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Full text of "La folle journée, ou, Le mariage de Figaro ..."

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St^'i ^^ "V^. 



32 Beaumarchais (M. de). La Folle 
Journée, ou le Mariage de Figaro, Comédie 
en cinq actes, eh prose, par M. de Beau- 
marchais. Représentée pour la première 
fois, par les Comédiens français ordinaires 
du Roi, le mardi 27 avril, 1784 ; first 
édition, Çvo., original wrapper, £4 15s. 

f^ir^ Paris: chez Ruait, 1785 

The original édition, in absolutely uncut state, 
and in remarkable préservation, containing the 
flve plates by St. Quentin, engraved by Ç. N, 
Malapeau. The' plate to the fifth act shows 
Rosine with her breasts uncovered: this.is very 
anusual. This copjr also contalns the rare leaf 
of errata. 


\l^. ?^1L 3. \5^f 


LA FOLLE JOURNÉE, 


ou 


LE MARIAGE DE FIGARO. 


Cet Ouvrage fe trouve ^ 

A VerfailltSy chez Blaizot, Libraire du RoL 

A Bordeaux^ chez les frères LABOTTiEREé 

A' Lille y chez J. J. Jacquez. 

A Grenoble , chez B R E T T E. 

A Bayonnej chez Fauvet Dû HarD« 

A Bruxelles J chez Du JARDIN. 

A Nantes J chez DeIspilly. 

A Rennes J chez RoBiQUET l'aîné. 

A Nîmes J chez G A U D £ & Compagnie. 

A Montpellier , chez RiGAUD , PoNS & Compagnie. 

A Châlons-fur-Saône y chez DE LiVANj. 

A Ahgers , chei Pavie, Lib. iWi^. 4ù flot. 

Et chez les principaux Libraires des autres Villes 
du Royaume. 


AV I S DE ifÈ D IT EU R. 

1 ▲ R un abus puniflkble, on a envoyé \ Amfterdam , un précenJa 
Manufcrit de cette Pièce , tiré de mémoire & défiguré ^ plein de 
lacunes, de contre-fens & d*abfurdités. On l'a imprimé & vendu 
en y mettant le nom de M. de Beaumarchais. Des Comédiens de 
Province fe font permis de donner & repréfenter cette produdion 
comme l'ouvrage de l'Auteur : il n*a manqué à tous ces gens de bien 
que d'être loués dans quelques Feuilles Périodiques. 


LA FOLLE JOURNÉE. 

o tr 
LE MARIAGE DE FIGARO, 

Comédie encuq ASes, enProfe, 

Fak m. de Beadmakchais. 

Repr^entée pour la premîère fois par les Corrt/£ens 
Franfais ordinaires du Roi, le Mardi tyAviil 1784. 


AU PÂLAIS-ROYAL, 

Chez RUAULT, Libraire, près le Théâtre, 
N° 216. 


M. DCC. LXXXV. 



P RÉ F A CE. 


M* 


il N écrivant cette Préface , mon but n'eft pas 
de rechercher oifeufement fi j'ai mis au Théâtre 
une Pièce bonne ou mauvaife; il n'eft plus 
tems pour moi : mais, d'examiner fcrupuleufe- 
ment , & je le dois toujours , fi j ai fait une 
œuvre blâmable. 

Perfonne n'étant tenu de faire une comédie 
qui reffemble aux autres'; fi je me fuis écarté 
d'un chemin trop battu j pour des raifons qui 
m'ont paru folides ; ira-t-on"me juger , comme 
l'ont fait MM. tels, fur dés règles qui ne font pas 
les miennes ? imprinier puérilement que je re- 
porte l'art à fon enfance , parce que j'entre- 
prens de frayer un nouveau fentier à cet art 
dont la loi première , & peut-être la feule , eft 
d'amufer en inftruifant ? Mais ce n'eft pas de cela 
qu'il s'agit. 

Il y a fouvent très-loin du mal que l'on dit 
d'un ouvrage à celui qu'on en penfe. Le trait 
qui nous pourfuit , le mot qui importime refte 
enfeveli dans le cœur, pendant que 1^ bouche 
fe venge en blâmant prefque tout le refte. De 
forte qu'on peut regarder comme un point 


* a 


1 • 


ij . PRÉFACE, 

établi au Théâtre , qu'en fait de reproche à 
TAuteur , ce qui nous afFede le plus eft ce dont 
on parie le moins. 

Il eft peut-être utile de dévoiler aux yeux 
de tous , ce double afpeû des comédies , & j'au- 
rai fait encor un bon ufage de la mienne , fi je 
parviens en la fcrutant ,à fixer l'opinion publique 
fiir ce qu'on doit entendre par ces mots : (^u'eft-cè 

que LA DÉCENCE THEATRALE ? 

A force de nous montrer délicats , fins connaif- 
feurs , & d'afFeûer , comme j'ai dit autre part , 
rhypocrifie de la décence auprès du relâchement 
des mœurs , nous devenons des êtres nuls , in- 
capables de s'amufer & de juger de ce qui leur 
convient : faut-il le dire enfin ? des bégueules 
raflafiées qui ne fa vent plus ce qu^elIes veulent,: 
ni ce qu'elles doivent aimer ou rejetter. Déjà 
ces mots fi rebattus , bon ton j bonne compagnie , 
toujours ajuftés au niveau dé chaque infipide 
cotterie , & dont la latitude eft fi grande qu'on 
ne fait où ils commencent &finiflent, ont détruit 
la franche & vraie gaité qui diftinguait de tout, 
autre , le comique de notre nation. 

Ajoutez-y le pédantefque abus de ces autres 
grands mots décence & bonnes mœurs ^ qui don- 
nent un air fi important, fi fupérieur, que nos 
jugeurs de comédies feraient défolés de n'avoit 
pas à les prononcer fur toutes les pièces de. 


• •• 


PRÉFACE, 11, 

Théâtre , & vous connaîtriez à-peu-près ce qui 
garote le génie, intimide tous les Auteurs , & 
porte un coup mortel à la vigueur de l'intrigue , 
fans laquelle il n'y a pourtant que du bel efprit 
à la glace , & des comédies de quatre jours. 
• Enfin , pour dernier mal , tous les états de la 
fociété font parvenus à fe fouflaire à la cenfure 
draniatique : on ne pourrait mettre au Théâtre 
les Plaideurs de Racine , fans entendre aujour- 
d'hui les Dandins & les Brid'oifons ^ même des 
gens plus éclairés , s'écrier qu'il n'y a plus ni 
mœurs , ni relpeft pour les Magiftrats. 

On ne ferait point le Turcaret , fans avoir à 
Tinftant fur les bras , Fermes , Sous - fermes , 
Traites & Gabelles, Droits-ré unis, Tailles, 
Taillons, le Trop-plein, le Trop-bu, tous les Im- 
pofiteurs royaux. Il eft vrai qu'aujourd'hui Tur- 
caret n'a plus de modèles. On l'offrirait fous d'au- 
tres traits , l'obftacle refterait le même. 

On ne jouerait point les Fâcheux , les Marquis^ , 
les Emprunteurs de Molière , fans révolter à la 
fois la haute , la moyenne , la moderne & l'an- 
tîque NoblefTe. Ses Femmes f ayantes irriteraient 
nos féminins bureaux d'efprit ; mais quel calcu- 
lateur peut évaluer la force & la longueur du 
levier qu'il faudrait , de nos jours , pour élever 
jufqu'au Théâtre l'œuvre fublime du Tartuffe} 
Auffi l'Auteur qui fe compromet avec le Public 

a 2 


1 


\ 


îv PRÉFACE, 

pour Vamufcr , ou pour l*injlruire , au lieu d'Intri- 
guer à fon choix fon ouvrage , eft-il obligé de 
tourniller dans des incidens impolSibles , de per- 
fifler au lieu de rire , & de prendre fes modèles 
hors de la fociété , crainte de fe trouver mille 
ennemis , dont il ne connaiiTait aucun en 
compofant fon trifte Drame. 

J'ai donc réfléchi que fi quelque homme cou- 
rageux ne fecouait pas toute cette pouffière , 
bientôt l'ennui des Pièces françaifes porterait la 
nation au frivole opéra-comique , & plus loin 
encor , aux Boulevards , à ce ramas infeâ de 
tréteaux élevés à notre honte , oii la décente 
liberté bannie du Théâtre français , fe change 
en une licence effrénée ; où la jeunefTe va fe 
nourrir de grofîîères inepties, & perdre, avec (es 
mœurs, le goût de la décence & des chefs-d'œuvre 
de nos maîtres. J'ai tenté d'être cet homme , & 
fi )e n'ai pas mis plus de talent à mes ouvrages , 
au moins mon intention s'efl-elle manifeflée dans 
tous. 

J'ai penfé , je penfe encor , qu'on n'obtient 
ni grand pathétique , ni profonde moralité , ni 
bon & vrai comique au Théâtre , fans des fitua- 
tions fortes, & qui naifTent toujours d'une difcon- 
venance fociale , dans le fujet qu'on veut traiter. 
L'Auteur tragique , hardi dans fes moyens, 
ofe admettre le crime atroce ; les confpirations , 


PRÉFACE. Y 

rufiirpation du trône , le meurtre , rempoifonne- 
ment , Tincefte dans Œdipe & Phèdre ; le fratricide 
dans F'endômc 'flepavrici^e dans Mahomet ;lcTégï- 
cide dans Machbet^ &c. &c. La comédie, moins 
aiidacieufe , n'excède pas les difconvenances , 
parce que fes tableaux font tirés de nos mœurs , 
fes fujets,dela fociété. Mais comment frapper fur 
Tavarice , à moins de mettre en fcène un mépri- 
fable avare ? démafquer l'hypocrifie , fans mon- 
trer , comme Orgon dans le Tartuffe^ un abomi- 
nable hypocrite, époufant fa fille & convoitant fa 
femme ? un homme à bonnes fortunes, fans le faire 
parcourir un cercle entier de femmes galantes; 
un joueur effréné , fans l'envelopper de fripons , 
s'il ne l'eft pas déjà lui-même ? 

Tous ces gens -là font loin d'être vertueux; 
TAuteur ne les donne pas pour tels : il n'eft le 
patron d aucun d'eux ; il eft le peintre de leurs 
vices. Et parce que le lion eft féroce , le loup 
vorace & glouton , le renard rufé, cauteleux , la 
feble eft-elle fans moralité ? quand l'Auteur la 
dirige contre un fot que la louange enivre , il 
jfeit choir du bec du corbeau le fromage dans la 
gueule du renard , fa moralité eft remplie : s'il la 
tournait contre le bas flatteur, il finirait fon apo- 
logue ainfi : U renard s'enfaifit , le dévore ; mais 
le fromage était empoifonné. La fable eft une 
comédie légère , & toute comédie n'eft/ qu'un 

a } 


vj PRÉFACE, 

long apologue : leur différence efl: , qiie dans la 
fable les animaux ont de l'esprit ; & que dans 
notre comédie les hommes font fouvent des bê- 
tes , & qui pis eft , des bêtes méchantes. 

Ainfi , lorfque Molière , qui fut fi tourmenté 
par les fots , donne à VJvare un fils prodigue & 
vicieux qui lui vole fa caffette , & Tinjurie en 
face ; eft-ce des vertus ou des vices qu'il tiré fa 
moralité ? Que lui importent (es fantômes ? c'eft 
vous qu'il entend corriger. Il eft vrai que les 
afficheurs & balayeurs littéraires de fon tems , 
ne manquèrent pas d'apprendre au bon Public 
combien tout cela était horrible ! H eâ auffi 
prouvé que des envieux très-importans , ou des 
importàns très-envieux fe déchaînèrent contre 
lui. Voyez le févère Boileau dans fon épître au 
grand Racine , venger fon ami qui n'eft plus , 
en rappellant ainfi les faits : 

L*Ignorance & TErrcur à fe$ naifTantes Pièces « 
£n habits de Marquis, en robes de ComtefTes ^ 
Venaient pour diffamer foiTchef-d'œuvre nouveau. 
Et fecouaicnt la tête à Tendroit le plus beau. 
Le Commandeur voulait la fcène plus exaAe 5 
Le Vicomte indigné , fortait au fécond adc; 
L*un, défenfeur zélé des dévots. mis en jeu , 
Pour prix de Tes bons mots , le condamnait au feu ; 
L'autre , fougueux Marquis , lui déclarant la guerre. 
Voulait venger la Cour immolée au Parterre. 


PREFACE. vîj 

On voit même dans un placet de Molière à 
Louis XIV qui fut fi grand en protégeant les 
Arts, & fans le goût éclairé duquel notre Théâtre 
n'aurait pas un feul chef-d'œuvre de Molière ; on 
voit cephilofophe Auteur fe plaindre amèrement 
au Roi , que pour avoir démafqiié les hypocri- 
tes , ils imprimaient par-tout qu il était un libertin j 
un impie , un athée j un démon vêtu de chair j ha- 
bille en homme ; & cela s'imprimait avec APPRO- 
BATION ET Privilège de ce Roi qui le proté- 
jgeait : rien là-deffus n'eft empiré. 

Mais, parce que les perfonnages d'une Pièce s'y 
montrent fous des mœurs vicieufes , faut -il les 
bannir de la Scène? Que pourfuivrait-on au Théâ- 
tre ? les travers & les ridicules ? cela vaut bien 
la peine d'écrire ! ils font chez nous comme les 
modes ; on ne s'en corrige pbint , on en change. . 
Leç vices , les abus , voilà ce qui ne change 
point , mais fe déguife en mille formes fous le 
mafque des mœurs dominantes : leur arracher 
ce mafque & les montrer à découvert , telle eft 
la noble tâche de l'homme qui fe voue au Théâ- 
tre. Soit qu'il moralife en riant , foit qu'il pleure 
en moralifant : Heraclite ou Démocrite , il n'a 
pas un autre devoir ; malheur à lui , s'il s'en 
écarte. On ne peut corriger les hommes qu'en 
les fefant voir tëb qu'ils font. La comédie utile 

« 4 


vUj PRÉFACE, 

& véridique , n'eft point un éloge menteur , un 
vain difcours d'Académie. 

Mais gardons-nous bien de confondre cette 
critique générale , un des plus nobles buts de 
l'art , avec la fatyre odieufe & perfonnelle : l'a- 
vantage de la première eft de corriger fans bief- 
fer. Faites prononcer au Théâtre par l'homme 
jufte , aigri de l'horrible abus des bienfaits , 
tous les hommes font des ingrats*, quoique cha- 
cun foit bien près de penfer comme lui , perfonne 
ne s'ofFenfera. Ne pouvant y avoir un ingrat y 
fans qu'il exifte un bienfaiteur ; ce reproche même 
établit une balance égale entre les bons & mau- 
vais cœurs ; on le fent, & cela confole. Que fi l'hu- 
morifte répond quun bienfaiteur fait cent ingrats ; 
on répliquera juftement , cpH il n'y a peut-être pas 
un ingrat qui nait été plujîeurs fois bienfaiteur : 
cela confole encor. Et c'eft ainfi qu'en géné- 
ralifant, la critique la plus amère porte du fruit, 
fans nous bleffer ; quand la fatyre perfonnelle , 
auffi ftérile que funefte , bleffe toujours & ne 
produit jamais. Je hais par-tout cette dernière , 
& je la crois un fi puniflable abus , que j'ai plu- 
fieurs fois d'office invoqué la vigilance du Magis- 
trat pour empêcher que le Théâtre ne devint 
une arène de gladiateurs , où le Puiflant fe crût 
en droit de faire exercer fes vengeances par les 


* . 


PREFACE. îx 

plumes vénales , & malheureufement trop com- 
munes , qui mettent leur baffeffe à Tenchère. 

N'ont-ils donc pas affez, ces Grands, des mille 
& un feuilliftes, fefeurs de Bulletins, Afficheurs, 
pour y trier les plus mauvais, en choifir un bien 
lâche, & dénigrer qui les offufque ? On tolère un 
fi léger mal , parce qu'il eft fans conféquence , 
& que la vermine éphé9ière démange un inftant 
& périt ; mais le Théâtre eft un géant qui bleffe 
à mort tout ce qu'il frappe. On doit réferver 
fes grands coups pour les abus & pour les maux 
publics. 

Ce n'eft donc ni le vice ni les incidens qu'il 
amené, qui font l'indécence théâtrale; mais le dé- 
faut de leçons & de moralité. Si l'Auteur, ou fai- 
ble ou timide, n'ofe en tirer de fonfujet, voilà 
ce qui rend fa Pièce équivoque ou vicieufe. 

Lorfque je mis Eugénie au Théâtre (& il faut 
bien que je me cite , puifque c'eft toujours moi 
qu'on attaque) lorfi|ue je mis Eugénie au Théâtre, 
tous nos Jurés-Cri eurs à la décence , jettaient 
des flammes dans les foyers fur ce que j'avais 
ofé montrer im Seigneur libertin , habillant fes 
Valets en Prêtres , & feignant d'époufer une 
jeune perfonne qui paraît enceinte au Théâtre , 
fans avoir été mariée. 

Malgré leurs cris , la Pièce a été jugée , finon 
le meilleur , au moins le plus moral des Drames, 


X PRÉFACE, 

conftamment jouée fur tous les Théâtres ^ & 
traduite dans toutes les langues. Les bons efprits 
ont vu que la moralité , que l'intérêt y naif- 
faient entièrement de l'abus qu^un homme puif- 
fant & vicieux fait de fon nom , de fon crédit , 
pour tourmenter une faible fille , fans appui , 
trompée , vertueufe, & délaiffée. Ainfi tout ce 
que l'ouvrage a d'utile & de bon , naît du cou- 
rage qu'eut l'Auteur d'ofer porter la difconve- 
nance fociale au plus haut point de liberté. 

Depuis , j'ai ùît les Deux Amis , Pièce dans 
laquelle un père avoue à fa prétendue nièce 
qu'elle eft fa fille illégitime : ce Drame eftauffi 
très-?moral ; parce qu'à travers les facrifices de 
la plus parfaite amitié , l'Auteur s'attache à y 
montrer les devoirs qu'impofe la nature fur lés 
fruits d'un ancien amour , que la rigoureufe du- 
reté des convenances fociales, ou plutôt leur 
abus , laiffe trop fouvent fans appui. 

Entr'autres critiques de la Pièce , j'entendis 
dans une loge , auprès de celle que j'occupais , 
un jeune Important de la Cour, qui difait gai- 
ment à des dames : « l'Auteur , fans doute , eft un 
» garçon Fripier , qui ne voit rien de plus élevé 
» que des Commis des fermes , & des Marchands 
» d'étoffes ; & c'eft au fond d'un magafin qu'il va 
» chercher les nobles amis, qu'il traduit à la Scène 
» françaife » I Hélas ! Monfieur , lui dis-je en 


PRÉFACE, xi 

m'avançant , il a fallu du moins les prendre où il 
n'eft pas impoffible de les fuppofer. Vous ririez 
bien plus de l'Auteur, s'il eût tiré deux vrais amis 
de rCEil de bœuf , ou des CarrofTes ? U faut un 
peu de vraifemblance , même dans les aâes 
vertueux. 

Me livrant à mon gai caraâère , j'ai depuis 
tenté , dans le Barbier de Séville , de ratnener 
au Théâtre l'ancienne & franche gaité , en l'al- 
liant avec le ton léger de notre plaifanterie ac- 
tuelle ; mais comme cela même était une efpece 
de nouveauté, la Pièce fiit vivement pourfuivie, 
U femblait que j euffe ébranlé l'État ; l'excès 
des précautions qu'on prit & des cris qu'on fit 
contre moi , décelait fur-tout la frayeur que 
certains vicieux de ce tems avaient de s'y voir 
démafqués. La Pièce fut cehfurée quatre fois , 
cartonnée trois fois fur l'afl&che , à l'inflant d'être 
)ouée , dénoncée même au Parlement d'alors ; 
Sfc moi , frappé de ce tumulte , je periiûais à 
demander que le Public refiât le juge de ce que 
j'avais defliné à l'amufement du Public. 

Je l'obtins au bout de trois ans. Après les 
clameurs y les éloges ; & chacun me difait tout 
bas : faites-nous donc des Pièces de ce genre , 
puifqu'il n'y a plus que vous qui ofiez rire 
en face. 

Un Auteur défolé par la cabale & les criards. 


xij PRÉFACE, 

maïs qui voit fa Pièce marcher, reprend courage 
& c'eft ce que j'ai fait. Feu M. le Prince de Conti , 
de patriotique mémoire (car en frappant Tair 
de fon nom , Ton fent vibrer le vieux mot 
Patrie) feu M. le Prince de Conti ^ donc, me 
porta le défi public de mettre au Théâtre ma 
Préface du Barbier^ plus gaie, difait-il , que 
la Pièce , & d y montrer la famille de Figaro , 
que j'indiquais dans cette Préface. Monfeigneur^ 
lui répondis-je , fi je mettais une féconde fois ce 
caraftère fur la Scène, comme je le montrerais 
plus âgé, qu'il en faurait quelque peu davan- 
tage , ce ferait bien un autre bruit , & qui fait 
s'il verrait le joiïr ! Cependant, par refpeâ, j'ac- 
ceptai le défi ; je compofai cette Folle Journée^ 
* qui caufe aujourd'hui la rumeur. Il daigna la 
voir le premier. C'était un homme d'un grand 
caraftère , un Prince augufte , un efprit noble & 
fier : le dirai-je ? il en fut content. 

Mais quel piège j hélas ! j'ai tendu au juge- 
ment de nos Critiques en appellant ma Comédie 
du vain nom de Folle Journée ! mon objet était 
bien de lui pter quelqu'importance ; mais je ne 
favais pas encor à quel point un' changement 
d'annonce, peut égarer tous les efpri ts. En lui 
laiffant fon véritable titre , on eût lu l'Epoux 
fuborneur. C'était pour eux une autre pifte ; on 
me courait différemment. Mais ce nom de Folle 


PRÉFACE. xîîj 

Journée , les a mis à cent lieues de moi : ils n'ont 
plus rien vu dans Touvrage , que ce qui n'y 
fera jamais; & cette remarque un peu févère fur 
la facilité de prendre le change , a plus d'étendue 
qu'on ne croit. Au lieu du nom de Georges Dan-- 
din , fi Molière eût appelle fon Drame la Sotife 
des alliances , il eût porté bien, plus de fruit : fi 
Regnard eût nommé fon Légataire ^ la Punition du 
célibat , la Pièce nous eût fait firémir. Ce à quoi 
il ne fongea pas ; je l'ai fait avec réflexion. Mais , 
qu'on ferait un beau chapitre fur tous les juge- 
mens des hommes, & la morale du Théâtre, & 
qu'on pourrait intituler : de C influence de l^ Affiche ! 
Quoi qu'il en foit, la Folle Journée refta cinq 
ans au porte - feuille ; les Comédiens ont fu 
que je l'avais , ils me l'ont enfin arrachée. S'ils 
ont bien ou mal fait pour eux , c'eft ce qu'on a 
pu voir depuis. Soit que la difficulté de la rendre 
excitât leur émulation ; foit qu'ils fentiflent avec 
le Public , que pour lui plaire en comédie , il 
fallait de nouveaux efforts; jamais Pièce aufli 
difficile n'a été jouée avec autant d'enfemble ; 
& fi l'Auteur ( comme on le dit ) eft refté au def- 
fous de lui-même; il n'y a pas un feiil Afteur, 
dont cet Ouvrage n'ait établi, augmenté ou 
confirmé la réputation. Mais revenons à fa lec- 
ture , à l'adoption des Comédiens. 
Sur réloge outré qu'ils en firent , toutes les 


- / 


3d7 P R ÊV A CE. 

Sociétés voulurent le connaître, & dès-lors il 
falut me faire des querelles de toute eipece , ou 
céder aux inilances univerfelles. Dès-loirs auffi 
les grands ennemis de TAuteur, ne manquèrent 
pas de répandre à la Cour qu'il bleflait dans cet 
ouvrage , d'ailleurs un tijfu de bétifesy la Reli- 
gion , le Gouvernement , tous les états de la 
Société , les bonnes mœurs , & qu'enfin la vertu 
y étviit opprimée , & le vice triomphant , comme 
de raifort ^ ajoutait-on. Si les graves Meffieurs 
qui l'ont tant répété, me font Tfaonneur de 
lire cette Préface , ils y verront au moins que 
j'ai cité bien jufte ; & la bourgeoife intégrité 
que je mets à mes citations^ n'en fera que mieux 
reffortir la noble infidélité des leurs. 

Ainfi dans le Barbier de Séville je n'avais 
qu'ébranlé l'Erat ; dans ce nouvel eflai , plus 
infâme & plus féditieux, je le renverfais de 
fond en comble. U n'y avait plus rien de facré 
fi l'on permettait cet ouvrage. On abufait lau-^ 
torité par les plus infidieux rapports ; on caba-- 
lait auprès des Corps puifians ; on aliarmait les 
Dames timorées ; on me fefait des ennemis fur 
le prie - Dieu des oratoires : & moi , félon les 
hommes & les lieux , je repoufiais la bafie in- 
trigue , par mon exceflîve patience , par la roi?- 
deur de mon refpeû, Tob^ination de ma doci-* 
lité y par la raifon^ quand on voulait l'entendre» 


^ 


F RÈ FACE. XV 

Ce combat a duré quatre ans. Ajoutez-le^ 
aux cinq du porte-feuille; que refte-t-il des 
allufions qu on s'efforce à voir dans Touvrage ? 
Hélas ! quand il fut compofé , tout ce qui fleurit 
aujourd'hui , n'avait pas même encor germé. 
C'était tout un autre Univers. 

Pendant ces quatre ans de débat je ne deman- 
dais qu'un Cenfeur ; on m'en accorda cinq ou 
fix. Que virent-ils dans l'ouvrage , objet d'un 
tel déchaînement? la plus badine des intrigues. 
\Jn grand Seigneur efpagnol, amoureux d'une 
jeune fille qu'il veut féduire , & les efforts que 
cette fiancée, celui qu'elle doit époufer, & la 
femme duSeigneiu:, réuniffent pour faire échouer 
dans fon deffein un maître abfolu , que fon rang , 
h fortune & fa prodigalité rendent tout puif- 
fant pour l'accomplir. Voilà tout , rien de plus. 
La Pièce eft fous vos yeux. 

D'où naiffaient donc ces cris perçans? De 
ce qu'^u-lieu de pourfuivre un feul caraâère 
vicieux, comme le Joueur, l'Ambitieux, l'Avare 
ou l'Hypocrite, ce qui ne lui eût mis fur les 
bras qu'une feute cUffe d'ennemis; l'Auteur a 
profité d'une compofition légère, ou plutôt a 
formé fon plan de façon à y faire entrer hi 
critique d'une foule d'abus qui défolent la So- 
ciété. Mais comme ce n'efl pas là ce qui gâte 
un ouvrage aux yeux du Cenfeur éclairé ; tous^ 
€ïi l'approuvant , l'ont réclamé pour le Théâtre. 


xvj PRÉFACE. 

Il a donc fallu Vy fouffrir : alors les Grands du 
monde ont vu jouer avec fcandale , 

Cette Pièce od Ton peint un infolent valet * 
Difputant fans pudeur fon époufè à Ton maître. 

M» Gudin. 

Oh ! que j'ai de regret de n'avoir pas feit de 
ce fujet moral, une Tragédie bien fanguinaire ! 
Mettant un poignard à la main de Fépoux ou- 
tragé, que je n'aurais pas nommé Figaro; dans 
fa jaloufe fureur je lui aurais fait noblement 
poignarder le Puiffant vicieux; & comme il 
aurait vengé fon honneur dans des vers quarrés , 
bien ronflans , & que mon jaloux , tout au moins 
Général d'armée , aurait eu pour rival quelque 
tyran bien horrible & régnant au plus mal fur 
un peuple défolé; tout cela très -loin de nos 
mœurs, n'aurait je crois bleffé perfonne ; on eut 
crié bravo ; ' ouvrage bien moral. Nous étions 
fauves , moi & mon Figaro fauvage. 

Mais ne voulant qu amufer nos Français & 
non faire ruiffeler les larmes de leurs époufes; 
de mon coupable Amant j'ai fait un jeune Sei- 
gneur de ce temps-là, prodigue, affez galant, 
même un peu libertin , à-peu-près comme les 
autres Seigneurs de ce temps-là. Mais qu'oferait- 
on dire au Théâtre d'un Seigneur , fans les of- 
fenfer tous, finon de lui reprocher fon trop de 
galanterie! N'efl-ce pas là le défaut le moins 

contefté 


^^^m 


PRE FA CE. xvij 

Gontefté par eux-mêmes ? Ten vois beaucoup ^ 
d'ici , rougir modeftement (& c*eft un noble ef« 
fort) en convenant que j'ai raifon. 

Voulant donc faire le mien coupable , j'ai eu 
le re(peâ généreux de ne lui prêter aucun des 
vices du peuple. Direz-vous que je ne le pouvais 
pas, que c'eût été blefler toutes les vraifem- 
blances ? Concluez donc en faveur de ma Pièce , 
puifqu'enfînje ne Tai pas fait. ^ 

Le déiàxit même dont je Taccfufe n'aurait pro-^ 
duit aucun mouvement comique, fi je ne lui 
avais gaiment oppofé l'homme le plus dégourdi 
de fa nation , le véritable Figaro , qui tout en 
défendant Suzanne , fa propriété , fe moque des 
^ projets de fon maître , & s'indigne très-plaifam- 
ment qu'il ofe jouter de rufe avec lui ^ maître 
paiTé dans ce genre d'efcrime. 

Ainfi , d'ime lutte afTez vive entre l'abus de 
la puifTance , l'oubli des principes , la prodiga- 
lité , l'occafion , tout ce que la fédudion a de 
plus entraînant; & le feu, l'efpfit, les refTources 
que l'infériorité piquée au jeu , peut oppofer à 
cette attaque ; 'A naît dans ma Pièce un jeu plai- 
lant d'intrigue ,^ii V époux fuborneur j contrarié , 
laffé , harrafTé , toujours arrêté dans fes vues ; 
efl obligé trois fois dans cette journ>ée de tom- 
ber aux pieds de fa fcmiine, qui bonne, indulgente 

b* 


xvii) PREFACE. 

& feniible finit par lui pardonner ;c'*efl: ce qu'elles 
font toujours. Qu'a donc cette moralité de 
blâmable, Meilleurs? 

La trouvez-vous un peu badine pour le ton 
grave que je prens ? accueillex-en une plus fé* 
vère qui blefle vos yeux dans l'ouvrage , quoi- 
que vous ne Vy cherchiez pas : cVft qu'un Sjei* 
gneur alTez vicieux pour vouloir pfoftituer à 
{es caprices tout ce qui lui eft fubox^onné , pour 
{e jouer dans Tes domaines , de la pudicité de 
toutes fet jeunes vaiTales , doit finir comme 
Celui-ci ,* par être la rifèe de fes valets. Et c'eft 
ce que l'Auteur a très-fortement prononcé, lorf- 
qu'en fureur au cinquième Afte , Almaviva , 
croyant confondre une femme infidèle , montre 
à fon jaAlinier un cabinet, en lui criant : Entres-y 

toi j Antonio ; conduis devant fon juge^ l'infâme qui 
tfCa deshonoré ; & que celui-ci lui répond : // 
y tf, parguenne^une bonne Providence! Vous en ave:^ 
tant fait dans le pays j quil faut bien aujffï qu'à 
votre tour / . . : . 

Cette profonde moralité fe fait fentir dans 
tout l'ouvrage ; & s^il conven^ à l'Auteur de 
démontrer aux adverfâires qu'à travers fa forte 
leçon il a porté la confidération pour la dignité . 
du coupable, plus loin qu'on ne devait l'attençfre 
de la fermeté de fon pinceau; je leur ferais 


remâr{|iier que , croifé dans tous fes projets, le 
Comte Almaviva fe voit toujours humilié, fans 
être jamais avili. 

En effet, ii la Comtefle ufkit de fuie pour 
aveugler fa jaloufie dans le deflein de le trahir } 
devenue coupable elle-même, elle ne pourrait 
mettre à ies pieds fon époux , fans le dégrader 
â nos yeux. La vîcieufe intention de Tépoufe , 
brifant un lien tefpedé ; Ton reprocherait juf* 
tement à TAuteur d'avoir tracé des mœurs blâ^* 
jnables : car nos jugemens fur les mœurs fe rap- 
portent toujours aux femmes; on nVilime pas 
aflez les hommes poiu: tant exiger d'eux fur ce 
point délicat. Mais, loin qu'elle ait ce vil projet^ 
ce qu'il y a de mieux établi dans roiivi:age , efl 
que nul ne veut faire une tromperie an Comte ^ 
mais feulement l'empêcher d'e^ faire k tout le 
monde. Ceft la purefé des motifs qui fauve ici 
les moyens, du reproche; & de cela feul, que 
la Gomteife ne yeut que ramener fon mari; 
toutes les confufions qu'il éprouve font certain 
nement très-morales ; aucune n'eft aviliiTante^ 

Pour que cette vérité vous frappe davantage, 
l'Auteur oppofe à ce mari peu délicat, la pltis 
vertueufe des femmes par goût & par prin- 
cipes. 

Abandonnée d'un époux trop aimé ; quand 
l^expofe-t-on à vos regards ? dans le moment 

b % 


»* 


XX PREFACE. 

C'.îtique oii fa bienveillance pour un aimable 
enfant , fon filleul , peut devenir un goût dan- 
gereux, fi elle permet au reffentiment qui 
Tapuie , de prendre trop d'empire fur elle. Ceft 
pour faire mieux fortir l'amour vrai du devoir, 
que l'Auteur la met un moment aux prifes avec 
un goût naifiant qui le combat. Oh ! combien on 
s eft étayé de ce léger mouvement dramatique, 
pour nous acçufer dlndécence ! On accorde à 
la tragédie , que toutes les Reines , les Prin- 
cefFes ay en t des paillons bien allumées qu'elles 
combattent plus ou moins; & l'on ne foufFre 
pas que , dans la comédie , ime femme ordinaire 
puiffe lutter contre la moindre faibleffe! O grande 
influence de l* Affiche ! jugement^sûr & conféquent ! 
avec la différence du ^enre , on blâme ici , ce 
qu'on approuvait là. Et cependant en ces deux 
cas c'èfl toujours le même principe ; point de 
vertu fans facrifice. 

J'ofe en appeller à vous , jeunes infortunées i 
que votre malheur attache à des Almaviva ! Dif- 
tingueriéz-vous toujours votre vertu de vos cha- 
grins, fi quelqu'intérêt importun tendant trop 
à les diifiper , ne vous avertirait enfin qu'il eft 
tems de combattre, pour elle ? Le chagrin de per- 
dre un mari, n'eft pas ici ce qui nous touche; 
un regret auflî perfonnel eft trop loin d'être une 
vertu ! Ce qui nous plaît dans la Comteffe , c'eft 


PREFACE. x.vj 

de la voir lutter franchement contre un goiit 
naiffant qu'elle blâme , & des reffentlmens légi- 
times. Les efforts qu'elle fait alors pour ramener 
fbn infidèle époux, mettant dans le plus heureux 
Jour les deux facrifices pénibles de fon goût & de 
la colère , on n'a nul befoin d'y penfer pour ap- 
plaudir à fon triomphe; elle eft un modèle de ver- 
tu ; l'exemple de fon fexe & l'amour du nôtre. 

Si cette métaphyfigue de l'honnêteté des Scè- 
nes ;fi ce principe avoué, de toute décence théâ- 
trale , n'a point frappé nos juges à la repréfenta- 
tion; c'eft vainement que j'en étendrais ici le 
développement , les conféquences ; un tribunal 
d'iniquité n'écoute point les défenfes de l'accufé 
qu'il eft chargé de perdre ; & ma Comteffe n'eft 
point traduite au Parlement de la nation : c'eft 
une CommifSon qui la juge. 

On a vu la légère efquiffe de fon aimable ca- 
raûère , dans la charmante Pièce âH Heure ufement. 
Le goût naiftant que la jeune femme éprouve 
pour fon petit coufin rOfficier,n'y parut blâmable 
à perfohne ; quoique la tournure des Scènes pût 
laiffer à penfer que la foirée eût fini d'autre 
manière , fi l'époux ne fût pas rentré , comme dit 
l'Auteur , heureufement. Heureufement auflî l'on 
n'avait pas le projet de calomnier cet Auteur: cha- 
cun fe livra de bonne-foi à ce doux intérêt quinf 
pire une jeune femme honnête & fenfible 9 qui 

b 3 


xx\) PREFACE. 

réprimç fes premiers goûts , & notez, que dan» 
cette Pièce , l'époux ne paraît qu un peu fot ; 
dans la mienne , il eft infidèle ; ma Comteffe a 
plus de mérite. 

Auffi , dans Touvrage que je défens , le pluîs 
véritable intérêt fe porte-t*il fur la Comteffe ! L« 
refte eft dans le même elprit. 

Pourquoi Suianne la camarifte , fpirituelle , 
adroite & rieufe , a-t-^lle auflî le droit de nous 
intéreffer ? C'eft qu'attaquée par un féduâeur 
puiffant , avec plus d'avantage qu'il n'en faudrait 
pour vaincre une fille de fon état , elle nliéfite 
pas à confier les intentions du Comte, aux deux 
perfônnes les plus intéreffées à bien furveillerfa 
conduite; fa maîtreffe & fon fiancé. C'eft que , 
dans tout fon rôle , prefque le plus long de la 
Pièce , il n'y a pas une phrafe , un mot , qui ne 
refpire la fageffe & l'attachement à {es devoirs : 
la feule rufe qu'elle fe permette, eft en faveur de 
fa maîtreffe , à qui fon dévoûment eft cher , 
& dont tous tes vœux font honnêtes. 

Pourquoi , dans fes libertés fur fon maître , 
Figaro m'amufe-t-il , au lieu de m'indigner? C'eft 
que y l'opppfé des valets , il n'eft pas , & vous le 
faveîs 9 Iç malhpnnête homme de la Pièce : en le 
voyant forcé par fon état , de reppuffer l'infulte 
avec adreffe ; on lui pardonne tout , dès qu'on 

iait qu il ne rufe avec ibn Seigneur, que pow 


PREFACE. xxilj 

i;arantir ce qu'il aime , & fauver fa propriété. 

Donc, hors le Comte & Tes agens, chacun 
fait dans \sL Pièce à-pcu-près ce qu'il doit. Si vous 
les croyez malhonnêtes , parce qu'ils difent du 
mal les uns des autres ; c'efl une règle trè$-fau^ 
ti ve. Voyez nos honnêtes gens du fiecle ; on paffe 
la vie à ne faire autre chofe ! Il eft même telle- 
ment reçu de déchirer fans pitié les abfens, que 
moi , qui les défens toujours , j'entens murmurer 
très-fouvent : quel diable d'homme , & qu'il eft 
contrariant J il dit du bien de tout le monde ! 

Eft-ce mon Page , enfin , qui vous fcandalife , 
& l'immoralité qu'on reproche au fond de l'ou- 
vrage , ferait-elle dans l'acceffoire ? O cenfeurs 
délicats ! beaux efprits ûins fatigue ! inquisiteurs 
poiu: la morale , qui condamnez en un clin-d'œil 
les réflexibns de cinq années ; foyez jujftes une 
fois , fans tirer à conféquence. Un enfant de treize 
ans , aux premiers battemens du cœur; cherchant 
tout , fans rien démêler ; idolâtre , ainfi qu'on 
Teftà cet âge heureux, d'un objet célefte pour 
lui , dont le hafard fit fa maraine , eft^il un fujçt 
de fcandale ? Aimé de tout le monde au château; 
vif, efpiégle & brûlant, comme tous les enfans 
fpiritu^ls ; par fon agitation e^çtrême , il dérange 
dix fois , fans le vouloir , les coupables projets 
du Comte. Jeune adepte de la nature ! tout ce 
qu'il voit a droiç de l'agiter : peut-être il n'eft 

i>4 


xxîv PREFACE. ^ 

plus un enfant ; maïs il n'efl pas encor un homme; 
& c'eft le moment que j'ai choifi , pour qu'il ob- 
tint de rintérêt^fam forcer perfonne à rougir. Ce 
qu'il éprouve innocemment , il Tinfpire par-tout 
de même. Direz-vous qu'on l'aime d'amour? Cen- 
feurs! ce n'eftpaslà le mot: vous êtes trop éclairés 
j)Our ignorer que l'amour , même le plus pur , a 
un motif intéreffé : on ne l'aime donc pas encor ; 
on (ent qu'un jour on l'aimera. Et c'eft ce que 
l'Auteur a mis avec gaité dans la bouche de 
Suzanne , quand elle dit à cet enfant : Ok ! dans 
trois ou quatre ans^ je prédis que vous fer e\ le* plus 
grand petit vaurien /.•••• ^. 

Pour lui imprimer plus fortement le carac* 
tère de l'enfance , nous le fefons exprès tufôyer 
par Figaro. Suppofez-lui deux ans de plus , quel 
valet dans le château prendrait ces libertés ? 
Voyez-le à la fin de fon rôle ; a peine a-t-il un 
habit d'Officier , qu'il porte la main à l'épée aux 
premières railleries du Comte, fur le quiproquo 
d'un, foufflet. Il fera fier , notre étourdi ! mais c'eft 
un enfant, rien de plus.N'ai-je pas vu nos dames 
dans les loges aimer mon Page à la folie ? Que 
lui voulaient-elles ? hélas ! rien : c'était de l'inté- 
Têt aufli ; mais, comme celiii de la Comtefle:^ 
un pur & naïf intérêt : un intérêt •.••.. fans 
intérêt. 
Mais eft-ce la perfonnç du Page ou la confcience 


PREFACE, XXV 

du Seigneur qui fait le tourment du dernier , 
toutes les fois que l'Auteur les condamne à fe 
rencontrer dans la Pièce ? Fixez ce léger apperçu^ 
il peut vous mettre fur fa voie ; ou plutôt appre- 
nez de lui , que cet enfant n'eft amené que pour 
ajouter à la moralité de Fou vrage , en vous mon^ 
trant que Thomme le plus abfolu chez lui , dès 
qu'il fuit un projet coupable , peut être mis au 
dé&fpoir par Têtre le moins important , paf ce- 
lui qui redoute le plus de fè rencontrer fur ù. 
route. 

Quand mon Page aura dix-huit ans, avec le 
caraâère vif & bouillant que je lui ai donné , je 
ierai coupable à mon tour , fi je le montre fur 
la Scène* Mais à treize ans qù'infpirc- t-il ? quelr 
que chofe de fenfible & doux , qui n'eft amitié 
ni amour , & qui tient un ^u de tous deux. , 

J'aurais de la peine à faire croire à l'innocence 
de ces impreffions , fi nous vivions dans un fiecle 
moins chafie , dans un de ces fiécles de calcul y 
cil , voulant tout prématuré , comme les fruits 
de leurs ferres chaudes , les Grands mariaient 
leurs enfans à douze ans , & fefaient plier la 
nature , la décence & le goût aux plus fordides 
convenances, en fe hâtant fur-tout d'arrachqi: 
de ces êtres non formés , des enfens encor moins 
formables , dont le bonheur n'occupait perfonne, 
& qui n'étaient que le prétexte d'un certain 


xxvj PREFACE. 

trafic d'avantages, qui n'avait nul rapporta euit, 
mais uniquement à leur nom. Heureufementnous 
en fommes bien loin : & le caraûère de mon 
Page y fans conféquence pour lui-même , en a 
tane relative au Comte , que le moralifte apper- 
çoit, mais qui n'a pas encore frappé le grand 
commun de nos jugeurs. 

Ainfi , dans cet ouvrage , chaque rôle impor- 
tant a quelque but moral. Le feul qui femble y 
déroger , eft le rôle de Marceline. 

Coupable d'un ancien égarement , dont fbn 
figaro fut le fruit , elle devrait, dit-on , fe voir 
au moins puqie par la confuiion de fa faute , 
lorfqu'elle reconnaît fon fils. L'Auteur eût pu 
même en Tirer une moralité plus profonde : dans 
les mœurs qu'il veut corriger, la faute d'une 
jeune fille féduite , aft celle des hommes , & non 
la fienne. Pourquoi donc ne Ta-t-il pas fiiit ? 

n l'a fait , Cenfeurs raifonnables ! étudiez la 
Scène fuivante , qui fefait le nerf du troifieme 
Aûe , & que les Comédiens m'ont prié de re- 
trancher, craignant qu\m morceau fi févère 
n'obfcurcit la gaité de l'aâion. 

