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F^X.MICO' - kTFBM - f\VO'
MODERN LANGUAGES FACULTY LIBRARY
TAYLOR INSTITUTION
UNIVERSITY OF OXFORD
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2 5 FEB200?
^ 2 MAR 2002
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LA FEMME
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OUVRAGES DE M. MfCHELET
^UI SB TBOUYENT DANS LA MB HE LIBRAIRIE
Histoire de Wwwmee, |iiiiqa'en 1994. 20 Tolumes m-8.
GhacuDr'des derniers volumes se vend séparément 5 fr. 50 c.
L«5,4^x derniers sont sous presse.
Fréeis de rHistolre modeme. 1 vol. ia-8. 4 fr. 50 c.
li'Oiseav. Cinquième édition. 1 vol. in-18 jésus. 3 fr. 50 c.
Ii*Inseete« Deuxième édition. 1 vol. in-18 jésus. 3 fr. 50 c.
L'Amour. Troisième édition. 1 vol. in-18 jésus. 3 fr. 50 c.
rAni.«. — IMP. SIMON RAÇON BT COHI'., RDE d'EEFIRTH, 1.
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J. MICHELET
LA FEMME
PARIS
LIBRAIRIE L. HACHETTE ET C"
li. ROE riERRE-S ARAZIN, U
18()0
Droit do Induction résenré.
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liOOElU4 LANGUAGES
FACULTY LIBRARY
OXFORD.
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INTRODUCTION
POURQUOI L*ON NE SE MABiE PAS
II n'est personne qui ne voie le &it capital du
temps. Par un concours singulier de circonstances
sociales, religieuses, économiques, t homme vit sé-
paré de la femme.
Et cela de plus en plus. Us ne sont pas seulement
dans des voies difTérentes et parallèles. Us semblent
deux voyageurs, partis de la même station, l'un
à toute vapeur, Faulre à petite vitesse, mais sur
des rails divergents.
L'homme, quelque faible qu'il puisse être mo-
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Il INTRODUCTION.
ralement, n'en est pas moins dans un chemin d'i-
dées, d'inventions et de découvertes, si rapide que
le rail brûlant en lance des étincelles.
La femme, fatalement laissée en arrière, reste au
sillon d un passé qu'elle connaît peu elle-même.
Elle est distancée, pour notre malheur, mais ne
veut ou ne peut aller plus vite.
Le pis, c'est qu'ils ne semblent pas pressés de se
rapprocher. Il semble qu'ils n'aient rien à se dire.
Le foyer est froid, la table muette et le lit glacé.
On n'est pas tenu, disent-ils, de se mettre en
frais pour les siens. Mais ils n'en font pas davan-
tage dans une société étrangère où la politesse
commande. Tout le monde voit chaque soir comme
un salon se sépare en deux salons, un des hommes
el un des femmes. Ce qu'on n'a pas assez vu,
ce qu'on peut expérimenter^ c'est que dans une
petite réunion amicale d'une douzaine de per-
sonnes, si la maitresse.de maison exige par une
douce violence que les deux cercles se fondent,
que les hommes causent avec les femmes, le si^
leuce s'établit, il n'y a plus de conversation.
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POURQUOI L'ON NB SE MARIE PAS. m
Il faiit dire nettemenl la cbose, comme elle est.
Ils n'ont plus d'idées communes, ni de langage
commun, et même sur ce qui pourrait intéresser
les deux parties, on ne sait comment parler. Ils se
sont trop perdus de Tue. Bientôt, si Ton n'y pre-
nait garde, malgré les rencontres fortuites, ce ne
serait plus deux sexes» mais deux peuples.
fiien d'étonnant si le Irvire qui combattait ces
tendances, un petit litre de cœur, sans prétention
littéraire, a été de toutes parts amèrement critiqué.
L'Amour venait naïvement se jeter dans le divorce,
invoquait la bonne nature et disait : « Aimez en-
core. »
A ce mot, d'aigres cris s'élèvent, on avait touché
la fibre malade. « Non, nous ne voulons pas aimer I
nous ne voulons pas être heureux I... Il y a là-
dessous quelque chose. Sous cette forme religieuse
qui divinise la femme, il a beau fortifier, émanci-
per son esprit; il veut une idole esclave et la lier
sur ï'autel. »
Ainsi, au mot d'union, éclata le mal du temps,
division, dissolution, les tristes goûts solitaires, les
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iT INTRODUCTION,
besoins de la vie sauvage, qui couvent au fond de
leurs esprits.
Les femmes lurent et pleurèrent. Leurs direc-
teurs (religieux ou philosophes, n'importe) dictè-
rent leur langage. A peine osèrent-elles faiblement
défendre leur défenseur. Elles firent mieux, elles
relurent, dévorèrent le coupable livre; elles le gar-
dent pour les heures libres et l'ont caché sous
l'oreiller.
Cela le console fort, ce livre si malmené, et des
injures de l'ennemi, et des censures de l'ami. Ni
les hommes du moyen âge, ni ceux de la femme
libre, n'y trouvaient leur compte. h'Afnour voulait
retirer la femme au foyer. Ils préfèrent pour elle le
trottoir ou le couvent.
« Un livre pour le mariage, pour la iamillet
Scandale I Faites-nous plutôt, je vous prie, trente
romans pour l'adultère. A force d'imagination,
rendez-le un peu amusant. Vous serez bien mieux
reçu. »
Pourquoi fortifier la famille? dit un journal re-
ligieux. N*est-elle pas parfaite aujourd'hui? Uy a
bien eu autrefois ce qu'on appelait V adultère^ mais
cela ne se voit plus. — Pardon, répond un grand
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POURQUOI L'ON MS SB MARIE PAS. r
journal politique dans un feuilleton spirituel qui a
extrêmement réussi, pardon, cela se voit encore,
et même on le voit partout, mais cela fait si peu
de bruitf on y met si peu de passion^ qu'on n*en vit
pas moins doucement, c'est chose inhérente au ma-
riage français et presque une institution. Chaque
nation a ses mœurs, et nous ne sommes point an-
glais.
Doueemeni! oui, voilà le mal. Ni le mari, ni Ta-
mant n'en sont troublés ; elle non plus; elle vou-
drait se désennuyer, voilà tout. Mais dans cette vie
tiède et pâle, où Ton met si peu de cœur, où Ton
dépense si peu d'art, où pas un des trois ne daigne
faire effort de manière ou d'autre, tous baissent,
tous bâillent, s'afTadissent d'une nauséabonde
douceur.
Chacun est bien averti, et personne n'a envie de
ce mariage. Si nos lois de succession ne faisaient
la femme riche, on ne se marierait plus, du moins
dans les grandes villes.
J'entendais à la campagne un Monsieur marié
et père de famille^ bien posé, qui endoctrinait un
jeune homme de son voisinage : « Si vous devez
rester ici, disait-il, il faudra bien vous marier, mais
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u INTRODUCTION.
si VOUS vivez à Paris, cela n'en vaut pas la^peine.
U est trop aisé de faire autrement, d
On sait le mot qui marqua la fin du peufte le
plus spirituel de la terre, du peuple d* Athènes :
<( Ahl si nous pouvions, sans femmes, avoir des
enfants I )» — Ce fut bien pis dans FEmpire. Toutes
les pénalités légales, ces lois Julia qui croyaient
marier l'homme à coups de bâton, ne parvinrent
plus à le rapprocher de la femme, et il sembla
môme que le désir physique, cette belle fatalité qui
aiguillonne le monde et centuple ses éner^s, se
fût éteint ici-bas. Pour ne plus voir une femme,
on fuyait jusqu'en Thébaïde.
Les motifs qui, aujourd'hui, non-seulement font
craindre le mariage, mais éloignent de la société
des femmes, sont divers et compliqués.
Le premier, incontestablement, c'est la misère
croissante des filles pauvres qui les met à disccë*
tion, la facilité de posséder ces victimes de la faim.
De là la satiété et l'énervation, de là Finaccoutu-
mance d'un amour plus élevé, l'ennui mortel
qu'on trouverait à solliciter longuement ce que si
facilement on peut avoir chaque soir.
Celui même qui aurait d'autres besoins et des
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POURQUOI L'ON NE SE MARIE PAS. \n
goûts 4e iidéUtéy qui youdrait aimer la mime y pré-
fère infiniment une personne dépendante, douée,
obéissante, qui, ne se eroyant aucun droit, pou-
vant, être quittée demain, ne s'écarte d'un pas et
\mui plaire.
La ferte et brtUante personnalité de nos demoi-
selles qui, trop souvent prend l'essor le lende*
main du mariage^ efiraye le célibataire. Il n'y a
pas à plaisanter, la Française ett une persontie.
C'est la chanee d'un bonheur immense, mais par-
fois d'un malheur aussi.
Nos excellentes lois civiles (qui sont celles de
l'avenir, et vers qui gravite le monde) n'en ont pas
moins ajouté à cette difficulté inhérente du carac-
tère national. I^a Française hérite et le sait, elle a
une dot et le sait. Ce n'est pas comme en certains
pays voisins où la fille, si elle est dotée, ne lest
qu'en argent (fluide qui file aux aflaires du m^ri).
Ici eUe a des immeubles, et même quand ses frères
veulent lui en donner la valeur, la jurisprudenee
s'y oppose et la maintient riche en immeubles^
garantis parle régime dotal, ou certaines stipula-
tions. Cette fortune le plus souvent est là qui sub«
siste* Cette terre ne s'envole pas, cette maison ne
s'écroule pas; elles restent pour lui donner voix au
diapitre, lui maintenir une personnalité que n'ont
ffMète l'Anglaise ou l'Allemande.
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nu INTRODUCTION.
Celled-ci, pour ainsi parler, s'absorbent dans l6ur
mari; elles s*y perdent corps et bien (si elles ont
quelque bien). Aussi, dles sont, je crois, plus dé-
racinée que les nétres de leur famille natale, qui
ne les reprendrait pas. La mariée compte comme
morte pour les siens, qui se réjouissent d'avoir
placé une fille dont ils n'auront jamais la charge
désormais. Quoi qu'il anîve, et, quelque part que
la mène son mari, die ira et restera. A dépareilles
conditions on craint moins le mariage.
Une chose curieuse en France, eonlradietoire en
apparence et qui ne Test pas, c'est que le mariage
est très-faible, et tris-fort l'esprit de famille. 11 ar-
rive (surtout en province, dans la bourgeoisie de
campagne) que la femme, mariée quelque temps,
une fois qu'elle a des enfants, fait de son âme deux
parts, l'une aux enfants, l'autre aux parents, à ses
premières aCTecUons qui se réveillent. — Que garde
le mari? rien. C'est ici Tesprit de famille qui an-
nule le mariage.
On lie peut pas se figurer comme cette femme
est ennuyeuse, se renfonçant dans un passé rétro-
grade, se remettant au niveau d'une mère d'esj^it
suranné, tout imbu de vieilles dioses. Le mari
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POURQUOI L'ON NE Sg IfARIE PAS. ix
vit doucement, maïs baisse vite, décourage, lourd,
propre à rkn. II perd ce que, dans ses éludes, dans
une jeune société, il avait gagné d'idées pour aller
un peu en avant. Il est bientôt amorti par la dame
propriétaire^ par le pesant étoufTement du vieux
foyer de famille.
Avec une dot de cent mille francs on enterre
ainsi un homme qui peut-être chaque année aurait
gagné cent mille francs.
Le jeune homme se le dit, à l'âge du long espoir
et de la confiance. D'ailleurs qu'il ait plus, qu'il
ait moins; n'importe : il veut courir sa chance, sa*
voir de quoi il est capable; il envoie au diable la
dot. Pour peu qu'il ait quelque chose qui batte sous
la mamelle gauche, il n'ira pas, pour cent mille
francs, se faire le mari de la reine.
Voilà ce que m'ont dit souvent les célibataires.
Us m'ont dit encore ceci, un soir que j'en avais
chez moi cinq ou six, et de grand méritCi et que je
les tourmentais sur leur prétendu eélibat.
Un d'eux, savant distingué, me dit très-sérieuse-
méat ces propres paroles : « Monsieur, ne croyez
nullement, quelques distractions qu'cm puisse trou-
ver au dehoi^s, qu'on ne soit pas malheureux de n'a-
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IRTÛODUCTIOW.
voir pas de foyer, je teux dire, une femme à soi,
qui vraiment vous appartienne. Nous le savons,
nous le sentons. Nul autre repos pour le cœur.
Et ne ravoir pas, monsieur, sachez que c'est une
vie sombre, cruelle et amère. »
Âmère. Sur ce mot-là, les autres insistèrent, et
dirent comme lui.
c( Mais, dit-il en continuant, une chose nous
en empêche. Tous les travailleurs sont pauvres
en France. On vit de ses appointements, on vit de
sa clientèle, etc. On vit juste. Moi, je gagne six mille
francs; mais telle femme à laquelle je pourras
songer, dépense autant pour sa toilette. Les mères
les élèvent ainsi. En supposant qu'on me la donne,
celte belle, que deviendrai-je le lenderoaïn, quand,
sortie d une maison riche, elle va me trouver si
pauvre? Si je raime(et j'en suis capable), imagi*
nez les misères, les lâchetés dont je puis être tenté
pour devenir un peu riche, et lui déplaire un peu
moins.
« Je me souviendrai toujours que me trouvant
dans une petite ville du Midi, où l'on envoie les
malades à la mode, je vis passer sur une place
où les mulets se roulaient dans une épaisse pous*
sière, une surprenante apparition. C'était une
fort belle dame, courtisanesquetpent vêtue (une
dame pourtant, non une fille), vingt-cinq ans, gon-
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POURQUOI L'ON Nfi SE MARIE PAS ii
liée, ballonnée dans une fraîche et délicieuse robc^
de soie bleu de ciel, nuée de blanc (chef-d'œuvre
de Lyon), qu'elle iFainait outrageusement par les
endroits les plus sales. La terre ne la portait pas.
Sa tète blonde et jolie, le net au vent, son petit
chapeau d'amazone qui lui donnait Tair d'un petit
page équivoque, toute sa personne disait : « Je me
moque de tout. » Je sentais que cette idole, mons*
trueusement amoureuse d'elle-même, avec toute sa
fierté, n'appartenait pas moins d'avance à ceux qui
la flatteraient, qu*on s'en jouerait avec des mots
et qu'elle n'en était pas même à savmr ce que c'est
qu*un scrupule. Je me souvins de Salomon : « Et
tergens os suum dixU : Nm mm operaia malum. »
Cette vision m'est restée; Ce n'est pas une personne,
ce n'est pas un acddent; c'est la mode, ce sont les
moeurs du temps que j'ai vues passer; et j'en gar-
derai totijours la terreur du mariage. »
« Pour moi, dit un autre plus jeune, l'obstacle,
l'empêchement dirimant, ce n'est pas la crinoline,
monsieur, c'est la religion. »
On rit; mais lui, s'animant : or Oui, la religion.
Les femmes sont élevées dans un dogme qui n'est
point le nôtre. Les mères qui veulent tant marier
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su îNTRÛ&yCTiON.
leurs filles, leur donnent l'éducation propre t créer
le divorce.
« Quel est le dogme de la France? Si elle nele sait
elle-même, l'Europe le sait très-bien; sa haine le
lui dit à merveille. Pour moi, c'est un ennemi, un
étranger très-rétrogradequi me Ta un jour formulé:
« Ce qui nous rend votre France haïssable, disait-il,
€< c'est que, sous un mouvement apparent, elle ne
« change pas. C'est comme un phare à éclipse, à
« feux tournants; elle montre, elle cache la flamme^
c< mais le foyer est le même. — Quel foyer? L'esprit
« vollairien (Inen antérieur à Voltaire); — en second
« lieu, 89, les grandes lois de la Révolution; — troi-
« sièmement, les canons de votre pape scientifique,
« TAcadémie des sciences. »
« Je disputai. Il insista, et je vois qu*il avait
raison. Oui, quelles que soient Jes questions nou-
velles, 89 est la foi de ceux même qui ajour-
nent 89 et le renvoient à l'avenir. C'est la foi de
toute la France, c'est la raison pour laquelle
l'étranger nous condamne en masse, et sans dis-
tinction de partis.
« Eh bien, les filles de France sont élevées jus-
tement à haïr et dédaigner ce que tout Français
aime et croit. Par deux, fois elles ont embrassé, lâ-
ché, tué la Révolution : premièreiB^nt au seizième
siècle, quand il s'agissait de la liberté de cooscieiioe;
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POURQUOI L*ON NE SE HÀRIE TAS. sm
puis à la fia du dix-huitième, pour les liberlés
politiques. Elles sont vouées au passé, sans trop
savoir ce que c'est. Elles écoutent volontiers ceux
qui disent avec Pascal : « Rien n'est sûr ; donc,
« croyons l'absurde, x» Les femmes sont riches en
France, elles ont beaucoup d'esprit, et tous les
moyens d'apprendre. Mais elles ne veulent rien ap-
prendre, ni se créer une foi. Qu'dles rencontrent
Vhomme de foi sérieuse, l'homme de cœur qui
crcHt et aime toutes les vérités constatées, elles
disent ai souriant : « Ce monsieur ne croit h
« rien. »
Il y eut un moment de ^nce. Cette sortie, un
peu violente, avait pourtant, je le vis, enlevé l'as-
sentiment de tous ceux qui étaient là. Je leur dis :
Si Von admettait ce que vous venei devancer, je
crois qu'il faudrait dire aussi qu'il en a été de
même bien souvent dans d'autres âges, et qu'on se
mariait pourtant. Les femmes aimaient la toilette,
le luxe, étaient rétrogrades. Mais les hommes de
ces temps-là sans doute étaient plus hasardeux. Ils
affrontaient ces périls, espérant que leur ascen-
dant, lair éneipe, l'amour surtout, le maître, le
vainfBeur dea vainqueurs^ opéreraient en leur fa<-
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XIV INTRODUCTION.
vcur d-heureuses . métamorphoses. Intrépides Car-
tius, ils se lançaient hardiment dans ce gouffre
d'incertitudes* Et fort heureusement pour nous.
Car, messieurs, sans cette audace de nos pères,
nous ne naissions pas.
Maintenant, permetteat^vous- à un ami plus âgé^
de vous parler avec franchise?*.. Eh bien, j'oserai
vous dire que si vous étiez vraiment seuls^ si vous
supportiez, sans consdations, cette vie que vous
trouvez amère, vous vous presseriez d'en sortir.
Vous diriez : L'amour est fort et il peut tout ce qu'il
veut. Plus grande sera la gloire de convertir à la
raison ces beautés absurdes et charmantes. Avec
une grande volonté, déterminée, persévérante, un
milieu choisi, un entourage habilement calculé, on
peut tout. Mais il faut aimer, aimer fortement et la
même. Point de froideur. La fenmie cultivée et dé^
sirée, infailliblement appartient à Tbomme. Si
rhomme de ce temps*ci se plaint de n'aller pas k-
Fâme, c'est qu'il n'a pas ce qui la dompte, la force
fixe du désir.
Mamtenant, pour parler seulement du premier
obstade allégué, de l'orgueil effréné des femmes,
de leur furie de toilette, etc., il me semble que
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POURQUOI L'03!l K£ SS MARIE PAS. !▼
oed s'adresse surtout aux classes supérieures, aux
dames riches, ou à celles qii ootoecaumi de se
mêler au monde riche. C'est deux cent ou trois
cent mille dames. Hais saves-¥ous combien de
femmes il y a en France? Dix-huit millions, dix*
huit cent mille à marier.
Il y aurait bien de l'injustice à les accuser en
masse des torts et des ridicules de la haute société.
Si ^es rimitent de loin, ce n'est pas toujours li-
brement. Les dames, par leur temple, et souvent
par leurs mépris, leurs risées, à l'étourdie, font en
ce sens de grands malheurs. Elles imposent un
luxe impossible à de pauvres créatures qui parfois
ne l'aimeraient pas, maïs qui par position, pour
des intérêts sérieux, sont forcées d'être brillantes,
et, pour l'être, se précipitent dans les plus tristes
hasards.
Les femmes qui ont enkre elles une destinée à
part, et tant de secrets eonununs, devraient bien
s'aimer un peu et se soutenir, au lieu de se faire la
guerre. Elles se nuisent dans mille choses, indi«
rectement. La dame riche, dont le luxe change la
toilette des classes pauvres, fait grand tort à la
jeune fiUe. Elle empêche son mariage; nul ouvrier
ne se soucie d'épouser une poupée, si coûteuse à
habiller. — Restée fille, elle est, je suppose, de-
moiselle de comptoir, de magasin; mais, là même,
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XVI INTRODUCTION.
la dame lui nuit encore. Elle aime mieux avoir
affaire à un commis en habit noir, flatteur, plus
femme que les femmes. I^es maîtres de magasins
ont été ainsi conduits à substituer à grands frais
le commis à la demoiselle, qui coûtait bien moins.
— Celle-ci que deviendra-t-elle? Si elle est jolie,
à vingt ans, elle sera entretenue, et passera de
main en main. Flétrie bientôt, avant trente, elle
deviendra couseuse^ et fera des confections à raison
de dix sous par jour. Nul moyen de vivre sans de-
mander chaque soir son pain à la honte. Ainsi la
femme au rabais, par une terrible revanche, va
rendant de plus en plus le célibat économique, le
mariage inutile. Et la allé de la dame ne pourra
pas se marier.
Voulez- vous, messieurs, qu'en deux mots je vous
esquisse le sort de la femme en France? Personne
ne Ta fait encore avec simplicité. Ce tableau, si je
ne me trompe, est fait pour toucher votre cœtir,
et vous éclairer peut-être, vous empêcher de mê-
ler des classes fort différentes dans un même ana-
thème.
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Il
cou V BIÈRE
Quand les fabricants anglais, énormément enri-
chis par les machines récentes, vinrent se plaindre
à M. Pitt et dirent : « Nous n'en pouvons plus,
nous ne gagnons pas assez I » il dit un mot ef-
froyable qui pèse sur sa mémoire : « Prenez les
enfants. »
Combien plus coupables encore ceux qui prirent
les femmes, ceux qui ouvrirent à la misère de la
fiUe des villes, à Taveuglement de la paysanne, la
ressource funeste d*un travail exterminateur et la
promiscuité des manufactures! Qui dit la femme,
dit Tenfant; en chacune d'elles qu'on détruit, une
famille est détruite, plusieurs enfants, et Tespoir
des générations à venir.
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XVIII INTRODUCTION
Barbarie de notre Occident I Lafennne n'a plus
été comptée pour Tamour, le bonheur de rhomme,
encore moins comme maternité et comme puis-
sance de race ;
Mais comme ouvrière !
V ouvrière! mot impie, sordide, qu'aucune lan*
gue n'eut jamais, qu'aucun temps n'aurait compris
avant cet âge de fer» et qui balancerait à lui seul
tous nos prétendus progrès.
Ici arrive la bande serrée des économistes, des
docteurs du produit net. « Mais, monsieur, les
hautes nécessités économiques, sociales I L'industrie
gênée s'arrêterait. Au nom même des classes pau*
vresl etc., etc. »
La haute nécessité, c'est d'être. El visiblement,
Ton périt. La population n'augmente plus et elle
baisse en qualité. La paysanne meurt de travail,
l'ouvrière de faim. Quels enftints faut-il en attendre?
des avortons, de plus en plus.
c< Mais un peuple ne périt pasi » Plusieurs peu-
ples, de ceux même qui figurent encore sur Ik
carte, n'existent plus. La haute Ecosse a disparu.
L'Irlande n'est plus comme race. La riche, l'absor-
bante Angleterre, ce suceur prod^ieux qui suce le
globe, ne parvient pas à se refeire par la plus
énorme alimentation. La race y change, y faiblit,
fait appel aux alcools, et elle faiblit encore plus.
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L'OUYRI&EE. m
Ceux qui la virent çn 1815 ne la reconnurent plus
ea 1830. Et comlMen vMÂm aujourd'hui I
Que peut lÉiat k eela? Bien moins là-bas^ en
Angleterre, où la vie industrielle engloutit tout» la
t^re même n'étant plus qu'une fabrique* Mais,
infiniment en France, ou nous comptons, «noere si
peu d'ouvriers (relativement).
Que de dioses m se pâmaient pas, qui se sont
faites pourtant I On ne pomaii abolir la loterie ; elle
est abolie. On eût juré qv^il était impossible de
démolir Paris pour le refaire ; cela s'exécute aisé-
ment par une petite ligne du code (Expropriation
pour cause d'utilité publique).
Je vois deux peuples dans nos villes :
L'un, vêtu de drap; c'est Thorame; — l'autre, de
misérable indienne. — Et cela, mémo l'hiver I
L'un, je parle dû dernier ouvrier^ du moins payé,
du gâcheux, du serviteur des ouvria*s; ilnarrivc
pourtant, cet hcmime, à manger de la viande le ma-
tin (un cervelas sur le pain ou qudqueautrediose).
Le soir, il entre à la gargotte et it mange un plaide
viande et même boit de mauvais vin.
La femme du même étage pr^ul un sou de lajt
le matin, du pain à midi et du pain le soir, à peine
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%* IliTRODtGTION.
un sou de fromage. — ^Vousniez?*.. Gek estcertain :
je te prouverai tout à l'haire. Sa journée est de dix
soust et elle ne petU être de omey pour une raison
que je dirai.
Pourquoi en est-il ainsi? L'homme ne veut plus
se marier, il ne veut plus protéger la femme. Il vit
gloutonnement seul.
Est-ce à dire qu'il mène une vie abstinente? Il
ne se prive de rien. Ivre le dimanche soir, il trou-
vera, sans chercher, une ombre affamée, et ou-
tragera cette morte*
On rougit d'être homme.
« Je gagne trop peu, » dit-il. Quatre ou cinq fois
plus que la femme, dans les métiers les plus nom-
breux. Lui quarante ou cinquante sous, et elle dix,
comme on va le voir.
lid pauvreté de l'ouvrier s^ait pour l'ouvrière
richesse, abondance et luxe.
Le premier se plaint bien plus. Et, dès qu'il
manque en effet, il manque de bien plus de choses.
On peut dire d'eux ce qu'on a dit de l'Anglais et
de l'Irlandais : a L'Irlandais a faim de pommes de
terre. L'Anglais a faim de viande, de sucre, de thé,
de bière, de spiritueux, etc., etc. »
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Dans le budget de Toatrier nëcesdteiix, je pissù^
deux choses qu'il se donne à tout prix, et auxqudles
elle ne songe pas : le tabac et la barri&re. Pour la
plupart, ces deux articles disorbent plus qu'un mé^
nage.
Les salaires de rbomme ont reçu, je le sais, une
rude secousse, principalement par Teffist de la mse
métallique qui change la iraleur de Fargent. Ds re*
montent, mais lentement. Il faut du temps pour Té*
quilibre. Mais, en tenant compte de cela, la dîRé-
rence subsiste. La femme est encore plus frappée.
C'est la viande, c'est le vin, qui sont diminués pour
lui; pour elle, c'est le pain même. Elle ne peut re-
culer, ni tomber davantage : un pas de plus, elle
meurt.
« C'est leur faute, dit l'économiste. Pourquoi eut*
elles la fureur de quitter les campagnes, de venir
mourir de faim dans les villes? Si ce n'est lou-
vriére même, c'est sa- mère qui est venue, qui,
de paysanne, se fit domestique. Elle ne manque
pas, hors mariage, d'avoir un enfont, qui est Fou*
vrière. »
Mon cher monsieur, savea-vous ce que c'est que
la campagne de France? combien le trdvail y est
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ïw INTRODUCTION.
terrible, excessif et rigoureux ? Point de femmes
qui oiltiverit en Angleterre. Elles sont bien misé-
rables, nmis enfin vivent en chapeaux, gàt^dées du
vent, delà pluie* L* Allemagne, avec ses forêts, ses
prairies, etc., avec un travail très-lent et la douceur
nationale, n'écrase pas la femme, comme on fait de
ceHe^. Le éurus arûtor au po^6 n'a guère son
idéal qu*ïci. Pourquoi? 11 est propriétaire. Proprié-
taire de peu, de rien, et propriétaire obéré. Par
un trarvail Airiêux, aveugle, de très-mauvaise agri-
culture, il lutte avec le vautour. Cette terré va lui
échapper, f lutdt que cela n'arrive, il s'y entcr-
pwa, s'il le faut; mais d^abord surtout sa femme.
C'est poar cda qu'il se ïnarie, pour avoir un ouvrier.
Aux Antilles, on achète un nègre ; en France, on
épouse une femme.
On la prend de faible appétit, de taille mesquine
et petite, dans l'idée qu'elle mangera moins [histo-
rique].
EUe a grand cœur, cette pauvre française, fait
autant et plus qu'on ne veut. Elle s'attefle avec un
âne (dans les terres légères) et l'homme pousse la
charrue. En tout, elle a le plus dur. 11 taille la vigne
à son aise. Elle, la tète en bas, gratte et pioche. Il
a des répits, elle non. Il a des fêtes et des amis. Il
va seul au cabaret. Elle va un moment à l'église et
elle y tombe de sommeil. Le soir, s'il rentre ivre,
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L'OUVRIÈRE. uju
battue! et souvent, qui pis est, eaceiate! La voilà^
pour une année, traînant sa double souffranee, au
chaud, au froid, glacée du vent, recevant la pluie
tout le Jour.
I^ plupart meurent de phthi»e, surtout dans le
lïord (voir les statistiques). Nulle constitution m
résiste à pette vie. Pardonnons4ui à cette mère» si
elle a envie que sa fille souffre moins, si elle Teii*
voie à la manufacture (du moins elle aura un toit
sur la tète), ou bien, domestique à la ville, où elle
participera aux douceurs.de la vie bourgeoise. L'en*»
faut n'y est que trop portée. Toute femme a dans
Fesprit des petits besoins d'élégance, de finesse,
d'aristocratie.
Elle en est tout d'abord punie. Elle ne voit plus
le soleil. La bourgeoise est souvent très-dure, sur-
tout si la fille est jolie. Elle est immolée aux en-*
fants gâtés, singes malins, cruels petits chate, qui
font d'dle leur jou^. Sinon, accusée, grondée,
vexée^ malini^née. Alors elle voudrait mourir. Le
regret du pays lui vient; vam elle sait que son père
ne voudra jam^iei la repr^dre. Elle pâlit, elle dé-^
périt. .
Le mattre seul est bon pour elle. 11 la cent
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xm INTRODUCTION.
solerait, s'il osait. Il voit bien qu'en cet étal dé-
solé, où la petite n'a jamais un mot de douceur, elle
est d'avance ^ celui qui lui montrerait un peu d'a-
mitié. L'occasion en vient bientôt, madame étant h
la campagne. La résistance n'est pas grande. C'est
son maître, et il est fort. La voilà enceinte. Grand
orage. Le mari, honteux, baisse les épaules. Elle
est chassée, et sans pain, sur le pavé, en attendant
qu'elle puisse accoucher à l'hôpital. (Histoire pres-
que invariable, voyez les confessions recueillies par
les médecins.
Quelle sera sa vie, grand Dieul que de combats!
que de peines, si elle a tant de bon cœur, de cou*
rage, qu'elle veuille élever son enfant !
Voyons la condition de la femme ainsi chargée,
et encore dans des conditions relativement favo-
rables.
Une jeune veuve protestante, de mœurs trés-
austéres, laborieuse, économe, sobre, exemplaire en
tout sens, encore agréable, malgré tout ce qu'elle
a souffert, demeure derrière THôtel-Dieu, dans
une rue malsaine, plus bas que le quai. Elle a
un enfant maladif, qui va toujoufB à Técole, re-
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L'OUVRIÈRE. xvr
tombe toujours au lit et qui ne peut avancer. Son
loyer, de cent vingt francs, moins enchéri que bien
d autres, est porté à cent soixante. Elle disait à deux
dames excellentes : « Quand je puis aller en jour-
née, on veut bien me donner vingt sous, même
vingt-cinq; mais cela ne me vient guère ^ïïe deux
ou trois fois la semaine. Si vous n'aviez eu la bonté
de m'aider pour mon loyer en me donnant cinq
francs par mois, il eût fallu, pour nourrir mon
enfant, que je fisse comme les autres^ que je des*
cendisse le soir dans la rue. »
La pauvre femme qui descend ti*eioblanle, hélast
pour s'offrir, est à cent lieues de l'homme grossies
à qui il lui faut s'adresser. Nos ouvrières qui ont
tant d'esprit, de goût, de dextérité, sont la plupart
distinguées physiquement, fines et délicates. Quelle
différence entre elles et les dames des plus hautes
classes? Le pied? Non. La taille? Non. La main
seule fait la différence, parce que la pauvre ou-
vrière, forcée de laver souvent, passant l'hiver
sous le toit avec une simple chaufferette, a se&
mains, son unique instrument de travail et de
vie, gonflées douloureusement, crevées d'enge-
lures. A cela près , la même femme, pour peu
qu'on rhabille, c'est madame la comtesse, autant
qu'aucune du grand faubourg. Elle n'a pas le jar^
gon du monde. Elle est bien plus romanesque^
b
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INTRODUCTION.
plus vive. Qu'un èdair de bonheur lui passe, elle
éclipsera tout.
On ne sait pas assez combien les femmes sont une
aristocratie. Il n^y a pas de peuple chez elles.
Quand je passai le détroit, un doux visage de
femme, épuisé, mais fin, joli, distingué, suivait la
voiture, me parlant, inulilcment, car je n'entendais
pas Tanglais. Ses beaux yeux Ueus, suppliants,
paraissaient souffrants, profonds, sous un petit
diapeatt de paille.
« Monsieur, dis- je à mon voisin, qui entendait le
français, pourriez-vous m'expliquer ce que me dît
cette diarmante personne, qui a l'air d'une du-
chesse, et qui, je lie sais pourquoi, s'obstine à
suivre la voiture?
« Monsieur, me dit*il poliment, je suis porté à
croire que c'est une ouvrière sans ouvrage, qui se
fait mendiante, au mépris des lois. »
Deux événements immenses ont changé le sort
de la femme en Eur(^ dans ces dernières années.
Elle n'a que deu^ grands métiers, filer et cùudre.
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L'OUVRIÈRE. xzvii
Les autres (broderie, fleurs, etc.) méritent à peine
d'être comptés. La femme est une fileuse^ la femme
est une cùU8eu$e. C'est son travail, en tous les temps,
c'est son histoire universelle.
Eh bien, il n'en est plus ainsi. Cela vient d'être
diangé.
La machine à lin a d'abord supprimé la iileusc.
Ce n'est pas un gain seulement, c'est tout un monde
d'habitudes qui a été perdu. La paysanne filait, en
surveillant ses enfants, son foyer, etc. Elle filait
aux veillées. Elle filait en marchant, menant sa va-
che ou ses moutons.
La couseuse était l'ouvrière des villes. Elle tra-
vaillait chez elle, ou continûment tout le jour, ou
en coupant ce travail des soins du ménage. Pour
tout labeur important, cela n'existera plus. D'abord,
les couvents, les prisons, faisaient terrible concur-
rence à l'ouvrière isolée. Mais voici la machine à
coudre qui l'anéantit.
Le progrès des deux machines, le bon marché,
la perfection de leur travail, feront, malgré toute
barrière, arriver partout leurs produits. Il n'y a
rien à dire contre les machines, rien à faire. Ces
grandes inventions sont, à la fin, au total, des bien-
faits pour l'espèce humaine. Mais leurs efifets sont
cruels aux moments de transition.
Combien de femmes eh Europe (et ailleurs) se-
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INTRODUCTION.
ront frappées par ces deux terribles fées, par la
tileusé d'airain et la couseuse de fer? Des millions.
Mais jamais on ne pourra le calculer.
L'ouvrière de Taiguille s'est trouvée en Angle-
terre si subitement affamée, que nombre de socié-
tés d'émigrations s'occupent de favoriser son pas-
sage en Australie. L'avance est de sept cent vingt
francs, mais la personne émigrée peut, dés la
première année, en rendre moitié (Blosseville).
Dans ce pays où les mâles sont infiniment plus
nombreux, elle se marie sans peine, fortifiant de
familles nouvelles cette puissante colonie, plus
solide que l'empire indien.
Les nôtres que deviennent-elles? Elles ne font
pas grand bruit. On ne les verra pas, comme l'ou-
vrier, coalisé et robuste, le maçon, le charpentier,
faire une grève menaçante et dicter des conditions.
Elles meurent de faim, et voilà tout. La grande
mortalité de 1854 est surtout tombée sur elles.
Depuis ce temps cependant leur sort s'est bien
aggravé. Les bottines de femmes ont été cousues
àla mécanique. Les fleuristes sont moins payées, etc.
Pour m'éclairer sur ce triste sujet, j'en parlai à
plusieurs personnes, spécialement à mon vénérable
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L'OUVRIËRE. XXII
ami et confrère, M. le docteur Villermé, à M. de
Goerry, dont lee beaux travaux sont si estimés, enfin
à un jeune statisticien dont j'avais fort admiré la mé-
thode rigoureuse, M. le docteur Bertillon. Il eut l'o-
Uigeance extrême de faire, à cette occasion, un tra-
vail sérieux, où il réunit aux données que le monde
ouvrier peut fournir celles que des personnes de
radministralion lui communiquèrent. Je voudrais
qu'il le complétât et le publiât.
Je n'en donnerai qcFune ligne : « Dans le grand
métier général qui occupe toutes les femmes (moins
un petit nombre), le travail de Taiguille, elles ne
ne peuvent gagner que dix sous. »
Pourquoi? « Parce que la machine, qui est en-
core assez chère, feit le travail à dix sous. Si la
femme en demandait onze, on lui préférerait la
machine. »
Et comment y supplée-t-dle? « EHe descend le
soir dans la rue. »
Voilà pourquoi le nombre des filles publiques,
enregistrées , numérotées, n'augmente pas à Paris,
et, je crois, diminue un peu.
L'homme ne se contente pas d'inventer les ma-
chines qui suppriment les deux grands métiers de
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sxx INTRODUCTIOX.
la femme, il K*empare directemetit des industries
secondaires dont elle \ivait, descend aux métiers du
faible. La femme peut-elle, à volonté, monter aux
métiers qui exigent de la force, prendre ceux des
hommes? Nullement.
Les dames nonchalantes et oisives, enfoncées
dans leur divan, peuvent dire tant qu'elles vou-
dront : «( I^a femme n'qst point une malade. » — Ce
qui n'est rien quand on peut, deux jours, trois
jours, se dorloter, est souvent accablant pour celle
qui n'a point de repos. Elle devient tout à &it
malade.
En réalité, la femme ne peut travailler long-
temps ni debout, ni assise. Si elle est toujours
assise, le sang lui remonte, la poitrine est irritée,
l'estomac embarrassée, la tête injectée. Si on la
tient longtemps debout , comme la repasseuse ,
comme celle qui compose en imprimerie, eUe a
d'autres accidents sanguins. Elle peut travailler
beaucoup, mais en variant l'attitude, comme elle
fait dans son ménage, allant et venant.
11 faut qu'elle ait un ménage, il faut qu'elle soit
mariée.
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ill
LA FEMME LETTllÉE
La demoiselle bien élevée^ comme on dit, qui
peut enseigner, devenir gouvernante dans une fa-
mille, professeur de certains arts, se tire-t-elle
mieux d'afiaire? Je voudrais pouvoir dire Oui. Ces
situations plus douces n'entraînent pas moins pour
elle une infinité de chances scabreuses, au total
une vie trouble, une destinée avortée, parfois tra-
gique. Tout est difficulté pour la femme seule, tout
impasse ou précipice.
II y a quinze ans, je reçus la visite d^une jetine et
aimable demoiselle que ses parents envoyaient de
la province à Paris. On l'adressait à un ami de la
famille qui pouvait Faider à gagner sa vie en lui
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xYxii INTRODUCTION.
procurant des leçons. J'exprimai rélonnement que
me donnait leur imprudence. Alors, elle me dit tout.
On renvoyait dans ce péril pour en éviter un autre.
Elle avait dans son pays un amant plein de mérite,
et qui voulait l'épouser; c'était le plus honnête
homme, c'était un homme de talent. Mais, hélas! il
était pauvre. « Mes parents Taiment, Testiment,
dit-elle, mais craignent que nous ne mourions de
faim. »
Je lui dis sans hésiter : « Il vaut mieux mourir
de faim que de courir le cachet sur le pavé de Paris.
Je vous engage, mademoiselle, à retourner, non
pas demain, mais aujourd'hui, chez vos parents.
Chaque heure que vous restez ici, vous fera perdre
cent pour cent. Seule, inexpérimentée, que devien-
drez-vous? »
Elle suivit mon conseil. Ses parents omsentirent.
Elle épousa. Sa vie fut très-difficile, pleine des
plus dures épreuves, exemplaire et honoraUe. Par-
tagée péniblement entre le soin de ses enfants et
laide très-intelligente qu elle donnait aux travaux
de son mari, je la vois encore Fhiver courant aux
bibliothèques où elle faisait des recherches pour lui.
Avec toutes ces misères, et la douleur qu'on avait
de ne pouvoir secourir leur ô^ pauvreté, jamais
je n'ai regrrtté le conseil que je lui donnai. EUe
jouit beaucoup par le coeur, ne souffrit que de la
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LA FEMME LETTRÉE.
forluhe. 11 n y eut jamais meilleur ménage. Elle
arriva à la mort aimée, pure et honorée.
La pire destinée pour la femme, c est de vivre
seule.
Seule! le mot même est triste à dire.... Et com-
ment se fait-il sur la terre qu'il y ait une femme
seideî
Eh quoil il n*est donc plus d*hommes? Sommes-
nous aux derniers jours du monde? la fin, Taippro-
che du Jugement dernier nous rend-elle si ^oîstes,
qu'on se resserre dans l'effroi de l'avenir et dans
la honte des plaisirs solitaires?
On reconnaît la femme setile au premier coup
d'œil. Prenez-la dans son voisinage, partout où elle
est regardée, elle a l'attitude dégagée, libre, élégam-
ment légère, qui est propre aux femmes de France.
Mais, dans un quartier où elle se crdit moins obser-
vée et se laisse aller, quelle tristesse, quel abat-
tement visible! J'en rencontrai l'hiver dernier,
jeunes encore, mais en décadence, tombées du cha-
peau au bonnet, un peu maigries, un peu pftiies
(d'ennui, d'anxiété? de faible et mauvaise nourri-
ture?). Pour les refaire belles et charmantes, il eût
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ixsrv ISTRODUCTIOK.
sufii de peu de chose : quelque espoir, trois mois-
de bonheur.
Que de gênes pour une femme seule I Elle ne
peul guère sortir le soir; on la prendrait pour une
fille. 11 est mille endroits où Ton ne voit que des
hommes, et si une affaire l'y mène, on s'étonne, on
rit sollement. Par exemple, qu'elle se trouve attar-
dée au bout de Paris, qu'elle ait faim, elle n'osera
pas entrer chez un restaurateur. Elle y ferait évé-
nement, elle y serait un spectacle. Elle aurait con-
stamment tous les yeux fixés sur elle, entendrait
des conjectures hasardées, désobligeantes. 11 faut
qu'elle retourne à une lieue, qu'arrivée t^rd, elle
allume du feu, prépare son petit repas. EUe évite de
faire du bruit, car un voisin curieux (un étourdi d'ê*
tudiant, un jeune employé, que sais-je?) mettrait
l'œil à la serrure, ou indiscrètement, pour entrer^
offrirait quelque service. Les communautés gê-
nantes, disons mieux, les servitudes de nos grandes-
vilaines casernes, qu'on appelle des maisons, la ren-
dent craintive en mille choses, hésitante à chaque
pas. Tout est embarras pour elle, et tout liberté
pour rhomme. Combien, par exemple, elle s'en-
ferme, si le dimanche, ses jeunes et bruyants^
voisins font entre eux, comme il arrive, ce qu'on
appelle un repas de garçons!
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LA FËSMB LETTRÉE. xxxw
Examinons cette maison.
Elle demeure au quatrième, et elle fait si peu de
bruit que le locataire du troisième avait cru quel-
que temps n'avoir personne au-dessus de lui. Il n'est
guère moins malheureux qu'eUe. C'est un monsieur
que sa sanlé délicate, et un peu d'aisance, ont dis*
pensé de rien faire. Sans être vieux, il a déjà les
habitudes prudentes d'un homme toujours occupé
de se conserver lui-même. Un piano qui l'éveille
on peu plus tôt qu'il ne voudrait, a révélé la soli-
taire. Puis, une fois, il a entrevu sur l'escalier
une aimable figure de femme un peu pâle, desvelte
élégance, et il est devenu curieux. Rien de plus
aisé. Les concierges ne sont pas muets, et sa vie est
si transparente I Moins les moments où elle donne
ses leçons, elle est toujours chez elle, toujours à
étudier. Elle prépare des examens, aimant mieux
être gouvernante, avoir l'abri d'une famille. Enfin,
on en dit tant de bien que le monsieur devient ré*
veur. « Ah ! si je nétaispas pauvre ! dit-il. 11 est bien
agréable d'avoir la société d'une jolie femme à
vous, qui comprend tout, vous dispense de traîner
vos soirées au spectacle ou au café. Mais quand
on n'a, comme moi, que dix mille livres de rente,
on ne peut pas se marier. »
Il calcule alors, suppute son budget, mais en fai-
sant le double compte qu'ils font en pareil cas,
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xiivi INTRODUCTION.
réunissant les dépenses probables de Tbomme ma-
rié, et celles du célibataire qui continuerait le café,
le spectacle, etc. C'est ainsi qu'un de mes amis, un
des plus spiriluels journalistes de Paris, trouvait
que pour vivre deux, sans domestique, dans une
maisonnette de banlieue , il faut trente mille livres
de rente.
Cette lamentable vie, d'honorable solitude^ et
d'ennui dései^éré, c*est celle que mènent les om-
bres errantes qu'on appelle en Angleterre les mem-
bres de clubs. Cela commence aussi en France. Fort
bien nourris, fort bien chauffés, dans ces établisse-
ments splendides, trouvant là tous les journaux
et de riches bibliothèques, vivant ensemble comme
des morts bien élevés et polis, ils progressent dans
le spleen, et se préparent au suicide. Tout est si
bien organisé que la parole est inutile; il n'est
même besoin de signes. A tels jours de Tannée,
le tailleur se présente, et prend mesure, sans qu'on
ait besoin de parler. Point de femme. Et encore
moins irait-on chez une fille. Nais, une fois par se-
maine, une demoiselle apportera des gants, ou tel
objet payé d'avance, et sortira sans bruit au bout
de cinq minutes.
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LA FËHHE LETTRÉE. ixxui
J ai parfois, en omnibus, rencontré une jeune
tille, modestement mise, mais en chapeau toutefois,
qui avait les yeux sur un livre et ne s'en détachait
pas. Si près assis, sans regarder, je voyais. Le plus
souvent, le livre était quelque grammaire ou un de
ces manuels pour préparer les examens. Petits li-
vres, épais et compactes, où toute science est concen-'
trée sous forme sèche, indigeste, comme à l'état de
caillou. Elle se mettait pourtant tout cela sur l'es-
tomac, la jeune victime. Visiblement, elle s'achar-
nait à absorber le plus possible. Elle y employait les
jours et les nuits, même les moments de repos que
l'omnibus lui ofirait entre ses courses et ses leçons
données aux deux bouts de Paris. Cette pensée in-
exorable la suivait. Elle n'avait garde de lever les
yeux. La terreur de l'examen pesait trop. On ne
sait pas combien elles sont peureuses. J'en ai vu
qui, plusieurs semaines d'avance, ne se couchaient
plus, ne respiraient plus, ne faisaient plus que
pleurer.
11 faut avoir compassion.
Notez que, dans l'état actuel de nos mœurs, je
suis très-grand partisan de ces examens qui facili-
tent une existence un peu plus libre, au totale
honorable. Je ne demande pas qu'on les simpli->
fie, qu'on resserre le Champ des études qui sont
demandées. J'y voudrais pourtant une auirc met
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XXXV,,, INTRODUCTION.
thode ; en histoire, par exemple, un petit nombre
de grands faits cafdtaux, mais drconstaneiés, détaU-
lis^ et non des tables de matières. Je soumets celte
réflexion à mes savants collègues et amis, qui sont
juges de ces examens.
Je voudrais encore qu'on ménageât davantage la
timidité, que les examens fussent publicsy mais pour
les dames seulement, qu'on n'admit d'hommes tout
au plus que les parents des demoiselles. 11 est dur
de leur faire subir cette épreuve devant un public
oirieux, mêlé de jeunes gens rieurs. U faudrait
aussi laisser à diaeune le choix du jour de l'exa*
Bien. Pour plusieurs, l'épreuve est terrible, et, sans
cette précaution, peut les mettre en danger de
mort.
Eugène Sue, dans nn roman faible dexécution,
mais d'observation excellente (la Gouvernante)^
donne le tableau très-vrai de la vie d'une demoi-
selle transportée tout à coup dans une maison
étrangère dont elle doit élever les entants. Égale ou
sopérieui^ par léducation, modeste de position,
le plus souvent de caractèie, elle n'intéresse que
trop. Le père en est fort touché; le fils se déclare
amoureux ; les domestiqués sont jaloux des égards
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LA FEM^IK LETTKÊK. xtkix
dont elle est l'objet, la calomnient, etc. Mais que
de choses à ajouter? Combien, chez Sue, est in*
complète la triste iliade do ce qn elle a à souflrir,
même à craindre de dangers? On pourrait citer
des faits étonnants, incroyables. Ici, c* est la pas-
sion du père portée jusqu'au crime, entrepi^enant
d'effrayer une gouvernante vertueuse, Jui coupant
son linge, ses robes, môme brûlant un jour ses ri-
deaux! Là, c'est une mère corrompue qui, voulant
gagner du temps et marier son fils le plus tard
possible, trouve très-bon qu'en attendant il trompe
une pauvre demoiselle sans conséquence, q\i\n*ai ni
parents ni prolecteur. Elle flatte, caresse la fille
crédule, et, sans qu'il y paraisse, arrange des oc-
casions, des hasards calculés. Au contraire, j'ai
vu ailleurs la maltresse de maison, si violente et si
jalouse, rendant la vie si amèrc à la triste créa-
ture, que, par Texcës des souffrances, elle prenait
justement son abri sous la protection du mari.
La tentation est naturelle pour une jeune âme,
fière et pure, courageuse contre le sort, dé sortir
de la dépendance individuelle, et de s'adresser à
tous, de prendre un seul protecteur, le public, et
de croire qu'elle pourra vivre du fruit de sa pensée.
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XL INTRODUCTION.
Que les femmes pourraient ici nous faire de révé-
lations ! Une seule, je crois, Ta osé dans un ro-
man très-fort, dont le défaut est d'être court, de
sorte que les situations n'arrivent pas à tout leur
effet. Ce livre, Une Fausse Position, a paru il y a
quinze ans, et disparu aussitôt. Cest Titinéraire
exact, le livre de route d'une pauvre femme de let-
tres, le relevé des péages, octrois, taxes de bar-
rières, droits d'entrée, etc., qu'on exige d'elle pour
lui permettre quelques pas; l'aigreur, Tirritation
que sa résistance lui crée tout autour, de sorte que
tous l'environnent d'obstacles, que dis-je? d'ob-
stacles meurtriers.
Avez-vous vu en Provence des enfants ameutés
contre un insecte qu'ils croient dangereux? Ils dis-
posent autour de lui des pailles ou des brins secs,
puis allument... De quelque cdté que la pauvre
créature s'élance, elle trouve la flamme, se brûle
cruellement, retombé ; et cela plusieurs fois ; elle
essaye toujours d'un courage obstiné, toujours en
vain. Elle ne peut passer le cercle de feu.
C'est la même chose au théâtre. La femme éner-
gique et belle, qui se sent de la force au cœur, se
dit : <( Par la littérature, il me faut subir les inter-
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LA FEMME LKTTnÉE. m
médiaires qui disposent de Topinion. Sur la scène,
je suis en personne par-devant mon juge, le public,
je plaide moi-même pour moi. Je n'ai pas besoin
qu'on dise : « Elle a du talent I » — Mais je dis :
« Voyez î »
Quelle erreuri La foule décide bien moins par
ce qu'elle voit que par ce qu'on lui dit être le juge-
ment de la foule. On est touché de celle actrice,
mais chacun hésite à le dire. Chacun attendra,
craindra le ridicule d'un entraînement passionné.
11 faudra que les censeurs autorisés, les moqueurs
de profession, aient donné le signal de l'admira-
tion. Alors le public éclate, ose admirer, dépasse
même tout ce que lui aurait dicté son émotion per-
sonnelle.
Mais, seulement pour arriver à ce jour du juge-
ment où elle aura tout à craindre, que de fâcheux
préalables! que d'hommes intéressés, suspects, in-
délicats, disposent souverainement de son sort I
Par quelles filières, quelles épreuves, ont réussi
les débuts ? Comment s'est-elle concilié ceux qui la
présentent et la recommandent? puis, le directeur
auquel elle est présentée? plus tard, l'auteur à la
mode qui ferait pour elle un rôle? les critiques en
dernier lieu? Et je ne parle pas ici des grands or-
ganes de la presse qui se respectent un peu, mais
des plus obscurs, des plus inconnus. Il suffit qu'un
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xui liNTUODUCTïOS.
jeune employé, qui passe sa \ie dans tel ministre
à tailler des plumes, ait griffonné à son bureau
quelques lignes satiriques, qu'une j^tite feuille
les reçoive, les répande dans Tentr acte. Ani-
mée, encouragée des premiers applaudissements,
elle rentre en scène, belle d'espoir... mais ne re-
connaît plus la salle. Tout est brisé, le public
glacé. On se regarde en riant.
J'étais jeune quand je vis une scène bien forte,
dont je suis resté indigné. J'aime à croire que de
nos jours les choses ne sont plus ainsi.
Chez un de ces terribles juges que je connaissais,
je vois arriver une petite personne, fort simplement
mise, d'une figure douce et bonne, fatiguée déjà et
un peu fanée. Elle lui dit, sans préface, qu'elle ve-
nait lui demander grâce, qu'elle le priait du moins
de lui dire pourquoi il ne passait pas un jour sans
la cribler, Taccabler. 11 répondit hardiment, non
pas qu'elle jouait mal, mais qu'elle était impolie,
qu'à un premier article assez favorable, elle eût dû
répondre par un signe de reconnaissance, une mar-
que solide de souvenir. « Hélas I monsieur, je suis
si pauvre I je ne gagne presque rien, et je dois sou-
tenir ma mère. — Peu m'importe l ayez un amant...
-^ Mais je ne suis pas jolie. Et d'ailleurs je suis si
triste... On n'aime que les femmes gaies... — ^Non,
vous ne m'en ferez pas accroire. Vous êtes jolie,
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LA FEMME LETTRÉE.
tnademoiselle, et c'est mauvaise volonté* Vous êtes
fiëre, cda ne vaut rien. Il faut faire comme les
autres, il faut avoir un amant. » 11 ne sortit pas
delà.
Je n'ai jamais compris comment on avait la force
de siffler une femme. Chacun d'eux est peut-être
bon, et ils sont cruels en masse. Gela arrive parfois
dans telle ville de province. Pour forcer le directeur
à dépenser plus qu'il ne peut, et à faire venir les
premiers talents, on exécute chaque soir une infor-
tunée qui, elle-mémcv aurait du talent, mais qui,
sous cet acharnement, ce honteux supplice, perd la
tête, chancelle, bégaye, ne sait plus ce qu'elle dit.
EHe pleure, reste muette, implore des yeux... On
rit, on siffle. Elle s'irrite, se révolte contre une sï
grande barbarie. Mais alors, c'est une tempête si
horrible et si féroce, qu'elle tombe, demande
pardon...
Maudit qui brise une femme, qui lui die ce qu'elle
avait de fierté, de courage, d'âme I Dans Une
Fausse Position, ce moment est marqué d'une
manière si tragique et si vraie, qu'on sent que
c'est la nature même; cela est pris sur le vif.
Camille, la femme de lettres, habilement entourée
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xnr INTRODUCTION.
(In cercle de feu, n'ayant plus d'issue, veut mou-
rir. Elle n'en est empêchée que par un hasard
imprévu, une occasion inévitable, impérieuse, de
faire quelque bien encore. Attendrie par la charité,
amollie, elle perd les forces que l'orgueil prétait à
son désespoir. Un sauveur lui vient, elle cède. La
voilà humble j désarmée par le grand dilemme
qui corrompit tant les mystiques : « Si le vice
est un péché, l'orgueil est un plus grand péché. »
Elle est devenue tout à coup, celle qui portait là
tète si haut, bonne, docile, obéissante. Elle fait
l'aveu de la femme : « Tai besoin dun mattre. Com-
mandez, dirigez.. « Je ferai ce qu'on voudra. »
Ah ! dès qu'elle est une femme, 'dès qu'elle est
douce, pas fiëre, tout est ami, tout s'aplanit. Les
saints lui savent gré d'èti*e humble. Les mondains
en ont bon espoir. Les portes se rouvrent devant
elle, et littérature et théâtre. On travaille, on con-
spire pour elle. Plus elle est morte de cœur, mieux
elle est p(»sëe dans la vie. Les apparences rede-
viennent excellentes. Tout ce qui fit guerre à l'ar-
tiste, à la femme laborieuse et indépendante,
est bon pour la femme soumise (désormais entre-
tenue).
MOOERM LANCUAGES
FACULTY LiBRARY
OXFOaD.
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LA FEUHE LETTUÈE. ilv
L'auteur du roman, à la fin, torture, mais sauve
rhéroîne. Il lui met un fer brûlant au cœur, celui
d*un véritable amour. Elle succombe, perd Tesprit
avant sa dégradation. Peu ont ce bonheur; la plu-
part ont déjà trop souffert, trop baissé pour sentir
si vivement; elles subissent leur sort, sont esclaves,
— esclaves grasses et florissantes.
Esclaves de qui? direz-vous. De cet être incer-
tain et inconnu qui, d'autant moins, est responsa-
ble, et d'autant plus est léger, sans égard et sans
pitié. Son nom ? C'est NemOy le nom sous lequel
Ulysse s'affranchit du cydope. Ici, c'est le cyclope
même, le minotaure dévorant. C'est Personne, et
c'est Tout le monde.
J'ai dit qu'elle élikil esdave. Plus misérablement
esclave que le nègre du planteur, plus que la fille
publique numérotée du ruisseau. Comment ? parce
que ces misérables, du moins, n'ont pas d'in-
quiétude, ne craignent pas le chômage, sont nour-
ries par leurs tyrans. La pauvre camellia, au con-
. traire, n'est sûre de rien. On peut la quitter tous
les jours, et la laisser mourir de faim. EUe semble
gaie, insouciante. Son métier est de sourire. Elle
sourit, et dit cependant : « Peut-être affaoïëe de-
main !.. Et pour retraite, une borne I »
Même dans son for intérieur, elle tâche aussi
(l'être gaie, ayant peur d'être malade, de mai-
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xfvi i:STRODUCTIOîH.
grir. Cela est atroce de ne pouvoir être triste. Elles
savent bien qu'au milieu des demi-égards, un
peu ironiques, que Ton a pour elles, on ne leur
pardonnera pas un jour de langueur, ni la moin-
dre altération. Certaine ombre de souffrance, un
peu de pâleur maladive qui parerait la grande
dame et peut-être rendrait fou d'amour, c'est la
ruine de la dame au eamellia. Elle est tenue d'être
brillante dé fraîcheur, luisante plutôt. Point de
grâce. Un médecin très-bonnête qu'une d'elles avait
appelé, huit jours après, de lui-même, sans autre
intérêt que la pitiés passant dans la rue, monta, de-
manda comment elle allait. EUe fut extrêmement
touchée et ouvrit son cœur. «.Vous me voyez
toujours seule, dit-elle. Il vi^it à peine un jour
par semaine. Si je souffre ce jour-là, il dit :
« Bonsoir, je vais au bal ji (c est-à-dire chercher
une femme), me faésant sèchement entendre que
je ne suis bonne à rien, que je ne gagne pas mon
pain. »
La façon dont on s'en défait est la chose la
plus cruelle. M. Bouilhet, dans son beau drame
d'Hélène Peyrotij a mis en scène ce qui se voit
tous les jours. On n'aime pas à rompre en face,
mais on s'arrange si bien, que la o^èature cb-
kissée, demain sans ressources peutrétre^ ac-
cueille trop crédulement ramdur d'un ami per-
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LÀ FEMIE LETTRÉE. ilw
fide ; libre à l'infidèle, au traître de dire qu^elle Ta
trahi.
Dans un poème immortel, d une inexprimable
tendresse, Virgile a exprimé Tamertume, l'inson-
dable mer de douleurs, où se noie l'amant de
Lycoris. Ces courtisanes esclaves, qu'un maître
avare louait, vendait, ont tiré des vers dédiirants
de la muse infortunée des Properce et des Tibulle.
Elles étaient lettrées, gracieuses et de véritables
darnes^ plus semblables à la dame au camellia ac-
tuelle, qu'aux Manon Lescaut de l'ancien régime,
si naïvement corrompues, simple élément de plai-
sir, qui ne sentaient, ne savaient rien.
Le danger est très-grand ici. Le plus sûr est de
rester loin. Un jour, un de mes amis, penseur
distingué, charitable, mais qui a les mœurs du
temps, me disait que c'était par ces relations lé-
gères, sans conséquence , en évitant tout enga-
gement sérieux, qu'il avait su se réserver pour l'é-
tude et l'exercice solitaire de l'intelligence. Je lui
dis : « Quoi ! vous trouvez que cela est sans consé-
quence? Mais n'est-ce pas un grand péril?... Par
quel effort philosophique d*oubli et d'abstraction
peut-on voir une infortunéejetéelàpar la misère,
. DigitizedbyLjOOÇlC
BLfiH IKTROBUCTIOK.
par la trahison peut être, sans que son horrible
sort ne déchire le cœur? Et si la pauvre créature,
jouet de la fatalité, allait le prendre, ce cœur, vous
seriez perdu ! — Moi ! dit-il en souriant (mais
d'un si triste sourire I), cela ne peut pas arriver.
Mes parents y ont pourvu ; ils ont fénné cette porte
qui mène aux grandes folies. Avant que j'aie senti
mon cœur, on m'en a débarrassé. On a tuéTamour
en moi.»
Celte parole funéraire me fit frémir. Je pensai
au mot qu'un empereur sophiste dit au dernier
jour de l'empire romain: « L'amour est une con-
vulsion. » Le lendemain, tout s'écroula, non par
rinvasiondes barbares, mais par celle du célibat et
de la mort préventive.
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IV
LA FEMME NE VIT PAS SANS rilOMMK
Une vie toujours laborieuse nous enrichit, en
avançant, de sens nouveaui qui nous manquaient.
Bien tard, seulement Thiver dernier (18c8-18j9),
je me suis trouvé au cœur le sens des petits enfants.
Je les avais toujours aimés, mais jo ne les compre-
nais pas. Je dirai plus loin l'aimable révélation qui
m'en vint par une dame allemande. C'est à elle
certainement qu'on devra ce qui pourrait se trouver
de meilleur dans les premiers chapitres sur l'édu-
cation qu'on lira tout à l'heure.
Pour pénétrer dans cette étude, je crus devoir
connaître mieux Tanalomie de reniant. Mon ami,
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L INTRODUCTIOIH.
M. le docteur Béraud, chirurgien des hôpitaux, ex-
prosecteur de Clamart, jeune encore, mais si connu
par le beau traité de physiologie qu'il a fait avec
notre illustre Robin, voulut bien, dans le cabinet
qu'il a à Clamart» disséquer plusieurs enfants sous
mes yeux. Il m'avertit sagement que l'étude de
l'enfant est utilement éclairée par celle de l'adulte.
Me voilà donc, sous ses auspices, lancé dans l'ana-
tomie que je ne connaissais jusque-là que par les
planches.
Admirable étude, qui, indépendamment de tant
d'utilités pratiques^ est au fond toute une morale.
Elle trempe le caractère. On n'est homme que par
le ferme regard dont on envisage la vie et la mort.
Et, ce qui n'est pas moins vrai, quoique moins
connu^ elle humanise le cœur, non dun attendris-
sement de femme, mais en nous éclairant sur une
foule de ménagements naturels qu'on doit à l'hu-
manité. Un éminent anatomiste me disait : <x C'est
un supplice pour moi de voir une porteuse d'eau
sous le poids des seaux qui l'accablent et qui lui
scient les épaules. Si Ton savait combien chez la
femme ces muscles sont délicats, combien les nar&
du mouvenient sont faibles, et au contraire si déve-
loppés ceux de la sensibilité I »
Mon impression fut analogue, lorsque, ayant vu
Torganisme qui fait deFenfont un être fatalement
Digitized by LjOOQ IC'
LA FEMME NE VIT PAS SANS L'HOMME. li
mobile» à qui la nature impose un changement con*
tinuel, je pensai à Fenfer d'immobilité que lui in-
flige l'école. D'autant plus je me rattachai h la bonne
méthode allemande (ateliers et jardins d'enfQnts)^ où
on leur demande justement ce que veut la nature,
le mouvement, en développant chez eux l'activité
créatrice qui est le vrai génie de Thomme.
Tant qu'on n'a pas vu, touché les réalités, on
hésite sur tout cela, on discute, on perd le temps à
écouter les bavards. Disséquez. En un moment,
vous comprendrez, sentirez tout. C'est la mort sur-
tout qui apprend à respecter la vie, à ménager, à
ne pas surmener l'espèce humaine.
Si je pouvais avoir quelque doute sur rinfluence
morale de l'anatomie, il m'eût suffi de me rappeler
que les meilleurs hommes que j'aie connus étaient
de grands médecins. Au moment même où j'étu-
diais à Clamart, j'y vis un célèbre chirurgien an-
glais qui, dans son grand âge de quatre-vingts
ans, passe tous les ans la mer pour visiter cette ca-
pitale des sciences, et connaître les nouveautés
heureuses que son génie inventif trouve incessam-
ment pour le soulagement de l'humanité.
U s'agissait pour moi surtout de Panatomie du
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i/i INTRODUCTIO».
cerveau. J'en étudiai un grand nombre de l'un et de
l'aulre sexe, de tout âge, et fus frappé de voir com-
bien naïvement la face inférieure du cerveau ré-
pond, dans sa physionomie, à l'expression du visage.
Je dis la face inférieure et nullement la partie supé-
rieure, et toute veineusey à laquelle évidemment
Gall attachait trop d'importance. C'est loin de la
boite osseuse, aux larges bases du cerveau, pleines
d'artères, accidentées de volutes plus ou moins ri-
ches, selon que l'intelligence fut développée, c'est
là que se révèle énergiquement la personne, autant
qu'au visage même. Celui-ci, face grossière, exposée
à l'air, à mille chocs, déformé par des grimaces,
s'il n'avait les yeux, parlerait bien moins que cette
face intérieure, si bien gardée, si délicate, si mer-
veilleusement nuancée.
Chez les femmes vulgaires qui visiblement
avaient eu des métiers grossiers, le cerveau était
fort simple de forme, comme à l'état rudimentaire.
Elles m'auraient exposé à la grave erreur de croire
que la femme en général est, dans ce centre es-
sentiel de l'organisme, inférieure à l'homme. Heu-
reusement d'autres cerveaux féminins me délrom-
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LK FEMME NE TIT PAS SANS L'HOMME. un
pèrent, spécialement celui d'une femme qui, sous
un rapport pathologique, offrant un cas singulier,
obligea M. Bëraud à comiaitre et sa maladie, et ses
précédents. J*eus donc ici ce qui me manquait
pour ces autres morts, l'histoire de la vie, de la
destinée.
Cette singularité infiniment rare, c'était un calcul
considérable trouvé dans la matrice. Cet organe,
généralement si altéré aujourd'hui, mais peut-être
jamais à ce point, révélait là un état bien extraor-
dinaire. Qu'au sanctuaire delà vie génératrice et
de la fécondité on trouvât ce cruel dessèchement,
cette atrophie désespérée, une Arabie, si j'ose dire,
un caillou..., que l'infortunée se fût comme chan-
gée en pierre... Cela me jeta dans une mer de
sombres pensées.
Cependant les autres organes n'en étaient pas
altérés, autant qu'on aurait pu croire. La tête était
fort expressive. Si le cerveau n'était pas large,
fort, puissant, comme celui de quelques hommes
que j'avais pu observer, il était aussi varié, aussi
riche de volutes. Petites volutes accidentées, his-
toriées d'un détail infini, — naguère meublées, on
le sentait, d'une foule d'idées, de nuances déli-
cates, d'un monde de rêves de femme. Tout cela
parlait. Et, comme j'avais eu sous les yeux, le
moment d'auparavant, des cerveaux peu expres-
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i.v INTRODUCTION.
sifs, j'allais dire silencieux, celui-ci au premier
aspect me fit entendre un langage. En rappro-
chant, je croyais par les yeux ouïr encore un écho
de ses soupirs.
I^es mains, douces et assez fines, n^étaient pas
cependant élégamment allongées, comme celles de
la dame oisive. Elles étaient moyennement courtes,
faites pour la préhension. Elle avait sans doute tenu
de petits objets, qui ne déforment pas la main,
mais la courbent et la concentrent. Ce devait être
une ouvrière, — en linge peut-être? fleuriste?
Telles étaient les conjectures naturelles. Elle pou-
vait avoir vingt-huit ans. Ses yeux d'un gris bleu,
surmontés de «ourcils noirs, assez forts, une cer-
taine qualité du teint , révélaient la femme de
rOuest, ni Normande ni Bretonne, d'une ziNOie
intermédiaire et pas encore du Midi.
La figure était sévère, fière plutôt. Les sourcils
arqués fortement, mais non surbaissés, témoi-
gnaient d'une personne honnête, nullement avilie,
qui avait gardé son âme et jusqu'à la mort lutté.
Le corps, déjà ouvert à l'hôpital, montrait assez
au côté gauche qu'une fluxion de poitrine l'avait
enlevée. Elle était morte le 21 mars. En retranchant
douze jours, nous remontions au mardi gras, au
9 mars. On était tenté de croire qu'elle était une
-des victimes si nombreuses des bals de cette épo-
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LA FEMME NE VIT PAS SANS L'IIOHHE. lv
que. Cruel moment qui tout à coup comble les hô-
pitaux, et bientôt lescimetièresl On peut justement
l'appeler la Fête du Minotaure. Que de femmes dé-
vorées vivantes I
Quand on songe à Fennui mortel, à la monotonie
profonde, à la vie déshéritée, sèche et vide, que
mène louvrière, surtout louvrière de Faiguille,
avec son pain sec étemel, et seule dans son froid
grenier, on s étonne peu si elle cède à la jeune folle
d'à côté, ou à une amie plus mûre, intéressée, qui
lenlralne. Mais ce qui me donne toujours un éton-
nement douloureux, c'est que celui qui en profite
ait si peu de cœur, qu'il protège si peu la pauvre
étourdie, ne veille pas un peu sur elle, ne s'inquiète
pas (lui si chaudement couvert de manteaux, de
paletots!) de savoir si elle revient vêtue, de savoir
si elle a du feu, si elle a le nécessaire, de quoi
manger pour demain. Hélas 1 cette' infortunée dont
vous eûtes tout à l'heure les dernières caresses,
la jeter dans la nuit glacée!... Barbares I vous
faites semblant d'être /^|^er< dans tout ceci. Point
du tout. Vous êtes habiles, vous êtes cruels et
avares, vous craignez d'en savoir trop, vous aimez
mieux ignorer ce qui suit, — là vie, la mort...
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Lvi INTRODUCTION.
Pour revenir, malgré l'époque, je cloutai fort,
sur la vue du visage de celle femme que ce fût une
étudiante, une habituée de ces bals. On connaît
aisément ce monde-là. Elle n'y eût pas réussi.
Un nez sévèrement arrêté, un menton ferme, une
bouche à lèvres fines et précises, un certain air de
réserve l'auraient fait trop respecter.
L'enquête ultérieure prouva que j'avais très-bien
jugé. C'était une demoiselle de province, de petite
bourgeoisie marchande, qui, dans une ville peuplée
en majeure partie de célibataires, employés, etc.,
n'avait pu, malgré son honnêteté naturelle, se dé-
fendre seule contre des assauts infinis, une pour-
suite de toulcs les heures. Sur promesse de ma-
riage, elle avait aimé et eu un enfant. Trompée,
sans autre ressource que ses doigts et son aiguille,
elle avait quitté cette ville, celle de France où les
femmes sont le moins embarrassées. Elles y ga-
gnent tout ce qu'elles veulent. Celle-ci aima mieux
aller se cacher à Paris, et mourir de faim. Elle
traînait un enfant; grand obstacle à toute chose.
Elle ne pouvait être ni femme de chambre ni de-
moiselle de boutique. La couture ne produisait
rien. Elle essaya de repasser; mais dans son état
maladif, aggravé par le chagrin, elle ne pouvait
le faire sans que le charbon lui donnât de cruelles
migraines, et elle ne restait debout tout un jour
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LA FEÎIME NE VIT PAS SANS L'HOMME. lmi
qu'avec de grandes douleui's. Les ouvrières n'en
savaient rien el la croyaient paresseuse. Les Pa-
risiennes sont rieuses, elles n'épargnaient pas les
risées à la pauvre provinciale. Toutefois, elles
avaient bon cœur, et, dans ses embarras, lui prè*
taient de leur argent.
Ses tristes robes d'indienne déteinte, que j'ai
vues, témoignaient assez que, dans celte extrême
misère, elle n'eut aucun recours à ce qui lui
restait de beauté. Un tel vêtement vieillit. Il ne
laissait nullement deviner combien cette personne
était jeune encore, entière. La douleur et les mi-
sères maigrissent, mais ne fanent pas comme les
excèset les jouissances. Et celle-ci, très-visiblement,
avait peu usé des joies de la vie.
La maîtresse qui l'employait à repasser avait eu
la charité de lui permettre de coucher dans une
grande soupente qui servait d'atelier, lieu forte-
ment imprégné des vapeurs du charbon, et qui
d'ailleurs devait le matin être libre pour le travail.
Quelque souffrante qu'elle fût, elle ne pouvait rester
au lit, même un jour. De bonne heure, les ouvrières
arrivaient, se moquaient « de la parcèseusc, fai-
néante et propre à rien. »
Au r' mars, elle fut plus mal, eut un peu de
fièvre, un peu de toux. Ce n'eût é(é rien si elle avait
eu un chez soi. Mais, ne l'ayant pas, il lui fallut
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Lvm IKTIVODUCTION. .
laisser sa petite fille à la bo&të de la maîtresse et
aller à l'hôpital.
