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Full text of "La femme"

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3 




… 



《 



LA FEMME 



CALMANN LEVY, EDITEU& 



OUVRAGES 
1»璽 

J. MICHELET 

FORMAT IK-8* 

Lr Banquet • ••••••••• 1 vol 

GUERRES DB REUQION 1 一 

Louis XIV et la. Revocation de l'^dit db Nantes. 1 一 

Louis XIV bt lb duo db BouROoaNs. . • 1 一 

HiSTOIRE DU XIX* SISOLB. 一 OrIGINB DBS BONAPARTB. 1 一 

一 JusQu'AU 18 Brumairb. 1 一 

一 Jusqu'a Waterloo. . . 1 一 

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L' Amour, 14« Edition 1 一 

Lb Banqui^t 1 一 

BiBLB DB l'humanitb, 4。 6ditioii . . . . 1 一 

L'Etudiant. Cours au College de France (1847-1848) 1 一 

La. Femme, 14a Edition 1 一 

Les Fummes dr la Rrvolution, 6° Edition . . • • 1 一 

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Introduction a l'Histoire umyersellb, nouv. ^dit. 1 一 

Lbgendbs d&mocratiques du Nord, nouvelle Edition 1 一 

La Mer, ?• Edition 1 一 

Le Peuple, 5« Edition 1 一 

pRKCis DB l'Histoire moderns, nouvelle Edition , 1 一 

Le PrAtrk, la Fsmme et la Famille, nouv. 6dit. 1 '一 

Lbs Soldats db la Revolution, 3® 6dition 1 一 

La Sorciere , nouvelle Edition ;••••. J ― 



buu ocuM 一 mr. M laomt 



J. MIGHELET 



FEMME 

TiNaTiiHB Edition 




PARIS 

GALMANN LfiVY, fiDITEUR 
ANGIENNE MAISON MICHEL LfiVY FRARBS 

3, RUB AUBER, 3 



1894 

Droits de reproductioa at da traduction Therrta^ 



INTRODUCTION 



I 

POUBQOOl L'ON NB SB VARIb PAS 



11 n,est personne qui ne voie le fait capital du 
temps. Par ua^concours singulier de circonstanccs 
sociales, religieutes, iconomiques, Vhomme vU se- 
pari de la femme. 

Et cela deplus en plus. ne son t pas seulement 
dans des voies diffi6rentes et paraU&les, ils sembleni 
deux voyageurs partis de la m£me station, I'un a 
toute vapeur, Faulre k pelite vitesse, mais sur dhs 
rails divergenls. 

L'homine, quelque faible qu'il puisse Hire ii^o- 



6 2NTR0DUCTI0K. 

ralement, n*en est pas moins dans un chemin d'i- 
deesi d'inventions et de d^couvertes si rapide, que 
le rail bri!^lant en lance des 6tincelles. 

La fenime, fatalement laiss^e en arriere, reste au 
sillon (Tun pass6 qu'elle connalt peu elle-mfiine.ElIe 
est distanc6e, pour notre malheur, maisneveutou 
ne peut aller plus vite. 



Le pis, c'est qu'ils ne semblent pas presses de se 
. rapprocher, II semble qu*ils n'aient rien h se dire. 
Le foyer est froid, la table muette et le lit glace. 

On n'est pas tenu, diseiit-ils, de se met I re en 
frais pour les siens. Mais ils n'en font pas davan- 
lagedans une soci6t6 6trang6re ou la politesse com- 
mande. Tout le monde voit chaque soir comtne un 
salon sft s^pare en deux salons, un des hommes et 
un des femmes. Ce qu'on n,a pas assez vu, ce qu'on 
peut experimenter, c'esl que dans une petite reu- 
nion amicale d'urie douzaine de personnes, si la 
maitresse de maison exige par une douce violence 
que les deux cercles se fondent, que les hommes 
causent avec les femmes, le silence s'^tablit, il n,y 
a plus (le conversation. . 



POURQUOl Vm NE SE MARIE PAS 7 

Ii faut dire neltement la chose com me elle est. 
lis nont plus d*id^es communes, ni de langage 
commun, et m6me sur ce qui poiirrait intiresser 
les deux parties, on nei salt comment parler. lis se 
sont trop perdus de yue. Bient6t, si I'on n,y pre- 
nait garde, malgrS lea rencontres fortuites, ce ne 
serait plus deux sexes, mais deux peuples. 



Rien d'^tonnant si le livre qui combattaii ces 
tendances, un petit livre de coeur, sans pretention 
liUferaif'e,a 6le de toutes parts am^rement crilique. 

L'Amottrvenailnaivementsejeterdansledivorce, 
invoquait la bonne nature et disait : « Aimez en- 
core. » 

A ce mot, d'aigres cris s'felfevent, on avail touchy 
la Cbre malade. a Non, pous nc voulons pas aimer ! 
nous ne voulons pas fitre heureux!... U y a la- 
dessous quelque chose. Sous cette forme religieuse 
qui divinise !a femme, il a beau fortifier, ^manci- 
per son <^sprit ; il veut une idole esclave, ct la lier 
8ur I'autel. » 

Ainsi, au mot d,union, iclata le mal du temps, 
division, dissolution, les Ifisles goAU solitaires, les 



8 INTRODUCTION. 

besoias de la vie sauvage, qui couvent au fond de 
leur esprit. 

Des femmes lurent et pleurSrent. Leurs direc- 
teurs (religieux ou pliilosophes, nimportc) dicl6- 
rent leur langage. A peine os&rent-elles faiblcment 
defendre leur d6fenseur. Elles firent mieux, elles 
relurenl, dfevorSrent le coupable livre ; elles le gar- 
dent pour les heures libres et I'ont cach6 sous 
roreiller. 

Cela le console fort, ce livre si malmenS, et des 
injures de Fennemi, et des censures de rami. Ni 
les hommes du moyen dge, ni ceux de la femme 
libre, n'y trouvaienl leur compte. I! Amour Youlait 
relirer la femme au foyer. lis prfeftrenl pour elle le 
troltoir ou le couvent. 



« On livre pour le manage, pour la f amille I 
Scandalel Faites-nous plutdt, je vous prie, f rente 
romans pour raduUere. A force dlmagination, 
rendez-le un peu amusant. Vous serez bien mieux 
regu. » 

Pourquoi fortifier la famille? dit un journal re- 
ligieux. N'est-elle pas parfaite aiijourd'hui ? 11 y a 
bien eu autrefois ce quon avpelait I'adultire, mais 
^ela ne se voit plus. ― Pardon, r6pond un grand 



POURQUOI I/ON KB SE MARIE PAS. • 

journal politique dans un feuilleton spirituel qui a 
eitrSmement rfeussi, pardon, cela se voil encore, 
et mime on le voit par tout, mais cela fait si peu 
de bruit, on y met H peu de passion , quon n'en vit 
pas mains doucmen" cesl chose inhSrente au ma- 
riage fran^ais et presque une institution. Chaque 
nation a ses moeurs^ et nous ne sommes point An- 
glais. 

Doucement I oui, voila le mah Ni le mari ni I'a- 
mant n'en sont troubles ; elle non plus; elle vou- 
drait se d6sennuyer, voili tout. Mais dans cette vie 
tiede et pile, ou l,on met si peu de coeur, on Ion 
depensp- si peu d,art, ou pas un des trois ne daigne 
faire effort de mani^re ou d'autre, tous baissent, 
lous baillent , s'affadissent d'une naus^abonde 
douceur. 



Chacun est bicn averli, et personne n'a envie de 
ce mariage. Si nos lois de succession ne faisaient 
la femmeriche, on ne se marierait plus, du moins 
(tens les grandes villes. 

Jenlendais k la campagne un monsieur marii 
€t p4re de &mille, bicn pos6, qui efJoctrinait un 
jeune homme de son voisinage : a Si tous devez 
rester ici, disait-il, il faudra bien vous marier, mais 



10 



LMAODUGTION 



si vous vivez h Paris, cela n'en vaut pas la peine. 11 
est trop ais6 de Faire autrement. » 

On sail le mot qui marqua la fin du peuple le 
plusspiritueldela terre,du peuple d'Athenes : cc Ah ! 
si nous pou vions, sans femmes, avoir des enfants! » 
一 Ce fut bien pis dans rEmpire. Toutes les penali- 
I6s legales, ces lois Julia qui croyaient marier 
rhonime a coups de b&toi), ne parvinrenl plus a le 
rapprocher de la femme, et il sembla mfime que le 
desir physique, celte belle fatality qui aiguillonne Ic 
monde et centuple ses Energies, se fflt Steint ici- 
bas. Pour ne plus voir une femme, on fuyait jus- 
qu en Tliebaide. 



Les motifs qui, aujourd,hui, non-seuleraent font 
craindre le mariage, mais eloignent de la soci6t6des 
femmes, sont divers el coinpliqu6s. 

Le premier, incontestablement, c'est la misSre 
croissanle des fiUes pauvres qui les met k discre- 
tion, la facility de poss^der ces victimes de la faim. 
De Ik la sati6t6 et renervation, de la Pinaccoulu- 
mance d*un amour plus 61eve, Fennui mortel qu'on 
trouverail a soUiciler longuement ce que si facile- 
meat on peut avoir chaque soir. 

Celui m&me qui aurait d'autres besoins et des 



PODRQUOI L'ON NE SE MARIE PAS. 11 

goAts de fld^lite, qui voudrait aimer la meme, pr6- 
Rre infiniment une jpersonne d6petidantef douce, 
obSissahte, qui, tie se croyant aucun droit, pouvant 
6lre quitt^e demain, ne s'6carte d,un pas et veut 
plaire. 

La Forte et brillante personnalilS de nos demoi- 
selles qui, trop souvenl prend lessor le lendemain 
du manage, effraye le ceiibataire. Il n,y a pas h 
plaisaiiter, la FrariQaise est une personne. C'est la 
chance d'un bonheur immense, mais parfois d,uii 
malheur aussi. 

Nos excellentes lois civiles (qui sont celles de 
I'avenir, et vers qui gravite le monde) n'en ont pas 
moins ajout^ h celle difficult^ inh6rente du carac- 
Ifere national. La Francaise herite et le sait, elle a 
une dot et le sait. Ce n'est pas comme en certains 
pays voisins ou la fille, si elle est dotte, ne I'est 
qu'en argent (fluide qui file aux affaires du mari). 
Ici elle a des immeubles, et mdmequand ses frferes 
veulent lui en dormer la valeur, la jurisprudence 
sy oppose et la mainticnt riche en immeubles, ga- 
ranlis par le regime dotal ^ ou certaines stipulations. 
Celte fortune le plus souvent est \h qui subsiste 
Celleterrene s'envole pas,cette maison ne&Vcroule 
pas; elles restent pour lui donner voix au chapitre, 
lui maintenir une persounalit6 que n'ont guere 
rAnglaise ou rAUemande. 



If WTRODUCTIOR. 

CeUes-ci, pour ainsi parler, s'absorben t dans leur 
mari; elles s,y pcrdent corps et bien (si elles ont 
quelque bien). Aussi, dies sont, je crois, pluD d6- 
racin^es que les ndlres de leur famille natale, qui 
ne les reprendrait pas. La marine comple comme 
morte pour les siens, qui se rfejouissentd'avoir placS 
une fille dont ils n'auronl jamais la charge dfesor- 
mais. Quoi qu,il arrive, et, quelque part que la 
m^ne son mari, elle ira et restera. A de pareilles 
conditions on craifit moins le mariage. 



Une chose curieuse en France, contradictoire en 
apparence et qui ne I'est pas, c'est que le mariage 
est trds-faible, et tr is- fort F esprit de famille. II ar- 
rive (surlout en province, dans la bourgeoisie de 
campagne) que la femme, mafifie quelque temps, 
une fois qu'elle a des enfanls, fait de son dmedeux 
parts, rune aux enfanls, lautre aux parents, a ses 
premieres affections qui ser6veillent. 一 Que garde 
le mari? Rien. C'esf ici Fesprit de famille qui an- 
nule le mariage. 

On ne peut pas se figurer comme celte femme 
est ennuyeuse, se renfonQant dans un pass6 r6lro- 
grade, se remettant au niveau d'une m&re d,esprit 
suranni, tout imbu de vieilles choses. Le mari vit 



POURQUOI L'ON N£ SE MARIE PAS. 13 

doucemenlj mais baisse vile, dfecourage, lourd, 
propre k rien. II perd ce que, dans ses etudes, dans 
une jeune soci6t6, il avail gagn6 d*id6es pour aller 
un peu en avant. II est bienldt amorti par la dame 
propriStairCj par le pesant ^touffement du neux 
foyer de famille. 

Avec une dot de cent mille francs on enterre ainsi 
un homme qui peut- 6lre chaque annSe aurait gagn6 
cent mille francs. 

Le jeune homme se le dit, h Y&ge du long espoir 
et de la confiance. D'ailleurs qu'il ait plus, qu'il ait 
moins ; n'importe : il veut courir sa chance, savoir 
de quoi il est capable ; il envoie au diable la dot. 
Pour peu qu'il ait quelque chose qui balte sous la 
mamelle gauche, il n'ira pas, pour cent mille francs, 
se faire le mari de la reine. 



Voili ce que m'onl dit souvent les cfelibataires. 
lis m'ont encore dit ceci, un soir que j'en avais 
cliez moi cinq ou six, et de grand m6ri(e, et que je 
les tourmentais sur leur pretendu c61ibat. 

Un d'eux, savant distingue, me dit trte-s6riense- 
ment ces propres paroles : « Monsieur, ne croyei 
nullement, quelques distractions qu,on puisse Irou- 
vcr au dehors, quVrn ne soit pas malheureux de 



14 INTRODUCTION. 

n'a^oir pas de foyer, je veux dire, une femme k 
soi, qui vraiment vous appartienne* Nous le savons, 
nous le sentons. Nul autre rcpos pour le coeur. Et 
ne Pavoir pas, monsieur, sachez que c'est une vie 
sombre, cruelle et amere. » 

Amere. Sur ce mot-la, les autres insislferent et 
dirent comme lui. 

a Mais, dit-il en continuant, une chose nous 6n 
empgche. Tous les travailleurs sonl pauvres en 
France. On vit de ses appoinlements : on vil de sa 
clientele, etc. On vit juste. Moi, je gagne six mille 
francs , mais telle femme k la quelle je pourrais 
songer, dfepense autaiit pour sa toilette. Les meres 
les 61feventairisiw En supposant qu'oii me la donne, 
celte belle, que deviendrai-je le iendemaia, quand, 
sorlie d'une maison riche, elle va me trouver si 
pauvre? Si je l,aime (et j'en suis capable), imagi- 
iiez les mis6res,les 14chet6s dont je puis-6lre ten 16 
pour devenir un peu riche, et lui deplaire un peu 
moins. 

« Je me souviendrai toujours que me trouvant 
dans une petite ville du Midi, oil Yon envoie les 
職 lades a la mode, je vis passer sur one place ou 
les mulets se roulaientdans une 6paisse poussi6re, 
une surprenatite apparition. C'^lait une fort belle 
dame; courtisanesquement vStue (une dame pour- 
fant,nonune€Ue>, vingl-cinq ans, gonflee, ballon- 



pouRQuoi im m se mmie pas. 19 

nte, dans une fraiche et d^licieuse robe de soie bleu 
deciel,nuee de blanc (chef-d'oeuvre de Lyon) , qu'elle 
Irainait oulrageusement par les endroits les plus 
sales. La lerre ne la porlait pas. Sa t^te blonde et 
joUe, le nez au vent, son petit chapeau d'amazonc 
qui lui donnait l>air d,un petit page Equivoque, 
toute sa personne disait : « Je me moque de tout. » 
Je sentais que celte idole, monslrueusement amou- 
reuse tfelle-mfeine, avec toute sa fierte, n'apparle- 
nait pas moins d'avance a ceux qui la flalleraient, 
qu,oft s'en jouerait avec des mots et qu'elle n'en 
Mait pas m£me a savoir ce que c'est qu,im scrupule. 

me souYins de Salomon : Et tergens os suum 
dixit : tion sum operata malum. Celte vision m'est 
reside. Ce n'est pas une personne, ce n,est pas un 
accident; c,esl la mode, ce sont les moeursdu temps 
que j'ai vu passer; el j'en garderai toujours la ter- 
reurdu madage. » 



« Pour moi, dit un autre plus jeune, I'obstacle, 
Vempgchement dirimant, ce n*est pas la crinoline, 
monsieur, c'est la religion, d 

On rit; mais lui, s'animaiit : « Oui» la religion. 
Les femmes sont 61ev6es dans un do^me qui n'est 
point le n6tre. Les m^res qui veuient tant marier 



le INTRODUCTIOH. 

leurs filles, leur donnent i*6ducation prupre h crter 
le divorce. 

a Quel est le dogme de la France? Si elle ne le 
sail elle^mfime, PEurope le sail trfes-bien ; sa haine 
le lui dit k merveille. Pourmoi,c*est un ennemi, un 
stranger tr6s-r6trograde qui me l,a un jour formule : 
« Ce qui nous rend votre France haissable, disait-il, 
« c,est que, sous un mouvemenl apparent, elle ne 
« change pas. C,est comme un phare k feclipse, k 
(( feux tournants ; elle montre,elle cachelaflamme, 
« mais le foyer est le m&me. 一 Quel foyer? L'esprit 
a Yoltairien (bien antSrieur a Voltaire) ; 一 en second 
« lieu, 89, les grandes lois de la R6volution;— Iroi- 
« si^mement, les canons de votre pape scientifique, 
« I'Acad^mie des sciences. » 

a Je disputai. II insista, et je vols qu'il avait 
raison. Oui, quelles que soient les questions nou- 
velles, 89 est la foi de ceux m&me qui ajournent 89 
et le renvoient k I'avenir. C'est la foi de toute la 
France, c'est la raison pour laquelle rstranger 
nous condamne en masse et sans distinction de 
partis. 

« Eh bien, les fiUes de France sont 6lev6es jus- 
tcment k hair et dSdaigner ce que tout Frangais 
aime et croit. Par deux fois elles ont embrass6, la- 
ch6, tu6 la Pivolution : premi^reraent au seizi^mc 
si^cle, quand il s'agissait de laliberl^ de conscience ; 



POURQUOI L'ON NE SE HARIB PAS« 17 

puis k la fin du dix-huiti&me, pour les libertis 
politiqucs. Elles sont voufees au pass6, saii'«« trop 
savoir ce que c*est. Elles ecoutenl volonliers ceux 
qui disent avec Pascal : « Rien n'esl sur; done, 
a croyons Fabsurde. )) Les femmes sont riches 
en France, elles ont beaucouo d esprit, et tons les 
moyens d'apprendre. Mais elles ne veulent rien 
apprendre, ni se crfeer une foi. Qu'elles rencon- 
trent rhomme de foi serieuse, Phomme de coeur, 
qui croit et aime toutes les \6rit6s constal6es, 
elles disent en souriant : « Ce monsieur ne croit a 
« rien. » 



11 y eut un moment de silence. Cetle sortie, un 
peu violente, avait pourlant, je le vis, enlev6 l,as- 
sentiment de tous ceux qui 6taient la. Je leur dis : 
Si l,on admeltait ce que vous venez d*avancer, je 
crois qu,il faudrait dire aussi qu'il en a 6t6 de 
m£me bicn souvent dans d'autres Sges, et qu'on se 
mariait pourtant. Les femmes aimaient la toilette, 
le luie, 6taient r6trogrades. Mais les homines de 
ces temps-U sans doule 6taient plushasardeux. lis 
affrontaient ces p6rils, e$p6rant que leur ascen- 
dant, leur 6nergie, I'amour surtout, le maitre, le 
Tainqucur des vainqueurs, op6reraient en leur fa- 



" 随麵 CTtON. 

veur d,heureuses metamorphoses. Intrfepidefe Cur- 
lius, ils se lan$aient hardiment dans ce gouffre 
d'incerlitudes. Et fort heureusemenl pour nous. 
Car, messieurs, sans celte audace de nos p6res, 
nous ne naissions pas. 

Maintenant, pennellez-vous a un ami plus ag6 
de vous parler avec franchise?... Eh bien, j'ose- 
rai vous dire que si vous 6tiez vraiment seuls, si 
vous supportiez, sans consolations, celle vie que 
vous trouvez amCre, vous vous pressenez aen sor- 
tir. Vous dirie2 : L'amour est fort, el ii pent tout 
ce qu'il veut. Plus grande sera la gloire deconver- 
tir a la raison ces beaul6s absurdes etcharmanles. 
Avec une grande volontfe, dfetermin6e , perse v6- 
ranle, un milieu cboisi, ua entourage habilemenl 
calcule, on peut tout. Mais il faut aimer, aimer 
fortement et la mfime. Point de froiileur. La femme 
cullivSe el d6sir6e, infailliblcmenl appartient k 
i'homme. Si rhomme de ce temps- ci se plaint de 
n'allcr pas a i'^me, cest qu'il n,a pas ce qui la 
domple, la fofce fixe du d6sir. 



Maintenant, pour parler seulement du premiei" 
obstacle ailegu6, de I'orgueil effrenfi des femmes, 
de leur ftirie de toilette, etc.,^ ii me semble qua 



POORQUOl L'ON N6 SE MARIE PAS. 19 

ceci s,adresse surtout aux classes superieures, aux 
dames riches, ou k celles qui ont occasion de se 
m^ler au monde riche. (Test deux cent ou frois 
cent mille dames. Mais savez-vous combien dc 
femmes il y a en France? Dix-liuit millions, dix- 
huit cent mille a marier. 

】1 y aurait bien de Viiijustice a les accuser en 
masse des torts et des ridicules de la haute societe. 
Si elles rimilent de loin, ce n'est pas loujours li- 
brement. Les dames, par leur exemple, et souvent 
par leurs mSpris, leurs ris6es, a Telourdie, font en 
ce sens de grands malheurs. Elles imposent un 
luxe impossible k de pauvres creatures qui parfois 
ne I'aimeraient pas, mais qui par position, pour 
des interets serieux, sont forc6es d'etre brillantcs, 
et, pour rstre, se pr^cipitent dans les plus trisics 
hasards. 

Les femmes qui ont entre elles une destin^e a 
part, et tant de secrets communs, devraient bien 
s'aimer un peu et se soutenir, au lieu de se faire la 
guerre. Elles se nuisent dans mille choscs, indi- 
recieraent. La dame riche, dont le luxe change ia 
toilette des classes pauvres, fait grand tort a la 
jeune fille. EUe empeche son mariage; nul ouvrier 
ne se soucie d'6pouser une poupee si coQteuse a 
habiller. 一 Resl6e fille, elle est, je suppose, de- 
moiselle decomptoir, de magasin ; mais, la raSme, 



20 INTRODUCTION. 

la dame lui nuit encore. EUe aime mieux avoir 
affaire h un commis en habit noir, flatteur, plus 
femme que les femmes. Les mat Ires de magasin 
oni 6t6 ainsi conduits h substituer h grands frais le 
commis h la demoiselle, qui coAtait bien moins. 
一 Gelle-ci, que deviendra-t-elle? Si elle est jolie, 
h vingt ans, elle sera enlretenue, et passera de 
main en main. Fletrie bienl6t avant t rente, elle 
deviendra couseuse, et fera des confections a rai- 
son de dix sous par jour. Nul raoyen de vivre sans 
demander chaque soir son pain a la honte. Ainsi 
la femme au rabais, par unc terrible revanche, va 
rendai^t de plus en plus le c^libat 6conomique, le 
manage inutile. Et la fille de la dame ne pourra 
pas se marier. 

Voulei-vous, messieurs, qu'en deux motsje vous 
esquisse le sort de la femme en France? Personne 
ne l,a fait encore avec simplicity. Ce tableau, si je 
ne me trompe, doit toucher voire coeur, et vous 
ficlairer peul-felre, vous enip6cher de mfiler des 
classes fort difT^rentes dans un mfime analh&me. 



II 



i;OUTJllfiRB 



Quand les fabricants anglais, ^normement enn- 
chis paries machines rtcentes, vinrent se plaindre 
h M. put et dirent : « Nous n'en pouvons plus, 
nous ne gagnons pas assez ! » il dit un mot ef- 
froyable qui sur sa m^moire : « Prenez les 
enfanls. » 

Combien plus coupables encore ceux qui prirent 
les femmeSf ceux qui ouvrirent h la misfire de la fiUe 
des villes, k raveuglemenl de la paysanne, ]a res- 
source funeste d'un travail exterroinatcur et la pro- 
miscuite ^es manufactures ! Qui dit la femme, dit 
r enfant; chacune d'elles qu,on d6truil, une 
faaiille est d6truite, plusieurs enfants, et Fcspoir 
des generations k venir. 



3S INTRODIICTIOM. 

Barbarie de noire Occident ! la femme n'a plus 
6le compile pour I'amour, le bonheur de Thomme, 
encore 動 ins comme maternity et comme puis- 
sance de race , 

Mais comme ouvriire ! 

Vouvriere ! mot impie, sordide, qu aucune lan- 
gue n,eut jamais, qu'aucun temps n,aurait com- 
pris avant cet age de fer, et qui balanccrait k lui 
seul tons nos pr^tendus progrfes. 

Ici arrive la bande serr6e des economistes, des 
docteurs du produit net. « Mais, monsieur, les 
halites n6cessil6s economiques, sociales I L'indus- 
trie, g6n6e, s'arreterait... Au nom m&me des classes 
pauvres I etc., elc. ^ 

La haute nScessite, c,est d,6lre. El visiblement, 
l,on p6rit. La population n'augmente plus, et elle 
baisse en quality. La paysanne meurt de travail, 
Pouvrifere de faim. Quels enfanls faul-il en allendre? 
Des avorlons, de plus en plus. 

« Mais un peuple He p6ril pas ! » Plusieurs peu- 
ples, de ceux mkme qui iigurent encore sur la 
carle, n*existent plus. La haute ficosse a disparu. 
L'liiande n'est plus comme race. La riche, l,absor- 
bante Anglelerre, ce suceurprodigieux qui suce le 
globe, ne parvient pas a se refaire par la plus 
fenorme alimentation. La race y change, y faiblit, 
fait appel aux alcools, et elle faiblit encore plus. 



L'OUYKIfiRE. 15 

Ceux qui la virent en 1815 ne U reconnurent plus 
en 1830. Et combien moins depuis I 

Que peut I'Etat k cela? Bien moins la-bas, en 
Angleferre, ou la vie industrielle engloutit tout, ia 
lerre Tndme n'itant plus qu'une fabrique. Mais 
infmiment en France, ou nous comptons encore si 
pen d'ouvriers (relalivement). 

Que de choses ne se pouvaient pas^ qui se 議 t 
failes pourtantt On nepouvaitdholir la lolerie ; Louis- 
Philippe I'a abolie. On eut jur6 quit iiaii imposible 
de demolir Paris pour le refaire ; cela s'ex6cule ai- 
s^ment aujourd,hui par une petite ligne du Code. 
(Expropriation pour cause d'ulilil^ publique.) 



Je vois deux peuples dans nos villes . 

L,un, vfttu de drap, c'est rhomme ; 一 l,autre, 
de miserable indienne. — Et cela, m6me Fhiver! 

L,un, je parte du dernier ouvrier, du moins paye, 
du gAcheux, du serviteur des ouvriers ; il arrive 
pourtant, cet homme, k manger de la viande le 
matin (un cervelas sur le pain ou quelque autre 
chose). Le soir, il entre k la gargote et il mange 
un plat de viande et tnfime boil dc mauvais vin. 

La femme du m6me 6tage prend un sou de lait 
le matin, du pain h midi et du pain le soir, k peine 



24 



INTRODUCTION 



un SOU de fromage. 一 Vous niez ?… Cela est cer- 
tain : je le prouverai touti Fheure. Sajourn6e est 
de dix sous, et elte ne pent etre de onze^ pour une 
raison que je dirai. 

Pourquoi en est-il ainsi? L ,! lomme ne vent plus 
se marier, il ne veux plus prot6ger la femme. II 
vit glouionnement seul. 

Est-ce h dire qu'il mfene une vie abslinente ? II 
ne se prive de rien. Ivre le dimanche soir, il trou- 
vera, sans chercher, une ombre affam^e, et outra- 
gera cette morle. 

On rougil d'feire homme. 



« Je gagne trop peu, » dit-il. Qaatre ou cinq fois 
plus que la femme, dans les mfitiers les plus nom- 
breux. Lui quarante ou cinquante sous, et elle dix, 
CO in me on va le voir. 

La pauvrel6 de I'ouvriSr serait pour rouvriere 
richesse, abondance et luxe. 

Le premier se plainl bien plus. Et, d6s qu,il 
manque en effet, il manque de bien plus dechoses. 
On peut dire d,eux ce qu'on a dit de PAnglais et 
de rirlandais : (《 L'Irlandais a faim de pommes de 
ferre. L' Anglais a faim de viande, de sucre, det!i6, 
de bi6r8> de spiritueux, etc., etc. » 



L'OlTVRltlRE 



S5 



Dans le budget derouvriern(cessileux,jepassais 
deux choses qu'il se donne k tout prix, et aux- 
quelles elle ne songe pas : le tabac et la barrifere. 
Pour la plupart, ces deux articles absorbent plus 
qu'un menage. 

Les sa] aires de rhomme ont regu, je le sais, uiie 
rude secousse, princi palemen t par reflet de la crise 
ni6tallique qui change la valeurde Targenf. Us le- 
montent, mais lentement. U faut du temps pour 16- 
quilibre. Mais, en tenant compte de cela, la difT6- 
rence subsiste. La femme est encore plus frappee. 
C,est la viande,c,est levin, qui sont diminu6spour 
lui ; pour elle, c'est le pain m£me. Elle nc peut 
reculer, ni tomber davantage : un pas de plus, elle 
meurt. 



a C'est leur faute, dit rfeconomiste. Pourquoi 
ont-elles la fureur de quitter les campagnes, de 
venir mourir de faim dans les villes? Si ce n est 
rouvrifere m6ine, c'est sa mire qui est venue, qui, 
de paysanne, se fit domestique. Elle ne manque , 
pas, hors mariage, d'avoir un enfant, qui est Fou- 
vrifere. » 

Mon cher monsieur, savez-vous ce que c'est que 
la campagne de France? combien le travail y est 



26 INTRODUCTION. 

terrible, excessif el rigoureux? Point de femmes 
qui cultivent en Angleterre. EUes sont bien mise- 
rables, mais en fin vivent en chapeau, gardtes du 
vent et de la pluie. L'AlIemagne, avec scs forSts, ses 
prairies, etc. , avcc un travail irfes-lenl et la douceur 
nafionale, n'dcrase pas la femme, comme on fait de 
celle-ci . Le durus orator du poete n'a guere son 
id6al qu ici, Pourquoi? II est propri6taire. Propric- 
taire de peu, de rien, et proprietaire ob6r6. Par 
un travail fui ieux, aveugle, de tres-mauvaise agri- 
culture, il lutte avec le vautour. Celle terre va lui 
6chapper, Plutdt que cela n'arrive, il s,y enterrera, 
s,il le faul; mais d,abord surtout sa femme. C'est 
pour cela qu'il se marie, pour avoir un ouvrier. 
Aux Antilles, on achate un n^gre ; en France, on 
6pouse une ferame. 

On la prend defaibleappetit, de taille mesquine 
el petite, dans I'idee qu'clle. mangera moins (his- 
torique). 

Elle a grand coeur, cetle pauvre Frangaisc, fait 
aulant et plus qu,on nc veul. Elle s'altelle avec un 
Sne (dans Ics terres 16gferes) et rhomme pousse la 
charrue. En tout, elle a leplus dur. II taille la vigne 
a son aiso. Elle, la tdte en bas, gratte et pioehe. II 
a des repits, elle non. II a des ffttes et des amis. II 
va seul au cabaret. Elle va un moment a r^glise ct 
elle y tombe de sommeil. Le soir, s,il rcntre ivre, 



L'OUVRliRE. 97 

battue I et souvent, qui pis est, enceinte I La voila, 
pour une ann6e, trainant sa double souffrance, au 
chaud, au froid, glac^e du vent, recevant la pluie 
tout le jour. 



La pJupart meurent de phlhisie, surtoiit dans le 
Nord (voir ]ea statistiques) . NuUe constilulion ner^- 
siste a ceite vie. Pardonnons-lui a cette m6re, si 
elle a envie que sa fille souffre moins, si elle I'en- 
voie a la manufacture (du moins elle aura un foit 
sur la t6te), ou bien, dgmestique a la ville, ou elle 
parti cipera aux douceurs dela \ie bourgeoise. L'en- 
fant n,y est que Irop port6e. Toute femme a dans 
resprit des petits besoins d'el^gance, de finesse et 
d*aristocratiei 

Elle en est tout d'abord punic. Elle ne voit plus 
le soleil. La bourgeoise est souvent trfes-dure, sur- 
tout si la fille est jolie. Elle est immolee aux en- 
fants g&t6s, singes malins, cruels petits chats, qui 
font d'elle leur jouet. Sinon, grondfee, vex6e, 
malmen6e. Alors elle voudrait mourir. Le regret 
du pays lui vient ; mais eHe salt que son pfere 
ne Youdra jamais la reprendre, Etle pftlit, clle d6- 
p6rit. 

Le maitre seul est bon pour elle. II la cow- 



18 



INTRODUCTION 



solerait, s'il I'osait. U voit bien qu'en eel 6tat d6- 
sol6, oAla pelile n'a jamais un mot de douceur, elle 
est d'avance a celui qui lui montrcrait un peu d,a- 
miti6. L'occasion en \ient bientdt, madame 6(ant k 
la campagne. La resistance n'est pas grande. C'esl 
son maitre, ct il est fort. La voila enceinte. Grand 
orage. Le mari honteux baisse les 6paules. Elle 
est chass6e, el sans pain, sur le pave, en attendant 
qu'elle puisse accoucher a rhdpital. (Hisloire pres- 
que invariable, voyez les confessions recueillies par 
les medecins.) 

Quelle sera sa vie, grand Dieu ! que de combats ! 
que de peines, si elle a tant de bon coeur, de cou- 
rage, qu'elle veuille 61ever son enfant ! 



Voyons la condition de la femme ainsi charg6e, 
el encore dans des circonslances relativement fa- 
vorables. 

Une jeune veuve protestante, de moeurs tres* 
austeres, laborieuse,6conome, sobre, exemplaire en 
tout sens, encore agrfeable, malgr6 tout ce qu'elle 
a «ouffert, demeure derri6re I'lldtel-Dieu, dans 
une rue malsainc, plus bas que le quai. Elle a 
un enfant maladif, qui va loujours k I'dcole, re- 



L'OUTRl£lRI. » 

tombe toujours au lit, et qui ne peut avancer. Son 
loyer, de cent vingt francs, moins enchiri que bien 
d'aulres, estport6 a cent soixante. Eile disait k deux 
dames excellentes : « Quand je puis aller en jour- 
nte, on veut bien me donner vingt sous, mfime 
vingt-cinq ; inais cela ne me vient guftre^ que deux 
ou trois fois la semaine.Si vous n'aviei eu la bonl6 
de m'aider pour mon loyer en me donnant cinq 
francs par mois, il eAt fallu, pour nourrir mon 
enfant, que je fisse comme les autres, que je des- 
cendisse le soir dans la rue. x> 

La pauvre femme qui descend tremblante, h61as ! 
pour s'offrir, est a cent lieues de rhomme grossier 
a qui il lui faut s'adresser. Nos ouvrifires qui ont 
tant d'espr.t, de goAt, de dext6rit6, sont la plupart 
distingu6es physiquement, fines eld61icates. Quelle 
difference entre elles et les dames des plus hautei 
classes? Le pied? Non. La laille ? Non. La main 
scule fait la difference, parce que la pauvre ou- 
vrifere, forc6e de laver sou vent, passant l,hiver 
sous le (oil avec une simple chaufferetle, a ses 
mains, son unique instrument de travail et de vie, 
gonfltes douloureusement, crev^ d'engelures. A 
cela pr&Sj la m&me femme, pour peu quon I'ha- 
bilie, c'est madame la comtesse, autant qu'au- 
cune du grand faubourg. EUe n,a pas le jargon 
du monde. EUe est bien plus romanesque, plus 



so INTRODUCTION. 

vive. Qu'un feclair de bonheur luj passe, elle eclip* 
sera tout. 



On ne sait pas fissez combien les femmes sont une 
aristocratie. II n,y a pas de peuple chez elles. 

Quand je passai le d6troit, un doiix visage de 
femme, 6puis6, mais fin, joli, distingu^, suivait la 
voiture, me parlant, inutilement, car je n'enlendais 
pas r anglais. Ses beaux yeux bleus, suppliants, 
paraissaient souffranfs, profonds, sous un petil 
chapeau de paille. 

一 Monsieur, dis-je h mon voisin, qui entendait 
le frangais, pourriez-vous m'expKquer ce que me 
dit cette charmanle personne, qui a Fair d'une du- 
chesse, et qui, je ne sais pourquoi, s,obstine a 
suivre la voilure? 

一 Monsieur, me dit-il poliment, je suis porl6 k 
croire que c'est une ouvriere sans ouvrage, qui se 
fait mendiante, au raipris des lois. 



Deux 6v6nements immenses out change le sort 
de la femme en Europe dans ces derniferes crnnfies* 
£llc ii,a c|ue deux grands metiers, filer el coudr" 



L 窗 RftRfc. 31 

Les antres (broderie, fleurs, etc.) m^ritent h peine 
d'etre comptte. La femme est une fileusej la femrae 
est une couseuse. C'esl son travail, en lous les 
temps, c'est son histoire universelle. 

Eh bien, il n'en est plus ainsi. Cela vient d*6tre 
change. 

La machine a Un a d'abord supprim6 la fileuse. 
Cenest pas un gain seulement, c'est tout un monde 
d'habiludes qUi a 616 perdu. La paysanne filaii, en 
surveitlant ses enfants, son foyer, etc. Elle filail 
aux veill6es. Elle fildit en marchaat, menant sa 
tache ou ses moutons. 

La couseuse 6lait I'ouvriftre des villes. Elle Ira- 
vaillait chez elle, ou conlindment tout le jour, ou 
en coupant ce travail des soins du menage. Pour 
tout labeur important, cela n'exislera plus. D'abord , 
les cou vents, les prisons, faisaient terrible concur- 
rence k I'ouvrifere isolee. Mais toici la machine a 
coudre qui I'an^ntit. 

Le progr^s de deux machines, le bon marchg, 
la perfection de leur travail, feront , malgrfi toute 
barriftre, arriver parlout leurs produits. II n,y a 
rien a dire centre les machines, rien k faire. Ces 
grandes inventions sont, a la fin, au total 、 des 
bienfaits pour I'espto humaine. Mais leurs effets 
sont cruels aux moments de transition. 

Combien de femmes en Europe (el ailleurs) se- 



53 INTRODUCTION. 

ront frappSes par ces deux terriblesr ftes, par la 
fileuse d,airain et la couseuse de fer? Des millions? 
Mais jamais on ne pourraii le calculer. 



L'ouvriire de l*aiguille s'est trouvte, en Angle- 
terre si subitement affam6e, que nombre de socie- 
tes d'emigration s'occupent de favoriser son pas- 
sage en Australie. L'avance est de sept cent vingt 
francs, mais la personne 6migr6e peut dis la 
premiere annSe en rendre moiti6 (Blosseville).Dans 
ce pays ou les m&les son! infinimeni plus nom- 
breux, elle se marie sans peine, fortifian^ de fa- 
milies nouvelles cette puissante colonic, plus so- 
lide que rempire indien. 

Les ndtres que deviennent-elles? Elles se ront 
pas grand bruit. On ne les verra pas, com me You- 
vrier, coalis6 et robuste, le maQon, le charpentier, 
faireune greve mcna^ante et dieter des conditions. 
Elles meurent de faim, et voil^ tout. La grande 
nfiorlalil6 de 1854 est surtout torab^e sur elles. 

Depuis ce temps cependanl, leur sort s'est bien 
aggrav^. Les bottines de femmes ont e(6 cousues a 
la mfecanique. Les fleuristes sont moins payees, etc. 

Pour m 'eclairer sur ce triste sujet, j'en parlaisa 
plusieurs personnes, sp^cialementJi mon v6n6rable 



i/oim 龜 B. 15 

ami ei confrftre, M. le docteur ViUermS, a H. Guerry, 
dont les beaux travaux sont si estim^s, enfin h 
un jeune statisticien dont j'avais fort admir^ la 
m6thode rigoureuse^ H. le docteur Bertillon. Ileut 
lobligeance exlrdme de faire, k cette occasion, un 
travail serieux, oil il rSunil aux donnies que le 
monde ouvrier peut fournir celles que des per- 
soDnesde ^administration lui communiqu^renl. Je 
voudrais qu'il le completdt et le publidt. \ 

Je n'en donnerai qu,une ligne : a Dans le grand 
metier giniral qui occupe toutes lesfemmes (moins 
un petit nombre), le travail de l,aiguille, elles ne 
pcuvent gagner que dix sous. » 

Pourquoi ? a Parce que la machine, qui est en- 
core assez ch^rc, fait le travail a dix sous. Si la 
temme en demandait onze, on lui pr6f6reraK la 
machine. » ' 

Et comment y suppl6e-t-elle ? a Eile descend le 
soir dans la rue. » - - 

. Voila pourquoi le nombre des lilies publiques, 
cnregistrfees, numerotSes, n'augmente pas k Paris, 
et, je cro.'5, diminue un peu. , 



L'homme ne se conlente pas d'inventer les ma* 
rhines qui suppriment les ieuji grands metiers de 



54 醒觸 C 誦. 

la femme, il s'empare directement de$ industries 
secondaires dont elle vivait, descend aUx metiers 
du faible. La femme peut-elle, a volontS, monter 
aux m6Hers qui exigent de la force, prendre ceux 
des homines? Nullement. 

Les dames nonchalantes et oisives, enfoncSes 
dans leur divan, peuvent dire taut qu'elles vou- 
dront : ti La femme n'est point une malade. » — 
Ge qui n'est rien quand on peut, deux jours, trois 
jours, se dorloter, est souvent accafolant pour c6lle 
qui n'a point de repos. Elle devient tout k fait 
malade. 

En realili, la femme ne peut travailler long- 
temps ni debout, ni assise. Si elle est loujours 
assise, le sang lui remonte, la poitrine est irritfee, 
restoinac embarrass6, la t&le injectte. Si on la tient 
longtemps debout, comme la repasseuse, comme 
celle qui compose en imprimerie, elle a d'autres 
accidents sanguins. Elle peut travailler beaucoup, 
mais en variant I'attitude, comme ell^ fait dans 
son manage, allant et venant. 

II faut qu'elle ait un manage, il faut qu'elie soil 
marine. 




f 



III 



Ik f E 重靈 E LBTTRCE 



La demoi^elte Men Sketitj oorame on Jit, qui 
peut enseigner, devenir gouvernaiile dans une fa- 
miUe, professeut de certains arts, se tire-l-elle 
mieui d'affaire? Je Toudrais pouvoir dire : Oui. Ces 
situations plus donees n'entrainent pas moins pour 
elle une infinite de ehanc^ scabreuses, au total 
une vie trouble, une destin^e avortte, parfois fra- 
gique. ToulBst difGcult^ pouir la femme seule, tout 
impasse ou precipice. 

Hy a iqiitme am, je re^s h visile d,une jeane et 
aimaUe demoiselle que ses parents envoyaicDt de 
la province ii Paris. On Fadressait k un ami de la 
famille qui pouvftit I'aidtr a gagner sa vie «n im 



36 INTRODUCTION, 

procuranl des leQons. J'exprimai PStonnement que 
me donnait leur imprudence. Alors, elle me dit 
tout. On reiivoyail dans ce peril pour en 6viler un 
autre. Elle avail dans son pays un amant plein de 
merile, et qui voulait I'^pouser ; c'^tait le plus 
honnfile homme, c'6tait un homme de talent. Mais, 
h61asl il 6tait pauvre " Mes parents raiment, 
restiraent, dit-elle, mais craignent que nous ne 
mourions de faim. » 

Je lui dis sans hSsiter : « II vaut mieux mourir 
de faim que de courir le cachet sur le pav6 de Paris. 
Je vous engage, mademoiselle, k retourner, non 
pas demain, mais aujourd,hui, chez vos parents. 
Chaque lieure que vous reslez ici vous fera perdre 
cent pour cent. Seule, inexp6rimenl6e, que de- 
viendrez-vous? » 

Elle suivit mon conseil. Ses parents consentirent. 
Elle 6pousa. Sa vie fut tres-difficile, pleine des 
plus dures 6preuves, exemplaire et honorable. Par- 
tagee p6niblement entre le soin de ses ent'ants et 
I'aide Irfes-intelligente qu'elle donnait aux Iravaux 
de son mari, je la vois encore I hiver courant aux 
])iblioth6ques ou elle faisaitdes reclierches pour lui. 
Avec loutes ces misferes, et la douleur qu'on avail 
de ne pouvoir secourir leur fl6re pauvre*^, jamais 
je n'ai regrett6 le conseil que je lui donnai. Elle 
jouit beaucoup par le coeur, ne souffrit que de la 



U FEMME LETTR££. SI 

fortune. II n,y eat jamais meilleur manage. Elle 
arriva h la mort aimee, pure et honor6e. , 



La pire destinSe pour la femme, c'est de vivre 
seule. 

Seule! le mot mftme est triste a dire... Et com- 
ment se fait-il sur la terre qu,il y ait une femme 
seule ! . !, 

Eh quoi ! il n'est done plus d'hommes? Sommes- 
nous aux derniers jours du monde? la fin, I'appro- 
che du Jugement dernier nous rend-elle si 6goistes, 
qu'on se ^esserre dans Peffroi de I'avenir et dans 
la hontb d<is plaisirs solitaires ? 

On reconnait la femme seule au premier coup 
d'oeil. Prenez-la dans son voisinage, partout oil elle 
est regardfie, elle a Fattitude degag^e, libre, 616- 
gamment Ifegfere, qui est propre aux femmes de 
France. Mais dans un quartier ou elle se croit 
iDoins *observ6e, elle se laisse aller ; quelle tris- 
lesssei quel abaltement visible I J,en rencontrai 
FhWer dernier, jeunes encore, mais en decadence, 
tombtes du chapeau au bonnet, un pev maigries, 
un peu pdlies (d,ennui, d'aniiSte? de faible et dc 
mauvaise nourriture?). Pour les refaire belles et 



M WTRODUCTIOH. 

charmMtes, il edt suffi de peu de chose : quelque 
espoir, trois mois de bonheur. 

Que de g6nes pour une femme seule I EUe ne 
peut gufire sortir le soir ; on la prendrait pour une 
fille. II est mille endroits ou l,on ne voit que des 
hommes, et si une affaire I'y m6ne, on s,6tonne, on 
ril sottement. Par exemple, qu'elle se crouve altar- 
die au bout de Paris, qu'elle ait faira, elle n'osera 
pas entrer chez un restaurateur. Elle y ferait 6ve- 
nement, elle y serait un speclacl6. Elle aurait con- 
stamment tons les yeux fixes sur elle, enleiidrait 
des conjectures hasard^es, d^sobligeantes. II faut 
qu'elle relourne a une lieue, qu,arriv6e tard, elle 
allume du feu, prepare son petit repas. Elle 6vite de 
faire du bruit, car un voisin curieux (un 6iourdi 
d etudiant, unjeune employ6, que sais-je?) meltrait 
I'oeil a la serrure, ou indiscr^tement, pour enlrer, 
offrirait quelque service. Les communaul^s gfi- 
nantes, disons mieux, les servitudes de nos grandes 
Yilaines casernes, qu,on appelle des maisons, laren- 
dent miintive en mille choses, h^sitante a chaque 
pas. Tout est embarras pour die, et tout liberty 
pour rtiomme. Combien, par exemple, elle s'eli- 
ferme, si le dimanche, ses jeunes et bniyants voi- 
sins font entre eux, comme il arrive, oe qu,on 
appelle un repas de garQon t 



LA fmW LBTTR£fi 



90 



Examinons celte maisoii. 

Elle demeure au quatrieme, et elle fait si peu de 
bruit que le locataire du troisifeme avail cru quel- 
que temps n avoir personne au- dessus delui. II n'est 
guSre moins malheureux qu'elle. G'est un monsieur 
que sa sant6 delicate, et un peu d aisance, out dis- 
pense de rien faire. Sans fitre vieux, il a d6ji les 
habitudes prudentes d'un homme toujours occupe 
de se conserver lui-mftrpe. Un piano qui reveille 
un peu plus t6t qu*il ne voudrait a r6v616 la soli- 
taire. Puis, une fois, il a entrevu sur Tescalier une 
aimable figure de femme un peu pAle, de svelte 
6I6gance, et il est devenu curieux. Rien de plus 
aise. Les concierges ne son! pas muels, et sa vie est 
si transparente I Moins les moments ou elle donne 
ses lemons, elle est toujours chez elle, toujours a 
etudier. Elle prepare des examens, aimant mieux 
filregouvernante, avoir Fabri d'une famille. Enfin, 
on en dit tant de bien que le monsieur devient rfi- 
ireur. « At! si je n'etais pas pauvre ! dit-il. II esi 
bien agrSable d'avoir la society d'une jolie femme 
a vous, qui comprend tout, vous dispense de trai- 
ner vos soirees au spectacle ou au caf6. Mais quand 
on n'a, comme moi, que dix mille livres de rente, 
on ne pent pas se marier. « 

11 calcule alors, suppule son budget, mais en 
faisant le double comple qu'ils font en pareil cas. 



10 INTRODUCTION. 

T^unissant les d^penses probables derhomme ma- 
ris et belles du c^libataire qui continuerait le caf§, 
le spectacle, etc. C'est ainsi qu'un de mes amis, un 
des plus spirituels journalistes de Paris, irouvait 
que pour vivre deux, sans domestique, dans une 
maisonnette de banlieue, il faul trente mille livres 
de rente. 

Cette lamentable vie, d'honorabk solitude et 
d'ennui descsp^ri, c'est celle que m£nent les om- 
bres errantes qu'on appelle en Angleterre les mem- 
bres de clubs. Cela commence aussi en France. Fort 
bien nourris, fort bien chaufT6s, dans ces Stablis^ 
scments splendides, trouvant la tous bs journaux 
el de riches bibliolh6ques, vivanl ensemble comme 
des morts bien elev6s et polis, ils progressent dans 
le spleen et se pr6parent au suicide. Tout est si 
bien organist que la parole est inutile ; il n'est 
m£mc besoin de signes. A tels jours de l,ann6e, le 
tailieur se prSsente ct prend mesure, sans qu'on 
ait besoin de parler. Point de femme. Et encore 
moins irait-on chez une fille. Mais, une fois par se- 
maine, une demoiselle apportera des ganls, ou iel 
objel pay6 d'avance, et sorlira sans bruit au bout 
de cinq minutes. 



UL FEVME LETTREE. 41 

J'ai parfois, en omnibus, rencontrS une jeune 
fille modes tement mise, mais en chapeau toulefois, 
qui avait les yeux sur un livre et ne s,en detachait 
pas. Si pres assis, sans regarder, je voyais. Le plus 
souvent, le livre 6tait quelque grammaire ou un de 
ces manuels pour preparer les exameBs. Pelits 
livres, Spais et compactes, ou toute science est con- 
centrte sous forme s6che, indigeste, comme k 1'6- 
tat de caillou. Elle se metfait pouriant tout cela 
sur Festomac, la jeune victime. Visiblemenl, elle 
s'acharnait k absorber le plus possible. Etie y em- 
ployait les jours et les imits, m&me les moments 
de repos que romnibus lui offrait entre ses courses 
et ses leQons donn^es aux deux bouls de Paris. 
Cette pensee inexorable la suivait. Elle n'avait 
garde de lever les yeux, la terreur de I'examen 
pesait trop. On ne sail pas combien elles sont 
peureuses. J,en ai vu qui, plusieurs semaincs d'a- 
yance, ne se cou^haient plus, ne respiraient plus, 
ne faisaient plus que pleurer. 

II faut avoir compassion. 

Notez que, dans "lat acluel de nos moeurs, je 
suis tres-grand partisan de ces exaroens qui faci- 
lilcnt une existence un peu plus libre, au total, 
honorable. Je ne demande pas qu'on les simpli- 
fie, qu'on resserre le champ des etudes qui sont 
demand^es. J*y ^oudrais pouriant une. autre 

3 



圹! INTRODUCI 亂 

tljo^e; en bistoire par exemple, m petit nombre 
de grands faiU capUaux, mats cir constancies, 
taillSs et non dee tables de matiferes. Je soumets 
cette reflexicm a mes savants collogues el amis, qui 
sont juges de ces exama[is. 

Je voudrais encore qu'on memge&t davantage la 
timidity, que les examens fussmt publics, mais: 
pour les dames seulement, qn'oA n'admit d,hom- 
mes tout au plus que les parents des demoiselles. 
U est dur de leur faire subir cette 6preuve devant 
un public curieux (comnie oela arrive dans cer- 
taines villes). II faudrait aussi laisser a chacune le 
ohoix du jour de rexamen. Pour plu»ears, le- 
preuve est terrible, et, sans cette precaution, peut 
les mettre en danger do mort. 



Eugene Sue, dans un roman faible d'ex6cution, 
mais d'observalion excellente (la G 續 mumte), 
donne le tableau trfes-vrai de la vie d'une demoi- 
selle transportee tout a coup dans une maison 
6lrang6re dont elle doit elever les enfants. Egale 
ou sup6rieure par r^ducation, modeste de position, 
le plus souvent de caraclere, elle n'int6resse que 
trop. Le p6re en est fort touch6, le fils se declare 
amoureux ; les domestiques sont jaloux des egarda 



LA FEMVE LETTR^E. 45 

dont eU6 est I'objet, la calomnient, etc. Mais que 
de choses h ajouter? Combien, chez Sue, est in- 
complete la Iriste iiiade de ce qu'elle a k souffrir, 
mtme k craindre de dangers? On pourrait citer 
des fails ^tonnants, meroyables: Ici c'est la pas- 
sion du p6re portfee jusqu'au crime, entreprenani 
d'effrayer une gouTernairtc vertueuse, Ini coupant 
son linge, ses robes^ m^ine brt!^lant tin jour ses ri- 
deanx! La, c'est une mfere corrompue qui, voulant 
gagner du temps et marier son fils le plus tard 
possible, trouve trfes-bon qu'en attendant il trmipe 
une pauvre demoiselle sam consequence^ qoi n,a ni 
parents, ni protecteur. Elle flaUe, caresse la fiile 
crfedule, et, sans qu'il y paraisse, arrange d€s oc- 
casions, des hasards calculus. Au contraire, j,ai vu 
ailleurs la maitresse de maison^ si violente et si ! 
jaiouse, rendani la vie si ainire a la triste creature, 
que, par rexcfes des souffranees, elle prenait jus- 
tcment son abri sous la protection du mari. 

La tentalion est naturelle pour une jeune flme, 
(i&re et pure, courageuse centre le sort, de sortir 
de la dfepcndance individuelle, et de s'adresser h 
tous, de prendre un seul protecteur, le public, et 
de croire qudle pourra vi\re du fruit de sa penste. 



" INTRODUCTION. 

Que les femmes pourraient ici nous faire de rtv6- 
lations 1 line seule a cont6 cette histoire dans ua 
roman Irfes-fort, dont ie d^faul est d'etre court, de 
sorte que les situations n'arrivent pas a tout leur 
efi'et. Ce livre, me Fausse position, a paru il y a 
quinze ans et disparu aussitdt. G,est ritin6raire 
exact, le livre de route d'une pauvre femme de 
leltres, le relev6 des peages, octrois, taxes de bar- 
rifires, droits d'entr6e, etc. , qu'on exige d,elle pour 
lui permettre quelques pas ; Faigreur, I'irritation 
qve sa resistance lui cree tout autour, de sorte que 
tous renvironnent d,obstacles, que dis-je? d'ob- 
stacles meurtriers. 

Avez-vous vu en Provence des enfants ameut6s 
conlre un insecte qu'ils croient dangereux? lis dis- 
posent autour de lui des pailles ou des brins sees, 
puis ailument... De quelque c6t6 que la pauvre 
creature s'61ance, die trouve la flamrae, se briile 
cruellement, retombe ; et cela plusieurs fois ; elle 
essaye toujours (Tun courage obstine, toujours ea 
vain. Elle ne peut passer le cercle de feu - 



C,est la mfime chose au th64tre. La fcmine finer 寒 
gique et belle, qui se sent de la force au coeur, se 
dit : a Par la litteralure, il me faut subir les inter* 



LA FEMME LETTR^B 45 

mMiaires qui disposent de ropinion. Sur la scdne, 
je suis en person ne par-devant mon juge, le pu- 
blic, je plaide moi-mfeme pour moi. Je n,ai pas 
besoin qu,on dise : « Elle a du talent ! » ― Mais je 
dis : (( Voyez I » 

Quelle erreur I la foule dteide bien moins par 
ce qu'elle Toit que par ce qu'on lui dit 6tre le juge- 
mefit do 】a foule. On est touch6 de cette act rice, 
mais chacun h6site a le dire. Chacun atiendra, 
craindra le ridicule d'un enlrainement passionn^. 
II faudra que les censeurs autoris6s, les moqueura 
de profession, aient donne le signal de Fadmira- 
tion. Alors le public eclate, ose admirer, d^passe 
mfeme tout ce que lui aurait dicte son Amotion 
personnelle. 

Mais, seulement pour arriver k ce jour du juge- 
ment ou elle aura tout a craiiidre, que de fikheux 
prea]ables ! que d'hommes int6ress§s, suspects, in- 
d6iicats, disposent souverainement de son sort! 

Par quelles fili^res, quelles 6preuves, ont r6ussi 
les debuts? comment s'est-elle concilia ceux qui la 
pr^sentent et la recommandent? puis, le directeur 
auquel elle est prfesenl6e? plus tard, I'auteur a la 
mode qui ferait pour elle un r61e? les critiques en 
dernier lieu? Et je ne parle pas ici des grands or- 
ganes de la presse qui se l espectenl un peu. mais 
des plus obscurs, des plus inconnus. II sufOt qu'un 



INTRODUCTIOH 



jeune empIoy6, qui passe sa vie dans tel minist^e 

& lailler des plumes, ait grifTonn6 k son Iiureau 
quelques lignes satiriques, qu'une petite feuille les 
regoive, les r^pande dans I'enlr'acle. Anim6e, en- 
courag6e dos premiers applaudissements, elle ren- 
tre en sc&ae belle d'espoir... mais ne reconnait 
plus la salle. Tout est bris6, le public glac6. On se 
regarde en riant. 

J'etais jeune quand je vis une scene bien fbrle, 
dont je suis reslc indigne. J'aime a croire que de 
nos jours les choses ne sont plus ainsi. 

Chez un de ces lerribles juges que je connaissais, 
jevois arriver une pi*lile personne, fori sim piemen t 
raise, d'une figure douce el bonne, fatigu6e deja et 
un pen fanee. Elle lui dit, sans preface, qu'elle ve- 
nail lui demander grSce, qu elle le priail du moins 
de lui dire poui quoi il ne passail pas un jour sans 
ila cribler, laccabler. 11 r^pondil hardiment, non 
pas qu'elle jouait mal, mais qu'elle 6taii impolie, 
qu'a un premier article assez favorable elle eut dA 
repondre par un signe <le i econnaissance, une mar- 
que solide de souvenir. (( IlelasI monsieur, j/e suis 
si pauvre ! je ne gagne presque rien, et je dois sou- 
teuir ma mfere. 一 Pcu m'importe 1 ayez un amant... 

Mais je ne suis pas jolie. Et d'ailleurs je suis si 
'Iristei... On n'aime que les femmesgaies... 一 Non, 
<vous ne m'en ferez pas accroire. Vous 6les jolie. 



LA FEMME LETTA£E. 47 

mademoiselle, et c'est mauvaise voloiit6. Vous 6tes 
fiere, cela ne vaul nea. II faut faire comiae ies 
autres, il faut avoir un amant. » II ne sortil pas 
deli. 



Je n'ai jamais compris comment on evait la force 
de siffler une femme. Chacun d'eux est peut-ctr e 
bori, cl ils soiit cruels en masse. Cela arrive par (bis 
dans lelle ville de province. Pour forcer le direcieur 
k depenser plus qu'il . ne pent, et a faire venir Ies 
premiers talents, on execute chaque soir uneinfor- 
tun^cqui, ellermAme, aura it du. talent, mais qui, 
sous cct aehamement, ce hoiUeux sii police, perd la 
UHe, diancdle, hegaye, ne sail plus ce qu elle dit. 
EUe pleure,.resle inuelte, das ye«x... On 

rit, on siffle. Elle s'irrile, se revolte conlre une si 
grande.barbarie. Mais alors, ciest une temp^le . si 
liorrible et ,si f^roce, quelle lombe, demande 
pardon..* 

Maudit qui b rise une femme, qui lui dte ce qu'elle 
avail de fierte , de courage, d'dnie! : Dans nne 
Fausse position , ce moment est marque d'une 
maniero- si tragique et si vraie, qu'on seat que 
c'est la nature mfime ; cela est pris sur le vit. Ga- 
mille. la femme de lettres, habilemenl entour6e 



48 INTRODUCTION. 

du cercle de feu, n'ayant plus d'issue, veut mou- 
rir. EUe n,en est emp6cbte que par un ha sard 
impr^vu, une occasion inevitable, imp6rieuse, de 
faire quelque bien encore. Attendrie par la charitS, 
amollie, elle perd ies forces que Forgueil prfilait k 
son d^sespoir. Un sauveur lui vient, elle c6de. La 
voili humble , dSsarm^e par le grand dilemme 
qui corrompit tant les mystiques : « Si le vice 
est un p6ch6, 1'orgueil est un plus grand p6ch6. » 
Elle est devenue tout a coup, celle qui porlait la 
t&te si haut, bonne, docile, ob^issante. Elle fait 
I'aveu de la femme : « J,ai besoin d'unmattre. Com- 
mandez, dirigez... Je ferai ce qu,on voudra. » 

Ah ! d^s qu'elle est une femme, dhs qu,elle est 
douce, pas fifere, tout est ami, tout s,aplanit, Les 
saints lui savent gr6 d'fiire humble. Les mondains 
en ont bon espoir. Les portes se rouvrent devant 
elle, et liU6ra(ure et theatre. On travaille, on con- 
spire pour elle. Plus elle est morte decoeur, mieux 
elle est pos6e dans la vie. Les apparences rede- 
viennent excellentes. Toul ce qui fit guerre a l,ar- 
tiste, k la femme laborieuse et ind^pendanle, 
est bon pour la lemme soumise (d^sormais entre- 
tenue). 



Lk FEHME LETTREE. 4:» 

L'auteur du roman, k la fin, torture, mais sauye 
rh^roine. II lui met un fer brulant au coeur, celui 
d'un veritable amour. Elle succombe, perd I'esprit 
ayant sa degradation. Peu ont ce bonheur; la phi- 
part ont d6ja trop souffeii, trop baisse pour scntir 
sivivement ; elles subissent leur sort, son tesclaves, 
一 esclaves grasses et florissantes. 

Esclaves de qui? direz-vous. De cet Aire incer- 
tain et inconnu qui d'autant moins est responsa- 
ble, et d'autant plus est 16ger, sans 6gard et sans 
piiii. Son nom? C'est Nemo, le nom sous lequel 
Dlysse s'alfranchit du cyclope. Ici, c'est le cyclope 
mfime, le minotaure d6vorant. C'est Persotme, et 
c'est Tout le monde. 

J'ai dit qu'elle 6tait esclave. Plus mis6rablement 
esciave que le n^gre du planteur, plus que la fille 
publique num^rot^e du ruisseau. Comment? Parce 
que ces mis^rables, du 動 ins, n'ont pas d* in- 
quietude, ne craignent pas le chc^mage, sont nour- 
ries par leurs tyrans. La pauvre camellia, au con- 
traire, n'est sAre de rien. On pcut la quitter tous 
les jours, et la laisser mourir de faim. Elle semble 
gaie, insouciante. Son metier est de sourire. Elle 
sourit, et dit cependant : « Peut-filre affam^e de* 
main!... Et pour retraite, une borne I » 

M6me dans son for inl6rieur, elle tache aussi 
d'felre gaie, ayant peur d'etre malade, de mai- 

5. 



50 INTRO DUCTIOH. 

grir, Cela est atroce de ne pouvoir6tre triste. EUes 
savent bien qu'au milieu des demi-6gards, ua 
peu ironiques, que Von a pour elles, on ne leur 
pardonnera pas un jour de langueur, ni la moiii- 
dre alteration. Certaine ombre de souffrance, un 
peu de pSleur maladive qui parerait la giamk 
dame et peut-etre rendrait fou d'amour, c,est la 
mine de ia dame au camellia. Elle est tenue d,6tre、 
brillante de fraiclieur, luisante pluldl. Point de 
grftce. Un medecin lres-lionii6le qu'uned'elles avait 
appel6, huit jours apr6s, de lui-mfime, sans autre 
inl6r6l que la pitie, passant dans la rue, monta, de- 
man da comment elle allait. Elle fut extrfimement 
touchfee et ouvrit son cof^ur. « Vous me voyez 
toujours seule, dit-elle. II vient k . peine un jour 
par semaine. Si je souffre ce jour-la , il dit : 
c Bonsoir, je vais au bal » (c,est-iwiire chercher 
une femme), me faisant s^chement entendre que 
je ne suis bonne a rien, que je ne gagne pas mon 
pain. » 

La I'agon dont on s'en d6fait est la chose la 
plus cruelle. M. Bouilhet, dans son beau drame 
diEiline Peyrm^ a mis en sc&ne ce qui se voit 
tous les jours. On n aiine pas a romprc en fac (? » 
mais on . s'arraoge si bien, que la crfiature dfi* 
laiss^, demain sans ressources peut-filre, ac- 
iCuciile trop crgdulement ramour d un ami , per* 



fide. Libra a riafidele, autiaitie, de dire quelle I'a 



Dans un poeme imniortel, d'uae inexprimable 
tendresse, Virgile a exprimS ramerlume, rii.son- 
dable mer de douleurs, ou se aoie ramant .de 
Lycoris. Ces courlisanes esclaves, qu'un inaitre 
laTare louait, vendait, out lir6 des vers-dfichirants 
de la muse ihfortunee des Propcrce el des Tibulle. 
'EUes itatent lettr^es, gracieuses et de verilabks 
Hkmss, plus semblablesia la dame au eamellia sc- 
toelle qu'aux Maium .Lescaut de I'ancien regime, 
si naivement corrompues, simple <^15ment de piai- 
sir, qui ne sentaient, ne savaient neri. 

Le danger est tres-grand ici. Le plus sOr est de 
rester loin. Un jour, un de mes amis, penseur 
distingu6, charitable, mais qui a les moeurs du 
temps, me disait que c'6lait par ses relations 16- 
g^res, sans consequence, en fevitant tout enga- 
gement s6rieux, qu'il avail su se reserver pour 
tude et rexercice solitaire de rinlelligence. Jc lui 
dis : « Quoil vous trouvez que cela est sans cons6- 
quence? Mais n'esl-ce pas un grand p6ril ?… Par 
quel effort phiiosophique d'oubli et d'abstraction 
peut-on voir une infortunee jetfee 1^ par la misere, 



S9 INTRODUCTIOK. 

par la trahison peuWIre, sans que son horrible 
sort ne dfechire le cceur? Et si la pauvrj cr6alure, 
jouet de la fatality, allait le prendre, oe coeur, vous 
seriez perdu 1 一 Moi I dit-il en souriant (mais 
d'un si triste sourire 1), cela ne peut pas arriver. 
Mes parents y ont pourvu ; ils ont ferm6 cette porte 
qui mSne aux grandes folies, Avant que j'aie senti 
mon coeur, on m,en a d6barrass6. On a tu6 ramour 
en moi. » 

Cette parole fun6raire me fit fr6rair, Je pensai 
au root qu,un empereur sophiste dit au dernier 
jour de Fempire romain : « Lamour est une con- 
vulsion. » Le lendemain, tout s'fecroula, non par 
rinvasion des barbares, mais par celle du c^libaf et 
de la mort priventiye. 



IV 



LA FBmtE fTE ?1T PAS SANS I/HOMlf 雪 



Une vie toujours laborieuse nous enrichit, en 
avanQant, de sens nouveaux qui nous manquaient. 
Bien lard, seulement I'hiver dernier (1858-1859), 
je me suis trouv6 au coeur le sens des petits enfants. 
Je les avals toujours aim6s, mais je ne les compre- 
nais pas. Je dirai plus loin Faimable r6v61ation qui 
m,en vint par une dame allemande. (Test k elle 
certainement qu'on devra ce qui pourrait se trouver 
de meilleur dans les premiers chapitres sur l,6du> 
cation qu'on lira tout h I'heure. 

Pour p6n6trer dans cctte fetude, je crus devoir 
connattre mieux Fanatomie de Fenfant. Mon ami. 



54 INTRODUCTION, 

SI. le docfeur Beraud, chirurgien des hftpitaux, ex— 
prosecteur do Clamart, jeune encore, mais si connu 
par le beau traitfe (le physiologic qu*il a fail avcc 
noire illuslre Robin, voulul bien, dans le cabinet 
qu'il a a Clamart, dissSquer plusieurs enfanls sous 
mes yeux. II m'averlit sagement que I'elude do 
Fenfant est utilemenl eel A fee par celle de l adulte. 
Me voilk done, sous scs auspices, lanc6 dans I'ana- 
tomie que je ne connaissais jusque-la que par les 
planches. 

Admirable 6lui]e, qui, ind^pendamment de tant 
d'litilites pratiques, est au fond tout une morale. 
Elle trempe le caraclere. On n'est homme que par 
le ferme regard dont on envisage la vie et la mort. 
Et, ce qui n,est pas moins vrai, quoique moins 
connu, elle humanise le coeur, non d'uniattendris- 
jsemenl de femme, mais en nous clairant surune 
foule de m6nagements naiurels qa'on doit a Thu- 
.i»anU6. Un eminent anatomiste me disait : « C'est 
41 n supplice pour . moi . de • voir une porteuse deau 
twvLs le poids des ^seaux f^n l'>acoablent et quiilui 
iscient les 6patites..Si I'on savait combien cliez la 
, femmes ces muselea son! d6iicais, combien les oerfs 
idn mouv 細 eiit:aont faibles, et au conlrairesideve- 
lopp6s ceux de la sensibility ! » 

Mon impression fut analogue, lorsque, ayant vu 
i Vorgaiusme qui fait de renfant un ^troifalaleoscnt 



U FEMMfi IE YIT PAS SANS L'HOIIME 



55 



mobile, a qui la nature impose uii changemeiit con- 
tinuel , je prasai a I'enfer d'immobilit^ que lui in- 
flige recole. D'antant plus je me rattachai h ia bonne 
-iBilhode allemaide (ateliers et jardins d'enfants), 
oilionJ^urdeHiandejusteinentcequeYeut la nature, 
le mouvement, en developpant chez eux- r«ctivite 
crtalrice qui est le Trai g^nie de I'homme. 

Tant qu'on n'a pas vu, louche les rtolHes, on 
hfeite sar tout cela^oti diseuie, on ferd le temps a 
teeuier - les bayards. Dissequez. En an mome&t 
糊 s comprendrez,' sentirez tout. C'est la mort snr- 
toat qui apprend - k respecter la vie, k m^nager^ k 
ftte pas surmener Fiespece humaine. 

Si Je pouvais awir quek[ue doute sur Finfluence 
morale de raaatemie, it m'edl suffii de me rappeler 
que les meilleurs hommes que j,ai connus 6laient 
de grands m^decins. Au moment in6meouj'6tudiais 
aClamart, j,y vis un c61ebre chirurgien anglais qui, 
dans son grand ige de quatre-vingts ans, passe tous 
lesans la mer pour visiterceitecapitaledes sciences, 
et connaltre les nooyeaut^s heareuses que son g^nie 
invenlif trouve incessamment pour le soulagemeat 
de l'hufnanU6. 



Q 8'agissait pour moi surtout de I'aiMtoini&du 



M INTRODUCTION. 

cerveau. J, en ^tudiai un grand nombre de Fun et de 
I'auire sexe, de tout &ge, et fus frapp6 de v(vt com- 
bien naivement la face in£6rieure du cerveau r6- 
pond , dans sa physionomie, a I'expression du visage* 
Je disla face infferieure et nuUetnent la par tie sup6- 
rieure, et toute veineuscj k laquelle 6videinineiit 
Gail attachait trop d'importance. C'est loin de la 
boite osseuse, aux larges bases du cerveau, pleines 
d'artircs, accidentSes de volutes plus ou moins ri- 
ches, selon que rintelligence fut d6velopp6e ; c'est 
1^ que se r6vele ^nergiquement la personne, autant 
qu'au visage m6me. Celui-ci,face grossi&re, expos6 
k Fair, k mille chocs, d^form^ par des grimaces, 
s,il n'avait les yeux, parlerait bien moins que cette 
face inftrieure, si bien gard6e, si delicate, si mer- 
veilleusement nuanc^e. 



Chez les femmes yulgaires , qui visiblement 
avaient eu des metiers grossiers, le cerveau 6tait 
fort simple de forme, comme k I'^tat rudimentaire. 
EUes m'auraient expose a la grave erreur de croire 
que la femme en g6n6ral est , dans ce centre es- 
sentiel de Torganisme, infirieure a rhomme. Heu- 
reusement d'autres cerveaux fSminins me d6trom- 



LA FEMME NE VIT PAS SANS L,HOMME. 57 

parent, specialement celui d,une femme qui, sous 
un rapport pathologique offrant un cas singulier, 
obligea M. Beraud a connalire et sa maladie, et ses 
prec&lents. J'eus done ici ce qui me manquait 
pour ces autres morts, rhistoire de la vie, de la 
desiinee. 

Cette singularity infiniment rare, c'^tait un cal- 
cul considerable troirve dans la matrice. Get organe 
generalement si aliere aujourd'hui, mais peut-6tre 
jamais k ce point, rey^lait la un 6tat bien extraor- 
dinaire. Qu'au sanctuaire de la vie giniratrice et 
de la fecondite on trouv^t ce cruel dessichement, 
celte atrophic desesper6e, une Arable, si j'ose dire, 
an caiUou. . . , que rinfortunie se fftt comme chang6e 
en pieire... cela mejeta dans une mer de sombres 
pens^es. 

Cependant les autres organes n'en ^taient pas 
allures aufant qu'on aurait pu croire. La l&ie etait 
fort expressive. Si le cerveau n,6tait pas large, 
fort, puissant, comme celui de quelques homines 
que j'avais pu observer, il itait aussi vari6, aussi 
ridie de volutes. Petites volutes accident^es , his- 
tories d'un detail infini, — nagu^re meublees, on 
le sentait, d'une foule d'id6es, de nuances dkli- 
cates, d'un monde de rfives de femme, Toul cela 
parlait. El, comme j,avais eu sous les yeux, le 
moment d'aupamant, des cerveaux pen expres- 



58 im* 議 DCT 鳳 

sifs, j allais dire sileneieux, c^i-ci, au premier 
aspect, me fit entendre unlangage' Enl'approciiant, 
je croyais par les yeux ouir encore un eclio de 
joupirs. 

Les mains, dcmces et assez fines, n*6taimt pas ce- 

pendant elegamment allongees, comrae celles de la 
darae oisive. Elles ctaienl movenneinent courles, 
failes pour la prehension. Ellc avail sans doute tenu 
de petits objets, qui ne dfeforinenl pas la main, mais 
la courbent et la conccntrenl. Ce devait £tre uee 
ouvricre, — en linge peut-felre? fleurisle? Telles 
^taient tes conjectures naturelles. Elle pouirait avoir 
vingt-huit ans. Ses yeux d'un gris bleu, siirmontes 
de sourcils noirs assez forts, une cerlaine qualite 
du teint, revelaienl la ferame de 1 Quest, ni Nor- 
mande ni Bretonne, d'une zone intermMiaire jet 
pas encore du Midi. 

La figure £tait severe; Mre plutdt. Les sourcils, 
arquesforterr^ent, maisnon surbaiss6sj temoignaient 
d'une personne honnSte, nullementsvilie,qui avail 
gardfe^san ^«ie el jusqu'a 】a mort luUe. 

Le <50rps, d^ja ouvert a rhdpilal, montrait assez 
au cdte gauche qu'une fluxion de poitrine la^ait 
enlev^e. Elle Wait morte le 21 mars. En retranchant 
douze jours, nous remoniions au mardi gras, au 
9 mars. On 6tait tenl6 de croire qu'elle etait une 
des \ictimes si nombreuses des bals de cet (? e ipo- 



LA FE 画 N£ YIT RAS 8AXS L'HOMME. 5d 

^e. Cruel moment qui tout a coup comble itb M- 
pitaux et bientdt les eimetieres ! On peut jusldinent 
I'appeler la File du.Mmotame. Que de femmes d^- 
? ©rtes vivanles I 

QuaBd onssoage k rennui laortel, k lst monotome 
proftmde, a la vie- d^fiheritee, s^che et vide, que 
m^ne rouwiif e, surtout I'ouvriere de I'aiguille 
avec-soii pain see eterael. et .seule .daas son froid 
grenier , on s'elojane peu si elle cMe a la jeune folle 
d'aeAte, ou a una amie plus mAre^ iotiressee, qui 
KfiBtraine. Mais ce qui me doane toujours un 6ton« 
nement douloureux, c'est que celui qui en profile 
ait si peu de coeur, qu'il prot6ge si peu la pauvre 
t6Umnlie,iie veillepas un peu sur elley ne s inquiiie 
pas (lui chaudement couvert de inanteaux, de. pa- 
letots!) de savoir si. elle revient velue, de savoir 
si elle a du feu, si elle a le nccessaire, de quoi 
iQ anger pour demain. Helas I celte inforlunee dont 
vous cutes tout a rheure les dernieres caresses, 
la jeter dsns la Quit glac^el... Barbares ! vous 
£8uies semblant d'etre Idgers dans tout ceci. Point 
du (out. Vous ties habiles, vous files cruels el 
avares, vous eraignez d,en savoir trop, vous aimez 
loieux ig^iorer ce qui fSuit, — r la ,ie ,: la mort... 



60 IKTRODUCTION. 

Pour revenir, malgrfe l'6poque, je doutai fort, 
surla vue du visage de cette femme, que ce fut una 
itudiante^ une habitude de ces bals. On connait 
ais6ment ce monde-Uu Elle n'y eAt pas r&ussi. 
Un nez s^y^rement arr6t6, un menton feme, une 
bouche a Ifevres fines et precises, un certain air de 
reserve, Pauraient fait trop respecter. 

L'enquMeult6rieure prouva que j'avais trfes-bien 
jug6. C,6tait une demoiselle de province, de petite 
bourgeoisie marchande, qui, dans une ville peupl6e 
en majeure partie de celibataires, employes, etc., 
n'avait pu, malgre son honn6tet6 naturelle, se d6- 
fendre seule contre des assauts infinis, une pour- 
suite de toutes les heures. Sur promesse de ma- 
nage, elle avait aim6 et eu un enfant. Trompee, 
sans autre ressource que ses doigts et son aiguille, 
elle avait quitt^ cette \ille, celle de France ou les 
ferHmes sont le moins embarrass6es. Elles y ga- 
gnent tout ce qu'elles veulent. Celle-ci aima mieux 
aller se cacher k Paris, et mourir de faim. Elle 
trainait un enfant ; grand obstacle h toute cbose. 
Elle ne pouvait 6tre ni femrae de chambre ni de- 
moiselle de boutique. La couture ne produisail 
rien. Elle essaya de repasser ; mais dans son ^tat 
maladif, aggravfe par le chagrin, elle ne pouvait 
le faire sans que le charbori lui donndt de cruelles 
migraines, et elle ne restait debout tout un 'our 



U FEMME KE VIT PAS SANS L'flOMME. (H 

qu'avec de grandes douleurs. Les ouvri^res n,en 
savaient rien el la croyaient paresseuse. Les Pa- 
risienn^s sont rieuses, dies n*6pargnaient pas les 
ris6es a la pauvre provinciale. Toutefois, elles 
avaient bon coeur, et, dans ses embarras, lui pr6- 
laient de leur argent. 

Ses tristes robes d'indienne diteinte, que j'ai 
lues, t6moignaient assez que, dans cette extreme 
misdre, elle n'eut aucun recours k ce qui lui 
restait de beauts. Un lei vfetement \ieillit. U ne 
laissait nuUement deviner combien cette personne 
itait jeune encore, entifere. La douleur et les mi- 
sires maigrissent, inais ne fanenl pas comme les 
exc^ et les jouissances. Et celle-ci, tr6s-visible- 
ment, avail peu us6 desjoies de la vie. 

La maitresse qui I'employait a repasser avait eu 
la charit6 de lui permeltre de coucher dans une 
grande soupente qui servait d'atelier, lieu forte- 
ment impr6gn6 des vapeurs du charbon, et qui 
d'ailleurs devait le matin 6lre libre pourle travail. 
Quelque soufTrante qu'elleMt, elle ne pou\ait rester 
au lit, m^meun jour. De bonne heure, les ouvrieres 
arrivaient, se moquaient « de la paresseuse, fai- 
n6ante <;t propre h rien. » 

Au 1'' mars, elle fut plus mal, eut un peu de 
fi&vre, un peu de toux. Ce n,e (! it 6t6 rien si elle avait 
eu un che% soi. Mais, ne I'ayant pas, il lui fallut 



63 I 議画 cmn. 

laisser sa petite fiUe k la bontc de la maltresse et 5 
Wller a rhdpital. 

Eile entra dans un de nos grands vieux hdpi- 
taux ou il y avail en ce moment beaucoup de fifevres 
typhoides. Le trfes-habile midecin qui I'y re$ul pr6- 
vit sans peine que sa petite fi6vre prendrait ce ca- 
raclfire. Mais il espera I'altonuer. On lui demanda 
si sa sante, en general, Stait bonne. EUe dit modes^ • 
tement : Oui, dissimulant la grave I6sion intfoieure, 
et redoutant un p^nible examai. 