Quand Moliire 9 bien humilié la Coquette , 
ou Coquine du Mifantropc , par la leôure pu- 
blique de fes lettres à tous fes amans, il la 
laifTe avilie fous les coups qu'il lui a portés ; il 
a raifon l qu'en ferait-il ? vicieufe par goût & 


PREFACE. xxvîî 

par choix ; veuve aguérle ; femme de Cour ; fans 
aucune excufe d'erreur ^ & fléau d'un âart bon-* 
nête homme;. il Tabandonne à nos mépris , iSc 
telle eft fa moralité. Quant i moi , faififlant 
Tayeu naïf de Marceline au moment de la re« 
coimaiflance, je montrais cette femme humiliée , 
& Banholo qui la refufe, & Figaro leur fils com- 
mun dirigeant Tattention publique fur les vrais 
fauteurs du défordre où l'on entraine fans pitié 
toutes les jeunes filles du peuple y douées d'une 
Jolie figure. 

Telle eft la marche de la Scène. 

Brid'oison. 

{Parlant de Figaro qui yient de recorinaître fa merc 
€n Marceline). 

CeA dair : i <* il ne Tépoufera pas» 

Bartholo. 

Ni moi non plus. 

Marceline. 
Ni vous ! & votre fils ? Vous m'aviez juré. H « 

« 

B A R T H O L O. 

rétais fou* Si pareils fouvenirs engageaient ^ 
on ferait tenu d'époufer tout le monde. 


xxviij P R E F A C I. 

Brid'oison. 

E - Et fi Ton y regardait de fi près , 
pè - ei^fonne n'épouferait perfonne. 

Bartholo. 

Des fautes fi connues ! une jeunefie déplo 
rable! 

Marceline, s^ échauffant par degrés. 

Oui 9 déplorable, & plus qu^on ne croit! Je 
n'entens pas nier mes fautes; ce jour les a trop 
bien prouvées ! mais qu'il efi dur de les expier 
après trente ans d'une vie modefte ! Tétais née , 
moi , pour être fage , & )e la fiiis devenue fitôt 
qu'on m'a permis d'ufer de ma raifon. Mais dans 
l'âge des illufions, de l'inexpérience & dès 
befoins^où les féduâeurs nousaffiégent, pendant 
que la misère nous poignarde ; que peut oppofer 
une enfant, à tant d'ennemis rafTemblés? Tel 
nous juge ici févèrement, qui peut-être en fa 
vie a perdu dix infortunées. 

Figaro. , 

<» 

Les plus coupables font les moins généreux ; 
C'eft la règle. 

Marceline vivement. 

Hommes plus qu'ingrats , qui flétrîffez par le 
mépris, les jouets de vos paffions , vos viûunes ! 


PREFACE. xxix 

c'^efl vous qu'il. faut punir des erreurs de notre 
jeimefle: vous, & vos Magiftrats fi vains du 
droit de nous juger , & qi|i nous laifient enle- 
vef , par leur coupable négligence , tout honnête 
moyen de fubfiûer. Eft-il un feul état pour les 
jnalheureufes filles ? elles avaient un droit natu- 
rel à toute la parure des femmes ; on y laifTe 
former mille ouvriers de Tautre fexe. 

Figaro. 

Ils font broder jufqu'aux foldats î 

^ Marceline exaltée. 

t Dans les rangs , même plus élevés , les fem- 
mes Il obtiennent de vous qu^ne confidération 
dérifoire. Leurées de re^eâs apparens , dans 
une fervitude réelle y traitées en mineures pour 
nos biens , pimies en majeures pour nos fautes j 
ah ! fous tous les afpeôs , Votre conduite avec 
nous 9 fait horreur ou pitié. 

Figaro. 

Elle a raifon. 

Le Comte â pan: 
Que trop raifon, 

Brid'oison. 
Elle a , mon « on Dieu ! raifon. 


MX P RÊ F A C Ei 

Marceline. 

Mais que nous font , mon fils , les refus d*uft 
homme injufte ? ne regarde pas d*oii tu viens ^ 
Vois où tu vas ; cela ieul importe à chacun. Dans 
quelques mois ta fiancée ne dépendra plus que 
d*elle*même ; elle t'acceptera, j'en répons': 
vis entre une époufe, une mère tendres , qui 
te chériront à qui mieux mieux. Sois indul- 
gent pour elles ^ heureux pour toi , mon fils ; 
gai , libre & bon poiu: tout le monde » il ne man« 
quera rien à ta mère. , 

Figaro. 

Tu parles d'or , mamah , & je me dens à toti 
«vis. Qu'on èft fot en effet ! il y ^ des mille 
mille ans que le monde roule , & dans cet océan 
de durée ^ où, j'ai par hafard attrapé quelques 
chétift trente ans qulne reviendront plus , j'i«* 
Mis mé tourmenter pout favoîr à qui )e lei 
dois ! tant pis pour qui s'en inquiète. Pafler ainfi 
la vie à chamailler , c'eft peier fur le collier 
Ikns relâche , comme les malheureux chevaux 
de la remonte des fleuves , qui ne repofent pas, 
même quand ils s'arr^ent^ft qui tirent tou- 
jours , quoiqu'ils ceffent de marcher.. Nous at-^ 
tendrons. 

éàkHÉNi4MtriiHii«MMiMi«aM 

r 

J^ lûen regretté ce 8i9i;Maui 9c nauteaant 


PRÉFACE. XXX] 

^àe la Pièce efl connue, fi les Comédiens avaient 
le courage de le reftituer à ma prière, je penfe 
que le Public leur en faurait beaucoup de gré. 
Us n auraient plus même à répondre, comme je 
fus forcé de le faire à certains cenfeiirs du beau 
inonde , qui me reprochaient à la leâure , de 
les ihtéreffer pour une femme de mauvaifes 
mœurs. — - Non , Meffieurs , je n'en parle pas 
pour excufer {es mœurs, mais poijr vous feire 
rougir des vôtres fur le point le pluf defiruôeur 
de toute honnêteté publique ; la corruption des 
jeunes perfonnes ; & j'avais raifon de le dirt 
que vous trouvez ma Pièce trop gaie, parce 
qu^elle eft fouvent trop févère. Il n'y a que feçon 
de s'entendre. 

-— Mais votre Figaro eft un foleil tournant , 
qui brûle , en jailliffant , les manchettes de tout 
le monde. — Tout le monde eft exagéré. Qu'on 
«e fâche gré du moins s'il ne brûle pas auffi les 
doigts de cent qui croient s'y reconnaître : au 
tems qui court on a beau jeu fur cette matière 
au Tlîéâtre. M'eft-il permis de compofer en Au- 
teur qui fort du collège , de toujours faire rire 
des e^^fkns , fans jamais rien dire à des hommes? 
Et ne devei-voiîs pas me pafler un peu de mo- 
rale , en faveur de ma gaité ; comme on palSTe 
aux Français tm peu 4e folie , en laveur de leur 
raifon. 


ixxîj PREFACE. 

Si je n*ai verfé fur nos fotifes qu'un peu de 
critique badine , ce n'eft pas que je ne fâche en 
former de plus févèrés '.quiconque a dit tout ce 
qiiïl fait 9 dans fon ouvrage , y a mis plus que 
moi dans le mien. Mais je jgarde une foule dl- 
dées qui me présent , pour un des fujets les plus 
moraux du Théâtre , aujourd'hui fur mon chan- 
tier : la Mire Coupable ; & fi le dégoût dont on 
m'abreuve me permet jamais de Tachever ; mon 
projet étan'f d'y faire verfer des larmes à toutes 
fies femmes fenfibles , j^éleverai mon langage à 
la hauteur de mes fituations; j'y prodiguerai les 
traits de la plus auftère morale, & je tonnerai' 
fortement fur les vices que j'ai trop ménagés. 
Apprêtez-vous donc bien , Meilleurs , à me tour- 
iiienter de nouveau ; ma poitrine a déjà grondé; 
j'ai noirci beaucoup de papier au fervice de 
votre colère. 

Et vous honnêtes indifférens, qui jouiflez de 
tout fans prendre parti fur rien : jeunes per- 
fonnes modeftes & timides, qui vous plaifez 
à ma Folle Journée , ( & je n'entreprens fa dé- 
fcnfe que pour juftifier votre goût :) lorfque vous 
verrez dans le monde , un de ces hommes tran- 
chans , critiquer vaguement la Pièce , tout blâ^ 
mer fans rien défigner , fur-tout la trouver in- 
décente ; examinez bien cet homme là ; fâchez 
fon rang, fon état, fon caraftèrej & vous con- 
naîtrez 


/ 


PREFACE. xxxiij 

naîtrez fur le champ le mot qui Ta blefTé dans 
Touvrage. 

On fent bien que je ne parle pas de ces Ecu- 
meurs littéraires, qui vendent leurs bulletins ou 
leurs affiches à tant de liards le paragraphe» 
Ceux-là, comme l'urfW/ Jîtf:[i/^ , peuvent calom- 
nier ; ils médiraient qu'on ne les croirait fâs. 

Je parle moins encor de ces libelliftes hon- 
teux qui n'ont trouvé d'autre moyen de fatis- 
faire leur rage , Taffaffinat étant trop dangereux, 
que de tancer du cintre de nos Salles, des 
vers infâmes contre l'Auteur , pendant que Ton 
jouait fa Pièce» Us favent que je les connais : fi 
j'avais eu defTein de les nommer , c'aurait été 
au miniflère public j leur fupplice eft de Favoir 
craint, il fuffit à mon refTentiment. Mais on 
n'imaginera jamais jufqu'oii ils ont ofé élever 
les foupçons du Public fur une aulfi lâche épi- 
gramme! femblables à ces vil^ charlatans du 
Pont-Neuf y qui , pour accréditer leurs drogues , 
farciflent d'ordres , de cordons , le tableau qui 
leur fert d'enfeigne. 

Non, je cite nos importans^ qui blefTés, on 
ne fait pourquoi, des critiques femées dans 
l'ouvrage , fe chargent d'en dire du mal , fana 
cefTer de venir aux noces. 

C'efl un plaifîr afTez piquant de les voir 
d'en bas au Speâaclç, dans le très-plaifant em- 


* c 


y 


xxxiv PREFACE, 

i 

barras de n^ofer montrer ni fatisfaâîon ni co-^ 
1ère; s'avançant fur le bord des loges, prêts à 
fe moquer de l'Auteur , & fe retirant auffitôt 
pour celer un peu de grimace ; emportés par 
un mot de la fcène, & foudainement rembru^ 
nis par le pinceau du moralifle : au plus léger 
trait de gaité , jouer triftement les étonnés , 
prendre un air gauche en fefant les pudiques ^ 
& regardant les femmes dans les yeux , comme 
pour leur reprocher de foutenir un tel fcandale j 
puis , aux grands applaudiffemens , lancer fur le 
Public un regard méprifant, dont il eft écraféj 
toujours prêts à lui dire, comme ce courtifaa 
dont parle Molière , lequel outré du fuccès de 
y Ecole des Femmes criait des balcons au Public , 
ris done^ Public^ ris donc! En vérité c'eft un 
plaifir , & j'en ai joui bien des fois. 

Celui-là m'en rappelle un autre. Le premier 
jour de la Folle Journée j on s'échauj&it dans 
le foyer ( même d'honnêtes Plébéyens ) fur ce 
qu'ils nommaient fpirituellement , mon audace. 
Un petit veillard fec & brufque , impatienté de 
tous ces cris , frappe le plancher de fa canne, & 
dit en seti allant : Nos Français font comme les 
enfans qui braillent quand on les éberne» Il avait 
du/ens, ce vieillard. Peut-être on pouvait' 
mieux parler : mais pour mieux penfer, j'en 
défie. 


PREFACE. XXXV 

Avec cette intention de tout blâmer, on con- 
çoit que les traits les plus fenfés ont été pris 
en mauyaife part. N'ai-je pas entendu vingt fois 
un murmure defcendre des loges à cette réponfe 
de Figaro i^ 

Le Comte, 

Une réputation détéjlable ! 

Figaro. 

Et fi je vaux mieux quelle ; y a-t'-il beaucoup 
de Seigneurs qui puijjent en dire autant ? 

Je dis moi, qu'il tCy en a point ; qu'il ne faurait y 
en avoir , à moins d'une exception bien rare. Vn 
homme obfcur ou peu connu peut valoir mieux 
que fa réputation , qui n'eft que Topinion d'au- 
ttui. Mais de même qu'un fot en place , en pa- 
raît une fois plus fot , parce qu'il ne peut plus 
lien cacher; de même un grand Seigneur, l'homme 
élevé en dignités, que la fortune & fanailTance 
ont placé fur le grand théâtre , & qui , en en- 
trant dans le monde , eût toutes les préventions 
pour lui , vaut prefque toujours moins que fa 
réputation s'il parvient à la rendre mauvaife. 
Une affertion fi fimple & fi loin du farcafme , 
devait-elle exciter le murmure ? fi fon applica- 
tion parait facheufe aux Grands peu foigneux de 
leur gloire ; en quel fens feit - elle épigramme 
for ceux qui méritent nos refpeûs , & quelle 

Ç X 


xxxv) IP R K F A C Em 

maxime plus jufte au Théâtre, peut fervir^de 
frein aux Puiflans , & tenir lieu de leçon à x:eux 
qui n'en reçoivent point d'autres? 

Non qu à feille oublier ( a dit un Ecrivain 
févère; & je me plais à le citer, parce que je 
fuis de fon avis.) « Non quil faille oublier, 
n dit-il., ce qu'on doit aux rangs élevés; il eft 
» jufte au contraire que l'avantage de Ja naif- 
>> fance foit le moins contefté de tous ; parce ^ 
>f;que ce bienfait gratuit de l'hérédité, relatif 
.#i aux exploits, vertus, ou qualités des aïeux 
^ (Je qui le reçut , ne peut aucunement blef- 
^ fer l'amour-propre de ceux auxquels il fut 
H refiifé : parce que dans une monarchie fi l'oji: 
» ôtait le^ rangs intermédiaires , il y aurait 
» trop loin du m.onarque aux fujets ; bien-tôt. 
>» on n'y verrait qu'un defpote fit des efclaves :. 
» le maintien d'une échelle graduée du labou-, 
H reur au potentat, intéreife également les 
M hommes .de tous les rangs , fie peut-être e^ft 
» le plus ferme appui de la conftitution mor 
» narchique ». ^ 

Mais quel Auteur parlait ainfi ? qui fefait 
cette profeffion de foi fur la nobleffe, dont on 
jne fuppofe fi. loin ? C'était PïERRE-Augustin 
Caron de Beaumarchais plaidant par écti% 
au Parlement d'Aix en 1778 , une grande Se 
févère queilion , qui décida bien-tôt derhonnei^ 


PRÉFACÉ. xxxvîj 

(d*uii Noble & du fien. Dans Touvrage que je 
défens on n'attaque point les états, mais les 
abus de chaque état : les gens feuls qui s'en 
rendent coupables ont intérêt à le trouver mau- 
vais ; voilà les rumeurs expliquées : mais quoi 
donc 9 les abus font-ils devenus fi facrés, qu'on 
n'en puifle attaquer aucun fans lui trouver vingt 
défenfeurs ? 

Un avocat célèbre , un magiftrat refpeûable,' 
iront-ils donc s'approprier le plaidoyer d'un Bar- 
iholo y le jugement d'un BricToi/bn ? Ce mot de 
Figaro fiir l'indigne abus des plaidoiries de nos 
jours ( c'efi dégrader le plus noble injlitut ) a bieii 
' montré le cas que je fais du noble métier d'avor 
cat; & mon refpeâ pour la magiftrature ne fera 
pas plus fufpeûé , quand on faura dans quelle 
école j'en ai recherché la leçon, quand on lira 
le morceau fuivant , auffi tiré d'un moralifte y 
lequel parlant des Magiftrats, s'exprime en ces 
termes formels : 

^ Quel homme aifé voudrait , pour le plus 
n modique honoraire , faire le métier cruel de 
^ fe lever à quatre heures , pour aller au Palais 
H tous les jours s'occuper fous des formes pref- 
^ crites , d'intérêts qui ne font jamais les fiens ; 
>> d'éprouver fans cèffe Tennui de Timportunité , 
H le dégoût des foUicitations , le bavardage des 
*# -Plaideurs, la monotonie des Audiences, la 


( 


xxxvîij PRE FA C Ê, 

H fatigue des délibérations ^ & la contention 
^ d'efprit néceflairç aux prononcés des Arrêts, 
9» s'il ne fe croyait pas payé de cette vie labo- 
yf rieufe & pénible, par Feftime & la confidé- 
^ ration publique ? & cette eftime eft*elle aufre 
ff chofe qu'un jugement , qui n'efl -même au^ 
H flatteur pour les bons Magiftrats , qu'en rai-* 
yf {on de fa rigueur exceflive contre les mau^ 
» vais? » 

Mais quel Ecrivain m'infiruifait ainfi par 
fes leçons? Vous allez croire encor que c'eft 
Pierre -Augustin; vous l'avez dit, c'eft 
lui, en 1773, dans fon quatrième Mémoire en 
défendant jufqu'à la mort, fa trifte exiftence 
attaquée par un foi-difant magiftrat. Je refpeéèe 
donc hautement ce que chacim doit honorer ; Se 
je blâme ce qui peut nuire. 

— Mais dans cette Folle Journée , au lieu de -^ 
fapper les abus , vous vous donnez des liberté^ 
très-répréhenfibles au Théâtre : votre monologua 
fur-tout , contient , fur les gens difgraciés ^ des 
traits qui paflent la licence !— Eh ! croyez-vous, 
Meffieurs , que j'eufle un talifman pour tromper, 
féduire , enchaîner la cenfure & Tautorité, quand 
îe leiu" foumis mon ouvrage? que je n'aye pas 
dû juftifier ce que j'avais ofé écrire? Que fais-)e 
dire à Figaro , parlant à Thomme déplacé ? Que 
les fotifes imprimées n 'ont d'importance qu'aux 


F R E FA C E. xxxîx 

lieux oh Von en gêne le cours. Eft-ce donc là une 
vérité d'une conféquence dangereufe î Au lieu 
de ces inquiiitions puériles & fatiguantes & qui 
feuks donnent de Timportance à ce qui n'en 
aurait jamais ; fi , comme en Angleterre y on 
était affez fage ici pour traiter les fotifes avec 
ce mépris qui les tue ; loin de fortir di> vil fu- 
mier qui les enfante , elles y pouriraient en 
germant, & ne fè propageraient point. Ce qui 
multiplie les libelles , efi: la faibleiTe de les 
craindre : ce qui fait vendre les fotifes , efl la 
fotife de les défendre. 

Et comment conclut Figaro? Que fans la 
liberté de blâmer^ il n*ejl point d*étogc fiateur ; 
& qu'd n'y a que les petits-hommes j qui redoutent 
les petits écrits, Sont-ce là des hardieffes cou- 
pables , ou bien des aiguillons de gloire } des 
moralités infidieu(ès , ou des maximes réfléchies, 
auffi juftes qu'encourageantes? 

Suppofez-ks le fruit des fouvenîrs. Lorfque 
(ktisfait du préfent, TAuteur veille pour Tave- 
nir, dans la critique du paffé; qui peut avoir 
droit de s'en plaindre ? & fi^ ne défignant ni 
tems, ni lieu, .ni perfonnes, il: quvre la voie au 
Théâtre , à des réformes defirablcs ; n'efl:*-ce pas 
aller à fèin but? 

La Folk Journée explique donc comment dians 
un temps profpère ^ fous im Roi jufte , & des 

^4 


xl T RE FA C E. 

Mimftres modérés , rEcnvain peut tonner dit 
les opprefTeurs , fans craindre de blefTer par* 
fonne. Ceft pendant le règne d'un bon Prince 
qu'on écrit fans danger Thiftoire des méchans 
Rois; & plus le Gouvernement eft fage, efl; 
éclairé , moins la liberté de dire eft en prefle : 
chacun y fefant fon devoir, on n'y craint pas 
le^ allufions : nul homme en place ne redoutant 
ce qu'il eft forcé .d'eftimer , on n'aiFeâe point 
alors d'opprimer chez nous cette même Littéra- 
ture , qui fait notre gloire au dehors , & nous 
y donne une forte de primauté que nous ne 
pouvons tirer d'ailleurs. 

En effet, à quel titre y prétendrions-nous? 
Chaque Peuple tient à fon culte , & chérit fon 
Gouvernement. Nous ne fommes pas reftés plus 
braves, que ceux qui nous ont battus à leur 
tour. Nos mœurs plus douces , mais non meil- 
leures , n'ont rien qui nous élève au-defTus d'eux. 
Notre Littérature feule , eftimée de toures lei 
nations , étend l'empire de la langue frahçaife & 
nous obtient de l'Europe entière une prédilec-^* 
tion avouée qui juftifie en l'honorant , la pro- 
teâion que le Gouvernement lui accbixle. 

Et comme chacun cherche toujours le feul 
avantage qui lui manque ; c'eft alors qu'on peut 
voir dans nos Académies l'honmie de la Cour 
fiéger avec les gens de lettres; les talenspcr* 


PREFACE. xlj 

fonneIS)& la confidération héritée, fe difputer 
ce noble objet , & les archives académiques fe I 

remplir prefque également de papiers & de par- 
chemins. 

Revenons à la Folle Journée» 

Un Moniieur de beaucoup d'efprit , mais qui I 

réconomife un pieu trop , me difait un foir au j 

Speâacle : expliquez- moi donc, je vous prie, 
pourquoi , dans votre Pièce , fin trouve autant | 

de phrafes négligées qui ne font pas de votre i 

ftyleî — De mon ftyle, Monfieur ? Si par mal- 
heur j'en avais un , je m'efforcerais de l'oublier 
quand je fais une comédie : ne connaiflant 
rien d'infipide au Théâtre comme ces fa^es ca- 
maïeux où tout eft bleu , où tout eft rofe , où 
tout eft l'Auteur , quel qu'il foit. 

Lorfque mon fujet me faifit, j'évoque tous 
mesperfonnages &les mets en fituation : — fonge 
à toi Figaro , ton maître va te deviner. — Sauvez- 
vous vite Chérubin ; c'eft le Comte que vous 
touchez. — Ah ! Comteffe quelle imprudence 
avec un époux fi violent ? — Ce qu'ils diront , 
je n'en fais rien ; c'eft: ce qu'ils feront qui m'oc- 
cupe. Puis , quand ils font bien animés , j'é- 
cris fous leur diûée rapide , sûr qu'ils ne me 
tromperont pas , que je reconnaîtrai Ba:(de , 
lequel n'a pas l'efprit de Figaro , qui n'a pas 
le ton noble du Comte /qui n'a pas la fenfibi- 


xUj PREFACE; 

lité de la Comtefle , qui n^a pas la gaîté de «Su- 
:fû/2/»d j qui n'a pas refpieglerie du Page , & 
fur - tout aucun d'eux , la fublimité de JBriiT- 
oifon : chacun y parle fon langage : eh ! que le 
Dieu du naturel les préferve d'en parler d'autre ! 
Ne nous attachons donc qu'à Texamen de îeurs 
idées, & non à rechercher fi j'ai dû leur prêter 
mon ftyle. 

Quelques mahreillans ont voulu jetter de la 
défaveur fur cette phrafe de Figaro : fommes- 
nous d€s foldats qui tuent & fe font tutr pour des 
intérêts qu*ïls ignorent f Je veux/avoir^ moi ^ pour* 
quoi je me fâche I A travers le nuage d'une con»- 
ception indigeile ils ont feint d'appercevoir : 
que je répands une lumière décourageante fur l'état 
pénible du Soldat ; & il, y a des chofes qu'il ne 
faut jamais dire^ Voilà dans toute fa force l'ar- 
gument de la méchanceté ; refte à en prouver 
la bêtife. 

Si , comparant la dureté du fervice à la mo» 
dicité de la paye , ou difcutant tel autre incon- 
vénient de la guerre , & comptant la gloire pour 
rien, je verfàis de la défaveur iiir ce plus noble 
des affireux métiers ; on me demanderait jufte- 
ment compte d'un mot indifcrètement échappé* 
Mais, du Soldat au Colonel, au Général exclu- 
fivement , quel imbécille homme de guerre a 
Jamais eu la prétention qu'il dût pénétrer les 


P REFACE. M 

fecrets du cabinet , pour lefquels il fait la cam- 
pagne ? C eft de cela feul qu'il s agit dans la 
phrafe de Figaro. Que ce fou là fe montre , s'il 
exifte ; nous l'enverrons étudier fous le Philo- 
fophe Babouc y lequel éclaircit difertement pe 
point de difcipline militaire. 

En raifonnant fur Tufage que l'homme fait 
de fa liberté dans les occaiions difficiles , Figaro 
pouvait également oppofer à fa fituation tout 
état qui exige une obéiiTance implicite; & le 
cénobite zélé , dont le devoir eft de tout croire 
fans jamais rien examiner; comme le guerrier 
valeureux , dont la gloire * eft de tout affronter 
fur des ordreis non motivés , de tuer & fe faire 
tuer pour des intérêts qu'il ignore. Le mot de Figaro 
ne dit donc rien , finon qu'un homme libre de 
ïts aûions , doit agir fur d'autres principes que 
ceux dont le devoir eft d'obéir aveuglément. 

Qu'aurai t-ce été ^ bon Dieu ! fi j'avais fait 
ufage d'un mot qu'on attribue au Grand - Condé ^ 
& que j'entens louer à outrance , par ces 
mêmes logiciens qui déraifonnent fur ma 
phrafe. A les croire , le Grand-Condé montra la 
plus noble préfence d'efprit , lorfqu'arrêtant 
Xouis XI r prêt à pouffer fon cheval dans le 
Rhin , il dit à ce monarque : Sire j ave\'Vous 
befoin du bâton de Maréchal ? 

. Heureufement on ne prouve nulle part que 


xUv P R E PAC Ei 

ce grand homme ait dit cette grande fotîie; 
C'eût été dire au Roi devant toute fon Armée: 
vous moquezrvous donc. Sire, de vous expofer 
dans un fleuve? Pour courir de pareils dan- 
gers , il faut avoir befoin d'avancement ou de 
fortune! 

Ainfi Thomme le plus vaillant, le plus grand 
Général du fiecle aurait compté pour rien Thon*» 
neur , le patriotifme & la gloire ! un miférable 
calcul d'intérêt eût été , félon lui , le feul prin-* 
cipe de la bravoure! il eut dit là un af&eux 
mot ! & fi j'en avais pris le fens pour l'enfermer 
dans quelque trait , je mériterais le reproche 
qu'on fait gratuitement au mien/ 

LaifTons donc les cerveaux fumeux louer ou 
blâmer au hazard , fans fe rendre compte de 
rien ; s'extâfier fur une fotife , qui n'a pu jamais 
être dite , & profcrire un mot jufte & fimple^ 
qui ne montre que du bon fens. 

Un autre reproche àfTez fort, mais dont je 
n'ai pu me laver , eft d'avoir affigné pour re- 
traite à la ComtefTe un certain couvent d'î/r*- 
fulines. Vrfulines ! a dit un feigneur joignant les 
mains avec éclat. Urfulincs ! a dit une dame en fe 
renverfant de furprife fur un jeune Anglais de 
fa loge. Urfulincs l ah Mylord ! fi vous enten- 
diez le français! . • . • Je fens , je fens beaucoup^ 
Madame , dit le jeune homme en rougiflant. 


PRE FACE; jclv 

fc« C'eft quV>n n*a jamais mis au Théâtre aucune 
femme aux Urfulincs ! Abbé , parlez-nous donc ! 
L'Abbé , ( toujours appuyée fur l'Anglais ) com- 
ment trouvez - vous UrfuUnes ? Fort indécent , 
répond l'Abbé , fans ceffer de lorgner Suzanne ; 
& tout le beaii monde a répété , Urfulincs eji 
fort indécent. Pauvre Auteur ! on te croit jugé , 
quand chacun fonge à fon aiFaire. En vain j*ef- 
fayais d'établir que , dans l'événement de la 
Scène, moins laComteffe a deffein de fe cloîtrer, 
plus elle doit le feindre & faire croire à fon 
époux que fa retraite eft bien choifie : ils ont 
profcrit mes Urfulinesl 

Dans le plus fort de la rumeur, moi bon- 
homme! j'avais été jufqu'à prier une des Ac- 
trices , qui font le charme de ma Pièce , de 
demander aux mécontens , à quel autre cou- 
vent de filles ils eftimaient qu'il fut décent que 
l'on fît entrer la ComtefTe î A moi , cela m'était 
égal; je l'aurais mife où l'on aurait vouïu; aux 
Augujlines ^ aux Célejlines , aux Clairettes , 
aux Fifitandines , même aux Petites Corde- 
Hères , tant je tiens peu aux UrfuUnes ! Mais on 
agit û durement! 

Enfin, le bruit croiflant toujours; pour ar- 
ranger l'afiaire avec douceur, j'ai laiflé le mot 
Urfulines à la place où je l'avais mis : chacun 
alors content de foi, dé tout l'efprit qu'il avait 


xh] PREFACE; 

montré, s'eft appaifé fur Urfulihes^ & ron a* 
parlé d autire choie. 

Je ne fuis points comme Ton voit, Tennemî 
de mes ennemis. En difant bien du mal de moi 
ils n'en ont point i&it à ma Pièce ; & s'ils fen-» 
taient feulement autant de )oie i la déchirer^ 
que l'eus de plaifir à la faire y il n'y aurait 
perfonne d'affligé. Le malheur eft qu'ils ne 
rient point ; & ils ne rient point à ma Pièce , 
parce qu'on ne rit point à la leur. Je connais 
plufieurs amateurs, qui font même beaucoup 
maigris depuis le fuccès du Mariage : excufons 
donc TefFet de leur colère. 

A des moralités d'enfemble & de détail , ré- 
pandues dans les flots d'une inaltérable gaité ; à 
un dialogue aflez vif ^ dont k facilité nous ca« 
che le travail , fi TAuteur a joint une intrigue 
aifément filée , où l'art fe dérobe fous l'art , qui 
fe noue & fe dénoue fans cefle , à travers une 
foule de fituations comiques , de tableaux 
piquans & variés qui foutiennent , fan^ la 
fatiguer , l'attention du Public pendant les 
trois heures & demie que dure le même fpeâa- 
cle ; ( eflai que nul homme de lettres n'avait en- 
cor ofé tenter ! ) que refiait-il à fiiire à de pau- 
vres méchans , que tout cela irrite ? attaquer , 
pourfuivre l'Auteur par des injures verbales , 
manufcrites^ imprimées ; c'eft ce qu'on a fait 


PRE FACE. xlvîj 

fens relâche. Ils ont même épuifé jufqu'à la ca- 
lomnie , ppur tâcher de me perdre dans l'écrit 
de tout ce qui influe en France fur le repos 
d'un citoyen. Heureufement que mon ouvrage 
eft fous les yeux de la nation , qui depuis dix 
grands mois , le voit , le juge & l'apprécie. Le 
kiûer jouer tant qu'il fera plaifir , eft la feule 
vengeance que je me fois permife. Je n'écris point 
-ceci pour les leâeurs aâuels ; le récit d'un mal 
trop connu , touche peu ; mais dans quatre-vingt 
ans il portera fon fruit. Les Auteurs de ce tems-là , 
compareront leur ibrt au nôtre ; & nos enfans 
lâuront à quel prix on pouvait amufer leurs 
pères. 

Allons au fait ; ce n'eft* pas tout cela qui 
blefTcLe vrai motif qui fe cache, & qui dans 
les replis du cœur produit tous les autres re- 
proches 9 eft renfermé dans ce quatrain. 

Pourquoi ce Figaro qu'on va tant écouter ^ 
£ft-il avec fureur iécliiré par les fots^ 
Recevoir, prendre & demander s 
Voilà le fecret en trois mots. 

En effet , Figaro parlant du métier de cour- 
tifan , le définit dans ces termes févères. Je ne 
puis le nier , je l'ai dit. Mais reviendrai-je fur 
ce point? Si c'eft un mal , le remède ferait 
pire : il faudrait pofer méthodiquement ce que 
je n'ai fait qu'indiquer j revenir à montrer qu'il 


r^ 


xlvîij PREFACE. 

n'y a poifat de fynonyme en français, entre 
r homme de la Cour^ l* homme de Cour^ & le Courtifan 
par métier. 

Il faudmt répéter qvChomme de la Cour peint 
feulement un noble état : qu'il s'entend de 
rhomme de qualité , vivant avec la noblefle 
& réclat que fon rang lui impofe : que fi cet 
homme de la Cour aime lé bien par goût , fans 
intérêt ; fi , loin de jamais nuire à perfonne , il fe 
fait eftimer de fes maîtres y aimer de fes égaux , 
& refpeder des autres ; alors cette acception 
reçoit un nouveau luftre , & j'en connais plus 
d'un que je nommerais avec plaifir , s'il en était 
queftion. 

Il feudrait montrer (^' homme de Cour , en bon 
français, eft moins 1 énoncé d'un état, que le 
réfumé d'un caraâère adroit , liant , mais ré- 
fervé ; preflant la itiain . de tout le monde en 
gliffant chemin à travers ; menant finement fon 
intrigue avec Tair de toujours fervir ; ne fe fe- 
fant point d'ennen^is , mais donnant près d un 
foffé, dans Foccafion, de l'épaule au meilleur 
ami , pour affurer fa chute & le remplacer fur la 
crête; laiflant à part tout préjugé qui pourrait 
ralentir fa marche; fouriant à ce qui lui déplaît , 
& critiquant ce qu'il approuve, félon les hommes 
qui l'écoutent : dans les liaifons utiles de fa 

feoune , 


PREFyiCE» xYix 

femme > ou de fa maîtrefle , ne voyaht que ce 
qu'il doit voir : enfin . . • . 

Prenant tout , pour le faire court » 
£a véritable homme de Cour* 

La Fontaznk* 

Cette acception n'eft pas auffi défavorable que 
celle du Courtifan par métier , & c'eft Thomme 
iont parle Figaro. 

Mais. quand j'étendrais la dé^nitîon de ce 
dernier ; quand , parcourant tous les poffibles « 
je le montrerais avec fon maintien équivoque , 
haut & bas à la fois ^ rampant avec orgueil ; 
ayant toutes les prétentions fans en juftifier 
une ; fe donnant l^air du protégement pour fe 
foire chef de parti j dénigrant tous les concur- 
rens qui balanceraient fon crédit; fefant un mé- 
tier lucratif de ce qui ne devrait qu'honorer ; 
vendant (es maîtrefles à fon maître , lui fefant 
payer fes plaifirs , &c. &c. & quatre pages d'&c* 
il faudrait toujours revenir au diftique de Figaro. 
Recevoir y prendre & demander ; voilà lefecret en 
trois mots. 

Pour ceux-ci , je n^en connais point ; il ytn 

eut , dit-on, fous Henri III ^ fous d'autres Rois 

encor, mais c'eft l'affaire deThiftorîen ; & quant 

à moi 9 je fuis d'avis que les vicieux du fîecle en 

font comme les Saints ; qu*il faut cent ans pour 

les canonifen Mais puifquej*ai promis la critique 

de ma Pièce ^ il faut enfin que je la donne. 

d ^ 


1 PREFACE. 

En général fon grand défaut eft que je ne Vai 
point faite. en obfervant le monde ; quelle ne peint 
rien de ce qui exifle , & ne rappelle jamais t image 
de la fociéuoîi Von vit ; que f es moeurs hajfes & cor-- 
rompues , n'ont pas même le mérite dêtre vraies» 
Et c'eft ce qu on llfait dernièrement dans lui 
beau difcours imprimé , compofé par un homme 
de bien , auquel il n'a manqué qu'un peu d'ef» 
prit pour être un écrivain médiocre. Mais , mé- 
diocre ou non , moi qui ne fis jamais ufage de 
cette allure oblique & torfe avec laquelle utt 
Sbire , qui n'a pas l'air de vous regarder', vou« 
donne du ftilet au flanc , je fuis de l'avis de 
celui-ci» Je conviens qu'à la vérité la génération 
paflée reffemblait beaucoup à ma Pièce; que la 
génération future lui refTemblera beaucoup aujflî; 
mais que pour la génération préfente , elle ne 
lui reffemble aucunement ; que je n'ai jamais 
rencontré ni mari fuborneur , ni feigneur li- 
bertin , ni courtlfan avide , ni juge ignorant ou 
paflîonné ^ ni avocat injuriant , ni gens médio- 
cres avancés , ni traducteur baffement jaloux. 
Et que fi des âmes pures , qui ne s'y reconnaif- 
fent point du tout , s'irritent contre ma Pièce 
8l la déchirent fans relâche , c'eft uniquement 
par refpeft pour leurs grands-pères , & fenfibi- 
lité pour leurs petits-enfans. J'efpère, après cette 
déclaration , qu'on me laiflora bien tranquille ; 

KT j'ai FINI. 


D 


mmmmmmmmmmmm ■ p- 


CARACTERES ET HABILLEMENS 

DE LA PIECE. 

JLjs CoMTt AtM A viVA doit ctrc jouc très- 
noblement , mais avec grâce & liberté. La corrup- 
tion du cœur ne doit rien ôter au bon ton de Tes ma- 
nières. Dans les mœurs de ce tems-là les Grands trai- 
taient en badinant toute entreprifc fur les femmes. 
Ce rôle eft d'autant plus pénible à bien rendre que 
le perfonnage eft toujours facrifié. Mais joué par uri 
comédien excellent (M. Mole) y 'A a fait reflbrtir tou5 
les rôles , 8c aifuré le fuccès de la Pièce. 

Son vêtement du premier & fécond Adcs eft un 
habit de chaffe avec des bottines à mi-jambe^ de 
l'ancien coftume e(pagnol. Du troifieme Aâ:e jluf- 
qu'à la fin , un habit fuperbe de ce coftume. 

La C o mt esse agitée de deux fentiracns con- 
traires » ne doit montrer qu'une fenfibilité réprimée, 
ou une colère très-modérée ; rien fur-tout qui dé- 
grade aux yeux du fpeâateur^ fon caradère aimable 
& vertueux. Ce rôle , un des plus difficiles de la 
Pièce , a fait infiniment d'honneur au grand talent 
de Mlle Saint-Fal , cadette. 

Son vêtement du premier j fécond & quatrième 
Adles, eft une lévite commode, & nul ornement fur 
h tctc : elle eft chez çUe &: cenfée incommodée. Au 

di 


Kj CARACTERES 

cinquième Aâe elle a rhablUement Sc k haute 
cocffure de Siqanne, 

Figaro. L'on ne peut trop recommander à 
TAdleur qui jouera ce rôle , de bien fe pénétrer de 
fon efprit , comme l'a fait M. Da^iruourt. S'il y 
voyait autre chofe que delaraifon afTaifoxinée de 
gaité 8c de faillies , fur-tout s'il y mettait la moindre 
charge , il avilirait un rôle que le premier Comique 
du Théâtre , M, PréviUc , a jugé devoir honorer le 
talent de tout comédien qui faurait en faifîr les 
nuances multipliées , & pourrait s'élever à (on 
entière conception. , 

Son vêtement comme dans le Barbier de Scyille. 

Suzanne. Jeune perfonne adroite , fpirîtuelle 
ôc rieufe , mais non de cette gaité prcfqu'eflTrontcc 
de nos foubrettcs corruptrices î fon joli caradlcrc 
cft deflîné dans la Préface , & c'eft-là que TAdricc, 
qui n*a point vu Mlle Contai , doit l'étudier pour 
le bien rendre. 

Son vêtement des quatre premiers Aâcs, efi: un 
lufte blanc à bafquincs, très-élcgant , la jupe de 
même, avec une toque, appcllée depuis par nos 
marchandes yà la Siqanne. Dans la fête du qua^ 
tricme Aâe , le Comte lui pofe fur la tête une 
toque à long voile, à hautes plumes, & à rubans 
blancs. Elle porte au cinquième AStc la lévite de 
fa maîtreflc , & nul ornement fur la tête. 

Marciiini eft une fetmne d'efprit , néeoa 


1 


ET HABILLEMENS. li^ 

(>cu vive j mais dont les fautes te l'expérience ont 
réformé le caraâère. Si TAÛrice qui le joue s'clcvc 
,avcc une fierté bien placée , à la hauteur très -mo- 
rale .qui fuit la reconnaiiTance du troifieme Ade } 
elle ajoutera beaucoup à l'intérêt de l'ouvrage. 
:• Son vêtement eft celui des duègnes efpagnoleSj 
d'une couleur modefle ^ un bonnet noir fur la 
tctc. 

Antonio ne doit montrer qu'une demi-ivreflc, 
qui fe di(Gpe par degrés *, de forte qu'au cinquième 
Aâe on n'en apperçoive prefque plus. 

Son vêtement eft celui d'un payfan espagnol, 
où les manches pendent par derrière > un chapeau 
ic de$ fouliers blwcs« 

Fanchette eft une enfant de douze ans ^ 
très-naïve. Son petit habit eft un jufte brun avec 
des gançes & des boutons d'argent , la jupe de cou- 
leur tranchante , & une toque noire à plumes fur 
la tête. Il fera celui des autres payfannes de h 
Jiôcc. . 

C H ER u B I N. Ce rôle ne pçut être joue, comme 
il l'a été , que par une jeune & très- jolie femme » 
nous n'avons point à nos Théâtres de très -jeune 
homme affez formé , pour en bien fentir Icsfineffes. 
Timide à l'excès devant la Comtefle , ailleurs un 
charmant poliffon ; un defir inquiet & vague eft^ 
le fond de fon caraâ;cre, U s'élance à la puberté ^ 


hr CARACTERES 

mais Tans projet, fans connaifTances ^ & tout entier 
à chaque événement > enfin il eft ce que toute 
mère, au fond du cœur voudrait peut-être que fût 
fon fils j quoiqu'elle dût beaucoup en fouffrir. 

Son riche vêtement au premier & fécond AAes, 
cft celui d'un Page de Cour cfpagnol y blanc & 
brodé d'argent y le léger manteau bleu fur l'épaule » 
& un chapeau chargé de plumes. Au quatrième 
Ade il a le corfet, la jupe & la toque des jeunes 
paysannes qui l'amènent. Au cinquième Ad:e , un 
habit uniforme d'Officier , une cocarde ôc une 
épce. 

BARTHOto. Le c^raftèrc & l'habit comme 
dans le Barbier de Séyille y il n'eft ici qu'un rôle 
fecondaire. 

B A z I L E. Caradtèrc & vêtement comme danf 
le Barbier ds Séville. Il n'eu: auffl qu'un rôle fc-^ 
condaire. 

Bfiis'oisoN doit avoir cette bonne & fran^ 
che afTurance des Bêtes j qui n'ont plus leur timi- 
dité. Son bégaiement n'éft qu'une grâce de plus^ 
qui doit être à peine fcntie , & TAdleur fe trom- 
perait lourdement ôc jouerait à contre -fens, s'il y 
cherchait le plaifant de fon rôle. Il eft tout entier 
dans l'oppofition de la gravité de fon état au ri- 
dicule du caraâèrc i Se moins PAi^eur le chargera, 
plus il montrera de vrai talent. 


ET HABILLEMENS. !▼ 

Son habit eft une robe de juge cfpagnol , moins 
toiple que celle de nos Procureurs , prcfquc une 
(uutanne> une groife perruque ^ une gonille, ou 
rabat efpagnol ait col j & une longue baguette 
blanche à la main* 

D o u B L E*M A I K. Vétu commc le juge : mail 
k baguette blanche plus cource. 

U Huissier ou Alguazil. Habit , manteau , 
cpée de Crifpin , mais portée à fon côté fans cein- 
ture de cuir. Point de bottines , une chauflure 
noire 3 une perruque blanche naiâante &c longue 
à mille boucles » une courte baguette blanche. 

Gri PE-SoLïiL. Habit de payfan, les man- 
ches pendantes^ vefte de couleur tranchée ^ chapeau 
blanc. 

Une jeune Bergère. Son vêtement comme 
celui dcFanckeue. 

Pe OR IL LE. En vefte , gilet, ceinture , fouet St 
bottes de pofte , une réçilie fur la têce > chapeau 
de Courier. 

Personnages muets ^ les uns en habits 
de juges , d'autres en habits de payfans , les autres 
en habits de livrée. 

Placement des Acteurs. 

Pour faciliter les jeux du Théâtre , on a eu Tat- 


V / , » 


*■ \ 


H CARACTERES ET HABILLE MENS. 

tcntion d'écrire au commencement de chaque 
Scène , le nom des perfonnages dans l'ordre où le 
(pcdateur les voit. S'ils font quelque mouvement 
grave dans la Scène , il eft défigné par un nou^ 
vel ordre de noms ^ écrit en . marge à l'inftanc 
qu'il arrive. Il eft important de confervcr les bonnes 
}^ofîtions théâtrales > le relâchement dans la tradition 
donnée par les premiers Aâêurs, en produit bientôt 
un total dans le jeu des Pièces ^ qui finit par affimiler 
les troupes négligentes aux plus faibles comédiens 
de Société. 