Elle entra dans un de nos grands et vieux hôpi-
taux où il y avait à ce moment beaucoup de fièvres
typhoïdes. Le très-habile médecin qui Ty reçut pré-
vit sans peine que sa petite fièvre prendrait ce ca-
ractère. Mais il espéra Tatténuer. On lui demanda '
si sa santé, en général, était bonne. Elle dit modes-
tement : Oui, dissimulant la grave lésion intérieure^
et redoutant un pénible examen.
Dans rimmensîté de ces salles qui réunissent
tant de souffrances, où Ton voit agcmiser, mourir à
côté de soi, la tristesse ajoute souvent à la ma-
ladie. Les parents sont admis à certains jours.
Mais combien n'ont pas de parents I Combien meu-
rent seuls I Cellenci fut visitée par la charitable
maîtresse, qui, pourtant, voyant plusieurs ma-
lailes de la fièvre typhoïde, prit peur et ne re-
vint plus.
L'aération nécessaire se fait encore, comese au-
trefois, par.de vastes fi^ètres, de grands courants
d'air. On a oaupe sérieusemeai d'établtr un meil-
leur systèniç. Ces courants frappent des malades
peu défendui par leurs rideaux. La petite toux
qu'elle avait, devint une forte brmichite, puis une
fluxion de poitme. Êpuiaëe depuis longt^nps par
une très-faôUe nourriture, elle n'avait pas la force
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LA FEMME NE VIT PAS SANS L'HOMME. lu
de réagir. Elle fiit très-bien soignée, mais mourut
en trois semaines.
Sa petite fille (enfant chammit, et déjà tout rai-
scumable) , fut mise aux Ekifants trootés.
Son corps, n'étant rédamé de personne, fut en-
voyé à Clamart. Et, j ose dise, très-utilement, puis-
qu'il a édairé ia science par un fait dont elle tirera
de féooodes inductions. D'autre part, ce simple
réeit aura aussi été utile, s'il avertit fortement
Tattention des bons esprits. La femme meurt^ H
eUen'a foyer et froteeUou. Si œlle-ei avait eu seu-
lement un alnHl, un lit pour huit jours, son indis-
position eût passé, selon tovrte apparence, et elle
eût encore vécu.
11 eût fallu qu'elle eût un moment l'hospitalité
d'une femme. Qu'il serait souvent aisé, pour une
dame intalUgenie, à certains jours dédsifs, de sau-
ver celle que le malheur engloutit I Je suppose que
cette dame, traversant un jardin public qui est près
derhôpilai. Tait vue assise sur un banc, avec son
petit paquet, se reposant un moment de sa longue
course, avant d'entrer. Cette dame la voyant si
pâle, frappée de sa figure honnête, distinguée.
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I.V INTRODUCTION.
malgré rexlrème pauvreté du vêtement, se fût
assise à côté d'elle, et, de manière ou d'autre,
Taurait fait un peu parler.
« Qu'avez-vous, mademoiselle ? — J'ai la fièvre,
madame. Je me sens tout à fait mal. — Voyons....
Je m'y connais un peu. Ohl c'est peu de chose.
Dans ce moment, l'épidémie régnante est forte aus
hôpitaux. Vous pourriez bien la gagner. Un peu de
quinquina peut-être vous mettra sur pied en deux
jours. J'aurais beaucoup à repasser. Pour ces deux
jours, venez chez moi. Guérie, vous ferez mon
ouvrage. » — Cela lui eût sauvé la vie.
Deux jours n'eussent pas suffi. Avec une semaine,
elle eût été remise. La dame appréciant ce carac-
tère honnête et sûr qu'elle portait sur son visage,
l'eût sans doute gardée davantage. Un peu ouvrière,
un peu demoiselle, mieux vêtue, redevenue belle par
quelques mois d'une vie douce, elle eût touché plus
d'un cœur de sa grâce sérieuse. Le malheur d'avoir
été trompée et d'avoir ce joli enfant, bien compensé
par sa sage tenue, sa vie économe et laborieuse,
n'aurait guère arrêté l'amour. J'ai eu occasion de
voir plusieurs fois la magnanimité tendre et géné-
reuse des bons travailleurs dans ce genre d'adoption.
J'ai vu un de ces ménages, admirable. La femme
aimait, j'ose dire, adorait son mari, et l'enfant,
par je ne sais quel instinct, s'était attaché à lui
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LA FEMME NE \IT PAS SANS L'HOMME. ivi
plus qu'on ne fait à un père ; il ne le quittait qu'en
pleurant, et, s'il tardait, pleurait pour le revoir.
On se figure trop aisément qu'une destinée est
gâtée sans retour. Notre bonne vieille France ne
pensait pas ainsi. Toute femme qui émigrait, par
exemple, au Canada, passait pour purifiée de toute
faute et de tout malheur, par le baptême de la mer.
Ce n'était pas une vaine opinion. Elles prouvaient
parfaitement qu'en efiet il en était ainsi, devenaient
d'admirables épouses, d'excellentes mères de fa-
mille.
Mais l'émigration la meilleure, pour celles qui,
presque enfants, se sont trouvé jetées par le
hasard dans une vie légère, c'est de remonter
courageusement par le travail et les priva-
tions. Un de nos premiers penseurs a soutenu
cette thèse dans une lettre sévère à une de nos
pauvres amazones, si brillantes et si malheu-
reuses, qui lui demandait comment on peut sortir
de ce gouffre. La lettre, très-dure de forme, mais
bonne au fond et très-bonne, lui dit comment elle
peut expier par la* misère, se laver par le travail et
la souffrance voulue, redevenir digne et pure. lia
tout à fait raison. L'âme de femme, bien plus
mobile, plus fluide que Tàme d'homme, n'est ja-
mais si profondément corrompue. Quand elle a
voulu sérieusement revenir au bien, qu'elle a vécu
d
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Lxu INTRODUCTION.
d'efforts, desacrifices, de réflexion, elle est vraiment
renouvelée. C'est un peu comme la rivière, qui» à
tels jours, fut gâtée ; mais d'autres eaux sont ve-
nues, et elle est claire aujourd'hui. Si la femme
ainsi changée, ouUiant le mauvais rêve de ses
fautes involontaires où le cœur n'était pour rien,
parvint à le trouver, ce cœur, si elle aime... tout
est sauvé. Le plus homiète homme du monde peut
avoir son bonheur en elle, et s'honorer 4'elle
enoM^e.
Je ne voulus rien ajouter à ce lugubre récit. Mes
amis émus se levèrent. D'un seul mot, je leur rap-
pelai ce qui l'avait précédé,
Mes chers messieurs, la raison pour laquelle vous
vous marierez, la plus forte pour vos cœurs, c'est
celle que je vous disais :
La femme ne vit pas sans thamme.
Pas plus que l'enfant sans la femme. Tous les
enfants trouvés meurent.
Et Thomme vit*il sans eux 7 Vous-mêmes le disiez
tout à l'heure : Votre vie est sombre et amère. Au
milieu des amusements et des vaines ombres fémi-
nines, vous ne possédez pas la femme, ni le bon-
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LA FEMME NE TIT PAS SANS L'HOMME. lxiii
heur, ni le repos. Vous n'avez pas la forte assiette,
Téquiiibre. harmonique, qui sert tant la produc-
tion.
La nature a fermé la vie d*un nœud triple et
absolu : Thomme, la femme et Tenfant. On est sûr
de périr à part, et on ne se sauve qu'ensemble.
Toutes les disputes des deux sexes, leurs fiertés
ne servent à rien. U faut en finir sur ce point. Il ne
faut pas faire comme ritalie,commela Pologne, Tir-
lande, TEspagne, où Taffaiblissementdela famiUe,
et l'égoisme solitaire, ont tant contribué à perdre
rÊtat. Dans Tunique livre du siècle où il y ait une
grande conception poétique (le poème du Dernier
homme)j l'auteur croit le monde épuisé, et la Terre
près de finir. Mais il y a un sublime obstacle : La
Terre ne peut pas finir, si un seul homme aime encore.
Ayez pitié de la Terre, fatiguée, qui sans Ta-
mour, n'aurait plus de raison d'être. Aimez, pour
le salut du monde.
Si je vous ai bien compris, vous en auriez as-
sez envie, mais la crainte vous arrête. Franche-
ment, vous avez peur des femmes. Si la femme
restait une chose, comme jadis, vous vous marie-
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ixiy INTRODUCTION.
riez. Hais alors, mes chers amis, il n'y aurait pas
mariage. C'est Tunion de deux personnes. Voici
que le mariage commence à devenir possible, jus-
tement parce qu'aujourd'hui elle est une personne
et une âme.
Sérieusement, étes-vous des hommes? Celle puis-
sance que vous prenez maintenant sur la nature par
votre irrésistible génie d*invention, est-ce qu'elle
vous manquera ici? Un seul être, celui qui résume
la n«ture et qui est tout le bonheur, sera hors de
votre portée? Par la science vous atteignez les
scintillantes beautés de la Voie lactée; est-ce que
celles de la terre, plus indépendantes de vous, vont
vous renvoyer (comme la Vénitienne renvoya Rous-
seau) aux mathématiques f
Votre grosse objection sur l'opposition de la foi,
la difficulté d'amener la femme à la vôtre, elle ne
me semble pas bien forte pour qui envisage froide-
ment, pratiquement, la difficulté.
La fusion ne s'opérera complètement qu'en deux
mariages, deux générations successives.
La femme qu'il faut épouser, c'est celle que j'ai
donnée dans le livre de l'Amour, celle qui, simple
et aimante, n'ayant pas encore reçu une empreinte
définitive, repoussera le moins la pensée moderne,
celle qui n'arrive pas d'avance ennemie de la science
et de la vérité. Je l'aime mieux pauvre, isolée, peu
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LA FEMME NE VIT PAS SANS L*HOMME iiv
entourée de famille. La condifion, Téducation, est
chose fort secondaire. Toute Française nait reine ou
près de le devenir.
Comme épouse, la femme simple que Ton peut
élever un peu. Et, comme fille, la femme croyante^
qu'un père élèvera tout à fait. Ainsi se trouvera
rompu ce misérable cercle où nous tournons, où la
femme empêche de créer la femme.
Avec cette bonne épouse, associée, de cœur au
moins, à la foi de son mari, celui-ci, suivant la
voie fort aisée de la nature, exercera sur son en-
fant un incroyable ascendant d'autorité et de ten-
dresse. La fille est si croyante au père ! A lui d'en
faire tout ce qu'il veut. La force de ce second
amour, si haut, si pur, doit faire en elle la Femme^
Tadorable idéal de grâce dans la sagesse, par le-
quel seul la famille et la société future vont être
recommencées.
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PREMIÈRE PARTIE
DE L'ÉDUCATION
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LE SOLEIL, VklK ET U LUIUÈRE
Un illustre observateur affirme que nombre d'ê-
tres microscopiques, qui, tenus à Tombre, restent
végétaux, s'animalisent au soleil et deviennent de
vrais animaux. Ce qui est sûr, incontesté, accepté
de tout le monde, c'est que, loin de la lumière,
tout animal végète; que le végétal n'arrive guère à
la floraison, et que la fleur reste pâle, languissante,
avorte et meurt.
La fleur humaine est, de toutes, celle qui veut
le plus de soleil. Il est pour elle le premier et le su-
prême initiateur de la vie. Comparez Tenfant d'un
jour qui n'a connu que les ténèbres, avec Tenfant
d'une année; la différence est énorme entre ce fils
de la nuit et ce fils de la lumière. Le cerveau de
ce dernier, mis en face de celui de l'autre, offre le
1
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2 LE SOLEIL, L'AIB ET LA LUMIÈRE.
miracle palpable d'une transfiguration complète.
On ne s'en étonne pas quand on voit que dans le
cerveau Tappareil de la vision lient à lui seul plus
de place que tous les organes des sens réunis. La
lumière inonde la tête, la traverse de part en part
jusqu'aux nerfs, profonds, reculés, d'où sort la
moelle épinière et tout le système nerveux, tout
l'appareil de la sensibilité et du mouvement. Même
au-dessus des conduits optiques où la lumière cir-
cule, la masse centrale du cerveau (la couronne
rayonnante) semble encore en être pénétrée et sans
doute en tient ses rayons.
Le premier devoir de Tamour, c'est de donner à
Tenfant, et aussi à la jeune mère, hier enfant, chan-
celante, ébranlée par l'accouchement, fatiguée de
l'allaitement, beaucoup, beaucoup de lumière, la
salubrité, la joie d'une bonne exposition, que le so-
leil égayé de ses premiers regards, qu'il aime et
regarde longtemps, tournant autour, à midi, même
à deux heures, s'il se peut, l'échauffant, l'illumi-
nant encore, ne la quittant qu'à regret.
A ceux qui vivent du monde, de la vie artificielle,
laissez la splendeur des appartements tournés vers
te soir, les rois, les grands, les oisifs, ont cherché,
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LE SOLEIL, L'AIR ET LA LUMIERE. 5
dans leurs Versailles, l'exposition du couchant qui
glorifiait leurs fêtes. Mais celui qui sanctifie la vie
par le travail, celui qui aime et met sa fête dans
Tenfant et la femme aimés, celui-là vit le ma-
tin. A lui-même il assure la fraîcheur des premières
heures où la vie, tout entière encore, est énergique
et productive. A eux, il donne la joie, la prime fleur
de gaieté qui enchante toute la nature dans le bon-
heur de s(m réveil.
Que comparer à la grâce innocente et délicieuse
de ces scènes du matin, lorsque le bon travailleur
ayant prévenu le soleil, le voit qui, sous les rideaux,
vient admirer la jeune mère et Tenfant dans le ber-
ceau? Elle est surprise, elle s'étend : « Quoi! si
tard ! » — Elle sourit : « Oh ! que je suis pares-
seuse ! » — c< Ma chère, il n'est que cinq heures.
L'enfant t'a souvent réveillée; je te prie, dors une
heure encore. » Elle ne se fait pas trop prier, et les
voilà rendormis.
Fermons, doublons les rideaux, et baissons la
jalousie. Mais le jour, dans sa triomphante et rapide
ascension, ne se laisse pas exclure, f n charmant
combat s'établit entre la lumière et l'ombre. Et ce
serait bien dommage si l'on refaisait la nuit. Quel
tableau on y perdrait I Elle, penchée vers l'enfant,
elle arrondit sur sa tête la courbe d'un bras amou-
reux... Un doux rayon cependant parvient à s'in-
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4 LE SOLEIL, L'AIR ET LA LUMIÈRE.
sinuer. Souffre-le, laisse autour d'eux cette tou-
chante auréole de la bénédiction de Dieu.
J'ai parlé dans un de mes livres, d'un arbre fort
et robuste (c'était un châtaignier, je crois) que j'ai
vu vivre sans terre, et de l'air uniquement. Nous
suspendons dans des vases certaines plantes élégan-
tes qui végètent également sans aliment que Tat-
mosphère. Nos pauvres cultivateurs ne leur ressem-
blent que trop. Leur très-faible nourriture, qui la
supplée? Qui leur permet de faire^ si peu nourris,
des travaux si longs, si rudes? La perfection de l'air
où ils vivent et la puissance qu'il leur donne de tirer
de cette alimentation tout ce qu'elle a de nutritif.
Eh bien ! toi qui as le bonheur d'élever et de
nourrir ces deux arbres du paradis, la jeune femme
qui vit en toi, et son enfant qui est toi, — songe
bien que, poUr qu'elle vive, qu'elle fleurisse et ali-
mente le cher petit de bon lait, il faut lui assurer
d'abord l'aliment des aliments, l'air vital. Quel
malheur serait-ce, quelle triste contradiction, de la
mettre, ta pure, ta chaste et charmante femme,
dans la dangereuse atmosphère qui flétrirait son
corps, son âme I — Non, ce ti'est pas impunément
qu'une personne délicate^ impressionnable et pétié-
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LE SOLEIL, L'AIR ET LA LUMIÈRE. 5
(lable, recevra le fâcheux mélange de cent choses vi-
ciées, vicieuses, qui montent de la rue à elle, le
souffle des esprits immondes, le péle-mèle de fu-
mées, d'émanations mauvaises et de mauvais rêves
qui plane sur nos sombrA cités I
U faut faire un sacrifice, mon ami, et h tout prix,
les mettre où ils puissent vivre. S'il se peut, sors de
la ville. — Tu verras moins tes amis? Ils feront
bien un pas de plus, si ce sont de vrais amis.— Tu
iras peu au théâtre 7 On en désire moins les plaisirs
(agitants et énervants), quand on a à son foyer
Tamour, ses joies rajeunissantes, sa Divine Comé-
die.— Tu perdras moins de temps le soir à traîner
dans les salons, à jaser. En récompense, le matin,
frais, reposé, tout ce que tu n'auras pas dé-
pensé en vaines paroles, tu le mettras en travail,
en œuvres solides de résultats durables qui ne
s'envoleront pas.
Je veux un jardin, non un parc; un petit jardin.
L'homme ne croit pas aisément hors de ses harmo-
nies végétales. Toutes les légendes d'Orient com-
mencent la vie dans un jardin. Le peuple des forts,
des purs, la Perse, met lé monde d'abord dans
un jardin de lumière.
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6 LE SOLEIL, L'AIR ET LA LUMIÈRE.
- Si tu ne peux quitter la ville, loge aux étages les
plus hauts. Plus heureux que le premier, le cin-
quième et le sixième se font des jardins sur les
toits. Tout au moins, la lumière abonde. J'aime que
ta jeune femme enceinte ait une vaste et noble vue,
dans les rêveries de l'attente, pendant tes longues
heures d'absence. J*aime que les premiers regards
de l'enfant, lorsqu'on le tiendra au balcon, tombent
sur les monuments, sur les effets majestueux du
soleil qui tourne autour et leur donne aux heures
différentes des aspects si divers. Quand on n'a pas
sous les yeux les montagnes, les hauts ombrages,
les belles forêts, on reçoit des grands édifices (où est
la vie nationale, l'histoire en pierres de la Patrie)
des émotions précoces dont la trace subsiste tou-
jours. Les petits enfantin ne savent le dire, mais,
de bonne heure, leur âme vibre aux effets de l'ar-
chitecture, ainsi transfigurée. Tel rayon, tel coup
delumièrequi, à telle heure, frappe un temple, leur
reste à jamais présent.
Pour moi, je puis affirmer que rien dans ma
première enfance ne me fil plus d'impression que
d'avoir vu une fois le Panthéon entre moi et le
soleil. C'était le matin. L'intérieur, révélé par
ses vitraux, rayonnait comme d'une gloire mysté-
rieuse. Entre les colonnes légères du charmant
temple ionique, si énormément élevé sur les grands
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LE SOLEIL, L'AIR ET LA LUMIÈRE 7
murs austères et sombres, l'azur circulait, mais
rosé d'une inexprimable lueur. Je fus saisi, ravi,
atteint, et plus que je ne lai été de très-grands
événements. Ils ont passé; cette lueur me reste et
m'illumine encore.
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H
DE L'ÉCHANGE DU PREMIER REGARD ET DU
COMMENCEMENT DE U FOI
Le divin ravissement du premier regard maternel,
Textase de là jeune mère, son innocente surprise
d'avoir enfanté un Dieu, sa religieuse émotion de*
vant ce merveilleux rêve, qui est si réel pourtant,
c'est ce qu'on voit tous les jours, mais ce qui sem-
blait impossible à peindre. Corrége a su le saisir,
inspiré de la nature, libre de la tradition, dont
jusqu'à lui l'art était contenu et refroidi.
Il y a des spectateurs autour du berceau, et ce-
pendant la scène est solitaire, toute entre elle et
lui qui sont la même personne. E1I& le regarde fré-
missante. D'elle à lui, de lui à elle, un rayonnement
électrique se fait, un éblouissement, qui les confond
l'un avec l'autre. Mère, enfant, c'est même chose
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DE L'ËCUâMGË du premier REGARD, ETC. 9
dans cette vivante lumière qui rétablit leur primi-
tive, leur si naturelle unité !
Si elle n'a plus le bonheur de le contenir palpitant
au fond de son sein, en récompense elle a cet en-
chantement, cette féerie, de lavoir en face d'elle
sous son avide regard. Penchée sur lui, elle tres-
saille. Jeune et innocente qu'elle est, par les signes
les plus naifs elle révèle sa jouissance de s assimiler
parTamour ce fruit divin d'elle-même. Naguère, il
s'est nourri d'elle; maintenant elle se nourrit de lui,
l'absorbe, le boit et le mange. Échange délicieux de
la vie ; l'enfant la donne et la reçoit, absorbant sa
mère à son tour, comme lait, comme chaleur et
lumière.
Grande, très-grande révélation. Ce n'est pas ici
un vain spectacle d'art et de sensibilité, simple
volupté du cœur et des yeux. Non, c'est im acte de
foi, un mystère, mais non absurde, la base sérieuse
et solide de religion, d'éducation, sur lequel va s'é-
lever tout le développement de la vie humaine. Quel
est ce mystère? Le voici :
Si Venfant n'était pas Dieu, si le rapport de la
mère à lui n'était pas un cuUe^ il ne vivrait pas, —
C'est un être si fragile, qu'on ne l'eût jamais élevé
s'il n'eût eu dans cette mère la merveilleuse idolâ-
trie qui le divinise, qui lui rend doux et désirable,
à elle, de s'immoler pour lui. Elle le voit beau, bon
1.
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10 DE L'ËGHANGE DU PREMIER REGARD
et parfait. Et ce serait peu dire encore, elle le voit
comme idéal, comme absolu de beauté et de
bonté, la fin de la perfection.
Dans quel étonnement douloureux tomberait-elle
si quelque esprit chagrin , quelque malencontreux
sophiste, se hasardait à lui dire que « Tenfant est né
méchant, que Thommeest dépravé avant de naître,»
et tant de belles inventions philosophiques ou légen-
daires! Les femmes sont douces et patientes. Elles
font la sourde oreille. Si elles avaient cru cela, si un
seul moment elles avaient pris ces idées au sérieux,
tout eût été.bientôt fini. Incertaines et découragées,
elles n'auraient pas mis leur vie toute dans ce ber-
ceau; Tenfant négligé eût péri. 11 n*y eût pas eu
dhumanité; Thistoirc eût été finie dès ses pre-
miers commencements.
Dès que l'enfant voit la lumière et se voit dans
Toeil maternel, il reflète, instinctivement il renvoie
le regard d'amour, et dès lors, le plus profond et le
plus doux mystère dévie vient de s'accomplir entre
eux.
Le temps y ajoutera 4-il? Peut-elle croître, la béa-
titude d'un si parfait mariage? Par une seule chose
peut-être, c'est que tous deux l'aient compris; que
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ET DU GOMMËKCEMËiNT 1>Ë LA FOI. il
lui il se dégage de l'immobilité divine, agisse et
veuiUe correspondre, aille à elle de tout sôii petit
cœur, qu'il ait l'élan de se donner.
Ce second moment de Tamour et de la foi mu-
tuelle, est saisi dans une œuvre unique, que la
France possède au Louvre. L'auteur, Solari (de Mi-
lan)^ se survit par ce seul tableau ; tous les autres
ont péri. Il avait vécu longues années chez nous, et
il eut le double sens, l'âme des deux nations sœurs.
Autrement eût-il trouvé Texquis de la vie nerveuse,
son délicat frémissement ?
Ici, point d'effet magique, point de mystérieux
combat entre la lumière et la nuit. Au grand jour,
sans artifice, sous un arbre, dans un paysage agréa-
ble et médiocre, une mère et son enfant ; rien de
plus. Mêmeçà et là, la crudité de tel ton (effet des
restaurations?) blesse les yeux. Et comment le
cœur est-il si troublé?
La jeune mère, fine et jolie, singulièrement déli-
cate, veut bien plus qu'elle ne peut. Non que son
sein manque de lait; il est beau de sa plénitude,
beau de tendresse visible et d'un doux désir d'al-
laiter. Hais si frêle est cette personne charmante I
On se demande comment elle nourrira la belle
source, sinon de sa propre vie.
Qui est-elle? Une fleur italienne, chancelanle, un
peu épuisée? ou une nerveuse Française (je le
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13 DE L'ÉCHANGE DU PREMIER REGARD
croirais bien tout autant). La nation du reste pa-
raît ici bien moins que Tépoque. C'est le temps
cruel des guerres, des misères, où Tart sentit,
exprima Vattrait pénétrant que la douleur donne
à la grâce, ces sourires de femmes souffrantes qui
s'excusent de souffrir et voudraient ne pas pleurer.
Le bel et puissant enfant, la magnifique créature,
sur qui celle-ci se penche, repose sur un coussin.
A peine elle pourrait le porter. Frappante dispro-
portion, qui n'a ici nul sens mystique. Mais Tenfant
est de grande race, d'un père qui sans doute appar-
tint aux temps héroïques encore. Et elle, la toute
jeune mère, elle est de Tâge souffrant, affaibli et
affiné de Tltalie du Corrége. Dernière goutte d'é-
lixir divin, sous le pressoir de la douleur.
Notez aussi qu'aux mauvais temps, la mère, quoi-
que mal nourrie, allaite longtemps son enfant. Et
plus il a de connaissance, plus il trouve cela très-
doux et moins il veut y renoncer. Elle, elle n'a pas
la force de ce grand détachement. Elle s'épuise, die
le sent; mais elle ira tout de même, tant qu'elle en
aura une goutte. Elle s'épuise, elle mourra pour ne
pas faire pleurer l'enfant.
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ET DU COMMENCEMENT DE LA FOf. 13
Celle de Solari dit trois choses.
Faible qu'elle est, ne donnant pas son superflu,
mais plutôt son nécessaire, sa substance, elle n'en
sourit pas moins, et dit avec passion : « Bois, mon
enfant! bois, c'est ma vie I »
Mais soit que le charmant enfant, d'une fnno-
cente avidité, ait un peu blessé ce beau sein, soil
que la succion puissante retentisse à la poitrine et
tire ses fibres intérieures, elle a souffert, elle souf-
fre. N'importe, eUe dit encore : « Jouis, bois... C'est
ma douleur. »
Et cependant le lait qui monte, qui gonfle et qui
tend le sein, sort et se plaît à couler. La douleur,
se taisant, fait place à un doux engourdissement
qui n'est pas sans quelque charme, comme celui
du blessé qui se plaît avoir écouler sa vie. Hais ici
c'est un bonheur ; si elle diminue en elle, elle se
sent augmenter en lui. Elle en éprouve un étrange
et profond ébranlement jusqu'aux sources de son
être, et dit : « Bois, c'est mon plaisir! »
Lui, son invincible puissance qui fait que, quoi
qu'il advienne, elle ne peut plus s'en détacher,
c'est que, la connaissant, l'aimant, il est, et de sa
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14 DE L'ÉGUÂKGE DU rREHlEB REGARD, ETC.
vie physique, et déjà de sou jeune cœur, tout
en elle, en elle absorbé.
Amour qui peut sembler calme, dans Tinnocence
de cet âge, et qui n'est pas, comme celui de sa
mère, aiguisé de toutes les flèches de délices et de
douleurs, mais fort de sa grande unité. S'il pouvait
dire, il dirait : « Toi seule es mon infini, mon monde
absolu et complet ; rien en moi qui ne soit de toi,
et qui ne veuille aller à toi... Je ne sais si je vis,
mais j'aime ! »
L'Inde symbolise le cercle de la vie parfaite et
divine par l'attitude d'un Dieu qui de la main se
prend le pied, se concentre et se forme en arc.
Ainsi font souvent les petits enfants, ainsi fait celui-
ci| doucement soulevé au sein. Elle l'aide à aller à
elle. Mais lui, il le veut tout autant, y fait ce qu'il
peut. Parce mouvement gracieux, charmant, d'in-
stinct naturel où l'on sent poindre pourtant Télan
voulu de la tendresse, il ramasse tout son corps,
bande en arc toute sa personne, aussi grande qu'elle
puisse être et sans en réserver rien. Il se fait un,
pour s'offrir et se donner tout entier.
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III
LE JEU. — LTNFANT ENSEIGNE LA MÈRE
Rien de plus joli^ rien de plus touchant, que rem-
barras d'une jeune mère, toute neuve à la mater-
nité, pour manier son enfant, Famuser, le faire
jouer, entrer en communication avec lui. Elle ne
sait pas trop bien par où prendre le bijou, Tétre
adoré, mystérieux, la vivante énigme, qui git là et
semble attendre qu'on le remue, qu'on devine ses
désirs, ses volontés. Elle l'admire, elle tourne
autour, elle tremble de le toucher trop fort. Elle
le fait prendre par sa mère. Son adorable gaucherie
fait sourire le témoin discret qui les observe en
silence, et se dit que la jeune dame, pour avoir
eu un enfant, n'est pas moins une demoiselle. Les
vielles sont maladroites; la grâce et la facilité n!ar-
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16 LE JEU.— L'ENFANT ENSEIGNE LA HÈRE.
rivent guère qu'à celle qui est vraimeul la femme,
déjà assouplie par l'amour.
Eh bien, madame, puisque enfin vous êtes ma-
dame déjà, y a-t-il donc tant d'années que vous
n'êtes plus petite fille? A quinze ans, s'il m'en sou-
vient, sous prétexte d'essa^^er des modes, vous
jouiez encore aux poupées. Même, quand vous étiez
bien seule (convenez-en), il vous arrivait de les
baiser, de les bercer. — La voici, la poupée vivante,
qui ne demande qu'à jouer. . . Eh I jouez donc, pauvre
petite I on ne vous regardera pas.
« Mais je n*ose... Avec celle-ci, j'ai peur. Elle est
si délicatel Si je la touche, elle crie. Et, si je la laisse,
elle crie... Je tremble de la casser I »
Il est des mères tellement idolâtres, tellement per-
dues dans l'extase de cette contemplation, qu'elles
resteraient tout le jour à genoux devant leur enfant.
Par le lait, par le regard, quelque petit chant de
nourrice, elles se sentent unies avec lui, et n'en de-
mandent pas plus. Ce n'est pas assez; l'union est
bien plus encore dans la volonté agissante, dans le
concours d'action. S'il n'agit avec toi, sauras-tu s'il
t'aime ? C'est le jeu qui va créer entre vous ce rap-
prochement plus intime que l'allaitement même, et
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LE JEU. --L'ENFANT ENSEIGNE LA MÈRE. 17
qui aura tous les effets d'un allaitement de l'esprit.
Éveille, en jouant, sa jeune ftme, sa pensée et sa
volonté. En lui repose une personne, évoque-la.
Et tu auras ce bonheur que celte Ame et cette per-
sonne, ce désir et ce vouloir, n'auront d'abord
d'autre but que toi-même. Sa liberté, aidée de toi,
n'aura son premier élan que pour retourner à toi. . .
Ah I qu'il a raison I et que tous, après avoir traversé
les faux bonheurs de ce monde, nous retournerions
volontiers vers le paradis maternel ! Sortis du sein
de la femme, notre ciel d'ici-bas n'est autre que de
revenir à son sein.
« Mais que ferai-je?... Sans doute, je me trouve*
rais bien heureuse de devenir son amie et son petit
camarade. Que faire? » — Peu ou rien, ma chère,
surtout ce qu'il fera lui-même. — Observons-le, —
posons-le doucement dans l'herbe soleillée et sur ce
tapis de fleurs. Tu n'as qu'à le regarder; ses pre-
miers mouvements te guideront. Il va t'enseigner. x>
Ces mouvements, ces cris, ces essais d'abord
impuissants d'action, les petits jeux qui les suivent,
ne sont point du tout arbitraires. Ce n'est pas ton
nourrisson tout seul que tu vois ici, c'est l'huma-
nité enfant, comme elle fut. — « Cette première
activité, dit Frœbel, nous raconte et nous renou-
velle les penchants, les idées, les besoins, que notre
espèce eut d'abord. 11 peut s'y mêler sans doute
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18 LE JEU. — L'ENFANT ENSEIGNE LA MÈRE.
quelque élément trouble, dans nos races altérées
par une société factice. Mais ee n'en est pas moins,
au total, la révélation très-grave du passé lointain
de l'humanité et de ses in&lincts d'avenir. Le jeu
est un miroir magique où tu n'as qu'à regarder
pour apprendre ce que ftil Thomme, et ce qu'il sera,
ce quil faut faire pour le mener à son but.»
Tirons de là saiis hésiter le premier principe de
Téducation qui déjà contient tous les autres : La
tnère n'enseigne à l'enfant que ce que l enfant d* abord
doit lui avoir enseigné. Gela veut dire que, de lui, elle
tire les premiers germes de ce qu'elle développe
en lui. Cela veut dire qu'en cet enfant, elle a vu
d'abord passer par lueur, ce qui à la longue, elle
aidant, deviendra lumière.
« Ainsi, ces germes sont bons, dit-elle, et ces
lueurs sont saintes ?. . . Merci. . . Oh I je l'avais pensé.
On m*avait dit durement que l'enfant ne nait pas
bon. Jamais je n'en voulus rien croire. Je sentais
si bien Dieu en lui !
c( Aimable, charmant conseil! qu'il va à mon
cœur ! Tenir bien mes regards sur lui, et de lui faire
en tout ma règle, ne vouloir rien que ce qu'il veut 1 »
Doucement, chère petite, doucement. Observons
d'abord s'il est sûr qu'il veuille et sache bien ce
qu'il veut. Voyons plutôt si, accablé d'un chaos de
choses confuses qui lui arrivent à la fois, il n'aUand
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LB JEU.-L'BNFANT ENSEIGNE LA MÈRE. iO
pas ton secours pour lui choisir, lui éclaircir les
objets de sa volonté.
C'est ici le coup de génie du bon Frœbel, et c'est
ici que vraiment, à force de simplicité, il a trouvé
ce que les sages avaient cherché vainement, le
mystère de l'éducation.
Tel fut l'homme, telle fut la doctrine. Ce paysan
d'Allemagne eut beau devenir un habile, il retint
un don singulier d'enfance , et la faculté unique
de retrouver nettement les impressions de son ber-
ceau. «J'étais, dit-il, enveloppé d*un obscur et pro-
fond brouillard. Ne rien voir, ne rien entendre,
c'est d'abord une liberté; mais, à mesure que nos
sens nous transmettent tant d'images, tant de sons,
la réalité nous opprime. Un monde de choses in-
comprises, sans ordre et sans suite, nous arrivent
à la fois et sans consulter nos forces; nous sommes
étonnés, inquiets, obsédés, trop excités. De tant
d'impressions éphémères la fatigue nous reste
seule. C'est un secours, un bonheur, si une provi-
dence amie , de la foule de ces objets, en choisit,
en ramène fréquemment tels et tels, doux, agréa-
bles, qui, devenant familiers n'occupent qu'en dé-
lassant, et nous délivrent de celte babel. »
Ainsi cette première éducation, loin d'être une
gêne pour l'enfant, lui est un secours, une déli-
vrance du chaos des impressions trop diverses
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20 LE J£U. *-L'E^FÂ]NT ENSEIGNE LA MÈRE.
qui Faccablaient. La mère en lui amenant les
choses par ordre, une à une, pour considérer à
Taise, observer et manier tel petit objet qui lui
plait, lui crée la vraie liberté que demande alors
son âge.
Pour se faire, dans cette voie, une méthode bonne
et sûre, il suffit de bien comprendre ses tendances.
Chose facile pour celle qui, nuit et jour, penchée
sur lui, le regarde, s'informe uniquement de ce
qu'il est, de ce qu'il veut, du bien qu'elle peut
lui faire.
Premièrement, il veut être aimé, que tu t'occupes
de lui et lui témoignes de lamour... — Ohl que
cela est facile I
Deuxièmement, il veut vivre, vivre beaucoup, tou-
jours davantage, agrandir le cercle de sa petite ac-^
tion, remuer, varier sa vie, la transporter ici et là,
être libre... Ne t'effraye pas; libre autour de toi,
chérie; au plus prés de toi, toujours à portée de
toucher ta robe, libre surtout de t'embrasser.
Troisièmement, déjà lancé aux voyages de décou-
vertes, il n'est pas peu préoccupé de tant d'objets
nouveaux. Il veut connaître, — par toi, et toujours
il va à toi. — non par un instinct seulement de fai-
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LE JEU.-L'EMFANT ENSEIGNE LA MÈRE. 21
blesse et d'ignorance, mais par je ne sais quel sens
qui lui dit que toul par loi arrive, doux, aimable et
bon, que tu es le lait de la vie et le miel de la na*
lure.
Quatrièmement, si petit, parlant à peine, à peine
marchant, il est déjà comme nous; son cœur, ses
yeux jugent de même, et il te trouve très-belle.
Chaque chose est belle pour lui selon qu'elle te res*
semble. Tout ce qui de près ou de loin rappelle les
formes suaves de sa mère, il dit nettement : « C'est
joli. » Quand ce sont des choses inertes, il en
Saisit moins le rapport avec ta beauté vivante.
Hais même en ces choses elle influe puissamment
sur son jugement. La symétrie des organes et des
formes doubles, de tes mains, de tes yeux, fait
son idée d'harmonie.
Du reste, ce qui est en lui magiiifique et vraiment
divin, c'est t[u'il est si riche de vie, (ju'il en prête
libéralement à tous les objets. Les plus simples
lui vont le mieux. Des êtres organisés, vivants,
pourraient l'amuser, mais leur action indépendante
le gênerait; il les briserait sans malice, pour les
connaître uniquement et par simple curiosité.
Donne-lui plutôt des choses de formes ëlémen-
aires (il est encore un élément), et de figure régu«
lière, qu'il puisse grouper en jouant. La nature, au
premier essai d'association donne des cristaut. Fais
' bj^itizecl by LjOOQlC
n LE J£U. — L'ËSFANT ENSEIGNE LA MÈRE.
comme elle, donne à Fenfant des formes analogues
aux cristaux. Tu es sûre qu'il s'en servira, comme
d'autant de matériaux, les juxtaposant, les super-
posant. Son instinct est tel. Si on ne lui donne rien,
il s'essaye avec du sable, qui fuit, s'écroule tou-
jours.
Surtout, jamais de modèle sous ses yeux qui Tas-
sujettisse. N'en fais pas un imitateur. Sois sûre que
dans son esprit, tout au moins dans son souvenir, il
trouvera les jolis types de sa petite architecture.
Un matin, émerveillée, tu reconnaîtras ta maison.
« Miracle! s' écrieras-tu» C'est lui qui a fait
cela... Mon fils est un créateur! »
C'est le nom propre de l'homme que tu viens de
trouver là.
Ajoutez qu'en créant quelque chose, il va se créer
lui-même. Il est son vrai Prométhée.
Et c'est pour cela, jeune mère, que du pur in-
stinct de ton cœur, sans oser le dire, tout d'abord
tu sentis bien qu'il était Dieu.
Mais voilà qu'elle a déjà peur : a S'il en est ainsi,
dit-elle, il est déjà indépendant, tout à l'heure il
va m'échapper! »
Non, ne crains rien : bien longt^nps, il reste dé-
pendant de l'amour, il t'appartient, c'est son bon-
heur. S'il crée, c'est toujours pour toi. <c Regarde,
maman, regarde (rien ne serait beau pour lui sans
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LE JEU. -L'ENFANT ENSEIGNE LÀ MÈRE. 35
la caresse de ton regard, la bénédiction de tes
yeux). Vois ce que j*ai fait pour toi... Si cela n'est
pas joli, je le ferai autrement. » — Il met pierre
sur pierre, bois sur bois... « Voilà une petite chaise
où maman pourra s'asseoir... Deux montants et
une traverse, c'est un toit, c'est la maison où ma-
man pourra demeurer avec son petit enfant. »
Donc, tu es son cercle complet. Il part de toi et
y retourne. L'essai, le premier effort de sa jeune
invention, c'est de te loger dans son oeuvre, de
t'avoir à son tour chez lui.
Vie enfantine et bienheureuse, tout entière dans
l'amour encore I... Qui s'en souviendra sans re-
gret?
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IV
COMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRÉ.
Quand on pense que les enfants vivent si peu gé-
néralement, on éprouve un vif désir de les rendre
heureux à tout prix.
Un quart meurt avant un an,-- disons, avant d'a-
voir vécu, avant d'avoir reçu le baptême divin de
lumière qui transfigure le cerveau dans cette pre-
mière année.
Un tiers meurt avant deux ans, — avant presque
d'avoir connu les douces caresses de la femme, et
goûté dans une mère le meilleur des biens d'ici-
bas.
La moitié (dans plusieurs pays) n'atteint pas la
puberté, la première aurore d'amour. Accablés de
travaux précoces, d'études sèches et de rigueurs.
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COMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRÉ. 26
ils ne peuvent pas arriver à cette seconde naissance,
ce bonheur, cet enchantement.
On peut dire que les meilleurs hospices d'enfants
trouvés sont des cimetières. Celui de Moscou, sur
37,000, en vingt ans, en sauve 1,000. Celui de Du-
blin 200 sur 12,000, c'est-à-dire un soixantième.
Que dire de celui de Paris? Je Fai vu et admiré,
mais les résultats n^en sont pas bien positivement
connus. On y trouve réunis deux classes d'enfants
très-difîérenles : 1"* des orphelim qu'on amène tout
élevés, et ceux-là ont chance de vivre ; 2"* les enfants
trouvés proprement dits, les nouveaux-nés apportés
à la naissance; on les envoie en nourrice, et Ton
prolonge ainsi leur vie pendant quelques mois.
Ne parlons que des heufeuXy de ceux qui ont une
mère, de ceux qu'on entoure de tendresse, de soins
d'avenir. Regardons-les : tous sont jolis à quatre
ans, et laids à huit. Dès que nous (x)mmençons à
vouloir les cultiver, ils changent, ils se vuîgariseihl,
se déforment. Nous en accusons la nature; nous âp-
pelons cela Tâge ingrat. Ce qui est ingrat, stérile,
desséchant, c'est la maladresse avec laquelle on fait
passer l'enfant d'une vie toute mobile à une fixité
barbare, passer une petite tète, toute sensible, tout
2
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36 COMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRÉ.
imaginative, àdes choses aussi abstraites que la lec-
ture ou le calcul. Il faudrait plusieurs années de
transilions bien ménagées, de petits travaux fort
courts, très-faciles, mêlés de mouvement et d'action
(mais non pas automatique). Nos asiles sont encore
loin de remplir ces conditions.
Ce problème de l'éducation qui n'est pas seule-
ment celui du développement futur, mais qui est
pour la plupart une question de vie ou de mort,
m'a souvent attristé l'esprit. J'ai vu défaillir à la
fois les deux systèmes contraires d'éducation qui se
partageaient le monde.
L'éducation d'enseignement, de tradition et d'au-
torité, telle qu'elle est dans les écoles, collèges (ou
petits séminaires, tous suivent les mêmes mé-
thodes), est partout affaiblie en Europe. A cette im-
puissance trop bien constatée, les récents essais
d'amélioration ont ajouté le chaos.
D'autre part, les libres écoles qui s'occupaient de
former l'homme plus encore que de l'instruire, celles
qui, inspirées de Rousseau, de Pestalozzi, faisaient
appel à sa spontanéité, n'ont brillé un moment
en Suisse, en Allemagne, que pour être abandon-
nées.
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COMBIEN ^ENFANT EST FRAGILE ET SACRÉ. 27
Celles-ci allaient au cœur des mères. I/enfant,
quoi qu'il arrivât, en attendant, était heureux. Les
pères trouvenl que ces écoles, dans leurs méthodes
très-lentes, enseignent trop peu, instruisent trop
peu. Donc, malgré les pleurs des mères, tous les
enfants vont aux collèges (laïques ou ecclésiasti-
ques). Beaucoup s'y flétrissent et meurent. Peu,
très-peu apprennent, et par de mortels efforts. Un
enseignement si varié, où chaque étude arrive à
part, sans qu'on donne jamais leurs rapports, use
et énerve l'esprit.
Les filles, dont je parlerai tout à l'heure plus spé-
cialement, ne sont pas plus élevées qu'aux temps où
Fénelon a fait son aimable livre, qu'aux temps où
l'auteur d*ÉmUe a esquissé sa Sophie. Rien qui les
prépare à la vie. Parfois, des talents pour briller,
parfois (dans les classes moins riches), quelques
études viriles qui les mènent à l'enseignement.
Mais nulle culture propre à la femme, à l'épouse et
à la mère, nulle éducation spéciale à leur sexe.
J'ai tant lu sur ces matières, tant de choses mé-
diocres et vaines, que j'étais lassé des livres. D'autre
part, la vie des écoles, ma propre pratique de l'en-
seignement, me laissaient bien des choses obscures.
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28 COMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRE.
Je résolus, cette année, de remonter au plus haut,
d'étudier la première organisation physique de
Thomme, de toucher les réalités, de retremper mon
esprit par Tobservation matérielle. Le corps en dit
beaucoup sur l'âme. C'est beaucoup de voir, de pal-
per l'instrument sacré dont la jeune âme s'essaye
à jouer, instrument qui peut révéler ses tendances,
nous donner des signes de la mesure de ses forces.
C'était le printemps. Les travaux anatomiques
finissaient à Clamart, et il y avait déjà, dans ce lieu
si peuplé l'hiver, de la solitude. Les arbres étaient
pleins d'oiseaux, le parterre qui embellit ces fu-
nèbres galeries, était tout en fleurs. Mais nulle n'é-
tait comparable à la fleur hiéroglyphique que j'al-
lais étudier. Ce mot n'est nullement ici une vague
comparaison — mon impression fut telle. — Nul
dégoût. Tout au contraire, un sentiment d'admira-
tion, de tendresse et de pitié. Le cerveau d'un en-
fant d'un an, vu la première fois, par sa base (la
face inférieure qu'il présente en le renversant), a
tout l'effet d'un large et puissant camélia, avec des
nervures d'ivoire, veiné d'un rose délicat, et ailleurs
d'un pâle azur. J'ai dit ivoire, faute de mieux. C'est
un blanc immaculé, et pourtant d'une molle dou-
ceur, unique et attendrissante, dont rien ne donne
ridée et qui, à mon sens, laisse bien loin tout autre
objet de la terre.
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COMBIEN L'ENFAKT EST FRAGILE ET SACRÉ. S9
Je ne me trompe pas ici. Les premières émotions,
fortes sans doute, cependant ne m'ont pas fait illu-
sion. M. le docteur Béraud et un artiste, fort ha-
bile, qui peint tout le jour des planches anato-
miques, quelque habitués qu'ils fussent à voir ces
objets, jugeaient comme moi. Cest très-réellement
la fleur des fleurs, l'objet délicat, innocent, char-
mant, entre tous, la plus touchante beauté qu'ait
réalisée la Nature.
Le vaste établissement où j'étudiais, me permet-
tait de suivre une méthode prudente, de renouveler
et vérifier mes observations, d'établir des compa-
raisons entre des enfants d'âge et de sexe diffé-
rents, et d'autre part de comparer les enfants et
les adultes, jusqu'à la vieillesse même. En peu de
jours, j'eus sous les yeux des cerveaux de tous les
âges, qui me permirent de suivre, d'année en an-
née, le progrès du temps.
Les plus jeunes, c'était une fille qui avait vécu
peu de jours, et des garçons d'un an au plus. Elle
n'avait pas vu la lumière, et eux ils avaient eu le
temps d'en être imprégnés. Elle avait le cerveau
flottant, à Tétat rudimentaire ; eux, au contraire,
ils l'avaient aussi fort, aussi fixé, presque aussi
riche déjà que les enfants plus âgés et même les
grandes personnes.
Passé cette grande révolution de la première an-
2.
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50 COMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRÉ.
née, le développement de Tesprit (d'ailleurs visible
sur la face) modifiait bien plus que l'âge la phy-
sionomie du cerveau. Une petite fille de quatre ou
cinq ans, de figure intelligente, l'avait plus acci-
denté de volutes et de replis, plus nettement
dessiné, plus finement découpé que celui de plu-
sieurs femmes vulgaires de vingt-cinq ans, trente-
cinq ans. Les mystérieux dessins qu'offre le cervelet
dans son épaisseur et qu'on appelle arbres de vie,
étaient bien mieux arborisésdans cette enfant en-
core si jeune, plus jolis, plus arrêtés.
Ce n'était pas cependant une chose exception-
nelle. Sur plusieurs enfants d'âge analogue, je re-
trouvai à peu près le même caractère. J'en vins à
cette conclusion qu'à quatre ans, non-seulement le
cerveau, mais la moelle épinière, et tout le système
nerveux, ont leur plus grand développement. Si
longtemps avant que les muscles aient le leur, et
quand l'être est si faible encore, il est, pour les nerfs
de la sensibilité et du mouvement, ce qu'il sera
un jour; c'est déjà, dans sa plus charmante harmo-
nie, la personne humaine.
Mais, quoique déjà si élevée, elle est encore
excessivement dépendante et toute à notre merci.
Le cerveau, pur et table rase, de cette enfant de
quatre ans, comme une tablette d'ivoire, de sen-
sibilité visible, avait l'air d'attiendre qu'on gravât
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COBfBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRE. 51
dessus, de dire : « Écrivez ici ce que vous voulez...
Je croirai, j'obéirai. Je suis là pour obéir. Je dé-
pends tellement encore et j'appartiens tellement I »
Incapacité absolue d'éviter aucune souffrance,
incapacité de pourvoir à ce qui lui est nécessaire,
voilà l'enfant à cet âge. Celle-ci surtout, très-avan-
cée, capable d'aimer et de comprendre, semblait
implorer l'assistance. On eût dit la prière même.
Morte, elle priait encore.
Je fus fortement ému, mais éclairé en même
temps. Les nerfs de la pauvre petite me donnèrent
la révélation et l'intuition très-nette de la contra-
diction réelle qui fait le destin de l'enfant :
D'une part, c*est la créature mobile entre toutes,
. qui remue fatalement. Les nerfs de la motilité sont
développés et actifs avant les forces d'équilibre,
qui y feraient contre-poids. Cette agitation constante
nous gène et souvent nous irrite; nous ne songeons
pas qu'à cet âge elle est la vie elle-même.
D'autre part, les nerfs de la sensibilité sont com-
plets^ par conséquent la capacité de souffrir, celle
même d'aimer bien plus qu'on ne le croit commu-
nément. On le voit aux Enfants-Trouvés; beaucoup
de ceux qu'on apporte à quatre ou cinq ans, sont
inconsolables et meurent.
Chose plus étonnante à cet âge si tendre, la sen-
sibilité amoureuse est exprimée dans les nerfs plus
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32 COMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRÉ.
fortement que chez l'adulte. J'en fus effrayé. L'a-
mour, endormi encore dans les organes sexuels,
semble déjà tout éveillé aux points de la moelle
épiniére qui agissent sur le sexe. Nul doute qu'aux
moindres appels, ils n'en donnent les pressenti-
ments. Il ne faut donc pas s'étonner de ces coquet-
teries innocentes, de ces timidités subites, de ces
furtifs mouvements de pudeur sans sujet.
Voilà le nœud de la pitié et ce qui doit faire trem-
bler. Cet être infiniment mobile, n'oubliez pas qu'en
même temps il est infiniment sensible. Grâce I
patience! je vous prie.
Nous les brisons par la rudesse, souvent par la
tendresse aussi. Les mères, passionnées, variables,
mûrissent, énervent l'enfant par la fougue de leurs
transports. Je leur voudrais l'impression doulou-
reuse et salutaire que donne la vue d'un organisme
si tendre. 11 a besoin d'être entouré d'un amour
calme et doux, sérieux, d'un monde d'harmonie
pure. La petite créature, d'elle-même déjà toute
amoureuse, a à craindre les vives caresses presque
autant que les rigueurs. Épargnez-la, et qu'elle
vive I
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L'AMOUR A CINQ ANS, — LA POUPÉE
On s'étonne de voir l'excellente madame Necker
de Saussure penser que, jusqu'à dix ans, les filles
et les garçons sont à peu près la même chose, et
que ce qu'on dit pour les uns servira pour les autres.
Quiconque observe, sait bien que cet à peu près est
une différence énorme, infinie.
Les petites filles, dans la légèreté même de leur
âge, sont déjà bien plus posées. Elles sont aussi
plus tendres. Vous ne les verrez guère faire mal à
un petit chien, étouffer, plumer un oiseau. Elles ont
de charmants élans de bonté et de pitié.
Une fois, indisposé, j'étais couché sur un di-
van, à demi couvert d'un manteau. Une charmante
petite fille que sa mère avait amenée chez nous en
visite, accourt et se met à vouloir me couvrir mieux
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31 L'AMOUR A CINQ ANS. -LA POUPËB.
et me border dans mon lit. Comment défendre son
cœur de ces délicieuses créatures 7 Cependant on doit
se garder de le leur témoigner trop, et de trop les
attendrir.
Le petit garçon est tout autre. Us ne jouent pas
longtemps ensemble. S'ils ont commencé d'abord à
faire une maison, le garçon voudra bientôt quelle
devienne une voiture; il lui faut un cheval de bois
qu'il frappe et qu'il dompte. Alors elle jouera à
part. Il a beau être son frère, ou bien son petit mari.
Quand même il serait plus jeune, elle désespère de
lui, se résigne à sa solitude, et voici ce qui arrive.
C'est surtout l'hiver, au foyer, que vous observe-
rez la chose, quand on est plus renfermé, qu'on ne
court pas et qu'il y a moins de mouvement exté-
rieur. Un jour qu'on l'a un peu grondée, vous la
voyez dans un coin envelopper tout doucement le
moindre objet, un petit bâton peut-être, de quel-
ques linges, d'un morceau d'une des robes de sa
mère, le serrer d'un fil au milieu, et d'un autre un
peu plus haut, pour marquer la taille et la tête,
puis l'embrasser tendrement et le bercer. « Toi, tu
m'aimes, dit-elle à voix basse; tu ne me grondes
jamais. »
Voici un jeu, mais sérieux, et bien plus sérieux
qu'on ne pense. Quelle est cette nouvelle per-
sonne, cette enfant de notre enfant? Examinons
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L'AMOUR A CINQ ANS^— LA POUPÉE. 55
tous les rôles que joue cette créature mystérieuse.
Vous croyez que c'est simplement une imitation
de maternité^ que, pour être déjà grande, aussi
grande que sa mère, elle veut avoir aussi une petite
fille à elle, qu'elle régente et gouverne, qu'elle
embrasse ou qu'elle gronde. Il y a cela, mais ce
n'est pas tout : à cet instinct d'imitation, il faut en
ajouter un autre, que l'organisme précoce donne
à toutes, à celles même qui n'auraient pas eu de
mère pour modèle.
Disons la chose comme elle est : c'est id le pre^
mier amour. L'idéal en est, non un frère (il est trop
brusque, trop bruyant), mais une jeune sœur,
douce, aimable, à son image, qui la caresse et la
console.
Autre point de vue, non moins vrai. C'est ici un
premier essai d'indépendance , l'essai timide de
l'individualité.
Sous cette forme toute gracieuse, il y a, à son
insu, une velléité de poser à part, quelque peu
d'opposition, de contradiction féminine. Elle com-
mence son rôle de femme; toujours sous l'autorité,
elle gémit un peu de sa mère, comme plus tard de
son mari. Il lui faut une petite, toute petite confi-
dente, avec qui elle soupire. De quoi ? de rien au-
jourd'hui peut-être, mais de je ne sais quoi qui
viendra dans l'avenir... Ehl que tu as raison ! ma
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5(1 L'AMOUR A CINQ ANS. -LA POUPÉE.
fille. Hèlas ! que tes petits bonheurs seront mêlés
de douleurs I Nous autres qui vous adorons, com-
bien nous vous faisons pleurer I
Il ne faut pas plaisanter. C'est une passion sé-
rieuse. La mère doit s'y associer, accueillir avec
bonté Tenfant de sa fille. Loin de mépriser la pou-
pée, elle insistera pour que Tenfant capricieuse lui
soit toujours bonne mère, la tienne proprement ha-
billée, qu'elle ne soit gâtée ni battue, mais tenue
raisonnablement comme elle l'est elle-même.
Grands enfants qui lisez ceci, père, frères, pa-
rents, je vous priC) ne riez pas de votre enfant <
Examinez*vous vous-mêmes, ne lui resseiûblez-Vous
pas? Que de fois, dans les affaires que vous croyez
les plus graves, une lueur de réflexion vous vient,
et vous souriez... vous avouant à demi que vous
jouiez à la poupée.
Notez bien que plus la poupée de la petite fille
est son œuvre, plus elle est sa fabrication simple,
élémentaire, mais aussi personnelle, plus elle y a
mis son cœur, et plus il y a danger de la contrister.
Dans une campagne du nord de la France, pays
pauvre et de travail dur, j'ai vu une petite fille fort
sage, raisonnable avant le temps. Elle n'avait que
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L'AMOUR A CINQ ANS.— LA POUPÉE. 57
des frères, qui étaient tous plus âgés. Elle était
venue fort tard, et ses parents qui alors ne comp-
taient plus avoir d'enfants» semblaient ne pas lui
savoir bon gré d^ètre née. Sa mère, laborieuse,
austère, la tenait toujours près d'elle au travail,
pendant que les autres jouaient. D'ailleurs les gar-
çons plus âgés, avec la légèreté sèche que leur sexe
a dans Tenfance, ne se seraient guère prêtés aux
jeux de la jeune sœur. Elle aurait voulu d'elle-même
faire un peu de jardinage, mais on riait de ses es-
sais, on marchait dessus. Elle en vint naturellement
à se faire, avec quelques chiffons de coton, une pe-
tite consolatrice à qui elle racontait les espiègleries
de ses frères, ou les gronderies maternelles. Vives,
cxtr^es étaient les tendresses. La poupée était sen-
sible, elle répondait à merveille et de la plus jolie
voix. Aux épanchements trop tendres, aux récits
émus, elle s'attendrissait aussi, et toutes deux
s'embrassant, elles finissaient par pleurer.
On s'en aperçut un dimanche. On rit fort, et les
garçons, la lui arrachant des bras, trouvèrent plai-
sant de la lancer sur les plus hautes branches d'un
arJbre, et si haut qu'elle y resta. Les pleurs, les cris
n'y firent rien. La petite lui fut fidèle, et, dans sa
douleur, refusa d'en refaire jamais une autre. Pen-
dant la mauvai$e saison, elle y pensait, attristée de
la sentir là à la neige, aux gelées. Lorsqu'au prin-
3
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31 L'ANOeR A CINQ ANS. -*IA POUPÉE.
temps on tailla l'arbre, eUe pria le jardinier de la
chercher. Inutile de dire que dès longtemps la pau<
vre sœur s'était envdée au souffle du vent du nord.
Deux ans après, la mère achetant des habits pour
les aînés, la marchande qui vendait aussi des jouets,
remarqua la petite qui les regardait. Par un mou-
vement de bon cceur, elle voulut donner quelque
chose à celle pour qui on n'adietait rien, et lui mit
entre les bras une petite poupée d'Allemagne. Sa
swprise fut si forte, et tel le ravissement que,
chancdante sur ses jambes, à peine elle put la rap-
porter. Celle-ci, mobile, obéissante, suivait toute
volonté. Elle se prêtait à la toilette. Sa maîtresse
ne pensa plus qu'à la faire belle et brillante* Et
c'est œqm la perdit. Les garçons la firent danser,
à mort; ses bras s'arrachèrent ; elle devint impo*
tente; on la soigna, on la coucha. Nouveaux sujets
de douleur, -«- la petite fille en maigrit.
Cependant une demoiselle la voyant si triste, si
triste, s'émut et chercha, retrouva dans ses rebuts
une sup^be poupée qui avait été la sienne. Quoi-
que maltraitée par le temps, elle faisait illusion
bien plus que celle de bois. EUe avait des formes
complètes; même nue, elle paraissait vivante. Les
amies la caressaient fort, et déjà dans ses amitiés
elle avait des préférences, les lueurs, les premier»
signes d'une vie précoce de passion. Pendant une
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i'AMOUR A CINQ ANS. - LA POUPÉE. 59
oourte maladie que fit l'enfant, je ne sais qui, peut-
être par jalousie, brisa cruellement la poupée. Sa
maîtresse, relevée du lit, la trouva décapitée. Celte
troisième tragédie était trop, elle tomba dans un
tel découragement qu'on ne la vit plus jamais
rire, jamais jouer. Toujours trompée dans ses rêves,
elle désespéra de la vie, qu'elle avait à peine
effleurée, et rien ne put la sauver. Elle mourut,
laissant un vrai deuil à tous ceux qui avaient vu
cette douce, cette suave et innocente créature, qui
n'avait guère été heureuse, et qui pourtant était
déjà si tendre et le cœur plein d'amour.
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VI
LA FEHHE EST UNE RELIGION
Le père, dans Téducation, est beaucoup trop do-
miné par ridée de l'avenir, c'est-à-dire de l'incer-
tain . La mère veut surtout le présent, que Tenfant
soit heureux, qu'il vive. Je suis du parti de la mère.
Qu'il vive I C'est en réalité le plus difficile. Les
hommes ne s'en doutent pas. Même quand ils ont
sous les yeux le spectacle des efforts, des veilles, des
soins inquiets, qui chaque jour sauvent, prolongent
la fragile créature, ils raisonnent avec sang-froid
sur ce qu'elle fera dans dix ans. Qu'ils compren-
nent donc au moins les chiffres incontestés, offi-
ciels, de la mortalité effroyable des enfants. Celui
qui naît, est longtemps un mort probable ; sans la
mère, un mort certain. Le berceau est pour la plu-
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LA FEMME EST CKE RELIOION. 4f
part un petit moment de lumière entre la nuit et la
nuit.
Les femmes qui écrivent, impriment, ont fait des
livres éloquents sur le malheur de leur sexe. Mais
si les enfants écrivaient, que de choses ils auraient
à dire ! Ils diraient : « Ménagez-nous» épargnez-nous,
dans ce peu de mois et de jours que nous donne gé-
néralement la sévérité de la nature. Nous sommes
si dépendants de vous I Vous nous tenez tellement par
la supériorité de force, de raison, d'expérience I . . .
Pour peu que vous y mettiez d'art et de bons ména-
gements, nous serons bien obéissants, nous ferons
ce que "vous voudrez. Mais n'abrégez pas l'heure
unique où nous sommes sous la tiède lumière du
soleil et dans la robe de nos mères. . . Demain nous
serons dans la terre. Et de tous les biens d'ici-bas,
nous n'emporterons que leurs larmes. »
Les esprits impatients vont condure de là que je
désire pour l'enfant la liberté illimitée qui serait
pour nous une servitude, que je m'en remets uni-
quement à ses tendances instinctives, que je veux
qu'on lui obéisse.
Au contraire^ mon point de départ a été, comme
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42 LA FEMME EST UNS R^UGION.
Ml l'a VU, ridée profonde, origÎMkt que Froobel
posa le premier. « L'enfant^ laissé au chaos dm
premières impressions, en serait tràsrmaUieuieux.
C'est pour lui une délivrance qu'à oette cimfusîoa
fatigante la mère substitue un petit nombre d'objets
harmoniques, qu'elle en ait Tinitiative et les lui
amène par ordre. L'ordre est un bessânde l'eaprtt,
un bonheur pour l'homme en&nt. »
IjSs mouvements déréglés, ragitatiw efïrteée,
ne sont pas phis néceasainss au bonheur de l'enfeuit
grandi que le chaos des semations csmfuaes ne Ta
été an nourrisson. J'ai bien souv^t observé les pe-
tits malheureux qu'on laisse au hasard de leurfao*
taisie, et j'ai été fi^pé de voir eombien la vaine
exultation» le dévergondage, les&tiguaient biratdt
eux-mêmes. Au défiiutde contrainte humaine, Ss
rencontraient à chaque instant la contrainte des
choses, l'obstacle muet, mais fixe, des réalités ; ils
se dépitaient en vain. Au contraire, lenfant dirigé
par une providence amie et dans l'ordre naturel,
ne rencontrant que rarement la tyrannie de l'impos-
siUe, vit daus la vraie liberté.
L'usage habituel de la liberté dans l'ordre, a cela
d'admirable que t6t ou tard il donnera à la nature la
noble tentation de subordcnner la nature mésae,
de dompter la liberté par une liberté plus haute, de
vouloir l'effort et le sacrifice.
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LA rBMIlE BST UNE RBLIdON. 43
Ueffért même e$l dan$ fai nature^ et U meitk
meiUmir. J'entends l'effort libre et voulu.
J'ai donné cette explication avant l'heure, et pour
répondre à ceux qui critiquent avant d'avoir lu. Je
suis fort loin maintenant d'impoter Teffort à la
petite créature que j'ai dans les mains. Elle aat in-
tellig«ite, aimante. Mais c'est encore un élément.
Dieu me garde, ah I pauvre petite I de te parler de
tout cela. Ton devoir aujourd'hui» c'est vivre, gran-
dir, manger bien, dormir mieia, oomw dans les
blés, dans les fleurs. Mais on ne peut courir tou-
jours, et tu seras bien heujeuse si ta mère, ta sœur
ainée, jouent avec toi, te rendent habile à ces tra-
vaux qui sont des jeux.
Le devoir y c'est l'âme intérieure, c'est la vie de
réducation. L'enfant le sent de très-bonne heure;
nous avons tous, presque en naissant, inscrite au
cœur l'idée du juste. Je pourrais lui faire appel.
Mais je ne le veux pas encore. U faut que la vie au
complet soit déjà bien constituée, avant qu'on lui
crée sa barrière et qu'on limite son action. Ceux qui
font grand bruit de morale, d*obl^ation, avec l'en-
fant qui n'est pas sûr de vivreencore, qui travaillent
à resserrer, circonscrire ce qui au contraire aurait
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44 LA FEMME EST UNE RELIGION.
besoin de s'étendre, ne sont que des insensés. Eh !
malheureux, laissez donc là vos ciseaux ; pour re-
trancher, couper, tailler, attendez au moins que
Fétofle existe.
L'appui de l'éducation, son âme et sa vie con-
stante, c'est ce qui de très-bonne heure apparaît
dans la conscience, le bon^ le juste. Le grand art,
c'est que, par l'amour, la douceur, Tordre et l'har-
monie, l'âme enfantine obtenant sa vraie vie saine
et complète, de plus en plus aperçoive lajmtice, qui
est en elle, inscrite au fond de Tamour.
Des exemples, et point de préceptes (du moins
dans les commencements). L'enfant, de lui-même,
ira aisément de Tun à l'autre. 11 trouvera, sans
chercher, ceci : « Je dois bien aimer ma mère
qui m'aime tant. » — Voilà le devoir. Et rien de
plus naturel.
Je ne fais pas ici un livre sur l'éducation, et je
ne dois pas m'arréter sur les points de vue géné-
raux, mais insister sur mon sujet spécial, Y éduca-
tion de la fille. Abrégeons ce qui est commun entre
la fille et le garçon. Insistons sur la différence.
Elle est profonde. La voici :
L'éducation du garçon, dansTidée moderne, c'^sf
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LA FEMME EST UNE RELIGION. 45
d'organiser une force^ force efficace et productrice,
de créer un iréateur. L'homme moderne n'est pas
autre chose.
L'éducation de la fille est de faire une harmonie,
A*harmoniser une religiati.
La femme est une religion.
Sa destinée est telle que, plus elle restera liaut
comme poésie religieuse, plus elle sera efficace dans
la vie commune et pratique.
Dans rhomme, l'utilité étant lefficacité, la pro-
duction, peut se trouver séparée de Tidéal ; Tari
qui donne de nobles produits, peut avoir parfois
cet effet que l'artiste se vulgarise et ne garde que
fort peu du beau qu'il met dans ses œuvres.
Jamais rien de tel pour la femme.
La femme au cœur prosaïque, celle qui n'est pas
une poésie vivante, une harmonie pour relever
l'homme, élever l'enfant, sanctifier constamment et
ennoblir la famille, a manqué sa mission, et n'aura
aucune action, même en ce qui semble vulgaire.
La mère, assise au berceau de sa fiUe, doit se
dire : « Je tiens ici la guerre ou la paix du monde,
ce qui troublera les cœurs ou leur donnera la paix
et la haute harmonie de Pieu.
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46 LÀ FBMME EST UNI RELIGION.
a C'6$t elle qui, si je meurs, mv mon tombeau,
à douze ans, relèvera son père de ses petites ailes,
le reportera au ciel (V. la vie de Manin) .
a C'est elle qui, h seize ans, d'un mot do fière
exigence, met l'homme ai>4essus de lui-même, lui
fait dire : « Je serai grand, »
« C'est elle qui, à vingt ans, à trente et toute la
vie, chaque soir ravive son mari, amorti par le
métier, et dans l'aridité des intérêts, des souds,
lui fait surgir une fleuf •
« Elle qui) dans les mauvais jours où rhorizon
se ferme, où tout se désenchante^ lui rendSku, le
lui fait toucher et retrouver sur son s^. »
Elever une fille, c'est élever la société eUennéme.
La société procède de la (anôlle dont l'hiannonie
est la femme. Élev^ une fille, c'est une oeuvre
sublime et désintéressée. Car tu ne U crées, 6
mère, que pour qu'elle puisse te quitter et te
faire saigner le cœur. Elle est destinée à un atitor.
Elle vivra powr les ûi^resy noa pour toi, et non
pour elle. C'est ce caractère relatif qui la met plus
haut que Thomme et en fait une religion. Elle est
la flamme d'amour et la flamme du foyer. Elle est
le berceau d'avenir, eBe est Técole, autre berceau.
D'un seul mot : Elle est rautel
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LA FEMME EST UNE RELIGION. 41
Grâce à Dieu , tous les systèmes dëmltus pour l'é^
ducation du garçon finissent ici. Ici cessent les dis-
putes. La grande lutte des méthodes, des thécMries,
expire dans la culture paisible de cette fleur bénie.
Les discordes désarmées se sont embrassées dans ht
Gr&ce.
Celle-ci n'est pas condamnée à l'action forte et
violente. Elle doit savoir, mais non subir le monde
effrayant du détail, qui va croissant, au delà de
toutes les forces de Thomme.
Ira-t-elle jusqu'aux sommets de la haute spécu-
lation? Pourquoi pas? Mais nullement en passant
par nos filières. Nous lui trouverons des voies pour
qu'elle arrive à Fidée, sans que son âme charmante
subisse la torture préalable où se perd l'esprit de
vie.
Que doit-^Ie être? Une harmonie. D'après quel
miroir, 6 mèret sur qui se réglera-t-elle?
Chaque malin et chaque soir, tu feras cette
prière : « Mon Dieu, ftiites-moitrès*beUc!.. Et que
ma fille , pour l'être , n'ait besoin que de re-
garder. »
Le but de la femme id-bas, sa vocation évidente,
c'est Tamour. U faut être bien tristement né, bien
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48 LA F£liMS EST UNE REIIGION.
ennemi de la nature, bien aveugle et d esprit tortu,
pour prononcer, contre Dieu même, que ce char-
mant organisme et celte tendresse de cœur ne la
vouent qu'à lisolement. « Élevons-la, disent*ils,
pour être seule, c est le plus sûr. L'amour est
l'exception, mais l'indifférence est la règle. Qu'elle
sache se suffire à elle-même, travailler, prier,
mourir, et faire son salut dans un coin. »
Et moi, je réponds que l'amour ne lui manquera
amais. Je soutiens que, comme femme, elle ne fait
son salut qu'en faisant le bonheur de l'homme.
Elle doit aimer et enfanter, c'est là son devoir sa-
cré. Mais entendons-nous sur ce mot. Si elle n'est
pas épouse et mère, elle sera éducatrice, donc n'en
sera pas moins mère, et elle enfantera de l'esprit.
Oui, si le malheur voulait qu'elle fût née dans un
temps maudit où la plus aimable ne fût pas aimée,
d'autant plus ouvrira-t-elle ses bras, son cœur, au
grand amour. Pour un enfant qu'elle aurait eu, elle
en aura mille, et les serrant contre elle-même, elle
dira : « Je n'ai rien perdu. »
Que les hommes sachent bien une chose, un
mystère noble et charmant que la nature a caché
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LA FEMME EST UNE RELIGION. 49
au sein de la femme; c'est la divine équivoque
où chez elle flotte Tamour. Pour eux, c'est toujours
le désir. Mais pour elle, à son insu même, dans
ses plus aveugles élans, Tinstinct de la maternité
domine encore tout le reste. Et quand un orgueil
égoïste dit à Tamant qu'il a vaincu, il pourrait voir
le plus souvent qu'elle ne cède qu'à son propre
rêve, l'espoir et l'amour de l'enfant, que, presque
dès sa naissance, elle avait conçu de son cœur.
Haute poésie de pureté. A chaque âge de l'a-
mour où les sens ont un mot à dire, les instincts
de maternité les éludent et portent l'amour dans
une région supérieure.
Élever la femme, c'est seconder sa transforma-
tion, — c'est, à chaque degré de la vie, en lui don-
nant l'amour à la mesure de son cœur, l'aider à
l'étendre ainsi et l'élever à cette forme si pure, et
pourtant plus vive.
Pour dire d'un mot, cette sublime et délicieuse
poésie: dès le berceau, la femme est mère, folle
de maternité. Pour elle, toute chose de nature, vi-
vante et même non vivante, se transforme en petits
enfants.
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àO LA FfillE EST UNE RELIGION.
On sentira de plus en plus combien cela est
heureux. Seule, elle peut élever Thomnie, surtout
dans les années décisives où il faut, avec une ten-
dresse prudente, ménager, en rbarmonisant, sa
jeune liberté. Pom* briser brutalement et casser la
plante humaine, comme on l'a feiit jusqu'ici, il n'é-
tait besoin des femmes. Mais elles seront reconnues
comme les seules éducatrices possibles, k mesure
que l'on voudra cultiver dans chaque enfimt le génie
propre et natif qui varie infiniment. Kul que la
femme n'est assez fin, assez doux, assez patient,
pour sentir tant de nuances et pour en tirer parti.
Le monde vit de la femme. Elle y met deux élé-
ments qui font toute dviHsation : sa ftéiu^ sa dé*
licatesse, — mais celle-ci est smlout un reflet de
sa fwi^Xi.
Que serait*ce du monde de l'homme, si ces den
choses manquaiffit? Ceux qui semblent y tenir le
mmns, ignorent que, sans cette grtoe, eês fctmes
au moins de pureté, lamour s'éteindrait id-bas,
l'amour l'aiguillon tout-puissant de nos activités
humaines. Heureux tourment! trouble fécond I sans
vous, qui voudra de la vie?
