BIBLIOTHÈQUE DU HÉRISSON
(œuvres nouvelles)
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LA GUIRLANDE
A L'ÉPOUSÉE
POÈME
y^MI PAICL
librairie!
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(Dép6i à Pa\
U dVof OTTAWA
39003003962^86
1921
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in 2011 with funding from
University of Toronto
http://www.archive.org/details/laguirlandelOOfail
LA GUIRLANDE
A L'ÉPOUSÉE
JUSTIFICATION DU TIRAGE
II a été tiré :
25 exemplaires sur Japon, numérotés de 1 à 25
50 exemplaires sur Hollande, numérotés de 26 à 75.
175 exemplaires sur Arches, numérotés de 76 à 250.
2.000 exemplaires ordinaires.
La présente édition est l'édition originale de cet ouvrage.
Tous droits de reproduction re'seroéi.
Copyright 1921 iy Edgar Malfère.
BIBLIOTHÈQUE DU HÉRISSON
(œuvres nouvelles)
FAG us
LA GUIRLANDE
A L'ÉPOUSÉE
POÈME
AMIENS
LIBRAIRIE EDGAR MALFÈRE
7, RUE DELAMBRE, 7
(Dépôt à Paris, 1 , rue Vavin, (f an.)
1921
Univp,
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^'^UOTHECA
i^v'/ensis
OUVRAGES DE L'AUTEUR
Chez le même éditeur :
La Danse Macabre (parue en 1920).
Frère Tranquille (à paraître en mars 1922).
Le Clavecin bien tempéré (à paraître en octobre 1 922).
Chez d'autres éditeurs :
Testament de sa vie première, vers (Vanier, 1898).
Colloque sentimental, vers (Société libre d'Editions : 1898).
Ixion, poème (La Plume : 1903).
J eunes fleurs, vers (Revue de Champagne : 1906).
Aphorismes (Sansot : 1 908),
Discours sur les « Préjugés ennemis de F Histoire de France » (Occi-
dent :I909).
Politique de F Histoire de France (Occident : 1910).
La Prière de quarante heures, poème (Editions Gallus : 1920).
Le Jeu-Parti de Futile (La Belle Édition : 1920).
Jonchée de fleurs sur le pavé du Roi, vers (Nou\elle Librairie
Nationale: 1921).
Inédits :
Les Eglogues de Virgile, traduites en vers.
Essai sur Shakespeare.
Ephémérides, poèmes en prose.
Pq
M//
AU LECTEUR
Ce poème entre dans l'ensemble qui, sous l'argument général
« Stat Crux DUM VOLVITUR Orbis », comporte : Le Massacre des
Innocents (publié partiellement sous le titre : Jeunes fleurs : 1906);
La Guirlande à l'Ëpousée, que voici ; Lucifer, machevé ; Frère
Tranquille (inédit, publié dans la Revue de Hollande : 191 8); Ixion^
(édité en 1 903) ; La Danse Macabre (édité en 1 920) ; L'Évangile de
la Croix, et La Croisade de l'Antéchrist (inachevés). Des fragments
de La Guirlande ù l'Epousée ont paru, t>assim,a partir de 1901,
dont La Prière de 40 heures (Editions Gai lus).
DEDICACE
« Benedic, Domine, annulum hune...
Ut quae eum gestaverlt, fidelltatem integram suo sponso tenens,
in pace et voluntate Tua permaneat, atque m mutua Charitate
semper vivat. .
Uxor tua sicut vitis abundans in lateribus domus tuae
Filii tui sicut novellae olivarum in circuite mensae tuœ. »
(SELON VERLAINE)
— Entre les jours noirs
Descend l'accalmie ;
Une aube, une gloire
Monte sur la vie :
Dormez, toute envie.
Tournez, tous espoirs !
LA COURONNE DE MARGUERITES
DIONYSIA
— Lœtius dum sonat in urbe cornu
Maximi festo redeunte lacchi...
— Par la ville à la fois que la trompe en folie
Vomit la gloire de lacchos-Attis-Baal,
Tourne, mâles, femelles emmêlés, l'orgie
Sans mesure et sans fond d'un fumant Carnaval.
Au hasard et tel un fol
Je dévale par les rues :
Bous, luxure ! flambe, al col !
Gésiers, croupes, tout remue.
Le Carnaval caracole.
(Vole, vole, mon cœur, vole,
0 cœur qui as peur de moi !)
- 15 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Tout bas -ventre est en émoi,
Tous ventres sont en gaîté ;
Grelottez, ô nudités.
Voici les spectres de joie
Qu'on amène à charretées...
(Masques, masques, cest les masques,
C'est l'amour et la beauté !)
Débandades de pucelles,
Patriarches en ardeur,
Débarquages de mamelles
Pour les éphèbes en fleur.
Aboiement universel...
(Sans bruit mourir, ô douceur.
Jamais plus ne s'éveiller !)
Tourne, foule, gueuse foule,
Tourne cœur, mon cœur martyr.
Tourne et bats à te briser ;
La pieuvre humaine m'enroule.
Ce cœur voudrait se vomir :
Sur un cœur de fiancée.
Enfant sage s'endormir !
- 16 -
MATUTINA
— Gaspard Hauser chante.
— Que veille en quelque ciel, fée et matutinale,
Etoile inconnue,
L'être par qui pleuvra l'aurore sororale
Tant attendue ;
Qui dans l'ombre où la fleur se crispe et se dérobe.
Sans geste, sans mots.
Glisse, ensevelissant sous l'orbe de sa robe
Tous deuils, tous maux ;
Flamme et femme, ici, là, ma fille et ma fidèle
Et ma grande sœur,
Et que je vive en elle et vive parmi elle.
Soleil, douceur !
Par qui, lavé des baisers de la foule, honte.
Honte, front recuit.
Une aube sur mes soirs, rythme et lumière, monte.
Sans fin, sans bruit !
- 17- 2
UNE PLUME TOMBE
— Les fleurs se montrent sur les tombes
Le temps des chansons est venu.
Et la voix de la colombe
Vient déjà d'être entendue.
— Comme s'allait retraire en son palais de deuil
Mon spectre solitaire,
A l'instant de passer le lamentable seuil
Une blancheur à terre
Interrogea mon œil ;
Et je vis que vers moi frissonnait une plume,
Une plume d'oiseau.
Et de mon cœur déjà s'envola l'amertume.
Délitant le réseau
De ses trames de brume ;
Car rêvant au prodige en osai-je inférer
Le plus joyeux présage :
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
C'était la blanche penne au pur rostre acéré
Pour le plus noble usage,
Et ce bec fatal dirigé
Vers l'huis de mon réduit effleurant son orée
Irréfutablement,
Et sa blancheur se propageait immaculée
Miraculeusement
Sur la brique souillée ;
Elle indiquait ma droite et c'était au matin,
Et l'élevant du rhombe
Rugueux, je reconnus, augure plus certain.
Qu'elle était de colombe.
Une plume tombe.
— 19 —
VOLVITUR IXION
... et se sequiturque fugitque,
— J'aime le mouvement qui déplace les lignes ; j'abhorre
certain équilibre, que vous autres révérez :
Inerte et titubant, cadavres l'un à l'autre adossés, main-
tenus en façon de mannequins lugubres.
L'équilibre ossifiant d'équivalentes énergies, abruties par
cette espèce de duel sans issue :
Oui, j'aime le mouvement qui déplace les lignes ;
— Je hais cette symétrie qui à tout prix se complète, avare
comme les plateaux de balance où Shylock pèse au poids de
l'or du sang de chrétien :
Et la violette m'apparaît noire, et livide la jonquille écla-
tante, dès qu'on éblouit l'une par l'autre ;
Et l'accouplement de Daphnis à Chloé me révolte comme
un inceste.
— Mais je chéris, mais je révère la mouvante effusion
d'ardeurs presque semblables, qui perpétuellement gravitent,
— 20-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
éternellement avides de se joindre et ne se joignant jamais,
Développant un infini de rythmes, infiniment divers, infini-
ment harmonieux : paraboles, hyperboles, courbes s'entre
fuyant sans fin ;
Le chaste approchement d'êtres de même sexe, fraternités
des jeunes hommes, rondes des jeunes filles ;
— Et je t'aime, toi, poitrine menue, buste éphébéen, toi
dont gestes, attitudes, et les jeux de la voix et du visage,
laissent filtrer à travers ta grâce féminine, les virilités félines
du plus noble des adolescents :
Tellement que mêlant tes attributs indécis, je me prends
à m 'interroger sur ta réelle nature.
Et demande si c'est l'androgyne payen qui ressuscite, génie
porte-flambeau de la Mort et la Vie,
Ou l'archange chrétien surnommé Raphaël.
-21
AME SENTINELLE
— Elle est retrouvée
Quoi ? l'éternité !
— Toutes Muses me sont cousinei
Toute Muse avec Mnémosyne
Veut enrichir en tous objets
Mon inépuisable gésine
D'un infini de fols projets.
Et tout tourne dans mon usine ;
Des drames j'ai, des opéras,
Toutes absurdités logiques,
De l'inouïsme à tour de bras,
Tous les vertiges héroïques
Et tous les abracadabras ;
J'ai l'opale et l'aventurine.
Le lion rouge et le cristal.
Le dragon vert, l'aigue-marine.
Et pour le sacre nuptial
Les mousselines de Bengale ;
- 22-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
J'ai mes extases à revendre,
De bleus mensonges cousus d'or,
Et dans un temple sous la cendre,
L'meffable et profond trésor,
De bien plus et bien mieux encor :
Vapeur, auréole.
Avenir sous voiles,
Feux avant-coureurs
D'une aube qui vient ;
Lac aux profondeurs
Fourmillant d'étoiles,
S'agite en mon sein
L'astre de demain ;
Et peuple ce ciel.
Musique entrevue.
Etoile attendue,
La face rêvée ;
Elle est Béatrice
Un soir revenue.
Elle est Eurydice
Hier retrouvée ;
- 23 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Pour que s'accomplisse
La rédemption
Du fils d'ixion
Et frère d'Orphée.
