  of  Agricultural  dépression,  p.  73  et 
seq.,  Londres,  1897. 


LA   PRODUCTIOy  ET  LES    TRANSPORTS  179 

On  voit,  par  exemple,  que  la  population  s'est  accrue 
de  26  p.  100,  tandis  que  la  surface  cultivée  en  blé  n'a 
augmenté  que  de  19  p.  100.  Sir  R.  GifFen  en  conclut 
que  la  baisse  des  prix  du  froment  lïest  pas  due  à  un 
développement  considérable  de  la  production  relative- 
ment à  l'accroissement  du  nombre  des  consommateurs. 
Il  admet,  au  contraire,  que  la  consommation  aurait  dû 
s'accroître  plus  rapidement  que  la  production  puisque 
le  chiffre  de  la  population  a  augmenté  de  26  p.  100  tan- 
dis que  la  surface  cultivée  en  froment  n'augmentait  que 
de  19  p.  100. 

Quelle  serait  donc  la  cause  de  la  baisse  des  cours  du 
blé  ? 

Sir  Giffen  admet  que  l'on  consomme  aujourd'hui 
moins  de  blé,  mais,  en  revanche,  plus  de  viande.  Il  y 
aurait  substitution  d'un  aliment  à  un  autre  aliment,  et 
ce  phénomène  serait  expliqué  par  le  développement 
général  de  la  richesse. 

Le  nombre  des  têtes  de  gros  bétail  s'est  accru,  en 
effet,  de  87  p.  loo,  pendant  que  la  population  humaine 
augmentait  de  26  p.  100  seulement. 

C'est  là  une  vue  ingénieuse,  mais  nous  ne  croyons 
pas  qu'elle  soit  juste,  ou  du  moins  entièrement 
juste. 

Voici,  en  effet,  avec  quelle  rapidité  les  Etats-Unis 
ont  développé  leurs  exportations  de  froment  —  grains 
et  farines  —  après  avoir  gardé  ce  qui  était  nécessaire 
à  la  consommation  intérieure  : 


l8o  LES    CAUSES    DE    LA    BAISSE   DES   PRIX 

EXPORTATIONS 
annuelles  de  froment 
PÉRIODES  des  Étals-Unis 

(grains  et  farines). 

mill.  d"hoctol. 

1860-1869 6.2 

187O-1879 18.3 

1880-1889    ,. 44.3 

1890-1896 5o.6 

Comparons,  maintenant,  le  mouvement  de  la  popu- 
lation aux  chiffres  des  exportations  de  froment  : 

POPULATION    MOYENNE  EXPORTATIONS 

des  de  froment 

deux  années  extrêmes.  (millions  d'hectolitres). 

PÉRIODES  p.   100  p.  100 

Absolue.  on  Absolues.  en 

1800-1800.  1800-1809. 

1860-1869.  ...  35  100  6.2  100 

1870-1879.  ...  44  1^5  18.3  295 

1880-1889.  ...  56  160  44.3  714 

1890-1896.  ...  66  188  5o.6  816 

Il  est  clair  que  Taccroissement  des  excédents  de  pro- 
duction exportés  a  été  plus  rapide  que  le  développe- 
ment de  la  population. 

On  peut  dire^  maiiitenaiit^  que  la  demande  est  restée 
égale  à  V offre  puisque  les  énormes  exportations  de  fro- 
ment des  États-Unis  ont  trouvé  des  acheteurs. 

C'est  l'évidence  même  ;  et  sur  ce  point,  sir  R.  Giffen 
a  certainement  raison. 

Mais  il  s'agit  de  savoir  si  la  consommation  du  fro- 
ment, comme  celle  de  beaucoup  d'autres  produits  agri- 
coles, ne  s'est  pas  développée  parce  que  de  grandes 
quantités  de  denrées  jetées  au  même  moment  sur  le 
marché  du  monde  ont  déterminé  une  baisse  qui  a  solli- 
cité les  demandes. 


LA   PRODUCTION  ET  LES   TRANSPORTS  i8l 

Il  est  donc  fort  possible  que  les  choses  se  soient 
passées  de  la  façon  suivante  : 

«  Le  développement  des  voies  de  communication 
coïncidant  avec  l'augmentation  de  la  production  a 
déterminé  un  apport  considérable  de  denrées  agri- 
coles sur  les  marchés  des  vieux  pays  riches  et  pro- 
voqué une  baisse  qui  a  sollicité  et  étendu  la  consom- 
mation. 

«  Ces    débouchés    une    fois  ouverts ,  et  lesfrais   de 
transports  s'abaissant,  en  môme  temps,  la  production' 
s'est  développée  de  plus  en  plus  rapidement,  provoquant 
une  baisse  nouvelle  en  sollicitant  la  demande  avec  un 
succès  croissant.  » 

On  serait  probablement,  arrivé  assez  vite  au  point  où 
la  baisse  des  prix  sur  les  lieux  de  production  aurait 
découragé  les  agriculteurs  et  arrêté  le  développement  de  | 
la  culture  ;  mais  la  décroissance  simultanée  et  rapide 
des  frais  de  transport  a  permis  de  payer  les  denrées 
assez  cher  pour  que  la  mise  en  valeur  de  nouvelles 
régions  restât  possible  parce  qu'elle  était  encore  lucra- 
tive. 

Nous  trouvons  une  confirmation  très  intéressante  d& 
cette  hypothèse  dans  l'étude  de  la  marche  des  prix  à 
Y  Ouest  des  États-Unis. 

Ces  variations  de  cours  n'ont  point  été  sembla- 
bles à  celles  que  l'on  observait  au  même  moment 
dans  les  Etats  de  l'Est  ou  sur  le  marché  de  New- 
York. 

Quel  a  été  par  exemple,  le  prix  du  bushel  (i)  de  blé 


(i)  Bushel  d'environ  36  litres. 


iSa  LES    CAUSES    DE    LA    BAISSE    DES    PRIX 

—  en  or  (i)  —  depuis  1867  jusqu'à  1894,  dans  TEtat  de 
Pensylvanie,  qui  est  un  des  vieux  États  de  TEst  ancien- 
nement colonisés  ? 

Les  prix  indiqués  sont  ceux  des  principaux  mar- 
chés. 

PRIX 

du  boisseau  de  blé 
PÉRIODES  (en  or)  ' 

en  Pensylvanie. 

dollar-or. 

1867-1873 i.35o 

1874-1880 1.161 

1881-1887 0.998 

1888-1894 0.847 

En  ramenant  à  100  les  chiffres  de  la  première  période, 
on  obtient  les  résultats  suivants  : 

PÉRIODES  PRIX 

1867-1873.  , 100 

1874-1880 85 

1881-1887.  .   .' "73 

1888-1894 62 

Ainsi  le  prix  du  froment  a  baissé  de  38  p.  100  depuis 
la  première  période  jusqu'à  la  dernière. 

Cela  prouve-t-il  que  dans  les  États  américains^  et 
notamment  dans  Vouest^  il  en  ait  été  ainsi?  Nallement  ; 
et  voici,  par  exemple,  les  observations  observées  dans 
Vlowa.  —  Il  s'agit  ici  encore  des  cours  pratiqués  sur 
les  principaux  marchés  ruraux  : 


(i)  Les  prix  sont  cotes  d'après  la  valeur  du  dollar  en  or,  de  façon  à 
éliminer  les  causes  d'erreur  provenant  des  variations  du  change  depuis 
1862  jusqu'en  1878.  Nous  indiquons  plus  loin  les  sources  auxquelles 
nous  puisons. 


LA   PRODUCTION  ET  LES    TRANSPORTS  i83 

PRIX 

du  boisseau  de  blé  (en  oc). 

PKRIODES  -  '  ~  ^- 

dollar-or  p.  100. 

1867-1873 0.725  100 

1874-1880 0.734  lOI 

1881-1887  0.690  95 

1888-1894  0.724  100 

Dans  cette  région,  la  valeur  absolue  du  boisseau  de 
froment  est  plus  faible  qu'en  Pensylvanie  ;  il  faut  tenir 
compte,  en  effet,  du  coût  de  transport  depuis  les  lieux 
de  production  jusqu'aux  grands  marchés  de  l'est,  mais 
la  marche  des  prix  est  toute  différente. 

On  n'observe  plus  de  baisse! 

La  réduction  des  frais  de  transport,  a  probablement, 
compensé  la  diminution  sur  les  marchés  de  l'est,  où  les 
blés  de  Cîowa  sont  portés. 

Ce  qui  nous  autorise  à  le  supposer,  c'est  que  les 
différences  constatées  entre  les  prix  du  blé  en  Pensyl- 
vanie et  dans  l'iowa  diminuent  rapidement. 

En  voici  la  preuve  : 

PKI.V 

eu  dollar-or  du  boisseau 
PÉRIODES  J""  ^^^-  DIFFÉRENCES 

New  -York.  lowa. 

1867-1873 i.35o  0.725  0.625 

1874-1880 0.161  0.734  0.427 

188 1 -1887 0.998  0.690  0.408 

1888-1894 0.847  0.724  O.I23 

Le  contraste  curieux  qui  s'observe  entre  la  marche 
des  prix  dans  l'iowa  et  la  Pensylvanie,  peut  être  cons- 
taté également  si  l'on  prend  comme  exemples  l'Etat  de 
New- York  à  l'est  et  le  Minnesota  à  l'ouest. 

Voici  les  prix   du    boisseau    de  blé   dans   ces    deux 


i84  LES    CAUSES    DE    LA    BAISSE   DES   PRIX 

régions   et  les   différences  relevées  entre   eux    depuis 
1867  jusqu'à  1894. 


PRIX 

eu  dollar 

-or  du 

boisseau 

de  blé, 

DIFFÉRENCES 

.^-.'^d 

^ — 

Xew-York 

Miiiucsola. 

1.434 

0.723 

0.709 

i.i8i 

0.790 

0.392 

I  .OO'l 

0.716 

0.286 

0.912 

0.685 

0.226 

PERIODES 

1867-1873 
1874-1880 
1881-1887 
1888-1894 


Il  est  clair  que  les  cours  du  froment  sont  restés 
presque  stationnaires  dans  le  Minnesota  pendant  qu'ils 
diminuaient  rapidement  dans  l'Etat  de  New-York.  On 
voit  également  que  les  écarts  de  prix  subissent  des 
diminutions  considérables  à  mesure  que  l'on  se  rap- 
proche de  la  dernière  période. 

Il  est  fort  probable  que  la  réduction  des  frais  de 
transport  explique  ce  nivellement  des  prix. 

Prenons,  enfin,  comme  exemple,  un  autre  Etat  de 
l'ouest  dans  lequel  la  baisse  du  blé  ait  été  plus  mar- 
quée. 

Voici  la  marche  des  cours  dans  l'Illinois  et  l'Etat  de 
New-York  : 

PÉRIODES 

1867-1873  

1874-1880 

1881-1887  

1888-1894  

Pour  rendre  plus  visibles  les  variations  de  prix,  nous 
ramènerons  à  100  les  cours  de  la  première  période  : 


PRIX 

en  dollai 

•-or 

du 

boisseau 

New-York, 

do 

blé. 

Illinois. 

DIFFÉRENCES 

1.434 

0.987 

0.447 

1.182 

0.911 

0.271 

1  .  002 

0.824 

0.178 

0.912 

0.714 

0.198 

LA    PRODUCTION  ET  LES    TRANSPORTS  i85 

PÉRIODES  NEW-YORK         ILLINOIS 

1867-1873 100  100 

1874-1880 82  9i 

1881-1887 69       85 

1888-1894 63       72 

Il  est  visible  que  la  baisse  a  été  plus  rapide  et  plus 
accentuée  dans  Test  que  dans  l'ouest,  dans  l'Elat  de 
New-York  que  dans  Flllinois.  La  réduction  des  prix  de 
transport  peut  certainement  expliquer  ce  contraste. 
Voici  en  effet,  quels  ont  été  les  frais  de  transports  de 
Chicago  (Illinois)  jusqu'au  port  de  New-York  : 

FRAIS    DE   TRANSPORT 

PÉRIODES  par  boisseau  de  blé 

—  en    cculs   (valeur   or)  (1) 

1867-1873 17        100 

1874-1880 12  70 

1881-1887 10  58 

1888-1894 8  47 

Cette  rapide  diminution  des  «  railways  tariffs  »  et  des 
frets  ne  s'applique  pas  seulement  aux  grains. 

Comparons  les  prix  de  transport  pour  le  bétail 
de  Chicago  à  New-York,  à  deux  dates  fixes,  1880  et 
1897  ('-^)   : 


(i)  La  valeur  or  du  dollar  en  papier  a  varié  dans  des  limites  éten- 
dues depuis  1862  jusqu'à  1878.  Nous  empruntons  les  chiffres  relatifs 
à  la  valeur  or  et  les  indications  relatives  aux  prix  des  céréales,  à  un 
travail  très  intéressant  de  M.  Powers,  Commissionner  oflahor  of  the 
State  of  Minnesota.  —  Voir  Fifth  biennal  Report  of  the  bureau  of 
labor  of  the  State  of  Minnesota  (i 895-1896). 

(2)  Au  cours  d'un  récent  voyage  aux  Etats-Unis,  nous  avons  réuni 
un  grand  nombre  de  documents  sur  ces  questions.  On  peut  consulter 
également  :  Statistical  abstract  of  the  U.S.;  Year-Book  of  the  départ, 
of  agr.,  et  les  Rapports  annuels  des  chambres  de  commerce  (Board  of 
trade)  des  grandes  villes  de  l'est  ou  de  l'ouest  américain. 


i86  LES    CAUSES    DE   LA    BAISSE    DES    PRIX 

PRIX   EN    CENTS 

par  45  kil.  BAISSE 

1880  1897  p.  100. 

Gros  bétail 55  28  49  p.  loo 

Porcs 43  3o  3o       — 

Moutons 65  3o  53       — 

Quartiers  de  bœuf    ....  88  45  48       — 

Ces  réductions  sont  considérables,  elles  varient  de 
3o  à  53  p.  100  dans  Fespace  de  dix-sept  ans  !  La  décrois- 
sance des  tarifs  sur  voie  ferrée  est  également  remar- 
quable. Voici,  encore,  à  titre  d'exemple  et  de  document, 
les  variations  des  prix  moyens  de  transport  par  mille 
(1610  mètres)  et  par  tonne  sur  les  grands  réseaux  amé- 
ricains. 

PRIX 
pai'  tonne  cl  pai"  nulle. 

1880  189G 

cents.  cents. 

!'■''  compagnie 1.36  o.8tj 

'±*^           —           1.20  0.94 

3"           —          0.87  0.66 

4°          —          0.83  0.60 

^^          —          0.75  0.55 

6*           —          0.91  0.56 

7°           —          0.75  0.G6 

8«           —          0.86  0.42 

9"          —          1-54  0.74 

lo'^           —           1.20  I.OI 

Il  suffit  de  comparer  les  chiffres  inscrits  dans  ces 
deux  colonnes,  sur  une  même  ligne  horizontale,  pour 
constater  la  réduction,  parfois  énorme,  des  tarifs  de 
transport. 

Conclusion.  —  Une  conclusion  s'impose,  en  présence 
de  ces  transformations  des  moyens  de  transport  et  de 
leurs  prix  : 


LA   PRODUCTIOy  ET  LES    TRANSPORTS  187 

Nous  croyons  que  la  production  agricole  des 
régions  nouvelles  n'a  pas  été  limitée  et  môme  brusque- 
ment arrêtée  par  la  baisse  des  prix  sur  les  marchés  des 
pays  importateurs. 

La  réduction  des  tarifs  et  des  frets  a  compensé 
cette  baisse  des  prix  et  le  développement  de  la  mise 
en  valeur  des  territoires  ouverts  à  la  colonisation  ne 
s'est  pas  trouvé  arrêté. 

Dans  un  pays  comme  la  France  ou  l'Angleterre, 
nous  n'observons  pas  de  pareils  faits.  Le  territoire  est 
trop  resserré  et  les  écarts  de  prix  désormais  trop 
faibles  de  régions  à  régions  pour  que  la  situation  du 
producteur  agricole  ne  soit  pas  immédiatement  affectée 
par  une  baisse  de  prix  constatée  sur  divers  points  et 
qui  devient  aussitôt  générale. 

Il  n'en  est  pas  de  même  dans  des  «  pays  neufs  »,  où 
des  distances  considérables  séparent  les  centres  de 
production  des  entrepôts  principaux  ou  des  ports. 

