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Full text of "La France dans l'Indo-Chine ..."

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INTRODUCTION 



LA FRANCE 

DANS L'INDO- CHINE 



INTRODUCTION 

. Mon unique pensée avait été tout d'abord de li- 
miter ce travail à l'examen de notre situation en 
Cochinchine vis-à-vis du Cambodge et du royaume 
de Siam. Je voulais éviter avec soin de parler du 
Toiikin et de l'Anitam, dans la crainte de réveiller des 
passions endormies, de provoquer des débats irri- 
tants. Mais j'ai réfléchi que l'avenir de notre colonie, 
au sud de l'Indo-Chine, depuis que nous sommes si 
gravement, si complètement engagés dans leTonkin, 
n'était pas sans dépendre désormais du sort de notre 
nouvelle colonie limitrophe de la Chine. Pour rài« 
sonner sur la première, j'ai dû malgré moi m'oc- 
cuper de la seconde. J'apporterai dans cette étude 
toute l'impartialité, toute la modération de langage 
qu'on doit attendre d'un homme exempt de parti pris 



f^ 



4 U FIU2U1B DANS L*1I«D0-CH»«E 

et qui n*a qu*un seul et unique but : accomplir une 
tAcho utile, mettre en garde son pays contre des 
illusions dangereuses, lui faire entrevoir dos périls 
qu*il semble ignorer, lui indiquer enfin les moyens de 
les conjurer. Malgrô les enquêtes qui ont été faites, 
la question tonkinoise est, pour beaucoup, demeurée 
fort obscure. Klle nous a procuré pourtant, \vxr les 
débats qu*clle a occasionnés, le douloureux si)ectacle 
de rivalités bien fûclieuses. 

A côté des aniinosités les plus exagérées elle a sus- 
cité les ambitions les plus désordonnées et souvent 
les moins justifiées. Les ministres dont elle a causé 
la chute continuent h soutenir le bien fondé de 
leur conduite; ceux pour lesquels elle a été Tocca- 
sion d'arriver au pouvoir ont, par la force des choses, 
suivi les errements de leurs prédécesseurs. C'est ainsi 
que la situation de la France en Extrême Orient est 
restée grave et devient de plus en plus précaire. Elle 
est aussi problématique qu'au premier jour. 

L'ennemi vaincu la veille reparaît le lendemain plus 
nombreux, plus expérimenté, toujours infatigable. 
Nous allons de victoire en victoire!... On nous en 
promet d'autivs semblables, car les pirates c surpris» 
d'un côté reparaissent ailleurs. On les surprendra 
encore, la chose n'est pas douteuse. On Ks battra de 
nouveau, ici comme là, partout oii on les rencon« 
trera. La belle affaire ! Et puis, après? Après? Je me 
souviens qu'ainsi nos armes ont été victorieuses 



ismoDCcnoN 6 

pendant cinq ans du nord au sud du Mexique, ti 
bien qu'à force de battre des gyeriUaê nous avons 
étô forcés do rembarquer notre corps expédition- 
naire & Vcra-Gruz. 

Triste, mais futaie perspective que celle-là, qui 
résulte habituellement des succès glorieux et san- 
glants obtenus dans tout pays qu'on prétend con- 
quérir et qui se défond quand même d*£tre occupé. 

Nos constants triomphes au Tonkin me remplis- 
sent d'eiïroi. Je songe sans cesse, et malgré moi, 
au Mexique, où, prenant part aux opérations de 
guerre, j*ai assisté à tant de victoires! 

J'ai également contribué aux expéditions de Chine 
et de Cochinchine. J*ai visité la c6te tonkinoise 
en 1858. Le 8 octobre de celte môme année, je suis 
entré dans le fleuve Rouge, envoyé en mission spé- 
ciale, — avant mon camarade F. Gamier — par 
l'embouchure du Cua Bac-Lac-Dong. 

J'ai donc suivi les récents événements qui se sont 
passés dans ces |)ays de l'Kxtréme Orient avec un 
soin particulier. 

J*ai pu me rendre un compte exact de tous les 
faits qui ont été relatés de diverses manières sur 
notre nouvelle colonie. 

De là ma résolution de faire connaître mon opi- 
nion sur un iiarcil sujet. Pour rendre mon travail 
le plus clair possible, j*ai cru plus méthodique de le 
diviser en deux parties. 



6 u rnAitcE dams l*imdo-€iii?(b 

Dans la première, jo ferai Texposé de notre situa« 
lion actuelle au Tonkin et dans TAnnam vis^-vis de 
la Chine. 

Dans la seconde, jo m'occuperai de la Cochinchino, 
do notre protectorat au Cunbodgo et enfin do nos 
rolationn avec lo ruyaunie do Siani. Je dirai aussi 
quelques mots de notre dernier traité avec la Dir- 
mnnio. 

Avec toute la réserve que mUmpost) la tûche que 
je me suis tracée, je terminerai en indiquant la poli- 
tique qui me paraîtrait devoir être adoptée par la 
France dans ces diverses régions lointaines. 

J*espére que mon œuvre méritera au moins d*étre 
appréciée comme une œuvre honnête et loyale. 



CHAPITRE PREMIER 



TOKKXH - AXntAU 



CHAPITRE PREMIER 



TONKIX — AN.XAM 

De loua temps, dans toutes les circonstances, J*ai 
manifesté les- sentiuicnis les plus hostiles aux pro- 
jets d*une occui)ation du Tonkin, telle qu'elle est 
pratiquée aujourd'hui. J'ai toujours considéré cette 
conquête comme inutile, estimant que la Gochin* 
chine suffisait aux besoins de notre |x>litique colo* 
nialc en £.\ti*émc Orient et qu'elle ^lourrait rendre 
les serviceâ qu'un croit attendre du Tonkin. J'ai 
pensé également qu'une exi)édition si lointaine, en 
nous rendant, par la force, les voisins umbjiré lui 
d'un peuple de U5Q millions d'habitants, deviendrait 
tùt ou taixl |)our nous un danger, dût-elle même 
s'accomplir sans trop de sacrifices de notre part et 
favoriser les vues immédiates do ceux qui croyaient 
devoir la tenter. Et, sur ce dernier ixiint, je m'em- 
presse de dii*e «lue je no sus«t)eclo les bomies inten» 
tions ni les convictions de persimno* 

I. 



10 U PlU!fCE DA!IS L*l!IIM>-€RI!fE 

Je me suis, on le voit, toujours bien plus préoccupé 
de Tavenir que du présent; et combien souvent, au 
milieu de mes craintes, j*ai songé h cette fatidique 
dépêche du 9 octobre i88i, de M. Ristelliueber : 

c Li-IIong*Chang déclare qu'une gueire, quelque 
heureuse qu'en fût Tissuc pour la France, aura pour 
elTet de fah*e prendre en haine le notn français^ 
haine qui pourrait devenir funeste à la colonie que 
la France veut fonder aux j^rtcs de la Chine, » 

Ces craintes, je le n^pC'te, je les ai eues dus Tori- 
gino. J'en étais proiVmdénicnt pénôtrô lorsque, les 
5 et 7 juin IS8:), je publiais les deux articles qui 
ont paru, sous ma sigiiatui*e, dans le journal le Jour^ 
dont j'étais alors le directeur. 

Dans le premier de ces articles, je prévoyais les 
difRcultés que rencontrerait forcément notre corps 
expéditionnaire et j'indiquais, non sans quelque cou- 
rage, au gouvernement les deux solutions entre les- 
quelles il a>ait h, choisir. 

Je les résumais en ces teimes : 

c 1* Ucnoncer — pour le moment du moms — à 
toute idée de conquête ou de protectorat du Tonkin 
et se borner h maintenir dans le Delta une situation 
militaire suflisamment forte; en un mot, ménager 
jiotrc iniluence par l'adoption d'un moduê vivendi 
librement consenti entre la Chine et nous. En ce 
cas, nous nous contenterons de nous faire recon- 
naître certains droits de commerce et de navigation. 



TOKKW — AHIIAII 11 

c 2* Marcher hardiment à la possession du Tonkin 
sans se dissimuler les difilcultés de Tentreprise 
aussi bien sur terre que sur mer, et demander aa 
pays les sacrifices nécessaires en hommes et en 
argent pour conquérir une province riche, admira- 
blement située, non pas sur son empereur légitime 
Tu-Duc, mais sur un gouvernement étranger auquel 
porte ombrage Tidée de notre voisinage futur. » 

Ce gouvernement étranger que je désignais ainsi 
était évidemment celui de Pékin. 

Dans le second article, celui du 7 Juin, Je me pro- 
nonçais avec toute Ténergic possible pour la pro« 
miôre de ces deux politiques. Mon sentiment no 
s'est pas modifié à cet égard, même & Tlieure pré- 
sente. 

Je ne peux donc être soupçonné de m'étre fait un« 
opinion après coup ou d'avoir obéi à un mobile 
intéressé. 

Je dois pourtant dire que j'aurais volontiers 
admis, mais comme un maximum^ l'occupation du 
• Delta dans les conditions présentées par M. Douré« 
à M. Duclerc, ministre des Aflaires étrangères. On 
se souvient que notre ministre à Pékin soumit au 
quai d'Orsay un projet de convention qui procura 
l'occasion à M. Challemel-Lacour de déclarer la 
Chine une c quantité négligeable ». 

Pourquoi la France ne s'en est-elle pas tenue à 
' celte proposition? Et comme il est regrettable qu'un 



iâ U FftA.NC8 OA^'IS L^INOO-CIUM 

homme d*État de la valeur, de rintelligence incon- 
testables de M. Jules Ferry ait préféré & cette solution 
agréable & la Chine, due pour aitisi dire à son amitié 
pour nous, ce traité de Tien-Tsin, instrument pré« 
Caire, au sujet duquel M. Patenôtre, ministre de 
France, écrivait déjà -— comme cela se peut voir 
dans le Livre Jaune — en date du 17 août 188-1 : 

c Le Tsong-U-Yamqn fait savoir aux représen- 
tants étrangers que c*cst la France qui a déchiré le 
traité de Tien-Tsin, en obligeant le roi d*Ânnam 
à rendre U sceau d*investUure conféré par la 
Chine. > 

J*ai prétendu, à propos du projet de convention 
présenté k la France par M. Bourée, que la solution 
contenue dans ce projet était pour ainsi dire « due 
à raniitié de la Chine elle-même ». 

Je dois à cet égard quelques explications particu- 
lièrement intéressantes, car les dispositions du gou- 
vernement chinois vis-à-vis de la France, h ladite 
époque, sont peu connues. 

Je suis forcé do remonter au mois d*avril 1880. 
M. Dourée, qui venait d'arriver ii Pékin pour y 
représenter la France, y trouva une situation fort 
tendue entre la Cliine et la Russie. La guerre était 
imminente enti*e ces deux vastes empires. L'Alle- 
magne avait intérêt à attiser la discorde. Elle s*y 
employait activement. Son but était de paralyser les 
moyens d'action de la Russie du côté de la Vistule, 



TUKKUI — AMTIAX iS 

en immobilisant une partie considérable de ses 
forces dans TExtrème Orient. 

C'est ce que comprirent parfaitement le ministre 
de France et son collègue sir Thomas Wade, repré- , 
sentant rÂngleterre auprès de l'empereur de Chine. 
Le diplomate anglais prévoyait justement les per* 
turbations ruineuses pour le commerce britannique 
qui seraient, en £xtr(>me Orient, le résultat d'un 
conflit russo-cliinois. Quant & M. Douréc, il ne pou- 
vait avoir d'autre but que de laisser la llu.s8ie indé- 
pendante et libre d*agir, en Eui-ope, contre les agis- 
sements occultes de M. de Disniarck. 

Les conseils pacifiques des ministres de France 
et d'Angleterre prévalurent heureusement auprès de 
la cour de Pékin; et il me laut rendre un hommage 
tout particulier et mérité à M. Dourée, qui, en toute 
cette alTaire, a joué un rùle pré(K>ndérant. DVilleurs 
le gouvernement cliinois ne s'est pas fait faute de le 
reconnaître avec elTusion, dès ({ue l'accord a été 
sanctionné par le traité qui fut signé à Saint-Péters- 
bourg, entre les deux puissances, en l'année 1882. 

Mais ces bonnes dispositions de la Chine devaient 
bientôt être altérées gravement par les événements 
qui survinrent au Tonkin. 

On a accusé M. Jules Ferry d'en être le véritable, 
presque le seul auteur. Certes le ministre des Aflaires 
étrangères, qui, malgré tous les conseils de la plus 
stricte prudence, n'a pas craint d'ordonner le mou- 



i4 LA FRANCE DANS L^IIVDO-CniKB 

vçment sur luing-Son, a assumé uno grande respon- 
sabilité. Muis les circonstonccs politiques du mo- 
ment, le besoin pour lui do so mouvoir dans un 
parlcincntarisino étroit, encombré do nullités gé« 
nantes autant quo servilcn, no sont-ib pas cause 
qu'il s*08t, à tort bien entendu, laissé cntruinor plus 
loin quMl ne Taurait voulu peut-être, et qu'il a été 
dès lors empêcbé de se rendre un compte exact 
d'une situation singulièrement compliquée et em« 
mêlée? 

Le temps rendra justice à chacun. Je continue 
riiistoriquc simple et rapide de ce qui se passa & 
Pékin au moment où les relations entre la France 
et la Chine subirent un malaise sérieux, en raison 
do notre intervention armée au Tonkin. 

M. Ik>urée, surpris, comme le gouvernement chi- 
nois, par des actes que nul n'était autorisé h pré- 
voir, nMiésita pas & rappeler les services par lui 
rendus de 1880 à 1882, et réclama en retour du 
Tsong-Li-Yamen une manifestation de sa gratitude 
à laquelle il avait d'autant plus de droits qu'il sY*tait 
montré absolument désintéressé jusqu'alors. 

Il so trouva alors, conimo Tannée précédente, en 
présence de Li-llong-Tchang, avec qui, deimis les 
alTaires russes, il était resté très lié. 

L'entente s'établit facilement entre ces deux di- 
plomates. 

C'est ainsi que, de leur commun accord, sortit le 



T0KEI5 — AH5AX 15 

projet de c convention Bourée ». Les propositions 
faites à la France étaient doiîc sincèrement amicales 
de la part de la Chine. Acceptées par le gouverne* 
ment françnis, elles nous eussent évité de nous en* 
gnger plus avant dans une guerre dont il est encore 
impossible de prévoir les conséquences et qui au« 
toriso toutes les inquiétudes. 

On a contesté la réalité de cet arrangement ou du 
moins son acceptation par la cour de Pékin. 
' Ce bruit fut répandu, il est vrai, mais intention* 
nellement par le marcjuis de Tseng, qui était Tadver- 
saire politique du vice-roi et qui, dans Tespoir de 
faire échec à ses vues, cherchait h pousser les 
choses au pire et à provoquer un conflit. 
• La réalité de Tadhésion du Tsong-Lt-Yamen à ce 
projet de traité élaboré parle vice-roi et par M. Dou* 
réc n*en est \)as moins, incontestée par les gens 
qui savent. Elle a été d'ailleurs constatée |)ar une 
dépêche officielle do U-IIong-Tcliang lui-même. 

Aller ù rencontre de cette vérité c*est vouloir 
nier le soleil. La chose a été tentée cependant en 
présence des résultats acquis, plus taitl! Il ne me 
convient i>as de rapiHïlcr ici ces irritantes et bien 
malheureuses circonstances. 

Puisque j*ai parlé de la convention Dourée, Je 
dirai également quelques mots aussi de la conven- 
tion Fournier et des conditions dans lesquelles elle 
a été produite. 



16 u rnxscz da.ns l*irdo-ciiifik 

M. Fournier est un capitaine de vaisseau de la 
marine française» par cons<îquent un de mes anciens 
camarades : officier brave, brillant, très intelligent, 
très cslim(3, excellent marin, qui a fuit ses débuts 
comme diplomate, lo G mai i88i, à Tien-Tsin. On ne 
saurait donc lui reprocher la rapidité vertigineuse 
qu*il mit à sVntendro avec Li. Kn eilet, le 7 une 
entrevue eut lieu entre lo vice-roi et lo diplomate 
mnrin, et dt>H lo 8 rniniVnl LoHpès recevait lo projet 
do eouvenlion «lu eniniiuuidanl du Voltu, M. Four- 
nier n^olauiait eu iui^uio teinprt, par télégraphe, du 
ministre de la marine, Tauiiral Peyron, Ica pleins 
pouvoii*s pour signer. M. J. Ferry les lui envoyait 
sans (pt'il eiU à attendre l'arrivée de son chef, raniiral 
Lespés. I^ convention était ainsi signée le 11. M. J. 
Ferry félicitait, le i% riicurcux négociateur! 

Je me garderai de me montrer sévère pour mon 
ancien canutrade, peu apte h la besogne qu*il a 
accomplie trap hâtivement, comme je viens de 
rindi(pier. En réalité, il n'était pas sufTisammcnt 
préparé au rûlo qu'il avait accepté et que le minis- 
tère lui confirma trop légèrement par ses approba- 
tions l'épétécs. 

On se nippelle qu*il fallut introduire d'importantes 
modillcations au texte primitif do sa convention. 
Mais ce qui Uxi particulièrement funeste dans les 
négociations poursuivies fiévreusement & Tien-Tsin, 
ce fut la convention addUionnélle par laquelle le 



TO!fKUf — AKHAll i7 

commandant Fournier crut avoir réglé les condi- 
tions de l'évacuation de LAng-Son. Cet officier ne 
savait pas le chinois, et il n'avait pas songé & iaire 
venir auprès de lui un interprète français, quand 
il conclut avec le vice-roi. Il s*cn est suivi qu'entre le 
texte français et le texte chinois les divergences de 
sens furent profondes. C*est ainsi que les mots 
évacuation immédiate furent traduits en chinois 
par évacuation aitttëitôt que ponuihîe^ et ainsi du 
reste. 

Mais ce n*cst pas tout. I/)rs<iu'il s'nglt do préciser 
des délais pour le retrait des troupes chinoises, le 
vicc'voi ne voulut prendre aucun engagement^ pa$ 
même celui de propowr ccé dates U la cour de Pékin. 
On ne s'explique donc guère par suite de quelle 
erreur certainement involontaire, la veille du jour 
où l'accord définitif devait s'établir sur ce point 
entre le vice-roi et M. Fournier, ce dernier ait pu 
se croire autorisé & télégraphier au général Millot 
pour lui donner, comme acceptés officiellement, les 
délais d'évacuation au sujet desquels il s*était seule- 
ment entretenu avec le vice-roi, sans que leur 
entente peraonnelle eût encore reçu, même entre 
eux, la sanction d'une signature quelconque. 

Ce qu'on a appelé depuis le guct-ai)cns do liac-Lô 
était fulal dans do pareilles conditions! 

Faut-ll, pour expliquer cet événement déHaslrcux, 
s'en prendre absolument h l'iuipré voyance, à l'in- 



18 U FRANCK DANS L*l!<IDO-CniRB 

compétence du n(^goctatciir? Faut-il en rechercher 
les causes ailleurs? 

Quoi qu*il en soit, tout a été fait h la légère. On 
s'est contenté de demi-résultats que Ton a présentés 
comme complùtcnicnt acquis, persistant à tenir pour 
négligeables la Chine et ses armées. 

On a cru pouvoir aller de ravant,et,pour arriver à 
le résoudre, on a supposa le problème dêj& résolu !.. .. 

De \h Unig-Son après Bac-Lé I... 

Quoi qu'il en soit, la déclaration du 17 août 18^i 
do M. Patonôtro se faisant Tinterprèto de la cour 
de Pékin, ù savoir : que « la France avait déchiré 
le traité do Tion-Tsin en obligeant le roi d*Annam h 
remh*e lo mrun tVinvestitiive^ conféré pur la Cliino », 
auntit dû sériousenuMit évoillor r»ttontion du gou- 
verneur Û*itncaist 

Qu*avons-nous fait pour i*emédier ft ce maP?nien. 
Nous n'avons, au contraira, reculé devant rien pour 
compliquer la situation. I^ général de Courcy l'a 
rendue plus difficile que jamais. 

Et c'est pour mettre fin à tous ces embarras mul- 
tiples que la direction des afTaires, retirée à l'élé- 
ment militaire, a été confiée ^ l'élément civil. Des 
expériences semblables faites ailleurs avaient cepen- 
dant donné lieu déj:\ h des rivalités, h des confiits 
regrettables. Au Tonkln, les mêmes rivalités et les 
mêmes confiits sont survenus. Nos généraux re- 
viennent ou demandent (i revenir. Aucun no se dé^ 



TOICKIR <— AKNAN 19 

cide à aller les remplacer. Que va*t-il résulter de 
ees difflcultés nouvelles? 

Et pourtant c'est un homme d*une haute capacité, 
d*une intelligence supérieure, possédant d*émi- 
nentes qualités, qui a été désigné pour occuper le 
poste de résident général à Hanoi. 

M. Paul Bert est animé des intentions les plus 
louables. Il travaille, il se remue, il veut se rendre 
compte par lui-môme des besoins de la colonie. 
C'est évidemment ainsi qu'il s'est pénétré de ce 
sentiment : que la question militaire n'était plus que 
secondaire ctqu'uiioadminislnition civile, vigilante, 
bienveillante et énergique h la fois, suffi mit au 
Hurc^ri do rtiMivro qu'il s'est chargé d'arroinplir. 
Mais, liélant 1i*h piUainh sont toujours Iti, dont le 
nombre acci*oU sans ccmsc. M. Paul lk4*t lui^mémo 
le consluto dans ses dépêches. 

Administrer sans avoir préalablement assis la 
conquête me parait un problême impossible à ré- 
soudre. J*ai eu l'occasion de causer plusieurs heures, 
dans mon bureau du ConstHutionnel, avec le rési« 
dent général, avant son départ. j*ai été séduit par 
sa parole chaude et entraînante. II m'a souvent tenté 
de partager ses espérances; je n'ai pu m'empécher 
d'en concevoir quolfpics-unes. Mais je n'ai pas pu 
ne pas conserver tous mes doutes sur l'opportunité 
d'une direction civile chargée do la pacification et de 
radiuinintratlon du Tonkin et surtout do l'Aimamt 



20 U. FRARCB OA!«S L*lllDO-ClinCB 

El lors môme quo M. P. Bert réussirait dans sa mis- 
sion, dovrions-nous tant nous en réjouir? 

En posant cette question, Je tourne mes regards 
vers ce colosse presque ignoré, mal compris, trop 
dédaigné; vers ce voisin attentif et patient < dont la 
haine, suivant les expressions de Li-Hong-Chang, 
pourrait devenir funeste h la colonie que la France 
veut fonder aux portes de la Chine » ; vers ce peuple 
considéntble par le nombre, rusé, perspicace, qui a 
ouvert enfm ses portes & la civilisation européenne; 
vers cette fourmilière, travailleuse, économe, sobre, 
vivace, naissante, qui s'apprête & grandir. 

Un journal a publié dans ces temps derniers une 
prétendue convcrsiition qu'un de ses rédacteurs 
aurait eue avec le mai*quis de Tseng, habile diplo- 
mate, grand palriote chinois, qui connaît bien son 
pays, qui Taimc et qui, pendant la récente guerre, 
lui a rendu des services qu on n'a pas sutTisamment 
appréciés en Europe. 

C'est h\ un véritable homme d'État asiatique, qui 
a parfaitement compris l'Europe et qui envisage 
l'avenir de la Chine avec une saine raison. 

D'après son soi-disant interlocuteur, le mar- 
quis de Tseng aurait tenu les propos suivants : 

« lA;hiU des Chinois est de rcconstiUtei* leurs force» 
de terre et de mer^ surtout afin d'être prêts à tout 
événement, 

c Que ce soit la Finance, V Allemagne^ V Angleterre 



OH la RuMêiet la Chine est décidée à faire respeeter^ 
partout et toujours^ l'intégrité de son territoire^ 
tout en exécutant toutes les clauses des traités exiO' 
tants, » 

Le diplomate chinois a démenti et Tentrevue 
et le langage qu'on lui avait fait tenir. Il n'a donc 
pas prononcé les paroles qu*on lui a attribuées. 
Mais ces sentiments qu'on lui a prêtés ne sont-ils 
pas, en réalité, les siens ? En le niant, ne risque- 
rait-il pas de désavouer toute sa conduite en Europe 
pendant le séjour qu'il y a fait, en qualité d'am- 
bassadeur de son pays; et son un peu trop osé 
interlocuteur n'est-il pas dans l'exacte vérité quand 
il déclare : 

c Un nouveau parti commence & manifester ses 
aspirations patriotiques. Au contact des Européens, 
ce parti songe à s'approprier la doctrine do Monroé, 
et c'est en jetant un regard haineux et méllant aux 
Français et aux représentants des autres nations 
qu'il inscrit sur son drapeau : La Chine aux 
Chinois! » 

< La Chine aux Chinois I > N'oublions pas ces 
paroles fatidiques. Disons-nous bien aussi que, dans 
ce cas particulier, le mot c Chine » embrasse tous 
les pays sur lesquels s'étend la suzeraineté de l'Em- 
pereur, Fils du Ciel. 

Et d'ailleurs, cette appropriation de la doctrine de 
Monroé ne serait pas seulement l'œuvre des Chi- 



ââ U FRANCE UAN5 L'l?iOO-aiI»B 

nois. Ne la voyons-nous pas gagner Madagascar? 
£t elle ne s*arr(>tera pas en si bon chemin^ qu*on en 
soitsAr. 

Pour le umnicnt, la Chine sup|)orte sagement le 
|)oids do ses revers. Nous Tavons surprise à Fou- 
Tchéou, nous y avons détruit sa flotte et son arsenal. 
Nous lui avons infligé des pertes sérieuses aux Pes- 
cadorcs, dans Tlle d*llaïnani ; nous Tavons gravement 
atteinte au Tonkin, à Sohtay, h Bac-Ninh. Mais ces 
malheurs même lui ont servi de leçon. Elle a beau- 
coup appris pendant cette guerre ! Elle nous a vus 
fuir une fois devant ses soldats inexpérimentés, 
et siy après notre échec, elle a encore consenti Ix 
traiter avec nous, ce n*est que pour pouvoir se 
mieux recueillir et prendre plus sûrement sa re- 
vanche. 

Nous nous apercevons déjà que, selon Tliabi- 
tude asiatique, elle ne recule pas devant les plus 
hypocrites moyens pour éluder les engagements 
qu*eile a contractés vis-ù-vis de nous. 

Le Tsong-Li-Yamcn a parfaitement dépeint la 
situation le jour uii il dit à M. de Somaillé que « la 
Cliine peut se laisser contraindre par la force ». 
Mais dés qu*ello sera persuadée tiu'elle est en état 
de lutter avec avantage contre nous, elle ne nous 
maix'handera ni sa c haine » ni sa « mauvaise 
volonté ». Puisse-t-il éti'e encore bien éloigné le 
jour où elle croira pouvoir nous les témoigner 



TORUR — A9NAN 83 

toutes deux! Eu attendant» elle s'organiae, elle se 
prépare au combat. 

On parle do cuirassés chinois qui viendraient 
visiter les ports du vieux continent. Les aventuriers 
de toutes les nations vont s'offrir & elle ppur ins- 
truire ses marins et ses soldats ; les fortifications de 
ses villes, de ses ports, de ses arsenaux sont déjà 
relevées; on les réédifie à Teuropéenne. Il serait 
dangereux de ne pas envisager l'avenir de nos rela- 
tions avec le grand Empire du Milieu tel qu'il se 
pi-ésente à nous. 

L'insolence récente du vice-roi de Canton à 
regard de notre consul, qui lui avait réclamé une 
indemnité de 1750000 francs, est très significative 
et nous donne un avant-goAt de ce que les Clûnois 
nous réservent pour plus tard. 

Le langage du représentant de l'Empereur est à 
lire et h méditer. 

c La déclaration de guerre, répondait-il à notre 
consul, a arrêté les alfaircs à Fou-Tchéou, Formose, 
Ning-Po et ailleurs. Vos soldats ont iounnenté et 
piUti les bourgeois, les fermiers, les laboureurs, les 
marchands, les marins et les pécheurs de toutes ces 
localités. Us ont détruit, dans une très grande me- 
sure, la vie, la pix>priété et les navires. Mais cela 
touche d'autres provinces : dans la mienne, vous 
avez saisi les vapeurs de Canton, bloqué Pakliol, 
arrêté le commerce maritime de Swatow et de Kiang« 



24 U FRANCE DA!IS L*IFIDO-Cni?IB 

ChoUy et causé ainsi une perte de 3 800000 taéls. 
D*après la loi internationale» Vagres^eur doit payer 
pour les dégûts quMl a causés. Je vou9 demande donc 
de me faire savott* comment vo^a entendez régler 
cette i^clamation et à quelle époque vou$ avez Vin^ 
tention de la payer. » 

Est-co tout*? Pas encore. LMnsoIcnco du vice-roi 
va plus loin. Il suppute ce qu'il lui en a coûté pour 
la défense des cétcs contre les Français, c Je cal- 
cule, dit-il, que j'ai di\ dépenser environ 4 millions 
de tuéls pour l'achat des canons et des navires, et je 
n'ai pu encore réunir toute cette somme..., » et il 
déclare iroiruiuemcnt au consul de France que, 
puisqu'il a le désir d'entretenir de bonnes relations 
avec la Chine, < il no saurait mieux faire que de con- 
tribuer à couvrir des dépenses que les Français lui 
ont occasionnées ». 