Il faut, il faut absolument que la femme soit gra-
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LÀ FEMMB EST UME RELIGION. 51
deuse. Elle n'est pas tenne d'être belle. Mais la
grflee lui est propre. Elle la doit à la nature qui la
fait pour s'y mirer. Elle la doit à rfamnantté. La
grâce diarme les arts virils et donne un sourire
divin à la société tout entière.
Que faut-il, pour qu'^ soit gracieuse, cette
enfant ? Qu'elle sente toujours qu'eUe est aimée.
Qu'elle soit menée également. Point d'alternative
violente de rigueur et de tendresse. Rien de brus-
que, de précipité, un progrès très-gradué; nul
saut, et nul grand effort. Il ne faut pas l'embellir
d'ornements surajoutés ; mais, par une douce im-
bibition, faire que pen à peu du dedans ieunsse
une beauté nouvdle.
La grâce est im refl^ d'amour sur un fonds de
pureté. La puretéy c'«sl lu femme même.
Telle doit être la conatante pensée de la mère,
dès que lui est née sa fiUe.
La pureté de l'enfant est d abord celte delanàre.
Il faut que Ta^ftnt y trouve è toute heure une can-
deur, une lumière, une absolue tran^iarenfie,
cèimma d'une glace aceomfdie que nul aoufflle ne
terAit jamais.
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52 LA FEMME EST UNE RELIGION.
L'une et l'autre, le matin, le soir, font d'abon-
dantes ablutions, tièdes, ou plutôt, un peu froides.
Tout se tient. Plus la petite verra sa mère atten*
tive à se tenir nette, plus elle voudra Tétre elle-
même de corps, et bientôt de cœur.
Pureté d'air et de milieu. Pureté, unité d'in-
fluences. Point de bonne qui gâte en dessous tout
ce qu'on fait en dessus, flattant la petite et lui fai-
sant trouver la maman sévère.
Pureté surtout de régime et de nourriture. Que
doit-on entendre par là?
J'entends que la petite fille ait une nourriture
d'enfant, qu'elle continue le régime lacté, doux,
calme et peu excitant; que, si elle mange à votre
table, elle soit habituée à ne point toucher à vos
aliments qui sont des poisons pour elle. Une ré-
volution s'est faite; nous avons quitté le sobre ré-
gime français , adopté de plus en plus la cuisine
lourde et sanglante de nos voisins, appropriée à
leur climat bien plus qu'au nôtre. Le pis, c'est que
nous infligeons ce régime à nos enfants. Spectacle
étrange de voir une mère donner à sa fiUe qu'hier
encore elle allaitait, cette grossière alimentation de
viandes sanglantes, et les dangereux excitants, le
vin, Texaltation même, le café! Elle s'étonne de
la voir violente, fantasque, passionnée. C'est elle
qu'elle en doit accuseï*.
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LA FEMME EST UNE RELIGI01«. 53
Ce qu'elle ne ^oit pas encore, et ce qui est bien
autrement grave, c'est que, chez cette race française,
si précoce (où j'ai vu des nourrissons amoureux
dans le berceau), l'éveil des sens est provoqué di-
rectement par ce régime. Loin de fortifier, il agite,
il affaiblit et énerve. La mère trouve plaisant, joli,
d'avoir une enfant si vive, qui déjà a des reparties,
et une enfant si sensible qui, au moindre mot,
s*attendrit. Tout cela vient d'elle. Surexcitée elle-
même, elle veut que l'enfant soit telle, et elle est
sans le savoir, la corruptrice de sa fille.
Tout cela ne vaut rien pour elle, madame, et
guère mieux pour vous. Vous n'avez pas le cou-
rage, dites-vous, de manger rien, sans qu'elle ait
sa part. Eh bieni vous-même abstenez-vous, ou
du moins modérez-vous dans l'usage de ce ré-
gime, bon pour l'homme fatigué peut-être, mais
funeste à la femme oisive, régime qui la vulga-
rise, la trouble, la rend violente, ou somnolente,
alourdie.
Pour la femme et pour l'enfant, c'est une grflce,
une grâce d'amour, d'être surtout frugivore, d'é-
viter la fétidité des viandes et de vivre philôt des
aliments innocents qui ne coûtent la mort à per-
sonne, des suaves nourritures qui flattent l'odorat
autant que le goût. La raison fort raisonnable qui
fait que ces chères créatures n'inspirent répu-
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54 LA FEKME 8ST UNE RELIGION.
goanfie en nulle chose» mais nous semUenl éthé-
rées, en comparaison de Thomme, c'est surtout
leur fàréfécence pour les herbes et pour les fruits,
cette pureté de r^ime qui ne contribue pas peu à
celle de Tâme et vrcdment les assimile à Timio-
ceace des fleurs.
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vil
L'AMOUR A DIX ANS. ~ LES aElIRS
Dès le temps où le boa Frœbel avait mis dans la
jolie main, un peu gauche, de ma <:bère petite, les
formes élémentaires par où commence la nature
(les cristaux, etc.), il l'avait appelée aussi à Ta-
mour de la vie végétale. Bâlir une maison, c'est
beau. Mais combien plus beau de faire venir une
plante, de créer une vie nouvelle, une fleur qui
va s'épanouir, vous réconapenser de vos soins l
Un superbe haricot rouge, admiration de l'en-
fance, avait été mis en terre, non sans qudque so-
lennité. Mais, attendre I c'est l'impossible à cinq
ans. Gonunent attendre inéctif ce que Nature fait
d'elle-même ? Dès le lendemain, on alla le visiter,
ce haricot. Remis soigneusement en terre, il ne s'en
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56 L'AMOUR A DiX ANS.» LES FLEURS.
porta pas mieux. Les tendres inquiétudes de sa
jeune nourrice ne le laissèrent pas reposer; elle
remuait au moins la superficie du sol; d'un arrosoir
inratigable elle sollicitait la paresse du nonchalant
végétal. La terre buvait à merveille, semblait tou-
jours avoir soif. Si bien soigné, abreuvé, le haricot
succomba.
C'est une œuvre de vertu, de patience, que de jar-
diner. Cela prépare très-bien le caractère de Ten-
fant . Mais à quel âge peut-on commencer réellement?
Les petits Allemands de Frœbel doivent commen-
cer à quatre ans, les nôtres un peu plus tard sans
doute. Je crois que nos petites filles peuvent (bien
plus que les garçons), par bon cœur et par ten-
dresse pour la plante favorite, prendre sur elles
d'attendre, de la ménager, de l'épargner. Dès qu'un
essai a réussi, dès qu^elles ont vu, admiré, touché,
baisé le petit être, tout est fait. Elles désirent tant
renouveler le miracle, qu'elles deviennent pa-
tientes.
La vraie vie de l'enfant est celle des champs.
Même à la ville, il faut, tant qu'on peut, l'associer
au monde végétal.
Et, pour cela, un grand jardin, un parc, n'est
pas nécessaire. Celle qui a peu, aime plus. Elle n'a
sur son balcon, sur un prolongement de toit,
qu'une giroflée de muraille. Eh bien, elle pro-
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L'AVOUR A DIX ANS. -LES FLEURS 57
fitéra par son unique giroflée plus que Tenfant
gâtée des riches, lancée dans de grands parterres
qu'elle ne sait que dévaster. Le soin, la contem-
{^tioQ assidue de cette fleur, les rapports qu'on
lut montrera entre sa plante et telle influence d'at-
mosphère ou de saison, avec cela seul on ferait
une éducation tout entière. Observation, expé-
rience, réflexion, raisonnement, tout peut y ve-
nir. Qui ne sait le parti admirable que Bernar-
din de Saint-Pierire a tiré de ce fraisier né par
hasard sur une fenêtre dans un pot de terre? Il
y a vu un infini, et pris là le point de départ de
ses harmonies végétales, simples, populaires, en-
fantines, mais non pas moins scientifiques. (V. Alex,
de Humboldt.)
Cette fleur est tout un monde, pur, innocent, pa-
cifiant. La petite fleur humaine s'y harmonise d'au-
tant mieux qu'elle ne lui est pas semblable dans le
point essentiel. La femme, surtout la femme en-
fant, est toute dans la vie nerveuse; la plante, qui
n'a pas de nerfs, lui est un doux complément, un
calmant, un rafraicbissant, une innocence relative.
Il est vrai que cette plante, à Tétat de fleur, sur-
excitée au-dessus d'elle-même, parait animalisée.
Et dans certaines ei^èces (petites et vues au mioro-
scope), elle affecte, pour l'organe d'amour, une sur-
prenante identité avec les vies supérieures. Mais
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58 L'AMOUR A DIX ANS. — LES FLEURS,
TenAml nmk guère avertie de e« charmdnt déiire
des pkfrtes, que par leur enttrante odettr. Sa mobi-
lité, k prëseiwe de 8*en mprégner longtemps.
La petite fille, qui de bomie heure est un être
si complet, bien plus fine que le garçon, plus sus-
ceptible de recevoir des impressions délicates, a
un sens de plus, celui des parfmns, des arômes
EUe en serait pénétrée, et par moment y trouverait
un épanouissement sensuel, mais cette fleur n'est
pas pour elle un objet d'amour oisifs de jouis-
sance paresseuse; elle est une oocask») de travail
et d'activité, d'inquiétude, de soccàs^ de jme, une
occupation de cœur et d'esprit, fiiifin, pour Un
d'un mot la chose : ici encoris, Ih itmtemité Marne
et guérit l amour. La fleur n'est pas son amant;
pourquoi? c'est qu'elle est sa fflle.
Mauvaise et dangereuse m«see pour h petite
demoiaelle, temie assise, privée du grand air et du
moutenient, que d'aspirer dans^un salon l'émanation
concentrée d'un awioupeux bouquet de fleurs. Et ce
n'est pas la tète seuit qui chancdie. Un de nos
roRuaciers s'est plu à montrer la vertu ineertaine
d'une jeune femme qui cède à ces influences. Elles
m serais pas moins puiasantes pour troubler la
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L'AMOUR A DIX ANS.-LES FLEURS. 59
petite fiUe, pour hât^ en elle la crise des s«qs,
précipiter la flormoa qu'il vaut bien mieux re«
t^er.
Le dirai*^? (mais quel paradoxe 1 que les dames
vont être choquées !) U est trois choses que j'aime
peu : les babels de peintures qu'on a^pdle des mu-
sées, où les taUeaux se tuent l'un Tauire; — les
bs^ls de ramages qu'on appelleiles yolières, où le
rossignol, mêlé aux chanteurs vulgaires, risque de
tomber au patois ;-^ en troisième lieu, les bouquet»
mêlés de couleurs, de parfums, qui se combattent
et s'annulent.
Quiconque a le sentiment vif et délicat de la vie»
mseuJGfre pas volontiers ces cMfiisions, ceacbaas,
qmkpie brillait qu'ils pnissest être. Gbaque odeur
est suave à part, dit un nystère^ parle un langage.
Toutes ensenfafe^ ou frappent la tète, ou donnent
un (rouble sensuei dont les oerfssoufi^nt, comme
de certaines vil^atîons de^l'harmoitica. Cest volup*
toMX et ai&dissMit. On sourit, et h cosur tourne^
Les odeurs dtserètes y périssent bar barement as-
phyxiées. « Hâasl dit la marjolaine^ étouffée des
puissantes roees, vous ne voulez donc pas savoir la
divine senteur d'amertume cpii se raèle au parfum
d'amour ? »
Certaine femme que je sais Bien, na jamais
coupé une fleur qu'à regret et malgré elle, en lui
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tH) L'AIIOtJR A DIX ANS. -LES FLEURS.
demandant pardon. Chacune a sa gentillesse à elle,
si elle est à part. Elle a son harmonie propre, un
charme qui lui vient de la terre sa mère et qu'elle
n'aura plus arrachée. Que saura-t-on maintenant
du port, de la désinvolture, de Tair aimable et dé*
gagé dont elle portait sa tête? Les fleurs simples,
qui sont les fleurs amoureuses, dans leurs grâces
modestes et légères, pâlissent ou plutôt disparais-
sent entre les grosses corolles, de ces vierges
luxueuses que nos jardiniers amplifient par leur
art de stérilité.
Replaçons, pour notre enfant, dans sa vérité
naïve et sainte, le monde végétal. Que de bonne
heure elle sente, aime et comprenne la plante dans
la l^itimité de sa vie complète. Qu'elle ne connaisse
point la fleur comme luxe et coquetterie, mais
comme un moment de la plante, comme la plante
à r^tat de fleur. C'est une grande injustice d'y pren*
dre le plaisir passager d'une vaine décoration,
comme d'une fleur de papier, tandis qu'on oublie
la merveille réelle, le miracle progressif caché au
petit sanctuaire, la sublime opération d'avenir et
d'immortalité par laquelle la vie chaque année
échappe et rit de la mort.
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L'AMOUR A DIX ANS. --LES FLEUftS. 61
Dans une promenade d'hiver en février , la petite,
regardant aux arbres les bourgeons rougefttres,
soupirait et demandait : a Serait-ce bientôt le prin-
temps? » Tout à coup elle s écrie... Elle Tavait à ses
pieds... Une petite clochette d'argent, marquée
d'un point vert au bord, le perce-neige, disait le
réveil de l'année.
Le soleil reprend bientôt force. Dès mars, à ses
premiers rayons, variables et capricieux, tout un
petit monde édôt, les jeunettes, les pressées, pri-
mevères et pâquerettes, fleurs enfants qui cepen-
dant, par leur petit disque d'or, se disent enfants
du soleil. Elles n'ont pas grand parfum, sauf, je
crois, la seule violette. La terre est trop mouillée
encore, narcisses, jacinthes et muguet apparaissent
aux prés humides, dans l'ombre humide des bois.
Quelle joie I et que de surprises!... Cette végéta*
tion innocente semble faite pour celle-ci. Chaque jour,
elle en fait la conquête, recueille, amasse, lie, rap-
porte des bottes de petites fleurs qu'il faudra jeter
demain. Elle va saluer une à une toutes les nouvelles
venues, leur donner le baiser de sœur. Gardons-
nous de la troubler dans cette fête du printemps.
Mais, l(Nrsque, un mois, deux mois passés, elle se
sera satisfaite, je lui dirai: a Pendant que tu jouais,
enfant, le grand jeu de la nature, la superbe et
splendide transformation de la terre s'est accom-
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os L'AMOUR A DIX AHS. ^LES FLEURS.
plie. La Yoilh Têtue de sa fobe vêfte aut plis im-
menses qu'on appelle des montâmes et des ooteaut .
Crois-tu que ee soit seulement pour te donner des
mai^uerites, qu'elle a versé de son sein cet océan
d'herbes et de fleurs? Non, amie; la grande nourrice,
la maman universelle, a d'abord servi ce banquet à
nos humbles frères et sœurs par lesquels elle nous
nourrit. La bonne vache, la douce brebis, la sobre
chèvre qui vit de si peu et fait vivre le plus pau*
vre, c'est pour elles que sont préparées ces belles
prairies. . . Du lait virginal de la terre elles vont corn-
bief leurs mamelles, te donner le lait, le beurre...
Iteçms-les, et remercie. »
A ces aliments frais et doux va se joindre la frai-
éhenr des premières plantes potagères, des premiers
fruits. Avec la chaleur apparaît à point nommé la
groseille, la petite fraise des bois qu'une autre, pe-
tite gourmande, découvre à son exquise odeur. L'ai-
grelet de la première, le fondant de ta seconde, et la
deoeenr de la cerise, ce sont les prévoyants remèdes
qui nous viennent aux jours brûlants où l'été
s'exalte, s'enivre, où commencent sous un S(deil
accablant les grands travaux de récolte.
Cette ivresse a apparu d'abord aux parfums de la
rose, suaves, mais trop pénétrants, dont la tète est
alourdie. La coquette reine des fleurs amène triom-
phalement la légion plus sérieuse de ses sœurs,
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L'àHÛUR A DIX ANS. — LES FLEURS. »
fleure médicmales et plantos de pharmacie» utîtes
et salutaires poisons.
Mais Toiei l'oeuvre souveraine de la grande mater-
nité. Elles arriveat celles qui doivent nourrir les po-
. pulations entières, les vénérables tribus des légumi-
neuses ( E. Noël). Elles arrivent les graminées, les
pauvres du règne végétal, qui en sont aussi, dit
Linné, la vaillance, la force héroïque ; qu'on les
maltraite et qu'on les foule, elles multiplieront
davantage I
a Leursdeux feuilles nourricières (ou cotylédons))
sont des mamelles. Cinq ou six pauvres graminées,
du trop^plein de leurs mamelles nourrissent l'es-
pèce humaine, d (E. Noël.)
Ma fille, n'imite pas l'enfant léger, étourdi, qui»
voyant flotter au vent cette mouvante mer d'or, que
le coquelicot et ie bluet égayent de leur éclat sté-
rile, va au travers chercher ces fleurs. Que ton petit
pied suive bien la ligne étroite du sentier. Respecte
notre père nourricier, ce bon blé, qui, de faible tige,
soutient avec peine sa tête pesante où est notre pain
de demain. Chaque épi que tu détruirais, dterait la
vie aux pauvres, au méritant travailleur, qui, toute
Tannée, a pâti pour le faire venir. Le sort de ce blé
lui-même mérite ton plus tendre respect. Tout Thi*
ver, eaclos dans la terre, il a patienté sous la neige;
puis, au]( froides pluies du printemps, sa petite tige
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ei L'AMOUR A DIX ANS.-IES FLEURS.
verte a lutté, blessée parfois d'un retour de gelée,
parfois delà dent du mouton; il n'a grandi qu^en
supportant les cuisants rayons du soleil. Demain,
tranché de la faucille, battu, rebattu des fléaux,
froissé, écrasé de la pierre, Grain d*orge^ le pauvre
martyr, réduit en poudre impalpable, cuit comme
pain, ira sous la dent, ou distillé comme bière, sera
bu. De toute façon, sa mort fera vivre Thomme.
Tout^^s les nations ont chanté dans de joyeuses
complaintes ce martyre et celui de la vigne, sa sœur.
Dans le blé déjà résidait, avec la plus haute puis-
sance nutritive de nos climats, quelque chose de la
force sucrée, enivrante, que sa sœur va nous don-
ner. La vertu de faire du sucre, qui est un trait sin-
gulier de l'organisation humaine, existe dans ces
végétaux qu'on dirait humanisés. C'est l'efifort der-
nier de Tannée. A mesure que Thomme fatigue,
faiblit, se fond en sueurs, la mère Nature lui a
donné une plus vivante nourriture.
 l'âge printanier des prairies et du lait, a suc-
cédé Fftge substantiel et fort du froment, et celui-ci
est à peine coupé et battu, que l'humble petite vi-
gne (traînante et rampante ici, d'autant plus fine
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L'AMOUR A DIX ANS. ^ LES FLEURS. «5
et plus exquise) prépare son breuvage divin. Que
de travaux ici, ma fille! Que ce modeste végétal,
ce mauvais petit bois fortu que tu méprisais au
printemps, exerce les forces de Thomme! Dès mars,
si tu parcourais Fimmensité de la Champagne, de la
Bourgogne et du Midi, un quart peut-être de la
France, tu verrais des millions d'hommes replantant
les échalas, relevant, liant, coupant la vigne, puis
buttant la terre autour, et toute l'année sur pied
pour mener à bien cette délicate personne. Pour
la tuer, un brouillard suffit.
C'est la sévère alternative de la vie et de la
mort. Chaque pls^nte meurt et nourrit les autres.
N as-tu pas vu, en automne, vers la fin, quand la
saison avait pâli, comme tombaient doucement les
feuilles, sans même attendre le vent? Chacune, en
tournant un peu, descendait toute résignée, sans
bruit, sans réclamation. La plante (si elle ne le
sait distinctement) sent au moins qu'elle a charge
de nourrir sa sœur, et qu'il faut mourir pour cela.
Donc, elle meurt de bien bonne grâce, se pose, et
de son débris alimentant Vair qui l'emporte ou la
terre qui s'en pénètre, elle prépare la vie des amies
qui viennent la renouveler, la reproduire et la re-
faire. Elle s'en va consolée, et qui sait? peut-être
joyeuse, de reposer, son devoir fait, et de suivre la
ioideDien.
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66 L'AMOUR A DIX ANS.— LES FLEURS.
Ainsi, chère, si tu m'as compris, tu as vu que,
sous ca cercle brillant de l'évolution annuoU^ où
chacune a un moment pour se montrer au noleil,
un cercle muet, plus sombre, se fait dans Tiiitime
intérieur par l'échange des douces sœurs, chacune
se retirant sans jalousie et passant la vie aux autres.
Monde de paix et d'innocence, de résignation.
Mais les êtres supérieurs, soumis à la même loi,
ont peine à s y prêter de même. — « Cependant, dit
la Nature, qu'y faire? ce n'est pas ma faute. Je n'ai
que cela de substance à partager entre vous tous,
mais pas plus; je ne puis p«s augmenter à volonté.
Il est juste que chacun en ait un peu à son tour.
« Donc, dit-elle, aux animaux, vous, favoris de
la vie, tellement privilégiés d'organisme supéarieur,
vous n'êtes pas pour cela exempts de nourrir vos
soeurs les plantes, qui, reconnaissantes, gracteuseS)
en revanche vous nourrissent chaque jour. A vous
de payer un tribut (seulement ce qui ne vous pro*
fite) . Vos mues, à certaines saisons, seront un tribut
encore. Vos débris enfin, à la mort. . . Ce sera le plus
tard possible. Je vous ai donné des moyens d'aviser
à le retarder. Mais il faudra bien y venir... Car ^
ne puis pas faire mieux, n
Voilà qui est raisoniSable, n'est-ce pas, maâHe?
Et fôpère de la NàtiUTe, Dieu qui t'a faite et douée,
qui t'a donné des mains adroites (ou propres à le
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L'AMOUR A DIX ANS. — LES FLEURS. 67
devenir), qui ta donné une tête, légère encore,
mais peu à peu susceptible de penser, te permet
rhonneur insigne de participer au travail. Tu pour-
ras couver, élever, des nourrissons végétaux, et de
petites filles-fleurs. Tu susciteras la vie, en Mu-
nissant de tout cœur aux grandes opérations de
Dieu. Plus tard, femme, et peut-être mère, quand
il sera temps, volontiers, tu passeras la vie aux
autres, tu sauras de bonne grflce vivifier ta bonne
nourrice, la Nature, et la nourrir à ton tour.
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VIII
LE PETIT MENAfiE. ^ LE PETIT JARDIN
Si on donne à la petite fille le choix entre les
jouets, elle choisira certainement des miniatures
d'ustensiles de cuisine et de ménage. C'est un in-
stinct naturel, le pressentiment d'un devoir que la
femme aura à remplir. La femme doit nourrir
l'homme.
Haut devoir, devoir sacré I 11 l'est surtout dans
nos climats où le soleil, moins puissant que celui
del'équateur, n'achève pas la maturité de beaucoup
de végétaux, ne les mûrit pas au point où l'homme
puisse les assimiler. La femme continue le soleil;
elle sait à quel degré l'aliment, cuit et adouci, peut
être approprié a lui, passer dans sa drculation, re-
faire son sang et ses forces.
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LE PETIT MÉNAGE. — LE PETIT JARDIN. 69
C'est comme un autre allaitement. Si elle pou-
vait suivre son cœur, elle nourrirait son mari, ses
enfants, d*elle-méme, du lait de ses mamelles. Ne le
pouvant, elle emprunte Taliment à la nature, mais
elle le leur donne bien autre, mêlé d'elle et par la
tendresse devenu délicieux. Du pur froment, solide
et fort, elle fait le gâteau sacré où la famille com-
munie de son amour. Le lait prend cent formes par
elle ; elle y met sa fine douceur, ses pariums, et il
devient crème légère etéthérée, un aliment de vo-
lupté. Les fruits éphémères que Tautomne verse à
torrents pour les perdre, elle les fixe, les enchante-
Dans un an encore, ses enfants émerveillés verront
sortir du trésor de sa prévoyance les fugitives dé-
lices qu'ils croyaient fondues bien avant les pre-
mières neiges d'hiver. Les Yoici, à son image, inal-
térablement fidèles, purs et limpides, comme sa
vie, transparents, comme son cœur.
Oh I la belle et douce puissance ! Véritable en-
fantement. Création de chaque jour, lente, par-
tielle, mais continue. — - Elle les fait et les refait
corps et âme, humeur, énergie. Elle augmente,
diminue leur activité, tend le nerf et le détend. Les
changements sont insensibles, et les résultats pro-
fonds. — Que ne peut-elle? L'enfant léger, joueur
et rebelle, change, est disciplinable et doux.
L'homme, entamé par le travail, et l'excès de vo
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70 LE PETIT MÉNAGE. -LK PKTIT JARDIN.
lonlé, peu à peu rajeunit par elle. Un matin, le
cœur plein d'amour, il dit : « Je revis tout en toi. »
Au reste, quand cette grande puissance est sage-
ment exercée, elle n a pas besoin de refaire, de
guérir. Elle n'a que faire de médecine. Elle est la
suprême médecine, créant la santé jour par jour,
Téquilibre harmonique, et fermant la porte à la
maladie. Quel cœur de femme, de mère, pourrait,
en songeant à cela, marchander avec la nature, al«
léguer quelques dégoûts I
L'amour est spiritualiste, et dans tout ce que
demande la vie de l'objet aimé, il ne voit rien que
Tesprit. Les nobles et hauts résultats que ces
humbles soins obtiennent, les élèvent, les ennoblis-
sent, et les rendent chers et doux.
Une jeune dame distinguée, délicate et maladive, *
n'aurait cependant laissé à personne la cuisine de
son rossignol. Cet artiste ailé est comme l'homme ;
pour refaire son foyer brûlant, il voudrait la moelle
des lions. Il lui faut la vianite et le sang. La domefr'
tique de cette dame y aurait eu répugnance. Elle
aucune; elle n'y voyait que le chant, l'âme amou-
reuse à qui elle allait rendre force. 11 recevait de
sa main le banquet de l'inspiration (le sang, le
chanvre et le pavot), la vie» l'ivre^e etToubli.
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LE PETIT MÉNAGE- LE PETIT JARDIN. 71
•
Pourier a très-bien remarqué que les enfants ont
le goût de la cuisine et y aident volontiers. Est-ce
singerie? gourmandise?
Mais je ne suis pas d'avis d'encourager la singerie ,
comme il le conseille. Je n'aime pas non plus,
lorsqu'il s'agit d'une chose qui sera si grave,
qu'on habitue cette enfant à s'en faire un jeu, à
perdre le temps en petits gâchis pour le repas de
sa poupée. J'aitne mieux qu'on attende un peu
{dus, et que, quand elle est devenue adroite, et
déjà sérieuse par ses essais de jardinage, sa mère
l'initie à une fonction où la vie de son père est in-
téressée, où celui qui les nourrit est nourri par
elles, où pour la première fois l'enfant peut le
servir, heureuse de l'entendre dire au repas :
« Merci, ma fille. »
Chaque art développe en nous quelques qualités
nouvelles. Le ménage et la cuisine exigent à un haut
degré la propreté la plus exquise, et passablement
de dextérité. L'égalité d'humeur et de caractère y
fiiit beaucoup plus qu'on ne croit. Nulle personne
brusque^ variable, n'y peut mener à bien les choses.
Un sens juste de mesure précise y est nécessaire.
Ajoutez, au plus haut degré, Tà-propos, la déci-
sîon, pour finir où il faut finir et savoir s'arrêter
à point.
Mettez en face les dons, plus graves encore>
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n LE PETIT MÉNAGE.— LE PETIT JARDIX. •
•
qu exige la culture du jardin. Il n'était qu'un amu-
sement, mais, dès qu'il est compris, soigné, dans
son rapport avec la vie, la santé de ceux qu'on
aime, quand le jardin est l'auxiliaire du ménage, il
devient chose importante, et on le cultive bien
mieux. Observer et tenir compte de nombre de
circonstances variables ; respecter le temps et dom-
pter ses impatiences puériles, soumettre sa jeune
volonté à la loi générale; employer son activité,
mais savoir qu'elle n'est pas tout, et reconnaître
le concours de la nature; 'finalement, manquer
souvent, ne se décourager jamais; — c'est la cul-
ture, c'est ce travail mêlé de tous les travaux ; -^
c'est au complet, la vie humaine.
Cuisine et jardin sont deux pièces du même
laboratoire, travaillant pour le même but. La pre-
mière achève au foyer la maturation que l'autre
commença par le soleil. Ils échangent entre eux
leurs puissances. Le jardin nourrit la cuisine, la
cuisine nourrit le jardin. Les simples eaux de mé-
nage qu'on jette au loin avec dégoût, sont acceptées
(si j'en crois un horticulteur distingué), comme un
excellent aliment par les pures et les nobles fleurs.
Ne méprisez rien. Le dernier rebut, le moindre dé-
bris du café, est avidement saisi par les végétaux,
comme une flamme, un esprit de vie; au bout de trois
années entières, ils en sentent encore la chaleur.
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lÉ PETIT MÉNAGE. -LE PEtlT URDIN. 73
11 faut dire à votre enfant ces lois nécessaires
de la vie. Ce serait une sotte réserve de lui lais-
ser ignorer Talternation de la substance, sa circu-
lation naturelle. Nos dédaigneuses demoiselles qui
ne connaissent les plantes que pour les couper, ne
savent pas que la fleur mange aussi bien que ra-
nimai. Comment vivent-elles, elles-mêmes? Elles
se gardent de le deviner. Elles ont bon appétit,
absorbent, mais sans reconnaissance, sans songer
au devoir de restituer. 11 le faut pourtant, par la
mort surtout; et itle faut constamment par la série
de sueurs, de mues, de diminutions de nous-
mêmes, de pertes et petites morts quotidiennes que
nous impose la nature, au profit des vies inférieures.
Ce circuitus fatal n'est pas certes sans grandeur;
11 a un côté fort grave, qui touchera le cœur dé
l'enfant d'une salutaire émotion, c'est que notre
affaiblissement de chaque jour nous condamne à
chercher la force où elle est accumulée, chez les
animaux nos frères, et à vivre de leur vie.
Double leçon. Nullement inutile à la jeune fille,
au premier élan d'orgueil que donneront l'âge et
la beauté, Tintensité de la vie, qui leur font penser
par moments : « Je suis; le reste est peu de chose.
La fleur et le charme du monde, c'est moi, et le
reste un rebut.»
Fleur? beauté? jeunesse? d'accord. Oui, mais
5
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74 LE PETIT MÉNAGE.— LE PETIT JARDIN.
n'oublie pas à quel prix. Sois modeste, souviens-
toi des conditions humbles, sévères, auiquelles la
nature vend la vie. Mourir un peu chaque jour,
avant de mourir tout à fait; et chaque jour, à cette
table riante et parée, renaître, hélas I par la mort
d'innocentes créatures.
Que du moins ils soiait heureux, ces animaux,
tant qu'ils vivent. Enseignons bien à Tenfant leur
droit d'exister, le regret et la pitié qu'on leur
doit, même lorsque le besoin de noire organisa-
tion nous force de les détruire. 11 faut lui appren-
dre avec soin les utilités qu'ils ont, ou eurent
tous, même ceux qui aujourd'hui peuvent nous
nuire. L'enfant est très-poétique, mais peu poète.
Cependant, elle sentira, ma petite, par l'instinct
de son cœur charmant, ce qui toucherait moins
son esprit. La maternité héroïque de Toiseau, con«
struisant son nid avec tant de peine, subissant
pour ses enfants tant d'épreuves si pénibles, la
frappera à coup sûr. Et ce n'est pas sans respect,
une sorte de religion, qu'elle verra chez la fourmi,
chez Tabeille, un génie bien autrement artiste
encore, que la maternité inspire. L'immense tra*
vail de la fourmi, remontant, descendant ses œufs,
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LE PfiTIT MÉNAGE. — LE PETIT JARDIN. 75
par TécheUa bien calculée de ses treote ou qua-
rante étages, selon Tair et le soleil et toutes les
variations de température, la remplira d'admira*
tion. Dans ces infiniment petits, elle verra la pre-
mière lueur, le ravissant premier rayon du haut
mystère qu'on lui ajourne^ le grand, Tuniverset
Amour.
Comme je sais qu'il n y a ici-bas de bonheur
qu'un seul, créer et créer toujours, j'ai t&dié à
tout âge qu'elle fût heureuse, c'est-à-dire qu'elle
créât.
A quatre ans, dans ses jolies mains, j'ai mis des
matériaux, formes régulières (analogues aux pre-
miers essais d'association que fait la nature, auK
cristaux), et avec ces cristaux de bois, associés à
sa manière, elle fit de petites maisons et autres
œuvres enfantines.
Plus tard, on lui a montré comment Nature, as-
sociant la sympathie des opposés, fait de véritables
cristaux, brillants, colorés, et si beaux ! Elle en a
fait elle-même.
Dès lors, de sa jeune main, elle semait, faisait
des plantes, et parles soins, Tarrosement, elle les
amenait à l'amour, à la floraison.
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7<i LE PETIT MÉNAGE. — LE PETIT JARDIN.
Les vers à soie, innocemment, elle en cueille la
petite graine (semence de papillon), la soigne, la
garde sur elle, la mûrit de sa chaleur, la tient jour
et nuit dans Tabri de son sein qui n'est pas encore.
Un matin, elle a le bonheur de voir un monde nou-
veau, éclos d'elle, de son jeune amour.
Ainsi elle va toujours heureuse et créant. Conti-^
nue, aime, enfante, ma fdle. Associe-toi, chère
petite, à la grande maternité. Il n'en coûte rien en-
core à ton tendre cœur. Tu crées, et dans la paix
profonde, demain, il t'en coûtera davantage, ton
cœur saignera... Ahl le mien aussi, crois-le bien«
Mais pour aujourd'hui, jouissons. Je n'aurai rien
de plus doux que de voir, en si grand repos, dans
l'attendrissante innocence, ta petite fécondité. Cela
me rassure pour toi. Quoi qu'il arrive, tu auras eu
ta part en ce monde. Cette part, c'est, dans l'œuvre
divine, de concourir et de créer.
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IX
MATERNITÉ DE QUATORZE ANS.
LA MÉTAMORPHOSE
Je n'ai craint pour cette enfant qu'une chose ;
c'est la rêverie, i'en vois qui rêvent à quatre ans.
Mais, heureusement, celle-ci en a été préservée-.
l**par sa vie active; 2** parce qu'en naissant, elle
eut une confidente pour penser tout haut, sa mère,
La femme a toute sa vie un besoin d'épandie-
ment.
Donc, toute petite encore, sa mère la prenait sur
elle chaque soir, et, cœur contre cœur, la faisait
parler.
Oh I quel bonheur de s'épancher, s'alléger, et
s'accuser même... « Dis, mon enfaut, dis toujours !
Si c'est bien, je t'embrasserai. Et, si cela n'est pas
bien, demain toutes deux ensemble, nous tâche-
rons de faire mieux. »
Elle dit tout. Ehl que risque-t-eUe? -^ a Beau-
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78 MATERNITÉ DE QUATORZE ANS.
coup, car maman souifrira, si je fais mal. . . — Non,
ma chère, dis-le tout de même. Et, quand j'en de-
vrais pleurer, laisse en moi couler ton cœur. »
La confession filiale est tout le mystère de l'en-
fance. Celle-ci par sa confession de chaque soirj a
dicté elle-même son éducation.
Avec un si doux chevet, elle a profondément
dormi. Mais, qu'est-ce donc? elle s'éveille. Treize
ans et demi sont dépassés, et la voilà languissante.
Que te faut-il, chère petite? Jusqu'ici, rien ne te
manque pour jouer et t'amuser. — Quand ta pou-
pée n'a plus suffi, je t'en ai donné de vivantes; tu
as joué à la poupée avec toute la nature. Tu as bien
aimé les fleurs, et tu en as été aimée. Tes oiseaux
libres te suivent, jusqu'à oublier leur nid, et l'autre
jour le bouvreuil (ceci n'est pas inventé) a quitté sa
femme pour toi.
Je devine, il lui faudrait quelque ami, — non pas
oiseau, ni fleur, ni papillon, ni chien, — un ami de
son espèce. A quatre ans, cinq ans, sa mère la menait
jouer aux Jardins d'enfants. Mais maintenant, à la
campagne, elle n'a plus de petites filles. Elle avait
bien encore son frère, plus jeune, qu'elle aimait
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LA MÉTAMORPHOSE. »
tant, et qui ne la quittait pas. Mais elle en eût faH
une fille, ou il eût fait d'elle un garçon. On Ta
placé de bonne heure, loin des gâteries excessives
de la mère et de la sœur, dans une maison plus
virile, chez un ami, en attendant qu'il aille aui:
écoles publiques. La compagnie de garçons qu'il
amenait rendait d'ailleurs la maison inhabitable.
La petite en a conservé une grande antipathie pour
cette gente tapageuse; leurs cris, leurs coups,
leurs batteries, la faisaient fuir. Toute semblable à
sa douce et discrète mère, elle aime l'ordre, la
paix, le silence, les jolis jeux à demi-voix.
Je la vois cependant là-bas qui se promène seulette
dans une allée du jardin. Je l'appelle. Obéissante,
elle vient, mais un peu lentement, le cœur gonflé,
les yeux humides. Pourquoi? sa mère a beau la
baiser, la caresser; elle est muette. Elle ne peut pas
répondre, car elle ne sait ce que c'est. Nous qui le
savons bien mieux, nous devons y trauver remède,
faire encore ce qui, à chaque âge, lui a râissi déjà,
lui donner un amour nouveau.
Sa mère, qui en a pitié, veut dès ce jour la tirer
de cet état trouble, inquiet, lui mettre, non pas
quelque chose, mais plutôt quelqu'un dans les bras.
Elle la mènera tout droit aux écoles du village,
et lui montrera les petits enfants. La grande fille
d'abord, la jeune rêveuse, trouverait ces petits un
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80 MATERNITE DE QUATORZE ANS
peu insipides. Mais on lui fait remarquer qu'ils
n'ont pas tout ce qu'il leur faut. Celle-ci est bien peu
vêtue; il lui faudrait une robe. Celle-là est venue à
Fécole sans apporter son déjeuner; car sa mère n'a-
vait pas de pain. Cette autre n'a pas de mère, et son
père est mort aussi. La voilà seule à quatre ans. On
la nourrit, comme on peut... Là s'éveille le jeune
cœur. Sans rien dire, elle la prend, et se met à
'arranger. Elle n'est pas maladroite. On dirait
qu'elle a tenu des enfants toute sa vie. Elle la lave,
elle la baise, elle va lui chercher du pain, du
beurre, des fruits, tout ce qu'elle a... Werther
aima en voyant Charlotte donner une tartine aux
petits. Il m'en fût arrivé autant.
L'orpheline l'intéresse aux autres. L'une est jolie,
l'autre si sage I en voici une de malade, une autre a
été battue, et il faut la consoler. Toutes lui plaisent,
toutes l'amusent. Quel bonheur d'avoir en main ces
délicieuses poupées, qui parlent, celles-ci, rient et
mangent,*qui ont déjà des volontés, qui sont presque
des personnes! quel plaisir de les faire jouer! Et,
sous ce prétexte, voilà qu'elle se remet elle-même à
jouer, la grande innocente. — Même à la maison,
elle y pense; plus de rêverie, elle est vive, elle est
gaie et sérieuse à la fois, comme on le devient lors-
qu'on a tout à coup un vif intérêt dans la vie.
Elle ne va plus seule maintenant, elle cherche sa
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LA MÉTAMORPHOSE. 81
mère, lui parle, elle a besoin d'elle, désire obtenir
ceci, négocie cela. Chaque jour, tout le temps
qu'elle a de libre, elle va le passer avec les enfants.
Elle vit toute dans ce petit monde, très-varié, lors-
qu'on le voit de près et qu'on s'y mêle. Elle a
là des amitiés, des demi-adoptions, des préfé-
rences , des tendresses avivées par la charité, de
légers soucis parfois, puis des gaietés, puis des
transports, et que sais-je? même des larmes. — Mais
elle sait pourquoi elle pleure. Le pis, pour les jeunes
filles, c'est de pleurer sans savoir pourquoi.
Elle venait d'avoir quatorze ans en mai.
C'étaient les premières roses. La saison, apxès quel-
ques pluies, désormais belle et fixée, étalait toutes
ses pompes. Elle aussi, elle avait eu un petit mo-
ment^' orage, de la fièvre et quelques souffrances.
Elle sortait pour la première fois, un peu faible en-
core, un peu pâle. Une imperceptible nuance d'un
bleu finement teinté (d'un faible lilas peut-être?)
marquait sous ses yeux. Elle n'était pas bien grande;
mais sa taille avait changé, s'était gracieusement
élancée. Couchée enfant, en peu de jours, elle s'é-
5.
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82 MATERNITÉ DE QUATORZE ANS.
tait levée demoiselle. Plus légère, et pourtant mouB
vive, elle ne méritait plus le nom que lui donnait sa
mère : « Mon oiseau ! mon papillon I »
Son premier soin, en revoyant son jardin, changé
comme elle, et tellement embelli, ce fut d'y prendi*e
quelques fleurs pour son père et pour sa mère qui
l'avaient soignée, gâtée, encore plus qu'à Fordinaire.
Elle les rejoignit souriante, avec son petit hommage.
Elle les trouva tout attendris, ne se disant rien Tun
à Tautre, muets d'une même pensée.
Pour la première fois peut-être depuis bien long-
temps ils la mirent entre eux* Quand elle était toute
petite et apprenait à marcher, sans être tenue, elle
avait besoin de les voir ainsi à portée de droite et
de gauche. Mais, ici, devenue grande, et presque
autant que sa mère, elle sentit bien doucement que
c'étaient eux maintenant qui avaient besoin de l'a-
voir entre eux. Ils l'enveloppaient de leur cœur, et
d'un amour si ému, que sa mère avait quelque peine
à s'empêcher de pleurer.*
« Chère maman! qu'avez-vous donc? » Et elle se
pendit à son cou. Sa mère l'accablait de caresses,
Inais ne lui répondait pas, craignant que son cœur
n'échappât. Enfin, un peu affermie, quoique une
larme charmante lui noyât encore les yeux, la mère
dit en souriant : « Je racontais à ton père ce que
j'ai rêvé cette nuit. Tu étais seule au jardin, tu
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LA M£TÂMORPUOS£. $3
t'étais piquée au rosier. Je voulais soigner ta bles-
sure, et je ne le pouvais pas : tu restais blessée
pour la vie J'étais morte, et je voyais tout. —
Oh! maman, ne mourez jamais I » Et elle se jeta,
rougissante, dans les bras de sa mère.
Ces trois personnes, à ce moment, étaient bien
unies de cœur. Et que j'ai tort de dire trois ! Non,
c'était une persomie. Ils vivaient d'amour dans leur
fille, elle en eux. Ce n'était la peine de rien dire,
s'entendant si bien. On ne se voyait guère non plus,
car c'était déjà le soir. Ils allaient obscurs, indis-
tincts, le père lappuyant de son bras, la mère en*
laçant la petite, s' appuyant sur elle.
On n'entendait plus de chants, mais quelques
légers bruits d'oiseaux, leurs dernières causeries
intimes en se serrant dans le nid. Cela très-char-
mant, très-divers. Les uns bruyants et pressés, tout
joyeux de se retrouver. D'autres, plus mélanco-
liques, inquiets des ombres de la nuit, semblaient
se dire : « Qui est sûr de se réveiller demain? »
Le rossignol, confiant, regagna son nid presque à
terre, croisa l'allée, presque à leurs pieds, et la
mère émue lui dit ce bonsoir : <x Dieu te garde,
mon pauvre petit I »
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84 MATERNITÉ DE QUATORZE ANS.
Rien de plus simple que la révélation du sexe à
Tenfant préparée ainsi. Pour celle qu'on laisse igno-
rante des lois générales, qui apprend tout en une
fois, c est une chose grande et dangereuse. Que
penser de l'imprudence des parents qui s'en re-
mettent au hasard? Car, qu'est-ce que le hasard?
c'est souvent une compagne nullement innocente,
nullement pure d'imagination. Le hasard, c'est en-
core (et plus souvent qu'on ne croit) un mot léger,
sensuel, du jeune, du plus proche parent. Les
mères diront non, et s'indignenmt; tous leurs en-
fants sont parfaits. Elles sont trop assoties de
leurs fils, pour croire l'évidence même.
Quoi qu'il en soit, cette révélation, si elle n'est
donnée par la mère, est saisissante et foudroyante;
elle tue la volonté; à cette heure la pauvre petite,
avant de revoir à elle, est comme à discrétion.
Quant à celle-ci, qui, de bonne heure, a très-froi-
dement appris la génération des plantes, la géné-
ration des insectes, elle qui sait qu'en toute espèce
la vie se refait par l'œuf, et que la nature entière
est dans le travail éternel de l'ovulation, elle n'est
point du tout étonnée d'être dans la règle commune.
La mue pénible qui chaque mois accompagne ce
phénomène, semble aussi fort naturelle quand on
a vu des mues si laborieuses dans les espèces infé-
rieures.
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LA METAMORPHOSE. 85
Tout cela apparaît noble, grand, pur, dans la
généralité de la loi du monde. Plus grand encore
quand on y voit la constante réparation de ce que
détruit la mort. « La mort nous pousse, elle nous
presse, ma chère fille, lui dit sa mère. Le remède,
c'est le mariage. Ton père et moi nous mour-
rons, et pour compenser cela, il faudra bien, pro-
bablement, que, même avant, tu nous quittes et
que tu sois mariée. Comme moi, tu accoucheras
avec de vives douleurs, et tu amèneras à la vie des
enfants qui ne vivront pas, ou, s'ils vivent, ils te
quitteront. . . Voilà ce que je vois d'avance, et ce qui
me fait pleurer. . . J ai tort ; c'est notre sort à toutes,
et Dieu veut qu'il en soit ainsi. »
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L HISTOIRE COMME BASE DE FOI
Rousseau qui chez les modernes a posé le pre*
mier avec force le problème des méthodes en édu-
cation, ne me semble pas voir assez que la méthode
n'est pas tout. Il cherche seulement comment on
doit diriger l'élève, ou plutôt comment Télève, aidé
dans sa libre action, pourra se former lui-même
et devenir capable d'apprendre toute chose. — Je
n'examine pas son livre. Je remarque seulement
qu'il ne dit pas un seul mot du second problème de
l'éducation : quel sera l'objet principal de l'étude?
qu'apprendra-t-il cet élève ? En supposant que Rous-
seau ait réussi à former un esprit énergique, actif,
indépendant des routines ordinaires, à quoi s'ap-
pliquera-t-il? n'est-il pas quelque connaissance où
il trouve son développement, sa gymnastique natu-
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L'HISTOIRE GOMME BASE DE FOI. 81
relie? Ce n*est pas assez de créer le sujet; il faut dé-
terminer r objet sur lequel il s'exercera avec le plus
d'avantage. J'appellerai cet objet : La substance de
réducation.
Selon moi, elle doit être tout autre pour le gar-
fonet pour la fille.
Si Ton veut mieux réussir dans l'éducation qu'on
ne Ta fait jusqu'ici, il faut marquer sérieusement
les différences profondes quinon-seùlement séparent
les deux sexes, mais les opposent même, les consti*
tuent symétriquement opposés.
Autres sont leurs vocations et leurs tendances
naturelles. Autre aussi leur éducation, — différente
dans la méthode^ harmonisante pour la ûUe, pour le
garçon fortifiante, — différente en son objet, pour
l'étude principale où s'exercera leur esprit.
Pour l'homme, qui est appelé au travail, au com-
bat du monde, la grande étude, c'est VBtstoirey le
récit de ce combat. L'Histoire, aidée par les lan-
gues, dont chacune donne le génie d'un peuple.
L'Histoire dominée par le Droit, écrivant sous lui
et pour lui, constamment éclairée, corrigée et rec-
tifiée par la Justice éternelle.
Pour la femme, doux médiateur entre la nature
et l'homme, entre le père et l'enfant, son étude
toute pratique, rajeunissante, embellissante, c'est
celle de la Nature-
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88 L'HISTOIRE GOMME BASE DE FOI.
Lui, il marche de drame en drame, dont pas un
ne ressemble à l'autre, d'expérience en expérience,
et de bataille en bataille. VHistoire va, s'allonge
toujours... et lui dit toujours... « En avant! »
Elle au contraire, elle suit la noble et sereme
épopée que la Nature accomplit dans ses cycles har-
moniques, revenant sur elle-même, avec une grâce
touchante de constance et de fidélité. Ces retours,
dans son mouvement, mettent la paix, et, si j'osais
dire, une immobilité relative. Voilà pourquoi les
études naturelles ne lassent, ne flétrissent jamais.
La femme peut s'y livrer en confiance; car Nature
est une femme. L'Histoire, que nous mettons très-
sottement au féminin, est un rude et sauvage
mâle, un voyageur hâlé, poudreux. Dieu me garde
d'associer trop cette enfant aux pieds délicats à ce
rude pèlerinage; elle se fanerait bientôt, halèterait,
et, défaillante, s'assoirait sur le chemin.
L'histoire! ma fille, Thistoire! il faut bien que je
t'en donne. Et je te la donnerai, franche et forte,
simple, vraie, amère, comme elle est; ne crains pas
que, par tendresse, je l'édulcore d'un miel faux.
Mais il ne m'est pas imposé, pauvre enfant, de te
faire boire tout, de te prodiguer à flots ce terrible
fortifiant où dominent les poisons, de te donner
jusqu'à la lie la coupe de Uithridate.
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L'HISTOIRE COMME BASE DE FOI. 80
Ce que je te dois de Thisloire, c'est la tienne d'a-
bord, ce que j'ai dû te révéler de ton berceau, et ce
qui appuie la base même de ta vie morale. Je t'ai
dit d'abord comment tu naquis, les douleurs, les
soins infinis de ta mère, et toutes ses veilles, com-
bien de fois elle souffrit, pleura, mourut presque,
pour toi. Cette histoire, mon enfant, que ce soit la
chère légende, ton souvenir religieux et ton pre-
mier culte ici-bas.
Puis, je t'ai sommairement dit ce qu'est et fut ta
seconde mère, la grande mère, la Patrie.— Dieu t'a
fait cette noblesse de naître en ce pays de France,
dont toute la terre, mon enfant, enrage et rafoUe,
— personne n'est froid pour elle, — tous en disent
du bien et du mal, — à tort? à raison? qui le sait?
Nous, nous n'en disons qu'un mot : « On ne souf-
fre gaiement qu'en France. — C'est le peuple qui
sait mourir.»
De la longue vie de tes pères, tu sauras la grande
chose, si tu sais qu'au moment sacré où la Patrie
fut sur l'autel, Paris vint dire à la France le vœu,
la volonté de tous : c( Se perdre dans le grand
tout. »
C'est de cet effort d'unité, que la France fut une
personne. Elle sentit son cœur qui battait, l'inter-
rogea, trouva dans ce premier battement la sainte
fraternité du monde, le vœu de délivrer la terre.
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90 L'HISTOIRE GOMME BASE DE FOI
Voilà tes origines, ô fille ! Soutiens-les, et puisses-
tu n aimer jamais que les héros!
De la France, tu iras au monde. Nous prépare-
rons ensemble, tout comme dans ton jardinage, des
terrains appropriés pour y planter les nations.
Agréable et vivante étude du sol, des climats, des
formes du globe, qui de tant de façons ont déter-
miné Faction des hommes, souvent fait Thistoire
d'avance. Ici la terre a commandé, Thomme obéi;
et parfois, tel végétal, tel régime, a fait telle civili-
sation. Parfois la force intérieure de Thomme a pu
réagir, lutter contre. En ces combats, ta bonne
amie d'enfance, la nature et les sciences naturelles,
vont se liant, se rencontrant avec les sciences mo-
rales où la vie doit finitier.
L'enseignement de Thistoire est-il le même pour
les garçons et pour les filles?
Oui, sans doute, comme base de foi. Aux uns,
aux autres, elle donne son grand fruit moral, le
soutien du cœur et l'aliment de la vie : à savoir, la
magnifique identité de Vâme humaine sur la question
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L'HISTOIRE COMME BASE DE FOI. 91
du ju^y la concordance historique des croyances
du genre humain sur le devoir et sur Dieu.
Mais qu'il soit entendu de plus que Thomme
étant appelé aux affaires, au combat du monde,
rhistoire doit spécialement Ty préparer. Elle est
pour lui le trésor de Texpërience , l'arsenal des
armes de tout genre dont il se servira demain. Pour
la fille, l'histoire est surtout une base religieuse et
morale.
La femme qui semble si mobile, et qui physique-
ment mois par mois se renouvelle suis doute, doit
cependant ici-bas remplir, bien plus que Thomme,
deux conditions de fixité. Toute femme est un autely
la chose pure, la chose sainte, où l'homme, ébranlé
par la vie, peut à toute heure trouver la foi, re-
trouver sa propre conscience, conservée plus pure
qu'en lui. Toute femme est une école^ et c'est
d'elle que les générations reçoivent vraiment leur
croyance. Longtemps avant que le père songe à
l'éducation, la mère a donné la sienne qui ne s'effa-
cera plus.
Il faut qu'elle ait une foi.
Les embûches vont bientôt venir. Les plus dan-
gereuses viennent par l'ébranlement des croyances.
Elle n'aura pas vingt ans, peut-être deux ans de
mariage, un enfant, — qu'on commencera à exa-
miner le terrain. Les agréables viendront causer,
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9Î L'HISTOIRE COMME BASE DE FOI.
rire de toute chose, railler tout ce que son père
put lui enseigner de bon, la simple foi de sa mère,
le sérieux de son mari, lui faire croire qu'il faut rire
de tout et que rien n'est sûr ici-bas.
Il faut qu'elle ait une foi, — et que ces légèretés
perfides et intéressées ne trouvent en elle que le
dégoût, qu'elle leur oppose le sérieux, la douce
fermeté d'une âme qui a par devers soi une base
fixe de croyance, enracinée dans la raison, dans la
simplicité du cœur, dans la voix concordante, una-
nime, du cœur des nations.
Il faut que de très-bonne heure le père et la mère
soient d'accord, et que, sous les formes successives
où Thistoire, sçlon son âge, lui sera administrée,
elle en sente toujours l'accord moral et l'unité
sainte.
Sa mère, sous forme lactée, je veux dire par le
doux milieu d'un langage approprié à sa faiblesse,
lui en aura conté d'abord quelques grands faits
capitaux qu'elle écrira à sa manière. — Son père,
dans l'âge intermédiaire (dix ans? douze ans?) lui
aura fait quelques bonnes lectures choisies d'é-
crivains originaux, tel et tel récit d'Hérodote, la
Retraite des dix mille, la Vie d'Alexandre le Grand,
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L'HISTOIRE GOMME BASE DE FOI. 93
quelques beaux récits de la Bible, ajoutez-y l'Odys-
sée, et nos Odyssées modernes, nos bons voya-
geurs. Tout cela lu fort lentement, toujours dans
le même esprit, c'est-à-dire en lui montrant sous
ces différences extérieures de mœurs, d'usages,
de cultes, combien peu Thomme a changé. La
plupart des discordances ne sont qu'apparentes, ou
parfois nécessitées par des singularités de races ou
de climats. Le bon sens éclaire tout cela.
Pour la famille, par exemple, on sent bien
qu'elle ne peut être la même sous la fatalité physi-»
que de cette fournaise de Flnde où la femme est
une enfant qu on épouse à huit ou dix ans. Mais,
dès qu'on se place daiis un monde libre et naturel^
ridéal de la famille est absolument identique. Tel
il est dans Zoroastre, dans Homère, tel pour So-
crate (Y. l'admirable passage des Économiques de
Xénophon), tel enfm à Rome et chez nous. On
voit dans Aristophane que les femmes grecques,
nullement dépendantes, régnaient chez elles, et
souvent influaient puissamment dans l'État. On le
voit dans Thucydide, où, les hommes ayant roté le
massacre de Lesbos, mais se retrouvant chez eux le
soir en face de leurs femmes, se déjugèrent, ré*"
tractèrent cet ari^t.
Les lois nous trompent beaucoup. On croit par
exemple que, partout où le gendre paye le père, il
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n L'HISTOIRE GOMME BASE DE FOI.
y a achat de la femme, et qu'elle est esclave. U n'en
est rien. Cette forme de mariage existe encore en
Afrique, et c'est justement chez des tribus où la
femme, libre et reine, gouverne, et non l'homme
(Livingston). Ce prix n'est point un achat de la
femme,, mais une indemnité qui dédommage la fa-
mille du père pour les enfants futurs qui ne profi-
teront pas à cette famille, mais à celle où la femme
va entrer.
n est curieux de voir comment les sceptiques s'y
prennent pour créer des discordances, des excep-
tions à la règle, et dire qu'il n'est point de règle.
Les ennemis du sens moral et de la raiscm hu-
maine n'ont d'autre moyen que de chercher dans
les sources les plus suspectes des faits mal com-
pris.
n Mais, dit le père, où prendrai-je assez de péné-
tration pour m'orienter moi-même et pour guider
mon enfant parmi tant de choses obscures? »
La forte et simple critique se prend dans le
cœur plus que dans l'esprit. EUe se prend dans la
loyauté, dans la sympathie impartiale que nous de-
vons à nos frères du présent et du passé. Avec cela,
vous aurez beaucoup de facilité à distiniatr âan«
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I/HISTOIRË COMME BASE DE FOI. 95
rtiistoire le grand courant identique de la moralité
humaine.
Voulez-vous en croire quelqu'un qui a fait plus
d'une fois cette grande navigation? Voici ce qu'on
y éprouve : exactement la même chose qui arrive
au voyageur qui sort de la mer des Antilles ; Tin-
fini des eaux au premier coup d'œil ; au second,
sur le vert immense, une grande Fue bleue se des-
sine; c'est rénorme fleuve d'eaux chaudes qui tra«
verse l'Atlantique, arrive encore tiède à l'Irlande'
et qui, même à la pointe de Brest, n'est pas tout à
fait refroidi. On le voit parfaitement, et mieux en-
core sur la route on en ressent la chaleur.
Tel vous apparaîtra le grand courant de la tra-
dition morale, si vous portez sur l'histoire un re-
gard un peu attentif.
Mais bien avant qu'on arrive à cette haute sim-
{dification où Phistoire devient identique avec la
morale elle-même, je voudrais que ma jeune vierge
eût été doucement nourrie de lectures saines et vir-
ginales, empruntée surtout à l'antiquité, même au
primitif Orient. Comment se feît-ii qu'on ne mette
aux inaina des enfants que les livres des peuples
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90 L'HISTOIRE COMME BASE DE FO .
vieux, tandis qu'on leur laisse ignorer Tenfance, la
jeunesse du monde? Si Ton recueillait quelques
hymnes vraiment éthérés des Védas, telles prières,
telles lois de la Perse, si pures et si héroïques, en
y joignant plusieurs des touchantes pastorales bi-
bliques (Jacob, Ruth, Tobie, etc.), on donnerait à
la jeune fille un merveilleux bouquet de fleurs,
dont le parfum, de bonne heure respiré et lente-
ment, imprégnerait son âme innocente et lui reste-
rait toujours*
Point de choses compliquées de longtemps. Loin^
loin les Dante et les Shakespeare, les sophistes et
les magiciens de la vieillesse du monde. Plus loin,
les rottians historiques, funeste littérature, qu'on
ne peut plus désapprendre et qui fait solidement
ignorer l'histoire à jamais*
Je veux des chants de nourrice, comme l'Iliade
et l'Odyssée. Celle-ci est le livre de tous, le meil-
leur pour un jeune esprit. Livre jeune aussi, mais
si sage I
Du reste, pour savoir les livres qui lui vont^ il
faut les classer par le degré de lumière qui les
ëdaire et les colore. Chaque littérature semble
répondre à quelque moment du jour. Hérodote,
Homère^ ont partout comme un reflet du matin,
et il en reste daiis tous les souvenirs de la Grèce.
L'aurore semble toujours luire sur ses monuments.
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L'HISTOIRE COMME BASE DE FOI. 97
C'est partout une transparence, une sérénité mer-
veilleuse, une gaieté héroïque qui gagne et fait rire
Tesprit.
Dans les poèmes et drames indiens, modernes
relativement en comparaison des Védas, il y a
mille choses qui raviraient Timagination de Ten-^
fanl, charmeraient son cœur de fille I ... Mais je ne *
suis pas pressé. Tout cela a la chaleur languis-
sante de l'heure de midi. Ce monde de ravissants
mensonges a été rêvé sous Tombre des forêts fas-
cinatrices. A son amant bienheureux, je laisse la
volupté de lui lire Sakountala sous quelque berceau
de fleurs.
C'est le soir, c est dans la nuit, que semblent
avoir été écrits la plupart des livres bibliques.
Toutes les questions terribles qui troublent TeS-
prit humain y sont posées âprement, avec une
crudité sauvage. Le divorce de l'homme avec Dieu,
et du fils avec son père, le redoutable problème de
l'origine du mal , toutes ces anxiétés du peuple
dernier-né de l'Asie, je me garderai d'en troubler
trop tôt un jeune cœur. Que serait-ce, grand Dieu I
de lui lire les rugissements que David poussait dans
l'ombre, en battant son cœur déchiré des souvenirs
du meurtre d'Uri?
Le vin fort est pour les hommes et le lait pour
les enfants. Je suis vieux et ne vaux guère. Ce
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98 L'HISTOIRE GOMME BASE DE FOI
livre me va. L'homme y tombe, se relève, et c'est
pour tomber encore. Que de chutes! Comment
ferais-je pour expliquer tout cela à ma chère in-
nocente? Puisse-t-elle ignorer longtemps le com-
bat de Yhomo duplex ! Ce n'est pas que ce livre-ci
aie Ténervante mollesse des mystiques du moyen
, âge. Mais il est trop orageux, il est trouble, il est
inquiet.
Une des causes encore qui me feront hésiter de
faire trop tôt cette lecture, c'est la haine de la na-
ture qu'expriment partout les juifs. Us y craignent
visiblement les séductions de l'Egypte ou de Baby-
lone. N'importe. Cela donne à leurs livres un ca-
ractère négatif, critique, de sombre austérité, qui
pourtant n'est pas toujours pure. Dispositions
toutes contraires à celles que je veux chez l'enfant,
qui ne doit être qu'innocence, gaieté et sérénité,
sympathie pour la nature, spécialement pour les
animaux que les juifs fort cruellement nomment
d'un vilain nom : les velm. Puisse ma petite avoir
plutôt le doux sentiment du haut Orient qui bénit
toute vie*
Ma fille, lisons ensemble, dans la bible d la lu-
mière, leZend-avesta, la plainte antique et sacrée
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L'HISTOIRE GOMME BASE DE FOI. M
de la vache à l'homme pour liii rappeler ses bien-
faits. Lisons les fortes paroles, toujours vraies et
subsistantes, où Thomme reconnaît ce qu'il doit à
ces compagnons de travail, le fort taureau, le vail*
lant chien, la bonne terre nourricière. Elle n'est
pas insensible, cette terre, et ce qu'elle dit au la-
boureur restera éternellement. (Zend, n, 284.)
Être pur pour être fort^ être fort pour être fécond,
c'est tout le sens de cette loi, Tune des plus hunKA-
nes^ des plus harmoniques, que Dieu ait données à
la ten*e.
Chaque matin avant l'aurore, et quand rôde en-
core le tigre, partent les deux camarades, je veux
dire l'homme et le chien. Il s'agit du chien primitif,
de ce dogue colossal, sans lequel la terre alors eût
été inhabitable, être secourable et terrible qui,
seul, vint à bout des monstres. On en montra en-
core un à Alexandre, et il étrangla un lion devant
lui.
L'homme n'avait d'arme alors que la grosse et
courte épée qui est sur les monuments, et dont, face
à face, poitrine contre poitrine, on le voit poignar-
der le lion.
Tout le jour, il dompte la terre, sous la garde du
chien fidèle : il lui donne la bonne semence ; il
lui distribue les eaux salutaires, il la pénètre par
le soc, la réjouit par les fontaines; et lui-môme ré-
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iOO L'HISTOIRE COMME BASE DE FOI.
jouit son cœur de la bonne œuvre de la Loi : il en
revient sanctifié.
Compagne de cette grande vie de travail et de
danger, la femme, sa puissante épouse, la maîtresse
de maison, le reçoit au seuil, le refait des aliments
de sa main : il mange ce qu'elle lui donne, se laisse
nourrir comme un enfant. C'est elle qui sait toute
chose, les vertus de toutes plantes, celles qui
font fleurir la santé, celles qui relèvent le cœur. .
La femme est mage, elle est reine. Elle domp-
tera le vainqueur des lions.
Ce monde de Tancienne Perse est un monde de
fraîcheur : c'est comme la rosée d'avant Taube; j'y
sens circuler partout ces quarante mille canaux sou-
terrains dont parle Hérodote, veines cachées qui,
par-dessous, ranimaient la terre, et dérobaient les
eaux vives à la soif du brûlant soleil.
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XI
LA PALLAS. — LE RAISONNEMENT
Chère enfant, tu n'as guère été encore aux gale-
ries de sculpture. Ta mère les trouve trop froides,
et toujours nous montons plutôt à l'étage supérieur
du Louvre, au monde chaud, vivant, des tableaux.
Cependant, Tété surtout, c'est un lieu de noble
repos , de silence , où l'on pourrait méditer, étu-
dier, mieux que dans le musée d'en haut. Aujour*-
d'hui que certaine affaire retient ta mère à la mai-
son, faisons ensemble ce voyage au grave pays des
morts.
Les peuples, les écoles ne sont pas classés ici
comme au Musée des peintures. La haute et pure
antiquité s'y trouve trop souvent rapprocliée des
œuvres de la décadence. Rien ne se confond pour-
tant. Si fiers , si nobles , si simples , sont les vrais
enfants de la Grèce , qu'au milieu même des Ro-
6.
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102 LÀ PALLAS. — LE RAISONNEMENT.
mains, empereurs et sénateurs, ils éclatent, do-
minent, et ce sont les Grecs qui semblent les maî-
tres du monde. Les basses passions qui marquent
les bustes de l'Empire (les Agrippa, les Yitel-
lius, etc.) n'apparaissent pas encore chez leurs no-
bles devanciers. Une sérénité sublime est l'attribut
de ces fils de Fidéal. Leur firent a encore le reflet
dont Taurore illuminait le faite de Tacropole d'A-
thènes , tandis que leurs yeux profonds indiquent,
non la molle rêverie, mais la perçante intuition et
le mâle raisonnement.
Tu as lu les Vies de Plutarque ; tu cherches ici
tes grands morts, objets de ta prédilection. Ces bio-
graphies de la décadence , intéressantes et roma-
nesques , nous donnent une idée très-contraire au
génie de Tantiquité. Elles proclament le héros. Tin-
ironisent et le divinisent. Or, la beauté de la Cité
grecque , c'est d'être un monde héroïque où Ton ne
voit point de héros. Nul ne l'est, et tous le sont Par
la gymnastique du corps et par icelle de Fesprit,
tout citoyen doit obtenir Tapogée de sa beauté, at-
teindre la hauteur héroïque^ ressembler de très-près
aux dieux. D'une incessante activité, par les com-
bats, ou les disputes de la place et de l'école, par
le théâtre, par les fêtes qui sont des jeux et des com*
bats, l'honune évoque de sa nature tout oe qu'dle
a de beau, de iort , se sculpte infatigablement à l'i*
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LA PâLLAS. - LE RAISONNEMENT. 105
mage d'Apollon, d'Hercule, emprunte Ténergie du
second, la svelle élégance de l'autre, sa haute har-
monie, ou les puissances méditatives de la Minerve
d'Athènes.
Les Grecs naissaient*ils tous beaux? On serait bien
fou de le croire. Mais ils savaient se faire beaux.
« Socrate naquit un vrai satyre. Mais , du dedans
au dehors, il se transforma tellement, par cette
sculpture de raison, de vertu, de dévouement , il
refit si bien son visage, qu'au dernier jour, un Dieu
s'y vit, dont s'illumina le Phédon. »
Entrons dans cette grande salle où l'on voit au
ibnd le colosse de la Melpomène, et, sans aller jus-
qu'à elle, arrêtons-nous un moment devant cdui de
la Pallas. C'est une sculpture des temps romains,
mais copiée d'une Pallas grecque, de celle de Phi-
dias peut-être. On y trouve précisément l'expres-
sion des figures connues de Périclés, de Thémis-
tocle. Pour la nommer de son vrai nom, c'est la
pensée, c'est la sagesse, ou plutôt la réflexion.
R^échir, c'est retourner sa pensée vers elle-
même, la prendre pour son propre objet, la regar-
der comme en un miroir. 11 faut fictivem^t qu'elle
se double, et que la pensée regardante fixe la pen-
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104 LA PALLAS.— LE RAISONNEMENT.
sée regardée, Tétende, la développe par l'analyse du
langage , ou par le langage intérieur du raisonne-
ment muet.
Le haut génie de la Grèce, ce ne fut pas Thabileté
des Ulysse et des Thémistocle qui les fit vainqueurs
de TAsie, ce fut cette invention des méthodes de la
raison qui fit d'eux les suprêmes initiateurs de Fhu'
manité à venir.
L'intuition poétique et prophétique , ce procédé
de rOrient , si sublime dans les livres juifs , n'en
suivait pas moins une voie scabreuse, pleine de
brouillards et de mirages. Elle était fatale d'ail-
leurs, dépendant du hasard tout involontaire de
rinspiration.
A ce procédé obscur, la Grèce substitue un art
viril de chercher et de trouver, d'arriver avec certi-
tude en pleine lumière par des voies connues de
tous, où Ton peut passer, repasser, et faire toute
vérification. L'homme devient son fabricateur et
Fartisan même de sa destinée. Quel homme? un
homme quelconque, non l'élu, non le prophète, noa
le rare. favori de Dieu. Avec les arts de la raison,
Athènes donne à toute la terre les moyens de
Tégalilé,
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LA PâLLàS. — LE RÂISONNëUENT. 105
Jusque-là , rien de lié. L'aveugle élan du senti-
ment, des essais de réflexion, mais qui avortaient
bientôt. Tout décousu, tout fortuit, rien de régu-
lier.
Jusque-là tout le progrès par secousses et par
saccades. Point d'histoire possible en réalité du
mouvement du genre humain. L'Asie est peu histo-
rique. Ses rares annales donnent des faits isolés,
dont on ne peut tirer de conclusion. Que conclure
de choses fatales et que la sagesse ne sait diriger?
Mais du jour où la raison devient un art, une
méthode, du jour où la vierge Pallas enfante , dans
sa forme pure , la puissance de déduction et de
calcul, une génération régulière non interrompue
existe pour les œuvres humaines. Le fleuve coule,
ne s'arrête plus, et de Selon à Papinien, et de So«
crate à Uescartes, et d'Archimède à Newton.
Elle est en toi, comme en nous tous, enfant, cette
grande puissance. Il ne faut que la cultiver. Je ne
demande pas que tu l'appliques aux sujets les plus
abstraits , que tu traduises Newton , comme une
femme célèbre de l'autre siècle. Je ne demande pas
qu'au milieu d'un cercle d'hommes attentifs et d'é-
lèves respectueux tu enseignes les hautes mathéma-
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KM LA PALLâS.— le RAISONNEMENT.
tiques, comme j'ai vu une dame le faire à GranviUe
en 1859. Hais je serais bien heureux si, dans les
traverses qui peuvent affliger ta vie tu pouvais trou-
ver un refuge vers œs hautes et pures régions.
L'amour du beau est chose tellement propre au
cœur de la femme, que se sentir devenir belle, c'est
pour se consoler de tout. La pureté , la noblesse,
rélévation d une vie tournée tout entière vers le
vrai, voilà un dédommagement de tous les bonheurs
de la terre. Qui sait? s'en souvient-on encore*^
Nous avons eu ce spectacle dans une admirable
enfant, la jeune Émilia, fille de Manin. Elle avait
été de bonne heure frappée des coups les plus
cruels, et de la perte de sa mère, et de la ruine de
son père, du drame tferrible de Venise dont elle eut
les contre-coups. L'exil et la pauvreté, la vie sombre
des villes du Nord, devaient achever. Mais le plus
terrible, c'est que cette souffrante image du mar-
tyre de rilalie, qui en eut tous les tressaillements,
subissait les accès meurtriers d'une cruelle ma-
ladie nerveuse. Eh bien, à travers tout cela, la
jeune vierge de douleur gardait sa pensée haute et
libre, aimant le pur entre le pur, l'algèbre et la
géométrie. C'est elle qui soutenait son père de
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LA PALLAS. — LE RAISONNEMENT. 107
sa noble sérénité. 11 consullail cette enfant, et,
même après qu'il Teût perdue , se réglait sur son
jugement, a II me semble, nous disait-il sur une
affaire patriotique, que ma fille doit m'approuver. »
Entre Dieu et la Raison , est-il une différence? il
serait impie de le croire. Et de toutes les formes de
l'Amour éternel (beauté, fécondité, puissance), nul
doute que la Raison ne soit la première , la plus
haute. C'est par elle qu'il est l'harmonie, l'ordre
qui fait prospérer tout, l'ordre bienfaisant, bien-
veillant. Dans la Raison qui parait froide, il n'est
pas moins TÂmour encore.
Nousne vivrons pas toujours pour t'aimerette
protéger. Peut-être, comme bien d'autres femmes,
seras-tu seule sur la terre. Eh bien, que le cœur
paternel te donne une protectrice, une patronne sé-
rieuse et fidèle qui ne te manquera pas. Je te voue
et te dédie, ô chère, à la Vierge d'Athènes, je veux
dire à la Raison !
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XII
LA CHARITÉ D'ANDRÉ DEL SARTÊ
Les esprits attentifs, je pense, ont pu saisir le
double fil des méthodes que j'ai suivies dans ces
trois derniers chapitres, méthodes également au-
stères, quoique l'une semblât ménager et caresser
la nature, et l'autre la contrarier. Du jour où ma
jeune enfant, au pas délicat des deux âges, se trouve
à son tour atteinte de cette maladie charmante qui
n'est autre que Tamour, j'ai employé concurrem-
ment deux médecines, non pour guérir, mais pour
modifier, transformer. Je ne veux pas frauder l'a-
mour, pour qui j ai le tendre respect qu'on doit
aux bonnes choses de Dieu, mais l'étendre et le
satisfaire mieux qu'il ne ferait lui-même, l'ennoblir
et le grandir vers les plus dignes objets.