Dans  ces  pays,  la  réduction  des  frais  de  transport 
explique  fort  bien  le  développement  presque  continu 
de  la  production  agricole. 

L'influence  exercée  par  les  faits  sur  la  marche  géné- 
rale des  prix  nous  paraît  certaine. 

C'est  l'action  combinée  du  développement  de  la 
production  et  de  l'abaissement  des  frais  de  transport 
qui  explique  la  baisse  des  cours. 

2.    —   Les    observations  et   conclusions  qui   précè-j 
dent    se  rapportent  surtout  aux  États-Unis,   mais,    en^ 
fait,    elles  ont  une  portée  générale.  C'est,  toujours,  le 
développement  ou  l'amélioration  des  moyens  de  trans- 
port   et    la    réduction    des   frais    correspondants     qui 


i88  LES    CAUSES    DE    LA    BAISSE   DES    PRIX 

l'ont  entrer  en  scène  des  pays   producteurs  nouveaux. 

Voici  l'Inde,  dont  il  a  été  si  souvent  parlé  à  propos 
de  la  concurrence  des  pays  à  étalon  d'argent. 

«  Jusqu'à  l'ouverture  du  canal  de  Suez,  dit  M.  0. 
Gonor,  le  commerce  du  blé  de  l'Inde  était  impossi- 
ble. La  durée  et  les  frais  de  transport  par  la  route  du 
cap  de  Bonne-Espérance  avaient  pour  conséquences 
d'exagérer  le  prix  de  revient  du  blé  indien  à  son  arrivée 
dans  les  ports  d'Europe  et  d'exposer  cette  marchandise 
aux  pertes  résultant  des  charançons  (i).  » 

J  usqu'en  1 880,  Bombay  et  Kourrachi  ne  sont  pas  encore 
reliés  par  un  railway  à  la  grande  région  de  céréales  du 
nord-ouest  ;  les  exportations  ont  lieu  par  Calcutta  et 
restent  faibles.  Elles  se  développent  seulement  après 
1881,  lorsque  le  canal  de  Suez  est  ouvert,  et  quand  les 
voies  ferrées  du  nord  sont  achevées. 


EXPORTATION 

EXPORTATION 

PÉRIODES 

de  blé  indien. 

PÉRIODES 

do  blé  indien. 

1873      .      .      . 

Millions  de  quint. 

1888-1889    • 

Milliers  de  quint 
8.800 

1877      .      .      . 

3.000(2) 

1889-189O   . 

6.800 

ï88i-i88ii  . 

9.900 

189O-189I    . 

7.  100 

1882-1883  . 

7.900 

1891-189'i    . 

i5. 100 

1883-1884  . 

10.400 

1892-1893    . 

7.400 

i884-i885  . 

7.000 

1893-1894    . 

6.000 

i885-i886  . 

lo.Soo 

1894-1895   . 

3.400 

1886-1887  . 

II .100 

1895-1896    . 

5.000 

1887-1888  . 

6.700 

Il  ne  faut  pas  exagérer  l'importance  de  ces  exporta- 
tions,   et    surtout   il   n'est   pas   permis   d'en    attribuer 


(i)  Review  of  the  trade  of  India  (1891-1892). 
(2)  Suppression  des  droits  d'exportation. 


LA    PRODUCTION  ET  LES    TRANSPORTS  189 

exclusivement  le  développement  à  la  dépréciation  de 
l'argent.  Mais  on  voit  que  les  transformations  des 
moyens  de  transport  ont  exercé  sur  la  production  agri- 
cole de  l'Inde  leur  influence  habituelle. 

Malgré  la  baisse  des  prix  du  blé  sur  les  marchés 
d'exportation  comme  Bombay,  Calcutta  et  Kourrachi, 
la  culture  de  cette  céréale  reste  possible  ;  l'exportation 
n'est  pas  négligeable.  Dans  certaines  régions,  comme 
le  Pendjab,  où  l'on  a  fait  de  grands  travaux  d'irrigation, 
la  surface  cultivée  en  froment  s'est  môme  accrue  : 

SURFACE 
PÉRIODES  culliv<:'e    en    blé  (i) 

dans  le  Pendjab 

Millions  d'acres  (40  ares). 

1888-1889 6.9 

1890-1891 6.2 

1892-1893 7.0 

1893-1894 8.2 

1894-1895 8.0 

Bien  que  la  situation  de  l'Inde  ne  soit  nullement 
comparable  à  celle  des  Etats-Unis,  où  la  population 
peut  s'étendre  sur  d'immenses  espaces  restés  sans  cul- 
ture, il  n'est  pas  impossible  que  l'on  constate  dans  cer- 
taines régions  de  l'empire  des  Indes  une  diminution 
rapide  des  frais  de  transport,  qui  compense,  au  moins 
partiellement,  la  baisse  du  prix  des  blés  à  l'exportation. 

Voici  d'autres  renseignements  empruntés  à  un  article 
très  intéressant  de  M.  G.  Michel  dans  l'Économiste  fran- 
çais (i  I  août  1894). 

Le  tableau  suivant  résume  les  réductions  successives 

(1)  Voir  Appendix  to  final  Report  of  Commissioners  on  Agricultural 
dépression,  p.  95.  (Renseigacmeuts  fournis  par  VIndia  office,  de  Lon- 
dres.) 


igo  LES    CAUSES    DE    LA    BAISSE   DES   PRIX 

subies  par  les  frets  dans  la  direction  de  l'Inde  et  de  la 
Chine  au  départ  de  Marseille.  Ces  réductions  permet- 
tent sans  doute  de  préjuger  de  celles  qu'on  a  observées 
pour  les  voyages  en  sens  inverse  : 


87  a 
873 
874 
873 
876 

877 
878 

879 


FRHT 
par  1.000  kil. 

francs. 

325 
260 
216 

223 

2o3 

191 

i83 
159 
171 


883 
884 


886 
887 
888 


FKET 
par  1.000  kil. 

francs. 
iSg 
i5o 
142 
107 

91 

104 
98 
94 
86 


3.  —  Il  n'est  pas,  non  plus,  permis  d'oublier  que  le 
développement  de  la  production  du  froment  a  été  consi- 
dérable dans  d'autres  pays  que  les  Etats-Unis  et  l'Inde. 
Les  exportations  constatées  se  sont  accrues  rapidement 
depuis  1870.  Le  Chili  et  la  République  Argentine  sont 
aujourd'hui  des  pays  exportateurs. 

Sans  entrer  dans  de  longs  détails,  nous  nous  conten- 
terons de  résumer  les  chiffres  relatifs  aux  exportations 
du  Canada,  de  l'Australie,  du  Chili  et  de  la  République 
Argentine,  en  regard  de  ceux  qui  se  rapportent  aux 
États-Unis  et  aux  Indes. 

Excédents  d'exportations  de  froment  {grains  et  farines],  en  quintaux, 
des  pays  ci-après  {millions  de  quintaux)  : 


République 

Années. 

Etals-Unis. 

Canada. 

Indes. 

Auslralic. 

Chili. 

Argentine. 

— 

— 

— 

— 

— 

— 

— 

1870    . 

.         14.4 

» 

)) 

» 

» 

» 

1875    . 

20.7 

I  .2 

0.5 

I  .2 

» 

» 

1880    . 

50.7 

3.4 

I.I 

1.8 

» 

» 

LA    PRODUCTION  ET  LES    TRANSPORTS 


191 


République 

nnées. 

États-Unis. 

Canada. 

Indes. 

Australie. 

Chili. 

Argentine. 

1881    . 

33.3 

2.5 

3.7 

1-7 

)) 

» 

i88'i    . 

39.0 

1.8 

10. 0 

1.6 

1.4 

M 

i883    . 

3o.3 

3.0 

7.2 

1.6 

» 

)) 

1884    . 

36.1 

0.8 

10.6 

3.1 

» 

» 

i885   . 

36.1 

0.4 

7-9 

3.5 

I .  I 

0.8 

i886   . 

25.7 

I .  I 

10.6 

0.2 

1.3 

0.4 

1887   . 

41.8 

1-9 

II. 3 

1 .2 

1 .2 

2.4 

1888   . 

32.6 

t>-9 

6.9 

3.3 

0.9 

1.8 

1889   . 

24.3 

» 

8.9 

0.2 

0.4 

0.  2 

1890  . 

3o.o 

» 

7.5 

3.6 

0.3 

2.4 

1891    . 

29.0 

0.8 

i5.6 

)) 

1-7 

3.9 

1892   . 

60.7 

2.8 

79 

» 

1.6 

4.9 

1893   . 

52.2 

•^■9 

6.5 

0.4 

1.8 

10.6 

1894   . 

44.7 

30 

3.8 

0.4 

1 . 2 

16.6 

1895   . 

39-4 

2.4 

5.4 

» 

0.8 

10.8 

1896   . 

34.2 

2.7 

» 

» 

1.4 

6.8' 

Dans  la  République  Argentine,  notamment  (i),  le  déve- 
loppement de  la  production  a  été  prodigieux  depuis 
quelques  années, 

ANNÉES  PRODUCTION 

Milliers  de  quintaux 

1889 456 

1891 7900 

1892 9. 400 

1893 20. i6o 

1894  . 32. 160 

Les  pays  dont  nous  venons  de  parler  sont  devenus 
exportateurs  depuis  peu  de  temps,  ou  du  moins  leurs 
envois  n'ont  acquis  une  très  grosse  importance  que 
depuis  peu  d'années. 


(i)  Voir  les  modifications  fournies  dans  le  Filial  Be port  on  Agricul- 
tural  dépression,  p.  58,  Londres,  1897. 


192  LES   CAUSES  DE   LA    BAISSE   DES   PRIX 

Il  ne  faut  pas  oublier  qu'en  Europe  môme,  la  Russie, 
la  Hongrie,  les  pays  du  Danube  peuvent  jeter  sur  leurs 
marchés  des  masses  considérables  de  froment. 

Nous  avons  à  tenir  compte  également  des  exportations 
de  TEgyple,  de  l'Algérie  et  de  la  Tunisie. 

Or,  le  développement  parallèle  de  la  production  et  de 
Texportationpour  ces  divers  pays  n'est  certes  pas  négli- 
geable. 

Voici  quelques  indications  à  cet  égard. 

EXCÉDENTS    MOYENS    AÎNNUELS 

exportés  des  pajs  ci-après 
(milliers  de  quintaux). 


Russie 

Auli'icli(î-Hongiio 
Roumanie    .    .     . 

Serbie 

Bulgarie .... 
Egypte  .... 
Algérie  .... 
Tunisie    .... 


L'augmentation  est  presque  toujours  très  notable 
d'une  période  à  l'autre. 

Gomment  de  pareils  faits  n'auraient-ils  pas  exercé  une 
influence  sur  la  marche  des  prix  du  blé  ? 

4.  —  Nous  nous  sommes  jusqu'à  présent  occupé 
surtout  du  froment  parce  que  l'on  attache  une  impor- 
tance toute  spéciale  aux  fluctuations  de  son  prix.  Mais 
le  développement  de  la  production  des  autres  den- 
rées agricoles  n'a  pas  été  moins  remarquable  à  cer- 
tains égards  que  l'accroisseinent  des  récoltes  de  fro- 
ment. 


.877-1882 

1887-t8y2 

17.614 

■iS  .910 

913 

4.103 

3.5oi 

7.884 

'ii6 

595 

1.585 

3.092 

800 

226 

738 

I  .730 

i38 

i38 

LA   PRODUCTION  ET  LES    J RANSPORTS  igS 

Sans  doute,  la  culture  des  autres  céréales  n'a  pas  pris 
la  même  extension.  Nous  avons  signalé  la  raison  de 
cette  préférence  accordée  au  froment.  Cette  céréale  est 
celle  qui  permet  d'obtenir  par  hectare  le  produit  brut  le 
plus  élevé  et  les  profits  nets  les  plus  considérables  dans 
la  plupart  des  cas. 

En  revanche,  on  a  vu  augmenter  la  production  des 
pommes  de  terre.  Sir  R.  Giffen  évalue  à  3o  p.  loo  le 
seul  accroissement  des  surfaces  cultivées. 

La  culture  de  la  betterave  à  sucre  a  pris  également 
un  si  grand  développement  que  la  baisse  du  prix  du 
sucre  ou  de  l'alcool  en  a  été  la  conséquence  visible. 

Il  en  est  de  même  pour  la  plupart  des  textiles  et  des 
graines  oléagineuses,  surtout  dans  les  pays  extra-euro- 
péens. 

Les  ravages  du  phylloxéra  ont  diminué  la  production 
des  vignobles  français,  mais  on  a  étendu  la  culture  de 
la  vigne  en  Italie,  en  Espagne^  en  Algérie  et  en  Tuni- 
sie, etc.,  etc. 

En  1894,  année  de  récolte  moyenne,  la  production  des 
principaux  pays  était  ainsi  évaluée  : 

Millions  d'iiectolilres. 

Frauco Sg.o 

Algérie 3.6 

Tunisie o .  i 

Italie 24.5 

Espagne 24.0 

Portugal 1.5 

Autriche 4.0 

Hongrie 2.0 

Allemagne '.    .  5.0 

Russie 3.5 

Turquie  et  Chypre 1.8 

Suisse 1.8 

Grèce . 1.3 

ZoLLA.  —  La  Crise  agricole.  i3 


194  LA   PRODCCriON  ET  LES   TRANSPORTS 

Cette  abondance  effraie  nos  viticulteurs,  qui  s'effor- 
cent d'écarter  les  vins  étrangers  du   marché  français. 

Avant  le  développement  des  voies  ferrées,  le  trans- 
port des  vins  était  fort  coûteux.  Il  n'en  est  plus  de  même 
aujourd'hui.  Quant  aux  frets  maritimes,  ils  sont  extrê- 
mement réduits.  M.  G.  Michel  cite,  à  ce  propos,  des 
exemples  très  curieux.  Ainsi  la  barrique  de  Bordeaux 
valant  de  loo  à  i5o  francs  est  transportée  en  Angleterre 
pour  2  fr.  5o  ou  3  francs.  Or,  cette  barrique  contient 
220  litres  :  le  prix  du  litre  est  donc  majoré  dans  des  pro- 
portions quasi  infinitésimales.  On  peut  juger  par  là  de 
la  modicité  des  frets  en  ce  qui  concerne  les  transports 
des  vins  italiens,  espagnols  et  autres. 

Les  bois  communs  eux-mêmes,  bois  de  chêne,  de 
hêtre,  de  sapin,  etc.,  peuvent  être  transportés  aujour- 
d'hui à  bas  prix  des  lieux  de  production  sur  les  marchés 
de  vente. 

D'immenses  forêts  qu'il  était  impossible  d'exploiter 
autrefois  sont  soumises  depuis  vingt  ans  à  un  aména- 
gement régulier.  Au  cours  d'un  récent  voyage  d'études 
en  Bosnie,  nous  avons  visité  de  véritables  forêts  vierges 
de  résineux,  de  bois  blancs  et  de  chênes  qui  sont  sou- 
mises à  des  coupes  régulières,  parce  que  l'on  a  cons- 
truit les  chemins  forestiers,  établi  les  chemins  de  fer 
qui  conduisent  ces  bois  en  Autriche  ou  du  côté  des 
ports  de  l'Adriatique. 

Les  mêmes  transformations  des  moyens  de  transport 
ont  permis  de  livrer  à  la  consommation  des  richesses 
forestières  d'une  puissance  plus  grande  encore.  Aussi 
voyons-nous  diminuer  le  prix  des  bois.  Nos  proprié- 
taires forestiers  se  plaignent  de  cette  baisse.  L'admi- 


LA    PRODUCTION  ET  LES   TRANSPORTS  igS 

nistration  des  forêts  signale  une  réduction  de  i5  p.  loo 
portant  sur  le  prix  des  coupes  domaniales.  On  voit  en 
même  temps  le  fer  remplacer  les  bois  dans  les  cons- 
tructions, et  cette  concurrence  spéciale  va  probable- 
ment précipiter  la  baisse  d'un  produit  agricole  fort 
important. 

Les  fruits  eux-mêmes  peuvent  être  transportés  à  de 
grandes  distances  sans  que  les  frais  élèvent  démesu- 
rément le  prix  de  ces  denrées. 