Le facétieux Chang-Chi-Thang, en traitant de la sorte 
notre consul, n'avait-il pas la secrète pensée qu'il 
ne courait aucun risque de voir les flottes françaises 
mouiller comme autrefois devant Canton pour ap- 
puyerles réclamations des représentants de la France? 

Aurait-il cu« sans cela, l'impudence de lui nier 
mémo le di*oit de s'occuper des chrétiens ? Se se- 
rait-il aventuré h lui dire : c Autoriser une pareille 
immixtion ce serait autoriser une immixtion directe 
dans les alTaires d'un État souverain et de pro- 
téger ses propres sujets. » 



TOKKIR — A5!IA1I S5 

Eh bien ! mais voilà un Chinois qui me semble 
vraiment parler fort bien, tout comme parlerait un 
fonctionnaire français, anglais, allemand ou russe 
si un étranger quelconque prétendait s'immiscer 
dans les aflaires do son pays et c protéger ses pro- 
pres sujets ». Nous avons appris cela aux Chinois. 
Ils profitent do nos exemples, et, le 12 octobre IHâO, 
nous en sommes réduits h annoncer, presque avec 
ostentation, que c le vice-roi de Canton a bien voulu 
accorder enfln, au consul de France, Taudience que 
ce dernier lui avait demandée. > 

Voilà pourtant oCi nous en sommes arrivés déjà! 

Aussi, quand un journal publie la nouvelle sui» 
vante : 

« La commission de délimitation du Tonkin fonc- 
tionne malgré Tabsence de son président, M. Bour- 
cier Saint-ChafTray. 

< Mais un télégramme du général Jamont annonce 
que Tescorte de cette commission a été attaquée en 
amont de Laokal, le iO août dernier. Un sous-odicier 
d*infanterie de marine, M. Gueit, qui commandait 
les tirailleurs tonkinois, a été légèrement blessé. 

< Le général Jamont déclare que cette attaque 
aurait été préparée par les commissaires chinois. 
Ceux-ci désirent quitter au plus vite ce pays do 
montagnes, très malsain en cette saison, et ce guet- 
apens leur en aurait ser\'i de prétexte. Que penser 
d*un pays oix les Chinois eux-mêmes ne se trouvent 

2 



96 U FRAKCB DAHS l'iIlOO-CHIIIB 

pas en sécurité et d*oîi ils ont tant de h&te & sortir 
pour no pas succomber & l*action meurtrière du 
climat? t il se trouve, en France, des écrivains très 
sensés et tri's pmdents, je le conresse, qui décla* 
rcnt qu*ii nous faut bien nous gaixier de voir là un 
acte de félonie appelant une réparution. 

Apivs le système du rien laimer passer, nous 
avons adopte celui du tout Utiaser fait*e,„ Et d'ail- 
leurs, n*y sonmies-nous pas contraints? 

Aussi ne puis-je me défendre d'une involontaire 
teri*cur on songeant qu'une é|)oque viendra où, 
quand M. Paul llert et d'autres après lui, peut-être, 
auront fait du Tonkin une colonie prospère; quand le 
comnieive et rindustrie s'y seront largement déve- 
loppés sous notre impulsion ; quand les communi- 
cations y seront faciles et nombreuses; quand enfln, 
notre corps expéditionnaire considérablement ré- 
duit, le pays sera, pour ainsi dire, livré aux forces 
indigènes, la Chine se dressera en face de nous, 
voisine remplie de « haine » et de c mauvaise 
volonté », possédant des armées nombreuses, bien 
commandées, et des flottes montées par des marins 
exercés. 

Ce jour-là, la Chine nous cherchera une querelle 
d'Anglais ou d'Allemand. Ce sera la guerre I 

Serons-nous disposés h l'accepter? 

Serons-nous prêts à l'entreprendre ? 

Ces hypothèses d'aujourd'hui deviendix>nt sûre- 



TOmUN — AURAM 27 

ment des réalités un Jour! Il fiiudralt nier l'évidence, 
l'histoire des peuples depuis le commencement du 
monde, les passions humaines^ l'étemelle logique 
pour oser contester l'absolue vraisemblance de ces 
sombres prévisions. 

En attendant, la Chine nous tiendra en échec el 
nous aflaiblira par les prétendus Pavillona-Noir»^ 
aussi bien dans le Tonkin que dans l'Annam, o(i 
nous avons persisté à ne pas laisser c subsister le 
tribut annamite ». M. Patenôtre n'a cessé ixiurtant 
de nous faire connaître rim|)ortance qu'elle atta* 
chait à cette marque de vassalité de l'Annam. Elle 
consentait, à ce prix, à nous payer les 80 millions 
que nous lui réclamions comme contributions de 
guerre! 

La dépèche du 3 août 1884 de M. Patenôtre est 
formelle à ce sujet. 

c La Chine s'engage à payer h la France, écrivait* 
il, 80 millions, à titre de contributions; mais elle 
demande que la France consente, en échange, à 
laisser subsister le tribut annamite, » 

Plus tard , revenant sur le désir de la Chine , 
M. Patenôtre écrivait de nouveau : 

c Sir Robert Hart me demande que la France 
consente au maintien du tribut que , antérieure- 
ment aux nouveaux traités conclus avec l'Annam, 
la cour de Hué envoyait tous les deux ans à la cour 
de Pékin et qui ne pouvait, au dire de sir Robert, 



Î8 U FRANCK DANS LY'IDO-CItlKB 

6tre considéré quo commo iit^e simple formalité. » 

Pour répondre à ces pressantes observations, que 
faisions-nous? 

Nous nous empressions de supprimer ledit 
tribut I 

Le gouvernement français, en agissant do la sorte, 
avait-il le droit d*arguer d'une erreur involontaire- 
ment commise par son représentant en Chine? Il 
lui aurait fallu, |K>ur cela, elTacer la très catégorique 
déclanition faito 2i Paris, en juin 1883, par le mar« 
quis Tseng. 

« I^ Chine, disait-elle, consentirait à reconnaître le 
traite de 1802, qui enlevait à son souverain — siize- 
raiii do TAnnam — trois provinces do la Basse-Co- 
chinchinc. De plus, le gouvernement chinois recon* 
naîtrait le traité de i87i, qui consacrait lo démem- 
brement de trois nouvelles provinces de la même 
région. » 

Toutefois, avait ajouté le marquis, il serait en- 
tendu : 

c 1*> Que le droit d*inter\'ention de la France pour 
le maintien de Tordre ne devrait s'exercer que sur la 
demande de Tempereur d'Annam, et cela d^iilleurs 
conformément aux clauses du traité ; 

c ^ Quo le traité ne serait pas considéré comme 
excluant la suzeraineté de la Chine sur TAnnam. » 

M. de Tseng affîmiait enHn que le gouvernement 
chinois consentirait ù ouvrir largement TYun-Nan 



au commerce francois; mais il pensait que la Cliine 
c n'irait pas au delà de ces concessions ». 

On a ri, en France, de toutes ces chinoiêerie§; on 
a continué à considérer ce pays comme une quan* 
tité négligeable, et Tincendie 8*cst propagé d'un bout 
à l'autre de l'Annam. 

N*cst-ii pas évident que le gouvernement chinois 
est l'insligateur des désordres contre lesquels nous 
avons ù lutter encore aujourd'hui? 

Il faudrait, |K)ur en douter, ne pas connaître cette 
race perfide. 

Le père IIuc, que j'ai jadis connu & IIong-Kong, a 
écrit sur ces peuples de TKxtréme Orient un ouvrage 
excellent dont j'extrais ce passage fort intéresnant : 
. « \jCA Cliinoi.H, dit-il, et surtout leurs mandarins, 
sont forts avec les faibles et faibles avec les forts. 
Dominer et écraser ce qui les entoure, voilà leur 
but, et, pour y parvenir, ils savent trouver dans la 
finesse et l'ôlasticité de leurcaractcre des ressources 
inépuisables. Si on a le malheur de leur laisser 
prendre une fois le dessus, on est perdu sans res* 
sources; on est tout de suite opprimé, et bientôt 
victime. Quand, au contraire, on a pu réussir à les 
dominer eux-mêmes, on est sûr de les trouver do- 
ciles et malléables comme des enfants^ Il est facile 
alors de les plier et de les façonner & volonté, mais 
on doit bien se garder d'avoir avec eux un seul 
moment de faiblesse : il fout les tenir avec une 

2. 



30 U FRANCK DANS L*l!<IO(H:illMB 

main do for. I^s mandarins cliinols ressemblent & 
leurs longs liumlK>iis; uno fois qu*ou esl parvenu à 
leur saisir la tôto et à les courber, ils restent là; 
pour |teu qu*on lAcho prise, ils se redressent à Tins- 
tant avec inipiHuosité. » 

Qui oserait prétendre quo les c longs bambous > du 
pèro lluc ne so sont pas redrcss(5s < avec impétuo* 
site t? Le prestige de nos armes a consid(>mblcment 
diminué n leurs yeux depuTs Ikic-Lé et Lang-Son. Nos 
débats parlementaires, les articles de nos journaux 
leur ont fait connaître nos répugnances pour les 
expéditions lointaines. Les Chinois ont compris enfm 
la possibilité de nous résister, de nous vaincre peut- 
ètro , au moins par le nombre. Ils préparent la 
revanche avec ardeur; je ne saurais trop le n^péter« 

C'est le Tonkin qui recevra le premier choc. Fasse 
le ciel que cejour-lA nous soyons prêts ù le recevoir, 
surtout h le repousser! 

Aussi, combien j'aurais préféré, avant d'en arriver 
à ces éventualités dont les conséquence échappent 
aux prévisions humaines, combien j'aurais préféré, 
dis-je, faire taire « la haine » de la Chine et eiTacer 
tout pixHexto à sa < mauvaise volonté ». 

Ce qui me semble particulièrement grave, c'est 
que les tendances du gouvernement de Pékin ne 
visent pas seulement la France. Elles ont pour ob- 
jectif aussi bien qu'elle toutes les nations du globe 
dont elle pourrait avoir à redouter des attaques. 



TOURIN — ARRAX 81 

La Ghino veut désormais être fortei sinon h plus 
forte. 

C'est ce que faisait Judicieusement remarquer le 
correspondant du Journal deê Dilbatê dans une do ces 
récentes lettres, datée do Shangat, 15 Juillet 1880. 

« Le district de Tchouniking, dans la province dô 
Sétchouen, écrivait-il, a été, il y a quinze Jours, lo 
théâtre d'événements graves dont les conséquences 
eussent été il y a une dizaine d'années une demande 
d'indemnité ou un bombardement. Les détails vien* 
nent d'arriver seulement et ont été publiés hier dans 
les journaux ; il n'y a donc pas encore ù s*étonner 
qu'aucune réclamation énergique oit été adressée 
aux autorités, cependant il y a fort à parier que la 
réclamation ne sera faite, si même elle est faite, que 
timidement. Veuillez enregistrer cette opinion, en 
attendant qu'elle se confirme. 

c Cette province du Sétchouen est la Terre promise 
des ambitions du commerce anglais. La fertilité du 
sol, la richesse de ses habitants et la situation qu'elle 
occupe sur la cai1e de l'empire la désignaient depuis 
longtemps & l'attention des consultats de Sa Ma- 
jesté britannique. L'ouverture de cette province aux 
importations anglaises par rétablissement de ports 
de commerce sur le fleuve Bleu, en amont de Han* 
kéou, dernière station concédée par le gouverne* 
ment, est, en eflet, une des questions qui intéressent 
le plus vivement l'avenir de l'influence anglaise en 



3â U FnA!<CB DAM L'U^OO-ailKB 

Chine. Le Sétchouen et le Yunnan sont les deux clefs 
do rouost de l*ompiro et les marches extrêmes do 
son indi^iiendanco. Ce serait singuliùmneut m<3con- 
nalti*o lo caractère cliinois, soit dit h ce piH)|>os, que 
do penser que la Cliine aocoptorait Jamais (pie les 
Anjilais se tixassent dans ces provinces. I^es évi^ne- 
monts qui vionnent de s*y laisser ont donc une im- 
p4)r(anco d'une gruvitt) exceptionneUe, et co)is(j((i0)i( 
tint* cl<*moi)8fiNf(f()ii ;}o/ifi<;ii'è ih Ut Chine amtr^ le$ 
ej^lHh\mci^ drti tHnvujûi'i^ (Vest dans ce sens que so 
sont di\i;\ exprinii^s tes promioi-s connnoidaires; la 
diplomatie chinoise no donnera p;is le change à 
Topinion. 

« Ce sont elToctivement les étrangers qui ont reçu 
le choc : Franç;iis, Anglais, Américains ont éprouvé 
les mêmes désastres. Les Anglais cependant ont 
plus soutTort, comme vous le verrez plus loin, et ne 
pourraient |vis, dans cette occasion, so vanter d'avoir 
été traités selon la clause do la nation la plus Tavo* 
risée. Je vous avoue franchement «luo ce détail n*a 
|xis (KHI i!ontribuéi\ai)aiser les premiers mouvements 
d'indignation qui se sont produits dans la conces- 
sion. Ce q>i\uvre consul anglais, chassé ;^ coups de 
pioin\} et obligé de se réfugier chez le foutali de 
Tendroit, api*és avoir vu sa maison mise au pillage 
et incendiée! quelle nouveauté en Chine! Les plus 
exaltés exigeaient une ré|)aration inunédiate, confor> 
niément i\ la coutume; mais le gouvernement an* 



touki!! — aunan SS 

glais accopto maintenant tous les outrages, pourvu 
que la Chine ftimo son opium des Indes, /«e tempe 
dc$ menacée et dei colfiveâ e$t pti»$t^, I/) conHul do 
S. M. Yictnri», imp(>rntrico et reine, gardera les 
coup» do piorre, et Tincident sent cUm, pnrco quo 

— Jo vous deuKindo punlon do vous diro la ruinon, 
ecpondaut nNmblicz pas quo nous sommes en Chine 

— parce que le Dragon d*A7.ur a M irrilO eontro les 
ClnuigiT!*, diahloH «le rOivldont. Quo voutox-vous 
quo les Auglaist fassent euntro co Dragon d\\7.ur? 
Les Anglais, le liiit est acquis, admettent les tlicV]« 
ries puîi(i(|ues de la Chine. » 

Mais ce langage qui arrive de Chine n*a rien pour 
m*étonncr. La Chine sait mieux que nous que c le 
temps des menaces et des colères est passif ». 

En France, M. H. Frary, un esprit rén<yclii , un 
écrivain d*un grand mérite, parle exactement commo 
le correspondant des Wbatff & Shangal. En appre^ 
nant Vaccidcnt — ou si Ion aimo mieux ixiur no pas 
déplaire i\ la Chine le uittU*ntn%dt9 — dont a été vic- 
time notre commission chargée de la délimitation des 
frontières, le ixWlacleur du journal /« Fêtmce s'ex- 
prime ainsi : 

c Quoi qu*il en soit, la nouvelle do cette surprise 
n*a produit chez nous aiiciiiK? ènwtion» On a corn* 
pris que le parti le plus sage était de n*)* ikis atta- 
cher trop d*importance, de n*y voir qu*un des épi- 
sodes innombrables do la conquête d*un pays en 



34 U PRANCB DANS L*l!IDO-CniNB 

proio ou di^sonlro. Personne n*a Inncd do n^quisi- 
toiroconli*o la Cliino, n*a iKirlù do sntisruction (écla- 
tante à exiger par le canon; personne no 8*c8t écrié 
que ces clioses-là se payent. Nos relations avec la 
Chine n*en seront pas troublées et la délimitation 
des frontières s'achèvera en dépit de tous les obs- 
tacles. 

« (Tv»t qite uom avons changé iVhinneiu\ I«o gou- 
venienient no se soucie pas do se laii*e dos afTaires. 
Les -inu'tisans les plus résolus do la iK)litiquo colo- 
niale reconnaisscul que le nionicut serait fort mal 
choisi |H>ur lanocr un cri de guerre, et qu*il faut 
plutôt cc(èbi*et* ia pacification da Tonkin et la bonne 
foi i!e» CUinoiA qne d'inmtcrsnrVandace <lc»s;)iw(M 
ou d\urmcr tes niandanns» » 

Tout cela est d*une logique qui fait ft*oid dans te 
doSy quand on songe à ce que les Chinois peuvent 
nous réserver dans l'avenir. 

Âh ! que d'enseignements notre expédition du 
Tonkin leur a procurés! Kt comme M. le marquis de 
Tseng, Tun des hommes qui ont le plus poussé à 
rintervention française, avait raison de dira : c TiH)iê 
gueires avec une puissance européenne, et la Chine 
sera civilisée. » 

Si Ton rapproche ce langoge de cMul de I.i-Fong- 
Pao disant «^ M. do CourccI, A Ilerlin, dans une do 
ses conversations avec notro ambassadeur : « La 
Fcance a inspin\ ù h% Chine, roun lUEN Dics ANNÉES 



TONKIN — AXNAX 35 

A VBNiH, de$ ieHlti)ie)i(ii d'aniMonité >, comment ne 
pas 86 sontir cflfrayé do ce qui pourrait survenir 
dans notre colonie tonlcinoise pendant « ces annéeê 
k venir :kf 

Je m*arrète, pour ne pas assombrir davantage un 
tablcuu déjà si attristant. 

Ce n*est pas sans raison, je le reconnais, que Je 
pourrais cMroaccuiM^tlo n'avoirjuMpiVi prùseiit fonnulé 
que des critiiiues ot do n*avuir oxprim<) aucun senti- 
ment |)crsoiincl, quelquo ciioso cnlin |K>ur indiquer 
le moyen de n>paror les fautes selon moi conunises, 

c A tout mal il y a un remède, i dit un vieux pro- 
verbe. Je suis h me demander si, en la circonstance, 
le proverbe ne ment |>as ! 

Dire |)ourtant i\\x*ï\ n*y a pas de remôde serait une 
exagération. 11 s*agit seulement de savoir si, étant 
donné qu'il existe, il serait applicable à Tlieure pré- 
sente, après les sacrifices accomplis, après les dis- 
positions prises en vue d'une occupation déflnitive. 

Ce qui était acceptable il y a un an le serait-il 
aujourd'hui? 

MM. Uourée et niicinart ont (tous les deux écrit 
— le Livre Jaune en tait foi — que la êolutioit anna- 
mite J(air (f Pékin, Y est-elle encore? Y traiteruit- 
uu aussi fucileincnt qu'on l'aurait pu fairu en IHMi 
ou uu 1885? 

A cette époque, nous pouvions soit Ji^acuor, bien 
«tue pou de Franvais, pour des sentiments très ros* 



36 U FRAXCB DA!<S L^lNDO-CnUIB 

pcctablcs,s*y fussent résignés, soit /tguîcler, ce qui ne 
nuisait pas à notre prestige en Orient et augmentait 
notre force sur le continent. 

Liquider? ai-je dit. Pour cela comment faire? 

Un projet de liquidation a été publié dans le Coii- 
«citifCîuHKc/ySOusma direction, le l** décembre 1885. 
L'auteur en est M. Pène-Siefert, qui a accompagné 
M. Paul Bert dans sa missiop. 

Voici ce fiu*écrivait à cette époque mon distingué 
collaborateur : 

c La liquidation honorable de notre situation dans 
rAunani poun*:iit, pour n*étrc pas une évacuation 
subite et totale, consister dans une aide sérieuse 
ap|K>rtôo (\ la constitution d*un gouvernement indi- 
gène, autonome, indi^pemlant h la fois do la cour do 
Pékin et do la cour do Hué. Les éléments de ce gou- 
vernement existent dans les lettrés du pays, qui 
ont les symi>athies de la population. Ces lettrés 
mandarins auraient une i)olice, sorte de gendarmerie 
locale, qui viendrait bien plus enicacement à bout 
de la piniterie et des déprédations chinoises que 
notre corps d*occupation. Les Européens, en eflet, 
ne peuvent se mouvoir ni pendant les grosses cha- 
leurs ni pendant les grandes pluies à Tintérieur du 
pays, comme les Annamites et les Chinois. Nous ne 
pourrions inter>*enir que sur les cours d*eau avec des 
chaloupes-canonniéres; les expéditions & terre nous 
sont difllciles et nous ont été presque toi^ours funestes. 



TO!IKt!l — A5XA1I 97 

c Une zono à occuper & titre définitif, en nous dé- 
cidant & rester dans le Pacifique, c*est lo littoral 
oriental de la province de Quang-Ycn jusqu'à la 
frontière de la Chine. Étroite, d*une altitude assez 
élevée, délimitée régulièrement par une ramifica- 
tion montagneuse, d*un climat sain et égal; iku> 
semée de belles baies bien abritées, d*un sous-sol 
carbonifère h peu près dans toute son étendue, peu 
ou point peuplée & cause de rim|K>ssibililé de Tinv 
gation pour des rizières, celte zone commence à 
l'ouest, en amont de Halpliong, sur le CuanamTrien, 
bras du Thaî-ninh, par lequel on conmiuiiique avec 
le fieuvo Rouge, et s*étend h Test juscpie vem la 
rivière Ngan-Nan et lo cap Pakiung, liinitOii liiHto- 
riquo et géographique do la Chine et du Tonkin. 
— Kilo so prête h mcr\*eille à un élahlistseinont com« 
moroial qui centriiliscniit h Qwnn^A'on ou A llulong 
les produits dVxportution et d*iuq>ortali()n; et à une 
station navale, avec arsenal et bassiuM de nuloub à 
Tien-Yien en face de Tlle de Kébao. 11 est évident 
que ces deux points sont sui^érieurs aux Pencadoir»^ 
à cause du combustible et des diversc^s facilités de 
ravitaillement. D'ailleurs, aujourd'hui, ix>ur avoir 
les Pescadores, il faudrait une guerre nouvelle avec 
la Chine, qui sera d'autant moins prête iii faire des 
concessions amiables qu'elle nous verra décidés & 
partir de TAnnam; les frais d'établissement seraient 
supérieurs à ceux qui seraient nécessaires à 



38 LA FRANCS DA7IS L*lM>0-ailXB 

Quang-Yen ou llalong et & Tien*Yen, où Ton est 
à proximitié du charbon cl des vivres. Ces deux 
ports alTranchiraieiit en outre notre marine militaire 
et marcliande du tribut qu'elle paye aux ports anglais 
de Hong-Kong et de Singapoore. Leur construction 
serait une dt^pense reproductive, peut-iMre même la 
première de toutes celles faites en ces dernières 
années au Tonkin. 

c Notre concentration sur ces deux points du lit- 
toral otrrii*ait ensuite un refuge naturel aux indi- 
gènes qui ont pris fuit et cause iK)ur nous, dans Tes- 
pérance ({ue cette fois nous ne les abandonnerions 
pas comme en i873-7i. Ces réfugiés fourniraient 
une main-d'œuvre excellente et bon marché pournos 
divers travaux d'installation et nous serviraient d'in* 
termédiaires pour nos transactions futures avec Tin- 
térieur du pays. 

« De cette fa^on, on le voit, il n*y aurait pour nous 

NI BANQUEROUTE FRAUDULEUSE, NI MÊME FAILLITE 

siMi'LE. Ce serait une liquidation honorable dans 
toute raocoption et Thonnéteté du mol. 

« Un an suflirait à cette liquidation, bien conduite, 
sans arrière-pensée, sans tergivei*sation, avec la 
pleine conscience de ce que nous entendons et vou- 
lons faire. Nos troupes se retireraient à mesure des 
pi*ogrès d'une organisation indigène abandonnée 
aux soins des lettrés et de la population du Tonkin, 
qui sont, on en conviendra, les intéressés directs. 



T05KI9I — A!<!UX 89 

Avec les scntimenb qu'ils nourrissent contre les 
Chinois, avec leur forte organisation communale, 
avec leurs habitudes do responsabilité collective, la 
pacification du Delta s'opérera sûrement en peu de 
temps. Les Tonkinois sont essentiellement un peuple 
ordonné, partisan de la paix et du travail : ils feront 
des battues contre tous les irréguliers et les vaga- 
bonds, et si nous nous y associons avec notre flot- 
tille, sur leur demande, afin do les rendre plus 
eflcctives encore, ils nous sauront un gré facile & 
concevoir de notre présence sur leur littoral. Il 
s*agit en elTet, pour faire lù-bas œuvre civilisatrice, 
d'apporter aux Tonkinois ce qui leur manque : des 
capitaux, un outillage*, des instructeurs et des direc- 
teurs de travaux. Quand nous serons leur complé* 
ment économique et leurs libérateurs politiques, 
nous serons chez eux les bienvenus et les bien vus. 
D'autre part, agir sans le concours indigène, c'est 
se condamner d'avance à n'avoir que des embarras, 
à ne i*encontrcr que des résistances. On aurait pu le 
deviner d'avance; mais nous l'avons appris & nos 
dépens une fuis de plus : que ce soit la dernière! t 

En novembre 1885, M. Andrieux n'était pas nioins 
précis que le rédacteur du ComtitutionneL Lui aussi 
était partisan de la liquidation, H la plaida avec 
autant de talent que de logique. 

Il alla même jusqu'à signaler également Quang- 
Yen et les baies de Kebao et de Mangay, sur le litto- 



40 U FRANCE DA5S L*I?IDO-CUI.NE 

rai do la province do Quang-Ycn, comme propices à 
rétablissement de iK)rts marchands et d'une station 
navale. Cette portion du littoral tonkinois lui pa- 
raissait devoir satisfaire la France pour y créer une 
colonie qui aurait sufll «'i nos besoins dans ces pa- 
rages. 

11 s*en exprima d'ailleurs en tenneâ précis h la 
tribune de la Chambi*o. 

c I/)rsque, dit-il, j*ai vu, après M. Clémcncoau, 
riionorablc M. de Kivycinet occuper cet le tribune, 
j*ai cru qu'il allait apporter la solution moyenne 
entre Tévacuation et Toccupation intégrale... Je Tai 
d*autant mieux cru que M. le ministre des ÂfTaires 
étran$;ères me semblait n*avoir & remprunter qu'à 
son passé le plus récent et ix ses négociations avec 
les Ilovas... Au Tonkin, ob nous sommes depuis 
moins longtemps engagés, il serait peut-être pos- 
sible d'entrer dans la même voie qu*à Madagascar... 
Qu'est-ce que le gouvernement nous propose et par 
quelle singulière contradiction, après avoir renoncé 
à des droits séculaires sur Madagascar, tiendrait-il 
absolument h nous engager au Tonkin bien au delà 
de ce qui lui parait acceptable et absolument hono- 
rable ù Madagascar, sur une terre 0(1 aussi le sang 
de nos soldats a coulé? Non seulement le gouver- 
nement n'est pas entré, pour le Tonkin et TAnnam, 
dans la voie d'une atténuation du protectorat primi- 
tivement stipulé, mais il a encore aggravé ce qu'il 



nous propose d'approuver aujourd'hui par le vote 
des crédits. Cest une aggravation du protectorat et 
c'est une aggravation considérable de l'occupa- 
tion Cherchant le parti que nous pourrons tirer 

des sacriflces déjà consentis et rappelant le traité de 
Madagascar, J'indique qu'il serait possible d'établir 
un rc^sidcnt général, soit & Hué, soit à Hanoi, qui 
ne s'emparerait que de la i)oiitiquo extérieure do ce 
royaume, tout comme à Mad;tgascar; qu'en outre, 
ainsi qu'à Madagascar, nous pourrions choisir sur 
la cote, par exemple, quelques points heureusement 
placés, qui pourraient être d'un grpnd profit, soit 
au point de vue militaire, soit au point de vue des 
avantages commerciaux. 

c Ceux qui habiteraient ces points — analogues aux 
concessions européennes de Shangai — seraient 
soumis, ù tous les points de vue et pour toutes les 
conséquences, même fiscales, à l'administration 
française. Si ces points sont intelligemment choisis 
et bien administrés, vous verrez nécessairement ac- 
courir tous les négociants français ou étrangers qui 
voudront lairo du commerce avec l'Annam et le 
Tonkin. 

c C'est là que s'installeront incontestablement un 
certain nombre de maisons chinoises ; des familles 
nouvelles s'y créeront peu à peu. Vous arriverez ainsi 
à un groupement d'intérêts et de population placés 
sous votre main, au plus grand profit de votre in- 



43 LA FRAIfCE DANS L*I5D0-C1II?(E 

flucnce. Enfin par ce fait seul que vous serez sur la 
Cote, dans un endroit facilement dOfcndablo, soit 
par suite du voisinage de votra flotte, soit par suite 
lie Taccès facile ix)ur nos canonnières, vous serez 
solidement établis et inexpugnables... i 

Hélas! Pourquoi de si sages avis ne furent-ils {kis 
écoulés? Pourquoi avons-nous laissé échapper alors 
Poecasion d*agir résolument, ifu lieu de continuer h 
avoir recours aux demi-mesures, aux atermoie- 
ments, aux c petits paquets » énervants et ruineux 
à la fois? 