Lu & approuve le i^ Janvier 1785. 

B R E T, 


Vu P Approbation , permis d^imprimer^ ce ji' 

Janvier 1785. 

LENOIR* 


LE 


LE MARIAGE 


DE FIGARO. 


PERSONNAGES. 

LE COMTE ALMAVIVA» (;wCamf^*4^r 

iAndaloupt^ ♦..••...•..• M. Molc. 

LA COMTESSE, yiyjnwif... MUc. Saînt-Val. 

j^IGARO» Vëkt-di^luanbre du Cvmte & concierge 
Ju château M. d'Azincourt. 

SUZANNE» première camarijie de la Comuffe , & 
fiancée de Figaro. • Mlle» Contât. 

MARCELINE > Femme de charge , Mâd BelIecQurr. 

8c cnfuite Mlle, la Chaflaigne. 

ANTONIOj Jardinier du château y oncle de Suzanne 

& père de Fanchette. ••••• •• M. Beltnonr. 

F A N CH E T T E , Ji/& d'Jntonio. MUc. Laurent. 

CHÉRUBIN, premier page du Comte. Mlk. Olivier. 

BARTHOLO, Médecin de Séville. M. Defeffarts. 

BAZILE ^Maître de clavecin delà Comtejfe. M. Vanhove. 

DON GUSMAN BRID'OISON, Iim^«^«r 

du Siège ; M^Prévillc. 

ôc enfuite M. Dugazon. 

DOUBLEMAIN» Greffier . fecrétaire de Don 

Gujman* .•«•••• ••••.••*•• M. Marty. 

UN HUISSIER -AUDIENCIER. M. la RocheUe. 

GRIPPE-SOLEIL > jeune patoureau. M. Champvillc. 

UNE JEUNE BERGERE, MUe. Danricr. 
PEDRILLE, P^Knerdld Cçmnu. M. Florence. 

TROUPE DE VALETS. 
TROUPE DE PAYSANNES. 
TROUPE DE PAYSANS. 

La Seine efi au Château i' AguaS'Fr<fias m 
à trois Iieu4s ds SfyilU. 


/ 



tUUMIUliaMaiMM 



■••••■•a ■ Mi ■••■•«■IMai 


LA FOLLE JOURNÉE, 


O V 


. t 


LE MARIAGE DE FIGARO. 


ACTE PREMIER. 

« 

ïiC Théâtre repréfente une chambre à demi-- 
démeublée i un grand fauteuil de malade 
ejl au milieu. F i g a k o ^ avec une toife 
mefure U plancher. Suzanne attache 
•à Ja tête^ devant une glace ^ le petit 
bouquet de fleur d^ orange ^ appelle Cha- 
peau de la Mariée: 


aa 


SCÈNE P R É M I E R I. 

F I G A R O, S U^ A N N E. 
Figaro* 

jL/ix*KSUT pieds fur vingt-fix.. r 

Suzanne. 

> 

Tiens» Fî^b/ voilà mon petit Chapeau ^ le 

trcaves-tu mieux aiufi? 

Al 


4 LE MARIAGE DE FIGARO, 

Figaro lui prend les mains. 

Sans comparaifofr , ma charmante, O ! que ce 
joli boitqttet vîiginaf, élevé (at h tète d une belle 
fille, eft doux , le matia des noces , à rœil amou- 
reux d'un époux! • • • . 

SûzAkiriyi retire. 

Que mefure-m donc là , mon fils ? 

Figaro. 

Je regardé, ma petite Suzanne, fi ce beau lit 
que Monfeigneur nous donne, aura bonne grâce ici. 

Suzanne, 
Dans cette chambre ? 

f I G A k o* 

» •> 

Il nous la cède. 

S U Z A K N I. 

Et moi je n'en veux point. 

F I G A IV o. 

pourquoi? 

S Ù î A N N B, 

Je n'en veux point. 

Figaro. 
Mais encor ? 

Su z ji iy n s. 
Elle me déplaît. 


ACTE 9 DEMIES.. j 

]F I G A R O» 

On dit aûe xgifyn» 

3 y z A n N I» 
Si je j^'^ yxm jpsis 4ke ? 

Figaro. 

• « , • « 

P l <pmi ^^ font (ures de noos! 

Suzanne. 

PoQuver que j ai raifoti , ferait accorder que je 
puis jj^oir xoa. £s-4u mon ferviteur , ou non ? 

F I G /. R o. 

Tu prens de Thiimeur contjre jl^ cj^^mbce du 
cfaate^u h pli^s cQmmoae ^ ^ qyâ tient jle xniliei^ 
des deux apparteme^s. J^a nuit , & Madame eft 
încommodce elle fonnera de fon côté; zefte, en 
deux pas , tu es chez dile. Moiifeigneur veut-il 
quelque chofe? il n'a qua.tint^ du Lu&n j crac> en 
crois iauts xs^p voilà rendu. 

9 

S U Z A N H JE. 

Fort bien! mais, quand il a^ira fi/wt/ le matin , 
pour te donner quelque bonne & longue commit 
(ion y zefte , en deux pas il eft à ma porte, & crac, 
en trois iauts 

« 

Figaro. 

♦ 

Qu'entendez-vous par ces paroles? 

Suzanne. 

Il faudrait m'écouter tranquillement. 

A 5 


t LEMARIAGE DE FIGARO, 

Figaro. 
Eh qu*eft-ce qu'il y a? Bon dieu ! 

Suzanne. 

U y a» mon ami, que» las de courafêr les 
beautés des enviions, Monfieur le Comte Âlmaviva 
veut rentrer au château , mais non pas chez fa 
femme \ c'eft fur la tienne , entens-m , qu'il a 
jette fes vues, auxquelles il espère que ce loee- 
ment ne nuira pas. Et c'eft ce que le loyal Baziie , 
honnête agent de fes plaifirs , &: mon noble mattre 
â chanter , me répète chaque jour , en me donnant 
leçon, 

Figaro. 

Baziie ! ô mon mignon ! Ci jamais volé« de bois 
vert , appliquée fur une échine , a duement redrelle 
la mocle épinière i quelqu'un. .... 

Suzanne.^ 

Tu croyais , bon garçon ! que cette dot qu'on mt 
donne était pour les beaux yeux de ton mérite ? 

F I G À n o. 
J'avais alTez fait pour l'elpérer. 

S u z A N N E. 

Que les gens d'eiprit font bètes! 

Figaro, 
On le dit. - 

Suzanne. 
Mais c'eft qu'on ne veut pas le croire. 


i 


ACTE PREMIER, 7 

Figaro. 

On a tort. 

S U Z A K N E. 

Apprens qu'il la deftine i obtenir de moi ^ 
iècretemeac y cenain quart-d*heure, feul à feule, 

S* m ancien droit du Seigneur. • . . ^ . Tu fais s'il 
c trifte! 

Figaro. 

Je le fais tellement que > fi Monfieur le G)mte 
en fe mariant » n'eut pas aboli ce droit honteux » 
jamais je ne t'eu(Iè époufce dans fes domaines. 

S u z A M N B. 

Hebien! s'il Ta décniit» il s^en repenr; 8c c'eft 
de ta fiancée qu'il veut le racheter en fecret au- 
jourd'hui. 

Figaro fc frottant la tête^ 

Ma t^e s^amoUit de furprife \ Se mon Iront 
fenittfé • 

S y z A K K B« 

Ne le frotte donc pas î 

Figaro^ 
Quel danger? 

Suzanne riant. 

S'il y venait un petit bouton j des gens fuperf- 

titieux 

Figaro. 

Tu ris friponne ! Ah ! s'il y avait moyen d'at^ 
ttapper ce grand trompeur , de le faire donner dans 
un bon piége » de d'empocher fon or ! 

A4 


g XE MARIAGE DE FIGARO, 

S U Z A N N £• 

De l'intrigue , Se de l'argent^ te voiU dans u 
fphàre. 

F I ^ A n o. 

Ce n^eft pas la home qui me tcdecx. 

Suzanne. 

La crainte ? 

F I G A K o. 

Ce n*eft rien d'entreprendre une chofe ' dange- 
reafè; mais d'échapper au péril en h menant i 
bien : <:ar , d^entrer che« quelqu'un la nuit , de im 
fouffler fa femme. & d'y recevoir cent couds fie 


r intérieur. ) 

Suzanne. 

Voilà Madame éteîUée ; elle m*a bien recom- 
mandé d'èçre la première à lui parl^ le matin ile^ 
mes noces, 

Figaro. 

Y a-t-il encor quelque chofe U-deflbus? 

Suzanne. 

Le berger dit que cela porte bonheur aux époufes 
délaiffées. Adieu , mon périt fi , fi , Figaro , rêve 
à notre affaire. 

Figaro. 

Pour m'ouvrir l'efprit , donne un petit baifer*. 

Suzanne. 

A mon amant aujourd'hui ? Je t'en fouhaite ! Et 
qacn dirait demain mon mari ? 

Figaro Vembrajfe. 


ACTE PREMIER. ^ 

S U Z ▲ ff N !• 

Hé bien! hé bien ! 

F I tS A R O. 

Ceft que tu n*as pas d'Idée de mon amouK 

Suzanne/^ iéfrippanu 

Quand ccflerez-vous, importun, de m*en parler 
du matin au foir ? 

F I a A & Q myftéricufemeru. 

Quand Je pourrai te le prouver, du foir jufqu'aa 
Inatin. ( on Jbnne une féconde fois. ) 

Suzanne i& Icin^ les itAgts mus fur fa kouche. 

Voilà wtre bàifer, Monlîeur \ je n'ai plus rien 
si vous. 

Figaro court Après elle. 
O ! mais ce n'eft pas ainfî que vous Tavez reçtu 

" ' r M I n , I II 11 ji»! y,i..T,.;. .r... îiinr'.f;",::. 


5 C È N E II. 

Figaro fèuL 

J-JA charmante fille ! toujoars riante, verdiflante» 
pleine de gaité, d'efprit , d'amour & de délices! 

mais fage î (il marche vivement en fe frot^ 

tant les mains. ) Àh , Monièigneur ! Mon clier 

Monfeigneur! voras voulez m'en donner 

àgarder ? Je cherchais a;uffi pourquoi m'ayant nommé 
concierge , il m emmené i fon ambailade », Se* 


lo LE MARIAGE DE FIGARO, 

m'établit Courier de dépêches. Tentens, Monfîeur 
le Comte : trois promotions â la fois ; voils , com- 
pagnon Miniflxe j moi, CafTecou politique. Se Suzon, 
£)ame du Ueu , T Ambaflàdrice de poche , 6c puis 
fouette Courier! pendant que je galoperais d'un 
coté , vous feriez faire de Tautre a ma belle un 
joli chemin ! me crottant , m'échinant pour la gloire 
de votre famille; vous , daignant concourir à Tac- 
croillèment de la mienne! quelle douce réciprocité! 
Mais, Monfeigneur, il y a de Tabus. Faire à Londres, 
en mème*tems , les af&ires de votre Maître , & 
celles de votre Valet ! repréfenter , i la fois , le 
Roi & moi , dans une Cour étrangère , c'eft trop 
de moirié , c'eft trop. — Pour toi , Bazile ! fripon 
mon cader! Je veux réapprendre à clocher devant 

les boiteux \ je veux non , di/Kmulons avec 

eux , pour les enferrer Tun par lautre. Attention 
fur la journée , Monfîeur Figaro ! d'abord avancer 
l'heure de votre perite fète, pour époufer plus 
Purement; écarter une Marcelme, ^ de vous 
eft friande en diable \ empocher l'or & les pré- 
fens; donner le change aux pentes paflîons de 
Monfîeur le Comte \ étriller rondement Monfîeur 
du Bazile &..... 


SCENE I I L 

MARCELINE, BARTHOLO, FIGARO, 
Figaro f interrompt. 

.... rl^ÉBÉ , voilà le gros Dodeur , la fète fera 
complette. Hé, bon jour , cher Dodeur de mon cœur» 


ACTE PREMIER. ii 

Eft-<e ma noce avec Suzon qui vous attire au 

château? 

» 

Baktbolo avec dédain. 
Ah 5 mon cher Monfîeur, point du tout. 

F I G A K o. 
Cela ferait bien généreux! 

Bartholo. 
Certainement, & par trop fot^ 

Figaro. 
Moi qui eus le malheur de troubler la vôtre ! 

Bartholo. 

Avez-vous autre chofe à nous dire ? 

Figaro. 

On n'aura pas pris foin de votre mule! 

Bartholo en colère. 

Bavard enragé! laiffez-nous. 

Figaro. 

Vous vous âchez » Doâein:? les gens de votre 
état font bien durs ! pas plus de pitié des pauvres 
animaux • ... en vérité .... que fi c'était des hommes ! 
Adieu, Marceline: avez-vous toujours envie deplaidec 
contre moi? 

Pour n* aimer pas j faut-il qu'on fi haïjje ? 

Je m'en rappone au Doâeur. 

Bartholo. 
Queftce que c'eft ? 


IX LE MARIAGE DE FIGARO, 

Figaro. 
Elle vous U cpfltera .de |:0fte. ( Il /on. ) 

* ■- ^ J.JJ.^.OJt ■|i.lliIIUJ<..IU ..IL ■■ >■ 

SCÈNE IV. 

MARCEX.INE, BAUTHOLO. 

Baktho9o le regarde aller. 

\^ E drôle eft to^'onES Jf mlmel & i nioûiç qu on 
ne 1 ecoiche vif, je prédis qu'il i^^ourra dans la 
peau du plus fier infolent «... 

Marceline/^ retournée 

Enfin vous voilà dçoc, €i;iernel Dodeur ? toujours 
fi grave & compaflc, qu'on pourrait mourir en 
attendant vosfecours, comm€ on sf'eft marié jadis , 
malgré vos précautions. 

Bartholo. 

Toujours ^nière te provoquante! Hé tien, qui 
rend donc ma pré&nce au château (\ aéce^aire? 
Monfîeu^ le Comte a-c41 eu 4|u6l<|ae accident? 

Marcelin E« 

Non, Doâeur. 

Bartholo. 

La Rofine, fa trompeufe Comtefle, eft-elle in- 
commodée, dieu-merci? 


ACTE PREMIER. 13 

Elle lailguic. 

B A R T H O I. O. 

Et de quoi ? 

Marcelin s. 

Son mari k néglige. 

Bartholo ayec joie» 
Ah y le digne époux qui me venge ! 

Marceline. 

On ne fait €6mm;êiit définir le Comte j il eft 
jaloux, ^ libertin. 

Barthoio. 

Libertin par ennui y jaloux par rànité ; cela Ta 
uns dire. 

Marceline. 

Aujourd'hui, par exemple, il marie notre Su- 
zanne à fon tigaro qu'il comble en faveur de 
cette union 

B À R V k o L O; 

/■ 

Qiie Ibh Excefldncé a fendue ùécèiniîte! 

Ma«.cèline. 

Pas ^€«t i, fait; txïés àènt fon Excellence voudra 
égayer en fecret révéncment avec Tépoufée 


14 LE MARIAGE DE FIGARO, 

Ba&tkolo. 

De Monfîeur Figaro ? c'eft un marché qu on peut 
conclure avec lui. 

Makcblinb. 
Bazile afliire que non. 

Ba&tholo. 

Cet autre marauc loge ici ? C*eft une cavemel 
Hé qu y fidr-a ? 

Marceline. 

Tout le mal dont il eft capable. Mais le pis que 
|*y trouve, eft cette ennuyeiuè paffion qu'il a pour 
moi , depuis fi long-tems. 

Bâktholo. 
Je me ferais débarrafle vingt fois de ù. pourfoite. 

M^A R C £ L X N E. 

De quelle manière? 

Bartholq. 
En Tcpoufant. 

Marcelin I. 

Railleur fade & cmeU que ne vous débarralTez* 

vous de la mienne i ce prix ? ne le devez-vous 

pas? où eft le fouvenir de vos engagemens? qu'eft 

Revenu celui de notre petit Emanuel, ce fruit 

%*un amour oublié, qui devait nous conjure ai des 

noces? 


ACTE PREMIER. 15 

Barthouo âtant /on chapeau. 

Efk-Ke pour écouter ces {omettes , que rous m V 
vez fait venir de Scviile ? & cet accès d'hymen 
qui vous reprend iî vif. 

Marceline. 

Eh bien ! n'en parlons plu& Mais fi rien n'a pu 
vous poner i la juftice de m'époufer ^ aidez-moi 
donc du moins à en époufer un autre. 


B A R T H o 


t o. 


Âh ! volontiers : parlons. Mais quel mortel aban^ 
donné du ciel Se des femmes ?. • . • 

Marceline. 

Eh ! qui pourrait-ce être » Doâeur , finon lé 
beau, le gai» Taimable Figaro? 

B A R T H o L o. 

Ce fripon-là? 

Marceline. 

Januus fâché *, toujours en belle humeur ; don* 
nant le préfent à la joie » 6c s*inquiétant de l'ave- 
nir tout auflî peu que du palTé y femiliant» géné- 
reux ! généreux 

B A R T H-O L •« 

Comme un voleur. 

Marceline. 

Comme un Seigneur. Charmant enfin \ mm 
€*cft le plus gtand menftre ! 


,16 LE MARIAGE DE FIGARO, 

Bartholo. 

Et (a Sttzânne ? 

Ma rceline. 

Elle ne l'aurait pas la mfée » û vous voulieE 
in'aider , mon petit Doâeur , â faire valoir un 
engagement que j'ai de loi. 

B A R T H o L o. 

Le jour de fbn mariage ? 

Marge lins. 

On en rompt de plus avancés ? & (i je ne 
craignais d'éventer un petit fecret des femmes !••• 

Bartholo» 
En ont- elles pour le médeda du corps? 

Marceline. 

Ah» vous (avez que je n'en ai pas pour vous ! 
Mon fexe eft ardent , mais timide ; un certain 
charme a belu nous attirer vers le plaifir y la 
femme la plus avanturée fènc en elle une voix 
qui hà dit : fois belle fi m peux » iàge fi tu 
veux ; mais ibis confidérée, il le Êiut. Or ^ puiiqu'il 
faut être au moins confidérée ; que toute £emma 
en fent l'importance ^ effrayons d'abord la Suzanne 
iiir la. divulgation à^s offres qu'oA lui fait. 

Barthoio. 

Où cela menerart41? 

Marceline. 

Qtit la honte la prœoM «u 4j^ii&t, eMe contî^ 


ACTE PREMIER. 17 

nuera de refufer le Comte , lequel pour fe venger, 
appuiera roppodcion que j'ai faite à fon mariage y 
alors le mien devient certain. 

Barthûlo. 

Elle a raifon. Parbleu, c'eft un bon tour que 
défaire époufer ma vieille gouvernante ^ au coquin 
^ui fit enlever ma jeune xnaîtrefTe. 

Makceline, vite. 

Et qui croit ajouter à fes plaijfirs , en crompanc 
tocs elpérances» 

Barthoio, Vite. 

Et qui m'a volé dans le tems ^ cent écus qut 
j'ai fur le cœur. 

Maucelini» 
Âh quelle volupté ! . . . . 

B A R T H O L O. 

De punir un fcélérat. , . . . 

Marceline, 
De répoufer, Doâieur, de lepouftr! « 


^ 


B 


i8 LE MARIAGE DE FIGARO, 


SCENE V. 

MARCELINE, BARTHOLO, SUZANNE. 

Suzanne, un bonnet de femme avec un 
large ruban dans la main, une robe de femme 
fur le bras. 

ij 'Épouser! l'cpoufer ! qui donc ? mon Figaro ? 

Marceline, aigrement. 
Pourquoi non? Vous lepoufez bien! 

Bartholo, riant. 

fc Le bon argument de femme en colère ! noii^ 

parlions, belle Suzon, du bonheur qu'il aura de 
vous polleder. 

Marceline. 

Sans compter Monfeîgneur dont on ne parle 
pas. 

Suzanne, une révérence. 

Votre fervante. Madame; il y a toujours quelque 
cliofe d'amer dans vos propos. 

Marceline, une révérence. 

Bien la vôtre , Madame ; où donc eft l'amer- 
tume ? n'eft-il pas jufte qu'un libéral Seigneur 
partage un peu la pie qu'il procure â fes gen« } 


ACTE PREMIER. 19 

S Û Z A K K £• 

Quil procure? 

Marcëliki. 
Oui^ Madame. 

S U Z A N K 2. 

Heureufement k jaloufie de Madame eft âUfb 
•onnue, que fes droits fur Figaro font légers. 

Marcelin E« 

On eût pu les rendre plus fores y en les cimentant 
à la façon de Madame* 

S « z A K N Eé 

Oh cette façon ^ Madame , eft celle des Dames 
iàvantes. 

Maucslxke. 

Et Tenfant ne l'eft pas du tout! Innocente, 
•omme un vieux juge ! 

BARTtiOLO, attirant Marceline^ 
Adieu, jolie fiancée de notre Figaro. 

Marcbiike, une ràvéremt. 
L'accordée fecrète de Monièigneur. 

Suzanne, une révérence. 

Qui vous eftime beaucoup , Madame. 

Marceline, une révérence. 

Me fera-t-elle auffi l'honneur de me chérir ui| 
peu» Madaiiieî 


lo LE MARIAGE DE FIGARO, 

SuzANNB, une révérence. 

A cet égard. Madame n'a rien à defîrer. 

Marceline, une révérence. 
C'eft une fi jolie perfonne que Madame! 

Suzanne, une révérence. 
Eh mais alTez pour défbler Madame. 

Marceline, une révérence. 

Sur-tout bien refpeâable ! ' 

Suzanne, V une révérence. 
C'eft aux duègnes à l'ctrè. 

Marceline, outrée. 

Aux duègnes ! aux duègnes ! 

Bartholo l'arrêtant. 
Marceline ! 

Marceline. 

Allons , Doâeur j car je n'y tiendrais pas. 
Bon jour. Madame. ( une révérence). 




SCÈNE VI. 

Suzanne, feule. 

J\ L L E z , Madame J allez , Pédante ! Je crains 
audî peu vos efforts, que je méprife yos outrages. -« 


j 


ACTE PREMIER. n 

Voyez cette vieille Sibylle ! parce qu'elle a fait 
quelques études & tourmenté la jeunefle de 
Madame , elle veut tout dominer au château ! 
( elle jette la robe qu'elle tient y fur une chaife.) Je ne 
fais plus ce que je venais prendre. 


sa 


SCENE VIL 

SUZANNE, CHÉRUBIN. 
Chérubin, accourant. 

J\^i Suzon! depuis deux heures j'épie le moment 
<3e te trouver feule. Hélas ! tu te maries , & moi 
je vais partir. 

Suzanne. 

Comment mon mariage éloigne-t41 du château 
le premier page de Monieigneur ? 

Cheruain, piteufement. 
Suzanne , il me renvoie. 

Suzanne le contrefait* 
Chérubin , quelque fottife l 

Chérubin.. 

Il m*a trouvé hier au foir chez ta confine 
Fanchette , à qui je fefais répéter fon petit rôle 
d'innocente , pour la fête de ce foir : il s'eft mis 
dans une fureur, en me voyant! ^-^forte^y m'a-t-il 

dit , petit Je n ofe pas prononcer devanç 

luae femme le gros mot qu'il a dit : forte:^ ; & 


J 


éi LE MARIAGE DE FIGARO, 

demain vous ne couchere^ pas au château» Si 
Madame, (î ma belle maraine ne parvient pas â 
l'appaifer; c*eft fait, Suzon, je fuis à jamais privé 
du îxjnheur de te voir. 

Suzanne. 

•• 

De me voir ! moi ? c eft mon tour ! ce n'eft 
donc 'plus pour ma maîtrefle que* vous foupirez en 
fecret ? 

Chérubin. 

Ah , Suzon , qu'elle eft noble Se belle ! mais 
qu'elle eft impofante ! 

Suzanne. 

C'eft-à-dire que je ne le fuis pas , & qu'on peut 
ofer avec moi 

Chérubin. 

Tu fais trop bien, méchante, que je n'ofe pas oièr. 
Mais que tu es heurcufe ! à tous momens la voir , 
lui parler, l'habiller le matin & la déshabiller le 
foir, épingle à épingle ah, Suzon! je don- 
nerais qu'eft-ce que tu tiens donc U ? 

Suzanne, raillant». 

Hélas, l'heureux bonnçt, & le fortune mba* 
qui renferment la nuit les cheveux de cette belle 
maraine 

Chérubin, vivement p 

Son ruban de nuit ! donne-le-moi , mon cœur. 

» 

Suzanne, /e retirant. 
Eh que non pa? : — Son cœur ! Comme il eft 


ACTE PREMIER. ij 

&mllier donc ! fi ce n'était pas un morveux fans 
confcquence. ( Chérubin arrache le ruban j) ah , le 
mban ! 

Chérubin tourne autour du grand fauteuil. 

Tu diras qu'il eft égaré , gâté j qu'il eft perdu. 
Tu diras tout ce que tu voudras. 

Suzanne tourne après lui. 

O ! dans trois ou quatre ans , je prédis que vous 
ferez le plus grand petit vaurien ! . . . . Rendez- 
vous le ruban ? ( elle veut le reprendre). 

Chérubin tire une romance de fa poche. 

Laifle, ah , laifle-Ie moi , Suzon ; je te donne- 
rai ma romance , & pendant que le fouvenir de 
ta belle maîtreffe attriftera tous mes momens , le 
tien y verfera le feul rayon de joie , qui puiffe 
encor amufer mon cœur. 

Suzanne arrache la romance. 

Amufer votre coeur , petit fcélérat ! vous croyez 
parler à votre Fanchette \ on vous furprend chez 
elle ; & vous fbupîrez pour Madame \ & vous 
m'en contez à moi , par-deflus le marché \ 

Chérubin exalté. 

Cela eft vrai , d'honneur ! je ne fais plus ce que 
je fuis ; mais depuis quelque tems je fens ma poi- 
trine agitée ; mon coeur palpite au feul alpeft 
dWe femme \ les mots amour & volupté le font 
treflaillir & le troublent. Enfin le befoin de dire- 
i quelqu un je vous aime , eft devenu pour moi fi 
preflant , que je le dis tout feul , en courant dans 

B4 


i+ LE MARIAGE DE FIGARO, 

le parc , i ta maîcrefTe , à coi , aux arbres , aux nua** 
ges, au vent qui les emporte avec mes paroles 
perdues. — Hier je rencontrai Marceline, • « • 

Suzanne, riante 
Ah, ah, ah, ah! 

Chérubin. 

Pourquoi non ? elle eft femme ! elle eft fille ! 
une fille ! une femme ! ah que ces noms font doux ! 
qu'ils font intéretlans ! 

Suzanne. 
U devient fou ! 

Chérubin. 

Fanchette eft douce ', elle m écoute au moins j 
tu ne l'es pas , toi ! 

Suzanne. 

C'eft bien dommage j écoutez donc Monfieur ! , 
( Elle veut arracher le ruban* ) 

Chérubin tourne enfuyante 

Ah ! ouiche ! on ne l'aura , vois-tu , qu'avec ma 
vie. Mais , fi tu n'es pas contente du prix , j'y join* 
drai mille baifers. 

( // lui donne chajfe à fon tour. ) 

Suzanne tourne en fuyant. 

Mille foufflets , fi vous approchez. Je vais m'en 
plaindre à ma maîtrefie ^ & , loin de fupplier pour 
vous , je dirai moi-mcme à Monfeigneur : c'eft 
bienfait^Monfeigneur, cbai{èz*nous ce petit voleur j 


j 


ACTE PREMIER. ly 

renvoyez à fes parens un petit mauvais fujet qui 
fe donne les airs d'aimer Madame , & qui veut 
toujours m'embraffer par contre-coup. 

Ch é rubin voit le Comte entrer i il fi 
jette derrière le fauteuil avec effroi* 

J^ fuis perdu. 

Suzanne. 
Quelle frayeur? 

SCÈNE VIII. 

S\3Z.AKNE, LE COMTE, CHÉRUBIN caché. 
Suzanne apper^oit le Comte. 

•*^ H ! ( Elle s* approche du fauteuil pour 

mafquer Chérubin.) 

Le Comte s*avance. 

Tu es émue, Suzon !. tu parlais feule , & ton 

petit cœur paraît dans une agitation bien 

pardonnable, au relie, un jour comme celui-ci, 

Suzanne, troublée. 

Monfeigneur , que me voulez-vous ? Si l'on 
vous trouvait avec moi 

Le Comte. 

Je ferais défolé qu'on m'y furprît; mais tu 
fais tout l'intérêt que je prens à toi. Bazile ne t'a 
pas laiflfé ignorer mon amour. Je n'ai qu'un inftant 
pour t'expliquer mes vues j écoute. ( Il s*ajjied 
dans le fauteuil }. 


i< LE MARIAGE DE FIGARO, 

Suzanne, vivement. 
Je n'écoute rien. 

Le Comte lui prend la main* 

Un feul mot. Tu fais qa^ le Roi m'a nommé 
fbn ambafïadeur à Londres. J'emmène avec moi 
Figaro : je lui donne un excellent pofte j & comme 
le devoir d'une femme e(t de fuivre fon mari...*». 

S u z A N N £• 

Ah , fi j'ofais parler ! 

Le C o m t e /tf rapproche de lui. 

Parle , parle , ma chère \ ufe aujourd'hui d'u« 
droit que m prens fur moi pour la vie. 

Suzanne, égayée. 

Je n'en veux point , Monfelgneiu: , je n'en veux 
point. Quittez-moi , je vous prie. 

Le Comte. 
Mais dis auparavant. 

Su zANNE,e/2 colère» 
Je ne fais plus ce que je difais. 

L E C O M T E. 

Sur le devoir des femmes. 

Suzanne. 

Eh bien ! lorfque Monfeigneur enleva la fienne 
de chez le Doûeur , & qu'il l'épôufa par amour; 
Icrfqu'il abolit pour elle un certain a&eux droit 
du Seigneur. • * • • 


> 


ACTEPREMIER. xf 

Lb Comth, gaiment. 

Qiii fe&it bien de la peine aux fiHes ! ah 
Suzette ! ce droit charmant ! Si m venais en jafer 
fur la brane au jardin , je mettrais un tel prix i 
cette légère faveur. . . . 

B A z I L £ parle en dehors. 
Il n'eft pas chez lui , Monfe^eur. 
Le CoMTsyS teye. 
Quelle eft cette voix ? 

S U ' z A N N 1. 

Que je fuis malheureufe ! 

L 1 C O M T !• 

Sors , pour qu'on n*entre pas, 

Suzanne, troublée. 

Que je vous laifle ici ? 

B A z I L £ crie en dehors^ 

Monfeigneur était chez Madame ,.il en eft forns 
je vais voir. 

Le Comte. 

Et pas un lieu pour (e cacher ! ah ! derrière ce 
fauteuil..... aflfez mal ; mais renvoie -le bien vite* 

Suzanne, lui barre le chemin^ il la poujfe 
doucement j çlle recule ^ & fe met ainfi entre lui 
& le petit Page; mais pendant que le Comte 
s'abaijffe & prend fa place j Chérubin tourne & fe 
jette effrayé fur le fauteuil à genoux ^ & s'y 
ilottit. Sur^anne prend la robe quelle apportait^ 
en couvre le Page ^ & fe met dcvaàt le fauteuil. 


18 LE MARIAGE DE FIGARO, 


SCENE IX. 

LE COMTE & CHÉRUBIN cachés, 
SUZANNE, BAZILE. 

B A Z I L £• 

^J 'auriez -VOUS pas vu Monfeigneur, Ma* 
demoifelle ? 

Suzanne, brufquenienu 

Hc pourquoi laurais-je vu ? Laiflèz-meu 

B A z I L £ s^approche. 

Si vous ^tiez plus raiibnnablq , il n'y aurait rien 
d cconnant à ma queftion. C'eft Figaro qui le cherche^ 

Suzanne. 

II cherche donc l'homme qui lui veut le plus do 
mal après vous ? 

Le Comte, à pan. 

Voyons un peu comme il me fert. 

B A • z I L E. 

Defîrer du bien à une femme, eft-ce vouloir du 
mal à fbn mari ? 

Suzanne. 

Non, dans vos affireux principes , agent de 
corruption. 


ACTE PREMIER» i^ 

B A Z I L !• 

Que vous demande -t- on ici que vous n'allies 
prodiguer à un autre ? grâce â la douce cérémonie, 
ce qu on vous défendait hier , on vous le prefcrin 
demain. 

S xr z A N N £• 

Indigne ! 

B A Z I t E« 

De toutes les chofes férieufes , le mariage étant 
la plus boufonne , j'avais penfé 

Suzanne outrée. 
Des horreurs. Qui vous permet d'entrer ici ? 

B A Z Z L £• 

La , la 5 mauvaife ! Dieu vous appaife ! il n*ent 
fera que ce que vous voulez : mais ne croyez pas 
non plus que }e regarde Monfieur Figaro comme 
lobfecle qui nuit à Monfeigneur ; & fans le petit 

P^e 

Suzanne, timidement. 

Don Chérubin ? 

B A z I L £ Az contrefait. 

Cherubino di amore j qui tourne autour de vous 
fans ceflfe, & qui ce matin encor, rôdait ici pour 
j entrer , quand je vous ai quittée j dites que 
cela n'eftpas vrai? 

Suzanne. 
Quelle impgfture! allez-vous-en , méchant homme ! 


chérubin 
dans le 
fàutciuU 

Le Comte* 

Suzanne* 

BttiU. 


%f> LE MARIAGE OE FIGARO, 

B A Z I L !• 

On efl: un méchant homme, patce qu'on f 
voit clair. N'eft-ce pas pour vous auifi cette romance 
dont il fait myilère? 

Suzanne^ M colirt^ 
Ah! oui, pour moi ! • • • • 

B A Z I 1 £• 

A moins qu'il ne Tait compofée pour Madame ! 
en effet , quand il fett à table on dit qu'il la regarde 
avec des yeux!. .. • mais peûe, qu'il ne s'y joue pas ; 
Monfeigneur eft brutal fur rarticle. 

Su ZAKKE, outne. 

Et vous bien fcclérat , d'aller femant de pareils 
bruits pour perdre un malheureux enfant tombé 
dans la diigrace de fon maître* 


B A z 


ILS. 


L*aî-je inventé? Je le dis, parce que tout le 
monde en parle* 

Le C o u t z fe lève* 

Comment tout le monde en parle ! 

Suzanne* 


Ah ciel ! 


Ha, ha! 


B A z I L 1* 
L E C 6 M T E* 


Courez Ba;Eile > & qu'on le chaflê. 


\ 


ACTE PREMIER. $i 

B A Z I L £. 

Ah , que je fuis fâché d'être entré ! 

Su ZANNE, troublée. 

Mon dieu ! Mon dieu ! 

Le Comte, <î Ba:[ile. 

Elle eft faille. Afïeyons-Ia dans ce fauteuiL 

SuzANNi/tf repoujfe vivement. 

Je ne veux pas m'afTeoir, Entrer ainfî librement , 
c eft indigne ! 

L É C G M T E. 

Nous ibmmes deux avec toi , ma chère. Il n y 
t plus le moindre danger ! 

B A z I L E. lo, —; 

Moi je fuis défolé de m'ctre égayé fiu: le Page , "^ " 

puifque vous l'entendiez^ je n'en ufais ainfî, que 
poar pénétrer fes fentimens ; car au fond 

Le Comte. 

Cinquante piftoles , un cheval , & qu'on le rea^ 
voie à les parens. 

B A z I L £. 

Monfeigneur , pour un badinage 2 

Le Comte. 

Un petit libertin que j'ai furpris encor hji$x 
ayec la fille du jardinier. 



Suzanne. 

Chérubin 
dans U 
fauteuil* 

Le Comte» 
Bazile» 


)i LE MARIAGE DE FIGARO, 

Bazile, 

Avec Fanchette? 

Le C o m t I» 

£t dans fa chambre. 

Su zANN E5 outrée. 
Où Monfeigneur avait fans douce affaire au(G ! 

Le C o X£ t ^ygàUncnt. 
J'en aiime aflez la remarque. 

B A Z I L ^« 

Elle eft d'un bon augure. 

Le C g m t E) gaîmènu 

Mais non ; j'allais chercher ton oncle Antonio » 
inon ivrogne de jardinier , pour lui donner des 
ordres. Je frappe , on eft long^tems à m'ouvrir y 
ta confine a l'air empêtré , je prens un foupçbn , 
je lui parle, &, tout en caufant, j'examine. Il y 
avait derrière la porte une efpece de rideau , de 
porte -manteau , de je ne fais' pas quoi , qui cou- 
vrait des hardes j fans faire femblant de rien , je 
vais doucement, doucement lever ce rideau, (pour 
imiter le gejle il levé la robe du fauteuil^ ) Et je 
vois. ... // apperfoit le Page. Ah ... . 

Bazile. 
Ha ) ha ! 

Le Comte. 

Ce tour - ci vaut l'autre. 

Bazile. 


ACTE PREMIER. jj 

B A Z X I S. 

lEncor miçux. 

Le Cokti)^ Sitianïièé 

A merveilles , Mademoifelle : à peine fiancéa 
Vous faites de ces aprccs ? C'était pour recevoir raqn 
Page que vous defiriez d'être feule ? Et vous , 
MonfieuîTi, qui ne changez point de conduite ; il 
vous pnanquait de vous adreflfer fans refped: pour 
votre maraine , à fa première camarifte , a la 
femme de votre ami ! mais je ne fouSftVirai pas qUa 
Figaro ^ qu'un homme que j'eftime, & que j'aime, 
foit viâime d'une pareille tromperiç: était -i^aveC 
Vous , Bazile ? 

S n i A N N É outrée^ 

Il n'y a troriiperie , ni vKÏime J il était là lorfqu© 
vous me parliez^ 

IL E C 6 M T B emportée 

Puifle-tù mentir en lé difant! fon plus çïttçl 
ennemi n'oferait lui fouhaiter c$ Inàlheut^ 

S U 2 À N k Éé 

II mç priait 4*fengager Kladamè à vous de- 
mander fa grâce/ Vbtre arrivée l'a fi fott ttoublé | 
qu'il s'eft mafqué de ce fauteuil* 

L ^ C 6 ù T % tn tolètâi 
tCufe d'enfer! je m*y fuis afiis en entr^Ci 

H^la8>Monfeîgnéur, j'étaijttemblant derrle». 


J4 LE MARIAGE DE HtSARÔ, 

V L B C O M T E. 

Autre fourberie ! je viens de m y placer mùi* 

même. 

Chérubin. 

Pardon , mais c'eft alors que je me fuis bloctî 
dedans. 

*L E Comte plus outré. 


C'eft donc une couleuvre , que ce petit. • . • • 
ferpent U ! il nous écoutait ! 

Chérubin. 

Au contraire , Monfeigneuf , j'ai fait ce que j'ai 
pu pour ne rien entendre* 

Le Comte. 

O perfidie ! (à Suzanne.) Tu n cpôuferas pâi 
Figaro. 

B A Z I L £. 

Contenez-vous > on vient. 

Le Comte, tirant Chérubin du fauttusi 

& le mettant fur fis pieds ^ 

H rcfterait-là devant toute la terre! 


n 


. ,'ACT"E PltÉMIER. ,) 
SCÈNE X. 

CHÉRtîBlN, SUZANNE, FIGARO, 

LA COMTESSiE» LE tOMTE, 

ÏANCHETTE» BA21LE. 

Beaucoup de Valets v Payfannés ^ Pa;^^ vlnn 

de blancfc 

F I G A !i ô ) tenant une toque de femme » garnie dt 
plumes blanches & de tuions blancs f parle à 
là ComteJfe% 

It n'y à que vous, Kladàme» (^ui puUHet nou; 
cbtenit cette faveur. 

La CoMttssx% 

Voû$ les veyé2 » Monfîeut le Comte » îk m« 
fn^^fent un crédit que }e n'ai point t mais commf 
leur demande n'efl: pas déraiibnnable ... * 

L t C o M T s embatrajfé. 
Il faudrait qu elle le fôt beaucoup. 

IF 1 o A R 05 bas à Sm^anne. 
Soutiens bien mes efforts» 

Su2AKi9£ bas à FigarOé 
Qui ne mèneront si rien» 

F t c A R o foc* 
Va touioocs» 


» è « • • 


!^6 LE MARIAGE DE FIGARO^ 

Li C o u T M, i Figaro. ^ 

Que voulez-vous? 

'Figaro» 

Monfeigneur , vos vaflaux touchés de 1 aboUnon 
(d'un ceifain droh fâcheux , que votre amour pour 
Madame • • • • 

L' B Comte. 

Hc bien , ce droit n'exifte plus > que veux-tu dire? 

Figaro malignement. 

Qu^ïl eft bien tems que la vertu d'un Ci hotï 
maître cclattej elle m'eft d'un tel avantage au- 
jourd'hui y que je deiîre être le premier à la celé* 
l?rer à mes noces. 

L B C o M T B, plus embarrajfé* 

Tu te moques , ami ! l'abolition d'un droit hon* 
l$ux > n'eft que l'acquit d'une dette envers l'hon-* 
çèteté.UnEipagnol peut vouloir conquérir la beauté 
par des foins ^ mais en exiger le premier, le plus 
doux emploi , comme une fervile redevance ; ah' 
c'eft la tyrannie d'un Vandale j &non le droit avoué 
d'un npble Caftillan. 

Figaro tenant Siqanne par ta main» 

Pei 

votre 

main publiquement , la toque virginale , ^ 

plumes & de rubans blancs, fymbole de lapuireté 
de vos intentions : : — adoptez-en la cérémonie pour 
tous les mariages, &qu^un quatrain chante en chœoTji 
rappelle à jamais le fpuvenir • • • • ^ 


À C T E P R É M I E R. 37 

L 1 C o M T B embarrajjé. 

Si je ne favais pas gu'amoureux» pocce & muC-^ 
cien ioni trois titres aindulgence pour toutes le» 
folies • . • • . 

Figaro. 

Joignez-vous i moi , mes amis. 

Tous tnfcmhU. 
Monfeigneur! Monfeigneur! 

S u z A N N i.^ au Comte.' 
Pourquoi fuir un éloge que Vous méritez fi bien? 

Li CoMTiâ part. 

La perfide! 

Figaro. 

Regardez-la donc, Monfeigneur^ jamais plus 
jolie fiancée ne montrera mieux fa grandeur de votrt 
£icrifice. 

Suzanne 

LaifTe-U ma Bgure , & ne vantons que fa vertu* 

L B C o M T E, 4 part. 
C'efl un jeu que tout ceci. 

La Comtbssb. 

Je me joins â eux, Monfîeur le Comte; ic cette 
cérémonie me fera toujours chère , puifqu'elle doit 
(on motif à l'amour charmant que vous aviez pour moi» 

C3 


|8 LE MARIAGE DE FIGARO, 

L 1 Comte. 

Que j*ai toujpurs» Madame y Se c'eft à ce mro 
ijue je me lenàs, 

Touf enfembUm 
Vivat. 

Le C o u t ty^ à pan^ 

Je fuis pris \ ( haut)* Pour que la cérémonie eue 
un peu plus d'éclat, je voudrais feulements qu'on 
la remît à tantôt, ( à fart. ) FefoQS vitç cherchée 

Figaro» 4 Chérubin^ 
£H bien EijHègle! voua n applaudirez pas? . 

S U ?: A N M E. 

Il eft au dcfefpoir \ Monfeigneur le renvois» 

La Comtesse. 
Ah ! Monfieur, |e demande fa grâce» 

L s C o X T Et 

Il pe la mérite point 

La Comtesse. 
Hélas I il eft fi jeune ! 

Le Comte. 
Pas tant quç vous le croyez. 

Chérubin tremblante 

Pardonner généreufement, n*eft pas le droit du 
Seigneur auquel vous avez renoncé en épouiknE 
Madame. 


ACTE PREMIER. 59 

La Comtbsse. 

II n a renoncé qu a celui qui vous' affligeait tous» 

S T7 Z A N N £• 

Si Monfeigneur avait cédé le droit de pardonner, 
ce ferait sûrement le prenii^r qu'il voudrait racheter 
en fecret. 

Le C g m t I embarrajfé. 

Sans doute. 

La C o m .t e s s £. 
Eh pourquoi le racheter? 

Chérubin, âi;^ Comte. 