Nous  avons  acheté  à  Londres  au  mois  de  juin,  et 
dans  l'est  des  Etats-Unis  au  commencement  de  juillet, 
des  poires  et  des  raisins  de  Californie,  dont  le  prix 
était  fort  raisonnable  (o  fr.  oy5  à  o  fr.  lo  la  pièce  pour 
les  poires,  o  fr.  5o  à  o  fr.  70  la  livre  (453  grammes)  pour 
les  raisins). 

En  vérité,  il  n'est  guère  de  miracles,  en  ce  genre,  que 
la  rapidité  des  transports  et  la  modicité  de  leur  prix  ne 
puissent  opérer. 

5.  —  Les  mêmes  observations  s'appliquent  à  la  pro- 
duction et  aux  transports  des  produits  d'origine  ani- 
male. 

L'élevage  du  bétail  et  le  commerce  de  la  viande  ont 
pris  depuis  1870  un  développement  extraordinaire. 

Dans  les  pays  neufs,  on  n'a  pas  tardé  à  s'apercevoir 
que  le  bétail  pouvait  donner  des  profits  ;  mais  les  frais 
de  transport  rendaient  ces  profits  incertains  et  ne  per- 
mettaient de  se  livrer  à  l'élevage  qu'auprès  des  voies 
ferrées  ou  des  ports  d'embarquement. 

La  laine  et  les  peaux,  d'un  transport  plus  facile, 
ont  été  les  premiers  articles  et  d'exportation.  L'Aus- 
tralie,   la    Nouvelle-Zélande,    la    colonie    du    Gap,    la 


196  LA  PRODUCTION  ET  LES   TRANSPORTS 

République  Argentine  ont  augmenté  leurs  envois  avec 

une   extrême   rapidité.  A   l'heure   actuelle,   les -^— des 
^  100 

laines  employées  en  Angleterre  sont  des  laines  étran- 
gères et  70  p.  100  de  ces  dernières  viennent  de  FAus- 
tralasie. 

La  réduction  des  prix  de  transport  sur  voies  ferrées 
ou  par  bateaux  à  vapeur  a  permis  d'importer  en  Europe 
du  bétail,  des  viandes,  des  beurres,  des  fromages.  11 
n'est  pas  jusqu'à  la  crème  qu'on  n'expédie  en  ce 
moment  de  Nouvelle-Zélande  en  Angleterre  pour  y 
être  barattée  à  l'arrivée  et  servir  à  la  fabrication  du 
beurre. 

Rien  de  plus  curieux  que  d'étudier  la  transformation 
qui  s'est  opérée  dans  le  commerce  du  bétail  étranger 
en  Angleterre. 

Avant  1876,  c'était  l'Europe  qui  fournissait  les  -^  des 
animaux  vivants  (i)  importés  dans  le  Royaume-Uni.  Les 
États-Unis  et  le  Canada  ne  pouvaient  pas  encore  entrer 
en  scène.  D'année  en  année  cette  situation  se  modifie  : 


NOMBRE    POUR    100 

des  animaux  vivants  importés 

en  Angleterre. 

ANNÉES  - — ,    ■  — 

Etats-  Hépubl. 

Unis.       Canada.   Argentine.   Europe. 

1876 O       I      O     99 

1880 40     12     O     48 

i885 37     18    o    45 

1890 60       19       o       'Il 

1895 67     23     9      I 

Est-il  donc  possible,  aujourd'hui,  sans  frais  exagérés, 


[i)  Il  s'agit  du  gros  bétail  (caille). 


LA    PRODUCTION  ET  LES    TRANSPORTS  197 

d'amener  sur  les  marchés  de  Londres,  de  Liverpool  ou 
de  Glasgow,  des  bœufs  vivants  ?  La  réponse  n'est  point 
douteuse.  Nous  avons  fait,  nous-même,  le  voyage  de 
Londres  à  New-York  sur  un  navire  ayant  une  vitesse 
moyenne  de  24  '•^  ^5  kilomètres  à  Fheure,  et  qui  ramène 
à  chaque  voyage,  de  New-York  à  Londres,  5oo  bœufs 
vivants  et  l'équivalent  de  5oo  autres  animaux  dépecés 
en  quartiers  et  conservés  dans  des  chambres  frigori- 
fiques. Quant  aux  frais  de  transport  depuis  Chicago 
jusqu'à  Londres,  ils  peuvent  être  ainsi  établis  par  tête 
d'animal. 

fr.  c. 

Transport  sur  rails  Chicago-New-York.    .    .      3)  » 

Nourriture  à  bord  du  navire i5  » 

Fret  New-York-Londres 5o  » 

Frais  divers •!">  » 

I  '2  5       » 

Le  total  varie  généralement  de  ii5  à  i4o  francs. 

Remarquons  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  de  quelques  envois 
de  faible  importance.  Voici,  à  des  dates  différentes 
depuis  1876  le  nombre  de  têtes  de  gros  bétail  importées 
dans  le  Royaume-Uni  : 

1876 •271.000 

1880 389.000 

i885 373.000 

1890 642.000 

1893 41 5. 000 

On  peut  observer  des  faits  analogues  en  ce  qui  con- 
cerne les  moutons  vivants  et  les  viandes  fraîches  pro- 
venant des  Etats-Unis,  de  l'Australie,  de  la  République 
Argentine,  etc.,  etc. 

Voici  à   titre  d'indications  les  poids  de  viandes  de 


198  LA   PRODUCTION  ET  LES   TRANSPORTS 

moutons  envoyées  en  Angleterre  et  provenant  d'Aiis- 
tralasie  ou  de  la  République  Argentine  (en  tonnes)  : 

RÉPUBLIQUE 
ANNÉES  AUSTRALASIE      ARGENTINE 

i88-2  ...    ; i.85o  » 

i885 16.900  5.600 

1890  44.83o  21.750 

1895  83.55o  35.730 

Nous  avons  signalé  les  eli'ets  de  ces  importations  sur 
les  cours  des  viandes  de  dernière  qualité  (i). 

6.  —  Il  nous  paraît  inutile  de  reproduire  ici  les  sta- 
tistiques relatives  au  développement  de  la  production 
du  beurre  et  des  fromages  dans  les  colonies  anglaises, 
comme  la  Nouvelle-Zélande,  aux  Etats-Unis,  etc.,  etc. 

Insistons  seulement  sur  un  fait  qui  a  la  plus  grande 
importance. 

On  croit  communément  en  France  que  dans  les 
régions  nouvellement  cultivées  comme  le  Far-West 
américain,  on  cultive  seulement  du  blé.  C'est  là  une 
erreur.  Même  dans  le  Dakota,  au  milieu  de  la  vallée 
de  la  rivière  Rouge,  on  varie  les  cultures  qui  se 
succèdent  les  unes  aux  autres.  Bref  on  a  adopté  un 
assolement.  En  outre,  l'élevage  du  bétail  prend  chaque 
année  une  importance  croissante.  Ce  bétail  vit  sur  les 
jachères,  fume  le  sol  et  en  utilise  les  productions 
spontanées  pendant  une  partie  de  l'année. 

Dès  que  les  voies  de  communications  ont  été  multi- 
pliées et  les  prix  de  transport  réduits,  la  production  du 
blé  devient  de  moins  en  moins  importante  quant  aux 


(i)  Voir  notre  chapitre  sur  la  baisse  de  prix  des  produits  d'origine 
animale. 


LA   PRODUCTION  &T  LES   TRAySPOIÎTS  199 

surfaces  ensemencées,  et  c'est  encore  au  bétail  que  Ton 
demande  des  produits  plus  abondants,  des  profits  plus 
élevés. 

Ges  combinaisons  intelligentes  permettent  de  réduire 
le  prix  de  revient  du  blé  et  de  compenser  l'insuffisance 
des  recettes  qui  proviennent  de  sa  culture. 

Elles  permettent  également  d'obtenir  des  récoltes, 
d'ailleurs  médiocres,  —  nous  les  avons  vues,  —  mais 
assez  régulières,  sans  épuiser  le  sol. 

Autour  des  villes  de  l'ouest,  près  des  voies  ferrées, 
s'établissent  des  fromageries,  des  beurreries,  quelque- 
fois même  des  ci'èmeries  où  l'on  sépare  la  crème  du 
lait.  La  crème  seule  est  ensuite  expédiée  dans  des 
établissements  voisins  pour  y  être  travaillée. 

GOiNGLUSlOxN    GÉNÉRALE 

Il  nous  reste  maintenant  à  formuler  nos  conclusions, 
et  cette  tâche  nous  parait  relativement  facile. 

Peut-on  admettre,  en  effet,  que  la  prodigieuse  trans- 
formation à  laquelle   nous  assistons  depuis  vingt  ans, 
en  ce  qui  concerne  la  production  agricole  et  les  trans 
ports,  soit  restée  sans  effets  sur  le  cours  des  produits  ? 

Cette  opinion  est  certainement  dépourvue  de  toute 
valeur  scientifique. 

En  supposant  que  des  causes  spéciales,  telles  que 
«  l'appréciation  »  de  l'or  aient  exercé  une  influence 
dans  le  même  sens,  il  nous  paraît  certain  que  le  déve- 
loppement rapide  de  la  production  agricole  et  la  réduc- 
tion des  frais  de  transport  ont  provoqué  la  baisse  des 
prix  et  donné  naissance  à  la  crise  agricole. 


CHAPITRE  TROISIEME 

LES   REMÈDES 

Il  ne  suffît  pas  évidemment,  de  rechercher  et  de 
signaler  les  causes  de  la  Crise  Agricole.  Le  public  désire, 
surtout,  savoir  quels  remèdes  on  peut  y  apporter. 

L'un  des  premiers  et  le  plus  souvent  préconisé  n'est 
autre  que  la  protection  douanière.  On  Ta  indiqué 
maintes  fois  depuis  les  débuts  de  la  crise,  c'est-à-dire, 
depuis  vingt-cinq  ans  et  les  agrariens  en  ont  partout 
exigé  l'application. 

Nous  allons  donc  étudier  les  effets  qu'ont  produit 
dans  notre  pays  les  modifications  de  notre  législation 
douanière. 


La  législation  douanière  et  la  crise  agricole. 

On  s'est  efforcé  dans  notre  pays  de  relever  le  cours 
des  grains,  en  frappant  à  l'entrée  les  céréales  étran- 
gères. Ce  résultat  n'a  pas  été  atteint  puisque  l'on  cons- 
tate que  les  prix  ont  fléchi,  mais  le  législateur  est 
cependant  parvenu  à  limiter  ou  à  atténuer  la  baisse,  car 
le  niveau  moyen  des  prix  est  plus  élevé  en  France  que 
dans  les  pays  comme  l'Angleterre  où  les  grains  pénè- 


202  LA  PROTECTION  DOUANIÈRE 

trent  sans  acquitter  de  droits  de  douane.  Ces  droits 
établis  en  France  et  successivement  relevés  ont  donc 
exercé  une  influence  sur  les  cours.  Ainsi  nous  avons 
montré,  à  propos  des  variations  de  prix  du  blé  (i),  qu'il 
existait  un  écart  entre  les  cours  du  froment  à  Paris  et  à 
Londres.  Cet  écart,  qui  s'ajoute  aux  prix  français  et  les 
rehausse  artificiellement,  est  évidemment  variable.  Il 
augmente  ou  diminue,  soit  avec  l'importance  des  droits 
de  douane  établis  et  remaniés  depuis  i885  jusqu'à  1894, 
soit  avec  l'abondance  des  récoltes  françaises.  Parfois, 
cet  écart  de  prix  est  supérieur  au  montant  du  droit  de 
douane.  Dans  ce  cas,  le  système,  dit  protecteur,  déter- 
mine une  hausse  artificielle  qui  constitue,  chose  curieuse, 
une  prime  à  l'importation  !  A  l'égard  du  producteur  de 
blé,  orge,  avoine,  etc.,  le  droit  de  douane  équivaut  à 
une  subvention.  Celle-ci  est  proportionnelle,  évidem- 
ment, au  nombre  d'hectolitres  vendus  par  l'agriculteur. 
Il  en  résulte  par  conséquent  que  les  agriculteurs  plus 
largement  subventionnés  sont  ceux  qui  vendent  les  plus 
grosses  quantités  de  céréales  et  notamment  de  fro- 
ment. 

Ces  faits  étant  connus  et  constatés  sans  discussion, 
il  est  assez  facile  de  calculer  le  montant  de  la  subven- 
tion annuelle  accordée  sous  une  forme  indirecte  et  spé- 
ciale aux  producteurs  de  blé.  Notons,  tout  d'abord,  que 
ces  derniers  ne  vendent  pas  leur  récolte  tout  entière. 
Ils  en  conservent  une  partie  ou  ils  l'utilisent  pour 
obtenir  une  récolte  nouvelle. 

Il  est  facile  de  faire  cette  double  démonstration. 


(i)  Voir  chap.  i*^"",  page  26  et  suiv. 


LA    PROTECTION  DOUANIÈRE  uoi 

Nos  fermiers,  nos  métayers  ou  nos  propriétaires-cul- 
tivateurs mangent,  en  effet,  du  pain  blanc,  pour  la  plu- 
part, tout  au  moins;  enfin  ils  nourrissent  leurs  domesti- 
ques. Ces  mêmes  agriculteurs  sont,  en  outre,  obligés  soit 
de  mettre  en  réserve,  soit  d'acheter  les  semences  indis- 
pensables, pour  «  emblaver  »,  —  c'est  le  terme  consacré 
—  les  7  millions  d'hectares  consacrés  à  la  culture  du 
froment  dans  notre  pays. 

Les  semences,  à  elles  seules,  représentent  environ 
i4  millions  d'hectolitres  de  froment. 

11  est  moins  aisé  d'évaluer  la  consommation  person- 
nelle des  entrepreneurs  de  culture,  celle  de  leur 
famille  et  de  leurs  domestiques.  Tous  ne  consomment 
pas  du  froment,  cette  céréale  noble.  Pour  quelques-uns, 
le  maïs,  le  blé  noir  ou  sarrasin,  et  le  seigle  représen- 
tent la  nourriture  habituelle.  Essayons  cependant  d'éva- 
luer la  consommation  de  froment. 

On  comptait  en  France  (1892)  : 

Propriétaires    cultivant    exclusivement 

leurs  biens 2.199.000 

Fermiers. 1.061.000 

Métayers 344-000 

Domestiques 1.832. 000 

Total.    .    .    .       5.436.000 

Ce  sont  là  des  «  travailleurs  agricoles  »,  comme  l'in- 
diquent nos  statistiques  et  pour  avoir  le  chiffre  de  la 
famille  correspondant  à  leur  nombre,  il  faut  multiplier 
ce  dernier  par  i,65,  ce  qui  donne  8.969.400  personnes. 

Admettrons-nous  qu'il  existe  en  France,  5.436. 000  -f- 
8.969.400  =  14.405.400  personnes  produisant  et  con- 
sommant en  même  temps  du  froment?  En  aucune  façon. 


204  LA    PROTECTION  DOUANIÈRE 

Sous  le  nom  d'agriculteurs  on  comprend,  en  effet,  beau- 
coup de  travailleurs  et  de  producteurs  de  denrées  agri- 
coles qui  ne  cultivent  pas  de  céréales.  Est-ce  que  parmi 
nos  propriétaires-agriculteurs  on  n'en  compte  point 
qui  sont  jardiniers,  pépiniéristes,  maraîchers,  tous 
gens  qui  travaillent  la  terre  mais  qui  n'ont  jamais  fait 
germer  un  grain  de  blé  ?  Est-ce  que  dans  le  midi  de  la 
France  et,  en  particulier,  sur  le  littoral  méditerranéen, 
il  n'existe  pas  des  milliers  de  propriétaires  qui  cultivent 
à  peu  près  exclusivement  leurs  vignobles? 

Si  l'on  voulait  calculer  le  nombre  réel  des  producteurs 
de  blé  et  surtout  le  nombre  de  ceux  qui  produisent 
plus  de  froment  qu'ils  n'en  consomment,  il  faudrait 
retrancher  probablement  3  ou  4  millions  du  chiffre  de 
14  millions  que  nous  indiquions  tout  à  l'heure.  Pour  ne 
rien  exagérer  ou  atténuer,  nous  le  conserverons  néan- 
moins, car  nous  allons  tenir  compte  tout  à  l'heure,  très 
largement,  de  la  population  qui  assure  ou  complète  sa 
nourriture  avec  d'autres  céréales  que  le  froment. 

