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Full text of "La guirlande à l'épousée, poème"

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BIBLIOTHÈQUE    DU     HÉRISSON 

(œuvres   nouvelles) 


FAGUS 


LA  GUIRLANDE 
A  L'ÉPOUSÉE 


POÈME 


y^MI  PAICL 


librairie! 

7,    RU 

(Dép6i  à  Pa\ 


U  dVof  OTTAWA 


39003003962^86 


1921 


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0^ 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/laguirlandelOOfail 


LA  GUIRLANDE 
A    L'ÉPOUSÉE 


JUSTIFICATION   DU  TIRAGE 


II  a  été  tiré  : 

25  exemplaires  sur  Japon,  numérotés  de  1  à  25 
50  exemplaires  sur  Hollande,  numérotés  de  26  à  75. 
175  exemplaires  sur  Arches,  numérotés  de  76  à  250. 
2.000  exemplaires  ordinaires. 

La  présente  édition  est  l'édition  originale  de  cet  ouvrage. 


Tous  droits  de  reproduction  re'seroéi. 
Copyright  1921  iy  Edgar   Malfère. 


BIBLIOTHÈQUE    DU     HÉRISSON 

(œuvres    nouvelles) 


FAG  us 


LA  GUIRLANDE 
A    L'ÉPOUSÉE 


POÈME 


AMIENS 
LIBRAIRIE    EDGAR    MALFÈRE 

7,     RUE     DELAMBRE,      7 
(Dépôt  à  Paris,  1 ,  rue  Vavin,  (f  an.) 

1921 


Univp, 


tas 


^'^UOTHECA 


i^v'/ensis 


OUVRAGES  DE  L'AUTEUR 


Chez  le  même  éditeur  : 

La  Danse  Macabre  (parue  en  1920). 

Frère  Tranquille  (à  paraître  en  mars  1922). 

Le  Clavecin  bien  tempéré  (à  paraître  en  octobre  1 922). 

Chez  d'autres  éditeurs  : 

Testament  de  sa  vie  première,  vers  (Vanier,  1898). 

Colloque  sentimental,  vers  (Société  libre  d'Editions  :  1898). 

Ixion,  poème  (La  Plume  :  1903). 

J eunes  fleurs,  vers  (Revue  de  Champagne  :  1906). 

Aphorismes  (Sansot  :  1 908), 

Discours  sur  les  «  Préjugés  ennemis  de  F  Histoire  de  France  »  (Occi- 
dent :I909). 

Politique  de  F  Histoire  de  France  (Occident  :  1910). 

La  Prière  de  quarante  heures,  poème  (Editions  Gallus  :  1920). 

Le  Jeu-Parti  de  Futile  (La  Belle  Édition  :  1920). 

Jonchée  de  fleurs  sur  le  pavé  du  Roi,  vers  (Nou\elle  Librairie 
Nationale:  1921). 

Inédits  : 

Les  Eglogues  de  Virgile,  traduites  en  vers. 
Essai  sur  Shakespeare. 
Ephémérides,  poèmes  en  prose. 


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M// 


AU     LECTEUR 


Ce  poème  entre  dans  l'ensemble  qui,  sous  l'argument  général 
«  Stat  Crux  DUM  VOLVITUR  Orbis  »,  comporte  :  Le  Massacre  des 
Innocents  (publié  partiellement  sous  le  titre  :  Jeunes  fleurs  :  1906); 
La  Guirlande  à  l'Ëpousée,  que  voici  ;  Lucifer,  machevé  ;  Frère 
Tranquille  (inédit,  publié  dans  la  Revue  de  Hollande  :  191 8);  Ixion^ 
(édité  en  1 903)  ;  La  Danse  Macabre  (édité  en  1 920)  ;  L'Évangile  de 
la  Croix,  et  La  Croisade  de  l'Antéchrist  (inachevés).  Des  fragments 
de  La  Guirlande  ù  l'Epousée  ont  paru,  t>assim,a  partir  de  1901, 
dont  La  Prière  de  40  heures  (Editions  Gai  lus). 


DEDICACE 


«  Benedic,  Domine,  annulum  hune... 

Ut  quae  eum  gestaverlt,  fidelltatem  integram  suo  sponso  tenens, 
in  pace  et  voluntate  Tua  permaneat,  atque  m  mutua  Charitate 
semper  vivat.  . 

Uxor  tua  sicut  vitis  abundans  in  lateribus  domus  tuae 

Filii  tui  sicut  novellae  olivarum  in  circuite  mensae  tuœ.  » 


(SELON     VERLAINE) 


—  Entre  les  jours  noirs 
Descend  l'accalmie  ; 
Une  aube,  une  gloire 
Monte  sur  la  vie  : 
Dormez,  toute  envie. 
Tournez,  tous  espoirs  ! 


LA  COURONNE  DE  MARGUERITES 


DIONYSIA 


—  Lœtius  dum  sonat  in  urbe  cornu 
Maximi  festo  redeunte  lacchi... 


—  Par  la  ville  à  la  fois  que  la  trompe  en  folie 
Vomit  la  gloire  de  lacchos-Attis-Baal, 
Tourne,  mâles,  femelles  emmêlés,  l'orgie 
Sans  mesure  et  sans  fond  d'un  fumant  Carnaval. 

Au  hasard  et  tel  un  fol 
Je  dévale  par  les  rues  : 
Bous,  luxure  !  flambe,  al  col  ! 
Gésiers,  croupes,  tout  remue. 
Le  Carnaval  caracole. 

(Vole,  vole,  mon  cœur,  vole, 
0  cœur  qui  as  peur  de  moi  !) 

-  15  - 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Tout  bas -ventre  est  en  émoi, 
Tous  ventres  sont  en  gaîté  ; 
Grelottez,  ô  nudités. 
Voici  les  spectres  de  joie 
Qu'on  amène  à  charretées... 

(Masques,  masques,  cest  les  masques, 
C'est  l'amour  et  la  beauté  !) 

Débandades  de  pucelles, 
Patriarches  en  ardeur, 
Débarquages  de  mamelles 
Pour  les  éphèbes  en  fleur. 
Aboiement  universel... 

(Sans  bruit  mourir,  ô  douceur. 
Jamais  plus  ne  s'éveiller  !) 

Tourne,  foule,  gueuse  foule, 
Tourne  cœur,  mon  cœur  martyr. 
Tourne  et  bats  à  te  briser  ; 
La  pieuvre  humaine  m'enroule. 
Ce  cœur  voudrait  se  vomir  : 

Sur  un  cœur  de  fiancée. 
Enfant  sage  s'endormir  ! 

-  16  - 


MATUTINA 

—  Gaspard  Hauser  chante. 

—  Que  veille  en  quelque  ciel,  fée  et  matutinale, 

Etoile  inconnue, 
L'être  par  qui  pleuvra  l'aurore  sororale 

Tant  attendue  ; 

Qui  dans  l'ombre  où  la  fleur  se  crispe  et  se  dérobe. 

Sans  geste,  sans  mots. 
Glisse,  ensevelissant  sous  l'orbe  de  sa  robe 

Tous  deuils,  tous  maux  ; 

Flamme  et  femme,  ici,  là,  ma  fille  et  ma  fidèle 

Et  ma  grande  sœur, 
Et  que  je  vive  en  elle  et  vive  parmi  elle. 

Soleil,  douceur  ! 

Par  qui,  lavé  des  baisers  de  la  foule,  honte. 

Honte,  front  recuit. 
Une  aube  sur  mes  soirs,  rythme  et  lumière,  monte. 

Sans  fin,  sans  bruit  ! 

-  17-  2 


UNE  PLUME  TOMBE 


—  Les  fleurs  se  montrent  sur  les  tombes 
Le  temps  des  chansons  est  venu. 
Et  la  voix  de  la  colombe 
Vient  déjà  d'être  entendue. 


—  Comme  s'allait  retraire  en  son  palais  de  deuil 
Mon  spectre  solitaire, 

A  l'instant  de  passer  le  lamentable  seuil 
Une  blancheur  à  terre 
Interrogea  mon  œil  ; 

Et  je  vis  que  vers  moi  frissonnait  une  plume, 
Une  plume  d'oiseau. 

Et  de  mon  cœur  déjà  s'envola  l'amertume. 
Délitant  le  réseau 
De  ses  trames  de  brume  ; 

Car  rêvant  au  prodige  en  osai-je  inférer 
Le  plus  joyeux  présage  : 


LA   GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

C'était  la  blanche  penne  au  pur  rostre  acéré 
Pour  le  plus  noble  usage, 
Et  ce  bec  fatal  dirigé 

Vers  l'huis  de  mon  réduit  effleurant  son  orée 
Irréfutablement, 

Et  sa  blancheur  se  propageait  immaculée 
Miraculeusement 
Sur  la  brique  souillée  ; 

Elle  indiquait  ma  droite  et  c'était  au  matin, 
Et  l'élevant  du  rhombe 

Rugueux,  je  reconnus,  augure  plus  certain. 
Qu'elle  était  de  colombe. 

Une  plume  tombe. 


—  19  — 


VOLVITUR    IXION 

...  et  se  sequiturque  fugitque, 

—  J'aime  le  mouvement  qui  déplace  les  lignes  ;  j'abhorre 
certain  équilibre,  que  vous  autres  révérez  : 

Inerte  et  titubant,  cadavres  l'un  à  l'autre  adossés,  main- 
tenus en  façon  de  mannequins  lugubres. 

L'équilibre  ossifiant  d'équivalentes  énergies,  abruties  par 
cette  espèce  de  duel  sans  issue  : 

Oui,  j'aime  le  mouvement  qui  déplace  les  lignes  ; 

—  Je  hais  cette  symétrie  qui  à  tout  prix  se  complète,  avare 
comme  les  plateaux  de  balance  où  Shylock  pèse  au  poids  de 
l'or  du  sang  de  chrétien  : 

Et  la  violette  m'apparaît  noire,  et  livide  la  jonquille  écla- 
tante, dès  qu'on  éblouit  l'une  par  l'autre  ; 

Et  l'accouplement  de  Daphnis  à  Chloé  me  révolte  comme 
un  inceste. 

—  Mais  je  chéris,  mais  je  révère  la  mouvante  effusion 
d'ardeurs  presque  semblables,  qui  perpétuellement  gravitent, 

—  20- 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

éternellement  avides  de  se  joindre  et  ne  se  joignant  jamais, 
Développant  un  infini  de  rythmes,  infiniment  divers,  infini- 
ment  harmonieux  :   paraboles,   hyperboles,   courbes   s'entre 
fuyant  sans  fin  ; 

Le  chaste  approchement  d'êtres  de  même  sexe,  fraternités 
des  jeunes  hommes,  rondes  des  jeunes  filles  ; 

—  Et  je  t'aime,  toi,  poitrine  menue,  buste  éphébéen,  toi 
dont  gestes,  attitudes,  et  les  jeux  de  la  voix  et  du  visage, 
laissent  filtrer  à  travers  ta  grâce  féminine,  les  virilités  félines 
du  plus  noble  des  adolescents  : 

Tellement  que  mêlant  tes  attributs  indécis,  je  me  prends 
à  m 'interroger  sur  ta  réelle  nature. 

Et  demande  si  c'est  l'androgyne  payen  qui  ressuscite,  génie 
porte-flambeau  de  la  Mort  et  la  Vie, 

Ou  l'archange  chrétien  surnommé  Raphaël. 


-21 


AME  SENTINELLE 


—  Elle  est  retrouvée 
Quoi  ?  l'éternité  ! 


—  Toutes  Muses  me  sont  cousinei 

Toute  Muse  avec  Mnémosyne 

Veut  enrichir  en  tous  objets 

Mon  inépuisable  gésine 

D'un  infini  de  fols  projets. 

Et  tout  tourne  dans  mon  usine  ; 

Des  drames  j'ai,  des  opéras, 
Toutes  absurdités  logiques, 
De  l'inouïsme  à  tour  de  bras, 
Tous  les  vertiges  héroïques 
Et  tous  les  abracadabras  ; 

J'ai  l'opale  et  l'aventurine. 

Le  lion  rouge  et  le  cristal. 

Le  dragon  vert,  l'aigue-marine. 

Et  pour  le  sacre  nuptial 

Les  mousselines  de  Bengale  ; 

-  22- 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

J'ai  mes  extases  à  revendre, 
De  bleus  mensonges  cousus  d'or, 
Et  dans  un  temple  sous  la  cendre, 
L'meffable  et  profond  trésor, 
De  bien  plus  et  bien  mieux  encor  : 

Vapeur,   auréole. 
Avenir  sous  voiles, 
Feux  avant-coureurs 
D'une  aube  qui  vient  ; 

Lac  aux  profondeurs 
Fourmillant  d'étoiles, 
S'agite  en  mon  sein 
L'astre  de  demain  ; 

Et  peuple  ce  ciel. 
Musique  entrevue. 
Etoile  attendue, 
La  face  rêvée  ; 

Elle  est  Béatrice 
Un  soir  revenue. 
Elle  est  Eurydice 
Hier  retrouvée  ; 


-  23  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Pour  que  s'accomplisse 
La  rédemption 
Du  fils  d'ixion 
Et  frère  d'Orphée. 


24- 


CRI  DE  GUERRE  PRESQUE  D'ETE 


Aimez,  c'est  venir  Mai,  le  mois  sacré  des  roses. 


—  On  vous  aime,  on  aime, 
Aimez,  on  vous  aime. 
Lointaine  magie. 
Aimez-le  de  même. 
Ce  cœur  démuni  ! 

On  vous  aime,  on  aime, 
Aimez,  on  vous  aime. 
Mais  en  voudrez-vous. 
De  ce  cœur  qui  traîne 
Ce  corps  par  dégoût  ? 

On  vous  aime,  on  aime, 
Aimez,  on  vous  aime. 
Foulez  ce  cœur  fou, 
Fàités-lui  la  joie 
De  souffrir  par  vous  ! 

—  25  — 


SÉRÉNADE 


—  La  nuit,  le  jour. 
Mon  cœur  soupire. 


—  Je  soufïre,  je  meurs  de  ne  plus  vous  voir. 

Je  soufïre,  j'expire  : 
Je  soufïre,  je  meurs  de  ne  plus  pouvoir 

Vous  voir,  vous  écrire  ; 
Que  j'ai  de  choses,  tant  et  tant. 

Ah  que,  oui,  de  choses. 
Et  de  nouveaux  secrets,  pourtant, 

A  vous  dire  et  n'ose  ! 

Me  lier  à  qui,  toujours  seul  et  seul  : 

Me  fier  à  qui  ? 
Isolé  toujours,  et,  trouble  linceul. 

Les  foules  malsaines  ! 
J'eus  voulu  ma  vie  un  glaive  hautain, 

Eus  voulu  ma  vie... 
Il  espère  et  veille,  attend  son  destin. 

Perclus  en  sa  gaîne  ; 

-  26  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Le  tirer,  pourquoi  ?  en  ternir  à  l'air. 

Et  pour  quelle  envie, 
Infliger  la  honte  au  sublime  éclair 

D'un  clair-obscur  veule  ? 
Tout  rompre  plutôt,  le  fer  et  l'étui, 

Tout  rompre,  tout  rompre. 
Que  de  consentir  que  ses  feux  aient  lui, 

Hormis  pour  vous  seule  ! 


27  — 


AUBADE 


—  Mon  cœur  soupire, 
La  nuit,  le  jour. 


—  Lourd  le  cœur  de  haine 
On  jura,  vilaine, 

On  jura  vilaine 

De  ne  plus  vous  voir... 

De  ne  plus  vous  voir 
Toute  une  semaine  : 
Et  voyez  où  mènent 
Nos  vœux  et  vouloirs  ! 

0  tout  premier  soir. 
Qu'il  fut  héroïque 
Et  se  rengorgeait. 
Ce  tout  premier  soir  ! 

Mais  les  hauts  projets 

—  Bernique,  bernique  — 

-  28- 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Partaient  en  panique 
Dès  le  soir  d'après  ; 


Et  que  davantage 
Au  matin  nouveau  : 
Tout  ce  beau  courage 
Filait  à  vau-1  eau, 

Et  ce  pauvre  cœur, 
Fol  de  maie  rage. 
Et  ce  pauvre  cœur 
Martelait  les  heures  : 

Au  troisième  jour. 
Fier  de  sa  faiblesse. 
Au  troisième  jour 
On  vous  réaccourt  ; 

D'un  rien  de  tendresse 
Payez  ce  retour  : 
D'un  rien  de  tendresse 
Tout  ce  bel  amour  ! 


-  29  - 


QUADRUPEDANTES 


—  Cette  main  si  jolie 
Fait  palpiter  mon  cœur. 


—  On  vous  souffle  zit  et  zut,  feu  de  paille  d'invectives, 
Vous  ne  le  re verrez  plus,  ce  sachet  à  moi  trop  cher  ; 
Lourd   et  veimeil  comme  un  cœur,  amoureux  comme  une 
Que  revendique  votre  ire,  acerbe  et  impérative  !  Ichair, 

Des  voix  en  sourdent,  j'écoute  :  et  de  vous  les  sœurs   cap- 
Où  j'entends,  où  je  vois  fondre  et  s'évanouir  dans  l'air    [tives 
Sur  les  ondes  du  parfum,  qui  m'enlève,  où  je  me  perds. 
En  rondes  de  visions,  des  Denyses  fugitives  : 

Insaisissable  caresse,  auréole  de  baisers. 
Radieuse  nébuleuse,  où  chacun  de  vos  pensers. 
Vers  son  rivage  m'appelle,  allègre  ou  mélancolique  : 

C'est  vous  toute  que  j'écoute  et  vous  seule  que  je  vois. 
Quand  m'insuffle  ses  chaleurs  l'extravagante  relique 
Que  j'entends  malgré  vos  pleurs,  éterniser,  fleur,  en  moi. 

-  30  — 


PANTOUM  NEGRE 


—  Am,  kom,  sdrame. 
Pique  et  pique  et  comégrame. 


—  Contemple  ton  ouvrage,  ô  fille  criminelle  : 
Tu  flétris  ma  manchette  et  dépouillas  mes  doigts... 
L'azur  chante  à  l'azur  la  chanson  éternelle  : 
J'irai  fumer  ma  pipe  à  1  ombre  des  grands  bois. 

Tu  flétris  ma  manchette  et  dépouillas  mes  doigts 
Par  ton  orgueil  zébrés  d'outrageantes  balafres... 
J'irai  fumer  ma  pipe  à  l'ombre  des  grands  bois, 
Ma  pipe  au  cul  si  noir  que  celui  d'un  vieux  Cafre  ! 

Par  ton  orgueil  zébré  d'outrageantes  balafres 
Mon  derme  a  vu  périr  son  charme  lilial  : 
Ma  pipe  au  cul  si  noir  que  celui  d'un  vieux  Cafre, 
A  toi  seule  je  voue  un  culte,  et  filial  ! 

Mon  derme  a  vu  périr  son  charme' lilial  : 
Neige  et  roses,  jardin  aboli  par  la  grêle... 
A  toi  seule  je  voue  un  culte,  et  filial, 
0  pipe  des  aïeux  au  long  calumet  grêle  ! 

-  31   - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Neige  et  roses,  jardin  aboli  par  la  grêle  ! 
Puisqu'est  la  femme  un  être  inane  et  sans  pitié, 
0  pipe  des  aïeux  au  long  calumet  grêle, 
Clystère  !  purgez-moi  de  l'humaine  amitié  ! 

Puisqu'est  la  femme  un  être  inane  et  sans  pitié. 
Contemple  ton  ouvrage,  ô  fille  criminelle  : 
Clystère  purgez-moi  de  l'humaine  amitié. 
L'azur  chante  à  l'azur  la  chanson  éternelle  ! 

Mouss-tram  ! 


32 


LA  BRADAMANTE 


—  Elle  était  si  belle 
Qu'on  la  croyait  reine. 


I 


—  Sur  l'hippogriffe  roux  au  foudroyant  poitrail, 
Bradamante  éblouie  erre  par  la  bataille  ; 
Le  glaive  fume  et  monte  et  redescend,  et  taille 
Dans  l'humain  tourbillon,  saignant  et  noir  bétail  ; 

Elle  rit,  la  faucheuse,  et  la  lance  d'Argail 
Reluit,  et  délaissant  l'obscure  ribaudaille, 
Cloue  au  sol  les  héros,  ainsi  sur  sa  muraille 
Un  rustre  les  hiboux  ;  elle  rit,  soupirail 

Des  enfers,  son  œil  flambe,  elle  éclate,  elle  raille. 
Meurtrit  et  rit  encor  ;  sa  jeune  chair  travaille, 
Et  son  délirant  cri  vient  balafrer  les  deux  : 

-33  -  : 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Si  belle,  belle  alors,  la  rauque  Bradamante, 
Que  leur  âme  s'arrache  en  un  sanglot  heureux. 
Et  la  vierge  se  courbe  et  se  voit  leur  amante. 


II 


—  Amazone  mdignée,  amsi  votre  poitrine 
Se  gonfla,  le  feu  de  vos  vemes  fit  un  bond  ; 

Vos  cheveux  s'embrasaient,  orageux  escadron  ; 
Votre  œil  brûla  de  lor,  une  jeune  poitrine 

Se  brandit,  enivrant  la  prison  de  lustrine, 
Un  bras  virevolta  pour  venger  quel  affront  : 
La  noirceur  d'un  baiser  sur  ce  lumineux  front. 
Un  seul  baiser  osé  sur  cette  joue  divine  ! 

Et  qu'elle  est  brave  ainsi,  la  Belle  aux  cheveux  d'or, 
0  ma  Clorinde,  ô  ma  Bradamante,  et  Médor 
Rêve  à  celle  qui  fut  l'Angélique  plaintive  : 

Vous  êtes  tout  cela  selon  que  vous  daignez, 

—  Et  Laure,  et  Béatrice  —  ou  qu'un  vent  vous  captive, 
Eve  aux  dix  mille  noms  qui  tous  nous  font  saigner  ! 


—  34  - 


DENYSE.  JE  VOUS  AIME 


—  Dès  que  mon  œil  aperçut  votre  face. 
Ma  liberté  du  tout  m'abandonna. 


—  Denyse  je  vous  aime. 
Pourquoi,  je  n'en  sais  rien  ; 
Vous  l'ignorez  de  même  : 
C'est  ainsi  et  c'est  bien. 

Que  la  force  est  subtile 
Qui  conjugue  deux  cœurs  : 
Un  seul  fruit  de  deux  fleurs 
Apparues  entre  mille  ! 

Nos  astres,  sous  quels  cieux  ? 
Ourdirent  nos  tendresses  : 
Des  éparses  ivresses 
D'un  mol  insoucieux, 

Nul  reflet  en  son  âme. 
Quand  tout  moi  brûle  encor 

-  35  - 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Du  soir  tout  trempé  d'or 
Qui  vous  sacra  ma  femme. 


Mon  cœur  vous  contempla 
Vitrail  à  la  fenêtre  ; 
A  votre  msu  peut-être, 
L'obscur  de  vous  trembla  : 

Soudamement  confuse 
(Avions-nous  douze  ans  ?) 
Fillette  rougissant 
Sou's  l'émoi  qui  l'abuse, 

Votre  jupe  étirâtes 
Pour  voiler  vos  genoux, 
Et  je  sentis  ma  joue     • 
Devenir  écarlate  ; 

Nous  pressentions  peu 
En  notre  candeur  nice 
Que  c'étaient  la  prémisse 
D'un  infrangible  aveu  : 

Hélas  ô  ma  fidèle, 
J'ai  compris  tard  assez 
Qu'une  transe  immortelle 
Nous  avait  fiancés  ! 

—  36  — 


GRELOTS 


—  ]c  vcuxhâtir  pour  toi,  Madoie,  ma  maîtresse, 
Un  autel  souterrain  au  fond  de  ma  détresse. 


—  J'accumule  pour  l'idole 
Un  hosanna  de  coupoles 
Avec  tous  mes  repentirs!.. 

—  Repentirs,  de  quoi  ? 

Mes  larmes,  des  vasques  creuses 
De  mes  yeux,  fuiront  :  heureuses 
Comme  du  sang  de  martyrs... 

—  Martyr,  et  pourquoi  ? 

Sois-je,  moi,  la  basilique 
Oii  brûle,  ostensoir  unique. 
L'ombre  de  son  souvenir... 

—  Souvenir  de  quoi  ? 

Le  hasard  de  sa  démarche 
Descelle,  rescelle  l'arche 
Où  gronde  notre  avenir... 

—  Avenir  de  quoi  ? 

-  37  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Toute  vigueur  passe  en  elle  ; 
Qu'elle  daigne,  qu'elle  appelle, 
Je  vaincrai  sans  coup  fénr... 

—  Tu  vaincras,  et  quoi  ? 

Ou  me  sèvre  de  sa  force, 
Et  m'intimc  son  divorce 
Qu'une  heure  sonne  :  mourir... 

—  Ah,  pauvre  de  toi  ! 

0  bavardage 
Pour  dire  rien  ; 
Que,  belle  et  sage, 
Je  l'aime  bien  ; 
Sotte  aventure. 
Fou  morfondu  : 

Littérature, 
Que  nous  veux-lu  ? 