On a vu qu'au moment de la crise (vers 14 ans),
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LA CHARITÉ D'ANDRÉ DEL SARTE. 100
OU plutôt un peu avant lorsque je la smtais venir,
j'ai employé des moyens qu'on peut dire homœofa-
thiquesy balançant et détournant le semblable par
le semblable. A l'émotion du sexe, j'ai donné pour
contre-poids Fémotion maternelle et le soin des petits
enfants.
Mais dans les années qui suivent , par un art
Mopathiqucj j'ai occupé son esprit d'études nou-
velles, de lectures pures et sereines. Dans la variété
amusante des voyages et des histoires, je lui ai fait
trouver elle-même la sérieuse base morale où sa
vie va s'appuyer : FunUé de la foi humaine sur le
devoir et sur Dieu.
Elle a vu Dieu dans la nature, elle le voit dans
rhistoire. Elle sent dans l'Amour éternel le lien de
ces deux mondes qu'elle étudiait séparés. Quelle
vive et tendre émotion !... Mais n'ai-je pas créé ici
moi-même mon propre danger? Ce jeune cœur
amoureux ne va-t-il pas délirer, et , sous ombre de
pureté, dans une sphère supérieure, suivre un
tourbillon d'orages non moins dangereux?
Tout dépend ici de sa mère. Aux premiers fré-
missements de la nature, l'enfant troublée, amollie,
était toute dans les bras maternels ; elle a trouvé là
non-seulement Içs vives caresses, mais les rêves
aussi. La femme est si attendrie quand son enfant
devient femme, qu'elle-même en redevient enfant
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110 LA GHARÏTÉ D'ÂNDRi DEL SÂRTE.
Elle craint pour l'objet adoré, alors chancelant, fra-
gile, prie et pleure, retourne aisément aux faiblesses
d'un mysticisme dônt^toutes deux peuvent être
énervées.' , • ' ' '
Et moi, alors, que deviendrais-je? que me servi-
rait, d'avoir donné à cette fleur Teau saine et forti-
fiante, si une faible mère devait la tenir attiédie
de lait et de larmes, et, ce qui est pis , languissante
des breuvages des empiriques ?
De tous les romans corrupteurs, les pires sont
les livres mystiques , où Time dialogue avec Tâme,
aux heures dangereuses d^un faux crépuscule. Elle
croit se sanctifier, et elle va s'attendri8sant,s'amol-
lissant, se préparant à toute faiblesse humaine. Ce
débat, rude et sauvage, violent, dans les livres juifs,
devient malsain, fiévreux, daQ3ceux du moyen âge.
Combien plus dans les copies, si tristement équivo-
ques ! Ma jeune âlle, qui, d'âge en âge, par une tout
autre voie, a moulé vèrâ l'idée do Dieu (du Dieu
fort, vivant; créateur), a moins à craindre qu'une
autre. Cependant, c'est à ce moment que j'ai cru
devoir Farmcr, abriter sa jeune tête de ce qui fait
fuir les songes, le lumineux casque d acier de la viaie
vierge Pallas. Le dialogue intérieur que je veux
commencer en elle , ce n'est peint du tout celui
d'une dangereuse rêverie, c'est l'austère convei'sa-
tion de la pensée, bien éveillée, avec la pensée elle-
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LA GHARifÉ B'ANDJIË BEI SA^I^tB. lit
Biéine. Là, plus haut i(|û^ le raisonnement, •■feReTia
aperçu la Raison. Au^ëssus des sphères de vie
qu'elle a tfaversêies, elle ô tu la sphère de cristal,
où ridée, en pleine luifnîèfe, est pénétrée de paî*t
en part. Et cela, si beau, si pur, qu'elle en a aimé,
adoré la Pureté pour elle-même*
Voilà l'amour qui chez elle a transfiguré l'amoui*,
et comment j'ai gardé son coeur.
Cela servira-t-il toujours? je ne dois pas m'en
flatter. Chère enfant ! ce n'est pas sa faute. C'est
celle de la nature, qui chaque jour l'enrichit de
forces, rembellitd'un luxe de sève, et fait d'elle un
enchantement. Vierge , pure et haute de cœur, de
digne et sage volonté , par cette pureté même il
semble qu'elle donne une prise plus forte à ces puis-
sances impérieuses. L'œil et la pensée sont au fiel,
son cœur est aux grandes choses, et son esprit ver-
tueux, qui sait se dompter lui-même, ne fuit point
l'abstraction. Mais voilà que bien souvent , au sein
de ces nobles études, quelqu'un (et qui donc? ) l'a-
gite; sa joue tout à coup se colore , ses beaux yeux
errent et se troublent, un flot de vie a monté, et
comblé son jeune sein.
Elle est femme... Que fiiire à cela? Elle rayonne
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M LA CHARITÉ D'ANDRÉ DBL SAIRTE.
tout autour d'une électricité charmante. Sous les
forêts de rÉquateur, Tamour, chez des myriades
d*étres, éclate par la flamme même, par la magie
des feux ailés dont sont transfigurées les nuits.
Naïves révélations, mais non plus naïves que le
charme innocent, timide, de la viei|[e qui croit ca-
cher tout. Une adorable lueur émane d'elle à son
insu, une voluptueuse auréole, et justement quand
elle a honte et qu'elle rougit d'être si belle, elle ré-
pand autour d'elle le vertige du parfum d*amour.
chère enfant , je ne veux pas , je ne peux te
laisser ainsi I Tu passerais comme une lampe. A
cette dangereuse fièvre où tu te consumerais, il
faut en mêler une autre, qui fera diversion. Une
dévorante puissance est en toi, mais je m'en vais lui
donner un aliment. J'aime mieux tout, fille chérie,
que te voir bràler solitaire. Reçois de moi un cor-
dial, une flamme qui guérit la flamme. Reçois (c'est
ton père qui verse) Famertume et la douleur...
Abritée de notre amour, enfermée de ta pensée,
de ton travail , tu ne sais guère ce qu'est le travail
du monde, Timmensitë de ses misères. Sauf un re-
gard sur l'enfant qui pleure et sitôt se console, tu
n'as pu soupçonner encore l'infini des maux d'ici-
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LA G9ARITÉ D'ANDBB DSL SARTE. 115
bas. Tu étais faible et délicate. Nous n'osions, ta
mère et moi, te mettre aux prises avec tant d'émo-
tions navrantes, mais aujourd'hui nous serions cou-
pables de ne pas te dire tout.
Alors, je la prends avec moi , et je la mène har^-
diment à travers cette mer de pleurs qui coule à
côté de nous , sans que nous y prenions garde. Je
lui dédiire le rideau, sans égard au dégoût physi-
que, aux fausses délicatesses. Regarde, regarde, ma
fille, \'oilà la réalité !.. En présence de telles choses,
il faudrait être doué d!une merveilleuse puissance
d'abstraction égoïste pour mener tout seul ses rêvés,
et son idylle personnelle, une navigation paresseuse
sur le fleuve dô Tendre et ses bords semés de fleurs.
Elle rougit d'avoir ignoré,* elle se trouble et elle
pleure. Puis , la force lui revenant , elle rougit de
pleurer et de n'agir pas ; la flamme de Dieu lui
monte. Et dès lors, elle ne nous laisse plus reposer.
Toutes les forces de l'amour, la chaleur de son jeune
sang, tournée vers la charité, lui donnent une acti-
vité, un élan, une impatience, une tristesse de faire
si peu. Comment la calmer maintenant? A sa mère
de la diriger, de la suivre, de la contenir. Car, de
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lU Là CHARITÉ D'ANDRÉ DEL ^[ARTE.
cet aveugle élan, elle pourrait se jeter dans des dan*.
gers inconnus.
L'ivresse de la charité et sa chaleur héroïque,
cette ravissante passion des vierges pleines d'amour,
elle n'a jamais été dite. Elle a été peinte une fois.
Un exilé italien , reconnaissant , ému au cœur de
la charité de la France, nous fit cedon inestimable,
la plus chaude peinture ^ je enois, qui soit dans le
Musée du Louvre, flélas I comment laisser là, parmi
tant de vulgaires chefs-d'œuvre, celte chose de haute
sainteté! Et comment l'avoir altérée I Barbares!
impies! grâce h voua, œtte merveMle adorable, elle
a presque péri sur la toile* Mais dans mon ardent
souvenir elle est toujours âamboyaste, et jusqu'à
mon dernier jour, plus qu'aucune image pieuse elle
me gardera la chaleur.
Voici, sans y changer rien, la note grossière , in-
forme, que j'écrivais le 21 mai deniier, quand je l'ai
vue la dernière fois :
« Œuvre infiniment hardie. Ni convenance , ni
ménagement. On y sent ce temps terrible delà ca-
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LA GâÀRlTÊ D'ANDUÉ DEL SAETB. 115
tastrophede l'Italie. C'est quand on est mort plu-
sieurs fois qu'on peiut dire ou peindre ainsi.
« Avec cette belle mamelle pleine, c'est oaé
vierge et non une femme. Les femmes sojit .plus!
timides. Celle-ci n'a pas été domptée ; elle n'a rien
de sinueux, ne flotte à droite ni à gauche. BUe n'a'
ni peur, ni doute. Voilà de pauvres affamés. .. C|est
tout... EUe les nourrit.
« Il faut savoir qu'à cette époque, un .h(Hnme
traversant les Alpes, trouva un troupesiu immense
de milliers d'enfants , dont les parents; étaient
morts,, et qui broutaient à quatre psitles, conduits
par une vieille femme.
« Devant cette masse horrible de f^isèref: fie. ga-
ieté) une autre eût, pleuré , mais g^\ fui..^ CeUe-ci,
jeune^ héroïque, qui n'a peur pi dégoil^t :dc^;riQn , en
ramasse à pleines mains, etle& met à sp^iqamelle.
a Un est à ses pieds, fort majîgije, y,^ l^s cdtes
toutes marquées, il est recru, épuisé,, n'en- peut
plus, de fatigue et de somnieU, il e^t. iQmbé sur
une pierre. Comme elle n'a q^e d(Qux bvas, elle n'a
pris que deux enfants. Elle eç a;mis un kson sein,
son riche sein, gonflé de lait ; il est fn pleine jouis-
sance i sa bouche avide et flou^f ^ne (il y a; si loogr
temps qu'il pâtit! ) presse le beau |eiwo mamelon,
rouge de vie, rouge d's^ipour^ de sajç^ft.fjur et gé-
néreuxw^ — . J
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IM LA CHARITÉ D'ANDRÉ DEL SARTE.
« Qu'elle verse ce lait d'un grand cœur, d'une
superbe volonté I Un trait naïf témoigne bien la pré-
cipitation charmante avec laquelle elle a pris à elle
Tenfant affamé. Ce n'est pas là une nourrice. Elle
se l'est appliqué, tout comme il s*est présenté. Elle
le tient soulevé de la main gauche qu'elle lui a
passée dessous, avec une force délicate , sans son-
ger à la convenance. Mais qui donc oserait rire?..
On ne rit pas davantage de la négligence hardie
avec laquelle la jeune sainte, tout entière à la pas-
sion, a mis son bonn^ de travers.
a L'autre enfant qu'elle tient de la droite près de
la mamelle vêtue et qui attend impatiemment que
l'autre ait fait de la place, est plus grand, plus fort,
plus décent; j'allais dire, plus corrompu ; il a une
ceinture aux reins et ne montre pas son sexe ; il a
l'air craintif et flatteur déjà d'un petit mendiant; sa
bouche aiguë , frémissante, semble faire entendre
une stridente et âpre prière, qui lui fait serrer les
dents. H tient à la main, je crois, quelques grains
de mauvais raisin, d'aigre verjus ; il a hâte d'oublier
dans les doui^urs du bon lait sucré de la femme
ragacantenourriture.il n'en est pas loin; lèpre*
mier qui tëtte en a tant pris, que son corps est enflé
comme une sangsue. •
« Près d'elle, à terre, un réchaud, un feu rouge
de charbon, de braise, — mais si froid en eompa-
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LA CHARITÉ D'ANDRÉ DEL SARTE. 117
raison du feu qui lui brûle le cœurl...
a Elle bnile, et elle a un grand calme de force,
une ferme assiette héroïque, un trône dans la grâce
de Dieu. »
7.
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XIII
RÉVÉLATION DE L'HÉROrSHE
Frœbel a dans l'éducation des enfants une bien
heureuse exigence. Il lui faut pour les élever, indé-
pendamment de linstitutrice, une adorable demoi-
selle, accomplie, et justement la femme désirable à
l'homme... Qu'on remerciera les enfants I
Il veut que la jeune fille aille beaucoup aux éco-
les, seconde Finstitutrice, et en prenne les quali-
tés. — Celle-ci doit être soigneuse, aimante, intel-
ligente, d une patience infinie que donne seule la
tendresse. Les demoiselles qui l'aideront, seront
telles, ou peu à peu le deviendront par la grâce de
ce qui rend la femme capable de tout, Tamour des
en&nts, Tinstinct maternel. Faut-il qu'elles soient
parfaites? Dans ce but elles le deviendront... Heu-
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R&VÉLilTIOIf DE L'HËflOI31fE. M»,
reux eo&Ats qui sorpnt dans ces douee^ nmm I Et
combien ptu§^ heureux encore, T^manlqui va reœ-,
voir le plus divin d^ dMis du ciel.
Madame Necker est du même avis. Elle sent
«qu'on ne peut préparer l'épouse qu'en la faisant
d'abord mère. »
Ces pauvres petits qui n'ont rien, que de choses
ils peuvent donner à la demoiselle! Us lui don-
neront d'abord la connaissance de la vie, des réa-
lités, des misères, lui feront voir le monde au
vrai. Ils lui affermiront le caractère, lui feront per-
dre les mauvaises délicatesses. Elle ne sera pas la
bégueule, la dégoûtée, la renchérie, qu'on rencon*
tre à chaque instant. Elle deviendra adroite, cou*»
rageuse, sentira l'humanité sainte et la dignité de
la charité, n'aura pas les sottes pudeiu's de celles
qui n'en valent pas mieux ; on la verra calme et
noble faire les choses les plus vulgaires, nourrir, la-
ver, habiller, déshabiller, au besoin, ces innocents.
Une demoiselle sérieuse qui a ainsi tout à la fois
et ridéal de Tétude et le réel de la vie, s'affermit
par l'un et par l'aptre et prend un bon jugement.
Plus tard elle n^estimera pas un Monsieur i^ur se»
gants jaunes* ou sur sç6 chevaux, ses voitures. Elle
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lîO RÉfÊLATIOIl D£ L'HÉROISHC.
l'estimera par ses actes, parle cœnr et la bonté, nie
n'aimera qu'à bon escient, s'arrétant moins au de^
hors, mais voulant savoir le fonds : ce qu'on Ikit
et ic^ qu'on peut. *•
Supposez que par hasard il entre là un jeune
homme, qu'il la surprenne avec sa mère dans ces
saintes fonctions. Les enfants, un peu effarés de
rentrée du Beau monsieur, se serrent, se groupent
autour d'elle, derrière sa chaise, à ses genoux et
jusque dans sqs vêtements, d'où, rassurés, ils re-
gardent et montrent leurs têtes charmantes. Elle,
surprise et souriante, quoiqu'elle rougisse un peu,
croyez-vous qu'elle va aller se réfugier soiis sa mère?
Non, elle est mère elle-même; occupée de les rassu-
rer, plus occupée d'eux que de Félranger. C'est lui
qui se trouble, il voudrait se mettre à genoux, vou-
^ drait leur baiser lés mains. Il li'ose aborder la fille.
Il va à la mère : « Ah ! madame, quelle douce vue!
Charmante scène! Comment vous dire combien
mon cœur vous bénit I .. »
Puis il dit à la jeune fille : « Heureux, heureux,
mademoiselle, qui pourrait vous seconder!.. Mon
Dieu, que pourrais-je faire? »
Mais elle, tout à fait remise et nullement décon*
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RÉVÉLATION DE L'HÊROISHE. m
ceitée : ce Monsieur, cela est facile... La plupart
sont orphelins; trouvez quelques bonnes gens, sans
enfants, qui veuiltent bien recueillir celui-ci. Il a
cinq ans. Je ne puis le consoler... Oh! il lui faut
une mère, mais qui le soit tout à fait. . J'ai beau
faire, je suis trop jeune, trop loin de Tâge qu'a-
vait sa mère quand il Ta perdue. .. »
11 y a beaucoup d'hommes du monde, pour sen-
tir cela un instant, pour admirer en artiste la grâce
d'expression ou de pose que peut avoir la demoiselle.
Hais il n'y en a pas beaucoup pour s y associer de
cœur, et en garder* la durable et solide impres-
sion. La vie est variée, mobile ; elle les emporte bien
loin! Tout au plus diront-ils le soir : « J'ai vu une
chose charmante ce matin... C'était mademoi-
selle ***, un vrai tableau d'André del Sarte. Rien
déplus joli... »
Elle sait très-bien elle-même ce que valent ces
admirateurs, le peu de compte qu'on doit faire de
leurs légères émotions. D*autant plus elle se rejette
au saint des saints de la famille, d'autant mieux elle
s'y trouve et désire bien peu d'en sortir. Chaque
fois qu'elle entrevoit le monde, elle sent plus pro-
fondément la douceur de ce nid.
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m RËVËiATION DE i'HÉROISHE,
Petit, bien, petit I Et pourtant complète y est la,
vie humaine, dans ce charmant équilibre d une
mère qui ennoblit par le cœur les plus humbles
^ins, et d'un père sérieux dont la tendresse con-
tenue se trahit souvent malgré lui. A ces éclairs
pas^ipnnési, elle vibre la jeune fille, et, plus profon-
dément encore, elle est touchée de sa constance à lui
transmettre, chaque jour, ce qu'il a de bon et de
grand.
Elle est femme ; elle est heureuse d'avoir si près
trouvé un homine. Elle ne connaissait pas son père,
du moins autant qu'aujourdhui. Elle le voyait
tous les Jours, ^coûtait ses instructions, ses fortes
et brèves paroles. Hais elle n'en connaissait pas. le
profond et le meilleur. Chacun de nous est devenu
ce qu^ont voulu les circonstances, Texigence des
précédents, . de Téducation, la fatalité du métier.
Il a fallu sacrifier beaucoup à la position, aux
nécessités de famille. Et ainsi Thomme intérieur,
souvent tout autre et bien plus grand, reste au
fond presque étouffé. Dans la monotonie de la vie
vulgaire où tout cela dort, une vague tristesse ac-
cuse la sourde réclamation de cet autreyde ce meil-
leur mou Quel doux réveil est^^^e donc, plein de
chamie, quand cette jeune âme qui n'a rien su de
nos misères,, fait appel à ces puissances contenues,
à cette poésie captive, et lui demande secours,
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HÈVÉLilTION DE L'HÊROISHE. i39
quand^ tout entière i la famille, et t<mte craintive
du monde, elle se tourne uniquement vers son
père et semble lui dire :
« Je f écoute... Je n'aifoi qu'en toi!.. .1»
C'est sans nul dmite le mcmient sublime delà pa**
ternité^ le plus haut et le plus doux. Enfant par la
docilité, elle est femme par la chaleur et par la ten-
dresse avide dont elle reçoit toute chose. Comme
elle comprend vivemait tout ce qui est noble et
bon I Lui-même la reconnaît à peine : « Quoil dit**
il^ c'est là ma petite qui a allait pas à mon genou,
et qui me disait : Porte-moi !»
Voilà un ocBur bien attendri... Qu'il parle, qu'il
parleen cenioment... Oh! il sera éloquent! Je suis
bien tranquille là*dessu$ et n'ai pas^ le moindre
doute.
Profitons de ces belles heures, et de ces tête-à-
tète uniques. Je les vois qui se promènent entre
deux charmilles sombres qui ferment le petit jar-
din. Hs marchent d'un pas lâf et ferme, plus vite
qu'on ne ratten4rait de eette diaude saison de juil*
lel ; mais ils suivent le spouvement de leurs cœurs,
et de leur pensée. EUe qui sait le goât de son père,,
elle a fais dans ses cheveux noîfs quelques épis.
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12.4 RÊYÉLATIOU DE L'HÉROÏSME.
quelques bluets. Écoutons, le sujet est grave, il
s'agit du droit et de la justice.
Dès longtemps la jeune fille est préparée à le
comprendre; de bonne heure elle a suivi dans
rtiistoire lunanimilé des nations sur Tidée du
juste. Son père, dans la grande Rome, lui montra
le monde du droit. Mais ici il ne s'agit plus d'é-
tude, d'histoire^ de science. U s'agit de la vie
même. Il veut, dans la crise imminente, dans Ta-
mour qui va venir (violent peut-être, aveugle),
qu'elle garde une lumière de justice, dé sagesse et
de raison. Au fond la fenune est notre juge; son
charme, sa séduction, si elle est injuste et fantas*-
que, ne sont pour nous que désespoir. Elle jugera
demain, cette belle fille. Dans la fcurme la plus mo*
deste, d'un petit mot à sa mère, prononcé à demi-
voix, elle arradiera des larmes à tel qui ne pleura
jamais, — et tel peut-être en mourra.
Celle^ est si bi^ préparée et par Fexemple de
sa mèi^, et par lesJeçons de son père, par Tatmo-
sphère de raison où elle a vécu^ qu'elle se livrera
moins qu*uue autre aux caprices de son sexe. Maisy
pour la généralité, on peut dire le mot de Prou-
dhon : « La f^maieest ki désolation du juste, i»
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RÉVÉLATION DE L'HÉROÏSME. 125
Dites-lui, en efiet, si elle aime : « Sans doute, ce
préféré, vous lavez cru le plus digne? Vous aurez
découvert en lui quelque chose de bon, de grand? »
— Elle dira naïvement : « Je Fai pris, parce qu'il
w!a plu. »
En religion, elle est la même. EUe&it Dieu à
son image, un Dieu de préférence et de caprice,
qui sauve celui qui lui a plu. L'amour lui semble
plus libre quand il tombe sur Tindigne, celui qui
n'a pas de mérite pour forcer de l'aimer. En théo-
logie féminine, Dieu dirait : « Je f aiiiie, car tu es
pécheur, car tu n'as pas de mérite; je n'ai nulle
raison de t'aimer, mais il m'est doux de faire
grâce. »
Oh I que je remercie le père de lui enseigner la
justice, à celle-ci I c'est lui enseigner l'amour vrai.
Je le remercie au nom de tous les cœurs aimants
qui bientôt seront troublés d'elle, dépendront de
sa jeune sagesse, attendront l'arrêt de sa bouche.
Qu'ils sachent bien qu'éclairée ainsi elle n'appar-
tient qu'au plus digne, au méritant et au juste,
à l'homme surtout des œuvres fortes où son père
lui apprend à voir la haute beauté, je veux dire lai
justice héroïque. ■
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120 RÊVÉJ.ÀTIOÎÎ DE. L'Héroïsme..
Qu'est'fCe que c est, oelle justice? — Cest le droit
par-dessus le droit, et qui lui semble contraire,
rinjustiee de Décius qui découvrit qu'U était juste
que- le meillmr mourût pour tous, c'est le mystère
supérieur du dévouement, du sacrifice.
Jamais jusqu'à ce jour son père ne lui parlait de
son ten^s, du grand dix-neu^éme siècle, le plus
grand pour l'invention, mais l'un des plus riches
aussi en dévouements hér(ttques..Aujourd'hui, il lui
révèle ce côté sanglant, vénérable, du mondé où
elle a vécu tout en l'ignorant. Il lui dit la légende
d*ûr, les martyrs et morts et vivants. Grand jom*
pour un. jeune cœuri comme elle en est transfi-
gurée! comme elle rayonne, cette vierge! Et qui
alors ne la prendrait pour la figure de l'avenir ?
Non! elle est femme. Elle a pâli... et son effort
sur elle-même n'a pu retenir une larme... Cette
perle orieniale à roulé de ses beaux yeux.
Vous êtes payés, héros, qui, en mourant, en
donnant à la patrie tous vos rêves, aviez dit :
« Dans l'avenir, les vierges en pleureront. »
Mais assez, assez pour un jour. Une douce per-
sonne avance, lentement, en souriant, et les inter-
rompt. Elle est heureuse, cette mère, de voir le
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RÉVÉLATION DB L'BÉROISME. m
père et la fille dans une si étroite union. Elle les
contemple, les bénit. Elle dit: «Oh! la pauvre
petite I ... ce sera son meilleur amour. »
Mais voudra-t-^lle aimer ailleurs? Il a une prise
bira forte, ce père, ce maître, ce pontife, qui a
révélé l'héroïsme à un jeune cœur héroïque, et se
trouve avoir pénétré à ce qu'elle a de plus profond.
On ne parle bien des héros qu'en l'étant soi-même
un moment. Tel il apparaît en eflet à cette enfant
qui lui est comme suspendue. Il veut former son.
idéal, mais elle n'en voit d'autre que lui.
On àait l'amour enthousiaste que madame de
Staël eut pour son père, et je ne doute nullement
que cette jeune fille, alors toute nature, toute pas-
sion, puissante, éloquente, adorable, ne l'ait mis
au-dessus de lui. Elle le vit grand, et le fit tel, ou
du moins y contribua. Médiocre avant et après,
mais dans cette heure solennelle, jeune, handi et
transfiguré, il s'éleva à l'idée onéreuse de ^,
l'espoir infini de l'égalité. Il put changer, il put
baisser; elle aussi, par telle influence. M'importe,
le rêve de l'enfant, un moment réalisé, parcourut
toute la terre.
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m RÉYËLATION DE L'HÉROÏSME.
Ce lien est bien fort alors, si fort que tout autre
parait faible, triste, insuffisant. J'ai vu d*autres
demoiselles, moins connues, non moins éminentes,
pour qui ce premier sentiment semblait avoir fermé
le cœur. La suavité, la délicatesse, la profonde
intimité qu'on y goûtait, itô semblait plus pouvoir
se retrouver jamais. L'une avait son père presque
aveugle, et elle était sa lutnière; il voyait par elle,
elle aimait par lui. Pour Tautre, le monde avait
péri et son père seul exists^it. Elle assurait qu'avec
lui elle eût accepté . au pôle la plus profonde so-
litude. « Ne me parlez pas, disait^elle, du divorce
qu'on appelle mariage.»
Pour la nôtre dont il s'agit, c'est un sérieux de*
^oir de l'avertir de la destinée commune. Hélas 1
cette pure et tendre union ne peut être que pas-
sagère; la nature nous pousse en avant, et ne per-*
met pas à l'amour de revenir vers loi-même.
Opération diouloureuse, de séparer le cœur du
cœur, de calmer, d'harmoniser ce naïf élan de
l'en&nt, de l'amener à la sagesse :
c( Chère enfant, dans ce bel âge de vie puissante
et rayonnante qui te vivifie toute chose, une t'é-
chappe quKl faut bien te rappeler parfois, la mort I
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RÉVÉLATION DE L'HÉROÏQUE. 119
« Notre amour immortel poar toi n'y fait rien;
ta mère et moi, bientôt nous t'échapperons... Que
serait-ce, si, m' aimant trop, tu épousais en moi...
le deuil?... »
€( Ces derniers temps, Fintimité de l'initiation
morale, le bonheur profond que j'eus de te ré-
véler ce qui^fait la grandeur de l'homme, ont trop
ravi ton cœur, enfant, et le voilà mêlé au mien.
Tu m'as vu, tout à la fois, par ton illusion filiale,
jeune de l'éternelle jeunesse des héros que je ra-
contais, en même temps mûr, calme et sage, avec
le don que tu appelles la suavité de Tautomne.
Tout cela, jeune fille, n'est pas ce que Dieu veut
pour toi. Il te faut ce qui commence, non ce qui
finit. 11 te faut la sève âpre et forte de ceux qui
ont beaucoup à faire, en qui l'âge peut travailler,
diminuer, améliorer. Leurs défauts d'aujourd'hui,
souvent, sont des qualités d'avenir. Ta douceur
n'est que trop portée à chérir la douceur d'un
père... Je veux, je demande à Dieu pour toi l'é-
nergie d'un époux.
« Tu es encore jusqu'ici le commencement d'une
femme; une autre initiation t'attend et d'autres
devoirs. Épouse, et mère, et sage amie, consola-
trice universelle, tu es née pour le bonheur et le
salut de plusieurs.
« Prends donc un cœur ferme, ma fille, et cette
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130 KËVÉLATION DE IVHËROISME.
gaieté courageuse qu*on a quand on mardie au
devoir... Si mon cosur souffre à Renseigner ces
.sérieuses lois delà vie, il se porte haut cependant.. .
«( Existe-t-il cet amant que nous voudrions pour
toi? Je ne sais. Mais quoi qu'il arrive, Tamour
ne 4e manquera pas. Être mère, c'est le meil-
leur de Tamour, et tu le seras pour^ tous. Tous
reconnaîtront en foi le plus doux reflet de la
Providence. »
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LIVRE DEUXIÈME
LA FEMME DANS LA FAMILLE
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QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?— CELLE DE
RACE DIFFÉRENTE?
Avant de reprendre le fil de la jeune destinée
qu'a préparée le premier livre, jetons un coup d'œil
général sur le mariage, sur les questions physio-
logiques de races et de croisements.
L'amour est le médiateur du monde et le ré-
dempteur de toutes les races humaines. Qui dit Ta-
mour, dit la paix, la concorde et l'unité. C est le
grand pacificateur. Hostilités politiques, discor-
dances, intérêts contraires, tout cela n'est rien
pour lui. Il les efface et les surmonte, ou passe
outre, et rit, s'en moque. La diversité justement,
c est le moyen dont il se sert ; le contraste est un
attrait, l'inconnu un charme, un mystère, qu'on
8
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134 QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?
veut percer; Fétrangelé qui semblait devoir éloi-
gner, enfonce Taiguillon du désir.
Tous ceux qui ont été à Berne y ont vu le rude
portrait de Magdalena Nageli avec ses gros gants de
chamois. Forte femme et féconde mère, qui fut
aimée pour sa force. Fille d'un patricien de Berne,
elle faisait à la fontaine fa lessive de la femille avec
ses suivantes. Passe un jeune noble d une maison
toujours ennemie de la sienne, d*une hostilité sécu-
laire, comme celle des Montaigus et des €apulets
dans Romeo et Miette. Ce jeune homme s'arrêta,
en voyant cette belle fille battre le linge d'une main
de fer et le tordre d'un bras d'acier. Il comprit qu'il
sortirait d'elle une race d'hommes forts comme
des ours. Il courut sans s'arrêter à l'hôtel de son
ennemi, lui dit qu'il lui demandait son amitié et sa
fille, n'espérant pas en trouver une aussi fortement
trempée.
Les races les plus énergiques qui ont paru sur la
terre sont sorties du mélange ^éléments opposés
(qui semlrfaient opposés?) : exemple, le mélange
du blanc et de la femme nohre, qui donne le pro-
duit mulâtre, die vigueur extraordinaire; — ou,
tout au contraire, d'éléments identiques : exemples,
les .Perses, les Grecs, etc., <j[ùi' épousaient leurs
très-proches parentes. CTesl justement le procédé
par lequel on fortifie les dievaux de course ; ne leur
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CELLE DK RAiGË DIFFÉRENTE?. iSSr
permettant â*àutred épouses que leurs nobles sœurs,
on exalte en eux la sève héroïque.
Dans le premier cas, la puissance tient à ce que
les éléments opposés sont dautant plus avides. La
négresse adore le blanc.
Dans le second cas, elle vient de la parfaite har-
monie des semblables qui coopèrent. La spécialité
native s-accumule et augmente de mariage en ma-
riage.
Les races qu'on croit inférieures, ne paraissent
telles que parce qu'elles ont besoin d'une culture
contraire à la nôtre, et surtout besoin d'amour.
Qu'elles sont touchantes en cela, et combien elles
méritent le retour des races aimées qui trouvent
en elles une source infinie de régénération phy-
sique et de^'ajeunissementl
Le fleuve a soif des nuées, le désert a soif du
fleuve, la femme noire de Thomme blanc. Elle est,,
de toutes, la phis amoureuse et la plus génératrice,
et cela ne tient pas seulement à la jeunesse de son
sang, mm il faut aussi le dire, à la richesse de son
cœur. Elle est tendre entre les tendres, bonne entre
les bonnes (demandez aux voyageurs qu'elle a sau-
vés, si/souvent) Bonté, cest création; bonté, c'est
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m QUELLB FEMME AIMERA LE PLUS?
fécondité, c'est la bénédiction même de Tacte sacré.
Si cette femme est si féconde, je Fattribue surtout
à ces trésors de tendresse, à cet océan de bonté qui
s'épanche de son sein.
Afriea est une femme. Ses races sont des races
femmes, dit très-bien Gustave d'Eichthall. La révé-
lation de l'Afrique par la race rouge d'Egypte, c'est
le règne de la grande Isis (Osiris est secondaire).
Chez beaucoup de tribus noires de TAfrique cen-
trale, ce sont les femmes qui régnent. Elles sont in-
telligentes, autant qu'aimables et douces. On le voit
bien en Haïti, où, non-seulement elles improvisent
aux fêtes de charmantes petites chansons, inspirées
de leur bon cœur, mais font de tête, pour leurs af-
faires de commerce, des calculs fort compliqués.
Ce fut un bonheur pour moi d'apprendre qu^en
Haïti, par la liberté, le bien-être, la culture in-
telligente, la négresse disparait, sans mélange
même. Elle devient la vraie femme noire, au nez fin,
aux lèvres minces ; même les cheveux se modifient.
Les traits gros et boursouflés du nègre des cêtes
d'Afrique sont (comme la boursouflure de l'hippo-
potame) l'effet de ce climat brûlant, qui, par sai-
sons; est noyé de torrents d'eaux chaudes. Ces dé-
luges comblent les vallées de débris qui s'y putré-
fient. La fermentation y fait gonfler, lever, toute
chose, comme Idi pâte lève au four. Rien de tout cela
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CELLE DE RAGE DIFFÉRENTE? iS7
dans les climats plus secs de F Afrique centrale.
L'affreuse anarchie de petites guerres et la traite
qui désolent les côtes ne contribuent pas peu à
cette laideur, et elle est la même dans les colonies
d'Amérique avec l'abrutissement de Tesclavage.
Là même où elle resle négresse et ne peut affi-
ner ses traits, la noire est très-belle de corps. Elle
a un charme de jeunesse siiave que n eut pas la
beauté grecque, créée par la gymnastique, et tou-
jours un peu masculinisée. Elle pourrait mépriser
non-seulement Todieuse Hermaphrodite, mais la
musculeuse beauté de la Vénus accroupie (V. au
Jardin des Tuileries). La noire est bien autrement
femme que les fières citoyennes grecques ; elle est
essentiellement jeune, de sang, de cœur et de
corps, douce d'humilité enfantine, jamais sûre de
plaire, prêle à tout faire pour déplaire moins. Nulle
exigence pénible ne lasse son obéissance. Inquiète
de son visage, elle n'est nullement rassurée par
ses formes accomplies de morbidesse touchante et
de fraîcheur élastique. Elle prosterne à vos pieds
ce qu'on allait adorer. Elle tremble et demande
grâce; elle est si reconnaissante des voluptés qu elle
8.
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158 QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?
donne I... Elle aime, et, dans sa vive étreinte, son
cœur a pa^é tout entier.
Qu'on Taime, et elle fera tout, elle apprendra
tout. C'est la femme d'abord qu'il faut élever dans
cette race, et, par la force de l'amour, elle élèvera
l'homme et l'enfant. Bien entendu, une éducation
tout opposée à la nôtre. Cultivez d'abord en elle ce
qu'elle a tellement, le sens du rhythme (danse, mu-
sique, etc.), et par les arts du dessin, menez-la à la
lecture, au3L sciences et aux arts agricoles. Elles
raffoleront de la nature, dès qu'on la leur ensei-
gnera. Quand elles connaîtront vraiment la Terre
(si belle, si bonne, si femme), elles en tomberont
amoureuses, et, bien plus énergiquement qu'on ne
l'attend du climat, elles s'entremettront du mariage
entre la Terre et l'Homme. L'Afrique n'eut que l'Isis
rouge; l'Amérique aura l'Isis noire, un brûlant gé-
nie femelle, et pour féconder la nature, et pour ra-
viver les races épuisées.
Telle est la vertu du sang noir : où il en tombe
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CELLE DE RAGE DIFFÉRENTE? 139
une goutte, tout refleurit. Plus de vieillesse, une
jeune et puissante énergie, c'est la fontaine de Jou-
vence. Dans rAmérique du Sftid et ailleurs, je vois
plus d'une noble race qui languit, faiblit, s*éfteint;
comment cela se fait-il, quand ils ont la vie à côté?
Les républicains espagnols, vrais nobles et parfaits
gentilshommes, avaient été de meilleurs maîtres
que tous les autres colons; des premiers, ils ont
généreusement aboli l'esclavage. Eh bien, en re-
tour, cette bonne Afrique peut leur rendre la sève
et la vie. En présence du torrent trouble des na-
tions confondues qui se précipite sous le faux dra<
peau des États-Unis, il faut créer pour barrière un
puissant monde mulâtre. Ce Nord, répudié du Nord
même, émigrant, marchand, pirate, ne vous appor-
terait rien que violence et, stérilité.
Nous aimions les Ëtaès-Unis ; ce serait avec dou-
leur que nous les verrions avorter. Peu importent
leurs conquêtes, si lés mélangés étrangers, Tescla-
vage, l'alcool, l'argent, anéantissent ce qui fut
leur vie, leur âme. Ce n'est pas l'argent, c'est l'a-
mour qui fait et refait le monde, qui doue l'homme
et qui l'ingénié.
Voyez-vous la race Africaine, si gaie, si bonne et
si aimante? Du jour de sa résurrection, à ce pre-
mier contact d'amour qu'elle eut avec la race blan-
che, elle fournit k celles» un accord extraordinaire
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140 QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?
des facultés qui font la ferce, un homme d'intaris-
sable sève, un homme? non, un élément, comme un
volcan inextinguible ou un grand fleuve d'Amérique.
Jusqu'où n'eût il pas été sans l'orgie d'improvisa-
tion qu'il fait depuis cinquante ans? N'importe, il
n'en reste pas moins et le plus puissant machiniste,
et le plus vivant dramaturge qui ait été depuis
Sbakspeare.
Une source inconnue de beauté nous vient par la
race noire. La rose rose que jadis on admirait seule,
est peu variée pourtant, il faut l'avouer. Grâce aux
mélanges, nous avons les nuances si multiples des
innombrables roses thé, des roses plus délicates
encore qui se veinent ou se tintent de bleu léger.
Notre grand peintre Prud'hon n'a rien peint avec
plus d'amour que la belle dame de couleur qui
est au Salon du Louvre. Elle est dans le som-
bre encore, comme un mystère qui se débrouille*
Sa beauté sort du nuage. Ses beaux yeux ne sont
pas bien grands, mais profonds et pleins de pro-
messes. Le spectateur, qui peut-être y voit ce qu'il
a au cœur, se figure que celle nuit est enténébrée
de désirs.
Profonde et brâlaate peinture. Mais à un degré
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CELLE DE RAGE DIFFÉRENTE? Ut
plus clair, j'ai vu plus joli encore. L'hiver der-
nier, visitant un Haïtien ëminent, qui a marqué
dans les lettres autant que dans les affaires, je
fus reçu en son absence par une demoiselle aussi
modeste que charmante, dont la rare beauté m'in-
terdit. Une imperceptible nuance d'un délicieux li-
las mettait dans ses roses un mystère, une magie,
qu'on ne peut dire. Dans un moment, elle rougit,
et la flamme de ses yeux aurait ébloui les deux
mondes. .
Mille vœux pour la France noire I j'appelle ainsi
Haïti, puisque ce bon peuple aime tant celui qui fit
souffrir ses pères. Reçois tous mes vœux, jeune
État! Et puissions-nous te protéger, en expiation
du passé I Puisses-tu développer ton libre génie,
celui de cette grande race, si cruellement calomniée,
et dont tu es l'unique représentant civilisé sur la
terre ! — Tu n'es pas à moindre titre celui du génie
de la femme. C'est par tes charmantes femmes, si
bonnes et si intelligentes, que tu dois te cultiver,
organiser les écoles. Elles sont de si tendres mères
qu'elles deviendront, j'en suis sûr, d'admirables
éducatrices. Une forte école normale pour former
des institutrices et des maîtresses d'école (par les
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142 QUELLE FEMIE AIHEKA LE PLUS?
méthodes surtout, si aimables, de Frœbel), est la
première institution que je voudrais en Haïti.
Que la France a été aimée ! Et que je regrette en-
core Taccueil d'amour et d'amitié que nous trou-
vions chez les tribus de l'Amérique du Nord. Race <,
haute et fière, s'il en fut. C'est une vraie gloire
pour nous que ces hommes, d'un regard perçant et
d'une seconde vue de chasseur, nous ait préférés
pour leurs filles, et compris ce qui est réel, c'est
que le Français est un mâle supérieur. Comme
soldat, il vit partout» et comme amant, il crée
partout.
L'Anglais €t FAUemand, qui semblent forts, bien
nés, sont et moins robustes et bien moins généra-
teurs. Ils ne peuvent rien avec l'étrangère. Si la
femme anglaise, allemande, n'est pas là toujours
derrière, pour les suivre dans leurs voyages, leur
race finit. 11 ne restera rien bientôt de l'Anglais
dans l'Inde, pas plus qu'il na reste chez nous
des Francs de Clovis,.ni des Lombards en Lom-
bardie.
L'amour de la ferhme noire pour les nôtres est
tout naturel. Celui de la femme rouge, de l'In^
dienne américaine étonne davantage. Elle est se*
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CELLE DE RAGE DIFFÉRENTE? 145
rieuse, fière et sombre. Le Français, avecrsa gaieté,
quelquefois un peu légère, pouvait TefTaroucher.
Ses hautes facultés sibylliqùes ne semblaient guère
s'arranger avec nos joyeux danseurs, qui, jusque
dans le désert, avec un hiver de huit mois, dan-
saient aux chansons de Paris. Mais elles les sa-
vaient très-braves; elles les voyaient très-sobres^,
bons, aimables et serviables, devenant frères tout
à copp de ces tragiques guerriers. Cela leur faisait
trouver grâce devant elles. A Taudàce de nos étour-
dis, qui parfois abusaient de la solitude, si elles op^
posaient des refus, c'était par des mots délicats,
nobles et nullement blessants. On connaît celui
d une fille déjà engagée : c< L-ami que j'ai devant
les yeux m'empêche de te voir. »
EUes nous prenaient un peu comme des enfants
trop vifs, dont la mère, la sœur, peuvent parfois
souffrir un peu; mais elles ne nous aimaient pas
moins.
De ces amours, il reste encore des métis, franco-
indiens, mais dispersés, peu nombreux, qui se fon-
dront peu à peu. Elle périt, cette nbUe race. Qu'en
resftera-t-il dans cent ans? peut-être un buste de
PréauU.
Image amère (ohl si amèrc) que ce grand sculp-
teufdes tombeaux a saisie d'instinct^ avec une igno-
rance de génie, et qui reste pour conserver à l'ave*-
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i4l QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?
nîr la pauvre femme, la noble femme, de ces races
caricaturées par M. de Chateaubriand.
Il y a une dizaine d'années, un spéculateur amé-
ricain imagina d'exhiber en Europe une nombreuse
famille dlovays. Les hommes étaient magnifiques,
d'une beauté superbe et royale, dans leurs colliers
de griffes d'ours qui constatent leurs combats.
Trés-forts, n(m avec de gros muscles de forgerons
ou de boxeurs, mais avec d'admirables bras qui
semblaient des bras dé femmes. Un enfant de dix
ans aussi semblait une jolie statue d'Egypte, ac-
complie, de marbre rouge, mais d'un terrible sé-
rieux. On ne pouvait pas le voir sans dire : « C^est
le fils d'un héros. »
Ce qui consolait ces rots d'être montrés sur l'es-
trade comme des singes, c'était, je crois, leur mé-
pris intérieur pour la riche populace de beaux
messieurs qui étaient là à lorgner, légers, mobiles,
gesticulateurs, vrais singes dTurope.
La seule personne de la bande qui parût triste
était une femme, la femme d'un renommé guer-
rier, le Loup, la mèrexle l'enfant. Elle avait bien
souffert là*bas ! combien plus ici I Elle languit. Elle
mourut. Qu'est-ce que la France pouvait pour l'une
des dernières, hélas I de ces femmes infortunées
qui ont tant aimé la France? Rien, qu'un tombeau
qui conservât la flamme de ce géme éteint.
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CELLE DE RAGE DIFFÉRENTE? 145
L'antiquité (même juive) n*a jamais eu, ni connu,
ni rêvé, rien de si sombre. On sent un être supé-
rieur qui non-seulement a rencontré tout mal-
heur, toute douleur individuelle, mais souffert aussi
de n'avoir pas eu l'expansion légitime de sa race.
Douleur souterraine, immense, de ce monde amé-
ricain. Flottant dans la guerre étemelle du désert
et les guerres atroces (chasse à Tours etx^hasse à
Tbomme), il n'a pas pu arriver à se révéler tout
à fait. Puis s'est dressée devant lui la force pro-
saïque de la vieille Europe, avec le fusil, Talcool,
toute machine de surprise ou de combat.
Elle est en face de tout cela, cette femme, comme
un sphinx âpre et amer... Et pourtant, sous cette
amertume, ohl quel cœur de mère et de femme I
Combien aisément celle-ci, dans les longues fa-
mines d*hiver, eût, pour nourrir sa couvée, coupé
sur son corps des morceaux sanglants I Avec quelle
joie, pour la sauver, elle se fût fait brûler vive
par la tribu ennemie! Et quel insondable amour
aurait pu trouver en elle le héros qu'elle eût pré-
féré!
On sent bien, en la regardant, l'infini mysté-
rieux qu'elle a caché de fierté, de silence. Sa vie
fut aussi muette que sa mort. Toutes les tortures
du monde, pas plus que l'aiguillon d'amour, n'en
auraient tiré un soupir. Elle n'a pas perdu la pa-
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14« QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?
rôle. Elle parle, comme elle parlait, par Texpres-
sion saisissante de l'étrange monde ënigmatique et
ténébreux qu'elle contient.
Étrange, mais nul plus grand peut-être dans la
région des Esprits.
MOOERN LANGUAGES
FACULTY LIBRARY
OXFORD.
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II
QDELLE FEMME AIMERA LE PLUS? — CELLE DE
MÊME RACE?
L'Amour a son plan pour la terre. Son but serait
d'en mêler, d -en fondre toutes les races dans unim*
mense mariage. Ainsi de la Chine à Tlrlande» du
pôle nord au pôle sud, tous seraient frères, beaux**
frères, neveux. On connaît les parentés écossaises,
par exemple les six mille Campbell, tous cousins.
Il en serait de même pour Fhumanité. Nous ne
ferions plus qu un seul clan.
Beau rêve ! mais nous ne devons pas y céder trop
facilement. Dans une telle unité, où le sang de
toutes les races se trouverait mêlé ensemble,
en supposant, chose difficile, qu'il s'en flt une har-
monie, je crois qu'elle serait très-pàle. Un certain
élément neutre, incolore, blafard, en résulterait.
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148 QUELLE FEMME AIMEKA LE PLU^?
Un nombre immense de dons spéciaux, très-exquis,
auraient péri. Et la victoire définitive de Tamour,
dans cette fusion totale, serait fatale à Tamour
même.
Un livre fort et raisonné sur Fart des croisements
humains nous serait bien nécessaire. Il ne faut pas
croire qu'on puisse faire impunément ces mé-
langes. Faits d'une manière indiscrète, ils abaissent
les races, ou avortent. Ceux qui réussissent n'ont
guère lieu qu'entre des races sympathiques, qui
peuvent sembler opposées, mais ne le sont pas au
fond. Du nègre au blanc, nulle opposition anato-
mique qui soit d'importance. Les métis vivent et
sont très-forts. Au contraire, entre le Français et
l'Anglais, qui semblent si proches parents, il y a,
dans le squelette même, une différence profonde.
Leurs métis ou, sont peu viables, ou sont nains,
ou, dans l'ensemble, offrent une discordance vi-
sible.
Entre te Français et l'Allemande, les résultats
varient beaucoup. Lui, il trouve un grand attrait
dans ce mariage. Sec, aduste, ardent d'esprit, il
jouit fort par contraste de cette fraîcheur morale.
La musique, le sens de la nature, une grande dé-
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CELLE DE MÊME RAGE? 149
bonnaireté, lui rendent la vie fort douce, quoique
peut-être un peu monotone. L'enfant (s'il y a en-
fant) ne vit pas toujours. Le plus souvent il est
faible, agréable. Rarement il conserve Tétincelle
paternelle. Ni Français, ni AUçmand, il devient
européen.
Je demandai un jour à un très-habile jeune
homme qui dressait des oiseaux savants à lire et k
calculer, si ses petits héros n'étaient pas ainsi sur-
élevés au-dessus de leurs espèces par des croise-
ments habiles, s'ils n'étaient point des métis? «Au
contraire, dit-il, ils sont de race très-pure, non
mêlés, non mésaÛiés. »
Ceci me lit réfléchir sur la tendance actuelle
que nous avons aux croisements, et sur la croyance,
souvent inexacte, que le métis, cumulant les dons
des deux éléments simples, est nécessairement su-
périeur.
Entre ceux de nos grands écrivains que j'ai pu
connaître, trois seulement sont des métis. Six sont
de très-purs Français. Et encore les trois métis n'é-
tant pas étrangers de père, mais seulement de
grands-pères, ont trois quarts d'éléments français,
une très-forte prédominance de la sève nationale.
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150 QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?
Une chose fort à considérer, qui semblera un
paradoxe, c'est que lesiemmes étrangères, de races
trés^Ioignées de nous, sont plus faciles à connaître
que les Européennes, surtout plus que les Fran-
çaises.
Si j'épouse une Orientale, je devine assez aisé-
ment ce que sera mon mariage. Là, on peut juger,
prévoir, par grandes classes (race, peuple, tribu),
ce que sera la femme d'Asie. Même en Europe, ce-
lui qui épouse une Allemande, qui se l'approprie,
la transplante, est à peu prés sûr d'avoir la vie
douce. L'ascendant de l'esprit français met toutes
les chances pour lui.
Mais les races où la personnalité est très-forte ne
peuvent pas rassurer ainsi. On dit que les Cir-
cassiennes désirent elles-mêmes être vendues,
sûres de. régner où qu'elles aillent, et de mettre
leur maître à leurs pieds. Il en est à peu près ainsi
de la Polonaise, de la Hongroise, de la Française,
énergies supérieures de l'Europe. Elles ont sou-
vent l'esprit viril, souvent épousent leurs maris,
bien plus qu'elles n'en sont épousées.
Donc, il faut les bien connaître, les étudier
d'avance, savoir si elles sont femmes.
La personnalité française est la plus vive, la plus
individuelle de l'Europe. Donc, aussi, la plus mul-
tiple, la plus difficile à connaître. Je parle surtout
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CELLE DE MËMB RAGE? 151
des filles. Les hommes difTèrent bien moins, mou-
lés qu'ils sont par l'armée, par la centralisation^
par un cadre d'éducation quasiidentique.
D'une Française à une Française, la différence est
infinie ; et, de la fille française à la même devenue
femme, grande encore est la différence. Donc, la
difficulté du choix n'est pas petite, — mais petite
est la prévision de l'avenir.
En revanche, quand elles se donnent et quand
elles persévèrent, elles permettent une communi-
cation plus réelle, je crois, et plus forte, qu'aucune
femme de l'Europe. L'Anglaise, une excellente
épouse, obéit matériellement, mais reste toujours
un peu têtue et ne change guère. L'Allemande, si
bonne et si douce, veut appartenir, veut s'assimi-
ler, mais elle est molle, elle rêve, et, malgré elle,
elle échappe. La Française donne une prise, la Fi*an-
çaise réagit ; et, quand elle reçoit en elle le plus
fortement vos pensées, elle vous renvoie le charme,
le parfum personnel, intime, de son libre cœur de
femme.
Un jour que je revoyais, après vingt années d'ab-
sence, un Français établi en pays étranger et qui s'y
était marié, je lui demandai en riant s'il n'avait pas
épousé quelque superbe rose anglaise, ou une belle
blonde Allemande. 11 répondit sérieusement, non
sans quelque vivacité : <x Oui, monsieur, elles sont
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ISS QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?
très-belles, plus éclatantes que les nôtres. Je les
compare à ces fruits splendides que les jardiniers
amènent au plus grand développement, les magni-
fiques fraises ananas. La saveur n'y manque pas,
et cela emplit la bouche ; on n'y regrette que le
parfum. J*ai préféré la Française, et celle du Midi
encore ; car c'est la fraise des bois. »
Quoi qu'il en soit de cette comparaison poétique
d'un nouveau marié, il reste sûr et certain que la
personnalité de la Française est très-forte en bien
et en mal. Donc, les mariages en France devraient
être circonspects, préparés par une étude sérieuse.
Et c'est le pays de l'Europe où Ion se marie le
plus vite.
Cela ne vient pas uniquement des rapides calculs
d'intérêts, qui, une fois arrangés, entraînent la
conclusion du mariage ; cela tient au grand défaut
de la nation, l'impatience. Nous avons hâte en toute
chose.
Je crois que le mal s'aggrave. A mesure que, dans
les affaires, nous devenons plus sérieux, il semble
que la précipitation augmente dans les choses du
cœur. Notre langue a perdu nombre de mots élé-
gants, gracieux, qui marquaient les degrés, les
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CELLE DE MÊME RAGE? 193
nuances de l'amour. Désormais, tout est bref et dur.
Le fond du cœur n'a pas changé ; mais, ce peuple
surmené par les guerres, les révolutions, la violence
des événements, est trop tenté de voir en tout une
exécution, un coup de main. Le mariage de Romu-
lus, par enlèvement, n'aurait que trop plu à ceux-ci.
n leur faut des razzias. C'est, je dirais presque, le
viol par contrat. Les victimes en pleurent parfois,
pas toujours; elles s'étonnent peu, en ce temps de
loteries (loteries de bourse, de guerre, de plaisir,
decharilé, etc.), d'être aussi mises en loterie. Le
lendemain, il n'est pas rare que ces mariages fortuits
vous démasquent brusquement comme une batterie
imprévue d'irréparables malheurs , de ruine et de
ridicule, qui vous frappent en pleine poitrine.
Physiologiquement, de telles unions, souvent
impossibles, créent des avortons, des monstres, qui
meurent ou qui tuent leur mère, qui la rendent
malade à jamais, enfin qui font un peuple laid.
Moralement, c'est bien pis. Le père, en mariant
ainsi sa fille, n'ignore p^s la consolation qu'elle ac-
ceptera bientôt. Le mariage, dans ces conditions >
constitue, régiidarise l'universalité de l'adultère , le
divorce dans l'intimité, trente années souvent d'en-
mii, et dans la couche conjugale un froid à geler
le mercure.
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154 QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?
Nos paysans d'autrefois tenaient fort à épouser
celle qu'ils connaissaient le mieux, la parente. Pen-
dant tout le moyen âge, ils ont lutté contre FÉglise,
qui leur défendait la cousine. La défense, d*abord
excessive (jusqu'au septième degré, plus tard jus-
qu'au quatrième), n'existe plus réellement ; on a,
tant qu'on veut, dispense pour épouser et sa cou-
sine germaine, et sa nièce, et la sœur de sa pre-
mière femme. Qu'arrive-t-il? c'est que, maintenant
qu'on en a la facilité, très-peu de gens en profitent.
Les casuistes, esprits faux qui presqu'en tout ont
eu Fart de trouver Tenvers du bon sens, disent
plaisamment ici : c( Si Tamour du mariage s'ajoute
à l'amour de la parenté, cela fera trop d'amour. »
L'histoire dit précisément que c'était tout le con-
traire. Chez les Hébreux, qui d'abord avaient le ma-
riage des sœurs, on voit que les jeunes gens, loin
de s'en soucier, cherchaient hors de la famille,
hors du peuple même, couraient les filles philis-
tines. Chez les Grecs, où l'on pouvait ^ouser la
demi-sœur, ces mariages étaient très-froids, infi-
niment peu productifs. Solon se croit obligé d'écrire
dans la loi que les maris sont tenus de se souvenir
de leur femme, une fois seulement par décade. On
renonça au mariage des sœurs. Les Romains n'é-
pousèrent plus que leurs cousines.
En réalité, le mariage doit être une renaissance.
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CELLE DE MÊME RAGE? iSB
Le beau moment où la fiancée entre dans la maison
e noces manquait avec la sœur. Cette noble ci-
toyenne grecque, telle que nous la voyons encon^
aux marbres du Parthéron, elle n'entrait pas dans
cette maison ; elle y était dès sa naissance, assise
au foyer paternel; elle représentait fidèlement l'es-
prit du père et de la mère, la vieille tradition con-
nue ; elle devait se prêter peu aux jeunes idées du
frère époux, à la mobilité d'Athènes* Toute magni-
fique qu'elle fût, elle était un peu ennuyeuse. La
race n*y perdait pas, ce fut la plus belle du monde,
mais Tamour y perdait trop; il renouvelait peu la
iamille.
La Grèce ne s'en souciait guère. Elle craignait la
fécondité. Elle ne voulait rien autre chose que for-
tifier le génie natif, en portant au plus haut degré
la vigueur de chaque lignée et son originalité pro-
pre. Elle visait — nullement au nombre, — mais
simplement au héros. Elle l'obtint et par la concen-
tration des races énergiques, et par un crescendo
inouï d'activité, qui. il est vrai, en peu de temps,
usa et tarit ces races.
Les éleveurs de chevaux de course n'ont pas
d'autre art que celui-là. C'est par des mariages per-
sévérants entre très-proches parents qu'ils créent
des spécialités étonnantes de bétes héroïques. En les
unissant entre eux, ils y accumulent la sève de raoe.
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156 QUELLE FEMME ÂIMERÂ LE PLUS?
Une persévérance d'un siècle dans cette voie finit
(vers 89) par produire Éclipse^ ce mâle des mâles,
cette flamme qui courait plus vite que la voix et le
r^rd, avec qui aucun cheval n'affronta plus le
concours, et qui, par ses quatre cents fils, pendant
vingt ans, emporta les prix de toute FEurope.
J'ai lu iout ce qu'on a écrit, dans les derniers
temps, sur cette matière. Ce qui paraît vraisem-
blable, c est que les mariages entre parents qui
peuvent affaiblir les faibles et les faire dégénérer,
fortifient au contraire les forts. J'en juge, non pas
seulement par l'ancienne Grèce, mais par la France
de nos côtes. Nos marins, gens avisés, qui vont
partout, connaissent tout, et ne se décident pas,
comme des paysans, par les routines locales, épou-
sent généralement leurs cousines, et n'en sont pas
moins une élite de force, d'intelligence et de beauté.
Le vrai danger, dans ces unions, c'est un danger
moral. Il est réel pour tout autre que le marin,
affranchi, par sa vie errante, des influences trop
fortes du foyer. Ce n'est pas sans raison grave qtie,
de moins en moins, en France, on épouse les pa-
rentes (voyez la Statistique officielle). Par le charme
des souvenirs communs, ce mariage risquait de re-
tenir fortement l'homme dans les liens du passé.
La Française, particulièrement, qui influe par
9on énergie, par le bien qu'elle a apporté (car la loi
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CELLE DE MÊME RAGE? 157
la favorise plus qu'aucune femme d'Europe) ; si de
plus elle est parente, et appuyée des parents, peut
devenir au foyer un puissant instrument de réaction,
un sérieux obstacle au progrès. Imaginez ce que
peut être la double force de la tradition à la fois
domestique et religieuse, pour entraver, arrêter
tout. A chaque pas réclamation, discussion, tout
au moins tristesse, force d'inertie. Dès lors, on ne
peut rien faire, on ne peut plus avancer. — Un
joli Véronèse, au Louvre, exprime cela parfaite-
ment. La fille de Loth est si lente à quitter la vieille
cité qui s'écroule sur sa tête, que Tange la prend
par le bras, la traîne, et avec tout cela elle trouve
encore moyen de n'avancer point, disant : « At-
tendez seulement que j'aie remis mon soulier. »
Nous n'avons plus le temps, ma belle. — Reste là
en statue de sel, avec madame ta mère. Nous de-
vons aller en avant. — Mais non, nous n'irons pas
seuls. Laisse-toi porter seulement, si tu ne peux
pas marcher. La vigueur de l'homme moderne qui
entraine avec lui des mondes, pour t'enlever, faible
et légère, n'en sera pas bien retardée.
Si la parente na pas Téducstion spéciale qui
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158 QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?
Fassocie au progrès, il faut "pTétérer Y étrangère (je
ne dis pas Tinconnue).
II faut, dis-je, la préférer en deux cas où on la
connaît mieux que la parente même.
Le premier cas est celui que j'ai posé au livre de
YÀmoury lorsqu'on se crée soi-même sa femme.
C'est le plus sûr. On ne connaît bien que ce qu on
a fait. J'en ai sous les yeux des exemples.
Deux de mes amis, l'un artiste éminent, l'autre
écrivain distingué, fécond, ont adopté, épousé deux
jeunes personnes toutes neuves, sans parents, sans
culture aucune. Simples, gaies, charmantes, uni-
quement occupées de leur ménage, mais associées
peu à peu aux idées de leurs maris, elles ont, en dix
ou douze ans, eu leur transformation complète.
Même simplicité extérieure, mais ce sont intérieu-
rement des dames de vive intelligence, qui com-
prennent parfaitement lés choses les plus difficiles.
Qu'a-t-on fait pour arriver là? Rien du tout. Ces
hommes occupés et extrêmement productifs, n'ont
donné à leurs femmes aucune éducation expresse.
Mais ils ont pensé tout haut, à toute heure commu-
niqué leurs sentiments, leurs projets, Tintention de
leurs travaux. Et l'amour a fait le reste.
Le succès n'est pas toujours le même, je le sais.
Un de mes parents échoua dans une semblable ten-
tative. Il se choisit pour femme une enfant créole,
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CELLE DE MÊME RACE? 150
d'une classe bourgeoise et mondaine, avec une bell€-
mère coquette, qui de bonne heure gâta tout. Il
avait fort couru le monde, et alors était devenu fonc-
tionnaire, employé aux Finances. 11 rentrait triste
et fatigué. Il n'avait nullement l'entrain, Tardeur
lie ces grands producteurs qui, étant toujours en
travail, ont toujours beaucoup à dire et peuvent
vivifier incessamment un jeune cœur. Je reviendrai
sur tout cela.
L'autre cas est celui où, de deux hommes unis de '
cœur, de foi, de principes, l'un donne sa fille à
l'autre, une enfant élevée, formée dans ces prin-
cipes et cette foi. (Voyez plus loin le chap. IV.)
Cela supposerait un père tel qu'on Ta vu dans
notre premier livre, sur l'éducation. Cela suppo*
serait une mère. Deux phénix. Si on les trouvait,
à la seconde génération, on pourrait réaliser une
chose aujourd'hui impossible, et qui le sera moins
dans l'avenir : l'hypothèse de deux enfants élevés
Fun pour l'autre, non pas ensemble, mais dans une
heureuse harmonie, se connaissant de bonne heure,
se revoyant par moments, à de grands intervalles,
de manière à devenir leur rêve mutuel.
Tout cela (bien entendu), libre pour les deux
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100 QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?
jeunes cœurs. Mais avec un peu d'adresse, on crée,
on cultive Tamour. La nature est une si aimable
conciliatrice I V éducation en partie double semble,
au fond, la seule logique pour l'homme et la femme
dont chacun n'est qu'une moitié.
L'idéal oriental d*un même être divisé qui veut
toujours se rejoindre, c'est le vrai. Il faut compatir,
les aider, ces pauvres moitiés, à retrouver leur
parenté et refaire l'unité perdue.
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m
QUBL HOMME AIMERA LE MIEUX?
S'il est dans la vie de la femme une époque re-
doutable, c'est le mariage de sa fille. Le meilleur,
le plus doux mariage est pour elle le renversement
de l'existence. La maison hier était pleine, et la
voilà vide. On ne s'était pas aperçue de toute la
place qu'occupait cette enfant , on était trop habi-
tuée à un bonheur si naturel ; on ne s'aperçoit pas
non plus de la vie, de la respiration. Mais qu'une
minute seulement la respiration nous manque, on
étoufTe, on va périr.
Combien différente est la situation pour la mère
qui dit : <x Mon fils se marie, » et pour celle qui
dit : a Je marie ma fille. » L'une reçoit et l'autre
donne. L'une enrichit sa famille d'une aimable
adoption. L'autre, après le bruit de la noce, va
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162 QUEL HOMME AIMERà LE MIEUX?
rentrer chez elle si pauvre' Dîrai-je sevrée de sa
fille? dirai-je veuve de son enfant? non, on ne peut
pas le dire. Il faut regretter toujours un mot qui
manque à nos langues, ce mot grave, plein de
deuil : orba.
Ce qu'elle livre, c'est elle-même. Et c'est elle qui
va être bien ou maltraitée dans cette maison étran-
gère. Elle y vit d'imagination. Cet homme, amou-
reux aujourd'hui, comment sera-t-il demain?.,. Et
encore, lui-même, le gendre, c'est le plus facile.
Mais, comment sera sa famille, sa mère qu'il aime,
qui le gouverne, qui règne dans la maison? Que de
moyens elle aurait de désoler la jeune femme,
peut-être de la briser, pour peu qu'elle lui déplût !
Dijnc, la mère de celle-ci doit, pour protéger sa
fille, la ménager, lui faire sa cour.
Je comprends bien l'inquiétude, la vive préoccu-
pation de celle qui, la première fois, aperçoit son
futur gendre, je veux dire du moins le jeune homme
qui pourrait le devenir. Oh ! que je suis de moitié
dans ses sentiments intérieurs. Elle est souriante,
gracieuse, mais au fond combien émue I... Vrai-
ment, c'est sa vie ou sa mort. Ce jeune homme,
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QUEL HOMME AIMERA LE MIEUX? 163
quel est-il? son rival. Plus il sera aimable, aimé,
et plus il fera oublier la mère.
Moment curieux à observer, jamais la femme
n'est si intéressante. Ce combat d*émotions, con-
tenu, mais transparent, lui donne un charme de
nature dont on ne peut se défendre. Elle est belle
de sa tendresse et de son abnégation, belle de tant
de sacrifices. Que n'a-t-elle pas fait et soufTert pour
créer cette fleur accomplie ? Une telle fille, c'est la
vertu visible de «a mère, sa sagesse et sa pureté.
Comme toute femme, elle a pu avoir ses ennuis,
ses rêves ; et elle a tout repoussé avec ce seul
mot : « Ma fille I » Elle s'est tenue au foyer entre
Dieu et son mari, donnant ses belles années au
devoir, à la culture de cette douce espérance. Et,
maintenant, comment s- étonner si le pauvre cœur
bat si fort?... Il est, ce cœur, sur son visage, quoi
qu elle fasse, et par moments, il éclate, attendris-
sant, adorable, dans le rayonnement de ses beaux
yeux humides... Grâce, madame, soyez moins
belle I Ne voyez- vous pas qu'on se trouble et qu'on
ne sait plus ce qu'on dit?
C'est une tentation bien forte pour elle d'user de
ce pouvoir. Elle voit qu'il ne tient qu'à elle d'enve-
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le» QUEL HOMME AIMERA LE MIEUX?
lopper le jeune homme, d*en faire tout ce qu'elle
voudra. Elle deviendrait maîtresse absolue du futur
ménage, elle débarrasserait sa fille des influences
tyranniques de sa nouvelle famille. Elle lui ferait,
jour par jour (que ne peut une femme d'espri^ ),
un bon mari, doux, docile. Lui confier la^ chère
idole, avant d'étie sûre de lui, cela lui semble im-
possible. Il faut le conquérir, ce gendre. Et la
voilà, jeune encore, qui, à Tétourdi, se lance dans
d'imprudentes coquetteries. Elle croit pouvoir s ar-
réler, se retirer à volonté. Qu'arrive-t-il? Il perd la
tête, parfois veut des choses insensées, ou bien
s éloigne et se relire. Cependant le mariage es
annoncé, déjà publié, la demoiselle compromise.
Comment se tirer de là?...
Est-ce un roman que je fais? Non, c est ce que
j'ai vu plus d une fois, et ce que Ton voit fréquem-
ment. La mère aime tant sa fille que, pour la bien
marier, il lui arrivera de subir les plus étranges
conditions. Déplorable arrangement qui bientôt les
laisse tous trois pleins de tristesse et de dégoût.
Les plus sages, les plus raisonnables, ont pres-
que toutes ce défaut de chercher, de choisir un
gendre, comme pour elles, et non pour leurs filles,
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QUEL HaVME AIMERA LE MIEUX? 165
de consulter leur fantaisie, un certain idéal, plus
ou moins romanesque, que la plupart ont dans
l'esprit.
Double idéal, mais toujours faux. Qu'on me per-
mette de parler franchement.
EUes.aiment Ténergie mâle, la force, et elles ont
raison. Mais c^est beaucoup moins la force produc-
tive et créatrice, que lenergie destructive. Étran-
gères aux grands travaux, ignorant parfaitement ce
qu'il y faut de force d'âme, elles ne comprennent
de vaillance que les audaces éphémères qui suIUsent
aux champs de bataille, ef, croient, comme les en-
fants, que le beau, c'est de casser tout. Notez encore
que les braves en paroles, près d'elles, ont tout
l'avantage. Elles comptent peu le vrai brave qui se
tait, hausse les épaules.
Elles ne jugent pas plus sainement dans le doux
que dans le fort. Elles trouvent un grand attrait
dans celui qui leur ressemble, la poupée qui n'est
d'aucun sexe. Elles placent fort maladroitement un
petit roman sensuel sur celui qui n'est bon à rien,
unpage-fille, Chérubin, un berger dopéra-comique,
Némorin, plus femme quTstelle. Dans les romans
qu'elles écrivent, dit très-bien Proud'hon, elles
n'arrivent jamais à créer un homme, un vrai mâle ;
leur héros est un hotMne'femme. »
Maintenant, dans la vie réelle, et dans cette
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160 QUEL HOMME AIMERA LE MIEDl?
grande affaire où la mère choisit pour la fiUe, elles,
font comme dans leurs romans. Leur préférence
est souvent, presque toujours pour Y homme- femme,
le bon sujet qui pense bien. D*abord, elles sont
flattées de se sentir plus énergiques, vraiment plus
hommes que lui. Elles croient qu'elles le gouverne-
ront. En quoi souvent elles se trompent. Le fade
et doucet personnage est le plus souvent un matois
qui s*aplalit pour arriver, au dedans fort égoïste,
et qui demain paraîtra ce qu'il est, dur, sec et
&UX.
Madame, en chose si grave, où il s'agit de votre
vie, bien plus, de celle à qui cent fois vous sacri-
fieriez cette vie, me permeltez*vous de laisser les
précautions, les vains détours, de dire des paroles
vraies?
Savez-vous bien ce qu'il faut à votre charmanfe
fille, qui ne dit rien, ne peut rien dire... Mais son
âge parle, et la nature. Respectez ces voix de Dieu I
Eh bieni il lui faut un homme.
Ne riez point. Cela n'est pas aussi commun que
vous croyez.
Il lui faut un homme amoureux. — J'entends,
qui reste amoureux, qui le doive être toujours.
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QUEL HOMME AIMERA LE MIEUX? 167
Il lui faut un bras et un cœur, — un bras solide
qui l'appuie et lui aplanisse la vie, — un cœur
riche où elle puise, où elle n'ait qu'à toucher pour
voir Jaillir l'étincelle.
La femme est conservatrice. Elle désire la soli-
dité. Et quoi de plus naturel? Il faut un sol ferme
et sûr pour le foyer, pour le berceau.
Tout remue. Où trouverons-nous la fermeté que
vous voulez?
Nulle place, et nulle propriété, dans le temps où
nous vivons, ne peut promettre cela. Regardez, non
pas la France, non le continent, cette mer de sable,
où tout va et vient. Non, regardez Tile sainte de la
propriété, la vieille Angleterre. Si vous exceptez
cinq ou six maisons, et fort peu anciennes, toute
propriété a changé de main, et souvent, depuis
deux cents ans.
Une seule chose est solide, madame, et nulle
autre : la foi.
Il vous faut un homme de foi.
Mais j'entends : de foi active.
•( C'est-à-dire : un liomme d'action?» — Oui,
mais d'action productive ^ — un producteur, un
créateur. ^
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i68 QUEL HOMME AIMERA LE MIEUX?
Le seul homme qui ait quelque chance de stabi-
lité en ce monde, c'est celui dont la forte main en
fait le renouvellement, celui qui le crée, jour par
jour; — et, détruit, pourrait le refaire.
Les hommes qui ont cette action, qui, dans Fart
ou dans la science, dans l'industrie, dans les af-
faires, opèrent avec cette énergie, — peu importe
qu'ils formulent leur eredOy — ils en ont un.
Us ne sont plus dans les brouillards du vieux
fantastique, qui doutait des réalités et ne donnait
foi qu'aux songes. Ils croient fortement que ce qui
estj est.
« Belle merveille I » direz- vous. Oui, madame,
belle, et très-récente. C'est la foi aux choses prou-
vées, c'est la foi dans l'observation, dans le calcul,
dans la raison.
Voulez-vous savoir le secret du crescendo de
l'activité moderne, qui fait que, depuis trois cents
ans, chaque siècle agit, invente, infiniment plus
que le siècle qui précède? Cela tient à ce que, sous
nos pieds, s'affermit la certitude. La vigueur de
notre action augmente par la sécurité que nous
donne un sol plus solide. Au seizième, Montaigne
doutait. Je Texcuse encore; l'ignorant ne soupçon-
nait pas rafTermissement d'esprit que donnaient
déjà les grands jMrécurseurs. Pascal, au dix-sep«
tième, douta parce qu'il voulait douter; par Galilée
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QUEL HOMME AIMERA LE MIEUX? i69
et tant d'autres, le terrain était solide. Aujour-
d'hui, trente sciences nouvelles, bâties de milliards
de faits, observés et calculés, ont fait de ce terrain
un roc. Frappez du pied fortement; ne craignez
rien, c'est le roc inébranlable du vrai.
L'homme moderne sait ce qu'il veut, ce qu'il
fait et où il va.