24-
CRI DE GUERRE PRESQUE D'ETE
Aimez, c'est venir Mai, le mois sacré des roses.
— On vous aime, on aime,
Aimez, on vous aime.
Lointaine magie.
Aimez-le de même.
Ce cœur démuni !
On vous aime, on aime,
Aimez, on vous aime.
Mais en voudrez-vous.
De ce cœur qui traîne
Ce corps par dégoût ?
On vous aime, on aime,
Aimez, on vous aime.
Foulez ce cœur fou,
Fàités-lui la joie
De souffrir par vous !
— 25 —
SÉRÉNADE
— La nuit, le jour.
Mon cœur soupire.
— Je soufïre, je meurs de ne plus vous voir.
Je soufïre, j'expire :
Je soufïre, je meurs de ne plus pouvoir
Vous voir, vous écrire ;
Que j'ai de choses, tant et tant.
Ah que, oui, de choses.
Et de nouveaux secrets, pourtant,
A vous dire et n'ose !
Me lier à qui, toujours seul et seul :
Me fier à qui ?
Isolé toujours, et, trouble linceul.
Les foules malsaines !
J'eus voulu ma vie un glaive hautain,
Eus voulu ma vie...
Il espère et veille, attend son destin.
Perclus en sa gaîne ;
- 26 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Le tirer, pourquoi ? en ternir à l'air.
Et pour quelle envie,
Infliger la honte au sublime éclair
D'un clair-obscur veule ?
Tout rompre plutôt, le fer et l'étui,
Tout rompre, tout rompre.
Que de consentir que ses feux aient lui,
Hormis pour vous seule !
27 —
AUBADE
— Mon cœur soupire,
La nuit, le jour.
— Lourd le cœur de haine
On jura, vilaine,
On jura vilaine
De ne plus vous voir...
De ne plus vous voir
Toute une semaine :
Et voyez où mènent
Nos vœux et vouloirs !
0 tout premier soir.
Qu'il fut héroïque
Et se rengorgeait.
Ce tout premier soir !
Mais les hauts projets
— Bernique, bernique —
- 28-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Partaient en panique
Dès le soir d'après ;
Et que davantage
Au matin nouveau :
Tout ce beau courage
Filait à vau-1 eau,
Et ce pauvre cœur,
Fol de maie rage.
Et ce pauvre cœur
Martelait les heures :
Au troisième jour.
Fier de sa faiblesse.
Au troisième jour
On vous réaccourt ;
D'un rien de tendresse
Payez ce retour :
D'un rien de tendresse
Tout ce bel amour !
- 29 -
QUADRUPEDANTES
— Cette main si jolie
Fait palpiter mon cœur.
— On vous souffle zit et zut, feu de paille d'invectives,
Vous ne le re verrez plus, ce sachet à moi trop cher ;
Lourd et veimeil comme un cœur, amoureux comme une
Que revendique votre ire, acerbe et impérative ! Ichair,
Des voix en sourdent, j'écoute : et de vous les sœurs cap-
Où j'entends, où je vois fondre et s'évanouir dans l'air [tives
Sur les ondes du parfum, qui m'enlève, où je me perds.
En rondes de visions, des Denyses fugitives :
Insaisissable caresse, auréole de baisers.
Radieuse nébuleuse, où chacun de vos pensers.
Vers son rivage m'appelle, allègre ou mélancolique :
C'est vous toute que j'écoute et vous seule que je vois.
Quand m'insuffle ses chaleurs l'extravagante relique
Que j'entends malgré vos pleurs, éterniser, fleur, en moi.
- 30 —
PANTOUM NEGRE
— Am, kom, sdrame.
Pique et pique et comégrame.
— Contemple ton ouvrage, ô fille criminelle :
Tu flétris ma manchette et dépouillas mes doigts...
L'azur chante à l'azur la chanson éternelle :
J'irai fumer ma pipe à 1 ombre des grands bois.
Tu flétris ma manchette et dépouillas mes doigts
Par ton orgueil zébrés d'outrageantes balafres...
J'irai fumer ma pipe à l'ombre des grands bois,
Ma pipe au cul si noir que celui d'un vieux Cafre !
Par ton orgueil zébré d'outrageantes balafres
Mon derme a vu périr son charme lilial :
Ma pipe au cul si noir que celui d'un vieux Cafre,
A toi seule je voue un culte, et filial !
Mon derme a vu périr son charme' lilial :
Neige et roses, jardin aboli par la grêle...
A toi seule je voue un culte, et filial,
0 pipe des aïeux au long calumet grêle !
- 31 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Neige et roses, jardin aboli par la grêle !
Puisqu'est la femme un être inane et sans pitié,
0 pipe des aïeux au long calumet grêle,
Clystère ! purgez-moi de l'humaine amitié !
Puisqu'est la femme un être inane et sans pitié.
Contemple ton ouvrage, ô fille criminelle :
Clystère purgez-moi de l'humaine amitié.
L'azur chante à l'azur la chanson éternelle !
Mouss-tram !
32
LA BRADAMANTE
— Elle était si belle
Qu'on la croyait reine.
I
— Sur l'hippogriffe roux au foudroyant poitrail,
Bradamante éblouie erre par la bataille ;
Le glaive fume et monte et redescend, et taille
Dans l'humain tourbillon, saignant et noir bétail ;
Elle rit, la faucheuse, et la lance d'Argail
Reluit, et délaissant l'obscure ribaudaille,
Cloue au sol les héros, ainsi sur sa muraille
Un rustre les hiboux ; elle rit, soupirail
Des enfers, son œil flambe, elle éclate, elle raille.
Meurtrit et rit encor ; sa jeune chair travaille,
Et son délirant cri vient balafrer les deux :
-33 - :
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Si belle, belle alors, la rauque Bradamante,
Que leur âme s'arrache en un sanglot heureux.
Et la vierge se courbe et se voit leur amante.
II
— Amazone mdignée, amsi votre poitrine
Se gonfla, le feu de vos vemes fit un bond ;
Vos cheveux s'embrasaient, orageux escadron ;
Votre œil brûla de lor, une jeune poitrine
Se brandit, enivrant la prison de lustrine,
Un bras virevolta pour venger quel affront :
La noirceur d'un baiser sur ce lumineux front.
Un seul baiser osé sur cette joue divine !
Et qu'elle est brave ainsi, la Belle aux cheveux d'or,
0 ma Clorinde, ô ma Bradamante, et Médor
Rêve à celle qui fut l'Angélique plaintive :
Vous êtes tout cela selon que vous daignez,
— Et Laure, et Béatrice — ou qu'un vent vous captive,
Eve aux dix mille noms qui tous nous font saigner !
— 34 -
DENYSE. JE VOUS AIME
— Dès que mon œil aperçut votre face.
Ma liberté du tout m'abandonna.
— Denyse je vous aime.
Pourquoi, je n'en sais rien ;
Vous l'ignorez de même :
C'est ainsi et c'est bien.
Que la force est subtile
Qui conjugue deux cœurs :
Un seul fruit de deux fleurs
Apparues entre mille !
Nos astres, sous quels cieux ?
Ourdirent nos tendresses :
Des éparses ivresses
D'un mol insoucieux,
Nul reflet en son âme.
Quand tout moi brûle encor
- 35 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Du soir tout trempé d'or
Qui vous sacra ma femme.
Mon cœur vous contempla
Vitrail à la fenêtre ;
A votre msu peut-être,
L'obscur de vous trembla :
Soudamement confuse
(Avions-nous douze ans ?)
Fillette rougissant
Sou's l'émoi qui l'abuse,
Votre jupe étirâtes
Pour voiler vos genoux,
Et je sentis ma joue •
Devenir écarlate ;
Nous pressentions peu
En notre candeur nice
Que c'étaient la prémisse
D'un infrangible aveu :
Hélas ô ma fidèle,
J'ai compris tard assez
Qu'une transe immortelle
Nous avait fiancés !
— 36 —
GRELOTS
— ]c vcuxhâtir pour toi, Madoie, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse.
— J'accumule pour l'idole
Un hosanna de coupoles
Avec tous mes repentirs!..
— Repentirs, de quoi ?
Mes larmes, des vasques creuses
De mes yeux, fuiront : heureuses
Comme du sang de martyrs...
— Martyr, et pourquoi ?
Sois-je, moi, la basilique
Oii brûle, ostensoir unique.
L'ombre de son souvenir...
— Souvenir de quoi ?
Le hasard de sa démarche
Descelle, rescelle l'arche
Où gronde notre avenir...
— Avenir de quoi ?
- 37 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Toute vigueur passe en elle ;
Qu'elle daigne, qu'elle appelle,
Je vaincrai sans coup fénr...
— Tu vaincras, et quoi ?
Ou me sèvre de sa force,
Et m'intimc son divorce
Qu'une heure sonne : mourir...
— Ah, pauvre de toi !
0 bavardage
Pour dire rien ;
Que, belle et sage,
Je l'aime bien ;
Sotte aventure.
Fou morfondu :
Littérature,
Que nous veux-lu ?
38
OMBRE
— // in the night I sleepless lie,
My soûl with sacred throughls supply ;
May no ill dreams disiurh my rest.
Or powers of darkness me molest. ^
— Denyse, Nyse, hymne et fête à Denyse !
L'éternité se retourne en ses yeux,
Son rire halluciné les brises,
Et les soleils en danse irisent
Un arc-en-ciel en ses cheveux ;
L'onde, les roses, les printemps frissonnent
Alentour de l'être chéri,
La pureté des lacs palpite en sa personne ;
Oserai -je être son mari ?
Mon Dieu, si le sommeil me fuit,
Soutiens mon âme de prières,
Préserve-moi des mauvais rêves
Et des puissances de la nuit.
-39-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
J'ai su rendre au néant les incubes lascives
Sous ton reflet surpris m assiégeant corps et cœur,
Qui jusqu'en rêve me poursuivent :
T'invoquer m'a rendu vainqueur.
Oui Denysc, oui, je demeure
— Et je vainquis en t'invoquant —
Digne de toi jusqu'à cette heure :
Hélas, et pour jusques à quand ?