38 


OMBRE 


—  //  in  the  night  I  sleepless  lie, 
My  soûl  with  sacred  throughls  supply  ; 
May  no  ill  dreams  disiurh  my  rest. 
Or  powers  of  darkness  me  molest.  ^ 


—  Denyse,  Nyse,  hymne  et  fête  à  Denyse  ! 

L'éternité  se  retourne  en  ses  yeux, 

Son  rire  halluciné  les  brises, 

Et  les  soleils  en  danse  irisent 
Un  arc-en-ciel  en  ses  cheveux  ; 

L'onde,  les  roses,  les  printemps  frissonnent 

Alentour  de  l'être  chéri, 
La  pureté  des  lacs  palpite  en  sa  personne  ; 

Oserai -je  être  son  mari  ? 


Mon  Dieu,  si  le  sommeil  me  fuit, 
Soutiens  mon  âme  de  prières, 
Préserve-moi  des  mauvais  rêves 
Et  des  puissances  de  la  nuit. 

-39- 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

J'ai  su  rendre  au  néant  les  incubes  lascives 
Sous  ton  reflet  surpris  m  assiégeant  corps  et  cœur, 
Qui  jusqu'en  rêve  me  poursuivent  : 
T'invoquer  m'a  rendu  vainqueur. 

Oui  Denysc,  oui,  je  demeure 
—  Et  je  vainquis  en  t'invoquant  — 
Digne  de  toi  jusqu'à  cette  heure  : 
Hélas,  et  pour  jusques  à  quand  ? 

Car  j'en  ai  honte  et  m'en  meurs. 
Fièvre  d'amour  m'a  conquis  : 
Oh,  quand  je  serai  ton  mari, 
Oserai-je  être  ton  amant  ? 


—  40  — 


DECHIREMENTS 

...  ne  m  ont  pas  Irouvé  malin. 

—  Tu  m'as  égratigné,  méchante  ! 

Ta  griffe  absurdement  tranchante 
De  jeune  chat  furieux 
Lacère  ma  main  saignante, 

Puis  un  grand  rire  fou  qui  chante 

Te  secoue  et  noircit  tes  yeux. 

Je  saigne,  c'est  du  rire. 

Rire  presque  dément  : 

Ah,  douloureuse  fille, 

Ah,  douloureux  amant  ! 
Qu'étrange  est  le  démon  de  ce  cœur  ingénu 
Qui  joue  avec  l'amour  comme  avec  sa  raquette  ! 
Quand  t'effareras -tu  et  quand  rougiras-tu. 
Oui,  quand  daigneras-tu  prendre  au  sérieux  l'amour 

Quand  seras-tu  coquette  ? 
Peut-être  jamais,  peut-être  quel  jour  ? 

—  41  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Si  j'ai  froissé,  dangereux  fou, 
Cette  épaule,  ce  tendre  cou. 
Serré  tes  poignets  avec  rage, 

—  Et  j'aurais  osé  davantage. 
Pour  quelle  honte  d'après  coup  !  — 
C'est  que  l'être  enfin  s'irrite 
Quand  l'autre  ne  comprend  pas. 

Et  le  rappelle  à  l'ordre  et  semonce  bien  vite 
Quand  il  veut  s'enhardir  et  tout  dire,  tout  bas 

—  Hélas,  je  veux,  et  n'ose  pas  !  — 

Quoi  :  ne  le  vois-tu  pas,  et  qu'en  brûlent  mes  lèvres  ? 

Oh  le  ténébreux  branle-bas  : 

L'aveu  si  franc  dont  tu  me  sèvres 

Se  mue  en  délire  mauvais. 

Et  sais-je  quel  démon  morbide 
Me  rend  brutal,  hélas  :  brutal  comme  un  timide, 
Me  rend  haineux,  me  rend  mauvais  ! 

Voilà  comme  en  sa  détresse 

L'esprit  malade  à  toujours, 

Exaspéré  de  tendresse. 

Rôde  et  gémit  à  l'entour 

De  l'intangible  princesse  ! 
Oui,  détresse  :  je  sens  alors  s'extravaser 
Un  orageux  besoin  de  te  martyriser  : 

Mon  noble  esprit,  le  piteux  rôle  ! 


42 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Oh,  pardon  !  j'ai  meurtri  torï  corps. 
Et  c'est  une  tendresse,  une  caresse  encore  : 

0  tendre  fou  !  écoute  !  ô  chère  folle  : 
Tout  comme  par  hasard,  oui,  mon  visage  frôle 
Ces  jeunes  cheveux  fous,  ou  bien  vient  m'assalllir 
Le  volsmage  magnétique  d'une  épaule 

Et  parfois  —  c'est  à  défaillir  !  — 
Le  contact  effrayant  de  ta  gorge  menue  : 
Pâmé  presque,  ébloui,  je  respire  ce  corps 
Comme  l'exquisité  d'une  fleur  Inconnue, 
Arôme  si  subtil  et  cependant  si  fort, 
Que  du  coup,  c'est  fini,  ma  raison  est  perdue, 
Je  retombe  brisé,  honteux  de  mon  gala. 

Et  c'est  très  immoral,  tout  ce  que  j'ai  dit  là  ! 

Ah  Dieu,  quelle  rançon,  quels  désespoirs  achètent 

Ce  haillon  de  bonheur  que  ]e  chipe  en  cachette  ! 

J  image  le  captif  déchiré  par  la  faim 
Qui  de  ses  propres  dents  se  dévorait  la  main, 
Car,  sache  bien,  ah  je  le  jure. 
Mon  audace,  et  vol  clandestin 
Et  volupté  d'un  rien  dont  mon  ardeur  se  leurre, 
Caresse  enfin,  me  cingle  de  cent  meurtrissures  ! 

Ah,  savoir  manquer  de  respect. 

Savoir  l'insolence  hardie 

Qui  vous  scandalise  et  vous  plaît, 

-  43  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Femmes  !  unique  et  sûr  secret, 

Irrésistible  comédie 
Que  je  ne  connaîtrai  jamais  ! 

Et  jamais  donc,  jamais,  jamais, 
0  vierges  sages,  demoiselles. 
Cela  qu'on  nomme  les  succès, 
Et  passerai  auprès  des  belles 
Pour  un  garçon  mal  élevé  ! 

S  il  ne  s'agissait  que  de  celles, 
Toutes  celles  que  vous  savez. 
Mais  vous,  ô  vous,  ô  sœur  élue. 
Comment  voulez.,,  comment  peux-tu  ! 
Oh,  quand  mes  doigts  pressent  ta  main, 
Au  moins,  ne  fais  semblant  de  rien  !... 

Mais  vous  m'allez,  fille  cruelle, 
Foudroyer  du  regard  qui  ne  pardonne  pas, 
Et  méprisante  avec  sérénité,  resterez  celle 

Qui  ne  comprend  pas,  n'entend  pas  ! 
Ah,  vous  êtes  par  trop  énigme  provocante  : 
Vierge  enfant,  vierge  femme  ?  on  hésite  et  ne  sait. 
Sous  un  sourire,  quel  secret  se  prélassait 
Sur  la  lèvre  tant  ingénument  arrogante  : 
Aucun  peut-être  bien  ?  qui  sait,  hélas,  qui  sait  ? 


—  44  - 


ENIGME 


—  Mon  jardin  était  cimetière 
Ta  tombe  était  mon  lit  Je  fleurs. 


—  Je  m'exile  front  bas  du  portique  insulté 

—  L'aurore  a  dévêtu  sa  robe  d'hyacinthe  — 
Les  assassins  ont  profané  l'enceinte, 

L'image  sainte  est  abattue, 
La  lampe  éteinte, 
Au  portique  où  j'étais  notre  double  statue. 

Les  barbares  sont  venus 
Que  je  n'ai  pas  su  chasser, 
L'aurore  s'est  dévêtue. 
Mes  yeux  sont  prostitués  ; 

Mais  te  ravir  ils  n'ont  su, 
Pur  reflet  intérieur  ; 
De  l'image  obscure  et  sainte, 
L'aurore  s'est  revêtue  ; 

-45  - 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Dans  les  gouffres  de  mon  cœur 
Elle  t'appelle  esseulée  : 
Qu'à  jamais  elle  y  demeure. 
Voici  l'heure  des  statues. 

De  sa  robe  d'hyacinthe 
L'aurore  s'est  revêtue. 


-  46  — 


NOIRCEURS,  BLANCHEUR 


—  Et  la  soif  malsaine 
Obscurcit  mes  veines. 


—  Ta  jeune  gorge  hier,  et  fruit  presque  d'enfant, 
Juste  émouvait  le  pur  profil  de  ta  tunique 
Assez  pour  m'investir  d'effluves  séraphiques 
Qui  battaient  en  mon  sein  silencieusement  ; 

Mais  Vénus  est  passée  et  tout  se  transfigure  ! 

Heure  à  heure  j'assiste  avec  presque  terreur 

A  cette  explosion  d'animale  splendeur 

Qui  remue  à  part  moi  d'autre  ferveurs  moins  pures  ; 

L'inavoué  désir,  l'inavouable  espoir 
Soulèvent  tour  à  tour  mes  vertus  et  les  brisent  ; 
La  hantise  de  toi,  la  mauvaise  hantise. 
Monte  m'ensevelir  avec  la  paix  du  soir. 

Un  ténébreux  ferment  fait  bouillonner  la  couche 
D'où  l'étoile  sommeil  d'autrefois  s'est  enfui. 
Ton  fantôme  trop  vrai  se  fait  roi  pour  la  nuit, 
Et  d'étranges  baisers  circulent  dans  ma  bouche. 

—  47  — 


LA   GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Enfin  le  petit  jour  me  cingle  de  sa  douche. 
Et  me  dresse  fiévreux  et  brûlante  la  bouche, 
L'angélus  tinte,  et  lentement  une  aube  louche 
Sur  ma  honte  luit. 

Chasteté  toute  pleine  d'yeux  d'enfants  !  j'appelle 

Ton  aurore  ineffable,  ô  cuirasse  d'azur  ; 

Conjure  le  démon  infâmement  femelle 

Qui  prend  quel  masque,  ô  ciel  !  pour  ses  assauts  obscurs. 

Fille  des  calmes  cieux,  et  sur  nos  insomnies. 
Descends  baigner  ces  fronts  troubles  d'adolescents  ; 
Eblouis  d'un  rayon  noyant  pleurs  et  sanies. 
Le  vampire  attardé  pour  soutirer  mon  sang, 

Lucide  chasteté  !  je  dois  courber  la  tête. 

Moi,  reflété  sous  ta  vengeresse  candeur. 

Inflexible  miroir  des  prunelles  en  fête, 

En  noir  crapaud  qu'aveugle  une  averse  de  fleurs  ! 

0  terreur  !  si  jamais  elle  savait,  l'élue. 
En  quel  bourbier  goulu  j'enfonce  en  gémissant  ! 
Oui,  sa  pensée,  garde  sa  pensée  impollue. 
Insoutenable  feu  de  cet  œil  innocent  ! 

Qu'elle  n'en  sache  rien,  que  fut  ternie  l'image 
En  moi  de  son  impénétrable  pureté  ; 

-  48- 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Oh,  nen,  ne  sache  rien  du  lamentable  outrage 
Dont  seule  elle  pourtant  saura  me  racheter  ! 

Car  tu  la  guériras,  l'âme  errante,  suivie 
Par  le  fouet  sépulcral  des  Ménades  d'en  bas  ; 
Tu  la  reconduiras  dans  la  blanche  patrie. 
Jeune  fille,  cette  âme  en  proie  aux  noirs  combats. 

Et  je  devrai  baiser  la  neige  de  tes  pas  ! 


-49- 


OFFRANDE 


—  ...  Et  j'ordonne 
Que  pour  l'amour  de  moi  vous  n'aimiez  que  le  Beau. 


—  Il  faut,  il  faut  que  je  vous  dise  ! 
De  moi  vous  savez  tout,  Denyse, 
Puisque  vous  savez  mon  amour  : 
Tout  mal  et  tout  bien  en  cette  âme, 
A  vous  se  livre  sans  détour. 

Je  demanderai  quelque  jour  : 

—  Voulez-vous  bien  être  ma  femme  ? 
Mais  rien  que  par  formalité  ; 

Je  ne  puis  croire  en  vérité, 
Que  votre  exquisité  de  femme 
Ne  m'ait  compris  et  pénétré. 

Quel  autre  poison  j'alimente  ! 
Depuis  deux  ans,  vous,  l'habitante 
Qui  sans  arrêt  me  hante,  eh  bien, 
De  vous  je  sais  tout,  ciel  limpide, 

-  50  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Lac  et  cristal,  azur  nitide  : 
Existez-vous,  je  n'en  sais  rien. 
Puisque  ne  sais  rien  sur  vous-même, 
Si  Ton  m'accepte  ou  si  l'on  m  aime 
Si  j'existe  pour  vous  enfin  ! 

Comment  vous  dire,  Nyse,  Nyse, 
La  tendresse  que  je  ressens. 
Vous  dire  qu'en  elle  les  sens 
N'ont  plus  d'accent  qui  scandalise 
Un  éveil  de  vierge  étonnée  ? 
Que  dire  !  saurez-vous  comprendre 
L'office  que  je  dois  attendre 
De  vous,  passante  révélée  ? 
Vers  quel  faîte,  si  loin,  si  haut, 
Fier  à  nous  perdre  de  vertige 
Vous  emporterai-je  aussitôt 
Si  vous  daignez  que  nous  dirige, 
Denyse,  mon  génie  ailé  ? 

Aurez-vous  la  force  surtout 
De  me  soutenir  jusqu'au  bout, 
Moi  débile,  Ixion  infirme. 
Sustenter  mon  pauvre  pouvoir. 
Et  surtout  nourrir  mon  vouloir 
D'atteindre  la  neige  des  cimes  ? 

-  51   - 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Qui  sait  ?  je  tremble  à  l'espérer  ! 
Mais  qu'au  moins  descende  laurer, 
0  douce  mignonne  adorée, 
Votre  grâce  un  rêve  sublime. 
Le  battement  de  votre  cœur, 
Denyse  intangible  maîtresse  : 
11  fera  de  moi  quel  vainqueur. 
Le  sacre  de  votre  tendresse  ! 


-  52  - 


CHANSON  DE  ROUTE 


—  De  votre  douce  haleine 
Eventez  cette  plaine. 


—  Reine  des  parvis 
Où  s'ouvre,  où  s'éploie 
La  rose  infinie 
De  toutes  mes  joies  ; 

Gardienne  éblouie 
Du  rêve  si  beau 
Qui  fera  ma  vie 
Et  puis  mon  tombeau  ; 

Veille,  magicienne, 
Marche  devant  moi, 
Sans  fin  me  soutienne 
L'appel  de  ta  voix. 

Héroïque  fille 
Qui  sera  pour  moi 
Toute  ma  famille 
Et  toutes  mes  joies 

-  53  — 


CANTIQUE  DES  CANTIQUES 


—  Je  suis  la  rose  de  Saron, 

—  Que  tu  es  belle,  o  mon  amie  ! 


—  La  souriante  fée  à  la  robe  de  nacre, 
La  lune,  à  l'occident  sans  bruit  s'est  éveillée  : 
Dame  Lune  se  pavane 
Au  fond  de  son  parc  enchanté. 

0  reine  qui  passes,  qui  passes, 
Viendras-tu  pas  nous  visiter  ? 

A  la  voûte  moirée  dont  frôlent  ses  longs  voiles 
L'invisible  vélum  de  velours  assourdi, 
Dame  Lune  éteint  une  à  une 
Les  frissonnants  bouquets  d'étoiles. 
Eteint  sans  bruit  : 

Dame  Lune,  reine  des  nues, 
Descendras-tu  bénir  la  nait  ? 

-54- 


LA  GUIRLANDE    A  L'ÉPOUSÉE 

A  présent  qu  elle  a  dissipé 
Les  étoiles,  toutes  étoiles, 
Au  doux  rayonnement  de  sa  svelte  beauté. 
Que  voile  à  voile  elle  dévoile... 

(Dame  Lune,  reme  des  reines. 
Que  tu  es  belle  deux  fois  nue  !) 

...  La  souveraine  passe  comme  un  rêve 
Sur  notre  sommeil  ébloui. 
Distendre  de  sa  plénitude 
L'élastique  vastitude 
De  la  magistrale  nuit. 

Extase  sans  lassitude. 
Soulève-nous,  soulève -nous  ! 

0  chère  Lune  à  la  lueur  aimée, 
0  grande  sœur  à  la  lueur  amie. 
Un  lent  phosphore  énamouré 
Descend  de  ta  blonde  mamelle  : 

Bonne  marraine  Lune  à  la  lueur  amie, 
Ensemence  d'amour  l'univers  qui  pantèle  ; 
Baigne  son  flanc  qui  t'appelle,  anxieux  : 
La  Lune  dispersant  ses  blancheurs  ingénues 
Mène  par  le  ciel  clair  le  blond  troupeau  des  nues. 

-55- 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

—  0  mon  amie,  ô  ma  petite  amie. 

Osez  et  descendez  :  le  jardin  vous  souhaite, 
Qui  s'est  paré  pour  vous  en  fiancé  d'avril  ; 
La  Lune  épanche  en  paix  ses  voluptés  muettes 
Et  le  jardin  d' amour  frémit  comme  mon  cœur  ; 
Votre  silencieuse  approche  entre  les  fleurs 
Eveillera  iardeur  de  vos  sœurs  endormies. 

La  douce  Lune  en  sa  robe  de  nacre 
Au  fond  du  ciel  navigue  avec  lenteur. 

—  Viens  dans  mes  bras,  viens,  ma  petite  amie. 
Vois,  le  jardin  se  languit  et  t'appelle. 

Viens  au  plus  vite,  oiseau  peureux. 
Sous  mon  aisselle,  et  sur  mon  cœur  ! 
Repose,  enfant,  voici  des  fleurs, 
Voici  des  fleurs  et  des  chansons  : 
Mon  épousée,  déclos  ton  cœur. 
Des  mots  plus  doux  que  des  baisers. 
Te  berceront. 

• 
Comme  les  prés  quand  Prairial 
D'une  aile  alerte  les  évente. 
Comme  la  fleur  matutinale 
Qu'effleure  l'aube  rosissante. 
Sous  mes  caresses  virginales, 

-  56- 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Tu  trembles  comme  une  épousée, 
0  chère  amante  ! 

La  vénérable  fée  à  la  robe  de  nacre, 

La  Lune,  au  fond  du  ciel  navigue  et  nous  sourit. 

—  0  mon  amie,  mon  amie  blonde  et  rose, 
Digue  de  fleurs  à  mes  baisers. 

Sœur  des  cascades  de  bruyères 
Où  le  soleil  à  l'aube  s'est  posé. 
Aux  lacs  de  lys  et  de  roses  trémières 
Oit  s'endort  le  soleil  du  soir. 
Ta  jeune  tête  s'environne 
D'une  auréole  d'or  et  d'argent  irisé. 

La  vénérable  fée  à  la  robe  de  nacre, 

La  Lune,  au  fond  du  ciel  navigue  avec  lenteur. 

—  0  mon  amie  si  menue  et  mignonne. 
Filleule  des  contes  de  fées. 

Autour  de  votre  front,  réveillées,  tourbillonnent 

Vcs  aïeules  les  délaissées  : 
Dames  des  eaux,  dames  des  bois,  dames  des  landes. 

S'envolent,  tournoient  par  bandes 

Dans  le  ciel  de  vos  prunelles 

Au  bleu  pâle  et  boréal. 


57 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

La  vénérable  fée  à  la  robe  de  nacre, 

La  Lune,  au  fond  du  ciel  navigue  et  resplendit. 

—  0  ma  douce,  ô  ma  sage  amie, 
Sourieme  au  pâle  sourire, 
Votre  joie  m'est  plus  précieuse 
Que  les  tendresses  des  princesses 
De  mes  rêves  et  leurs  féeries  ; 
Mais,  régente  de  ma  sagesse 
En  ses  plus  purs  ravissements. 
Votre  mélancolie  pensive 
Est  le  charme  qui  me  captive 
Le  plus  ineffahlement. 

La  vénérable  fée  à  la  robe  de  nacre 
Sous  un  dais  de  plumes  s'endort. 

Et  c'est  l'enchantement  auguste  et  redoutable 
De  la  nuit  aux  sombres  trésors. 


-58- 


UNE  ROSE  SOUS  L'ARC-EN-CIEL 


—  Et  regardait  toujours  le  ciel 
Pour  voir  s  il  neigerait  des  roses. 


—  Satin,  nuage,  neige,  étoile  parfumée, 
Mystère  de  blancheur  que  couve  le  soleil, 
La  fleur  par  votre  main  tendue,  ô  bien-aimée. 
Rose  d'avril  imperceptiblement  vermeille. 
Est  tout  cela,  est  autre  chose  : 

Quel  roitelet  au  réveil 
Secoua  de  son  bec  rose 
Une  goutte  de  soleil  ? 
Sur  la  rose  elle  repose, 
La  rose  par  vous  donnée  ; 

Et  sourire  et  gaie  lumière 
Distillés  sous  vos  paupières 
A  travers  vos  cils  baissés. 
Je  les  retrouve  au  travers 
De  la  féerie  irisée  ; 

-  59  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Puis  je  songe  qu  où  je  touche 
A  pu  passer  votre  bouche. 
Et  tremblant  comme  un  amant, 
Baiser  à  baiser,  goutte  à  goutte, 
A  travers  l'or  du  printemps. 

Je  me  sens  vous  boire  toute, 
Autre  fleur  à  moi  donnée  ! 


60 


ORGUES  DANS  LE  VENT 


—  Partons  d'un  vol  silencieux 

Et  suivons  de  la  nuit  l'ombre  qui  se  retire. 


—  Sans  parler,  sans  but,  la  main  dans  la  main. 
Deux  enfant  iront  par  les  grands  chemins  ; 

L'azur  dans  les  yeux  ils  iront  sans  voir 
Les  aubes  s'ouvrir  et  blêmir  les  soirs  ; 

La  main  dans  la  main  deux  anges  lointains 
Laisseront  voguer  l'heure  et  le  destin  ; 

Ou  bien  s'en  viendront  vaguer  par  les  grèves, 
Et  l'orgue  des  flots  bercera  leurs  rêves  ; 

Ils  auront  l'amour  des  formes  exquises, 
Des  plaisirs  pareils  à  des  friandises  ; 

Ils  sangloteront  sans  deuil  ou  désir. 

Sans  chercher  pourquoi,  pour  le  seul  plaisir, 

-  61  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Emplissant  alors  l'insondable  nuit 

A  sentir  rouler  leurs  larmes  sans  bruit  ; 

Ou  parfois  laissant  distendre  âme  et  corps 
Sous  les  voluptés  où  souffle  la  mort. 

Et  dans  tout  cela  hautainement  chastes, 
Deux  enfants  perdus  des  suprêmes  castes. 


62 


LYCHNIS 

—  Psyché... 

—  Plus  qu'ilne  faut  pour  éclairer 

Elle  se  penche  sur  la  rampe  ; 

Les  doigts  blancs  élèvent  la  lampe  ; 

Je  m'enhardis  à  l'attirer 
Contre  moi,  et  le  cher  cœur  frôle 
Mon  cœur,  et  ma  main  sur  l'épaule. 

S'ose,  peureux  oiseau,  poser. 

Et  sur  la  bouche  qui  m'accueille, 

Ma  bouche,  et  tout  mon  être  cueille 

La  fleur  terrible  d'un  baiser. 
Immensité  d'une  seconde, 
Et  SI  cuisante  et  si  profonde. 

Que  SI  son  extase  durait, 

A  perdre  souffle  en  son  haleine. 

Encore  une  seconde  à  peine. 

Il  me  semble  que  je  mourrais. 
—  63  — 


LA  COURONNE  DE  MYOSOTIS 


A  LA  MISSIVE  ENDEUILLÉE 


—  Et  moi  qui  ne  sais  pas  lire. 
Je  sais  bien  quoi  ya  dedans; 
Elle  écrit  c'est  pour  me  dire  : 
Ami,  je  vous  aime  tant  ! 


—  C'est  l'hironde,  l'hirondelle 
En  robe  ml-blanc  et  noir  : 
Elle  m'apporte  avec  elle 
Un  peu  de  deuil,  tant  d'espoir  ! 


-67 


CAROLLE  FLEURIE 


—  Les  prés  ont  des  fleurs 
Jaunes  et  vermeilles. 
Moi  j'ai  dans  mon  cœur 
Une  fleur  dorée. 