Pour répondre d'avance h certaines objections que 
pourrait soulever Tidée d'une liquidation de notre 
expédition tonkinoise , je vais encore rappeler le 
second article qui fut publié à ce sujet dans le CoU' 
stWitionnvI^ toujours par M. Pène-Siefert, ce der- 
nier en date du Pi janvier 1880. 

« Kn voulant procéder, dit-il, par voie de conquête, 
ces dernières années, il fallait porter ses coups & 
Ilué, en i*aser la citadelle, transférer la famille 
royale des Nguyen en plein Tonkin, lui donner et 
imposer un entoui*age strictement tonkinois. Ckîla 
rétablissait Tautorité annamite sous notre liégé- 
nionio et replaçait le centre de gravité annamite ù 
sa place séculaire. C'était une solution d'une haute 
portée et d'une exécution relativement facile. 

« Mais la création successive de deux l'ois qui ont 
également reçu notre investiture, l'état instable et 



T0KKI5 — A1I2IÀ1I 48 

unarchique qui en est résulté, la scissioii du manda- 
rinat et des lettrés indigènes, qui ne se réunissent 
que contre nous, sont des faits qui forcent à reoou* 
rir à une autre solution. Dans cette autre solution^ 
il y a deux choses : nos futurs rapports avec les 
indigènes, qu*il faut établir sur un pied analogue à 
celui flxé avec les llovas ; puis Torganisation d'au- 
torités indigènes qui soient les intermédiaires odl- 
ciels de ces rapports et demeurent responsables 
vis-à-vis de nous. 

c Le sentiment dynastique est à peu près nul clici 
les peuples ôgalilaires et communautaires de civili* 
sation cliiiioise; mais les habitudes y sont immua« 
blcs, et il est prudent de tenir compte des plis qu'elles 
impriment aux cerveaux. Les Annamites du Tonkin 
et de la Haute-Ck>chinchinc sont habitués aux Nguyen 
comme les Autrichiens aux Habsbourg», bien qu'il 
existe entre eux, depuis 1882 seulement, des senti* 
mcnts de vainqueurs et de vaincus qui eflTacent en 
partie Tidentitu fondamentale de ces deux tronçons 
de TAnnam, terme générique qui comprend Tun et 
lautre et qu*on restreint à tort à la Ilaute-Cocliin- 

chine. 

« Le moyen de laire la part de ces habitudes et do 
libérer les Tonkinois du joug de llué serait de pro* 
clamer le jeune Amnighi, qu'emmena Thuyet dans 
les montagnes du I^os, roi du T0NKiN,T0irr APAir 
INDÉPENDANT DE CELUI DE liu6. Cette dualité de 



ii U FIIA?(CB OAKS L*lNIK)-Clti:«E 

pouvoirs ci^etiserait toi a6îme enfi^ la Haute- CochUi' 
diine et /e Tonkhi^ au profit DE CE PAYS ET DU 
NùTRB. Les deux Nguycn se j:ilouscraient cordiale- 
ment et leur inimitié nous permettrait d*élre leur 
arbitre et de les tenir en i*espect tous deux. Très in« 
tcressés chacun au maintien du bon ordre dans leur 
royaume respectif, ils feraient disparaitro la piraterie 
à rintérieur, et nolro présence sur le littoral em|M>- 
cherait la reconstitution de la piraterie maritime. 

« Mais, {)our reconquérir Amnighi, il faudrait des 
négociateurs habiles auprès de Tex-régent Thuyet et 
du prince llcang-Keviem, qui le détiennent comme 
symbole de Tindépcndance nationale, et aux ordres 
desquels restent toujours les Pavillons-Noirs de 
Lao-Kal et les Pavillons-Jaunes du Tran-Ninh. Si je 
ne me trompe, c'est le général Millot qui sanctionna 
rintranisation d*Amnighi. Comme il faudra toujours 
un général pour présider ù la diminution prudente 
de nos elVoctifs, et que M. Millot a certainement 
mieux compris que ses prédécesseurs et successeui*s 
la lAclie de la France hVbas, je ne vois personne qui 
ait plus de chances de succès pour inaugurer en 
Indo-Chine la politique nouvelle dont tout le monde 
sent le besoin ! » 

Je le répète, les solutions hardies, énergiques, 
décisives que Ton pouvait conseiller il y a un an, 
seraient-elles praticables actuellement'? Serait-il 
opportun de les tenter? 



Nous {[Usons en ce moment, dit-on, avec M. Paul 
Bcrt un essai de colonisation qui est de nature à 
rendre la confiance h ceux qui Tavaient perduCi h la 
communiquer à ceux qui ne l'ont jamais eue. 

Les premiers comme les seconds peuvent avoir 
raison, s*ils n'examinent les choses qu'au point de 

vue des résultats présents, et encore? Mais tous 

ceux qui voudront envisager Tavenir sans illusion; 
ceux qui se pénétreront, comme j*cn suis profondé- 
ment pénétré moi-même, des inconvénients d*un 
voisinage aussi menaçant que celui de la Chine, à 
plusieurs milliers de lieues de la France; ceux qui 
voudront étudier le mouvement de progK*s, do 
civilisation de ce pays qui s'organise, qui euq>loie 
toutes ses ressources à devenir puissant et fort; 
tous ceux, en un mot, qui voudront juger la situa- 
tion sans passion, sans parti pris, seront forcément 
entrailles ù se (losor la question suivante : 

Ne vaudrait-il pas mieux aplanir, d'accord avec la 
Chine, nos difficultés présentes, et prévoir celles que 
ravéïiir nous réserve sûrement, tandis qu'elle est 
encore laible et par conséquent traitalile, obligée en 
un mot de se montrer conciliante, que d'attendre le 
moment 0(1, afluiblis nous-mêmes par les sacrifices, 
et dés lors très embarrassés, nous serons en pré- 
sence d'un peuple en armes, puissant, menaçant, 
insolent, intraitable? 

Certes, je n'ose pas trop conseiller aujourd*hui 

3. 



46 U FIU:CE DANS LÏNDO-CIIINK 

aux autrcâ co quo jo nMiOsitcrais cependant pas h 
faire, moi, |Mrco que Jo siits convaincu que Je ren- 
lirais, en agissant ainsi, un granil service & mon pays. 

II m*est diflicilo de dire mùmc : Liquidons^ de 
crainte do m*attii*cr cette réponse qui flatte notre 
dt^ptoi*abIe chauvinisme : 

Comment osez-vous tenir un pareil langage au 
moment où M. Paul Dort annonce au ministre des 
AlTaires ùtrangùres un rendement annuel des impôts 
de HUOUUH) qui viendraient luenfaisamment aug- 
menter les diriiciles encaisses du Ti*ésor! 

llôlas! j*en deniande pai*don ^i M. P. Dért lui- 
mùme, très sincère, très convaincu; niais la perspec- 
tive de ces brillants résultats n*a pas le pouvoir 
dVbninler mes convictions. Aussi ai je pris la sage 
résolution de nVwposcr que des faits, des docu- 
ments, les appréciations d*autrui, laissant h d'autres 
plus habiles et sans doute moins convaincus que moi 
le soin de démêler cet écheveau horriblement em- 
brouillé ((ui s*appolle la (piestion aimamite! 

Personne ne me fei*a l'injure, je Tespcre, de croire 
que je ne fais pas tous les vœux les plus sincères 
pour que n)es prévisions soient déjouées, pour que 
TAnnam devienne terre française, et surtout terre 
prospère, nous procurant toutes les ressources, tous 
les bienfaits promis et annoncés. 

Je n'en déclare (kis moins fermement que si nous 
avions fait pour nos possessions en Cochinchine le 



TOUKIN — A!(?IAN 47 

quart des sacriflces quo nous avons CiUs pour lo 
Tonkin, nous posséderions, paisiblement « sans 
appréiiensions d'aucune sorte, au sud do Tlndo- 
Cliine, l'une des plus belles colonies du monde. 

C'est spécialement |)Our arriver à la démonstra- 
tion de cette théso que j'ai entrepris le présent 
travail. 



Comme complément 2à l'exposé qui précède, il m*a 
paru indispensable de publier le document suivant : 

TbAITÊ entre t\ FSANCE ET LA CuiXB 
(tS Janvier 1886) 

Art. i*^ — f«a Franco s'cnga^o à rétablir et k iiiaio- 
tenir Tordre dans les provinces ùorAnnani qui coiilhient 
à IVinpire chinois. A cet eflet, elle prendra les mesures 
nécessaires pour disperser ou expulser les bandes de pil- 
lards et gens sans aveu qui compromettent la tranquillité 
publique et pour empêcher qu'elles ne se reforment. 
Toulcfuis les troupes françaises ne pourront dans aucun 
cas franchir la frontière qui sépara le Tonkinde la Cliioe, 
frontière que la France promet de respecter et de garan* 
tir contre toute agression. 

De son côté, la Chine sVngage à dispei-ser ou & expul- 
ser les bandes qui se réfugieraient dans ses provinces 
limitrophes du Tonkin, et à dis|)erscr celles qui cherclie- 
raient à se former sur son territoire pour aller porterie 
trouble parmi lus populations placées sous la protection 
de la France; et, en considération des garanties qui lui 



48 U FnA!«CB DAICS L*IMH>-ail.NB 

sont donnas quant h la s^untù tie su hx>iUitfre, cUo s*iu* 
IciUit |Kireilloincnt dViivoycr «les ti*ou|)Cs au Tonkin. 

Los Hautes Parties contractantes fixeront i»ar uno con* 
vcntion sp^Male les conUitioiis ilan» lest|ncltos sViïoctuera 
rcxtradition des niuKaiteurs cnlro la Chine et l'Annam. 
Les Chinois, colons ou aucionA soldats, qui vivent pai- 
sildcment en Annain, en se livrant h rn^frioullni-c, h Tin- 
dustrie ou au conunerce, et dont la conduite ne donnera 
lieu à aucun reproche, jouiront |H)ur leurs personnes et 
pour leurs biens do la mùnxc sécurité que les protêgi^s 
rran«;ai<. 

Akt. 2. — La Chine, décidée à ne rien faire qui puisse 
compromettre rouvre de pacitication entreprise par la 
France, s'engage à respecter, dans le présent et dans 
Tavenir, les traités, conventions et arrangements directe- 
ment intervenus ou à intervenir entre la France et 
l'Annam. En ce qui concerne les rapports entre la Chine 
et TAnnain, il est entendu qu*ils seront de nature à ne 
point |H>rter atteinte î\ la dignité do l'empire chinois et à 
ue donner lieu à aucune violation du présent traité. 

AnT. 3. — Dans un délai de six mois h partir de la 
signature du présent Traité, des commissaires désignés 
l>ar les Hautes Parties contractantes se rendront sur les 
lieux pour reconnaître la frontière entre la Chine et le 
Tonkin. lis poseront partout où besoin sera des bornes 
destinées à rendre apparente la ligne do démarcation. 
Dans le cas où ils ne iK)urraient se mettre d'accord sur 
remplacement de ces bornes ou sur les rectifications de 
détail qu'il pourrait y avoir lieu d'apporter à la frontière 
actuelle du Tonkin dans l'intérêt commun des deux 
pays, ils en référeraient à leurs gouveruemeuts res- 
pectifs. 

Art. 4. — Lorsque la frontièi*e aura été reconnue, les 
Français ou protégés français, et les habitants étrangers 
du Tonkin qui voudront la franchir pour se rendre en 
Chine ne |H)urront le faire qu'après s'être munis préala- 
blement de passeports délivrés par les autorités chinoises 



TOKKIN «- A9XAX 49 

de la frontière, sur la demande des autorllét françaltes. 
Pour les sujets chinoiSf il suDlra d*uiie autorisation défi- 
vr^o par les autorités iniiivriales de la frouliC^re. ÏJOê 
sujets chinois qui voudront se rendre de Chine au Tonkin 
par la voie de terre devront ^tre munis de |msse|H>iifl 
rt'guliei's dôHvrés par les autorités françaises, sur la 
demande des autorités ini|iéi-iales. 

Aht. :». — Le commerce d'im|K)rtation et d'exportation 
sera permis aux négociants français ou proli^gés fran«;ais 
et aux négociants citinois par la fronliére de terre cutro 
la Cliinc et le Tonkin. Il devra se faire toutefois i»ar cer- 
tains points qui s«>ront déterminés ultéHeurcmvnt et dont 
le clioix ainsi que le nombre seront en rapi>ort avec la 
direction comme avec Tiniportance du trafic enlrc les 
deux pays. 11 sera tenu compte, k cet égard, des rëgle- 
nicnts en vigueur dans rintérieur de Tenipire chinois. 

En tout état de cause, deux de ces points seront dési- 
gnés sur lu fronticie cliiuoisc, Tun au-dessus de Lio-Kaî, 
Tautre au delà de l.ang-Son. l.es conimereants français 
pourront s'y lixer dans les mêmes conditions et avec les 
mêmes avantages que dans les |K>rls ouverts au com- 
merce étranger. Le gouvernement de Sa Majesté l'Emiie- 
reur de Chine y installera des douanes, et le gouverne- 
ment de la Uépubliquc pourra y entretenir des consuls 
dont les privilèges et les attributions seront identiques & 
ceux des agents <Ie même ordre dans les |H>t'ts ouverts. 
De son côté. Sa Majesté TEmpereur de Chine pourra, 
d'accord avec le gouvernement fran«;ais, nommer des 
consuls dans les principales villes du Tonkin. 

.\rt. g. — t'n règlement S|>écial, annexé au présent 
Traité, précisera les conditions dans lestiuelles s'efTec- 
luera le commerce par terre entre le Tonkin et les pro- 
vinces chinoises du Yun-Nan, du Kouang-Si et du Kouang* 
Tong. Ce K'glement sera élul>oré par des commissaires 
<|ui seront nonmiés [lar les Hautes Parties contractantes, 
dans un délai de trois mois après la signature du pré- 
sent Traité. 



50 u FRARCB DA7IS L*moo*aii:«K 

Les marcliautlises faisant Tobjot «le co commerce seront 
soumises, à rentK*e et à la sortie, entre le Tonkin et les 
provinces du Yun-Nan et du Kouang-Si, à des droits infé- 
rieurs h ceux que stipule le tarif actuel du commerce 
étranger. Toutefois le tarif ré4luit ne sera pas appliqué 
aux marchandises transportées par la frontière terrestre 
entre le Tonkin et le Kouang-Tong, et n*aura pas d^eCTet 
dans les ports déjli ouverts par les traités. 

Le commerce des armes, engins, approvisionnements 
et munitions de guerre de toute es|iècc sera soumis aux 
lois et règlements édictés par chacun des États contrac- 
tants sur son tcvriloire. 

L*exportation et Timportation do l'opium seront régies 
par des disiH).si lions spéciales qui llgurei'onl dans le règle- 
ment coninicixial susmentionné. 

Le comnuMvc do mor cnti*o la C.liino et TAnnam sera 
«également rohjot d*un règlement partioulior. Provisoii-e* 
ment il ne sera innové en rien à la pratique actuelle. 

Art. 7. — Kn vue de dévelop|H'r dans les contlitiuns les 
plus avantageuses les relations «le commerce et do bon 
voisinage ipie lu prissent Traité a pour objet de rétablir 
entre la France et la Chine, le gouvernement de la Hépu- 
Mi(|ue construira «les roules au Tonkin et y encouragera 
la construction de chentins do fer. 

l.orsquc, de son cùlé, la Cbine aura décidé «le construire 
des voies forrées, il est entendu c|u*elle s'adressera à l'in- 
dus! rie française, et le gouvernement de la H«'publique 
lui «tonnera toutes les facilités pour se procui*er en 
France le personnel dont elle aura besoin. 11 est «'ntendu 
aussi que cette clause ne peut être consiiléivc comme 
constituant un privilège exclusif en faveur de la France. 

.Vht. 8. — Les stipulations commerciales du présent 
Traité et les K'glements h intervenir pourront élit; revisés 
apivs un intervalle de dix ans révolus à partir du jour 
de ré«*hange des ratifications du présent Traité. Mais, au 
cas où, six mois avant le terme, ni l'une ni l'aulro «h^s 
Hautes Parties conlraclantes n'aurait manif«'slé le désir 



TO!IKI!f — A!I!UX 51 



«lo proc^er à la rctision, let ttipulationt 

resteraient ea rigueur pour un nouveau terme de dix ans, 

et ainsi de suite. 

Abt. 9. — Dès que le prissent Traité aura été signé, les 
Torces françaises recerroot l'ordre de se retirer à Kelung 
et de cesser la visite, etc., en haute mer. Dans le délai 
«l'un mois api^ès la signature du présent Traité, Tile de 
Kormose et les Pescadores seront entièrement évacuées 
par les troupes françaises. 

Art. 10. — \jos dispositions des anciens traités, accords 
et conventions entre la France et la Chine, non niodiliées 
|tar le présent Traité, restent en pleine vigueur. Ijc pré« 
sent Trail«^ soru ratifié dès à présent par Sa Majesté 
rKni|>ereiir de Chin«», et, après (|u*il aura été ratifié |iar 
le l'it'siilent de la llôpiildiqu» frant;uiite, l'éfliango des 
rnliflcalions se fi*ra k Pékin dunii h* pluM l»ix*f délai |ios- 
sihlc. 

Fait iiTien-Tsin en quatre exemplaires, l«* 9 juin I8H.1, 
correspondant nu vingt* septième jour do la quatrième 
lune de lu onzième année Kouang-Sin. 

Signé : Patkxùtre. 
Si-Tciicx. 

Ll-llONO-ClAJIC. 

TE.NG-TcnexG-SiBiM?. 

Arl! 3. 
\jfi Président du Conseil, ministit! des AflTaires élran- 
gères, est chargé de Texécution du présent décret. 
Fait à Paris, le 25 janvier 188G. 

Signé : Jcus Ga£vr. 

1^ Président du Conseil, Ministre des affaires étrangèref. 
Signé : C. di Farraiir. 



CHAPITRE II 



OOOHIMOHIirB - OAM BOSOB - tXAU 



CHAPITRE II 



cocaracHiKB — Cambodge — siam 

Si j*ai manifesté des craintes et des défiances h 
Tendroit de nos possessions du Tonkin et de TAnnam ; 
je suis, au contraire, plein de confiance dans Tave* 
nir de la Gochinchinei à condition pourtant que 
nous nous en occupions sérieusement et que nous 
sachions y faire les faciles sacrifices qu'elle ré- 
clame do nous. S*il en est ainsi, nous |x>sRédorons 
pix)chaincmont un vaste territoire, qui nous conso- 
lera de la perte de nos |)ossossions dans Tlndo nu 
sl^lo dornicr... Mytho peut devenir un |)ort do 
commerce do premier ordre et Saigon un puissant 
arsenal, nous permettant de soutenir au besoin, 
dans les mers de TExtrême Orient, une longue et 
pénible guerre maritime. 

Cette dernière création est d'autant plus essen- 
tielle que nous devons prévoir le cas oCi nos troupes 
coloniales et nos bâtiments de guerre seraient pri- 



i 



56 U FRAIICE DA!IS L*»0e-CHI5K 

vés de communication avec la métropole, par une 
obstruction momentanée du canal de Suez. 

Notre colonisation en Cochinchinen*estpas encore 
très avancée. Il serait facile do trouver des repro- 
ches à adresser h notre administration cochinchi- 
noise. Mais à quoi ser\'iraicnt ces critiques? 

Ne vaut-il pas mieux prendre la situation telle 
qu^elle est, examiner les résultats acquis, indiquer 
ceux qu*on pourrait obtenir, proposer enfln les 
moyens de les atteindre? Cette besogne est moins 
commode h coup sur que la première. Néanmoins 
elle m*est plus agréable, et c*est elle qui me tente. 
Il est aisé de se rendre compte de ce que nous 
pourrions vmisemblablement retirer de la Cochin- 
chine quand on saura que son territoire mesure 
environ 59io8 kilomètres carrés. 

Son étendue égale donc celle de dix de nos dé- 
partements. La population y est fort dense. On 
Testime au chi(Tre de 1 600 000, soit 27 habitants par 
kilomètre' carré. L'Espagne ne compte que 33 habi- 
tants sur la même étendue de ten*ain I Le climat y 
est tempéré. On y fait jusqu'à deux récoltes par an 
et le riz y est abondant. Le Mékong est la grande 
artère qui met en communication les grandes villes 
situées en général sur son parcours. 

Un service maritime : les Messageries flnviales^ 
subventionnées par TÉtat, fait le service entre Sai- 
gon, Mytho, Tay-Ninh et Baria, d'une part; puis de 



C0CB1RCHI1CB — CAXBOOCB — SUM 87 

Mytho à Soctrang, Chandoc, Denté, Travinb, d*autre 

part. 

Toutefois la Cochinchino se trouve comme relé- 
guée au sud do rindo-Chine et pour ainsi dire ro- 
foulée vers la mer. 

Le royaume de Cambodge la sépare du vaste 
territoire qui forme les pays du bas et du baut Laos 
compris entre le Mékong et le Ménam, pays qui 
conOnent eux-mêmes h la Birmanie, au Tonkln, à 
la Cbine, à TAnnam. 

Noti*e colonie ne peut donc communiquer avec le 
Nord qu*à la condition de traverser le Cambodge, 
royaume mal administré, dont les voies de commu- 
nication sont dans un état d*abandon pitoyable et 
dont les frontiC^res avec le Siam ne sont pas même 
délimitées. 

On comprend dès lors que la Cocbincliine ait eu 
besoin de se donner de Vair. 

Pour cela, on a tout naturellement songé h mettre 
la main sur le Cambodge qui l'étoufTe, en y établis- 
sant un protectorat français! 

Mais le Cambodge étant tributaire de Siam, il a 
fallu s'entendre avec la cour de Bangkok. Cest ce 
qu'on a fait, dès le début môme de notre occupation 
de la Cocliincliine. 

£11 18G7, le gouvernement imi^érial a traité avec 
le roi de Siam h l'efTet de « régler définitivement, 
d*un commun accord, la position faite au royaume 



88 LA FRANCE DANS L*1ND0-CHLNB 

de Cambodge, par suite du traité conclu à Oudon 
entre la France et ce royaume, le 11 août 1863. 

Mais un traité de protectorat ne saurait suffire à ce 
que la Cochinchine doit réclamer de son protégé. 
CTest Torganisalion complète du royaume du Cam- 
bodgOy aux points de vue flscal, commercial, mili- 
taire, qui peut seule répondre aux besoins de notre 
belle colonie cochinchinoise. 

C*est ce résultat qu'il nous faut, à tout prx^ 
atteindre. 

Le traité de 18G7 est bon, en tout cas, à connaître* 

Kn voici le texte intégral : 



TAAITft CONCLU LE 13 JOILLCT 1867 BNTIIB LA FrANCB 
RT LK ROYAUME DE SlAM 

Art. l*^ — Sa Majesté le roi de Siam reconnaît solen- 
nellement le protoclorat do Sa Majesté Tempereur des 
Français sur lo Canii>od};c. 

Art. 2. — l.o truite conclu, au mois do décembre 1803, 
entre les royaumes do Siam et de Cambotigo est déclaré 
nul et non avenu, sans qu'il soit possible au gouvenie* 
ment do Siam de Tinvoquer & l'avenir en aucune circons« 
tance. 

Art. 3. — Sa Majesté le roi de Siam renonce pour lui et 
ses successeurs à tout tribut, présent ou autre marque 
de vassalité de la part du Cambodge. 

De son côté, Sa Majesté Fempereur des Français 8*engage 
à ne point s*emparer de ce royaume pour l'incorporer à 
ses possessions de Cocbinchine. 



GOCnUIClll!» — CAMBODGE — 8IAX S9 

Ait. 4. — L«s prorinees de Battambang et d*Angkor 
(Nakon, Siemrap) resteront au royaume de Siain. Leurs 
frontiores ainsi que celles des autres prorinces siamoises 
limitrophes du Cambodge, telles qu'elles sont reconnues 
de nos Jours de part et d*autre, seront, dans le plus bref 
délai, déterminées exactement, à Taide de poteaux ou 
auti*cs marques, par une Commission d'officiers siamois el 
cambodgiens, en présence et avec le concours d oniciers 
français désigJiés par le gouverneur de la Cocbincliine. 

La délimitation opérét*, il en sera dressé une carte 
exacte par los officiers français. 

Art. 3. — Les Siamois s'abstiendront de tout empiéte- 
ment sur le territoire du Cambodge et les Canibo«lgiens 
s'abslientli*ont également de tout empiétement sur le ter« 
ritoirc siamois. 

Toutefois les habitants des deux pays auront la liberté' 
de circuler, de faire le commerce et de résider |>acilit|ue- 
mciit sur le territoire respectif. 

Si des sujets siamois se rendent coupables de quelques 
délits ou crimes sur le territoire du Cambodge, ils seront 
jugés et punis avec justice par le gouvernement du Cam- 
bodge et suivant les lois de ce pays; si des sujets caui« 
bodgiens se rendent coupables de délits ou crimes sur le 
territoire siamois, ils seront également jugés et punis 
avec justice par le gouvernement de Siani, suivant les 
lois de Siam. 

Art. 0. — Les b&timents sous pavillon français pour* 
ront navigucrlibrement dans les parties du fleuve Mékong 
et de la mer intérieure qui touchent aux |K>sscssiuns sia- 
moises. 

Le gouvernement de Sa Majesté le roi de Slara mettra 
à la disposition des autorités do Saigon le nombre de 
passeports qu'elles jugeront nécessaire, pour être déli- 
vrés, après avoir été signés et apostilles par lesdites auto- 
rités, aux sujets français qui voudront se rendre dans 
ces parages. Sur le territoire siamois, ceux-ci devront sa 
conformer en tout aux stipulations du traité de iS30 



60 LA rRANCB DANS L^liVDO-CniIIB 

entre la Franco et le Siam. 1^ passeport ci^desstts men- 
tionne* tiendra lieu, en cas de rel&che, de la passe exigée 
par rarlicle 7 dudit traité et donnera aux porteurs, en 
cas d'urgonce, le droit d'adresser directement leurs ré- 
clamations aux autorités siamoises. 

Aut. 7. — Le gouvernement s*engage à faire observer 
par le Cambodge les stipulations qui précèdent. 



(L. S.) Signé : Moustier. 
(L. S.) Signé : Puya, Suiuwongs, Waywat. 

PORA, KaXA, SkNA. 



Que diro de co traité? Comment rintcrpréter? 

Par rarticlo 3, le roi do Siam veut attester de ses 
bons sentiments à notre égard : il renonce à la suze- 
raineté sur le Cambodge. Mais il y met une condi- 
dition précise : « La France ne pourra Tincorporer 
h la Cochinchine. » 

En échange» qu'obtient Thabile négociateur sia- 
mois, de notre faiblesse, et surtout de notre igno- 
rance? La reconnaissance d*une spoliation par lui 
faite; au détriment do qui? du Cambodge, le pays 
môme sur lequel nous voulons établir notre protec- 
torat! Nous nous faisons ainsi volontairement, et 
Ton i)cut dire gratuitement, les complices d'une 
iniquité commise ù la fin du xvm* siècle, et contre 
laquelle tous les souverains de Pnôm-Penh ont 
protesté tour h tour, depuis cette époque. 



COCBllICBUIB — > CAXBODCB — tUX IM 

En dépit du traité de 1807, le roi Norodom prb» 
teste encore! Ainsi s'explique rempressement que 
le roi de Siam mit & demander au Gouvernement 
Impérial de lui reconnaître comme siennes les pro- 
vinces fertiles qu*il avait violemment prises à son 
voisin. Et c'est la France elle-même qu'il chargeait 
de procéder & une délimitation de frontières que, 
depuis un siècle, il n'avait pas pu par\'enir h établir, 
d'accord avec le Cambodge. 

Et nous avons accepté une pareille clause! Il est 
vrai de dire qu'elle n'a jamais été exécutée. Nous n'en 
avons pas moins, en y souscrivant, commis une faute 
que, coûte que coûte, il nous faut au plus tôt répa* 
rer. Nous devons, i)our y parvenir, nous attendre 
& rencontrer aujourd'hui des difllcultés qu'on eût 
facilement écartées en 18G7. Le roi de Siam semblo 
avoir d'ailleurs le pressentiment de ce qui doit lui 
arriver, car il a instamment prié M. Ch. Thomson, 
notre gouverneur de Cochinchine, Lors de son en- 
trevue avec lui le i^' janvier 1885, de vouloir son- 
ger à la prompte exécution du traité consenti par le 
gouvernement de Napoléon III. 

