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3
…
《
LA FEMME
CALMANN LEVY, EDITEU&
OUVRAGES
1»璽
J. MICHELET
FORMAT IK-8*
Lr Banquet • ••••••••• 1 vol
GUERRES DB REUQION 1 一
Louis XIV et la. Revocation de l'^dit db Nantes. 1 一
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La Sorciere , nouvelle Edition ;••••. J ―
buu ocuM 一 mr. M laomt
J. MIGHELET
FEMME
TiNaTiiHB Edition
PARIS
GALMANN LfiVY, fiDITEUR
ANGIENNE MAISON MICHEL LfiVY FRARBS
3, RUB AUBER, 3
1894
Droits de reproductioa at da traduction Therrta^
INTRODUCTION
I
POUBQOOl L'ON NB SB VARIb PAS
11 n,est personne qui ne voie le fait capital du
temps. Par ua^concours singulier de circonstanccs
sociales, religieutes, iconomiques, Vhomme vU se-
pari de la femme.
Et cela deplus en plus. ne son t pas seulement
dans des voies diffi6rentes et paraU&les, ils sembleni
deux voyageurs partis de la m£me station, I'un a
toute vapeur, Faulre k pelite vitesse, mais sur dhs
rails divergenls.
L'homine, quelque faible qu'il puisse Hire ii^o-
6 2NTR0DUCTI0K.
ralement, n*en est pas moins dans un chemin d'i-
deesi d'inventions et de d^couvertes si rapide, que
le rail bri!^lant en lance des 6tincelles.
La fenime, fatalement laiss^e en arriere, reste au
sillon (Tun pass6 qu'elle connalt peu elle-mfiine.ElIe
est distanc6e, pour notre malheur, maisneveutou
ne peut aller plus vite.
Le pis, c'est qu'ils ne semblent pas presses de se
. rapprocher, II semble qu*ils n'aient rien h se dire.
Le foyer est froid, la table muette et le lit glace.
On n'est pas tenu, diseiit-ils, de se met I re en
frais pour les siens. Mais ils n'en font pas davan-
lagedans une soci6t6 6trang6re ou la politesse com-
mande. Tout le monde voit chaque soir comtne un
salon sft s^pare en deux salons, un des hommes et
un des femmes. Ce qu'on n,a pas assez vu, ce qu'on
peut experimenter, c'esl que dans une petite reu-
nion amicale d'urie douzaine de personnes, si la
maitresse de maison exige par une douce violence
que les deux cercles se fondent, que les hommes
causent avec les femmes, le silence s'^tablit, il n,y
a plus (le conversation. .
POURQUOl Vm NE SE MARIE PAS 7
Ii faut dire neltement la chose com me elle est.
lis nont plus d*id^es communes, ni de langage
commun, et m6me sur ce qui poiirrait intiresser
les deux parties, on nei salt comment parler. lis se
sont trop perdus de yue. Bient6t, si I'on n,y pre-
nait garde, malgrS lea rencontres fortuites, ce ne
serait plus deux sexes, mais deux peuples.
Rien d'^tonnant si le livre qui combattaii ces
tendances, un petit livre de coeur, sans pretention
liUferaif'e,a 6le de toutes parts am^rement crilique.
L'Amottrvenailnaivementsejeterdansledivorce,
invoquait la bonne nature et disait : « Aimez en-
core. »
A ce mot, d'aigres cris s'felfevent, on avail touchy
la Cbre malade. a Non, pous nc voulons pas aimer !
nous ne voulons pas fitre heureux!... U y a la-
dessous quelque chose. Sous cette forme religieuse
qui divinise !a femme, il a beau fortifier, ^manci-
per son <^sprit ; il veut une idole esclave, ct la lier
8ur I'autel. »
Ainsi, au mot d,union, iclata le mal du temps,
division, dissolution, les Ifisles goAU solitaires, les
8 INTRODUCTION.
besoias de la vie sauvage, qui couvent au fond de
leur esprit.
Des femmes lurent et pleurSrent. Leurs direc-
teurs (religieux ou pliilosophes, nimportc) dicl6-
rent leur langage. A peine os&rent-elles faiblcment
defendre leur d6fenseur. Elles firent mieux, elles
relurenl, dfevorSrent le coupable livre ; elles le gar-
dent pour les heures libres et I'ont cach6 sous
roreiller.
Cela le console fort, ce livre si malmenS, et des
injures de Fennemi, et des censures de rami. Ni
les hommes du moyen dge, ni ceux de la femme
libre, n'y trouvaienl leur compte. I! Amour Youlait
relirer la femme au foyer. lis prfeftrenl pour elle le
troltoir ou le couvent.
« On livre pour le manage, pour la f amille I
Scandalel Faites-nous plutdt, je vous prie, f rente
romans pour raduUere. A force dlmagination,
rendez-le un peu amusant. Vous serez bien mieux
regu. »
Pourquoi fortifier la famille? dit un journal re-
ligieux. N'est-elle pas parfaite aiijourd'hui ? 11 y a
bien eu autrefois ce quon avpelait I'adultire, mais
^ela ne se voit plus. ― Pardon, r6pond un grand
POURQUOI I/ON KB SE MARIE PAS. •
journal politique dans un feuilleton spirituel qui a
eitrSmement rfeussi, pardon, cela se voil encore,
et mime on le voit par tout, mais cela fait si peu
de bruit, on y met H peu de passion , quon n'en vit
pas mains doucmen" cesl chose inhSrente au ma-
riage fran^ais et presque une institution. Chaque
nation a ses moeurs^ et nous ne sommes point An-
glais.
Doucement I oui, voila le mah Ni le mari ni I'a-
mant n'en sont troubles ; elle non plus; elle vou-
drait se d6sennuyer, voili tout. Mais dans cette vie
tiede et pile, ou l,on met si peu de coeur, on Ion
depensp- si peu d,art, ou pas un des trois ne daigne
faire effort de mani^re ou d'autre, tous baissent,
lous baillent , s'affadissent d'une naus^abonde
douceur.
Chacun est bicn averli, et personne n'a envie de
ce mariage. Si nos lois de succession ne faisaient
la femmeriche, on ne se marierait plus, du moins
(tens les grandes villes.
Jenlendais k la campagne un monsieur marii
€t p4re de &mille, bicn pos6, qui efJoctrinait un
jeune homme de son voisinage : a Si tous devez
rester ici, disait-il, il faudra bien vous marier, mais
10
LMAODUGTION
si vous vivez h Paris, cela n'en vaut pas la peine. 11
est trop ais6 de Faire autrement. »
On sail le mot qui marqua la fin du peuple le
plusspiritueldela terre,du peuple d'Athenes : cc Ah !
si nous pou vions, sans femmes, avoir des enfants! »
一 Ce fut bien pis dans rEmpire. Toutes les penali-
I6s legales, ces lois Julia qui croyaient marier
rhonime a coups de b&toi), ne parvinrenl plus a le
rapprocher de la femme, et il sembla mfime que le
desir physique, celte belle fatality qui aiguillonne Ic
monde et centuple ses Energies, se fflt Steint ici-
bas. Pour ne plus voir une femme, on fuyait jus-
qu en Tliebaide.
Les motifs qui, aujourd,hui, non-seuleraent font
craindre le mariage, mais eloignent de la soci6t6des
femmes, sont divers el coinpliqu6s.
Le premier, incontestablement, c'est la misSre
croissanle des fiUes pauvres qui les met k discre-
tion, la facility de poss^der ces victimes de la faim.
De Ik la sati6t6 et renervation, de la Pinaccoulu-
mance d*un amour plus 61eve, Fennui mortel qu'on
trouverail a soUiciler longuement ce que si facile-
meat on peut avoir chaque soir.
Celui m&me qui aurait d'autres besoins et des
PODRQUOI L'ON NE SE MARIE PAS. 11
goAts de fld^lite, qui voudrait aimer la meme, pr6-
Rre infiniment une jpersonne d6petidantef douce,
obSissahte, qui, tie se croyant aucun droit, pouvant
6lre quitt^e demain, ne s'6carte d,un pas et veut
plaire.
La Forte et brillante personnalilS de nos demoi-
selles qui, trop souvenl prend lessor le lendemain
du manage, effraye le ceiibataire. Il n,y a pas h
plaisaiiter, la FrariQaise est une personne. C'est la
chance d'un bonheur immense, mais parfois d,uii
malheur aussi.
Nos excellentes lois civiles (qui sont celles de
I'avenir, et vers qui gravite le monde) n'en ont pas
moins ajout^ h celle difficult^ inh6rente du carac-
Ifere national. La Francaise herite et le sait, elle a
une dot et le sait. Ce n'est pas comme en certains
pays voisins ou la fille, si elle est dotte, ne I'est
qu'en argent (fluide qui file aux affaires du mari).
Ici elle a des immeubles, et mdmequand ses frferes
veulent lui en dormer la valeur, la jurisprudence
sy oppose et la mainticnt riche en immeubles, ga-
ranlis par le regime dotal ^ ou certaines stipulations.
Celte fortune le plus souvent est \h qui subsiste
Celleterrene s'envole pas,cette maison ne&Vcroule
pas; elles restent pour lui donner voix au chapitre,
lui maintenir une persounalit6 que n'ont guere
rAnglaise ou rAUemande.
If WTRODUCTIOR.
CeUes-ci, pour ainsi parler, s'absorben t dans leur
mari; elles s,y pcrdent corps et bien (si elles ont
quelque bien). Aussi, dies sont, je crois, pluD d6-
racin^es que les ndlres de leur famille natale, qui
ne les reprendrait pas. La marine comple comme
morte pour les siens, qui se rfejouissentd'avoir placS
une fille dont ils n'auronl jamais la charge dfesor-
mais. Quoi qu,il arrive, et, quelque part que la
m^ne son mari, elle ira et restera. A de pareilles
conditions on craifit moins le mariage.
Une chose curieuse en France, contradictoire en
apparence et qui ne I'est pas, c'est que le mariage
est trds-faible, et tr is- fort F esprit de famille. II ar-
rive (surlout en province, dans la bourgeoisie de
campagne) que la femme, mafifie quelque temps,
une fois qu'elle a des enfanls, fait de son dmedeux
parts, rune aux enfanls, lautre aux parents, a ses
premieres affections qui ser6veillent. 一 Que garde
le mari? Rien. C'esf ici Fesprit de famille qui an-
nule le mariage.
On ne peut pas se figurer comme celte femme
est ennuyeuse, se renfonQant dans un pass6 r6lro-
grade, se remettant au niveau d'une m&re d,esprit
suranni, tout imbu de vieilles choses. Le mari vit
POURQUOI L'ON N£ SE MARIE PAS. 13
doucemenlj mais baisse vile, dfecourage, lourd,
propre k rien. II perd ce que, dans ses etudes, dans
une jeune soci6t6, il avail gagn6 d*id6es pour aller
un peu en avant. II est bienldt amorti par la dame
propriStairCj par le pesant ^touffement du neux
foyer de famille.
Avec une dot de cent mille francs on enterre ainsi
un homme qui peut- 6lre chaque annSe aurait gagn6
cent mille francs.
Le jeune homme se le dit, h Y&ge du long espoir
et de la confiance. D'ailleurs qu'il ait plus, qu'il ait
moins ; n'importe : il veut courir sa chance, savoir
de quoi il est capable ; il envoie au diable la dot.
Pour peu qu'il ait quelque chose qui balte sous la
mamelle gauche, il n'ira pas, pour cent mille francs,
se faire le mari de la reine.
Voili ce que m'onl dit souvent les cfelibataires.
lis m'ont encore dit ceci, un soir que j'en avais
cliez moi cinq ou six, et de grand m6ri(e, et que je
les tourmentais sur leur pretendu c61ibat.
Un d'eux, savant distingue, me dit trte-s6riense-
ment ces propres paroles : « Monsieur, ne croyei
nullement, quelques distractions qu,on puisse Irou-
vcr au dehors, quVrn ne soit pas malheureux de
14 INTRODUCTION.
n'a^oir pas de foyer, je veux dire, une femme k
soi, qui vraiment vous appartienne* Nous le savons,
nous le sentons. Nul autre rcpos pour le coeur. Et
ne Pavoir pas, monsieur, sachez que c'est une vie
sombre, cruelle et amere. »
Amere. Sur ce mot-la, les autres insislferent et
dirent comme lui.
a Mais, dit-il en continuant, une chose nous 6n
empgche. Tous les travailleurs sonl pauvres en
France. On vit de ses appoinlements : on vil de sa
clientele, etc. On vit juste. Moi, je gagne six mille
francs , mais telle femme k la quelle je pourrais
songer, dfepense autaiit pour sa toilette. Les meres
les 61feventairisiw En supposant qu'oii me la donne,
celte belle, que deviendrai-je le iendemaia, quand,
sorlie d'une maison riche, elle va me trouver si
pauvre? Si je l,aime (et j'en suis capable), imagi-
iiez les mis6res,les 14chet6s dont je puis-6lre ten 16
pour devenir un peu riche, et lui deplaire un peu
moins.
« Je me souviendrai toujours que me trouvant
dans une petite ville du Midi, oil Yon envoie les
職 lades a la mode, je vis passer sur one place ou
les mulets se roulaientdans une 6paisse poussi6re,
une surprenatite apparition. C'^lait une fort belle
dame; courtisanesquement vStue (une dame pour-
fant,nonune€Ue>, vingl-cinq ans, gonflee, ballon-
pouRQuoi im m se mmie pas. 19
nte, dans une fraiche et d^licieuse robe de soie bleu
deciel,nuee de blanc (chef-d'oeuvre de Lyon) , qu'elle
Irainait oulrageusement par les endroits les plus
sales. La lerre ne la porlait pas. Sa t^te blonde et
joUe, le nez au vent, son petit chapeau d'amazonc
qui lui donnait l>air d,un petit page Equivoque,
toute sa personne disait : « Je me moque de tout. »
Je sentais que celte idole, monslrueusement amou-
reuse tfelle-mfeine, avec toute sa fierte, n'apparle-
nait pas moins d'avance a ceux qui la flalleraient,
qu,oft s'en jouerait avec des mots et qu'elle n'en
Mait pas m£me a savoir ce que c'est qu,im scrupule.
me souYins de Salomon : Et tergens os suum
dixit : tion sum operata malum. Celte vision m'est
reside. Ce n'est pas une personne, ce n,est pas un
accident; c,esl la mode, ce sont les moeursdu temps
que j'ai vu passer; el j'en garderai toujours la ter-
reurdu madage. »
« Pour moi, dit un autre plus jeune, I'obstacle,
Vempgchement dirimant, ce n*est pas la crinoline,
monsieur, c'est la religion, d
On rit; mais lui, s'animaiit : « Oui» la religion.
Les femmes sont 61ev6es dans un do^me qui n'est
point le n6tre. Les m^res qui veuient tant marier
le INTRODUCTIOH.
leurs filles, leur donnent i*6ducation prupre h crter
le divorce.
a Quel est le dogme de la France? Si elle ne le
sail elle^mfime, PEurope le sail trfes-bien ; sa haine
le lui dit k merveille. Pourmoi,c*est un ennemi, un
stranger tr6s-r6trograde qui me l,a un jour formule :
« Ce qui nous rend votre France haissable, disait-il,
« c,est que, sous un mouvemenl apparent, elle ne
« change pas. C,est comme un phare k feclipse, k
(( feux tournants ; elle montre,elle cachelaflamme,
« mais le foyer est le m&me. 一 Quel foyer? L'esprit
a Yoltairien (bien antSrieur a Voltaire) ; 一 en second
« lieu, 89, les grandes lois de la R6volution;— Iroi-
« si^mement, les canons de votre pape scientifique,
« I'Acad^mie des sciences. »
a Je disputai. II insista, et je vols qu'il avait
raison. Oui, quelles que soient les questions nou-
velles, 89 est la foi de ceux m&me qui ajournent 89
et le renvoient k I'avenir. C'est la foi de toute la
France, c'est la raison pour laquelle rstranger
nous condamne en masse et sans distinction de
partis.
« Eh bien, les fiUes de France sont 6lev6es jus-
tcment k hair et dSdaigner ce que tout Frangais
aime et croit. Par deux fois elles ont embrass6, la-
ch6, tu6 la Pivolution : premi^reraent au seizi^mc
si^cle, quand il s'agissait de laliberl^ de conscience ;
POURQUOI L'ON NE SE HARIB PAS« 17
puis k la fin du dix-huiti&me, pour les libertis
politiqucs. Elles sont voufees au pass6, saii'«« trop
savoir ce que c*est. Elles ecoutenl volonliers ceux
qui disent avec Pascal : « Rien n'esl sur; done,
a croyons Fabsurde. )) Les femmes sont riches
en France, elles ont beaucouo d esprit, et tons les
moyens d'apprendre. Mais elles ne veulent rien
apprendre, ni se crfeer une foi. Qu'elles rencon-
trent rhomme de foi serieuse, Phomme de coeur,
qui croit et aime toutes les \6rit6s constal6es,
elles disent en souriant : « Ce monsieur ne croit a
« rien. »
11 y eut un moment de silence. Cetle sortie, un
peu violente, avait pourlant, je le vis, enlev6 l,as-
sentiment de tous ceux qui 6taient la. Je leur dis :
Si l,on admeltait ce que vous venez d*avancer, je
crois qu,il faudrait dire aussi qu'il en a 6t6 de
m£me bicn souvent dans d'autres Sges, et qu'on se
mariait pourtant. Les femmes aimaient la toilette,
le luie, 6taient r6trogrades. Mais les homines de
ces temps-U sans doule 6taient plushasardeux. lis
affrontaient ces p6rils, e$p6rant que leur ascen-
dant, leur 6nergie, I'amour surtout, le maitre, le
Tainqucur des vainqueurs, op6reraient en leur fa-
" 随麵 CTtON.
veur d,heureuses metamorphoses. Intrfepidefe Cur-
lius, ils se lan$aient hardiment dans ce gouffre
d'incerlitudes. Et fort heureusemenl pour nous.
Car, messieurs, sans celte audace de nos p6res,
nous ne naissions pas.
Maintenant, pennellez-vous a un ami plus ag6
de vous parler avec franchise?... Eh bien, j'ose-
rai vous dire que si vous 6tiez vraiment seuls, si
vous supportiez, sans consolations, celle vie que
vous trouvez amCre, vous vous pressenez aen sor-
tir. Vous dirie2 : L'amour est fort, el ii pent tout
ce qu'il veut. Plus grande sera la gloire deconver-
tir a la raison ces beaul6s absurdes etcharmanles.
Avec une grande volontfe, dfetermin6e , perse v6-
ranle, un milieu cboisi, ua entourage habilemenl
calcule, on peut tout. Mais il faut aimer, aimer
fortement et la mfime. Point de froiileur. La femme
cullivSe el d6sir6e, infailliblcmenl appartient k
i'homme. Si rhomme de ce temps- ci se plaint de
n'allcr pas a i'^me, cest qu'il n,a pas ce qui la
domple, la fofce fixe du d6sir.
Maintenant, pour parler seulement du premiei"
obstacle ailegu6, de I'orgueil effrenfi des femmes,
de leur ftirie de toilette, etc.,^ ii me semble qua
POORQUOl L'ON N6 SE MARIE PAS. 19
ceci s,adresse surtout aux classes superieures, aux
dames riches, ou k celles qui ont occasion de se
m^ler au monde riche. (Test deux cent ou frois
cent mille dames. Mais savez-vous combien dc
femmes il y a en France? Dix-liuit millions, dix-
huit cent mille a marier.
】1 y aurait bien de Viiijustice a les accuser en
masse des torts et des ridicules de la haute societe.
Si elles rimilent de loin, ce n'est pas loujours li-
brement. Les dames, par leur exemple, et souvent
par leurs mSpris, leurs ris6es, a Telourdie, font en
ce sens de grands malheurs. Elles imposent un
luxe impossible k de pauvres creatures qui parfois
ne I'aimeraient pas, mais qui par position, pour
des interets serieux, sont forc6es d'etre brillantcs,
et, pour rstre, se pr^cipitent dans les plus trisics
hasards.
Les femmes qui ont entre elles une destin^e a
part, et tant de secrets communs, devraient bien
s'aimer un peu et se soutenir, au lieu de se faire la
guerre. Elles se nuisent dans mille choscs, indi-
recieraent. La dame riche, dont le luxe change ia
toilette des classes pauvres, fait grand tort a la
jeune fille. EUe empeche son mariage; nul ouvrier
ne se soucie d'6pouser une poupee si coQteuse a
habiller. 一 Resl6e fille, elle est, je suppose, de-
moiselle decomptoir, de magasin ; mais, la raSme,
20 INTRODUCTION.
la dame lui nuit encore. EUe aime mieux avoir
affaire h un commis en habit noir, flatteur, plus
femme que les femmes. Les mat Ires de magasin
oni 6t6 ainsi conduits h substituer h grands frais le
commis h la demoiselle, qui coAtait bien moins.
一 Gelle-ci, que deviendra-t-elle? Si elle est jolie,
h vingt ans, elle sera enlretenue, et passera de
main en main. Fletrie bienl6t avant t rente, elle
deviendra couseuse, et fera des confections a rai-
son de dix sous par jour. Nul raoyen de vivre sans
demander chaque soir son pain a la honte. Ainsi
la femme au rabais, par unc terrible revanche, va
rendai^t de plus en plus le c^libat 6conomique, le
manage inutile. Et la fille de la dame ne pourra
pas se marier.
Voulei-vous, messieurs, qu'en deux motsje vous
esquisse le sort de la femme en France? Personne
ne l,a fait encore avec simplicity. Ce tableau, si je
ne me trompe, doit toucher voire coeur, et vous
ficlairer peul-felre, vous enip6cher de mfiler des
classes fort difT^rentes dans un mfime analh&me.
II
i;OUTJllfiRB
Quand les fabricants anglais, ^normement enn-
chis paries machines rtcentes, vinrent se plaindre
h M. put et dirent : « Nous n'en pouvons plus,
nous ne gagnons pas assez ! » il dit un mot ef-
froyable qui sur sa m^moire : « Prenez les
enfanls. »
Combien plus coupables encore ceux qui prirent
les femmeSf ceux qui ouvrirent h la misfire de la fiUe
des villes, k raveuglemenl de la paysanne, ]a res-
source funeste d'un travail exterroinatcur et la pro-
miscuite ^es manufactures ! Qui dit la femme, dit
r enfant; chacune d'elles qu,on d6truil, une
faaiille est d6truite, plusieurs enfants, et Fcspoir
des generations k venir.
3S INTRODIICTIOM.
Barbarie de noire Occident ! la femme n'a plus
6le compile pour I'amour, le bonheur de Thomme,
encore 動 ins comme maternity et comme puis-
sance de race ,
Mais comme ouvriire !
Vouvriere ! mot impie, sordide, qu aucune lan-
gue n,eut jamais, qu'aucun temps n,aurait com-
pris avant cet age de fer, et qui balanccrait k lui
seul tons nos pr^tendus progrfes.
Ici arrive la bande serr6e des economistes, des
docteurs du produit net. « Mais, monsieur, les
halites n6cessil6s economiques, sociales I L'indus-
trie, g6n6e, s'arreterait... Au nom m&me des classes
pauvres I etc., elc. ^
La haute nScessite, c,est d,6lre. El visiblement,
l,on p6rit. La population n'augmente plus, et elle
baisse en quality. La paysanne meurt de travail,
Pouvrifere de faim. Quels enfanls faul-il en allendre?
Des avorlons, de plus en plus.
« Mais un peuple He p6ril pas ! » Plusieurs peu-
ples, de ceux mkme qui iigurent encore sur la
carle, n*existent plus. La haute ficosse a disparu.
L'liiande n'est plus comme race. La riche, l,absor-
bante Anglelerre, ce suceurprodigieux qui suce le
globe, ne parvient pas a se refaire par la plus
fenorme alimentation. La race y change, y faiblit,
fait appel aux alcools, et elle faiblit encore plus.
L'OUYKIfiRE. 15
Ceux qui la virent en 1815 ne U reconnurent plus
en 1830. Et combien moins depuis I
Que peut I'Etat k cela? Bien moins la-bas, en
Angleferre, ou la vie industrielle engloutit tout, ia
lerre Tndme n'itant plus qu'une fabrique. Mais
infmiment en France, ou nous comptons encore si
pen d'ouvriers (relalivement).
Que de choses ne se pouvaient pas^ qui se 議 t
failes pourtantt On nepouvaitdholir la lolerie ; Louis-
Philippe I'a abolie. On eut jur6 quit iiaii imposible
de demolir Paris pour le refaire ; cela s'ex6cule ai-
s^ment aujourd,hui par une petite ligne du Code.
(Expropriation pour cause d'ulilil^ publique.)
Je vois deux peuples dans nos villes .
L,un, vfttu de drap, c'est rhomme ; 一 l,autre,
de miserable indienne. — Et cela, m6me Fhiver!
L,un, je parte du dernier ouvrier, du moins paye,
du gAcheux, du serviteur des ouvriers ; il arrive
pourtant, cet homme, k manger de la viande le
matin (un cervelas sur le pain ou quelque autre
chose). Le soir, il entre k la gargote et il mange
un plat de viande et tnfime boil dc mauvais vin.
La femme du m6me 6tage prend un sou de lait
le matin, du pain h midi et du pain le soir, k peine
24
INTRODUCTION
un SOU de fromage. 一 Vous niez ?… Cela est cer-
tain : je le prouverai touti Fheure. Sajourn6e est
de dix sous, et elte ne pent etre de onze^ pour une
raison que je dirai.
Pourquoi en est-il ainsi? L ,! lomme ne vent plus
se marier, il ne veux plus prot6ger la femme. II
vit glouionnement seul.
Est-ce h dire qu'il mfene une vie abslinente ? II
ne se prive de rien. Ivre le dimanche soir, il trou-
vera, sans chercher, une ombre affam^e, et outra-
gera cette morle.
On rougil d'feire homme.
« Je gagne trop peu, » dit-il. Qaatre ou cinq fois
plus que la femme, dans les mfitiers les plus nom-
breux. Lui quarante ou cinquante sous, et elle dix,
CO in me on va le voir.
La pauvrel6 de I'ouvriSr serait pour rouvriere
richesse, abondance et luxe.
Le premier se plainl bien plus. Et, d6s qu,il
manque en effet, il manque de bien plus dechoses.
On peut dire d,eux ce qu'on a dit de PAnglais et
de rirlandais : (《 L'Irlandais a faim de pommes de
ferre. L' Anglais a faim de viande, de sucre, det!i6,
de bi6r8> de spiritueux, etc., etc. »
L'OlTVRltlRE
S5
Dans le budget derouvriern(cessileux,jepassais
deux choses qu'il se donne k tout prix, et aux-
quelles elle ne songe pas : le tabac et la barrifere.
Pour la plupart, ces deux articles absorbent plus
qu'un menage.
Les sa] aires de rhomme ont regu, je le sais, uiie
rude secousse, princi palemen t par reflet de la crise
ni6tallique qui change la valeurde Targenf. Us le-
montent, mais lentement. U faut du temps pour 16-
quilibre. Mais, en tenant compte de cela, la difT6-
rence subsiste. La femme est encore plus frappee.
C,est la viande,c,est levin, qui sont diminu6spour
lui ; pour elle, c'est le pain m£me. Elle nc peut
reculer, ni tomber davantage : un pas de plus, elle
meurt.
a C'est leur faute, dit rfeconomiste. Pourquoi
ont-elles la fureur de quitter les campagnes, de
venir mourir de faim dans les villes? Si ce n est
rouvrifere m6ine, c'est sa mire qui est venue, qui,
de paysanne, se fit domestique. Elle ne manque ,
pas, hors mariage, d'avoir un enfant, qui est Fou-
vrifere. »
Mon cher monsieur, savez-vous ce que c'est que
la campagne de France? combien le travail y est
26 INTRODUCTION.
terrible, excessif el rigoureux? Point de femmes
qui cultivent en Angleterre. EUes sont bien mise-
rables, mais en fin vivent en chapeau, gardtes du
vent et de la pluie. L'AlIemagne, avec scs forSts, ses
prairies, etc. , avcc un travail irfes-lenl et la douceur
nafionale, n'dcrase pas la femme, comme on fait de
celle-ci . Le durus orator du poete n'a guere son
id6al qu ici, Pourquoi? II est propri6taire. Propric-
taire de peu, de rien, et proprietaire ob6r6. Par
un travail fui ieux, aveugle, de tres-mauvaise agri-
culture, il lutte avec le vautour. Celle terre va lui
6chapper, Plutdt que cela n'arrive, il s,y enterrera,
s,il le faul; mais d,abord surtout sa femme. C'est
pour cela qu'il se marie, pour avoir un ouvrier.
Aux Antilles, on achate un n^gre ; en France, on
6pouse une ferame.
On la prend defaibleappetit, de taille mesquine
el petite, dans I'idee qu'clle. mangera moins (his-
torique).
Elle a grand coeur, cetle pauvre Frangaisc, fait
aulant et plus qu,on nc veul. Elle s'altelle avec un
Sne (dans Ics terres 16gferes) et rhomme pousse la
charrue. En tout, elle a leplus dur. II taille la vigne
a son aiso. Elle, la tdte en bas, gratte et pioehe. II
a des repits, elle non. II a des ffttes et des amis. II
va seul au cabaret. Elle va un moment a r^glise ct
elle y tombe de sommeil. Le soir, s,il rcntre ivre,
L'OUVRliRE. 97
battue I et souvent, qui pis est, enceinte I La voila,
pour une ann6e, trainant sa double souffrance, au
chaud, au froid, glac^e du vent, recevant la pluie
tout le jour.
La pJupart meurent de phlhisie, surtoiit dans le
Nord (voir ]ea statistiques) . NuUe constilulion ner^-
siste a ceite vie. Pardonnons-lui a cette m6re, si
elle a envie que sa fille souffre moins, si elle I'en-
voie a la manufacture (du moins elle aura un foit
sur la t6te), ou bien, dgmestique a la ville, ou elle
parti cipera aux douceurs dela \ie bourgeoise. L'en-
fant n,y est que Irop port6e. Toute femme a dans
resprit des petits besoins d'el^gance, de finesse et
d*aristocratiei
Elle en est tout d'abord punic. Elle ne voit plus
le soleil. La bourgeoise est souvent trfes-dure, sur-
tout si la fille est jolie. Elle est immolee aux en-
fants g&t6s, singes malins, cruels petits chats, qui
font d'elle leur jouet. Sinon, grondfee, vex6e,
malmen6e. Alors elle voudrait mourir. Le regret
du pays lui vient ; mais eHe salt que son pfere
ne Youdra jamais la reprendre, Etle pftlit, clle d6-
p6rit.
Le maitre seul est bon pour elle. II la cow-
18
INTRODUCTION
solerait, s'il I'osait. U voit bien qu'en eel 6tat d6-
sol6, oAla pelile n'a jamais un mot de douceur, elle
est d'avance a celui qui lui montrcrait un peu d,a-
miti6. L'occasion en \ient bientdt, madame 6(ant k
la campagne. La resistance n'est pas grande. C'esl
son maitre, ct il est fort. La voila enceinte. Grand
orage. Le mari honteux baisse les 6paules. Elle
est chass6e, el sans pain, sur le pave, en attendant
qu'elle puisse accoucher a rhdpital. (Hisloire pres-
que invariable, voyez les confessions recueillies par
les medecins.)
Quelle sera sa vie, grand Dieu ! que de combats !
que de peines, si elle a tant de bon coeur, de cou-
rage, qu'elle veuille 61ever son enfant !
Voyons la condition de la femme ainsi charg6e,
el encore dans des circonslances relativement fa-
vorables.
Une jeune veuve protestante, de moeurs tres*
austeres, laborieuse,6conome, sobre, exemplaire en
tout sens, encore agrfeable, malgr6 tout ce qu'elle
a «ouffert, demeure derri6re I'lldtel-Dieu, dans
une rue malsainc, plus bas que le quai. Elle a
un enfant maladif, qui va loujours k I'dcole, re-
L'OUTRl£lRI. »
tombe toujours au lit, et qui ne peut avancer. Son
loyer, de cent vingt francs, moins enchiri que bien
d'aulres, estport6 a cent soixante. Eile disait k deux
dames excellentes : « Quand je puis aller en jour-
nte, on veut bien me donner vingt sous, mfime
vingt-cinq ; inais cela ne me vient guftre^ que deux
ou trois fois la semaine.Si vous n'aviei eu la bonl6
de m'aider pour mon loyer en me donnant cinq
francs par mois, il eAt fallu, pour nourrir mon
enfant, que je fisse comme les autres, que je des-
cendisse le soir dans la rue. x>
La pauvre femme qui descend tremblante, h61as !
pour s'offrir, est a cent lieues de rhomme grossier
a qui il lui faut s'adresser. Nos ouvrifires qui ont
tant d'espr.t, de goAt, de dext6rit6, sont la plupart
distingu6es physiquement, fines eld61icates. Quelle
difference entre elles et les dames des plus hautei
classes? Le pied? Non. La laille ? Non. La main
scule fait la difference, parce que la pauvre ou-
vrifere, forc6e de laver sou vent, passant l,hiver
sous le (oil avec une simple chaufferetle, a ses
mains, son unique instrument de travail et de vie,
gonfltes douloureusement, crev^ d'engelures. A
cela pr&Sj la m&me femme, pour peu quon I'ha-
bilie, c'est madame la comtesse, autant qu'au-
cune du grand faubourg. EUe n,a pas le jargon
du monde. EUe est bien plus romanesque, plus
so INTRODUCTION.
vive. Qu'un feclair de bonheur luj passe, elle eclip*
sera tout.
On ne sait pas fissez combien les femmes sont une
aristocratie. II n,y a pas de peuple chez elles.
Quand je passai le d6troit, un doiix visage de
femme, 6puis6, mais fin, joli, distingu^, suivait la
voiture, me parlant, inutilement, car je n'enlendais
pas r anglais. Ses beaux yeux bleus, suppliants,
paraissaient souffranfs, profonds, sous un petil
chapeau de paille.
一 Monsieur, dis-je h mon voisin, qui entendait
le frangais, pourriez-vous m'expKquer ce que me
dit cette charmanle personne, qui a Fair d'une du-
chesse, et qui, je ne sais pourquoi, s,obstine a
suivre la voilure?
一 Monsieur, me dit-il poliment, je suis porl6 k
croire que c'est une ouvriere sans ouvrage, qui se
fait mendiante, au raipris des lois.
Deux 6v6nements immenses out change le sort
de la femme en Europe dans ces derniferes crnnfies*
£llc ii,a c|ue deux grands metiers, filer el coudr"
L 窗 RftRfc. 31
Les antres (broderie, fleurs, etc.) m^ritent h peine
d'etre comptte. La femme est une fileusej la femrae
est une couseuse. C'esl son travail, en lous les
temps, c'est son histoire universelle.
Eh bien, il n'en est plus ainsi. Cela vient d*6tre
change.
La machine a Un a d'abord supprim6 la fileuse.
Cenest pas un gain seulement, c'est tout un monde
d'habiludes qUi a 616 perdu. La paysanne filaii, en
surveitlant ses enfants, son foyer, etc. Elle filail
aux veill6es. Elle fildit en marchaat, menant sa
tache ou ses moutons.
La couseuse 6lait I'ouvriftre des villes. Elle Ira-
vaillait chez elle, ou conlindment tout le jour, ou
en coupant ce travail des soins du menage. Pour
tout labeur important, cela n'exislera plus. D'abord ,
les cou vents, les prisons, faisaient terrible concur-
rence k I'ouvrifere isolee. Mais toici la machine a
coudre qui I'an^ntit.
Le progr^s de deux machines, le bon marchg,
la perfection de leur travail, feront , malgrfi toute
barriftre, arriver parlout leurs produits. II n,y a
rien a dire centre les machines, rien k faire. Ces
grandes inventions sont, a la fin, au total 、 des
bienfaits pour I'espto humaine. Mais leurs effets
sont cruels aux moments de transition.
Combien de femmes en Europe (el ailleurs) se-
53 INTRODUCTION.
ront frappSes par ces deux terriblesr ftes, par la
fileuse d,airain et la couseuse de fer? Des millions?
Mais jamais on ne pourraii le calculer.
L'ouvriire de l*aiguille s'est trouvte, en Angle-
terre si subitement affam6e, que nombre de socie-
tes d'emigration s'occupent de favoriser son pas-
sage en Australie. L'avance est de sept cent vingt
francs, mais la personne 6migr6e peut dis la
premiere annSe en rendre moiti6 (Blosseville).Dans
ce pays ou les m&les son! infinimeni plus nom-
breux, elle se marie sans peine, fortifian^ de fa-
milies nouvelles cette puissante colonic, plus so-
lide que rempire indien.
Les ndtres que deviennent-elles? Elles se ront
pas grand bruit. On ne les verra pas, com me You-
vrier, coalis6 et robuste, le maQon, le charpentier,
faireune greve mcna^ante et dieter des conditions.
Elles meurent de faim, et voil^ tout. La grande
nfiorlalil6 de 1854 est surtout torab^e sur elles.
Depuis ce temps cependanl, leur sort s'est bien
aggrav^. Les bottines de femmes ont e(6 cousues a
la mfecanique. Les fleuristes sont moins payees, etc.
Pour m 'eclairer sur ce triste sujet, j'en parlaisa
plusieurs personnes, sp^cialementJi mon v6n6rable
i/oim 龜 B. 15
ami ei confrftre, M. le docteur ViUermS, a H. Guerry,
dont les beaux travaux sont si estim^s, enfin h
un jeune statisticien dont j'avais fort admir^ la
m6thode rigoureuse^ H. le docteur Bertillon. Ileut
lobligeance exlrdme de faire, k cette occasion, un
travail serieux, oil il rSunil aux donnies que le
monde ouvrier peut fournir celles que des per-
soDnesde ^administration lui communiqu^renl. Je
voudrais qu'il le completdt et le publidt. \
Je n'en donnerai qu,une ligne : a Dans le grand
metier giniral qui occupe toutes lesfemmes (moins
un petit nombre), le travail de l,aiguille, elles ne
pcuvent gagner que dix sous. »
Pourquoi ? a Parce que la machine, qui est en-
core assez ch^rc, fait le travail a dix sous. Si la
temme en demandait onze, on lui pr6f6reraK la
machine. » '
Et comment y suppl6e-t-elle ? a Eile descend le
soir dans la rue. » - -
. Voila pourquoi le nombre des lilies publiques,
cnregistrfees, numerotSes, n'augmente pas k Paris,
et, je cro.'5, diminue un peu. ,
L'homme ne se conlente pas d'inventer les ma*
rhines qui suppriment les ieuji grands metiers de
54 醒觸 C 誦.
la femme, il s'empare directement de$ industries
secondaires dont elle vivait, descend aUx metiers
du faible. La femme peut-elle, a volontS, monter
aux m6Hers qui exigent de la force, prendre ceux
des homines? Nullement.
Les dames nonchalantes et oisives, enfoncSes
dans leur divan, peuvent dire taut qu'elles vou-
dront : ti La femme n'est point une malade. » —
Ge qui n'est rien quand on peut, deux jours, trois
jours, se dorloter, est souvent accafolant pour c6lle
qui n'a point de repos. Elle devient tout k fait
malade.
En realili, la femme ne peut travailler long-
temps ni debout, ni assise. Si elle est loujours
assise, le sang lui remonte, la poitrine est irritfee,
restoinac embarrass6, la t&le injectte. Si on la tient
longtemps debout, comme la repasseuse, comme
celle qui compose en imprimerie, elle a d'autres
accidents sanguins. Elle peut travailler beaucoup,
mais en variant I'attitude, comme ell^ fait dans
son manage, allant et venant.
II faut qu'elle ait un manage, il faut qu'elie soil
marine.
f
III
Ik f E 重靈 E LBTTRCE
La demoi^elte Men Sketitj oorame on Jit, qui
peut enseigner, devenir gouvernaiile dans une fa-
miUe, professeut de certains arts, se tire-l-elle
mieui d'affaire? Je Toudrais pouvoir dire : Oui. Ces
situations plus donees n'entrainent pas moins pour
elle une infinite de ehanc^ scabreuses, au total
une vie trouble, une destin^e avortte, parfois fra-
gique. ToulBst difGcult^ pouir la femme seule, tout
impasse ou precipice.
Hy a iqiitme am, je re^s h visile d,une jeane et
aimaUe demoiselle que ses parents envoyaicDt de
la province ii Paris. On Fadressait k un ami de la
famille qui pouvftit I'aidtr a gagner sa vie «n im
36 INTRODUCTION,
procuranl des leQons. J'exprimai PStonnement que
me donnait leur imprudence. Alors, elle me dit
tout. On reiivoyail dans ce peril pour en 6viler un
autre. Elle avail dans son pays un amant plein de
merile, et qui voulait I'^pouser ; c'^tait le plus
honnfile homme, c'6tait un homme de talent. Mais,
h61asl il 6tait pauvre " Mes parents raiment,
restiraent, dit-elle, mais craignent que nous ne
mourions de faim. »
Je lui dis sans hSsiter : « II vaut mieux mourir
de faim que de courir le cachet sur le pav6 de Paris.
Je vous engage, mademoiselle, k retourner, non
pas demain, mais aujourd,hui, chez vos parents.
Chaque lieure que vous reslez ici vous fera perdre
cent pour cent. Seule, inexp6rimenl6e, que de-
viendrez-vous? »
Elle suivit mon conseil. Ses parents consentirent.
Elle 6pousa. Sa vie fut tres-difficile, pleine des
plus dures 6preuves, exemplaire et honorable. Par-
tagee p6niblement entre le soin de ses ent'ants et
I'aide Irfes-intelligente qu'elle donnait aux Iravaux
de son mari, je la vois encore I hiver courant aux
])iblioth6ques ou elle faisaitdes reclierches pour lui.
Avec loutes ces misferes, et la douleur qu'on avail
de ne pouvoir secourir leur fl6re pauvre*^, jamais
je n'ai regrett6 le conseil que je lui donnai. Elle
jouit beaucoup par le coeur, ne souffrit que de la
U FEMME LETTR££. SI
fortune. II n,y eat jamais meilleur manage. Elle
arriva h la mort aimee, pure et honor6e. ,
La pire destinSe pour la femme, c'est de vivre
seule.
Seule! le mot mftme est triste a dire... Et com-
ment se fait-il sur la terre qu,il y ait une femme
seule ! . !,
Eh quoi ! il n'est done plus d'hommes? Sommes-
nous aux derniers jours du monde? la fin, I'appro-
che du Jugement dernier nous rend-elle si 6goistes,
qu'on se ^esserre dans Peffroi de I'avenir et dans
la hontb d<is plaisirs solitaires ?
On reconnait la femme seule au premier coup
d'oeil. Prenez-la dans son voisinage, partout oil elle
est regardfie, elle a Fattitude degag^e, libre, 616-
gamment Ifegfere, qui est propre aux femmes de
France. Mais dans un quartier ou elle se croit
iDoins *observ6e, elle se laisse aller ; quelle tris-
lesssei quel abaltement visible I J,en rencontrai
FhWer dernier, jeunes encore, mais en decadence,
tombtes du chapeau au bonnet, un pev maigries,
un peu pdlies (d,ennui, d'aniiSte? de faible et dc
mauvaise nourriture?). Pour les refaire belles et
M WTRODUCTIOH.
charmMtes, il edt suffi de peu de chose : quelque
espoir, trois mois de bonheur.
Que de g6nes pour une femme seule I EUe ne
peut gufire sortir le soir ; on la prendrait pour une
fille. II est mille endroits ou l,on ne voit que des
hommes, et si une affaire I'y m6ne, on s,6tonne, on
ril sottement. Par exemple, qu'elle se crouve altar-
die au bout de Paris, qu'elle ait faira, elle n'osera
pas entrer chez un restaurateur. Elle y ferait 6ve-
nement, elle y serait un speclacl6. Elle aurait con-
stamment tons les yeux fixes sur elle, enleiidrait
des conjectures hasard^es, d^sobligeantes. II faut
qu'elle relourne a une lieue, qu,arriv6e tard, elle
allume du feu, prepare son petit repas. Elle 6vite de
faire du bruit, car un voisin curieux (un 6iourdi
d etudiant, unjeune employ6, que sais-je?) meltrait
I'oeil a la serrure, ou indiscr^tement, pour enlrer,
offrirait quelque service. Les communaul^s gfi-
nantes, disons mieux, les servitudes de nos grandes
Yilaines casernes, qu,on appelle des maisons, laren-
dent miintive en mille choses, h^sitante a chaque
pas. Tout est embarras pour die, et tout liberty
pour rtiomme. Combien, par exemple, elle s'eli-
ferme, si le dimanche, ses jeunes et bniyants voi-
sins font entre eux, comme il arrive, oe qu,on
appelle un repas de garQon t
LA fmW LBTTR£fi
90
Examinons celte maisoii.
Elle demeure au quatrieme, et elle fait si peu de
bruit que le locataire du troisifeme avail cru quel-
que temps n avoir personne au- dessus delui. II n'est
guSre moins malheureux qu'elle. G'est un monsieur
que sa sant6 delicate, et un peu d aisance, out dis-
pense de rien faire. Sans fitre vieux, il a d6ji les
habitudes prudentes d'un homme toujours occupe
de se conserver lui-mftrpe. Un piano qui reveille
un peu plus t6t qu*il ne voudrait a r6v616 la soli-
taire. Puis, une fois, il a entrevu sur Tescalier une
aimable figure de femme un peu pAle, de svelte
6I6gance, et il est devenu curieux. Rien de plus
aise. Les concierges ne son! pas muels, et sa vie est
si transparente I Moins les moments ou elle donne
ses lemons, elle est toujours chez elle, toujours a
etudier. Elle prepare des examens, aimant mieux
filregouvernante, avoir Fabri d'une famille. Enfin,
on en dit tant de bien que le monsieur devient rfi-
ireur. « At! si je n'etais pas pauvre ! dit-il. II esi
bien agrSable d'avoir la society d'une jolie femme
a vous, qui comprend tout, vous dispense de trai-
ner vos soirees au spectacle ou au caf6. Mais quand
on n'a, comme moi, que dix mille livres de rente,
on ne pent pas se marier. «
11 calcule alors, suppule son budget, mais en
faisant le double comple qu'ils font en pareil cas.
10 INTRODUCTION.
T^unissant les d^penses probables derhomme ma-
ris et belles du c^libataire qui continuerait le caf§,
le spectacle, etc. C'est ainsi qu'un de mes amis, un
des plus spirituels journalistes de Paris, irouvait
que pour vivre deux, sans domestique, dans une
maisonnette de banlieue, il faul trente mille livres
de rente.
Cette lamentable vie, d'honorabk solitude et
d'ennui descsp^ri, c'est celle que m£nent les om-
bres errantes qu'on appelle en Angleterre les mem-
bres de clubs. Cela commence aussi en France. Fort
bien nourris, fort bien chaufT6s, dans ces Stablis^
scments splendides, trouvant la tous bs journaux
el de riches bibliolh6ques, vivanl ensemble comme
des morts bien elev6s et polis, ils progressent dans
le spleen et se pr6parent au suicide. Tout est si
bien organist que la parole est inutile ; il n'est
m£mc besoin de signes. A tels jours de l,ann6e, le
tailieur se prSsente ct prend mesure, sans qu'on
ait besoin de parler. Point de femme. Et encore
moins irait-on chez une fille. Mais, une fois par se-
maine, une demoiselle apportera des ganls, ou iel
objel pay6 d'avance, et sorlira sans bruit au bout
de cinq minutes.
UL FEVME LETTREE. 41
J'ai parfois, en omnibus, rencontrS une jeune
fille modes tement mise, mais en chapeau toulefois,
qui avait les yeux sur un livre et ne s,en detachait
pas. Si pres assis, sans regarder, je voyais. Le plus
souvent, le livre 6tait quelque grammaire ou un de
ces manuels pour preparer les exameBs. Pelits
livres, Spais et compactes, ou toute science est con-
centrte sous forme s6che, indigeste, comme k 1'6-
tat de caillou. Elle se metfait pouriant tout cela
sur Festomac, la jeune victime. Visiblemenl, elle
s'acharnait k absorber le plus possible. Etie y em-
ployait les jours et les imits, m&me les moments
de repos que romnibus lui offrait entre ses courses
et ses leQons donn^es aux deux bouls de Paris.
Cette pensee inexorable la suivait. Elle n'avait
garde de lever les yeux, la terreur de I'examen
pesait trop. On ne sail pas combien elles sont
peureuses. J,en ai vu qui, plusieurs semaincs d'a-
yance, ne se cou^haient plus, ne respiraient plus,
ne faisaient plus que pleurer.
II faut avoir compassion.
Notez que, dans "lat acluel de nos moeurs, je
suis tres-grand partisan de ces exaroens qui faci-
lilcnt une existence un peu plus libre, au total,
honorable. Je ne demande pas qu'on les simpli-
fie, qu'on resserre le champ des etudes qui sont
demand^es. J*y ^oudrais pouriant une. autre
3
圹! INTRODUCI 亂
tljo^e; en bistoire par exemple, m petit nombre
de grands faiU capUaux, mats cir constancies,
taillSs et non dee tables de matiferes. Je soumets
cette reflexicm a mes savants collogues el amis, qui
sont juges de ces exama[is.
Je voudrais encore qu'on memge&t davantage la
timidity, que les examens fussmt publics, mais:
pour les dames seulement, qn'oA n'admit d,hom-
mes tout au plus que les parents des demoiselles.
U est dur de leur faire subir cette 6preuve devant
un public curieux (comnie oela arrive dans cer-
taines villes). II faudrait aussi laisser a chacune le
ohoix du jour de rexamen. Pour plu»ears, le-
preuve est terrible, et, sans cette precaution, peut
les mettre en danger do mort.
Eugene Sue, dans un roman faible d'ex6cution,
mais d'observalion excellente (la G 續 mumte),
donne le tableau trfes-vrai de la vie d'une demoi-
selle transportee tout a coup dans une maison
6lrang6re dont elle doit elever les enfants. Egale
ou sup6rieure par r^ducation, modeste de position,
le plus souvent de caraclere, elle n'int6resse que
trop. Le p6re en est fort touch6, le fils se declare
amoureux ; les domestiques sont jaloux des egarda
LA FEMVE LETTR^E. 45
dont eU6 est I'objet, la calomnient, etc. Mais que
de choses h ajouter? Combien, chez Sue, est in-
complete la Iriste iiiade de ce qu'elle a k souffrir,
mtme k craindre de dangers? On pourrait citer
des fails ^tonnants, meroyables: Ici c'est la pas-
sion du p6re portfee jusqu'au crime, entreprenani
d'effrayer une gouTernairtc vertueuse, Ini coupant
son linge, ses robes^ m^ine brt!^lant tin jour ses ri-
deanx! La, c'est une mfere corrompue qui, voulant
gagner du temps et marier son fils le plus tard
possible, trouve trfes-bon qu'en attendant il trmipe
une pauvre demoiselle sam consequence^ qoi n,a ni
parents, ni protecteur. Elle flaUe, caresse la fiile
crfedule, et, sans qu'il y paraisse, arrange d€s oc-
casions, des hasards calculus. Au contraire, j,ai vu
ailleurs la maitresse de maison^ si violente et si !
jaiouse, rendani la vie si ainire a la triste creature,
que, par rexcfes des souffranees, elle prenait jus-
tcment son abri sous la protection du mari.
La tentalion est naturelle pour une jeune flme,
(i&re et pure, courageuse centre le sort, de sortir
de la dfepcndance individuelle, et de s'adresser h
tous, de prendre un seul protecteur, le public, et
de croire qudle pourra vi\re du fruit de sa penste.
" INTRODUCTION.
Que les femmes pourraient ici nous faire de rtv6-
lations 1 line seule a cont6 cette histoire dans ua
roman Irfes-fort, dont ie d^faul est d'etre court, de
sorte que les situations n'arrivent pas a tout leur
efi'et. Ce livre, me Fausse position, a paru il y a
quinze ans et disparu aussitdt. G,est ritin6raire
exact, le livre de route d'une pauvre femme de
leltres, le relev6 des peages, octrois, taxes de bar-
rifires, droits d'entr6e, etc. , qu'on exige d,elle pour
lui permettre quelques pas ; Faigreur, I'irritation
qve sa resistance lui cree tout autour, de sorte que
tous renvironnent d,obstacles, que dis-je? d'ob-
stacles meurtriers.
Avez-vous vu en Provence des enfants ameut6s
conlre un insecte qu'ils croient dangereux? lis dis-
posent autour de lui des pailles ou des brins sees,
puis ailument... De quelque c6t6 que la pauvre
creature s'61ance, die trouve la flamrae, se briile
cruellement, retombe ; et cela plusieurs fois ; elle
essaye toujours (Tun courage obstine, toujours ea
vain. Elle ne peut passer le cercle de feu -
C,est la mfime chose au th64tre. La fcmine finer 寒
gique et belle, qui se sent de la force au coeur, se
dit : a Par la litteralure, il me faut subir les inter*
LA FEMME LETTR^B 45
mMiaires qui disposent de ropinion. Sur la scdne,
je suis en person ne par-devant mon juge, le pu-
blic, je plaide moi-mfeme pour moi. Je n,ai pas
besoin qu,on dise : « Elle a du talent ! » ― Mais je
dis : (( Voyez I »
Quelle erreur I la foule dteide bien moins par
ce qu'elle Toit que par ce qu'on lui dit 6tre le juge-
mefit do 】a foule. On est touch6 de cette act rice,
mais chacun h6site a le dire. Chacun atiendra,
craindra le ridicule d'un enlrainement passionn^.
II faudra que les censeurs autoris6s, les moqueura
de profession, aient donne le signal de Fadmira-
tion. Alors le public eclate, ose admirer, d^passe
mfeme tout ce que lui aurait dicte son Amotion
personnelle.
Mais, seulement pour arriver k ce jour du juge-
ment ou elle aura tout a craiiidre, que de fikheux
prea]ables ! que d'hommes int6ress§s, suspects, in-
d6iicats, disposent souverainement de son sort!
Par quelles fili^res, quelles 6preuves, ont r6ussi
les debuts? comment s'est-elle concilia ceux qui la
pr^sentent et la recommandent? puis, le directeur
auquel elle est prfesenl6e? plus tard, I'auteur a la
mode qui ferait pour elle un r61e? les critiques en
dernier lieu? Et je ne parle pas ici des grands or-
ganes de la presse qui se l espectenl un peu. mais
des plus obscurs, des plus inconnus. II sufOt qu'un
INTRODUCTIOH
jeune empIoy6, qui passe sa vie dans tel minist^e
& lailler des plumes, ait grifTonn6 k son Iiureau
quelques lignes satiriques, qu'une petite feuille les
regoive, les r^pande dans I'enlr'acle. Anim6e, en-
courag6e dos premiers applaudissements, elle ren-
tre en sc&ae belle d'espoir... mais ne reconnait
plus la salle. Tout est bris6, le public glac6. On se
regarde en riant.
J'etais jeune quand je vis une scene bien fbrle,
dont je suis reslc indigne. J'aime a croire que de
nos jours les choses ne sont plus ainsi.
Chez un de ces lerribles juges que je connaissais,
jevois arriver une pi*lile personne, fori sim piemen t
raise, d'une figure douce el bonne, fatigu6e deja et
un pen fanee. Elle lui dit, sans preface, qu'elle ve-
nail lui demander grSce, qu elle le priail du moins
de lui dire poui quoi il ne passail pas un jour sans
ila cribler, laccabler. 11 r^pondil hardiment, non
pas qu'elle jouait mal, mais qu'elle 6taii impolie,
qu'a un premier article assez favorable elle eut dA
repondre par un signe <le i econnaissance, une mar-
que solide de souvenir. (( IlelasI monsieur, j/e suis
si pauvre ! je ne gagne presque rien, et je dois sou-
teuir ma mfere. 一 Pcu m'importe 1 ayez un amant...
Mais je ne suis pas jolie. Et d'ailleurs je suis si
'Iristei... On n'aime que les femmesgaies... 一 Non,
<vous ne m'en ferez pas accroire. Vous 6les jolie.
LA FEMME LETTA£E. 47
mademoiselle, et c'est mauvaise voloiit6. Vous 6tes
fiere, cela ne vaul nea. II faut faire comiae ies
autres, il faut avoir un amant. » II ne sortil pas
deli.
Je n'ai jamais compris comment on evait la force
de siffler une femme. Chacun d'eux est peut-ctr e
bori, cl ils soiit cruels en masse. Cela arrive par (bis
dans lelle ville de province. Pour forcer le direcieur
k depenser plus qu'il . ne pent, et a faire venir Ies
premiers talents, on execute chaque soir uneinfor-
tun^cqui, ellermAme, aura it du. talent, mais qui,
sous cct aehamement, ce hoiUeux sii police, perd la
UHe, diancdle, hegaye, ne sail plus ce qu elle dit.
EUe pleure,.resle inuelte, das ye«x... On
rit, on siffle. Elle s'irrile, se revolte conlre une si
grande.barbarie. Mais alors, ciest une temp^le . si
liorrible et ,si f^roce, quelle lombe, demande
pardon..*
Maudit qui b rise une femme, qui lui dte ce qu'elle
avail de fierte , de courage, d'dnie! : Dans nne
Fausse position , ce moment est marque d'une
maniero- si tragique et si vraie, qu'on seat que
c'est la nature mfime ; cela est pris sur le vit. Ga-
mille. la femme de lettres, habilemenl entour6e
48 INTRODUCTION.
du cercle de feu, n'ayant plus d'issue, veut mou-
rir. EUe n,en est emp6cbte que par un ha sard
impr^vu, une occasion inevitable, imp6rieuse, de
faire quelque bien encore. Attendrie par la charitS,
amollie, elle perd ies forces que Forgueil prfilait k
son d^sespoir. Un sauveur lui vient, elle c6de. La
voili humble , dSsarm^e par le grand dilemme
qui corrompit tant les mystiques : « Si le vice
est un p6ch6, 1'orgueil est un plus grand p6ch6. »
Elle est devenue tout a coup, celle qui porlait la
t&te si haut, bonne, docile, ob^issante. Elle fait
I'aveu de la femme : « J,ai besoin d'unmattre. Com-
mandez, dirigez... Je ferai ce qu,on voudra. »
Ah ! d^s qu'elle est une femme, dhs qu,elle est
douce, pas fifere, tout est ami, tout s,aplanit, Les
saints lui savent gr6 d'fiire humble. Les mondains
en ont bon espoir. Les portes se rouvrent devant
elle, et liU6ra(ure et theatre. On travaille, on con-
spire pour elle. Plus elle est morte decoeur, mieux
elle est pos6e dans la vie. Les apparences rede-
viennent excellentes. Toul ce qui fit guerre a l,ar-
tiste, k la femme laborieuse et ind^pendanle,
est bon pour la lemme soumise (d^sormais entre-
tenue).
Lk FEHME LETTREE. 4:»
L'auteur du roman, k la fin, torture, mais sauye
rh^roine. II lui met un fer brulant au coeur, celui
d'un veritable amour. Elle succombe, perd I'esprit
ayant sa degradation. Peu ont ce bonheur; la phi-
part ont d6ja trop souffeii, trop baisse pour scntir
sivivement ; elles subissent leur sort, son tesclaves,
一 esclaves grasses et florissantes.
Esclaves de qui? direz-vous. De cet Aire incer-
tain et inconnu qui d'autant moins est responsa-
ble, et d'autant plus est 16ger, sans 6gard et sans
piiii. Son nom? C'est Nemo, le nom sous lequel
Dlysse s'alfranchit du cyclope. Ici, c'est le cyclope
mfime, le minotaure d6vorant. C'est Persotme, et
c'est Tout le monde.
J'ai dit qu'elle 6tait esclave. Plus mis6rablement
esciave que le n^gre du planteur, plus que la fille
publique num^rot^e du ruisseau. Comment? Parce
que ces mis^rables, du 動 ins, n'ont pas d* in-
quietude, ne craignent pas le chc^mage, sont nour-
ries par leurs tyrans. La pauvre camellia, au con-
traire, n'est sAre de rien. On pcut la quitter tous
les jours, et la laisser mourir de faim. Elle semble
gaie, insouciante. Son metier est de sourire. Elle
sourit, et dit cependant : « Peut-filre affam^e de*
main!... Et pour retraite, une borne I »
M6me dans son for inl6rieur, elle tache aussi
d'felre gaie, ayant peur d'etre malade, de mai-
5.
50 INTRO DUCTIOH.
grir, Cela est atroce de ne pouvoir6tre triste. EUes
savent bien qu'au milieu des demi-6gards, ua
peu ironiques, que Von a pour elles, on ne leur
pardonnera pas un jour de langueur, ni la moiii-
dre alteration. Certaine ombre de souffrance, un
peu de pSleur maladive qui parerait la giamk
dame et peut-etre rendrait fou d'amour, c,est la
mine de ia dame au camellia. Elle est tenue d,6tre、
brillante de fraiclieur, luisante pluldl. Point de
grftce. Un medecin lres-lionii6le qu'uned'elles avait
appel6, huit jours apr6s, de lui-mfime, sans autre
inl6r6l que la pitie, passant dans la rue, monta, de-
man da comment elle allait. Elle fut extrfimement
touchfee et ouvrit son cof^ur. « Vous me voyez
toujours seule, dit-elle. II vient k . peine un jour
par semaine. Si je souffre ce jour-la , il dit :
c Bonsoir, je vais au bal » (c,est-iwiire chercher
une femme), me faisant s^chement entendre que
je ne suis bonne a rien, que je ne gagne pas mon
pain. »
La I'agon dont on s'en d6fait est la chose la
plus cruelle. M. Bouilhet, dans son beau drame
diEiline Peyrm^ a mis en sc&ne ce qui se voit
tous les jours. On n aiine pas a romprc en fac (? »
mais on . s'arraoge si bien, que la crfiature dfi*
laiss^, demain sans ressources peut-filre, ac-
iCuciile trop crgdulement ramour d un ami , per*
fide. Libra a riafidele, autiaitie, de dire quelle I'a
Dans un poeme imniortel, d'uae inexprimable
tendresse, Virgile a exprimS ramerlume, rii.son-
dable mer de douleurs, ou se aoie ramant .de
Lycoris. Ces courlisanes esclaves, qu'un inaitre
laTare louait, vendait, out lir6 des vers-dfichirants
de la muse ihfortunee des Propcrce el des Tibulle.
'EUes itatent lettr^es, gracieuses et de verilabks
Hkmss, plus semblablesia la dame au eamellia sc-
toelle qu'aux Maium .Lescaut de I'ancien regime,
si naivement corrompues, simple <^15ment de piai-
sir, qui ne sentaient, ne savaient neri.
Le danger est tres-grand ici. Le plus sOr est de
rester loin. Un jour, un de mes amis, penseur
distingu6, charitable, mais qui a les moeurs du
temps, me disait que c'6lait par ses relations 16-
g^res, sans consequence, en fevitant tout enga-
gement s6rieux, qu'il avail su se reserver pour
tude et rexercice solitaire de rinlelligence. Jc lui
dis : « Quoil vous trouvez que cela est sans cons6-
quence? Mais n'esl-ce pas un grand p6ril ?… Par
quel effort phiiosophique d'oubli et d'abstraction
peut-on voir une infortunee jetfee 1^ par la misere,
S9 INTRODUCTIOK.
par la trahison peuWIre, sans que son horrible
sort ne dfechire le cceur? Et si la pauvrj cr6alure,
jouet de la fatality, allait le prendre, oe coeur, vous
seriez perdu 1 一 Moi I dit-il en souriant (mais
d'un si triste sourire 1), cela ne peut pas arriver.
Mes parents y ont pourvu ; ils ont ferm6 cette porte
qui mSne aux grandes folies, Avant que j'aie senti
mon coeur, on m,en a d6barrass6. On a tu6 ramour
en moi. »
Cette parole fun6raire me fit fr6rair, Je pensai
au root qu,un empereur sophiste dit au dernier
jour de Fempire romain : « Lamour est une con-
vulsion. » Le lendemain, tout s'fecroula, non par
rinvasion des barbares, mais par celle du c^libaf et
de la mort priventiye.
IV
LA FBmtE fTE ?1T PAS SANS I/HOMlf 雪
Une vie toujours laborieuse nous enrichit, en
avanQant, de sens nouveaux qui nous manquaient.
Bien lard, seulement I'hiver dernier (1858-1859),
je me suis trouv6 au coeur le sens des petits enfants.
Je les avals toujours aim6s, mais je ne les compre-
nais pas. Je dirai plus loin Faimable r6v61ation qui
m,en vint par une dame allemande. (Test k elle
certainement qu'on devra ce qui pourrait se trouver
de meilleur dans les premiers chapitres sur l,6du>
cation qu'on lira tout h I'heure.
Pour p6n6trer dans cctte fetude, je crus devoir
connattre mieux Fanatomie de Fenfant. Mon ami.
54 INTRODUCTION,
SI. le docfeur Beraud, chirurgien des hftpitaux, ex—
prosecteur do Clamart, jeune encore, mais si connu
par le beau traitfe (le physiologic qu*il a fail avcc
noire illuslre Robin, voulul bien, dans le cabinet
qu'il a a Clamart, dissSquer plusieurs enfanls sous
mes yeux. II m'averlit sagement que I'elude do
Fenfant est utilemenl eel A fee par celle de l adulte.
Me voilk done, sous scs auspices, lanc6 dans I'ana-
tomie que je ne connaissais jusque-la que par les
planches.
Admirable 6lui]e, qui, ind^pendamment de tant
d'litilites pratiques, est au fond tout une morale.
Elle trempe le caraclere. On n'est homme que par
le ferme regard dont on envisage la vie et la mort.
Et, ce qui n,est pas moins vrai, quoique moins
connu, elle humanise le coeur, non d'uniattendris-
jsemenl de femme, mais en nous clairant surune
foule de m6nagements naiurels qa'on doit a Thu-
.i»anU6. Un eminent anatomiste me disait : « C'est
41 n supplice pour . moi . de • voir une porteuse deau
twvLs le poids des ^seaux f^n l'>acoablent et quiilui
iscient les 6patites..Si I'on savait combien cliez la
, femmes ces muselea son! d6iicais, combien les oerfs
idn mouv 細 eiit:aont faibles, et au conlrairesideve-
lopp6s ceux de la sensibility ! »
Mon impression fut analogue, lorsque, ayant vu
i Vorgaiusme qui fait de renfant un ^troifalaleoscnt
U FEMMfi IE YIT PAS SANS L'HOIIME
55
mobile, a qui la nature impose uii changemeiit con-
tinuel , je prasai a I'enfer d'immobilit^ que lui in-
flige recole. D'antant plus je me rattachai h ia bonne
-iBilhode allemaide (ateliers et jardins d'enfants),
oilionJ^urdeHiandejusteinentcequeYeut la nature,
le mouvement, en developpant chez eux- r«ctivite
crtalrice qui est le Trai g^nie de I'homme.
Tant qu'on n'a pas vu, louche les rtolHes, on
hfeite sar tout cela^oti diseuie, on ferd le temps a
teeuier - les bayards. Dissequez. En an mome&t
糊 s comprendrez,' sentirez tout. C'est la mort snr-
toat qui apprend - k respecter la vie, k m^nager^ k
ftte pas surmener Fiespece humaine.
Si Je pouvais awir quek[ue doute sur Finfluence
morale de raaatemie, it m'edl suffii de me rappeler
que les meilleurs hommes que j,ai connus 6laient
de grands m^decins. Au moment in6meouj'6tudiais
aClamart, j,y vis un c61ebre chirurgien anglais qui,
dans son grand ige de quatre-vingts ans, passe tous
lesans la mer pour visiterceitecapitaledes sciences,
et connaltre les nooyeaut^s heareuses que son g^nie
invenlif trouve incessamment pour le soulagemeat
de l'hufnanU6.
Q 8'agissait pour moi surtout de I'aiMtoini&du
M INTRODUCTION.
cerveau. J, en ^tudiai un grand nombre de Fun et de
I'auire sexe, de tout &ge, et fus frapp6 de v(vt com-
bien naivement la face in£6rieure du cerveau r6-
pond , dans sa physionomie, a I'expression du visage*
Je disla face infferieure et nuUetnent la par tie sup6-
rieure, et toute veineuscj k laquelle 6videinineiit
Gail attachait trop d'importance. C'est loin de la
boite osseuse, aux larges bases du cerveau, pleines
d'artircs, accidentSes de volutes plus ou moins ri-
ches, selon que rintelligence fut d6velopp6e ; c'est
1^ que se r6vele ^nergiquement la personne, autant
qu'au visage m6me. Celui-ci,face grossi&re, expos6
k Fair, k mille chocs, d^form^ par des grimaces,
s,il n'avait les yeux, parlerait bien moins que cette
face inftrieure, si bien gard6e, si delicate, si mer-
veilleusement nuanc^e.
Chez les femmes yulgaires , qui visiblement
avaient eu des metiers grossiers, le cerveau 6tait
fort simple de forme, comme k I'^tat rudimentaire.
EUes m'auraient expose a la grave erreur de croire
que la femme en g6n6ral est , dans ce centre es-
sentiel de Torganisme, infirieure a rhomme. Heu-
reusement d'autres cerveaux fSminins me d6trom-
LA FEMME NE VIT PAS SANS L,HOMME. 57
parent, specialement celui d,une femme qui, sous
un rapport pathologique offrant un cas singulier,
obligea M. Beraud a connalire et sa maladie, et ses
prec&lents. J'eus done ici ce qui me manquait
pour ces autres morts, rhistoire de la vie, de la
desiinee.
Cette singularity infiniment rare, c'^tait un cal-
cul considerable troirve dans la matrice. Get organe
generalement si aliere aujourd'hui, mais peut-6tre
jamais k ce point, rey^lait la un 6tat bien extraor-
dinaire. Qu'au sanctuaire de la vie giniratrice et
de la fecondite on trouv^t ce cruel dessichement,
celte atrophic desesper6e, une Arable, si j'ose dire,
an caiUou. . . , que rinfortunie se fftt comme chang6e
en pieire... cela mejeta dans une mer de sombres
pens^es.
Cependant les autres organes n'en ^taient pas
allures aufant qu'on aurait pu croire. La l&ie etait
fort expressive. Si le cerveau n,6tait pas large,
fort, puissant, comme celui de quelques homines
que j'avais pu observer, il itait aussi vari6, aussi
ridie de volutes. Petites volutes accident^es , his-
tories d'un detail infini, — nagu^re meublees, on
le sentait, d'une foule d'id6es, de nuances dkli-
cates, d'un monde de rfives de femme, Toul cela
parlait. El, comme j,avais eu sous les yeux, le
moment d'aupamant, des cerveaux pen expres-
58 im* 議 DCT 鳳
sifs, j allais dire sileneieux, c^i-ci, au premier
aspect, me fit entendre unlangage' Enl'approciiant,
je croyais par les yeux ouir encore un eclio de
joupirs.
Les mains, dcmces et assez fines, n*6taimt pas ce-
pendant elegamment allongees, comrae celles de la
darae oisive. Elles ctaienl movenneinent courles,
failes pour la prehension. Ellc avail sans doute tenu
de petits objets, qui ne dfeforinenl pas la main, mais
la courbent et la conccntrenl. Ce devait £tre uee
ouvricre, — en linge peut-felre? fleurisle? Telles
^taient tes conjectures naturelles. Elle pouirait avoir
vingt-huit ans. Ses yeux d'un gris bleu, siirmontes
de sourcils noirs assez forts, une cerlaine qualite
du teint, revelaienl la ferame de 1 Quest, ni Nor-
mande ni Bretonne, d'une zone intermMiaire jet
pas encore du Midi.
La figure £tait severe; Mre plutdt. Les sourcils,
arquesforterr^ent, maisnon surbaiss6sj temoignaient
d'une personne honnSte, nullementsvilie,qui avail
gardfe^san ^«ie el jusqu'a 】a mort luUe.
Le <50rps, d^ja ouvert a rhdpilal, montrait assez
au cdte gauche qu'une fluxion de poitrine la^ait
enlev^e. Elle Wait morte le 21 mars. En retranchant
douze jours, nous remoniions au mardi gras, au
9 mars. On 6tait tenl6 de croire qu'elle etait une
des \ictimes si nombreuses des bals de cet (? e ipo-
LA FE 画 N£ YIT RAS 8AXS L'HOMME. 5d
^e. Cruel moment qui tout a coup comble itb M-
pitaux et bientdt les eimetieres ! On peut jusldinent
I'appeler la File du.Mmotame. Que de femmes d^-
? ©rtes vivanles I
QuaBd onssoage k rennui laortel, k lst monotome
proftmde, a la vie- d^fiheritee, s^che et vide, que
m^ne rouwiif e, surtout I'ouvriere de I'aiguille
avec-soii pain see eterael. et .seule .daas son froid
grenier , on s'elojane peu si elle cMe a la jeune folle
d'aeAte, ou a una amie plus mAre^ iotiressee, qui
KfiBtraine. Mais ce qui me doane toujours un 6ton«
nement douloureux, c'est que celui qui en profile
ait si peu de coeur, qu'il prot6ge si peu la pauvre
t6Umnlie,iie veillepas un peu sur elley ne s inquiiie
pas (lui chaudement couvert de inanteaux, de. pa-
letots!) de savoir si. elle revient velue, de savoir
si elle a du feu, si elle a le nccessaire, de quoi
iQ anger pour demain. Helas I celte inforlunee dont
vous cutes tout a rheure les dernieres caresses,
la jeter dsns la Quit glac^el... Barbares ! vous
£8uies semblant d'etre Idgers dans tout ceci. Point
du (out. Vous ties habiles, vous files cruels el
avares, vous eraignez d,en savoir trop, vous aimez
loieux ig^iorer ce qui fSuit, — r la ,ie ,: la mort...
60 IKTRODUCTION.
Pour revenir, malgrfe l'6poque, je doutai fort,
surla vue du visage de cette femme, que ce fut una
itudiante^ une habitude de ces bals. On connait
ais6ment ce monde-Uu Elle n'y eAt pas r&ussi.
Un nez s^y^rement arr6t6, un menton feme, une
bouche a Ifevres fines et precises, un certain air de
reserve, Pauraient fait trop respecter.
L'enquMeult6rieure prouva que j'avais trfes-bien
jug6. C,6tait une demoiselle de province, de petite
bourgeoisie marchande, qui, dans une ville peupl6e
en majeure partie de celibataires, employes, etc.,
n'avait pu, malgre son honn6tet6 naturelle, se d6-
fendre seule contre des assauts infinis, une pour-
suite de toutes les heures. Sur promesse de ma-
nage, elle avait aim6 et eu un enfant. Trompee,
sans autre ressource que ses doigts et son aiguille,
elle avait quitt^ cette \ille, celle de France ou les
ferHmes sont le moins embarrass6es. Elles y ga-
gnent tout ce qu'elles veulent. Celle-ci aima mieux
aller se cacher k Paris, et mourir de faim. Elle
trainait un enfant ; grand obstacle h toute cbose.
Elle ne pouvait 6tre ni femrae de chambre ni de-
moiselle de boutique. La couture ne produisail
rien. Elle essaya de repasser ; mais dans son ^tat
maladif, aggravfe par le chagrin, elle ne pouvait
le faire sans que le charbori lui donndt de cruelles
migraines, et elle ne restait debout tout un 'our
U FEMME KE VIT PAS SANS L'flOMME. (H
qu'avec de grandes douleurs. Les ouvri^res n,en
savaient rien el la croyaient paresseuse. Les Pa-
risienn^s sont rieuses, dies n*6pargnaient pas les
ris6es a la pauvre provinciale. Toutefois, elles
avaient bon coeur, et, dans ses embarras, lui pr6-
laient de leur argent.
Ses tristes robes d'indienne diteinte, que j'ai
lues, t6moignaient assez que, dans cette extreme
misdre, elle n'eut aucun recours k ce qui lui
restait de beauts. Un lei vfetement \ieillit. U ne
laissait nuUement deviner combien cette personne
itait jeune encore, entifere. La douleur et les mi-
sires maigrissent, inais ne fanenl pas comme les
exc^ et les jouissances. Et celle-ci, tr6s-visible-
ment, avail peu us6 desjoies de la vie.
La maitresse qui I'employait a repasser avait eu
la charit6 de lui permeltre de coucher dans une
grande soupente qui servait d'atelier, lieu forte-
ment impr6gn6 des vapeurs du charbon, et qui
d'ailleurs devait le matin 6lre libre pourle travail.
Quelque soufTrante qu'elleMt, elle ne pou\ait rester
au lit, m^meun jour. De bonne heure, les ouvrieres
arrivaient, se moquaient « de la paresseuse, fai-
n6ante <;t propre h rien. »
Au 1'' mars, elle fut plus mal, eut un peu de
fi&vre, un peu de toux. Ce n,e (! it 6t6 rien si elle avait
eu un che% soi. Mais, ne I'ayant pas, il lui fallut
63 I 議画 cmn.
laisser sa petite fiUe k la bontc de la maltresse et 5
Wller a rhdpital.
Eile entra dans un de nos grands vieux hdpi-
taux ou il y avail en ce moment beaucoup de fifevres
typhoides. Le trfes-habile midecin qui I'y re$ul pr6-
vit sans peine que sa petite fi6vre prendrait ce ca-
raclfire. Mais il espera I'altonuer. On lui demanda
si sa sante, en general, Stait bonne. EUe dit modes^ •
tement : Oui, dissimulant la grave I6sion intfoieure,
et redoutant un p^nible examai.
Dans rimmensit^ de ces salles qui riunissent^
tant de souffrances, oil Von yoit agoniser, mourir k
c6tk de soi, la trislesse ajoute souirent a la nrn**'
ladie. Les parents sont admis a certains jours,
Mais combien n'onl pas de parents! combien meu*--
rent seuls ! Celle-ci fat visit^e par la charitable
maitresse, qui, pourtant, voyaiit plusieurs ma-
lades de la fievre typhoide, prit peur, et ne re-
vint plus.
L'a^ration n6cessaire se fait encore, coi&me au-
trefois, par de vastes fenStres, de grands courants
d'air. On s'occupe s6rieusement d' 甴 tablir un meil-
leur systfime. Ces courants frappent des malades
peu d6fendus par leurs rideaux. La petite toux
qu'elle avail devinl une forle bronchite, puis une
fluxion de poitrine. Epuisee depuis longtemps part
•unc tr&s^faible nourriture, elle n'avait pas la lorce
LA FHHMfi NE VIT PAS SANS L'UOMME. 65
de r6agir. Eile fut tr^Srlnen soignee, mais maurut
en trois semaines.