Dans rimmensit^ de ces salles qui riunissent^ 
tant de souffrances, oil Von yoit agoniser, mourir k 
c6tk de soi, la trislesse ajoute souirent a la nrn**' 
ladie. Les parents sont admis a certains jours, 
Mais combien n'onl pas de parents! combien meu*-- 
rent seuls ! Celle-ci fat visit^e par la charitable 
maitresse, qui, pourtant, voyaiit plusieurs ma- 
lades de la fievre typhoide, prit peur, et ne re- 
vint plus. 

L'a^ration n6cessaire se fait encore, coi&me au- 
trefois, par de vastes fenStres, de grands courants 
d'air. On s'occupe s6rieusement d' 甴 tablir un meil- 
leur systfime. Ces courants frappent des malades 
peu d6fendus par leurs rideaux. La petite toux 
qu'elle avail devinl une forle bronchite, puis une 
fluxion de poitrine. Epuisee depuis longtemps part 
•unc tr&s^faible nourriture, elle n'avait pas la lorce 



LA FHHMfi NE VIT PAS SANS L'UOMME. 65 

de r6agir. Eile fut tr^Srlnen soignee, mais maurut 
en trois semaines. 

Sa pelile iille (enfant charmanle et d6ja raison- 
nable) ful inise aux Enfanis trouves- 

Son corps, n,6tant reclame de personne, fut en- 
voy6 a Clamart. El, j'ose dire, trfes-utilement, puis- 
qu'il a Sclaire la science par un fail dont elle tirera 
de fficondes inductions. D'aulre part, ce simple 
r6cii aura aussi 6t6 utile, s'il avertit fortement 
ratiention des bons esprits* La fmme meurtj si 
elle n,a foyer et protection. Si celle-ci avait eu seu- 
lement un abri, un lit pour huil jours, son indis- 
poeition etU po$s6, selon toute apparence, et elle 
edti encore v6cu • 



Illui aurait . fallu un moment rhospitalit^ d'une 
femme. Qu'il serait souvent ais6, pour une dame 
inteUigenie, k certains jours d^cisifb, de sauvcr 
celle que le malheur engloulit ! Je suppose que 
cetledanie, traversant un jardin public qui estprte 
de rhopital , 1 ail vue assise sur un banc, avec son 
petit paquet, se I'eposant un moment de sa longuc 
course, avant d'eatrer. Celle dame 】a voyant si 
pildy.frapj)^ de sa figure hormete, distingu^e, 



64 INTRODUCTION. 

malgrS Fextrfime pauvret6 du v6tement, se fAt 
assise a cdt6 (Telle, et, de mani^re ou d'autre, 
raurait fait un peu parler. 

« Qu'avez-vous, mademoiselle ? 一 J,ai la lievre, 
madame. Je me sens tout a fait mal. 一 Voyons.., 
Je m,y connais un peu. Oh I c'est peu de chose. 
Dans ce moment, r6pid6mie rfegnanle est forte anx 
hdpitaux. Yous pourriez bien la gagner. Un peu de 
quinquina peut-6tre vous mcttra sur pied en deux 
jours. J'aurais beaucoup a repasser. Pour ces deux 
jours, venez chez moi. Gu6rie, vous ferez mon ou 
vrage. » — Cela lui eut sauv6 la vie. 

Deux joursn'eussenl pas suffi . Avec une semaine, 
elle eut 6te remise. La dame apprteiant ce carac- 
I6re honnfite et sAr qu,elle porlait sur son visage, 
VeHii sans doute gard6e davantage. Un peu ouvrifire, 
un peu demoiselle, mieux vfitue , redevenue belle par 
quelques moisd'une vie douce, elle edi fouchi plus 
d,un coeur de sa gr4ce s6rieuse. Le malheur d'avoir 
6t6 tromp6e et d'avoir cejoli enfant, bien compens^ 
par sage tenue, sa vie econome et laborieuse, 
n'aurait guere arr6l6 I'amour. J'ai eu occasion de 
voir plusieurs fois la magnanimity tendre el g6n6- 
reuse des bons travailleurs dan see genre d'adoption. 
J'ai vu un de ces manages admirables. La femme 
aimait, j'ose dire, adorait son mari, et I'enfant, 
par je ne sais quel instinct, 8,6tait attach^ k lui 



U FEMME NB YIT PAS SANS L'UOMMB, 65 

plus qu,on ne fait a un p6re ; il ne le quittait qu'en 
pleurant, et, s,il tardait, pleurait pour le revoir. 

On se figure trop aisement qu'iine destin^e est 
g^tee sans retour. Notre bonne vieille France ne 
pensait pas ainsi. Toute femme qui ^migrait, par 
exemple, au Canada, passait pour purififee de toute 
faute et de tout malheur, par le bapteme de la mer. 
Ce n^6tait pas une vaine opinion. EUes prouvaient 
parfaitementqu en effet il en 6taitainsi, devenaient 
d'admirables Spouses, d'excellentes m^res de fa - 
mille. 

Mais remigration la meilleure, pour celles qui, 
presque enfants, se sont Irouvees jetees par le 
hasard dans une vie I6g6re, c'est de remonler 
courageusement par le travail et les priva- 
tions. Un de nos premiers penseurs a soutenu 
cette thfese dans une leltre severe a une de nos 
pauvres amazones, si brillanles et si luaiheu- 
reuses, qui lui demandait comment on peut sorlir 
de ce goufire. La lellre, tr6s-dure de forme, mais 
bonne au fond et Ires -bonne, lui dit comment elle 
peut expier par la misere, se layer par le travail et 
la souffrance voulue, redevenir digne et pure. 11 a 
tout k fait raison. L'ame de femme, bien plus 
mobile, plus fluide que l'ame d'homme, n'est ja- 
mais si profondement corroinpue. Quand elle a 
voulu s6rieusemeiit reveuir uu bieii, qu'elle a v6cu 



«6 INTRODUCTION. 

d,drorts, de sacrifices, de riflexion, elle est vrai* 
menl renouvel6e. C'est un peu comme la rivipre» 
qui, a tcls jours ful gAtte, mais d'aalres eaux soot 
venues, et elle est claire aujourd'hui. Si la femine 
ainsi chang^e, oubliant le maovais f6to de ses 
fautes involontaires ou le coear n'^tait pour rien, 
parvient k le trouver, ce coeur, si elle aime... tout 
est sauv6. Le plus honnftle homme du monde peut 
avoir son bonheur en elle, et s ,! lonorer d'elle en- 
core. 



Je ne votilus rien ajou ter k ce lugif bre rficit. Mes 
amis 6mus se leverenl. D'un seul mot, je leur rap- 
pelai ce qui I'avait pr6c6d6. 

Mes chers messieurs, la raison pour laquelle 
vous vous marierez, la plus forte pour vos coeurs* 
c'est celle que je vous disais : 

La femme ne vit pas sans rhomme. 

Pas plus que l,enfant sans la femme. Tons les 
enfanls»trouves meurenl. 

Et rhomme vit-il sans eux? Vous-mta'e le disiez 
tout a rheure : Voire vie est sombre et amire. Au 
milieu des amusements et des vaines ombres f6mi- 
nines, vous ne poss^dez pas la femme, ni le boB* 



LA FEMME KE VIT I>AS SANS L ,匪 ME, 67 

lieur, ni le repos. Vous ii'avez pas la forte assietle^ 
r^quilibre harmonique, qui seri taut la produc- 
tion. 

la nature a forme la vie d'un noeud triple et 
absolu : riiomme, la femme el renfanl. On est sAr 
de pferir a part, et on ne se sauve qu'enseiable. 

Toules les disputes des deux sexes, leurs fiert^s 
ne servenl a rien. II faul en finir sur ce point. II ne 
feu I pas f aire coauneriialie, cornme la Pologiie, I'lr- 
- lande, I'Espagne, ou raffaiblissexnenl de la famille, 
el Fegoisine solitwe, ont iant Goatribue a pcrdre 
l,£lat. Dans r unique livre du si^cle ou il y ait une 
graiide conception poetique (le poeme du Dernier 
Homme) y rauleur croit le monde epuis6, et la Terre 
prte de finir. Mais il y a un sublime obstacle : La 
Terre ne pent pas finh\ si un seul homme aime encore, 

Ayez pilie de la Terre fatigu6e, gui sans Famaur 
n'aurait plus de rakon d'fefre. Aimez, pour Je salut 
du monde. 



Si je vous ai bien compris, vous en auriez as- 
lez cnvie, ma is la crainte vous arrfile. Franche- 
ment, vous avez peur des fe/nmes. Si la femme 
restait une chose, comme jadis, vous vous marie- 



es INTRODUCTION. 

riez. Mais alors, mes chers amis, il n'y aiirait pas 
mariage. C,est Punion de deux personnes. Voici 
que le mariage commence h devenir possible, jus* 
tement parce qu'aujourd'hui elie est une personiie 
et une dme. 

S6rieusement, 6tes-vous des homines? Cette puL 
sance que vous prenez maintenant sur la nature 
par voire irresistible g6nie d'invenlion, est-ce 
qu'elle vous roanquera ici? On seul 6lre, celui qui 
resume la nature et qui est tout le bonheur, sera 
hors de votre port6e I Par la science, yous atteignez 
les scintillantes beaul6s de la voie lact6e ; est-ce 
que celles de la terre, plus ind^pendantes de vous, 
vonl vous renvoyer (comme la V6nitienne renvoya 
Rousseau) aux mathSmatiqties t 

Votre grosse objection sur Fopposition de la foi, 
la difficull6 d'amener la femme k la vdtre, elle ne 
me semble pas bien forte pour qui envisage froi- 
dement, pratiquement, la difficultfe. 

La fusion nes,op6rera complfetement jqu'en deux 
manages, deux generations success! vcs. 

La femme qu'il faut 6pouser, c'esi ^elie que j,ai 
donn^e dans le livre de rAmour^ celle qui, simple 
et aimante, n*ayant pas encore re§u une empreinta 
definitive, repoussera le moins la pens^e moderne, 
celle qui n'arrive pas d'avance ennemie de la science 
et de la v6rit6. Je Paime mieux pauvre, isolee, peu 



LA F£M1IE NB VIT PAS SANS L'HO 腿, 69 

entour6e de famille. La condition, l'6ducation, est 
chose fort seconds ire. Toule Frangaise nait reine 
ou pres de le devenir. 

Comme —use, la femme simple que Fon peut 
Clever un peu. Et, comme fiUe, la femme croyante, 
qu'un p6re elfevera tout k fait. Ainsi se trouvera 
rompu ce miserable cercle ou nous tournons, ou 
la femme emp6che de crier la femme. 

Avec cette bonne 6pouse, associee, de cceur au 
moins, k la foi de son mari, celui-ci, suivant la 
voie fort ais6e de la nature, exercera sur son en- 
fant un incroyable ascendant d'autoriti et de ten- 
dresse. La fille est si croyante au pire I A lui d,en 
faire tout ce qu il veut. La force de ce second 
amour, si haut, si pur, doit faire en die la Femme, 
radorable idtol de gvAce dans la sagesse, par le- 
quel seul la famille et la soci6t6 elle-m6me yont 
fttre reoommenc6es« 



PREMIERE PARTIE 



DE L'EDUGATION 



1 



LE SOLEIL , I/Am ET LA LUMlEiRE 



Un illustre observaleur affirme que nombre 
d'filres microscopiques, qui, tenus a I'ombre, res-« 
tent v6g6taux, s^animalisent au soleil,etdeviennenl 
de vrais animaux. Ce qui est sOr, inconlesl6, ac- 
cepts de tout le monde, c,est que, loin de la lu- 
mi^re, tout animal vegfete ; que le v6g6tal n'arrive 
guSre k la floraison, et que la fleur reste pfile, lan- 
guissanle, avorte et meurt. 

La fleur humaine est, de toutes, celle qui veut 
le plus de soleil. II est pour die le premier et le 
supreme initiateur de la \ie. GomparezTenfant dun 
jour, qui n'a connu que les tfenebres, avec I'enfant 
d ,! me /nm6e ; la difference est 6norme en I re ce ills 
de la nuit et ce fils de la lumiere. Le cerveau de ce 
dernier, mis en face de celui de Fautre. offre le 



74 LE SOLEIL, I/AIR ET LA LUMIfiRE. 

miracle palpable d ime transfiguration complete. 
On no s'en elonne pas, quand on voit que dans le 
cerveau Pappareil de. la vision tient a lui seul plus 
de place que tous les organes des sens rfeunis. La 
lumifere inonde la t6te, la traverse de part en part 
jusqu'aux nerfs, profonds, recul6s, d'ou sort la 
moelle 6pinifere de tout 】e systfime nerveux, tout 
lappareil de la sensibilit6et du mouvemeiil. Mtoie 
au-dessus des conduits optiques ou la lumiere cir- 
cule, la masse centrale du cerveau (la couronne 
rayonnante) semblc encore en felre p6n6tr£e et sans 
doute en tient ses rayons. 



Le premier devoir de l,amour, c'esl de donncr a 
rcnfant, et aussi a la jeune mfere, bier enfant, chan- 
:Celante, 6branlee par raccouchement, faligute de 
rallaitement, beaucoup, beaucoup de lumiere, la 
salubrit6, la joie d,une bonne exposition, que le 
soleil 6gaye de ses premiers regards, qu'il aime et 
regarde longtemps, tournanl autcur a midi, m^me 
k deux heures, s'il se pent, I'^chauffant, rUlumi* 
nant encore, ne la quitlan!; qu'i regret. 

Aceux qui vivent du monde, de la vie artificielle, 
laissez la splendeur des appartemeiils tourii6^ \ers 
le soir. Les rois, les grands, les oisifs, ont cherch6, 



LB SOLEIL, L AIR £T LA LUMI^RE. 2ft 

dans leurs Versailles r exposition du couchan!, qui 
glorifiait leurs f6tes . Mais celui qui sanctifie la vie 
par le travail, celui qui aime et met sa f6le dans 
I'enfant et la femme aiin6s, celui-li vit le matin. 
A lui-mfime il assure 】a fraicheur des premieres 
heurcs oji la vie, tout entifere encore, est 6ner- 
giquc et productive. A eux il donne la joie, la 
prime fleur de gaiete qui enchante Unite la nature 
dans le bonheur de son r6veil. 

Que comparer a la grSce innocente et delicieuse 
de ce? <5cenes du matin, lorsque le bon travailleur, 
ayani pr6venu le soleil, le voit qui, sous les ri- 
deaux, vienl admirer la jeune mfere et I'enfant 
dans le berceau? Ellc est surprise, eJie s'6tend : 
« Quoil si tard I » 一 Elle souril : « Oh! que je suis 
paresseuse ! » 一 <x Ma chfere, il n'est que cinq 
heures. L'enfant I'a souvent riveillee ; je te prie, 
dors line heure encore. » Elle ne se fait pas trop 
prier, et les voila rendormis. 

Fermons, doublons les rideaux, et baissons la 
jalousie. Mais lejour, dans sa triomphante et rapide 
ascension, ne se laisse pas exclure. Un charmant 
combat s'fetablit entre la lumi^re et I'ombre. Et ce 
serait bien dommage si I'on refaisait la nuit. Quel 
tableau on y perdrail ! Elle, penchfee vers renfant, 
elle arrondit sur sa t6le la courbe dun bras amou- 
reiix... Un doux rayon cependant parvient a s'in- 



76 LE SOLEIL, I/AIR ET LA LUBIltlRE. 

sinuer. Souffre-le, laisse aulour d,eux cette tou 蒙 
thanle aureole de la benediction de Dieu. 



J'ai parl6 dans un de mes livres d,un arbre fort 
et robuste (c'6tait un chalaignier, je crois) que j*ai 
vu vivre sans terre, et de l air uniquemenL Nous 
suspendons dans des vases cerlaines plantes 616gan- 
tes qui v6g6tent 6galement sans autre aliment que 
I'atmosphere.Nos pauvres cullivaleurs ne leurs res- 
semblent que Irop, leur trfes-faible nourriture, quila 
supplee? qui leur permel de faire, si peu nourris, 
des travaux si longs, si rudes? La perfection de I'air 
ou ils vivent el la puissance qu,il leur donne de tirer 
de cette alimentation tout ce qu'elle a de nutritif. 

Eh bien, toi qui as le bonheur d'elever et de 
nourrir ces deux arbres du paradis, 】a jeune femnie 
qui \it en toi, et son enfant, qui est toi, 一 songe 
bien que, pour qu,elle vive, qu'elle fleurisse et ali- 
mente le cher petit de bon lait, il faut lui assurer 
d'abord Paliment des aliments, Fair vital. Quel 
malheur serait-ce, quelle triste contradiction, de la 
mettre, fa pure, la chaste el charmante femme, 
dans la dangereuse atmosphere qui fl6trirait son 
corps, son &me? Non, ce n'est pas impunement 
qu'une personne delicate, impressionnable et p6n6- 



i. 



L£ SOLEIL, L'AIA ET U LUHIERE. 77 

trable, recevra le fdcheux melange de cent choses 
vici^es, vicieuses, qui montent de la rue k elle, le 
souffle des esprits immondes, le p61e-m£le de fu- 
mtes, d'Siuanations mauvaises et de mauvais rdves 
qui plane sur nos sonibres cites I 

II faut faire uri sacrifice, mon ami, elk tout prix, 
les mellreou ils puissenl \ivre. S'il se peut, sors de 
la ville. 一 Tu verras moins tes amis ? lis feront 
bien unpas de plus, si ce sont f^e vrais amis. 一 Tu 
iras peu au llieaire? On en desire moins les plaisirs 
(agitants et 6nervants), quand on a a son foyer 
i'amour, ses joies rajeunissantes, sa Divine Comd" 
die. 一 Tu perdras moins de lemps le soir, a trainer 
dans les salons, a jaser. En recompense, le matin, 
frais, repos6, tout ce que tu n'auras pas depensi 
en vaines paroles, t^.le mettras en travail, en oeu- 
vres solides de r6sultats durables qui ne s'envole- 
root pas. 



Je veux un jardin, non un pare: un petit jai din. 
L'homme ne croit pas aisement hors de ses harmo- 
nies v6g6lales. Toutes les iegendcs d'Orient com- 
mencent la vie dans unjardin. Le peuple des forts, 
des purs, la Perse, met le monde d'abord dans uo 
jardin de lumi&re. 

5 



n% LE SOLEIL, L'AIR £T L14JIH1&11E. 

Si tu ne peux quitter la ville, loge aux stages ies 
plus'hauts. Plus heurettx que le premier, le cia- 
qui6me et le sixi^me se font des jardins sor Ies 
tei4s. Toutau moins, la lumi&re abonde. J'aime qae 
tajeune femme enceinte ait une ,aste et noble vue, 
dans les rftveries de I'attente, pendant les longues 
henres d, absence. J'aime que les premiers regards 
de renfant, lorsqu'on le tiendra au balcon, tombent 
sur les monuments, sur les effets majestueux du 
soleil qui tourne autour et leur doane aux >heures 
di 版 entes des aspects si divers. Quand on a'a^pas 
sous les yeux les montagnes, les hauts ombrages, 
les belles forfets, on re^oit des grands edifiees ^ai!i 
f6St la vie nationale, I histoire en pierres de la Pa- 
'irie) des Amotions prtcoces dont la trace subsiste 
toujours. Les petits enfants ne savent le dire, mais, 
de bonne heiife, leur Ame vibre aux effets de Far- 
chitecture, ainsi transfigur6e. Tel rayon,' tel coup 
de lumi^re qui, a telle heure, frappe un temple, 
leur reste h jamais prfeseiit. 

Pour moi, Je puis affirmer que rien dans ma 
premiere eiifimce ne me fit plus d'impressioiFtque 
d'^LYoir vu une fois le Pantheon entre moi et le 
soleil: CTitait ie 窗 tin. L'int^rieur, fiv61e parses 
'iitraux, rayoimait coimne dune gloire ' mystfe- 
rieuse. EMre les colonnes 16g6res du channaiit 
temple ionique, si £normemenl 61ev6 sorles grands 



LE SOLKIL, L'AIU ET U LUMl&RE. 79 

murs aust^res et sombres, razor circulait, mais 
ros6 d'une inexprimable lueur. Je fus saisi, ravi, 
alteinl, ct plus que je ne l,ai 6t6 dc tres-grands 
fiv^neraents. lis ont pass6 ; cette lueur me reste ei 
m'illumine encore* 



DE LtCHANGE DU PREMIER REGARD ET DU 
GOMHENCEHENT DE U FOI 



Ledivin ravissement du premier regardmaternel, 
I'extase de la jeune m6re, son innocente surprise 
d'avoir enfant^ un Dieu, sa religieuse Amotion de- 
¥ant ce merveilleux rfive, qui est si r6el pourtant, 
c,est ce qu'on voit tous les jours, mais ce qui sem- 
blait impossible a peindre. Corr6ge a pu le saisir 
inspire de la nature, libre de la tradition, dont 
jusqu'a lui I'air £tait contenu et refroidi. 

U y a des spectafeurs autour du berceau, et ce- 
pendant la sc6ne est solitaire, tout entre eUe et 
lui qui sont la m6me personne. EUe le regarde fr6- 
missante. D'eUe a lui, de lui k elle, unrayonnement 
61ectrique se fait, un 6blouissement, qui les confond 
Fun avec I'autre. M 会 re, enfant, c'est mtoie chose 



DB UfiCHAIIGC DU PRBMIER REGARD, ETC. 81 

dans cette vivante lumi^re qui r^lablit leur primi- 
tive, leur si naturelle unil6 ! 

Si elle n'a plus le bonheur de le contenir palpi- 
tant au fond de son sein, en recompense elle a cet 
enchantement, cette faerie, de I'avoir en face d'elle 
sous son a^ide regard. Pench^e sur lui, elle Ires- 
saille. Jeune et innocente qu'elle est, par les signes 
lesplus naifs elle rfevfele sa jouissancede s'assimiler 
par Tamour ce fruit divin d'elle-mfime. Nagufere, il 
s'est nourri d'elle ; mainlenant elle se nourrit de 
lui, I'absorbe, le boit et le mange, £change d61i- 
cieux de la vie; Penfant la donne et la re^oit, ab- 
sorbant sa m^re k son tour, comme lait, comme 
chaleur et lumi 杏 re- 
Grande, tr&s-grande r6v61ation. Ce n'est pas ici 
un vain spectacle d'art el de sensibility, simple 
volupt6 du coeuv et des yeux. Non, c'est un acte de 
foi, un mystftre, "lais non absurde, la base s&rieuse 
et solide de religion, d'iducation, sur lequel ya 
"lever tout le d6veloppement de la vie humaine. 
Quel est ce mystire? Le void : 

St Venfant nitait pas Dieu, si le rapport de la 
mire h ItA fCitaitpas m culte^ il ne vivrait fos. 一 
C*est un 6lre si fragile, qu'on ne Feul jamais 61eir6 
8,il n'eAt eu dans cette m6re la merveilleuse idolft- 
faie qui le divinise, qui lui rend doux et dfeirable, 
k elle, de s'immoler pour lui. Elle le voit beau, bon 



tit 



et parfait. Et ce serai I peu dire encore^ elle lev<ntrt 
comme id^al, comme absolu de beauts et de bont6, 
la fin de la perfection. 

Dans quel 6tonii6menldoijfoai»iu tomd^erait-elle 
81 quelque e&prit. chagrin, qnelque malencontreux 
sophiste, se hasardail him dire qm « renfia&t est nk 
m6chant, que rhomme est depravi a van! de nailre,» 
et tant de belles inventions pbilosopbiques oul^gen*- 
daires! Les femmes soni douces el patientes. Elles 
font la sourdo oreille. Si elles avaient cm ceky si 
ua seul moment elles avaient pris ces idi^es au sfe- 
rieux,tout eut &1& bientAt fini.Incertaifies et decou- 
rag6es, elles n'auraient pas mis leup vie toule dans • 
ce berceau ; I'enfant n6g1ig<^ edt p6ri; II n'y eti pas 
eu . d'hutnanile; riiistoii^e . eiit &th finie dte ses 
premier* commencements. 

Des qae:l,enfaBt :voit k. lumii^re ti sor^roit dans : 
I'oeil maternel, il reflate, ifistinctivement il re&voie 
la regard d'amour, et dds lors, le plus prafond et 
le . plus doux mysttee de vi& yieDt de s^aecosiplirr 
entre eux. 

.Le temps y ajoulera't-U? Peut- elle crottre, labia" ' 
tilude d ,! i&si parfait maviage? Par une seule chose n 
peuti^lrey c'eet que tons deux I'aient compris; que 



BT DU GOMHSNGEXKNT BB U FOI. 85 

lui il 86 d^gage de r immobility difinev agia«d 6t 
Teaille conrespondre, aille a elle da tout son petit 
caiw, qu'il ait TSlan de se doiuier. 

Cerseeofid inoment de laHioacietide.la foi mu- 
loelle est saisi dans uue oewpe^uaique, que la: 
France possSde an Louvre. Uauteur, Solari (de Mi- • 
Ian), S6 survit par ce seul tableau; tous les autres 
ont pferi. II avait vfecu tongues annies chez nous, et 
il eut le double sens, l,dme des deux nations soeurs. 
Autrement eAt-il trouv6 1'exquis de la vie nervduse, 
son. delicat fc6aussement? 

Id, point d'effet magique, point de myst^rieux 
combat entre la lumiSre et la nuU. Au grand jour, . 
sans artifice, sous un arbre, dans un paysage agr6a- 
me et mediocre, uno m&re el son ^nfaBl; rien de 
pUis. Mftrne ^ et 14 Ja. erudite de tel ton (ef&t. des 
restatirations!) blesse les yeux. Et comment le. 
ooeur est'il si trouble? 

La jeune m&re, fine et jolie, singuliSrement deli- 
cate, yeut biea plus qu'elle ae peut. Non que son 
sein manque de lait; il est beau de sa pleaitude, 
beau de tendresse visible et d!uo doux d6sir d'al- 
laiter. Mais si frfile est cette personne cbacmaatal 
On se demande comment elle nourrira la belle 
source, sinon de sa propre vie. 

Qui Gd* Jle? line fleur italienne, chancelante, ua 
peu 6puis£e7 ou uae nerveuse Fraa^aise (je le 



81 DE L'£C 編 DU PREMIER REGAUD 

croirais bien tout autant). La nation du reste pa- 
rait ici bien moins que Fepoque. C,est le temps 
cruel des guerres, des misferes, Fart sentU, 
exprima Fatlrait p6n6tranl que la douleur donne h 
la grSce, ces sourires de femmes souffrantes qui 
e'excusent de souffrir et voudraient ne pas pleurer. 



Le bel etpuissant enfant, la magnifique creature, 
Bixv qui celle-ci se penche, repose sur un coussin. 
A peine elle pourrait le porter. Frappanle dispro- 
portion, qui n,a ici nul sens mystique. Mais Penfant 
est de grande race, d'un pfere qui sans doute appar- 
tint aux temps h^roiques encore. Et elle, la foute 
jeune mfire, elle est de V&ge souffranl, affaibli et 
affin6 de I'ltalie du Corr6ge. Demifire goutte d*£lixir 
divin, sous le pressoir de 】a douleur. 

Nolez aussi qu*aux mauvais temps, la mfire, quo" 
que mal nourrie, allaite longtemps son enfant. Et 
plus il a de connaissance, plus il trouve eel a lr6s- 
doux et moins il veut y renoncer. Elle, elle n,a pas 
la force de ce grand dfetachcment. Elle s,6puise, elle 
)e sent : mais elle ira tout de m6me, lant qu'elle 
en aura wne goutle. Elle s'6puise, elle mourra pour 
ne pas faire pleurer Penfant. 



ET BU COMMENCEMENT DE LA FOI. 85 

Celle de Solari dit trois choses. 

Faible qa'elle est, ne donnant pas son superflu, 
mais plutdl son necessaire, sa substance, elle n en 
sourit pas moins, et dit avec passion : « Bois, mon 
enfant I bois, c'est ma yie ! » 

Mais soit que le charmant enfant, d,une inno- 
cente avidile, ait un peu bless6 ce beau sein, soit 
que la succion puissante retentisse a la poitrine et 
tire ses fibres intirieures, ellc a souffert, elle souf- 
fre. N'importe, elle dit encore : « Jouis, bois... 
Cesl ma douleur. » 

Et ccpendant le lait qui monte, qui gonfle et qui 
tend le sein, sort et se plait a couler. La douleur, 
se laisant, fait place k un doux engourdissement 
qui n'est pas sans quelque charme, com me celui 
du bless6 qui se plait a voir 6couler sa vie. Mais ici 
c'est un bonheur; si elle diminue eu elle, elle se 
sent augmenter en lui. Elle en 6prouve un strange 
et profond ebranlement jusqu'aux sources de son 
ftlre, et dit : « Bois, c'est mon plaisirt » 



Lui, son invincible puissance qui fait que, quoi 
qu'il advienne, elle ne peut plus s'en detacher. 
Amour qui peut sembler calme, dans rinnocence 

5 



80 Dfi L'EGHAKGE DU PREMlBft HEfiARD, ETC. 

de cet Age, et qui n'est pas comme celui de sa 
mftre, aiguis6 de toutes lea fleehes de d^lices et de 
dooleurfty mais fort de sagrande-unit^^ S,il poimit ' 
dire^ildirait : « Toi seule esmon iofini, mon monde^ 
absolu et cottiplet ; riea en moi qui ne.soit de toiy 
et qui ne veuille aller k toi... Je ne sais si je m, 
mais j'aime I » 

L'Inde symbolise le cercle de la vie pacfaite elr 
divine par rattilude d im Dieu qui de -la main 
prend le pied, se concentre et se forme en are* 
Ainsi font souvent les petits enfants, ainsi fait celui- 
ci, douceaient soulev6 au sein. Eile Paide a aller i 
die, Mais lui, il le veul tout aulant, y fait ce qu'il 
peut. Par ce mouvement gracieux, charmant, d'in- 
stinct naturel ou I'oa sent poindre pourtant l'61aB 
youlu de la tendresse, il ramasse tout son corps, 
baade en arc toute sa personne, aussi grande qu'elle 
puisse 6tre et sans en r^server rien. II ee fait un, 
pour s'offrir et se donner tout entier. 



Ill 



LE JED. - LTENFANT BNSEIGNE Li HfiBK 



Rien de plus joU, riea deplus touchant que l'em, 
barras d'une jeune mftre, toute neuve a la mater- 
nili, pour manier son enfant, ramuser, le faire 
jouer, entrer en communication avec lui. EUe ne 
sait pas trop bien <par ou < prendre le bijou, rfitie 
ador6, mystirieiu, la vivanta 6nigme> qui git la eti 
semble attendre qu'on le remue, qu'on devine ses 
dteirs, ses \olont6s. EUe I'admire, elle tourne au- 
tour, elle tremble de le toucher trop fort. Elle le . 
fait prendre par sa nifere. Soa admirable gaucherie 
fait sourir le t6moin discret qui les . observe ca 
siLence, et se dit que la jeune dame, pour avoir 
eu.un en&nt, n,est pas moins une demoiselle. Les 
Tierges sont maladroites ; la grdce et la facilite a'arr 



S8 LE JEU. ― L'ENPANT ENSEIGNE LA MtRB. 

rivent gu£re qu ,& celle qui est \raiment la femme, 
i&jk assouplie par Pamour. 

Eh bien, madame, puisque enfin vous 6tes ma- 
dame ikjkj y a-t-il done tant d'ann^es que vous 
n'dtes plus petite fille? A quinze ans, s'il m'en sou- 
Went, sous pr6fexte d'essayer des modes, vous 
jouiez encore aux poupfees, Mfime, quand \ous 6tiez 
bien seule (convenez-en), il vous arrivail do les 
baiser, de les bercer. 一 La voici, la poup6e vivante, 
qui ne demande qu'ijouer... Eh 1 jouez done, pau- 
vre petite 置 on ne vous regardera pas. 

« Mais je n'ose. • • Avec celle-ci, j'ai peur. EUe est 
si delicate ! Si je la louche, elle crie. Et, si je la 
laisse. elle crie... Je tremble dc la casser ! » 



n est des meres tellement idolMres, tdlement per- 
dues dans Fextase de cette contemplation, qu'elles 
resteraient tout le jour a genoux devant leur en* 
fant. Par le lait, par le regard, quelque petit chant 
de nourrice, elles se sent en t unics avec lui, et n,en 
deraandent pas plus. Ce n'est pas assez ; Punion est 
bien plus encore dans la volonle agissante, dans le 
concours d'action. S,il n'agit avectoi, sauras-tu s,il 
t'aime? C'est le jeu qui va creer enlre vous ce rap- 
prochement plus intime que rallailement mSme, et 



LE JEU. 一 L'ENFAKT ENSEIGNE LA H£RE. 89 

qui aura tous les effets d,un allaitement de respril. 

fiveille, en jouant, sa jeune &me, sa pens^e et sa 
Yolont6. En lui repose une personne, 6voque-la. Et 
tn auras ce bonheur que cetle Suae et celte per- 
sonne, ce d^sir et ce voiiloir, \Vauront d'abord 
d'autre but que toi-mSme. Sa liberie, aid6e de toi, 
n'aura son premier k\m que pour relourner a toi... 
Ah I qu'il a raison I et que tous, aprgs avoir traverse 
les faux bonheurs de ce monde, nous retournerions 
volontiers vers le paradis mnternel ! Sortis du sein 
dela femme, notre ciel d'ici-bas n'est autre que de 
revenir k son sein. 

t Mais que ferais-je?... Sans doute, je me trou- 
veraisbien heureusede devenir son amie et son petit 
camarade. Que fa ire? » 一 Peu ou rien, ma chere, 
snrtout ce qu'il fera lui-m6me. 一 Observons-le, 一 
posons-le doucement dans rherbe soleillee et sur ce 
lapis de fleurs. Tu n'as qu,i le regarder ; ses pre- 
miers mouvements te guideront. II va t'enseigner.» 

Ces mouvements, ces cris, ces essais d'abord 
impuissants (Taction, les petits jeux qui les suivenl, 
ne sont point du tout arbitraires. Ce n'est pas ton 
nourrisson tout seul que tu vois ici, c'esl I huma- 
nit6 enfant, comme elle fut. 一 (《 Celle premiere 
«ctWit6, dit Froebel, nous raconte el nous renou- 
TeUe les penchants, les iddes, les besoins, que noire 
esp^ eut d'abord. U peut s,y mfiler sans doute 



^ LE JEU. ― L'ENFANT ENSEIGIIB U MfeBEw 

quelque Aliment trouble, dans nos races aU6r6e8 
porunc society faciice. Mais ce n'en est pas moios, 
au total* la r6v61ation tr6s^ra\e du pass6 lointaia 
de r humanity et de se» instincts d'avenir. Lejeu eat 
ton miroir magique oil lu n'as qu'a regarder pour 
apprendre ce que ful rhomme, et ce qu'il sera, ce. 
qu'il faut faire pour le mener k son but. » 

Tirons de la sans basilar le premier priacipe d&.. 
I'Mucation qui d^ja contienl tous les autres: La. 
mere n*emeigne h l enfant que ce que Venfant d'abord 
doit Im avoir enseignd. Cela veut dire que, de luv 
elle lire les premiers germes de ce qu'elle deve* 
ioppe en lui. Cela veut dire qu'en cet enfant, elle a 
vu d'abord passer par lueur, ce qui k la longue, 
elle aidant, devieadra lumi^re. 

« Ainsi, ces germes sont bons, dit-elle, et ces 
lueurs sont saintes?... Merci...Oh I je Favais pens6. 
On in'a\ait dit durement que I'enfant ne nail pas 
bon. Jamais je n'en voulus rien croire. Je sentais : 
si bien Dieu en lui 1 

a Aimable, charmaat conseil 1 取, il va k moou 
€(BurI Tenir bien mes regards surlui, et de lui faire 
en lout ma regie, ne vouloir rien que ee.qu'il veut In -' 

Doucement, chfere petite, doucemeBt 、 Observona. 
d'abord s,il est sdr qu'il veuille et sache bien ce 
<ju'il/veut Voyons pluWt si, accabl^ d'ua chaos de,* 
choses con&ises qui lui arrivent k la fois, il n!attead . 



LRJWOl— L'ESFAfiT XNSEIGfiE U MftftE. 01 

pas tan seconrs pour lui choisir, lui 6claircir les 
objeisde s?, Tolont^. 

C'est ici le coup de g^nie du bon Froebel, et c'esl 
id que yraiment, k Jotce de simplicity, il a trouv6 
ce que les sages avaient cherch6 vainement, le 
mvstere de Peducation. 

Tel fut rhomme, telL' iai la doctrine- Ce paysan 
d*AlIeinagne eut beau devenir un habile, il relint 
un don singulier d'enrance^ et la faculty unique de 
relrou\er netiement les impressions de son ber- 
ceau. c J'itais, dU-il, envelapp6 d'un obscur et 
profond brouillardjNe rien voir, ne Hen entendre,, 
cest d'abord une liberie ; mais, a mesure que nos. 
sens noustransmettent tant d'images, tant de sons, 
la rfaUt6 nous, opprime. Un monde de choses in- 
comprises, sans ordrc et sans suite, nous arriyent 
llafois et sans consulter nos forces ; nous sommes 
ttonnte, iaquiets, ob§ed6s, trop excites. De tant 
^'impressions ^phi&m&res la fatigue nous reste 
seule. C'cst un secours, un bonheur, si une provi- 
deoceamie, de la foule de ces objets, en choisit, en : 
ramtoe frequemment tels et tels,qui, devenant fa- 
miliers, n'oocupent qu'en dilassant^ et nous d6Ii- 
TOnl de cette Babel* » 

Ainsi cette premiere 6ducalion, loin d'fitre une 
gtoe pour Venfant , lui est ua secours, une ddU- 
vmncr du' dum des impressions trop diverses* 



91 LB 狐 一 L'EMFANT ENSEIG.NE LA Mte£. 

qui raccablaient. La mfere en lui amenant les 
choses par ordre, unc a une, pour consid6rer k 
raise, observer et manier tel petit objet qui lui 
plait, lui crie la vraie liberty que demande alon 
son Age. 



Pour se faire, dans cette voie, une m^thode bonne 
et sure, il suffit de bien comprendre ses tendances. 
Chose facile pour celle qui, nuit et Jour, penchee 
sur lui, le regarde, s'informe uaiquement de ce 
qu'il est, de ce qu,il veut, du bien qu'elle peut lui 
faire. 

PremiSrement, il \eul 6lre aira6, que tu I'occu- 
pes de lui et lui t^moignes de I'amour... 一 Oh I que 
cela est facile ! 

Deuxiemement, il veut vivre, vivre beaucoup, 
toujours davantage, agrandir le cercle de sa petite 
action, remuer, varier sa vie, la transporter id et 
la, filre libre. . Ne t'effraye pas ; libre autour de toi, 
ch6rie ; au plus pr& de loi, toujours a port6e de 
toucher la robe, libre surtout de t'embrasser. 

Troisiemement, d&]k lancS aux voyages de d6- 
couvertes, il n'esl pas peu preoccup6 de tant d,ob- 
jels nouveaux. II veut connaitre, ― par toi, et tou- 
jours il va a toi,— non par un instinct seulement de 



LE JEU. 一 L'ENFANT ENSEIGNE LA HfeRE. 93 

faiblesse et d'ignorance, mais par je ne sais quel 
sens qui lui dit que par toi tout arrive, doux, ai- 
mable et bon, que tu es le lait de la vie et le miel 
de la nature. 

Quatriimement, si petit, parlant k peine, i peine 
marchant, il est d^jh comme nous; son coeur, ses 
yeux jugent de m6me, et il te trouve trfes-belle. 
Chaque chose est belle pour lui selon qu'elle te res- 
semble. Toutce qui de prfes ou de loin rappelle les 
formes suaves desa mire, il dit nettement : a C'est 
joli I » Quand ce sont des choses inertes, il en sai- 
sif moins le rapport avec ta beauts vivanle. Mais 
mime en ces choses elle influe puissamment sur 
son jugement. La symStrie des organes et des for- 
mes doubles, de tes mains, de tes yeux, fait son 
idte d'harmonie. 

Du resle, ce qui est en lui magnifique et vraiment 
divin, c'est qu,il est si riche de vie, qu'il en pr6te 
lib^ralement k tous les objets. Les plus simples lui 
Tont le mieux. Des 6tres organises, vivants, pour- 
raient Kamuser, mais leur action indSpendante le 
g£nerait : il les briserait sans malice, pour les con- 
nailre uniquement et par simple curiosit6 

Donne-Iui plutdt des choses de formes el^men — 
taires (il est encore un Element), et de figure r6gu- 
liftre, qu'il puisse grouper en jouant. La nature, au 
premier essai d'associalion, donnedes cristaux.Fais 



94 LE JED. 一 L*ESFA«T Et^SBIGNE Li HkRS. 

comme elle, donne a renfenlcles*formes analogues 
aux cristaux. Tu essAre qu,il sW servira, comme 
d'autant de mat^riaux, les juxtaposant, 】es supep- 
posant. Son instinct est tel. Si on ne lui donne ' 
rien, il s'essaye a\cc du sable, qui luift, s*«eefrale 
toujours. 

Surtout, jamais de module sous ses yeus qui Pas- 
su jettisse. N'en fais pas un imitateur' Sois sure que 
dans son esprit, tout au moins dans son souvenir, il 
trouvcra les jolis types de sa petite aFGhitecliire. 
fin tnatin, 6menreillte, tu reconnidtras ta maison*^ 

« Miracle I t'6crieras-tu. C'est lui qui a fait cela«.. 
Mon fils est un criateuriv* 

C'est le nom propre de rhomme ^ue tu viens de^ 
tiwver la. 

Ajoutez qu'en errant quelque chose, il. va se 
creer lur-m6rae, II est son vrai Prom6th6e. 

Et cesl pour cela, jeune m4re, que du pur in- 
stinct de ton coBur, sans oser le dire, tout d'abord 
tu sentis bien qu'il Stait Dieu. 

Mais voili qu'elle a d6ja peur : « S' il en est ainsi, 
dit elle, il est d6ji ind^pendaat, tout k rheure il va 
in'6chapper! » 

Non, ne crains rien : bien longtemps, il reste de- 
pendant de I'amour, il fappartieni^ c'est son bon, 
hear. S,il cr6e, c'est toujours pour iok. a Regarde^ 
ma 咖 n, regarde (rien ne serait beau pour lui sans 



LE JEU. L'ENFANT ElfSElGNE U MfiUE. 

la caresse de ton regard, la benediction de tes 
yem) Vois ce que j'ai fait pour toi... Si eel a n,est 
pasjoliyjele ferai autrement. » 一 II met pierre sur 
pierre, boissur bois... « Voili une petite chaise ou 
maman pourra s'asseoir . . . Deux montants et une 
traverse, c,est un toh, c'est la tnaison oii manian 
pourra demeurer avec son petit enfant. » 

Done, tu es son cercle ccmplet. II part de toi et 
了 retourne. I/essai, le premier effort de sa jp'ine 
indention, c'est de te loger dans son oeu^re, de 
t'avoir i son tour chez lui. 

Vie enfantine et bienheureuse, tout enti6re dans 
I'araour encore !… Qui s'en souviendra sans re- 
gret? 



IV 



GOMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SAGRE. 



Quand on pense que les enfants vivent si peu g^- 
n^raleinent, on 6prouve un Yif desir de les rendre 
heureux a tout prix. 

Ua quart meurt a\ant un an, — disons, avant 
d'avoir vfecu, avant d'avoir reqxx le bapt6me divin 
de lumi^re qui transfigure le cerveau dans cette 
premiere ann6e. 

Cn tiers meurt avant deux ans, avant presque 
d'avoir conim les douces caresses de la ferame, et 
gout6 dans une mtve le meiilcur des biens d'ici- 
bas. 

La moili6 (dans plusieurs pays) n'utteint pas la 
pubert6, la premiere aurore d'amour. AccabI6s de 
travaux pr6coces, d' Eludes s6ches et de rigueur% 



COHBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRfi. 07 

lis ne peuvent pas arriver a cetle seconde nais- 
sauce, ce bonheur, cet enchantement. 

On peut dire que les meilleurs hospices d'enfanU 
frouv6s sont des dmeti^es. Celui de Ifoscou, sur 
37,000, en vingt ans, ep sau\e 1 ,000. Celui dc Du- 
blin 200 sur 12,000, c'est-i-dire un soixantietue. 
Que dire de celui de Paris? Je I'ai vu et admir6, 
mais les r6sultals n,en sont pas bien positivement 
connus. On y trouve r^unis d^ux classes d'enfants 
tres-diffSrentes : 1。 des orphelins quon am 色 ne tout 
Wevis, et ceux-l& ont chance de vivre ; 2。 les enfants 
trouvds proprement dits, les nouveau-nis apport^ 
^ la naissance ; on les envoie en nourrice, et Foil 
prolonge ainsi leur vie pendant quelques mois. 



Ne parlons que des heureuXy de ceux qui ont une 
mire, de ceux qu'on entoure de tendresse, de soins, 
davenT. Regardons-les : tous sont jolis a quatre 
ans, et laids a huit. D6s que nous commen^ons k 
vooloir les cultiver, ils changent, ils sevulgariscnt, 
se d^forment. Nousenaccusons la nature, nous ap- 
pelons cela V&ge ingrat. Ce qui est ingrat, sterile, 
desstebant, c'est la maladresse avcclaquelle on fait 
passer I'enfant d'une vie loute mobile k une fixil6 
baibarei passer une pelilc t6le, toute sensible, tout 



98 GOSDI£N L'ENFANT EST FRAGILE ET EACfifi. 

imaginative, a dcs choses aussi abstraites que: 4a 
lecture ou le calcul. 11 faudrait plusiears ann^es de 
• transitions bicn m6nag6es, de petits travaux fort 
courts, trfes-faciles, mS16s de^mouvcmenfs et d'ac- 
tion (mais non pas automatique). Nos asUes sent 
encore hrin de rempHr ces oondiiions. 



Ce probl^me de l-^ducation, qui ii^est pas seule- 
inent' celui du developpement futur, laais qui est 
poor- :1a plupart ane question de>vie ou de mort, 
m,a sou vent* altrist6 i'esprit. J,ai vu^defiedllir a la 
fois itB deux systfimes coMraires (y^daeatiou qui 
se partageaient le monde. 

L'Mucation d'enseignement, de tradition et d'au- 
torit^, telle qu'elle est dans les 6coles, colleges (ou 
pelits stoiinaires, tous suivent les m toies melho- 
des), est partout affaiblie en Europe. A cette im- 
puissance trop bien conslatfee, les i^cents essais 
d'am^lioratioD ont ajout6 le ehaes. 

D'hi^lre part,' les iibres -tceles qui s'occupment 
de former I'hamme pi tia encore que de rinstmire, 
celles qui, inspii ees de Rousseau, de' Pestatozzi, 
' faisaient appel a sa spontan6ite, n'oiit hi^ & uq 
moment en Suisse, en Allemagne/qae pour 6tre 
abandonn^es. 



GOMBIEN L'ENFAKT EST FRAGILE £T ^99^ 

Cdles-ci allaient au coeur des m6res. I/enfant, 
quoi qu,il arrivftt, en attendant 6tail heureux . Les 
p^res trouvent que ces ecoles, dans leurs melhodes 
trte-JcBtes, enseignent trop peu, iostruisent trop 
peu. Done, malgr^ les pleurs des m&res, tous les 
eofants vont au college (laiques ou ecclfeiastiques). 
Beaucoup s'y fl6trissent et meurent. Peu, tr^peu 
apprennent, et par de mortels efforts. Un ensei- 
gnement si varie, ou chaque 召 tude arrive a part, 
sans qu'on donne jamais leurs rapports, use et 
taer^e Fesprit. 

Les iilles, donl ]e parlerai tout k I'henre plus sp^ 
dalement, ne sont pas plas 61ev6es qu'aux temps 
ou Ffenelon a fait son aimable livre, qu aux temps 
ou raoteur d'^lmile a esquiss6 sa Sophie. Rien qui 
les prepare k la vie. Parfois, des talents pour bril- 
ler, parfois (dans les classes moins riches), quel- 
'ques 6tudes virile^qtii la m&nent a Teiiseigneineiit. 
Vais nuUe culture propre k la femme, a Ffepouse 
et a la m 会 re, nulle Mucation sp6ciale a leur sexe* 



J*ai taut hi'sur ces matins, tant de choses 'in6- 
diocres jBtvaines, quej,6tais lassi des livres« D'autre 
part, la vie des Ecoles, ma propre pratique de I'en- 
seignement, me laissaient bien des choses obscurer. 



100 GOMBIEN L'ENFAM EST FRAGILE ET SAGRE. 

3e r^solus, cette annee, de rernonter au plus haut, 
d'6ludier la premiere organisation physique de 
rhomme, de toucher les realit6s,de relremper mon 
esprit par robservation malSrielle. Le corps en dit 
beaucoup siir l,dme. C,est beaucoup devoir, de pal- 
per Pinstrument sacre dont la jeuiie dme s'essaye a 
jouer, instrument qui peul r6veler ses tendances, 
nous dormer des signes de la mesure de ses forces. 

C,6tait au prinlemps. Les Iravaux anatomiques 
finissaient a Clamart, et il y avail d6ja,dans ce lieu 
si peupI6 rhiver, de la solitude. Les arbres etaient 
pleins (Toiseaux, le parterre qui embellit ces fu- 
nebres galeries 6tait tout en fleurs. Mais nuUe n'6- 
tait comparable a la fleur hieroglyphique que j,al- 
lais 6tudier. Ce mo I ii'esL nullemcnt ici une vague 
r.omparaison 一 mon impression fut telle. 一 Nul 
degout. Tout au contraire, un sentiment d'admi- 
ralion, de tendresse et de pi tie. Le cerveau d,un 
enfant d'un an, vu la premiere fois, par sa base (la 
face inKrieure qu'il pr6sente en le renversant), a 
tout reffel d'un large et puissant camellia, avec 
des nervures d,i voire, veine (Tune rose d^licat, el 
ailleurs d un p41e azur. J'ai dit ivoire faute de 
mieux. C'esl unblanc iinmacul6, el pourlant d'une 
molle douceur, unique et aUendrissante, dont rien 
nc donne I'id&e el qui, k mon sens, laisse bien 
loin lout autre objet dc la lerre. 



GOMBIBN L'E^iFANT EST FRAGILE ET SAGR£. 101 

Je ne me trompe pas ici. Les premieres Amo- 
tions, fortes sans doute, cependant ne m'ont pas 
fait illusion. M. le docteur Beraud et un artiste 
fort habile, qui peint tout le jour des planches ana- 
tomiques, quelque habitues qu'ils fussent a voir ces 
objets, jugeaient comme moi. C*est tr6s-riellement 
la fleur des fleurs, I'objet d61icat, innocent, char- 
mant entre tous, la plus touchante beauts qu'ait 
r6alis6e la Nature. 

Lc vasfe 6tablissement ou j'^tudiais me permet- 
tail de suivre une methode prudente, de renouveler 
et verifier mes observations, d,6tablir des compa- 
raisons entre des enfants d'^ge et de sexe diff6- 
rents, et d'autre part de considerer les enfants et 
Ics adultes, jusqu'a la vieillesse mfime. En pen de 
jours j'eus sous les yeux des cerveaux de tous les 
ages, qui me permirent de suivre, d'aan^e en an- 
n6e, le progrfes du temps. 

Les plus jeunes, c'etait une fille qui avait vfecu 
peu de jours ; des gargons d'un an au plus. Elle 
n'avait pas vu la lumi^re, et eux ils avaient eu le 
temps d'en 6tre impr6gn6s. Elle avail le cerveau 
fioUant, a Vetat rudimeiitaire ; eux, au conlraire, 
lis ravaient aussi fort, aussi fix6 presque aussi 
riche deja que les enfants plus dg6s et m6me les 
grandes personnes. 

Pass6 cetle grande revolution de la premiere an- 

6 



102 GOHBlfiN L'ENFAUT £ST FHAGiLE ET SAGK&. 

nee, le deTeloppement de I'esprit (d'ailleurs visible 
sur la face)'modifiait bien plus que Fage la physio- 
nomie du cerveau. line petite fiUe de quatre ou cinq 
ans, de figure inlelligente, l aTait 處:) his accidents 
de volutes et de repHs, plus nette0>ent dessin^, pJus 
finement d6coup6 que celui de piusieurs femines 
vulgaires de vingl-cinq ans, trente-cinq ans, Les 
mysl^rreux dessins qu'offre le cervelet dans son 
^paisseur et qu'on appelle arbres de vie^ ^(aient 
bien mieux arborises dans cette enfant encore si 
jeune, plu9 jolis, plus arret^s. 

Ce n'6tait pas cependani une chose eKception- 
nelle. Sar piusieurs enfants d'age analogue, je re- 
tronvai a peu prfes le m6me caract^re. J,en vins a 
cette conclusion qu'atjualre ans, nou-seulement le 
ceTTeau, mais la moelle 6pini6re et tout le systeme 

"nerveux ont leur plus grand d6velappement. Si 
longtemps avanl que les muscles aient le leur, et 
qnand I'fttee est si faiWe enoare, il est, pour les 
nerfs de la sensibililfr el du mouv 僅 ent, ce qu'il 
sera un jour ; c^est 'd6ja, daas sa plus cbarmante 
harmonic, la personne^ humaine. 
Mais, qQoique d6j^ si eley^e, elle est encore 

'Bxcessivemeril dependatite et toute k neire merci. 

-Le eerveau, pur el lable rase, de cette eiifanl de 
qudtre ans, comme une tablelte d'ivoire, de sen- 

"itUiilite"*«iBiUe,'avadl 1-air d,aUendre qu'on grav&t 



GOMfilEN L'ENPANT EST FRAGILE ET SilCR^. i09 

deasus, de dire : « £crivez ici ce que vous vdulez. . . 
Je croirai, j'ob6irai. Je suis lit pour obeir. Je d6- 
pends tellement encore etj'appartiens tellement!* 

Incapacity absolue d'iviler aucune souffrance, 
incapacili de pousvoir a ce qui iui est ni§cessau:e., 
voila Fenfant a eel Age. Celle-ci surtout trfes-avaar 
c6e, capable d aimer et de comprendre, semblait 
implorer Fassistance. On edi dit la pri6re m6me. 
Morte, elle priail encore. 

Je fus fortemenl 6mu, luais ^clairt en m6me 
temps. Les nerfs de la pauvre petite rne donnSrent 
la r^v^lation et rintuilion tc&s-nette do la contra* 
diction r6elle qui fait le destin de Tenfant. 

D'june part, c,est la criatnre mobile entre toutes, 
qui remue fataleeienL Les nerfs dela motilil^ sont 
developp6s et . actiis avant . les forces d'6quilibr« 
qniy feraient contre-poids. Cetle agitation constanla . 
nou&gtoe et souveoi nous irrite; nous ne songeons. 
pas qu'a cet Age, elle est la vie eUe-mi&me. 

D'autre part, les nerfs de la sensibiliti sont com-. 
pletSj par consequent la capacit6.de soufTrir, celle. 
mfime d'aimer bien plus qu!on ne le croit commu- 
n^ment. On le voit aux Enfants trouv6s : beaucoup 
de ceux qu'on apporte k qualre ou cinq ans sont 
inconsolables et meurent. 

Chose plus itonnante, k cet ige si tendre, la sen- 
sibifite amoureuse est ex prim 6e dans les nerfs plus 



104 G0MB1EJ9 L'ENFANT EST FRAGILE ET SAGRfi. 

fortement que chez Padulte. J' en fus effrayfi. L'a- 
mour, endormi encore dans les organes sexuels, 
semble d^jk tout 6veill6 aux points de la moelle 
ipinifere qui agissent sur le sexe. Nul doute qu'aux 
moindres appels ils n,en donnent les pressenli- 
ments. II iie faut done pas s,6toimer de ces coquet- 
teries innocentes, de ces timidit^s subites, de ces 
furtifs mouvements de pudeur sans sujel. 

Voila le noeud de la piti6 et ce qui doit faire trem- 
bler. Cet fitre infiniment mobile, noubliez pas 
qu'en m&me temps il est infiniment sensible, 
GrSce I patience ! je vous prie. 

Nous les brisons par la rudesse, souvenl par la 
tendresse aussi. Les mferes, passionn6es, variables, 
murissent, 6nervent renfant par la fougue de leurs 
transports. Je leur voudrais I'impression doulou- 
reuse et salulaire que donne la vue d,un organisme 
si tendre. II a be&oin d,6tre enfour^ d'un amour 
calme et doux, s6rieux, d'un monde d'harmonie 
pure. La petite creature, d'elle-mfime toute 
amoureuse, ak craindre les vives caresses presque 
autanl que les rigueurs. Epargnez-la, et qu'elle 
Vive! 



V 



L'AMOUR A CINQ ANS. 一 LA POUPEE 



On s Sionne de voir Fexcellente madame Necker 
de Saussure penser que, jusqu'a dix ans, les filles 
et les gar$ons sont a peu prfes la m&me chose, el 
que ce qu'on dit pour les uns servira pour les a utres . 

Quiconque observe, sail bien que cet ipeu i^rds 
est une difference 6norme, infinie. 

Les petites filles, dans la 16g6ret6 m&me de leur 
dge, sont d6ja bien plus poshes. Elles sont aussi 
plus tendres. Yous ne les verrez gu6re faire mal k 
un petit chien, 6touffer, plumer un oiseau. Eiles 
ont de charmants 61ans de bont6 et de piti6. 

Une fois, indispose, j'fetais couch6 sur un divan, 
k demi convert d,un manteau. One charmante pe- 
ti(e fiUe que sa m&re avail amende chez nous en 
,isite, accourt et se metivouloir me couvrir mieux 



106 L'A 謂 R A CINQ ANS. 一 LA P0UP£E. 

et me border dans mon lit. Comment d^fendre son 
coeur de ces d6Iicieuses creatures? Gependant on 
doit se garder de le leur ffemoigner trop, et de trop 
les attendrir. 

Le petit gargon est tout autre. lis ne jouent pas 
longtemps ensemble. S'ik ont commence d'abord k 
&ire une maison, le gargon voudrait bientdt qu'elle 
devienne une voiture ; il lui faut un cheval de bois 
qu'il frappp et qu,il dompte. Alors elle jouera k 
part. 11 a beau 6tre son frfire, ou bien son petit mari. 
Quand mfime il scrait plus jeune, elle d6sesp6re de 
lui, se r6signe a sa solitude, et voici ce qui arrive. 

C'est surlout I'hiverj au foyer, que vous obsenre- 
rez la chose, quand on est plus renfermfe, qu'on ne 
court pas et qu'il y a moins de mouvemeiit e&t6- 
rieur. Un jour qu,on l,a un peu grondte, vous la 
voyoz dans un coin envelopper tout doucement le 
moindrc objet, un petit Mlon peut-6tre, de quel- 
ques linge3, d'un morceau d'une des robes de sa 
mere^ le serrer d un fil au milieu, et d'un autre un 
peu plus haut, pour marquer 】a taille el la iftte, 
puis Pembrasser tendrement et le bercer. a Toi, 
cu m,aiines, dit-elle kvoix basse; tu nenegrondes 
jamais. » 

Voici .un jeu, mais sSrieux, et bien plus s^rieux 
qu on ne pense. Quelle est cette nouvelle per- 
sonae, cette en&nl de notre enfant? Examinoos 



L'AMOUR A GiKQ ANS. 一 U PODPfiB. iOT"' 

tous ie9 riles que joue cette crtature myst£rieaa»i 
V©us croyez que c'est siin{deinent une im^Um^ 
de matemit^y que, pour 6tre d6ja gFande^ au8si« 
grande que sa mfere, elle veul avoir aussi une pe- 
tite fille k elle^ qu'elle rfegenle et gouverne, qu'elle 
embrasse ou qu'elle gronde. II y a cela, mais ce 
n'est pas taut : k cet instinct d'imitation il faut en 
ajouler un. aBty 翁, que' l,organisme pr6coce donne 
k Unites, ceUes m6me qu?. D'^turaient pas eu de 
mtoe pour module.* ^ 

Dtsons la chose comme elle est : c*€8t id le pre- 
mier amour. L'id^al en est, non un (rite (il ealtrop; " 
brusque, trop bruyant), mais une jeune seeuiv 
dottce, annable^ k son image, qui la carcsse ct la 
console. . 

Aulre poini de vue, non moins vrak C'eat ici utt ' 
premier emi dHndipendamej I'essai timide de 
rindWidualit^. 

Sous celle 'forme touie graciense, ilya, k son, 
insu, une vell6ite de poser h part, quelquc p^u, 
d'oppositioD, de contradiction fdminine. Elle com- 
mence son rile defemme^ toujours sous rautoritfe; 
elle gkndi un peu de sa m&re, comme plus tard de 
son man, II lai faut une petite, loute petite confix 
dente^ avec qui 6lle soupire. De quoi? De rien an- 
jousd hui peutrdtre^ mais de je ne sais quoi qui 
viendra dans I'aTenir. Eh t que tu as raison ,! im' 



108 L'AMOUR A CINQ ASS. 一 LA POUPfeB. 

fiUe. H6Ias ! que tes petils bonheurs seront m616s 
de douleurs I Nous aulres qui vous adorons, com- 
bien nous tous faisons pleurer I 



11 ne faut pas plaisanter, c'est une passion s6- 
rieuse. La mire doit s'y associer, accueillir avec 
bont6 l,enfant de sa fiUe. Loin de m^priser la pou- 
pfee, elle insistera pour que l,enfant capricieuse lui 
soil toujours bonne m^re, la lienne propiement 
habillSe, qu'elle ne soitgdl^eni battue, mais tenue 
raisonnablement comme elle Fesl elle-mfime. 

Grands enfants qui lisez ceci, pfere, frferes, pa- 
rents, je vous prie, ne riez pas de Totre enfant. 
Ezaminez-vous vous-mfimes, nelui ressemblez-vous 
pas? Que de fois, dans les affaires que vous croyez 
les plus graves, une lueur de reflexion vous vienl, 
et vous souriez... vous avouant k demi que vous 
jouiez k la poupce. 

Notez bien que plus la poup6e de la petite fille 
est son oeuvre, plus elle est sa fabrication simple, 
fel6mentaire, mais aussi personnelle, plus elie y a 
mis son ca?ur, et plus ily a danger de la contrister. 

Dans une campagne du Nord de la France, pays 
pauvre et de travail dur, j,ai vu une petite fille fort 
sage, raisonnable avanl le temps. Elle n'avait que 



L'AMOUR A GIIIQ ANS. 一 Ik P0UP£B. 109 

des frftres qui 6taient tons plus Ag6s. Elle 6lait 
venue fori tard, et ses parents, qui alors ne comp- 
laient plus avoir d'enfants, semblaient ne pas lui 
savoir bon grfe d*6tre n6e. Sa m6re, laboricuse, 
aust&re, la tenait toujours pr6s d'elle au travail, 
pendant que les autres jouaient. D'ailleurs les gar- 
cons plus dg6s, avec la 16g6rete s^che que ieur sexe 
a dans I'enfance, ne se seraient gu^re pr£t^s aux 
jeux de la jeune soeur. EUeauraitvoulu d'elle-mfime 
faire un peu de jardinage, mais on riait de ses es- 
sais, on marchait dessus. Elle en vint natureilement 
i se faire, avec quelques chifTons de colon, unepe< 
titc consolatrice h qui elle racontait les espi^gleries 
de ses frferes, ou les gronderies maternelles. Vives, 
extremes 6taient les tendresses. La poup6e 6taU 
sensible, elle rtpondait a merveille et de la plus 
jolie voix. Aux Spanchements trop tendres, aux r6- 
cits &mus, elle s'attendrissait aussi, et toutes deux 
s*embrassant, elles finissaient par pleurer. 

On s'en apergut un dimanche. On rit fort, el les 
garQons,Ialui arrachant des bras, trouvSrenl plai- 
sant de la lancer sur les plus hautes branches d'un 
arbre, et si haut qu,eUey resla. Les pleurs, les cris, 
n'y firent rien. La petite lui fut fiddle, et, dans sa 
douleur, refusa d'en refaire jamais une autre. Pen- 
dant la mauvaise saison, elle y pensait, attrist^e de 
la sentir Ik k la neige, aux gel6es. Lorsqu'au prin- 



110 I/AMOUR A GI5Q AM. 一 •LA POUP£ft,i 

temps oirtaiUa'l,arbre* eUe pria le jardinier . de la 
chercher. Inatiila de di^e que dte loogtemps la pan, 
vre soBur s'itMt enYol6e auisonffladu vent du nord». 

Deux ana aprds^ la m^e aohetftnt des habits pour, 
lesahigs^lamanchande^quitvendaitaussidesjouets^ 
remarqua 】a petite qui le^ regardait. Par un mou* 
vement de bon coeur , elle voulut donner. quelque 
chose k ceile poun qui on n'achetait rien, et lui mit 
entre les bras una petite potip6e d'AlIemagne. Sa 
surprise futsi forte^ et tel le ravissement que, chan- 
cbelante sur ses jambes, a peine eUe put la rappor- 
terj . GeUe-rGtv mobile, obiissante, suiyaii toute 
volants. Elle<s»ipr6tait &】 a toilette. Sa maitresse 
ne pensait .plus: qu ,& la faire belle et.bcillante. Ei: 
c^est ce'qni la cperdit. Les gar$on& la firent danser, 
h mort ; se» bras's'arrach^rent ; elle^derint impo — 
tenle/, on lasoigna, on la ^'.oucba . JNou veaux sujets 
cla:dduleiif^ . 一 la;f)etite fille ea maigrit. 

GependantiiHie demoiselle la <veyant si triste, si 
tristey r/6inut et chercha, retrouva dans ses rebuts 
une supeFbe-poupgecqcii avail . 616; la sieane. Quoi- 
que maltFait^e par le temps, elle faisail illusion ., 
bidB plus que celle da:bois. EUe.avaU des formas . 
compltos ; mAmeinue^ elle papaissait vivaBLe. Les 
amies la capessaienlfort, et:d6ji|' dans ses amiti^ 
elle avait des preferences* les lueursy les premiers" 
signes d'une vie pr^coce de passion. Pendant une 



L'AHOUR A CiNQ ANS. 一 U POUP££. Ill 

courte maladie que fit I'enfant, je ne sais qui, peut- 
Mre par jalousie, brisa crueilement la poup6e. Sa 
maltresse, relev6e du lit, la Irouva dteapit^e. Cetle 
troisieme trag6die 6tait trop, elle tomba dans un 
tel d&couragement qu'on ne la vil plus jamais rire, 
jamais jouer. Toujours trompee dans ses rfives, elle 
d6sesp6ra de la vie, qu'elle avail k peine effleur6e, 
et rien ne put la sauver. Elle mourut, iaissant un 
vrai deuil k tous ceux qui avaient vu cette douce, 
cette suaveetinnocente crfealure, qui n'avail gufere 
m heureuse, et qui pour Ian t itait de^k si tendre 
et le coeur plein d'amour. 



VI 



LA FEHHE EST UNE RELIGION 



Le pfere, dans F^ducation, est beaucoup Irop do* 
mink par i'idee de ravenir, c'esW-dire de l,incer- 
tain. La mere veut surlout le present, que I'enfant 
soitheureux, qu ilvive. Je suis du parti de la mere. 

Ou'il vivel C,est en r6alit6 le plus difficile. Les 
homines ne s'en doutent pas. M6me quand ils ont 
sous les ycux le spectacle des efforts, des veilles, des 
soins inquiets, qui chaquejour sauvent, prolongenl 
la fragile creature, ils raisonnent avec sang-froid 
sur ce qu'elle fera dans dix ans. Qu'ils compren- 
nent done au moins les chiffres incontesl6s, offi- 
ciels, de la mortality effroyable des enfants. Celui 
qui nait est longtemps un mort probable ; sans la 
m^re, un mort certain. Le berceau est pour la plu- 



LA FE 醒 EST JJM RELIGION. m 

part un petit moment de lumiSre entre la nuit et la 
nuit. 

Les femmes qui 6crivent, impriment, ont fait des 
livres eloquenls sur le malheur de leur sexe. Mais si 
les enfants ecrivaient, que de choses ils auraient a 
dire I Ils diraient : « M6nagez-nous, 6pargnez-nous, 
dans ce peu de mois el de jours que nous donne g6- 
nferalemenl la s6v6rite de la nature. Nous sommes si 
dependants de vous I vous nous lenez tellement par 
la supferioril6 de force, de raison, d'exp6rience!.,. 
Pour peu que vous y mettiez d'art et de bons mena- 
gements, nous serons bien ob6issants, nous ferons 
ce que vous voudrez. Mais n'abregez pas I'heure 
unique ou nous sommes sous la ti&de lumi6re du 
soleil et dans la robe de nos mferes.,. Demain nous 
serons dans la lerre. Et de tous les biens d'ici-bas 
nous nemporterons que leurs larmes. » 



Les esprits {inpatients vont conclure de la que 
je desire pour I'enfant la libert6 illimit^e qui serait 
pour nous une servitude, que je m'en remeto uni- 
quement k ses tendances instinclives, que je veux 
qu'on lui ob6isse. 

Au conlraire, mon point de depart a ete, comme 

7 



ill LA FEHME EST 画 RELIGION. 

on I'a vu, rid6e profonde, originale, que Froebel 
posa le premier. « L,enfant, laiss6 au chaos des 
premieres impressions, en serait tr^s-malheureux. 
C,est pour lui une d61ivrance qu'k cette confusion 
fatigante la mfere substitue un petitnombre (Tobjels 
harmoniques, qu'elle en ait I'initiative et les lui 
amSne par ordre. L'ordre esl un besoin dc I'esprit, 
un bonheur pour l,homme enfant. » 

Les mouvements d6r6gl6s, I'agitation effrenfee, 
ne sont pas plus n^cessaires au bonheur de I'enfant 
grandi que le chaos des sensations confuses ne I'a 
6t6 au nourrisson. J,ai bien souvenl observe les pe- 
tits malheureux qu,on laisse au hasard de leur fan- 
taisie, et j'ai 6t6 frappe de voir combien ia vaine 
exaltation, le d6vergondage, les fatiguaient bientdt 
eux-m6mes. Au d^faut de contrainte humaine, ils 
rencontraient k chaque instant la contrainte des 
choses, robstacle 腿 et, mais fixe, des realit6s ; ils 
se d^pitaient ea vain. Aucontraire, renfant dirig^ 
par une providence amie et dans Fordre nature" 
ne rencontrant que rarement la tyrannie de rim- 
possible, vit dans la vraie iiberl6. 

L'usage habituel de la libertfe dans i'ordre a cela 
d admirable- que t6t ou tard il donnera a la nature 
ia noble terilation de subordonrier la nature mSme, 
de dompter la libei te par une liberty plus haule, de 
vouloir Veffort et le sacrifice. 



Li FEaOIE SST 画 RELIGION. 115 

L' effort meme est dans la nature, el il en est le 
meilleur. J'enteads i'effort libre et \oulu. 



J,ai donne cette explication avant rheure, et pour 
r£pondre a ceux qui criliquent avant d avoir lu. Je 
suis fort loin maintenant d'imposer Peifort a la 
petite creature que j,ai dans les mains. Eile est in- 
telligente, aimante. Mais c*est encore un 61emeat. 
Dieu me garde, ah ! pauvre petite I de te parler de 
lout cela. Ton devoir aujourd'bui, c'est vivre, gran- 
dir, manger bien, dormir mieux, courir dans les 
bles, dans les fleurs. Mais, on ne peut courir 
toujours, et tu seras bien heureuse si ta mSre, ta 
soeur ain^e, jouent avec loi, te rendent habile k ce$ 
travaux qui sont des jeux. 

Le devoir^ c'esl V&me interieure, c'est la vie de 
rSducalion. L'enfant le sent de trfes-bonne heure ; 
nous aTons tous, presque en naissant, inscrite au 
coeur ridfee du juste. Je pourrais lui faire appel. 
Mais je ne le veux pas encore. 11 faut que la vie au 
complet soit d^ji bien constitute, avant qu'on lui 
or6e sa carriere et qu'on limite son action. Ceux qui 
font grand bruit de morale, d' obligation, avec Pen- 
fant qui n'est pas sAr de vivre encore, qui Iravaillen t 
k resserrer , ciiconscrire ce qui, au contraire, auiail 



110 LA FEMME £ST 丽 RELIGION. 

besoin de 8,6tendre, ne sont que des insenses. Eht 
malheurcux, laissez done la vos ciseaux ; pour re- 
trancher, couper, lailler, attendez au moins que 
I'etoffe existe. 

L'appui de l,Mucation, son Suae el sa vie con- 
stante, c'esl ce qui de tr&s-bonne heure apparait 
dans la conscience, le bon, le juste, Le grand art, 
c'est que, par ramour, la douceur, lordre ei l,har- 
monie, YAme enfantine, obtenant sa vraie^ie saine 
et complete, de plus en plus apercoive la justice, 
qui est en elle, inscrite au fond de I'arnour. 

Des exempies, et point de preceples (du moins 
dans les commencements). L'enfant, de lui-meme, 
ira ais6inent de I'un a Vautre. II trouvera, sans 
chercher, ceci : <r Je dois bien aimer ma mere qui 
m'aime tant. » 一 Voila le devoir. Et rien de plus 
naturel. 



Je ne fais pas ici un livre sur I'Mucalion, et je 
ne dois pas m'arrfiler sur les points de vue g6n6- 
raux, mais insister sur mon sujet special, Ydduca* 
tion de la filU. AbrSgeons ce qui est commun entre 
la fille et le gar^on. Insistons sur la difference. 

Elle est profonde. La voici : 

L'Mucation du garcon, dans rid^e moderne, c,€st 



LA FEHHE EST 觀 RELIGION. 117 

organiser une force, force efficace et produclive, 
de cr6er un eriateur. L'homme moderne n'est pas 
autre chose. 

L'education de la fille est de faire une harmonie, 
A harmoniser une religion. 

La femme est une religion. 

Sa destin6e est telle que, plus elle restera haul 
oomme poteie religieuse, plus elle sera efficace 
dans la vie commune et pratique, 

Dans l'homme, Futilite peut se trouver s^parSe 
de I'id^al ; I'art qui donne de nobles produits, peut 
avoir parfois cet effet que l,artiste se vulgarise et 
ne garde que fort peu du beau qu'il met dans ses 
oeuvres. 

Jamais rien de tel pour la femme. 

La femme au coeur prosaique, celle qui n'est pas 
une po^sie vivante, une harmonie pour relever 
rhomme, felever l,enfant, sanctiiier constamment et 
ennoblir la famille, a manqu6 sa mission, et n,aura 
aucune action, mfime en ce qui semble vulgaire. 



La mfere, assise au berceau de sa fille, doit se 
dire : « Je tiens ici la guerre ou la paix du monde, 
ce quf troublera les coeurs ou leur donnera la paix 
et la haute harmonie de Uieu. 



118 



U FEBiME EST 腿 RELIfilON 



a C'est elle qui, sije meurs, sur mon tomheau, ii 
douze ans, relivera son five de ses petites ailes^ 
le reportera au ciel. (V. 】a Vie de Manin.) 

« C,est elle qui, h seize ans, d'un mot de fiere 
exigence, met rhomme au-dessus de lui-mSnie, lui 
fait dire : « Je serai grand I » 

« C'est elle qui, h vingt ans> k (rente et tome la 
vie, chaque soir ravive son mari, amorti par le 
metier, et dans raridit^ des int^rfits, des soucis, 
lui fait surgir une fieur. 

« Elle qui, dans les mauvais jours oil Phorizon 
se ferme, oil tout se d^senchante* lui rend Aieu, 
le lui fait toucher et relrouver sur son sein. » 

Eleve' une fille, c'est elever la socifeti elle-m6me. 
La soci^te procede de la famille, dont rharmonieest 
la femmei £leverune fille, c'estune oeuvresublime 
et dgsintSressee. Car lui ne la cr6es, 6 lafere, que 
pour qu'elle puisse te quitter et te faire saigner le 
coeur. Elle est destinte d un. autre. Elle vivra pour 
les autreSy non pour toi, el non pour elle. C'est ce 
caraclSre relalif qui la met plus haut que rhomme, 
et en fait une religion. £lle est la flamme d'amour 
et la flamme du foyer. Elle est le berceau d'avenir, 
elle est l ecole, autre berceau. D'ua seal mot : KUe 
est lautel* 



LA F 腿 HE EST 綱 REUfilON. m 

Grftce a Dieu, tous les systimes d^battus pour 
l,6ducation du gargon finissent ici. Ici cessent les 
disputes. La ^nde liitte des methodes, des theo- 
ries, expire dans la culture paisible de cette fleur 
benie. Les discordes dSsarm^es se sont embrassees 
dans la Grice. 

Gelle-ci n'est'pfts condamn^e k raetion forte et 
violente. Elle ne doit pas subir le monde effrayani 
du detail, qui va croissant, au delk de toutes les 
forces de rhomme. 

Ira-t-elle jasqu'aux sommets de la haute specu- 
lation? Pourquoi pas? Mais^ niiJlement en passaat 
par nosfilieres. Nou& lui trouvesons des voies pour 
qu'ellefitfTiw a Fidee, sans que son kme charmanti 
passe par la torture prtolable o£i se perd Uesprit 
de vie. 、 

Que doit-elle 6tre? iJna harmonie* D'apr6s quel 
minDir, 6 mere ! sur qui se regiera-t-elle? 

Chaque matin et ehaque soir, tu feras cette 
pri^re : « Man Dieu, faifes-moi tr^s-belle 1 . •• Et que 
ma fille, pour F6tre, n,ait besoin que de regar* 
der. » 



Le but de la femme, iei-ba &, sa i^oeation 6,idente, 
c'est ramour. II faut 6lre bien tristement n6« bien 



120 LA FEHME EST UNE RELIGION. 

ennemi de la nature, bien aveugle et d'esprit tortu , 
pour prononcer, contre Dieu mtoie, que ce char- 
mant organisme et cette tendresse de coeur ne la 
vouent qu'a I'isolement. « Elevons-la, disent-ils, 
pour 6tre seule, c'est le plus sdr. L*amour est l,ex- 
ception, mais l,indiff6rence est la regie . Qu'elle 
sache se sufflre k elle-mftme, travailler, prier, 
mourir et faire son salut dans un coin. » 

Et moi, je r6ponds que I'amour ne lui manquera 
jamais. Je soutiens que, commefemme, elle ne fait 
son salut qu'en faisant le bonheur de Phomme. Elle 
doit aimer et enfanter, c'est Ik son devoir sacre. 
Mais entendons-nous sur ce mot. Si elle n'est pas 
Spouse et mfere, elle sera feduca trice, done n'en sera 
pas moins m&re, et elle enfanlera de Fesprit. 

Oui, '^i le inalheur voulait qu'elle fut n6e dans 
un temps maudit ou la plus aimable ne tAl pas ai- 
mfee, d'autant plus ouvrira-t-elle ses bras, son coeur, 
au grand amour. Pour un enfant qu'elle aurait eu, 
elle en aura mille, et les serrant contre elle-mfeme, 
elle dira : « Je n,ai rien perdu. » 



Que les hommes sachent bien une chose, un 
mystere noble et charmant que la nature a cach6 



LA FEMMB EST UNE RELIGION. 19i 

au sein de la fern me, c'est la divine Equivoque ou 
chez elle flotte Pamour. Poureux, c,est toujours le 
desir. Mais pour elle, a son insu mfime, dans ses plus 
aveugles6iaii8, rinslincl dela inaternil6 domine en- 
tore t jut le reste. El quand un orgueil 6goiste dit a 
PaiTiant qu'il a vaincu, il pourrait voir leplus sou- 
vent qu'elle ne cede qu*a son propre rfive, I'espoir 
et r amour de renfant, que, presque d6s sa nais- 
sance, elle avail congu de son coeur* 

Haute po^sie de puret6. A chaqtie &ge de Tamour 
ou les sens ont un mot a dire, les instincts de ma- 
ternity les 61udent et portent V amour dans une 
region superieure. 

EJever la femme, c,est seconder sa transforma- 
tion, 一 c'est, k chaque degre de la vie, en lui don- 
nant Faiuour k la mesure de son coeur, Paider k 
r^tendre ainsi et Filever a cette forme si pure, et 
pourtant plus vWe. 

Pour dire d un mot cette sublime et d61icieuse 
po6sie : d^s le berceau, la femme est m6re, folle 
de maternity. Pour elle, toute chose de nature, vi- 
\ante et mfime non vivante, se transforme en petiU 
enfaals. 



m LA PEHHB EST UNB RBUfilOKi 

On senttra de plus en plus combien ccb est 
heureui. Seule, elle peut 61ever rhomme, surtout 
dans les ann6es dfeistv^ ou il faut, avec une ten - 
dresse pnidente, manager, en rharmonisant^ sa 
jeune liberie. Pour briser brutalement et casser la 
plante hnmaine, comme on l,a fait jusqu'id, il n*e- 
tait besoin des femmes. Mais elles seront reconnues 
comme les seules 6dncatrices possibles, a mesure 
quel'onvoudra cultiverdans chaque enfant le g6nie 
propre et natif qui varie infiniment. Nul que la 
femme n'est assez fin, assezf doux, assess patient, 
pour sentir tant de nuances et pour en tirer parti. 



Le raonde yil de la femme. EUe y met deux 616* 
ments qui font toute cWilisation : sa grdte, sa d&U- 
catesse, 一 mais celle-ci est surtout un reflet de 
sa pureU. 

Que serait-ce da monde del'honime, si ces deux 
choses manquaient? Ceux qui semblent y tenir le 
moins ignorent que, sans cetle gr&ce, ces formes 
am moins de puret6, ramour s'^teindrait ici-bas, 
ramour, I'aiguillon tout-puissant de nos activit^s 
huma^^xies. Heureux tour ments I trouble f^cond ! sans 
vous, qui voudra de la \ie? 

II faut, il faut absolument (jue la femme soit gra- 



Lk PEHMB EST UKl REUOIOR. 、 1» 

cieuse. EUe n'est pits tenue d'fitre belle. Mais la 
gr&ce lui est propre. EUe la doit i la nature, qui la 
fait pour &, y mirer. EUe la doit k I'humanit^. la 
grice chwrme les arts virils et doime un sourice 
divin k la soci6t^ tout enti&re. 