—  Voici  pour  joindre  la  Guirlande 
Des  fiançailles  fleur  sur  fleur  : 
Voici  la  Sauge  et  la  Lavande  ; 
Voici  la  Bruyère  des  brandes  ; 
C'est  pour  nos  haltes  sur  la  lande 
Où  la  mer  grande  boit  ses  pleurs  ; 

Au  fond  des  neiges  nuptiales 
Voici  la  Violette  frileuse 
Et  ses  fourrures,  mousses  vertes, 
Blottie  en  timide  amoureuse 
Que  son  seul  parfum  déconcerte  : 
Ainsi  vos  puretés  s'exhalent  ; 


68 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Voici,  filleule  des  hivers 
Et  du  printemps  la  fiancée, 
La  glaciale  Primevère  ; 
Voici  la  céleste  Pervenche  : 
Et  c'est  l'amante  qui  se  penche. 
Vers  l'amant  tremblant  et  glacé  ; 

Voici  l'alerte  Coucou  jaune. 
Chapeau-chinois  du  messager 
Avril,  qui  lustre  sa  couronne 
Qu'effeuille  mai,  dès  que  fleuronne 
L'Aubépine,  où  vient  voltiger 
Ton  amour  au  souffle  léger  ; 

Voici  la  reine  Renoncule, 
Auréole  à  l'étang  qui  dort  : 
Pour  le  crépuscule  et  l'essor 
De  nos  rêves  où  s'accumule. 
Tandis  que  sombre  un  passé  mort. 
Un  avenir  d'immense  aurore  ; 

Voici  l'étoile  Marguerite, 
D'or  toute,  aux  vibrements  d'argent 
Qu'un  halo  de  rubis  agite. 
Qu'iront  nos  vœux  interrogeant  : 
C'est  pour  les  transes  que  suscitent 
Les  bourrasques  d'un  sort  changeant  ; 

-  69  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Milliers  de  prunelles  pensives 
Où  s'égouttent  des  cœurs  blessés, 
Voici,  des  légendes  plaintives, 
Les  Myosotis  des  délaissés  : 
C'est  pour  nos  cœurs  qu'ont  traversé 
Si  cuisants  deuils  pour  joies  si  vives 

Voici,  Veilleuses  de  Marie, 
Les  fleurs  des  vierges  sans  mari. 
Lampes  des  veuves  palpitant 
Au  catafalque  des  prairies 
Quand  tinte  l'automne  expirant  : 
Et  c'est  pour  nos  mélancolies  ; 

Et  voici  le  Lys  pour  l'histoire 
Du  lys  qui  s'entrouvre  vers  moi  ; 
Voici  la  Pensée  en  mémoire 
Du  soir  qui  la  promis  à  moi  ; 
Et  voici  la  Rose  en  sa  gloire, 
Pour  l'autre  soir  que  j'entrevois  ! 

Et  voici  des  Pensées  encore  : 

C'est  pour  que  vous  pensiez  à  moi. 


-  70 


NOCTURNE 


—  Va,  m  ami,  va  :  la  lune  s  éveille. 
Va,  m  ami,  va  :  la  lune  s  en  va. 


—  La  route  est  d'argent  sous  la  lune  : 
Viens  rejoindre  notre  fortune, 
Viens,  ma  Nyse,  tous  deux  ainsi, 

—  La  route  est  d'argent  sous  la  lune  — 
Ainsi  qu'un  chacun  sa  chacune. 

Au  bord  de  l'étang  blanc  et  noir 
Assis,  les  doux  veilleurs  du  soir. 
Les  crapauds,  chantent  à  la  lune  : 
Au  bord  de  l'étang  blanc  et  noir. 
Les  crapauds  chantent  sans  espoir. 

Soyons  graves  si  je  le  puis  : 
Est-on  pas  mariés  depuis... 
Un  mois  ?  la  semaine  dernière  ? 
Une  heure  ?  pas  plus  ?  je  ne  puis  : 
Tourne,  sagesse,  au  fond  du  puits  ! 

—  71   - 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Eh  non  !  depuis  tant  plus  longtemps  ! 
Que  dis-tu  ?  depuis  mille  années  ? 
C'est  toujours  pas  assez  longtemps 
Pour  être  sage  :  on  a  le  temps, 
Attendons  encor  deux  mille  ans  ! 

Apportez  vos  lèvres,  Madame, 
Qu  un  mari  prenne  son  baiser  ! 
Quoi,  c'est  vous  qui  voulez  oser  ? 
Apportez  ces  lèvres.  Madame  ! 
Oh,  sournoise,  vous  refusez  ? 

Si  vous  le  défiez,  Denyse, 
-    C  est  lui  qui  va  vous  embrasser  ! 
Quelqu'un,  dis-tu  ?  eh  non  :  la  brise. 
Si  point  ne  m'embrassez,  Denyse, 
C'est  donc  moi  qui  vais  commencer  ! 

—  Denyse  !  Nyse  !  où  donc  est-elle  ? 
Ma  lèvre  s'ouvre  sur  la  nuit  ! 
Rêvai-je  encore  ?  ai -je  dormi  ? 
Nyse,  ma  Nyse,  où  donc  est-elle  ? 
Baiser,  épouse,  tout  a  fui  ! 

La  route  est  d'argent  sous  la  lune  ; 

J'y  vais  traîner  mon  infortune. 

Et  seul,  tout  seul,  ma  Nyse  est  loin  ! 

-  72  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

La  route  est  d'argent  sous  la  lune. 
Je  suis  triste  jusqu'à  la  mort. 

—  Où  sont-ils  vos  amours,  sont-ils  en  Angleterre  ? 

—  Ils  se  sont  embarqués  sur  un  bateau  de  verre. 
Le  bateau  s'est  brisé  aux  rochers  de  la  mer. 


-  73  - 


A  FOND  DE  CALE 

—  Une  rose  dans  les  ténèbres. 

—  Nocturne  puits,  morne  citerne, 
Ternes  étoiles,  lac  sans  fond. 
Lugubre  ponton  la  caserne. 
Quand  je  rentre  de  faction  ; 

L'ombre  a  peur,  les  murailles  noires 
S'allongent  éternellement 
Et  fuient  se  perdre  sous  les  moires 
Où  dissout  l'obscur  firmament  ; 

L'entrepont  où  meurt  la  veilleuse 
S'habite  d'effrayants  dormeurs 
Et  jonche  de  têtes  cireuses 
Les  suaires  lourds  de  fadeurs, 

Qui  dégorgent  des  râles  d'orgues 
Par  leurs  orifices  béants, 
Girnaval  blafard  d'une  morgue 
Aux  morts  en  travail  remuglant, 

-  74  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Un  vaisseau-fantôme  sans  vciles  ! 
—  Mais  l'emmuré,  du  fond  du  puits 
Voyant  descendre  une  autre  étoile, 
Ressuscite,  et  ton  ombre  luit, 

Astre  dans  l'insondable  nuit  ! 


-  75  - 


GRAND'GARDE 


—  Pauvre  soldat  d'où  reviens-tu  ? 


—  Ma  sœur,  le  vent  pleure  à  la  vitre, 
Pleure  comme  un  petit  enfant. 

La  pluie  le  flagelle,  11  sanglote  aux  vitres, 

Les  bat  d'un  million  d'élytres  : 

Ecoute  pleurer  aux  vitres  le  vent. 

Oh  qu'il  fait  froid  !  nos  chairs  meurtries 
Grelottent  ;  serrons-nous  bien  fort 
L'un  contre  l'autre,  ma  chérie  ! 
Oh,  les  soldats  aux  mains  meurtries. 
Ils  ont  faim,  Ils  ont  froid,  dehors  ! 

Le  vent,  ma  sœur,  pleure  à  la  porte. 
Il  tourne  autour  de  la  maison 
Glacée,  11  la  secoue,  sous  chaque  porte 
Ameute  ses  rauques  cohortes 
Nous  envahir  en  trahison  ! 

-  76  - 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Que  la  nuit  est  pesante  et  noire  ! 
Elle  s'assied  sur  notre  cœur, 
Et  l'étouffé  en  ses  ouates  noires  ; 
Pauvres  soldats  sans  feu  ni  boire, 
Perdus  dans  la  nuit,  le  froid  et  la  douleur, 

Endolorissons -nous  de  leur  douleur,  ma  sœur  ! 


77 


GASTON  PHŒBUS  CHANTE 

—  5e  canto  que  you  canto. 

—  Je  chante  quoi  je  chante, 
Ce  n'est  pas  pour  vous  : 
C'est  pour  mon  amante, 
Qui  est  loin  de  nous. 

On  est  au  bois  Le  Prêtre 
Quelques  cents  poilus. 
Et  ce  soir  peut-être 
N'en  restera  plus. 

C'est  ma  femme  fidèle 
Comme  à  elle  moi  : 
Je  l'ai  eue  pucelle, 
Ça  ne  s'oublie  pas. 

A  l'heure  de  partire, 
La  pris  sur  mon  cœur  ; 
L'entendis  me  dire  : 

—  Si  tu  meurs  je  meurs. 

-  78  — 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Et  nous  embrassâmes 
En  pleurant  tout  bas  ; 
Toute  al  mis  mon  âme 
Dans  ce  baiser  là. 

Fille  ou  garçon,  n'importe  : 
Si  ce  soir  je  meurs. 
L'enfant  qu'elle  porte 
Sera  mon  vengeur. 

Et  si  la  mort  m'emmène 
Comme  mes  amis. 
Nous  serons,  ma  reine. 
Au  ciel  réunis. 


79  - 


AURORE 

—  Un  matin,  j'ai  éveillé  l'aube  d  été. 

—  Le  tintlnnabulement  fou 
Des  angélus  et  des  clarines 
Traverse  l'aube  et  ses  bruines  ; 

—  0  pâle  amie,  où  êtes-vous  ? 

Messagères  de  l'aube  grise 
Glissent  les  nymphes  et  les  brises, 
M'investissant  d'un  lent  émoi  ; 

—  Pensez-vous,  pâle  amie,  à  moi  ? 

De  frêles  lueurs  indécises 
L'horizon  rosit  et  s'irise  ; 
L'astre  jaillit  :  vive  le  roi  ! 

—  Pensez-vous,  pâle  amie,  à  moi  ? 

Il  écartèle  les  clairières. 

Il  transperce  prés  et  bruyères 

De  jets  d'amour  profonds  et  doux  ; 

—  0  pâle  amie,  oii  êtes-vous  ? 

—  80  — 


MIRANDA 

—  Mais,  0  mon  cœur,  entends  le  chant  des  matelots  ! 

—  Vierge,  retourne  à  l'île  cù  chantaient  tes  fuseaux, 

Chante,  Eucharis  ;  pleure,  Ariane, 

Que  bruissent  parmi  tes  larmes 

Les  ruisseaux  blonds  de  tes  cheveux  ! 

Grogne,  Circé  ;  pleure,  Ariane  ! 
0  tragique  et  belle  épousée, 
Tords  et  détords  ta  chevelure 
Et  divise  tes  tresses  d'or  ! 

Cheveux,  ô  cordes  de  ma  lyre, 
(Rugis,  Médée  ;  ris,  Calypso  !) 
Chevelure  vertigineuse. 
Emprisonnez,  fuyant  réseau. 

Le  peuple  ailé  de  mes  tendresses. 

Le  blanc  peuple  de  mes  oiseaux  : 

Pleure,  Eucharis  ;  veille,  Ariane, 

Retourne,  vierge,  à  l'île,  où  tremblent  tes  fuseaux  ! 

—  Vos  amours  où  sont-ils  ?  —  Ils  sont  au  fond  des  eaux. 

—  81   —  6 


A  LA  DÉRIVE 

—  Les  songes  de  l'eau  qui  sommeille. 

—  Tes  yeux  tant  les  ai-je,  ô  tes  yeux, 
Tant  regardés  !  noyé  en  eux, 
Hormi  eux  de  tout  oublieux, 

Mes  yeux  !  ah,  que  dis-je  ?  mon  être 
Tout  entier,  avec  quel  bien-être. 
Soutiré  vers  leurs  deux  fenêtres 

Et  versé  aux  deux  lacs  sans  fond 
De  tes  deux  yeux,  ces  yeux  qui  font 
Deux  tourbillons  où  mon  cœur  fond  ! 

J'ai  tant  lavé  ma  loque  d'âme, 

La  mienne,  à  vos  limpides  flammes, 

0  clairs  yeux  de  ma  notre-dame  ; 

Enfin,  les  temps  noirs  survenus 
Où  ces  joies,  vos  jeux  ingénus. 
Yeux  si  connus,  jamais  connus, 

—  82  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Tout  me  fut,  joies  et  jeux,  ravi, 
Et  ces  yeux  !  par  l'aveugle  vie  : 
Captif  charmé  de  leurs  magies. 

Mon  souvenir  a  refait  tant 
Et  tant  le  voyage  éclatant 
D'antan  vers  leur  gouffre  chantant, 

Qu'à  me  vêtir  de  leur  lueur, 
A  m'étourdir  de  leur  chaleur. 

J'en  ai  oublié  la  couleur  1 

H 


83  — 


BIANCA  VESTITA 

—  Le  temps  a  laissé  son  manteau. 

—  A  l'aube  prime  d'avril 
Jeune  neige  s'est  enfuie  ; 
Elle  voit  de  ses  épaules 
Glisser  sa  royale  hermine  ; 
Frêle  fille  de  l'hiver 
Vers  le  pôle  elle  s'envole, 
Sous  le  ciel  au  sein  couvert 
Que  soulève  le  printemps. 
0  vertigineuse  paix, 
Plus  vertigineux  silence. 
Blanc  sommeil  de  tous  les  sens, 
Et  la  solitude  blanche 
S'illimite  infiniment. 

Au  flanc  d'un  chemin  perdu 
Dans  la  vastitude  blanche, 
Un  amandier  éperdu 
Appelle  de  toutes  ses  branches  ; 
Les  germes  précoces  dorment 
Sous  l'écorce  enlinceulée, 

-84- 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Et  la  voûte  immense  et  morne 
S  illimité  infiniment  ; 
—  L'aube  aurore  est  accourue, 
Elle  est  accourue  et  rit  ; 
Elle  rit  :  les  brises  naissent, 
Tout  circule  et  tiédit. 
C'est  la  vie  et  c'est  la  joie. 

L'aube  aurore  danse, 
Tout  l'horizon  tremble. 
Ensemble  tournoient 
Les  écharpes  d'or  : 
C'est  la  vie  encore, 
La  vie  et  la  joie. 

Et  voici  que  sur  la  branche 
De  l'arbuste  qui  s  esseulé. 
Une  fleur  est  apparue. 
Etoile  vivante  et  nue  ; 
Si  désespérément  blanche, 
Oîi  des  roseurs  si  ténues 
Insaisissablement  tremblent. 
Si  fragile  de  parfum. 
Si  tendre  d'éclat  que  semble 
Ton  apothéose,  ô  neige, 
A  travers  le  printemps  rose. 

-85  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

—  Oh  si  belle  hélas,  si  belle, 
Si  impossiblement  belle, 
Que  je  n'en  pus  affronter 
L'accusatrice  beauté  ; 
Mais  quoi,  closes  mes  prunelles, 
Mon  cœur  encor  la  voyait  ! 
Elle  fondait  en  parfums, 
Où  ce  cœur  se  dissolvait  ; 
Viens,  me  disait  tout  son  corps. 
Me  cueillir  !  et  moi  enfin, 
Chancelant,  mon  bras  perclus 
S'est  tel  un  spectre  avancé  ; 
Frissonnant  du  sacrilège, 
Je  ravis  l'astre  de  neige 
Au  destin  qui  l'exaltait. 

Je  l'ai  respirée. 
Avec  quelle  ivresse, 
]^  l'ai  respirée, 
Et  depuis  j'en  meurs, 
Et  mes  yeux  noyés 
Virent,  ah,  détresse, 
Que  penche  soudain 
L'angélique    fleur  : 
Elle  était  si  blanche. 
C'était  son  destin  ! 

—  86  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Les  cinq  sublimes  pétales 
D'un  seul  coup  se  calcinèrent, 
Et  se  perdit  leur  parfum  ; 
L'astre  sans  laisser  de  trace 
S'évanouit  sur  la  neige  : 
Le  nuptial  sortilège. 
Mon  souffle  l'avait  brûlé. 

Alors  songeant,  ô  Denyse, 

A  nous,  j'ai  senti  passer 

L'heure  qui  va  déflorer 

Nos  bonheurs,  leur  fleur  exquise, 

Et  sourdement  soupiré. 


—  87 


DICT  DU  CHEVALIER  QUI  SE  SOUVIENT 


—  Percé  de  sa  lance. 


Mon  cœur  mal  recousu  entre  en  convalescence 
Tremblant  des  récentes  souffrances, 

Perclus  de  dolence. 
Il  ne  peut  croire  à  son  bonheur  ; 
Mais  grâce  à  toi,  petite  sœur, 
A  l'effluve  émané  de  toi, 
Il  sent  dissoudre  ses  langueurs  : 
Parfums  de  nos  adolescences, 
Volez  en  chœur,  entourez-moi, 
Volez  à  moi  1 

Et  volez  à  moi,  souvenances 
Et  coirs  d'an  tan,  trames  de  fleurs  : 
Mon  cœur  entre  en  convalescence 
Et  voit  dissoudre  ses  douleurs  : 
Volez,  mon  cœur  ! 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Parfums  de  nos  adolescences, 
Versez  confiance  à  ce  cœur 
Qui  écoutait  avec  terreur 
Ses  battements  dans  le  silence  ! 


—  89 


I 


PANTOUM 

—  ...  D  étoile  en  étoile...  et  je  danse... 

—  lo  Pœan,  Pœan  !  aux  palmes  f  appelle. 
Ecoute,  V entends-tu,  la  vierge  au  vol  dansant  ? 
Elle  te  frôle,  elle  te  cherche,  elle  descend, 
Suspendue  à  ses  bondissantes  ailes  !... 

—  La  Musique,  c'est  la  Poésie,  qui  sous  elle  repliant  la 
parole  titubante,  déploie  ses  ailes  toutes  ; 

Replie  toutes  béquilles  charnelles,  par  la  terre  animale 
alourdies,  et  par  l'animalité  humaine,  et  déploie  ses  ailes 
divines,  et  selon  des  algèbres  nouvelles  s'élève,  et  s'envole 
par  delà  les  choses  limitées... 

—  ...  Et  nous  tous  alors  que  portent  des  ailes. 
Un  branle  universel  nous  enlève  à  l'instant  ; 
Nous  bandons  l'aile  en  chœur  et  partons  en  chantant. 

Et  nous  revoilà,  ardents  et  fidèles  !... 

—  ...  Et  elle  s'élève,  et  vole  et  tourne  !  dans  le  vertige 
ondule  avec  sérénité,  sans  souvenir  d'espace  ni  de  temps  ; 

—  90  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Musique,  c'est  la  sensualité  même,  exaspérée  jusqu'au 
lispersement  de  toutes  chaînes  sensuelles... 

—  ...  Que  clameurs,  que  fumées,  s'écrasent  donc  vers  nous  : 
Rions,  frères,  rions  :  ripostons  sans  courroux. 

Et,  pour  anéantir  la  ténèbre  en  ses  toiles... 

—  ...  Par  elle,  ma  bien-aimée,  nous  anéantirons-nous  dans 
in  unisson  de  tendresse  ; 

Et  par  elle  je  te  veux  posséder  et  que  toi  me  possèdes  :  plus 
ntimement  que  par  les  effusions  profondes  de  l'esprit  et  de 
a  chair... 

—  ...  Secouons  en  chœur  les  ailes  de  feu 
Gonflées  des  futurs,  et  par  un  beau  jeu. 

Nous  en  ferons  descendre  une  neige  d'étoiles  ! 

—  ...  Te  posséder  je  veux  et  que  toi  me  possèdes,  par  la 
ommunion  dans  quelque  calice  inventé  par  la  divine  volti- 
euse  : 

—  ...  /o  Pœan,  Pœan  !  aux  palmes  t'appelle. 
Ecoute,  r entends-tu,  la  vierge  au  Vol  dansant  ?... 

—  ...  Musique,  c'est  la  Poésie  épanouissant  toutes  ses 
iles, 

—  ...  Elle,  la   Voyageuse  ailée  au  vol  dansant,  .    . 
Nous  appelle,  t'appelle,  et  passe  en  frémissant  !     .    . 

-  91   - 


ELEVATION 


—  Partons,  joli  cœur, 
La  lune  est  levée. 


La  Lune  a  jailli  des  bois  ;  et,  comme  si  elle  eût  charrié 
tout  le  sang,  toutes  les  larmes  et  toutes  les  fanges  de  la 
terre. 

Rouge,  boursouflée,  distendue,  immense,  elle  a  lourdement 
monté,  faisant  claquer  sur  l'horizon  sourd 

Le  masque  affreux  de  l'incendie  ; 

Mais,  à  mesure  qu'elle  s'élevait  se  désagrégea  le  saignant 
manteau  de  misères,  et  son  disque  se  resserrant,  blanchissait 
encore  et  blanchissait. 

Et  versait  à  mesure  de  plus  éclatantes  clartés  : 

Et  quand  elle  eut  enfin  occupé  son  zénith,  ce  fut  l'insou- 
tenable ruissellement  d'une  étoile  ieile  qu'un  soleil,  et,  sous 
le  silence  magique,  fourmillant  de  vie  en  attente  ; 

Sous  la  prodigieuse  majesté  de  toutes  choses  en  frémissante 
immobilité. 

Son  déluge  de  pureté  sereine  baptisait  l'univers  prosterné  ; 

-  92  - 


LA   GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Ainsi,  ma  bien  aimée, 

L'illuminé  reflet  en  moi  de  ton  image,  en  vain  l'a  pu  ternir 
ma  lamentable  humanité  : 

Te  VOICI  !  ton  rayonnement  effondre  les  vapeurs  malsaines 
et  stymphalides  ;  et,  purifiée  à  jamais,  s'exalte  ma  ten- 
dresse, et  monte  en  vénération  vers  toi  ! 


93  — 


TRILLES 


—  M  y  laillis  un  flûtiau  (le  riau) 
Un  flageolet  aussi    (le  ri) 
Et  m'en  allai  chantant 
Tout  le  long  du  chemin... 


—  Gai  !  Noël  !  la  prime  hirondelle 

Est  venue  ! 
Gai  !  mon  cœur  s'embarque  avec  elle 

Vers  les  nues  ; 
Le  printemps,  gai  !  broie  toutes  chaînes, 

Les  autans 
Se  replongent  dans  leurs  géhennes  ; 

Tant  d'élans 
Jaillissent,  fièvres  et  fusées 

De  mon  cœur, 
Qu'en  est  ce  cœur  électrisé 

De  bonheur  ; 

Et,  gai  !  il  se  fait  hirondelle 

Lui  aussi  : 
Il  s'évade,  le  cœur  fidèle. 

Loin  d'ici  ; 

-  94  — 


Vers  notre  nid  d'enfants  s'envole. 

Le  nid  clair 
Où  ton  cher  cœur  que  l'heure  isole, 

D'un  hier 
Si  proche  et  loin  se  refigure 

La  douceur  : 
Que  joie  et  soleil  il  procure, 

A  ce  cœur  ! 

C'est  le  rêve,  c'est  la  trêve  , 
L'illusion  douce  et  brève 
Dont  on  rêve  après  encor 
Transfigure  un  passé  d  or. 
Reflet  lent  de  l'heure  brève  : 
Que  ce  rêve  ami  s  achève. 
En  réel  plus  bel  encor  1 


95 


ODELETTE  D'AVRIL 


—  Et  m'en  allai  chantant  (le  ran) 
Tout  le  long  du  chemin  (le  rin)  : 
Ah,  qu'il  est  doux  d'aimer. 
Au  bois  rossignolet. 


—  Que  d'enfantines  défaillances 
Exténuèrent  mes  vaillances  ! 
Que  m'ont  d'absurdes  méfiances 
Déprimé, 

Tu  le  sais,  et  combien  vacille 
Lenfùnt  maladif,  imbécile 
De  scrupules,  mais  tant  docile 
A  t'aimer  ! 

Ah,  vois-tu,  cette  guerre  horrible 
De  moi  contre  moi,  fîèche  et  cible 
A  la  fois,  duel  impossible. 

N'a  été 

-  96  — 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Que  la  lutte  absurde  et  barbare 
De  Mars  contre  Avril  :  qui  prépare 
L'inouï  réveil  en  fanfare 
Des  étés. 


Ah,  ce  conflit  trouble,  sauvage, 
Meurtre  sur  soi,  double  veuvage. 
Plus  d'une  déchirante  page 
L'a  chanté  : 

Mais,  délivrés  soient  les  captifs. 
L'alouette  au  chant  décisif 
A  chassé  les  corbeaux  furtifs 
Du  ciel  d'or  ; 

Des  bêtes  croule  la  fourrure 
Giduque,  et  gonfle  la  parure. 
Amour  et  guerre  :  Hiver  murmure. 
Il    s'endort  ; 

Vois  !  la  ncuve  pousse  vorace 
Revendique  âprement  sa  place, 
Vois  s'éclater  sous  son  tenace 
Vouloir  d'être 

-  97  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Les  feuilles  sèches  du  dernier 
Octobre  gaîment  oublié  : 
Ainsi  nous  poussons  au  charnier 
Les  ancêtres, 


Quand  Mai,  féroce  conquérant 
Bardé  de  fleurs,  allègrement 
Fait  rouler  Décembre  au  torrent. 
Neige  et  fanges  ! 