Quelle  est,  en  effet,  la  consommation  moyenne 
annuelle  d'un  Français  en  blé!  Elle  est,  nous  apprend 
la  statistique  officielle,  de  2  hectolitres  5o  litres.  Eh! 
bien,  admettons  seulement  le  chiffre  de  200  litres,  soit 
un  cinquième  en  moins,  puisque  certains  agriculteurs 
se  nourrissent  de  blé  noir,  de  maïs,  etc.,  etc. 

Pour  i4  millions  de  personnes,  la  consommation 
s'élève  à  28  millions  d'hectolitres  au  minimum.  En 
ajoutant  ce  nombre  à  celui  qui  correspond  aux  semences 
employées,  soit  i4  millions  d'hectolitres,  on  trouve  un 
total  de  42  millions.  Or,  notre  production  moyenne  en 
froment   s'étant  élevée   annuellement  de   1882  à    1892, 


LA    PROTECTION  DOUANIÈRE  2o5 

par  exemple,  à  109  millions  d'hectolitres,  si  Ton  en 
déduit  42  millions  absorbés  par  les  semences  et  la 
nourriture  des  entrepreneurs  de  cultures,  de  leurs 
familles  ou  de  leurs  domestiques,  il  reste  seulement 
67  millions  d'hectolitres.  Tel  est  l'excédent  disponible 
que  les  producteurs  de  blé  peuvent  vendre  et  pour 
lequel  la  protection  dont  ils  jouissent  se  traduit  par 
une  élévation  du  prix  de  vente.  Cette  plus-value  est 
variable,  mais  on  peut  la  calculer  en  relevant  les  écarts 
constatés  entre  les  cours  du  froment  en  Angleterre  et 
en  France,  depuis  l'établissement  d'un  droit  de  douane 
de  7  francs  dans  notre  pays  (1894). 

Nous  avons  déjà  fait  ce  calcul.  Nous  le  reprodui- 
sons : 

Écarts 

entre  les  cours  anglais 

et  français 

par  liectolitrc  Je  Ivomont. 

fr.  c. 
1893-189Î 5  08 

1894-1896 4  5i 

1895-1897 4  72 

Moyenne.  ...   4  77 

L'écart  moyen  ressort  à  4  fr-  77-  En  multipliant  par 
ce  nombre  l'excédent  disponible  de  67  millions  d'hecto- 
litres que  vendent  réellement  les  producteurs  de  blé, 
on  trouve  819  millions  de  francs.  Pour  7  millions  d'hec- 
tares cultivés  en  froment,  cette  somme  représente  une 
prime  annuelle  de  plus  de  4^  francs  par  hectare. 

Tel  est  le  résultat  financier  de  là  protection  doua- 
nière, visiblement  favorable  aux  intérêts  des  produc- 
teurs de  froment  et  des  propriétaires  ruraux.  Il  serait 
possible  de  faire  le  même  calcul  en  ce  qui  concerne  la 


206 


LA  PROTECTION  DOUANIERE 


prime  accordée  à  la  culture  des  céréales  autres  que  le 
blé. 

Nous  nous  contenterons  de  parler  de  la  législation 
douanière  applicable  au  bétail  et  de  son  influence  sur 
le  prix  de  la  viande. 


Notre  législation  douanière  a  beaucoup  varié  depuis 
une  quinzaine  d'années  en  ce  qui  concerne  le  bétail. 
La  politique  protectionniste  lui  a  été  appliquée,  ainsi 
qu'elle  l'avait  été  sous  la  Restauration  et  le  Gouverne- 
ment de  Juillet. 

Voici  le  tableau  de  ces  variations  jusqu'en  1892. 

Droits  de  douane  par  tête. 


Tarif 
de 

Tarif 
de 

Tarif 
do 

Tarif 
de 

Tarif 
de 

Tarif 
de 

Tarif 

de  1808 

pour 

1822 

18 

33 

1874 

1881 

188 

) 

1888 

l'Italie. 

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fr. 

c. 

fr.    c. 

fr. 

c. 

fr. 

c. 

fr.    c. 

fr.    c. 

Bœufs.   .    . 

5o     » 

3 

» 

3  74 

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23 

» 

38     » 

Go     » 

Taureaux  . 

5o     » 

3 

» 

3  74 

8 

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12 

» 

12     » 

3o     » 

Vaches  .    . 

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8 

» 

12 

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20     » 

40      » 

Bouvillons. 

2  3       » 

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8 

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8     » 

20      » 

Veaux.  .    . 

5     » 

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5o 

4 

» 

8     » 

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Moutons    . 

5     » 

» 

25 

»  3i 

2 

» 

3 

» 

5     » 

10       » 

Le  tarif  de  1892  est  le  suivant 


Bœufs  et  vaches. 
Moutons    .... 


10  fr.   par   loo  kilog.  de  poids  vif. 
i5  5o        —  —  — 


En  outre,  les  viandes  sont  frappées  de  droits  s'éle- 
vant  à  32  francs  par  quintal  pour  le  mouton  ;  à  12  francs 
pour  le  porc  ;  à  25  francs  pour  le  bœuf,  à  25  francs  éga- 


LA  PROTECTION  DOUANIÈRE 


207 


lement  pour  le  lard,  et  à  3o  francs  pour  le  bœuf  salé. 
Nous  avons  dit,  à  propos  des  importations  dans  leur 
rapport  avec  les  prix,  ce  que  l'on  avait  constaté,  à  l'égard 
des  variations  des  cours  depuis  1820  jusqu'à  1897. 

Prix  de  la  viande  de  5"'«  (jualiié  à  Paris  et  à  Londres  (1879-98). 

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Prix  du  Bœuf 


à  Pa.ris 


à  Londreso- 


Prix  du  Mouton 


à  PôLris     •._—..-• 
à.  Londreso -o 


Fig.  14. 


Pendant  la  Restauration  le  cours  de  la  viande  est  resté 
très  bas  malgré  l'établissement  des  droits  protecteurs. 
Il  en  a  été  de  même  sous  le  Gouvernement  de  Juillet. 
A  partir  de  i853  la  hausse  se  produit  et  s'accentue,  bien 
que  le  tarif  nouveau  ait  abaissé  les  droits  de  douane. 


ao8 


LA    PROTECTION   DOUANIÈRE 


Prix  de  la  viande  de  i'"  qualité  à  Paris  et  à  Londres  (1877-97). 


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Depuis  i885,  les  prix  ont  fléchi  malgré  l'élévation  des 
droits,  et  le  tarif  protectionniste  de  1892  n'a  pas  relevé 


LA   PROTEC  TION  DOUANIÈRE  209 

les  cours.  Mais  il  s'est  produit  pour  le  bétail  la  hausse 
relative  dont  nous  parlions  plus  haut  à  propos  du  blé.  Nos 
cours  sont  certainement  un  peu  moins  élevés  qu'ils  ne 
l'étaient  en  i883,  par  exemple,  c'est-à-dire  avant  le 
relèvement  douanier  ;  mais  la  baisse  est  moins  sen- 
sible qu'elle  ne  l'eût  été  si  l'on  n'avait  pas  entravé 
l'importation  du  bétail  vivant,  des  viandes  congelées, 
des  conserves,  etc.,  etc. 

Nous  avons  montré  que  le  prix  des  viandes  de  pre- 
mière et  surtout  de  dernière  qualité  avait  subi  à  Lon- 
dres une  dépression  qui  les  faisait  tomber  au-dessous 
des  cours  pratiqués  à  Paris,  C'est  là,  sans  doute,  une 
conséquence  des  mesures  de  protection  douanière. 
L'influence  de  ces  dernières  ne  nous  paraît  pas  dou- 
teuse. Nous  payons  notre  viande  et  surtout  la  viande  de 
dernière  qualité  un  prix  plus  élevé  qu'il  ne  le  serait  si 
le  législateur  n'avait  pas  relevé  successivement  les 
droits  à  l'importation.  Les  producteurs  bénéficient  de 
cette  difterence.  C'est  là  une  autre  subvention  qui  équi- 
vaut, d'autre  part  pour  les  consommateurs,  à  l'établis- 
sement d'un  impôt  de  consommation. 

De  1880  à  1900,  une  baisse  de  plus  de  5o  centimes 
par  kilogramme  se  produit  à  Londres  pour  la  viande  de 
bœuf,  première  qualité  ;  elle  est  à  peu  près  égale  pour 
la  viande  de  mouton.  Cette  baisse  n'atteint  pas  en 
France  aS  centimes  pour  le  bœuf  et  i5  centimes  pour 
le  mouton.  Les  viandes  de  seconde  et  troisième  caté- 
gorie ont  subi  en  Angleterre  une  baisse  plus  accentuée 
(|ue  celle  dont  nous  parlons  plus  haut  ;  en  France,  au 
contraire,  les  prix  sont  restés  stationnaires. 

Nous  croyons  pouvoir  affirmer  que  la  protection  doua- 

ZOLLA.  —  Crise  agricole.  14 


210  LA   PROTECTION  DOUANIÈRE 

nière  a  soutenu  les  cours  français  et  déterminé  une 
hausse  relative  de  o  fr.  aS  par  kilogramme  de  bœuf  et  de 
ofr.3o  par  kilogramme  de  mouton  —  viande  nette.  Ce 
que  nous  disons  ici  du  bœuf  est  vrai,  bien  entendu,  pour 
tous  les  animaux  de  l'espèce  bovine.  En  d'autres  ter- 
mes, les  producteurs  ruraux  vendent  leur  bétail  plus 
cher  qu'ils  ne  le  vendraient  si  les  importations  étran- 
gères n'étaient  pas  taxées.  Cette  hausse  relative  équi- 
vaut, croyons-nous,  à  une  subvention  de  o  fr.  aS  par 
kilogramme  de  viande  de  bœuf  et  o  fr.  3o  par  kilo- 
gramme de  mouton. 

Or,  voici  quelle  est  la  quantité  de  viande  provenant 
de  bœufs  ou  moutons  français  : 


Bœufs millions  de  kilog.       543 

Mouton ii3 


Total 656 

Sans  tenir  compte  des  autres  viandes,  dont  le  poids 
est  à  peu  près  égal,  la  hausse  dont  nous  avons  parlé 
correspond  à  i35  millions  pour  le  bœuf  et  à  34  millions 
pour  le  mouton,  soit  loo  millions,  par  an,  pour  ces 
deux  produits. 

Conclusion.  — En  résumé,  il  est  certain  que  la  légis- 
lation douanière  nouvelle,  inaugurée  en  1892,  a  exercé 
une  influence  décisive  sur  les  prix  des  principaux  pro- 
duits agricoles.  Elle  a  provoqué  une  hausse  relative  en 
ce  sens  qu'elle  a  atténué  et  limité  une  baisse  plus  accen^ 
tuée. 

Sans  tenir  compte  des  autres  denrées  d'origine  ani- 
male dont  les  cours  ont  pu  être  rehaussés  par  l'appli- 


LA    PROTECTION  DOUANIERE  211 

cation  de  notre  tarif  douanier,  nous  trouvons  que  l'agri- 
culture reçoit  sous  forme  de  subvention  indirecte,  cor- 
respondant à  un  impôt  de  consommation  payé  par  les 
populations  non  agricoles  : 

i"  268  à  335  millions  pour  le  froment; 

^^  169  millions  pour  i  catégories  de  viandes,  les 
autres  espèces  étant,  d'ailleurs,  bien  supérieures,  en 
poids,  à  la  consommation  des  producteurs. 

Le  total  s'élèverait  à  437  ou  5o4  millions  de  francs. 

Est-il  permis  de  soutenir  que  l'agriculture  n'a  pas  été 
suffisamment  protégée  ? 

Cette  protection  n'a  malheureusement  satisfait  per- 
sonne, parce  que  les  agriculteurs  ne  se  rendent  pas 
compte  exactement  des  avantages  qui  leur  ont  été  con- 
cédés. La  baisse  absolue  des  cours  est  un  fait  précis, 
aisé  à  vérifier,  qui  masque  la  hausse  relative  qu'a  pro- 
voquée l'établissement  des  tarifs  protecteurs. 

D'ailleurs,  les  bénéfices  réalisés  dans  la  culture  ont 
diminué,  parce  que  les  recettes  brutes  obtenues  se  sont 
abaissées. 

Comment  un  fermier  qui  gagne  moins  d'argent 
aujourd'hui  qu'il  y  a  vingt  ans  pourrait-il  se  déclarer 
satisfait,  c'est-à-dire  suffisamment  protégé  ?  D'autre 
part,  personne  n'ignore  que  la  réduction  des  profits  cul- 
turaux  a  eu  pour  conséquence  la  baisse  des  fermages. 

La  valeur  locative  du  sol  représente  une  fraction  des 
recettes  brutes.  Quand  les  prix  des  denrées  subissent 
une  baisse,  le  produit  brut  diminue  et  la  valeur  en 
argent  de  la  part  réservée  au  propriétaire  se  trouve 
réduite  dans  la  même  proportion. 

Les  propriétaires  fonciers  ne  sont  pas  moins  mécon- 


212  LA    PROTECTION  DOUANIERE 

tents  que  leurs  tenanciers  et  ils  ne  sauraient  admettre 
que  la  protection  dont  ils  jouissent  se  traduise  par  une 
diminution  de  leurs  revenus.  Or,  c'est  là  le  résultat 
qu'ils  constatent  et  tous  les  raisonnements  du  monde  ne 
sauraient  leur  faire  admettre  qu'ils  bénéficient  d'une 
protection  efficace,  puisque  leur  fortune  a  diminué.  Rien 
ne  peut  les  empêcher  de  penser  et  de  dire  que  la 
richesse  de  la  France  a  décru,  puisque  la  valeur  locative 
et  vénale  de  leurs  domaines  se  trouve  réduite. 

Rien  ne  saurait  prouver  plus  clairement  que  la  pro- 
tection douanière  n'est  qu'un  expédient  économique  et 
politique. 

La  protection  des  intérêts  agricoles. 

Pour  atténuer  les  effets  de  la  crise,  l'industrie  agri- 
cole aussi  bien  que  la  propriété  foncière  nous  parais- 
sent avoir  été  singulièrement  favorisées  et  protégées 
par  le  législateur  depuis  vingt  ans.  C'est  ce  qu'il  est  aisé 
de  démontrer  sans  contester  bien  entendu  les  titres 
que  pouvaient  avoir  propriétaires  et  agriculteurs  à  la 
sollicitude  bienveillante  qui  leur  a  été  témoignée. 

Cultivateurs  et  propriétaires-cultivateurs  bénéficient, 
tout  d'abord,  de  certaines  immunités  fiscales  dont  le 
privilège  leur  a  été  concédé  ou  maintenu.  La  loi  du 
i"  décembre  1887  exonère  de  l'impôt  foncier  les  ter- 
rains nouvellement  plantés  en  vigne  ;  celle  du  8  août  1 890 
accorde  aux  propriétaires  ruraux  un  dégrèvement  d'im- 
pôt foncier  de  i5  millions,  et,  le  21  juillet  1897,  la  loi  de 
finances  concède  encore  des  remises  totales  ou  par- 
tielles   sur   la    contribution   foncière   des    petites   pro- 


LA    PROTECTION   DES   INTÉRÊTS    AGRICOLES  2i3 

priétés  —  non  l)âties.  Ce  dernier  dégrèvement  repré- 
sente, à  lui  seul,  une  somme  de  20  millions. 

La  loi  sur  les  boissons  du  29  décembre  1900  maintient 
le  privilège  des  bouilleurs  de  cru. 

Il  est  clair  que  les  propriétaires  ou  cultivateurs  con- 
tinuent également  à  n'acquitter  aucun  droit  de  circula- 
tion pour  les  boissons  qu'ils  consomment  dans  leurs 
exploitations. 

L'abolition  des  droits  d'entrée  et  de  vente  au  détail, 
et  la  réduction  des  droits  d'octroi  communaux  n'ont  pu 
que  favoriser  indirectement  leurs  intérêts  en  facilitant  la 
vente  de  leurs  produits. 

L'industrie  agricole  continue  à  profiter  d'une  exemp- 
tion d'impôt  en  ce  qui  concerne  les  patentes.  Après 
avoir  posé  en  principe  dans  l'article  premier  de  la  loi 
du  1 5  juillet  1880  que  tout  Français  qui  exerce  en  France 
une  industrie  est  assujetti  à  la  contribution  des  patentes, 
le  législateur  prend  soin  (art.  17)  d'exempter  expressé- 
ment les  «  laboureurs  et  cultivateurs  ». 