Eh bien I donc, qu'il soit fait selon son désir. Il est 
impossible que cette situation vague, indéfinie, dure 
plus longtemps. 

La fln très prochaine de ce ûcheux état des 
choses a d*autant plus de prix pour nous que les 
provinces de Battambang et d'Angkor sont les plus 

4 



6i U PRAlfCB.DAlfS L*llfDO-CniIIB 

fertiles de toutes ces contrées et qu'elles renferment 
des richesses de toute sorte qui sont encore à 
exploiter. 

Avant do continuer, qu'il me soit permis de 
signaler une étude très soignée, très étendue, scien- 
tifique môme, sur tous les pays de TExtrôme Orient. 
Elle est l'œuvre de M. de Lancssan, qui a dû, h cet 
effet, se livrer aux plus minutieuses recherches. 
Rapporteur de la Commission chargée d'examiner 
la convention complémentaire de commerce signée 
entre la France et la Birmanie, Thonorable député 
a fait, à l'occasion de son rapport, un travail abso- 
lument remarquable. Je ne saurais trop conseiller 
de le lire, à ceux qui voudront apprendre ce qu'est 
rindo-Chine. 

Toutefois, ce travail do l'éminent rapporteur n'est' 
pas aussi complet qu*il aurait pu l'être. M. de La* 
nessan s'est un peu trop exclusivement étendu, je 
crois, sur le cOté descriptif de la question qu'il a 
traitée. 11 a ainsi donné, il est vrai, une leçon de 
géugi'aphio des plus complètes h ceux de ses collè- 
gues qu'il avait mission d ccluircr avant le vote. 
I^a chose est assez, rare, en France, pour qu'on ne 
lui marchande pas des félicitations auxquelles il a 
droit pour ce fait exceptionnellement méritoire. 

Mais, en la ciiHionstance, ce n'est pas à une leçon 
de géographie, si précieuse qu'elle pût être, qu'il 
aurait dû limiter son rapport. Qu'il veuille me par- 



OOCBlNCnUfB — CAMBODGE — ilAM 63 

donner cette très légère critique» qui ne lui enlftve 
d'ailleurs rien de sa valeur. C'est lui-même, du 
reste, qui s'est chargé d'expliquer les lacunes que 
je viens de signaler. 

Il a expliqué très nettement dans quel esprit il 
l'avait conçu. Il a déclaré n'avoir voulu tirer aucune 
déduction des notions complètes et laborieuses qui 
ont été le fruit de ses laborieuses recherches, II a 
pensé, a-t-il dit, que les c déductions politiques de 
son œuvre au point de vue français n'échapperaient 
& personne >. J'ai beaucoup de raisons de croire que 
le savant rapporteur a eu une trop bonne opinion 
de la très grande majorité de ses compatriotes, et 
j'estime qu'il eût été préférable, pour la parfaite édi- 
fication de tous, de le voir dégager lui-même, avec 
son esprit distingué et clairvoyant, les déductions 
qui découlent des notions par lui recueillies. 

Les peuples de Tlndo-Cliine ne forment à propre* 
ment parler que des réunions de tribus encore à 
peu près sauvages, vivant sur les bords des fleuves 
et des cours d'eau au moyen desquels elles commu- 
niquent et commercent facilement entre elles. 

Elles sont plus ou moins soumises ft des souvcrainii 
qui exercent sur elles des droits très irréguliers et 
souvent problématiques., c I^ force y primo avant 
tout le droit. » C'est, h leurs yeux, le seul argument 
qui soit irrésistible. Il est, par conséquent, difllcilc 
& qui n'a pas tout spécialement et profondément 



64 U FnARCS DARS L*lRDO-Cni!fB 

étudié les mœurs tout à £ait étranges de ces pays 
presque inconnus de tirer, au point de vue français, 
les déductions politiques dont M. de Lanessan parle 
avec tant d*aisancel 

J*aî cru agir moi-même avec prudence et aussi 
d*une Tacon plus terre à terre, en recherchant exclu- 
sivement comment on pourrait arriver & établir de 
fréquentes et sûres relations d'échange entre la 
France et ces tribus nombreuses. Ces relations ne 
ne sont-elles pas les seules qui soient de nature à 
mériter notre attention? 

• 

Deux courants commerciaux bien marqués appa- 
raissent immédiatement à ceux qui jettent les yeux 
sur une carte de Tlndo Chine. 

Le premier est tracé» à Test, par le fleuve Mé- 
kong, le second, à Touest, par le fleuve Ménam. 

Ce dernier, «entièrement siamois, traverse tout le 
royaume de Slam, du nord au sud, sur un parcours 
de 800 kilomètres dont 000 environ sont navigables. 
Le Ménam se jette h la mer à Bangkok, où Tin- 
fluence anglaise règne sans conteste. Ce fleuve est 
donc une voie commerciale naturellement placée 
pour servir exclusivement les intérêts anglais. 

Le Mékong au contraire semble destiné l\ favoriser 
une concurrence française faite à 1* Angleterre. Son 
parcours est de 2000 kilomètres. Il est presque par- 
tout navigable. Il Test particulièrement, à toutes les 



OOCBWOIIRB — CAMBODGB — - SIAM 08 

époques, dans sa partie qui traverse le Cambodge 
et la Gochinchine, sur les cOtes sud de laquelle il 
se jette à la mer. Cest donc un fleuve qui peut de- 
venir aussi français que le Ménam est anglais, car 
il met la Cochinchine en communication directe 
avec la partie orientale du Siam les États shane, 
siamois et birmans et même une portion du Yun- 
Nan. 

Qui aura suivi attentivement le cours de cette 
immense artère commerciale sera bien surpris d*ap- 
prendre que les produits des pays qu'elle traverse, 
au nord du Cambodge, au lieu d'être dirigés vers 
nos ports de Cochinchine qui en sont peu éloignés, 
sont presque exclusivement transportés à Bangkok, 
c'est-à-dire à une très grande distance de leur point 
de départ, à travers des chemins épouvantables et 
au prix de diflicultés sans nombre. 

A quoi faut-il attribuer cet état de choses si 
anormal et en même temps si nuisible à nos inté- 
rêts? C*est ce qu'il importe de rechercher, c'est ce 
qu'il faut faire cesser. L'avenir de la Cochinchine 
en dépend. 

Situé presque au centre du Siam, entre les deux 
grands fleuves du Mékong et du Ménam, un peu 
plus rapproché pourtant de ce dernier, se trouve 
uu vrai nid qui sert de refuge à tous les bandits, à 
tous les pillards du Laos et même d'ailleurs. On 
l'appelle Korat. Il est l'objectif de tout le commerce 

4. 



66 U PnANCB DAKS L*lNDO-CniNB 

du Siam, do la Dirmanio et des peuplés riverains du 
MOkong et du Ménam. Do quelque point do cesdites 
régions que soient expédiés les produitsdestinésàdes 
éclianges, où qu'ils soient dirigés : qu'ils partent de 
Bangkok, de Battambang, de la Birmanie méridio- 
nale ou de Stung-Treng, Bassac, Oûbone, Kammerat 
jusqu'à Xien-Lang, c'est toujours à Korat qu'ils 
viennent aboutir. 

Cette ville est donc un immense entrepôt. 

Sa position géographique au centre de la courbe 
quo décrit le Mékong et son voisinage des grands 
lacs dont les inondations obligent les habitants des 
pays sud du L'xos & faire un détour et à la traverser 
pour atteindre le Ménàm, lui donnent une impor- 
tance inappréciable. Les négociants qui y résident 
sont presque tous Chinois et presque tous aussi les 
commanditaires des maisons de Bangkok. On com- 
prend dés Ioi*a que tout ce que renfcrine cet entre- 
pôt privilégié soit expédié vers la capitale du Siam. 

Mais que d'obstacles doivent vaincre voyageurs 
et marchandises avant d'arriver h cette situation! 

Korat est pour ainsi dire enfermée dans le Long- 
Phya-Phaï (forêt du seigneur du feu), très insalubre, 
*ar suite très redouté des voyageurs, de telle sorte 
que le plus grand nombre de ceux-ci, au lieu d'aller 
directement de Korat à Bangkok, font un grand dé- 
tour et passent par Battambang. 

De \h ils gagnent Bangkok soit par la voie de 



COCHWCnilfB — CAMMOGB — - SIAM SI 

terre, soit en allant s'embarquer à Chantoboani sur 
le golfe de Siam. 

Une ligne tcHégrapliique a été Jadis établie par les 
soins do M. Harmand, notre ancien cliargé d*af« 
(aires à Bangkok, reliant cette capitale h Pnûm-Penh 
en passant par Battambang et Pursat. J*ai oui dire 
qu'elle avait été détruite sur la première partie de son 
trajet. Mais ce qui est fort curieux & connaître, c'est 
la façon dont s'opèrent les échanges & Korat. J*ai dit 
que les caravanes de tous les points de Tlndo- 
Chine, d'une partie de la Birmanie et de Siam s'y 
donnent rendez-vous. Aussitôt arrivées, elles y cn« 
treposcnt toutes leurs marchandises. Tous les pro- 
duits anglais venant de Bangkok y sont apportés; 
puis, le moment venu, on procède aux échanges, 
sur place. De cette façon chacun s'éiiargne une 
bonne partie de la route à faire. Dès que le trafic 
est terminé, les caravanes se remettent en marche 
vers leur point déi>art, emportant les proiluits échan- 
gés. On se rend facilement compte des ressources 
que peut retirer l'Angleterre de cet entrepôt vérita- 
blement anglais. 

J'ai le regret de dire que jamais nous n'avons eu la 
pensée d'y installer un agent français ; nous ne som- 
mes donc que très imparfaitement renseignés sur ce 
qui s'y passe. Ce que nous en savons provient de 
sources étrangères. N'en est-il pas de même, hélas! 
de tous les points de Tlndo-Chine, sans en excepter 



68 U PRAJfCE DANS L*11ID0-CH«B 

les pays limitrophes du Cambodg^e sur lesquels 
nous aurions tant besoin cependant d'avoir des no- 
tions escactes? En revanche, il y a quelques mois à 
peine, nous avons décidé qu*un agent consulaire 
français serait installé dans le Nord, au sud du 
Tonkin, à Louang-Prabang. Et sait-on qui a été 
désigné pour occuper ce poste? Un très brave gar- 
çon, il est vrai, mais un employé des télégraphes au 
Cambodge, M. Pavie. Le vice-consulat de Louang- 
Prabang lui a été confié, en récompense du voyage 
qu*il a fait récemment h Paris, 0(1 il a accompagné 
des jeunes Cambodgiens envoyés pour y faire leur 
éducation* GVst ainsi que la téli^graphio peut mener 
chez nous h la diplomatie I Ce n'est pus sans peine 
d'ailleurs que le gouvernement de Siam nous a ac- 
cordé son exequatur. 

Ce que Ton s'imaginera difficilement, c'est que 
ce diplomate hnprovisé, au lieu de se rendre à Hanoi 
et do 1}\ t^ son poste, qui n'en est pas trC's éloigné, 
soit depuis plusioui^ mois ^ Ikmgkok, attendant 
roccasion de se mettre en ix)ute. Arrivera-t-il Jamais 
à destination? C'est ce que nous saurons plus tard. 

Devons-nous être étonnés de n'être jamais ren- 
seignés et de voir tous nos gouvernements succes- 
sifs se lancer dans des expéditions lointaines avec 
la meilleure bonne foi du monde, je ne le nie pas, 
mais avec la môme ignorance persistante I Et moi- 
même, pour faire ce travail, ne me suis-je pas heurté 



COCBIlfCRmS — » GAMBODCB — - SIAX 

souvent à une absence presque absoluede documents 
officiels français. A mesure que je pénétrais plus 
avant dans mes recherches, je ne rencontrais que 
le vague et l'incertitude. J'en suis arrivé néanmoins, 
à force de soins et de travaux, h établir que notre 
situation coloniale de Cochinchine est mal définie, 
dangereusement compliquée d'un protectorat orga- 
nisé dans des conditions anormales. Faut-il attri- 
buer la cause principale de ce malaise, comme cer- 
tains le prétendent, à la convention de 188i? 

Pour que chacun puisse en Juger, je vais publier 
ce document, qui est l'œuvre penonnelle de M. Thom« 
son, car il Ta accomplie sans avoir jamais reçu des 
instructions A cet eiïct? 



CO!CVBNTIO.f COXCLCI BXTBB LB ftOI NoftODOX !•' BT M. Cl. 
TUOMPSOX, GOUYBRNCCB DB LA GoCBlNCfllNB, ilGNU A P.XO)H 
PkMI LB n JCIX i88^ KT A PaRIS PAU LB PRftsiDCCT DB 

LA UftpinuQUB rRAMÇAhB, M. JUUKS GIU'YY, lb ax* 

YIKR 1880. 

(Promolgnée a« /ohtnaI offieiet au Itt Janvier IMOi) 

Abt. l•^ -^ Sa Majesté le roi du Cambodge accepte 
toutes les réformes administratives, judiciaires, floan- 
cières et commerciales auxquelles le gouvernement de la 
République française jugera à l'avenir utile de procéder 
pour faciliter l'accomplissement de son protectorat. 

Art. 2. — Sa Majesté le roi du Cambodge continuera, 
comme par le passé, à gouverner ses États et à diriger 



70 U FlURCB DANS L*l!«DO-CniRB 

leur administration, sauf les restrictions- qui résultent de 
la présente convention. 

Art. 3. — Los fonctionnaires cambodgiens continue* 
ront, sous le contrôle des autorités françaises, à adml- 
nistivr les pit>vinces, sauf en ce qui concerne rétablisse- 
ment et la perception des impôts, les douanes, les con« 
tributions directes, les travaux publics et en général les 
services qui exigent une dii\>ction unique ou Vemploi d'in- 
génieurs ou d'agents eui*opéens. 

Aai 4. — Des résidents ou des résidents adjoints, 
nommés piir le gouvernement français et pré^iosés au 
maintien de Tordre public et au contrôle des autorités 
locales, seront placés dans les chef-lieux de province et 
dans tous les points où leur présence sera jugée néces- 
saire, 

ils seront sous les ordix^s du résident chargé, aux termes 
de Tarticle 2 du Traité du 11 août 1863, d*assurer, sous la 
haute autorité du gouverneur de la Cochinchine, Texer- 
cicc régulier du protectorat, et qui prendra le titre de 
résident général. 

Art. 3. — Le résident général aura droit d'audience 
privée et personnelle auprès de Sa Majesté le roi du Cam* 
bodge. 

Art. g. — Lej dépenses d'administration du royaume et 
du protectorat seront à la charge du Cambodge. 

Art. 7. — Un arrangement spécial interviendra, après 
rét;iblissement définitif du butlget du royaume, pour fixer 
la liste civile du roi et les dotations des princes do la fa- 
mille royale. 

La liste civile du roi est fixée provisoirement à trois 
cent mille piastres; la dotation des princes est provisoi- 
rement fixée à vingt-cinq mille piasti*es, dont la réparti- 
tion sera arrêtée suivant accord entre Sa Majesté le roi 
du Camliodgi^ et le gouverneur de la Cochinchine. 

Sa Majesté le roi du Cambodge s'interdit do contracter 
aucun emprunt sans l'autorisation du gouvernement de 
la Uépublique. 



COCHIRCHIIIB — CAMBODGE — 81AX 71 

Art« 8. — L'esclavage est aboli sur tout le terriloire du 
Cambodge. 

Art.O. — La sol (lu royaumo, Jus(|u*à ce Jour proprI<^M 
exclusive «lo la courouni», cessera «l'être inaliénahte. Il 
scia proctMt^ parités autoiili^s fi'auçjtUcsetcttmlio«if<i4Minefl 
à la constitution do la prui>ric*lé au («amlMxlixc 

l«es clirtmontcs ot lf*8 pnK0<li*s conserveront on toute 
propriété les terrains cpiVIIos occupent acluell««ineiit. 

Art. 10. — La ville do Pnoiu-IVnh sera adminislrée 
par une coniniissioti municipale comiH>sée du résident 
général ou de son délégué, président, de six fonctionnain*s 
ou négociants français nommés par le gouverneur de la 
Cochiuchine, de trois Cambotigiens, un Annamite, un 
Cliinois, un Malais, nommés par Sa Majesté le roi du Cam- 
bodge sur une liste présentée par le gouverneur général. 



Fait à Pnom-Penh, le 17 juin 188i. 

(L. S.) Signé : Coarlu Thomson. 
(L. S.) Signé : Noiooom. 



Cette convention a été, en France, Tobjct des plus 
vives critiques. Elles étaient, & mon avis, très méri- 
tées. Dire à un rot qu*il c continuera à régner i en 
lui enlevant toutes les prérogatives de la royauté; 
le condamner ainsi à toutes les humiliations de la 
vassalité la plus honteuse est un acte au moins ma« 
ladroit s*il ne se Justifle par des résultats importants 
et certains. 11 me semble, en tout cas, indigne d*un 
pays comme la France. Mieux eût valu mille fois 
déposséder complètement ce souverain, l'expédier 
dans rile de Poulo-Condore, l'y détenir et prendre 



7S U FRAKCB DA!fS L*l!f00-C1U!«B 

oarrément possession du Cambodge, en dédaignant 
le traité de 1867, que de sembler craindre la viola- 
tion de ce traité inepte, en commettant une action 
hypocrite, plus nuisible à notre prestige, à nos inté* 
rôts, qu*une manifestation nette et vigoureuse. 

Toutefois la convention de 188i a été approuvée 
|xir les Chambres, en janvier 1880! Pourquoi donc 
son auteur n*a-il pas été maintenu & son poste afln 
de. la faire exécuter? Pourquoi a-t-il été rappelé et 
remplacé par le préfet de la Loire, un parent et, par 
conséquent, une créature de M. Blancsubé, député 
de Saigon, dont un procès, qu'on a cherché à rendre 
scandaleux^ a démontré tout au moins les tendances 
non équivoques, très réfléchies, très calculées, à 
favoriser les intérêts de Norodom qu'il considérait 
avoir été compromis par M. Thomson. 

Sans m'appesantir sur ce point délicat, je dois dire 
que renvoi do M. Filippini, comme gouverneur de 
la Cochinchiiie, ne pouvait que faire pressentir la 
dénonciation prochaine de la convention imaginée 
par son prédécesseur. Je ne mets paé néanmoins 
en doute, un seul instant, la parfaite bonne foi de ce 
haut fonctionnaire. 

Il y avait quelques mois & peine que M. Filip- 
pini était arrivé h Saïgon, que nous apprenions sa 
visite solennelle à Pném-Penh, où il arrivait c muni de 
pleins pouvoirs » pour détruire l'œuvre do M. Thom- 
son I Je ne crois pas pouvoir mieux agir pour faire 



COCBmCRINB — CAMBODGB — 8UX 73 

apprécier les résolutions de M. Filippini, que de 
reproduire textuellement les principaux passades 
d'une lettre, en date du 16 août, adressée de Paôm- 
Penh aux Tablettes des Charentes : 

c Le nouveau gouverneur de la Cochinehiney 
M. Filippiniy est arrivé & Pnôm-Penh^ le jeudi 
22 juillet, muni de pleins pouvoirs auprès de Sa 
Majesté Norodom. La convention du 17 juin a ôlé 
entièrement dénoncée, et une nouvelle entente a 
été conclue sur ces bases : c Le gouvernement fraa« 
çais rend au roi toute l'administration du royaume» 
sauf la régie de l'opium et les douanes; il n'y aura 
plus au Cambodge que quatre résidences-frontières. 

c Le roi Norodom a lancé une proclamation invi- 
tant son peuple à rentrer dans l'ordre, et accordant 
une amnistie pleine et entière. Deux princes de la 
maison royale, les ministres et plusieurs mandarins 
partiront le cinquième jour de la lune (17 août), pour 
porter des messages de paix dans le royaume et 
engager les chefs des rebelles à se soumettre. Chaque 
mission sera accompagnée d'une escorte française, 
comprenant 100 fusils Gras et 10000 cartouches. 
Le ministre de la justice est parti hier, 15 août, pour 
les provinces du Nord, avec 30 jonques remorquées 
par la chaloupe-canonnière, la Baïonnette. Si cette 
nouvelle démarche ne réussit pas, Norodom fera 
des levées et marchera lui-môme à la tète de ses 
troupes contre les rebelles. 

5 



74 LA numcE dans L*iiu)o-cmHS 

€ De son cOté, le résident général a informé le 
pays que rien ne serait changé dans l'administration 
da royaume jusqu'au 1'' janvier 1887. A cette épo- 
que, le roi reprendra la direction des alTaires, et le 
nombre des résidences françaises sera réduit & qua- 
tre : Pursat , Krati(^.h y Çoropong-Thom et Kampot. 
Les fonctionnaires cambodgiens seront conservés. 
Enfin, les commandants de poste ont reçu Tordre 
do ne plus sortir que s^ils sont attaqués, et pour 
secourir un poste attaqtté ou protéger un ravitaU» 
lement. 

c La régie de Topium sera évidemment une source 
fructueuse pour la France; mais, à mon sens, elle 
sera aussi la cause de bien des conflits, et il eût 
mieux valu,^À tous égards, revenir au monopole du 
fermage. Toutes les recettes y passeront, avec 
Tarmée d'employés qui fonctionne dans la régie, 
dont le directeur a 25000 francs et les contrôleurs de 
10000 à lâCKX) francs Avec le fermage, on eût prévenu 
la contrebande et réalisé bien des économies. Une 
économie à faire, ce serait encore de remplacer par 
un administrateur de 1" classe à. 20000 francs, le 
résident général, qui en touche 75 000. » 

^ Un autre correspondant de Pnôm-Penh sous la 
date du 18 août, dit le môme journal, nous apprend 
que les milices cambodgiennes en formation dans 
cette ville refusent de partir pour les résidences 
auxquelles on les destinait, et que la plupart déser- 



tait, arec armes et bagages, allant sans doota i» 
tarcer les rebelles. 

c L'émotion est grande, ici, nous écrit-oo, el Ta 
se demande si, comme en mai et en aoAt i9S&^ Ion 
des deux tentatives de pacification, on va laisser 
des armes aux milices en les renvoyant dans leui» 
villages. En ce cas, attendez-vous à voir l'insurreo* 
tion reprendre de plus belle. > 

La Liberté qui est un journal d'opinion très dkh 
dérée a jugé sévèrement les décisions prises par 
le nouveau gouverneur : 

4 On avait parlé, dit celte feuille, il y a quelques 
jours de rexcellent eflfet produit par les mesura 
dont le nouveau gouverneur civil de la Cochinchine 
avait pris Tinitiative avec le roi du Cambodge. Tout» 
les diflicultés étaient aplanies. La rébellion étail 
vaincue et une paix ot-tavietuie étendait son actioa 
bienfaisante sur la colonie. Le représentant du gou 
vernement français s'était hâté de vendre la peaa 
de l*ours avant de lavoir tué. Les journaux de Sai- 
gon, arrivés hier, nous apprennent que les conces- 
sions inopportunes faites au roi Norodoin ont été in* 
terprétées comme une preuve de faiblesse de notre 
part, de sorte que les rebelles sont devenus plus 
audacieux que jamais et que le roi lui«méme se 
montre très arrogant. On sait que ce prince astu- 
cieux, qui paraît connaître Jugurthaet Salluste, avait 
êu (l'Oliver dcê appuie dans le Paiement frança'u, i 



l U FRA!<CB OANH l/lRDO-Cniï«B 

Les partisans de notre nouvelle politique au Cam- 
xlge diront que Tune des conséquences de la 
>nvcTition de 1881 a éié la réconciliation do Noro* 
om et do son fr^ro Si-Votha. Go dernier est devenu 
epuis lors, en cflet, le chef do la rébellion; il a son 
uartier général à Dahr, près du mont Thy qui lui 
srt de temps en temps de refuge. G*cst là que lui 
rrivcnt par les arroyos, après avoir passé à la 
arbe de notre résident de Compong-Thom, les armes 
tics munitions qui lui sont expédiées de Siam, par 
lattainbang. 

Ils semblent donc logiques quand ils ajoutent : 
^lisquo la rébellion do certaines parties du Cam- 
N>dgo a eu pour prétexte la convention de M. Ch. 
riioinson, il suffira de la dénoncer, et la paix sera 
vnduo h ces provinces. Eflacée la cause , détruit 
jera reflet. 

C*est ainsi qu*a pensé M. Filippini. Il a agi en con- 
séquence. 

L'écrivain de la Liberté qui a eu à apprécier cette 
^açon de penser et de faire me dispense d'exprimer 
anon opinion h cet égard. 

: Il ne me reste qu'une espérance ; C'est que les Gham* 
très qui auront — sans doute? — à sanctionner la 
iconduite de M. Filippini se refuseront énergiquement 
à approuver la dénonciation d'un traité qu'elles ont 
ratifié, il y a neuf mois à peine : je veux parler de 
4a convention Thomson. 



f) 



COChMCniMB — CAXMDCB — SU» 77 

Est-ce & dire qu'il (aut consen'er et appliquer 
l'œuvre de Tancien gouverneur? 

Je me garderais bien de donner ce conseil. 

Je no doute pas un seul inntant des scntimcnti 
excellents et pcrsonneHcmcnt très dcVIntércssés qui 
ont inspiré M. CIi. Thomson, lorsqu'il a conclu la 
convention de i88-i. 

Il a cruy en conscience, servir les intérêts de son 
pays. Mais ii s*est malheureusement trompé. En im- 
posant au vieux Norodom l'obligation de signer sa 
propre honte et sa dégradation, il ne s'est pas rendu 
un compte exact do la situation. 

Il a voulu ménager la cour de Dangh'ok; et celle- 
ci no lui a certainement su aucun gré de cette 
faiblesse — qu'il me pardonne ce mot. II Ta au moins 
autant indispo^éo que s*il avait dépensé toute son 
énergie h prendre déflnitivement posscHsion du 
Cambodge, en s'installant à Pnôm-Penh comme 
M. P. Bort est installé à Hanoï. 

Jusqu'à ces dernières années, l'Angleterre, déjà 
maîtresse d'une partie de la Birmanie et de la pro- 
vince malaise, était la puissance redoutée des Sia- 
mois. Aussi, h l'origine, a-ton vu sans déplaisir, à 
Bangkok, notre occupation do la Cochinchine. En 
signant un traité très avantageux pour lui avec la 
France, bien qu'il consentit à abandonner à notre 
profit sa suzeraineté sur le Cambodge, le roi de 
Siam nourissait secrètement l'espoir que notre voi- 



tft U FnARCB UAKS L*i:<IDO«ailRB 

nnago pourrait lui servir un jour contre les préten* 
ions, contro les envahissements britanniques qu'il 
sst contraint do subir. 

Lo Siam est, on le sait, le seul royaume indépen* 
dont de toute Tlndo-Chine. Son roi a lo souci bien 
naturel de conscr\'er cette position privilégiée. La 
politique anglaise «fu^ont soigneusement secondée 
les Allemands a été, en tous temps, de présenter la 
France h la cour do fkmgkok, comme une puissance 
turbulente, aggivssive, no songeant h rien moins 
qu\\ la con(|uéto du Siam. 

Ux convention de 1881 a malheureusement semblé 
donner raison h nos enneniis. 

1/cxpédition du Ttinkin ost venue mettre le comble 
aux crainlos du pnitôgé do rAngleterre. 

Nous aurions di\ innnédiatcment nous elTorcer de 
faire cesser des appréhensions qui n*étalcnt certes 
ixis justifiées; Lo gouvernement aurait dû être 
avisé par ses. agonis do cet état do choses. Ceux-ci 
sont restés muets. Nous ne nous en sommes donc 
point préoccupés, et nous nous tix>uvons aujourd'hui 
en face d'une politique anglo-siamoise sourdement 
hostile, ce qui est la plus dangereuse des politiques. 

M. Filippini qui a remplacé M, Thomson, a-t-il 
compris cette situation? A-t-il pris les mesures que 
les circonstances lui commandaient? 

J'estimo qu'il n*a fait qu'aggraver colle, si mau- 
vaise, qu'avait créée son prédécesseur I 



• cocninaiiNB — cambodoi — sun 79 

Les décisions si malheureuses que Je vois prendre 
au nouveau gouverneur m'inquiètent h ce point que 
Je regrette sincôrement Tadministration précédente, 
et j'en suis arrivé à me dire : Qui sait, après tout, 
si M. Ch. Thomson n'aurait pas flni par atténuer les 
vices.de son irrationnelle convention? 