Car j'en ai honte et m'en meurs.
Fièvre d'amour m'a conquis :
Oh, quand je serai ton mari,
Oserai-je être ton amant ?
— 40 —
DECHIREMENTS
... ne m ont pas Irouvé malin.
— Tu m'as égratigné, méchante !
Ta griffe absurdement tranchante
De jeune chat furieux
Lacère ma main saignante,
Puis un grand rire fou qui chante
Te secoue et noircit tes yeux.
Je saigne, c'est du rire.
Rire presque dément :
Ah, douloureuse fille,
Ah, douloureux amant !
Qu'étrange est le démon de ce cœur ingénu
Qui joue avec l'amour comme avec sa raquette !
Quand t'effareras -tu et quand rougiras-tu.
Oui, quand daigneras-tu prendre au sérieux l'amour
Quand seras-tu coquette ?
Peut-être jamais, peut-être quel jour ?
— 41 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Si j'ai froissé, dangereux fou,
Cette épaule, ce tendre cou.
Serré tes poignets avec rage,
— Et j'aurais osé davantage.
Pour quelle honte d'après coup ! —
C'est que l'être enfin s'irrite
Quand l'autre ne comprend pas.
Et le rappelle à l'ordre et semonce bien vite
Quand il veut s'enhardir et tout dire, tout bas
— Hélas, je veux, et n'ose pas ! —
Quoi : ne le vois-tu pas, et qu'en brûlent mes lèvres ?
Oh le ténébreux branle-bas :
L'aveu si franc dont tu me sèvres
Se mue en délire mauvais.
Et sais-je quel démon morbide
Me rend brutal, hélas : brutal comme un timide,
Me rend haineux, me rend mauvais !
Voilà comme en sa détresse
L'esprit malade à toujours,
Exaspéré de tendresse.
Rôde et gémit à l'entour
De l'intangible princesse !
Oui, détresse : je sens alors s'extravaser
Un orageux besoin de te martyriser :
Mon noble esprit, le piteux rôle !
42
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Oh, pardon ! j'ai meurtri torï corps.
Et c'est une tendresse, une caresse encore :
0 tendre fou ! écoute ! ô chère folle :
Tout comme par hasard, oui, mon visage frôle
Ces jeunes cheveux fous, ou bien vient m'assalllir
Le volsmage magnétique d'une épaule
Et parfois — c'est à défaillir ! —
Le contact effrayant de ta gorge menue :
Pâmé presque, ébloui, je respire ce corps
Comme l'exquisité d'une fleur Inconnue,
Arôme si subtil et cependant si fort,
Que du coup, c'est fini, ma raison est perdue,
Je retombe brisé, honteux de mon gala.
Et c'est très immoral, tout ce que j'ai dit là !
Ah Dieu, quelle rançon, quels désespoirs achètent
Ce haillon de bonheur que ]e chipe en cachette !
J image le captif déchiré par la faim
Qui de ses propres dents se dévorait la main,
Car, sache bien, ah je le jure.
Mon audace, et vol clandestin
Et volupté d'un rien dont mon ardeur se leurre,
Caresse enfin, me cingle de cent meurtrissures !
Ah, savoir manquer de respect.
Savoir l'insolence hardie
Qui vous scandalise et vous plaît,
- 43 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Femmes ! unique et sûr secret,
Irrésistible comédie
Que je ne connaîtrai jamais !
Et jamais donc, jamais, jamais,
0 vierges sages, demoiselles.
Cela qu'on nomme les succès,
Et passerai auprès des belles
Pour un garçon mal élevé !
S il ne s'agissait que de celles,
Toutes celles que vous savez.
Mais vous, ô vous, ô sœur élue.
Comment voulez.,, comment peux-tu !
Oh, quand mes doigts pressent ta main,
Au moins, ne fais semblant de rien !...
Mais vous m'allez, fille cruelle,
Foudroyer du regard qui ne pardonne pas,
Et méprisante avec sérénité, resterez celle
Qui ne comprend pas, n'entend pas !
Ah, vous êtes par trop énigme provocante :
Vierge enfant, vierge femme ? on hésite et ne sait.
Sous un sourire, quel secret se prélassait
Sur la lèvre tant ingénument arrogante :
Aucun peut-être bien ? qui sait, hélas, qui sait ?
— 44 -
ENIGME
— Mon jardin était cimetière
Ta tombe était mon lit Je fleurs.
— Je m'exile front bas du portique insulté
— L'aurore a dévêtu sa robe d'hyacinthe —
Les assassins ont profané l'enceinte,
L'image sainte est abattue,
La lampe éteinte,
Au portique où j'étais notre double statue.
Les barbares sont venus
Que je n'ai pas su chasser,
L'aurore s'est dévêtue.
Mes yeux sont prostitués ;
Mais te ravir ils n'ont su,
Pur reflet intérieur ;
De l'image obscure et sainte,
L'aurore s'est revêtue ;
-45 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Dans les gouffres de mon cœur
Elle t'appelle esseulée :
Qu'à jamais elle y demeure.
Voici l'heure des statues.
De sa robe d'hyacinthe
L'aurore s'est revêtue.
- 46 —
NOIRCEURS, BLANCHEUR
— Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
— Ta jeune gorge hier, et fruit presque d'enfant,
Juste émouvait le pur profil de ta tunique
Assez pour m'investir d'effluves séraphiques
Qui battaient en mon sein silencieusement ;
Mais Vénus est passée et tout se transfigure !
Heure à heure j'assiste avec presque terreur
A cette explosion d'animale splendeur
Qui remue à part moi d'autre ferveurs moins pures ;
L'inavoué désir, l'inavouable espoir
Soulèvent tour à tour mes vertus et les brisent ;
La hantise de toi, la mauvaise hantise.
Monte m'ensevelir avec la paix du soir.
Un ténébreux ferment fait bouillonner la couche
D'où l'étoile sommeil d'autrefois s'est enfui.
Ton fantôme trop vrai se fait roi pour la nuit,
Et d'étranges baisers circulent dans ma bouche.
— 47 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Enfin le petit jour me cingle de sa douche.
Et me dresse fiévreux et brûlante la bouche,
L'angélus tinte, et lentement une aube louche
Sur ma honte luit.
Chasteté toute pleine d'yeux d'enfants ! j'appelle
Ton aurore ineffable, ô cuirasse d'azur ;
Conjure le démon infâmement femelle
Qui prend quel masque, ô ciel ! pour ses assauts obscurs.
Fille des calmes cieux, et sur nos insomnies.
Descends baigner ces fronts troubles d'adolescents ;
Eblouis d'un rayon noyant pleurs et sanies.
Le vampire attardé pour soutirer mon sang,
Lucide chasteté ! je dois courber la tête.
Moi, reflété sous ta vengeresse candeur.
Inflexible miroir des prunelles en fête,
En noir crapaud qu'aveugle une averse de fleurs !
0 terreur ! si jamais elle savait, l'élue.
En quel bourbier goulu j'enfonce en gémissant !
Oui, sa pensée, garde sa pensée impollue.
Insoutenable feu de cet œil innocent !
Qu'elle n'en sache rien, que fut ternie l'image
En moi de son impénétrable pureté ;
- 48-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Oh, nen, ne sache rien du lamentable outrage
Dont seule elle pourtant saura me racheter !
Car tu la guériras, l'âme errante, suivie
Par le fouet sépulcral des Ménades d'en bas ;
Tu la reconduiras dans la blanche patrie.
Jeune fille, cette âme en proie aux noirs combats.
Et je devrai baiser la neige de tes pas !
-49-
OFFRANDE
— ... Et j'ordonne
Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau.
— Il faut, il faut que je vous dise !
De moi vous savez tout, Denyse,
Puisque vous savez mon amour :
Tout mal et tout bien en cette âme,
A vous se livre sans détour.
Je demanderai quelque jour :
— Voulez-vous bien être ma femme ?
Mais rien que par formalité ;
Je ne puis croire en vérité,
Que votre exquisité de femme
Ne m'ait compris et pénétré.
Quel autre poison j'alimente !
Depuis deux ans, vous, l'habitante
Qui sans arrêt me hante, eh bien,
De vous je sais tout, ciel limpide,
- 50 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Lac et cristal, azur nitide :
Existez-vous, je n'en sais rien.
Puisque ne sais rien sur vous-même,
Si Ton m'accepte ou si l'on m aime
Si j'existe pour vous enfin !
Comment vous dire, Nyse, Nyse,
La tendresse que je ressens.
Vous dire qu'en elle les sens
N'ont plus d'accent qui scandalise
Un éveil de vierge étonnée ?
Que dire ! saurez-vous comprendre
L'office que je dois attendre
De vous, passante révélée ?
Vers quel faîte, si loin, si haut,
Fier à nous perdre de vertige
Vous emporterai-je aussitôt
Si vous daignez que nous dirige,
Denyse, mon génie ailé ?
Aurez-vous la force surtout
De me soutenir jusqu'au bout,
Moi débile, Ixion infirme.
Sustenter mon pauvre pouvoir.
Et surtout nourrir mon vouloir
D'atteindre la neige des cimes ?
- 51 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Qui sait ? je tremble à l'espérer !
Mais qu'au moins descende laurer,
0 douce mignonne adorée,
Votre grâce un rêve sublime.
Le battement de votre cœur,
Denyse intangible maîtresse :
11 fera de moi quel vainqueur.
Le sacre de votre tendresse !
- 52 -
CHANSON DE ROUTE
— De votre douce haleine
Eventez cette plaine.
— Reine des parvis
Où s'ouvre, où s'éploie
La rose infinie
De toutes mes joies ;
Gardienne éblouie
Du rêve si beau
Qui fera ma vie
Et puis mon tombeau ;
Veille, magicienne,
Marche devant moi,
Sans fin me soutienne
L'appel de ta voix.
Héroïque fille
Qui sera pour moi
Toute ma famille
Et toutes mes joies
- 53 —
CANTIQUE DES CANTIQUES
— Je suis la rose de Saron,
— Que tu es belle, o mon amie !