Je fus léger dans ma conduite, il eft vrai , Mon- 
feigneur ; mais jamais la moindre indifcrétion dans 
mes paroles • • • • 

Le Comte cmbarrajfc. 
Eh bien, c'eft adèz .... ^ 

F I G A K o. 

Qu*entend-il? 

Le Comte vivement. 

C'eft aflez, ceft aflez, tout le monde exige fon 
pardon, je l'accorde , & j'irai plus loin. Je lui donne 
pne comp^çie dans pia légion. 

Tous enfimble. 
Vivat. 

Le Comte. 

Mais c'eft à con4îpî<^.n qu'il panira fur le champ ^ 
pour joindre en Catalogne* 

C4 


•4e LE MARIAGE DE ÏÏGAROi 

Figaro. 
Ah! Monfeigneor, demain. 

Le Comte injifte^ 
Jç le vQuxi. 

CHikÛBJtK^ 

J'obcist 

L 1 Comte. 

Saluez votre maraine, & deiçandez faproteâîotK 

Ch^Hubih, met un genou en terre > 
devant la Cofnteffe y & ne peut parlepi. 

L. A CoMTBSs. E émue% 

Puifqtfon ne peut voiM gardet feuktoent au- 
jo&xd'hmy partez^ feune homme. Un nouvel .état 
vous appelle ; allez le remplir dignement. Honorea 
votre bienfaiteur. Souvenez-vous, de cette maifbn y 
où votre jeuneflTe a trouvé tant d*indulgence. Soyez 
fournis y honnête & brave; nous prendrons pait i 
}tQ^ikcccs»{Qicr^iinJe relève^ & retourne à fa place. ^ 

Le C o m t £« 

Vous êtes bien émue^ Madame { 
La C û m t s s s Et 

Je ne m*en dépens pas. Qui fait le fort d^m enfàntf 
jette dans une carrière auffi dangereufe ! il eft allié 
de mes parens; Sç de plus > il eft mon filleul. 

Le Cômte^^ pan. 

Je vois que Bazile avait raifoA. ( haut. ) Jeune 
h^mme^ embr^ifez. Suaçanne • • . « pour la demi^rç 
fois, 


ACTE PREMIER. 4»' 

Figaro. 

Pourquoi cela, Monfèîgneur ? il viendra pafïef fes 
hivers. Baife-moi donc aullî Capitaine! fi/ l^embraffc) 
Adieu, mon petit Chérubin. Tu vas rtiener un train 
de vie bien différent , mon enfant : dame ! ta ne 
rôderas plus tout le jour au quartier des femmes : 
plus d*échaudés, de goûtés à la crème; plus de main 
diaude , ou de cplin-maillard. De bons foldars , 
morbleu ! bazanés , mal vêms ; un grand fufil bien 
lourd \ tourne à droite, toi^ne à gauche, en avant, 
marche à la gloire \ &c nt va pas broncher en 
chemin j^ â moins qu!un bon coup de feu«..^ 

• SUZANNS* 

Fi donc, Thorreur! 

La C q'm t s s s I4 
Quel pronoftic? 

L E C O M T ï. 

.OÙ donc eft Marceline? il fft bien fingulîer qu'elle 
ne fpit pas des vôtres J 

Fanchette. . 

Monfeigneur, elle a pris le chpmin du Booi^ « 
par le petit fentier dé fa Ferme. 

Le C b m t b^ 
Et elle en reviendra ? 

B A Z I L E. 

Quand il plaira à Dieu. 


•- • • 


/ 


4* LE MARIAGE DE FIGARO, 

Figaro. 
S'il lui fi^i&it qu'il ne lui plût jamais . 
Fanchette. 

Monfieur le DoAeur lui donnait le bras. 

L s C o M T B vivement. 
Le Doâeur eft ici ? 

B A Z I L E* 

Elle s*m eft d'abord emparé , • • • • 

Le C o ut ij jà part. 
U ne pouvait venir plus à propos. 

Fahchette. 

Elle avait l'air bien échauffê, elle parlait tout haut 
en marchant > puis elle s'arrêtait , & fefait comme 
çâ^ de grands bras... & Monfieur le Doâeur luifefaic 
comme çâ, de la main, en l'appaifant : elle paraiflait 
fi courroucée ! elle nommait mon couiin Figaro. 

Le Comte lui prend U menton. 
Coufin .... futur. 

Fakchette montrant Chérubin. 
Monièigneur, nous avez^'vous pardonné d'hier?. • 

Le Comte interrompt^ 
Bon jour, bon jour, ip^tke. 


ACTE P R E M I E R, 41 

F t G A R O. 

Ccft fon chien d'amour qui la berce j elle am 
ïait trouble notre fètei 

Lb^ Comte, à paru 

Elle la troublera )e t'en répons* {haut.) kWom ^ 
Madame, entrons, Bazile* vous paflèrez chez xnou 

Sir'zAMKE^ à Figaro. 

Tu me rejoindras, mon fils ? 

Figaro bas à Siqawte* 
Eft-il bien enfila ? 

S u z A K H s ias^ 
Charmant garçon» 


(Ilsfomnt tous^) 


^ 


9 


44 LE MARIAGE DE FIGARO, 


SCENE XI. 

CHÉRUBIN, FIGARO, BAZILE. 

P4mdamt^u*on fort ^ Figcato les arrête tous deux jg 

les ramené. 

Figaro.^ 

j\ H çà. Vous autres ! la cérémonie adoptée, ma 
fète de ce foir en eft la fuite; il faut bravement 
nous recorder : ne fefons point comme ces Aâeurs , 
^pii ne Jouent jamais (i mal que le jour où la criti- 

3ae eft le plus éveillée. Nous n avons point de len- 
enuûi qui nous excofe , nous. Sachons bien nos 
tôles aujourd'hui. 

B A z I L £ malignement. 
Le mien eft plus difficile que tu ne crois. 

F I A R o> fefant , fans qu*il le voie , le 

gejle de le roffen 

Tu es loin auffi de favoir tout le fuccès qu'il tC| 
taudra. 

Chérubin. 
Mon ami , tu oublies que je pars. 

Figaro. 
Et toi ^ (u voudrais bien refter! 


ACTE PREMIER. 43 

C H 4 A U 1 I K. 

Àh! fi je le voudrais! 

Figaro. 

Il faut nifen Point de murmure si ton départ* 
Le manteau de voyage à l'épaule \ arrange ouver- 
tement ta troufTe , St qu'on voie ton cheval à la 
grille^ un tems de galop Jufau'à la Ferme; revient 
A pied par les derrières \ Monleigneur te croira parti; 
tiens-toi feulement hors de fa vue; je me charge 
de Tappaifer après la fète* 

CniRUBiK. 
Mais Fanchette qui ne fait pas fon rôle! 

Basile* 

Que diable lui apprenez-vous donc , depuis hiut 
fours y que vous ne la quittez pas? 

Figaro. 

Tu n*as rien si faire aujourd'hui » donne-lui par 
grâce une leçon. 

B A Z I I. È. 

Prenez garde, jeune homme, prenez garde! le 
père n'eft pas fatisfait j la fille a çté foùfflettée; elle 
n'étudie pas avec vous : Chémbin ! Chérubin ! vous 
lui cauferez des chagrins ! tant va la cruche à ttau i . . « 

Figaro. 
Ah! voiU notre imbécile » avec fes vieux pre« 


^ LE MARIAGE DE flGARO, 

Verbes ! He bien , pédam ! que dit la Êigefle det 
Aadons? tcait va la cruche à tcau^ qu*à4a fiiié^m 

B A Z I L E* 

Elle s'emplit. 

F I G A K o en s*tn allante 
Pu ù bète^ pourtant^ pas fi bete! 


Fin du premier AcU* 



.r^ /.■ t.ifrat, ,.- (e h.er.u . Tuei-V clou.- ^ 


J 


îl C T E SECOND. 47 


axuau Mxnistiixzzuazi 


h 


ACTE SECOND, > 

Z€ théâtre repréfente une chamhre à coucher 
faperbe , un grand lit en alcôve , une 
ejlrade au-tlevant. La porte pour entrer 
s'ouvre &fe ferme à la troijième couliffk 
a droite ^ celle dtun cabinet^ à la pre^- 
miere coulijfe abouche. Utie porte dans 
' le fond j va che:^ les femmes^ Une fenêtre 
s'ouvre de Vautre côté. 


ji ... ■ 


SCÈNE PREMIER E. 

SUZANNE, LA COMTESSE entrent 

• jpar îa porte à droite. 

LaComtessb/^ jette dans une bçrgcre* 

• • • X ** ■ 

F B R M £ la porte » Suzanne , 6c cohte-moi coût , daoi 
le plus grand décaiL * - ^ 

•S A; 2 A N N' B*. 

Je Yiû rien caché i Madame# ^ v 

La C o m t b s s b« 
Quoi 9 Suaeon, U roulait te féduitt? ^ 


4t LE MARIAGE DÉ FÏGAKÔ^ 

S Û Z À N K I.' 

Oh que non. Monfeigneur n'y met pas tatit <I<i^ 
façoh avec fa fervance : il voulait m'acneter. 

La Comtesse» 
Et le petit Page était prélent ? 

S U 21 A N N E. 

C eft-à-dire y caché derrière le grand faiiteuUi; 
II venait me prier de vous demanaer ù, grâce. 

La Comtesse. 

Hé pourquoi ne pas s'adrelTer à moi-^mcme j eft- 
cè que je lauraiis reTufé, Suzon^ 

w 

s Ù z A K i* Éi 

C'eft ce que j ai dit: mais fes regrets de partît, 
& fur-tout de quitter Madame! Ah SîC(on ^qu'elle 
cfi nàhle & betU ! mais quelle eft impofanu\ 

La Comtesse» 

E(l-<:e que f ai cet air-là , Suzon ? moi qui l'ai 
toujours protégé. 

Suzanne. 

Puis il a vu votre ruban de nuit que je tenais i 
il s*eft jette deflfus.. , 

La Comtesse fourimU 

Mon rub^? * .,. . quelle enfance? 

Suzanne* 

jTaî voulu le lui qter j Madam,e, c'était un lion; 

fes 


ACTE SECOND. 49 

îés yeuK brillaient * • ... tu ne l'auras qu'avec ma 
vie , difait-il ^ en forçant fa petite voix douce Se 
grêle. 

La Comtssse rêvant. 

Eh bien, Suzon? » 

S U Z A N N £. 

Eh bien , Madame , eft-ce qu on peut faire finit 
ce petit démon là ? ma mariaine par-ci j je voudrais 
bien par l'autre ; & parce qu'il n'oferait feulement 
baifer la robe de Madame , il voudrait toujours 
m'embraflfer moi. 

La Comtesse rêvant. 

Laillbns laiflbns ces folies .... Enfin , ma 

pauvre Suzanne , mon époux a fini par te dire ? 

Suzanne. 

Que fi je ne voulais pas l'entendre, il allait pro- 
icger Marceline. 

La CoMTESSEyi lève &fe promené^ enfefer" 

vont fortement de réventaïL 

Il n« m'aime plus du tout. 

Suzanne* 

Pourquoi tant de jaloufie ? • 

La Comtesse. 

Comme tous les maris , ma chère ! uniquement 
par orgueil. Ah je l'ai trop aimé ! je l'ai lafle de 
mes tendreflfes , & fatigué de mon amour j voilà 
mon feul tort av«c lui : mais je ^'encens 


50 LE MARIAGE DE FIGARO, 

pas que cet honnête aveu te nuife , & ta cpou- 
feras Figaro. Lui feul peut nous y aider : viendra- 

t-il? 

Suzanne. 

Dès qu'il verra partir la chafle. 

La Comtesse fefirvant de V éventail. 

Ouvre un peu la croifée fur le jardin. Il fait une 
chaleur ici ! • • • • 

Suzanne. 

C'eft que Madame parle & marche avec a£tion. 
(Elle va ouvrir la croifée du fond), 

La Comtesse rêvant long- tems. 

Sans cette confiance à me fuir • • • • les hommes 
font bien coupables! 

Suzanne crie de la fenêtre. 

Ah ! voilà Monfeigneur qui traverfe à cheval le 
grand potager, fuivi de Pédrille , avec deux, trois > 
quatre lévriers. 

La Comtesse. 

Nous avons du tems devant nous. ( £//e j*a//?^</. ) 
On frappe , Suzon ? 

^ Suzanne court ouvrir en chantant. 
Ah, c'eft mon Figaro! ah, c'eft mon Figaro ! 


ACTE SECOND. 51 



vr 


Ul^ 


S C E N E I L 

RO , SUZANNE, LA COMTESSE ajfîfi. 
Suzanne. 


ON cher ami! viens donc. Madame eft dans 
impatience ! . . . . 

Figaro. 


j :*=^^t toi, ma petite Suzanne? — Madame n'en 
,> ^"^r prendre aucune. Au fait , de quoi s agit-il ? 
^ ^■"•^ ^•^^^e riiifère. Monfieur le Comte trouve notre jeune 
^ .^^^^>- xne aimable , il voudrait en faire fa maîtrelTe j 
" ^cir'eft bien naturel. 

Suzanne. 
^^^aturel? 

Figaro. 

çj^ X\iis il m'a nommé courier de dépêches, & 
^^^on confeiller d'ambaflade. Il n y a pas là 
^ ^tourderie. 

Suzanne. 
TTu finiras ? 

Figaro. 

Et parce que Suzanne ma fiancée n'accepte 

P^s le diplôme , il va favorifer les vues de Mar- 

^^linej quoi de plus fimple encor? fe venger de 

Ceux qui nuifent anos projets enrenverfant les leurs ; 

c'^ft ce que chacun fait \ ce que nous allons fairo 

ïious mêmes. Hé bien , voilà tout pourtant. 

D z 


51 LE MARIAGE DE FIGARO, 

La Comtesse. 

Pguvez-vous, Figaro, traiter fi Icgcremeat un 
deilèin qui nous coûte i tous le bonheur ? 

Figaro* 
Qui dit cela , Madame ? 

Suzanne. 
Au lieu de t affliger de nos chagrins 

Figaro. ^ 

N*cft-ce pas aflez que je m'en qccupe? Or, 
pour agir auflî méthodiquement que lui , tempérons 
d'abord, fon ardeur de nos pofleffions, en l'inquiétant 
fur les fiennes. 

La Comtesse. 
^ C'eft bien dit j mais comment ? 

Figaro. 

C'eft déjà fait , Madame y un faux avis detutc 
ilir yods. .... 

La.Comtesse. 

a 

Sur moi! la tète vous tourne! 

Figaro. 
O ! c'eft i lui qu'elle doit tourner. 

La Comtesse. 

Un homme aufli jaloux!.... 

Figaro. 
Tant mieux : pour tirer parti des gens de ce 


r 


ACTE SECOND. 55 

caradcre , il ne faut qu'un peu leur fouetter le fang ; 
c'eft ce que les femmes entendent fî bien ! Puis 
les tient-on fâchés tout rouge j avec un brin d'in- 
trigue on les mené où Ton veut , par le nez « 

I dans le Guadalquivir. Je vous ai fait rendre à 

Bazile un billet inconnu, lequel avertit Monfeî- 
gneur , qu'un galant doit chercher à vous voir 

> aujourd'hui pendant le bal. 

La Comtesse* 

Er vous vous jouez ainfî de la vérité fur le 
compte d'une femme d'honneur., •*•.. 

Figaro» 

Il y en a peu. Madame, avec qui je Teufïb 
©fé , crainte de rencontrer jufte. 

La Comtesse* 

n faudra que je l'en remercie ! ^ 

Figaro. 

Mais dites -moi s'il n'eft pas charmant de lui 
"^oir taillé fes morceaux de k journée , de façon 
qu'il pafTe à rôder , à jurer après fa Dame , le 
tems qu'il deftinait à fe complaire avec la nôtre ! 
il eft déjà tout dérouté: galopera- t-il celle-ci? 
furveillera-t-il celle-là ? dans fon trouble d'efprir , 
tenez , tenez , le voilà qui court la plaine , & force 
un lièvre qui n'en peut mais. L'heure du mariage 
arrive en pofte ; il n'aura paslpris de parti contre j 
& jamais il n'ofera s'y oppofer devant Madame. 

Suzanne. 

Non; mais Maifeëlinei le bel efprit^ ofera le 
Êdie. ette. 


54 LE MARIAGE DE FIGARO> 

Figaro. 

Brrrr. Cela m*inquiète bien > ma foi ! Tu feras 
dire à Monfeigneur^ que tu te rendras fur la 
brune au jardin. 

Suzanne. 
Tu comptes fur celui-là ? 

Figaro. 

O Dame ! écouter donc ; les gens qui ne veulent 
rien faire de rien, n'avancent rien, & ne font 
bons à rien. Voilà mon mot. 

V 

Suzanne. 
Il eft joli ! 

La Comtesse. 

Comme fon idée : vous confentiriez qu'elle s'y 
rendît ? 

Figaro. 

Point du tout. Je fais endolïèr un habit de 
Suzanne à quelqu'un : fiirpris par. nous au rendez- 
vous , le Comte pourra-t-iî s'en dédire ? 

Suzanne. 
A qui mes habits ? 

Figaro. 
Chérubin. 

La Comtesse 

- Il eftpard. 

Figaro. 

Non pas pour moi : veut-on me laiiler faire ? 


A C T E s E G O N D. 55 

S U- Z A N N £• 

On peut s'en fier a lui pour mener une intrigue. 

Figaro. 

Deux 5 trois , quatre à la fois ; bien embrouillées, 
qui fe croifent. J étais né pour être courtifan. 

Suzanne. 
On dit que c'eft un métier fî difficile ! 

Figaro. 

Recevoir, prendre , & demander ; voilà le 
fecret en trois mots. 

La Comtesse. 
Il a tant d'afTurance , qu'il finit par m*en infpirer. 

Figaro. 
C'eft mon deffein. 

S U Z A N N £.« 

Tu difais donc? 

Figaro. 

Que pendant l'abfence de Monfeigneur , je vais 
vous envoyer le Chémbin : cocfFez-le , habillez-le ; 
ie le renferme & Tendoéhrine j ôc puis danfez , 
Monfeigneur. (Il fort). 


D4 


5if LE MARIAGE DE FIGARO, 


SCENE III. 

SUZANNE, LA COMTESSE affifc 
La Comtesse, tenant fa boetc à mouches. 

JVl ON cfieu, Suzon, comme je fuis faite!.. •• ce 
jeune homme qui va venir! ••• 

Suzanne. 
Madame ne veut donc pas qu'il en réchappe ? 

La Comtesse rêve devant fa petite glace. 
Moi } .... tu verras comme je vais le gronder. 

Suzanne. 

Fefons - lui chanter fa romance. ( EUc la met 
fur la Comtejfe. ) 

La Comtesse. 

Mais, c'eft qu'en vérité , mes cheveux font dans 
un défbrdre 

.Su z A N N E riant. 

Je n'ai qu'à reprendre ces deux boucles. Madame 
le grondera bien mieux. " 

La Comtesse revenant à elle. 
Qu*eft-cc que vous dîtes donc, Madcmoifellc? 


ACTE SECOND. 57 


SCENE IV. 

C H É R U B I N , /'^ir honteux^ SUZANNE, 
LA COMTESSE t^ffife. 

Suzanne. 

rir NT RE z , Monficur rOfficier \ on eft vîfible. 

.Chérubin avance en tremblant. 

Ah, que ce nom m'afflige. Madame ! il m*appren<i 

qu'il faut quitter des lieux une maraine fi . . . 

bonne!.... 

Suzanne. 

Et fi belle l 

Chérwbin, avec un foupin 
Ak ! oui. 

Suzanne le contrefait. 

Ah! oui. Le bon jeune homme ! avec fes longues 
paupières hypocrites. Allons, bel oifeau bleu, chantez 
la romance a Madame. 

La Comtesse /a déplie. 
De qui .... dît-on qu'elle eft ? 

Suzanne. 

Voyez la rougeur du coupable : en a-t-il un pied 
fur les joues ? 


chérubin. 
la Comreflè. 
Suzacne. 


58 LE MARIAGE DE FIGARO, 

Chérubin. 

Eft-ce qu'il eft défendu... de chérir 

S u 2 A N N E /tti met le poing fous le ne:(. 
Je dirai tout , vaurien ! 

La Comtesse. 

Là chante-t-il ? 

Chérubin. 
O ! Madame , je fuis fi tremblant !. . . . 

Suzanne en riant. 

Et gnian, gnian, gnian, gniàn, gnian, gnian, 
gnian ; dès que Madame le veut , modefte auteur ! je 
vais l'accompagner. 

La Comtesse. 

Prens ma guittare. ( La ComteJJe ajfife , tient le 
papier pour fuivre. Sw^anne eft derrière fon fauteuil^ 
& prélude en regardant la mujique par-dejjus fa mai- 
treffe. Le petit Page eft devant elle j les yeux baijjes. 
Ce tableau eftjufte la belle eftampe d'après Vanloo^ 

appellée LA Conversation Espagnole. 

ROMANCE. 

Air : Marlbroug s'en vat-en guerre. 
Premier Couplet. 

Mon courfîer hors d'haleine» 
( Que mon cœur , mon cœur a de peine I ) 
J'errais de plaine en plaine ^ 
Au gré du deftrier. 


ACTE SECOND. $9 

IL COWPLST. 

Au gré da dcftrîerj 
Sans Varict , n'Écuycr ; 

* Là près d'une fontaine , , 

(Que mon cœur, mon cœur a de peine!) 
Songeant à ma Maraine ^ 
Sentais mes pleurs couler. 

III. Couplet. 

Sentais mes pleurs couler. 
Prêt à me défoler ; 
Je gravais fur un frcnc , 
f Que mon cœur, mon cœur ade peine l ) 
Sa lettre fans la mienne j 
Le Roi vint à pafler. 

IV. Couplet. 

Le Roi vint à paffer; 
Ses Barons , fon Clergier. 
Beau Page , dit la Reine , 
( Que mon cœur , mon cœur a de peine l) 
Qui vous met à la gêne? 
Qui vous fait tant plorer 1 

V. C o u P L ï T. 

Qui vous fait tant plorer ? 
Nous faut le déclarer. 
Madame & Souveraine , 
(Que mon cœur , mon cœur a de pçînc \) 
J'avais une Maraine , 
Que toujours adorai. * * 


♦Au Spcdaclc on a commencé la romance â ce vers, en difaott 

Auprès d'une Fontaine» 
»* Ici U Comtcfle arrête le Page en fermant le papier. Le xcftf »• « 

chante pas au théâtre. 


6o LE^MARIAGE DE FIGARO, 

VI. COUPLlT. 

Que toujours adorai ; 
Je fcns que j'en mourraî. 
Beau Page, dit U Reine, 
( Que mon cœur, mon cœur a de peine }) 
N'eft-il qu'une Maraîne ? 
Je vous en fçrvirai. 

VII. Couplet. 
Je TOUS en fervîraî j 
Mon Page vous ferai j 
Puis à ma jeune Hélène , 
( Que mon cœur , mon cœur a de peine ! > 
Fille d'un Capitaine, 
Un jour vous marierai. 

V. I I I, C O U* P L B T. 

Un jour vous marierai. ^- 
Ncnni n'en faut parler ; 
Je veux , traînant ma chaîne , 
( Q«e mon cœur , mon cœur a de peine ! > 
Mourir de cette peine ; 
Mais non m'en confolcr. 

L A' Comtesse. 
M y a de la naïveté.... du fentunent même. 
Suzanne vapoferlaguitarcfurmfautcuiL 
chérubui. O! pour du fentlment, c'eft un jeune homme 

iXt'cflc T ^^ S^' ^^^^^"^ ^'Officier, vous a-t^n 

• dit que pour égayer la foirée, nous voulons favoir 
d avance fi un de mes habits vous ira palTablement? 

La CoMTissi. 
J'ai peur que non. 


ACTE SECOND. g, 

Suzanne/* mefurc avec lui. 

La Comtesse. 
Et fi quelqu'un entrait ? 

Suzanne. 
Eft-ce que nous fefons du mal donc ? je vais fer- 

La Comtessï. 

tn^f"" 'f "^",^ ' ""* baigneufe â moi. (Sur^vu 



SCENE V. 

CHÉRUBIN, LA COMTESSE,^^. 

L A C O M T B S S E. 

JixsQu^A rinftant du bal, le Comte ignorent 
que vous foyez au château. Nous lui dirons après , 
que le tems d'expédier votre brevet , nous a fait 
'laitre Tidée. 

C H i R u B I N /e /tti montre. 

Hélas, Madame, levoidj Bazile me larensà 
«e la part. 


6x LE MARIAGE DE FIGARO, 
La Comtesse. 

Déjà ? Ion a craint d'y perdre une minière. 
( Elle lit. ) Ils fe font tant preflcs , qu'ils ont oublié 
d y mettre fon cachet. 

(Elle le lui rend.) 


m 


SCENE VI. 

CHÉRUBIN , LA COMTESSE, SUZANNE. 

« 

Suzanne entre avec un grand bonnet* 

Xjb cachet» à quoi? 

La Comtesse. 

A fon brevet. 

Suzanne, 
Déjà? 

La Comtesse. 

Ceft ce que je difais. Eft-ce là ma baîgneufe ? 

cïhérubîn. S u z A N N E s^ajfied près de la ComteJJe. 

La Co^tcfTc E^ ^^ P^^^ ^^^^ ^^ toutes. ( Elle chante avec 
des épingles dans fa bouche j ) 

Toume:['Vous donc envers ici , 
Jean de Lyra , mon bel amu 

Chérabin fe met à genoux j (Elle le coeffe.) Ma- 
dame , il eft charmant ! 

La Comtesse. 
Arrange fon collet, d'un air un peu plus féminin. 


ACTE SECOND. 6j 

Suzanne l^arrange. 

Là ... . mais voyez donc ce morveux , comme il 
eft joli en fille ! j'en fuis jaloufe , moi! {Elle lui 
prend le menton. ) Voulez-vous bien n'erre pas joli 
comme çà? 

La Comtesse. 

Qu'elle eft folle ! Il faut relever la manche , 
afin que l'amadis prenne mieux.... (Elle le re- 
troujfe.) Qu'eft-ce qu'il a donc au bras ? un ruban! 

Suzanne. 

Et un ruban à vous. Je fuis bien aife que Madame 
l'ait vu. Je lui avais dit que je le dirais , déjà ! O î 
(î Monfeigneur n'était pas venu , j'aurais bien 
repris le ruban y car je fuis prefque auffi forte que 
lui. 

La Comtesse. 

Il y a du fang ! ( Elle détache le ruban. ) 

Chérubin honteux. 

Ce matin , comptant partir , j'arrangeais , la 
gourmette de mon cheval ; il a donné de la tcte y 
àc la boffette m'a effleuré le bras. ^ 

La Comtesse. 

On n'a jamais mis un ruban. . . • 

Suzanne. 

Et fur-tout un ruban volé. — Voyons donc ce 
que la boflette , . . . . la courbette ! . . . la cornette du 
chéVal! .... Je n'entens rien à tous ces noms- 
là. — Ah qu'il a le bras blanc ! c'eft comme une 
femme ! plus blanc que le mien ! regardez donc , 
Madame ?.C£//^ les compare). 




tf4 LE MARIAGE DE FIGARO, 

La Comtesse d*un ton glace*. 

Occupez-vous" plutôt de m'avoîr du taffetas gom- 
mé , dans ma toilette. 

Su:[annc luipoujfe latête y en riant '^ il tombe fur 
les deux mains. ( Elle entre dans le cabinet au bord du 
théâtre. ) 


SCENE V I L 

CHÉRUBIN à genoux^ LA COMTESSE ajfffe. 

La Comtesse rejle un moment /ans parler ^ les yeux 
furfon ruban. Chérubin la dévore de fes regards. 

Jtour mon raban, Monfieun.... comme c*eft 
celui dont la couleur m'agrce le plus. . . . j'étais fort 
en colère de l'avoir perdu. 

■ -■ I 

I I ' M l. * 

SCENE VII L 

CHÉRUBIN à genoux, LA COMTESSE ajjtfe, 

SUZANNE. 

Suzanne revenant. 

JlL T la ligatute à fon bras ? (Elle remet à la Comtejfe 
du taffetas gommé & des dfeaux. ) 

La Comtesse. 

En allant lui chercher tes hardes , prens le 

ruban d un autre bonnet. 

(Suzanne fort par la porte du fondj en empor- 
tant le manteau du Page). 

SCENE 


Acte second. 


«5 


*' I I h 

SCENE IX. 

CHÉRDBIN à genoux , LA COMTESSE nfftfe. 

C H É k u B ï H Us yeux baijfés. 

v^ E L u I qui m eft ôté ^ m'aurait guéri en moûiâ 
de rien. 

La CoMTESSEé 

Par quelle vert^ ? ( lui montrant le taffetas , ') ceci 
tant mieux^ 

Che rubïn héfitant^ 


Quand un ruban. a ferré la tète. .... ou 

touché la peau d une per&nne. ..v.. 

La Comtesse coupant la phrafe. 

. . . • ! Étrangère , il devient bon pour les bleflures > 
J'ignorais cette propriété. Pour l'éprouver , je gardd 
celui-ci qui vous a ferre le bras, A la première 
égratignure de mes femmes , j'en ferai l'eflai» 

Chb rubin pénétré. 
Vous le gardez , & moi je pars. 

La Comtesse* 
Non pour toujours. 

CHÉRÛBlîi. 

Je fuifi fi malheureux ! 


€6 LE MARIAGE DE FIGARO, 

La Comtesse émue. 

Il pleure à préfent! c'eft ce vilain Figaro avec 
Ion pronoftic \ 

Chérubin exalté. 

Ah ! Je voudrais toucher au terme qu'il m'a pré- 
dit ! sûr d« mourir à Tinflant , peut-être ma bouche 
oferait 

La C0MTESS15 l'interrompt j & lui ejfuie les 
yeux avec fon mouchoir, 

Taifez-v«is , taifez-vous , Enfant. Il n'y a pas 
an brin de raifon dans tout ce que vous ^tres. 
(on frappe à la porte y elle élevé la voix.) Qui frappç 
ainû chez moi ? 


SCENE X. 

CHÉRUBIN , LA COMTESSE , LE COMTE 

en dehors. 
L » Comte en dehors^ 

ir^ouRQtyoi donc enfermée? 

La Comtesse troublée fe lève. 

C'eft mon époux ! grands Dieux \....( à Chérubin 
qui s'eft levé aujji) vous fans manteau, le col &Ies 
bras nuds! feul avec moi! cet air de défordre,un 
billet reçu , fa jaloufie ! . . . . 

Le Comte e/2 dehors. 
Vous n'ouvrez pas? 


/ ACTE SECOND. 

La Comtesse* 

Ceft que .... je fuis^ feule* 

Le Comte tf/z dehors. 

Seule ! avec qui pârlez^vous donc ? #• 

La Comtesse cherchant. 

• • . . . Avec vous fans doute* 

CtiÉRUBXN à part^ 

Après les fcènes d'hier, & de ce matin; il me 
tuerait fut la place! [Il court au cabinet de tçUette , 
y entre j & tire la porte fur lui» ) 

I ■ t..» . I ■ ■ I I I» 1 1^ ,——^ ^ 11 I I mi m — »g^^. 

SCENE XI. 

La Co M T ç s s E feulcy en ôtela çlé&CQurt ouvrir 

' au Comte. 

J\ H quelle faute ! quelle faute ! /J^V-OyS" 


I I I I II I . m I ■ m I ■■ I I I. Il) I — — iW>— W ■ *'' 




SCENE X I L ti2n3 

LE COMTE, LA COMTESSE. 

Le Comtes/;? peu/evère^ 

Vous n'êtes pas dans Tufage de vous enfermeir ! 

La Comtesse troublée. 

Je ... . jechifibnnais ... . , oui je chiffonnais, avec 
Suzanne j elle eft palfée un moment chez elle. 


.-*f 


éi LE MARIAGE DE FIGARO, 

Le C o a^ t e l'examine. 

Vous avez l'air & le ton bien altérés! 

La Comtesse. 

Celan'eft pas étonnant ... pas étonnant du tout..; 
je vous aflTure .... nous parlions de vous .... eUe 
eft paiTée , comme je vous dis. 

Le Comte. 

Vous parliez de moi!.,.. Je fuis ramené par Tin- 
quiétude y en montant â cheval, un billet qu'on m'a 
remis , mais auquel je n'ajoute aucune foi , m'a .... 
pourtant agité. 

La Comtesse. 
Comment, Monfieur? .... quel billet? 

Le Comte. 

Il faut avouer. Madame, que vous ou moîj 
fbmmes entourés d'êtres .... bien méchans ! On me 
donne avis que, dans la joiurnée, quelqu'un que 
je crois abfent, doit chercher à vous entretenir. 

La Comtesse. 

Quel que foit cet audacieux, il faudra qu'il pénètre 
ici*, car mon projet eft de ne pas quitter ma chambre 
de tout le jour. 

Le Comte. 

Ce foir, pour la noce de Suzanne? 
La Comtesse. 
Pour rien au monde y je fuis très-încommodée* 


ACTE SECOND. 69 

Le Comte. 

Heureùfement Je Dodeur eft icL 
(Le Page fait tomber une chaife dans le cabinet. ) 
Quel bruit encens-je ? 

Là Comtesse plus troublée. 

Du bruit? 

L E C M T E. 

On a fait- tomber un meuble, 

La Comtesse. 

Je • • • • je n'ai rien entendu , pour moi. 

Le Comte. 
II faut que vous Ibyez furieufement préoccupée l 

La Comtesse. 
Préoccupée! de quoi? 

Le Comte. 
Il y a quelqu'un dans ce cabinef , Madame. 

La Comtesse, 
Hé ... • qui voulez-vous qu'il y air, Monfieur? 

Le Comte. 

C'eft moi qui vous le demande j j'arrive. 
La Comtesse. 

Hé. mais . . • Suzanne apparemment qui range. 

Le Comte. 

Vous avez dit qu elle était pafTce chez elle ! 

E3 


70 LE MARIAGE DE FIGARO, 

La Comtesse. 
t^a^ée ou entrée-là ; je ne fais lequel. 

Le Comte* 

Si c'efl Suzanne » d'où vient le trouble où Je 
tous vois ? 

La Comtesse. 

Du trouble pour ma camarifte? 

L 1 C o M t E. ■ 

Pour Votre camarifte , je ne fais j mais pour 
du trouble, zStntémenu 

La Comtesse* 

Aflurcment, Monfieur , cette fille vous trouble , 
Se vous occupe beaucoup plus que moi. 

Le Comte ^/ï colère. 

Elle m^occupe à tel pomt , Madame, que je veoit 
la voir à TinAant. 

La CoMtÉssEé 

Je crois en effet , que vous le voulez fouvent ; 
mais voilà bien les foupçons les moins fondés* r • • 


O 


ACTE SECOND. yi 


SCENE XIII. 

LE COMTE , LA COMTESSE , SUZANNE 
entre avec des hafdes & pouffe la porte du fond. 

Le Comte. 

1 L s eh feront plus alfcs à détruire. // parle au 
cabinet, — Sortez , Suzon j je vous l'ordonne. 
( Su-;^anne s^ arrête auprès de Valcoye dans U 
fond, ) 

La Comtesse. 

Elle eft prefque nue , Monfieur : vient-on trou- 
bler ainfi des femmes dans leur retraite ? Elle 
eflayait des hardes que je lui donne en la mariant j 
elle s eft enfuie, quand elle vous a entendu. 

Le Comte. 

Si elle craint tant de fe montrer, au moins éJU 
peut parler, {^life tourne vers la porte du cabinet.^ 
Répondez-moi, Suzanne \ êtes-vous dans ce cabinet? 

i^SuT^anney refiée au fond ^ fe jette dans V al- 
côve & sy cache^r) 

La Comtesse vivement , parlant au cabinet, 

Suzon , je vous défens de répondre. {Au Comte^ 
On n'a jamais pouifé (i loin la tyrannie l 

E4 


À 


7> LE MARIAGE DE FIGARO, 

I^ E Comte s^avcnce an cabinet» 

Oh bien , puifqii'elle ne parle pas , vcme ou non, 
|e la verrai, 

La Comtesse fe met au-devant. 

Par-tout ailleurs je ne puis Tempèchcrj maïs 
)*efpère auffi que chez moi. ... 

Le Comte. 

Et moi j'efpère favoir dans un moment quelle 
eft cette Suzanne mjftérieufe. Vous demaiiderlaclé, 
ferait. Je le vois, inutile ! mais il eft un moyen 
sûr de jetter çn dedans cette légère porte. Holà 
quelqu*un ? 

La Comtesse. 

Attirer vos gens , & feire un fcandale public 
d'un foupçonqui nous rendrait la fable du çhâcçw? 

Le Comte. 

Fort bien, Madame; en effet j'y fufSraî; |e vai$ à 
l'inftant prendre chez moi ce qu'il faut . . . // mar* 
chepourfortir & revient. Mais pour que tout rette au 
fnème état j voudrez vous bien m'acccmpagner fans 
fç^indale & fans brait, puifqu'il vous déplaît tant?,., 
une chofe auffi fimple, apparçmmeqt, ne mefer^ 
pas refiiïce ! 

"^ La CoM-i^EssE traubUe. 
fh\ Monfieur, qui fonge à vous contrarier? 

L » Comte. 

Ah ! j'oubliais la porte qui va chez vos femmes ; 
il faur que je la ferinç aufÏÏ 9 pour que vous fov^ 


ACTE SECOND, 73 

pleinement juftifiée, ( // va fermer la porte du 
fond ^ & en ote la clé^ ) 

La Comtesse à part. 
O ! ciel ! ctourderie funefte ! 

Le Comte revenant à elle. 

Maintenant que cette chambre eftcîofe, acceptez 
mon bras , je vous prie^ [il éUve la voix) Se quant 
à la Suzanne du cabinet , il fasclra qu'elle ait la 
bonté de m'attendre, & le moindre mal quipuifle 
lui arriver a mon retour . . * . 

La Comtesse, 

Eii vérité, Monfieur, voilà bien la plus odieulè 
avanture . ... {Le Comte l'emmène & ferme la porte 
â 1(1 de.) 


^m 


m^mmm^mm^mtmÊ^^t^mm^^mmmt 


SCENE XIV, 

SUZANNE, CHÉRUBIN. 

Suzanne fort de V alcôve^ accourt au cabiuct 

ù parle à la ferrure. 

\J u V R E z , Chérubin, ouvrez vite , c'cft Suzan- 
ne j ouvrez & fortez. 

Chérubin fort. , chéniblfli 

An i Suzon , quelle horrible fcène ! 


74 LE MARIAGE DE FIGARO, 

Suzanne,. 
Sortez, vous n'avez pas une minute. 

Chérubin effrayé. 
Eh par où fbrtir ? 

Suzanne. 
Je n*en fais rien , mais fortez. 

Chérubin. 
SU n'y a pas d'ifliie ? 

Suzanne, 

Après la rencontre de tantôt, il vous écraferait! 
& nous ferions perdues. — Courez conter à Figaro. . . 

Chérubin. 

La fenêtre du jardin, n'eft peut-être pas bien 
haute. ( // court y regarder. ) 

Suzanne avec effroi. 

Un grand étage ! impoffible ! ah ma pauvre maîr 
treflfe ! & mon mariage , ô ciel ! 

Chérubin revient. 

Elle donne fur la m'elonière ; quitte à gâter une 
couche ou deux. 

Suzanne le retient & s* écrie: 
II va fe tuer ! 

Chérubin exalté. 
Dans un goufre allunié, Suzon! oui je m'y jette- 


ACTE SEC ON D. 75 

fais , plutôt que de lui nuire . . • . Et ce baifer va 
îne porter bonheur. [Il lUmbraJfe & court fauter par 
la jenêtre. ) 


SCENE XV. 

Suzanne feule , un cri de frayeur. 

A H ! .... ( Elle tombe ajjife un moment. Elle va 
péniblement regarder à la fenêtre & revient. ) II eft dcja 
bien loin. O le petit garnement ! auflilefte que joli! fi 
celui-là manque de femmes .... Prenons fa place 
àu plutôt. {En entrant dans le cabinet. ) Vous pouvez 
à prcferit , Monfieur le Comte, rompre la cîoifon, 
fi cela vous amufe j au diantre qui repond un mot. 

( Elle sy enferme^ ) 


SCENE X V I. 

LE COMTE, LA COMTESSE rr/irr^/ir 

dans la chambre* 

Li Comte, une pince à la main y qu'il jette fif 

le fauteuil. 

1 OUT eft bien comme je l'ai laifle. Madame^ 
en m'expofant à brifer cette porte , réflcchiffez aux 
fuites : encor une fois voulez-vous 1 ouvrir? 


^6 LE MARIAGE DE FIGARO, 

La Comtesse. 

Eh, Monfieur, quelle horrible humeur peur 
altérer ainfi les égards entre deux époux? Si l'amour 
vous dominait au point de vous infpirer ces fureurs j 
malgré Jeur dérailon, je les excuferais; j'oublierais, 
peut-être, en faveur du motif, ce qu'elles ont d'of- 
fenfant pour moi. Mais la feule vanité peut-elle 
jetter dans cet excès un galant homme ? 

Le Comte. 

Amour ou vanité, vous ouvrirez la porte j oq 
|e vais a Tinftant • . • • 

La C o m t e s s e tf/^ devant. 

Arrêtez, Monfieur, je vous prie. Me croyez-vous 
capable de manquer à ce que je me dois? 

Le Comte. 

Tout ce qu'il- vous plaira. Madame; mais Je 
vertai qui eft dans ce cabinet. 

LaComtesse effrayée. 

Hé bien, Monfieur, vous le verrez. Ecoutez moi .« 
tranquillement. 

Le Comte. 
Ce n'efï donc pas Suzanne? 

La Comtesse, timidement. 

< 

Au moins n'eft-ce pas non plus une perfonne 

dont vous deviez rien redouter .... nous difpofions 
une plaifanterie... .bien innocente en vérité, pour 
cefoir....&je vous jure*... 


ACTE SECOND. 77 

Le C o m t !• 

Et vous me jurez ? 

La CoMTBssi. 

Que nous n'avions pas plus de deflein de vous 
offenfer , l'un que l'autre. 

Le Comte, yiu* 
L'un que l'autre ? c'eft un homme. 

La CbMTissi, 
Un enfant, Monfieur. 

Le Comte. 
Hé qui donc ? 

La Comtesse, 
A peine ofai-je le nommer! 

Le Comte furieux.. 
Je le tuerai. 

La Comtesse. 
Grands Dieux! 

Le Comte. 

Parlez donc. 

La Comtesse. 
Ce jeune .... Chérubin 

Le Comte. 

Chdrubin ! l'infolent! voilà mes foupçons , & le 
billet expliqués. 


78 LE MARIAGE DE FIGARO, 

La Comtesse, joignant lesmainsm 
Ah! Monfîeur, gardez de penfer 

Le Comte, frappant du pied. 

( A part). Je trouverai par-tout ce maudit Page ! 
( haut ). Allons , Madame , ouvrez j je fais tout main- 
tenant. Vous n'auriez pas été (î émue , en le congé- 
diant ce matin j il ferait parti quand je l'ai or- 
donné 'y VOUS n'auriez pas mis tant de fauflTeté dans 
votre conte de Suzanne ; il ne fe ferait pas fi foigneu» 
fement caché , s'il n'y avait rien de crimirieU 

La Comtesse. 
Il a craint de vous irriter en fe montrant. 
Le Comte, hors de lui , crie au cabinet. 
Sors donc , petit malheureux ! 

La Comtesse le prend à iras le corps ^ 
en P éloignant./ 

Ah ! Monfîeur , Monfîeur , votre colère me fait 
trembler pour lui. N'en croyez pas un injufle foup'- 
çon, de gtace j & que le défoixlre, où vous l'aller 
trouver .... 

Le Comte» 

Du défcrdre! 

La Comtesse, 

Hélas oui ; prêt à s'habiller en femme , one 
cocffiire à moi fur la tète , en vefte & fans man* 
teau , le col ouvert, les bras nuds j il allait efïâyer . • . 

L E C o m T E, 

Et vous vouliez garder votre chambre 1 Indigne 


j 


ACTE SECOND 79 

cpoufe! ah , vous la garderez. . .. long-tems; mais 
il faut avant, que j'en chaflè un infolent, de ma- 
nière à ne plus le rencontrer nulle part. 

La Comtesse y Je jette à genoux y les bras élevés. 

Monfieur le Comte , épargnez un enfant j je ne 
me confolerais pas d'avoir caufé • • . • 

Le Comte. 
Vos frayeurs aggravent fon crime. 

La Comtesse, 

Il n'eft pas coupable , il partait : c'eft moi qui 
l'ai fait appeller. 