Sa pelile iille (enfant charmanle et d6ja raison-
nable) ful inise aux Enfanis trouves-
Son corps, n,6tant reclame de personne, fut en-
voy6 a Clamart. El, j'ose dire, trfes-utilement, puis-
qu'il a Sclaire la science par un fail dont elle tirera
de fficondes inductions. D'aulre part, ce simple
r6cii aura aussi 6t6 utile, s'il avertit fortement
ratiention des bons esprits* La fmme meurtj si
elle n,a foyer et protection. Si celle-ci avait eu seu-
lement un abri, un lit pour huil jours, son indis-
poeition etU po$s6, selon toute apparence, et elle
edti encore v6cu •
Illui aurait . fallu un moment rhospitalit^ d'une
femme. Qu'il serait souvent ais6, pour une dame
inteUigenie, k certains jours d^cisifb, de sauvcr
celle que le malheur engloulit ! Je suppose que
cetledanie, traversant un jardin public qui estprte
de rhopital , 1 ail vue assise sur un banc, avec son
petit paquet, se I'eposant un moment de sa longuc
course, avant d'eatrer. Celle dame 】a voyant si
pildy.frapj)^ de sa figure hormete, distingu^e,
64 INTRODUCTION.
malgrS Fextrfime pauvret6 du v6tement, se fAt
assise a cdt6 (Telle, et, de mani^re ou d'autre,
raurait fait un peu parler.
« Qu'avez-vous, mademoiselle ? 一 J,ai la lievre,
madame. Je me sens tout a fait mal. 一 Voyons..,
Je m,y connais un peu. Oh I c'est peu de chose.
Dans ce moment, r6pid6mie rfegnanle est forte anx
hdpitaux. Yous pourriez bien la gagner. Un peu de
quinquina peut-6tre vous mcttra sur pied en deux
jours. J'aurais beaucoup a repasser. Pour ces deux
jours, venez chez moi. Gu6rie, vous ferez mon ou
vrage. » — Cela lui eut sauv6 la vie.
Deux joursn'eussenl pas suffi . Avec une semaine,
elle eut 6te remise. La dame apprteiant ce carac-
I6re honnfite et sAr qu,elle porlait sur son visage,
VeHii sans doute gard6e davantage. Un peu ouvrifire,
un peu demoiselle, mieux vfitue , redevenue belle par
quelques moisd'une vie douce, elle edi fouchi plus
d,un coeur de sa gr4ce s6rieuse. Le malheur d'avoir
6t6 tromp6e et d'avoir cejoli enfant, bien compens^
par sage tenue, sa vie econome et laborieuse,
n'aurait guere arr6l6 I'amour. J'ai eu occasion de
voir plusieurs fois la magnanimity tendre el g6n6-
reuse des bons travailleurs dan see genre d'adoption.
J'ai vu un de ces manages admirables. La femme
aimait, j'ose dire, adorait son mari, et I'enfant,
par je ne sais quel instinct, 8,6tait attach^ k lui
U FEMME NB YIT PAS SANS L'UOMMB, 65
plus qu,on ne fait a un p6re ; il ne le quittait qu'en
pleurant, et, s,il tardait, pleurait pour le revoir.
On se figure trop aisement qu'iine destin^e est
g^tee sans retour. Notre bonne vieille France ne
pensait pas ainsi. Toute femme qui ^migrait, par
exemple, au Canada, passait pour purififee de toute
faute et de tout malheur, par le bapteme de la mer.
Ce n^6tait pas une vaine opinion. EUes prouvaient
parfaitementqu en effet il en 6taitainsi, devenaient
d'admirables Spouses, d'excellentes m^res de fa -
mille.
Mais remigration la meilleure, pour celles qui,
presque enfants, se sont Irouvees jetees par le
hasard dans une vie I6g6re, c'est de remonler
courageusement par le travail et les priva-
tions. Un de nos premiers penseurs a soutenu
cette thfese dans une leltre severe a une de nos
pauvres amazones, si brillanles et si luaiheu-
reuses, qui lui demandait comment on peut sorlir
de ce goufire. La lellre, tr6s-dure de forme, mais
bonne au fond et Ires -bonne, lui dit comment elle
peut expier par la misere, se layer par le travail et
la souffrance voulue, redevenir digne et pure. 11 a
tout k fait raison. L'ame de femme, bien plus
mobile, plus fluide que l'ame d'homme, n'est ja-
mais si profondement corroinpue. Quand elle a
voulu s6rieusemeiit reveuir uu bieii, qu'elle a v6cu
«6 INTRODUCTION.
d,drorts, de sacrifices, de riflexion, elle est vrai*
menl renouvel6e. C'est un peu comme la rivipre»
qui, a tcls jours ful gAtte, mais d'aalres eaux soot
venues, et elle est claire aujourd'hui. Si la femine
ainsi chang^e, oubliant le maovais f6to de ses
fautes involontaires ou le coear n'^tait pour rien,
parvient k le trouver, ce coeur, si elle aime... tout
est sauv6. Le plus honnftle homme du monde peut
avoir son bonheur en elle, et s ,! lonorer d'elle en-
core.
Je ne votilus rien ajou ter k ce lugif bre rficit. Mes
amis 6mus se leverenl. D'un seul mot, je leur rap-
pelai ce qui I'avait pr6c6d6.
Mes chers messieurs, la raison pour laquelle
vous vous marierez, la plus forte pour vos coeurs*
c'est celle que je vous disais :
La femme ne vit pas sans rhomme.
Pas plus que l,enfant sans la femme. Tons les
enfanls»trouves meurenl.
Et rhomme vit-il sans eux? Vous-mta'e le disiez
tout a rheure : Voire vie est sombre et amire. Au
milieu des amusements et des vaines ombres f6mi-
nines, vous ne poss^dez pas la femme, ni le boB*
LA FEMME KE VIT I>AS SANS L ,匪 ME, 67
lieur, ni le repos. Vous ii'avez pas la forte assietle^
r^quilibre harmonique, qui seri taut la produc-
tion.
la nature a forme la vie d'un noeud triple et
absolu : riiomme, la femme el renfanl. On est sAr
de pferir a part, et on ne se sauve qu'enseiable.
Toules les disputes des deux sexes, leurs fiert^s
ne servenl a rien. II faul en finir sur ce point. II ne
feu I pas f aire coauneriialie, cornme la Pologiie, I'lr-
- lande, I'Espagne, ou raffaiblissexnenl de la famille,
el Fegoisine solitwe, ont iant Goatribue a pcrdre
l,£lat. Dans r unique livre du si^cle ou il y ait une
graiide conception poetique (le poeme du Dernier
Homme) y rauleur croit le monde epuis6, et la Terre
prte de finir. Mais il y a un sublime obstacle : La
Terre ne pent pas finh\ si un seul homme aime encore,
Ayez pilie de la Terre fatigu6e, gui sans Famaur
n'aurait plus de rakon d'fefre. Aimez, pour Je salut
du monde.
Si je vous ai bien compris, vous en auriez as-
lez cnvie, ma is la crainte vous arrfile. Franche-
ment, vous avez peur des fe/nmes. Si la femme
restait une chose, comme jadis, vous vous marie-
es INTRODUCTION.
riez. Mais alors, mes chers amis, il n'y aiirait pas
mariage. C,est Punion de deux personnes. Voici
que le mariage commence h devenir possible, jus*
tement parce qu'aujourd'hui elie est une personiie
et une dme.
S6rieusement, 6tes-vous des homines? Cette puL
sance que vous prenez maintenant sur la nature
par voire irresistible g6nie d'invenlion, est-ce
qu'elle vous roanquera ici? On seul 6lre, celui qui
resume la nature et qui est tout le bonheur, sera
hors de votre port6e I Par la science, yous atteignez
les scintillantes beaul6s de la voie lact6e ; est-ce
que celles de la terre, plus ind^pendantes de vous,
vonl vous renvoyer (comme la V6nitienne renvoya
Rousseau) aux mathSmatiqties t
Votre grosse objection sur Fopposition de la foi,
la difficull6 d'amener la femme k la vdtre, elle ne
me semble pas bien forte pour qui envisage froi-
dement, pratiquement, la difficultfe.
La fusion nes,op6rera complfetement jqu'en deux
manages, deux generations success! vcs.
La femme qu'il faut 6pouser, c'esi ^elie que j,ai
donn^e dans le livre de rAmour^ celle qui, simple
et aimante, n*ayant pas encore re§u une empreinta
definitive, repoussera le moins la pens^e moderne,
celle qui n'arrive pas d'avance ennemie de la science
et de la v6rit6. Je Paime mieux pauvre, isolee, peu
LA F£M1IE NB VIT PAS SANS L'HO 腿, 69
entour6e de famille. La condition, l'6ducation, est
chose fort seconds ire. Toule Frangaise nait reine
ou pres de le devenir.
Comme —use, la femme simple que Fon peut
Clever un peu. Et, comme fiUe, la femme croyante,
qu'un p6re elfevera tout k fait. Ainsi se trouvera
rompu ce miserable cercle ou nous tournons, ou
la femme emp6che de crier la femme.
Avec cette bonne 6pouse, associee, de cceur au
moins, k la foi de son mari, celui-ci, suivant la
voie fort ais6e de la nature, exercera sur son en-
fant un incroyable ascendant d'autoriti et de ten-
dresse. La fille est si croyante au pire I A lui d,en
faire tout ce qu il veut. La force de ce second
amour, si haut, si pur, doit faire en die la Femme,
radorable idtol de gvAce dans la sagesse, par le-
quel seul la famille et la soci6t6 elle-m6me yont
fttre reoommenc6es«
PREMIERE PARTIE
DE L'EDUGATION
1
LE SOLEIL , I/Am ET LA LUMlEiRE
Un illustre observaleur affirme que nombre
d'filres microscopiques, qui, tenus a I'ombre, res-«
tent v6g6taux, s^animalisent au soleil,etdeviennenl
de vrais animaux. Ce qui est sOr, inconlesl6, ac-
cepts de tout le monde, c,est que, loin de la lu-
mi^re, tout animal vegfete ; que le v6g6tal n'arrive
guSre k la floraison, et que la fleur reste pfile, lan-
guissanle, avorte et meurt.
La fleur humaine est, de toutes, celle qui veut
le plus de soleil. II est pour die le premier et le
supreme initiateur de la \ie. GomparezTenfant dun
jour, qui n'a connu que les tfenebres, avec I'enfant
d ,! me /nm6e ; la difference est 6norme en I re ce ills
de la nuit et ce fils de la lumiere. Le cerveau de ce
dernier, mis en face de celui de Fautre. offre le
74 LE SOLEIL, I/AIR ET LA LUMIfiRE.
miracle palpable d ime transfiguration complete.
On no s'en elonne pas, quand on voit que dans le
cerveau Pappareil de. la vision tient a lui seul plus
de place que tous les organes des sens rfeunis. La
lumifere inonde la t6te, la traverse de part en part
jusqu'aux nerfs, profonds, recul6s, d'ou sort la
moelle 6pinifere de tout 】e systfime nerveux, tout
lappareil de la sensibilit6et du mouvemeiil. Mtoie
au-dessus des conduits optiques ou la lumiere cir-
cule, la masse centrale du cerveau (la couronne
rayonnante) semblc encore en felre p6n6tr£e et sans
doute en tient ses rayons.
Le premier devoir de l,amour, c'esl de donncr a
rcnfant, et aussi a la jeune mfere, bier enfant, chan-
:Celante, 6branlee par raccouchement, faligute de
rallaitement, beaucoup, beaucoup de lumiere, la
salubrit6, la joie d,une bonne exposition, que le
soleil 6gaye de ses premiers regards, qu'il aime et
regarde longtemps, tournanl autcur a midi, m^me
k deux heures, s'il se pent, I'^chauffant, rUlumi*
nant encore, ne la quitlan!; qu'i regret.
Aceux qui vivent du monde, de la vie artificielle,
laissez la splendeur des appartemeiils tourii6^ \ers
le soir. Les rois, les grands, les oisifs, ont cherch6,
LB SOLEIL, L AIR £T LA LUMI^RE. 2ft
dans leurs Versailles r exposition du couchan!, qui
glorifiait leurs f6tes . Mais celui qui sanctifie la vie
par le travail, celui qui aime et met sa f6le dans
I'enfant et la femme aiin6s, celui-li vit le matin.
A lui-mfime il assure 】a fraicheur des premieres
heurcs oji la vie, tout entifere encore, est 6ner-
giquc et productive. A eux il donne la joie, la
prime fleur de gaiete qui enchante Unite la nature
dans le bonheur de son r6veil.
Que comparer a la grSce innocente et delicieuse
de ce? <5cenes du matin, lorsque le bon travailleur,
ayani pr6venu le soleil, le voit qui, sous les ri-
deaux, vienl admirer la jeune mfere et I'enfant
dans le berceau? Ellc est surprise, eJie s'6tend :
« Quoil si tard I » 一 Elle souril : « Oh! que je suis
paresseuse ! » 一 <x Ma chfere, il n'est que cinq
heures. L'enfant I'a souvent riveillee ; je te prie,
dors line heure encore. » Elle ne se fait pas trop
prier, et les voila rendormis.
Fermons, doublons les rideaux, et baissons la
jalousie. Mais lejour, dans sa triomphante et rapide
ascension, ne se laisse pas exclure. Un charmant
combat s'fetablit entre la lumi^re et I'ombre. Et ce
serait bien dommage si I'on refaisait la nuit. Quel
tableau on y perdrail ! Elle, penchfee vers renfant,
elle arrondit sur sa t6le la courbe dun bras amou-
reiix... Un doux rayon cependant parvient a s'in-
76 LE SOLEIL, I/AIR ET LA LUBIltlRE.
sinuer. Souffre-le, laisse aulour d,eux cette tou 蒙
thanle aureole de la benediction de Dieu.
J'ai parl6 dans un de mes livres d,un arbre fort
et robuste (c'6tait un chalaignier, je crois) que j*ai
vu vivre sans terre, et de l air uniquemenL Nous
suspendons dans des vases cerlaines plantes 616gan-
tes qui v6g6tent 6galement sans autre aliment que
I'atmosphere.Nos pauvres cullivaleurs ne leurs res-
semblent que Irop, leur trfes-faible nourriture, quila
supplee? qui leur permel de faire, si peu nourris,
des travaux si longs, si rudes? La perfection de I'air
ou ils vivent el la puissance qu,il leur donne de tirer
de cette alimentation tout ce qu'elle a de nutritif.
Eh bien, toi qui as le bonheur d'elever et de
nourrir ces deux arbres du paradis, 】a jeune femnie
qui \it en toi, et son enfant, qui est toi, 一 songe
bien que, pour qu,elle vive, qu'elle fleurisse et ali-
mente le cher petit de bon lait, il faut lui assurer
d'abord Paliment des aliments, Fair vital. Quel
malheur serait-ce, quelle triste contradiction, de la
mettre, fa pure, la chaste el charmante femme,
dans la dangereuse atmosphere qui fl6trirait son
corps, son &me? Non, ce n'est pas impunement
qu'une personne delicate, impressionnable et p6n6-
i.
L£ SOLEIL, L'AIA ET U LUHIERE. 77
trable, recevra le fdcheux melange de cent choses
vici^es, vicieuses, qui montent de la rue k elle, le
souffle des esprits immondes, le p61e-m£le de fu-
mtes, d'Siuanations mauvaises et de mauvais rdves
qui plane sur nos sonibres cites I
II faut faire uri sacrifice, mon ami, elk tout prix,
les mellreou ils puissenl \ivre. S'il se peut, sors de
la ville. 一 Tu verras moins tes amis ? lis feront
bien unpas de plus, si ce sont f^e vrais amis. 一 Tu
iras peu au llieaire? On en desire moins les plaisirs
(agitants et 6nervants), quand on a a son foyer
i'amour, ses joies rajeunissantes, sa Divine Comd"
die. 一 Tu perdras moins de lemps le soir, a trainer
dans les salons, a jaser. En recompense, le matin,
frais, repos6, tout ce que tu n'auras pas depensi
en vaines paroles, t^.le mettras en travail, en oeu-
vres solides de r6sultats durables qui ne s'envole-
root pas.
Je veux un jardin, non un pare: un petit jai din.
L'homme ne croit pas aisement hors de ses harmo-
nies v6g6lales. Toutes les iegendcs d'Orient com-
mencent la vie dans unjardin. Le peuple des forts,
des purs, la Perse, met le monde d'abord dans uo
jardin de lumi&re.
5
n% LE SOLEIL, L'AIR £T L14JIH1&11E.
Si tu ne peux quitter la ville, loge aux stages ies
plus'hauts. Plus heurettx que le premier, le cia-
qui6me et le sixi^me se font des jardins sor Ies
tei4s. Toutau moins, la lumi&re abonde. J'aime qae
tajeune femme enceinte ait une ,aste et noble vue,
dans les rftveries de I'attente, pendant les longues
henres d, absence. J'aime que les premiers regards
de renfant, lorsqu'on le tiendra au balcon, tombent
sur les monuments, sur les effets majestueux du
soleil qui tourne autour et leur doane aux >heures
di 版 entes des aspects si divers. Quand on a'a^pas
sous les yeux les montagnes, les hauts ombrages,
les belles forfets, on re^oit des grands edifiees ^ai!i
f6St la vie nationale, I histoire en pierres de la Pa-
'irie) des Amotions prtcoces dont la trace subsiste
toujours. Les petits enfants ne savent le dire, mais,
de bonne heiife, leur Ame vibre aux effets de Far-
chitecture, ainsi transfigur6e. Tel rayon,' tel coup
de lumi^re qui, a telle heure, frappe un temple,
leur reste h jamais prfeseiit.
Pour moi, Je puis affirmer que rien dans ma
premiere eiifimce ne me fit plus d'impressioiFtque
d'^LYoir vu une fois le Pantheon entre moi et le
soleil: CTitait ie 窗 tin. L'int^rieur, fiv61e parses
'iitraux, rayoimait coimne dune gloire ' mystfe-
rieuse. EMre les colonnes 16g6res du channaiit
temple ionique, si £normemenl 61ev6 sorles grands
LE SOLKIL, L'AIU ET U LUMl&RE. 79
murs aust^res et sombres, razor circulait, mais
ros6 d'une inexprimable lueur. Je fus saisi, ravi,
alteinl, ct plus que je ne l,ai 6t6 dc tres-grands
fiv^neraents. lis ont pass6 ; cette lueur me reste ei
m'illumine encore*
DE LtCHANGE DU PREMIER REGARD ET DU
GOMHENCEHENT DE U FOI
Ledivin ravissement du premier regardmaternel,
I'extase de la jeune m6re, son innocente surprise
d'avoir enfant^ un Dieu, sa religieuse Amotion de-
¥ant ce merveilleux rfive, qui est si r6el pourtant,
c,est ce qu'on voit tous les jours, mais ce qui sem-
blait impossible a peindre. Corr6ge a pu le saisir
inspire de la nature, libre de la tradition, dont
jusqu'a lui I'air £tait contenu et refroidi.
U y a des spectafeurs autour du berceau, et ce-
pendant la sc6ne est solitaire, tout entre eUe et
lui qui sont la m6me personne. EUe le regarde fr6-
missante. D'eUe a lui, de lui k elle, unrayonnement
61ectrique se fait, un 6blouissement, qui les confond
Fun avec I'autre. M 会 re, enfant, c'est mtoie chose
DB UfiCHAIIGC DU PRBMIER REGARD, ETC. 81
dans cette vivante lumi^re qui r^lablit leur primi-
tive, leur si naturelle unil6 !
Si elle n'a plus le bonheur de le contenir palpi-
tant au fond de son sein, en recompense elle a cet
enchantement, cette faerie, de I'avoir en face d'elle
sous son a^ide regard. Pench^e sur lui, elle Ires-
saille. Jeune et innocente qu'elle est, par les signes
lesplus naifs elle rfevfele sa jouissancede s'assimiler
par Tamour ce fruit divin d'elle-mfime. Nagufere, il
s'est nourri d'elle ; mainlenant elle se nourrit de
lui, I'absorbe, le boit et le mange, £change d61i-
cieux de la vie; Penfant la donne et la re^oit, ab-
sorbant sa m^re k son tour, comme lait, comme
chaleur et lumi 杏 re-
Grande, tr&s-grande r6v61ation. Ce n'est pas ici
un vain spectacle d'art el de sensibility, simple
volupt6 du coeuv et des yeux. Non, c'est un acte de
foi, un mystftre, "lais non absurde, la base s&rieuse
et solide de religion, d'iducation, sur lequel ya
"lever tout le d6veloppement de la vie humaine.
Quel est ce mystire? Le void :
St Venfant nitait pas Dieu, si le rapport de la
mire h ItA fCitaitpas m culte^ il ne vivrait fos. 一
C*est un 6lre si fragile, qu'on ne Feul jamais 61eir6
8,il n'eAt eu dans cette m6re la merveilleuse idolft-
faie qui le divinise, qui lui rend doux et dfeirable,
k elle, de s'immoler pour lui. Elle le voit beau, bon
tit
et parfait. Et ce serai I peu dire encore^ elle lev<ntrt
comme id^al, comme absolu de beauts et de bont6,
la fin de la perfection.
Dans quel 6tonii6menldoijfoai»iu tomd^erait-elle
81 quelque e&prit. chagrin, qnelque malencontreux
sophiste, se hasardail him dire qm « renfia&t est nk
m6chant, que rhomme est depravi a van! de nailre,»
et tant de belles inventions pbilosopbiques oul^gen*-
daires! Les femmes soni douces el patientes. Elles
font la sourdo oreille. Si elles avaient cm ceky si
ua seul moment elles avaient pris ces idi^es au sfe-
rieux,tout eut &1& bientAt fini.Incertaifies et decou-
rag6es, elles n'auraient pas mis leup vie toule dans •
ce berceau ; I'enfant n6g1ig<^ edt p6ri; II n'y eti pas
eu . d'hutnanile; riiistoii^e . eiit &th finie dte ses
premier* commencements.
Des qae:l,enfaBt :voit k. lumii^re ti sor^roit dans :
I'oeil maternel, il reflate, ifistinctivement il re&voie
la regard d'amour, et dds lors, le plus prafond et
le . plus doux mysttee de vi& yieDt de s^aecosiplirr
entre eux.
.Le temps y ajoulera't-U? Peut- elle crottre, labia" '
tilude d ,! i&si parfait maviage? Par une seule chose n
peuti^lrey c'eet que tons deux I'aient compris; que
BT DU GOMHSNGEXKNT BB U FOI. 85
lui il 86 d^gage de r immobility difinev agia«d 6t
Teaille conrespondre, aille a elle da tout son petit
caiw, qu'il ait TSlan de se doiuier.
Cerseeofid inoment de laHioacietide.la foi mu-
loelle est saisi dans uue oewpe^uaique, que la:
France possSde an Louvre. Uauteur, Solari (de Mi- •
Ian), S6 survit par ce seul tableau; tous les autres
ont pferi. II avait vfecu tongues annies chez nous, et
il eut le double sens, l,dme des deux nations soeurs.
Autrement eAt-il trouv6 1'exquis de la vie nervduse,
son. delicat fc6aussement?
Id, point d'effet magique, point de myst^rieux
combat entre la lumiSre et la nuU. Au grand jour, .
sans artifice, sous un arbre, dans un paysage agr6a-
me et mediocre, uno m&re el son ^nfaBl; rien de
pUis. Mftrne ^ et 14 Ja. erudite de tel ton (ef&t. des
restatirations!) blesse les yeux. Et comment le.
ooeur est'il si trouble?
La jeune m&re, fine et jolie, singuliSrement deli-
cate, yeut biea plus qu'elle ae peut. Non que son
sein manque de lait; il est beau de sa pleaitude,
beau de tendresse visible et d!uo doux d6sir d'al-
laiter. Mais si frfile est cette personne cbacmaatal
On se demande comment elle nourrira la belle
source, sinon de sa propre vie.
Qui Gd* Jle? line fleur italienne, chancelante, ua
peu 6puis£e7 ou uae nerveuse Fraa^aise (je le
81 DE L'£C 編 DU PREMIER REGAUD
croirais bien tout autant). La nation du reste pa-
rait ici bien moins que Fepoque. C,est le temps
cruel des guerres, des misferes, Fart sentU,
exprima Fatlrait p6n6tranl que la douleur donne h
la grSce, ces sourires de femmes souffrantes qui
e'excusent de souffrir et voudraient ne pas pleurer.
Le bel etpuissant enfant, la magnifique creature,
Bixv qui celle-ci se penche, repose sur un coussin.
A peine elle pourrait le porter. Frappanle dispro-
portion, qui n,a ici nul sens mystique. Mais Penfant
est de grande race, d'un pfere qui sans doute appar-
tint aux temps h^roiques encore. Et elle, la foute
jeune mfire, elle est de V&ge souffranl, affaibli et
affin6 de I'ltalie du Corr6ge. Demifire goutte d*£lixir
divin, sous le pressoir de 】a douleur.
Nolez aussi qu*aux mauvais temps, la mfire, quo"
que mal nourrie, allaite longtemps son enfant. Et
plus il a de connaissance, plus il trouve eel a lr6s-
doux et moins il veut y renoncer. Elle, elle n,a pas
la force de ce grand dfetachcment. Elle s,6puise, elle
)e sent : mais elle ira tout de m6me, lant qu'elle
en aura wne goutle. Elle s'6puise, elle mourra pour
ne pas faire pleurer Penfant.
ET BU COMMENCEMENT DE LA FOI. 85
Celle de Solari dit trois choses.
Faible qa'elle est, ne donnant pas son superflu,
mais plutdl son necessaire, sa substance, elle n en
sourit pas moins, et dit avec passion : « Bois, mon
enfant I bois, c'est ma yie ! »
Mais soit que le charmant enfant, d,une inno-
cente avidile, ait un peu bless6 ce beau sein, soit
que la succion puissante retentisse a la poitrine et
tire ses fibres intirieures, ellc a souffert, elle souf-
fre. N'importe, elle dit encore : « Jouis, bois...
Cesl ma douleur. »
Et ccpendant le lait qui monte, qui gonfle et qui
tend le sein, sort et se plait a couler. La douleur,
se laisant, fait place k un doux engourdissement
qui n'est pas sans quelque charme, com me celui
du bless6 qui se plait a voir 6couler sa vie. Mais ici
c'est un bonheur; si elle diminue eu elle, elle se
sent augmenter en lui. Elle en 6prouve un strange
et profond ebranlement jusqu'aux sources de son
ftlre, et dit : « Bois, c'est mon plaisirt »
Lui, son invincible puissance qui fait que, quoi
qu'il advienne, elle ne peut plus s'en detacher.
Amour qui peut sembler calme, dans rinnocence
5
80 Dfi L'EGHAKGE DU PREMlBft HEfiARD, ETC.
de cet Age, et qui n'est pas comme celui de sa
mftre, aiguis6 de toutes lea fleehes de d^lices et de
dooleurfty mais fort de sagrande-unit^^ S,il poimit '
dire^ildirait : « Toi seule esmon iofini, mon monde^
absolu et cottiplet ; riea en moi qui ne.soit de toiy
et qui ne veuille aller k toi... Je ne sais si je m,
mais j'aime I »
L'Inde symbolise le cercle de la vie pacfaite elr
divine par rattilude d im Dieu qui de -la main
prend le pied, se concentre et se forme en are*
Ainsi font souvent les petits enfants, ainsi fait celui-
ci, douceaient soulev6 au sein. Eile Paide a aller i
die, Mais lui, il le veul tout aulant, y fait ce qu'il
peut. Par ce mouvement gracieux, charmant, d'in-
stinct naturel ou I'oa sent poindre pourtant l'61aB
youlu de la tendresse, il ramasse tout son corps,
baade en arc toute sa personne, aussi grande qu'elle
puisse 6tre et sans en r^server rien. II ee fait un,
pour s'offrir et se donner tout entier.
Ill
LE JED. - LTENFANT BNSEIGNE Li HfiBK
Rien de plus joU, riea deplus touchant que l'em,
barras d'une jeune mftre, toute neuve a la mater-
nili, pour manier son enfant, ramuser, le faire
jouer, entrer en communication avec lui. EUe ne
sait pas trop bien <par ou < prendre le bijou, rfitie
ador6, mystirieiu, la vivanta 6nigme> qui git la eti
semble attendre qu'on le remue, qu'on devine ses
dteirs, ses \olont6s. EUe I'admire, elle tourne au-
tour, elle tremble de le toucher trop fort. Elle le .
fait prendre par sa nifere. Soa admirable gaucherie
fait sourir le t6moin discret qui les . observe ca
siLence, et se dit que la jeune dame, pour avoir
eu.un en&nt, n,est pas moins une demoiselle. Les
Tierges sont maladroites ; la grdce et la facilite a'arr
S8 LE JEU. ― L'ENPANT ENSEIGNE LA MtRB.
rivent gu£re qu ,& celle qui est \raiment la femme,
i&jk assouplie par Pamour.
Eh bien, madame, puisque enfin vous 6tes ma-
dame ikjkj y a-t-il done tant d'ann^es que vous
n'dtes plus petite fille? A quinze ans, s'il m'en sou-
Went, sous pr6fexte d'essayer des modes, vous
jouiez encore aux poupfees, Mfime, quand \ous 6tiez
bien seule (convenez-en), il vous arrivail do les
baiser, de les bercer. 一 La voici, la poup6e vivante,
qui ne demande qu'ijouer... Eh 1 jouez done, pau-
vre petite 置 on ne vous regardera pas.
« Mais je n'ose. • • Avec celle-ci, j'ai peur. EUe est
si delicate ! Si je la louche, elle crie. Et, si je la
laisse. elle crie... Je tremble dc la casser ! »
n est des meres tellement idolMres, tdlement per-
dues dans Fextase de cette contemplation, qu'elles
resteraient tout le jour a genoux devant leur en*
fant. Par le lait, par le regard, quelque petit chant
de nourrice, elles se sent en t unics avec lui, et n,en
deraandent pas plus. Ce n'est pas assez ; Punion est
bien plus encore dans la volonle agissante, dans le
concours d'action. S,il n'agit avectoi, sauras-tu s,il
t'aime? C'est le jeu qui va creer enlre vous ce rap-
prochement plus intime que rallailement mSme, et
LE JEU. 一 L'ENFAKT ENSEIGNE LA H£RE. 89
qui aura tous les effets d,un allaitement de respril.
fiveille, en jouant, sa jeune &me, sa pens^e et sa
Yolont6. En lui repose une personne, 6voque-la. Et
tn auras ce bonheur que cetle Suae et celte per-
sonne, ce d^sir et ce voiiloir, \Vauront d'abord
d'autre but que toi-mSme. Sa liberie, aid6e de toi,
n'aura son premier k\m que pour relourner a toi...
Ah I qu'il a raison I et que tous, aprgs avoir traverse
les faux bonheurs de ce monde, nous retournerions
volontiers vers le paradis mnternel ! Sortis du sein
dela femme, notre ciel d'ici-bas n'est autre que de
revenir k son sein.
t Mais que ferais-je?... Sans doute, je me trou-
veraisbien heureusede devenir son amie et son petit
camarade. Que fa ire? » 一 Peu ou rien, ma chere,
snrtout ce qu'il fera lui-m6me. 一 Observons-le, 一
posons-le doucement dans rherbe soleillee et sur ce
lapis de fleurs. Tu n'as qu,i le regarder ; ses pre-
miers mouvements te guideront. II va t'enseigner.»
Ces mouvements, ces cris, ces essais d'abord
impuissants (Taction, les petits jeux qui les suivenl,
ne sont point du tout arbitraires. Ce n'est pas ton
nourrisson tout seul que tu vois ici, c'esl I huma-
nit6 enfant, comme elle fut. 一 (《 Celle premiere
«ctWit6, dit Froebel, nous raconte el nous renou-
TeUe les penchants, les iddes, les besoins, que noire
esp^ eut d'abord. U peut s,y mfiler sans doute
^ LE JEU. ― L'ENFANT ENSEIGIIB U MfeBEw
quelque Aliment trouble, dans nos races aU6r6e8
porunc society faciice. Mais ce n'en est pas moios,
au total* la r6v61ation tr6s^ra\e du pass6 lointaia
de r humanity et de se» instincts d'avenir. Lejeu eat
ton miroir magique oil lu n'as qu'a regarder pour
apprendre ce que ful rhomme, et ce qu'il sera, ce.
qu'il faut faire pour le mener k son but. »
Tirons de la sans basilar le premier priacipe d&..
I'Mucation qui d^ja contienl tous les autres: La.
mere n*emeigne h l enfant que ce que Venfant d'abord
doit Im avoir enseignd. Cela veut dire que, de luv
elle lire les premiers germes de ce qu'elle deve*
ioppe en lui. Cela veut dire qu'en cet enfant, elle a
vu d'abord passer par lueur, ce qui k la longue,
elle aidant, devieadra lumi^re.
« Ainsi, ces germes sont bons, dit-elle, et ces
lueurs sont saintes?... Merci...Oh I je Favais pens6.
On in'a\ait dit durement que I'enfant ne nail pas
bon. Jamais je n'en voulus rien croire. Je sentais :
si bien Dieu en lui 1
a Aimable, charmaat conseil 1 取, il va k moou
€(BurI Tenir bien mes regards surlui, et de lui faire
en lout ma regie, ne vouloir rien que ee.qu'il veut In -'
Doucement, chfere petite, doucemeBt 、 Observona.
d'abord s,il est sdr qu'il veuille et sache bien ce
<ju'il/veut Voyons pluWt si, accabl^ d'ua chaos de,*
choses con&ises qui lui arrivent k la fois, il n!attead .
LRJWOl— L'ESFAfiT XNSEIGfiE U MftftE. 01
pas tan seconrs pour lui choisir, lui 6claircir les
objeisde s?, Tolont^.
C'est ici le coup de g^nie du bon Froebel, et c'esl
id que yraiment, k Jotce de simplicity, il a trouv6
ce que les sages avaient cherch6 vainement, le
mvstere de Peducation.
Tel fut rhomme, telL' iai la doctrine- Ce paysan
d*AlIeinagne eut beau devenir un habile, il relint
un don singulier d'enrance^ et la faculty unique de
relrou\er netiement les impressions de son ber-
ceau. c J'itais, dU-il, envelapp6 d'un obscur et
profond brouillardjNe rien voir, ne Hen entendre,,
cest d'abord une liberie ; mais, a mesure que nos.
sens noustransmettent tant d'images, tant de sons,
la rfaUt6 nous, opprime. Un monde de choses in-
comprises, sans ordrc et sans suite, nous arriyent
llafois et sans consulter nos forces ; nous sommes
ttonnte, iaquiets, ob§ed6s, trop excites. De tant
^'impressions ^phi&m&res la fatigue nous reste
seule. C'cst un secours, un bonheur, si une provi-
deoceamie, de la foule de ces objets, en choisit, en :
ramtoe frequemment tels et tels,qui, devenant fa-
miliers, n'oocupent qu'en dilassant^ et nous d6Ii-
TOnl de cette Babel* »
Ainsi cette premiere 6ducalion, loin d'fitre une
gtoe pour Venfant , lui est ua secours, une ddU-
vmncr du' dum des impressions trop diverses*
91 LB 狐 一 L'EMFANT ENSEIG.NE LA Mte£.
qui raccablaient. La mfere en lui amenant les
choses par ordre, unc a une, pour consid6rer k
raise, observer et manier tel petit objet qui lui
plait, lui crie la vraie liberty que demande alon
son Age.
Pour se faire, dans cette voie, une m^thode bonne
et sure, il suffit de bien comprendre ses tendances.
Chose facile pour celle qui, nuit et Jour, penchee
sur lui, le regarde, s'informe uaiquement de ce
qu'il est, de ce qu,il veut, du bien qu'elle peut lui
faire.
PremiSrement, il \eul 6lre aira6, que tu I'occu-
pes de lui et lui t^moignes de I'amour... 一 Oh I que
cela est facile !
Deuxiemement, il veut vivre, vivre beaucoup,
toujours davantage, agrandir le cercle de sa petite
action, remuer, varier sa vie, la transporter id et
la, filre libre. . Ne t'effraye pas ; libre autour de toi,
ch6rie ; au plus pr& de loi, toujours a port6e de
toucher la robe, libre surtout de t'embrasser.
Troisiemement, d&]k lancS aux voyages de d6-
couvertes, il n'esl pas peu preoccup6 de tant d,ob-
jels nouveaux. II veut connaitre, ― par toi, et tou-
jours il va a toi,— non par un instinct seulement de
LE JEU. 一 L'ENFANT ENSEIGNE LA HfeRE. 93
faiblesse et d'ignorance, mais par je ne sais quel
sens qui lui dit que par toi tout arrive, doux, ai-
mable et bon, que tu es le lait de la vie et le miel
de la nature.
Quatriimement, si petit, parlant k peine, i peine
marchant, il est d^jh comme nous; son coeur, ses
yeux jugent de m6me, et il te trouve trfes-belle.
Chaque chose est belle pour lui selon qu'elle te res-
semble. Toutce qui de prfes ou de loin rappelle les
formes suaves desa mire, il dit nettement : a C'est
joli I » Quand ce sont des choses inertes, il en sai-
sif moins le rapport avec ta beauts vivanle. Mais
mime en ces choses elle influe puissamment sur
son jugement. La symStrie des organes et des for-
mes doubles, de tes mains, de tes yeux, fait son
idte d'harmonie.
Du resle, ce qui est en lui magnifique et vraiment
divin, c'est qu,il est si riche de vie, qu'il en pr6te
lib^ralement k tous les objets. Les plus simples lui
Tont le mieux. Des 6tres organises, vivants, pour-
raient Kamuser, mais leur action indSpendante le
g£nerait : il les briserait sans malice, pour les con-
nailre uniquement et par simple curiosit6
Donne-Iui plutdt des choses de formes el^men —
taires (il est encore un Element), et de figure r6gu-
liftre, qu'il puisse grouper en jouant. La nature, au
premier essai d'associalion, donnedes cristaux.Fais
94 LE JED. 一 L*ESFA«T Et^SBIGNE Li HkRS.
comme elle, donne a renfenlcles*formes analogues
aux cristaux. Tu essAre qu,il sW servira, comme
d'autant de mat^riaux, les juxtaposant, 】es supep-
posant. Son instinct est tel. Si on ne lui donne '
rien, il s'essaye a\cc du sable, qui luift, s*«eefrale
toujours.
Surtout, jamais de module sous ses yeus qui Pas-
su jettisse. N'en fais pas un imitateur' Sois sure que
dans son esprit, tout au moins dans son souvenir, il
trouvcra les jolis types de sa petite aFGhitecliire.
fin tnatin, 6menreillte, tu reconnidtras ta maison*^
« Miracle I t'6crieras-tu. C'est lui qui a fait cela«..
Mon fils est un criateuriv*
C'est le nom propre de rhomme ^ue tu viens de^
tiwver la.
Ajoutez qu'en errant quelque chose, il. va se
creer lur-m6rae, II est son vrai Prom6th6e.
Et cesl pour cela, jeune m4re, que du pur in-
stinct de ton coBur, sans oser le dire, tout d'abord
tu sentis bien qu'il Stait Dieu.
Mais voili qu'elle a d6ja peur : « S' il en est ainsi,
dit elle, il est d6ji ind^pendaat, tout k rheure il va
in'6chapper! »
Non, ne crains rien : bien longtemps, il reste de-
pendant de I'amour, il fappartieni^ c'est son bon,
hear. S,il cr6e, c'est toujours pour iok. a Regarde^
ma 咖 n, regarde (rien ne serait beau pour lui sans
LE JEU. L'ENFANT ElfSElGNE U MfiUE.
la caresse de ton regard, la benediction de tes
yem) Vois ce que j'ai fait pour toi... Si eel a n,est
pasjoliyjele ferai autrement. » 一 II met pierre sur
pierre, boissur bois... « Voili une petite chaise ou
maman pourra s'asseoir . . . Deux montants et une
traverse, c,est un toh, c'est la tnaison oii manian
pourra demeurer avec son petit enfant. »
Done, tu es son cercle ccmplet. II part de toi et
了 retourne. I/essai, le premier effort de sa jp'ine
indention, c'est de te loger dans son oeu^re, de
t'avoir i son tour chez lui.
Vie enfantine et bienheureuse, tout enti6re dans
I'araour encore !… Qui s'en souviendra sans re-
gret?
IV
GOMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SAGRE.
Quand on pense que les enfants vivent si peu g^-
n^raleinent, on 6prouve un Yif desir de les rendre
heureux a tout prix.
Ua quart meurt a\ant un an, — disons, avant
d'avoir vfecu, avant d'avoir reqxx le bapt6me divin
de lumi^re qui transfigure le cerveau dans cette
premiere ann6e.
Cn tiers meurt avant deux ans, avant presque
d'avoir conim les douces caresses de la ferame, et
gout6 dans une mtve le meiilcur des biens d'ici-
bas.
La moili6 (dans plusieurs pays) n'utteint pas la
pubert6, la premiere aurore d'amour. AccabI6s de
travaux pr6coces, d' Eludes s6ches et de rigueur%
COHBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRfi. 07
lis ne peuvent pas arriver a cetle seconde nais-
sauce, ce bonheur, cet enchantement.
On peut dire que les meilleurs hospices d'enfanU
frouv6s sont des dmeti^es. Celui de Ifoscou, sur
37,000, en vingt ans, ep sau\e 1 ,000. Celui dc Du-
blin 200 sur 12,000, c'est-i-dire un soixantietue.
Que dire de celui de Paris? Je I'ai vu et admir6,
mais les r6sultals n,en sont pas bien positivement
connus. On y trouve r^unis d^ux classes d'enfants
tres-diffSrentes : 1。 des orphelins quon am 色 ne tout
Wevis, et ceux-l& ont chance de vivre ; 2。 les enfants
trouvds proprement dits, les nouveau-nis apport^
^ la naissance ; on les envoie en nourrice, et Foil
prolonge ainsi leur vie pendant quelques mois.
Ne parlons que des heureuXy de ceux qui ont une
mire, de ceux qu'on entoure de tendresse, de soins,
davenT. Regardons-les : tous sont jolis a quatre
ans, et laids a huit. D6s que nous commen^ons k
vooloir les cultiver, ils changent, ils sevulgariscnt,
se d^forment. Nousenaccusons la nature, nous ap-
pelons cela V&ge ingrat. Ce qui est ingrat, sterile,
desstebant, c'est la maladresse avcclaquelle on fait
passer I'enfant d'une vie loute mobile k une fixil6
baibarei passer une pelilc t6le, toute sensible, tout
98 GOSDI£N L'ENFANT EST FRAGILE ET EACfifi.
imaginative, a dcs choses aussi abstraites que: 4a
lecture ou le calcul. 11 faudrait plusiears ann^es de
• transitions bicn m6nag6es, de petits travaux fort
courts, trfes-faciles, mS16s de^mouvcmenfs et d'ac-
tion (mais non pas automatique). Nos asUes sent
encore hrin de rempHr ces oondiiions.
Ce probl^me de l-^ducation, qui ii^est pas seule-
inent' celui du developpement futur, laais qui est
poor- :1a plupart ane question de>vie ou de mort,
m,a sou vent* altrist6 i'esprit. J,ai vu^defiedllir a la
fois itB deux systfimes coMraires (y^daeatiou qui
se partageaient le monde.
L'Mucation d'enseignement, de tradition et d'au-
torit^, telle qu'elle est dans les 6coles, colleges (ou
pelits stoiinaires, tous suivent les m toies melho-
des), est partout affaiblie en Europe. A cette im-
puissance trop bien conslatfee, les i^cents essais
d'am^lioratioD ont ajout6 le ehaes.
D'hi^lre part,' les iibres -tceles qui s'occupment
de former I'hamme pi tia encore que de rinstmire,
celles qui, inspii ees de Rousseau, de' Pestatozzi,
' faisaient appel a sa spontan6ite, n'oiit hi^ & uq
moment en Suisse, en Allemagne/qae pour 6tre
abandonn^es.
GOMBIEN L'ENFAKT EST FRAGILE £T ^99^
Cdles-ci allaient au coeur des m6res. I/enfant,
quoi qu,il arrivftt, en attendant 6tail heureux . Les
p^res trouvent que ces ecoles, dans leurs melhodes
trte-JcBtes, enseignent trop peu, iostruisent trop
peu. Done, malgr^ les pleurs des m&res, tous les
eofants vont au college (laiques ou ecclfeiastiques).
Beaucoup s'y fl6trissent et meurent. Peu, tr^peu
apprennent, et par de mortels efforts. Un ensei-
gnement si varie, ou chaque 召 tude arrive a part,
sans qu'on donne jamais leurs rapports, use et
taer^e Fesprit.
Les iilles, donl ]e parlerai tout k I'henre plus sp^
dalement, ne sont pas plas 61ev6es qu'aux temps
ou Ffenelon a fait son aimable livre, qu aux temps
ou raoteur d'^lmile a esquiss6 sa Sophie. Rien qui
les prepare k la vie. Parfois, des talents pour bril-
ler, parfois (dans les classes moins riches), quel-
'ques 6tudes virile^qtii la m&nent a Teiiseigneineiit.
Vais nuUe culture propre k la femme, a Ffepouse
et a la m 会 re, nulle Mucation sp6ciale a leur sexe*
J*ai taut hi'sur ces matins, tant de choses 'in6-
diocres jBtvaines, quej,6tais lassi des livres« D'autre
part, la vie des Ecoles, ma propre pratique de I'en-
seignement, me laissaient bien des choses obscurer.
100 GOMBIEN L'ENFAM EST FRAGILE ET SAGRE.
3e r^solus, cette annee, de rernonter au plus haut,
d'6ludier la premiere organisation physique de
rhomme, de toucher les realit6s,de relremper mon
esprit par robservation malSrielle. Le corps en dit
beaucoup siir l,dme. C,est beaucoup devoir, de pal-
per Pinstrument sacre dont la jeuiie dme s'essaye a
jouer, instrument qui peul r6veler ses tendances,
nous dormer des signes de la mesure de ses forces.
C,6tait au prinlemps. Les Iravaux anatomiques
finissaient a Clamart, et il y avail d6ja,dans ce lieu
si peupI6 rhiver, de la solitude. Les arbres etaient
pleins (Toiseaux, le parterre qui embellit ces fu-
nebres galeries 6tait tout en fleurs. Mais nuUe n'6-
tait comparable a la fleur hieroglyphique que j,al-
lais 6tudier. Ce mo I ii'esL nullemcnt ici une vague
r.omparaison 一 mon impression fut telle. 一 Nul
degout. Tout au contraire, un sentiment d'admi-
ralion, de tendresse et de pi tie. Le cerveau d,un
enfant d'un an, vu la premiere fois, par sa base (la
face inKrieure qu'il pr6sente en le renversant), a
tout reffel d'un large et puissant camellia, avec
des nervures d,i voire, veine (Tune rose d^licat, el
ailleurs d un p41e azur. J'ai dit ivoire faute de
mieux. C'esl unblanc iinmacul6, el pourlant d'une
molle douceur, unique et aUendrissante, dont rien
nc donne I'id&e el qui, k mon sens, laisse bien
loin lout autre objet dc la lerre.
GOMBIBN L'E^iFANT EST FRAGILE ET SAGR£. 101
Je ne me trompe pas ici. Les premieres Amo-
tions, fortes sans doute, cependant ne m'ont pas
fait illusion. M. le docteur Beraud et un artiste
fort habile, qui peint tout le jour des planches ana-
tomiques, quelque habitues qu'ils fussent a voir ces
objets, jugeaient comme moi. C*est tr6s-riellement
la fleur des fleurs, I'objet d61icat, innocent, char-
mant entre tous, la plus touchante beauts qu'ait
r6alis6e la Nature.
Lc vasfe 6tablissement ou j'^tudiais me permet-
tail de suivre une methode prudente, de renouveler
et verifier mes observations, d,6tablir des compa-
raisons entre des enfants d'^ge et de sexe diff6-
rents, et d'autre part de considerer les enfants et
Ics adultes, jusqu'a la vieillesse mfime. En pen de
jours j'eus sous les yeux des cerveaux de tous les
ages, qui me permirent de suivre, d'aan^e en an-
n6e, le progrfes du temps.
Les plus jeunes, c'etait une fille qui avait vfecu
peu de jours ; des gargons d'un an au plus. Elle
n'avait pas vu la lumi^re, et eux ils avaient eu le
temps d'en 6tre impr6gn6s. Elle avail le cerveau
fioUant, a Vetat rudimeiitaire ; eux, au conlraire,
lis ravaient aussi fort, aussi fix6 presque aussi
riche deja que les enfants plus dg6s et m6me les
grandes personnes.
Pass6 cetle grande revolution de la premiere an-
6
102 GOHBlfiN L'ENFAUT £ST FHAGiLE ET SAGK&.
nee, le deTeloppement de I'esprit (d'ailleurs visible
sur la face)'modifiait bien plus que Fage la physio-
nomie du cerveau. line petite fiUe de quatre ou cinq
ans, de figure inlelligente, l aTait 處:) his accidents
de volutes et de repHs, plus nette0>ent dessin^, pJus
finement d6coup6 que celui de piusieurs femines
vulgaires de vingl-cinq ans, trente-cinq ans, Les
mysl^rreux dessins qu'offre le cervelet dans son
^paisseur et qu'on appelle arbres de vie^ ^(aient
bien mieux arborises dans cette enfant encore si
jeune, plu9 jolis, plus arret^s.
Ce n'6tait pas cependani une chose eKception-
nelle. Sar piusieurs enfants d'age analogue, je re-
tronvai a peu prfes le m6me caract^re. J,en vins a
cette conclusion qu'atjualre ans, nou-seulement le
ceTTeau, mais la moelle 6pini6re et tout le systeme
"nerveux ont leur plus grand d6velappement. Si
longtemps avanl que les muscles aient le leur, et
qnand I'fttee est si faiWe enoare, il est, pour les
nerfs de la sensibililfr el du mouv 僅 ent, ce qu'il
sera un jour ; c^est 'd6ja, daas sa plus cbarmante
harmonic, la personne^ humaine.
Mais, qQoique d6j^ si eley^e, elle est encore
'Bxcessivemeril dependatite et toute k neire merci.
-Le eerveau, pur el lable rase, de cette eiifanl de
qudtre ans, comme une tablelte d'ivoire, de sen-
"itUiilite"*«iBiUe,'avadl 1-air d,aUendre qu'on grav&t
GOMfilEN L'ENPANT EST FRAGILE ET SilCR^. i09
deasus, de dire : « £crivez ici ce que vous vdulez. . .
Je croirai, j'ob6irai. Je suis lit pour obeir. Je d6-
pends tellement encore etj'appartiens tellement!*
Incapacity absolue d'iviler aucune souffrance,
incapacili de pousvoir a ce qui iui est ni§cessau:e.,
voila Fenfant a eel Age. Celle-ci surtout trfes-avaar
c6e, capable d aimer et de comprendre, semblait
implorer Fassistance. On edi dit la pri6re m6me.
Morte, elle priail encore.
Je fus fortemenl 6mu, luais ^clairt en m6me
temps. Les nerfs de la pauvre petite rne donnSrent
la r^v^lation et rintuilion tc&s-nette do la contra*
diction r6elle qui fait le destin de Tenfant.
D'june part, c,est la criatnre mobile entre toutes,
qui remue fataleeienL Les nerfs dela motilil^ sont
developp6s et . actiis avant . les forces d'6quilibr«
qniy feraient contre-poids. Cetle agitation constanla .
nou>oe et souveoi nous irrite; nous ne songeons.
pas qu'a cet Age, elle est la vie eUe-mi&me.
D'autre part, les nerfs de la sensibiliti sont com-.
pletSj par consequent la capacit6.de soufTrir, celle.
mfime d'aimer bien plus qu!on ne le croit commu-
n^ment. On le voit aux Enfants trouv6s : beaucoup
de ceux qu'on apporte k qualre ou cinq ans sont
inconsolables et meurent.
Chose plus itonnante, k cet ige si tendre, la sen-
sibifite amoureuse est ex prim 6e dans les nerfs plus
104 G0MB1EJ9 L'ENFANT EST FRAGILE ET SAGRfi.
fortement que chez Padulte. J' en fus effrayfi. L'a-
mour, endormi encore dans les organes sexuels,
semble d^jk tout 6veill6 aux points de la moelle
ipinifere qui agissent sur le sexe. Nul doute qu'aux
moindres appels ils n,en donnent les pressenli-
ments. II iie faut done pas s,6toimer de ces coquet-
teries innocentes, de ces timidit^s subites, de ces
furtifs mouvements de pudeur sans sujel.
Voila le noeud de la piti6 et ce qui doit faire trem-
bler. Cet fitre infiniment mobile, noubliez pas
qu'en m&me temps il est infiniment sensible,
GrSce I patience ! je vous prie.
Nous les brisons par la rudesse, souvenl par la
tendresse aussi. Les mferes, passionn6es, variables,
murissent, 6nervent renfant par la fougue de leurs
transports. Je leur voudrais I'impression doulou-
reuse et salulaire que donne la vue d,un organisme
si tendre. II a be&oin d,6tre enfour^ d'un amour
calme et doux, s6rieux, d'un monde d'harmonie
pure. La petite creature, d'elle-mfime toute
amoureuse, ak craindre les vives caresses presque
autanl que les rigueurs. Epargnez-la, et qu'elle
Vive!
V
L'AMOUR A CINQ ANS. 一 LA POUPEE
On s Sionne de voir Fexcellente madame Necker
de Saussure penser que, jusqu'a dix ans, les filles
et les gar$ons sont a peu prfes la m&me chose, el
que ce qu'on dit pour les uns servira pour les a utres .
Quiconque observe, sail bien que cet ipeu i^rds
est une difference 6norme, infinie.
Les petites filles, dans la 16g6ret6 m&me de leur
dge, sont d6ja bien plus poshes. Elles sont aussi
plus tendres. Yous ne les verrez gu6re faire mal k
un petit chien, 6touffer, plumer un oiseau. Eiles
ont de charmants 61ans de bont6 et de piti6.
Une fois, indispose, j'fetais couch6 sur un divan,
k demi convert d,un manteau. One charmante pe-
ti(e fiUe que sa m&re avail amende chez nous en
,isite, accourt et se metivouloir me couvrir mieux
106 L'A 謂 R A CINQ ANS. 一 LA P0UP£E.
et me border dans mon lit. Comment d^fendre son
coeur de ces d6Iicieuses creatures? Gependant on
doit se garder de le leur ffemoigner trop, et de trop
les attendrir.
Le petit gargon est tout autre. lis ne jouent pas
longtemps ensemble. S'ik ont commence d'abord k
&ire une maison, le gargon voudrait bientdt qu'elle
devienne une voiture ; il lui faut un cheval de bois
qu'il frappp et qu,il dompte. Alors elle jouera k
part. 11 a beau 6tre son frfire, ou bien son petit mari.
Quand mfime il scrait plus jeune, elle d6sesp6re de
lui, se r6signe a sa solitude, et voici ce qui arrive.
C'est surlout I'hiverj au foyer, que vous obsenre-
rez la chose, quand on est plus renfermfe, qu'on ne
court pas et qu'il y a moins de mouvemeiit e&t6-
rieur. Un jour qu,on l,a un peu grondte, vous la
voyoz dans un coin envelopper tout doucement le
moindrc objet, un petit Mlon peut-6tre, de quel-
ques linge3, d'un morceau d'une des robes de sa
mere^ le serrer d un fil au milieu, et d'un autre un
peu plus haut, pour marquer 】a taille el la iftte,
puis Pembrasser tendrement et le bercer. a Toi,
cu m,aiines, dit-elle kvoix basse; tu nenegrondes
jamais. »
Voici .un jeu, mais sSrieux, et bien plus s^rieux
qu on ne pense. Quelle est cette nouvelle per-
sonae, cette en&nl de notre enfant? Examinoos
L'AMOUR A GiKQ ANS. 一 U PODPfiB. iOT"'
tous ie9 riles que joue cette crtature myst£rieaa»i
V©us croyez que c'est siin{deinent une im^Um^
de matemit^y que, pour 6tre d6ja gFande^ au8si«
grande que sa mfere, elle veul avoir aussi une pe-
tite fille k elle^ qu'elle rfegenle et gouverne, qu'elle
embrasse ou qu'elle gronde. II y a cela, mais ce
n'est pas taut : k cet instinct d'imitation il faut en
ajouler un. aBty 翁, que' l,organisme pr6coce donne
k Unites, ceUes m6me qu?. D'^turaient pas eu de
mtoe pour module.* ^
Dtsons la chose comme elle est : c*€8t id le pre-
mier amour. L'id^al en est, non un (rite (il ealtrop; "
brusque, trop bruyant), mais une jeune seeuiv
dottce, annable^ k son image, qui la carcsse ct la
console. .
Aulre poini de vue, non moins vrak C'eat ici utt '
premier emi dHndipendamej I'essai timide de
rindWidualit^.
Sous celle 'forme touie graciense, ilya, k son,
insu, une vell6ite de poser h part, quelquc p^u,
d'oppositioD, de contradiction fdminine. Elle com-
mence son rile defemme^ toujours sous rautoritfe;
elle gkndi un peu de sa m&re, comme plus tard de
son man, II lai faut une petite, loute petite confix
dente^ avec qui 6lle soupire. De quoi? De rien an-
jousd hui peutrdtre^ mais de je ne sais quoi qui
viendra dans I'aTenir. Eh t que tu as raison ,! im'
108 L'AMOUR A CINQ ASS. 一 LA POUPfeB.
fiUe. H6Ias ! que tes petils bonheurs seront m616s
de douleurs I Nous aulres qui vous adorons, com-
bien nous tous faisons pleurer I
11 ne faut pas plaisanter, c'est une passion s6-
rieuse. La mire doit s'y associer, accueillir avec
bont6 l,enfant de sa fiUe. Loin de m^priser la pou-
pfee, elle insistera pour que l,enfant capricieuse lui
soil toujours bonne m^re, la lienne propiement
habillSe, qu'elle ne soitgdl^eni battue, mais tenue
raisonnablement comme elle Fesl elle-mfime.
Grands enfants qui lisez ceci, pfere, frferes, pa-
rents, je vous prie, ne riez pas de Totre enfant.
Ezaminez-vous vous-mfimes, nelui ressemblez-vous
pas? Que de fois, dans les affaires que vous croyez
les plus graves, une lueur de reflexion vous vienl,
et vous souriez... vous avouant k demi que vous
jouiez k la poupce.
Notez bien que plus la poup6e de la petite fille
est son oeuvre, plus elle est sa fabrication simple,
fel6mentaire, mais aussi personnelle, plus elie y a
mis son ca?ur, et plus ily a danger de la contrister.
Dans une campagne du Nord de la France, pays
pauvre et de travail dur, j,ai vu une petite fille fort
sage, raisonnable avanl le temps. Elle n'avait que
L'AMOUR A GIIIQ ANS. 一 Ik P0UP£B. 109
des frftres qui 6taient tons plus Ag6s. Elle 6lait
venue fori tard, et ses parents, qui alors ne comp-
laient plus avoir d'enfants, semblaient ne pas lui
savoir bon grfe d*6tre n6e. Sa m6re, laboricuse,
aust&re, la tenait toujours pr6s d'elle au travail,
pendant que les autres jouaient. D'ailleurs les gar-
cons plus dg6s, avec la 16g6rete s^che que ieur sexe
a dans I'enfance, ne se seraient gu^re pr£t^s aux
jeux de la jeune soeur. EUeauraitvoulu d'elle-mfime
faire un peu de jardinage, mais on riait de ses es-
sais, on marchait dessus. Elle en vint natureilement
i se faire, avec quelques chifTons de colon, unepe<
titc consolatrice h qui elle racontait les espi^gleries
de ses frferes, ou les gronderies maternelles. Vives,
extremes 6taient les tendresses. La poup6e 6taU
sensible, elle rtpondait a merveille et de la plus
jolie voix. Aux Spanchements trop tendres, aux r6-
cits &mus, elle s'attendrissait aussi, et toutes deux
s*embrassant, elles finissaient par pleurer.
On s'en apergut un dimanche. On rit fort, el les
garQons,Ialui arrachant des bras, trouvSrenl plai-
sant de la lancer sur les plus hautes branches d'un
arbre, et si haut qu,eUey resla. Les pleurs, les cris,
n'y firent rien. La petite lui fut fiddle, et, dans sa
douleur, refusa d'en refaire jamais une autre. Pen-
dant la mauvaise saison, elle y pensait, attrist^e de
la sentir Ik k la neige, aux gel6es. Lorsqu'au prin-
110 I/AMOUR A GI5Q AM. 一 •LA POUP£ft,i
temps oirtaiUa'l,arbre* eUe pria le jardinier . de la
chercher. Inatiila de di^e que dte loogtemps la pan,
vre soBur s'itMt enYol6e auisonffladu vent du nord».
Deux ana aprds^ la m^e aohetftnt des habits pour,
lesahigs^lamanchande^quitvendaitaussidesjouets^
remarqua 】a petite qui le^ regardait. Par un mou*
vement de bon coeur , elle voulut donner. quelque
chose k ceile poun qui on n'achetait rien, et lui mit
entre les bras una petite potip6e d'AlIemagne. Sa
surprise futsi forte^ et tel le ravissement que, chan-
cbelante sur ses jambes, a peine eUe put la rappor-
terj . GeUe-rGtv mobile, obiissante, suiyaii toute
volants. Elle<s»ipr6tait &】 a toilette. Sa maitresse
ne pensait .plus: qu ,& la faire belle et.bcillante. Ei:
c^est ce'qni la cperdit. Les gar$on& la firent danser,
h mort ; se» bras's'arrach^rent ; elle^derint impo —
tenle/, on lasoigna, on la ^'.oucba . JNou veaux sujets
cla:dduleiif^ . 一 la;f)etite fille ea maigrit.
GependantiiHie demoiselle la <veyant si triste, si
tristey r/6inut et chercha, retrouva dans ses rebuts
une supeFbe-poupgecqcii avail . 616; la sieane. Quoi-
que maltFait^e par le temps, elle faisail illusion .,
bidB plus que celle da:bois. EUe.avaU des formas .
compltos ; mAmeinue^ elle papaissait vivaBLe. Les
amies la capessaienlfort, et:d6ji|' dans ses amiti^
elle avait des preferences* les lueursy les premiers"
signes d'une vie pr^coce de passion. Pendant une
L'AHOUR A CiNQ ANS. 一 U POUP££. Ill
courte maladie que fit I'enfant, je ne sais qui, peut-
Mre par jalousie, brisa crueilement la poup6e. Sa
maltresse, relev6e du lit, la Irouva dteapit^e. Cetle
troisieme trag6die 6tait trop, elle tomba dans un
tel d&couragement qu'on ne la vil plus jamais rire,
jamais jouer. Toujours trompee dans ses rfives, elle
d6sesp6ra de la vie, qu'elle avail k peine effleur6e,
et rien ne put la sauver. Elle mourut, iaissant un
vrai deuil k tous ceux qui avaient vu cette douce,
cette suaveetinnocente crfealure, qui n'avail gufere
m heureuse, et qui pour Ian t itait de^k si tendre
et le coeur plein d'amour.
VI
LA FEHHE EST UNE RELIGION
Le pfere, dans F^ducation, est beaucoup Irop do*
mink par i'idee de ravenir, c'esW-dire de l,incer-
tain. La mere veut surlout le present, que I'enfant
soitheureux, qu ilvive. Je suis du parti de la mere.
Ou'il vivel C,est en r6alit6 le plus difficile. Les
homines ne s'en doutent pas. M6me quand ils ont
sous les ycux le spectacle des efforts, des veilles, des
soins inquiets, qui chaquejour sauvent, prolongenl
la fragile creature, ils raisonnent avec sang-froid
sur ce qu'elle fera dans dix ans. Qu'ils compren-
nent done au moins les chiffres incontesl6s, offi-
ciels, de la mortality effroyable des enfants. Celui
qui nait est longtemps un mort probable ; sans la
m^re, un mort certain. Le berceau est pour la plu-
LA FE 醒 EST JJM RELIGION. m
part un petit moment de lumiSre entre la nuit et la
nuit.
Les femmes qui 6crivent, impriment, ont fait des
livres eloquenls sur le malheur de leur sexe. Mais si
les enfants ecrivaient, que de choses ils auraient a
dire I Ils diraient : « M6nagez-nous, 6pargnez-nous,
dans ce peu de mois el de jours que nous donne g6-
nferalemenl la s6v6rite de la nature. Nous sommes si
dependants de vous I vous nous lenez tellement par
la supferioril6 de force, de raison, d'exp6rience!.,.
Pour peu que vous y mettiez d'art et de bons mena-
gements, nous serons bien ob6issants, nous ferons
ce que vous voudrez. Mais n'abregez pas I'heure
unique ou nous sommes sous la ti&de lumi6re du
soleil et dans la robe de nos mferes.,. Demain nous
serons dans la lerre. Et de tous les biens d'ici-bas
nous nemporterons que leurs larmes. »
Les esprits {inpatients vont conclure de la que
je desire pour I'enfant la libert6 illimit^e qui serait
pour nous une servitude, que je m'en remeto uni-
quement k ses tendances instinclives, que je veux
qu'on lui ob6isse.
Au conlraire, mon point de depart a ete, comme
7
ill LA FEHME EST 画 RELIGION.
on I'a vu, rid6e profonde, originale, que Froebel
posa le premier. « L,enfant, laiss6 au chaos des
premieres impressions, en serait tr^s-malheureux.
C,est pour lui une d61ivrance qu'k cette confusion
fatigante la mfere substitue un petitnombre (Tobjels
harmoniques, qu'elle en ait I'initiative et les lui
amSne par ordre. L'ordre esl un besoin dc I'esprit,
un bonheur pour l,homme enfant. »
Les mouvements d6r6gl6s, I'agitation effrenfee,
ne sont pas plus n^cessaires au bonheur de I'enfant
grandi que le chaos des sensations confuses ne I'a
6t6 au nourrisson. J,ai bien souvenl observe les pe-
tits malheureux qu,on laisse au hasard de leur fan-
taisie, et j'ai 6t6 frappe de voir combien ia vaine
exaltation, le d6vergondage, les fatiguaient bientdt
eux-m6mes. Au d^faut de contrainte humaine, ils
rencontraient k chaque instant la contrainte des
choses, robstacle 腿 et, mais fixe, des realit6s ; ils
se d^pitaient ea vain. Aucontraire, renfant dirig^
par une providence amie et dans Fordre nature"
ne rencontrant que rarement la tyrannie de rim-
possible, vit dans la vraie iiberl6.
L'usage habituel de la libertfe dans i'ordre a cela
d admirable- que t6t ou tard il donnera a la nature
ia noble terilation de subordonrier la nature mSme,
de dompter la libei te par une liberty plus haule, de
vouloir Veffort et le sacrifice.
Li FEaOIE SST 画 RELIGION. 115
L' effort meme est dans la nature, el il en est le
meilleur. J'enteads i'effort libre et \oulu.
J,ai donne cette explication avant rheure, et pour
r£pondre a ceux qui criliquent avant d avoir lu. Je
suis fort loin maintenant d'imposer Peifort a la
petite creature que j,ai dans les mains. Eile est in-
telligente, aimante. Mais c*est encore un 61emeat.
Dieu me garde, ah ! pauvre petite I de te parler de
lout cela. Ton devoir aujourd'bui, c'est vivre, gran-
dir, manger bien, dormir mieux, courir dans les
bles, dans les fleurs. Mais, on ne peut courir
toujours, et tu seras bien heureuse si ta mSre, ta
soeur ain^e, jouent avec loi, te rendent habile k ce$
travaux qui sont des jeux.
Le devoir^ c'esl V&me interieure, c'est la vie de
rSducalion. L'enfant le sent de trfes-bonne heure ;
nous aTons tous, presque en naissant, inscrite au
coeur ridfee du juste. Je pourrais lui faire appel.
Mais je ne le veux pas encore. 11 faut que la vie au
complet soit d^ji bien constitute, avant qu'on lui
or6e sa carriere et qu'on limite son action. Ceux qui
font grand bruit de morale, d' obligation, avec Pen-
fant qui n'est pas sAr de vivre encore, qui Iravaillen t
k resserrer , ciiconscrire ce qui, au contraire, auiail
110 LA FEMME £ST 丽 RELIGION.
besoin de 8,6tendre, ne sont que des insenses. Eht
malheurcux, laissez done la vos ciseaux ; pour re-
trancher, couper, lailler, attendez au moins que
I'etoffe existe.
L'appui de l,Mucation, son Suae el sa vie con-
stante, c'esl ce qui de tr&s-bonne heure apparait
dans la conscience, le bon, le juste, Le grand art,
c'est que, par ramour, la douceur, lordre ei l,har-
monie, YAme enfantine, obtenant sa vraie^ie saine
et complete, de plus en plus apercoive la justice,
qui est en elle, inscrite au fond de I'arnour.
Des exempies, et point de preceples (du moins
dans les commencements). L'enfant, de lui-meme,
ira ais6inent de I'un a Vautre. II trouvera, sans
chercher, ceci : <r Je dois bien aimer ma mere qui
m'aime tant. » 一 Voila le devoir. Et rien de plus
naturel.
Je ne fais pas ici un livre sur I'Mucalion, et je
ne dois pas m'arrfiler sur les points de vue g6n6-
raux, mais insister sur mon sujet special, Ydduca*
tion de la filU. AbrSgeons ce qui est commun entre
la fille et le gar^on. Insistons sur la difference.
Elle est profonde. La voici :
L'Mucation du garcon, dans rid^e moderne, c,€st
LA FEHHE EST 觀 RELIGION. 117
organiser une force, force efficace et produclive,
de cr6er un eriateur. L'homme moderne n'est pas
autre chose.
L'education de la fille est de faire une harmonie,
A harmoniser une religion.
La femme est une religion.
Sa destin6e est telle que, plus elle restera haul
oomme poteie religieuse, plus elle sera efficace
dans la vie commune et pratique,
Dans l'homme, Futilite peut se trouver s^parSe
de I'id^al ; I'art qui donne de nobles produits, peut
avoir parfois cet effet que l,artiste se vulgarise et
ne garde que fort peu du beau qu'il met dans ses
oeuvres.
Jamais rien de tel pour la femme.
La femme au coeur prosaique, celle qui n'est pas
une po^sie vivante, une harmonie pour relever
rhomme, felever l,enfant, sanctiiier constamment et
ennoblir la famille, a manqu6 sa mission, et n,aura
aucune action, mfime en ce qui semble vulgaire.
La mfere, assise au berceau de sa fille, doit se
dire : « Je tiens ici la guerre ou la paix du monde,
ce quf troublera les coeurs ou leur donnera la paix
et la haute harmonie de Uieu.
118
U FEBiME EST 腿 RELIfilON
a C'est elle qui, sije meurs, sur mon tomheau, ii
douze ans, relivera son five de ses petites ailes^
le reportera au ciel. (V. 】a Vie de Manin.)
« C,est elle qui, h seize ans, d'un mot de fiere
exigence, met rhomme au-dessus de lui-mSnie, lui
fait dire : « Je serai grand I »
« C'est elle qui, h vingt ans> k (rente et tome la
vie, chaque soir ravive son mari, amorti par le
metier, et dans raridit^ des int^rfits, des soucis,
lui fait surgir une fieur.
« Elle qui, dans les mauvais jours oil Phorizon
se ferme, oil tout se d^senchante* lui rend Aieu,
le lui fait toucher et relrouver sur son sein. »
Eleve' une fille, c'est elever la socifeti elle-m6me.
La soci^te procede de la famille, dont rharmonieest
la femmei £leverune fille, c'estune oeuvresublime
et dgsintSressee. Car lui ne la cr6es, 6 lafere, que
pour qu'elle puisse te quitter et te faire saigner le
coeur. Elle est destinte d un. autre. Elle vivra pour
les autreSy non pour toi, el non pour elle. C'est ce
caraclSre relalif qui la met plus haut que rhomme,
et en fait une religion. £lle est la flamme d'amour
et la flamme du foyer. Elle est le berceau d'avenir,
elle est l ecole, autre berceau. D'ua seal mot : KUe
est lautel*
LA F 腿 HE EST 綱 REUfilON. m
Grftce a Dieu, tous les systimes d^battus pour
l,6ducation du gargon finissent ici. Ici cessent les
disputes. La ^nde liitte des methodes, des theo-
ries, expire dans la culture paisible de cette fleur
benie. Les discordes dSsarm^es se sont embrassees
dans la Grice.
Gelle-ci n'est'pfts condamn^e k raetion forte et
violente. Elle ne doit pas subir le monde effrayani
du detail, qui va croissant, au delk de toutes les
forces de rhomme.
Ira-t-elle jasqu'aux sommets de la haute specu-
lation? Pourquoi pas? Mais^ niiJlement en passaat
par nosfilieres. Nou& lui trouvesons des voies pour
qu'ellefitfTiw a Fidee, sans que son kme charmanti
passe par la torture prtolable o£i se perd Uesprit
de vie. 、
Que doit-elle 6tre? iJna harmonie* D'apr6s quel
minDir, 6 mere ! sur qui se regiera-t-elle?
Chaque matin et ehaque soir, tu feras cette
pri^re : « Man Dieu, faifes-moi tr^s-belle 1 . •• Et que
ma fille, pour F6tre, n,ait besoin que de regar*
der. »
Le but de la femme, iei-ba &, sa i^oeation 6,idente,
c'est ramour. II faut 6lre bien tristement n6« bien
120 LA FEHME EST UNE RELIGION.
ennemi de la nature, bien aveugle et d'esprit tortu ,
pour prononcer, contre Dieu mtoie, que ce char-
mant organisme et cette tendresse de coeur ne la
vouent qu'a I'isolement. « Elevons-la, disent-ils,
pour 6tre seule, c'est le plus sdr. L*amour est l,ex-
ception, mais l,indiff6rence est la regie . Qu'elle
sache se sufflre k elle-mftme, travailler, prier,
mourir et faire son salut dans un coin. »
Et moi, je r6ponds que I'amour ne lui manquera
jamais. Je soutiens que, commefemme, elle ne fait
son salut qu'en faisant le bonheur de Phomme. Elle
doit aimer et enfanter, c'est Ik son devoir sacre.
Mais entendons-nous sur ce mot. Si elle n'est pas
Spouse et mfere, elle sera feduca trice, done n'en sera
pas moins m&re, et elle enfanlera de Fesprit.
Oui, '^i le inalheur voulait qu'elle fut n6e dans
un temps maudit ou la plus aimable ne tAl pas ai-
mfee, d'autant plus ouvrira-t-elle ses bras, son coeur,
au grand amour. Pour un enfant qu'elle aurait eu,
elle en aura mille, et les serrant contre elle-mfeme,
elle dira : « Je n,ai rien perdu. »
Que les hommes sachent bien une chose, un
mystere noble et charmant que la nature a cach6
LA FEMMB EST UNE RELIGION. 19i
au sein de la fern me, c'est la divine Equivoque ou
chez elle flotte Pamour. Poureux, c,est toujours le
desir. Mais pour elle, a son insu mfime, dans ses plus
aveugles6iaii8, rinslincl dela inaternil6 domine en-
tore t jut le reste. El quand un orgueil 6goiste dit a
PaiTiant qu'il a vaincu, il pourrait voir leplus sou-
vent qu'elle ne cede qu*a son propre rfive, I'espoir
et r amour de renfant, que, presque d6s sa nais-
sance, elle avail congu de son coeur*
Haute po^sie de puret6. A chaqtie &ge de Tamour
ou les sens ont un mot a dire, les instincts de ma-
ternity les 61udent et portent V amour dans une
region superieure.
EJever la femme, c,est seconder sa transforma-
tion, 一 c'est, k chaque degre de la vie, en lui don-
nant Faiuour k la mesure de son coeur, Paider k
r^tendre ainsi et Filever a cette forme si pure, et
pourtant plus vWe.
Pour dire d un mot cette sublime et d61icieuse
po6sie : d^s le berceau, la femme est m6re, folle
de maternity. Pour elle, toute chose de nature, vi-
\ante et mfime non vivante, se transforme en petiU
enfaals.
m LA PEHHB EST UNB RBUfilOKi
On senttra de plus en plus combien ccb est
heureui. Seule, elle peut 61ever rhomme, surtout
dans les ann6es dfeistv^ ou il faut, avec une ten -
dresse pnidente, manager, en rharmonisant^ sa
jeune liberie. Pour briser brutalement et casser la
plante hnmaine, comme on l,a fait jusqu'id, il n*e-
tait besoin des femmes. Mais elles seront reconnues
comme les seules 6dncatrices possibles, a mesure
quel'onvoudra cultiverdans chaque enfant le g6nie
propre et natif qui varie infiniment. Nul que la
femme n'est assez fin, assezf doux, assess patient,
pour sentir tant de nuances et pour en tirer parti.
Le raonde yil de la femme. EUe y met deux 616*
ments qui font toute cWilisation : sa grdte, sa d&U-
catesse, 一 mais celle-ci est surtout un reflet de
sa pureU.
Que serait-ce da monde del'honime, si ces deux
choses manquaient? Ceux qui semblent y tenir le
moins ignorent que, sans cetle gr&ce, ces formes
am moins de puret6, ramour s'^teindrait ici-bas,
ramour, I'aiguillon tout-puissant de nos activit^s
huma^^xies. Heureux tour ments I trouble f^cond ! sans
vous, qui voudra de la \ie?
II faut, il faut absolument (jue la femme soit gra-
Lk PEHMB EST UKl REUOIOR. 、 1»
cieuse. EUe n'est pits tenue d'fitre belle. Mais la
gr&ce lui est propre. EUe la doit i la nature, qui la
fait pour &, y mirer. EUe la doit k I'humanit^. la
grice chwrme les arts virils et doime un sourice
divin k la soci6t^ tout enti&re.
Que faitt-il pour qu'elle soit gracieuse, «ette
enfant? Qu,eUe sente toujours qu'elle est aimfe.
Qu,eUe' soit mende 6galement. Point d'alternathe
violente de rigueur et de tendresse. Rien de bras*-
que, de prieipii^, un progrto tr6s*gradu6 ; nul
saut, et nul grand effort. II ne fout pas I'embellir
d'ornements surajout^s; mais^par une douce im-
bibition, &ire que peu a pen da dedans fleurisse
une beaute nouyellOb
La grftce est un reflet d'amour sur un fond de
purete. La puretiy c*est la femme mime.
Telle doit 4tre la constante pens^e de la mSre,
d^s que lui est n6e sa fille.
La purete de Penfant est d'abord celle de la m^re.