Ainsi  notre  cœur  rajeuni 
Par  l'éternel  amour,  bruit. 
Frémit,  chante,  innombrable  nid 
De  mésanges  ! 

Or  ce  triomphe  est  ton  trophée. 
Jeune  flamme,  héroïne  et  fée. 
Ta  légende,  hélas  parafée 
De    douleurs  : 

Tu  fus  ce  jeune  soleil  riche 
Qui  désagrège  l'Hiver  chiche. 
Ensemençant  mon  cœur  en  friche 
De  bonheur  ! 

—  98  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Frêle  et  puissante  et  souveraine, 
Tu  rallumas  ce  cœur  en  peine 
Qui  plus  n'osait  battre  qu'à  peine, 
Presque    plus  ; 


Ton  despotique  aveu  :  «  Je  t'aime  » 
Me  fit  confiant  en  moi-même  : 
J'osai  me  scruter  sans  blasphème, 
Et  me  plus... 

Pourtant,  par  bouffées  se  réveillent 
Les  arrière-goûts  de  la  vieille 
Terreur  qui  m'étranglait  la  veille  : 
Tu  les  vis 

Obscurcir  l'hymne  de  nos  gloires, 
Noir  envol  de  corneilles  noires 
Rayant  l'azur  aux  nobles  moires 
De  noirs  cris  : 

Va  !  c'est  le  spasme  d'agonie 
De  l'Hiver,  une  aube  ternie 
A  peine,  c'est  la  litanie 

Des  vieux  morts 

—  99  — 


BJBLIOTHECA 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

A  ma  vieille  âme  d'hier,  morte 
Pour  de  bon  :  j'ai  bouclé  la  porte 
Et  dehors  poussé  la  cohorte 
Des  remords   : 


Va,  tu  le  vois,  je  deviens  calme 
Et  plane  sous  l'aile  des  palmes 
De  ta  gloire  en  moi,  ô  très  aime 
Dont  je  suis 

Le  servant  dévotement  tendre 
Qui  t'ai  prise  sans  y  prétendre  : 
Va  notre  route,  va  m 'attendre; 
Je  te  suis. 


—  100 


PIMPON  D'OR 


—  La  violette  double,  double, 
La  violette  doublera. 


—  Violettes  blanches, 
Pâques  prédies, 
Fleurs  qui  s'épanchent 
De  la  chérie  : 
Pour  ton  dimanche, 
Défunt  mari, 
Mam  toute  blanche, 
Mam  qui  se  penche. 
Ciel  qui  dit  :  oui  ! 

Violettes  blanches  sur  l'or  vert, 
Parfums,  soleil,  tiédeurs  et  joie 
Et  tout  le  printemps,  tu  l'envoies, 
Brelan  d'ailes  qui  t'es  ouvert. 

Et,  brelans  de  cloches  dans  l'air. 
Grand  frère  blond  me  veut  sa  proie 

-  101  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Tout  son  printemps  tu  me  l'envoies, 
La  fleur  a  dégelé  l'hiver. 

0  Denyse,  ô  déjà  ma  femme, 
On  dorlotera  ce  cher  cœur, 
L'enivrera  comme  de  fleurs... 

Non,  Denyse,  je  vous  diffame  : 
Approchez,  ange  méconnu, 
Tendez  ce  col,  ce  beau  col  nu... 

Hélas,  loin  es-tu,  chère  femme, 
0  flsur,  hélas,  où  fleuns-tu  ? 


—  102  — 


AU  BUIS  BÉNIT 


—  Reine  des  deux,  régente  terrienne. 


—  Pâques  fleures,  Pâques  fleuries, 
Fée  des  anges,  reine  Marie 
Baignant  vos  pieds  endoloris 
Aux  vasques  d'or  des  bénitiers. 
Impératrice  des  pitiés, 
A  vous  les  nouveaux  buis  bénits  : 
Vouons  au  feu  qui  sanctifie 
Les  buis  des  Pâques  exaucées, 
Pâques,  Pâques,  Pâques  fleuries  ! 

Fée  des  anges,  reine  Marie, 
Touchez  la  fange  et  les  sanies 
Et  nos  cœurs  :  et  tout  est  guéri  ; 
Fleurissez  d'espoir  et  d'ardeur 
Les  solitudes  de  ces  cœurs  ; 
De  nos  flaques  de  sang  croupi 
Transfigurez  les  salissures 

-  103  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Par  le  sang  de  vos  sept  blessures, 
Pâques  fleures,  Pâques  fleuries  ! 

Lune  immense  en  nos  insomnies, 
Fée  des  anges,  reine  Marie, 
Vers  vos  bras  me  voici  venu. 
Tel  que  Jésus  enfant  et  nu  : 
Voyez  comme  faible  et  soumis 
S'est  voulu  le  Sauveur  promis  : 
Comme  Lui,  soyez-nous  propice. 
Qu'en  retour,  il  nous  affranchisse, 
Pâques  fleures,  Pâques  fleuries  ! 


—  104  — 


CARILLON  DE  SAMEDI-SAINT 


—  Orléans,  Beaugency, 
Notre-Dame  de  Cle'ry, 
Vendôme,  Vendôme  ! 


—  Toutes  cloches  sont  revenues 
Se  pendre  en  chœur  aux  clochers 
Voici  l'heure,  et  par  les  nues, 
Les  vols  d'angélus  lâchés  ! 
Voici  l'heure,  voici  l'heure  ! 

Au  cœur  mien  une  cloche  aussi, 
Cloche  d'or,  s'est  suspendue  ; 
(Voici  l'heure,  voici  l'heure  !) 
Fou  de  vivre,  il  ressaisit 
L'ardeur  qu'il  pleure  perdue  ; 

Et  la  cloche  y  sonne,  sonne 
Son  carillon  éperdu  : 
Ce  cœur  va,  ce  cœur  frissonne 
Comme  un  pendu  mal  pendu  ; 

-  105  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE  ' 

Cette  cloche,  hymne  et  reproche 

Du  vieux  porche  hier  reclus, 

C'est  le  Printemps  qui  s'approche  :  ■ 

Et  toutes  ailes  se  ruent  ! 

C'est  l'hosanna  de  la  brise. 
Fleurs,  ferveurs  et  cœurs  fondus, 

Nyse,  Nyse,  ma  Denyse, 
Nysot  d'Or  à  moi  rendue  : 

Voici  l'heure,  l'heure  élue  ! 


1 


-  106  - 


EN  LA  VILLE  AUX  PORTES  D'OR 


—  Mille  cloches  battent  dans  l'air. 


—  Pâques,  Pâques  !  c'est  les  cierges, 
0  brasiers,  ô  cathédrales  ! 
L'encens  bleu  fuse  en  spirales  ! 
C'est  les  enfants  et  les  vierges 

Suspendus  aux  palmes  vertes, 
Cent  mille  cœurs  bondissant 
Sous  la  joie  d'être  innocents. 
Ames  en  fleur,  tout  ouvertes  ! 

Tous  les  peuples  chantent,  rient 
Sous  l'océan  des  bannières. 
L'hosanna  des  orgues  mères, 
Le  silence,  les  longs  cris, 
La  lumière  ! 

Pâques,  c'est  la  cloche  envolée 
Qui  traverse  l'azur  sans  fin 

—  107  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Et  retinte  au  clocher  d'or  fin, 
Etincelant  et  barbelé, 

La  cloche  ailée  ! 

Pâques  !  Pâques  !  c'est  tant  de  fleurs 
Dans  les  prés,  fumante  émeraude, 
Que  ces  bons  prés,  leur  herbe  chaude 
Ne  sait  plus  quelle  est  sa  couleur, 
C'est  le  bonheur  ! 

Tous  les  rameaux  d'or  s'étoiler  : 
Tant  de  folioles  vert  tendre 
Qu'il  semble  avec  l'aube  descendre 
Toutes  les  étoiles  du  ciel 
Nous  consoler  ! 

C'est  tant  d'msectes  sur  la  terre 
Qu'on  croit  voir  les  grains  de  gravier 
Devenir  des  diamants  noyés 
Dans  des  poussières  de  lumière. 
Qui  diaprent  l'air  ! 

C'est  tant  de  ruisseaux  et  si  clairs. 
Et  si  remuants,  que  l'on  pense 
Les  grelots  du  soleil  qui  dansent 
Dans  le  tumulte  des  champs  verts 
Des  bals  d'éclairs  ! 

-  108  - 


I 


LA   GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

C'est  tant  de  parfums  suspendus, 
De  tiédeurs,  de  voix,  de  lumières 
Et  de  mouvement,  que  les  fières 
Orbes  de  nos  sens  distendus 
Sont  confondues  ! 

Pâques  !  Pâques  !  c'est  ma  Denyse, 
Ses  cheveux  roulant  sur  son  cou, 
Et  sa  gorge,  deux  jeunes  loups 
Qui  sursautent  de  convoitise 
Sous  la  chemise  ! 

Pâques  !  c'est  Denyse  qui  vole 
Le  ciel  et  l'engouffre  en  ses  yeux. 
Et  le  soleil  dans  ses  cheveux, 
Pour  s'en  ourdir  une  auréole 
De  samte  folle  ! 

Cache  les  fleurs  dans  sa  poitrine 
Et  dans  son  souffle  leuis  odeurs 
Et  sur  sa  lèvre  leurs  fraîcheurs 
Et  tout  me  cache,  ô  brigandine 
Qui    m'assassine  ! 

Denyse  vêtant  son  corsage 
Et  sa  jupe  couleur  du  temps. 
Flagellant  de  cheveux  flottants, 

—  109  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Vierge  enrageante  d'être  sage, 
Mon  mien  visage  ! 

Pâques,  Denyse,  hou  !  c'est  nos  noces  ! 
Laisse-toi  vaincre  et  viens  tout  près  : 
Niaise  innocence  des  prés, 
Fi  !  fuyons  vers  la  forêt  rousse 
Et  sur  la  mousse  ! 

Viens  sous  le  dais  mouvant  des  feuilles. 
Sur  ces  lourds  gazons  odorants, 
Déclos-toi,  Denyse,  et  te  rends, 
Amazone,  que  je  te  cueille. 
Et  toute  effeuille  ! 

Pâques,  Pâques  !  son  ciel  affame, 
0  ma  Denyse,  unique  nuit, 
0  noces,  le  monde  fini, 

Nyse,  ma  Nyse,  sois  ma  femme... 

La  vision  s'évanouit. 

[Nancy] . 


10 


ODE  A  LA  FIANCÉE 


—  Quand  les  étés  et  la  douce  saison 
Font  feuille  et  fleurs  et  les  prés  reverdir ■ 


—  Petite  sœur  viens  avec  moi  : 

De  son  haleine  la  plus  douce, 

Mai  renouvelle  nos  vieux  bois. 

Reposons -nous  sur  cette  jeune  mousse 
Légère  et  parfumée  amsi  qu'une  fourrure. 
Un  feuillage  odorant  se  balance  et  murmure, 
Les  bruyères  et  les  fougères  d'or  s'agitent. 
Mille  bruissements  berceurs  invitent 

A  sommeiller,  gardés  des  midis  lourds  : 

Accourez  vite,  ô  mes  amours. 

Viens,  repose  ton  corps  gracile 
Tout  contre  moi,  bien  contre  moi, 
0  ma  douce  beauté  fragile  ; 
Laisse  glisser  vers  mon  aisselle 
Ta  menue  tête  et  ton  col  précieux. 
Et  contre  ma  joue  que  ruisselle 
L'écroulement  de  tes  cheveux. 
Laisse-moi,  chère  enfant,  tenir  tes  mains  qui  tremblent, 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Les  retenir  lorïguement  dans  mes  mains, 
Une  chaîne  souder  de  tous  nos  doigts  ensemble. 

Au  magnétisme  souverain. 
Tes  yeux,  tes  yeux  si  puis  et  tes  lèvres  meurtries 
Appellent,  chère  âme  malade. 
Le  dictame  de  mes  baisers  ; 
Levez-vous,  fleurs  en  ma  prairie. 
Et  qu'en  aériennes  cascades 
Ils  descendent  vous  ranimer. 
Approche  tes  yeux  qui  me  prient. 

Et  ta  gorge  aussi  qui  se  lève, 
Ta  gorge  et  tout  ton  jeune  corps 
Appellent  ma  lèvre  et  son  miel. 
Mais  cette  autre  ivresse  est  trop  forte 
Pour  nos  raisons  et  pour  nos  corps  ; 
J'ai  peur,  je  songe  malgré  moi 
A  la  vertigineuse  porte. 
Je  convoite  et  j'ai  honte  et  de  m 'avouer  quoi  ; 
Demeurons  assoupis,  demeurons  de  la  sorte 
L'un  et  l'autre  étendus,  et  savourons  encor 
Cet  engourdissement  profond  comme  la  mort. 
Ne  parle  pas  et  que  ton  cœur  même  se  taise. 
Ne  chante  plus,  mon  rossignol  des  bois, 
Il  faut  bien  que  mes  sens  extasiés  s'apaisent  : 
Ils  t'anéantiraient  comme  la  folle  fraise. 
Des  bois  pauvre  odorante  amie, 

—  112  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Que  sans  même  voir  ]'ai  pétrie 
Sous  le  délire  de  mes  doigts... 

Depuis  tant  de  lourds  mois 
Rancœurs  et  lassitudes 
S'accroupissaient  sur  moi 
Quant  tu  m'es  apparue. 

Perdu  de  solitude, 
Tout  mon  cœur  avait  froid, 
Toute  heure  m'était  rude, 
Je  blasphémais  la  joie  ; 

Et  tu  es  accourue 
Vers  cette  âme  aux  abois. 
Elle  ta  reconnue 
Dès  la  première  fois. 

Les  fastes  et  les  palmes. 
Ma  douce,  ma  fidèle. 
Et  les  extases  calmes 
De  là-haut  nous  appellent  : 

Petite  sœur  blessée 

Par  les  cris  d'ici-bas. 

Courons,  ma  fiancée  : 

Ne  les  entends-tu  pas. 

Ces  VOIX  et  ces  bruits  d'ailes  ? 

-   113  — 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Oh,  je  t'aime  ! 
Je  t'aime  comme  un  frère  aîné  sa  jeune  sœur. 
Je  goûte  à  prononcer  ton  cher  nom  des  douceurs 

Exquises  ; 
J  y  viens  jusqu'à  trouver  le  symbole  enchanteur 
Du  dieu  que  les  païens  nommaient  «  Libérateur  >' 

«  Denyse  ». 

Je  t'aime  comme  Dante  aime  sa  Béatrice, 
Comme  la  consolée  et  la  consolatrice, 

Et  mieux  : 
Comme  celle  dont  l'humble  et  discret  sacrifice 
Est  l'exemple  assidu  à  nous  rendre  propices 

Les  cieux  : 

Je  t  aime  comme  un  fiancé  sa  fiancée, 
Comme  un  poète  pur  la  strophe  cadencée, 

Et  plus  : 
Comme  un  valeureux  cœur  la  souffrance  exaucée 
Qui,  le  purifiant,  lui  fait  crier  :  Ecce 

Deus  ! 

Je  t'aime  comme  le  martyr  aime  ses  plaies, 
L  ascète  son  cilice  et  l'apôtre  ses  claies. 

J'en  souffre 
Avec  les  voluptés  mâles  dont  se  comblaient 
Les  Decius  au  cœur  d'airain  qui  se  vouaient 

Aux  gouffres  ; 

-  114- 


LA   GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Je  t'aime  comme  on  aime  une  fleur  pâle  et  rose, 
Si  délicate  et  frêle  noblement  qu'on  n'ose 

Pas  même, 
D'un  baiser,  l'effleurer,  d'un  souffle  qui  se  pose, 
Craintif  de  l'effacer  en  quelque  apothéose 

Suprême  ; 

Je  t'aime  comme  Hamlet  l'Ophélia  glacée. 
Fantôme  de  lui-même  en  sa  raison  blessée 

Qu'il  vit 
Sur  l'étang  noir  peut-être  ou  son  miroir,  passer. 
Et  qui  tel  un  remords  sans  fin  dans  sa  pensée 

Survit  ; 

Je  t'aime  comme  un  mendiant  Sainte  Marie, 
Et  l'effigie  aux  pieds  de  qui  le  pauvre  prie 

Sans  peur. 
Une  image,  presqu'une  idole,  qui  sourit. 
Et  de  la  voix  qu'on  sait  et  n'entend  pas,  nous  crie 

Bonheur  ! 

Oh,  je  t'aime  de  tant  et  de  tant  de  manières 
Que  la  vertigineuse  rose  des  prières 

En  vain 
L  effeuillerait  ma  joie  une  existence  entière  : 
Jusqu'à  rendre  étonnés  les  anges  aux  prières 

Sans  £n  ! 

-  115  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Déjà  l'amoureux  soir  de  toutes  parts  se  glisse 
Et  monte  ensevelir  silencieusement 
Sous  les  plis  nuptiaux  d'une  alcôve  complice 
Notre  amoureux  tourment. 

Déjà  partout  la  nuit  et  ses  formes  magiques 
S'amasse,  accourt,  avec  l'heure  nous  envahit 
D'un  innombrable  vol  de  fantômes  tragiques 
Qui  s'installent  sans  bruit. 

J'ai  peur,  nos  faibles  cœurs  grelottent  d'effroi  vague, 
J'entends  s'interroger  l'un  l'autre  éperduement 
Ainsi  que  les  chocs  sourds  des  vagues  sur  les  vagues 
Leurs  fiévreux  battements. 

Je  nous  sens  perdre  pied  dans  notre  isolement  ; 
La  frissonnante  alcôve  où  naviguaient  nos  rêves 
Retombe  en  catafalque  :  ombres,  nuées,  linceuls, 
Pesanteurs,  descendez,  que  nos  êtres  s'achèvent 
De  désagréger  là,  hélas,  et  toujours  seuls  ! 
Quoi,  cette  solitude  auparavant  si  douce. 
Pourquoi  soudain  nous  fait-elle  à  tous  deux  si  peur  ? 
Oh  parle,  parle-moi,  je  veux  t'entendre,  pousse 
Des  cris,  mais  que  j'entende  encor  ta  voix,  ma  sœur  ! 
Tu  ne  me  parles  pas  !  pourquoi  fais -tu  la  morte  ? 
Elle  ne  bouge  plus,  ses  yeux  tout  grands  ouverts 
Me  fixent  :  parle-moi,  mon  angoisse  est  trop  forte  : 
De  quel  rêve  sors-tu,  dont  tu  as  tant  souffert  ? 

—  116  — 


i 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Non,  louons-la  tout  bas,  cette  angoisse  inconnue 
Qui  vient  de  nous  servir  un  miraculeux  fiel, 
Philtre  où  notre  raison  à  soi-même  rendue 
Puisera  la  vigueur  d'atteindre  un  autre  ciel. 
Et  vois  :  la  sainte  Lune  à  présent  se  dégage 
De  l'amoncellement  vertigineux  des  nues. 
Et  laissant  s'effondrer  ses  remparts  de  nuages, 
Court  nous  illuminer,  resplendissante  et  nue. 
Ma  sœur  emportons-nous  dans  sa  clarté  glacée 
Vers  cet  immortel  ciel  où  des  humaines  boues 
Lavés  enfin  nos  cœurs  s'uniront,  exaucés 
Pour  l'immortelle  vie  :  accours,  ma  fiancée, 
J'entends  le  jour  frémir,  petite  sœur,  debout  ! 


-  117- 


VITRIMONT 

—  Al  écu  d'or  et  de  sinople. 

Le  soleil  défaillant  gaufre  de  pourpre  et  d'or 
Le  manteau  violet  des  Vosges 
A  travers  le  travail  sauvage 
De  la  sylve  sanglante  et  noire  ; 

Aux  braises  des  lampes  de  cuivre, 
Derrière  les  grilles  de  bronze, 
Caverne  à  main  d'homme  ourdie. 
Flambent  les  joyaux  et  les  ors 
D  une  étrange  et  tragique  idole  : 
C  est  la  somptuosité  sombre 
Du  manteau  violet  des  Vosges 
Où  le  soleil  couchant  effile  un  ourlet  d'or. 

Quand  le  soleil  couchant  bande  sa  frange  d'or 
A  travers  le  travail  sonore 
De  la  sylve  sanglante  et  noire. 
Alors  Nyselle,  alors  encore, 

--118^ 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

C'est  l'obscure  avalanche  blonde. 
Tes  cheveux,  tes  yeux,  tout  ton  corps, 
Quand  au  soir  un  fuyant  soleil 
T'investissant,  corsage  et  robes, 
Mordoré  ton  éternel  deuil  : 

A  travers  le  blason  qui  tremble 
Des  clairières  noir  et  roses 
Du  manteau  violet  des  Vosges, 
C'est  un  soleil  couchant  qui  pleut  en  nappes  d'or. 


-  119- 


1 


CHANSON  POUR  MA  REINE  MAB 

i 


—    Quand  le  hibou  jette  son   ai 

Je  dors  dans  une   primevère.  . 


—  Sous  le  cristal  des  eaux  que  fait  grises  le  soir, 
En  songe  contre  moi  je  fais  asseoir  Denyse, 

Où  moi  par  la  maîtrise  angélique  du  verbe 
Lui  réalise  les  féeries  qu'elle  veut  voir  ; 

Je  règle  le  cortège  innombrable  de  l'herbe 
Des  nuits  d'été  :  mon  vers  mesure  la  cadence  ; 

Je  chipe  le  reflet  aux  prunelles  des  eaux, 
Du  vol,  pareil  à  un  regard,  des  libellules  ; 

Du  million  d'Ariels  en  un  rayon  éclos. 
J'orchestre  le  ballet  qui  tourne  au  crépuscule  ; 

Je  moule  à  son  passage,  évanouie  sitôt 
Qu'épanouie  chaque  perle  d'eau  de  la  pluie  ; 

-   120  — 


LA  GUIRLANDE   A   L'ÉPOUSÉE 

Je  grimpe  tout  le  long  des  volutes  fragiles 
Dont  fume  du  pêcheur  la  cahute  d'argile  ; 

Je  décalque  les  meurtres  de  soleils  ;  je  jongle 
Avec  les  louis  d'argent  qui  pleuvent  de  la  lune  ; 

Je  monte  en  bague  l'arc-en-ciel,  et  des  nuages 
Je  dégage  les  franges  d'or,  les  soirs  d'orage  ; 

Je  mets  en  branle  les  églogues  du  feuillage. 
J'entends  dans  chaque  nid  battre  les  petits  cœurs  ; 

Mes  balances  discernent  le  palpitement 
La  nuit,  des  fleurs,  et  je  soupèse  le  silence  : 

C'est  pour  en  tistre  la  symphonie  indécise 
Qu'à  ma  Denyse  porte  une  brise  du  soir. 


-  121   - 


AU  GUI   L'AN  NEUF,  AU  GUI  NOUVEAU 


—  Tant  l'on  crie  Noël 
Qu'à  la  fin  il  vient. 


—  Noël,  noël,  à  ma  Denyse  ! 

Un,  qui  vient  !  dans  une  autre  église. 

Blanche  belle,  on  l'épellera  : 

Et  sous  l'alcôve  cathédrale, 

L'ardente  messe  nuptiale 

Un  seul  baiser  l'achèvera 

En  un  suprême  alléluia  ! 

Effrayant  rêve  qui  me  brise. 

Qu'il  nous  porte  sans  défaillir, 

Denyse,  mais  rien  que  l'espoir 

De  voir  telle  aurore  nous  luire 

Est  plus  bel  encor  que  son  rêve  : 

Ah,  plutôt  ,  jamais  ne  s'achève 

Ce  rêve  d'un  sublime  soir  ! 


—  122 


A  VILLE  AUPRES  DU  BOIS  DORMANT 


—  Lunéville  toute  en  dentelles. 
Somnole  en  ton  somme  éternel; 
De  tes  cloches  perpétuelles 
Vainement  palpitent  les  ailes  : 
Leur  battement  sans  fin  t'appelle 
Sans  t'éveiller  de  tes  dentelles. 


Lunéville,  ville  nulle, 
Quand  tes  cloches  tinnabulent 
Avec  les  VOIX  effacées 
De  vieillardes  somnambules 
Le  glas  des  gloires  passées, 

Je  m'écoute  les  entendre  ; 
Un  engourdissement  tendre 
Ensommeillé  ma  pensée  : 
Plus  rien  ne  sais-je  qu'étendre 
Au  lit  la  pauvre  harassée. 

Ou  sinon  je  déambule 
Sans  but  ni  fin,  lente  bulle, 

—  123  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Eau  sur  la  vitre  chassée, 
Rêvant  de  cédule,  bulle, 
Lettre  de  la  fiancée, 

Lunéville,  ville  nulle. 

Quand  tes  cloches  tinnabulent 

Vos  glas,  ô  gloires  passées, 

Avec  les  voix  effacées 

De  vieilles  fées  somnambules. 


124 


MASQUES 

—  Avecque  des  crin-crins  et  des  tambours  de  basque. 