— La souriante fée à la robe de nacre,
La lune, à l'occident sans bruit s'est éveillée :
Dame Lune se pavane
Au fond de son parc enchanté.
0 reine qui passes, qui passes,
Viendras-tu pas nous visiter ?
A la voûte moirée dont frôlent ses longs voiles
L'invisible vélum de velours assourdi,
Dame Lune éteint une à une
Les frissonnants bouquets d'étoiles.
Eteint sans bruit :
Dame Lune, reine des nues,
Descendras-tu bénir la nait ?
-54-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
A présent qu elle a dissipé
Les étoiles, toutes étoiles,
Au doux rayonnement de sa svelte beauté.
Que voile à voile elle dévoile...
(Dame Lune, reme des reines.
Que tu es belle deux fois nue !)
... La souveraine passe comme un rêve
Sur notre sommeil ébloui.
Distendre de sa plénitude
L'élastique vastitude
De la magistrale nuit.
Extase sans lassitude.
Soulève-nous, soulève -nous !
0 chère Lune à la lueur aimée,
0 grande sœur à la lueur amie.
Un lent phosphore énamouré
Descend de ta blonde mamelle :
Bonne marraine Lune à la lueur amie,
Ensemence d'amour l'univers qui pantèle ;
Baigne son flanc qui t'appelle, anxieux :
La Lune dispersant ses blancheurs ingénues
Mène par le ciel clair le blond troupeau des nues.
-55-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
— 0 mon amie, ô ma petite amie.
Osez et descendez : le jardin vous souhaite,
Qui s'est paré pour vous en fiancé d'avril ;
La Lune épanche en paix ses voluptés muettes
Et le jardin d' amour frémit comme mon cœur ;
Votre silencieuse approche entre les fleurs
Eveillera iardeur de vos sœurs endormies.
La douce Lune en sa robe de nacre
Au fond du ciel navigue avec lenteur.
— Viens dans mes bras, viens, ma petite amie.
Vois, le jardin se languit et t'appelle.
Viens au plus vite, oiseau peureux.
Sous mon aisselle, et sur mon cœur !
Repose, enfant, voici des fleurs,
Voici des fleurs et des chansons :
Mon épousée, déclos ton cœur.
Des mots plus doux que des baisers.
Te berceront.
•
Comme les prés quand Prairial
D'une aile alerte les évente.
Comme la fleur matutinale
Qu'effleure l'aube rosissante.
Sous mes caresses virginales,
- 56-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Tu trembles comme une épousée,
0 chère amante !
La vénérable fée à la robe de nacre,
La Lune, au fond du ciel navigue et nous sourit.
— 0 mon amie, mon amie blonde et rose,
Digue de fleurs à mes baisers.
Sœur des cascades de bruyères
Où le soleil à l'aube s'est posé.
Aux lacs de lys et de roses trémières
Oit s'endort le soleil du soir.
Ta jeune tête s'environne
D'une auréole d'or et d'argent irisé.
La vénérable fée à la robe de nacre,
La Lune, au fond du ciel navigue avec lenteur.
— 0 mon amie si menue et mignonne.
Filleule des contes de fées.
Autour de votre front, réveillées, tourbillonnent
Vcs aïeules les délaissées :
Dames des eaux, dames des bois, dames des landes.
S'envolent, tournoient par bandes
Dans le ciel de vos prunelles
Au bleu pâle et boréal.
57
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
La vénérable fée à la robe de nacre,
La Lune, au fond du ciel navigue et resplendit.
— 0 ma douce, ô ma sage amie,
Sourieme au pâle sourire,
Votre joie m'est plus précieuse
Que les tendresses des princesses
De mes rêves et leurs féeries ;
Mais, régente de ma sagesse
En ses plus purs ravissements.
Votre mélancolie pensive
Est le charme qui me captive
Le plus ineffahlement.
La vénérable fée à la robe de nacre
Sous un dais de plumes s'endort.
Et c'est l'enchantement auguste et redoutable
De la nuit aux sombres trésors.
-58-
UNE ROSE SOUS L'ARC-EN-CIEL
— Et regardait toujours le ciel
Pour voir s il neigerait des roses.
— Satin, nuage, neige, étoile parfumée,
Mystère de blancheur que couve le soleil,
La fleur par votre main tendue, ô bien-aimée.
Rose d'avril imperceptiblement vermeille.
Est tout cela, est autre chose :
Quel roitelet au réveil
Secoua de son bec rose
Une goutte de soleil ?
Sur la rose elle repose,
La rose par vous donnée ;
Et sourire et gaie lumière
Distillés sous vos paupières
A travers vos cils baissés.
Je les retrouve au travers
De la féerie irisée ;
- 59 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Puis je songe qu où je touche
A pu passer votre bouche.
Et tremblant comme un amant,
Baiser à baiser, goutte à goutte,
A travers l'or du printemps.
Je me sens vous boire toute,
Autre fleur à moi donnée !
60
ORGUES DANS LE VENT
— Partons d'un vol silencieux
Et suivons de la nuit l'ombre qui se retire.
— Sans parler, sans but, la main dans la main.
Deux enfant iront par les grands chemins ;
L'azur dans les yeux ils iront sans voir
Les aubes s'ouvrir et blêmir les soirs ;
La main dans la main deux anges lointains
Laisseront voguer l'heure et le destin ;
Ou bien s'en viendront vaguer par les grèves,
Et l'orgue des flots bercera leurs rêves ;
Ils auront l'amour des formes exquises,
Des plaisirs pareils à des friandises ;
Ils sangloteront sans deuil ou désir.
Sans chercher pourquoi, pour le seul plaisir,
- 61 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Emplissant alors l'insondable nuit
A sentir rouler leurs larmes sans bruit ;
Ou parfois laissant distendre âme et corps
Sous les voluptés où souffle la mort.
Et dans tout cela hautainement chastes,
Deux enfants perdus des suprêmes castes.
62
LYCHNIS
— Psyché...
— Plus qu'ilne faut pour éclairer
Elle se penche sur la rampe ;
Les doigts blancs élèvent la lampe ;
Je m'enhardis à l'attirer
Contre moi, et le cher cœur frôle
Mon cœur, et ma main sur l'épaule.
S'ose, peureux oiseau, poser.
Et sur la bouche qui m'accueille,
Ma bouche, et tout mon être cueille
La fleur terrible d'un baiser.
Immensité d'une seconde,
Et SI cuisante et si profonde.
Que SI son extase durait,
A perdre souffle en son haleine.
Encore une seconde à peine.
Il me semble que je mourrais.
— 63 —
LA COURONNE DE MYOSOTIS
A LA MISSIVE ENDEUILLÉE
— Et moi qui ne sais pas lire.
Je sais bien quoi ya dedans;
Elle écrit c'est pour me dire :
Ami, je vous aime tant !
— C'est l'hironde, l'hirondelle
En robe ml-blanc et noir :
Elle m'apporte avec elle
Un peu de deuil, tant d'espoir !
-67
CAROLLE FLEURIE
— Les prés ont des fleurs
Jaunes et vermeilles.
Moi j'ai dans mon cœur
Une fleur dorée.
— Voici pour joindre la Guirlande
Des fiançailles fleur sur fleur :
Voici la Sauge et la Lavande ;
Voici la Bruyère des brandes ;
C'est pour nos haltes sur la lande
Où la mer grande boit ses pleurs ;
Au fond des neiges nuptiales
Voici la Violette frileuse
Et ses fourrures, mousses vertes,
Blottie en timide amoureuse
Que son seul parfum déconcerte :
Ainsi vos puretés s'exhalent ;
68
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Voici, filleule des hivers
Et du printemps la fiancée,
La glaciale Primevère ;
Voici la céleste Pervenche :
Et c'est l'amante qui se penche.
Vers l'amant tremblant et glacé ;
Voici l'alerte Coucou jaune.
Chapeau-chinois du messager
Avril, qui lustre sa couronne
Qu'effeuille mai, dès que fleuronne
L'Aubépine, où vient voltiger
Ton amour au souffle léger ;
Voici la reine Renoncule,
Auréole à l'étang qui dort :
Pour le crépuscule et l'essor
De nos rêves où s'accumule.
Tandis que sombre un passé mort.
Un avenir d'immense aurore ;
Voici l'étoile Marguerite,
D'or toute, aux vibrements d'argent
Qu'un halo de rubis agite.
Qu'iront nos vœux interrogeant :
C'est pour les transes que suscitent
Les bourrasques d'un sort changeant ;
- 69 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Milliers de prunelles pensives
Où s'égouttent des cœurs blessés,
Voici, des légendes plaintives,
Les Myosotis des délaissés :
C'est pour nos cœurs qu'ont traversé
Si cuisants deuils pour joies si vives
Voici, Veilleuses de Marie,
Les fleurs des vierges sans mari.
Lampes des veuves palpitant
Au catafalque des prairies
Quand tinte l'automne expirant :
Et c'est pour nos mélancolies ;
Et voici le Lys pour l'histoire
Du lys qui s'entrouvre vers moi ;
Voici la Pensée en mémoire
Du soir qui la promis à moi ;
Et voici la Rose en sa gloire,
Pour l'autre soir que j'entrevois !
Et voici des Pensées encore :
C'est pour que vous pensiez à moi.
- 70
NOCTURNE
— Va, m ami, va : la lune s éveille.
Va, m ami, va : la lune s en va.
— La route est d'argent sous la lune :
Viens rejoindre notre fortune,
Viens, ma Nyse, tous deux ainsi,
— La route est d'argent sous la lune —
Ainsi qu'un chacun sa chacune.
Au bord de l'étang blanc et noir
Assis, les doux veilleurs du soir.
Les crapauds, chantent à la lune :
Au bord de l'étang blanc et noir.
Les crapauds chantent sans espoir.
Soyons graves si je le puis :
Est-on pas mariés depuis...
Un mois ? la semaine dernière ?
Une heure ? pas plus ? je ne puis :
Tourne, sagesse, au fond du puits !
— 71 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Eh non ! depuis tant plus longtemps !