II faut que Fenfant y trouve k toute heure one
candeur, une lumi^re, une absolue transparence,
comme d'une glace accomplie qae nul souffle oe
ternit jamais.
124 LA FEMME EST 跳 RELIGION.
L,une et I'autre, le matin, le soir, font d'abon-
dantes ablutions, tildes, ou plut6t un peu froides.
Tout se tient. Plus la petite verra sa mkre attentive
a se tenir nette, plus elle voudra I'fitre elle-mfeme
de corps, et bienfdt de coeur.
Puretfe d'air et de milieu. Puret6, unite d,in-
fluences. Point de bonne qui gdte en dessous tout
ce qu'on fait en dessus, flattant la petite et lui fai-
sant trouver la maman severe.
Purete surtout de regime et de nourriture. Que
doit-on entendre par la?
J'entends que la petite fiUe ait une nourriture
d, enfant, qu'elle continue le regime lact6, doux,
calme, peu excitant; que, si elle mange k voire
table, elle soil habitude k ne point touchei a vos
aliments, qui sontdes poisons pour elle. Une revolu-
tion s,est faile ; nous avons quiltfi le sobre regime
frangais, adopts de plus en plus la cuisine lourde
et sanglante de nos voisins, appropriSe a leurclimat
bien plus qu'aii ndtre. Le pis, c'esl que nous infli-
geons ce regime a nos enfants. Spectacle 6trange de
voir une tnkre donner a sa fiUe, qu'hier encore elle
allaitait, cette grossiere alimentation de viandes
sanglantes, et les dangereux excitants, levin, I'exal-
tation m6me, le caf6! Elle s,6tonne de la voir vio-
lente, fantasque, passionn^e. C'esl elle qu'elle en
doit accuser.
LA FEHME EST 應 RELIGION. 125
Ce qu'elle ne voit pas encore, et ce qui est bien
autrement grave, c estque, chez celte race fran^aise,
si pr^coce (ou j'ai vu des nourrissons amoureux
dans le berceau), l,eveil des sens est provoque di-
rectement par ce regime. Loin de fortifier, il agite,
il affaiblit et enerve. La mere trouve plaisant, joli,
d'avoir une enfant si vive, qui dej^ a des reparlies,
et une enfant si sensible qui, au moindre mot,
s'attendrit. Tout cela vient d'elle. Surexcilee elle-
mfime, elle veut que F enfant soit telle, et elle est,
sans le savoir, la corruptrice de sa fille.
Tout cela ne vaut rien pour elle, madame, et
gu6re mieux pour ^ous. Vous navez pas le cou-
rage, dites-vous, de manger rien sans qu'elle ait
sa part. Eh bien, vous-meme abstenez-vous, ou
du moins moderez-vous dans l*usage de ce re-
gime, bon pour I'homme fatigu6 peut-6tre, mais
\ funeste k la femme oisive, regime qui la vulga-
i rise, la trouble, la rend violenle, ou somnolente,
alourdie.
Pour la femme et pour Fenfant, c,est une grace,
une gr^ce d'amour, d'filre surtout frugivore, d'e-
viler la fStiditfe des viandes et de vivre plutdt des
aliments innocents qui ne cotltent la mort a per-
sonne, des suaves nourritures qui flatient rodorat
autant que le gotlt. La raison fort raisonnable qui
fait que ces chores creatures n'inspirent r6pu-
m U FEUK EST ■ RHIGIOlf.
gnaQ^^ en nulle chose, mais nous semblent 6th6-
r6es, en compaiaison de I'homme, c,est surtout
leur pr6f(6rence pour les herbes ct pour les fruits,
cette purelfe de regime qui ne contribue pas peu k
celle de Y&me el ^raiment les assimile k I'kino-
cence des fleurt*
VII
L'AMODR A DIX 鳳 一 LES FLEDB8
Dfes le temps le bon Froebel avait mis dans la
jolie main, un peu gauche, de ma ch&re petite, les
formes ^limentaires par ou commence la nature
(les cristaux, etc.), il Pavait appel^e aussi k I'a-
mour de la vie Y^gitale. B^tir une inaison, c'est
beau. Mais combien plus beau de faire yenir une
plante, de crier une vie nouvelle, une fleur qui yat
s'^panooir, tous rtcompenser de vos soins !
Un superbe haricot rouge, admiration de l en-
fance, avait 6le mis en terre, non sans quelque so-
lennitg. Mais, attendre I c'est Fimpossible k cinq
ans. Comment attendre inactif ce que Nature fait
d'elle-mfime? Dte le lendemain, on alia le visiter,
ce haricot. Remis soigoeusement en terre, il ne s'eo
128 I/AMOim A on ANS. ― LES FLEUUS.
poria pas mieux. Les lendres inquietudes de sa
jeune nourrice ne le laiss^rent pas reposer ; eiie
remuait au moins la superficie du sol ; d'un arjosoir
infatigable elle soUicitait la paresse du nonchalant
v6g6tal. La terre buvait a merveille, semblait tou-
jours avoir soif • Si bien soigne, abreuv6, le haricot
succomba.
C'est une oeuvredeveriu, de patience, que de jar-
diner. Cela prepare tres-bien le caract^re de I'en-
fant. Mais k quel dge peut-on commencer r6elle-
ment? Les petits Ailemands deFroebel doivent com-
mencer h quatre ans, les ndtres un peu plus tard
sans doute. Je crois que nos petites filles peu vent
(bien plus que les gargons), par bon coeur et par
lendresse pour la plante favorite, prendre sur elles
d altendre, dela manager, de rfepargner. D6s qu un
essai a rfeussi, des qu' elles ont vu, adinir6,touch6,
bais6 le petit 6lre, tout est fait. Eiles dfeirent lant
renouveler le miracle, qu'elles deviennent pa-
lientes.
La vraie vie de I'enfant est celle des champs,
Mteme a la ville, il faut, taut qu'on peut, lassocier
au monde Y6g6tal.
Et, pour cela, un grand jardin, un pare, n'est
pas nfecessaire. Celle qui a peu, aime plus. Elle n,a
sur son balcon, sur un prolongement de toil,
qu'une girotl6e de muraille. Eh bien, elle pro-
L'AMOUR K DIX ANS. — LfiS FLEURS. 129
fitcra par son unique giroflte plus que renfanl
g&lke des riches, lancee dans de grands parterres
qu,eUe ne sail que dfevasler. Le soin, la contem-
plation assidue de cette fleur, les rapports qu'on
liii montrera entre sa plante et telle influence d,at-
inosphere ou de saison, avec cela seul on ferait
une Education tout entifere. Observation, exp6-
rience, reflexion, raisonnement, lout peut y ve-
nir. Qui ne sait le parti admirable que Bernar-
din de Saint-Pierre a tir6 de ce fraisier n6 par
hasard sur une fenfilre dans un pot de terre? II y
a vu un infini, et pris Ik le point de d6part deses
harmonies v6g6tales, simples, populaires, enfan-
tines, parfois non moins scientifiques. (V. Alex,
de Humboldt.)
Cette fleur est tout un monde, pur, innocent, pa-
cifiant. La 3/elite fleur humaine s,y harmonise d,au-
tant mieux qu'elle ne lui est pas semblable dans le
point essentiel. La femme, surtout la femme enfant,
est toule dans la vie nerveuse ; la plante qui n'a
pas de nerfs, lui est un doux compl6ment, un cal-
mant, un rafraichissant, une innocence relative.
II est vrai que cette plante, a I'^lat de fleur sur-
excil6e au-dessus d'elle-mfeme, parait animalis6e,
et dans certaines esp^ces (petites et vues au mi-
croscope), elle affecte, pour Porgane d,amour, une
surprenante identit6 avec les vies supferieures. Mais
130 L'AMOUR A OIX AN8. 一 LE& FLBUBS.
renfanl n'est gu6re avertie de ce charmant dfelire
des planles que par leur enivrante odeur. Sa mo-
bililfe la preserve de s,en imprfegner longtemps.
La petite fiUe, qui de bonne heure est un kite
si complet, bien plus fine que le gargon, plus sas«
ceplible de recevoir des impressions delicates, a
un sens de plus, celui des parfums, des aromes,
Elle en seraitp6n6tr6e, et par moments y trouveratt
un ^panouissement sensuel, mais cette fleur n'est
jpas pour elle un objet d'amour oisif^ de jouissance
paresseuse ; elle est une occasion de travail et
d,activit6, d'inquifilude, de succfts, de joie, utie
occupation de coeur et d*esprit. Enfin, pour dire
d'un mot la chose : ici encore, la maternite balance
et guirit Vamour. La fleur n'est pas son amant.;
pourquoi? C'est qu'elle est sa filie.
Mauvaise et dangereuse ivresse pour la petite
demoiselle, tenue assise, privie du grand air et du
mouvemenl, que d'aspirer dans un salon rfemaaa-
tion concentr^e d'un amoureux bouquet de fleurSc
El ce n'est pas la tfite seule qui chancelle. Un de
nos romanciers s'esi plu a montrer la verlu incer-*
taine d'uiie jeune femme qui cMe a ces influences.
Eiles ne seraient pas moins puissantes pour troui-
L'AXOUR A DU ANS. 一 LES FLEURS. 151
bier la petite fille, pour h&ier en elle la crise des
sens, pr6cipiter la floraison, qu'il vaut bien mieux
retarder.
Le dirai-jeV (mais quel paradoxe I que les dames
vont filre dioquees !) il est trois choses que j'aime
peu : les babels de pcintures qu,on appelle des mu-
s6es, oil les^ tableaux se tuent i'un Fautre ; 一 les
babels de ramages qu'on appelle des voliferes, ou
le rossignol, m61e aux chanteurs vulgaires, risque
de tomber au patois ; 一 en troisieme lieu, les bou-
quets m&Us de couleurs, de parfums, qui se com-
batlent et s annulent
Quiconque a le senlimeAt vif et delicat de la vie
ne souffre pas volontiers cee confusions, ces chaos,
quelque brillants qu'ils puissent fetre. Chaqueodeur
est suave k part, dit un mystfere, parte un langage.
Toutes^ ensemble, ou frappent la tele, ou donnent
un trouble sensuel dont les nerfs souffrent comme
de certaines vibrations de rtiarmonica. G'est volup-
fueux et affadi^sant. On sourit et le coeur lourne.
Lea odeurs discretes y p6rissent barbarement as-
phyxites. a H61asl dit la marjolaine, elouffee des
puissantes roses, vous ne voulez done pas savoir la
divine senleur d'amertume qui se m6le au parfum
d*amour? »
Certaine fern me que je sois bien n,a jamais
coup6 une fleur qu'k regrei el malgrS elle, en lui
m L'AMOUR A DIX AMS. 一 LES FLEURS.
demandant pardon. Chacune a sa genti Hesse k elle,
si elle est a part. Elle a son harmonie propre, un
charm e qui lui vient de la terre sa mfere et qu'elle
n'aura plus arrach6. Que saura-t-on maintenant
du port, de la d^sinvolture, de l,air aimable el d6-
gag6 dont elle portait sa tfete? Les fleurs simples,
qui sont les fleurs amourcuses, dans leurs graces
modestes et I6gires, palissent ou plut6t disparais-
sent entre les grosses coroUes de ces yierges
luxueuses que nos jardiniers amplifient par leur
art de st6rilit6.
Replagons, pour notre enfant, dans sa v6rit6
naive el sainle, le monde v6g6tal. Que de bonne
heure elle sente, aime el comprenne la plante dans
la 16gitiirU6 de sa vie complete. Qu'elle neconnaisse
point la fleur comme luxe et coquelterie, mais
com me un moment de la plante, comme la plante
a lelat de fleur. C'est une grande injustice d,y
prendre le plaisir passager d'une vaine decoration,
comme d,une fleur de papier, tandis qu'on oublie
la merveille reelle, le miracle progressif cach6 au
petit sanctuaire, la sublime operation d'avenir et
d'immorlalil6 par laquelle la vie chaque annee
6chappe et rit de la morl.
L' AMOUR A DIX A^S. 一 iES FLEURS
135
Dans une promenade d'hiver, en fevrier. la petite,
regardant aux arbres les bourgeons rougeSlres,
soupirait et demandait : « Serail-ce bientdt le prin-
temps? p Tout a coup elle s'ecrie... Ellc I'avait a
ses pieds... Une petite clochette dargent, marquee
d'un point vert au bord, le perce-neige, disait le
reveil de Fannie.
Le soleil reprend bientdt force. Dfes mars, k ses
premiers rayons, \ariables el capricieux, tout un
petit monde 6cldt, les jeunettes, les press6es, pri-
raeyferes et pftquerettes, fleurs enfants qui cepen-
dant, par leur petit disque d,or, se disent enfants
du soleil. Elles n'ont pas grand parfum, sauf, je
crois, la seule violelte. La terre est Irop mouillee
encore. Narcisses, jacinthes et muguets apparaissent
aux pres humides, dans I'ombre humide des bois.
Quelle joie ! et que de surprises!... Celle \6g6-
tation innocente semble faite pour celle- ci. Chaque
jour, elle en fait la conqufete, recueille, amasse,
lie, rapporte des bottes de petites fleurs qu'il faudra
jete** demain. Elle va saluer une k une toufes les
nouvelles venues, leur dormer le baiser de soeur.
Gardons-nous de la troubler dans cette f&te du piin-
temps. Mais, lorsque, un mois, deux mois passes ;
elle se sera satisfaite, je lui dirai : a Pendant que tu
jouais, enfant, le grand jeu de la nature, la superbe
et splendide Iransformalion de la terre s,est accoia-
i5i L'AMOUR A DIX AUS. 一 LE8 FLEURS.
plie. La voil" v6tue de sa robe verte aux plis im-
menses qu,on appelle des montagnes et des coteaux.
Crois-tu que ce soit seulemenl pour te donner des
marguerites, qu'elie a vei*66 de son sein cet ocean
d'faerbe et de fleurs?Non,aniie; la grande nourrice,
la maman universelle, a d'abord servi ce banquet h
nos humbles frferes et soeurs par lesqiiels elle nous
nouirit. La bonne vache, la douce brebis, la sobre
chfevre qui vil de si peu et fait vivre le plus pauvre,
c'est pour elles que sont pr6par6es ces belles prai-
ries... Du lait virginal de la terre elles vont com-
bier leurs mamelles, te donner le lait, le beurre. . .
Re^is-les, et remercie.
A ces aliments frais et doux ye se joindre la frai-
cheur des premieres plantes potageres,des premiers
fruits. Avec la chaleur apparait a point nomme la
groseille, la petite fraise des bois, quune autre,
petite gourmande, decouvre a son exquise odeur.
L'aigrelet de la premi&re, it; fondant de la seconde,
et la douceur de la cerise, ce sont les pr6voyants
rem 三. des qui nous viennent aux jours brulants ou
ridee s,exaUe, s'enivre, ou commencent sous un se,
leii accablant les grands travaux de rfecolte.
Gette ivresse a apparu d'abord aux parfums de
la rose, suaves mais trop penetrants, dont la t6te
est alourdie. La coquette reine des fleurs amene
iriomphalement la l^ion plus s6rieuse de ses
L'AXODR A DIX ANS. 一 LES FLEURS. 135^
«oeurs,fleurs medicinales et plantes de phannade,
utiles el salufaires poisons.
Mais void I'oBuvre souveraine de la grande ma*
termt6. EUes arriveut celles qui doivent nourrir
les populations entiftres, les vdn^ables tribus des
Ugiminetises (E. Wo6l). Elles arrivent les grami-
ii6es, les pauvres du rfegne vegetal, qui en sont
aussi, dit Linni, la vaillance, la force h^roique;
qu on les maltraite et qu'on les foule, elles multi-
plieront davantage I
« Leurs deux feuilles nourriciferes (ou coty 16dons^
sont des mamelles. Cinq ou six pauvres gramin6es,
da trop plein de leurs mamelles nourrissent I'es
pece humaine. » (E. Noel) .
Ma fiUe, n'imile pas Penfanl 16ger, itourdi, qui,
voyaiit flolter au vent cette mouyanle mer d,or, que
le coquelicot et le bluet 6gayent de leur telat ste-
rile, va au travers chercher ses fleurs. Que ton petit
pied suive bien la ligne 6lroite du senlier. Respecle
noire p&re nourricier, cebon ble, qui, de faible tigG,
soutient avec peine sa tdte pesante ou est notre pain
de demain. Chaque epi que tu d^lruirais dterait la
yne aux pauvres, au m^rifant travailleur, qui, toute
rann^e, a p&ti pour le faire venir. Le sort de ce ble
lui-m6me m6rite ton plus tendre respect. Tout rhi-
yer, enclos dans la lerre, il a patients sous la neige ;
puis, aux froides pluies du printemps, sa petite lige
136 L AMOUR A DIX ANS. ― LES FLEURS.
verte a luU6, bless^e parfois d'un retour de gel6e,
parfois de la dent du mouton ; il ri,a giandi qu,en
sapporlant les cuisants rayons du soleil. Demain,
tranche de la faucille; battu, rebattu des fl6aux,
froiss6, 6cras6 de la pierre. Grain d,orge, le pauvre
martyr, rMuit en poudre impalpable, cuit comme
pain, ira sous la dent, ou, distille comme bifere,
sera bu. De toute fagon sa mort fera vivre rhomme.
Toutes les nalions out chante dans de joyeuses
complain les ce martyre et celui de la vigne sa
soeur. Dans le ble d6ja r6sidail avec la plus haute
puissance nulritiye de nos climafs, quel que chose
de la force sucree, enivrante, que sa soeur va nous
dormer. La verlu de faire du sucre, qui est un trait
singulier de I'orgaiiisation humaine, existe dans
ces v6getaux, qu'on dirait humanises. C,est I'efforl
dernier de rann6e. A mesure que Phomme fatigue,
faiblit, se fond en sueur, la mere Nature lui a
doim6 une plus vivante nourrilure.
A I'age printanier des prairies et du lait a suc-
c&de Y&ge substantiel et fort du froment, et celui-ci
est a peine coup6 et battu, que Fhumble petite vi-
gne (trainante el rampante ici, d'aulant plus fine
L'AHOUR A DIl ANS. 一 LES FLEURS. 137
et plus exquise) prepare son breuvage divin. Quo
de tra^aux ici, ma fiUe! Que ce modeste v6g6tal,
ce mauvais petit bois tortu que tu mSprisaisauprin-
temps, exerce les forces de rhomme ! Dds mars, si
tu parcourais Pimmensit^ de la Champagne, de la
Bourgogne et du Midi, une si grande partie de la
France, tu verrais des millions d homines replan-
tant les ^chalas, relevant, liant, coupant la vigne,
puis btttlant la terre autour, et toute I'annee sur
pied pour mener a bien celle delicate personne.
Pour la tuer, un bi ouiilard suffit.
C'est la s6v6re alternative de la vie et de la mort.
Chaque plante meurt et nourrit les autres. JTas-lxi
pas vu, en automne, vers la fin, quand la saison
avail pdli,comme tombaient doucemenl les feuilles,
sans m6me attendre le vent? Chacune, en lournant
UD peu, descendait loute resign^e, sans bruit, sans
reclamation. La plante (si elle ne le sait) sent au
moins qu'elle a charge de nourrir sa soeur, et qu'il
faut mourir pour cela. Done, elle meurt de biea
bonne gr&ce, se pose, et de son dfebris alimentaat
I'air qui Femporte ou la terre qui s'en p6netre,elle
prepare la vie des amies qui viennent la renouveler.
Elle s'en va consol^e, et qui sait, peut-6trejoyeuse,
de reposer, son devoir fait, et de suivre la loi de
Dieu.
Ainsi, ch&re, si tu m'as compris, tu as vu que,
8
158 L'AUOUR A DII 鳳 一 LSS FLBURS.
SOUS ce cercle brillant de revolution annuelle 6{i
chacune a un moment pour se montrer au soleil, un
eercle muet, plus sombre, se fait dans rintime int^
rieur par 1, 仑 change des douces soeurs, chacune se
retirant sans jalousie et passant la vie aux autres.
Monde de paix ct (Tiimocence, de resignation.
Mais ies 6tres sup^rieurs, soumis k la m&me loi,
ont peine k s'y prfiter de mime. 一 a Gependant,
dit la Nature, qu'y faire? ce n,est pas ma faute. Je
n'ai que cela de substance a partager entre vous
tous, mais pas plus ; je ne puis pas augmenter k vo-
lon te . II est j us te que chacun en ait un peu kson tour.
u Done, dil-elle aux animaux, vous, favoris de
la vie, tellement prmlfigies d'organisme sup^rieur,
vous n'fttes pas pour cela exempts de nourrir \os
soeurs les plantes, qui, reconnaissantes, gracieuses,
en revanche vous nourrissent chaque jour. A vous
de payer un tribut (seulemeat ce qui ne vous pro-
fite). Vos mues, k certaines saisons, seront un tri-
but encore. Vos debris enfin, a la mort... Ce sera
le plus lard possible. Je vous ai donne des moyens
d'aviser a le relarder. Mais il faudra bien y venir,
car je ne puis faire mieux. »
Voila qui est raisonnable, n'est-ce pas, ma fille
Etle p6re de la nature, Dieu qui t,a faite et dou6a
qui t'a donne des mains adroiles (ou propres a le
devenir), qui t,a donne une tete l^gire encore.
L'AMOUR A DIX AI9S. 一 LES FLEURS, 139
mais peu k peu susceptible de penser , te permet
I'honneur insigne de participer au travail. Tu pour-
ra$ couver, 61ever des nourrissons v6g6taux, et de
petites filles-fleurs. Tu susciteras la vie, en funis-
sant de tout coeur aux grandes operations de Dien.
Plus tard, femme, et peut-felre m6re, quand il sera
temps, volontiers tu pasecras la vie aux autres, tu
sauras de bonne gr^ce vivifier ta bonne nourrice,
la Nature, et la nourrir k ton tour.
VIII
LE PETIT MANAGE. ― LE PETIT JARDIN
Si on donne k la petite fille le choix entre les
jouets, elle choisira certainement des miniatures
d'ustensiles de cuisine et de manage. C'est un in-
stinct naturel, le pressentiment d'un devoir que la
femme aura a remplir. La femme doil nourrir
rhomme.
Haul devoir, devoir sacr6 ! II 】,est surtout dans
nos climats ou le soleil, moins puissant que celui
de l,6quateur, n'ach^ve pas la maturite de beaucoup
de v6gfetaux, ne les mdrit pas au point ou rhomme
puisse les assimiler. La femme continue le soleil ,
elle sail h quel degr6 raliment, cuit et adouci, peul
fitre appropri6 a lui, passer dans sa circulation,
refaire son sang et ses forces
LE PETIT HfiltSAGE. ― LE PETIT JARDIN. 141
(Test com me un autre allaitement. Si elle pou-
vait suivre son coeur, elle nourrirait son mari, ses
enfants, d,elle-m6me, du lait de ses mamelles. Ne
le pouvant, elle emprunle l,aliraent k la nature,
mais elle le leur donne bien autre, m6l6 (Telle et
par la tendresse devenu d^licieux. Du pur froment,
solide et fort, elle fait le gftteau sacre ou lafamille
communie de son amour. Le laitprend cent formes
par elle, elle y met sa fine douceur, ses parfums, et
il devint ere me 16g6re et 6lh6r6e, un aliment de
\olupt6. Les fruits 6ph6m6res que raulomne verse
a torrents pour les perdre,elle les fixe, les enchante.
Dans un an encore, ses enfants 6merveilles verront
sortir du tr6sor de sa prSvoyance les fugitives d6-
lices qu'ils croyaient fondues bien avant les pre-
mieres neiges d'hiver. Les voici, k son image, inal-
t6rablement fi deles , purs el limpides comine sa
vie, transparents comme son coeur.
la belle et douce puissance ! Veritable enfan-
tement. Creation de chaque jour, lenle, partielle,
mais continue. 一 Elle les fait et les refait corps et
ame,huineur,6nergie.Elleaugmente,diminueleur
activity, tend le nerf et le delend. Les changemenls
sont insensibles, et les resullats profonds. 一 Que
ivd peut-elle ? L'enfant 16ger, joueur et rebelle,
change, est disciplinable et doux. L'homme, en-
tam6 par le travail et I'exc&s de voIonlS, peu k peu
8.
142 LB PETIT MtllAGE. 一 LE PETIT JABDIR.
rajeunit par elle. Un matin, le coeor plein d'aniour,
il dit : a Je revis tout en toi. »
Au reste, quand celte grande puissance est sage-
nieot exer^ee, elle n,a pas besoin de refaire, de
gudrir. Elle n,a que faire de m^decine. Elle est la
SuprfiiQe mMecine, errant la sant6 jour par jour,
rSquilibre haraonique, et fermant la porte h 1»
maladie. Quel coeur de femme, de mfere, pourrait,
en songeant a cela, marchander avec la nature, al-
16guer quelques dfegouts !
L'amour est spiritualiste , et dans foul ce que
demande la Tie de I'objet aim6, il ne voit rien que
resprit. Les nobles el hauts risultats que ces hum-
bles soins obtiennent, les 616vent, les ennoblissent
et les rendent chers et doux.
Unejm.e dame distingu^e, d6iicate et maladive,
n'aurait cep^dant laiss^ h personne la cuisine de
son rossignol. Cet artiste ail6 est comme rhomme;
pour refaire son foyer brAlant, il voadrait la moelle
des lions. II lui faut la \iande et le sang. La domes-
tigue de cette dame y aurait eu repugnance. Elle
aucune ; elle n'y Toyait que le chant, I'dme amou-
reuse k qui elle allait rendre force. II recevait de
sa main le banquet de 】 'inspiration (le sang, le
rhanvre et le pavot), la vie, Fivresse et I'oubli*
LE PTOT 舊 gKAGffi. — US PETIT JMUHN. 143
Fourier a tr -bien remarqu^ que les enfants ont
le goat de la cuisine et y aident volontiers* Est-ce
singerie? gourmandise?
Mais je iie soispasd'avisd'enconragerla singerie,
CDmme il le conseille. Je n'aime pas non pins,
lorsqu'il s'agit d'une chose qui sera si gme,
qtfon habitue cette enfant h s'en faire un jeu, h
perdre le temps en petits gdchis pour le repas de
sa poup^e. J'aime mieux qu'on atfende un peu
plus, et que, quand elle est devenue adroite, et
d^ja s^rieuse par ses essais de jardinage, sa m6re
rinitie k une fonction ou la vie de son p6re est in-
tferessie, on celui qui les nourrit est nourri pair
, elles, ou pour la premiere fais F enfant peut le
servir, heurense de Fentendre dire au repas :
<x Merci, ma fille ! »
Chaque art d6veloppe en nous quelqnes qualit^s
nouveiles* Le manage et la cuisine exigent la pro-
pret6 la plus exqnise, et passablement de dext6-
rit6. L'^galite d'humeur et de caract&re y £ait
beaucoup plus qu'on ne croit. NuUe personne brus-
que, variable, n,y peut mener k bien les choses.
Un sens juste de mesure precise y est necessaire.
P Ajoutef, au plus haul degrt, ra-propos, *a deci-
sion, pour finir oil il faut finir et savoir s'arrfeter k
point.
Mettez en face les dons, plus graves encore.
144 LE PETIT MENAGE. ― LE PETIT JARDI!«.
qu'exige la culture dujardin. IIn'6fait qu'un arou-
sement, mais, des qu'il est compris, soign6, dans
son rapport avec la vie, la sant6 de ceux qu'on
aime, quand le jardin est rauxiliaire du manage, il
devienl chose importante, et on le cullive bien
mieux. Observer et tenir compte de nombi e de cir-
constances variables ; respecter le temps et domp-
ler ses impatiences pu6riles, soumeltre sa jeune
volont6 b la loi g6nferale : employer son aclivil6»
mais savoir qu'elle n'esl pas tout,et reconnaitre le
concours de la nature ; finalement, manquer sou-
vent, ne se d6courager jamais ; 一 c,est la culture,
c'est le travail m616 de tous les Iravaux ; 一 c,est,
au complet, la vie humaine.
Cuisine et jardin sont deux pieces du m&me labo-
ratoire •、 t*availlant pour le mfeme but. La premiere
achfeve au foyer la maturation que l,autre com-
men^a par le soleil. lis ^changent entre eux leurs
puissances. Le jardin nourrit la cuisine, 】i cuisine
nourritle jardin. Les simples eaux de menage qu'on
Jetle au loin avec d^goAt son! acceptees (si j'en
crois un horticiilteur distingu6), comrae un excel-
lent aliment par les pures et nobles fleurs. Ne m6-
prisez rien. Le dernier rebul, le moind^e dibris
du caf6, est avidement saisi par les v6g6taux,
comme une flamme, un esprit de vie ; au bout de
trois ann^es enti&res, ils en senlentencorela chaleur.
LE PETIT M£RAGE. 一 LE PETIT JAR 亂 145
II faut dire k voire enfant ces lois ii6cessaires de
la vie. Ce serait une sotte reserve de lui laissef
ignorer ralternation de la substance, sa circulation
na turelle. No& i6daigneuses demoiselles, qui necon-
naissent les plantes que pour les couper, ne savent
pas que la fleur mange aussi bien que I'animal.
Comment vivent-elles, elles-mAmes? EUes se gar-
dent de le deviner. EUes ont un bon app^tit, absor-
bent, mais sans reconnaissance, sans songer au
devoir de reslituer. II le faut pourlant, par la 動 rt
surtout; et il le faut conslamment par la s6rie de
sueurs, de mues, de diminutions de nous-mCmes,
de pertes et petites morts quotidiennes que nous
, impose la nature, au profit des vies inferieures.
Ce circulus fatal n'est pas certes sans grandeur,
n a un c6t6 fort grave, qui touchera le coeur de
Fenfant d,une salutaire femotion, c'est que no! re
affaiblissement de chaque jour nous condamne k
chercher la force ou eile est accumulfee, chez les
animaux nos fr6res, et a vivre de leur vie.
Double leQon. NuIIement inutile k la jeune fiUe,
au premier &lan d'orgueil que donneront V&ge et
la beauts, l intensit^deia vie, qui leur font penser
t par moments : a Je suis ; le reste est peu^ chose.
La fleur et 】e charme dii monde, c'est moi, et le
reste un rebut. »
Fleur? beaut6 ? jeunesse? d'accord. Oui, mais
146 I£ PETIT MENAGE. ― LS PETIT JAHDIN. .
n'oublie pas a quel prii. Sois modeste^ souvicns-
toi des conditions humbles, s6v£res, auxquelles h
、 nature vend la vie. Mourir ua peu chaque jour,
avant de mourir tout a fait; et chaque jour, k ceile
table riante et par^, renaltre, b^as! par la mart
d'innocentes creatures.
Que du moins ils soient heui eux, cea aniniauiLi
tant quails vivent. Enseignons bien h I'enfant leur 、
droit d'exister, le regret et la pitii qu'on leur
doit, mkme lorsque le besoin de notre organisa-
tion nous force de les detruire. II faut lui appren-
dre avec soin les utility qu'ils ont, ou eurent
tous, mkme ceux qui aujourd'hui peuwnt nouse
nuire. L'enfant est tr&s-poetique, mais peu poete.
Cependant, elle sentira, ma petite, par rinstinct
de son coeur cbarmant, ce qui toucherait moins
son esprit La maternity heroique de l,oiseau, con-
struisant son nid avec tant de peine, subi&sant
pour ses enfants tant d'6preuves si penibles^ la
frappera a coup sAr. Et ce n'est pas sans respect,
une sorte de religion, qu'elle verra chez la fourmi,
chez I'abeille, un genie bien autrement artiste
encore, que la maternity inspire. L'immense tra-
vail de la fourmi, remontant, descendant ses osufs
LE PETIT HfiNAOE. ― L£ PETIT JARDIN. 147
par r^chelle bien calculee de ses trente ou qua-
rante fetages, selon I'air et le soleil et toules les
variations de tempera tare, la remplira d'adtnira-
tion. Dans ees infiniment petits elle verra la pre-
miere lueUT, le ravissanl premier rayon du haul
niystfere qn'on lui ajourne, le grand, rrniiversel
Amour.
Comme je sais qu'il n,y a ici-bas de bonheur
qu'un seul, cr^er et cr6er toujours, j'ai iich6 k
tout Si%e qu'elle fut heureuse, c'esl-a-dire quelle
cve&t
A quatre ans, dans ses jolies mains, j'ai mis des
mat^riaux, formes r^guli^res (analogues aux pre-
miers essais d'association que fait la nature, aux
cristaux), et a\ec ces cristaux de bois, associSs k
sa mani^re, elle fit de petites maisons et autres
(Buvres enfantines.
Pius lard, on lui a montre comment Nature,
associant la sympathie des opposes, fait de v6ri ta-
bles cristaux, brillanls, color6s et si beaux 1 elU
en a fait elle-meme.
D6s lors, de sa jeune main elle semait, faisait
des planteS) et par les soins, rarrosement, elle les
amenait k ramour, k la tloraison.
f48 I.E PETIT MENAGE. 一 LE PETIT JARDIM.
Les vers k sole, innocemment, elle en cueillc la
petite graine (semence de papUlon), la soigne, la
garde sur elle, la mtkit de s& chaleur, la tientjour
et nuit dans I'abri de son sein, qui n,est pas en-
core. Un matin, elle a le bonheur de voir un monde
nouveau, feclos d'elle, de son jeune amour.
Ainsi, elle va toujours heureuse <tt cr6ant. Con-
tinue, aime, enfante, ma fiUe. Associe-toi, chSre
petite, k la grande maternity. II n'en coAte rien
encore k ton lendre coeur. Tu cr6es, et danslapaix
profonde. Demain, il t,en coutera davantage, ton
coeur saignera... Ah! le mien aussi, crois-le bien.
Mais pour aujourd'hui, jouissons. Je n'aurai rien
de plus doux que de voir, en si grand repos, dans
ratten^rissante innocence, ta petite f6condit6. Cela
me rassure pour toi. Quoi qu'il arrive, tu auras eu
(a part en ce monde. Cettepart, c'esl, dans roeuvre
divine, de concourir et de cr6er.
IX
MATERNITfi DE QDATORZE ANS
LA METAMORPHOSE
Je u'ai craint pour cette enfant qu'une chose,
c'esl la reverie, fen \ois qui rfivent k quatre ans.
Mais, heureusement, celle-ci cn a kt& pr^serv^e :
1。 par sa vie active ; 2。 parce qu'en naissant elle
eut une confidente pour penser tout haut, sa mftre.
La femme a toute sa vie un besoin d'epanche-
ment.
Done, toute petite encore, sa m&re la prenait sur
elle chaque soir, et, coeur contre coeur, la faisait
parler.
Oh ! quel bonheur de s*6pancher, s all6ger, et
s'accuser m6me I • • • « Dis, nion enfant, dis toujours !
Si c'e*^ Wen, je fembrasserai. Et, si C2la o'est pas
bien, demain, toutes deux ensemble, nous lAche-
rons de faire mieux. »
Elle dit lout. Eh I que risque-t-elle ? ― « Beau*
9
f 50 MATERNITY DE QUATORZE ANS.
coup, car maman souffrira si je fais mal... 一 Non,
ma chfere, dis-le tout de m£me. Et, quand j'en de-
vrais pleurer, laisse en moi couler ton coeur.
La confession filiale est tout le myst^re de l,en-
fance. Celle ci, par sa confession de chaque smr^ a
dicte elle-mime son Education.
Avec un si doux chevet, elle a profond^ment
dwndi. Mais, qaes*-ce done? die s'6veille- Treize
aia8>el dftmi sont dipasBte , et la vcilk langiiissaiite.
Que le fout-il, ch^e pe*Site? Jusqu'id^ rien ne: te
manque^ pour jouer el tfamaser. ― Quand ta< poa-
pte n'a plus suffi, je t'en'ai danne de Tiyantes ; ta
as joui a la poupi^e aveo toute la Bature. Tii. as
bien aim6 les fleurs, et tu en as 6t6 aim^e. Tea oi-
seeux libre9> ie suivent, jusqu'ae rabtier leur aid,
et Pautre. jouc le: bouvoeiiil (cecii n-est pa» in*
ventfe) a quitt6 sa femme pour toi.
Xe devinCi il lui faudrait qmelque ami^ 一 non pas
oiseauyiii fleur, ni papiUon,.ni.chien,. 一 un ami da
sm espfece. A quatre aos^ einq smsi, sa in&re la me*-
nait jouer aux Jardins eTdn/bnl^ Mais maistenaritv
a la campagne, elle n'a plus de petites fiUes. EUa
a^it bien encor*^ soBi fic^re, plus jeune^cpifeUis ai-
hk M^AKO 腿 08 & 151
mait tantyet qui ne bi^quittait paft^Mai^elle en&bt
fait
plac6 de bonne heure, loin des g&lecies eicessivea
dd la mere et de k. soeuiv dansiiuie makon plus vi-
rile, chesuB ami "eiii sditendanl^qu!!! aille aux 6eole8,
{Hibliq^es. La compag]ii(».de gargons qu'il amenait
rendait d'ailleurs la maisoiii inhabitable. La petite
ea a consesve- une gnamle antipathie pour cette
gmt.tapageuse ; leups crisy teurs coups, leurs bat,
feriea, la foisaient fuic. Toute aemblable a sa douoa
et discF^a m&re,^ eSle aime* Kocdre,. lai paix,. la si-
lence, les joliSijeu3E*a demi-vohu
: Je la vom cependemi la-bas qui' se promSne seu-
lette dans une all6e du jardtn. Je I'appelle. Oh&is-
sante, elle vient uni peit lentement, mais le coeur
gonfl6f les yeux humides* Peurquoi ? sa mere a
beaulisubaiseB, la oaresser , elle est muette« Elle ne
peut pa&n6pondrei, car die oe sait ce que c'est. Noms;
qui le Savons biea mieux, nous devosis y trowver
remade, fiaire encore ce qui, a chaque* dge, lixi &
f6us8i d6iav luL donner an: amour nouveau.
Sa 01 在 re, qui en a pilie,.veut d6s ce jour latirer
dd cet 6tat trouUie, inquiet, lui meltre, non pas
quelque chose, mais plut6t quelqu'un danal^s bras.^
Elle lai m£inera tout droit aux ecole& du* village^
et lui menfrera les pefits enfants'. La grande fille
d'abordv la jeuna r^veusev troumait ces petils un
152 MAT£RNlTfi DE QUATORZE ANS
peu insipides. Mais on lui fait remarquer qu'ils
n'onl pas lout ce qu'il leur faut. Celle-ci est bien peu
y£tue ; il lui faudrait une robe. Celle-1^ est yenue
k V&cole sans apporter son dejeuner, car sa m^re
n'avait pas de pain. Cette autre n,a pas de m£re,
el son pfere est mort aussi. La voila seule a quatre
ans. On la nourrit comme on peut... Lji s'^veille le
jeune coeur. . . Sans rien dire, elle la prend el se
met a I'arranger. Eile n,est pas maladroite. On di-
rait qu,eUe a tenu des enfants toute sa vie. Elle la
lave, elle la baise, elle va lui chercher du pain, du
beurre, des fruits, tout ce qu'elle a Werther
aima en voyant Charlotte donner une tar tine aux
petits. II m,en Mt arriv6 autant.
L'orpheiine rin(6resse auxautres. L'une estjolie,
raulre si sage I en void une de malade, une autre a
6t6 battue, et il faul la consoler. Toutes lui plaisent,
toutesramusent. Quel bonheur d'avoir en main ces
delicieuses poupees, qui parlent, celles-ci rient et
mangent, qui out dijk des volontfes, qui sont pres-
que des pei sonnes ! quel plaisir de les faire jouer 1
£t,sousce pr6texte,Yoili qu'elle se remet elle-m6me
a jouer, la grande innocente. 一 M&me k la maison,
elle ypense; plus de rfiveries, elle est vive, eile est
gaie et s^rieuse k la fois, comme on le devient lors-
qu'on a tout a coup un vif interSl dans la vie. Elle
ne va plus seule maintenant, elle cherche sa mere^
LA M£TAH0RPH0SE
153
lui parle, elle a besoin d,dle, desire obtenir ceci,
n^gocie cela. Chaque jour, tout ie temps qu'elle a
delibre, elle va le passer avec les enfants. Elle vit
toute dans ce petit monde, trfes-varie, lorsqu'on ie
Yoit de prte el qu'on s,y mile, Elle a \k des ami-
ties, des demi-adoptions, des preferences, des ten-
dresses aviv6es par la charit6, de 16gers soucis par-
fois, puis des gaiet6s, puis des transports, et que
sais-je? m&me des larmes. 一 Mais elle salt pour-
quoi elle pleure. Le pis, pour les jeunes iilles, c'est
de pleurer sans savoir pourquoi.
Elle venait d* avoir quatorze ans en
mai. C'6(aienlles premieres roses. La saison, aprSs
queiques plui 3S, d^sormais belle et fix6e, fetalait lou-
tes ses pompes. Elle aussi, elle avail eu un petit
moment d'orage, de la fifrvre et queiques sorffran-
ces. Elle sortait pour la premiere fois, un peu fai-
We encore, un peu pale, line imperceptible nuance
d'un bleu finement leint6 (d,un faible lilas peul-
6tre?) marquait sous ses yeux. Elle n'6lait pas bien
grande ; mais sa taille avait chang6, s,6tait gracieu-
sement 61anc6e- Couch^e enfant, en peu de jours,
IM MATER 贈 DE <QUAfORZE AUS.
die s'6tait levee demoiselle. Plus i^6re etpo«rtsrit
mains vive, elle ne meritait plus le nom que lui
donnait sa mhre : a Mon okeau ! mon papillon ! »
Son premier soin, en vevoyantson jardin , cba»^
camme elie; et tdlement embelti, ce fut d'y pren-
dre quelques fleurs pour son p6re et pour sa inere^
qui raYaient6oignie,gdt6e,encore plus qu ill ordi-
naire. .EUe les rejoignit souriante, wee son petit
hommage. Elle les trouva tout attendris, ne-se di-
sant rien Pun al'autre, muets d,une m^e pens^e.
Pour la prernifere fois peut-6lre depuis bien long-
temps ils la mirent entre eux. Quand elle 6tait toute
petite elapprenait a marcher, sans 6tre tenue, elle
avait besoin de les voir ainsi k port6e de droite et
de gauche. Mais ici, devenue grande, et presque
autant que sa m6re, elle sentit bien doucement
que c'itaient eux maintenant qui avaient besoin
de ravoir entre eux, ils renveloppaienl de leur
coeur, et d'un amour si ^u, que ea m^re avai*.
quelque peine a s'ecnpficiier de pleurer.
« Chfere maman I quVvez-vous dene"? » Etdlese
pendit k son cou. Sa mere l,accablait de caresses,
mais ne lui r^pondait pas, craignant que son coeur
n'^chappat. Enfin, on peu affermie, quoique nne
larme charmante lui noyAt encore lesyeux, temfere
dit en souriant : « Je racontais a ton pipe ce que
j'ai r6v6 cette nuit. Tu 6taisseule au jardin,
LA MfiTAHORPfiOSI. m
tais f)kpi6e au rosier. Je voulais soigner la bles-
fture, et je ne le pouvais pas : tu resftais blessi§e
penKT la w.., J,6lais morle, et je voyais toui. —
maBMin, ne mourez jamais ! » Et eUe se jeta,
rougi^aute, dans les bras de fa mhre.
Gee trois persenoes, k ce momeot, ^taient Men
imies de icoeur . fit que j,ai tort de dire trois I Nod,
c'^lail tmeqperaonne. lis vivaient d'amourfdans leur
filLe, elle en eux. Ge <i,6taU la peine de nen dire,
s^entendantsi bten. On ne se voyail ^hre^ma plus,
icaor c'6tait ;dejA le tsoir . Ik aUaient obscurs, indis-
tinct &, k five raf^yaat ie son bras, la mhre en-
lagant la petite, s'appuyant sur eWt.
On n'enteAdait plus 4e chants, amis quel^es
lagers hniite d'oiseaux, leurs derni^res canseries
intimes en se serrant dans te mA. Gela trg&Hckar-
manU tree-divers. Les uas brnyants et presses,
loul joyeux de se retroaver. D!autres, plus melan^
coliqnes, inqniets des ombres de Ja n«ait, sem-
blaieut se dire : « Qui -est str de se reveiller Ae-
maioi? D Le rossignol, canfiant, regagna sun nid
presque k terre, cmisa l*dl6e, preeqae k leurs
pseda^ et la mire tame lui dit ce bonsoir : m Bim
te^gasde, man peavre p^l ,
IM MATERKIli DE QUATORZE ARS.
Rien de plus simple que la r6v61ation du sexe k
I'enfant pr6par6e ainsi. Pour celle qu'on laisse igno-
rante des lois g^n^rales, qui apprend tout en une
fois, c,est une chose grande et dangereuse. Que
penser de i'imprudence des parents qui s'en re-
mettent au basard ? Car, qu,est-ce que le hasard?
C'esl souvent une compagne nullement innocente,
nuUement pure d'imagination. Le hasard, c,est
encore (et plus sou 鄉 t qu'on ne croil) un mot le-
gcr, sensuel, du jeune, du plus proche parent. Les
meres diront non, et s'indigneront ; lous leurs
enfants sont parfaits. El les sonl trop assoties de
leurs fils, pour croire l,6vidence mfime.
Quoi qu'il en soit, cette revelation, si elle n'cst
donnfee par la mftre, est saisissante et foudroyante ;
elle tue la volont6 ; k cette heure la pauvre petite,
avant de revenir k elle, est comme a discretion.
Quant a celle d, qui, de bonne heure, a Ires-
froidement appris la g6n6ration des plant es, la
generation des insectes, elle qui sail qu,en toute
cspece la vie se refait par Foeuf, et que la nature
enli^re est dans le travail 6ternel de rovulation,
elle n'est point du tout 6tonn6ed,6tre dans la rigle
commune. Lamuepenible qui chaque mois accom-
pagne ce phenomene semble aussi fort naturelle
quand on a vu des mues si laborieuses dans les
espSces inferieures.
LA m£TAMORPHOS£. 157
Tout cela apparait noble, grand, pur, dans la
g£n6ralit6 de la loi du monde, plus grande encore
quand on y voit la coiislante reparation de ce que
d^lruit la mort* <x La mort nous pousse, elie nous
presse, ma chfere fiUe, lui dit sa mfere. Le remade,
c est le mariage. Ton pgre et moi, nous mourrons,
et, pour compenser cela, il faudra bien problable-
ment que, m6me avant, tu nous quiltes et que tu
sois marine. Comme moi, tu accoucheras avec de
vives douleurs, et tu am^neras k la vie des enfaiits
qui ne vivront pas, ou, s'ils vivent, ils le quitte-
ront. . . Voili ce que je vois d'avance, et ce qui mc
fait pleurer... J,ai tort ; c'est notre sort a loules,
et Dieu veut quil en soit ainsi. 壽
X
LTOSTOIRE GOKHE BASE DE FOl
Rousseau, tpxi, chez les modernes, a p9s6ie ppe-
mier avec force le probl^e des mdtliodes en edu-
cation, ne me semble pas voir assez que la methode
n'est pas tout . II cherche seulement comment on doi t
diriger l,6l6ve, ou plutdt comment r^leve, aide
dans sa libre action, pourra se former lui-m6me
et devenir capable d,apprendre toute chose. 一 Je
n'examine pas son livre. Je remarque seulement
qu'il ne dit pas un seul mot du second probl6rae de
rfeducation : quel sera Vobjet principal de i'etude?
qu apprendra-t-il cet 61eve?En supposant que Rous-
seau ait rfeussi k former un esprit ^nergique, actif,
ind6pendanl des routines ordinaires, a quoi s'ap-
pliquera-t-il? n'est-il pas quelque connaissance ou
il trouve son dSveloppement, sa gymnastique natu*
I/H 觸 ffisE COaaiE: BASE M FQI. ^
relLe? Ce n'est pas a&s^ de criSer le sujeH ; il iaut
determiner Yob jet «ur lequel lil fifexerceca ^ftvec le
{)lus d'avantage. J appellerai net objet : la gubski^we
de r duration,
SeloQ mei, die d»it 6tre imtsnBirt fmr h gar-
Qon «t pour la fiUe.
Si ran veut mieux r^ussirdans rdducation qu'on
M l,a fait jusqu'ici, il &ut marquer a^rieusement
tes diffi^ronces pitofondes qui non-fieulen^ot -
mnt les dmix sexes, naais les q>pofient m^me, les
.Cflnsiiituent ^ym^triqaemeal opq^os^s.
Autres sont leycs vecatiaos et leurs tendance,
fialorelles. Autre aussi leur t^ucatiou, diff&ente
dam la m&hode^ iuirmonisante pour la fiUe, pour
k gsorQon fontifiante, 一 Mff&ente en «on objetj
pour Feilade principale au s'exercera leor esprit.
Pour I'homme (pxi est appeL6 au travail, au corn-
hat du mondeL, ila grande 6tud6, c'est YMtatoire^ le
ricit de ce combat 丄, Histolre, aid^e par ies lan-
gw&j dont chacime doiuie le ginie d'am people.
丄, fiistoke demin^e par le Droit, 確 t sous im
«t pour lui, cfisiBtammeat 6clabte, corrigte at reo-^
tifiie par la justice i^terneUe.
I- Pmir 'ta femme, doux midittear entre la nature
€t rheoone, entre le p6re et l-enfant, son 6bide
toule pratique, rajeinrissante, ambelliaasiite, c,'eal
celle de la Nature.
160 L'HISTOIRE COMHE BASE DE FOI.
Lui, il marche de drame en drame, dont pas un
ne ressemble b Pautre, d'expf-rience en experience
et de bataille en bataille UHistoire va, s' allonge
toujours... et lui dit toujours... « En avant ! »
EUe, au contraire, elle suit la noble et sereine
6pop6e que la Nature accomplit dans ses cycles har-
moniques, revenant sur elle-mfime, avec une grace
touchante de Constance et de fidelity. Ces retours,
dans son mouvement, mettent la paix, et si j'osais
dire, une immobility relative. Voila pourquoi les
etudes naturelles ne lassent, ne fletrissent jamais.
La femme peut s,y livrer en confiance ; car Nature
est une femme. L'Histoire, que nous mettons tres-
soitement au feminin, est un rude et sauvage m 应 le,
un voyageur hal6, poudreux. Dieu me garde d'as-
socier trop cette enfant aux pieds dclicats a ce rude
p61erinage ! elle se fanerait bient6t, hal^terait, et,
d6faillante, s'assoirait sur le chemin.
L'histoire ! ma fille, I histoire I il faut bien que
jet'en donne. Et je te la donnerai, francheet forte,
simple, vraie, amere, comme elle est ; ne Grains
pas que, par lendresse, je r^dulcore d un miel
faux. Mais il ne m,est pas impose, pauvre enfant,
de te faire boire tout, de te prodiguer a flots ce ter-
rible torlifiant ou dominent les poisons, de te don -
ner jusqu ,杈 la lie la coupe de Mithridate.
L'HISTOIRE GOHME BASE DE FOI. 161
Ce que je te dois de i'histoire, c'est la tienne d,a-
bord, ce que j'ai du te r6v61er de ton berceau, el
ce qui appuie la base m6me de ta vie morale. Je
t'ai dit d'abord comment (u naquis, les douleurs,
les soins infinis de ta mere, et Unites ses veilles,
combien de fois elle souffrit, pleura, mourul pres-
que pour toi. Cette histoire, mon en&nt, que ce soit
ta ch6re ligende, ton souvenir religieux et ton
premier culte ici-bas.
Puis, je t'ai sommairement dit ce qu'est et fut ta
seconde m^re, la grande m^re, la Palrie. 一 Dieu
t,a fait cette noblesse de naltre en ce pays de
France, dont toute la terre, mon enfant, enrage et
raffole, — personne n'est froid pour elle, — tous
en disent du bien et du inal, 一 k tort? k raison?
qui le sail. Nous, nous n'en disons qu'un mot :
« On ne soufTre gaiement qu'en France. 一 C'esl
le peuple qui salt mourir. ))
De la tongue vie de tes p^res, tu sauras la grande
chose, si lu sais qu'au moment sacr6 o4 la Patrie
fut sur Fautel, Paris vint dire k la France le vceu,
la yolont6 de tous : a Se perdre dans le grand
tout. »
C,esl de cet effort d'unit6 que la France fut uae
personne. Elle sentit son cceur qui batlait, I'inter-
rogea, Irouva dans ce premier baltement la sainte
fraternitS du monde, 】e voeu de d^livrer la tcrre.
162 L'AISir01fi£ GOMME BASE ])£ FOI.
Voila tes origkes, A fiUe ! Soutien^les, d fiiis-
ses-tu n'aimer jamais que les h^ros l
He la France, tn iras au monde. JNous fRri§pare-
roKS ensemble^ tout coBUEae dans Ion jardinage,
des ierraifts approikrifis^poury planter ies nations.
Agr6able et vivante 6lude du sol, des climats,
iormes du globe, qui <de taut de fa ous ont ^6ter-
mmk 】,acti£m des haounes, sou\ent ^M^ rfaistoipe
d'avance. Ici ia teirre a command^, rhoaime obei;
tot parieis, id wegklal, tel r^&gime, a fait telle civili-
fisiLioiL Parfok la force ial6rieure del'homme a pu
reagir, lutter contre. £n ces combata, ta bonne
amie d,eniance, la nature et les sciences natureUes,
vont se liant, se renconiirant a\ec les ^sciences mo-
rales ou la vie doit t'inilier-
L'^nseigJEienieikt de rbtstoire^est-il le mteie pour
les gargons et pour les Giles?
Oui, sails dofflte, ccmjaie base de loi. Aw uns,
jiux autneft, telle donne son grand fruit ! mocBl, le
鄉 ulkn du OBurfit raliment deia yie , &幼 Yoir, ia
ma|[iufique identity ^de I'dmeJiumame^mtr hquestim
vmfSfom GOME 'base de foi. m
du juBte^ la concordance historique des croyances
clu genre fawntdn rar le devoir et sur Bieu.
Hais qu'il soit enienflu de plus que Itiomme
itant appdi aux afffaires, au combat du monde,
I'bistoire doit spdcialemeiit I'y preparer. 'Elte est
pour iui ie tr^sor de rexpferience, Farsenal des
armesde tout gmre dent il se servira demain. Pour
la tiUe, l^histraie est surtout une base xeligieuse et
La femme qoi serable si mobiie, et qui pfaysi-
quement mois par hkhs se ! renoa^elle ^$ doute^
doit cependant ici-bas reraplir, bien plus que
l,homme, deuxconditious de fixity. Toute femme est
un autely la chose pure, la chose sainte, ourhommef.
^hranldg par la yie, peut a cbaque heure trouver la
iiai, retrouver sa propre eoDscience, conserve plus
pure qu'en lui. Jon^e femme est me Kcale^ et c'esl
td'elte que ies g^n&raUoiifi refob^nt vraiment leur
croyance. Longtemps avant que Ie p&re songe a
r^ducation, la m&re a donni la ^ienoe, qui ne
€'«£GBLQera phis.
II fkut qu'eUe ait une &L
Les 细 b 滅 es voat bienUH tvenir. Ies fkm dan-
gereufies viennent par l^jibranlement des croyances.
EUe n'aura pas wingt bd&, peat-eire deux ans de
mariage, un enfant, 一 qu,on commenoera a exa-
jnioer le terrain. Les agrtobles viendrmt causer,
164 L'UISTOIRE GOMMB BASE DE FOI.
rirc de toute chose, railler tout ce que son p&re
put lui enseigner de bon, la simple foi de sa mfere,
le s6rieux de son mari, lui faire croire qu'il faut
rire 4e tout et que rien n'est sdr ici-bas.
II faut qu'elle ait une foi, 一 et que ces leg&retes
perfides et inleress6es ne trouveni en elle que le
dugout, qu'elle leur oppose le s&rieux, la douce
fermete d'une dme qui a par devers soi une base
lixe de croyances enracinee dans la raison, dans la
simplicity du coeur, dans la voie concordanle, una-
nime, du coeur des nations.
II faut que, de tres-bonne heure, le p6re et la
m6re soient d'accord, et que, sous Ics formes sue-
cessives ou I'bistoire, selon son &ge, lui sera admi-
nistr6e, elle en sente toujours raccord moral et
l'unit6 sainte.
Sa m&re, sous forme lact6e, je veux dire par le
doux milieu d'un langage appropri6 k sa faiblesse,
lui en aura conl6 d'abord quelques grands fails
capitaux qu'elle 6crira a sa mani&re. ― Son pfere,
dans r&ge interm^diaire (dix ans? douze ans?), lui
aura fait quelques bonnes lectures choisies d'ecri-
vains originaux, lei et tel r6cit d'H6rodote, la
Rctraite des Dix miilc, la Vie d' Alexandre le Grand,
L'fllSTOIRE COMUE BASE DE FOI. 165
qudques beaux rfecits de la Bible, ajoutez-y I'Odys-
sdej et nos odyss6es modernes, nos bons voya-
geurs. Tout cela lu fort lentement; lou jours dans
le m6me esprit, c'est-i-dire en lui montrant sous
ces diff6rences ext6rieures de iiioeurs, d'usages,
de cultes, combien peu riiomme a change. La
plupartdes discordances ne sont qu'apparentes, ou
parfois necessities par des singularit^s de races ou
de climats. Le bon sens 6claire tout cela.
Pour la famille, par exemple, on sent bien
qu,eUe ne peut fitre la m£me sous la fatality physi-
que de celle fournaise de l,Inde, ou la femme est
une enfant qu on Spouse a huit ou dix ans. Mais,
dSs qu,on se place dans un monde libre et naturel,
l'i(16al de la famille est absolument idenlique. Tel
il est dans Zoroastre, dans Hom&re, tel pour So-
crate (voir Tadmirable passage des ^conomiques de
X6nophon) , tel enfin k Rome et chez nous. On
voit dans Aristophane que les femmes grecques,
nuUement d^pendantes, r6gnaient chez elles, el
souvent influaient puissaniment dans I'Elat. On le
voit dans Thucydide, oA, les hommes ayant vol6 le
massacre de Lesbos, mais se retrouvant chez eux
le soir en face de leurs femmes, se dijug&rent,
ritract^rent cet arr£t.
Les lois nous trompcnt beaucoup. On croit par
exemple que, parlout ou le gendre paye le p&re, il
466 L'HISTOIRE COMME BASE DE FOI.
y a achat de la femme, etqu'elle est esclave. II n,en
estrien. Cette forme de mariage existe 'encore en
Afrique, et c est justement chez des tribus ou la
lemmey libre et reine, gouverne, et non rhomme
(Livingstone). Ce prix Ji^i point un acbat de la
femme, mais une indemLite qui dedommage la fa-
mille du pSre pour les enfants futurs qui ne profi-
leront pas a cette famille, mais a cette oil la femme
va entrer>
U est curi^ux de voir comment les sceptiques s,y
prennent pour cr6er des discordances, d€S excep-
tions a la rfegle, -et dire qu'il n'est point de rSgle.
Les ennemis du sens moral et de fat raison hu-
maine n'ont d'autre moyen que de chercher, dans
les sources les plus suspccles, des faits mal com-
pris.
« IBais, dit le pere, ou prendrai je assez de pi5-
notralion pour in'orieTiler moi-meme et pour gui-
der man enfant parmi tant de choses obscures'? »
La forte et simple critique se prend dans le
coBur plus que dans I'esprit.'Elle se prend dans 】a
】oyaut6, dans la sympathie impartiale que nous de-
Tons a nos f reres du present et du passe. Avec cela
vans aurez beaucoup ele facility h flistinguer flans
L«fiISTOIBE cons BASE DE FOI. 167
rhifitoire le grand oouFant identique de la 'moral itfe
humaise.
Voulez-vous en oroire tqnelqu'un qui a fait plus
d ,! me fois toette grande ! navigation? Voiei ce qu,on
y 6pr9uve ■: exactement la'mSme chose qui arrive
au wyageur qui sort cte la mer des Antilles ; l,in-
fini des faux au premier coup d'oeil; au second,
sur le Tert immense, Tine grange rue bleue se des-
sine; c'est l'6nonwe fleuve deaux chaudes qui tra-
verse rAtlantique, arrive encore tiMe a Hrlande,
€l qui, mdme a la pomte de Brest, n'est pas tout a
fait refiroidi. On le voH -parf aitement , et rhieux en-
core-sur la route on -en Teesent la chaleur.
Tel ^ou8 apparsfitra le grand courant de la tra-
dition morale, si \ous portez sur l,histoire un re-
gard un peu attentif.
Mais bien aTamt qu-on arrii^e k cette hwte sim-
plification ou rhistoire devieirt identique «vec la
morale elle-^inftme, je voudraisque majeunenrierge
bAI 6t6 doucement nourrie de lectures sariws et vir-
^nales,emprant^s eurtout a l*antiquit6, mftmeau
frhnitif Orient. Commeitt «6 fait*il qu'on ne melte
mat mains des Bofants que les livres des peuples
tb8 L'HISTOIRE GOHME BASE DE FOI.
vieux, tandis quon leur laisse ignorer I'enfance,
la jeunesse du monde ? Si Fon recueillait quelques
hymnes vraiment 6lh6rees des V6das, Idles prifercs^
telles lois de la Perse, si pures et si h6roiques, en
yjoignant plusieurs des touchantes pastorales bi-
bliques (Jacob, Ruth, Tobie, etc.), on donnerait a
la jeune fille un merveilleux bouquet de fleurs,
dont le parfum, de bonne heure respir6 et lente-
menl, irapregnerait son &me innocente et lui reste-
rait toujours.
Point de clioses compliqu^es de longtemps . Loin,
loin les Dante et les Shakspeare, les sophistes et
les magiciens de la vieillesse du monde! Plus loin,
les romans historiques, funeste litt^ialure, qu'on
ne peut plus d^sapprendre et qui fait solidemeiil
ignorer i'hisloire a jamais !
Je veux des chants de nourrice, comme Ylliade
et YOdyssde, Celle-ci est le livre de lous, le meii-
ieur pour un jeune esprit. Livre jeune aussi, mais
si sage I
Du resle, pour savoir les livres qui lui vont, il
faut les classer par le degre de lumi^re qui les
eclaire et les colore. Chaque litt^rature semble
r6pondre a quelque moment du jour. H6rodote,
Hom^re ont partout comme un reflet du matin,
et il en reste dans tous les souvenirs de la Grfece.
L'aurore semble toujours luire sur ses monuments.
L'HISTOIRE COMIIE BASE DE FOI. 109
C,est foujours une transparence, une s6r6nite mer-
veilleuse, une gaiet6 h^roique qui gagne et fait rire
lesprit.
Dans les poSmes et drames indiens, modernes
relativement en comparaison des V£das, il y a
mille choses qui raviraient l,imagination de Fen-
fant, charmeraient son coeur de fiUe I... Mais je ne
suis pas press6. Tout cela a la chaleur languis-
sante de Fheure de midi. Ce monde de ravissants
mensonges a 6t6 r6v6 sous Pombre des forfits fas-
cinatrices. A son amant bienheureux je Jaisse la
Yolupt6 de lui lire Sakountala sous quelque berceau
de fleurs.
C'est le soir, c,est dans la nuit, que semblent
avoir it6 Merits la pluparl des Hvres bibliques.
Toutes les questions terribles qui troublent l,es-
prit humain y sont poshes Aprement, avec une
erudite sauvage. Le divorce de rhomme avecDieu,
et du fils avec son pfere, le redoulable problfeme de
l*origine du mal, toutes ces anxifel6s du peuple
dernier-n6 de I'Asie, Je me garderai d'en troubler
trop t6t un jeune coeur. Que serait-ce, grand Dieu !
de lui lire les rugissements que David poussait dans
r ombre, en battant son coeur d6chir6 des souvenirs
du meurtre d'Urie?
Le \in fort est pour les homines et le lait pour
les enfants. Je suis \ieux et ne vaux gu6re. Ce
1 70 L'HISTOIRE GOMlffiL BAtSB DB . FQI.
livre me va. L'homme y tomhe, se cel^e,. et c,est
pour tomber encore. Qiie de chutea ! comment
ferais-je pour expliquer tout cela 2i ma ch6re in*
nocente ? Paisse-t-elle ignorer longtemps le com-
bat de Vhomu duplex ! Ger n'esl pas que ce livre-ci
aitl'Snenrante moUesse des myfitiques du raoyea
dge. Mais il est trop orageux,, il est trouble, il est
inquiet.
Uiie des causes encore qui me fieront.h^siter de
faire Irop t6l cette lecture, c,est la haine de la na-
ture qu'expriment partout les Juifs. I1& y craignent
visiblement les si&ductions de I'Egypte ou de Baby-
lone, N'importe. Cela donne k leurs livres un ca-
raot^re m^gatif, critique, sombre aust^it6, qui.
pourtaat n'est. pas toujour^ pure. Dispositions
loutes coAtraices acelles queje veux chez I'enfant,
qui ne doit 6tre qu'innocence, gaiety et s6f 611U&,,
sympathie pour la nature,, specialement pour lea
animaux que les Juifa fort cruellement nomment
(Tun vilaiii nom: les velm. Puisse ma petite avoir
plutdt le doux sentiment du haul Orient qui Mnit
toute vie!
Ma fille, lisons ensemble; dans la Bible de la lu'
mi6re, le ZendrAvesta) la plainte antique etsacrie.
L^HWTOiRB mmm bast m 亂 m
de la vaehe a l,h(mim«* pour llii rappeter ses bieor
faits. Lisons les fortes paroles, toujottrs vraies^ et
sufosisfanies, o# Fhomwiifr reconnaltcequ il doit a
ses compagnoRs de ivrnwlk^ \% finrt taureau, le vail-
tent' ehieir, la boime terre^ mwDiei^re. EUe n'esii
pas' insensible, cetle* tterre^ et cpi'elle: dii aula*
bowreur restera 6ternelleanent. (2end. a, 284.)
盒 tve pur pmt Mns fbrty 一 itre fottt pour etre (4^
cmdy c'estf tout le sem de cette loi, I'une des plus
humaims^ des phis harmawques que Dimi ait don-
n6es a la terre.
Cheque matin* B^rmH FauroBey et quaad rdde en'
eare tigre, paFtenat les dftUK'aainftrades,.je veuar
dire Phomise et le chien. II s>agit du cliien pri,
initif, ee* dogue colossal sans, lequel la terse
alors e&t 616 inhabitable, fiitre secourable et ten —
rible qui, seul, Tint k bout des monstees^ On en
montra encore un k Alexandre, et il ^trangla un
lion devant lui.
L'homme n*avait d,armes alors que la grosse et
courte 6p6e qui est sur les monuments, et dont,
face a face, poitrine contre poitrine, on le voit poi-
gnarder le lion.
Tout le jour, il dompte la terre, sous la garde
du chien fiddle ; il lui donne la bonne semence ; ii
lui distribue les eaux salutaires, il la p6n6tre par
le soc, la rijouit par les fontaines ; et lui-mdme r6-
172 LUISTOIRE GOHIIE BASE DE FOI.
jouit son coeur de la bonne oauvre de la Loi : il cn
revient sanctifi6.
Compagne de celte grande vie de travail et de
danger, la femme, sa puissante —use, la mattresse
de maison, le re^oit au seuil, le refait des aliments
de sa main: il mange ce qu'elle lui donne, se laisse
nourrir comme un enfant. C'est elle qui sail toute
chose, les vertus de toutes plantes, celles qui font
fleurir la sant6, celles qui reinvent 】e coeur.
La femme est mage, elle est reine. Elle domptera
le vainqueur des lions.
Ce monde de Fancienne Perse est un monde de
fralcheur : c'est comme la ros6e d'avanl I'aube ; j'y
sens circular partout ces quarante mille canaux
souterrains dont parle H^rodote, veines cach^es
qui, par-dessous, ranimaient la terre, et d^robaient
les eaux vives h la soif du briUant soieil.
XI
LA PALLAS. 一 LE RAISONNEMENT
Chfere enfant, tu n'as guere 6t6 encore aux gale*
ries de sculpture. Ta mfere les trouve trop froides,
et toujours nous montons plntdt k l'6tage supirieur
du Louvre, au monde chaud, vivant, des tableaux'
Cependant, l'6t6 surtoui, cest un lieu de noble
repos, de sdlence, oil I'on pourrait mfediter, fetu-
dier, mieux que dans le mus^e (Ten haul. Aujour-
d'hui que certaine affaire retient ta mfere k la mai-
son, faisons ensemble ce voyage au grave pays des
morts.
Les peuples, les 6coles, ne sont pas classes ici
comme au mus^e des peintures. La haute et pure
antiquity s'y trouve trop souvent rapproch6e des
(Buvres de la decadence. Et rien ne se confond
pourtant. Si fiers, si nobles, si simples, sont les
\rais enfants de la Gr6ce, qu'au milieu m6me des
iO
174 U PALLAS. ― LB RAISONKEMENT.
Romains, empereurs et s6nateurs, ils ^clatent, do*
minent, et ce sont les Grecs qui semblent les mai-
(res du monde. Les basses passions qui marquent
les busies de I'Empire (les Agrippa, les Vitel-
iius, etc.) n*apparaissent pas encore cbez leurs
nobles devanciers. Une s6rtnil6 sublime est lattri-
but de ces fils de Pidfeal. Leur front a encore le
reflet dont Paurore illuminait le falte de I'Acropol
d'Ath&nes, tandis que leurs yeux profonds indi-
quent, non la molle rfeverie, mais la perQante in-
tuition el le m&Ie raisonnement.
Tu as lu les Vies de Plutarqw; tu cherctov ici
tes grands morts, objets* de ta prtdilection. Ges
biographies* dela deeadenGe,.int6ressaates et roma«»
nesques, nous donnent una lA&e tr^s-contraire aa
g6nie de rantiquit6. EUea jiDoclainenl. le h6rosv
rintroaisent et le divinisent. Or la beautt de la Git6、
greeque, c'est d'fetre un monde hr roique oil I'on ne
\oit point de li^ros. Nul ne res!, et tous le sont.
Par la gymna^ique du corps et par celle de I'esprit,
tout ciloyen doit oblenir Papogie de sa beaute, at-
teindre la hauteur h^roique^ resseisbler de Ires-prfes
au)t dieux. D'une incessanie actWiti, par les com-
bats, ou les disputes de 1» place et de l'6coIe, par
le IheMre, par les f&tes qui sontdesjeux et des^ com*-
bats, rhomme 6voque de sa nature tout ce qu'elie
龜 de beau, defort, se sculpte infatigablement a l,i*,
LA P4£LMS. ― IM RATSONNEU^T. ^5*
mage (TApolUm, d'fiarculey enrfnrunte i'6nergie du
second, la svelte 616gattGe deTantre, sa 'haute bar-
monie, ou les puissances m^ditatives de la ilfuiePTe
d'Athenes.
Les Greos massaieirt^ils 4ms beam? Oa aerait
bien fou de le esoire • Mais Us savme nt sefairebeaux •
« Soorate maqait m ivsni satyre. Mais, du dedans
au dehors, il se transforma tellement, par cette
sculpture de raison, de vertu, de d^vouement, il
refit si bien son visage, qu'au dernier jour un dieu
s'y vit, dont s'illumina le Ph6don. »
Entrems dans cette grande salle oix I'on voit au
fond le colBsse de la Melpom^e, et, sans aller jus-
qu'i elle, arr£tons-nous un moment devant celui'de
la Pallas. C'esl une sculpture des temps romains,
mais copite d'une Pallas grecque, de celle de Phi-
dias 'peut-fitre. On y trouve pricis^ment r expres-
sion des figures connues de P6rid6s, de Thimh-
todle. Pour la nommer de son vrai nom, c'«st la
penste, c'est la sagesse, ou plutdt la riflexim.
RfeflSchir, d'est retoumer sa pens^e vers elle-
m6me, la prendre pour son propreobjet, la regar-
der comme en un miroir. Ilfautficlivement qu'ells
se double, et que la pens6e regardante fixe la pen-
170 LA PALLAS. 一 LE RilSONNEHENT.
s6e regard6e, l'6tende, la dfeveloppe par Fanalyse
du langage, ou par le langage int6rieur du raison-
nement muet.
Lc haul g6nie de la Grfice, cene fut pas l'habilet6
des Ulysse et des Thimisiocle qui les fit vainqueurs
de l,Asie, ce fut cette invention des m^thodes de la
raison qui fit d'eux les suprftmes initiateurs de I hu-
manitg h venir.
L'intuition poitique et proph^tique, ce procMfe
de rOrient, si sublime dans les livres juifs, n'en
suivait pas moins une voie scabreuse, pleine de
brouillards et de mirages. Elle 6tait fatale d'ail-
leurs, dependant du hasard tout involontaire de
rinspiration.
A ce prpc6d6 obscur la Grfece substitue un art
viril de chercher et de Irouver, d'airiver avec cer-
titude en pleine lumiere par des voies connues de
tous, ou I'on peut passer, repasser, et faire toute
verification. L'homme devient son fabricateur et
I'artisan mftme de sa destin^e. Quel homme? Un
hommo quelconque, non Ffelu, non le proph^te,
non le rare favori de Dieu. Avec les arts de la rai-
son, Ath^nes donne h toute la terre les moyens de
l'6galit6.
LA PALLAS. 一 LE RAlSORIfEHENT. 177
Jusque4a, rien de L'aveugle 6\m du senli-
ment, des essais de rMexion, mais qui avortaient
bientdt. Tout d6cousu, tout fortuit, rien de r6gu-
lier.
Jusque-li tout le progr^s par secousses et par
saccades. Point d'histoire possible du mouvement
du genre humain. L'Asie est peu hislorique. Ses
rares annates donnent des fails isol6s, dont on ne
peut tirer de conclusion. Que conclure de choses
fatales et que la sagesse ne salt diriger?
Mais du jour oA la raison devient un art, une
m^thode ; du jour ou la vierge Pallas eiifante, dans
sa forme pure, la puissance de deduction et de
calcul, une generation r6gulifere non interrompue
existe pour les oeuvres humaines. Le fleuve coule,
ne s'arrfete plus, et de Solon k Papinien, et de So-
crate k Descartes, et d'ArchimMe a Newton.
Elle est en toi, comme en nous lous, enfant cette
grande puissance. II ne faut que la culliver. Je ne
demande pas que tu Fappliques aux sujets les plus
abstrails, que tu traduises Newlon, comme une
femme c616bre de raulre si^le. Je ne demande pas
qu'au milieu d,un cercle d'hommes altentifs et d'e-
iSvesrespeclueux tu enseignes les hautes malh^ma-
10.
178 lA PACLAS. — LEiIWasONHBIIErfT.
tiqnes, com me j'ai vu nne dame le faire a Granville
en 1859. Mais je serais hien heureux si, dans les
traverses qui,peuvent afQiger ta vie, Lu trouvaas mi
refuge vers ces hautes et pures regions. L'amour
du beau est chose teUemmt propre au osear ie la
{emrriB, que se sentir deT^nir belle, c'est paw se
consoler de tout. La purely, la noblesse, 1,61^' 祖 Uon
dune vie tpurn6e tout entiftce <vers le lacai, woilbi
un d6dommagement de tous ks bonheurs de la
terre. Qui sail? «,eii souvient-on encore?
Nous ^avons cu oe spectacle dans una adourable
enfant, la jeune £miUa, fille da Manin, £Ue avail
6te de bonne heure frapp^e des coups les plus
cruels, €t de la perte.de m mere, et de la ruine de
son pere, du drame terrible de Venise, dont elle eut
les contre-coups. L'exil el la pauvretfe, la vie sombre
des villes du Nord, devaient achever. Mais le plus
terrible, cesl que voelte &ou£frante image du mar-
iyre de I'ltalie, qui en eut Urns les tressaiUeDaents,
subissait les :aDcas ^aeurtriers d une cmeUe ma-
ladie inerveuse. Eh Men, k travers rtout caLa, la
jeune vierge de douleur gardait sa pensee haute et
libre, aimaat le pur entre Je pur, lalg&bce et la
g^omilrk. Clest die qui souteoait son pere de sa
U PALLAS. ― LE RAISONNEMENT. 17 &
noble s6r6nit6. II consultaii cette enfant, et, m^me
apr^s qu'il I'eut perdue, se r6glait sur son juge-
raent. « II me semble, nous disait-il sur une affaire
patriotique, que ma fille doit m'approuver. »
Entre Dieu et la Baison est-il une difference? 11
t
serait impiedelecroire. Et de toutes les formes de
rAmour dbemel (beanl6/S6cenflilfe,-puis8ance), nul
doute que la Raison ne soil la premiere, la plus
haute. C'est par elle qu'il est rharmonie, I'ordre
qui fait prosp6rer tout, Pordre bienfaisant, bien-
veillant. Dans la Raison, qui parait froide, il n'est
pas moins 1, Amour encore.
Nous ne viTTons pas toujours pour t aimer et te
prot6ger. Peut-fitre, comme bien d'autres femmes,
seras-tu seule sur la terre. Eh bien, que le coeur
paternel le donne une proteclrice, une patronne
sMeuse et fiddle qui ne te manquera pas. Je te
voue et te dedie, 6 chfere I k la Vierge d,Athftnes, je
Teux dire k la Baison.
XII
LA GHARIT£ D'ANDRfi DEL SARTE
Les esprits attentifs, je pense, ont pu saisir la
double fil des m6lhodes que j,ai suiyies dans ces
trois derniers chapilres, m6lhodes ^galement aus-
tci'es, quoique I'une semblit menager et caresser
la nature, et I'autre la contrarier. Du jour oil ma
jeune enfant, au pas delicat des deux ages, setrouve
k son touratteinte de celle maladie charmante qui
n'est autre que l,amour, j'ai employ^ concurrem-
ment deux m6decins, non pour gu6rir, mais pour
modifier, transformer. Je ne veux pas frauder
l amour, pour qui j'ai le lendre respect qu on doit
aux bonnes choses de Dieu, mais r^tendre ei le
satisfaire mieux qu,il ne ferait lui-m6rae, Penno-
blir et le grandir vers les plus dignes objets.
On a vu qu'au moment de la crise (vers quatorze
LA GUARITE D'ANDRfi DEL SARTE. 181
ans), ou plut6t un peu avant, lorsquejela sentais
venir, j'ai employ^ des moyens qu'on pent dire
homoeopathiques, balangant et dStournant le sem-
blable par le semblable. A rSmotion du sexe j'ai
donn6 pour contre-poids I'^motion maternelle et
le soin des petits enfants.
Mais dans les annies qui suivent, par un art
allopathique, j'ai occup6 son esprit deludes nou-
velles, de lectures pures et sereines. Dans la va-
ri6t6 amusante des voyages et des histoires, je lui
ai fait trouver elle-mfime la s6rieuse base morale
ou sa vie va s'appuyer : runiid de la foi humaine
sur le devoir et sur Dieu.