Quels sont les sceptiques aujourd'hui ? ceux qui
ont intérêt à l'être, ceux qui ne veulent pas s'in-
former, ni savoir dans quel temps ils vivent; ceux
qui, se réservant toujours de varier, craignent
d'avouer qu'il y a tant de dioses invariables. Quand
ils professent le doute, je dis : « Combien votre
doute vous rapporte-t-il ? »
Est-ce à dire que les hommes actifs et productifs
de ce temps ont la connaissance complète de cette
trentaine de sciences qui font notre sécurité? Non,
ils en savent seulement les grands résultats, ils en
ont l'esprit, ils les sentent sous eux, et solides, cl
vivantes, ces sciences. A tout moment, s'ils se
baissent, ils reprendront dans la terre maternelle
de la vérité, une incalculable force.
Et voilà la vraie différence entre nos pères et
nous. Ils s'agitaient dans un marais, eau terreuse
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170 QUEL HOMME illMERÀ LE MIEUX?
OU terre aqueuse, et, comme leur pied glissait, ils
ne faisaient rien de leurs mains. Mais nous, comme
nous ne glissons plus, nous faisons beaucoup de nos
mains et beaucoup de notre esprit, beaucoup de
notre invention. Nous invenions dix fois plus que
le siècle de Voltaire, qui inventa dix fois plus que
le siècle de Galilée, qui inventa dix fois plus que
le siècle de Luther. Voilà ce qui nous rend gais,
quoi qu'il arrive, voilk ce qui nous fait rire, et
nous fait arpenter la vie d'un ferme pas de géants.
Quiconque se sent en puissance^ c'est-à-dire plein,
fort, productif, créateur et générateur, a un fond
inépuisable et de gaieté sérieuse (c'est la vraie), et
de courage, et d'amour aussi, madame.
Donnez cet homme à votre fille, un homme qui
soit toujours au-dessus de ses affaires, qui la mêle
à son action, qui l'entraîne en son tourbillon.
J'ose répondre qu'il aimera, et qu'à toute heure de
jour, de nuit (cet unique point contient tout), il
aura beaucoup à lui dire.
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IV
L'ÉPREUVE
Si Dieu m'avait fait naître fille, j'aurais bien su
me faire aimer. Comment? En exigeant beaucoup,
en commandant des choses difficiles^ mais nobles
et justes.
A quoi sert la royauté, si on ne l'emploie? 11 est
sans nul doute un moment où là femme peut beau-
coup sur Thomme, où celle qui sent sa valeur le
charme en lui faisant de hautes conditions, en
voulant qu'il prouve sérieusement qu il est amou-
reux.
Quoi, monsieur I toute la nature à ce moment fait
effort, tous les êtres montent d'un degré, le végétal
dans la fleur montre la sensibilité, le charme de la
vie animale, l'oiseau prend un chant divin, et dans
rinsecte Tamour s'exalte jusqu'à la flamme!... et
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172 L'ÉPREUVE.
VOUS pourriez croire que rhomine n'est pas tenu
de changer, d'être alors un peu plus qu homme?...
Des preuves! monsieur, des preuves I... Autre-
ment je me soucie peu de vos fades déclarations;
je ne vous demande pas, comme ces princesses
des romans de chevalerie, que vous m'apportiez la
tèle d'un géant ou la couronne de Trébisonde. Ce
sont là des bagatelles. J'exige bien davantage.
J'exige que, du jeune bourgeois, de l'étudiant vul-
gaire, vous me fassiez la créature noble, royale, hé-
roïque, que j'ai toujours eue dans l'esprit ; et cela,
non pas pour un jour, mais, par une transformation
définitive et radicale.
Quelle que soit votre carrière, portez-y un haut
esprit et une grande volonté. Alors, je prendrai
confiance, je pourrai vous croire sincère; et, à mon
tour, je verrai ce que je puis faire pour vous. Celui
qui ne peut rien pour moi, que Tamour même ne
peut soulever au-dessus de la prose, du terre à
terre de ce temps, Dieu me garde de l'avoir pour
mari I — Si vous ne pouvez changer, c'est que vous
n'êtes pas amoureux.
« Hélas I disent ici les mères, qu'adviendrait-il si
l'on osait tenir un si ferme langage ?. .. L'amour n'est
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L'ÉPREUVE. 173
pas à la mode, les jeunes gens sont si blasés, si
froids, ils trouvent partout tant d'occasions de plai-
sir, désirent si peu se fixer I . . . Les temps de la che^
yalerie sont aujourd'hui bien loin de nous. »
Madame, dans tous les temps, Thomme ne dé-
sire vivement que le difficile. Dans ces temps che-
valeresques, pensez-vous donc que le jeune écuyer
n*eût pas à discrétion toutes les serves du voisi-
nage? Dans le singulier pêle-mêle et l'entassement
confus de la maison féodale, le page avait à volonté
force filles, force demoiselles. Eh bien! la seule
qu'il voulût, c'était la plus fière, l'impossible, —
celle qui lui faisait la vie dure. Pour celle-là, dont
il n'avait rien, il voulait être un chevalier. Pour
elle, il allait mourir à Jérusalem et lui léguait son
cœur sanglant.
Aujourd'hui, la croisade est autre, elle est sur-
tout dans le travail et l'étude, dans l'effort immense
que le jeune homme doit faire et pour se creuser le
sillon d'une spécialité forte, et pour éclairer cette
spécialité par toute la science humaine. Tout se
tient, et, désormais, celui qui ne saura pas tout ne
peut savoir une chose.
Je vois d'ici, rue Saint-Jacques, par le hasard
10.
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174 L'ËPREUYË.
opportun de cette fenêtre entr ouverte, un jeune
homme matinal, qui n'a pas eu à se lever ; il a
V eillé cette nuit, mais n'en est pas plus fatigué.
Est-ce donc Fair du matin qui Ta si vivement re-
monté? Non, je crois que c'est une lettre qu'il lit,
relit, use et dévore. Jamais feu ChampoUion n'étu-
dia l'écriture trilingue avec plus d'acharnement.
Lettre de femme, à coup sûr. Elle est courte, mais
éloquente. Je me contente d'en donner ici une
ligne : a Maman, qui a mal à la main, me charge de
vous écrire, et de vous dire qu'on entend ici que
vous avanciez vos vacances et que vous passiez au
plutôt votre dernier examen. Réussissez et venez. »
Il ne faut pas oublier ce que c'est qu'un pauvre
jeune homme sur le pavé de Paris, n'en pas oublier
les tristesses, la langueur et la nostalgie. La science
est belle, à coup sûr, pour le maître, pour Tinven-
teur lancé au champ des découvertes, mais com-
bien sèche et abstraite, comme la prend l'étudiant I
Certes, les amis paresseux, légers, qui ne n^an-
quent pas d'arriver dans ces moments de tiédeur,
auraient belle prise... Mais la lettre est là. Pendant
la conversation de ces étourdis, il la voit du coin
de l'œil. Elle le tient| elle leiixe, elle lui vaut fièvre.
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L'ËPREUYE. 175
migraine, tout ce qui le dispenserait de sortir avec
eux ce soir. Ils s'en vont, et mon jeune homme se
met à relire sa lettre, à l'étudier sérieusement, dans
la forme et dans le fond, tâchant de voir par Fécriture
si la personne était émue, saisissant tel trait manqué
ou telle virgule oubliée comme chose significative.
Mais la même lettre, lue à telle heure, à tel moment,
est tout autre ; hier elle fut passionnée, aujour-
d'hui d'un froid parfait; orageuse un jour, l'autre
jour, on la croirait indifférente.
Je ne sais qui disait ne regretter rien de sa jeu-
nesse <x qu'un beau chagrin dans une belle
prairie. » Ajoutons la peine charmante qu'on a à
étudier, dôchiflTrer, interpréter décent façons l'écri-
ture de la bien-aimée.
« Quoi ! une jeune demoiselle hasarde d'écrire à
un jeune homme? » Oui, monsieur, sa mère le veut.
€ette sage mère veut à tout prix soutenir et garder
le jeune homme. Mais elle ne goûte nullement la
méthode anglaise, qui croit orgueilleusement qu'on
rapproche sans danger la flamme et la flamme. Les
Suisses, les hommes du Nord, allaient plus loin
dans leur grossièreté ; ils trouvaient bon que l'amant
passât des nuits avec la fiUe, qui, donnant tout.
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170 L'ÉPREUVE.
moins une chose, ne manquait jamais, dit-on, de
se lever vierge. Vierge ? peut-être, mais non pure.
Chaque nation a ses vices. Les races germaniques,
avant tout absorbantes et gloutonnes, sont d'autant
moins inflammables. Cependant, aujourd'hui, que
le régime lacté des Pamélas anglaises s'est telle-
ment chargé de viande, même de liqueurs alcoo-
liques, ces vierges sanguines et sumourries doi-
vent désirer elles-mêmes qu'on les garde mieux
et qu'on les défende de leurs propres émotions.
Je ne dis pas que parfois il ne faille donner aux
amants le bonheur de se rencontrer, de se parler,
de s'entendre. Mais ces communications trop fré-
quentes, quelque pures qu'on les suppose, auraient
un inconvénient, de précipiter leur amour, de les
brûler à petit feu et de les martyriser. Prolongeons,
s'il se peut, un si beau moment de la vie. Que les
lettres y suppléent, celles de la mère d'abord, et,
quand les choses avanceront, deviendront plus
sûres^ un mot parfois de la fille, écrit sous les yeux
de la mère.
Mais j'ai oublié de dire comment l'amour a com-
mencé.
Heureux ceux qui n'en savent rien! qui, ués au
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L'ÉPREUVE. 177
même berceau, nourris au même foyer, commen-
cèrent ensemble Tamour et la vie 1 comme Isis et
Osiris, les divins jumeaux, qui s'aimèrent au sein
de leur mère, et s'aimèrent même après la mort.
Mais la fable nous apprend qu'enfermés encore
dans leur mère, encore dans les ténèbres de leur
douce prison, ils mirent le temps à profit, que cet
amour si précoœ fut déjà fécond, et qu'ils créèrent
même avant d'être. Nous ne voulons pas pour les
nôtres que les choses aillent si vite que pour ces dieux
brûlants d'Afrique. Il faut une initiation, il faut de
la patience, il faut mériter d'être dieux, pour savou-
rer profondément le moment divin dans sa pléni-
tude.
Il est très-bon, il est charmant, qu'ils aient vécu,
joué ensemble, à trois ans, quatre ans, cinq au plus.
Au delà, je crois très-utile de séparer les deux sexes.
Qu'il l'ait vue petit, bien petit, qu'il ait joué avec
elle, quelque part qu'il aille, il se souviendra de la
jolie petite fille, — cousine? amie? je ne sais (à
quatre ans, on est tous parents), de la douce créa-
ture avec qui il était méchant, qu'il a souvent con-
trariée, — et il y aura regret, se rappelant sa
complaisance, son bon cœur, sa jeune sagesse. Tout
insouciant qu'il est, comme sont les petits garçons,
il lui reviendra parfois, avec le joli souvenir des
jeux, des goûters d'alors, quelque envie de la revoir.
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178 L'ÉPREUVE.
* Et, en effet, à la longue, quand elle aura douze
ans peut-être, il lareverra, mais plus sérieuse, déjà
n'osant plus tant jouer, dans le charme et la no-
blesse de cette première réserve que montre la
jeune demoiselle, assise près de sa mère aux fêtes
de famille. Béatrix des Portinari avait justement
douze ans, et portait une robe de pourpre (c est-à-
dire, d'un rouge violet), lorsque Dante la vit pour
la première fois. Elle lui resta au cœur avec cet âge
et cette robe, et jusqu'à la mort il la vit comme
une enfant reine, vêtue de lumière.
Que mon collégien emporte l'idée de sa petite
Béatrix. 11 est sauvé de bien des choses, de la vul-
garité surtout. Si le plaisir s'offre à l'enfant (ce qui
n'est que trop ordinaire) par quelque basse com-
plaisance, il en aura la nausée. Plus haut déjà est
son cœur.
Que deux ans, trois ans se passent, qu'il la
voie enjouée, jolie. L'accomplissement de cette
rose, la charmante vivacité de la Perdila de Shak-
speare, qui va, vient, aide sa mère, est bergère,
princesse à la fois, voilà un nouvel idéal qui gar-
dera mon jeune homme. Si des dames peu délicates
épient son premier sentiment, elles arriveront trop
tard. En les comparant, il dira : a Ma cousine est
bien autre chose I »
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L'ÉPREUVE. 179
Pétrarque, dans un très-beau sonnet, de naïve
confession, dit à sa Laure qu'elle est pour lui
un sublime pèlerinage vers lequel, lui pèlerin, il
marche toute la vie. Et il avoue cependant qu'aux
chapelles qui marquent la route, il fait halte, et fait
aux Madones de courtes prières. — Moi, je ne veux
point de chapelles, point de Madones de passage. .
Je veux qu'à chaque point de la route notre homme
voie au loin sa Laiire et ne s'en détourne pas.
Je me trompe, Laure elle-même veut qu'il ait
d'autres maîtresses. Elle n'en est pas jalouse et con-
sent de partager. Elle sait bien que le cœur de
l'homme a besoin de diversité. Elle sait qu'au Jar-
din des Plantes siège cette ravissante dame aux
belles mamelles, la grande Isis ou la Nature, qui
enivre les jeunes cœurs. Elle sait qu'aux écoles du
Panthéon et partout, son amant poursuivra d'amour
la vierge Justice. Bien plus, elle est de leur partie,
elle s'intéresse pour elles. Elle le prie, par sa mère,
de l'oublier, s'il se peut, pour ses sublimés rivales.
Beau moment, noble moment, où la femme garde
de la femme ! où cette jeune fille absente donne
courage à celui-ci dans l'étude, les privations!
Grand et très- grand avantage de prolonger les tra-
vaux si fructueux de ceit âge, de conserver l'énergie
au moment où elle est complèle, de tenir la coupe
pleine. La vie âpre, la sauvagerie d'étude qui fait
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180 L'ÉPREUVE.
les grandes choses, est bien autrement soutenue
quand ce Robinson de Paris peut dire, dans un
double alibi de toute vie basse et vulgaire : <k J'ai
ma maîtresse et ma pensée. »
a Mariage, c'est confession. » J'ai dit et répété
ce mot; il est très-vrai, très-fécond.
Oh I quelle chose délicieuse, émouvante et sauve-
gardante, d'avoir pour confesseur une fîUe de dix-
huit ans, à qui on est libre de dire, mais qui, elle,
est libre aussi de ne pas comprradre encore tout à
fait, et ne pas trop diriger. La mère s'attendrit par-
fois, et dit : c< N'est-il pas malade?... Je le croirais»
il est triste... Ajoute une ligne [four lui. »
11 est bien permis du moins au jeune homme de
conter h la demoiselle les aventures de son esprit,
les hauts, les bas, les espoirs, les joies, les tris-
tesses : a Hier, j ai appris cela... Cela m'ouvre un
monde... Il me semble que, dans cette voie, moi
aussi je trouverai... Aidez-moi, encouragez-moi 1 Je
serai un homme, peut-être. »
Savez- vous ce que je pense? Ce jeune homme est
un habile et un profond séducteur. C'est une très-
vive jouissance pour un cœur de femme de créer un
homme, de s'apercevoir, jour par jour, des progrès
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L'EPHEUVE. 181
qu'on lui fait faire. Dans la tiède vie du foyer de fa-
mille, d'une mère infiniment tendre, d'un père âgé
et très-bon, grande est la nouveauté pour elle de
s'associer peu à peu à la vie ardente d'un jeune
homme d'aventure, qui l'embarque sur son vais-
seau.
Elle se sent très-engagée. Elle a peur. Elle se re-
jette émue vers le sein maternel...
Un beau jour, elle Farrêle, elle l'étonné, en lui
écrivant : « 11 y a toujours plaisir à converser,
échanger des idées. Et tout ceci prouve suffisam-
ment votre esprit. . . Mais voire caur ? »
M
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COMMENT ELLE DONNE SON €ŒUR
d Que de choses invraisemblables dans le récit
qui précède I Un étudiant amoureux! un étudiant
qui prend sa maîtresse pour confesseur I un étu-
diant qui ne s'en tient pas à préparer ses examens I
un étudiant qui étudie I ... Oh I cela est trop absurdel
L'auteur ignore évidemment ce que c est que les
écoles. Il oublie ce temps si long qui doit passer
encore pour arriver au métier, pour acheter une
charge, se faire une clientèle, el€., etc. »
Vous m'éclairez. J oubliais que tous les jeunes
Français doivent être tous notaires, avoués, fonc-
tionnaires, plumitifset paperassiers, s'entasser indé-
finiment dans deux ou trois professions effroyable-
ment encombrées, dont le long noviciat fait qu'ils se
maiient très-tard, la plupart déjà usés.
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CpUMENT ELLE DONNJË SON CŒUR. 1«3
Qui fait cela ? C'est surtout la prudence des mères
qui veulent un gendre bien posé. Fonctionnaire est
pour elles synonyme de stabilité, — sur cette terre
de révolutions! — iVo^air^/ comme ce mot-là sonne
bien à leur oreille! c'est pourtant le plus souvent
l'homme d'avance obéré par l'acquisition de sa
charge.
C'est ainsi que l'aveuglement de l'esprit de réac-
tion , l'ignorance et la peur des femmes , font du
peuple le plus aventureux de la terre le plus sotte-
ment timide^ le plus inerte , le mollusque sur son
rocher. L'Anglais, l'Américain, le Russe, ont la
terre entière pour théâtre de leur activité. L'An-
glaise trouve naturel d'épouser un négociant de
Calcutta, de Canton. Elle suit son époux, officier,
dans les dernières iles de TOcéanie. La Hollandaise
également acceptera un marj de Java eu de Suri*
nam. La Polonaise ne craint pas , pour consoler
l'exilé» d'aller vivre en Sibérie ; la persévérance de
ces dévouements acréé, par delà Tobolsk, une admi-
rable Pologne qui parle mieux que Varsovie. Mais
prenons T Allemagne môme> qui chérit tant Tinté-
rieur ; vous la voyez se répandre au loin dans le$
deux Amériques. Partout où la famille est forte, elle
en est plus voyageuse » sûre de porter le bonheur
avec elle> L'Amour crée partout la patrie ; il Tétend,
il la multiplie. Avec l'Amour l'homme a des ailes.
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484 GOMMENT ELLE DONNE SON CŒUR.
Vous seuls en Europe ignorez que, si Ton ne vous
habille en soldats, vous êtes le peuple sédentaire,
le peuple prudent. Vous traînez où vous naquîtes ;
mais on périt fort bien sur place , dans votre vie
de loterie, dans vos tempêtes de bourse, et l'huître
même y fait naufrage. Voilà votre stabilité^ voilà les
positions sûres pour lesquelles le mariage s'ajourne
jusqu'à l'âge mûr, jusqu'à l'âge où la plupart, finis,
n'ont plus que faire d'amour.
La Gaule et la vieille France furent le pays de
l'espoir. On se fiait à l'avenir et on le faisait. On
aimait, on épousait jeune. A l'âge où ceux-ci, érein-
tés, font une fin et prennent femme, on avait déjà
depuis longtemps maison, famille et postérité.
Les enfants ne vivaient pas tous. Cependant ce
peuple gai, amoureux et prolifique, a mis partout
trace de soi. Nos Gaulois, aux temps anciens,
avaient fait je ne sais combien de peuples en Eu-
rope et en Asie. Nos croisés du douzième siècle
créèrent nombre de colonies. Nos Français du sei-
zième et du dix-septième, par leur énergie , leur
sociabilité facile, conquéraient le nouveau monde,
et francisaient les sauvages. Qui arrêta cela? Uni-
quement Louis XIV, qui, attaquant la Hollande, la
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GOHHEKT ELLE DONNE SON CŒUR. 185
donna à TAngleterre, dès lors maîtresse des mers.
Sans lui, nous aurions les deux Indes. Et pourquoi?
Nous étions aimés; nous avions des enfants partout.
Et les Anglais n'en ont nulle part (sauf un point ,
les États-Unis, où se porta, en corps de peuple,
toute la masse des puritains).
Songez à tout cela, jeune homme. Et, sur le pavé
de Paris, où vous avez tant ressources d'idées,
d'arls et mille moyens de vous faire un homme,
orientez-vous un peu, observez de tous côtés. Em-
brassez d'un regard hardi, sage, et Tensemble de
la science, et la totalité du globe, la généralité
humaine. Aimez, et aimez la même, une femme ai-
mante et dévouée, qui vous suive d'un grand cœur
et dans l'incertain de la destinée, et dans l'audace
inventive de vos courageuses pensées.
« Mais, monsieur, dit le jeune homme, veuillez
comprendre pourquoi nous devenons si prudents,
et d'une prudence de femmes. C'est qud les fem-
mes, les mères, nous font de telles conditions. Ces
belles lois qui, dans les partages, les égalent à
rhomme,les font riches etinfluentes, plus influentes
que le père ; car celui-ci peut n'avoir qu'une for-
lune engagée, en jeu, et hypothétique, tandis que
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IM COMHENT ELLE BONNE SON G(EUR.
celle de sa femme, souvent gardée par un contrat,
reste à part. Voilà pourquoi elle règne et fait ce
qu'elle veut. Elle tire ses garçons du collège, pour les
mettre je ne sais où. Elle donne sa fille à celui qui
lui plaît. — Moi, par exemple, qui suis-je? que
serai-je? ou que ferai-je ? Je ne le sais pas encore.
Gela dépend d'une femme. Je suis favorisé de loin ;
mais, de près, si je vais montrer la moindre au-
dace d*esprit, elle aura peur, cette mère, reculera,
gardera sa fille pour un homme posé et rangé. »
11 a raison, ce jeune homme. Une grande respon*
sabilitè , en ce moment, est à la mère. Elle a une
énorme puissance pour faire ou défaire. Un mot
d'elle peut opérer une profonde transformation, lie
héros peut se ranger^ devenir le bon sujet. D'autre
part aussi, sur ce mot, s'il lui afTermit le courage,
un cœur jeune, amoureux, d'un seul bond, peut
devenir grand.
Vous êtes femme et jeune encore, madame, mais
déjà dans cette seconde jeunesse où augmente la
prudence, où bien des choses ont pâli, où Ton se
défie de la vie. De grâce , n'imposez pas déjà tant de
sagesse à ceux-ci. N'exigez^pas que ce jeune homme
commence par la vieillesse. Vous Taimiez, vous
preniez plaisir à ses lettres enthousiastes. Eh bien,
acceptez-le lui-même, comme il est, jeune et cha*
leureux. Votre fille n'y perdra pas. Agissez un peu
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COMMENT ELLE DOKITE SON CŒUR. 187
pmnr elle. Consultez-la* Je parie qu'elle n'a pas tant
peur que vous. Et , au fond , elle a raison d'ôtre
courageuse. Ces âmes-là, au premier essor, peuvent
paraître excentriques par l'excès de leurs qualités.
Mais il feut qu'il y ait trop pour qu'un jour il en
resite ttssez. JMries bientôt elles arrivent à la véri^
table force. Ce sont elles qui, ménagées, donneront
l'idéal humain, de l'énergie dans la sagesse.
Voici nos jeunes gens rapprochés. J'aimerais h
m'arrêter sur ce moment ravissant, agité; iitquiet*
Au reste, cela ne se dit guère. On est toujours trop
au-dessous. On n*en saisit que la surface, le joli dé-
bat, ce doux semblant de dispute où se joue l'amour.
Il tient un peu de la guerre, et dans une foule d'es-
pèces, on ne s'approche qu'en tremblant. Il en est
ainsi de la nôtre. L'allure vive de la force étonne
un peu la demoiselle. Et, d'autre p^rt, le jeune
homme, pour peu qu'il aime vraiment, est dans une
crainte extrême qu'on ne se moque de lui.
' A tort. I-ia femme, la vraie femme, est trop tendre
pour être moqueuse. Notre demoiselle surtout, éle-
vée comme on a vu, n'est nullement la bavarde,
Teifrontée Rosalinde de Shakspélire; — pas davan^^
tage la rieuse étourdie, à tète vide, qu'on voit trop
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188 COMMëIST elle DONNE SON CŒUR.
souvent ici. Sa censure badine est légère ; une si
douce petite guerre ne serait pas même sentie de nos
jeunes gens à la mode. Mais celui-ci, moins blasé,
s'émeut, frémit aux moindres choses. D'elle, il ne
supporte rien. Il se trouble, répond de travers. Il
souffre. Et, au même instant, voilà qu'elle souffire
aussi. — Être sensible à ce point l'un pour Fautre,
n'est-ce pas de Tamour?
L'amour, qu'est ce? et comment vient-il?
Comme on a écrit là-dessus I et combien inutile-
ment! Ni le récit, ni Tanalysc, ny sert, ni la com-
paraison. L'amour est l'amour, une chose qui ne
ressemble à aucune.
Une comparaison ingénieuse est celle que fait
M. de Stendhal, celle du rameau qu'on jette aux
sources salées de Saltzbourg. Deux mois après, on
le retire changé, embelli d'une riche et fantastique
cristallisation, girandoles, diamants, fleurs de gi-
vre. Tel est l'amour jeté aux sources profondes de
l'imagination.
La comparaison allait à son joli livre, ironique et
sensuel, sur l'Amour. Le fond pour lui est fort sec;
c'est une pauvre biandie de bois, un bâton ; voilà
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COMMENT BLLE DONNE SON CŒUR. 189
le réel; et le reste serait le rêve, la broderie, de
vaine poésie, que nous y faisons à plaisir.
Excellente théorie pour stériliser à fond le plus
fécond des sujets. Théorie banale, en réalité, mal-
gré le piquant de la forme. Cest toujours la vieille
thèse : c< L'amour n'est qu'illusion. »
L'amour ! je n'ai rien trouvé de plus réel en ce
monde.
Réel^ comme seconde vue. Seul il donne la puis-
sance de voir cent vérités nouvelles, impossibles
à voir autrement.
Réel, comme création. Ces choses vraies, qu'il
voyait, il les faisait telles. Pour la femme, par
exemple, il est si doux d'être aimé, que, quand elle
s*en aperçoit, ravie et transfigurée, elle devient in-
finiment belle. Belle on la voit, mais elle Test.
RéeL comme création double et réfléchie, où le créé
crée à son tour. Ce rayonnement de la beauté que
notre amour fait dans la femme, il agit et rayonne
en nous par nos puissances toutes nouvelles de
désir, de génie et d'invention.
Comment le nommerons -nous ? Qu'importe?...
C'est le maître, le puissant et le fécond. . . Qu'il nous
reste, et nous sommes forts. Lui de moins, sur
cette terre, nous n'aurions rien fait de grand.
il.
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190 GOMMENT ELLE DONNE SON CŒUR
La surprise aide à sa puissance. Heureux , bien-
heureux le jeune homme si le hasard montre en
lui quelque beauté imprévue ! Gela avance bien ses
alTaires.
Exemple : on trouvait qu'à Paris notre homme
dépensait trop. Il se laissait accuser. On découvre
que sur sa pension, se réduisant au minimum des
premiers besoins, il nourrissait une famille pauvre.
La demoiselle est attendrie. Elle parle peu ce jour-
là et n'ose le regarder.
De crime en crime, on découvre que ce coupable
jeune homme, tandis qu on le pressait le plus de se
poser dans sa carrière par les premiers succès d'é-
cole, qui de loin devait amener le grand succès
d'établissement, s'est conduit comme l'ont fait le
grand peintre Prud'hon et notre illustre physiolo-
giste, M. Serres. Tous deux, sans autre fortune que
leurs talents, dans un concours, s'ôtèrent le prix à
eux-mêmes, travaillèrent pour un concurrent. Pru-
d'hon envoya ainsi à Rome un rival qui, sans lui,
n'eût pu continuer ses études. Serres, au concours
de médecine, en 1815, ayant parmi ses camarades
un pauvre Anglais interné, qui ne recevait rien dô
chez lui, et mourait de faim, imagina de concourir
pour lui, réussit contre lui-même, et le fit ainsi
placer élève à THôtel-Dieu.
Un acte d'intrépidité, accompli dans un but hu-
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COMMENT ELLE I>ONKE SON CŒUR. iW
main, c'est encore lan joli bouquet à offirir à celk
qu'on aime. On n a pas toujours ces hasards. Mais
ils yiennent à ceux qui sont dignes. Un homtiHî
tombé à la rivière, un incendie^, un naufk^afe, cent
choses en donnent Toecasion.
Se tels aetes emportent Tamour. Là, ta femme
est faible et très-tendre. Je confie cette recette à
ceux qui ne sont pas aimés. Le seul moyen, c'est
. d'être beau. Du jour où luit cet éclair, elle recon-
naît son maHre, et elle se trouve sans force.. . A lui
de n'en pas abuser^
Comment cela s'esl-il fait? je ne sais. Point de
noce encore, mais il y a mariage.
Le père et la mère, amoureux de lui presque au-
tant, Payant en si haute estime, respectent leur§
tête-à-tête. Ils se fient... Ils ont raison.
QueUe sage conversation, quoique si tendre, si
émuel Elle cause insatiablement de ménage et d'ar-
rangement, des soins de la maison future ; lui d'a-
mour, des futurs enfants. Elle écoute, les yeux
baissés, mais résignée, docilement. Elle n'a garde
de l'arrêter et n'objecte pas uu mot. Faut-il le dire .
eUe est si douce, elle parait si soumise, (jue lui, il se
trouble, est tenté de savoir m vrai ce qu'il peut.
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1U2 GOMMENT ELLE DaNNE SON CŒUR.
La pauvrette pâlit fort. Elle ne lutte pas, mais
palpite, n'en peut plus, l'haleine lui manque.
Comment insister? Elle chancelle, s'appuie sur
lui, et enfin s'assoit vaincue d'émotion : « Épar-
gne-moi, je t'en prie. C'est ta femme qui, pour
quelques jours, te demande grâce 1 » Elle met les
deux mains dans sa main. « Après ce que tu as
fait, je ne pourrais te résister. Mais tu me ferais
du chagrin... Tu vois qu'ils se fient à toi... à toi
seul. Ils m'ont vue si attendrie, qu'ils savent bien
que je suis faible... Sauve-moi de moi, mon ami,
défends-moi, protége-moi. Je ne me garde plus
moi-même. »
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VI
TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA MÈRE
Les adieux de Sakontala à la maison natale, à ses
sœurs, à ses fleurs, aux oiseaux favoris, aux ani-
maux chéris, ce n'est pas là une vaine comédie,
c'est la nature humaine. On a désiré, et on pleure ;
on a compté les jours, et, le jour venu, c'est trop tôt.
Elle sent bien alors tout ce qu'il fut, ce nid qu'il
faut quitter, combien suave et doux. Cette belle
table de famille, celte couronne de jeunes frères et
sœurs, qui l'adoraient, la faiblesse de son père, sé-
vère pour tous et désarmé pour elle, une personne
enfin, unique, attendrissante, la victime réelle en
cette immolation, la pauvre mère, qui se contient si
bien et ne pleure presque pas. .. Oh ! c'est trop pour
la jeune fille I
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194 TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA MÈRE.
Nul rêve de bonheur, nul mirage d'imagination,
ne peut balancer tout cela. La veille encore à table,
les yeux sur son assiette, elle ose les regarder à
peine, de peur de se troubler. On descend au jar-
din. Elle, non. Sous quelque prétexte, elle reste,
elle traverse de chambre en chambre cette maison
de sa jeunesse qu'elle va quitter pour toujours. Elle
dit adieu à chaque meuble, à toute chose amie, au
piano, aux livres, au fauteuil de son père... Mais
le lit de làa mère Farrète... elle éclate en san-
glots.
« Quoi donc! elle n'aime pas? » — Ne le croyez
point. Non, elle aime. Chose bizarre, pourtant natu-
relle : au moment de le suivre époux, elle leregrelle
amant. La cbambie où elle le rêva, la table où elle
lui écrivit, entrent dans ses regrets. Les aHe^
natives orageuses de son amour de tant d'années
lui reviennent au souvenir. De son bonheur nou*-
veau, elle jette un regard à ce monde de soupirs, de
songes, de vaines craintes, dont se repaît la passion ;
elle en regrette tout, jusqu'aux douceurs amères
qu'elle trouva souvent dans les pleurs.
Rien ne la t^^uche plus que de voir ses amis àcor'
fance, personnages muets à qui Ton n'a rien dit,
le chien, le chat delà maison, parfaitement înfoor^
mes de tout. Le chien la suit de longs regards; le
chat, morne, immobile, a cessé de manger et reste
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TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA MÈRE. i«5
sur son lit, ce petit lit de fille qui sera vide de*
main.
Us ont Tair de lui dire : <k Tu pars, et nous res-
tons. Tu pars pour l'inconnu... Tu quittes la mai-
son de la douceur et de la grâce, où tout te fut
permis. Quoi que tu fisses, c'était bien ; quoi que tu
disses, c'était beau. Ta mère, ton père et tous étaient
suspendus à tes lèvres, recueillaient avidement tout
ce qui t'échappait. Tes sœurs, comme raison su-
prême, alléguaient ta parole, tranchaient d*un mot :
« Elle l'a dit. » Tes frères étaient tes chevaliers,
t'admiraient sans mot dire, n'imaginaient rien au
delà, n'aimaient dans les autres femmes que ce qui
te ressemblait.
« Maîtresse! protectrice I douce nourrice! qui
tant de fois nous faisais manger dans ta main ! où
vas-tu et que deviens-tu?... Tu vas donc avoir un
maître. Tu vas jurer obéissance. Tu vas vivre avec
l'étranger, avec celui qui t aime... oui, un jeune
homme fier et rude... Son énergique activité, tour-
née au dehors, que lui laissera-t-elle bientôt pour
sa femme et pour le foyer? L'effort du jour le ramè-
nera souvent triste le soir, souvent amer. Les dés-
appointements, les non-succès, te reviendront en
injustes caprices... Cette maison d'amour où tu
vas, ohl que de fois elle sera plus sombre que ta
chère maison paternelle! Tout était si serein ici!
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196 TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA HÈRE.
Dès que tu riais, tout riait. Ta folâtre gaieté, ta
fraîche jeune voix, ta bonté à faire tous heu-
reux, cela faisait un paradis, une maison de béati-
tude. Tout était amour, indulgence ; tous étaient
enhardis de toi... Car ton père et ta mère n'avaient
pas le courage de gronder les enfnats, ni nous... Le
chien le savait bien, à certaines heures, que tout
était permis. Le chat le savait bien. A tels mo-
ments d'effusion, au dessert de famille, nous nous
glissions, nous étions de la fête... Et tes oiseaux
venaient, battant des ailes, cueillir à ta lèvre un
baiser. »
La femme est née pour la souffrance. Chacun des
grands pas de la vie est pour elle une blessure. Elle
croit pour le mariage; c'est son rêve légitime.
Mais cette vita nnovoy c'est l'arrachement de son
passé. Pour donner à Tamour l'infini du plaisir, il
faut qu'elle souffre en sa chair. Combien plus,
grand Dieu I quand bientôt l'autre époux, l'autre
amant, l'enfant, plus cruel, du fond de ses en-
trailles, reviendra déchirer son sein!... Est-ce tout?
nos aïeux eurent ce proverbe sombre : « Mal de
mère dure longtemps! » Mér^ voulait dire matrice,
et le sens du proverbe, c'est que la pauvre femme,
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TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA MÈRE. 197
après la torture et les cris de raccoiichemenl, n'en
est pas quilte, que la malernité, de fatigue et d'in-
quiétude, de chagrins, de douleurs, la suit et la
suivra ; — bref, qu'elle accouche toute la \ie.
Quel jour, à quel moment mène-t-on la victime
àTautel?
Que nous importe? dit le législateur. — Que nous
importe? dit le prêtre.
L'astrologue du moyen âge disait : « 11 importe
beaucoup. »
Lui seul avait raison.
Mais ce jour, comment le choisir? Il mettait des
lunettes, et regardait au ciel, ne voyait rien, puis
décidait.
Ce qu'il faut regarder, c'est la femme elle-même,
la chère créature qui quitte tout, qui souffre et se
dévoue. II faut aimer, vouloir qu'elle souffre moins
de son sacrifice. S'il était un jour, une semaine,
propices et doux, choisissons-les.
Qu'on me permette de m'arréter ici, et de de-
mander comment il se fait que les innombrables au-
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198 TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA H RE.
teurs qui ont traité de Famour et du mariage ne se
soient jamais occupés de ces questions. Mais c était
justement le fond de leur sujet, tout au moins le
point de départ nécessaire sans lequel ils ne pou-
vaient parler, raisonner qu'au hasard.
La nature, heureusement, ne se fie pas à nous
pour les grandes fonctions de la vie qui la conser-
vent. Elles s'accomplissent d'instinct et comme sous
l'empire du sommeil. Notre chimie physiologique,
si prodigieusement compliquée, va son chemin sans
demander conseil. Il en a été ainsi de la perpétuité
de l'espèce humaine, opérée par Tamour et le ma-
riage, par la constitution de la famille. Tout cela
n a presque en rien changé, et l'homme est resté,
pour ces grandes choses essentielles, dans la ligne
raisonnable. La déraison ne s'est trouvée que dans
les hauts esprits, les hommes de pensée et d'auto-
rité, dans les guides de l'espèce humaine.
Exemple les économistes, les profonds politiques,
qui se sont figuré pouvoir réglementer l'amour,
retarder ou précipiter le cours de la fécondité. Pas
un ne s'est informé de ce que c'est que fécondation.
Ils ignorent que l'on a tranché la thèse Malthusienne
où ils vont toujours à tâtons.
Exemple les théologiens, qui ont si merveilleuse-
ment éclairci la Conception sans connaître ce que
c'est que conception. Exemple les casuistes, qui ont
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TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA MÈRE. iW
si parfaitement dirigé^ purifie la vie conjugale,
sans savoir ce que c'est que le mariage.
Ajoutons les littérateurs, ceux qui, dans tant de
lî?re8 éloquents, ont discuté le droit et le fait, accusé
ou la femme ou l'homme, pesé la question de la
supériorité d'un sexe sur l'autre. Notre grand ro-
mancier, cette femme d'admirable puissance; notre
grand discuteur, cet homme de bras fort et terrible,
qui, secouant le pour et le contre, fait partout jail-
lir rétincelle, le monde les contemple en ce grand
plaidoyer. N'est-il pas étonnant qu'aucun des deux
n'ait descendu au fond du sujet même, à la base
inférieure, d'où pourtant fleurit tout le reste ?
Inférieure? Bien n'est inférieur. Laissons là ces
vieilles idées d'échelle, et de haut et de bas. Dieu est
sphèrique, a dit un philosophe. Le ciel est sous nos
pieds autant que sur nos têtes. Jadis, on méprisait
Testomac, pour relever le cerveau. On a trouvé
(1848) que le cerveau digère; sans lui, du moins,
on ne fait pas le sucre, qui seul permet de digérer.
Pour revenir, avant 1830, où l'on posa le fait de
l'œuf, de la crise d'amour, la théorie ne disait
que sottise. Avant 1840, où la loi fut posée, et
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2W) TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA MÈRE.
les temps féconds indiqués, toute pratique fut
aveugle. L'observation persévérante des grands
anatornistes, l'autorité de rAcadémie des sciences
(vrai pape en ces matières)^ enfin renseigne-
ment souverain du Collège de France, de 1840
à 1850, imposèrent à l'Europe ces découvertes,
acceptées désormais comme article de la foi hu-
maine.
Que la science est venue à temps I La médecine,
en présence du fléau du siècle (l'universalité des
maladies de la matrice), après avoir usé en vain des
brutalités de la chirurgie, bégayait, tournoyait.
L'ovologie vient au secours. C'est la profonde étude
des fonctions qui doit ouvrir la voie pour compren-
dre les altérations. Et qui sait? les premières,
doucement veillées par l'amour, peut-être prévien-
draient les secondes.
Pardonne-moi, jeune homme, ces discours sé-
rieux à l'heure où, sans nul doute, ton cœur a bien
d'aulres pensées. Mais, mon ami, Tamour est in-
quiet. Pour toi, pour elle, je voudrais, de ton
ciel poétique, te ramener au réel. Et le réel, c'est
elle ; donc c'est le ciel encore. Il s'agit d'elle, et
de votre avenir. Quand la santé, la vie de ce cher
objet est en jeu, ce n'est pas toi qui nous re-
procheras un excès de sagesse et de tendres pré-
cautions.
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TU QUITTERAS ÏO.N Î'ÈKS ET TA MÈnZ. KJl
N'est-ce pas un spectacle à faire songer que de
voir lout autour de nous la femme, jeune et char-
mante, frappée dans l'amour même, condamnée
aux refus, aux fuiles involontaires, ou (contraste
odieux) donnant le plaisir dans les pleurs? Déso-
lante situation, qui de bonne heure assombrit le
mariage, et bientôt le supprime; qui fait craindre
la génération. On frémit d*engendrer, quand on
sait qu'aux épreuves de la maternité le mal s'aigrit,
s'aggrave. Aux épanchements les plus tendies des
cœurs qui ne font qu'un, apparaît un tiers, la dou-
leur, l'effroi de l'avenir (et la mortl) entre deux
baisers.
Ce fléau marqua moins jadis, d'abord, parce
qu'on mourait plus vite et qu'on comptait^oii^s
la douleur; mais aussi pour une autre cause. La
femme, nullement afSnée, vivant moins de vie céré-
brale, pouvait réagir davantage physiquement et
contre les chagrins et contre les mauvais traite-
ments. J'appelle ainsi surtout ce que doucereuse-
ment on nomme empressements amoureux , mais
qu'il faut mieux nommer, les exigences du plaisir
égoïste qui veut trop, qui veut mal et ne s'informe
pas des temps ni des souffrancesi — Celle-ci, faible
et délicate, ressent tout et prorondément. Il n'y a
pas à rire ici. Il faut une sérieuse attention, c'est-à-
dire un amour de tous les moments. Ce que je di-
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Wi TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA MÈRE.
rais à la mère, je le dis bien plus à l'amant.
Plus fragile au fond que Tenfant, la femme de-
mande absolument qu'on Taime pour eUe, qu'on la
ménage forl, et qu'on sente à toute heure qu'en
serrant trop on n'est bien sûr de rien. Cet ange
adoré, souriant, florissant de vie, souvent à la terre
il ne tient que du bout de l'aile ; l'autre déjà l'em-
porte ailleui^.
Ne demandons pas à l'ignorance du passé ce que
l'on peut faire dans ce grand intérêt, si cher I II ne
sait et ne dira rien. A la science seule de répondre,
à Tamour seul d'exécuter.
La science dit d'abord une chose simple : qu'il
faut aimer à ï heure de celle qu'on aime^ sans rien
précipiter, laisser les choses se faire, se succéder
dans l'ordre naturel» n'en faire qu'une à la fois,
craindre toute congestion et toute irritation durable.
Dès lors on sait le vrai moment légitime et sacré,
où doit se faire le mariage. Dans un Mémoire que
l'Académie des sciences a couronné, autorisé de sa
haute approbation, il est dit qu'an ne doit marier la
jeune fille que dix jours après le travail de Vomla-
tion^ c'est-à-dire dans la semaine calme, sereine et
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TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA MÈRE. W3
Stérile qu'elle a entre les deux époques. (Raciborski,
1844, p. 133,)
Cette excellente observation, humaine autant que
raisonnable, n'est point de pratique empirique.
Elle est hautement scientifique. Elle dérive des faits
établis, des lois formulées de l'Ovologie. Elle en est
la déduction naturelle. Elle aussi, elle restera inva-
riable, comme loi naturelle et nécessaire du ma-
riage.
' Rien de plus sage en effet. Il faut prendre le mo-
ment stérile, dit l'auteur, parce qu'elle souffrirait
trop d'être enceinte dès le premier mois. Quelle
dureté ne serait-ce pas de faire coïncider pour elle
trois malaises et trois douleurs : l'indisposition
mensuelle, l'initiation du mariage, et l'ébranlement
d'une première grossesse.
« La mère y pensait, » dira-t-on. Point du tout.
Elle laissait passer Tépoque, mais la mariait sou-
vent trois ou quatre jours après, c'est-à-dire préci-
sément lorsque la femme est plus féconde. Tout
d'abord elle était enceinte.
Les dix jours pleins qu'on surajoute lui seront
un bienfait. La science se met ici entre elle et la
passion impatiente, la garde dans les bras de sa
mère, et mieux que celle-ci ne faisait. — Ainsi, toute
grande découverte, toute grande vérité, qui d'a-
bord n'est qu'une lumière et ne parle qu'à la rai-
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20i TU QUITTERAS TON PÈUE ET TA MÈRE.
son, ne tarde pas à aboutir aux louchants résultats
pratiques qui en font une chose de cœur.
A chaque jour suffit sa peine. Assez d'un travail
à la fois. Dispensez, je vous prie, la mariée, dans
une telle journée, de ces bruyants repas des noces
de province, où les sots voudraient l'étouffer. Ils
diront, si elle ne mange : « Voyez-vous ? elle est
triste. . . On la force. . . Elle n'aime pas beaucoup son
mari. »
Je vois que le bon sens de nos aïeux voulait,
tout au contraire, qu'elle ne vînt à cette épreuve
de séparation et de larmes, de douleur morale et
physique, que maternellement préparée, bien dé-
tendue, fraîche et légère, d'autant moins vulné-
rable.
Les rites et les symboles du mariage sont bien
incomplets Jusqu'ici. Ils s'occupent surabondam-
ment d'enseigner au faible qu*ii est faible, donc
qu'il doit être dépendant. Il serait bien plus in-
structif, plus original, plus humain, d'enseigner au
fort qu'il ne doit pas ici se montrer fort, lui inspi*
rer, à ce moment, les ménagements et la com-
passion. (X L'amour y pourvoira, n dilon. Mais
c'est tout le contraire. Il change étrangement,
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TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA MÈRE. 205
avouons*le. A certaines heures, une bé(e sauvage
rugit d'impatience en Thomnoe, la férocité du désir.
Les médecins commencent à soupçonner que la
précipitation et l'insistance aveugle (faut-il le dire?
l'orgueil cruel) sont très-souvent la première cause
d'irritations durables, d'inguérissables congestions.
— « Inguérissables? » belle demande I Comment
guérirait on, si chaque jour revient aggraver?
Qu'une seule chose te soit présente à ce moment *'
si décisif, la chose pieuse, la chose religieuse, et
le souverain exorcisme qui chassera le diable plus
qu'aucune formule. C'est le mot des jurisconsultes :
« Mariage, c'est consentemetU. »
Ce ne serait pas grand'chose de Ven souvenir à
midi, si tu ne t'en souviens pas le soir, à Theure
émue où ton trouble est si grand. C'est alors, c'est
alors qu'il faut t'en souvenir : « Mariage, c'est eon-
sentement. »
Je t'aimerais bien si, la veille, tu avais Tespril
d'y penser, si, mettant de côté l'orgueil et ses
sottises, consultant l'amour et le cœur, pensant à ta
pauvre petite, tu te fusses entendu avec la mère,
qui, sans toi, n'ose rien vouloir. Il faut adoucir,
assouplir ces épines, sinon les aplanir. Le rite
compatissant de l'Inde parle ici comme nos mé-
decins.
La fille de France est rieuse, moqueuse parfois à
12
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906 TU QUITTERAS TON PÈRE ET TA HÈRE.
nos dépens, mais en même temps la plus nerveuse
de toute la terre, si pranable d^imagination ! Elle
devrait ne pas craindre celui dont elle est mai-
tresse absolue. Et pourtant elle frémit. Cela va à ce
point que, n'y eût-il presque aucune difficulté, il y
en aurait encore par la constriction de Tesprit.
I^s hommes, si égoïstes et ne pensant qu^à eux, se
sont plaints très-souvent de la sorcellerie, qui,
disent*ils, pat^lysait tout. Mais les frayeurs de
femme, plus vraies, vous ne les comptez pas? Il
faudrait remettre l'esprit, c'est le grand point.
Il faudrait être patient, magnanime, et vouloir...
non pas contre soi-même, mais pour deux...
vouloir qu'elle aussi die fût heureuse ; la consulter,
lui obéir, et désirer ce doux triomphe : que la dou-
leur ne déplût pas.
Heureux qui sait préparer son bonheur! Qui le
veut libre et désiré, se fie à la tendresse, à la bonne
nature 1 Adorateur sincère, de dévotion vraie, il
honore les abords du temple, il en couve l'accès
d'une tendre et patiente insistance. D'elles mêmes,
pour lui, elles vibreront, les portes saintes. Du
dieu qu'on croit si loin, la vive étincelle est au
seuil.
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TU QUITTERAS TON P ÈRB ET TA IfÈRB. 207
Dans un état plus haut, plus avancé, où nous
arriverons, on comprendra pourtant que cette douce
initiation vaut surtout par la voie nouvelle qu'elle
donne pour aller au cœur, qu'elle n'est qu'un degré
des progrès que l'amour fait dans la conquête suc-
cessive de lobjet aimé. Ces progrès, en toute union
sérieuse, ont précédé de loin la fête qui en est la
proclamation. Le mariage d'âmes doit exister long-
temps avant la noce, pour continuer après et aug-
menter de plus en plus.
Effaçons de la langue ce mot immoral et funeste:
consommation du mariage. Celui-ci, état progres-
sif, n'a sa consommation que dans l'ensemble de
la vie.
La noce est le moment public de cette longue
initiation. Utile, indispensable, comme garantie,
elle a souvent, comme fête bruyante et éclatante,
un très-mauvais effet, de faire tort au mariage. Ce
bruit fait croire qu'un jour a tout fini, et que l'a-
mour a tout donné. Les lendemains sont ternes et
froids. La fête a le tort de dater ce qui devrait être
éternel.
Non, même à ce moment divin, sache bien qu'il
n'est tel que parce qu'il ne consomme rien, ne finit
rien; il est divin, parce qu'il commence. La douce
idole s'est donnée en ce qu'elle a pu; donnée en t'ac-
ceptant d'amour ; donnée en disant qu'elle est tienne;
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SOS TU QUITTERAS TON PËRE ET TA MÈRE.
donnée en ouvrant à ton plaisir une des profondes
portes de Tàme. Mais celte âme est tout un royaume
de délices qu'il faut maintenant parcourir. Le monde
de découvertes à faire qui est en elle et qui t'at-
tend, comment le saurais-tu d'avance? Elle ne le
connaît pas elle-même. Elle veut seulement de pas-
sion que tu en sois maître et seigneur. Possédée,
elle sent d'instinct qu'elle peut l'être bien davan-
tage. Elle fera ce qu'elle pourra, pour que cette
mer insondée de sentiments vierges encore, de
chastes et délicats désirs, tu la pénètres tout en-
tière par rinfini des sens nouveaux que va créer
en toi l'Amour.
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VII
LA JEUNE ÉPOUSE. — SES PENSÉES SOUTAïRES.
Au livre de Y Amour ^ j'ai marqué les grands traits
extérieurs de la situation. Ici, je voudrais davan-
tage : observer la femme elle-même^ celle surtout
qui eut de fortes racines de famille, et que le ma-
riage le plus désiré déracine pourtant du sol où par
mille fibres elle était engagée. Passage dramatique.
Des parents regrettés à Tépoux adoré, elle passe,
non pas hésitante, ni combattue, mais déchirée.
Aime-t-elle moins? infiniment plus, de toute l'éten-
due de son sacrifice. Elle se donne avec sa douleur,
et, d'un amour immense, d'une foi sans réserve,
lui met en main son cœur sanglant.
Je ne sais si cet homme éperdu de bonheur con-
serve assez de lucidité pour sentir tout cela. Mais,
12.
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«10 LA JEUWE ÉPOUSE.
pour moi, je ne connais aucun spectacle plus tou-
chant que celte fille émue (faut-il dire vierge ou
femme?) qui tout à coup se trouve transplantée hors
de ses habitudes et de tout son monde connu, dans
une autre maison. — C'est, ce sera la sienne. Mais
encore faut-il bien qu'elle en prenne connaissance.
Jusque-là, tout est étranger. Elle ne sait où tout
pose. Chaque meuble neuf lui rappelle le bo[i
vieux meuble de famille qu'elle a laissé là-bas. Son
mari, il est vrai, de sa vive personnalité, de sa jeune
chaleur, de sa charmante ivresse, illumine et
réchauffe tout. Mais, quoi qu'il fasse, il n'est pas
toujours là. Qu'il s'absente un moment, tout change;
tdut psrait vide et solitaire.
L'autre maison, dans sa grande harmonie d'affec-
tkns HMilliples, père, mère, frères, soeurs, servi-
teurs, animaux aimés, était un monde tout fait. Et
ceei est un monde à faire. Heureusement, il est
ici, l'ardent, le puissant créateur, le vivificateur :
Amour.
H- est jaloux. « Si vous voulez, dit-il, créer, com-
mencei avec nrK>i ; si vous voulez que, de mon aile,
je vofos porte dans Tavenir, ne me liez pas de ce lil
trop fort, trop chéri, du passé. La première loi du
drame, l unité d'action^ c'eM la première loi dans la
vie. N'espéi'ez rien de fort que ce qui sera simple.
Bien fou qui croit le cœur iinmense, qui croit qu'en
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SES PENSÉES SOLITAIRES. 211
partageant, chaque part est toujours un entier! Que
sera-cp de toi, si elle est toujours là, cette mère
plaintive, je ne dis pas jalouse, avec qui ta femme
vivra, à qui tout le jour elle se confiera? Qu'un
nuage vous vienne, elle en parle et reparle ; elle se
console par sa mère ; le nuage prend corps, sub-
siste à l'horizon. Autrement, cest toi-même, eest
Famour, c'est la nuit qui seule aurait tout dissipé...
« Et ses frères, crois-tu donc qu'ils ne soient pas
un peu jaloux de l'homme qui enlève celle qui fut la
joie delà famille^ son charme attendrissant? Jeunes
et pures émotion», non condamnables, certes. Mais
cela même fait le lien plus fort, plus naturelle l'hos-
tilité secrète. L'intime génie de la fanuUe , un mo-
ment éclipsé, peut revenir plus tard. Avoir grandi
ensemble ! avoir tant de souvenirs communs ! pou-
voir se dire (entre eux ) mille choses de rien, si pré-
cieuses pourtant et si chères, dont tu n'as pas eu
connaissance, c*est un demi-mariage. Le passé a
cela de fort, de dangereux, qu'embelli par le temps,
par les pertes et les regrets, par les douces larmes
qu'on lui donne, il est cent fois plus cher que quand
il était le présent. La sainte lueur du foyer com-
mun, du berceau où ensemble ils dormirent, s'éveil-
lèrent ensemble, elle ramène toujours les regards
en arrière, détourne du présent. Le cœur est double
et paiiagé. La tradition, l'antiquité, la pensée ré-
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%n LA JEUNE EPOUSE.
trograde, combattront Famour heure par heure...
« Nature dit : En avant I . . . Enlève donc ta femme !
Sans rompre ses liens de famille, vis avec elle â part.
Plus sa famille est loin, plus ta femme est à toi. Plus
aussi tu as ce devoir, ce bonheur, d'être tout pour
elle. Tu ne peux pas la négliger. Tu es son père, et
jour par jour tu engendreras son esprit. Tu es son
frère pour la soutenir de causerie amicale et de
douce camaraderie. Tu es sa mère pour la soigner
en ses petits besoins de femme, la caresser, la gâ-
ter, la coucher. Sous ta main maternelle , autant
que conjugale, elle croira, souffrante, retrouver son
berceau. Et, par toutes ces choses minimes, hum-
bles, enfantines, enveloppant la chère enfant, tu
rélèveras d'autant plus avec toi aux aspirations de
l'avenir. »
Cela est un peu dur, mais vrai, mais grave. C'est
la loi même du mariage. Donc, elle aura des heures
de solitude. Elle en a, dès le lendemain. Car,
comme on se croyait dans la sécurité du plus doux
tète-à-tète, voici le médecin, intime ami commun,
qui force la consigne et voudrait emmener l'époux.
Il prétexte cent choses vaines, certaine affaire à lui,
pressée et importante, où le mari seul peut Taider.
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SES PENSÉES SOLITAIRES. S13
Celui-ci le maudit, et il le suit pourtant. Elle est si
raisonnable, que, même en un tel jour, elle ne vou-
drait pas que Ton manquât à l'amitié. En réalité,
c'est pour elle qu'on agit en ceci. Un usage antique
et fort sage, c'était de laisser respirer un peu la ma-
riée. Plût au ciel qu'on pût obtenir les trois jours
d'abstinence que jadis on leur imposait (sauf échap-
pées furtives). L'amour reprenait force et croissait
de désir. Et elle, elle avait le temps de se remettre.
La bonne nature répare vite, adoucit, raffermit.
A quelle condition pourtant? Qu'il y ait un peu de
rqpos.
L'amour n'y perdait pas. On le voit au Cantique
des cantiques. Car la vierge dolente , dès qu'elle
n'était plus assiégée et persécutée, languissait d'être
déjà veuve, voulait qu'il revînt à tout prix. Élan naïf
et si touchant !... Elle était bien paisible jusque-là,
cette chaste fille. Et pourquoi l'avez- vous troublée?
Ne riez pas, méchants! mais aimez, adorez... La
voilà éperdue (dans ce poëme ardent de Syrie) qui
se lève la nuit, court le chercher dans les rues som-
bres, au risque de mauvaises rencontres... Pro-
tégez-la, conduisez-la. Ramenons-le plutôt, cet
époux... Ah! qu'il est heureux I On ne se plaindra
plus. La douleur de l'absence rendrait douce toute
autre douleur.
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34 Ik JEUNE ÉPOUSE.
Pour revenir à celle-ci, qui ne court pas les rues
la nuit, la voilà pour la première fois seule dans sa
nouvelle maison, en présence de sa pensée. Elle se
recueille religieusement. Elle couve ce prodigieux
rêve, et s'en reproduit les détails. Elle revient à son
naari, si tendre, si généreux, si bon; et ses yeux
en sont moites. Elle repasse sa douceur, sa patience,
son infinie délicatesse, telle mystérieuse circon-
stance, et elle rougit.. . Parfois, il lui vient en esprit
que tout cela est une illusion, un songe, et elle a
peur de s'éveiller. Mais non, le doute est impos-
sible. Un signe fort sensible le lui rappelle assez,
un signe qui ne passera pas : « Tant mieux I c'est
poiir toujours, dit-elle (ce pénétrant bonheur, ai-
guillonné d'épines, lui parle de moment en mo-
ment)... Tant mieux! je suis sa chose, marquée de
Sion amour... C'est fait... Dieu n'y pourrait plus
rien. »
Si fière avant! et si digne toujours I Elle est
femme pourtant, elle est tendre, elle s'attache parce
qu'elle souffre, veut appartenir et dépendre ; elle
savoure solitairement les humilités de la passion.
Si les épines durent, elle s'exalte encore plus par la
difficulté et le devoir. C'est comme la mère blessée
ea allaitant , et qui veut allaiter. Un étrange com-
bat se fait, où celui qui désire résiste au dévoue-
ment. S'il est fort, magnanime, s'il se prive, à force
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SES PENSÉES SOilTAIKES. 2i5
d'amour, oh! son cœur fond, à elle, et, dans son
attendrissement, elle paye surabondamment de
caresses, de baisers, de larmes, et le comble, et
Tenivre. Elle ne compte plus avec lui, se donne en
cent choses charmantes, bref, rend la sagesse im-
posstt)le. Le vertige l'emporte. Il prend dans îc
remords la volupté amcre. Mais, n'ayant de l'amour
que le côté sublime, elle, dans la douleur, elle goûte
la divine unité.
Situation nullement rare, quune fatalilé sea^
suelle ne prolonge que trop , parfois des semaines
et des mois, au grand péril de la victime dévoitéo.
L'un en est attristé, humilié, plein de regrets» et n'en
pèche pas moins. L'autre est fièreet pure, coura«
geuse ; mais elle exige qu'on ne consulte pas. Le seul
remède qu'on n'ose dire serait, si le mari est mi-
litaire^ marin, un ordre de départ, les arrêts pour
un mois, que sais -je? Mais quel serait le désespoir!
Au {lyremier mot d'absence, elle éclate, elle pleure...
« Que je meure I peu importe l C'est mourir que 4e
te quitter. »
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S16 LA J£UN£ &POUSK.
Elle est bien haut en tout ced I avoue-le, mon
ami. Mais de toil je ne sais que dire. Jeté plains,
pauvre serf du corps, je plains notre nature esclave.
Elle, combien noble et poétique ! C'est la poé^e
du ciel qui est tombée chez toi. Puisses-tu le sentir,
et l'entourer d'un digne culte!... Cette frêle et ra-
vissante émanation d*un meilleur monde, elle t'est
remise, pourquoi? Pour te changer et te faire un
autre homme. Tu en as grand besoin. Car, fran-
chement, tu es un barbare. Civilise-toi un peu. A
ce contact si doux, tu réformeras les dehors. A cet
amour si pur, tu sanctifieras le dedans.
Hier encore tu étais dans une société d*amis
bruyants et de plaisir sans gène, et te voilà avec
ta jeune sainte, ta vierge, ta charmante sibylle,
qui sait, comprend, devine toute clio^^e, entend
l'herbe pousser sous la terre. Elle a toujours vécu
à un foyer si harmonique, doux et réglé, silencieux.
Ta force jeune, ta vivacité mâle, lui plaisent fort,
mais rébranlent. Ton pas résolu, ton allure un peu
brusque en fermant portes ou fenêtres, étonnent son
oreille. Sa mère allait si doucement ; son père par-
lait peu, à voix basse. Ton éclatante voix, de timbre
militaire, bonne pour commander des soldats, au
premier jour, la faisait tressaillir, je ne dis pas
trembler ; car elle souriait tout de suite.
Adoucis-toi pour ta douce compagne. LUe veut
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SES PENSÉES SOLITAIHES. 217
Tétre en tout. Elle veut t' aider et te servir, être ton
Jeune ami, dit-elle. Elle est cela, mais autre chose
encore de faible et tendre qu'il faut d'autant plus
ménager qu'elle ne veut pas de ménagement. « Moi
délicate? nullement. Moi malade? jamais. » Elle dit
à sa mère : « Tout va bien. » Un jour par mégarde,
très-pressé de sortir et retardé par elle, par le soin
excessif qu'elle a de ta toilette, tu as parlé trop
fort ; voilà le pauvre cœur qui s'est gonflé, et, je ne
sais comment, il est venu une larme... Justement,
sa mère arrivait. Surprise, elle s'accuse : « Non, ma-
man, ce n'est rien... 11 m'a corrigée ; j'avais tort, y
Le travailleur, forcé de s'absenter de- longues
heures, trouve à cette tristesse la belle et délicieuse
compensation d'être tellement attendu, désiré.
Qu'elle est touchante, ici, la tienne ! et quel mal-
heur qu'alors tu ne puisses revenir te cacher, assis-
ter à son agitation, surtout aux dernières heures.
Comme alors tu lirais sur son visage candide, dans
ses yeux si parlants, tout ce qu'elle a au cœur pour
toi!... Elle n'a besoin de rien direl j'entends tout :
« Que n'esl-il là ; il y a si longtemps qu^il est
parti!... 11 va rapporter quelque chose? des nou-
velles, de quoi m'amuser?... Oh! c'est lui que je
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2t8 LA JEUNE ÉPOUSE.
veux! l'entendre monter l'escalier, vite et fort,
comme il va toujours 1... En un moment tout va
être changé, la maison pleine de rire et de gaieté.
Tout tremblera de joie. La table, le foyer, tout rira
de lumière. Grand appétit, récits rapides ! Son cou-
vert sera là... Non, mieux ici!... Voilà bien son
mets favori, le nôtre, à nous deux seuls (Fido n'en
aura pas), un baiser par bouchée... Si le feu m'en-
dormait, ou si je fais semblant, lui qui ne dort
jamais saura bien m*éveiller... J'ai la coiffure
qu'il trouvait si jolie... Mais j'ai tort. S'il est fa-
tigué?... Ou bien, s'il allait dire que je Tai prise
exprès pour la nuit?... Je serais si honteuse I »
Voilà ses naïves pensées, que peut-être j'aurais
dû taire... Il est quatre heures, et l'on t'attend
pour six; mais déjà elle ne tient plus en place. Elle
va, vient, regarde le soleil, se met à la fenêtre :
« Qu'est-ce ceci? le jour baisse, et mes fleurs vou-
draient se fermer. Les fumées montent des toits.. .
Ces gens-là sont heureux; ils sont rentrés déjà, les
familles réunies... Que fait-il donc et où est-il?... »
Par malheur ce jour-là, un obstacle imprévu, in-
vincible t'arrête... Sept heures sonnent... Ohl que
le flot monte ! quel torrent d'imagination, de tristesse
et de songes I... Sa douceur naturelle en est même
ébranlée. Une larme d'impatience lui vient, et (le ^
croirai-je?) elle a frappé du pied. Déjà dix fois, vhigt
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SES PENSÉJBS SOLITAIRES. SIO
fois, la table et le feu, retouchés, améliorés, per-
fectionnés, ne font pas revenir le maître. L'inquié-
tude est au comble, et le pouls bat bien fort...
Mais Tescalier a retenti. De trois marches en
trois marches, un jeune homme s'élance. Elle
aussi... Comme une autre saurait se contenir, se
faire valoir, attendre!... Mais la pauvre petite n'at-
tend rien et se précipite, se noie dans ton baiser et
s'évanouit dans tes bras.
N
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vin
ELLE VEUT S'ASSOCIER ET DÉPENDRE.
J'ai entendu un jour un joli mot de paysans :
« Voyez ! il n'y a que huit jours qu'ils sont mariés,
et ils sont déjà si amoureux ! »
Ce déjà est charmant. Il exprime une chose bien
vraie, profondément humaine : qu'on s'aime à me-
sure qu'on se connaît mieux, qu*on a vécu ensemble
et beaucoup joui l'un de l'autre. Il étonnera les
blasés, les malades et les fatigués. L'estomac dé-
rangé s'imagine toujours devoir changer de nourri-
ture; il les trouve toutes insipides et n'en a pas plus
d'appétit. Plus sain, il sentirait que le même n'est
jamais le même ; quand le goût a sa rectitude natu-
relle, il perçoit à merveille de délicates nuances
dont cette nourriture identique est incessamment
diversifiée.
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ELLE VEUT S'ASSOCIER ET D'ËPENDRE. 821
Si cela est vrai du goût, du plus grossier des sens,
combien plus du fin, et du plus multiple, lamour !
Dans les espèces d'animaux supérieurs, tous sentent
que Ton varie bien plus par les renouvellements,
les métamorphoses d'une seule, quepar Tessai bru-
tal d'une infinité de femelles. Pour Thomme, Ta-
mour est un voyage de découvertes en un petit
monde infini, et qui reste infini, étant toujours
renouvelé. C'est (pour tout dire d'un mot), de mys-
tère en mystère, Téternel approfondissement de
l'objet aimé, — toujours nouveau et toujours in-
sondé; pourquoi? parce qu'on y crée toujours.
Les premiers temps sont de vertige, d'aveugle
élan; oserai-je le dire? c'est un temps d'histoire
naturelle. Dans ces premières morsures au fruit de
vie, on n'en sait guère le goût. L'objet aimé serait
bien humilié, s'il-gardait assez de sang-froid pour
voir ce qui est vrai, malgré tant de belles paroles :
combien le sexe ccnnpte dans cet éblouissement,
combien peu la personne. C'est à mesure qu'on ex-
périmente celle-ci davantage qu'on peut apprécier,
savourer cette personnalité distincte, aimante, ai*
mée, cette femme que sa préférence pour nous fait
supérieure à toute femme. On l'aime en elle et pour
le plaisir qu'elle donne, él pour tous ceux qu'elle d
donnés; on l'aime comme son œuvre, sculptée de
soi et imprégnée de soi ; on l'aime pour ce haut
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«a ELLE TEUt S'ASSOCIER ET DÉPENDRE.
attribut de l'amour : qu'en sa brûlante crise il n'ait
plus son vertige, ni son obscurité, qu'il soit Dieu
en pleine lumière.
«( On aime, disent-ils, parée qu'on ne êe eonntM
pas encore^ Dès qu'on connaît, on n'aime plus. »
Qui d^ne connaît? je ne vois dans le monde que
des gens qui s'ignoi^t, qui dans la même chambre
vivent étrangers Tun. a L'autre; qui,, maladroits,
ayant manqué d'abord le cMé par ou ils auraient
pu se pénétrer,^^ restent découragés, inertes, stu-
pidement juxtaposés^, comme une pierre cosrtre
une pierre. ^ui sait? la pierre frappée eût donné
rétincelle, et peut-être Tor ou le diamant.
C'est encore un dicton : «c Le mariage fait, adieu
l'amour. »
Le mariage? et où est-il? je ne le vois presque
nulle part. Tous les époux que je connais ne sont
presque pas mariés. .
Ce mot de mariage est élastique. Il admet une
immense latitude thermométrique. Tel est marié à
vingt degrés, tel à dix, et tel à zéro. Spécifions tou-
jours, et disons : <c De combien sont-ils mariés? »
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EI.LE VEUT S'ASSOCIER ET DÉPENDRE, 225
Tout dépend des comm^cements. Et il faut
avouer qu'en général la faute n'est pas aux femmes.
Les demoiselles vraiment neuves, que la confession,
le ropan et le monde n'ont pas trop mûries, avan-
cées, apportent au. mariage un luxe admirable de
cœur, de docilité instinctive, de bonne volonté. Elles
ont une attente immense de la vie où elles entrent.
C elle qui, près de ses parents, a bien étudié, tra-
vaillé, et semble savoir tout, elle veut tout appren-
dre par son mari. Et elle a bien raison. Tout va
lui revenir dans un degré nouveau de vie et de
chaleur. Elle avait reçu to^t cela passivement,
comme chose inerte et froide, et elle va le saisir
active dans l'électricité brûlante, par cette aiman-
tation unique où se mêlent le corps et le cœur.
Et notez que le père ne pouvait pas mieux faire.
S'il eût donné une empreinte.plus forte, il eût man-
qué son but. La destinée inconnue, imprévue, de la
fille, c'était justement ce futur mari. Il ne fallait
donc pas que son éducation fût trop définitive,
mais un peu élastique. Donc la famille est hé-
sitante. La mère, souvent, d'ailleurs, traîne en-
core quelque peu dans les vieilles idées surannées
qui ne seront plus celles d'aucun jeune homme. Le
père, plus arrêté sans doute, n'a pu fixer sa fille
sur bien des choses difficiles et scabreuses où le
cœur, les sens, sont enjeu. Que de points de mo-
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îii ELLE VEUT S'ASSOCIER ET DÉPENDRE.
raie et que de faits d'histoire il lui a montrés de
profil! A répoux seul d'expliquer tout.
Ce vague, cet incomplet des traditions de la fa-
mille, l'hésitation et le flottant qu'il y a dans cette
vie et ces paroles de vieillards, c'est de cela juste-
ment que la jeune femme a besoin de sortir. Elle
veut un homme qui décide, qui ne soit pas embar-
rassé, qui croie, agisse ferme et fort, qui, même
aux choses obscures, pénibles, aie la sérénité, la
bonne humeur d'un courage invariable. Elle trou-
vera plaisir, ayant un homme, à pouvoir être ure
femme, à avoir pour sa foi, sa vie, un bon chevet
(je ne dis pas trop mou) où elle s'appuie en con-
fiance. A ce prix-là, de bien bon cœur, elle dit :
« C'est mon maître, » — Son sourire fait entendre :
« Dont je serai maîtresse. x> Mais maîtresse en
obéissant, jouissant de l'obéissance, qui, quand on
aime, est volupté.
Je ne sais plus quel législateur indien défend à
la jeune femme, amoureuse, étonnée, de regarder
trop son mari.
Et qui veut-on qu'elle regarde? c'est son livre
vivant, lumineux, net, où elle veut lire couram-
ment et ce qu'elle croira, et ce qu'elle a à faire.
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ELLE VEUT S'ASSOCIER ET DÉPEr^DRB. S25
Qu'elle en sera heureuse! quelle foi sans li-
mite , quelle passion d'obéissance, elle apporte aux
commencements. La fille t'éludait. On peut voir
dans les chants de la Perse moderne, dans le chant
provençal (7. Mireille), <^omme elle fuit par toute
la nature, prend cent formes pour se faire pour-
suivre. Mais, une fois atteinte, blessée, devenue
femme, loin de fuir, elle suit, veut suivre son vain-
queur; elle veut être prise encore plus. Et celte
fois elle ne ment pas. Dans cet effort naïf et si
touchant, elle ne craint que d*6tre importune, va
derrière, pas pour pas, et dit : « J'irai partout. »
Invente, si tu peux, un monde difficile et nouveau;
elle t y suit. Elle se fera élément, air, mer, flamme,
pour te suivre dans Tinfini. Mieux encore, elle sera
toute énergie de vie qui puisse se mêler à la tienne,
si lu veux, une fleur, si lu veux, un héros. — Char-
mant bienfait de Dieul Malheur à l'homme froid,
inintelligent, orgueilleux, qui, croyant avoir tout,
ne sait mettre à profit le dévouement immense,
l'abandon délicieux de celle qui veut tant se donner
et le faire jouir davantage.
Il faut songer que Thomme a cent pensées^ cent
affaires. Elle une seule, son mari. Tu dois le dire
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ne BLLE TBUT S'âSEOCIER ET BÉPENDftE.
^n sortant le matin : « <}tte fera ma chère solitaire*
la moitié de mon âme, qui va m'att^dre bien des
heures? que lui rapporteraije qui l'intéresse et la
nourrisse? C'est de moi qu'elle attend sa vie. »
Songea cela, ne rapporte jamais, comme font beau-
coup, la lie du jour, le résidu amer du non-saocès.
Toi, tu es soutenu par Ta^tation du combat, la
nécessité de l'effort, ou l'espoir de micui: faire de-
main; mais, elle, cette pauvre âme de femme, si
tendre à^ce qui vient de toi, elle recevrait bien bu-
trem^t le coup, elle en garderait la blessure, en
languirait longtemps. Sois jeune et fort pour deux ;
rentre sérieux si la situation est sérieuse, mais
jamais triste. Épargne, épargne ton enfant.
Ce qui la soutiendra le plus, c'est que tout bon-
nement tu l'associes à ton métier. Cela est prati-
cable dans beaucoup de carrières. On restreint
beaucoup trop le cercle de celles où peut entrer la
femme. Plusieurs sans doute Im sont plus dii&«
cîles. 11 y faut de l'effort, du temps et de la volonté*
Nul temps mieux employé. Quel admirable com-
pagnon, quel utile associé I Combien les choses y
gagnent, combien le cœur, le bonheur domestique!