Le Comte furieux. 

Levez-vous. Otez-vous. ... Tu es bien auda- 
cieufe d'ofer me parler pour un autre? 

La Comtesse. 

Eh bien! je m'ôterai , Monfieur, je me lèverai ; 
je vous remetrrai même la clé du cabinet : mais , 
au nom de votre amour .... 

Le Comte. 

De mon amour ! Perfide ! 

La Comtesse fe lève & lui préfente la clé. 

Promettez-moi que vous laifferez aller cet enfant, 
ians lui faire aucun mal ; & puilTe après , tout votre 
courroux tomber fur-moi , h je ne vous convainc 
pas 


«o LE MARIAGE DE FIGARO, 

Le Comte prenant la clc^ 
Je n^ccoute plus rien. 

La Comtesse fc jette fur une bergère ^ m 

mouchoir fur les yeux. 

O ^ ciel ! il va périr. 

Le Comte ouvre la porte j & recuU. 

C'eft Suzanne l 


«m 


SCENE X V I L 

LA COMTESSE , LE COMTE , SUZANNE. 
Suzanne fort en riant* 

J iLle tuerai^ je le tuerai. Tuei-le donc , ce ttic- 
chant Page ! ' ' 

Le Comte à part. 

Ah quelle école ! ( regardant la Gomtejfè tfïà ejt 
refiée fiupéfaite. ) Et vous auffi , vous jouez 1 étoti- 
nement ? . . . Mais peut^tre elle n'y eft pas feule. 
( // entre ). 


^ 


SCENE 


ACTE SE.C O N D. u 


SCENE XVIII. 

LA COMTESSE affife, SUZANNE. 

Suzanne accourt à fa Maîtrejfci 

Jlv E M B T T £ z-vous> Madame , il eft bien loin ^f 
il a fait un faut. •. • 

La Comtes. s s* 
Ah^ Suzoh y je fuis morte. 


SCENE XIX. 

LA COMTESSE tf#yê, SUZANNE, LE COMTE, 

Le Comte fort du cabinet d*un air confus. , 

Après un court filcncc* 

1 1. n y a perfonne i & pour le coup j'ai tort. — * 
Madame ? . . . • Vous jouez fort bien la comédie* 

Suzanne gaiment. 

Et moi, Monfeîgneur? 

La Comtesse, fon mouchoir fur fa bouche 
pour fe remettre^ ne parle pas. 

Suzanne. 

Le Comte s'approche. i^ comtcfTe 

Quoi, Macfeme , vous pUHmkz ? , ^ 


8i LE MARIAGE DE FIGARO, 

La Comtesss Je remettant un peu. 
Eh pourquoi non , Monfîeur? 

L B Comte. 

Quel af&eux badinage ! & par quel motif, je 
vous prie? . • • • 

La Comtesse. 
Vos folies mcticenr-elles île la pitié.? 

Le Comte. 
Nommer fofies ce qui touche à l'honneur! 

La Comtess* affurant fon ton par degrés. 

Me fuis-je unie à vous pour être éternellement 
dévouée à l'abandon & à la jaloufîe, que vous feul 
ofez concilier? 

Le Comte. 

Ah! Madame , c'ed: fans ménagement. 

S U «Z A N N E. 

Madame n'avait qu a vous laiïlèr appeller les gens. 

Le Comte. 

Tu as raifon, & c eft à moi de m'humilier • • • • 
Pardon , je fuis d'une confiifion! .... 

S U Z A N I^ E. 

Avouez, Monfeigneur, que vous la méritez un 
peuî 

Le Comte. 

Pourquoi donc ne (brtais-tu pas , Jôr(que je t ap» 
peIlais?Mauvaiie! 


! 


ACTE SECOND. &j 

Suzanne. 

Je me r'habillaîs de mon mieux , ï grand renfort 
d'épingles & Madame qui me le défendait, avait 
bien fes raifons pour le faire. 

Le Comte» 

Au lieu de rappeller mes torts, aides-moi plu* 
tôt à Tappaifer. 

La Comtesse. 

Nori^ Monfieur; un pareil outrage ne fe couvre 
point. Je vais me retirer aux Urfulines , & je vois 
trop qu'il en eft tems. 

Le Comte. 
Le pourriez-vous fans quelques regrets ? 

Suzanne. 

Je fuis fïire moi , que le jour du départ ferait 
la veille des larmes. 

La Comtesse. 

Eh! quand cela ferait, Suzon^ j'aime mieux le 
regretter , que d'avoir la bairefle de lui pardonner j 
il m'a trop offenfée. 

Le Comte. 
Rofme ! 

La Comtesse. 

Je ne la fuis plus , cette Rofine que vous avfz 
tant pourfuivie! je fuis la pauvre Comteffe Alma- 
Viva j la trifte femme délaiifée , que vous n'aimez 
plu*. 

F 2, 


«4 LE MARIAGE DE FIGARO, 

Suzanne. 
Madame. 

Le Comte fuppliant. 

Par pidé. 

LaComtesse. 

Vous n'en avieï aucune pour moi. 

Le Comte. 
. Mais auifi ce billet. .... Il m'a tourné le fang! 

La Comtesse. 
Je n'avais pas confenti qu'on 1 écrivît". 

Le Comte. 

Vous k faviez? 

La Comtesse. 
C'eft cet étourdi de Figaro .... 

L E C O M T £. 

U en était ? 

La Comtesse. 
• • . . Qui Ta remis à^ Bazile. 

Le Comte. 

Qui m'a dit le tenir d'un payfan. O perfide 
thanteur ! lame à deux cranchans ! c'efl: toi qui 
' paieras pour tout le monde. 

•La Comtesse. 
you$ dëipandez pour vous un pardon que vou^ 


ACTE SECOND. 8f 

tefuTez aux autres : voilà bien les hommes ! Ah ! 
fi jamais je confentais à pardomier en faveur de 
l'erreur où vous a jette ce billet , j'exigerais que 
l'amniftie fut générale. 

Le C o m t I. 

Hé bien , de tout mon cœur , Comtefïe. Maîs^ 
comment réparer une faute auflî humiliante ? 

La Comtesse yj Uvc^ 
Elle Tétait pour tous deux. 

Le Comte.. 

Ah ! dites pour moi feuL -^- Mais je fm$ 
cncor à concevoir comment les femmes prennent fî 
vîte & fi jufte , l'air ôc le ton des circonftances. 
Vous rougifiîez, vous pleuriez , votre vifage était 
défait .... D'honneur il Teft encor. 

La Comtesse s* e^rçant de fourire^ . 

Je rougiflais . . ^ . . du reflentiment de vos foupçons» 
Mais les hommes font-ils aflfez délicats pour dis- 
tinguer l'indignation d'une ame honnête outragée ^ 
d'avec laconmfion qui iiaît d'une accufation méritée?. 

Le Comte fouriant. 

Et ce Page en défordre ^ en vefte & pre(quet 
nud...* 

La Comtesse montrant Swfanne. 

Vous le voyez devant vous. N'aimez -vous pas 
mieux l'avoir trouvé que l'autre? en général , vous 
ne haïffez pas de rencontrer celui-ci. 


tS LE MARIAGE DE FIGARO, 

Le Comte riant plus fort. 
Et ces prières, ces larmes feintes . .« • • 

La Comtesse. 
Vous me faites rire , Se j*en ai peu d*envie* 

Le Comte. 

Nous croyons valoir quelque chofe en politique » 
& nous ne fommes que des enfans. C'eft vous> 
c'eft vous , Madame , que le Roi devrait envoyer 
en ambaflade à Londres ! Il faut que votre fexe ait 
fait une émde bien réfléchie de l'art de fe compofer 
pour réuflîr â ce point ! 

La Comtesse. 

C^eft toujours vous qui nous y forcez. 

S U Z A K N £• 

4 

LaifTez-nous prifonnlers fur parole , Se vous 
verrez (i nous fommes gens d'honneur. 

La Comtesse. 

, Brifons-là, Monfieur le Comte. J'ai peut-être été 
trop loin ; mais mon indulgence en un cas aui& 
grave, doit au moins m'obtenirla vôtre. 

.Le Comte. 
Mais vous répéterez que vous me pardonnez. 

La Comtesse. 
Eft-ce que je l'ai dit , Suzon ? 

Suzanne*. 
Je ne l'ai pas entendu. Madame. 


f 


ACTE SECOND. 

Le Comte» 
Eh bien , que ce mot vous échappe. 

La Comtesse. 
Le mcritez-vou5 donc, ingrat? 

Le Comte. 
Oui, par mon repentir. 

Suzanne. 

Soupçonner un homme dans le cabinet de Ma- 
dame! 

Le Comte. 
Elle m'en a fî fcvérement puni! 

S U 2 A ,N N B. 

Ne pas s'en fier à elle , quand elle dit que c'eft 
Ùl camarifte ! 

Le Comte. 

Rofine, ctes-vous donc implacable? 

La Comtesse. 

Ah! Suzon r que je fuis faible! quel exemple je 
te donne! (tendant la main au Comte ).Onnc croira 
plus à la colère des femmes. 

Suzanne. 

Bon! Madame, avec eux, ne faut-il pas toujours 
en venir là? 

Le Comte iai/e ardemment la main di 
fa femme. 


^4 


J» LE MARIAGE DE FIGARO, 


vite 


SCENE XX. 

SUZANNE, FIGARO, LA COMTESSE, 

LE COMTE 

Figaro arrivant tout ejfouflé. 

KJ-^ difàit Madame incommodée. Je fuis 
ftccouni. • . . |e vois avec joie qu'il n'en eft rien. 

Le Comte féchement» 

Vous êtes fort attentif ! 

Figaro. 

Et c'eft mon devoir. Mais puifqu'il n'en eft rien, 
Monfeigneur } tous vos jeunes vaflaux des deux 
fexes font en bas avec les violons & les cornemufes, 
attendant pour m'accompagner , Tinflant où you$ 
permettrez que je mené ma fiancée 

Le Comte. 
Et qui furveillera la Comteflè au château ? 

Figaro. 
La ailler ! elle n'eft pas malade. 

Le Comte. 

Non ^ mais cet homme abfent qui doit rentre* 
tenir ? 

Figaro. 
Quel homme abfejit ? 


I 

1 


ACTE SECOND. 8j> 

L E C O M T E. 

L'homme du billet que vous avez remis à Basile* 

Figaro. 
Qui dit cela? 

L s C o M T I. 

Quand je ne le fautais pas d'ailleurs , fripon ! tat 
phyfionomie qui t accufe , me prouverait déjà que 
m mens. 

Figaro. 

S'il eft ainfi , ce n'eft pas moi qui mens » c'eft 
ma phyfionomie. 

Suzanne. 

Va, mon pauvre Figaro! n ufes pas ton éloquence 
en défaites j nous avons tout dit. 

Figaro. 

Et quoi dit? vous me traitez comme un Bazile ! 

S U Z A N N B. 

Que m avais écrit le billet de tantô.t pour faire 
accroire â Monfeigneur , quand il entrerait, que le 
petit Page était dans ce cabinet , où je me fuis en- 
fermée. 

L B C o M T B. 

Qu'as-m à répondre? 

La Comtessb. 

U n'y a plus rien à cacher, Figaro j le badinage 
' ék confbmmé. 


90 LE MARIAGE DE FIGARO, 
Figaro cherchant à deviner. 
Le badinage • • • • eft confommé ? 

L E C O M T £• 

Oiû> confommé. Quedis-mU-deflus? 

Figaro. 

Moi ! je dis. • . . que je voudrais bien qu*on en 
put dire autant de mon mariage ; & fi vous l'or- 
donnez 

Le Comte. 

Tu conviens donc enfin du billet ? 

Figaro. 

Puifque Madame le veut , que Suzanne le veut > 
que vous le voulez vous-même , il faut bien que 
je le veuille aufii : mais à votre place , en vérité , 
Monfeigneur, je ne croirais pas un mot de tout ce 
que nous vous difons. 

Le Comte. 

Toujours mentir contre l'évidence ! à la fin , cela 
m'irrite. 

La Comtesse en rianu 

Eh , ce pauvre garçon ! pourquoi voulez -vous, 
Monfieur, qu'il <Sfe une fois la vérité? 

Figaro, iiïji Suzanne. 

Je l'averds de fon danger j c'eft tout ce qu'un 
honnête homme peut faire. 


ACTE SECOND. 91 

SuzAKNE) bas. 

As-tu vu le petit Page ? 

F I G A R o 9 bas. 

Encor tout firoiiTé. 

Suzanne, bas. 

Ah^Pécaïre! 

La Comtesse. 

Allons, Monfîeur le Comte, ils brûlent des*unir: 
leur impatience eft naturelle ! entrons pour la céré- 
monie. 

Le Comte ^ part. 

Et Marceline, Marceline.... (A^wr) je voudrais 
être. • • • au moins vêtu. 

La Comtesse. 
Pour nos gens ! eft-ce que je le fuis ? 


»i«^ 


91 LE MARIAGE DE FIGARO, 


s 


SCÈNE XXL 

nCÀRO , SUZANNE , LA COMTESSE > 
LE COMTE , ANTONIO. 

Antonio, demi-grisj tenant un pot de girqflc^s 
ecrafées. ' 

IVIgnseigneur! Monfeigneur! 

Le Comte. 
Que me veux- m , Antonio ? 

Antonio. 

Faites donc une fois griller les croifées qui don- 
nent fur mes couches. On jette toutes fortes de 
chofes par ces fenêtres ; Se tout à l'heure encor on 
vient d'en jetter un homme. 

Le Comte. 

Par ces fenêtres ? 

Antonio. 
Regardez comme on arrange mes giroflées ! 

S u z A N N E, ^^ ^ Figaro. 
Alerte , Figaro ! alerte. 

Figaro. / 

Monfeigneur, il cft gris àh le maduu 


ACTE SECOND, 95 

Antonio, 

Vous n'y êtes pas. C'eft un petit refte d'hier. 
Voilà comme on ùk des jugemens. . • • ténébreux. 

Le Comte avec feu. 
Cet homme ! cet homme! où eft-il ? 

Antonio. 
Oùileft? 

L I Comte. 
Oui. 

Antonio. 

C'eft ce que je dis. Il faut me le trouver déjà. Je 
fuis votre domeftique ; il n'y a que moi qui prens 
foin de votre jardin ; il y tombe un homme, & 
vous ièntez. • • . que ma réputation en eft ef&eurée. 

Suzanne, bas à Figaro. 
Détourne, détourne. 

Figaro. 
Tu boiras donc toujours ? 

Antonio. 
Et fi je ne buvais pas , je deviendrais enragé. 

La Comtesse. 
, Mais en prendre ainfî fans befoin 

Antonio. 

Boire fans ibif & faire l'amour en tout tems , 
Madame y il n'y a que çâ qui nous diftingue des 
autres b&tes. 


94 LE MARIAGE DE FIGARO, 

Le Comte vivement. 

Répons-moi donc, ou je vais te chaflèr. 

f Antonio. 

Eft-ce que je !ni*en irais ? 

Le Comte. 

Comment donc ? 

Antonio^^ touchant le front. 

Si vous n*avez pas aflez de çâ pour garder im 
bon domeflique ^ je ne fuis pas afièz bête , moi , 
pour renvoyer un fi bon Maître. 

Le Comte /^ fecoue avec colère. 

On a, dis-tu, jette un homme par cette fenêtre? 

Antonio. 

Oui , mon Excellence ; tout-à-l'heure , en vefte 
blanche , & qui s eft enfiii , jarni , courant 

Le Comte impatienté. 

Après ? 

Antonio. 

J'ai bien voulu courir après ; mais je me fuis 
donné contre la grille une fi fiere gourde à la main, 

2ue je ne peux plus remuer ni pied ni patte de ce 
oigt-li. (Levant le doigt). 

Le Comte. 

Au moins tu reconnaîtrais l'homme ? 


• t 


ACTE SECOND. 95 

Antonio. 
Oh! que ouî-dà ! ... fi je l'avais vu , pourtant ! 

S ,u z A N N E bas à Figaro, 
Il ne l'a pas vu. 

Figaro. 

Voilà bien du train pour un pot de fleurs ! 
combien te faut-il , pleurard ! avec ta giroflée ? Il 
eft inutile de chercher, Monfeigneur, c'eft moi 
qui ai fauté. 

Le Comte. 
Comment c'eft vous ! 

Antonio. 

Combien te faut 'il , pleUrard ? Votre corps 
a donc bien grandi depuis ce tems-là ? car je vous 
ai trouvé beaucoup plus moindre , & plus fluet ! 

Figaro. 

Certainement j quand on faute, on fe pelotone... 

Antonio. 

M*efl: avis que c'était plutôt. .... qui dirait , le 
gringalet de Page. 

L £ C o k T £. 

Chérubin, tu veux dire? 

Figaro. 

Ouï , revenu tout exprès avec fon cheval , de la 
pone de Séville, où peut-être il eft déjà. 


î)(? LE MARIAGE DE FIGARO, 

' Antonio. 

O! non , Je ne dis pas çà » je ne dis pas çâ ; je 
n'ai pas vu fauter de cheval > car je le dirais de 


même. 


Le Comte. 

Quelle patience ! 

Figaro. 

J'étais dans la chambre des femmes en vefte 
blanche : il fait un chaud ! . . . . J'attendais là ma Su- 
zanette , quand j'ai ouï tout â coup la voix de 
Monfeigneur , Se le grand bruit qui fe fefair : je 
ne fais quelle crainte m'a faiii à l'occaCon de ce 
billet j ôc s'il faut avouer ma bétife , j'ai fauté fans 
réflexion fur les couches , où je me fuis même un 
peu foulé le pied dfoit. (Jl frotte fon pied). 

Antonio. 

Puifque c'eft vous , il eft jufte de vous rendre 
ce brinborion de papier qui a coulé . de votre vefte 
en tombant. 

Le Comte fc jette dtffus. 

Domie-le moi. ( Il ouvre le papier & le referme). 

Figaro (à part.) 
Je fuis pris. 

Le Comte a Figaro. 

La frayeur ne vous aura pas fait oublier ce que 
contient ce papier, ni comment il fe trouvait dans 
votre poche ? 

Figaro. 


ACTE SECOND. 


91 


Figaro tmbarrajfé^ fouille dans fes poches 

& en tire des papiers. 

Nonsûrement...t Mais c'eft que j'en ai tant. II faut 
répondre â tout... {il regarde un des papiers) Ceci? ah ! 
c'eft une lettre de Marceline , en quatre pages , elle 
eft belle ! .... Ne ferait-ce pas la^ requête de ce pauvre 
braconnier en prifon ? . . non j la voici. . .J'avais l'état 
des meubles du petit château > dans lautre poche.... 

Le C o m t b réouvre le papier qu'il tient. 

La Comtesse, bas à Suzanne. 
Ah dieux ! Suzon. C'eft le brevet d'Officier. 

S u z A K N E, ^^i à Figaro. 
Tout eft perdu , c'eft le brevet. 

Le Comte replie le papier. 

^ Eh bien ! l'homme aux expédiens , vous ne de- 
vinez pas ? 

Antonio, s* approchant de Figaro* 

Monfeigneur dit , fi vous ne devinez pas? 

Figaro le repoujfe. 

Fi donc ! vilain qui me parle dans le nez ! 

L E C O M T £. 

Vous ne vous rappeliez pas ce que ce peut être ? 

•Figaro. 

A , a , a, ah ! Povero ! ce fera le brevet de ce mal- 
heureux enfant-, qu'il m'avait remis j & que j'ai 


Antonio. 
Figaro. 
Suzanne. 
La ComcelTe. 
te Comte.j 


! 

I 

I 

1 


f» LE MARIAGE DE FIGARO, 

oublié de lui rendre* O, o, o» (À! étourdi que je fuis! 
que fera-r-*il (zm fon brevet ? il faut courir. .... 

L s C O M T s. 

Pourquoi vous Taurait-il remis? 

F I G A R O5 emharraffé. 

1K«.» de(iraic qu'on y fît quelque diofe. 

L 1 Comte regarde fon fapUr. 
U n'f manque rien. 

La Comtesse, bas à Su:(anne, 
Le cachet. 

Suzanne, bas à Figaro. 
Le cachet manque. 

Le Comte, à Figaro. 
Vous ne répondez pas ? 

F I G a 11 o. 

Ç'eft . . . . qu'en effet , il y inanque peu de chofe. 
Il dit que c'eft Tufage. 

Le Comte. 
L'ufage ! Tufage ! Tufàge de quoi ? 

Figaro. 

D'y appofer le iceau de vos armes^ Peu{;-être 
aufli que cela ne valait pas la peine. 


. ACTE S E C O N a 59 

Le Comte réouvre le papier & le chiffonne de colère. 

Allons , il eft écrit que |e ne faurai rien. ( à part) 
C'eft ce Figaro qui les mené, & je ne m'en 
rengerais pas! (// veut Jortir avec dépit). 

F I G A K 05 farrêtant. 

Vous forcez y fans ordonner mon mariage? 

SCENE X X I L 

BAZILE, BARTHOLO, MARCELINE, 
FIGARO, LECOMTE, GRIPE- 
SOLEIL, LA COMTESSE, SUZANNE, 
. ANTONIO, Fakts du Come^fes F^ffaux. 

Marceline, au Comte. 

IN E l'ordonnez pas, Monfeigneur; avant de lui 
faire grâce, vous nous devez juftice. II a des «n- 
gagemens avec moi. 

^L E Comte {jkpart.) 

VoiU ma vengeance arrivée. 

Figaro. 

Dés engagemens ? de quelle nature ? expliquez- 
vous. 

Ma r,celine. 

« 

Oui, je m'expliquerai, malhonnête! 

' La Comtesse s*ajjied fur une bergère. 
Suzahni ejl derrière elle. 


»eo LE MARIAGE DE FIGARO, 

Le Comte. 
De quoi s'agit-il » Marceline? 

MARCEtlNE* 

D'une obligation de maiiage. 

F I G A K o. 

Un billet » voiU tout ^ pour de Targent prêté. 

Marceline^ âif Comte. 

, Sous condition de m'époufer. Vous êtes un grand 
Seigneur » le premier Juge de la Province 

Le Comte. 

Préfentez-vous au Tribunal j j'y rendrai juftice 
i tout le monde. 

B A z I L £> montrant Marceline. 

En ce cas , votre Grandeur permet que je faÛe 
auffi valoir mes droits fur Marceline? 

Le Comte [à part.) 
Ab! voiU mon fripon du billet. 

Figaro. 
Autre fou de là même efpece! 

Le Comte en colère , à Basile. 

Vos droits ! vos droits ! il vous convient bieft 
de parier devant moi^ maître foc! 


\ 


ACTE SECOND. toi 

A K T o N I o frappant dans /a main. . 

^ II ne Ta ma foi pas manqué du premier coup : 
c'eft fon nom. 

Le Comte. 

Marceline, on fufpendra tout jufqua lexameii 
de vos titres , qui fe fera publiquement dans la grande 
falle d audience. Honnête Bazile! agent fidèle ôc 
sûr ! allez au Bourg chercher les gens du Siège. 

Bazile» 

Pouf fon af&ire? 

L E C o M T E. 

Et vous m'amènerez le Payfan du billet» 

Bazile. 
Eft-ce que je le connais ? 

Le Comte. 

Vous réfiftez! 

Bazile. 

Je ne fuis pas entré au château , poar en faite 
les commiilions. 

Le. Comte. 

Quoi donc? 

Bazile.. 

Homme à talent fiir l'orgue du Village, Jfc 
montre le clavecin à Madame , à chanter à tes 
Femmes , la mandoline aux Pages j & mon em- 
ploi , fur-tout , eft d'amufer votre compagnie avec 
ma guittare, quand il vous plaît me lordoimer. 


t#i LE MARIAGE DE FIGARO» 

Gaipe-Solsil s*êvcmcc. 
Jixai ittea» Monfi^aw, fi cela vous plajot? 

Le Comte. 

Quel eft ton nom» 6c ton etn^«i? 

Gripe-Solsil. 

* 

Je fuis Grîpe^Soleîlt «non faon ^neu; ie petit 
Patoutiau des chèvres » oomtiaiMlé pour le £eu d'ac^ 
âfice. C eft fète aujourd'hui dans le troupiau ; & 
je fais ous-ce-qu'eft toute l'enragée boutique à procès 
du pays. 

Le Comte. 

Ton zèle me plaît; vas-y : mais > vous ; {h BofiU) 
accompagnez Monsieur en jouant de la gtdttare» 
& chantant pour ramuièren chemin*. Il eft de ma 
compagnie. 

G R I F E-S O L £ I L) joyeux. 

Oh» moi y je fuis de la ... . 

S t7 z A N N £ Vappaïfi de la main y en lui 
montrant la Comtejfe. 

B A z I L E » fur pris. 
Que j'accompagne Gripe^Ieil en jouant ? . . . 

Le Comte. 

C'eft votre emploi: partez, où je vous chaiïe. 

(Il fort). 


A C TE SECOND. io| 


SCENE XXII I. 

Les Aàcurs précédents excepté le Cor/tte. 
B A z I L B {à lui-même. ) 

A H ! je n'irai pas lutter contre le pot de fer^ 
moi qui ne fuis • • . • 

F I G A K 0% 
Qu'une cruche. 

B A z I i. B ( ^ part. ) 

Au lieu d'aider à leur mariage , je m'en 
vais afTurer le mien avec Marceline. {A Figaro). 
Ne conclus rien> crois- moi > que je ne fois de 
retour. (// yaprendrelagtdttarefurlefauteuildufond.) 

Figaro le fuit. 

Conclure! oh va» ne crains rien ; quand même 
tu ne reviendrais jamais .... m n'as pas l'air en 
train de chanter^ veux tu que je commence ?.*• 
allons gai ! haut la-mi-fa , pour ma fiancée. {Ilfe met 
en marche à reculons , danje en chantant laféguedilU 

fuiyante j Basile accompagne y & tout le monde le fuit). 

# 

Séguedille x air noté. 

Je préfère à richcfle , 

La fagefle 

G4 


fio4 LE MAR.IAGE DE FIGARO» 

De ma Suzon $ 
Zon , xon , zon , 
Zon » zon» zon « 
2k>njZon, zon, 
Zon , zon , zon* 
AofC fa gendllefle 
cft maitrcflc 
De ma raifon ; 
Zon , zon , zon, 
Zon , zon, zon , 
Zon, zon, zon, 
Zon , zon , zon. 

( Le tndt s'éloigne, on n'entend pds le refte. ) 


SCENE XXIV. 

SUZANNE, LA COMTESSE. 
La. Comtesse dans /a. Bergère* 

Vous voyez , Suzanne, la jolie Ifccne que votre 
étourdi ma valu avec fon billet. 

Suzanne. 

Ah , Madame , quand je fuis rentrée du cabinet, 
fi vous aviez vu votre vifage! il s'eft terni tout à 
coup : mais ce n'a été qu'un nuage; & par degrés > 
vous êtes devenue, rouge, rouge, rouge! 

La Comtesse. 
U a donc fauté par la fenêtre ? 


ACTE SECOND. io$ 

S V Z A N N S. 

Sans héficer , le charmant enfant ! léger • • f. • 
comme une abeille. 

La Comtesse. 

Ah ce fatal jardinier ! Tout cela m*a remuée au 
point. . .. que je ne pouvais rafTembler deux idées. 


S U Z A K 


N E. 


Ah! Madame 3 au contraire^ & c'eft Isi que j'ai 
▼u combien l'ufage du grand monde donne d*ai« 
iànce aux Dames comme il faut ^ pour mentir (ans 
qu'U y paraiffe. 

La Comtesse. 

Crois-m que le Comte en foit la dupe ? & s*îl 
trouvait q&l enfant au château ! 

Suzanne. 

Je vais recommander de le cacher iî bien • . • • 

La Comtesse. 

Il faut qu*il parte. Après ce qui vient d'arriver , 
vous croyez bien que je ne luis pas tentée de 
l'envoyer au jardin à votre place. 

Suzanne. 

U eft certain que je n'irai pas non plus. Voilà 
donc mon mariage encor une fois 

La CoMTESSEyê lève. 

Attends ... Au lieu d'un autre » ou de toi, fi j'y 
allais moi-iuème. 


iq6 le mariage de FIGARO^ 

Suzanne, 
Vous» Maxlaaxe? 

La Comtbssi. 

Il n y aurait per(bnne d*expofé ... Je Comte 
alors ne pourrait nier .... Avoir puni fa jaloufie » 
& lui prouver fon infidélité^! cela ferait • . . • Allons : 
le bonheur d'un premier hazard m'enhardit a 
tenter le fécond, rais-lui favoir promtement que 
tu te rendras au jardii). Mais fur-tout que per- 

fonne 

Suzanne. 

Ah! Figaro. 

La Comtesse. 

Non» non. Il voudrait mettre ici du ûeru •... 
Mon mafque de velours» & ma canne; que j'aille 
y rèvçr fur la terrafle. ( Suzanne entre dans le cabinet 
de^ toilette. ) 



j 


A <î T E SECOND. loy 


S C E N E X X V. 

La Comtbssz feule. 

V 

«■ 

1 X. eft aflèz ef&onté mon petit projet ! ( Elle fe re^ 
tourne )• Ah le ruban ! mon joli ruban! je t^oubliais ! 
( elle le prend fur fa bergère & le roule) Tu ne me 
quitteras plus • • • • tu me rappelleras la icène où ce 
malheureux enfant. ... ah! Monfîeur leComteiqu'a- 
Tez-vous fait ? • • .& moi! quefais-je en ce moment ? 


SCENE XXVI. 

LA COMTESSE, SUZANNE 

La Comtesse met furtivement le ruban 

dans fon fein. 

Suzanne. 

V o I CI la canne & votre loup. 

La Comtesse. 

Souviens-toi que je t'ai défendu d'en dire un 
mot à Figaro. 

Suzanne, avec joie. 
Madame, il eft charmant votre projet. Je viens 


loS LE MARIAGE DE PiGARaw 

d'y réfléchir. Il rapproche tout , termine tout > em- 
brafle tout ; Se quelque chofe qui arrive > mon ma-^ 
rÎAge eft maintenant certain. ( Elle baife la maùt 
de fa ma&rejfe. ) 

( Elles Jortent. ) 


Pin du fécond A^c^ 


Pendant lentrafte , des valets arrangent la faite 
d* audience : on apporte les deux banquettes à dojjicr 
des Avocats , que l'on place aux deux côtés du théâ" 
tredefafon que le pajfage foit libre par derrière. On 
fofe une ejlrade à deux marches dans le milien du 
théâtre vers le fond y fur laquelle on place le fau^ 
teuil du Comte* On met la table du Greffier & fbn 
tabouret de côté fur le devant ^ & des feges pour 
Brid'oifon & d'autres Juges , des deux côtes de l'ef 
trade du Comte. 


.«— *. 


7 


\ ^v 




A-C.T E ' T R O S:I E M E. ' lo* 


3SSESS3 


ACTE' TROISIEME. 


Lé Théâtre repréfcnte une folle du Château , 
appellée falle du: Trône & fervant défaite 
d audience j ayant fur le côté une impériale, 
en dais y & dejfous , le portrait du Roi. 


V,.. 


I 


SCENE PREMIERE. 

* 

LE COMTE,. PEDRILLE en vefie & boni 

tenant^ un paquet cacheté. 


L.B Comte vitCi 

JV1'as-xu biien entendu ? . 

•- • • • ' • * . ' ^ 

PlDRlLLE. 

• • • ' • t • • 

ISxcéïencey .oai. (n fin). 


I 


MHIM 


SCENE IL- 

L S C O M T.mjiuljcriant. 

Jr£DRII.L£? 


. \ 


A 


iio LE MARIAGE DE FIGAR O, 


"S 


SCENE III. 

LE COMTE, PEDRILLE rcv'une^ 

il«ZCBLI.ENCE? 

L B Comte. 
On ne t'a pas vu ? 

p. B D K I L L B. 

Ame qui vive. 

L B Comte. 

Prenez le cheval barbe. 

Pedrilie. 
U eft à 1^ grille du potager » tout fellé. 

Le Comte. 

Ferme, d*un trait, jufqu'à Séville. 

Pedrxlle. 
Il n 7 a que trois lieues , elles font bonnes. 

L B Comte. 

En defcendant ^ fâchez fi le Page eft arrivé. 

P B P K I L L £• 

Dans rhôtel? 


ACTE TROISIEME, m 

Le Comte. 

Oui 'y fur-tout depuis quel tems ? 

Pëdrille. 
5'entens. 

L E C O M T E. 

Remecs-hii fon brevet » Se reviens vite. 

PlDRILLE. 

Et s'il n y était pas ? 

Le Comte. 
Revenez plus vite, 6c m'en rendez compte : allez. 




SCENE IV. 

Le C o m t b fiulj marche en rivant. 

J'ai fait une gaucherie en éloignant Bazile!.... 

la colère n eft bonne à rien. — Ce billet remis par 
lui , qui m'avertit d'une entreprife fur la Comtefle. 
La camarifte enfermée quand j'arrive. La msutreflè 
affedkée d'une terreur falifle ou vraie. Un homme 
qui faute par la fenêtre , 8c l'autre après qui avoue.... 
ou qui prétend que c'eft lui.... Le fil m'échappe. 

U y a là dedans une obfcurité Des libertés chez 

mes Vaiiraux , qu'importe i gens de cette étoffe ? 

mais la Comtefle ! fi quelque infolent attentait 

où m'égarai-je ? En vérité quand la tète fe monte , 
l'imagination la mieux réglée devient folle comme 
un rcve ! -r- Elle s'amufait ) ces ris écoufles » cette 


m LE MARIAGE DE FIGARO, 

joie mal éteinte! — Elle fe refpeâe ; 8c mon honneur*., 
où diable on la placé! De l'autre pan où fuis- je? 
cette friponne de Suzanne a-t-elle trahi mon fecret ? 

comme il n'eft pas encore le fîen! Qui donc 

m'enchaineâcettefkntaifîe? j'ai voulu vingt fois y 

renoncer Etrange eâèt de Tirréfolution! fi je la 

voulais fans débat , fe la défirerais mille fois mcnns. 
-— • Ce Figaro fe fait bien attendre! il faut le fonder 
adroitement , ( Figaro parait dans le fond: ils* arrête.) 
& tacher , dans la converfktion que je V2Ûs avoir 
avec lui, de démêler d'une manière détournée » 
s'il efl inftruit ou non de mon amour pour Suzanne. 


i. 
^ 


SCENE V. 

LE COMTE, FIGARO. 

Figaro (àpart.) 

W 00$ y voilà. 

Le Comte. 
S'il en fait par elle un feul mot. ..•• 

Figaro {à pan.) 

Je m'en fuis douté. 

Le Comte. 
•• • • Je lui Êds époufer la vieille. 


F I G A R Oi 


ACTE TROISIEME 113 

Figaro [à part.) 
Les amcmrs de Monfieur Bazile ? 

Le Comte. 

» 

«^ « « Et voyons ce que nous ferons de li jeune^ 

F I <& A R o [-à part.) 
Ah! ma femme, s'il vous plaît. 

Le CoMTByè retourne. 

. Hein? quoi? qu^eft-ceque c'eft? 

F I a A R o s*avance. 
Moi, qui me rends 4 vos ordres. 

Le Comte. 
Et poœquoi ces mots ? 

Figaro. 

« 

Je n'ai rien dit. 

Le Comte répkc. 

Ma femme ^ s'il vous plaît? 

Figaro. 

Ceft. ... la fin d'une réponfe que je fefaîs : 
ii//q[ le dire à ma femme ^ s*il vous plaît. 

Le CoMTByj promené. 

Sa femme / . . . . Je voudrais bien favoir quelle 
affaire peut arrêter Moniicux > quand je le fais ap«u 
pelkr ? 

H* 



114 LE MARIAGE DE FIGARO,^ 

Figaro, feignant d^affurer fon habillements 

Je m'étais fali fur ces couches en combanc \ je 
me changeais. 

Le C o' m t e. 

. Faut - il une heure ? 

Figaro. 

Il faut le tems. 

♦ — 

L E C o M T E. 

Les domeftiques ici. . . . font plus longs àsTubUIer 
que les maîtres ! 

F I o A R p. i 

C'eft qu'ils n'ont point de valets poux les y aider. 

J^ E Ç p M ï E. 

.... Je n'ai pas trop compris ce qui vous avait 
forcé tantôt de courir un danger inutile , eh vous 
jettanj. 


>■ . • • 


Figaro. 

Un danger! on dirait que |e me fiiis engoufxé 
tout vivant.... 


Le C o w t e. 


x 


X 


Eflayez de me donner le change en feignant 
de le prendre , infidieux valet ! vous entendez 
fort bien que ce n'eft pas le danger qui m'inquiette, 
mais le motif. 

Figaro. 

Sur un faux avis , vous arrivez furieux , renveriânt 
ibut , comme le torrent de la Morena ; vous cher- 
chez im homme^ il yous le faut y ou vous allez 


ACTE TROISIEME. 115 

brifer les portes , enfoncer les cloifons ! je me trouve 
U par ha2ard, qui fait dans votre emportement; fi.,.. 

Le C o m t £) interrompant. 

Vous pouviez fuir par Tefcalier. 

Figaro. 
Et vous, me prendre au corridor* 

Le Comte e/z colère* 

Au corridor! (^ part.) je m'emporte, & nuls 2 
te que je veux favoir* 

Figaro (â part.) 
iVoyons-le venir, & jouons ferré. 

Le Comte radoucU 

Ce n*eft pas ce que je voulais dire , laifïbns cela* 
î*avais.,*. oui, j'avais quelqu'envie de t'emmeiier 
à Londres , courier de dépêches. . . . mais toutes ré- 
flexions faites. .... 

Figaro. ^ 

Monfeigneur a changé d'avis ? 

Le C ô m t e» ^ 
t^remief ement , tu ne fais pas l'anglais» 

Figaro. 
Je fais God'dam. *• 

Le Comte. 

Je n'^c^m pas. 

H* 


\iit LE MARIAGE DE FIGARO, 

Figaro. 

Je dis que je fais God-dam. 

Le C o m t I. 
Hé bien ? 

Figaro. 

Diable ! c'eft une belle langue que l'anglais j il 
en faut peu pour aller loin. Avec God-dam en 
Angleterre , on ne manque de rien nulle part. — 
Voulez-voiis tâter d'un bon poulet gras ? entrez dans 
une taverne» & faites feulement ce gefte au garçon. 
XII tourne la broche^) God-darnî on vous apporte 
un pied de boeuf falé fans pain. C'eft admirable ! 
Aimez-vous à boire un coup d'excellentBourgogne ou 
de Clairet? rien que celui-ci, (Il débouche une hou-- 
teille j)God'dam! on vousfertun pot debierre, en bel 
étain , la mouffe aux bords. Quelle fatisfadtion ! 
Rencontrez - vous une de. ces jolies perfonnes , qui 
vont trottant menu , les yeux baiffcs , coudes en 
arrière , & tortillant un peu des hanches ? mettez 
mignardenient tous les doigts unis fur la. bouche. 
Ah! God-dam ! elle vous fangle un foufflet de cro- 
cheteur. Preuve qa'elle entend. Les Anglais , à la 
vérité, ajoutent par-ci, par-là quelques autres mots 
en converfànt; mais il eft'bien aifé de voir que 
God'dam eft le fond de la langue ; & fi Monfeigneuc 
n'a pas d'autre motif de me lailTer en Efpagne 

Le Comte (<î part^ 

Il veut venir à Londres j elle n'a pas parlé. 

Figaro [à part.) 

Il croit que je ne fais rien j travaillons-le un peo^ 
dans fon genre. 


ACTE TROISIEME. 117 

* Le Comte. 

Quel motif avait la Comtefle, pour me Jouer 
un pareil tour? 

Figaro. 

Ma foi, Monfeigneur , vous le fâvez mieux que 
moi. 

Le Comte* 

Je la préviens fur tout, & la comble de prcfens. 

Figaro. 

Vous lui donnez , mais vous ctes infidèle. Sait- 
on gré du fuperflu , â qui nous prive du néceflaire ? 

Le Comte. 
.... Autrefois m me difaîi tour* 

F I G A R O. 

Et maintenant je ne vous cache rien. 

Le Comte. 

Combien la Comtefle t*a-t-elle donné pour cette 
belle aflbciadon? 

Figaro. 

Combien me donnâtes-vous , pour la tirer des 
mains du Dofteur ! tenez Monfeigneur ; n'humi- 
lions pas Thomme qui nous fert bien , crainte d*ent 
Eure un mauvais valet. 

Le Comte. 

Pourquoi faut-il qu'il y ait toujours du louche 
en ce que tu fais^ ? 


rii8 LE MARIAGE DE FIGARO, 

Fi G A R o. 

C'eft qu'on en voie par*coat quand on checclie 
des torts. 

Le Comte. 

Une réputation dcteftable! 

Figaro. 

Et fi je vaux mieux qu'elle"? y a-til beaucoup 
de Seigneurs qui puiilènt en dire autant ? 

L E C o M T E. 

Cent fois je.t'ai vu marcher â la fortune > Se ja- 
mais aller droit. 

Figaro. 

Comment voulez-vous ? la foule eft là : chacun 
veut courir, on fe prefïe, on poufïe , on coudoie, 
on renverfe , arrive qui peut j le refte eft écrafé. 
Auflî c'eft fait j pour moi j'y renonce. 

Le Comte. 

A la fortune ? (à pan). Voici du neu£ 

Figaro. 

( à part ) A mon tour maintenant. ( haut ) Votre 
Excellence m'a gratifie de la conciergerie du châ- 
teau ; c'eft un fort joli fort : à la vérité je ne ferai 
pas le Courier étrenné des nouvelles intérefïàntes : 
mais en revanche, heureux avec ma femme aa 
fond de l'Andaloufie. ..^ 

Le Comte. 
Qui ç'empêcheraît de l'emmener à Londres ? 


ACTE TROISIEME, tiv, 

r I G A R o. 

II faudrait la quitter fi fouvent , que j'aurais 
bientôt du mariage par-deflTus la tête. 

Le Comte. 

Avec du caraftère & de lefprit , tu pourrais 
un jour t'avancer dans les bureaux. 

Figaro. 

Dé refprit pour s'avancer ? Monfeignear fe rît 
du mien. Médiocre & rampant ; & l'on arrive à 
tout. 

Le Comte. 

.... Il ne faudrait qu'étudier un peu fous moi la 
politique. 

F î G A R o. 
Je la fais. 

-.Le Comte. 

Comme l'anglais , le fond de la langue ! 

Figaro. 

Oui s'il y avait ici de quoi fe vanter. Mais , fein- 
dre d'ignorer ce qu'on fait , de favoir tout ce qu'on 
ignore ^ d'entendre ce qu'on ne comprend pas , de 
ne point ouir ce qu'on entend ; fur-tout de pouvoir 
au-delà de fes forces : avoir fouvent pour grand fe- 
cret, de cacher qu'il -n'y en a point} s'enfermer 
pbuf tailler des plumes, & paraître profond, quand 
on n'eft , comme on dit, que vuide & creux : jouer 
bien ou mal un perfonnage ; répandre des efpions 
ÔC penfionner des triutres ; amolir des cachets y in- 
tercepter dies lettres ; & tâcher d'ennoblu: la pauvreté 

H4 


:iic LE MARIAGE DE FIGARO, 

êbs moyens, par Fimportance des objets» Voill 
toute la Politique, ou je meure! 

L H C O M T E^ 

Eh ! c'eft l'intrigue que m définis ! 

Figaro. 

La politique , Tintrigue y volontiers 9 maïs > 
comme je les crois un peu germaines, en failè^ 
qui voudra. J'aime mieux ma mie au gué^ comme 
dit la chanfon du bon Roi. 

L B C o u T £ (à part*) 

Il veut refter. J entens. . ... Suzanne m'a tcahî* 

Figaro [àpart.) 
Je l'enfile & le paye en fa monnaie. 

Le Comte. 

Ainfi tu efpères gagner ton procès contre Mar- 
celine ? 

Figaro. 

Me feriez-vous un crime de refufer une vieille 
fille, quand votre Excellence fe permet de nous 
IbufHer toutes les jeunes ? 

Le Comte, raillant. 

Au tribunal , le Magiftrat s'oublie , & ne voit 
plus que l'ordonnance. 

Figaro. 
Indulgente aux grands , dure aux petits... 


•»» 


ACTE T R O I S I E M E: lit 

Le Comte. 

Crois-tu donc que je piaifante ? 

F I G A K O. 

Eh ! qui le fait , Monfeigneur ? Tempo t galan^ 
iuomo j dit lltalicn ; il dit toujours la vérité : c'eft 
lui qui m'apprendra qui me veut du mal, ou du bien. 