EUe a vu Dieu dans la nature, elle le voit dans
I'histoire. Elle sent dans Famour 6lernel le lien de
ces deux mondes qu'elle ^tudiait separfes. Quelle
vive et tendre emotion I... Mais n'ai-je pas cr66 ici
moi-mfime mon propre danger? Ce jeune coeur
amoureux ne va-t-il pas delirer, et sous ombre de
puret6, dans une sphere sup6rieure, suivre un
tourbillon d,orages non moins dangereux?
Tout depend ici de sa m6re. Aux premiers fre-
missements de la nature, renfant, froubl^e, amol-
lie, 6tait loute dans les bras maternels ; elle a
trouv6 la non-seulement les vives caresses, mais
les rftves aussi. La femme est si altendrie quand
son enfant devienl femme, qu'elle-mftme en rede-
li8S U CHAR1T& D'A 讓 S OiEL SARTE.
Yient infant. Elle craint pour JTobjet adori, alors
iHtaaniGelant, fragile, prie et |»louce, retourne aise-
ment aux faiblesses du myaticisme , drat toutes
( deux peureDt Atre toerv6e&.
St moi, <alors, que deviendrai&je? que me ser-
virait d'avoir donnS k cetle fleur I'eau saine et for-
tifiante, si une faible mfere devait la tenir atti^dif
de lait et de larines, et, ce qui est pis, languid
6ante des breuvages dee empiriques?
De tou6 les romaivs eorrupteurs, les phres scmt
les livres mystiques, oil rdme dialogue 'avec P4ine,
aux heures dang^ereuses d,uD faux crepuscule. EHe
croit se sanctifier, etellews,attendrissant, s^amol-
lissant, se prfeparant a toute faiblesse humaine. Ce
d6bat, rudeet sauvage, yiolent, dans les livres juifs,
devient malsain, fifevreux, dans ceux du moyen age.
Combien plus, dans les copies, si tristement Equivo-
ques I Ma jeune filie, qui, d'age en&ge, par une tout
autre voie, a montS vers lid^e de Dieu (du Dieu
fort, \i\ant, cr6ateur), a moins a craindre qu'une
autre. Cependant, c'est k ee moment que j,ai cru
devoir Parmer , abriter sa jeune idle de ce qui fait
i'uir les songes, le lumineux casque d,acier de h.
vraie vierge Pallas. Le dialogue intSrieur qujB je
veux commencer en elle, ce ii*est point du tout ce-
lui d'une dangereuse reverie, c'est iaustere conver-
sion de k pens6e, bien 6veilI6e, avec ia pens^e
elle-mdme. La^ plus haul que' le naisonnemcnt,
elle a. aper^u la Raisoni. AiiHtessm des spheres >de
vie qa?elk a traversees, elle a vu la sph^de cris-
ta!, oil ri<16e, en pleine lumii^re, est pto6tr6e de
part eo part» Et cela, s» beaui, si pnr*, qii'elle M!a
aim 勻 ador6 la Piuret^ pour eltennAme*
Voilii Famour (pA ches elie a transfigure I'amour
etfooonmeAi jfaigard^ sonr eoaur.
Cela servira-l-il loujours ? Je ne dois pas m,en
flatter. Chfere enfant ! ce n'est pas sa faute. C'est
celle de la nature, qui chaque jour I'enrichU de
forces, rembellit' d'iin luxe de s6Ve, et fait (Telle
un enchanlement. Vierge, pure et haute de coeur,
de digne el sage volonte, par celle puretfe mfime ir
semble qu'elle donne une prise plus forte a ces
puissances imp6rieuses. L'cBil et la pens6e sont au
del', son coeur est aux grandes choses, et son es-
prit vertueux, qui sait se dompier lui-m^me, ne
fuit point I'abstraclion. Miais voil&que bien souvent,
au sein de ces nobles 6tUd'es, quelqu'un (et qui
done?) I'agite ; sa joue lout h coup se colore, ses
beaux yeui errent et se troublent, un flot de vie a
monl6, et comble sonjeune sein.
£ile est femme... Q\ie faire a cela?" Elfe rayonM
184 LA GHARIT£ D 猶 Rfi DEL SARTE.
tout autour d une Electricity channante. Sous les
for6ts de I'Equateur, ramour, chei des myriades
d*6tres, delate par la flamme in6me, par la magie
des feux ail6s dont sont transfigur^es les nuits.
Naives revelations, mais non plus naives que le
charme innocent, timide de la vierge qui croil ca-
cher tout. Une adorable lueur Smane d'elle k son
insu , une yoluptueuse aurtole, et justement quand
elle a honte et qu'elle rougit d'etre si bell e, elle r6
pand autour d'elle le vertige du parfum d'amour
ch&re enfant, je ne veux pas, je ne peux te
laisser ainsi 1 Tu passerais comme une lampe. A
cette dangereuse fiftvre ou tu te consumerais, il
laut en mfeler une autre qui fera diversion. Une d6-
vorante puissance est en loi, mais je m,en vais lui
donner ua aliment. J'aime mieux tout, fille ch6rie,
que le voir brAIer solitaire. Regois de moi un cor-
dial, une flamme qui guerit la flamme. Regois (c'est
Ion pfere qui verse) I'amertume et la douleur...
Abrilee de notre amour, enferm^e de U pensSe,
de ton travail, lu ne sais gu6re ce qu'est le travail
du monde, rimmensit^ de ses mis^res. Sauf un re-
gard sur I'enfant qui pleure et sildt se console, tu
n'as pu soup$onner encore rinfini des inaux d'ici-
LA GHARlTfi D' ANDRE DEL SARTE. 185
bas. Tu 6lais faible et d61icale. Nous n'osions, ta
mfire et moi, le mettre aux prises avec fant d'6mo-
tions navrantes, mais aujourdTiui nous scrions
coupables de ne pas fe dire lout.
Alors, je la prends avec moi, et je la m^ne har-
diment k travers cette mer de pleurs qui coule a
c6t6 de nous, sans que nous y prenions garde. Jc
lui dfechire le rideau, sans 6gard au d6gotU physi-
que, aux fausscs d^licatesses. Regarde, regarde, ma
fille, voila la realile !.. .En presence de telles choses,
il fau4rait 6 Ire dou6 d'une merveilleuse puissance
d'abslraclion figoislepourmener lout seul ses rfives
et son idylle person nelle, une navigation paresseuse
sur le fleuve de Tendre et ses bords semte de fleurs.
Elle rougit davoir ignore, elle se trouble et elle
pleure. Puis, la force lui revenant, elle rougit de
pleurer et de n'agir pas ; 】a flamme de Dieu lui
monte. Et d6s lors, elle ne nous laisse plus repo-
ser. Toules Ics forces de I'amour, la chaleur de son
jeune sang, tournie vers la charity, lui donne uno
activity, un 61an, une impatience, une tristesse de
faire si peu. Comment la calmer, mainlenant?A sa
mere de la diriger, de 】a suivre, de la contenir.
i 食
^80 U GHARITfi O'ANDRt DEL SARTE.
Car, de cet aveugle 61an, elle pourrail sejelei dans
des clangers inconnus.
Livresse de la chariU et sa chaleur h6roique,
cette ravissanle passion des viergespleines d'amour,
die n'a jamais fet6 dite. Elle a kik peinte une fois.
Un exil6 italien, rcconnaissant, £mu au cceur de
la charity de la France, nous fit ce don inestimable,
la plus chaude peinlure, je crois, qui soit dans le
Musee du Louvre. H61as I comment laisscr la,
ptirmi tanl de vulgaires chefs-d'oeuvre, cette chose
de haute saintet6 ! El comment I'avoir all6r6e I Bar-
bares! impiesl grSce k vous, cette merveille ado-
rable, elle a presque p6ri sur la toile. Mais, dans
mon ardent souvenir, elle esl loujours flamboyanle,
el jusqu'a mon dernier jour, plus qu'aucune image
pieusc elle mc gardcra la chaleur.
Void, sans y changer rien, la note grosstere,
i"forme, que j,6crivais le 21 mai dernier, quand
ie I'ai vue la derni6re fois :
« (Euvre inOniment hardie. Ni convcnance. ni
m&iagement. On y sent ce temps terrible de la
catastrophe de Fltalie. C,est quand on est mort
plusieurs fois qu,on peut dire oa peindre ainsi.
« Av€c cette belle mamelle pleine, c'est une
vierge, ei noa uue femme. Les femmes sont plus
timides. CeUe*ci n'a pas6te donapt^ ; elle n,a rien
de sinueux, ne flotle a droite ni a gauche. Elle n'a
Hi pear ai doute. Voila de pauvres ailaDa^... C'est
tout... Elle les nourrit.
« U faut savoir qu ,& cette Spoque un homme,
traversafit les Alpes, trouva un troupeau immense
de milliers d'eo&ntSi dont les parents etaient
morts, et qui broutaient k quatre paUes, conduits
par une vieiUe femme*
« Devant cette masse horrible de niis£re, de sa-
lehby ufie autre eiai pleur6, mais edt fui. Celle-ci,
jeune, biroique, qui n'a peur ni d^goiit de rien,
en ramasse k pteines mains, et les met k sa ma-
melle.
« Un est a 968 pieds, fort maigrev et les c6tes
toutes marqufes ; il est i^ecru, ipuisi, a'en peut
I^us, de fatigue et de soomieil, il 餘 t tomb6 sur
une pierre. Comme elle n,a que deux bras, elle n'a
pris que deux en&iits. Elle en a mis un a son sein,
wn rkhe 6ein, gonfl^ de lait : il est en pleine jouis-
sance ; sabouche, avide et gloutoime (il y a si long-
temps qu'il p&iit 1) presse Ic beau jcune mameloHy
188 1> GHAR1T£ D'ANDRfi DEL SARTE.
rouge de vie, rouge d'amour, de sang pur et g6ii6-
reux.
a Qu*elle verse ce lait d ua grand coeur, d'une
superbe volonle ! Un trait naif temoigne bien la
precipitation charmaiite avec laquelle elle a pris k
elle renrant a(Tam6. Ce n'est pas \k une nourrice.
Elle se rest appliqu6, tout comme il s'est presents.
Elle le tient soulevi de la main gauche, qu'elle lui
a pass6e dessous, avec une force delicate, sans son-
ger a la convenance. Mais qui done oserait rire ?…
On ne rit pas davantage de la negligence hardie
avec laquelle la jeune sainle, tout entiere a la pas —
sion, a mis son bonnet de travers.
« L'enfnnl qu'elle tient de la droite pr^s de la
mamelle v6lue, et qui attend impatiemment que
1 'autre ait fait place, est plus grand, plus fort, plus
decent, j'allais dire plus corrompu ; il a une cein-
ture aux reins et ne montre pas son sexe ; il a l air
crainlif cL flalleur d^j^ d un petit mendiant ; sa
bouche aiguS, fremissante, semble faire entendre
une stridente el a pre prifere, qui lui fail seirer les
dents. II tient a la main, je crois, quelques grains
de mauvais raisin, d'aigre verjus ; il a h&te d'ou-
blier dans les douceurs du bon lait sucr6 de ! a
femmc raga^ante nourriture. II n'en est pas loin ;
fo premier qui telle en a tan I pris, que sod corps
csl 011(16 comme une sangsuc.
LA CnARlTfi D'ANDRE DEL SARTE. m
« Pr6s d'elle, k terre, un rtehaud, un feu rouge
de charbon, de braise, 一 mais si froid en compa-
raison du feu qui lui brnle le cceur !...
« EUe brdle, et elle a un grand calme de force,
une ferme assielte h^roique^ un tr6ne dans la gr&ce
de Dieu. i
LLr_
XIII
RfiVfiLATION DE L'HfiROISME
Froebel a dans r&ducation des enfants une bien
lieureuse exigence. II lui faut pour les elever, in-
dfependamment de rinstitulrice, une adorable de-
moiselle, accomplie, et justemcnt la femme desi-
rable k rhomme... Qu'on remerciera les enfants I
II veut que la jeune fiUe aille beaucoup aux eco-
Ies, seconde I'institutrice, et en prenne les quali-
t6s. 一 Celle-ci doit filre soigneuse, aimable, inlel-
ligente, d'une patience infinie que donne seule la
tendresse. Les demoiselles qui I'aideront seront
lelles, ou peu k peu le deviendront par la gv&ce de
ce qui rend la femme capable de tout, Famour des
enfants, I'instinct maternel. Faut-il qu'elles soient
parfaites? Dans ce but elles le deviendront... Heu-
RfiTtLATlON m L'HfiROlSMB. 191
reux enfants qui seront dans ces douces mains ! et
combien plus heureox encore ramant qui reoc-
voir )e plus ditin des dons du ciel !
Madame Necker est du mdme avis. Elle sent que
cette maternity prepare admirablement la jeune
lille au mariage.
Ces pauvrea petits qui n'ont rien, que de ehoses
lis peuvcnt donner h la demoiselle I ils lui donne-
ront d'abord la connaissance de la vie, des r6ali-
t6s, des misftres, lui feronl voir le monde au i?rai.
lis lui affermiront le caracl6re, lui fcront perdre
les manvaises dSIicatesses. Elle ne sera pa^ la b6-
gueule, la degoAt^e, la rench^rie, qu,on rencontre
h chaque instant. Elle deviendra adroite, coiira-
geuse, senlira rhumanit6 sainte et la dignity de la
charilfe, n'aura pas les sottes pudeurs de celles qui
n'en valent pas mieux ; on la verra calroe et noble
faire les choses les plus vulgaires, nourrir, laver,
habiller, dcshabiller, au besoin, ces innocents.
Une demoiselle sirieuse qui a ainsi tout k la (ois
el rideal de I'Stude et le rfeel de la vie, s'aHerniit
par Tun et par Fautre et prend un bon jugement.
Plus ta^d elle n'estimera pas un monsieur sur ses
gants jaunes, ou sur ses chevaux, ses yoitures.
192 RfiYELATION DE L'HJ^ROlSME.
Elle restimera par ses actes, par le coeur el la
bont6. Elle n'aimera qu'a bon escient, sarrfitanl
xnoim au dehors, mais voulant savoir le fond : ce
qu on fait et ce qu'on peut.
Suppose que par hasard il entre la un jeunc
homme, qu,il la surprenne avec sa mftre dans ces
saintes fonctions. Les enfant s, un peu effarts de
l,entr6e du beau monsieur, se serrent, se groupent
autour d'elle, derrifere sa chaise, a ses genoux el
jusque dans ses vfitements, d'ou, rassur6s, ils re-
garded et montrent leurs tfttes charmantes. Elle,
surprise et souriante, quoiqu'elle rougisse un peu,
croyez-vous qu'elle va alier se r6fugier sous sa
mSre? Non, elle est m6re elle-mfeme, occupfee de
les rassurer, plus occup6e d'eux que de Ffetranger.
C'est lui qui se trouble, il voudrait se metire h ge-
noux, voudrait leur baiser les mains. 11 n'ose abor-
derla fiUe. II va a la m6re : « Ahl madame, quelle
douce vue! Charmanle scene! Comment \ous dire
combicn mon coeur vous benil !… 》
Puis il dit k la jeune fille : c Heureux, heureux,
mademoiselle, qai pourrait vous seconder !••• Mon
Dieu, que pourrais-je faire? »
Mais elle, toul h fait remise et nullcment dfecon-
r6v6lation de l'h6ro!sme. 195
cerl6e : « Monsieur, cela est facile... La plupart
sont orphelins ; trouvez quelques bonnes gens, sans
enfanto, qui veuillent bien recueillir celui-ci. II a
cinq ans. Je ne puis le consoler... 11 lui faut une
m&re, mais qui le soit tout i fait. J'ai beau faire,
je suis trop jeune, trop loin de r^ge qu'avait sa
mfere quand il Va perdue... »
II y a beaucoup d'hommes du monde, pour sen-
tir cela un instant, pour admirer en artiste h
gr^ice d'expression ou de pose que peut avoir la
demoiselle. Mais il n,y en a pas beaucoup pour s,y
associer de coeur, et en garder la durable et solide
impression. La vie est variee, mobile; elle les em-
porte bien loin 1 Tout au plus diront-ils le soir :
(X J ai vu une chose charmante ce matin... C'etait
mademoiselle***, un vrai tableau d'Andrfe del Sarle.
Rien de plus joli... »
Elle sail ti fes-bien elle-ni6me ce que valent ces
admirateurs, le peu de compte qu'on doit faire de
leurs 16g6res femotions. D'autantplus elleserejelte
au saint des saints de la famille, d'autant mieux
elle s,y trouve bien et desire peu d'en sortir. Cha-
quc fois qu'elle entrevoit le monde, elle sent plus
profond^ment la douceur de ce nid.
104 RtYtLATION DE L'H^ROlSMI.
Petit, bien petit ! et pourtant coinpUte y est la
? ie humaine, dans ce charmant 6quilibre d'une
mfere qui ennoblit par le ciii、 les plus humbies
soins, et (Tun pere sferieux dont la tendresse con-
tenue se trahit souvent malgrS lui. A ces Eclairs
passionn6s» elle vibre, la jeune fille, el plus pro-
fondement encore, elle est touchee desa Constance
a lui Iransmetlre, chaque jour, ce qu,il y a de bon
et de grand.
Elle est rem me ; elle est heureuse d'avoir si prfes
trouvA un homme. Elle ne connaissait pas son
pere, du moins autant qu'aujourd'hui. Elle le
voyail tousles jours, ^coutait ses instructions, ses
fortes et br&ves paroles. Mais elle n'en connaissait
pas le profond et le meilleur. Chacun de nous est
devenu ce qu'ont voulu les circonstances, I'exi-
gence des prte6dents, de rfiducation, la fatalite du
metier. II a fallu sacrifier beau coup a la position,
aux n6cessit6s de famille. Et atnsi I homine intfe-
rieur, souvent tout autre et bien plus grand, reste
au fond presque 6touff6. Dans la monotonie de la
vie vulgaire ou tout cela dort, une vague tristesse
accuse la sourde reclamation de cet autrej de ce
meilleur moi. Quel doux rfeveil est-ce done, plein
de charme, quand celte jeune &me, qui n,a rien su
de nos mis&res, fait appel k ces puissances conte-
pues, k cette poisie captive, et lui demande se-
cours, quand, tout enti&re a la famille, et toulc
crainlivc du monde, elle se tourne uniquemenf
vers son pfire et semble lui dire :
« Je t'ecoute..* Je n'ai foi qu,en toil". »
C'est sans nul doute le moment sublime de la
palernite, le plus haul et le plus doux. Enfant par
la docility, elle est femme par la chaleup et par la
tendresse avide dont elle regoit toute chose. Commc
elle comprend vivement tout ce qui est noble et
boni Lui-m6me la reconnait k peine : « Quoi!
dit-il, c est ma petite qui n'allait pas a mon ge-
nou, el qui mc disait : Porle-moi ! »
Voila un coeur bienattendri... Qu'il parte, qu'il
parle cn ce moment... II sera eloquent ! Je suis
bien Iranquille la-dessus et n'ai pas le moindre
doute.
Profilons de ces belles heures, et de ces tfite-
a-tfite uniques. Je les vois qui se prominent entre
deux charmilles sombres qui ferment le petit jar-
din, lis marchent d,un pas vif el ferine, plus \ite
qu'on no I'atlendrait de cetle chaude saison de
juillet ; mais ils suivent le mouvement de leurs
coeurs et de leur pensee. Elle qui salt le godt de
$on p6re, elle a mis dans se$ clieveux noirs quel-
106 REVELATION DB L'llilROlSllE.
ques 6pis, quelques bleuets. Ecoutons. Le sujet
est grave, il s'agit du droit elde la justice.
D6s longtemps la jeune fille est pr^par^e a le
comprendre; de bonne heure elle a suivi dans
rhistoire 1* unanimity des nations sur I'idte du
juste. Son p6re, dans la grande Rome, lui montra
le monde du droit. Mais ici il ne s agit plus d'^tude,
d,hisloire, de science. II s'agit de la vie m6me. II
veut, dans la crise imminenle, dans raoiour qui
va yenir (yiolent peut-fitre, aveugle) , qu'elle garde
une lumi^re de justice, de sagessc et de raison.
Au fond la femnie est noire juge; son charme, sa
seduction, si elle est injuste et faiitasque, ne sont
pour nous que dfesespoir. Elle jugera demain,
celle belle fille. Dans la forme la plus modeste,
d,un petit mot k sa mfere, prononc^ k demi-voix ,
elle arracliera des larmes k tel qui ne pleura ja-
mais, 一 et tel peut-6tre en mourra.
Celle-ci est si bien pr6paree et par rexemple de
sa mere, et par les lemons de son p&i e, par ratmo-
spJi^re de raison ou elle a v6cu, qu'elle se livrera
moins qu'une autre aux caprices de sonsexe. Mais,
pour la g6n6ralit^, on peut dire le mot de Prou-
dhoa : <x La femme est la desolation du j uste.
RiV^LATION DE L' 血 OlSME. 197
Dites-luiy en effet, si elle aime : « Sans doule, ce
prefferfi, vous Favez cru le plus digne? Vous aurez
decouvert en lui quelque chose de bon, de grand? »
一 Elle dira naivement : « Je I'ai pHs, parce qu,il
vfCa plu. »
En religion, elle est la mSme. Elle fait Dieu a
son image, un Dieu de preference et de caprice,
qui sauve celui qui lui a plu, L'amour lui semble
plus libre quand il tombe sur I'indigne, celui qui
n,a pas de merile pour forcer de I'aimer. Eu theo-
logie feminine, Dieu dirait : « Je t'aime, car tu es
p6cheur, car tu n'as pas de merile ; je n'ai nuUe
raison de t' aimer, mais il m'est doux de faire
gr&ce. »
Que je remercie le pfere de lui enseigner la jus-
tice, a celle-ci ! c*est lui enseigner l'amour \rai.
Je le remercie au nom de tous les coeurs aimants
qui bientdt seront troubles d'elle, dependront de sa
jcune sagesse, attendront l,arr^t de sa bouche.
Qu'ils sachent bien qu'6clair6e ainsi, elle n'appar-
tient qu'au plus digne, au meritant et au juste,
a rhomme surtout des oeuvres fortes, ou son p&re
lui apprend a voir la haute beaute, je veux dire la
justice hSroique.
198 RtV^LATlON BB L'HfiROlSSS.
Qu'est-ce que c'est, cetle justice? 一 C'est le droit
par-dessus le droit, et qui lui semble conlraire, I'in-
justice dc D^cius, qui d6couvrit qu,U itait juste que
U meilleur mourUt pour tous^ c'est le mystfere supe-
rieur du dSvouement, du sacrifice.
Jamais jusqu*a ce jour son p6re ne lui parlait dc
son lemps, du grand dix-neuvieme sificle, le plus
grand jpour 1' invention, mais I'un dcs plus riches
aussi en d6T0uements h6roiques. Aujoiird'hui, il
lui r6v61e ce cdle sanglant, \6n6rable, du monde ou
elle a v6cu tout cn rignoranl. II lui dit la Ugende
d'Or, les martyrs el morls et vivanls. Grand jour
pourunjeunecoeurl commeclleen est Iransfiguriel
comme elle rayonne, cetle viergel Et qui alors ne
la prendrait pour la figure de Favenir?
Non! elle est femine. Elle a p&li... et son effort
sur elle-mfime n,a pu retenir une larme... Cetle
pcrle orientale a roul6 de ses beaux yeux.
Vous files pay 6s, h6ros, qui en mourant, en don-
nant h la patrie tous vos rfives, aviez dit : « Dans
lavenir, les vierges en pleureront. 渗
Mais assez, assez pour un jour. Une douce per-
Sonne avance, lentement, en souriant, et les inter-
romp t. Elle est heureuse, cette mire, de voir le
R^YtLATION DE L'HfiROlSHB.
pere el la fiUe dans une si itroite union . EUe Ics
con(emple> Ics b6nit. Elle dit : « la pauvre pe-
tite!", ce sera son meilleur amour. »
Mais voudra-l-elle aimer ailleurs? II a une prise
bicn forte, ce pdre, ce maitre, ce pontife, qui a re-
\616 rh^roisme h un jeune coeur h^roique et se
troiive avoir pen^lr6 a ce qu'elle a de plus profond.
On nc porlc bien des h^ros qu en I'^tant soi-mdme
un moment. Tel il apparait, en effet, h celte enfant
qui lui est comme suspendue. II veut former son
id6aK mais elle n'en voit d'autre que lui*
On sail I'amour enthousiaste que madame de
Stael eiit pour son pere, et je ne doule nullement
que celle jeune iille, alors loute nature, toute pas-
sion, puissanle, ^loquente, adorable, ne I'ait mis
au-dcssus de lui. Elle le vit grand, et le fit tel, ou
du moins y contribua. MMiocre avant el apr6s,
mais dans celte heure solennelle, jeune, hardi et
transfigure, il s'ileva h I'idde g6n6reuse de 89,
I'espoir infini de Fegalitd. II put changer, il put
baisser; elleaussi, par telle influence. NMmporle,
le rdve de l,en(bnt, un moment r^alis6, parcourut
toute la lerre.
soo r£v.6lation de l' 血 oIsme.
Ce lien est bien fort alors, si fort que tout autre
parait faible, Iriste, insuffisant. J ai vu d'autres
demoiselles, moins connues, non moins Sminentes,
pour qui ce premier sentiment semblait avoir ferm6
le coeur. La suavit6, la dSIicatesse, la piofonde
intimity qu'on y gotlUait, ne semblait plus pouvoir
se retrouver jamais. L,une avait son p6re presque
aveugle, el elle 6lait sa lumifere ; il voyait par elle,
elle aimait par lui. Pour Fautre, le monde avait
peri el son pere seul existait. Elle assurait qu'avec
lui elle eflt accepts au p6le la plus profonde soli-
tude. « Ne me parlez pas, disait*elle, du divorce
qii'on appelle mariage. »
Pour la n6tre dont il s,agit, cest un serieux de-
voir de I'averlir de la destin^e commune. Helas !
celte pure et tendre union ne peul 6tre que passa-
gere; la nature nous pousse en avanl et ne permet
pas a l,amour de revenir vers lui-mfime,
Op6ralion douloureuse, de separer le c(Kur du
coeur, de calmer, d'harmoniser ce naif 61an de
l,enfant, de I'amener a la sagesse :
« Chire enfant, dans ce bel 5ge de vie puissante
el rayonnante qui te vivifie toulc chose, une 1*6-
chappe qu*il faut bien te rappelcr parfois, la morl!
Rfiv£LATION DE L'flgROlSHB. 201
« Notre amour immorlel pour toi n'y peut rien ,
ta mSre et moi, bientfit nous I'echapperons... Que
serait-ce, si, m'aimant trop, tu ^pousais en moi...
le deuil?... »
« Ces derniers temps, rintiini(6 de rinitiation
morale, le bonheur profond que j,eus de te r6-
v61er ce qui fait la grandeur de rhomme, onl trop
ravi ton coeur, enfant, et le voil^ mklk au mien.
Tu m'as vu, tout a la fois, par ton illusion filiate,
jeune de l'6ternelle jeunesse des h6ros que je ra-
contais, en mfime temps mAr, calme et sage, avec
le don que lu appelles la suavity de l,automne.
Tout cela, jeune fille, n'est pas ce que Dieu veut
pour toi. II te faut ce qui commence, non ce qui
finit. II te faul la s6ve Apre et forte de ceux qui
ont beaucoup a faire, en qui I'fige peut travailler,
diminuer, am61iorer. Leurs d6fauls d,aujourd,hui,
souvent, sont des qualit6s d,avenir. Ta douceur
n,est que trop portee a ch6rir la douceur d,un
pere... Je veux, je deinande a Dieu pour loi Ffiner-
gie d,un £poux.
« Tu es encore jusqu'ici le commencement d,une
femme; une autre initiation t'altend et d'aulres
devoirs. £pouse, et m^re, et sage amie, consola-
trice aniver^elle, tu es nee pour le bonheur et le
salut de plusieurs.
c Prends done un coeur ferine, ma fiUe« et celle
m ftlTtLATIOH DB LUtROlSHB.
gaiety courageuse qu'on a quand on marche au
devoir... Si mon coeur soufTre h t'enseigner ces
sirieusesloi^ de la vie, Use porte haul ccpendant...
« Existe-t-il cet amant que nous voudrions pour
toi? Je ne sais. Mais quoi qu'il arrive, I'amour
ne te manquera pas. fitre mSre, c,est le meilleur
de Famour, et tu le scras pour tous. Tous recon-
naltront en toi le plus doux reflet de la Provi-
dence. 渗
LIVRE DEUXl£ME
LA FEMME DANS LE MARIAGE
I
QUEflE i EHHE AIMERA L£ PLUS? GEIXE DE
RAGE DIFFFRENTE
Avanl de reprendre le iil de la jeune destin4e
(]u,a pi6par6e le premier iivre, jelons un coup
d'ocil g6n6ral sur le manage, sur les questions phy-
siologiques de races el de croisements.
L amour est le m^diateur du monde el le r6-
dcmpteur de toules les races humaines. Qui dil I'a-
mour, dit la paix, la Concorde el l,unit6. (Test le
grand pacificateur. Hostilil^s politiques, discor-
dances, int6r£ls conlraires, tout cela n'est rien
pour lui. 11 les efface et les surmonte, ou passe
outre, et ril, s'en moque. La diversit6 justement,
cest le moyen dont il se sert ; le contraste est un
aUrail, rinconnu un charme, un mystfere, qu'on
m QUELLE FEMME AIMEIU LE PLUS?
veul percer; l'6lranget6, qui semblait devoir Eloi-
gner, enfonce l,aiguillon du d^sir.
Tou8 ceux qui ont ilk k Berne y ont vu le rude
portrait de Magdalena Nageli avec ses gros gants de
chamois. Forle femme et fifeconde m£re, qui fut
aiin6e pour sa force. Fille d'un palricien de Berne,
elle faisait k la fontaine la lessive de sa famille avec
ses suivantes. Passe un jeune noble d'une maison
toujours ennemie a la sienne, d'une hostility s6cu-
laire, comme oelle des Monfaigus et ^es Capulels
dans Rom^o et Juliette* Ce jeune homme s'arrfila,
cn voyant celte belle fiUe battre le linge d'une main
de fer et le tordre d un bras d'acier. 11 comprit qu'il
sorlirait d'elle une race d'hommes forts com me
des ours. II courut sans s'arr&ter k I'hdtel de son
cnnemi, lui dilqu il lui demandait son amitii ei sa
filte, n*esp6rant pas en trouver ufie 幄 ussi fortemeni
tremp6e.
Les races les plus ^nergiques qui ont paru sur la
terre sont sorties du melange A'iUments ^ppos^s
(qui scmblaient opposes?) : example, le m^ange
du blanc ot de la femme noire, qui don»e le pro-
duil muiStre, de vigueur extraordinaire ; 一 ou,
tout au contraire A'ilimenU Umtiqwes : exemples,
ks Pcrses, les Grocs, elc, qui epousaient lairs
tr6s*pT0ches p^renles. C'estjuslement le precede
par lequelon forUfie ies ciiCvauK de course ; ne leur
GfiLLB Dfi RAGE DIFF^AfiNTK. 807
penneltant d'autre3 dpouses que leurs nobles soeurs
on exalte en euK la s6ve h^roique.
Dans ^ premier cas, la puissance tient k ce que
les dements opposes sont dautant plus avides. La
n^gresse adore le blanc.
Dans le second cas, elle vient de la parfaite har-
monie des temhlables qui cooperent. La sp^cialit^
native s'accumulc ct augmeate de mariage eu ma-
riage.
Les races qu'on croit inf&rieures tie fitraissent
tcUes que parcc qu'elles ont besoin d'une culture
contraire h la nAtre, et surtoul besoin d,amour.
Qu'elles sont touchantes m cela, et combien ellcs
m^ritent le retour des races aimdes qui trouvent
CD elles une source infinie de reg6n6ration phy-
sique et de rsgeunissement 1
Le fleuve a soif des nu6es, le desert a «oif du
fleute, la femme noire de rhomme blanc. Elle est
de toutes, la plus amoureuseet la plus gin6ratrice^
et cela ne tient pas seulement h lajeunesse de son
sang, mais il taut aussi le dire, a la richeAse de son
coeur. EIlc est tendrc entre hsA tendres, bonne eatre
les bonnes (demandez aux voyageurs qu'ella a sau«*
vis si 80uvent), Bonl6, c'est creation ; bonit^ c*est
m QUELLE FfcMME AIMEEA LE PLUS?
f^condil^, c'est la b6nMiction mkme de Facte sacr6.
Si cette femme est si ficonde, je I'altribue surlout
k ces Irfesors de tendresse, h cet ocian de bonl6
qui s'epanche de son sein.
Africa est une femme. Ses races son! des rf»ccs
femraes, dit tr6s-bien Guslave d'Eichhtall. La r6v6-
lation de I'Afrique par la race rouge d'figyple, c est
le rfegne de la grande Isis. (Osiris est secondaire.)
Chez beaucoupde tribus noires de I'Afrique cen trale
ce sont les femmes qui rSgnent. Elles sont intelli-
gentes autant qu'aimables et douces. On le voitbien
en Haiti, ou, non-seulement elles improvisent aux
fStes de charmantes petiles chansons, inspir^es de
leur bon coeur, mais font de tfile, pour leurs
affaires de commerce, des calculs fort compliques.
Ce fut un bonheur pour moi d'apprendre qu'en
Ilaili, par la liberty, le bien-6tre, la culture intel-
ligence, la negresse disparait, sans melange mfime.
Elle devient la vraie femme noire, au nez fin, aux
Icvres minces ; ra6me les cheveux se modi Gent.
Les traits gros et boursoufl6s du nfegre des cdtes
d'Afrique sont (comme la boursouflure de I'hippo-
polame) Feffet de ce climat brAlant, quu par sai-
sons, est noy6 de torrents cTeaux chaudes, Ces de-
luges comblent les valines de debris qui s,y putr6-
fient. La fermentation y fait gonfler, lever, toule
chose, comme la pSte live au four. Rien de tout cela
GELLE DE RAGE DIFFERENTB 209
dans les climats plus sees de FAfrique centralp.
L'afTreuse anarchie de petites guerres et la traite
qui dSsolent les cdtes ne contribuent pas peu a
cettelaideur, et elle est la m6me dans les colonies
d'Am^rique avec Fabrulisseinent de I'esclavage,
La mime ou elle reste negresse et nc peut affi-
ner ses traits, la noire est lr6s-belle de corps. Elle
a un charme de jeunesse suave que n'eut pas la
beauts grecque, cr66e par la gymnaslique, el tou-
jours un peu masculinis6e. Elle pourrait m6priser
non-seulement Podieuse Hermaphrodite, mais la
musculeuse beauts de la V^ms accroupie (voy. au
.jardin des Tuileries). La noire est bien autrement
femme que les fibres citoyennes grecques ; elle es
cssenliellement jeune, de sang, de coeur et de
corps, douce d humilU6 enfantine, jamais siire de
plaire, pr6te k tout faire pour dfeplaire moins. Nulle
exigence penible ne lasse son ob^issance. Inquiete
de son visage, elle n'est nuUement rassurte par
ses formes accomplies de morbidesse touchanle e
de fraicheur 61astique. Elle prosterne a vos pieds
ce qu'on allait adorer. Elle tremble et demande
igrace ; elle est si reconnaissantedes voluptes qu elle
12
M QUSUiB F£MU AU1£BA LB PLUS?
donnel... Elle aime, et, dans sa vive ilreinte, son
amour a passe tout entier.
Qu'on I'aime, et elle fera tout, elle apprendra
tout. C'est la femme d'abord qu,il faut 61ever dans
cette race, et, par la force de I'amour, elle ilevera
rhomme et renPant. Bien entendu, une Education
tout opposee a la ndtre. Cultivez d'abord en elle ce
qu'elles ont tellement, le sens du rhylhme (danse,
musique, etc.), et paries artsdu dessin, menez-Ies
a la lecture, aux sciences et aux arts agricoles. EUes
raffoleront de la nature d^s qu'on la leur ensei-
gnera. Quand elles connaltront vraiment la Terre
(si belle, si bonne, si femme), elles en lomberont
amoureuses, et, bien plus fenergiquement qu'on ne
Fattend du dim at, elles s'eniremettront dii manage
en Ire la Terre et rHomme. L'Afrique n'exit que
risis rouge ; rAmSrique aura I'lsis noire, un brfl-
lant genie femelle, et pour ftconder la nature, et
pour raviver Ics races 6puis6es,
Telle est ia verUi du sang noir : ou ii en tombe
GBLIE DB RACB MPfillENTE. Si I
line goutte, tout refleurit. Plus de vieillesse, tine
jeune et puissante fenergie, c'est la fontaine de Jou-
vence. Dans FAnidrique du Sud et ailleurs, je vois
plus d'une noble race qui iangnit, faiblit, s'^teint ;
comment cela se fait-il, qiiand ils ontia vie k cdt6?
Les r^publicains espagnols, vrais nobles et parfaits
gentilshommes, avaient 616 de meilleurs maltres
que tous les autres colons ; des premiers, ils onl
g6n6reusement aboli resclavage. Eh bien, en re-
tour, cette bonne Afrique peut leur rendre la s6ve
et la vie. En pr6sence du torrent trouble des na-
tions confondoesqui se prScipitent 8ous le faux dra-
peao des £tats4Jnis, il faut creer pour barrifere un
puissant monde muUtre. Ce Nord, repudie du Nord
mftnie, Emigrant, marehand, pirate, ne vous appor-
terait rien que violence et st6rilit6.
Nous aimions les £ltats-Unis ; ce serait avec don-
leur que nous les verrions avorter. Peu importent
leurs conqu6tes, si les melanges strangers, I'escla-
vage, ralcool, I'argent, an^antissent ce qui fut
leur vie, leur ame. Ce n'est pas rargent, c'est I'a-
mour qui fait et refait le monde, qui doue rhomme
et qui I'ing^nie.
Voyez-vous la race africaine, si gaie, si bonne et
si aimance ? Du jour de la resurrection, a ce pre-
mier contact d'amour qu'elle eut avec la race blan-
che, elle fourniiicelle'Ci un accord extraordinaire
21 S QUELLE FEMNI AINSnA LE PLUS?
des facult^s qui font la force, un homme d*inlaris-
sabie s6ve, un homme? non, un 616ment, comme
un volcan inextinguible ou un grand fleuve d'AmS-
rique. Jusqu'ou n'eAt-il pas 6te sans I'orgie d'im-
provisation qu,il fait depuis dnquante ans ? Wim-
porte, il n'en reste pas moins et le plus puissant
machinistc et leplus vivant dramaturge qui ait 6t6
depuis Shakspeare.
line source inconnue de beau 1 6 nous \ient par
la race noire. La rose rose, que jadis on admirait
seule, est peu variee pourtant, il fautl,avouer. Grice
aux in61anges, nous avons les nuances si multiples
des innombrables roses ih6, des roses plus d61i-
cales encore qui se veinent ou se teintent de bleu
leger. Notre grand peintre Prudhon n'a rien peint
avec plus d'amour que la belle dame de couleur
qui est au Salon du Louvre. EUe est dans le som-
bre encore, comme un mystSre qui se d^brouille.
Sa beauts sort du nuage. Ses beaux yeux ne sont
pas bien grands, mais profonds et pleins de pro-
messes, le spectateur, qui peut-6tre y voit ce qu'il
a au coeur, se figure que cette nuit est ent6nftbrte
de desirs.
Profonde et briilante peinture. Mais, a un degre
CELLE DE RACE DIF 血 ENTB. 215
plus clair, j,ai vu plusjoli encore. L'hiver dernier,
visitant un Haitien Eminent, qui a nwarque dans
les letlres autant qiie dans les affaires, je fus
re^u en son absence par une demoiselle mssi
modeste que charmante, dont la rare beaut6 m'in-
terdit. Une imperceptible nuauce d'un d^licieux li-
las meltait dans ses roses un mystere, une magie,
qu'on ne peul dire. Dans un moment, elle rougit,
ct la flamme de ses yeux aurait 6bloui les deux
mondes.
Mille voeux pour la France noire I j'appelle ainsi
Haiti, puisque ce bon peuple aime tant celui qui fil
souffrir ses pferes. Regois tous mes voeux, jeune
Etat ! Et puissions-nous te prol6ger, en expiation
du pa8s6 ! Puisses-tu dfevelopper ton libre g^nie,
celui de cette grande race, si crueKeraent calom-
ni6e, et dont tu es I'unique reprfesentant civilis6
sur la terre I 一 Tu n'es pas a moindre litre celui du
gknie delafemme. C'estpar tescharmantes femmes,
si bonnes et si intelligentes, que tu dois te culliver,
organiser tes 6coles, Elles sont de si tendres meres,
qu'elles deviendront, j'en suis siir, d'admirables
dducatrices. Une forte 6cole normale pour former
dps institutricQs et des maitresse3 d'6cole (par les
a.
StI QUELLS FEMMB AIMERA LB PLUSt
mcfhodes surtout, si aimables, de Froebel) est la
premiere institution que je voudrais en Haiti.
^ue la France a 616 bien aimie ! Et que je re-
grette encore I'accueil d'amour et d'ainitii que
nous trouvions chcz les tribus de l*Am£rique du
Nord. Race haute ct fiire, s'il en fut, C'est une
vraie gloire pour nous que ces homines, (Tun re*
gard pergant et d'une seconde vue de chasseur,
nous aient pr6f6r6s pour leurs filles, et compris
ce qui est reel, c'est que le Frangais est un m&le
superieur. Comme soldat, il vit parUmt, et, comme
amant, il cr^e partout.
L'Anglais et I'AUemand, quiserablenl forte, bien
n6s, sont et moins robustes et bien moins ginira-
teurs. Us ne peuvent rien avec r^trang&re. Si la
femme anglaise, allemande, n,est pas la toujours
derrifere, pour les suivre dans leurs voyages, leur
race finit. II ne restera rien bientdt de I'Anglais
dans rinde, pas plus qu'il ne reste chez nous
des Francs de Clovis, ni des Lombards en Lorn-
bardie.
L'amour de la femme noire pour les ndtres est
tout naturel. Celui de la femme rouge > de rin*
dienne ani6i'icaine, 6lonne da vantage. Elle est
GELLB DB RA€B DIFFfellENTE. il5
rieuse, flfere et sombre. Le Fran^ais, avec sa gaiete,
quelquefois un peu 16g6re, pouvail I'effaroucher.
Ses hautes facult^s sibylliques ne semblaient gu6re
s'arranger avec nos joyeux danseurs, qui, jusque
dans le desert, avec un hiver de huit mois, dan-
saient aux chansons de Paris. Mais elles les sa-
iraient trfis-braves; elles les voyaient trfes-sobres,
bons, aimables et serviables, devenant frferes tout
a coup deces trogiques guerriers. Cela leur fkisait
Irouver gr^ce devant elles. A Faudace denosfitour-
dis, qui parfois abusaient de la solitude, si elles
opposaient des refus, c'6tait par des molsdelicats,
nobles et nullement blessants. On connait celui
d'une fille engag6e : « L'ami que j,ai devant
les yeux m'empfiche de le voir* »
Elles nous prenaient un peu comme des enfants
Irop vifs, dont la mere, la soeur, peuvent parfois
souffrip un peu; mais elles ne nous aimaient pas
moins.
De ces amours, il reste encore des mfelis, franco-
indiens, mais disperses, peu nombreux, qui se
fondront peu a peu. EUe p6rit, cette noble race.
Qu'en restera-t-il dans cent ans? Peul-fitre un
busta de Prtault.
Image am6re (oh I si am^re) que ce grand sculp-
teurdes tombeaux a saisie d'instinct, avec une igno-
rance de g^nie, et qui reste pour conscrvera Fave-
816 QUELLE FEMME AIHERA LE PLUS?
nir la pauvre femme, la noble femme de ces races
caricalur6es par M. de Chateaubriand.
ily a une dizaine d'ann6es, un spteulateur amfr-
ricain imagina d'exhiber en Europe une nom-
breuse famille d'lovays. Les homines 6taient ma-
gnifiques, d'une beauts superbe et royale, aans
leurs colliers de griffes d'ours qui constatent leurs
combats. Trfis-forts, non avec de gros muscles de
forgerons ou de boxeurs, mais avec d'admirables
bras qui semblaient des bras de femmes . Un en-
fant de dix ansaussi semblait une jolie statue d'E-
gyple, accomplie, de marbre rouge, mais d,un ter-
rible serieux. On ne pouvait pas le voir sans dire :
« C'est le fils d'un h6ros. »
Ce qui consolait ces rois d'6lre monlris sur l*es-
trade comme des singes, c,etait, jecrois, leur me-
pris int6rieur pour la riche populace de beaux
messieurs qui ^taient la a lorgner, 16gers, mobiles
gesliculaleurs, vrais singes d*Europe.
La seule personne de la bande qui partU Iriste
6lait une femme, la femme d'un renomm6 guer-
I'ier, le Loup, la m6re de renfant. EUe avail bien
souffeii la-bas ! combien plus ici! Elle languit.
Elle mourut. Qu'est-ce que la France pouvait pour
I'une des der nitres, h61as ! de ces femmes infortu-
n6es qui out tanl aime la France ? Rien, qu'un torn-
beau qui conserval la flamme de ce g^nie 6teint.
GELLE DE RAGE DIFF& 画 TE. 217
L'anliquit6 (m6me juive) n'a jamais eu, ni connu,
ni rfive, rien de si sombre. On sent un 6tre siip6-
rieur qui non-seulement a rencontrfe tout malheur,
toute douleur iadividuelle, mais souffert aussi de
n'avoir paseu lexpansion legitime de sa rac e. Dou-
leur souterraine, immense, de ce monde am^ricain .
Flottant dans la guerre ^ternelle du desert et les
guerresalroces (chasse k roursetchasse^rhomme),
il n'a pas pu arriver k se reveler tout k fait. Puis s,est
dresste devant lui la force prosaique de la vieille
Europe, avec le fusil, I'alcool, toute machine de
surprise ou de combat.
Elle est en face de tout cela cette femme, com^^:^
un sphinx ftpre et amer... Et pourtant, sous cette
amertume, oh I quel coeur de mere et de femme.
Combien aisSment celle-ci, dans les longues fa-
mines d'hiver, etit, pour nourrir sa couv6e, coup6
sur son corps des morceaux sanglants! Avec quel'e
joie, pour la sauver, elle se (At fail brAler vive
par la Iribu ennemie! Et quel insondable amour
aurait pu Irouver en elle le h6ros qu'elle eAl pr6-
ferel
On sent bien, en la regardant, I'infini myst6rieux
qu'elle a cach6 de fierl6, de silence. Sa vie ful
aussi ftiueUe que sa mort. Toutes les tortu^^es du
monde, pas plus que raiguillon d'amour, n'en au-
raient tiri un soupir. Elle n,a pas perdu la parole.
m QUELLE nana aimira lc plus, nc.
Elie parle, comme elle parlait, par Fexpr^ssion
saisissante de P^lrange monde finigmatique et 16-
n6breux qu'elle contient.
£traiige, mais nul plus grand peut-fitre dans la
region des Esprits.
<HIELLE FEMME AIMERA LE PLUS? CELLE MS
MfiHE RACE
L'Amour a son plan pour la terre. Son bul serait
(Ten mdler, d'en fondre toiites les races dans un
immense mariage. Ainsi de la Chine k llrlande,
du p6Ie nord au pdle sud, tous seraient frferes,
beaux-fr&reSf neveux. On connait les parentis ecos-
saises, par exemple les six mille Campbell, tous
cousins. II en serait de m6me pour I'humanit^.
Nous ne ferioos plus qu'un seul clan.
Beau rfive ! mais nous ne devous pas y c6dertrop
facilement. Dans une telle unite, oA le sang de
touies les races sa trouverait m&le rasemble, en
supposant, chose difficile, qu,il s'en fit une har-
monie, je crois qu'elle serait Ir6s-p41e. Cn certain
clement oeutre. incolore, blafard, en rteullerait.
2fO QUELLE FE 眺 AIM£RA LE PLUS?
Un nombre immense de dons spteiaux, tr6s-ex-
quis, auraient p6ri. Et la \ictime d^tinitive de la-
mour, dans celte fusion totale, serait fatale k I'a-
mour mfime.
Un livre fort et raisonn6 sur Part des croisements
humains nous serait bien n^cessaire. 11 ne faul pas
croire qu,on puisse fa ire impunement ces me-
hmges. Fails d'une manifere indiscrite, ils abais-
sent les races, ou avortent. Ceux qui reussissent
n ont gufire lieu qu'entre des races sympathiques,
qui peuvent sembler oppos6es, mais ne le sont pas
au fond. Du nfigre au Wane, nulle opposition ana-
tomique qui soit d'importance. Les m6lis vivent et
sont trfis-forts. Au contraire, entre le Frangais et
1, Anglais, qui semblent si proches parents, il y a,
dans le squelelte m6me, une difference profonde.
Leurs metis ou sont peu viables, ou sont nains,
ou, dans rensemble, offrent une discordance vi-
sible.
^ntre le Frarigais et I'Aflemande, les resullals
varienl beaucoup. Lui, il trouve un grand ? ttrait
^ans ce mariage. Sec, aduste, ardent d'esprit, ii
jouU fort par contrasle de cetle fralcheur morale.
La musique, le sens dc la nahire, une grande d6-
GELLE D£ M£mE RAGE. 221
ijoi?nairele, lui rendent la vie fori douce, quoique
pen Wire un peu monotone. L'enfant (s,il y a en-
fant) ne vit pas toujours. Le plus souvent il est
faible, agrSable. Rarement il conserve l'6tincelle
paternelle. Ni Fran^ais, ni AUemand, il devient
europ^en,
Je demandai un jour k un trfis-habile homme
qui dressait des oiseaux savants a lire el k calculer,
si ses petits h6ros n,6taient pas ainsi sur61ev6s
Ru-dessus de leurs espftces par des croisements
habiles, s'ils n,6taieiil point des m6lis? « Au con-
Iraire, disait-il, ils sont de race trfes-pure, non
m6l6s, non mfeallifes. »
Ceci me fit reflfechir sur la tendance actueile
que nous a 霍 s aux croisements, el sur la croyance
souvent inexacte, que le m6tis, cumulant les dons
des deux 616inents simples, est n^cessairement
sup^rieur.
Enlre ceux de nos grands terivains que j,ai pu
connaitre, trois seulement sent des mitis. Six sont
de trte-purs Frangais. Et encore les trois m6tis n'6-
tant pas strangers de p6re, mais seulement de
grands-pferes, ont trois quarts d,616ments francjais,
une tres forte predominance de la s6ve nationale.
19
122 QUELLE FBHH£ AllBRA M PLUS?
line chese fort a considerer, qui semblera un
paradoxe, c'est que les femmes ^rang^res^ de
races tr6»-^igndes de nous, aooi plus faciles a
ODimatlre que les Eurap^eimes, awtout plus que
les FranQaises*
Si j'fepouse une Orientals, je devine assez akto-
ment ce que sera mon manage. Lk, an peut juger,
pr6,oir, par grandes classes (race, peuple, tdbu),
ce que sera la femme d'Asie, M 細 e ea Europe,
oebii qui epoose uae Aliemande, qui ae Fappro-
prie, k transplante, est a peu pr&s sur d'a^voir la
vie douce. L'asoendant de I'esprM firangais met
toutes les chances pour lui.
Meis les races ou la personnalit6 est tr6s-forte
ne peuvent pas rassvrer ainsi. On iit que les Ciip-
casBieimes dteirent elies-mSines Mre veadues^
stjres de rtgner ou qu'dles ailieirt, et de mettne
leur maltre a leurs pieds. II en est k pea pr^
ainsi de la PoloneiBe, de la llongroise, de la Fran-
fake, Energies snp6rieures de I'Ewrope. &lks out
soiiTent rcsprk viri" sou^nt epoaseat kiH'S nuh
ris, bien phis qu'eUes n'en sont ipousi&es.
Done, il feut les bten eennaitre, les AUuMer
d''avance, moir si elles sont Semmes.
La personnalit6 frangaise est la plus vive, la plus
indiViduelle de I'Europe. Done, aussi, la plu» AiuU
tiple, la plus difficile k connaitre. Je parle surtout
cms M u^m RAGE. m
des.fille&. L6« bunumes difftoeftt bien mmis, mou -
1^ qu'ite SMt par lamSe, par la eratra^lkatbii,
par un cadre d'^dnedtion quasi ideoldcpube.
O'une FmrvQaise k me Franj^aifiie, la ilii^fenoe
«st ii^inie; et> de la fiUe fraa^aise a la m^me de*
Moaue temme^ graeide encore €8l la difference.
Done, la diilBtcj^t^ du chetx n'esl pas petite, —
mais pelite est la provision de favenir.
En revanche, quand elles se donnent et quand
elles persevferent, elles permettent une communi-
cation plus rfeUe, je crois,elplit8 forte, qu'aiicune
feaune de i'Eisrope. I/Anglaiae, une ex^cellenle
Spouse, obiih mat^riellement, mais reste toujours
un peu tdtue et ne change guire. L'Allemande, si
boane et si dojuee, leni appartenk, Tent &' assimi-
ler, mMS elle est moU《, elle rfive, et, malgr6 elle,
elleechappe. La Frangaise donneune prise, la Fraft-
^aise r&]igit: et, quand elle re§oit en elle le plus
f(xrlemefit vos peases, elle vous penvoie le charme,
le pariuio persoonel, intime, de sob lihve e€B»r de
femme.
Un jour que je revoyais, aprfes vingt aiindes d'ab-
seoee, un Fnm^^k ^abU en pays^trangeret qui s,y
去 tail marig, jehii dra^tBcbi m riant s,il n'a?ait pas
#ocis6 i}uelque superberose anglaise, ou une belle
blonde Allefnaode. U r^pondit sirieusement, non
sans quelque vivaeiU : « Oui, luossieur, eUes soat
924 QUELLE FEHIIE AIHERA LE PLUST
Iris-belles, plus 6clatantes que les ndtres. Je les
compare k ces fruits splendides que les jardiniers
amftnentau plus grand d6veloppement, les magni-
fiques fraises ananas. La sa^eur n'y manque pas,
etcela emplil la bouche ; on n'y regrelte que le
parfum. J'ai pr&fir& la Fran^aise, et celle du Midi
encore : car c,esl la fraise des bois. b
Quoi qu'il en soil de cette comparaison po6lique
d,un nouveau mari6, il reste sAr et certain que la
personnalit6 de la Frangaise est trte-forte en bien
et en inal. Done, les manages en France devraient
6lre circonspecls, preparfes par une 6lude sferieuse.
Et c'esl le pays de rEurope I'on se marie le
plus vite.
Cela ne vient pas uniquemeol des rapides cal-
culs d'int6r6ts, qui, une fois arranges, entrainent
la conclusion du mariage ; cela tieot au grand d6-
faut de la nation, r impatience. Nous avons h&ie
en toule chose.
Je crois que le mal s'aggrave. A mesure que dans
les affaires, nous devenons plus s6rieux, il semble
que la precipitation augmente dans les choses du
coeur. Notre langue a perdu nombre de mots 616*
gants, gracieux, qui marquaient les degr&s, les
CELLE DE H£HE RAGE. 225
nuances de I'amour. Aujourd'hui, tout est bref et
dur. Le fond du cceur n'a pas change ; mais ce
peuple, surmeni par ies guerres, les revolutions, la
violence des 6v6ne men ts , esltrop tentide voiren tout
une execution, un coup de main. Le mariage de Ro-
mulus, par enlevement, n*aurait que trop plu aceux-
ci. 11 leur faut des razzias. C,est, je dirais presque,
leviol par contrat. Lesvictimes en pleurent paiTois,
pas toujours ; elles s'^tonnent peu, en ce temps de
loteries (loteries de bourse, de guerre, de plaisir,
de charity, etc.), d'etre aussi mises en loterie. Le
Icnderaain, Un,est pas rare que ces manages forluits
Yous dSmasquent brusquement comme une batterie
imprSvue d*irr6parables malheurs, de ruihe et de
ridicule, qui vous frappent en pleine poitrine.
Physiologiquement, de telles unions, souvent
impossibles, crient des avortons, des monstres,
qui ineurent ou qui tuent leur m&re, la rendent
malade k jamais, enfin qui font un peuple laid.
Moralement, c,est bien pis. Le p&re, en mariant
ainsi sa flile, n' ignore pas la consolation qu'elle
accepters bientdL Le mariage, dans ces conditions,
constitue, regularise l,',nWersaUt6 de radult^re,
le divorce dans l,intimU6, trente ann6es souvent
d'ennui, et dans la couche conjugale un froid k
gcler le mercure.
326 QUELLE FEHHE AIMERA LE PLUS?
Nos paysans d'autrefois tenaient fori k epouter
celle qu'ils connaissaient k mteui, la parente. Peft-
dant lout lemoyen &ge^ Us out luUe Gootre I'Egliae^
qui Icur defeadatl la orasine. La defense, d*atord
ei&ces$ive (jusqu au aef>litoie iegrt^ plus tard jus*
qu'au qufttrieme), n'existe plus rtellement ; on a
taut ftt'on vent, dLspense pour ipwser et sa cou-
sine gcrmaiQey et sa ni6ce, et la scew de sa pve-
mihre femme. Qu'arrive-l-il? c,est queaMwtena&l
qu'ott en a la &fiil"6, tr6s-peu de^geRS en proGlent.
Les easoisleS) esprits &ux qoi presque en tout
ont en I'art de troyver i'e&vers dubon sens, disent
platsamnient id : « Si ramour dumaiiages'ajoute a
l.*aiMHr de k parents, cela fera Ivop d, 議 our. '»
L'hisjieire dk pr^ctsSiiient que c'itaU taut le east-
traire. Cbes tos IleJbreuxy qui d'abord avaitnt le
mariage des soeurs, on voit quelesjeunes gens, loin
de s'en souder, cherchaienl hors de la famille,
hors du peuplo rnSme^ coaraient Ics filles philis*-
iines. Gh» les Grecs, ou I'on pmvait epouaer la
demi-soeur, ces manages etaifint tr^s-flroids, infi-
niment peu produclifs. Solon se croil obUg6 de-
cpire dans la loi que les maris sonl teftus de se stm-
venir de leor femme, une fois settlement par
decadeu On reuMfa au soaria^ 4es sfieurs. Les
Romains n'6pous6rent plus que lours e^Bsines.
En r^alite, le manage doitfilre une renaissance.
CELLE DE MfiUE RAGE. 227
Le beau moment ou la fiancee entre dans k mad-
son de noces manquait avec la soeur. Cetle noble
cUoysmre grccqne, telle que nou& la voyons en-
core aux marbres du Pairlhfenoii, elte n'enirait pas
datrs oetle maison ; elle y etait d&s sa naissance^
a^ise au foyer palernel ; elle reprSsenlail fidel&-
ment resprit du pere et de la mire, la vieiHe tra-
dition oonmie; elle devait se pr6ter peuaux jeunes.
id6es du frtre ^ponx, a la mobilitc d'Athenes.
Toute magnifique qu'elle fut, elle 6tait un peu ctt-
nuyeose. La race n'y perdaii pes, ce fut la plus
belle du monde, mais rammr y pepdsdf trop; ii
renouvelaitpeu la famiUe,
La Grece ne s'en souciait gufere. £Ue craignait k
fecoadite. £lle «c voulait rien a«tr<e chose qoe for-
tifier le genie natif, en portant an plus baut degr6
la "vigHeor de chaque Hgnee et son ariginatite pro,
pre, Elle fisait 一 nollement au nombre, — mais
simptement au Mro^ Elle robiinl et par la con-
eoHtpatioa des races in^rgiqaes, et par nn cifes-
oendo inom d*acti\ite, qui, il ert wai, en peu de
iimip6) usa et tavitoes races.
Les 6te?eurs de clievsax de course n'onot pas
d^wtre art; que Gelui-Uu (Test par de8 manages per-
sivSrants entre tr^-proebes parents qu'ik creent
des «p6ciali(6 & 6toiman tes de bdies hSroifnes. Enles
imkBent^tre enx, ils y accumulent la s^vede cane.
m QUELLE FEHHE AlHERA LK PLUS?
Une perseverance d'un si6cle dans celte voie finit
jvers 89) par conduire ilclipsej ce m&le des m&Ies,
cetle flamme qui courait plus vile que la voixet le
regard, avec qui aucun cheVal n'afTronta plus le
concours, et qui, par ses quatre cents fils, pen-
dant vingtans, emporta les prix de loute TEurope.
J,ai lu tout ce qu,on a 6crit, dans les derniers
temps, sur celle inali6re. Ce qui paralt vraisem-
blable, c'est que les manages entre parents qui
peuvent affaiblir les faibles et les faire d6g6n6rer,
fortifient au contraire les forts. J'en juge, non pas
seulement par Fancienne Grtee, mais par la France
de nos c6tes. Nos marins, gens avisos, qui vonl
partout, connaissent tout, et ne se d6cident pas,
comme des paysans, par les routines locales, 6pou-
sent g6n6ralement leurs cousincs, et n'en sont pas
moins une 6Ute de force, d'intelligence et de beauts.
Le vrai danger dans ses unions, c'est un danger
moral. II est r6el pour tout autre que le marin, af-
franchi, parsavieerranle, des influences trop fortes
du foyer. Ce n'est pas sans raison grave que, de
moins en moins, en France, on Spouse les parentes
(voyez la statistique officielle). Par le charme des
souvenirs communs, ce manage risquait de rete-
nir fortement rhomme dans les liens du pass6.
La Fran^aise, particuli6rement, qui influe par
son Anergic, par le bien qu,eUe a apport6 (car la
GEUE DE HfiHE RAGB m
loi la favorise plus qu'aucune feinmc d'Europe)» si
dc plus elle est parente, et appuy^e des parents,
peut devenir au foyer un puissant instrument de
reaction, un s^rieux obstacle au progr^s.Imaginei
ce que peut 6tre la double force dc la tradition k la
fois domestique et religieuse, pour entraver, arr6-
ter tout. A chaquepas r6clamation, discussion, tout
au moins tristesse, force d'inertie. D&s lors, on ne
peut rien faire, on ne peut plusavancer. 一 Un joli
Veronese, au Louvre, exprime cela parfaitement.
La fiUe de Loth est si lente h quitter la vieille cit6
qui s'teroule sur sa t6te, que I'ange la prend par
le braSf la Iraine, et avec (out cela elle trouve en-
core moyen de n'avancer point, disant : <x Atten-
dez seulement que j'ai remis men Soulier. »
Nous n*avons plus le temps, ma belle. 一 Reste
la en statue desel, avec madame ta mkre. Nous de-
Yons aller en avant. 一 Mais non, nous n Irons pas
seuls. Laisse-toi porter seulement, si tu ne peux
pas marcher. La \igueur de rhomme modernequi
entralne avec lui des mondes, pour t'enlever, faible
et 16gSre, n'en sera pas bien retard^e.
Si la pareote n,a pas I'iducation sp^ciale qui
13,
130 QUELLE fUMM AMBHA U PLUST
l*associe au progr^s, il faut pr6f4rer r^aagire
(je ne dis pas rincoDnuc) •
11 £»ttt, di8*je, la prel6rer «& deu& eas ou on la
ooniiait'Aiieux que la pamte mime.
he premier cas esl celui que j'ai pos6 au livre
de rAmour^ lorsqu'on se crtesoi-mSmesa feirnne.
G'est le plus sik. Oa ne Gonnait bien que ce qu'an
a fait. J'en ai sous les yeux des exemples.
Deux de mes amis, I'ua arliste toiioent, rauire
ecrivain distingue, f^cond, onl adopli, epous6 Aeus.
jeunes parsonnes toules neu^es, sans pareats, sans
culture auottne. Simples, gaies, charmantes, uni-
quement occupees de leur menage, mais associ^es
peu k pen aax idees de leurs maris, ellesoat, en dix
ou douze ans, eu leur transforiualioa coAiplete.
M^ine simplicity ext6iieure, mais ce sant kii^ieu-
remenl des dames de vive inldligence, qui com-
prennent parfailement laachoses les plus dif (iciles.
Qu'a-l-oii fait pour aniver Ik 3 Rien du tout. Ces
hommes occupes et extrfimemeiU produotifs noni
donii6 k "HITS fcmmes aucune edacalion expresse.
Mais ils ont pome touX haul, a toute beure com-
muniqui leurs sentiments, leurs projets, I'inten-
tion de leurs travaux. Et ramour a fail le reste.
Le succ6s II, esl pas toujoui s le m6me, je le sais.
Un de mes parenls 6choua darisune semblable ten-
tative. 11 se choisit .pour fenime una enfant ^eoIe»
CELLE D£ M£M£ JU.CE. 231
d*une classe kmrgeoise et moMaio^ awec urb
belle-mepe cft({uey;e, qui de bonne heuref&ta tout.
11 avait fort osiira.le monde, et alors ii ; dUiit de*
venu fonctioiuiaiBe, employe aux Finances. Ii nen^
trait Irisle et fatigJiji. ILn'avait nullement rentrain,
rardeur de ces grands pBcducteurs qui, 6tant tou-
jours en liwail« .wit toujouirs beaacoup a dire et
psweot wniier iuiiessarnnient mLjeuDe^oosur. Ja
reviendrai sur tout ceb.
y autre cas est celui ou, de deux homines unis
de coeur, de foi, de principes, I nn donne sa fille k
laulre, une enfant felevee, formee dans ces prin-
cipes et celte foi.
Cela supposerail un pfere tel qu'on l a vu dans
notre premier livre, sur reducation. Cela suppose-
Tsii une mfere. Deux phfenix. Si on les trouvait, a la
seconde g6n6ralion, on pourrait r6aliser une chose
aujourd'hui impossible, et qui le sera moins dans
Favenir : I'hypolhfese de deux enfanls elev6s I'un
pour I'autre, non pas ensemble, mais dans une
heureuse harmonic, se connaissant de bonne heure,
se revoyant par moments, k de grands intervalles,
de mani&re k devenir leur r6ve mutuel.
Tout cela (bien entendu), libre pour les deux
9St QUELLE FEMHE AlHERA LB PLUS?
jeunes coBurs. Mais avec un peu d,adresse, on cr6e^
on cultive Pamour. La nature est une si aimable
oonciliatricel VMucation en partie double semble,
au fond, la seule logique pour rhomme et la femme
dont chacun n'est qu'une moitii.
L'id6al oriental d,un mtme 6lre divis6 qui veut
toujours se rejoiodre, c'estlevrai. fl fautoompatir,
les aider, ces pauvres moilite, k retrouver leor
parents et refaire l,anit6 perdue.
Ill
QUEL HOMME AIMERA LE HlEUXt
S'il est dans la vie de la femme une 6poque re-
doutable, c'est le mariage de sa fiUe. Le meilleur,
le plus doux mariage est pour elle le renversemenl
de Fexistence. La maison hier 6tait pleine, et la
\oila vide. On ne s'6lait pas apergu de toule la
place qu*occupait cette enfant, on 6tait trop habi-
tu6 h un bonheur si naturel ; on ne s'aperQoit pas
non plus de la vie, de la respiration. Mais qu'une
minute seulement la respiration nous manque, on
itouffe, on va p6rir.
Combien diffi^rente est la situation pour la mSre
qui dit : <x Hon fils se marie, » et pour celle qui
dit : « Je marie ma fille. » L'une re^oit el I'autre
donne. L'une enrichit sa famille d,une aimable
adoption. L'autre, apr&s le bruit de la noce, va
234 QUEL HOMME AIHERA LE HIEUX?
rentrer chez elle si pauvre ! Dirai-je sevree de sa
fille? dirai-je veuve de soo enfant? non, on ne peut
pas le dire. U faut regreller loujours un mot qui
manque k nos langues, ce mot gme, plein de
deuil : orba.
Ce qu'elle livre, c'eslelle-mfeme. Et c'esl elle qui
\a 6lre bien ou mal traitee dans celte maison etran.
g6re. Elle y vil d'imagination. Get homme, amou-
reux aujourd'hui, comment sera-t-U demain?... Et
encore, lui-raSme, le gendre, cest le plus facile.
Mais, comment sera sa famille, sa mere qu'il aime,
qui le goirverne, qui regne dans la maison? Que de
moyens elle aurail de d^soler la jeune femme, peut-
£ire de la briser pour peu qu'elle lui deplut I Done,
la mere de celle-ci doit, pour protdger sa fille, la
manager, lui faire sa cour.
Je comprends bien I'mquietude^ la vive pr^occu-
palion de celle qui, la premiere fois, apergoit son
futur gendre, je veux dire du moins le jeune homme
qui pourrait le devenir. Oh ! que je suis de moiti6
dans ses sentiments iot^rieurs ! Elle est souriaiitc^
gracieuse, mais au fond combien 6mue !… Yrai-
meiit, c'esl sa vie ou sa mort. Ce jeune homme^
QlttL nOM E AllUftA bB JUm? 235
quel cst-il? son rival* Plus il sera aimable, aime^
et phis il fm oublier la mere.
Moment ciu^euaL k observer, Jamais la femme
n'est si int^resssmle.. Ce cembal d'emotions, con-
tenu, mais transfiaceat, lui donue ua chacme de
nature dontMine peut se d^fendr^. EUe est belle
de 助 lendietM ^el de son abn^gatioo, belle de taut
desacrUiGes* Que n'a-t-elle pas fait el souffert pour
cfter c0tte flenr aecomplie? Uae telle filLe, c'est la
verto iw^le^de sa mire, 8a sagesse et sa puret^.
Comme toute feame^ elle a pu avoir ses ennuis, ses
r6v«s ; ot elle a tout repouss^ avec oe seul mot :
« Ma fiUe 1 9 EUe s'est tenueau foyer entre Dieu et
son mari, doooant ses belles anodes au devoir, k
la culture de cetle douce espferance. Et, mainte-
umly commeot s'^nner si le pauvre coeur bat si
tot ?… U est, cecodur, sur son visage, quoi qu'elle
fssse, et 'par moment, il telate, attendrissant, ado-
cable, dans le jrayotmement de ses beaux yeux hu-
»ides. Gr&ce, madam^y soyez moins belle I Ne
\oy0hvous pas qu'oo se trouble et qu'on ne sail
plus ce qu on dit?
C'est uiie tentation hien forte pour elle d'Mser de
«e pouvoir. £lle voit qu'il ne tienl qu ,& elle d'eowe^
t30 QUEL UOMME AlHEBA^ LE KIEUXY
lopper le jeune homme, d'en faire lout ce qu*elle
voudra. E!Ie deviendrait maltresse absolue du futur
manage, elle d^barrasserait sa fille des influences
tyranniques de sa nouvelle famille. Elle lui erait,
jour par jour (que ne peut une femme 4,esprU?)
un bon mari, doux, docile. Lui confier la ch^re
idole, avant d'etre sAre de lui, cela lui semble im-
possible. II faut le conqu6rir, ce gendre. Etla yoilit
jeune encore, qui, k l*6lourdie, se lance dans d,iin —
prudentes coquetteries. Elle croit pouvoir s'arr6ter,
se retirer k volont^. Qu'arrive-t-il? U perd la t6te,
parfois veut des choses insens6es, ou bien s'^loignc
et se retire. Cependant le mariage est annoncS,
d^j^ publi6, la demoiselle compromise. Comment
se tirer de Ik ?
Est-ce un roman que je fais? Non, c'est ce que
J'ai vu plus d'unefois, et ce que l,on voit fr^quem-
ment. La m&re aime tant sa fille que, pour la bien
marier, il lui arrivera de sabir les plus ^tranges
conditions. Deplorable arrangement qui bientdt les
laisse tous frois pleins de tristesse et de d^goAt.
Les plus sages, les plus raisonnables, ont pres-
que toutes ce d6faut de chercher, de choisir un
genAre, comme pour dies, et non pour leurs fUles,
QUEL HOMME AIHERA LE MIEUX? 237
de consulter leur fantaisie, un certain id6al, plus
ou moins romanesque, que la plupart ont dans
Tesprit.
Double id6al, mais loujours faux. Qu'on me per-
melte de parler franchement.
EUes aiment Pinergie mdle, la force, et elies ont
raison. Mais c'est beaucoup moins la force produc-
tive et criatrice, que I'^nergie deslnictive. fitranr
gftres aux grands travaux, ignorant parfaitement
ce qu'il y faut de force d'ftme, elles ne comprennent
de vaillance que les audaces 6ph6in6res qui suffisent
aux champs de batailles, et croient, comme les en-
fants, que le beau, c'est decasser tout. Notez encore
que les braves en paroles, pr6s d,eUes, ont tout la-
vantage. Elles comptent peu le vrai brave qui se
tait, hausse les 6paules.
Elles ne jugent pas plus sainement dans le doux
que dans le fort. Elles placent un grand attrait
dans celui qui leur ressemble, la poupSe qui n'est
d'aucun sexe. Elles placent fort maladroitement
un petit roman sensuel sur celui qui n,est bon k rien,
un page fiUe, Ch^rubin, un berger d'opSra-comique,
Nf&morin, plus femme qu'Estelle. Dans les ro-
mans qu'cUes torivent, dit tr^bien Proudhon,
elles n'arrivent jamais k crter un homme, un vrai
mflle ; leur h^ros est un homme-femme.
Maintenant, dans la vie r^elle. et dans cette
f» OUBL UOMtIB JOMOlik LE IUBU19
grande al&ire ou la m&re choisii pour k fille, eUes
font canine dans leufs nunans* Leiir prtC&reace esi
souveitf^ presque toujours pour Vhamme-femme^ le
bon sujel qui pense bien. D'abord, eUes s^al flat-
ties de se sentir plus 6nergk|ues^ vraimcnt fla&
hommes que lui* EUes croiealqu,eUeslegoimnie-
rent. En quM souvml eiles se irorape&U Le fade et
doncet peisonBBge est le plu« souveal un matois
qui s'aylaUt pour aiviver, m dedans lart ligoosie,
et qui demain paraitra oe qu'il esi, dur, sec ei
faiuu
Bhdame, en ohoae si grave, o& ii s'agU de voire
vie, bien plus, de celle a qui cent fois vous sacd-
Geriez cette vie, me permettez-vous de laisser les
precautkiBs, les vains detours, de dire des (huroles
▼raies ?
Savez-wus bien ce qu,il faut k voire eharmante
fille, qui nc dU rien, ne pent rien dire... Mais soa
&ge parlc, et la nature. Respeclez ces \oa deJ}ieu I
Eh bien 1 il iui faut uu hemme.
Ne riez point. Cela n'est fas awsi cammun que
vaus croyee.
II faut un homme amoureux. 一 J,enteiids, qui
roflte anonreux, qui le daiv&^tre toi)|Nirs.
Om liOllME AUIERA Lfi MUSUX? 239
il lui faut un bras et un eoBur, 一 on brw salide
qui Fappuieet lui aplanbse la vie, — un coaur riche
oA ette puise, oil eUe &, 《U qu'k toucher pour voir
jaillir I'^tincelle.
La femme est ^onserw trice. EUe desire la soli*
dit6. Et quoi de plus nalurel ? II faut un sol feme
et sAv pour le foy 犹, pour le berceau.
Tout reuuiie. 044iwveroiiSriious la fermet^ que
vous voulez?
Niille place, etottlle propria^ dans le temps ou
DMis vivons, nepeul promettre cela. Jlegardez, non
pBte la Fraace, noale Goaiiumt, cette mer de sable,
ou tout va et\ient. Non, regardez File sainte de la
propri6t^ la lueille Angleterre.. Si votts esceptez
cinq ou MX laaifiKms, et £»rt peu anoiennes^ touie
jpBtymU a obangfi de maoA^ el •souveot, depuis
Une seule chose est solide, naadame, et nulle
tt vous ' faut oti homme de fyi.
Mais j'eiiteBids : -de foi active.
« G'est-^dire : ua homme dIacUon ? » 一 Ou"
raais d'aotaon ffraductivey 一 un prodocteur, ub
ri ,
240 QUEL HOHME AIVERA LE HlEUlt
Le seul homme qui ait quelque chance de stabi-
lity en ce monde, c'est celui dont la forte main en
fait le renouvellement, celui qui le crfee, jour par
jour ; 一 et, d6lniit, pourrait le refaire.
Les hommes qui ont cetle action, qui, dans I'art
ou dans la sdence, dans rindustrie dans les affaires,
op&rent avec cette 6nergie, 一 peu importe qu'ils
formulent leur credo, 一 ils en ont un.
lis ne sont plus dans les brouillards du vieux fan-
tastique, qui doutait des r6a1it6s et ne donnait foi
qu'aux songes. Us croient fortement que ce qui est
est.
nc Belle merveille ! » direz-vous. Oui, madame,
belle et trfes-rtcente, (Test la foi aux choses prou-
v6es, c'est la foi dans I'observation, dans le calcul,
dans la raison.
Voulez-vous savoir le secret du crescendo de
Factiyite moderne, qui fait que, depuis trois cents
ans, chaque si6cle agU, invenle, infiniment plus
que le siide qui pr6c6de? Cela tient k ce que, sous
nos pieds, s'afTermit la certitude. La vigueur de
notre action augmente par la steurit^ que nous
donne un sol plus solide. Au seizi&me, Montaigne
doutait. Je Pexcuse encore ; rignorant ne soupgon-
nait pas I'aflerinisseinent d'espiit que donnaient
dffjh les grands prfecurseurs. Pascal, au dix-sep-
tidme, douta parce qu'il voulait douter; par Galilte
r ―
gUEL IIOHMfi AIHERA LE MIEUXt 241
et tant d'autres, le terrain 6tait solide. Aujour-
d'hui, (rente sciences nouvelles, Mties de milliards
de faits, observes et calculus, ont fait de ce terrain
un roc. Frappez du pied forlement ; ne craignez
rien, c'est le roc inibranlable du vra •
L'homme modeme salt ce qu'il veut, ce qu'il
fait et ou il va.
Quels sont les sceptiques aujourd'hui? ceux qui
ont int6r£t k l,6tre, ceux qui ne veulent pas s'in-
former, ni savoir dans quel temps ils vivent ; ceux
qui, se rfeervant toujours de varier, craigncnt
d'avouer qu'il y a tantde chosesinvariables. Quand
ils professent le douleje dis : « Combien voire doute
Yous rapporte-t-il? »
Est-ce k dire que les hommes actifs et produclifs
de ce temps ont la connaissauce complete de cette
trentaine de sciences qui font notre s6curite?Non,
ils en savent seulementles grands rSsultals, ils en
ont respril, ils les sentent sous eux, et solides, et
vivantes, ces sciences. A tout moment, s'ils se
baissent, ils reprendront dans la terre maternelle
de la \6rite, une incalculable force.