Être un, c'est la vraie force, le repos et la liberté.
Elle veut travaUler avec toi. Eh bieni prends-la
au mot, n'y mets pas fes ménagements de la petite
galanterie, mais l'amour fort, profond. Sache qu'à
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El LE VEUT S'ASSOCIER ET DÉPENDRE. 227
ce premier moment, elle est très-capable d'effort^
d'application suivie, qu'elle fera tout pour être
aimée. J'en citerai les plus nobles exemples, et les
plus surprenants. »— Un médecin illustre, le chef
d'une des grandes écoles du siècle, eut dans sa jeune
fepome son jprincipal disciple, son éminent auxi*
liaire, d'une vigueur d'esprit vraiment virile, de
sagacité pénétrante. — Le grand physiologiste, qui
posa, formula la loi de VOvologiCy souvent vit (et
vit bien, comme on l'a constaté) par les yeux
d'une femme. C'est peut-être le fatt le plus illus
tre de ce genre qu'une admirable épouse, par un
dévouement obstiné, ait tellement contribué à la
révélation du mariage. Sans cette femme, eût-on
connu la Femme? Son effort héroïque, sous la
direction du génie, jperça ce grand mystère, qui
nous ouvrit un monde. On aimait au hasard, on
aimait dans la nuit. L'humanité qui désormais
aimera dans la lumière, ne sera pas ingrate, et,
puisant à ces sources d'amour et de bonheur, se
souviendra to^jours de madame Pouchet, de Rouen.
Chacun, selon son art, selon le génie de la
femme, peut se communiquer; mais tous le doi-
vent plus, ou moins. L'artiste ne doit pas, absorbé
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328 ELLE VEUT S'ASSOCIER ET DÉPENDRE.
du côté ledinique, du détail spécial, de l'effort
minutieux de Texécution, s'enfermer en lui-même,
sevrer sa compagne deTidée générale qui lui inspire
cette œuvre, et qui Taurait elle-même intéressée
et soutenue. Le légiste, le politique, ne peut la
laisser étrangère à ce qui fait leur vie. Rarement,
elle peut s'y assoder utilement, mais elle ne peut
les ignorer. Elle s'harmonise encore mieux aux
choses de la nature. Le médecin qui rentre fatigué
et dans l'agitation morale de sa grande responsa-
bilité, ne peut être homme du monde; ce n'est
guère aux salons qu'il peut passer son moment de
repos. Combien heureusement il respirerait au foyer
dans les études pacifiques des sciences de la vie,
qui indirectement le servent dans son combat contre
la mort!
Infiniment variées sont les âmes de femmes.
L'homme, je l'ai déjà remarqué, subit le même
moule, est fait un par Téducation; mais les femmes
sont bien plus nature, plus diverses. Pas une ne
ressemble. Rien de plus charmant.
Les navigateurs qui traversent certaines mers des
tropiques, voient parfois les eaux, sur des espaces
immenses, semblables à de brillants parterres.
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ELLE VEUT S'ASSOCIER ET DÉPENDRE 229
diversifiées à Tinfini de créations vivement colorées.
Sont-ce des plantes? des fleurs? Non pas, des fleurs
vivantes, une merveilleuse iris de vies gracieuses,
comme fluides, mais organisés, mobiles, actives,
ayant des volontés. Il en est tout ainsi du parterre
social que le monde féminin présente. Sont-ce des
fleurs? Non, ce sont des âmes.
Pour la plupart, les hommes sensuels et aveu-
gles, tout en louant et caressant, disent : « Ce sont
des fleurs... Coupons-les. Jouissons, absorbons
leurs parfums. Elles fleurissent pour nos voluplésl»
— Oh ! que ces voluptés auraient été plus grandes,
en ménageant la pauvre fleur, la laissant sur sa
lige et la cultivant selon sa nature! Quel charme
de bonheur elle donnerait chaque jour à qui y
verserait son âme?
Mais diverse est la fleur, diverse est la culture.
L'une a besoin de greffe, et qu'on y mette une
autre sève; elle est encore jeune et sauvage. Celle-
ci, molle et douce, tout à fiait perméable, n'a be-
soin que d'imbibition ; rien à faire avec elle que
dinfiltrer la vie. Telle est plus que fluide, elle est
légère, ailée; sa poussière d'amour vole auvent;
il faut bien Tabriter, la concentrer, surtout la
féconder.
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IX
DES ARTS ET DE lA LECTURE. ^ DE LA FOI
COMMUNE
Un chant d* oiseau de nos aieux dit Tidéal léger
d'alors :
J'étais petite et simplette.
Quand à Técole on me mit.
J'étais petite et simplette,
Quand à Fécole on me mit.
Et je n'y ai rien appris...
Qu'un petit mot d'amourette ! . . •
Et toujours je le redis»
Depuis qu'ai un bel ami!
Mais ce petit mot d'amour, toi, tu dois le déve-
lopper. Que contient-il? les trois inondes, tout le
réel, — pas davantage.
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. DE LÀ FOI GOHUUSffi, 231
Elle ne.âerait que trop pcurtée à te laisser faire,
agir, raisonner seul. Elle se contenterait aisément
de n'être, qu'une chose charmante qui te donnât du
plaisir. Tu dois en faire une persoiine, l'associer ^
de plus en plus à ta vie de rjëflexiqn* Plus elle de-
viendra une âme, et plus elle aura de moyens pour
s'unir à toi davantage. R^ds-la forte, aie confiance.
Elle sera attendrie de se sentir par toi plus libre,
heureuse d'avoir plus à donner, et d'être une vo-
lonté, afin de mieux se perdre en toi.
Apprends une chose nouvelle qui sera un des
bonheurs de l'avenir dans un monde plus civilisé.
C'est que chaque art, chaque science, nous offre une
voie spéciale pour pénétrer davantage dans la per-
sonnalité. Il n'est pas aisé à deux âmes de s'attein-
dre au fond et de se mêler. Mais chacune de ces
grandes méthodes qu'on appelle sciences ou arts,
est un médiateur qui touche une fibre nouvelle,
ouvre un organe d'amour inconnu dans l'objet
aimé.
Apprends encore une chose, trop peu observée,
et qui refid la communion des idées délicieuse
avecla.femme. C'est qu'elle les reçoit par des sens
qui ne sont point du tout les nôtres, et nous les
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d52 DES AETS ET DE LA LECTURE.
renvoie sous dès formes très -charmantes et très-
émouvantes que nous n'aurions pas attendues. Ce
qui à Thomme est lumière, à la femme est surtout
chaleur. L'idée s'y fait sentiment. Le sentiment, s'il
est vif, vibre en émotion nerveuse. Telle pensée,
telle invention, telle nouveauté utile, l'affectait
agréablement au cerveau, te faisait sourire, comme
d'une aimable surprise. Mais elle, elle a senti de
suite le bien qui en résulterait, un bonheur nou-
veau pour l'humanité. Cela Ta touché au sein; elle
palpite, — à l'épine, elle a froid, est près de pleurer.
Tu t'empresses de la raffermir, tu lui prends ten-
drement la main. L'émotion ne diminue pas;
comme un cercle dans un milieu fluide fait des cer-
cles toujours plus grands, de l'épine, elle rayonne
à tous ses organes, aux entrailles, aux bases de
l'être, — se mêle avec sa tendresse, et, comme tout
ce qui est en elle, se fond en amour pour toi. . . Elle
se rejette sur toi et te serre entre ses bras.
Quel infini de bonheur tu vas trouver à tra-
verser avec elle le monde des arts! Ils sont tous
des manières d'aimer. Tout art, surtout dans ses
hauteurs, se confond avec Tamour, — ou avec la
religion, qui est de Tamour encore.
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DE LA FOI COMMUNE. 235
Quiconque enseigne une femme à ces degrés su-
périeurs, est son prêtre et son amant. La légende
d'Héloïse et de la Nouvelle Héloïse n'est pas chose du
passé, mais du présent, de l'avenir, en un raot^
d'histoire éternelle.
Voilà pourquoi la vierge ne peut pénétrer dans
l'art que jusqu'à un certain degré. Et voilà pourquoi
le père est un précepteur incomplet. Il ne peut pas,
ne veut pas qu'elle dépasse avec lui certaines ré-
gions sérieuses, froides encore. 11 l'y conduit. Mais
quand elle avance au delà dans sa chaleur jeune
et pure, il s'arrête et se retire. Il s'arrête au seuil
redoutable d'un nouveau monde, l'Amour.
Exemple. Pour les arts du dessin, il lui donne^
dans sa noblesse, l'ancienne école florentine, telles
madones de Raphaël et de sages tableaux du Pous-
sin. Ce serait une impiété s'il lui enseignait le Cor-
rége, ses frissons, son frémissement. Ce serait chose
immorale de lui dire la profondeur maladive, la
grâce fiévreuse, sinistre, de la mourante Italie dans
le sourire de la Joconde.
Même la vie, la vie émue, ne s'enseigne que par
l'amour. Quand la superbe Néréide, la blonde po-
telée de Rubens, dans la bouillonnante écume, tré-
pigne, murmure l'hyménée, et déjà conçoit l'avenir,
— tant pis pour la demoiselle qui sentirait ce mou-
vement, entendrait ce je ne sais quoi qui sort de sa
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^4 DES ARTS ET DE LA LECTURE.
bouche amoureuse! En conscience, elle en saurait
trop.
Même le chef-d œuvre de la Grèce, de noblesse
pure et sublime, si loin, si loin des sensualités du
peintre d'Anvers, les femmes évanouies, les mères
défaillantes du temple de Thésée, quelle vierge
osera les copier? Telle en est la palpitation, tel le
battement du cœur, visible sous ces beaux plis,
qu'elle en resterait troublée. Cette contagion d'a-
mour, de maternité, la bouleverserait. Ohl mieu^c
vaut qu'elle attende encore. C'est sous les yeux de
son amant, c'est dans les bras de son mari qu'elle
peut s'animer de ces choses et s'en approprier la
vie, en recevoir les eCttuves et la chaude féconda-
tion, y boire à longs traits la beauté, s'en embellir
elle-même, en doter le fruit de son sein.
La musique est la vraie gloire, l'âme même du
monde moderne. Je définis cet art-là : l'art de la
fusion des cœurs, l'art de la pénétration mutuelle,
et d'un si intime intérieur, que, par elle, au sein
de la femme aimée, possédée, fécondée, tu iras plus
loin encore.
Ce que Dumesnil, Alexandre, ont dit des grandes
symphonies, de la musique d'amitié, delà musique
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DE LA FOI COMMUNE. 235
de chambre^ je Tadmire trop pour le redire. Je n'y
ajoute qu'un mot. — C'est que de l'homme à la
femme tout est musique d'amour, musique de foyer
et d'alcôve. Un duo, c'est un mariage. On ne prête
pas son cœur, mais on le donne un moment, on se
donne, et plus qu'on ne veut. Que dire de celle qui
chaque soir chante avec le premier venu ces choses
émues, pathétiques, qui mêlent les e:fcistences au-
tant que le baiser suprême? L'amant, le mari, vien-
dront tard; d'elle ils n'auront rien de plus.
Heureux celui dont la femme refait tous les jours
le cœur par la musique du soir I <x Tout ce que j'ai,
je te le donne, dit-elle... Mes idées? non, je suis
encore si ignorante! mais je saurai tout avec toi «..
Ce que je puis te donner, c'est le souffle de mon
cœur, c'est la vie de ma poitrine, âme flottante où
mon amour nage comme une ombre indécise, un
rêve. T-- Eh bien 1 prends mon rêve et prends*moi. »
a Ah I que le rhythme m'a manqué, dit-ii. Quelle
vie sauvage j'ai vécu, . . »
Elle veut, elle tâdie, elle se livre... ne peut au-
tant qu'elle voudrait. Car c'est si pur I car c'est si
haut!...
Il plane sur des ailes d or dans le ciel profond de
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256 DES ABTS ET DE LA LECTURE.
Tamour. Il voudrait bien aussi la suivre un peu de
la voix, n'ose d'abord et chante bas... Il modère sa
force timide.
Puis, peu à peu, se lançant, il la fait vibrer à son
tour. Émue, elleessave de suivre, palpite... Oh!
qu'ils sontunisl...
Mais l'émotion est trop forte, la voix manque, et
le chant expire dans Fabime d'harmonie profonde.
La musique est le couronnement, la suprême
fleur des arts. Mais la prendre pour base princi-
pale de l'éducation, comme on fait, c'est chose in-
sensée, infiniment dangereuse.
Art moderne presque sans passé. Au contraire,
les arts du dessin sont de tous les temps, et repré-
sentés à tout âge de l'histoire. Us foumissefit par
cela seul une carrière riche et variée. A toute épo-
que, la sculpture, la peinture, oflrcnt non-seule-
ment des modèles à l'imitation, mais les textes les
plus féconds à l'initiation intellectuelle. Ces textes
se marient à merveille à ceux de la littérature, les
suppléent. Ce que Rabelais, Shakspeare, ne peu-
vent exprimer de telle idée, de telle nuance, de tel
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DE Lk FOI COMMUNE. 257
aspect de leur siècle, est dit par Vinci, par Cor-
rëge, par Michel-Ange ou Jean Goujon.
Tous les livres trop ardents que le père a évités,
dont il n'a osé donner tout au plus que des pas-
sages, ils te sont ouverts à toi. Et quel bonheur
sera-ce donc de mettre entre toi et ta bien-aimée
tous les trésors de la vie, et les Bibles de l'histoire
et les Bibles de la nature I Leur ravissante concor-
dance lui fera un oreiller pour y reposer sa foi.
Chaque soir, sans trop l'agiter et sans faire fort
a sa nuit, une douce et nourrissante lecture,
mêlée de paroles tendres, lui révélera quelque
chose de lamour universel, et quelque aspect nou-
veau de Dieu. Elle peut maintenant chastement sa-
voir tout, car c'est une femme. Ce qui eût troublé
la fille, lui sanctifiera le cœur et lui donnera près de
toi un doux somme et de nobles rêves.
C'est par Tamour que la femme reçoit toute
chose. Là est sa culture d'esprit.
En prendras-tu l'aUment dans le petit, le mé-
diocre? Sous prétexte de facilité, c^est ce que l'on
fait toujours. On ne sait pas qu'au contraire le
grand, le fort, c'est le simple. La femme dit mo-
destement : a Je laisse aux hommes ces grandes
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2^ DES ARTS ET DE LA LECTURE.
choses ; je m'en tiens aux petits romans. » Mais ces
romans, faibles et fades, ces pâles images d'amour,
n'en sont pas moins laborieux d'incidents et d'im-
broglios.
Non, visons toujours au plus haut. Là est la
grande lumière, là aussi la force du cœur, même
la vraie pureté.
L'amour, oii le prendrons -nous? Telle femme
rirait chercher dans Balzac/ Mieux vaudrait ma-
dame Sand. n y a là du moins toujours un élan vers
l'idéal. Et mieux encore, pourquoi pas dans le Cid
et dans Roméoî pourquoi pas dans Sacontala et
dans la IHdon de Virgile?...
Mais, à une énorme hauteur, par-dessus toutes
œuvres humaines, les grandes légendes antiques
dominent tout, humilient tout.
Nos idées sur le progrès ne peuvent faire illusion.
L'antiquité nous a laissé à creuser l'infini de l'ana-
lyse, et c'est le champ du progrès. Mais, dans sa
force synthétique, dans la chaleur organique qui
la poussait en avant, ce jeune géant , en deux
pas, toucha les deux pôles, atteignit les bornes du
monde . Elle a crée les grands types de simplicité
divine. Ainsi, le mariage héroïque a son type si
haut dans la Perse, que celui de Rome même en est
un amoindrissement, prosaïsé, vulgarisé. Ainsi, la
bonté, la chaleur, l'adorable force de vie et de ten-
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DE LA FOI COMMUNE 239
dresse instinctive, Tamour (si vous voulez) physique,
mais s' épanchant en torrents de bienfaisance uni-
verselle, c'est la légende d'Egypte. Rien n'y ajouta
jamais, et Ton n'a pu qu'adorer.
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LA GRANDE LÉGENDE D* AFRIQUE. — LA FEMME
COMME DIEU DE BONTÉ.
(Frogment de VHUUnre de V Amour )
Le chef-d'œuvre deVarl égyptien, leRamsès, que
Von voit à Ipsamboul, à Mempbis et au musée de
Turin, offre un caractère unique de bonté dans la
puissance, et de placidité sublime. Cette exprès-
:sion, qu'on pourrait croire particulière à cette
;tigure, j*en ai retrouvé quelque chose dans une
belle monnaie de Leyde, qui est aussi un jeune
homme. C'est un caractère de race, fort contraire
k la sécheresse du maigre profil arabe, qui sem-
ble taillé au rasoir. Ici une douceur extrême, une
plénitude qui n'a rien de lourd, mais semble l'é-
panouissement pacifique de toutes les qualités mo-
rales. Le cœur est sur le visage, sanctifiant, bëati-
liant la forme matérielle par le rayon intérieur.
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LA GRA^NDE LÉGENDE D'AFRIQUE, ETC. SU
Cette extraordinaire bonté est plus qu'indîiri-
daelle; c'est la révélation d un monde. On y sent
que la grande Egypte fut comme la fête morale, la
Joie et le divin sourire de ce profond monde afri-
cain, fermé de tout autre côté.
La forme supérieure de l'Afrique, au-dessus du
nègre, au-dessus du noir, parait être l'Égyptien*
Si malheureux, si constamment déprimé, depuis
les temps de Joseph jusqu'à Méhémet-AIi, jusqu'à
nous, le pauvre fellah d'Egypte est un homme
d'une intelligence, d'une adresse peu commune.
Un mécanicien, employé au service du pacha, nous
disait que les indigènes qu'il admit dans ses ate-
liers lui prêtaient une attention extraordinaire, l'i-
mitaient parfaitement, et devenaient, en quinze
jours, d'aussi excellents ouvriers qu'un Européen
en deux ans.
Cela même tient à leur douceur, .à leur grande
docilité, au besoin qu'ils ont de plaire et de satis-
faire. Cette race excellente d'hommes ne veut qu'ai-
mer et être aimée. Dans l'immolation cruelle que
ie^ouvoir a toujours faite de Vindividu et de la
famille, leur tendresse mutuelle semble être d'au-^
tant plus grande. La mort précoce de l'homme qui
succombe à un travail excessif, l'enfant enlevé par
les cruelles razzias de la milice, c'est une suite non
interrompue de pleurs, de sanglots et de deuil.
«4
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249 IiA GRAIIDE LÉGSlfDl& D'AFRIQUE.
L'sfflitfue lamentation d'Iais, eherchaatson (Mris,
n'a jamais cessé en Egypte ; le long, du fleuve» à
chaque instant, vous Tentendez recommencer.
Cette lamentation, on la retrouve peinte» sculp<>
tée, par tout le pays. Qu'est*<^ que ces monuments
de demi, ce soin infini de sauver ce qu'on peut sau-
ver, la dépouille, d'entourer le mort de prières
écritesi sur les bandelettes;^ de recommander aux
dieux celui dont on est séparé? Je n'ai pas visité^
l'Egypte ; mais quand je parcours nos musées égyp-
tiens, je sens que crt immense effort d'un pepple,
ces dépenses excessives que slœposaient les plus
pauvres, c'est l'élan le plus ardent qu^âit mimtré
le cœur de l'homme pour retenir Tobjet aimé et le
suivre dans la mort.
Les religions jusque-là déroulaient leur épopée ;
mais, silence, voici le drame. Un génie nouveau se
Aresse sur l'Europe et sur VA»e.
Posons k scène d'abord. Cette terre de travail et
de larmes, lÉgypte en soi est une fête, et c'est le
pays de la joie. Du sein brûlé de l'Afrique, matrice
ardente du monde noir, 4&'ouvre'à la brise du nord
une vallée de ptomission. Des m^its ineonhus des-
cend le torrent de féconditéé On sait la joie fréné-
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LA FEMME COMME DIEU BB BONTÉ. 319
tique du voyageur mourant de soif, qui parnent
/eflfin àfrahcàir les sables, qui louche Foaiis> dési-
rée, let l'Egypte, eiitifl, cette grande oasis pour les
pays afrioakis.
' Le premia* mot de TËgypte c'est Isis, ei Isis,
c'est le dernier. La femme règne; Un mot remar-
r quaUe est resté par Diodore : Qu'en %ypte, les
maris jurait obéissance à leurs femmes. Expres-
sion exagéf ée d'une diose réelle, la prédominance
. féminine.
' Lé haut génie de l'Afrique, la reine de l'ancienne
Egypte, Isis, trône éternellement parée des attri-
buts de la fécondation. Elle porte le lotus à son
sceptre, le calice de la ileur d'amour. Elle porte
royalement sur la fête, en guise de diadème, Fayide
oiseau, le vautour, qui ne dit jamais : Assez. Et,
pour montrer que cette avidité ne sera pas veine,
dans cette coiffure étrange, l'insigne de la vacbe
féconde se dresse par-dessus le vautour, et dit la
maternité. La fécondité bienfaisante, l'infinie bonté
maternelle, voilà ce qui glorifie, purifie ces ardeurs
d'Afrique. Tout à l'heure, la mort et le deuil, et
l'éternité du regret, vont trop bien les saneti-
-fier.
Les religions sont-elles sorties uniquement de k
nature, du climat, du génie fatal de la race et de la
contrée? ohl bien plus, des besoins du cœur.
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m lA GRANDE LÉGENDE D'AFRIQUE.
Presque toujours, elles jaillirent des souffrances de
Tâme blessée. Sous la piqûre d'un trait nouveau,
l'homme, comme un arbre de douleurs, arradia de
lui un fruit de consolation nouvelle. Jamais nulle
religion n'a mieux témoigné de ceci que celle de
lancienne Egypte : dile est manifestement la conso-
lation sublime d'un pauvre peuple laborieui, qui,
travaillant sans relâche, sentant d'autant plus la
mort que la famille est tout poup lui, chercha
quelque allégement dans la nature immortelle,
se fla à ses résurrections, et lui demanda Fespé*
rance.
Et la nature attendrie lui jura qu'on ne meurt
jamais*
L'originalité puissante de cetle grande conception
populaire, c'est que, pour la première fois, l'âme
Jiumaine, la terre et le ciel, associèrent leur triple
drame dans le cadre de l'année. L'année ne meurt
que pour renaître. L'amour se prit à cette idée, et
crut l'étemelle renaissance et la résurrection de
l'âme.
Quand je vois, dans les montagnes, tel pic de
basalte qui a percé toutes les couches, et domine
tous les sommets, je me demande de quelle profon-
deur immense, et par quelle énorme force, a donc
pu surgir ce géant. La religion de l'Egypte me
donne cet étonnement. De quelle profondeur jaillit-
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LA. FEMME GOMME PIEU DE fiONTÉ. 245
elle, et de tendresse physique, et d'amour et de
douleur?. .. Abîmes de la nature I . . .
Dans la mère universelle, la Nuit, furent conçus,
avant tous les temps, une fille, un fils, Isis-Osiris ;
mais qui déjà s'aimaient tant dans le sein mater-
nel, et qui étaient tellement uns, qu'Isis en devint
féconde. Même avant d'être , elle était mère. Elle
eut un fils qu'on nomme Horus, mais qui n'est
autre que son père, un autre Osiris de bonté, de
beauté» de lumière. Donc, ils naquirent trois (mer-
veille I ) : mère, père et fils , de même âge , de mémo
amour, de même cœur.
Quelle joiel les voilà sur l'autel, la femme,
l'homme et l'enfant. — Notez que ce sont des per-
sonnes, des êtres vivants, ceux-ci. Non la trinité
fantastique où l'Inde fait l'hymen discordant de trois
anciennes religions. Non la trinité scolastique où
Byzance a subtilement raisonné sa métaphysique.
Ici , c'est la vie, rien de plus ; du jet brûlant de la
nature sort la triple unité humaine.
Oh! que les dieux jusque-là étaient sauvages et
terribles ! Le Siva indien ferme Tœil, car le monde
périrait sous son dévorant regard. Le dieu des
purs , le Feu des Perses, a iaim de tout ce qui
44.
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216 LA GRiKDK LtGENDE D'AFRIQUE.
existe. Ici, c'est la nature même qui e^ sur Tau-
tel, dans son doux aspect de famille, bénissant k
création d'un œil maternel. Le grand dieu, c'est une
mère. — Combien me voilà rassuré 1 J'avais peur
que le monde noir, trop dominé de la bête, saisi,
dans son ^enfantement , des terrifiantes imagés du
lion et du crocodile, ne fit jamais que des monstres.
Mais le voilà attendri, humanisé, féminisé. L'a-
moureuse Afrique, de son profond désir, a sus-
cité l'objet le plus touchant des religions de la
terre... Quel? la réalité vivante, uno bonne et
féconde femme.
Que c'est ardent 1 mais que c'est pur I Ardent, si
on le rapproche des froids dogmes ontologiques.
Pur, si on le met en face des raffinements modernes,
de nos blêmes conceptions, de la corruption pieuse,
du monde de l'équivoque.
La joie éclate, immense et populaire, tmite naïve.
Une joie d'Afrique altérée , c^eat l'eau , un déluge
d'eau, une mer prodigieuse d'eau douce qui vient
de je ne sais où, mais qui comble cette terre , la
noie de bonheur, s'infiltrant et s'însmuant en seb
moindres veines, en sorte que pas un grain de
sable n'ait à se plaindre d'être à sec. Les petits
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LA F&MME €(HIMfi ftlEC BB BONTÉ. il7
cmaiix desséchés sourient à mesure qiiie Feàti ga-
zMillante les "visite et les rsfi^ichit. La plante rit
4e t<NSit soii cœur ^and cette onde salutaire motiille
la chevelu desa racine, assiège le pied, monte h la
^fefrille) incline la tige qui mollit, gémit doucemenl.
Spectacle charmant, scène immense d'«mour et de
volupté pure. Tout cela, c'est la grande Isis, inondée
de son* bien'^aimé.
:I1 travaille le bon Oi^ris. 11 fait l'Egypte elle-
même. Cette terre, c'est son enfant. 11 fait la cul-
iure d'Egypfe. il lui engendre les Arts sans les-
quels elle eût péri.
- Mais rien ne dure. Les dieux s'éclipsent. Le
^vant soleil de bonté qui sema au sein d'Isis tout
frt»it, touté^ehose salutaire, il a pu tout créer de lui,
sauf le temps, sauf la durée. Un matin, il dispa*
ratt... Oh! vide immense I où donc est-il? Isis,
éperdue, le cherdie^
La sombre doctrine, répandue dans Toecident de
l^Asie, que les diieux même doivent mourir^ ce dogme
dé la 9^, de l'Asie Mhfièure et des Iles, n'eût pas
dû, ce semble, approcher de cette robuste Afrique,
qui a un seiftiment si fort et si préiient de la vie.
Mais , comment le méconnaître? Tout meurt< Le
père de la vie, le Nil tarit, se dessèche. Le soleil,
à certains mois, n'en peut plus ; le voilà défait et
pâle; il a perdu ses rayons.
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%4» LA GRANDE UGENDE D'AFRIQUE.
Osiris, la vie, la bonté, meurt, et d*un trépas
barbare; ses membres sont dispersés. L'épouse
éplorée reti*ouve ses débris ; un seul lui manque
qu'elle cherche en s'arrachant lescheveuic. a Hélas !
celui-ci, c'est la vie, Ténei^ie de vie I... Puissance
sacrée d'amour^ si vous manquez, qu'est-ce du
mcmde?... Où vous retrouver maintenant? » Elle
implore le Nil et l'Egypte. L'Egypte n'a garde de
i^ndre ce qui sera pour elle le gage d'une fécondité
éternelle.
Mais une si grande douleur méritait bien un mi-
racle. Dans ce violent combat de la tendresse et de
la mort, Osiris, tout démembré qu'il est, et si cruel-
lement mutilé, dune volonté puissante, ressuscite,
revient à elle. Et, si grand est l'amour du mort,
que, par la force du cœur, il retrouve un dernier
désir. Il n'est revenu du tombeau que pour la ren-
dre mère encore. Oh I combien avidement elle re-
çoit cet cmbrassementi Mais ce n'est plus qu'un
adieu. Et le sein ardent d'Isis ne réchauffera pas ce
germe glacé. N'importe. Le fruit qui en naît, triste
et pftle, n'en dit pas moins la suprême victoire de
l'amour, qui fut fécond avant la vie, et l'e^ encore
après la vie.
Les commentaires qu'on a faits sur cette légende
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lA FEMME GOMME DIIU DE BONTÉ. M9
si simple lui prêtent un sens profond de symbolisme
astronomi({be. Et certainementi de bonne heure, on
sentit la coïncidence delà destinée de Thomme avec
le cours de Tannée, la défaillance du soleil^ etc., etc.
Mais tout cela est seconcbdre, observé plus tard,
ajouté. L'origine première est humaine, c est la
très-réelle blessure de la pauvre veuve d'Egypte et
son inconsolable deuil.
D'autre part, que la couleur africaine et maté-
rielle ne vous fasse pas illusion. 11 y a ici bien autre
chose que le regret des joies physiques et le désir
inassouvi. La nature, à celte souffrance, sans doute,
avait de quoi répondre. Mais Isis ne veut pas un mâle,
elle veut celui qu'elle aime seul, le sien et non pas
unautre^ le même, et toujours le même. Sentiment
tout exclusif, et tout individuel. On le voit aux soins
infinis qui se prend de la dépouille, pour qu'un seul
atome n'y manque, pour que la mort n'y change
rien et puisse un jour restituer, dans son intégra-
lité, cet unique objet d'amour;
« Je veux celui qui fut mien, qui fut moi, et ma
moitié. Je le veux, et il revivra. Le scarabée renaît
bien, et le phénix renaît bien; le soleil, Tannée re-
naissent. Je le veux, et il renaîtra. Est-ce que je ne
suis pas la vie, et la Nature éternelle? Il a beau s'é-
clipser un jour. Il faut bien qu'il me revienne. Je
le sens, je le porte en moi. En moi, je Teus avant
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«0 LA GRANDES LËGIUDE D'AFRIQUE.
d'êlre».. Si vous voulez le savoir, je fus sa sœur et
son amante, mais j'étais sa mère aussi? » '
Vérité naïve et profonde. Sous forme mythologi-
que, c'est le triple mystère d'amour exprimé pour
kl première fois. Épouse, vraie sœur de Iliomme
dans le travail de la vie, plus que sœur et plus
qu'épouse pour le consoler le soir et reposer sa tête,
elle le berce, fatigué, Tendort c6mme son nourris-
son, et, le reprenant dans son sein, l'enfante d'une
vie nouvelle, oublieux de tout^ rajeuni, pour l'éveil
joyeux de l'aurore. C'est la force du mariage,
(non des voluptés éphémères). Plus il dure, et plus
l'épouse est mère de l'époux, plus il est son fils.
Garantie d'immortalité. Mêlés à ce point, qui
donc parviendrait à les disjoindre? Isîs oontient
Osiris, et l'enveloppe tellement de sa tendre mater-
nité, que toute séparation n'est évidemment qu'un
songe.
Dans cette légende si tendre, toute bonne et toute
naïve, il y a une saveur étonnante d'immortalité
qui ne fut dépassée jamais. Ayez espoir, coeurs
affligés, tristes veuves, petits orphelins, vous pleu-
rez, mais Isis pleure, et elle ne désespère pas. Osi-
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LA FEMME GOM.ME DIEU DE BONTÉ. 25i
ris, mort^n'ea vit pas moins. 11 est ici resaouvelé
constamment dans son innocent Apis. Il 6st là-bas,
pasteur des âoaes, déboimaire gardien du monde
des ombres, et Yolre Baiort est près de lui. Ke crai- >
gnez rien, il est bien là. II va revenir un jour vous
redemander son corps. Enveloppons-la avec soin,
cette précieuse dépouille. Embaumons-la de par-
fums, de prières, de brûlantes larmes. Conservons-
la bien près de nous. beau jour, ou le Père des
âmes, sorti du royaume sombre, vous rendra Tâme
chérie, la rejoindra à son corps, et dira : u Je vous
Fai gardé. »
La permanence de Tâme, — non vague et imper-
sonnelle, comme dans le dogme d'Asie, — mais de
l'âme individu, de l'âme aimée, consacrée et éter-
nisée dans l'amour, la iixilé impérissable du moi
adoré, la tendre bonté de Dieu lié par les pleurs
d'une femme et tenu de restituer, — ce bienfait im-
mense, dès lors, a été reçu de tous. Et il ne passera
pas.
Dieu est tenu, mais pour les bons. Il les distin-
guera des méchants. — Ainsi ^ pour la première
fois, apparaît nettement le Jugement et la Justice
divine.
En attendant, travaillons, bâtissons des choses
éternelles, perpétuons notre mémoire, parlons aux
âges futurs en langue de marbre et de granit. L'É-
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S8S LA GRANDE LÉGENDE D'AFRIQUE, ETC.
gypte entière est comme un livre^ où tous les sages,
un è un, viennent étudier.
Dès lors, toute nation imite, prend l'émulation
de durée. On entasse, on accumule. Chaque jour va
s'enrichissant Théritage du genre humain.
Ainsi, de morale et d'art, de travail, d'immor-
talité, cette adorable légende féconda toute la
terre;
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XI
COMMENT LA FEMME DÉPASSE L'HOMME
Le bonheur de l'initiateur, c'est de se voir dé-
passé par rinitié. La femme, cultivée incessam-
ment de r homme, fécondée de sa pensée, croit
bientôt, et un matin se trouve au-dessus de lui.
Elle lui devient supérieure, et par. ces éléments
nouveaux, et par des dons personnels, qui, sans
la chaleur de l'homme, auraient eu peine à éclore.
Aspirations mélodiques, attendrissement de la na-
ture, ces choses étaient en elles ; mais elles ont
fleuri par l'amour. Ajoutez un don (si haut, que
c'est, de tous, celui qui met le plus notre espèce à
part des autres) : un bon et charmant cœur de
femme, riche de compassion, d'intelligence pour le
soulagement de tous, la divination de la pitié.
Elle est docile, elle est modeste, ne sent pas sa
15
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ÎM GOMMENT LA FEMME DÉPASSE L'HOMME.
I
jeune grandeur ; mais, à chaque instant, elle éclate.
Tu la mènes au Jardin des Plantes, et elle y rêve
les Alpes, les forêts vierges d'Amérique. Tu la mènes
au Musée des tableaux, et elle pense au temps où il
n'y aura plus de musées, les villes entières étant
musées, ayant toutes les murailles peintes à l'instar
du Campo-Santo. Aux laborieux concerts d'artistes,
elle pressent les concerts de peuples qui se feront
dans l'avenir, les grandes Fédérations où Tâme
du genre humain s'unira dans Taccord final de l'u-
niverselle Amitié.
Tu es fort. Elle est divine, comme fille et sœur de
la nature. Elle s'appuie sur ton bras, et pourtant
elle a des ailes. Elle est faible, elle est souffrante,
et c'est justement lorsque ses beaux yeux languis*
sants témoignent qu'elle est atteinte, c'est alors que
ta chère sibylle plane à de grandes hauteurs sur
des sommets inaccessibles. Comment elle est là, qui
lésait?
Ta tendresse y a fait beaucoup. Si elle garde cette
puissance, si, femme et mère, mêlée de l'homme,
elle a en plein mariage la virginité sibyllique, c'est
que ton amour inquiet, enveloppant le cher trésor,
a fliit deux parts de la vie,— pour toi-même le dur
labeur et le rude contact du monde, — pour elle la
paix et l'amour^ la maternité, l'art, les doux soins
,de l'intérieur.
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GOMMENT LA FEMME DÉPASSE L'HOMME 255
Que tu as bien fait I que je t'en sais gré !... Oh I
la femme, le vase fragile de Fincomparable albâtre
où brûle la lampe de Dieu, il faut bien le ménager,
le porter d une main pieuse ou le garder au plus
près dans la chaleur de son sein !
C'est en lui sauvant les misères du travail spé-
cial où s'usent tes jours, cher ouvrier, que tu la
tiens dans cette noblesse qu'ont seuls les enfants
et les femmes, aimable aristocratie de Tespèce hu-
maine. Elle est ta noblesse, à toi, pour te relever
de toi-même. Si tu reviens de ta forge, haletant,
brisé d'efforts, elle, jeune et préservée, elle te verse
la jeunesse, te rend un flot sacré de vie, et te refait
Dieu, d'un baiser.
Près de cet objet divin, tu ne suivras pas à Ta-
veugle l'entraînement qui te retient sur ton âpre et
étroit sentier. Tu sentiras à chaque instant l'heu-
reuse nécessité d'élever, d'étendre tes conceptions,
pour suivre ta chère élève là où tu l'as fait monter.
Ton jeune ami, ton écolier, comme elle dit modeste-
ment, ne te permet pas, ô maitre, de t'enfermer
dans ton métier. Elle te prie à chaque instant d'en
sortir et de Taider, de rester en harmonie avec
toute chose noble et belle. Pour suffire aux humbles
besoins de ton petit camarade, tu seras forcé d'être
grand*
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2^e GOMMENT LA FEMME DÉPASSE L'HOMME.
Elle est petite et elle est haute. Elle a des octaves
de plus, dans le haut et dans le bas. C'est une lyre
plus étendue que la tienne, mais non complète ; car
elle n est pas bien forte dans lès cordes du milieu.
Elle atteint dans le menu des choses qui nous
échappent. D'autre part, en certains moments, elle
voit par-dessus nos têtes, perce l'avenir, l'invisible,
pénètre à travers les corps dans le monde des
esprits.
Mais la faculté pratique qu'elle a pour les pe-
tites choses, et la faculté sibyllique qui parfois la
mène aux grandes, ont rarement un milieu fort,
calme, harmonique, où elle puisse se rencontrer,
se féconder. Chez la plupart, elles alternent ra-
pidement sans transition, selon l'époque du mois,
La poésie tombe à la prose, la prose monte à la
poésie , souvent par brusques orages, par coups
subits de mistral. C'est le climat de Provence.
Un illustre raisonneur rit des facultés sibylliques.
Il nie cette puissance si incontestable. Pour la dé-
précier, il semble confondre V inspiration spontanée
de la femme avec le somnambulisme y état dangereux,
maladif, d'asservissement nerveux, que lui impose le
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GOMMENT LA FEMME DÉPASSE L'HOMME. S57
plus souvent Tascendant de rhomme. Il demande le
cas qu'on peut faire d'une faculté si incertaine,
« d'ailleurs physique et fatale. »
L'inspiration, je le sais, même la plus spontanée,
n'est pas libre entièrement; elle est toujours mixte,
et marquée d'un peu de fatalité. Si, pour cela,
on la dégrade, il faudra dire que les artistes émi-
nents ne sont pas hommes. Il faudra apparem-
ment renvoyer avec les femmes Rembrandt, Mozart
et Corrége, Beethoven, Dante, Shakspeare, Pascal,
tous les grands écrivains. Est-il bien sûr que ceux
même qui croient exclusivement s'appuyer de la
logique, ne donnent rien a cette puissance fémi-
nine de l'inspiration? J'en trouve la trace jusque
chez les plus déterminés raisonneurs. Pour peu
qu'ils deviennent artistes, ils tombent, à leur insu,
sous la baguette de cette fée.
On ne peut dire (comme Proudhon) que la femme
n'est que réceptive. Elle est productive aussi par son
influence sur l'homme, et dans la sphère de l'idée,
et dans le réel. Mais son idée n'arrive guère à la
forte réalité. C'est pourquoi elle crée peu.
La politique lui est généralement peu acces-
sible. Il y faut un esprit générateur et très-mâle.
Mais elle a le sens de Tordre, et elle est très-propre
à Tadministration.
Les grandes créations de l'art semblent jusqu'ici
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258 GOMMENT LA FEMME DÉPASSE L'HOMME.
lui être impossibles. Toute œuvre forte de la civi-
lisation est un fruit du génie de Thomme.
On a fait fort sottement de tout cela une question
d'amour-propre. U homme et la femme sont deux
êtres incomplets et relatifs, n'étant que deux moitiés
d'un tout. Ils doivent s'aimer, se respecter.
Elle est relative. Elle doit respecter Thomme, qui
crée tout pour elle. Elle n'a pas un aliment, pas un
bonheur, une richesse, qui ne lui vienne de lui.
H est relatif. Il doit adorer, respecter la femme,
qui fait Thomme, le plaisir de l'homme, qui par
l'aiguillon de l'éternel désir a tiré de lui, d'âge en
âge, ces jets de flammes qu'on appelle des arts, des
civilisations. Elle le refait chaque soir, en lui don-
nant tour à tour les deux puissances de vie : —
en l'apaisant, l'harmonie; — en l'ajournant, l'é-
tincelle.
Elle crée ainsi le créateur. Et il n'est rien de plus
grand.
Je ne reproche pas à la femme de ne point donner
les choses pour lesquelles elle n'est pas faite. Je
Faccuse seulement de sentir parfois trop exclusive-
ment sa haute et charmante noblesse, et de ne pas
tenir compte du inonde de création, du sens généra-
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GOMMENT LA FEMME DEPASSE L'HOMME. S59
leur de rhomme, de son énergie féconde, des efforts
prodigieux de ce grand ouvrier. Elle ne les soup-
çonne même pas.
Elle est la beauté et n'aime que le beau, mais
sans elTcH^t, le beau tout fait. Il y a une autre beauté
qu'elle a peine à saisir, celle de Faction, du travail
héroïque, qui a fait cette belle chose, mais qui est
plus belle elle-même/et souvent jusqu'au sublime.
Grande tristesse pour ce pauvre créateur de voir
qu'en admirant l'effet (l'oeuvre réussie), elle n'ad-
mire pas la cause, et trop souvent la dédaigne! que
ce soit justement l'effort qu'on a fait pour elle qui
refroidisse son cœur, et qu'en méritant davantage,
on commence à lui plaire moins I
a J'ai beau faire, je ne la tiens pas. Elle est à moi
depuis longtemps et je ne l'aurai jamais. x>
C'est le mot assez bizarre qu'un homme de vrai
mérite, d'un cœur aimant et fidèle, toujours épris
de sa femme, disaril un jour. Celle-ci, brillante,
mais bonne et douce, complaisante, aimable pour
lui, ne pouvait être Tobjet d'aucun reproche sérieux.
Elle n'avait d'autre défaut que sa supériorité et sa
distinction croissante. Il sentait, non sans tristesse,
qu'elle n'était plus enveloppée de lui comme d'a-
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MO COMMENT LA FEMME DÉPASSE L'HOMME.
bord, cette chère idole, et que, le voulût-elle ou non,
elle planait dans une sphère indépendante de celle
où il a^it concentré son activité.
Ils exprimaient parfaitement les types que j'ai
posés aux chapitres de YÊducatian : n L'homme
moderne, essentiellement, est un travailleur, un
producteur. La femme est une harmonie. »
Plus l'homme devient créateur, plus ce contraste
est saillant. Il explique bien des refroidissements
qu'on aurait tort d'expliquer par la légèreté du
cœur, l'ennui, la satiété. Ils n'arrivent pas toujours
parce que les époux se fatiguent de se retrouver les
mêmes, de ne pas changer, mais, — au contraire,
parce qu'ils ont changé, progressé en mieux. Ce
progrès qui pourrait leur ôtre une nouvelle raison
de s'aimer, fait pourtant que, ne retrouvant plus
leurs anciens points de jonction, ils n'ont guère
d'action l'un sur l'autre et désespèrent d'en re-
prendre.
Resteront-ils ainsi posés froidement à côté, indif-
férents, réunis uniquement par les intérêts? Non,
l'écartement augmente. Le cœur prendra parti
ailleurs. En France, il est très-absolu, veut l'union
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GOMMENT LÀ FEMME DÉPASSE L'HOMME. 2GI
la plus unie, ou un autre amour. U dît : « Tout ou
rien. »
Qu'on me permette un paradoxe. Je soutiens
qu'en dépit de la gaieté insouciante que Ton simule
en ces choses, notre temps est celui où Tamour
est le plus exigeant et le plus insatiable. S'il s'en
tient à un objet, il aspire à le pénétrer à une pro-
fondeur infinie. Prodigieusement cultivés, pourvus
de tant d'idées nouvelles, d'arts nouveaux, qui sont
des sens pour goûter la passion, si peu que nous
l'ayons en nous, nous la sentons par mille points
insensibles à nos aieux.
Mais il arrive trop souvent que rol)jet aimé
édiappe, — soit par défaut de consistance, fluidité
féminine , — soit par transformation brillante et
progrès de distinction, — soit enfin par des ami*
tiés, des relations secondaires qui partagent son
cœur et le ferment.
L'homme en est humilié, découragé. Très-sou-
vent il en reçoit dans son art et dans son activité le
adieux contre-coup. Il s'en estime moins lui-même.
Alors, plus souvent qu'on ne croit, un amour-propre
passionné, anime et double l'amour. Il voudrait
reconquérir, posséder cette chère personne, qui
parfois, sans ironie, mais dans une grande froi-
deur, dit en souriant : « Fais ce que tu peux, b
a Ter totum fervidus ira, lustrât Aventini mon-
15.
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Î62 GOMMENT LA FEMME DÉPASSE L'HOMME.
tem, ter saxea tentât limina nequicquam, ter fessus
valle resedit. »
« Trois fois, bouillant, il tourne autour du mont,
trois fois secoue le froid rempart de pierre, trois
fois retombe, s'assoit dans la vallée. x>
L'entrave, la mystérieuse influence négative,
Tempêchement dirimant, vient presque toujours du
dehors. Mais elle ne se trouve pas toujours dans
une pc^rsonne malveillante. C'est une mère, c'est
une sœur, un salon d'amis, que sais-je? La cause
la plus honorable a parfois de ces effets. U suffit,
pour qu'il n'y ait plus mariage, qu'une amitié vé-
hémente détourne la sève d'amour.
J'ai vu deux dames accomplies liées d'une étroite
amitié. Une seule était mariée. L'autre resta demoi-
selle pour se donner tout entière à cette affection. Le
mari, homme d'esprit, écrivain brillant, léger,
avait apporté un don admirable. Grande questi(m
de savoir si ce don des fées se fixerait, s'affer-
mirait. Il réalisait, par moments, d'instinct, j'allais
dire, par hasard. Alors, son œuvre éclipsait tout.
Que serait-il arrivé si la fantasque étincelle eût été
bénie, couvée de l'amour?
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GOMMENT LÀ FEMME DÉPASSE L'HOMME. SdS
Elle était extrêmement belle, et de cœur plus
belle encore. Elle avait un sens moral élevé , mais
fort sérieux , qui lui faisait sentir peu ces capri-
cieuses lueurs. Elle avait, pour s'y confirmer;
l'amitié... non, Tadoration d une femme adorable
elle-même. En présence de ce couple si uni et si
parfait, le mari pouvait-il tenir? Il n'y venait pas
en tiers. Ses qualités fines et flottantes , mêlées de
défauts exquis qui marquent quelquefois les génies
de la décadence, n'allaient guère à la ligne droite
sur laquelle on les appliquait. Les deux amies, ver-
tueuses, pures el transparentes comme la lumière
à midi, goûtaient médiocrement la grâce indécise
et sensuelle, le fuyant crépuscule.
Cette indécision augmenta. Il avait un tort bien
grave ; c'était de ne pas croire en lui. Ses amis y
avaient foi, le sommaient de tenir parole. Maïs rien
ne supplée à l'appui intérieur. La femme est le
grand arbitre, le souverain juge. 11 s'en fût tiré
mieux peut-être avec une femme vulgaire. Celle-ci,
par sa noble beauté, par sa pureté candide, par ses
talents estimables, commandait trop de respect.
Cette perfection excessive ne laissait guère la voie
d'appel contre ses jugements. Jugements toujours
bienveillants, mais sincères.
Cet homme singulier et charmant ne pouvait rien
qu'à Taveugle. 11 fallait que la main aimée, lui ban-
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864 COMMENT LA FEMME DiÉPÀSSE L'HOMME.
dant les yeux, aidât à cet aveuglement qui le ren-
dait productif. Au contraire, il vécut toujours ayant
à côté de lui la réflexion judicieuse. Solitaire, au
moment sacré , il la sentait cette prudence qui rec-
tifiait l'inspiration... Il s'arrêtait court, ratait.
Les femmes me permettront-elles de dire ici un
petit mot? Elles ont l'oreille plus fine, entendront
mieux. D'ailleurs elles ont plus de temps , pour la
plupart. I/homme, ce martyr du travail, dans Ten-
trainement et Teffort, étourdi, ne m'entendrait pas :
Madame, ne soyez pas parfaite. Gardez un tout
petit défaut, assez pour'consoler Thomme.
La nature veut qu'il soit fier. Il faut, dans votre
intérêt, dans celui de la famille, qu'il le soit, qu'il
se croie fort.
Quand vous le voyez baisser, attristé, découragé,
le plus souvent le remède serait de baisser vous*
même, d'être plus femme, et plus jeune, — même,
au besoin, d'être enfant.
Second conseil : — Madame ne partagez pas
voire cœur.
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GOMMENT LÀ FEMME DÉPASSE L'HOMME. 365
Jfi VOUS dirai ce que j*ai vu à Hyères, en Provence,
dans un magnifique jardin. Il était planté d'oran-
gers, bien soignés, convenablement espacés, dans
la meilleure exposition ; ils n'avaient point à se
plaindre ; dans ce pays, où Ton aime à entremêler
les cultures , on s'était abstenu pourtant de mettre
aucun plant entre eux, aucun arbre, aucune vigne
qui pût leur faire tort. Seulement, quelques bor-
dures de fraises se voyaient le long des al-
lées. Fraises admirables, délicieuses, parfumées.
Comme on sait, elles ont peu de racine ; elles tra-
cent à la superficie, et traînent, sans enfoncer, leurs
faibles et grêles chevelures. Cependant les orangers
languirent et devinrent malades. On s'inquiéta,
on regarda ce qui pouvait les chagriner. On eût
tout sacrifié. On ne soupçonna jamais que les inno-
cents fraisiers fussent la cause de la maladie. Ces
arbres robustes eux-mêmes, si on les eût consultés,
n'auraient pas, je crois, avoué que leur énervation
tint à si petite cause. Ils ne se plaignirent pas,
moururent.
A Cannes, non loin de là, on sait que l'oranger
n'a force que là où il est solitaire. Non-seulement
on ne lui donne aucun camarade ni grand, ni petit,
mais, avant d'en planter un, on fouille d'abord le
terrain à huit pieds de profondeur. On le fouille
par trois fois pour savoir s'il est net et vide, s'il ne
MODE«N LANGUAOES
FACULTY LÏBRARY
OXFORD.
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M6 GOMMENT LA FEMME DÉPASSE L'HOMME.
contient pas de racine oubliée, quelque herbe
vivante qui prendrait sa part de la sëve.
L'oranger veut être seul, madame, — et l'amour
aussi.
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XII
DES HUMILITÉS DE L'AMOUR
CONFESSION
L'amour est chose bien diverse, et d'espèce et
de degré. De nation à nation, il est extrêmement
différent.
La Française est pour son mari un admirable
associé, en affaires, même en idées. S'il ne sait
pas remployer, il peut se faire qu'elle l'oublie.
Mais qu'il soit embarrassé, elle se souvient qu'elle
l'aime, se dévoue, et quelquefois (on l'a vu en 93)
elle se ferait tuer pour lui.
L'Anglaise est la solide épouse, courageuse, in-
fatigable, qui suit partout, souffre tout. Au pre-
mier signe elle est prête. « Lucy, je pars aujour-
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368 DES HUMILITÉS DE L'AMOUR.
d'hui pour TOcéanie. — Donnez-moi seulement,
mon ami, le temps de mettre un chapeau. »
L'Allemande aime, et aime toujours. Elle est
humble, veut obéir, voudrait obéir encore plus.
Elle nestproprequaune chose, aimer. Mais, c'est
l'infini.
Vous pouvez avec l'Anglaise aisément changer
les milieux, et, si celui-ci est mauvais, émigrer au
bout du monde. Vous pouvez, avec l'Allemande,
vivre tout seul, s'il vous plait, dans une campagne
éloignée, dans la profonde solitude. La Française
n'en est capable qu'autant qu'elle est très-occupée
et qu'on a su lui créer une grande activité d'esprit.
Sa forte personnalité*est bien plus embarrassante,
mais la rend capable d'aller loin dans le sacrifice,
même d'immoler la vanité et le besoin de briller.
C'est tout fait pour l'Allemande, qui ne veut rien
que de Tamour.
Un esprit ultra-français, très-opposé à l'AUema*
goe et qui s'en moque à chaque instant, Stendhal
fait cette remarque très*juste : a Le meilleur ma-
riage c'est celui qu'on voit dans l'Allemagne pro-
testante. »
Telle il vit l'Allemande en 1810, telle je la vis
en 1850, et souvent depuis. Les choses ont pu
changer pour les hautes classes et pour quelques
grandes villes, non pour l'ensemble du pays ; c'est
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GONFESSIOn. 369
toujours Tépouse humble, obéissante, passionnée
pour obéir; c'est, d'un mot, la femme amoureuse.
L'amour vrai, Tamour profond, se reconnaît à
cela qu'il tue toutes les passions : orgueil, ambi-
tion, coquetterie, tout s'y perd, tout disparaît.
Il est si loin de Torgueil, que souvent il passe au
plus loin, se place juste à Tautre pôle. Désireux de
s'absorber, il fait bon marché de lui, il oublie fort
aisément ce qu'on appelle dignité, sacrifie sans hé-
sitation les beaux côtés qu'on montre au monde.
Il ne cache rien des mauvais, et parfois les exagère,
ne voulant plaire par nul mérite que par Texcës de
l'amour.
Les amoureux et les mystiques ici tout à fait se
confondent. Dans les uns et les autres, excessive
est l'humilité, le désir de se rabaisser pour grandir
d'autant plus le dieu; que ce soit une femme aimée,
que ce soit un saint favori, l'effet est le mtoie. Je
ne sais quel dévot disait : « Si j'avais pu seulement
être le chien de saint Paulin! » Plus d'une fois j'ai
entendu des amants dire la même chose : « Si seu-
lement j'étais son chien ! »
Mais ces ravalements de l'âme, ces voluptés d'a-
baissement, Tamour ne doit pas les souffrir. Son
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970 DES HUMILITÉS DE L'AMOUR.
effort, au contraire, est d'élever la personne ai-
mante, tout au moins de la maintenir à son niveau,
de cultiver l'union par ce qui la resserre, ce qui
seul la rend réelle : l'égalité. Si les deux âmes
étaient si disproportionnées, nul échange ne serait
possible, nul mélange. On ne parviendra jamais à
harmoniser tout et rien.
C*est le supplice que le colonel Sehes (Soliman-
Pacha) ne craignait pas d'avouer, a Comment sa-
voir qu'on est aimé, disait-il, avec la femme d'O-
rient? » — Nous qui avons le bonheur de posséder
dans nos femmes d'Europe des âmes et des volon-
tés, quelque embarras que parfois ces volontés nous
suscitent, nous devons éviter pourtant tout ce qui
pourrait les briser, rompre en elles le ressort de
l'âme. Deux choses surtout y serai^t infiniment
dangereuses.
La premièrei dont on abusé beaucoup trop au-
jourd'hui sur les femmes imprudentes, c'est l'ascen-
dant magnétique. La facilité malheureuse qu'elles
ontà le subir est une maladie véritable quiles trouble
profondément et s'aggrave en la cultivant. Ce
danger n'existât-il pas, c'est une honte de voir
an homme qui n'est point aimé, et qui n'a rien
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CONFESSION. 371
pour le cœur, prendre une puissance sans bornes
sur les volontés d'une femme. Elle deyient sa pro-
priété, forcée de mouvoir à son signe, ou de dire
devant témoin le plus humiliant secret. Elle le suit
fatalement. Pourquoi? Elle ne saurait le dire. Il
n'est supérieur en rien pour lesprit, ni pour l'é-
nergie, mais elle s'est laissé surprendre, sous pré-
texte de médecine, d'amusement de société, etc.,
et la voilà livrée à mille chances inconnues. Ces
victimes ont-elles vraiment l'inspiration médicale?
le temps le dira. Mais, quoi qu'il en soit, ce don est
payé bien cher, puisqu'il fait une malade, une ma-
lade humiliée, qui perd la disposition de sa vo-
lonté. Celui même qui est aimé, son amant, son
mari, si elle le prie de prendre ce pouvoir sur
elle, doit y regarder longtemps. Au lieu d'évoquer
en elle cette passiveté d'esclavage et d'inspiration
ténébreuse, il l'associera aux facultés actives qui
sont celles de la liberté, et ne voudra exercer sur
elle qu'un genre d'attraction, l'amour en pleine
lumière.
Un autre ascendant que tout homme généreux,
au cœur bien placé, se gardera d'exercer, c'est
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)72 DES HUMILITÉS D& L'AMOUR.
celui de la violence, la fascination de la crainte.
Les femmeâ, pa^ toute TAsie (on peut dire pres-
que par toute la terre), sont traitées comme des
.enfants. Mais il faut considérer qu'excepté dans
notre Europe, elles sont mariées enfants, dans les
pays chauds à douze ans, à dix ans, et même, dans
rinde, quelquefois à huit. Le mari d'une femme
de huit ans est obligé, d*étre son père, en quelque
sorte, son maitre, ppur la former. De là la contra-
diction apparente des lois indiennes qui, d'une
part, défendent de frapper la femme, et ailleurs
permettent de la corriger «t comçie un petit écolier. »
Elles sont toujours enfants, et cette discipline pué-
rile (non servile ni violente), elles la subissent pa-
tiemment. Dans Fétat polygamique, elles restent
craintives et sensuelles, s'attachent un peu par la
crainte, en recevant tout du même, caresses et sé-
vérités.
Nos femmes du Nord, au contraire, n'étant nu-
biles que très-tard, sont tout à fait des personnes,
et nullement des enfants, au moment du mariage.
A les traiter en enfants, il y aurait le plus horrible
abus de la force. Ajoutons le plus dangereux. Il se
trouve généralement que les moments où leur hu-
meur difficile provoque la brutalité de l'homme,
ce sont les époques du mois où elles sont le plus
vulnérables, où toute émotion violente pourrait leur
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CONFESSION. Î75
donner la mort. Ellesi ont alors des heures, des
jours d'agitation cruelle^ où elles souffrent elles-
mêmes (elles l'avouent) du démon de la contradio
tion, où tout conspire à leur déplaire, où elles
ont besoin de choquer. Il faut compatir, ne point
s'irriter. C'est un état très-mobile; et comme au
fond, malgré ces aigreurs, il cache une émotion
de nature nullement haineuse, il suffit souvent
d'un régime un peu détendu, d'un peu d'adresse
et d'amour pour changer cette fière pei*sonne tout
à coup, et la faire passer à la plus charmante
douceur, aux réparations, aux lai^mes, au plus
amoureux abandon.
L'homme y doit bien réfléchir. La femme est
plus sobre que lui; l'abus des spiritueux qu'il ne
fait que trop, doit le mettre singulièrement en
garde contre lui-même. Elle, quand elle est exaltée,
violente, c'est le plus souvent la cause la plus na-
turelle (et au fond la plus aimable) qui l'agite, lui
fait piquer Thomme par des mots aigus, des
défis. Les Français le savent bien. 11 ne s'agit pas
pas d'amour-propre, mais d'amour. Il ne faut pas
se heurter front contre front (comme on fait trop
en Angleterre). Il ne f^ut pas rire non plus, ni
vouloir un brusque passage de la querelle aux ca-
resses. Mais tourner un peu, louvoyer. Un enlr'acle
de . faiblesse, de relâchement naturel, arrive; la
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274 DES HUMILITÉS DE L'AMOUR.
bonne grâce revient, on avoue qu'on est méchante,
et l'on vous paye d'être bon.
Aux temps barbares, le gouvernement intérieur
de la famille, comme le gouvernement public, ne
vivait que de coups d'état. Passons, je vous prie,
aux temps civilisés de Tentente cordiale, du libre
et doux gouvernement qui se ferait par Taccord de
la volonté.
liC coup d'état domestique de l'homme, c'est
l'ignoble brutalité qui met la main sur la femme,
c'est la violence sauvage qui profane un objet sa-
cré (si délicat, si vulnérable!), c'est l'ingratitude
impie qui peut outrager son autel.
Le coup d'état de la femme, la guerre que fait
le faible au fort, c'est sa propre honte à elle, l'a-
dultère, qui humilie le mari, lui inflige l'enfant
étranger, qui les avilit tous les deux, et les rend
misérables dans l'avenir.
Ni4.'un ni l'autre de ces crimes ne serait com-
mun, si rîmit^: était assurée par Tépanchement de
chaque jour, par .^ime communion permanente où
les plus légères dissidences aperçues, fondues tout
d'abord, n'auraient pas le temps de créer de telles
tempêtes. On se veillerait davantage soi-même par
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CONFESSION. 275
Tobligation de dire tout. Les tentations non cou-
vées ont bien moins de prise.
La confession conjugale (un sacrement de Tave-
nir) est Tessence du mariage. A mesure que nous
sortirons de Fétat grossier, barbare, où nous
sommes encore plongés, on sentira qu'on se ma-
rie précisément pour cela, pour s épancher tous
les jours, pour se tout dire sans réserve, affaires,
idées, sentiments, pour ne garder rien à soi, pour
mettre en commun son âme tout entière, même
en ces nuages confus qui peuvent devenir de grands
orages dans un cœur qui les fomente, au lieu de
les confier.
Je le répète, c^est cela qui est le fond du ma^
riage.
Est-ce dans la génération qu'il est essentielle-
ment? Non. Lors même qu'il est stérile, il peut
être très-uni. Sans enfant, il y a mariage.
Est-ce dans réchange du plaisir qu'on le fera
consister? Non. Lors même que le plaisir cesse par
l'âge ou la maladie, il y a tout autant mariage*
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276 DES HUMILITÉS DE L'AMOUR.
U consiste dans l'échange quotidien de la pen-
sée, de la volonté, dans le mélange et Taccord per-
manent des deux âmes. Le beau mot des juriscon-
sultes : Mariage, c'est consentemeîity il faut qu'il se
reproduise jour par jour, qu'une confiance de cha-
que instant assure qu'on est dans cette voie où
chacun consent à ce que veut et fait l'autre.
Qui devez-vous épouser? celle ou celui qui veut
vivre, devant vous, en pleine lumière, ne cachant
nulle pensée, nul acte, donnant et communiquant
tout.
Qui devez-vous éviter? celle ou celui qui, pro-
mettant de se donner, se garde encore, qui, dans
une enceinte réservée de l'âme, se fait un bien
exclusif dans la propriété commune, qui sous def
tient un sentiment, une idée à soi tout seul.
Les femmes pures, douces et fidèles, qui n'ont
rien à dissimuler, rien à expier, ont pourtant plus
que les autres, besoin de la confession d'amour,
besoin de se verser sans cesse dans un cœur ai-
mant.
Comment se fait-il que l'homme profite gé-
néralement si peu d'un tel élément de bonheur? U
faut vraim^t qu'une jeunesse blasée ou l'étour-
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CONFESSION. m
dissement du monde, nous rendent aveugles et
brutes, vrais ennemis de nous-mêmes, pour ne pas
sentir dès la première fois qu'une communication
si tendre est la plus fine jouissance qu'une femme
puisse donner d'elle-même.
Ahl la plupart en sont indignes I Ils sourient,
écoutent à peine, parfois se montrent sceptiques à
ces révélations naïves, qui devraient être non-seu-
lement accueillies, mais adorées.
Ce n'est pas chose si nouvelle ; pour les intérêts
et pour les affaires, les époux communiquent tout,
se confient. Il faut pour le cœur, pour les choses de
religion et d'amour, pour les agitations intérieures
et la vie secrète d'imagination, qu'ils prennent aussi
confiance. On n'est uni, marié, que par cette diose
extrême, définitive et périlleuse : « livrer son der-
nier secret, et se donner puissance l'un sur Vautre^
en se disant tout. »
Ne la laissez pas aller celte chère femme, si elle
est un peu malade, si elle. a le cœur troublé d^un
petit rêve, comme il en vient à la plus pure,
ne la laissez pas en défiance de son mari qu'elle
aime pourtant. 11 vaut bien mieux qu'elle se fie à
son indulgence et lui demande conseil, que de li-
vrer ce grand secret (qui au fond n'est rien) à je
ne sais quelle personne qui dès lors aura une arme
contre elle et contre vous, la tiendra par là, et,
10
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278 DES HUMILITÉS DE L'AMOUR.
dans la rue, sans rien dire, n'aura qu'à la regarder,
cette pauvre innoœnte, pour la faire rougir, lui
faire baisser les yeux.
Cela aura Tavantage de vous faire aussi réfléchir.
Une femme bonne et raisonnable, si elle a un léger
caprice, il faut bien que son mari se demande
pourquoi, et si ce n'est pas sa faute, à lui-même.
Au milieu de la vie, dans lentrainement, le ver-
tige on nous sommes, nous nous négligeons pour
les choses essentielles, ou nous négligeons ce que
nous aimons le plus.
11 faut se dire : « Elle a raison peut-être; je de-
viens ennuyeux, trop absorbé d'une chose. »
Ou bien :
c< Respecté-je assez sa délicatesse en certain rap-
port physique? Mesuis-je point déplaisant? »
Ou encore :
« Elle me voit, avec raison, sous un fâcheux as«>
pcct moral, — je suis dur, avare...
« Eh bien 1 je reprendrai son cœur, je serai plus
charitable, plus généreux, — magnanime, — je se^
rai au-dessus de moi. — U faudra bien qu'elle re-
connaisse qu'au total, je vaux mieux encore que
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CONFESSION. 270
celui qui lui semble aimable, et surtout que j'aime
bien plus. »
Faut-il beaucoup de paroles pour cela? infini*
ment peu. Parfois, il suffit que, le soir on s'aime
et on se regarde.
Un artiste qui a eu deux ou trois fois du génie,
Dœlmud, dans une gravure qu'il appelle le Café, a
fort bien donné le regard de deux âmes intelligentes,
qui n'ont plus besoin de parler, s'entendent tout à
fait, se comprennent.
J'y voudrais un rayon de plus, surtout du cdté de
l'homme, et, quelque chose qui dit : « Ne crois
pas que tu puisses avoir un plus profond abri qu'en
moi. »
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XIII
LA COMMUNION DE L'AMOUR. — OFFICES DE LA
NATURE
Je ne puis me passer de Dieu.
L'éclipsé momentanée de la haute Idée centrale
assombrit ce merveilleux monde moderne des
sciences et des découvertes. Tout est progrès, tout
est force, et tout manque de grandeur. Les carac-
tères en sont atteints, ëbraulés. Les conceptions
faiblissent, isolées, dispersées; il y a certes poésie ;
mais l'ensemble, Tharmonie, le poème, où sont-
ils? je ne les vois pas.
Je ne puis me passer de Dieu.
Je disais, il y a dix ans, à un illustre penseur
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I^A COMMUNION DE L'AMOUR, ETC. ÎH
dont j'aime Taudace et Ténergique austérité : Vous
êtes décentraliseur. Et je le suis en un sens,
car je veux vivre; et la centralisation rigoureuse
tuerait toute vie individuelle. Mais l'aimante Unité
du monde, loin de la tuer, la suscite ; c'est par cela
que cette Unité est TAmour. Une telle centralisa-
tion, qui ne la veut? qui ne la sent, d'ici-bas jus-
qu'aux étoiles?
De ce que nous avons quitté la thèse, insoutena-
ble, d'une providence arbitraire qui vivrait, au jour
le jour» d'arrêts individuels et de petits coups d'é-
tat, est-ce dire que nous ne sentons pas le haut
Amour impartial qui règne par ses grandes lois? Et,
pour être la Raison, n'est-ce pas l'Amour encore?
Pour moi, j'en ai le flot puissant qui par-dessous me
soulève. Des profondeurs de la vie, je ne sais quelle
chaleur monte, une féconde aspiration ; un souffle
m'en passe à la face, et je me sens mille cœurs.
Réduire toutes les religions à une tête pour la
couper, c'est un procédé trop facile. Quand môme
vous auriez, de ce monde, eflacé la dernière trace
des religions historiques, du dogme daté, resterait
le dogme éternel. La Providence maternelle de Na-
ture, adorée en des milliers de religions mortes et
vivantes, de passé ou d'avenir, auxquelles vous ne
pensez pas, elle subsiste immuable. Et, quand un
dernier cataclysme briserait notre petit globe, elle
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982 LA COMMUNION DE L'AMOUR.
n'en durerait pas moins, indestructible comme le
monde, dont elle est le charme et la vie.
Que le sentiment de la Cause aimante disparaisse,
et je n'agis plus. Que je n'aie plus le bonheur de
sentir ce monde aimé, de me sentir aimé moi-même,
-dès lors je ne veux plus vivre ; couchez-moi dans le
tombeau. Le spectacle du progrès n'a plus d'inté-
rêt pour moi. Que Télan de la pensée, de Tart,
Boit plus grand encore, je n'en ai plus pour la sui-
vre. Aux trente sciences créées d'hier, ajoutez-en
trente encore, mille, tout ce que vous voudrez, je
n'en veux pas ; qu'en ferais-je, si vous m'éteignez
l'Amour?
L'Oriffît, l'humanité dans sa belle lumière d'au-
rore, avant les âges sophistes qui l'ont ingénieuse-
ment obscurcie, était parti d'une idée qui reviendra
dominante dans notre seconde enfance, apogée de
la sagesse. C'est que la Communion d'amour^ le
plus doux des mystères de Dieu, en est aussi le
plus haut, et que son profond éclair nous rouvre un
moment l'infini. Ténébreux chez l'être inférieur (et
tels nous sommes d'abord), il est de plus en plus
lumière à mesure que cette flamme est illuminée
par l'Amour qui l'épure et la sanctifie.
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OFFICES DE LA NATURE. 285
Je ne reviens pas ici sur ce que j'ai dit, Tan
dernier, sur ce sujet, grand entre tous, sur le mys-
tère touchant, terrible, où la femme, pour donner
la \ie, joue la sienne, où le plaisir, le bonheur, la
fécondité, nous font voir de si près la mort. Nous le
sentons, à cette heure-là, dans un ébranlement si
profond, nous le sentons dans notre chair frémis-
sante, dans nos os glacés... Le tonnerre qui tom-
berait n'y ajouterait rien du tout... Au moment où
l'objet aimé est si près de nous échapper, où le
froid de Tagonie nous passe, si la voix nous restait,
ce serait pour dire un mot arraché du fond de
l'être et des profondeurs de la vérité. « La femme
est une religion. )>
Nous le dirions à ce moment. Nous pouvons le
dire à tous les moments, et ce sera toujours vrai.
Je l'avais dit de ma petite, tout enfant encore :
a Une religion de pureté, de douceur, de poésie. »
Combien plus le dirai-je maintenant que, vrai-
ment femme et mère, elle rayonne de tous côtés,
par sa grâce, comme une puissance harmonique
qui, du cercle de la famille, peut dans la société
projeter des cercles plus grands ! Elle est une reli-
gion de bonté, de civilisation.
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38i LA COMMUNION DE L'AMOUR.
C'est surtout dans les éclipses religieuses, quand
la tradition du passé pâlit à Thorizon, quand un
monde nouveau, compliqué, entravé de sa gran-
deur même, tarde à s'organiser encore, c'est alors
que la femme peut beaucoup pour soutenir et con-
soler. A l'appui de l'idée centrale qui, se dégageant
peu à peu, va apporter Tunité de lumière, elle, sans
savoir ce qu'elle fait, elle est l'unité charmante
de la vie et de l'amour, et la religion elle-même.
Dans les grandes réunions d'hommes, qui n'ont
pas pour objet le culte, dans les concerts populaire
de TAllemagne (à cinq ou six mille musiciens),
dans les vastes fraternités politiques ou militaires
de la Suisse et de la France (telle qu'elle fut et
sera), la présence de la femme ajoute une émotion
sainte. La patrie même n'est pas là, tant que iios
mères, nos femmes n'y sont pas avec leurs enfants.
Les voici, et l'on y sent Dieu.
Pour ne parler que de la famille, du bonheur
individuel, je dirai simplement la chose dans les
termes où un bon travailleur l'a dit un jour devant
moi : « Elle est le dimanche de l'homme. »
C'est-i-dire, non le repos seulement, mais la
joie, le sel de la vie, et ce pourquoi Ton veut vivre.
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OFFICES DE LA NATURE. 985
Le dimanche ! la joie, la liberté, la fête, et la part
chérie de Tâme. Part sacrée. Est-ce la moitié? le
tiers? le quart? Non, le tout.
Pour bien approfondir la force de ce mot di-
manche^ dont l'oisif ne saura jamais le secret, il
faudrait connaître tout ce qui se passe dans la tète
du travailleur le samedi soir, tout ce qui y flotte de
rêves, d'espoir et d'aspiration.
Est-ce la femme en général, est-ce la gentille
maltresse, qui motive la comparaison? Non, c'est
votre femme à vous^ Tépouse aimée, aimable et
bonne. Pourquoi? parce que avec celle-ci, il se
mêle aux jouissances un sentiment de certitude,
de possession définitive, qui permet d'approfondir
et de savourer le bonheur. La perception péné-
trante et la fine appréciation de la dévouée per-
sonne qui vous donna tant de plaisirs, loin de refroi-
dir, vous ouvrent, dans mille nuances délicieuses,
un vaste inconnu de béatitude.
Toute émotion douce et sacrée est en elle. Vos
impressions religieuses d'enfance, elle vous les
rend, et plus pures.
Tel de vos réveils, à douze ans, qui vous est
resté en mémoire, la fraîcheur matinale de l'aube,
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988 LA COMMUNION M L'AMOUR.
je ne sais quelle cloche argentine de village qui
sonnait alors, tout cela vous semble bien loin, éva-
noui sans retour. Mais, le matin du dimanche,
ayant travaillé dans la nuit, et vous éveillant un
peu tard, vous apercevez le sourire attendri de
votre femme qui dès longtemps vous regarde, et
qui, de sa fraîche voix, de son bras arrondi sur
vous, vous salue et vous bénit. Elle attendait, priait
pour vous. Et vous, vous vous écriez : « mon
aubel ô mon angélus 1... Quel doux sentiment du
matin tu me rends ! Vingt ans de ma vie sont ef-
facés, je le sens... Ohl que par toi je suis jeune!
oh ! que je veux l'être pour toi I »
Mais elle, par une adresse qui ajourne et qui
élude, elle t'offre une diversion, Tidée chérie dont
naguère tu l'entretenais, quelque projet favori qui
t'obsédait hier même. De là aux intérêts communs,
à la famille, aux enfants, la transition est facile.