Que dis-tu ? depuis mille années ?
C'est toujours pas assez longtemps
Pour être sage : on a le temps,
Attendons encor deux mille ans !
Apportez vos lèvres, Madame,
Qu un mari prenne son baiser !
Quoi, c'est vous qui voulez oser ?
Apportez ces lèvres. Madame !
Oh, sournoise, vous refusez ?
Si vous le défiez, Denyse,
- C est lui qui va vous embrasser !
Quelqu'un, dis-tu ? eh non : la brise.
Si point ne m'embrassez, Denyse,
C'est donc moi qui vais commencer !
— Denyse ! Nyse ! où donc est-elle ?
Ma lèvre s'ouvre sur la nuit !
Rêvai-je encore ? ai -je dormi ?
Nyse, ma Nyse, où donc est-elle ?
Baiser, épouse, tout a fui !
La route est d'argent sous la lune ;
J'y vais traîner mon infortune.
Et seul, tout seul, ma Nyse est loin !
- 72 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
La route est d'argent sous la lune.
Je suis triste jusqu'à la mort.
— Où sont-ils vos amours, sont-ils en Angleterre ?
— Ils se sont embarqués sur un bateau de verre.
Le bateau s'est brisé aux rochers de la mer.
- 73 -
A FOND DE CALE
— Une rose dans les ténèbres.
— Nocturne puits, morne citerne,
Ternes étoiles, lac sans fond.
Lugubre ponton la caserne.
Quand je rentre de faction ;
L'ombre a peur, les murailles noires
S'allongent éternellement
Et fuient se perdre sous les moires
Où dissout l'obscur firmament ;
L'entrepont où meurt la veilleuse
S'habite d'effrayants dormeurs
Et jonche de têtes cireuses
Les suaires lourds de fadeurs,
Qui dégorgent des râles d'orgues
Par leurs orifices béants,
Girnaval blafard d'une morgue
Aux morts en travail remuglant,
- 74 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Un vaisseau-fantôme sans vciles !
— Mais l'emmuré, du fond du puits
Voyant descendre une autre étoile,
Ressuscite, et ton ombre luit,
Astre dans l'insondable nuit !
- 75 -
GRAND'GARDE
— Pauvre soldat d'où reviens-tu ?
— Ma sœur, le vent pleure à la vitre,
Pleure comme un petit enfant.
La pluie le flagelle, 11 sanglote aux vitres,
Les bat d'un million d'élytres :
Ecoute pleurer aux vitres le vent.
Oh qu'il fait froid ! nos chairs meurtries
Grelottent ; serrons-nous bien fort
L'un contre l'autre, ma chérie !
Oh, les soldats aux mains meurtries.
Ils ont faim, Ils ont froid, dehors !
Le vent, ma sœur, pleure à la porte.
Il tourne autour de la maison
Glacée, 11 la secoue, sous chaque porte
Ameute ses rauques cohortes
Nous envahir en trahison !
- 76 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Que la nuit est pesante et noire !
Elle s'assied sur notre cœur,
Et l'étouffé en ses ouates noires ;
Pauvres soldats sans feu ni boire,
Perdus dans la nuit, le froid et la douleur,
Endolorissons -nous de leur douleur, ma sœur !
77
GASTON PHŒBUS CHANTE
— 5e canto que you canto.
— Je chante quoi je chante,
Ce n'est pas pour vous :
C'est pour mon amante,
Qui est loin de nous.
On est au bois Le Prêtre
Quelques cents poilus.
Et ce soir peut-être
N'en restera plus.
C'est ma femme fidèle
Comme à elle moi :
Je l'ai eue pucelle,
Ça ne s'oublie pas.
A l'heure de partire,
La pris sur mon cœur ;
L'entendis me dire :
— Si tu meurs je meurs.
- 78 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Et nous embrassâmes
En pleurant tout bas ;
Toute al mis mon âme
Dans ce baiser là.
Fille ou garçon, n'importe :
Si ce soir je meurs.
L'enfant qu'elle porte
Sera mon vengeur.
Et si la mort m'emmène
Comme mes amis.
Nous serons, ma reine.
Au ciel réunis.
79 -
AURORE
— Un matin, j'ai éveillé l'aube d été.
— Le tintlnnabulement fou
Des angélus et des clarines
Traverse l'aube et ses bruines ;
— 0 pâle amie, où êtes-vous ?
Messagères de l'aube grise
Glissent les nymphes et les brises,
M'investissant d'un lent émoi ;
— Pensez-vous, pâle amie, à moi ?
De frêles lueurs indécises
L'horizon rosit et s'irise ;
L'astre jaillit : vive le roi !
— Pensez-vous, pâle amie, à moi ?
Il écartèle les clairières.
Il transperce prés et bruyères
De jets d'amour profonds et doux ;
— 0 pâle amie, oii êtes-vous ?
— 80 —
MIRANDA
— Mais, 0 mon cœur, entends le chant des matelots !
— Vierge, retourne à l'île cù chantaient tes fuseaux,
Chante, Eucharis ; pleure, Ariane,
Que bruissent parmi tes larmes
Les ruisseaux blonds de tes cheveux !
Grogne, Circé ; pleure, Ariane !
0 tragique et belle épousée,
Tords et détords ta chevelure
Et divise tes tresses d'or !
Cheveux, ô cordes de ma lyre,
(Rugis, Médée ; ris, Calypso !)
Chevelure vertigineuse.
Emprisonnez, fuyant réseau.
Le peuple ailé de mes tendresses.
Le blanc peuple de mes oiseaux :
Pleure, Eucharis ; veille, Ariane,
Retourne, vierge, à l'île, où tremblent tes fuseaux !
— Vos amours où sont-ils ? — Ils sont au fond des eaux.
— 81 — 6
A LA DÉRIVE
— Les songes de l'eau qui sommeille.
— Tes yeux tant les ai-je, ô tes yeux,
Tant regardés ! noyé en eux,
Hormi eux de tout oublieux,
Mes yeux ! ah, que dis-je ? mon être
Tout entier, avec quel bien-être.
Soutiré vers leurs deux fenêtres
Et versé aux deux lacs sans fond
De tes deux yeux, ces yeux qui font
Deux tourbillons où mon cœur fond !
J'ai tant lavé ma loque d'âme,
La mienne, à vos limpides flammes,
0 clairs yeux de ma notre-dame ;
Enfin, les temps noirs survenus
Où ces joies, vos jeux ingénus.
Yeux si connus, jamais connus,
— 82 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Tout me fut, joies et jeux, ravi,
Et ces yeux ! par l'aveugle vie :
Captif charmé de leurs magies.
Mon souvenir a refait tant
Et tant le voyage éclatant
D'antan vers leur gouffre chantant,
Qu'à me vêtir de leur lueur,
A m'étourdir de leur chaleur.
J'en ai oublié la couleur 1
H
83 —
BIANCA VESTITA
— Le temps a laissé son manteau.
— A l'aube prime d'avril
Jeune neige s'est enfuie ;
Elle voit de ses épaules
Glisser sa royale hermine ;
Frêle fille de l'hiver
Vers le pôle elle s'envole,
Sous le ciel au sein couvert
Que soulève le printemps.
0 vertigineuse paix,
Plus vertigineux silence.
Blanc sommeil de tous les sens,
Et la solitude blanche
S'illimite infiniment.
Au flanc d'un chemin perdu
Dans la vastitude blanche,
Un amandier éperdu
Appelle de toutes ses branches ;
Les germes précoces dorment
Sous l'écorce enlinceulée,
-84-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Et la voûte immense et morne
S illimité infiniment ;
— L'aube aurore est accourue,
Elle est accourue et rit ;
Elle rit : les brises naissent,
Tout circule et tiédit.
C'est la vie et c'est la joie.
L'aube aurore danse,
Tout l'horizon tremble.
Ensemble tournoient
Les écharpes d'or :
C'est la vie encore,
La vie et la joie.
Et voici que sur la branche
De l'arbuste qui s esseulé.
Une fleur est apparue.
Etoile vivante et nue ;
Si désespérément blanche,
Oîi des roseurs si ténues
Insaisissablement tremblent.
Si fragile de parfum.
Si tendre d'éclat que semble
Ton apothéose, ô neige,
A travers le printemps rose.
-85 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
— Oh si belle hélas, si belle,
Si impossiblement belle,
Que je n'en pus affronter
L'accusatrice beauté ;
Mais quoi, closes mes prunelles,
Mon cœur encor la voyait !
Elle fondait en parfums,
Où ce cœur se dissolvait ;
Viens, me disait tout son corps.
Me cueillir ! et moi enfin,
Chancelant, mon bras perclus
S'est tel un spectre avancé ;
Frissonnant du sacrilège,
Je ravis l'astre de neige
Au destin qui l'exaltait.
Je l'ai respirée.
Avec quelle ivresse,
]^ l'ai respirée,
Et depuis j'en meurs,
Et mes yeux noyés
Virent, ah, détresse,
Que penche soudain
L'angélique fleur :
Elle était si blanche.
C'était son destin !
— 86 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Les cinq sublimes pétales
D'un seul coup se calcinèrent,
Et se perdit leur parfum ;
L'astre sans laisser de trace
S'évanouit sur la neige :
Le nuptial sortilège.
Mon souffle l'avait brûlé.
Alors songeant, ô Denyse,
A nous, j'ai senti passer
L'heure qui va déflorer
Nos bonheurs, leur fleur exquise,
Et sourdement soupiré.
— 87
DICT DU CHEVALIER QUI SE SOUVIENT
— Percé de sa lance.
Mon cœur mal recousu entre en convalescence
Tremblant des récentes souffrances,
Perclus de dolence.
Il ne peut croire à son bonheur ;
Mais grâce à toi, petite sœur,
A l'effluve émané de toi,
Il sent dissoudre ses langueurs :
Parfums de nos adolescences,
Volez en chœur, entourez-moi,
Volez à moi 1
Et volez à moi, souvenances
Et coirs d'an tan, trames de fleurs :
Mon cœur entre en convalescence
Et voit dissoudre ses douleurs :
Volez, mon cœur !