Et voilk la vraie diffgrence entre nos pires et
nous. Us s'agilaient dans un marais, eau terreuse
m QUBL HOUIfi aHiM. BE MIBUX?
WL ierre aquaMBa^ OMume leur pied glissak^
m faisaient fim de laurt mains. Ifads mos, camme
noMB ae glistom plus, mom irisoBs lieMicaup de nfls
mains et beavcMii^ de notare eqprii, heamcoiq) de
notre inventi«. Ni^us invcsUms dix fois plus qve
le siitele de Voltaire, qui iBvenla dix fois plus que
le si&cle de Galil6e, qui inventa dix fois plus que
le si^de de Liilher. Voiia ce qui mns reod gais,
quoi ,u'il arrive, voilk ce qui nous fait rire, el
nous fah arpenter la lie d'ua ferine pas de giants.
Quioonque se sent €n pumancey c^OBt^-dire plebi,
fort, productif, creaieur et g^o&afeenr, a ub fowls
inipuisable et de gaiety s6rieuse (c'esl la vraie), et
de courage, et d'amour aussi, madsmt.
Donnez cet homme a voire fille, un homme qui
soit loujours au-dessus de ses affaires^ qui la mele
k son action, qui I'enlraine en son tourbillon.
J'ose ripondre qu'il aimera, el qu'ft toote heure de
jour, de imit (cet unique point coftUent tout), 3
aum beaueoHp k lui dire.
IV
I>'£PBEUVE
Si Dieu m'avait faiinaitee fiUe, j'anraia bien so
me faire aimer. Camment ? En exigeant beaucoBp,
en commandant des dioses dilficiles, mass nobles
et justes.
A quoi 'sert k royaut6, si on ne I'eraptoie ? II est
sans Alii doute un moment oik la femme peut beau-
coup 9ur rhomme, oft ceUe qui sent sa valeur le
ohanne^eBlui'eii fiusant de hautes conditions, en
Toulanli qu,il proufre s^rieuieiiient cpi'il est amoii-
reux.
Quoi, monsieur I toute la nature k ce moment fait
effort, tous les fttres monlent d'un degr6, le vfeg6tal
dans la fleur montre la sensibility, le charme de la
vie animale, I'oiseau preiid un chant divin, et dans
Imsecte ramour s'exalle jusqu' & la flamme
244
L'iPREUVE
vous pourriez croire que rhomme n'est pas lena
de changer, d'filrealors un peu plus qu'homme?...
Des preuves 1 monsieur, des preuTes I... Autre*
menl je me soude peu de tos fades declarations ;
je ne vous demande pas, oomme ces princesses
des romans de chevaleric, que vous m'apportiez la
t£le d'un g6ant ou la couronne de TrSbizonde. Ce
sont Ik des bagatelles. J'exige bien davantage.
J'exigeque, du jeune bourgeois, de r^tudiant vul-
gaire, vous me fassiez la creature noble, royale,
h6roique, que j,ai toujours eue dans I'esprit ; et
cela, non pas pour un jour, mais, pour une trans-
formation definitive et radicale.
Quelle que soil voire carrifere, porlei-y un haut
esprit et une grande volontS. Alors, je prendrai
confiance, je pourrai vous croire sincere ; et, a mon
tour,je verrai ce que je puis faire pour vous. Celui 、
qui ne peut rien pour moi, que I'amour mftme ne
peut soulever au-dessus de la prose, du terre k
terre de ce lemps, Dieu me garde de I'avoir pour
mari I ― Si vous ne pouvez changer, c'est que vous
n'files pas amoureux.
a H^las I disent id les mferes, qu'adviendrait-il si
I'on osail tenir un si ferme langage?... L'amour
L'dPRfiUYE. 845
n'est pas k la mode, les jeunes gens sont si biases,
si froids, ils trouvent partout tant d'occasions de
plaisir, d^sirent si peu se fixer!... Les temps de la
chevalerie sont aujourd'hui bien loin de nous. »
Madame, dans tous los temps, rhomme ne de-
sire vivement que le difficile. Dans ces temps che-
valeresqueSt pensez-vous done que lejeune ^cuyer
n'eut i^as k discretion toutes les serves du voisi-
nage? Dans le singulier p61e-m6le et rentassement
confus de la maison f^odale, le page avail k Yolont6
force filles, force demoiselles. Eh bien, la seule
qu,il voulut, c'est la plus fi^re, Fimpossible, 一
ceile qui lui faisait la vie dure. Pour ceile-la, don t
il n'avait lien, il voulait 6lre un chevalier. Pour
elle, il allait mourir k Jerusalem et lui 16guait son
eoeur sanglant.
Aujourd'hui, la croisade est autre, elle est sur-
tout dans le travail et FStude, dans I'efforl immense
que Icjeune homme doit faire et pour se creuser le
sillon d'une sp6cialit6 forte, et pour ^clairer cetle
sp6cialit6 par toute la science humaine. Tout so
tient, et, dteormais, celui qui ne saura pas toutnc
peut nvoir une chose.
Je Yois d'ici, rue Saint-Jacques, par le hasard
14
t46 VEFRKOVE.
opporlun de cette fenftlre eatr^merte, tt 直 jeme
homme matinal, qui n,a pas en it se lev#»7; il a
veill6 cette nuit, mais ft' en est pas j^s fa1igu6.
Est-ce done I'air du matin qui I'a si mement re-
monte? Non. Je crois que c'csl une leltre qu'il lit,
relit, use et d6vore. Jamais feu ChampoUioa n'etu-
dia I'ecriture trilingue avec plus d'acharnement.
Lettie deferame, acoup sur. £ lie est courte,inai$
^loquente. Je me eantenle d en doniier ici une
ligne : « Maman, qui a mal k la main , me charge de
Tons 4crire, ― de vous dire qu'oa eiitend ici que
vous ayaneiez vos vacanees et que veus passiez au
plus tdt voire dernier exanien : R6iissi ssez e t venez . »
II ne faut pas oublier ce que c'esl qu'un pauvre
jeune homme sur le pave de Paris, n,en pas oublier
les tristesses, la langueur et la nostalgie. La science
«st belle, k coup sur, pour le maitre^ pour Fiaven-
teur lance au cbamp dm d6cou、'ertes, mais com-
foieft seehe etabstraite, oomme b p^Fead I'^tudiaat I
Cerles, lee amis* papeeseux, l^ers, qui ne
quent pas d'armer da&s ces moments de tiMeur,
Httraienl belle pFwe. . . Mais la lettre est Ik. Peadant
la conversation de ces ^lourdis, il la voit du coin
de roeil. EUe le tient, elle le fixe, die lui ymt fievre.
migraine, taut ce qui le dispenserak die sortir avec
em ce soir. lis s'en vont, et mon jeune hoHime se
met k reline «a leitre, a I'etudier s^Fieusement^ dana
Iftibrine et dans le fond, tdchafit devoir par I'teW'-
ture si la personne ^tait ^mue, saisissant lei tFak
memqu^ ou telle virgule oubU6o. com me chose si-
gnificative. Hais la mbme letlre, lue k telle heurc,
a (el moment, est tou4 autre ; hier elle fut passion-
n^, aujourd'hui d,un froid parfait ; orageuse un
jour, I'aufre jour, on la croirait indifferente.
Je ne sais qui disait ne regretter rien de sa jeu-
nesse « qu*un beau chagrin dans une belle prafc
rie. » Ajoutons la peine charmante qu'on a a ^U^
dier, dechiffrer, interpreter decent fa^ons l,6crUure
de la bien-aimte.
« Quoi ! une jeune demoiselle basarde d'icripe
un jeune homme? i> Oui, monsieur, sa m^re le veut.
Celte sage mfere veut k tout prix soutenir et garder
le jeune homme. Mais elle ne gotUe nuUemenl la
m^lhode anglaise, quicroit orgueiileusemenl qu'on
rapproche sans danger la flamme el la flamme. Les
Suisses, les homioes du Nord^ aUnient plus loin
dans leur grossi^rete ; ils trouvaient bon quePamanl
pass&l des nuits avec la fille, qui, donnant Umi^
L'BPREUTB.
moins une chose, ne manquait jamais, dit-on, de
86 lever vierge? Yierge, peut-6tre, mais non pure.
Chaque nation a ses vices. Les races germaniques,
avant tout absorbantes et gloutonnes, sont d'autant
moins inflammables. Cependant, aujourd'hui que
le rtgime hcik des Pamelas anglaises s'est telle*
ment charge de viande, inftme dc liqueurs alcooli-
ques, ces vierges sanguines et surnourries doivent
d^sirer elles-m6mes qu'on les garde mieux et qu'on
les d^fende de leurs propres Amotions.
Je ne dis pas que parfois il ne faille donner aux
amanfs le bonheur de se rencontrer, de se parler,
de s'entendre. Mais ces communications trop frt-
quentes, quelque pures qu'on les suppose, auraient
un inconvenient, de prScipiter leur amour, de les
brAler k pelit feu et de les marlyriser. Prolongeons
s'il se peut, un si beau moment de la vie. Que les
lettres y suppl^ent, celles de la m^re d'abord, et,
quand les choses avanceront, deviendront plus
silres, un mot parfois de la fiUe, ecril sous les yeux
de la m&re.
Mais j,ai oubli6 de dire cemment ramouracom-
incnc6.
Heureux ceux qui n'en savent rieni qui, nis au
L'tPREUTE. SIO
mtoie beroeau, nourris au m&me foyer, commen-
c6rent ensemble I'amour et la vie ! comme Isis et
Osiris, les divins jumeaux, qui s'aim&rent au sein
de leur m&re, et s'aim^rent mfime apr6s la mort.
Mais la Fable nous apprend qu'enferm^s encore
dans leur mfere, encore dans les t£n6bres de leur
douce prison, ils mirent le temps k profit, que cet
amour si pr6coce futd£j&f6cond, et qu,ils cr66rent
inline avant d'etre. Nous ne voulons pas pour les
ndtres que les choses aillent si vite que pour ces
dieux brAIants d'Afrique. 11 faut une initiation, il
faut de la patience, il faut mferiler d'fitre dieux,
pour savourer profondSment le moment divin dans
sa plenitude.
II est tr&s-bon, il est char mant , qu'ils aient v6cu,
jou6 ensemble, k troisans, quatreans, cinq au plus.
Au dcl^Je crois Irfis-utile de sSparer les deux sexes.
Qu'il I'ait vue petit, bien petit, qu'il ait jou6 avec
elle^quelque part qu il aille, il se souviendra de la
jolie petite fille, ― cousine, amie? je ne sais
quatre ans, on est tous parents), de la douce crea-
ture avec qui il 6tait m^chant, qu'il a souvent con-
trari6e, 一 et il y aura regret, serappelant sa com-
plaisance, son bon coeur, sa jeune sagesse. Tout
insouciant qu'il est, comme sontlespetits gargons
il lui reviendra parfois, avec le joli souvenir des
jeux, des goAters dalors, quelque envie de la revoir.
14.
250 L'£PREUVE.
Et, en elTet, k la longue, quand elle aura douze
anspeut 名 tre, il la reverra, mais plus s^rieuse, deja
n,osant plus tant jouer, dans le charme el la no-
blesse de cette preraiire reserve que montre la
jeune demoiselle, assise pr6s de sa m&re aux t&ies
de famille. Beatrix des Portinari avail justement
douze ans, el portait une robe de pourpre (c est-a-
dirc d'un rouge violet), lorsque Dante la vit pour la
premifere fois. Elle lui resta au coeur avec cct dge et
celle robe, el jusqu'a la mort il la vit com me une
enfant reine, v6lue de iumi^re.
Que mon coll^gien emporte I'idie de sa peli(e
Beatrix. II est sauve de bien des choses, de la vul-
garity surlout. Si le plaisir s'offre k Fenfant (ce
qui n'esl que trop ordinaire) par quelque basse
complaisance, il en aura la naus^e. Plus haul deja
est son coeur.
Que deux ans, trois ans se passent, qu,il la voie
enjou6e, jolie. L'accomplissement de cette rose, la
charmante vivacit6 de la Perdila de Shakspeare, qui
va, vient, aide sa mfere, est bergere, princesse k la
fois, voili un nouvel id^al qui gardera fnon jeune
homme. Si des dames peu d^licates ^pient son pre-
mier sentiment, elles arriveronl trop tard. En les
comparant, il dira : « Ma cousine est bien autre
chose I »
L'fiPREUVE
251
Pdtrarque, dans un tr6s-beau sonnet, dp naive
confession, dit k sa Lanre qu'elle est pour lui un
sublime pelcrinage vers lequel, lui p^lerin, il mar-
che toule la vie. Et il avoue cependanl qu'aux cha-
pelles qui marquent la route, il fait halte, et fait
aux madones de courtes priferes, ― Moi, je ne veux
point de chapelles, point de madones de passage.
Je \eux qu'a chaque point de la route notre bomme
voie au loin sa Laure el ne s'eri d6lourne pas.
Je me trompe, Laure elle-Hi6me veut qu,il ait
d'autres mattresses. EUe n en est pas jalouse et con-
sent de partager. Elle sail bien que le coeur de
Fhomme a besoin de diversil6. EUe sail qu au Jar-
dm des Plantes siege eette ravissante dame aux
belles mamelles, k grande Isis ou la Nature, qui
enivre les jeunes cCBurs. EUe sail qu'aux ecoles du
Pantheon et partoul, sonamant poursuivra d'amour
la vierge Ju&tice. Bien plus, elle est de leur partie^
elle s'int6resse pour elles. Elle le prie, par sa mive^
de l,oublier, s'il se peu" pour ses sublimes rivales.
Beau moment, noble moment, ou la femme
garde la femmei eette jeun^ fiile absentedonii^
courage k celui-ci daas r^Uide, les pvivalional
Grand et trte-griind a^antage de prolooger les tra,
vaux sifruetueijHLde «et Age, deconserver Ffinergie
an momenl mi «Ue comqpl&te, de ienir la coupe
pleifie. La vie Apre, la sauvagerie d'ilude qui fait
m L'EPREUYE.
les grandes choses, est bien autrement soutenue
quand ce Robinson de Paris peut dire, dans un
double alibi de toule vie basse et vulgaire : « J'ai
ma mallresse «t ma pens6e. 驂
c Manage, c'esl confession. » J*ai dit et rip&tt
ce mol; il est trfes-vrai, lres-f6cond.
Oh ! quelle chose dilicieuse, 6mou\ante etsauve-
gardante, d'avoir pour confesseur une fille de dix-
huit ans, k qui on est libre de dire, mais qui, elle,
est libre aussi de ne pas comprendre encore tout k
fait, et de ne pas trop diriger. La mire s'attendrit
parfois, et dit : a N'esUil pas malade?... Je le croi-
rais, il est triste... Ajoute une ligne pour lui. »
II est bien permis du moins au jeune bomme de
center a la demoiselle les aventures de son esprit,
les hauts, les bas, les espoirs, les joies, les tris-
tesses : « Hier, j'ai appris cela... Ceia m'ouvre un
monde... II me semble que, dans cette voie, moi
aussi je Irouverai... Aidez-moi, encouragez-moi I
Jo serai un homme, peut-fitre. ,
Savez-vous ce que je pense? Ce jeune homme est
un habile et un profond s^ducteur. C'est une t re-
vive jouissance pour un coeur de femmede cr6er un
homme, de s'apercevoir, jour par jour, des progr^
L'fiPREUVB. 253
qu'on lui fiiit faire. Dans la liftde vie du foyer de
famille, d'une mftre infiniment tendre, (Tim pfere
dg6 et trfts-hon, grande est 】a nouveauli pour elle
de s'associer peu k peu k la vie ardente d'un jeune
homme d'aventure, qui I'embarque sur son vais-
seau.
Elle se sent tris-engagfee. Elle a peur. Elle sere-
jelte 6mue vers le sein maternel...
Un beau jour, elle I'arrftte, elle I'Stonne, en lui
icrivant : « H y a foujours plaisir h converser,
^changer des id6es. Et tout ceci prouve suHisam-
ment Totre esprit... Mais votre coeurt »
V
COMMENT ELLE DONNE SON C(EUR
« Que de choses inyraisemblables dans le rfecit
,《ui pr6cfede I Un ^(udiant amoureux I un ^tudiant
qui prend sa mattrcsse pour confesseur! un 6tu-
dianl qui ne s'en tient pas a preparer sesexamcns!
un 6ludiant qui ^tudie ! •• • Oh! cela est trop absurde !
L,auteur ignore 6videmment ce que c'est que les
^coles. II oublie ce (emps si long qui doit passer
encore pour arriver au metier, pour acheter une
charge, se faire une clientele, » etc., etc.
Vous m'6clairez. J'oubliais que tous les jeunes
Fran^ais doivenl 6trc tous notaires, avou6s, fonc-
tionnaires, plumitifs et paperassiers, s'entasserin-
dMniment dans deux ou trois professions effroya-
blement encombr^es, dont le long novicial fait
qu'ils se marient li6s-lard, la plupart d^jJi us&s.
geKMERT ELLE DO 應 SdW '255
Qui fkil <Cete? 6,est surtout (a prudence des m^jes
qui veulent un gendre bien pos4. Fanetiannaire est
pour «lles synoH'yine de stabilil6, — sur cette
terre deF^volutions! 一 Notaire ! oomme cemol-Ui
soane bien a leur oreille ! C,est pourt^nt le plus
sevrvent l^bemme dayance obiri par I'acquisition
de 9a eh»Fge.
Cest ainsi que Fayeuglement de I'esprit de r6ac-
•lion, rifRorence et la peur des femmes, font du
peuple le plus avenlureux de la terre le plus solte-
ment limide, le plus inerle, le moUusque sur son
rocher. L'Anglais, l,Am6ricain, le Russe, on( la
terre enti^pe pour th6itre de leur aclivil^. L'An-
gtaise trouye naturel d'fepouser un nigociaHt de
Calcutta, de Canton. Elle suit son ipoux, ofticieF,
dans les derni&res lies de rOceanie. La Holiandaise,
^gatemeat aceeptera un mari de 4ava w de Sur"
nam. La Polonaise ne craint pas, pew consoler
I'extt^, d'aller vivre en Sib^rie ; la pers6v6raiice de
«es devouements a cr6e, par dela Tobolsk, une ad-
mirable Pologne, qui parte mieux que Yarsovie.
Mais prenoofi rAUemagne m6me, qui chirit tant
IHftl^iieur ; votts la voy«z se r^pandre 9u loin dans
les deux Am6riques . Par tout ou la fai&iile est &rte,
•ette en est plus voyageu^e, sAre de porter lebonheur
a?ec eile. L'amour cr^e parlout ia Patrie ; il J ,会 lend,
la multiplte. Avec I'amour rhomme a des ailds«
QOMMSMT ELLE DONNE SON OEUfi.
Vous seuls en Europe ignorez que, si Von ne
vous habille en soldats, vous 6tes le peuple siden-
taire, le peuple prudent Yous trainez ou vous na-
quiles ; mais on p6rit fort bien sur place, dans
voire vie de loterie, dans vos (empfites de bourse,
et rhullre m&me y fait naufrage. VoiUi voire stabi-
litij voili les positions sHres pour iesquelles le
mariage s'ajourne jusqu'a FAge mAr, jusqu'a l &ge
oil la pluparl, finis, n'onl plus que faire dainour*
La Gaule et la vieilie France furent le pays de
Fespoir. On se fiait a I'avenir et on le faisait. On
aimait, on ^pousaitjeune. A I'^ge oil ceux-ci, erein-
t6s, font wie /in et prennent femme, on avait dSJa
depuis longtemps maison, famiiie et post^ritS.
Les enfants ne vivaienl pas tous. Ccpendant ee
peuple gai, amoureux et prolifique, a mis parlout
trace de soi. Nos Gaulois, aux temps anciens,
avaient fait je ne sais combien de peuples en Eu-
rope et en Asie. Nos crois6s du douzi&me siecle
efferent nombre de colonies. Nos FranQais du sei-
zi^me et du dix-septi&me, par leur £iiergie, leur
sociability facile, conqu6raient le noimau moDde,
et fraricisaicnl les sauvages. Qui arr^le cela? Uni-
quemenl Louis XIV. aui« aUaauanila Iiollande» la
GOMMfiNr. ELLS DONNE SON GCEUR. 251
donna a I'Angleterre, lors maitresse des mers.
Sans lui, nous aurions les deux Indes. Et pour-
quoi? Nous 6tions aim^s ; nous avions des enfants
parlout. Et les Anglais n en ont nulie part (saufun
point, les Etals-Unis, ou se porta, en corps de
peuple, toute la masse des puri tains).
Songez a (out cela, jeune homme. Et, sur le pav6
de Paris, ou vous avez tant de ressources d'id^es,
d'arls et mille moyens de vous faire un homme,
orientez-vous un peu, ohservez de tous c6t£s. Em-
brassez d'un regard hardi, sage, et rensemble de
ia science, et la totality du globe, la g6n6ralite
humaine. Aimez, et aimez la m6me, une femme
aimante et d6vou6e, qui vous airae d'un grand
coeur et dans rincerlain de la destinte , et dans
I'audace inventive de vos courageuses pens6es.
Mais, monsieur, dit le jeune homme, veuillez
comprendre pourquoi nous devenons si prudents,
et d,une prudence de femmes. (Test que les fem-
mes, les m6res, nous font de telles condilions.
Ces belles lois qui, dans les partages, les 6galent k
rhomme, les font riches et influentes, plus influentes
que le p6re ; car celui-ct peut n'avoir qu,une for-
tune engag£e, en jeu, et hypolh^tique, tandis que
IS
S58 GOMHEM ELLE DONNB SON OStJR.
celle de sa femtne, souyent gardSe par un contrat,
rcste k pari. YoiU pourquoi elle r^gne el iait ce
qu'elleveut. Elle tire ses gar^ons du colUtgi,, pour
les tnettre je ne sais ou. Elle donne sa Qlle a celui
qui lui plait. ― Moi, parexemple, quisuis-je? que
sera 卜 je? ou que ferai-je? Je ne le sais pas encore.
Ccla d6pend d'une fernme. Je suis favoris6 de loin;
mais, de pr6s, si je vais monlrer la moindre au-
dace d* esprit, elie aura peiir, celte m&re, reculera,
gardera ftli fiilc pour un homme pos^ et rmgi.
II a raisoA^tejeuniB homme. line grande respon-
5dbilil6, en ce moment, est k la mftre. Elle a une
gnorme puissance pour faire et d^faire. Un mot
d'elie peut ojpirer une profonde transformation.
Le h^ros pcut te ranger, d^venir le ben sujeL
D'autre part aussi^ sur ce mot) s,U lui affennit le
eourage, un coeur jeune, amoureux, d,un seul
bond, peut devenir grakid.
Vous Meafemme el jeune encore, madiume, mais
d&jk dans oette seoonde jeunesse ou augmente la
prudence, btii bietl des choses ont p&li, odi l,on se d6-
fie de la titt. De gt&cie^ n'imposez pas d^a tant de
sag^se ft ceuX'ci. N'exigec pas que oe jeune homme
commetite Dar la viei Hesse. Vous I'aimie 化, vous
prentet plaisir k ses letlres enthousiastes. Eh bien,
acceptet4e lui-mftme, comme il est, jeune et cha-
leure^x. Vetue Cite n'y perdra pas. Agissex un peu
GOHME.NT ELLE [)ON>B SON C(£tJR
259
pour elle. Consultez-la. Je parie qu'ellen'a pas tant
peur que vous. El, au fond, elle a raison d'fetre
courageuse. Cesftmes-li, au premier essor, ptuvenf
paraitre excenli iques par I'excfes de leurs qualil6s.
Mais il faut qu'il y ait trop pour qu'un jour il cn
reste assez. Mflries, bientdt elles arrivent k la ve-
ritable force. Ce sont dies qui, m^nag^es, donne-
ront rid6al humain, de r^nergie dans la sagesse
Voici nos jeunes gens rapprochfes. J'aimerais a
m'arrfiter sur ce moment ravissanl, agit6, inquiet.
Au reste, cela ne se dit guere. On est loujours trop
au-dessous. On n'en saisit que la surface, le joli d6-
bal, ce doux semblant de dispute ou se joue l,a-
mour. II tieiit un peu de la guerre, et dans une foule
d,esp6ces, on ne s'approche qu,en tremblant. 11 en
est ainsi de la n6lre. L'alhue vive de la force
etonne un peu la demoiselle. Et d'autre part, le
jeune homme, pour peu qu'il aime vraiment, est
dans une crainle exlrfime qu'on ne se moque de lui.
A lorl. La fcmmc, la vraie femme, est trop tendrc
pour 6tre moqueuse. Notre demoiselle surtout,
61ev6e comme on a vu, n,est nuUement la bavarde,
reffronlte Rosalinde de Shakespeare ; 一 pas da-
vantage la rieuse 6tourdie, a !6le \ide, qu'on voil
»60 COMMENT ELLE DONNE SON C(EUR.
•f^P SOU vein ici. Sa censure badioe est 16g6re, une
SI douce petite guerre ne serait pas m6me senlie
de nos jeunes gens k la mode. Mais celui-ci, moim
Was6, s,6fneut, Mmii aux moindres choses. Delle
il ne supporle rien. II sc trouble, r^pond de tra-
vers. 11 souffre. Et, au m&me instant, voila qu,e】le
souffre aussi. fitre sensible i ce point l,un pour
1 autre, n'est-ce pas de I'amour?
L,amour, qu'esl-ce? et comment vienWl?
Commc on a 6crit la-dessus! el combien inuti-
lemenl! Ni le ricit, ni I'analyse, n'y serl, ni la
comparaison. L'arnour est lamour, une chose qui
ne ressemble k aucune.
Une comparaison ing6nieuse est celle que fail
M. de Stendhal, celle du rameau qu'on jelte aux
sources salees de Sallzbourg. Deux mois aprfes on
le retire chang^, embelli d,une riche et fantasl/que
cristallisalion, girandoles , diamants, fleurs de
givre. Tel est lamour jel6 aux sources profondes
de rimaginalion.
La comparaison allait a son joli livre, ironique
et sensuel, 雷 l Amoui'. Le fond pour lui est fort
sec ; c'esl une pauvre tranche de fcois, un bulon •
COMMENT ELLE DONNE SON C(EUR. 261
voila le reel : et le resle serai t le rfive, la broderie
de vaine pofesie, ue nous y faisons h plaisir.
Excellente Ihfeorie pour st6riliser a fond le plus
fi&cond des sujels. Th^orie banale, en rfalite, mal-
grfi le piquant de la forme. C,est toujours la vieille
Ihese : « I/amour n'esl qu,illusion. »
L'amour ! je n'ai rien 1/ouv6 de plus r6el en ce
monde.
Reelj comme seconde vuc. Seul il donne la puis-
sance (le voir cent v6ri(6s nouvelles, impossibles
a voir aufrement.
comme crMion. Ces choses vraies, qu'il
voyait, il les faisait Idles. Pour la femme, par
cxemple, ii est si doux d'fitre aimee, que, quand
elle s,en aper^oil, ravie et Iransfigurte, elle devienl
infiniment belle. Belle on la voit, mais elle l,esl.
Reel, comme criaiion double et riflechie^ ou le
crfi6 cree a son lour. Ce rayonnement de la beaule
que notre amour fait dans la femme, il agit et
rayon ne en nous par nos puissances toules nou-
velles de d6sirs, cle genie et d'invention.
Comment le nommerons-nous? Qu'imporle?...
C'est le mailre, le puissant et le f^cond... Qu'il
nous reste, et nous sommes forts. Lui de moins,
sur celte lerre, nous n aurions rkn fait do grand.
m COWmi ELLfe DONNE SON GCEUR.
La surprise aide k sa puissance. Heureux, bien-
hcureux le jeune homme si le hasard montre cn
lui quelque beauts imprevue ! Gela avance bien
scs affaires.
Exemple : on trouvait qu!h Paris noire homme
depensait Irop. 11 se laissait accuser. On decouvrc
que sur sa pension, se rMuisant au minimum des
premiers besoins, il nourrissait une famille pau-
vre. La demoiselle est altendrie, EUe parle pen ce
jour-la et n'ose le regarder.
De crime en crime, on d6couvre que ce coupable
jeune homme, tandis qu,on le pressait le plus de
se poser dans sa canrifere par les premiers succes
d'ecole, qui de loin devaient amener le grand succes
<l'elablissement, s'est conduit comme Font fait le
grand peinlre Prudhon et noire illustre physiolo-
gists, M. Serres. Tous deux, sans autre fortune
que leurs talents, dans un concours, s'6t6rent le
prix a eux-m6mes, travaillfirent pour un concur-
rent. Prudhon envoya ainsi i Rome un rival qui,
sans lui, n'eut pu conlinuer ses etudes. Serres, au
concours de m6decinc, en 1813, ayant parmi scs
camarades un pauvre Anglais in (erne, qui ne rece-
vail rien de chez lui et mourait de faim, imagina
de concourir pour lui, r6ussit contre lui-mftme, el
le fil ainsi placer 616ve a rH6tel-Dieu.
Un acle d'intrepidite, accompli dans un but hu-
COMMENT ELI4E DONNE SON GOBUR. 263
main, c'est encore m joli bouquet h offrir a c^lle
qu,on aime. On n'a pas toujours oea hsisards. Mais
ils vicnnenl k ceuY qui sont dignea, Un homme
tomb6 a la rivifire, un incendie, un naufrage, cent
choses en donnent roccasion.
De tels actes emportent ramour. la femme
est faible et Irfts-tendre. Je oonfie qeUe recettc k
ceox qui ne sont p9s aim68. Le seul moyep, c'est
d'etre beau. Du jour ou luit eet 6clair, elle recon,
nait son mattre, et elle se trouve sans force... A
lui de n^eti pas abuser.
Comment cela s'esl-il fait? Je ne sais. Point de
noce encore, mais il y a mariage.
Le pfere et la mere, amoureux de lui presque
autant, Fayant en si haute estime, respectenl leurs
tefe-a-t6te. lis se fient... lis ont raison.
Quelle sage conversation, quoique si tendre, si
imuel Elle cause insatiablement de menage et
d'arrangement, des soins de la maison fiyture ; lui
d'amour, des futurs enfanls. Elle 6coute, les yeux
baiss6s, mais r6sign6e, docilement. Elle n'a garde
de I'arrfiter et n'objecle pas un mot. Faut-il le
dire? elle est si douce, elle pa rait si soumise, que
lui, il se trouble, est tent6 de savoir au vrai ce
164 COVVBIT ELLB DOHNE SOR OEUIL
qu,il peut. la pauvrette pftlit fori. Elle ne luttc
pas, maU palpite, n'en peut plus, rhaleine lui
manque. Comment insister? Elle chancelle, s'ap-
puic sur lui, et enfin s'assoit vaincue d'femolion :
« £!pargne-moi, je I'en prie. C'est ta femme qui,
pour quelques jours, Ia demande gt \ce ! » Elle
met les deux mains dans sa main. « Aprts ce que
tu as fait, je ne pourrais te rfeister. Mais tu me
ferais du chagrin... Tu vois qu'ils se fient k toi",
h toi seul. lis m'onl vue si attendrie, qu'ils savent
bien que je suis faible... Sauve-moi de raoi, mon
ami, d^fcnds-moi, prot^ge-moi. Je ne me garde
plus nioi-mfime. 驂
VI
TU QUITTERAS TON PERE ET TA MERE
Les adieux de Sakonlala a la maison natale, k scs
soeurs, k ses fleurs, aux oiseaiix favoris, aux ani-
maux ch6ris, ce n'esl pas la une vaine comfedie,
c'est la nature humainc. On a desir6, et on pleure;
on a comple les jours, et,lejourvenu, c'est Irop lot.
EUe sent bicn alors tout ce qu'il fut, ce nid qu'il
faul quiller, combien suave et doux. Cette belle
fable de famillc, celle couronne dc je.unes freres of
soeurs, qui Tadoraient, la faiblesse de son pSre, s6-
vfere pour tous et desarme pour elle, une personne
enfin, unique, altendrissante, la victime reelle en
cette immolation, la pauvrc mfirc, qui sc conlient
si bien et ne pleure presque pas... Obi c'est Irop
pour la jeune fille)
15.
i66 TU QiriTERAS TON PfiKE £T TA MERE.
Nul rftve de bonheur, nul mirage d'imagination,
ne peut balancer tout cela. La veille encore k table,
les yeuz sur son assiette, elle ose les regardcr a
peine, de {»eur de se troubler. On descend au jar-
din. Elle, non. Sous quelque pr6lexte, elle reste,
die Ira verse de chambre en cbambre ceLte maisou
de sa jeunesse qu'elle quitter pouf tou jours.
Elle dit adieu k chaque meuble, a toule chose amie,
au piano, aux livres, au fauleuil de son pfere. .
Mais lo lit de sa m^re rarrfile... elle delate cn san-
glots.
« Quoi dene! elle n,aime pas? » 一 Ne le croyez
point. Non, elle aime. Chose bizarre, pourlant na-
turelle : au moment de le suivre 6poux, elle le re-
grelle amant. La chambre ou elle le rfeva, la table
ou elle lui 6crivit, entrcnt dans ses regrets. Les al-
ternatives orageuses de son amour de tant d'annees
lui reviennent au souvenir. De son bonheur nou-
veau, elle jelte un regard a ce monde de soupirs,
do songes, de vaines craintes, dont se repait la
passion ; elle en regrelte tout, jusqu*aux douceurs
ameres qu'elle trouva souvent dans les pleurs.
Rien ne la touche plus que de voir ses amis d'en-
fance, personnages muets a qui I'on n'a rien dit,
le chien, le chat de la maison, parfaitement infor-
m&s de tout, le chien la suit de longs regards ; le
chat, morne, immobile, a cess6 de manger et reste
TU QUimiiAS IQfi P£iRE ET TA V^R^. ^7
sur son lit, ce petit lit fille qui ser^ Vi^p de*
main.
lis ont r^iir de lui dire ; 仫 Tu pars, et qqus rps-
tona. Tu pnrs pour i'incpnpu,,. Tu quiltesf la mai-
son da douceur et ie la grdce, qtt tout te fut
permit. Quoi que tu fisses, c'^tail bien; quoi qi\e
tu di§s6$, c'etait hQm- Ta >n6re, ton pfere e| tpus
6laient su^pepdus k t^s Iftyres, vfcueiliaient a\i(}e-
inent UhU ce qui fechappait. Tes sqeiurs, qoipme
raison supr 细 e, allpgpaient ta parole, tranchi^ient
d'un mot : (( Ellc l a dit. » Tes fr^res i§taient fes
chevaliers, t'admiraient sans mot dire, o'imqgi-
naient rien au dela, n'aimaient dans les autres
femmes que ce qui te ressemblait.
« Maitresse I protectrice ! douce nourrice ! qui
tant de fois nous faisais manger d3ns ta piain I ou
vas-tu et qi^p deviens-lu?... Tu vas done avoir un
mallr^. \9S jurer ob6issance. Tu y^s vivre avec
l'6tranger, avec celui qui t'airne." qui, un jeune
hoirirne fier et mde... Son 6nergique activilft, tour-
nke au dphpr^^ que lui lais$era-t-elle bientdl pour
sa femme et pqur le foyer? L'effprt du jovir le ramfe-
nera scm 柳 t trist^ Ic soir, souvent amer. le^ d6s-
appoiDtements, |es non-succSs, te reviendror t en
injiistes caprices. «• Cette ojaison ^'nmour pii (u
vas, ot) I que de fois elle sera plus sombre que ta
chfere inaison patarnelle ! Toiit Stsijt si serpin ici f
26S TU QUITTER AS TON PkRg ET TA HfcRE.
D&s que tu riais, tout riait. Ta folfttre gaiety, ta
fralche jeune voix, ta bont6 h faire tons heu-
reux, cela faisait un paradis, une maison de bea-
titude. Tout itait amour, indulgence ; tous etaieni
enhardis de toi...Car ton ptee el ta m6ren,avaienl
pas le courage de gronder les enfants, ni nous...
Le chien le savait bien, a certaines heures, que
tout 6lait permis. Le chat le savait bien. A tels mo-
ments d'effusion, au dessert de famille, nous nous
glissions, nous 6tions de 】a ftte... Et tes oiseaux
venaient, battant des ailes, cueillir a ta Ifevre un
baiser. »
La femme est nke pour la souf France. Chacun des
grands pas de la vie esl pour elle une blessure. Elle
crolt pour le manage ; c,est son rfive legitime,
Mais cetle vita m 請 a, c'esl I'arrachement de son
passe. Pour donner a I'ainour rinflni du plaisir, il
faut qu'elle souffre en sa chair, Combien plus,
grand Dieul quand bientdt I'autre 6poux, i'autre
amant, Penfant, plus cruel, du fond deses entrail-
les, reviendra dechirer son sein !… Est-ce toul?
Nos afeux eurent ce proverbe sombre : « Mai de
mire dure longtemps ! » Mere voulait dire matrice,
et le sens du proverbe, c'est que la pauvre femme,
TU QUITTEUAS TON PflRE ET TA N£RE. 269
apr6s la torture el les cris de raccouchement, n'en
est pas quitle, que la maternity, de fatigue et d*in-
quietude, de chagrins, de douleurs, la suit et la
suivra ; 一 bref, qu'elle accouche toute la vie.
Quel jour, h quel moment m6ne-t-on la viclime
a Fautel ?
Que nous importe? dit Ic 16gislateur. 一 Que nous
imporle? dit Ic prfitre.
L'aslrologue du moyen &ge disait •• a II imporle
bcaucoup. »
Lui seul avait raison.
Mais ce jour, comment le choisir? 11 metlait dcs
Umetles, et regardail au ciel, ne voyait rien, puis
dScidait.
Ce qu'il faul regarder, c'csl la femmc ellc-m6me,
la chfire creature qui quitte tout, qui souffre et se
cl6voue. II faut aimer, vouloir qu'elle souffre moins
de son sacrifice. S,il 6tait un Jour, une semaine,
propices ot doux, choisissons-les.
Qu,on me permette de m'arrSfer ici, et de de-
mander comment il se fait que les innombrables
270 TC QUIHERAS TON PfiAE GT U MEUG.
auteurs qui ont traits 4e I'amour et du maripge ne
se soient jamais occup^s de ces questions. Mais c*c-
tait justement le fond de leur sujet, tout au moins
le point de depart n^cessaire 抑 ns lequel ils ne pou-
vaient parler, raisonner qu'au hasard.
La nature, heureusement, ne se fie pas k nous
pour les grandes fonctions de ia vie qui la conser-
vcnt. EUes s accomplissent d'i nslinct et comme sous
reinpire du sommeil. Noire chimie physiologique,
si prodigieusement compliquee,va son chemin sans
demander conseil. II en a 6t6 ainsi de la perpetuity
de I'esp^ce h 画 aine, op6r6e par Painour et le ma-
ridge, par la constitution de la famiile. Tout cela
n,a presque en rien changfi, et rhomme est reste,
pour cps grandes choses essentielles, dans la lignc
raisonnnble. La d6raison ne s'est trouv6e que dans
les hauls esprits, les homines de pens6e et d'auto-
rit6, dans les guides de respece humaine.
Exemple les feconomisles, les profonds politiques,
qui se sont figure pouvoir rtglemenler ramour,
retarder ou prfecipjler 】e cours de la f^condite. Pas
un ne s,esl inform^ de ce que c'est que fecond^tion.
lis ignorent que I'on a tranchfe la thfese Malthu-
sienne, ou ils vont toujours a tdtons.
Exemple les th6ologiens, qui ont si merveilleuse-
ment 6clairci la Cpnception sans coni)pit,re pe que
c'est que concepljon. Exemple les casiijstes, qui ont
TU QUITTfclUS 10^ P£PG ET TA MfiRE. 271
si parfaitement dirjge, purifie la vie conjugale, sans
savoir ce que c'esl que le mariage.
Ajoutons les lilterateurs, ceux qui, dans tant dc
livres 61oquents,ont discute le droit et le fait, accus6
ou la femme ou Phorrime, pes6 la question de la
sup6riorite d un sexe sur raulre. Noire gr^iid ro-
mancier, celle femme d'a(Jmir9ble puissance ; noire
grand disculeur, cet homme de bras fort et terrible,
qui, secouant le pour et le contre, fait padout jail-
lir r^tincelle, 】e monde les contemple en ce grand
plaidoyer. N'est-il pas 6toiinant qu'aucun des deux
n ait descend u au fond du sujet mfime, a la base
infferieure, d'ou pourtant fleurit tout le reste?
Infcrieure? llien n est inferieure. Laissons la ces
\ieilles idees d'6chelle, el de haul et de bas. Pieu est
spherique, a dit un philosophe. Le ciel est sousnos
picds autant que sur nos tfites. Jadis, on m^prisait
Festomac, pour relever le cerveau. On a trouve
(1848) que le cerveau digfere; sans lui, du moins,
on ne fait pas le sucre, qui seul permet de dig6rer.
Pour revenir, avant 1830, ou Yon posa U fait
Poeuf, de la crise d,amour, U th6orie ne disait
que sottise. Avant 1840, ou la loi ful po56e, cl
212 TU QUIHERAS TON PI^RE ET TA HfiRB.
les temps fdconds indiqute, toute pratique fut
aveugle. L'observation pers£v£rante des grands
anatomistes, l'autorit6 de F Academic des sciences
(vrai pape en ces mali^res), enfin renseigne-
ment souverain du College de France, de 1840
a 1850, impos6rent k PEurope ces dfecouverles,
accept^es d6sormais comme article de la foi hu-
maine.
Que la science est venue k temps I La medecine,
en presence du flfiau du sificle (i'universalitfe des
maladies de la ma trice), apres avoir us6 en vain des
bru(alil6s de la chirurgie, begayait, tournoyaiL
L'ovologie vient au secours. C'esl la profonde ^lude
des fonctions qui doit ouvrir la voie pour com-
prendre les alterations. Et qui sail? les premieres,
doucement veil lees par ramour, peutWrc prfevicn-
draient les sccondcs.
Pardonne-moi, jeunc homme, ces discours se-
rieux a I'heure oil, sans nul doute, ton co&ur a bion
d'aulres pens6es. Mais, mon ami, l ainour est in-
quiet. Pour toi, pour elle, jc voudrais, de ton
ciel po6tique, te ramciier au reel. Et le reel, c'esl
elle; done c'est le ciel encore. li s'agil d'elle, et de
votre avenir. Quand la saiU6, 】a vie de ce cher
objet est en jeu, ce n,est pas toi qui nous re-
procheras un excfes de sages se et de tendres pre-
cautions.
TU QUITTERAS TON PfiRE ET TA MERE. 273
N'esl-cc pas un obstacle k faire songer que de
voir tout aulour de nous la femme, jeune et char-
mante, frapp6e dans l,amour mfime, condamnie
aux refus, aux fuites involontaires, ou (conlraste
odieux) donnant le plaisir dans les pleurs ? D6so-
• laiite situation, qui de bonne heure assombrit le
mariage, et bientdt le supprime ; qui fait craindre
la g^n^ration. On fr6mit d'engendrer, quand on
sail qu'aux 6preuves de la maternil6 le mal s'aigrit,
s'aggrave. Aux epanchemenls les plus lendres des
coeurs qui ne font qu'un, apparatt un tiers, la dou-
leur, I'effroi de Pavenir (et la morl!) entre deux
baisers.
Ce fl^u marqua moins jadis, d'abord, parce
qu'on mourait plus vile et qu'on comptait moins la
douleur ; mais aussi pour une autre cause. La
femme, nuUement affln6e, vivant moins de vie c6rc-
bralc, pouvait r6agir davantage physiquemenl
conlre les chagrins et con Ire les mauvais traite-
menls. J'appelle ainsi surtout ce que doucereuse-
ment on nomme empressemenls amoureux, mais
qu'il faut mieux nommer, les exigences de plaisir
fegoisle qui veut trop, qui veut mal et ne s'informe
pat des temps ni des souff ranees. 一 Celle-ci, faiblo
et delicate, ressent tout et profond6ment. II n*y a
pas h rire ici. 11 faut une s6rieuse allention, c'esl-Si-
dire un amour de tons les moments. Ce que je di-
m TU QUIHERAS TON P^B ST TA M^E.
rais k la m^re, je le dis bien plus a ramant
Plus fragile au fond que I'enfant, la femme de-
mande absoliiment quVn V%ime powr elle, qu'on la
manage fort, ct qu'on sente k toute heure qu'cn
serrant Irop on n'est bien sAr de rien. Get ange
ador6, souriant, florissant de vie, souvenl a la terre
il ne tient que du bout de I'aile ; rauire deji I'em'
porte ailleurs.
Ne dcmandons pas h Pignorance du passe ce
que l,on peut faire dans ce grand int6ret, si cjierl
11 ne salt et ne dira rien. A la science scule de re-
pondre, k Famour seul d'ex6cuter.
La science dit d'abord une chose simple : qu'il
faut aimer d rheure de celle quon aime, sans rien
pr6cipiter, laisser les choses se faire, se succ6der
dans Ford re nahirel, n'en faire qu'une h la fois,
craindr^ toute congestion el toute irritation durable,
Des lors on sail le vrai moment legitime et sacre,
ou doil se faire le mariage. Dans un m^moire que
rAcad^mie des sciences a rouronn6, autoris6 de sa
haule approbation, il est dit quon ne doit marier
la jeime fille que dix jours aprds le travail de Vovula-
teon. c'est-a-dire dans la semainecalme, sereine et
TO QUITTEUAS TON P£RE £T TA MERE, 215
st6rile qu'elle a entre les deux Spoques. (Raci-
borski, 1844, p. 133.)
Cetle excellente observation, humaine aiitant
que raisonnable, n'est point de pratique empirique.
Elle est hautement scientiflque. Elle derive des
fails 6tablis, des lois formulSes de Povologie. Elle
en est la deduction naturelle. Elle aussi, elle res-
tera invariable, coiiime 】oi naturelle et n6cessaire
du mariage.
Rien de plus sage en effet. II faut prendre le mo-
ment st6rile, dit rauleur, parce qu'elle souffrirait
Irop d'6lre enceinte d6s le premier mois. Quelle
durete ne serait-ce pas de faire coincider pour elle
Irois malaises et trois douleurs : 1, indisposition
mensuelle, Vinitiation du mariage, et I'ebranlement
d'une premiere grossesse !
a La mfere y pensait, » dira-t-op. Point du tout.
Elle laissait passer I'epoque, mais la mariait sou-
vent trois ou quatre jours aprfes, c est-i-dire pre-
cisemcnt lorsque la femme est plus f6conde. Tout
d'abord elle 6lait enceinte.
Les dix jours pleins qu,on surajoute lui seront
un bienrait. La science se met ici entre elle et la
passion impatiente, la garde dans les bras de sa
mere, et mieux que celle-ci ne faisait, ~ Ainsi,toute
grapde dfecouverle, toute grande v6rU6, qui d'a-
bord n'est qu*une Iqmidre et nc parte qu,i la rai-
m TU QUinERAS toy P£:RE ET TA HfeRB.
son, ne tarde pas k aboutir aux touchants r6sultals
pratiques qui en font une chose de coeur.
A chaque jour suffit sa peine. Assez d'un travail
h la fois. Dispensez, je vous prie, la marine, dans
line telle journ6e, de ces bruyants repas des noces
(le province, ou les sots voudraient l*6touffer. lis
diront, si elle ne mange •• « Voyez-vousl elle est
Iriste... On la force... Elle n'aime pas beaucoup
son mari. x>
Je vois que le bon sens dc nos aieux voulait,
lout au conlraire, qu'elle ne \!nt k celle 6preuve
de separation et dc larraes, de douleur morale et
physique, que mafcrnellemenl pr6par6e, bien de-
(endue, fralche et 16g6rc, d'aulant moins Yuln6-
rable.
Les riles cl les symboles du manage sont bien
incomplels jusqu'ici. lis s'occupenl surabondam-
menl d'enseigner au faible qu'il est faible, done
qu'il doit 6lre d6pendant. II serait bien plus in-
structif, plus original, plus humain, d'enseigner
au fort qu'il ne doit pas ici se monlrer fort, lui
inspirer, i ce moment, les managements et 】a
compassion. « L'amour y pourvoira, » dit on. Mais
c'est tout le confraire, il change 6(rangement,
TU QUinbUS TOiN PEKE £T TA MERE. 277
avouons-le. A cerlaines heures, une b6te sauvage
rugit d'impatienceen riiomme, la ffeiocite du desir.
Les mfidecins commencenl k soupgonner que la
pricipitalion, I'insislance aveugle (faul-il 】e dire?
rorgueil cruel) sont ir6s-souvcnt la premifere cause
d^irritations durables, d'ingu^rissables congestions.
一 a Ingu6rissables? » belle demandel Comment
gucrirait-on, si chaque jour revient aggraver?
Qu'une seule chose lesoil presenle a ce momenl
si d6cisif, la chose pieuse, la chose religieuse, el
le souverain cxorcisme qui cKassera le diable plus
qu aucune foi mule. Cestle mot des jurisconsultes :
« Manage, c'est comentement. »
Ce ne serait pas grand'chose de t'en souvenir a
midi, si tu ne t'en souviens pas Ic soir, k I'heure
emue ou ton trouble est si grand. C'est alors, c'est
alors qu'il faut ten souvenir : « Mariage, c,est con-
sentement. x>
Je I'aimerais bien si, la veille, lu avals I'espi'it
d'y penser, si, meltani de c6t6 rorgueil et ses
sot Uses, consultant ramour et le coeur, pensanl k la
pauvre petite, tu te fusses entendu avec la mere,
qui, sans toi, n'ose rien vouloir. II faut adoucir,
assouplir ces Opines, sinon Ics aplanir. Le rite
compatissanl de rinde parle ici comme nos m6-
decins.
La fille de France est rieuse, moqueuseparfois a
278 TU QUIITEIUS T0» P^RE ET TA M&RE.
nos d^pens, mais en meme lemps la plus nerveuse
dc toute la lerre, si prenable d'imagination 1 EUe
devrail ne pas craiadre celui dont elle est mai-
tresse absolue. Et pourlant elle fr6mil. Cela va a ce
point que, u'y eut-il presque aucune difficuUS, il y
en aurait encore par la constriction de resprit.
Les homines, si egoistes et ne pensant qu^a eux, se
sonl plaints Irfes sou vent de la sorcellei'ie, qui,
disent-ils, paralysait tout. Mais les frayeurs de
fcmme, plus vraies, vous ne les complez pas? II
faudrait remettre resprit, c'esl le grand point. 11
faudrail fitre patient, magnanime, et vouloir...
non pas centre soi-mftine, mais pour deux... vou-
loir qu'elle aussi elle fut heureuse; la consulter,
lui ob6ir, et desirer cc doux Iriomphe : que la dou-
leur ne d^pldt pas.
Heureux qui sail preparer son bonheur I qui le
veut libre el d6sir6, so fie a la lendresse, a la bonne
nature! Adoraleur sincere, de devotion vraie, il
honore les abords du temple, il en couvre racces
(Tune tendre el paliente insistance. D elles-m^mes,
pour lui, elles vibreront, les portes saintes. Du
(lieu qu*on croit si loin, la vive eiincelle est a&
seuil.
TU QOmERAS tm P£hE ET TA 血! :• 279
Dans un 6tat plus haul, plus avanc6, ou nous
arriverons, on comprendra pourtani que cette douce
initiation vaul surtout par la voie nouvelle qu ell6
donnc pour aller au coeur, qu'elle n'esl qu'im degre
des progrSs que ramour fait dans la conqufite suc-
cessive de robjet aim^. Ces progrfes, en loute union
s6rieuse, onl prte6d6 de loin la fete qui en est la
proclamation. Le mariage d'Ames doitexisler long-
temps avant lia noc6, pour continuer apr^s et aug-
menler de plus en plus.
EffaQons de la langue ce mot immoral el funesle :
consommalion du mariage. Celui-ci, ^tat progres-
sif, n,a sa consommalion que dans rensemble de
la vie.
La noce est le moment public de cette longue
initiation. Utile, indispensable, comme garantie,
elle a souvent, comme fete bruyanle el 6clatanle,
un tres-mauvais effet, de faire tori au mariage. Ce
bruit fait croire qu'un jour a tout fini, et que IV
mour a tout donne. Les lendernains sont ternes el
froids. La i&ie a le tort de dater ce qui devrait 6tre
^lernel.
Non, mcme k ce moment divin, sache bien qu'il
n'est tel que parce qu'il ne consomme rien, ne finit
rien ; il est divin, parce qu'il commence. La douce
idole s'est donn6e en ce qu'elle a pu; donn6e en t'ac-
ceptant damour; donnee en disant qu'elie est tienne;
SbO TU QUimRAS TON P£R£ ET TA H£RE.
donnee en ouvrant k ton plaisir une des profondcs
porles de i'dme. Mais cette dme est tout un royaume
(led6Iiccs qu*il faulmaintenant parcourir. Lemondc
de d6couvertes a fa ire qui est en elle et qui I'at-
tend, comment le saurais-tu d'avance? Elle ne le
connait pas elle-m6me. Elle veut seulement de pas-
sion que tu en sois maitre et seigneur. Poss6d6e,
elle sent d'instinct qu elle peut rfitre bien davan-
tage. Elle fera ce qu'elle pourra, pour que celJe
mer insond6e de sentiments vierges encore,
chastes ct d^Iicats dfeirs, tu la p6n6lres tout en-
I i fire par rinfiiii dcs sens nouveaux que va cr&ev en
toi rAmonr.
气'
VII
LA JEUNE £POUSE. 一 SES PENSfiES SOLITAIRES
Au livre de rAmour^ j,ai marquS ies grands traits
ext6rieurs de la situation. Ici, je voudrais davan-
tage : observer la femme elle-mfime, elle surlout
qui eut de fortes racines de famille, ct que le ma-
nage le plus d68ir6 d6racine pourlant du sol ou par
mille fibres elle 6lail engag^e. Passage di^matique.
Des parents regreltSs a i'6poux ador6, elle passe,
non pas h6si(anle, ni combattue, inais d^chiree.
Aime t-elle nioins?Infiniinent plus, de toule I'^ten-
due de son sacrifice. Elle se donne avec sa douleur,
et, d'un amour immense, d'unc foi sans riserve,
lui met en main son coeur sanglant.
Je ne sais si cet homme eperdu de bonheGr con-
serve assez de lucidil^ pour senlir tout ccla. Mais,
10
S82 U J£UNE EPOliSE.
pour moi, je ne connais aucun spectacle plus tou-
chant que celle fille 6m ue (faut-il dire vierge ou
femme?) qui tout a coup se Irouve transplant^e hors
de ses habitudes et de (out son monde connu, dans
unc autre maison. 一 C,esl, ce sera lasienne. Mais
encore faul-il bienqu'elle ea prenne connaissance.
Jusque-Ia, tout est fitrartger. Elle ne sail ou lout
pose. Chaque meuble neuf lui rappelle Ic bon vieux
meubledefamille qu'elle a laissfe la-bas. Son marly
il est vrai, de sa vive personnalit6, de sa jeune cha-
leur, de sacharmanle ivresse, illumine et rfechaufle
lout. Mais, quoi qu'il fasse, 1 n'est pas loujours
1". Qu'il s'absenle un moment, tout change, (out
parail vide et solitaire.
L'autre maison, dans sa grande harmonie d'af-
fections multiples, pftre, m^re, frfires, soeurs, ser-
viteurs, animaux aim6s, etait un monde tout fait.
Et ceci est un monde a faire. Ueureusement, il est
ici, l,ardent, le puissant crealeur, le viviiicateur :
Amour.
11 estjaloux. € Si vous voulez, dit-il, cr6er, com-
mencer avec moi ; si vous voulei que, de mon aile,
Je vous porte dans I'aTenir, ne me liei pas de ce fil
trop lull, trop ch6ri, du passd. La premiere loi du
drame, i united* action^ c'est la premiere loi dans la
vie. N'esp6re2 rien de fort que ce qui sera simple.
€ Bien fou qui cioil le coeur immense, qui croi
SES PENSEES SOLITAIRES
S83
qu'en partageant, chaque part ost toujours un en*
tier! Que sera-ce de toi si elle est toujours la, ceik
mere plaintive, je Be dis pas jalouse, avec qui la
femme vivra, a qui tout le jour elle se confiera ?
Qu,un nuage vous \ienne, elle en parle el reparle ;
clle se console par sa mere ; le nuage prend corps,
subsiste a l,horizon. Autrement, c,est loi-mSme,
c,est ramour, c,est la nuit qui seul aurait tout
dissip6...
a Et ses freres, crois-tu done qu'ils ne soienl pas
un peujaloux deThomme qui enl6ve celle qui fut la
joie de la faniille, son charme atlendrissant? Jeuncs
et pures femotions, non condamnables, cerles . Mais
eel a mfime fait le lien plus fort, plus naturellel'hos-
lilit6 secrete. L'intime g6nie de la famille, an mo-
ment eclips6, peut revenir plus tard. Avoir graiidi
ensemble ! avoir tant de souvenirs communsl pou-
voir se dire (entre eux) mille choses de rien, si pre-
cieuses pourtant et si chores, dont tu n,as pas eu
connaissance, c'est un demi-mariage. Le passe a
ccla de fort, de dangereux, qu'embelli par le temps,
par les pertes el les regrets, paries douces larmes
qu'on lui donne, il est cent fois plus cher que quand
il etait le present. La sainte lueur du foyer com-
mun, du berceau ou ensemble ils dormircnt, s,6-
veillferent ensemble, die ram^ne toujours /es re-
gards en arriere. Le coeur esl double ol partagfe. La
M LA JEUNE tPOUSE.
tradition, rantiquit^, la pens6e rfilrograde, com-
battront ramour heure par heure...
« Nature dit : En avant I... Enlftve done ta femme !
Sans rompre ses liens de famille, vis avec elle a
part. Plus sa famille est loin, plus ta fcmmc est a
toi. Plus aussi tu s ce devoir, ce bonheur, d'filre
tout pour elle. Tu ne peux pas la nSgliger. Tu cs
son p6re, et jourparjour tu engendreras son esprit.
Tu cs son fi fere pour la soulenir de causerie amicale
el de douce camaraderie. Tu es sa mfere pour la soi-
gner en ses pel its bcsoins de femme, la caresser, la
g^ter, la coucher. Sous ta main maternelle, autant
que conjugate, elle croira, souffranle, relrouver
son berceau. Et, par loules ces choses minimes,
humbles, enfanlines, enveloppant la cWre entanl,
tu l,el6veras d'autant plus avec toi aux aspirations
de I'avenir. »
Cela est un peu dur, mais vrai, mais grave. C'esl
la loi m^me du manage. Done, elle aura des heures
de solitude. Elle en a, d6s leIendemain.Car,comme
on se croyait dans la s6curite du plus doux t6le-ii-
ISte, void le medecin, intime ami commun, qui
force la consigne et voudrait emmrxier r6poux.
II pretexte cent choses \aines, certaine affaire a
lui, press 紐 et importanto, oil le mari seul pcut
SES PENS£ES SOI iTAIRES. S85
I'aider. Celui-ci le maudit, et il le suit pourtant.
Eile est si raisonnable, que, mfime en un tel jour,
clle ne voudrait pas que l,on manqu&t k i*amili6.
En realile, c,est pour elle qu'oii agit en ceci. Un
usage antique et fort sage, c'^tail de laisserrespirer
un peu la marine. PlAt au ciel qu'on pCit obtenir
les trois jours d'abstinence que jadis on leur im-
posait (sauf echappees furtives) ! L'arnour reprenait
force etcroissait de desir. Et elle, elle avail le temps
de se remeltre. La bonne nature rfepare vile, adou-
cit, raffermit. A quelle condition pourtant? Qu il
y ait un peu de repos.
L'amour n'y perdait pas. On le voit au Cantique
des cantiques. Car la vierge dolente, d6s qu,elle
n'etait plus assi^gee el perseculfie, languissAit d*6-
tre dejS veuve, voulait qu,il revintSi tout prix. Elan
naif et si touchant !••• Elle ctait bien paisible ju9-
quc-la, cette chaste fille. Et pourquoi I'avez-vous
troublce ? Ne riez pas, media nl I mais aimez, ado-
rez... La voil5 ^perdue (dans ce poSme ardent de
Syrie) qui se l&se la nuU, court le chercher dans
Ics rues sombres, au risque de mauvaises rencon-
tres... Prot6gez-la, conduisez-Ia. Ramenons-le plu
tdt, cet Spoux... Ah ! qu'il est heureux I On ne se
plaindra plus. La douleur de 1' absence rend rail
(ioucc toute autre douleur.
386 A JEUNE fiPOUSB.
Pour revenir h celle-ci, qui ne court pas les rut
la nuit, la voili pour la premiere fois seule dans si^
nouvelle maison, en presence de sa pensee. EUe se
reciieille religieusement. Elle couve ce prodigieux
rfive, et 8, en reproduit les details. Elle revient k son
mari, si tendre, si gfenfereux, si bon; et ses yeux
en sonl moites. Elle repasse sa douceur, sa patience,
son infinie d^Iicatesse, telle mystferieuse circon-
stance, et ellerougit. • • Parfois, il lui vient en esprit
que tout cela est une illusion, un songe, et elle a
peur de s'6veiller. Mais non, le doute est impossi-
ble. Un signe fort sensible le lui rappelle assez, un
signe qui ne passera pas : « Tant mieuxl c'est pour
loujours, dit-elle (ce penetrant bonheur, aiguil,
lonnfe d,6pines, lui parle de moment en mo-
ment)". Tant mieux ! je suis sa chose, marquee
de son amour... C,est fait... Dieu n,y pourrait plus
rien. »
Si fiere avant ! et si digne toujours I Elle est
fern me pourlant, elle est lendre, elle s'atlache
parce qu,elle souffre, veut apparlenir etdfependre;
elle savoure solitairement les humilitSs de la pas-
sion. Si les 6pines durent, elle s'exalte encore plus
par la difficult^ et le devoir. C'esl comme la mire
bless6e en allaitant, et qui veut allaiter. Un etrange
combat se fait, oil celui qui desire r6siste au d6«
vouernent. S,il est fort, magnanime, s,il se prive,
SES PEKSIES SOUIAIRES 287
k force d'amour, oh I son coeur fond, a eile, et,
dans son attendriesement, elle paye surabondam*
ment ue caresses, de baisers, de larmes, ei le com-
ble, et renivre. Elle ne compte plus avec lui , se
donne en cent choses charmantes, bref, rend la
sagesse impossible. Le vertige I'emporte. II prend
dans le remords la volupt6 amfere. Mais n'ayant de
ramour que le cdte sublime, elle, dans la dou'eur^
elle goi^te la divine unit
匸 r
Situation nullement rare, qu'une fata)it6 sen-
suelle ne prolonge que trop, parfois des semaines
et des mois, au grand peril de la viclime dfrvouee.
L,un en est attriste, humilic, plein de regrets, et
Ti'en p6che pas moins. I/autre est fi^re et pure,
courageuse ; mais elle exige qu'on ne consulle pas.
Le seul remade qu'on n'ose dire serait, si le mari
est milifaire, marin, un ordre de depart, les arr6ls
pour un mois, que sais-je ? Mais quel serait le d6s-
espoir ! Au premier mot d'absence, elle 6clale,
elle pleure... « Que je meure 1 peu importe I C*est
mourir c[ue de te quitter.
m u JEUNE Spouse.
Elle est bien haul en tout ceci I avouc-Ie, man
ami. Mais de toi I je ne sais que dire. Je te plains,
pauvre serf du corps, Je plains notre nature esclave.
Elle, combien noble el po6tique I C'est la po6sie
du ciel qui est tombSe chez loi. Puisses-tu le senlir,
etTentourer d'un digne cultel... Celle frftle et ra-
vissante ^manalion d,un meilleur monde, elle t'est
remise, pourquoi? Pour te changer et le faire un
autre homme. Tu en as grand besoin. Car, fran-
chement, tu es un barbare. Civilise-toi un peu. A
ce contact si doux, tu reformeras les dehors. A eel
amour si pur, (u sanclifieras le dedans.
Hier encore, tu 6tais dans une soci6t6 d'amis
bruyants et de plaisir sans g^ne, et le voili avec ta
jeune siinle, ta vierge, ta charmante sibylle, qui
sail, comprend, devine toute chose, aiitcnd Fherbe
pousser sous la terre. Elle a tou jours vfecu a un
foyer si harmonique, doux et r6glfe, silencieux. Ta
force jeune, (a vivacil6 mtle lui plaisent fort, mais
r^branlent. Ton pas resolu , ton allure un pen
brusque en fermant porles el fen6lres,6lonnent son
oreille. Sa mere allait si doucement ; son pere par-
laitpeu, a voix basse. Ton 6clatantc voix, de tim-
bre milil^^ire, bonne pour commander des soldats,
au premier jour, la faisait tressaillir, je ne dis pas
trembler; car elle souriait tout de suite.
Adoucis-toi pour ta douce compagne, Elle veut
SES PENSiES SOLITAIRES. S80
I'fitre en tout. Elle veut raider ct te scrvir, 6tre ton
jeune ami, dit-elle. Elle est cela, mais autre cTioso
encore de faibleel detendre qu'il faut d'autant plus
manager qu'elle ne veut pas de management. (( Moi
delicate? nuUement. Moi malade? jamais. » Elle dit
h sa mfere : « Tout va bien . » Tin jour par mfegarde,
tr6s-press6 de sortir et retards par elle, par le soin
excessif qu'elle a dc ta toilette, tu as parI6 trop
fort, voila 】e pauvrc coBur qui s'cs! gonfl6, et, je ne
sais comment, il est verm une larme... Justemcnt,
sa mfire arrivait. Surprise, elle s'accuse : « Non, ma-
man, ce n'est rien . . . II m,a corrigee ; j'avais tort. »
Le travailleur, forc6 de s'absenter de longucs
heuresjtrouvei celte tristesse la belle et dfelicieuse
compensation d'fitre tellement attendu, dfisirfe.
Qu'elle est touchante, ici, la tienne ! el quel mal-
heur qu'alors tu ne puisses revenir te cacher, assis-
ter k son agilation, surtout aux derniferes heures.
Comme alors (u lirais sur son visage candide, dans
ses yeux si parlants, tout ce qu'elle au coeur pour
toil... Elle n)a besoin de rien dire! J'entends tout:
« Que n'est-il la ; il y a si longtemps CM'il est
parti I... 11 va rapporter quelque chose ! des nou-
velles, de quoi m'amuserl... Oh 1 c,ost lui que je
290 LA JEUNE fiPOUSB.
veuxl I'entendre monter rescalier, vite et fort,
comme il va toujoursl... En un moment lout va
6lrc change, la maison pleine de rire et de gaiete.
Tout tremblera de joie. La table, le foyer, tout rira
de lumifire. Grand appetit, rfecits rapides ! Son con-
vert sera Ik... Non, mieux ici ! Voili bien son mels
fayori, le n6tre, h nous deux seuls (Fido n,en aura
pas), un baiser par bouch6e... Si le feu m'endor-
mail, ou si je faisais semblant, lui qui ne doi t ja-
mais saura bien m'eveiller... J'ai la coiffure qu,il
trouvait si jolie. . . Mais j'ai tort. S'il est fatigu6?...
ou bien, s'il allait dire que je Fai prise expr6s pour
la nuil?... Je serais si honteuse I »
Voila ses naives pensees, que peuf-6tre j'aurais
dii taire... II est quatre heures, et I'on t,attend pour
six ; mais (16ja elle ne tient plus en place. Elle va,
vient, regardele soleil, se met h la fenfitre : « Qu'est-
ce ceci ? le jour baisse, et mes fleurs voudraient se
fermer. Les fumtes montent des toils... Ces gens-
la sont heureux ; ils sont renlr6s dejky les families
rfeunies... Que fait-il done et ou est-il ?. . , x>
Par malheur ce jour-I§ , un obstacle imprevu,
invincible t'arr6te...Seplheu res sonnent... Oh ! que
Ic flot montel quel torrent d,imagination,de tristesse
et de songes ! . . . Sa douceur naturelle en est mfime
6branl6e. Une larme d'impatience lui vient, et (le
croirai-je I) elle a frapp6 du [lied. D6ja dixfois,vingt
SES PENS^ES SOLITAIRES. 291
fois, la table et le feu, relouchfe, am6Hores, per-
fecliohn6s, ne font pas revenir le mailre. L'inqui6-
iude est au comble, et le pouls bat bien fort...
Mais rescalier a retenti. De Irois marches en
Irois marches , un jeune homme s'felance. Elle
aussi... Comme un autre saurait se contenir, se
fiiire \aloir, attendre ! ••• Mais la pauvre petite n,al-
tend rien et se precipife, se noie dans ton baiser
ef s*6vanouit dans tes bras.
YIIl
ELLE VEDT S'ASSOGIER ET D^PENDRE
J'ai entendu un jour un joli mot de paysan :
« Voyez ! il n'y a que huit jours qu'ils sont mari6s,
ils sont d^jH si amoureux ! »
Ce defj4 est charmant. II exprime une chose bien
vraic, profond^ment humaine : qu'on s'aime a me-
sure qu'on se connait mieux, qu'on a vfecu ensem-
ble et bcaucoup joui I'un de I'autre. II 6tonnera les
blasts, les malades et les fatigu6s. L'estomac de-
rang6 s,imagine toujours devoir changer de nour-
riture ; il les trouve toutes insipides et n'en a pas
plus d,app6tit. Plus sain, ii senlirait que le mkme
n,est jamais le mfime ; quand le golU a sa rectitude
naturelle, il per oil a merveille de dSlicates nuances
dont celte nouirilure identique esl incessamment
ELLE YEUT S'ASSOGIER ET D£P£NDRE. 203
Si cela est vrai du go At, du plus grossier des sens,
combien da vantage du plus fin, et du plus multiple,
Famour ? Dans les espfeces sup^rieures, tous sentent
que I on varie bien plus par les renouvellements,
les metamorphoses d'une seule, quepai i'essai bru-
tal d,une infinite de femelles. Pour l,hoinme, Fa-
mour est un voyage de dfecouvertes, en un petit
monde hifini, el qui reste infini, etant loujours re-
nouvel6. C'est (pour (out dire d un mot), de mys-
tere en myst^re, r^lernel approfondissement de
I'objet aim6 一 toujours nouveau et toujours in-
sonde ; pourquoi ? Parce qu,on y crte toujours.
Les premiers temps sont de vertige, d'aveugle
6Ian ; oserai-je le dire? c'esl un temps d'histoire na-
tuielle. Dans ces premiferes morsures au fruit de
vie, on n'en sail gu6re le goAL L'objet aimg serait
bien humili6 s,il gardait assez de sang-froid pour
voir ce qui est vrai, malgr6 tant de belles paroles :
combien le sexe compte dans cet 6bIouissemeat,
combien peu la personne. C'esl a mesure qu'on ex-
p6rimente celle-ci davantage qu'on peut appr6cier,
savourer celte personnalilfe distincte, aimante, ai-
m&Qj celte femme que sa pref6rence pour nous fait
sup6rieure a toute femme. On I'aime en elie et pour
le plaisir qu'elle donne et pour tous ceux qu'elle a
donn6s ; on I'aime commb' son oeuvre, sculpt^e de
doi iinpr6gn£e de soi ; on I'aime pour ce haut
17
m EUfi VBDT S'ASSOCISR' ET DEPfiNimE.
attribul de I'amour : qu'-en sabnl^IaRlecriseil n'ait
plto sen vertige, ni son obscurity, mats sa clartt
pnrTnitei sa r^vitetioa ilumineuse.
€»0h aime; disent-ils, parce qu-on ne se cotmeU
pas encore. D&s qu'on connait, on n'aime pltts: »
Qui done connalt ? je nc vois d^ns le monde que
des gens qui s ignoreni , qui dans la mdrae chbmbre
vi^ent' strangers Vixn k' Tautre : qui, maladroits,
ayant'nianqu6 d,abord le cAt^ par ou Us auraient
puse p6n6lrer, restent d^ourages, inertes', stupi-
diment juit&pos6$, comme une pierre contre une
pierre. Qui sail? ia pierre frappee eHi donni r^tin-
celle, et peut-6tre Vot ou le diamant.
(Test encore une diction : « Le manage fait,
adieu l^mour. »
Vd mariage I et ou est-il ? je ne le vois presque
nulH part. Tous les epoux que je connats ne sont
presque pas mari^s.
Oe mot de mariage est Slastique. II admet une
immense latitude thermom6trique. Tel est maridit
vingt degr6^, tel a dix, el tel a ikvo. Sp6cifions t6u-
jours, et disous •• « Ue eombien soat-ils mariSs ? »
EUrVEBT S'ASSeOIER'ET DfiPENBItE! m
Toot depend (ks: confinentGiireatS; Et' il fairt
avouerqu en general la faule n'est pas^ux fermnes;
Les demeioeHeswraiiiieflt neEnres; qnela confessions
leroraewet le in9»d**nont pasirqniiOTies, avair-
c6e8$ ^pportent ait nrapiage' uir liixe admirable d6
coeop,' deddoilit6 instinctive, debotmevoloBt^.
ontmeBtteiite immense-de ia vio-weHes eiitrent*
Celle'Hiiiiiy.pr^eHle ses' parent^,' 3 -biefr etiMlid'y tfa-^
vailld^ et tsembl^saviMr loui^ elte'veet toot lappren^
dre par soirimri; Bl cll^ a bieffTaiscm: Tool va Im
revenir da 朋 uipddgr6 nou'veaodi— « el d^chal^r:
Eild avsit re^u lout ceki passireinefitj comme chose
ioerte'et froide,' et eHe-va le saisir aetlf 'dans 1*6-
leotridle bri!klante,' par 'ce^le akmntatioffufiiqueoiir
se mdieoi Id^corps^ei le coeuri
fit' mlez*- que^'le^pire ne^' pouvail - raieux' ftiirev
Sai eiAH]oiiii6>uiie^prei file plmf erte, il eAI man<^
que son but. La destinee inconnue, imprevuej de Id
fille, c'^tail justement ce fulur mari. II ne fallait
done pas que son Education (ti trop d^finilive, mais
un peu 61aslique. Done la famille est hesitante. La
mire^ seuwent, d%iBei»s, trante encore quel^ue
pom dans les ,vieijto4d^e» surannees'qai ne seront
plus celles d'aucun jeune hoinme. Le pere, pkts ar*
rdc^ saas d6afe^, ira^ pa {her sa- flfie sur bieirdes
sont en jee. Que debuts d6 iBorale el qtae dt faiW
290 BLLE VEUT S'ASSOGIER £T DEPENDRE.
d'histoire il lui a montrgs de profil ! A I'epoux seul
d'expliquer tout.
Ce vague, cet incomplet des traditions de la fa,
naille, rh^sitation et le flottant qu,il y a dans cette
vie et ces paroles de vieillards, c'est de cela juste-
ment que la jeune fcmme a besoin de sortir. Elle
veut un homme qui decide, qui ne soil pas embar-
rass6, qui croie, agisse ferme et fort, qui, m^me
aux choses obscures, pfeiiibles, ait la s6r6nit6, la
boime humeur d'un courage invariable. Elle trou-
vera plaisir, ayant un homme, a pouvoir 6lre une
femme, k avoir pour sa foi, sa vie, un bon chevet (je
ne dis pas trop mou) ou elle s'appuie en confiance.
A ce prix-li, de bien bon coeur, elle dit : « C'est
mon maltre. x> 一 Son sourire fait entendre : « Dont
je serai mailresse. » Mais maitresse en ob^issant,
jouissant de l,ob6issance, qui, quand on aime, est
voluptg.
Je ne sais plus quel legislateur indien defend k
la jeune femme, amoureuse, 6tonn6e, de regarder
trop son mari.
Et que veut-on qu'elle regarde? c'est son livre
vivant, lumineux, net, ou elle veut lire couramiueut
et ce qu'elle croira, et ce qu'elle a & faire.
ELLE VEUT S'ASSOGIER ET D&PENDRK. m
Qu'elle en sera heurcuse ! quelle foi sans limite,
quelle passion d'ob^issancc, die apporte aux com-
mencements ! la fille r^ludait. On peut voir dans
les chants de la Perse moderne, dans le chant pro*
vengal (voj. Mireille), commeelle fuit par toute la
nature, prend cent formes pour se faire poursuivre.
Mais, une fois atteinte', blessie, devenue femme,
loin de fuir, elle suit, veut suivre son vainqueur;
elle veut ftlre prise encore plus. Et cette fois elle
ne men I pas. Dans cet effort naif et si touchant,
elle ne craint que d,6tre importune, va derrifere,
pas pour pas, et dit : « J'irai partout. x> lavente,
si fu peux, un monde difficile et nouveau ; elle t'y
suit. Elle se fera 6I6inent, air, mer, flamme, pour
te suivre dans I'infini. Mieux encore, elle sera toute
^nergie de vie qui puisse se mfiler a la tienne, si tu
veux, une fleur, si tu veux, un hiros. 一 Cbarmant
bienfait de Dieu! Malheur k rhomme froid, inin-
telligent, orgueilleux, qui, croyant avoir tout, ne
sait metlre 5 profit le d^vouement immense, I'a-
bandon d61icieux de celle qui veut tant se donner
et le faire jouir davantage I
II faut songer que rhomme a cent pens^es, cent
affaires. Elle, une seule, son mari. Tu dois le dire
m EUE'ftVr PASMOBR IT BteENDRB.
en^soHant I0 matin :.« Que fevaitna eti4«e sMitaire,
la'moHl^de'nion 細 e, qui ^arm^Hen^ee Jnen^ies
hsnres? Que hi i Ta pporterai^je qui I'inttresse^etUa
nourriss^? C'est de iMit'Cfu'eUe attend :83;^.麵
4BoTrgo»ft ecAa, ne rappoile jamaisremmefent bsaii-
coup, laiie dujour, lertsidmamer du ,! mi-soeofts.
Td, tu es 89a(erui*fptr ragitailkm ikur combat, la
niceseitddei refTDtt, ou UecpMrjdennieax faire de-
main ; maisy elie, ceUe pamre ime de fenraie,' si
tendreii t^eMjui yienl de (•i^ ellefreeevrait hi&tv an-
trement le coup, elle en ^arrderrit la Uess«re, en
langoirait Ion 辨 raps. Sois jeuno'et forhpour^trx ;
rentpe s6rieux si la' sMuatkm «8t'siri«se, mais ja-
mms tnf^te. £pirgne, '^parrgner 4onf enfant.