Puis, voyant bien que tu es dans un moment de
grâce et de favorable audience, elle mêle à ses
discours quelque chose qui te fera bien au cœur et
sanctiBera ce jour, la bonne œuvre à faire. Le temps
est dur, la chose est forte; mais, en travaillant si
bien, comme tu fais, et Dieu aidant, on pourrait
encore faire cela. Tu ne dis pas non, tu veux plaire.
Mais avant que tu aies le temps d'expliquer toute
fa pensée, son enjouement raisonnable a pris les
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OFFICES DE LA NATURE. 287
devants : « Mon ami, voilà Charles réveillé, Edouard
jase ; la petUe, depuis longtemps ne dort pas, et
elle écoute... Oh! qu'il est tard!.. Il faut que je
les habille. »
Temps sombre, ténébreux. 11 neige, grand vent.
Les oiseaux du Nord, qui ont passé de bonne heure,
nous annoncent un grand hiver. Il n'y aura pas
de visite. Triste dimanche? — Point du tout. Où elle
est, qui serait triste? Ce n'est pas la flamme
claire du foyer, le déjeuner chaud, qui réchauffe
la maison. C'est elle, sa vivacité tendre, qui rem-
plit tout, anime tout. Elle pense tellement aux
siens^ les aime, et les enveloppe, et les ouate «i
doucement qu'il n'y a que de la joie au nid.
La joie est doublée par l'hiver. Ils se félicitent
du mauvais temps qui les enferme et de la belle
journée qu'ils vont passer ensemble. Peu de bruit.
Lui, il profite de ce jour pour faire quelque chose
de son choix. Il est là, comme au petit tableau du
Menuisier de Rembrandt. S'il ne rabote pas comme
lui, il lit et relit un livre. Mais en lisant, il les sait
là qui, par moments, discrètement, disent un petit
mot tout bas. 11 sent derrière, sans le voir, par la
divination du cœur ^ ce qui ne fait aucun bruit, sou
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988 LA COMMUNION DE L'AMOUR.
mouvement onduleux et doux, à elle, et 3on petit
pas. Elle ne fait que Tindispensable, et d'un doigt
mis sur la bouche, leur fait signe d'être bien sages
et de ne pas le troubler.
Que font-ils là, ces enfants? je suis curieux de le
savoir. Ils font une pieuse lecture. Us lisent les
grandes aventures, les audaces et les sacrifices des
voyageurs d'autrefois qui nous ont ouvert le globe
et ont tant souffert pour nous. « Ce café qu'a pris
votre père, le sucre, enfants, que vous mettez dans
le lait abondamment, trop peut-être, tout cela a
été acheté par l'héroïsme et aussi par la douleur.
Soyons donc reconnaissants. Nous devons à la Pro-
vidence ces providences humaines des grandes
âmes qui peu à peu parviennent à relier le globe,
l'édairent, le fécondent, l'amènent, ou l'amèneront
bientôt, vers l'accord, vers l'unité qu'aurait une
seule ftme d'homme. » Peu à peu, elle leur dit la
communion matérielle (qui en prépare une morale) ,
la navigation, le commerce, et les voies, les ca-
naux, les rails, le télégraphe électrique.
Matérielles? je me conforme au sot langage du
temps. Il n'est rien de matériel. Ces choses sorti-
rent de l'esprit, elles retournent à l'esprit, dont
elles sont les moyens, les formes. En mêlant les
nations, supprimant lés ignorances et les anti-
pathies aveugles, elles sont également des puis-
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LA COMMUNION DE L'AMOUR. 289
sances morales et religieuses, je Tai dit, des com-
munions.
Les enseigner peu à peu, dans leur véritable
sens, avec le temps, la lenteur, la précaution con-
venables, c'est donner aux enfants l'instruction re-
ligieuse, les élever à l'esprit divin, esprit de bonté,
de tendresse.
Qui ne le sentira au cœur, quand cette révéla-
tion nous vient de la bouche adorée? Les enfants
sont émerveillés. Mais lui-même qui sait tout cela,
en le reprenant par elle avec ce charme atten-
drissant, se tait dans une heureuse extase et sent
que tous nos arts nouveaux sont des puissances
d'amour.
Père, enfants, ils sont nourris de son âme, de sa
douce sagesse. Ils écoutent et elle a fini. Ils se ré-
veillent comme d un rêve... Un bruit, un petit tac-
tac a retenti aux carreaux. Pétition d'un voisin ailé.
Le moineau du toit leur dit dans sa franchise pétu-
lante : « Quoi donc, petits égoïstes, dans un aussi
mauvais jour vous vous tiendrez enfermés! » Cette
harangue a grand effet, on ouvre, et Ton jette du
pain. Mais quelle est Témotion, quand un hôte
plus confiant, profitant de cette ouverture, entre et
bravement sautille au fond de la chambre I
« Ohl merci, cousin Rougè-gOrgë, qui, sans fa-
çon, nous rappelles la grande parenté oubliée. Tu
17
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«M) OFFICES DE LA NATURE.
as raison ; en eiîet, chez nous, n'est-ce pas dies
loi? » — On n'ose plus respirer. La mère, avec dis-
crétion, sans l'effrayer, jelte des miettes* Et loi,
nullement humilié, ayant picoté, et même approché
un peu du foyer, s'envole, et laisse cet adieu :
« Au revoir, mes bons petits frères I »
Si rheure du repas n'approchait, la mère aurait
beaucoup à dire. Mais il faut bien vous nounrir,
vous aussi, petits rouges-gorges.
Au dessert, elle leur explique le banquet de la
Nature, où Dieu fait asseoir tous 1^ êtres, grands
et petits, les plaçant selon l'esprit, l'industrie, la
volonté et le travail, mettant très-haut la fourmi,
très-bas tel géant (rhinocéros, hippopotame). Si
l'homme siège à la première place, c*est par une
chose unique» le sens de la grande harmonie, et
l'amour du divin Amour, la tendre solidarité avec
tout ce qui en émane, le sublime don de Pitié.
Ces discours pourraient glisser. Ce qui les fait
entrer au cœur, ce qui pour les enfants émus grave
cette heure dans le souvenir, c'est que devant «ux
les parents consomment l'acte de fraternité que la
prière de la mère a préparé le malin. Le travailleur,
pour son frère, donnera de son travail, donc, de sa
vie et de son âme. Elle l'embrasse, les yeux hu-
mides. Et la table est sanctifiée.
Assez pour un jour. Seulement, enfants, réijouis-
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LA COMMUNION DE L'AMOUR. 291
sez le cœur de votre père d'un double chant : le
chant de la patrie française en ses jours de grands
sacrifices, qu'au besoin vous imiterez ; et l'hymne
de reconnaissance pour le Dieu bienfaiteur du
monde, qui nous a donné ce jour, et peut-être son
lendemain.
Donc, reposons. Votre père, bien fatigué, n'est
pas loin de s'endormir. Il s'est couché si tard hier,
pour achever son samedi ! Dormez, amis, dormez,
enfants. Dieu vous garde pendant le sommeil !
Elle les a bénis tous. Elle recouvre avec soin
le feu, ne fait nul bruit, ne souffle plus, et légè-
rement se couche près de lui, très-attentive à ne
pas le réveiller. 11 dort, mais sent bien qu'elle est
là, elle son printemps d'amour, son été, dans le
sombre hiver. Elle seule fait toutes les saisons. Au
prix de son charme sacré, qu'est-ce de toute la na-
ture? •
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XIV
SUITE.— OFFICES DE LA NATURE
Les deux côtés légitimes, raisonnables, de la reli-
gion, sont marqués dans les tendances de Thomme
et de la femme, représentés par chacuil d'eux.
L'homme sent Tinfini par les Lois invariables du
monde qui sont les modes de Dieu. La femme
dans la Cause aimante et le Père de la Nature qui
Tengendre de bien en mieux. Elle sent Dieu par ce
qui en est la \ie, Tâme et Tacte éternel : Tamour
et la génération.
Sont-ce des points de vue contradictoires? point
du tout. Les deux s'accordent en ceci, que le Dieu
de la femme, Amour, ne serait pas Amour ^ s'U rC était
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OFFICES DE LA NATURE. S95
t Amour pour tousy incapable de caprice, de préfé-
rence arbitraire, s* il rC aimait selon la Loi, la Raison
€t la Justice, c'est-à-dire selon l'idée que Thomme a
de Dieu.
Ces deux colonnes du temple sont si profondé-
ment fondées, que personne n y portera atteinte.
Le monde alterne pourtant. Parfois, il ne voit que
les Lois, parfois il ne voit que la Cause. 11 oscille
éternellement entre ces pèles religieux, mais il ne
les change pas.
La science pour le moment n'étant pas centrali*
sée, domme elle le sera bientôt, beaucoup ne
voient que les Lois, et oublient la Cause aimante,
imaginant que la machine pourrait aller sans mo-
teur. Cet oubli fait la triste éclipse religieuse dont
nous sommes assombris. Elle ne peut durer beau-
coup. La belle lumière centrale qui fait toute la joie
du monde reparaîtra. Nous reprendrons le senti-
ment de la Cause aimante, pour le moment, affaibli.
Non, des lois ne sont pas des causes. Que nous
seniraient nos progrès, si nous ne reprenions le
sens de la causalité et de la vie?
11 n'y a ni gaieté, ni bonheur icibas, hors Tidée
de production. Je l'ai dit pour les enfants On ne
peut les développer et les rendre heureux qu'en
les faisant créateurs. Eh bien, de leur petit monde,
étendons cela au grand. Quand vous le sentez
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291 LA COMMUNION DE L'AMOUR.
immobile, quand vous n'y percevez plus la chaleur
vitale, un grand ennui saisit le cœur. Nous ne re-
deviendrons heureux qu'en retrouvant le sentiment
du grand mouvement fécond, quand, libres et
pourtant soumis à la haute Raison aimante, ouvriers
de TAmour créateur, nous créerons aussi dans la
joie.
Ce mot était nécessaire pour nous introduire au
plus intime intérieur de Thomme et de la femme,
dans leur duo religieux, où chacun fait une partie
différente et fort délicate, chacun craignant de
blesser l'autre. Car ils ne savent pas communément
combien au fond ils s'accordent. De là ces tâtonne-
ments, ces hésitations pleines de craintes, ce
léger débat de deux âmes qui réellement n'en
font qu'une. Jamais le jour devant témoins ne se
fait cette douce lutte. 11 faut que les enfants dor-
ment, même que la lumière soit éteinte. C'est la
dernière pensée de Toreiller.
Mais, quoique tous les deux soutiennent un côté
vrai et sacré de la religion (lui, les lois^ elle, la
causé) ^ il y a cette grande différence qu'en Dieu
rhomme sent plutôt ses modesy ses manières d'a-
gir, la femme son amour, qui sans cesse fait son
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OFFICES DE LA NATUIIE. 295
action. Elle est plus au sanctuaire de Dieu, j'allais
dire, plus près de son cœur.
Ayant TAmour à ce point, elle a tout, et com-
prend tout. Elle monte, descend comme elle veut
tous les tons de ce clavier immense, dont Thomme
n'a le plus souvent que des noies successives. Elle
traduit à volonté toutes les manifestations natu-
relles de Dieu, du grave au doux, du fort au tendre.
Elle est souveraine maîtresse dans cet art divin, et
elle renseigne à Thomme... « Où donc, dit-il, pui-
sa-t-elle tout cela? où prend-elle ce trésor des
choses amoureuses, ce torrent d'enchantements? »
— Où? mais danâ ton propre amour, dans celui
qu'elle a pour toi, dans les richesses réservées d'un
co&ur que nulle effusion, nulle génération ne sou-
lage «ssez. Un monde en sort tous les jours, et
l'infini reste encore.
Si simple en tout, si modeste, qu'elle est pour-
tant supérieure! Tandis que toi, l'œil attaché à
la terre, à ton travail, tu vas aveugle, jour par
jour, sans mesurer la voie du temps ; — elle, elle
en sent bien mieux le cours. Elle lui est harmo-
nisée. Elle le suit heure par heure, obligée de
prévoir pour toi, pour ton besoin, pour ton plaisir,
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296 LA COMMUNION DE L'AMOVR.
pour tes repas, pour ton repos. A chaque moment
son devoir, mais aussi sa poésie. De mois en mois,
avertie par la souffrance d amour, elle scande le
temps, en suit le progrès, la marche sacrée. Quand
sonnent les grandes heures de Tannée, aux passages
des saisons, elle entend le chant solennel qui sort
du fond de la Nature.
Celle-ci a scm rituel, nullement arbitraire, qui
de lui-même exprime la vie de la contrée dans ses
immuables rapports avec la grande vie divine. On
ne touche pas aisément à cela. La tradition, Tau-
torilé qui impose h un peuple les rites de l'autre,
n'opérerait rien au fond que désharmonie, disso-
nance. Les chants du haut Orient, si beaux, sont
discordants en Gaule. Celle-ci a son chant d'alouette
qui n'en monte pas moins à Dien.
Notre aurore n'est pas une aurore d'Amérique
ou de Judée. Nos brouillards ne sont pas les
brumes pesantes de la Baltique. Eh bien, tout
cela a sa voix. Ce climat, ces heures, ces saisons,
cela chante à sa manière. Elle l'entend bien, ta
femme, ta fine oreille de France. Ne l'intorroge
pas pourtant; elle dirait le chant convenu. Mais,
lorsque seule au ménage, un peu triste de ton
absence, et travaillant doucement, dans son bon-
heur mélancolique, elle commence à demi-voix,
elle trouve, sans l'avoir cherché, la chose naïve et
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OFFICES DE LA NATURE. 297
sainte, le vrai psaume du jour et de Theure, ses
humbles vêpres à elle, un chant du cœur pour
Dieu, pour toi.
Oh! quelle sait bien les fêtes, les vraies fêtes
de Tannée I Laisse-la te conduire en cela. Elle
seule sent les jours de la grâce où le ciel aime la
terre, les hautes indulgences divines. Elle les sait,
car elle les fait, elle Taimable sourire de Dieu, elle
la fête et le noèl, réternelle pâque d*amour, dont
vit et revit le cœur.
Sans elle, qui voudrait du printemps? Que celte
chaleur féconde dont fermente alors toute vie se-
rait pour nous maladive, nombre! Mais qu'elle
soit avec nous, alors c'est un enchantement.
Émancipés de l'hiver, ils sortent. Elle a sa robe
blanche, quoique le soleil puissant soit encore neu-
tralisé par moments d'un peu de bise. Tout est vie,
mais tout est combat. Sur la prairie reverdie, les
petits jouent et se battent ; chevreaux contre che-
vreaux essayent leurs cornes naissantes. Les rossi-
gnols, qui sont venus quinze jours avant leurs mai-
tresses, règlent par des duels de chant le droit
qu'ils auront à l'amour.
Dans cette lutte gracieuse d'où l'harmonie va
17.
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298 LA COtfHUmON DE L\4H0UR.
sortir, elle apparaît, die, la paix, la bonté, la
beauté... vivante joie du monde I... Elle avance,
son tendre cœur se partage, est à deux choses,
(te lui parle de deux côtés. Ses enfants courent
aux fleurettes, en rapportent les mains pleines,
crient : a Maman I voyez I voyez I » — Plus près
d'elle, à son oreille, quelqu'un lui parle plus bas,
et elle sourit aussi... C'est qu'on n'est pas impuné-
ment au bras de la charmante femme, si près de
son sein, de son cœur. Bat-il fort? bien doucement;
elle n'est pas insensible, elle entend tout, bonne et
tendre; elle veut tant qu'ils soient tous heureux I
Elle répond tour à tour : « Oui, mes petits... Oui,
mon ami. » — A eux : « Jouons. » — Et à lui :
« Oh I tout ce que tu voudras I »
Mais, dans son extrême bonté qui la rend tout
obéissante, et faible à ses enfants même, qui sau-
rait la regarder verrait, derrière son sourire, un
à parte méditatif. Il pense à elle, elle à Dieu.
Cela revient encore plus tendre, plus ardent, fr
la jolie fête des fleurs des champs, aux travaux de
la fenaison. Elle aussi, elle est venue, comme les
autres, avec son râteau, et elle veut aussi travailler.
Mais, toute belle qu'elle est toujours, elle a pris un
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OFFICES DE LÀ RATURE. SOO
luxe aimable de formes qui renouvelle sa fratdieur et
lappesaatit un peu. Sa blanche et abondante gorge,
où ses enfants ont bu la vie, ces trésors que celui
même qui sans doute les connaît le mieux couve
pourtant du regard, tout cela rend la chère femme
un peu lente, un peu paresseuse. On la voit bientôt
fatiguée; on lui défend de travailler. Mais on tra-
vaille pour elle. Ses enfants, gais et heureux, son
mari tout ému d'elle, ne peuvent rencontrer des
fleurs sans les rapporter, les donner à la souveraine
rose. On en remplit son tablier, or en charge son
sein, sa tête. Elle disparait sous la pluie odorante :
« Assez i assez 1 » Mais qui Técoute ? Elle a peine à
y voir encore, et ne peut plus se défendre. Elle est
enveloppée d'eux, et submergée de caressés, noyée
de baisers, de fleurs.
La chaleur est déjà forte. Ces ardeurs, ne lais-
sent pas de rinquiéler, la tendre épouse. Les
trois mois qui vont se passer, de la fenaison aux
vendanges, sont pesants, terribles à Thomme.
Celui qui travaille des bras, et Touvrier de la pen-
sée, sont frappés également. Il frappe durement,
fortement, au cerveau, le puissant soleil. Et cela,
de deux façons. En même temps qu*il nous soustrait
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360 LA CONMUNIOri DE L'AHOUR.
une si grande partie de nos farces, il augmente
le désir. L'homme faiblit par la saison, il faiblit
par le travail, faiblit par les jouissances. EUe le
sent, elle le craint. EUe hasarde un mot de sagesse,
un mot de vraie religion. A ce temps où Dieu &it
son œuvre, accomplit dans chaque année la nour-
riture du genre humain, ne réclame-t-il pas l'em-
ploi exclusif des forces de Thomme?
Mais cela n*est pas bien pris. On devient frmd,
on s'irrite. Que de saintes ruses il lui faut pour se
sevrer elle-même! Fuites charmantes, humbles
prières pour éluder, ajourner. L'inexorable Juillet
arrive, et en même temps les fêtes de la moisson,
le triomphe de Tannée, le banquet de la plénitude.
Tout est gai, fort et puissant. L'aiguillon de la
chaleur, comme un trait de guêpe, irrite. Elle
semble un peu malade, et, comme telle, obtient
grâce, se fait un tout petit lit près du berceau des
enfants.
Heureux automne ! temps promis de bonheur et
d'indulgence I La fin des travaux arrive. L'amour,
qui, aux mois meurtriers, faisait la guerre à Fa*
mour, peut enfin laisser la prudence et suivre l'é-
lan du cœur. Ou ne lui dira jamais, à celui qui
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OFFICES DE LA NATUHE. ^01
slrritait de ces refus, à qui ils ont le plus coulé.
Elle, elle n'a qu^une -parole. Elle revient à lui
tout entière. Au jour marqué par ta promesse,
il en veut Taccomplissement. « Mais, mon ami, le
travail ne doit-il point passer avant ? Ce temps gris,
léger, voilé des gazes d'un brouillard transparent,
est si joli pour la vendange! Hâtons-nous. Un doux
soleil pâle qui va percer tout à l'heure, jetant un
dernier regard sur la grappe ambrée, en ôtera la
rosée. C'est le moment de cueillir. Bien entendu
que, ce soir, nous ne nous séparerons plus. Il fait
moins chaud, je te reviens, et je veux me réfugier
auprès de toi pour l'hiver. »
Ceci, c'est la joie de tous. Les singes, en cer-
tains pays, les ours, s'enivrent de raisin. Com-
ment l'homme pourrait41 n'avoir pas la tête ébran-
lée? L'ivresse a déjà saisi celui-ci avant d'avoir
bu. Elle le calme, a Doucement, doucement...
Donnons-leur le bon exemple, et travaillons, nous
aussi. »
Nulle occasion plus aimable de fraterniser. Tous
sont égaux en vendange, et la supériorité n'est
qu'aux bons travailleurs. C'est un grand bonheur
pour elle de faire avec tout un peuple la Cène de
l'amitié I Que tous viennent, et même encore ceux
qui n'ont rien fait, s'ils veulent. Elle en sera recon-
naissante. EUe connaît le village, et sait bien
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902 LA COMMUNION DB L'AMOUR.
ceux qui lui manquent. < Et celui-là? — Il est ma-
lade. — Eh bien, on lui enverra. — Tel autre? —
Il est en voyage. » Elle s'informe ainsi de tous,
voulant les avoir ensemble, les rapprodier, les
réunir.
La place est grande heureusement, un de ces
amphithéâtres de collines, comme en ont certains
vignobles qui de haut voient la mer. Le temps est
doux. On peut manger en plein air. Un vent tiède
règne et favorise le départ des voyageur& ailés qui
traversent le ciel. Le jour est court; quoique peu
avancé encore, il semble déjà incliner vers la mé-
lancolie du soir.
Jamais elle n'a été plus belle. Ses yeux rayon-
nent d'affectueuse douceur. Chacun sent qu'il est vu
d'elle, bien voulu, qu'elle pense à lui, à tous. Son
tendre regard bénit toute la contrée.
Sa fille lui avait tressé une délideuse couronne
de pampre vert, de dWcat héliotrope lilas et de
rouge verveine. Couronne royale et féminine qui
de loin embaumait l'air. Elle la repoussa d'abord,
mais son mari l'exigeait. Il eût voulu mettre sur
elle toutes les couronnes delà terre.
Pourtant elle lui semblait triste.
« Qu* as-tu?
— « Ah I je suis trop heureuse !
— « Tous nos amis^tous nos parents, y sont...
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OFFICES DE LA NATURE. 505
Et toutes ces bonnes gens. Pas un n'aurait voulu
manquer.
— « Hélas ! mon ami, c'est le monde, le monde
entier de ceux qui souffrent et qui pleurent, voilà
ce qui manque... Pardonne... »
Elle n'en dit pas plus... Son émotion Farrête...
une larme lui tombe, et, pour la dérober aux yeux,
elle s'incline sur son verre qui la reçoit, dans la
vendange pressée, cette adorable larme...
Son mari enlève le verre à ses lèvros, et le boit
d'un trait...
Mais tous ceux qui n'en avaient pas, l'ayant vue
pleurer, ' s'attendrirent, et se trouvèrent un avec
elle.
Et tous communiaient de son cœur.
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LIVRE TROISIÈME
LA FEMME DANS LA SOCIÉTÉ
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LÀ FEMME COMME ANGE DE PAIX
ET DK CIVILISATION
La femme, considérée dans son aspect supérieur,
c'est le médiateur d'amour.
Profonde et charmante puissance, qui a deux
révélations. A mesure que la première, Fattrait du
sexe, du plaisir, et Forage sanguin de la vie, pâlit,
cède, — alors la seconde parait dans sa douceur
céleste, V influence de paix, de consolation, de médi-
cation.
L'homme est, plus qu'auctme autre chose, la
force de création. Il produit, mais en deux sens. Il
produit aussi la guerre, la discorde et le combat.
Parmi les arts et les idées, le torrent de biens qui
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308 LA FEMME GOMME ANGE DE PAIX
sort de sa forte et féconde main, un torrent de
maux coule aussi, que la femme vient par derrière
adoucir, consoler, guérir.
Je traverse une forêt, un pas dangereux, et j'en-
tends un léger pas. — Cela pourrait bien être
un homme, et je me tiens sur mes gardes. Mais
voici que c'est une femme. Salut, doux ange de
paixl
Dans un voyage consciencieux qu'un Anglais fit
en Irlande, il y a trente ans, pour examiner les
maux et en rechercher les remèdes, il peint l'ex-
trême défiance de ces pauvres créatures indi-
gentes, qu'un homme entrant dans leurs huttes
misérables inquiétait fort. Était-ce un agent du
fisc? un espion?... Mais, heureusement, il n'était
pas seul. On entrevoyait derrière lui un visage de
femme. Et, dès lors, tout était ouvert, on se rassu-
rait, on prenait confiance. On n'eût pu imaginer
qu'il eût emmené sa femme, s'il eût voulu faire du
mal.
C'est à peu près la même chose dans l'admirable
voyage de Livingston aux régions inexplorées de
l'Afrique (1859). Un homme seul y serait suspect,
et beaucoup y ont péri. Mais la vue d'une famille
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ET DE CIVILISATION. 309
rassure, calme et pacifie. La paix! la paix! c'est
le vœu^ le cri de ces bonnes gens. Ce qu'ils expri-
maient naïvement à ce missionnaire de l'Europe
qui leur en apportait les arts protecteurs. Les
femmes lui disaient ce mot : <x Donne-nous le som-
met!/» — Eh bien, ce sommeil^ cette paix, cette
profonde sécurité, ils les voyaient derrière lui qui
s'avançaient sur ses bœufs avec sa maison roulante;
ils les voyaient dans mistress Livingston, entourée
de ses trois enfants. Cette vue en disait assez.
On sentait bien qu'il n'avait pas amené ce cher
nid au monde des lions, sinon pour faire du bien
aux hommes.
Si la vue muette d'une femme a cet effet, que
sera-ce de sa parole? de cette puissance d'accent
qui pénètre du cœur au cœur?
La parole de la femme, c'est le dictame univer-
sel, la vertu pacificatrice, qui partout adoucit, gué-
rit. Mais ce don divin n'est libre chez elle que
quand elle n'est plus Tesclave, la muette de la
pudeur, quand le progrès des années l'émancipé,
lui délie la langue, lui donne toute son action.
Dans un moment de vraie noblesse et de magna*
nimitè, une femme d'un beau génie a caractérisé,
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510 L^ FEMME GOMME AI9GE DE PÂII
envisagé dignement ce que nulle femme ne voit
qu'avec effroi, l'âge mûr, et rapproche même de
la vieillesse. Cet âge tellonenl redouté loi parait
avoir ses douceurs, une calme grandeur que la jeu-
nesse n'a pas.
Le jeune âge, dit-elle & peu près (je regrette de
ne pouvoir me rappeUer exactement ses paroles),
c'est comme un paysage alpestre, pl^n d'accidents
imprévus, qui a ses rochers, ses torrents, ses
chutes. La vieillesse, c'est un grand, un majes-
tueux jardin français, de nobles ombrages, à belles
et longues allées, où l'on voit de loin les amis
qui viennent vous visiter. Larges allées pour mar-
cher plusieurs de front, causer ensemble, enfin
un aimable lieu de société, de conversation.
Cette belle comparaison aurait seulement le tort
de faire croire que la vie devient alors uniforme et
monotone. C'est justement le contraire. La femme
prend une liberté qu'elle n'eut point à un autre
âge. Les convenances la tenaient captive. 11 lui fal-
lait éviter certaines conversations. Elle devait se
priver de telles communications. Les démarches
de charité môme lui étaient souvent difficiles, ha-
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ET DE CIVILISATION. 311
sardeuses. Le monde injuste en eût inédit. Plus
âgée, elle est affirancliie, jouit de tous les privi-
lèges d*une liberté honnôte. Et il en résulte aussi
qu'elle a tout son essor d'esprit, pense et parle
d'une manière bien autrement indépendante et
originale. Alors, elle devient elle-même.
Les jeunes et jolies femmes ont toute permission
d*étre sottes, étant sûres d'être admirées toujours.
Mais non pas la femme âgée. Il faut qu'elle ait de
Fesprit. Elle ai a, et elle est souvent agréable et
amusante.
Madame de Sévigné dit cela de jolie façon (je cite
encore de mémoire) : « Jeunesse et printemps,
dit-elle, ce n'est que vert, et toujours vert; mais
nous, les gens de l'automne, nous sommes de toutes
les couleurs. »
Cela permet à la dame d'exercer autour d'elle
ces aimables influences de société qui sont sur-
tout propres à la France. Qu'est-ce au fond, sinon
une disposition bonne et sympathique qu'on sent
et qui met à Taise, qui donne de l'esprit à ceux
même qui n'en auraient pas, les rassurant, impo-
sant aux sots rieurs qui se donnent le plaisir facile
d'embarrasser les timides?
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513 LA FEMME COMME ANGE DE PAIX
Cette royauté de bonté illumine son salon comme
d'un doux rayonnement. Elle encourage l'homme
spécial, que les beaux diseurs faisaient taire, et qui,
sous le regard d'une femme d'esprit qui l'autorise^
prend une modeste fermeté. Alors la conversation
n'est point le vain t>avardage que nous entendons
partout, l'éternel sautillement où les cerveaux vides
ont tout l'avantage. Lorsque l'homme de la chose a
bien posé la question, sans développement prolixe
et sans pédantisme, elle ajoute un mot de . cœur,
qui souvent l'édaire lui-même, donnant et chaleur
et lumière à ce qu'il a dit, le ridant facile,
agréable. On se regarde, on sourit. Tous se sont
entendus.
On ne sait pas assez que parfois un simple mot
d'une femme peut relever, sauver un homme, le
grandir à ses propres yeux, lui donner pour tou-
jours la force qui jusque-là lui a manqué.
Je voyais un jour un enfant sombre et chétif,
d'aspect timide, sournois, misérable. PourtaQt il
avait une flamme. Sa mère, qui était fort dure, me
dit : « On ne sait ce qu'il a. — Et moi, je le sais,
madame. C'est qu'on ne l'a baisé jamais. » — Cela
n'était que trop vrai.
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ET DE CITIUSATION. 315
Eh bien, dans la sociélë, cette mère fantasque
des esprits, il y en a beaucoup qui avortent (et non
pas des moindres), parce qu'elle ne les a jamais
baisés, favorisés, encouragés. On ne sait comment
cela se fait. Personne ne leur en veut; mais, dès
qu'ils hasardent un mot timidement, tout devient
froid ; on passe outre, on n'en tient compte, ou bien
on se met à rire.
Cet homme noué, repoussé, prenez-y garde, il
peut se faire que ce soit un génie captif. Oh ! si, à
ce moment-là, une femme autorisée par l'esprit, la
grâce, Télégance, relevait le mot (parfois fort, par-
fois profond) qui échappe à ce paria, si, le repre-
nant en main, elle le faisait valoir, montrait aux
distraits, aux moqueurs, que ce caillou est un dia-
mant... une grande métamorphose serait opérée.
Vengé, relevé, vainqueur, il pourrait parfois mon-
trer qu'entre ces hommes lui seul est homme, et
le reste un néant.
18
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n
DERNIER AMOUR. —AMITIÉS DES FEMMES
Le grand divorce de la mort est si accablant pour
la femme, laissée seule, sans consolation, lui est si
amer, qu'elle veut, désire, espère, suivre son mari
au tombeau. « J'en mourrai, » dit-elle. Hèlqs I il
est bien rare qu'on en meure. Si la veuve ne se tue
au bûcher de son mari, comme elles le font dans
l'Inde, elle risque de survivre longtemps. La nature
semble se plaire à humilier la plus sincère, lui fait
dépit en la conservant jeune et belle. Les effets phy-
siques du chagrin sont variés, opposés même, selon
les tempéraments. J'ai vu une dame, noyée de
douleur et de larmes, irréparablement frappée,
véritablement perdue pour la vie, fleurir pourtant
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I
DERNIER AMOUR, ETC. 515
de santé. L'absorption où elle était, son immobile
accablement, avait donné à sa beauté ce qui lui
manquait, un luxe admirable. Elle en rougissait,
elle en gémissait, et la honte qu'elle avait de ce
semblant d'indifférence ajoutait à son désespoir.
C'est un arrêt de la nature. Dieu ne veut pas
qu elle meure, qu'elle se fane, cette aimable fleur.
Elle demande la mort, et ne l'aura pas. La vie lui
est imposée. Elle est obligée encore de faire le
charme du monde. Celui même qu'elle veut suivre
lui défend ce sacrifice. L'amour qui avait mis sur
elle tant d'espoir et tant de vœux, qui a tant fait
pour développer son cœur et faire d'elle une per-
sonne, n'entend pas enfouir tout cela, ni l'entraîner
dans la terre. S'il est le véritable amour, il lui per-
met, quelquefois lui enjoint d'aimer encore.
Dans nos populations des côtes, supérieures à
tant de titres, j'observe deux choses : que la femme,
souvent inquiète, toujours préoccupée de son mari,
l'aime et lui est très-fidèle; mais qu'aussitôt qu'il
périt, elle contracte un second mariage. Chez nos
marins qui vont à la pêche dangereuse de Terre-
Neuve, ceux de Granville par exemple, dans cette
vaillante population où il n'y a pas d'enfants natu-
rels (sauf ceux d'émigrants étrangers), les femmes
se remarient immédiatement, dès que l'homme ne
revient pas. Il le faut; autrement, les enfants mour-
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316 DERNIER AMOUR.
raient. Si parfois le mort revient, il trouve fort
bon que son ami ait adopté et nourri sa famille.
N'y eût-il pas d'enfants à nourrir, il est impost-
sible que celui qui aime, que cette femme a rendu
heureux, désire, en reconnaissance, la laisser mal-
heureuse pour toujours. Elle dira Non aujourd'hui.
Elle croira de bonne foi pouvoir toujours se sou-
tenir par sa douleur et la force de son souvenir.
Mais lui qui la connaît mieux qu'elle-même, il
peut souvent prévoir qu'un changement violent de
toutes habitudes est au-dessus de ses forces, qu'elle
va rester désolée.
Ne souffre-t-il pas à la voir dans l'avenir^ quand,
seule, elle rentrera le soir, ne trouvera personne
chez elle, pleurera à son foyer éteint?...
S'il réfléchit, s'il a quelque expérience de la na-
ture humaine, il songera avec compassion à un
mystère de souffrance qu'on traite fort légèrement,
mais que les médecins constatent et déplorent.
C'est que le besoin d'amour, qui passe vite chez
l'homme blasé, au contraire chez la femme pure,
conservée, souvent augmente. La circulation moins
rapide, une vie moins légère et moins cérébrale,
moins variée par la fantaisie, un peu d'embonpoint
dont elle est (dans le jeûne et les larmes même)
fortifiée, embellie, tout cela Tagite ou l'accable. Le
bouillonnement sanguin, la surexcitation nerveuse.
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AMITIÉS DBS FEMMES. 317
ridée fixe du temps passé dont on a profité si peu,
créent chez plusieurs une existence pénible et hu-
miliante dont elles gardent le secret, un martyre
de rêves avortés. Punies de leur vertu même, et
d'avoir ajourné la vie, elles sont trop souvent frap-
pées des cruelles maladies du temps. Ou bien, ces
pauvres isolées, jouet de la fatalité, après, une vie
austère, tombent dans quelque honte imprévue,
dont rit un monde sans pitié.
Celui qui laime et qui meurt doit voir l'avenir
pour elle, mieux qu'elle ne le peut à travers ses
larmes. 11 faut qu'il prévoie et pourvoie, qu'il ne
lui impose rien, mais la délivre des scrupules,
même que magnanimement il se constitue son
père, Taffranchisse, cette chère fille, la dirige et
réclaire d'avance, lui arrange sa vie.
Ainsi la première union ne passe pas. Elle dure
par l'obéissance, la reconnaissance et l'affection.
Remariée, loin d'oublier, au contraire vivant par
lui, et dans le calme du cœur, elle se dit : « Je
fais ce qu'il veut. Ce qui me revient de bonheur,
je le lui dois. Sa providence m'a donné la conso-
lation, la douceur du dernier amour. »
Le haut intérêt de la veuve, si elle doit se rési-
gner à un second mariage, c'est de prendre le proche
parent. Je n'entends pas le parent selon la chair,
comme la loi juive; mais le parent selon l'esprit.
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518 DERKIER AMOVR.
J'entends celui qui aima le mort, celui en qui est
son âme, et pour qui la veu^e, par cela même
qu'dle lui a appartenu, loin de perdre, possède au
contraire un charme de plus. I^ puissance de
transformation, inhérente au mariage, qui fait que
la femme à la longue, physiquement, moralement,
contient une autre existence, elle lui nuirait peut-
être, à cette épouse irréprochable, si le second
mari n'était la même personne dans Tamour et
dans Famitié.
Pourquoi gén^lement les veuves sont-elles plus
jolies que les filles? On Ta dit : « L'amour y passa. i>
Nais, il faut le dire aussi : « C'est que Famour y
est resté. » On y voit sa trace charmante. Il n'a pas
perdu son temps à cultiver cette fleur. Du bouton,
peu eipressif, il a fait la rose à cent feuilles. A
diaque feuille, l'attrait d'un désir. Tout est grâce
id, tout est Ame. La possession ôte-telle? non, eHe
ajoute plutôt. Si celle-ci fut heureuse, gardée par
une main digne, rendez*la heureuse encore. Dans
la brillante fraîcheur, bien plus riche, du second
flge, vous n'aurez guère à regretter l'indigente et
grêle beauté de sa première jeunesse. La virginité
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AMITIÉS DES rEMMES. 319
elle-même refleurît chex la femme pure, qu'une
vie douce a consolée, embellie. Elle s'harmonise
innocente dans Taccord de ses deux amours.
Un homme ne vit-il qu'une fois? Vâme n'a-t-elle
qu'un seul mode de perpétuité? Outre la durée
persistante de notre énergie immortelle, n'avons-
nous pas en même temps quelque émanati<m de
nous-mêmes en nos amis qui reçurent nos pensées,
et parfois continuent les plus chères affections de
notre cœur? Le chaleureux écrivain qui hérita du
dernier amour de son maître Bernardin de Saint-
Pierre avait quelque reflet de lui. Et dans l'austé-
rité critique d'un ëminent historien de ce temps,
on eût cru pouvoir reconnaître un grand héritage,
s'il est vrai qu'il ait eu le glorieux bonheur de
communier avec Tàme du dix-huitième siècle, en
madame de Condorcet.
Plusieurs, ou déjà âgées, ou libres parfaitement
des soucis de jeunesse, n'accepteraient pas un se-
cond mariage. 11 leur suffirait d'une adoption.
La veuve peut continuer l'âme du premier époux
dans un fils spirituel qu'il lui aurait recommandé.
Cette préoccupation peut lui remplir le cœur, lui
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520 DERIilER AMOUR.
donner un but dans la vie. Il est tant d'enfants sans
parents, tant d'autres dont les parents sont loin ! On
ne çait pas assez combien, dans nos dures écoles,
un enfant abandonné a besoin de la pitié d'une
femme. Pour celui qui est perdu dans ces collèges
immenses qui sont déjà des armées, le meilleur
correspondant, c est une dame qui le suit d'un œil
maternel, qui va le voir, le console, s'il est puni,
parfois intercède, surtout le fait sortir, lui fait
prendre l'air, le promène, l'instruit plus qu'il ne le
sera peut-être dans le travail de la semaine, et enfin
le fait jouer sous ses yeux avec des enfants ch<Hsis.
Elle lui est plus utile encore quand il passe aux
hautes écoles. Elle lui sauve bien des périls, qu'une
mère ne lui sauverait pas. Il lui confiera mille
choses dont cette mère, un peu crainte, n'aurait
nullement le secret. Son habile enveloppement le
gardera, lui fera passer cette époque intermè*
diaire où la furie du plaisir, aveugle, fait avorter
l'homme.
Mission délicate, au total, qui souvent donne au
jeune homme un admirable affinement^ un peu fé-
minin peut-être, et qui d'autre part laisse parfois
un pauvre cœur de femme en grande amertume. U
lui est bien difficile de se croire tout à fait la mère.
Et, parfois, elle aime autrement. Je voudrais, pour
son bonheur, qu'elle s'attachât plutôt, cette bonne
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AMITIES DES FEMMES. mi
et tendre créature, à la protection maternelle d'une
classe» bien malheureuse et la moins consolée des
femmes. Je parle des femmes elles-mêmes.
Les femmes, qui savent si bien ce que souffire
leur sexe, devraient s'aimer, se soutenir. Mais c est
le contraire. Quoi I l'esprit de concurrence, les ja-
lousies, sont donc bien fortes. L'hostilité est in-
stinctive. Elle survit à la jeunesse. Peu de dames
pardonnent à la pauvre ouvrière, à la servante,
d'être jeunes et jolies.
Elles se privent en cela d'un bien doux privilège
que leur donnerait l'âge (et qui vaut l'amour pres-
que), celui de proléger l'amour. Quel bonheur
pourtant d'éclairer, diriger les amants, de les rap-
procher I de faire comprendre à ce jeune ouvrier
que sa vie de café lui est bien coûteuse, plus fâ-
cheuse en tous sens que la vie de famille. Souvent
un mot suffit d'une personne qui a ascendant, pour
faire naître l'amour, ou pour le raffermir. Bien des
fois j'ai vu le mari se figurer qu'il s'ennuyait, s'é-
loigner de sa femme. Un éloge fortuit qu'il enten-
dait en faire, un mouvement d'admiration qu'il sur-
prenait, l'exclamation d'un tiers qui enviait son
bonheur, c'était assez pour lui faire voir ce que
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529 DERNIER AMOUR.
tous auraient vu, qu'elle était plus charmante que
jamais, lui réveiller le coeur qui n'était qu'en*
dormi et le faire souvenir qu'il était toujours amou>
reux.
Il est dans les ménages des heures de crises^
qu'une amie pénétrante surprend, devine, et où elle
intervient heureusement. Elle confesse sans con-
fesser la jeune, dirige sans diriger. Quand celle-ci
vient, le cœur gros, muette et fermée de chagrin,
elle la desserre doucement, la délace, si je puis
dire. Et alors tout éclate, telle dureté de son mari,
le peu d'égards qu'il a pour elle, tandis que td
autre au contraire... le reste se devine. A ces mo-
ments, il faut qu'on l'enveloppe, qu'on s'empare
d'elle. Ce n'est pas difficile pour une femme d'es-
prit, d'expérience, de prendre cette enfant en larmes
sur son sein, de la contenir, de lui ôter pour le
moment la disposition d'elle-même. Retrouver une-
mère ! ce bonheur imprévu peut la sauver de telle
démarche folle, de telle vengeance aveugle, qu'en-
suite elle pleurerait toujours.
Parfois, plus orgueilleuse, elle ne daigne se
venger ainsi. Elle réclame la séparation. C'est ce
que nous voyons trop souvent aujourd'hui. Aux
premières incartades d'un jeune homme violent
qui aurait pu mûrir, se corriger, la femme, celle
surtout qui se sent riche, n'entend rien, ne sup-
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AMITIÉS SES FSIf&IES. 5»
porte riea, èdate, veut rentrer dans son bien. Sa
famille influente sollicite; ses domestiques, à elle,
témoignent contre le mari. Elle reprendra sa dot«
Mais sa liberté? non. Si jeune encore, la \oilà
veuve. Et reprend^elle aussi (s'il faut le dire)rinti-
mité qu'elle a donnée» cette communion définitive
qui livre la personne même, la transforme? Non,
non, elle ne peut la reprendre. Rien de plus dou-
loureux.
Quoi donc ! n'est-il point de remise? ne peut-on
ramener le jeune homme? Tout son vice, c'est l'âge.
11 n'est ni méchant, ni avare. Cette dot, que les
parents la gardent. C'est die qu'il aimait et re-
grette. Il sent bien (et surtout étant séparé d'elle)
qu'il n'en retrouvera pas une aussi désirable. Et
cette fierté même qui leur fut si fatale, n'est-ce pas
un attrait pour l'amour?
ft L'amour I Mais nous n'avons que cela en ce
monde... et demain nous mourrons. Aimez donc
aujourd'hui... Je jure que vous aimez encore. »
Voilà ce qu'elle dit, cette tendre amie, et elle
fait mieux que dire. Pendant qu'elle caresse et con-
sole la petite femme à sa campagne, un jour elle
la pare, bon gré, mal gré, la fait jolie. Des visiteurs
viendront. Un seul vient, et lequel? Devinez-le, si
vous pouvez.
« Le mari? »
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52 BERKIER AMOUR.
Un amant. De visage peut-être il ressemble, mais
d'âme, il est tout autre. Si c'était le mari, aurait-
il ce trouble charmant? tant d'amour et d'empres-
sement, un si violent retour de passion?... Oh!
nul moyen de s'expliquer... Des deux côtés, on ne
sait ce qu on dit, on balbutie, on promet et l'on
jure... Bref, tous deux ont perdu Tesprit. L'amie
rit, les dispense d'avoir le sens commun. 11 est tard,
le souper est court, car elle a la migraine, elle ne
peut leur faire compagnie, et ils veulent bien l'en
tenir quitte, eux-mêmes si fatigués d'émotions. On
peut les laisser seuls. Us ne se battront pas. Que
l'on plaide là-bas, à la bonne heure; mais ici, qu'ils
reposent.
Est-ce tout? non. L'aimable providence qui re-
noue leurs amours ne veut pas que l'orage puisse
revenir à l'horizon. D'eux elle obtient deux choses.
D'abord, de sortir du milieu où cet orage se forma.
11 ne vient guère de ceux qui aiment, mais de leurs
entourages. Si l'un des deux a un défaut, presque
toujours il dure, augmente, sous l'influence de
quelque funeste amitié dont il faut s'éloigner.
Changer de lieu, parfois, c'est changer tout.
L'autre mal, bien fréquent, qu'elle essaye de gué-
rir, c'est le désœuvrement. Dans une vie flottante,
trop peu remplie, je ne sais combien de tristesses,
de pensées malsaines, d'aigreurs, viennent infailli-
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AMITIÉ DES FEMMES. 525
blemcnt. Ce qui mêle et l*âme et la vie, c'est de
coopérer y de travailler ensemble, tant qu on peut;
tout au moins, de travailler à part, et de se regret-
ter, et de souffrir un peu de n'être pas ensemble, —
de sorte qu'on reste avide l'un de l'aulre, impatient
de l'heure où Ton se reverra, demandant, désirant
le soir.
ij
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m
FA FEMME PROTECTRICE DES FEMMES.
CAROLINA
La cinquième partie du monde, TAustralie, n*a
jusqu'ici qu'un saint, une légende. Ce saint est une
femme anglaise, morte, je crois, cette année*
Sans fortune et sans secours, elle a fait plus
pour ce monde nouveau que toutes les sociétés
d'émigration et le gouvernement britannique. Le
plus riche et le plus puissant des gouvernements
de la terre, maitre des Indes et d'un empire de
cent vingt millions d'hommes, échouait dans cette
colonisation qui doit réparer ses pertes. Une simple
femme réussit et emporta Faffaire par sa bonté
vigoureuse et par la force du cœur.
Rendons hommage ici à cette race persévérante.
Une Française, une Allemande, eût eu autant de
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CAROLINA. 327
bonté, de généreuse pitié, mais je ne sais si elle
eût persisté contre tant d'obstades. Il y fallait une
obstination admirable dans le bien, nn sublime
entêtement.
Carolina Jones naquit vers 1800, dans une ferme
du comté de Norlhamplon. A vingt ans, elle fut
épousée, emmenée par un officier de la compagnie
des Iftdes. Brusque passage. Élevée dans les mœurs
décentes, sérieuses, des campagnes d'Angleterre,
elle tomba dans ces babylones militaires où tout est
permis. T^es filles de soldats, laissées orphelines,
étaient à vendre dans les rues de Madras. Elle se
mit à les ramasser et en remplit sa maison. On eut
beau se moquer d'elle; elle subsiste cette maison,
et elle est devenue un orphelinat royal.
La santé de son mari, le capitaine Chisholm,
exigeant un climat plus sain, il obtint d'aller quel-
que temps se refaire en Australie et y passa en
1858 avec sa femme et sois enfants. Mais, obligé
bientôt de retourner à son poste, il l'y laissa seule,
et c'est alors qu'elle commença sa courageuse en-
treprise.
Personne n'ignore que Sidney, et l'Australie en
général, a été surtout peuplé de cowoU^Sy de con-
damnés, dont beaucoup seraient parmi nous des
forçats. La déportation constante y amenait des
masses d'hommes, peu de femmes relativement.
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,^S8 LA FEMME PROTECTRICE DES FEMMES.
On peut deviner combien elles étaient recherchées,
poursuivies. Chaque vaisseau qui arrivait chargé
de femmes était attendu au débarquement, salué
de clameurs sauvages, qu'on eût dit des cris de
famine. Les actes les plus violents , les . plus
révoltants étaient ordinaires. Même, les femmes
d'employés, dont les maris étaient absents, n a-
vaient nulle sûreté chez elles. Quant aux filles dé-
portées, elles tombaient dans cette foule comme
un gibier qu'on relançait.
Pour comprendre l'horreur de cette situation, il
faut savoir^ce que c'est qu'une Anglaise. Elles n'ont
nullement l'adresse, l'esprit de ressources et
d'expédients, qui caractérise les nôtres. Elles ne
savent pas travailler ; elles ne sont bonnes absolu-
ment qu'aux enfants et au ménage. Elles sont
très-dépendantes (modestes, n'apportant pas de
dot). Blariées, elles sont fort battues. Mais celle qui
n'est pas mariée, c'est une malheureuse créature,
qui ne sait se tirer d'affaire, effarée, qui heurte,
tombe, se fait mal partout. Quelqu'un a dit: « Un
chien perdu, » qui erre et cherche son maître, et
ne sait pas s'en faire un.
Leurs tilles publiques elles-mêmes sont plus à
plaindre que celles d'ici. Celles-ci, dans leur triste
état, se défendent par Tironie et peuvent encore
relativement se faire un peu respecter. La fille an-
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CAROLKNA. 5'21i
glaise n'a pas le moindre vcssoil, aucune arme
contre la honte, rien à dire (celles qui parlent sonl
des Irlandaises). L'Anglaise ne peut se soutenir,
dans son abattement moral, qu'en buvant du (fui de
quart d'heure en quart d'heure, et se maintenant
ainsi dans des demi-ténèbres où elle voit à peine
elle-même ce qu'elle reçoit d'affronts.
Des lîUes, hélas I de quinze ans, douze ans, qu'on
oblige à ce métier et à faire de petits \ols, c étaient
en bonne partie la matière des razzias que la police
faisait et qu'une condamnation rapide envoyait en
Australie'. On les entassait souvent sur de vieux
mauvais vaisseaux, comme VOcécin^ qui sombra de-
vaut Calais môme, et nous jeta quatre cents corps
de femmes, très-jeunes et jolies presque !out(*s.
(]enx qui le virent en pleurèrent et s'en ariactiaienl
les cheveux.
On peut juger de ce que devenait ce pauvre bé-
tail humain, comme déjeunes brebis smis défense,
jelé au monde des forçats. Traquées dans les ruée
de Sidney, elles n'échappaient aux outrages conti-
nuels, qu'en allant coucher la nuit à la belle étoile,
hors la ville et dans les rochers.
Carolina fut blessée, et dans sa pudeur anglaise
et dans sa bonté de femme, par ce révoKant spec-
tacle. Elle invoqua l'autorité; mais celle-ci, tout
occupée de la surveillance de tant d'hommes dan-
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S
550 LA FENBIE PROTECTRICE DES FEMMES.
gereux, avait autre chose à faire qu'à songer à ces
petites misérables. Elle iovoqua le clergé; mais
rÉglise anglicane, comme toute église, ci^oit trop
à la perversité héréditaire de la nature pour espé-
rer beaucoup du remède bumain. EQe s'adressa à
la presse, et s'attira dan» tes îour&smx des réponses
ironiques.
Cependant, elle dit, redU tant qu'il n'en coûte-
rait pas un sou, que le gouvernement, magni6qiie-
ment, lui prêta un vieux magasin. Elle y abrita de
suite une centaine de jeunes fiUes, qui au raMBS
eurent ainsi un toit sur la tète. Des femmes ma-
riées, dans Tabsence de leurs maris, obtinrent de
camper au moins dans la cour, pour u'avob pas à
craindre d'attaques de nuit.
Comment nourrir ce troupeau de filles, la plu-
part ne sachant rien faire? Carolina, femme d'un
simple capitaine et chargée de trois enfants, était
bien embarrassée. Elle chercha à la campagne des
gens mariés, des familles, qui pussent les employer.
Ainsi, elles firent place à d*autres. Avant un an,
elle en avait sauvé sept cents; trois cents Anglaises
protestantes, quatre ceuts Irlandaises catholiques.
Beaucoup d'entre dies se marièrent et ouvrirent à
leur tour chez elles un abri à leurs pauvres sœurs
déportées^
Ayant tout rempli autour de Stdney, il lui &llui
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CiJbOLIMA. SSi
ebercher au loin des fdaoeinaits. Les i^oyages ne
s^ooiblaieBt guère &hs pour une ^eime femme, dm»
ufi pays peufdë ainsi, et oaks baUUlions, souveat
à grandes c&taiices, exehieiit tMite survalbiifia,
tciote protectkm puUiqne. EUe osa. Sur ub Im
chenal, qu'dle appekdt le G^^pitaîne (e& sou^enK
de ma mm absent), eUe aUa à la déconv^rte, par
les roalesy ou bki^ suis raute» souvent franehissaot
les torrents. Le pli£S hardi» c'est qu elle menait des
filles aTec elles, et parfois jusqu'à soixante, poar
les pteœr ooinme serrantes dans k$ famiBes,, ou les
maria*- EHe fut reçue partout^ de ces hommes trop
mal jugés, cmnme la Provîdenœ elle-même, am
égard, avec respect. Mais elle ne couchait qu'en»
liai sâr, et toujours avec ses filles, aimant nneux
passer la nuit dans des chariots mal oouverts,
plutôt que de s'çn séparer.
On commença à entrevoir la grandeur, la bcralé
de Tcntreprise. JiKqfQ&-là on ne Iakait rien, et
tout était viager, on renonvdaii inee»amment ees
colonies stériles qm allaietiÉ toujours s'éteignaoït.
Bien plus, on ne chaînait rien aux âmes,, aux
mœurs, aux habitudes. Le vice restait le vice; la
prostitution, plus qu'i Lmidres, honteuse et sté-
rile. La révolution opérée par cette femme Mimî-
rable pot se foaëfier ainsi : Mort à la mort, à la
stérilité, à Timmonde otittiat {iaàt^rkm).
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552 LA FEMME PROTECTRICE DES FEMMES.
Le gouverneur avait dil, aux premières demandes
qu'elle lui adressa : « Que m'imporle ! suis-je fait
pour leur trouver des femmes ?» — Et cependant
tout était là. C'était le secret de la vie, de la per-
pétuité pour ce nouveau monde. Donc, elle n'hé-
sita pas, cette femme chaste et sainte entre toutes,
à se faire l'universel agent des amours de la colonie,
le minisire du bonheur. Elle tâchait de bien diriger
les choix dans ces mariages rapides. Mais que fah^e?
elle croyait que, dans une grande solitude, lorsqu'il
n'y a pas là des tiers pour intriguer et brouiller, la
bonne nature arrange tout ; on veut s'aimer et l'on
s'aime ; on s'attache par le temps ; on finit par s'a-
dorer.
Elle travaillait surtout à recomposer les familles.
Elle aidait la jeune fille, bien mariée, devenue une
maîtresse de maison, à faire venir ses parents. Elle
faisait aussi venir d'Angleterre les malheureuses
ouvrières à l'aiguille qui déjà mouraient de faim,
comme les nôtres aujourd'hui.
La récompense qu'elle trouva, c'est qu'on faiUit
la tuer. La populace de Sidney trouva fort mauvais
qu'elle attirât tant d'émigrantes, qui faisaient baisser
le prix des salaires. Des bandits s'attroupaient sous
ses fenêtres et voulaient sa vie. Elle parut coura-
geusement, les prêcha, leur fit entendre raison. Ils
s'éloignèrent pleins de respect.
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CAÎlliiJ.NA. y,Z
Au bout de sept ans, elle alla à lAMulrcs pour
convertir le minislère à ses iilées, et fit un cours
public pour les répandre. Le niiuistre Grey et les
comités delà chambre des lords voulurent l'enten-
dre et la consultèrent. Une chose rate, adniiral)le,
c'est que son mari, devenu son premier disciple,
retourna en Australie. Ces deux époux, si unis,
s'imposèrent une cruelle séparation pour faire plus
de bien. Elle était allée le rejoindre quand elle tomba
malade, et, dit-on, mortellement. (Blosseville, 11,
170; 1859.)
Elle est la légende d'un nionJe. Son souvenir
grandira d'âge en âge.
Une singularité qu'on ne peut négliger, c'est que
celte sainte était l'esprit le plus positif, le phis
éloigné de toute chimère, de toute exagération.
Elle avait au plus haut degré l'esprit administratif,
écrivait tout, tenait un détail immense des choses,
des sommes, des personnes, une comptal)ililé
exacte. En voici un trait tout anglais. Se croyant
responsable du petit patrimoine de ftimille envers
son mari, ses enfants, elle a calculé qu'au total,
malgré les avances infinies qu'elle faisait, *lout était
19.
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55i LA FEMME PROTECTRICE DES FEMMES.
reatré, moins une fort petite sonuoe. Dans tout son
apostolat, elle n'avait appauvri sa fiaiaiiUe que de
seize livres.
Ce n'est pas cher pour faire un monde.
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IV
CONSOLATION DES PRISONNIÈRES
Dans son mémotre coarofinè par l'Institutt mar
dame Mallet disait en 1845 : « Dix mille femmes
aatrent chaque année dans nos [Hrisons de France.
Les pins coupables, qui sont les mieux traitées,
renqplîsseat les maisons centrales. Les moins cou*
paUes, au nimibre de huîL mille, sont dus les
prisons départementales, Yieux couvents humides,
où on les laisse souvent sans ouvrage, dims un
désoeuvrement désolant, corrupteur, — ianê tinge^
et qnelquefds &ms Rt.it — Espérons que depuis œ
temps on y a mieux pourvu.
Jusqu'en 1840, elles étaient gardées fOir det
hommes! et at^ourd'hui encore, une femme arrêtée
et mise au c(Mrps de garde, a pour protec^ioa la
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33G CONSOLATION DES PRISONNIÈRES.
sagesse de dix garçons de vingt ans. (V. la triste
affaire d*Oslinda, jugée le 14 septembre 1858).
Dans le compte général des crimes et délits, les
femmes sant pour bien peu (dix-sept pour cent),
chose étonnante, car elles gagnent bien moins que
Thomme, et doivent être bien plus tentées par la
misère. Quand on entre, avec madame Mallet, dans
le détail des causes, ce chiffre diminue encore,
s'évanouit en grande partie. Nombre de ces crimes
ou délits sont forcés. Ici, des mères prostituées
battent des enfants de douze ans, leur cassent
les dents à coups de poing, pour les mettre au
•trottoir et les rendre voleuses. Là, ce sont des
amants qui ne font pas le crime eux-mêmes, mais
le font faire, forcent la femme de voler pour leur
compte; sinon, éreintée à coups de bâton. Ailleurs,
c'est la faim uniquement qui la conduit au mal.
D'autres, c'est leur bon cœur, leur piété, elles se
prostituent pour nourrir leurs parents, et leurs
vices mériteraient le prix de vertu.
La plupart sont de bonnes créatures, tendres cl
charitables. Les pauvres le^ savent bien. Ils s'a-
dressent avec confiance, et de préférence à ces
filles. Remarquons-le, dans celle lie des villes, il y
a une bonté infinie. Dans les campagnes beaucoup
de dureté. On donne un peu, de peur de l'incendie,
mais an laisse mourir ses parents de faim.
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CONSOLATION DES TRISONNIÈRES. 357
La cause vraie, profonde, générale, qui les nnène
au vice et au crime même, c'est l'ennui, la tristesse
de leur vie. La vertu, pour une fille, c'est d'être
quatorze heures par jour assise, faisant le même
point (on Ta vu, pour gagner dix sous), la tête
basse et Testomac plié, le siège échauffé, fatigué.
Sedet xternumque sedebit. Ajoutez pour l'hiver,
ce misérable brasero qu'elles ont, grelottantes,
pour tout chauffage, et qui fait tant de maladies. Le
cinquième des crimes de femmes est fait par les
couseiises.
Ce pauvre enfant, la femme, a besoin de mouvoir,
de varier ses altitudes. Toute sensation nouvelle
lui est charmante; mais il ne lui faut pourtant pas
grande nouveauté pour être heureuse; le petit
mouvement du ménage, travail alterné, soins d'en-
fants, voilà son paradis. Aimez-la, rendez-lui la
vi'e un peu plus douce, un peu moins ennuyeuse,
et elle ne fera rien de mal. Otez-lui de la main, an
moins pour quelques heures par jour, l'aiguille, ce
supplice de monotonie éternelle. Qui de nous le
supporterait?
Madame Mallet a vu et bien vu les prisons. C'est
un très-grand mérite. Qu'il esl à souhaiter que no*
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538 COIlSOLàTIOll DE& PRISONHIÈRES.
dames Tittîtent^ qu'elles doBÛneot leur répu-
gnance, abordent cet enfer, qfâ, tel quel» ccMitient
bien des anges^ — anges déchus, dont plusieurs
8<mt plus iHrès du ùA que telle sainte.
Le tort de ce bon livre, c'est sa timidité, ses mé-
nagemoits. Elle veut et ne tout pas de surveil-
lantes religieuses. Elle suit la mode du temps el
l'opinion de ses juges, la plupart fevoraUes au sys-
tème cellulaire. Dès Unts, peu d'nr, peu de lu-
mière; des créatures bolées et tout artificieHes.
Le remède, au contraire, c'est d'abattre les
murs, c'est Voir ei le soleU^ La lumière moralise.
Le remède, c'est le travail dans des conditions
tout autres, sévère, maïs un peu varié et coupé de
musique (cela réussit à Paris, par les^ soins de quel-
ques dames protestantes). Les prisonnières sont
folles de musique. Elle les harmonise, leur rend
l'équilibre moral; elle soulage la flamme inté-
rieure.
Léon Faucher l'a très-bien dit : 11 faut rendre au
travail des champs les prisomiiers et prisonnières
qui sont de la campagne, ne pas les rat^Ter dans
vos horribles murs, manufacture de pulmoniques.
Oui, remettez la paysanne au travail de la terre
(en Algérie, du moins). J'ajoute : L'ouvrière même
peut utilement être colonisée dans des établisse-
ments demi-agricoles, où^ plusieurs heures par
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CONSOLATION DES PRISONNIÈRES 339
jour, elle fasse un peu de jardinage qui aidera à la
nourrir.
Nous n'avons pas besoin d'avoir, comme les Ân-^
glais, de coÀleux pénitentiaires au bout du monde.
Colonisons la Méditerranée. VAfrka nourrissait
TEmpire. Elle sera encore trés-peuplée; très-fé-
conde, du jour qu'on voudra sérieusement l'as-
sainir.
Mais le grand, le décisif, le souverain remède>
c'est ramaur et le mariage.
« Le mariage? et qui en voudra? » Plus d'un
qui saura réfléchir.
Broussais a dit : « La maladie de l'un, qui chez
lui est excès de force, serait faiblesse en l'autre. Si
le tempérament est différent, différentes les cir^
constances physiques, ce n'est plus maladie. »
Je croîs aussi que telle personne qui, dans l'é-
touffement de nos villes et d'une société si serrée,,
a péché par violence et parfois par excès de force^
serait bien à sa place et peut-être admirable dans
les libertés de l'Atlas, dans une vie aventureuse de
colonies militaires. Madame Mallet remarque, qu'en
général, les femmes sanguines qui, dans la colère
ou la jalousie, ont iait un acte criminel, ne sont
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540 CONSOLATION Cl^S ÎMl ISO>\NIÈnES.
pas du tout corrompues. Kiiiployoz-les selon leur
énergie, elles la njellroiil loule dans l'amour et
dans la famille, et ce seront de vraies brebis.
Et les martyres, les saintes de la prostitution ijui
l'ont subie par piété filiale ou devoir maternel, qui
les croira souillées? Alil les infortunées à qui la
vertu même infligea ces tortures, sachez qu'elles
sont vierges entre toules. Leur cœur brisé, mais
pur, plus que nul cœur de femme, a soif d'hon-
neur, d'amour, et nulle n'a plus droit d'être aimée.
Les vraies coupables même, si on les sort de
noire Europe, qu'on les mette sons un nouveau
cie!, sur uno terre qui ne saura rien de leursfautes,
si elles sentent dans la Société une mère qui punit,
mais une mère; si elles voient au bout de l'épreuve,
l'oubli,^ l'amour peut-être... leur cœur fondra, et,
dans leurs abondantes larmes, elles seront puri-
fiées.
Quand je vois ces chauves rivages méditerra-
néens, ces montagnes arides, mais qui, gardant
leurs sources, peuvent toujours être reboisées, je
sens que vingt peuples nouveaux vont naître là, si
on y aide. Au lieu de revenir ici misérable ouvrier,
notre soldat d'Afrique, d'Asie, sera propriétaire
là-bas. il aimerai bien mieux, comme femme et
auxiliaire, prendre, non une statue d'Orient, mais
une vraie femme vivante, une àme et un esprit.
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CONSOLATION DES PRISONNIÈRES. 341
une Française énergique, adoucie par Tépreme et
jolie de bonheur.
Yoilà mon roman d'avenir. Il suppose, je l'a-
voue, une condition, c'est que la médecine s'occupe
des grands objets de ce siècle : Vart d'acclimater
rhomme^ et Part des croisements^ l'art d'harmoniser
les familles par l'association des différences de
races, de conditions, de tempéraments. Pour les
nôtres, il faut de l'adresse plus que pour les ma-
riages anglais qu'improvisait Carolina. Je voudrais
là une Carolina française, qui, entourée des lu-
mières de la science, éclairée des médecins, place-
rait habilement les femmes libérées dans les con-
ditions les plus sages. Si, par exemple, la vive, la
sanguine, est mariée dans Tair vif des montagnes
avec un homme violent, on peut craindre de nou-
veaux excès; meltez-la plutôt dans la plaine avec
un homme calme en qui elle respecte la force
douce et la mâle énergie.
Ce sont là les seuls remèdes sérieux. L'état ac-
tuel ne corrige rien, de Taveu de l'autorité (Mallet),
il multiplie les récidives. Le silence imposé dans
les maisons centrales, pour les femmes est une
torture, plusieurs en deviennent folles (p. 188). Que
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5» COHSOLâTION DKS PRISONNliftES.
profMise poQrtaat eette dame? D'a^raver cet état
qui fait des folles, en les mettant dans des» ceiuks.
Là eUes seront catéchisées par Faumôiiier.
En général^ que leur apporte-t4l2 de vagues
génàralités (Mallel). U ne varie pas sa parole se-
lon les dasses et les personnes. L'ouvrière n'y
trouve qu'ennui^ la paysaane n'entaid pas un
Biot. Peut-(m pwief de noième i la fille vicieuse,
endurde dus le mal, et à la fiUe violaite, nuUe-
aaeai vieiaiaey qui a frappé un mauvais eoup?
Le meHIeur amaftnitf , qui iait professîoa digno-
rer l'amour, le monde et la vie, est41 pr<^re à
amiprendre des précédents si coe^pliqués,, des
situations si diverses? Combien moins les reli-
gieuses, qtt'<m employait pour survenantes 1 Ma-
dame Mallet, qui Ifts recommande, avoue qu'elles
n y comprennent rien, qu'dftes haïssent les déte*
nues, n'ayant aucune idée des circonstances qui les
ont menées là, des tentations de la pauvreté, ete-
Tout membre de corporation, par cela seul, est
moulé dans un certain moule général, et il a infi-
niment moins le sens du' spécial, de l'individuel,
qui serait tout dans cette médecine des âmes.
L'homme,, même laïque, avec notre uniformité
d'édu^tion, etc*, y convient bien moins que la
femme, l'entends la 4u»e du monde, qui a de
l'âge et de rexpérience, qui a beaueiw^viiet senti»
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GONSOLATIOIS DBS PRISONKIËRES. 313
qui sait la destinée, qui a manié plus d'un cœur,
qui Goonait mille secrets, délicats dont les hommes
ne se douteront jamais.
« Croyez-Yous donc qu'on trouvera beaucoup de
dames si dévouées, si courageuses, pour visiter
souvent ces sombres lieux, pour affronter le con-
tact de ces tristes créatures? Sans doute^ c est beau-
Qoup de sexïlir que Ton fait le lûen. Cq^efidant, il
faut là bien de la force pour persév&rer. »
J'ose dire qu'on la trouvera, cet appui néces-
saire, non dans le cœur seulement, mais dans l'es-
prit. Pour une intelligence haute, pure, éclairée,,
qui par Tâge arrive aux régions d'où Ton domine,
c'est une étude merveilleusement instructive, émou*
vante au plus haut degré, de lire dans ce livre
vivant. Laissez-moi là vos drames et vos spectacles,
le grand drame est ici. Réservez donc votre intérêt,
vos pleurs. Toute fiction pâlit en présence de telles
réalités, — si fortes, hélas! si délicates ausâ; ce
sont des destinées de femmes. Ces fils que je vous
mets, madame, dans vos bonnes mains, n'est-ce
pas un bonàeur d'en éclaircir doucement les té-
nébreux écheveaux? et, s'il était possible à votre
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344 CONSOLATION DES PRISONNIÈRES.
adresse de les reprendre, ces pauvres fils cassés,
et de les rattaciier... Oh! madame, les anges se'
ront jaloux de vous.
Ange de Tieu, pardonnez-moi de vous parler d'un
sujet sombre, du plus choquant, du plus terrible.
Mais tout se purifie au feu de charité qui vous brûle
le cœur.
îsul amendement dans les prisons, si Ton ne
trouve moyen d*y rappeler l'élat de nature, d'y
finir .l'exécrable tyrannie des forts sur les faibles,
ceux-ci battus et jouet des premiers.
Tout le monde le sait et personne ne veut le dire.
Un homme de funèbre mémoire (de grandes fautes
politiques, mais qui avait un cœur), l'homme qui
sut le mieux les prisons, quand nous étions amis,
m'a plus d^me fois expliqué avec rougeur et larmes
ce mystère du Tartare, les boues sans fond du
désespoir.
L'effet est différent; Thomme tombe si bas qu'un
enfant le ferait trembler; la femme devient une
furie.
Ce n est pas avec des maçons, des murs et des
cacliols qu'on finira cela. On n'aurait à la place
que le suicide honteux, le cul-de-jatte et l'idiot. <'e
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CONSOLATION DES PRISONNIÈRES. 3i5
qu'il faut, c est l'air, le travail, le travail fatigant.
Et, pour le prisonnier marié, il faut lui rendre ce
que nul n'avait droit de lui ôter : le mariage.
Je soumets aux jurisconsultes, mes illustres
confrères de l'Académie des sciences morales, la
question suivante : La loi, en condamnant cet
homme à la prison, en supprimant les effets civils
de son mariage, entend-elle le condamner au céli-
bat? Pour moi, je ne le crois nullement.
Et ce que je sais certainement, c'est que l'autre
conjoint, innocent el non condamné, conserve son
droit immuable.
Plusieurs de ces infortunés tiennent extrême-
ment à la famille et continuent de lui faire les plus
honorables sacrilices. J'ai vu, p Mont-Saint-Mi-
chel, un prisonnier, chapelier très-habile, qui, du
fond de sa prison, en se privant de toute chose,
travaillait pour nourrir sa femme, et qui attendait
impatiemment l'heure de se réunir à elle.
L'Église catholique croit le mariage indissoluble,
donc son droit permanent. Comment n'a-t-elle pas
réclamé ici au nom de la religion, de la morale, de
la pilié?
La chose, je le sais, a des difficultés pratiques.
11 y faut un sage arbitraire. On ne peut indiscrète-
ment introduire chez la prisonnière un mari per-
vers, corrupteur, qui a'pu la mener au mal. Une
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346 GOHSOLATIOll DES PRISQHKIÈRES.
adarinistraUoii, chargée de tant de choses géné-
rales, ne peut pas aisément entrer dans rinforma-
tion minutieuse que ceci demanderait, chercher
souvent au loin des r^seîgneiiients, suivre pour une
seule personne une correspondance délicate et ooâ*
teuse. C'est id qu*il faudrait la providence d'une
dame de cœur, de vertu éprouvée.
Si la prison est dans une grande ville ou pas
bien loin, elle y diercherait de l'ouvrage an mari,
les rapprodierait ainsi, de sorte que la prisonnière
eût le bonheur de sa visite tel jour du mois qu'in-
diquerait rintelligente protectrice.
La femme n'est qu'amour. Rendez-le-lui, vous
en ferez tout ce que vous voudrez. Elles en valent
la peine; elles conservent beaucoup de ressort,
sont parfois exaltées et très-bizarrement amou-
reuses, mais jamais apaisées, comme l'homme, ni
ignoblement aplaties. Celle qui leur donnerait un
éclair de bonheur, en serait tellanent aimée et
adorée, qu'elle mènerait, tout comme elle voudrait,
ce faible troupeau.
Madame Malletle sent très-bien. C'est là le grand
moyen de discipline, de régénération. Elle veut
qu'on en use, que la prisonnière reçoive son mari.
Mais elle y met de telles entraves et tant de gênes,
que se revoir ainsi, c'est peut-être souffrir encore
plus.
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% • • • •• ^ « •
• • GONS0LATV)N 0E« tRISOfeNIÈRES. ««I?
%1| ne fAt pas leur envîence qu'6j[i leur donne. •
^ * La sorveillMlle,*s*il y eiyi, ngipAft être eifercécgpar •
^ les personnes q|lMell^ ijs^ auraj^ftt des oreilles
•• et ées yd(|§, ôfieraie leyrs«ëpancn(6ments,« et • ^
p •doi^ le jrisâgft seul les Aàçera)). Il faut qu'on f en
# fâp^porte'li la bonté^ofBcieuse^i une [lërsonn^ sûre ^
• • «gt respectëef qui prendra tout sur elle^ fit ibnt 1*!%-
• • diilgenle^vSilU ^ritera ^ pauvre sqgur humiliée • ▼
danscette«co|^olation ^rtee, %t n'ei^ofcnptera
qu'aveA)ieu-^ ' * • •• . • •
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TouUcrfpofide connmt i Lyo^jpnqp Don et sa^ïfHi
ami, le doclei^j; LorJfT, le pluswMp^e gp^r de Igjeire
pour l»éi^*gifi dajis Ic^bien. Sa mèfe, au fon^ «fl
,^ ^'avisaauYégimen^taappraridî^estnall|^atiques, •
*et bientôt en^onnt leçjyaîp ^^'^ (^icfers ePà tom^.*
Rentrera Lyon ; eiwnarié /i^ (ionjia^ sa filje^ïetle 4
éducation. €HlÇ> Commença joiftment comme les- »
bamlifcs de Frœkel par une étude ^ui charme Us
enfants, la géométrie (l'afithjnétujlie au ^jpntrairo "
Jes fatigue exlijpmement)^ Femm? d*un ^dusyrïeH
•^ • j. • • ••
••• . ji •♦ • • • •
• • »♦.. •- .