—  Les  ménines  de  LunévlUe 

Font  des  altesses  en  exil 

Quand  elles  marchent  par  leur  ville  ; 

Je  ne  sais,  ne  me  veux  défendre 
D'un  souvenir  puissamment  tendre 
De  vous,  mes  déesses  des  Flandres, 

Et  toujours  autant  m'ensorcèlent 
Les  vestales  que  les  donzelles 
D'Anvers,  de  Liège  et  de  Bruxelles  ; 

Et,  frau  X...,  que  j'appréhende 
Nommer,  m'apprit  comme  est  gourmande 
L'hospitalité  allemande  ! 

Paris,  universelle  hôtesse 

Tout  m'offrit  :  des  rouges  Suissesses 

Cuirassées  d'argent,  aux  négresses 

-  125  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Luisantes  d'huile  de  coco  ; 

Américaines  viragos, 

Et  houris  de  bouge  à  mocos, 

Et  sataniques  Javanaises, 
Et  créoles  couleur  punaise. 
Et,  joue  en  crème,  Japonaises, 

Et  Carmen,  oui,  la  vraie  Carmen, 
Accroche-cœur  à  tout  hymen 
D'une  heure  et  moins,  criant  Amen  ! 

Et  les  flambardes  de  la  Frise 

Et  leur  casque  d'or  où  se  brise 

L  astre  d'or  sur  crins  d'or  qui  frisent  ; 

Et  Varsoviennes  en  chapskas 
Battant  des  marches  de  Glinka 
Sur  l'infernal  harmonica  ; 

Chaudes  prostituées  du  Caire 

Au  ventre  de  cuivre,  et  Mouquères 

Trépidant  au  train  des  nacaires 

(Et  trop  beaux  éphèbes  kabyles 

De  torse  effrontément  fébrile. 

De  croupe  effrontément  mobile  !) 

—  126  — 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Et  tant  d'autres,  et  plus  encore, 
Bouillantes  comme  le  phosphore, 
Virginales  comme  l'aurore  : 

Mais  nulle  n'a  surpris  mon  cœur 
Que  la  fiancée  et  la  sœur. 
Nulle,  nulle,  ne  fut  la  fleur. 

Nulle  la  vierge  en  mon  église. 
Ma  souveraine,  mon  exquise  : 
Nulle  ne  me  fut  ma  Denyse  ! 


—  127 


GIGUE  POUR  ENTERRER  LA  XII«  NUIT 


—  Baisez-moi  donc,  ô  mon  amour 
Nos  vingt  ans  ont  si  bonne  grâce  ; 
Jeunesse  ne  dure  qu'un  jour. 


—  De  Noël  en  Epiphanie 
Gronde,  bruit,  clame,  quémande 
La  pompe  orgiaque  et  gourmande, 
Et  l'année  d'hier  est  finie  ! 

On  bâfre,  on  baille,  on  gueule,  on  boit. 
Se  gave  de  vins  et  de  vœux  : 
Demain  volcan  sous  les  cheveux 
Et  pituite  et  l'horreur  de  soi. 

Mais  on  prit  quinze  jours  de  joie 
Olympienne  et  sans  limite  : 
Fièvre,  grippe,  amour  et  pituite. 
Migraine  et  les  affres  du  foie. 

Est-ce  donc  acheter  si  cher 
Ses  deux  sous  de  divinité, 

—  128  — 


LA   GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Et  la  larme  d'éternité  ^ 

Où  noyer  les  pleurs  de  la  chair  ? 

—  Moi  j'enivre  de  jus  de  phrases 
Et  poésie  impétueuse 
Mon  immortelle  radoteuse 
D'âme  immortelle  qui  nous  rase, 

Comme  on  rechasse  du  soulier 
Par  souci  de  tranquillité 
Le  chien  chassé   trop  entêté 
A  braire  sur  notre  palier  : 


Car  raisonner  est  tant  stupide 

Et   présomptueusement   dupe 

—  (Qu'en  dit  mon  Salomon  en  jupe  ?  ) 

D'un  quant-à-soi  fat  et  candide, 

Que  j'aspire  avec  volupté 
Aux  carnavals  de  bonheur  fou 
Que  nous  mènerons  l'instant  où 
Nous  ferons  notre  volonté 

(Nous  :  elle  et  lui)  d'être  une  double 
Animalité  bien  naïve 
Révoquant  par  tendresse  active 
La  fausse  Raison  fade  et  trouble  ! 

—  129  — 


LA-HAUT  SUR  LA  MONTAGNE 


—  Le  vieil  amour  est  au  cercueil. 
Un  amour  jeune  à  la  place  s  installe. 


—  Le  haut  cri  des  locomotives, 
Nostalgique,  me  suit  ici  ; 
Il  éperonne  et  me  ravive 
Un  hélas  immortel  souci  : 
Je  me  représente  en  route. 
Me  représente  arrivé. 
Puis  je  m'éveille,  j'écoute, 
Et  cloute  si  j'ai  rêvé  ; 
Je  somnole,  enfin  m'endors 
Afin  de  rêver  encore. 

Je  mène  en  héros  mon  deuil  ; 
Espérances  et  souffrances, 
Rêves,  transes,  vanités. 
Au  cercueil  qui  les  appelle. 
Pêle-mêle  ai  tout  porté. 

—  130- 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Par  la  pelle  et  la  truelle 

Je  comble  et  scelle  le  trou, 

Puis  l'esprit  vide  et  léger, 

Je  repars  sans  savoir  où. 

Par  les  insectes  rongé. 

Le  cœur  sourdement  mûri 

Se  gonfle  et  disjoint  les  planches 

Et  la  terre  lui  sourit  ; 

En  mille  fleurs  bleues  et  blanches 

Leur  inceste  se  résout  : 

C'est  après-demain  dimanche. 

Gai,  mon  cœur,  marions-nous  ! 

Mornes  fastes,  creuses  phrases, 

Chétives  apothéoses. 

Et  plus  futiles  extases, 

C'est  là  tout  ce  que  j'expose  : 

Des  phrases,  des  phrases,  des  phrases  ! 

Je  baigne  ma  fainéantise 

De  soleil  jeune  et  pour  moi  vieux  ; 

Mon  cœur,  papillon  blanc  ou  bleu. 

Voltige  au  hasard  d'une  brise... 

(Des  phrases,  des  phrases,  des  phrases  !) 

Mon  âme  immortelle  s'occupe 
A  supputer  les  minutes, 

—  131  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Les  quarts,  les  demies,  les  heures  ; 
Je  bourre  mon  cœur  d'étoupes 
Pour  engourdir  ma  douleur. 

Et  je  dors  encor,  je  dors, 
Je  dors  pour  rêver  encore 
Qu'à  même  tes  bras  je  dors 
(Oh  les  menteuses  délices  !) 
Et  les  heures  s'alangulssent 
Et  retordent  mon  supplice. 

Mille  princesses  du  soir, 
Moustiques  et  libellules. 
Me  chuchotent  à  l'oreille 
Sans  me  sortir  de  torpeur  : 
Qu'elles  sont  lourdes,  les  heures  ! 
J'en  suis  à  ne  plus  savoir 
Si  je  dors  ou  si  je  veille  : 
L'œil  clos,  les  jeux  du  soleil 
M'accueillent,    multicolores. 
Tout  comme  un  de  la  famille  : 
En  serais-je,  par  hasard  ? 


132  — 


ODE  A  LA  JOIE 


—  Dies  irœ,  dies  illa. 

—  Alléluia! 


—  Si  l'amour  est  ténèbre  et  chute, 
Qu'il  soit  rédemption  aussi  ; 
Que  l'esprit  avec  la  chair  lutte, 
La  subjugue  et  prenne  à  merci  ; 

Que  soient  nos  noces  nos  ténèbres 
Où  de  nous  tout  communiera  : 
La  férié  pascale  et  funèbre 
Qui   nous   sancti -sacrifiera  ; 

Qu'autel  et  chambre  de  torture 
Le  lit  nuptial  à  la  fois, 
Et  nos  chairs  selon  la  nature. 
Commune  hostie  à  toi  et  moi  : 

Hostie  humaine  expiatoire 
Expirant  pour  ressusciter, 

-  133  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Martyre  intime,  intime  gloire, 
Où  nous  saignerons,  rachetés. 

Tu  diras  :  —  J'ai  peur  de  moi-même 
Et  de  toi  :  où  m'emportes-tu  ? 
Je  tremble  et  cependant  je  t'aime. 
Ma  vertu  n'a  plus  de  vertu. 

—  Epouse,  moi  aussi  je  t'aime 
Et  j'ai  peur  aussi  :  vais -je  au  mal  ? 
Qui  suis-je  et  suis-je  encor  moi-même. 
Ou  l'originel  animal  ? 

Peur  de  ton  égaré  silence. 
Et  de  tes  yeux  ;  comme  un  essaim 
D'oiseaux  épouvantés  s  élancent 
Ton  mâle  coeur,  ton  frêle  sein  ; 

Yeux  grands  ouverts  qui  me  contemplent, 
D'où  vos  reproches  résignés  ? 
Fenêtres  sublimes  du  temple, 
Est-ce  par  moi  que  vous  saignez  ? 

Dois-je  en  cette  blancheur  empreindre, 
En  ce  corps  sacré  jusque-là, 
Les  feux  que  rien  ne  peut  éteindre, 
Du  baiser  qu'on  n'efface  pas  ? 

-  134- 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Endormez-vous,  Mademoiselle, 
Petite  sœur,  réveille-toi  : 
Au  bols  irons-nous,  fais-toi  belle, 
A  tout  à  l'heure,  embrasse-moi.  ' 

—  Que  fait  donc  mon  bien-aimé  ?  reste  ! 
Notre  destin  est  arrêté  : 

Qu'il  tourne  ou  splendide  ou  funeste. 
Votre  place  est  à  mes  côtés  ; 

Mon  époux  je  remets  mon  âme 
Entre  vos  mains,  et  pour  mon  corps, 
11  est  votre  corps  :  prends  ta  femme. 
Et  disposes -en  sans  remords. 

—  S'il  est  vrai,  si  je  suis  ton  maître. 
Quel  sceptre  terrible  à  porter  ! 

Je  chancelle  de  tout  mon  être 
Sous  ma  responsabilité. 

Moi  qui  sais  si  peu  me  conduire 
Et  va  et  vient  :  où  ?  ne  sait  pas, 
Quel  guide,  moi,  viendra  m'instruire  : 
Quel  ange  ?  ou  quel  démon,  hélas  ! 

Mais  toi-même  le  prophétise. 
Un  destin  marche  devant  nous  : 

—  135  — 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Que  son  étoile  nous  conduise 
Jusqu'au  seuil  redoutable  et  doux  ; 

Où  que  mène  la  voie  ouverte, 
Entrons-y  sans  considérer, 
Sinon  le  ciel,  d'une  aile  alerte. 
Côte  à  côte,  vers  ses  clartés  ; 

Qu'une  radieuse  démence 
Nous  élance,  sens  et  désirs. 
Ne  sachant  plus  si  c'est  souffrance 
Suprême,  ou  suprême  plaisir  ; 

Sois-moi  proie  et  reine  et  maîtresse, 
0  vierge,  dussions-nous  payer 
La  bravade  de  nos  ivresses 
Du  prix  de  notre  éternité  ! 

Dans  leurs  fluidités  lointaines. 
Tes  cheveux,  je  veux  prolonger 
Mes  ongles  comme  des  antennes 
Au  long  desquels  vont  s'échanger 

A  travers  nos  nerfs  qui  s'imprègnent, 
Les  magnétismes  du  bonheur, 
Tandis  que  mes  dix  doigts  te  peignent, 
Et  tedescendent  jusqu'au  cœur  ; 

—  136  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Fouler  le  jardin  de  ta  nuque 
Eperonnée  de  sourds  frissons, 
Qu'un  délire  et  l'attentat  brusque 
Restitueront  en  pâmoison  ; 

Lever  au  pli  de  ton  aisselle, 
Mousse  au  creux  du  plus  doux  des  nids, 
Les  frisselis  d'ambre  où  sommeille 
Un  crépuscule  d'or  bruni  ; 

Mais  !  ton  front,  la  plus  chaste  ivoire. 
Où  rien  de  vil  n'a  rien  tracé, 
Est  l'oasis  où  j'irai  boire 
Paix  et  lumière  en  tes  pensers, 

Et  puis  les  soutirer  encore 
Aux  deux  astres  de  tes  deux  yeux 
Dont  ma  bouche  heureuse  vient  clore 
Les  univers  vertigineux  ; 

Ton  oreille  est  la  fleur  exquise 
Sculptée  en  un  corail  vivant, 
Ta  bouche  est  une  friandise. 
Ton  épaule  un  soleil  levant  ; 

Tes  pieds  roses,  leurs  ongles  roses. 
Si  frais,  si  menus  et  si  fins, 

—  137  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Font  se  brandir  l'éventail  rose 
De  dix  ailes  de  séraphin  ; 

Tes  jambes,  deux  hymnes  !  stylites, 
Fébriles,  colonnes  de  gloire 
Pour  le  sanctuaire  où  palpite 
L'autre  cœur,  qu'on  ne  doit  pas  voir  ! 

Raisins,  grenades  :  ta  poitrine 
Succulente,  et  dos  où  se  noie 
Comme  entre  deux  moindres  collines. 
Un  sillon  tracé  pour  la  joie  : 

Neiges,  mamelles  juvéniles, 
Élastiques  sérénités. 
Rayonnement  frais  et  tranquille 
D'une  double  lune  lactée  ; 

Ma  vie,  oh  toute,  y  soit  ravie, 
A  tous  ces  fertiles  pressoirs 
D'où  demain  descendra  la  vie, 
Si  ma  vie  a  dit  :  Oui  !  ce  soir  ; 

Ravie,  oui,  autant,  en  ce  ventre 
Vibrant  et  blanc,  tambour  tendu, 
Lac  où  tremble  un  lotus  au  centre  : 
Attente  du  dieu  inconnu  ! 

-  138- 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Et  c'est  là  !  là  nos  destins  dorment, 
L'éternité  ouvre  sous  nous 
L'écluse  du  vertige  énorme  : 
Je  défaille  et  tombe  à  genoux... 

—  J'ai  soif,  crie-tu  !  Ta  lèvre  gerce. 
Victime  !  En  vain  pour  l'apaiser 
Ma  détresse  amoureuse  y  verse 
Lait,  sang  et  baume  en  un  baiser  : 

Ta  chair  se  lève,  un  dieu  l'entraîne. 
Ton  corps  frais  bouillonne  et  se  tord, 
Et  nos  membres  saisis  de  haine 
S'étreignent  pour  le  duel  à  mort  ; 

Crie  ta  souffrance  et  notre  honte  : 
Sous  l'infernal  plaisir  charnel. 
Dans  un  hoquet  de  sang  remonte 
L'acre  Péché  originel  ; 

Terreur  du  suprême  mystère  ! 
Sur  le  seuil,  là  !  de  l'accomplir. 
Une  angoisse  noire  me  serre. 
Et  je  sens  que  je  vais  mourir  : 

Que  notre  féconde  misère 
Dresse  en  nous  un  temple  si  fort, 

-  139- 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Que  rien  plus  jamais  ne  desserre 
Ce  ciment  fort  comme  la  mort  ! 


Qu'une  radieuse  démence 

Nous  envole  vers  1  inconnu  : 

P  Ïambe,  plaisir  !  chante,  souffrance  ! 

L'heure  de  revivre  est  venue, 

Et,  fleurs  saignantes  que  leurs  plaies 
Purifient  d'un  parfum  béni, 
Mène,  amour,  nos  cœurs  sur  tes  claies. 
Emporte-les  loin  du  fini  ; 

Mourez  de  terreur  et  de  joie, 
L'une  en  l'autre,  chairs  trop  aimées, 
Amour  et  mort,  prenez  vos  proies, 
Ici-bas  tout  est  consommé. 

Et  l'heure  de  vivre  a  sonné  ! 


-  140- 


PARTHENIS 


—  En  mon  jardin  suis  entré. 
Trois  fleurs  d'amour  y  trouvai  : 
Une  en  pris,  deux  en  laissai. 


—  Une  guirlande,  arc-de -triomphe,  ô  fiancée. 

Fleur  à  fleur,  chant  à  chant,  pour  toi  seule  est  tressée. 

Religieusement  cultivées  en  mon  cœur. 

Fleurs  !  leur  sève  est  mon  sang,  ma  joie  toute,  et  mes  pleurs 

Aussi,  bien  que  corolle  autre  n'ayant  voulue. 

Hors  azur,  neige  et  or  pour  la  princesse  élue. 

Dignes,  seules,  du  front  calmement  lumineux 

Où  n'osent  se  porter  qu'en  frémissant  mes  yeux. 

Plusieurs  s'y  mêlent,  et  belles,  mais  que  traverse 

Le  singulier  éclat  d'une  candeur  perverse  : 

Elles-mêmes  semblent  pâlir  et  s'étonner 

D'exister  sur  l'autel  que  j'ose  couronner. 

Mais,  le  cruel  amour  est  tel  :  veut  qu'on  s'arrache 

Cervelle  et  chair,  et  tout  ce  qu'à  soi-même  on  cache. 

Et  les  crache,  baiser,  à  l'autre  demi-dieu  : 

0  toi  !  ô  moi  !  sur  l'univers  seuls  tous  les  deux, 

—  141  — 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Forgeons,  les  immolant,  de  nos  hosties  infimes 
Le  dieu  nouveau  qui  soit  leur  offrande  sublime  : 
Tels  des  encens  impurs  déversés  au  brasier 
Se  transfigurent  flamme,  allant  s'extasier. 
Météore  nouveau,  dans  l'hosanna  des  sphères  : 

Et  donc  ai-je  vraiment  fait  ce  que  fallait  faire. 


—  142  — 


RONDEL  FLEURI 


—  Rossignol  prend  sa  volée 
Au  palais  d'amour  s'en  va... 


—  Tel  l'héroïque  oiseau  vagabond  et  fidèle 
Regagne,  aile  hâtée,  et  son  ciel  et  son  nid, 
Ainsi  moi  vers  toi  qui  appelle. 

Je  m'empresse,  obscure  hirondelle. 
D'un  vol  encor  frêle  et  transi  : 

Plus  ne  fut  joie  en  mon  cœur, 
Morte  l'heure  où  je  te  vis  ; 
Il  me  semble  que  je  vis 

Dans  un  cauchemar  moqueur  : 

Non,  plus  de  joie  ! 

Viens  donc,  vienne,  ô  jour  vainqueur 
Où  sur  triomphal  avis 
Pour  nous  s'ouvriront  parvis, 
Nef  et  sanctuaire  et  chœur  : 

Qu'à  ce  seul  penser,  mon  cœur 

A  plus  de  joie  ! 

—  143  — 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Et  lui,  c'est  le  vaisseau  qui  sans  fin  appareille 
Et  jamais  ne  sut  naviguer, 
Mais  le  tien  est  la  nef  vermeille 
Qui  le  va  gaiement  entraîner 
Jusqu'à  la  rive  des  merveilles. 


—  144  — 


LA  COURONNE  DE  ROSES 


10 


LA   GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Serons-nous  uniment  tous  deux  man  et  femme  ? 

Serons-nous  deux  frères  ?  ma  dame 

Me  voudra-t-elle  son  amant  ? 
Je  n'en  sais  rien  et  c'est  charmant, 
Sans  s'inquiéter  du  comment. 
De  voguer  vers  ce  dénouement 
Qu'on  se  décrit  innocemment. 


—  148  — 


LES  MAINS 

—  Ces  chères  mains  qui  seront  miennes. 

—  Je  chéris  ma  main  gauche  et  l'honore  :  elle  veut  rester 
la  superbe  oisive,  vierge  des  servitudes  de  la  vie  ; 

Elle  ignore  les  étreintes  et  les  serments,  et  toutes  nos  pan- 
tomimes ;  nulle  besogne  ne  la  martyrisa  ; 

Elle  ne  mène  point  la  plume,  ne  pousse  la  charrue,  elle  ne 
lève  même  la  magnanime  épée  : 

Elle  ne  se  souille  ni  d'encre  ni  de  boue  m  d'or,  et  n'a  pas 
besoin  de  sang  pour  s'ennoblir. 

—  L'autre  pourtant,  l'autre  se  verra  lavée  de  ses  misères 
puisque  sur  elle  accepta  de  se  poser,  oiseau  léger  et  tiède,  le 
bras  de  ma  bien-aimée  ;  qu'une  main  menue  s'y  laissait 
emprisonner  ainsi  que  dans  un  nid  ; 

Que  la  souplesse  d'une  chair  s'y  modela,  telles  fois  qu'à  moi 
fut  donné  de  retenir  en  sa  fuite  une  taille  ondoyante  ; 

Mais  !  le  soir  oii  je  l'attirerai,  Elle  toute,  sur  mon  siège 
amoureux  et  que,  servante  heureuse,  la  diligente  mam  droite 

-  149  - 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

enfermera  tout  ce  corps  contre  ma  poitrme,  immergera    au 
creux  de  mon  aisselle  une  petite  tête  chérie, 

Ne  sera-ce  pas,    ô  noble  main  gauche,    à  toi  la  gloire  de    , 
disperser  les  voiles,  ^ 

Les  voiles  gardiens  de  ses  mystères  généreux  ? 


-  150 


LE    GIVRE   SERTIRA   SES    ROSES 
DE   CRISTAL 


—  J'ai  trois  vaisseaux  dessus  la  mer  qui  brille, 
L  un  tout  plein  d'or,  l'autre  de  pierreries, 
Et  le  dernier  pour  embarquer  ma  mie. 


—  De  mousselines  de  Bengale 
Sera  le  pagne  que  tu  foules, 
De  mousselines  de  Bengale 
Sera  ton  peignoir  nuptial  ; 

Un  fermail  d'argent  glacial 
Clorera  ta  gorge  indocile  : 
Un  fruit  rose  éblouit  la  dalle 
Qui  reflète  une  ombre  mobile  ; 

L'ongle  d'un  orteil  lilial 
Agacera  la  blanche  mule  : 
La  fleur  rose  éblouit  la  dalle 
Qu'impérialement   tu    foules  ; 

-  151  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Les  feux  de  la  nacre  et  l'opale, 
Les  nuages  de  gaze  frêle, 
Diapreront  les  fruits  qui  brûlent 
Parmi  l'attente  nuptiale, 

Brûlent  mes  yeux  et  ma  cervelle 
Au  bûcher  gaîment  mfernal 
Des  voluptés  levées  en  foule 
Par  ta  haute  gorge  mobile... 

Des  mousselines  de  Bengale  , 
Des  mousselines  de  Bengale    ... 


-  152- 


CHATEAUX   EN    BELLEVILLE 


—  Si  tu  veux  faisons  un  rêve. 
Montons  sur  deux  parapluies  : 
Je  m'emmène,  tu  t  enlèves, 
A  nous  la  gueurle  de  buis  ! 


—  Nous  aurons  un  lit  en  bois  blanc,  ma  chère. 
Des  budgets  profonds  comme  des  tombeaux, 
Et  nous  conjoindrons  sur  notre  étagère 
Un  kummel  Eclcau  quadruple  zéro 

A  quelque  vin  vieux,  de  l'année  dernière  ! 
Sous  l'humble  Carcel  en  fait  de  flambeau. 
Nous  te  ferons  voir  trente  et  six  lumières. 
Et  Denyse,  grise,  ô  gloire  !  aura  beau 

Répandre  des  yeux  de  vitrail  mystique. 
Bien  vite  écherra  la  minute  unique 
Où,  dame,  à  la  vierge  on  fait  ses  adieux, 

Et  peu  tard,  cher  ange,  entr 'ouvrant  les  portes 
De  ton  infini,  féroce  et  joyeux. 
J'en  dévasterai  les  chastetés  mortes. 

-  153  - 


LENDEMAIN 

—  Réveille z-vous,  belle  endormie. 

—  L'aube  nous  aura  ressuscites,  ce  sera  le  réveil  volup- 
tueusement harassé  ;  l'eau  allègrement  fustige  nos  chairs 
ensommeillées  ;  un  peignoir  aérien  auréole  ta  jeunesse,  et 
ta  grâce  se  développe  dans  la  conque  d'un  fauteuil  pro- 
fond ; 

Ton  torse  se  renverse,  et  ta  tête  mignonne  :  une  cascade  de 
soleil  se  déroule,  ô  merveille  !  ma  mam  atteint  le  peigne  du 
supplice,  et  l'immerge  lentement  ;  | 

Le  double  fruit  laiteux  émerge  des  tissus,  aspiré  vers  cette 
autre  caresse,  et  décharge  vers  moi  ses  effluves  amoureux  ; 

Les  dents  tendres  creusent  les  vagues  lourdes,  en  soutirent 
l'électricité  ; 

Elle  vacille,  la  main  qui  prolonge  le  paradisiaque  supplice  ; 
l'autre  glisse  de  ton  épaule  aux  élasticités  du  col,  sous  les 
velours  de  la  joue  ; 

Prêts  pour  la  cueille,  ta  poitrine  et  ton  ventre  s'émeuvent, 
autres  fruits,  autres  vagues,  et  tes  membres  s'étirent  ; 

Tes   deux   bras    crispés    aux  deux  bras  du  fauteuil,  s'en 

-  154- 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

arrachent,  tentacules  blancs,  attirent  vers  ta  bouche  mou 
visage  obéissant  ; 

Et  nos  lèvres  s'aspirent,  ton  vêtement  se  dissipe  ;  et 
muettement  se  soucient  toutes  nos  chairs, 

0  mon  épouse  bien -aimée,  ô  ma  femme,  ô  la  mère  des  en- 
fants que  je  t'ai  gardés  ! 