Que faitt-il pour qu'elle soit gracieuse, «ette 
enfant? Qu,eUe sente toujours qu'elle est aimfe. 
Qu,eUe' soit mende 6galement. Point d'alternathe 
violente de rigueur et de tendresse. Rien de bras*- 
que, de prieipii^, un progrto tr6s*gradu6 ; nul 
saut, et nul grand effort. II ne fout pas I'embellir 
d'ornements surajout^s; mais^par une douce im- 
bibition, &ire que peu a pen da dedans fleurisse 
une beaute nouyellOb 



La grftce est un reflet d'amour sur un fond de 
purete. La puretiy c*est la femme mime. 

Telle doit 4tre la constante pens^e de la mSre, 
d^s que lui est n6e sa fille. 

La purete de Penfant est d'abord celle de la m^re. 
II faut que Fenfant y trouve k toute heure one 
candeur, une lumi^re, une absolue transparence, 
comme d'une glace accomplie qae nul souffle oe 
ternit jamais. 



124 LA FEMME EST 跳 RELIGION. 

L,une et I'autre, le matin, le soir, font d'abon- 
dantes ablutions, tildes, ou plut6t un peu froides. 
Tout se tient. Plus la petite verra sa mkre attentive 
a se tenir nette, plus elle voudra I'fitre elle-mfeme 
de corps, et bienfdt de coeur. 

Puretfe d'air et de milieu. Puret6, unite d,in- 
fluences. Point de bonne qui gdte en dessous tout 
ce qu'on fait en dessus, flattant la petite et lui fai- 
sant trouver la maman severe. 

Purete surtout de regime et de nourriture. Que 
doit-on entendre par la? 

J'entends que la petite fiUe ait une nourriture 
d, enfant, qu'elle continue le regime lact6, doux, 
calme, peu excitant; que, si elle mange k voire 
table, elle soil habitude k ne point touchei a vos 
aliments, qui sontdes poisons pour elle. Une revolu- 
tion s,est faile ; nous avons quiltfi le sobre regime 
frangais, adopts de plus en plus la cuisine lourde 
et sanglante de nos voisins, appropriSe a leurclimat 
bien plus qu'aii ndtre. Le pis, c'esl que nous infli- 
geons ce regime a nos enfants. Spectacle 6trange de 
voir une tnkre donner a sa fiUe, qu'hier encore elle 
allaitait, cette grossiere alimentation de viandes 
sanglantes, et les dangereux excitants, levin, I'exal- 
tation m6me, le caf6! Elle s,6tonne de la voir vio- 
lente, fantasque, passionn^e. C'esl elle qu'elle en 
doit accuser. 



LA FEHME EST 應 RELIGION. 125 

Ce qu'elle ne voit pas encore, et ce qui est bien 
autrement grave, c estque, chez celte race fran^aise, 
si pr^coce (ou j'ai vu des nourrissons amoureux 
dans le berceau), l,eveil des sens est provoque di- 
rectement par ce regime. Loin de fortifier, il agite, 
il affaiblit et enerve. La mere trouve plaisant, joli, 
d'avoir une enfant si vive, qui dej^ a des reparlies, 
et une enfant si sensible qui, au moindre mot, 
s'attendrit. Tout cela vient d'elle. Surexcilee elle- 
mfime, elle veut que F enfant soit telle, et elle est, 
sans le savoir, la corruptrice de sa fille. 

Tout cela ne vaut rien pour elle, madame, et 
gu6re mieux pour ^ous. Vous navez pas le cou- 
rage, dites-vous, de manger rien sans qu'elle ait 
sa part. Eh bien, vous-meme abstenez-vous, ou 
du moins moderez-vous dans l*usage de ce re- 
gime, bon pour I'homme fatigu6 peut-6tre, mais 
\ funeste k la femme oisive, regime qui la vulga- 
i rise, la trouble, la rend violenle, ou somnolente, 
alourdie. 

Pour la femme et pour Fenfant, c,est une grace, 
une gr^ce d'amour, d'filre surtout frugivore, d'e- 
viler la fStiditfe des viandes et de vivre plutdt des 
aliments innocents qui ne cotltent la mort a per- 
sonne, des suaves nourritures qui flatient rodorat 
autant que le gotlt. La raison fort raisonnable qui 
fait que ces chores creatures n'inspirent r6pu- 



m U FEUK EST ■ RHIGIOlf. 

gnaQ^^ en nulle chose, mais nous semblent 6th6- 
r6es, en compaiaison de I'homme, c,est surtout 
leur pr6f(6rence pour les herbes ct pour les fruits, 
cette purelfe de regime qui ne contribue pas peu k 
celle de Y&me el ^raiment les assimile k I'kino- 
cence des fleurt* 



VII 



L'AMODR A DIX 鳳 一 LES FLEDB8 



Dfes le temps le bon Froebel avait mis dans la 
jolie main, un peu gauche, de ma ch&re petite, les 
formes ^limentaires par ou commence la nature 
(les cristaux, etc.), il Pavait appel^e aussi k I'a- 
mour de la vie Y^gitale. B^tir une inaison, c'est 
beau. Mais combien plus beau de faire yenir une 
plante, de crier une vie nouvelle, une fleur qui yat 
s'^panooir, tous rtcompenser de vos soins ! 

Un superbe haricot rouge, admiration de l en- 
fance, avait 6le mis en terre, non sans quelque so- 
lennitg. Mais, attendre I c'est Fimpossible k cinq 
ans. Comment attendre inactif ce que Nature fait 
d'elle-mfime? Dte le lendemain, on alia le visiter, 
ce haricot. Remis soigoeusement en terre, il ne s'eo 



128 I/AMOim A on ANS. ― LES FLEUUS. 

poria pas mieux. Les lendres inquietudes de sa 
jeune nourrice ne le laiss^rent pas reposer ; eiie 
remuait au moins la superficie du sol ; d'un arjosoir 
infatigable elle soUicitait la paresse du nonchalant 
v6g6tal. La terre buvait a merveille, semblait tou- 
jours avoir soif • Si bien soigne, abreuv6, le haricot 
succomba. 

C'est une oeuvredeveriu, de patience, que de jar- 
diner. Cela prepare tres-bien le caract^re de I'en- 
fant. Mais k quel dge peut-on commencer r6elle- 
ment? Les petits Ailemands deFroebel doivent com- 
mencer h quatre ans, les ndtres un peu plus tard 
sans doute. Je crois que nos petites filles peu vent 
(bien plus que les gargons), par bon coeur et par 
lendresse pour la plante favorite, prendre sur elles 
d altendre, dela manager, de rfepargner. D6s qu un 
essai a rfeussi, des qu' elles ont vu, adinir6,touch6, 
bais6 le petit 6lre, tout est fait. Eiles dfeirent lant 
renouveler le miracle, qu'elles deviennent pa- 
lientes. 

La vraie vie de I'enfant est celle des champs, 
Mteme a la ville, il faut, taut qu'on peut, lassocier 
au monde Y6g6tal. 

Et, pour cela, un grand jardin, un pare, n'est 
pas nfecessaire. Celle qui a peu, aime plus. Elle n,a 
sur son balcon, sur un prolongement de toil, 
qu'une girotl6e de muraille. Eh bien, elle pro- 



L'AMOUR K DIX ANS. — LfiS FLEURS. 129 

fitcra par son unique giroflte plus que renfanl 
g&lke des riches, lancee dans de grands parterres 
qu,eUe ne sail que dfevasler. Le soin, la contem- 
plation assidue de cette fleur, les rapports qu'on 
liii montrera entre sa plante et telle influence d,at- 
inosphere ou de saison, avec cela seul on ferait 
une Education tout entifere. Observation, exp6- 
rience, reflexion, raisonnement, lout peut y ve- 
nir. Qui ne sait le parti admirable que Bernar- 
din de Saint-Pierre a tir6 de ce fraisier n6 par 
hasard sur une fenfilre dans un pot de terre? II y 
a vu un infini, et pris Ik le point de d6part deses 
harmonies v6g6tales, simples, populaires, enfan- 
tines, parfois non moins scientifiques. (V. Alex, 
de Humboldt.) 

Cette fleur est tout un monde, pur, innocent, pa- 
cifiant. La 3/elite fleur humaine s,y harmonise d,au- 
tant mieux qu'elle ne lui est pas semblable dans le 
point essentiel. La femme, surtout la femme enfant, 
est toule dans la vie nerveuse ; la plante qui n'a 
pas de nerfs, lui est un doux compl6ment, un cal- 
mant, un rafraichissant, une innocence relative. 

II est vrai que cette plante, a I'^lat de fleur sur- 
excil6e au-dessus d'elle-mfeme, parait animalis6e, 
et dans certaines esp^ces (petites et vues au mi- 
croscope), elle affecte, pour Porgane d,amour, une 
surprenante identit6 avec les vies supferieures. Mais 



130 L'AMOUR A OIX AN8. 一 LE& FLBUBS. 

renfanl n'est gu6re avertie de ce charmant dfelire 
des planles que par leur enivrante odeur. Sa mo- 
bililfe la preserve de s,en imprfegner longtemps. 

La petite fiUe, qui de bonne heure est un kite 
si complet, bien plus fine que le gargon, plus sas« 
ceplible de recevoir des impressions delicates, a 
un sens de plus, celui des parfums, des aromes, 
Elle en seraitp6n6tr6e, et par moments y trouveratt 
un ^panouissement sensuel, mais cette fleur n'est 
jpas pour elle un objet d'amour oisif^ de jouissance 
paresseuse ; elle est une occasion de travail et 
d,activit6, d'inquifilude, de succfts, de joie, utie 
occupation de coeur et d*esprit. Enfin, pour dire 
d'un mot la chose : ici encore, la maternite balance 
et guirit Vamour. La fleur n'est pas son amant.; 
pourquoi? C'est qu'elle est sa filie. 



Mauvaise et dangereuse ivresse pour la petite 
demoiselle, tenue assise, privie du grand air et du 
mouvemenl, que d'aspirer dans un salon rfemaaa- 
tion concentr^e d'un amoureux bouquet de fleurSc 
El ce n'est pas la tfite seule qui chancelle. Un de 
nos romanciers s'esi plu a montrer la verlu incer-* 
taine d'uiie jeune femme qui cMe a ces influences. 
Eiles ne seraient pas moins puissantes pour troui- 



L'AXOUR A DU ANS. 一 LES FLEURS. 151 

bier la petite fille, pour h&ier en elle la crise des 
sens, pr6cipiter la floraison, qu'il vaut bien mieux 
retarder. 

Le dirai-jeV (mais quel paradoxe I que les dames 
vont filre dioquees !) il est trois choses que j'aime 
peu : les babels de pcintures qu,on appelle des mu- 
s6es, oil les^ tableaux se tuent i'un Fautre ; 一 les 
babels de ramages qu'on appelle des voliferes, ou 
le rossignol, m61e aux chanteurs vulgaires, risque 
de tomber au patois ; 一 en troisieme lieu, les bou- 
quets m&Us de couleurs, de parfums, qui se com- 
batlent et s annulent 

Quiconque a le senlimeAt vif et delicat de la vie 
ne souffre pas volontiers cee confusions, ces chaos, 
quelque brillants qu'ils puissent fetre. Chaqueodeur 
est suave k part, dit un mystfere, parte un langage. 
Toutes^ ensemble, ou frappent la tele, ou donnent 
un trouble sensuel dont les nerfs souffrent comme 
de certaines vibrations de rtiarmonica. G'est volup- 
fueux et affadi^sant. On sourit et le coeur lourne. 
Lea odeurs discretes y p6rissent barbarement as- 
phyxites. a H61asl dit la marjolaine, elouffee des 
puissantes roses, vous ne voulez done pas savoir la 
divine senleur d'amertume qui se m6le au parfum 
d*amour? » 

Certaine fern me que je sois bien n,a jamais 
coup6 une fleur qu'k regrei el malgrS elle, en lui 



m L'AMOUR A DIX AMS. 一 LES FLEURS. 

demandant pardon. Chacune a sa genti Hesse k elle, 
si elle est a part. Elle a son harmonie propre, un 
charm e qui lui vient de la terre sa mfere et qu'elle 
n'aura plus arrach6. Que saura-t-on maintenant 
du port, de la d^sinvolture, de l,air aimable el d6- 
gag6 dont elle portait sa tfete? Les fleurs simples, 
qui sont les fleurs amourcuses, dans leurs graces 
modestes et I6gires, palissent ou plut6t disparais- 
sent entre les grosses coroUes de ces yierges 
luxueuses que nos jardiniers amplifient par leur 
art de st6rilit6. 

Replagons, pour notre enfant, dans sa v6rit6 
naive el sainle, le monde v6g6tal. Que de bonne 
heure elle sente, aime el comprenne la plante dans 
la 16gitiirU6 de sa vie complete. Qu'elle neconnaisse 
point la fleur comme luxe et coquelterie, mais 
com me un moment de la plante, comme la plante 
a lelat de fleur. C'est une grande injustice d,y 
prendre le plaisir passager d'une vaine decoration, 
comme d,une fleur de papier, tandis qu'on oublie 
la merveille reelle, le miracle progressif cach6 au 
petit sanctuaire, la sublime operation d'avenir et 
d'immorlalil6 par laquelle la vie chaque annee 
6chappe et rit de la morl. 



L' AMOUR A DIX A^S. 一 iES FLEURS 



135 



Dans une promenade d'hiver, en fevrier. la petite, 
regardant aux arbres les bourgeons rougeSlres, 
soupirait et demandait : « Serail-ce bientdt le prin- 
temps? p Tout a coup elle s'ecrie... Ellc I'avait a 
ses pieds... Une petite clochette dargent, marquee 
d'un point vert au bord, le perce-neige, disait le 
reveil de Fannie. 

Le soleil reprend bientdt force. Dfes mars, k ses 
premiers rayons, \ariables el capricieux, tout un 
petit monde 6cldt, les jeunettes, les press6es, pri- 
raeyferes et pftquerettes, fleurs enfants qui cepen- 
dant, par leur petit disque d,or, se disent enfants 
du soleil. Elles n'ont pas grand parfum, sauf, je 
crois, la seule violelte. La terre est Irop mouillee 
encore. Narcisses, jacinthes et muguets apparaissent 
aux pres humides, dans I'ombre humide des bois. 

Quelle joie ! et que de surprises!... Celle \6g6- 
tation innocente semble faite pour celle- ci. Chaque 
jour, elle en fait la conqufete, recueille, amasse, 
lie, rapporte des bottes de petites fleurs qu'il faudra 
jete** demain. Elle va saluer une k une toufes les 
nouvelles venues, leur dormer le baiser de soeur. 
Gardons-nous de la troubler dans cette f&te du piin- 
temps. Mais, lorsque, un mois, deux mois passes ; 
elle se sera satisfaite, je lui dirai : a Pendant que tu 
jouais, enfant, le grand jeu de la nature, la superbe 
et splendide Iransformalion de la terre s,est accoia- 



i5i L'AMOUR A DIX AUS. 一 LE8 FLEURS. 

plie. La voil" v6tue de sa robe verte aux plis im- 
menses qu,on appelle des montagnes et des coteaux. 
Crois-tu que ce soit seulemenl pour te donner des 
marguerites, qu'elie a vei*66 de son sein cet ocean 
d'faerbe et de fleurs?Non,aniie; la grande nourrice, 
la maman universelle, a d'abord servi ce banquet h 
nos humbles frferes et soeurs par lesqiiels elle nous 
nouirit. La bonne vache, la douce brebis, la sobre 
chfevre qui vil de si peu et fait vivre le plus pauvre, 
c'est pour elles que sont pr6par6es ces belles prai- 
ries... Du lait virginal de la terre elles vont com- 
bier leurs mamelles, te donner le lait, le beurre. . . 
Re^is-les, et remercie. 

A ces aliments frais et doux ye se joindre la frai- 
cheur des premieres plantes potageres,des premiers 
fruits. Avec la chaleur apparait a point nomme la 
groseille, la petite fraise des bois, quune autre, 
petite gourmande, decouvre a son exquise odeur. 
L'aigrelet de la premi&re, it; fondant de la seconde, 
et la douceur de la cerise, ce sont les pr6voyants 
rem 三. des qui nous viennent aux jours brulants ou 
ridee s,exaUe, s'enivre, ou commencent sous un se, 
leii accablant les grands travaux de rfecolte. 

Gette ivresse a apparu d'abord aux parfums de 
la rose, suaves mais trop penetrants, dont la t6te 
est alourdie. La coquette reine des fleurs amene 
iriomphalement la l^ion plus s6rieuse de ses 



L'AXODR A DIX ANS. 一 LES FLEURS. 135^ 

«oeurs,fleurs medicinales et plantes de phannade, 
utiles el salufaires poisons. 

Mais void I'oBuvre souveraine de la grande ma* 
termt6. EUes arriveut celles qui doivent nourrir 
les populations entiftres, les vdn^ables tribus des 
Ugiminetises (E. Wo6l). Elles arrivent les grami- 
ii6es, les pauvres du rfegne vegetal, qui en sont 
aussi, dit Linni, la vaillance, la force h^roique; 
qu on les maltraite et qu'on les foule, elles multi- 
plieront davantage I 

« Leurs deux feuilles nourriciferes (ou coty 16dons^ 
sont des mamelles. Cinq ou six pauvres gramin6es, 
da trop plein de leurs mamelles nourrissent I'es 
pece humaine. » (E. Noel) . 

Ma fiUe, n'imile pas Penfanl 16ger, itourdi, qui, 
voyaiit flolter au vent cette mouyanle mer d,or, que 
le coquelicot et le bluet 6gayent de leur telat ste- 
rile, va au travers chercher ses fleurs. Que ton petit 
pied suive bien la ligne 6lroite du senlier. Respecle 
noire p&re nourricier, cebon ble, qui, de faible tigG, 
soutient avec peine sa tdte pesante ou est notre pain 
de demain. Chaque epi que tu d^lruirais dterait la 
yne aux pauvres, au m^rifant travailleur, qui, toute 
rann^e, a p&ti pour le faire venir. Le sort de ce ble 
lui-m6me m6rite ton plus tendre respect. Tout rhi- 
yer, enclos dans la lerre, il a patients sous la neige ; 
puis, aux froides pluies du printemps, sa petite lige 



136 L AMOUR A DIX ANS. ― LES FLEURS. 

verte a luU6, bless^e parfois d'un retour de gel6e, 
parfois de la dent du mouton ; il ri,a giandi qu,en 
sapporlant les cuisants rayons du soleil. Demain, 
tranche de la faucille; battu, rebattu des fl6aux, 
froiss6, 6cras6 de la pierre. Grain d,orge, le pauvre 
martyr, rMuit en poudre impalpable, cuit comme 
pain, ira sous la dent, ou, distille comme bifere, 
sera bu. De toute fagon sa mort fera vivre rhomme. 

Toutes les nalions out chante dans de joyeuses 
complain les ce martyre et celui de la vigne sa 
soeur. Dans le ble d6ja r6sidail avec la plus haute 
puissance nulritiye de nos climafs, quel que chose 
de la force sucree, enivrante, que sa soeur va nous 
dormer. La verlu de faire du sucre, qui est un trait 
singulier de I'orgaiiisation humaine, existe dans 
ces v6getaux, qu'on dirait humanises. C,est I'efforl 
dernier de rann6e. A mesure que Phomme fatigue, 
faiblit, se fond en sueur, la mere Nature lui a 
doim6 une plus vivante nourrilure. 

A I'age printanier des prairies et du lait a suc- 
c&de Y&ge substantiel et fort du froment, et celui-ci 
est a peine coup6 et battu, que Fhumble petite vi- 
gne (trainante el rampante ici, d'aulant plus fine 



L'AHOUR A DIl ANS. 一 LES FLEURS. 137 

et plus exquise) prepare son breuvage divin. Quo 
de tra^aux ici, ma fiUe! Que ce modeste v6g6tal, 
ce mauvais petit bois tortu que tu mSprisaisauprin- 
temps, exerce les forces de rhomme ! Dds mars, si 
tu parcourais Pimmensit^ de la Champagne, de la 
Bourgogne et du Midi, une si grande partie de la 
France, tu verrais des millions d homines replan- 
tant les ^chalas, relevant, liant, coupant la vigne, 
puis btttlant la terre autour, et toute I'annee sur 
pied pour mener a bien celle delicate personne. 
Pour la tuer, un bi ouiilard suffit. 

C'est la s6v6re alternative de la vie et de la mort. 
Chaque plante meurt et nourrit les autres. JTas-lxi 
pas vu, en automne, vers la fin, quand la saison 
avail pdli,comme tombaient doucemenl les feuilles, 
sans m6me attendre le vent? Chacune, en lournant 
UD peu, descendait loute resign^e, sans bruit, sans 
reclamation. La plante (si elle ne le sait) sent au 
moins qu'elle a charge de nourrir sa soeur, et qu'il 
faut mourir pour cela. Done, elle meurt de biea 
bonne gr&ce, se pose, et de son dfebris alimentaat 
I'air qui Femporte ou la terre qui s'en p6netre,elle 
prepare la vie des amies qui viennent la renouveler. 
Elle s'en va consol^e, et qui sait, peut-6trejoyeuse, 
de reposer, son devoir fait, et de suivre la loi de 
Dieu. 

Ainsi, ch&re, si tu m'as compris, tu as vu que, 

8 



158 L'AUOUR A DII 鳳 一 LSS FLBURS. 

SOUS ce cercle brillant de revolution annuelle 6{i 
chacune a un moment pour se montrer au soleil, un 
eercle muet, plus sombre, se fait dans rintime int^ 
rieur par 1, 仑 change des douces soeurs, chacune se 
retirant sans jalousie et passant la vie aux autres. 

Monde de paix ct (Tiimocence, de resignation. 
Mais ies 6tres sup^rieurs, soumis k la m&me loi, 
ont peine k s'y prfiter de mime. 一 a Gependant, 
dit la Nature, qu'y faire? ce n,est pas ma faute. Je 
n'ai que cela de substance a partager entre vous 
tous, mais pas plus ; je ne puis pas augmenter k vo- 
lon te . II est j us te que chacun en ait un peu kson tour. 

u Done, dil-elle aux animaux, vous, favoris de 
la vie, tellement prmlfigies d'organisme sup^rieur, 
vous n'fttes pas pour cela exempts de nourrir \os 
soeurs les plantes, qui, reconnaissantes, gracieuses, 
en revanche vous nourrissent chaque jour. A vous 
de payer un tribut (seulemeat ce qui ne vous pro- 
fite). Vos mues, k certaines saisons, seront un tri- 
but encore. Vos debris enfin, a la mort... Ce sera 
le plus lard possible. Je vous ai donne des moyens 
d'aviser a le relarder. Mais il faudra bien y venir, 
car je ne puis faire mieux. » 

Voila qui est raisonnable, n'est-ce pas, ma fille 
Etle p6re de la nature, Dieu qui t,a faite et dou6a 
qui t'a donne des mains adroiles (ou propres a le 
devenir), qui t,a donne une tete l^gire encore. 



L'AMOUR A DIX AI9S. 一 LES FLEURS, 139 

mais peu k peu susceptible de penser , te permet 
I'honneur insigne de participer au travail. Tu pour- 
ra$ couver, 61ever des nourrissons v6g6taux, et de 
petites filles-fleurs. Tu susciteras la vie, en funis- 
sant de tout coeur aux grandes operations de Dien. 
Plus tard, femme, et peut-felre m6re, quand il sera 
temps, volontiers tu pasecras la vie aux autres, tu 
sauras de bonne gr^ce vivifier ta bonne nourrice, 
la Nature, et la nourrir k ton tour. 



VIII 



LE PETIT MANAGE. ― LE PETIT JARDIN 



Si on donne k la petite fille le choix entre les 
jouets, elle choisira certainement des miniatures 
d'ustensiles de cuisine et de manage. C'est un in- 
stinct naturel, le pressentiment d'un devoir que la 
femme aura a remplir. La femme doil nourrir 
rhomme. 

Haul devoir, devoir sacr6 ! II 】,est surtout dans 
nos climats ou le soleil, moins puissant que celui 
de l,6quateur, n'ach^ve pas la maturite de beaucoup 
de v6gfetaux, ne les mdrit pas au point ou rhomme 
puisse les assimiler. La femme continue le soleil , 
elle sail h quel degr6 raliment, cuit et adouci, peul 
fitre appropri6 a lui, passer dans sa circulation, 
refaire son sang et ses forces 



LE PETIT HfiltSAGE. ― LE PETIT JARDIN. 141 

(Test com me un autre allaitement. Si elle pou- 
vait suivre son coeur, elle nourrirait son mari, ses 
enfants, d,elle-m6me, du lait de ses mamelles. Ne 
le pouvant, elle emprunle l,aliraent k la nature, 
mais elle le leur donne bien autre, m6l6 (Telle et 
par la tendresse devenu d^licieux. Du pur froment, 
solide et fort, elle fait le gftteau sacre ou lafamille 
communie de son amour. Le laitprend cent formes 
par elle, elle y met sa fine douceur, ses parfums, et 
il devint ere me 16g6re et 6lh6r6e, un aliment de 
\olupt6. Les fruits 6ph6m6res que raulomne verse 
a torrents pour les perdre,elle les fixe, les enchante. 
Dans un an encore, ses enfants 6merveilles verront 
sortir du tr6sor de sa prSvoyance les fugitives d6- 
lices qu'ils croyaient fondues bien avant les pre- 
mieres neiges d'hiver. Les voici, k son image, inal- 
t6rablement fi deles , purs el limpides comine sa 
vie, transparents comme son coeur. 

la belle et douce puissance ! Veritable enfan- 
tement. Creation de chaque jour, lenle, partielle, 
mais continue. 一 Elle les fait et les refait corps et 
ame,huineur,6nergie.Elleaugmente,diminueleur 
activity, tend le nerf et le delend. Les changemenls 
sont insensibles, et les resullats profonds. 一 Que 
ivd peut-elle ? L'enfant 16ger, joueur et rebelle, 
change, est disciplinable et doux. L'homme, en- 
tam6 par le travail et I'exc&s de voIonlS, peu k peu 

8. 



142 LB PETIT MtllAGE. 一 LE PETIT JABDIR. 

rajeunit par elle. Un matin, le coeor plein d'aniour, 
il dit : a Je revis tout en toi. » 

Au reste, quand celte grande puissance est sage- 
nieot exer^ee, elle n,a pas besoin de refaire, de 
gudrir. Elle n,a que faire de m^decine. Elle est la 
SuprfiiQe mMecine, errant la sant6 jour par jour, 
rSquilibre haraonique, et fermant la porte h 1» 
maladie. Quel coeur de femme, de mfere, pourrait, 
en songeant a cela, marchander avec la nature, al- 
16guer quelques dfegouts ! 

L'amour est spiritualiste , et dans foul ce que 
demande la Tie de I'objet aim6, il ne voit rien que 
resprit. Les nobles el hauts risultats que ces hum- 
bles soins obtiennent, les 616vent, les ennoblissent 
et les rendent chers et doux. 

Unejm.e dame distingu^e, d6iicate et maladive, 
n'aurait cep^dant laiss^ h personne la cuisine de 
son rossignol. Cet artiste ail6 est comme rhomme; 
pour refaire son foyer brAlant, il voadrait la moelle 
des lions. II lui faut la \iande et le sang. La domes- 
tigue de cette dame y aurait eu repugnance. Elle 
aucune ; elle n'y Toyait que le chant, I'dme amou- 
reuse k qui elle allait rendre force. II recevait de 
sa main le banquet de 】 'inspiration (le sang, le 
rhanvre et le pavot), la vie, Fivresse et I'oubli* 



LE PTOT 舊 gKAGffi. — US PETIT JMUHN. 143 

Fourier a tr -bien remarqu^ que les enfants ont 
le goat de la cuisine et y aident volontiers* Est-ce 
singerie? gourmandise? 

Mais je iie soispasd'avisd'enconragerla singerie, 
CDmme il le conseille. Je n'aime pas non pins, 
lorsqu'il s'agit d'une chose qui sera si gme, 
qtfon habitue cette enfant h s'en faire un jeu, h 
perdre le temps en petits gdchis pour le repas de 
sa poup^e. J'aime mieux qu'on atfende un peu 
plus, et que, quand elle est devenue adroite, et 
d^ja s^rieuse par ses essais de jardinage, sa m6re 
rinitie k une fonction ou la vie de son p6re est in- 
tferessie, on celui qui les nourrit est nourri pair 

, elles, ou pour la premiere fais F enfant peut le 

servir, heurense de Fentendre dire au repas : 
<x Merci, ma fille ! » 

Chaque art d6veloppe en nous quelqnes qualit^s 
nouveiles* Le manage et la cuisine exigent la pro- 
pret6 la plus exqnise, et passablement de dext6- 
rit6. L'^galite d'humeur et de caract&re y £ait 
beaucoup plus qu'on ne croit. NuUe personne brus- 
que, variable, n,y peut mener k bien les choses. 
Un sens juste de mesure precise y est necessaire. 

P Ajoutef, au plus haul degrt, ra-propos, *a deci- 

sion, pour finir oil il faut finir et savoir s'arrfeter k 
point. 

Mettez en face les dons, plus graves encore. 



144 LE PETIT MENAGE. ― LE PETIT JARDI!«. 

qu'exige la culture dujardin. IIn'6fait qu'un arou- 
sement, mais, des qu'il est compris, soign6, dans 
son rapport avec la vie, la sant6 de ceux qu'on 
aime, quand le jardin est rauxiliaire du manage, il 
devienl chose importante, et on le cullive bien 
mieux. Observer et tenir compte de nombi e de cir- 
constances variables ; respecter le temps et domp- 
ler ses impatiences pu6riles, soumeltre sa jeune 
volont6 b la loi g6nferale : employer son aclivil6» 
mais savoir qu'elle n'esl pas tout,et reconnaitre le 
concours de la nature ; finalement, manquer sou- 
vent, ne se d6courager jamais ; 一 c,est la culture, 
c'est le travail m616 de tous les Iravaux ; 一 c,est, 
au complet, la vie humaine. 

Cuisine et jardin sont deux pieces du m&me labo- 
ratoire •、 t*availlant pour le mfeme but. La premiere 
achfeve au foyer la maturation que l,autre com- 
men^a par le soleil. lis ^changent entre eux leurs 
puissances. Le jardin nourrit la cuisine, 】i cuisine 
nourritle jardin. Les simples eaux de menage qu'on 
Jetle au loin avec d^goAt son! acceptees (si j'en 
crois un horticiilteur distingu6), comrae un excel- 
lent aliment par les pures et nobles fleurs. Ne m6- 
prisez rien. Le dernier rebul, le moind^e dibris 
du caf6, est avidement saisi par les v6g6taux, 
comme une flamme, un esprit de vie ; au bout de 
trois ann^es enti&res, ils en senlentencorela chaleur. 



LE PETIT M£RAGE. 一 LE PETIT JAR 亂 145 

II faut dire k voire enfant ces lois ii6cessaires de 
la vie. Ce serait une sotte reserve de lui laissef 
ignorer ralternation de la substance, sa circulation 
na turelle. No& i6daigneuses demoiselles, qui necon- 
naissent les plantes que pour les couper, ne savent 
pas que la fleur mange aussi bien que I'animal. 
Comment vivent-elles, elles-mAmes? EUes se gar- 
dent de le deviner. EUes ont un bon app^tit, absor- 
bent, mais sans reconnaissance, sans songer au 
devoir de reslituer. II le faut pourlant, par la 動 rt 
surtout; et il le faut conslamment par la s6rie de 
sueurs, de mues, de diminutions de nous-mCmes, 
de pertes et petites morts quotidiennes que nous 
, impose la nature, au profit des vies inferieures. 

Ce circulus fatal n'est pas certes sans grandeur, 
n a un c6t6 fort grave, qui touchera le coeur de 
Fenfant d,une salutaire femotion, c'est que no! re 
affaiblissement de chaque jour nous condamne k 
chercher la force ou eile est accumulfee, chez les 
animaux nos fr6res, et a vivre de leur vie. 

Double leQon. NuIIement inutile k la jeune fiUe, 
au premier &lan d'orgueil que donneront V&ge et 
la beauts, l intensit^deia vie, qui leur font penser 
t par moments : a Je suis ; le reste est peu^ chose. 

La fleur et 】e charme dii monde, c'est moi, et le 
reste un rebut. » 

Fleur? beaut6 ? jeunesse? d'accord. Oui, mais 



146 I£ PETIT MENAGE. ― LS PETIT JAHDIN. . 

n'oublie pas a quel prii. Sois modeste^ souvicns- 
toi des conditions humbles, s6v£res, auxquelles h 
、 nature vend la vie. Mourir ua peu chaque jour, 
avant de mourir tout a fait; et chaque jour, k ceile 
table riante et par^, renaltre, b^as! par la mart 
d'innocentes creatures. 



Que du moins ils soient heui eux, cea aniniauiLi 
tant quails vivent. Enseignons bien h I'enfant leur 、 
droit d'exister, le regret et la pitii qu'on leur 
doit, mkme lorsque le besoin de notre organisa- 
tion nous force de les detruire. II faut lui appren- 
dre avec soin les utility qu'ils ont, ou eurent 
tous, mkme ceux qui aujourd'hui peuwnt nouse 
nuire. L'enfant est tr&s-poetique, mais peu poete. 
Cependant, elle sentira, ma petite, par rinstinct 
de son coeur cbarmant, ce qui toucherait moins 
son esprit La maternity heroique de l,oiseau, con- 
struisant son nid avec tant de peine, subi&sant 
pour ses enfants tant d'6preuves si penibles^ la 
frappera a coup sAr. Et ce n'est pas sans respect, 
une sorte de religion, qu'elle verra chez la fourmi, 
chez I'abeille, un genie bien autrement artiste 
encore, que la maternity inspire. L'immense tra- 
vail de la fourmi, remontant, descendant ses osufs 



LE PETIT HfiNAOE. ― L£ PETIT JARDIN. 147 

par r^chelle bien calculee de ses trente ou qua- 
rante fetages, selon I'air et le soleil et toules les 
variations de tempera tare, la remplira d'adtnira- 
tion. Dans ees infiniment petits elle verra la pre- 
miere lueUT, le ravissanl premier rayon du haul 
niystfere qn'on lui ajourne, le grand, rrniiversel 
Amour. 



Comme je sais qu'il n,y a ici-bas de bonheur 
qu'un seul, cr^er et cr6er toujours, j'ai iich6 k 
tout Si%e qu'elle fut heureuse, c'esl-a-dire quelle 
cve&t 

A quatre ans, dans ses jolies mains, j'ai mis des 
mat^riaux, formes r^guli^res (analogues aux pre- 
miers essais d'association que fait la nature, aux 
cristaux), et a\ec ces cristaux de bois, associSs k 
sa mani^re, elle fit de petites maisons et autres 
(Buvres enfantines. 

Pius lard, on lui a montre comment Nature, 
associant la sympathie des opposes, fait de v6ri ta- 
bles cristaux, brillanls, color6s et si beaux 1 elU 
en a fait elle-meme. 

D6s lors, de sa jeune main elle semait, faisait 
des planteS) et par les soins, rarrosement, elle les 
amenait k ramour, k la tloraison. 



f48 I.E PETIT MENAGE. 一 LE PETIT JARDIM. 

Les vers k sole, innocemment, elle en cueillc la 
petite graine (semence de papUlon), la soigne, la 
garde sur elle, la mtkit de s& chaleur, la tientjour 
et nuit dans I'abri de son sein, qui n,est pas en- 
core. Un matin, elle a le bonheur de voir un monde 
nouveau, feclos d'elle, de son jeune amour. 

Ainsi, elle va toujours heureuse <tt cr6ant. Con- 
tinue, aime, enfante, ma fiUe. Associe-toi, chSre 
petite, k la grande maternity. II n'en coAte rien 
encore k ton lendre coeur. Tu cr6es, et danslapaix 
profonde. Demain, il t,en coutera davantage, ton 
coeur saignera... Ah! le mien aussi, crois-le bien. 
Mais pour aujourd'hui, jouissons. Je n'aurai rien 
de plus doux que de voir, en si grand repos, dans 
ratten^rissante innocence, ta petite f6condit6. Cela 
me rassure pour toi. Quoi qu'il arrive, tu auras eu 
(a part en ce monde. Cettepart, c'esl, dans roeuvre 
divine, de concourir et de cr6er. 



IX 



MATERNITfi DE QDATORZE ANS 
LA METAMORPHOSE 



Je u'ai craint pour cette enfant qu'une chose, 
c'esl la reverie, fen \ois qui rfivent k quatre ans. 
Mais, heureusement, celle-ci cn a kt& pr^serv^e : 
1。 par sa vie active ; 2。 parce qu'en naissant elle 
eut une confidente pour penser tout haut, sa mftre. 

La femme a toute sa vie un besoin d'epanche- 
ment. 

Done, toute petite encore, sa m&re la prenait sur 
elle chaque soir, et, coeur contre coeur, la faisait 
parler. 

Oh ! quel bonheur de s*6pancher, s all6ger, et 
s'accuser m6me I • • • « Dis, nion enfant, dis toujours ! 
Si c'e*^ Wen, je fembrasserai. Et, si C2la o'est pas 
bien, demain, toutes deux ensemble, nous lAche- 
rons de faire mieux. » 

Elle dit lout. Eh I que risque-t-elle ? ― « Beau* 

9 



f 50 MATERNITY DE QUATORZE ANS. 

coup, car maman souffrira si je fais mal... 一 Non, 
ma chfere, dis-le tout de m£me. Et, quand j'en de- 
vrais pleurer, laisse en moi couler ton coeur. 

La confession filiale est tout le myst^re de l,en- 
fance. Celle ci, par sa confession de chaque smr^ a 
dicte elle-mime son Education. 



Avec un si doux chevet, elle a profond^ment 
dwndi. Mais, qaes*-ce done? die s'6veille- Treize 
aia8>el dftmi sont dipasBte , et la vcilk langiiissaiite. 
Que le fout-il, ch^e pe*Site? Jusqu'id^ rien ne: te 
manque^ pour jouer el tfamaser. ― Quand ta< poa- 
pte n'a plus suffi, je t'en'ai danne de Tiyantes ; ta 
as joui a la poupi^e aveo toute la Bature. Tii. as 
bien aim6 les fleurs, et tu en as 6t6 aim^e. Tea oi- 
seeux libre9> ie suivent, jusqu'ae rabtier leur aid, 
et Pautre. jouc le: bouvoeiiil (cecii n-est pa» in* 
ventfe) a quitt6 sa femme pour toi. 

Xe devinCi il lui faudrait qmelque ami^ 一 non pas 
oiseauyiii fleur, ni papiUon,.ni.chien,. 一 un ami da 
sm espfece. A quatre aos^ einq smsi, sa in&re la me*- 
nait jouer aux Jardins eTdn/bnl^ Mais maistenaritv 
a la campagne, elle n'a plus de petites fiUes. EUa 
a^it bien encor*^ soBi fic^re, plus jeune^cpifeUis ai- 



hk M^AKO 腿 08 & 151 

mait tantyet qui ne bi^quittait paft^Mai^elle en&bt 
fait 

plac6 de bonne heure, loin des g&lecies eicessivea 
dd la mere et de k. soeuiv dansiiuie makon plus vi- 
rile, chesuB ami "eiii sditendanl^qu!!! aille aux 6eole8, 
{Hibliq^es. La compag]ii(».de gargons qu'il amenait 
rendait d'ailleurs la maisoiii inhabitable. La petite 
ea a consesve- une gnamle antipathie pour cette 
gmt.tapageuse ; leups crisy teurs coups, leurs bat, 
feriea, la foisaient fuic. Toute aemblable a sa douoa 
et discF^a m&re,^ eSle aime* Kocdre,. lai paix,. la si- 
lence, les joliSijeu3E*a demi-vohu 
: Je la vom cependemi la-bas qui' se promSne seu- 
lette dans une all6e du jardtn. Je I'appelle. Oh&is- 
sante, elle vient uni peit lentement, mais le coeur 
gonfl6f les yeux humides* Peurquoi ? sa mere a 
beaulisubaiseB, la oaresser , elle est muette« Elle ne 
peut pa&n6pondrei, car die oe sait ce que c'est. Noms; 
qui le Savons biea mieux, nous devosis y trowver 
remade, fiaire encore ce qui, a chaque* dge, lixi & 
f6us8i d6iav luL donner an: amour nouveau. 

Sa 01 在 re, qui en a pilie,.veut d6s ce jour latirer 
dd cet 6tat trouUie, inquiet, lui meltre, non pas 
quelque chose, mais plut6t quelqu'un danal^s bras.^ 
Elle lai m£inera tout droit aux ecole& du* village^ 
et lui menfrera les pefits enfants'. La grande fille 
d'abordv la jeuna r^veusev troumait ces petils un 



152 MAT£RNlTfi DE QUATORZE ANS 

peu insipides. Mais on lui fait remarquer qu'ils 
n'onl pas lout ce qu'il leur faut. Celle-ci est bien peu 
y£tue ; il lui faudrait une robe. Celle-1^ est yenue 
k V&cole sans apporter son dejeuner, car sa m^re 
n'avait pas de pain. Cette autre n,a pas de m£re, 
el son pfere est mort aussi. La voila seule a quatre 
ans. On la nourrit comme on peut... Lji s'^veille le 
jeune coeur. . . Sans rien dire, elle la prend el se 
met a I'arranger. Eile n,est pas maladroite. On di- 
rait qu,eUe a tenu des enfants toute sa vie. Elle la 
lave, elle la baise, elle va lui chercher du pain, du 

beurre, des fruits, tout ce qu'elle a Werther 

aima en voyant Charlotte donner une tar tine aux 
petits. II m,en Mt arriv6 autant. 

L'orpheiine rin(6resse auxautres. L'une estjolie, 
raulre si sage I en void une de malade, une autre a 
6t6 battue, et il faul la consoler. Toutes lui plaisent, 
toutesramusent. Quel bonheur d'avoir en main ces 
delicieuses poupees, qui parlent, celles-ci rient et 
mangent, qui out dijk des volontfes, qui sont pres- 
que des pei sonnes ! quel plaisir de les faire jouer 1 
£t,sousce pr6texte,Yoili qu'elle se remet elle-m6me 
a jouer, la grande innocente. 一 M&me k la maison, 
elle ypense; plus de rfiveries, elle est vive, eile est 
gaie et s^rieuse k la fois, comme on le devient lors- 
qu'on a tout a coup un vif interSl dans la vie. Elle 
ne va plus seule maintenant, elle cherche sa mere^ 



LA M£TAH0RPH0SE 



153 



lui parle, elle a besoin d,dle, desire obtenir ceci, 
n^gocie cela. Chaque jour, tout ie temps qu'elle a 
delibre, elle va le passer avec les enfants. Elle vit 
toute dans ce petit monde, trfes-varie, lorsqu'on ie 
Yoit de prte el qu'on s,y mile, Elle a \k des ami- 
ties, des demi-adoptions, des preferences, des ten- 
dresses aviv6es par la charit6, de 16gers soucis par- 
fois, puis des gaiet6s, puis des transports, et que 
sais-je? m&me des larmes. 一 Mais elle salt pour- 
quoi elle pleure. Le pis, pour les jeunes iilles, c'est 
de pleurer sans savoir pourquoi. 



Elle venait d* avoir quatorze ans en 

mai. C'6(aienlles premieres roses. La saison, aprSs 
queiques plui 3S, d^sormais belle et fix6e, fetalait lou- 
tes ses pompes. Elle aussi, elle avail eu un petit 
moment d'orage, de la fifrvre et queiques sorffran- 
ces. Elle sortait pour la premiere fois, un peu fai- 
We encore, un peu pale, line imperceptible nuance 
d'un bleu finement leint6 (d,un faible lilas peul- 
6tre?) marquait sous ses yeux. Elle n'6lait pas bien 
grande ; mais sa taille avait chang6, s,6tait gracieu- 
sement 61anc6e- Couch^e enfant, en peu de jours, 



IM MATER 贈 DE <QUAfORZE AUS. 

die s'6tait levee demoiselle. Plus i^6re etpo«rtsrit 
mains vive, elle ne meritait plus le nom que lui 
donnait sa mhre : a Mon okeau ! mon papillon ! » 

Son premier soin, en vevoyantson jardin , cba»^ 
camme elie; et tdlement embelti, ce fut d'y pren- 
dre quelques fleurs pour son p6re et pour sa inere^ 
qui raYaient6oignie,gdt6e,encore plus qu ill ordi- 
naire. .EUe les rejoignit souriante, wee son petit 
hommage. Elle les trouva tout attendris, ne-se di- 
sant rien Pun al'autre, muets d,une m^e pens^e. 

Pour la prernifere fois peut-6lre depuis bien long- 
temps ils la mirent entre eux. Quand elle 6tait toute 
petite elapprenait a marcher, sans 6tre tenue, elle 
avait besoin de les voir ainsi k port6e de droite et 
de gauche. Mais ici, devenue grande, et presque 
autant que sa m6re, elle sentit bien doucement 
que c'itaient eux maintenant qui avaient besoin 
de ravoir entre eux, ils renveloppaienl de leur 
coeur, et d'un amour si ^u, que ea m^re avai*. 
quelque peine a s'ecnpficiier de pleurer. 

« Chfere maman I quVvez-vous dene"? » Etdlese 
pendit k son cou. Sa mere l,accablait de caresses, 
mais ne lui r^pondait pas, craignant que son coeur 
n'^chappat. Enfin, on peu affermie, quoique nne 
larme charmante lui noyAt encore lesyeux, temfere 
dit en souriant : « Je racontais a ton pipe ce que 
j'ai r6v6 cette nuit. Tu 6taisseule au jardin, 



LA MfiTAHORPfiOSI. m 

tais f)kpi6e au rosier. Je voulais soigner la bles- 
fture, et je ne le pouvais pas : tu resftais blessi§e 
penKT la w.., J,6lais morle, et je voyais toui. — 
maBMin, ne mourez jamais ! » Et eUe se jeta, 
rougi^aute, dans les bras de fa mhre. 

Gee trois persenoes, k ce momeot, ^taient Men 
imies de icoeur . fit que j,ai tort de dire trois I Nod, 
c'^lail tmeqperaonne. lis vivaient d'amourfdans leur 
filLe, elle en eux. Ge <i,6taU la peine de nen dire, 
s^entendantsi bten. On ne se voyail ^hre^ma plus, 
icaor c'6tait ;dejA le tsoir . Ik aUaient obscurs, indis- 
tinct &, k five raf^yaat ie son bras, la mhre en- 
lagant la petite, s'appuyant sur eWt. 

On n'enteAdait plus 4e chants, amis quel^es 
lagers hniite d'oiseaux, leurs derni^res canseries 
intimes en se serrant dans te mA. Gela trg&Hckar- 
manU tree-divers. Les uas brnyants et presses, 
loul joyeux de se retroaver. D!autres, plus melan^ 
coliqnes, inqniets des ombres de Ja n«ait, sem- 
blaieut se dire : « Qui -est str de se reveiller Ae- 
maioi? D Le rossignol, canfiant, regagna sun nid 
presque k terre, cmisa l*dl6e, preeqae k leurs 
pseda^ et la mire tame lui dit ce bonsoir : m Bim 
te^gasde, man peavre p^l , 



IM MATERKIli DE QUATORZE ARS. 

Rien de plus simple que la r6v61ation du sexe k 
I'enfant pr6par6e ainsi. Pour celle qu'on laisse igno- 
rante des lois g^n^rales, qui apprend tout en une 
fois, c,est une chose grande et dangereuse. Que 
penser de i'imprudence des parents qui s'en re- 
mettent au basard ? Car, qu,est-ce que le hasard? 
C'esl souvent une compagne nullement innocente, 
nuUement pure d'imagination. Le hasard, c,est 
encore (et plus sou 鄉 t qu'on ne croil) un mot le- 
gcr, sensuel, du jeune, du plus proche parent. Les 
meres diront non, et s'indigneront ; lous leurs 
enfants sont parfaits. El les sonl trop assoties de 
leurs fils, pour croire l,6vidence mfime. 

Quoi qu'il en soit, cette revelation, si elle n'cst 
donnfee par la mftre, est saisissante et foudroyante ; 
elle tue la volont6 ; k cette heure la pauvre petite, 
avant de revenir k elle, est comme a discretion. 

Quant a celle d, qui, de bonne heure, a Ires- 
froidement appris la g6n6ration des plant es, la 
generation des insectes, elle qui sail qu,en toute 
cspece la vie se refait par Foeuf, et que la nature 
enli^re est dans le travail 6ternel de rovulation, 
elle n'est point du tout 6tonn6ed,6tre dans la rigle 
commune. Lamuepenible qui chaque mois accom- 
pagne ce phenomene semble aussi fort naturelle 
quand on a vu des mues si laborieuses dans les 
espSces inferieures. 



LA m£TAMORPHOS£. 157 

Tout cela apparait noble, grand, pur, dans la 
g£n6ralit6 de la loi du monde, plus grande encore 
quand on y voit la coiislante reparation de ce que 
d^lruit la mort* <x La mort nous pousse, elie nous 
presse, ma chfere fiUe, lui dit sa mfere. Le remade, 
c est le mariage. Ton pgre et moi, nous mourrons, 
et, pour compenser cela, il faudra bien problable- 
ment que, m6me avant, tu nous quiltes et que tu 
sois marine. Comme moi, tu accoucheras avec de 
vives douleurs, et tu am^neras k la vie des enfaiits 
qui ne vivront pas, ou, s'ils vivent, ils le quitte- 
ront. . . Voili ce que je vois d'avance, et ce qui mc 
fait pleurer... J,ai tort ; c'est notre sort a loules, 
et Dieu veut quil en soit ainsi. 壽 



X 



LTOSTOIRE GOKHE BASE DE FOl 



Rousseau, tpxi, chez les modernes, a p9s6ie ppe- 
mier avec force le probl^e des mdtliodes en edu- 
cation, ne me semble pas voir assez que la methode 
n'est pas tout . II cherche seulement comment on doi t 
diriger l,6l6ve, ou plutdt comment r^leve, aide 
dans sa libre action, pourra se former lui-m6me 
et devenir capable d,apprendre toute chose. 一 Je 
n'examine pas son livre. Je remarque seulement 
qu'il ne dit pas un seul mot du second probl6rae de 
rfeducation : quel sera Vobjet principal de i'etude? 
qu apprendra-t-il cet 61eve?En supposant que Rous- 
seau ait rfeussi k former un esprit ^nergique, actif, 
ind6pendanl des routines ordinaires, a quoi s'ap- 
pliquera-t-il? n'est-il pas quelque connaissance ou 
il trouve son dSveloppement, sa gymnastique natu* 



I/H 觸 ffisE COaaiE: BASE M FQI. ^ 

relLe? Ce n'est pas a&s^ de criSer le sujeH ; il iaut 
determiner Yob jet «ur lequel lil fifexerceca ^ftvec le 
{)lus d'avantage. J appellerai net objet : la gubski^we 
de r duration, 

SeloQ mei, die d»it 6tre imtsnBirt fmr h gar- 
Qon «t pour la fiUe. 

Si ran veut mieux r^ussirdans rdducation qu'on 
M l,a fait jusqu'ici, il &ut marquer a^rieusement 
tes diffi^ronces pitofondes qui non-fieulen^ot - 
mnt les dmix sexes, naais les q>pofient m^me, les 
.Cflnsiiituent ^ym^triqaemeal opq^os^s. 

Autres sont leycs vecatiaos et leurs tendance, 
fialorelles. Autre aussi leur t^ucatiou, diff&ente 
dam la m&hode^ iuirmonisante pour la fiUe, pour 
k gsorQon fontifiante, 一 Mff&ente en «on objetj 
pour Feilade principale au s'exercera leor esprit. 

Pour I'homme (pxi est appeL6 au travail, au corn- 
hat du mondeL, ila grande 6tud6, c'est YMtatoire^ le 
ricit de ce combat 丄, Histolre, aid^e par ies lan- 
gw&j dont chacime doiuie le ginie d'am people. 
丄, fiistoke demin^e par le Droit, 確 t sous im 
«t pour lui, cfisiBtammeat 6clabte, corrigte at reo-^ 
tifiie par la justice i^terneUe. 
I- Pmir 'ta femme, doux midittear entre la nature 

€t rheoone, entre le p6re et l-enfant, son 6bide 
toule pratique, rajeinrissante, ambelliaasiite, c,'eal 
celle de la Nature. 



160 L'HISTOIRE COMHE BASE DE FOI. 

Lui, il marche de drame en drame, dont pas un 
ne ressemble b Pautre, d'expf-rience en experience 
et de bataille en bataille UHistoire va, s' allonge 
toujours... et lui dit toujours... « En avant ! » 

EUe, au contraire, elle suit la noble et sereine 
6pop6e que la Nature accomplit dans ses cycles har- 
moniques, revenant sur elle-mfime, avec une grace 
touchante de Constance et de fidelity. Ces retours, 
dans son mouvement, mettent la paix, et si j'osais 
dire, une immobility relative. Voila pourquoi les 
etudes naturelles ne lassent, ne fletrissent jamais. 
La femme peut s,y livrer en confiance ; car Nature 
est une femme. L'Histoire, que nous mettons tres- 
soitement au feminin, est un rude et sauvage m 应 le, 
un voyageur hal6, poudreux. Dieu me garde d'as- 
socier trop cette enfant aux pieds dclicats a ce rude 
p61erinage ! elle se fanerait bient6t, hal^terait, et, 
d6faillante, s'assoirait sur le chemin. 

L'histoire ! ma fille, I histoire I il faut bien que 
jet'en donne. Et je te la donnerai, francheet forte, 
simple, vraie, amere, comme elle est ; ne Grains 
pas que, par lendresse, je r^dulcore d un miel 
faux. Mais il ne m,est pas impose, pauvre enfant, 
de te faire boire tout, de te prodiguer a flots ce ter- 
rible torlifiant ou dominent les poisons, de te don - 
ner jusqu ,杈 la lie la coupe de Mithridate. 



L'HISTOIRE GOHME BASE DE FOI. 161 

Ce que je te dois de i'histoire, c'est la tienne d,a- 
bord, ce que j'ai du te r6v61er de ton berceau, el 
ce qui appuie la base m6me de ta vie morale. Je 
t'ai dit d'abord comment (u naquis, les douleurs, 
les soins infinis de ta mere, et Unites ses veilles, 
combien de fois elle souffrit, pleura, mourul pres- 
que pour toi. Cette histoire, mon en&nt, que ce soit 
ta ch6re ligende, ton souvenir religieux et ton 
premier culte ici-bas. 

Puis, je t'ai sommairement dit ce qu'est et fut ta 
seconde m^re, la grande m^re, la Palrie. 一 Dieu 
t,a fait cette noblesse de naltre en ce pays de 
France, dont toute la terre, mon enfant, enrage et 
raffole, — personne n'est froid pour elle, — tous 
en disent du bien et du inal, 一 k tort? k raison? 
qui le sail. Nous, nous n'en disons qu'un mot : 
« On ne soufTre gaiement qu'en France. 一 C'esl 
le peuple qui salt mourir. )) 

De la tongue vie de tes p^res, tu sauras la grande 
chose, si lu sais qu'au moment sacr6 o4 la Patrie 
fut sur Fautel, Paris vint dire k la France le vceu, 
la yolont6 de tous : a Se perdre dans le grand 
tout. » 

C,esl de cet effort d'unit6 que la France fut uae 
personne. Elle sentit son cceur qui batlait, I'inter- 
rogea, Irouva dans ce premier baltement la sainte 
fraternitS du monde, 】e voeu de d^livrer la tcrre. 



162 L'AISir01fi£ GOMME BASE ])£ FOI. 

Voila tes origkes, A fiUe ! Soutien^les, d fiiis- 
ses-tu n'aimer jamais que les h^ros l 



He la France, tn iras au monde. JNous fRri§pare- 
roKS ensemble^ tout coBUEae dans Ion jardinage, 
des ierraifts approikrifis^poury planter ies nations. 
Agr6able et vivante 6lude du sol, des climats, 
iormes du globe, qui <de taut de fa ous ont ^6ter- 
mmk 】,acti£m des haounes, sou\ent ^M^ rfaistoipe 
d'avance. Ici ia teirre a command^, rhoaime obei; 
tot parieis, id wegklal, tel r^&gime, a fait telle civili- 
fisiLioiL Parfok la force ial6rieure del'homme a pu 
reagir, lutter contre. £n ces combata, ta bonne 
amie d,eniance, la nature et les sciences natureUes, 
vont se liant, se renconiirant a\ec les ^sciences mo- 
rales ou la vie doit t'inilier- 



L'^nseigJEienieikt de rbtstoire^est-il le mteie pour 
les gargons et pour les Giles? 

Oui, sails dofflte, ccmjaie base de loi. Aw uns, 
jiux autneft, telle donne son grand fruit ! mocBl, le 
鄉 ulkn du OBurfit raliment deia yie , &幼 Yoir, ia 
ma|[iufique identity ^de I'dmeJiumame^mtr hquestim 



vmfSfom GOME 'base de foi. m 

du juBte^ la concordance historique des croyances 
clu genre fawntdn rar le devoir et sur Bieu. 

Hais qu'il soit enienflu de plus que Itiomme 
itant appdi aux afffaires, au combat du monde, 
I'bistoire doit spdcialemeiit I'y preparer. 'Elte est 
pour iui ie tr^sor de rexpferience, Farsenal des 
armesde tout gmre dent il se servira demain. Pour 
la tiUe, l^histraie est surtout une base xeligieuse et 

La femme qoi serable si mobiie, et qui pfaysi- 
quement mois par hkhs se ! renoa^elle ^$ doute^ 
doit cependant ici-bas reraplir, bien plus que 
l,homme, deuxconditious de fixity. Toute femme est 
un autely la chose pure, la chose sainte, ourhommef. 
^hranldg par la yie, peut a cbaque heure trouver la 
iiai, retrouver sa propre eoDscience, conserve plus 
pure qu'en lui. Jon^e femme est me Kcale^ et c'esl 
td'elte que ies g^n&raUoiifi refob^nt vraiment leur 
croyance. Longtemps avant que Ie p&re songe a 
r^ducation, la m&re a donni la ^ienoe, qui ne 
€'«£GBLQera phis. 

II fkut qu'eUe ait une &L 

Les 细 b 滅 es voat bienUH tvenir. Ies fkm dan- 
gereufies viennent par l^jibranlement des croyances. 
EUe n'aura pas wingt bd&, peat-eire deux ans de 
mariage, un enfant, 一 qu,on commenoera a exa- 
jnioer le terrain. Les agrtobles viendrmt causer, 



164 L'UISTOIRE GOMMB BASE DE FOI. 

rirc de toute chose, railler tout ce que son p&re 
put lui enseigner de bon, la simple foi de sa mfere, 
le s6rieux de son mari, lui faire croire qu'il faut 
rire 4e tout et que rien n'est sdr ici-bas. 

II faut qu'elle ait une foi, 一 et que ces leg&retes 
perfides et inleress6es ne trouveni en elle que le 
dugout, qu'elle leur oppose le s&rieux, la douce 
fermete d'une dme qui a par devers soi une base 
lixe de croyances enracinee dans la raison, dans la 
simplicity du coeur, dans la voie concordanle, una- 
nime, du coeur des nations. 



II faut que, de tres-bonne heure, le p6re et la 
m6re soient d'accord, et que, sous Ics formes sue- 
cessives ou I'bistoire, selon son &ge, lui sera admi- 
nistr6e, elle en sente toujours raccord moral et 
l'unit6 sainte. 

Sa m&re, sous forme lact6e, je veux dire par le 
doux milieu d'un langage appropri6 k sa faiblesse, 
lui en aura conl6 d'abord quelques grands fails 
capitaux qu'elle 6crira a sa mani&re. ― Son pfere, 
dans r&ge interm^diaire (dix ans? douze ans?), lui 
aura fait quelques bonnes lectures choisies d'ecri- 
vains originaux, lei et tel r6cit d'H6rodote, la 
Rctraite des Dix miilc, la Vie d' Alexandre le Grand, 



L'fllSTOIRE COMUE BASE DE FOI. 165 

qudques beaux rfecits de la Bible, ajoutez-y I'Odys- 
sdej et nos odyss6es modernes, nos bons voya- 
geurs. Tout cela lu fort lentement; lou jours dans 
le m6me esprit, c'est-i-dire en lui montrant sous 
ces diff6rences ext6rieures de iiioeurs, d'usages, 
de cultes, combien peu riiomme a change. La 
plupartdes discordances ne sont qu'apparentes, ou 
parfois necessities par des singularit^s de races ou 
de climats. Le bon sens 6claire tout cela. 

Pour la famille, par exemple, on sent bien 
qu,eUe ne peut fitre la m£me sous la fatality physi- 
que de celle fournaise de l,Inde, ou la femme est 
une enfant qu on Spouse a huit ou dix ans. Mais, 
dSs qu,on se place dans un monde libre et naturel, 
l'i(16al de la famille est absolument idenlique. Tel 
il est dans Zoroastre, dans Hom&re, tel pour So- 
crate (voir Tadmirable passage des ^conomiques de 
X6nophon) , tel enfin k Rome et chez nous. On 
voit dans Aristophane que les femmes grecques, 
nuUement d^pendantes, r6gnaient chez elles, el 
souvent influaient puissaniment dans I'Elat. On le 
voit dans Thucydide, oA, les hommes ayant vol6 le 
massacre de Lesbos, mais se retrouvant chez eux 
le soir en face de leurs femmes, se dijug&rent, 
ritract^rent cet arr£t. 

Les lois nous trompcnt beaucoup. On croit par 
exemple que, parlout ou le gendre paye le p&re, il 



466 L'HISTOIRE COMME BASE DE FOI. 

y a achat de la femme, etqu'elle est esclave. II n,en 
estrien. Cette forme de mariage existe 'encore en 
Afrique, et c est justement chez des tribus ou la 
lemmey libre et reine, gouverne, et non rhomme 
(Livingstone). Ce prix Ji^i point un acbat de la 
femme, mais une indemLite qui dedommage la fa- 
mille du pSre pour les enfants futurs qui ne profi- 
leront pas a cette famille, mais a cette oil la femme 
va entrer> 

U est curi^ux de voir comment les sceptiques s,y 
prennent pour cr6er des discordances, d€S excep- 
tions a la rfegle, -et dire qu'il n'est point de rSgle. 
Les ennemis du sens moral et de fat raison hu- 
maine n'ont d'autre moyen que de chercher, dans 
les sources les plus suspccles, des faits mal com- 
pris. 



« IBais, dit le pere, ou prendrai je assez de pi5- 
notralion pour in'orieTiler moi-meme et pour gui- 
der man enfant parmi tant de choses obscures'? » 

La forte et simple critique se prend dans le 
coBur plus que dans I'esprit.'Elle se prend dans 】a 
】oyaut6, dans la sympathie impartiale que nous de- 
Tons a nos f reres du present et du passe. Avec cela 
vans aurez beaucoup ele facility h flistinguer flans 



L«fiISTOIBE cons BASE DE FOI. 167 

rhifitoire le grand oouFant identique de la 'moral itfe 
humaise. 

Voulez-vous en oroire tqnelqu'un qui a fait plus 
d ,! me fois toette grande ! navigation? Voiei ce qu,on 
y 6pr9uve ■: exactement la'mSme chose qui arrive 
au wyageur qui sort cte la mer des Antilles ; l,in- 
fini des faux au premier coup d'oeil; au second, 
sur le Tert immense, Tine grange rue bleue se des- 
sine; c'est l'6nonwe fleuve deaux chaudes qui tra- 
verse rAtlantique, arrive encore tiMe a Hrlande, 
€l qui, mdme a la pomte de Brest, n'est pas tout a 
fait refiroidi. On le voH -parf aitement , et rhieux en- 
core-sur la route on -en Teesent la chaleur. 

Tel ^ou8 apparsfitra le grand courant de la tra- 
dition morale, si \ous portez sur l,histoire un re- 
gard un peu attentif. 



Mais bien aTamt qu-on arrii^e k cette hwte sim- 
plification ou rhistoire devieirt identique «vec la 
morale elle-^inftme, je voudraisque majeunenrierge 
bAI 6t6 doucement nourrie de lectures sariws et vir- 
^nales,emprant^s eurtout a l*antiquit6, mftmeau 
frhnitif Orient. Commeitt «6 fait*il qu'on ne melte 
mat mains des Bofants que les livres des peuples 



tb8 L'HISTOIRE GOHME BASE DE FOI. 

vieux, tandis quon leur laisse ignorer I'enfance, 
la jeunesse du monde ? Si Fon recueillait quelques 
hymnes vraiment 6lh6rees des V6das, Idles prifercs^ 
telles lois de la Perse, si pures et si h6roiques, en 
yjoignant plusieurs des touchantes pastorales bi- 
bliques (Jacob, Ruth, Tobie, etc.), on donnerait a 
la jeune fille un merveilleux bouquet de fleurs, 
dont le parfum, de bonne heure respir6 et lente- 
menl, irapregnerait son &me innocente et lui reste- 
rait toujours. 

Point de clioses compliqu^es de longtemps . Loin, 
loin les Dante et les Shakspeare, les sophistes et 
les magiciens de la vieillesse du monde! Plus loin, 
les romans historiques, funeste litt^ialure, qu'on 
ne peut plus d^sapprendre et qui fait solidemeiil 
ignorer i'hisloire a jamais ! 

Je veux des chants de nourrice, comme Ylliade 
et YOdyssde, Celle-ci est le livre de lous, le meii- 
ieur pour un jeune esprit. Livre jeune aussi, mais 
si sage I 

Du resle, pour savoir les livres qui lui vont, il 
faut les classer par le degre de lumi^re qui les 
eclaire et les colore. Chaque litt^rature semble 
r6pondre a quelque moment du jour. H6rodote, 
Hom^re ont partout comme un reflet du matin, 
et il en reste dans tous les souvenirs de la Grfece. 
L'aurore semble toujours luire sur ses monuments. 



L'HISTOIRE COMIIE BASE DE FOI. 109 

C,est foujours une transparence, une s6r6nite mer- 
veilleuse, une gaiet6 h^roique qui gagne et fait rire 
lesprit. 

Dans les poSmes et drames indiens, modernes 
relativement en comparaison des V£das, il y a 
mille choses qui raviraient l,imagination de Fen- 
fant, charmeraient son coeur de fiUe I... Mais je ne 
suis pas press6. Tout cela a la chaleur languis- 
sante de Fheure de midi. Ce monde de ravissants 
mensonges a 6t6 r6v6 sous Pombre des forfits fas- 
cinatrices. A son amant bienheureux je Jaisse la 
Yolupt6 de lui lire Sakountala sous quelque berceau 
de fleurs. 

C'est le soir, c,est dans la nuit, que semblent 
avoir it6 Merits la pluparl des Hvres bibliques. 
Toutes les questions terribles qui troublent l,es- 
prit humain y sont poshes Aprement, avec une 
erudite sauvage. Le divorce de rhomme avecDieu, 
et du fils avec son pfere, le redoulable problfeme de 
l*origine du mal, toutes ces anxifel6s du peuple 
dernier-n6 de I'Asie, Je me garderai d'en troubler 
trop t6t un jeune coeur. Que serait-ce, grand Dieu ! 
de lui lire les rugissements que David poussait dans 
r ombre, en battant son coeur d6chir6 des souvenirs 
du meurtre d'Urie? 

Le \in fort est pour les homines et le lait pour 
les enfants. Je suis \ieux et ne vaux gu6re. Ce 



1 70 L'HISTOIRE GOMlffiL BAtSB DB . FQI. 

livre me va. L'homme y tomhe, se cel^e,. et c,est 
pour tomber encore. Qiie de chutea ! comment 
ferais-je pour expliquer tout cela 2i ma ch6re in* 
nocente ? Paisse-t-elle ignorer longtemps le com- 
bat de Vhomu duplex ! Ger n'esl pas que ce livre-ci 
aitl'Snenrante moUesse des myfitiques du raoyea 
dge. Mais il est trop orageux,, il est trouble, il est 
inquiet. 



Uiie des causes encore qui me fieront.h^siter de 
faire Irop t6l cette lecture, c,est la haine de la na- 
ture qu'expriment partout les Juifs. I1& y craignent 
visiblement les si&ductions de I'Egypte ou de Baby- 
lone, N'importe. Cela donne k leurs livres un ca- 
raot^re m^gatif, critique, sombre aust^it6, qui. 
pourtaat n'est. pas toujour^ pure. Dispositions 
loutes coAtraices acelles queje veux chez I'enfant, 
qui ne doit 6tre qu'innocence, gaiety et s6f 611U&,, 
sympathie pour la nature,, specialement pour lea 
animaux que les Juifa fort cruellement nomment 
(Tun vilaiii nom: les velm. Puisse ma petite avoir 
plutdt le doux sentiment du haul Orient qui Mnit 
toute vie! 

Ma fille, lisons ensemble; dans la Bible de la lu' 
mi6re, le ZendrAvesta) la plainte antique etsacrie. 



L^HWTOiRB mmm bast m 亂 m 

de la vaehe a l,h(mim«* pour llii rappeter ses bieor 
faits. Lisons les fortes paroles, toujottrs vraies^ et 
sufosisfanies, o# Fhomwiifr reconnaltcequ il doit a 
ses compagnoRs de ivrnwlk^ \% finrt taureau, le vail- 
tent' ehieir, la boime terre^ mwDiei^re. EUe n'esii 
pas' insensible, cetle* tterre^ et cpi'elle: dii aula* 
bowreur restera 6ternelleanent. (2end. a, 284.) 

盒 tve pur pmt Mns fbrty 一 itre fottt pour etre (4^ 
cmdy c'estf tout le sem de cette loi, I'une des plus 
humaims^ des phis harmawques que Dimi ait don- 
n6es a la terre. 

Cheque matin* B^rmH FauroBey et quaad rdde en' 
eare tigre, paFtenat les dftUK'aainftrades,.je veuar 
dire Phomise et le chien. II s>agit du cliien pri, 
initif, ee* dogue colossal sans, lequel la terse 
alors e&t 616 inhabitable, fiitre secourable et ten — 
rible qui, seul, Tint k bout des monstees^ On en 
montra encore un k Alexandre, et il ^trangla un 
lion devant lui. 

L'homme n*avait d,armes alors que la grosse et 
courte 6p6e qui est sur les monuments, et dont, 
face a face, poitrine contre poitrine, on le voit poi- 
gnarder le lion. 

Tout le jour, il dompte la terre, sous la garde 
du chien fiddle ; il lui donne la bonne semence ; ii 
lui distribue les eaux salutaires, il la p6n6tre par 
le soc, la rijouit par les fontaines ; et lui-mdme r6- 



172 LUISTOIRE GOHIIE BASE DE FOI. 

jouit son coeur de la bonne oauvre de la Loi : il cn 
revient sanctifi6. 

Compagne de celte grande vie de travail et de 
danger, la femme, sa puissante —use, la mattresse 
de maison, le re^oit au seuil, le refait des aliments 
de sa main: il mange ce qu'elle lui donne, se laisse 
nourrir comme un enfant. C'est elle qui sail toute 
chose, les vertus de toutes plantes, celles qui font 
fleurir la sant6, celles qui reinvent 】e coeur. 

La femme est mage, elle est reine. Elle domptera 
le vainqueur des lions. 

Ce monde de Fancienne Perse est un monde de 
fralcheur : c'est comme la ros6e d'avanl I'aube ; j'y 
sens circular partout ces quarante mille canaux 
souterrains dont parle H^rodote, veines cach^es 
qui, par-dessous, ranimaient la terre, et d^robaient 
les eaux vives h la soif du briUant soieil. 



XI 



LA PALLAS. 一 LE RAISONNEMENT 



Chfere enfant, tu n'as guere 6t6 encore aux gale* 
ries de sculpture. Ta mfere les trouve trop froides, 
et toujours nous montons plntdt k l'6tage supirieur 
du Louvre, au monde chaud, vivant, des tableaux' 
Cependant, l'6t6 surtoui, cest un lieu de noble 
repos, de sdlence, oil I'on pourrait mfediter, fetu- 
dier, mieux que dans le mus^e (Ten haul. Aujour- 
d'hui que certaine affaire retient ta mfere k la mai- 
son, faisons ensemble ce voyage au grave pays des 
morts. 

Les peuples, les 6coles, ne sont pas classes ici 
comme au mus^e des peintures. La haute et pure 
antiquity s'y trouve trop souvent rapproch6e des 
(Buvres de la decadence. Et rien ne se confond 
pourtant. Si fiers, si nobles, si simples, sont les 
\rais enfants de la Gr6ce, qu'au milieu m6me des 

iO 



174 U PALLAS. ― LB RAISONKEMENT. 

Romains, empereurs et s6nateurs, ils ^clatent, do* 
minent, et ce sont les Grecs qui semblent les mai- 
(res du monde. Les basses passions qui marquent 
les busies de I'Empire (les Agrippa, les Vitel- 
iius, etc.) n*apparaissent pas encore cbez leurs 
nobles devanciers. Une s6rtnil6 sublime est lattri- 
but de ces fils de Pidfeal. Leur front a encore le 
reflet dont Paurore illuminait le falte de I'Acropol 
d'Ath&nes, tandis que leurs yeux profonds indi- 
quent, non la molle rfeverie, mais la perQante in- 
tuition el le m&Ie raisonnement. 

Tu as lu les Vies de Plutarqw; tu cherctov ici 
tes grands morts, objets* de ta prtdilection. Ges 
biographies* dela deeadenGe,.int6ressaates et roma«» 
nesques, nous donnent una lA&e tr^s-contraire aa 
g6nie de rantiquit6. EUea jiDoclainenl. le h6rosv 
rintroaisent et le divinisent. Or la beautt de la Git6、 
greeque, c'est d'fetre un monde hr roique oil I'on ne 
\oit point de li^ros. Nul ne res!, et tous le sont. 
Par la gymna^ique du corps et par celle de I'esprit, 
tout ciloyen doit oblenir Papogie de sa beaute, at- 
teindre la hauteur h^roique^ resseisbler de Ires-prfes 
au)t dieux. D'une incessanie actWiti, par les com- 
bats, ou les disputes de 1» place et de l'6coIe, par 
le IheMre, par les f&tes qui sontdesjeux et des^ com*- 
bats, rhomme 6voque de sa nature tout ce qu'elie 
龜 de beau, defort, se sculpte infatigablement a l,i*, 



LA P4£LMS. ― IM RATSONNEU^T. ^5* 

mage (TApolUm, d'fiarculey enrfnrunte i'6nergie du 
second, la svelte 616gattGe deTantre, sa 'haute bar- 
monie, ou les puissances m^ditatives de la ilfuiePTe 
d'Athenes. 

Les Greos massaieirt^ils 4ms beam? Oa aerait 
bien fou de le esoire • Mais Us savme nt sefairebeaux • 
« Soorate maqait m ivsni satyre. Mais, du dedans 
au dehors, il se transforma tellement, par cette 
sculpture de raison, de vertu, de d^vouement, il 
refit si bien son visage, qu'au dernier jour un dieu 
s'y vit, dont s'illumina le Ph6don. » 



Entrems dans cette grande salle oix I'on voit au 
fond le colBsse de la Melpom^e, et, sans aller jus- 
qu'i elle, arr£tons-nous un moment devant celui'de 
la Pallas. C'esl une sculpture des temps romains, 
mais copite d'une Pallas grecque, de celle de Phi- 
dias 'peut-fitre. On y trouve pricis^ment r expres- 
sion des figures connues de P6rid6s, de Thimh- 
todle. Pour la nommer de son vrai nom, c'«st la 
penste, c'est la sagesse, ou plutdt la riflexim. 

RfeflSchir, d'est retoumer sa pens^e vers elle- 
m6me, la prendre pour son propreobjet, la regar- 
der comme en un miroir. Ilfautficlivement qu'ells 
se double, et que la pens6e regardante fixe la pen- 



170 LA PALLAS. 一 LE RilSONNEHENT. 

s6e regard6e, l'6tende, la dfeveloppe par Fanalyse 
du langage, ou par le langage int6rieur du raison- 
nement muet. 

Lc haul g6nie de la Grfice, cene fut pas l'habilet6 
des Ulysse et des Thimisiocle qui les fit vainqueurs 
de l,Asie, ce fut cette invention des m^thodes de la 
raison qui fit d'eux les suprftmes initiateurs de I hu- 
manitg h venir. 



L'intuition poitique et proph^tique, ce procMfe 
de rOrient, si sublime dans les livres juifs, n'en 
suivait pas moins une voie scabreuse, pleine de 
brouillards et de mirages. Elle 6tait fatale d'ail- 
leurs, dependant du hasard tout involontaire de 
rinspiration. 

A ce prpc6d6 obscur la Grfece substitue un art 
viril de chercher et de Irouver, d'airiver avec cer- 
titude en pleine lumiere par des voies connues de 
tous, ou I'on peut passer, repasser, et faire toute 
verification. L'homme devient son fabricateur et 
I'artisan mftme de sa destin^e. Quel homme? Un 
hommo quelconque, non Ffelu, non le proph^te, 
non le rare favori de Dieu. Avec les arts de la rai- 
son, Ath^nes donne h toute la terre les moyens de 
l'6galit6. 



LA PALLAS. 一 LE RAlSORIfEHENT. 177 

Jusque4a, rien de L'aveugle 6\m du senli- 
ment, des essais de rMexion, mais qui avortaient 
bientdt. Tout d6cousu, tout fortuit, rien de r6gu- 
lier. 

Jusque-li tout le progr^s par secousses et par 
saccades. Point d'histoire possible du mouvement 
du genre humain. L'Asie est peu hislorique. Ses 
rares annates donnent des fails isol6s, dont on ne 
peut tirer de conclusion. Que conclure de choses 
fatales et que la sagesse ne salt diriger? 

Mais du jour oA la raison devient un art, une 
m^thode ; du jour ou la vierge Pallas eiifante, dans 
sa forme pure, la puissance de deduction et de 
calcul, une generation r6gulifere non interrompue 
existe pour les oeuvres humaines. Le fleuve coule, 
ne s'arrfete plus, et de Solon k Papinien, et de So- 
crate k Descartes, et d'ArchimMe a Newton. 



Elle est en toi, comme en nous lous, enfant cette 
grande puissance. II ne faut que la culliver. Je ne 
demande pas que tu Fappliques aux sujets les plus 
abstrails, que tu traduises Newlon, comme une 
femme c616bre de raulre si^le. Je ne demande pas 
qu'au milieu d,un cercle d'hommes altentifs et d'e- 
iSvesrespeclueux tu enseignes les hautes malh^ma- 

10. 



178 lA PACLAS. — LEiIWasONHBIIErfT. 

tiqnes, com me j'ai vu nne dame le faire a Granville 
en 1859. Mais je serais hien heureux si, dans les 
traverses qui,peuvent afQiger ta vie, Lu trouvaas mi 
refuge vers ces hautes et pures regions. L'amour 
du beau est chose teUemmt propre au osear ie la 
{emrriB, que se sentir deT^nir belle, c'est paw se 
consoler de tout. La purely, la noblesse, 1,61^' 祖 Uon 
dune vie tpurn6e tout entiftce <vers le lacai, woilbi 
un d6dommagement de tous ks bonheurs de la 
terre. Qui sail? «,eii souvient-on encore? 



Nous ^avons cu oe spectacle dans una adourable 
enfant, la jeune £miUa, fille da Manin, £Ue avail 
6te de bonne heure frapp^e des coups les plus 
cruels, €t de la perte.de m mere, et de la ruine de 
son pere, du drame terrible de Venise, dont elle eut 
les contre-coups. L'exil el la pauvretfe, la vie sombre 
des villes du Nord, devaient achever. Mais le plus 
terrible, cesl que voelte &ou£frante image du mar- 
iyre de I'ltalie, qui en eut Urns les tressaiUeDaents, 
subissait les :aDcas ^aeurtriers d une cmeUe ma- 
ladie inerveuse. Eh Men, k travers rtout caLa, la 
jeune vierge de douleur gardait sa pensee haute et 
libre, aimaat le pur entre Je pur, lalg&bce et la 
g^omilrk. Clest die qui souteoait son pere de sa 



U PALLAS. ― LE RAISONNEMENT. 17 & 

noble s6r6nit6. II consultaii cette enfant, et, m^me 
apr^s qu'il I'eut perdue, se r6glait sur son juge- 
raent. « II me semble, nous disait-il sur une affaire 
patriotique, que ma fille doit m'approuver. » 



Entre Dieu et la Baison est-il une difference? 11 

t 

serait impiedelecroire. Et de toutes les formes de 
rAmour dbemel (beanl6/S6cenflilfe,-puis8ance), nul 
doute que la Raison ne soil la premiere, la plus 
haute. C'est par elle qu'il est rharmonie, I'ordre 
qui fait prosp6rer tout, Pordre bienfaisant, bien- 
veillant. Dans la Raison, qui parait froide, il n'est 
pas moins 1, Amour encore. 

Nous ne viTTons pas toujours pour t aimer et te 
prot6ger. Peut-fitre, comme bien d'autres femmes, 
seras-tu seule sur la terre. Eh bien, que le coeur 
paternel le donne une proteclrice, une patronne 
sMeuse et fiddle qui ne te manquera pas. Je te 
voue et te dedie, 6 chfere I k la Vierge d,Athftnes, je 
Teux dire k la Baison. 



XII 



LA GHARIT£ D'ANDRfi DEL SARTE 



Les esprits attentifs, je pense, ont pu saisir la 
double fil des m6lhodes que j,ai suiyies dans ces 
trois derniers chapilres, m6lhodes ^galement aus- 
tci'es, quoique I'une semblit menager et caresser 
la nature, et I'autre la contrarier. Du jour oil ma 
jeune enfant, au pas delicat des deux ages, setrouve 
k son touratteinte de celle maladie charmante qui 
n'est autre que l,amour, j'ai employ^ concurrem- 
ment deux m6decins, non pour gu6rir, mais pour 
modifier, transformer. Je ne veux pas frauder 
l amour, pour qui j'ai le lendre respect qu on doit 
aux bonnes choses de Dieu, mais r^tendre ei le 
satisfaire mieux qu,il ne ferait lui-m6rae, Penno- 
blir et le grandir vers les plus dignes objets. 