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Parfums de nos adolescences,
Versez confiance à ce cœur
Qui écoutait avec terreur
Ses battements dans le silence !
— 89
I
PANTOUM
— ... D étoile en étoile... et je danse...
— lo Pœan, Pœan ! aux palmes f appelle.
Ecoute, V entends-tu, la vierge au vol dansant ?
Elle te frôle, elle te cherche, elle descend,
Suspendue à ses bondissantes ailes !...
— La Musique, c'est la Poésie, qui sous elle repliant la
parole titubante, déploie ses ailes toutes ;
Replie toutes béquilles charnelles, par la terre animale
alourdies, et par l'animalité humaine, et déploie ses ailes
divines, et selon des algèbres nouvelles s'élève, et s'envole
par delà les choses limitées...
— ... Et nous tous alors que portent des ailes.
Un branle universel nous enlève à l'instant ;
Nous bandons l'aile en chœur et partons en chantant.
Et nous revoilà, ardents et fidèles !...
— ... Et elle s'élève, et vole et tourne ! dans le vertige
ondule avec sérénité, sans souvenir d'espace ni de temps ;
— 90 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Musique, c'est la sensualité même, exaspérée jusqu'au
lispersement de toutes chaînes sensuelles...
— ... Que clameurs, que fumées, s'écrasent donc vers nous :
Rions, frères, rions : ripostons sans courroux.
Et, pour anéantir la ténèbre en ses toiles...
— ... Par elle, ma bien-aimée, nous anéantirons-nous dans
in unisson de tendresse ;
Et par elle je te veux posséder et que toi me possèdes : plus
ntimement que par les effusions profondes de l'esprit et de
a chair...
— ... Secouons en chœur les ailes de feu
Gonflées des futurs, et par un beau jeu.
Nous en ferons descendre une neige d'étoiles !
— ... Te posséder je veux et que toi me possèdes, par la
ommunion dans quelque calice inventé par la divine volti-
euse :
— ... /o Pœan, Pœan ! aux palmes t'appelle.
Ecoute, r entends-tu, la vierge au Vol dansant ?...
— ... Musique, c'est la Poésie épanouissant toutes ses
iles,
— ... Elle, la Voyageuse ailée au vol dansant, . .
Nous appelle, t'appelle, et passe en frémissant ! . .
- 91 -
ELEVATION
— Partons, joli cœur,
La lune est levée.
La Lune a jailli des bois ; et, comme si elle eût charrié
tout le sang, toutes les larmes et toutes les fanges de la
terre.
Rouge, boursouflée, distendue, immense, elle a lourdement
monté, faisant claquer sur l'horizon sourd
Le masque affreux de l'incendie ;
Mais, à mesure qu'elle s'élevait se désagrégea le saignant
manteau de misères, et son disque se resserrant, blanchissait
encore et blanchissait.
Et versait à mesure de plus éclatantes clartés :
Et quand elle eut enfin occupé son zénith, ce fut l'insou-
tenable ruissellement d'une étoile ieile qu'un soleil, et, sous
le silence magique, fourmillant de vie en attente ;
Sous la prodigieuse majesté de toutes choses en frémissante
immobilité.
Son déluge de pureté sereine baptisait l'univers prosterné ;
- 92 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Ainsi, ma bien aimée,
L'illuminé reflet en moi de ton image, en vain l'a pu ternir
ma lamentable humanité :
Te VOICI ! ton rayonnement effondre les vapeurs malsaines
et stymphalides ; et, purifiée à jamais, s'exalte ma ten-
dresse, et monte en vénération vers toi !
93 —
TRILLES
— M y laillis un flûtiau (le riau)
Un flageolet aussi (le ri)
Et m'en allai chantant
Tout le long du chemin...
— Gai ! Noël ! la prime hirondelle
Est venue !
Gai ! mon cœur s'embarque avec elle
Vers les nues ;
Le printemps, gai ! broie toutes chaînes,
Les autans
Se replongent dans leurs géhennes ;
Tant d'élans
Jaillissent, fièvres et fusées
De mon cœur,
Qu'en est ce cœur électrisé
De bonheur ;
Et, gai ! il se fait hirondelle
Lui aussi :
Il s'évade, le cœur fidèle.
Loin d'ici ;
- 94 —
Vers notre nid d'enfants s'envole.
Le nid clair
Où ton cher cœur que l'heure isole,
D'un hier
Si proche et loin se refigure
La douceur :
Que joie et soleil il procure,
A ce cœur !
C'est le rêve, c'est la trêve ,
L'illusion douce et brève
Dont on rêve après encor
Transfigure un passé d or.
Reflet lent de l'heure brève :
Que ce rêve ami s achève.
En réel plus bel encor 1
95
ODELETTE D'AVRIL
— Et m'en allai chantant (le ran)
Tout le long du chemin (le rin) :
Ah, qu'il est doux d'aimer.
Au bois rossignolet.
— Que d'enfantines défaillances
Exténuèrent mes vaillances !
Que m'ont d'absurdes méfiances
Déprimé,
Tu le sais, et combien vacille
Lenfùnt maladif, imbécile
De scrupules, mais tant docile
A t'aimer !
Ah, vois-tu, cette guerre horrible
De moi contre moi, fîèche et cible
A la fois, duel impossible.
N'a été
- 96 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Que la lutte absurde et barbare
De Mars contre Avril : qui prépare
L'inouï réveil en fanfare
Des étés.
Ah, ce conflit trouble, sauvage,
Meurtre sur soi, double veuvage.
Plus d'une déchirante page
L'a chanté :
Mais, délivrés soient les captifs.
L'alouette au chant décisif
A chassé les corbeaux furtifs
Du ciel d'or ;
Des bêtes croule la fourrure
Giduque, et gonfle la parure.
Amour et guerre : Hiver murmure.
Il s'endort ;
Vois ! la ncuve pousse vorace
Revendique âprement sa place,
Vois s'éclater sous son tenace
Vouloir d'être
- 97 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Les feuilles sèches du dernier
Octobre gaîment oublié :
Ainsi nous poussons au charnier
Les ancêtres,
Quand Mai, féroce conquérant
Bardé de fleurs, allègrement
Fait rouler Décembre au torrent.
Neige et fanges !
Ainsi notre cœur rajeuni
Par l'éternel amour, bruit.
Frémit, chante, innombrable nid
De mésanges !
Or ce triomphe est ton trophée.
Jeune flamme, héroïne et fée.
Ta légende, hélas parafée
De douleurs :
Tu fus ce jeune soleil riche
Qui désagrège l'Hiver chiche.
Ensemençant mon cœur en friche
De bonheur !
— 98 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Frêle et puissante et souveraine,
Tu rallumas ce cœur en peine
Qui plus n'osait battre qu'à peine,
Presque plus ;
Ton despotique aveu : « Je t'aime »
Me fit confiant en moi-même :
J'osai me scruter sans blasphème,
Et me plus...
Pourtant, par bouffées se réveillent
Les arrière-goûts de la vieille
Terreur qui m'étranglait la veille :
Tu les vis
Obscurcir l'hymne de nos gloires,
Noir envol de corneilles noires
Rayant l'azur aux nobles moires
De noirs cris :
Va ! c'est le spasme d'agonie
De l'Hiver, une aube ternie
A peine, c'est la litanie
Des vieux morts
— 99 —
BJBLIOTHECA
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
A ma vieille âme d'hier, morte
Pour de bon : j'ai bouclé la porte
Et dehors poussé la cohorte
Des remords :
Va, tu le vois, je deviens calme
Et plane sous l'aile des palmes
De ta gloire en moi, ô très aime
Dont je suis
Le servant dévotement tendre
Qui t'ai prise sans y prétendre :
Va notre route, va m 'attendre;
Je te suis.
— 100
PIMPON D'OR
— La violette double, double,
La violette doublera.
— Violettes blanches,
Pâques prédies,
Fleurs qui s'épanchent
De la chérie :
Pour ton dimanche,
Défunt mari,
Mam toute blanche,
Mam qui se penche.
Ciel qui dit : oui !
Violettes blanches sur l'or vert,
Parfums, soleil, tiédeurs et joie
Et tout le printemps, tu l'envoies,
Brelan d'ailes qui t'es ouvert.
Et, brelans de cloches dans l'air.
Grand frère blond me veut sa proie
- 101 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Tout son printemps tu me l'envoies,
La fleur a dégelé l'hiver.
0 Denyse, ô déjà ma femme,
On dorlotera ce cher cœur,
L'enivrera comme de fleurs...
Non, Denyse, je vous diffame :
Approchez, ange méconnu,
Tendez ce col, ce beau col nu...
Hélas, loin es-tu, chère femme,
0 flsur, hélas, où fleuns-tu ?
— 102 —
AU BUIS BÉNIT
— Reine des deux, régente terrienne.
— Pâques fleures, Pâques fleuries,
Fée des anges, reine Marie
Baignant vos pieds endoloris
Aux vasques d'or des bénitiers.
Impératrice des pitiés,
A vous les nouveaux buis bénits :
Vouons au feu qui sanctifie
Les buis des Pâques exaucées,
Pâques, Pâques, Pâques fleuries !
Fée des anges, reine Marie,
Touchez la fange et les sanies
Et nos cœurs : et tout est guéri ;
Fleurissez d'espoir et d'ardeur
Les solitudes de ces cœurs ;
De nos flaques de sang croupi
Transfigurez les salissures
- 103 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Par le sang de vos sept blessures,
Pâques fleures, Pâques fleuries !
Lune immense en nos insomnies,
Fée des anges, reine Marie,
Vers vos bras me voici venu.
Tel que Jésus enfant et nu :
Voyez comme faible et soumis
S'est voulu le Sauveur promis :
Comme Lui, soyez-nous propice.
Qu'en retour, il nous affranchisse,
Pâques fleures, Pâques fleuries !
— 104 —
CARILLON DE SAMEDI-SAINT
— Orléans, Beaugency,
Notre-Dame de Cle'ry,
Vendôme, Vendôme !