Nous  sommes,  certainement,  hostiles  à  toute  aggra- 
vation des  charges  fiscales  actuelles  de  l'industrie  agri- 
cole très  éprouvée  par  la  baisse  considérable  du  prix 
de  ses  produits.  L'établissement  d'une  patente  agricole 
nous  paraîtrait  donc  souverainement  impolitique  et  nous 
ne  combattrions  pas  avec  moins  d'énergie  tout  impôt  sur 
le  revenu  atteignant  les  profits  agricoles  ;  mais  il  nous 
paraît,  au  contraire,  très  légitime  de  constater  que 
l'agriculture  bénéficie  d'une  faveur  spéciale.  Il  est  d'au- 
tant plus  utile  de  le  faire  remarquer  qu'un  certain  nombre 
de  personnes  sont  disposées  à  l'oublier.  On  va  même 
jusqu'à  soutenir  que  l'agriculture  acquitte,  elle  aussi,  sa 


2i4  LA    PROTECTION  DES   INTÉRÊTS  AGRICOLES 

patente  spéciale  sous  forme  d'i/npot  foncier.  Cette  opi- 
nion ne  nous  paraît  nullement  fondée,  et  il  suffit  de  se 
reporter  aux  textes  fondamentaux  relatifs  à  la  contribu- 
tion foncière  ou  aux  patentes  pour  le  démontrer  (i). 

Indépendamment  des  immunités  fiscales  dont  l'indus- 
trie agricole  a  été  favorisée,  il  faut  tenir  compte  des 
subventions  directes  et  indirectes  dont  elle  bénéficie. 

Les  primes  accordées  à  la  culture  du  lin  et  du  chanvre 
représentent  des  primes  directes  ;  il  en  est  de  même 
pour  celles  qui  doivent  favoriser  la  sériciculture.  Les 
premières  figurent  un  budget  pour  a  ooo  ooo  francs,  et 
les  secondes  pour  4  228  000  francs. 

Les  bonis  de  fabrication  et  les  primes  d'exportation 
allouées  aux  fabricants  de  sucre  par  diverses  lois 
depuis  1884,  ont  eu  pour  objet,  nous  a-t-on  maintes  fois 
assuré,  de  relever  le  prix  d'achat  des  betteraves.  Les 
cultivateurs  ont  bénéficié  ou  devaient  profiter  —  paraît- 
il  —  des  sacrifices  énormes  imposés  aux  contribuables 
en  général.  Il  s'agit  donc  là  de  primes  indirectes,  et  en 
tout  cas,  d'une  protection  visiblement  accordée  à  la 
culture.  Ces  primes  seront  distribuées  encore  pendant 
un  an,  au  moins  ;  nous  avons  donc  le  droit  d'en  parler. 
L'Etat  a  versé  plus  de  800  millions  depuis  dix-sept  ans 
pour  favoriser  en  même  temps  les  producteurs  de  bette- 
raves et  les  fabricants  de  sucre;  il  serait  impardonnable 
de  passer  sous  silence  de  pareils  témoignages  d'intérêt 
accordés  à  l'agriculture. 

Toutes  ces  mesures  n'ont  eu,  pourtant  qu'une  influence 


(i)    Voir    pour   plus  de   développements  :    uos  Etudes  d'économie 
rurale,  Paris,  Masson,  1896. 


LA    PROTECTION   DES    INTÉRÊTS   AGRICOLES  20 

bien  médiocre  sur  la  situation  générale  de  l'industrie 
agricole. 

Ce  sont  des  palliatifs,  des  encouragements,  des  satis- 
factions accordées  à  des  réclamations  pressantes  et 
bruyantes  et  non  pas  des  solutions  définitives. 

Les  primes  accordées  à  la  culture  du  lin  et  du  chanvre 
n'ont  point  empêché  cette  production  de  décliner. 

La  législation  sucrière  a  eu  pour  conséquence  un 
développement  trop  rapide  de  notre  production  ;  elle  a 
provoqué  une  crise  spéciale  qui  aura  pour  sokition  un 
remaniement  complet  de  notre  régime  fiscal  applicable 
aux  sucres. 

En  voici  l'explication  : 

De  1884  à  1900,  notre  production  a  doublé  tandis  que 
la  consommation  intérieure  restait  stationnaire. 

C'est  là,  semble-t-il,  une  bizarre  anomalie,  mais  rien 
n'est  plus  naturel  et  plus  logique  que  cette  situation. 

La  loi  de  1884  accordait  aux  fabricants  de  sucre  des 
«  bonis  »  de  fabrication  représentés,  qu'on  le  remarque 
bien,  par  des  remises  d'impôt.  La  taxe  frappant  les 
sucres  consommés  n'était  pas  acquittée  par  tous  les 
sucres  produits.  Cette  taxe  portait  —  non  pas  sur  le 
sucre  fabriqué  —  mais  sur  la  betterave.  Un  rendement 
légal  de  7  ^^,  700  par  100  kilos  de  betteraves  était  imposé 
au  fabricant  qui  payait  l'impôt  de  60  francs  par  quintal 
de  sucre  d'après  cette  hypothèse  légale. 

Mais  tout  le  sucre  extrait  réellement  par  lui  de 
100  kilos  de  betteraves,  au  delà  de  7''^, 750,  bénéficiait 
d'une  remise  ou  détaxe  égale  : 

1°  A  3o  francs  par  quintal  pour  toute  la  quantité  de 
sucre  extraite  au  delà  de  7^^,750  jusqu'à  io''^,5oo. 


2i6  LA    PROTECTION   DES   INTÉRÊTS    AGRICOLES 

2"  à  3o  francs  également  pour  la  moitié  du  sucre 
extrait  au  delà  de  io^^,5oo, 

Ces  remises  d'impôt  permettaient  néanmoins  au  fabri- 
cant de  vendre  son  sucre  détaxé  au  même  cours  que  le 
sucre  qui  avait  acquitté  le  droit  plein,  —  Le  bénéfice 
du  fabricant  était  donc  égal,  exactement,  à  l'impôt  dont 
il  lui  était  fait  remise,  et  ce  bénéfice  était  ainsi  cC autant 
plus  grand  que  V impôt  était  lui-même  plus  élevé^  ou  que 
les  quantités  fabriquées  dans  l'usine  étaient  plus  consi- 
dérables, à  la  condition  bien  entendu,  que  les  rende- 
ments réels  des  betteraves  traitées  fussent  toujours 
supérieurs,  le  plus  largement  possible,  au  rendement 
légal. 

De  là  une  triple  conséquence  résultant  de  l'applica- 
tion de  la  loi  de  1884  • 

Inculture  de  betteraves  riches,  pour  que  le  rendement 
réel  en  sucre  dépassât  le  rendement  légal,  ^^^,^^0,  à 
partir  duquel  des  remises  d'impôts  accroissaient  le  béné- 
fice industriel  du  fabricant  ; 

Q."  Accroissement  des  quantités  de  betteraves  traitées 
et  du  poids  de  sucre  produit,  puisque  les  bonis  alloués 
étaient  proportionnels,  toutes  choses  égales  d'ailleurs, 
à  la  production  de  l'usine  : 

3"  Maintien  d'un  impôt  élevé  sur  le  sucre  consommé, 
puisque  le  boni  était  égal  à  une  fraction  de  cet  impôt. 

Cette  dernière  observation  a  une  importance  capitale. 
Oui,  la  loi  de  1884,  accordant  des  remises  d'impôt  sous 
forme  de  a  bonis  »,  avait  imposé  —  du  même  coup  —  l'élé- 
vation de  la  taxe  de  consommation.  Abaisser  cet  impôt, 
c'était  réduire  le  «  boni  »;  le  supprimer,  c'eût  été  faire 
disparaître  tout  «  boni  »  alloué  au  fabricant. 


LA   PROTECTION   DES   INTÉRÊTS   AGRICOLES  217 

Comprend-on  maintenant  pourquoi  la  consommation 
restait  stationnaire,  pendant  que  la  production  s'accrois- 
sait ? 

Une  taxe  de  60  francs  par  quintal  frappant  un  produit 
—  le  sucre  —  qui  valait  de  3o  à  82  francs,  en  triplait  la 
valeur  et  arrêtait,  du  même  coup,  le  développement  de 
la  consommation  intérieure. 

D'autre  part,  cette  taxe  très  élevée  favorisait  la  pro- 
duction et  la  stimulait,  en  accroissant  l'importance  des 
«  bonis  »  de  fabrication. 

Enfin,  l'état  stationnaire  de  notre  consommation  inté- 
rieure a  rendu  indispensable  l'exportation  de  nos  sucres, 
et  à  l'accroissement  des  quantités  fabriquées  correspond, 
alors,  logiquement,  l'accroissement  des  quantités  expor- 
tées à  l'étranger. 

Cette  nécessité  d'exporter  est  même  devenue  si  pres- 
sante que  nous  avons  donné,  en  1897,  ^  ^^^  fabricants 
des  primes  directes  d'exportation  lorsque  leurs  concur- 
rents, abaissant  les  cours  sur  les  marchés  étrangers, 
grâce  aux  primes  directes  ou  indirectes  dont  ils  béné- 
ficiaient enx-mêmes,  ont  rendu  cette  mesure  indis,pen- 
sable. 

Aujourd'hui,  il  est  vraisemblable  que  les  primes  d'ex- 
portation, aussi  bien  que  les  «  bonis  »,  vont  être  sup- 
primés à  l'étranger  et  en  France. 

Comment  pourrons-nous  prévenir  et  atténuer  la  crise 
qui  nous  menace  ?  Comment  trouverons-nous  le  moyen 
d'assurer  l'écoulement  des  5  ou  600  000  tonnes  repré- 
sentant l'excédent  de  notre  production  actuelle,  si  tou- 
tefois cette  production  doit  rester  aussi  élevée? 

Nous  ne  le  savons  pas  encore. 


2i8  LES   SOLUTIONS   DÉFINITIVES 

La  législation  sucrière  protectrice,  si  souvent  vantée 
par  les  intéressés  n'a  donc  été,  elle,  aussi  qu'un  expé- 
dient économique  et  politique;  elle  n'est  pas  conforme 
à  la  nature  des  choses  et  aux  intérêts  permanents  de 
l'agriculture.  Ce  n'est  môme  pas  une  solution  partielle 
et  acceptable  de  la  crise  agricole.  D'ici  quelques  jours 
elle  va,  d'ailleurs,  être  modifiée. 


Les  solutions  définitives 

C'est  la  baisse  des  prix  qui  a  provoqué  la  crise  agri- 
cole. Une  hausse  pourrait  donc  l'atténuer,  en  arrêter 
les  effets,  ou  même  faire  succéder  à  une  période 
d'épreuves  une  ère  de  prospérité. 

Aujourd'hui,  le  développement  de  la  production  dans 
le  monde  et  le  bon  marché  des  transports  rendent  cette 
hausse  fort  peu  probable  à  moins  qu'un  brusque  afflux 
d'or  ne  vienne  agir,  comme  en  i85o,  sur  le  niveau 
général  des  cours  et  les  rehausser.  L'énorme  et  rapide 
développement  de  la  production  du  métal  jaune,  un 
moment  arrêté  par  la  guerre  du  Transvaal,  permet 
d'accepter  cette  hypothèse. 

Dans  ce  cas,  le  relèvement  des  cours  aurait  pour 
conséquence  l'augmentation  des  recettes  brutes  de 
l'entrepreneur  de  culture  et  la  hausse  des  profits.  Ce 
sont  les  capitalistes  agricoles,  fermiers  et  propriétaires 
qui  souffrent  aujourd'hui  de  la  crise;  ce  sont  ces 
mêmes  personnes  qui  profiteraient  de  l'élévation  des 
prix  et  des  bénéfices  culturaux.  Mais  si  le  prix  des 
denrées  agricoles  et  les  profits  industriels  du  cultiva- 
teur s'élevaient  à  ce  moment,  il  n'en  résulterait  nulle- 


LES  SOLUTIONS    DÉFINITIVES  219 

ment  que  la  masse  générale  des  produits  fut  accrue 
et  que  la  richesse  publique  augmentât. 

Tout  autre  est  Tinfluence  que  peuvent  exercer  le 
perfectionnement  des  moyens  de  production  et  l'abais- 
sement des  prix  de  revient.  Ce  sont  là  des  solutions 
définitives,  des  progrès  acquis  et  durables,  ayant  pour 
conséquence  Faccroissement  des  richesses  produites 
et  non  pas  une  modification  passagère  de  leur  réparti- 
lion  entre   ces  citoyens. 

Dans  Tordre  économique  et  financier,  l'association, 
sous  toutes  ses  formes  ;  dans  Tordre  industriel  et  tech- 
nique l'application  des  données  de  la  science  contrôlées 
par  l'expérience;  telles  sont  les  solutions  de  la  crise 
agricole.  Il  n'y  en  a  pas  d'autres. 

Nous  ajouterons,  cependant,  que  pour  arriver  à 
obtenir  rapidement  cette  transformation  des  méthodes 
de  production  il  est  indispensable  que  les  hommes  ins- 
truits, actifs  et  disposant  des  capitaux  suffisants  s'in- 
téressent aux  choses  de  la  terre.  Leur  collaboration 
peut  avoir  la  plus  haute  portée  économique  et  sociale. 
Nous  ne  saurions  mieux  faire,  à  ce  propos,  que  de 
reproduire  ici  les  conclusions  de  notre  étude  sur 
l'Agriculture  Américaine. 

«  Dans  nos  vieux  pays,  disions-nous  on  ne  trouve 
que  trop  rarement  des  propriétaires  hardis  qui  se 
mettent  à  l'œuvre,  dirigentla  culture  de  leurs  domaines, 
résident  sur  leurs  terres,  et  jouent  le  rôle  du  Yankee 
de  l'ouest  américain.  A  nos  yeux,  la  terre  est  un  place- 
ment de  père  de  famille.  On  achète  une  ferme  ou  une 
métairie,  —  ou  plutôt,  on  les  achetait  —  pour  asseoir 
solidement  sa  fortune   et  la  mettre  à  l'abri  des  fluctua- 


220  LES    SOLUTIONS    DEFINITIVES 

tions  de  cours  des  valeurs  mobilières,  ou  des  revers 
qui  peuvent  atteindre  les  hommes  dont  tout  l'avoir  est 
engagé  dans  «  les  affaires  ». 

Dès  lors,  la  principale,  sinon  l'unique  préoccupation 
du  propriétaire  bourgeois,  c'était  de  toucher  régulière- 
ment ses  fermages  ou  sa  part  de  récolte,  de  réparer  les 
bâtiments  de  son  domaine  —  quand  cela  était  indispen- 
sable, —  ou  de  surveiller  son  tenancier,  si  besoin  était, 
pour  qu'il  cultivât  «  en  bon  père  de  famille  »,  comme 
dit  le  Gode  civil. 

Ainsi  compris,  le  rôle  d'un  propriétaire  ne  laisse  pas 
que  d'être  utile.  La  location  môme  d'un  domaine  bien 
entretenu,  pourvu  de  bâtiments  suffisants,  de  pailles, 
de  fourrages,  et  souvent  aussi  d'animaux  domestiques, 
est,  en  réalité,  une  opération  de  crédit.  Le  propriétaire 
met  à  la  disposition  des  cultivateurs  un  capital  cinq  ou 
six  fois  plus  considérable  que  la  fortune  du  fermier. 
Quand  il  s'agit  du  métayer,  c'est  même  le  propriétaire 
qui  fournit  tout  ce  qui  est  indispensable  à  la  culture. 
L'action  directe  et  l'influence  exercée  par  un  pro- 
priétaire français  sont  pourtant  moins  marquées  que 
celles  du  propriétaire  américain  formant,  dirigeant,  et 
créant,  en  quelque  sorte,  son  domaine  rural.  A  plus 
forte  raison,  la  différence  est,  plus  sensible  entre  le 
propriétaire  français  et  le  «  farmer  »  américain  de 
riowa,  de  l'Indiana,  de  l'Illinois,  États  déjà  colonisés 
depuis  trente  ou  quarante  ans  et  où  il  existe  une  foule 
de  cultivateurs  propriétaires  du  sol  qu'ils  exploitent. 

A  quoi  tiennent  ces  différences?  Ce  sont  les  mœurs 
qui  les  expliquent. 