! Oe npv la soutiendra le |dus,,b*«st ique toot jx>n-
nemeftt tu I^aseodes^^ ton metier.) Gda 'est rprali-
caye ')daRS * beancoup de earriircs.* On t restreint
beaucosp* 4ropi Ikr cerfele de*oeItes -ou'peat entreria
feiiMwe. Plmsieursfnis dcMekii 8»11({>108 di{fie»les.
II y frnt^de^ Fefforty du temps el de.la wlonte. Wol
tomps'miem'ein^oy^ j Qntl sdiiiiriMe«ompagtnm! ,
quel utile associ^I Combfeni^es^'Miedes* y gsgmnt,
combien le coeur, le bonbeur domestique? litre un,
c'est la vraie force, le repos et la liberie.
Elle veut travaillcr avec toi. Eh bien, prends-la
aur mot/n>yfnfels pas kes *ni6nagem€»ts 'de la petite
g[dlaiiterie, mais^ TamoHr forty profond. Sacher^'ji
ELLE VSBT S'AS6Q€UIb£T fUfePfiTOE. 請
ce prenner moment, elle.est ,trdsp4»peU&cl?efifort,
d'applieition «iiWie, qu'elle fera tout pour 6tre
aimie. JT^n ekerai les.plus n«Ues exein{d«s, etles
Chacbu, scion son art, selon le g6nie de la
femme, peut se communiquer, mais tous le doi-
vent-plus ou moins. Lartiste nc doit pas, absorbs
du xdte .teehnu}ue, du detail special, de I'efTort
minutieiix de l,ex6cution, s,enfermer en lui-mfime,
sevrer sa. compagne de I'idde g6n6rale qui lui in-
^re eelte (Buvre, et qui I'aurait elie-m6me inlft-
ressfee et soutenue. Le I^isteyle politique, ne peut
la laisser 6trangere a ce qui fait sa vie. Rarement,
elle peut s'y associer utilement, mais elle ne peut
rignorer. Elle s'harmoaise encoce mieux aux
choses de.la nature. Le ra6decin qui rentre fat.igu6
et dans TagitaUon morale de sa^ grande respoosa-
bilit6, ne peut filre homme du monde ; ce n'est
fu&reaux salons qu,il peut passer son moment de
repos . iCombien heureusement il respirerait au foyer
dans les Eludes pacifiques des sciences de la vie,
qui iadirectement le ser vent dans son combat contre
ia mort I
MO BLLE YfEUT S'ASSO€IER ET D£PENDRE.
Infiniment varices sont Ics Ames des femmes.
L'homme, je I'ai drjft remarqu6, subit le mfime
raoule, est fait un par I'Mucation , mais les femmes
sont bien plus nature, plus diverses. Pas une ne
ressemble. Rien de plus charmant.
Les navigBleurs qui traversent certaines mers des
tropiques voient parfois les eaux, sur des espaces
immenseSf semblables k de brillants parterres, di-
\ersifi6es k Finfini de creations vivement color^es.
Sont-ce des plantes? des fleurs? Non pas, 一 des
fleurs vivantes, une merveilleuse iris de vies gra-
cieuses, commc fluides, mais organis^es, mobiles,
actives, ayant des volontes. II en est tout ainsi du
parterre social que le monde ftoiinin pr6sente.
Sont-ce des fleurs? Non, ce sont des &mes.
Pour la plupart, les homines sensuels et aveu-
glesi tout en louant et caressant, disent : a Ce sont
des fleurs., • Coupons-les. Jouissons, absorbons
leurs parfums.EUes fleurissent pour nos voluptes! d
一 Oh ! que ces voluptes auraient 6t6 plus grandes,
en m^nagcant la pauvre fleur, la laissant sur sa
tige el la cultivant selon sa nature ! quel charme
de bonheur elle donnerait chaque jour k qui y ver-
serait son &me?
Mais diverse est la fleur, diverse est la culture.
L'une a be"in de greffe, et qu'on y melle une
autre s6ve ; elle est encore jeune et sauvage. Celle-
ELLE YEUT S'ASSOGIER ET DEPENDRE. 301
ci, moUc el douce, tout h fait perm^ble, ira be-
soin que d'imbibition ; rien k faire avec elle que
d'infij'rer la vie. Elle est plus que fluide, elle est
16g&re, ailee ; sa poussidre d'amour vole au vent;
il faut bien l,abriter, )a conccnlrer, surtout la ft-
conder.
IX
DES ARTS ET DE LA LECTURE. 一 DE LA FOI
COMMUNE
Un chant d'oiseau de nos aieux dit Pidfeal l^ger
d'alors :
J'^tais petite et simpleUe,
Quand a I'ecole on me mit.
Petais petite et simplette,
Quand k V^cole on me mit.
Et je n'y ai rien appris...
Qu、un petit mot d,amoureUe!."
Et toujours je le redis,
Depuis qu,ai un bel ami !
Mais ce petit mot d' amour, toi, tu dois le d6ve-
lopper. Que contient-il? Les trois mondes, tout le
r6el, — pas davantage.
暴 E LA ,F!OI COMMUNE
30S
《EUe «e>senait que trap, port6e k te laisser fair^,
agir , raisonner ; seul . EUe se- contenterait aisimest
de n'itre^iiLinie diose charmante qui te doDnSt du
plaisiT. Tudois enfaire une pefsonne, ras90cier.de
plus ten plusfii ta vie de r6fleiion. Plus elle devien-
d 助 ime tdme, et \plus elle aura de o^yens pour
steir A 'da vantage. Aeads-la forte, aie con-
&iRee"£Uet6era atlendne de se sentir^par . toL plus
Ubie, fatureuse d'avoir plus k . donner, et d'6tce
iiae Totesiti, afin de^ mieux saperdre en toi.
-Apprends une chose noavelle qui. seca vuii des
bonheuFS' de Favenir dans un maiide fius ci vilisS .
G^est que cbaque. aFt, cha que science, dous^ olfre
mi& Yoie spicaalapour pteetoer 4]avaiUak§e daos la
pepsonnalii^.> II »«st pas aieS ta deuxtdixids daslat-
teindre Mbfood «t de se mUer. Alak.ehaeuiiie de
ces grandes m6thodes qu'on appelle sciences ou
arts est un m6diateur qui touche une fibre nou-
velle, ouvre un organe d*amour inconnu dans
Apprends encore une chose, tr< peu observde,
et qui rend la communion des id6es d^Iicieusa avec
lafeaime.^C'est qu elle les refoit par des sens/}ui
ne sont point du tout les n6lres, et nous les rea-
m DES ARTS ET DE LA LECTURE.
voie SOUS des formes fr&s-channantes et tr6s-£mou-
\antes que nous n'aurions pas altendues. Ce qui h
rhomwie est lumi&re, a la femme est surlout cha-
leur. L'idee s'y fait senlimeuL Le sentiment, s'il
est vif, vibre en Amotion nerveuse. Telle penste,
telle invention, telle nouveauti utile, t'affeclait
agrgablement au cerveau, te faisaii sourire, comme
d'une aimable surprise. Mais elle, elle a senli de
suite le bien qui en rSsuIterait, un bonheur nou-
veau pour l'humanil6. Cela I'a touchee au sein,eUe
palpite, 一 k l,6pine, elle a froid, el pres de pleurer.
Tu t'empresses de la raflermir, tu lui prends ten-
drement la main. Uimotion ne diminue pas ; comme
un cercle dans un milieu fluide fait des cercles
toujours plus grands, de rapine, die rayonne a
tous ses organes, aux entrailles, aux bases de Ffetre,
一 se m61e a\ec sa tendresse, et, comme tout ce
qui est en elle, se fond en amour pour toi... Elle
86 rejette sur toi et te serre entre ses bras.
Quel infini de bonheur tu vas Irouver a traverser
avec elle le monde des arls ! lis s<m〖 tous des ma-
niSres d'aimer. Tout art, surtout dans ses hau-
teurs, se confond avec I'amour, — ou avec la reli-
gion, qui est de I'amour encore*
DE LA FOI GOMXUNE. 305
Quiconque enseigne une femme k ces degr6s
sup^rieurs est son prfitre el son aniant. La L6-
gcnde d'H^loise et de la Nouvelle Hdo'ise n est pas
chose du pass6, mais du prfesent, de I'avenir, en
un mot d histoire eternelle.
Yoila pourquoi la \ierge ne peut p6n6trer dans
Fart que jusqu' & uncertain degr6. Etvoila pourquoi
le p6re est un precepteur incomplet. II ne peut
pas, ne veut pas qu'elle d^passe avec lui certaines
regions s^rieuses, froides encore. II I'y conduit.
Mais quand elle avance au dela dans sa chaleur
jeune et pure, il 8*arr£te et se retire. II s'arrfile au
seuil redoutable d'un nouvedu monde, I'Amour.
Exemple. Pour les arts du dessin, il lui donne ,
dans sa noblesse, I'ancienne kcole florentine, telles
madones de Raphael etde sages tableaux du Pons -
sin. Ce serait une impi^tS s,il lui enseignait le
Corr6ge, ses frissons, son fr6missement. Ce serait
chose immoralc de lui dire la profondeur mala-
dive, la gr&ce fi^vreuse, sinistre, de la mourante
Italie dans le sourire de la Joconde.
M6me la vie, la vie ^muc ne s' enseigne que par
I'amour. Quand la superbe N6r6ide, la blonde po-
tel6e de Rubens, dans la bouillantc 6cume, Irfepi-
gne, murmure Fhym^n^e, et d^ja congoit lavenir,
tant pis pour la demoiselle qui sentirait ce mou-
vement, entendrait cc je ne sais quoi qui sort de
906 DBS • AR18 BT BE LA' LEtTURB.
sa bouctae ^moureuse I En coraeience, eUe en
'«uvaittr«p.
:Mme lo chef-d'oeuvre deia Ortee, de noblesse
ifHire e^'subltme, si loin, 力 i loiii>d68<Mn8ualit6s du
peintre d'Anvers, les femmes' ^amuies, ies iri6res
-d^faiUantes du temple de TMsfe, quelle ^ yierge
owra les copier? Telle en est )a -palpiMion/tel' te
^baUement eoeor, visible sous ces beaux plis,
iqu'ells' emreslepait trwbMe. Gelte' ciwttagian i4*a-
moury d&inateniit<6,'la ^bmle?ereerait.' Ohlmieax
^ut qu'elle attends >cnoore.' O'eslwuis*- les^yera de
«on amaRt, c'est dans les bras de^son- mari' qu'elie
peut saniiDfiT de ces ebeses ,t s>n iipproprier !a
/vie, en recevorr les effltives «t ia chaude* fecon-
dation, y ' boire a bugs 'traits la beauts, s'en em-
bellir ■elle-mdme, ^en doter le fruit tie son sem.
La musique est la vraie glotre, Yime mdrae du
monde moderne.. Je d^finis cet arMk •• twrt ie la
fusion 4es cmtrs, Fart de k penetration mutuelle,
€td,un si intime int£rieur, .qtte,,p«reUe,*au"8ein
de la femme aimte, poss^dte, jfteondte, tu iras
{dus loin encore.
t Ce que Dumesnil, Alexandre, ont dit des grandes
synophonies, da la musique d aniilii, de la musique
. fl&Ut FOh GMf MUM. 307
de dmrnhrCy je l^acknire-lrop pour Je^ cedKre,' Je n'y
•jmie^tpi'im .xmL 一 u&'est tfoe de' I'lhraiine k la
femme tout est musique d'amour, musique de foyer
%t d'alcove. tbiduo, c'est un manage. On ne.prfile
f as' 8€n xourr , mais on. la^loMe untomneat,. m $e
donncy et plus qu'on ne veut^jQue dtte d& eelle qui
^aqoe soir dwnte a?ecle premier^ vmu ces clioses
i»ue$, path 射 iq«es, qui milent les existences an -
tant que le baiser suprfeme? L'amant, le man;
viendront fard ; d'elle ils n'auront rien de plus.
Hcureux celui don t la femme relait tous les jours
le ceeur par la' imsique.duisoir ! « Tout ce que j,sii,
|e4Qie:dMBe, dit-eUe. . .Jlfesid^es ? non^j&suis en-
core si ignorante ! mats je^saurai tout aTeci ioi*«.
jSetque je puis"4edoimer, c*esl le soufiQe de mon
eoeur, c'est la yie de ma poUrine, &me floltanta'Ou
jmon asnour nage comme une «ombre ind^cise,. un
Tftye.— .Ehbien, prendsmon rfiveel prends-maL'<»
<x Ah! que le rhychme m*a manqu6 ! dit-iL Quelle
,ie saiuvage J ! ai vfecue ! • • • »
EUe- veut ,t elle l&ohe, elle se livre... ne peut au-
lant qu*«Ue voudrait. Car c est^si purl car c'est si
baut!...
II plane surdes ailes. d'or dans le ciel profoad de
m DES ARTS ET DE U LECTURE.
lainour. U voudrait bien aussi la suivre un peu de
la voix, n,ose d'abord et chante bas... II modfere sa
force iimide.
Puis, peu k peu, se langant, il la fait vibrer ft
8on lour. £mue, elle essaye de suivre, palpite...
Oh 1 qu,ils sont unis I
Mais r^motion est trop forte, la voix manque, et
le chanl expire dans I'abime d'harmonie profonde.
La musique est le couronnemeni, la supreme
fleur des arts. Mais la prendre pour base principale
de l'6ducation, comme on fait, c'est chose iasen-
6^6, iniiniment dangereuse.
Art moderne presque sans pass6. Au oontraire,
les arts du dessin sont de tous les temps, et re-
prteent6s k toul Age de Fhistoire. Us fournissent
par cela seul une carri^re riche et varite. A toute
ipoque, la sculpture, la peinture, offrenl non-
seulement des modules a rimitation , mais les
textes les plus f(6conds a I'initiation inteilectuelle.
Ces textes se marient k merveille k ceux de la lit-
tiralure, les suppl6ent. Ce que Rabelais, Shak-
speare, ne peuvent exprimer dc telle idie, de telle
DB LA FOI COMMUNE. 309
nmnce, de Icl aspecl de leur si6cle, est dit par
Vinci, par CorrSge, parMichel-Ange ou JeanGoujon.
Tous les livres trop ardenfs que le p6re a 6vit6s,
dont il n,a os6 tout au plus dormer que des pas-
sages, ils te sont ouverls k toi. Et quel bonheur
sera-ce done de metlre entre toi et ta bien-aimee
tous les tr^sors de la vie! Et leo Bibles de Fhistoire
et les Bibles de la nature I Leur ravissante concor-
dance lui fera un oreiller pour y reposer sa foi.
Chaque soir, sans trop Fagiter et sans faire tort k
sa nuil, une douce el nouirissante lecture, mfel6e
de paroles tendres, lui rivilera quelque chose de
ramour unWersel, et quelque aspect nouveau de
Dieu . EUe peut maintenant chastement savoir tout,
car c'esl une femme. Ce qui eAt trouble la fille
lui sanctifiera le coeur et lui donnera pr&s de toi
un doux somme et de nobles r6ves.
C'est par ramour que la femme regoit toute
chose. lA est sa culture d'espriL
En prendras-lu raliment dans le petit, le me-
diocre? Sous pretexte de facility, c'csl ce que Pon
fait toujours. On ne sail pas qu'au contraire le
grand, le fort, c est le simple. La femme dit mo-
destement : « Je laisse aux homines ces grandes
no DES ARTS £T D& U LECTURB.
ichoses : je m'en tiens aux petUs romans. » Ibis
ees romans , faibles et fades, cob p^es .images
d'laniour, n'en soot pas moins laborieux d,inc"
4ents «( d'ifnbs^glios.
Non, Tisons toujours m plus haut. 1& est la
^ndei lumtire, Ik aassi la force du coeor, juAiae
la ypaier pareU.
. Liun^ur, ou le prendrons-noas? Teile ' femme
I'lrait ehercher dans Balxac. Mieux vaudrail ma,
idane Sand. II y .a la du moins 'loujoars un< thn
vers ridial. Et mieux encore, pwrquoi pas dans
ie Cid et dans Romdo t pourquoi pas dans Sae&n-
4ala et dans ia Didm rte Virgile?...
•Mais,' k une inonne bauleur, par^^essus toutes
•oHivres iiumaine^, les .granites l^gendes antiques
idoininent tout,thuinilient.tout.
Nos id6es sur le progrds ne^peuvent faire ilia-
sion. L*anliquit6 nous a laiss6 k creuser rinfini de
Fanalyse, et c,esl Ie champ du progrfes. Mais, dans
sa force synth^tique, dans la «haleur organique
qui. la poussait en avant, ce jeune g6ant, en deux
pas, foucha les deux pdles, atieignil les homes du
monde. £Ile a cr66 les .grands types ie simplicity
xlivine. Alnsi, le aaariageihgroique a son type >si
haut dans la. Perse, que celiii de Rowe m£me en
est un aiHoindrissemcn t ^ prosais6, vulgar is6 . Ains"
la lMHitevla cbaleur. Vadorable force de vie et da
rE LA FOI COMMUNE
311
tendresse instinclive, I'amour (si vous le voulez)
physique, .mais s,6panchant en torrents de bien-
faisance universelle , c,est la 16gende d'^lgypte.
Rien n'y ajouta jamais, et l,on n'a pu qu'adorer.
LA GRANDE LEGENDS D'AFRIQUE. 一 LA FEMME
GOHME DIEU DE BONTfi
(Fragment de VHiiioire de rAmaur.)
Le chef-d'oeuvre de I'art 6gyptien, le BamsSs,
que Foil voit a Isamboul, k Memphis et au 腿 s6e
de Turin, offre un caractfere unique de bont6 dans
la puissance, et de placidity sublime.. Cette expres-
sion, qu'on pourrait croire particuli&re k cette
figure, j'en ai retrouv6 quelque chose dans une
belle inomie de Leyde, qui est aussi un jeune
homme. C*esl un caract^rc de race, fort contraire
k la sfecheresse du maigre profil arabe, qui semble
taille au rasoir. Ici une douceur extreme, une pl6-
nitude qui n'a rien de lourd, mais semble I'ipa-
nouissement pacifique de toutes les qualit^s mo-
rales. Le coeur est sur le visage, sanctifiant, beati
fiant la forme inat6rielle par le rayon int^rieur.
U GRiU!iDE UGENDE D'AFRIQUE, ETC. 315
Celte extraordinaire bont6 est plus qu'indivi-
duelle ; c'est la revelation d,un monde. On y sent
que la grande Egyple fut comme la file morale, la
joie et le divin sourire de ce profond monde afri-
cain, fenn6 de tout autre cul6.
La forme sup^rieure de I'Afrique, au-dessus du
n&gre, au-dessus du noir, parait 6lre l'£gyptien.
Si malheureux, si constamment d6priin6, depuis
le temps de Joseph jusqu'a M^h6inet-Ali, jusqu a
nous, le pauvre fellah d'Egypte est un homme
d,une intelligence, d'une adresse peu commune.
Un m^caoicien, employ 6 au service du pacha, nous
disait que les indigenes qu'il admit dans ses ate-
liers lui prfitaient une altention extraordinaire ,
I'imi talent parfaitement, et devenaient, en quinze
jours, d'aussi excellents ouvriers qu'un Europ6ea
en deux ans.
Gela m&me tient a leur douceur, k leur grande
docility, au besoin qu'ils ont de plaire et de satis-
faire, Celte race excellente d,hommes ne veut qu,ai-
mer et £tre aimee. Dans rimmolation cruelle que
le pouvoir a toujours faite de I'individu et de la
famille, leur tendresse mutuelle seiable Ctre d'au-
tant plus grande. La mort pr^coce de rhomme qui
succombe h un travail excessif, I'enfant enleve par
lescruelles razzias de la milice, c'est une suite non
interrompue de pleurs, de sanglots et de deuil.
L^aatique lamealatioivd^Isis, chiercbant *sen OMaiis,
n- a. jamais cess&'en. Egypte*; le long da fleuTe^ k
ohaqse iasUuit, vom i^nlendeiTeeoimneiicer.
Gette lamentation, on li retfotnre pemte, scut—
t£e, par tout lepays. Qu'esi^ee que ces mottuinents
de demit ce swii intini <k saover^-ce qv,on peut
sauver^ Ift d6poiiiUe,'d',,eBtourer,le moit'd6 priferes
6crile6 snr les banrdeteites^ dc reconmiander - aux
dieux celui'dont on est separc? Je n^r pas- visitt
r£gyptd ; nais qmscLje parcofirs nosimisies
tiensy jesens que* eel (immense efifbrl 'dim peuplei
ces'd^penaee eicessives^^que 's'imposaieflt les plus
pau^res^ c'esl r^lan- le pius^^arcteRt qu'ait inontr6
le coeurdei'rhomme powretenir l^'objet'ainrfc et li
suivre.dans.la mort.
Les religions 、jusqtte4" derraktient Wur-fepopie ;
mais, silence, void le drame. Un g6nie' iMmTeav se
dtf essei sivilEurope' el s«r I'Asie.'
Poeons laiSo6ne<]i'aiMHidj Gette lerrede travail et'
deilarnie8,'r%ypl& eii.«oi'€st une'fSte,' et cest 16
pays de lajMe. Da sem *hr AU« de- 1' Alrixjue', matrice-
ardente jia ^nuode/noipf s'oavre k' la brise <iii"nord
tune vaU&d^ deipromissioiii; I>e9 moiits jneoiifnis'des*^
cead le twre&t de ficoaditi. On saH la joie irits6^
nmn gohve mu m msri. m»
th^ue du voyagear- mourant de soif, qui pamenf
m&it a franchir les saUes, qui touebe I'oasis xl^si*
ree, et l,%jpte$ eufhi, cette grande oasis pour lea
pays afmainSi
Le pvemir* mot' de rfigyple, c'est Isis, et Isis,
c^t le dernier; La femme rfegne. On - mot remar-^
quable est resife par Diodore : Qa'err figyplv les-
maris juraieiit ob6issanee> a leurs femmes; Expres-
sion exagSr^e d'une chose r6elle, la pred6niinaiice
feminine.
Le teittt g*i!ie<tei,Afrique*, lareine de rancienne
Egypte, Isis, Irdne 6lernellement paree des attri-
birts de la fecondaiion-. Elle porte le lotus k son
sceptre, le calice de la fleur d'amour. Elle porte
myaieineftt ' sw! la tMe , en gui^fedediademe-, 1 'a vide
otseau^ 1^ vautottr, qyA ne di I jamais' : Assez J Et,
pear montrer qwcetle a\idit6 ne sera' pas vaine,
dans' ceUe^caiffure 6trai>ge, Finsigne de la vache
fiteonde se dresse par-dissus - le vautour, et djt lik
msLitrmlh. 一 La f6candil6 btenfaisant^, rinfinie
boiite maternelle« voila ce qui glorifie, purifie ces
i^ectf s d'ACrique^.'^ Tbut a' Theare,^ la mort et'le
deuit, et » Yhltmith du regret, vont' trop bien les
sanetifier.
Li&s reUgions som-elies sorlies' uniqtremenl de 1st
iBlurevdtt'cliinati du genie fatal dt la racfs et de la^:
emrtrfe?* QUI him plas, des besoins' dii coeinr.
510 U GRANDE L6G£ 醒 D'AFRIQUE.
Presque toujours, dies jaillirent des souffrances
de rflmebless6e. Sous la piqAred'unirait nouveau,
rhomme, comme un arbre de douleurs, arracha
de lui uii fruit de consolation nouvelle. Jamais nuUe
religion u,a mieux t£moign6 de ceci que celle de
rancienne l^gypte : elle est manifestement la conso-
lation sublime d,un pauvre peuplelaborieux, qui,
travaillant sans reldche, sealant d'autant plus la
mort que la famille est tout pour lui, chei'cha
quelque all^gemeat dans la nature immorlelle,
se fia k ses resurrections, et lui demaada I'espS-
rance.
Et la nature attendrie lui jura qu,on ne meurt
jamais.
L'originalile puissante de cette grande concep-
tion populaire, c'est que, pour la premiere fois,
rftme humaine, la terre et le del, associ^rent leur
triple drame dans le cadre de I'aimee. L'ann6e ne
meurt que pour renaitre. L'amour se prit k cette
id6e, et crut P6ternelle renaissance et la resurrec-
tion de r^me.
Quand je vois, dans les montagnes, tel pic de
basalte qui a perc6 toutes les couches, et domine
tous les sommets, je me deinande de quelle profon-
deur immense, et par quelle Snorme force, a done
pu surgir ce g6ant. La religion de l'%ypte me
donne cet^tonnemeat. De quelle profondeur jaillit-
LA FEMME GOHHE DIEU DB B0NT£. M7
eUe, et de tendresse physique, et d*amour et de
douleur ?… Abimes de la nature I...
Dans la mhve universelle, la Nuit, furent congus,
avant tous les temps, une fiUe, un fils, Isis-Osiris,
mais qui d^jk s'aimaient tant dans le sein malcr-
nel, et qui 6taicnt tellement unis, qu'Isis en devint
f&conde. M6me avant d*6tie, elle 6tait m&re. Elle
eut un ills qu'on nomme Horus, mais qui n'est
autre que sou p6re, un autre Osiris de bont6, de
beaute, de lumi^re. Done, ils naquirent trois (mer-
veille I mSre, pfere et fils, de m£ine Age, de m&me
amour, de mfime coeur).
Quelle joie ! les \oil^ sur I'autel, la fomme,
riiomme et I'enfant. Notez que ce sont des per-
sonnes, des 6tres vivants, ceux-ci. Non la trinite
fantastique ou I'lnde fait rhymen discordant de
trois anciennes religions. Non la trinity scolastique
ou Byzance a subtilement raisonng sa m^taphysi-
que. Ici, c'est la vie, rien de plus; du jet brOlant
de la nature sort la triple unit6 humaine.
Oh! que les dieux j usque-la 6taient sauvages et
terribles 1 Le Siva indien ferine I'oeil, car le monde
p6rirait sous son dfevorant regard. Le dieu des
purs, le Feu des Perses, a faim de tout ce qui
18
existe*. lei 9 ceet la nature oifiiiie q«i eet'surl'Mi*
tel, dans son doux aspect de fa»illdv> beoiasaal la
creation d'un oeil maternel. Le grand dieu, c'est une
m^re. 一 Combien me voila rassur6 1 】'avais peur
que le monde noir, trop doming de la bfite, saisi,
dans son eafrntemeott d^s terniiaiiics^iiBagesKdu
lion e^du crocodile, jmbi fil j aaiais que des monsfar ess
Mais levoilii aUeadri^ .hkuMikis6, fiiiiiiHb6t. La,
moureuse-'Afriquev d^efisea profiiait dteur^ a.sus-
citi- robjet 1 齡 plm louehanL.des religioaai dei la
terre...Quel? La.r6aUL& vivaale, u&e:boiiiieet fi^
condefeaiim.;
Quacfestavdeoil mais.queuctest pur I Ardentfisi
on le, rappvochei'des firoids^doguies ofitoiogk|QiftSd
Pur, si on le met en facci dea rai&neniftfiU^ mo?
docmsv dftt nos \ bi6nm ,(: oaeejptkNis, deJakCorrup-
tfoa^ pieuae^ damoodeulfiir^qiiivoque. ,
Lajoiaedale^ iiameofietet pppukire^ tuute naive*.
Uoe: joie 'd'Afoiqwe: alUr^evXest l^aHy.un deluge
d eau, une merprodigieuse d'eau douce jqi^i vient
de ne. sais ou^ . mais. qui 、 comble cette. lerre^ la
nDiatde Loabeoi*, s'iciiUra&t et .slinsiauaniiea sea
raoiodires veines^ en sorte* quie p^s m 劣 c^'de
sabloai'ail.fc se plaiodre. d'etre .a;sec»^ Lesi^Ute
LA FBinS' XQBmE^fflEU! DE^ DOKffi. m
fmaux des6teh6s sswrieAtaa^mesure que I'esu.ga-
lOfliUlanie ks vtsite et.tles rafraiehit.^.La plaotet rit
lie toBtsonicoDF qunndcetteroDile saiit4aire moaille
le cbevelade^Baiimfline,aas8i^'4ei pied,i«Mmte i^la
Speciaole diannan" seine immense jd'jnoor etide
vefajptfrpase. Tomt cela , o'est : laugranide Isis, inoH-
die de son bien-aim^.
jJl itravtitte, .le bon .Osms. Q£nt!r£gypte eUe-
mfime. Celte terre, c,est son enfant. II fail la cul-
ture d,%yj>te. IMuitea:geiidi!e les Art&BaHSiies-
Hais rien i ite dupe. Jies ldienuE s'edipsent.iLe vi-
vant s^kkdl 'de boBt6 qui.,sma'au ,批 in'd'Isis tout
fettU, toute obose salulaire, il i a . pu .tout crter de
fad, sanf de temps, sauf la durte'dUn oiaiiki, il dis-
parait... Oh! \ide inuBense! ou )donc estril I Isis,
iperdoe, le .cherche.
; La 8<mbre dodrine, c6panchie dans I'oceideDt ide
FAsie ,'que les dieax miimes dahrni t^mauriri ce dogme
de larSyrie, de!rAsie>Msneiice e tides lies,. n'edt. pas
akAv ce' eemUe^iappnochci! deircette lobuste Afrj^que.
ipjiiauR soiliBieiit usi fort et sii^ppdseilt de la vie.
Mais, comment le m^connal^e ?' Toutr menri .» Le
p6re de la vie, le Nil tarit, se desscche. Le soleil, a
certains mois, n'en peut plus ; le voih defait et
|)Ale il a perdcb ses vayoBS.
S20 LA GRANDE LfiGENDE D'AFKIQUE.
Osiris, la vie, la bont6, meurt, et (fun tripas
barbare ; ses membres sont disperses. L'6pouse
iplorte relrouve ses d6bris ; un seul lui manque
quelle chercheen s'arrachant les cheyeux. a H^las !
celui-ci, c'estk vie, I'^nergie de vie !… Puissance
sacree d'amour, si vous manquez, qu'est-ce du
monde?... Ou vous retrouver maintenant? b Elle
implore le Nil et I'figypte. L'figypte n,a garde de
rendre ce qui sera pour elle le gage d'uae l^con-
dit^ 6ternelle.
Mais une si grande douleur m6ritait bienun mi-
racle. Dans ce violent combat de la tendresse et de
la mort, Osiris, tout d^membr^ qu'il est, et si
cruellement mutil6, d'une volonte puissante, res-
suscite, revient a elle. Et, si grand est ramour du
mort, que, par la force du coeur, il retrouve un
dernier d6sir. II n'est revenu du tombeau que pour
la rendre mere encore. Oh! combien avidement
elle regoit cet embrassement I mais ee n'est plus
qu'un adieu. Et le sein ardent d'Isis ne r6chauffera
pas ce germe glac6. Qu'importe? Le fruit qui en
nait, Iriste et pdle, n,en dit pas moins la suprfime
vicloire de ramour, qui fut f6cond avant la vie, et
rest encore apr&s la vie.
Les commentaires qu'on a faits sur cette 16gende
U F£MME GOMME DIEU DE BONT^l. 521
si simple lui prfitent un sens profond de symboUsme
astronomique. Et certainement, de bonne heure, on
sentit la coincidence dela destin^e del'hommeayec
le cours de 1, 細^, la d6faillance du soleil, etc. , etc.
Mais tout cela est secondaire, observ6 lus tard,
ajoute. L'origine premiere est humaine, c'est la
tr6s-r6elle blessure de la pauvre veuve d'figypte et
son inconsolable deuil.
D'autre part, que la couleur africaine et mat^
rielle ne vous fasse pas illusion. II y a ici bien autre
chose que le regret des joics physiques et le d^sir
inassouvi. La nature, k cette souffrance, sans doute,
avail de quoi r6pondre. Mais Isis neycut pas un m&le,
elle \eul celui qu'elle aime seul, le sien et non pas
m autre, le mSme, et toujours le m£me. Sentiment
tout exclusif, el tout individuel On le voit aux soins
infinis qui se prend de la d6pouUle, pour qu'un seul
atome n'y manque, pour que la mort n,y change
rien et puisse un jour restituer, dans son int6gra*
1U6, cet unique objet d'amour.
« Je veux celui qui ful mien, qui fut moi, et ma
inoiti6. Je le veux, et il revivra. Le scarab^e renatt
bien, et le ph^nix renait bien ; le soleil, Fannie re-
naissent. Je le veux, et ilrenailra. Est-ce queje ne
suis pas la vie, et la Nature iternelle? II a beau s'6-
clipserunjour, il faut bien qu'il me revienne. Je le
sens, je le porte en moi. En moi, je Feus avant
18.
m LA 6RAR0E LteBKBE b'MfWlW
d'fttrc... Si vcms ^oulez le ea^orr, je' fus'sa soenFtt
8mrMmnl€,,tiiais j*itais sa mtoe^aussi.'o
VVMte naive et'profonde. Soas jbrme mythele-
giqiie;,c,estte tripIem;rttoed^«Biwv«ipriine^mnr
Ja 'premiere fois. Epouse, vraie eoeur ^e^ fhomse
4aRs ie travail de'ia vre; -fAasi qme ^scBur et'fiiBS
vfu^^oosepmir le consoler le sonr^trepoflertaa t6te,
elle le berce, fatigu^, rendott Mimne unnourne-
son, €l, le reprenaAttdans son seiii,, I'^eftfanto^ dWe
vie nonvd^e^ oiri)licux de kw t / rajcon i , potrr Tiveil
ioyeux de Faorore. C,,sl la force du manage (non
4es vohi^9 ifuh^m^s). Phis il dare, et ptes'i'^
|M«isc est mfepe de l,6poux, phis il 'est scmiiils.
^43arantie dmmoriaUlS. Mtl&s A'^ee point, qui
done ' pamendrait i les^disjoindre! Isis coAlient
Osiris, et Penveloppetellement de sa tendre mater-
fiil6, quer-lonte separation n'est ^vrdeimnent qu'un
songe.
Dans celt (3 l^gende si tendre; ioutoineniic *et to«te
naive, il y a ime saveur ^tonnante d'immortalil^
qui ne fut d6pass6e jamais. Ayez espoir, coeurs
affljgfes,' trisles veuves, pelits orphdms, tous pleu^
m,'«iais Isis pknre, »el ellene d^sei^ire pas. Osi-
ris^TOort, n'en vit-pas moifis. IL est iCLcoMMnei^
constamment dans son inmcent Aipis J 11 'est^^as,
paMrar des Ames, d^^Mmnaire* gavdien .du taonde
^sumibpes, et vrtreTOort^estppAs'idejhii. Ha cr«-
gneznen, iV esHbten \k .» Ihfa^Teveiiir «n jour voos
redemander son corps. Enveloppons-la avec soin,
celle prficieuse d6pouil!e. Embaumons-la de par-
fums, de prieres, de brdl antes larmes. Conservons-
la bien prts denons. beau jcwr, ou le Peceides
toes, sorti du re^aume sombre,' ¥ras reoNlra. Vime
ch6rie, la rejoindra k son corps, et dira : « Jevoas
Fai gard6. »
La permanence de Y&me^ 一 non vague et im-
personnelle comme dans le dogme d*Asie, 一 mais
de Vkme individu, de V&me aim6e, consacr^e et
6ternis6e dans Famour, la fixity imp^rissable du
moi ador6, la tendre bonti de Dieu \ii par les pleurs
d,une femme et tenu de resliluer, 一 ce bienfait im-
mense, d&s lors a kie re^u de tous. Et il ne pas*
sera pas.
Dieu est tenu, mais pour les bons. II les distin-
guera des m6chants. 一 Ainsi, pour la premiere
fois, apparalt nettement le Jugemcnt et la Justice
divine.
En attendant, travai!Ions, bdtissons des choses
6tcrnelles, perpiluons nqtre memoire, parlonsaux
dges futurs en 】angue de marbre ct de granit. L,£-
9i4 U GBAHOB UGERDS O'AFBIQCE.
gypte entite est comme on liyre, ou tousles sages,
un a on, vienneol iladier.
Dte lors, toote nation imite, prend r^mulation
de durie. On entasse, on accumule. Cbaque jour
m s'enrichissant I'h^itage du genre humain-
Ainsi, de moral et d'arl, de travail, d'immor-
talit6, cette adorable l^endc ficonda toute la
lerre.
XI
COMMENT LA FEMME DfiPASSE L'HOMME
Le bonheur de riniliaieur, c'est de se voir cl6-
pass£ par l,inUi6. La femme, cultiv6e incessam-
ment de I homme, f^condte de sa penste, croit
bientdt, et un matin se trouve au-dessus de lui.
Elle lui devient supferieure, el par ces ^I^menfs
nouveaux, et par des dons personnels, qui, sans
la chaleur de I'homme, auraient eu peine a 6clore.
Aspirations m^Iodiques, attendrissement de la na-
ture, ces choses 6taient en elle : mais elles out
fleuri par Pamour. Ajoulez un don (si haul, que
c'est, de tous, celui qui met le plus notre esp6ce k
pari des autres) : un bon et charmant coeur de
femme, riche de compassion, d'intelligence pour
le soulagement de tous, la divination de la piti6.
Elle est docile, die est modeste, ne sent pas sa
526 COMMENT LA FEVMiS DfiPASSE L'HOMME.
jeune grandeur; mais, a chaque instant, elle eclate.
Tu la m&nes au Jardin des Plantes, et elle y rftye
les Alpesyles {or£ts vierges d'Amerique. Tu la menes
au Mus6e des tableaux, et elle pense au temps oil il
n'y aura plus de musses, les \illes cntieres etant
musses, ayant toutes lestmirailles peintes k I'instar
du Campo Santo. Aux laborieux concerts d'artistes,
elle pressent les concerts de peuples qui se feront
dans I'areirir, (es grandesi F6dtrttioiis llkme du
genre humain s'unira dans raccord final de I'uni-
verselle Ainiti6.
Tu es fort. Elle est divine, comme fille et soeur
de la' natore/^Ue s^appute -sur tow btas, et ^ur-
taiit eMe'a des ailes. Elle est faiMe, ellet -est sonf-
frante, el c*est justemeiit krsque'ees beftoxiyew
languissMts t^moignent qu'cMe ^t'attetnte,:c-est
ftloFs^que ta ch^re sibylle plane 5 de'grandeslliau-
tears SHrdes'sonrmets inaccessibles. GoiBiBml'«tte
est'la, qui le sait?
Ta lendresse y a fait beawcoap. *Si ^^He t^iife
cttte »*pars8ance, ^i, feiUfRe mire, Hi^ee ide
y homme,' dlie a ' en ' plein ; wnrkig!e, :ta*'Virgink6 si-
bylKque, o'^fei que ion anK)un>i,iet/wv^{i)HHit
fe cher tr6s«r, a fait denx-p«rts 'de^ia^ioe, ― , p«r
ioi^'cn^ffie ^le ,d,r labrarf'fcUte Tade<cosiiact
monde, 一 pour eWe^a paix^^f Vmmm,'ia sMter*
COUflNl LA. FEHVE DfifUkSSE' L'HBDK 392
Oi;ie'tft>as Uea fait 1 que je t'en sais gr6l... Oh I
lafermBe^le vase^frsgile del'lBfiomfiarable alb^lfe
oiIb br AU' ladanqpe A^Di&a^ il U\xt biea le mtaager,
le poKter,d,uw,maiii pieuseou le^garder au.pUis
pvte daas* laxhaleur de setrseinl
G'esiieisriliii i samuoi les miseresK^^T timaiispi&«'
cial'rai s^eatttes jourst cber oH'irrieir^ ^ub^ tu la
tibdBS?de»ia5cette'^ndble8se/qit'onV secris' les en&nts
et les femmes, aimable aristocratie de I'esp^ hvh
mainsi .EHl'eee^ daanoblesse; a lai, pow te relever
de ioi-adfliB^ . Si ita mieoa de ta, forge, hafetanty
teis^L dle&rtsy ette, jeanof e^i preservie^ elle le
verse la jeoQasse^ te"reiulQuauftot;^cci da vie,<et
te:re£ait !Diftu, d^uEt: baiserr .
Pres de icet i)bjet i diviB^ tu^ae^siiunras pas a IV
TM^let rj^ntcakittiiie«t qui tei^etienb surton' afo^e^t
&boit sealaer.' Tu sea^hras a cbaijw instant I'heu-
reuse n6cessiU»ck*6terer,'d*6tMdre tea concepUoas,;
pour suivre ta ch^re felfeve la ou iu I'as fait monler.
Ton jeune ami, ton 6colier, comrae elle dit mo-
destementy ne te permet pas, 6 maltre, de t,en-
fermer dans ton metier. Elle te prie k chaque in-
steitd'ea soi^tiretde-l'iaiider) dereBter eivfaamooie
aveci.tovie cho8& nobie jet beUe. .Pouir. solfireiauK
liiMldiflin Imnoinn rtci tnn jntit nmmrndr; tu sem
tenet grmda .
538 COVMBIiT U FEMHE DflPASSE L'HOMIIE.
Elie est petite et elle est haute. EUe a des octaves
de plus, dans le haul et dans le bas. G*est une lyre
plus 6tendue que la tienne, icais Qon complete ; car
elle n'est pas bien forte dans les cordes du milieu.
Elle atleint dans le menu des choses qui nous
^cbappent. D'autre part, en certains moments, elle
\oit par-dessus nos tfttes, perce Pavenir, Unvisible,
p6n&lre k travers les corps dans le monde des
esprits.
Mais la faculty pratique qu'eUe a pour les petites
choses, et la faculty sibyllique qui parfois la m^ne
aux grandes, out rarement un milieu fort, calme,
harnionique, oil elles puissent se rencontrer, se
feconder. Chez la plupart, elles alternent rapide-
ment sans transition, selon r^poque du mois. La
po6sie tombe h la prose, la prose monte k la po6sie,
souvent par brusques orages, par coups subits de
mistral. C'est le climat de Provence.
Ua illustre raisooneur rit des facult6s sibylliques.
11 nie celte puissance si incontestable. Pour la d6-
precici , il semble con^ondre V inspiration spontanie
de 1 a femme avec le somnambulismej 6taX dangereux,
maladif, d'asservissemeat nerveux, que lui impose
COMMENT LA FEMME DfiPASSE L'HOMME. 329
le plus souvent rascendant de Ihomme. U demande
le cas qu'on peut fairc d'une faculty si incertaine,
« d'ailleurs physique et fatale. »
{/inspiration, je le sais, mfime la plus spontan^e,
n*est pas libre entiSrement ; elle est tou jours mixte,
et marquee d'un peu de fatality. Si, pour cela, on
la degrade, il faudra dire que les artistes ^minents
ne sont pas homines. 11 faudra apparemment ren-
voyer avec les femmes Rembrandt, Mozart et Cor-
r6ge, Beethoven, Dante, Shakspeare, tous les
grands 6crivains. Est-il bien sAr que ceux m&me
qui croient exclusivement s'appuyer de la logique
ne donnent rien k cette puissance feminine de rin-
spiration? J'en Irouve la trace jusque chez les plus
d6terinin6s raisonneurs. Pour peu qu'ils devien-
nent artistes, ils tombent, a leur insu, sous la ba-
guette de cette fee.
On ne peut dire (comme Proudhon) que la femme
n^est que rdceptive. Elle est productive aussi par son
influence sur rhomme, et dans la sphere de rid6e,
et dans le reel. Mais son id6e n'arrive gu6re k la
forte r6alit6. C'est pourquoi elle cr6e peu.
La politique lui est g6n6ralement peu accessible.
II y faut un esprit g6n6rateur et trte-m&le. Mais
elle a le sens de l,ordre, et elle est trte-propre k
I'administration.
Les grandes creations de I'art semblent jusqu'ici
19
810 COMONT U FBH& SSBAStt LWOIKL
lui 6tre impessibles. Toute mnyn finrte de cWfliea*
tion est un fruit du gteie de rhomme.
On a fait fort sottement de toat cde une qoesttoa
d'amour-propre. Vkomme «i la femme 9mt deux
Stn$ kwompleti et rekUifs, nfdtmt que deux maiti^s
dim tout. lis doiveat a^aimer, se. ucspecier.
EUe eH rdaHve. EUe doit respecter l!honime, qui
exit tout prar die. Bile a"a pas on aliment, pas un
bonfaeur, «ne riebene, qui iie Ini lienite de lui.
n est rdatif. 11 doit adorer, respeeter la femme,
qui fait I'homme, le plaisir d» rhomme, qui par
I'aiguUlon de r^ternel ddsir a toA de lui, d'dge en
柳, oes jets de fl 譲 mesi qu'an appelle des arts,
des civilisations Elbd le refiait chaque soir, ea lui
donnant touc & tour les den puissaooesdeirie: 一
en. lapiMsantv Vbmrmame; en rajounuiiit, l,6tin«
celle.
fiUe crte ainsi la eriatmir. Et ill m'est ideH. de
plus gifand.
Jenereproehe pa$ & la femme die lui point doaner
les choses pour lesfudles eUe n-eat pas faite. Je
racfiuse seulementde sentir parfois trop exclusive*
ment sa haute et charmante noblesse^ et de ne pas
lenir compte dtt moode de creation, du sens gdn^-
G6Mil£NT Ih FEMHE. D£PASB£ L'HUMME. m
lateur de Uhoosme, de son; inei^ f6amde, des
eifoirls prodigieuii dace; grand oimk 仏 Elle ne les
soupQonne- miflia pasi
Elle esi la beauts et a'aime qpe la beau, mais
sans effort) le beau, tout fait. IL y a une aulrebeaul^
qu'elJa ai peine k saisiir, celLe de raction, du travail
hSroiquey q^ii: a fait ceite belle chose, mai&qui est
plus belle elle»m6me^et souvent jusquau sublime.
Graada tristesse pow ce pauvre createup de voir
qu'en admisani retfet,(FQBUJvne r^ussie), elle n-ad-
mlfa paa la cause, et trop>stouveiit la d^daignel que
ce soil ju6tement Fefibut qu'oa a fait pour elle qui
refroidisse son' coeuK, et q,u'en.m£ritai]i davantage,
oa commence k. lui plaire mQinsJ
« J'ai beau £aire,, ne la tieas pas. EUe est a
moi depuis longtemps et je ne I'aurai jamais. »
C'est le mot assez bizarre qu'un homme de vrai
m^rite, d un coeur aimaat et fid61e, toujburs epris
de sa femme, disait un jour. Celle-ci, brillante,
mais bonne et douce, complaisante, aimable pour
lu"ne pouvait 6kal'Ql]j|etd!auGui)LX^Qcbaa^rieux.
Elle n'avait d'aulre. d6fauL que. sa suQerioriti. et aa
distinctioQ croissante.U sentaii, aon sans trisfesse,
^u'elle n'etait. j^lufi auv^logpte de. lui comme d!ar
332 COUBKT U FEMME DfePASSB L'HOUE.
bord, cette ch&re idole, et que, le voulAt-eUe oa
non, elle planait dans une sph&re indSpendante
de celle ou il avait concentri son activity.
lis ex prima lent parfaitement les types que j'ei
po86s aux chapitre8 de l iducatim •• « L'hommd
modeme, essentiellement, est un travaiUeur, un
producteur. La femme est une harmooie. »
Plus rhomme devient criateur, plus ce con-
traste est saillant. II explique bien des refroidisso
ments qu'on aurait tort d'expliquer par la Ieg6ret6
du coeur, I'enmii, la sati6t6. lis n'arrivent pas tou-
jours parce que les ipoux se fatiguent de se retrou-
ver les m£mes, de ne pas changer, mais, 一 au con-
traire, parce qu'ils ont changS, progress^ en mieux.
Ce progr&s, qui pourrait leur 6tre une nouvelle rai-
son de s'aimer, fait pourtant que, ne relrouvant
plus leurs anciens points de jonction, ils n'ont
gu&re d'aclion Fun sur lautre et disesp^rent d'en
reprendre.
Resteront-tts ainsi pos6s froidement k cdt6, indif-
f^rents, r6unis uniquement par les int^r^ts? Non,
r^cartemeni augmente. Le coeur prendra parti
ailleurs En France, il est trSs-absolu, veut runion
COMMENT U FEMME D^IPASSE UHOMME. 333
la plus unie, ou un autre amour. II dit : « Tout ou
rien. »
Qu'on me permette un paradoxe. Je sontiens
qu'en d6pit de la gaiety insouciante que Ion simule
en ces choses, notre temps est celui ou I'amour
est le plus exigeant et le plus insatiable. S'il s,en
tient a un objet, il aspire k le p6n6trer a une pro-
fondeur infinie. Prodigieiisement cultiv^s, pounrus
de fant d'idees nouvelles, d'arts nouveaux, qui
sont des sens pour goAter la passion, si peu que
nous Fayons en nous, nous la sentons par mille
points insensibles k nos aieax.
Mais il arrive trop souvent que I'objet aim6
ichappe, 一 soit par d^faut de consistance, fluidite
ftminine, 一 soit par transformation brillante et
progrfts de distinction, 一 soil enfin par des ami-
ties, dcs relations secondaires qui partagent son
coeur et le ferment.
L'homme en est huinili6, d6courag6. Tr6s- sou-
vent il en regoit dans son art et dans son activity le
facheux contre-coup . II s'en estime moins lui-m6me.
Alors, plus scnvent qu'on ne croit, un amour-propre
passionn6 mime et double I'amour. II voudrail
reeonqugrir, possMer celte chkre personne, qui
parfoiSySans ironie, mais dans une grande froideur,
dit en souriant : a Fais ce que tu peux. »
€ Ter totum fervidus ira, lustra t Aventini mon-
534 GOiarafT lA FEHB BtPASSfi L'flOIBIE.
tern, ter saxee tentat limiiia nequicqoam^ier feasus
valle resedit. »
« Troisfoisj.bomllaiit, il totome afnioiir du numt,
trois fois secoue le froid rempart de 'pierre^ trins
fois retombe, s'assoit dans la waUee. ,
L'entrave, la myBlfirieose inihience negative,
rempfichement dirimant, vient presque toujours da
dehors. Mais elle ne se trouve pas toujours dans
une personne makeillante. C'est une mdre, c'es*
tine soBur, un salon d'amis, que sais-je? La cause
la plus honorable a paribis de ces efTets. II sufik,
pour qu'il n,y ait plus mapiage, qu'iine amiti6 ^6-
h^mente d^tourne la .s6ve d'amour.
J'ai vu deux dames accomplies U^es d'une ^trafte
amitie. Une seule^tait marine. L'aiitre resta demoi-
selle pour se dcmner tout entire a cette affection.
Le mari, homme d'sesprit, ^orimin brillant, 16ger^
avail apporti un don admirable. Grande quefiriion
de savoir si ce dm des fees se fixerait, s'affeP"
mirait, 11 rfealkait, par moments, d,inslinct, j'allais
dire, par hasard. Aiors, son oeuvi'e 6cUpsait tout.
<3ue serait-il arrivA si la fantasque StmoeUe edt (Ah
b&ni^. couv^e de l,amaur?
EHe 6tait >ei<trftinenieiit belle, et de coeur plus
heBc -encore. Elle a^ftunsens meral 6tevi, mms
foi^t «6neiix, qiri lui fttisatt 'sefnitir peu ces <»pri-
cienses loeors. EIIb avsrit, -pear s'^ oonfirmer,
l,amHi6〜 議, radoration d'une lemme adoraUe
e]le-m6me« En presence de ce couple si uni et si
parfait, le man pouvait-il tenir ? II n,y venait pas
en tiers. Ses quality fines et flottantes, m£lees de
defauts exquis qui marquent quelquefois les gfenies
de la decadence, n'allaient gufere a la ligne droile
sur laquelle on les appliquait. Les deux amies,
verlueuses, pures et transparentes comme la lu-
mifere a midi, ^tUaient m^diocrement la grAce in-
decise et sensuelle, le fuyant crSpuscule.
Cette indecision augments. II avail un tort bien
grave, c'etait de ne pas croire en lui. Ses amis y
avaient foi, le sommaient de tenir parole. Mais
rien ne supplge % Uappui intirieur. La femme est
le grand arbitre, le souverain juge. II s'en fut tir6
mieux peut-6tre avec une femme vulgaire. Celle-ci,
par sa noble beaul§, par sa puret6 candide, par
ses talents estimables , commandait trop de res-
pect. Celle perfection excessive ne laissait gu^re
la voie d'appel contre ses jugements. Jugeraer^ts
toujours bienveillants, mais sinc&res.
Get homme singulier et charmant ne pouvait
rien qu'^Taveugle. U fallait que la main aim6e, lui
SM COMMENT U FBMHE DfiPASSE L'HOMME.
bandant les yeux, aidflt k cet aveuglement qui le
rendait productif. Au contraire, il v6cut toujours
ayant k cdt6 de lui la reflexion jodicieuse. Solitaire,
au moment sacr6, il sentait celte prudence qui rec-
tifiait rinspiration... U s,arr6tait court, ratait.
Les femmes me permetfront-elles de dire ici
petit mot? EUes out l,oreiUe plus fine, entendront
mieux. D'ailleurs elles ont plus de temps, pour la
plupart. L'homme, ce martyr du travail, dans I'en-
tralnemenl et Peffort, 6tourdi, ne m'entendrait pas:
Madame, ne soyez pas parfaite, Gardez un tout
petit ddaut, assez pour consoler rhomme.
La nature veut qu,il soil fier. II faut, dans votre
inlerftt, dans celui de la famille, qu,U le soit, qu'il
se croie fort.
Quand vous le voyez baisser, attristS, d6courag6,
le plus souvent le remade serait de baisser \ous-
mfeme, d'fetre plus femme, et plus jeune, 一 mfeme,
au besoin, d'^lre enfant.
Second conseil : 一 Madame, ne partagez pas
voire coeur.
CO 腿 1ST LA FEMME D^PASSE L'HOMHE. 357
Je vous dirai ce que j,ai vu a Hyferes, en Pro-
vence, dans un magnifique jardin. II etait plants
d'orangers, bien soign6s, convenablement espac6s,
dans la meilleure exposition ; ilsn'avaient point a se
plaindre ; dans ce pays, ou l,on aime k entrem filer
les cultures, on s'6lait abstenu pourtant de mettre
aucun plant enlre eux, aucun arbre, aucune vigne
qui piit leur faire tort. Seulement, quelques bor-
dures de fraises se voyaient le long des all6es. Prai-
ses admirables, ddicieuses , parfura6es. Comme
on sait, elles ont peu de racines ; elles tracent a la
superficie, et trainent, sans enfoncer, leurs faibles
et grfiles chevelures. Cependant les Grangers lan-
guirent et devinrent rnalades. On s,inqui6ta , on
regarda ce qui pouvait les chagriner. On eiit tout
sacrifife. On ne soupQonna jamais que les inno-
cents fraisiers fussent la cause de la maladie. Ces
arbres robustcs eux-m6mes, si on les e6t consults,
n'auraient pas, je ci'ois, avou6 que leur Enerva-
tion tint h si petite cause. Us ne se plaignirent pas,
moururent.
A Cannes, non loin de 1§, on sait que l,oranger
n'a force que 1 呑 ou il est solitaire. Non-seulemenl
on ne lui donne aucun camarade ni grand , ni petit,
mais, ayant d'en planter un, on fouille d'abord le
terrain a huit pieds de profondeur. On le fouille
par trois fois pour savoir s'il est net et vide, s,il ne
19.
contient pas de racine oublite, quelque herbe ti-
▼ante qai prendraH sa part de la sfeve.
L'oranger ^eut ttre seal, madame, 一 et ramour
XII
LES HUMILITfiS DE L'AMOUR
CONFESSION
ramour est chose bien diverse, et d'esptee >et
de degr6. De nation k nation, il est extiemeineiii
different.
La Fran$aise est pour son mart nn admirable
associ6, en affaires, mfime en idies. S,il ne sail pas
I'employer, il peat se faire qu'eUe l,oublie. Mais
qu'il sail embarrass^ , die se souvient qu'elle
l,aime, se d6voue, et quelquefois (on Fa vura93)
elle se ferah tuer peur lui.
L'Anglaise est la sdide —use, courageuse, iii-
fatigable, qui suit partout, soufire tout, ka pre-
mier eigne elle est prtte. « Lucy, je pars au/6iir-
540 LE8 HoMILlTfiS DiS L'AHOUR.
d'hui pour rOc^anie. 一 Donnez-moi seulement,
moD ami, le temps de mettre un chapeau. »
L'Allemande aime, et aime toujours. EUe est
humble, Tcut ob6ir, voudrait ob6ir encore plus.
Elle n'est propre qu, & une chose, aimer. Mais c est
rinfini.
Vous pouvez avec I'AngJaise aisSment changer
les milieux, et, si celui-ci est mauvais, femigrer au
bout du monde. Vous pouvez, avec rAllemande,
vivre tout seul, s,il vous plait, dans une campagne
£loign6e, dans la profonde solitude. La Frangaise
n'en est capable qu'autant qu'elle est trfes-occupee
et qu'on a su lui cr6er une grande activile d'esprit.
Sa forle personnalit6 est bien plus embarrassante,
mais la rend capable (Taller loin dans le sacrifice,
mftme d'imraoler la vanit6 et le besoin de briller.
Cest tout fait pour rAllemande, qui ne veut rien
que de ramour.
Un esprit ultra-fran^ais, tr6s-oppos6 k FAlIema-
gne et qui s'en moque a chaque instant, Stendhal,
fait cette remarque trfes-juste : « Le meilleur raa-
riage c'est celui qu,on voit dans l Allemagne pro-
testante. »
Telle i】 vit l Allemagne en 1810, telle je la vis
en 1830, et souvent depuis. Les choses ont pu
changer pour les hautes classes et pour quelques
grandes villes, non pour Fensemble du pays; c'est
CONFESSION. 341
toujours r^pouse humble, ob6issante,. passionn^e
pour ob6ir ; c,est, d'un mot, la femme amoureuse.
L'amour vrai, I'amour profond se reconnall k
cela qu,il hie toutes les passions : orgueil, ambi-
tion, coquet terie, tout s,y perd, tout disparait.
II est si loin de 1* orgueil, que souvent il passe au
plus loin, se place juste a Fautre p61e. D6sireux de
s'absorber, il fait bon march^ de lui, il oublie fart
ais^ment ce qu,on appelle dignite, sacrifie sans
hesitations les beaux c6tes qu,on montre au monde.
II ne cache rien des mauvais, et parfois les exagere,
ne voulanl plaire par nul mferite que par FexcSs
de ramour.
Les amoureux et les mystiques ici tout k fail se
confondent. Dans les uns et les autres, excessive
est l,humilit6, le d6sir de se rabaisser pour grandir
d'autant plus le dieu ; que ce soil une femme ai-
m6e, que cesoit un saint favori, reffet est le m&me.
Je ne sais quel d6vol disait : « Si j'avais pu seule-
ment 6tre le chien de saint Paulinl » Plus d une
fois j'ai entendu des amants dire la mftine chose :
a Si seubment j,6lais son chien I »
Mais ces ravalements de Iftme, ces Tolupt6s d'a-
baissenievf, I'amour ne doit pas les souffrir. Son
94S LSS HUMIUrtS BE I'AMOUR.
•effort, ra icontraire, est d,61ever la personne
mante, tout an moins dela maintenir k son mvera,
de culliver 1, union par ce qui la resserre, ce qui
seul la rend reelle : r6galit6. Si les deux imes
^taient si disproportionn^es, iml ^change ne serait
possible, nul melange. On m parviendrB jainaiB a
harmonker tout et lien.
C'est le suppUce que le colonel Selves (Solimim*
Pacha) ne craignait pas d,
voir qu'on est aimd, disait-H, a 棚 la fennne >dM^
riant? » 一 Tfous qui avons le boDhearde possSder
dans nos femmes d^nrope des Ames et des inatoR-
t6s, quelque embarras que parfois ces volontis
nous suscitent, nous devons 6viter pourtant tout
€6 qui pourrait tes briser, rompre 'm elles le res-
sort de I'dme. Deux choses snrtout y seraient in-
finiment dangereuses.
La premiere, dont on abuse beancoup trop
jourd'huisuT les femmes imprudentes, c*est V ascen-
dant magn^tiqiie. La facilit6 malheureuse qu'elley
ont h le subir est one maladie v^ritableqni les troth
ble profond^meirt et s'aggrave en la cultivant. Ce
danger n'existAt-il pas, c'est une honte de voir un
faomme qui n*earl point mm6f et qm n'a rien pour
Cffia 亂 945
le coeur, {nrendre vne pniBssRce sans bornes sur les
volont^s d'une fcrmnie. Elle devient sa proprietfi,
forc6e de moirvoir k son signe, on de dire devant
tenioiii le phis ihumiliaiit seoF6t. Bile le suit Ma-
lement. Poorquoi ? EUe ne sauratt le dire. II n*est
snpferieuT en Tien pour I'esprit, m pour I'^ner gie,
maas elle s'est I&v8s6 surprendre, sous pr6teicte
de raddechie, d'aimisement de soci6t6, etc., et4a
-voilft lm6e k mille cbances incoimues. Ces ido-
timeB ont-elles raiment rhispiration mMicale?
ietemps le dira. Mais qQoi qn'il en «oit, ce don est
pay6 bien cher, patequ'il fait une malade, iine ma-
lade humiliiBe, qui perd la disposition de sa vo-
lonti. Celui mftme qui est ainie, son amant, sou
mari, si elle le prie de prendre ce poirvoir sur
€lle, doity regarder longtemps. ku lieu d'dvoquer
en elle cette passiveti d'esalavage et d'mspiration
tenfebreuse, il Passociera aux facult6s actives qui
sont celles de la liberty, et ne Toudra exercer sur
elle qu'un genre d'attraction, Pamour en pleine
lnmi^re.
Dn autre ascendant que tout homme gfenSreux,
au coeur bien plac6, Be gBrdera d^xeroer, c,est
144 LES HUMIUrtS DE L'AMOUR.
eelui de la violence, la fascination de la crainte.
Les remmes, par (oute I'Asie (on peul dire pres-
que par Unite la terre), sont traittes comme des
enfanls. Mais il faut consid6rer qu'exceple dans
notre Europe, elles sonl mari6es enfants, dans les
pays chauds a dome ans, k dix ans, et m&me dans
rinde quelquefois a huit. Le mari d,une femme de
huit ans est obligS d'fitre son pfere, en quelque
sorte , son maitre pour la former. De 1& la contra-
diction apparente des lois indiennes, qui, d'une
pari, defendenl de frapper la femme, et ailleurs
permetlent de la corriger « comme un petit 6co-
lier. » Elles sont toujours enfants, et cette disci-
pline puerile (non servile ni violente), elles la su-
bissent patiemment. Dans l,6tat polygamique, elles
restent crainlives et sensuelles, s'attachent un peu
par la crainte, en recevant tout du m£ine, caresses
el sfev6ril6s.
Nos femmes du Nord, au contraire, n,6tant nu-
Liles que ires-lard, sont tout ifait des personnes,
et nuUement des enfants, au moment du manage.
A les trailer en enfanls, il y aurait le plus horrible
abus de la force. Ajoutons le plus dangereux. II se
trouve g6n6ralement que les moments ou leur hu-
meur difficile provoque la brutalite de rhomme,
ce son! les 6poques du mois ou elles sonl le plus
vuln6rables, outoule Amotion violente pourraitleur
GOr^FBSSIOR. 845
donner la mort. Elles ont alors des heures, des
jours d'agitation cruelle, ou elles souffrent elles-
mSmes (elles Pavouenl) du d^mon de la contradic
tion, ou tout conspire h leur dSplaire , ou elles
ont besoin de choquer. 11 faut compatir, ne point
s'irriler. C'est un 6tat trfes-mobile, el coin me au
fond, inalgr6 ces aigreurs, il cache une Amotion
de nature nullement haineuse, il suHit souvent
d,un regime un peu d^tendu, d,un peu d'adresse
et d'amour pour changer cette fifire personne lout
a coup, et la faire passer k la plus charmante dou-
ceur, aux reparations, aux lames, au plus amou-
reux abandon.
L,homme y doit bien r6fl6chir. La femme est
plus sobrc que lui ; Fabus des spiritueiix, qa'il ne
fait que trop, doit le mettre singuliferemenl en
garde centre lui-m6me. Elle, quand elle est exal-
tee, violente, c'est le plus souvenl la cause la plus
naturelle (et au fond la plus aimable) qui I'agile,
lui fait piquer l,homme par des mots aigus, des
defis. Les Frangais le savent bien. II ne s'agit pas
d'amour-propre, mais d'amour. II ne faut pas se
heurter front contre front (comme on fait trop en
Angleterre) . II ne faut pas rire non phis, ni vou-
loir un brusque passage de la querelle aux ca-
resses. Mais tourner un peu, louvoyer. Un en-
tr'acte de faiblesse, de rel&chement natural, arrive :
Auz temps barbenes, ie gomerBemeiit intMeiir
dela fomille, oonnne 】£ gotrvernemeftt public. Be
vivail que de coups d'Stat. lessons, 36 voos pne,
am temps civilises de I'entente 'cotdiafe, du lihre
ei doux ganvernement qui se ferait )nr Paccord de
la Tolonli.
Le coup d'Elat domestique de rbrnnme^ c,《st
rignoble brutalitfi qui met la main sat la femme,
c'esl la violence sausage qui forofeiie nn objetsacrS
<si d61icat, si *Tuln6mble! ), c'est ringratiUide im*
pie qui peut oolrager son aufeL
Le coup d'ttftt de la :femaie, k goerare que £edt
le foible au fort, c'est fta propire honte ^ eUe, J'a*
dultdre, qui hmniiie le mari, lui inflige renfant
Stranger, qui les avilit tous tes deux, et les rend
inis^ra/bles dans i'awenir,
Ni ram ni 1' autre de oes Grinnesiie serait com-
隱 II, si ruTiili 6tait assiirie par repancbement de
cheque joor, par une communicm permmwmte m
les plus l^geres > d isgi denies apergnes, fondues tout
Wabord, n'anraient pas le tempe de crier de tdles
temp6te&. On «e ^eillerait da vantage sei^mfime par
319 LBS HUmurtB BB X'AMOtR.
la bonne grftce revient, on avoue qn'on est mb"
Aante, et Fon tods pafe d'etre bon.
GOKFESSION. 9f7
l,€Migaf ion de dire tout. Les (stations non cou-
v6es ont bien moins de prise.
La confession conjugale (un satroment de I'ave-
nir) est I'essence du mariage. A mesure que nous
soriirons de I,6tat grossier , barbare, ou nous
sommes encore plongis, on senttra qu'on se marie
prec5s6ment pour cela, pour s,6pancher tous les
jours, pour se tout dire sans rfeserve, affaires,
id6es, sentiments, pour ne garder rien a soi, pour
mettre en commun son dme tout entifire, mfime
en ces images confus qui -peuvent devenir de
grands wages poirr xm coBur qui les fomente, au
lieu de les confier.
Je le nipftte, ic'est cela qui est le fond du ma-
nage. -
Est-ce dans la g^n^ralion qu'il eat essentielle-
racnt? Non. Lors m^e qu'il est st6rile, il pent
Sire trfis-uni. Sans enfants, il y a mariage.
fist-ce dans Vioimsge du plaisir qu'on le fera
a>nsister? Non. Lore mftme que le plaisir cesse par
YAge ou la maladie, il y aiout autont manage.
IIS LBS HUMIUTfiS DE L AMOUR.
II consiste dans I'tehange quotidicn de la pen-
see » de la volont^, dans le melange el Faccord per-
manent des deux ftmes. Le beau mot des juriscon-
suUes : Mariage, c'est consentement^ il faut quil se
reproduise jour par jour , qu'une confiance de
chaque instant assure qu,on est dans cette voie ou
chacun consent k ce que veul et fait raulre.
Qui devez-vous epouser ? Celle ou celui qui veut
vivre, devant vous, en pleine lumi&re, ne cachant
nulle pens6e, nul acte, donnant et communiquant
lout.
Qui devez-vous 6viter ? Celle ou celui qui, pro-
mellant de se donner, se garde encore; qui, dans
une enceinte rfeervfee de l,dme, se fait un bien
exclusif dans la propriety commune, qui sous clef
lient un sentiment, une idee k soi tout seul.
Les femmes pures, douces et fiddles, qui n'ont
rien h dissimuler, rien k expier, ont pourtant plus
que les autres besoin de la confession d,amour,
besoin de se verser sans cesse dans un coeur ai-
mant.
Comment se fait-il que rhomme profite g6n6ra-
lemenl si peu d'un tel 616menl dc bonheur? 11
faut vraiment qu'une jeunesse Waste ou rstour-
CONFESSION. 549
dissement du monde nous rendent aveugles ef
brutes, vrais ennemis de nous-mfimes, pour ne
pas sentir des la premiere fois qu'une communica-
tion si lendre est la plus fine jouissance qu'une
femme puisse donner d'elle-mfime.
Ah I la plupart en son! indignes 1 lis sourient,
^coutent k peine, parfois se montrent sceptiques a
ces revelations naives, qui devraient 6tre'non-seu-
lement accueillies, mais ador^es.
Ce n'est pas chose si nouvelle. Pour les int6r6ts
et pour les affaires, les 6poux communiquent et se
corifient. U faut pour le coeur, pour les choses de
religion et d'amour, pour les agitations intirieures
et la vie secrfete d'im agination , qu'ils prennent
aussi confiance. On n'est uni, mari6, que par cetle
chose extreme, definitive et perilleuse : <x livrer son
dernier secret, et se donner puissance run sur I au-
tre^ en se disant lout. »
Ne la laissez pas aller, celte chire femme, si elle
est un peu malade, si elle a le coeur trouble dun
petit r6\e, comme il en vient a la plus pure, ne
la laissez pas en defiance de son mari, qu'elle aime
pourtant. II \aut bien mieux qu'elle se fie a son
indulgence et lui demande conseil, que de livrer
ce grand secret (qui au fond n'est rieii) k je ne
sais quelle personne qui des lors aura une arme
conlre eile et contie vous, la tiendra par la, et.
3M US HUMIUTte AE I/AMOUR.
sans rkn dire, n'aura qa'k li regarder, cetie pao-
vre innocente, pour la faira nuigir, lui Cure baisser
lea yeux.
Gela auca Favaoti^e de vous Ceare lassi r^fchir.
Une femme bonne et raisoimable, si elle aual^ger
caprice , il faut biea que son mari se demande
pourquoi, et si ce n'est pas sa faute, a lui-mSme.
Au milieu de la vie, danft refitramementy le vertige
oil nous sommes, nous nous negUgeoos jhmt les
cboses essentielles, et DOtt& n^gligeons ce qae nous
aimona le plus.
II iaut se dire : « Elle a raiaoD peot-^lM^js'de-
vkms annuyeui^ trop absorb^ d'une duHe* m>
Ou bien :
a Respect6-je assez sa d^licatesse ea cevtain rap-
part physique? Ne suia-je pdnt d^plaisaat? »
Ou encore :
a Elle me yqU, anree FaiaoD, sous on Mcbeus as*
peet moral, 一 je suis dur,aTare〜
« Eb bien, je re;Hrendrai son coeur^ je* sevai plus
oha citable, plus g6n^reux., 一 magnanime, 气 je
scr u auHlessus de moL 一 II &udra bien qu'elle
cecunnaisse qu'au total, je vaux mien eneove que
CONFESSION. 55i
celui qui lui semble aimable, et surtout que j'aime
bien plus. »
Faut-il beaucoup de porales pour cela? Infmi-
ment peu. Parfois, il suffit que, le soir, on s*aime
et on se regarde.
\Ju aetisteiqw a eu dew au frob feis du g6nie^
Dcielmud, dans une gmure qu'il appelle le Cafe^
a fort bien donn6 le regard de deux &mes intelli-
gentes, qui rfonl presque pas besoin de parler^
s'entendent tout a fait, se comprcnnent.
J'y voudrais un ra^on de plus, surtoul du c6lfr
de Fhommev cpielque chose qui dit : « Ne erois
pas- que lu paiss0» awoir un plusprofood abri qfi'en
XIII
LA COMMUNION DE L AMOUR. - OFFICE DELA
NATURE
Je ne puis me passer de Dieu.
L'gclipse momentanfee de la haute Idke centrale
assombrit ce merveilleux monde moderne des
sciences et des d6couverles. Tout est progrfes, tout
est force, et tout manque de grandeur. Les carac-
t^res en sont atteints, 6branl6s. Les conceptions
fuiblissent, Isoldes, dispersfees ; il y a certes po6-
sie ; mais r ensemble, rharmonie, le poSnie, ou
sont-ils? je ne les vois pas.
Je ne puis me passer deDicu.
Je disais, il y a dix ans, a un illustre penseur
U COMMUNION DS JL,AMOUR, ITG. 353
dontj'aime I'audace el l*6nergique aust£rite : \om
6tes d6centralisateur. Et je le suis en un sens, car
je \eux \ivre ; et la centralisation rigoureuse tue-
rait eoute \ic individuelle. Mais raimante Unite du
monde, loin de la tuer, la suscite; cest par cela
que celle Unit6 est r Amour, line telle centralisa-
tion, qui ne la veut? qui ne la sent, d,ici-bas jus-
qu'aux 6loiles?
De ce que nous avons quitl6 la lh&e, insou tena-
ble, d'une providence arbitraire qui vivrait, au jour
le jour, d'arrfits individuels et de petits coups d,£-
lat, est-ce dire que nous ne sentons pas le haut
Amom impartial qui rfigne par ces grandesiois? El
pour 6tre la Raison, n'est-ce pas 1, Amour encore ?
Pour moi, j'en ai le flot puissant qui par-dessous me
soul6ve. Des profondeurs de la vie, je ne sais quelle
chaleur monte, une Kconde aspiration. Un souffle
m'en passe a la face, et je me sens mille coeurs.
R6duire toutes les religions a une t£te pour la
couper, c'est un proc6d6 trop facile. Quand mfime
vous auriez, de ce monde, efface la derni^re trace
des religions hisloriqyes, du dogme dat6, resterait
le dogme filernel. La providence maternelle de Na-
ture, adoree en des milliers de religions mortes et
vivantes, de pass6 ou d,avenir, auxgielles vous ne
pensez pas, die subsiste immuable. El, quand un
dernier calaclysme briserait notre petit globe, elle
so
354 U GOmiUMlOIf* Dft L'AHMIfi.
a,en durerait pas moiiis, indestructibliB eorairas- h
動 nde, doot elle est le channe eL la vie*.
Que le aentimeiit de la Cause aimaitte dispar^
raisse, et je n'agb plus. Que je n'sie phis k bonr
heur de senlir ce monde aimift',. da 麵 aeMir aioaife
moi-mfime, d6s lors je ne peux plus vivce ; cou-
chei-moi dans le tombeau. Le spectacle du pro-
grfes n,a plus dHnt6r6t pour moi. Que V&lan de la
pensie, da I'arl, soil plua graad enoore, jfi n'en ai
plus pour le soivre. Aux tjrente sciences cr6&es
d,hier, ajouteK-en trente encore, mille, touti ce
que vous voudrex, je n'en veux pas ; qu'en fesai-je,
vous m!6ieigDez FAiUQur?
L'Ocienl, rhumaoilS dans sa belle kumere d'auh
rore, avantles &gfis sophistes: qai VoaI ing^meaise-
mentobseiHtcio^ iiail parti d*uaet id^ecpii revieiidra
domioanta dans notre aeconde enfa&ee^ apog^ de
la sagesfift.. C'eatl que la. €o$nmumion d-amauTy le'
plus daux dea mijod^res de; Dimy an est stum le
plus haiili, el qu^ soa prolond: telair noua vau!i^re
un miunentrinfiiiK X^nebreuschez l-fttfe infi&mttr
(et telst nous sommea d'abord)^ iL e»t de plua ea
plus lumigre k mesure: que oetie flamaie est illumi-
n&o par I'AmcKur (yiiUepjOBe ebb' saadiiia.
Je ixe revieofi pas id sur ce,ue;j,ai dii Tan der-
nier, sur ce Tujet, grand autre ions, but le mystfere
touchant, terrilde, *ou la femme, pour donner lo
vie, jone la sienne, fiih le plaisir, le bonhem, la
£econdit6 nous font voir de si pris la morl. Nous le
sentons, k oette heure4a, dans un iibranlement si
profand, nons le Bentons dans notre chair fremis-
sante, dans 膽 osglacfe... Lelonnerre qui tombe-
rait n'y ajouterait rien du tout... Au moment ou
robjet aime eat si pr6s de nous 6chapper, oii le
froid de ragonie nous passe, si la voix nous restait,
ce fierait pour dire un mot arracfai du fond de
I'fttire et des ippofondeurs de la 'vferitfe : « Xa femme
^st line iteligion. j»
Nous le dirions k oe moment. Nous pouvons Je
direk tou8 les moments, et ce jsera toiQours \rai.
Je Pavais dit de ma petite, tout enfant encore :
« Une religion de puret6, de douceur, de po6sie. »
Combitin plus le dirai-je imauitenant que, vrai-
ment fenune -et m^e, elle rayonna de tous cdt66,
(par fia .gr&ce^ comme >une 'puissance harmonique
qui du cercle de la ifamiUe, peut dans la soci6l6
prpjeler des cercles plus grands I Elle est ime reli-
gion de honl&f de civiiisatioo.
S5e Ik COMMUNION DE L'AMOUR.
C'est surtout dans les Eclipses religieuses, quand
la tradition du passi p&lit h rhorizon, quand un
monde nouveau, compliqu^, entra\6 de sa gran-
deur in6me, tarde k s*organiser encore, c'est alors
que la femme peut beaucoup pour soutenir et con-
soler. A Fappui dc Fidfee centraJe qui, se d^gageant
peu h peu, va apporter Funitg de lumifere, elle, sans
savoir ce qu'elle fait, elle est runilfe charmante de
la vie et de ramour, el la religion elle-m6me.
Dans les grandes reunions d'hommes, qui n'ont
pas pour objet le culte, dans les concerts popu-
laires de I'AIIemagne {h cinq ou six mille musi-
ciens), dans les vastes fraternit6s politiques ou mi-
lilaires de la Suisse ou de la France (telle qu'elle
ful et sera), la presence de la femme ajoute une
femofion sainfe. La patrie ni6me n'est pas Ik, tant
que nos mferes, nos fenimes n,y sont pasavec leurs
enfants. Les void, et I'on y sent Dieu.
Pour ne parler que de la famille, du bonheur
individuel, je dirai simplement la chose dans les
termes oil un bon travailleur l,a dit un jour devant
moi : «f Elle est le dimanche de rhomme. x>
C,est-i-dire, non le repos seulement, mais la
joie, le sel de la vie, et ce pourquoi I'oii veut vjvre.