Lb Comte (^ patt^ 

Je vois qu'on lui a tout dit j il époufera la 
duègne. 

) F-i G A K o (à. part. ) 

Il a joué au fin avec moi \ qu'a-t-il appris ? 


> ■■ ■ 1 ■— — I % Il [■■■■■■i M . ■■ m il I !■ 


SCENE VI. 

LE COMTE, UN LAQUAIS, FIGARO. 
Li Laquais annonçant* 

JL/OM Gufman Brid'oifon^ 

L B Comte. 

Brid oifon ? 

F I G A R o. 

' Eh ! fans doute. C'eft le juge ordinaire} le Lieu- 
tenant du Siège j votre Prud'homme. 

L £ C o M t B. 

Qu'il attende. (Le laquais fort )• 


»xï LE MARIAGE DE FIÛARO, 


SCENE VII. 

LE COMTE:, FIGARO. 

Figaro rcfic un moment à regarder le Comte 

qui rêve. 

# • . . IJi s T-cE là ce que Monfeigneur voulait ? 
Le Comte, revenant à luu 

Moi ? ... je difais d arranger ce falon pour Tau* 
dience publique. 

Figaro. 

Hé, qu*efl:-ce qu'il manque ? le grand fauteuil 

fjour vous , de bonnes chaifes aux Prud'hommes , 
e tabouret du Greffier ,* deux banquettes aux Avocats, 
le plancher pour le beau monde , & la canaille der- 
rière. Je vais renvoyer les frotteurs. 

, {Il fort.) 


SCENE VIII. 

Le Comte feuL ^^ 

JLiE maraut m'embarrafTait! endifputant, il prend 

fon avantage , il vous ferre , vous enveloppe Ah 

friponne & fripon! vous vous entendez pour me 
jouer? foyez amis, foyez amans , foyez ce qu'il vous 
plaira, j'y confens j mais, parbleu, pour époux. 


• • • 


I 


ACTE TROISIEME. ii| 


SCENE IX. 

t 

SUZANNE, LE COMTE. 

Suzanne ejfouflée» 
JVloNSEiGNEUR. ..pardon , Monfeigneur, 

Le Comte, avec humcurm 
Qu'eft-<:e qu'il y a , Mademoifelle ? 

S U .2 A N N 1. 

Vous êtes en colère! 

Le Comte. 

Vous voulez quelque, chofe apparemment ? 

Suzanne, timidement. 

C'eft que ma maîtrefle a i^% vapeurs. J'accou- 
rais vous prier de nous prêter votre flacon d'éther. Je 
l'aurais rapporté dans Tiriftant. 

Le C o m t e /e //zi donne. 

Non, non, gardez-Ie pour vous-même. Il ne 
tardera pas à vous être utile. 

Suzanne. 

Eft-ce que les femmes de mon ctat ont des 
vapeurs , donc ? c'eff un mal de condition , qu'on 
ne prend que dans les boudoirs. 


124 LE MARIAGE DE FIGARO, 

Le Comte. 

Une fiancée bien éptife. Se qui perd fon futur. • ^ 

Suzanne. 

En payant Marceline » avec la dot que vous 
m'avez promife. • . . • 

L E C O M T £. 

Que je vous ai promife , moi ? 

Suzanne, baîjfant les yeux • 
Monfeigneur, j'avais cm l'entendre. 

Le Comte. 
Oui, fi vous confentiez à m'entendre vous-même. 

Suzanne, les yeux balffes* 
Et n'eft-ce pas mon devoir d'écouter fonExcellence? 

Le Comte. 

Pourquoi donc, cruelle fille! ne me l'avoir pas 
dit plutôt? 

c 
SUZANNE. 

£ft-il jamais trop tard pour dire la vérité ^ 

Le Comte. 

Tu te tendrais fur la brune au jardin ^ 

Suzanne. 
Eft-ce que je ne m'y promené pas tous les foîrs ? 

Le Comte- 
Tu m'as traité ce matin fi durement ! 


\ 

I 


ACTE TROISIEME. 115 

S U Z A N N £. 

Ce matin ?^ — & le Page derrière le fauteuil ? 

Le Comte, 

Elle a raifoi>i Je l'oubliais. Mais pourquoi ce 
refus obftiné^ quand Bazile, de ma part?... 

Suzanne. 

Quelle néceflité qu'un Bazile? ... 

Le Comte. 

Elle a toujours raifon. Cependant il y a un 
certain Figaro à qui je crains bien que vous n'ayez 
tout dit ! 

Suzanne. 

Dame ! oui , je loi dis tout — hors ce qu'il faut 
lui taire. 

Le Comte, ^/z riant. 

Ah charmante! Et , tu me le promets ? fi tu man- 
quais à ta parole j entendons-nous , mon cœur : çoint 
de rendez-vous ; point de dot j point de ni^iage. 

Su z a N N E , fefant là révérence. 

Mais auflî , point de mariage j point de droit 
du Seigneur, Monfeigneur. 

Le Comte. 

Où prend-elle ce qu'elle dit ? d'honneur j'en 
rafoUerai! mais ta maîtreffe attend le flacon . . . . 

Suzanne, riant & rendant le flacon. 
Aurais-je pu vous parler fans un prétexte? 


ij^ LE MARIAGE DE FIGARO^ 

Le Comte veut VembraJJer. 
Dclicîeufe créature 1 

S u z A N K E s^échappe. 
Voilà du monde. 

Li Comte, (i part. ) 
Elle eft à moL (Il s'enfuit). 

Suzanne. 
Allons vite rendre compte à Madame. 




SCENE X. 

SUZANN E, FI GARO. 
Figaro. 

OuzANNE, Suzanne! où cours-tu donc il vice 
en quittant Monfeigneur? 

Suzanne. 

Plaide à préfent, fî tu le veux j tu viens de gagner 
ton procès. ( Elle s'enfuit. ) 

Figaro lafuk^ 
Ahj mais, dis dgnc • • • • • 


ACTE TROISIEME 1x7; 


SCENE XI. 

Le Comte rentre feul. 

_£ V viens de gagner ton procès ! — |e donnaîs- 
là dans un bon piège ! O mes chers infolens ! je vous 
punirai de façon .... Un bon arrêt , bien jufte . . . • 
mais s'il allait payer là duègne. . . . avec quoi?... 
s'il .payait.... Eeeeh! n'ai-je pas le fier Antonio, 
dont le noble orgueil dédaigne, en Figaro, un 
inconnu pour fa nièce? En careflànt cette manie .... 
pourquoi non ? dans le vafte champ de l'intrigue , 
il faut favoir tout cultiver, jufqu'à la vanité d'un 
fot. (Il appelle) Anto . . . ( i/ voit entrer Marceline , àc). 

{ïlfort). 


SCENE XII. 
BARTHOLO, MARCELINE, BRID^OISON. 

Maxceline, àBritCoifon. 

JVloKsifEUR, écoutez mon affaire. 

B'RiD*oisoN, en robe^ & bégayant unpeu% 
' Eh bien ! pa-arlons-en verbalement. . 

Bartholo. 

C'eft une promeiTe de majclage. 


1x9 LE MARIAGE DE FIGARO; 

Marcelin I. 
Accompagnée d un prêt d'argent* 

Brid^ûisôk* 
J*en-enteHS, &cœtera, le refte. 

Marceline. 
Non, Monfîeur , point dUt cotera. 

Brid'oison. 
J'en- entends : vous avez la fomme ? . 

Marceline. 
Non , Monfieur , c'eft moi qui Taî prctccw - 

Brid*oison. 
J*en -entens bien, vou - ous redemandez l'argent? 

Marceline. 
Non, Monfîeur j je demande 'qu'iji m'cpoufc. 

Brid'oison. 

Eh, mais, j'en -encens fort bien j & lai»veu-eat^ 
U vous cpoufer ? 

Marceline. 

Non, Monfîetu:; voilà tout le procès! 

Brid'oison. 

Croycz-vou3 que je ne l'en- entende pas, le 

procès? 

Marcelini. 


j 


ACTE TROISIEME. 129 

Marceline. 

Non , Monfieur: (û Bartholo) où fommes-nous ! 
( à Brid'oifon) Quoi , c'eft vous qui nous jugerez? 

Brid'oison, 
Eft-ce que j'ai a -acheté mâchai^ pour autre chofe? 

/ 

Marceline, en Jbupirant. 
C'eft un grand abus que de les vendre! 

Bri d'oison. 

Oui, Ton- on ferait mieux de nous les donner 
pour rien. Contre qui plai- aidez-vous? 


SCENE XIII. 

BARTHOLO , MARCELINE , BRID'OISON, 

FIGARO rentre en fe frottant les mains. 
Marceline, montrant Figaro. 

JVl onsieur, contre ce malhonnête-homme. 

Figaro, très-gaiment j à Marceline. 

Je vous gêne peut-être. — Monfeigneur revient 
dans Tinftant, Monfieur le Confeiller, 

Brid'oison. 
J ai vu ce ga-arçon U quelque part ? 


i/o le mariage de FIGAROi 

Figaro. 

Chez Madame votre femme, à 3^ville> pour la 
fervir, Monfieur le Confeiller. 

Brid'oison. 
Dan - ans quel tems ? 

Figaro. 

Un peu moins d'un an avant la naîfïàncc de 
Monfieur votre fils le cadet, qui eft un bien joli 
enfant, je m'en vante. 


B R I ù'o I s lO 


N. 


Ouï , c'efl: le plus jo - oli de tous. On dît que 
tu- u fais ici des tiennes? 

F I G A R O. 

« 

Monfieur eft bien bon. Ce n'eft-là qu'une misère. 

Brid'oisoi^. 

Une promeffe de mariage ! A- ah le pauvre benctj 

Figaro. 

Monfieur. 

Brid'oison. 
A-t-il vu mon - on Secrétaire , ce bon garçon 3! 

Figaro. 
N*eft-ce pas Double -main , le Greffier ? 

Brid'oison. 
Oui, c'a «eft qu'il mange à deux rateliersw 


ACTE TROISIEME, iju 

F I G A R» O. 

Manger ! je fuis garant qu'il dcvore. Oh que ouï f 
|e l'ai vu, pour l'oçctrait > & poat le fupplémenC 
d extrait j comme cela fe pratique, au refte* 

BklD'ôlSON« 

On -oh doit remplir lés formes* 

Figaro» 

Aflurément , Monfîeur : (î le fonds des procès 
appartient aux Plaideurs 5 on fait bien que la formé 
eft le patrimoine des Tribunaux. 

Brid'ôisoK, 

Ce garçon là h'è-,eftpas (î niais que je l'avais 
cru d'abord. Hé bien , l'ami, puifque tu en fais- 
tantj nou-^ous aurons foiil de ton afiàire. 

F i G À A o* 

Monfîeur j je m'en rapporte à votre équité, quoi-" 
que vous foyez de notre Juftiee. 

BaiD^olsOî^i 

Hein?. . . Oui , je fuis da là - à Jiiftice. Mais fî ttt 
dois , Se que tu - u ne paye pas ?.. . 

F I G A R 0< 

Alors Morifieur voit bien que c'eft (k>mmer u 
jtJ ne devais pas* 

Êrîd'ôisojï- 
Saii-àris doute. —-Hé mais queft-cé cîoiif: qu'il 

11 


tix LE MARIAGE DE FIGARO, 


•M 


SCENEXIV. 

BARTHOLO, MARCELINE, LE COMTE, 
BRID'OISON , FIGARO, UN HUISSIER. 

i' Huissier, précédant le Comte ^ crie. 

JVlONSBiGNEUR, Meflicurs. 

Le Comte. 

En robe ici. Seigneur Brid'oiibn! ce n*eft qu'une 
af&ire domeftique. L'habit de ville était trop bon. 

Brid'oison. 

C'è-eft vous qui Ictes, Monfiéur le Comte. 
Mais je ne vais jamais fan - ans elle ^ parce que la 
forme, voyez-vous; la forme! Tel rit d'un Juge en 
habit court , qui - i tremble au feul aipeâ d'un 
Procureur en robe. La forme > la -a forme! 

Le Comte, ^ l'HuiJfier. 
Faites entrer l'audience. 

l' H u I s s I £ R va ouvrir en glapiffant. 
L'audience. 


m 


ACTE TROISIEME. 133^ 


S CE NE XV. 

Les Acteurs précédens , Antonio, les Valets 
DU Château , les Paysans et Paysannes en 
habits de fête ; le Comte s*ajjied fur le grand 
fauteuil j Brid'oison fur une chaife à côté ; le 
Greffier fur le tabouret derrière fa table ; les 
Juges, les Avocats fur les banquettes ; Mak- 
CELINE à côté de Bartholo ; Figaro fur l^ autre 
banquette ; les Paysans et Valets debout 
derrière. 

Brid'oison, ^ Double -main. 

J3 ouBLE-MAiN, a- appeliez les caufes. 
D o u B l E - M A i N lit un papier. 

Noble , très-noble , infiniment noble , Dom 
Pedro George y Hidalgo j Baron de Los altos ^ y 
montes fieros y y otros montes: contre Alon\o Ca.1- 
deron , jeune Auteur dramatique. Il eft queftion 
dune comédie mor-née , que chacun délavoue, 
& rejette fur l'autre. 

Le Comte. 

Ils ont raifon tous deux. Hors de Cour. S'ils 
font enfelTible un juitre ouvrage, pour qu'il mar- 
que un peu dans le grand monde , ordonné que 
le noble y mettra fon nom , le poëte fon talent» 

15 


•»54 LE MARIAGE DE FIGARO, 

P o o B t E-M^«A I N /if an autre papier. , 

Jndré Pétrutchioy\.7hovittvii\ contre le Receveur 
4c U Province. H s'agit à\xxï lorcen^ent arbitraircu 

Le Comte. 

L'affaire n'eft pas çîe mon refïbrt. Je ferviraî 
mieux mes vafïauxj en les protégeant près du Ror. 
Paflfez:. 

J3ouBLE-MAiN cfi prend un troi/ltmc* 
Bartholo & Figaro fe lèvent. 

Barbe ^ Agar , Baah , Magdelaine ^ Nicole^ Mar-^ 
celine de Verte-aHure , fille fnajeure \ ( Marceline fh 
lève & féttue) contre i^^a;ï).•. nom de batcme &\ 
blanc? 

F I a À ^ Qt 

Anonyme, 

A - ^onyme ! Que - el patron eft-ce la ? 

FIGARO, 

C'cft le mîen. 

DOU BLE-MAIN éctk^ 

Contre anonj^me Figaro. Qualités? 

Figaro, 

Gentilhomme. 

L E C O M T E. 

Vous êtes gentilhomme? [Le Greffier écrii^ 

F X G A R o. 

Si h cid Teqt voulu j je ferais fils d w Piinc^ 


ACTE TROISIEME, ijs 

Ls CoMTB^ au Greffier. 
Allez. 

l'HuissisR) glapijjant. 
Silence, Meffieurs. 

D O U B L E-M AIN Ht. 

•...Pourcaufed oppofition faite au mariage dudlt 
Figaro , par ladite de Veru allure. Le Dofteur 
Bartholo plaidant pour la demanderefle, & ledit 
Figaro pour lui-même ; (î la Cour le permet , contre 
le vœu de Tufage , & la jurifprudence du Siège. 

Figaro. 



al>us 

là caufe, que 

criant à tue tête , & connaiffant tout» hors le fait, 

s*embarraj(ïent nuflî peu de ruiner le plaideur, que 

d'ennuyer l'auditoire, &* d'endormir Meffieurs: plus 

bourfouflés après , que s'ils enflent compofé Vorado 

pro Murena j moi je dirai le fait en peu de mots. 

Meffieurs .... 

D o u B L E-M A I N. 

En voilà beaucoup d'inutiles , car vous n*êtespas 
demandeur , ik n'avez que la dcfênfe: avancez^ 
Dofteur, & lifez la promefle., 

Figaro. 

Oui , promefle ! 

Bartholo, mettant fes lunettes^ 
Elle eft prccife. 

B R I d' o X s o K* 

I -Il faut la voir. 


ijtf LE MARIAGE DE FIGARO^ 

Double-main. 

Silence donc, Meflîeurs. 

l'Huissier> glapijfant. 
Silence. 

B A R T H O 1 o lie. 

Je foujfigné reconnais avoir refu de DamoiJilU^ 
&c.... Marceline de Verte-allure ^ dans le château 
d^Aguas-Frefcas j lafommc de deux mille piajlres 
fortes cordonnées; laquelle fomme je lui rendrai à fa 
réquifaion j dans ce château ; & je Vépouferax ^ par 
forme de reeonnaijfance ^ &c. Signé Figaro^ tout 
court. Mes concluions font au paiement du billet , 
& à Texécution de la promefle, avec dépens. {Il plaide) 
Meflîeurs... jamais caufe plusintéreflante ne rat fou- 
mife au jugement de la Cour! & depuis Alexandre 
le Grand , quipromit mariage à la belle Thaleftris... ; 

Le Comte, interrompant. 

Avant d'aller plus loin , Avocat j convient-on de 
la validité du titre ? 

Brid*oison, à Figaro. 

» 

Quopo...qu'opo-ofez-vous i cette ledure? 

Figaro. 

Qu'il y a, Meflîeurs , malice , erreur, ou difliac- 
tion dans la manière dont on a lu la pièce; car il 
h'eft pas dit dans l'écrit ; laquelle fomme je lui ren- 
drai ET je Vépouferai ; mais ^ laquelle fomme je 
lui rendrai j OU je Vépouferaii ce qui efl: bien dif^ 
férent. 


ACTE TROISIEME, ij;;.. 

L E C O M T E. 

Y a-t-il ET, dans l'aftej ou bien OU ? 

Bartholo. 

Il y a ET. 

Figaro. 
Il V a OU. 

Brid'oison. 

Dou - ouble - main , lifez vous-même > 

DoxjBLE-MAïKj prenant le papier. 

, Et c'eft le plus sûrj car fouvent les Parties dc- 
guifent en lifant, {Il lit). E. e. e. Damoifelle e.e.e. 
de Verte-allure e. e, e. Ha! la quelle fomme je lui ren-* 
drai à fa réquijition^ dans ce château, ..ET.*. OU... 
BT. . . O t/. . . Le mot eft fî mal écrit,., il y a un pâté. 

Brid'oison. 
Un pâ - âté ? je fais ce que c'eft. 

BartholOj plaidant. 

Je foutîens, moi, que c'eft la conjonârion copu- 
lative ET qui lie les membres co-relatlfs de la phia- 
fe; je paierai la demoifelle, ET je Tépouferai. 

Figaro, plaidant. 

Je foutiens,, moi , que c'eft la conjondfcîon alter- 
native OU , qui fépare lefdits membres j je paierai 
la donzelle, OU je i épouferai : à pédant, pédant & 
demi; qu'il s'avife de parler latin, j'y fuis grec j je 
l'extermine. 


If^t LE MARIAGE DE FIGARO, 

Le Comte. 

Çonunem juger pareille queftion? 

BARTHOtO. 

Ponr la trancher , Meilleurs & ne plus dûcaner 
Ibi un mot» nous paiibns qu'il y ait OU« 

Figaro» 

J'en demande aAe. 

B A R T a o t o. 

« 

Et nous y adhérons. Un fi mauvais refuge ,ne 
fauvera pas le coupable : examinons le titre en ce 
fcns. {Il tu) Laquelle fomme je lui rendrai dans 
ce château oh je l'épouferai ; c eft ainfi qu'on dirait , 
Mef&eurs : vous vous ferê:[ J^ig^r dans ce lit où 
vous reftere^^i chaudement j c*eft dans lequel. Il pren- 
dra deux gros de rhubarbe où vous mêlerer un peu 
de tamarin : dans lefquels on mêlera. Amfi châ-^ 
teau où je l'épouferai y Meflîeurs, c'eji château dans 
lequel. • • • 

Figaro. 

Point. du tout: laphrafe eft dans le fens de celle- 
ci; ou ^ maladie vous tuera ^ ou ce fera le Médecin; 
ou bien le Médecin ; c'eft inconteftable. Autre 
exemple : ou vous nécrirerj^ rien qui plaifcj on les 
fats vous dénigreront; ou bien les fois \ le ^tr& eft 
clair; car» audit cas, fois ou méchants ^ font le 
iîibftantif qui gouverne. Maître Bartholo croit-il 
donc que j aye oublié ma fyntaxe? ainfi, je la paierai 
dans ce château, virgule \ ou je répoufetai«..«»« 

Bartholo, vm% 

Sans virgule. 


*.CTE TROISIEME, ijf 

Figaro, vue. 

Elle y eft. C'eft , virgule, Meffieurs , ou bien je 
Fépouferai. 

Bartholo, regardant le papier : vit€* 

Sans virgule, Meffieurs. 

F I 6 A R o 5 vite. 

Elle 7 était, Meffieurs. D'ailleurs , rhomme qui 
ISpoufe eft-il tenu de rembourfer? 

3artholo, vite. 

OuLy nous nous marions féparés de biens. 

Figaro, vite. 

Et nous de corps , dès que mariage n'eft pas 
quittance. {Les Juges fe lèvent 6 opinent tout bas ). 

Bartholo. 

Plaiiànt acquittement!. 

D o y B L E-M AIN. 

Silence, Meffieurs. 

jl'Huissibr, glapijjant. 
Silence. 

B A r T H o t o. 

îJn pareil fripon appelle cela payer ks dettes! 

Figaro. 
tft-ce votre caufe. Avocat, que vous plaidez? 


140 LE MARIAGE DE FIGARO^ 

Bartholo. 

Je défens cette Demoifelle. 

Figaro. 

Continuez à décaifonner^ mais ceflfêz d'injurien. 

Lorfque, craignant l'emportement des plaideurs, les 
Tribunaux ont toléré qu'on appellât des tiers ; ils 
n'ont pas entendu que ces défenfeurs modérés > 
deviendraient impunément des infolens privilégies. 
Ceft dégrader le plus noble inftitut. 

(Les Juges continuent d'opiner tas.) 

Antonio, à Marceline , montrant les Juges» 
Qu'ont-ils tant à balbucifier ? 

Marceline. 

On a corrompu le grand Juge> il corrompt raiitre> 
Se je perds mon procès. 

Bartholo, bas ^ d'un ton fombre^ 
J'en ai peur. 

Figaro, gaiment. 

Courage , Marceline ? 

D ou B L E-M A I N yê lève\ à Marceline* 

Ah, c'eft trop fort! je vous dénonce, & pour 
l'honneur du Tribunal, je demande qu'avant faire 
droit (iir l'autre afïàire, il foit prononcé fur celle-ci. 

Le Comte s'affied. 

Non , Greffier , je ne prononcerai point fur mon 
injure perfonelle : un Juge efpagnol n'aura poiot 1 


ACTE TROISIEME, i+i 

rpùgii d'un excès digne au plus des tribunaux 
afîâtiques : c'eft aflez des autres abus ! J'en vais 
corriger un fécond en vous motivant thon arrêt : 
tout Juge qui s'y refiife , eft un grand ennemi des 
lois ! Que peut requérir la demanderefTe ? mariage 
à défaut de paiement y les deux enfemble implique- 
raient. 

D O U B L E-M AIN. 

Silence, Meflieurs. 

l'Huis s IEK> glapiffant. 
Silence, 

Le Comte. 

Que nous répond le défendeur ? qu'il veutgardet 
(a perfonne ; a lui permis. 

F I G A a o > avec joie. 

J'ai gagné. 

Le Comte. 

Mais comme le texte dit : laquelle fomme je 
paierai à la première réquifition^ ou bien j*épouferai ^ 
&c. La Cour condamne le défendeur à payer deux 
mille piaftres fortes , à la demanderefle j ou bien 
à l'époufer dans le jour. {Il fe lève). 

Figaro fiupéfait. 
J'ai perdu. 

Antonio, avec joie. 
Superbe arrêt. 

Figaro. 
En quoi fuperbe ? 


141 LE MARIAGE DE FIGARO/ 

Antonio. 

En ce que m n'es phis mon neveu. Grand merc) 
Monfeigneur* 

L'HuissiER5 gtapijfanti 
Paflez , Meflîeurs. ( Le peuple fort. ) 

Antonio. 
Je m*en vas tout conter à ma nièce. {Il/bn)4 

x 
m <••■- ! . ■ • . I n 11 I I ■ 

S C E N :e XVI. 

LE COMTE, allant de côté & d^autre^ 
MARCELINE , BARTH0LO , FIGARO , 
BRID'OISON. 

MAaCBtiNi s^ajfied, 

A h ! je refpire. 

Figaro* 
Et moi , j'ctouffe. 

Le Comté (à part.) 

Au moins je fuis vengé , cela foulage. 

Figaro {à part.) 

Et ce Bazile qui devait s oppofer au maxîagôf 
de Marceline ; voyez comme il reviçnt ! — {au 
Comte qui fort) Monfeigneur vou« nous quîcrea? 




ACTE TROISIEME. i4| 
L s C o :|i< T s. 

Tout eft jugé. 

FzGARo^^ SricToi/on^ 

C*eft ce gps enSé de Confeiller. • . ...^ 

Bat D*o z s o K. 
Moi, gro-os enfle! 

Figaro. 

- Sans doute. Et je ne l'cpouferai pas : je fuis Gentil^ 
homme une fois. (Le Comte s'arrête. ) 

Bartholo. 

Vous Icpouferez. 

Figaro. 

Sans l'aveu de mes nobles parens ? 

Bartholo. 
Nommez - les , montrez - les. 

Figaro. 

Qu'on me donne lin peu de tems : je fuis bîeni 
près de les revoir^ il y a quinze ans que je le$( 
cherche. 

Bartholo. 
Le fat ! c'eft quelqu'enfant trouvé ! 

Figaro. 

Eufant perdu, Doûeurj ou plutôt enfant volé. 


;i44 LE MARIAGE DE FIGARO» 

Le Comte revient. 

t 

VbUy perdu > la preuve? il crierait qu on lui 

fait injure! 

Figaro. 

Monfeîgneiu: , quand les langes à dentelles , 
tapis brodés & joyaux d'or trouvés îm moi pat 
les brigans, n'indiqueraient pas ma haute naiiTance; 
la précaution qu'on avait prile de me faire des mar^ 
ques diftin6tives> témoignerait aflez combien j'c- 
lais un fils précieux : & cet hiéroglyphe à mon bras.,. 
'(// veut fc dépouiller k bras droit). 

Ma rcei;.ine, fe levant vivement. 
Une fpamle à ton bras droit ? 

F I 6 A R 0^ 

D'où favez-vous que je dois l'avoir? 

Marceline. 
Dieux! c'eft luil 

Figaro, 
Oui , c'eft moi, 

Bartholo,^ Marceline. 
Et qui ? lui ! 

Marceline, vivement. 
Oeft Emmanuel. 

Bartbolo, à Figaro. 

r 

Tu fos enlevé par des Bohémiens ? 

FiG A R. O, 


ACTE TROISIEME- 145 

. F 1 û A R o , exalté. 

Tout près d'un château. Bon Dodleur , fi vous 
me rendez à ma noble famille , mettez un prix à 
xe fervice ; des monceaux d or n'arrêteront pas mes 
illuftres parens. 

Barthoio, montrant Marceline. 
Voilà ta mère. 

Figaro. 

^ . . • Nourrice ? 

BarthoTo. 

Ta propre mère, 

Le Comte* 

Sa mère l 

Figaro* 

Expliquez- vous. 

Marceline, montrant Bartholo. 
Voilà ton père. 

Figaro, dé foie. 
O o oh! aye de moi. 

Marceline» 
Eft-ce que la nature ne te l'a pas dit mille fois ? 

Figaro. 

Jamais. ,1 

* K 


/ 


J4tf LE MARIAGE DE FIGARCT:^ 

Le Comte {à part.) 

Sat mère 1 

Brid'oisôn. 

Ceft clair, i-il ne l'époufera pas. 
({3* Barthol©- 
Ni moi non plus. 

M A R C E L I K E. 

Ni vous l & votre fils ? vous m'aviez juré. . ^ 

« 

Bartholo. 

J'étais fou. Si pareils fouvenirs engageaient, 
en ferait tenu d'époufer tout le monde. 

Brid'oison. 

E - et fî 1 on y regardait de fi près , per - er- 
*ib»ne n épouferait perfonne. 

B a R t H o t o. 
Des fautes fi connues ! une jeunefle déplorable l 


■■MMlb-l^ 


«ç^^p Ce qui fuit , enfermé entre ces deux index , a été retrancké 
f«r Us CoJBédieas Fr«ii^ aux repréftntkcio&s de Ptris. 


ACTE T R O I S I E M E. 147; 

Makcilzkb, s^échaufanx par dégrcs^ 

Ouï» déplorable , & plus qu'on ne croit ! |e n en-» 
cens pas nier mes fautes , ce jour les a trop bien 
prouvées! mais qu'il eft dur de les expier après 
irente ans d'une vie modefte! j'étais née, moi, 
cour ctre fage , & je la fuis devenue fitét qu'on 
m'a permis d'ufer de ma raifon. Mais dans l'âge 
des illu/îons , de l'inexp-rience & des befoins , où 
les féduâeurs nous affiegent , pendant que la mi- 
ïere nous poignarde , qu« peut oppofer une enfant ii 
tant d'ennemis ralTemblés ? tel nous juge ici févè- 
rement, qui, peut-être, ea fa vie a perdu dix in- 
fonunces l 

F ï G A R O, 

Les plus coupables *font les moins, gcncireux ; 
cVft la règle. 

Marceline, yivtmcnu 

Hommes plus qu'ingrats , qui flétrifTez par le mc- 
|)ris les jouets de vos paffions, vos viétimes! c'eft 
vous qu'il faut punir des erreurs de notre jeuneflè j 
vous 8c vos magiftrats, fi vains du droit de nous 
Juger, Se qui nous laiflent enlever, par leur cou- 
pable négligence , tout honnête moyen de fubfifter. 
Eft-il un feul état pour les malheureufes filles ? Elles 
avaient un droit naturel à toute la parure des fem- 
mes : on y laiflfe former mille ouvriers èe l'autre 
fexe. 


FiGARO;,^A2 colcre^ 
Us font broder jufqu'aux foidats ! 


Kl 


14» tE MARIAGE DE FIGARO^ 

Marceline txakéc. 

Dans les rangs mêmes plus élevés ^ les femmes 
n'obtiennent de vous qu'une confîdération dcri- . 
foire; leurées de reipeébs apparens, dans une fêr- 
yitude réelle ', traitées en mineures pour nos biens , 

£ unies en majeures pour nos fautes ! ah, fous tous 
^s afpeâs , votre conduite avec nous fait horreur , 
ou pitié ! 

F 1 G A R o« 

Elle a raifonl 

Le C o . m t e (ti part.) 

Que trop raifon ! 

B R I d'o I s o n« 

Elle a, mon - on dieu , raifon. 

Marceline. 

Mais que nous font, mon fils, les refus d un 
homme irijufte ? ne regarde pas d'où tu viens , 
vois où m vas y cela feul importe à chacun. Dans 
quelques mois ta fiancée ne dépendra plus que 
d'elle-même ; elle t'acceptera , j'en répons : vis 
entre une époufe, une mère tendres qui te ché- 
riront à qui mieux-mieux. Sois indulgent pour elles , 
heureux pour toi, mon fils; gai, libre ic bon pour 
tout le monde : il ne manquera rien â ta mère. 

F I o A R o. 

Ta parles d'or, maman, & je me tiens â ton avis. 
Qu'on eft fot en effet! il y a des mille mille ans que le 
monde roule, & dans cette océan de durée où |'ai pai 


ACTE TROISIÈME. i45> ' 

hazard attrapé quelques chctifs trente ans qui ne 
reviendront plus, j'irais me tourmenter pour favoir 
a qui je les dois-l tant pis pour qui s'en inquiète» 
Paner ainfi la vie à chamailler , c'eft pefcr fur le 
collier fans relâche comme les malheureux chevaux 
de la remonte des fleuves , qui ne repofent pas , 
même quand ils s'arrêtent , & qui tirent toujours 
quoiqu'ils ceffent de marcher. Nous attendrons. ,|^ 

Le Comte. 

Sot événetnent qui me dérange ! 

Brid'oison, à Figaro-. 

Et la nobleflè & le château? vous împo-ofçz 
\ la juftice? 

Figaro; 

Elle allait me faire faire une belle fotife, fa 
Juftice ! après que j'ai manqué , pour ces maudits 
cent écus, d'aflbmmer vingt fois Monfieur, qui 
fe trouve aujourd'hui mon père l mais , puifque 
le ciel a fauve ma vertu de ces dangers 5 mom p^e> 
agréez mes excufes. . . Et vous, ma mère, embraf- 
{îbz-moi....Ie plus maternellement que vous pourrezii 

(Marceline lui faute au cou)^ 


•^, 


I 


1 


K? 


IX50 lE MARIAGE DE FIGARO, 


S C E N E X V I L 

BARTHOLO , FIGARO ^ MARCELINE , 
BRID'OISON, SUZANNE, ANTONIO, 

LE COMIE^ 

Su2ANNi> accourant , une hourfe à ta main. 

jVloNSEiGNEUR , arrètcz j qu'oa ne les mario 
pas : je viens payer Madame avec la dot que mat 
maîtrefle me donne. 

L B Comte [à part.) 

Au diable la maîtreffè ! Il femWe que tout coiifc 
pire.... {Il fort). 




SCENE XVIII. 

3ARTHOLO, ANTONIO, SUZANNE, 
FIGARO , MARCELINE , BRID^OISON. 

Antonio voyant Figaro jembrajftr fa mère^ 

dit à Suf^anm. 

JK H , ouï payer ! Tiens , tiens. 

Su zANNiyi retourne. 
J'en vois afTez : fortons , mon oncle. 


ACTE TROISIEME. 151 

Figaro, Varritanu 
Non , s'il vous plaît. Que vois-tu donc ? 

S U Z A N N il. 

Ma bctife & ta lâcheté. 

Figaro. 
Pas plus de Tune que de l'autre. 

Suzanne en colère. 

Et que tu répoufes à gré puifque tu k careflès. 

Figaro, gamcnt. 

Je la carefle ; mais je ,ne Tépoufe pas. 

[Sw(anne veut fortity Figaro la retient). 

S u z A N N E /«i donne un fouffiet. 
Vous êtes bien infolent d'ofer me retenir! 

Figaro, ^/^ compagnie. 

C'eft-il .çà de lamour ? Avant de nous quitter , 
Je t'en fupplie, envifage bien cette chère femme-là. 

S z A N N ,E. 

Je la regarde. 

Figaro. 
Et tu la trouves ? 

Suzanne. 

Aflreufe. 

K4 


iji LE MARIAGE DE FIGARO, 

Figaro. 

. Et vive la jaloufie ! elle ne vous marchande pas. 

Marcei,inEj/«j bras ouverts. 

Embrafle ta mère , ma jolie Suzanette, Le mé- 
chant qui te tourmente eft mon fils. 

S u z A N K E court à elle. 

Vous fa mère ! ( elles refient dans les bras l^um 
de l'autre.) 

Antonio. 

C'eft donc de tout à l'heure ? 

Figaro. 

> • « • Que je le fais. 

Marceline exaltée. 

Non , mon cœur entraîné vers lui, ne fe trompait 
que de motif j c'était le fang^ qui me parlait. 

F L G A R o. 

Et moi, le bon fens , ma mère , qui me fervait 
d'inftinâ: quand je vous refufais , car j'étais loin 
de vous haïr ; témoin l'argent... 

Marceline lui remet un papier». 

Il eft à toi : reprens ton billet , c'eft ta dot. 

Suzanne lui jette la bourfe. 
Prens encor celle-ci. 

Figaro, 

Grand^merci. 


A C T E T R O I s I E M E. 15;' 

I 

Marceline exaltée. 

Fille aflez malheurcufe , j allais devenir la plus 
miférable des femmes , & je fuis la plus fortunée 
des mères ! Embraflez-moi , mes deux enfans \ j'unis 
dans vous toutes mes tendreffes, Heureufe autant 
que je puis l'être , ah > mes enfans , combien je vais - 
aimer ! 

Figaro attendri : avec vivacité. 

Arrête donc , chère mère ! arrête donc î voudrais- 
;tu voir fe fondre en eau mes yeux noyés des pre- 
mières larmes que je connaifle ? elles font de joie, 
au moins. Mais quelle ftupidité ! j'ai manqué d'en 
être honteux: je les fentais couler entre mes doigts, 
regarde j ( // montre fes doigts écartés ) ic je les 
retenais bêtement ! vas te promener la honte \ 
^e veux rire & pleurer en même-tems ; on ne ferit 
pas deux fois ce que j'éprouve. (// erhbrajfe fa 
mère d*un côté ^ Sm^anne de l* autre ). 

M A R c E X i N 1. «^^*«'^ 

Âmonio. ' 

O mon ami ! suiaone. 

Figaro. 
S U Z A N N 2» Marceline. 

Mon cher ami ! BridWon, 

Brid'oisok s^ejfuyant les yeux d^un mouchoir. 
Eh bien ! moi! je fuis donc bê - ête aùflî ! 

F i G A R o exalté. 

Chagrin, c'eft maintenant que je puis te défier : at- 
teins-moi, fi tu l'ofes, entre Ces de«;c femmes chéries. 


154 LE MARIAGE DE FIGARO; 

Ant-okio, à Figaro^ 

Pas tant de cajoleries, s*il vous plaît. En fait de 
mariage dans les familles , celui des parens va 
devant , iâvez. Les vôtres fe baillent*ils la main ? 

Bartrolo. 

Ma main! puifTe-t-elle fe deflecher & tomber ^ 
. 6 jamais je la donne à la mère d'un tel drôle ! 

Antonio,^ Bartholo. 

Vous n'êtes donc qu'un père marâtre ? {à Figarc!^ 
En ce cas , nor galant , plus de parole. 

Suzanne. 

Ah, mon oncle 

Antonio. 

Irai-je donner l'enfant de not'fccur i fti qui 
n'eft l'enfant de perfonne ? 

BrId' OISON. 

Eft<e que cela - a fe peut , imbccille ? on - on 
eft toujours l'enfant de quelqu'un. 

Antonio. 
Tarare !.. il ne l'aura jamais; [Il fort ^ 



ACTE TROISIEME. 4 


55 


SCENE XIX. 

BARTHOLO, SUZANNE, FIGARO, 
MARCELINE, BRID'OISON. 

Bartholo, ^ Figaro. 

rL T cherche à préfent qui t adopte. (// vcutfonu). 

Marceline courant prendre Bartholo 
à bras le corps y le ramené. 

Arrêtez , Dofteur , ne fortez pas, 

Figaro [àpart) . 

Non , tous les fots dAndaloufie , font, }e croîs, 
déchaînés contre mon pauvre mariage ! 

Suzanne, à Bartholo, 
Bon petit papa , ç'eft votre fils. 

Marceline,^ Bartholo. 
De Tefprit , des talens , de la figure. 

Figaro, à Barthoh. 
Et qui ne vous a pas coûté une obole. 

BAkTHOLO. 

Et les cent écus qu'il m'a pris ? 

Marceline, le careffant. 
Nous aurons tant de foin de vous > Papa ! 


Suzanne* 

Bartholo. 

Marceline* 

Figaro* 

Brid'oifoiit 


t^e LE MARIAGE DE FIGARO» 

SvzANKS^/^ carejfant. 
Nous vous aimerons tant y petit Papa l 

Bartholo, attendri. 

Papa! bon papa! petit papa! voilà que Je fuis 
plus bcte encor que Monfieur , moL {Montrant 
BriiToifon). Je me laifTe aller comme un enfant. 
( Marceline & Suzanne l*embrajfent ). Oh l non , je 
n'ai pas dit oui. {ïlfe retourne).()}idi donc devanu 
Monfeigneur ? 

F I G il R O. 

' Coqrons le foindre ; anrachons-lui fon demies 
mot. S'il machinait quelqu autre intrigue , il fau- 
lirait tout recommencer. 

Tous enfemble. 

Courons , courons. 

{Ib entraînent Bartkolo dehors}^ 


SCENE XX. 

Bri d'oison feuL 

XL u s bê - cte encor que Monfieur ! on peut 
fe dire à foi-même ces -es fortes dechofes-U> 

niais I- ils ne font pas polis du tout dan- ans 

cet endroit-ci. {Il fort.) 


Fin du troijieme A^e. 



À 


ACTE QUATRI E M E. 15^ 


J-^- i 




•éâtlammtm 


ACTE QUATRIEME. 

fjç théâtre, rep refente une galerie ornée de 

: \eandelabres y delujires allumés y de fleur s ^ 

de guirlandes , en un mot préparée pour dohr 

ner une, fête. Sur le devant à droite ejl une 

r table avec une ercitoirey un fauteuil derrière^ 


'^ 


{ s C É N E P R E M I E li E. 

4 . . . » • H 

FIGARO, SUZANNE. 

^F I G A R o, la tenant a bras' le corps^ 

Jri i; bien ! amour , es-tu contente ? elle a.convera 
Ton Ddftëur \ cette fine langue dorée dé ma mèrél 
inalgré fa répugnance, il i'époufe, & ton bourû 
.d oncle eftbritléj'il n'y a que Monfeigrieur .quî^ 
-rage , taf enfin notre Hymen va devenir leprix' da ' 
leur. Ris donc un peu de ce bon réfultat* 

Suzanne. 

fAs-tu rien vu de plus étrange? 

Figaro; 

"VOu plutôt d'auflî gai. Nous ne voulions qu'une 
dot arrachée à l'Excellence ;' en voilà deux dàÈis 
.nos mains, qui ne fprtentpas des * fiennes. ' Une - 


S5S LE MARIAGE DE FIGARO, 

rivale acharnée. ce pourfuivaitj j*écais tourmencc 
par une furie ! tout cela s'eft changé y pour nous ^ 
dans la plus tonne des mères. Hier j'étais comme 
feul au monde ; & voilà que j'ai cous mes parens ; 
pas fi magnifiques , il eft vrai y que je me les 
étais galonés ; mais aflez bien pour nous ^ qui n'a* 
yons pas la vanité des riches. 

Suzanne. 

Aucune des chofes que tu avais diipofées , que 
nous attendipns , mon ami , n'eft pourtant arrivée ! 

Figaro. 

Le hazard a mieux fait que nous tous, ma petite: 
ainfî va le monde ; on travaille , on projetre , on 
arrange d'un côté ; la formne accompht de l'autre : 
& depuis l'afïamé conquérant qui voudrait avaler la 
Terre , jufqu'au paifîbfe aveugle qui fe laifle mener 
par fon chien , tous font le jouet de fes capflrices ; 
encor l'aveugle au chien , eft-il fouvent mieux 
conduit , moms trompé dans fês vues , que l'autre 
$iveugle avec fon entourage. — Pour cet aimable 
îiveugle, qu'on nomme Amour. ^••. (// la reprend 
tendrement à bras le corps. ) 

4 

Suzanne. 
Ah ! c'eft le feul qui m'intérefle ! 

Figaro. 

Permets donc que, prenant l'emploi de la folie ,je 
ibis ic bon chien qui le mène à ta jolie mignone 
porte \ ôc nous voilà logés pour la vie. 


ACTE QUATRIEME. ijj 

SuzAMNi) riant. 
L'Amour & coi ? 

Figaro. 
Moi 8c r Amour. 

S U Z A V K s. 

t 

Et vous ne chercherez pas d'autre gîte? 

Figaro. 

Si m m'y prens , je veux bien que mille millions 
4t galans 

S XJ Z A N H 1. 

Tu vas exagérer : dis ta bonne vérité* 

F t G A R O. 

Ma vérité la plus vraie ! 

Suzanne. 
Fi donc , vilain ! en a-t-on plufieurs ? 

Figaro. 

Oh! que oui. Depuis quon a remarqué qu'avec 
le tems vieilles folies deviennent fagelTe , 6c qu'an- 
ciens petits menfonges afTez mal plantés ont produit 
degroiles, groflfes vérités ; on en a de mille eipeces. 
Et celles qu'on fait , fans ofer les divulguer \ car 
toute vérité n^eft pas bonne à dire : 8c celles qu'on 
vante , fans y ajouter foi j car toute vérité n'eft pas 
bonne à croire: 8c les fermens pailionnés, les mena^ 
ces des mères , les proteftations des buveurs , les 
promeflès des gens en place, le dernier mot de nos 
marchands ^ cela ne finit pas. Il n'y a que mon aïoour 
{K3ur Suzoa qui foif une vérité de bon alow 


^6o LE MARIAGE DE FIGARO^ 

S U Z A N N JE. 

J'aime ta joie , parce qu elle eft folle ; elle an- 
nonce que tu es heureux. Parlons du rendez-vous du 
Comte. 