En  France,  nous  avons  encore  le  plus  profond  dédain 


LES    SOLUTIONS   DEFINITIVES  iii 

pour  la  profession  d'agriculteur.  Nous  confondons, 
sans  réflexion  comme  sans  raison,  Tentrepreneur  de 
culture,  c'est-à-dire  l'industriel  agricole  qui  dirige  une 
exploitation,  avec  le  domestique  ou  le  manœuvre.  Aux 
yeux  des  citadins  ignorants  qui  sont  esclaves  de  leurs 
préjugés,  un  agriculteur  ne  peut  être  qu'un  rustre,  un 
serf  de  la  glèbe  courbé  sur  le  sillon,  et  pour  tout  dire, 
«  un  paysan  )).  En  vain  essaiera-t-on  de  faire  com- 
prendre même  aux  «  gens  du  monde  »  qu'un  agricul- 
teur ne  doit  pas  plus  être  confondu  avec  un  manœuvre 
qu'un  directeur  d'usine  avec  son  ouvrier.  En  vain 
répéterez-vous  qu'il  est  tout  aussi  honorable  —  et  diffi- 
cile —  de  bien  faire  pousser  du  blé  ou  d'élever  intelli- 
gemment des  animaux,  que  de  fabriquer  du  sucre  ou 
des  bonnets  de  coton  !  Vous  ajouteriez  même  que  la 
profession  d'agriculteur  exige,  pour  être  exercée  avec 
talent  et  profit,  tout  autant  d'instruction  que  celle  de 
commerçant,  d'industriel,  ou  de  fonctionnaire,  qu'un 
agriculteur  peut  être  un  galant  homme  de  toutes  façons, 
que  sa  situation  le  rend  indépendant,  lui  assure  une 
existence  souvent  très  large,  une  vie  active  et  saine... 
Ce  serait  peine  perdue.  Le  préjugé  est  là,  vivant,  majes- 
tueux, ridicule,  mais  respecté. 

Oh  !  s'il  s'agissait  d'un  ingénieur,  d'un  fonctionnaire, 
d'un  attaché  au  cabinet  de d'un  auditeur,  d'un  ins- 
pecteur, sa  position  de  fortune,  son  utilité  sociale,  son 
indépendance  et  par  conséquent  sa  véritable  dignité 
d'homme  fussent-elles  moins  hautes,  personne  n'hési- 
terait à  le  classer  dans  la  catégorie  des  gens  du  monde, 
de  ceux  qui  ont  une  «  situation  ».  L'agriculteur  n'a 
pas  de  situation,  il  n'est  pas  «  coté  ».  Le  propriétaire 


222  LES    SOLUTIONS   DEFINITIVES 

n'est  lui-même  accepté  qu'à  la  condition  de  vivre  à  la 
ville  sans  déroger,  c'est-à-dire  sans  trop  s'intéresser 
à  ses  domaines,  si  ce  n'est  à  l'automne...  quand  on 
chasse.  S'il  est  très  riche,  on  lui  pardonnera  de  se 
faire  éleveur  ou  d'engraisser  ses  bœufs,  mais  on  le 
traitera  «  d'original  »,  mot  indulgent  qui  excuse  sa  folie 
en  lui  donnant  un  vernis  de  bon  ton. 

Indépendamment  du  préjugé  qui  existe  dans  notre 
pays  à  l'égard  des  agriculteurs,  il  faut  noter  une  autre 
opinion  concernant  l'agriculture. 

Beaucoup  de  gens  croient  qu'il  est  impossible  de 
réaliser  des  profits  sérieux  en  cultivant  la  terre.  La 
preuve  ?  C'est  que  les  capitaux  consacrés  à  l'achat  d'une 
propriété  rurale  ne  rapportent  que  2,5  ou  3  p.  loo  — 
E<n  vérité,  c'est  se  moquer  du  monde  et  raisonner 
d'étrange  sorte  ! 

La  terre  louée  par  un  propriétaire  qui  ne  la  cultive 
pas  donne  un  faible  revenu  par  rapport  à  son  prix 
d'achat.  C'est  vrai;  mais  cela  prouve  tout  simplement 
que  la  concurrence  des  acheteurs  a  élevé  graduelle- 
ment le  prix  de  cette  valeur  de  tout  repos,  et  que  l'on 
paie  très  cher  un  faible  revenu  pour  être  sûr  ou  à  peu 
près  de  ne  pas  perdre  le  capital  lui-même. 

Cela  ne  prouve  rien  en  ce  qui  touche  le  profit  agri- 
cole c'est-à-dire  le  gain  réalisé  par  l'agriculteur  au 
moyen  des  capitaux  qui  servent  à  faire  produire  le  sol 
ou  à  utiliser  ses  récoltes  au  moyen  des  animaux  de  la 
f^rme  :  or,  ce  capital  «  d'exploitation  »  donne  un 
revenu  p.  loo  trois  ou  quatre  fois  plus  élevé  que 
celui  du  propriétaire.  Si  ce  dernier  touche  2,5  ou  3  p.  i  oo  ; 
l'agriculteur  obtient  y,  lo  ou  i5  p.  loo.  Voilà  la  vérité. 


LES    SOLUTIONS   DÉFINITIVES  223 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai,  très  malheureusement, 
que  les  deux  préjugés  dont  nous  venons  de  parler, 
exercent  sur  le  sort  de  notre  agriculture  une  détestable 
inlluence. 

Ils  détournent  des  champs  les  activités  et  les  capi- 
taux qui  devraient  s'y  porter  pour  le  plus  grand  profit 
de  notre  pays.  Nous  ne  tirons  pas  de  notre  sol  les 
richesses  qu'il  pourrait  nous  donner.  Nous  condamnons 
à  une  vie  étroite,  sans  indépendance,  parfois  même 
sans  dignité,  des  hommes  jeunes,  actifs,  intelligents, 
qui  chercheront  une  «  place  »  au  lieu  de  vivre  libres, 
heureux,  en  contribuant  à  développer  la  fortune  de  leur 
pays. 

Il  faut  rendre  aux  Américains  cette  justice  que  nul 
préjugé  n'existe  dans  leur  esprit  au  sujet  de  l'agricul- 
teur et  de  l'agriculture.  Un  homme  qui  était  hier  ban- 
quier, médecin,  avocat,  ingénieur  ou  négociant,  ne 
croira  jamais  déroger  en  devenant»  farmer  ».  La  qua- 
lité d'homme  du  monde  leur  paraît  résulter  moins  de 
la  profession  qu'on  exerce  que  de  l'éducation,  de 
l'élévation  des  idées  et  de  l'étendue  des  connaissances. 

Beaucoup  des  hommes  d'état  américains  ont  été  des 
agriculteurs.  Aujourd'hui  on  semble  voir  sans  étonne- 
ment,  un  «  farmer  »  ministre  de  l'agriculture  et  ses 
antécédents  ne  paraissent  pas  nuire  à  son  autorité  ou 
diminuer  son  prestige. 

Ce  qui  caractérise,  d'ailleurs,  la  société  et  la  vie 
sociale  américaine  c'est  l'extrême  instabilité  des  situa- 
tions. Tel  homme  qui  se  trouve  aujourd'hui  négociant, 
sera  demain  agriculteur  ou  homme  politique.  Les  cul- 
tivateurs  ne  forment  donc    pas    une   classe  où  ils  se 


224  LES    SOLUTIONS    DEFINITIVES 

trouvent  enfermés.  Demain,  le  fonctionnaire  ou  le 
médecin  qui  a  acheté  une  ferme,  ne  trouvera  pas  de 
locataires  et  sera  forcé  de  la  cultiver  lui-même,  d'ins- 
taller des  métayers  sur  son  domaine,  d'y  créer  au 
besoin  une  usine  ou  d'y  exploiter  un  moulin.  Com- 
ment dès  lors  traiter  dédaigneusement  de  «  paysan  » 
l'homme  que  l'on  voyait  la  veille  dans  un  cabinet 
d'affaires  et  qu'on  retrouvera  dans  un  salon  six  mois 
plus  tard  ! 

En  France,  un  propriétaire  habitué  à  toucher  régu- 
lièrement ses  fermages  les  voit  diminuer  brusquement. 
11  se  tourmente  si  sa  ferme  ne  trouve  pas  preneur,  il 
accuse  le  ciel  et  la  terre,  demande  à  grand  cris  la 
protection  de  l'État  et  invoque  ses  droits  à  la  stabi- 
lité, à  la  régularité  de  ses  revenus,  voir  même  à  leur 
augmentation,  signe  certain  de  la  prospérité  publique. 

Aux  Etats-Unis,  cet  état  de  crise  et  d'instabilité  ne 
suscite  pas  tant  d'émotion  et  ne  provoque  pas  tant  de 
plaintes.  Les  propriétaires  agissent  au  lieu  de  parler  et 
ils  s'occupent  de  tirer  parti  de  leurs  terres  au  lieu  de 
demander  à  l'Etat  de  les  protéger. 

Sans  doute,  il  serait  facile  de  citer  en  France  des 
propriétaires  actifs  et  aux  États-Unis  des  hommes  non- 
chalants. Cependant,  tous  les  observateurs  impartiaux 
conviendront  qu'on  se  désintéresse  trop  dans  notre 
pays  —  et  surtout  qu'on  s'est  trop  désintéressé  jus- 
qu'à présent  —  des  choses  de  la  terre.  Mais,  dira-t-on, 
tous  les  propriétaires  n'ont  pas  le  temps  de  s'occuper 
de  leurs  domaines,  et  d'ailleurs  quand  une  exploitation 
rurale  est  bien  affermée  à  un  tenancier  solvable,  qn  y 
a-t-il  à  faire  ? 


LES    SOLUTIONS    DÉFINITIVES  22$ 

Cette  dernière  observation  est  fort  juste,  et  nos 
réflexions  ne  visent  pas  le  propriétaire  d'un  domaine 
confié  à  un  directeur  actif,  suffisamment  riche  et  habile. 
Il  existe  malheureusement  des  milliers  de  fermes  qui 
ne  sont  pas  dans  cette  situation.  Si  leurs  possesseurs 
ne  peuvent  ou  ne  savent  pas  les  exploiter  avec  profit, 
qu'ils  s'adressent  à  des  ingénieurs  agricoles  sortis  de 
nos  écoles,  qu'ils  se  groupent  entre  eux  pour  constituer 
une  surface  cultivée  assez  étendue  et  réduire  les  frais 
d'administration.  Le  jour  où  l'on  voudra  entrer  dans 
cette  voie  on  réussira.  Mais  il  faut  avoir  le  courage  et 
l'intelligence  de  rompre  avec  les  préjugés  régnants.  Il 
faut  oser,  et  envisager  avec  calme  la  situation  nouvelle 
de  notre  agriculture  européenne. 

Ce  ne  sont  pas  les  procédés  de  culture  usités  aux 
Etats-Unis  qu'il  convient  d'imiter  ou  de  copier  servi- 
lement. C'est  l'énergie,  l'initiative,  la  hardiesse  et 
l'esprit  d'entreprise  de  nos  rivaux,  qu'il  est  indispen- 
sable de  posséder  pour  ne  pas  succomber  misérable- 
ment dans  la  lutte  engagée  avec  eux. 

On  compte  en  France  plus  de  a.iooooo  proprié- 
taires cultivant  eux-mêmes  leurs  héritages.  Ce 
n'est  pas  à  eux  que  s'adressent  nos  observations,  ils 
souffrent  d'ailleurs  beaucoup  moins  de  la  crise  agricole 
que  les  fermiers,  les  métayers  et  les  propriétaires  qui 
se  contentent  de  louer  leurs  terres.  Enfin,  beaucoup  de 
propriétaires  cultivateurs,  dans  le  Midi  notamment, 
dirigent  effectivement  leurs  domaines  à  l'aide  d'un 
régisseur  ou  d'un  maître  valet. 

Nous  pensons  surtout  aux  grands  et  moyens  proprié- 
taires,  à  ceux  qui  possèdent  des  métairies,  trop  sou- 

ZoLLA.  —  La  Grise  agricole.  i5 


•i26  LES    SOLUTIOiyS    DÉFINITIVES 

vent  abandonnées  aux  soins  d'un  tenancier  sans   con- 
naissances et  sans  ressources  suffisantes. 

Nous  songeons  également  à  ceux  qui  ne  peuvent  pas 
louer  leur  terre  ou  qui  sont  forcés  de  subir  des  réduc- 
tions de  fermage  considérables. 

Dans  la  plupart  des  circonstances  il  y  aurait  lieu  de 
modifier  les  systèmes  de  culture  suivis  par  les  culti- 
vateurs, de  tracer  un  nouveau  plan,  d'en  suivre  et  d'en 
modifier  rapidement  Texécution  suivant  le  cours  des 
denrées.  Il  est  impossible  aujourd'hui  de  cultiver  la 
terre  de  France  avec  profit  comme  on  la  cultivait  il  y  a 
trente  ans.  Peu  importe  que  ce  soit  là  un  malheur  : 
nous  sommes  forcés  de  subir  cette  transformation.  Eh 
bien,  dans  une  situation  nouvelle,  il  faut  employer  des 
procédés  nouveaux  et  utiliser  un  personnel  ayant  d'au- 
tres traditions  et  d'autres  connaissances. 

Hier  c'était  des  céréales  qu'il  convenait  de  cultiver  : 
demain  ce  sera  l'élevage,  l'engraissement,  la  production 
laitière  qu'il  faudra  préférer.  En  tenant  compte  de 
l'aptitude  naturelle  des  terres,  c'est  la  variété  des  pro- 
ductions qu'on  s'attachera  à  réaliser  pour  atténuer  dans 
quelques  cas  les  effets  de  la  baisse  des  cours,  ou  pro- 
fiter, au  besoin,  de  leur  hausse  momentanée, 

•  Se  produit-il  une  élévation  du  cours  des  fourrages, 
des  pailles  et  autres  aliments  du  bétail,  il  faut  savoir 
substituer  à  ces  denrées  des  résidus  industriels  ali- 
mentaires pour  pouvoir  porter  sur  les  marchés,  les  pro- 
duits dont  la  vente  deviendra  avantageuse. 

Une  baisse  du  bétail  maigre  devra  être  l'occasion 
d'un  achat,  les  variations  des  cours  détermineront  éga- 
lement le  choix  des  animaux  de  la  race  bovine,  ovine  et 


LES    SOLUTIONS    DÉFINITIVES  'î-i-J 

'porcine,  dont  on  préférera  Félevage  ou  dont  on  prati- 
quera momentanément  l'engraissement. 

Joignez  à  ces  conditions  économiques  et  commer- 
ciales les  recherches  relatives  à  l'emploi  des  engrais,  à 
l'irrigation,  au  drainage,  au  choix  des  semences,  à  l'op- 
portunité des  façons  culturales,  à  l'usage  des  meilleurs 
instruments,  à  l'utilisation  intelligente  du  personnel 
ouvrier,  et  vous  pourrez  comprendre  combien  doit  être 
désormais  délicate  la  tâche  d'un  cultivateur  éclairé 
sachant  cultiver  avec  profit. 

La  meilleure  méthode  d'enseignement  et  de  vulgari- 
sation des  connaissances  techniques  agricoles,  c'est 
l'exemple.  Quels  ne  seraient  pas  la  portée  et  l'effica- 
cité des  méthodes  introduites  et  le  développement  de 
richesse  obtenu  dans  vingt  ou  trente  mille  domaines  en 
France,  si  les  propriétaires  voulaient  s'en  occuper  ou 
confier  la  direction  de  ces  entreprises  à  un  personnel 
actif,  instruit  et  expérimenté. 

Depuis  cinquante  ans  nous  cherchons  en  France  la 
solution  d'un  problème  financier,  celui  du  crédit 
agricole.  C'est  surtout  au  profit  des  fermiers  et  des 
métayers  qu'il  paraît  utile  d'organiser  le  crédit  rural. 

Aux  Etats-Unis,  cette  question  n'a  pas  le  même  carac- 
tère, bien  qu'elle  soit  encore  plus  importante. 

Les  cultivateurs  étant  presque  toujours  propriétaires 
peuvent  se  servir  de  leurs  terres  pour  constituer  un 
gage.  Dans  la  plupart  des  cas,  l'agriculteur  trouve  du 
crédit  auprès  des  banquiers  qui  n'hésitent  pas  à  com- 
manditer un  «  l'armer  »  ou  son  colon.  Ce  sont  là  des 
opérations  courantes. 