— Toutes cloches sont revenues
Se pendre en chœur aux clochers
Voici l'heure, et par les nues,
Les vols d'angélus lâchés !
Voici l'heure, voici l'heure !
Au cœur mien une cloche aussi,
Cloche d'or, s'est suspendue ;
(Voici l'heure, voici l'heure !)
Fou de vivre, il ressaisit
L'ardeur qu'il pleure perdue ;
Et la cloche y sonne, sonne
Son carillon éperdu :
Ce cœur va, ce cœur frissonne
Comme un pendu mal pendu ;
- 105 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE '
Cette cloche, hymne et reproche
Du vieux porche hier reclus,
C'est le Printemps qui s'approche : ■
Et toutes ailes se ruent !
C'est l'hosanna de la brise.
Fleurs, ferveurs et cœurs fondus,
Nyse, Nyse, ma Denyse,
Nysot d'Or à moi rendue :
Voici l'heure, l'heure élue !
1
- 106 -
EN LA VILLE AUX PORTES D'OR
— Mille cloches battent dans l'air.
— Pâques, Pâques ! c'est les cierges,
0 brasiers, ô cathédrales !
L'encens bleu fuse en spirales !
C'est les enfants et les vierges
Suspendus aux palmes vertes,
Cent mille cœurs bondissant
Sous la joie d'être innocents.
Ames en fleur, tout ouvertes !
Tous les peuples chantent, rient
Sous l'océan des bannières.
L'hosanna des orgues mères,
Le silence, les longs cris,
La lumière !
Pâques, c'est la cloche envolée
Qui traverse l'azur sans fin
— 107 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Et retinte au clocher d'or fin,
Etincelant et barbelé,
La cloche ailée !
Pâques ! Pâques ! c'est tant de fleurs
Dans les prés, fumante émeraude,
Que ces bons prés, leur herbe chaude
Ne sait plus quelle est sa couleur,
C'est le bonheur !
Tous les rameaux d'or s'étoiler :
Tant de folioles vert tendre
Qu'il semble avec l'aube descendre
Toutes les étoiles du ciel
Nous consoler !
C'est tant d'msectes sur la terre
Qu'on croit voir les grains de gravier
Devenir des diamants noyés
Dans des poussières de lumière.
Qui diaprent l'air !
C'est tant de ruisseaux et si clairs.
Et si remuants, que l'on pense
Les grelots du soleil qui dansent
Dans le tumulte des champs verts
Des bals d'éclairs !
- 108 -
I
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
C'est tant de parfums suspendus,
De tiédeurs, de voix, de lumières
Et de mouvement, que les fières
Orbes de nos sens distendus
Sont confondues !
Pâques ! Pâques ! c'est ma Denyse,
Ses cheveux roulant sur son cou,
Et sa gorge, deux jeunes loups
Qui sursautent de convoitise
Sous la chemise !
Pâques ! c'est Denyse qui vole
Le ciel et l'engouffre en ses yeux.
Et le soleil dans ses cheveux,
Pour s'en ourdir une auréole
De samte folle !
Cache les fleurs dans sa poitrine
Et dans son souffle leuis odeurs
Et sur sa lèvre leurs fraîcheurs
Et tout me cache, ô brigandine
Qui m'assassine !
Denyse vêtant son corsage
Et sa jupe couleur du temps.
Flagellant de cheveux flottants,
— 109 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Vierge enrageante d'être sage,
Mon mien visage !
Pâques, Denyse, hou ! c'est nos noces !
Laisse-toi vaincre et viens tout près :
Niaise innocence des prés,
Fi ! fuyons vers la forêt rousse
Et sur la mousse !
Viens sous le dais mouvant des feuilles.
Sur ces lourds gazons odorants,
Déclos-toi, Denyse, et te rends,
Amazone, que je te cueille.
Et toute effeuille !
Pâques, Pâques ! son ciel affame,
0 ma Denyse, unique nuit,
0 noces, le monde fini,
Nyse, ma Nyse, sois ma femme...
La vision s'évanouit.
[Nancy] .
10
ODE A LA FIANCÉE
— Quand les étés et la douce saison
Font feuille et fleurs et les prés reverdir ■
— Petite sœur viens avec moi :
De son haleine la plus douce,
Mai renouvelle nos vieux bois.
Reposons -nous sur cette jeune mousse
Légère et parfumée amsi qu'une fourrure.
Un feuillage odorant se balance et murmure,
Les bruyères et les fougères d'or s'agitent.
Mille bruissements berceurs invitent
A sommeiller, gardés des midis lourds :
Accourez vite, ô mes amours.
Viens, repose ton corps gracile
Tout contre moi, bien contre moi,
0 ma douce beauté fragile ;
Laisse glisser vers mon aisselle
Ta menue tête et ton col précieux.
Et contre ma joue que ruisselle
L'écroulement de tes cheveux.
Laisse-moi, chère enfant, tenir tes mains qui tremblent,
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Les retenir lorïguement dans mes mains,
Une chaîne souder de tous nos doigts ensemble.
Au magnétisme souverain.
Tes yeux, tes yeux si puis et tes lèvres meurtries
Appellent, chère âme malade.
Le dictame de mes baisers ;
Levez-vous, fleurs en ma prairie.
Et qu'en aériennes cascades
Ils descendent vous ranimer.
Approche tes yeux qui me prient.
Et ta gorge aussi qui se lève,
Ta gorge et tout ton jeune corps
Appellent ma lèvre et son miel.
Mais cette autre ivresse est trop forte
Pour nos raisons et pour nos corps ;
J'ai peur, je songe malgré moi
A la vertigineuse porte.
Je convoite et j'ai honte et de m 'avouer quoi ;
Demeurons assoupis, demeurons de la sorte
L'un et l'autre étendus, et savourons encor
Cet engourdissement profond comme la mort.
Ne parle pas et que ton cœur même se taise.
Ne chante plus, mon rossignol des bois,
Il faut bien que mes sens extasiés s'apaisent :
Ils t'anéantiraient comme la folle fraise.
Des bois pauvre odorante amie,
— 112 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Que sans même voir ]'ai pétrie
Sous le délire de mes doigts...
Depuis tant de lourds mois
Rancœurs et lassitudes
S'accroupissaient sur moi
Quant tu m'es apparue.
Perdu de solitude,
Tout mon cœur avait froid,
Toute heure m'était rude,
Je blasphémais la joie ;
Et tu es accourue
Vers cette âme aux abois.
Elle ta reconnue
Dès la première fois.
Les fastes et les palmes.
Ma douce, ma fidèle.
Et les extases calmes
De là-haut nous appellent :
Petite sœur blessée
Par les cris d'ici-bas.
Courons, ma fiancée :
Ne les entends-tu pas.
Ces VOIX et ces bruits d'ailes ?
- 113 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Oh, je t'aime !
Je t'aime comme un frère aîné sa jeune sœur.
Je goûte à prononcer ton cher nom des douceurs
Exquises ;
J y viens jusqu'à trouver le symbole enchanteur
Du dieu que les païens nommaient « Libérateur >'
« Denyse ».
Je t'aime comme Dante aime sa Béatrice,
Comme la consolée et la consolatrice,
Et mieux :
Comme celle dont l'humble et discret sacrifice
Est l'exemple assidu à nous rendre propices
Les cieux :
Je t aime comme un fiancé sa fiancée,
Comme un poète pur la strophe cadencée,
Et plus :
Comme un valeureux cœur la souffrance exaucée
Qui, le purifiant, lui fait crier : Ecce
Deus !
Je t'aime comme le martyr aime ses plaies,
L ascète son cilice et l'apôtre ses claies.
J'en souffre
Avec les voluptés mâles dont se comblaient
Les Decius au cœur d'airain qui se vouaient
Aux gouffres ;
- 114-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Je t'aime comme on aime une fleur pâle et rose,
Si délicate et frêle noblement qu'on n'ose
Pas même,
D'un baiser, l'effleurer, d'un souffle qui se pose,
Craintif de l'effacer en quelque apothéose
Suprême ;
Je t'aime comme Hamlet l'Ophélia glacée.
Fantôme de lui-même en sa raison blessée
Qu'il vit
Sur l'étang noir peut-être ou son miroir, passer.
Et qui tel un remords sans fin dans sa pensée
Survit ;
Je t'aime comme un mendiant Sainte Marie,
Et l'effigie aux pieds de qui le pauvre prie
Sans peur.
Une image, presqu'une idole, qui sourit.
Et de la voix qu'on sait et n'entend pas, nous crie
Bonheur !
Oh, je t'aime de tant et de tant de manières
Que la vertigineuse rose des prières
En vain
L effeuillerait ma joie une existence entière :
Jusqu'à rendre étonnés les anges aux prières
Sans £n !
- 115 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Déjà l'amoureux soir de toutes parts se glisse
Et monte ensevelir silencieusement
Sous les plis nuptiaux d'une alcôve complice
Notre amoureux tourment.
Déjà partout la nuit et ses formes magiques
S'amasse, accourt, avec l'heure nous envahit
D'un innombrable vol de fantômes tragiques
Qui s'installent sans bruit.
J'ai peur, nos faibles cœurs grelottent d'effroi vague,
J'entends s'interroger l'un l'autre éperduement
Ainsi que les chocs sourds des vagues sur les vagues
Leurs fiévreux battements.
Je nous sens perdre pied dans notre isolement ;
La frissonnante alcôve où naviguaient nos rêves
Retombe en catafalque : ombres, nuées, linceuls,
Pesanteurs, descendez, que nos êtres s'achèvent
De désagréger là, hélas, et toujours seuls !
Quoi, cette solitude auparavant si douce.
Pourquoi soudain nous fait-elle à tous deux si peur ?
Oh parle, parle-moi, je veux t'entendre, pousse
Des cris, mais que j'entende encor ta voix, ma sœur !
Tu ne me parles pas ! pourquoi fais -tu la morte ?
Elle ne bouge plus, ses yeux tout grands ouverts
Me fixent : parle-moi, mon angoisse est trop forte :
De quel rêve sors-tu, dont tu as tant souffert ?