On a vu qu'au moment de la crise (vers quatorze 



LA GUARITE D'ANDRfi DEL SARTE. 181 

ans), ou plut6t un peu avant, lorsquejela sentais 
venir, j'ai employ^ des moyens qu'on pent dire 
homoeopathiques, balangant et dStournant le sem- 
blable par le semblable. A rSmotion du sexe j'ai 
donn6 pour contre-poids I'^motion maternelle et 
le soin des petits enfants. 

Mais dans les annies qui suivent, par un art 
allopathique, j'ai occup6 son esprit deludes nou- 
velles, de lectures pures et sereines. Dans la va- 
ri6t6 amusante des voyages et des histoires, je lui 
ai fait trouver elle-mfime la s6rieuse base morale 
ou sa vie va s'appuyer : runiid de la foi humaine 
sur le devoir et sur Dieu. 

EUe a vu Dieu dans la nature, elle le voit dans 
I'histoire. Elle sent dans Famour 6lernel le lien de 
ces deux mondes qu'elle ^tudiait separfes. Quelle 
vive et tendre emotion I... Mais n'ai-je pas cr66 ici 
moi-mfime mon propre danger? Ce jeune coeur 
amoureux ne va-t-il pas delirer, et sous ombre de 
puret6, dans une sphere sup6rieure, suivre un 
tourbillon d,orages non moins dangereux? 

Tout depend ici de sa m6re. Aux premiers fre- 
missements de la nature, renfant, froubl^e, amol- 
lie, 6tait loute dans les bras maternels ; elle a 
trouv6 la non-seulement les vives caresses, mais 
les rftves aussi. La femme est si altendrie quand 
son enfant devienl femme, qu'elle-mftme en rede- 



li8S U CHAR1T& D'A 讓 S OiEL SARTE. 

Yient infant. Elle craint pour JTobjet adori, alors 
iHtaaniGelant, fragile, prie et |»louce, retourne aise- 
ment aux faiblesses du myaticisme , drat toutes 
( deux peureDt Atre toerv6e&. 

St moi, <alors, que deviendrai&je? que me ser- 
virait d'avoir donnS k cetle fleur I'eau saine et for- 
tifiante, si une faible mfere devait la tenir atti^dif 
de lait et de larines, et, ce qui est pis, languid 
6ante des breuvages dee empiriques? 

De tou6 les romaivs eorrupteurs, les phres scmt 
les livres mystiques, oil rdme dialogue 'avec P4ine, 
aux heures dang^ereuses d,uD faux crepuscule. EHe 
croit se sanctifier, etellews,attendrissant, s^amol- 
lissant, se prfeparant a toute faiblesse humaine. Ce 
d6bat, rudeet sauvage, yiolent, dans les livres juifs, 
devient malsain, fifevreux, dans ceux du moyen age. 
Combien plus, dans les copies, si tristement Equivo- 
ques I Ma jeune filie, qui, d'age en&ge, par une tout 
autre voie, a montS vers lid^e de Dieu (du Dieu 
fort, \i\ant, cr6ateur), a moins a craindre qu'une 
autre. Cependant, c'est k ee moment que j,ai cru 
devoir Parmer , abriter sa jeune idle de ce qui fait 
i'uir les songes, le lumineux casque d,acier de h. 
vraie vierge Pallas. Le dialogue intSrieur qujB je 
veux commencer en elle, ce ii*est point du tout ce- 
lui d'une dangereuse reverie, c'est iaustere conver- 
sion de k pens6e, bien 6veilI6e, avec ia pens^e 



elle-mdme. La^ plus haul que' le naisonnemcnt, 
elle a. aper^u la Raisoni. AiiHtessm des spheres >de 
vie qa?elk a traversees, elle a vu la sph^de cris- 
ta!, oil ri<16e, en pleine lumii^re, est pto6tr6e de 
part eo part» Et cela, s» beaui, si pnr*, qii'elle M!a 
aim 勻 ador6 la Piuret^ pour eltennAme* 

Voilii Famour (pA ches elie a transfigure I'amour 
etfooonmeAi jfaigard^ sonr eoaur. 



Cela servira-l-il loujours ? Je ne dois pas m,en 
flatter. Chfere enfant ! ce n'est pas sa faute. C'est 
celle de la nature, qui chaque jour I'enrichU de 
forces, rembellit' d'iin luxe de s6Ve, et fait (Telle 
un enchanlement. Vierge, pure et haute de coeur, 
de digne el sage volonte, par celle puretfe mfime ir 
semble qu'elle donne une prise plus forte a ces 
puissances imp6rieuses. L'cBil et la pens6e sont au 
del', son coeur est aux grandes choses, et son es- 
prit vertueux, qui sait se dompier lui-m^me, ne 
fuit point I'abstraclion. Miais voil&que bien souvent, 
au sein de ces nobles 6tUd'es, quelqu'un (et qui 
done?) I'agite ; sa joue lout h coup se colore, ses 
beaux yeui errent et se troublent, un flot de vie a 
monl6, et comble sonjeune sein. 

£ile est femme... Q\ie faire a cela?" Elfe rayonM 



184 LA GHARIT£ D 猶 Rfi DEL SARTE. 

tout autour d une Electricity channante. Sous les 
for6ts de I'Equateur, ramour, chei des myriades 
d*6tres, delate par la flamme in6me, par la magie 
des feux ail6s dont sont transfigur^es les nuits. 
Naives revelations, mais non plus naives que le 
charme innocent, timide de la vierge qui croil ca- 
cher tout. Une adorable lueur Smane d'elle k son 
insu , une yoluptueuse aurtole, et justement quand 
elle a honte et qu'elle rougit d'etre si bell e, elle r6 
pand autour d'elle le vertige du parfum d'amour 



ch&re enfant, je ne veux pas, je ne peux te 
laisser ainsi 1 Tu passerais comme une lampe. A 
cette dangereuse fiftvre ou tu te consumerais, il 
laut en mfeler une autre qui fera diversion. Une d6- 
vorante puissance est en loi, mais je m,en vais lui 
donner ua aliment. J'aime mieux tout, fille ch6rie, 
que le voir brAIer solitaire. Regois de moi un cor- 
dial, une flamme qui guerit la flamme. Regois (c'est 
Ion pfere qui verse) I'amertume et la douleur... 

Abrilee de notre amour, enferm^e de U pensSe, 
de ton travail, lu ne sais gu6re ce qu'est le travail 
du monde, rimmensit^ de ses mis^res. Sauf un re- 
gard sur I'enfant qui pleure et sildt se console, tu 
n'as pu soup$onner encore rinfini des inaux d'ici- 



LA GHARlTfi D' ANDRE DEL SARTE. 185 

bas. Tu 6lais faible et d61icale. Nous n'osions, ta 
mfire et moi, le mettre aux prises avec fant d'6mo- 
tions navrantes, mais aujourdTiui nous scrions 
coupables de ne pas fe dire lout. 



Alors, je la prends avec moi, et je la m^ne har- 
diment k travers cette mer de pleurs qui coule a 
c6t6 de nous, sans que nous y prenions garde. Jc 
lui dfechire le rideau, sans 6gard au d6gotU physi- 
que, aux fausscs d^licatesses. Regarde, regarde, ma 
fille, voila la realile !.. .En presence de telles choses, 
il fau4rait 6 Ire dou6 d'une merveilleuse puissance 
d'abslraclion figoislepourmener lout seul ses rfives 
et son idylle person nelle, une navigation paresseuse 
sur le fleuve de Tendre et ses bords semte de fleurs. 



Elle rougit davoir ignore, elle se trouble et elle 
pleure. Puis, la force lui revenant, elle rougit de 
pleurer et de n'agir pas ; 】a flamme de Dieu lui 
monte. Et d6s lors, elle ne nous laisse plus repo- 
ser. Toules Ics forces de I'amour, la chaleur de son 
jeune sang, tournie vers la charity, lui donne uno 
activity, un 61an, une impatience, une tristesse de 
faire si peu. Comment la calmer, mainlenant?A sa 
mere de la diriger, de 】a suivre, de la contenir. 

i 食 



^80 U GHARITfi O'ANDRt DEL SARTE. 

Car, de cet aveugle 61an, elle pourrail sejelei dans 
des clangers inconnus. 



Livresse de la chariU et sa chaleur h6roique, 
cette ravissanle passion des viergespleines d'amour, 
die n'a jamais fet6 dite. Elle a kik peinte une fois. 

Un exil6 italien, rcconnaissant, £mu au cceur de 
la charity de la France, nous fit ce don inestimable, 
la plus chaude peinlure, je crois, qui soit dans le 
Musee du Louvre. H61as I comment laisscr la, 
ptirmi tanl de vulgaires chefs-d'oeuvre, cette chose 
de haute saintet6 ! El comment I'avoir all6r6e I Bar- 
bares! impiesl grSce k vous, cette merveille ado- 
rable, elle a presque p6ri sur la toile. Mais, dans 
mon ardent souvenir, elle esl loujours flamboyanle, 
el jusqu'a mon dernier jour, plus qu'aucune image 
pieusc elle mc gardcra la chaleur. 



Void, sans y changer rien, la note grosstere, 
i"forme, que j,6crivais le 21 mai dernier, quand 
ie I'ai vue la derni6re fois : 

« (Euvre inOniment hardie. Ni convcnance. ni 



m&iagement. On y sent ce temps terrible de la 
catastrophe de Fltalie. C,est quand on est mort 
plusieurs fois qu,on peut dire oa peindre ainsi. 

« Av€c cette belle mamelle pleine, c'est une 
vierge, ei noa uue femme. Les femmes sont plus 
timides. CeUe*ci n'a pas6te donapt^ ; elle n,a rien 
de sinueux, ne flotle a droite ni a gauche. Elle n'a 
Hi pear ai doute. Voila de pauvres ailaDa^... C'est 
tout... Elle les nourrit. 

« U faut savoir qu ,& cette Spoque un homme, 
traversafit les Alpes, trouva un troupeau immense 
de milliers d'eo&ntSi dont les parents etaient 
morts, et qui broutaient k quatre paUes, conduits 
par une vieiUe femme* 

« Devant cette masse horrible de niis£re, de sa- 
lehby ufie autre eiai pleur6, mais edt fui. Celle-ci, 
jeune, biroique, qui n'a peur ni d^goiit de rien, 
en ramasse k pteines mains, et les met k sa ma- 
melle. 

« Un est a 968 pieds, fort maigrev et les c6tes 
toutes marqufes ; il est i^ecru, ipuisi, a'en peut 
I^us, de fatigue et de soomieil, il 餘 t tomb6 sur 
une pierre. Comme elle n,a que deux bras, elle n'a 
pris que deux en&iits. Elle en a mis un a son sein, 
wn rkhe 6ein, gonfl^ de lait : il est en pleine jouis- 
sance ; sabouche, avide et gloutoime (il y a si long- 
temps qu'il p&iit 1) presse Ic beau jcune mameloHy 



188 1> GHAR1T£ D'ANDRfi DEL SARTE. 

rouge de vie, rouge d'amour, de sang pur et g6ii6- 
reux. 

a Qu*elle verse ce lait d ua grand coeur, d'une 
superbe volonle ! Un trait naif temoigne bien la 
precipitation charmaiite avec laquelle elle a pris k 
elle renrant a(Tam6. Ce n'est pas \k une nourrice. 
Elle se rest appliqu6, tout comme il s'est presents. 
Elle le tient soulevi de la main gauche, qu'elle lui 
a pass6e dessous, avec une force delicate, sans son- 
ger a la convenance. Mais qui done oserait rire ?… 
On ne rit pas davantage de la negligence hardie 
avec laquelle la jeune sainle, tout entiere a la pas — 
sion, a mis son bonnet de travers. 

« L'enfnnl qu'elle tient de la droite pr^s de la 
mamelle v6lue, et qui attend impatiemment que 
1 'autre ait fait place, est plus grand, plus fort, plus 
decent, j'allais dire plus corrompu ; il a une cein- 
ture aux reins et ne montre pas son sexe ; il a l air 
crainlif cL flalleur d^j^ d un petit mendiant ; sa 
bouche aiguS, fremissante, semble faire entendre 
une stridente el a pre prifere, qui lui fail seirer les 
dents. II tient a la main, je crois, quelques grains 
de mauvais raisin, d'aigre verjus ; il a h&te d'ou- 
blier dans les douceurs du bon lait sucr6 de ! a 
femmc raga^ante nourriture. II n'en est pas loin ; 
fo premier qui telle en a tan I pris, que sod corps 
csl 011(16 comme une sangsuc. 



LA CnARlTfi D'ANDRE DEL SARTE. m 

« Pr6s d'elle, k terre, un rtehaud, un feu rouge 
de charbon, de braise, 一 mais si froid en compa- 
raison du feu qui lui brnle le cceur !... 

« EUe brdle, et elle a un grand calme de force, 
une ferme assielte h^roique^ un tr6ne dans la gr&ce 
de Dieu. i 



LLr_ 



XIII 



RfiVfiLATION DE L'HfiROISME 



Froebel a dans r&ducation des enfants une bien 
lieureuse exigence. II lui faut pour les elever, in- 
dfependamment de rinstitulrice, une adorable de- 
moiselle, accomplie, et justemcnt la femme desi- 
rable k rhomme... Qu'on remerciera les enfants I 

II veut que la jeune fiUe aille beaucoup aux eco- 
Ies, seconde I'institutrice, et en prenne les quali- 
t6s. 一 Celle-ci doit filre soigneuse, aimable, inlel- 
ligente, d'une patience infinie que donne seule la 
tendresse. Les demoiselles qui I'aideront seront 
lelles, ou peu k peu le deviendront par la gv&ce de 
ce qui rend la femme capable de tout, Famour des 
enfants, I'instinct maternel. Faut-il qu'elles soient 
parfaites? Dans ce but elles le deviendront... Heu- 



RfiTtLATlON m L'HfiROlSMB. 191 

reux enfants qui seront dans ces douces mains ! et 
combien plus heureox encore ramant qui reoc- 
voir )e plus ditin des dons du ciel ! 

Madame Necker est du mdme avis. Elle sent que 
cette maternity prepare admirablement la jeune 
lille au mariage. 

Ces pauvrea petits qui n'ont rien, que de ehoses 
lis peuvcnt donner h la demoiselle I ils lui donne- 
ront d'abord la connaissance de la vie, des r6ali- 
t6s, des misftres, lui feronl voir le monde au i?rai. 
lis lui affermiront le caracl6re, lui fcront perdre 
les manvaises dSIicatesses. Elle ne sera pa^ la b6- 
gueule, la degoAt^e, la rench^rie, qu,on rencontre 
h chaque instant. Elle deviendra adroite, coiira- 
geuse, senlira rhumanit6 sainte et la dignity de la 
charilfe, n'aura pas les sottes pudeurs de celles qui 
n'en valent pas mieux ; on la verra calroe et noble 
faire les choses les plus vulgaires, nourrir, laver, 
habiller, dcshabiller, au besoin, ces innocents. 

Une demoiselle sirieuse qui a ainsi tout k la (ois 
el rideal de I'Stude et le rfeel de la vie, s'aHerniit 
par Tun et par Fautre et prend un bon jugement. 
Plus ta^d elle n'estimera pas un monsieur sur ses 
gants jaunes, ou sur ses chevaux, ses yoitures. 



192 RfiYELATION DE L'HJ^ROlSME. 

Elle restimera par ses actes, par le coeur el la 
bont6. Elle n'aimera qu'a bon escient, sarrfitanl 
xnoim au dehors, mais voulant savoir le fond : ce 
qu on fait et ce qu'on peut. 



Suppose que par hasard il entre la un jeunc 
homme, qu,il la surprenne avec sa mftre dans ces 
saintes fonctions. Les enfant s, un peu effarts de 
l,entr6e du beau monsieur, se serrent, se groupent 
autour d'elle, derrifere sa chaise, a ses genoux el 
jusque dans ses vfitements, d'ou, rassur6s, ils re- 
garded et montrent leurs tfttes charmantes. Elle, 
surprise et souriante, quoiqu'elle rougisse un peu, 
croyez-vous qu'elle va alier se r6fugier sous sa 
mSre? Non, elle est m6re elle-mfeme, occupfee de 
les rassurer, plus occup6e d'eux que de Ffetranger. 
C'est lui qui se trouble, il voudrait se metire h ge- 
noux, voudrait leur baiser les mains. 11 n'ose abor- 
derla fiUe. II va a la m6re : « Ahl madame, quelle 
douce vue! Charmanle scene! Comment \ous dire 
combicn mon coeur vous benil !… 》 

Puis il dit k la jeune fille : c Heureux, heureux, 
mademoiselle, qai pourrait vous seconder !••• Mon 
Dieu, que pourrais-je faire? » 

Mais elle, toul h fait remise et nullcment dfecon- 



r6v6lation de l'h6ro!sme. 195 

cerl6e : « Monsieur, cela est facile... La plupart 
sont orphelins ; trouvez quelques bonnes gens, sans 
enfanto, qui veuillent bien recueillir celui-ci. II a 
cinq ans. Je ne puis le consoler... 11 lui faut une 
m&re, mais qui le soit tout i fait. J'ai beau faire, 
je suis trop jeune, trop loin de r^ge qu'avait sa 
mfere quand il Va perdue... » 



II y a beaucoup d'hommes du monde, pour sen- 
tir cela un instant, pour admirer en artiste h 
gr^ice d'expression ou de pose que peut avoir la 
demoiselle. Mais il n,y en a pas beaucoup pour s,y 
associer de coeur, et en garder la durable et solide 
impression. La vie est variee, mobile; elle les em- 
porte bien loin 1 Tout au plus diront-ils le soir : 
(X J ai vu une chose charmante ce matin... C'etait 
mademoiselle***, un vrai tableau d'Andrfe del Sarle. 
Rien de plus joli... » 

Elle sail ti fes-bien elle-ni6me ce que valent ces 
admirateurs, le peu de compte qu'on doit faire de 
leurs 16g6res femotions. D'autantplus elleserejelte 
au saint des saints de la famille, d'autant mieux 
elle s,y trouve bien et desire peu d'en sortir. Cha- 
quc fois qu'elle entrevoit le monde, elle sent plus 
profond^ment la douceur de ce nid. 



104 RtYtLATION DE L'H^ROlSMI. 

Petit, bien petit ! et pourtant coinpUte y est la 
? ie humaine, dans ce charmant 6quilibre d'une 
mfere qui ennoblit par le ciii、 les plus humbies 
soins, et (Tun pere sferieux dont la tendresse con- 
tenue se trahit souvent malgrS lui. A ces Eclairs 
passionn6s» elle vibre, la jeune fille, el plus pro- 
fondement encore, elle est touchee desa Constance 
a lui Iransmetlre, chaque jour, ce qu,il y a de bon 
et de grand. 

Elle est rem me ; elle est heureuse d'avoir si prfes 
trouvA un homme. Elle ne connaissait pas son 
pere, du moins autant qu'aujourd'hui. Elle le 
voyail tousles jours, ^coutait ses instructions, ses 
fortes et br&ves paroles. Mais elle n'en connaissait 
pas le profond et le meilleur. Chacun de nous est 
devenu ce qu'ont voulu les circonstances, I'exi- 
gence des prte6dents, de rfiducation, la fatalite du 
metier. II a fallu sacrifier beau coup a la position, 
aux n6cessit6s de famille. Et atnsi I homine intfe- 
rieur, souvent tout autre et bien plus grand, reste 
au fond presque 6touff6. Dans la monotonie de la 
vie vulgaire ou tout cela dort, une vague tristesse 
accuse la sourde reclamation de cet autrej de ce 
meilleur moi. Quel doux rfeveil est-ce done, plein 
de charme, quand celte jeune &me, qui n,a rien su 
de nos mis&res, fait appel k ces puissances conte- 
pues, k cette poisie captive, et lui demande se- 



cours, quand, tout enti&re a la famille, et toulc 
crainlivc du monde, elle se tourne uniquemenf 
vers son pfire et semble lui dire : 

« Je t'ecoute..* Je n'ai foi qu,en toil". » 



C'est sans nul doute le moment sublime de la 
palernite, le plus haul et le plus doux. Enfant par 
la docility, elle est femme par la chaleup et par la 
tendresse avide dont elle regoit toute chose. Commc 
elle comprend vivement tout ce qui est noble et 
boni Lui-m6me la reconnait k peine : « Quoi! 
dit-il, c est ma petite qui n'allait pas a mon ge- 
nou, el qui mc disait : Porle-moi ! » 

Voila un coeur bienattendri... Qu'il parte, qu'il 
parle cn ce moment... II sera eloquent ! Je suis 
bien Iranquille la-dessus et n'ai pas le moindre 
doute. 

Profilons de ces belles heures, et de ces tfite- 
a-tfite uniques. Je les vois qui se prominent entre 
deux charmilles sombres qui ferment le petit jar- 
din, lis marchent d,un pas vif el ferine, plus \ite 
qu'on no I'atlendrait de cetle chaude saison de 
juillet ; mais ils suivent le mouvement de leurs 
coeurs et de leur pensee. Elle qui salt le godt de 
$on p6re, elle a mis dans se$ clieveux noirs quel- 



106 REVELATION DB L'llilROlSllE. 

ques 6pis, quelques bleuets. Ecoutons. Le sujet 
est grave, il s'agit du droit elde la justice. 

D6s longtemps la jeune fille est pr^par^e a le 
comprendre; de bonne heure elle a suivi dans 
rhistoire 1* unanimity des nations sur I'idte du 
juste. Son p6re, dans la grande Rome, lui montra 
le monde du droit. Mais ici il ne s agit plus d'^tude, 
d,hisloire, de science. II s'agit de la vie m6me. II 
veut, dans la crise imminenle, dans raoiour qui 
va yenir (yiolent peut-fitre, aveugle) , qu'elle garde 
une lumi^re de justice, de sagessc et de raison. 
Au fond la femnie est noire juge; son charme, sa 
seduction, si elle est injuste et faiitasque, ne sont 
pour nous que dfesespoir. Elle jugera demain, 
celle belle fille. Dans la forme la plus modeste, 
d,un petit mot k sa mfere, prononc^ k demi-voix , 
elle arracliera des larmes k tel qui ne pleura ja- 
mais, 一 et tel peut-6tre en mourra. 



Celle-ci est si bien pr6paree et par rexemple de 
sa mere, et par les lemons de son p&i e, par ratmo- 
spJi^re de raison ou elle a v6cu, qu'elle se livrera 
moins qu'une autre aux caprices de sonsexe. Mais, 
pour la g6n6ralit^, on peut dire le mot de Prou- 
dhoa : <x La femme est la desolation du j uste. 



RiV^LATION DE L' 血 OlSME. 197 

Dites-luiy en effet, si elle aime : « Sans doule, ce 
prefferfi, vous Favez cru le plus digne? Vous aurez 
decouvert en lui quelque chose de bon, de grand? » 

一 Elle dira naivement : « Je I'ai pHs, parce qu,il 
vfCa plu. » 

En religion, elle est la mSme. Elle fait Dieu a 
son image, un Dieu de preference et de caprice, 
qui sauve celui qui lui a plu, L'amour lui semble 
plus libre quand il tombe sur I'indigne, celui qui 
n,a pas de merile pour forcer de I'aimer. Eu theo- 
logie feminine, Dieu dirait : « Je t'aime, car tu es 
p6cheur, car tu n'as pas de merile ; je n'ai nuUe 
raison de t' aimer, mais il m'est doux de faire 
gr&ce. » 



Que je remercie le pfere de lui enseigner la jus- 
tice, a celle-ci ! c*est lui enseigner l'amour \rai. 
Je le remercie au nom de tous les coeurs aimants 
qui bientdt seront troubles d'elle, dependront de sa 
jcune sagesse, attendront l,arr^t de sa bouche. 
Qu'ils sachent bien qu'6clair6e ainsi, elle n'appar- 
tient qu'au plus digne, au meritant et au juste, 
a rhomme surtout des oeuvres fortes, ou son p&re 
lui apprend a voir la haute beaute, je veux dire la 
justice hSroique. 



198 RtV^LATlON BB L'HfiROlSSS. 

Qu'est-ce que c'est, cetle justice? 一 C'est le droit 
par-dessus le droit, et qui lui semble conlraire, I'in- 
justice dc D^cius, qui d6couvrit qu,U itait juste que 
U meilleur mourUt pour tous^ c'est le mystfere supe- 
rieur du dSvouement, du sacrifice. 

Jamais jusqu*a ce jour son p6re ne lui parlait dc 
son lemps, du grand dix-neuvieme sificle, le plus 
grand jpour 1' invention, mais I'un dcs plus riches 
aussi en d6T0uements h6roiques. Aujoiird'hui, il 
lui r6v61e ce cdle sanglant, \6n6rable, du monde ou 
elle a v6cu tout cn rignoranl. II lui dit la Ugende 
d'Or, les martyrs el morls et vivanls. Grand jour 
pourunjeunecoeurl commeclleen est Iransfiguriel 
comme elle rayonne, cetle viergel Et qui alors ne 
la prendrait pour la figure de Favenir? 

Non! elle est femine. Elle a p&li... et son effort 
sur elle-mfime n,a pu retenir une larme... Cetle 
pcrle orientale a roul6 de ses beaux yeux. 

Vous files pay 6s, h6ros, qui en mourant, en don- 
nant h la patrie tous vos rfives, aviez dit : « Dans 
lavenir, les vierges en pleureront. 渗 



Mais assez, assez pour un jour. Une douce per- 
Sonne avance, lentement, en souriant, et les inter- 
romp t. Elle est heureuse, cette mire, de voir le 



R^YtLATION DE L'HfiROlSHB. 



pere el la fiUe dans une si itroite union . EUe Ics 
con(emple> Ics b6nit. Elle dit : « la pauvre pe- 
tite!", ce sera son meilleur amour. » 

Mais voudra-l-elle aimer ailleurs? II a une prise 
bicn forte, ce pdre, ce maitre, ce pontife, qui a re- 
\616 rh^roisme h un jeune coeur h^roique et se 
troiive avoir pen^lr6 a ce qu'elle a de plus profond. 
On nc porlc bien des h^ros qu en I'^tant soi-mdme 
un moment. Tel il apparait, en effet, h celte enfant 
qui lui est comme suspendue. II veut former son 
id6aK mais elle n'en voit d'autre que lui* 



On sail I'amour enthousiaste que madame de 
Stael eiit pour son pere, et je ne doule nullement 
que celle jeune iille, alors loute nature, toute pas- 
sion, puissanle, ^loquente, adorable, ne I'ait mis 
au-dcssus de lui. Elle le vit grand, et le fit tel, ou 
du moins y contribua. MMiocre avant el apr6s, 
mais dans celte heure solennelle, jeune, hardi et 
transfigure, il s'ileva h I'idde g6n6reuse de 89, 
I'espoir infini de Fegalitd. II put changer, il put 
baisser; elleaussi, par telle influence. NMmporle, 
le rdve de l,en(bnt, un moment r^alis6, parcourut 
toute la lerre. 




soo r£v.6lation de l' 血 oIsme. 

Ce lien est bien fort alors, si fort que tout autre 
parait faible, Iriste, insuffisant. J ai vu d'autres 
demoiselles, moins connues, non moins Sminentes, 
pour qui ce premier sentiment semblait avoir ferm6 
le coeur. La suavit6, la dSIicatesse, la piofonde 
intimity qu'on y gotlUait, ne semblait plus pouvoir 
se retrouver jamais. L,une avait son p6re presque 
aveugle, el elle 6lait sa lumifere ; il voyait par elle, 
elle aimait par lui. Pour Fautre, le monde avait 
peri el son pere seul existait. Elle assurait qu'avec 
lui elle eflt accepts au p6le la plus profonde soli- 
tude. « Ne me parlez pas, disait*elle, du divorce 
qii'on appelle mariage. » 



Pour la n6tre dont il s,agit, cest un serieux de- 
voir de I'averlir de la destin^e commune. Helas ! 
celte pure et tendre union ne peul 6tre que passa- 
gere; la nature nous pousse en avanl et ne permet 
pas a l,amour de revenir vers lui-mfime, 

Op6ralion douloureuse, de separer le c(Kur du 
coeur, de calmer, d'harmoniser ce naif 61an de 
l,enfant, de I'amener a la sagesse : 

« Chire enfant, dans ce bel 5ge de vie puissante 
el rayonnante qui te vivifie toulc chose, une 1*6- 
chappe qu*il faut bien te rappelcr parfois, la morl! 



Rfiv£LATION DE L'flgROlSHB. 201 

« Notre amour immorlel pour toi n'y peut rien , 
ta mSre et moi, bientfit nous I'echapperons... Que 
serait-ce, si, m'aimant trop, tu ^pousais en moi... 
le deuil?... » 

« Ces derniers temps, rintiini(6 de rinitiation 
morale, le bonheur profond que j,eus de te r6- 
v61er ce qui fait la grandeur de rhomme, onl trop 
ravi ton coeur, enfant, et le voil^ mklk au mien. 
Tu m'as vu, tout a la fois, par ton illusion filiate, 
jeune de l'6ternelle jeunesse des h6ros que je ra- 
contais, en mfime temps mAr, calme et sage, avec 
le don que lu appelles la suavity de l,automne. 
Tout cela, jeune fille, n'est pas ce que Dieu veut 
pour toi. II te faut ce qui commence, non ce qui 
finit. II te faul la s6ve Apre et forte de ceux qui 
ont beaucoup a faire, en qui I'fige peut travailler, 
diminuer, am61iorer. Leurs d6fauls d,aujourd,hui, 
souvent, sont des qualit6s d,avenir. Ta douceur 
n,est que trop portee a ch6rir la douceur d,un 
pere... Je veux, je deinande a Dieu pour loi Ffiner- 
gie d,un £poux. 

« Tu es encore jusqu'ici le commencement d,une 
femme; une autre initiation t'altend et d'aulres 
devoirs. £pouse, et m^re, et sage amie, consola- 
trice aniver^elle, tu es nee pour le bonheur et le 
salut de plusieurs. 

c Prends done un coeur ferine, ma fiUe« et celle 



m ftlTtLATIOH DB LUtROlSHB. 

gaiety courageuse qu'on a quand on marche au 
devoir... Si mon coeur soufTre h t'enseigner ces 
sirieusesloi^ de la vie, Use porte haul ccpendant... 

« Existe-t-il cet amant que nous voudrions pour 
toi? Je ne sais. Mais quoi qu'il arrive, I'amour 
ne te manquera pas. fitre mSre, c,est le meilleur 
de Famour, et tu le scras pour tous. Tous recon- 
naltront en toi le plus doux reflet de la Provi- 
dence. 渗 



LIVRE DEUXl£ME 

LA FEMME DANS LE MARIAGE 



I 



QUEflE i EHHE AIMERA L£ PLUS? GEIXE DE 

RAGE DIFFFRENTE 



Avanl de reprendre le iil de la jeune destin4e 
(]u,a pi6par6e le premier iivre, jelons un coup 
d'ocil g6n6ral sur le manage, sur les questions phy- 
siologiques de races el de croisements. 

L amour est le m^diateur du monde el le r6- 
dcmpteur de toules les races humaines. Qui dil I'a- 
mour, dit la paix, la Concorde el l,unit6. (Test le 
grand pacificateur. Hostilil^s politiques, discor- 
dances, int6r£ls conlraires, tout cela n'est rien 
pour lui. 11 les efface et les surmonte, ou passe 
outre, et ril, s'en moque. La diversit6 justement, 
cest le moyen dont il se sert ; le contraste est un 
aUrail, rinconnu un charme, un mystfere, qu'on 



m QUELLE FEMME AIMEIU LE PLUS? 

veul percer; l'6lranget6, qui semblait devoir Eloi- 
gner, enfonce l,aiguillon du d^sir. 

Tou8 ceux qui ont ilk k Berne y ont vu le rude 
portrait de Magdalena Nageli avec ses gros gants de 
chamois. Forle femme et fifeconde m£re, qui fut 
aiin6e pour sa force. Fille d'un palricien de Berne, 
elle faisait k la fontaine la lessive de sa famille avec 
ses suivantes. Passe un jeune noble d'une maison 
toujours ennemie a la sienne, d'une hostility s6cu- 
laire, comme oelle des Monfaigus et ^es Capulels 
dans Rom^o et Juliette* Ce jeune homme s'arrfila, 
cn voyant celte belle fiUe battre le linge d'une main 
de fer et le tordre d un bras d'acier. 11 comprit qu'il 
sorlirait d'elle une race d'hommes forts com me 
des ours. II courut sans s'arr&ter k I'hdtel de son 
cnnemi, lui dilqu il lui demandait son amitii ei sa 
filte, n*esp6rant pas en trouver ufie 幄 ussi fortemeni 
tremp6e. 

Les races les plus ^nergiques qui ont paru sur la 
terre sont sorties du melange A'iUments ^ppos^s 
(qui scmblaient opposes?) : example, le m^ange 
du blanc ot de la femme noire, qui don»e le pro- 
duil muiStre, de vigueur extraordinaire ; 一 ou, 
tout au contraire A'ilimenU Umtiqwes : exemples, 
ks Pcrses, les Grocs, elc, qui epousaient lairs 
tr6s*pT0ches p^renles. C'estjuslement le precede 
par lequelon forUfie ies ciiCvauK de course ; ne leur 



GfiLLB Dfi RAGE DIFF^AfiNTK. 807 

penneltant d'autre3 dpouses que leurs nobles soeurs 
on exalte en euK la s6ve h^roique. 

Dans ^ premier cas, la puissance tient k ce que 
les dements opposes sont dautant plus avides. La 
n^gresse adore le blanc. 

Dans le second cas, elle vient de la parfaite har- 
monie des temhlables qui cooperent. La sp^cialit^ 
native s'accumulc ct augmeate de mariage eu ma- 
riage. 



Les races qu'on croit inf&rieures tie fitraissent 
tcUes que parcc qu'elles ont besoin d'une culture 
contraire h la nAtre, et surtoul besoin d,amour. 
Qu'elles sont touchantes m cela, et combien ellcs 
m^ritent le retour des races aimdes qui trouvent 
CD elles une source infinie de reg6n6ration phy- 
sique et de rsgeunissement 1 

Le fleuve a soif des nu6es, le desert a «oif du 
fleute, la femme noire de rhomme blanc. Elle est 
de toutes, la plus amoureuseet la plus gin6ratrice^ 
et cela ne tient pas seulement h lajeunesse de son 
sang, mais il taut aussi le dire, a la richeAse de son 
coeur. EIlc est tendrc entre hsA tendres, bonne eatre 
les bonnes (demandez aux voyageurs qu'ella a sau«* 
vis si 80uvent), Bonl6, c'est creation ; bonit^ c*est 



m QUELLE FfcMME AIMEEA LE PLUS? 

f^condil^, c'est la b6nMiction mkme de Facte sacr6. 
Si cette femme est si ficonde, je I'altribue surlout 
k ces Irfesors de tendresse, h cet ocian de bonl6 
qui s'epanche de son sein. 

Africa est une femme. Ses races son! des rf»ccs 
femraes, dit tr6s-bien Guslave d'Eichhtall. La r6v6- 
lation de I'Afrique par la race rouge d'figyple, c est 
le rfegne de la grande Isis. (Osiris est secondaire.) 
Chez beaucoupde tribus noires de I'Afrique cen trale 
ce sont les femmes qui rSgnent. Elles sont intelli- 
gentes autant qu'aimables et douces. On le voitbien 
en Haiti, ou, non-seulement elles improvisent aux 
fStes de charmantes petiles chansons, inspir^es de 
leur bon coeur, mais font de tfile, pour leurs 
affaires de commerce, des calculs fort compliques. 

Ce fut un bonheur pour moi d'apprendre qu'en 
Ilaili, par la liberty, le bien-6tre, la culture intel- 
ligence, la negresse disparait, sans melange mfime. 
Elle devient la vraie femme noire, au nez fin, aux 
Icvres minces ; ra6me les cheveux se modi Gent. 

Les traits gros et boursoufl6s du nfegre des cdtes 
d'Afrique sont (comme la boursouflure de I'hippo- 
polame) Feffet de ce climat brAlant, quu par sai- 
sons, est noy6 de torrents cTeaux chaudes, Ces de- 
luges comblent les valines de debris qui s,y putr6- 
fient. La fermentation y fait gonfler, lever, toule 
chose, comme la pSte live au four. Rien de tout cela 



GELLE DE RAGE DIFFERENTB 209 

dans les climats plus sees de FAfrique centralp. 
L'afTreuse anarchie de petites guerres et la traite 
qui dSsolent les cdtes ne contribuent pas peu a 
cettelaideur, et elle est la m6me dans les colonies 
d'Am^rique avec Fabrulisseinent de I'esclavage, 



La mime ou elle reste negresse et nc peut affi- 
ner ses traits, la noire est lr6s-belle de corps. Elle 
a un charme de jeunesse suave que n'eut pas la 
beauts grecque, cr66e par la gymnaslique, el tou- 
jours un peu masculinis6e. Elle pourrait m6priser 
non-seulement Podieuse Hermaphrodite, mais la 
musculeuse beauts de la V^ms accroupie (voy. au 
.jardin des Tuileries). La noire est bien autrement 
femme que les fibres citoyennes grecques ; elle es 
cssenliellement jeune, de sang, de coeur et de 
corps, douce d humilU6 enfantine, jamais siire de 
plaire, pr6te k tout faire pour dfeplaire moins. Nulle 
exigence penible ne lasse son ob^issance. Inquiete 
de son visage, elle n'est nuUement rassurte par 
ses formes accomplies de morbidesse touchanle e 
de fraicheur 61astique. Elle prosterne a vos pieds 
ce qu'on allait adorer. Elle tremble et demande 
igrace ; elle est si reconnaissantedes voluptes qu elle 

12 



M QUSUiB F£MU AU1£BA LB PLUS? 

donnel... Elle aime, et, dans sa vive ilreinte, son 
amour a passe tout entier. 



Qu'on I'aime, et elle fera tout, elle apprendra 
tout. C'est la femme d'abord qu,il faut 61ever dans 
cette race, et, par la force de I'amour, elle ilevera 
rhomme et renPant. Bien entendu, une Education 
tout opposee a la ndtre. Cultivez d'abord en elle ce 
qu'elles ont tellement, le sens du rhylhme (danse, 
musique, etc.), et paries artsdu dessin, menez-Ies 
a la lecture, aux sciences et aux arts agricoles. EUes 
raffoleront de la nature d^s qu'on la leur ensei- 
gnera. Quand elles connaltront vraiment la Terre 
(si belle, si bonne, si femme), elles en lomberont 
amoureuses, et, bien plus fenergiquement qu'on ne 
Fattend du dim at, elles s'eniremettront dii manage 
en Ire la Terre et rHomme. L'Afrique n'exit que 
risis rouge ; rAmSrique aura I'lsis noire, un brfl- 
lant genie femelle, et pour ftconder la nature, et 
pour raviver Ics races 6puis6es, 



Telle est ia verUi du sang noir : ou ii en tombe 



GBLIE DB RACB MPfillENTE. Si I 

line goutte, tout refleurit. Plus de vieillesse, tine 
jeune et puissante fenergie, c'est la fontaine de Jou- 
vence. Dans FAnidrique du Sud et ailleurs, je vois 
plus d'une noble race qui iangnit, faiblit, s'^teint ; 
comment cela se fait-il, qiiand ils ontia vie k cdt6? 
Les r^publicains espagnols, vrais nobles et parfaits 
gentilshommes, avaient 616 de meilleurs maltres 
que tous les autres colons ; des premiers, ils onl 
g6n6reusement aboli resclavage. Eh bien, en re- 
tour, cette bonne Afrique peut leur rendre la s6ve 
et la vie. En pr6sence du torrent trouble des na- 
tions confondoesqui se prScipitent 8ous le faux dra- 
peao des £tats4Jnis, il faut creer pour barrifere un 
puissant monde muUtre. Ce Nord, repudie du Nord 
mftnie, Emigrant, marehand, pirate, ne vous appor- 
terait rien que violence et st6rilit6. 

Nous aimions les £ltats-Unis ; ce serait avec don- 
leur que nous les verrions avorter. Peu importent 
leurs conqu6tes, si les melanges strangers, I'escla- 
vage, ralcool, I'argent, an^antissent ce qui fut 
leur vie, leur ame. Ce n'est pas rargent, c'est I'a- 
mour qui fait et refait le monde, qui doue rhomme 
et qui I'ing^nie. 

Voyez-vous la race africaine, si gaie, si bonne et 
si aimance ? Du jour de la resurrection, a ce pre- 
mier contact d'amour qu'elle eut avec la race blan- 
che, elle fourniiicelle'Ci un accord extraordinaire 



21 S QUELLE FEMNI AINSnA LE PLUS? 

des facult^s qui font la force, un homme d*inlaris- 
sabie s6ve, un homme? non, un 616ment, comme 
un volcan inextinguible ou un grand fleuve d'AmS- 
rique. Jusqu'ou n'eAt-il pas 6te sans I'orgie d'im- 
provisation qu,il fait depuis dnquante ans ? Wim- 
porte, il n'en reste pas moins et le plus puissant 
machinistc et leplus vivant dramaturge qui ait 6t6 
depuis Shakspeare. 



line source inconnue de beau 1 6 nous \ient par 
la race noire. La rose rose, que jadis on admirait 
seule, est peu variee pourtant, il fautl,avouer. Grice 
aux in61anges, nous avons les nuances si multiples 
des innombrables roses ih6, des roses plus d61i- 
cales encore qui se veinent ou se teintent de bleu 
leger. Notre grand peintre Prudhon n'a rien peint 
avec plus d'amour que la belle dame de couleur 
qui est au Salon du Louvre. EUe est dans le som- 
bre encore, comme un mystSre qui se d^brouille. 
Sa beauts sort du nuage. Ses beaux yeux ne sont 
pas bien grands, mais profonds et pleins de pro- 
messes, le spectateur, qui peut-6tre y voit ce qu'il 
a au coeur, se figure que cette nuit est ent6nftbrte 
de desirs. 

Profonde et briilante peinture. Mais, a un degre 



CELLE DE RACE DIF 血 ENTB. 215 

plus clair, j,ai vu plusjoli encore. L'hiver dernier, 
visitant un Haitien Eminent, qui a nwarque dans 
les letlres autant qiie dans les affaires, je fus 
re^u en son absence par une demoiselle mssi 
modeste que charmante, dont la rare beaut6 m'in- 
terdit. Une imperceptible nuauce d'un d^licieux li- 
las meltait dans ses roses un mystere, une magie, 
qu'on ne peul dire. Dans un moment, elle rougit, 
ct la flamme de ses yeux aurait 6bloui les deux 
mondes. 



Mille voeux pour la France noire I j'appelle ainsi 
Haiti, puisque ce bon peuple aime tant celui qui fil 
souffrir ses pferes. Regois tous mes voeux, jeune 
Etat ! Et puissions-nous te prol6ger, en expiation 
du pa8s6 ! Puisses-tu dfevelopper ton libre g^nie, 
celui de cette grande race, si crueKeraent calom- 
ni6e, et dont tu es I'unique reprfesentant civilis6 
sur la terre I 一 Tu n'es pas a moindre litre celui du 
gknie delafemme. C'estpar tescharmantes femmes, 
si bonnes et si intelligentes, que tu dois te culliver, 
organiser tes 6coles, Elles sont de si tendres meres, 
qu'elles deviendront, j'en suis siir, d'admirables 
dducatrices. Une forte 6cole normale pour former 
dps institutricQs et des maitresse3 d'6cole (par les 

a. 



StI QUELLS FEMMB AIMERA LB PLUSt 

mcfhodes surtout, si aimables, de Froebel) est la 
premiere institution que je voudrais en Haiti. 

^ue la France a 616 bien aimie ! Et que je re- 

grette encore I'accueil d'amour et d'ainitii que 
nous trouvions chcz les tribus de l*Am£rique du 
Nord. Race haute ct fiire, s'il en fut, C'est une 
vraie gloire pour nous que ces homines, (Tun re* 
gard pergant et d'une seconde vue de chasseur, 
nous aient pr6f6r6s pour leurs filles, et compris 
ce qui est reel, c'est que le Frangais est un m&le 
superieur. Comme soldat, il vit parUmt, et, comme 
amant, il cr^e partout. 

L'Anglais et I'AUemand, quiserablenl forte, bien 
n6s, sont et moins robustes et bien moins ginira- 
teurs. Us ne peuvent rien avec r^trang&re. Si la 
femme anglaise, allemande, n,est pas la toujours 
derrifere, pour les suivre dans leurs voyages, leur 
race finit. II ne restera rien bientdt de I'Anglais 
dans rinde, pas plus qu'il ne reste chez nous 
des Francs de Clovis, ni des Lombards en Lorn- 
bardie. 

L'amour de la femme noire pour les ndtres est 
tout naturel. Celui de la femme rouge > de rin* 
dienne ani6i'icaine, 6lonne da vantage. Elle est 



GELLB DB RA€B DIFFfellENTE. il5 

rieuse, flfere et sombre. Le Fran^ais, avec sa gaiete, 
quelquefois un peu 16g6re, pouvail I'effaroucher. 
Ses hautes facult^s sibylliques ne semblaient gu6re 
s'arranger avec nos joyeux danseurs, qui, jusque 
dans le desert, avec un hiver de huit mois, dan- 
saient aux chansons de Paris. Mais elles les sa- 
iraient trfis-braves; elles les voyaient trfes-sobres, 
bons, aimables et serviables, devenant frferes tout 
a coup deces trogiques guerriers. Cela leur fkisait 
Irouver gr^ce devant elles. A Faudace denosfitour- 
dis, qui parfois abusaient de la solitude, si elles 
opposaient des refus, c'6tait par des molsdelicats, 
nobles et nullement blessants. On connait celui 
d'une fille engag6e : « L'ami que j,ai devant 
les yeux m'empfiche de le voir* » 

Elles nous prenaient un peu comme des enfants 
Irop vifs, dont la mere, la soeur, peuvent parfois 
souffrip un peu; mais elles ne nous aimaient pas 
moins. 

De ces amours, il reste encore des mfelis, franco- 
indiens, mais disperses, peu nombreux, qui se 
fondront peu a peu. EUe p6rit, cette noble race. 
Qu'en restera-t-il dans cent ans? Peul-fitre un 
busta de Prtault. 

Image am6re (oh I si am^re) que ce grand sculp- 
teurdes tombeaux a saisie d'instinct, avec une igno- 
rance de g^nie, et qui reste pour conscrvera Fave- 



816 QUELLE FEMME AIHERA LE PLUS? 

nir la pauvre femme, la noble femme de ces races 
caricalur6es par M. de Chateaubriand. 

ily a une dizaine d'ann6es, un spteulateur amfr- 
ricain imagina d'exhiber en Europe une nom- 
breuse famille d'lovays. Les homines 6taient ma- 
gnifiques, d'une beauts superbe et royale, aans 
leurs colliers de griffes d'ours qui constatent leurs 
combats. Trfis-forts, non avec de gros muscles de 
forgerons ou de boxeurs, mais avec d'admirables 
bras qui semblaient des bras de femmes . Un en- 
fant de dix ansaussi semblait une jolie statue d'E- 
gyple, accomplie, de marbre rouge, mais d,un ter- 
rible serieux. On ne pouvait pas le voir sans dire : 
« C'est le fils d'un h6ros. » 

Ce qui consolait ces rois d'6lre monlris sur l*es- 
trade comme des singes, c,etait, jecrois, leur me- 
pris int6rieur pour la riche populace de beaux 
messieurs qui ^taient la a lorgner, 16gers, mobiles 
gesliculaleurs, vrais singes d*Europe. 

La seule personne de la bande qui partU Iriste 
6lait une femme, la femme d'un renomm6 guer- 
I'ier, le Loup, la m6re de renfant. EUe avail bien 
souffeii la-bas ! combien plus ici! Elle languit. 
Elle mourut. Qu'est-ce que la France pouvait pour 
I'une des der nitres, h61as ! de ces femmes infortu- 
n6es qui out tanl aime la France ? Rien, qu'un torn- 
beau qui conserval la flamme de ce g^nie 6teint. 



GELLE DE RAGE DIFF& 画 TE. 217 

L'anliquit6 (m6me juive) n'a jamais eu, ni connu, 
ni rfive, rien de si sombre. On sent un 6tre siip6- 
rieur qui non-seulement a rencontrfe tout malheur, 
toute douleur iadividuelle, mais souffert aussi de 
n'avoir paseu lexpansion legitime de sa rac e. Dou- 
leur souterraine, immense, de ce monde am^ricain . 
Flottant dans la guerre ^ternelle du desert et les 
guerresalroces (chasse k roursetchasse^rhomme), 
il n'a pas pu arriver k se reveler tout k fait. Puis s,est 
dresste devant lui la force prosaique de la vieille 
Europe, avec le fusil, I'alcool, toute machine de 
surprise ou de combat. 

Elle est en face de tout cela cette femme, com^^:^ 
un sphinx ftpre et amer... Et pourtant, sous cette 
amertume, oh I quel coeur de mere et de femme. 
Combien aisSment celle-ci, dans les longues fa- 
mines d'hiver, etit, pour nourrir sa couv6e, coup6 
sur son corps des morceaux sanglants! Avec quel'e 
joie, pour la sauver, elle se (At fail brAler vive 
par la Iribu ennemie! Et quel insondable amour 
aurait pu Irouver en elle le h6ros qu'elle eAl pr6- 
ferel 

On sent bien, en la regardant, I'infini myst6rieux 
qu'elle a cach6 de fierl6, de silence. Sa vie ful 
aussi ftiueUe que sa mort. Toutes les tortu^^es du 
monde, pas plus que raiguillon d'amour, n'en au- 
raient tiri un soupir. Elle n,a pas perdu la parole. 



m QUELLE nana aimira lc plus, nc. 

Elie parle, comme elle parlait, par Fexpr^ssion 
saisissante de P^lrange monde finigmatique et 16- 
n6breux qu'elle contient. 

£traiige, mais nul plus grand peut-fitre dans la 
region des Esprits. 



<HIELLE FEMME AIMERA LE PLUS? CELLE MS 

MfiHE RACE 



L'Amour a son plan pour la terre. Son bul serait 
(Ten mdler, d'en fondre toiites les races dans un 
immense mariage. Ainsi de la Chine k llrlande, 
du p6Ie nord au pdle sud, tous seraient frferes, 
beaux-fr&reSf neveux. On connait les parentis ecos- 
saises, par exemple les six mille Campbell, tous 
cousins. II en serait de m6me pour I'humanit^. 
Nous ne ferioos plus qu'un seul clan. 

Beau rfive ! mais nous ne devous pas y c6dertrop 
facilement. Dans une telle unite, oA le sang de 
touies les races sa trouverait m&le rasemble, en 
supposant, chose difficile, qu,il s'en fit une har- 
monie, je crois qu'elle serait Ir6s-p41e. Cn certain 
clement oeutre. incolore, blafard, en rteullerait. 



2fO QUELLE FE 眺 AIM£RA LE PLUS? 

Un nombre immense de dons spteiaux, tr6s-ex- 
quis, auraient p6ri. Et la \ictime d^tinitive de la- 
mour, dans celte fusion totale, serait fatale k I'a- 
mour mfime. 

Un livre fort et raisonn6 sur Part des croisements 
humains nous serait bien n^cessaire. 11 ne faul pas 
croire qu,on puisse fa ire impunement ces me- 
hmges. Fails d'une manifere indiscrite, ils abais- 
sent les races, ou avortent. Ceux qui reussissent 
n ont gufire lieu qu'entre des races sympathiques, 
qui peuvent sembler oppos6es, mais ne le sont pas 
au fond. Du nfigre au Wane, nulle opposition ana- 
tomique qui soit d'importance. Les m6lis vivent et 
sont trfis-forts. Au contraire, entre le Frangais et 
1, Anglais, qui semblent si proches parents, il y a, 
dans le squelelte m6me, une difference profonde. 
Leurs metis ou sont peu viables, ou sont nains, 
ou, dans rensemble, offrent une discordance vi- 
sible. 

^ntre le Frarigais et I'Aflemande, les resullals 
varienl beaucoup. Lui, il trouve un grand ? ttrait 
^ans ce mariage. Sec, aduste, ardent d'esprit, ii 
jouU fort par contrasle de cetle fralcheur morale. 
La musique, le sens dc la nahire, une grande d6- 



GELLE D£ M£mE RAGE. 221 

ijoi?nairele, lui rendent la vie fori douce, quoique 
pen Wire un peu monotone. L'enfant (s,il y a en- 
fant) ne vit pas toujours. Le plus souvent il est 
faible, agrSable. Rarement il conserve l'6tincelle 
paternelle. Ni Fran^ais, ni AUemand, il devient 
europ^en, 

Je demandai un jour k un trfis-habile homme 
qui dressait des oiseaux savants a lire el k calculer, 
si ses petits h6ros n,6taient pas ainsi sur61ev6s 
Ru-dessus de leurs espftces par des croisements 
habiles, s'ils n,6taieiil point des m6lis? « Au con- 
Iraire, disait-il, ils sont de race trfes-pure, non 
m6l6s, non mfeallifes. » 

Ceci me fit reflfechir sur la tendance actueile 
que nous a 霍 s aux croisements, el sur la croyance 
souvent inexacte, que le m6tis, cumulant les dons 
des deux 616inents simples, est n^cessairement 
sup^rieur. 

Enlre ceux de nos grands terivains que j,ai pu 
connaitre, trois seulement sent des mitis. Six sont 
de trte-purs Frangais. Et encore les trois m6tis n'6- 
tant pas strangers de p6re, mais seulement de 
grands-pferes, ont trois quarts d,616ments francjais, 
une tres forte predominance de la s6ve nationale. 



19 



122 QUELLE FBHH£ AllBRA M PLUS? 

line chese fort a considerer, qui semblera un 
paradoxe, c'est que les femmes ^rang^res^ de 
races tr6»-^igndes de nous, aooi plus faciles a 
ODimatlre que les Eurap^eimes, awtout plus que 
les FranQaises* 

Si j'fepouse une Orientals, je devine assez akto- 
ment ce que sera mon manage. Lk, an peut juger, 
pr6,oir, par grandes classes (race, peuple, tdbu), 
ce que sera la femme d'Asie, M 細 e ea Europe, 
oebii qui epoose uae Aliemande, qui ae Fappro- 
prie, k transplante, est a peu pr&s sur d'a^voir la 
vie douce. L'asoendant de I'esprM firangais met 
toutes les chances pour lui. 

Meis les races ou la personnalit6 est tr6s-forte 
ne peuvent pas rassvrer ainsi. On iit que les Ciip- 
casBieimes dteirent elies-mSines Mre veadues^ 
stjres de rtgner ou qu'dles ailieirt, et de mettne 
leur maltre a leurs pieds. II en est k pea pr^ 
ainsi de la PoloneiBe, de la llongroise, de la Fran- 
fake, Energies snp6rieures de I'Ewrope. &lks out 
soiiTent rcsprk viri" sou^nt epoaseat kiH'S nuh 
ris, bien phis qu'eUes n'en sont ipousi&es. 

Done, il feut les bten eennaitre, les AUuMer 
d''avance, moir si elles sont Semmes. 

La personnalit6 frangaise est la plus vive, la plus 
indiViduelle de I'Europe. Done, aussi, la plu» AiuU 
tiple, la plus difficile k connaitre. Je parle surtout 



cms M u^m RAGE. m 

des.fille&. L6« bunumes difftoeftt bien mmis, mou - 
1^ qu'ite SMt par lamSe, par la eratra^lkatbii, 
par un cadre d'^dnedtion quasi ideoldcpube. 

O'une FmrvQaise k me Franj^aifiie, la ilii^fenoe 
«st ii^inie; et> de la fiUe fraa^aise a la m^me de* 
Moaue temme^ graeide encore €8l la difference. 
Done, la diilBtcj^t^ du chetx n'esl pas petite, — 
mais pelite est la provision de favenir. 

En revanche, quand elles se donnent et quand 
elles persevferent, elles permettent une communi- 
cation plus rfeUe, je crois,elplit8 forte, qu'aiicune 
feaune de i'Eisrope. I/Anglaiae, une ex^cellenle 
Spouse, obiih mat^riellement, mais reste toujours 
un peu tdtue et ne change guire. L'Allemande, si 
boane et si dojuee, leni appartenk, Tent &' assimi- 
ler, mMS elle est moU《, elle rfive, et, malgr6 elle, 
elleechappe. La Frangaise donneune prise, la Fraft- 
^aise r&]igit: et, quand elle re§oit en elle le plus 
f(xrlemefit vos peases, elle vous penvoie le charme, 
le pariuio persoonel, intime, de sob lihve e€B»r de 
femme. 

Un jour que je revoyais, aprfes vingt aiindes d'ab- 
seoee, un Fnm^^k ^abU en pays^trangeret qui s,y 
去 tail marig, jehii dra^tBcbi m riant s,il n'a?ait pas 
#ocis6 i}uelque superberose anglaise, ou une belle 
blonde Allefnaode. U r^pondit sirieusement, non 
sans quelque vivaeiU : « Oui, luossieur, eUes soat 



924 QUELLE FEHIIE AIHERA LE PLUST 

Iris-belles, plus 6clatantes que les ndtres. Je les 
compare k ces fruits splendides que les jardiniers 
amftnentau plus grand d6veloppement, les magni- 
fiques fraises ananas. La sa^eur n'y manque pas, 
etcela emplil la bouche ; on n'y regrelte que le 
parfum. J'ai pr&fir& la Fran^aise, et celle du Midi 
encore : car c,esl la fraise des bois. b 



Quoi qu'il en soil de cette comparaison po6lique 
d,un nouveau mari6, il reste sAr et certain que la 
personnalit6 de la Frangaise est trte-forte en bien 
et en inal. Done, les manages en France devraient 
6lre circonspecls, preparfes par une 6lude sferieuse. 
Et c'esl le pays de rEurope I'on se marie le 
plus vite. 

Cela ne vient pas uniquemeol des rapides cal- 
culs d'int6r6ts, qui, une fois arranges, entrainent 
la conclusion du mariage ; cela tieot au grand d6- 
faut de la nation, r impatience. Nous avons h&ie 
en toule chose. 

Je crois que le mal s'aggrave. A mesure que dans 
les affaires, nous devenons plus s6rieux, il semble 
que la precipitation augmente dans les choses du 
coeur. Notre langue a perdu nombre de mots 616* 
gants, gracieux, qui marquaient les degr&s, les 



CELLE DE H£HE RAGE. 225 

nuances de I'amour. Aujourd'hui, tout est bref et 
dur. Le fond du cceur n'a pas change ; mais ce 
peuple, surmeni par ies guerres, les revolutions, la 
violence des 6v6ne men ts , esltrop tentide voiren tout 
une execution, un coup de main. Le mariage de Ro- 
mulus, par enlevement, n*aurait que trop plu aceux- 
ci. 11 leur faut des razzias. C,est, je dirais presque, 
leviol par contrat. Lesvictimes en pleurent paiTois, 
pas toujours ; elles s'^tonnent peu, en ce temps de 
loteries (loteries de bourse, de guerre, de plaisir, 
de charity, etc.), d'etre aussi mises en loterie. Le 
Icnderaain, Un,est pas rare que ces manages forluits 
Yous dSmasquent brusquement comme une batterie 
imprSvue d*irr6parables malheurs, de ruihe et de 
ridicule, qui vous frappent en pleine poitrine. 

Physiologiquement, de telles unions, souvent 
impossibles, crient des avortons, des monstres, 
qui ineurent ou qui tuent leur m&re, la rendent 
malade k jamais, enfin qui font un peuple laid. 
Moralement, c,est bien pis. Le p&re, en mariant 
ainsi sa flile, n' ignore pas la consolation qu'elle 
accepters bientdL Le mariage, dans ces conditions, 
constitue, regularise l,',nWersaUt6 de radult^re, 
le divorce dans l,intimU6, trente ann6es souvent 
d'ennui, et dans la couche conjugale un froid k 
gcler le mercure. 



326 QUELLE FEHHE AIMERA LE PLUS? 

Nos paysans d'autrefois tenaient fori k epouter 
celle qu'ils connaissaient k mteui, la parente. Peft- 
dant lout lemoyen &ge^ Us out luUe Gootre I'Egliae^ 
qui Icur defeadatl la orasine. La defense, d*atord 
ei&ces$ive (jusqu au aef>litoie iegrt^ plus tard jus* 
qu'au qufttrieme), n'existe plus rtellement ; on a 
taut ftt'on vent, dLspense pour ipwser et sa cou- 
sine gcrmaiQey et sa ni6ce, et la scew de sa pve- 
mihre femme. Qu'arrive-l-il? c,est queaMwtena&l 
qu'ott en a la &fiil"6, tr6s-peu de^geRS en proGlent. 

Les easoisleS) esprits &ux qoi presque en tout 
ont en I'art de troyver i'e&vers dubon sens, disent 
platsamnient id : « Si ramour dumaiiages'ajoute a 
l.*aiMHr de k parents, cela fera Ivop d, 議 our. '» 
L'hisjieire dk pr^ctsSiiient que c'itaU taut le east- 
traire. Cbes tos IleJbreuxy qui d'abord avaitnt le 
mariage des soeurs, on voit quelesjeunes gens, loin 
de s'en souder, cherchaienl hors de la famille, 
hors du peuplo rnSme^ coaraient Ics filles philis*- 
iines. Gh» les Grecs, ou I'on pmvait epouaer la 
demi-soeur, ces manages etaifint tr^s-flroids, infi- 
niment peu produclifs. Solon se croil obUg6 de- 
cpire dans la loi que les maris sonl teftus de se stm- 
venir de leor femme, une fois settlement par 
decadeu On reuMfa au soaria^ 4es sfieurs. Les 
Romains n'6pous6rent plus que lours e^Bsines. 

En r^alite, le manage doitfilre une renaissance. 



CELLE DE MfiUE RAGE. 227 

Le beau moment ou la fiancee entre dans k mad- 
son de noces manquait avec la soeur. Cetle noble 
cUoysmre grccqne, telle que nou& la voyons en- 
core aux marbres du Pairlhfenoii, elte n'enirait pas 
datrs oetle maison ; elle y etait d&s sa naissance^ 
a^ise au foyer palernel ; elle reprSsenlail fidel&- 
ment resprit du pere et de la mire, la vieiHe tra- 
dition oonmie; elle devait se pr6ter peuaux jeunes. 
id6es du frtre ^ponx, a la mobilitc d'Athenes. 
Toute magnifique qu'elle fut, elle 6tait un peu ctt- 
nuyeose. La race n'y perdaii pes, ce fut la plus 
belle du monde, mais rammr y pepdsdf trop; ii 
renouvelaitpeu la famiUe, 

La Grece ne s'en souciait gufere. £Ue craignait k 
fecoadite. £lle «c voulait rien a«tr<e chose qoe for- 
tifier le genie natif, en portant an plus baut degr6 
la "vigHeor de chaque Hgnee et son ariginatite pro, 
pre, Elle fisait 一 nollement au nombre, — mais 
simptement au Mro^ Elle robiinl et par la con- 
eoHtpatioa des races in^rgiqaes, et par nn cifes- 
oendo inom d*acti\ite, qui, il ert wai, en peu de 
iimip6) usa et tavitoes races. 

Les 6te?eurs de clievsax de course n'onot pas 
d^wtre art; que Gelui-Uu (Test par de8 manages per- 
sivSrants entre tr^-proebes parents qu'ik creent 
des «p6ciali(6 & 6toiman tes de bdies hSroifnes. Enles 
imkBent^tre enx, ils y accumulent la s^vede cane. 



m QUELLE FEHHE AlHERA LK PLUS? 

Une perseverance d'un si6cle dans celte voie finit 
jvers 89) par conduire ilclipsej ce m&le des m&Ies, 
cetle flamme qui courait plus vile que la voixet le 
regard, avec qui aucun cheVal n'afTronta plus le 
concours, et qui, par ses quatre cents fils, pen- 
dant vingtans, emporta les prix de loute TEurope. 

J,ai lu tout ce qu,on a 6crit, dans les derniers 
temps, sur celle inali6re. Ce qui paralt vraisem- 
blable, c'est que les manages entre parents qui 
peuvent affaiblir les faibles et les faire d6g6n6rer, 
fortifient au contraire les forts. J'en juge, non pas 
seulement par Fancienne Grtee, mais par la France 
de nos c6tes. Nos marins, gens avisos, qui vonl 
partout, connaissent tout, et ne se d6cident pas, 
comme des paysans, par les routines locales, 6pou- 
sent g6n6ralement leurs cousincs, et n'en sont pas 
moins une 6Ute de force, d'intelligence et de beauts. 

Le vrai danger dans ses unions, c'est un danger 
moral. II est r6el pour tout autre que le marin, af- 
franchi, parsavieerranle, des influences trop fortes 
du foyer. Ce n'est pas sans raison grave que, de 
moins en moins, en France, on Spouse les parentes 
(voyez la statistique officielle). Par le charme des 
souvenirs communs, ce manage risquait de rete- 
nir fortement rhomme dans les liens du pass6. 

La Fran^aise, particuli6rement, qui influe par 
son Anergic, par le bien qu,eUe a apport6 (car la 



GEUE DE HfiHE RAGB m 

loi la favorise plus qu'aucune feinmc d'Europe)» si 
dc plus elle est parente, et appuy^e des parents, 
peut devenir au foyer un puissant instrument de 
reaction, un s^rieux obstacle au progr^s.Imaginei 
ce que peut 6tre la double force dc la tradition k la 
fois domestique et religieuse, pour entraver, arr6- 
ter tout. A chaquepas r6clamation, discussion, tout 
au moins tristesse, force d'inertie. D&s lors, on ne 
peut rien faire, on ne peut plusavancer. 一 Un joli 
Veronese, au Louvre, exprime cela parfaitement. 
La fiUe de Loth est si lente h quitter la vieille cit6 
qui s'teroule sur sa t6te, que I'ange la prend par 
le braSf la Iraine, et avec (out cela elle trouve en- 
core moyen de n'avancer point, disant : <x Atten- 
dez seulement que j'ai remis men Soulier. » 

Nous n*avons plus le temps, ma belle. 一 Reste 
la en statue desel, avec madame ta mkre. Nous de- 
Yons aller en avant. 一 Mais non, nous n Irons pas 
seuls. Laisse-toi porter seulement, si tu ne peux 
pas marcher. La \igueur de rhomme modernequi 
entralne avec lui des mondes, pour t'enlever, faible 
et 16gSre, n'en sera pas bien retard^e. 



Si la pareote n,a pas I'iducation sp^ciale qui 

13, 



130 QUELLE fUMM AMBHA U PLUST 

l*associe au progr^s, il faut pr6f4rer r^aagire 
(je ne dis pas rincoDnuc) • 

11 £»ttt, di8*je, la prel6rer «& deu& eas ou on la 
ooniiait'Aiieux que la pamte mime. 

he premier cas esl celui que j'ai pos6 au livre 
de rAmour^ lorsqu'on se crtesoi-mSmesa feirnne. 
G'est le plus sik. Oa ne Gonnait bien que ce qu'an 
a fait. J'en ai sous les yeux des exemples. 

Deux de mes amis, I'ua arliste toiioent, rauire 
ecrivain distingue, f^cond, onl adopli, epous6 Aeus. 
jeunes parsonnes toules neu^es, sans pareats, sans 
culture auottne. Simples, gaies, charmantes, uni- 
quement occupees de leur menage, mais associ^es 
peu k pen aax idees de leurs maris, ellesoat, en dix 
ou douze ans, eu leur transforiualioa coAiplete. 
M^ine simplicity ext6iieure, mais ce sant kii^ieu- 
remenl des dames de vive inldligence, qui com- 
prennent parfailement laachoses les plus dif (iciles. 
Qu'a-l-oii fait pour aniver Ik 3 Rien du tout. Ces 
hommes occupes et extrfimemeiU produotifs noni 
donii6 k "HITS fcmmes aucune edacalion expresse. 
Mais ils ont pome touX haul, a toute beure com- 
muniqui leurs sentiments, leurs projets, I'inten- 
tion de leurs travaux. Et ramour a fail le reste. 

Le succ6s II, esl pas toujoui s le m6me, je le sais. 
Un de mes parenls 6choua darisune semblable ten- 
tative. 11 se choisit .pour fenime una enfant ^eoIe» 



CELLE D£ M£M£ JU.CE. 231 

d*une classe kmrgeoise et moMaio^ awec urb 
belle-mepe cft({uey;e, qui de bonne heuref&ta tout. 
11 avait fort osiira.le monde, et alors ii ; dUiit de* 
venu fonctioiuiaiBe, employe aux Finances. Ii nen^ 
trait Irisle et fatigJiji. ILn'avait nullement rentrain, 
rardeur de ces grands pBcducteurs qui, 6tant tou- 
jours en liwail« .wit toujouirs beaacoup a dire et 
psweot wniier iuiiessarnnient mLjeuDe^oosur. Ja 
reviendrai sur tout ceb. 



y autre cas est celui ou, de deux homines unis 
de coeur, de foi, de principes, I nn donne sa fille k 
laulre, une enfant felevee, formee dans ces prin- 
cipes et celte foi. 

Cela supposerail un pfere tel qu'on l a vu dans 
notre premier livre, sur reducation. Cela suppose- 
Tsii une mfere. Deux phfenix. Si on les trouvait, a la 
seconde g6n6ralion, on pourrait r6aliser une chose 
aujourd'hui impossible, et qui le sera moins dans 
Favenir : I'hypolhfese de deux enfanls elev6s I'un 
pour I'autre, non pas ensemble, mais dans une 
heureuse harmonic, se connaissant de bonne heure, 
se revoyant par moments, k de grands intervalles, 
de mani&re k devenir leur r6ve mutuel. 

Tout cela (bien entendu), libre pour les deux 



9St QUELLE FEMHE AlHERA LB PLUS? 

jeunes coBurs. Mais avec un peu d,adresse, on cr6e^ 
on cultive Pamour. La nature est une si aimable 
oonciliatricel VMucation en partie double semble, 
au fond, la seule logique pour rhomme et la femme 
dont chacun n'est qu'une moitii. 

L'id6al oriental d,un mtme 6lre divis6 qui veut 
toujours se rejoiodre, c'estlevrai. fl fautoompatir, 
les aider, ces pauvres moilite, k retrouver leor 
parents et refaire l,anit6 perdue. 



Ill 



QUEL HOMME AIMERA LE HlEUXt 



S'il est dans la vie de la femme une 6poque re- 
doutable, c'est le mariage de sa fiUe. Le meilleur, 
le plus doux mariage est pour elle le renversemenl 
de Fexistence. La maison hier 6tait pleine, et la 
\oila vide. On ne s'6lait pas apergu de toule la 
place qu*occupait cette enfant, on 6tait trop habi- 
tu6 h un bonheur si naturel ; on ne s'aperQoit pas 
non plus de la vie, de la respiration. Mais qu'une 
minute seulement la respiration nous manque, on 
itouffe, on va p6rir. 

Combien diffi^rente est la situation pour la mSre 
qui dit : <x Hon fils se marie, » et pour celle qui 
dit : « Je marie ma fille. » L'une re^oit el I'autre 
donne. L'une enrichit sa famille d,une aimable 
adoption. L'autre, apr&s le bruit de la noce, va 



234 QUEL HOMME AIHERA LE HIEUX? 

rentrer chez elle si pauvre ! Dirai-je sevree de sa 
fille? dirai-je veuve de soo enfant? non, on ne peut 
pas le dire. U faut regreller loujours un mot qui 
manque k nos langues, ce mot gme, plein de 
deuil : orba. 



Ce qu'elle livre, c'eslelle-mfeme. Et c'esl elle qui 
\a 6lre bien ou mal traitee dans celte maison etran. 
g6re. Elle y vil d'imagination. Get homme, amou- 
reux aujourd'hui, comment sera-t-U demain?... Et 
encore, lui-raSme, le gendre, cest le plus facile. 
Mais, comment sera sa famille, sa mere qu'il aime, 
qui le goirverne, qui regne dans la maison? Que de 
moyens elle aurail de d^soler la jeune femme, peut- 
£ire de la briser pour peu qu'elle lui deplut I Done, 
la mere de celle-ci doit, pour protdger sa fille, la 
manager, lui faire sa cour. 

Je comprends bien I'mquietude^ la vive pr^occu- 
palion de celle qui, la premiere fois, apergoit son 
futur gendre, je veux dire du moins le jeune homme 
qui pourrait le devenir. Oh ! que je suis de moiti6 
dans ses sentiments iot^rieurs ! Elle est souriaiitc^ 
gracieuse, mais au fond combien 6mue !… Yrai- 
meiit, c'esl sa vie ou sa mort. Ce jeune homme^ 



QlttL nOM E AllUftA bB JUm? 235 

quel cst-il? son rival* Plus il sera aimable, aime^ 
et phis il fm oublier la mere. 

Moment ciu^euaL k observer, Jamais la femme 
n'est si int^resssmle.. Ce cembal d'emotions, con- 
tenu, mais transfiaceat, lui donue ua chacme de 
nature dontMine peut se d^fendr^. EUe est belle 
de 助 lendietM ^el de son abn^gatioo, belle de taut 
desacrUiGes* Que n'a-t-elle pas fait el souffert pour 
cfter c0tte flenr aecomplie? Uae telle filLe, c'est la 
verto iw^le^de sa mire, 8a sagesse et sa puret^. 
Comme toute feame^ elle a pu avoir ses ennuis, ses 
r6v«s ; ot elle a tout repouss^ avec oe seul mot : 
« Ma fiUe 1 9 EUe s'est tenueau foyer entre Dieu et 
son mari, doooant ses belles anodes au devoir, k 
la culture de cetle douce espferance. Et, mainte- 
umly commeot s'^nner si le pauvre coeur bat si 
tot ?… U est, cecodur, sur son visage, quoi qu'elle 
fssse, et 'par moment, il telate, attendrissant, ado- 
cable, dans le jrayotmement de ses beaux yeux hu- 
»ides. Gr&ce, madam^y soyez moins belle I Ne 
\oy0hvous pas qu'oo se trouble et qu'on ne sail 
plus ce qu on dit? 



C'est uiie tentation hien forte pour elle d'Mser de 
«e pouvoir. £lle voit qu'il ne tienl qu ,& elle d'eowe^ 



t30 QUEL UOMME AlHEBA^ LE KIEUXY 

lopper le jeune homme, d'en faire lout ce qu*elle 
voudra. E!Ie deviendrait maltresse absolue du futur 
manage, elle d^barrasserait sa fille des influences 
tyranniques de sa nouvelle famille. Elle lui erait, 
jour par jour (que ne peut une femme 4,esprU?) 
un bon mari, doux, docile. Lui confier la ch^re 
idole, avant d'etre sAre de lui, cela lui semble im- 
possible. II faut le conqu6rir, ce gendre. Etla yoilit 
jeune encore, qui, k l*6lourdie, se lance dans d,iin — 
prudentes coquetteries. Elle croit pouvoir s'arr6ter, 
se retirer k volont^. Qu'arrive-t-il? U perd la t6te, 
parfois veut des choses insens6es, ou bien s'^loignc 
et se retire. Cependant le mariage est annoncS, 
d^j^ publi6, la demoiselle compromise. Comment 
se tirer de Ik ? 

Est-ce un roman que je fais? Non, c'est ce que 
J'ai vu plus d'unefois, et ce que l,on voit fr^quem- 
ment. La m&re aime tant sa fille que, pour la bien 
marier, il lui arrivera de sabir les plus ^tranges 
conditions. Deplorable arrangement qui bientdt les 
laisse tous frois pleins de tristesse et de d^goAt. 



Les plus sages, les plus raisonnables, ont pres- 
que toutes ce d6faut de chercher, de choisir un 
genAre, comme pour dies, et non pour leurs fUles, 



QUEL HOMME AIHERA LE MIEUX? 237 

de consulter leur fantaisie, un certain id6al, plus 
ou moins romanesque, que la plupart ont dans 
Tesprit. 

Double id6al, mais loujours faux. Qu'on me per- 
melte de parler franchement. 

EUes aiment Pinergie mdle, la force, et elies ont 
raison. Mais c'est beaucoup moins la force produc- 
tive et criatrice, que I'^nergie deslnictive. fitranr 
gftres aux grands travaux, ignorant parfaitement 
ce qu'il y faut de force d'ftme, elles ne comprennent 
de vaillance que les audaces 6ph6in6res qui suffisent 
aux champs de batailles, et croient, comme les en- 
fants, que le beau, c'est decasser tout. Notez encore 
que les braves en paroles, pr6s d,eUes, ont tout la- 
vantage. Elles comptent peu le vrai brave qui se 
tait, hausse les 6paules. 

Elles ne jugent pas plus sainement dans le doux 
que dans le fort. Elles placent un grand attrait 
dans celui qui leur ressemble, la poupSe qui n'est 
d'aucun sexe. Elles placent fort maladroitement 
un petit roman sensuel sur celui qui n,est bon k rien, 
un page fiUe, Ch^rubin, un berger d'opSra-comique, 
Nf&morin, plus femme qu'Estelle. Dans les ro- 
mans qu'cUes torivent, dit tr^bien Proudhon, 
elles n'arrivent jamais k crter un homme, un vrai 
mflle ; leur h^ros est un homme-femme. 

Maintenant, dans la vie r^elle. et dans cette 



f» OUBL UOMtIB JOMOlik LE IUBU19 

grande al&ire ou la m&re choisii pour k fille, eUes 
font canine dans leufs nunans* Leiir prtC&reace esi 
souveitf^ presque toujours pour Vhamme-femme^ le 
bon sujel qui pense bien. D'abord, eUes s^al flat- 
ties de se sentir plus 6nergk|ues^ vraimcnt fla& 
hommes que lui* EUes croiealqu,eUeslegoimnie- 
rent. En quM souvml eiles se irorape&U Le fade et 
doncet peisonBBge est le plu« souveal un matois 
qui s'aylaUt pour aiviver, m dedans lart ligoosie, 
et qui demain paraitra oe qu'il esi, dur, sec ei 
faiuu 



Bhdame, en ohoae si grave, o& ii s'agU de voire 
vie, bien plus, de celle a qui cent fois vous sacd- 
Geriez cette vie, me permettez-vous de laisser les 
precautkiBs, les vains detours, de dire des (huroles 
▼raies ? 

Savez-wus bien ce qu,il faut k voire eharmante 
fille, qui nc dU rien, ne pent rien dire... Mais soa 
&ge parlc, et la nature. Respeclez ces \oa deJ}ieu I 

Eh bien 1 il iui faut uu hemme. 

Ne riez point. Cela n'est fas awsi cammun que 
vaus croyee. 

II faut un homme amoureux. 一 J,enteiids, qui 
roflte anonreux, qui le daiv&^tre toi)|Nirs. 



Om liOllME AUIERA Lfi MUSUX? 239 

il lui faut un bras et un eoBur, 一 on brw salide 
qui Fappuieet lui aplanbse la vie, — un coaur riche 
oA ette puise, oil eUe &, 《U qu'k toucher pour voir 
jaillir I'^tincelle. 



La femme est ^onserw trice. EUe desire la soli* 
dit6. Et quoi de plus nalurel ? II faut un sol feme 
et sAv pour le foy 犹, pour le berceau. 

Tout reuuiie. 044iwveroiiSriious la fermet^ que 
vous voulez? 

Niille place, etottlle propria^ dans le temps ou 
DMis vivons, nepeul promettre cela. Jlegardez, non 
pBte la Fraace, noale Goaiiumt, cette mer de sable, 
ou tout va et\ient. Non, regardez File sainte de la 
propri6t^ la lueille Angleterre.. Si votts esceptez 
cinq ou MX laaifiKms, et £»rt peu anoiennes^ touie 
jpBtymU a obangfi de maoA^ el •souveot, depuis 

Une seule chose est solide, naadame, et nulle 

tt vous ' faut oti homme de fyi. 
Mais j'eiiteBids : -de foi active. 
« G'est-^dire : ua homme dIacUon ? » 一 Ou" 
raais d'aotaon ffraductivey 一 un prodocteur, ub 



ri , 



240 QUEL HOHME AIVERA LE HlEUlt 

Le seul homme qui ait quelque chance de stabi- 
lity en ce monde, c'est celui dont la forte main en 
fait le renouvellement, celui qui le crfee, jour par 
jour ; 一 et, d6lniit, pourrait le refaire. 

Les hommes qui ont cetle action, qui, dans I'art 
ou dans la sdence, dans rindustrie dans les affaires, 
op&rent avec cette 6nergie, 一 peu importe qu'ils 
formulent leur credo, 一 ils en ont un. 

lis ne sont plus dans les brouillards du vieux fan- 
tastique, qui doutait des r6a1it6s et ne donnait foi 
qu'aux songes. Us croient fortement que ce qui est 
est. 

nc Belle merveille ! » direz-vous. Oui, madame, 
belle et trfes-rtcente, (Test la foi aux choses prou- 
v6es, c'est la foi dans I'observation, dans le calcul, 
dans la raison. 

Voulez-vous savoir le secret du crescendo de 
Factiyite moderne, qui fait que, depuis trois cents 
ans, chaque si6cle agU, invenle, infiniment plus 
que le siide qui pr6c6de? Cela tient k ce que, sous 
nos pieds, s'afTermit la certitude. La vigueur de 
notre action augmente par la steurit^ que nous 
donne un sol plus solide. Au seizi&me, Montaigne 
doutait. Je Pexcuse encore ; rignorant ne soupgon- 
nait pas I'aflerinisseinent d'espiit que donnaient 
dffjh les grands prfecurseurs. Pascal, au dix-sep- 
tidme, douta parce qu'il voulait douter; par Galilte 



r ― 



gUEL IIOHMfi AIHERA LE MIEUXt 241 

et tant d'autres, le terrain 6tait solide. Aujour- 
d'hui, (rente sciences nouvelles, Mties de milliards 
de faits, observes et calculus, ont fait de ce terrain 
un roc. Frappez du pied forlement ; ne craignez 
rien, c'est le roc inibranlable du vra • 

L'homme modeme salt ce qu'il veut, ce qu'il 
fait et ou il va. 