Figaro. 

Ou plutôt n'en parlons jamais j il a failli mé 
coûter Suzanne. 

Suzanne. 

Tu ne veux donc plus qu'il ait lieu? 

Figaro. 

Si vous m'aimez , Suzon j votre parole d'honneui 
fur ce point : qu'il s'y morfonde j &c'eftfa punition. 

Suzanne. 

Il m'en a plus conté de l'accorder, que je n'ai 
de peine à le rompre : il nçn fera plus* queftion. 

Figaro. 
Ta bonne vérité ! 

S y z A N N E. 

Je ne fuis pas comme vous autres favans ^ moi ^ 
|e n'en ai qu'une. 

F l 6 A R o« 

Et tu m'aimeras un peu? 

Suzanne; 
Beaucoup. 

F l G A R Ot 

Çen^eft guère. 

S u ZA NN Ei 


ACTE QUATRIEME. itt 

Suzanne. 

Et comment? 

F I o A n o. 

En fait d'amour > vois-tu , trop n^eft pas même 
cdTez. 

S U 2 A il N fi. 

Je n'entens pas toutes ces âneÛes ; mais je n'ai*^ 
merai que mon mari. 

Figaro. 

Tiens parole , & m feras une belle exception à 
Tufage. (// veut lUmbrajfery 


■ .. 


■ ■ 


SCENE IL 

HGARO, SUZANNE, LA COMTESSE. 
La Comtesse. 

jr\ H y j'avais raifon de le dire ; en quelque endroit 
qu'ils foient , croyez qu'ils font enfemble. Allons 
donc, Figaro, c'eft voler l'avenir, le mariage & 
vous-même , que d'ufurper un tête à tête. On vous 
attend , on s'impatiente. 

Figaro. 

Il eft vrai. Madame, je m'oublie. Je vais leur 
montrer mon excufe. 

(Il veut emmener Su:[anne). 

La Comtesse iz retient. 
Elle vous fuit. 




Ùi LE MARIAGE DE FIGARO, 




SCENE in. 

SUZANNE, LA COMTESSE- 


La CoMTESSJB. 


J\ s-TU ce qu'il nous faut pour troquet de vc- 
tement ? 

Suzanne. 

Il ne faut rien. Madame^ le rendez-yous ne 
tiendra pas. 

La Comtesse. 
Ah ! vous changez d'avis ? 

Suzanne. 

C'eft Figaro. 

La Comtesse. 
Vous me trompez. 

Suzanne. 

Bonté divine ! 

Xa Comtesse* 

Figaro n'eft pas homme à laifTer échapper ime, 
dot. 

Suzanne* 

Madame! eh que croy ez«> vous donc ? 


ACTE QUATRIEME. U} 

Qu'enfin , d'accord avec le Comte, i| vous fichd 
k préfent de m'avoir confié fes projets. Je vous fai| 
par coeur. LaifTez^-moi, 

( Elle veut Jortlr.) 

Suzanne fe jette À genoux. 

Au nom du Ciel e(poir de tous ! vous ne fave^ 
pa5 , Madame , le mal que vous faites à Suitanne \ 
«nxès vos hontes coneinueiks 9c h dot qu# ViO^s mt 

La Comtesse la rethe. 

Hé mais.... je ne fais ce que je dis! en mt 
cédant ta place au jardin , eu n'y va« p^/ mon 
ccnir ; tu tiens parole i ton mari } tu m'aide$ I 
ramener le mien. 

S V z A N K £• 

Comme vous m'avez affligée ! 

La Comtesse. 

Ceft que je ne fiiis qu'une écourdie { elle la, baifi 
4m front y) où çft ton rendez-vous ? 

SUZANNE lui iaifi la main* 
X^ mojc iç jardiD m^ i^ul frappé^» 

La Co m t i? s ; £ » montrant la tabU% 
Pr^ns cette plume , Se fixons w endroitt 

S y z A N )r i« 

Lui éçmc \ 

U 


1^4 LE MARIAGE DE FIGARO,. 

La Comtesss* 
Il le faut. 

S U Z A K N !• 

Madame ! au moins , c'eft vous. . • « 

La Comtesse. 

Je mets tout fur mon compte. ( Suzanne s^ajfîed^ 
la Comtejje diSe). 

Chanfon nouvelle ^ fur Voir : Qu^il fera heau^ 

ce foir^ fous les grands Maronniers ;..•.• Qu^U 
fera beau cefoir..... 

Suzanne écrit. 

■ 

Sous les grands Maronniers. , • • après ? 

La Comtesse. 
Crains-tu qull ne t entende pas ? 

Suzanne relit. 

C*eft |uft^. ( Elle plie le billet). Avec quoi 
cacheter ? 

L A C o M T £ s s E. 

Une épingle , dépêche : elle fervira de répon(e« 
Écris fur le revers : renvoyez-moi le cachet. 

Su z a n n s écrit en riant. 

Ah! le cachet !.. celui-ci » Madame > eft plus gai 
que celui du brevet. 

La Comtesse» avec unfouyemr douloureux^ 
Ah! 


ACTE QtJATRIEME. 16$ 

Suzanne cherche fur elle. 
Je n ai pas d'épingle â ptéfent ! 

La Comtissi détache fa lévite* 

Prens celle-cL [Le ruban du Page tombe de fan fem 
k terré). Ah mon ruban ! 

Suzanne le ramajfe. 

Ceft celui du petit voleur! vous avez eu la 
cruauté?.., • 

La Comtesse. 

Falw-il le laiflèr â fon bras ? c'eût été joli ! donnez 
donc ? 

Suzanne. 

Madame ne le portera plus , taché du fang de ce 
jeune homme. 

La Comtesse le reprend. 

Excellent pour Fanchette. • • • le premier bouquet 
qu elle m'apportera. 


S$2 


u 


ii€ LE MARIAGE DE FIGARO, 


•te*i 


SCENE IV, 

FaKchettï 6^ beaucoup de jeunes filles habit* 
Ues comme elle j & tenant des bouquets. 

LA COMTESSE, SUZANNE* 

Fakchetti* 

JVi ADAMÈ ^ ce font les filles du botitg <]ui vieii* 
tient vous préienter des (leurs. 

La Comtesse, fefrant vîtefon ruian» 

Elles font charmantes: je mereproche) mes belles 
betites » de ne pas vous connaître toutes. ( momnmt 
Chérubin )• Quelle eft cette aimable enfant qui % 
Taira ttiodefte? 

tlNÊ Berôbre* 

CWl une coufine à moi , Madame , qui n eft id 
que pour la noce» 

La CoxcTissE* 

Elle eft jolie» Ne pouvant porter vingt bouquets 9 
fefons honneur â l'étrangère. (Elle prend le bouquet 
de Chérubin & le baife au front). Elle en rougit! {à 
S tisonne j) ne trouves-^m pas^ Su2on,.«.» qu'elle 
feiumble à quelqu'un } 


ACTE QUATRIEME. iSi 

Suzanne. 
A s'y méprendre , en vérité. 

Chérubin à part y les mains fur fin ccutr. 
Ah ! Ce baifer-^là ma été bien loin ! 


SCENE V. 

Lbs jeunes FitLES , CHERUBIN au miTuu d'elles j 
FANCHETTE, ANTONIO, LE COMTE, 
LA COMTESSE, SUZANNE. 

Antonio. 

jV^ o I je vous dis , Monfeigneur , qu'il y eft ; 
elles l'ont habillé chez ma fille j toutes fes nardes 
y font encor , & voilà fon chapeau d'ordonnance 
que j'ai retiré du paquet. {Il s^ avance j & regardant 
toutes lesjilles il reconnaît Chérubin ^ lui enlève fin 
bonnet de femme j ce qui fait retomber fes longs 
cheveux en cadenette. Il lui met fur la tête le chapeau 
d^ ordonnance ^ 6» dit : ) Eh parguenne , v'ia notre 
officier. 

La Comtbsse recule. 

Ah ciel ! 

S u z A >r N 1. 

Ce friponneau ! 

Antonio. 


..u 


Quand je dilàis ti haut que c'était lui ! 

L4 


itfS LE MARIAGE DE FIGARO, 
Le Comte en colère* 
Hé bien. Madame? 

La Comtesse. 

Hé bien , Monfîeur ! vous me voyez plus foipnfe 
que vous , & , pour le moins ^ aufli fachéOf 

L B C O M T E. , 

Oui ; mais tantôt > ce matin? 

La Comtesse, 

Je ferais coupable en effet, fî je diffimulai^ en- 
cor. Il était defcendu chez moi. Nous entamions 
le badinage que ces enfans viennent d^achever; 
vous nous avez furprifes rhabillant : votre premier 
mouvement eft fi vif î il s'çft fauve , je mit fuis trou- 
blée , lef&oi général a fait le refte, , 

L B Comte avec dépit à Ckéruiin. 

Pourquoi n'êtes-^vous pas parti ? 

Cbsribbin^ or^z/z^y^/t chapeau brufjuemcnu 
Monfcignçur, , . . ^ ^ 

Le Comte, 

Je punirai ta défobéifïànce. 

< 

Fançh^TTE, étourdimeni. 

Ah » Monfeigneur, entendez-rmoi. Toutes les fois 
que vous venez m'embrafler , vous favez bien quo 
vous dites toujours \ Jî tu veux ni aimer j petite 
Fanchette^ je te donnerai ce que m wndras^ 


ACTE. QUATRIEME. 1^9 

LeComtBj rougijfant. 
Moi! j'ai die cela? 

Fanchettb. 

Oui , Monfeigneiir. Au lieu de punir Chérubin , 
donnez-le moi en mariage » & je vous aimerai i 
la folie. 

Le Comte (à part*) 

Être enforcelé par un Page ! 

La Comtesse. 

Hé bien! Monfieur, â votre tour^ l'aveu dtt 
cette enfant , aufli naïf que le mien , attefte enfin 
deux vérités ; que c'eft toujours fans le vouloir » 
fi je vous caufe des inquiétudes j pendant que 
vous épuifez tout , pour augmenter & juftifier les 
miennes. 

Antonio. 

Vous àuflî, Monfeigneur? Dame! je vous la 
redreiferai comme feue fa mère , qui eft morte..... 
Ce n'eft pas pour la conféquence; mais c'eft que 
Madame fait bien que les petites filles, quand elles 
font grandes...... 

Le Comte déconcerté^ [à part.) 

Il y a un mauvais génie ^ qui tourne tout ki 
contre moi! 


Q 


17© LE MARIAGE DE FIGARO, 


SCENE VI. 

Les jsunrs Fiicbs, CHÉRUBIN* 
ANTONIO, FIGARO, LE COMTE, 
LA COMTESSE, SUZANNE. 

F I « A R O. 

JS/i ONSEtGNEURyfi VOUS jretenez nos filles > on ne 
pourra commencer ni la fêce , ni la danfe.' 

L 1 Comte. 

Vous y danfer ! vous, n'y penfez pas. Après votre 
chute de ce matin, qui vous a foulé le pied droit! 

Figaro remuant la jambe. 

Je fbufre encor un peu \ ce n'eft rien, {auxjtunes 
fUîcs.) Allons mes belles, allons» 

Le Comti/^ retourne. 

Vous avez été fort heureux que ces couches ne 
fulTent que du terreau bien doux! 

Figaro* 

Très^heureux , fans doute , autrement • • . • 

Antonio/^ retourne. 

Puis il s'eft pelotonné en tombant jufqu'en bas. 

Figaro. 

Un plus adroit, n'eft-ce pas , ferait refté en 1 aîr! 
{aux jeunes filles,) Venez-vous, Mefdemoifelles ? 


ACTE QUATRIEME. 171 

Antonio le retourne. 

Et pendant ce tems^ le Petit page galopait fur 
îxyn cheval â Séville? 

F t 6 A II 0. 
Galppait > oa murchait au pis !•••• 

Le CoMTB/e retourne. 

Et vous avieap fon brever dans la poche ? 

F I G A n o un peu étonne* 

Adurément» mais quelle enquête ? {aux jeuûes 
filles.) Allons donc > jeunes filles ! 

Antonio» attirant Chérubin par le bras. 

En ^oicr une qui prétend que mon neveu futur 
n*eft qu*un menteur. 

F i ô A n ô futpris^ 
Oiérubin! ^ .{à part) pefte du petit fat 1 

Antonio» 
Y cs*m maintenant ? 

F I G A R O» eherchant. 
Tf uns... j*y fuis» ... Hé qu'eft-ce qu'il chantei^ 

L B Comte fèchement. 

Il ne chante pas 3 il dit que c'eft lui qui a fauté fur 
l«s giroflées. 

Figaro, rêvant. 

Ah s'il le dit . . . cela fe peut ! je ne difputc pas 
Àt ce que j'ignote» 


172 LE MARIAGE DE FIGARO, 

L |E Comte. 
Ainfî vous ôc lui?. ... 

« 

F I G A R O. 

Pourquoi non ? la rage de fauter peut gagner : 
voyez les moutons de Panùrge j Se quand vous 
ctes en colère, il ny aperfonne qui naime mieux 
rifquer.. . • 

L I C o M T 1. 

Comment, deux à la fois ! . • . 

Figaro. 

On aurait fauté deux douzaines ; & qu'eft-ce 
que cela fait , Monfeigneur ; dès qu il n*y a oer- 
, fonne de blefle ? {aux jeunes filles. ) Ahça, voulez- 
vous venir , ou non ? 

Le Comte outré. 

Jouons-nous une Comédie? {on entend unfrl^ 
lude de fanfare). 

Figaro. 

Voilà le fignal de la marche. A vos poftes , les 
belles, â vos poftes. Allons, Suzanne, donne-moi le 
bras. ( Tous s'enfuient ^ Chérubin refiejkul la tête 
iaijfée ). 


♦ 


• 


V 


ACTE QUATRIEME. 175 


SCENE VIL 

; 

CHÉRUBIN, LE COMTE, LA COMTESSE. 
Le Comte, regardant aller Figaro. 

E K voît-on de plus audacieux ? ( au Page. ) Pour 
Yous, Monfieur le foumois , qui faites le honteux ; 
allez vous r'habiller bien vite ; & que je ne vous 
rencontre nulle part de la foirée. 

La Comtesse. 

Il va bien s'ennuyer, 

CniRU^BiN étourdiment. 

M*ennuyer! j'emporte à mon front du bonheur 
pour plus de cent années de prifon. (// met foa 
chapeau & s'enfuit ). 



174 LE MARIAGE DE FIGARO. 

p " ". • .. * , • ' I I ■ ■ » 

■ I ■ Il i l I _ , 

SCENE VII L 

LE COMTE, LA COMTESSE. 
La Comtessb s'éverue fortement /cu^ parlcrm 

Le C o m t !• 

l^vU^T-ii au front de fi hisureux? 

LaComtissEs avec embarras» 

Son.»., premier chapeau d'officier, fans doute} 
anx enfans tout fert de hochet. 

( Elle veut foriif é 

Le Comte. 

Vous ne nous reftez pas , Cotme^Te ? 

La Comtesse* 

Vous favez que je ne me porte pas bîem 

Le C o m^ t e. 

Un inftant pour votre protégée, ou je vous croiraîi 
en colère. 

La C o m t e s s £.« 

Voici les deux noces, afleyons-nous donc pour 
les recevoir. 

Le Comte {àpare.) 

La noce! il faut fouf&ir ce qu'on ne peut em» 
p&cher. 

Le Comte & la Comtejfe s'ajfeoieru vers un dc4 
eôtéf de la galerie. 


ACTE QUATRIEME. 17} 


iriÉM 


SCENE IX 

LE COMTE , LA COMTESSE, affls , Fcn joue 
les folies d^Efpagnc d'un mouvement de marche^ 
( Simphonie notée. ) 

Marche. 

Les Gardes-Chassb , fujilfur tépcade. 
L'Alguazil. Les Prud'hommes , Brid'oisok. . 
Les Paysans it Paysannes en habits de fite. 
Deux jeunes Filles ponant la toque virff," 

nale à plumes^blanches. 
Deux autres, le voile blanc* 
Deux autres, les gants & le bouquet de cité. 

m 

Antonio donne la main à Suzanne^ comme 
étant celui qui la marie à Figaro. 

X D'autres jeunes Filles portent une autre 
toque j un autre voile j un autre bouquet blanc , 
femUables aux premiers , pour Marceline; 

Figaro donne la main à Marceline, 
comme celui qui doit la remettre ^tt DacTsuR, 
lequel ferme la marche , un gros bouquet au côté. 
Les jeunes filleSy en paffant devant le Comte^ remet' 
tent à/es valets tous les ajuftemens deftinés à 
Suzanne & à Marceline, 

Les Paysans et Pay s avises s'étant rangés 
fur deux colonnes à chaque côté du falon ^ on 
danfe une reprife du fendango ( Air noté ) avec des 
cafiagnettes : puis on joue la ritournelle du Duo , 
pendant laquelle Ajfromo conduit SvzAVVii au 
Comte } elle Je mçt à genoux dev4int lui. 


;i7tf LE MARIAGE DE FIGARO, 

Pendant que le Comte lui pofe la toque ^ U 
voile & lui donne le bouquet^ deux jeunes filles 
chantent le Duofuivant. ( Air noté.) 

Jeûne Epoafe, cha&tez les bienfaits & h gloire 

D*ttn Maître qui renonce aux droits qu'il eut fur 7009 1 

Préférant au plaifir , la plus noble Tiâoire , 

U vous rend chafte Si pure aux mains de votre époux* 

Suzanne eft à genoux^ & ^pendant les derniers vers du 
, DuOj elle tire le Comte parfon manteau & lui mon- 
tre le billet qu'elle tient: puis elle porte la main qu^cl^ 
le a du côté des SpeSateurs jà fa tête j ou le Comte 
a fair d'ajufierfa toque j eUe lui donne le billet. 

Le Comte le met furtivement dans fonfein; on 
achevé de chanter le Duo ; la Fiancée fi relève ^ 
& lui fait une grande révérence^ ' 

Figaro vient la recevoir des main^ du Comte & fi retire 
avec elle y à l'autre côté du falon^ près de Marceline. 

( On danfi une autre reprifi du fendango y pendant 
ce tems,) 

Le Comte prejfé de lire cequ'ila reeu^ s*avance 
au bord du théâtre & tire le papier ae fin fiin ; 
mais en le firtant il fait le gejle d'un homme qui 
s' eft cruellement piqué le doigt; il le ficoue j le 
prejfe j le fuce j &j regardant le papier cacheté 
d*une épingle ^U dit : 

Le Comte* 

(pendant qu'il parle j mnji que Figato , Vorcheftrt 

jéue piani0mo. ) 

jL/i ANTRE foit des femmes } qui foorent des 
épingles par-tout! {il la jette â terre , puis U lit te 
billet & le baifi). 

Figaro 


%. 


ACTE QUATRIEME. 177 

Figaro qui a tout vu^ dit à fa mère & à 
Sw^annc : 

C'eft un billet doux , qu'une fillette aura gliflc 
^ans fa main en paflant. Il était cacheté d'une épin^ 
gle, qui l'a outrageufement piqué. 

La danfe reprend : le Comte qui a lu le billet le re- 
tourne ^il y voit V invitation de renvoyer le cachet 
pourréponfe. Il cherche à terre y & retrouve en-- 
fin t épingle quil attache à fa manche. 

Figaro,^ Suzanne & Marceline, 

D'un objet aimé tout eft cher. Le voilà qiâ 
ramafle l'épingle. Ah , c'eft une drôle de tète ! 

Pendant ce tems , Suzanne a des Jignes d* intelli- 
gence avec la Comtejfe, La danfe finit ^ la ritour- 
nelle du duo recommence. 

Figaro conduit Marceline au Comte , ainfi 
qu'on a conduit Suzanne ; à ' Hnfiant oà le 
Comte prend la toque j & oà Von va chanter le 
duo , on efl interrompu par les crisfuivans : 

l'Huissier, criant à la porte. 

Arrêtez donc, Meffieurs, vous ne pouvez en- 
trer tous ... Ici lt% gardes , les gardes. ( Les gardes 
vont vite à cette porte. ) 

Le. Comte, yJ Uyant. 

Qu'eft-ce qu'il y a ? v 

l' Huissier. 

Monfeigneur, c'eft Monfîeur Bazile entouré d'im 
village entier , parce qu'il chante en marchant. 

M* 


i7« LE MARIAGE DE FIGARO^ 

L B G O U T B» 

Qa il entre feul. 

La COMTHSS24 

Ordonnez-moi de me retirer, 

L 1 Comte. 

Je n oublie pas votre complaifancev 

La CoMTEssi, 

Suzanne? • . . elle reviendra, (à part à Suzanne). 
Allons changer d'habits. (Elle fore avec Suzanne), 

Marcsline. 

Il n'arrive jamais que pour nuire. 

Figaro. 
Ah! je m'en vais vous le faire déchanter î 


SCENE X. 

Tous LES Acteurs ^RicéoENS, excepté 
la Comtejfe & Swçanne ; BAZILE tenant 
fa guïttarej G R 1 P E-S O LE I L. 

B A z I L E enere en chantant fur tair du fdit- 
deville de la fin. ( Air noté. ) 

9« Cœurs fcnfiblcs , coeurs fidèles , 
»> Qui blâmez Tamour léger ; 
93 Ceflcz vos plaintes cruelles , 
•• Eft-ce un crime de changer I 


ACTE QUATRIEME. 179 

»3 Si Tamour pone des ailes j 
» N*cft-cc pas pour voltiger ? 
M N*cft-cc pas pour voltiger ? 
■• hTtft-ct pas pour Voltiger 1 

F I G A K o s'avance â tui. 

Ouï i c'eft pour cela juftement qu*il a des iules 
ftu dos ; notre ami y qu'entendez-vous par cette 
mufique ? 

fi A z I L £ , montrant Cripe-Soléil. 

Qu'après avoir prouvé mon obéiiïance à Mon-- 
feigneur, en amufant Monfieur, qui eft de fa com- 
pagnie;^ je pourrai à mon tour , réclaiher fa joftice. 

GjÈlIPE-SolEII. 

Bah ! Monfigneu ! il ne n^'a pas amufé du tout : 
avec leux guenilles d ariettes • • • * • 

L 1 C O M T E. 

Enfin qùademandez-vous , Bazile? 

B A Z I L £« 

Ce qui m'appartient, Monfeigneur, la main de 
Marceline } & je viens m'oppofer . . . • 

F X G A II o s'approchcé 

Y a-t-il long-tems que Monfieur n'a vu k fi- 
gure d'un fou ? 

B A z I L E. 

Monfieur , en ce moment même, 

Figaro. 

Puifque mes yeux vous fervent fi bieii de miroîr> 

M 1 


i8c LE MARIAGE DE FIGARO, 

étudiez-y TefFet de ma prédiftion. Si vous faîtes 
mine feulement d'approximer Madame. • • • 

Bartholo, en riant. 
Eh pourquoi ? laifTe le parler. 

Brid' OISON s'avance entré deux. 
Fau *- aut-il que deux amis?. ... 

Figaro. 
Nous amis! 

B A Z I L £* 

Quelle erreur! 

F I G A R o. Vite. 
Parce qu'il fait de plats airs de chamelle? 

B A 2 t L £ , vite* 
Et lui, des vers comAie un Journal ? 

Figaro, vîte^ 
Un muficien de guinguette ! 

B A z I L £, yîte^ 
Un poftiUon de gazette ! 

Figaro, vite. 

Cttiftre d'oratorio ! 

B A Z I L E, v/r<* 

Jockey diplomatique ! 

Le Comt£, ajjis, 
Infolens tous les deux l 


ACTE QtJATRIEME. iH 

B A Z Z L E. 

Il me manque en toute occafion. 

Figaro. 
C'eft bien dit, fi cela fe pouvait! 

B A z I L E. 

Difant par-tout que je ne fuis qu'un fot» 

F I G A H O. 

Vous me prenez donc pour un écho ? 

B A z I L fi. 

Tandis qu'il n'eft pas un chanteur que mon talent 
n'ait fait briller, 

Figaro. 

Brailler. 

B A z z L !• 

II le répète ! 

Figaro. 

Et pourquoi non ; fi cela eft vrai ? es-m un Prince 
pour qu'on te flagorne? foufïre la vérité , Coquin l 
puifque m n'a pas de quoi gratifier un menteur : 
ou fi m la crains de notre part, pourquoi viens-m 
troubler nos noces? 

m 

Bazil e, à Marceline. 

M'avez-vous promis, ojui ou non, fi dans quatre 
ans , vous n'étiez pas pourvue > de me donner la 
préférence ? 

Marceline. 



A quelle condition rai-Je promis? 


Mj 


i8i LE MARIAGE DE FIGARO, 

B A Z 1 L s. 

Que fi vous retrouviez un certain fils perdu, je 
l'adopterais par complaifance. 

Tous cnJtmhU^ 
Il eft trouve. 

B A Z I L B« 

Qu'à cek ne tienne ? 

Tous enfembU y montrant Figaro^ 

Et le voici. 

B A z I L E 9 reculant de frayeutm 
J'ai vu le diable i 

Brid'oison,.^ Bcnçile. 
Et vou ^ ous renoncez à fa ckere mère \ 

B A Z I L E« 

Qu'y aurait-il de plus fâcheux que d'être cru 
le père d'un garnement \ 

Figaro. 
D'en ctre cra le filsj m te moques de moil 

B A z X L £ , montrant Figaro^ 

Dès que Monfieur eft de quelque chofe ici; fe 
déclare moi , que je n'y fiiis plus de rien. 

illfort). 


ACTE QUATRIEME. 1S3 


^■— ^ 


SCENE XL 

LES ACTEURS PRÉCÉDENS, excepté Ba^de. 
Bauthoio, riant, 

/\h! ah! ah! ah! 

Figaro, fautant de joie. 
Donc a la fin j'aurai ma femme! 

L B Comte {à part*) 
Moi , ma onaîtreflè. (Il fe Uve. ) 

m 

Brid'oison, à Marceline. 
Et tou - out le monde efl; fatisfaic. 

L I C O M T I. 

Qu on drefle les deux contrats, j j'y figneraî^ 

Tous enfemble., 
Vivat. (Ilsfortent.) 

L s C O M T B. 

J'ai befoin d'une heure de retraite, 

( Il veut fortir avec les autres.) 


M4 


i84 LE MARIAGE DE FIGARO, 


iM.^ 


SCÈNE XII. 

GRIPE-SOLEIL , FIGARO , MARCELINE , 

LE COMTE. 

Gripe-Soizil, i Figaro.. 

JlLi t moi je vas aider à ranger le feu d'artifice 
fous Iqs grands maronmers^ comme on l'a die. 

Le Comte revient en couraau 
Quel fot a donne un tel ordre ? 

F I G A R 0« 

Oùeftle mal? 

Le Comte> vivemcfit. 

Ec la Comteflfe qui eft incommodée ^ d'où le 
vcna-t-elle Tartifice? c'eftfurla terrafle qu illefaut > 
vis-à-vis fon appartement. 

F I G A KO. 

Tu Tentens > Gripe-foleil ? la terrafle. 

Le Comte. 

Sous les grands maronnjers! belle idée ! {Ens^en 
allant » à part). Us allaient incendier mon rendez* 
Vous! 




ACTE QUATRIEME. 1S5 


SCENE XII L 
FIGARO, MARCELINE, 

F I G A R O. 

\JvML excès d'attention, pour fa femmel 

(Il veut fortir). 

Marceline t arrête. 

Deux mots , mon fils. Je veux m*acquîtter avec 
toi : un fentiment mal dirigé , m'avait rendu in- 
jufte envers ta charmante femme : je la fuppofais 
d'accord avec le Comte, quoique j'eufle appris de 
Bazile,. qu'elle l'avait toujours rebuté. 

Figaro. 

Vous connaiffiez mal votre fils, de le croire 
ébranlé par ces impulfions féminines. Je puis dé- 
fier la plus rufée de m'en faire accroire. 

Marceline. 

Il eft toujours heureux de le penfer , mon fils j 
la jaloufîe ..... 

Figaro. 

• 

.... N*eft qu*un fot enfant de 1 orgueil , on 
c'eft la maladie d'un fou^ Oh ! j'ai là-delTus , ma 
mère , une philofophie .... imperturbable j & fî 
Suzanne doit me tromper un jour , je le lui par- 
donne d'avance; elle aura long-tems travaillé 

C Ilfe retourne & apper^oit Faachettc qui cherche dt 
coté ô d'autre ). 


utt LE MARIAGE DE f IGARO^ 


SCENE XIV. 

nCARO, FANCHETTE, MARCELINE. 

F I G A 31 O. 

JcL K 2 H > • • • ma petite coufine qai noos écoute! 

Fanchette. 

Oh ! pour ça non : on dît que c'eft malhonncte* 

Figaro. 

U eft vrai; mais comme cela eft utile > on Éâfi 
^ler fouvent Ton pour l'autre. 

Fanchette. 
Je regardais fi quelqu'un était là. 

F 1 G A R €>« 

Déjà dîf&mulées friponne ! vous farez bien qu'il 

n y peut être. 

Fakchitte. 

Et qui donc? 

Figaro. 

Chérubin. ^ 

Fanchette. 

Ce n'eft pas lui que je cherche , car je fais fort 
bien où il efl: j c'eft ma coufine Suzanne» 

Figaro. 

£t que lui veut ma petite confine ? 


'ACTE QUATRIEME. iSjj 

F'A N C H I T T E. 

A VOUS, petit coufin, je le dirait— C'cft,*. ce 
ti'eft qu'une épingle (jite je veux lui remettre. 

Figaro, yîvtmcnu 

Une épingle ! une épingle ! • . • Sr de quelle 
part , coquine ? à votre âge vous faites déjà un met « • 
(Il fi reprend^ & dit d'un ton doux). Vous faites 
déjà très-bien tout ce que vous entreprenez , Fan- 
chétte^ & ma jolie coufine eft fi obligeante . • • « 

Fanchette. 

A qui donc en a-t-il de fe fâcher? je m*en vais, 

« 

Figaro, r arrêtant. 

Non non , je badine ; tiens , ta petite épingle eft 
celle que Monfeigneur t'a dit de remettre â Suzanne, 
Se qui fervait àcachetter un petit papier, qu'il tenait; 
m vois que je fuis au fait, 

Fanchettb. 

Pourquoi donc le demander , quand vous le favec 
fi bien ? 

Figaro, cherchant. 

C'eft qu'il eft aflez gai de favoir comment Mon^ 
feigneur s'y eft pris pour {tn donner la commiflîon. 

Fanchette, naïvement. 

Pas autrement que vous le dites i tiens petite 
Fancheue , rens cette épingle à ta belle coujîne , 
& dis lui fiulement que c*eft le cachet des grands 
maronniers. 

Figaro. 
Des grands? •••• 


i88 LE MARIAGE DE FIGARO, 

F A N C M E T T !.. 

Marônniers. Il eft vrai qu'il a ajouté : prens 
garde que performc ne te voye. 

Figaro. 

Il faut obéir , ma confine : heureufement per^ 
ibnne ne vous a vue. Faites donc joliment votre 
commiifion; Se n'en dites pas plus à Suzanne > que 
Monfeigneur n'a ordonné. 

Fanchette. 

Et pourquoi lui en dirais-je ? il me prend pour 
on enfant, mon coufin. (Elle fort en Joutant). 


■«■ 



SCENE XV. 

FIGAR O, MARCELINE- 

Figaro, 

Jrl i BIEN, ma mère? 

Marceline. , 

Hé bien, mon fils. 

Figaro, comme étouffé. 
Pour celui-ci! .... il y a réellement des chofès k« 

Marceline. 
Il y a des chofes ! hé qu'eft-ce qu'il y a? 


ACTE QUATRlEMft 189 

Figaro, les mains Jur la poitrine. 

Ce que je viens d'entendre , ma mère , je l'ai 
là comme un plomb/ 

MAUCEttNE» fiant. 

Ce cœur plein d'aflTurance, n'était donc qu'un 
ballon gonâé ? une épingle a tout fait partir ! 

Figaro furieux. 

Mais cette épingle > ma mère , eft celle qu'il 
a ramaffée!. • • • 

Marceline, rapellant cequ'iladit. 

La^jaloufîe ! oh j'ai là-defliis y ma mère, une 
philofbphie •••.. imperturbable ; & (î Suzanne 
m^ttrape un jour ». je le lui pardonne • • . • 

F I G A R o » vivement. 

Oh , ma mère ! on parle comme on fent : mettez 
le plus glacé des Juges à plaider dans fa propre 
caufe , & voyez-le expliquer la loi ! — Je ne m'étonne 
plus s'il avait tant d'humeur fur ce feu ! — Pour la 
mignonne aux fines épingles , elle n'en eft pas 
où elle le croit, ma mère, avec fes maronniers! 
fi mon mariage eft aflez fait pour légitimer ma 
colère j en revanche, il ne l'eftpas allez pour que 
jc n'en puiffe époufer une autre. Se l'abanoonner . . . 

Marceline. 

Bien conclu ! abîmons tout fur un foupçon* 
Qui t'a prouvé, dis-moi, que c'eft toi qu'elle joue, 
& non fe Comte ? B^as-tu cmdiée de nouveau , pour 
la condamner fans appel? fais-m fi elle fe rendra 
fous les arbres , à quelle intention elle y va ^ ce 


190 LE MARÎAGÊ DE FIGARO, 

cni'elle y dita> ce qa'elk y fera? je te croyais pleur 
tore en jugement! 

Figaro, lui hcàfant la main avec rcfpcSè 

Elle a raifbn , ma mère , elle a raifon y raifbn , 
toujours raifon! mais accordons, maman, quelque 
chofe à la nature; on en vaut mieux après. Exa4 
xninohs en efïèt avant d accufer èc d'agir. Je fais 
où eft le rendez-vous. Adieu , ma mère. 

{Il fort). 


SCpNEXVL 

. Marceline fcuk^ 

/Vdieu: & moi auflî, je le fais. Après lavoir 
anèté ^ veillons fur les voies de Suzanne ; ou plar 
tôt avertiflbns-la \ elle eftfî jolie créature ! Ah quanc^ 
rintérêt perfonnel ne nous arme pas les unes cost: 
tre les autres , nous fommes toutes portées a fou- 
tenir notre pauvre fexe opprimé , contre ce fier , 
ce terrible .... {en riant) & pourtant un peu m- 
gaud de fexe mafculin. (Elle fort.) 


Fin du quatrième A3Cé 


/ •'^ 


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» « 1 • 

' * . ■ 



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ACTE CINQUIEME. ift 


T. I > : i l : ir f 


ACTE CINQUIEME. 

. r 

Le théâtre repréfinte une faite de matohnîers^ 
dans un parc; deux pavillons ^ kiofqUes , ou 
temples de jardins^ font à droite & à gauche; 
le fond ejl une clarière ornée ^ un fiegè de 
ga'j^nfur le devant. Le théâtre ejl obfcur. 


=z 


s C E N E P R E MI ERE. ^ 

FANCHETTE fcule^ tenant d^une maïk 
deux bifcidts & nne orange; & de V autre une lan^ 
terne de papier ^ allumée^ - 

X^ANS le pavillon à gauche, a-t-il dit. Ç'eft celuî- 
ci. — S'il allait ne pas venir à préfeiic; mon petit 
rôle.... Q*^% vilaines gens, de Toffice qui ne vou- 
laient pas feulement medonner une orange & deux 
bifcuits ! — Pour qui', Mademoifelle ? —' Ëh bien , 
Monfieur, c'eft pour quelqu'un.,— ^Oh nous favons— • 
& quand ça ferait: parce que Monfeigneur ne veut 
pas le voir , faut-il qu'il meure de faim ? -^ Tout çà 
pourtant m'a coûté un fier baifer , fur la joue j . ... 
que fait-on? il me. le rendra peut-être ! (Elle voit 
Figaro qui vient l'examiner ; elle fait un cri.) Ah! 
... (Elle s'enfuit^ & elle entre dans le pavillon à 
fa gauche). .. , ' ^ „^ ; ,.^ ., 


«91 LE MARIAGE DE FIGARO, 


'"II " ' ' " I i— ^ 


SCENE IL 

FIGARO, un grand manteau fur Us /pauUs^ 
un large chapeau rabattu. BAZILE, ANTONIO, 
BARTHOLO, BRID'OISON, GRIP&SOLEIL, 
Troupe di Valets & de Travailleurs. 

Figaro, d'abord ftuU 

v^*B ST Fanchette ! {Il parcourt des yeux ks 

autres à mefure qu'ils arrivent j & dit d'un ton 

farouche): bon jour, Meifîeursj bon foir: êtes- 
vous tou^ici ? 

B A z X L s» 

Ceux que tu as prefTé d y venir* 

F I 6 A R O. 

Quelle heure eft-il bien â peu-près ? 

Antonio regarde en l'air, 

lusL lune devrait être levée. 

Bartholo. 

Eh quels noirs apprêts fais-tu donc ? Il ^ l'air 
d'un confpirateur ! 

Figaro', s' agitant. 

N'eft-ce pas pour une noce , |e vous prie , qu© 

vous êtes rafïèmblés au château ? 

Brid'oison 


ACTE CINQUIEME. 191 
Brxd*oison. 

. Cè-ercainement. 

ANTONIO. 

Nous allions U bas > dans le parc , attendre un 
lignai pour ta fète. 

F Z G A K O. 

Vous n'irez pas plus loin, ^effieurs; c'efticî, 
fous ces maronniers , que nous devons tous - cé- 
lébrer rhonnète fiancée que j'époufe \ Se le loyal 
Seigneur qui fe Teft deftinée. 

Bazile,/^ rappcllant la journée. 

Ah! vraiment je fais ce que c'eft. Retirons-nous» 
fi vous /m'en croyez: il eft queftion d'un rendez- 
vous : je vous conterai cela près d'ici. 

Brid'oison» à Figaro. 
Nou - ous; reviendrons. 

Figaro. 

Quand vous m'entendrez appeller , ne manquez 
pas d'accourir tous , & dites du mal de Figaro ^ 
s'il ne vous fait voir une belle çhofe. 

Bartholo. 

Souviens-toi qu'un hompe fage > ne fe fait point 
d'ai&ire avec les grands. 


F I G A R Q. 

Je m'en fouvieas. 


♦ N 




I94 Lfe MARIAGE t>£ FIGARO» 

BARTHOtO. 

Qu'ils ont quinze &: bifque fut nous y par leuf 

^tai. 

Figaro. 

Sans leuf indufttie , que vous oubliez. Mais fou- 
v€tnez-vous auffi que Thomme qu'on fait timide » 
eft dans la dépendance de tous les fripons. 

B A R T H O L O. 

Fort bien. 

F ! G A K O. 

'Et<pù)^novadeF'crte'<dlure y du chef honoré 
de ma mère. 

Bartholo» 

Il a le diable au corps* 

fiRin'oisoïl. 
I-iira. 

B A z I t E (^ pan.) 

Le Comte & fa Suzanne fe font arrangés fans moi? 
Je ne fuis pas fôché de l'algarade. 

F I G A R o> aux Valets. 

Pour vous autres » coquins 3 4 qui j'ai donné 
Tordre; illuminez-moi ces entours ; ou > par la more 
que Je voudrais tenir aux dents > fi j'en faifîs un 
par le bras. . . . ( llfccouc le bras dé GripeSoleil). 

G R I p E-S o L £ I L s*en va en criant & pleurante 

Aa a> 0| oh ! Damné brutal I 


I 


ACTE CINQUIEME. rjj; 

Baziie, en s* en allant. 

Le ciel vous tienne en joie y MonHeur du marié ! 

{Ils fartent.) 

T 

^—i fci^»**l— — — ■!! ■ ■ — 1— — *M^— — ^— —11^1— — f^— ^ 

■ 111 III 11 ■ ' . I 1 n 

SCENE III. 

Figaro /eulj fe promenant dans Vobfcuritl^ 
dit du ton le plus /ombre. 

v-/ Femme! fenune ! femme ! créature faible & 
décevante !••• • nul animal créé ne peut manquer 
à fon inftind; le tien eft-il donc de tromper?..,. 
Après m avoir obftinément refiifé quand je l'en 
prelïàis devant fa maîtrefle; àlmftant qu'elle me 
donne fa parole ; au milieu même de lacérémonie...» 
11 riait en lifant , le perfide ! & moi comme un 
benct ! . . • • non , Monueur le Comte , vous ne l'au- 
rez pas.... vous ne l'aurez pas. P^ce que vous 
êtes un grand Seigneur , vous vous croyez un grand 
génie ! . . . • nobleiïe , fortune , un rang , des places ; 
tout cela rend fi fier ! qu'avez-vous fait pour tant 
de biens? vous vous êtes donné la peine de naître, 
& rien de plus : du refte homme affez ordinaire ! 
tandis que moi, morbieu! perdu dans la foule 
obfcure , il m'a fallu déployer plus de fcience & de 
calculs pour fubfifter feulement, qu'on n'en a mis 
depuis cent ans à gouverner toutes les Efpagnes ^ 

Se vous voulez jouter On vient .... c'eft elle. . . . 

ce n'eft perfonne — La nuit eft iipire en diable , 
& me voiU fefant le fot métier de mari , quoique 
|e ne le fois qu'à moitié ! (// s*ajp,edfur un banc) 

N X 


/ 


Î95 LE MAR.IAGE DE FIGARO, 

£ft-il rien de plus bizare que ma deltinëe ! fils de Je 
ne fais pa^ qui y volé par des bandits ! élevé dans 
leurs mqpurs, je m'en dégoûte & veux courir une 
carrière honncte ; & par-tout je fuis repoulTé ! J ap* 
prens la Chimie , la Pharmacie , la Chirurgie j & 
rçut le crédit d'un grand Seigneur peut a peine 
me mettre à la main une lancette vétérinaire ! — • 
Las d'attrifter des bêtes malades , 8c pour faire un 
métier contraire > je me jette à corps perdu dans 
le Théâtre j me fiifle-je mis une pierre au cou ! 
Je broche une comédie dans les mœurs du férail ; 
Auteur «fpagnol , je crois pouvoir y fronder Mar 
homet, fans fcrupule : a Tinftant , un Envoyé..... 
de je ne fais où , fe plaint que j'ofïènfe dans mes 
vers , la fublime Porte , la Perfe , une partie de 
la Prefqulfle de l'Inde , toute l'Egypte , les Royau^ 
mes de Barca, de Tripoly, de Tunis, d'Algef 
& de Maroc : & voilà ma comédie flambée , pour 

1 * T\ * f / 1 

plaire — ^" " ^^^ ~ 

crois 

en nous difant : chiens de Chrétiens! — Ne pouvant 
avilir l'efprit , on fe venge en le maltraitant. -7- 
Mes joues creufaient; mon terme était échu: je 
voyais de loin arriver l'affreux record , la plume 
fichée dans fa perruque j en frémiflfant je m*évertue.' 
Il s'élève une queftion fur la namre des richeflès j 
& comme il n'eft pas néceflfaire de tenir les chofes,* 

{)our en raifonner ; n'ayant pas un fol , j'écris fur 
a valeur de l'argent , & fur ion produit net ; fi-tôt 
je vois , du fond d'un fiacre , baifler pour moi le 

font d'un Château fort , à l'entrée duquel je laiflai 
efpérance & la liberté. {Il fe levé.) Que je vou- 
drais bien tenir un de ces PuifTans de quatre jours ; 
fi légers fur le mal qu'ils ordonnent j qwuid unç 


ACTE CINQUIEME. 197 

bonne dii^race a cuvé fon otgueîl ! je lui dirais. . . • 
que les lottifes imprimées n'ont d'importance , 
qu aux lieux où Ion en gène le cours y que fans 
la liberté de blâmer , il n'eft point d éloge flatteur ^ 
& qu'il n'y a que le^ petits hommes , qui redoutent 
les petits écrits — - {Il fe rajjied. ) Las de nourir 
|in obfcur penfionnaire , on me met un Jour dans 
Ja rue j, & comme il faut dîner , quoiqu'on ne 
{bit plus en prifon ; je taille encor ma plume y 
& demande â chacun de quoi il efl: queftion : on 
me dit que pendant ma retraite économique ,. il 
s'eft établi dans Madrid un fyftème de liberté fur 
Ja vente des productions , qui s'étend même à celles 
de la prefTe j & que , pourvu que je ne patle en 
mes écrits , ni de l'autorité , ni du culte , ni de 
la politique , ni de la morale , ni des gens en place , 
ni des corps en crédit , ni de l'Opéra , ni des au- 
tres fpedacles , ni de perfonne qui tienne à quelque 
thofe j je puis tout imprimer librement; , fous l'inf- 
peâion de deux ou trois Cenfeurs. Pour profiter de 
cette douce liberté, j'annonce un écrit périodique > 
& croyant n'aller fur les brifées d'aucun autre, je 
le nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois s'élever 
contre moi , mille paiivres diables à la feuille \ on 
me fupprimej &me voilà de rechef fans emploi ! — 
Le deiefpoij^'allait laifir •, on penfe à moi pour 
une place , mais par malheur j'y étais propre : il 
fallait un calculateur, ce fut un danfeur qui l'ob- 
tint. Il ne me reliait plus qu'à voler; Je me fais 
Banquier de Pharaon: alors, bonnes gens l je foupe en 
ville, & les perfonnes dites, comme ilfaut^ m'ouvrent 
poliment leur maifon , en retenant pour elles les 
trois quarts du profita J'aurais bien pu me remonter j 
|e commençais même â comprendre que pouv 

N j 




198 LE MARIAGE DE FIGARO,^ 

gagner du bien , le favoir-faire vaut mieux que 
le favoir. Mais comme chacun pillait autour de 
moi , en exigeant que je fuile honnête ; il fallut 
bien périr encor. Pour le coup |e quittais le monde ; 
& vingt brafïès d'eau m'en allaient féparer : Iprf- 
^u'un Dieu bienfaifant m'appelle à mon premier 
tat. Je reprens ma troufTe & mon cuir anglais ; 
puis laifTant la fumée aux fots qui s'en nourrirent, 
& la honte au milieu du chemin y comme trop 
lourde â un piéton, je vais razant de ville en ville, 
& je vis enfin fans fouci. Un grand Seigneur paflè 
à Séville j il me reconnaît , je le mîrie j & pour 
prix d'avoir eu par mes foins fon époufe , il veut 
intercepter la mienne ! intrigue , orage à ce fiijet. 
Prêt à tomber dans un abîme , au moment d'é^ 
poufer ma mère , mes parens m'arrivent à la file. 
(Il Ji lève en s'échauffknt. ) On fe débat ; c'eft 
vous, c'eft lui , c'eft moi, c'eft toi \ non ce n'eft 
pas nous j eh mais qiii donc ? ( Il retombe affis. ) 
O bizare fuite d'évenemens ! Comment cela m'eft* 
il arrivé! Pourquoi ces chofes &non pas d*autres? 
Qui les a fixées fur ma tête ? Forcé de parcourir la 
route où je fuis entré fans le favoir, comme jcn 
fortirai fans le vouloir , |d l'ai jonchée d'autant 
de fleurs que ma gaité me l'a permis j encor je 
dis ma gaité, fans favoir fi elle eft àmj^i plus que le 
refte , ni même quel eft ce Moi dont je m'occupe : 
un aflemblage informe de parties inconnues j puis 
un chédf être imbécile ; un petit animal folâtre ; 
un jeune homme ardent au plaifir j ayant tous 



ceiCté j mais pareflèux, .. avec délices! orateur félon 


ACTE CINQUIEME- 19^ 

le danger; poëce par délafTement ; muiicien pac 
occafion ; amoureux par folles bouffées ; j'ai 
tout vu, tout fait, tout ufé. Puis Tillufion s'eft 

détruite , & trop défabufé Défabufé !••.•• 

Suzon , Suzon , Suzon ! que tu me donnes de tour-* 
mens!— J entens marchën... on vient. Voici lïnftanc 
de la crife. ^ 

( Il fi retire f tes de la première couUJfeàJa droite.) 