En  France,  nos  grands  et  moyens  propriétaires  n'em- 


228  LES   SOLUTIONS   DÉFINITIVES 

pruntent  pas  pour  cultiver  puisqu'ils  ne  cultivent  guère  ; 
et  d'autre  part  il  ne  leur  vient  pas  à  la  pensée  de  prêter 
quelque  argent  à  leurs  fermiers  ou  métayers.  Cela  se 
comprend  à  la  rigueur,  car  ils  ne  pourraient  ni  contrôler 
l'emploi,  ni  apprécier  les  avantages  de  ces  prêts. 

S'ils  consentaient,  au  contraire,  à  s'intéresser  aux 
choses  agricoles  ou  s'ils  confiaient  l'administration  de 
leurs  domaines  à  des  hommes  compétents,  ils  pour- 
raient emprunter  au  besoin  sur  hypothèque  et  employer 
à  la  culture  des  sommes  qui  seraient  productives.  Le 
problème  du  crédit  rural  aurait  été  ainsi  partiellement 
résolu. 

L'union  étroite,  l'association  intime  du  propriétaire 
et  de  l'exploitant  toutes  les  fois  que  ce  dernier  n'est  pas 
lui-même  propriétaire,  voilà,  croyons-nous,  le  remède 
efficace  de  la  crise  actuelle  qui  atteint  surtout  le  loca- 
taire ou  le  possesseur  d'une  exploitation  affermée. 

Nous  avons  dit  et  nous  répétons  que  l'on  souffre 
comme  nous  aux  Etats-Unis  de  la  baisse  des  produits 
agricoles.  C'est  l'énergique  initiative  des  propriétaires 
qui  a  permis  d'en  atténuer  les  effets.  En  France  on  ne 
parviendra  à  obtenir  les  mêmes  résultats  qu'en  usant 
du  même  moyen. 

Il  faut  que  les  fils  de  nos  propriétaires  acquièrent 
une  solide  instruction  agricole  et  qu'ils  dirigent  eux- 
mêmes  la  culture  de  leurs  domaines  après  avoir  fait  un 
stage  dans  des  exploitations  biens  choisies. 

Toutes  les  fois  que  cette  solution  ne  peut  être  adoptée, 
les  propriétaires  devront  avoir  recours  à  des  directeurs 
techniques,  à  de  véritables  ingénieurs  agricoles  qui 
exploiteront  directement  ou  surveilleront  l'emploi  des 


LES    SOLUTIONS    DÉFINITIVES  229 

capitaux    confiés   à    des  fermiers   et    à    des    métayers. 

Aujourd'hui  cette  idée  nouvelle  aura  le  sort  de  tout 
ce  qui  est  nouveau;  on  ne  l'acceptera  pas.  Les  gens  du 
monde  nous  traiteront  d'utopiste,  mais  le  jour  où  leurs 
revenus  diminueront  au  point  de  devenir  nuls,  le  jour 
où  ils  auront  constaté  sur  différents  points,  le  succès  de 
cette  idée  et  la  réalisation  de  cette  chimère,  ils  sorti- 
ront de  leur  torpeur  et  ils  comprendront  qu'il  est 
sage  de  s'occuper  de  leurs  affaires  ou  de  confier  ce 
soin  à  ceux  qui  sont  capables  de  les  préserver  de  la 
ruine. 

«  C'est  là,  nous  dira-t-on,  une  boutade  d'écrivain  pes- 
simiste. Nous  triompherons  de  la  concurrence  étran- 
gère par  nos  tarifs  de  douane.  N'avez-vous  pas  dit 
vous-même  que  les  Américains  faisaient  moins  de  blé 
depuis  quelque  temps  et  qu'ils  ne  pouvaient  guère 
exporter  plus  du  quart  de  leur  production.  Le  déve- 
loppement de  leur  population  les  obligera  quelque 
jour  à  réduire  ce  chiffre  de  leurs  envois  et  le  cultiva- 
teur européen  sera  sauvé.  » 

Ces  espérances  nous  paraissent  hélas  bien  chiméri- 
ques. Laissons  de  côté,  la  question  des  tarifs  de  douane 
qui  est  surtout  une  question  politique,  et  parlons  de  la 
concurrence  américaine.  Il  est  vrai  que  sur  certains 
points  la  culture  du  blé  a  disparu  ou  a  perdu  de  son 
importance  aux  Etats-Unis.  Mais  en  revanche  on  étend 
cette  culture  à  mesure  que  l'on  défriche  de  nouvelles 
terres.  En  réalité  la  production  se  développe.  Quant 
aux  exportations  elles  ne  diminuent  pas,  elles  changent 
de  forme.  Au  lieu  d'exporter  du  froment  en  grains,  il 
arrive  souvent  que  Ton  expédie  des  farines. 


23o 


LES    SOLUTIONS    DÉFINITIVES 


Examinez  à  ce  propos  les  trois  graphiques  que  nous 
mettons  sous  les  yeux  du  lecteur. 

Le  premier  se  rapporte  à  la  production  et  à  l'expor- 
tation; depuis  quelques  années  sans  doute  les  récoltes 
sont  bien  supérieures  aux  expéditions,  mais  il  est 
visible  que  ni  les  unes  ni  les  autres  ne  décroissent. 

Voici  maintenant  le  double  graphique  qui  se  rapporte 


Million: 


Ctf      *■      C       O)      -J      03      es 


d ■ hecto  I  i  t  res 


aux  exportations  du  froment  en  grains  et  à  celles  des 
farines,  les  dernières  augmentent  graduellement.  Les 
premières  suivent  les  oscillations  des  demandes  en 
Europe,  mais  rien  n'accuse  et  ne  fait  prévoir  une 
réduction  sensible  et  prolongée.  S'il  est  exagéré  d'at- 
tribuer à  la  concurrence  améruaine  seule,  la  baisse  du 
froment,  on  ne  saurait  en  revanche  nier  l'importance 
de  ce  facteur  économique.  Ce  que  nous  disons  du  blé 
est  vrai  pour  les  autres  céréales  et  le  bétail.  Et  puis, 
nous  le  répétons,  on  parle  beaucoup  des  Etats-Unis, 
parce  que  le  public  a  été  très  frappé  des  récits  merveil- 
leux relatifs  au  Far-West  et  aux  immenses  champs  de 


LES    SOLUTIONS    DÉFINITIVES 


aSi 


blé.  Mais  c'est  le  monde  entier,  qui   aujourcriiiii  déve- 
loppe  sa  production   agricole.    Les    vieux    pays     eux- 


mêmes  cherchent  à  augmenter  la  productivité  de  leur 
sol  dans  l'espoir  de  se  suffire  à  eux-mêmes  et  de  com- 


232  LES    SOLUTIONS   DÉFINITIVES 

penser  la  baisse  du  prix  des  denrées  par  Taccroisse- 
ment  des  rendements.  Les  colons  européens  vont  en 
Asie,  en  Afrique,  en  Océanie  demander  à  des  terres 
nouvelles  de  nouveaux  produits  qui  font  à  leur  tour 
concurrence  à  l'agriculture  de  la  mère-patrie. 

Les  pessimistes  et  les  sophistes  disaient  à  ce  propos  : 
«  Tout  est  perdu,  nous  sommes  ruinés!  »  11  serait  vrai- 
ment étrange  que  l'abondance  des  richesses  fut  une 
cause  de  ruine,  et  que  les  hommes  mourussent  de  faim 
parce  qu'ils  auraient  produit  trop  de  blé,  de  maïs,  de 
lait  ou  de  viande.  La  vérité  est  tout  autre. 

Quelle  différence  existe-t-il  entre  la  France,  les  Etats- 
Unis  ou  tout  autre  pays  neuf  au  point  de  vue  de  la 
production  agricole?  Notre  terre  est  aussi  fertile,  notre 
climat  est  plus  favorable,  nos  salaires  ruraux  sont  moins 
élevés,  nos  voies  de  communications  sont  plus  nom- 
breuses, notre  richesse  acquise  plus  considérable;  enfin 
nous  n'avons  pas  besoin  de  chercher  au  loin  des  con- 
sommateurs. Notre  situation  n'est  donc  pas  aussi  péril- 
leuse qu'on  veut  bien  le  dire. 

Le  sol  dira-t-on  est  d'un  prix  plus  élevé  en  France! 
Gela  est  vrai,  mais  cette  circonstance  prouve  simple- 
ment que  sa  culture  permet  de  réaliser  plus  de  profits. 
Le  revenu  et  le  prix  des  terres  baisseront,  d'ailleurs, 
en  France  et  en  Europe,  si  ces  profits  viennent  à  dimi- 
nuer encore. 

Ce  sont  les  propriétaires  fonciers  qui  supporteront 
le  poids  de  la  crise  agricole,  et  parmi  eux,  les  plus  dou- 
loureusement frappés  seront  les  possesseurs  soumis  au 
régime  du  fermage  et  du  métayer. 
.  Qu'ils  perdent  donc  leurs  illusions  et  se  mettent  à 


LA    PORTÉE   SOCIALE    DE   LA    CRISE  233 

l'œuvre.  Nous  avons  indiqué  le  remède,  c'est  à  eux  de 
l'appliquer  résolument. 

LA   PORTÉE   SOCIALE   DE   LA  CRISE   AGRICOLE 

La  baisse  des  prix  et  la  crise  agricole  n'ont  pas  seu- 
lement une  très  grande  importance  économique.  Elles 
ont  également  une  haute  portée  sociale  qu'il  est  intéres- 
sant de  dégager.  A  l'heure  actuelle,  il  est  malheureuse- 
ment certain  que  la  baisse  du  prix  des  produits  ruraux 
a  eu  pour  conséquence  la  réduction  des  profits  attachés 
à  l'exploitation  du  sol.  Quelles  sont  maintenant  les  con- 
séquences de  cette  réduction  des  profits  réalisés  par 
les  entrepreneurs  de  culture  ?  Il  semble  logique  qu'elle 
ait  eu  une  répercussion  immédiate  :  i°  sur  la  valeur 
des  terres  ;  2°  sur  les  salaires  et  les  gages  des  travail- 
leurs manuels. 

La  baisse  des  loyers  agricoles  ou  du  prix  des  terres 
doit  être,  en  effet,  une  conséquence  de  la  diminution 
des  profits  parce  que  le  fermier  ou  l'exploitant  paye 
l'usage  de  l'instrument  pour  ce  qu'il  rapporte. 

La  baisse  des  salaires  paraît  être  aussi  une  suite  légi- 
time de  la  réduction  des  profits  et  des  revenus  des 
propriétaires. 

Eh  !  bien,  l'observation  des  faits  ne  confirme  nulle- 
ment cette  dernière  hypothèse.  Elle  nous  apprend  que 
si  les  revenus  fonciers  et  le  prix  des  terres  suivent  de 
très  près  les  oscillations  des  profits  industriels  attachés  7 
à  l'exploitation  du  sol,  en  revanche,  la  rémunération 
du  travailleur  manuel  subit  d'autres  influences,  est 
régie  en  quelque  sorte,  par  d'autres  lois,  et  s'élève  len-     / 


'234  LA    PORTÉE    SOCIALE    DE    LA    CRISE 

tement  durant  les  périodes  de  hausse,  tandis  qu'elle 
diminue  plus  lentement  encore  durant  les  périodes  de 
baisse  et  de  crise. 

Le  contraste  est  frappant  entre  la  baisse  si  rapide  des 
fermages  qui  a  été  la  conséquence  de  la  réduction  géné- 
rale des  profits  culturaux  et  Tétat  stationnaire^  ou  la 
hausse  des  salaires.  C'est  ce  que  nous  allons  essayer  de 
démontrer. 

Aujourd'hui,  tout  le  monde  sait  que  les  prix  de  fer- 
mage diminuent.  Voici,  pour  préciser  les  faits,  les 
variations  du  revenu  en  argent  de  vingt- sept  domaines 
ruraux  situés  dans  la  Somme  et  dans  l'Aisne  : 

1875 152.990 

1884 112.440 

1894 107.090 

En  vingt  ans  la  baisse  s'élève  à  47.900  fr.  ouà3i  p.  100. 

Voici,  maintenant,  soixante-cinq  domaines  et  marchés 
de  terre  situés  dans  le  département  de  l'Aisne.  Citons, 
au  hasard,  les  prix  de  location  par  hectare  en  1880  et 
1896  : 

Prix  de  location  par  licctaro. 
1880  1896 


30 
4° 

\  8° 

\  9° 

\'  11° 

i  12^ 


francs. 

francs 

I03 

70 

109 

78 

87 

75 

116 

80 

106 

70 

75 

60 

99 

70 

109 

60 

104 

45 

107 

70 

123 

75 

108 

75 

1.248 

828 

LA    PORTÉE    SOCIALE   DE  LA    CRISE  235 

Depuis  seize  ans,  la  baisse  des  revenus  fonciers  atteint 
29  p.  100  en  moyenne. 

Nous  pourrions  multiplier  les  exemples  et  aller  de 
région  en  région.  Sauf  exceptions,  la  même  observation 
peut  être  faite.  i 

Il  résulte  de  très  nombreuses  recherches  poursuivies    \ 
par  nous  depuis  dix  ans,  que  les  terres  labourables  ont 
baissé  de  prix  en  France  et  que  cette  baisse  s'élève  à 
20  ou  25  p.  100  si  l'on  compare  les  revenus  actuels  aux 
valeurs  locatives  constatées  il  y  a  quinze  ou  vingt  ans. 

Certes,  il  y  a  des  exceptions  à  cette  règle.  Et  nous 
venons  de  le  dire.  La  nature  des  cultures  et  surtout  des 
aptitudes  culturales  des  terres  expliquent  les  différen- 
ces qu'on  observe,  mais  la  baisse  des  loyers  agricoles 
n'en  est  pas  moins  un  phénomène  très  général. 

La  marche  des  salaires  est  toute  différente.  La  rému-  > 
nération   du   travailleur  manuel    a   toujours  augmenté  l 
depuis  le  commencement  du  siècle,  et  elle  n'a  pas  dimi-  / 
nué  depuis  quinze  ou  vingt  ans,  malgré  la  réduction  des 
profits  de  l'entrepreneur  de  culture. 

Voici,  par  exemple,  les  salaires  des  ouvriers  non 
nourris  employés  dans  une  ferme  de  l'Aisne. 

fr.  c. 
1820-1840 I  25 

i84o-i85o I  5o 

i85o-i86o I  75 

i86o-i865 2  » 

1865-1870 2  25 

1870-1880 2  35 

1880-1890 2  5o 

1890-1895 2  5o  à  2  75 

On  pourrait  dire,  il  est  vrai,  que  les  salaires  en  argent 


236  LA    PORTÉE    SOCIALE    DE  LA    CRISE 

n'ont  pas  assuré  aux  ouvriers  une  situation  matérielle 
plus  satisfaisante,  parce  que  le  prix  de  la  nourriture 
s'est  élevé  jusqu'au  début  de  la  période  actuelle. 

Il  n'en  est  rien.  En  effet,  les  salaires  des  journaliers 
nourris  à  la  ferme  se  sont  accrus  depuis  1880  et  ils  n'ont 
pas  diminué  depuis  cette  époque. 

En  voici  la  preuve  : 

Salaire   des   ouvriers    nourris. 

fr.  c. 

i83o-i84o «  75 

1 840-1 85o »  75 

i85o-i86o I  » 

i86o-i865 I  25 

1865-1870 I  35 

1870-1880 I  5o 

1880-1890 I  5o 

1890-1895 1  60 

Il  est  à  peine  besoin  de  faire  remarquer  l'importance 
sociale  des  faits  que  nous  signalons.  A  une  époque  où 
il  est  de  mode  de  «  flétrir  »  le  capitaliste,  rien  n'est  plus 
instructif  pour  les  esprits  éclairés  et  impartiaux  que  de 
constater  la  fixité  et  même  la  hausse  des  salaires  au 
moment  où  les  revenus  des   propriétaires    décroissent. 

Cette  observation  présente  déjà  un  très  grand  intérêt. 
Il  est  encore  utile  de  montrer  que  la  part  du  produit 
brut  des  cultures  attribuée  au  cultivateur  et  au  proprié- 
taire sont  très  faibles  aujourd'hui  et  ont  décru  rapide- 
ment depuis  quelques  années.  Grâce  à  l'élévation  des 
salaires,  la  fraction  réservée  aux  travailleurs  manuels 
est  au  contraire  très  importante.  Rien  ne  prouve  mieux 
l'erreur  des  socialistes  lorsqu'ils  affirment  que  sur  le 
produit  du  travail  la  part  de  l'ouvrier  est  de  plus  en 


LA   PORTÉE   SOCIALE   DE    LA    CRISE  237 

plus  petite  tandis  que  celle  du  capitaliste  grossit  tou- 
jours. 