Quels sont les sceptiques aujourd'hui? ceux qui 
ont int6r£t k l,6tre, ceux qui ne veulent pas s'in- 
former, ni savoir dans quel temps ils vivent ; ceux 
qui, se rfeervant toujours de varier, craigncnt 
d'avouer qu'il y a tantde chosesinvariables. Quand 
ils professent le douleje dis : « Combien voire doute 
Yous rapporte-t-il? » 



Est-ce k dire que les hommes actifs et produclifs 
de ce temps ont la connaissauce complete de cette 
trentaine de sciences qui font notre s6curite?Non, 
ils en savent seulementles grands rSsultals, ils en 
ont respril, ils les sentent sous eux, et solides, et 
vivantes, ces sciences. A tout moment, s'ils se 
baissent, ils reprendront dans la terre maternelle 
de la \6rite, une incalculable force. 

Et voilk la vraie diffgrence entre nos pires et 
nous. Us s'agilaient dans un marais, eau terreuse 



m QUBL HOUIfi aHiM. BE MIBUX? 

WL ierre aquaMBa^ OMume leur pied glissak^ 
m faisaient fim de laurt mains. Ifads mos, camme 
noMB ae glistom plus, mom irisoBs lieMicaup de nfls 
mains et beavcMii^ de notare eqprii, heamcoiq) de 
notre inventi«. Ni^us invcsUms dix fois plus qve 
le siitele de Voltaire, qui iBvenla dix fois plus que 
le si&cle de Galil6e, qui inventa dix fois plus que 
le si^de de Liilher. Voiia ce qui mns reod gais, 
quoi ,u'il arrive, voilk ce qui nous fait rire, el 
nous fah arpenter la lie d'ua ferine pas de giants. 

Quioonque se sent €n pumancey c^OBt^-dire plebi, 
fort, productif, creaieur et g^o&afeenr, a ub fowls 
inipuisable et de gaiety s6rieuse (c'esl la vraie), et 
de courage, et d'amour aussi, madsmt. 

Donnez cet homme a voire fille, un homme qui 
soit loujours au-dessus de ses affaires^ qui la mele 
k son action, qui I'enlraine en son tourbillon. 
J'ose ripondre qu'il aimera, el qu'ft toote heure de 
jour, de imit (cet unique point coftUent tout), 3 
aum beaueoHp k lui dire. 



IV 



I>'£PBEUVE 



Si Dieu m'avait faiinaitee fiUe, j'anraia bien so 
me faire aimer. Camment ? En exigeant beaucoBp, 
en commandant des dioses dilficiles, mass nobles 
et justes. 

A quoi 'sert k royaut6, si on ne I'eraptoie ? II est 
sans Alii doute un moment oik la femme peut beau- 
coup 9ur rhomme, oft ceUe qui sent sa valeur le 
ohanne^eBlui'eii fiusant de hautes conditions, en 
Toulanli qu,il proufre s^rieuieiiient cpi'il est amoii- 
reux. 

Quoi, monsieur I toute la nature k ce moment fait 
effort, tous les fttres monlent d'un degr6, le vfeg6tal 
dans la fleur montre la sensibility, le charme de la 
vie animale, I'oiseau preiid un chant divin, et dans 
Imsecte ramour s'exalle jusqu' & la flamme 



244 



L'iPREUVE 



vous pourriez croire que rhomme n'est pas lena 
de changer, d'filrealors un peu plus qu'homme?... 
Des preuves 1 monsieur, des preuTes I... Autre* 
menl je me soude peu de tos fades declarations ; 
je ne vous demande pas, oomme ces princesses 
des romans de chevaleric, que vous m'apportiez la 
t£le d'un g6ant ou la couronne de TrSbizonde. Ce 
sont Ik des bagatelles. J'exige bien davantage. 
J'exigeque, du jeune bourgeois, de r^tudiant vul- 
gaire, vous me fassiez la creature noble, royale, 
h6roique, que j,ai toujours eue dans I'esprit ; et 
cela, non pas pour un jour, mais, pour une trans- 
formation definitive et radicale. 

Quelle que soil voire carrifere, porlei-y un haut 
esprit et une grande volontS. Alors, je prendrai 
confiance, je pourrai vous croire sincere ; et, a mon 
tour,je verrai ce que je puis faire pour vous. Celui 、 
qui ne peut rien pour moi, que I'amour mftme ne 
peut soulever au-dessus de la prose, du terre k 
terre de ce lemps, Dieu me garde de I'avoir pour 
mari I ― Si vous ne pouvez changer, c'est que vous 
n'files pas amoureux. 



a H^las I disent id les mferes, qu'adviendrait-il si 
I'on osail tenir un si ferme langage?... L'amour 



L'dPRfiUYE. 845 

n'est pas k la mode, les jeunes gens sont si biases, 
si froids, ils trouvent partout tant d'occasions de 
plaisir, d^sirent si peu se fixer!... Les temps de la 
chevalerie sont aujourd'hui bien loin de nous. » 

Madame, dans tous los temps, rhomme ne de- 
sire vivement que le difficile. Dans ces temps che- 
valeresqueSt pensez-vous done que lejeune ^cuyer 
n'eut i^as k discretion toutes les serves du voisi- 
nage? Dans le singulier p61e-m6le et rentassement 
confus de la maison f^odale, le page avail k Yolont6 
force filles, force demoiselles. Eh bien, la seule 
qu,il voulut, c'est la plus fi^re, Fimpossible, 一 
ceile qui lui faisait la vie dure. Pour ceile-la, don t 
il n'avait lien, il voulait 6lre un chevalier. Pour 
elle, il allait mourir k Jerusalem et lui 16guait son 
eoeur sanglant. 



Aujourd'hui, la croisade est autre, elle est sur- 
tout dans le travail et FStude, dans I'efforl immense 
que Icjeune homme doit faire et pour se creuser le 
sillon d'une sp6cialit6 forte, et pour ^clairer cetle 
sp6cialit6 par toute la science humaine. Tout so 
tient, et, dteormais, celui qui ne saura pas toutnc 
peut nvoir une chose. 

Je Yois d'ici, rue Saint-Jacques, par le hasard 

14 



t46 VEFRKOVE. 

opporlun de cette fenftlre eatr^merte, tt 直 jeme 
homme matinal, qui n,a pas en it se lev#»7; il a 
veill6 cette nuit, mais ft' en est pas j^s fa1igu6. 
Est-ce done I'air du matin qui I'a si mement re- 
monte? Non. Je crois que c'csl une leltre qu'il lit, 
relit, use et d6vore. Jamais feu ChampoUioa n'etu- 
dia I'ecriture trilingue avec plus d'acharnement. 

Lettie deferame, acoup sur. £ lie est courte,inai$ 
^loquente. Je me eantenle d en doniier ici une 
ligne : « Maman, qui a mal k la main , me charge de 
Tons 4crire, ― de vous dire qu'oa eiitend ici que 
vous ayaneiez vos vacanees et que veus passiez au 
plus tdt voire dernier exanien : R6iissi ssez e t venez . » 



II ne faut pas oublier ce que c'esl qu'un pauvre 
jeune homme sur le pave de Paris, n,en pas oublier 
les tristesses, la langueur et la nostalgie. La science 
«st belle, k coup sur, pour le maitre^ pour Fiaven- 
teur lance au cbamp dm d6cou、'ertes, mais com- 
foieft seehe etabstraite, oomme b p^Fead I'^tudiaat I 
Cerles, lee amis* papeeseux, l^ers, qui ne 
quent pas d'armer da&s ces moments de tiMeur, 
Httraienl belle pFwe. . . Mais la lettre est Ik. Peadant 
la conversation de ces ^lourdis, il la voit du coin 
de roeil. EUe le tient, elle le fixe, die lui ymt fievre. 



migraine, taut ce qui le dispenserak die sortir avec 
em ce soir. lis s'en vont, et mon jeune hoHime se 
met k reline «a leitre, a I'etudier s^Fieusement^ dana 
Iftibrine et dans le fond, tdchafit devoir par I'teW'- 
ture si la personne ^tait ^mue, saisissant lei tFak 
memqu^ ou telle virgule oubU6o. com me chose si- 
gnificative. Hais la mbme letlre, lue k telle heurc, 
a (el moment, est tou4 autre ; hier elle fut passion- 
n^, aujourd'hui d,un froid parfait ; orageuse un 
jour, I'aufre jour, on la croirait indifferente. 

Je ne sais qui disait ne regretter rien de sa jeu- 
nesse « qu*un beau chagrin dans une belle prafc 
rie. » Ajoutons la peine charmante qu'on a a ^U^ 
dier, dechiffrer, interpreter decent fa^ons l,6crUure 
de la bien-aimte. 



« Quoi ! une jeune demoiselle basarde d'icripe 
un jeune homme? i> Oui, monsieur, sa m^re le veut. 
Celte sage mfere veut k tout prix soutenir et garder 
le jeune homme. Mais elle ne gotUe nuUemenl la 
m^lhode anglaise, quicroit orgueiileusemenl qu'on 
rapproche sans danger la flamme el la flamme. Les 
Suisses, les homioes du Nord^ aUnient plus loin 
dans leur grossi^rete ; ils trouvaient bon quePamanl 
pass&l des nuits avec la fille, qui, donnant Umi^ 



L'BPREUTB. 

moins une chose, ne manquait jamais, dit-on, de 
86 lever vierge? Yierge, peut-6tre, mais non pure. 

Chaque nation a ses vices. Les races germaniques, 
avant tout absorbantes et gloutonnes, sont d'autant 
moins inflammables. Cependant, aujourd'hui que 
le rtgime hcik des Pamelas anglaises s'est telle* 
ment charge de viande, inftme dc liqueurs alcooli- 
ques, ces vierges sanguines et surnourries doivent 
d^sirer elles-m6mes qu'on les garde mieux et qu'on 
les d^fende de leurs propres Amotions. 

Je ne dis pas que parfois il ne faille donner aux 
amanfs le bonheur de se rencontrer, de se parler, 
de s'entendre. Mais ces communications trop frt- 
quentes, quelque pures qu'on les suppose, auraient 
un inconvenient, de prScipiter leur amour, de les 
brAler k pelit feu et de les marlyriser. Prolongeons 
s'il se peut, un si beau moment de la vie. Que les 
lettres y suppl^ent, celles de la m^re d'abord, et, 
quand les choses avanceront, deviendront plus 
silres, un mot parfois de la fiUe, ecril sous les yeux 
de la m&re. 



Mais j,ai oubli6 de dire cemment ramouracom- 
incnc6. 

Heureux ceux qui n'en savent rieni qui, nis au 



L'tPREUTE. SIO 

mtoie beroeau, nourris au m&me foyer, commen- 
c6rent ensemble I'amour et la vie ! comme Isis et 
Osiris, les divins jumeaux, qui s'aim&rent au sein 
de leur m&re, et s'aim^rent mfime apr6s la mort. 

Mais la Fable nous apprend qu'enferm^s encore 
dans leur mfere, encore dans les t£n6bres de leur 
douce prison, ils mirent le temps k profit, que cet 
amour si pr6coce futd£j&f6cond, et qu,ils cr66rent 
inline avant d'etre. Nous ne voulons pas pour les 
ndtres que les choses aillent si vite que pour ces 
dieux brAIants d'Afrique. 11 faut une initiation, il 
faut de la patience, il faut mferiler d'fitre dieux, 
pour savourer profondSment le moment divin dans 
sa plenitude. 

II est tr&s-bon, il est char mant , qu'ils aient v6cu, 
jou6 ensemble, k troisans, quatreans, cinq au plus. 
Au dcl^Je crois Irfis-utile de sSparer les deux sexes. 

Qu'il I'ait vue petit, bien petit, qu'il ait jou6 avec 
elle^quelque part qu il aille, il se souviendra de la 
jolie petite fille, ― cousine, amie? je ne sais 
quatre ans, on est tous parents), de la douce crea- 
ture avec qui il 6tait m^chant, qu'il a souvent con- 
trari6e, 一 et il y aura regret, serappelant sa com- 
plaisance, son bon coeur, sa jeune sagesse. Tout 
insouciant qu'il est, comme sontlespetits gargons 
il lui reviendra parfois, avec le joli souvenir des 
jeux, des goAters dalors, quelque envie de la revoir. 

14. 



250 L'£PREUVE. 

Et, en elTet, k la longue, quand elle aura douze 
anspeut 名 tre, il la reverra, mais plus s^rieuse, deja 
n,osant plus tant jouer, dans le charme el la no- 
blesse de cette preraiire reserve que montre la 
jeune demoiselle, assise pr6s de sa m&re aux t&ies 
de famille. Beatrix des Portinari avail justement 
douze ans, el portait une robe de pourpre (c est-a- 
dirc d'un rouge violet), lorsque Dante la vit pour la 
premifere fois. Elle lui resta au coeur avec cct dge et 
celle robe, el jusqu'a la mort il la vit com me une 
enfant reine, v6lue de iumi^re. 

Que mon coll^gien emporte I'idie de sa peli(e 
Beatrix. II est sauve de bien des choses, de la vul- 
garity surlout. Si le plaisir s'offre k Fenfant (ce 
qui n'esl que trop ordinaire) par quelque basse 
complaisance, il en aura la naus^e. Plus haul deja 
est son coeur. 

Que deux ans, trois ans se passent, qu,il la voie 
enjou6e, jolie. L'accomplissement de cette rose, la 
charmante vivacit6 de la Perdila de Shakspeare, qui 
va, vient, aide sa mfere, est bergere, princesse k la 
fois, voili un nouvel id^al qui gardera fnon jeune 
homme. Si des dames peu d^licates ^pient son pre- 
mier sentiment, elles arriveronl trop tard. En les 
comparant, il dira : « Ma cousine est bien autre 
chose I » 



L'fiPREUVE 



251 



Pdtrarque, dans un tr6s-beau sonnet, dp naive 
confession, dit k sa Lanre qu'elle est pour lui un 
sublime pelcrinage vers lequel, lui p^lerin, il mar- 
che toule la vie. Et il avoue cependanl qu'aux cha- 
pelles qui marquent la route, il fait halte, et fait 
aux madones de courtes priferes, ― Moi, je ne veux 
point de chapelles, point de madones de passage. 
Je \eux qu'a chaque point de la route notre bomme 
voie au loin sa Laure el ne s'eri d6lourne pas. 

Je me trompe, Laure elle-Hi6me veut qu,il ait 
d'autres mattresses. EUe n en est pas jalouse et con- 
sent de partager. Elle sail bien que le coeur de 
Fhomme a besoin de diversil6. EUe sail qu au Jar- 
dm des Plantes siege eette ravissante dame aux 
belles mamelles, k grande Isis ou la Nature, qui 
enivre les jeunes cCBurs. EUe sail qu'aux ecoles du 
Pantheon et partoul, sonamant poursuivra d'amour 
la vierge Ju&tice. Bien plus, elle est de leur partie^ 
elle s'int6resse pour elles. Elle le prie, par sa mive^ 
de l,oublier, s'il se peu" pour ses sublimes rivales. 

Beau moment, noble moment, ou la femme 
garde la femmei eette jeun^ fiile absentedonii^ 
courage k celui-ci daas r^Uide, les pvivalional 
Grand et trte-griind a^antage de prolooger les tra, 
vaux sifruetueijHLde «et Age, deconserver Ffinergie 
an momenl mi «Ue comqpl&te, de ienir la coupe 
pleifie. La vie Apre, la sauvagerie d'ilude qui fait 



m L'EPREUYE. 

les grandes choses, est bien autrement soutenue 
quand ce Robinson de Paris peut dire, dans un 
double alibi de toule vie basse et vulgaire : « J'ai 
ma mallresse «t ma pens6e. 驂 



c Manage, c'esl confession. » J*ai dit et rip&tt 
ce mol; il est trfes-vrai, lres-f6cond. 

Oh ! quelle chose dilicieuse, 6mou\ante etsauve- 
gardante, d'avoir pour confesseur une fille de dix- 
huit ans, k qui on est libre de dire, mais qui, elle, 
est libre aussi de ne pas comprendre encore tout k 
fait, et de ne pas trop diriger. La mire s'attendrit 
parfois, et dit : a N'esUil pas malade?... Je le croi- 
rais, il est triste... Ajoute une ligne pour lui. » 

II est bien permis du moins au jeune bomme de 
center a la demoiselle les aventures de son esprit, 
les hauts, les bas, les espoirs, les joies, les tris- 
tesses : « Hier, j'ai appris cela... Ceia m'ouvre un 
monde... II me semble que, dans cette voie, moi 
aussi je Irouverai... Aidez-moi, encouragez-moi I 
Jo serai un homme, peut-fitre. , 

Savez-vous ce que je pense? Ce jeune homme est 
un habile et un profond s^ducteur. C'est une t re- 
vive jouissance pour un coeur de femmede cr6er un 
homme, de s'apercevoir, jour par jour, des progr^ 



L'fiPREUVB. 253 

qu'on lui fiiit faire. Dans la liftde vie du foyer de 
famille, d'une mftre infiniment tendre, (Tim pfere 
dg6 et trfts-hon, grande est 】a nouveauli pour elle 
de s'associer peu k peu k la vie ardente d'un jeune 
homme d'aventure, qui I'embarque sur son vais- 
seau. 

Elle se sent tris-engagfee. Elle a peur. Elle sere- 
jelte 6mue vers le sein maternel... 

Un beau jour, elle I'arrftte, elle I'Stonne, en lui 
icrivant : « H y a foujours plaisir h converser, 
^changer des id6es. Et tout ceci prouve suHisam- 
ment Totre esprit... Mais votre coeurt » 



V 



COMMENT ELLE DONNE SON C(EUR 



« Que de choses inyraisemblables dans le rfecit 
,《ui pr6cfede I Un ^(udiant amoureux I un ^tudiant 
qui prend sa mattrcsse pour confesseur! un 6tu- 
dianl qui ne s'en tient pas a preparer sesexamcns! 
un 6ludiant qui ^tudie ! •• • Oh! cela est trop absurde ! 
L,auteur ignore 6videmment ce que c'est que les 
^coles. II oublie ce (emps si long qui doit passer 
encore pour arriver au metier, pour acheter une 
charge, se faire une clientele, » etc., etc. 

Vous m'6clairez. J'oubliais que tous les jeunes 
Fran^ais doivenl 6trc tous notaires, avou6s, fonc- 
tionnaires, plumitifs et paperassiers, s'entasserin- 
dMniment dans deux ou trois professions effroya- 
blement encombr^es, dont le long novicial fait 
qu'ils se marient li6s-lard, la plupart d^jJi us&s. 



geKMERT ELLE DO 應 SdW '255 

Qui fkil <Cete? 6,est surtout (a prudence des m^jes 
qui veulent un gendre bien pos4. Fanetiannaire est 
pour «lles synoH'yine de stabilil6, — sur cette 
terre deF^volutions! 一 Notaire ! oomme cemol-Ui 
soane bien a leur oreille ! C,est pourt^nt le plus 
sevrvent l^bemme dayance obiri par I'acquisition 
de 9a eh»Fge. 

Cest ainsi que Fayeuglement de I'esprit de r6ac- 
•lion, rifRorence et la peur des femmes, font du 
peuple le plus avenlureux de la terre le plus solte- 
ment limide, le plus inerle, le moUusque sur son 
rocher. L'Anglais, l,Am6ricain, le Russe, on( la 
terre enti^pe pour th6itre de leur aclivil^. L'An- 
gtaise trouye naturel d'fepouser un nigociaHt de 
Calcutta, de Canton. Elle suit son ipoux, ofticieF, 
dans les derni&res lies de rOceanie. La Holiandaise, 
^gatemeat aceeptera un mari de 4ava w de Sur" 
nam. La Polonaise ne craint pas, pew consoler 
I'extt^, d'aller vivre en Sib^rie ; la pers6v6raiice de 
«es devouements a cr6e, par dela Tobolsk, une ad- 
mirable Pologne, qui parte mieux que Yarsovie. 
Mais prenoofi rAUemagne m6me, qui chirit tant 
IHftl^iieur ; votts la voy«z se r^pandre 9u loin dans 
les deux Am6riques . Par tout ou la fai&iile est &rte, 
•ette en est plus voyageu^e, sAre de porter lebonheur 
a?ec eile. L'amour cr^e parlout ia Patrie ; il J ,会 lend, 
la multiplte. Avec I'amour rhomme a des ailds« 



QOMMSMT ELLE DONNE SON OEUfi. 

Vous seuls en Europe ignorez que, si Von ne 
vous habille en soldats, vous 6tes le peuple siden- 
taire, le peuple prudent Yous trainez ou vous na- 
quiles ; mais on p6rit fort bien sur place, dans 
voire vie de loterie, dans vos (empfites de bourse, 
et rhullre m&me y fait naufrage. VoiUi voire stabi- 
litij voili les positions sHres pour iesquelles le 
mariage s'ajourne jusqu'a FAge mAr, jusqu'a l &ge 
oil la pluparl, finis, n'onl plus que faire dainour* 



La Gaule et la vieilie France furent le pays de 
Fespoir. On se fiait a I'avenir et on le faisait. On 
aimait, on ^pousaitjeune. A I'^ge oil ceux-ci, erein- 
t6s, font wie /in et prennent femme, on avait dSJa 
depuis longtemps maison, famiiie et post^ritS. 

Les enfants ne vivaienl pas tous. Ccpendant ee 
peuple gai, amoureux et prolifique, a mis parlout 
trace de soi. Nos Gaulois, aux temps anciens, 
avaient fait je ne sais combien de peuples en Eu- 
rope et en Asie. Nos crois6s du douzi&me siecle 
efferent nombre de colonies. Nos FranQais du sei- 
zi^me et du dix-septi&me, par leur £iiergie, leur 
sociability facile, conqu6raient le noimau moDde, 
et fraricisaicnl les sauvages. Qui arr^le cela? Uni- 
quemenl Louis XIV. aui« aUaauanila Iiollande» la 



GOMMfiNr. ELLS DONNE SON GCEUR. 251 

donna a I'Angleterre, lors maitresse des mers. 
Sans lui, nous aurions les deux Indes. Et pour- 
quoi? Nous 6tions aim^s ; nous avions des enfants 
parlout. Et les Anglais n en ont nulie part (saufun 
point, les Etals-Unis, ou se porta, en corps de 
peuple, toute la masse des puri tains). 



Songez a (out cela, jeune homme. Et, sur le pav6 
de Paris, ou vous avez tant de ressources d'id^es, 
d'arls et mille moyens de vous faire un homme, 
orientez-vous un peu, ohservez de tous c6t£s. Em- 
brassez d'un regard hardi, sage, et rensemble de 
ia science, et la totality du globe, la g6n6ralite 
humaine. Aimez, et aimez la m6me, une femme 
aimante et d6vou6e, qui vous airae d'un grand 
coeur et dans rincerlain de la destinte , et dans 
I'audace inventive de vos courageuses pens6es. 

Mais, monsieur, dit le jeune homme, veuillez 
comprendre pourquoi nous devenons si prudents, 
et d,une prudence de femmes. (Test que les fem- 
mes, les m6res, nous font de telles condilions. 
Ces belles lois qui, dans les partages, les 6galent k 
rhomme, les font riches et influentes, plus influentes 
que le p6re ; car celui-ct peut n'avoir qu,une for- 
tune engag£e, en jeu, et hypolh^tique, tandis que 

IS 



S58 GOMHEM ELLE DONNB SON OStJR. 

celle de sa femtne, souyent gardSe par un contrat, 
rcste k pari. YoiU pourquoi elle r^gne el iait ce 
qu'elleveut. Elle tire ses gar^ons du colUtgi,, pour 
les tnettre je ne sais ou. Elle donne sa Qlle a celui 
qui lui plait. ― Moi, parexemple, quisuis-je? que 
sera 卜 je? ou que ferai-je? Je ne le sais pas encore. 
Ccla d6pend d'une fernme. Je suis favoris6 de loin; 
mais, de pr6s, si je vais monlrer la moindre au- 
dace d* esprit, elie aura peiir, celte m&re, reculera, 
gardera ftli fiilc pour un homme pos^ et rmgi. 

II a raisoA^tejeuniB homme. line grande respon- 
5dbilil6, en ce moment, est k la mftre. Elle a une 
gnorme puissance pour faire et d^faire. Un mot 
d'elie peut ojpirer une profonde transformation. 
Le h^ros pcut te ranger, d^venir le ben sujeL 
D'autre part aussi^ sur ce mot) s,U lui affennit le 
eourage, un coeur jeune, amoureux, d,un seul 
bond, peut devenir grakid. 

Vous Meafemme el jeune encore, madiume, mais 
d&jk dans oette seoonde jeunesse ou augmente la 
prudence, btii bietl des choses ont p&li, odi l,on se d6- 
fie de la titt. De gt&cie^ n'imposez pas d^a tant de 
sag^se ft ceuX'ci. N'exigec pas que oe jeune homme 
commetite Dar la viei Hesse. Vous I'aimie 化, vous 
prentet plaisir k ses letlres enthousiastes. Eh bien, 
acceptet4e lui-mftme, comme il est, jeune et cha- 
leure^x. Vetue Cite n'y perdra pas. Agissex un peu 



GOHME.NT ELLE [)ON>B SON C(£tJR 



259 



pour elle. Consultez-la. Je parie qu'ellen'a pas tant 
peur que vous. El, au fond, elle a raison d'fetre 
courageuse. Cesftmes-li, au premier essor, ptuvenf 
paraitre excenli iques par I'excfes de leurs qualil6s. 
Mais il faut qu'il y ait trop pour qu'un jour il cn 
reste assez. Mflries, bientdt elles arrivent k la ve- 
ritable force. Ce sont dies qui, m^nag^es, donne- 
ront rid6al humain, de r^nergie dans la sagesse 



Voici nos jeunes gens rapprochfes. J'aimerais a 
m'arrfiter sur ce moment ravissanl, agit6, inquiet. 
Au reste, cela ne se dit guere. On est loujours trop 
au-dessous. On n'en saisit que la surface, le joli d6- 
bal, ce doux semblant de dispute ou se joue l,a- 
mour. II tieiit un peu de la guerre, et dans une foule 
d,esp6ces, on ne s'approche qu,en tremblant. 11 en 
est ainsi de la n6lre. L'alhue vive de la force 
etonne un peu la demoiselle. Et d'autre part, le 
jeune homme, pour peu qu'il aime vraiment, est 
dans une crainle exlrfime qu'on ne se moque de lui. 

A lorl. La fcmmc, la vraie femme, est trop tendrc 
pour 6tre moqueuse. Notre demoiselle surtout, 
61ev6e comme on a vu, n,est nuUement la bavarde, 
reffronlte Rosalinde de Shakespeare ; 一 pas da- 
vantage la rieuse 6tourdie, a !6le \ide, qu'on voil 



»60 COMMENT ELLE DONNE SON C(EUR. 

•f^P SOU vein ici. Sa censure badioe est 16g6re, une 
SI douce petite guerre ne serait pas m6me senlie 
de nos jeunes gens k la mode. Mais celui-ci, moim 
Was6, s,6fneut, Mmii aux moindres choses. Delle 
il ne supporle rien. II sc trouble, r^pond de tra- 
vers. 11 souffre. Et, au m&me instant, voila qu,e】le 
souffre aussi. fitre sensible i ce point l,un pour 
1 autre, n'est-ce pas de I'amour? 



L,amour, qu'esl-ce? et comment vienWl? 

Commc on a 6crit la-dessus! el combien inuti- 
lemenl! Ni le ricit, ni I'analyse, n'y serl, ni la 
comparaison. L'arnour est lamour, une chose qui 
ne ressemble k aucune. 

Une comparaison ing6nieuse est celle que fail 
M. de Stendhal, celle du rameau qu'on jelte aux 
sources salees de Sallzbourg. Deux mois aprfes on 
le retire chang^, embelli d,une riche et fantasl/que 
cristallisalion, girandoles , diamants, fleurs de 
givre. Tel est lamour jel6 aux sources profondes 
de rimaginalion. 

La comparaison allait a son joli livre, ironique 
et sensuel, 雷 l Amoui'. Le fond pour lui est fort 
sec ; c'esl une pauvre tranche de fcois, un bulon • 



COMMENT ELLE DONNE SON C(EUR. 261 

voila le reel : et le resle serai t le rfive, la broderie 
de vaine pofesie, ue nous y faisons h plaisir. 

Excellente Ihfeorie pour st6riliser a fond le plus 
fi&cond des sujels. Th^orie banale, en rfalite, mal- 
grfi le piquant de la forme. C,est toujours la vieille 
Ihese : « I/amour n'esl qu,illusion. » 

L'amour ! je n'ai rien 1/ouv6 de plus r6el en ce 
monde. 

Reelj comme seconde vuc. Seul il donne la puis- 
sance (le voir cent v6ri(6s nouvelles, impossibles 
a voir aufrement. 

comme crMion. Ces choses vraies, qu'il 
voyait, il les faisait Idles. Pour la femme, par 
cxemple, ii est si doux d'fitre aimee, que, quand 
elle s,en aper^oil, ravie et Iransfigurte, elle devienl 
infiniment belle. Belle on la voit, mais elle l,esl. 

Reel, comme criaiion double et riflechie^ ou le 
crfi6 cree a son lour. Ce rayonnement de la beaule 
que notre amour fait dans la femme, il agit et 
rayon ne en nous par nos puissances toules nou- 
velles de d6sirs, cle genie et d'invention. 

Comment le nommerons-nous? Qu'imporle?... 
C'est le mailre, le puissant et le f^cond... Qu'il 
nous reste, et nous sommes forts. Lui de moins, 
sur celte lerre, nous n aurions rkn fait do grand. 



m COWmi ELLfe DONNE SON GCEUR. 

La surprise aide k sa puissance. Heureux, bien- 
hcureux le jeune homme si le hasard montre cn 
lui quelque beauts imprevue ! Gela avance bien 
scs affaires. 

Exemple : on trouvait qu!h Paris noire homme 
depensait Irop. 11 se laissait accuser. On decouvrc 
que sur sa pension, se rMuisant au minimum des 
premiers besoins, il nourrissait une famille pau- 
vre. La demoiselle est altendrie, EUe parle pen ce 
jour-la et n'ose le regarder. 

De crime en crime, on d6couvre que ce coupable 
jeune homme, tandis qu,on le pressait le plus de 
se poser dans sa canrifere par les premiers succes 
d'ecole, qui de loin devaient amener le grand succes 
<l'elablissement, s'est conduit comme Font fait le 
grand peinlre Prudhon et noire illustre physiolo- 
gists, M. Serres. Tous deux, sans autre fortune 
que leurs talents, dans un concours, s'6t6rent le 
prix a eux-m6mes, travaillfirent pour un concur- 
rent. Prudhon envoya ainsi i Rome un rival qui, 
sans lui, n'eut pu conlinuer ses etudes. Serres, au 
concours de m6decinc, en 1813, ayant parmi scs 
camarades un pauvre Anglais in (erne, qui ne rece- 
vail rien de chez lui et mourait de faim, imagina 
de concourir pour lui, r6ussit contre lui-mftme, el 
le fil ainsi placer 616ve a rH6tel-Dieu. 

Un acle d'intrepidite, accompli dans un but hu- 



COMMENT ELI4E DONNE SON GOBUR. 263 

main, c'est encore m joli bouquet h offrir a c^lle 
qu,on aime. On n'a pas toujours oea hsisards. Mais 
ils vicnnenl k ceuY qui sont dignea, Un homme 
tomb6 a la rivifire, un incendie, un naufrage, cent 
choses en donnent roccasion. 

De tels actes emportent ramour. la femme 
est faible et Irfts-tendre. Je oonfie qeUe recettc k 
ceox qui ne sont p9s aim68. Le seul moyep, c'est 
d'etre beau. Du jour ou luit eet 6clair, elle recon, 
nait son mattre, et elle se trouve sans force... A 
lui de n^eti pas abuser. 



Comment cela s'esl-il fait? Je ne sais. Point de 
noce encore, mais il y a mariage. 

Le pfere et la mere, amoureux de lui presque 
autant, Fayant en si haute estime, respectenl leurs 
tefe-a-t6te. lis se fient... lis ont raison. 

Quelle sage conversation, quoique si tendre, si 
imuel Elle cause insatiablement de menage et 
d'arrangement, des soins de la maison fiyture ; lui 
d'amour, des futurs enfanls. Elle 6coute, les yeux 
baiss6s, mais r6sign6e, docilement. Elle n'a garde 
de I'arrfiter et n'objecle pas un mot. Faut-il le 
dire? elle est si douce, elle pa rait si soumise, que 
lui, il se trouble, est tent6 de savoir au vrai ce 



164 COVVBIT ELLB DOHNE SOR OEUIL 

qu,il peut. la pauvrette pftlit fori. Elle ne luttc 
pas, maU palpite, n'en peut plus, rhaleine lui 
manque. Comment insister? Elle chancelle, s'ap- 
puic sur lui, et enfin s'assoit vaincue d'femolion : 
« £!pargne-moi, je I'en prie. C'est ta femme qui, 
pour quelques jours, Ia demande gt \ce ! » Elle 
met les deux mains dans sa main. « Aprts ce que 
tu as fait, je ne pourrais te rfeister. Mais tu me 
ferais du chagrin... Tu vois qu'ils se fient k toi", 
h toi seul. lis m'onl vue si attendrie, qu'ils savent 
bien que je suis faible... Sauve-moi de raoi, mon 
ami, d^fcnds-moi, prot^ge-moi. Je ne me garde 
plus nioi-mfime. 驂 



VI 



TU QUITTERAS TON PERE ET TA MERE 



Les adieux de Sakonlala a la maison natale, k scs 
soeurs, k ses fleurs, aux oiseaiix favoris, aux ani- 
maux ch6ris, ce n'esl pas la une vaine comfedie, 
c'est la nature humainc. On a desir6, et on pleure; 
on a comple les jours, et,lejourvenu, c'est Irop lot. 

EUe sent bicn alors tout ce qu'il fut, ce nid qu'il 
faul quiller, combien suave et doux. Cette belle 
fable de famillc, celle couronne dc je.unes freres of 
soeurs, qui Tadoraient, la faiblesse de son pSre, s6- 
vfere pour tous et desarme pour elle, une personne 
enfin, unique, altendrissante, la victime reelle en 
cette immolation, la pauvrc mfirc, qui sc conlient 
si bien et ne pleure presque pas... Obi c'est Irop 
pour la jeune fille) 

15. 



i66 TU QiriTERAS TON PfiKE £T TA MERE. 

Nul rftve de bonheur, nul mirage d'imagination, 
ne peut balancer tout cela. La veille encore k table, 
les yeuz sur son assiette, elle ose les regardcr a 
peine, de {»eur de se troubler. On descend au jar- 
din. Elle, non. Sous quelque pr6lexte, elle reste, 
die Ira verse de chambre en cbambre ceLte maisou 
de sa jeunesse qu'elle quitter pouf tou jours. 
Elle dit adieu k chaque meuble, a toule chose amie, 
au piano, aux livres, au fauleuil de son pfere. . 
Mais lo lit de sa m^re rarrfile... elle delate cn san- 
glots. 

« Quoi dene! elle n,aime pas? » 一 Ne le croyez 
point. Non, elle aime. Chose bizarre, pourlant na- 
turelle : au moment de le suivre 6poux, elle le re- 
grelle amant. La chambre ou elle le rfeva, la table 
ou elle lui 6crivit, entrcnt dans ses regrets. Les al- 
ternatives orageuses de son amour de tant d'annees 
lui reviennent au souvenir. De son bonheur nou- 
veau, elle jelte un regard a ce monde de soupirs, 
do songes, de vaines craintes, dont se repait la 
passion ; elle en regrelte tout, jusqu*aux douceurs 
ameres qu'elle trouva souvent dans les pleurs. 

Rien ne la touche plus que de voir ses amis d'en- 
fance, personnages muets a qui I'on n'a rien dit, 
le chien, le chat de la maison, parfaitement infor- 
m&s de tout, le chien la suit de longs regards ; le 
chat, morne, immobile, a cess6 de manger et reste 



TU QUimiiAS IQfi P£iRE ET TA V^R^. ^7 

sur son lit, ce petit lit fille qui ser^ Vi^p de* 
main. 

lis ont r^iir de lui dire ; 仫 Tu pars, et qqus rps- 
tona. Tu pnrs pour i'incpnpu,,. Tu quiltesf la mai- 
son da douceur et ie la grdce, qtt tout te fut 
permit. Quoi que tu fisses, c'^tail bien; quoi qi\e 
tu di§s6$, c'etait hQm- Ta >n6re, ton pfere e| tpus 
6laient su^pepdus k t^s Iftyres, vfcueiliaient a\i(}e- 
inent UhU ce qui fechappait. Tes sqeiurs, qoipme 
raison supr 细 e, allpgpaient ta parole, tranchi^ient 
d'un mot : (( Ellc l a dit. » Tes fr^res i§taient fes 
chevaliers, t'admiraient sans mot dire, o'imqgi- 
naient rien au dela, n'aimaient dans les autres 
femmes que ce qui te ressemblait. 

« Maitresse I protectrice ! douce nourrice ! qui 
tant de fois nous faisais manger d3ns ta piain I ou 
vas-tu et qi^p deviens-lu?... Tu vas done avoir un 
mallr^. \9S jurer ob6issance. Tu y^s vivre avec 
l'6tranger, avec celui qui t'airne." qui, un jeune 
hoirirne fier et mde... Son 6nergique activilft, tour- 
nke au dphpr^^ que lui lais$era-t-elle bientdl pour 
sa femme et pqur le foyer? L'effprt du jovir le ramfe- 
nera scm 柳 t trist^ Ic soir, souvent amer. le^ d6s- 
appoiDtements, |es non-succSs, te reviendror t en 
injiistes caprices. «• Cette ojaison ^'nmour pii (u 
vas, ot) I que de fois elle sera plus sombre que ta 
chfere inaison patarnelle ! Toiit Stsijt si serpin ici f 



26S TU QUITTER AS TON PkRg ET TA HfcRE. 

D&s que tu riais, tout riait. Ta folfttre gaiety, ta 
fralche jeune voix, ta bont6 h faire tons heu- 
reux, cela faisait un paradis, une maison de bea- 
titude. Tout itait amour, indulgence ; tous etaieni 
enhardis de toi...Car ton ptee el ta m6ren,avaienl 
pas le courage de gronder les enfants, ni nous... 
Le chien le savait bien, a certaines heures, que 
tout 6lait permis. Le chat le savait bien. A tels mo- 
ments d'effusion, au dessert de famille, nous nous 
glissions, nous 6tions de 】a ftte... Et tes oiseaux 
venaient, battant des ailes, cueillir a ta Ifevre un 
baiser. » 



La femme est nke pour la souf France. Chacun des 
grands pas de la vie esl pour elle une blessure. Elle 
crolt pour le manage ; c,est son rfive legitime, 
Mais cetle vita m 請 a, c'esl I'arrachement de son 
passe. Pour donner a I'ainour rinflni du plaisir, il 
faut qu'elle souffre en sa chair, Combien plus, 
grand Dieul quand bientdt I'autre 6poux, i'autre 
amant, Penfant, plus cruel, du fond deses entrail- 
les, reviendra dechirer son sein !… Est-ce toul? 
Nos afeux eurent ce proverbe sombre : « Mai de 
mire dure longtemps ! » Mere voulait dire matrice, 
et le sens du proverbe, c'est que la pauvre femme, 



TU QUITTEUAS TON PflRE ET TA N£RE. 269 

apr6s la torture el les cris de raccouchement, n'en 
est pas quitle, que la maternity, de fatigue et d*in- 
quietude, de chagrins, de douleurs, la suit et la 
suivra ; 一 bref, qu'elle accouche toute la vie. 



Quel jour, h quel moment m6ne-t-on la viclime 
a Fautel ? 

Que nous importe? dit Ic 16gislateur. 一 Que nous 
imporle? dit Ic prfitre. 

L'aslrologue du moyen &ge disait •• a II imporle 
bcaucoup. » 

Lui seul avait raison. 

Mais ce jour, comment le choisir? 11 metlait dcs 
Umetles, et regardail au ciel, ne voyait rien, puis 
dScidait. 

Ce qu'il faul regarder, c'csl la femmc ellc-m6me, 
la chfire creature qui quitte tout, qui souffre et se 
cl6voue. II faut aimer, vouloir qu'elle souffre moins 
de son sacrifice. S,il 6tait un Jour, une semaine, 
propices ot doux, choisissons-les. 



Qu,on me permette de m'arrSfer ici, et de de- 
mander comment il se fait que les innombrables 



270 TC QUIHERAS TON PfiAE GT U MEUG. 

auteurs qui ont traits 4e I'amour et du maripge ne 
se soient jamais occup^s de ces questions. Mais c*c- 
tait justement le fond de leur sujet, tout au moins 
le point de depart n^cessaire 抑 ns lequel ils ne pou- 
vaient parler, raisonner qu'au hasard. 

La nature, heureusement, ne se fie pas k nous 
pour les grandes fonctions de ia vie qui la conser- 
vcnt. EUes s accomplissent d'i nslinct et comme sous 
reinpire du sommeil. Noire chimie physiologique, 
si prodigieusement compliquee,va son chemin sans 
demander conseil. II en a 6t6 ainsi de la perpetuity 
de I'esp^ce h 画 aine, op6r6e par Painour et le ma- 
ridge, par la constitution de la famiile. Tout cela 
n,a presque en rien changfi, et rhomme est reste, 
pour cps grandes choses essentielles, dans la lignc 
raisonnnble. La d6raison ne s'est trouv6e que dans 
les hauls esprits, les homines de pens6e et d'auto- 
rit6, dans les guides de respece humaine. 

Exemple les feconomisles, les profonds politiques, 
qui se sont figure pouvoir rtglemenler ramour, 
retarder ou prfecipjler 】e cours de la f^condite. Pas 
un ne s,esl inform^ de ce que c'est que fecond^tion. 
lis ignorent que I'on a tranchfe la thfese Malthu- 
sienne, ou ils vont toujours a tdtons. 

Exemple les th6ologiens, qui ont si merveilleuse- 
ment 6clairci la Cpnception sans coni)pit,re pe que 
c'est que concepljon. Exemple les casiijstes, qui ont 



TU QUITTfclUS 10^ P£PG ET TA MfiRE. 271 

si parfaitement dirjge, purifie la vie conjugale, sans 
savoir ce que c'esl que le mariage. 

Ajoutons les lilterateurs, ceux qui, dans tant dc 
livres 61oquents,ont discute le droit et le fait, accus6 
ou la femme ou Phorrime, pes6 la question de la 
sup6riorite d un sexe sur raulre. Noire gr^iid ro- 
mancier, celle femme d'a(Jmir9ble puissance ; noire 
grand disculeur, cet homme de bras fort et terrible, 
qui, secouant le pour et le contre, fait padout jail- 
lir r^tincelle, 】e monde les contemple en ce grand 
plaidoyer. N'est-il pas 6toiinant qu'aucun des deux 
n ait descend u au fond du sujet mfime, a la base 
infferieure, d'ou pourtant fleurit tout le reste? 

Infcrieure? llien n est inferieure. Laissons la ces 
\ieilles idees d'6chelle, el de haul et de bas. Pieu est 
spherique, a dit un philosophe. Le ciel est sousnos 
picds autant que sur nos tfites. Jadis, on m^prisait 
Festomac, pour relever le cerveau. On a trouve 
(1848) que le cerveau digfere; sans lui, du moins, 
on ne fait pas le sucre, qui seul permet de dig6rer. 



Pour revenir, avant 1830, ou Yon posa U fait 
Poeuf, de la crise d,amour, U th6orie ne disait 
que sottise. Avant 1840, ou la loi ful po56e, cl 



212 TU QUIHERAS TON PI^RE ET TA HfiRB. 

les temps fdconds indiqute, toute pratique fut 
aveugle. L'observation pers£v£rante des grands 
anatomistes, l'autorit6 de F Academic des sciences 
(vrai pape en ces mali^res), enfin renseigne- 
ment souverain du College de France, de 1840 
a 1850, impos6rent k PEurope ces dfecouverles, 
accept^es d6sormais comme article de la foi hu- 
maine. 

Que la science est venue k temps I La medecine, 
en presence du flfiau du sificle (i'universalitfe des 
maladies de la ma trice), apres avoir us6 en vain des 
bru(alil6s de la chirurgie, begayait, tournoyaiL 
L'ovologie vient au secours. C'esl la profonde ^lude 
des fonctions qui doit ouvrir la voie pour com- 
prendre les alterations. Et qui sail? les premieres, 
doucement veil lees par ramour, peutWrc prfevicn- 
draient les sccondcs. 

Pardonne-moi, jeunc homme, ces discours se- 
rieux a I'heure oil, sans nul doute, ton co&ur a bion 
d'aulres pens6es. Mais, mon ami, l ainour est in- 
quiet. Pour toi, pour elle, jc voudrais, de ton 
ciel po6tique, te ramciier au reel. Et le reel, c'esl 
elle; done c'est le ciel encore. li s'agil d'elle, et de 
votre avenir. Quand la saiU6, 】a vie de ce cher 
objet est en jeu, ce n,est pas toi qui nous re- 
procheras un excfes de sages se et de tendres pre- 
cautions. 



TU QUITTERAS TON PfiRE ET TA MERE. 273 

N'esl-cc pas un obstacle k faire songer que de 
voir tout aulour de nous la femme, jeune et char- 
mante, frapp6e dans l,amour mfime, condamnie 
aux refus, aux fuites involontaires, ou (conlraste 
odieux) donnant le plaisir dans les pleurs ? D6so- 
• laiite situation, qui de bonne heure assombrit le 
mariage, et bientdt le supprime ; qui fait craindre 
la g^n^ration. On fr6mit d'engendrer, quand on 
sail qu'aux 6preuves de la maternil6 le mal s'aigrit, 
s'aggrave. Aux epanchemenls les plus lendres des 
coeurs qui ne font qu'un, apparatt un tiers, la dou- 
leur, I'effroi de Pavenir (et la morl!) entre deux 
baisers. 

Ce fl^u marqua moins jadis, d'abord, parce 
qu'on mourait plus vile et qu'on comptait moins la 
douleur ; mais aussi pour une autre cause. La 
femme, nuUement affln6e, vivant moins de vie c6rc- 
bralc, pouvait r6agir davantage physiquemenl 
conlre les chagrins et con Ire les mauvais traite- 
menls. J'appelle ainsi surtout ce que doucereuse- 
ment on nomme empressemenls amoureux, mais 
qu'il faut mieux nommer, les exigences de plaisir 
fegoisle qui veut trop, qui veut mal et ne s'informe 
pat des temps ni des souff ranees. 一 Celle-ci, faiblo 
et delicate, ressent tout et profond6ment. II n*y a 
pas h rire ici. 11 faut une s6rieuse allention, c'esl-Si- 
dire un amour de tons les moments. Ce que je di- 



m TU QUIHERAS TON P^B ST TA M^E. 

rais k la m^re, je le dis bien plus a ramant 
Plus fragile au fond que I'enfant, la femme de- 
mande absoliiment quVn V%ime powr elle, qu'on la 
manage fort, ct qu'on sente k toute heure qu'cn 
serrant Irop on n'est bien sAr de rien. Get ange 
ador6, souriant, florissant de vie, souvenl a la terre 
il ne tient que du bout de I'aile ; rauire deji I'em' 
porte ailleurs. 



Ne dcmandons pas h Pignorance du passe ce 
que l,on peut faire dans ce grand int6ret, si cjierl 
11 ne salt et ne dira rien. A la science scule de re- 
pondre, k Famour seul d'ex6cuter. 

La science dit d'abord une chose simple : qu'il 
faut aimer d rheure de celle quon aime, sans rien 
pr6cipiter, laisser les choses se faire, se succ6der 
dans Ford re nahirel, n'en faire qu'une h la fois, 
craindr^ toute congestion el toute irritation durable, 

Des lors on sail le vrai moment legitime et sacre, 
ou doil se faire le mariage. Dans un m^moire que 
rAcad^mie des sciences a rouronn6, autoris6 de sa 
haule approbation, il est dit quon ne doit marier 
la jeime fille que dix jours aprds le travail de Vovula- 
teon. c'est-a-dire dans la semainecalme, sereine et 



TO QUITTEUAS TON P£RE £T TA MERE, 215 

st6rile qu'elle a entre les deux Spoques. (Raci- 
borski, 1844, p. 133.) 

Cetle excellente observation, humaine aiitant 
que raisonnable, n'est point de pratique empirique. 
Elle est hautement scientiflque. Elle derive des 
fails 6tablis, des lois formulSes de Povologie. Elle 
en est la deduction naturelle. Elle aussi, elle res- 
tera invariable, coiiime 】oi naturelle et n6cessaire 
du mariage. 

Rien de plus sage en effet. II faut prendre le mo- 
ment st6rile, dit rauleur, parce qu'elle souffrirait 
Irop d'6lre enceinte d6s le premier mois. Quelle 
durete ne serait-ce pas de faire coincider pour elle 
Irois malaises et trois douleurs : 1, indisposition 
mensuelle, Vinitiation du mariage, et I'ebranlement 
d'une premiere grossesse ! 

a La mfere y pensait, » dira-t-op. Point du tout. 
Elle laissait passer I'epoque, mais la mariait sou- 
vent trois ou quatre jours aprfes, c est-i-dire pre- 
cisemcnt lorsque la femme est plus f6conde. Tout 
d'abord elle 6lait enceinte. 

Les dix jours pleins qu,on surajoute lui seront 
un bienrait. La science se met ici entre elle et la 
passion impatiente, la garde dans les bras de sa 
mere, et mieux que celle-ci ne faisait, ~ Ainsi,toute 
grapde dfecouverle, toute grande v6rU6, qui d'a- 
bord n'est qu*une Iqmidre et nc parte qu,i la rai- 



m TU QUinERAS toy P£:RE ET TA HfeRB. 

son, ne tarde pas k aboutir aux touchants r6sultals 
pratiques qui en font une chose de coeur. 



A chaque jour suffit sa peine. Assez d'un travail 
h la fois. Dispensez, je vous prie, la marine, dans 
line telle journ6e, de ces bruyants repas des noces 
(le province, ou les sots voudraient l*6touffer. lis 
diront, si elle ne mange •• « Voyez-vousl elle est 
Iriste... On la force... Elle n'aime pas beaucoup 
son mari. x> 

Je vois que le bon sens dc nos aieux voulait, 
lout au conlraire, qu'elle ne \!nt k celle 6preuve 
de separation et dc larraes, de douleur morale et 
physique, que mafcrnellemenl pr6par6e, bien de- 
(endue, fralche et 16g6rc, d'aulant moins Yuln6- 
rable. 

Les riles cl les symboles du manage sont bien 
incomplels jusqu'ici. lis s'occupenl surabondam- 
menl d'enseigner au faible qu'il est faible, done 
qu'il doit 6lre d6pendant. II serait bien plus in- 
structif, plus original, plus humain, d'enseigner 
au fort qu'il ne doit pas ici se monlrer fort, lui 
inspirer, i ce moment, les managements et 】a 
compassion. « L'amour y pourvoira, » dit on. Mais 
c'est tout le confraire, il change 6(rangement, 



TU QUinbUS TOiN PEKE £T TA MERE. 277 

avouons-le. A cerlaines heures, une b6te sauvage 
rugit d'impatienceen riiomme, la ffeiocite du desir. 

Les mfidecins commencenl k soupgonner que la 
pricipitalion, I'insislance aveugle (faul-il 】e dire? 
rorgueil cruel) sont ir6s-souvcnt la premifere cause 
d^irritations durables, d'ingu^rissables congestions. 
一 a Ingu6rissables? » belle demandel Comment 
gucrirait-on, si chaque jour revient aggraver? 

Qu'une seule chose lesoil presenle a ce momenl 
si d6cisif, la chose pieuse, la chose religieuse, el 
le souverain cxorcisme qui cKassera le diable plus 
qu aucune foi mule. Cestle mot des jurisconsultes : 
« Manage, c'est comentement. » 

Ce ne serait pas grand'chose de t'en souvenir a 
midi, si tu ne t'en souviens pas Ic soir, k I'heure 
emue ou ton trouble est si grand. C'est alors, c'est 
alors qu'il faut ten souvenir : « Mariage, c,est con- 
sentement. x> 

Je I'aimerais bien si, la veille, lu avals I'espi'it 
d'y penser, si, meltani de c6t6 rorgueil et ses 
sot Uses, consultant ramour et le coeur, pensanl k la 
pauvre petite, tu te fusses entendu avec la mere, 
qui, sans toi, n'ose rien vouloir. II faut adoucir, 
assouplir ces Opines, sinon Ics aplanir. Le rite 
compatissanl de rinde parle ici comme nos m6- 
decins. 

La fille de France est rieuse, moqueuseparfois a 



278 TU QUIITEIUS T0» P^RE ET TA M&RE. 

nos d^pens, mais en meme lemps la plus nerveuse 
dc toute la lerre, si prenable d'imagination 1 EUe 
devrail ne pas craiadre celui dont elle est mai- 
tresse absolue. Et pourlant elle fr6mil. Cela va a ce 
point que, u'y eut-il presque aucune difficuUS, il y 
en aurait encore par la constriction de resprit. 
Les homines, si egoistes et ne pensant qu^a eux, se 
sonl plaints Irfes sou vent de la sorcellei'ie, qui, 
disent-ils, paralysait tout. Mais les frayeurs de 
fcmme, plus vraies, vous ne les complez pas? II 
faudrait remettre resprit, c'esl le grand point. 11 
faudrail fitre patient, magnanime, et vouloir... 
non pas centre soi-mftine, mais pour deux... vou- 
loir qu'elle aussi elle fut heureuse; la consulter, 
lui ob6ir, et desirer cc doux Iriomphe : que la dou- 
leur ne d^pldt pas. 

Heureux qui sail preparer son bonheur I qui le 
veut libre el d6sir6, so fie a la lendresse, a la bonne 
nature! Adoraleur sincere, de devotion vraie, il 
honore les abords du temple, il en couvre racces 
(Tune tendre el paliente insistance. D elles-m^mes, 
pour lui, elles vibreront, les portes saintes. Du 
(lieu qu*on croit si loin, la vive eiincelle est a& 
seuil. 



TU QOmERAS tm P£hE ET TA 血! :• 279 

Dans un 6tat plus haul, plus avanc6, ou nous 
arriverons, on comprendra pourtani que cette douce 
initiation vaul surtout par la voie nouvelle qu ell6 
donnc pour aller au coeur, qu'elle n'esl qu'im degre 
des progrSs que ramour fait dans la conqufite suc- 
cessive de robjet aim^. Ces progrfes, en loute union 
s6rieuse, onl prte6d6 de loin la fete qui en est la 
proclamation. Le mariage d'Ames doitexisler long- 
temps avant lia noc6, pour continuer apr^s et aug- 
menler de plus en plus. 

EffaQons de la langue ce mot immoral el funesle : 
consommalion du mariage. Celui-ci, ^tat progres- 
sif, n,a sa consommalion que dans rensemble de 
la vie. 

La noce est le moment public de cette longue 
initiation. Utile, indispensable, comme garantie, 
elle a souvent, comme fete bruyanle el 6clatanle, 
un tres-mauvais effet, de faire tori au mariage. Ce 
bruit fait croire qu'un jour a tout fini, et que IV 
mour a tout donne. Les lendernains sont ternes el 
froids. La i&ie a le tort de dater ce qui devrait 6tre 
^lernel. 

Non, mcme k ce moment divin, sache bien qu'il 
n'est tel que parce qu'il ne consomme rien, ne finit 
rien ; il est divin, parce qu'il commence. La douce 
idole s'est donn6e en ce qu'elle a pu; donn6e en t'ac- 
ceptant damour; donnee en disant qu'elie est tienne; 



SbO TU QUimRAS TON P£R£ ET TA H£RE. 

donnee en ouvrant k ton plaisir une des profondcs 
porles de i'dme. Mais cette dme est tout un royaume 
(led6Iiccs qu*il faulmaintenant parcourir. Lemondc 
de d6couvertes a fa ire qui est en elle et qui I'at- 
tend, comment le saurais-tu d'avance? Elle ne le 
connait pas elle-m6me. Elle veut seulement de pas- 
sion que tu en sois maitre et seigneur. Poss6d6e, 
elle sent d'instinct qu elle peut rfitre bien davan- 
tage. Elle fera ce qu'elle pourra, pour que celJe 
mer insond6e de sentiments vierges encore, 
chastes ct d^Iicats dfeirs, tu la p6n6lres tout en- 
I i fire par rinfiiii dcs sens nouveaux que va cr&ev en 
toi rAmonr. 



气' 



VII 



LA JEUNE £POUSE. 一 SES PENSfiES SOLITAIRES 



Au livre de rAmour^ j,ai marquS ies grands traits 
ext6rieurs de la situation. Ici, je voudrais davan- 
tage : observer la femme elle-mfime, elle surlout 
qui eut de fortes racines de famille, ct que le ma- 
nage le plus d68ir6 d6racine pourlant du sol ou par 
mille fibres elle 6lail engag^e. Passage di^matique. 
Des parents regreltSs a i'6poux ador6, elle passe, 
non pas h6si(anle, ni combattue, inais d^chiree. 
Aime t-elle nioins?Infiniinent plus, de toule I'^ten- 
due de son sacrifice. Elle se donne avec sa douleur, 
et, d'un amour immense, d'unc foi sans riserve, 
lui met en main son coeur sanglant. 

Je ne sais si cet homme eperdu de bonheGr con- 
serve assez de lucidil^ pour senlir tout ccla. Mais, 

10 



S82 U J£UNE EPOliSE. 

pour moi, je ne connais aucun spectacle plus tou- 
chant que celle fille 6m ue (faut-il dire vierge ou 
femme?) qui tout a coup se Irouve transplant^e hors 
de ses habitudes et de (out son monde connu, dans 
unc autre maison. 一 C,esl, ce sera lasienne. Mais 
encore faul-il bienqu'elle ea prenne connaissance. 
Jusque-Ia, tout est fitrartger. Elle ne sail ou lout 
pose. Chaque meuble neuf lui rappelle Ic bon vieux 
meubledefamille qu'elle a laissfe la-bas. Son marly 
il est vrai, de sa vive personnalit6, de sa jeune cha- 
leur, de sacharmanle ivresse, illumine et rfechaufle 
lout. Mais, quoi qu'il fasse, 1 n'est pas loujours 
1". Qu'il s'absenle un moment, tout change, (out 
parail vide et solitaire. 

L'autre maison, dans sa grande harmonie d'af- 
fections multiples, pftre, m^re, frfires, soeurs, ser- 
viteurs, animaux aim6s, etait un monde tout fait. 
Et ceci est un monde a faire. Ueureusement, il est 
ici, l,ardent, le puissant crealeur, le viviiicateur : 
Amour. 

11 estjaloux. € Si vous voulez, dit-il, cr6er, com- 
mencer avec moi ; si vous voulei que, de mon aile, 
Je vous porte dans I'aTenir, ne me liei pas de ce fil 
trop lull, trop ch6ri, du passd. La premiere loi du 
drame, i united* action^ c'est la premiere loi dans la 
vie. N'esp6re2 rien de fort que ce qui sera simple. 

€ Bien fou qui cioil le coeur immense, qui croi 



SES PENSEES SOLITAIRES 



S83 



qu'en partageant, chaque part ost toujours un en* 
tier! Que sera-ce de toi si elle est toujours la, ceik 
mere plaintive, je Be dis pas jalouse, avec qui la 
femme vivra, a qui tout le jour elle se confiera ? 
Qu,un nuage vous \ienne, elle en parle el reparle ; 
clle se console par sa mere ; le nuage prend corps, 
subsiste a l,horizon. Autrement, c,est loi-mSme, 
c,est ramour, c,est la nuit qui seul aurait tout 
dissip6... 

a Et ses freres, crois-tu done qu'ils ne soienl pas 
un peujaloux deThomme qui enl6ve celle qui fut la 
joie de la faniille, son charme atlendrissant? Jeuncs 
et pures femotions, non condamnables, cerles . Mais 
eel a mfime fait le lien plus fort, plus naturellel'hos- 
lilit6 secrete. L'intime g6nie de la famille, an mo- 
ment eclips6, peut revenir plus tard. Avoir graiidi 
ensemble ! avoir tant de souvenirs communsl pou- 
voir se dire (entre eux) mille choses de rien, si pre- 
cieuses pourtant et si chores, dont tu n,as pas eu 
connaissance, c'est un demi-mariage. Le passe a 
ccla de fort, de dangereux, qu'embelli par le temps, 
par les pertes el les regrets, paries douces larmes 
qu'on lui donne, il est cent fois plus cher que quand 
il etait le present. La sainte lueur du foyer com- 
mun, du berceau ou ensemble ils dormircnt, s,6- 
veillferent ensemble, die ram^ne toujours /es re- 
gards en arriere. Le coeur esl double ol partagfe. La 



M LA JEUNE tPOUSE. 

tradition, rantiquit^, la pens6e rfilrograde, com- 
battront ramour heure par heure... 

« Nature dit : En avant I... Enlftve done ta femme ! 
Sans rompre ses liens de famille, vis avec elle a 
part. Plus sa famille est loin, plus ta fcmmc est a 
toi. Plus aussi tu s ce devoir, ce bonheur, d'filre 
tout pour elle. Tu ne peux pas la nSgliger. Tu cs 
son p6re, et jourparjour tu engendreras son esprit. 
Tu cs son fi fere pour la soulenir de causerie amicale 
el de douce camaraderie. Tu es sa mfere pour la soi- 
gner en ses pel its bcsoins de femme, la caresser, la 
g^ter, la coucher. Sous ta main maternelle, autant 
que conjugate, elle croira, souffranle, relrouver 
son berceau. Et, par loules ces choses minimes, 
humbles, enfanlines, enveloppant la cWre entanl, 
tu l,el6veras d'autant plus avec toi aux aspirations 
de I'avenir. » 



Cela est un peu dur, mais vrai, mais grave. C'esl 
la loi m^me du manage. Done, elle aura des heures 
de solitude. Elle en a, d6s leIendemain.Car,comme 
on se croyait dans la s6curite du plus doux t6le-ii- 
ISte, void le medecin, intime ami commun, qui 
force la consigne et voudrait emmrxier r6poux. 
II pretexte cent choses \aines, certaine affaire a 
lui, press 紐 et importanto, oil le mari seul pcut 



SES PENS£ES SOI iTAIRES. S85 

I'aider. Celui-ci le maudit, et il le suit pourtant. 
Eile est si raisonnable, que, mfime en un tel jour, 
clle ne voudrait pas que l,on manqu&t k i*amili6. 
En realile, c,est pour elle qu'oii agit en ceci. Un 
usage antique et fort sage, c'^tail de laisserrespirer 
un peu la marine. PlAt au ciel qu'on pCit obtenir 
les trois jours d'abstinence que jadis on leur im- 
posait (sauf echappees furtives) ! L'arnour reprenait 
force etcroissait de desir. Et elle, elle avail le temps 
de se remeltre. La bonne nature rfepare vile, adou- 
cit, raffermit. A quelle condition pourtant? Qu il 
y ait un peu de repos. 

L'amour n'y perdait pas. On le voit au Cantique 
des cantiques. Car la vierge dolente, d6s qu,elle 
n'etait plus assi^gee el perseculfie, languissAit d*6- 
tre dejS veuve, voulait qu,il revintSi tout prix. Elan 
naif et si touchant !••• Elle ctait bien paisible ju9- 
quc-la, cette chaste fille. Et pourquoi I'avez-vous 
troublce ? Ne riez pas, media nl I mais aimez, ado- 
rez... La voil5 ^perdue (dans ce poSme ardent de 
Syrie) qui se l&se la nuU, court le chercher dans 
Ics rues sombres, au risque de mauvaises rencon- 
tres... Prot6gez-la, conduisez-Ia. Ramenons-le plu 
tdt, cet Spoux... Ah ! qu'il est heureux I On ne se 
plaindra plus. La douleur de 1' absence rend rail 
(ioucc toute autre douleur. 



386 A JEUNE fiPOUSB. 

Pour revenir h celle-ci, qui ne court pas les rut 
la nuit, la voili pour la premiere fois seule dans si^ 
nouvelle maison, en presence de sa pensee. EUe se 
reciieille religieusement. Elle couve ce prodigieux 
rfive, et 8, en reproduit les details. Elle revient k son 
mari, si tendre, si gfenfereux, si bon; et ses yeux 
en sonl moites. Elle repasse sa douceur, sa patience, 
son infinie d^Iicatesse, telle mystferieuse circon- 
stance, et ellerougit. • • Parfois, il lui vient en esprit 
que tout cela est une illusion, un songe, et elle a 
peur de s'6veiller. Mais non, le doute est impossi- 
ble. Un signe fort sensible le lui rappelle assez, un 
signe qui ne passera pas : « Tant mieuxl c'est pour 
loujours, dit-elle (ce penetrant bonheur, aiguil, 
lonnfe d,6pines, lui parle de moment en mo- 
ment)". Tant mieux ! je suis sa chose, marquee 
de son amour... C,est fait... Dieu n,y pourrait plus 
rien. » 

Si fiere avant ! et si digne toujours I Elle est 
fern me pourlant, elle est lendre, elle s'atlache 
parce qu,elle souffre, veut apparlenir etdfependre; 
elle savoure solitairement les humilitSs de la pas- 
sion. Si les 6pines durent, elle s'exalte encore plus 
par la difficult^ et le devoir. C'esl comme la mire 
bless6e en allaitant, et qui veut allaiter. Un etrange 
combat se fait, oil celui qui desire r6siste au d6« 
vouernent. S,il est fort, magnanime, s,il se prive, 



SES PEKSIES SOUIAIRES 287 

k force d'amour, oh I son coeur fond, a eile, et, 
dans son attendriesement, elle paye surabondam* 
ment ue caresses, de baisers, de larmes, ei le com- 
ble, et renivre. Elle ne compte plus avec lui , se 
donne en cent choses charmantes, bref, rend la 
sagesse impossible. Le vertige I'emporte. II prend 
dans le remords la volupt6 amfere. Mais n'ayant de 
ramour que le cdte sublime, elle, dans la dou'eur^ 
elle goi^te la divine unit 

匸 r 



Situation nullement rare, qu'une fata)it6 sen- 
suelle ne prolonge que trop, parfois des semaines 
et des mois, au grand peril de la viclime dfrvouee. 
L,un en est attriste, humilic, plein de regrets, et 
Ti'en p6che pas moins. I/autre est fi^re et pure, 
courageuse ; mais elle exige qu'on ne consulle pas. 
Le seul remade qu'on n'ose dire serait, si le mari 
est milifaire, marin, un ordre de depart, les arr6ls 
pour un mois, que sais-je ? Mais quel serait le d6s- 
espoir ! Au premier mot d'absence, elle 6clale, 
elle pleure... « Que je meure 1 peu importe I C*est 
mourir c[ue de te quitter. 



m u JEUNE Spouse. 

Elle est bien haul en tout ceci I avouc-Ie, man 
ami. Mais de toi I je ne sais que dire. Je te plains, 
pauvre serf du corps, Je plains notre nature esclave. 

Elle, combien noble el po6tique I C'est la po6sie 
du ciel qui est tombSe chez loi. Puisses-tu le senlir, 
etTentourer d'un digne cultel... Celle frftle et ra- 
vissante ^manalion d,un meilleur monde, elle t'est 
remise, pourquoi? Pour te changer et le faire un 
autre homme. Tu en as grand besoin. Car, fran- 
chement, tu es un barbare. Civilise-toi un peu. A 
ce contact si doux, tu reformeras les dehors. A eel 
amour si pur, (u sanclifieras le dedans. 

Hier encore, tu 6tais dans une soci6t6 d'amis 
bruyants et de plaisir sans g^ne, et le voili avec ta 
jeune siinle, ta vierge, ta charmante sibylle, qui 
sail, comprend, devine toute chose, aiitcnd Fherbe 
pousser sous la terre. Elle a tou jours vfecu a un 
foyer si harmonique, doux et r6glfe, silencieux. Ta 
force jeune, (a vivacil6 mtle lui plaisent fort, mais 
r^branlent. Ton pas resolu , ton allure un pen 
brusque en fermant porles el fen6lres,6lonnent son 
oreille. Sa mere allait si doucement ; son pere par- 
laitpeu, a voix basse. Ton 6clatantc voix, de tim- 
bre milil^^ire, bonne pour commander des soldats, 
au premier jour, la faisait tressaillir, je ne dis pas 
trembler; car elle souriait tout de suite. 

Adoucis-toi pour ta douce compagne, Elle veut 



SES PENSiES SOLITAIRES. S80 

I'fitre en tout. Elle veut raider ct te scrvir, 6tre ton 
jeune ami, dit-elle. Elle est cela, mais autre cTioso 
encore de faibleel detendre qu'il faut d'autant plus 
manager qu'elle ne veut pas de management. (( Moi 
delicate? nuUement. Moi malade? jamais. » Elle dit 
h sa mfere : « Tout va bien . » Tin jour par mfegarde, 
tr6s-press6 de sortir et retards par elle, par le soin 
excessif qu'elle a dc ta toilette, tu as parI6 trop 
fort, voila 】e pauvrc coBur qui s'cs! gonfl6, et, je ne 
sais comment, il est verm une larme... Justemcnt, 
sa mfire arrivait. Surprise, elle s'accuse : « Non, ma- 
man, ce n'est rien . . . II m,a corrigee ; j'avais tort. » 



Le travailleur, forc6 de s'absenter de longucs 
heuresjtrouvei celte tristesse la belle et dfelicieuse 
compensation d'fitre tellement attendu, dfisirfe. 
Qu'elle est touchante, ici, la tienne ! el quel mal- 
heur qu'alors tu ne puisses revenir te cacher, assis- 
ter k son agilation, surtout aux derniferes heures. 
Comme alors (u lirais sur son visage candide, dans 
ses yeux si parlants, tout ce qu'elle au coeur pour 
toil... Elle n)a besoin de rien dire! J'entends tout: 
« Que n'est-il la ; il y a si longtemps CM'il est 
parti I... 11 va rapporter quelque chose ! des nou- 
velles, de quoi m'amuserl... Oh 1 c,ost lui que je 



290 LA JEUNE fiPOUSB. 

veuxl I'entendre monter rescalier, vite et fort, 
comme il va toujoursl... En un moment lout va 
6lrc change, la maison pleine de rire et de gaiete. 
Tout tremblera de joie. La table, le foyer, tout rira 
de lumifire. Grand appetit, rfecits rapides ! Son con- 
vert sera Ik... Non, mieux ici ! Voili bien son mels 
fayori, le n6tre, h nous deux seuls (Fido n,en aura 
pas), un baiser par bouch6e... Si le feu m'endor- 
mail, ou si je faisais semblant, lui qui ne doi t ja- 
mais saura bien m'eveiller... J'ai la coiffure qu,il 
trouvait si jolie. . . Mais j'ai tort. S'il est fatigu6?... 
ou bien, s'il allait dire que je Fai prise expr6s pour 
la nuil?... Je serais si honteuse I » 

Voila ses naives pensees, que peuf-6tre j'aurais 
dii taire... II est quatre heures, et I'on t,attend pour 
six ; mais (16ja elle ne tient plus en place. Elle va, 
vient, regardele soleil, se met h la fenfitre : « Qu'est- 
ce ceci ? le jour baisse, et mes fleurs voudraient se 
fermer. Les fumtes montent des toils... Ces gens- 
la sont heureux ; ils sont renlr6s dejky les families 
rfeunies... Que fait-il done et ou est-il ?. . , x> 

Par malheur ce jour-I§ , un obstacle imprevu, 
invincible t'arr6te...Seplheu res sonnent... Oh ! que 
Ic flot montel quel torrent d,imagination,de tristesse 
et de songes ! . . . Sa douceur naturelle en est mfime 
6branl6e. Une larme d'impatience lui vient, et (le 
croirai-je I) elle a frapp6 du [lied. D6ja dixfois,vingt 



SES PENS^ES SOLITAIRES. 291 

fois, la table et le feu, relouchfe, am6Hores, per- 
fecliohn6s, ne font pas revenir le mailre. L'inqui6- 
iude est au comble, et le pouls bat bien fort... 

Mais rescalier a retenti. De Irois marches en 
Irois marches , un jeune homme s'felance. Elle 
aussi... Comme un autre saurait se contenir, se 
fiiire \aloir, attendre ! ••• Mais la pauvre petite n,al- 
tend rien et se precipife, se noie dans ton baiser 
ef s*6vanouit dans tes bras. 



YIIl 



ELLE VEDT S'ASSOGIER ET D^PENDRE 



J'ai entendu un jour un joli mot de paysan : 
« Voyez ! il n'y a que huit jours qu'ils sont mari6s, 
ils sont d^jH si amoureux ! » 

Ce defj4 est charmant. II exprime une chose bien 
vraic, profond^ment humaine : qu'on s'aime a me- 
sure qu'on se connait mieux, qu'on a vfecu ensem- 
ble et bcaucoup joui I'un de I'autre. II 6tonnera les 
blasts, les malades et les fatigu6s. L'estomac de- 
rang6 s,imagine toujours devoir changer de nour- 
riture ; il les trouve toutes insipides et n'en a pas 
plus d,app6tit. Plus sain, ii senlirait que le mkme 
n,est jamais le mfime ; quand le golU a sa rectitude 
naturelle, il per oil a merveille de dSlicates nuances 
dont celte nouirilure identique esl incessamment 



ELLE YEUT S'ASSOGIER ET D£P£NDRE. 203 

Si cela est vrai du go At, du plus grossier des sens, 
combien da vantage du plus fin, et du plus multiple, 
Famour ? Dans les espfeces sup^rieures, tous sentent 
que I on varie bien plus par les renouvellements, 
les metamorphoses d'une seule, quepai i'essai bru- 
tal d,une infinite de femelles. Pour l,hoinme, Fa- 
mour est un voyage de dfecouvertes, en un petit 
monde hifini, el qui reste infini, etant loujours re- 
nouvel6. C'est (pour (out dire d un mot), de mys- 
tere en myst^re, r^lernel approfondissement de 
I'objet aim6 一 toujours nouveau et toujours in- 
sonde ; pourquoi ? Parce qu,on y crte toujours. 

Les premiers temps sont de vertige, d'aveugle 
6Ian ; oserai-je le dire? c'esl un temps d'histoire na- 
tuielle. Dans ces premiferes morsures au fruit de 
vie, on n'en sail gu6re le goAL L'objet aimg serait 
bien humili6 s,il gardait assez de sang-froid pour 
voir ce qui est vrai, malgr6 tant de belles paroles : 
combien le sexe compte dans cet 6bIouissemeat, 
combien peu la personne. C'esl a mesure qu'on ex- 
p6rimente celle-ci davantage qu'on peut appr6cier, 
savourer celte personnalilfe distincte, aimante, ai- 
m&Qj celte femme que sa pref6rence pour nous fait 
sup6rieure a toute femme. On I'aime en elie et pour 
le plaisir qu'elle donne et pour tous ceux qu'elle a 
donn6s ; on I'aime commb' son oeuvre, sculpt^e de 
doi iinpr6gn£e de soi ; on I'aime pour ce haut 

17 



m EUfi VBDT S'ASSOCISR' ET DEPfiNimE. 

attribul de I'amour : qu'-en sabnl^IaRlecriseil n'ait 
plto sen vertige, ni son obscurity, mats sa clartt 
pnrTnitei sa r^vitetioa ilumineuse. 



€»0h aime; disent-ils, parce qu-on ne se cotmeU 
pas encore. D&s qu'on connait, on n'aime pltts: » 

Qui done connalt ? je nc vois d^ns le monde que 
des gens qui s ignoreni , qui dans la mdrae chbmbre 
vi^ent' strangers Vixn k' Tautre : qui, maladroits, 
ayant'nianqu6 d,abord le cAt^ par ou Us auraient 
puse p6n6lrer, restent d^ourages, inertes', stupi- 
diment juit&pos6$, comme une pierre contre une 
pierre. Qui sail? ia pierre frappee eHi donni r^tin- 
celle, et peut-6tre Vot ou le diamant. 

(Test encore une diction : « Le manage fait, 
adieu l^mour. » 

Vd mariage I et ou est-il ? je ne le vois presque 
nulH part. Tous les epoux que je connats ne sont 
presque pas mari^s. 

Oe mot de mariage est Slastique. II admet une 
immense latitude thermom6trique. Tel est maridit 
vingt degr6^, tel a dix, el tel a ikvo. Sp6cifions t6u- 
jours, et disous •• « Ue eombien soat-ils mariSs ? » 



EUrVEBT S'ASSeOIER'ET DfiPENBItE! m 

Toot depend (ks: confinentGiireatS; Et' il fairt 
avouerqu en general la faule n'est pas^ux fermnes; 
Les demeioeHeswraiiiieflt neEnres; qnela confessions 
leroraewet le in9»d**nont pasirqniiOTies, avair- 
c6e8$ ^pportent ait nrapiage' uir liixe admirable d6 
coeop,' deddoilit6 instinctive, debotmevoloBt^. 
ontmeBtteiite immense-de ia vio-weHes eiitrent* 
Celle'Hiiiiiy.pr^eHle ses' parent^,' 3 -biefr etiMlid'y tfa-^ 
vailld^ et tsembl^saviMr loui^ elte'veet toot lappren^ 
dre par soirimri; Bl cll^ a bieffTaiscm: Tool va Im 
revenir da 朋 uipddgr6 nou'veaodi— « el d^chal^r: 
Eild avsit re^u lout ceki passireinefitj comme chose 
ioerte'et froide,' et eHe-va le saisir aetlf 'dans 1*6- 
leotridle bri!klante,' par 'ce^le akmntatioffufiiqueoiir 
se mdieoi Id^corps^ei le coeuri 

fit' mlez*- que^'le^pire ne^' pouvail - raieux' ftiirev 
Sai eiAH]oiiii6>uiie^prei file plmf erte, il eAI man<^ 
que son but. La destinee inconnue, imprevuej de Id 
fille, c'^tail justement ce fulur mari. II ne fallait 
done pas que son Education (ti trop d^finilive, mais 
un peu 61aslique. Done la famille est hesitante. La 
mire^ seuwent, d%iBei»s, trante encore quel^ue 
pom dans les ,vieijto4d^e» surannees'qai ne seront 
plus celles d'aucun jeune hoinme. Le pere, pkts ar* 
rdc^ saas d6afe^, ira^ pa {her sa- flfie sur bieirdes 

sont en jee. Que debuts d6 iBorale el qtae dt faiW 



290 BLLE VEUT S'ASSOGIER £T DEPENDRE. 

d'histoire il lui a montrgs de profil ! A I'epoux seul 
d'expliquer tout. 

Ce vague, cet incomplet des traditions de la fa, 
naille, rh^sitation et le flottant qu,il y a dans cette 
vie et ces paroles de vieillards, c'est de cela juste- 
ment que la jeune fcmme a besoin de sortir. Elle 
veut un homme qui decide, qui ne soil pas embar- 
rass6, qui croie, agisse ferme et fort, qui, m^me 
aux choses obscures, pfeiiibles, ait la s6r6nit6, la 
boime humeur d'un courage invariable. Elle trou- 
vera plaisir, ayant un homme, a pouvoir 6lre une 
femme, k avoir pour sa foi, sa vie, un bon chevet (je 
ne dis pas trop mou) ou elle s'appuie en confiance. 
A ce prix-li, de bien bon coeur, elle dit : « C'est 
mon maltre. x> 一 Son sourire fait entendre : « Dont 
je serai mailresse. » Mais maitresse en ob^issant, 
jouissant de l,ob6issance, qui, quand on aime, est 
voluptg. 



Je ne sais plus quel legislateur indien defend k 
la jeune femme, amoureuse, 6tonn6e, de regarder 
trop son mari. 

Et que veut-on qu'elle regarde? c'est son livre 
vivant, lumineux, net, ou elle veut lire couramiueut 
et ce qu'elle croira, et ce qu'elle a & faire. 



ELLE VEUT S'ASSOGIER ET D&PENDRK. m 

Qu'elle en sera heurcuse ! quelle foi sans limite, 
quelle passion d'ob^issancc, die apporte aux com- 
mencements ! la fille r^ludait. On peut voir dans 
les chants de la Perse moderne, dans le chant pro* 
vengal (voj. Mireille), commeelle fuit par toute la 
nature, prend cent formes pour se faire poursuivre. 
Mais, une fois atteinte', blessie, devenue femme, 
loin de fuir, elle suit, veut suivre son vainqueur; 
elle veut ftlre prise encore plus. Et cette fois elle 
ne men I pas. Dans cet effort naif et si touchant, 
elle ne craint que d,6tre importune, va derrifere, 
pas pour pas, et dit : « J'irai partout. x> lavente, 
si fu peux, un monde difficile et nouveau ; elle t'y 
suit. Elle se fera 6I6inent, air, mer, flamme, pour 
te suivre dans I'infini. Mieux encore, elle sera toute 
^nergie de vie qui puisse se mfiler a la tienne, si tu 
veux, une fleur, si tu veux, un hiros. 一 Cbarmant 
bienfait de Dieu! Malheur k rhomme froid, inin- 
telligent, orgueilleux, qui, croyant avoir tout, ne 
sait metlre 5 profit le d^vouement immense, I'a- 
bandon d61icieux de celle qui veut tant se donner 
et le faire jouir davantage I 

II faut songer que rhomme a cent pens^es, cent 
affaires. Elle, une seule, son mari. Tu dois le dire 



m EUE'ftVr PASMOBR IT BteENDRB. 

en^soHant I0 matin :.« Que fevaitna eti4«e sMitaire, 
la'moHl^de'nion 細 e, qui ^arm^Hen^ee Jnen^ies 
hsnres? Que hi i Ta pporterai^je qui I'inttresse^etUa 
nourriss^? C'est de iMit'Cfu'eUe attend :83;^.麵 
4BoTrgo»ft ecAa, ne rappoile jamaisremmefent bsaii- 
coup, laiie dujour, lertsidmamer du ,! mi-soeofts. 
Td, tu es 89a(erui*fptr ragitailkm ikur combat, la 
niceseitddei refTDtt, ou UecpMrjdennieax faire de- 
main ; maisy elie, ceUe pamre ime de fenraie,' si 
tendreii t^eMjui yienl de (•i^ ellefreeevrait hi&tv an- 
trement le coup, elle en ^arrderrit la Uess«re, en 
langoirait Ion 辨 raps. Sois jeuno'et forhpour^trx ; 
rentpe s6rieux si la' sMuatkm «8t'siri«se, mais ja- 
mms tnf^te. £pirgne, '^parrgner 4onf enfant. 