OFFICES DE LA NATURE. 351
Le dimanche I la joie, la liberie, la fi^te, et la part
ch6rie de Fame. Part sacree. Est-ce la raoUi6? le
tiers? le quart? Non, le tout.
Pour Men approfondir la force de ce mot diman-
che, dont Foisif ne saura jamais le secret, il
faudrait connaltre tout ce qui se passe dans la I6te
du Iravailleur le samedi soir, tout ce qui y flotte
de rfives, d'espoir et d*aspiration.
Est-ce la femme en g6n6ral, est-ce la genlille
maitresse, qui motive la comparaison? Nou, c'est
votre femme, H vouSj F^pouse aim^e, aimable et
bonne. Pourquoi ? Parce que avec celle-ci, il se m61e
aux jouissances un sentiment de certitude de pos-
session definitive, qui permet d,approfondir et de
sayourer le bonheur. La perception p^n^trante et
la fine appreciation de la d6vou6e personne qui vous
donna tant de plaisirs, loin de refroidir, vous ou-
vrent, dans mille nuances dSlicieuses, un vasto
inconnu de beatitude.
Toute Amotion douce et sacrie est en elle. Vos im-
pressions religieuses d,enfance, elle vous les rend
et plus pures.
Tel de vos rSveils, k douze ans, qui vous est rest6
en m^moire, la fraicheur matinale de l,aube, je ne
558 LA GOUDMCM DE L'ittOUR.
sais quelle cloche argentine de village monait
aiors, tout oela vohs seoible i>ien loin, ^vanoiu
sans relour. Mais, le matin du dimanchc, afaat
travaille dans la Jiuit, et vms ^veillant un peu
tard, votts aperoeivee le .saunre ailendri de vatre
femme qui dos kngtemps voms regarde, et gui de
sa fralche voiic, de s<« braft-ttvondi sur tous, v(h»
salue et vous b6nit. Elle atlendait, priaitpour vous,
Et vous, vous vous 6criez : « mon mibe ! 6 mon
angelus!... Quel Aonx sentiment do matin tu me
rends ! Vingt aos de ma vie sont effaces, je le seas—
OhJ que par toi je suis Jeune l oh I que je veui
l'6lre pour toi I »
Mais elle, par une adresse qui ajourne et qui
61ude, elle t'offre une diversion, Tid^e cherie doot
naguere tu Pentretenais, quelque projel favori qui
t'obs&dait hier meme. De la aux int^rftts icommuns,
i la famiUe, aux enfants, la traneition 'est £acilc.
Puis, voyant bien que lu es dans un moment de
gr^ce et de favorable audience, elle m61e a ses dis —
cours quelque chose qui le fera bien au ccEur et
sanctifiera ce jour, la bonne oeuvreJifaire. Le temps
est dur, Ja oliose est i^urte; mak, en travaiUant si
Men, Gomme Xu fais, et 'Dieu aidant, on cpourrait
encore faire cela. Tu ne dis pas non, tu veux^^rlaire.
Alais, a'vant que iu aies le terras d'.e)q)liquer toute
la <pens6e, son eiyouaEneat roisoiuiable a jpris les
OHFIGES DE LA NilUBE. 359
devante : « Mon aiDi, voila Ghacles i?6veiUe, ^doiiard
jase; la petite depuisJongtemps ne dort pas, el die
ecaute... Oh I qu'il est tard i... U faut que je les
habille. »
Temps 'somtbne, tSnohoraux. U neige, grand vent.
Les QiseauKdu Nopd, qui cot pass6 de bonne heure,
flious annoDcefil un grand hiver.Il n'y aura pas de
visile. Triste dimanche? 一 Point du tout. Ou elle
est, qui sera&t triste? Ce n'est pas la.flamme claire
du foyer, le dejeuner chau 山 quiTechaufjfe la mai
son. C'est elle, sa vivacity tendre, qui remplit tout,
amme tout. £Ue ,pense tellemani aux siens, les
. aime, et les envdcppe, et les ouate si doucemant
qu'il H*y a que deJa joie au nid.
La joie est doubi6e par I'hiver. JIs se filicitent du
mauvais temps qui Jes eaferme et de la belle jour-
ii6e qu'ils voat passer ensemble. Peu de bruit Lui,
il profile de ce jour pour faire quel que chose de
son choix. II est lk, comme au petit tableau du Me-
nuisier de RenAvaadt. S,il ne rabote pas oomme
lui, il lit 6i relit im livre. Mais en lisant, il les salt
1 叙 quit par jiiomeiil&, discr^tement, disent tin petit
mot tout has II sent derrifire sans le voir, par la
divination du C(Bur, ce qui m fait aucun bruit, son
m Ik COMMUNION DE L'AMOUR.
mouvement onduleui et doui, h elle, et son petit
pas. Elle ne fait que rindispensable, et d'un doigt
mis sur la bouche leur fait signe d'etre bien sages
et de ne pas le Iroubler.
Que font-ils Ui, ces enfants? je suis curieux dele
savoir. lis font une pieuse lecture. Us lisent les
grandes aventures, les audaces el les sacrifices des
voyageurs d'autrefois qui nous ont ouvert le globe
et ont tant souffert pour nous. « Ce caf6 qu'a pris
voire pfere, le sucre, enfants, que vous mettez dans
le lait abondamment, trop peul-6tre, tout cela a
6t6 achet6 par rh6roisme et aussi par la douleur.
Soyons done reconnaissants. Nous devons a la Pro-
vidence ces providences humaines des grandes &mes
qui peu h peu parviennent a relier le globe, Pfeclai-
rent, le f6condent, l,am&nentou I'amfeneront bien-
tdt vers r accord, vers runit6 qu'aurait une seule
ftme d'homme. » Peu h peu, elle leur dit la com-
munion mal6rielle (qui en prepare une morale) , la
navigation, le commerce, et les voies, les canaux,
les rails, le tfel6graphe felectrique.
MatMellesT je me conforme au sot langage du
temps. II n'est rien de materiel. Ces choses sorti-
rent de I'esprit, elles relournent k I'esprit, dont
elles soot les moyens, les formes. En m^lant les
nations, supprimant les ignorances et les anti-
pathies aveugles, elles sont 6galement des puis-
OFFICES DE U MTURS. S61
sances morales et religieuses, je l,ai dit, des com*
munions.
Les enseigner peu k peu, dans leur veritable
sens, avec le temps, la lenteur, la precaution con-
venables, c'est donner aux enfants rinstruction re-
ligieuse, les 61ever k rEsprit divin, esprit de bont6,
de tendresse.
Qui ne le sentira au coeur, quand celle r6v61a"
tion nous vient de la bouche ador^e? Les enfants
sont 6merveill6s. Mais lui-m6me qui salt tout cela,
en le reprenanl par elle avec ce charme attendris-
sant, se tail dans une heureuse extase et sent
que tous nos arts nouveaux sont des puissances
d'amour.
P6re, enfants, ils sont nourris de son &me, de sa
douce sagesse. Us icoutent et elle a fmi. Ils se r6-
veillent comme d'un rtve... Un bruit, unpeti tac-
tac a retenti aux carreaux. P6litiond'un voisin ail6.
Le moineau du toit leur dit dans sa franchise p6tu-
lanfe : « Quoi done, petits ^goistes, dans un aussi
mauvais jour vous vous tiendrez enferm^'M » Celle
harangue a grand effet, on ouvre, et I'on Jette du
pain. Mais quelle est I'^motion, quand un h6te plus
confiant, protitant de cette ouverture, entre et bra-
vement sautille au fond de la chambre!
« Oh! merci, cousin Rouge-gorge, qui, sans fa-
5on, nous rappellcs la grande parents oubli^e. Tu
no
LA GOIIIDNiO:^ DE C.*ilDUR
«s rakon ; en •effd, dim nous, n'est^-oe fas chcs
loi? » On n,ose plus respirer. La mfere, «?ec dis-
aretkm, sans liefirayer, jette .^s miettes. £1 iui,
BuUerne&l hnmiilie, ayant piooli, 6t mfiine appcDclirig
un peu du foyer, 6'6nvo)e, -et iaisse oet tdiea : » Aiu
re voir, mes bonspetitsfr^resl »
Si I'heure du repas n'approchait, la ira^ianrait
beauooup k dire, Mais il faut bim yow nourrir,
Yous aussL, petits rouges- goii^es.
Au desser" elle leur espUque le banquet de la
KuiurCj'Oi] Dieu fail asseoir tons les fitres, grands
el petits, ks plagant salon Fesprit, rindastrie, la
volont^ et le travail, mettant tr£s-hatiit la founni,
trfe-bas lei g6ant (rhinoceros, hippopotame). Si
Phomme si^gc h la premiere plaoe, c'test par une
chose unique, le sens de ;Ia grande harmonie, tet
I'am^ur du divin Amour, la tendre 6oUdartii &vec
tout'Ce qui en ^mane, le fiubUme don de Pi&iL
Ces ^iscouns ipourraient gliss^. Ce qui ies fait
enlrear au coeur^ oequi po>ur les enfants 6raus grave
cette heure daas le aouvemr, c'est que devasi «ux
】es parents consofoment Vacte dc frjaternit^ que la
prifere de la iik&Fca pr^par6Ie matin. Le travaiUeur,
pmr son frere, dannera de son travail, dxincide
\ie et de son Ame Elle rembrassa, les yenx hu-
mides. Et la table est saDctifiite.
A&sez pour un jour. Seulement, enfanis, irej(»iis-
OFFICES DE U NATURE. 363
sez le coeur dc voire p6re d'un double chant : le
chant de la patrie franfaise en ses jours de grands
sacrifices^ qu'au besoin vous imiterez ; et Fhymne
de reconnaissance pour le Dieu bienfaiteur du
mo de, qui nous a donn6 ce jour, et peut-6tre son
le nd mam.
Done, reposons. Voire p6re, bien fatigu6, n'est
pas loin de s'endormir. II s'est couch6 si lard hier,
pour achever son samedi ! Dormez, amis, dormez,
enfanls. Dieu vous garde pendant le sommeil I
Elle les a b^nis tous. Elle recouvre avec soin le
feu, ne fait naf bruit*, ne souffle plus, et 16g6re-
ment se couche pres de lui, Irfts-atlenlive k ne pas
le i'6veiller. II dort, mais sent bien qu'elle est li,
sUe son prinlemps d'amour, son &t& dans le
sombre hivec. Elle seule fail toutes lest saieonsv Au
prix de sen chacme sacr6,, (ja'estee. cb toule Im
nature?
XIV
80ITE. 一 OFFICES DE LA NATORB
Les deux c6tks legitimes, raisonnables, de la re*
ligion, sontmarquSs dans les tendances derhomme
et de la femme, representfes par chacun d'eux.
L'homme sent rinfini par les Lois invariables du
monde, qui sont comme des formes de Dieu. La
femme dans la Cause aimante et le P6re de la Na-
ture qui Fengendre de bien en mieux. Elle sent Dieu
par ce qui en est la vie, V&me et I'acte dternel ;
I'amour et la g6n6ration.
Sont-ce des points de vue contr&dictoires? Point
du tout. Les deux s'accordent en ceci, que le Dieu
de la femme, Amour^ ne seraitpas Amour^ s^U n^iiait
OFFICES DE LA NATURE. 305
VAmour pour tous, incapable de caprice, de prefe-
rence arbitraire, s*il n^dmait selon la Loi, la Jtmon
et la Justice, c'est-a-dire selon Vid&e que rhomme
a de Dieu.
Ces deux colonnes du temple son! si profondc-
ment fondles, que personne n'y portera atteinte.
Le monde allerne pourtant. Parfois, il ne voit que
les Lois^ parfois il ne voit que la Cause. II oscille
6ternellement enlre ces p6Ies religieux, mais il ne
les change pas.
La science pour le moment n'^tant pas centrali-
s6e, comme elle le sera bientdt, beaucoup ne voient
que les Lois^ et oublient la Cause aimante, imagi-
nant que la machine pourrait aller sans moteur.
Get oubli fait la Irisle 6clipse religieuse dont nous
sommes assombris. Elle ne peut durer beaucoup •
La belle lumi6re centrale qui fait toute la joie du
monde reparaitra. Nous reprendrons le senliment
de la Cause aimantey pour le moment, afTaibli.
Non, des lots ne sont pas des causes. Que nous
serviraient nos progr&s, si nous ne reprenions le
sens de la causality et de la vie ?
II n,y a ni gaiety, ni bonheur ici-bas, hors Fid^e
de production. Je I'ai dit pour les enfant s. On ne
peut les divelopper et les rendre heureux qu'en
les faisant cr^ateurs. Eh bien, de leur petit monde,
iteadons cela au grand. Quand vous Ic scntez im*
3M U COnUMOR BE L'ASOUR.
mobile, quand vous n,y percevez plus la dialeur
Titale, un grand ennui saisit Ic coenr. Nous nere-
deviendrons heureux qu'en relrouvant le senti-
ment du grand mouvemenl f6cond, quand, libres,
et pourtant soumis k la haute Baison aitnante. ou-
vriers de I'ainour cr^ateur, nous creerons aussi
dans la joie.
Ce mot itait nicessaire pour nous inrtrednire au
plus intime int^rieur At rhomme el de la femme,
dans leur duo religieux, ou chacun fait une partie
difffircnte et fort delicate, chacun craignant
blesser Fautre. Car ils ne savcnt pas commun^ment
combien au fond ils s'accordent. De Ik ces t&tonne-
merits, ces hesitations plcines de craintes, ce legei*
d^bat de deux &mes, qui r6ellement n'en font
qu'une. Jamais le jour devant ttoioins tie se fait
celte douce lutte. II faut que les enfants dorment,
rnSme que la lumifere soit 6teinte, C'est la demise
pens6e de roreiller,
Mais, quoique tons les deui^ soutieniient un cdtS
yrai et sacr6 de la religion (lui, les (ois, elie, la
cause) J ily a cette grande difference qu'en Dieu
rhomme sent plutdt ses modes , ses mani^res d'a-
gir, la femme son amour^ qui sans cesse fait son
OFFICES DE LA MT 薦. 367
action. EUe est plus au sancluaire de Dieu, j'allais
dire, plus pr&s de son coeur.
Ayant I'amour a ce point, elle a tout, et com -
prend tout. Elle monle, descend comme elle veu(
tons les tons de ce clavier immense, dont I'homme
n'a le plus souvent que des notes successives. Elle
traduit k volontfe loutes les manifestations natu-
relies de Dieu, du grave au doux, du fort au ten-
dre. Elle est souveraine maitresse dans cet art di-
vin, et elle I'enseigne a Phomme. • • « 06 done, diUil,
puisa-t-elle tout cela? 06 prend'eUe ce tr6sor des
choses amoureuses, ce torrent d'enchantements? "
一 Oil? Mais dans ton propre amour, dans celui
qu,eUe a pour toi, dans les richesses r6serv6es d'un
ccBur que nolle effusion, nulle generation ne sou 詹
lage assez.Un monde en sort tous les jours, et Pin-
fiai reste encore.
Si simple en tout, si modeste, qu'elle est pour-
tant superieure ! Tandis que toi, Vml attache a la
terre, a ton travail, tu vas aveugle, jour par jour,
sans mesurer la voie du temps; ― elle, elle en seni
biea mieux te cours. EUe lui est harmonist. EUe
* 一 *
le suit heure par heure, obligee de prtvoir pour
toi, pour ton besoin, pour ton plaisir, pour tes re-
508 U COMUUMON DE L,A 画 R.
pas, pour ion repos. A chaque moment son devoir,
mais aussi sa po^sie. De mois en mois, avertie par
la souffrance d'amour, eile scande le temps, en
suit le progrte, la marche sacree. Quand sonnent
les grandes heures de l*ann6e, aux passages des
saisons, elle enlend le chant solenuel qui sort du
fond de la Nature.
Celle-ci a son rituel, nuUement arbilraire, qui de
lui-rafirae exprime la vie dela conlrie dans ses im-
muables rapports avec la grande vie divine. On ne
touche pas aisement a cela. La tradition, raulorile
qui impose a un peuple les rites de Uautre n*opere-
rait rien au fond que d^sharmonie, dissonance. Les
chants du haul Orient, si beaux, sont discordants
en Gaule. Celle-ci a son chant d'alouette qui n*en
monte pas moins a Dieu.
Noire aurore n'est pas une aurore d'Amerique
ou de Judke. Nos brouillards ne sont pas les
brumes pesantes de la Baltique. Eh bien, tout
cela a sa voix. Ce climat, ces heures, ces saisons,
cela chante k sa mani^re. Elle I'entend Men, ta
femme, t& fine oreille de France. Ne rinterroge
pas, pourlant; elle dirait le chant convenu. Mais,
lorsque seule au menage, un peu triste de ton
absence, et travaillant doucement, dans son bon-
taeur milancolique, elle commence k demi-voix,
elle trouve, sans ravoir cherch6, la chose naive ct
OFFICES DE LA NATURE. 309
sainle, le vrai psaume du jour et de I'heure, ses
humbles vfipres h elle, un chant du coeur pour
Dieu, pour toi.
Oh ! qu'cUe sail bien Ics ffites, les vraies ffifes
de I'annie! Laisse-Ia te conduire en cela. Elle seule
sent les jours de la gr^ce ou le ciel aime la terre,
les hautes indulgences divines. Elle lessait, car elle
les fait, elle Faimable sourire de Dieu, elle la f6te
et le noel, l,6ternelle p&que d'amour, dont vit et
revit le coeur.
Sans elle, qui voudrait du printemps? Que cette
chaleur feconde dont fermente alors toute vie serait
pour nous maladive, sombre 1 Mais qu'elle soit avec
nous, alors c'est un enchantement.
Emancipes de I'biver, ils sortent. Elle a sa robe
blanche, quoique le soleil puissant soit encore neu-
tralist par moments d*un peu de bise. Tout est vie,
mais tout est combat. Sur la prairie reverdie, les
petits jouent et se battent ; chevrcaux centre che-
vreaux essayent leurs comes naissantes. Les rossi-
gnols, qui sont venus quinze jours avant leurs mat-
tresses, r^glent par des duels de chant le droit
qu'ils auront k I'amour,
Dans cette lutte gracieuse d'oii rharmonie va
m u coHHUMon de l'amodr
sortir, elle apparait, elle, la paix, la bont" la
beauti... vivante joie du mondeU., EUe amice*
Son tendre coeur se parlage, est h deux chos^s. On
lui parle de deux c6l&s. Ses enfants coorc-nt am
fleureltes, en rapportent les mains pleines^ crient :
« MamanI voyez I voyez I » 一 Plus prte d,eUe, i
son oreille, quclqu'un lui parle plus has, et elle
souril aussi... C*esl qu'on n'est pas impun^ment
au bras de la charmante femme, si prfes de son seiu^
de son coeur. Bat-il fort? Bien doucement ; elle a'est
pas insensible, elle entend lout, bonne et tendre ,
elle veut tant qu'ils soient tous heureux ! Elle ripond
lour i tour : a Oui, mcs petils... Oui, mon ami. »
一 A eux : « Jouons. » 一 Et a lui : c Oh! tout ce
que tu voudras I »
Mais, dans son extreme bont6 qui la rend tout
ob^issantc, et faible k ses enfants mtoie, qui sau*
rait la regarder verrail, derrifere son sourire, on
aparti m^ditatif. U pense a elle, elle a Dieu.
Cela revienl encore plus tendre, plus ardent, w
la jolie f£te dcs fleurs des champs, aux travaux de
la fenaison. Elle aussi, elle est venue, conime les
au(res, avec son r&tcau, et elle veut aussi IravaUler.
Mais, loute belle qu'elle est toujours, elle a pris ua
OFFICES DE LA MTUAE. 511
lu&e aimable de formes qui renoavelle sa fraicheur
el rappesantitun peu .Saiblaacheet abondante gorge
ou ses enfants out bu la vie, ces trisors que celui
inline qui sans doute les connait le mieux couve
pourtantdu regard, tout cela rend la chire femme
un peu lente, un peu paresseusa. On la voit bientdt
faligu6e; on lui defend de travaiUer. Mais on tra-
vaille pour elle. Ses enfants, gais et heureux, sob
man lout kma d'elle, ne peuveat rencontrer des
tleurs sans lesrapporter, les donner h la souveraine
rose. On en remplit son tablier, on en charge son
sein, sa l&le. Elle disparait sous la pluie odorante :
(ft Assez ! assez ! » Mais qui rfecoute? Elle a peine k
y voir encore, et ne pent plus se d6fendre. Elle est
enveloppte d'eux^ et submerg^e de caresses, noyfie
de baisers. de fleors.
La chaleur est forte. Ces ardeurs ne laissent
pas de l'inqul61er, la tendre 6pouse. Les trois mois
qui vont se passer, de la fenaison aux vendanges,
sont pesants, terribles k I'homme. Celui qui tra-
vaille des bras, el rouvrierde la pensSe,. sont frap-
pis 6galeaient. U frappe duremeni, ibrtemeni au
cerveau, le puissant soleil. Et cela, dedeux facons.
En mAme temps qu'il nous soustrait une si grande
918 U COmiUMlOll DE L'AXOUE.
partie de nos forces, il augmenteie desir. L'homme
faiblit par la saison, il faiblit par le travail, faiblit
par les jouissances. EUe le sent, elle le craint.
EUe hasarde un mot de sagesse, un mot de vraic
religion. A ce temps oA Dieu fait son oeuvre, accom-
plit dans chaque annte la nourriture du genre hu-
main, ne r6clame-t-il pas Pemploi exclusif des
forces de rhomme?
Mais cela n'est pas bien pris. On devient froid,
on s'irrite. Que de saintes ruses il lui faut pour se
sevrer elle-m£me I Fuites charmantes, humbles
pri&res pour 61uder, ajourner. L'inexorable juillet
arrive, el en mfime temps les f£(es de la moisson,
le Iriomphe de I'ann^e, le banquet de la pltoitude.
Tout est gai, fort et puissant. L'aiguillon de la
chaleur, comme un trait de gu£pe, irrite, Elle
semble un peu malade, et, comme telle, obtient
grftce, se fait un tout petit lit prts du berceau des
enfanls.
Heureiix automne I temps promis de bonheur et
d'indulgence 1 La fin des travaux arrive. L,amour,
qui, aux mois meurtriers, faisait la guerre k I'a-
mour, peut enfin laisser la prudence et suivre
l,61an du coeur. On ne lui dira jamais, k celui qui
OFFICES DE LA NATURE. 375
s,irritait de ces refus, a qui ils ont le plus cout^.
Elle, elle n,a qu'une parole. Elle revient k lui
lout enti&re. Au jour marqu6 par la promesse, il
en veut raccomplissement. « Mais, mon ami, le
(ravail ne doil-il point passer avant? Ce temps gris,
16ger, voil6 des gazes d'un brouillard transparent,
est si joli pour la vendange ! H&tons-nous. Un doux
soleil pftle qui va percer tout k rheure, jetant un
dernier regard sur la grappe ambrge, en 6lera la
ros^e. C'est le moment de cueillir. Bien entendu
que, ce soir, nous ne nous s6parerons plus. 11 fail
moins chaud, je te reviens, et je veux me r6fugier
aupr6s de toi pour I'hiver, »
Ceci, c'est 】a joie de tous. Les singes, en cer-
tains pays, les ours, s'enivrent de raisin. Com-
ment rhomme pourraiMl n,avoir pas la t£te ebran-
16e? L'ivresse a di]h saisi celui-ci avant d'avoir
bu. Elle le calme. a Doucement , doucement...
Donnons-leur le bon exemple, et travaillons, nous
aussi. »
Nulle occasion plus aimable de fraterniser. Tous
sont 6gaux en vendange, et la superiority n,est
qu'aux bons Iravailleurs. C'est un grand bonheur
poiif elle de faire avec lout un peuple la Cine de
I'amiti^ ! Que tous viennent, et m£me encore ceux
qui n'ont rien fait, s,ils veulent. Elle en sera re-
connaissante. Elle connait le village, et sail bien
21.
374 Ik GOMHUMOU D£ L'AMOUR.
ceux qui lui manquent. « Ei celui4a ? 一 II est
malade. 一 Eh bien, on lui enverra. 一 Tel autre?
一 li esl en voyage. » Elle s'infome ainsi de tous,
voulant le» avoir ensemble, les rapprocher, les
r6unir.
La place est grande heureusement, un de ces
amphilh^&tres de collines, comme en out certains
vignobles qui de haut voient la mer. Le temps esl
douL On peut manger en plein air. Ua vent liede
r&gne et favorise le depart des voyageurs ail^s qui
traversent le del. Le jour est court ; quoique peu
avance encore, il semble d6]& incliaer vers la in6-
lancolie du soir.
Jamais elle n'a 616 plus belle. Ses yeux rayon-
nent d'aflectueuse douceur. Cbacun sent qu'il est
vud'eUe, bien voulu, qu,elle pcnse a liu,.a tous.
Son tendre regard b6nit toule la contree.
Sa fille lui avail lress6 une dSlicieuse couronoe
de pampi^e vert, de delical heliotrope lilas et de
rouge verveine. Couronne royale et feminine qui
de loin embaumait l air. Elle la repoussa d'abord,
mais son mari Pexigeait. II e(U voulu mettre sur
elle toutes les couronnes de la lerre.
Pourtant elle ki semblait tiisle.
一 Ah ! je suts trap heureuse I
― Tous nos amis, tou& nos parente, y 8Mt"«
OFFICES DE LA MATURE 375
Et toutes ces bonnes gens. Pas un n'aurait voulu
manquero
一 He] as 1 mon ami, c'est le monde, le monde
enlier de ceux qui souffrent et qui pleurent, voili
ce qui manque... Pardonne...
Eiie n'en dit pas plus... Son Amotion rarrfite...
une larme lui tombe, et, pour la d^rober aux yeux,
elle s incline sur son verre qui la regoit, dans la
vendange press6e» cetle adorable larme...
Son mari enlfeve le verre a ses 16vres, et le boit
d'un trait...
Mais tous ceux qui n en avaient pas, I'ayant vue
pleurer, s'altendrirent, et se trouvferent un avec
elle.
£t tous communiaient de son coeur.
LIVRE TROISIEME
LA FEMME DANS LA SOCIETE
J
拳
LA FEMME COHHE ANGE DE PAIX
ET DE CIVILISATION
La femme, consid^rie dans son aspect sup&rieur,
rfesl le m^diateur d'amour.
Profonde et chamante puissance, qui a deux
r6\61ations« A mesure que la premi&re, Faltrait du
sexe, du plaisir, et Forage sanguin dela vie, p&Ut,
o&det 一 alors la seconde parait dans sa douceur
cgleste, Vinflmnce^ de paix^ de eon&alation^ de
dicalion.
L homme est, plu8 qu'aucune autre chose, la
fiwcede crtotioiu U produU, mais eo deux seas. II
produit aussUa guerre, la discorde et le combat.
Pacmi leS' arts el les id^, le torrent de bieos qui
S80 U FEVME GOMME ANGE DE PAIX
sort de sa forte et ficonde main, un torrent de maux
coule aussi, que la femme Yient par derriere adou-
cir, consoler, guirir.
Je traverse une fortt, un pas dangereuz, etj 'en-
tends un 16ger pas. 一 Cela pourrait bien 6tre
un homme, et je me tiens sur mes gardes. Mais
void que c'est une femme. Salut, doux ange de
paixl
Dans un voyage consciencieux qu'un Anglais fit
en Irlande, il y a trente ans, pour examiner les
maux et en rechercher les remedes, il peint I'ex-
tr6me defiance de ces pauvres creatures indi-
gentes, qu'un homme entrant dans leurs huttes
mis^rables inqui^tait fori. £tait-ce un agent du
fisc : un espion?... Mais, heurcusement, il ii'^ait
pas seul. On entrevoyail derriire lui un visage de
femme. Et des lors, tout etait ouverl, on se rassu-
rait, on prenait confiance. On n,eAt pu imaginer
qu'il eAl emmene sa femme, s,il etU voulu faire
du mal.
C'est h peu prfes ia m£me chose dans I'admirable
voyage de Livingstone aux regions inexplor^es de
I'Afrique (1859). Un homme seul y sersit suspect,
et beaucoup y ont p6ri. Mais la Yue d'une famille
£T DE CIVILISATION. 581
rassure, calme et pacifie. La paix! la paix I c'esi
le voeu, le cri de ces bonnes gens. Ce qu,ils expri-
maient naivement h ce missionnaire de PEurope
qui leur en apportait les arts protecteurs. Les
femmes lui disaient ce mot : a Donne-nous le som-
meil ! » 一 Eh bien, ce sommeil^ cette paix, celte
profonde s^curit6, ils les voyaient derrifere lui qui
s'avangaient sur ses boeufs avec sa maison rou-
lante ; ils les voyaient dans mistress Livingstone,
entourde de ses trois enfants. Cette me en disait
assez. On sentait bien qu'il n'avait pas ameni ce
cher nid au monde des lions, $inon pour faire du
bien aux hommes.
Si la vue muetle d,une femme a cet effet, que
sera-ce de sa parole? de cette puissance d^accent
qui p6n6tre du coeur au coeur ?
La parole de la femme, c'est le dictame univer-
sel, la vertu pacificatrice , qui partout adoucit,
gu^rit, Mais ce don divin n'est libre chez elle que
quand elle n'est plus I'esclave, la muette de la
pudeur, quand le progrfes des anntes r^mancipe,
lui d6lie la langue, lui donne toute son action.
Dano uu moment de vraie noblesse et de magna*
nimiti, une femme d,un beau g&me a caract£ris6.
583 L.\ FE 醒 Cmm AN&E DE PAIX
envisage dignement ce que aulle femme ne veil
qu'avec effroi, VSige mdr, et Fapproche mfime de la
vieillesfse. Get %e tdlement redouts lui pacadt
avoir ses douceurs^ une calme grandeur que la
jeunesse n*a pas.
Le jeune dge, dit-elle a peu pr^s (je regreUe de
ne pouvoir me rappeler exactement ses paroles),
c'est comme un paysage alpestre, plein d'accidents
imprfevns , qui a ses rochers , ses torrents , ses
chutes. La vieillesse, c'est un grand, un majestueux
iardin fran^ais, de nobles ombrages, k belles et
Idngues allies, ou I'on voit de loin les aims qui
viennent vous visiter. Larges allees peur marcher
plnsieurs de front, causer ensemble, enfin un ai-
mable lieu de soeietS, de conversation.
Cette beUe comparaison aurait saailement le tort
de faina croire que la vie devient alors unitorme
et manotofie. C'est justemenlle contraire. La femme
prend une liberie qu'elle n'eut point k un autre
dge. Les convenances la tenaient captive. II lui fal-
lait 6viter certaines conversations. Elle devait se
priver de telles commtmications. Les demarches
de charit6 mfime lui 6taient souvent di£ficiLe8| tuh
8T DE GIVIUSATIOK. 5S3
sardeuses. Le monde injuste en etil in£dit. Plus
dg6e, elle est aifranchie, jouit de tousles privileges
d une liberty honnftte. Et il en r^sulte aussi qu'elle
a tout son essor d,espril, pense et parle d,une ma-
nifere bien autrement ind^pendante et originale.
Alors, die devient elle-m^me.
Les jeunes et jolies femmes onl toute permission
d'Atre sottes, 6tant sAres d'etre adiuir6es toujours.
Mais non pas la femme Sigke. II hut qu'elle ait de
resprit. Elle en a, et elle est souvent agr£able et
&musaiite,
Madame de S6vign6 dit cela de jolie fagon (je cite
encore de mimoire) : « Jeunesse et printemps, dit-
elle, ce n'est que vert, et toujours vert ; mais nous,
les gens de raiUonme, nous sommes de toutes les
Gouleurs. d
Cela permet a la dame d'exercer autour d'elle
ces aimables influences de soci6t6 qui sont surlout
propres k la France. Qu'esl-ce au fond , sinon une
disposition bonne et sympathique qu'on sent el qui
met k raise, qui doiine de I'esprit h ceux mfime qui
n'en auraient pas, les rassurant, imposant aux sots
rieurs qui se donnent le plaisir facile d'embar-
rasser les timides?
S84 LA FfiMUE CO 壓 ANGE DE PAIX
Cette royautS debont 会 illumine son salon comme
d'un doux rayonnement. Elle encourage I'homme
special, que les beaux diseurs faisaient (aire, et
qui, sous le regard d'une femme d'esprit qui Tau-
torise, prend une modeste fermeti. Alors la con-
versation n'est point le vain bavardage que nous
entendons parlout, I'^ternel sautillement ou les
cerveaux vides ont tout ravantage. Lorsquel'homme
de la chose a bien pos6 la question, sans d6ve1oppe-
ment prolixe et sans pddantisme, elle ajoute un
mot de coeur qui souvent I'ficlaire lui-mfime, don-
nant et chaleur et lumiSre k ce qu'il a dit, le ren-
dant facile, agriable. On se regarde, on sourit.
Tons se sont entendus.
On ne salt pas assez que parfois un simple mot
d'une femme peut relever, sauver un homme, le
grandir a ses propres yeux, lui donner pour tou-
jours la force qui j usque-la lui a manqu6.
Je voyair un jour un enfant sombre et ch6tif,
d'aspect timide, sournois, miserable. Pourtanl ii
avait une flamme. Sa m&re, qui 6tait fort dure, me
dit : <x On ne sait ce qu'il a. 一 Et moi je le sais,
madame. C'est qu'on ne I'a bais6 jamais. » 一 Gela
n,6lait que trop vrai.
ET DE GIYILISATiON
385
Eb bien, dans la societe, cette m^re fantasquc
des esprits, ii y en a beaucoup qui avorlent (et non
pas des inoindres) , parce qu'elle ne les a jamais
bais6s, favorisds, encourages. On ne sait comment
cela se fait. Personne ne leur en veut ; mais, iis
qu*ils iiasardent un mot timidement, tout devient
froid, on passe outre , on n,eii tient compte, ou
bien on se met k rire.
Gel homme nou6, repouss6, prenez-y garde, il
peut se faire que ce soil un g^nie caplif. Oh ! si, a
ce moment-Ik, une femme autorisee par I'esprit,
la grftce, l'616gance, relevait le mot (parfois fort,
parfois profond) qui £chappe a ce paria, si, le re-
prenant en main, elie le faisait valoir, montrait
aux distiaits, aux moqueurs, que ce caillou est un
diamant... une grande metamorphose serait op6-
r£e. Veng6, relev6, vainqueur, il pourrait parfois
montrer qu entre ces hommes lui seul est hommo,
el le reste un uSant.
II
DEBNIER AMODR. 一 AlflTlES DES FEHHES
Le grand divorce de la mort est si accablaat paiir
la femme, laiss6e seule, sans consolation, lui est si
amer qu'dle veut, dtoire, esp&re suWre son mari
au tombeau. « J,en mourrai, » dit-elle. H^las! U
est bien rare qu'on en meure. Si la veuve ne se tue
au bAcher de son mari, com me elles le font dans
rinde, elle risque de survivre longtemps. La nature
semble se plaire k humilier la plus sincere, lui fait
d6pit en la conservant jeune et belle. Les effets phy-
siques du chagrin sont varies, opposes mfime, selon
les temperaments. J'ai vu une dame, noy6e de dou-
leur et de larmes, irrdparablement frapp^e, v6ri-
tabiemeiit perdue pour la vie, fleurir pourtaiil de
DERNIER AMOUR, ETC. 387
santi. L'absorption oix elle 6tait, son immobiie ac-
cablement , a,ait donn^ a sa beauts ce qui lui
manquait, nn luie admirable. EUe cn rougissait,
elle en g^missait, et la honte qu'elle avail de ce
semblant d'indifPftrence ajoutait a son dteespoir.
C'est un arr6t de la nature. Dieu ne veut pas
qu'elle meure, qu'elle se fane, celle aimable fletrr.
Elle demande la mort, el ne I'aura pas. La vie lui
est impos^e. EUe est obligee encore de faire le
€harme du monde. Celui mfeme qu'elle veut suivre
lui defend ce sacrifice. L'amour qui avail mis sur
elle tant d'espoir et tant de voeux, qui a lant fait
pour dfevelopper son cowir et faire d'elle une per-
somey n'entend pas enfouir tout cela, ni lential-
ner dans la terre. S'il est lei6rUable amour, il lui
permct, quelquefois lui enjoint d'aimer encore.
Dans nos populations des cdtes, sup§rieures a
tant d<e litres, j' observe deux choses : que la femme,
sou vent inqui&te, toujours pr6occup£e de son man',
I'aime et lui est tr6s-fid61e ; mats qu'aussitdt qu,il
pMty elle contracte un second mariage. Choz nos
manns qui vont a la p6che dangereuse de Terre-
Neuve, ceux de Granville par exemple, dans cette
vaillante population od il n,y a pas d'enfants natu-
rels (saute ceux d, 吞 migrants strangers), les femmes
se remarient immSdiatement, dis que Phomme ne
reTient pas. II le faut; autrement, lesenfants mour-
m D 匪 1£R AMOUR.
raient. Si parfois le mort revient, il trouve furt
bon que son ami ait adopts et nourri sa famille
N,y eOl-il pas d^enfants k nourrir, il est iinp<>s-
sible que celui qui aime, que cette femme a rendu
heureux, desire, en reconnaissance, la laisser mal-
heureuse pour toujours. EUe dira non auiour*
d,hui. EUe croira de bonne foi pouvoir toujours se
soutenir par sa douleur et la force de son souvenir.
Mais lui qui la connaii mieux qu'elle-mfime, il
peut seulement pr6voir qu'un changement violent
de ioutes habitudes est au-dessas de ses forces,
qu'elle va rester d6sol&e.
Ne souffre-t-il pas h la voir dans Pavenir, quand,
seule, elle rentrera le soir, dc trouvera personne
chezelle, pleurera a son foyer 6teint?...
S,il r6fl6chit, sil a quelque experience dela na-
ture humaine, il songera avec compassion k un
mysl^re ile souffrance qu'on traite fort 16g6remeiit,
mais que les m^decins constatent et d6plorent.
C,est que 】e besoin d'amour, qui passe vite chez
rhomme blas6, au conlraire chez la femme pure,
conservte, souvent augmente. La circulation moins
rapide, une vie moins 16g6re et moins cerebrate,
moins vari6e par la fantaisie, un peu dembonpoint
dont elle est (dans le jeAne et les larmes m6me)
forlifi6e, embeUie, tout ccla I'agite ou raccable. Le
boijiiUonnemenl sanguin, la surexcitalioD nerveuse.
AiUTiES DES FEiMMES 339
ridee fixe du temps passfe dont on a profile si pen,
crdent chez plusieurs une existence p6i,,blo et hu-
miliante dont elles gardenl le secret, un martyre
de rfives avorlfes. Punies de leur verlu meme, et
d' avoir ajournfe la vie, elles sont trop sou vent f rap-
pees des cruelles maladies du tftmps. Ou bien, ces
pauvres isolees, jouets de la fatdit6, apr&s une vie
austere, tombent dans quelque honte imprevue,
dont rit un monde sans piti6.
Celui qui raime et qui meurt doit voir ravenir
pour elle, mieux qu'elle ne le peut a travers ses
larmes. U faut qu'il prfevoie et pourvoie, qu'il ne
lui impose lien, mais la d61ivre des scrupules,
m^me que magnanimement il se constitue son
pfere, rafTranchisse, cette chfere fille, la dirige et
l'6claire d'avance, lui arrange sa vie.
Ainsi la premifere union ne passe pas. EUe dure
par robSissance, la reconnaissance et raffection.
Reiiiariee, loin d'oublier, au contraire vivanl par
lui,et dans le calme du coeur, elle se dit : « Je fais
ce qu'il veut. Ce qui me revient de bonheur, je le
lui dois. Sa providence m,a donn6 la consolation,
la douceur du dernier amour. »
Le grand int6r6l de la veuve, si elle doit se r6si-
gner k un second mariage, c'esl de prendre le
proche parent. Je n'enlends pas le parent selon la
chair, conime la loijuive ; mais le parent selon Ves*
2i
990 DERMER AMOUR.
prit. J'cnteiids celui qui aima le mort, celui qui
cn est son dme, et pour qui la veuve, par cela m6me
qu'elle lui a apparlenu, loin de perdre, possMe
au conlraire un charme de plus. La puissance de
transformation, inh^rente au mariage, qui fait
que la fcmm.e h la longue, physiquement, mora-
lement, contient une autre existence, elle lui
nuirait peut-6tre, k cette Spouse irriprochable, si
le second mari n'6lait la mfime personne dans
Famour et dans l'amili6.
Pourquoi gto6ralement les veuves sont-elles plus
jolics que les fiUes? Oa l,a dit : (( L'amour y passa. »
Mais, il faut le dire aussi : « C'est que ramour y est
rests. » On y voit sa irace charmante. II n'a pas
perdu son temps k cultiver cette fleur. Du bouton,
peu cxpressif, il a fail la rose k cent feuilles. A
chaque feuillc, Pattrait d,un d6sir. Tout est grdce
ici, tout est &me. La possession dte-t-elle? Non, elle
ajoute plutdt. Si celle-ci fut hcureuse, gard6e par
une main digne, rendez-la heureuse encore. Dans
la brillante fraicheur, bien plus riche, du second
fige, vous n'aurez gu6re i regretter Pindigente et
grfile beaul6 de sa premiere jeunesse. La virginili
AMlTlfiS DES FEMMES. 59)
elle-mfime refleurit chcz la femme pure, qu'une
vie douce a consolee. EUe s'harmonise innocente
dans raccord de ses deux amours.
Un horame ne vit- il qu'une fois? ramenVt-elle
qu'un seul mode de perp6luit6 ? Outre la dur6e
persislante de notre finergie immortelle, n'avons-
nous pas en mfime temps quelque Emanation de
nous-m6mes en nos amis qui regurent nos pens6es,
et parfois continuent les plus cheres affections de
notre coeur ? Le chaleureux 6crivain qui h^rila du
dernier amour de son maitre Bernardin de Saiht-
Pierre avait quelque reflel de lui. Et dans l,ausl6-
ril6 critique d'un Eminent hislorien de ce temps,
on eut cru pouvoir reconnaitre un grand heritage,
s,il est vrai qu'il ait eu le glorieux bonheiir de
communier avec I'ame du dix-huiti6me si6cle, en
madame de Condoicet.
Piusieurs, ou deja 4g6es, ou libres parfaitement
des soucis de jeunesse, n'accepteraient pas un se-
cond mariage. II leur suffirait d'une adoption.
La veuve peut continuer Vdme du premier 6poux
dans un ills spirituel qu'il lui aurait recommand^.
Cette preoccupation pcut lui remplir le coaur, lui
SOi DERKIfiR AlOUR.
donner an but dans la vie. U est tant d'enfants sans
parents, (ant d'autres dont les parents sont loin!
On ne sail pas assez combien, dans nos dures
£coIes, un enfant abandonn6 a besoin de la pitiS
d'une fcinme. Pour celui qui est perdu dans ces
colleges immenses qui sont itjh des armees, le
meilleur correspondmt, c'est une dame qui le suit
d'un oeil maternel, qui va le voir, le console, s'il
est puni, parfois intercede, surtout le fait sorlir,
lui fait prendre Fair, le prom 紐 e, Pinslruit plus
qu*il ne le sera peut-fitre dans le travail de la se-
maine, el enfin le fait jouer sous ses yeux avec des
enfanlschoisis. Ellelui est plus utile encore quand
il passe aux hautes £coIes. Elle lui sauve bien des
perils qu'une mire ne lui sauverait pas. 11 lui con-
fiera mille choses dont celte m6re, un peu crainte,
n'aurait nuUement le secret. Son habile envelop*
pement le gardera, lui fera passer celte fepoque in-
termSdiaire ou la furie du plaisir, aveugle, fait
avorter rhomme.
Mission delicate, au total, qui souvent donne au
jeune homme un admirable alfinement, un peu f6-
minin peut-6lre, et qui d'autre part laisse parfois
un pauvre coeur de femme en grande amerlume. II
lui est bien difficile de se croire tout k fait la mfire.
Et parfois, elle aime autrement. Je voudrais, pour
son bonhcur, qu'elle s*attachdtplutdt, celte bonne
AMITlfiS DES FEHMES. 395
et tendre crtelure, k la protection maternelled'une
classe, bien malheureuse et la moins consol^e des
femmes. Je parle des femmes elles-mAmes*
Les femmes, qui savent si bien ce que souffre
leur scxe, devraieni s'aiiner, se soutenir. Mais c'est
le conlraire. Quoi 1 1'esprit de concurrence, les ja-
lousies, sont done bien fortes ! rhostilit6 est in-
stinctive. Elle survit h la jeunesse. Peu de dames
pardonnenl k la pauvre ouvri 色 re, k la servante,
d'fitre jeunes ci jolies.
Elles se privent en cela d,un bien doui privilege
que leur donnerait V&ge (et qui vaut Famour pres-
que), celui de prot6ger I'amour. Quel bonheur
pourtant d'eclairer, dirigerles amants, de les rap-
procher I de faire comprendre k ce jeune ouvrier
que sa vie de caf6 lui est plus coiUeuse, plus fd-
cheuse en tons sens que 】a vie de famille. Souvenl
un mot suffit d une personne qui a ascendant pour
faire naitre I'amour, ou pour le raffermir. Bien des
fois j,ai vu le man se figurtr qu'il s'ennuyait, s'6-
loigner de sa femme. Un Hoge fortuit qu'il enten-
dait en faire, un mouvement d'admiration qu,U
surprenait, rexclamation d*un tiers qui enviait son
bonheur, c,6tait assez pour lui faire voir ce que
22
394 D 腿 lEIV A 脚".
ious auraient vu, qu,elle ^tait plus charmante que
jamais, lui r6vciller le coeur qui n'^iait qu'ea-
dormi et le faire souvenir qu'il 6tait toujours
amoureux.
II est dans les manages des heures de crises
qu'une amie pin&trante suprend, devine, el ou elle
inlervient heureusement. Elle confesse sans con-
fesser la jeune, dirige sans diriger. Quand celle-ci
vient, le coeur gros, muette et ferm&e de chagrin,
elle la desserre doucement, la d61acc , si je puis
dire- El alors tout delate, telle duret6 de son mari,
le pen d'^gards qu'il a pour elle, landis que tel
autre^ au contraire... le reste se devine. A ces mo-
ments, il faut qu'on renveloppe, qu'on s'empare
d'elle. Ce n'esl pas difficile pour une femme d,es,
prity d'exp6rience, de prendre celte enfant en lar-
mes sur son sein, de la contenir, de lui 6ter pour
le moment la disposition d'elle-mfime. Retrouver
une m&re 1 ce bonheur iiupr&vu peut la sauver de
t611e demarche folle, de telle vengeance aveugle,
quensuite elle pleurerait toujours.
Parfois, plus orgueilleuse, elle ne daigne se
venger ainsi. Elle r^claoie la separation. C'est ce
que nous voyons trop souvent aujourd'hui. Aux
premieres incartades d,un jeune homme violent
qui aurait pu mtkir, se corriger, la femme, celle
fturtout qui se sent riche, n'entend rien, ne 3up-
AMITI&S D£S FEMUES. 595
porte rien, cclaie, veul rentrer dans son bien. Sa
famille influenle soUiciie. Ses domestiqucs, h elle,
t6moignent contre le mari. EUe reprendra sa dot.
Mais sa liberty? Non. Si jeune encore, la voil^
veuve. Et reprend-elle aussi (s'il faut le dire) I'in-
tiinit6 qu'elle a donn^e, cette communion dfefini-
tive qui livre la personne m6me, la transforme?
Non, non, elle ne peut la reprendre. Rien de plus
douloureux.
Quai done ! n'esl-il point de remise ? ne peuUoa
ramener le jeune homrae ? Tout son vice, c'est
rdge. II n'est ni m^chant, ni avare. Celte dot, que
les parents la gardent. C,esl elle qu'il aimait et re-
grette. II sent bien (et surtout 6tant s6pare d'elle)
qu,il n'en retrouvera pas une aussi d6sirable. Et
eet(e fierl6 m&me qui leur futsi fatale, n'est-ce pas
un atlrait pour l-amour ?
<x lAiinour? Mais nous n'avons que oela en ce
monde. . . et demain nous mourrons. Aimez done
aujourd'hui... Je jure que vous aimez encore. »
Yoila ce qu'elle dit, celle tendre amie, et elle
(ait mieux que dire. Pendant qu'elle caresse et
console la petite femnie k sa campagne, un jour
die la pare, bon grfe, mal gr6, la fait jolic. Des vi-
»tciips viendront. Un seul vient, et lequel? Devi-*
nez-le, si vous pouvez.
« Le mari 1 »
800 DERNIER AMOUR.
Un amant. De visage peul-fitre il ressemble, mais
d'toie, il est lout autre. Si c'^tait le man, aurait-il
ce trouble charmant? tant d'amour et d*empresse-
ment, un si violent retour de passion?... Oh ! nul
moyen de s'expliquer... Des deux cAt&s, on ne salt
ce qu'on dit, on balbulie, on promet ei ronjure...
Bref, tous deux ont perdu resprit. L'amie rit, les
dispense d*avoir le sens commuD. II est tard, le
souper est court, car die a la migraine, die ne
peul leur faire compagnie, et ils veulent bien Yen
tenir quitte, eux-m6mes si fatigues d'6motions.
Oil peut les laisser seuls. Ils ne se battront pas.
Que I'on plaide l& bas, h la bonne heure, mais id
qu'ils reposent.
Est-ce tout? Non. L'aimable providence qui re*
none leurs amours ne veut pas que I'orage puisse
rcvenir a F horizon. D eux elle obtient deuxchoses.
D,abord, de sortir du milieu ou cet orage se forma.
II ne vient gu^re de ceux qui aiment, mais de leurs
entourages. Si I'un des deax a un dSt'aut, presque
loujours il dure, augmente, sous Pinfluence de
quelque funesle amiti6 dont il faut s'6Ioigaer.
Changer de lieu, parfois, c'est changer tout.
L,aulre mal, hien frequent, qu'elle essaye de
gu^rir, c,est le disoeuvrement. Dans une yille flot-
lante, trop peu remplie, je ne sais combien da
tristesses, de pens6es malsaines, d aigreurs, vien-
AMITIES DES FEMMES. 397
nent intailliblement. Ce qui mflle et PSme et la vie,
c'est de coop^er, de Iravailler ensemble, tant qu'on
pent; tout au moins de Iravailler h part, et de se
regrelter, et de souffrir un peu de n'fitre pas en-
semble, 一 de sorle qu'on reste avide I'un de l,au-
tre, impatient de Pheure oil Pon se reverra, de-
mandant, dteirant le soir*
Ill
LA FEMMH PROTECTRICE DES FEMME3
CAROLmA
La cinquiime parlie du monde, rAuslralie, n'a
jusqu'ici qu'un saint, une legende. Ce saint est
une femmc anglaise, morte, je crois, celte ann6e.
Sans fortune el sans secours, elle a fait plus
pour ce monde nouveau que toutes les soci6tes
d'^migration et le gouvernement britannique. Le
plus riche et le plus puissant des gouvernements
de la terre, maitre des Indes el d'un empire de cent
vingl millions d,hommes, 6chouait dans cette co-
lonisation qui doit reparer ses pertes. Une simple
rem me rfeussit et emporla I'affaire par sa bonte vi-
goureuse et par la force du coeur.
Reiidons hommage ici k cette race pers6v6ranle.
Une Frangaise, une AUemande, eAl eu autant de
CAROLINi. 599
bont6, de g^nfereuse piii6, mais je ne sais si elle
edt persists contre tant d obstacles. 11 y fallait une
obstinalion admirable dans le bien, un sublime en-
tStement.
Carolina Jones naquit vers 1800, dans une feme
du comt6 de Northampton. A vingt ans, elle fut
6pous6e, eminence par un officier de la Compagnie
des Indes. Brusque passage. Elev6e dans les moeurs
d^centeSy s6rieuses, des campagnes d'Angleterre,
elle tomba dans ces babjiones miliiaires ou {out est
permis. Les fiUes de soldats, Iaiss6es orphelines,
itaienl k vendre dans les rues de Madras. Etie se
mit h les ramasser et en remplit sa maison. On eut
beau se moquer d'elle; elle subsiste cette maison,
et elle est de venue un orphelinal royal.
La sant6 de son mari, le capitaino Chisholm,
exigoant un climat plus sain, il obtint d'aller quel-
que temps se refaire en Australie et y passa en
1858 avec sa femme et ses enfants. Mais, oblige
bientdt de retoumer k son poste, il I'y laissa seulc,
et c,est alors qu'elle commcn^^a sa courageuse en-
Ireprise.
Persoune n\gnore que Sidney, et FAustralie en
g6n6ral, a 6tc surtout peupl6 de convicts^ de con-
damn6s, dont beaucoup seraient parmi nous des
forgats. La cf6porlation constante y amenait des
masses d,hommes, peu de femraes relativcment.
400 Ik FEMHE PROTECTRICB D£S F£HM£S.
On peut deviner conibien elles Staient recherchtes,
poursuivies. Chaque vaisseau qui arrivait cbai^6
de femmes £tait attendu au d6barquement, saluS
de clameurs sauvages, qu,on eOt dit des cris de
famine. Les actes les plus violenls, les plus revol-
tants 6taient ordinaires. MSme les femmes d'em-
ploy^s, dont les maris 6laient absents, n'avaient
nuUe 8ilrel6 chez elles. Quant aux filles d6port^es,
elles tombaient dans celte foule com me un gibier
qu,ou relan^aiU
Pour comprendre Vhorreur de cette situation, il
faut savoir ce que c est qu'une Anglaise. Elles n'ont
nullcmeat I'adresse, resprit de ressources el d'ex-
p^dients, qui caract^rise les ndlres. Elles ne savent
pas travailler : elles ne sont bonnes absolument
qu'aux enfants et au manage. Elles son! tr6s-d£pea-
danles, modesles (n'apportant pas de dot). Marines,
elles sont fort bat lues. Mais celle qui n,est pas ma-
riee, c'esl une malheureuse cr6alure, qui ne sail se
tirer d'affaire, effarte, qui heurte, tombe, se fait
mal pariout. Quelqu'un a dit : a un chien perdu, b
qui erre et cherche son maitre, el ne sail pas sen
faire un.
Leurs filles publiques elles-m£mes sont plus a
plaindre que celles d,ici. Celles-ci, dans leur triste
^iat, se d^fendent par I'ironie et peuvent encore
relativement se faire un peu respecter. La fille an-
CAROLINA. 401
glaise n,a pas le moindre ressort, aucune arme
contre la honte, rien k dire (celles qui parlent sont
des Irlandaises). L'Anglaise ne peut se soutenir,
dans son abattement moral, qu,en buvant du gin de
quart d heure en quart d'heure, et se maintenant
ainsi dans les demi-ten^bres ou elle voit a peine
elle-mftme ce qu'elle re^oit d'af fronts.
Des filles, h^las ! de quinze ans, douze ans, qu'on
oblige k ce metier et h faire de petits vols, c^elait
en bonne partie la matiere des razzias que la police
faisait et qu ,! ine condamnation rapide envoyait en
Australie. On les entassait souvent sur de vieux
mauvais vaisseaux, comme TOc^an, quisombra de-
\ant Calais meme, et nous jeta quatre cents corps
de ferames, trfes-jeunes el jolies presque toutes.
Ceux qui le \irent en pleurferent et s'en arrachaient
les cheveux.
On peut juger de ce que devenait ce pauvre be-
tail humain, comme de jeunes brebis sans defease,
jet6 au monde des formats. Traqu6es dans les rues
de Sidney, dies n'fechappaient aux outrages conti-
nuels qu'en aliant coucher la nuit k la belle 6toUe,
hors la ville et dans les rochers.
Carolina fut blessSe, et dans sa pudeur anglaise
ct ddQs sa bontg de femme, par ce r6voUant spec-
tacle. Elle invoqua I'autoritg; mais celle-ci, tout
occup6e de la surveillance de tant d'hommes dan-
23
403 Li fEMVE PROTECTnTCE DES FEMES.
gereux, avail autre chose a faire qu'a songer k ces
petites inis^rables. EUe intoqna le clerg6 ; mais
l^Eglise anglicane, comme toute £glise, eroit trop
k la pcr?ersft6 hirtdiiaire de la natore pour esp£- <
rer beaucoup du rem&de hiimain. Elle s'adressa k
la presse, et s'attira dans lesjournaux des r^ponses
ironiques.
Cependant elle dit, redit tant qu'il n'en coAterait
pas un sou, que le gouyernenient, magnifique-
ment, lui prftta un yieux magasin. EUe y abrita de
suite une centaine de jeunes filles, qui au moins
eurent ainsi un toit sur la tftte. Des femmes ma-
rines, dans rabsence de leurs maris, obtinrent de
camper au moins dans la cour, pour n'avoir pas a <
craindre d'attaque de nuit.
Comment nourrir ce troupeaii de filles, la plu-
part ne sachant rien faire? Carolina, femme d'un
simple capitaine et chargfee de trois enfants, 6tait
bien embarrass^e. Elle chercha h la campagne des
gens mari^s, des families, qui pussent les employer,
Ainsi, elles firent place k d'autres. Avant un an,
elle en avait sauY6 sept cents ; trois cents Anglaises
protestantes, quatrc cents Irlandaises catholiques.
Beaucoup d'entre elles se marierent et ouvrirent k
leur tour chez elles un abri a leurs pauvres soeurs
diport^es.
Ayant tout rempli autour de Sidney, il lui fallut
CAROLWA. m
chercher «m loin des placements. Les voyages ne
semblaient gu6re fails pour une jeune femme, dans
un pays peupl6 ainsi, etou les habitations, souvenl
k grandes distances, exclueat toute surveillance,
toute protection publique. Elle osa, sot un bon
cheyal, qu'elle appelait le Capitaine (en souvenir
de son mari absent), elle alia a la d^couverte, par
les routes, ou bien sans route souvenl francfaissant
les torrents. Le plus hardi, c'est qu'elle menait des
fiUes avec elles, et parfois jusqu'a soixante, pour
les placer comme servantes dans les families, ou les
marier. Elle fill re?ue partout, de ces hommes Irop
mal juges, comme la Providence eHe^mfime, avec
6gard, avec respect. Mais elle ne couehait qn'en
lieu stir, et toujours avec ces fiUes, ainiant mieux
passer la nuit dans des chariots mal converts, plu-
t6i que de s,en sfiparer.
On comment k entmoir la grandeur, la beairt6
de Tentreprise. Jusqne-Ia on ne faisait rien, et tout
Stait viager, on renoavelait incessamment ces colo-
nies ^^riles, qui allaient toujours s'MeigDant. Bien
pins, on ne changeait rien aox ames, aux mceurs,
aux habitudes. Le vice Festait le vice; la prostitu-
tion, plus qu'^i Londres, hontease et sterile. La
Tolution op6r66 par eette femme admirable put se
qualifier ainsi : Mort k la mort, k la sterilit^t ^
rimmonde c^ibat {baehelorim}!
i r [
401 Ik FBMMB PROTECTRIGB DBS FEHMBS.
Le gouverneur avail rtit, aux premieres demandes '
qu'elle lui adressa : « Que m'importeJ suis-je fait
pour leur trouver des femmes? » 一 Et cependant
tout 6tait \k. C,6〖aU le secret de la vie, de la per- i
p6tuil6 pour ce nouveau monde. Done, elle n'b6-
sifa pas, celte femme chaste et sainte entre toutes,
a se faire Funiversel agent des amours de la colo-
nic, le ministre du bonheur. Elle tdchait de bien
(linger les choix dans ces manages lapides. Mais
que faire? elle croyait que, dans une grande soli-
tude, lorsqull n'y a pas \k des tiers pour intriguer
et brouiller, la bonne nature arrange tout ; on veut
s'aimer et l,on s'aime ; on s'atlache par le temps ;
on finit par s'adorer. <
Elle travaillait surtout k recomposer les families.
Elle aidait lajeune fille, bien mari6e, devenue une
maitresse de maison, h faire venir ses parents. Elle
faisait aussi venir d'Angleterre les malheureuses
ouvriferes a Faiguille qui d^ji mouraient de faim
comme les ndtres aujourd'hui.
La recompense qu'elle trouva, c'est qu'on failli
la tuer. La populace de Sidney trouva fort mauvais
qu'elle attir&t tant d,6migratites, quifaisaientbais-
ser le prix des salaires. Des bandits s'altronpaient
sous ses fenfires et voulaient sa vie. Elle parut
courageusement, les prficha, leur fil entendre rai-
8on. Us s'doign^rent pleins de respect.
CAROLINA: 405
Au bout de sept ans, elle alia k Londres pour
convertir le minist^re a ses id6es, et fit un cours
public pour les r6pandre. Le ministre Grey et les
comil^s de la shambre des lords voulurent l*enten-
dre et la consultSrent. line chose rare, admirable,
c'est que son mari, devenu son premier disciple,
retourna en Australie. Ces deux 6poux, si unis,
s'imposfirenl une cruelle separation pour faire
plus de bien. Elle 6tait all6e le rejoindre quand
dlefomba maladc, e" dit-on, mortellement. (Blos-
SEVILLE,II, 170; 1859.)
Elle est la l^gende d'un monde. Son souYenii*
grandira d'ftge en dge.
Une singularity qu,on ne peut nfegliger, c'est que
cette sainte 6tait I'esprit le plus positif, le plus 61oi-
gn£ de toute chim^re, de toute exag^rafion. Elle
avail au plus haul degrt I'esprit administratif, 6cri-
vait tout, fenait un detail immense des choses, des
sorames, des personnes, une comptabilit^ exacte.
En voici un trait tout anglais. Se croyant respon-
sable du petit patrimoine de famille envers son
mari, ses enfants, elle a calculi qu'au total, mal-
gr6 les avances iniinies qu'elle faisait, tout itait
406 LA FZMME PROIECIWE DES FEilMES.
rentrt, moins une fort petite soraiiie. Daas tout
son aposUla" elle n'avait appaavri sa famille que
de seize Irvres.
Ce n'est pas cber pour faire ua laoade*
IV
CONSOLATION DES PRISONNlfiRES
Dans son m^moire couronn6 par I'Institut, ma-
dame Mallet disait en 1845 : <c Dix mille femmes
enlrent chaqae annie dans nos prisons de France.
Les plus coupables, qui sont les loieux trait6es,
remplissent lee maisons centrales. Les moins cou-
pables, au nombre de huit mille, soul dans les pri-
sons d^partementales, \ieux couvents humides, oil
on les laisse souvent sans ouvrage, daas un d^soeu-
vrement d^solant, corrupteur, 一 sans linge^ el quel,
quefois sans lit. » 一 Esp6rans que depiuis ce temps
on y a raieux pourvu.
Jusqu'en 1840, elles ^taient gardies par de$
hommes I et aujourd'hui encore, une femme arr^lte
et mise au corps de garde a paur protection la sa^-
408 C09S0UTI05 DES PRISOXHlbffiS.
gcssc dc dix gar$ons de vingt ans. (Voy. la trisfe
affaire d'Oslinda, jugte le 14 septembre 1858.)
Dans le compte g^n^ral des crimes et d6Iits, les
femmes sont pour bien peu (diz-sept pour cent),
chose £tonnante, car dies gagnent bien moins que
rhomme, et doiTent fitrc bien plus tenf£es par la
misire. Quandonentre, arec madame Mallet, dans
le detail des causes, ce chiffre diminue encore,
8*iyanouit en grande partie. Nombre de ces crimes
ou dilits sont forces. Ic" des m^res prostitutes
battent des enfants de douzc ans, leur cassent les
denis k coups de poing, pour les mettre au trottoir
et les rendre voleuses. La, ce sont des amants qui
ne font pas le crime eux mdmes, mais le font faire,
forcent la femme de voler pour leur compte ; sinon,
6reint6e k coups de b&ton. Ailleurs, c'est la faim
uniquetnent qui la conduit au mal. D'autres, c'est
leur bon coeur, leur pi6te ; elles se prostituent pour
nourrir leurs parents, et leurs vices m^rileraient
ie prix de verlu.
La plupart sont de bonnes creatures, tendres et
chari tables. Les pauvres le savent bien. lis s'adres-
sent avec conQance, et de pr^f^rence, k ces filles.
Remarquons-le, dans cette lie des villes, il y a
une bont6 infinie. Dans les campagnes beaucoup de
dureti. On donne un peu, de peur de Vincendie,
mais on laisse mourir ses parents de faim.
CONSOLATIO DES PRISONmBKES. 409
La cause \raie, profonde, g^nSrale, qui les mene
au vice et au irime m6ine, c,est I'enniii, la tris-
tesse de leur vie. La vertu pour une fllle, c'est
d,6tre quatorze heures par jour assise, 'hisant le
meme point (on I'a vu, pour gagner dix sous), la
tfele basse et restomac pli6, le sifege 6chauff6, fati-
gu6. Sedet wternumque sedebit. Ajoutez, pour I'hi-
ver, ce miserable brasero qu'elles ont, grelot-
tantes, pour lout chauffage, et qui fait taut de
multrdies. Le cinqui^me des crimes de femmes
est fait par les couseuses.
Ce pauvre enfant, la femme, a besoin de mou-
voir, de varier ses attitudes. Toute sensation nou-
velle lui est charmante ; mais il ne lui faut pour-
tanl pas grande nouveautfi pour fetre heureuse ; le
petit mouvement du menage, travail alterne, soins
d'enfanls, voilk son paradis. Aimez-la, rendez-lui
la vie un peu plus douce, un peu moins ennuyeuse,
et elle ne fera rien de mal. Otez-lui de la main, au
moins pour quelques heures par jour, raiguille,
ce supplice de monotonie felernelle. Qui de nous
le supporterait?
Madame Mallet a vu et bien vu les prisons. C,est
un trfes-grand m^rite. Qu'il est h souhaiter que nos
23.
;. s ^ .0 ^ ^ ^ -Bi f h I .1 —」- -… c r.
410 C(W«(M,\TIOW DCS PRlSOISMfeRES.
dames rimiient , qu'elles dominent leur r£pu*
gnance, abordent cet eafer, qui, tel quel, contfenC
bien des angee, 一 anges d<^chus, dont plusienrs
smt plus prto du del que telle sainte.
Le lort de ce bon livre, c'est sa timidite, ses mfe-
nagements. Elle veut et ne veutpas de surveillantes
religieuses. Elle suit la mode du temps et I'opinion
de ses juges, la plupart favorables au syst6me cel-
lulairc. Des lors, peu d'air, peu de lumi^re ; des
creatures 6tioI^ el toutartificielles.
Le rcmide, au contraire, c'est d'abatire les murs,
c,est Voir et le soleU. La lamiere moralise.
Le rom^de, c'est le trawil dans des conditions
(out aulres, s6vftre, mais un peu varie et coup6
de musique (cela riussil a Paris, par les soins de
quelqucs dames protestantes). Les prisonni&res
sonl folles de musique. Elle les harmonise, leur
rend F^quilibre moral ; elle soulage la flamme in*
tferieure.
Lion Faucher Fa tr6s-bien dit : il faut rendre au
travail des champs les prisonniers et les prison-
nidres qui sont de la campagne, ne pas les enterrer
dans vos horribles niurs, manufacture de pulmo-
niques. Oui, remcttez la paysanne au travail de la
terre (en Algferie, du moins). J'ajoute : L'ouvrifere
mISme peut utilement 6tre colonist dans des 6ta*
blissements demi-agricoles, ou, plusienrs heures
CONSOLATION DES PMSO^m^RES. 411
par Jour, elle fasse un peu de jardinage qui aidera
h la nourrir.
Nous n,avons pas besoin d'avoir, comme les An-
glais, de couleux pdnitentiaires au bout du monde.
Colonisons la M6diterran6e. VAfrica nourrissait
FEmpire. Elle sera encore tr^s-peupl6e, Ir6s-f6-
conde , du jour qu'on voudra s6rieusement l,as-
sainir.
Mais le grand, le d6cisif, le souverain remade,
c'esl Vamour et le manage.
« Le mariage ! et qui en voudra? » Plus d'un
qui saura r6flechir.
Broussais a dit : « La maladie de I'un, qui chez
lui est un exc6s de force, sera it faiblesse en I'aulre.
Si le tempferament est different, difKrentes les cir'
Constances physiques, ce n,est plus maladie. »
Je crois aussi que telle personne qui, dans 1'6-
touffement de nos villes et d'une soci6te si serr6e,
a p6ch6 par violence et parfois par exces de force,
serait bien a sa place et peut-6tre adipirable dans
les liberies de FAtlas, dans une vie a\enlureuse de
colonies miiitaires. Madame Mallet remar que qu,en
general, les femmes sanguines qui, dans la colore
ou la jalousie ont fait un acte criminel, ne sont
419 CONSOLATION DES PRISONNlfiRES.
pas du tout corrompues. Employ ez-les selon leur
dnergie, elles la mettronl toute dans I'amour et
dans la famille, et ce seront de vraies brebis.
Et Ics raartyiss, les saintes de la proslilution qui ,
Pont subie par piel6 fiiliale ou devoir malernel, qui
les croira souill6es ? Ah ! les inforlun6es a qui la
vertu m6me infligea ces tortures, sachez qu'elles
sont vierges entre toutes. Leur coeur bris6, .nais
pur, plus que nul coeur de femme, a soifd'honneur,
d'amour, el nuUe n,a plus droit d'felre aimfee.
Les vraies coupables m6me, si on les sort de
notre Europe, qu'on les melte sous un nouveau
del, sur une terre qui ne saura rien de leurs fautes,
si elles sentent dans la soci6t6 une mfere qui punit, i
mais une m6re, si elles voient au bout de 1'6- '
preuve , I'oubli , Famour peut-6lre... leur coeur
fondra, et, dans leurs abondantes larmes, elles se-
ront purifi6es.
Quand je vois ces chauves rivages m^diterra-
neens, ces montagnes arides, mais qui, gardant
leurs sources, peuvent ioujours 6tre rebois6es, je
sens que vingt peuples iiou\eaux vont nailre lk, si
on y aide, Au lieu de revenir ici miserable ouvrier,
notre soldat d'Afrique, d,Asie, sera propri6laire ^
la-bas. II aimera bien mieux, comme femme et
auxiliaire, prendre, non une stalue d' Orient, mais
une vraie femme vivante, une &me et un esprit,
CONSOUTION DI*S PIllSO^NIliRES. . 413
une Frangaise 6nergique, adoucie par rSpreuve et
jolie de bonheur.
Voila raon roman d'avenir. II suppose, jel'avoue:
une condition, c est que la medecine s'occupe des
grand sob jets de ce sificle : Vart d'acclimater rhomme
et Vart des croisemetits, l,art d'liarmoniser les fa-
milies par ^association des differences de races,
de conditions, de Icraperaments. Pour les ndtres,
il faut de I'adresse plus que pour les manages an-
glais qu'improvisait Carolina. Je voudrais la une
Carolina frangaise, qui, enlour6e des lumi^res de
la science, 6clair6e des rafedecins, placerait habile-
ment les femmes Iib6r6es dans les conditions les
plus sages. Si, par exemple, la vive, la sanguine,
est marifee dans Fair vif des monlagnes avec un
homme violent , on peut craindre de nouveaux
exc6s ; mellez-la pluldt dans la plaine avec un
homme calme en qui elle respecte la force douce
et la mdle 6nergie.
Ce sont Ui les seuls rem^des s^rieux. L'6tat ac'>
tuel ne corrige rien, de I'aveu de Fautorilfe (Mallet),
il multiplie les r6cidives. Le silence impos6 dans
les maisons centrales, pour les femmes, est une
torture ; plusieurs en deviennenl foUes (p. 188).
4U CONSOLATION DES PI\IS0NNI£RES.
Que pr(^)ase pourtant cetle dame? D'aggraver cet
£tat qui fait des folles, en les metiant dans dee
cellules. La elles seront cat6chis6es par raumonier.
En g6n6ral, que leur apporte-t-il? De vagues g6-
n6ralit6s (Mallet). II ne \arie pas sa parole seloR
les classes et les personncs. L'ouvrifere n,y Irouve
qu'ennui, la paysanne n 'cntend pas un mot. Peut-
on parler de m^me k la fiUe vicieuse, endurcie dans
le mal, et a la fille violenle, nuUement vicieuse,
qui a frapp6 un mauvais coup ? Le meilleur aum6-
nier, qui fait profession d'ignorer r amour , le
monde et la vie, est-il propre a comprendre des
precedents si compliqu^s, des situations si diver-
ges? Combien moins les religieuses , qu'on em*
ployait pour surveillantes ! Madame Mallet, qui
les recommande, avoue qu'elles n,y comprenaent
rien, qu elles haissent les d^tenues, n,ayant aucune
idee des circon stances qui les ont men6es la, des
tenlations de la pauvret6, etc.
Tout membre de corporation est, par cela seul,
raoule dans un certain inoule general, el il a iiifi-
niment moins le sens du sp6cial, de l individuel,
qui serai t tout dans cette m^deciae des imes.
L'Jhomme , ni6me laique, avec notre aniforcniti
d'6ducation, etc., y convienl bien moins que la
femme. J'enl^ds la dame du monde, qui a de 1'^ ge
el de rexp6ri€ftce, qui a beaucoup vu et senti, qui
CONSOUTION DES PRISO 画 fcB£S* 415
Pdit la destin6e, qui a m'^mk plus d,un coeur, qui
connait mille secrets d^Iicals dont les hommes ne
86 douteront jamais.
« Croyez-vous done qu'on trouvera beaucaup de
dames si d6vou6es, si courageuses , pour visiter
souvent ces sombres lieux , pour affronter le con-
tact deces tristes crfeatures ? Sans doute c'est beau-
coup de sentir que Fon fait le hien. Cependant, il
faut la bien de la force pour pers6v6rer. »
J'ose dire qu'on le trouvera, cet appui n6cessaire,
non dans le coeur seulement , mais dans r esprit.
Pour une intelligence haute , pure, 6clairee , qui
par I'age arrive aux regions d'ou l,on domine, c'est
une 6lude merveilleusement instructive , emou-
vanle au plus haut degr6, de lire dans ce livre vi-
vant. Laissez moi la yos drames et vos spectacles,
le grand drame est ici. R6servez done voire int6r 6t,
vos pleurs. Toute fiction p&lit en pr6sence de lelles
r6alU6s, — si fortes, h^las I si d61icates aussi ; ce
sont des destinies de femmes. Ces fils que je vous
mets, madame, dans vos bonnes mains, n,esl>ce
pas un bonheur d'en eclaircir doucemenl les tene-
breux 6cheveaux ? el, s'il Stait possible a votre
416 CONSOLATION DBS PRISONNltRES.
adresse de les reprendre, ces pauvres fils cassis,
ct de les rattacherl... Omadame, les anges seroni
jaloux de vous.
Ange de Dieu, pardonnez-moi de yous parler
d,un sujet sombre, du plus choquant, du plus ter-
rible. Mais tout se purifie au feu de charit6 qui
vous brule le coeur.
Nul amendement dans les prisons, si I'on ne
trouve moyen d,y rappeler l,6tat de nature, d,y finir
rexfecrable tyrannic des forts sur les faiWes,
ceux-ci battus et jouets des premiers.
Tout le monde le salt et personne ne veut le
dire. Un homme de funebre m6moire (de grandes
fautes politiques, mais qui avait un coeur), I'homme
qui sut le mieux les prisons, quand nous 6tions
amis, m,a plus d'une fois explique avec rongeur et
larmes ce mystfere du Tartare, les boues sane fond
du dfesespoir.
L'effet est different ; I'homme tombe si bas qu'un
enfant le ferait trembler ; la femme devient une
furie.
Ce n'est pas avec des magons, des murs et des
cachots qu'on finira cela. On n'aurait a la place
que le suicide honleux, le cul-de-jatte et I'idiot. Ce
1
CONSOLATION DES PRISONNIERES. 411
qu'il faut, c,est l,air, le travail, le travail fatigant.
Et, pour le prisonnier maris, il faut lui renrtre ce
que nul n,a le droit de lui dter : le manage.
Je soumets aux jurisconsultes, mes illustres con-
freres de rAcad^miedes sciences morales, la ques-
tion suivante : La loi, en condamnant cet homme
h la prison, en supprimant les effets mils de son
mariage, enfend-elle le condamner au c^libat?
Pour moi, je ne le crois nullement.
Et ce que je sais cerfainement, c'est que I'autre
conjoint, innocent et non condamn^, conserve son
droit immuable.
Plusieurs de ces inforlun6s tiennent extrfime-
ment k la famille et continuent de lui faire les plus
honorables sacrifices. J'ai vu, au Mont-Saint-Mi-
chel, un prisonnier, chapelier tres-habile, qui, du
fond de sa prison, cn se privant de toute chose,
travaillait pour nourrir sa femme, et qui attendait
impatiemment Flieure de se r6unir a elle.
L'figlise catholique croit le mariage indissolu-
ble, done son droit permanent. Comment n'a-t-elle
pas reclam6 ici au nom de la religion, de la mo«
rale, de la piti6?
La chose, je le sais, a des difficuU6s pratiques.
II y faut un sage arbilraire. On ne peut indiscrfete-
ment introduire chez la prisonnifere un mari per-
\ers, coiTupteur, qui a pu la mener au mal. line
418 CONSOLATION DES PRlSOSNlfcRES.
administration, chargfee de tant de choses gferv^-
les, ne peut pas aisement entrer dans 1' information
minulieuse que ceci demanderait, chercher sou-
Tent au loin des renseignements, suivre pour une
seule per Sonne une correspondance dfelicale et coii'
teuse. C'est ici qu,il faudrait 】a providence d,une
dame de coeur, de vertu .eprouvee.
Si 】a prison est dans une grande \ille ou pas
bien loin, elle y chercherait de l,ouvrage au mari,
les rapprocherait ainsi, de sorle que la prisonnifere
eiil le bonheur de sa visite tel jour du 励 is qu'in-
diquerait rintelligente proteclrice.
La fern me n,esl qu'amour. Rendez-le-lui, vous
en ferez tout ce que vous voudrez. Elles en valent
la peine ; elles conservent beaucoup de ressort,
sont parfois trfis-exaltees et trfes-bizarrement amou-
reuses, mais jamais apaisces, comme I'homme, m
igaoblement aplaties. Celle qui leur donnerait un
Eclair de bonheur, en serait tellement aim6e et
adoree, qu,elle mSnerait, tout comme elle vou-
drait, ce faible troupeau.
Madame Mallet le sent trfes-bien. C,est la le grand
moyen de discipline, de r6g6n6ration. Elle veut
qu,.oa en use, que la prisonnifere regoive son mari.