-  155 


CLORINDE 


—  Trois  petits  pâtés,  ma  chemise  hrûle. 
Trois  grands  seaux  d'eau  pour  l'éteindre  ! 


—  Clorinde,  ton  armure  baille 
Et  décache  un  lac  blond  et  rose  : 
Par  surprise,  ruse  ou  bataille 
Il  faut  là  que  l'oiseau  se  pose 
Dont  les  deux  ailes  sont  deux  roses  ! 

Hélas  oserai-je  ?  Et  je  n'ose  : 
L'amant  veut,  le  mari  dispose, 
0  l'avare,  il  attend  son  heure. 
Allez,  Denyse  mon  oiselle, 
Le  respect  pour  la  demoiselle 
Que  nonobstant  il  ne  vous  leurre  : 

Sur  la  dame  si  ne  s'oppose. 
On  s'en  vengera  tout  à  l'heure... 
La  dame  s'opposera-t-elle  ? 
0  lac  rose  qu'une  aile  effleure. 
Voici  l'heure,  voici  l'heure... 

Oh,  cette  heure,  oh  quand  viendra-t-elle  ? 
-  156  - 


GIROFLEE  A  CINQ  FEUILLES 


—  Peut-on  être  auprès  du  rosier 
Sans  en  pouvoir  cueillir  la  rose  ! 


—  Comme  ça  pousse,  les  enfants  ! 
En  ce  temps-là  —  parlant  d'un  tout  lomtam  passé 
Denyse  était  rien  plus  qu'un  profil  effacé, 
Une  petite  utilité  sans  conséquence 
Oubliée  en  son  coin  :  si  menue,  en  son  deuil 
Muet  sous  d'éternels  péplums  sans  élégance  ; 
Mais,  farouche,  un  rayon  bleu  jailli  du  grand  œil 
Vous  surveillait  avec  obsédante  insistance. 

Comme  ça  pousse  les  enfants  1 
L'heure  tourna  :  ma  Nysette,  chemin  faisant, 
Tant  se  transfigura  et  si  bien,  qu'à  présent 
C'est  Mademoiselle  Denyse,  aussi  menue 
Qu'alors,  et  pourtant  grand  personnage  1  avatar. 
Avatar  !  glorieuse  et  gaie,  et  devenue 
Si  coquette,  et  pour  moi  !  qu'il  me  faudra  peu  tard 
Lui  inculquer  le  culte  de  la  beauté  nue  : 

Comme  ça  pousse,  les  enfants  ! 

-  157  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Car  il  vient  le  grand  jour,  Denyse  mon  Nysot, 
Où  l'on  vous  plumera  comme  un  petit  noiseau  1 
Sourd  aux  appels  navrants  d'une  pudeur  qui  pâme, 
Impitoyable  comme  un  dieu,  je  vengerai 
Les  griefs  de  ce  pauvre  amour  que  l'on  affame 
Depuis  quatre  ans  et  plus,  quand  je  vous  changerai 
Autre  avatar  !  —  en  femme,  et  montrerai,  Madame, 
Comme  ça  pousse,  les  enfants  ! 

—  C'est  le  vent  qui  vole,  frivole. 
C'est  le  vent  qui  va  frivolant. 


-  158- 


LE  CONCILE  FEERIQUE 

—  Cascadrum  et  Yapiyopu. 

—  Au  clair  de  la  lune, 
Mon  ami  Pierrot, 
Je  boirais  bien  une 
Pinte  de  faro  ; 
Plutôt  m'est  amène 
Un  broc  de  vm  vieux 
De  Lorraine  :  amène. 
Pour  l'amour  des  dieux  !... 

(Aïtchoum  !) 
C'est  le  nez  à  Maman  Berthe, 
Frais  fourbi  du  rémouleur. 
Qui  veut  éborgner  la  lune 
Qui  s'en  gondole  de  peur  : 
—  Une  tête  de  mort,  une  : 
Qu'engloutit  avec  stupeur 
Le  ciel,  noire  écumoire,  empli  de  sauce  verte 

(Aïtchoum  !) 
Pourquoi  laisser,  aussi,  cette  fenêtre  ouverte  ? 

-  159  — 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Au  clair  de  la  lune, 
Doux  ami  Pierrot, 
Me  poussent  des  plumes 
Du  côté  du  dos  ; 
J'attendais  des  ailes. 
Des  plumes,  c'est  mieux  : 
Ouvrez  à  mes  zèles 
Pour  l'amour  de  Dieu  ! 

(Ait  chou  m  !) 
Décidément  il  faut  fermer  cette  fenêtre  ! 

Jacquot  danse,  danse,  danse 
Sur  la  cime  de  ses  reins  ; 
Denyse  fait  pénitence 
Dans   son   rabi-rabicoin  ; 
Fagus  chante  au  bec  de  France  : 
«  Lan-coin-coin-coin.  » 
Jacquot  danse,  danse,  danse 
Le  grand  pas  du  mandarin... 

(Aïtchoum  !) 

Au  clair  de  la  lune. 
Cher  ami  Pierrot, 
Je  pressens  des  rhumes 
Battre  mon  cerveau  : 
Fermez  la  fenêtre. 
Sustentez  le  feu  : 

—  160  — 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Qu'on  voie  un  feu  naître, 
Pour  l'amour  de  Dieu  ! 


Denyse,  je  nous  veux  un  avenir  de  roses, 

D'ambre  et  d  acajou  : 
Viens  !  je  te  vêtirai  de  fleurs,  de  vers,  de  proses, 

Et  autres  bijoux  ; 
Nous  achèterons  de  bien  belles  choses 
En  nous  promenant  le  long  des  bazars  : 
Les  bas-bleus  sont  bleus,  toi,  tes  joues  sont  roses. 
Des  ors  nous  viendront,  par  quels  donc  hasards  ? 
Nous  achèterons  des  diamants  à  treize 

Et  jusque  cent  sous  ; 
Au  printemps  premier  nous  querrons  la  fraise 

Et  quand  viendra  l'août, 
Où  n'est  l'univers  plus  rien  que  fournaise, 
Sur  la  Tour  Eiffel  nous  louerons  des  chaises  ; 
En  l'hiver  boirons  le  kummel  eckau, 

La  chartreuse  verte. 
Le  vin  des  amants,  probablement  l'eau... 

(Aï  te  hou  m  !) 
Cette  fenêtre,  ô  dieux,  s'est  donc  encore  ouverte  ? 

Au  clair  de  la  lune. 
Pauvre  ami  Pierrot, 
Cette  lampe  fume  : 
Viens  faire  dodo; 

-  161  -  n 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Pompe,  pompe,  pompe 
Ton  génie  boueux  : 
Frère  psycho pompe. 
Viens  coucher,  mon  vieux  ! 


-   162  - 


PRISME 


—  Or  une  abeille  volait. 
Qui  de  rose  en  rose  allait. 


—  Un  baiser  de  soleil  se  pose 
Sur  un  casque  qui  se  dénoue  : 
Ta  jupe  en  déteint  sur  ta  joue, 
Ta  jupe  rose,  ta  joue  plus  rose. 

Un  rayon  amoureux  se  pose, 
Et  moi,  un  rouge  au  front  l'avoue, 
Soudain  je  songe  à  autre  chose  : 
Ta  joue  se  fait  encor  plus  rose 
Et  tu  te  lèves  tout  d'un  coup. 

«  Le  mal  d'amour  est  une  rude  peme  : 

«  Quand  il  nous  tient  il  nous  en  faut  mourir  ; 

«  L'herbe  des  prés  qu'elle  est  si  souveraine, 

«  L'herbe  des  prés  ne  saurait  en  guérir  !  » 


—  163  - 


GRAPPES  A  MA  VIGNE 

—  Je  meurs  de  soif  auprès  de  la  fontaine. 


—  Mes  deux  mains  lèveront  deux  coupes 
Où  deux  astres  se  blottiront  ; 
Mes  baisers,  voltigeante  troupe, 
De  l'un  à  l'autre  bondiront  : 

Ah,  que  chacun  d'eux  les  aspire. 
Les  étreigne  et  soude  à  mon  cœur, 
Et  hume  dans  leur  lent  martyre 
Un  anéantissant  bonheur  ! 


—  164  — 


SOIR  DE  NOCES 


—  En  revenant  de  noces 
J'étais  bien  fatiguée. 


—  Ame  et  chair  je  t'ai  pressentie 
A  travers  tes  cuirasses  claires  ; 
Ton  bras,  miraculeuse  chair, 
Ma  main  osa,  et  l'a  pétri  ; 

Et  mes  lèvres  pétri  tes  lèvres, 
Ma  fièvre  soutiré  tes  fièvres. 
Mes  yeux  bu  au  lac  de  tes  yeux. 
Mes  cheveux  mêlé  tes  cheveux  ; 

Mon  flanc  s'écoutait,  oh  pardonne  ! 
Entendre  ton  ventre  sacré. 
Et  lui-même  qui  s  abandonne. 
Je  pressens  qu'il  a  pardonné. 

Je  baisais  ton  front  saintement. 
Comme  une  mère  son  enfant  ; 

-  165  - 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

D'autres  baisers,  hordes  de  loups, 
S'enhardirent  jusqu'à  ton  cou  ; 

Il  est  de  plus  âpres  ivresses 

Où  cœurs,  où  corps,  meurent,  renaissent. 

Où  tant  aigu  est  le  plaisir 

Qu'on  croirait  qu'on  en  va  mourir  ; 

Près  d'elles  celles-ci  ne  sont 
Que  folies  d'enfants  fanfarons  ; 
Et  nous  les  épuiserons  toutes. 
Et  par  torrents,  et  goutte  à  goutte. 

Et  demeurés  chastes  toujours 
Par  la  ferveur  de  notre  amour. 
Ces  prouesses  aventureuses 
*  Ne  seront  pas  tant  précieuses 

Que  ce  bref  éclair  d'un  bonheur 
Si  fort  qu'y  défaillent  nos  cœurs. 
Quand  à  travers  le  tissu  clair. 
Je  t'ai  pressentie  âme  et  chair  ! 


—  166  — 


LE  PRETRE  INTERVIENT 


—  Benedic,  Domine,  annulum  hune... 

Ut  qucE  eum  gestaverit,  fidelitatem  integram  suo  sponso  tenens, 
in  pace  et  voluntate  Tua  permaneat,  atque  in  mutua  Charitate 
semper  vivat. 

Uxor  tua  sicut  vitis  abundans  in  laterihus  domus  tuœ 

Fila  tui  sicut  novellœ  olivarum  in  circuite  menscs  tuœ. 

—  Par  cet  anneau,  Seigneur,  que  vous  avez  béni, 
Qu'elle   pour  lui,  que  lui  pour  elle. 

Prospère  dans  l'état  de  grâce  mutuelle 
Ce  couple  sous  vos  yeux  uni  ! 

Que  1  époux  soit  le  chêne  et  l'épouse  la  vigne  ; 

Que  leurs  enfants  multipliés 
Leur  soient  jusqu'au  beau  soir  où  vous  leur  ferez  signe 

Comme  de  jeunes  oliviers  ! 


—  166  bis  — 


GLOSE  DES  INVITÉS 


—  Buvons  un  coup,  buvons  en  deux 

A  la  santé  des  amoureux, 

A  la  santé  du  roi  de  France  ! 


—  Buvons  infiniment  de  coups 

A  la  santé  des  deux  époux  : 

Il  faut  s'épouser  quand  on  s'aime  ! 

Et  nous  reboirons  dans  vingt  ans 
A  la  santé  de  leurs  enfants 
Quand  ils  se  marieront  de  même  ! 


166  ter  — 


LA  COURONNE  D'ÉPIS 


HYMEN 

—  Deux  étions  et  n  ayant  qu  un  cœur. 

—  Tant  l'âme  d'un  de  nous  est  par  l'autre  comprise, 
Mes  vœux  mavoués  tu  les  as  lus,  Denyse  : 
Qui  viens  d'auréoler  la  froideur  virginale 
De  la  robe  engainant  ce  corps  mon  désespoir, 
Avec  l'auguste  enroulement  du  blanc  peignoir 

Qui  m'apparaît  ta  dalmatique  nuptiale  ! 

—  Vous  voilà  donc  enfin. 
Madame  la  mariée. 
Vous  voilà  donc  enfin 
A  votre  époux  liée. 
Avec  un  long  fil  d'or 
Qui  ne  rompt  qu'à  la  mort. 


-  169  - 


EXTASE 

—  C  était  le  jour  béni  de  ion  premier  baiser. 

—  Mes  lèvres  ont  cueilli  ta  lèvre 
Ainsi  qu'un  fruit  et  qu'une  fleur  ; 
Elle  m'imprègne  de  sa  sève. 
De  son  odeur  et  sa  saveur  ; 

Ah,  me  grise,  ensorcelé,  épuise, 
La  fleur  exquise  que  voilà  ! 
La  molle  flamme  sa  corolle 
Surprend  mon  sang  comme  un  alcol  ; 

Fleur  succulente  et  rouge  et  rose. 
Fleur  aux  deux  pétales  de  braise. 
Fruit  qu'on  suce,  fleur  qu'on  arrose. 
Pulpe  de  framboise  et  de  fraise. 

Lèvre  !  pulpe  élastique  et  chaude, 
Acide  et  fraîche  et  sirupeuse, 

-  170  — 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Poivre  et  sucre,  à  plaisir  m'inonde 
Et  me  déverse  son  amour  ! 


Ma  lèvre  s'écrase,  t'écrase, 
Et  te  voilà  sous  mon  baiser, 
0  généreuse,  qui  t'entr  ouvres 
Et  fonds  en  salive  écumeuse. 

Bienheureuse  martyrisée  ! 


171   — 


SOIR  SUR  LA  TERRASSE 


—  La  lune  s'attristait.  Des  se'raphins  en  pleurs 
Rêvaient,  l  archet  aux  doigts... 


—  La  lune  dispersant  ses  blancheurs  ingénues 

Mène  par  le  ciel  bleu  le  blond  troupeau  des  nues  ; 

Peu  loin  un  violon  languissamment  gémit, 

On  ne  sait  où  :  c'est  comme  une  fleur  défaillante 

Qui,  anonymement,  rend  son  âme  à  la  nuit 

Dans  un  parfum  qui  fasse  un  chant  et  se  lamente, 

Et  plane  obscurément  sous  l'azur  endormi. 

0  tendresse  partout  !  subtile  ardeur  errante  ! 

Un  couple  chat  miaule,  exaspéré  d'amour. 

Un  chien  sentimental  sans  fin  hurle  à  la  Lune, 

En  vain  lui  vouant  son  cœur  de  chien  ;  et,  tambour 

Assourdi,  tout  là-bas  bruit  l'affreux  faubourg  ; 

Les  heures,  d'un  clocher,  s'égrènent  une  à  une. 

Moi,  je  suce  ma  pipe  avec  docilité. 

Humant  l'acre  pétun  à  la  svelte  clarté 

De  la  lune  assoupie  ;  et  contre  moi  Denyse, 

Dans  le  fauteuil  profond  silencieuse  assise, 

—  172  — 


LA  GUIRLANDE   A   L'ÉPOUSÉE 

Nous  rêvons  qu'eût  été  bien  doux  auprès  de  toi, 
Ma  mère,  d'aspirer  la  multiforme  voix  — 
—  Ainsi  submergés  dans  la  caresse  indécise 
Dont  la  lunevoluptueuse  nous  poursuit  — 
Respirer,  si  mélancoliquement  exquise, 
La  voix,  la  vaste  voix  muette  de  la  nuit. 


73 


CLAIR  DE  LUNE  QUAND  LE  CLOCHER 
SONNAIT  DOUZE 


—   Et  l'ombre  de  la  lampe 
Qui  le  long  du  mur  rampe. 


—  Nous  campons  dans  une  demeure  étrange, 

Une  demeure  impossible  !  où  les  nuits 

Sont  au  pouvoir  de  fantastiques  bruits. 

Une  âme  y  hante,  mnombrable,  un  mélange, 

Un  grouillement  d'âmes,  ces  soirs  d'été. 

Nous  ne  nous  sentons  là  jamais  en  solitude  : 

C'est  des  heurts  dans  le  mur,  des  pas,  un  œil  qui  luit, 

La  lampe  qui  s'effare,  et  des  voix  chuchotées  ; 

Notre  hôte  familier  a  nom  l'Inquiétude... 

Des  puces  nous  remembrent  la  réalité. 

—  Une  robe  de  ma  mère 
Fait  la  courtine  du  lit  ; 

—  Elle  sera  la  brassière 
De  notre  premier  petit  ; 

—  Elle  sera  le  suaire 
Oii  nous  serons  réunis. 

—  174  — 


SISTRE 


—  J  ai  tendu  des  chaînes  d'or 
D  étoile  à  étoile,  et  je  danse. 


—  Hélios  grimpe  un  rayon  d'or 
Dérobé  dans  ta  chevelure, 
Et  tendu  comme  un  pont  sonore 
Au  travers  de  l'immense  azur  : 

Et,  joyeux,  glisse  tout  le  long. 
Et  plonge  au  fond  de  ma  prunelle, 
La  chatouille  sous  la  prison 
D'une  paupière  qui  sommeille  : 

Et  je  m'éveille  !  et  fais  bondir. 
D'un  baiser  pervers,  mon  exquise 
Paresseuse,  et  lui  vais  rugir, 
Dans  l'oreille  :  Bonjour,  Denyse  1 


-  175 


ËCOLE  BUISSONNIERE 


■ —  C  est  à  ce  joli  mois  de  May, 
Qui  toute  chose  renouvelle. 


—  Tu  tordras  ta  crinière  à  l'entour  de  ta  nuque, 

0  ma  cavalière  à  rubans  ; 
Fièrement   t'encasqueras-tu   avec  ta   toque, 

Fausse  loutre  ou  faux  astrakan. 
Et  puis  Dieu  lâchera  par  les  champs  et  les  routes 

Ses  deux  beaux  enfants  ! 

Les  herbes  courent  parJ^  plame 

Sous  l'haleine  allègre  des  vents  :  f 

Voici  l'instant,  petite  reine, 

Petite  reine,  viens-nous  en  ! 


\ 


Et  moi  j'enlèverai,  tel  un  dieu,  par  la  taille. 

Le  cher  cœur,  le  corps  adoré, 
La  fleur  énamourée  qui  tressaille  et  bataille 
•    Sous  des  mitrailles  de  baisers  ! 

—  176  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Viens,  nous  nous  roulerons,  fumants,  sur  l'herbe  vierge. 

Je  te  ferai  brouter  des  paquets  de  bluets  ; 

Le  soir  nous  nous  irons  barbouiller  à  l'auberge 

Avec  du  beurre  et  du  lait  frais, 
Et  puis  nous  rentrerons,  chez  nous  :  chez  nous  !  ma  chère, 

Adorablement  harassés  : 

Les  herbes  courent  par  la  plaine 
Sous  l'allègre  haleine  des  vents  : 
Voici  l'instant,  petite  reine. 
Petite  reine,  viens-nous  en  ! 


-  177  -  12 


VOL  PLANÉ 


—  Qu'une  radieuse  démence 
Nous  élance  vers  l'inconnu  ! 


—  0  spasme,  ô  frénésie,  épreintes  de  l'amour  ! 

Ton  sexe,  je  voudrais  me  l'incruster,  ce  sexe. 
Le  faire  anéantir  en  ma  chair  à  son  tour. 
Fleur  Carnivore,  fruit  vivant,  fraîcheur  et  braise. 
Multiple  fraise  offre -le  moi,  à  moi  l'ouvrir. 
Et  que  ma  chair  en  soit  baisée  et  le  re baise, 
Jusqu'à  mourir,  jusqu'à  mourir  ! 

Livre -le  moi  que  je  l'écrase  et  m'y  écrase, 

Je  veux  qu'il  souffre  amsi  que  moi  j'y  veux  souffrir. 

Nous  abîmer  dans  l'agonie  et  dans  l'extase. 

Jusqu'à  mourir,  et  sans  merci  ! 

—  Nous  avons  déliré  ainsi. 

Nous  avons  déliré  ainsi 
Et  plus,  et  plus  encor, 

—  178  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Jusqu'à  sentir  sous  nous  la  mort  ; 
La  transe  d'amour  veut  ceci. 


Y  faut  si  âprement  jouir 
Que  semble  qu'on  en  va  mourir, 
Et  distendre  la  volupté 
Tant  que  joigne  la  chasteté. 
Et  moins  haut  c'est  ignominie. 

L'hallucinante  chasteté. 
Lucide  comme  un  vol  de  cygnes. 
De  la  céleste  pureté 
Eploiera  l'innommable  signe  : 

Pour  l'atteindre  il  fallait  passer 
Le  marais  des  affres  charnelles 
Et  toutes  nausées  surmonter 
Pour  voguer  sous  ses  vastes  ailes  ; 

Tout  traverser,  quoi,  jusqu'au  bout. 
Se  vider  du  sang  et  des  larmes. 
Et  des  sanies  et  lacs  de  boue 
Pour  s'enivrer  du  juste  charme 

Qui  rassérène  et  qui  absout. 


179  — 


ÉPITHALAME 


—  Pourquoi  donner  tant  d  importance 
A  des  choses  qui  n  en  ont  pas  ? 


—  Que  l'amour  soit  un  accident, 
Un  incident  dans  notre  vie  : 
Quand  du  baiser  l'absurde  envie 
Tiendra  notre  chair  en  sa  dent, 

Nous,  à  notre  esprit  défendant, 
La  démusélerons   ravie. 
Et  la  pauvre  bête  assouvie, 
Oublierons  ce  convive  ardent, 

Mais  sans  honte  :  sa  bête  mange. 

Dort,  fait  l'amour,  qu'importe  à  l'ange  ? 

Et  donc,  allégés  de  la  chair. 

Flambants  de  foi  et  de  courage. 
Pour  ourdir  notre  rêve  cher. 
Nous  nous  remettrons  à  l'ouvrage. 

-  180  — 


GAZOUILLIS 


—  Dieu  qu'il  fait  bon  la  regarder, 
La  gracieuse,  bonne  et  belle  ! 


—  Éclat  de  rire 
Dans  la  maison, 
Grain  de  délire 
Pour  ma  raison, 

Doux  collier  d'ambre 
Autour  mon  cou, 
Rose  en  la  chambre. 
Bonheur  partout, 

Denyse,   Nyse, 
Mon  rayon  d'or, 
Epouse  exquise. 
Discret  trésor. 

Plus  belle  encor. 
Et  riche  es-tu 
Que  par  ton  corps. 
Par  ta  vertu. 

-  m  - 


1 


UN  CORBEAU 

.  Tout  à  l'heure  annonçait  malheur  à  quelque  oiseau . 


—  Quand  je  rentre,  écrasé  sous  le  labeur  honni, 

SI  je  ne  trouve  pas  mon  oiselle  en  mon  nid, 

Aussitôt  je  rêve  malheurs  :  d'affreux  présages 

De  leurs  ailes  velues  me  glacent  le  visage. 

Je  vois  le  mauvais  sort  dans  un  coin  accroupi, 

Qui  de  son  œil  vitreux  muettement  m'épie, 

Je  vois  sur  toi  sa  grifïe  s'allonger,  heureuse 

De  nous  faire  payer  nos  joies  vertigmeuses. 

Je  VOIS  fauché  déjà  notre  avenir  béni, 

Et  m'affaisse  en  disant  :  Fini,  tout  est  fini  ! 

Et  soudain,  maternel  et  nuptial  reproche. 

Tinte  jusqu'en  mon  cœur  le  chant  de  ton  approche 

Ce  cœur  bondit  comme  d'un  sépulcre,  en  chantant, 

Vers  tes  deux  bras  ouverts  et  ton  cœur  qui  se  tend. 


A 


182  - 


NUAGE  SUR  AZUR 


—  Voyez  pleurer  la  mariée 

Il  faut  aller  la  consoler 

Bien  vite  avec  un  bon  baiser. 


—  Je  t'ai  fait  pleurer,  ma  Denyse  : 
Oh  la  triste  chose  que  nous  ! 
Lequel  eut  tort  en  son  courroux  ? 
Moi,  hélas,  si  ton  cœur  s'y  brise  : 
Oh  la  triste  chose  que  nous  ! 

Cœur  que  j'afflige 
Et  sans  raison, 
Fleur  qu'à  sa  tige. 
Par  déraison, 
Ingrat,  je  brise  ; 

Frêle  Denyse, 
Fleur  et  roseau. 
Mon  doux  oiseau, 
Endolori, 

-  183- 


LA   GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

De  ce  souris 
Dont  tu  pardonnes, 
Consens  l'aumône 
A  ton  mari  ! 


-  I'8'4  — 


VERTIGE 


—  Vole,  mon  cœur  Vole  ! 