! Oe npv la soutiendra le |dus,,b*«st ique toot jx>n- 
nemeftt tu I^aseodes^^ ton metier.) Gda 'est rprali- 
caye ')daRS * beancoup de earriircs.* On t restreint 
beaucosp* 4ropi Ikr cerfele de*oeItes -ou'peat entreria 
feiiMwe. Plmsieursfnis dcMekii 8»11({>108 di{fie»les. 
II y frnt^de^ Fefforty du temps el de.la wlonte. Wol 
tomps'miem'ein^oy^ j Qntl sdiiiiriMe«ompagtnm! , 
quel utile associ^I Combfeni^es^'Miedes* y gsgmnt, 
combien le coeur, le bonbeur domestique? litre un, 
c'est la vraie force, le repos et la liberie. 

Elle veut travaillcr avec toi. Eh bien, prends-la 
aur mot/n>yfnfels pas kes *ni6nagem€»ts 'de la petite 
g[dlaiiterie, mais^ TamoHr forty profond. Sacher^'ji 



ELLE VSBT S'AS6Q€UIb£T fUfePfiTOE. 請 

ce prenner moment, elle.est ,trdsp4»peU&cl?efifort, 
d'applieition «iiWie, qu'elle fera tout pour 6tre 
aimie. JT^n ekerai les.plus n«Ues exein{d«s, etles 



Chacbu, scion son art, selon le g6nie de la 
femme, peut se communiquer, mais tous le doi- 
vent-plus ou moins. Lartiste nc doit pas, absorbs 
du xdte .teehnu}ue, du detail special, de I'efTort 
minutieiix de l,ex6cution, s,enfermer en lui-mfime, 
sevrer sa. compagne de I'idde g6n6rale qui lui in- 
^re eelte (Buvre, et qui I'aurait elie-m6me inlft- 
ressfee et soutenue. Le I^isteyle politique, ne peut 
la laisser 6trangere a ce qui fait sa vie. Rarement, 
elle peut s'y associer utilement, mais elle ne peut 
rignorer. Elle s'harmoaise encoce mieux aux 
choses de.la nature. Le ra6decin qui rentre fat.igu6 
et dans TagitaUon morale de sa^ grande respoosa- 
bilit6, ne peut filre homme du monde ; ce n'est 
fu&reaux salons qu,il peut passer son moment de 
repos . iCombien heureusement il respirerait au foyer 
dans les Eludes pacifiques des sciences de la vie, 
qui iadirectement le ser vent dans son combat contre 
ia mort I 



MO BLLE YfEUT S'ASSO€IER ET D£PENDRE. 

Infiniment varices sont Ics Ames des femmes. 
L'homme, je I'ai drjft remarqu6, subit le mfime 
raoule, est fait un par I'Mucation , mais les femmes 
sont bien plus nature, plus diverses. Pas une ne 
ressemble. Rien de plus charmant. 

Les navigBleurs qui traversent certaines mers des 
tropiques voient parfois les eaux, sur des espaces 
immenseSf semblables k de brillants parterres, di- 
\ersifi6es k Finfini de creations vivement color^es. 

Sont-ce des plantes? des fleurs? Non pas, 一 des 
fleurs vivantes, une merveilleuse iris de vies gra- 
cieuses, commc fluides, mais organis^es, mobiles, 
actives, ayant des volontes. II en est tout ainsi du 
parterre social que le monde ftoiinin pr6sente. 
Sont-ce des fleurs? Non, ce sont des &mes. 

Pour la plupart, les homines sensuels et aveu- 
glesi tout en louant et caressant, disent : a Ce sont 
des fleurs., • Coupons-les. Jouissons, absorbons 
leurs parfums.EUes fleurissent pour nos voluptes! d 
一 Oh ! que ces voluptes auraient 6t6 plus grandes, 
en m^nagcant la pauvre fleur, la laissant sur sa 
tige el la cultivant selon sa nature ! quel charme 
de bonheur elle donnerait chaque jour k qui y ver- 
serait son &me? 

Mais diverse est la fleur, diverse est la culture. 
L'une a be"in de greffe, et qu'on y melle une 
autre s6ve ; elle est encore jeune et sauvage. Celle- 



ELLE YEUT S'ASSOGIER ET DEPENDRE. 301 

ci, moUc el douce, tout h fait perm^ble, ira be- 
soin que d'imbibition ; rien k faire avec elle que 
d'infij'rer la vie. Elle est plus que fluide, elle est 
16g&re, ailee ; sa poussidre d'amour vole au vent; 
il faut bien l,abriter, )a conccnlrer, surtout la ft- 
conder. 



IX 



DES ARTS ET DE LA LECTURE. 一 DE LA FOI 

COMMUNE 



Un chant d'oiseau de nos aieux dit Pidfeal l^ger 
d'alors : 

J'^tais petite et simpleUe, 
Quand a I'ecole on me mit. 
Petais petite et simplette, 
Quand k V^cole on me mit. 
Et je n'y ai rien appris... 
Qu、un petit mot d,amoureUe!." 
Et toujours je le redis, 
Depuis qu,ai un bel ami ! 

Mais ce petit mot d' amour, toi, tu dois le d6ve- 
lopper. Que contient-il? Les trois mondes, tout le 
r6el, — pas davantage. 



暴 E LA ,F!OI COMMUNE 



30S 



《EUe «e>senait que trap, port6e k te laisser fair^, 
agir , raisonner ; seul . EUe se- contenterait aisimest 
de n'itre^iiLinie diose charmante qui te doDnSt du 
plaisiT. Tudois enfaire une pefsonne, ras90cier.de 
plus ten plusfii ta vie de r6fleiion. Plus elle devien- 
d 助 ime tdme, et \plus elle aura de o^yens pour 
steir A 'da vantage. Aeads-la forte, aie con- 
&iRee"£Uet6era atlendne de se sentir^par . toL plus 
Ubie, fatureuse d'avoir plus k . donner, et d'6tce 
iiae Totesiti, afin de^ mieux saperdre en toi. 



-Apprends une chose noavelle qui. seca vuii des 
bonheuFS' de Favenir dans un maiide fius ci vilisS . 
G^est que cbaque. aFt, cha que science, dous^ olfre 
mi& Yoie spicaalapour pteetoer 4]avaiUak§e daos la 
pepsonnalii^.> II »«st pas aieS ta deuxtdixids daslat- 
teindre Mbfood «t de se mUer. Alak.ehaeuiiie de 
ces grandes m6thodes qu'on appelle sciences ou 
arts est un m6diateur qui touche une fibre nou- 
velle, ouvre un organe d*amour inconnu dans 

Apprends encore une chose, tr< peu observde, 
et qui rend la communion des id6es d^Iicieusa avec 
lafeaime.^C'est qu elle les refoit par des sens/}ui 
ne sont point du tout les n6lres, et nous les rea- 



m DES ARTS ET DE LA LECTURE. 

voie SOUS des formes fr&s-channantes et tr6s-£mou- 
\antes que nous n'aurions pas altendues. Ce qui h 
rhomwie est lumi&re, a la femme est surlout cha- 
leur. L'idee s'y fait senlimeuL Le sentiment, s'il 
est vif, vibre en Amotion nerveuse. Telle penste, 
telle invention, telle nouveauti utile, t'affeclait 
agrgablement au cerveau, te faisaii sourire, comme 
d'une aimable surprise. Mais elle, elle a senli de 
suite le bien qui en rSsuIterait, un bonheur nou- 
veau pour l'humanil6. Cela I'a touchee au sein,eUe 
palpite, 一 k l,6pine, elle a froid, el pres de pleurer. 
Tu t'empresses de la raflermir, tu lui prends ten- 
drement la main. Uimotion ne diminue pas ; comme 
un cercle dans un milieu fluide fait des cercles 
toujours plus grands, de rapine, die rayonne a 
tous ses organes, aux entrailles, aux bases de Ffetre, 
一 se m61e a\ec sa tendresse, et, comme tout ce 
qui est en elle, se fond en amour pour toi... Elle 
86 rejette sur toi et te serre entre ses bras. 



Quel infini de bonheur tu vas Irouver a traverser 
avec elle le monde des arls ! lis s<m〖 tous des ma- 
niSres d'aimer. Tout art, surtout dans ses hau- 
teurs, se confond avec I'amour, — ou avec la reli- 
gion, qui est de I'amour encore* 



DE LA FOI GOMXUNE. 305 

Quiconque enseigne une femme k ces degr6s 
sup^rieurs est son prfitre el son aniant. La L6- 
gcnde d'H^loise et de la Nouvelle Hdo'ise n est pas 
chose du pass6, mais du prfesent, de I'avenir, en 
un mot d histoire eternelle. 

Yoila pourquoi la \ierge ne peut p6n6trer dans 
Fart que jusqu' & uncertain degr6. Etvoila pourquoi 
le p6re est un precepteur incomplet. II ne peut 
pas, ne veut pas qu'elle d^passe avec lui certaines 
regions s^rieuses, froides encore. II I'y conduit. 
Mais quand elle avance au dela dans sa chaleur 
jeune et pure, il 8*arr£te et se retire. II s'arrfile au 
seuil redoutable d'un nouvedu monde, I'Amour. 

Exemple. Pour les arts du dessin, il lui donne , 
dans sa noblesse, I'ancienne kcole florentine, telles 
madones de Raphael etde sages tableaux du Pons - 
sin. Ce serait une impi^tS s,il lui enseignait le 
Corr6ge, ses frissons, son fr6missement. Ce serait 
chose immoralc de lui dire la profondeur mala- 
dive, la gr&ce fi^vreuse, sinistre, de la mourante 
Italie dans le sourire de la Joconde. 

M6me la vie, la vie ^muc ne s' enseigne que par 
I'amour. Quand la superbe N6r6ide, la blonde po- 
tel6e de Rubens, dans la bouillantc 6cume, Irfepi- 
gne, murmure Fhym^n^e, et d^ja congoit lavenir, 
tant pis pour la demoiselle qui sentirait ce mou- 
vement, entendrait cc je ne sais quoi qui sort de 



906 DBS • AR18 BT BE LA' LEtTURB. 

sa bouctae ^moureuse I En coraeience, eUe en 
'«uvaittr«p. 

:Mme lo chef-d'oeuvre deia Ortee, de noblesse 
ifHire e^'subltme, si loin, 力 i loiii>d68<Mn8ualit6s du 
peintre d'Anvers, les femmes' ^amuies, ies iri6res 
-d^faiUantes du temple de TMsfe, quelle ^ yierge 
owra les copier? Telle en est )a -palpiMion/tel' te 
^baUement eoeor, visible sous ces beaux plis, 
iqu'ells' emreslepait trwbMe. Gelte' ciwttagian i4*a- 
moury d&inateniit<6,'la ^bmle?ereerait.' Ohlmieax 
^ut qu'elle attends >cnoore.' O'eslwuis*- les^yera de 
«on amaRt, c'est dans les bras de^son- mari' qu'elie 
peut saniiDfiT de ces ebeses ,t s>n iipproprier !a 
/vie, en recevorr les effltives «t ia chaude* fecon- 
dation, y ' boire a bugs 'traits la beauts, s'en em- 
bellir ■elle-mdme, ^en doter le fruit tie son sem. 



La musique est la vraie glotre, Yime mdrae du 
monde moderne.. Je d^finis cet arMk •• twrt ie la 
fusion 4es cmtrs, Fart de k penetration mutuelle, 
€td,un si intime int£rieur, .qtte,,p«reUe,*au"8ein 
de la femme aimte, poss^dte, jfteondte, tu iras 
{dus loin encore. 

t Ce que Dumesnil, Alexandre, ont dit des grandes 
synophonies, da la musique d aniilii, de la musique 



. fl&Ut FOh GMf MUM. 307 

de dmrnhrCy je l^acknire-lrop pour Je^ cedKre,' Je n'y 
•jmie^tpi'im .xmL 一 u&'est tfoe de' I'lhraiine k la 
femme tout est musique d'amour, musique de foyer 
%t d'alcove. tbiduo, c'est un manage. On ne.prfile 
f as' 8€n xourr , mais on. la^loMe untomneat,. m $e 
donncy et plus qu'on ne veut^jQue dtte d& eelle qui 
^aqoe soir dwnte a?ecle premier^ vmu ces clioses 
i»ue$, path 射 iq«es, qui milent les existences an - 
tant que le baiser suprfeme? L'amant, le man; 
viendront fard ; d'elle ils n'auront rien de plus. 



Hcureux celui don t la femme relait tous les jours 
le ceeur par la' imsique.duisoir ! « Tout ce que j,sii, 
|e4Qie:dMBe, dit-eUe. . .Jlfesid^es ? non^j&suis en- 
core si ignorante ! mats je^saurai tout aTeci ioi*«. 
jSetque je puis"4edoimer, c*esl le soufiQe de mon 
eoeur, c'est la yie de ma poUrine, &me floltanta'Ou 
jmon asnour nage comme une «ombre ind^cise,. un 
Tftye.— .Ehbien, prendsmon rfiveel prends-maL'<» 

<x Ah! que le rhychme m*a manqu6 ! dit-iL Quelle 
,ie saiuvage J ! ai vfecue ! • • • » 

EUe- veut ,t elle l&ohe, elle se livre... ne peut au- 
lant qu*«Ue voudrait. Car c est^si purl car c'est si 
baut!... 

II plane surdes ailes. d'or dans le ciel profoad de 



m DES ARTS ET DE U LECTURE. 

lainour. U voudrait bien aussi la suivre un peu de 
la voix, n,ose d'abord et chante bas... II modfere sa 
force iimide. 

Puis, peu k peu, se langant, il la fait vibrer ft 
8on lour. £mue, elle essaye de suivre, palpite... 
Oh 1 qu,ils sont unis I 

Mais r^motion est trop forte, la voix manque, et 
le chanl expire dans I'abime d'harmonie profonde. 



La musique est le couronnemeni, la supreme 
fleur des arts. Mais la prendre pour base principale 
de l'6ducation, comme on fait, c'est chose iasen- 
6^6, iniiniment dangereuse. 

Art moderne presque sans pass6. Au oontraire, 
les arts du dessin sont de tous les temps, et re- 
prteent6s k toul Age de Fhistoire. Us fournissent 
par cela seul une carri^re riche et varite. A toute 
ipoque, la sculpture, la peinture, offrenl non- 
seulement des modules a rimitation , mais les 
textes les plus f(6conds a I'initiation inteilectuelle. 
Ces textes se marient k merveille k ceux de la lit- 
tiralure, les suppl6ent. Ce que Rabelais, Shak- 
speare, ne peuvent exprimer dc telle idie, de telle 



DB LA FOI COMMUNE. 309 

nmnce, de Icl aspecl de leur si6cle, est dit par 
Vinci, par CorrSge, parMichel-Ange ou JeanGoujon. 

Tous les livres trop ardenfs que le p6re a 6vit6s, 
dont il n,a os6 tout au plus dormer que des pas- 
sages, ils te sont ouverls k toi. Et quel bonheur 
sera-ce done de metlre entre toi et ta bien-aimee 
tous les tr^sors de la vie! Et leo Bibles de Fhistoire 
et les Bibles de la nature I Leur ravissante concor- 
dance lui fera un oreiller pour y reposer sa foi. 
Chaque soir, sans trop Fagiter et sans faire tort k 
sa nuil, une douce el nouirissante lecture, mfel6e 
de paroles tendres, lui rivilera quelque chose de 
ramour unWersel, et quelque aspect nouveau de 
Dieu . EUe peut maintenant chastement savoir tout, 
car c'esl une femme. Ce qui eAt trouble la fille 
lui sanctifiera le coeur et lui donnera pr&s de toi 
un doux somme et de nobles r6ves. 



C'est par ramour que la femme regoit toute 
chose. lA est sa culture d'espriL 

En prendras-lu raliment dans le petit, le me- 
diocre? Sous pretexte de facility, c'csl ce que Pon 
fait toujours. On ne sail pas qu'au contraire le 
grand, le fort, c est le simple. La femme dit mo- 
destement : « Je laisse aux homines ces grandes 



no DES ARTS £T D& U LECTURB. 

ichoses : je m'en tiens aux petUs romans. » Ibis 
ees romans , faibles et fades, cob p^es .images 
d'laniour, n'en soot pas moins laborieux d,inc" 
4ents «( d'ifnbs^glios. 

Non, Tisons toujours m plus haut. 1& est la 
^ndei lumtire, Ik aassi la force du coeor, juAiae 
la ypaier pareU. 

. Liun^ur, ou le prendrons-noas? Teile ' femme 
I'lrait ehercher dans Balxac. Mieux vaudrail ma, 
idane Sand. II y .a la du moins 'loujoars un< thn 
vers ridial. Et mieux encore, pwrquoi pas dans 
ie Cid et dans Romdo t pourquoi pas dans Sae&n- 
4ala et dans ia Didm rte Virgile?... 

•Mais,' k une inonne bauleur, par^^essus toutes 
•oHivres iiumaine^, les .granites l^gendes antiques 
idoininent tout,thuinilient.tout. 

Nos id6es sur le progrds ne^peuvent faire ilia- 
sion. L*anliquit6 nous a laiss6 k creuser rinfini de 
Fanalyse, et c,esl Ie champ du progrfes. Mais, dans 
sa force synth^tique, dans la «haleur organique 
qui. la poussait en avant, ce jeune g6ant, en deux 
pas, foucha les deux pdles, atieignil les homes du 
monde. £Ile a cr66 les .grands types ie simplicity 
xlivine. Alnsi, le aaariageihgroique a son type >si 
haut dans la. Perse, que celiii de Rowe m£me en 
est un aiHoindrissemcn t ^ prosais6, vulgar is6 . Ains" 
la lMHitevla cbaleur. Vadorable force de vie et da 



rE LA FOI COMMUNE 



311 



tendresse instinclive, I'amour (si vous le voulez) 
physique, .mais s,6panchant en torrents de bien- 
faisance universelle , c,est la 16gende d'^lgypte. 
Rien n'y ajouta jamais, et l,on n'a pu qu'adorer. 



LA GRANDE LEGENDS D'AFRIQUE. 一 LA FEMME 
GOHME DIEU DE BONTfi 



(Fragment de VHiiioire de rAmaur.) 



Le chef-d'oeuvre de I'art 6gyptien, le BamsSs, 
que Foil voit a Isamboul, k Memphis et au 腿 s6e 
de Turin, offre un caractfere unique de bont6 dans 
la puissance, et de placidity sublime.. Cette expres- 
sion, qu'on pourrait croire particuli&re k cette 
figure, j'en ai retrouv6 quelque chose dans une 
belle inomie de Leyde, qui est aussi un jeune 
homme. C*esl un caract^rc de race, fort contraire 
k la sfecheresse du maigre profil arabe, qui semble 
taille au rasoir. Ici une douceur extreme, une pl6- 
nitude qui n'a rien de lourd, mais semble I'ipa- 
nouissement pacifique de toutes les qualit^s mo- 
rales. Le coeur est sur le visage, sanctifiant, beati 
fiant la forme inat6rielle par le rayon int^rieur. 



U GRiU!iDE UGENDE D'AFRIQUE, ETC. 315 

Celte extraordinaire bont6 est plus qu'indivi- 
duelle ; c'est la revelation d,un monde. On y sent 
que la grande Egyple fut comme la file morale, la 
joie et le divin sourire de ce profond monde afri- 
cain, fenn6 de tout autre cul6. 

La forme sup^rieure de I'Afrique, au-dessus du 
n&gre, au-dessus du noir, parait 6lre l'£gyptien. 
Si malheureux, si constamment d6priin6, depuis 
le temps de Joseph jusqu'a M^h6inet-Ali, jusqu a 
nous, le pauvre fellah d'Egypte est un homme 
d,une intelligence, d'une adresse peu commune. 
Un m^caoicien, employ 6 au service du pacha, nous 
disait que les indigenes qu'il admit dans ses ate- 
liers lui prfitaient une altention extraordinaire , 
I'imi talent parfaitement, et devenaient, en quinze 
jours, d'aussi excellents ouvriers qu'un Europ6ea 
en deux ans. 

Gela m&me tient a leur douceur, k leur grande 
docility, au besoin qu'ils ont de plaire et de satis- 
faire, Celte race excellente d,hommes ne veut qu,ai- 
mer et £tre aimee. Dans rimmolation cruelle que 
le pouvoir a toujours faite de I'individu et de la 
famille, leur tendresse mutuelle seiable Ctre d'au- 
tant plus grande. La mort pr^coce de rhomme qui 
succombe h un travail excessif, I'enfant enleve par 
lescruelles razzias de la milice, c'est une suite non 
interrompue de pleurs, de sanglots et de deuil. 



L^aatique lamealatioivd^Isis, chiercbant *sen OMaiis, 
n- a. jamais cess&'en. Egypte*; le long da fleuTe^ k 
ohaqse iasUuit, vom i^nlendeiTeeoimneiicer. 

Gette lamentation, on li retfotnre pemte, scut— 
t£e, par tout lepays. Qu'esi^ee que ces mottuinents 
de demit ce swii intini <k saover^-ce qv,on peut 
sauver^ Ift d6poiiiUe,'d',,eBtourer,le moit'd6 priferes 
6crile6 snr les banrdeteites^ dc reconmiander - aux 
dieux celui'dont on est separc? Je n^r pas- visitt 
r£gyptd ; nais qmscLje parcofirs nosimisies 
tiensy jesens que* eel (immense efifbrl 'dim peuplei 
ces'd^penaee eicessives^^que 's'imposaieflt les plus 
pau^res^ c'esl r^lan- le pius^^arcteRt qu'ait inontr6 
le coeurdei'rhomme powretenir l^'objet'ainrfc et li 
suivre.dans.la mort. 

Les religions 、jusqtte4" derraktient Wur-fepopie ; 
mais, silence, void le drame. Un g6nie' iMmTeav se 
dtf essei sivilEurope' el s«r I'Asie.' 



Poeons laiSo6ne<]i'aiMHidj Gette lerrede travail et' 
deilarnie8,'r%ypl& eii.«oi'€st une'fSte,' et cest 16 
pays de lajMe. Da sem *hr AU« de- 1' Alrixjue', matrice- 
ardente jia ^nuode/noipf s'oavre k' la brise <iii"nord 
tune vaU&d^ deipromissioiii; I>e9 moiits jneoiifnis'des*^ 
cead le twre&t de ficoaditi. On saH la joie irits6^ 



nmn gohve mu m msri. m» 

th^ue du voyagear- mourant de soif, qui pamenf 
m&it a franchir les saUes, qui touebe I'oasis xl^si* 
ree, et l,%jpte$ eufhi, cette grande oasis pour lea 
pays afmainSi 

Le pvemir* mot' de rfigyple, c'est Isis, et Isis, 
c^t le dernier; La femme rfegne. On - mot remar-^ 
quable est resife par Diodore : Qa'err figyplv les- 
maris juraieiit ob6issanee> a leurs femmes; Expres- 
sion exagSr^e d'une chose r6elle, la pred6niinaiice 
feminine. 

Le teittt g*i!ie<tei,Afrique*, lareine de rancienne 
Egypte, Isis, Irdne 6lernellement paree des attri- 
birts de la fecondaiion-. Elle porte le lotus k son 
sceptre, le calice de la fleur d'amour. Elle porte 
myaieineftt ' sw! la tMe , en gui^fedediademe-, 1 'a vide 
otseau^ 1^ vautottr, qyA ne di I jamais' : Assez J Et, 
pear montrer qwcetle a\idit6 ne sera' pas vaine, 
dans' ceUe^caiffure 6trai>ge, Finsigne de la vache 
fiteonde se dresse par-dissus - le vautour, et djt lik 
msLitrmlh. 一 La f6candil6 btenfaisant^, rinfinie 
boiite maternelle« voila ce qui glorifie, purifie ces 
i^ectf s d'ACrique^.'^ Tbut a' Theare,^ la mort et'le 
deuit, et » Yhltmith du regret, vont' trop bien les 
sanetifier. 

Li&s reUgions som-elies sorlies' uniqtremenl de 1st 
iBlurevdtt'cliinati du genie fatal dt la racfs et de la^: 
emrtrfe?* QUI him plas, des besoins' dii coeinr. 



510 U GRANDE L6G£ 醒 D'AFRIQUE. 

Presque toujours, dies jaillirent des souffrances 
de rflmebless6e. Sous la piqAred'unirait nouveau, 
rhomme, comme un arbre de douleurs, arracha 
de lui uii fruit de consolation nouvelle. Jamais nuUe 
religion u,a mieux t£moign6 de ceci que celle de 
rancienne l^gypte : elle est manifestement la conso- 
lation sublime d,un pauvre peuplelaborieux, qui, 
travaillant sans reldche, sealant d'autant plus la 
mort que la famille est tout pour lui, chei'cha 
quelque all^gemeat dans la nature immorlelle, 
se fia k ses resurrections, et lui demaada I'espS- 
rance. 

Et la nature attendrie lui jura qu,on ne meurt 
jamais. 

L'originalile puissante de cette grande concep- 
tion populaire, c'est que, pour la premiere fois, 
rftme humaine, la terre et le del, associ^rent leur 
triple drame dans le cadre de I'aimee. L'ann6e ne 
meurt que pour renaitre. L'amour se prit k cette 
id6e, et crut P6ternelle renaissance et la resurrec- 
tion de r^me. 

Quand je vois, dans les montagnes, tel pic de 
basalte qui a perc6 toutes les couches, et domine 
tous les sommets, je me deinande de quelle profon- 
deur immense, et par quelle Snorme force, a done 
pu surgir ce g6ant. La religion de l'%ypte me 
donne cet^tonnemeat. De quelle profondeur jaillit- 



LA FEMME GOHHE DIEU DB B0NT£. M7 

eUe, et de tendresse physique, et d*amour et de 
douleur ?… Abimes de la nature I... 



Dans la mhve universelle, la Nuit, furent congus, 
avant tous les temps, une fiUe, un fils, Isis-Osiris, 
mais qui d^jk s'aimaient tant dans le sein malcr- 
nel, et qui 6taicnt tellement unis, qu'Isis en devint 
f&conde. M6me avant d*6tie, elle 6tait m&re. Elle 
eut un ills qu'on nomme Horus, mais qui n'est 
autre que sou p6re, un autre Osiris de bont6, de 
beaute, de lumi^re. Done, ils naquirent trois (mer- 
veille I mSre, pfere et fils, de m£ine Age, de m&me 
amour, de mfime coeur). 

Quelle joie ! les \oil^ sur I'autel, la fomme, 
riiomme et I'enfant. Notez que ce sont des per- 
sonnes, des 6tres vivants, ceux-ci. Non la trinite 
fantastique ou I'lnde fait rhymen discordant de 
trois anciennes religions. Non la trinity scolastique 
ou Byzance a subtilement raisonng sa m^taphysi- 
que. Ici, c'est la vie, rien de plus; du jet brOlant 
de la nature sort la triple unit6 humaine. 

Oh! que les dieux j usque-la 6taient sauvages et 
terribles 1 Le Siva indien ferine I'oeil, car le monde 
p6rirait sous son dfevorant regard. Le dieu des 
purs, le Feu des Perses, a faim de tout ce qui 

18 



existe*. lei 9 ceet la nature oifiiiie q«i eet'surl'Mi* 
tel, dans son doux aspect de fa»illdv> beoiasaal la 
creation d'un oeil maternel. Le grand dieu, c'est une 
m^re. 一 Combien me voila rassur6 1 】'avais peur 
que le monde noir, trop doming de la bfite, saisi, 
dans son eafrntemeott d^s terniiaiiics^iiBagesKdu 
lion e^du crocodile, jmbi fil j aaiais que des monsfar ess 

Mais levoilii aUeadri^ .hkuMikis6, fiiiiiiHb6t. La, 
moureuse-'Afriquev d^efisea profiiait dteur^ a.sus- 
citi- robjet 1 齡 plm louehanL.des religioaai dei la 
terre...Quel? La.r6aUL& vivaale, u&e:boiiiieet fi^ 
condefeaiim.; 

Quacfestavdeoil mais.queuctest pur I Ardentfisi 
on le, rappvochei'des firoids^doguies ofitoiogk|QiftSd 
Pur, si on le met en facci dea rai&neniftfiU^ mo? 
docmsv dftt nos \ bi6nm ,(: oaeejptkNis, deJakCorrup- 
tfoa^ pieuae^ damoodeulfiir^qiiivoque. , 



Lajoiaedale^ iiameofietet pppukire^ tuute naive*. 
Uoe: joie 'd'Afoiqwe: alUr^evXest l^aHy.un deluge 
d eau, une merprodigieuse d'eau douce jqi^i vient 
de ne. sais ou^ . mais. qui 、 comble cette. lerre^ la 
nDiatde Loabeoi*, s'iciiUra&t et .slinsiauaniiea sea 
raoiodires veines^ en sorte* quie p^s m 劣 c^'de 
sabloai'ail.fc se plaiodre. d'etre .a;sec»^ Lesi^Ute 



LA FBinS' XQBmE^fflEU! DE^ DOKffi. m 

fmaux des6teh6s sswrieAtaa^mesure que I'esu.ga- 
lOfliUlanie ks vtsite et.tles rafraiehit.^.La plaotet rit 
lie toBtsonicoDF qunndcetteroDile saiit4aire moaille 
le cbevelade^Baiimfline,aas8i^'4ei pied,i«Mmte i^la 

Speciaole diannan" seine immense jd'jnoor etide 
vefajptfrpase. Tomt cela , o'est : laugranide Isis, inoH- 
die de son bien-aim^. 

jJl itravtitte, .le bon .Osms. Q£nt!r£gypte eUe- 
mfime. Celte terre, c,est son enfant. II fail la cul- 
ture d,%yj>te. IMuitea:geiidi!e les Art&BaHSiies- 

Hais rien i ite dupe. Jies ldienuE s'edipsent.iLe vi- 
vant s^kkdl 'de boBt6 qui.,sma'au ,批 in'd'Isis tout 
fettU, toute obose salulaire, il i a . pu .tout crter de 
fad, sanf de temps, sauf la durte'dUn oiaiiki, il dis- 
parait... Oh! \ide inuBense! ou )donc estril I Isis, 
iperdoe, le .cherche. 

; La 8<mbre dodrine, c6panchie dans I'oceideDt ide 
FAsie ,'que les dieax miimes dahrni t^mauriri ce dogme 
de larSyrie, de!rAsie>Msneiice e tides lies,. n'edt. pas 
akAv ce' eemUe^iappnochci! deircette lobuste Afrj^que. 
ipjiiauR soiliBieiit usi fort et sii^ppdseilt de la vie. 

Mais, comment le m^connal^e ?' Toutr menri .» Le 
p6re de la vie, le Nil tarit, se desscche. Le soleil, a 
certains mois, n'en peut plus ; le voih defait et 
|)Ale il a perdcb ses vayoBS. 



S20 LA GRANDE LfiGENDE D'AFKIQUE. 

Osiris, la vie, la bont6, meurt, et (fun tripas 
barbare ; ses membres sont disperses. L'6pouse 
iplorte relrouve ses d6bris ; un seul lui manque 
quelle chercheen s'arrachant les cheyeux. a H^las ! 
celui-ci, c'estk vie, I'^nergie de vie !… Puissance 
sacree d'amour, si vous manquez, qu'est-ce du 
monde?... Ou vous retrouver maintenant? b Elle 
implore le Nil et I'figypte. L'figypte n,a garde de 
rendre ce qui sera pour elle le gage d'uae l^con- 
dit^ 6ternelle. 

Mais une si grande douleur m6ritait bienun mi- 
racle. Dans ce violent combat de la tendresse et de 
la mort, Osiris, tout d^membr^ qu'il est, et si 
cruellement mutil6, d'une volonte puissante, res- 
suscite, revient a elle. Et, si grand est ramour du 
mort, que, par la force du coeur, il retrouve un 
dernier d6sir. II n'est revenu du tombeau que pour 
la rendre mere encore. Oh! combien avidement 
elle regoit cet embrassement I mais ee n'est plus 
qu'un adieu. Et le sein ardent d'Isis ne r6chauffera 
pas ce germe glac6. Qu'importe? Le fruit qui en 
nait, Iriste et pdle, n,en dit pas moins la suprfime 
vicloire de ramour, qui fut f6cond avant la vie, et 
rest encore apr&s la vie. 



Les commentaires qu'on a faits sur cette 16gende 



U F£MME GOMME DIEU DE BONT^l. 521 

si simple lui prfitent un sens profond de symboUsme 
astronomique. Et certainement, de bonne heure, on 
sentit la coincidence dela destin^e del'hommeayec 
le cours de 1, 細^, la d6faillance du soleil, etc. , etc. 
Mais tout cela est secondaire, observ6 lus tard, 
ajoute. L'origine premiere est humaine, c'est la 
tr6s-r6elle blessure de la pauvre veuve d'figypte et 
son inconsolable deuil. 

D'autre part, que la couleur africaine et mat^ 
rielle ne vous fasse pas illusion. II y a ici bien autre 
chose que le regret des joics physiques et le d^sir 
inassouvi. La nature, k cette souffrance, sans doute, 
avail de quoi r6pondre. Mais Isis neycut pas un m&le, 
elle \eul celui qu'elle aime seul, le sien et non pas 
m autre, le mSme, et toujours le m£me. Sentiment 
tout exclusif, el tout individuel On le voit aux soins 
infinis qui se prend de la d6pouUle, pour qu'un seul 
atome n'y manque, pour que la mort n,y change 
rien et puisse un jour restituer, dans son int6gra* 
1U6, cet unique objet d'amour. 

« Je veux celui qui ful mien, qui fut moi, et ma 
inoiti6. Je le veux, et il revivra. Le scarab^e renatt 
bien, et le ph^nix renait bien ; le soleil, Fannie re- 
naissent. Je le veux, et ilrenailra. Est-ce queje ne 
suis pas la vie, et la Nature iternelle? II a beau s'6- 
clipserunjour, il faut bien qu'il me revienne. Je le 
sens, je le porte en moi. En moi, je Feus avant 

18. 



m LA 6RAR0E LteBKBE b'MfWlW 



d'fttrc... Si vcms ^oulez le ea^orr, je' fus'sa soenFtt 
8mrMmnl€,,tiiais j*itais sa mtoe^aussi.'o 

VVMte naive et'profonde. Soas jbrme mythele- 
giqiie;,c,estte tripIem;rttoed^«Biwv«ipriine^mnr 
Ja 'premiere fois. Epouse, vraie eoeur ^e^ fhomse 
4aRs ie travail de'ia vre; -fAasi qme ^scBur et'fiiBS 
vfu^^oosepmir le consoler le sonr^trepoflertaa t6te, 
elle le berce, fatigu^, rendott Mimne unnourne- 
son, €l, le reprenaAttdans son seiii,, I'^eftfanto^ dWe 
vie nonvd^e^ oiri)licux de kw t / rajcon i , potrr Tiveil 
ioyeux de Faorore. C,,sl la force du manage (non 
4es vohi^9 ifuh^m^s). Phis il dare, et ptes'i'^ 
|M«isc est mfepe de l,6poux, phis il 'est scmiiils. 



^43arantie dmmoriaUlS. Mtl&s A'^ee point, qui 
done ' pamendrait i les^disjoindre! Isis coAlient 
Osiris, et Penveloppetellement de sa tendre mater- 
fiil6, quer-lonte separation n'est ^vrdeimnent qu'un 
songe. 

Dans celt (3 l^gende si tendre; ioutoineniic *et to«te 
naive, il y a ime saveur ^tonnante d'immortalil^ 
qui ne fut d6pass6e jamais. Ayez espoir, coeurs 
affljgfes,' trisles veuves, pelits orphdms, tous pleu^ 
m,'«iais Isis pknre, »el ellene d^sei^ire pas. Osi- 



ris^TOort, n'en vit-pas moifis. IL est iCLcoMMnei^ 
constamment dans son inmcent Aipis J 11 'est^^as, 
paMrar des Ames, d^^Mmnaire* gavdien .du taonde 
^sumibpes, et vrtreTOort^estppAs'idejhii. Ha cr«- 
gneznen, iV esHbten \k .» Ihfa^Teveiiir «n jour voos 
redemander son corps. Enveloppons-la avec soin, 
celle prficieuse d6pouil!e. Embaumons-la de par- 
fums, de prieres, de brdl antes larmes. Conservons- 
la bien prts denons. beau jcwr, ou le Peceides 
toes, sorti du re^aume sombre,' ¥ras reoNlra. Vime 
ch6rie, la rejoindra k son corps, et dira : « Jevoas 
Fai gard6. » 

La permanence de Y&me^ 一 non vague et im- 
personnelle comme dans le dogme d*Asie, 一 mais 
de Vkme individu, de V&me aim6e, consacr^e et 
6ternis6e dans Famour, la fixity imp^rissable du 
moi ador6, la tendre bonti de Dieu \ii par les pleurs 
d,une femme et tenu de resliluer, 一 ce bienfait im- 
mense, d&s lors a kie re^u de tous. Et il ne pas* 
sera pas. 

Dieu est tenu, mais pour les bons. II les distin- 
guera des m6chants. 一 Ainsi, pour la premiere 
fois, apparalt nettement le Jugemcnt et la Justice 
divine. 

En attendant, travai!Ions, bdtissons des choses 
6tcrnelles, perpiluons nqtre memoire, parlonsaux 
dges futurs en 】angue de marbre ct de granit. L,£- 



9i4 U GBAHOB UGERDS O'AFBIQCE. 

gypte entite est comme on liyre, ou tousles sages, 
un a on, vienneol iladier. 

Dte lors, toote nation imite, prend r^mulation 
de durie. On entasse, on accumule. Cbaque jour 
m s'enrichissant I'h^itage du genre humain- 



Ainsi, de moral et d'arl, de travail, d'immor- 
talit6, cette adorable l^endc ficonda toute la 
lerre. 



XI 



COMMENT LA FEMME DfiPASSE L'HOMME 



Le bonheur de riniliaieur, c'est de se voir cl6- 
pass£ par l,inUi6. La femme, cultiv6e incessam- 
ment de I homme, f^condte de sa penste, croit 
bientdt, et un matin se trouve au-dessus de lui. 

Elle lui devient supferieure, el par ces ^I^menfs 
nouveaux, et par des dons personnels, qui, sans 
la chaleur de I'homme, auraient eu peine a 6clore. 
Aspirations m^Iodiques, attendrissement de la na- 
ture, ces choses 6taient en elle : mais elles out 
fleuri par Pamour. Ajoulez un don (si haul, que 
c'est, de tous, celui qui met le plus notre esp6ce k 
pari des autres) : un bon et charmant coeur de 
femme, riche de compassion, d'intelligence pour 
le soulagement de tous, la divination de la piti6. 

Elle est docile, die est modeste, ne sent pas sa 



526 COMMENT LA FEVMiS DfiPASSE L'HOMME. 

jeune grandeur; mais, a chaque instant, elle eclate. 

Tu la m&nes au Jardin des Plantes, et elle y rftye 
les Alpesyles {or£ts vierges d'Amerique. Tu la menes 
au Mus6e des tableaux, et elle pense au temps oil il 
n'y aura plus de musses, les \illes cntieres etant 
musses, ayant toutes lestmirailles peintes k I'instar 
du Campo Santo. Aux laborieux concerts d'artistes, 
elle pressent les concerts de peuples qui se feront 
dans I'areirir, (es grandesi F6dtrttioiis llkme du 
genre humain s'unira dans raccord final de I'uni- 
verselle Ainiti6. 

Tu es fort. Elle est divine, comme fille et soeur 
de la' natore/^Ue s^appute -sur tow btas, et ^ur- 
taiit eMe'a des ailes. Elle est faiMe, ellet -est sonf- 
frante, el c*est justemeiit krsque'ees beftoxiyew 
languissMts t^moignent qu'cMe ^t'attetnte,:c-est 
ftloFs^que ta ch^re sibylle plane 5 de'grandeslliau- 
tears SHrdes'sonrmets inaccessibles. GoiBiBml'«tte 
est'la, qui le sait? 

Ta lendresse y a fait beawcoap. *Si ^^He t^iife 
cttte »*pars8ance, ^i, feiUfRe mire, Hi^ee ide 
y homme,' dlie a ' en ' plein ; wnrkig!e, :ta*'Virgink6 si- 
bylKque, o'^fei que ion anK)un>i,iet/wv^{i)HHit 
fe cher tr6s«r, a fait denx-p«rts 'de^ia^ioe, ― , p«r 
ioi^'cn^ffie ^le ,d,r labrarf'fcUte Tade<cosiiact 
monde, 一 pour eWe^a paix^^f Vmmm,'ia sMter* 



COUflNl LA. FEHVE DfifUkSSE' L'HBDK 392 

Oi;ie'tft>as Uea fait 1 que je t'en sais gr6l... Oh I 
lafermBe^le vase^frsgile del'lBfiomfiarable alb^lfe 
oiIb br AU' ladanqpe A^Di&a^ il U\xt biea le mtaager, 
le poKter,d,uw,maiii pieuseou le^garder au.pUis 
pvte daas* laxhaleur de setrseinl 

G'esiieisriliii i samuoi les miseresK^^T timaiispi&«' 
cial'rai s^eatttes jourst cber oH'irrieir^ ^ub^ tu la 

tibdBS?de»ia5cette'^ndble8se/qit'onV secris' les en&nts 
et les femmes, aimable aristocratie de I'esp^ hvh 
mainsi .EHl'eee^ daanoblesse; a lai, pow te relever 
de ioi-adfliB^ . Si ita mieoa de ta, forge, hafetanty 
teis^L dle&rtsy ette, jeanof e^i preservie^ elle le 
verse la jeoQasse^ te"reiulQuauftot;^cci da vie,<et 
te:re£ait !Diftu, d^uEt: baiserr . 

Pres de icet i)bjet i diviB^ tu^ae^siiunras pas a IV 
TM^let rj^ntcakittiiie«t qui tei^etienb surton' afo^e^t 
&boit sealaer.' Tu sea^hras a cbaijw instant I'heu- 
reuse n6cessiU»ck*6terer,'d*6tMdre tea concepUoas,; 
pour suivre ta ch^re felfeve la ou iu I'as fait monler. 
Ton jeune ami, ton 6colier, comrae elle dit mo- 
destementy ne te permet pas, 6 maltre, de t,en- 
fermer dans ton metier. Elle te prie k chaque in- 
steitd'ea soi^tiretde-l'iaiider) dereBter eivfaamooie 
aveci.tovie cho8& nobie jet beUe. .Pouir. solfireiauK 
liiMldiflin Imnoinn rtci tnn jntit nmmrndr; tu sem 
tenet grmda . 



538 COVMBIiT U FEMHE DflPASSE L'HOMIIE. 

Elie est petite et elle est haute. EUe a des octaves 
de plus, dans le haul et dans le bas. G*est une lyre 
plus 6tendue que la tienne, icais Qon complete ; car 
elle n'est pas bien forte dans les cordes du milieu. 

Elle atleint dans le menu des choses qui nous 
^cbappent. D'autre part, en certains moments, elle 
\oit par-dessus nos tfttes, perce Pavenir, Unvisible, 
p6n&lre k travers les corps dans le monde des 
esprits. 

Mais la faculty pratique qu'eUe a pour les petites 
choses, et la faculty sibyllique qui parfois la m^ne 
aux grandes, out rarement un milieu fort, calme, 
harnionique, oil elles puissent se rencontrer, se 
feconder. Chez la plupart, elles alternent rapide- 
ment sans transition, selon r^poque du mois. La 
po6sie tombe h la prose, la prose monte k la po6sie, 
souvent par brusques orages, par coups subits de 
mistral. C'est le climat de Provence. 



Ua illustre raisooneur rit des facult6s sibylliques. 
11 nie celte puissance si incontestable. Pour la d6- 
precici , il semble con^ondre V inspiration spontanie 
de 1 a femme avec le somnambulismej 6taX dangereux, 
maladif, d'asservissemeat nerveux, que lui impose 



COMMENT LA FEMME DfiPASSE L'HOMME. 329 

le plus souvent rascendant de Ihomme. U demande 
le cas qu'on peut fairc d'une faculty si incertaine, 
« d'ailleurs physique et fatale. » 

{/inspiration, je le sais, mfime la plus spontan^e, 
n*est pas libre entiSrement ; elle est tou jours mixte, 
et marquee d'un peu de fatality. Si, pour cela, on 
la degrade, il faudra dire que les artistes ^minents 
ne sont pas homines. 11 faudra apparemment ren- 
voyer avec les femmes Rembrandt, Mozart et Cor- 
r6ge, Beethoven, Dante, Shakspeare, tous les 
grands 6crivains. Est-il bien sAr que ceux m&me 
qui croient exclusivement s'appuyer de la logique 
ne donnent rien k cette puissance feminine de rin- 
spiration? J'en Irouve la trace jusque chez les plus 
d6terinin6s raisonneurs. Pour peu qu'ils devien- 
nent artistes, ils tombent, a leur insu, sous la ba- 
guette de cette fee. 

On ne peut dire (comme Proudhon) que la femme 
n^est que rdceptive. Elle est productive aussi par son 
influence sur rhomme, et dans la sphere de rid6e, 
et dans le reel. Mais son id6e n'arrive gu6re k la 
forte r6alit6. C'est pourquoi elle cr6e peu. 

La politique lui est g6n6ralement peu accessible. 
II y faut un esprit g6n6rateur et trte-m&le. Mais 
elle a le sens de l,ordre, et elle est trte-propre k 
I'administration. 

Les grandes creations de I'art semblent jusqu'ici 

19 



810 COMONT U FBH& SSBAStt LWOIKL 

lui 6tre impessibles. Toute mnyn finrte de cWfliea* 
tion est un fruit du gteie de rhomme. 

On a fait fort sottement de toat cde une qoesttoa 
d'amour-propre. Vkomme «i la femme 9mt deux 
Stn$ kwompleti et rekUifs, nfdtmt que deux maiti^s 
dim tout. lis doiveat a^aimer, se. ucspecier. 

EUe eH rdaHve. EUe doit respecter l!honime, qui 
exit tout prar die. Bile a"a pas on aliment, pas un 
bonfaeur, «ne riebene, qui iie Ini lienite de lui. 

n est rdatif. 11 doit adorer, respeeter la femme, 
qui fait I'homme, le plaisir d» rhomme, qui par 
I'aiguUlon de r^ternel ddsir a toA de lui, d'dge en 
柳, oes jets de fl 譲 mesi qu'an appelle des arts, 
des civilisations Elbd le refiait chaque soir, ea lui 
donnant touc & tour les den puissaooesdeirie: 一 
en. lapiMsantv Vbmrmame; en rajounuiiit, l,6tin« 
celle. 

fiUe crte ainsi la eriatmir. Et ill m'est ideH. de 
plus gifand. 

Jenereproehe pa$ & la femme die lui point doaner 
les choses pour lesfudles eUe n-eat pas faite. Je 
racfiuse seulementde sentir parfois trop exclusive* 
ment sa haute et charmante noblesse^ et de ne pas 
lenir compte dtt moode de creation, du sens gdn^- 



G6Mil£NT Ih FEMHE. D£PASB£ L'HUMME. m 



lateur de Uhoosme, de son; inei^ f6amde, des 
eifoirls prodigieuii dace; grand oimk 仏 Elle ne les 
soupQonne- miflia pasi 

Elle esi la beauts et a'aime qpe la beau, mais 
sans effort) le beau, tout fait. IL y a une aulrebeaul^ 
qu'elJa ai peine k saisiir, celLe de raction, du travail 
hSroiquey q^ii: a fait ceite belle chose, mai&qui est 
plus belle elle»m6me^et souvent jusquau sublime. 

Graada tristesse pow ce pauvre createup de voir 
qu'en admisani retfet,(FQBUJvne r^ussie), elle n-ad- 
mlfa paa la cause, et trop>stouveiit la d^daignel que 
ce soil ju6tement Fefibut qu'oa a fait pour elle qui 
refroidisse son' coeuK, et q,u'en.m£ritai]i davantage, 
oa commence k. lui plaire mQinsJ 



« J'ai beau £aire,, ne la tieas pas. EUe est a 
moi depuis longtemps et je ne I'aurai jamais. » 

C'est le mot assez bizarre qu'un homme de vrai 
m^rite, d un coeur aimaat et fid61e, toujburs epris 
de sa femme, disait un jour. Celle-ci, brillante, 
mais bonne et douce, complaisante, aimable pour 
lu"ne pouvait 6kal'Ql]j|etd!auGui)LX^Qcbaa^rieux. 
Elle n'avait d'aulre. d6fauL que. sa suQerioriti. et aa 
distinctioQ croissante.U sentaii, aon sans trisfesse, 
^u'elle n'etait. j^lufi auv^logpte de. lui comme d!ar 



332 COUBKT U FEMME DfePASSB L'HOUE. 

bord, cette ch&re idole, et que, le voulAt-eUe oa 
non, elle planait dans une sph&re indSpendante 
de celle ou il avait concentri son activity. 

lis ex prima lent parfaitement les types que j'ei 
po86s aux chapitre8 de l iducatim •• « L'hommd 
modeme, essentiellement, est un travaiUeur, un 
producteur. La femme est une harmooie. » 

Plus rhomme devient criateur, plus ce con- 
traste est saillant. II explique bien des refroidisso 
ments qu'on aurait tort d'expliquer par la Ieg6ret6 
du coeur, I'enmii, la sati6t6. lis n'arrivent pas tou- 
jours parce que les ipoux se fatiguent de se retrou- 
ver les m£mes, de ne pas changer, mais, 一 au con- 
traire, parce qu'ils ont changS, progress^ en mieux. 
Ce progr&s, qui pourrait leur 6tre une nouvelle rai- 
son de s'aimer, fait pourtant que, ne relrouvant 
plus leurs anciens points de jonction, ils n'ont 
gu&re d'aclion Fun sur lautre et disesp^rent d'en 
reprendre. 



Resteront-tts ainsi pos6s froidement k cdt6, indif- 
f^rents, r6unis uniquement par les int^r^ts? Non, 
r^cartemeni augmente. Le coeur prendra parti 
ailleurs En France, il est trSs-absolu, veut runion 



COMMENT U FEMME D^IPASSE UHOMME. 333 

la plus unie, ou un autre amour. II dit : « Tout ou 
rien. » 

Qu'on me permette un paradoxe. Je sontiens 
qu'en d6pit de la gaiety insouciante que Ion simule 
en ces choses, notre temps est celui ou I'amour 
est le plus exigeant et le plus insatiable. S'il s,en 
tient a un objet, il aspire k le p6n6trer a une pro- 
fondeur infinie. Prodigieiisement cultiv^s, pounrus 
de fant d'idees nouvelles, d'arts nouveaux, qui 
sont des sens pour goAter la passion, si peu que 
nous Fayons en nous, nous la sentons par mille 
points insensibles k nos aieax. 

Mais il arrive trop souvent que I'objet aim6 
ichappe, 一 soit par d^faut de consistance, fluidite 
ftminine, 一 soit par transformation brillante et 
progrfts de distinction, 一 soil enfin par des ami- 
ties, dcs relations secondaires qui partagent son 
coeur et le ferment. 

L'homme en est huinili6, d6courag6. Tr6s- sou- 
vent il en regoit dans son art et dans son activity le 
facheux contre-coup . II s'en estime moins lui-m6me. 
Alors, plus scnvent qu'on ne croit, un amour-propre 
passionn6 mime et double I'amour. II voudrail 
reeonqugrir, possMer celte chkre personne, qui 
parfoiSySans ironie, mais dans une grande froideur, 
dit en souriant : a Fais ce que tu peux. » 

€ Ter totum fervidus ira, lustra t Aventini mon- 



534 GOiarafT lA FEHB BtPASSfi L'flOIBIE. 

tern, ter saxee tentat limiiia nequicqoam^ier feasus 
valle resedit. » 

« Troisfoisj.bomllaiit, il totome afnioiir du numt, 
trois fois secoue le froid rempart de 'pierre^ trins 
fois retombe, s'assoit dans la waUee. , 

L'entrave, la myBlfirieose inihience negative, 
rempfichement dirimant, vient presque toujours da 
dehors. Mais elle ne se trouve pas toujours dans 
une personne makeillante. C'est une mdre, c'es* 
tine soBur, un salon d'amis, que sais-je? La cause 
la plus honorable a paribis de ces efTets. II sufik, 
pour qu'il n,y ait plus mapiage, qu'iine amiti6 ^6- 
h^mente d^tourne la .s6ve d'amour. 



J'ai vu deux dames accomplies U^es d'une ^trafte 
amitie. Une seule^tait marine. L'aiitre resta demoi- 
selle pour se dcmner tout entire a cette affection. 
Le mari, homme d'sesprit, ^orimin brillant, 16ger^ 
avail apporti un don admirable. Grande quefiriion 
de savoir si ce dm des fees se fixerait, s'affeP" 
mirait, 11 rfealkait, par moments, d,inslinct, j'allais 
dire, par hasard. Aiors, son oeuvi'e 6cUpsait tout. 
<3ue serait-il arrivA si la fantasque StmoeUe edt (Ah 
b&ni^. couv^e de l,amaur? 



EHe 6tait >ei<trftinenieiit belle, et de coeur plus 
heBc -encore. Elle a^ftunsens meral 6tevi, mms 
foi^t «6neiix, qiri lui fttisatt 'sefnitir peu ces <»pri- 
cienses loeors. EIIb avsrit, -pear s'^ oonfirmer, 
l,amHi6〜 議, radoration d'une lemme adoraUe 
e]le-m6me« En presence de ce couple si uni et si 
parfait, le man pouvait-il tenir ? II n,y venait pas 
en tiers. Ses quality fines et flottantes, m£lees de 
defauts exquis qui marquent quelquefois les gfenies 
de la decadence, n'allaient gufere a la ligne droile 
sur laquelle on les appliquait. Les deux amies, 
verlueuses, pures et transparentes comme la lu- 
mifere a midi, ^tUaient m^diocrement la grAce in- 
decise et sensuelle, le fuyant crSpuscule. 

Cette indecision augments. II avail un tort bien 
grave, c'etait de ne pas croire en lui. Ses amis y 
avaient foi, le sommaient de tenir parole. Mais 
rien ne supplge % Uappui intirieur. La femme est 
le grand arbitre, le souverain juge. II s'en fut tir6 
mieux peut-6tre avec une femme vulgaire. Celle-ci, 
par sa noble beaul§, par sa puret6 candide, par 
ses talents estimables , commandait trop de res- 
pect. Celle perfection excessive ne laissait gu^re 
la voie d'appel contre ses jugements. Jugeraer^ts 
toujours bienveillants, mais sinc&res. 

Get homme singulier et charmant ne pouvait 
rien qu'^Taveugle. U fallait que la main aim6e, lui 



SM COMMENT U FBMHE DfiPASSE L'HOMME. 

bandant les yeux, aidflt k cet aveuglement qui le 
rendait productif. Au contraire, il v6cut toujours 
ayant k cdt6 de lui la reflexion jodicieuse. Solitaire, 
au moment sacr6, il sentait celte prudence qui rec- 
tifiait rinspiration... U s,arr6tait court, ratait. 



Les femmes me permetfront-elles de dire ici 
petit mot? EUes out l,oreiUe plus fine, entendront 
mieux. D'ailleurs elles ont plus de temps, pour la 
plupart. L'homme, ce martyr du travail, dans I'en- 
tralnemenl et Peffort, 6tourdi, ne m'entendrait pas: 

Madame, ne soyez pas parfaite, Gardez un tout 
petit ddaut, assez pour consoler rhomme. 

La nature veut qu,il soil fier. II faut, dans votre 
inlerftt, dans celui de la famille, qu,U le soit, qu'il 
se croie fort. 

Quand vous le voyez baisser, attristS, d6courag6, 
le plus souvent le remade serait de baisser \ous- 
mfeme, d'fetre plus femme, et plus jeune, 一 mfeme, 
au besoin, d'^lre enfant. 

Second conseil : 一 Madame, ne partagez pas 
voire coeur. 



CO 腿 1ST LA FEMME D^PASSE L'HOMHE. 357 

Je vous dirai ce que j,ai vu a Hyferes, en Pro- 
vence, dans un magnifique jardin. II etait plants 
d'orangers, bien soign6s, convenablement espac6s, 
dans la meilleure exposition ; ilsn'avaient point a se 
plaindre ; dans ce pays, ou l,on aime k entrem filer 
les cultures, on s'6lait abstenu pourtant de mettre 
aucun plant enlre eux, aucun arbre, aucune vigne 
qui piit leur faire tort. Seulement, quelques bor- 
dures de fraises se voyaient le long des all6es. Prai- 
ses admirables, ddicieuses , parfura6es. Comme 
on sait, elles ont peu de racines ; elles tracent a la 
superficie, et trainent, sans enfoncer, leurs faibles 
et grfiles chevelures. Cependant les Grangers lan- 
guirent et devinrent rnalades. On s,inqui6ta , on 
regarda ce qui pouvait les chagriner. On eiit tout 
sacrifife. On ne soupQonna jamais que les inno- 
cents fraisiers fussent la cause de la maladie. Ces 
arbres robustcs eux-m6mes, si on les e6t consults, 
n'auraient pas, je ci'ois, avou6 que leur Enerva- 
tion tint h si petite cause. Us ne se plaignirent pas, 
moururent. 

A Cannes, non loin de 1§, on sait que l,oranger 
n'a force que 1 呑 ou il est solitaire. Non-seulemenl 
on ne lui donne aucun camarade ni grand , ni petit, 
mais, ayant d'en planter un, on fouille d'abord le 
terrain a huit pieds de profondeur. On le fouille 
par trois fois pour savoir s'il est net et vide, s,il ne 

19. 



contient pas de racine oublite, quelque herbe ti- 
▼ante qai prendraH sa part de la sfeve. 
L'oranger ^eut ttre seal, madame, 一 et ramour 



XII 



LES HUMILITfiS DE L'AMOUR 
CONFESSION 



ramour est chose bien diverse, et d'esptee >et 
de degr6. De nation k nation, il est extiemeineiii 
different. 

La Fran$aise est pour son mart nn admirable 
associ6, en affaires, mfime en idies. S,il ne sail pas 
I'employer, il peat se faire qu'eUe l,oublie. Mais 
qu'il sail embarrass^ , die se souvient qu'elle 
l,aime, se d6voue, et quelquefois (on Fa vura93) 
elle se ferah tuer peur lui. 

L'Anglaise est la sdide —use, courageuse, iii- 
fatigable, qui suit partout, soufire tout, ka pre- 
mier eigne elle est prtte. « Lucy, je pars au/6iir- 



540 LE8 HoMILlTfiS DiS L'AHOUR. 

d'hui pour rOc^anie. 一 Donnez-moi seulement, 
moD ami, le temps de mettre un chapeau. » 

L'Allemande aime, et aime toujours. EUe est 
humble, Tcut ob6ir, voudrait ob6ir encore plus. 
Elle n'est propre qu, & une chose, aimer. Mais c est 
rinfini. 

Vous pouvez avec I'AngJaise aisSment changer 
les milieux, et, si celui-ci est mauvais, femigrer au 
bout du monde. Vous pouvez, avec rAllemande, 
vivre tout seul, s,il vous plait, dans une campagne 
£loign6e, dans la profonde solitude. La Frangaise 
n'en est capable qu'autant qu'elle est trfes-occupee 
et qu'on a su lui cr6er une grande activile d'esprit. 
Sa forle personnalit6 est bien plus embarrassante, 
mais la rend capable (Taller loin dans le sacrifice, 
mftme d'imraoler la vanit6 et le besoin de briller. 

Cest tout fait pour rAllemande, qui ne veut rien 
que de ramour. 

Un esprit ultra-fran^ais, tr6s-oppos6 k FAlIema- 
gne et qui s'en moque a chaque instant, Stendhal, 
fait cette remarque trfes-juste : « Le meilleur raa- 
riage c'est celui qu,on voit dans l Allemagne pro- 
testante. » 

Telle i】 vit l Allemagne en 1810, telle je la vis 
en 1830, et souvent depuis. Les choses ont pu 
changer pour les hautes classes et pour quelques 
grandes villes, non pour Fensemble du pays; c'est 



CONFESSION. 341 

toujours r^pouse humble, ob6issante,. passionn^e 
pour ob6ir ; c,est, d'un mot, la femme amoureuse. 



L'amour vrai, I'amour profond se reconnall k 
cela qu,il hie toutes les passions : orgueil, ambi- 
tion, coquet terie, tout s,y perd, tout disparait. 

II est si loin de 1* orgueil, que souvent il passe au 
plus loin, se place juste a Fautre p61e. D6sireux de 
s'absorber, il fait bon march^ de lui, il oublie fart 
ais^ment ce qu,on appelle dignite, sacrifie sans 
hesitations les beaux c6tes qu,on montre au monde. 

II ne cache rien des mauvais, et parfois les exagere, 
ne voulanl plaire par nul mferite que par FexcSs 
de ramour. 

Les amoureux et les mystiques ici tout k fail se 
confondent. Dans les uns et les autres, excessive 
est l,humilit6, le d6sir de se rabaisser pour grandir 
d'autant plus le dieu ; que ce soil une femme ai- 
m6e, que cesoit un saint favori, reffet est le m&me. 
Je ne sais quel d6vol disait : « Si j'avais pu seule- 
ment 6tre le chien de saint Paulinl » Plus d une 
fois j'ai entendu des amants dire la mftine chose : 
a Si seubment j,6lais son chien I » 

Mais ces ravalements de Iftme, ces Tolupt6s d'a- 
baissenievf, I'amour ne doit pas les souffrir. Son 



94S LSS HUMIUrtS BE I'AMOUR. 

•effort, ra icontraire, est d,61ever la personne 
mante, tout an moins dela maintenir k son mvera, 
de culliver 1, union par ce qui la resserre, ce qui 
seul la rend reelle : r6galit6. Si les deux imes 
^taient si disproportionn^es, iml ^change ne serait 
possible, nul melange. On m parviendrB jainaiB a 
harmonker tout et lien. 



C'est le suppUce que le colonel Selves (Solimim* 
Pacha) ne craignait pas d, 
voir qu'on est aimd, disait-H, a 棚 la fennne >dM^ 
riant? » 一 Tfous qui avons le boDhearde possSder 
dans nos femmes d^nrope des Ames et des inatoR- 
t6s, quelque embarras que parfois ces volontis 
nous suscitent, nous devons 6viter pourtant tout 
€6 qui pourrait tes briser, rompre 'm elles le res- 
sort de I'dme. Deux choses snrtout y seraient in- 
finiment dangereuses. 

La premiere, dont on abuse beancoup trop 
jourd'huisuT les femmes imprudentes, c*est V ascen- 
dant magn^tiqiie. La facilit6 malheureuse qu'elley 
ont h le subir est one maladie v^ritableqni les troth 
ble profond^meirt et s'aggrave en la cultivant. Ce 
danger n'existAt-il pas, c'est une honte de voir un 
faomme qui n*earl point mm6f et qm n'a rien pour 



Cffia 亂 945 

le coeur, {nrendre vne pniBssRce sans bornes sur les 
volont^s d'une fcrmnie. Elle devient sa proprietfi, 
forc6e de moirvoir k son signe, on de dire devant 
tenioiii le phis ihumiliaiit seoF6t. Bile le suit Ma- 
lement. Poorquoi ? EUe ne sauratt le dire. II n*est 
snpferieuT en Tien pour I'esprit, m pour I'^ner gie, 
maas elle s'est I&v8s6 surprendre, sous pr6teicte 
de raddechie, d'aimisement de soci6t6, etc., et4a 
-voilft lm6e k mille cbances incoimues. Ces ido- 
timeB ont-elles raiment rhispiration mMicale? 
ietemps le dira. Mais qQoi qn'il en «oit, ce don est 
pay6 bien cher, patequ'il fait une malade, iine ma- 
lade humiliiBe, qui perd la disposition de sa vo- 
lonti. Celui mftme qui est ainie, son amant, sou 
mari, si elle le prie de prendre ce poirvoir sur 
€lle, doity regarder longtemps. ku lieu d'dvoquer 
en elle cette passiveti d'esalavage et d'mspiration 
tenfebreuse, il Passociera aux facult6s actives qui 
sont celles de la liberty, et ne Toudra exercer sur 
elle qu'un genre d'attraction, Pamour en pleine 
lnmi^re. 



Dn autre ascendant que tout homme gfenSreux, 
au coeur bien plac6, Be gBrdera d^xeroer, c,est 



144 LES HUMIUrtS DE L'AMOUR. 

eelui de la violence, la fascination de la crainte. 

Les remmes, par (oute I'Asie (on peul dire pres- 
que par Unite la terre), sont traittes comme des 
enfanls. Mais il faut consid6rer qu'exceple dans 
notre Europe, elles sonl mari6es enfants, dans les 
pays chauds a dome ans, k dix ans, et m&me dans 
rinde quelquefois a huit. Le mari d,une femme de 
huit ans est obligS d'fitre son pfere, en quelque 
sorte , son maitre pour la former. De 1& la contra- 
diction apparente des lois indiennes, qui, d'une 
pari, defendenl de frapper la femme, et ailleurs 
permetlent de la corriger « comme un petit 6co- 
lier. » Elles sont toujours enfants, et cette disci- 
pline puerile (non servile ni violente), elles la su- 
bissent patiemment. Dans l,6tat polygamique, elles 
restent crainlives et sensuelles, s'attachent un peu 
par la crainte, en recevant tout du m£ine, caresses 
el sfev6ril6s. 

Nos femmes du Nord, au contraire, n,6tant nu- 
Liles que ires-lard, sont tout ifait des personnes, 
et nuUement des enfants, au moment du manage. 
A les trailer en enfanls, il y aurait le plus horrible 
abus de la force. Ajoutons le plus dangereux. II se 
trouve g6n6ralement que les moments ou leur hu- 
meur difficile provoque la brutalite de rhomme, 
ce son! les 6poques du mois ou elles sonl le plus 
vuln6rables, outoule Amotion violente pourraitleur 



GOr^FBSSIOR. 845 

donner la mort. Elles ont alors des heures, des 
jours d'agitation cruelle, ou elles souffrent elles- 
mSmes (elles Pavouenl) du d^mon de la contradic 
tion, ou tout conspire h leur dSplaire , ou elles 
ont besoin de choquer. 11 faut compatir, ne point 
s'irriler. C'est un 6tat trfes-mobile, el coin me au 
fond, inalgr6 ces aigreurs, il cache une Amotion 
de nature nullement haineuse, il suHit souvent 
d,un regime un peu d^tendu, d,un peu d'adresse 
et d'amour pour changer cette fifire personne lout 
a coup, et la faire passer k la plus charmante dou- 
ceur, aux reparations, aux lames, au plus amou- 
reux abandon. 

L,homme y doit bien r6fl6chir. La femme est 
plus sobrc que lui ; Fabus des spiritueiix, qa'il ne 
fait que trop, doit le mettre singuliferemenl en 
garde centre lui-m6me. Elle, quand elle est exal- 
tee, violente, c'est le plus souvenl la cause la plus 
naturelle (et au fond la plus aimable) qui I'agile, 
lui fait piquer l,homme par des mots aigus, des 
defis. Les Frangais le savent bien. II ne s'agit pas 
d'amour-propre, mais d'amour. II ne faut pas se 
heurter front contre front (comme on fait trop en 
Angleterre) . II ne faut pas rire non phis, ni vou- 
loir un brusque passage de la querelle aux ca- 
resses. Mais tourner un peu, louvoyer. Un en- 
tr'acte de faiblesse, de rel&chement natural, arrive : 



Auz temps barbenes, ie gomerBemeiit intMeiir 
dela fomille, oonnne 】£ gotrvernemeftt public. Be 
vivail que de coups d'Stat. lessons, 36 voos pne, 
am temps civilises de I'entente 'cotdiafe, du lihre 
ei doux ganvernement qui se ferait )nr Paccord de 
la Tolonli. 

Le coup d'Elat domestique de rbrnnme^ c,《st 
rignoble brutalitfi qui met la main sat la femme, 
c'esl la violence sausage qui forofeiie nn objetsacrS 
<si d61icat, si *Tuln6mble! ), c'est ringratiUide im* 
pie qui peut oolrager son aufeL 

Le coup d'ttftt de la :femaie, k goerare que £edt 
le foible au fort, c'est fta propire honte ^ eUe, J'a* 
dultdre, qui hmniiie le mari, lui inflige renfant 
Stranger, qui les avilit tous tes deux, et les rend 
inis^ra/bles dans i'awenir, 

Ni ram ni 1' autre de oes Grinnesiie serait com- 
隱 II, si ruTiili 6tait assiirie par repancbement de 
cheque joor, par une communicm permmwmte m 
les plus l^geres > d isgi denies apergnes, fondues tout 
Wabord, n'anraient pas le tempe de crier de tdles 
temp6te&. On «e ^eillerait da vantage sei^mfime par 



319 LBS HUmurtB BB X'AMOtR. 

la bonne grftce revient, on avoue qn'on est mb" 
Aante, et Fon tods pafe d'etre bon. 




GOKFESSION. 9f7 

l,€Migaf ion de dire tout. Les (stations non cou- 
v6es ont bien moins de prise. 



La confession conjugale (un satroment de I'ave- 
nir) est I'essence du mariage. A mesure que nous 
soriirons de I,6tat grossier , barbare, ou nous 
sommes encore plongis, on senttra qu'on se marie 
prec5s6ment pour cela, pour s,6pancher tous les 
jours, pour se tout dire sans rfeserve, affaires, 
id6es, sentiments, pour ne garder rien a soi, pour 
mettre en commun son dme tout entifire, mfime 
en ces images confus qui -peuvent devenir de 
grands wages poirr xm coBur qui les fomente, au 
lieu de les confier. 



Je le nipftte, ic'est cela qui est le fond du ma- 
nage. - 

Est-ce dans la g^n^ralion qu'il eat essentielle- 
racnt? Non. Lors m^e qu'il est st6rile, il pent 
Sire trfis-uni. Sans enfants, il y a mariage. 

fist-ce dans Vioimsge du plaisir qu'on le fera 
a>nsister? Non. Lore mftme que le plaisir cesse par 
YAge ou la maladie, il y aiout autont manage. 



IIS LBS HUMIUTfiS DE L AMOUR. 

II consiste dans I'tehange quotidicn de la pen- 
see » de la volont^, dans le melange el Faccord per- 
manent des deux ftmes. Le beau mot des juriscon- 
suUes : Mariage, c'est consentement^ il faut quil se 
reproduise jour par jour , qu'une confiance de 
chaque instant assure qu,on est dans cette voie ou 
chacun consent k ce que veul et fait raulre. 

Qui devez-vous epouser ? Celle ou celui qui veut 
vivre, devant vous, en pleine lumi&re, ne cachant 
nulle pens6e, nul acte, donnant et communiquant 
lout. 

Qui devez-vous 6viter ? Celle ou celui qui, pro- 
mellant de se donner, se garde encore; qui, dans 
une enceinte rfeervfee de l,dme, se fait un bien 
exclusif dans la propriety commune, qui sous clef 
lient un sentiment, une idee k soi tout seul. 



Les femmes pures, douces et fiddles, qui n'ont 
rien h dissimuler, rien k expier, ont pourtant plus 
que les autres besoin de la confession d,amour, 
besoin de se verser sans cesse dans un coeur ai- 
mant. 

Comment se fait-il que rhomme profite g6n6ra- 
lemenl si peu d'un tel 616menl dc bonheur? 11 
faut vraiment qu'une jeunesse Waste ou rstour- 



CONFESSION. 549 

dissement du monde nous rendent aveugles ef 
brutes, vrais ennemis de nous-mfimes, pour ne 
pas sentir des la premiere fois qu'une communica- 
tion si lendre est la plus fine jouissance qu'une 
femme puisse donner d'elle-mfime. 

Ah I la plupart en son! indignes 1 lis sourient, 
^coutent k peine, parfois se montrent sceptiques a 
ces revelations naives, qui devraient 6tre'non-seu- 
lement accueillies, mais ador^es. 

Ce n'est pas chose si nouvelle. Pour les int6r6ts 
et pour les affaires, les 6poux communiquent et se 
corifient. U faut pour le coeur, pour les choses de 
religion et d'amour, pour les agitations intirieures 
et la vie secrfete d'im agination , qu'ils prennent 
aussi confiance. On n'est uni, mari6, que par cetle 
chose extreme, definitive et perilleuse : <x livrer son 
dernier secret, et se donner puissance run sur I au- 
tre^ en se disant lout. » 

Ne la laissez pas aller, celte chire femme, si elle 
est un peu malade, si elle a le coeur trouble dun 
petit r6\e, comme il en vient a la plus pure, ne 
la laissez pas en defiance de son mari, qu'elle aime 
pourtant. II \aut bien mieux qu'elle se fie a son 
indulgence et lui demande conseil, que de livrer 
ce grand secret (qui au fond n'est rieii) k je ne 
sais quelle personne qui des lors aura une arme 
conlre eile et contie vous, la tiendra par la, et. 



3M US HUMIUTte AE I/AMOUR. 

sans rkn dire, n'aura qa'k li regarder, cetie pao- 
vre innocente, pour la faira nuigir, lui Cure baisser 
lea yeux. 



Gela auca Favaoti^e de vous Ceare lassi r^fchir. 

Une femme bonne et raisoimable, si elle aual^ger 
caprice , il faut biea que son mari se demande 
pourquoi, et si ce n'est pas sa faute, a lui-mSme. 
Au milieu de la vie, danft refitramementy le vertige 
oil nous sommes, nous nous negUgeoos jhmt les 
cboses essentielles, et DOtt& n^gligeons ce qae nous 
aimona le plus. 

II iaut se dire : « Elle a raiaoD peot-^lM^js'de- 
vkms annuyeui^ trop absorb^ d'une duHe* m> 

Ou bien : 

a Respect6-je assez sa d^licatesse ea cevtain rap- 
part physique? Ne suia-je pdnt d^plaisaat? » 
Ou encore : 

a Elle me yqU, anree FaiaoD, sous on Mcbeus as* 
peet moral, 一 je suis dur,aTare〜 

« Eb bien, je re;Hrendrai son coeur^ je* sevai plus 
oha citable, plus g6n^reux., 一 magnanime, 气 je 
scr u auHlessus de moL 一 II &udra bien qu'elle 
cecunnaisse qu'au total, je vaux mien eneove que 



CONFESSION. 55i 

celui qui lui semble aimable, et surtout que j'aime 
bien plus. » 



Faut-il beaucoup de porales pour cela? Infmi- 
ment peu. Parfois, il suffit que, le soir, on s*aime 
et on se regarde. 

\Ju aetisteiqw a eu dew au frob feis du g6nie^ 
Dcielmud, dans une gmure qu'il appelle le Cafe^ 
a fort bien donn6 le regard de deux &mes intelli- 
gentes, qui rfonl presque pas besoin de parler^ 
s'entendent tout a fait, se comprcnnent. 

J'y voudrais un ra^on de plus, surtoul du c6lfr 
de Fhommev cpielque chose qui dit : « Ne erois 
pas- que lu paiss0» awoir un plusprofood abri qfi'en 



XIII 



LA COMMUNION DE L AMOUR. - OFFICE DELA 

NATURE 



Je ne puis me passer de Dieu. 

L'gclipse momentanfee de la haute Idke centrale 
assombrit ce merveilleux monde moderne des 
sciences et des d6couverles. Tout est progrfes, tout 
est force, et tout manque de grandeur. Les carac- 
t^res en sont atteints, 6branl6s. Les conceptions 
fuiblissent, Isoldes, dispersfees ; il y a certes po6- 
sie ; mais r ensemble, rharmonie, le poSnie, ou 
sont-ils? je ne les vois pas. 

Je ne puis me passer deDicu. 



Je disais, il y a dix ans, a un illustre penseur 



U COMMUNION DS JL,AMOUR, ITG. 353 

dontj'aime I'audace el l*6nergique aust£rite : \om 
6tes d6centralisateur. Et je le suis en un sens, car 
je \eux \ivre ; et la centralisation rigoureuse tue- 
rait eoute \ic individuelle. Mais raimante Unite du 
monde, loin de la tuer, la suscite; cest par cela 
que celle Unit6 est r Amour, line telle centralisa- 
tion, qui ne la veut? qui ne la sent, d,ici-bas jus- 
qu'aux 6loiles? 

De ce que nous avons quitl6 la lh&e, insou tena- 
ble, d'une providence arbitraire qui vivrait, au jour 
le jour, d'arrfits individuels et de petits coups d,£- 
lat, est-ce dire que nous ne sentons pas le haut 
Amom impartial qui rfigne par ces grandesiois? El 
pour 6tre la Raison, n'est-ce pas 1, Amour encore ? 
Pour moi, j'en ai le flot puissant qui par-dessous me 
soul6ve. Des profondeurs de la vie, je ne sais quelle 
chaleur monte, une Kconde aspiration. Un souffle 
m'en passe a la face, et je me sens mille coeurs. 

R6duire toutes les religions a une t£te pour la 
couper, c'est un proc6d6 trop facile. Quand mfime 
vous auriez, de ce monde, efface la derni^re trace 
des religions hisloriqyes, du dogme dat6, resterait 
le dogme filernel. La providence maternelle de Na- 
ture, adoree en des milliers de religions mortes et 
vivantes, de pass6 ou d,avenir, auxgielles vous ne 
pensez pas, die subsiste immuable. El, quand un 
dernier calaclysme briserait notre petit globe, elle 

so 



354 U GOmiUMlOIf* Dft L'AHMIfi. 

a,en durerait pas moiiis, indestructibliB eorairas- h 
動 nde, doot elle est le channe eL la vie*. 

Que le aentimeiit de la Cause aimaitte dispar^ 
raisse, et je n'agb plus. Que je n'sie phis k bonr 
heur de senlir ce monde aimift',. da 麵 aeMir aioaife 
moi-mfime, d6s lors je ne peux plus vivce ; cou- 
chei-moi dans le tombeau. Le spectacle du pro- 
grfes n,a plus dHnt6r6t pour moi. Que V&lan de la 
pensie, da I'arl, soil plua graad enoore, jfi n'en ai 
plus pour le soivre. Aux tjrente sciences cr6&es 
d,hier, ajouteK-en trente encore, mille, touti ce 
que vous voudrex, je n'en veux pas ; qu'en fesai-je, 
vous m!6ieigDez FAiUQur? 



L'Ocienl, rhumaoilS dans sa belle kumere d'auh 
rore, avantles &gfis sophistes: qai VoaI ing^meaise- 
mentobseiHtcio^ iiail parti d*uaet id^ecpii revieiidra 
domioanta dans notre aeconde enfa&ee^ apog^ de 
la sagesfift.. C'eatl que la. €o$nmumion d-amauTy le' 
plus daux dea mijod^res de; Dimy an est stum le 
plus haiili, el qu^ soa prolond: telair noua vau!i^re 
un miunentrinfiiiK X^nebreuschez l-fttfe infi&mttr 
(et telst nous sommea d'abord)^ iL e»t de plua ea 
plus lumigre k mesure: que oetie flamaie est illumi- 
n&o par I'AmcKur (yiiUepjOBe ebb' saadiiia. 



Je ixe revieofi pas id sur ce,ue;j,ai dii Tan der- 
nier, sur ce Tujet, grand autre ions, but le mystfere 
touchant, terrilde, *ou la femme, pour donner lo 
vie, jone la sienne, fiih le plaisir, le bonhem, la 
£econdit6 nous font voir de si pris la morl. Nous le 
sentons, k oette heure4a, dans un iibranlement si 
profand, nons le Bentons dans notre chair fremis- 
sante, dans 膽 osglacfe... Lelonnerre qui tombe- 
rait n'y ajouterait rien du tout... Au moment ou 
robjet aime eat si pr6s de nous 6chapper, oii le 
froid de ragonie nous passe, si la voix nous restait, 
ce fierait pour dire un mot arracfai du fond de 
I'fttire et des ippofondeurs de la 'vferitfe : « Xa femme 
^st line iteligion. j» 

Nous le dirions k oe moment. Nous pouvons Je 
direk tou8 les moments, et ce jsera toiQours \rai. 



Je Pavais dit de ma petite, tout enfant encore : 
« Une religion de puret6, de douceur, de po6sie. » 

Combitin plus le dirai-je imauitenant que, vrai- 
ment fenune -et m^e, elle rayonna de tous cdt66, 
(par fia .gr&ce^ comme >une 'puissance harmonique 
qui du cercle de la ifamiUe, peut dans la soci6l6 
prpjeler des cercles plus grands I Elle est ime reli- 
gion de honl&f de civiiisatioo. 



S5e Ik COMMUNION DE L'AMOUR. 

C'est surtout dans les Eclipses religieuses, quand 
la tradition du passi p&lit h rhorizon, quand un 
monde nouveau, compliqu^, entra\6 de sa gran- 
deur in6me, tarde k s*organiser encore, c'est alors 
que la femme peut beaucoup pour soutenir et con- 
soler. A Fappui dc Fidfee centraJe qui, se d^gageant 
peu h peu, va apporter Funitg de lumifere, elle, sans 
savoir ce qu'elle fait, elle est runilfe charmante de 
la vie et de ramour, el la religion elle-m6me. 

Dans les grandes reunions d'hommes, qui n'ont 
pas pour objet le culte, dans les concerts popu- 
laires de I'AIIemagne {h cinq ou six mille musi- 
ciens), dans les vastes fraternit6s politiques ou mi- 
lilaires de la Suisse ou de la France (telle qu'elle 
ful et sera), la presence de la femme ajoute une 
femofion sainfe. La patrie ni6me n'est pas Ik, tant 
que nos mferes, nos fenimes n,y sont pasavec leurs 
enfants. Les void, et I'on y sent Dieu. 