Que lui a-t-il manqué pour cela? Un acte de force 
de la métropole et trois mille hommes pour faire 
une sérieuse campagne, ce qui lui aurait permis de 
placer Norodom entre ces deux alternatives : soit 
d'être enfermé lui-même, soit de faire saisir les 
agents de Si-Votha qui parcourent le s prov inces 



limitro phes, l ance nt dos proclamations, r éveillent 
le zèle des sociOtOs secrètes, do nnent des fôtes et 
enrôlent des partisans contre la France. Kst-co que 
ce n'est pas le roi lui-mémo qui, retiré dans son 
palais de Pnôm-Penh, abruti par l'opium, encou- 
rage l'insurrection dont son frère est le chef? Ia 
perfldie asiatique aurait-elle donc déserté le palais 
de Norodom, que M. Fillppini ait pu naïvement 
croire aux fallacieuses promesses de celui qui l'ha- 
bite? 

Qu'il apprenne, s'il l'ignore, un fait caractéris- 
tique qui s'est passé en 1885. 

A cette époque, le i^apo des bonzes du Camliodge, 
soi-disant délégué par le gouverneur de la Gochin- 
chine et par Norodom se rendit auprès de Si-Votha. 
Il s'agissait d'obtenir la soumission de ce dernier. 



U FRAICCB AARS L'IXOO-CHIKB 

1^ Le pape des bonzes avait été son précepteur. Il 
y avait Heu de compter sur son influence auprès de 
lui. Il partit donc, se disant chargé d'ofTrir au ttàte 
da roi une pension de iO 000 dollars par an, à la con- 
dition qu'il cesserait ses hostilités. §i-Votlia eut le 
sentiment qu'aurait eu comme lui tout Asiatique, en 
pareille circonstance : On vient h nio Udonc on a peur . 
C'est tout dilTércnt quand on le menace et surtout 
quand on le maltraite. Donc le chef des rebelles 
trouva Toccasion excellente pour étendre son près* 
tige. Il fit connaître à tous ses partisans les oflres 
magniflques qui lui avaient été faites. 11 se déclara 
plus décidé que jamais h combattre. De grandes 
fiâtes furent données ù cotte occasion, et c'est le pape 
des bonzes lui-mCme qui bénit Veau du seniieiit 
versée à tous les compagnons de Si-Votha Jurant 
do mo urir pour rindép ondanco de la patrie. L'en- 
thousiasme fut tel que le frère du roi osa écrire 
au consul anglais ù Uangkok pour lui demander 
de l'argent 'et des armes. £t sait-on celui qu'il 
chargea de lui faire parvenir sa missive? Son propre 
précepteur, le pape des bonzes, le négociateur 
envoyé par le roi Norodom et le gouverneur do 
SaTgont 

N'est-ce pas là un fait inouï! Sous des formes plus 
ou moins variées, cette même félonie se retrouve 
partout, en Extrême Orient! 

Je suis donc autorisé à penser que le roi do Siam, 



cocniNcniNB — gaxdodgb — sux 8i 

poussé par rAngleterre, est aujourd'hui le complice 
de Noroilom. 

Lui aussi avait promis h notre cliargé d^alToircs à 
Bangkok, de faire cesser la contrebande de guerre. 

Il avait même dépôctié, en novembre 1885, un 
haut mandarin, en qualité de commissaire extraor- 
dinaire, pour que les gouverneurs des provinces 
exécutassent ses ordres. Ceux-ci devaient laîre 
arrêter Si-Votha, s'il osait se réfugier en terre sia- 
moise. 

Mais qu'a produit cette manifestation du gouver- 
nement de Bangkok? Si-Votha en a-t-il pas moins 
continué à s'approvisionner dans le Siam? Et d'ail- 
leurs comment l'arrêter? Il se tient sans cesse aux 
conflns du Siam et du Cambodge. 

Oîi commence la terre siamoise, oti flnit la terre 
cambodgienne? Depuis 1807, on n*a pas procédé, 
malgré tous les engagements pris, h cette époque, & 
la délimitation des frontières des deux pays. 

N*est-ce pas là la cause permanente de notre fausse 
situation au Cambodge et dans le Siam? M. de 
Lannessan le déclare nettement, et Je |)artago son 
sentiment. 

Aussi suis-je de ceux qui pensent qu'avane îquU 
c/iose, avant de dénoncer la convention Thomson, et 
mieux, pour arriver à la dénoncer et h la modifler 
notablement d'une façon honorable, si Ton veut, pour 
Noix>dom, mais ayant tout poiir la France, M. Fili- 

5. 



82 L\ rnxycR dans l*i!<do-ciii:ib 

piiii aurait dû provoquer la nomination de la Com« 
mission de délimitation des frontières. 

11 eût été d'autant plus écouté que, comme je l'ai 
déjà dit, le roi do Siam Ta réclamée de M. Thom- 
son, lorsqu'en janvier 1885, il a eu une entrevue 
avec le représentant de la France, dans les lies du 



Tolfe. 



Qu'attendons-nous pour répondre à ce désir si 
légitime? 



CHAPITRE m 

DÉLIMITATION SES FRONTIÈRES 
SES ROYAUMES SE SIAM ET SU GAMBODOB 

(Battambang, Angkor) 



CHAPITRE III 

DÉUMITATION DES FRONTIÈRES 
DES ROYAUMES DE SIAM ET DU CASIBOOGB 

(bATTAMBARO, AMGKOi) 

Le gouveraement français, sans plus tarder» doit 
donc s'occuper do la délimitation des frontières 
du royaume de Siam et du Cambodge. Mais avant 
de procéder & la nomination de la Commission qui 
serait chargée de cette tâchCy il est absolument néces- 
saire qu'il décide préalablement ce qu*il veut faire, 
afin de donner des instructions précises à ses agents. 
Il faut prévoir, je le réi)ète, des résistances de la 
part du Siam si nous sommes fermement résolus, et 
nous devons Tôtre, à restituer au Caml)odge ses an- 
ciennes provinces. Il ne suflit pas de dire avec M. de 
Lanessan : « Le traité de i8G7 n'existe plus depui» 
la signature de notre nouveau traité avec le roi du 
Cambodge. » Cette déclaration sera platonique tant 
que la France ne lui aura pas donné par ses actes une 



86 U PttARCB DA5S L*15D0-ail?IE 

sanction déflnitive diplomatique, matérielle. Il n*e8t 
plus temps de nous payer de mots. Agissons» et 
surtout agissons vite et énergiquement. 

Si la parole de M. de Lanessan avait la valeur 
qu'il a voulu lui donner et que certains lui prêtent, 
nous ne saurions trop remercier M. Thomson d*avoir 
signô et fait signer par Norodom la convention de 
18Hi, tout en regrettant cependant qu'il fût resté 
en si bon chemin. Kn revanche, on ne saurait assez 
blâmer M. Filippini d'avoir dénoncé une convention 
si avantageuse, si précieuse pour nous, et d'avoir, 
par son inexplicable conduite, redonné au détesta- 
Lie traité de 18G7, sa force et sa valeur d'il y a 
vingt ans, détruites par son prédécesseur. La France 
ne peut plus supporter la spoliation commise par le 
Siam, au détriment du Cambodge. Tout lui com- 
mande : ses intérêts, sa dignité même, de mettre 
fln a cet état de choses. 

L'Angleterre encouragera, dira-t-on, le Siam dans 
ses résistances. Elle nous menacera de s'installer 
dans toute la presqu'île malaise. Que nous importe! 
L'occupation par elle de ce territoire se fera tût ou 
tanl. Nous n'avons donc pas & nous préoccuper de 
rôpoque où elle s*accompIira : que ce soit aujour- 
d'hui ou que ce soit demain. Mais, avant tout, l'An- 
gleterre a, pour l'instant, & terminer ses alTaires 
passablement emmêlées dans la Birmanie. Elle a des 
embarras dans l'Inde, en Egypte, sur le continent, 



FnOXTlÊRES DE SIAM ET DU CAMBODGE ff! 

un peu partout. Suivant son habitudo, elle oommen* 
cera par protester contre nos agissements. Si nous 
passons outre, elle se taira. 

Quant au Siam, il est notre ennemi, qu*ôn n'en 
doute i^as, et il le sera tant qu'il y aura un Anglais h 
Bangkok. Kt Je no vois pas que le Jour soit proche 
où ce pa)^ sera débarrassé do rinllucneo britan- 
nique. 

Nous devons songer à notre sécurité. Cette ab- 
sence permanente, qui date d'un siècle, do fron* 
tières régulièrement établies entre les deux royau- 
mes, do Siam et du Cambodge, dont l'un est notra 
ennemi et l'autre notre pvoiégé^ nous expose sans 
cesse h des contestations, h des périls désonnaiâi 
intolérables. Qu'on essaye de transiger avec le Siam, 
rien ne s*y oppose. Je le conseille. Mais aussi bien 
je ne saurais trop insister pour qu'on n'en tint pas 
compte, s'il refusait de négocier. Mieux vaut la 
gueiTO avec les Siamois chez eux, que la guerre 
dans le Cambodge, & notre porte, avec des rebelles 
armés, renouvelés sans cesse par le Siam ! 

Nul ne me trouvera exagéré, agressif, qui voudra 
se donner la peine d'examiner la situation de Dat* 
tambang. Cette ville — je {iai'lerai ensuite de la pn>- 
vince entière dont elle est la capitale — est la clef du 
Cambodge, et le souverain de PnOm-Penh ne sera 
jamais chez lui tant que son voisin la gardera en son 
pouvoir. 



88 LA PRAIfCE DA!«S L*IIfDO-Gni?CB 

Je pose donc tout d*abord en principe : 

L'existence du Cambodge, partant de la Cochin* 
chine, sera toujours précaire, le commerce de tous 
les pays de Tlndo-Chine, au nord et à Test des Grands 
Lacs, continuera h aflluer 21 Dangkok, tant que le 
Cambodge ne possédera pas, comme ligne frontière, 
Battambang : à Toucst du Grand Lac, et Stung- 
Trong, à Test, sur le Mékong. 

Ce sentiment est absolu chez moi; il résulte de 
toutes les études que j*ai faites avec le plus grand 
soin sur toutes ces contrées. 

Cola bien établi, il me reste à expliquer comment, 
indécis à lorigine, mal renseigné, mal impressionné, 
je pourrais même dire presque sans opinion, je suis 
arrivé h en avoir une si ferme et si arrêtée. 

Je vais, à cet elTet, parler d*abord de la province 
de Battambang, de ses ressources, de ses habitants, 
de leurs mœurs, en un mot de sa situation générale. 
Je m'eflforcerai de démontrer Timportance de sa 
capitale, et par conséquent l'intérêt absolu que nous 
avons ù ne pas la laisser plus longtemps aux mains 
d'un voisin qui, je le dis encore avec certitude, ne 
nous aime pas, et subit l'induence de nos ennemis 
les plus acharnés : les Anglais. 



« » 



La province do Battambang occupo une étendue 
d*environ 100 000 kilomètres carrés, compris entre 




FROimÉRES DE 8UX ET DU CAMBODGE 89^ 

12*30 et i3*d0 de latitude N. et i00*20 et 101*30 de 
longitude E. 

Sa population est très mêlée, comme on peut le ' 
voir par le tableau ci-dessous : 

4 

GambQiIffieni inicriU.. 15 000 45 000 

ComliodKiens Siamoii. 8 000 15 000 

SUmoli inscrits 200 600 

Laotiens 1500 4 600 

Malais 100 300 

Annamites. S 000 000 

Cliinois 3 000 3 000 

Uirinnns ..•.••• 3 000 j 

14 400 
104 200 

A ce chiflrey il est inutile d'ajouter quelques cen» 
taines d'Indiens et de Peongs. 

Les mouvements d'émigration et d'immigration 
dans ces contrées rendent impossible tout recense- 
ment et tout établissement d'état civil. Je ferai 
obserx'er que les cbiiTres qui précèdent doivent 
être considérés comme des données approximatives. 
Néanmoins, il est facile de voir que la population 
est, en très grande majorité, cambodgienne. 

Il y a foi*t peu de chrétiens dans la provinco. Un 
village du nom do Ksach-Pouï, contenant 180 habi- 
tants, & iO kilomètres en amont de la ville du Jlat* 
tambungOHt tout entier chrétien. Un second, lx>nf{.Sa 
villoge annamite sur lo Tu'k-Thio a été récoinincnt 
érigé en chrétienté. 



90 U FRANCE DA?IS L*II«DO-€ni!IB 

La température varie entre d8<' et 25*, ce qui 
fait que le climat tient le milieu entre celui de la 
Cochinchine et celui du Tonkin. 

Ijq total des revenus i»cut présentement être éva- 
lué h environ une detnupictstre par habitant, soit au 
total 51 000 piastres environ, dont la récapitulation 
est indiquée par les clnlTrcs suivants : 

Piulret. 

Ferme des alcools de riz ....•• 15 000 

Fermo da Topium , 74 800 

Ferme de l'alMlai^e dcn {tores i 500 

Fcrtuo du poisHon dit I^c i 300 

Fcnuo de riiiiilo du poi«son. .••••• 1 400 

Kocalion de;* arroyos .*......... 1 550 

Fermo des rix C 200 

Ferme des cardamomos, cornes, |>caux,ctc. 1 330 

Ferme des jeux 1 200 

Fermo de la loterie des trente-six bùlcs. 150 

Fermo de la monnaie 2 000 

Ferme» rùu n ies de Pa yrinli 3 000 

Quote-part de la capitation des mineurs 

de ^ayfinh (environ) 1000 

IntértH du 1/10 sur les paddys Mémoire 

Revenus. provenant de la Justice Mémoire 

Total 51 110 

La plus importante de ces fermes, celle des alcools 
lie ri/, a été concédée pour une durée de trois ans 
et expire en 1887, 

I^ province do ]li\ttambang administi>>c comme 
oîlo restactucllomcnt, avec toutes les imperfections 
(|ue nous avons tous le droit d*iniputcr h son sys- 
tv^ino administratif, est, assurent ceux qui Tunt par- 



FROXnÊAES DK 8UX ET DU CAMBODGE 91 

courue, la plus tranquille et la plus heureuse du 
royaume do Siam '. 

En sus du gouverneur qui est Cambodgien et qui 

réside dans la capitale, il y a cinq mandarins qui 

' administrent la province. Ils sont installés h Mong- 

Kolborey,Tu*k-Thio et Tcnot, au nord, Mong au sud 

et Dontry au sud-est. 

Quant à la ville de Battambang, elle est située sur 
le Song-Ké qui la traverse. Elle s*étend sur les 
deux rives, sur une longueur d'environ lO kilo- 
mùtres. Les maisons sont construitcK au milieu des 
cocotiers, araquiers, bananiers, manguiers. L*aspcct 
en est charmant et furt pittoresque. 

Elle possède même un Hôtel des monnaies dont 
les machines et Tortillage ont été achetés & Paris et 
qui constitue l'un des principaux revenus du Trésor. 

Il y a, au centre de la ville, une briqueterie qui 
fabrique des briques, des carreaux, des tuiles pour 
toitures. A Compong-Ampll, il y a également une 
poterie. Mais la briqueterie de Khveng est aussi 
importante que celle de llattambang. Toutes les 
montagnes de cette région renferment, en général, 
des pierres calcaires dont on pouirait faire de la 
chaux. 

1. Dans une publication qui M fait A Salgoo soui lo titra: 
Ercursions et lifcomiaissunces, un écrivain tK*a couMlentricui, 
.\l. Urioii, a pulilid sur la province dit DattAnilMnff (Juillet* 
AoiU iR8S et Jnuvier*ri^vri«*r IMHii) Icm rcUNulKneiuentit jeu |4iti 
coinpIuU qui in'uul élO det pluii utiles dan« nivi rei*lierrliei. 



99 U FIIAXCK DAXS L'hNDO-GllMB 

Sur la routû do Sisaphon h Payrinh, & Da-Meas, 
il y a des mines d*or. Ces mines qui produisaient de 
Tor un peu pûle et qui étaient exploitées par les 
procédés primitifs, ont été abandonnées, il y a une 
dizaine d*années. Toutefois, si on appliquait à l'ex- 
traction de ce métal, les procédés nouveaux adoptés 
dans nos grands centres miniers européens, ces 
mines pourraient acquérir de l'importance. On pré- 
tend qu*i\ proximité de Ba-Meas, il y a d'autres 
gisements d'or qui seraient, eux, d'une richesse 
réelle. 

Mais à Payrinh, à mi-chemin de Chantaboun à 
Ikiltambang, à trois jours de marche par conséquent 
do celto dernière ville, il y a des mines do pier- 
reries qui occuponl justiu'îi lUKH) ou lUOO ouvriers. 
Les exploitants sont prestpio tous lliriuans et Kou- 
llias. Ces mines contiennent des siipliirs, souvent do 
qualité infévieure. Mais les rubis qu'un en i*otiro 
sont superbes, j'ajoute qu'ils sont rares. 11 est de 
mémo pour les topazes blanches et les émoraudes. 

Les proix>rtions dans lesquelles on trouve ces 
pierres précieuses se calculent ainsi : On compte 
cinq fois plus de rubis que de topazes et d'émeraudes 
et cinq fois plus de siiphirs que de rubis. Ces 
pierres sont presque toutes transportées à Chanta- 
boun oii elles font l'objet d'un commerce spécial. 
Très peu sont vendues à PnOm-Penh. 

M. l'ingénieur Druel a découvert des beaux échan- 



PROjmÈlIBS DE SIAN CT DU aSIDODCB 93 

tillons de cristal de roche dans les montagnes de 
Pnôm-Krevanh. Il y a également des sources ther- 
males entre Battambanget Chantaboun. 

La chasse est abondante dans la province, et celle 
du cerf, au lieu d*étre faite comme chez nous, par 
des chiens, est pratiquée par des chevaux d'une 
race particulière, h demi sauvages, dressés h cet effet 

Monté par son cavalier, dès que le cheval aperçoit 
le cerf, il se précipite à sa poursuite avec une vitesse 
vertigineuse qui lui permet même de le dépasser. 
Dès qu*il l'a atteint, il se jette sur lui, il le mord 
avec rage et l'achève à coups de sabot. Comme 
récompense, on charge la victime sur son dos et il 
rentre ainsi triomphant au village. Kn outre, on 
chasse lo tigre do grande race, ainsi que les pan- 
thères cl les éli^phants sauvages (jul vivent d'tutli- 
nairo sur les bords du lac. On trouve ausxi lo 
renard, lo loup, lo lapin, la belette, des fouines cl, 
sur les bords du Song-Ké, à Ilassou, des loutres. 

Le guano de chauve-souris peut devenir une 
source réelle de revenus si l'on veut s'appliquer à 
l'extraire des grottes de montagnes ù Pnôm-SAm- 
Pôu et à Pnôm-Chûk-Kreem. Dans certaines de ces 
cavernes, il existe des couches d'excréments secs 
de chauves-souris et de vampires sur une hauteur 
de plusieurs mètres. On pourrait très facilement 
les en retirer et en faire l'objet de transports très 
lucratifs. 



94 U rRANCB DX^S L*I«'<U0-CI1INB 

Los diâtricts boisés ilo Mong Kolboroy et de Tu*k- 
lltio fdurnisssoiU beaucoup ilo miel. 

On cultive aussi, dans la pin)vincc« lo rix, le cai*» 
dantomo, le inals, les arachides, lo concombre, la 
citrouille. Le cafô y est abondant. LMndigo de 
Compong est renommé. Le commerce du riz est 
réservé aux Chinois. Ils Texpédient à Saîgon et ù 
Cholon par les messageries à vapeur cochinchi- 
noises qui font les transi>orts des marchandises et 
des voyageurs de ces deux points à Pném-Penh. 

M. Brien prétend qu*une décortiquerre de nz qui 
s*installerait îi Dattambang, envoyant seulement ses 
produits à Pnùm-Penh et à Saigon, aurait chance de 
procurer promptement une belle fortune a\ son pro- 
priétaire, C*est à considéi*er. 

Les bois de teintui*e sont communs dans les 
forêts de Mong Kolbery et de Tu'k-Thio. On y trouve 
toutes sortt^ de variétés de bois de charpente et 
charronnagc, d*ébénisterie, et, en général, tous les 
riches bois do la Gochinchine, ainsi que do la gomme 
laque. Parmi les principales importations qui sont 
faites, il faut citer particulièrement le sel dont ou 
fait un usago considérable pour les salaisons du Lac. 
On remarque aussi les nombreuses cotonnades qui 
viennent toutes d*Âllemagne, d'Angleterre et de 
Hollande. Ces mômes produits venant do France 
sont, hélas! absents. M. Paul Bert cherche fort intel- 
ligemment ù remédier au Tonkin à un état de choses 



PRONTIÊRBS DB SIAM ST DU aXBODCB 

analogue & celui que je viens de signaler, au Cam- 
bodge. Ici comme \h se sont les commerces anglais 
et allemand qui trouvent des di^bouclit^s que Ton 
n*a |)as su créer au commerce français. Est-ce sur- 
prenant? Nous n'avons nulle part d*agents pour 
nous renseigner, et quand, par hasard, nous en 
avons, ils font de la politique. Ils considèrent les 
aflaires commerciales indignes de leurs préoccupa- 
tions et de leur mission diplomatique, Ijcs soies de 
Gliine sont également impoilées dans la province, 
ainsi que Thuile de coca — expédiée, elle, presque 
exclusivement de Cochinchine — etropium que jadis 
fournissait le Cambodge, mais qui maintenant pro- 
vient entièi'emcnt de Bangkok, par suite de la sot- 
tise des agents de la régie de Pnôm-Penli. Ceux-ci, 
ont, en elTet, élevé à 800 piastres le prix de vente 
de la caisse do cette denrée. 

Mais, pour ne pas fatiguer le lecteur |)ar une 
nomenclature trop étendue, j*arrivo sans plus tarder 
à Texamcn de Tindustrie considérable de la |)écbe 
du Lac. Ce seul examen, entre une foule de consi- 
dérations dé toutes sortes, suflira à démontrer com- 
bien la possession du Lac tout entier nous est néces- 
saire . 

Lorsqu*il a eu à parler du Grand Lac et de ses 
émissaires connus sous le nom do bm» du Lae^ 
M. de Lanessan a écrit : 

« Cet immense réservoir est un inépuisable vivier 



96 U FIUNCB DANS L^lSlDO-CniIfS 

de masses énormes de poissons qui, séchés, fumés, 
salés, transformés en huiles et en préparations 
diverses, alimentent une foule d'industries variées 
et donnent lieu & Tun des commerces les plus 
étendus do notre possession. Le Grand Lac n*a pas 
seulement une importance économique, il olTre 
encore une immense valeur politique, La possession 
entiérc de cette grande dépression et celle du bassin 
qui vient y déverser ses eaux est Tun des desiderata 
les plus graves de Tœuvre que nous avons pour- 
suivie empiriquement jusqu*ici, mais que nous 
pouvons et que nous devons désormais accomplir 
de propos délibéré. La partie occidentale du Grand 
Lac, notamment, c*est-^-dire celle qu*une diplo- 
matie trop ignorante ou trop légère a cédée au 
Siam avec les provinces de Battambang et d*Ang- 
Kor, un des nœuds vitaux de la presqu*ile, quel que 
soit le point *do vue, commercial, politique ou mili- 
taire, auquel on veuille se placer. 

« On reste confondu quand on i*énéchit à la faute 
que nous avons commise, en '|8G7, lorsque nous 
avons consacré de nos propres mains la spoliation 
de notre nouveau protégé, le roi du Cambodge* lais- 
sant ainsi la porte ouverte à Tun des plus grands 
dangers qui puissent menacer nos possessions. » 

La compétence indiscutable de Thonorable écri- 
vain qui a émis des affirmations si nettes et si caté- 
goriques donne à ces dernières un tel caractère de 



pno:fnÊiiBS de siam et du Cambodge 97 

gravité que les hommes d*Êtat qui sont & la tête de 
nos affairos no peuvent laisser se prolonger cette 
situation. 

No serait-ce môme qu'au point de Vue spécial de 
la police du Lac, il importerait qu*à tout prix le 
Cambodge seul fût libro do Tcxcrcor, & Toxclusion 
de tout autre. Un oxcmplo suflira h le faire com- 
prendre : 

LMiuile de poisson du Lac donne lieu & un com- 
merce très productif. Elle se fabrique avec des pois- 
sons qu*on fait bouillir dans de grandes marmites. 
L'huile qui, produite par cette cuisson, arrive h, la 
surface, est recueillie avec des cuillers et versée 
dans des touques. 

Alors le poisson qui a subi cette première. opéra- 
tion est jeté sur le rivage dans des réservoirs 
clayonnés et exposé au soleil qui le fait fermenter. 
Une nouvelle couche d*liuile se forme qui est éga- 
lement recueillie, et les détritus de ces deux opé- 
rations successives abandonnés h Tair libre produi- 
sent une sorte d'empoisonnement de Tatmosphère 
qui devient irrespirable. L'eau est décomposée, elle 
n'est plus potable. 

Le gouverneur de Dattambang ne pouvant tolérer 
de tels procédés de fabrication, décida, en i88 i, d'in- 
terdire la fabrication de l'huile de i)oisson. Or des 
marchés avaient été passés. Cette interdiction pro- 
noncée par le fonctionnaire siamois compromet- 

C 



98 LA PRANCB DAifS L*UID0-CH1?IB 

tait de graves intérêts. Il pouvait en résulter un 
anéantissement complet d'une source de richesses 
pour le pays. 

C'est alors que le gouverneur de la Cochinchine 
tut obligé d'inten-enir auprès du gouverneur de 
Dultambang. Celui-ci jugea & propos d'en référer &. 
Bangkok. 

Il fallut de grands efforts et de longs mois pour 
arriver à obtenir que la pêche pût être de nou- 
veau permise; elle le fut, en effet, à condition : 
1* que les détritus de poisson seraient enfouis en 
terre — ce qui n'a jamais été pratiqué ; 2" que le 
gouverneur de la province percevrait un premier 
droit de pêche, sous prétexte de location d'arroyo, et 
enfin un second droit de douane sur l'huile exportée. 
C'est un Indien de Pnûm-Penh qui obtint aussitôt le 
monopole de la douane, à raison de 1 iOO piastres. 
En outre, la/aculté lui fut accordée do prélever er^ 
espèces le dixième de l'huile exportée, ainsi qu'un 
droit de pêche iniineux pour les pêcheurs, calculé 
sur le nombi^e do mailles de filets employés. 

Telles ont été les concessions que la cour de 
Ilangkuk dulgna faire à notre gouverneur de la 
Cochinchine! 

G*est cet état de choses déplorable, humiliant, qu^a 
consacré le traité de 1867! Nous ne pouvons, ne 
iierait-co que pour la sauvegarde de nos intérêts, le 
tolérer davantage. . . 



FR0!rnÊRE8 DB SIAM BT DO GAXBODCB M 

Bien que je ne me sois pas arrêté & exposer 
longuement les motifs qui font que la province 
d*Ar gkor, appartenant historiquement au Cambodge 
comme celle de Battambang, a les mêmes raisons 
qu'elle de revenir h, ce royaume, Je dois dire que 
cette contrée égale sa voisine en richesse et en 
fertilité, et qu*clle est, elle aussi, sur là routé qui 
conduit des pays du Laos h Bangkok. 

Ces ressources qui font la prospérité de la pro* 
vince de Battambang et d'Angkor, ne sont pas 
les seules causes qui commandent à la France de 
restituer ces provinces au Cambodge. L*impor- 
tance de la ville de Siem-Beap, voisine des su- 
perbes ruines d*Angkor, comme celle do Battam- 
bang, tant au point de vue commercial qu*au point 
de vue politique et militaire, nous en font une loi 
expresse, immédiate. J*ai indiqué comment Battam- 
bang était, par sa situation géographique, une étape 
obligée pour les voyageurs et pour une grande 
quantité de convois allant de Korat à Bangkok et 
vice vena, 

Kn outre, plusieurs routes, si Ton peut op|)clcr 
ainsi les sentiers d*élépliants et de chars qui forment 
toutes les voies de communication de ces pays pri- 
mitifs, relient Battambang & Siem-Ucap, Sisaphoiii 
Kabine, Pursat et tous les points importants do ces 
contrées. Une route la met également en communi- 
cation avec Chantaboun, véritable colonie annamite 

LofC. 



lOO LA nXSCE DATtS L^INDO-CUKNB 

OÙ nous devrions bien installer un vice-consul, ne 
fût-ce que pour empocher le transport continuel de 
la contrebande de gueiTe qui, de ce point, se dirige 
vers le Cambodge. 