Mais elle y met de telles enlraves et tant de gfines,
que se revoir ainsi, c'est peut 6tre souffrir encore
plus.
CONSOLATION DES PRISONNIERES. 4i«
n no faut pas leur envier ce qu'on leur donne.
La surveillance, s,il y en a, ne peut 6tre exercee
par les personnes officielles qui auraient dcs oreil-
les et dcs yeux, epieraient leurs epanchements, et
dont le visage seul les glacerait. II faut qu'on s'en
rapporte a la bonte officieuse dune personne sure
et respeclee, qui prend^a (out sur elle, et dont
I'indulgente vertu abrilera sa pauvre soeur humi-
iiee dans cette consolation supreme, et n,en comp-
lera qu'avec Dieu.
V
PUISSANCES H£DICALES DE LA FEMME
Tout le monde connait k Lyon mon bon et savant
ami, le docteur Lortet, le plus riche coeur de la
terre pour Ffenergie dans le bien. Sa mfere, au fond,
en est cause. Tel il est, tel elle le fit. Cette dame
est reside en legends pour la science et la charitfe.
Le pere de madame Lortet, Richard, ouvrier de
Lyon, grenadier, et qui ne fut rien autre chose,
s,avisa?u regiment d'apprendre les mathemaliques,
et bientfit en donna legon a ses officiers et a tous.
Rentr6 a Lyon et mari6, il donna h sa fiUe cette
Education. Elle commen^a justement comme les
bambins de Froebel par une 6Iude qui charme les
enfants, la gfeomStrie (rarithmfelique, au contraire,
les fatigue extrfimement). Femmc d'un industriel,
PUISSAIfGES UfOIGALES DE L\ FEMMB. 421
vWant en plein mondc ouvrier, dans les convulsions
de Lyon, elle se hasarda pour tous, sauvant tantdt
des royalistes et tantdt des jacobins, forgant intr6-
pidement la porte des autorit^s et leur arrachant
desgr&ces. On sail r^puisement terrible qui suivit
ces agitations. Vers 1800, il semblait que le monde
d6faillit. S6nancourt 6crivit son livre d6sesp6ri6 de
VAmQu^, et Granville le Dernier homme. Madame
Lortet elle-m6ine, quel que fHi son grand courage,
sur tant de ruines, faiblit. Une maladie nerveuse la
prit, qui semblait incurable. Elle avait trente ans.
Le tr^s-habile Gilibert, qu'elle consulta, lui dit :
« Vous n'avez rien du tout. Demain, avec votre en-
fant, vous irez, am portes de Lyon, me cueillir
telle et telle plante. Rien de plus. » Elle ne pouvait
pas marcher, le fit a grand'peine. Le surlendemain,
autres plantes qu'il I'envoya recueiliir a un quart
de lieue. Ghaque jour il augmentait. Avant un an,
la malade, de^enue botaniste, avec son garson de
douze ans, faisait ses huit lieues par jour.
EUc apprit le latin pour lire les botanistes et
pourenseigner son ills. Pour lui encore, ellesuivait
des cours de chimie, d'astronomie et de physique.
Ellele prSpara ainsi aux 6tudes m^dicales, renvoya
Studier a Paris et en Allemagne. Elle en fut bien
ricompensSe. D'un m6me coeur, le fils et la mfire,
k toules l66 bataiUes de Lyon, pansirent, cacli^rent
428 FUISSANCES JUfiDtCALES HE LA FEHVE.
et sauv^rent des blesses dc tons los partis. Cile fut
tn tout associte a la ginirosiie avenlureuse du
jenne docteur. Si elle n'eut vteu avec lui, et dans
un grand centre medical, elle aurait ilendu de ce
cdt6 ses etudes, et les aucait neios circonscrites
dans la botanique. Elle ftit I herborisle des pau-
vres.Elle en aurait ele le mcdeein.
Tout ceci m'a 6te reaiis en memoire par ce que
j,ai sous Ics yeux. J'ecris dans un tr&s-beaulieu suv
les bords la Gironde. Mais, ni id, ni ailleurs dans
les \iilages, il n'y a point dem^dedn. Us sent plu-
tteurs, I'^nis dans une petite ville, nullement cen-
tra le, ou its n'ont presfne rien a faire. Avant d,en
faire Tenir un et de payer deplaeement couteux,
les pauvres meurent. Souvent lemal, pris- a temps,
n'eAt ii& rien, c'est une fi^vre qu'un peu de quin-
quina aurait arr^tee j cest une angine d enfant,
qui, caut6ris6ea Pinstant, aurait disparu ; mais on
tarde. Fenfant meurt. 一 Ou est madame Lortet?
One dame Amirieaine, qui a. cent mille livres de
rentes, mais oependant riche de cosur, de connais*
aances varices, et qui, de pluis, a I'espriid^licat, les
reserves craintives de la pudeur anglaise, n'en a pas
moms r6soIu de doimer a aa fiUe une 6ducalk)n
pmSSAT^CES MEDICALES DE LA FEME. 423
mfedicale. Dans ce pays (Taction, de migrations, ou
les circonstances vous portent souvenl fort loin dcs
grands centres ciirilis6s, si celte demoiselle 6pouse
(je suppose) un industriel 6tabli sur je ne sais quel
cours d'eau de rOuesl, il faut que ces mille ou-
vriers,Ges milliers de dfefricheurs qui seront autour
d,elle, trouvent quelques secours provisoires a la
grande usine, et ne meurent pas en attendant le
midecin, qui peuWtre demeare a \ingt lieues de la.
Dans leurs hivers, fort rigourera, il n,y a nul se-
cours k altendre. Gombien moins en d'aulres pays,
en Russie par exemple, oii les fanges du printemps
et de I'automne suspendent au moins six mois
toufe communication !
Les legons d'anatom-ie sont suivres aux fitats-
Unis par les deux sexes 6galemenl. Si le pr6jug6
emp^che de diss^quer, on suppl6e par les admi-
rable s imitations du docteur Auzoux. II m,a dit
qu'il en fabriquait autant pour les Etals-Dnis que
pour tout ie reste du monde.
c En supposant la science 6gale, quel est le
meilleur m^decin? 一 Celui qui aime le plus. »
Ce tr^s-beau mot d'un grand maltre nous porte-
rait k en induire •• « La femme est le vrai midecm.*
424 PUISSAr^CES M^DIGALES DE LA FEMME.
Elle rest chcz tous les peuples barbares. G'est,
cliez eux, la femme qui sait les secrets des simples,
Ics applique. U en fut de inline chez des peuples
non barbares, et de haute civilisation. Dans la
Perse, la dcpositaire de toutes sciences fut la mSre
des mages.
En realilSy I'homme, qui compatit beaucoup
moins, qui, par I'effet de sa culture philosophique
et g6n6ralisatrice, se console si facilement de rin-
dividu, rassurerait 】e malade infiniment moins
que la femme.
Celle-ci est bien plus touchSe. Le malheur, c,est
qu,elle Pest trop, qtfelle est sujette k s'attendrir,
a subir la contagion nerveuse des maux qu'elle
voit, et a devenir la malade elle-mSme. II y a tel
accident cruel, sanglant, repoussant, qu ,。! i n'ose-
rait meltre sous ses yeux a certaines 6poques du
mois, ou encore, si elle est enceinte. Done, il faut
que nous reuoncions a celte aimable perspective.
Quoiqu'elle soil certainement la puissance conso-
lante, rfeparatrice, curatrice, mfedicative, du monde,
elle n'est pas le m6decin.
Mais combien utilement elle en serait Fauxi-
liaire I combien sa divination, en mille choses de-
licates, suppl^erait a celle de I'homme I L'6duca-
tion de celui-ci developpe en lui plus d'un sens,
mais elle en 6teint plusieurs. Gela est visible sup-
PUISSANCES HEDIGALGS DE LA FEMME. 435
tout dans les maladies de femmes. Pour en p6n6-
trer h fuyant secret, le protfee myst^rieux, il faut
soi-m6me 6tre femme ou aimer infiniment.
Le sacerdoce medical demande des dons si vai,i6s,
et m6me si oppos6s que, pour I'exercer, il faudrait
rfetre double, disons mieux complet, homme-femme^
la femme associ^e au mari, comme mesdames
Pouchet, Hahnemann, etc.; la mkre associ^e au
fils, comme fut id a dame Lor let. Je comprends
aussi qu'une damo veuve et &g&e exerce la mfede-
cine avec un fils d'adoption qu'elle aurait formS
elle-mfeme.
Les mMecins (premiere classe de France incon-
testablement, la plus 6clair6e) voudraient-ils per-
mettre k un ignorant qu'eux-mSmes ont instruit
et fait r6fl6chir, de dire ce qu'ii a au coeur? Eh
bien, \oici ce qu'il lui semble :
La medecine a deux parties dont on ne parle pas
assez : 1。 la confession^ I'art de faire dire au malade
tous les pr6c6dents qui expliquent la crise physi-
que; 2* 】a divination morale, pour compl^ler ces
aveux, voir au delk , I'obliger de livrer le petit noyau,
imperceptible sou vent, qui est le fond ml*ne du
mal, ei qui, restant toujours malgr6 tous les
plus beaux remMes, le ferait toujours reyenir.
Oh I que la femme, une bonne femme, pas trop
ieune, mais d ,! m ccBur jeune, 6mu, tendre (qui
24
426 PUISSANCES II^DIGALES BE LA FESIHE.
trouve radresse, la patience, dans sa piti6), vtent
mienx k boat Ae cela ! L'homine y est fort neees-
saire. II faut que froidement, graremefit, il observe
et conjecture, sur Faspect physique et le peu que
le malade veut dire. Mais la fenime du dodettr, si
die £tait la aussi, si elle restait apr^s^ lui, comme
ellc en 難 rait bien plus ! Combien sa cempassion
obtiendrait davantage , et surtout d'une autre
fern me I Parfois, pour r^soudre tout, faire fondre
toutes les glaces, obtenir i'histoire eompiete , il
suftirait de pleurer.
J'avais pour voisin, h Paris, un clwrrbomiier de
trente ans qui avait du bien en Auvergne et ici mie
boutique qui n'allait pas mal. De son pays, il fit
venir une Spouse, une gentille Auvei^nate, un pen
courte, mars jolie, dont le visage, noirci par mo-
ments, n en brilteil pes raoins de pettts yeux pleins
(le flamraes. EUe itaitsage, maisvoyait qu'on la re-
gardait beaucoup, et n,en 6tait pas fiichSe. Us faa-
bitaiepinne rue sale, ^troite, obscure et peu saine*
Par moments le charboimier, jeane et fort, n'en
avail pas moins des acces de Mire. Us devinrent
plushabituels. II pAlissait, maigrissait* Un bonm6-
'decin appele vit de suite uRe chose probable, que
PUISSANCES MfiDIGALES m LA F£ttM£. 427
i*humidit6 du logis a\ait commence la fifevre, que
! es brouillards de Paris ne valaient rien a un homme
qui avait longtemps re&pir6 Fair \if et fioid du
GaAtal. II ltd dit qu'il lui couperait sa fievre, msis
qu'ellft reviendrai" s'il ne retournait au.pa'js, Le
cbarbonnier ne dU riea, sa fi6vre augmenta.
line daioe du voisinage que la charbonniere four-
nissait, vitque,demere r observati0Ti j udicieuse du
m6decin, il y avait paurtant autre chose. Et ellelui
dit : « Ma petite, sais-tu pourquoi ton mari a la
fifevre, et la gardera et raura de:idfis en pIus?G'eati
parce que tes jolis yeux^aiment trop k Aire r^ar -
d6s... Et sais-lu paurquoi la fievre a augments ces !
jours-ci ? C'est par le combat que se livreat ea lui
I'amour et lavarice. II 'croit gagner trop peu Ishbas^
II ne pourra pas s,en tirer. II restera et mourra. »
Ni la femme ni rhomme n'auraient jamais pris
un parti. Ce ful la dame qui le prit. Elle avertit les
parents, qui de la-bas firent 6crire au charbonnier
que son bien 6tait en mauvaise main, qu41 Atpk-
rissait ; que, pendant qu ,: il croyait faire k Paris de
bonnes affaires, il se ruinsftt en Auv^gne. Gela r6-
veilla noire homme, tranoba taut. II n'eut plus de
fievre, cida sa petite boutique, emmema sa petite
feiBjne, partit. Tous deux fuseM sauv6s«
428 PUISSANCES 血 CUES D£ U F£MM£.
Sauver les autres, c'est se sauver soi-m6me«
Grande douceur pour un coeur bless6 d'exercer
celte puissati^^, de se guferir en gu6rissant. Une
femme qui a un grand deuil, de vifs chagrins, de
grandes pertes, ne sait pas toujours assez que ce
fonds de douleurs, c'est (permettez-moi le mot) une
merveilleuse pharmacie pour les maux des autres.
Une mfere a perdu un enfant. La dame y va, et elle
pleure. La m^re n'ose presque plus pleurer, son-
geant que la dame a perdu tous les siens, et reste
seule. Et, elle, dans ce malheur du jour, elle a
pourtant la douceur de voir encore autour d'elle
une belle et brillante famille. Elle a son mari ; elle
a les consolations d'un amour raviv6, rfiveillS par
les pertes mfeme. Elle se compare, et dit : « J,ai
beaucoup encore ici-bas. »
Nous marchons vers des temps meilleurs, plus
intelligents, plus humains. Gette ann6e m6me,
VAcaddmie de midcine a discut6 une grande chose,
la decentralisation des hdpitaux. On dStruirait es
lugubres maisons, foyers morbides, impr6gn6s des
miasmes de tant de generations, oii la maladie
et la mort vont s, aggravant, se d^cuplant, par un
terrible encombrement. On soignerait le pauirre
PUISSANCES M^DIGALES DE LA FEMME. 429
k domicile ; honheur immense pour lui, car on le
connaiirait, on le verrait dans ses besoins, dans
les milieux qui font la maladie et qui la recom-
mencent dfes qu'il revient k I'hdpital. Enfin, pour
des cas peu nombreux, ouil doit sorlir de chez lui,
on crfeerait autour de la ville de petils hdpitaux,
ou le malade, n'fetant plus perdu et noyfe dans les
foules, serait bien autrement compt6, redeviendrait
un homme, ne serait plus un num6ro.
Je ne suis jamais entr6 qu^avec terreur dans ces
vieux et sombres couvenls qui servant d'hdpitaux
aujourd,hui. La proprelfi des lits, des parquets,
des plafonds, a beau fitre admirable. C'esl des
murs que j,ai peur. J,y sens l,5me des morts, le
passage de taut de generations 6vanouies. Croyez-
vous que ce soit en vain que tant d'agonisants aient
fix6 sur les m6mes places leur oeil sombre, leur
dernifere pens6e?
La creation des petits hdpitaux, salubres, hors
de la ville, entourSs de jardins, la sp6cialit6 des
soins surtout, ces rfeformes humaines, doivent se
faire d'abord pour les femmes. Les accouchSes
sont enlev6es en masse par des fifevres conta-
gieuses. La femme, en g6n6ral, est bien plus pre-
nable que rhomme aux contagions. EUe est plus
imaginative, plus affectee de se voir 15, perdue
dans cet oc6an de malades, prSs des mourants, des
24.
43# PUISSAKGES M£D1GAL£S DE LA. FEMMB
morts ; cela seul la ferait mourir. Les parents u'en-
trent que deux fois par semaine, s,il y a des pa-
rents. Le3 soeurs sont occupees de soins materiels,
un pen blas6es dailleiirs par la vue de tant de dou-
leurs. L^nterne est un jeune homme. Ce serait
lui pourtant, et justement parce qu'il est jeune
et lion blase encore, s,il 6tait bon, ce serait lui qui
pourrait le plus moralement. Et quel fruit immense
d'instruction il en tirerait ! quel agrandissemenl
du coeur !
Le docteur L", alors jeune et interne dans un
hdpiial de Paris, vit venir dans sa salle une fiUe
de vingt ans au dernier degr6 de la pulmonie.
Nulle amie, nuUe parent e. Dans son absolue soli-
tude, au milieu de cette triste foule, dans la m6-
lancolie d,une fin prochaine, elle \it bien, sans
qu'il lui parlat, elle vit dans ses yeux un Eclair de
compassion. Des lors elle le regardait loujours,
aUant, venant par la salle, et elle ne se croyait pas
tout a seule. Elle s'6teignait doucement dans
cette pure et derni^re sympathie. Un jour, il passe,
elle fait signe. II dit : « Que voulez-vous ? ― Voire
main. » EUe meurt. 一 Ce serrement de main n,a
pas et6 sterile ; ce fut le passage d'une ame. Une
ame en profita. M^me avant de savoir ceci, en re-
gardant cet homme charmant autant qu'habile,
j'avais senti qu'il est de ceux que la femme a
PUISSANm Sf^DIGiiLLES D£ LA FMME. 4M
dou^s, et qui (rouvent des tr6sors de medicaiioB
dans la tendresse du ccBur.
Le meilleur homme est homme, et une iemme
ne peut lui tout dire. 11 y a surtout une semaine
par mois ou la malade, deux fois malade, est vul-
n6rable d tout, faible, 6mue, et pourtant n'ose
parler. Elle a home, alars, elle a peur, elle pleure,
elle r6ve. Ce n'est pas a la soeur, personne offi-
cielle, qu'elle dira tout cela; com me vierge, la
soeur n'y voudrait rien comprendre, et n'a pas la
temps d'ecouter. II faut une vraie femme, une
bonne femme, qui sache tout, sente tout, qui lui
fasse tout dire , lui donne bon espoir, lui dise :
a N'aie pas d'inquietude, j'irai voir tes enfanls^
je te chercherai de rouvrage ; tu ne seros pas em-
barrass6e a la sortie. » 一 Cetle femme, fine el p6-
netrante autant que bonne , devinera aussi ce
qu'elle n'ose dire, qu'ayant vu mourir sa voisine,
elle a peur de la mort : « Toi, tu ne mourras pas;
ne wains rien , ma petite , nous l,emp6cherons
bien... » Et mille autres choses foUes et tendres
que trouve un coeur de m&re. La malade est
comme une enfant. II faut lui dire ce qu'on dit k
un nourrisson, la caresser et la bercer, De femmo
1
43) PUISSANCES M£DIGALES DE Ul FEMME.
h femme, les caresses, un tendre enveloppement,
c'est souvent chose toute-puissante. Et si la dame
a influence, autorit6, ascendant d'esprit, de posi-
tion, d'autant plus sa bont6 agit. La pauvre, dans
son lit, est toute heureuse, reprend force et ecu*
rage, et gu6rit pour lui faire plaisir.
VI
LES SIMPLES
Les bons meurent souvent seuls, et ceiix qui
consolerent ne sont pas toujours consoles. Leur
douceur, leur resignation, leur harmonie, les con-
servent, et plus qu'ils ne voudraient. Trop souvent
la femme innocente qui n,a y6cu que pour le bien,
et qui devrait 6tre entourSe, soutenue dans Fftge de
faiblesse, voit tout s'6teindre, amiti6s, parent6s,
et se trouve avancer seule vers le terme solennel.
Elle n,a pas besoin d,6tre trainee ; elle va, elle
marche d,elle-m6me. Elle ne veut qu'obSir iDieu.
Elle se sent en bonne main, elle esp6re, elle se fie.
Tout ce qu'elle a encore d'aspirations tendres et
saintes, ce qu'elle rfiva, voulut en vain pour le
bonheur aes autres, ce qu'elle avail prepar6 et ne
put, tout cela semble une promesse d'avenir et
rentr6e d'un monde nouyeau.
454 LES SIMPLES.
Les ^loquentes paroles des homines religieux de
ce temps, les migrations dc J. Reynaud el les con*
iolations de Dumesnil, la soutiennent, lui donnent
espoir. Au livre des metamorphoses (rinsecte)^
n'a-t-elle pas lu : (《 Que tl^ choses 6taient chez moi
qui ne furenl point dfi\6lopp6es! line autre &me
et meilleure peut-6lre, y ful, et n,a pas pu surgir,
Pourquoi les 61ans sup6rieurs, pourquoi les ailes
puissantes, que parfois je me suis senties, ne se
sont-ils pas d6ploy6s dans la vie et dans Taction?
Ces germes ajoumfes me reslent, tard pour cette
vie avanoSe, mais pour une autre sans doule. Un
£oossais (Ferguson) a dit ce mot ingenieux, mais
grave, de vferitfe frappanle : <x Si remlMryon, captif
a au sein maternel, pouvait raisonner, il dirait :
« Je suis pourvu d'organes qui ne me servwit
a guSre ici, de jambes pour ne pas marcher, et de
fit dents pour ne pas manger. Patience I ces orga*
« nes me disent que la Nature m'appelle au dela
« de ma vie presente. Un temps viendra ou je ifi-
« vrai aiUeurs, ou ces outils auront emploi. lis
« chdment, ils attendent encore. Je ne suis d,un
« homme que la ohrysaliik. 珍'
De ces sens propb^tiques, celui qui veut le plus,
qui h&ite le moins, qui r^soldment nous proiuety
_ *
LES SIMPLES. 435
c'est I'aaiour. « Pour ce globe, I'amour est la vraie
a raison d'filEe; taut qu^on aime, il ne peuf mou-
« rir. » (Grainville.) Telle la terre, tel i'homme
Comment peut-il finir, quand il a tellement en lui
celte profonde raison de durer? Comment, enrichi
de tendresses, de charit6, de loute sympathie, au-
rait'il amass6 ce tr6sor de vilaiitS, pour voir bri-
ser taut de cordes vibrantes?
Done celle-ci n,a pas peur de Dieu. Elle avance
paisible vers lui, et ne voulant que ce qu'il \eut,
mais sikre de la vie k venir, et disant : « Seigneur,
j'aime encore. »
Telle est k fbi de son coeur. Gela n'emp^che pas
que la faiblesse de Page, du sexe, n'agisse parfois
et qu'elle n'ait des henres de melancolie. Alors elle
\SL voir ses fleurs, leur parle et se confie k elles.
Elle pacific sa peasee dans cette soci6t6 discrete,
qui n'est pas importune, qui sourit et se tait. Du
moiofs , lesflairs parlen t si bas qu'on a peine k enten-
dre. On croirait mr ea elles les enfants silencieux.
En les soignant, elle leur dit : a Mes chores
muettes I A moi qui vous dis taut de choses, vous
pourriez aToir confiance. Si vous coovez un mys-
tere d'avenir, parlez, et je n,en dirai rien. »
A quoi I'lme des plus sages, vieille sibylle des
436 LES SIMPLES.
Gaules (verveine ou bruySre, n'importe) : a Tu nous
aimesl... Eh bien, nous f aimons, nous fatten-
dons". Sache-Ie, nous sommes ton avenir inSme,
ton immortality d'ici-bas. Ta vie pure, ton souffle
innocent, ton corps sacr6, nous reviendront. Et,
quand ton g6nie sup6rieui% affranchi, d^pliera ses
ailes, ce don d'amie nous restera. Ta ch6re et sainte
dSpouille, veuve de toi, va fieurir en nous. »
Ce n,est pas une vaine poSsie. C'est la v6rite lit-
tSrale. Notre mort physique n'est rien qu'un retour
aux v^g6taux. Peu; tr6s-peu est chose solide dans
cette mobile enveloppe ; elle est fluide et s,6vapore.
Exhales, en bien peu de temps, nous sommes avi-
dement recueiUis par raspiration puissante des
herbes, des feuilles. Le monde si vari6 de verdure
dont nous sommes en\ironn6s, c'est la bouche, le
poumon absorbant de la nature, qui sans cesse a
besoin de nous, qui trouve son renouvellement
dans I'animal dissous. EUe attend, elle a hkte.
Elle ne laisse pas cc qui lui est si n^cessaire. Elle
I'atlire de son amour, le Iransforme de son d^sir,
et lui donne le bienfait de Paimable m6tamor^
phose. Elle nous aspire en v6g£tant, et nous res-
pire en fleurissant. Pour le corps, ainsi que pour
IfiS SIMPLES. 157
rSme, mourir c,est vivre. Et il n'y a rien que de la
vie en ce monde.
[/ignorance des temps barbares avait fait de b
Mort un spectre. La Mort est une fleur,
D6s lors, elles disparaissent, ces ripuguances,
ces ferreurs du sfepulcre* C,est rtiomme qui a fait
le sfipulcre, et ensuite il en a peur. La nature ne
fit rien de tel. Que me parlez-vous d'ombre, de pro-
fondes I6n6bres et du sein de la terre? Grdce k
Dieu,j*en puisrire. Rien ne m'y retiendra. A peine
y laisserai-je trace. Entassez done encore pierre,
marbre, bronze. Vous ne me tenez point. Pendant
que vous pleurez et me cherchez en has, dkjk
planle, arbre et fleur, enfant de la lumi&re, j'ai
rcssuscit6 vers l*aurore.
L,antiquit6 si p6n6tranfe, et vraimenl £clair6e
d'avance d'une aimable lueur de Dieu, avait for-
inul6 ce simple myslfere en images gracieuses.
Daphn6 devient laurier-rose, et n'en est pas 動 ins
belle. Narcisse, en larmes reste le charme
des fontaines. C'esl po6sie, ce n'est pas mensonge.
Lavoisier FeAt pu dire. BerzSlius n'aurait pas
mieux parl6.
Science ! science I douce consolatrice du monde,
et vraie m&re de la joie I... On la dit froide, indif-
f^rente, 6trang6re aux choses morales I mais quel
repos du coeur se trouverail dans la nuit d'igno-
ss
131 LIS SIMPLES.
ranee, peuplSe de chiraires et de monstres? Nolle
joic que dans le vrai, dans la lumi&re de Ken.
Les d6bris les plus r^sistants de la vie animale,
ceux qui le plus obstin6ment gardent leurs formes,
les coquiUes, finissent par c6der, et passant en pous-
sifere, en atomes, entrent elles-rafimes dans rat-
traction \6g6lale. J,ai ce spectacle sous lesyeux. Au
lieu m6me ou j'6cris, a celte porte de la France oil
rOc6an et la vaste Gironde font leur combat d'a-
mour et la lulfc 6ternelle qui les marie sans cesse^
les rochers dfechirfes donnent aux flots le vieux
peuple de pierre, devenu sable. Cent plantes vigou-
reuses fixenl de leur pied celte arfene, se Pappro-
prient, s,en font une vie forte, si odoranfe au loin
que le voyageur sur la route, le marin dans sa
barque, Faspirent, sont 6tonn6s. Et la mers'en
enivre. Quels sont ces puissanls v6g6taux?... Les
plus petits et les plus humbles, nos vieux simples
des Gaules, romarins, sauges, menthes, Ihym,
serpolets en foule, et tant, tant d'immorlelles qu'il
semble indifferent de vivre ou de mourir.
La Gaule esp^rait et eroyait. Le preiaier mot
us SmPLGS 439
qiron trouve d'eUe, c'esl Espoir^ Acnt sur une mfe-
daillc antique.
Le second root, snr le grand Uvre qui inaugure
la Renaissance, c'est celui-ci : Espoir y gU.
PuissionS'DOus, wus et moi, ravoir dans le
tombeau!
Mais la femme, bonne, douce, qui reste seule,
qui, sans le m6riter, est frappte de la destin^e, ou
lira-t-elle Esfoirt
Je la voudrais ici aux sables de ces dunes, dans
cetle terre pauvre et parfooite, qui n'est pas une
terre ; c'est le sable d^s mers, qui jadis fut vivant
Point de teire, riea que vie.
La pauvre petite ftme de toutes ces vies marines
se tait fleur, s'exfaale ea parfums.
Aux clairi^res soleill^es, gardies au nord par
le rideau descbtoes, bien tard dans la saison,eUe
aspire encore les odeurs et le vivace esprit des
simples. Leurs salubres parfums, aust^res et agr6a-
bies, ii,affadissent nuUement le coeur, comme font
ceux do Midi. Les nAtres sont de vrais esprit s, des
Ames. Ce sont des fitres persistants, qui nous por-
tent au cerveau des envies de vivre. La fanfasma-
goiie des pi antes des tropiques, leur fluiditfe feph6-
440 LES SIMPLES.
mire, ne peut inspirer que langueur. C'est ici,
dans le Nord, une v6g6tation de vertus, qui nous
conseille de creer dans nos oeuvres de nouvelles
raisons de durer.
Non pas de durer seuls, mais de coniinuer nos
groupes naturels, des groupes d'dmes, amantes el
amies, qui agissent ensemble, rimmortaliU compo
sie, od plusieurs se colisent. Faibles chacqn jteut-
fitre, ils s'associent, s'arrangent pour durer par
Tamour.
La mSdecine peut rire de nos simples. Cepen-
dant, s'ils ont peu (Taction sur les corps endurcis
aux rem&des hiroxques et tristement blasts d'ft^-
rolque alimentation, ils sont tr6s-bons pour des
gens sobres, pour une femme surtout de'moeurs
douces, de vie uniforme, d'organes purs, sensi-
bles, viergss ma]gr6 le temps.
Laisscz-Ia done, cetle innocente, ramasser cr6-
dulement tout cela. C'est une grace de femme de
cueillir , preparer ces charmants tr^sors de la
France.
De bonne heure, aux coteaux pierreux bien abri-
t6s, elle partage avec les abeilles le romarin dont la
fleur bleue aromatise le miel de Narbonne. Elle
en tire I'eau c61este qui console le cerveau le plus
afflig6. Bien avant dans raulomne, de soci6t6 avec
roiseau* elle cueille les baies des ar busies r Elle
LES SIMPLES. 441
le prie de ne pas manger tout et de lalsser la pari
des pauvres. Elle fait pour ceux-ci les conserves
utiles que nous avons trop oubIi6es.
Doux soins qui charment et prolongent 】a vie.
Si ces plantes ne gu6ris3cnt pas toujours le corps,
elles sautiennent le coeur, le pr6parent, aplanis-
sent le grand passage a la vie veg6tale.
Chaquematin, toute seule, lorsqu'au soleil levant
elle a donn6 son coeur a Dieu, r6v6 son cher passe, le
prochain avenir, elle pose un bienveillant regard
sur ses aimables h6riti^res, les fieurs en qui bienldt
sera sa vie. Ces touchantes figures de FAmour ve-
getal sont celles aussi de notre absorption, de ce que
nous nommons la Mort. Qui pourrait la hair si frai-
che et si charmante, plus douce en ces gazons que
le plus doux sommeil I La vie lasse, agit^e, sent en
ce peuple ami r attraction de la paix profonde.
En altendanty tout ce qu'une soeur peut faire ou
demander de bons offices, tout ^change d'amili^ se
fait. Elle les abreuve elle-m6me, les couvre, les
defend de l,hiver. Elle entasse autour d'elles les
feuilles et fleurs tomb6es, qui leur sont k la fois un
abri et un aliment. Elle n'y pi'end les siens qu'avec
reconnaissance. Si sa main, belle encore, cueille
sur le cerisier, sur le pfecher, un fruit, elle leur
dit en souriant : « Prfetez k \otre soeur... De bon
coeur, a son tour, elle vous rcstituera bienldt. »
VII
LES ENFANTS. 一 LA 画 ME. — L'AVENIB
La premifire impression du berceau revient toute-
puissante au dernier &ge. La lumi&re dont I'enfant
eut les tiddes caresses a r6veil de la vie, cette m&re
universelle qui raccueilUt avant sa m&re, qui lui
r6v6Ia sa mfere mfime dans r^change du premiei
regard, elle rechauffe, charme son dMin, des dou-
ceurs du couchanl, d'une aube d'aveoir.
Nous la trouYons d'avance, la future VUa nuova^
dans la soci6t6 des enfants. Voili cl6ja les anges,
les imes a r^tat pur, que nous esp6rons voir. La
puissance de vie est si forte d 腿 ces fleurs mobi-
les, dans ces ardents pelits oiseaux, de jeu infali-
gable, que je ne sais quelle jouvence emane d'eux.
Le coeur le plus atteint, celui qui le mieux couve
le trfesor de ses souvenirs et ch6rit 86S blessurea»
se Irouve malgr^ lui rafraichi et reaouvel6. Enlevd
LES EHFINTS, Li LUMIfiRfi, I'AfENIR. 44S
k lui-m^e par leur naive joie, s'^onne et s,6»
crie : « Eh cpioi j'a\ais tout rabli^. »
Si Dieu a permis ce malheur qu'il y ait des or-
phelins, il semble que ce soit tout exprfes pour la
consolation des femmes restfees sans famille. Elles
aiment tous Ics enfanls, mais combien plus ceux
dont une mfere n'accapare point Vaffeclion I L'im-
prfrvu, la bonne aventure de cette maternity tardive,
rexclusive possession d'un jeune coeur, heureux
de se jeler au sein d,une femme aimante, c,est
souvenl pour celle-ci une f61icit6 plus vive qu'au-
cun bonheur de la nature. A la joie d'fitre mere en-
core se joint quel que chose d'ardenl comme r^lan
du dernier amour.
Rien ne rapproche plus de I'enfance el ne la fait
plus aimer que la seconde enlance, exp6rimenl6e,
rfiflechie, qu on appelle la yieillesse, et qui, avec
celle sagesse, n'entend que mieux les voix du pre-
mier age. C'est leur tendance naturelle ; enfants et
personnes agees se cherchent, celles-ci charm6es
de la vue de Finnocence, et les enfants altirSs parce
qu'ils sont stirs de trouver Ih V indulgence infinie.
Cela compose une des belles harmonies dece monde.
Uk LBS ERFAMTS, U LUMlfeRE, L'AYENIR.
Pour la r^aliser , je voudrais, c'est mon rfive, qfie
les orpheliiies surtout ne fussent pas r6unies en
grandes niaisons, mais r6parties en petits 6tablis-
sements a la campagne, sous la direction morale
d'une dame qui en ferait son bonheur.
Etudes, couture et culture, j'entends un peu de
jardinage (pour aider la maison k vivre, comme
font les Enfants de Rouen), tout cela serait conduit
par une jeune maltresse d,teole, aidee de son mari.
Mais la partie religieuse et morale de l,6ducalion,
ce qu'elle a de plus libre, lectures d'amusement el
d'6diiication, recreations et promenades, ce serait
I'afTaire de la dame.
Avec des enfants, des filles surtout, il faut cer-
taines douceurs, quelque chose d'un peu ^lastiquc,
et tout ne peut filre pr6vu.La maitresse, reprfesen-
tant de I'ordre absolu, en jugerait mal. II faut k
cAl6 ramie des enfants, qui ne decide jamais sans
la maitresse, mais en oblienne telle concession,
Idle faiblesse raisonnable que demande la nature.
Une femme d'esprit laisserait ainsi k celle qui a
la grande assiduity et tout le mal Phonneur du
gouvernement; mais, se faisant aimer (Telle, ren-
dant de bons offices k ce manage, elle influerait tout
doucement, dirigerait sans qu'il y par At, el, k la
longue, formerait la maitresse cUe-mfime, lui don
Dcrait son empreinte morale.
LBS ENFAKTS, U LUMlfiRE, L'AYENIR. 445
N'ajant point k punir, au conlraire, n'interve-
cant que pour adoucir les s6v6ril6s de la discipline,
la dame obtiendrait des enfants une conflance in-
iinie. Elles seraient heureuses de lui ouvrir leurs
petits coeurs, ne lui cacheraient rien de leurs cha-
grins, ni de leurs d6fauts mfiine, lui donneraient
ainsi les moyens d'aviser. C'est tout que de savoir.
Des qu,on sait et qu'on voit le fond, on peut, en
modifiant souvent trte-peu les habitudes, rendre
les punitions superflues, faire que I'enfant se r6-
forme lui-m6me. 11 le voudra, surtout s'il veut
plaiie, 6lre aimi.
U est, dans une telle maison, cent choses d61i-
cates que la maitresse ne peut faire, des choses de
bonti, de palience, de lendresse ing6nieuse. Qu'une
enfant de quatre ans, je suppose, soil amende, dans
la douleur 6perdiie, les frayeurs imaginatives que
lui donne le d61aissement, la grande affaire, c,est
qu,elle vive. U faut quelqu'un qui l,enveloppe de
bont6, de caresses, qui, peu k peu, la calme par
de 16g£res distractions, qu'enfin la fleur coupee,
arrach^e de sa tige, reprenne k une autre par une
esp6ce de greffe. Cela est difBcile et ne se fait ja-
mais par des soins collectifs. J,ai vu un deces pau-
ses d^solis qui se mourait dans la grande maison
de Paris. Les sceurs compatissantes lui avaient
bien mis sur son lit quelques jouels. Mais il n'y
4M LE5 ESFAKIS. U LUMtfiRS, L,AV£NUU
(ouchait pas. Ge qu,il fallait, c'^laitune fenum qui
to tint, le baisit, se mA6X de coeur avec lui, lui
rendu le seiii aatenieL
Qaand ils sunriveat et durent, vient un autre
danger. G'est une sor te d'endurcissemeBL Geux qui
se sentent abandonnis, qui saventqueleurs parec^
ont 6ti si mielft, &e trouveat eatrte dans la vie par
line rude porte de guerre, et scat disposte k croire
la 80ci£t6 ennemie. Qu,un autre enfant lejir jette a
la t6te le nom de bfltard, ils s'aigrisseat, s'irritent,
haissent l,humaiiil6, la nature, leurs camarades.
Les voila en grand chemin de mal f^ire, et de m6-
riter ce m^pris, d'abord si iDjuste. Tei est misan-
ihrope k dix ans. Si oei eu&nt est une fiUe, il sul-
fit qu'on Fait mipriste pour qu,eUe s*abaadonae
eUe-m6iM, ae se garde point, cMe au mal. U esl
bien nftcessaire qu'un bon ccBur soigne la jeune
Ame, lui fasse sentir par la tendresse tout ce cpi'dle
a de prix encore, lui mmire que, nialgre son mal*
heur, le monde lui est ami, et qu'elle doit se res-
pecter et faire hoaaeur k ceox qui PaiinenA.
II y a un moment surtofsl, une crise de I'age, ou
les soins collectifs sont tout k fait iusuffisanto, ou
il faut une affection. Imaginez la pauvie enfant
soufTrante dans la dure 6duGatioa des tatiAts com-
munes, des grands dortoirs com 咖 ns, de ces lon-
gues galerie6 ou Poa n'obtienl la salubrity que par
IXS 耐 ANTS, LA LWIfiRE, L'AYENIR. 44T
wne nelteti glaciale. Soumise aux regies s6v6res,
levee de bonne heure et Iav6e a froid, frissonnante
et n'osantrien dire, ayant honte desouffrir, etpleu-
rant sans savoir poorquoi. Que de precautions k
ce moment dans les families I Le coBur des m^res
se fond en douces caresses, en g&teries, en mille
soins utiles et inntiles ; la petite troupe toutautour
un milieu ti&de, une attention empi-ess^e, une in-
qui^te prfivoyance. L,orf4ieline, pour m6re et fa-
milte, a rhdpital, ses grands murs s^rieux et les
personnes officielles, qui par devoir se partagent
entre tous, ne font acception de personne, et pour
tous restent froides. II n'est pas m^me aisi, dans
ces maisons oii lordre est tout, d'fitre bon sans
paraitre injuste et partial. Or c'est cela que vou-
drail la nature, une bonte loute personnelle, I'ar-
deur de la tendresse et cette chaude douceur ou la
mfire met FenCant entre sa chair et sa chemise.
Qu'il est done n^cessaire qn'au moins il y ait Ik une
amie, une femme bonne et tendre, entendue, qui
supplee un peu, et pourroie I
Le plus grave, c'est que pr6cis6ment, vers ce
moment de crise, I'unique mire de rorphelkie, la
loi, ^administration th lui manquer. L'Etat a fail
ce qu,il a pu. Son froid abri, Hiospice va Fex-
clure, se fermer sur elle. EUe va entrer dans Fin-
connu, 一 le monde, le vaste monde, dont elle n 秦
448 LES EKFANTS, LA LUMlfiRE, L AVENIR.
salt rien, el qui dautant pluslui semble un effrayant
chaos.
Ou va-t-on la placer? dans une famille agricole?
Ce serait le meilleur ; mais ces rudes paysans qui
sexterminent, 】a traiteront comme eux, la tueront
de travail. Elle n'est gu6re priparSe h celte vie
terrible, chancelante qu'elle est encore de ce mo-
ment de transition. Autres dangers, plus grands,
si on la jette dans les centres industriels, s,il faut
qu'elle alTronte la corruption des villes, ce monde
sans pili6 ou loute femme est une proie. On res-
pecle si peu la fiUe sans parents 1 Le chef inline
de famille k qui on la confie abusera souvent de
son autorile. L'homme en fera un jeu, la femme
la battra, les fils de la maison courront sus, et la
\oilk prise. Ou bien elle trouvera une implacable
guerre, un enfer autour d'elle. Au dehors, autre
chasse des passants et de tous, et (le pis) des
amies qui altirent et consolent, qui caressent afin
de livrer.
Je ne connais sur la terre rien de plus digne de
piliS que ce pauvre oiseau sans nid et sans refuge,
celte jeune fleur innocente, ignorante de tout, in-
capable de se prot6ger, pauvre petite femme (car
elle I'est d^ja) au moment dangereux ou la nature
la doue d,un charme etd'un p6rU, — et qui, tout
justement alors, est jel6e aux "toements 1 La voili
LES INFANTS, Ik LUMl£RE. UAYENIR. 449
seule J au seuil de I'hfipital qu'elle n'a jamais
pass6, et qu'eUe franchit en tremblant, son petit
paquet k la main, d£ja grande et jolie, h61as !
d'autant plus expos6e, elle Ya... vers quelle des-
linfee? Dieu le salt.
Non, elle n'ira pas ; la bonne f<§e qui lui sert de
marraine troavera moyen de rempteher. Si notre
orphelinat a une vie demi-rurale, vit un peu de
I'aiguille, un peu de jardinage, la charge n'est pas
forle pour la maison de garder quelque peu une
jeune fiUe adroite et qui saittravailler. Elle se nour-
rira elle-mfime. Pendant ce temps, la dame I'a-
ch&vera, la cuUivera, lui donnera un complement
d'Mucation, qui la rendra tr6s-mariable, desirable
au bon travailleur, ouvrier, marchand ou fermier.
Combien il y a plus de sflret6 pour eux de pren-
dre lk, dans une telle maison et de ces mains res-
pect6es, une fille 61ev6e justement pour s'associer
i la vie de travail I N'ayant pas eti de foyer, de
famille, elle goAtera d'aulanl plus le chez soiy et
sera tout heureuse , m£me dans une condition
trte-pauvre, plus gaie cent fois et plus charmante
que la fille gAl&e, qui croit toujours faire gr&ce,
n'est jamais coritente de rien. Nos bons fermiers,
en ce moment, ont peine k trouver des bourgeoi-
ses, ou, s'ils en trouvent, elles ks ruinei t. Eilcs
visent plus haut, veulent 6pouser un habit noir.
450 USS ESm'TS, Li 應 li;RB, L'A^Rm
un employe (demain saiis place) . Elles n'oiU ni les
habitudes simples et fortes, ni I'intettigenGe que
demande cette noble vie d'agricnlture. L'oq)he-
line, instruite de toute chose utile, z616e pour son
mari, charm6e de gouverner une grande maisoo
rurale, ferait le bonheur de cet homme, et sa for-
tune da plus.
Si noire bonne dame n'^tait que bonne, elle
adopterait simplement : elle prendrait laifDable
fiUe chez elle, en ferait son bijou ; elle aarait, k
toute heure, comine ume f%te d innocence et de
gaiety, en poss&laBt une enfant qui F adore et qui
deviendrail dans ses mains une Sl^gante demoi-
selle. Elle se garde bien de 】e faire; elle aime
mieux se priver (Telle, et ne pas la faire passer a
une coadilion ou la mariage est plus difficile.
Qu'elle eiit mis un ebapeau^ un seul jow, tout se*
rait perdu. On la laisse en bonnet, ou mieux^ daas
ses jolis cheveux, on la laisse dctni paysanne ; ce
qui n'empSche rien^ ni lecture, ni musique ; noas
Ic voyons en Suisse, en Allemagrie. Mais cela, en
m&me temps, rend lavenir bieii plus fadle. Elle
monlera fort ais^ment, descendra s'U le &ut; elle
reste k mi-chemin de tout.
Gest un doa de VAge avanc^, dc la grande eifi^
LE6 ENFAMT6, LA LUlltRE, L'AYENUL 45f
rience et d'une vie pure, de voir ce quu a'est pas
encore. Or la sage et charmante femine ckmt ce
Uvre est la ,ie pressent fort nettement Favenir
prochain des societis d« l^rope. fie grands et
profonds renomellements ne manqueront pas de
s'y faire. Les femmes et les families seront bien
obligees de s'arranger de ces circonstanoes nou-
? elles. La teame simple (du IWre de I'Amaur)^ la
dame cultivte (du livre de la Fenme) suffiiont*
elles? Nullement. Cette derni^re sent elle-m6me
que l'6pouse de I'homme k venir doit 6tre plu»
complete et plus forte, harmonist, 6quilibr6e de
pensee et d'aclion ; et telle elle veut son orphelioe*
Son effort, sa sagesse, c'est de fiiire cette enfant
qu'elle aime diff^rente d'elle-mdme, et prftte pour
un monde meiUeur, pour une 8oci6t6 plus mile de
travail et d'^litt.
Quoi do&c ? serait-ce ua rtve ? Dans les r6alit6 &
vmntest a'avons-noiifi pas d^ji qiaelque ombre ,
quelque image imparfaite de cette beauts de I'a-
vaiir?
Aux Etats-Unis de rOuest, aux confins des sau-
vages, PAmiricaiiie, Spouse ou veuve, qui le jour
Irayaille et cultWe, le soir n'en lit pas moins, ne
fiommente pas moios la BiUe k ses enfaiits.
451 lES EKFAKTS, la LUMICRF, L'AYBNIR.
Moi-mtoie, entrant un jour en Suisse par une de
nos plus tristes fronti^res, par nos sapini6res du
Jura, je fus jimerveiUi de voir dans les prairies
les fiUcs d'horlogers, belles et sirieuses fiUes, fort
cultivtes et quasi demoiselles , en corset de ve-
lours , h"。vailler k la fenaison. Rien n'6lait plus
charmant. Dans I'aimable alliance de Fart et de
I'agricullure, la lerre semblait fleurir sous leurs
mains d^licates, et manifestement la fleur avail
orgueil d'fitre louch^e par un esprit.
Mais ce qui me frappa bien plus, ce qui me fit
croire un moment que j'assislais dejk au prochain
si&cle, ce fut une rencontre que je fis au lac de
Lucerne d'une riche famille de paysans d, Alsace.
EUe n'6(ait nuUement indigne de ce cadre sublime
ou j'eus le bonheur de la voir. Le p&re, la m6re,
la jolie demoiselle, portaient avec une noble sim-
plicity I'antique et si beau costume de leur pays.
Les paremts, vrais Alsaciens, de grand coDur et de
bon esprit , t^tes sages , carries ct fortes. Elle,
bien plus Frangaise, afflnee de Lorraine, comme
passte du fer k Pacier. Fori jeune, elle 6tait svelte,
vive et saisissant tout ; avec sa mince laille, ses
jeunes bras, ^tonnamment forte. Mais ses bras
6laient bnins. Son p6re dil : a C'est qu'elle veul
culliver elle-mfimc ; elle vit aux champs, y labouc*e,
et y lit... Ohl ses boeufs la connaissenl bien et
LCS E>FANTS, LA LUMltlRE, L'AVEKIR. iS3
raiment. Quand elle est fatigu6e, die saute des-
sus, s'y assoU, ils n'en tirent que mieux. Cela
n Bmp6che pas que le soir la petite ne me lise
Goethe ou Lamartine , oa ne me joue Weber et
Mozart . »
J aurais bien youIu que la dame, la patronne de
mes orphelines eAt vu ce charmant id^al r6alis6,
vivant. C,est vers un lype analogue ou semblable
que s'acheminera sans nul doute le monde k venir.
Former un tel tr6sor, r6aliser en elle le rfive de
la vie pure et forle, d'6galil6 feconde, de simplicity
haute, qui affranchira rhomme, et lui fera faire,
pour I'amou?, les oeuvres de la liberty, 一 c est la
grande chose religieuse. Tant que la femme n'esf
pas rassoci^e du travail et de Inaction, nous som-
mes serfs, nous ne pouvons rien.
Donnez cela au monde, madame. Que ce soil
,otre ch&re pens^e, la digne occupation de vos der
nitres ann^es. Mellez la vos graces de coeur, voire
maturity de sagesse, une grande et noble voloiil6.
Que vous plairez a Dieu, de faire (ant dc bieu k la
lerre! dans quelle sicurit^ vous pourrez revenir a
lui I
454 LES GNFANTS, U LUMIERE, L'AVEMR.
Je mc figure que oeile femme ainfe, par im beau
jour d'hiver, iin doux soleil, ayant eu fodque peu
de fi&vre, faible, mais mieux pourtant, vent descen-
dre, s'asseoir au jardin. Au bras de sa channante
fille d*adoption, elle va revoir dans leurs jeux les
chores petiles qu'elle n,a paw Tues de huit jours.
Les jeux cessent. Elle a autour d'elle celte aimable
couronne, les regarde, les voit un pen confusfimeiit,
mais les caresee encore, et baise oelles de qmtre on
cinq ans. Souffre-t-elle? NuUement. Mais elle dis-
tingue moins. Elle veut voir surtout la lumi&re, un
peu pMe, qui pourtant se reflele dans ses cheveux
d'argent. Elle y tend son regard, en vain, voit
moins encore • Je ne sais quelle lueur a rose ses
joues pAles, et elle a joint les mains ... Les petites
de dire lout bas : a Ah! comme elle a change
Ah ! qu'elle est belle etjeune ! d Et un jeune sourire
en effet a pass6 sur ses Ifevres, comme cTinlell"
gcnce avec un invisible Esprit.
C'esl que le sien, encourag6 de Dieu, a repris
©on vol libre, et remoat6 dans un rayon*
NOTES
Note 1. 一 Caracthre moral de ce livre, 一 11 pr^sente deui
lacunes qu'on a d^ja reprochees au liyre de VAmaur, II ne
traite point de Padult^ ni de la prostitution. J'ai era pou-
voir m'en remettre k la litt^ature du temps, in^puisable Ik-
dessus. i,ai donn^ la ligne droite, et laisse k d'autres le
plaisir d'^tudier les courbes. Dans leurs livres iis ont sura-
iMndaonnent parlS <te la divagation, jamais marqu^ la grande
T<He, simple, D^nde, de rinitiation que Famour, mieux in-
spire, continuerait jnsqu ,& la mort. II est arrive justement a
ces ingenieux romanders ce qui arriva jadis aux casuistes
(grands analyseurs aussi). Escobar et Busenbaiun, qui earent
(e Sliced de Balzac (chacun cinquante Editions) dans leurs re-
cherches subtiles, n*oublidrent rien de ce qui faisait le fond
flitoe deleinr sdenoe. lis ont perdu le manage de vue, et r^gle-
mente le liberlmage. 一 Le present livre ne s'^loigne pas moins-
des roinans s^rieux de nos illustres utopistes (Saint-Simon,
Fouhek , etc.). lis ont invocpi§ la nature, nais rent prise Ires-
bas, dans la mis^re de leur temps ; et ils se confien^ ensuitfr
a rattraction naturelle, a la pente vers cette nature abaissee.
Dans un dge d^admirable effort, de creation li^roique, ils ont
cru mfprimer f effort. Mais chei un ^tre que I'homma;
450
NOTES
energique, cr^ateur, artiste, Veffort at dans ta nature, et il
en est le meilleur. L'instinct moral du public sent cela , ei
voiU pourquoi ces grands penseurs ne peuvent faire 杏 cole. ―-
L,art, le travail et refforl dominent tout, et ce que nous ap-
pelons nature en nous, c,est le plus souvent noire creation pep-
sonnelle. Nous nous faisons jour par Jour. Je le sentais cetle
ann^ dans mes etudes anatomiques , sp^cialement sur le
cerveau. U est[mani(estement ropuvre, rincamalion de notre ao-
tiyitS (voy. £loge de Petit, Mit. Dubois). Dela la vive expres-
sion, et, fose le dire, reloquence da cerveau, chez les indi-
vidus sup6rieurs. Je n,ai pas craint de Fappeler la plus
triompliante fleur, la plus touchante beauts de la nature, at-
tendri.^sante chez renfant, parfois sublime dans riiomme. 一
Qu'on appelle cela r^alisme, il ne m,en soucie. II y a deux
r^iismes. L,un vulgarise, aplatit. L'autre, dans le r4el, at-
teint I'idee qui en est Fessence et la vdril6 la plus haute, done
aussi sa vraie noblesse. Si cette poesie du vrai, la seule pure,
fait g^mir la pruderie , cela ne me louche guere. Quand,
dans le livre de VAmourf nous avons bris^ la sotte barri^re
qui s^parait la litterature de la liberie des sciences, nous nous
sommes peu inform^ de Favis de ces pudibonds, plus chastes
que la Nature, plus purs apparemment que Dieu.
La femme veut une foi, laltendde nous pour Clever Tenfanl,
Nulle Mucation sans croyance. Le moment est verm. Gel 4ge
peut formuler sa foi. Rousseau n,a pu, rien n^etait mur. Le
juge du vrai esl la conscience, Mais il faut des conti 6les,
rhistoire , conscience du genre humain , et Vhi$ioire naiu-
relle, conscience inslinctive de la nature. Or aucune des
deux n'existait. On les a construites en uns\^cle (1760-1 SCO),
Quand les trois s,accordent, croyez.
Note 2. £ducaiion. Ateliers eljardins (TenfanU. 一 Le vrai
nom du moyen ige est Parole, Imitation. Le vrai nom du
temps pr^ent est Acte et crMion, Quelle est I'^calion
NOTES.
457
propre 2i un Age cr^ateur? Gelle qui habitue k cr^er. U ne
suffit pas de faire appel a ractivit^ spontan^e (Rousseau, Pes-
talozzi, Jacotot, Fourier, Coignet, Issaurat, etc.}, il faut raider
en lui trouvant son rail, ou elle doit glisser. Cest ce qu,a fait
le g^nie de Froebel. Lorsqu'en janvier dernier son aimablc
disciple, madame de Marenholz, m'expliqua sa doctrine, je
vis, au premier mot, que c'etail rMucation du temps et la
vraie. Rousseau fait un Robinson, un solitaire, Fourier veut
profiter de rinstinct de singerie , et fait Penfant imitaieur.
Jacotot d^veloppe rinstinct parleur et discuteur. Froebel finit
le bavardage, proscrit rimitation. Son Education n,est ni ex-
terieure, ni impos^e, mais lirde de renfant mSme; 一 ni arbi-
traire; renfant recommence Phistoire, raclivit6 cr 紐 trice du
genre humain. lire le charmant Manuel de madame de Ma-
renholz (chez Hachette), non pour le suivre servilement, mais
pour s'en inspirer.
Note 3. De la justice dam Vamour et des devoirs du mart,
一 Dans im si 各 cle qui semblefroid, Famour n,en a pas moins
rev616 mille aspects nouveaux de la passion. Jamais il ne jeta
des voix plus puissantes, de lels soupirs vers riniini. Elle vi-
vait encore hier, elle ecrivait ses vers biHlants, la muse de
Forage, du sanglot, de Finextinguible amour (madame Val-
more). G'est le grand trait de notre temps, ramour souffre,
pleure, pour une profession profonde, absolute, qu'avant nous
on ne desirait et ne comprenait mSme pas. 一 A cela a r6-
pondu la science par cette adorable revelation : c Tu veux
runive! Mais tu I'as. L'^change absolu de la vie, la transhu-
manation , est le fait du mariage. Voil^ Famour satisfait ?
Pas encore. Ge m^ange fatal du sang serait impie, s'il ne s'y
joint le libre melange du coeur. Pour que celui-ci existe, il
£aiut que, par F^ucation de toute la vie, les amants se cr^eiit
le fonds d'idte commun, la langue qui leur donnera desir de
451 HOTES.
conuDuniopier sans cesse. U faut que It langae nmette de Y!t*
motir, tt oommunioa, rq>fieiine son emuAkre sacr^, qui ex-
dot tout plaisir ^oiste, in^liqiie le concoars de deux yolon-
La casuifttique, qui n'eut ni conir m ime, n'a pdnt stifiul^
pour b femine. Mais aujonrd'hui c'esi llioimne mtoe, dans
tt jttslioe gMreiue, qui doit plaider pour elk, s'il le faut,
eoDtre lui. Elle 象 droit k trois choses :
!• NuUe grossesse sans son oonsentement ezpr^s. A eUe
jeule de savoir si elle peut accepter cette chance de mort.
Si elle est malade, — b^, mal confomte, son mari doit
r^pargner an temps surtout o& FoBuf vient aa-devant, pen-
dant les r^Ies et les dix jours qui floivent Le temps inter*
mMiaire est-il slMIe? II doit FMre, pnisque Foeuf manque.
Mais si la passion I'^voqnait et le faisait r^Mnraittrt? M. Coste
pense qu'il en est ainsi , au moins pour les trois jonrs qui
pr^c^dent les regies. C,est aussi ropinion da M6moire cou-
ronn^ par YAccMnie des sciences.
2* On doit k la femine ce respect d'amour de n'en pas faire
un instrument passif. Nul plaisir, sinon pertag^. Cn m^decin
catholique de Lyon, professeur antoris^, dsns im Hvre popu -
ladre de cette ann^, emet cette opinion grave, que le fik^u
qui decime tes feinmes tient surtout h ce que, m^me ma-
lito, la plupart sont veuves. SoUtaire dans le plaisir, r^-
goiste impatience de rhomme ne veut que pour soi-m£me
et ne Teat qn'un moment, n'^Ule I'tootion que poor la
iaisser avorter. Commencer ei toujottrs en Tain, c'est d^fierla
maiadie, iniler le corps, s^er r^me. La femme sutttt
cda, mais est triste, ironique, et son aigrenr altto son soig.
Sauf quelques paroles d'affaires pins de sod^t^; au fond,
plus de manage. II n'est rM que dans one culture r^guK^e
de ce dwoir de coeur, dans la oommonaatd des tootions m-
lutaires qui rmoavellent la vie. Qo'die aaanque, et les ^paex.
s'ekififHeiit, se d^shabituent rim de raotre. Plaignons I'en-
fant, car la famille se dmsout.— Esl-cea dire que Hiomaie sok
ROTES. 459
heureux du court plafsr f«rc6 qu'il prend sur la glace et le
marbre? U n'en emporte que regret. Mat^aliste en actes, il a
les exigences d'esprit d,uD temps tr^avancS, qni veul en toof
le fond du foods ; bref, il voadrsnt afler a I'toe.
5^ Ud m^dn , excellent mari, me disait : c Dans YOtre livre,
le meUlenr, c,est ce qui a feit rire, les soins quasi mater-
nels de I'amour, les sa»vitodes Tolontaires qui suppriment
la femme de chambre. Ge tiers ennuyeux, dangereax, est un
iiuir entre les ^poux qui rend leurs rapports fortuits. On est
chez sa feirnne en ^sites, comme chez une mnitresse entrete-
nue. L Vantage du mariage est d'avoir tout le temps ; done les
rares moments favorables oA une femme, comme elles sont
toutes un peu lentes, peut fttre amende k remotion reelle.
Le coeur, la gratitude , y font beaucoup. EHes s'Smeuvent
plus aisement poor cdui qui a sn prendre Pititendance des
petits mysteres et qui les soigne tendrement dans leurs fa"
blesses de nature. Voulw-vous comprendre la femme, rap-
pelez-Tous qu,en bistoire naturelle, la mue fait la iaiblesse, )a
defaillance des dtres. Terrible dans les esp^ces inf^rieures,
elle les livre sans defense a leurs ennemis. L,homine, chez qu
heureusement elle n'est pas violente, mue constamment de la
peau, mtoe de I'epidenne in 接 rieor. Dans sa mue intes -
tinale de chaque jour, il donne beaucoup de lui et se trouve
faible. La femme perd bien davantage, ayant de plus la mue
▼aginale de chaque mois. Elle a ce qu'onttous les kres a leurs
mues, le besoin de se cacher, mais aussi de s'appuyer. C'est
la N^lusine du eonte; la belle f&e, qui etait souvent par en
bas one jolie oonleuvre timide, se cachait pour muer. Heu-
reux qui qeut rassurer Melusine, lui donner confiance et se
faire sa nourrice ! Et qui le suppl^erait? C'est une profanation
d*exposer cette chere personne, crainiive ( en chose si inno«
cente), aux malices (Tune fiUe indiscrete qui er fera ris^. Un
tel ffltc^e dMntimit^ doit revenir it celui seal pour qui c'est
bonneur tl faveur. Gette faveur coAte d'abord, mais peu k peu
«Ue trouye cela tr^-doux, et ne peut s'en passer. Nature
460
NOTES.
aime habitude, et s'aide fort des liberies absolues de ren-
fance. Ce sont d'heureux instants, de grdce et de favorable
audience , d'allendrissement facile, oik le cher confident a
l ascendant d'un roagn^tisme nuUement dangereux. L hu-
militS charmante (od Yon sent si bien qu'on est reine) ii,a
DuUe defense et se rend tout k fait. Oubli profond, abandon
sans r&enre. L'amour, comme en un demi-r^ye, y rencontre
parfois la chance rare du bonheur au complet, la crise
saluUire (si profonde chex elles) ou la vie se donne loule, pour
se renouvder bient6t et se trcuver rajeunie, embellie, selon
le voeu de la nature, t
Me A. La femme dans la sociiU. 一 Quelle socia" de
Pass6 ou d'avenir? 一 Je n'ai pas parl6 de la premiere, ni fait
'histoire des salons. Je la fais assei dans mon Louis XIV, On
parte loujours du bien que les salons ont fait, mais point de
celui qu ils ont emp^che, des esprits qu'ils ont etouff^. Ma -
dame (Henriette) eut dix ans une heureuse influence. Madame
de Montespan par sa m^chancete, madame de Maiiitenon
par sa m6diocrit6 , n^galive , st^ri)is^rent pendant qua-
rante ans. 一 Pour la society d'avenir , nous ne pouvons
qu,entrevoir, deviner. J'ai voulu seulement, autroisiemelivre,
marquer le r61e que la veuve, la femme isol^, y aura, celui
d'imanciper par la bonte toules les dmes captives. M6me
dans une sod 叙 6 libre, il y aura loujours des caplifs, ceux de
la misere, ceux de I'fige, ceux des prejug^s, des passions. Une
emme ie grand coeur, dans la cit^ la plus parfaite, serait le
bon g^nie d'arbitraire maternel qui apparaitrait partout ou la
loi n'atteint pas, le complement de la Liberie, une Libert^
superieure, el llntervention de Dieu m^me.
PIN DES NOTES
TABLE
INTRODUCTION
I. Pourquai Von ne $e marie pas. Page 5. 一 Mit&re de la flUt
pauyre, ramour au rabais. 10. 一 Orgueil de la fiUe dot^e; U
forte personnalitS de la Fran^se augment^e par nos lois de
succession. 一 Son Education religieuse. 15.
II. Uouvriire. P. 21. ― Vie terrible de la paysanne. Bile se
fugie dans les villes. 一 La domesti(iue. 一 Gombien I'ouYrier
est moins miserable que I'oimi^re. — La machine k filer; la
machine k coudre. — Enqudte. La couseuie ne peut gagner
que dix sous. 一 L'homme prend les metiers de la femme, et
elle ne peut faire ceux de rhomme. 一 Elle ne peut qae mourir
ou descendre dans la rue.
fil. La femme leltrie, P. 35. 一 G6nes et mis^res de la femme
seule. 一 Les examens. 一 La gouvernante. 一 La femme de
lettres. 一 Le cercle de feu. 一 Les servitudes de ractrice. 一
L'humilitd. 一 La dame au camellia plus miserable que la fille
publique.
IV. La femme ne vit pas $an$ Vhomme, P. 53. 一 £tude anato-
mique dtt cerveau. Gombien ranatomie humaiise et moralise.
26
462
TABLE.
— Le eamaval remplit de femmes les h6pilaux et les cime»
tidres. 一 Destine et mort d'une femme. Elle eAt v&u, si ellf
ett eu un foyer. ― Comment le IWre de la Femme continue le
Uvre de VAmaur,
PREMIERE PARTIB
{. Lb soleil, Fair et la lumiire. P. 73. 一 Le cerveaa de renfant
est transfigure en un an par la lamUTe. 一 II lui faut beaucoup
de lumiire et un jardin. Les p^ts jardins adriens de Paris.
il. Vichange du premier regard et le commencement de la foi,
P. 80. 一 L'enfant ne vivrait pas sans ridoiairie de la m^re. 一
VExiase de Gorrdge. 一 VAltaitement de Solan.
in. Le jeu. Venfant enseigne la mtre, P. 87. 一 La r^y^lation de
Froebel. L'dducation n'est pas une gSne, mais une deliyraDce
du chaos tamultueux oi!^ I'en&nt se trouve d'abord. 一 U faut
lui mettre en main des formes dl^mentaires et reguli^res, comnie
celles des crislaux, qui lui permettent de b&tir, ― puis le fkire
jardinier.
IV. Comhien Venfant est fragile et sacri. P. 06. ― Mortality im-
mense des enfants. 一 U faut les ametier lentement & la fixiid
d'une Nie d'^udes. 一 Nes Etudes anatdiniques. Extreme beantd
du cerveau dc renfant. 一 A quatre ans, I'appareil nerteux es
oompJet pour la sensibility et le mouTement. ― Gette m(^iUt6
fatale de reniant doit 6tre minagte k tout prix.
V. Lamcfur h cinq ans. La poupie. P. 105. 一 La poup^ est :
!• line maiternitd ; ^ le premier amour; 3» le premier essfli din-
dSpendance. 一 Histoire de trois poup^es.
VI. La femme est une religion, P. 112. 一 L'^ducation de rhomme,
c,est (Torganiser une force, de cr6er an crdateur. Gelle de la
femme, de f aire une harmonie, d^harmoniser une religion.— Le
but de la femme iei-bas, c'est I^amour, la maternity, on cette
maternity qu,on appelle Mucation. Ge qui la rend tris-pure,
€,6st qu'en elle la maternity dominc el 6\hye I'aroour, — Puret^ -
pbysique et morale, d'MuMVtioii^ d,alin«nUtW&*
TABLE
4d5
VII. Vamour h dtx aitf. Us fleurs, P. 127. 一 La fleur v 柳 tale
etlafleur humaine s'hamonisent parce qu'elles sont contraires,
et se oompldtent. Point de bouquet, mais une fleur. Point de
fleor, mais une plante, dans son d^eloppement successif. 一 Le
cycle de Vann6e, Le hU et la vigne. Martyre de Grain-d'Orgre et
de Jean Raisin. 一 Comment nous devons {homme et plantes)
mouru puuT nourrir les autres.
VIII. Lb petit manage, Le petit jardin. P. 140. 一 La cuisine con
tinue la maturation naturelle du soleil. 一 G'est comme un
autre allaitement, rune des plus hautes fonctions de 1'— use
et de la m&re. 一 Echange et circulus de la vie entre la cuisine
et le jardin. 一 Que i'enfant apprenne rhumble et s&yhre con-
dition de la vie : Hoiirir constamment, vivre de la mort. 一
Qu'elle fraternise a fee toute vie animale, et saisisse un premier
rayon de I, Amour cr^ateur. 一 Elle a 6t6 heureuse jusquici
(treize ans), car elle a toqjoiirs cr^.
IX. Malemiti de quaiome am. La mitamofphou. P. 149.-*- Com-
ment S9 m&re l,a eonfess^ ohaque soir. 一 Son trouble (vers
quatorze ans),— On donne pour aliment ^sasenaibilitd I'amour
des petits enfants. 一 La rMlatioo du seie ne trouble pos telle
qui dejii est instruite des bis uniYer&jBlles de la nature.
^. Vhtstoke comme base de foi, P • 1 $8. 一 L'etude sp^cialement fe-
minine est celle de la Nature. Cependant rHktoire est n^eessaire
aux d«ux s«se8 comme Imse morale. 一 Gombien la femme a besoin
que sa foi 3oit soUdi oient fondle. EUe Urouve ce foxidement dans
Vaccard du gwre hi**min sur le devoir et sur Dieu. — Pour pre-
parer lajeune fiUe k c»*He etude morale, il faut des leeturestr6s-
pures, yirginales, et color^es de la lumi6re du matin. 一 Le g6nie
raatinal d'Hom&pe.— La Bible de la lumi^re, le peuple des purs.
%1. La Pallas, le raiionnemeni. P. 473. 一 Muft^ des sculptures,
一 Comment ia Grtee a substitu^ aux t&tonnements proph^tiques
de rOrient les methodes Uirectes et certaines du rauonnement
invent if. La Vierge d'Atbtoes enfanle le moii(j& des sciences. La
haute et pure sphere de Raison. Bonheur suitAiae de la puretS
XU. La chariti d^Andri del Sarte, P. 180, — Kous avons ijournd
I amour tant6t par homoBopathie, U^atdt par aUopatbie. — Le dan-
ger du coBur, au moment oi!^ il s'attendrit pour Dieu. Nouvel
M4 TABLl
ijournemeiit de I'unour : on lui montra les misi^ du monde,
一 Le haul symbole italien : hnreue hiroique de la ehariti.
XIII. BMUUum de ChMUme. P. 196.— Gombien le soin desen-
iuits ptuvres €L^e la jeune fiUe, lui donne le sens des r^alit^s
"rieutes, F^Ioigne du monde. Elle met toute sa foi dans son
ptoe . II lui ensagne la justice dans I'amour {k n'aimer que le
plus digne). II lui rtvile le martyre et la trag^die du sitele. II
ne lui permet pas de se prendre uniquement & la famille et de
renoncer an manage.
LIYRE DEUXifiNE
Lk FBMMB DA 雷 S L 璽 KABIAGB
I. Quelle femme aimera leplusf Celle de race difffrenlef?, 205.
一 Les races ^ergiques sortent d'^l^ments trhi-opposis (exem-
ple, le nigre et le blanc), oa idetUiques (exemple, les Grecs
antiques, nos marina de France , etc.). Bontd ardente de la
femme noire. H^roKsme de la t'emme rouge.
II. Quelle femme aimera le plus ? Celle de mtme racefl^, 219. 一
On a fort exag^r^ les fadUt^s et les aTantages des croisements.
Avantage et incony&iient d'^pouser une Frangaise. Pr^pitation
odieuse et immonde du manage actuel. Les mariages entre
parents fortifient les forts, aflaiblissent les faibles. Si la parente
n'est pas sp^ialement 61e,6e poor toi, ritrang^e, ^levde par
toi, s'associera dayaiitage.
III. Quel honune aimera mieuxf P. 233. 一 Que la m^re prenne
garde de rendre son futur gendre amoureuz d'eUe-m6me.
Qu'elle 616?6 son id^, et choisisse pour sa fille un homme de
foi etd'^nergie productive. La puissance incalculable de cr^tion
que montre ce siMetient k ce que la science lui a assurd sa mar-
che et lui a mis sous les pieds le solide terrain de la certitude*
lY. Vipreuve, P. S45. 一 La fianc^ doit commander, et soutenir
son amant dans I'attente, le garder par ramour, de concert
avec sa mktt. Danger de la mdtbode anglaise, qui compromet
ayeugUment la fille.
TABLE
405
T. Omment elle donne son ccBur, P. 254. 一 Les mtoes francaises
soot imprudentes par excte de prudence. Elles n'aiment que les
hommes pnu, U faut prendre Fhomme amoureoz. (Qa'est-oe
que ramour?) et lliomme h^rolque, s,U se peut
n. Tu quittera$ Umpire et to mhre. P. 265. — La jeune fiUe s'ar-
rache k la fainille. 一 Quel jour on doit la marier. 一 Manage-
ments infinis qu'on lui doit. 一 La noce n'est nuUement une
consommation, un fin; c'est le commencement d'une longue
initiation qui doit durer autant que la vie.
VII. La jeune Spouse, Sespensies wliUnres, P. 281. 一 II ne iaut
pas robsdder, mais la laisser se raffermir. Son diyouement.
Le bonheur d'ob^ir. L,attente du retour.
Yin. Elle veut s'a»tocier et dfyendre, P. 292. 一 La possession
augmente ramour. La femme veut 6tre possMte davantage,—
par ^'association auz afiaires et aux id^.
IX. De$ arts et de la lecture. P. 303. 一 Chaque art ouvre un nou-
▼elorgane d'amour.— La femme regoit dcs iddespardes sens qui
ne sont point ceux de lliomme. 一 Le mari, et non le p&re, pcut
faire son ^ucation. 一 Peinture, musique. Les Bibles de I'his-
toire et de la nuture. 一 On doit r^vdler & la femme les hautes
l^endes primitives qui restent au-dessus de tout.
X. La grande Ugende d^Afiique, la femme comme dieu de bonti
{fragment de VHUtoire de V Amour), P. 312. — Isis, Osiris, Ho-
Tus. — La mort des dieux. — Toute-puissance de la femme qui,
par la force de la douleur et du ddsir, rend la vie k I'ftme ai-
mte, ressuscite son dieu et le monde. 一 Le Jugement et la re-
naissance des bous.
XI. Comment la femme dipasse Vhomme. P. 325.— La femme,
dispens^e du metier et de la spScialit^, garde ^ I'homme un
trtsor de noblesse et de ngeunissement. Elle a des octaves
de plus dans le haat et dans le has, mais elle a moins les qua-
lity moyennes qui font la force. Elle ne crde pas Fart, mais
Fartiste. Elle comprend rarement les creations laborieuses de
Wwmme. ParfoU I'arailiS I'^loigne deTamour.— Comment eUt
pourrait releyer I'homme dans ses fuU^ues morales.
m
tiBU
III. Dm humUUM <U Cmour, Cmffssion. ?, ZSI9.-^Celvii(pHtiiin9
ne dokpaspermettreirobjeteiiB^ uneabn^tioii trop complete.
一 i'homine na do" preodresur la feinme nul ascendant <mmi con-
•emi, ni rasceadant magn^Uque, ni oelai de la cramte.<- Du coup
d'etat domestique. Y substituer le gouvernement de I'entente
cordiale et de la confianee. -一 La femme a besoin d'^pan-
ehement et de confession. S'aimer, s'est ae doiiner puissance
I'un ffur Vantre en se disant tout.
XIII. La communion de Vamour, Qffce$ de la mUure. r. 953. 一
Dieu est la haute n^essit^ de la nature. 一 La communion de
ramour vrai donne une yraie lueur de rAernel Amoor. 一 La
feinme est une religion, et, dans les Eclipses religieuses, nous
garde le sentiment de Dieu. 一 Vic religrieuse d'une famille
dans un dimanche d'biver.
XIV. Suite. Offices de la nature. P. 36 i. 一 Les deux pdles de la
religion (laioi, la caiise], sontrepr^sent^, soutenus parrhomme
et la Cemme. — Gomme agent de la Cause aUmaiUe 歲 eUe a ie
o6t6 le pIuB tendre du pontifical. EUe sait les heures saerto et
du jour et de I'ano^e, le rituel de U nature en cbaque pays,
les mis psaumes de la coolr^. 一 Ffites la 卿 aiswiice.
F^tes des fleurs la Moisson, de la Vand«ng«.
L1VR8 TROISlfiMB
LA WEUUU DARS LA M€liT<
I. La femme camme ange de patx d de cwUuaiion. f. 8Ti. 一
Gombien la Tue d'une femme rassure dans les pays sausages.
— L'ftge 6mandpe la femme et luipermetun minisi6re de bont^
etde sociability. Elle met dans les salons la vraie liberty, fait
valoir tout le monde, protege les timides.
II. Dernter amour. AmitU des fmmeB, P. 5S6. 一 La Teuve ne
Wit pas se remapier ; mais la nature, la fiuniUe peuvent I'y obli-
ger. 一 Le mari mourant doit pr^Toir pour elle, et, s,il se peut
lal^S^uer au proche parent (selon I'esprH). — AdoptioM. U fils
TABUS
467
tpirituel. ― EUe prot^gera la jeune femme, r^unira les dpoux
s6par^s.
HI. La femme protectrice des femmes, Carolina, P. 398. 一 En
mariant les femmes d^port^ ef fsiSant des fftmilles de ce qal
n'^tait qu'individus, Garolinti Hoitie n fonrfi^ soMemeni la gttmde
eolonie d'AustraHe.
IV. Consolation des ptisonnttres. P. 407. 一 Les crimes des femmes
sont rares, et, le plus souvent, involontaires. La Tie dSsolante
qu'elles m^nent les pousse au mal. La r^g^ndration des prison-
nitres ne s'opdrera que par I'air, le soleil, la vie demi-rurale, la
colonisation, le mariage. NuUe voix ofiicielle ne peut agir sur
elles. II faut la bontS, I'eip^rience et la penetration d'unedame
qui connaisse le monde. Elle doit demander pour les prison-
nik*es marines la consolation de voir leurs maris.
v. Puissance* nUdicales ae la femme, P 420. 一 Histoire de ma-
dame Lortet. 一 La femme est le mddecin naturel des pays il
n,y a pas de mddecin.— EUe ne peut le supplier en tout, mais
elle est son auxUiaire naturel. 一 Le vrai m^decin est unen deux
personnes, Iwmme-fenime. Elle continue par la confession et la
divination. 一 Elle trouve en ses propres douleurs un remade
homoeopathique. 一 Ses visiles aux malades (si solitaires) des
h6pitaux.
VI. Le$ simples, P. 435. 一 De rimmortalit^ de I'&me 一 La mort
du corps n'est que son passage & la vie v^g^lale. La mort est
line fleur. 一 Nos Tieux simples des Gaules. 一 La femme s'har-
monise h leurs puissances viviGantes, est leur interm^diaira
entre elles et rhomme.
Sit. Les enfants. La lumUre, Uavenir, P. 442.— Vif altrait qu'ont
les orphelins pour la femme restSe sans famille. 一 Orphelinat
demi-rural, dirig^ moralement par la dame ag6e, Elle garde et
marie I'orpheline, id^ de simplicity noble qui affranchirara-
fcnir, 一 L'ftme b^nie remonte k Dieu dans lalumi^e.
468
TABLI.
NOTES.
HoU t. Caractire moral de ce lim ,
Note S. £ductli(m. Atelien etjardins d'enCints
Note 3. La justice dans Vamoiir. Trois devoirs da man,
Nets 4. La femme dans la socidl^ • • • • ,
FIN DB LA. TABLB
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