Pour ne parler que de la famille, du bonheur 
individuel, je dirai simplement la chose dans les 
termes oil un bon travailleur l,a dit un jour devant 
moi : «f Elle est le dimanche de rhomme. x> 

C,est-i-dire, non le repos seulement, mais la 
joie, le sel de la vie, et ce pourquoi I'oii veut vjvre. 



OFFICES DE LA NATURE. 351 

Le dimanche I la joie, la liberie, la fi^te, et la part 
ch6rie de Fame. Part sacree. Est-ce la raoUi6? le 
tiers? le quart? Non, le tout. 

Pour Men approfondir la force de ce mot diman- 
che, dont Foisif ne saura jamais le secret, il 
faudrait connaltre tout ce qui se passe dans la I6te 
du Iravailleur le samedi soir, tout ce qui y flotte 
de rfives, d'espoir et d*aspiration. 

Est-ce la femme en g6n6ral, est-ce la genlille 
maitresse, qui motive la comparaison? Nou, c'est 
votre femme, H vouSj F^pouse aim^e, aimable et 
bonne. Pourquoi ? Parce que avec celle-ci, il se m61e 
aux jouissances un sentiment de certitude de pos- 
session definitive, qui permet d,approfondir et de 
sayourer le bonheur. La perception p^n^trante et 
la fine appreciation de la d6vou6e personne qui vous 
donna tant de plaisirs, loin de refroidir, vous ou- 
vrent, dans mille nuances dSlicieuses, un vasto 
inconnu de beatitude. 



Toute Amotion douce et sacrie est en elle. Vos im- 
pressions religieuses d,enfance, elle vous les rend 
et plus pures. 

Tel de vos rSveils, k douze ans, qui vous est rest6 
en m^moire, la fraicheur matinale de l,aube, je ne 



558 LA GOUDMCM DE L'ittOUR. 

sais quelle cloche argentine de village monait 
aiors, tout oela vohs seoible i>ien loin, ^vanoiu 
sans relour. Mais, le matin du dimanchc, afaat 
travaille dans la Jiuit, et vms ^veillant un peu 
tard, votts aperoeivee le .saunre ailendri de vatre 
femme qui dos kngtemps voms regarde, et gui de 
sa fralche voiic, de s<« braft-ttvondi sur tous, v(h» 
salue et vous b6nit. Elle atlendait, priaitpour vous, 
Et vous, vous vous 6criez : « mon mibe ! 6 mon 
angelus!... Quel Aonx sentiment do matin tu me 
rends ! Vingt aos de ma vie sont effaces, je le seas— 
OhJ que par toi je suis Jeune l oh I que je veui 
l'6lre pour toi I » 

Mais elle, par une adresse qui ajourne et qui 
61ude, elle t'offre une diversion, Tid^e cherie doot 
naguere tu Pentretenais, quelque projel favori qui 
t'obs&dait hier meme. De la aux int^rftts icommuns, 
i la famiUe, aux enfants, la traneition 'est £acilc. 
Puis, voyant bien que lu es dans un moment de 
gr^ce et de favorable audience, elle m61e a ses dis — 
cours quelque chose qui le fera bien au ccEur et 
sanctifiera ce jour, la bonne oeuvreJifaire. Le temps 
est dur, Ja oliose est i^urte; mak, en travaiUant si 
Men, Gomme Xu fais, et 'Dieu aidant, on cpourrait 
encore faire cela. Tu ne dis pas non, tu veux^^rlaire. 
Alais, a'vant que iu aies le terras d'.e)q)liquer toute 
la <pens6e, son eiyouaEneat roisoiuiable a jpris les 



OHFIGES DE LA NilUBE. 359 

devante : « Mon aiDi, voila Ghacles i?6veiUe, ^doiiard 
jase; la petite depuisJongtemps ne dort pas, el die 
ecaute... Oh I qu'il est tard i... U faut que je les 
habille. » 



Temps 'somtbne, tSnohoraux. U neige, grand vent. 
Les QiseauKdu Nopd, qui cot pass6 de bonne heure, 
flious annoDcefil un grand hiver.Il n'y aura pas de 
visile. Triste dimanche? 一 Point du tout. Ou elle 
est, qui sera&t triste? Ce n'est pas la.flamme claire 
du foyer, le dejeuner chau 山 quiTechaufjfe la mai 
son. C'est elle, sa vivacity tendre, qui remplit tout, 
amme tout. £Ue ,pense tellemani aux siens, les 
. aime, et les envdcppe, et les ouate si doucemant 
qu'il H*y a que deJa joie au nid. 

La joie est doubi6e par I'hiver. JIs se filicitent du 
mauvais temps qui Jes eaferme et de la belle jour- 
ii6e qu'ils voat passer ensemble. Peu de bruit Lui, 
il profile de ce jour pour faire quel que chose de 
son choix. II est lk, comme au petit tableau du Me- 
nuisier de RenAvaadt. S,il ne rabote pas oomme 
lui, il lit 6i relit im livre. Mais en lisant, il les salt 
1 叙 quit par jiiomeiil&, discr^tement, disent tin petit 
mot tout has II sent derrifire sans le voir, par la 
divination du C(Bur, ce qui m fait aucun bruit, son 



m Ik COMMUNION DE L'AMOUR. 

mouvement onduleui et doui, h elle, et son petit 
pas. Elle ne fait que rindispensable, et d'un doigt 
mis sur la bouche leur fait signe d'etre bien sages 
et de ne pas le Iroubler. 

Que font-ils Ui, ces enfants? je suis curieux dele 
savoir. lis font une pieuse lecture. Us lisent les 
grandes aventures, les audaces el les sacrifices des 
voyageurs d'autrefois qui nous ont ouvert le globe 
et ont tant souffert pour nous. « Ce caf6 qu'a pris 
voire pfere, le sucre, enfants, que vous mettez dans 
le lait abondamment, trop peul-6tre, tout cela a 
6t6 achet6 par rh6roisme et aussi par la douleur. 
Soyons done reconnaissants. Nous devons a la Pro- 
vidence ces providences humaines des grandes &mes 
qui peu h peu parviennent a relier le globe, Pfeclai- 
rent, le f6condent, l,am&nentou I'amfeneront bien- 
tdt vers r accord, vers runit6 qu'aurait une seule 
ftme d'homme. » Peu h peu, elle leur dit la com- 
munion mal6rielle (qui en prepare une morale) , la 
navigation, le commerce, et les voies, les canaux, 
les rails, le tfel6graphe felectrique. 

MatMellesT je me conforme au sot langage du 
temps. II n'est rien de materiel. Ces choses sorti- 
rent de I'esprit, elles relournent k I'esprit, dont 
elles soot les moyens, les formes. En m^lant les 
nations, supprimant les ignorances et les anti- 
pathies aveugles, elles sont 6galement des puis- 



OFFICES DE U MTURS. S61 

sances morales et religieuses, je l,ai dit, des com* 
munions. 

Les enseigner peu k peu, dans leur veritable 
sens, avec le temps, la lenteur, la precaution con- 
venables, c'est donner aux enfants rinstruction re- 
ligieuse, les 61ever k rEsprit divin, esprit de bont6, 
de tendresse. 

Qui ne le sentira au coeur, quand celle r6v61a" 
tion nous vient de la bouche ador^e? Les enfants 
sont 6merveill6s. Mais lui-m6me qui salt tout cela, 
en le reprenanl par elle avec ce charme attendris- 
sant, se tail dans une heureuse extase et sent 
que tous nos arts nouveaux sont des puissances 
d'amour. 

P6re, enfants, ils sont nourris de son &me, de sa 
douce sagesse. Us icoutent et elle a fmi. Ils se r6- 
veillent comme d'un rtve... Un bruit, unpeti tac- 
tac a retenti aux carreaux. P6litiond'un voisin ail6. 
Le moineau du toit leur dit dans sa franchise p6tu- 
lanfe : « Quoi done, petits ^goistes, dans un aussi 
mauvais jour vous vous tiendrez enferm^'M » Celle 
harangue a grand effet, on ouvre, et I'on Jette du 
pain. Mais quelle est I'^motion, quand un h6te plus 
confiant, protitant de cette ouverture, entre et bra- 
vement sautille au fond de la chambre! 

« Oh! merci, cousin Rouge-gorge, qui, sans fa- 
5on, nous rappellcs la grande parents oubli^e. Tu 



no 



LA GOIIIDNiO:^ DE C.*ilDUR 



«s rakon ; en •effd, dim nous, n'est^-oe fas chcs 
loi? » On n,ose plus respirer. La mfere, «?ec dis- 
aretkm, sans liefirayer, jette .^s miettes. £1 iui, 
BuUerne&l hnmiilie, ayant piooli, 6t mfiine appcDclirig 
un peu du foyer, 6'6nvo)e, -et iaisse oet tdiea : » Aiu 
re voir, mes bonspetitsfr^resl » 

Si I'heure du repas n'approchait, la ira^ianrait 
beauooup k dire, Mais il faut bim yow nourrir, 
Yous aussL, petits rouges- goii^es. 

Au desser" elle leur espUque le banquet de la 
KuiurCj'Oi] Dieu fail asseoir tons les fitres, grands 
el petits, ks plagant salon Fesprit, rindastrie, la 
volont^ et le travail, mettant tr£s-hatiit la founni, 
trfe-bas lei g6ant (rhinoceros, hippopotame). Si 
Phomme si^gc h la premiere plaoe, c'test par une 
chose unique, le sens de ;Ia grande harmonie, tet 
I'am^ur du divin Amour, la tendre 6oUdartii &vec 
tout'Ce qui en ^mane, le fiubUme don de Pi&iL 

Ces ^iscouns ipourraient gliss^. Ce qui ies fait 
enlrear au coeur^ oequi po>ur les enfants 6raus grave 
cette heure daas le aouvemr, c'est que devasi «ux 
】es parents consofoment Vacte dc frjaternit^ que la 
prifere de la iik&Fca pr^par6Ie matin. Le travaiUeur, 
pmr son frere, dannera de son travail, dxincide 
\ie et de son Ame Elle rembrassa, les yenx hu- 
mides. Et la table est saDctifiite. 

A&sez pour un jour. Seulement, enfanis, irej(»iis- 



OFFICES DE U NATURE. 363 

sez le coeur dc voire p6re d'un double chant : le 
chant de la patrie franfaise en ses jours de grands 
sacrifices^ qu'au besoin vous imiterez ; et Fhymne 
de reconnaissance pour le Dieu bienfaiteur du 
mo de, qui nous a donn6 ce jour, et peut-6tre son 
le nd mam. 

Done, reposons. Voire p6re, bien fatigu6, n'est 
pas loin de s'endormir. II s'est couch6 si lard hier, 
pour achever son samedi ! Dormez, amis, dormez, 
enfanls. Dieu vous garde pendant le sommeil I 

Elle les a b^nis tous. Elle recouvre avec soin le 
feu, ne fait naf bruit*, ne souffle plus, et 16g6re- 
ment se couche pres de lui, Irfts-atlenlive k ne pas 
le i'6veiller. II dort, mais sent bien qu'elle est li, 
sUe son prinlemps d'amour, son &t& dans le 
sombre hivec. Elle seule fail toutes lest saieonsv Au 
prix de sen chacme sacr6,, (ja'estee. cb toule Im 
nature? 



XIV 



80ITE. 一 OFFICES DE LA NATORB 



Les deux c6tks legitimes, raisonnables, de la re* 
ligion, sontmarquSs dans les tendances derhomme 
et de la femme, representfes par chacun d'eux. 
L'homme sent rinfini par les Lois invariables du 
monde, qui sont comme des formes de Dieu. La 
femme dans la Cause aimante et le P6re de la Na- 
ture qui Fengendre de bien en mieux. Elle sent Dieu 
par ce qui en est la vie, V&me et I'acte dternel ; 
I'amour et la g6n6ration. 

Sont-ce des points de vue contr&dictoires? Point 
du tout. Les deux s'accordent en ceci, que le Dieu 
de la femme, Amour^ ne seraitpas Amour^ s^U n^iiait 



OFFICES DE LA NATURE. 305 

VAmour pour tous, incapable de caprice, de prefe- 
rence arbitraire, s*il n^dmait selon la Loi, la Jtmon 
et la Justice, c'est-a-dire selon Vid&e que rhomme 
a de Dieu. 

Ces deux colonnes du temple son! si profondc- 
ment fondles, que personne n'y portera atteinte. 
Le monde allerne pourtant. Parfois, il ne voit que 
les Lois^ parfois il ne voit que la Cause. II oscille 
6ternellement enlre ces p6Ies religieux, mais il ne 
les change pas. 

La science pour le moment n'^tant pas centrali- 
s6e, comme elle le sera bientdt, beaucoup ne voient 
que les Lois^ et oublient la Cause aimante, imagi- 
nant que la machine pourrait aller sans moteur. 
Get oubli fait la Irisle 6clipse religieuse dont nous 
sommes assombris. Elle ne peut durer beaucoup • 
La belle lumi6re centrale qui fait toute la joie du 
monde reparaitra. Nous reprendrons le senliment 
de la Cause aimantey pour le moment, afTaibli. 

Non, des lots ne sont pas des causes. Que nous 
serviraient nos progr&s, si nous ne reprenions le 
sens de la causality et de la vie ? 

II n,y a ni gaiety, ni bonheur ici-bas, hors Fid^e 
de production. Je I'ai dit pour les enfant s. On ne 
peut les divelopper et les rendre heureux qu'en 
les faisant cr^ateurs. Eh bien, de leur petit monde, 
iteadons cela au grand. Quand vous Ic scntez im* 



3M U COnUMOR BE L'ASOUR. 

mobile, quand vous n,y percevez plus la dialeur 
Titale, un grand ennui saisit Ic coenr. Nous nere- 
deviendrons heureux qu'en relrouvant le senti- 
ment du grand mouvemenl f6cond, quand, libres, 
et pourtant soumis k la haute Baison aitnante. ou- 
vriers de I'ainour cr^ateur, nous creerons aussi 
dans la joie. 



Ce mot itait nicessaire pour nous inrtrednire au 
plus intime int^rieur At rhomme el de la femme, 
dans leur duo religieux, ou chacun fait une partie 
difffircnte et fort delicate, chacun craignant 
blesser Fautre. Car ils ne savcnt pas commun^ment 
combien au fond ils s'accordent. De Ik ces t&tonne- 
merits, ces hesitations plcines de craintes, ce legei* 
d^bat de deux &mes, qui r6ellement n'en font 
qu'une. Jamais le jour devant ttoioins tie se fait 
celte douce lutte. II faut que les enfants dorment, 
rnSme que la lumifere soit 6teinte, C'est la demise 
pens6e de roreiller, 

Mais, quoique tons les deui^ soutieniient un cdtS 
yrai et sacr6 de la religion (lui, les (ois, elie, la 
cause) J ily a cette grande difference qu'en Dieu 
rhomme sent plutdt ses modes , ses mani^res d'a- 
gir, la femme son amour^ qui sans cesse fait son 




OFFICES DE LA MT 薦. 367 

action. EUe est plus au sancluaire de Dieu, j'allais 
dire, plus pr&s de son coeur. 

Ayant I'amour a ce point, elle a tout, et com - 
prend tout. Elle monle, descend comme elle veu( 
tons les tons de ce clavier immense, dont I'homme 
n'a le plus souvent que des notes successives. Elle 
traduit k volontfe loutes les manifestations natu- 
relies de Dieu, du grave au doux, du fort au ten- 
dre. Elle est souveraine maitresse dans cet art di- 
vin, et elle I'enseigne a Phomme. • • « 06 done, diUil, 
puisa-t-elle tout cela? 06 prend'eUe ce tr6sor des 
choses amoureuses, ce torrent d'enchantements? " 
一 Oil? Mais dans ton propre amour, dans celui 
qu,eUe a pour toi, dans les richesses r6serv6es d'un 
ccBur que nolle effusion, nulle generation ne sou 詹 
lage assez.Un monde en sort tous les jours, et Pin- 
fiai reste encore. 



Si simple en tout, si modeste, qu'elle est pour- 
tant superieure ! Tandis que toi, Vml attache a la 
terre, a ton travail, tu vas aveugle, jour par jour, 
sans mesurer la voie du temps; ― elle, elle en seni 
biea mieux te cours. EUe lui est harmonist. EUe 

* 一 * 

le suit heure par heure, obligee de prtvoir pour 
toi, pour ton besoin, pour ton plaisir, pour tes re- 



508 U COMUUMON DE L,A 画 R. 

pas, pour ion repos. A chaque moment son devoir, 
mais aussi sa po^sie. De mois en mois, avertie par 
la souffrance d'amour, eile scande le temps, en 
suit le progrte, la marche sacree. Quand sonnent 
les grandes heures de l*ann6e, aux passages des 
saisons, elle enlend le chant solenuel qui sort du 
fond de la Nature. 

Celle-ci a son rituel, nuUement arbilraire, qui de 
lui-rafirae exprime la vie dela conlrie dans ses im- 
muables rapports avec la grande vie divine. On ne 
touche pas aisement a cela. La tradition, raulorile 
qui impose a un peuple les rites de Uautre n*opere- 
rait rien au fond que d^sharmonie, dissonance. Les 
chants du haul Orient, si beaux, sont discordants 
en Gaule. Celle-ci a son chant d'alouette qui n*en 
monte pas moins a Dieu. 

Noire aurore n'est pas une aurore d'Amerique 
ou de Judke. Nos brouillards ne sont pas les 
brumes pesantes de la Baltique. Eh bien, tout 
cela a sa voix. Ce climat, ces heures, ces saisons, 
cela chante k sa mani^re. Elle I'entend Men, ta 
femme, t& fine oreille de France. Ne rinterroge 
pas, pourlant; elle dirait le chant convenu. Mais, 
lorsque seule au menage, un peu triste de ton 
absence, et travaillant doucement, dans son bon- 
taeur milancolique, elle commence k demi-voix, 
elle trouve, sans ravoir cherch6, la chose naive ct 



OFFICES DE LA NATURE. 309 

sainle, le vrai psaume du jour et de I'heure, ses 
humbles vfipres h elle, un chant du coeur pour 
Dieu, pour toi. 

Oh ! qu'cUe sail bien Ics ffites, les vraies ffifes 
de I'annie! Laisse-Ia te conduire en cela. Elle seule 
sent les jours de la gr^ce ou le ciel aime la terre, 
les hautes indulgences divines. Elle lessait, car elle 
les fait, elle Faimable sourire de Dieu, elle la f6te 
et le noel, l,6ternelle p&que d'amour, dont vit et 
revit le coeur. 



Sans elle, qui voudrait du printemps? Que cette 
chaleur feconde dont fermente alors toute vie serait 
pour nous maladive, sombre 1 Mais qu'elle soit avec 
nous, alors c'est un enchantement. 

Emancipes de I'biver, ils sortent. Elle a sa robe 
blanche, quoique le soleil puissant soit encore neu- 
tralist par moments d*un peu de bise. Tout est vie, 
mais tout est combat. Sur la prairie reverdie, les 
petits jouent et se battent ; chevrcaux centre che- 
vreaux essayent leurs comes naissantes. Les rossi- 
gnols, qui sont venus quinze jours avant leurs mat- 
tresses, r^glent par des duels de chant le droit 
qu'ils auront k I'amour, 

Dans cette lutte gracieuse d'oii rharmonie va 



m u coHHUMon de l'amodr 

sortir, elle apparait, elle, la paix, la bont" la 
beauti... vivante joie du mondeU., EUe amice* 
Son tendre coeur se parlage, est h deux chos^s. On 
lui parle de deux c6l&s. Ses enfants coorc-nt am 
fleureltes, en rapportent les mains pleines^ crient : 
« MamanI voyez I voyez I » 一 Plus prte d,eUe, i 
son oreille, quclqu'un lui parle plus has, et elle 
souril aussi... C*esl qu'on n'est pas impun^ment 
au bras de la charmante femme, si prfes de son seiu^ 
de son coeur. Bat-il fort? Bien doucement ; elle a'est 
pas insensible, elle entend lout, bonne et tendre , 
elle veut tant qu'ils soient tous heureux ! Elle ripond 
lour i tour : a Oui, mcs petils... Oui, mon ami. » 
一 A eux : « Jouons. » 一 Et a lui : c Oh! tout ce 
que tu voudras I » 

Mais, dans son extreme bont6 qui la rend tout 
ob^issantc, et faible k ses enfants mtoie, qui sau* 
rait la regarder verrail, derrifere son sourire, on 
aparti m^ditatif. U pense a elle, elle a Dieu. 



Cela revienl encore plus tendre, plus ardent, w 
la jolie f£te dcs fleurs des champs, aux travaux de 
la fenaison. Elle aussi, elle est venue, conime les 
au(res, avec son r&tcau, et elle veut aussi IravaUler. 
Mais, loute belle qu'elle est toujours, elle a pris ua 



OFFICES DE LA MTUAE. 511 

lu&e aimable de formes qui renoavelle sa fraicheur 
el rappesantitun peu .Saiblaacheet abondante gorge 
ou ses enfants out bu la vie, ces trisors que celui 
inline qui sans doute les connait le mieux couve 
pourtantdu regard, tout cela rend la chire femme 
un peu lente, un peu paresseusa. On la voit bientdt 
faligu6e; on lui defend de travaiUer. Mais on tra- 
vaille pour elle. Ses enfants, gais et heureux, sob 
man lout kma d'elle, ne peuveat rencontrer des 
tleurs sans lesrapporter, les donner h la souveraine 
rose. On en remplit son tablier, on en charge son 
sein, sa l&le. Elle disparait sous la pluie odorante : 
(ft Assez ! assez ! » Mais qui rfecoute? Elle a peine k 
y voir encore, et ne pent plus se d6fendre. Elle est 
enveloppte d'eux^ et submerg^e de caresses, noyfie 
de baisers. de fleors. 



La chaleur est forte. Ces ardeurs ne laissent 
pas de l'inqul61er, la tendre 6pouse. Les trois mois 
qui vont se passer, de la fenaison aux vendanges, 
sont pesants, terribles k I'homme. Celui qui tra- 
vaille des bras, el rouvrierde la pensSe,. sont frap- 
pis 6galeaient. U frappe duremeni, ibrtemeni au 
cerveau, le puissant soleil. Et cela, dedeux facons. 
En mAme temps qu'il nous soustrait une si grande 



918 U COmiUMlOll DE L'AXOUE. 

partie de nos forces, il augmenteie desir. L'homme 
faiblit par la saison, il faiblit par le travail, faiblit 
par les jouissances. EUe le sent, elle le craint. 
EUe hasarde un mot de sagesse, un mot de vraic 
religion. A ce temps oA Dieu fait son oeuvre, accom- 
plit dans chaque annte la nourriture du genre hu- 
main, ne r6clame-t-il pas Pemploi exclusif des 
forces de rhomme? 

Mais cela n'est pas bien pris. On devient froid, 
on s'irrite. Que de saintes ruses il lui faut pour se 
sevrer elle-m£me I Fuites charmantes, humbles 
pri&res pour 61uder, ajourner. L'inexorable juillet 
arrive, el en mfime temps les f£(es de la moisson, 
le Iriomphe de I'ann^e, le banquet de la pltoitude. 
Tout est gai, fort et puissant. L'aiguillon de la 
chaleur, comme un trait de gu£pe, irrite, Elle 
semble un peu malade, et, comme telle, obtient 
grftce, se fait un tout petit lit prts du berceau des 
enfanls. 



Heureiix automne I temps promis de bonheur et 
d'indulgence 1 La fin des travaux arrive. L,amour, 
qui, aux mois meurtriers, faisait la guerre k I'a- 
mour, peut enfin laisser la prudence et suivre 
l,61an du coeur. On ne lui dira jamais, k celui qui 



OFFICES DE LA NATURE. 375 

s,irritait de ces refus, a qui ils ont le plus cout^. 

Elle, elle n,a qu'une parole. Elle revient k lui 
lout enti&re. Au jour marqu6 par la promesse, il 
en veut raccomplissement. « Mais, mon ami, le 
(ravail ne doil-il point passer avant? Ce temps gris, 
16ger, voil6 des gazes d'un brouillard transparent, 
est si joli pour la vendange ! H&tons-nous. Un doux 
soleil pftle qui va percer tout k rheure, jetant un 
dernier regard sur la grappe ambrge, en 6lera la 
ros^e. C'est le moment de cueillir. Bien entendu 
que, ce soir, nous ne nous s6parerons plus. 11 fail 
moins chaud, je te reviens, et je veux me r6fugier 
aupr6s de toi pour I'hiver, » 

Ceci, c'est 】a joie de tous. Les singes, en cer- 
tains pays, les ours, s'enivrent de raisin. Com- 
ment rhomme pourraiMl n,avoir pas la t£te ebran- 
16e? L'ivresse a di]h saisi celui-ci avant d'avoir 
bu. Elle le calme. a Doucement , doucement... 
Donnons-leur le bon exemple, et travaillons, nous 
aussi. » 

Nulle occasion plus aimable de fraterniser. Tous 
sont 6gaux en vendange, et la superiority n,est 
qu'aux bons Iravailleurs. C'est un grand bonheur 
poiif elle de faire avec lout un peuple la Cine de 
I'amiti^ ! Que tous viennent, et m£me encore ceux 
qui n'ont rien fait, s,ils veulent. Elle en sera re- 
connaissante. Elle connait le village, et sail bien 

21. 



374 Ik GOMHUMOU D£ L'AMOUR. 

ceux qui lui manquent. « Ei celui4a ? 一 II est 
malade. 一 Eh bien, on lui enverra. 一 Tel autre? 
一 li esl en voyage. » Elle s'infome ainsi de tous, 
voulant le» avoir ensemble, les rapprocher, les 
r6unir. 

La place est grande heureusement, un de ces 
amphilh^&tres de collines, comme en out certains 
vignobles qui de haut voient la mer. Le temps esl 
douL On peut manger en plein air. Ua vent liede 
r&gne et favorise le depart des voyageurs ail^s qui 
traversent le del. Le jour est court ; quoique peu 
avance encore, il semble d6]& incliaer vers la in6- 
lancolie du soir. 

Jamais elle n'a 616 plus belle. Ses yeux rayon- 
nent d'aflectueuse douceur. Cbacun sent qu'il est 
vud'eUe, bien voulu, qu,elle pcnse a liu,.a tous. 
Son tendre regard b6nit toule la contree. 

Sa fille lui avail lress6 une dSlicieuse couronoe 
de pampi^e vert, de delical heliotrope lilas et de 
rouge verveine. Couronne royale et feminine qui 
de loin embaumait l air. Elle la repoussa d'abord, 
mais son mari Pexigeait. II e(U voulu mettre sur 
elle toutes les couronnes de la lerre. 

Pourtant elle ki semblait tiisle. 

一 Ah ! je suts trap heureuse I 

― Tous nos amis, tou& nos parente, y 8Mt"« 



OFFICES DE LA MATURE 375 

Et toutes ces bonnes gens. Pas un n'aurait voulu 
manquero 

一 He] as 1 mon ami, c'est le monde, le monde 
enlier de ceux qui souffrent et qui pleurent, voili 
ce qui manque... Pardonne... 

Eiie n'en dit pas plus... Son Amotion rarrfite... 
une larme lui tombe, et, pour la d^rober aux yeux, 
elle s incline sur son verre qui la regoit, dans la 
vendange press6e» cetle adorable larme... 

Son mari enlfeve le verre a ses 16vres, et le boit 
d'un trait... 

Mais tous ceux qui n en avaient pas, I'ayant vue 
pleurer, s'altendrirent, et se trouvferent un avec 
elle. 

£t tous communiaient de son coeur. 



LIVRE TROISIEME 



LA FEMME DANS LA SOCIETE 



J 



拳 



LA FEMME COHHE ANGE DE PAIX 
ET DE CIVILISATION 



La femme, consid^rie dans son aspect sup&rieur, 
rfesl le m^diateur d'amour. 

Profonde et chamante puissance, qui a deux 
r6\61ations« A mesure que la premi&re, Faltrait du 
sexe, du plaisir, et Forage sanguin dela vie, p&Ut, 
o&det 一 alors la seconde parait dans sa douceur 
cgleste, Vinflmnce^ de paix^ de eon&alation^ de 
dicalion. 

L homme est, plu8 qu'aucune autre chose, la 
fiwcede crtotioiu U produU, mais eo deux seas. II 
produit aussUa guerre, la discorde et le combat. 
Pacmi leS' arts el les id^, le torrent de bieos qui 



S80 U FEVME GOMME ANGE DE PAIX 

sort de sa forte et ficonde main, un torrent de maux 
coule aussi, que la femme Yient par derriere adou- 
cir, consoler, guirir. 



Je traverse une fortt, un pas dangereuz, etj 'en- 
tends un 16ger pas. 一 Cela pourrait bien 6tre 
un homme, et je me tiens sur mes gardes. Mais 
void que c'est une femme. Salut, doux ange de 
paixl 

Dans un voyage consciencieux qu'un Anglais fit 
en Irlande, il y a trente ans, pour examiner les 
maux et en rechercher les remedes, il peint I'ex- 
tr6me defiance de ces pauvres creatures indi- 
gentes, qu'un homme entrant dans leurs huttes 
mis^rables inqui^tait fori. £tait-ce un agent du 
fisc : un espion?... Mais, heurcusement, il ii'^ait 
pas seul. On entrevoyail derriire lui un visage de 
femme. Et des lors, tout etait ouverl, on se rassu- 
rait, on prenait confiance. On n,eAt pu imaginer 
qu'il eAl emmene sa femme, s,il etU voulu faire 
du mal. 

C'est h peu prfes ia m£me chose dans I'admirable 
voyage de Livingstone aux regions inexplor^es de 
I'Afrique (1859). Un homme seul y sersit suspect, 
et beaucoup y ont p6ri. Mais la Yue d'une famille 



£T DE CIVILISATION. 581 

rassure, calme et pacifie. La paix! la paix I c'esi 
le voeu, le cri de ces bonnes gens. Ce qu,ils expri- 
maient naivement h ce missionnaire de PEurope 
qui leur en apportait les arts protecteurs. Les 
femmes lui disaient ce mot : a Donne-nous le som- 
meil ! » 一 Eh bien, ce sommeil^ cette paix, celte 
profonde s^curit6, ils les voyaient derrifere lui qui 
s'avangaient sur ses boeufs avec sa maison rou- 
lante ; ils les voyaient dans mistress Livingstone, 
entourde de ses trois enfants. Cette me en disait 
assez. On sentait bien qu'il n'avait pas ameni ce 
cher nid au monde des lions, $inon pour faire du 
bien aux hommes. 

Si la vue muetle d,une femme a cet effet, que 
sera-ce de sa parole? de cette puissance d^accent 
qui p6n6tre du coeur au coeur ? 

La parole de la femme, c'est le dictame univer- 
sel, la vertu pacificatrice , qui partout adoucit, 
gu^rit, Mais ce don divin n'est libre chez elle que 
quand elle n'est plus I'esclave, la muette de la 
pudeur, quand le progrfes des anntes r^mancipe, 
lui d6lie la langue, lui donne toute son action. 



Dano uu moment de vraie noblesse et de magna* 
nimiti, une femme d,un beau g&me a caract£ris6. 



583 L.\ FE 醒 Cmm AN&E DE PAIX 

envisage dignement ce que aulle femme ne veil 
qu'avec effroi, VSige mdr, et Fapproche mfime de la 
vieillesfse. Get %e tdlement redouts lui pacadt 
avoir ses douceurs^ une calme grandeur que la 
jeunesse n*a pas. 

Le jeune dge, dit-elle a peu pr^s (je regreUe de 
ne pouvoir me rappeler exactement ses paroles), 
c'est comme un paysage alpestre, plein d'accidents 
imprfevns , qui a ses rochers , ses torrents , ses 
chutes. La vieillesse, c'est un grand, un majestueux 
iardin fran^ais, de nobles ombrages, k belles et 
Idngues allies, ou I'on voit de loin les aims qui 
viennent vous visiter. Larges allees peur marcher 
plnsieurs de front, causer ensemble, enfin un ai- 
mable lieu de soeietS, de conversation. 



Cette beUe comparaison aurait saailement le tort 
de faina croire que la vie devient alors unitorme 
et manotofie. C'est justemenlle contraire. La femme 
prend une liberie qu'elle n'eut point k un autre 
dge. Les convenances la tenaient captive. II lui fal- 
lait 6viter certaines conversations. Elle devait se 
priver de telles commtmications. Les demarches 
de charit6 mfime lui 6taient souvent di£ficiLe8| tuh 



8T DE GIVIUSATIOK. 5S3 

sardeuses. Le monde injuste en etil in£dit. Plus 
dg6e, elle est aifranchie, jouit de tousles privileges 
d une liberty honnftte. Et il en r^sulte aussi qu'elle 
a tout son essor d,espril, pense et parle d,une ma- 
nifere bien autrement ind^pendante et originale. 
Alors, die devient elle-m^me. 

Les jeunes et jolies femmes onl toute permission 
d'Atre sottes, 6tant sAres d'etre adiuir6es toujours. 
Mais non pas la femme Sigke. II hut qu'elle ait de 
resprit. Elle en a, et elle est souvent agr£able et 
&musaiite, 

Madame de S6vign6 dit cela de jolie fagon (je cite 
encore de mimoire) : « Jeunesse et printemps, dit- 
elle, ce n'est que vert, et toujours vert ; mais nous, 
les gens de raiUonme, nous sommes de toutes les 
Gouleurs. d 



Cela permet a la dame d'exercer autour d'elle 
ces aimables influences de soci6t6 qui sont surlout 
propres k la France. Qu'esl-ce au fond , sinon une 
disposition bonne et sympathique qu'on sent el qui 
met k raise, qui doiine de I'esprit h ceux mfime qui 
n'en auraient pas, les rassurant, imposant aux sots 
rieurs qui se donnent le plaisir facile d'embar- 
rasser les timides? 



S84 LA FfiMUE CO 壓 ANGE DE PAIX 

Cette royautS debont 会 illumine son salon comme 
d'un doux rayonnement. Elle encourage I'homme 
special, que les beaux diseurs faisaient (aire, et 
qui, sous le regard d'une femme d'esprit qui Tau- 
torise, prend une modeste fermeti. Alors la con- 
versation n'est point le vain bavardage que nous 
entendons parlout, I'^ternel sautillement ou les 
cerveaux vides ont tout ravantage. Lorsquel'homme 
de la chose a bien pos6 la question, sans d6ve1oppe- 
ment prolixe et sans pddantisme, elle ajoute un 
mot de coeur qui souvent I'ficlaire lui-mfime, don- 
nant et chaleur et lumiSre k ce qu'il a dit, le ren- 
dant facile, agriable. On se regarde, on sourit. 
Tons se sont entendus. 



On ne salt pas assez que parfois un simple mot 
d'une femme peut relever, sauver un homme, le 
grandir a ses propres yeux, lui donner pour tou- 
jours la force qui j usque-la lui a manqu6. 

Je voyair un jour un enfant sombre et ch6tif, 
d'aspect timide, sournois, miserable. Pourtanl ii 
avait une flamme. Sa m&re, qui 6tait fort dure, me 
dit : <x On ne sait ce qu'il a. 一 Et moi je le sais, 
madame. C'est qu'on ne I'a bais6 jamais. » 一 Gela 
n,6lait que trop vrai. 



ET DE GIYILISATiON 



385 



Eb bien, dans la societe, cette m^re fantasquc 
des esprits, ii y en a beaucoup qui avorlent (et non 
pas des inoindres) , parce qu'elle ne les a jamais 
bais6s, favorisds, encourages. On ne sait comment 
cela se fait. Personne ne leur en veut ; mais, iis 
qu*ils iiasardent un mot timidement, tout devient 
froid, on passe outre , on n,eii tient compte, ou 
bien on se met k rire. 

Gel homme nou6, repouss6, prenez-y garde, il 
peut se faire que ce soil un g^nie caplif. Oh ! si, a 
ce moment-Ik, une femme autorisee par I'esprit, 
la grftce, l'616gance, relevait le mot (parfois fort, 
parfois profond) qui £chappe a ce paria, si, le re- 
prenant en main, elie le faisait valoir, montrait 
aux distiaits, aux moqueurs, que ce caillou est un 
diamant... une grande metamorphose serait op6- 
r£e. Veng6, relev6, vainqueur, il pourrait parfois 
montrer qu entre ces hommes lui seul est hommo, 
el le reste un uSant. 



II 



DEBNIER AMODR. 一 AlflTlES DES FEHHES 



Le grand divorce de la mort est si accablaat paiir 
la femme, laiss6e seule, sans consolation, lui est si 
amer qu'dle veut, dtoire, esp&re suWre son mari 
au tombeau. « J,en mourrai, » dit-elle. H^las! U 
est bien rare qu'on en meure. Si la veuve ne se tue 
au bAcher de son mari, com me elles le font dans 
rinde, elle risque de survivre longtemps. La nature 
semble se plaire k humilier la plus sincere, lui fait 
d6pit en la conservant jeune et belle. Les effets phy- 
siques du chagrin sont varies, opposes mfime, selon 
les temperaments. J'ai vu une dame, noy6e de dou- 
leur et de larmes, irrdparablement frapp^e, v6ri- 
tabiemeiit perdue pour la vie, fleurir pourtaiil de 



DERNIER AMOUR, ETC. 387 

santi. L'absorption oix elle 6tait, son immobiie ac- 
cablement , a,ait donn^ a sa beauts ce qui lui 
manquait, nn luie admirable. EUe cn rougissait, 
elle en g^missait, et la honte qu'elle avail de ce 
semblant d'indifPftrence ajoutait a son dteespoir. 

C'est un arr6t de la nature. Dieu ne veut pas 
qu'elle meure, qu'elle se fane, celle aimable fletrr. 
Elle demande la mort, el ne I'aura pas. La vie lui 
est impos^e. EUe est obligee encore de faire le 
€harme du monde. Celui mfeme qu'elle veut suivre 
lui defend ce sacrifice. L'amour qui avail mis sur 
elle tant d'espoir et tant de voeux, qui a lant fait 
pour dfevelopper son cowir et faire d'elle une per- 
somey n'entend pas enfouir tout cela, ni lential- 
ner dans la terre. S'il est lei6rUable amour, il lui 
permct, quelquefois lui enjoint d'aimer encore. 

Dans nos populations des cdtes, sup§rieures a 
tant d<e litres, j' observe deux choses : que la femme, 
sou vent inqui&te, toujours pr6occup£e de son man', 
I'aime et lui est tr6s-fid61e ; mats qu'aussitdt qu,il 
pMty elle contracte un second mariage. Choz nos 
manns qui vont a la p6che dangereuse de Terre- 
Neuve, ceux de Granville par exemple, dans cette 
vaillante population od il n,y a pas d'enfants natu- 
rels (saute ceux d, 吞 migrants strangers), les femmes 
se remarient immSdiatement, dis que Phomme ne 
reTient pas. II le faut; autrement, lesenfants mour- 



m D 匪 1£R AMOUR. 

raient. Si parfois le mort revient, il trouve furt 
bon que son ami ait adopts et nourri sa famille 

N,y eOl-il pas d^enfants k nourrir, il est iinp<>s- 
sible que celui qui aime, que cette femme a rendu 
heureux, desire, en reconnaissance, la laisser mal- 
heureuse pour toujours. EUe dira non auiour* 
d,hui. EUe croira de bonne foi pouvoir toujours se 
soutenir par sa douleur et la force de son souvenir. 
Mais lui qui la connaii mieux qu'elle-mfime, il 
peut seulement pr6voir qu'un changement violent 
de ioutes habitudes est au-dessas de ses forces, 
qu'elle va rester d6sol&e. 

Ne souffre-t-il pas h la voir dans Pavenir, quand, 
seule, elle rentrera le soir, dc trouvera personne 
chezelle, pleurera a son foyer 6teint?... 

S,il r6fl6chit, sil a quelque experience dela na- 
ture humaine, il songera avec compassion k un 
mysl^re ile souffrance qu'on traite fort 16g6remeiit, 
mais que les m^decins constatent et d6plorent. 
C,est que 】e besoin d'amour, qui passe vite chez 
rhomme blas6, au conlraire chez la femme pure, 
conservte, souvent augmente. La circulation moins 
rapide, une vie moins 16g6re et moins cerebrate, 
moins vari6e par la fantaisie, un peu dembonpoint 
dont elle est (dans le jeAne et les larmes m6me) 
forlifi6e, embeUie, tout ccla I'agite ou raccable. Le 
boijiiUonnemenl sanguin, la surexcitalioD nerveuse. 



AiUTiES DES FEiMMES 339 

ridee fixe du temps passfe dont on a profile si pen, 
crdent chez plusieurs une existence p6i,,blo et hu- 
miliante dont elles gardenl le secret, un martyre 
de rfives avorlfes. Punies de leur verlu meme, et 
d' avoir ajournfe la vie, elles sont trop sou vent f rap- 
pees des cruelles maladies du tftmps. Ou bien, ces 
pauvres isolees, jouets de la fatdit6, apr&s une vie 
austere, tombent dans quelque honte imprevue, 
dont rit un monde sans piti6. 

Celui qui raime et qui meurt doit voir ravenir 
pour elle, mieux qu'elle ne le peut a travers ses 
larmes. U faut qu'il prfevoie et pourvoie, qu'il ne 
lui impose lien, mais la d61ivre des scrupules, 
m^me que magnanimement il se constitue son 
pfere, rafTranchisse, cette chfere fille, la dirige et 
l'6claire d'avance, lui arrange sa vie. 

Ainsi la premifere union ne passe pas. EUe dure 
par robSissance, la reconnaissance et raffection. 
Reiiiariee, loin d'oublier, au contraire vivanl par 
lui,et dans le calme du coeur, elle se dit : « Je fais 
ce qu'il veut. Ce qui me revient de bonheur, je le 
lui dois. Sa providence m,a donn6 la consolation, 
la douceur du dernier amour. » 

Le grand int6r6l de la veuve, si elle doit se r6si- 
gner k un second mariage, c'esl de prendre le 
proche parent. Je n'enlends pas le parent selon la 
chair, conime la loijuive ; mais le parent selon Ves* 

2i 



990 DERMER AMOUR. 

prit. J'cnteiids celui qui aima le mort, celui qui 
cn est son dme, et pour qui la veuve, par cela m6me 
qu'elle lui a apparlenu, loin de perdre, possMe 
au conlraire un charme de plus. La puissance de 
transformation, inh^rente au mariage, qui fait 
que la fcmm.e h la longue, physiquement, mora- 
lement, contient une autre existence, elle lui 
nuirait peut-6tre, k cette Spouse irriprochable, si 
le second mari n'6lait la mfime personne dans 
Famour et dans l'amili6. 



Pourquoi gto6ralement les veuves sont-elles plus 
jolics que les fiUes? Oa l,a dit : (( L'amour y passa. » 
Mais, il faut le dire aussi : « C'est que ramour y est 
rests. » On y voit sa irace charmante. II n'a pas 
perdu son temps k cultiver cette fleur. Du bouton, 
peu cxpressif, il a fail la rose k cent feuilles. A 
chaque feuillc, Pattrait d,un d6sir. Tout est grdce 
ici, tout est &me. La possession dte-t-elle? Non, elle 
ajoute plutdt. Si celle-ci fut hcureuse, gard6e par 
une main digne, rendez-la heureuse encore. Dans 
la brillante fraicheur, bien plus riche, du second 
fige, vous n'aurez gu6re i regretter Pindigente et 
grfile beaul6 de sa premiere jeunesse. La virginili 



AMlTlfiS DES FEMMES. 59) 

elle-mfime refleurit chcz la femme pure, qu'une 
vie douce a consolee. EUe s'harmonise innocente 
dans raccord de ses deux amours. 

Un horame ne vit- il qu'une fois? ramenVt-elle 
qu'un seul mode de perp6luit6 ? Outre la dur6e 
persislante de notre finergie immortelle, n'avons- 
nous pas en mfime temps quelque Emanation de 
nous-m6mes en nos amis qui regurent nos pens6es, 
et parfois continuent les plus cheres affections de 
notre coeur ? Le chaleureux 6crivain qui h^rila du 
dernier amour de son maitre Bernardin de Saiht- 
Pierre avait quelque reflel de lui. Et dans l,ausl6- 
ril6 critique d'un Eminent hislorien de ce temps, 
on eut cru pouvoir reconnaitre un grand heritage, 
s,il est vrai qu'il ait eu le glorieux bonheiir de 
communier avec I'ame du dix-huiti6me si6cle, en 
madame de Condoicet. 



Piusieurs, ou deja 4g6es, ou libres parfaitement 
des soucis de jeunesse, n'accepteraient pas un se- 
cond mariage. II leur suffirait d'une adoption. 

La veuve peut continuer Vdme du premier 6poux 
dans un ills spirituel qu'il lui aurait recommand^. 
Cette preoccupation pcut lui remplir le coaur, lui 



SOi DERKIfiR AlOUR. 

donner an but dans la vie. U est tant d'enfants sans 
parents, (ant d'autres dont les parents sont loin! 
On ne sail pas assez combien, dans nos dures 
£coIes, un enfant abandonn6 a besoin de la pitiS 
d'une fcinme. Pour celui qui est perdu dans ces 
colleges immenses qui sont itjh des armees, le 
meilleur correspondmt, c'est une dame qui le suit 
d'un oeil maternel, qui va le voir, le console, s'il 
est puni, parfois intercede, surtout le fait sorlir, 
lui fait prendre Fair, le prom 紐 e, Pinslruit plus 
qu*il ne le sera peut-fitre dans le travail de la se- 
maine, el enfin le fait jouer sous ses yeux avec des 
enfanlschoisis. Ellelui est plus utile encore quand 
il passe aux hautes £coIes. Elle lui sauve bien des 
perils qu'une mire ne lui sauverait pas. 11 lui con- 
fiera mille choses dont celte m6re, un peu crainte, 
n'aurait nuUement le secret. Son habile envelop* 
pement le gardera, lui fera passer celte fepoque in- 
termSdiaire ou la furie du plaisir, aveugle, fait 
avorter rhomme. 

Mission delicate, au total, qui souvent donne au 
jeune homme un admirable alfinement, un peu f6- 
minin peut-6lre, et qui d'autre part laisse parfois 
un pauvre coeur de femme en grande amerlume. II 
lui est bien difficile de se croire tout k fait la mfire. 
Et parfois, elle aime autrement. Je voudrais, pour 
son bonhcur, qu'elle s*attachdtplutdt, celte bonne 



AMITlfiS DES FEHMES. 395 

et tendre crtelure, k la protection maternelled'une 
classe, bien malheureuse et la moins consol^e des 
femmes. Je parle des femmes elles-mAmes* 



Les femmes, qui savent si bien ce que souffre 
leur scxe, devraieni s'aiiner, se soutenir. Mais c'est 
le conlraire. Quoi 1 1'esprit de concurrence, les ja- 
lousies, sont done bien fortes ! rhostilit6 est in- 
stinctive. Elle survit h la jeunesse. Peu de dames 
pardonnenl k la pauvre ouvri 色 re, k la servante, 
d'fitre jeunes ci jolies. 

Elles se privent en cela d,un bien doui privilege 
que leur donnerait V&ge (et qui vaut Famour pres- 
que), celui de prot6ger I'amour. Quel bonheur 
pourtant d'eclairer, dirigerles amants, de les rap- 
procher I de faire comprendre k ce jeune ouvrier 
que sa vie de caf6 lui est plus coiUeuse, plus fd- 
cheuse en tons sens que 】a vie de famille. Souvenl 
un mot suffit d une personne qui a ascendant pour 
faire naitre I'amour, ou pour le raffermir. Bien des 
fois j,ai vu le man se figurtr qu'il s'ennuyait, s'6- 
loigner de sa femme. Un Hoge fortuit qu'il enten- 
dait en faire, un mouvement d'admiration qu,U 
surprenait, rexclamation d*un tiers qui enviait son 
bonheur, c,6tait assez pour lui faire voir ce que 

22 



394 D 腿 lEIV A 脚". 

ious auraient vu, qu,elle ^tait plus charmante que 
jamais, lui r6vciller le coeur qui n'^iait qu'ea- 
dormi et le faire souvenir qu'il 6tait toujours 
amoureux. 

II est dans les manages des heures de crises 
qu'une amie pin&trante suprend, devine, el ou elle 
inlervient heureusement. Elle confesse sans con- 
fesser la jeune, dirige sans diriger. Quand celle-ci 
vient, le coeur gros, muette et ferm&e de chagrin, 
elle la desserre doucement, la d61acc , si je puis 
dire- El alors tout delate, telle duret6 de son mari, 
le pen d'^gards qu'il a pour elle, landis que tel 
autre^ au contraire... le reste se devine. A ces mo- 
ments, il faut qu'on renveloppe, qu'on s'empare 
d'elle. Ce n'esl pas difficile pour une femme d,es, 
prity d'exp6rience, de prendre celte enfant en lar- 
mes sur son sein, de la contenir, de lui 6ter pour 
le moment la disposition d'elle-mfime. Retrouver 
une m&re 1 ce bonheur iiupr&vu peut la sauver de 
t611e demarche folle, de telle vengeance aveugle, 
quensuite elle pleurerait toujours. 

Parfois, plus orgueilleuse, elle ne daigne se 
venger ainsi. Elle r^claoie la separation. C'est ce 
que nous voyons trop souvent aujourd'hui. Aux 
premieres incartades d,un jeune homme violent 
qui aurait pu mtkir, se corriger, la femme, celle 
fturtout qui se sent riche, n'entend rien, ne 3up- 



AMITI&S D£S FEMUES. 595 

porte rien, cclaie, veul rentrer dans son bien. Sa 
famille influenle soUiciie. Ses domestiqucs, h elle, 
t6moignent contre le mari. EUe reprendra sa dot. 
Mais sa liberty? Non. Si jeune encore, la voil^ 
veuve. Et reprend-elle aussi (s'il faut le dire) I'in- 
tiinit6 qu'elle a donn^e, cette communion dfefini- 
tive qui livre la personne m6me, la transforme? 
Non, non, elle ne peut la reprendre. Rien de plus 
douloureux. 

Quai done ! n'esl-il point de remise ? ne peuUoa 
ramener le jeune homrae ? Tout son vice, c'est 
rdge. II n'est ni m^chant, ni avare. Celte dot, que 
les parents la gardent. C,esl elle qu'il aimait et re- 
grette. II sent bien (et surtout 6tant s6pare d'elle) 
qu,il n'en retrouvera pas une aussi d6sirable. Et 
eet(e fierl6 m&me qui leur futsi fatale, n'est-ce pas 
un atlrait pour l-amour ? 

<x lAiinour? Mais nous n'avons que oela en ce 
monde. . . et demain nous mourrons. Aimez done 
aujourd'hui... Je jure que vous aimez encore. » 

Yoila ce qu'elle dit, celle tendre amie, et elle 
(ait mieux que dire. Pendant qu'elle caresse et 
console la petite femnie k sa campagne, un jour 
die la pare, bon grfe, mal gr6, la fait jolic. Des vi- 
»tciips viendront. Un seul vient, et lequel? Devi-* 
nez-le, si vous pouvez. 

« Le mari 1 » 



800 DERNIER AMOUR. 

Un amant. De visage peul-fitre il ressemble, mais 
d'toie, il est lout autre. Si c'^tait le man, aurait-il 
ce trouble charmant? tant d'amour et d*empresse- 
ment, un si violent retour de passion?... Oh ! nul 
moyen de s'expliquer... Des deux cAt&s, on ne salt 
ce qu'on dit, on balbulie, on promet ei ronjure... 
Bref, tous deux ont perdu resprit. L'amie rit, les 
dispense d*avoir le sens commuD. II est tard, le 
souper est court, car die a la migraine, die ne 
peul leur faire compagnie, et ils veulent bien Yen 
tenir quitte, eux-m6mes si fatigues d'6motions. 
Oil peut les laisser seuls. Ils ne se battront pas. 
Que I'on plaide l& bas, h la bonne heure, mais id 
qu'ils reposent. 

Est-ce tout? Non. L'aimable providence qui re* 
none leurs amours ne veut pas que I'orage puisse 
rcvenir a F horizon. D eux elle obtient deuxchoses. 
D,abord, de sortir du milieu ou cet orage se forma. 
II ne vient gu^re de ceux qui aiment, mais de leurs 
entourages. Si I'un des deax a un dSt'aut, presque 
loujours il dure, augmente, sous Pinfluence de 
quelque funesle amiti6 dont il faut s'6Ioigaer. 
Changer de lieu, parfois, c'est changer tout. 

L,aulre mal, hien frequent, qu'elle essaye de 
gu^rir, c,est le disoeuvrement. Dans une yille flot- 
lante, trop peu remplie, je ne sais combien da 
tristesses, de pens6es malsaines, d aigreurs, vien- 



AMITIES DES FEMMES. 397 

nent intailliblement. Ce qui mflle et PSme et la vie, 
c'est de coop^er, de Iravailler ensemble, tant qu'on 
pent; tout au moins de Iravailler h part, et de se 
regrelter, et de souffrir un peu de n'fitre pas en- 
semble, 一 de sorle qu'on reste avide I'un de l,au- 
tre, impatient de Pheure oil Pon se reverra, de- 
mandant, dteirant le soir* 



Ill 



LA FEMMH PROTECTRICE DES FEMME3 

CAROLmA 



La cinquiime parlie du monde, rAuslralie, n'a 
jusqu'ici qu'un saint, une legende. Ce saint est 
une femmc anglaise, morte, je crois, celte ann6e. 

Sans fortune el sans secours, elle a fait plus 
pour ce monde nouveau que toutes les soci6tes 
d'^migration et le gouvernement britannique. Le 
plus riche et le plus puissant des gouvernements 
de la terre, maitre des Indes el d'un empire de cent 
vingl millions d,hommes, 6chouait dans cette co- 
lonisation qui doit reparer ses pertes. Une simple 
rem me rfeussit et emporla I'affaire par sa bonte vi- 
goureuse et par la force du coeur. 

Reiidons hommage ici k cette race pers6v6ranle. 
Une Frangaise, une AUemande, eAl eu autant de 



CAROLINi. 599 

bont6, de g^nfereuse piii6, mais je ne sais si elle 
edt persists contre tant d obstacles. 11 y fallait une 
obstinalion admirable dans le bien, un sublime en- 
tStement. 

Carolina Jones naquit vers 1800, dans une feme 
du comt6 de Northampton. A vingt ans, elle fut 
6pous6e, eminence par un officier de la Compagnie 
des Indes. Brusque passage. Elev6e dans les moeurs 
d^centeSy s6rieuses, des campagnes d'Angleterre, 
elle tomba dans ces babjiones miliiaires ou {out est 
permis. Les fiUes de soldats, Iaiss6es orphelines, 
itaienl k vendre dans les rues de Madras. Etie se 
mit h les ramasser et en remplit sa maison. On eut 
beau se moquer d'elle; elle subsiste cette maison, 
et elle est de venue un orphelinal royal. 

La sant6 de son mari, le capitaino Chisholm, 
exigoant un climat plus sain, il obtint d'aller quel- 
que temps se refaire en Australie et y passa en 
1858 avec sa femme et ses enfants. Mais, oblige 
bientdt de retoumer k son poste, il I'y laissa seulc, 
et c,est alors qu'elle commcn^^a sa courageuse en- 
Ireprise. 

Persoune n\gnore que Sidney, et FAustralie en 
g6n6ral, a 6tc surtout peupl6 de convicts^ de con- 
damn6s, dont beaucoup seraient parmi nous des 
forgats. La cf6porlation constante y amenait des 
masses d,hommes, peu de femraes relativcment. 



400 Ik FEMHE PROTECTRICB D£S F£HM£S. 

On peut deviner conibien elles Staient recherchtes, 
poursuivies. Chaque vaisseau qui arrivait cbai^6 
de femmes £tait attendu au d6barquement, saluS 
de clameurs sauvages, qu,on eOt dit des cris de 
famine. Les actes les plus violenls, les plus revol- 
tants 6taient ordinaires. MSme les femmes d'em- 
ploy^s, dont les maris 6laient absents, n'avaient 
nuUe 8ilrel6 chez elles. Quant aux filles d6port^es, 
elles tombaient dans celte foule com me un gibier 
qu,ou relan^aiU 

Pour comprendre Vhorreur de cette situation, il 
faut savoir ce que c est qu'une Anglaise. Elles n'ont 
nullcmeat I'adresse, resprit de ressources el d'ex- 
p^dients, qui caract^rise les ndlres. Elles ne savent 
pas travailler : elles ne sont bonnes absolument 
qu'aux enfants et au manage. Elles son! tr6s-d£pea- 
danles, modesles (n'apportant pas de dot). Marines, 
elles sont fort bat lues. Mais celle qui n,est pas ma- 
riee, c'esl une malheureuse cr6alure, qui ne sail se 
tirer d'affaire, effarte, qui heurte, tombe, se fait 
mal pariout. Quelqu'un a dit : a un chien perdu, b 
qui erre et cherche son maitre, el ne sail pas sen 
faire un. 

Leurs filles publiques elles-m£mes sont plus a 
plaindre que celles d,ici. Celles-ci, dans leur triste 
^iat, se d^fendent par I'ironie et peuvent encore 
relativement se faire un peu respecter. La fille an- 



CAROLINA. 401 

glaise n,a pas le moindre ressort, aucune arme 
contre la honte, rien k dire (celles qui parlent sont 
des Irlandaises). L'Anglaise ne peut se soutenir, 
dans son abattement moral, qu,en buvant du gin de 
quart d heure en quart d'heure, et se maintenant 
ainsi dans les demi-ten^bres ou elle voit a peine 
elle-mftme ce qu'elle re^oit d'af fronts. 

Des filles, h^las ! de quinze ans, douze ans, qu'on 
oblige k ce metier et h faire de petits vols, c^elait 
en bonne partie la matiere des razzias que la police 
faisait et qu ,! ine condamnation rapide envoyait en 
Australie. On les entassait souvent sur de vieux 
mauvais vaisseaux, comme TOc^an, quisombra de- 
\ant Calais meme, et nous jeta quatre cents corps 
de ferames, trfes-jeunes el jolies presque toutes. 
Ceux qui le \irent en pleurferent et s'en arrachaient 
les cheveux. 

On peut juger de ce que devenait ce pauvre be- 
tail humain, comme de jeunes brebis sans defease, 
jet6 au monde des formats. Traqu6es dans les rues 
de Sidney, dies n'fechappaient aux outrages conti- 
nuels qu'en aliant coucher la nuit k la belle 6toUe, 
hors la ville et dans les rochers. 

Carolina fut blessSe, et dans sa pudeur anglaise 
ct ddQs sa bontg de femme, par ce r6voUant spec- 
tacle. Elle invoqua I'autoritg; mais celle-ci, tout 
occup6e de la surveillance de tant d'hommes dan- 

23 



403 Li fEMVE PROTECTnTCE DES FEMES. 

gereux, avail autre chose a faire qu'a songer k ces 
petites inis^rables. EUe intoqna le clerg6 ; mais 
l^Eglise anglicane, comme toute £glise, eroit trop 
k la pcr?ersft6 hirtdiiaire de la natore pour esp£- < 
rer beaucoup du rem&de hiimain. Elle s'adressa k 
la presse, et s'attira dans lesjournaux des r^ponses 
ironiques. 

Cependant elle dit, redit tant qu'il n'en coAterait 
pas un sou, que le gouyernenient, magnifique- 
ment, lui prftta un yieux magasin. EUe y abrita de 
suite une centaine de jeunes filles, qui au moins 
eurent ainsi un toit sur la tftte. Des femmes ma- 
rines, dans rabsence de leurs maris, obtinrent de 
camper au moins dans la cour, pour n'avoir pas a < 
craindre d'attaque de nuit. 

Comment nourrir ce troupeaii de filles, la plu- 
part ne sachant rien faire? Carolina, femme d'un 
simple capitaine et chargfee de trois enfants, 6tait 
bien embarrass^e. Elle chercha h la campagne des 
gens mari^s, des families, qui pussent les employer, 
Ainsi, elles firent place k d'autres. Avant un an, 
elle en avait sauY6 sept cents ; trois cents Anglaises 
protestantes, quatrc cents Irlandaises catholiques. 
Beaucoup d'entre elles se marierent et ouvrirent k 
leur tour chez elles un abri a leurs pauvres soeurs 
diport^es. 

Ayant tout rempli autour de Sidney, il lui fallut 



CAROLWA. m 

chercher «m loin des placements. Les voyages ne 
semblaient gu6re fails pour une jeune femme, dans 
un pays peupl6 ainsi, etou les habitations, souvenl 
k grandes distances, exclueat toute surveillance, 
toute protection publique. Elle osa, sot un bon 
cheyal, qu'elle appelait le Capitaine (en souvenir 
de son mari absent), elle alia a la d^couverte, par 
les routes, ou bien sans route souvenl francfaissant 
les torrents. Le plus hardi, c'est qu'elle menait des 
fiUes avec elles, et parfois jusqu'a soixante, pour 
les placer comme servantes dans les families, ou les 
marier. Elle fill re?ue partout, de ces hommes Irop 
mal juges, comme la Providence eHe^mfime, avec 
6gard, avec respect. Mais elle ne couehait qn'en 
lieu stir, et toujours avec ces fiUes, ainiant mieux 
passer la nuit dans des chariots mal converts, plu- 
t6i que de s,en sfiparer. 

On comment k entmoir la grandeur, la beairt6 
de Tentreprise. Jusqne-Ia on ne faisait rien, et tout 
Stait viager, on renoavelait incessamment ces colo- 
nies ^^riles, qui allaient toujours s'MeigDant. Bien 
pins, on ne changeait rien aox ames, aux mceurs, 
aux habitudes. Le vice Festait le vice; la prostitu- 
tion, plus qu'^i Londres, hontease et sterile. La 
Tolution op6r66 par eette femme admirable put se 
qualifier ainsi : Mort k la mort, k la sterilit^t ^ 
rimmonde c^ibat {baehelorim}! 



i r [ 



401 Ik FBMMB PROTECTRIGB DBS FEHMBS. 

Le gouverneur avail rtit, aux premieres demandes ' 
qu'elle lui adressa : « Que m'importeJ suis-je fait 
pour leur trouver des femmes? » 一 Et cependant 
tout 6tait \k. C,6〖aU le secret de la vie, de la per- i 
p6tuil6 pour ce nouveau monde. Done, elle n'b6- 
sifa pas, celte femme chaste et sainte entre toutes, 
a se faire Funiversel agent des amours de la colo- 
nic, le ministre du bonheur. Elle tdchait de bien 
(linger les choix dans ces manages lapides. Mais 
que faire? elle croyait que, dans une grande soli- 
tude, lorsqull n'y a pas \k des tiers pour intriguer 
et brouiller, la bonne nature arrange tout ; on veut 
s'aimer et l,on s'aime ; on s'atlache par le temps ; 
on finit par s'adorer. < 

Elle travaillait surtout k recomposer les families. 
Elle aidait lajeune fille, bien mari6e, devenue une 
maitresse de maison, h faire venir ses parents. Elle 
faisait aussi venir d'Angleterre les malheureuses 
ouvriferes a Faiguille qui d^ji mouraient de faim 
comme les ndtres aujourd'hui. 

La recompense qu'elle trouva, c'est qu'on failli 
la tuer. La populace de Sidney trouva fort mauvais 
qu'elle attir&t tant d,6migratites, quifaisaientbais- 
ser le prix des salaires. Des bandits s'altronpaient 
sous ses fenfires et voulaient sa vie. Elle parut 
courageusement, les prficha, leur fil entendre rai- 
8on. Us s'doign^rent pleins de respect. 



CAROLINA: 405 

Au bout de sept ans, elle alia k Londres pour 
convertir le minist^re a ses id6es, et fit un cours 
public pour les r6pandre. Le ministre Grey et les 
comil^s de la shambre des lords voulurent l*enten- 
dre et la consultSrent. line chose rare, admirable, 
c'est que son mari, devenu son premier disciple, 
retourna en Australie. Ces deux 6poux, si unis, 
s'imposfirenl une cruelle separation pour faire 
plus de bien. Elle 6tait all6e le rejoindre quand 
dlefomba maladc, e" dit-on, mortellement. (Blos- 

SEVILLE,II, 170; 1859.) 

Elle est la l^gende d'un monde. Son souYenii* 
grandira d'ftge en dge. 



Une singularity qu,on ne peut nfegliger, c'est que 
cette sainte 6tait I'esprit le plus positif, le plus 61oi- 
gn£ de toute chim^re, de toute exag^rafion. Elle 
avail au plus haul degrt I'esprit administratif, 6cri- 
vait tout, fenait un detail immense des choses, des 
sorames, des personnes, une comptabilit^ exacte. 
En voici un trait tout anglais. Se croyant respon- 
sable du petit patrimoine de famille envers son 
mari, ses enfants, elle a calculi qu'au total, mal- 
gr6 les avances iniinies qu'elle faisait, tout itait 



406 LA FZMME PROIECIWE DES FEilMES. 

rentrt, moins une fort petite soraiiie. Daas tout 
son aposUla" elle n'avait appaavri sa famille que 
de seize Irvres. 
Ce n'est pas cber pour faire ua laoade* 



IV 



CONSOLATION DES PRISONNlfiRES 



Dans son m^moire couronn6 par I'Institut, ma- 
dame Mallet disait en 1845 : <c Dix mille femmes 
enlrent chaqae annie dans nos prisons de France. 
Les plus coupables, qui sont les loieux trait6es, 
remplissent lee maisons centrales. Les moins cou- 
pables, au nombre de huit mille, soul dans les pri- 
sons d^partementales, \ieux couvents humides, oil 
on les laisse souvent sans ouvrage, daas un d^soeu- 
vrement d^solant, corrupteur, 一 sans linge^ el quel, 
quefois sans lit. » 一 Esp6rans que depiuis ce temps 
on y a raieux pourvu. 

Jusqu'en 1840, elles ^taient gardies par de$ 
hommes I et aujourd'hui encore, une femme arr^lte 
et mise au corps de garde a paur protection la sa^- 



408 C09S0UTI05 DES PRISOXHlbffiS. 

gcssc dc dix gar$ons de vingt ans. (Voy. la trisfe 
affaire d'Oslinda, jugte le 14 septembre 1858.) 

Dans le compte g^n^ral des crimes et d6Iits, les 
femmes sont pour bien peu (diz-sept pour cent), 
chose £tonnante, car dies gagnent bien moins que 
rhomme, et doiTent fitrc bien plus tenf£es par la 
misire. Quandonentre, arec madame Mallet, dans 
le detail des causes, ce chiffre diminue encore, 
8*iyanouit en grande partie. Nombre de ces crimes 
ou dilits sont forces. Ic" des m^res prostitutes 
battent des enfants de douzc ans, leur cassent les 
denis k coups de poing, pour les mettre au trottoir 
et les rendre voleuses. La, ce sont des amants qui 
ne font pas le crime eux mdmes, mais le font faire, 
forcent la femme de voler pour leur compte ; sinon, 
6reint6e k coups de b&ton. Ailleurs, c'est la faim 
uniquetnent qui la conduit au mal. D'autres, c'est 
leur bon coeur, leur pi6te ; elles se prostituent pour 
nourrir leurs parents, et leurs vices m^rileraient 
ie prix de verlu. 

La plupart sont de bonnes creatures, tendres et 
chari tables. Les pauvres le savent bien. lis s'adres- 
sent avec conQance, et de pr^f^rence, k ces filles. 
Remarquons-le, dans cette lie des villes, il y a 
une bont6 infinie. Dans les campagnes beaucoup de 
dureti. On donne un peu, de peur de Vincendie, 
mais on laisse mourir ses parents de faim. 



CONSOLATIO DES PRISONmBKES. 409 

La cause \raie, profonde, g^nSrale, qui les mene 
au vice et au irime m6ine, c,est I'enniii, la tris- 
tesse de leur vie. La vertu pour une fllle, c'est 
d,6tre quatorze heures par jour assise, 'hisant le 
meme point (on I'a vu, pour gagner dix sous), la 
tfele basse et restomac pli6, le sifege 6chauff6, fati- 
gu6. Sedet wternumque sedebit. Ajoutez, pour I'hi- 
ver, ce miserable brasero qu'elles ont, grelot- 
tantes, pour lout chauffage, et qui fait taut de 
multrdies. Le cinqui^me des crimes de femmes 
est fait par les couseuses. 

Ce pauvre enfant, la femme, a besoin de mou- 
voir, de varier ses attitudes. Toute sensation nou- 
velle lui est charmante ; mais il ne lui faut pour- 
tanl pas grande nouveautfi pour fetre heureuse ; le 
petit mouvement du menage, travail alterne, soins 
d'enfanls, voilk son paradis. Aimez-la, rendez-lui 
la vie un peu plus douce, un peu moins ennuyeuse, 
et elle ne fera rien de mal. Otez-lui de la main, au 
moins pour quelques heures par jour, raiguille, 
ce supplice de monotonie felernelle. Qui de nous 
le supporterait? 



Madame Mallet a vu et bien vu les prisons. C,est 
un trfes-grand m^rite. Qu'il est h souhaiter que nos 

23. 



;. s ^ .0 ^ ^ ^ -Bi f h I .1 —」- -… c r. 



410 C(W«(M,\TIOW DCS PRlSOISMfeRES. 

dames rimiient , qu'elles dominent leur r£pu* 
gnance, abordent cet eafer, qui, tel quel, contfenC 
bien des angee, 一 anges d<^chus, dont plusienrs 
smt plus prto du del que telle sainte. 

Le lort de ce bon livre, c'est sa timidite, ses mfe- 
nagements. Elle veut et ne veutpas de surveillantes 
religieuses. Elle suit la mode du temps et I'opinion 
de ses juges, la plupart favorables au syst6me cel- 
lulairc. Des lors, peu d'air, peu de lumi^re ; des 
creatures 6tioI^ el toutartificielles. 

Le rcmide, au contraire, c'est d'abatire les murs, 
c,est Voir et le soleU. La lamiere moralise. 

Le rom^de, c'est le trawil dans des conditions 
(out aulres, s6vftre, mais un peu varie et coup6 
de musique (cela riussil a Paris, par les soins de 
quelqucs dames protestantes). Les prisonni&res 
sonl folles de musique. Elle les harmonise, leur 
rend F^quilibre moral ; elle soulage la flamme in* 
tferieure. 

Lion Faucher Fa tr6s-bien dit : il faut rendre au 
travail des champs les prisonniers et les prison- 
nidres qui sont de la campagne, ne pas les enterrer 
dans vos horribles niurs, manufacture de pulmo- 
niques. Oui, remcttez la paysanne au travail de la 
terre (en Algferie, du moins). J'ajoute : L'ouvrifere 
mISme peut utilement 6tre colonist dans des 6ta* 
blissements demi-agricoles, ou, plusienrs heures 



CONSOLATION DES PMSO^m^RES. 411 

par Jour, elle fasse un peu de jardinage qui aidera 
h la nourrir. 

Nous n,avons pas besoin d'avoir, comme les An- 
glais, de couleux pdnitentiaires au bout du monde. 
Colonisons la M6diterran6e. VAfrica nourrissait 
FEmpire. Elle sera encore tr^s-peupl6e, Ir6s-f6- 
conde , du jour qu'on voudra s6rieusement l,as- 
sainir. 

Mais le grand, le d6cisif, le souverain remade, 
c'esl Vamour et le manage. 



« Le mariage ! et qui en voudra? » Plus d'un 
qui saura r6flechir. 

Broussais a dit : « La maladie de I'un, qui chez 
lui est un exc6s de force, sera it faiblesse en I'aulre. 
Si le tempferament est different, difKrentes les cir' 
Constances physiques, ce n,est plus maladie. » 

Je crois aussi que telle personne qui, dans 1'6- 
touffement de nos villes et d'une soci6te si serr6e, 
a p6ch6 par violence et parfois par exces de force, 
serait bien a sa place et peut-6tre adipirable dans 
les liberies de FAtlas, dans une vie a\enlureuse de 
colonies miiitaires. Madame Mallet remar que qu,en 
general, les femmes sanguines qui, dans la colore 
ou la jalousie ont fait un acte criminel, ne sont 



419 CONSOLATION DES PRISONNlfiRES. 

pas du tout corrompues. Employ ez-les selon leur 
dnergie, elles la mettronl toute dans I'amour et 
dans la famille, et ce seront de vraies brebis. 

Et Ics raartyiss, les saintes de la proslilution qui , 
Pont subie par piel6 fiiliale ou devoir malernel, qui 
les croira souill6es ? Ah ! les inforlun6es a qui la 
vertu m6me infligea ces tortures, sachez qu'elles 
sont vierges entre toutes. Leur coeur bris6, .nais 
pur, plus que nul coeur de femme, a soifd'honneur, 
d'amour, el nuUe n,a plus droit d'felre aimfee. 

Les vraies coupables m6me, si on les sort de 
notre Europe, qu'on les melte sous un nouveau 
del, sur une terre qui ne saura rien de leurs fautes, 
si elles sentent dans la soci6t6 une mfere qui punit, i 
mais une m6re, si elles voient au bout de 1'6- ' 
preuve , I'oubli , Famour peut-6lre... leur coeur 
fondra, et, dans leurs abondantes larmes, elles se- 
ront purifi6es. 

Quand je vois ces chauves rivages m^diterra- 
neens, ces montagnes arides, mais qui, gardant 
leurs sources, peuvent ioujours 6tre rebois6es, je 
sens que vingt peuples iiou\eaux vont nailre lk, si 
on y aide, Au lieu de revenir ici miserable ouvrier, 
notre soldat d'Afrique, d,Asie, sera propri6laire ^ 
la-bas. II aimera bien mieux, comme femme et 
auxiliaire, prendre, non une stalue d' Orient, mais 
une vraie femme vivante, une &me et un esprit, 



CONSOUTION DI*S PIllSO^NIliRES. . 413 

une Frangaise 6nergique, adoucie par rSpreuve et 
jolie de bonheur. 

Voila raon roman d'avenir. II suppose, jel'avoue: 
une condition, c est que la medecine s'occupe des 
grand sob jets de ce sificle : Vart d'acclimater rhomme 
et Vart des croisemetits, l,art d'liarmoniser les fa- 
milies par ^association des differences de races, 
de conditions, de Icraperaments. Pour les ndtres, 
il faut de I'adresse plus que pour les manages an- 
glais qu'improvisait Carolina. Je voudrais la une 
Carolina frangaise, qui, enlour6e des lumi^res de 
la science, 6clair6e des rafedecins, placerait habile- 
ment les femmes Iib6r6es dans les conditions les 
plus sages. Si, par exemple, la vive, la sanguine, 
est marifee dans Fair vif des monlagnes avec un 
homme violent , on peut craindre de nouveaux 
exc6s ; mellez-la pluldt dans la plaine avec un 
homme calme en qui elle respecte la force douce 
et la mdle 6nergie. 



Ce sont Ui les seuls rem^des s^rieux. L'6tat ac'> 
tuel ne corrige rien, de I'aveu de Fautorilfe (Mallet), 
il multiplie les r6cidives. Le silence impos6 dans 
les maisons centrales, pour les femmes, est une 
torture ; plusieurs en deviennenl foUes (p. 188). 



4U CONSOLATION DES PI\IS0NNI£RES. 

Que pr(^)ase pourtant cetle dame? D'aggraver cet 
£tat qui fait des folles, en les metiant dans dee 
cellules. La elles seront cat6chis6es par raumonier. 

En g6n6ral, que leur apporte-t-il? De vagues g6- 
n6ralit6s (Mallet). II ne \arie pas sa parole seloR 
les classes et les personncs. L'ouvrifere n,y Irouve 
qu'ennui, la paysanne n 'cntend pas un mot. Peut- 
on parler de m^me k la fiUe vicieuse, endurcie dans 
le mal, et a la fille violenle, nuUement vicieuse, 
qui a frapp6 un mauvais coup ? Le meilleur aum6- 
nier, qui fait profession d'ignorer r amour , le 
monde et la vie, est-il propre a comprendre des 
precedents si compliqu^s, des situations si diver- 
ges? Combien moins les religieuses , qu'on em* 
ployait pour surveillantes ! Madame Mallet, qui 
les recommande, avoue qu'elles n,y comprenaent 
rien, qu elles haissent les d^tenues, n,ayant aucune 
idee des circon stances qui les ont men6es la, des 
tenlations de la pauvret6, etc. 

Tout membre de corporation est, par cela seul, 
raoule dans un certain inoule general, el il a iiifi- 
niment moins le sens du sp6cial, de l individuel, 
qui serai t tout dans cette m^deciae des imes. 
L'Jhomme , ni6me laique, avec notre aniforcniti 
d'6ducation, etc., y convienl bien moins que la 
femme. J'enl^ds la dame du monde, qui a de 1'^ ge 
el de rexp6ri€ftce, qui a beaucoup vu et senti, qui 



CONSOUTION DES PRISO 画 fcB£S* 415 

Pdit la destin6e, qui a m'^mk plus d,un coeur, qui 
connait mille secrets d^Iicals dont les hommes ne 
86 douteront jamais. 



« Croyez-vous done qu'on trouvera beaucaup de 
dames si d6vou6es, si courageuses , pour visiter 
souvent ces sombres lieux , pour affronter le con- 
tact deces tristes crfeatures ? Sans doute c'est beau- 
coup de sentir que Fon fait le hien. Cependant, il 
faut la bien de la force pour pers6v6rer. » 

J'ose dire qu'on le trouvera, cet appui n6cessaire, 
non dans le coeur seulement , mais dans r esprit. 
Pour une intelligence haute , pure, 6clairee , qui 
par I'age arrive aux regions d'ou l,on domine, c'est 
une 6lude merveilleusement instructive , emou- 
vanle au plus haut degr6, de lire dans ce livre vi- 
vant. Laissez moi la yos drames et vos spectacles, 
le grand drame est ici. R6servez done voire int6r 6t, 
vos pleurs. Toute fiction p&lit en pr6sence de lelles 
r6alU6s, — si fortes, h^las I si d61icates aussi ; ce 
sont des destinies de femmes. Ces fils que je vous 
mets, madame, dans vos bonnes mains, n,esl>ce 
pas un bonheur d'en eclaircir doucemenl les tene- 
breux 6cheveaux ? el, s'il Stait possible a votre 



416 CONSOLATION DBS PRISONNltRES. 

adresse de les reprendre, ces pauvres fils cassis, 
ct de les rattacherl... Omadame, les anges seroni 
jaloux de vous. 



Ange de Dieu, pardonnez-moi de yous parler 
d,un sujet sombre, du plus choquant, du plus ter- 
rible. Mais tout se purifie au feu de charit6 qui 
vous brule le coeur. 

Nul amendement dans les prisons, si I'on ne 
trouve moyen d,y rappeler l,6tat de nature, d,y finir 
rexfecrable tyrannic des forts sur les faiWes, 
ceux-ci battus et jouets des premiers. 

Tout le monde le salt et personne ne veut le 
dire. Un homme de funebre m6moire (de grandes 
fautes politiques, mais qui avait un coeur), I'homme 
qui sut le mieux les prisons, quand nous 6tions 
amis, m,a plus d'une fois explique avec rongeur et 
larmes ce mystfere du Tartare, les boues sane fond 
du dfesespoir. 

L'effet est different ; I'homme tombe si bas qu'un 
enfant le ferait trembler ; la femme devient une 
furie. 

Ce n'est pas avec des magons, des murs et des 
cachots qu'on finira cela. On n'aurait a la place 
que le suicide honleux, le cul-de-jatte et I'idiot. Ce 



1 



CONSOLATION DES PRISONNIERES. 411 

qu'il faut, c,est l,air, le travail, le travail fatigant. 
Et, pour le prisonnier maris, il faut lui renrtre ce 
que nul n,a le droit de lui dter : le manage. 

Je soumets aux jurisconsultes, mes illustres con- 
freres de rAcad^miedes sciences morales, la ques- 
tion suivante : La loi, en condamnant cet homme 
h la prison, en supprimant les effets mils de son 
mariage, enfend-elle le condamner au c^libat? 
Pour moi, je ne le crois nullement. 

Et ce que je sais cerfainement, c'est que I'autre 
conjoint, innocent et non condamn^, conserve son 
droit immuable. 

Plusieurs de ces inforlun6s tiennent extrfime- 
ment k la famille et continuent de lui faire les plus 
honorables sacrifices. J'ai vu, au Mont-Saint-Mi- 
chel, un prisonnier, chapelier tres-habile, qui, du 
fond de sa prison, cn se privant de toute chose, 
travaillait pour nourrir sa femme, et qui attendait 
impatiemment Flieure de se r6unir a elle. 

L'figlise catholique croit le mariage indissolu- 
ble, done son droit permanent. Comment n'a-t-elle 
pas reclam6 ici au nom de la religion, de la mo« 
rale, de la piti6? 

La chose, je le sais, a des difficuU6s pratiques. 
II y faut un sage arbilraire. On ne peut indiscrfete- 
ment introduire chez la prisonnifere un mari per- 
\ers, coiTupteur, qui a pu la mener au mal. line 



418 CONSOLATION DES PRlSOSNlfcRES. 

administration, chargfee de tant de choses gferv^- 
les, ne peut pas aisement entrer dans 1' information 
minulieuse que ceci demanderait, chercher sou- 
Tent au loin des renseignements, suivre pour une 
seule per Sonne une correspondance dfelicale et coii' 
teuse. C'est ici qu,il faudrait 】a providence d,une 
dame de coeur, de vertu .eprouvee. 

Si 】a prison est dans une grande \ille ou pas 
bien loin, elle y chercherait de l,ouvrage au mari, 
les rapprocherait ainsi, de sorle que la prisonnifere 
eiil le bonheur de sa visite tel jour du 励 is qu'in- 
diquerait rintelligente proteclrice. 

La fern me n,esl qu'amour. Rendez-le-lui, vous 
en ferez tout ce que vous voudrez. Elles en valent 
la peine ; elles conservent beaucoup de ressort, 
sont parfois trfis-exaltees et trfes-bizarrement amou- 
reuses, mais jamais apaisces, comme I'homme, m 
igaoblement aplaties. Celle qui leur donnerait un 
Eclair de bonheur, en serait tellement aim6e et 
adoree, qu,elle mSnerait, tout comme elle vou- 
drait, ce faible troupeau. 