Les rapiK)rts entre Battambang et Pnôm-Penh 
sont irréguliers. Ils n*ont Heu que pendant huit mois 
environ, au moyen des bateaux des Messageries & 
vapeur de Cochinchine qui, toute l'année, font le 
service entre Mylho et Pnôm-Penh, 

C'est principalement à cette irrégularité de com- 
munications entre Battambang et la capitale du 
Cambodge qu*il faut attribuer cette habitude des 
Laotiens, si nuisible à notre colonie, d'expédier tous 
leurs riches produits ù Bangkok. Il se trouve, en 
elTet, que les caravanes et les voyageurs descendant 
do Korat, arrivent ^i Battambang précisément pen- 
dant la période des quatre mois oU les bateaux des 
Messageries' à vapeur cochinchinoises ne peuvent 
plus remonter jusqu'à ce dernier point. Il est dès 
lors très diflicile de gagner le sud. 

Mais qu'on constmise des routes, qu'on organise 
des moyens de transport réguliers et rapides entre 
Battambang et Pnom-Penh et Ton détournera aussi- 
tôt de Ikmgkok, au profit de la Cochinchine, la plus 
grande partie des juarcliandises' qui y sont trans- 
portées, d autant plus que la barre formée à l'embou- 
chure du Ménam rend inaccessible la capitale du 
Sium aux navires de fort tonnage. 



PR0?IT1È1IE8 DE SIAM BT OU CAMBODGE iA/ 

Le voyage de Battambang à Mytho ne dure pas 
plus de deux jours. Celui de Battambang à Bangkok 
en dure douze. La distance qui sépare ces deux 
villes est de 3Q0 kilomètres. Jadis les Annamites 
avaient construit, assez élevée pour qu'elle fût à 
l'abri des inondations, une chaussée reliant Battam- 
bang au Grand Lac en passant par Sisaphon. Les 
Siamois l'ont laissé tomber en ruines, et cela se 
conçoit : tout ce qui peut servir & Mytho nuit à 
Bangkok. Or l'intérêt du Siam est de protéger cette 
dernière ville au détriment de la première. Cepen- 
dant il existe encore, à peu près intactes, des por- 
tions assez importantes de cette ancienne route qu'iJ 
serait facile de refaire en entier sans trop de frais. 

Si l'on se décidait un jour à entreprendre ce travail, 
il ne serait pas inutile de procéder alors à des études 
sur les améliorations à introduire dans les Lacs. Bien 
des choses contradictoires ont été dites sur certains 
phénomènes qui s'y produisent : sur leur assèche- 
ment possible, par exemple, il serait utile de con- 
naître la vérité. 11 n*en existe pas moins un chenal 
assez profond pour y permettre la navigation cb 
toutes saisons. 

Une clause — Tarticle 7 — de la conventioa 
Thomson a éveillé ma curiosité. Elle a trait h l'abo- 
lition de l'esclavage. J'ai examiné cette question et 
j'ai recueilli & ce sujet de fort curieux renseigne^ 
ments. 

6. 



J 



lOà U FRANCE DANS L*I\D0-CI1INB 

Il y a dans ces provinces du Cambodge trois sortes 
d esclaves : 

Les esclaves pour dettes, les esclaves héréilitaii'es 
et enfln les esclaves formant une catégorie spéciale. 
Cette dernière so com^iose de sauvages volés autres* 
fois dans les régions du LaOs. Mais, ù l'honneur de la 
province de Dattambang, je dois dire qu*on n*y ren- 
contre que des esclaves pour dettes. Cotte sorte 
d*csclavage très curieuse d'ailleurs peut éti*e faci- 
lement détruite. Il suffit à un Européen d en con- 
naître la provenance pour qu'il iudiijue aussitôt le 
moyen do l'anéantir. 

I^ tiers de la population dans la province de 
Ihttambang appartient à la première catégorie! Il 
est vrai de dire que l'esclavage pour dettes est chose 
ti*6s supportable. Il est d'usage que le créancier ne 
traduise pas son débiteur devant le tribunal. J^ 
débiteur insolvable se constitue volontairement Tes- 
dave du créancier, qui le nourrit, le loge, l'habille 
et le fait travailler pour son compte jusqu'à ce qu'il 
soit parvenu à se libérer de sa dette. Mais cet es- 
clavage est personnel, il n'est pas liéréditaire. Néan- 
moins l'enfant d'un esclave né dans la maison du 
maître et qui occasionne ainsi des frais d'entretien, 
donne lieu à un supplément de rachat. 

Ce sont surtout les préU sur récoltes qui sont 
causo quo le cultivateur devient esclave. Le maître, 
je veux dire le préteur, est généralement Chinois. 



Fno?in£nES db sux et du caxbodce i(Xi 

Le Chinois est le Juif de TExtrèine Orient. Il en a 
tous les instincts, la ruse, la finesse, l'inteiligence, 
et surtout la rapacité. 

Un Cambodgien, par exemple, qui possède des 
rizières, a besoin d*argent ; il s*adrcsHe invariablement 
ù un Chinois qui lui fait des avances sur sa récolte 
prochaine. Celle-ci est mauvaise, le débiteur ne peut 
pas payer : il devient esckive du préteur. Aussi voit- 
on ces pays sillonnés par des colporteurs chinois 
qui transportent les marchandises les plus diverses 
ù Tusage des habitants, et les leur vendent h con- 
dition d*étre payés après la récolte. 

D'ordinaire un débiteur ne nie pas sa dette. Pou^ 
tant le créancier ne possède aucun titre qui Tatteste. 
Ce sont lu certes des mœurs que certains Européens 
doivent bien envier aux peuples de TExtréme Orient! 

Mais si des contestations se produisent entre les 
parties, la justice est saisie. Le débiteur qui ne 
s'acquitte pas est mis aux fers dans Tenccintc 
de la citadcll<;^ attendant qu'un acheteur le délivre. 
Il devient aussitôt son esclave pour dettes. Ce 
système a évidemment de graves inconvénients. 
Mais pour détruire ce mal tout d*un coup, sans 
apporter le remède qui doit le guérir, suffît-il d'un 
simple article inséré dans une convention, suilout 
dans un pays oii, je le répète, par suite des circons- 
tances que j'ai indiquées, le tiers de la population se 
compose d'esclaves pour dettes? 



104 U FlUNCK DAMS L*1M)0-CIU:CB 

Je no le pense pas. No semble- t-il pas qu'il eût 
mieux valu, qu*ii vaudniit mieux encore chercher le 
moven de venir en aide aux cultivateurs, en leurfai- 
sanl des avances dans des conditions peu onéi*euses 
qui leur. oITriraient toutes chances de pouvoir se li- 
iR^rer. Kl ces conditions ne leur coAtei*aient pas ccr- 
tiinoincnt les sacrilicos que leur imposent on ce 
moment les usuriei*s cliinois. 

Donc Particle 7 do ki convention Thomson ayant 
\x>\xv but do dtitruire lesclavago appelle forcément 
la cn^ation d'uno institution de pi*ùts ixmr TagricuN 
turo et I*industrio. Ello pourrait fonctionner sous la 
surveillance d*un agent désigné par le gouvernement 
do Cochincliino et rendrait do trC's grands services 
(i ces ()opulations. Quant aux doux premières caté- 
gories d'esclaves, elles doivent disparaître pour les 
mêmes raisons qui nous ont fait abolir l'esclavage 
dans nos colonies. 

Je ne crois pas avoir besoin d'insister sur la néces- 
sité de fortifier très solidement la ville de Battambang 
si elle nous appartenait. Elle occupe une position 
stratégique très importante. C'est par Battambang 
que les ennemis du Cambodge ont toujours pénétré 
sur ce territoire. Nous Tavons bien compris, puis- 
qu'on arrière do Battambang que nous no possédons 
pas, h Pursat, nous avons élevé des défenses. 

Mais celles-ci seraient insuffisantes si elles de- 
vaient supporter uno attaque sérieuse des Siamois. 



rnosmtes db siam bt du caxboocb i05 

En môme temps qu'un entrepôt de premier ordre, 
Battambang devrait donc 6tre une position militaire 
solide, défendant, à l'ouest des Lacs, les frontières 
du Cambodge. 

II serait utile qu'elle fût reliée au port de Kompot 
par un chemin de fer. Siam-Ilenp devrait aussi ôtre 
occu|K^o militairement. 

11 me reste maintenant à étudier comment do- 
ATaicnt s'établir les frontières du Cambodge, & VaA 
des I^cs. 



CHAPITRE IV 



OOMPONO*80AX - KR&TIBH - STOMC^TlUBirO 



CHAPITRE IV 

OOMPONO-SOAÎ — UIATIEH — tlCRC-TRCKO 

La Fhince n'a pas un moindre intérêt à délimiter 
les frontières du Siam et du Cambodge, à Touest du 
Grand Lac, qu'elle n'en aurait à le foire à Test. 
^ La première province qui conflne, à Touest, ce 
c grand vivier » est colle do Coini)ong-Soa1, égalo* 
ment ravie en grande partie au Cambodge commo 
celles de Battainbang et d'Angkor, et contostéo 
comme ces dernières à la cour de Dangkok. 

Or cette province limitrophe des provinces de 
Chicreng, Stung, Poroung et Proun-Tep, etc., met 
I 1q Grand Lac en communication avec le Mékong, 
partant avec OubOne, Bassac et Stung-Treng. 

Elle est la plus fertile, la plus peuplée de toutes 
les provinces de l'ouest de Tlndo-Chine. Elle pos- 
sède plus de 450 villages. On peut la traverser, 
pendant la saison des hautes eaux, du nord au 
sud jusqu'à la frontière de Siam, en suivant le 

7 



ilO LA FRANCE DAIVS L*1NI>0-CI11NB 

Stung-Sen. Celle rivièi*e est le plus grand affluent 
du Lac. Elle traverse Coinpong-Thom et, faisant un 
détour au nord, elle forme une partie de ce que Ton 
considère comme la frontière siamo-cambodgienne. 
Le Stung-Sen n*a pas moins de 80 à iOO mètres de 
largeur et 8 à 10 mètres de profondeur dans tout son 
parcours. Une flottille de canonnières pourrait y être 
installée et y rendre de grands services. On n'en 
rencontre pas une seule pour faire la police contre 
les rebelles!! Suivant sa dénomination (Compong 
veut dire passage) ^ la province de Compong-Soal est 
robjectif de toutes les routes qui mettent en com- 
munication les provinces du nord avec le Cambodge. 
C*est par le Compong-Soaf que les caravanes des 
Laotiens descendent vers Pnôm-Penh, à Tépoque de 
la saison des pluies. Ces caravanes, qui transportent 
des produits de toutes sortes à vendre ou à éichanger, 
escortent eti même temps des troupeaux considé- 
rables. On compte fréquemment, parmi ces derniers, 
jusqu'à iOOO à 50U0 bœufs ou buffles et de 1200 à 
1500 chevaux. Les Laotiens qui les dirigent voya- 
gent en pareille compagnie pendant cinq et six mois. 
Mais, avant d!arriver à destination, ces malheureux 
sont victimes d'une exploitation désastreuse. Cha- 
que fois que, sur leur parcours, ils ont à traverser 
un centre oU se trouve installée une autorité quel- 
conque, ils sont tenus, pour que cette dernière leur 
permette de continuer leur route, h lui abandonner 



COMPOHG-SOa! ^ KRATIEB — STOHG-TREIIG 111 

une ou plusieurs tètes de leur troupeau : de telle 
sorte qu'en arrivant au terme do leur route, pour 
ne pas être ruinés, ils rehaussent considérablement 
le prix de leurs marchandises. 

Le Compong-Soal est, en ce moment, livré com- 
plètement aux incursions de Si-Votha et de ses lieu- 
tenants. 

Voisine de la province de Compong-Soal, celle de 
Chicreng est limitée, au sud et à l'ouest, par les Lacs, 
au nord, par la ù'ontière de Siam. Elle est traversée 
par une petite rivière qui porte son nom. On y 
compte 80 villages dont une dizaine assez popu- 
leux. On aperçoit dans la partie sud de vastes 
plaines 0(1 s*élèvent, de ditttance en distance, de 
superbes bouquets d'arbres, au milieu d*immense8 
rizières produisant toutes du riz blanc et rouge. Les 
indigènes y ont creusé des étangs qui fournissent 
de l'eau pendant la saison- sèche. A partir des 
villages do Top-Siom et do Gou-Som-Kril Jusqu'au 
Siam, on no rencontre ({uo dos forets 6(1 se trouvent 
plus do 150 essences différentes d'arbres. 

Or, li Suïgon, on lait venir de Singaporc, posses- 
sion anglaise (1 t),ces essences qu'on a tout près de 
soi, inexploitées, sur les bords des lacs! 

La province de Chicreng est traversée par des 
routes à peu près praticables, pendant la saison 
sèche, pour les voitures à bœu£s ou à buffles, ainsi 
que pour les piétons et pour les cavaliers. Les trou- 



lis LA FRAIfCB DANS L'iNOO-CHllfB 

peaax sont rares dans cette contrée. Mais» aux envi* 
rons du Lac, il y a de grandes pêcheries organisées 
pour la salaison du poisson. Les produits en sont 
achetés par des Chinois et expédiés en Chine. 

Au sud de la province de Chicreng, limitrophe 
de celle do Compong-SoaY, est la province de Stung, 
qui compte, elle aussi, une centaine de villages très 
importants. Au sud des villages de Dong et de Ang- 
Long-Kranh, d*immenses rizières produisent exclu- 
sivement du riz blanc très estimé dans le pays. Cette 
contrée est riche en troupeaux. Pendant la saison 
Bèchcy vieillards et enfants restent dans les villages, 
femmes et hommes valides se transportent sur les 
bords du Lac et se livrent à la pêche. 

Dans ces régions abondent également de grandes 
forêts produisant des bois très recherchés. 

La fabrication de la cire est une des sources de 
richesse du pays. 

Quant aux provinces de Poroung et de Proun Tep, 
qui,^ au nord et h Test, s'étendent jusqu'au Mékong, 
elles ne possèdent que des villages très éloignés les 
uns des autres. Elles sont montagneuses, peu peu- 
plées. On y remarque l'absence presque complète 
de troupeaux. 

Le commerce du bois est la principale ressource 
de ces pays. On en extrait de l'huile et de la résine. 
Ces bois servent également à la construction des 
chars k bufQes et des sampans. 



GOSIPOIIG-SOaI — KRATIEH — STUIIC-Tllllia liS 

Mais, aux environs de la montagne de Thy, où 
Si-Votha installe d'habitude son quartier général, le 
minerai de fer est très abondant. Avec des procédés 
très insufnsants, les habitants en extraient pourtant 
une quantité suflisante pour fabriquer un nombre 
considérable de couteaux, de sabres, de lances, de 
piques, d*outils, de marmites, etc., etc. Ce minerai 
sert également & la fabrication du fer des krouys» 
qui est la monnaie de tous ces pays jusqu'à Dassac. 
On exploite aussi avec beaucoup de profit le palmier, 
dont on extrait un sucre très estimé des Cambod- 
giens. 

Les femmes se livrent également à la fabrication 
des sampots — vêtements coton et soie à l'usage des 
hommes et des femmes — qui sont très recherchés. 

Je crois utile de revenir sur l'industrie du fer, si 
imparfaitement pratiquée dans ces régions. M. de 
Lanessan, qui y a constaté la présence de gîtes métal- 
lurgiques fournissant un minerai très pur, fait à ce 
sujet une observation qui est de nature à éveiller 
l'attention de ceux qui s'occupent tout particuliè- 

m 

rement de l'organisation de nos coV)nies indo^chi* 
noises, c II importe de noter, dit le savant député, 
qu'il n'existe pas, dans toute l'Asie, une seule 
usine européenne pour la métallurgie du fer. Ce- 
pendant l'Inde contient des gisements de fer con- 
sidérables. Mais les Anglais se sont toujours oppo* 
ses à leur exploitation en grand par des capitaux 



114 LA PRAIfCB DANS L*I!<DO-CBmB 

européens et & leur transformation en acier ou gros 
fers, dans le but évident de ne pas priver leur ma- 
rine d'un élément de fret aussi important. On sait 
que l'on construit, de plus en plus, en fer les bâti- 
ments européens de l'Inde et de Tlndo-Chine, de la 
Chine et du Japon. L'établissement d'une grande 
usine métallurgique au Cambodge pourrait nous 
rendre de grands services; les mines de charbon de 
la côte d'Annam faciliteraient beaucoup cette exploi- 
tation. Du reste le cliarbon de bois sufHrait pen- 
dant plusieurs années. » 

N*csl-il pas désolant do voir de telles richesses 
abandonnées pour le plus grand profit de l'Angle- 
terre? Si elles étaient exploitées, elles nous fourni- 
raient tous les éléments pour construire à bon mar- 
ché, sur place, au moins des flottilles destinées à faire 
la police des rivières. Nous pourrions sans grands 
frais établir, sur tous les points qui les réclament, 
des voies ferrées dont nous aurions tous les maté- 
riaux à notre 'portée. Nous pourrions produire, en 
Extrême Orient, à des prix modérés tout le fer, tout 
l'acier que TAnglcterre y exporte et fait chèrement 
payer. Nous pourrions organiser dé grandes fabri- 
ques d'ustensiles de toute nature à l'usage des 
populations qui n'en |K>ssèdent que de très impar- 
faits et chèrement acquis pour l'usage qu'ils en font. 

Comment nos gouverneui^s de Cochinchine ne se 
sont-ils pas préoccupés do pareilles créations? 



COMPOMC-SOA! — KIUTIEB -*- STClfC-TMOlG ilW 

L*insta11ntion d*un grand établissement métattnr* 
gique de fer & Dahr, près du montThy, devrait faire 
l'objet d*études immédiates. Le gouvernement aunît 
de nombreux avantages à en favoriser la création. 
Un établissement de ce genre appellerait les popul*- 
tions autour de lui. Ce serait un moyen bien plus 
sûr de pacification que Tenvoi de colonnes expédi- 
tionnaires pour en chasser Si-Votha et ses bandes. 

Dalir so trouve & quelques kilomètres du Stung- 
Scn, qui, comme je Ini fuit observer, est navigable en 
tout temps et so jette dans les I^ics. Donc, avec peu t 
d'clTorts, ce villngc serait aisément mis en comniu* ! 
nication constante avec Pnôm-Penh, Mytho et Sai- 
gon. On aurait dès lors la facilité d'expédier ses \ 
produits en Gliinc, partout en Extrême Orient. Nous 
y trouverions tout ce ({u'il faut pour fonder ù Saigon 
un arsenal militaire et maritime de premier ordre, 
se suffisant \\. lui-môme, sans avoir besoin d'aucune 
ressource de la métro j>ole. 

Combien seraient plus intéressantes des dépenses 
afTectées ù une innovation pareille qu*à des voyages 
pompeux et inutiles de nos gouverneurs de Cocliin- 
chine à Pnùm-Pcnh, et à Tentretien d'un résident 
général auprès du roi Norodom f Je ne veux pas 
citer ici tant d'autres gaspillages auxquels il serait 
bien temps de mettre fin! 

Le résumé qui précède démontra suffisamment, je 
suppose, que nous devons au plus tét compléter le 



116 LA rnANCB DAnS L*lIIDO-€niNB 

Cambodge, si Je puis m*expriiner ainsi, par toutes 
ces créations diverses. 

li me reste enfln à examiner quelle est la partie 
du Mékong qui devrait nécessairement appartenir 
au royaume de Cambodge. 

En toute saison, le sen'ice des Messageries 
cochinchinoises remonte régulièrement le cours 
du grand fleuve jusqu*à Kratieh, où nous avons un 
résident. Jjq lit du Mékong est partout accessible 
aux navires de grand tonnage jusqu'à Somboc. Les 
rives jus(iuo-lù en sont très peuplées. On rencontre 
même sur le fleuve des lies où se récoltent abon- 
daiunieiU Tindigo et le colon. Bref, celte portion du 
Cumbodgo serait destinée au plus bel avenir, sous 
une administration honnête et intelligente. 

Tout semblerait, dés lors, indiquer que la fron- 
tière cambodgienne, prenant Kratieh pour point 
extrême à Test, serait tracée dans les conditions 
satisfaisantes pour le souvr Jn du Cambodge. La 
possession de' ce poir.t eiunt d'ailleurs uctuellement 
acquise à ce dernier, aucune contestation ne pour- 
rait se produire de ce chef avec le Siam, et la Com- 
mission de délimitation des frontières limitrophes 
des deux royaumes trouverait, de ce cOté, sa be« 
sogno toute faite. • 

J*estimo néanmoins que la frontière ainsi établie 
no suffirait pas au Cambodge et no pourrait nous 
suflire surtout h nous, au point de vue do nos inté- 



COXPOHG-SOaI — KRATIBB — STUHG-TREflG iil 

rèU en Gochinchine. Cette frontière devrait, à mon 
avis, remonter au moins jusqu'à Stung*Treng et si 
c'était possible Jusqu'à Bassac! 

Stung-Treng, que je considère devoir au moins 
être le point extrême de la frontière du Cambodge, ne 
peut pas correspondre avec Kratieh par le Mékong. 
A partir de Somboc,en remontant vers le nord, le lit 
du fleuve jusqu'à Stung-Treng est rendu inacces- 
sible par des rapides qui s'étendent sur une Ion* 
gueur de 80 kilomètres et rendent impraticables 
toute navigation sur son parcours. Les avis sont 
partagés sur la possibilité de détruire la totalité ott 
la plus grande partie de ces obstacles. 

Une route do terre mot aujourd'hui Stung-Treng 
en communication avec Kratieh. I^ pays qu'elle 
traverse est sauvage, seulement couvert do forêts. 
Il est inhabité à cause des marais qu'y forment les 
inondations. La route de Stung-Treng à Kratieh fiiit 
même un détour pour éviter ces passages, impra- 
ticables pendant une partie de Tannée. Mais il serait 
possible — beaucoup de voyageurs qui ont fré- 
quenté ces parages l'attestent — de construire un 
petit chemin de fer, un peu en élévation afin de le 
préserver des inondations, reliant ces deux points 
importants. 

Ces parages servent de refuge aux bandes rebelles 
commandées par Si-Votha. Nous aurions donc une 
raison péremptoire pour réclamer du Siam leur an* 

7. 



as LA rRANCB DA:<$ L*IKDO-€ni:(B 

nexion au Cambodge. Ainsi Stung*Treng devien- 

* 

dralt la limito oxtrôme st^parant le Siam du CSam- 
bodgc. 

Lasituation géographique exceptionnelle de Stung- 
IVcng nous indique d*ailleurs clairement que celte 
ville doit faire partie du royaume du Cambodge, à 
l'est, sur le Mékong. 

Slung-Trengcst un centre commercial de premier 
ordre. Il est ea môme temps un point stratégique 
que nous ne pouvons laisser aux mains des Siamois. 
Le développement que peut prendre cette ville sera 
considérable si les conHnunications avec le Cam- 
bodge et la Cochinchinc sont assui^ées. 

M. do I.anessan s*oxprimo à son sujet de la façon 
suivante : 

« Stung-Treng est évidemment le i)oint de con- 
centration naturel do toute la vallée du Sô-Cong; ce 
qui lo prouve d'une façon indéniable, c*est que le 
Royaume du Oambodge |)ossédait auti*efois les bords 
tic cette rivière, si intéressante & beaucoup de points 
de vue et dont la branche orientale, le Sé-Kéman, se 
rapproche beaucoup de la province annamite de 
Quang-Nam, qui possède des baies excellentes, i 

Pourquoi hésiterions-nous à faire faire retour au 
Cambodge de ce qu'il c possédait autrefois i? D'autre 
{Kirty le voyageur hollandais G, Van Wecsthof, qui a 
visité ces pays en IG il , rapporte que vers le commen- 
cement du XVII* siècle, c'est-à-dire à l'époque oti 



CO)IPO?IC-SOaI — KRATIKIl — KTt'^G-TllCKG ilH 

les dîvei*sc8 principautés du Cambodge relevalont 
d*un suzerain puissant, Stung-Trcng était une rési* 
dence royale. Alors, raconte-t-il,tou8 ces pays étaient 
sillonnés d'excellentes routes suppléant à Tinsufll- 
sance des cours d*eau. 

Le Siam ne pourrait donc s'opposer sérieusement 
à la reprise, au profit du Cambodge, de cette région, 
qui, par suite des circonstances, lui est devenue 
absolument indispensable. 

Ces circonstances dont je veux parler sont celles 
qui détournent de Kratieh et do nos ports du sud 
tous les piXKhiits du Laos méridional et des bonis 
du Mékong ainsi que de ses afl1uents,pour les diriger 
h gramrpoino ix Ikuigkok. 

Kn outre, Stung-Treng est situé sur le Sébong, 
qui compte parmi ses nfl1uentsleSé-Cohg,navigiible 
pour les banfues indigènes. Celles-ci remontent 
jusqu'à Attopcu, traversant des contrées très fer* 
tiles qui ronrcrmont des mines d'or et de cuivre. 
IjO Sé-Cong permet également de remonter jusqu'à 
Sien«Pang,qui communique par terre avec Dassac. 

En désignant Stung-Treng comme devant faire 
indispensablcment partie du Cambodge, j'ai émis 
simplement le vœu que la frontière pût remonter 
jusqu'à Bassac, en absorbant cette ville bien en* 
tendu. 

Si je no mo suis pas montré très catégorique 1 
l'endroit de Bassac, c'est parce que je comproodi 



itt U FRANCS DANS L*17ID0-GniNB 

que là nous pourrions trouver de graves résistances 
de la part du Siam. 

Toutefois le mandarin, 8*intîtulant vice-roi, qui 
réside & Bassac, pourrait bien un Jour, par son 
mauvais vouloir, par ses dispositions hostiles au 
Cambodge et à la Cochinchine et par sa sollicitude 
exagérée pour tout ce qui touche aux intérêts an- 
glais concentrés à Bangkok, nous mettre dans la 
nécessité de le chasser de sa résidence et de nous y 
installer. 

Nous ne pourrions, malgré tous nos sentiments 
pacifiques, soulTrir que son administration tyran* 
nique et arbitraire continuât quand même à nuire 
à nos intérêts. 

Avant d*en arriver aux mesures extrêmes, je ne 
saurais trop conseiller au ministre des AlTuires étran- 
gères do désigner au plus tôt un agent qu*il accré- 
diterait auprès de ce souverain minuscule. Il lui 
confierait la nïission expresse de s*entendre avec lui 
pour l'établissement de relations commerciales entre 
les pays qui sont soumis à son autorité et Stung- 
Trcng, devenue la limite frontière du Cambodge. 

De la sorte, Bangkok n'aurait plus le monopole 
des produits de toutes ces régions, au grand préju- 
dice de nos possessions. 

Bassac relié à Stung-Treng, et Stung-Treng rais 
en communication avec Kratieh, ce serait le courant 
actuel détourné de sa route dans la direction de 



coxpoug-soa! — kiutibb — stuiig-tiikig lîi 

Bangkok» qu'on n'atteint qu'après un mois et demi de 
route, et ce serait un courant nouveau s'établissant 
dans la direction de nos ports de Cholon, M)iho et 
Saîgon. J'ajoute que Stung-Treng est en relations 
fréquentes par des routes nombreuses avec toutes 
les provinces de la rive droite du Mékong. 

Dès lors, la capitale de Battambang pourrait de 
son cété diriger les produits qu'elle recevrait vers 
Kampot et rendre ainsi à ce port sa prospérité an- 
cienne perdue aujourd'hui. 

Je signale tout particulièrement Bassac, car c'est, 
actuellement, le centre le plus important du bas 
Laos, sur le Mékong. ! 

Bassac est la capitale d'une principauté & qui elle 
a emprunté son nom et qui dépend du Siam. Son 
gouverneur s'est atîublé du titre de roi, parce que, 
bien qu'il aille do temps à autre à Bangkok boire 
€ l'eau du serment » et qu'il paye un tribut déte^ 
miné au roi de Siam, celui-ci a reconnu son titre 
comme héréditaire. 

Il a donc incontestablement de la sorte, en verta 
de ses droits régaliens, la faculté de nous laire bien 
des concessions que nous réclamerions de lui, sans 
avoir à nous opposer des objections provenant de 
son suzerain de Bangkok ! 

Tous les produits qui partent du Sé-Mon et des 
pays situés sur la rive gauche du Mékong viennent 
-se concentrer à Bassac. 



123 U PAARCB DAMS L*lNDO-CilinB 

Oubône, Kcmmcrat et Korat mémo communiquent 
sans cesse avec la capitale de la principauté, 
M. Ilarmand prétend que des villages situés dans 
le haut de la vallée du Sé-Bang-Hieng payent un 
tribut au roi. Il a môme vu fondre en bronze, à 
Bassac, une grande statue de Douddha. 

Il faut donc, ù tout prix, ou avoir avec soi ce mo« 
narque qui tient pour ainsi dire entre ses mains la 
prospérité du Cambodge, ou Tabsorbcr. 

Un agent vigoureux, intelligent, parlant la langue 
du pays, le convaincrait bien vite de Tintérôt qu'il 
aurait à établir avec nous des relations de commerce 
et d*amitié. 