—  Quand  je  contemple  notre  chambre, 
Temple  et  nid,  haillon  et  paillon. 
Je  me  crois  voir  un  papillon, 
Papillon  frileux  de  décembre. 
Ensorcelé  par  ton  rayon. 

Le  myope  ailé,  fou  timide, 
Vers  la  dévorante  clarté, 
Castel  de  cristal  enchanté, 
0  lanterne,  se  rue,  avide 
D'amour,  de  flamme  et  de  beauté. 

Son  aile  grésille,  il  tournoie. 
Du  brasier  roule  au  noir  cristal. 
Sa  tête  fêle,  un  heurt  final 
Du  prisme  aveugle  le  renvoie 
Au  destin  aveugle  et  fatal, 

—  Î85  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Ainsi  moi  frissonnant  poète 
Gravite  autour  de  ta  clarté  : 
Sans  savoir  quel  destin  nous  guette. 
Je  vais  à  ma  fatalité. 


-  186- 


LA  GLOIRE* 


-Seins  de  la  maternelle  et  nuptiale  extase. 
Gonflés  du  riche  lait  qui  monte  et  qui  descend. 


—  La  plénitude  de  tes  seins 

Me  ravit  en  béatitude  : 

Uun  et  l'autre  dans  mes  deux  mains. 

Les  angéliques  assassins  ! 

0  pointes  raides,  fines,  rudes, 

0  piments  à  goût  de  raisins, 

0  plénitude  de  tes  seins  ! 

La  plénitude  de  tes  seins 

M^est  telle  quune  source  vive. 

Je  meurs  d'émoi  sur  leurs  tétins, 

0  plénitude  de  tes  seins. 

Et  m'y  vois  mourir  et  revivre. 

Raisins,  piments,  source  d'eau  vive, 

0  plénitude  de  tes  seins  ! 


(*)  Les  pièces  marquées  d'une  *  et  imprimées  en  italiques  ont  paru 
en  1920,  aux  Éditions  Gallus  sous  le  titre  :  La  Prière  de  40  heures. 

-  F87  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Mon  sang,  mon  cœur,  bondit  soudain 

Vers  le  sang,  le  lait  qui  les  gonfle. 

Et,  voici,  r arrête  soudain 

Ton  ventre  rose  qui  se  gonfle  : 

0  notre  œuvre,  ô  notre  triomphe, 

Espoir  auguste  de  demain, 

0  plénitude  de  tes  seins 

Et  de  ton  ventre  qui  se  gonfle  ! 


—  188 


LA  COURONNE  D'ÉPINES 


LES  TRANSES  * 


—  Une  cloche  tinte  là-bas,  on  ne  sait  où. 


—  De  ces  limbes  inconnus 
Où  sourdement  tu  palpites. 
Du  ventre  là  qui  s'agite. 
Germe  d'âme  poindras-tu  ? 

Quel  ange  innomé  t'envoie  : 
Veut-il  l'absolution 
De  nos  égoïstes  joies. 
Ou  leur  expiation  ? 

Dois-tu  prendre  la  lumière 
Pour  la  déprendre  aussitôt  ; 
Ventre  tremblant  de  la  mère. 
En  veux-tu  faire  un  tombeau  ? 

Ou  si  l'autre,  la  jalouse 
Qui  fermente  là-dessous, 

—  191  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

S'allait  reclore  sur  vous. 
Sur  le  fruit  et  sur  l épouse  ? 


On  s'évade  :  un  souffle,  une  heure. 
Pour  y  redescendre  en  chœur. 
Jusqu'à  l'aurore  immortelle 
Dont  les  cloches  nous  appellent  ! 

0  flamme  d'ici-bas,  reflet  des  clartés  saintes. 
Lueur  frêle  et  sublime,  ô  viehumaine,  éteinte, 
0  vie,  en  quel  instant  !  Devoir  s'apprivoiser 
L'entendement  avec  la  pantomime  triste 
Qui  sombre  au  trou  qu'un  rustre  aviné  va  creuser  ! 
Hors  ma  femme,  pour  moi  rien  ici  bas  n'existe  : 
Elle  est  là  qui  m'appelle  et  f  habite  en  sa  voix. 
Contre  moi  je  la  sens  et  je  la  vois  en  moi. 
Et  ce  soir  ce  ne  serait  plus  rien  !  Une  masse. 
Sans  nom,  hors  notions  de  temps,  d'heure,  d'espace. 
Elle  sera  cette  chose  impossible  :  rien  ! 
Plus  de  souffle  et  de  corps,  plus  même  de  nom  :  rien 
Dont  nous  puissions  nous  faire  une  idée  :  un  néant. 
Le  vide  :  rien  !  Et  quelque  chose  encor,  je  sens. 
Quelque  chose  de  moins  que  rien  !  en  attendant 
L'heure  terrible,  le  grand  jugement  qui  vient. 
Et  par  toi,  tout  cela,  par  toi,  cher  innocent  ! 

—  192  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Oh  !  si  lointaine,  si  impalpable  et  fluide 
Soit-elle,  si  quelque  âme  habite  là  déjà. 
Si  tu  nés  plus  le  sac  de  gélatine  avide 
Et  jet  d'écume  hasardeux  qui  surnagea. 
Que  t'atteigne  ce  cri  d'un  cœur  désemparé  ! 
Reste  plutôt  le  flot  anonyme,  égaré 

Dans  l'obscur  océan  des  limbes  où  tu  baignes  ! 


-  193  -  13 


LES  ANGOISSES 


—  Causa  nostra  lœtitiœ, 
Ora  pTO  r.obis. 


—  Flétries  nos  Pâques  glorieuses, 
Défeuillées  nos  Pâques  fleuries  ; 
Des  blêmes  Pâques  douloureuses 
Tournent  les  mornes  théories  ; 
Tout  bonheur  a-t-il  donc  péri 
Ou  faut-il  espérer  encore  ? 
Notre-Dame  Vierge  Marie, 
Je  suis  triste  jusqu'à  la  mort. 

Pourquoi  ce  cri,  pourquoi  la  mort, 
Faible  moi,  cervelle  oublieuse  ? 
Nous  vous  verrons  fleurir  encor. 
Trésor  des  Pâques  glorieuses  ; 
Pâques  belles,  Pâques  heureuses. 
Vous  renaîtrez,  Pâques  fleuries  : 
Pardonnez  nos  affres  honteuses, 
Et  nos  désespoirs  et  nos  cris, 

Notre-Dame  Vierge  Marie  ! 
—  194  - 


LES  LITANIES 

—  Fort  comme  la  Mort. 

—  Aimer,  c'est  mourir. 
Mourir  pour  renaître  en  l'être  quon  aime, 
Ne  plus  vivre  en  soi,  vivre  à  même  lui  : 
Denyse,  Denyse,  je  t'aime. 

Aimer  est  sentir  plus  ni  joies  ni  peines. 

Ni  ses  haines,  ni  ses  désirs. 
Aimer  est  ne  souffrir,  jouir  ni  sentir 

Quà  travers  l'être  qu'on  aime  : 

Denyse,  Denyse,  je  t'aime. 

Aimer  est,  fût-on  à  mille  et  mille  lieues. 

Être  retourné  par  tout  ce  qui  tourne 
Au  fond  des  destins  de  l'être  qu'on  aime  : 
Denyse,  Denyse,  je  t'aime. 

Aimer  est  sentir  nos  joies  faire  joyeux. 
Nos  chagrins  sentir  faire  malheureux. 
Sans  qu'il  sache  même  en  quoi,  l'être  qu  on  aime  : 
Denyse,  Denyse,  je  t'aime. 

-  195  - 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Aimer  est  jouir  de  souffrir  pour  lui 
Sans  qu'il  sache  rien,  sentir  dans  l'espace 
Ce  bonheur  qui  passe  : 
Denyse,  Denyse,  je  t'aime. 

Aimer,  c'est  aimer,  et  nulle  parole 
Ne  définira  ce  que  c'est  qu'aimer  ; 
Le  sage  y  est  sot,  sot  et  tête  folle 
S'il  n'a  pas  aimé  : 
Denyse,  Denyse,  je  t'aime. 

Le  fol,  l'idiot  a  toute  sagesse. 
Toute  science  l'ignorant. 
L'infâme  toute  vertu  même 
Dans  l'instant  qu'ils  aiment. 
Qu'ils  aiment  vraiment  : 
Denyse,  Denyse,  je  t'aime. 

J'avais  cru  aimer,  j'avais  cru  savoir 
Ce  que  c'est  qu'aimer,  et  jamais  encore  ! 
La  première  fois  j'aime  et  sais  aimer  : 
Denyse,  Denyse,  je  t'aime. 

Ce  que  c'est  qu'aimer  je  n'en  savais  rien. 
Et  pensais  aimer  !  En  cette  minute 
Mon  cœur  distendu  a  compris  enfin  : 
Denyse,  Denyse,  je  t'aime. 

—  196  — 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Ce  nest  ni  désirs,  ni  plaisirs,  ni  luttes. 
Ni  les  voluptés,  ni  les  frénésies. 
Ni  les  jalousies,  leurs  atrocités... 
Denyse,  Denyse,  je  t'aime. 

Ni  la  charité  aux  ailes  immenses. 

Même  pas  souffrir  pour  l'être  qu'on  aime. 

Ni  pour  lui  souffrir,  pour  lui  s'immoler. 

Ce  nest  pas  mourir... 

Denyse,  Denyse,  je  t'aime. 

Aimer,  c'est  aimer,  ne  plus  reconnaître 

Et  ce  qui  est  soi  et  ce  qui  est  lui. 
C'est  le  voir  dans  soi  et  dans  lui  se  Voir, 
C'est  ne  voir  que  lui  dans  tout  l'univers. 
Et  tout  retrouver  l'univers  en  lui  : 
Denyse,  Denyse,  je  t  aime. 

On  aperçoit  alors  qu  on  voit 
Avec  des  yeux  sans  fin  nouveaux. 
On  aperçoit  qu'on  se  voit 
Pour  la  seule  première  fois  ; 
On  aperçoit  luire  la  vie 
Là  où  c'était  avant  la  nuit. 

On  voit  le  mouvement,  la  pensée,  la  lumière 
Où  l'on  flairait  la  mort  ; 

-  197  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Esprit  et  gloire  où  tout  semblait  matière  ; 

On  aperçoit  enfin,  on  aperçoit  alors 
Quon  ignorait  tout  encore  : 
Denyse,  Denyse,  je  t'aime 

Car  Vamour  est  toute  clarté 
Et  lucidité  suprême  ; 
Il  est  pour  l éternité 
Porte  et  clef  de  l'univers, 
Par  lui  réglé, 
A  nous  ouvert, 
Sous  ton  geste,  ô  Divinité. 


1 


1 


198  — 


LYS  ET  L'UN  DE  VOUS  TOUS 


—  Terre,  ouvre-toi!  terre,  fends-toi! 
Terre  s'ouvrit,  terra  fendit. 


—  Être  sublime  est  donc  ta  fonction. 
Ta  fin  et  ta  nécessité. 
Irrésistible  mission 
Servie  avec  naïveté. 
Avec  insouci  :  tel  un  lys 
A  pour  fonction  d'être  pur. 
Pourtant  qu'en  vue  de  son  supplice 
Se  tourmente  un  torride  azur. 


199 


sous  L'HORLOGE  DU  DESTIN  * 


—La  cloche  tinte,  gronde,  appelle,  objurgue  et  somme. 

—  Le  plaisir  s'enfuit  avec  l'heure, 
Le  bonheur  est  une  fusée  ! 

Le  soleil  rit,  l'air  frais  chante  et  palpite, 
Ton  fantôme  habite. 
Cadavre,  en  mon  cœur, 
Sœur,  ma  pauvre  sœur  ! 
Or  et  azur  est  l'étendue  immense  ; 
Je  te  vois  étendue  sur  l'horreur  d  une  claie. 
On  fouille  dans  tes  plaies,  on  fouille  dans  mon  cœur. 
Ma  sœur,  ô  ma  sœur  ! 

—  200  - 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Courage,  ô  sœur,  ma  sœur  navrée. 
Draine  mes  restes  de  vigueur. 
Que  ta  souffrance  abominée 
Y  soit  noyée,  et  nos  douleurs  ! 
Griffes  et  becs  d'un  sort  féroce 
Me  clouent  sans  force  au  loin  de  toi  : 
Je  te  transfuserais  des  forces. 
Si  fêtais  contre  toi,  ô  moi  ! 
En  vain  !  ma  volonté  se  crispe  : 
Faut-il  que  lâche  il  soit,  mon  cœur. 
Faut-il  quil  soit  mol  et  débile, 
0  ma  sœur,  ô  chair  de  ma  sœur  ! 

Je  vois  ma  fuyarde  pensée 

S'attarder  vers  ce  ciel  en  fleur. 

Et  s'y  distraire,  et  t'oublier  ! 

Oh  !  fai  honte  ;  oh  !  ma  sœur,  pardonne. 

Car  tu  le  sens  et  tu  le  vois. 

Que  je  ne  suis  plus  là  :  pardonne. 

Je  ne  souffre  plus  avec  toi  ; 

Mon  faux  courage  {abandonne. 

C'est  à  présent  ce  lâche  cœur 

Qui  pleure  un  secours  de  ton  cœur  !... 

Le  plaisir  s'enfuit  avec  l'heure. 
Le  bonheur  est  une  fusée  ! 

-  201  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 


II 

—  Vulnerant  omnes....  ^ 

—  Contemple-les,  ces  aiguilles, 
Implacables  à  tourner, 
Contemple-les,  ces  faucilles. 
Aciers  de  V éternité  ! 
A  chaque  pas  quelles  tracent 
Sur  le  disque  blanc  et  froid. 
Leur  tranchant  haineux  me  glace. 
Je  les  sens  entrer  dans  moi. 

Les  pas  quelles  exécutent 
Sont  ceux  que  ton  destin  fait  : 
Plus  que  dix,  que  cinq  minutes. 
Plus  qu'une,  et  rien  :  cen  est  fait  ! 
C'en  est  fait,  l'irréparable 
Tombe  dans  l'éternité  : 
Puissances  inexorables. 
Rien  ne  peut  vous  arrêter  ! 


Devise  d'un  cadran  solaire. 

-  202  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Chaque  tic  tac  me  semble 
Un  battement  qui  tremble 
De  ton  pauvre  cœur  : 
Oh  !  Dieu,  quil  va  vite, 
Oh  !  chère  petite. 
Comme  tu  as  peur  ! 
Vois  les  deux  aiguilles, 
Vois  les  deux  faucilles  : 
Comme  elles  travaillent. 
Comme  elles  entaillent 
Ton  cœur  et  mon  cœur  ! 

Oh  !  je  me  méprise 
Oh  !  je  me  sens  lâche, 
Denyse,  Denyse, 
Triste  bien-aimée, 
Quà  cette  heure  on  brise. 
On  massacre,  on  hache  ! 

Je  veux  f  envoyer  du  courage  : 
Du  courage,  je  nen  ai  plus. 
Je  suis  un  moineau  sous  l'orage, 
Muet,  transi,  meurtri,  perdu  ; 
L'heure  tourne  autour  de  ta  vie. 
Et  c'est  pour  moi,  et  c'est  par  moi  ! 
Mon  Dieu  !  dix  heures  et  demie. 
Son  corps  a  le  temps  d'être  froid  ! 

-  203  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Pourquoi  du  soleil,  pourquoi  des  lumières 

Et  des  fleurs  là-haut  ? 
A  bas  ces  flambeaux  :  torches  funéraires. 

C'est  vous  quil  nous  faut  ! 

Nuages  de  neige. 

Là-haut  qui  voguez. 

Triomphal  cortège. 

Ah  !  disparaissez  ! 

Le  bonheur  est  une  fusée  ! 


III 


...  Ultima  necat. 


—  Eh  quoi  !  cette  suée  d'horreur. 
Ce  ruissellement  de  souleurs. 
Ne  s'est  donc  pas  encor  tari. 
Ou  ne  va-t-il  jamais  tarir  ? 
Et  les  destinées  rancunières 
Nous  repoignardent  par  derrière  :. 
Moriere,  i7  faut  mourir  ! 

-204- 


LA   GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

0  mauvaise  fée,  envieuse 
Fatalité,  lâche  et  hargneuse 
Némésis,  scélérate,  gueuse. 
Tous  nos  bonheurs  ressuscites 
Elle  les  reprend,  la  mégère. 
Et  joyeusement  les  lacère. 
Et  les  piétine  sur  la  terre  : 
Il  faut  mourir,  moriere  / 

//  faut  mourir,  il  faut  mourir  : 

Je  t'entends  rire  et  retentir. 

Glas  féroce  à  nous  avertir 

Que  nos  joies  sont  rien  que  désirs  : 

Assez  juste  pour  altérer 

Du  vrai  bonheur,  et  quau  moment 

U étreindre  une  nuée  fuyant, 

La  Mort  nous  ricane  :  —  Viens-t  en. 

Il  faut  mourir,  moriere  ! 

Est-ce  la  fin  de  tes  souffrances 
Cette  fois  ?  Sinistre  espérance  ! 
Le  glas  grince  dans  le  silence  : 
—  Sa  fin,  oui  !  Oracle  abhorré. 
Miel  empoisonné,  ironie 
Funèbre  !  Elle  sera  finie 
Oui,  ta  torture  :  avec  ta  vie  ? 
Il  faut  mourir,  moriere  ! 

-  205  - 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Peut-être  à  cette  heure  es-tu  morte. 
Oh  !  comble  de  Fhorreur  !  la  porte, 
La  porte  qui  s'ouvre  m'apporte 
L'affreuse  annonce  en  Vain  niée 
Et  que  j'attends  !  L'air  sent  la  mort, 
Je  sens  la  mort  :  tout  sent  la  mort. 
Tout  me  hurle  :  la  mort  !  la  mort  ! 
Il  faut  mourir,  moriere  ! 


J'ai,  sans  but,  erré  par  les  rues. 
Ahuri  comme  un  chien  perdu  : 
—  Peut-être  à  cette  heure  on  la  tue  — 
Poignard  tourné  et  retourné  ; 
Je  me  fais  l'effet  d'un  fantôme 
Qui  s'en  revient  parmi  les  hommes. 
Et  la  cloche  brame  et  me  somme   : 
Il  faut  mourir,  moriere  / 

Peut-être,  oui  !  juste  à  cette  heure. 
Cher  cœur,  loin  de  notre  demeure. 
Loin  de  tout,  loin  de  moi,  tu  meurs. 
Loin  de  mon  baiser  imploré, 
Seule,  seule  !  Il  n'y  sera  pas. 
Pour  retenir  entre  ses  bras 
L'âme  sublime  qui  s'en  va  : 
Il  faut  mourir,  moriere  ! 

-  206  — 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Oui,  souffle  sublime,  et  suprême 

Battement  d'un  cœur,  quoi,  pas  même  ? 

De  quoi  sert-il,  ô  Dieu  !  quils  s'aiment 

Comme  on  ne  s'est  jamais  aimé  ? 

La  consolation  dernière 

Ils  ne  l'auront  pas,  et  la  bière 

Te  livrera  veuve  à  la  terre  : 

//  faut  mourir,  moriere  ! 

0  tes  yeux,  étoiles  jumelles. 

Chavirant  aux  nuits  éternelles 

Sans  le  baume  de  mes  primelles  ! 

Tes  lèvres  ayant  expiré 

Leur  pur  souffle  sans  que  ma  bouche 

L'aspirât,  et  sur  cette  couche. 

Ce  cher  corps  que  d'autres  mains  touchent... 

Il  faut  mourir,  moriere  ! 

Et  l'on  me  parlera  de  gloire 

A  conquérir  !  d'ime  mémoire 

A  répercuter  dans  l'histoire. 

Devant  ces  haillons  déchirés  ! 

Ma  gloire  était  quoi  P  ta  tendresse. 

Etait  mon  bonheur  :  alors,  qu'est-ce 

Tout  le  reste  ?  Ah  !  Dieu,  qu'on  nous  laisse 

En  paix  mourir  :  moriere  ! 

-  207  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

—  La  cloche  de  la  cathédrale 
Appelle,  auguste  et  sépulcrale. 
Et  triomphale  et  maternelle  : 

—  Je  tonne,  et  cest  la  voix  du  Maître  qui  f  appelle. 
Je  mesure  ta  vie  et  ta  mort  sous  mes  bonds. 
J'avertis  les  vivants,  f  endors  les  moribonds. 
Et  j'éveille  les  morts  à  la  vie  éternelle. 


IV 

—  Utere  prœsenti,  memor  ultimœ  ^. 

—  Dois-tu  mourir,  est-ce-une  prophétie 
Qui  me  rebat  comme  à  coups  de  massue  ? 
Tu  dois  mourir  et  cest  moi  qui  te  tue. 
Et  mon  amour  te  supplicie. 

Non,  tu  ne  mourras  pas,  ma  mignonne  couleuvre, 
Ton  lézard  ne  veut  pas,  veut  pas  ! 

Tu  reviendras  le  raviver,  pour  que  notre  œuvre 
Mûrisse  ;  tu  ne  mourras  pas  ! 

I .  Devise  du  cadran  solaire  de  Verrières-Ie-Buisson. 

—  208  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Nous  avons  tant  et  tant  d'entreprises  si  belles 
A  bien  mener,  à  mener  loin  ! 

Mon  âme  est  grande,  oui,  mais  débile  et  rebelle. 
Et  mon  courage  moins  que  rien  ! 

Et  sans  ton  doux  soutien,  sans  toi  pour  récompense. 
Plus  ne  m'est  rien,  plus  rien  ici  ; 

Si  tu  t'en  Vas,  si  tu  trahis  notre  espérance. 
Je  n'ai  plus  qu'à  partir  aussi  ! 


—  Les  cloches  du  nord  se  sont  mises  à  sonner 
C'est  pour  votre  femme  et  votre  fils  aîné. 


—  Viens  et  Vas,  et  bats,  mon  cœur. 
Tourne,  tourne,  ma  cervelle  ! 

—  Dix  heures  !  douze  heures  !  quinze  heures 
Sous  ce  martellement  hideux  ! 

Que  les  nuages  sont  joyeux  ! 
Est-il  donc  possible  qu'on  meure 

-  209  -  14 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Quand  chante  tant  de  joie  au  ciel  ? 
Heures,  minutes  et  secondes 
S'attardent  dans  la  joie  ;  le  monde 
Tourne  et  rit,  tout  est  flamme  et  miel. 


Oh  !  lâche,  lâche,  que  je  souffre  ! 
Je  ne  peux  plus  tenir  debout. 
Je  vacille  à  Vair  comme  au  bout 
Du  cierge  la  flamme  quon  souffle. 

Misère  !  mon  corps,  là,  cloué. 
Quand  l'âme  tournoie  et  t'appelle 
Supplice  imbécile  et  cruel, 
Va-t-il,  enfin,  lui,  s'envoler  ! 

J'implore  qu'au  moins  en  esprit 
Vole  à  toi  cette  âme  :  inutile  ! 
L'agrafe  est  solide,  ô  futile 
Fureur,  je  suis  pris  et  bien  pris  ! 

Lui  se  cramponne  à  ses  deux  ailes  ; 
Elle,  s'agite,  essaye  un  vol. 
Et  lui,  demeuré  sur  le  sol. 
Il  l'entend  là-bas  qui  appelle  ! 

—  210  — 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Tourne,  tourne,  ma  cervelle. 
Viens  et  vas,  et  bats,  mon  cœur  ! 

Je  tonne,  et  cest  la  voix  du  Maître  qui  t'appelle  ! 


VI 


—  Ah  dites-moi,  maman  m  amie, 
Quoi  donc  j'entends  sonner  ici  ? 


—  L'horreur  secrète  de  Ténèbres 
Aux  Vendredis-Saints  grelotants 
Submerge  mon  cœur  et  célèbre 
Un  sacrifice  révoltant 

Avec  la  passion  hideuse 

Où  ta  pantèles  sous  le  fer. 

Du  viol  des  chairs  généreuses 

Et  qui  sont  la  chair  de  ma  chair  ; 

0  cloche  !  après  l'heure  des  hontes 
Et  des  deuils,  du  sang  et  des  pleurs. 
Se  pourra-t'il  qu'appelle  et  monte 
Un  jour  de  gloire  et  de  bonheur  ? 

La  cloche  tinte  :  Attends  ton  heure,  attends. ion  heure. 

-  211-  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 


VII 


—  Ah  dites-moi,  maman  m'amie. 
Qui  donc  j'entends  pleurer  ici  ? 

—  De  profundis,  de  profundis  ! 

Je  me  prostré  sous  ton  supplice. 

Des  profondeurs  de  notre  abîme 
Vers  toi,  ma  sœur,  et  pour  nous  jai  crié  ; 
Faut-il  un  sacrifice  et  toi  pour  la  victime 
En  holocauste  toi,  pour  que  fût  expié 

Et  dédié  notre  bonheur  ? 