Madame Mallet le sent trfes-bien. C,est la le grand 
moyen de discipline, de r6g6n6ration. Elle veut 
qu,.oa en use, que la prisonnifere regoive son mari. 
Mais elle y met de telles enlraves et tant de gfines, 
que se revoir ainsi, c'est peut 6tre souffrir encore 
plus. 



CONSOLATION DES PRISONNIERES. 4i« 

n no faut pas leur envier ce qu'on leur donne. 
La surveillance, s,il y en a, ne peut 6tre exercee 
par les personnes officielles qui auraient dcs oreil- 
les et dcs yeux, epieraient leurs epanchements, et 
dont le visage seul les glacerait. II faut qu'on s'en 
rapporte a la bonte officieuse dune personne sure 
et respeclee, qui prend^a (out sur elle, et dont 
I'indulgente vertu abrilera sa pauvre soeur humi- 
iiee dans cette consolation supreme, et n,en comp- 
lera qu'avec Dieu. 



V 



PUISSANCES H£DICALES DE LA FEMME 



Tout le monde connait k Lyon mon bon et savant 
ami, le docteur Lortet, le plus riche coeur de la 
terre pour Ffenergie dans le bien. Sa mfere, au fond, 
en est cause. Tel il est, tel elle le fit. Cette dame 
est reside en legends pour la science et la charitfe. 

Le pere de madame Lortet, Richard, ouvrier de 
Lyon, grenadier, et qui ne fut rien autre chose, 
s,avisa?u regiment d'apprendre les mathemaliques, 
et bientfit en donna legon a ses officiers et a tous. 
Rentr6 a Lyon et mari6, il donna h sa fiUe cette 
Education. Elle commen^a justement comme les 
bambins de Froebel par une 6Iude qui charme les 
enfants, la gfeomStrie (rarithmfelique, au contraire, 
les fatigue extrfimement). Femmc d'un industriel, 



PUISSAIfGES UfOIGALES DE L\ FEMMB. 421 

vWant en plein mondc ouvrier, dans les convulsions 
de Lyon, elle se hasarda pour tous, sauvant tantdt 
des royalistes et tantdt des jacobins, forgant intr6- 
pidement la porte des autorit^s et leur arrachant 
desgr&ces. On sail r^puisement terrible qui suivit 
ces agitations. Vers 1800, il semblait que le monde 
d6faillit. S6nancourt 6crivit son livre d6sesp6ri6 de 
VAmQu^, et Granville le Dernier homme. Madame 
Lortet elle-m6ine, quel que fHi son grand courage, 
sur tant de ruines, faiblit. Une maladie nerveuse la 
prit, qui semblait incurable. Elle avait trente ans. 
Le tr^s-habile Gilibert, qu'elle consulta, lui dit : 
« Vous n'avez rien du tout. Demain, avec votre en- 
fant, vous irez, am portes de Lyon, me cueillir 
telle et telle plante. Rien de plus. » Elle ne pouvait 
pas marcher, le fit a grand'peine. Le surlendemain, 
autres plantes qu'il I'envoya recueiliir a un quart 
de lieue. Ghaque jour il augmentait. Avant un an, 
la malade, de^enue botaniste, avec son garson de 
douze ans, faisait ses huit lieues par jour. 

EUc apprit le latin pour lire les botanistes et 
pourenseigner son ills. Pour lui encore, ellesuivait 
des cours de chimie, d'astronomie et de physique. 
Ellele prSpara ainsi aux 6tudes m^dicales, renvoya 
Studier a Paris et en Allemagne. Elle en fut bien 
ricompensSe. D'un m6me coeur, le fils et la mfire, 
k toules l66 bataiUes de Lyon, pansirent, cacli^rent 



428 FUISSANCES JUfiDtCALES HE LA FEHVE. 

et sauv^rent des blesses dc tons los partis. Cile fut 
tn tout associte a la ginirosiie avenlureuse du 
jenne docteur. Si elle n'eut vteu avec lui, et dans 
un grand centre medical, elle aurait ilendu de ce 
cdt6 ses etudes, et les aucait neios circonscrites 
dans la botanique. Elle ftit I herborisle des pau- 
vres.Elle en aurait ele le mcdeein. 

Tout ceci m'a 6te reaiis en memoire par ce que 
j,ai sous Ics yeux. J'ecris dans un tr&s-beaulieu suv 
les bords la Gironde. Mais, ni id, ni ailleurs dans 
les \iilages, il n'y a point dem^dedn. Us sent plu- 
tteurs, I'^nis dans une petite ville, nullement cen- 
tra le, ou its n'ont presfne rien a faire. Avant d,en 
faire Tenir un et de payer deplaeement couteux, 
les pauvres meurent. Souvent lemal, pris- a temps, 
n'eAt ii& rien, c'est une fi^vre qu'un peu de quin- 
quina aurait arr^tee j cest une angine d enfant, 
qui, caut6ris6ea Pinstant, aurait disparu ; mais on 
tarde. Fenfant meurt. 一 Ou est madame Lortet? 



One dame Amirieaine, qui a. cent mille livres de 
rentes, mais oependant riche de cosur, de connais* 
aances varices, et qui, de pluis, a I'espriid^licat, les 
reserves craintives de la pudeur anglaise, n'en a pas 
moms r6soIu de doimer a aa fiUe une 6ducalk)n 



pmSSAT^CES MEDICALES DE LA FEME. 423 

mfedicale. Dans ce pays (Taction, de migrations, ou 
les circonstances vous portent souvenl fort loin dcs 
grands centres ciirilis6s, si celte demoiselle 6pouse 
(je suppose) un industriel 6tabli sur je ne sais quel 
cours d'eau de rOuesl, il faut que ces mille ou- 
vriers,Ges milliers de dfefricheurs qui seront autour 
d,elle, trouvent quelques secours provisoires a la 
grande usine, et ne meurent pas en attendant le 
midecin, qui peuWtre demeare a \ingt lieues de la. 
Dans leurs hivers, fort rigourera, il n,y a nul se- 
cours k altendre. Gombien moins en d'aulres pays, 
en Russie par exemple, oii les fanges du printemps 
et de I'automne suspendent au moins six mois 
toufe communication ! 

Les legons d'anatom-ie sont suivres aux fitats- 
Unis par les deux sexes 6galemenl. Si le pr6jug6 
emp^che de diss^quer, on suppl6e par les admi- 
rable s imitations du docteur Auzoux. II m,a dit 
qu'il en fabriquait autant pour les Etals-Dnis que 
pour tout ie reste du monde. 



c En supposant la science 6gale, quel est le 
meilleur m^decin? 一 Celui qui aime le plus. » 

Ce tr^s-beau mot d'un grand maltre nous porte- 
rait k en induire •• « La femme est le vrai midecm.* 



424 PUISSAr^CES M^DIGALES DE LA FEMME. 

Elle rest chcz tous les peuples barbares. G'est, 
cliez eux, la femme qui sait les secrets des simples, 
Ics applique. U en fut de inline chez des peuples 
non barbares, et de haute civilisation. Dans la 
Perse, la dcpositaire de toutes sciences fut la mSre 
des mages. 

En realilSy I'homme, qui compatit beaucoup 
moins, qui, par I'effet de sa culture philosophique 
et g6n6ralisatrice, se console si facilement de rin- 
dividu, rassurerait 】e malade infiniment moins 
que la femme. 

Celle-ci est bien plus touchSe. Le malheur, c,est 
qu,elle Pest trop, qtfelle est sujette k s'attendrir, 
a subir la contagion nerveuse des maux qu'elle 
voit, et a devenir la malade elle-mSme. II y a tel 
accident cruel, sanglant, repoussant, qu ,。! i n'ose- 
rait meltre sous ses yeux a certaines 6poques du 
mois, ou encore, si elle est enceinte. Done, il faut 
que nous reuoncions a celte aimable perspective. 
Quoiqu'elle soil certainement la puissance conso- 
lante, rfeparatrice, curatrice, mfedicative, du monde, 
elle n'est pas le m6decin. 

Mais combien utilement elle en serait Fauxi- 
liaire I combien sa divination, en mille choses de- 
licates, suppl^erait a celle de I'homme I L'6duca- 
tion de celui-ci developpe en lui plus d'un sens, 
mais elle en 6teint plusieurs. Gela est visible sup- 



PUISSANCES HEDIGALGS DE LA FEMME. 435 

tout dans les maladies de femmes. Pour en p6n6- 
trer h fuyant secret, le protfee myst^rieux, il faut 
soi-m6me 6tre femme ou aimer infiniment. 

Le sacerdoce medical demande des dons si vai,i6s, 
et m6me si oppos6s que, pour I'exercer, il faudrait 
rfetre double, disons mieux complet, homme-femme^ 
la femme associ^e au mari, comme mesdames 
Pouchet, Hahnemann, etc.; la mkre associ^e au 
fils, comme fut id a dame Lor let. Je comprends 
aussi qu'une damo veuve et &g&e exerce la mfede- 
cine avec un fils d'adoption qu'elle aurait formS 
elle-mfeme. 

Les mMecins (premiere classe de France incon- 
testablement, la plus 6clair6e) voudraient-ils per- 
mettre k un ignorant qu'eux-mSmes ont instruit 
et fait r6fl6chir, de dire ce qu'ii a au coeur? Eh 
bien, \oici ce qu'il lui semble : 

La medecine a deux parties dont on ne parle pas 
assez : 1。 la confession^ I'art de faire dire au malade 
tous les pr6c6dents qui expliquent la crise physi- 
que; 2* 】a divination morale, pour compl^ler ces 
aveux, voir au delk , I'obliger de livrer le petit noyau, 
imperceptible sou vent, qui est le fond ml*ne du 
mal, ei qui, restant toujours malgr6 tous les 
plus beaux remMes, le ferait toujours reyenir. 

Oh I que la femme, une bonne femme, pas trop 
ieune, mais d ,! m ccBur jeune, 6mu, tendre (qui 

24 



426 PUISSANCES II^DIGALES BE LA FESIHE. 

trouve radresse, la patience, dans sa piti6), vtent 
mienx k boat Ae cela ! L'homine y est fort neees- 
saire. II faut que froidement, graremefit, il observe 
et conjecture, sur Faspect physique et le peu que 
le malade veut dire. Mais la fenime du dodettr, si 
die £tait la aussi, si elle restait apr^s^ lui, comme 
ellc en 難 rait bien plus ! Combien sa cempassion 
obtiendrait davantage , et surtout d'une autre 
fern me I Parfois, pour r^soudre tout, faire fondre 
toutes les glaces, obtenir i'histoire eompiete , il 
suftirait de pleurer. 



J'avais pour voisin, h Paris, un clwrrbomiier de 
trente ans qui avait du bien en Auvergne et ici mie 
boutique qui n'allait pas mal. De son pays, il fit 
venir une Spouse, une gentille Auvei^nate, un pen 
courte, mars jolie, dont le visage, noirci par mo- 
ments, n en brilteil pes raoins de pettts yeux pleins 
(le flamraes. EUe itaitsage, maisvoyait qu'on la re- 
gardait beaucoup, et n,en 6tait pas fiichSe. Us faa- 
bitaiepinne rue sale, ^troite, obscure et peu saine* 
Par moments le charboimier, jeane et fort, n'en 
avail pas moins des acces de Mire. Us devinrent 
plushabituels. II pAlissait, maigrissait* Un bonm6- 
'decin appele vit de suite uRe chose probable, que 



PUISSANCES MfiDIGALES m LA F£ttM£. 427 

i*humidit6 du logis a\ait commence la fifevre, que 
! es brouillards de Paris ne valaient rien a un homme 
qui avait longtemps re&pir6 Fair \if et fioid du 
GaAtal. II ltd dit qu'il lui couperait sa fievre, msis 
qu'ellft reviendrai" s'il ne retournait au.pa'js, Le 
cbarbonnier ne dU riea, sa fi6vre augmenta. 

line daioe du voisinage que la charbonniere four- 
nissait, vitque,demere r observati0Ti j udicieuse du 
m6decin, il y avait paurtant autre chose. Et ellelui 
dit : « Ma petite, sais-tu pourquoi ton mari a la 
fifevre, et la gardera et raura de:idfis en pIus?G'eati 
parce que tes jolis yeux^aiment trop k Aire r^ar - 
d6s... Et sais-lu paurquoi la fievre a augments ces ! 
jours-ci ? C'est par le combat que se livreat ea lui 
I'amour et lavarice. II 'croit gagner trop peu Ishbas^ 
II ne pourra pas s,en tirer. II restera et mourra. » 

Ni la femme ni rhomme n'auraient jamais pris 
un parti. Ce ful la dame qui le prit. Elle avertit les 
parents, qui de la-bas firent 6crire au charbonnier 
que son bien 6tait en mauvaise main, qu41 Atpk- 
rissait ; que, pendant qu ,: il croyait faire k Paris de 
bonnes affaires, il se ruinsftt en Auv^gne. Gela r6- 
veilla noire homme, tranoba taut. II n'eut plus de 
fievre, cida sa petite boutique, emmema sa petite 
feiBjne, partit. Tous deux fuseM sauv6s« 




428 PUISSANCES 血 CUES D£ U F£MM£. 

Sauver les autres, c'est se sauver soi-m6me« 
Grande douceur pour un coeur bless6 d'exercer 
celte puissati^^, de se guferir en gu6rissant. Une 
femme qui a un grand deuil, de vifs chagrins, de 
grandes pertes, ne sait pas toujours assez que ce 
fonds de douleurs, c'est (permettez-moi le mot) une 
merveilleuse pharmacie pour les maux des autres. 
Une mfere a perdu un enfant. La dame y va, et elle 
pleure. La m^re n'ose presque plus pleurer, son- 
geant que la dame a perdu tous les siens, et reste 
seule. Et, elle, dans ce malheur du jour, elle a 
pourtant la douceur de voir encore autour d'elle 
une belle et brillante famille. Elle a son mari ; elle 
a les consolations d'un amour raviv6, rfiveillS par 
les pertes mfeme. Elle se compare, et dit : « J,ai 
beaucoup encore ici-bas. » 



Nous marchons vers des temps meilleurs, plus 
intelligents, plus humains. Gette ann6e m6me, 
VAcaddmie de midcine a discut6 une grande chose, 
la decentralisation des hdpitaux. On dStruirait es 
lugubres maisons, foyers morbides, impr6gn6s des 
miasmes de tant de generations, oii la maladie 
et la mort vont s, aggravant, se d^cuplant, par un 
terrible encombrement. On soignerait le pauirre 



PUISSANCES M^DIGALES DE LA FEMME. 429 

k domicile ; honheur immense pour lui, car on le 
connaiirait, on le verrait dans ses besoins, dans 
les milieux qui font la maladie et qui la recom- 
mencent dfes qu'il revient k I'hdpital. Enfin, pour 
des cas peu nombreux, ouil doit sorlir de chez lui, 
on crfeerait autour de la ville de petils hdpitaux, 
ou le malade, n'fetant plus perdu et noyfe dans les 
foules, serait bien autrement compt6, redeviendrait 
un homme, ne serait plus un num6ro. 

Je ne suis jamais entr6 qu^avec terreur dans ces 
vieux et sombres couvenls qui servant d'hdpitaux 
aujourd,hui. La proprelfi des lits, des parquets, 
des plafonds, a beau fitre admirable. C'esl des 
murs que j,ai peur. J,y sens l,5me des morts, le 
passage de taut de generations 6vanouies. Croyez- 
vous que ce soit en vain que tant d'agonisants aient 
fix6 sur les m6mes places leur oeil sombre, leur 
dernifere pens6e? 

La creation des petits hdpitaux, salubres, hors 
de la ville, entourSs de jardins, la sp6cialit6 des 
soins surtout, ces rfeformes humaines, doivent se 
faire d'abord pour les femmes. Les accouchSes 
sont enlev6es en masse par des fifevres conta- 
gieuses. La femme, en g6n6ral, est bien plus pre- 
nable que rhomme aux contagions. EUe est plus 
imaginative, plus affectee de se voir 15, perdue 
dans cet oc6an de malades, prSs des mourants, des 

24. 



43# PUISSAKGES M£D1GAL£S DE LA. FEMMB 

morts ; cela seul la ferait mourir. Les parents u'en- 
trent que deux fois par semaine, s,il y a des pa- 
rents. Le3 soeurs sont occupees de soins materiels, 
un pen blas6es dailleiirs par la vue de tant de dou- 
leurs. L^nterne est un jeune homme. Ce serait 
lui pourtant, et justement parce qu'il est jeune 
et lion blase encore, s,il 6tait bon, ce serait lui qui 
pourrait le plus moralement. Et quel fruit immense 
d'instruction il en tirerait ! quel agrandissemenl 
du coeur ! 

Le docteur L", alors jeune et interne dans un 
hdpiial de Paris, vit venir dans sa salle une fiUe 
de vingt ans au dernier degr6 de la pulmonie. 
Nulle amie, nuUe parent e. Dans son absolue soli- 
tude, au milieu de cette triste foule, dans la m6- 
lancolie d,une fin prochaine, elle \it bien, sans 
qu'il lui parlat, elle vit dans ses yeux un Eclair de 
compassion. Des lors elle le regardait loujours, 
aUant, venant par la salle, et elle ne se croyait pas 
tout a seule. Elle s'6teignait doucement dans 
cette pure et derni^re sympathie. Un jour, il passe, 
elle fait signe. II dit : « Que voulez-vous ? ― Voire 
main. » EUe meurt. 一 Ce serrement de main n,a 
pas et6 sterile ; ce fut le passage d'une ame. Une 
ame en profita. M^me avant de savoir ceci, en re- 
gardant cet homme charmant autant qu'habile, 
j'avais senti qu'il est de ceux que la femme a 



PUISSANm Sf^DIGiiLLES D£ LA FMME. 4M 

dou^s, et qui (rouvent des tr6sors de medicaiioB 
dans la tendresse du ccBur. 



Le meilleur homme est homme, et une iemme 
ne peut lui tout dire. 11 y a surtout une semaine 
par mois ou la malade, deux fois malade, est vul- 
n6rable d tout, faible, 6mue, et pourtant n'ose 
parler. Elle a home, alars, elle a peur, elle pleure, 
elle r6ve. Ce n'est pas a la soeur, personne offi- 
cielle, qu'elle dira tout cela; com me vierge, la 
soeur n'y voudrait rien comprendre, et n'a pas la 
temps d'ecouter. II faut une vraie femme, une 
bonne femme, qui sache tout, sente tout, qui lui 
fasse tout dire , lui donne bon espoir, lui dise : 
a N'aie pas d'inquietude, j'irai voir tes enfanls^ 
je te chercherai de rouvrage ; tu ne seros pas em- 
barrass6e a la sortie. » 一 Cetle femme, fine el p6- 
netrante autant que bonne , devinera aussi ce 
qu'elle n'ose dire, qu'ayant vu mourir sa voisine, 
elle a peur de la mort : « Toi, tu ne mourras pas; 
ne wains rien , ma petite , nous l,emp6cherons 
bien... » Et mille autres choses foUes et tendres 
que trouve un coeur de m&re. La malade est 
comme une enfant. II faut lui dire ce qu'on dit k 
un nourrisson, la caresser et la bercer, De femmo 



1 



43) PUISSANCES M£DIGALES DE Ul FEMME. 

h femme, les caresses, un tendre enveloppement, 
c'est souvent chose toute-puissante. Et si la dame 
a influence, autorit6, ascendant d'esprit, de posi- 
tion, d'autant plus sa bont6 agit. La pauvre, dans 
son lit, est toute heureuse, reprend force et ecu* 
rage, et gu6rit pour lui faire plaisir. 



VI 



LES SIMPLES 



Les bons meurent souvent seuls, et ceiix qui 
consolerent ne sont pas toujours consoles. Leur 
douceur, leur resignation, leur harmonie, les con- 
servent, et plus qu'ils ne voudraient. Trop souvent 
la femme innocente qui n,a y6cu que pour le bien, 
et qui devrait 6tre entourSe, soutenue dans Fftge de 
faiblesse, voit tout s'6teindre, amiti6s, parent6s, 
et se trouve avancer seule vers le terme solennel. 

Elle n,a pas besoin d,6tre trainee ; elle va, elle 
marche d,elle-m6me. Elle ne veut qu'obSir iDieu. 
Elle se sent en bonne main, elle esp6re, elle se fie. 
Tout ce qu'elle a encore d'aspirations tendres et 
saintes, ce qu'elle rfiva, voulut en vain pour le 
bonheur aes autres, ce qu'elle avail prepar6 et ne 
put, tout cela semble une promesse d'avenir et 
rentr6e d'un monde nouyeau. 



454 LES SIMPLES. 

Les ^loquentes paroles des homines religieux de 
ce temps, les migrations dc J. Reynaud el les con* 
iolations de Dumesnil, la soutiennent, lui donnent 
espoir. Au livre des metamorphoses (rinsecte)^ 
n'a-t-elle pas lu : (《 Que tl^ choses 6taient chez moi 
qui ne furenl point dfi\6lopp6es! line autre &me 
et meilleure peut-6lre, y ful, et n,a pas pu surgir, 
Pourquoi les 61ans sup6rieurs, pourquoi les ailes 
puissantes, que parfois je me suis senties, ne se 
sont-ils pas d6ploy6s dans la vie et dans Taction? 
Ces germes ajoumfes me reslent, tard pour cette 
vie avanoSe, mais pour une autre sans doule. Un 
£oossais (Ferguson) a dit ce mot ingenieux, mais 
grave, de vferitfe frappanle : <x Si remlMryon, captif 
a au sein maternel, pouvait raisonner, il dirait : 
« Je suis pourvu d'organes qui ne me servwit 
a guSre ici, de jambes pour ne pas marcher, et de 
fit dents pour ne pas manger. Patience I ces orga* 
« nes me disent que la Nature m'appelle au dela 
« de ma vie presente. Un temps viendra ou je ifi- 
« vrai aiUeurs, ou ces outils auront emploi. lis 
« chdment, ils attendent encore. Je ne suis d,un 
« homme que la ohrysaliik. 珍' 



De ces sens propb^tiques, celui qui veut le plus, 
qui h&ite le moins, qui r^soldment nous proiuety 



_ * 



LES SIMPLES. 435 

c'est I'aaiour. « Pour ce globe, I'amour est la vraie 
a raison d'filEe; taut qu^on aime, il ne peuf mou- 
« rir. » (Grainville.) Telle la terre, tel i'homme 
Comment peut-il finir, quand il a tellement en lui 
celte profonde raison de durer? Comment, enrichi 
de tendresses, de charit6, de loute sympathie, au- 
rait'il amass6 ce tr6sor de vilaiitS, pour voir bri- 
ser taut de cordes vibrantes? 

Done celle-ci n,a pas peur de Dieu. Elle avance 
paisible vers lui, et ne voulant que ce qu'il \eut, 
mais sikre de la vie k venir, et disant : « Seigneur, 
j'aime encore. » 



Telle est k fbi de son coeur. Gela n'emp^che pas 
que la faiblesse de Page, du sexe, n'agisse parfois 
et qu'elle n'ait des henres de melancolie. Alors elle 
\SL voir ses fleurs, leur parle et se confie k elles. 
Elle pacific sa peasee dans cette soci6t6 discrete, 
qui n'est pas importune, qui sourit et se tait. Du 
moiofs , lesflairs parlen t si bas qu'on a peine k enten- 
dre. On croirait mr ea elles les enfants silencieux. 

En les soignant, elle leur dit : a Mes chores 
muettes I A moi qui vous dis taut de choses, vous 
pourriez aToir confiance. Si vous coovez un mys- 
tere d'avenir, parlez, et je n,en dirai rien. » 

A quoi I'lme des plus sages, vieille sibylle des 



436 LES SIMPLES. 

Gaules (verveine ou bruySre, n'importe) : a Tu nous 
aimesl... Eh bien, nous f aimons, nous fatten- 
dons". Sache-Ie, nous sommes ton avenir inSme, 
ton immortality d'ici-bas. Ta vie pure, ton souffle 
innocent, ton corps sacr6, nous reviendront. Et, 
quand ton g6nie sup6rieui% affranchi, d^pliera ses 
ailes, ce don d'amie nous restera. Ta ch6re et sainte 
dSpouille, veuve de toi, va fieurir en nous. » 



Ce n,est pas une vaine poSsie. C'est la v6rite lit- 
tSrale. Notre mort physique n'est rien qu'un retour 
aux v^g6taux. Peu; tr6s-peu est chose solide dans 
cette mobile enveloppe ; elle est fluide et s,6vapore. 
Exhales, en bien peu de temps, nous sommes avi- 
dement recueiUis par raspiration puissante des 
herbes, des feuilles. Le monde si vari6 de verdure 
dont nous sommes en\ironn6s, c'est la bouche, le 
poumon absorbant de la nature, qui sans cesse a 
besoin de nous, qui trouve son renouvellement 
dans I'animal dissous. EUe attend, elle a hkte. 
Elle ne laisse pas cc qui lui est si n^cessaire. Elle 
I'atlire de son amour, le Iransforme de son d^sir, 
et lui donne le bienfait de Paimable m6tamor^ 
phose. Elle nous aspire en v6g£tant, et nous res- 
pire en fleurissant. Pour le corps, ainsi que pour 



IfiS SIMPLES. 157 

rSme, mourir c,est vivre. Et il n'y a rien que de la 
vie en ce monde. 

[/ignorance des temps barbares avait fait de b 
Mort un spectre. La Mort est une fleur, 

D6s lors, elles disparaissent, ces ripuguances, 
ces ferreurs du sfepulcre* C,est rtiomme qui a fait 
le sfipulcre, et ensuite il en a peur. La nature ne 
fit rien de tel. Que me parlez-vous d'ombre, de pro- 
fondes I6n6bres et du sein de la terre? Grdce k 
Dieu,j*en puisrire. Rien ne m'y retiendra. A peine 
y laisserai-je trace. Entassez done encore pierre, 
marbre, bronze. Vous ne me tenez point. Pendant 
que vous pleurez et me cherchez en has, dkjk 
planle, arbre et fleur, enfant de la lumi&re, j'ai 
rcssuscit6 vers l*aurore. 

L,antiquit6 si p6n6tranfe, et vraimenl £clair6e 
d'avance d'une aimable lueur de Dieu, avait for- 
inul6 ce simple myslfere en images gracieuses. 
Daphn6 devient laurier-rose, et n'en est pas 動 ins 
belle. Narcisse, en larmes reste le charme 

des fontaines. C'esl po6sie, ce n'est pas mensonge. 
Lavoisier FeAt pu dire. BerzSlius n'aurait pas 
mieux parl6. 

Science ! science I douce consolatrice du monde, 
et vraie m&re de la joie I... On la dit froide, indif- 
f^rente, 6trang6re aux choses morales I mais quel 
repos du coeur se trouverail dans la nuit d'igno- 

ss 



131 LIS SIMPLES. 

ranee, peuplSe de chiraires et de monstres? Nolle 
joic que dans le vrai, dans la lumi&re de Ken. 



Les d6bris les plus r^sistants de la vie animale, 
ceux qui le plus obstin6ment gardent leurs formes, 
les coquiUes, finissent par c6der, et passant en pous- 
sifere, en atomes, entrent elles-rafimes dans rat- 
traction \6g6lale. J,ai ce spectacle sous lesyeux. Au 
lieu m6me ou j'6cris, a celte porte de la France oil 
rOc6an et la vaste Gironde font leur combat d'a- 
mour et la lulfc 6ternelle qui les marie sans cesse^ 
les rochers dfechirfes donnent aux flots le vieux 
peuple de pierre, devenu sable. Cent plantes vigou- 
reuses fixenl de leur pied celte arfene, se Pappro- 
prient, s,en font une vie forte, si odoranfe au loin 
que le voyageur sur la route, le marin dans sa 
barque, Faspirent, sont 6tonn6s. Et la mers'en 
enivre. Quels sont ces puissanls v6g6taux?... Les 
plus petits et les plus humbles, nos vieux simples 
des Gaules, romarins, sauges, menthes, Ihym, 
serpolets en foule, et tant, tant d'immorlelles qu'il 
semble indifferent de vivre ou de mourir. 



La Gaule esp^rait et eroyait. Le preiaier mot 



us SmPLGS 439 

qiron trouve d'eUe, c'esl Espoir^ Acnt sur une mfe- 
daillc antique. 

Le second root, snr le grand Uvre qui inaugure 
la Renaissance, c'est celui-ci : Espoir y gU. 

PuissionS'DOus, wus et moi, ravoir dans le 
tombeau! 

Mais la femme, bonne, douce, qui reste seule, 
qui, sans le m6riter, est frappte de la destin^e, ou 
lira-t-elle Esfoirt 

Je la voudrais ici aux sables de ces dunes, dans 
cetle terre pauvre et parfooite, qui n'est pas une 
terre ; c'est le sable d^s mers, qui jadis fut vivant 
Point de teire, riea que vie. 

La pauvre petite ftme de toutes ces vies marines 
se tait fleur, s'exfaale ea parfums. 



Aux clairi^res soleill^es, gardies au nord par 
le rideau descbtoes, bien tard dans la saison,eUe 
aspire encore les odeurs et le vivace esprit des 
simples. Leurs salubres parfums, aust^res et agr6a- 
bies, ii,affadissent nuUement le coeur, comme font 
ceux do Midi. Les nAtres sont de vrais esprit s, des 
Ames. Ce sont des fitres persistants, qui nous por- 
tent au cerveau des envies de vivre. La fanfasma- 
goiie des pi antes des tropiques, leur fluiditfe feph6- 



440 LES SIMPLES. 

mire, ne peut inspirer que langueur. C'est ici, 
dans le Nord, une v6g6tation de vertus, qui nous 
conseille de creer dans nos oeuvres de nouvelles 
raisons de durer. 

Non pas de durer seuls, mais de coniinuer nos 
groupes naturels, des groupes d'dmes, amantes el 
amies, qui agissent ensemble, rimmortaliU compo 
sie, od plusieurs se colisent. Faibles chacqn jteut- 
fitre, ils s'associent, s'arrangent pour durer par 
Tamour. 

La mSdecine peut rire de nos simples. Cepen- 
dant, s'ils ont peu (Taction sur les corps endurcis 
aux rem&des hiroxques et tristement blasts d'ft^- 
rolque alimentation, ils sont tr6s-bons pour des 
gens sobres, pour une femme surtout de'moeurs 
douces, de vie uniforme, d'organes purs, sensi- 
bles, viergss ma]gr6 le temps. 

Laisscz-Ia done, cetle innocente, ramasser cr6- 
dulement tout cela. C'est une grace de femme de 
cueillir , preparer ces charmants tr^sors de la 
France. 

De bonne heure, aux coteaux pierreux bien abri- 
t6s, elle partage avec les abeilles le romarin dont la 
fleur bleue aromatise le miel de Narbonne. Elle 
en tire I'eau c61este qui console le cerveau le plus 
afflig6. Bien avant dans raulomne, de soci6t6 avec 
roiseau* elle cueille les baies des ar busies r Elle 



LES SIMPLES. 441 

le prie de ne pas manger tout et de lalsser la pari 
des pauvres. Elle fait pour ceux-ci les conserves 
utiles que nous avons trop oubIi6es. 

Doux soins qui charment et prolongent 】a vie. 
Si ces plantes ne gu6ris3cnt pas toujours le corps, 
elles sautiennent le coeur, le pr6parent, aplanis- 
sent le grand passage a la vie veg6tale. 

Chaquematin, toute seule, lorsqu'au soleil levant 
elle a donn6 son coeur a Dieu, r6v6 son cher passe, le 
prochain avenir, elle pose un bienveillant regard 
sur ses aimables h6riti^res, les fieurs en qui bienldt 
sera sa vie. Ces touchantes figures de FAmour ve- 
getal sont celles aussi de notre absorption, de ce que 
nous nommons la Mort. Qui pourrait la hair si frai- 
che et si charmante, plus douce en ces gazons que 
le plus doux sommeil I La vie lasse, agit^e, sent en 
ce peuple ami r attraction de la paix profonde. 

En altendanty tout ce qu'une soeur peut faire ou 
demander de bons offices, tout ^change d'amili^ se 
fait. Elle les abreuve elle-m6me, les couvre, les 
defend de l,hiver. Elle entasse autour d'elles les 
feuilles et fleurs tomb6es, qui leur sont k la fois un 
abri et un aliment. Elle n'y pi'end les siens qu'avec 
reconnaissance. Si sa main, belle encore, cueille 
sur le cerisier, sur le pfecher, un fruit, elle leur 
dit en souriant : « Prfetez k \otre soeur... De bon 
coeur, a son tour, elle vous rcstituera bienldt. » 



VII 



LES ENFANTS. 一 LA 画 ME. — L'AVENIB 



La premifire impression du berceau revient toute- 
puissante au dernier &ge. La lumi&re dont I'enfant 
eut les tiddes caresses a r6veil de la vie, cette m&re 
universelle qui raccueilUt avant sa m&re, qui lui 
r6v6Ia sa mfere mfime dans r^change du premiei 
regard, elle rechauffe, charme son dMin, des dou- 
ceurs du couchanl, d'une aube d'aveoir. 

Nous la trouYons d'avance, la future VUa nuova^ 
dans la soci6t6 des enfants. Voili cl6ja les anges, 
les imes a r^tat pur, que nous esp6rons voir. La 
puissance de vie est si forte d 腿 ces fleurs mobi- 
les, dans ces ardents pelits oiseaux, de jeu infali- 
gable, que je ne sais quelle jouvence emane d'eux. 
Le coeur le plus atteint, celui qui le mieux couve 
le trfesor de ses souvenirs et ch6rit 86S blessurea» 
se Irouve malgr^ lui rafraichi et reaouvel6. Enlevd 



LES EHFINTS, Li LUMIfiRfi, I'AfENIR. 44S 

k lui-m^e par leur naive joie, s'^onne et s,6» 
crie : « Eh cpioi j'a\ais tout rabli^. » 



Si Dieu a permis ce malheur qu'il y ait des or- 
phelins, il semble que ce soit tout exprfes pour la 
consolation des femmes restfees sans famille. Elles 
aiment tous Ics enfanls, mais combien plus ceux 
dont une mfere n'accapare point Vaffeclion I L'im- 
prfrvu, la bonne aventure de cette maternity tardive, 
rexclusive possession d'un jeune coeur, heureux 
de se jeler au sein d,une femme aimante, c,est 
souvenl pour celle-ci une f61icit6 plus vive qu'au- 
cun bonheur de la nature. A la joie d'fitre mere en- 
core se joint quel que chose d'ardenl comme r^lan 
du dernier amour. 

Rien ne rapproche plus de I'enfance el ne la fait 
plus aimer que la seconde enlance, exp6rimenl6e, 
rfiflechie, qu on appelle la yieillesse, et qui, avec 
celle sagesse, n'entend que mieux les voix du pre- 
mier age. C'est leur tendance naturelle ; enfants et 
personnes agees se cherchent, celles-ci charm6es 
de la vue de Finnocence, et les enfants altirSs parce 
qu'ils sont stirs de trouver Ih V indulgence infinie. 
Cela compose une des belles harmonies dece monde. 



Uk LBS ERFAMTS, U LUMlfeRE, L'AYENIR. 

Pour la r^aliser , je voudrais, c'est mon rfive, qfie 
les orpheliiies surtout ne fussent pas r6unies en 
grandes niaisons, mais r6parties en petits 6tablis- 
sements a la campagne, sous la direction morale 
d'une dame qui en ferait son bonheur. 

Etudes, couture et culture, j'entends un peu de 
jardinage (pour aider la maison k vivre, comme 
font les Enfants de Rouen), tout cela serait conduit 
par une jeune maltresse d,teole, aidee de son mari. 
Mais la partie religieuse et morale de l,6ducalion, 
ce qu'elle a de plus libre, lectures d'amusement el 
d'6diiication, recreations et promenades, ce serait 
I'afTaire de la dame. 

Avec des enfants, des filles surtout, il faut cer- 
taines douceurs, quelque chose d'un peu ^lastiquc, 
et tout ne peut filre pr6vu.La maitresse, reprfesen- 
tant de I'ordre absolu, en jugerait mal. II faut k 
cAl6 ramie des enfants, qui ne decide jamais sans 
la maitresse, mais en oblienne telle concession, 
Idle faiblesse raisonnable que demande la nature. 
Une femme d'esprit laisserait ainsi k celle qui a 
la grande assiduity et tout le mal Phonneur du 
gouvernement; mais, se faisant aimer (Telle, ren- 
dant de bons offices k ce manage, elle influerait tout 
doucement, dirigerait sans qu'il y par At, el, k la 
longue, formerait la maitresse cUe-mfime, lui don 
Dcrait son empreinte morale. 



LBS ENFAKTS, U LUMlfiRE, L'AYENIR. 445 

N'ajant point k punir, au conlraire, n'interve- 
cant que pour adoucir les s6v6ril6s de la discipline, 
la dame obtiendrait des enfants une conflance in- 
iinie. Elles seraient heureuses de lui ouvrir leurs 
petits coeurs, ne lui cacheraient rien de leurs cha- 
grins, ni de leurs d6fauts mfiine, lui donneraient 
ainsi les moyens d'aviser. C'est tout que de savoir. 
Des qu,on sait et qu'on voit le fond, on peut, en 
modifiant souvent trte-peu les habitudes, rendre 
les punitions superflues, faire que I'enfant se r6- 
forme lui-m6me. 11 le voudra, surtout s'il veut 
plaiie, 6lre aimi. 

U est, dans une telle maison, cent choses d61i- 
cates que la maitresse ne peut faire, des choses de 
bonti, de palience, de lendresse ing6nieuse. Qu'une 
enfant de quatre ans, je suppose, soil amende, dans 
la douleur 6perdiie, les frayeurs imaginatives que 
lui donne le d61aissement, la grande affaire, c,est 
qu,elle vive. U faut quelqu'un qui l,enveloppe de 
bont6, de caresses, qui, peu k peu, la calme par 
de 16g£res distractions, qu'enfin la fleur coupee, 
arrach^e de sa tige, reprenne k une autre par une 
esp6ce de greffe. Cela est difBcile et ne se fait ja- 
mais par des soins collectifs. J,ai vu un deces pau- 
ses d^solis qui se mourait dans la grande maison 
de Paris. Les sceurs compatissantes lui avaient 
bien mis sur son lit quelques jouels. Mais il n'y 



4M LE5 ESFAKIS. U LUMtfiRS, L,AV£NUU 

(ouchait pas. Ge qu,il fallait, c'^laitune fenum qui 
to tint, le baisit, se mA6X de coeur avec lui, lui 
rendu le seiii aatenieL 

Qaand ils sunriveat et durent, vient un autre 
danger. G'est une sor te d'endurcissemeBL Geux qui 
se sentent abandonnis, qui saventqueleurs parec^ 
ont 6ti si mielft, &e trouveat eatrte dans la vie par 
line rude porte de guerre, et scat disposte k croire 
la 80ci£t6 ennemie. Qu,un autre enfant lejir jette a 
la t6te le nom de bfltard, ils s'aigrisseat, s'irritent, 
haissent l,humaiiil6, la nature, leurs camarades. 
Les voila en grand chemin de mal f^ire, et de m6- 
riter ce m^pris, d'abord si iDjuste. Tei est misan- 
ihrope k dix ans. Si oei eu&nt est une fiUe, il sul- 
fit qu'on Fait mipriste pour qu,eUe s*abaadonae 
eUe-m6iM, ae se garde point, cMe au mal. U esl 
bien nftcessaire qu'un bon ccBur soigne la jeune 
Ame, lui fasse sentir par la tendresse tout ce cpi'dle 
a de prix encore, lui mmire que, nialgre son mal* 
heur, le monde lui est ami, et qu'elle doit se res- 
pecter et faire hoaaeur k ceox qui PaiinenA. 

II y a un moment surtofsl, une crise de I'age, ou 
les soins collectifs sont tout k fait iusuffisanto, ou 
il faut une affection. Imaginez la pauvie enfant 
soufTrante dans la dure 6duGatioa des tatiAts com- 
munes, des grands dortoirs com 咖 ns, de ces lon- 
gues galerie6 ou Poa n'obtienl la salubrity que par 



IXS 耐 ANTS, LA LWIfiRE, L'AYENIR. 44T 

wne nelteti glaciale. Soumise aux regies s6v6res, 
levee de bonne heure et Iav6e a froid, frissonnante 
et n'osantrien dire, ayant honte desouffrir, etpleu- 
rant sans savoir poorquoi. Que de precautions k 
ce moment dans les families I Le coBur des m^res 
se fond en douces caresses, en g&teries, en mille 
soins utiles et inntiles ; la petite troupe toutautour 
un milieu ti&de, une attention empi-ess^e, une in- 
qui^te prfivoyance. L,orf4ieline, pour m6re et fa- 
milte, a rhdpital, ses grands murs s^rieux et les 
personnes officielles, qui par devoir se partagent 
entre tous, ne font acception de personne, et pour 
tous restent froides. II n'est pas m^me aisi, dans 
ces maisons oii lordre est tout, d'fitre bon sans 
paraitre injuste et partial. Or c'est cela que vou- 
drail la nature, une bonte loute personnelle, I'ar- 
deur de la tendresse et cette chaude douceur ou la 
mfire met FenCant entre sa chair et sa chemise. 
Qu'il est done n^cessaire qn'au moins il y ait Ik une 
amie, une femme bonne et tendre, entendue, qui 
supplee un peu, et pourroie I 

Le plus grave, c'est que pr6cis6ment, vers ce 
moment de crise, I'unique mire de rorphelkie, la 
loi, ^administration th lui manquer. L'Etat a fail 
ce qu,il a pu. Son froid abri, Hiospice va Fex- 
clure, se fermer sur elle. EUe va entrer dans Fin- 
connu, 一 le monde, le vaste monde, dont elle n 秦 



448 LES EKFANTS, LA LUMlfiRE, L AVENIR. 

salt rien, el qui dautant pluslui semble un effrayant 
chaos. 

Ou va-t-on la placer? dans une famille agricole? 
Ce serait le meilleur ; mais ces rudes paysans qui 
sexterminent, 】a traiteront comme eux, la tueront 
de travail. Elle n'est gu6re priparSe h celte vie 
terrible, chancelante qu'elle est encore de ce mo- 
ment de transition. Autres dangers, plus grands, 
si on la jette dans les centres industriels, s,il faut 
qu'elle alTronte la corruption des villes, ce monde 
sans pili6 ou loute femme est une proie. On res- 
pecle si peu la fiUe sans parents 1 Le chef inline 
de famille k qui on la confie abusera souvent de 
son autorile. L'homme en fera un jeu, la femme 
la battra, les fils de la maison courront sus, et la 
\oilk prise. Ou bien elle trouvera une implacable 
guerre, un enfer autour d'elle. Au dehors, autre 
chasse des passants et de tous, et (le pis) des 
amies qui altirent et consolent, qui caressent afin 
de livrer. 

Je ne connais sur la terre rien de plus digne de 
piliS que ce pauvre oiseau sans nid et sans refuge, 
celte jeune fleur innocente, ignorante de tout, in- 
capable de se prot6ger, pauvre petite femme (car 
elle I'est d^ja) au moment dangereux ou la nature 
la doue d,un charme etd'un p6rU, — et qui, tout 
justement alors, est jel6e aux "toements 1 La voili 



LES INFANTS, Ik LUMl£RE. UAYENIR. 449 

seule J au seuil de I'hfipital qu'elle n'a jamais 
pass6, et qu'eUe franchit en tremblant, son petit 
paquet k la main, d£ja grande et jolie, h61as ! 
d'autant plus expos6e, elle Ya... vers quelle des- 
linfee? Dieu le salt. 

Non, elle n'ira pas ; la bonne f<§e qui lui sert de 
marraine troavera moyen de rempteher. Si notre 
orphelinat a une vie demi-rurale, vit un peu de 
I'aiguille, un peu de jardinage, la charge n'est pas 
forle pour la maison de garder quelque peu une 
jeune fiUe adroite et qui saittravailler. Elle se nour- 
rira elle-mfime. Pendant ce temps, la dame I'a- 
ch&vera, la cuUivera, lui donnera un complement 
d'Mucation, qui la rendra tr6s-mariable, desirable 
au bon travailleur, ouvrier, marchand ou fermier. 
Combien il y a plus de sflret6 pour eux de pren- 
dre lk, dans une telle maison et de ces mains res- 
pect6es, une fille 61ev6e justement pour s'associer 
i la vie de travail I N'ayant pas eti de foyer, de 
famille, elle goAtera d'aulanl plus le chez soiy et 
sera tout heureuse , m£me dans une condition 
trte-pauvre, plus gaie cent fois et plus charmante 
que la fille gAl&e, qui croit toujours faire gr&ce, 
n'est jamais coritente de rien. Nos bons fermiers, 
en ce moment, ont peine k trouver des bourgeoi- 
ses, ou, s'ils en trouvent, elles ks ruinei t. Eilcs 
visent plus haut, veulent 6pouser un habit noir. 



450 USS ESm'TS, Li 應 li;RB, L'A^Rm 

un employe (demain saiis place) . Elles n'oiU ni les 
habitudes simples et fortes, ni I'intettigenGe que 
demande cette noble vie d'agricnlture. L'oq)he- 
line, instruite de toute chose utile, z616e pour son 
mari, charm6e de gouverner une grande maisoo 
rurale, ferait le bonheur de cet homme, et sa for- 
tune da plus. 



Si noire bonne dame n'^tait que bonne, elle 
adopterait simplement : elle prendrait laifDable 
fiUe chez elle, en ferait son bijou ; elle aarait, k 
toute heure, comine ume f%te d innocence et de 
gaiety, en poss&laBt une enfant qui F adore et qui 
deviendrail dans ses mains une Sl^gante demoi- 
selle. Elle se garde bien de 】e faire; elle aime 
mieux se priver (Telle, et ne pas la faire passer a 
une coadilion ou la mariage est plus difficile. 
Qu'elle eiit mis un ebapeau^ un seul jow, tout se* 
rait perdu. On la laisse en bonnet, ou mieux^ daas 
ses jolis cheveux, on la laisse dctni paysanne ; ce 
qui n'empSche rien^ ni lecture, ni musique ; noas 
Ic voyons en Suisse, en Allemagrie. Mais cela, en 
m&me temps, rend lavenir bieii plus fadle. Elle 
monlera fort ais^ment, descendra s'U le &ut; elle 
reste k mi-chemin de tout. 

Gest un doa de VAge avanc^, dc la grande eifi^ 



LE6 ENFAMT6, LA LUlltRE, L'AYENUL 45f 

rience et d'une vie pure, de voir ce quu a'est pas 
encore. Or la sage et charmante femine ckmt ce 
Uvre est la ,ie pressent fort nettement Favenir 
prochain des societis d« l^rope. fie grands et 
profonds renomellements ne manqueront pas de 
s'y faire. Les femmes et les families seront bien 
obligees de s'arranger de ces circonstanoes nou- 
? elles. La teame simple (du IWre de I'Amaur)^ la 
dame cultivte (du livre de la Fenme) suffiiont* 
elles? Nullement. Cette derni^re sent elle-m6me 
que l'6pouse de I'homme k venir doit 6tre plu» 
complete et plus forte, harmonist, 6quilibr6e de 
pensee et d'aclion ; et telle elle veut son orphelioe* 
Son effort, sa sagesse, c'est de fiiire cette enfant 
qu'elle aime diff^rente d'elle-mdme, et prftte pour 
un monde meiUeur, pour une 8oci6t6 plus mile de 
travail et d'^litt. 



Quoi do&c ? serait-ce ua rtve ? Dans les r6alit6 & 
vmntest a'avons-noiifi pas d^ji qiaelque ombre , 
quelque image imparfaite de cette beauts de I'a- 
vaiir? 

Aux Etats-Unis de rOuest, aux confins des sau- 
vages, PAmiricaiiie, Spouse ou veuve, qui le jour 
Irayaille et cultWe, le soir n'en lit pas moins, ne 
fiommente pas moios la BiUe k ses enfaiits. 



451 lES EKFAKTS, la LUMICRF, L'AYBNIR. 

Moi-mtoie, entrant un jour en Suisse par une de 
nos plus tristes fronti^res, par nos sapini6res du 
Jura, je fus jimerveiUi de voir dans les prairies 
les fiUcs d'horlogers, belles et sirieuses fiUes, fort 
cultivtes et quasi demoiselles , en corset de ve- 
lours , h"。vailler k la fenaison. Rien n'6lait plus 
charmant. Dans I'aimable alliance de Fart et de 
I'agricullure, la lerre semblait fleurir sous leurs 
mains d^licates, et manifestement la fleur avail 
orgueil d'fitre louch^e par un esprit. 

Mais ce qui me frappa bien plus, ce qui me fit 
croire un moment que j'assislais dejk au prochain 
si&cle, ce fut une rencontre que je fis au lac de 
Lucerne d'une riche famille de paysans d, Alsace. 
EUe n'6(ait nuUement indigne de ce cadre sublime 
ou j'eus le bonheur de la voir. Le p&re, la m6re, 
la jolie demoiselle, portaient avec une noble sim- 
plicity I'antique et si beau costume de leur pays. 
Les paremts, vrais Alsaciens, de grand coDur et de 
bon esprit , t^tes sages , carries ct fortes. Elle, 
bien plus Frangaise, afflnee de Lorraine, comme 
passte du fer k Pacier. Fori jeune, elle 6tait svelte, 
vive et saisissant tout ; avec sa mince laille, ses 
jeunes bras, ^tonnamment forte. Mais ses bras 
6laient bnins. Son p6re dil : a C'est qu'elle veul 
culliver elle-mfimc ; elle vit aux champs, y labouc*e, 
et y lit... Ohl ses boeufs la connaissenl bien et 



LCS E>FANTS, LA LUMltlRE, L'AVEKIR. iS3 

raiment. Quand elle est fatigu6e, die saute des- 
sus, s'y assoU, ils n'en tirent que mieux. Cela 
n Bmp6che pas que le soir la petite ne me lise 
Goethe ou Lamartine , oa ne me joue Weber et 
Mozart . » 

J aurais bien youIu que la dame, la patronne de 
mes orphelines eAt vu ce charmant id^al r6alis6, 
vivant. C,est vers un lype analogue ou semblable 
que s'acheminera sans nul doute le monde k venir. 



Former un tel tr6sor, r6aliser en elle le rfive de 
la vie pure et forle, d'6galil6 feconde, de simplicity 
haute, qui affranchira rhomme, et lui fera faire, 
pour I'amou?, les oeuvres de la liberty, 一 c est la 
grande chose religieuse. Tant que la femme n'esf 
pas rassoci^e du travail et de Inaction, nous som- 
mes serfs, nous ne pouvons rien. 

Donnez cela au monde, madame. Que ce soil 
,otre ch&re pens^e, la digne occupation de vos der 
nitres ann^es. Mellez la vos graces de coeur, voire 
maturity de sagesse, une grande et noble voloiil6. 
Que vous plairez a Dieu, de faire (ant dc bieu k la 
lerre! dans quelle sicurit^ vous pourrez revenir a 
lui I 



454 LES GNFANTS, U LUMIERE, L'AVEMR. 

Je mc figure que oeile femme ainfe, par im beau 
jour d'hiver, iin doux soleil, ayant eu fodque peu 
de fi&vre, faible, mais mieux pourtant, vent descen- 
dre, s'asseoir au jardin. Au bras de sa channante 
fille d*adoption, elle va revoir dans leurs jeux les 
chores petiles qu'elle n,a paw Tues de huit jours. 
Les jeux cessent. Elle a autour d'elle celte aimable 
couronne, les regarde, les voit un pen confusfimeiit, 
mais les caresee encore, et baise oelles de qmtre on 
cinq ans. Souffre-t-elle? NuUement. Mais elle dis- 
tingue moins. Elle veut voir surtout la lumi&re, un 
peu pMe, qui pourtant se reflele dans ses cheveux 
d'argent. Elle y tend son regard, en vain, voit 
moins encore • Je ne sais quelle lueur a rose ses 
joues pAles, et elle a joint les mains ... Les petites 
de dire lout bas : a Ah! comme elle a change 
Ah ! qu'elle est belle etjeune ! d Et un jeune sourire 
en effet a pass6 sur ses Ifevres, comme cTinlell" 
gcnce avec un invisible Esprit. 

C'esl que le sien, encourag6 de Dieu, a repris 
©on vol libre, et remoat6 dans un rayon* 



NOTES 



Note 1. 一 Caracthre moral de ce livre, 一 11 pr^sente deui 
lacunes qu'on a d^ja reprochees au liyre de VAmaur, II ne 
traite point de Padult^ ni de la prostitution. J'ai era pou- 
voir m'en remettre k la litt^ature du temps, in^puisable Ik- 
dessus. i,ai donn^ la ligne droite, et laisse k d'autres le 
plaisir d'^tudier les courbes. Dans leurs livres iis ont sura- 
iMndaonnent parlS <te la divagation, jamais marqu^ la grande 
T<He, simple, D^nde, de rinitiation que Famour, mieux in- 
spire, continuerait jnsqu ,& la mort. II est arrive justement a 
ces ingenieux romanders ce qui arriva jadis aux casuistes 
(grands analyseurs aussi). Escobar et Busenbaiun, qui earent 
(e Sliced de Balzac (chacun cinquante Editions) dans leurs re- 
cherches subtiles, n*oublidrent rien de ce qui faisait le fond 
flitoe deleinr sdenoe. lis ont perdu le manage de vue, et r^gle- 
mente le liberlmage. 一 Le present livre ne s'^loigne pas moins- 
des roinans s^rieux de nos illustres utopistes (Saint-Simon, 
Fouhek , etc.). lis ont invocpi§ la nature, nais rent prise Ires- 
bas, dans la mis^re de leur temps ; et ils se confien^ ensuitfr 
a rattraction naturelle, a la pente vers cette nature abaissee. 
Dans un dge d^admirable effort, de creation li^roique, ils ont 
cru mfprimer f effort. Mais chei un ^tre que I'homma; 



450 



NOTES 



energique, cr^ateur, artiste, Veffort at dans ta nature, et il 
en est le meilleur. L'instinct moral du public sent cela , ei 
voiU pourquoi ces grands penseurs ne peuvent faire 杏 cole. ―- 
L,art, le travail et refforl dominent tout, et ce que nous ap- 
pelons nature en nous, c,est le plus souvent noire creation pep- 
sonnelle. Nous nous faisons jour par Jour. Je le sentais cetle 
ann^ dans mes etudes anatomiques , sp^cialement sur le 
cerveau. U est[mani(estement ropuvre, rincamalion de notre ao- 
tiyitS (voy. £loge de Petit, Mit. Dubois). Dela la vive expres- 
sion, et, fose le dire, reloquence da cerveau, chez les indi- 
vidus sup6rieurs. Je n,ai pas craint de Fappeler la plus 
triompliante fleur, la plus touchante beauts de la nature, at- 
tendri.^sante chez renfant, parfois sublime dans riiomme. 一 
Qu'on appelle cela r^alisme, il ne m,en soucie. II y a deux 
r^iismes. L,un vulgarise, aplatit. L'autre, dans le r4el, at- 
teint I'idee qui en est Fessence et la vdril6 la plus haute, done 
aussi sa vraie noblesse. Si cette poesie du vrai, la seule pure, 
fait g^mir la pruderie , cela ne me louche guere. Quand, 
dans le livre de VAmourf nous avons bris^ la sotte barri^re 
qui s^parait la litterature de la liberie des sciences, nous nous 
sommes peu inform^ de Favis de ces pudibonds, plus chastes 
que la Nature, plus purs apparemment que Dieu. 

La femme veut une foi, laltendde nous pour Clever Tenfanl, 
Nulle Mucation sans croyance. Le moment est verm. Gel 4ge 
peut formuler sa foi. Rousseau n,a pu, rien n^etait mur. Le 
juge du vrai esl la conscience, Mais il faut des conti 6les, 
rhistoire , conscience du genre humain , et Vhi$ioire naiu- 
relle, conscience inslinctive de la nature. Or aucune des 
deux n'existait. On les a construites en uns\^cle (1760-1 SCO), 
Quand les trois s,accordent, croyez. 



Note 2. £ducaiion. Ateliers eljardins (TenfanU. 一 Le vrai 
nom du moyen ige est Parole, Imitation. Le vrai nom du 
temps pr^ent est Acte et crMion, Quelle est I'^calion 



NOTES. 



457 



propre 2i un Age cr^ateur? Gelle qui habitue k cr^er. U ne 
suffit pas de faire appel a ractivit^ spontan^e (Rousseau, Pes- 
talozzi, Jacotot, Fourier, Coignet, Issaurat, etc.}, il faut raider 
en lui trouvant son rail, ou elle doit glisser. Cest ce qu,a fait 
le g^nie de Froebel. Lorsqu'en janvier dernier son aimablc 
disciple, madame de Marenholz, m'expliqua sa doctrine, je 
vis, au premier mot, que c'etail rMucation du temps et la 
vraie. Rousseau fait un Robinson, un solitaire, Fourier veut 
profiter de rinstinct de singerie , et fait Penfant imitaieur. 
Jacotot d^veloppe rinstinct parleur et discuteur. Froebel finit 
le bavardage, proscrit rimitation. Son Education n,est ni ex- 
terieure, ni impos^e, mais lirde de renfant mSme; 一 ni arbi- 
traire; renfant recommence Phistoire, raclivit6 cr 紐 trice du 
genre humain. lire le charmant Manuel de madame de Ma- 
renholz (chez Hachette), non pour le suivre servilement, mais 
pour s'en inspirer. 



Note 3. De la justice dam Vamour et des devoirs du mart, 
一 Dans im si 各 cle qui semblefroid, Famour n,en a pas moins 
rev616 mille aspects nouveaux de la passion. Jamais il ne jeta 
des voix plus puissantes, de lels soupirs vers riniini. Elle vi- 
vait encore hier, elle ecrivait ses vers biHlants, la muse de 
Forage, du sanglot, de Finextinguible amour (madame Val- 
more). G'est le grand trait de notre temps, ramour souffre, 
pleure, pour une profession profonde, absolute, qu'avant nous 
on ne desirait et ne comprenait mSme pas. 一 A cela a r6- 
pondu la science par cette adorable revelation : c Tu veux 
runive! Mais tu I'as. L'^change absolu de la vie, la transhu- 
manation , est le fait du mariage. Voil^ Famour satisfait ? 
Pas encore. Ge m^ange fatal du sang serait impie, s'il ne s'y 
joint le libre melange du coeur. Pour que celui-ci existe, il 
£aiut que, par F^ucation de toute la vie, les amants se cr^eiit 
le fonds d'idte commun, la langue qui leur donnera desir de 



451 HOTES. 

conuDuniopier sans cesse. U faut que It langae nmette de Y!t* 
motir, tt oommunioa, rq>fieiine son emuAkre sacr^, qui ex- 
dot tout plaisir ^oiste, in^liqiie le concoars de deux yolon- 

La casuifttique, qui n'eut ni conir m ime, n'a pdnt stifiul^ 
pour b femine. Mais aujonrd'hui c'esi llioimne mtoe, dans 
tt jttslioe gMreiue, qui doit plaider pour elk, s'il le faut, 
eoDtre lui. Elle 象 droit k trois choses : 

!• NuUe grossesse sans son oonsentement ezpr^s. A eUe 
jeule de savoir si elle peut accepter cette chance de mort. 
Si elle est malade, — b^, mal confomte, son mari doit 
r^pargner an temps surtout o& FoBuf vient aa-devant, pen- 
dant les r^Ies et les dix jours qui floivent Le temps inter* 
mMiaire est-il slMIe? II doit FMre, pnisque Foeuf manque. 
Mais si la passion I'^voqnait et le faisait r^Mnraittrt? M. Coste 
pense qu'il en est ainsi , au moins pour les trois jonrs qui 
pr^c^dent les regies. C,est aussi ropinion da M6moire cou- 
ronn^ par YAccMnie des sciences. 

2* On doit k la femine ce respect d'amour de n'en pas faire 
un instrument passif. Nul plaisir, sinon pertag^. Cn m^decin 
catholique de Lyon, professeur antoris^, dsns im Hvre popu - 
ladre de cette ann^, emet cette opinion grave, que le fik^u 
qui decime tes feinmes tient surtout h ce que, m^me ma- 
lito, la plupart sont veuves. SoUtaire dans le plaisir, r^- 
goiste impatience de rhomme ne veut que pour soi-m£me 
et ne Teat qn'un moment, n'^Ule I'tootion que poor la 
iaisser avorter. Commencer ei toujottrs en Tain, c'est d^fierla 
maiadie, iniler le corps, s^er r^me. La femme sutttt 
cda, mais est triste, ironique, et son aigrenr altto son soig. 
Sauf quelques paroles d'affaires pins de sod^t^; au fond, 
plus de manage. II n'est rM que dans one culture r^guK^e 
de ce dwoir de coeur, dans la oommonaatd des tootions m- 
lutaires qui rmoavellent la vie. Qo'die aaanque, et les ^paex. 
s'ekififHeiit, se d^shabituent rim de raotre. Plaignons I'en- 
fant, car la famille se dmsout.— Esl-cea dire que Hiomaie sok 



ROTES. 459 

heureux du court plafsr f«rc6 qu'il prend sur la glace et le 
marbre? U n'en emporte que regret. Mat^aliste en actes, il a 
les exigences d'esprit d,uD temps tr^avancS, qni veul en toof 
le fond du foods ; bref, il voadrsnt afler a I'toe. 

5^ Ud m^dn , excellent mari, me disait : c Dans YOtre livre, 
le meUlenr, c,est ce qui a feit rire, les soins quasi mater- 
nels de I'amour, les sa»vitodes Tolontaires qui suppriment 
la femme de chambre. Ge tiers ennuyeux, dangereax, est un 
iiuir entre les ^poux qui rend leurs rapports fortuits. On est 
chez sa feirnne en ^sites, comme chez une mnitresse entrete- 
nue. L Vantage du mariage est d'avoir tout le temps ; done les 
rares moments favorables oA une femme, comme elles sont 
toutes un peu lentes, peut fttre amende k remotion reelle. 
Le coeur, la gratitude , y font beaucoup. EHes s'Smeuvent 
plus aisement poor cdui qui a sn prendre Pititendance des 
petits mysteres et qui les soigne tendrement dans leurs fa" 
blesses de nature. Voulw-vous comprendre la femme, rap- 
pelez-Tous qu,en bistoire naturelle, la mue fait la iaiblesse, )a 
defaillance des dtres. Terrible dans les esp^ces inf^rieures, 
elle les livre sans defense a leurs ennemis. L,homine, chez qu 
heureusement elle n'est pas violente, mue constamment de la 
peau, mtoe de I'epidenne in 接 rieor. Dans sa mue intes - 
tinale de chaque jour, il donne beaucoup de lui et se trouve 
faible. La femme perd bien davantage, ayant de plus la mue 
▼aginale de chaque mois. Elle a ce qu'onttous les kres a leurs 
mues, le besoin de se cacher, mais aussi de s'appuyer. C'est 
la N^lusine du eonte; la belle f&e, qui etait souvent par en 
bas one jolie oonleuvre timide, se cachait pour muer. Heu- 
reux qui qeut rassurer Melusine, lui donner confiance et se 
faire sa nourrice ! Et qui le suppl^erait? C'est une profanation 
d*exposer cette chere personne, crainiive ( en chose si inno« 
cente), aux malices (Tune fiUe indiscrete qui er fera ris^. Un 
tel ffltc^e dMntimit^ doit revenir it celui seal pour qui c'est 
bonneur tl faveur. Gette faveur coAte d'abord, mais peu k peu 
«Ue trouye cela tr^-doux, et ne peut s'en passer. Nature 



460 



NOTES. 



aime habitude, et s'aide fort des liberies absolues de ren- 
fance. Ce sont d'heureux instants, de grdce et de favorable 
audience , d'allendrissement facile, oik le cher confident a 
l ascendant d'un roagn^tisme nuUement dangereux. L hu- 
militS charmante (od Yon sent si bien qu'on est reine) ii,a 
DuUe defense et se rend tout k fait. Oubli profond, abandon 
sans r&enre. L'amour, comme en un demi-r^ye, y rencontre 
parfois la chance rare du bonheur au complet, la crise 
saluUire (si profonde chex elles) ou la vie se donne loule, pour 
se renouvder bient6t et se trcuver rajeunie, embellie, selon 
le voeu de la nature, t 

Me A. La femme dans la sociiU. 一 Quelle socia" de 
Pass6 ou d'avenir? 一 Je n'ai pas parl6 de la premiere, ni fait 
'histoire des salons. Je la fais assei dans mon Louis XIV, On 
parte loujours du bien que les salons ont fait, mais point de 
celui qu ils ont emp^che, des esprits qu'ils ont etouff^. Ma - 
dame (Henriette) eut dix ans une heureuse influence. Madame 
de Montespan par sa m^chancete, madame de Maiiitenon 
par sa m6diocrit6 , n^galive , st^ri)is^rent pendant qua- 
rante ans. 一 Pour la society d'avenir , nous ne pouvons 
qu,entrevoir, deviner. J'ai voulu seulement, autroisiemelivre, 
marquer le r61e que la veuve, la femme isol^, y aura, celui 
d'imanciper par la bonte toules les dmes captives. M6me 
dans une sod 叙 6 libre, il y aura loujours des caplifs, ceux de 
la misere, ceux de I'fige, ceux des prejug^s, des passions. Une 
emme ie grand coeur, dans la cit^ la plus parfaite, serait le 
bon g^nie d'arbitraire maternel qui apparaitrait partout ou la 
loi n'atteint pas, le complement de la Liberie, une Libert^ 
superieure, el llntervention de Dieu m^me. 



PIN DES NOTES 



TABLE 



INTRODUCTION 

I. Pourquai Von ne $e marie pas. Page 5. 一 Mit&re de la flUt 
pauyre, ramour au rabais. 10. 一 Orgueil de la fiUe dot^e; U 
forte personnalitS de la Fran^se augment^e par nos lois de 
succession. 一 Son Education religieuse. 15. 

II. Uouvriire. P. 21. ― Vie terrible de la paysanne. Bile se 
fugie dans les villes. 一 La domesti(iue. 一 Gombien I'ouYrier 
est moins miserable que I'oimi^re. — La machine k filer; la 
machine k coudre. — Enqudte. La couseuie ne peut gagner 
que dix sous. 一 L'homme prend les metiers de la femme, et 
elle ne peut faire ceux de rhomme. 一 Elle ne peut qae mourir 
ou descendre dans la rue. 

fil. La femme leltrie, P. 35. 一 G6nes et mis^res de la femme 
seule. 一 Les examens. 一 La gouvernante. 一 La femme de 
lettres. 一 Le cercle de feu. 一 Les servitudes de ractrice. 一 
L'humilitd. 一 La dame au camellia plus miserable que la fille 
publique. 

IV. La femme ne vit pas $an$ Vhomme, P. 53. 一 £tude anato- 
mique dtt cerveau. Gombien ranatomie humaiise et moralise. 

26 



462 



TABLE. 



— Le eamaval remplit de femmes les h6pilaux et les cime» 
tidres. 一 Destine et mort d'une femme. Elle eAt v&u, si ellf 
ett eu un foyer. ― Comment le IWre de la Femme continue le 
Uvre de VAmaur, 

PREMIERE PARTIB 

{. Lb soleil, Fair et la lumiire. P. 73. 一 Le cerveaa de renfant 
est transfigure en un an par la lamUTe. 一 II lui faut beaucoup 
de lumiire et un jardin. Les p^ts jardins adriens de Paris. 

il. Vichange du premier regard et le commencement de la foi, 
P. 80. 一 L'enfant ne vivrait pas sans ridoiairie de la m^re. 一 
VExiase de Gorrdge. 一 VAltaitement de Solan. 

in. Le jeu. Venfant enseigne la mtre, P. 87. 一 La r^y^lation de 
Froebel. L'dducation n'est pas une gSne, mais une deliyraDce 
du chaos tamultueux oi!^ I'en&nt se trouve d'abord. 一 U faut 
lui mettre en main des formes dl^mentaires et reguli^res, comnie 
celles des crislaux, qui lui permettent de b&tir, ― puis le fkire 
jardinier. 

IV. Comhien Venfant est fragile et sacri. P. 06. ― Mortality im- 
mense des enfants. 一 U faut les ametier lentement & la fixiid 
d'une Nie d'^udes. 一 Nes Etudes anatdiniques. Extreme beantd 
du cerveau dc renfant. 一 A quatre ans, I'appareil nerteux es 
oompJet pour la sensibility et le mouTement. ― Gette m(^iUt6 
fatale de reniant doit 6tre minagte k tout prix. 

V. Lamcfur h cinq ans. La poupie. P. 105. 一 La poup^ est : 
!• line maiternitd ; ^ le premier amour; 3» le premier essfli din- 
dSpendance. 一 Histoire de trois poup^es. 

VI. La femme est une religion, P. 112. 一 L'^ducation de rhomme, 
c,est (Torganiser une force, de cr6er an crdateur. Gelle de la 
femme, de f aire une harmonie, d^harmoniser une religion.— Le 
but de la femme iei-bas, c'est I^amour, la maternity, on cette 
maternity qu,on appelle Mucation. Ge qui la rend tris-pure, 
€,6st qu'en elle la maternity dominc el 6\hye I'aroour, — Puret^ - 
pbysique et morale, d'MuMVtioii^ d,alin«nUtW&* 



TABLE 



4d5 



VII. Vamour h dtx aitf. Us fleurs, P. 127. 一 La fleur v 柳 tale 
etlafleur humaine s'hamonisent parce qu'elles sont contraires, 
et se oompldtent. Point de bouquet, mais une fleur. Point de 
fleor, mais une plante, dans son d^eloppement successif. 一 Le 
cycle de Vann6e, Le hU et la vigne. Martyre de Grain-d'Orgre et 
de Jean Raisin. 一 Comment nous devons {homme et plantes) 
mouru puuT nourrir les autres. 

VIII. Lb petit manage, Le petit jardin. P. 140. 一 La cuisine con 
tinue la maturation naturelle du soleil. 一 G'est comme un 
autre allaitement, rune des plus hautes fonctions de 1'— use 
et de la m&re. 一 Echange et circulus de la vie entre la cuisine 
et le jardin. 一 Que i'enfant apprenne rhumble et s&yhre con- 
dition de la vie : Hoiirir constamment, vivre de la mort. 一 
Qu'elle fraternise a fee toute vie animale, et saisisse un premier 
rayon de I, Amour cr^ateur. 一 Elle a 6t6 heureuse jusquici 
(treize ans), car elle a toqjoiirs cr^. 

IX. Malemiti de quaiome am. La mitamofphou. P. 149.-*- Com- 
ment S9 m&re l,a eonfess^ ohaque soir. 一 Son trouble (vers 
quatorze ans),— On donne pour aliment ^sasenaibilitd I'amour 
des petits enfants. 一 La rMlatioo du seie ne trouble pos telle 
qui dejii est instruite des bis uniYer&jBlles de la nature. 

^. Vhtstoke comme base de foi, P • 1 $8. 一 L'etude sp^cialement fe- 
minine est celle de la Nature. Cependant rHktoire est n^eessaire 
aux d«ux s«se8 comme Imse morale. 一 Gombien la femme a besoin 
que sa foi 3oit soUdi oient fondle. EUe Urouve ce foxidement dans 
Vaccard du gwre hi**min sur le devoir et sur Dieu. — Pour pre- 
parer lajeune fiUe k c»*He etude morale, il faut des leeturestr6s- 
pures, yirginales, et color^es de la lumi6re du matin. 一 Le g6nie 
raatinal d'Hom&pe.— La Bible de la lumi^re, le peuple des purs. 

%1. La Pallas, le raiionnemeni. P. 473. 一 Muft^ des sculptures, 
一 Comment ia Grtee a substitu^ aux t&tonnements proph^tiques 
de rOrient les methodes Uirectes et certaines du rauonnement 
invent if. La Vierge d'Atbtoes enfanle le moii(j& des sciences. La 
haute et pure sphere de Raison. Bonheur suitAiae de la puretS 

XU. La chariti d^Andri del Sarte, P. 180, — Kous avons ijournd 
I amour tant6t par homoBopathie, U^atdt par aUopatbie. — Le dan- 
ger du coBur, au moment oi!^ il s'attendrit pour Dieu. Nouvel 



M4 TABLl 

ijournemeiit de I'unour : on lui montra les misi^ du monde, 
一 Le haul symbole italien : hnreue hiroique de la ehariti. 

XIII. BMUUum de ChMUme. P. 196.— Gombien le soin desen- 
iuits ptuvres €L^e la jeune fiUe, lui donne le sens des r^alit^s 
"rieutes, F^Ioigne du monde. Elle met toute sa foi dans son 
ptoe . II lui ensagne la justice dans I'amour {k n'aimer que le 
plus digne). II lui rtvile le martyre et la trag^die du sitele. II 
ne lui permet pas de se prendre uniquement & la famille et de 
renoncer an manage. 



LIYRE DEUXifiNE 

Lk FBMMB DA 雷 S L 璽 KABIAGB 

I. Quelle femme aimera leplusf Celle de race difffrenlef?, 205. 
一 Les races ^ergiques sortent d'^l^ments trhi-opposis (exem- 
ple, le nigre et le blanc), oa idetUiques (exemple, les Grecs 
antiques, nos marina de France , etc.). Bontd ardente de la 
femme noire. H^roKsme de la t'emme rouge. 

II. Quelle femme aimera le plus ? Celle de mtme racefl^, 219. 一 
On a fort exag^r^ les fadUt^s et les aTantages des croisements. 
Avantage et incony&iient d'^pouser une Frangaise. Pr^pitation 
odieuse et immonde du manage actuel. Les mariages entre 
parents fortifient les forts, aflaiblissent les faibles. Si la parente 
n'est pas sp^ialement 61e,6e poor toi, ritrang^e, ^levde par 
toi, s'associera dayaiitage. 

III. Quel honune aimera mieuxf P. 233. 一 Que la m^re prenne 
garde de rendre son futur gendre amoureuz d'eUe-m6me. 
Qu'elle 616?6 son id^, et choisisse pour sa fille un homme de 
foi etd'^nergie productive. La puissance incalculable de cr^tion 
que montre ce siMetient k ce que la science lui a assurd sa mar- 
che et lui a mis sous les pieds le solide terrain de la certitude* 

lY. Vipreuve, P. S45. 一 La fianc^ doit commander, et soutenir 
son amant dans I'attente, le garder par ramour, de concert 
avec sa mktt. Danger de la mdtbode anglaise, qui compromet 
ayeugUment la fille. 



TABLE 



405 



T. Omment elle donne son ccBur, P. 254. 一 Les mtoes francaises 
soot imprudentes par excte de prudence. Elles n'aiment que les 
hommes pnu, U faut prendre Fhomme amoureoz. (Qa'est-oe 
que ramour?) et lliomme h^rolque, s,U se peut 

n. Tu quittera$ Umpire et to mhre. P. 265. — La jeune fiUe s'ar- 
rache k la fainille. 一 Quel jour on doit la marier. 一 Manage- 
ments infinis qu'on lui doit. 一 La noce n'est nuUement une 
consommation, un fin; c'est le commencement d'une longue 
initiation qui doit durer autant que la vie. 

VII. La jeune Spouse, Sespensies wliUnres, P. 281. 一 II ne iaut 
pas robsdder, mais la laisser se raffermir. Son diyouement. 
Le bonheur d'ob^ir. L,attente du retour. 

Yin. Elle veut s'a»tocier et dfyendre, P. 292. 一 La possession 
augmente ramour. La femme veut 6tre possMte davantage,— 
par ^'association auz afiaires et aux id^. 

IX. De$ arts et de la lecture. P. 303. 一 Chaque art ouvre un nou- 
▼elorgane d'amour.— La femme regoit dcs iddespardes sens qui 
ne sont point ceux de lliomme. 一 Le mari, et non le p&re, pcut 
faire son ^ucation. 一 Peinture, musique. Les Bibles de I'his- 
toire et de la nuture. 一 On doit r^vdler & la femme les hautes 
l^endes primitives qui restent au-dessus de tout. 

X. La grande Ugende d^Afiique, la femme comme dieu de bonti 
{fragment de VHUtoire de V Amour), P. 312. — Isis, Osiris, Ho- 
Tus. — La mort des dieux. — Toute-puissance de la femme qui, 
par la force de la douleur et du ddsir, rend la vie k I'ftme ai- 
mte, ressuscite son dieu et le monde. 一 Le Jugement et la re- 
naissance des bous. 

XI. Comment la femme dipasse Vhomme. P. 325.— La femme, 
dispens^e du metier et de la spScialit^, garde ^ I'homme un 
trtsor de noblesse et de ngeunissement. Elle a des octaves 
de plus dans le haat et dans le has, mais elle a moins les qua- 
lity moyennes qui font la force. Elle ne crde pas Fart, mais 
Fartiste. Elle comprend rarement les creations laborieuses de 
Wwmme. ParfoU I'arailiS I'^loigne deTamour.— Comment eUt 
pourrait releyer I'homme dans ses fuU^ues morales. 



m 



tiBU 



III. Dm humUUM <U Cmour, Cmffssion. ?, ZSI9.-^Celvii(pHtiiin9 
ne dokpaspermettreirobjeteiiB^ uneabn^tioii trop complete. 
一 i'homine na do" preodresur la feinme nul ascendant <mmi con- 
•emi, ni rasceadant magn^Uque, ni oelai de la cramte.<- Du coup 
d'etat domestique. Y substituer le gouvernement de I'entente 
cordiale et de la confianee. -一 La femme a besoin d'^pan- 
ehement et de confession. S'aimer, s'est ae doiiner puissance 
I'un ffur Vantre en se disant tout. 

XIII. La communion de Vamour, Qffce$ de la mUure. r. 953. 一 
Dieu est la haute n^essit^ de la nature. 一 La communion de 
ramour vrai donne une yraie lueur de rAernel Amoor. 一 La 
feinme est une religion, et, dans les Eclipses religieuses, nous 
garde le sentiment de Dieu. 一 Vic religrieuse d'une famille 
dans un dimanche d'biver. 

XIV. Suite. Offices de la nature. P. 36 i. 一 Les deux pdles de la 
religion (laioi, la caiise], sontrepr^sent^, soutenus parrhomme 
et la Cemme. — Gomme agent de la Cause aUmaiUe 歲 eUe a ie 
o6t6 le pIuB tendre du pontifical. EUe sait les heures saerto et 
du jour et de I'ano^e, le rituel de U nature en cbaque pays, 
les mis psaumes de la coolr^. 一 Ffites la 卿 aiswiice. 
F^tes des fleurs la Moisson, de la Vand«ng«. 



L1VR8 TROISlfiMB 

LA WEUUU DARS LA M€liT< 

I. La femme camme ange de patx d de cwUuaiion. f. 8Ti. 一 
Gombien la Tue d'une femme rassure dans les pays sausages. 
— L'ftge 6mandpe la femme et luipermetun minisi6re de bont^ 
etde sociability. Elle met dans les salons la vraie liberty, fait 
valoir tout le monde, protege les timides. 

II. Dernter amour. AmitU des fmmeB, P. 5S6. 一 La Teuve ne 
Wit pas se remapier ; mais la nature, la fiuniUe peuvent I'y obli- 
ger. 一 Le mari mourant doit pr^Toir pour elle, et, s,il se peut 
lal^S^uer au proche parent (selon I'esprH). — AdoptioM. U fils 



TABUS 



467 



tpirituel. ― EUe prot^gera la jeune femme, r^unira les dpoux 
s6par^s. 

HI. La femme protectrice des femmes, Carolina, P. 398. 一 En 
mariant les femmes d^port^ ef fsiSant des fftmilles de ce qal 
n'^tait qu'individus, Garolinti Hoitie n fonrfi^ soMemeni la gttmde 
eolonie d'AustraHe. 

IV. Consolation des ptisonnttres. P. 407. 一 Les crimes des femmes 
sont rares, et, le plus souvent, involontaires. La Tie dSsolante 
qu'elles m^nent les pousse au mal. La r^g^ndration des prison- 
nitres ne s'opdrera que par I'air, le soleil, la vie demi-rurale, la 
colonisation, le mariage. NuUe voix ofiicielle ne peut agir sur 
elles. II faut la bontS, I'eip^rience et la penetration d'unedame 
qui connaisse le monde. Elle doit demander pour les prison- 
nik*es marines la consolation de voir leurs maris. 

v. Puissance* nUdicales ae la femme, P 420. 一 Histoire de ma- 
dame Lortet. 一 La femme est le mddecin naturel des pays il 
n,y a pas de mddecin.— EUe ne peut le supplier en tout, mais 
elle est son auxUiaire naturel. 一 Le vrai m^decin est unen deux 
personnes, Iwmme-fenime. Elle continue par la confession et la 
divination. 一 Elle trouve en ses propres douleurs un remade 
homoeopathique. 一 Ses visiles aux malades (si solitaires) des 
h6pitaux. 

VI. Le$ simples, P. 435. 一 De rimmortalit^ de I'&me 一 La mort 
du corps n'est que son passage & la vie v^g^lale. La mort est 
line fleur. 一 Nos Tieux simples des Gaules. 一 La femme s'har- 
monise h leurs puissances viviGantes, est leur interm^diaira 
entre elles et rhomme. 

Sit. Les enfants. La lumUre, Uavenir, P. 442.— Vif altrait qu'ont 
les orphelins pour la femme restSe sans famille. 一 Orphelinat 
demi-rural, dirig^ moralement par la dame ag6e, Elle garde et 
marie I'orpheline, id^ de simplicity noble qui affranchirara- 
fcnir, 一 L'ftme b^nie remonte k Dieu dans lalumi^e. 



468 



TABLI. 



NOTES. 

HoU t. Caractire moral de ce lim , 

Note S. £ductli(m. Atelien etjardins d'enCints 

Note 3. La justice dans Vamoiir. Trois devoirs da man, 
Nets 4. La femme dans la socidl^ • • • • , 



FIN DB LA. TABLB 



£UILB COUn — IMP. Dl IXQUXt 



■ K I i * , J / H 



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智 



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