• •^ * • • • / ^ y m' ^'
J^ vitant en plein monde ouvri#, dans les con\'ulslÇii9»^
^ %dcCyofl^eUo^se ha^rda pour lôus, saiî^'ant milôt * ^
' Jf ^e%royalistes, et lanWt des jaAbins, forçant IhS- •
» JJ j)idêmgt| b porte d^s autorilès e^^qjir arracftnt •
! "» iio^ ^acot.*On sait l'épijisement téfritile qui suivit • %
•* (Jls fgilaiions. Vers 1800, il semblait que le^nonéfe . m^
. défaiyft. Scnancoiir écrivit son liMiti dfese&pér^ de
l^moîl^ et Grainville le dernier Ihir}//^. Madame •
• Lortet cn^niem^,^uel quç fût4Bon%rdpd coièrogê,
^ sur ta^{ de ruines, faiblit, tfnc maladie nerveuse la • *
prit,qm*semblaît incuriHjle. Èiïc avait trente ans. %
Le très-taliile Gilibert, qli't^c consulta, lui *dit : • •
// Vous n'aveé i^en du tout. Demain, avec voire m ^ ^
• enfailt vous ir^, aux Jlortes flb l>yon, me cueillir ^
. telle et^Ue plante. Rien de plus^ » Elle ne ponifliif ^*»
pas marcher, Je îit à gjLind'piJne. Le s*lendemain, • •
•^ autfes plantes qu'il l'envofn reciieillir à un-quart^ ^ m
de li^e. Chaque jour il augmentait. Avarîjhn an, •^
la malade, devenue botaniste, avec son gjyrçon d^ • • •
douze ansTfaisait sç^huil lieues parjour. • •
m Elit apprit fe latin pour lire les bêtani#es, et ^JL
t • ' pour enseigne^)n1ils.J%nr lui^nQpre, elle suWlil* ^ ^
• des cours de cnunie, d^jstronJii^ie ct4i# physique. --^ * ••
W Elle le prépara ainsi aux ôlud^njédicale.s, Tenvoya *
étudier à P^is^et en Allemagne. •El]^ en ftPbien «
récompensée. i)'un raôine c(?ur, le fils el la mèr^, % ' .•"
a toutes les batatlc^ de Lyon, ||^anscrent,,cachèrent ^^
- • ^ • • ••• t
» 9 • • • - Digitizedb^GOCjglc^
•• 4
#fô(F ^ISSANGES lffblfc.iLEsl^E'IA FfliMfe:^^ %
^•e^uvèrent de^blesfts de tous les partis. Elîleîut ^
•^ «i rout as^i^e à la. généi%ité av^ntuc^use dêtf . ^
j^HI docteur. Si eTle i^eût^écu ave<^lui, et 4an^ \
• un^rand ceftt^ médical, elfe aurait éjplQy^ c^ ^'^ ■
oAté ses étuSe?, et les aurait moins ci^cogf cAes •
0« dkns I4 botanique. Elle fuU'herborist^des pauf rA. '•
Kll^ en ^urfit élë le médecin. * *•
p # Tout ceci m*a été remi^en mélhoire pa» ce que • ^
* j'ai sous les yeux. J'écns*dans lyi très-beaa lieu sur
m ^ les^bords de la Gironde. Mais, ni ici, k ailleurs dans
• les villages, U n'y a^point^e mëdatin. Us so||Jl plu-
* ^ ^ *siArs, réunis, dags une pe^te ville, nuUeiÉSnt cen-
• • traie, où il A'ont presque iHen à faîte. Avan^d'en
m % ^ipre venir un et de paffer un déf^lacement coûteux, «^
^ les pafy^es meufStit.' Souvent le mal^pris à t^p^
• • ^ ifeût étikrien; c'est une fièvre qu'un peu de quin-
^ * qull|^ aurait avrètée; c'asyme^ngine d enfant, qui, ,
m^m cautéAée * l'instant, aurait disparu ; *maïs on*
talMfe, l'enfant mefrt. — Où esf m^ame Lortet?
^ Une ^aiflb^mé^caine, qui a cgit mille livres de
^ * jrentes, mais cepenflant riche de cœur, de connais-
• sanc"ariéêi, et qui, de plus a l'esprit délicat, les ré-
^ ^^rves craintives de fa pudeur anglaise, n'en a pas
^^ ^ moins résolu de donner à sa filfb une éducation
.<
•
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Cîoogle
i
i
H
PUISSANCES MÉDICALES DE LA FEMME. 551
médicale. Dans ce paysd' action, de migrations, où les
drcoRstances vous portent souvent fort loin des
grands centres civilisés, si cette demoiselle épouse
(je suppose) un industriel établi sur je ne sais quel
cours d'eau de TOuest, il faut que ces mille ouvriers,
ces milliers de défricheurs qui se li'ouveront autour
d'elle, trouvant quelques sea»2fs provisoires à la
grande usine, et ne meurent pas en attendant le
médecin, qui peut-être demeure à cent lieues de là.
Dans leurs hivers, fort rigoureux, il n'y a nul se-
cours à attendre. Combien moins en d'autres pays,
en Russie par exemple^où les fanges du printemps et
de l'automne suspendent au moins six mois toute
communication!
Les leçons d'anatomie sont suivies aux États-Unis
par les detix sexes également. Si le préjugé em-
pêdiie de disséquer, on supplée par les admirables
ifiiitations du docteur Auzoux. Il m'a dît qu'il en fa-
briqfuait autant pour les États-Unis que pour tout
le reste du monde.
c( En supposant la science égale, quel est le meil-
leur médecin? — Celui qm aime le plus. »
Ce très-beau mot d'un grand maître nous porte-
rait à en induire : « La femme est le vrai médecin. »
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352 PUISSANCES MEDICALES DE LA FEM:i]E.
Elle l'est chez tous les peuples barbares. C'est,
chez eux, la femme qui sait les secrets des simples,
les applique. 11 en fut de môme chez des peuples non
barbares, et de haute civilisation. Dans la Perse, la
dépositaire de toutes sciences, fut la mère des
mages.
En réalité, l'homme, qui compatit beaucoup
moins, qui, par l'effet de sa culture philosophique
et généralisalrice, se console si facilement de l'indi-
vidu, rassurerait le malade infiniment moins que la
femme.
Celle-ci est bien plus touchée. Le malheur, c'est
qu'elle Test trop, qu'elle est sujette à s'attendrir, à
subir la contagion nerveuse des maux qu'elle voit,
et à devenir la malade elle-même. 11 y a tel acci-
dent ciuel, sanglant, repoussant, qu'on n'oserait
mettre sous ses yeux à certaines époques du mois,
ou encore, si elle est enceinte. Donc, il faut que
nous renoncions à celte aimable perspective. Quoi-
qu'elle soit certainement la puissance consolante,
réparatrice, curatrice, médicative, du monde, elle
n'est pas le médecin.
Mais, combien utilement elle en serait l'auxi-
liairel Combien sa divination, en mille choses dé-
licates, suppléerait ^i celle de l'homme! L'éduca-
tion de celui-ci développe en lui plus d'un sens,
mais elle en éteint plusieurs. Cela est visible surtout
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PUISSANCES MEDICALES DE LA FEMME. 555
dans les maladies de femmes. Pour en pénétrer le
fuyant secret, le prêtée mystérieux, il faut soi-
même être femme ou aimer infiniment.
Le sacerdoce médical demande des dons si va-
riés, et même si opposés que, pour l'exercer, il
faudrait l'être double, disons mieux complet,
homme- femme, la femme associée au mari, comme
mesdames Pouchet, Hahncmann, etc.; la mère as-
sociée au fils, comme fut madame Lortet. Je com-
prends aussi qu'une dame veuve et âgée exerce la
médecine avec un fils d'adoption qu'elle aurait
formé elle-même.
Les médecins (première classe de France incon-
testablement, la plus éclairée) voudraient-ils per-
mettre à un ignorant qu'eux-mêmes ont instruit et
fait réfléchir, de dire ce qu'il a au cœur? Eh bien,
voici ce qu'il lui semble :
La médecine a deux parties dont on ne parle pas
assez : 1* la confession., l'art de faire dire au malade
tous les précédents qui expliquent la crise phy-
sique; 2*" la divination morale, pour compléter ces
aveux, voir au delà, l'obliger de livrer le petit noyau,
impcrceplible souvent, qui est le fond même du
mal, et qui, restant toujours là, malgré tous lesplus
beaux remèdes, le ferait toujours revenir.
Oh! que la femme, une bonne femme, pas trop
jeune, mais d'un cœur jeune, ému, tendre (qui
20.
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354 PUISSANCES Mi!;»I€ALES »B LA FBMKB.
trouve ladresse, la patience» dans sa pUié), vmâ
mieux à bout ia eek! L'boauae y est fort fié-
cessaire. 11 faut q^ firoîdeiBent, gravem^t, tt <^
serve et conjecture, sur Taspect physique et k peu
que le malade veut dire. Mais la femme du docteuf ,
si elle était là aussi, si elle resteit après lui, eoflHW
elle eu saurait bien pluel ComlMen sa eompasskift
obtiendrait davantage» et surtout d'une autee
femme! Parfois, pour résoudre twit, Syre foi^bre
toutes les glaces, obtenir l'hiatoiie complète, U sui-
tirait de pleurer.
J'avais pour voisin, à Paris, un ctiarbonniec de
trente ans qui avait du bien en Auvergne et ici une
boutique qui n'allait pas mal. Do son pays, il fit
venir une épouse, une gentiUe Auvergnate, un peu
courte, mais jolie, dont le visage, noirci par mo-
ments, n'en brillait pas moins de petits yeux pleins
de flammes. Elle était sage, mm voyait qu'on la
regardait beaucoup, et a'en était pas fâchée. Us lish
bitaient une rue sale, étroite, obscure et peu saine.
Par moments le charbonnier, jeune et fort, n'en
avait pas moins des accès de fièvre. Us devinrent
plus habituels. Il pâlissait, maigrissait. Uu bon mé-
decin appelé vit de suite une chose probable, que
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PUISSANCES MÉDICALES DE LA FEMME. 555
rhumidUé du logis avait commencé la fièvre^ que
les brouillards de Paris ne i^abient rien à un
tMmime qui avait longtemps respiré l'air vif et froid
du Cantal. Il lui dit qu'il lui couperait sa fièvre,
mais qu'elle reviendrait, s*il ne retournait au pays.
Lb charbonnier ne dit fmà, sa fièvre augmenta.
Une dame du voisinage que la charbonnière four-
nissait, vit que, derrière Tobservation judicieuse du
médecin, il y avait pourtant autre chose. Et elle
lui dit : fi Ma petite, sais -tu pourquoi ton mari a la
fièvre, et la gardera et Vaura de plus en plus? c est
parce que tes jolis yeux aiment trop à être regar-
dés... Et sais-tu pourquoi la fièvre a augmenté ces
jours-ci? c*est par le combat que se livrent en lui
Tamour etTavarice. Il croit gagner trop peu là-bas.
Il lie pourra pas s'en tirer. Il restera et mourra. »
Ni la femme, ni Thomme, n'auraient jamais pris
un parti. Ce fut la dame qui le prit. Elle avertit les
parents qui, de là-bas firent écrire au charbonnier
que son bien était en mauvaise main, qu'il dépé-
rissait; que, pendant qu'il croyait faire à Paris de
bonnes affaires, il se ruinait en Auvergne. Cela ré-
veilla notre homme, trancha tout. Il n'eut plus de
fièvre, céda sa petite boutique, emmena sa petite
femme, partit. Tous deux furent sauvés.
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,-50 imjissa:^ces médicales de la FE^niE.
Sauver les autres, c'est se sauver soi-même.
Grande douceur pour un cœur blessé d'exercer
celte puissance, de se guérir en guérissant. Une
femme qui a un grand dènil, de vifs chagrins, de
grandes perles, ne sait pas toujours assez que ce
l'oiids de douleur, c'est (permettez-moi le mot) une
nicrveiiieuse pharmacie pour les maux des autres.
Une mère a perdu un enfant. La dame y va, et elle
l)leure. La mère n'ose presque plus pleurer, son-
geant que la dame a perdu tous les siens, et reste
seule. Et, elle, dans ce malheur du jour, elle a
pourtant la douceur de voir encore autour d'elle
une belle et brillante famille. Elle a son mari; elle a
les consolations d'un amour ravivé, réveillé par les
perles Yiîùme. Elle secompare, et dit: ce J'ai beau-
coup encore ici-bas. »
Nous marchons vers des temps meilleurs, plus
intelligents, plus humains. Cette année même,
V Académie de médec'me a discuté une grande chose,
la décentralisation des hôpitaux. On détruirait ces
lugubres maisons, foyers morbides, imprégnée
des miasmes de tant de générations, où la maladie
et la mort vont s'aggravant, se décuplant, par un
Icrrible encombrement. On soignerait le pauvre
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PUISSANCES MEDICALES DE LA FEMME. ôo7
à domicile; bonheur immense pour lui, car on le
connaîtrait, on le verrait dans ses besoins, dans
les milieux qui font la maladie et qui la recom-
mencent dès qu'il revient de Thôpital. Enfin, pour
des cas peu nombreux, où il doit sortir de chez lui,
on créerait autour* de la ville de petits hôpitaux,
où le malade, n'étant plus perdu et noyé dans les
foules, serait bien antrciuent compté, redevien-
drait un homme, ne serait plus un numéro.
Je ne suis janiais entré qu avec terreur dans ces
vieux et sombres couvents qui servent d'hôpitaux
aujourd'hui. La propreté des lits, des parquets,
des plafonds, a beau être admirable. C'est des
murs que j'ai peur. J'y sens Tâmc des morts, le
passage de tant de générations évanouies. Croyez-
vous que ce soit en vainque tant d'agonisants aient
fixé sur les mômes places leur œil sombre, leur
dernière pensée !
La création des petits hôpitaux, salubrcs, hors
de la ville, entourés de jardins, la spécialité des
soins surtout, ces réformes humaines, doivent se
faire d'abord pour les femmes. Les accouchées
sont enlevées en masse par des fièvres conta-
gieuses. La femme, en général, est bien plus pre-
nable que l'homme aux contagions. Elle est plus
imaginative, plus affectée de se voir la, perdue
dans cet océan de malades, près des mourants, des
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358 laiSSAKGES HÉJ)ICALES DB lA FEMME.
morts ; cela seul la ferait mouiir. Les parents
n'entrent que deux fois par semaine, s'il y a des
parents. Les sceurs sont occupées de soins maté-
riels, un peu blasées d'ailleurs par la vue de laiil
de douleurs. L'interne est un jeune homme. Ce
serait lui pourtant, et justemient parce qu'il est
jeune et non blasé encore, s'il était bon, ee s^raôt
lui qui pourrait le plus moralement. Et quel fruit
immense d'instruction il en tirerait! qud agnua-
dissement du cœuri
Le docteur L., alors jeune et intame dans ua
hôpital de Taris, vit venir dans sa salle une fiUe
de vingt ans au dernier degré de la pulmonie.
Nulle amie, nulle parente. Dans son absolue soli-
tude, au milieu de cette triste foule, daas la oié-
lancolie d'une fin prochaine, elle TÎt bien, sans
qu'il lui parlât, elle vit dans ses yem un éclair de
compassion. Dès lors elle le regardait ti)UÎours,
allant, venant par la salle, et elle ne se croyait pas
tout à fait seule. Elle s'éteignait doucemaUdaos
cette pure et dernière sympatiûe. Un jour il passe,
elle fait signe. 11 dit : a Que voulea-vous? — Yotjre
main. » Elle meurt. — Ce serrement de main ft'a
pas été stérile; ce fut le passage d'uae âme. Une
âme en profita. Même avant de savoir ceci, en m-
gardant cet homme charmant autant qu'habile,
\ avais senti qu'il est de .ceux que la femme a
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PUISSANCES MÉDICALES DE LA FEMME. 359
dofués, et qui trouvent des trésors de médication
dans la tendresse du cœur.
Le meilleur homme est homme et une femme
ne peut lui tout dire. Il y a surtout une semaine
par mois où la malade, deux fois malade, est vul-
nérable à tout, faible, émue, et pourtant n*ose
parler. Elle a honte, alors, elle a peur, elle pleure,
elle rêve. Ce n'est pas à la sœur, personne offi-
cielle, qu'elle dira tout cela; comme vierge, la
jsœur n'y voudrait rien comprendre, et n'a pas le
temps d'écouter. Il faut une vraie femme, une
bonne femme, qui sache tout, sente tout, qui lui
fasse tout dire, lui donne bon espoir, lui dise :
« N'aie pas d'inquiétude, j'irai voir tes enfants,
je te chercherai de l'ouvrage; tu ne seras pas em-
barrassée à la sortie. » — Cette femme , fine et
pénétrante autant que bonne, devinera aussi ce
qu'elle n'ose dire, qu'ayant vu mourir sa voisine
elle a peur de la mort : « Toi tu ne mourras pas,
ne crains rien, ma petite, nous Tempêcherons
bien... » Et mille autres choses folles et tendres
que trouve un cœur de mère. La malade est
comme une enfant. Il faut lui dire ce qu'on dit à
un nourrisson, la caresser et la bercer. De femme
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oGO PUISSANCES MÉDICALES DE LA FEMME.
à femme, les caresses, un tendre enveloppement,
c'est souvent chose toute-puissante. Et si la dame
a influence, autorité, ascendant d'esprit, de posi-
tion, d'autant plus sa bonté agit. La pauvre, dans
son lit, est tout heureuse, leprend force et cou-
rage, et guérit pour lui faire plaisir.
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VI
LES SIMPLES
Les bons meurent souvent seuls, et ceux qui
consolèrent ne sont pas toujours consolés. Leur
douceur, leur résignation, leur harmonie, les con-
servent, et plus qu'ils ne voudraient. Trop souvent
la femme innocente qui n'a vécu que pour le bien,
et qui devrait être entourée, soutenue dans Fâge de
faiblesse, voit tout s'éteindre, amitiés, parentés,
et se trouve avancer seule vers le terme solennel.
Elle na pas besoin d'être traînée; elle va, elle
marche d'elle-même. Elle ne veut qu'obéir à Dieu.
Elle se sent en bonne main, elle espère, elle se fie.
Tout ce qu*elle a encore d'aspirations tendres et
saintes, ce qu'elle rêva, voulut en vain pour le
bonheur des autres, ce qu^elle avait préparé et ne
put, tout cela semble une promesse d'avenir et
l'entrée d'un monde nouveau.
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uC2 LES SIMPLES
Les éloquentes paroles des hommes religieux de
ce temps, les migrations de J. Reynaud et les con-
solations de Dumesnil, la soutiennent, lui donnent
espoir. Au livre des métamorphoses (Y Insecte) j
n'a-t-elle pas lu : «c Que de choses étaient chez moi
qui ne furent point développées I Une autre âme,
et meilleure peut-être, y fut, et n'a pas pu surgir.
Pourquoi les élans supérieurs, pourquoi les ailes
puissantes, que parfois je me suis senties, ne se
sont-ils pas déployés dans la vie et dans l'ac-
tion? Ces germes ajournés me restent, tard pour
cette vie avancée, mais pour une autre sans doute..
Un Écossais (Ferguson) a dit ce mol ingénieux,
mais grave, de vérité frappante : a Si Tembryoïi,
<x captif au sein maternel, pouvait raisonner, il di-
« rait : « Je suis pourvu d'organes qui ne me
« servent guère ici, de jambes pour ne pas marcher,
« et de dents pour ne pas manger. Patience I ces
« organes me disent que la Nature m'appelle au
<( delà de ma vie présente. Un temps viendra où je
« vivrai ailleurs, où ces outils auront emploi. Ils
« chôment, ils attendent encore. Je ne suis d'un
« homme que la chrysalide. »
De ces sens prophétiques^ celui qui veut le plus,
qui hésite le moins, qui résolument nous promet.
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LES S1BI1>LËS. ^
c est r«mour. a Pour ce giobe^ lamour est la vraie
(( raison d'être ; tant qu'on aime, il ne peut mou*
«( rir. x> (Grainville.) Telle la terre et tel Thomme.
Comment peut-il finir, quand il a tellement en lui
cette profonde raison de durer? Gomment, enrichi
de tendresse, de charité, de toute sympathie, au-
rait-il amassé ce trésor de vitalité, pour voir briser
tant de cordes vibrantes?
Donc celle-ci n'a pas peur de Dieu. EUe avance
paisible vers lui, et ne voulant que ce qu'il veut,
mais sûre de la vie à venir, et disant : « Seigneur,
j'aime encore. » ,
Telle est la foi de son cœur. Cela n'empêche pas
que la faiblesse de l'âge, du sexe, n'agisse par-
fois et qu'elle n'ait des heures de mélancolie. Alors,
elle va voir ses tleurs, leur parle et se confie à elles.
Elle pacifie sa pensée dans cette société discrète,
qui n'est pas importune, qui sourit et se tait. Du
moins, les fleurs parlent si bas qu'on a peine à enten-
dre. On croirait voir en elles des enfants silencieux.
En les soignant, elle leur dit : « Mes chères
muettes I A moi qui vous dis tant de choses, vous
pourriez avoir confiance. Si vous couvez un mys-
tère d'avenir, parlez, et je n'en dirai rien. »
A quoi, l'une des plus sages^, vi^le sibylle des
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364 LES SIMPLES.
Gaules (verveine ou bruyère, n'importe) : « Tu nous
aimes. •• Eh bien, nous t'aimons, nous t'atten-
dons... Sache4e, nous sommes ton avenir même,
ton immortalité d'ici-bas. Ta vie pure, ton souffle
innocent, ton corps sacré, nous reviendront. Et,
quand ton génie supérieur, affranchi, dépliera ses
ailes, ce don d'amie nous restera. Ta chère et sainte
dépouille, veuve de toi, va fleurir en nous. »
Ce n'est pas une vaine poésie. C'est la vérité lit-
térale. Notre mort physique n'est rien qu'un re-
tour aux végétaux. Peu, très-peu est chose solide
dans cette mobile enveloppe ; elle est fluide et s'é-
vapore. Exhalés, en bien peu de temps, nous
sommes avidement recueillis par l'aspiration puis-
sante des herbes, des feuilles. Le monde si varié de
verdure dont nous sommes environnés, c'est la
bouche, le poumon absorbant de la nature, qui sans
cesse a besoin de nous, qui trouve son renouvelle-
ment dans l'animal dissous. Elle attend, elle a
hftte. Elle ne laisse pas errer ce qui lui est si né-
cessaire. Elle l'attire de son amour, le transforme
de son désir, et lui donne le bienfait de l'aimable
métamorphose. Elle nous aspire en végétant, et
nous respire en fleurissant. Pour le corps, ainsi
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LES SIMPLES. 365
que pour Fâme, mourir c'est vivre. Et il n'y a rien
que de la vie en ce monde.
L'ignorance des temps barbares avait fait de la
Mort un spectre. La Mort est une fleur.
Dès lors, elles disparaissent, ces répugnances,
ces terreurs du sépulcre. C*est l'homme qui a fait
le sépulcre, et ensuite il en a peur. La nature ne fit
rien de tel. Que me parlez-vous d'ombre, de pro-
fondes ténèbres et du sein de la terre? Grâce à Dieu,
j'en puis rire. Rien ne m'y retiendra. A peine y
laisserai-je trace. Entassez donc encore pierre,
marbre, bronze. Vous ne me tenez point. Pendant
que vous pleurez et me cherchez en bas, déjà
plante, arbre et fleur, enfant de la lumière, j'ai
ressuscité vers l'aurore.
L'antiquité si pénétrante, et vraiment éclairée
d'avance d'une aimable lueur de Dieu, avait for-
mulé ce simple mystère en images gracieuses.
Daphné devient laurier-rose, et n'en est pas moins
belle. Narcisse, en larmes distillé, reste le charme
des fontaines. C'est poésie, ce n'est pas mensonge.
Lavoisier l'eût pu dire. Berzélius n'aurait pas mieux
parlé.
Science! science I douce consolatrice du monde,
et vraie mère de la joie I . . . On la dit froide, indif-
férente, étrangère aux choses morales ! mais quel
repos du cœnr se trouverait dans la nuit d'igno-
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506 LES SÎMPLBS.
rance, peuplée de chimères et de monstres? Ntdie
joie que dans le vrai, dans la lumière de Dieu.
Les débris les plus résistants de la vie animale,
ceux qui le plus obstinément gardent leurs formes,
les coquilles, finissent par céder, et passant en pous-
sière, en atomes, entrent elles-mêmes dans l'at-
traction végétale. J'ai ce spectacle sous les yeux. Au
lieu même où j'écris, à celte porte de la France où
rOcéan et la vaste Gironde font leur combat d'a-
mour et la lutte éternelle qui les marie sans cesse,
les rochers déchirés donnent aux flots le vieux peu-
ple de pierre, devenu sable. Cent plantes vigou-
reuses fixent de leur pied cette arène, se l'appro-
prient, s'en font une vie forte, si odorante au loin
que le voyageur sur la route, le marin dans sa
barque, l'aspirent, sont étonnés. Et la mer s'en
enivre. Quels sont ces puissants végétaux?... Les
plus petits et les plus humbles, nos vieux simples
des Gaules, romarins, sauges, menthes, thym,
serpolets en foule, et tant, tant d'immortelles
qu'il semble indifférent de vivre ou de mourir.
La Gaule espérait et croyait. Le premier mot
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LES SIMPLES. 307
qu'on trouve d'elle, c'est Espoir ^ écrit sur une mé-
daille antique.
Le second mot, sur le grand livre qui inaugure
la Renaissance, c'est celui-ci : a Espoir y gtt. »
Puissions-nous, vous et moi, l'avoir dans le
tombeau I
Mais la femme, bonne, douce, qui reste seule,
qui, sans le mériter, est frappée de la destinée, où
lîra-t-elle Espôirî
Je la voudrais ici aux sables de ces dunes, dans
cette terre pauvre et parfumée, qui n'est pas même
une terre; c'est le sable des mers, qui jadis fut
vivant. Point de terre, rien que vie.
La pauvre petite âme de toutes ces vies marines
se faiUfleur, s'exhale en parfums.
Aux clairières soleillées, gardées au nord par
le rideau des chênes, bien tard dans la saison, elle
aspire encore les odeurs et le vivace esprit des
simples. Leurs salubres parfums, austères et
agréables, n'afTadissent nullement le cœur, comme
font ceux du Midi. Les nôtres sont de vrais es-
prits, des âmes. Ce sont des êtres persistants, qui
nous portent au cerveau des envies de vivre. La
fantasmagorie des plantes des tropiques, leur flui-
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S(I8 LSS SIMPLES.
dite éphémère, ne peut inspirer que langueur.
C'est ici, dans le Nord, une végétation de vertus, qui
nous conseille de créer dans nos œuvres de nouvelles
raisons de durer.
Non pas de durer seuls, mais de continuer nos
groupes naturels, des groupes d*âmes, amantes et
amies, qui agissent ensemble, rimmortalité compo-
sée , où plusieurs se cotisent. Faibles chacun peut*
être, ils s'associent, s'arrangent pour durer par
l'amour.
La médecine peut rire de nos simples. Ce-
pendant, s'ils ont peu d'action sur les corps en-
durcis aux remèdes héroïques et tristement blasés
d'héroïque a' r:entation, ils sont très-bons pour des
gens sobres, pour une femme surtout de^niœurs
douées, de vie uniforme, d'organes purs, sensibles,
vierges malgré le temps.
Laissez-la donc, cette innocente, ramasser cré-
dulement tout cela. C'est une grâce de femme de
cueillir, préparer, ces charmants trésors de la
France.
De bonne heure, aux coteaux pierreux bien abri-
tés, elle partage avec les abeilles le romarin dont la
fleur bleue aromatise le miel de Narbonne. Elle
en tire l'eau céleste qui console le cerveau le
plus afDigé. Bien avant dans l'automne, de société
avec l'oiseau, elle cueille les baies des arbustes. Elle
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LES SIMPLES. 369
le prie de ne pas manger tout et de laisser la part
des pauvres. Elle fait pour ceux-ci les conserves
utiles que nous avons trop oubliées.
Doux soins qui charment et prolongent la vie.
Si ces plantes ne guérissent pas toujours le corps,
elles soutiennent le cœur, le préparent, aplanis-
sent le grand passage à la vie végétale.
Chaque matin, toute seule, lorsqu'au soleil levant
elle a donné son cœur à Dieu, rêvé son cher passé,
le prochain avenir, elle pose un bienveillant regard
sur ses aimables héritières, les fleurs en qui bientôt
sera sa vie. Ces touchantes figures de TAmour vé-
gétal sont celles aussi de notre absorption,*de ce que
nous nommons la Mort. Qui pourrait la haïr si fraî-
che et si charmante, plus douce en ces gazons que
le plus doux sommeil! La vie lasse, agitée, sent en
ce peuple ami l'attraction de la paix profonde.
En attendant, tout ce qu'une sœur peut faire ou
demander de bons offices, tout échange d'amitié se
fait. Elle les abreuve elle-même, les couvre, les
défend de l'hiver. Elle entasse autour d'elles les
feuilles et fleurs tombées, qui leur sont à la fois un
abri et un aliment. Elle n'y prend les siens qu'avec
reconnaissance. Si sa main, belle encore, cueille sur
le cerisier, sur le pêcher, un fruit, elle leur dit en
souriant : « Prêtez à votre sœur. . . De bon cœur, à
son tour, elle vous restituera bientôt. »
21.
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vil
LES ENFANTS. — LA LUMIÈRE — L'AVENIR
La première impression du berceau revient toute-
puissante au dernier âge. La lumière dont Venfant
eut les tièdes caresses à Téveil de la vie, cette mère
universelle qui Taecueillit avant sa mère, qui lui
révéla sa mère même dans rechange du premier
regard, elle réchauffe, charme son déclin, des dou-
ceurs du couchant, d'une aube d'avenir.
Nous la trouvons d'avance, la future Vita ntwva,
dans la société des enfants. Voilà déjà les anges,
les âmes à Tétat pur, que nous espérons voir, La
puissance de vie est si forte dans ces fleurs mo-
biles, dans ces ardents petits oiseaux, de jeu infa-
tigable, que je ne sais quelle jouvence émane d'eux.
Le cœur le plus a teint, celui qui le mieux couve
le trésor de ses souvenirs et chérit ses blessures,
se trouve malgré lui rafraîchi et renouvelé. En-
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LES ENFANTS. LA LUMIÈRE. L'ATENIR. 371
levé à lui-même par leur naïve joie, il s'étonne et
s'écrie : « Eh quoi!... J'avais tout oublié, »
Si Dieu a permis ce malheur qu'il y ait des or-
phelins, il semble que ce soit tout exprès pour la
consolation des femmes restées sans famille. Elles
aiment tous les enfants» mais combien plus ceux
dont une mère n'accapare point raffection 1 L'im-
prévu, la bonne aventure de cette maternité tardive,
l'exclusive possession d'un jeune cœur, heureux de
se jeter au sein d'une femme aimante, c'est sou-
vent pour celle-ci une félicité plus vive qu'aucun
bonheur de la nature. A la joie d'être mère encore,
se joint quelque chose d'ardent comme Télan du
dernier amour.
Rien ne rapproche plus de l'enfance et ne la fait
plus aimer que la seconde enfance, expérimentée,
réfléchie, qu'on appelle la vieillesse, et qui, avec
cette sagesse, n'entend que mieux les voix du pre-
mier âge. C'est leur tendance naturelle ; enfants et
personnes âgées, se cherchent, celles-ci charmées
de la vue de l'innocence, elles enfants attirés parce
qu'ils sont sûrs de trouver là Findulgence infinie.
Cela compose une des belles harmonies de ce monde.
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372 LES ENFANTS. LA LUMIÈRE. L'AVENIR.
Pour la réaliser, je voudrais, c est mon rêve, que
les orphelines surtout ne .fussent pas réunies en
grandes maisons, mais réparties en petits établis-
sements à la campagne, sous la direction morale
d une dame qui en ferait son bonheur.
Études, couture et culture, j'entends un peu de
jardinage (pour aider la maison à vivre, comme
font les Enfants de Rouen), tout cela serait conduit
par une jeune maîtresse d'école, aidée de son
mari. Mais la partie religieuse et morale de l'édu-
cation, ce qu'elle a de plus libre, lectures d'amuse-
ment et d'édification, récréations et promenades;
ce serait l'affaire de la dame.
Avec des enfants, des filles surtout, il faut cer-
taines douceurs, quelque chose d'un peu élastique,
et tout ne peut être prévu. La maîtresse, représen-
tant de l'ordre absolu, en jugerait mal. 11 faut h
côté l'amie des enfants, qui ne décide jamais sans
la maîtresse, mais en obtienne telle concession,
telle faiblesse raisonnable que demande la nature.
Une femme d'esprit laisserait ainsi à celle qui a
la grande assiduité et tout le mal l'honneur du
gouvernement ; mais, se faisant aimer d'elle, ren-
dant de bons offices à ce ménage, elle influerait
tout doucement, dirigerait sans qu'il y parût, et,
à la longue, formerait la maîtresse elle-même,
lui donnerait son empreinte morale.
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LES ENFANTS. LA LUMIÈRE. L'AVENIR. 575
N'ayant point à punir, au contraire n'intervenant
que pour adoucir les sévérités de la discipline, la
dame obtiendrait des enfants une confiance infinie.
Elles seraient heureuses de lui ouvrir leurs petits
c<eurs, ne lui cacheraient rien de leurs chagrins,
ni de leurs défauts même^ lui donneraient ainsi
les moyens d'aviser. C'est tout que de savoir. Dès
qu'on sait et qu'oji voit le fond, on peut, en modi-*
fiant souvent très-peu les habitudes, rendre les pu-
nitions superflues, faire que l'enfant se réforme
lui-même. 11 le voudra, surtout s'il veut plaire, être
aimé. .
Il est, dans une telle maison, cent choses déli-
cates que la maîtresse ne peut faire, des choses de
bonté, de patience, de tendresse ingénieuse. Qu'une
enfant de quatre ans, je suppose» soit amenée, dans
la douleur éperdue, les frayeurs Imaginatives que
leur donne le délaissement, la grande affaire, c'est
qu'elle vive. Il faut quelqu'un qui l'enveloppe de
bonté, de caresses, qui, peu à peu, la calme par de
légères distractions, qu'enfin la fleur coupée, arra-
chée de sa tige, reprenne à une autre par une
espèce de greffe. Cela est difficile et ne se fait ja-
mais par des soins collectifs. J'ai vu un de ces
pauvres désolés qui se mourait dans la grande mai-
son de Paris. Les sœurs compatissantes lui avaient
bien mis sur son lit quelques jouets. Mais il n'y
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374 LES ENFANTS. LA LUMIÈRE. L'ATENIR.
touchait pas. Ce qu'il fallait, c'était une femme qui
le tint, le baisflt, se mêlât de cœur avec lui, lui
rendit le sein maternel.
Quand ils survivent et durent, vient un autre
danger. C'est une sorte d'endurcissement. Ceux qui
se sentent abandonnés, qui savent que leurs parents
ont été si cruels, se trouvent entrés dans la vie
par une rude porte de guerre, et sont disposés à
croire la société ennemie. Qu'un autre enfant leur
jette à la tête le nom de bâtard, ils s'aigrissent,
s'irritent, haïssent Thumanité, la nature, leurs ca-
marades. Les voilà en grand chemin de mal faire,
et de mériter ce mépris, d'abord si injuste. Tel est
misanthrope à dix ans. Si cet enfant est une fille,
il suffit qu'on l'ait méprisée pour qu'elle s'aban-
donne elle-même, ne se garde point, cède au mal.
11 est bien nécessaire qu'un bon cœur soigne la
jeune âme, lui fasse sentir par la tendresse tout ce
qu'elle a de prix encore, lui montre que, malgré
son malheur, le monde lui est ami, et qu'elle doit
se respecter, et faire honneur à ceux qui l'aiment.
11 y a un moment surtout, une crise de l'âge, où
les soins collectifs sont tout à fait insuffisants, où il
faut une affection. Imaginez, la pauvre enfant souf-
frante dans la dure éducation des tables communes,
des grands doiloirs communs, de ces longues gale-
ries où l'on n'obtient la salubrité que par une netteté
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LES ENFANTS. LA LUMIÈRE. L'AVENIR 575
glaciale. Soumise aux règles sévères, levée de bonne
heure et lavée à froid, frissonnante et n'osant
rien dire, ayant honte de souffrir, et pleurant
sans savoir pourquoi. Que de précautions, à ce
moment, dans les familles I Le cœur des mères se
fond en douces caresses, en gâteries, en mille soins
utiles et inutiles ; la petite trouve tout autour un
milieu tiède, une attention empressée, une inquiète
prévoyance. L'orpheline, pour mère et famille, a
rhôpital, ses grands murs sérieux et les personnes
officielles, qui par devoir se partagent entre tous,
ne font acception de personne, et pour tous restetit
froides. 11 n'est pas même aisé, dans ces maisons
où Tordre est tout, d'être bon sans paraître injuste
et partial. Or, c'est cela que voudrait la nature, une
bonté toute personnelle, l'ardeur de la tendresse
et cette chaude douceur où la mère met l'enfant
entre sa chair et sa chemise. Qu'il est donc néces-
saire qu'au moins il y ait là une amie, une femme
bonne et tendre, entendue, qui supplée quelque
peu, pourvoie à ce qui lui manque.
Le plus grave, c'est que précisément, vers ce
moment de crise, l'unique mère de l'orpheline,
la loi, l'administration va lui manquer. L'État a
fait ce qu'il a pu. Son froid abri, l'hospice va
l'exclure, se fermer pour elle. Elle va entrer
dans l'inconnu, — le monde, le vaste monde, dont
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376 LES ENFANTS. LA LUMIÈRE. L'AVENIR.
elle ne sait rien, et qui d*autant plus lui semble un
effrayant chaos.
Où va-t-on la placer? dans une famille agricole ?
ce serait le meilleur; mais ces rudes paysans qui
s* exterminent, la traiteront comme eux, la tueront
de travail. Elle n'est guère préparée à cette vie
terrible, chancelante qu'elle est encore de ce mo-
ment de transition. Autres dangers, plus grands,
si on la jette dans les centres industriels, s'il
faut qu'elle affronte la corruption des villes,
ce monde sans pitié où toute femme est une
proie. On respecte si peu la fille sans parents !
Le chef même de famille à qui on la confie, abusera
souvent de son autorité. L'homme en fera un Jeu,
la femme la battra, les ûls de la maison courront
sus, et la voilà prise. Ou bien elle trouvera une
implacable guerre, un enfer autour d'elle. Au de-
hors, autre chasse, des passants et de tous, et (le
pis) des amies qui attirent et consolent, qui cares*
sent afin de livrer.
Je ne connais sur la terre rien de plus digne de
pitié que ce pauvre oiseau sans nid et sans refuge,
cette jeune fleur innocente, ignorante de tout, in*
capable de se protéger, pauvre petite femme (car
elle Test déjà), au moment dangereux où la nature
la doue d'un charme et d'un péril, — et qui, tout
justement alors, est jetée aux événements I La voilà
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LES ENFANTS. LA LUMIERE. L'AVENIR. 377
seule, au seuil de Vhôpital qu'elle n'a jamais
passé, et qu'elle franchit en tremblant, son petit
paquet à la main, déjà grande et jolie, hélas!
d'autant plus exposée, elle va... vers quelle des-»
tinée? Dieu le sait.
Non, elle n'ira pas ; la bonne fée qui lui sert
de marraine trouvera moyen de l'empêcher. Si
notre orphelinat a une vie demi-rurale, vit un
peu de l'aiguille, un peu de jardinage, la charge
n'est pas forte pour la maison de garder quelque
peu une jeune fille adroite et qui sait travail*
1er. Elle se nourrira elle-même. Pendant ce
temps, la dame l'achèvera, la cultivera, lui donnera
un complément d'éducation, qui la rendra très-ma-
riable, désirable au bon travailleur, ouvrier, mar-
chand ou fermier. Combien il y a plus de sûreté
pouf eux de prendre là, dans une telle maison et
de ces mains respectées, une fille élevée justement
pour s'associer à la vie de travail! N'ayant pas eu
de foyer, de famille, elle goûtera d'autant plus le
chez soif et sera tout heureuse, môme dans une
condition très-pauvre, plus gaie cent fois et plus
charmante que la fille gâtée qui croit toujours faire
grâce, n'est jamais contente de rien. Nos bons fer-
miers, en ce moment, ont peine à trouver des bour-
geoises, ou, s'ils en trouvent, elles les ruinent. Elles
visent plus haut, veulent épouser un habit noir.
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578 LES ENFANTS. LA LUMIÈRE. L'AVENIR.
un «nployé (demain sans place). EDes n'ont ni les
habitudes simples et fortes, ni Tintelligence que
demande cette noble vie d'agriculture. L'orpheline,
instruite de toute chose utile, zélée pour son mari,
charmée de gouverner une grande maison rurale,
ferait le bonheur de cet homme, et sa fortune de
plus.
Si notre bonne dame n'était que bonne, elle
adopterait simplement; elle prendrait l'aimable
fille chez elle, en ferait son bijou; elle aurait, à
toute heure, comme une fête d'innocence et de
gaieté, en possédant une enfant qui l'adore et qui
deviendrait dans ses mains une élégante demoi-
selle. Elle se garde bien de le faire, elle aime
mieux se priver d'elle, et ne pas la faire passer a
une condition où le mariage est plus difficile.
Qu'elle eût mis un chapeau, un seul jour, tout
serait perdu. On la laisse en bonnet, ou mieux,
dans ses jolis cheveux, on la laisse demi-paysanne;
ce qui n'empêche rien, ni lecture, ni musique; nous
le voyons en Suisse, en Allemagne. Mais cela, en
même temps, rend l'avenir bien plus facile. Elle
montera fort aisiment, descendra s'il le faut; elle
reste à mi-chemin de tout.
C'est un don de Tâge avancé, de la grande expé-
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LES ENFANTS. LA LUIItRE. I'ÀVENIR: 570
rience et d'une vie pure, de voir ce qui n'est pas
encore. Or la sage et charmante femme dont ce
livre €St la vie, pressent fort nettement l'avenir
prochain des sociétés de l'Europe. De grands et
profonds renouvellements ne manqueront pas de
s'y faire. Les femmes et les familles seront bien
obligées de s'arranger de ces circonstances nou-
velles. La femme simple (du livre de V Amour), la
dame cultivée (du livre de la femme) suffiront-elles?
Nullement. Cette dernière sent elle-même que ré-
ponse de l'homme à venir doit être plus complète
et plus forte, harmonisée, équilibrée de pensée et
d'action; et, telle elle veut son orpheline.
Son effort, sa sagesse, c'est de faire celte enfant
qu'elle aime, différente d'elle-même, et prêle pour
un monde meilleur, pour une société plus mâle de
travail et d'égalité.
Quoi donc! serait-ce un rêve? Dans les réalités
vivantes, n'avons-nous pas déjà quelque ombre,
quelque image imparfaite de cette beauté de l'a-
venir?
Aux États-Unis de l'Ouest, aux confins des sau-
vages, rAméricaine, épouse ou veuve, qui le jour
travaille et cultive, le soir n'en lit pas moins, ne
commente pas moins la Bible à ses enfants.
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»0 LES ENFANTS. LA LUMIÈRE. L'AVENIR.
Moi-même, entrant un jour en Suisse par une de
nos plus tristes frontières, par nos sapinières du
Jura, je fus émerveillé de voir dans les prairies
les filles d'horlogers, belles et sérieuses filles, fort
cultivées et quasi demoiselles, en corsets de ve-
lours, travailler à la fenaison. Rien n'était plus
charmant. Dans Taimable alliance de Fart et de
l'agriculture, la terre semblait fleurir sous leurs
mains délicates, et manifestement la fleur avait
orgueil d'être touchée par un esprit.
Mais ce qui me frappa bien plus, ce qui me fit
croire un moment que j'assistais déjà au prochain
siècle, ce fut une rencontre que je fis au lac de
Lucerne d'une riche famille de paysans d'Alsace*
Elle n'était nullement indigne de ce cadre sublime
où j'eus le bonheur de la voir. Le père, la mère,
la jolie demoiselle, portaient avec une noble sim-
plicité l'antique et si beau costume de leur pays.
Les parents, vrais Alsaciens, de grand cœur et de
bon esprit, têtes sages, carrées et fortes. Elle,
bien plus Française, aflînée de Lorraine, comme
passée du fer à l'acier. Fort jeune, elle était svelte,
vive et saisissant tout; avec sa mince taille, ses
jeunes bras, étonnamment forte. Mais ses bras
étaient bruns. Son père dit : « C'est qu'elle veut
cultiver elle-même; elle vit aux champs, y laboure,
et y lit... Oh! ses bœufs la connaissent bien et
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LES ENFANTS. LA LUMIÈRE. L'AVENIR. 581
l'aiment. Quand elle est fatiguée, elle saute des-
sus, s'y assoit, ils n'en tirent que mieux. Cela
n'empêche pas que le soir la petite ne me lise
Goethe ou Lamartine, ou ne me joue Weber et
Mozart. »
J'aurais bien voulu que la dame, la patronne de
mes orphelines eût vu ce charmant idéal réalisé,
vivant. C'est vers un type analogue ou semblable
que s'acheminera sans nul doute le monde à venir.
Former un tel trésor, réaliser en elle le rêve de
la vie pure et forte, d'égalité féconde, de simplicité
haute, qui affranchira l'homme, et lui fera faire,
pour l'amour, les œuvres de la liberté, — c'est la
grande chose religieuse. Tant que la femme n'est
pas l'associée du travail et de l'action, nous sommes
serfs, nous ne pouvons rien.
Donnez cela au monde, madame. Que ce soit
votre chère pensée, la digne occupation de vos der-
nières années. Mettez là vos grâces de cœur, votre
maturité de sagesse, une grande et noble volonté.
Que vous plairez à Dieu, de faire tant de bien à la
terre I dans quelle sécurité vous pourrez revenir à
luil
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383 LES ENFANTS. U LUMIEUE. t'ATENItl.
Je me figure que cette femme aimée, par un beau
jour d'hiver, un doux soleil, ayant eu quelque peu
de fièvre, faible, mais mieux pourtant, veut descen-
dre, s'asseoir au jardin. Au bras de sa charmante
fille d'adoption, elle va revoir dans leurs jeux les
chères petites qu'elle n'a pas vues de huit jours.
Les jeux cessent. Elle a autour d'elle cette aimable
couronne, les regarde, les voit un peu confusément,
mais les caresse encore, et baise celles de quatre ou
cinq ans. SoufTre-t-elle? Nullement. Hais elle dis-
tingue moins. Elle veut voir surtout la lumière, un
peu pâle, qui pourtant se reflète dans ses cheveux
d argent. Elle y tend son regard, en vain, voit
moins encore. Je ne sais quelle lueur a rosé ses
joues pâles, et elle a joint les mains... Les petites
de dire tout bas : « Ahl comme elle a changé I...
Ah I qu'elle est belle et jeune 1 » Et un jeune sou-
rire en effet a passé sur ses lèvres, comme d'intel-
ligence avec un invisible Esprit.
C'est que le sien^ encouragé de Dieu, a repris son
vol libre^ et remonté dans un rayon.
FIH.
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NOTES
Note i. Caractère moral dé ce livre. — 11 présente deu&
lacunes qu'on a déjà reprochées au livre de V Amour, 11 ne
traite point de Fadultére ni de la prostitution. J'ai cru pou-
voir m'en remettre.^ la littérature du temps» inépuisable là»
dessus. J'ai donné la ligne droite, et laisse à d'autres le
plaisir d'étudier les courbes. Dans leurs livres ils ont sura^
bondamment parlé de la divagation» jamais marqué la grande
voie, simple, féconde, de l'initiation que l'amour, mieux in-
spiré, continuerait jusqu'à la mort. Il est arrivé justement à
ces ingénieux romanciers ce qui arriva jadis aux casuistes
(grands analyseurs aussi). Escobar et Busenbaum qui eurent
le succès de Balzac (chacun cinquante éditions), dans leurs re^
cherches subtiles, n'oublièrent rien que ce qui faisait le fond,
même de leur science. Ils ont perdu le mariage de vue, et régie*
mente le libertinage. —Le présent livre ne s'éloigne pas moins
des romans sérieux de nos grands utopistes (Saint-Simon,
Fourier» etc.). Ils ont invoqué la nature, mais l'ont prise très-
bas, dans la misère de leur temps ; et ils se confient ensuite
à l'attraction naturelle, à la pente vers cette nature abaissée.
Dans un âge d'admirable effort, de création héroïque, ils ont
cru supprimer Veffort, Mais chez un être, tel que l'homme.
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584 NOTES.
énergique, créateur, artiste» V effort est dam la nature, e
il en est le meiJleiir. L'instinct moral du public sent cela,
et voilà pourquoi ces grands penseurs n*ont pu faire école. —
L'art, le travail et Teffort dominent tout, et ce que nous ap-
pelons nature en nous, c'est le plus souvent notre création per-
sonnelle. Nous nous faisons jour par jour. Je le sentais cette
année dans mes études anatomiques, spécialement sur le
cerveau. Il est manifestement Tœuvre, rincamation de
notre activité (V. Éloge de Petit , édit. Dubois). De là la vive
expression, et, j'ose le dire, l'éloquence du cerveau, chez les
individus supérieurs. Je n'ai pas craint de l'appeler la plus
triomphante fleur, la plus touchante beauté de la nature, at-
tendrissante chez l'enfant, parfois sublime dans l'homme. —
Qu'on appelle cela réalisme, il ne m'en soucie, 11 y a deux
réalismes. L'un vulgarise, aplatipt. L'autre, dans le réel, at-
teint ridée qui en est l'essence et la vérité la plus haute, donc
aussi sa vraie noblesse. Si cette poésie du vrai, la seule pure,
fait gémir la pruderie, cela ne nous touche guère. Quand,
dans le livre de V Amour, nous avons brisé la sotte barrière
qui séparait la littérature de la liberté des sciences, nous
nous sommes peu informé de l'avis de ces pudibonds, plus
chastes que la Nature, plus purs apparemment que Dieu.
La femme veut une foi, l'attend de nous pour élever l'en-
fant. Nulle éducation sans croyance. Le moment est venu.
Cet âge peut formuler sa foi. Rousseau n'a pu, rien n'était
mûr, Le juge du vrai est la conscience. Mais il lui faut des
contrôles, V histoire, conscience du genre humain, et Vhis-
toire naturelle, conscience instinctive de la nature. Or, au-
cune des deux n'existait. On les a construites en un siècle
(1760-1860). Quand les trois s'accordent, croyez.
Note 2. Éducation. Ateliers et jardins d'enfants. — Le vrai
nom du moyen âge est Parole, Imitation. Le vrai nom du
temps présent est Acte et création. Quelle est l'éducation
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NOTES. 385
propre à un âge créateur ? Celle qui habitue à créer, il ne
suffit pas de faire appel à l'activité spontanée (Rousseau, Pes-
talozzi, Jacotot,Fourier, Coignet, Issaurat, etc.), il faut Taider
en lui trouvant son railf où elle doit glisser. C'est ce qu'a fait
legénie de Frœbel. Lorsqu'on janvier dernier son aimable
disciple, madame, de Marenholz, m'expliqua sa doctrine, je
vis, au premier mot, que c'était l'éducation du temps et la
vraie. Rousseau fait un Robinson, un solitaire. Fourier veut
profiter de l'instinct de singerie y et faire l'enfant imitateur»
Jacotot développe l'instinct parleur et discuteur. Frœbel
finit le bavardage, proscrit l'imitation. Son éducation n'est ni
extérieure ni imposée , mais tirée de l'enfant même; — ni
arbitraire ; l'enfant recommence l'histoire, l'activité créatrice
du genre humain. Lire le charmant Manuel de madame de Ma-
renholz (chez Hachette), non pour le suivre servilement,
mais pour s'en inspirer. Voir l'école de Paris, chez ma-
dame Kœchlin (rue Pépinière, 81).
Note 5. De la justice dans V amour et du devoir du mari.
— Dans un siècle qui semble froid, l'amour n'en a pas moins
révélé mille aspects nouveaux de la passion. Jamais il ne jeta
des voix plus puissantes, de tels soupirs vers l'infini. Elle vi-
vait encore hier, elle écrivait ses vers brûlants, la muse de
l'orage, du sanglot, de Tinextinguible amour (madame Val-
more). C'est le grand trait de notre temps, l'amour souffre,
pleure, pour une possession profonde, absolue, qu'avant nous
on ne désirait et ne comprenait même pas. — A cela a ré-
pondu la science par cette adorable révélation : « Tu veux
l'unité? Mais tu l'as. L'échange absolu de la vie, la transhu-
manation, est le fait du mariage. » Voilà l'amour satisfait?
Pas encore. Ce mélange fatal du sang serait impie, s'il ne s'y
joint le libre mélange du cœur. Pour que celui-ci existe, il
faut que, par l'éducation (de toute la vie), les amants se créent
e fonds d'idées commun, la langue qui leur donnera désir de
22
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386 NOTES.
communiquer sans cesse. Il faut que la langue muette de Ta-
mour, sa communion, reprenne son caractère sacré^ qui ex-
clut tout plaisir ^oiste» implique le concours de deux
Tolontés.
La casuistique, qui n'eut ni cœur ni âme, n'a point stipulé
pour la femme. Mais aujourd'hui c'est l'homme même, dans sa
justice généreuse, qui doit plaider pour elle, s'il le faut, con*
tre lui. Elle a droit à trois choses:
l' I^ulle grossesse sans son consentement exprès. Â die
seule de savoir si elle peut accepter cette chance de mort.
Si elle est malade, épuisée, mal conformée, son mari doit
l'épargner, au temps surtout où l'œuf vient au-devant (pen-
dant les règles et les dix jours qui suivent). Le temps inter-
médiaire est-il stérile? Il doit Têtre, puisque l'œuf manque.
Mais, si la passion l'évoquait et le faisait reparaître? M. Coste
pense qu'il en est ainsi, au moins pour les trois jours qui pré-
cèdent les régies. C'est aussi l'opinion du Mémoire couronné
j^ar Y Académie des sciences.
2' On doit à la femme ce respect d'amour de n'en pas faire
un instrument passif. I^ul plaisir, sinon partagé. Un médecin
catholique de Lyon, professeur autorisé, dans un livre popu-
laire de cette année, émet cette opinion grave, que le fléau
qui décime les femmes tient surtout à ce que, mêmes ma«-
riées, la plupart sont veuves. Solitaire dans le plaisir même,
l'égoïste impatience de l'homme ne veut que pour soi-même
et ne veut qu'un moment, n'éveille l'émotion que pour la
laisser avorter. Commencer et toiyours en vain, c'est défier
la maladie, irriter le corps, sécher l'âme. La fenmie subit
cela, mais est triste, ironique, et son aigreur altère son sang.
Sauf quelques paroles d'affaires, plus de société; au fond,
plus de mariage. 11 n'est réel que dans une culture régulière
de ce devoir de cœur, dans la communauté des émotions sa-
lutaires qui renouvellent la vie. Qu'elle manque, et les époux
s'éloignent, se déshabituent l'un de l'autre. Plaignons l'en-
fant, car la famille se dissout.— Est-ce à dire que l'homme soit
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NOTES. SS-Ï
heureux du court plaisir forcé qu'il prend sur la glace et le
marbre? Il n'en emporte <pie regret. Matérialiste en actes;
il a les exigences d'esprit d'un temps très-avancé, qui veut
en tout le fonds du fonds; bref, il voudrait aller à Tâme.
3* Un médecin, excellent mari, me disait: f Dans votre livre,
le meilleur, c'est ce qui a fait rire, les soins quasi mater-
nels de Famour, les servitudes volontaires qui suppriment
la femme de chambre. Ce tiers ennuyeux, dangereux , est un
mur entre les époux qui i^nd leurs rapports fortuits. On est
chez sa femme en visite, comme chez une maitcesse entrete-
nue. L'avantage du mariage est d'avoir tout le temps, donc les
rares moments favorables où une femme, comme elles sont
toutes, un peu lente, peut être amenée à l'émotion réelle.
Le cœur, la gratitude, y font beaucoup. Elles s'émeuvent
plus aisément pour celui qui a su prendre l'intendance des
petits mystères et qui les soigne tendrement dans leurs fai-
blesses de nature. Voulez-vous comprendre la femme , rap-
pelez-vous qu'en histoire naturelle la mue fait la faiblesse,
la défaillance des êtres. Terrible dans les espèces inférieures,
elle les livre sans[défense à leurs ennemis. L'homme, chez qui
heureusement elle n'est pas violente, mue constamment de
la peau, même de Tépiderme intérieure. Dans sa mue intes-
tinale de chaque jour, il donne beaucoup de lui et se trouve
faible. La femme perd bien davantage, ayant de plus la mue
vaginale de chaque mois. Elle a ce qu'ont tous les êtres à leurs
mues, le besoin de se cacher, mais aussi de s'appuyer. C'est
la Méiusine du conte ; la belle fée, qui était souvent par en
bas une jolie coukuvre timide, se cachait pour muer. Heu-
reux qui peut rassurer Méiusine, lui donner confiance et se
faire sa nourrice ! Et qui le suppléerait? C'est une profanation
d'exposer cette chère personne, craintive (en chose si inno-
cente), aux malices d'une fille indiscrète qui en fera risée. Un
tel excès d'intimité doit revenir à celui seul pour qui c'est
bonheur et faveur. Faveur qui d'abord coûte, mais peu à peu
elle trouve cela très- doux, et ne peut s'en passer. Nature
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58S NOTES.
aime habitude, et s'aide fort des libertés absolues de Ten-
fance. Ce sont d'heureux instants, de grâce et de favorable
audience, d'attendrissement facile^ où le cher confident a
l'ascendant d'un magnétisme nullement dangereux. L'hu-
milité charmante (où l'on sent si bien qu'onest reine) n a
nulle défense et se rend tout à fait. Oubli profond, abandon
sans réserve. L'Amour, connu en un demi-rève, y rencontre
parfois la chance rare du bonheur au complet, Ja crise
salutaire (si profonde chez elles) où la vie se donne toute,
pour se renouveler bientôt et se trouver rsyeunie, embellie,
selon le vœu de la Nature. »
Note 4. La femme dans la société, — Quelle société? De
passé ou d'avenir? — Je n'ai pas parlé de la première, ni fait
1 histoire des salons. Je la fais assez dans mon Louis XIV,
On parle toujours du bien que les salons ont fait, mais point
de celui qu'ils ont empêché, des esprits qu'ils oçt étouffés.
Madame ( Henriette ) eut dix ans une heureuse ipfluence.
Madame de Montespan par sa méchanceté, madame de
Maintenon par sa médiocrité négative, stérilisèrent pendant
quarante ans. — Pour la société d'avenir, nous la devinons,
flottante encore. J'ai voulu seulement, au troisième livre,
marquer le rôle que la veuve, la femme isolée*, y aura, celui
d'évianciper par la bonté toutes les âmes captives. Même
dans une société libre, il y aura toujours des captifs, ceux de
la misère, ceux de l'âge, ceux des préjugés, f des passions. Une
femme de grand cœur, dans la Cité la plus parfaite, serait
le bon génie d'arbitraire maternel qui apparaîtrait partout
où la loi n'atteint pas, le complément de la Liberté, une Li-
berté supérieure, et l'intervention de Dieu même.
PIN DES NOTES
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TABLE
INTRODUCTION
I. Pourquoi Von ne se marie poi. Page r. — Misère de la fille pauvre;
1 Amour au rabais, vi. •-< Orgueil de la fille dotée; la forte peraon-
mlité de la Française augmentée par nos lois de succession. Yti.--
Son éducation religieuse, xi.
IF. V ouvrière, P. xvm.— Yie terrible de la paysanne. Elle se réfugie
dans les villes. ^ La domestique. — Combien l'ouvrier est moins
misérable que TouTrière. — La machine à filer ; U machine à
coudre. — Enquête. La couseuse ne peut gagner que dix sous. —
1/homme prend les métiers de la femme, et elle ne peut faire ceux
de rhomme. — Elle ne peut que mourir, ou descendre dans la
rue.
III. ÎM femme lettrée. P. xxxi. — Gènes et misères de la femme seule
-~ Les examens. — La gouvernante. — La femme de lettres.
Lo cercle de feu. — Les servitudes de l'actrice. — L'humilité. —
Lj dame au camellia plus misérable que la fille publique.
IV. Im femme ne vit pas sans Vhomme. P. xux. —Étude anatomique
du cerveau. Combien l'anatomie humanise et moralise. — Le car-
22.
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300 TABLE.
naral remplit de Temmcs les hôpitaux et les cimetières.— Destinée
et mort d'une femme. Elle eût vécu, si elle eôt en un foyer. —
Gomment le livre de l:i Femme continue le livre de V Amour.
PREMIÈRE PARTIE
DB l'éducation
I. U êoleil, l'air et la lumière, P. 1. —Le cerveau de l'enfant est
transfiguré en un an par la lumière. — Il lui faut beaucoup de lu-
mière et un jardin. Les petits jardins aériens de Paris.
II. V échange du premier regard et le commencement de la fin. P. 8.
— L'enfant ne vivrait pas sans l'idolâtrie de la mère. VExtase
de Gorrége. — V Allaitement de Solari.
III. ÎjC jeu. Venfimt enseigne la mère. P. 15. — La révélation de
Prœbel. L'éducation n'est pas une gêne, mais une délivrance du
chaos tumultueux où l'enfant se trouve d'abord. — Il faut lui mellrc
en main des formes élémenVaires et régulières, comme celles des
cristaux, qui lui permettent de bâtir, — puis le faire jardiner.
IV. Combien Venfiini est fragile et .'^acré. P. 2 t. — Mortalité immense
des enfants. — Il faut los amener lentement à la fixité d'une vie
d'études. — Mes études anatomiques. Extrême beauté du cerveau
de l'enfant. — A quatre ans, l'appareil nerveux est complet pour
la sensibilité et le mouvement. — Cette mobilité fatale de l'en-
fant doit être ménagée atout prix.
V. L amour à cinq ans. Îm poupée. P. 33. — La poupée est : !• une
maternité ; 2" le premier amour ; 3" le premier essai d'indépen-
dance. — Histoire de trois poup-.'es.
VI. Lfl femme est une religion. P. 40. — L'éducation de l'homme,
c'est d'organircr une force, de créer un créateur. Celle de la femme
de faire une harmonie, d'harmoniser une religion. — Le but de
la femme ici-bas, c'est l'amour, îa maternité, ou celte maternité
qu'on appelle éducation. — Ce qui la rend très-pure, c'est qu'en
elle la maternité domine et élève l'amour. — Pureté physique et
morale, d'éducation, d'alimentation.
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TABLE. 301
VII. Vamour à dix ans. Us fleurs. P. 55. — La fleur végétale et
la fleur humaine s'harmonisent parce qu'elles sont contraires, et
se complètent. Point de bouquet, mais une fleur. Point de fleur,
mais une plante, dans son développement successif. «~ Le cycle
de l'année. Le blé et la vigne. Martyre deGrain-d'Orge et de Jean
Raisin i •— Gomment nous devons (hommes et plantes} mourir pour
nourrir les autres.
VIII. U petit ménage. Le petit jardin. P. 68. — La cuisine continue
la maturation naturelle du soleil. — C'est comme un autre allaite-
ment, Tune des plus hautes fonctions de l'épouse et de la mère.
— Échange et circuitus de la vie entre la cuisine et le jardin. —
Que l'enfant apprenne l'humble et sévère condition de la vie : Mou-
rir constamment, vivre de la mort. — Qu'elle fraternise avec toute
vie animale, et saisisse un premier rayon de l'Amour créateur. —
Elle a été heureuse jusqu'ici (treize ans], car elle a toujours créé.
rX. Maternité de quatorze ans. La métamorphose. P. 77. —Com-
ment sa mère l'a confessée chaque soir. Son trouble (vers qua-
torze ans). — « On donne pour alimenta sa sensibilité l'amour des
petits enfants. — La révélation du sexe ne trouble pas celle qui
déjà est instruite des lois universelles de la nature.
X. Lliistoire comme hase de foi. P. 86. — L'élude spécialement fé-
minine est celle de la Nature. Cependant l'Histoire est nécessaire
aux deux sexes comme base morale. — Combien la femme a besoin
que sa foi soit solidement fondée. Elle trouve ce fondement dans
V accord du genre humain sur le devoir et sur Dieu. — Pour pré-
parer la jeune fille à cette étude morale, il faut des lectures très-
pures, virginales, et colurécs de la lumière du matin. — Le génie
matinal d'Homère. — La Bible de la lumière, le peuple des purs.
XI. La Pallas. 1x raisonnement. P. 101. — Musée des sculptures.
— Comment la Grèce a substitué aux tâtonnements prophétiques
de l'Orient les méthodes directes et certaines du raisonnement
inventif. La Vierge d'Athènes enfante le monde des sciences. La
haute el pure sphère de Raison. Bonheur sublime de la puret^.
XII. Jm charité d'André del Sarte. P. 108. — Nous avons ajourné
l'amour tantôt par homœopathie, tantôt par allopathie. — Le dan-
ger du cœur, au moment où il s'attendrit pour Dieu. Nouvel
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SOS TABLE.
lyoumement de l'amour : on lui montre les misères du monde. —
Le haut symbole italien : Ivrexse héroïque de la charité,
Xni. Révélation de Vhérmgme. P. 118. — Combien le soin des en-
fants pauTres élève la jeune fille, lui donne le sens des réalités
sérieuses, Téloigne du monde. Elle met tonte sa foi dans'son père.
Il lui enseigne la justice dans l'Amour (i n'aimer, que le plus
digne) . 11 lui révèle le martyre et la tragédie du siècle. Tl ne lui
permet pas de se prendre uniquement à la famille et de renoncer
au mariage.
LIVRE DEUXIÈME
LA FEMME DANS LA FAMILLE
Quelle femme aimera le pltu? CeUe de race dtf/êrenief P. 133. —
Les races énergiques sortent d'éléments très-opjmés (exemple, le
nègre et le blanc), ou identiques (exemple, les chevaux de courses,
les Grecs antiques, nos marins de France, etc.). Bonté ardente
de la femme noire. Héroïsme de la femme r'buge.
Quelle femme aimera le plus? Celle de même race? P. 147. —
On a fort exagéré les fiicilités et les avantages des croisements.
Avantage et inconvénient d'épouser une Française. Précipitation
odieuse et immonde du mariage actuel. Les mariages entre pa-
rents fortifient les forts, affaiblissent les faibles. Si la parente n'est
pas spécialement élevée pour toi, l'étrangère, élevée par toi, s'as-
Fociera davantage
III. Quel homme aimera le mieux? V. 161. — Que la mère prenne
garde de rendre son futur gendre amoureax d'elle-même. Qu'elle
élève son idéal, et choisisse pour sa fille un homme de foi et d'é^
nergie productive. La puissance incalculabie de création que montre
ce siècle tient à ce que la science lui a assuré sa marche et lui a
mis sous les pieds le solide terrain de la foi et de la certitude.
V. V Épreuve. P. 171. — La fiancée doit commander, et soutenir
son amant dans Fattentei le garder par l'amour, de concert avec
sa mère. Danger de la méthode anglaise, qui co;npromet aveuglé-
ment la fille.
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TABLE. 305
Y. ùMment elle donne son eomr, P. 182. — Les mères fraoçsises
sont imprudentes par excès de prudence. Elles n'aiment que les
hommes finis. — Il faut prendre Thomme amoureux (Qu'est-ce
que l'amour?) et l'homme héroïque, s'il se peut.
VI. Tu quitteras ton père et ta mère. P. 193. — La jeune fille s'ar-
rache à la famille. — Quel jour on doit la marier. — Ménagements
infinis qu'on lui doit. — La noce n'est nullement une consomma-
tion, une fin ; c'est le commencement d'une longue initiation qui
doit durer autant que la vie. *
"Vil. ÏM jeune épouse. Ses pensées solitaires. P. 209. — Il ne faut
pas l'obséder, mais la laisser se raffermir. Son dévouement. lie bon*
heur d'obéir. L'attente du retour.
VIII. Elle veut s'associer et dépendre. P. 220. — La possession aug-
meute l'amour. La femme veut être possédée davantage, — par
l'association aux affaires et aux idées.
IX. Des arts et de la lecture. P. 230. — Chaque art ouvre un nouve
or{çane d'amour. — La femme reçoit les idées par des sens qui ne
sont point ceux de l'homme. — Le mari, et non le père, peut fairii
son éducation. — Peinture, musique. Les Bibles de l'histoire et
de la nature. — On doit révéler à la femme les hautes légendes
primitives qui restent au-dessus de tout.
X. La grande légende d'Afrique. îm femme comme dieu de bonté
{fragment deV Histoire de V Amour). P. 240. — Isis, Osiris, Ho-
rus. — La mort des dieux. — Toute-puissance de la femme qui,
par la force de la douleur et du désir, rend la vie à l'âme aimée,
r?ssuscite son dieu et le monde. — Le Jugement et la renaissance
des bons.
XI. Comment la femme dépasse Vhomme, P. 253. — La femme, dis-
pensée du métier et de la spécialité, garde à l'homme un trésor
de noblesse et de rajeunissement. Elle a des octaves de plus dans
le haut et dans le bas, mais elle a moins les qualités moyennes qui
font la force. Elle ne crée pas l'art, mais l'artiste. Elle comprend
rarement les créations laborieuses de l'homme. Parfois l'amitié
leloîgne de l'amour. — Gomment elle pourrait relever l'homme
dans ses fatigues morales.
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9M TABLE.
XII. Iks hmmHté» de ram&w, Cenfeuim, P. i67.— Gehû qui aime
ne doit pts permettre à l'objet aimé une abnégation trop complète.
-*- L'homme ne d<Ht prendre sur la femme nol ascendant non con-
senti, ni l'ascendant magnétique, ni celui delà erainte. — Du coup
d'état domestique. T substituer le gouTernement de l'entente cor-
diale et de la confiance. — La femme a besoin d'épancbement et
de confession. S'aimer, c'est se donner puissance Tun sur l'autre
en se disant tout.
XIII. lia communion de Vamour. Offices de la nature. P. 280. —
Dieu est la haute nécessité de la nature. — La communion de Va-
mour vrai donne une lueur de l'éternel amour. — La femme est
une religion, et, dans les éclipses religieuses, nous garde le senti-
ment de Dieu. — Vie religieuse d'une famille dans un dimanche
d'hirer.
XI Y. Suite. Offices de la nature, P. 292. — Les deux pôles de la
religion (la loi, ia cause) sont représentés, soutenus par l'homme
et la femme. — Comme agent de la Cause aimante, elle a le côlc
le plus tendre du pontificat. Elle sait les heures sacrées et du jour
et de Tannéb, le rituel de la nature en chaque pajs, les vrais
psaumes de la contrée. — Fête de la Renaissance. Fêtes des Fleurs,
de la Moisson, de la Vendange.
LIVRE TROISIÈME
LA FESlJiE DANS LA SOGlfTÉ
I. La femme comme ange de paix et de civilisation» P. 307. — Com-
bien la vue -d'une femme rassure dans les pays sauvages. — L'âge
émancipe la femme, et lui permet un ministère de bonté et de so-
ciabilité. Elle met dans les salons la vraie liberté, fait valoir tout
le monde, protège les timides.
II. Demiei' amour. Amitiés des femmes. P. 314. — - La veuve ne
veut pas se remarier; mais la nature, la famille, peuvent l'y obli-
ger. — Le mari mourant doit prévoir pour elle, et, s'il se peut,
la léguer au proche parent (.selon l'espril). — Adoptions. Le fils
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TABLE 595
spirituel. •— Elle protégera la jeune ieiiime, réunira les époux
séparés.
ni. Là femme protectrice des femmes. Carolina. P, 526. — En
mariant les femmes déportées et faisant des familles de ce qui
n'était qu'individus, Carolina Home a fondé solidement la grande
colonie d'Australie.
lY. ùmsûlatiùn des prisonmères* P. 555. — Les crimes des femmes
sont rares, et, le plus souvent, involontaires. La vie désolante
qu'elles mènent les pousse au mal. La régénération des prison-
nières ne s'opérera que par l'air, le soleil, la vie demi-rurale, la
colonisation, le mariage. Nulle voix officielle ne peut agir sur elles.
Il faut la bonté, Texpérience et la pénétration d une dame qu
connaisse le monde. Elle doit demander pour les prisonnières ma-
riées la consolation de voir leurs maris.
V. Puissances médicales de la femme, P. 548. — Histoire de ma-
dame Lortet. — La femme est le médecin naturel des pays où il
n'y a pas de médecin. — Elle ne peut le suppléer en tout, mais elle
est son auxiliaire naturel. — Le vrai médecin est un en deux per-
sonnes, homme -femme. Elle le continue par la confession et la di-
vination. — Elle trouve en ses propres douleurs un remède ho-
mœopathique. -> Ses visites aux malades (si solitaires) des hôpi*^
taux.
VI. Les simples. P. 561. — De l'immortalité de l'âme. — La mort
du corps n'est que son passage à la vie végétale. La mort est une
fleur. — Nos vieux simples des Gaules. — La femme s'harmonise
à leurs puissance^i vivifiantes, est leur intermédiaire entre elles
et l'homme.
VII î^ enfants, fui lumière. L'avenir. P. 370. — Vif attrait qu'ont
les orphelins pour la femme restée sans famille. — Orphelinat
demi-rural, dirigé moralement par la dame figée. Elle garde et
marie l'orpheline, idéal de simplicité noble qui affranchiili l'ave-
nir. *- L'âme bénie remonte à Dieu dans la lumière*
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305
TABLE.
KOTES
Notai. Garsctère oionl de ce livre 583
Noie 3. Éducation. Ateliers et jardins d'enfants 384
Note 3. La justice dans l*aniour. Trois devoirs du mari. . . 585
Note 4. La femme dans la société 388
rm DE LA TABLE
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