Cela obtenu, nous aurions assuré Tavenir de notre 
colonie de Cochinchinc. 

Sur la principauté, et faisant partie de cette der- 
nière, à Test, se trouve un magnifique territoire : le 
plateau dés Dolovens, qui relie Bassac & Âttopeu. 

C*est avecMe plus vif intérêt que J*ai lu les ren- 
seignements recueillis par M. de Lanessan sur ces 
pays peu explorés d ailleurs, et je me plais h les 
relater ici textuellement. 

c On peut dire, déclare-t-il,que larégion d'Âttopeu 
est une des plus isolées de tout le Laos, en dépit 
des ricliesses qui s*y trouvent. Cette région est une 
de celles qui ne peuvent manquer d'attirer un jour 
notre attention. Le magniAque plateau des Bolovens, 
qui sépare Bassac d'Attopeu, est à une altitude d'en- 



COMPONG-SOaI — * KRATIBH — STUNG-TRERO 123 

viron iOOO mètres au-dessus du niveau de la mer et 
jouit d*un climat à peu près semblable & celui des 
parties méridionales de la France. Ses plaines mame- 
lonnées et ses vallons ofTrent la plupart des végé- 
taux des régions tempérées : les charmes » les 
chênes, les châtaigniers, les conifères, etc. La 
terre y est d*une fertilité inouïe; toutes les cultures 
de l'Europe y sont possibles ; mais les populations 
clairsemées et sauvages ne tirent aucun profit de ce 
territoire superbe. On y pourrait établir une colonie 
européenne qui pourrait se livrer 2i toutes les exploi- 
tations agricoles et industrielles, sous un climat fa- 
vorable et dans les meilleures conditions que puis- 
sent désirer Tagriculture et Tindustrie. 
. c Les quelques personnes qui se préoccupent sé- 
rieusement de Tavenir de la France dans l'Indo- 
.Chine pensent que le plateau de» Dolovens, facile à 
relier au port de Tourane par une route de 150 kilo* 
mètres, devrait devenir le centre administratif et 
le sanitarium de nos possessions orientales, et qu'il 
rivaliserait aisément, h tous les égards, avec tout ce 
que la richesse des Lides a pu enfanter à Semia, à 
Outa Kamund ou à Buitenzorg. > 

Voilà donc une sorte de paradis terrestre h notre 
porte, et nous ne songerions pas à Tutiliser, au lieu de 
porter nos efTorts sur Cayenno qui n*est pas solubre 
ou sur la Nouvelle-Calédonie où nous avons h vaincre 
des difficultés inutiles! 



i24 U PRAMCB DAMS L*IND<H:RmB 

n in*est difllcile de prolonger da\rantage cette par* 
lie de mon travail, presque exclusivement descri- 
ptive. Je crois être entré dans assez de détails pour 
la démonstration que j*ai uniquement voulu entre- 
prendre de la nécessité qu*ii y a pour la France 
à procéder non pas seulement h la délimitation his* 
torique des frontières do Siam et du Camboilgc, mais 
encore h une délimitation nouvelle et plus étendue 
que nous commandent et le soin de nos intérêts 
matériels et le souci même de la défense de notre 
colonie cochinchinoise. 

Je n*ai plus accidentellement qu*& dire rapidement 
quelques mots sur le traité qui lie la France à la 
Birmanie. 

Une convention spéciale, ayant pour but c de con- 
solider et d*accroltre » les relations existant entre la 
France et la Birmanie en vertu du traité du 24 jan« 
vier 1873, a été signée à Paris entre M. J . Ferry au 
nom de la République française et Mingghie, Min, 
Mâcha, Raya, Thin, Gian, Myothit, Myozah, Âtivin, 
AN'oom, Min au nom de la Birmanie. 

Cette convention dernière porte la date du 15 jan- 
vier 1885. 

Je n*ai pas Tintention d*examiner en détail cet 
instrument diplomatique. Je ne ferai que quelques 
■observations sur les deux articles 5 et 6. 

Akt. 5. — Le gouvernement birman s^inlcrdit de créer 
•des monopoles et d'en autoriser directement ou indirec- 



COMPORO-MAI ^ KlATHB «— tmiO-tMOIG Itt 

lement rétablissement sur les articles de eommeroe antrss 
que le thé datiné à être eoMommé à CéUU trait, La eom« 
merce de tous les autres articles sera libre. 



Art. 0. — En aucun cas, les droits perçus en Birmanie, 
tant k rentrée qu*à la sortie, ne pourront excéder S p. 100 
ad valorem avant le premier jour de l'année birmane 1257, 
correspondant au !•' avril 1805, tauf pour Fopium^ qui 
pourra être frappé d*un droit de 30 p. 100. 

A respiration de ce terme, le gouvernement birman 
pourra, en tenant compte des circonstances et des besoins 
du commerce, augmenter lesdits droits de douane, sans 
qu'ils puissent dépasser 10 p. 100 de la valeur, sur quel- 
que marchandise que ce soit, à l'exception de Topiuin, ainsi 
qu'il est dit ci-dessus. 



Par Tarticle 5, le gouvernement birman a la 
faculté de créer un monopole, et de le créer direc- 
tement, ou indirectement, 8ur le thé destiné à être 
consommé à Vétat frais. 

Je ne m'explique pas bien cette restriction con- 
sentie (yar le négociateur f^mçais. Elle ne se trouve 
dans aucune des conventions signéesentre la Birma- 
nie et les puissances européennes. Elle est absente 
de celles qu'ont signées l'Allemagne le 4 avril 1885, 
l'Italie le 3 mars 1871, l'Angleterre en 1802 et 1807. 

Pour plus de motifs que n*en auraient pu opposer 
ces puissances, — l'Allemagne et l'Italie surtout,— 
nous aurions dû, ce me semble, ne pas souscrire à 
cette prétention du roi de Birmanie. Notre colonie du 



126 U riU!ICB DAIIS L*0DO-€Hnil 

. Tonkin produit de thé excellent en abondance. Ce 
thé pourrait être envoyé en Birmanie. Pourquoi 
nous priver gratuitement de cette source de béné- 
flces? L'exposé des motifs, disant quec le thé & Fétat 
frais est un aliment national qui n*cst Tobjct d'aucun 
commerce hors des pays habités par des populations 
birmanes », a induit les Chambres en erreur. Elles 
n'ont pas évidemment compris le préjudice que 
l'adoption do cet article pouvait causer au Tonkin. 

Quant au droit do 30 pour iOO qui frappe excep- 
tionnellement l'opium, est-il admissible ? Pourquoi 
avoir frappé cette denrée que produisent nos colo- 
nies de Cochinchine et du Tonkin d'une taxe à 
laquelle clic n'est pas soumise lorsqu'elle provient 
de source anglaise? 

L'Angleterre conser%'e donc ainsi, h notre détri- 
ment, le monopole de cet important commerce. Il 
est vrai de dire que là encore l'exposé des motifs 
a induit lo K^glslateur français en erreur, c Cet ar- 
ticlo, dit-il, n'est consommé qu'en faible quantité en 
Binnanie. » Or il est avéré que l'opium est la denrée . 
la plus piXHluclive de rOncnt,au point de vue fiscal. 

On se demande comment les agents français, qui 
ont pour mission d'éclairer leur gouvernement sur 
les hommes et sur les choses des pays 0(1 ils résident, 
n'ont pas mis, en 1885, le ministre des AfTaires étran- 
gères en ganie contre les eiTCurs flagrantes conte- 
nues dans Y exposé des wotifs et qui sont évidem- 



coxporo-soaI — biuthb — iTUNC-TRiKO m 

ment la cause de son adhésion à des clauses aussi 
manifestement désavantageuses pour la France que 
les articles 5 et G du traité franco-birman. 

Toute erreur peut se corriger. Nous avons pour 
devoir de négocier afin de ne pas rester, vis-à-vis de 
la Dirmanic» dans la situation d*une nation excep- 
tionnellement défavorisée. 

Mais ce que J'ai dit, à propos de la Birmanie, sur 
rinsuITlsanco, à l'étranger, de nos agents chargés 
d'édiflcr préalablement nos ministres cliargés de 
négocier et de signer des traités de commerce, vient 
de se justifier à propos de celui, avec la Chine, que 
l'on propose aux Chambres de ratifier. 

M. de Freycinet a été frappé des inconvénients 
qui résulteraient pour nous du maintien de certaines 
clauses, et il a demandé à la Commission chargée 
d'examiner le traité de suspendre ses travaux. 

Ainsi, par exemple, pour ne parler que de l'arti- 
cle 9, il y est stipulé que les marchandises ayant 
transité par le Toiikin seront, à leur entrée dans 
un port ouvert, considérées comme étrangères e 
payeront les droits imposés à ces marchandises. 
Pour faire comprendre la sottise d'une pareille 
clause, je prends un poil ouvert : Shangal, par 
exemple. La route la plus courte, la plus économique 
pour tous les produits du Yun-Nan, du Kouang-Si, 
d'une partie du Kouang-Tong, ù destination de Sliaii- 
gal, est évidemment le fleuve Rouge jusqu'à Haï- 



128 U PRANCB DAKS L*I!fDO-€BISB 

phong, od elles peuvent prendre la haute mer pour se 
rendre & leur destination. Mais si l'article 9 du traité 
était accepté, cette route leur serait fermée, car, 
venant de Hatphong,ces produits arrivant à Shangal 
seraient considérés comme c marchandises étran- 
gères » et soumis, en conséquence, à de lourdes 
taxes. On comprend donc que les expéditeurs des 
provinces ci-dessus désignées ont intérêt & leur faire 
descendre le Yang-Tsi jusqu'à Ci\nton, terre chinoise. 
Do là la perte pour nous du droit de douane, trôs 
modéré d'ailleurs, qu'elles eussent subi à notre profit 
si elles avaient traversé le Tonkin. C'est ainsi que 
nous serions récompensés de tant de sacrifices faits 
par nous au Tonkin I Mais pour le sel et l'opium, 
je trouve dans le nouveau traité i\ conclure avec 
la Chine les erreurs identiques à celles qui ont été 
commises dans notre traité avec la Birmanie. 

De môme cjuc nous nous sommes interdit l'expor- 
tation du thé h l'état frais et de l'opium en Birma- 
nie, on noua propose do nous interdire également 
l'exportation du sel et Timportation de l'opium par 
la frontière tonkinoise. C'est absolument niais, pour 
no pas dire davantage. 

Le 8cl est une denix^o de première nécessité dans 
le Yun-Nan. Le Tonkin y fait do nombreuses expédi- 
tions. Mais les mandarins en Chine ayant le mOi* 
nopote du sel, il leur faut empêcher les exportations 
du Tonkin, et nous nous protons complaisamment 



COMPONG-SOA! — KlUTini -— tTUnC-TIIBRG 129 

au développement de leur commerce penonnelysans 
prendre garde au préjudice que*nou8 nous portons 
ainsi à nous-mêmes. Quant à Topium qui se ton* 
somme au Tonkin, il vient, en général, du Yun-Naa, 
qui en produit do grandes quantités et le vend aux 
Tonkinois bien meilleur marché que celui do l'Inde. 
€ L*opium, écrivait, le St5 mai 1880, à son gouverne- 
ment le ministre do Belgique, représente en Chine 
le tiers do la valeur totale importée en Chine. » 

Les conditions faites h ces denrées, sel et opium, 
par le nouveau traité auraient donc pour consé- 
quence inévitable d*oncouragor la contrcbando sur 
les frontières limitrophes de la Chine et du Tonkîn. 

Les mandarins chinois et le commerce anglais ont 
seuls avantage à nous voir accepter des clauses si 
désavantageuses. La Chambre le comprendra, elle 
ne permettra pas au gouvernement de les ratifier, 

N*est-il pas désolant de voir la France si mal 
servie à Tétranger?... Il est vrai que le choix de ses 
agents est fait avec une légèreté incroyable. J*ai dit 
comment un employé des télégraphes du Cambodge 
avait été nommé vice-consul à Louang-Prabang... 
Je pourrais citer tant d'autres faits semblables. On 
veut se débarrasser de quelqu'un, on le nomme 
agent à Tétranger. Est- il étonnant que notre i)er- 
sonnel soit des lors si inférieur à celui des autres 
nations? Ainsi s'expliquent les expéditions du Mexi- 
que, de Madagascar, du Tonkin et autres lieuse dé« 



130 LA PRAIfCB DANS L'INDO-CHIKB 

sastreax de même farine...^ et, après les expédi- 
tions, ces traités de commerce du genre de celui 
que nous avons lait avec la Birmanie et aussi de. 
celui que M. de Cogordan prétend nous faire signer 
avec la Chine M... 

G*est M. Constans, notre nouvel ambassadeur & 
Pékin, qui serait chargé de réparer les erreurs com- 
mises par M. de Cogordan. Nul ne contestera les 
remarquables aptitudes du député de Toulouse. Mais 
sudlront-ellos à M. Constans pour mieux faire que 
M. do Cogonlau? 

Kii mo posant cette question, Je ne puis mieux 
(ixivo pour y i\^ponilrû quW rappeler les rélloxions 
que faistiit ces jours dcrnici*s le Temps^ pour expli- 
quer les conflits survenus récenunent au Tonkin 
entre l'autorité civile et Tautorité militaire. 

c On a composé Tadministration, dit-il, en grande 
majorité de métropolitains qui n*étaient pas préparés 
par leurs antécédents à entrer dans une administra- 
tion asiatique et ne se doutaient pas^ huit jours avant 
leur nominationfquils iraient servir en Jndo-Ckine. 
Ils ne savent rien du pays, rien de la vie coloniale, . 

1. Ces lignes étaient écrites quand une note orflcielle a fait 
savoir que M. Cogordan n'est pas responsable de l'insertion 
des deux clauses que j'ai critiquées plus haut. Ce serait le 
commerce de Saigon qui les aurait réclamées ! N'esl-ce pas ce- 
rofime commerce, si J'ai bonne mémoire, qui a exercé une 
pression cou^idérablo sur la métropole pour la décider & 
enircprondre roxpédilion du Tonkin?,,* 



CONaUSION 



CONCLUSION 



Dans le premier chapitre de ce livre. Je me suis 
scrupuleusement borné & dire et à expliquer mon 
sentiment sur notre situation au Tonkin et dans TAn- 
nam. Je voulais, à tout prix, éviter de me prononcer 
sur le fond de la question, pour ne pas réveiller do 
douloureux souvenirs. 

Apprenant quo jo suis à la veille do publier cot 
ouvrage, un hommo politique, qui partage mes 
craintes sur Tavenir do notre occupation tonkinoise, 
m*a pour ainsi dire mis au défi de € dénoncer U ou 
le$ responsables de notre expédition dans les pays 
de i'Annam »? 

c Oserez-vous cela? » m'a-t-il dit, me laissant 
un peu trop naïvement deviner sa secrète intention. 
Certes, oui, j'oserai, et, pour le prouver, je déclare 
sans hésitation : 

Les coupables sont tous ceux^ sans exception, qui 
ont occupé le pouvoir et dirigé la politique extérieure 
de la France depuis 1872 Jusqu'à ce jour. 

8 



[134 LA PIU!«CB DA!fS L*IND<WCniRB 

Est-ce net? Est-ce là ce que voulait savoir mon 
curieux interlocuteur? Sommcd-nous sur ce point 
<lu môme avis? Je vais m*expUqucr le plus rapide- 
ment et le plus clairement possible. 

Vers la fin de Tannée 1871, M. Senez, capitaine de 
frégate, mon camarade de promotion à l'école, qui 
commandait le Bourayne, pénétrait dans le fleuve 
Rouge avec son navire et remontait jusqu'à Hanoï. 
Avec une faible escorte, il se rendit de là à Bac-Ninh, 
oii il eut alTaii-e c à une meute aboyante de 150 
à 200 vauriens do l'armée chinoise munis de lances, 
fusils et revolvers ». En novembre, il rencontra 
dans le Cua-Cam, à llalphong, M. Dupuis, qui, avec 
sa fluttille, s'apprêtait à i*emonter le fleuve Rouge 
et réclamait l'appui d'uno canonnière. Le comman- 
dant du Boumyne ayant rendu compte de son expé- 
dition à son ministre, l'amiral Potluiau, cet ofllclcr 
généml écrivit au gouverneur do la Gochinchine : 
c II peut y avoir des inconvénients à ce que notre 
pavillon couvre une ontivprise de ce genre. Le gou- 
verneur appréciera donc s'y a lieu de mettre une 
canonnière à la disposition de M. Dupuis. » Cette 
absence de résolution personnelle du ministre de la 
marine de 1872 a été la première des fautes com- 
mises, elle est Vorigine de Vcxpédition du TonkinI 
S'il avait envoyé des ordres formels, donnés une 
fois pour toutes, très carrément, très catégorique- 
ment, M. Chappedelaine, écoutant les conseils de 



CONCLUSION i35 

M" Puginier qui promettait l'appui deOOOO catho* 
liques» n'aurait pas 08<S écrire au quai d'Orsay : € SI 
avec de faibles ressources il est possible d'assurer 
à la France une colonie de 15 millions d'habitants 
dont 500 000 chrétiens, ne mériterait-on pas le re- 
proche de timidité?... » En même temps que le om- 
sul de Canton, le 28 Juillet, ramiral Dupré réclamait 
l'autorisation le faire un coup de main. Pour cela, il 
ne demandait pas de renforts. Il consentait même 
à s'exposer, en cas d*échec, € à un désaveu, à un 
rappel, à la perte de son grade ». Et cependant 
Tamiral Dompieire dllomoy, ne voulant pas céder 
aux suggestions de son camarade, lui avait précé« 
demmcnt écrit le 24 mai : c Sous aucun prétexte 
n'engagez la France au Tonkin. > 

F. Garnier lui-môme, le 8 septembre 1873, faisant 
part & son frère des projets de son chef, s'exprimait 
en ces termes précis : € L'amiral est en train do 
s'engager dans une voie bien dangereuse, celle d'une 
expédition année, » 

Comment se fait-il donc que, im mois aprèê^ lo 
8 octobre, ce môme F. Garnier, dans une nouvelle 
lettre adressée à son frère, était autorisé h lui décla- 
rer : € J'ai carte blanche. Uamiral s'en rapporte à 
moi. En avant donc cette vieille France! » 

Le 5 novembre, en efTet, il arrivait & Uano1,et, le 10, 
il écrivait à un ami : « Il n'y a qu'un coiij) d^éclat qui 
puisse rétablir le j^restige et Vautorité dont je suis 



186 LA FRANCK DANS L*I!tDO-CniIfB 

entouré. Ce coup d'éclat^ j'y suis décidé. Le 15 no* 
vembre, j'attaquerai avec nos 180 hommes la cita* 
délie, j'arrêterai le maréchal N'guyen et je l'en* 
verrai à Saîgon sur un des bateaux de Dupuis. » 

Ne croit-on pas rêver? Le prestige, l'autorité de 
M, F. Gamier t rétablir!.. Voil^ le but... Il suffira 
d'un coup d'éclat pour cela. C'est le drapeau de la 
France, ce sont nos soldats qui seront employés à 
cette besogne I Et le gouvernement laisse faire. 

Comme il l'avait annoncé, ce bouillant officier, 
le 20 novembre au matin, s'empare par surprise de 
la citadelle d'Hanoï, et il annonce son triomphe de 
cette étrange et laconique façon : 

c Pas un blessé. La surprise a été complète. C'est 
une opération modèle (sans me vanter). » 

Alors commence une véritable invasion du Ton* 
kin. Avec des petites troupes de 15 à 20 hommes, 
tous les camarades du vainqueur pénètrent dans 
les villes, s'emparent des citadelles... Pendant ce 
temps, que fait le gouvernement? Il ne dit mot! Son 
silence est un encouragement pour les vainqueurs. 
Les conquêtes se poursuivent toujours avec le même 
bonheur! Mais, hélas! au milieu des bonnes nou* 
velles survient, pareille au spectre du Commandeur, 
l'annonce de la mort de ce malheureux Francis 
Gamier I Le 21 décembre 1873, il avait donné impru- 
demment h, Phu-Hoa'i dans une embuscade de Lun- 
Vinh-Phuoc, chef des Pavillons-Noirs. Il avait été 



ooNausioN 1S7 

victime de ton courage et de ton excès de con* 
fiance en sa bonne fortune! 

Le gouvernement ne pouvait plus dès Ion rester 
spectateur! Il fallait venger la perte d'un officier 
français!.. On négocia. De là sortit la convention 
Philastre, signée le 15 mars 1874, entre la France 
et TAnnam. Nous nous installions pacifiquement à 
Hanoi. L'invasion recevait une première légalisation 
officielle par notre occupation restreinte et bien 
déterminée, en vertu de la convention du mois de 
mars! 

c L'enfantement a été pénible, » écrivait l'amiral 
Duperré, successeur de l'amiral Dupré, en parlant 
de ce document diplomatique. 

Gomment se fait-il que ni ordres, ni instructions, 
rien en un mot n'ait pu arrêter l'élan de nos officiers, 
de 1872 à 1874? Gela s'explique bien naturellement. 

Tous les ministères qui se sont succédé pendant 
cette période laissaient faire^ dans l'espoir de re- 
cueillir les avantages do succès éventuols et faciles 
d'ailleurs. Ils n'approuvaient rien officiellement, c'est 
vrai, mais ils ne prenaient aucune mesure pour se 
faire obéir. Ils acceptaient successivement tous les 
faits accomplis. C'était chose commode : on n'avait 
qu'à enregistrer des victoires ! On n'avait nulle préoc- 
cupation de l'avenir! Les événements continuèrent 
à se dérouler de la sorte jusqu'à l'arrivée du com- 
mandant H. Rivière à Hanoi, en 1882. En vertu de 

8. 



188 U PRARCB DANf L'IIYDO-CHIRB 

la convention de 1874, nous occupions militaire» 
ment la ville, mais les soldats annamites tenaient 
gami»on dans la citadelle. Cette situation anormale 
n'était pas sans inquiéter le nouveau commandant. 
Dès la prise de possession do son gouvernement, 
H. Rivière résolut de mettre fin à cette double occu- 
pation insolite. Il avait absolument raison de penser 
de la sorte. Mais comment procédcrait-il pour cela? 
Userait-il de la force? C'était le seul moyen qui fût & 
sa disposition, car la France avait, à Hué, un chargé 
d'aflaires ayant seul qualité pour trancher la ques- 
tion pacifiquement, je veux dire par la voie diplo' 
matique. 

Ordre formel fut donné au commandant H. Rivière 
c de ne pas agir militairement ». 

De son côté, M . Rhcinart, notre représentant auprès 
de la cour de Hué, était muni d'instructions pour 
traiter avec l'empereur du désarmement de la cita- 
delle d'Hanoi. Les négociations étaient entamées; 
elles allaient aboutir, lorsque, soudain, arriva dans 
la capitale del'Annam et en France la nouvelle du 
bombardement et de Tassant de la citadelle : H. Ri- 
vière, jaloux des succès de F. Garnier, rompant 
brutalement l'action diplomatique, transgressant 
tous les ordres reçus, avait, lui aussi, tenté son 
coup de main. 

Le succès avait couronné son audace, comme il 
avait couronné celle de Garnier. L'amour-propre na- 



oomiufio!! 1S9 

Uonal fût satisfait en France» et le ministère béné* 
ficia d*une nouvelle victoire. Nul ne songea certes à 
blâmer un chef désobéissant, mais heureux. 

Qu'eût-on lait cependant s*il avait été repoussé et 
s'il avait désastreusement compromis la vie de ses 
soldats» l'honneur du drapeau ? 
. Si j'en juge par l'émotion qu'a causée plus tard 
l'échec de Bac Lé, je puis bien affirmer que H. Ri- 
vière eût été impitoyablement et très |u8tement 
traduit devant un conseil de guerre dont tout le 
monde eût réclamé les plus extrêmes rigueurs. 

Il a donc suffi à H. Rivière de réussir d'abord et 
de succomber quelque temps après, à la même 
place que F. Garnier, le 19 mai, attiré, lui aussi, par 
Lun-Yinh-Phuoc, pour devenir un héros légendaire^ 

C'est là la consécration absolue de la thèse : c La 
fin justifie les moyens. » A la nouvelle de la mort 
de ce brave officier, un cri d'indignation, de ven* 
geance retentit d'un bout à l'autre de la France* 
Nous devions venger nos soldats lâchement assassi- 
nés. Les coupables n'étaient pas les envahisseurs^ 
ceux qui avaient sans raison violé les traités exis-* 
tants, mais bien les envahis^ ceux, en un mot, qui 
subissaient scrupuleusement la loi du vainqueur, 
conformément aux conventions établies! On a peine 
à croire pareilles choses! 

Le gouvernement essaya-t-il de ramener le publie 
à la saine raison? Allons donc! Il aurait risqué d'y 



i40 U FRAlfCB DANS L*I2ID0-Cni!tB 

perdre sa popularité et d'être renversé. Il se laissa 
aller prudemment au courant, sans chercher à lui 
résister. Il demanda des fonds au pays; la Chambre 
les vota; et on expédia des renforts. La conquête 
firanchit une nouvelle étape. Rien ne pouvait plus 
désormais nous arrêter. Âpres Hanoi, nous avons eu 
Sontay, et Bac-Ninh... Après Bac-Ninh, Bac-Lé... 
puis Lang-Son!.. Enfln le traité de Tien-Tsin, dont 
c l'enfantement » a été aussi « pénible » que celui 
de la convention do 1874. 

Et comme résultat final : l'occupation définitive 
sous l'administration civile de M. Paul Bert! 

Et maintenant, je le demande à quiconque veut 
raisonnjiblement chercher & établir les responsable 
lités de l'expédition du Tonkin : Est-il un seul gou- 
vernement, depuis 1872 jusqu'à ce jour, qui n'en ait 
assumé sa part? Celui môme que nous avons actuel- 
lement pourratit-il, en cas de malheur, avoir la pré- 
tention d'y échapper? Que fait-il autre chose que 
celui que l'a précédé ? Et n*a-t-il pas eu déjà, lui 
aussi, ses petits déboires? Ah\ si les accidents sur- 
venus à la commission de délimitation des frontières 
s'étaient produits il y a seulement trois ans, aurait-il 
été de force à y résister? Je jure bien que non. Mais, 
aujourd'hui, nous sommes condamnés à la tolé- 
rance, à l'immobilité, et le gouvernement bénéficie 
de cette atonie générale des esprits et des cœurs. 
Je souhaite que nous ne soyons pas, malgré tout. 



GORGUJSIOII 141 

contraints de changer de système! Mais qu'on ne 
nous parle plus de tel ou tel plus ou moins respon* 
sable! Nous avons mieux à foire qu'à rechercher 
celui-là. Je suppose que personne ne m'accusera de 
n'avoir pas assez osé. Pourvu qu*on ne m'accuse pas 
d'un excès de loyale et honnête franchise I !... Un de 
nos hommes politiques les plus éminents me faisait 
l'honneur de m'écrire, il y a quelques jours : c Cher- 
chons ce qui peut nous rapprocher, au lieu de nous 
occuper de ce qui nous sépare. » 

Ce langage est la sagesse même. C'est le meilleur 
exemple à proposer aux républicains, hélas! bien 
divisés, sur toutes sortes de questions et notamment 
sur celle de l'expédition tonkinoise. 

Que, dans le premier moment, sous le coup d'une 
cuisante douleur causée par une blessure, certes 
inattendue et faite à notre amour-propre bien plus 
qu'à la patrie elle-même; que, sur l'annonce d^ 
l'échec de Lang-Son, un immense cri irréfléchi de 
réprobation, d'indignation impossible à contenir soit 
spontanément sorti de toutes les poitrines françai- 
ses, comme il en était sorti après la mort de Rivière, 
cela s'explique, cela s'excuse, étant donné notre 
tempérament national, étant connues notre vanité 
et notre sensibilité pour tout ce qui touche à notre 
drapeau. 

C'est là une de nos chères faiblesses dont nous 
aurions garde de rougir; c'est en même temps une 



142 U P1URCB OANS lViDO-CRINB 

force considérable, puisqu'elle prend sa source dans 
un sentiment d'honneur que nous devons entretenir 
avec uno constante sollicitude. 