SCENE IV. 

FIGARO, LA COMTESSE avec 
les habits de Siqorij SUZANNE àuee ceux 
de laComteJfe.MAKCEhlNE. 

SvzAJ9v:E^baSyàla Comtejfe. 

KJv I , Marceline ma dit que Figaro y ferait* 

Marçsline. 
Il y eft auffî ; baifle la voix. 

Suzanne. 

AinH l'un nous écoute , & l'autre va venir ms 
chercher; commençons. 


Marceiik 


£• 


Pour n'en pas perdre un mot , je vais me cacher 
dans le pavillon. ( Elle entre dans le pavillon oà 
ejl entrée Fanchctte. 


4oo LEMARlAèE DE FIGARO, 


^r 


« 


S C E N E V. 

HGARO , LÀ COMTESSE , SUZANNE. 

SuzANNi, haut. 

JVl AD A ME tremble! eft-ce qu elle aurait froid ? 

La Comtesse, haut. 
. La fbirée eft humide, je vais me retirer. 

Suzanne, haut. 

Si Madame n'avait pas befoin de moi , je preii- 
drais lair un moment , fous ces arbres. 

La Comtesse, haut. 
C*^ le ferein que m prendras. 

Suzanne, haut. 
J y fuis toute faîte. 

Figaro {à pan.)^ 
Ah oui , te ferein! 

(Suzanne fc retire près de la coulïjfe j du côté 
oppofé à Figaro). 


"^ 


' ACtE CINQUIEME. aoi' 

#ifc— . • I , . II. ■ ■il. ; 

SCENE VI. 

• 

FIGARO, CHÉRUBIN, LE COMTE^ 
LA COMTESSE, SUZANNE. 

Figaro & Su:[anne retirés de chaque coté fur le devant. 

Chérubin en habit d^ Officier arrive en 
chantant gaiment la reprife 4c. fair de la romance. 

JLàA y la, la, icc. 

J'avais une maràine. 
Que toujours adorai. 

La Comtbsse [à part.) 

Le petit Page! 

Chérubin s'arrête. 

On fe promené ici j gagnons vîte mon afyle , où 
la petite Fanchette,... C*efl: une femme! 

La CoMTKssi écoute. 

Ah grands Dieux ! 

CHBRUBiNye haijje en regardant de loin. 

Me trompai-je ? â cette coëffiure en plumes qui 
fe defline au loin dans le crépufcule, il me femble 
que c'eft Suzon. 

LaComtxssb {à part.) 

V Si le Comte arrivait!.... 

L B Comte parait dans le fond. 


xoi LE MARIAGE DE ÏIGARO; 

Chérubin s'approche & prend la maift 
de la Comtejffij qui fe défeni. 

Oui , c'eft la charmante fille qu^on nomme Su-^ 
zanne : eh pourrais-je mj méprendre â la douceur 
de cette main; à ce petit tremblement qui la faifîe; 
fur-tout au battement de mon cœur ! ( Il veut y ap^ 
puyer le dos de la main de la Comtejfe j elle la retire.^ 

La Comtbssb» bas* 
Allez -vous -en. 


CHiUÙBIK. 


Si 
endr< 


i la compaffion t'avait conduite exprès dans ce( 
roit du parc > où je fuis caché depuis tantôt ? 

La Comtbssb. 

Figaro va venir. 

Le Comte s* avançant^ dit à part. 
N'eft-ce pas Suzanne que j'apperçois ? 

Chérubin à la Comte^e* 

Je ne crains point du tout Figaro > car ce n*eft 
pas lui que m attens. 

La Comtesse. 
Qui donc ! 

Le Comte, [à part) 
Elle eft avec quelqu'un. 

Chérubin. 

C'eft Monfeigneur , friponne > qui t'a demande 


ACTE CINQUIEME. loj 

ce rendez-vous, ce matin, quand j'étais derrière 
le fauteuil. 

Le CoMtb {à pan avec fureur. ) 
C'eft encor le Page infernal ! 

Figaro {à pan.) 
On dit qull ne faut pas écouter! 

Suzanne (i part.) 
Petit bavard ! 

La Comtesse, ûtt P^g^^ 
Obligez-moi de vous retirer. 

Chérubin. 

Ce ne fera pas au moins fans avoir reçu le prix 
de mon obéiflance. 

La Comtesse effi-ayee. 

Vous prétendez?.... 

Chérubin, avec feu. 

D'abord vingt baifers , pour ton compte y éc puis 
cent pour ta belle maîtreflè. 

« 

L a\C O M T B s s E. 

Vous oferiez? 

Chérubin. 

Oh que oui , j oferai 5 tu prens fa place auprès 
de Monfeigneur , moi celle du Comte auprès de 
toi : le plus attrapé , c'eft Figaro. 


I 


\ 


104 LE MARIAGE DE FIGARO, 

FigAro(^ part.) 

Ce brigandeau ! 

S u z A N N E (<î part.) 

Hardi comme un Page. 

Cherubih veut cmbrajferla Comtcffc. 

Le CoMTsyi met entre deux & reçoit le 
baifer. 

La CoMTESSEjyi retirant. 

Ah ciel ! 

Figaro à partj entendant le baifer. 

J'époufais une jolie mignone! 

{Il écoute.) 

Chérubin tâtant les habits du Comte. 

[A part. ) Ceft Monfeigneur. (// s'enfuit dans Iç 
pavillon- oà font entrées Fanchette & Marceline.) 


SCENE VII. 

FIGARO , LE COMTE , LA COMTESSE ^ 

SUZANNE. 

Figaro s* approche. 

T 

tl £ vais.... 

Le C o m t e j croyant parler au Page. 

Puifque vous ne redoublez-pas le baifer. . . • 

( Il croit lui donner un foufiet). 


ACTE CINQUIÈME. ioj 
Figaro qui efi à portée j te reçoit. 
Ah! 

• L B C O M T £• 

^ . , . • Voilà toujours le premier payé. 
Figaro à part^ s* éloigne en fe frottant la joue: 
Tout n'eft pas gain non plus en écoutant. 

Suzanne riant tout haut j de Vautre côté. 
Ahj ah, ah, ah! 

Le Comte, à la Comtejfequ^il prend pour Suranné. 

Enten-t-on quelque chofe à ce Page ! il reçoit 
le plus rude fouflet , & s'enfuit en - éclatant de 
rire. 

F I G A R o (à part.) 

S'il s'affligeait de celui-ci!.... 

Le Comte. 

Comment! je ne pourrai faire un pas..... 

[à la Comtejffej) mais laillbns cette bizarerie ; elle 
empoifonnerait le plaifir que j'ai de te trouver dans 
cette falle, 

La CoMTESsij irritant le parler de Sws^anne* 
. L'efpcriez-vous ? 

L B C O M T E. 

Après ton ingénieux billet ! (// lui prend la main. ) 
Tu trembles ? 


lotf LE MARIAGE DE FIGARO, 
La Comtesse. 
J'ai eu peur. 

L B C O M T E. 

Ce n'eft pas pour te priver du baifer, que je 
Tai pris. (// la baife au front.) 

La Comtesse. 
Des libertés ! 

Figaro (à part.) 

Coquine ! 

Suzanne [à part.) 

Charmante ! 

Le Comte prend la main defafemmc^ 

Mais quelle peau fine Se douce , & qu'il squ 
. faut que la Comtefle ait la main auilî belle ! 

• 

L^ Comtesse(^ part. ) 
Oh 1 la prévention ! 

Le Comte. 

A-t-elle ce bras fermé & rondelet ? CQS Jolis 
doigts pleins de grâce Se d'efpiéglerie ? 

La Comtesse, de la voixdeSu;^anne^ 
Ainfi l'amour?.... 

Le Comte. 

L*amour .... n'eft que le roman du cœur : c'eft le 

plâifir qui en eft l'hiftoire j il m'amène à tes ge- 
noux. 


ACtÊ CINQUIEME. 107 

La CoMTEssi. 
Vous ne Taimez plus ? 

L E C O M T E. 

Je Taîme beaucoup ; mais crois atis d'union , 
tendent Thimen fi refpeâiable ! 

La Comtesse. 
Que vouliez-vous en elle? 

Le Comte, la careffant. 
Ce que je trouve en toi , ma Beauté, • • • 

La Comtesse. 
Mais dites donc. 

Le Comte. 

..... Je ne làîs : moins d'uniformité peut-être; 
plus de piquant dans les manières ; un je ne fais 
quoi > qui fait le charme; quelquefois un refus » 
que fais-je ? Nos femmes croyent tout accomplir 
en nous aimant : cela dit une fois , elles nous ai- 
ment, nous aiment! ( quand elles nous aiment) 
Et font fi complaifantes , & fi conftamment obli- 
geantes, & toujours, & fans relâche, qu'on eft 
tout furpris un beau foir , de trouver la iatiété , où 
l'on recherchait le bonheur. 

LaCom. TBSSS (à part.) 
Ah! quelle leçon! 

L B C O M T E. 

£n' vérité ^ Suzon , j'ai penfé mille fois que j(i 


ao8 LE MARIAGE PE FIGARO, 

nous pourfuivons ailleurs ce plaifir qui nous fuît 
chez elles j c'eft qu'elles n'étudient pas affèz Tart 
de foutenir notre goût , de fe renouveller à 1 amour , 
de Tanimer , pour aind dire , le charme de leur 
pofleilîon , par celui de la variété. 

La Comtesse piquée» 

Donc elles doivent tout ? . . . . 

"1 • 

Le C0MTS9 rianu 

Et l'homme rien ? changerons-nous la marche 
de la nature ? notre tache à nous , fut de les obte- 
nir : la leur... •• 

LaComtessx. 
La leur? 

Le Comte. 
Eft de nous retenir : on l'oubUe trop. 

LaComtesse. 
Ce ne fera pas moi. 

Le Comte. 
Ni moi. 

Figaro [àpart^ 
Ni moi. 

Suzanne {à part.) 
Ni moi. 

Le Comte prend la main de fa femmCm 

Il y a de l'écho ici j parlons plus bas. Tu n*as nul 

befoin d'y fonger, toi que l'amour a faite, & fi vive 

. & fl jolie! avec un grain de caprice tu feras la plus aga- 

^ çante maîtrefle ! ( // labaife au front. ) Ma Suzanne , 

un 


ACTE CINQUIEME* lo^ 

Uri Caftillan n a que Ta parole. Voici tout l'or promis 
J>our le rachat du droit que je n ai plus fur le déli- 
cieux moment que tu m'accordes» Mais comme 
la grâce que tu daignes y mettre , eft fans prix ; 
l'y joindrai ce (brillant, que tu porteras pour l'a- 
Ifiout de moi% 

La CoMtESSE, Une révérence^ 
Suzanne accepte tout^ 

Figaro (^ part. ) 
On n eft pas plus coquine que cela^ 

S u z A 1^ N E {àpart.) 

Voilà du bon bien qui nous arrive* 

Lé Comté [à pare. ) ^ 

Elle eft intérefïce j tant mieux* 

La Comtesse regarde au fônd% 

je vois des Sambeauï» 

Le C o m t e* 

Ce font le$ apprêts de ta noce : entrons -noui 
un moment dans l'un de ces pavillons > pour leâ 
ïaiflcr palTer ? 

La Comtesse» 
Sans lumière? 

Le Comte l^ entraîne doucement, 

A quoi bon ? nous n'avons rien à lire» 

F i G A k o {à pan.) 

Elle y Va> ma foi! je m'en doutais» . 

( // y avance, ) 


iio LE MARÏAGE DE FIGARO, 

T* 1 C o M T I groffitfa voix en fi màumânt. 
Qui paflè ici ? 

T I G A R o» €/z colèri^ 
^zStï ! on vient exprès. ^ 

Lé ComtS) bas àla Cofnteffc. 
Ceft Figaro!... {IlsUnfuit.) 

La Comtesse. 

Je vous fuis. 
{Elle entre dans le pavillon à fa droite ^ pendant 
que le Comte fe perd dans le bois^ au fond.) 


h nH 


SCENE Vlît 

FltïARO, SUZANNE, dans l'oh/oirite, 

Figaro cherche à voir oh vont le Comte & la 
Comtejfe ^ qu'il prend pour Suzanne. 

«I S n^entens plus rien ^ ils font entrés j m^ Voilà. 
( D*un ton altéré). Vous auores époUx ïnai-à-droits , 
qui tenez des efpions 4 g^g^s , & tournez des mois 
entiers autour d'un foupçon, fans Tafleoir^ que n« 
tn'imitez-vous? dès le premier jour je fuis ma femme, 
& je l'écoute ; en un tour de main on eft au fait : 
c'eft charmant, plus de doutes; on ikit â quoi 
s'en tenir. (Marchant vivement. )Kexiiexi£tïtitnt que 
je ne m'en foucie guère , Se que fa trahifon ne 
me fait plus rien du tout. Je les tiens donc enfin. 


ACTE CINQUIEME. m 

V S u z A N K £ , qui s'cjl avancée doucement dans 
tobfcurité. 

(A part) la Vas payer tes beaux foupçons. ( Du 
ton de VOIX de la Comtejfe. ) Qui va U ? 

Figaro» extravagant. 

Qui va là ? Celui qui voudrait de bon cœur 
que Ja. pefte eût étoufre en naifTant 

Suzanne, du ton de la Comtejfe, 

Eh ! mais y c'eft Figaro ! 

Figaro regarde ^ & dit vivement^ 

Madame la ComtefTe ! 

Suzanne. 

Parlez bas. 

Figaro, vite» 

Ah! Madame, que le ciel vous amené à pro- 
pos ! où croyez-vous qu'eft Monfeigneùr ? 

Suzanne. 

Que m'impone un ingrat? Dis moi. ... 

Figaro, v/us vite. 

Et Suzanne nion cpoufée , où croyez-vous q»4'elie 
foit? 

Suzanne. 

Mais parlez bas. 

Figaro, très-vite. . 

Cette Suzon quon croyait fi vertucufe, qui 
fefait de la réfervée ! Ils font enfermés li-dedans. 
j€ vais appeller. / 

o% 


lU LE MARIAGE DE FIGARO ^ 

S u 2 A .N N E, /tti fermant la bouche avec fa main 4 

oublie de déguiferfa voix. 

N'appeliez pas. 

FiGARo(^ part) 

Eh c'eft Suzon ! God-dam ! 

Su z AN K E , du ton delà Comte£c. 
Vous paraiflèz inquiet. 

Figaro [à part.) 
TraîtrefTe ! qui veut me furprendre ! 

Suzanne. 

Il faut nous venger, Figaro. 

F I G ,A R O. 

En fentez-vous le vif defir? 

Suzanne. 

Je ne ferais donc pas de mon fexe ! Maïs les 
hommes en 'ont cent moyens. 

Figaro, confidemment. 

Madame, il n'y a perfonne ici de trop. Ce-^ 
lui des^ femmes .... les vaut tous. 

Suzanne {à part.) 
Comme je le foufletterais ! 

Figaro [à part. ) 
Il ferait bien gai .qu'avant la noce ! 


. ACTE CINQUIEMli. tij 

Su Z Â N N 1. 

Maïs qu'eft-ce qu'une telle vengeance , qu'un 
peu d'amour n'aflaifonne pas ? 

Figaro. 

Par-tout où vous n'en voyez point , croyez que 
le refpedt diUîmule. 

Suzanne, piquée. 

Je ne fais fî vous le penfez de bonne foi , mais 
vous ne le dites pas de bonne grâce, 

F I G AU o 5 avec une chaleur comique j à genoux. 

Ah ! Madame , je vous adore. Examinez 
le tems , le lieu , les circonftances , & que le dé- 
pit fupplée en vous , aux grâces qui manquent à 
ma prière. 

Suzanne [à part. ) 

La main me brûle. 

Figaro {à part.) 
Le cœur me bat« 

Suzanne. 

Mais y Monfieur ^ avez-vous fongc ? • • • • 

Figaro. 

Gui, Madame , oui, j'ai fongc, 

Suzanne. 
'.'•.• Que pour la colère & l'amour ...i 


114 LE MARIAGE DE FIGARO, 

F X G A R O. 

• • . • Tout ce qui ïe diffère eft perdu. Votre mâin^ 
Madame? 

SuzANKE de fa voix naturelle^ & lui donnant 
unfoufict» 

La voiU. 

Figaro. 

Ah Demonîa! quel fbuâet! 

Suzanne lai en donne un féconde 
Quel fouitet ! & celui-o ? 

Figaro. 

Et qveS'C^quo \ de par le diable \ eft-ce ici la 

Journée des tapes? 

Suzanne te bat à chaque phrafe. 

Ah ! queS'à-quo? Suzanne : & voilà pour tes fbup- 
çons; voilà pour tes vengeances & pour tes tra- 
hifons , tes expédiens , tes injures & tes projets. 
C'eft'il çà de l'amour ? dis donc comme ce matin ? 

Figaro rit en fi relevant. 

Santa harbara ! oui c'eft de l'amour. Oh bon- 
heur ! oh délices ! ô cent fois heureux Figaro ! frappe 
ma bien aimée, fans te lafTen Mais quand tu m'auras 
diapré tout le corps de meurtrifliires , regarde avec 
bonté , Suzon , l'homme le plus fotiune ^ qui fiic 
jamais battu par une femme. 


ACTE CINQUIEME. 21$ 
Suzanne* 


'/ 1 • ^ 


Le plus fortuné ! bon fripon , vous n'en fcduî- 
(îez pas moins la Comtefle , avec un fi trompeur- 
babil , que m'oubliant moi-même , en vérité , c'était 
pour elle que je cédais, 

Figaro. 
Aî-je pu me méprendre, au fon de ta jolie voix ? 

Suzanne, en riant. 
Tu^n^as reconnue ?Ah comme je m'en vengerai! 

F I G A K o. 

Bien rofïer & garder rancune , eft au/G par trop 
féminin ! Mais dis-moi donc par quel bonheur je 
te vois là , quand je te croyais avec lui ; & com- 
ment cet habit > qpi m'abufait , te montre enfin 

innocente 

Suzanne. 

Eh c'eft toi qui es un innocent , de venir te 
prendre au piège apprêté pour un autre! Eft-ce notre 
faute à nous, fi voulant muz^ler un renard, nous 
en attrapons deux ^ 

Figaro. 

Qui donc prend l'autre ? 

Suzanne. 

Sa femme. 

Figaro. 

Sa femme? 

Suzanne. 

Sa femme. 

04 


%if LE MARIAGE DE FIGARO^ 

F I G A R o j^ fotlement. 

Ah Figaro , pends-toi ; m n'a pas devine ceîuj» 
là ! - Sa femme ? O douze ou quinze mille fois fpiri* 
welles femelles ! — Ainfî \ts baifers de cette faUq ? 

S u Z A N N E« 

Ont été donnés â Madamei, 

Figaro. 

Et celui du Page? 

SuzANHEs riante 
A Monfieur, 

Figaro* 

Et tantôt , derrière le fauteuil ? 

S U Z A N H £« 

A pçrfonne. 

Figaro^ 

En êtes-Yous sûre? 

SuzANi^É» riante 

Il pleut de fbuflets , Figaro. 

Figaro lui baife la maîn^ 

Ce font des bijoux que les tiens. Mais celui èfi 
Comte > était de bonne guerre. 

S u z A N N Sa 

Allons, Superbe l humilie-tQi% 


ACTE CINQUIEME. 217 

F I G A 1^ o fait tout ce qu'il annonce. 

Cela eft jufte } à genoux , bien courbe , prot 
terne , ventre à terre, 

S V z A N K J5, en riant. 

Ah ce pauvre Coiftte! quelle peine il s eft 
4omié. . , • • 

Figaro fe releye fur fés genoux^ 
Pour faire la conquête de fa femme ! 


^ » • 


-^— »■ I ..Il I I il. Il ,, ■ I ■■ I I ■■■■ ■ ^ 

» III I ■ I 1 1 I ■ ■ Il ■ ■ 


s C E N E I X. 

t E COMTE ehire par le fond du théâtre 3 & 
va droit au pavillon â fa droite. FIGARO 
SUZANNE. 

Lb CoMTS^â lui-même. 

J £ la cherche en vain dans lo boi3 y elle eft peut* 
être entrée ici^ 

Suzanne, à Figaro , parlant bas^ 
C'eft lui. 

Li C0MT8, ouvrant le Pavillon 

Suzon , es - tu là - dedans ? 

Figaro, ias^ 

II la cherche, & moi je croyais., ••♦ 


iiS LE MARIAGE DE FIGARO, 

S u z A N N 1 , has. 
Il ne Ta pas reconnue* / 

Figaro. 

Achevons -le» veux -tu? ( // lui baxfe la nuwi.^ 

L 1 Comte fc retourne. 

Un homme aux pieds de la Comteflè ! • .. • Ah ! 
je fuis fans armes. (// s* avance.^ 

F I G A R o y^ relève tout h fait en déguifantfa voix. 

Pardon > Madame » fi je n'ai pas réfléchi que ce 
rendez-vous ordinaire » était deftiné pour la noce. 

Le C o u t ^ (à part») 

Ceft rbon^me du cabinet de ce matm. {Il fi. 
frappe le front. ) 

' F j G A R o continue. 

V 

Mais il ne fera pas dit qu'un obftacle aufli ibt , 
aura retardé nos plaifirs. 

Le Comte {à part.) 
Maflacre, mort> enfer! 

V 1 G A K Oy la condui/ant au cabinet. 

(Bas^) Il jure. (Haut.) Prefïbns-ttôus donc. 
Madame , Se réparons le tort qu'on nous a^ fait 
tantôt > quand j'ai fauté par la fenêtre. 

LeComtx {à part. ) 
Ah! tout fe découvre eufuii 


ACTE CINQUIEME. 119 

Suzanne» près du pavillon à fa gauche. 

Avant d'encrer» voyez fi perfonne n a fuivi. (// la 
iaifc au front*) 

L 1 /C o M T B s'êcrie» 

Vengeance. 

Suzanne s^enfiiit dans te pavillon où font entrù 
Fanchette^ Marceline & Chérubin. 


SCENE X. 

LE COMTE, FIGARO. 
.Le Comte fedjk le bras de Figaro. 
F I G A KO, jouant la frayeur excejjive. 

v-<*EST mon maître. 

Le Comte le reconnaît. 
Ah fcélcrar, c'eft toi! Holà quelqu'un» quelqu'un? 


«n 


SCENE XI. 

I^ÉDRILLE, LE COMTE» FIGARO. 

P i X> R X L r E bottée 

JVlONSEiGNEUR» je voiu tTouve enfin. 

Le Comte. 
Bon y c'eft Pé4riUe.Es*m tout feui? 


\- 


iio LE MARIAGE DE FIGARO^ 

PÉDRILLE. 

Arrivant de Scville , i étripe cheval. 

Le C o m t I. 
Approche-toi de moi , & crie bien fort. 

PÉDRiLLE» criant à tue tête. 

Pas plus de Page que fur ma main. Voilà le pa- 
quet. 

Le Comte /^ repoujfe. 

£h l'animal ! 

PÉDRILLE. 

Monfeigneur me dit de crier. 

Le Comte» tenant toujours Figaro. 

Poiir appeller. — Holà quelqu'un j fi 1 on m'en- 
tend > accourez tous ? 

PÉDRItLE. 

Hgaro& moi» nous voilà deux^ que peut-il donc 
Vqus arriver? 


**#*«' 


ACTE CINQUIEME^ m 


SCENE XII. 

Lis Acteurs précédens, BRID'OISON, 
BARTHOLO, BAZILE, ANTONIO, 
G R I PE - S O L £ I L 9 toute la noce accourt 
avec des flambeaux. 

Bartholo,!^ Figaro., 

JL V vois qu'à ton premier fignaL • . • . 

Le Comte, montrant le pavillon à fa gauche. 

Pcdrille , empare-toi de cette porte. 

(Pédrille y va.) 

Bazile^ bas â Figaro. 

Tu Tas furpris avec Suzanne ? 

Le Comte, montrant Figaro. 

Et vous, tous mes vafTaux, entourez -moi cet 
homme , & m'en répondez fur la vie. 

B A Z I L B. 

Ha! ha! 

L*E Comté furieux. 

Taifez-vous donc. {4 Figaro d'un ton glace.} 
Mon Cavalier , répondez-vous à mes queftions ? 

Figaro, froidement. 

Eh! qui pourrait m'en exempter, Monfeigneur? 
Vous commandez à tout ici , hors a vpus-même. 


«I 


111 LE MARIAGE DE FIGARO, 

Lb Comte, y? contenant. 
Hon â moi-même ! 

Antonio» 
C eft çâ parler. 

Le C o m t.e reprend fa colère. 

Non, fi quelque chofe pouvait augtnenter ma 
&reur! ce ferait l'air calme qu'il a&âe. 

F Z G A R. o. 

Sommes-nous des foldats qui ment 6c fè font 
tuer, pour des intérêts qu'ils ignorent ! Je reux 
favoir, moi, pourquoi je me radie. 

Le Comte hors de lui. 

O rage! ( fe contenant. ) Homme de bien qui 
feignez d'ignorer! Nous ferez vous au moins la 
faveur ^ç nous^dire, quelle eft la dame aâuelle- 
ment par vous amenée dans ce pavillon? 

Figaro, montrant P autre avec malice^ 
Dans celui-là? 

Le Comte, yîte^ 
Dans celui-ci. * 

F z G A Jt o, froidement. 

C'eft différent. Une jeune perfonne qui m'ho- 
nore de fes bontés particulières. 

B A z I L E itonne. 
Ha, hai ^ 


ACTE CINQUIEME. 225 

L JB C o M T £^ vite. . 
Vous l'entendez » Meflîeurs. 

Bartholo étonné. 
Nous l'entendons? 

Ljb CokTE,^ Figaro. 

Et cette jeune perfonne a-t-elle un autre enga- 
gement que vous fâchiez ? 

F I G A R O) freidèmint. 

Je ^ais qu'un grand Seigneur s'en eft occupe 
quelque tems : mais ^ foit qu'il l'ait négligée , ou 
que je lui plaife mieux qu'un plus * aimable y elle 
me Qonne aujourd'hui la préférence. 

Le CoMTi, vivement. 

ta préf. .... (fe contenant. ) Au moins il eft naïf! 
car ce qu'il avoue , Meflieuf s , Je l'ai oui , je vous 
jure » de la bouche même de fa complice. 

B R I d'o I s o n ftupéfait. 
Sa - a complice ! 

L 1 Comte avec fureur. 

Or quand le déshonneur eft public , il faut que 
la vengeance le foit aufli. 

(// entre dans le pavillon.) 


1X4 LE MARIAGE DE FIGARO^- 


SCENE XII L 

TousxES AcTEtjRs précéoens , hor$ LE COMTE» 

A N T O H I 0« 

I 

Qui - i donc a pris la femme de laucre ? 
Aucun n a eu cette joie là. 



^ 


^ 


SCENE XIV- 

Les AcTEVRs PuiciDENS LE COMTE, 

CHÉRUBIN. 

Le Comté parlant dans le pavillon & attirant 
quelquun qu*on ne voit pas cncor» 

X o u s vos efforts font inutiles ; vous êtes per- 
due y Madame j & votre heure eft bi^n arrivée ! 
( il fort fans regarder ) Quel bonheur qu'aucun gage 

d'une union auifi detçftçç • « . • 

Figaro 


ACtÈ CINQUIÈME. ii< 

F t G A R ô s'écrit. 
Chérubin ! 

L t G O M T In 

Mon Page? 

B A Z I t Bii 

Ha 5 ha! 

'Le Co3^tb> AorJ rf^ /wi. {à part) 

Éc toujoui^s le Page endiablé! (A Cherubim) 
Que fefiez-vous dans ce fallon ? 

CHéRUBiN^ ttmidement. 
Je me cachais ^ comme vous lavez ordonné» 

PÉBRILLEi 

Bien la peine de crever un cheval 1 

Lé Comté* 

Entres^y toi , Antonio ^ conduis devant fotti 
|uge , l'inÊme qui ni'a déshonoré. 

BaiD'otâOï^. 

C*eft Madame que voua y - y cherches^ ? 

A N t o i^ I Ôi 

L*y a parguenne^ Une bonne Ptovidencej voM 
en avez tant fait dans le pays ^ . . « 


L 1 Comté furieux, 
Entre donc. ( Antonio €ntr<é) 


P <* 


iiff LE MARIAGE DE FIGARO^, 


iAmMH 


SCENE K V. 

Lfts Acteurs precedens , excepte J^TOT^K^. 

L B C O M T £• 

Vous allez voir, Meflîfeûrs , que te Page n'y 
était pas feuL 

ChérU'ïïv, tîmidefnerït. 

Mon fort eût été ttop cmel , fi qaelqù^ame fen- 
fîhie n'en eût adouci lamertorme. 


ti< ■ r 9, n i* lém tu 


r I n 

n à **i 


«.. ^ — m. . ^^ ^.■. -> ■>. 


S G E N E X V ï. 

Les Acteurs PRâciDENS, ANTONIO, 

MANCHETTE. 

Antonio attirant par k iras^uelqu*un qu'on ne 

voit pas encer* 


J\ L L o N s ) Madame, il ne êiut pas vous faîi 
prier pour en fortir, puifqu on fait que vous 7 êt< 


faire 
f êtes 
vcntrce. 

F I G A ïl o 4lV(£*W» 

La petite coufine! 

B.À 2 I l 2. 

Ha^ ha! 


ACTE CINQUIEME. 117 

L B C O M T £« 

Fanchette ! 

AwTONio ft rttoume & 3* écrie. 

Ah palfèmbleii ! Monfeîgneur , il eft gaillard de 
me choifir, pour montrer â la compagnie <jue 
c*eft ma fille qui caufe tout ce train-4à ! 

Le Comte, outré. 

Qui la favait U-dedans? 

( // veut rentrer. ) 

BarthoiO) au-devant. 

Permettez Monfieur le Comte , ceci , n'eft pa$ 
plus clair. Je fuis de fang firoid , moi.- 

( // entre.*) 

BrID^ OISON. 

Voilà une affaire au - aufli trop embrouillée. 


■pana** 


SCENE XVII. 

« 

Les Acteurs PRécioEKs y MARCELINE. 
BA.RTHOLO, parlant en dedans^ & fartant. 

JN B craignez rien , Madame , il ne vous fera 
fait aucun maL J'en répons, {Il/e retourne & 
s'écrie. ) Marceline ! . » • . 

Pi 


' / 


128 LE MARIAGE DE FIGARO^ 

B A 2 t L I« 

Ha, ha! 

Figaro, riant» 

Hc quelle folie ! ma mère en eft ? 

Antonio. 
A qui pis fera. 

Le Comte, outré. 
Que m'importe à moi ? La Comtefle. . . . j 

a ^ ■? 

SCENE XVI I I. 

Les Acteurs precédens, SUZANNE^ 

SuzANNEj fort éventail fur le vifage^ 

L E C o M T E» 

. .i . . /i H ! la voici qui fort; (// la prend violem^ 
ment par le bras, ) Que croyez-vous , Meilleurs ^ 
<^e mérite une odieufe. . . . 

Suzanne fe jette à genoux la tête baijfe'e. 

Le Comte. 
Non, non. 

F I G a r o yJ jette à genoux de l'autre côté*. 

LeComte, plus fort. 
Non, non. 

MARCELiNïyJ jette à genoux devant lui^ 


ACTE CINQUIEME. azj 

Le Comte, plus fort. 
Non, non. 

Tojjs fe mettent à genoux , excepté Brid'oijbn^ 

Le Comte, hors de lui* 
Y fuffiez-vous un cent l 


SCENE XIX & dernière. 

TOUS LES ACTEURS PRÉCÉDENS. 
LA COMTESSE fort de l'autre pavillon. 

La CoMTEssEyi jette à genoux. 

J\ V moins je ferai nombre. 

LeComte, regardant la Comtejfe & Sw^annc^ 

Ah> qii'ieft-ce que je vois ! 

B R I d' o I s o N,. riant.^ 
Eh pardi ce -- eft Madame. 

Le Comte veut relever la Comtejfe. 

Quoi c'était vous , ComtefTe? {d*un tonfuppliant)\ 
U ny a qu'un pardon bien généreux .... 

La Cqmtbsse, ^/2 riant. - 

Vous diriez , non j non , à ma place ; & moi pour 
la troifième fois d'aujourd'hui, je l'accorde fans 
condition. {Elle fe relève.) 


130 LE MARIAGE DE FIGARO, 
Suzanne fc relève. 
Moi aufli. 

* 

Marceline fe relève. 
Moi auffî. 

F I G A R o yJ relève. 

Moi auffi ; il y a de Tccho ici l 

Tous fe relèvent. 

Le Comte. 

De récho ! — J'ai voulu rufer avec eux \ Vts 
m'ont traité comme un enfant ! 

La Comtesse, </i rtant^ 
Ne le regrettez pas , Monfieur le Comte. 

Figaro, sUJjuycmt les genoux avecjpn chapeau. 

Une petite journée comme celle-ci , forme bien 
un AmbafTadeur! 

Le Comte, à Suzanne. 
Ce billet fermé d'une épingle ? . . • . 

S U Z A K N E. 

C'eft Madame qui l'avait diÛé. 

Le Comte. 

La réponfe lui en eft bien due. 

(// ba\fe la main de la Comtejfe. ) 


ACTE CINQUIEME. ijr 

« 

La Comtesse. 

Chacun âura ce qni lui appartient. 

( Elit donne lu bourje à Figaro & k diamant 4 
Siqfznnc. ) 

Suzanne,^ Figaro. 
Encor une dot. 

Figaro, frappant la hourfc dans fa main. 
Et de trois. Celle-ci fut rude à arracher ! 

Suzanne. 

4 

Comme notre mariage. 

Gripe-Soleil. 
Et la jarretière de la mariée, Taurons-je? 

La Comtesse arrache h ruban quelle a tant 
gardé dansfonfein^ & le jette à terre. 

La jarretière ? Elle était avec fes habits ; la voilà 

Les Garçons de la noce y^eulent la ramaffer. 

Chérubin, plus alerte , court la prendre & dit: 

Que celui qui la yeut^ vienne n>e la difputer. 

Li Comte e/2 riant , au Page. 

Pour un Monfieur fi chatouilleux, qu'avez -vous 
trouvé de gai à cenain fouflet de tantôt ? 

Chérubin recule en tirant à moitié fon épée. 
A moi, mon Colonel? 

P4 


4,1 LE MARIAGE DE FIGARO, 

F j 6 A R o y avec une colère comiques 

C'eft fur ma joue qu'il Ta reçu : voilà comm<( 
\çs grands font juftice! 

Le Go.i^Ti, riant, 

• « 

C'eft fur fa joue ? Ah , ah , ah > qu'en difes-voust 
donc , ma chère Comtefle ? 

La Comtesse abforbée revient à elle ^ €h 

dit avec fenfibilité. 

Ah! oui 5 cher Comte , & pour la vie, fans dîf- 
traârion , je vous le jure. 

Le Comte, frappant fur P épaule du Juge. 

Et vou$ Don-Brid oifon , votre avis maintenance 

Brid'pisqk* 

Su-ur tout ce que je vois , Monlîeur le Colite ? . ^ 
Ma- a foi , pour moi je - e ne fais que vous dire 3 
voilà ma façon de penfer. 

Tous «N91MBX.£^ 

Piçti jugé, 

Figaro. 

J*étais pauvre , on me méprîfaît. J'ai montré 
quelque efprit , la haine eft- accourue. Une jolie 
temme & de la fortune, . • . • 

T^AKTuo'LO^en riante 
Les ccBurs vont te revenir en foulç* 

9 

F I Q A ÏC G^ 

Eft-il poflîble > ' 


ACTE CINQUIEME. tjjg 

Bartholo. 

Je les connais. 

Figaro, faluant les Spectateurs. 

Ma femme ic mon bien mis â part ^ tous md 
feront honneur & plaifîr. 

On j eue la ritournelle du Vaudeville. (Air noté.) 

VAUDEVILLE. 

B A Z I L B. 
PrEMIEB. COUPLIT. 

Triple dot , femme fuperbe ; 
Que de biens pour un époux ! 
D'un Seigneur, d*un Page imberbe 5 
Quelque fot ferait jaloux. 
Du ladn d*un vieux proverbe , 
L'homme adroit fait fon parti. 

Figaro* 
Je le fais 

( Il chante ) Gaudeant hitie nari* 

B A Z I L I. 

Non 

( Il chante ) Gaudcat bene nanti# 

Suzanne. 

II. Couple T4 

Qu*un mari fa foi trahîffe , 
Il s*en vante , & chacun rît ; 
Que fa femme ait un caprice 9 
$*U Taccufc on la punit. 


ji)4 LE MARIAGE DE FIGAIVO» 

De cette abfurde injiiftice « 

Faut-il dire le pourquoi ? 

Les plus forts ont fait la loi. • * • • » Bîs^ 

F I Q A K Q. 
I I I. C O U F L E T. 

Tean Teatmot jaloux rifîble » 

Veut unir femme & repos ; 

Il acheté un chien terrible , 

Et le-^cho en fon enctos. 

La nuit, quel vacarme horrible ! 

Le chien court , tout eft mordu ; 

Hors l'amant qui l'a vendu » • . » • Bîsm 

La Comtbsse* 

i v. c o u p l 1 t. 

Telle eft fière & répond d'elle^ 

Qui n'aime plus fon mari \ 

Telle autre prefque iidfidèle » 

Jure de n'aimer que lui. 

La moins folie « hélas l eft celle 

Qui fe veille en fon lien »... 

Sans ofer jurer de rien ..«•••. Bîs. 

Le Comte. 

V. C O U P L E T^ 

D\me femme de province l 

A qui fes devoirs font chers » 

Le fuccès eft aifez mince \ 

Vive la femme aux bons airs! 

Semblable à Técu du Prince , 

Sous le coin d^uja (eul époux. 

Elle fert au bien de tous BU%, 


1 

w 


ACTE CINQUIEME. ajj 
Marceline. 

yi. couplit. 

Chacun fait la tendre mcre^ 
Dont-il a reçu le jour ; 
Tout le rcftc cft uji myftèrej 
C*e(l le fecret de Tamour. 

Figaro continue Vtàu 

CcTccrct met en lumière 

Comment le fils d*un butor. 

Vaut fouyent fon pefant d'or . . . . J5£r 


VII. Coupi 


1 T. 


Par le fortde la naîflancc i 

L'un eflRoi, Tautre eft Berger j 

Le hazard fit leur diftance^ 

L'efprit fcul peut tout changer. 

De vingt Rois que Ton encenfc , 

Le trépas brife Tautel 5 , 

Et Voltaire eft immortel Bis. 

CniRUBiN. 
VIII. Couplit/ 

Sexe aimé ^ fcxe^volage , 

Qui tourmentez nos beaux jours | 

Si devons chacun dit rage. 

Chacun vofls revient toujours. 

Le parterre eft votre image 5 

Tel parait le dédaigner , 

Qui fait tout pour le gagner . • • • . Bis. 


fc3^ LÉ MARIAGE DE FIGARO^ 

S U Z A N N Ej} 

I X. C o u p L E r, • 

Si ce gai j ce fol ouvrage , 

Reafcrmait quelque leçon ^ 

En faveur du basdînage ^ 

Faites grâce à la raifon» 

Ainfi la nature fagc 

Nous conduit , dans nos defirs, 

A fon but y par les plaifîrs. . • • « • Bisd 

B R I D*0 I S O N< 

X« É o 0\p t iS^Xé 

Or Meilleurs la Co- omëdie » 

Que Ton juge en ce -et influant; 

Sauf erreur , nous pein - eint la ym 

Du bon peuple qui l'entend. 

Qu'on Topprime il pcfte , il crie 5 

Il s*agite en cent fa-açons ; 

Tout fini-it par des chanfons • « • • Bis^ 

Bali<it central. 
Fin du cinquième & dernier Aâe^ 


S'adrejfer four la Mujique de V ouvrage y à. M* BAUDROiig 
Chef d'OrcheJlre du Théâtre Français^ 


mBÊÊÊmÊmKmÊ ÊmÊÊmmÊmmmmmmmmmmmmmmÊm ÊmÊmKÊmÊÊmam 
APPROBATIONS. 

J *Ai la par ordre de Monficur le Lieutenant de Police , la 
pièce intitulée : la Folie Journée , ou le Mariage de Figaro y 
& je n*y ai rien trouvé qui m*ait paru devoir en empêcher 
l'imprefllon & la repréfcntation. A Paris , ce vingt-huit 
Février mil fept cent quatre-vingt-quatre. 

Signé Co(^U£L£Y D£ Chaussejpierrz. 


j 


'ai lu par ordre de Monfleur le Lieutenant Général de 
Police , la Pièce intitulée: la Folle Journée y ou le Mariage de 
Figaro y & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en em- 
pêcher la repréfcntation & rimpreflion. A Paris ^ ce vingt-Uil. 
Mars mil fept cent quatre-vingt-quatre. 

Signé Bret*; 


V u les Approbations 5 Permis d'imprimer & rcpréfentefï 
!à Paris , ce vingt-neuf Mars mil fept cent quatre-vingt-quatre* 

Signé LENOIR. 

'Achevé â^ imprimer pour Ut {réméré fois , le %2 Février. 
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A P A R I s, 

DE lImprimerie de Ph.-D. Pierres; 
Imprimeur Ordinaire du Roi , &c« 


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