Pour  serrer  de  plus  près  la  réalité,  nous  allons  faire 
la  monographie  d'une  exploitation  rurale  et  emprunter 
nos  chiffres  à  la  comptabilité  d'un  agriculteur, 

La  ferme  dont  il  s'agit  est  située  dans  le  département 
de  l'Aisne.  Sa  position  est  excellente.  Une  route  dépar- 
tementale et  une  route  nationale  la  bordent  ou  la  traver- 
sent et  facilitent  les  charrois. 

D'autre  part, le  domaine  est  pourvu  d'excellents  che- 
mins d'exploitation.  Une  sucrerie  a  été  établie  non  loin 
de  là  et  reçoit  les  betteraves  que  produit  le  fermier  :  ce 
dernier  peut  également  y  prendre  livraison  des  pulpes 
qui  serviront  à  l'engraissement  des  bœufs.  Les  con- 
dilions  économiques  sont  donc  à  ces  divers  points  de 
vue  tout  à  fait  favorables.  Les  terres  ont  une  surface  de 
200  hectares  d'un  seul  tenant.  Leur  qualité  est  bonne. 
Le  prix  total  de  location  s'élève  à  i  i.ooo  francs,  soit  un 
peu  plus  de  5o  francs  par  hectare. 

La  répartition  de  la  surface  entre  les  diverses  cultures 
«st  la  suivante  : 

Betteraves  à   sucre 60  hectares. 

Blé 45  — 

Seigle lo  — 

Avoine 4°  — 

Prairies  artificielles 3o  — 

Prairies  naturelles 10  — 

Pommes  de  terre  et  divers  .    .  5  — 

Le  fermier  s'est  efforcé  d'élever  les  rendements  qui 
sont  très  bons,  notamment  pour  les  céréales.  Il  obtient 
■25  quintaux  de  blé  à   l'hectare,  soit  33  hectolitres  en 


238  LA    PORTÉE   SOCIALE  DE   LA    CRISE 

chiffres  ronds  ;  2^  hectolitres  de  seigle  ;  60  hectolitres 
ou  exactement  3o  quintaux  d'avoine,  et  aS.ooo  kilogs  de 
betteraves  riches. 

La  moitié  de  l'avoine  produite  est  consommée  par  les 
animaux  et  notamment  par  18  chevaux  de  trait.  La 
récolte  de  3  hectares  de  seigle  est  également  réservée 
pour  la  consommation  intérieure.  Enfin,  les  coupes  de 
prairies,  les  pommes  de  terre,  etc.,  servent  d'aliments 
et  ne  font  pas  partie  du  produit  brut,  c'est-à-dire 
des  valeurs  exportées  et  constituant  une  recette  en 
argent. 

Les  semences  devraient  être  régulièrement  retran- 
chées du  montant  de  ce  produit.  Mais  le  cultivateur  les 
achète,  il  les  fait  figurer  parmi  les  dépenses.  Nous  en 
parlerons  tout  à  l'heure. 

Voici  maintenant,  pour  l'année  1896,  le  détail  des 
recettes  provenant  de  la  vente  des  produits  végétaux  : 

fr.         c. 

i.5oo  tonnes  de  betteraves  à  24  ti' "26.000     » 

I.I25  quintaux  de  blé  à  18  tV.  5o 20.812   jo 

iio  quintaux  de  seigle  à  10  t'r.    7    .    .    .    .  1.400     » 

600  quintaux  d'avoine   à    i5  l'r 9.000     » 

Total 67.212   5o 

Tous  les  ans  on  engraisse  20  bœufs  et  vaches.  Leur 
poids  moyen  au  début  de  l'engraissement  atteint 
600  kilos.  L'augmentation  de  poids  vif  pendant  la 
période  d'engraissement  est  de  100  kilos.  Pour  les 
20  bêtes  soumises  à  ce  régime  le  gain  obtenu  est  de 
2  000  kilos  représentant  à  o  fr.  85  par  kilo  une  recette 
de  1.700  francs. 

Voici  le  détail   des  opérations  qui  se  rapportent  au 


LA   PORTÉE  SOCIALE  DE  LA    CRISE  aSg 

troupeau  de  moutons  :  200  brebis  mères  sont  achetées, 
environ  3o  francs  pièce,  et  revendues  56  francs  après 
avoir  donné  180  agneaux;  enfin  80  moutons  coûtant 
35  francs  par  tête  sont  vendus  5o  francs. 

En  résumé,  les  recettes  argent  peuvent  être  ainsi  éta- 
blies : 

fr.         c. 

Plus-value  sur  brebis,  200  à  26  fr 5. 200  » 

Vente  de  i8o  agneaux  à  22  fr 3.960   » 

Plus-value  sur  les  moutons,  80  à  i5  fr.    .    .  1.200  » 

Laine i.5oo  » 

Total 11.800  » 

Les  principaux  articles  de  recettes  sont  donc  les  sui- 
vants : 

fr.  c. 

Produits  végétaux 67.212    5o 

Produits  d'origine  animale i3.56o     » 

Total 80.772   5o 

C'est  là  un  produit  total  apparent.  Pour  obtenir  le 
produit  brut  réel,  c'est-à-dire  le  montant  des  valeurs 
créées  dans  l'exploitation,  il  faut  en  retrancher  la  valeur 
des  moyens  de  production. 

Retranchons  donc  : 

Ir.  c. 

1°  Semences 5.964  » 

2"  Engrais  industriels 18.667  » 

3°  Aliments  achetés  pour  animaux 11.680  » 

Total 3 1.3  II      )) 

Le  véritable  produit  brut  de  l'exploitation  ne  s'élève 
ainsi  qu'à  80.772 — 3i  .3i  i  =  49-4'3i  francs;  on  a  247 
francs  par  hectare.  Ce  n'est  pas  là  un  chiffre  considéra- 
ble et  il  pourrait  sans  doute  être  accru  en  modifiant  le 
système  de  culture  adopté. 


24o  LA   PORTÉE  SOCIALE    DE  LA    CRISE 

Voici  le  relevé  des  dépenses  dont  il  est  nécessaire  de 
faire  état  pour  arriver  à  déterminer  les  profits. 

fr.  c. 

Fermage 1 1.600  » 

Frais  généraux 8.900  » 

Main-d'œuvre 20.903  » 

Amortissement  des  chevaux  de  trait   ....          2.200  » 

Total 43.403     » 

Les  bénéfices  représentent  la  différence  entre  le  pro- 
duit brut  corrigé  et  les  frais  que  nous  venons  d'indiquer 
ils  s'élèvent  donc  à  6. 1 26  francs. 

Le  capital  engagé  dans  l'exploitation  atteint  sans 
doute  80.000  francs.  Cette  somme  placée  en  valeurs 
sûres  pourrait  assurer  à  3  p.  100  un  revenu  de 
2.400  francs.  Le  chiffre  total  des  profits  n'étant  que  de 
6.162  francs,  on  voit  que,  déduction  faite  de  Tintérôt 
de  3  p.  100  des  capitaux  engagés  et  exposés  par  lui,  le 
cultivateur  n'obtient  à  titre  de  rémunération  person- 
nelle que  3.762  francs.  C'est  un  résultat  fort  médiocre 
et  nous  sommes  persuadé  qu'il  pourrait  être  plus  bril- 
lant si  la  ferme  était  mieux  conduite. 

Voici  en  tout  cas  de  quelle  façon  est  réparti  le  produit 
brut  : 

Part  du  propriétaire 23.4  P-  100. 

Part  du  cultivateur 12.4     — 

Part  de  la  main-d'œuvre 4'^  2     — 

Divers 22.0     — 

Total 100. o  p.  100. 

Les  dépenses  de  main-d'œuvre  représentent  4'*^  p-  100 
du  produit  brut,  fraction  bien  supérieure  à  celle  qui  cor- 
respond au  fermage  (23  p.  100)  et  aux  profits  du  cultiva- 
teur (12  p.  100),  ou  même  à  ces  deux  parts  cumulées. 


LA   PORTÉE   SOCIALE  DE  LA    CRISE  241 

Depuis  vingt  ans,  le  revenu  du  propriétaire  a  diminué 
de  40  p.  100,  et  les  bénéfices  de  l'exploitant  ont  baissé 
plus  rapidement  encore.  Les  salaires  ont,  au  contraire 
légèrement  augmenté  d'une  façon  absolue,  et  la  part 
réservée  aux  travailleurs  dans  la  production  totale  s'est 
accrue  sans  que  la  quantité  de  travail  fournie  soit  deve- 
nue plus  grande.  La  répartition  des  richesses  agricoles 
a  donc  été  modifiée  dans  un  sens  favorable  à  l'ouvrier 
ou  au  domestique  rural. 

C'est  là  une  des  conséquences  des  plus  intéressantes 
de  la  crise  agricole  actuelle  au  point  de  vue  social.  La 
crise  dont  souffrent  les  agriculteurs  et  les  propriétaires 
n'a  fait,  d'ailleurs,  que  hâter  l'évolution  sociale  qui  est 
toute  favorable  aux  intérêts  des  travailleurs  manuels, 
tandis  qu'elle  nuit  aux  capitalistes. 

En  consultant  la  comptabilité  d'un  agriculteur  de 
l'Oise,  nous  avons  pu  suivre  les  transformations  succes- 
sives des  sytèmes  de  culture  et  leur  influence  sur  la 
répartition  de  la  production  agricole. 

En  i85o  ,  le  produit  brut  par  hectare  s'élevait  à 
125  francs  seulement.  Le  fermage  atteignait  4»  francs 
et  représentait  près  du  tiers  de  la  production.  D'autre 
part,  le  salaire  moyen  d'un  ouvrier  était  de  o  fr.  80  par 
jour. 

Quarante-cinq  ans  plus  tard  (1890)  le  produit  brut  a 
doublé  et  atteint  260  francs.  Le  prix  de  fermage  reste  le 
même,  mais  ne  représente  plus  que  le  sixième  du  mon 
tant  des  valeurs  créées.  Quant  au  salaire  journalier  du 
travailleur  rural,  il  est  de  i  fr.  60  et  a  augmenté,  par 
conséquent,  de  100  p.  100. 

Voici  un  autre  exemple  que  nous  empruntons  égale- 

ZoLLA.  —  La  Crise  agricole.  i6 


242  LA    PORTÉE   SOCIALE  DE  LA    CRISE 

ment  à  la  comptabilité  d'un  agriculteur,  lauréat  de  la 
prime  d'honneur  dans  le  Loiret. 

En  cherchant  quelle  a  été  l'augmentation  moyenne  de 
tous  les  gages  et  salaires  depuis  i85i  jusqu'à  1893,  on 
trouve  les  chiffres  suivants  : 

Salaires  et  gages. 

^  francs. 

i85i-i86o 100 

1891-1893  . i53 

En  revanche,  le  prix  de  fermage  par  hectare  passait 
seulement,  dans  le  même  intervalle,  de  53  francs  à 
63  francs,  de  telle  sorte  que  ses  variations  peuvent  être 
ainsi  traduites  : 

Prix  de  fermage.  - 
francs.  ' 

i85i-i86o loo 

1891-1893 ii3 

Quant  à  la   part  de  propriétaire  dans  le    prix  brut, 
elle  a  diminué  de  20  p.  100.  Nous  trouvons  en  effet  : 


Produit  brut  par  hectare 
Fermage  par  hectare  .    . 


i85i-i86o 

1891-1893 

^ — ^^---^^ — ^^ 

"~-  ^-— ' —  ^ 

Chiffres  absolus 

Chiffres  absolus 

p.  100. 

p.  100. 

3oo       100 

770          100 

53           17.6 

63           8.1 

La  part  du  propriétaire  représentait,  il  y  a  quarante  ans, 
17.  6  p.  100  du  produit  brut  ;  elle  n'est  plus  aujourd'hui 
que  :  8.  I  p.  100. 

La  diminution  dépasse  donc  5o  p.  100. 

j        II  est  utile  de  comparer  ces  faits  avec  les  hypothèses 

des  socialistes  qui  disent,  comme  Henri  Georges  :  «  La 

,    rente  progressera  pendant  que  les  salaires  baisseront. 

\  Du  produit  total,  le  propriétaire   prendra  une  part  de 


LA    PORTÉE   SOCIALE  DE   LA    CRISE  M'a 

plus  en  plus  grande,  le  travailleur  une  part  de  plus  en 
plus  petite.  » 

On  peut  affirmer  sans  exagération  que  l'expérience 
inflige  à  ces  prédictions  pessimistes  un  complet  démenti. 

La  rente  du  sol  a  baissé,  la  part  du  propriétaire  a 
diminué  au  lieu  de  s'accroître,  et  les  salaires  seuls  se 
sont  accrus  ou  sont  demeurés  stationnaires  au  milieu  de 
la  crise  qui  affecte  si  douloureusement  les  capitalistes 
ou  les  entrepreneurs. 


TABLE   DES  IMATIERES 


]  Pages. 

Intkoductio.n 1  à   .23 

Qu  est-ce   que  la   crise  agricole  ?   Premières  distinctions  à 

faire i 

■Les  caractères  de  la  crise  agricole 4 

La  crise,  la  baisse  des  prix  et  des  profits 6 

Les  causes  de  la  crise.  La  concurrence  étrangère lo 

La  question  monétaire i3 

L'agriculture  et  l'impôt i6 

Les  véritables  causes  de  la  crise  agricole 17 

Les  conséquences  de  la  crise.  Sa  portée  sociale 19 

Les  remèdes  proposés  et  [la  vraie  solution 21 

CHAPITRE   PREMIER 

LA  BAISSE  DE  PRIX   DES  PRINCIPAUX  PRODUITS   AGRICOLES 

DEPUIS  VINGT  ANS  aS 

I.  Les  produits  végétaux 25 

I.  Le  froment a6 

II.  Autres  céréales 3o 

III.  Influence  de  certains  produits  sux*  la  prospérité  de  l'in- 

dustrie agricole 33 

IV.  Les  grains  alimentaires  autres  que  les  céréales.    ...  37 

V.  Les  pommes  de  terre 38 

VI.  Les  cultures  industrielles 39 

VII.  Le  vin 45 

VIIL   Les  bois 48 

IX.       Conclusion  générale 49 

IL     Les  produits  d'origine  animale 5i 

1         Le  bétail  et  la  viande 5a 

II.      Le  lait 63 


246  TABLE    DES   MATIERES 

III.  Le  beurre 64 

IV.  Les  fromages 66 

V.  La  laine 67 

VI.  Les  cocons 69 

VII.  Le  miel  et  la  cire 69 

III.  La  baisse  des  prix  et  l'augmentation  de  la  production 

en  France 7'^ 

IV.  La  production  intérieure  et  les  prix 85 

V.  La  baisse  du  prix  des  matières  premières  de  lindustrie 

agricole 9*^ 

IV.    Erreur  relative  à  l'influence  qu'a  exercée  la  baisse  des 

prix  sur  les  recettes  brutes  des  cultivateurs 97 

VII.  La  baisse  des  prix  des  denrées  agricoles.  Les  recettes 

brutes  et  les  profits i^9 

CHAPITRE   DEUXIÈME 

LES   CAUSES  DE   LA  BAISSE  DES   PRIX  127 

I.  Les  importations  de  produits  agricoles  et  la  baisse  des 

prix i'-^7 

II.  La  crise  monétaire  et  la  baisse  des  prix '44 

I.  La  baisse  de  l'argent  et  l'appréciation  de  loi' i44 

II.  La  rareté  relative  de  l'or '47 

III.  La  concurrence  des  pays  à  étalon  d'argent i6i 

III.  L'Agriculture  et  l'impôt 167 

IV.  Le   développement  de  la  production  agricole  dans    le 

monde  et  la  transformation  des  moyens  de  transport.  172 

CHAPITRE   TROISIÈME 

LES   REMÈDES  199 

La  législation  douanière  et  la  crise i99 

La  protection  des  intérêts  agricoles '^  '  "^ 

Les  solutions  définitives '^'8 

LA   PORTÉE   SOCIALE   DE   LA   CRISE  AGRICOLE  ■ï\i 


É  V  H  E  r  X  ,     I  M  I'  U  I  M  E  m  E     II  E     CHARLES     H  E  R  I  S  S  E  Y 


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HD  Zolla,   Daniel 

194.5  La  crise  agricole  dans  ses 

Z7  rapports  avec  la  baisse  des 

prix  et  la  question  monétaire