Mais» comme tout excès, la prolongation exagérée 
d'un tel état mental devient nécessairement nui- 
sible; or je le vois subsister avec une dangereuse 
ténacité chez certains, dont le nombre, il est vrai, 
-diminue chaque jour. Ni le temps, ni la réflexion, 
pas môme le souci des intérêts de la République ne 
sont par>'enus à les calmer. L'Intolérance est restée 
leur moyen, et ils ne cessent de déclarer que la 
Liberté est leur but. A quelles erreurs restent-ils 
ainsi exposés? S'emparant de cette thèse que c les 
paroles languissantes ne persuadent jamais », ils 
usent de tout ce que peut loger de petitesses, de 
doctrines équivoques, leur esprit, qui s'est fait spé- 
cialement hospitalier pour la circonstance. Ils ne 
daignent môme plus chercher à persuader. Con- 
traindre leur est plus commode. Rapprocher leur 
serait nuisiljle. Diviser leur est plus avantageux. Leur 
conscience leur crie-t-elle : Faites impartialement 
la lumière, aussitôt leui*s mauvaises passions leur 
conseillent la violence. Véritables êtres amphibies, ils 
mettent leur talent au ser>'ice de leurs basses ran- 
cunes et ils n'hésitent pas h étaler toutes leurs pla- 
titudes devant les frêles attraits d'une popularité 
passagère. Inconsciemment, glissant sur cette pente 
malsaine, ils en arrivent un jour (i compromettre 



- co!iausiO!i 148 

jusqu'à la probité de leur esprit, qui s'est fkit accom- 
modant pour pallier, tronquer, dénaturer tout argu- 
ment susceptible de contrarier leurs vues. Altérer 
les fiiits n'est plus une friponnerie, c'est de l'habi- 
leté, c'est un moyen de servir $a cocarde. 

Encore si ces procédés stériles avaient pour excuse 
une douleur irrésistible causée par une blessure 
immédiate, par une plaie béante I Mais comme ils 
' sont coupables et, en l'état, peu patriotiques, puis- 
que la blessure est ancienne, que le temps a cica- 
trisé la plaie et qu'il ne s*agit plus que de guérir une 
maladie suivant son cours I 

' En ce cas, n'est-il pas préférable de la diagnosti- 
quer avec soin, d'en suivre les phases diverses avec 
calme pour en combattre les progrès, pour arriver 
enfin à la guérison, sans s'attarder à maudire, 
à accuser celui ou ceux qui ont engendré le mal. 
Ne vaut-il pas mieux abandonner cette peu enviable 
besogne à ceux qui ne reculent devant aucune ma- 
nœuvre pour détruire la République! N'est-ce pas 
la France qui est engagée au Tonkin? N'est-ce pas 
la France qui serait atteinte si nous y éprouvions un 
désastre? 

Je me rappelle Gambetta, dans la salle des Pas-Per- 
dus, apprenant de Laurier, son ami, la défaite de 
Wœrth. c J'aimerais mieux, s'écria-t-il aussitôt, 
dix ans d'Empire que la confirmation de cette nou- 
velle. 1 G*était un enfant de la Franco, celui-là , un 



144 LA FIIANCB DAMS L^INDO-OURB 

des plus grands y celui qui, parmi tous, Faima d*un 
amour incomparable 1 Aussi restera-t-il étemelle* 
ment comme le type le plus accompli du patriote 1 

Pourquoi, suivant son exemple pour le Tonkin, 
commo pour toute autre circonstance analogue, les 
républicains no foraient^ils pas tairo leurs senti* 
monts poraonuolm, ayant toi\]oui*s ot uni(iucmont 
pour objectif < rint<iiHît do la Franco », ot |)our 
moyens c la Concorde ot la Liberté » . 

Et la Liberté put-elle jamais subsister sans la Jus- 
tice? 

Poursuivi avec racharnementque Ton sait par ses 
détracteurs, Mirabeau leur jetait à la face, le 24 octo- 
bre 1791, ce court déA inspiré par une Àme hon- 
nête : 

« Je sais que j*ai tout promis, mais ai-je promis 
autre chose que de servir selon mes principes. » 

Pour rhoi\neur de mon pays, je veux croire que 
tout homme politique qui, depuis l'origine de Tex- 
pédition dans TÂnnam, a fait partie du gouverne- 
ment, serait en droit de faire hautement de sembla- 
bles déclarations! 

Ainsi donc, trêve aux récriminations! J*ai été 
hostile à l'action militaire de la France dans le 
Tonkin. Je regrette Toccupation par nous de ce 
pays, telle que nous voulons la pratiquer. Mais je 
ne veux plus m'arrêter & nier la bonne foi, la loyauté , 
ni les intentions de qui que ce soit. 



O0MCLO8IO!! 145 

Ce que J'appelle de toua mes vœux, de toat mon 
cœur de FhmçftiSy c*est la discussion calmoy rexa- 
mcn approfondi, sans parti pris, d'une situation 
déclarée excellente par les uns, Jugée détestable 
— je suis de ceux-ci — par les auti*es. 

Tant qu'on no s'occupera pas exclusivement dos 
ehoHi laissant do otUé los }»0i*iohm0ji, on n'urrivora 
pas à fairo la lumièro. Hn un mot, on no parviendra 
pas h savoir s'il faut poursuivre l'œuvro commencée 
ou en faire le sacrifice soit complot, soit limité. 
J*avouo que, moi-même, malgré mes convictions 
très arrêtées, mais méjugeant humblement faillible, 
j'en suis arrivé à me diro souvent, après avoir hon- 
nêtement interrogé ma conscience : qui sait si, les 
Français se trouvant réunis dans une pensée com« 
mune de concorde et d'amour, en vue des intérêts 
do la Patrie, Yaventure tonkinoise, comme disent 
les pessimistes, ne tournerait pas à notre avantage? 

Mais comment en décider dans l'état de division 
que les répubUcains eux-mêmes perpétuent par 
leurs polémiques ardentes, par les débordements 
de leurs haines réciproques, partant par leur oubli 
constant et coupable de la France! 

Ne mettrons-nous pas fin à une crise si pleine 
de périls et si déshonorante pour ceux qui l'entre- 
tiennent? 



146 LA FRAIfCB DANS L*INDO-CniKK 



• 



Pour ce qai regardo la Gochinchine^ si Ton se 
dik^ide & agir sans retard et avec énergie, tout peut 
se simplifier, à notre plus grande satisfaction. 

Il ne dépend que do nous d*en faire une colonie 
française admirable, pouvant rivaliser avec les plus 
riches colonies anglaises et hollandaises do TÂsie, 

Pour ce faire, il no nous (hut qu*obéir & ce que lo 
plus simple bon sens nous indique. Quiconquo voudra 
redonner la pcincdo rcganlcrlacartcderindo Chine, 
et de se rendre compte ainsi do la situation que la 
Cocliinchine y occupe, comprendra tout do suite que, 
i-soléo du Cambodge, notre colonie n*est à proprement 
parler qu'une expression géographique, dont nous 
nous serions embarrassés bien mal à propos. 

Je soupçonne M. Gh. Thomson, (i cause mémo de 
la convention qu'il a conçue en 188i, convention que 
j*ai critiquée avec tant d'autres, d'en avoir jugé 
ainsi. Ses amis le disent fort intelligent et éner- 
gique à la fois. Je n'ai pas l'honneur de le connaître ; 
je n'ai donc aucune raison de douter de ce'qui m'a 
été afllrmé, h son égard. Et j'ajoute que sa conven- 
tion de 188i me donnerait lieu, au contraire, d'en 
Otre convaincu. Je m'explique : cet acte n'a pu être 
le produit d une simple fantaisie sortie du cerveau 
do s^n auteur. Il lui a été inspiré certainement par 



CONCLUSION 147 

• 

un sontimont réfléchi. Quel est oo sontimont? 11 
ost vraisemblable que le gouverneur de Saigon, en 
1884, a compris que Toccupation par nous de la 
Cochinchine seule, à Toxclusion du Cambodge, était 
tout à fait insufllsante; qu*clle ne serait ainsi quo 
stérile, nous réservant un avenir très limité, partant 
fort précaire. 

La Cochinchine est, en effet, écrasée par le Cam* 
bodgo qui pè90 sur ello de tout son poids, l'acculant 
h la mer, la privant pour ainsi diro d*air et do mou- 
vement. 

Kilo est, de ce fait, tributaire do son voisin. N*est- 
oilo pas, en effet, obligée do lui emprunter son 
territoire pour pouvoir communiquer avec les pro- 
vinces du Nord? Le Cambodge le lui prête aujour* 
d*hui, si peu praticable qu*il soit. Mais si, d'accord 
avec nos ennemis, soutenu par eux, il le lui fermait 
demain, l'abandonnant & ces derniers? C*est \U un 
cas que nous devons absolument prévoir, une éven- 
tualité contre laquelle nous avons h nous tenir en 
garde. 

Encore, si nous possédions des frontières assez 
solides pour nous mettre à l'abri d*une invasion 
éventuelle, aurions«nous le droit de n'être pas si 
prévoyants. Mais ces frontières de défense n'existent 
même pas. On ne peut les établir qu*à la condition 
de remonter jusqu'aux grands lacs, qui, apparto- 
nant historiquement au Cambodge, sont devenus. 



148 U FRA!<CB DANS L*I1<IIK>-€I1I!(B 

par lo fait (Vuno spoliation, à la lin du xvui« siècle, 
la propriété du royaumo do Siam. 

11 est donc clair quo notra premier soin doit être 
de nous entendre avec lo Cambodge et do réclamer 
do lui toutes les garanties de sécurité indispensables 
contre toutes les éventualités de l'avenir. Or, la 
première de ces garanties est sans contredit l'occu- 
pation commune de ses frontières historiques, h 
lui rétrocédées par le Siam. 

C'est bien le sentiment de cette situation de la 
Cochinchine vis-ù-vis du Cambodge qui a dû prési- 
der ù la conception de Tan^angement de 1884, que 
M. Ch. Tliomson a fait signer au roi Norodom. Tout 
rengageait, en clTet, à mettre la main sur le Cam- 
bodge. Il s'est toutefois senti aiTôté, sans doute, par 
des cunsidci*atiuns spéciales : les événements de la 
Chine et du Tonkin, les débats parlementaires qui 
avaient lieu ;u ce sujet à Paris, la crainte d'engager 
la France sans être, lui, soutenu dans ses préten- 
tions exagérées, et bien d'autres choses encore, ont 
dû éveiller ses craintes, tempérer son ardeur, maî- 
triser son énergie. Et pourtant le statu quo lui sem- 
blait impossible ! Il a tenté quelque chose. Ce quel- 
que chose a été trop ou trop peu. 

Ce fut trop, car en obligeant Norodom à consentir 
& ses exigences, il l'humiliait inutilement et sans 
prolit aucun; 

Ce fut trop peu, car le vieux roi, irrité^ gardait. 



coNCLUfioif 149 

malgré tout, la fiicuUô do so vengor de nous et do 
susciter senrèlcmont des rébellions que nous aurions 
à combattre. C'est ce qui est arrivé en effet. 

M. Gh. Thomson s'est donc trompé, pour no pas 
avoir assez osé, ou pIutiH pour ne pas avoir logique- 
ment osé ! Son sentiment n*cn fut pas moins excellent. 

Le problème à résoudre pour tout gouverneur de 
laCochinchine comprenant les intérêts de son pays, 
consiste, selon moi, à absorber le Cambodge, sans 
8*cn emparer elTectivement, c*est-A-dire en laissant 
au roi de ce pays son indépendance et son autorité 
dont il doit être fait habilement usage, au profit do 
notre colonie du Sud. Cette tAche n*est pas si com- 
pliquée qu*ello peut le paraître au premier abord. 
Elle ne réclame pas des aptitudes extraonlinaîrcs 
de Kl part de celui qui en serait chargé e la confiance 
et Tappui de la France lui doivent si^ffirc, sous la 
réserve expresse qu*il ne dépassera pas lés limites 
exactes qui lui seront rigoureusement tracées par 
son mandant. / 

Ainsi lo Protectorat do la France* au. Cambodge 
trouverait uno application intelligente, large, eflcc- 
tive, avantageuse autant pour le Protecteur que pour 
le Protégé. 

N*est-ce pas là la véritable solution à trouver? 

J'ai suffisamment démontré, je Tespére, que la 
prospérité de la Cochinchine dépendait en grande 
partie do la bonne ou mauvaise administration du 



iSO U FRAKCB DANS L'INDO-CBIIVS 

du Cambodge. Nous dovons donc nous occuper de 
rendre cette administration aussi parfaite que po8« 
siblo; nous dovons, en un mot, venir en aido au roi 
Korodom et lui organiser son royaume autant au 
point de vue fiscal qu*au point do vue militaire. D'ac- 
cord avec lui, il nous faut mettre de Tordre dans la 
répartition de ses impôts et dans la perception do 
CCS derniers. Ce serait d'une part tout bénéfice pour 
lui, et d* autre part cela nous permettrait d'achever 
dans SCS États notre œuvre civilisatrice. Nous trou- 
verions, en elTet, dans le fonctionnement régulier 
des institutions financières nouvelles, toutes res- 
sources nécessaires pour ouvrir des voies de com- 
munication h son commerce et h celui de la Cochin- 
chinc, pour équiper et former des milices auxquelles 
nous fournirions des instructeurs, pour élever des 
défenses sur ses frontières et sur tous les points 
stratégiques (Â\ il y aurait lieu d'en placer, pour sa 
sécurité et pour la nôtre. 

Jo n'invente certes rien, en exposant un pareil 
projet. Il en a été conçu déjà un semblable, en 18G4, 
lorsqu'il s'est agi de consolider le trône de l'empe- 
reur Maximilicn que nous avions installé à Mexico, 
malgré les sinistres souvenirs laissés par la mort 
violente de l'imprudent Iturbide. 

A cette époque, au Mexique, comme aujourd'hui, 
au Cambodge, il s*ngissait de fonder un ordre de 
choses régulier. Une commission composée de 



GOHCLVSIOIf 151 

financiers et présidée par un homme do grand 
talent, M. Langlois, conseiller d*ÉUit, fbt envoyée & 
Mexico. Elle avait pour mission d*inaugurcr tout un 
système fiscal approprié au pays que nous occupions 
alors, et qui était néanmoins, du nord au sud, infesté 
de guérillas, 

M. Langlois a été, de son vivant, le véritable mi« 
nistre des financesdu Mexique. A côté de lui, M. rin« 
tendant général Priant était chargé de tout co qui 
concernait la formation, Tarmement et Téquipcroent 
d*une armée nationale. Un Jeune capitaine, d'un mé- 
rite transcendant, M. Pierron, aujourd'hui général, 
naguère professeur à Técole de guerre, était le secré- 
taire particulier de Tempereur qui avait placé en lui 
toute sa confiance. Plus modestement, en qualité do 
sous-secrétaire d*État, J'occupais moi-même le poste 
de chef du cabinet militaire du souverain. 

G est ce dernier lui-môme, le frère de Temperour 
François-Joseph, qui avait sollicité de la Franco Tap- 
pui et le concours de ses financiers, do ses ingé- 
nieurs, de ses officiers. 

Les résultats obtenus furent exceUcnts, malgré 
la constante et coupable opposition de Bazaine; 
et, si ce triste personnage avant de procéder à 
l'évacuation du corps expéditionnaire, n*avait tral« 
treusemcnt détruit une œuvre encore incomplète, 
mais laborieusement et consciencieusement édifiée, 
Tempereur Maximilien, obligé, je le crois, quand 



15â IK FRANCE OAKS L'INDO-CHIRB 

même, de déposer tôt ou tard sa couronne, aurait pu * 
certainement, grûce à Théritage que nous lui aurions 
laissé, se sauver de la sinistre mort qui lui a été 
inlligôe sur un obscur monticule, aux bords des fos- 
sés doQuorctarot 

Pourquoi, forts de roxpérienco du passé, no re« 
nouvcllcrions-nous |>as àPnûm-Pcnh, dans des con- 
ditions normales, auprès de Norodom, une œuvre 
qui, celte fois, nous intéresse directement. 

Nul ne songe — moi pas plus que quiconque, pour 
le moment du moins — à s'emparer eiïectivement du 
Cambodge, à le réunir à la Cochinchine pour en faire 
une seule et même terre française. Mais ne peut-on 
pan'cnirà ra680)*l;er, en Ya$8imilant h notre colonie, 
en liant absolument son avenir, ses intérêts à lave- 
nir, aux intérêts de notre possession du sud de Tlndo- 
Chine? 

Je ne vois qu'avantage à opérer de la sorte et pas 
un seul inconvénient! 

Le roi Norodom pourrait-il en prendre quelque 
outrage? M. Ch. Thomson lui a imposé, certes, de 
plus dures conditions et il a consenti à y souscrire! 

Qui nous arrêterait donc dans Texécution de ce 
plan d*ahsovplioni 

Ijù désordre règne pailout dans le Cambodge. Ijcs 
llnances no sont pas administrées. Le contribuable 
est livré h Tarbitraire des mandarins. Les routes 
sont absentes ou h peu prés. Les transactions sont on 



CO!ICLOS101I i53 

ne peut pas plus restreintes. Le pays est envahi par 
des bandes qui harcèlent nos postes et épuisent nos 
soldats. G*est le frère du roi qui les commande, et 
Norodom se déclare impuissant h les détruire! 

Mais notre conduite no nous est-elle pas dès lors 
toute tracée? Tout est h faire au Gamboclgo. La 
Gochinchino sera vouée h un état misérable tant 
qu*il en sera ainsi. 

Mettons-nous donc & l'œuvre. Organisons, adminis* 
trons au profit^de Norodom et au nùtro. 

M. Gh. Thomson avait timidement limité son action 
h la ville de PnOm-Pcnh. D'après sd convention la 
capitale devait être administrée < par une commis- 
sion municipale composée du résident général ou de 
do son délégué, président; six fonctionnaires ou 
négociants français nommés par le gouverneur de 
laCochinchine; de trois Gambodgiens, un Annamite, 
deux Cliinois, un Indien et un Malais nommés par 
Sa Majesté le roi du Cambodge sur une liste pré- 
sentée par le gouverneur de la Gochinchino ». 

Au lieu de cette commission municipale, véritable 
aricquinadc, installons auprès du roi h Pném-Penh 
une commission extraordinaire composée do finan- 
ciers, d'ingénieurs, d'ollicicrs do toutes armes, do 
savants même. Le roi lui adjoindrait un certain 
nombre de ses fonctionnaires et lettrés. Ainsi se 
trouveraient réunis tous les éléments d'une réorgani- 
sation complète du Cambodge, pour la grande gloire 

9. 



1S4 U PRAUCB dans L*l!a>0-CB1!<B 

et la plus désirable satisfaction et du Protecteur et 
du Protégé! 

Un traité d*alliance ofTensive et défensive entre 
les deux compléterait une entreprise si féconde, de 
telle sorte que les places fortes du Cambodge, en 
dehors do certains postes que nous nous réserve* 
rions, seraient occupées par des garnisons ini-fran- 
vaises, nii-cambodgionnes. 

I^s frais de celte occupation militaire seraient 
réglés par la commission cxtraoïxliiuiira résidant 
t\ Puuni-Pcnh. 

Lo Cambodge deviendrait dés lors, en mémo temps 
quo la forteresse avancée de la Cochinchine, un pas- 
sage largement et sCircment ouvert pour l'expor* 
talion dû nos produits et pour Fimportation des raar* 
chandises étrangères, 

Mylho serait bientôt un port de commerce de pre* 
mier ordre. Kampot ivtrouverait son activité perdue. 

Nous pourrions ti^és aisément faire de SaKgon un 
arsenal maritime considérable, car nous trouverions 
en abondance, dans le pays que nous serions chargés 
d'administrer, lefer,la houille, le bois, la pierre, etc., 
nécessaires à celle grande œuvre. 

Ce dernier projet ne mérite-t-il pas plus de faveur 
que celui de M. Fillippini dont je n*accuse d'ailleurs 
que rignorance et rinexpérience ! 

Avec lui, notre Prateclorat est un dangereux 
amoindrissement du prestige de la France ; avec 



OORCU7810!! 155 

M. C3i. ïhomson, il en était — malheurausemont sans 
profit — une tdcheuse exagération. Entre ces deux 
systèmes, il doit y avoir place pour une troisième 
solution pacifique, civilisatrice, utile pour les parties 
engagées! Mon innovation, que dis-je, ma réédition 
d'organisation administrative du Mexique — car jo 
n'ai rien inventé — ost-cllo do nature h produire un si 
précieux résultat?Tout mo Tindiquo; et Jo la propose 
avec cotto conviction profondo qu*ello est indispen- 
sable & mon pays, ê*il veut comerver la Cachinclnne, 

S'il veut eonsei*ver la Cochinchinêt ai-Jo dit? Co 
sont là do gros mots, des paroles qui ont une pré- 
tention do prophétie qu*il me faut sinon justifier tout 
au moins expliquer. G*cst ce que Jo vais m'ciïorcor 
do faire. 

Quand J*cngage mon pays à s*occui)er du Cam* 
bodge au point de vue fiscal et militaire, Je no suis 
nullement inspiré par un sentiment platonique. Je 
songe à Tavcnir. Aussi bien j'entends lui conseiller 
fermement, et pour cause, de prendre des gages 
cerlains^ gages qui ne pourraient en aucun cas lui 
échapper, pour garantir la Cochinchine contre des 
éventualités qu'il est sage de prévoir. Comme Je Foi 
fait observer déjà, notre voisin devenu, gnke à nous, 
puissant et riche, notre voisin ingrat — certains 
de nos voisins do TEurope nous ont sufllsammeiil 
prouvé que Tingratitude n*est pas bannie des nations 
pour lesquelles nous avons fait d*immenses sacrifices 



156 LA FRAnCB DANS L*11*H)0-€B1!(B 

— le Cambodgey en un mot, régulièrement admi* 
nistré, puissamment armé, pourrait avoir un jour la 
velléité de repousser le Protectorat français, d'agir 
directement contre la Franco, ou de se lier à nos 
ennemis résolus à agir contre elle. 

C'est pourquoi j ai réclamé et je ne saurais trop le 
réclamer encore, une occupation militaire com- 
mune, frontières infranchissables. 

Voulons-nous, oui ou non, conserver la Coc/ttn- 
chine? Si oui, nous n'y par\'iendrons, h moins de 
lourds et coûteux sacrifices, qu'en absorbant le 
Cambodge, en nous rattachant, en nous l'assimilant, 
on nous y établissant militairement, conjointement 
avec lui, dans un but do défense etmununo. 

Si non, il nous faut en décréter l'abandon sans 
y augmenter davantage nos charges. 

Et nous ne pouvons Tabandonner; rien ne nous 
oblige. Au contraire, tout nous engage à y rester, à 
nous y inst;dlcr solidement. 

^lais ce n*est pas tout. Notre expédition au Tonkin 
et dans l'Annam a eu son contre-coup dans le sud 
tlo rindo-Chino et a créé à notre colonie do Cochin- 
chine une situation i)articuIièro tiui exigo une 
sérieuse attention do la i)art de la France. 

J'y ai songé bien souvent, et je l'ai dit : Elle a 
été la cause déterminante do la présente étude. 

Jo no reviendrai pas sur les sentiments personnels 
que n\*a inspiixVs l'expédition du Tonkin. Mais, pour 



ooHonsioii 187 

que mon œuvre soit complète, je suis forcé, avant 
de la clore, de me placer en face de ces deux hypo- 
thèses : ou l'occupation définitive assurée du Tonkin 
et de rAnnam par la France, ou l'abandon du 
Tonkin et de l'Annam soit par suite d'une retraita 
complète, soit par suite d'une retraite partielle, co 
que j'ai appelé une liquidation. . 

Dans chacun de ces deux cas, qu'advient-il do 
la Cochinchine? Si notre occupation définitive est 
assurée, ohl alors notre force, notre prestige or 
Cochinchine, dans le Cambodge, dans le Siam pren- 
nent des proportions considérables. Tout se sim- 
plilic. 

La route aujourd'hui abandonnée, inoxploi'éo, qui, 
parlant do Sulgon, passe luir llaria et aboutit à 
Hanoi après avoir tmvcrsé TAnnam dans touto sa 
longueur, s'ouvre lorge, bienfaisante et facilite toutes 
les communications du nord au sud de nos consi- 
dérables possessions! Le Cambodge n'est plus un 
Protégé. Il est notre aUer c(/a, c une combinaison 
de forces » avec la Cochinchine. Il profite de tous 
les avantages résultant pour son Protecteur d'un 
état do choses si heureux, si inespéré! 

Le Mékong, c cette route qui marche i devient un 
véritable fleuve français. 

Le port de Tourane se relie h Dassac— dontle roi 
a tout intérêt tx devenir notre ami — par uno ligne 
ferrée d'une longueur do 150 kilomètres, dont les 



158 IK FlUNCB OMIS L'HIDO-CRINB 

rails et les traverses sont confectionnés avec le for 
et les bois pris sur place. 

Cette vaste baie française se trouve par consô- 
qucnt en communication directe, rapide et constante, 
par voie de terre, avec le haut et le bas Las et la 
Birmanie. Ce qu'elle ne panient pas à attirer & elle, 
prend la direction do Kampot et de Mytho. 

Lo plateau des Bolovcns s'offre & nous, pour y éta« 
blir une admirable colonie ft^ançaise. 

Bangkok est décapitée et ne devient plus qu'un 
centre commercial fort secondaire, avec son port 
dont l'entrée reste obstruée par une barre inabor- 
dable pour les I>ûtiincnts de fort tonnage. 

C'est un boulûversomont complet dans le meuve- 
mont général des échanges actuellement en usage 
sur tous les points do TExtrémo Orient. 

C'est le renversement de l'influence anglaise 
remplacée p^r Tinfluenco française. 

Le résultat vaut la peine certes qu'on le recherche, 
et les partisans de Texpédition du Tonkin ont là une 
séduisante excuse pour expliquer leur entreprise. 

Mais là, comme partout aillcura, il ne suffit pas de 
vouloir, il faut aussi pouvoir. ¥A, pour avoir trop 
voulu souvent on s'est exposé h tomber, comme dit 
Bossuct, € d'une grande chute ». 

Ou comprend quo la Chine au nord, lo Siam et 
l'Anglotorro au sud ctM'ouostet aussi rAIlemagne 
no |>ourraicnt voir d'un œil favorable une situation 



ooNCUJSioii . 159 

aussi exceptionnelle pour les intérôts fhmçals, en 
Extrême Orient. 

Il est inadmissible que toutes ces puissances réu- 
nies dans un intérêt commun ne fiissent pas tout 
pour Fempôcher. 

C'est bien là qu'est le danger pour l'avenir! 

Mais que se passcrait-il si nous éprouvions un 
grave échec au Tonkin? 

Évidemment^ le Cambodge, notre premier voisin, 
n'aurait qu'une pensée : se joindre à nos ennemis. 
Nous aurions perdu à ses yeux toute force, tout 
prestige. Et nos ennemis seraient tous les peuples do 
rindo-Chino ameutés contre nous et obéissant aux 
influences de la Cliinc, de l'Angleterre et de l'Alle- 
magne. 

Si le roi de Pném-Pcnh avait alors la faculté do 
leur livrer passage pour nous atteindre en Cochin* 
cliine et même de nous combattre avec eux, personne 
ne peut douter qu'il hésiterait un seul instant h lo 
faire. C'est donc cette faculté qu'il faut lui retirer, 
et, en la lui retirant, il importe de le rendre solidairo 
de notre sort! 

Il nous faut envisager les choses telles qu*e]le8 
sont, avec leurs chances de succès et d'insuccès, ol 
prendre nos mesures pour, en toutes circonstances, 
préserver Tuvenir. — Jamais l'occasion d'agir ne sera 
meilleure qu'aujourd'hui oti l'Angleterre se trouvo 
partout aux prises avec des embarras sans nombre. 



160 LA FRANCS DANS L*kND(H:niIIB 

MM. Bourôe et Rheinart, je Toi déjà rappelé, ont 
écrit tous les deux séparément, avec Tautorité que 
leur donne leur profonde connaissance des hommes 
et des choses de tous ces pays : « La solution de la 
question annamite est à Pékin. » 

Quo le gouvernement se pénètre do ces paroles 
qui, j*en ai la conviction, sont Texpression d*une 
vérité trop longtemps méconnue. 

Ici doit se terminer ma tAche. Comme Ta dit saint 
Paul : Non phîs oportct sapere quant oportet $apere^ 
êed sapct*e ad sohrietatem. 

Je ne sais Taccueil qui sera fait & ce livre. Les 
minutieuses recherches auxquelles il a donné lieu 
auront pcut-ùtre été vaincs. J*aui*ai peut-être gas- 
pillé bien des hcUrcs pour le faire. 

Je me serais appliqué à y mettre toute ma con- 
science, toute ma loyauté, toute mon honnêteté pour 
ne pas réus!;ir à appeler mémo Tattention de ceux 
.sous les yeux desquels il passera. 

Je partagerais ce sort, hélas I avec tant d'autres 
plus favorisés que moi en intelligence et en science. 
Je me répéterais îi moi-même ce que je me suis dit 
le jour où j*ai pris la plume pour récrire, emprun- 
tant à Corneille le langage du père do Sabine : 

Faites votre devoir et laisses faire aux Dicnx. 

Il me semble pourtant quo je serais consolé, si, 
n'ayant pas réussi i\ convaincre ceux h qui jo mo