0  Béatrice  !  ô  Eurydice  ! 
Que  fais-je,  Orphée  impur,  cadavre  que  tu  traînes 
Rivé  par  les  saignantes  chaînes, 
Que  tu  traîne  à  tes  pieds  ailés  ! 
En  Vain  crisperas-tu  tes  ailes. 
Sans  pouvoir,  héroïque  oiselle. 
Hors  des  enfers  nous  soulever, 
0  Eurydice,  ô  Eurydice  ! 

Ma  vaillante,  mon  héroïque, 
Tu  souffres,  tu  saignes  pour  moi. 
Et  tu  souris  comme  autrefois. 
Comme  toujours,  ô  femme,  ô  martyre  stoïqiié, 

-  212- 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

0  Béatrice,  ô  Béatrice  ! 
De  profundis,  de  profimdis. 
Que  remonte  le  clair  jadis. 
Son  innocence  et  sa  délice  ! 

—  Aimer,  cest  mourir. 
Mourir  pour  renaître  en  l'être  qu  on  aime 
Et  ne  plus  vivre  en  soi  et  vivre  à  même  lui , 
Vivants  ou  morts,  enfant  je  t  aime. 
Femme  je  t'aime, 
A  travers  lui  ! 


VIII 

—  //  pleut  doucement  sur  la   ville. 

—  Le  vieux  cheval  blanc 
Sous  le  hangar  tremble  ; 
L'air  est  haletant. 
L'orage  s'assemble 
L'univers  attend. 

Voici  qu'une  trombe 
De  poussière  arrive. 
Où  tout  l'azur  sombre  : 
Et  soudain  remonte. 
Et  s'évanouit. 

—  213  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 
Une  goutte  tombe. 
Silence  sinistre. 

Soudain  un  éclair... 
—  Que  Dieu  nous  assiste  !  — 
Un  coup  de  tonnerre 
Secoue  l'univers. 

Mille  coups  répondent 
Et  mille  éclairs  bleus  : 
Le  ciel  crève  en  pluie. 
C'est  la  fin  du  monde... 


IX 


—  Le  tonnerre  gronde 
Formidablement. 


—  U orage  accablant  le  ciel 
Pèse  sur  mon  être  aussi  ; 
Tout  succombe,  l'air  est  cuit. 
Mon  cœur  nage  dans  le  fiel  ; 
Dans  cette  loque  de  cœur 
L'angoisse  égoutte  du  plomb  ; 
Un  glas  tombe  sur  mon  front. 
Mes  jambes  branlent  de  peur. 
Oh  !  mon  Dieu  ! 

—  214- 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Le  soleil  est  de  cuivre  rouge. 
Les  nuages  de  plomb  noirci. 
Les  arbres  sont  du  vert-de-gris. 
Et  les  vents  une  poix  qui  bouge  ; 
L'air  me  fuit,  je  bois  de  la  fièvre. 
J'ai  sommeil  et  peur  de  dormir. 
Tout  me  harasse  et  tout  m'énerve 
Et  mon  cœur  voudrait  se  vomir. 

J'avale  de  la  laine 
Et  ravale  un  air  mou, 
Je  crache  mon  haleine 
Tant  elle  est  fade  au  goOt  ; 
Crève,  ciel,  en  cataractes. 
Gouffre  là-haut  suspendu, 
Ensevelis  sous  tes  vagues 
Deuils  et  bonheurs  confondus  ; 
EpoumonneZ'Vous,  bourrasques. 
Déluges,  chantez  en  chœur. 
Déversez  vos  torrents  flasques 
Assez  pour  noyer  mon  cœur. 

Gorgez  les  gargouilles. 
Noyez  les  ruisseaux, 
Pleuvez  à  pleins  seaux. 
Flots  d'or,  flots  de  rouille  ; 
Noyez  tout  mon  cœur, 

-  215  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Vagues  furieuses. 
Charriez   rancœurs 
Et  fureurs  boueuses  ! 

Balayez  nos  veines 
Du  vieux  sang  putride, 
Des  fièvres  malsaines 
Et  des  joies  morbides  ; 
Vomis,  ciel,  V éclair. 
Et,  soleil,  tes  flammes. 
Dispersez  les  trames 
De  ma  vie  d'hier  ! 

Mais  sans  fin  les  gargouilles  roulent. 
Dont  les  ruisseaux  des  rues  débordent. 
Des  torrents  qui  tordent,  détordent 
Une  eau  plus  visqueuse  et  trouble  ; 
Et  mon  même  cœur,  tordu. 
Dégorge  pareille  immondice  : 
D'une  onde  pure  jamais  plus 
N'y  luira  la  fraîche  délice  ! 

—  L'air  se  rafraîchit  ; 
L'averse  redouble. 


216  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 


X 


—  //  pleure  dans  mon  cœur 
Comme  il  pleut  sur  la  ville. 


—  //  pleut,  mon  cœur,  il  pleut  à  verse. 
Et  l'on  dirait  que  cest  du  sang. 
Ton  sang  qui  de  ton  flanc  quon  perce 
S'échappe  comme  un  océan  ; 

Le  ciel  pourri  comme  mon  âme, 
Ce  ciel  est  plein  comme  mon  cœur  ; 
Tu  n'es  pas  là,  ma  pauvre  femme. 
Tu  n'es  pas  là,  tu  n'es  pas  là  ! 

Ciel  malade  et  bouleversé. 

Les  Vents  sont  noirs,  sourde  la  pluie, 

Et  les  nuages  pourchassés 

Me  semblent,  vomis  par  la  nuit. 

Les  fantômes  qui  s'enfuient 
De  nos  beaux  jours  trépassés  : 
Le  bonheur  est  une  fusée. 

Le  plaisir  s'enfuit  avec  l'heure. 

Le  bonheur  est  une  fusée. 

On  le  cherche,  il  n'est  déjà  plus  ; 

—  217  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

On  le  cherche,  il  nest  déjà  plus. 
Et  notre  ardeur  s'y  est  brisée  : 
Il  nest  de  grâce  inépuisée 
Que  dans  Notre-Seigneur  Jésus  ! 


XI 

La  cloche  tinte  avec  sa  lenteur  acharnée. 


—  Forces  éternelles. 
Portez-moi  des  ailes, 
Que  je  fuie  vers  elle. 
Vers  la  hien-aimée  ! 

Faites-moi  poussière. 
Que  m'emporte  l'air 
Au  nid  solitaire. 
Ame  désâmée  ! 

Etre  ce  nuage 
Que  résout  l'orage. 
L'oscillant  mirage 
De  cet  arc-en-ciel  ; 

—  218  — 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Veau  de  cette  averse 
Qu'en  feux  d'or  traverse. 
Balance  et  disperse 
Le  soleil  au  ciel  ! 


XII 


—  Oiseau  bleu  couleur  da  temps. 
Revole  à  moi  promptement  ! 


—  Comme  au  fond  des  nues 
Vont  les  golfes  bleus. 
C'est  un  oiseau  bleu 
Qui  m'est  descendu  ! 

Grimoire  menu. 
Menu  chiffon  bleu, 
Mon  cœur  morfondu 
Ne  t'espérait  plus  ; 

Et  je  t'ai  lu. 
Et  m' apparut 
Soudain  tout  bleu 
L'orageux  ciel  ; 

C'était  un  peu. 
Quittant  la  nue, 

—  219  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

De  ce  ciel  bleu 
Dessous  ton  aile, 

Qui  rnest  venu, 
0  billet  bleu. 
Bel  oiseau  bleu 
Tant  attendu  ! 

Toutes  cloches  sont  revenues  : 
Voici  l'heure,  et  par  les  nues, 
0  mon  Dieu,  vos  angélus  l 

Les  nues  se  dissolvent. 
Un  coin  du  ciel  bleu. 
Une  fumée  blonde. 
Enfin  l arc-en-ciel  : 
0  merci,  mon  Dieu  ! 


XIII 


—  Dansez  au  son  de  la  musette. 
Sautez  au  son  du  tambour  n  / 


—  Je  voudrais  me  rouler  par  terre. 
Effondrer  ces  voûtes  de  Verre, 
Tant  je  suis,  tant  je  suis  heureux  ', 
Bondir  à  travers  la  fenêtre  : 

—  220- 


LA   GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Je  m  envolerais  bien  peut-être 
Lui  tirer  sa  barbe  au  bon  Dieu  ! 


Je  voudrais  tordre  des  vaisselles. 
Faire  exploser  cinq  cents  pucelles. 
Danser  sur  les  places  tout  nu  ; 
Lâcher  mots  tant  espovantables, 
Que  croyant  entendre  le  diable 
Luther  tombât  mort  sur  son  schpatz  ! 

Je  voudrais  pleurer,  rire  aux  larmes. 
Embrasser  tout  vif  un  gendarme. 
Trouver  des  vers  ahurissants. 
Crever  par  jeu  toutes  mes  veines. 
Faire  de  mon  corps  des  fontaines 
Pour  enivrer  tous  les  passants  ! 

Je  voudrais  te  tistre  des  voiles 
Avec  le  milliard  d'étoiles 
Qui  dansent  en  rond  dans  les  deux, 
Crier  plein  ta  bouche  :  Je  t'aime  ! 
Et  là  mourir  à  V instant  même. 
Tellement  je  me  sens  heureux  ! 


221  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 


XIV 


—  Les  cloches  de  la  cathédrale 
Tintent  dans  l'air  frais  du  matin. 


—  //  est  né  le  divin  enfant. 

L'agonisante 
A  frémi  : 
Il  est  né  le  divin  enfant. 
Chantons  tous  son  avènement  ! 
Le  ventre  de  la  mère  a  frémi  d'allégresse, 
A  frémi  et  s'est  séparé. 
Et  l'enfant  a  jailli  comme  l'eau  des  promesses 
Chantons,  l'enfant  sauveur  est  né. 
Nous  sommes  tous  ressuscites  ! 

Et  r enfant  a  jailli  d'un  seul  bond 
Avec  l'élan  d'une  prière  : 
C'est  un  enfant  tout  rose  et  blond 
Qui  nous  ressemble  comme  un  frère. 

Et  nous  irons  partout  chantant, 

—  Jouez  hautbois,  résonnez  musettes  !  — 

-  222  - 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Et  nous  irons  partout  chantant  : 
Il  est  ne,  le  divin  enfant  ! 

Ce  puisse  être  la  chanson  douce 
Des  heures,  des  saisons,  des  cœurs. 
Où  filles,  où  garçons,  tout  pousse 
Comme  les  astres  et  les  fleurs  ! 


223  — 


LA  COURONNE  DE  LYS 


15 


BÉNÉDICTION  * 


—  C'est  un  enfant  tout  rose  et  blond 
Qui  nous  ressemble  comme  un  jrère. 


—  0  mon  fils,  de  ce  nom  fose  encor  te  nommer 
Puisque  je  te  sens  mien  pour  encor  quelques  heures  : 
Les  hommes  vont  descendre  en  chœur  te  réclamer. 
Et  tu  seras  leur  proie  jusqu'à  ce  que  tu  meures. 

Ton  nom  sera  porté  sur  un  livre  d'écrou, 

Tu  seras  vacciné  comme  un  bétail  qu'on  marque. 

Et  ton  signalement  t'escortera  partout, 

Jusqu'à  l'embarquement  dans  l'angélique  barque. 

Tu  mangeras  ton  pain  aux  sueurs  de  ton  front. 
Pain  trempé  de  ton  sang,  de  ton  fiel  et  tes  larmes  ; 
Ce  famélique  pain,  comme  tous  en  Voudront. 
Vous  vous  l'arracherez  sous  le  poing  des  gendarmes. 

Ta  femme  et  toi,  pour  dot,  quand  tu  te  marieras, 
Echangerez  le  deuil,  l'cmgoisse  et  la  misère  ; 

-  227  -  15^ 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Le  puits  sans  fond  aux  flancs  duquel  tu  tourneras 
T'apprendra  que  lEnfer  commence  dès  sur  terre. 

Et  vous  vous  aimerez  ;  des  enfants  vous  viendront. 
Et  vous  les  bénirez  comme  je  fais  moi-même, 
Et  sur  vous  sans  vieillir  les  siècles  tourneront. 
Ramenant  chaque  fois  le  sanglotant  baptême. 

Mais  si  Dieu  veut  nous  nous  retrouverons  enfin. 
Déliés  du  fardeau  des  terrestres  misères. 
Dans  le  ravissement  sans  mesure  et  sans  fin 
Et  le  vertigineux  repos  dans  la  lumière, 

Par  delà  la  souffrance  et  les  bonheurs  humains. 


—  228- 


0  BEAUTE,  D'OU  SORS-TU  ? 

—  Quand  se  lèvent  mes  bras  s'agite  l'univers. 

—  «  Ma  femme  !  »  mot  divin  :  où  ne  puis-je  enfermer 
Les  soifs  de  vénérer  qui  vers  toi  me  transportent  ! 
C'est  peu  nos  pauvres  chairs  qui  nous  font  nous  aimer, 
Mais  un  plus  haut  objet  que  ces  chairs  demain  mortes. 

«  Ma  femme  !  »  pesez-le,  ce  mot  d'éternité, 

Comme  il  est  fort  !  Ma  femme  :  et  ce  veut  dire  l'être 

Qui  nous  est  à  lui  seul  toute  l'humanité 

Parmi  tout  l'univers,  tout  ce  qu'on  peut  connaître 

De  l'insondable  et  trouble  univers  d'à  côté, 

L'antre  vertigineux  où  tourne  la  nature, 
C'est  ce  qu'un  tel  mot  :  femme,  à  l'homme  signifie. 
L'énigme  écrite  en  Dieu,  hors  lui  toujours  obscure. 
Que  Dieu  dans  ce  creuset  magique  nous  confie  ; 

Hélice  sans  repos  tournant,  même  et  nouvelle, 
L'énigme  assiège  avec  les  eaux,  la  terre  et  l'air, 

—  229  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Horloge  ce  son  sang,  pri-me  de  sa  prunelle, 

Puis  sous  le  choc  d'un  cœur  se  fait  chair  de  nos  chairs  ; 

Ainsi  voici  qu'en  nous  l'énigme  se  révèle  : 

Quelle  puissance  immense  et  sourde  a  réussi 
A  dissoudre  la  porte  inflexible,  et  nous  tendre 
La  frissonnante  fleur  sans  en  faire  une  cendre  ? 
L'universel  amour  :  toi,  femme  son  messie  ; 

Sous  l'effluve  échangé  comme  court  une  flamme, 

L'irréductible  et  louche  adversaire  devient 

L'intercesseur  universel  et  le  lien. 

Et  l'humain  communie  avec  l'innombrable  âme 

Du  monde  en  cette  hostie  humaine,  un  cœur  de  femme  : 

«  Ma  femme...  »  «  je  vous  aime...  »  et  par  ces  mots  si  doux, 
Où  tout  m'est  expliqué,  où  je  m'éclaircis  tout. 
C'est  un  acte  de  foi  double  qui  se  proclame. 
Et  les  articuler  c'est  nous  mettre  à  genoux. 


—  230- 


FORT  COMME  LA  MORT 


—  Aimez  :  cest  venir  Mai,  le  mois  sacré  des  roses  t 


—  Il  est  revenu  le  jour  de  ta  fête, 
0  ma  bien-aimée  il  est  revenu  : 
Vois,  le  gai  soleil  se  veut  de  la  fête, 
Un  rayon  de  mai  pleut  sur  ton  sein  nu. 

Mon  cœur  apaisé  se  tait  et  révère, 
Qui  devant  ce  sein,  devant  tout  ce  corps, 
A  déliré  tant,  jadis  et  naguère. 
Fier  de  ravager  un  trop  pur  trésor. 

Et  j'ai  assagi  l'ardeur  étonnée 
D'un  époux  vorace,  amant  dissolu  ; 
Ta  chair  nuptiale  au  cœur  m'est  entrée. 
Un  rayon  de  grâce  arme  ton  sein  nu. 

J'adore  ce  sein,  j'adore  ce  corps. 

Et  qu'à  travers  lui  une  âme  m'appelle  : 

—  23]  — 


LA  GUIRLANDE  A  L'ÉPOUSÉE 

Notre  nuptial  et  double  transport, 

Un  seul  timbre  d'or,  un  seul  couple  d'ailes  ; 

Ainsi  nous  haussant  vers  l'aube  nouvelle. 
Au  jour  de  ta  fête  enfin  revenu,  j| 

L'ange  a  démuni  la  bête  éternelle  :  " 

Un  rayon  divin  revêt  ton  sein  nu. 

15  mai  1898. 


(Vers  déposés  dans  un  cercueil  :  3  décembre  1920J 


-  232  — 


LE  LIT 


—  Une  robe  de  ma  mère 
Fait  la  courtine  du  lit. 


—  0  lit  doux  et  sacré,  voilé  de  ses  courtines, 
0  lit  frais,  lit  fleuri,  lit  pénétré  d'encens, 
Lit  calme  et  recueilli  sous  ses  lingeries  fines, 
Lit  nuptial,  lit  fait  pour  l'amour  innocent  ; 

Une  lampe  au  chevet  palpite,  maternelle. 
Et  fait  sans  fin  pour  nous  sa  muette  oraison  : 
Lampe  auprès  de  ce  lit  comme  au  seuil  de  l'autel. 
Car  le  lit  c'est  l'autel  et  toute  la  maison  ; 

D'ors  orangés  où  filtre  un  lent  reflet  d'or  rose 
Sont  tramés  les  tissus  abritant  nos  sommeils. 
Lit  vaste  et  chaste,  lit  fait  pour  qu'on  y  repose. 
Où  l'aube  fait  descendre  avec  Dieu  le  soleil  ; 

Notre  Seigneur  en  croix  éternellement  veille 

Près  de  la  sainte  lampe  éloignant  les  démons, 

Et  les  lits  des  enfants,  bruissants  nids  d'abeilles, 

Sont  pleins  d'anges  gardiens  quand  nous  nous  endormons. 

—  233  — 


PRIERE 

In  mutua  Charitate. 

—  Ma  femme,  mon  suprême  des  bonheurs  sur  terre 
N  est  pas  même  celui  qui  m'épuise  en  ton  flanc, 
Ni  même  d'écouter  ta  soif  déjà  de  mère, 
Boire  la  fécondeur  de  mon  embrassement  ; 

Ni  le  ravissement  de  notre  jour  de  noces 
Et  celui  de  la  nuit  céleste  qui  suivit, 
Ni  l'angoisse  des  nuits  augustes  et  atroces 
Où  ton  ventre  s'ouvrait  pour  délivrer  la  vie  ; 

Et  ni  l'écho  de  tant  de  douceurs  et  de  drames. 
Ni  non  plus  le  reflet  de  ce  matin  béni 
Où  j'osai  dire  :  —  Voulez-vous  être  ma  femme  ? 
Et  tu  me  répondis  balbutiante  :  Oui  ! 

Non  plus  notre  foyer  aux  enfants  purs  et  roses. 
Fruits  de  ta  chasteté  d'épouse,  et  c'est  pourtant 
Par  toi  que  j'ai  connu  cette  ineffable  chose  : 
La  pudeur  des  époux,  le  rire  des  enfants  ; 

—  234  — 


1 


LA  GUIRLANDE  A   L'ÉPOUSÉE 

Mais  dans  ceci  :  de  te  sentir  pelotonnée 
GDiTime  un  enfant  à  naître  au  creux  de  mon  gn'on. 
Songer  :  C'est  la  chair  de  ma  chair  à  moi  donnée, 
Et  sur  nous  sans  vieillir  les  siècles  tourneront  ; 

D'où  cet  espoir  divin  :  que  dis-]e  ?  cette  attente. 
Ayant  donc  tant  souffert  et  tant  de  larmes  bu, 
Mêlant  nos  cœurs,  mêlant  nos  pauvres  chairs  dolentes. 
S'endormir  l'un  dans  l'autre  et  ne  s'éveiller  plus, 

Et  ne  s'éveiller  plus,  épouse,  vierge  et  mère. 
Et  martyre  surtout,  que  dans  les  cieux  sans  lin, 
Sous  le  vertigineux  repos  dans  la  lumière. 
Par  delà  la  souffrance  et  les  bonheurs  humains  ! 


—  235 


FIAT  VOLUNTAS  TUA 


—  J'ai  mis  dans  ton  cercueil,  ma  femme. 
Tout  ce  qui  reste  de  mon  cœur  ; 
La  terre  a  le  corps,  Dieu  ait  l'âme, 
Et  toi,  de  mol  ces  pauvres  fleurs. 

—  Où  sont-ils,  vos  amours  ? 

—  On  les  a  mis  en  terre 

—  Les  verrez-vous  un  jour  ? 

—  Dieu  est  là  et  j'espère. 


—  236  — 


TABLE 


Pages. 

DÉDICACE 9 

5EL0N  Verlaine Il 

La  Couronne  de  Marguerites. 

Dionysia 15 

Matutlna 17 

Une  plume  tombe 18 

Volvitur  Ixion 20 

Ame  sentinelle 22 

Cri  de  guerre  presque  d'été 25 

Sérénade 26 

Aubade 28 

Quadrupedantes 30 

Pantoum  nègre 31 

La  Bradamante 33 

Denyse,  je  vous  aime 35 

Grelots 37 

Ombre 39 

Déchirements 41 

Enigme 45 

Noirceurs,  blancheur 47 

Offrande 50 

-  237  - 


TABLE 

Chanson  de  route 

Cantique  des  Cantiques 

Une  rose  sous  l'arc-en-ciel 

Orgues  dans  le  vent 

Lychnis 

La  Couronne  de  Myosotis. 

A  la  missive  endeuillée 

Carolle  fleurie 

Nocturne 

A  fond  de  cale 

Grand'garde 

Gaston  Phœbus  chante 

Aurore 

Miranda 

A  la  dérive 

Bianca  vestita 

Dict  du  chevalier  qui  se  souvient 

Pantoum 

Elévation 

Trilles 

Odelette  d'avril 

Pimpon  d'or 

Au  buis  bénit 

Carillon  de  Samedi-Saint 

En  la  ville  aux  portes  d'or 

Ode  à  la  fiancée 111 

Vilrimont 118 

Chanson  pour  ma  reine  Mab 1 20 

Au  gui  l'an  neuf,  au  gui  nouveau 122 

La  ville  auprès  du  bois  dormant 123 

—  238  — 


TABLE 

Masques  , ^ 1 25 

Gigue  pour  enterrer  la  XII^  nuit 128 

Là-haut  sur  la  montagne 1 30 

Ode  à  la  joie 133 

Parthénis 141 

Rondel  fleuri 1 43 

La  Couronne  de  Roses. 

Tremblement 1 47 

Les  Mains 149 

Le  givre  sertu'a  ses  roses  de  cristal 151 

Châteaux  en  Belleville 153 

Lendemain 154 

Clorinde 1 56 

Giroflée  à  cinq  feuilles 1 57 

Le  Concile  féerique 1 59 

Prisme 1 63 

Grappes  à  ma   vigne 1 64 

Soir  de  noces 165 

La  Couronne  d'Épis. 

Hymen 1 69 

Extase 1 70 

Soir  sur  la  terrasse 1 72 

Clair  de  lune  quand  le  clocher  sonnait  douze 1 74 

Sistre 175 

Ecole  buissonnière 1 76 

Vol  plané 178 

Epithalame 1 80 

Gazouillis 181 

Un  corbeau 182 

—  239  — 


TABLE 

Nuage  sur  azur 1 85 

Vertige 183 

La  Gloire 187 

La  Couronne  d'Épines. 

Les  Transes 191 

Les  Angoisses 1 94 

Les  Litanies 1 95 

Lys  et  l'un  de  vous  tous 1 99 

Sous  l'Horloge  du  Destin 200 

La  Couronne  de  Lys. 

Bénédiction 227 

0  Beauté,  d'où  sors-tu  ? 229 

Fort  comme  la  Mort 23 1 

LeLit 233 

Prière 234 

Fiat  voluntas  Tua 236 


240  - 
6/BL/07HfCA 


ACHEVE  D  IMPRIMER  LE 
31  OCTOBRE  1921 
PAR  FRÉDÉRIC  PAILLART 
A    ABBEVILLE    (sOMME). 


337^   6    7: 


La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Echéance 


The  Library 

University  of  Ottawa 

Date  due 


Lt 


/ 


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a39003  003962^8&b 


BIBLIOTHEQUE    DU    HERISSON 

FAGUS 
La  Danse  Macabre,  poème. 
La  Guirlande  à  CEpousée,  poème. 

THÉO    VARLET 
La  Bella  Venere,  contes. 

NONCE    CASANOVA 
La  Libertine,  roman. 

P.-J.    TOULET 
Béhanzîgue,  contes. 

TRISTAN    KLINGSOR 
Htanoresques,  poèmes. 

HENRY    MUSTIÈRE 
La  Nouvelle  Frandade  ou  le  Pou  BolcJievik,  satire. 

OCTAVE  JONCQUEL  et  THÉO  VARLET 
Les  Titans  du  Ciel,  roman  planétaire. 

MAGALI-BOISNARD 
Mâadith,  roman  de  l'Islam. 

JULES    ROMAINS 
Le  Fauconnier,  étude  de  peinture  moderne. 


Exemplaires  sur  Alfa  français 7 .  50 

—  Arches 20  — 

—  Hollande 30  — 

—  Japon 50  —