— 116 —
i
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Non, louons-la tout bas, cette angoisse inconnue
Qui vient de nous servir un miraculeux fiel,
Philtre où notre raison à soi-même rendue
Puisera la vigueur d'atteindre un autre ciel.
Et vois : la sainte Lune à présent se dégage
De l'amoncellement vertigineux des nues.
Et laissant s'effondrer ses remparts de nuages,
Court nous illuminer, resplendissante et nue.
Ma sœur emportons-nous dans sa clarté glacée
Vers cet immortel ciel où des humaines boues
Lavés enfin nos cœurs s'uniront, exaucés
Pour l'immortelle vie : accours, ma fiancée,
J'entends le jour frémir, petite sœur, debout !
- 117-
VITRIMONT
— Al écu d'or et de sinople.
Le soleil défaillant gaufre de pourpre et d'or
Le manteau violet des Vosges
A travers le travail sauvage
De la sylve sanglante et noire ;
Aux braises des lampes de cuivre,
Derrière les grilles de bronze,
Caverne à main d'homme ourdie.
Flambent les joyaux et les ors
D une étrange et tragique idole :
C est la somptuosité sombre
Du manteau violet des Vosges
Où le soleil couchant effile un ourlet d'or.
Quand le soleil couchant bande sa frange d'or
A travers le travail sonore
De la sylve sanglante et noire.
Alors Nyselle, alors encore,
--118^
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
C'est l'obscure avalanche blonde.
Tes cheveux, tes yeux, tout ton corps,
Quand au soir un fuyant soleil
T'investissant, corsage et robes,
Mordoré ton éternel deuil :
A travers le blason qui tremble
Des clairières noir et roses
Du manteau violet des Vosges,
C'est un soleil couchant qui pleut en nappes d'or.
- 119-
1
CHANSON POUR MA REINE MAB
i
— Quand le hibou jette son ai
Je dors dans une primevère. .
— Sous le cristal des eaux que fait grises le soir,
En songe contre moi je fais asseoir Denyse,
Où moi par la maîtrise angélique du verbe
Lui réalise les féeries qu'elle veut voir ;
Je règle le cortège innombrable de l'herbe
Des nuits d'été : mon vers mesure la cadence ;
Je chipe le reflet aux prunelles des eaux,
Du vol, pareil à un regard, des libellules ;
Du million d'Ariels en un rayon éclos.
J'orchestre le ballet qui tourne au crépuscule ;
Je moule à son passage, évanouie sitôt
Qu'épanouie chaque perle d'eau de la pluie ;
- 120 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Je grimpe tout le long des volutes fragiles
Dont fume du pêcheur la cahute d'argile ;
Je décalque les meurtres de soleils ; je jongle
Avec les louis d'argent qui pleuvent de la lune ;
Je monte en bague l'arc-en-ciel, et des nuages
Je dégage les franges d'or, les soirs d'orage ;
Je mets en branle les églogues du feuillage.
J'entends dans chaque nid battre les petits cœurs ;
Mes balances discernent le palpitement
La nuit, des fleurs, et je soupèse le silence :
C'est pour en tistre la symphonie indécise
Qu'à ma Denyse porte une brise du soir.
- 121 -
AU GUI L'AN NEUF, AU GUI NOUVEAU
— Tant l'on crie Noël
Qu'à la fin il vient.
— Noël, noël, à ma Denyse !
Un, qui vient ! dans une autre église.
Blanche belle, on l'épellera :
Et sous l'alcôve cathédrale,
L'ardente messe nuptiale
Un seul baiser l'achèvera
En un suprême alléluia !
Effrayant rêve qui me brise.
Qu'il nous porte sans défaillir,
Denyse, mais rien que l'espoir
De voir telle aurore nous luire
Est plus bel encor que son rêve :
Ah, plutôt , jamais ne s'achève
Ce rêve d'un sublime soir !
— 122
A VILLE AUPRES DU BOIS DORMANT
— Lunéville toute en dentelles.
Somnole en ton somme éternel;
De tes cloches perpétuelles
Vainement palpitent les ailes :
Leur battement sans fin t'appelle
Sans t'éveiller de tes dentelles.
Lunéville, ville nulle,
Quand tes cloches tinnabulent
Avec les VOIX effacées
De vieillardes somnambules
Le glas des gloires passées,
Je m'écoute les entendre ;
Un engourdissement tendre
Ensommeillé ma pensée :
Plus rien ne sais-je qu'étendre
Au lit la pauvre harassée.
Ou sinon je déambule
Sans but ni fin, lente bulle,
— 123 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Eau sur la vitre chassée,
Rêvant de cédule, bulle,
Lettre de la fiancée,
Lunéville, ville nulle.
Quand tes cloches tinnabulent
Vos glas, ô gloires passées,
Avec les voix effacées
De vieilles fées somnambules.
124
MASQUES
— Avecque des crin-crins et des tambours de basque.
— Les ménines de LunévlUe
Font des altesses en exil
Quand elles marchent par leur ville ;
Je ne sais, ne me veux défendre
D'un souvenir puissamment tendre
De vous, mes déesses des Flandres,
Et toujours autant m'ensorcèlent
Les vestales que les donzelles
D'Anvers, de Liège et de Bruxelles ;
Et, frau X..., que j'appréhende
Nommer, m'apprit comme est gourmande
L'hospitalité allemande !
Paris, universelle hôtesse
Tout m'offrit : des rouges Suissesses
Cuirassées d'argent, aux négresses
- 125 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Luisantes d'huile de coco ;
Américaines viragos,
Et houris de bouge à mocos,
Et sataniques Javanaises,
Et créoles couleur punaise.
Et, joue en crème, Japonaises,
Et Carmen, oui, la vraie Carmen,
Accroche-cœur à tout hymen
D'une heure et moins, criant Amen !
Et les flambardes de la Frise
Et leur casque d'or où se brise
L astre d'or sur crins d'or qui frisent ;
Et Varsoviennes en chapskas
Battant des marches de Glinka
Sur l'infernal harmonica ;
Chaudes prostituées du Caire
Au ventre de cuivre, et Mouquères
Trépidant au train des nacaires
(Et trop beaux éphèbes kabyles
De torse effrontément fébrile.
De croupe effrontément mobile !)
— 126 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Et tant d'autres, et plus encore,
Bouillantes comme le phosphore,
Virginales comme l'aurore :
Mais nulle n'a surpris mon cœur
Que la fiancée et la sœur.
Nulle, nulle, ne fut la fleur.
Nulle la vierge en mon église.
Ma souveraine, mon exquise :
Nulle ne me fut ma Denyse !
— 127
GIGUE POUR ENTERRER LA XII« NUIT
— Baisez-moi donc, ô mon amour
Nos vingt ans ont si bonne grâce ;
Jeunesse ne dure qu'un jour.
— De Noël en Epiphanie
Gronde, bruit, clame, quémande
La pompe orgiaque et gourmande,
Et l'année d'hier est finie !
On bâfre, on baille, on gueule, on boit.
Se gave de vins et de vœux :
Demain volcan sous les cheveux
Et pituite et l'horreur de soi.
Mais on prit quinze jours de joie
Olympienne et sans limite :
Fièvre, grippe, amour et pituite.
Migraine et les affres du foie.
Est-ce donc acheter si cher
Ses deux sous de divinité,
— 128 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Et la larme d'éternité ^
Où noyer les pleurs de la chair ?
— Moi j'enivre de jus de phrases
Et poésie impétueuse
Mon immortelle radoteuse
D'âme immortelle qui nous rase,
Comme on rechasse du soulier
Par souci de tranquillité
Le chien chassé trop entêté
A braire sur notre palier :
Car raisonner est tant stupide
Et présomptueusement dupe
— (Qu'en dit mon Salomon en jupe ? )
D'un quant-à-soi fat et candide,
Que j'aspire avec volupté
Aux carnavals de bonheur fou
Que nous mènerons l'instant où
Nous ferons notre volonté
(Nous : elle et lui) d'être une double
Animalité bien naïve
Révoquant par tendresse active
La fausse Raison fade et trouble !
— 129 —
LA-HAUT SUR LA MONTAGNE
— Le vieil amour est au cercueil.
Un amour jeune à la place s installe.
— Le haut cri des locomotives,
Nostalgique, me suit ici ;
Il éperonne et me ravive
Un hélas immortel souci :
Je me représente en route.
Me représente arrivé.
Puis je m'éveille, j'écoute,
Et cloute si j'ai rêvé ;
Je somnole, enfin m'endors
Afin de rêver encore.
Je mène en héros mon deuil ;
Espérances et souffrances,
Rêves, transes, vanités.
Au cercueil qui les appelle.
Pêle-mêle ai tout porté.
— 130-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Par la pelle et la truelle
Je comble et scelle le trou,
Puis l'esprit vide et léger,
Je repars sans savoir où.
Par les insectes rongé.
Le cœur sourdement mûri
Se gonfle et disjoint les planches
Et la terre lui sourit ;
En mille fleurs bleues et blanches
Leur inceste se résout :
C'est après-demain dimanche.
Gai, mon cœur, marions-nous !
Mornes fastes, creuses phrases,
Chétives apothéoses.
Et plus futiles extases,
C'est là tout ce que j'expose :
Des phrases, des phrases, des phrases !
Je baigne ma fainéantise
De soleil jeune et pour moi vieux ;
Mon cœur, papillon blanc ou bleu.
Voltige au hasard d'une brise...
(Des phrases, des phrases, des phrases !)
Mon âme immortelle s'occupe
A supputer les minutes,
— 131 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Les quarts, les demies, les heures ;
Je bourre mon cœur d'étoupes
Pour engourdir ma douleur.
Et je dors encor, je dors,
Je dors pour rêver encore
Qu'à même tes bras je dors
(Oh les menteuses délices !)
Et les heures s'alangulssent
Et retordent mon supplice.
Mille princesses du soir,
Moustiques et libellules.
Me chuchotent à l'oreille
Sans me sortir de torpeur :
Qu'elles sont lourdes, les heures !
J'en suis à ne plus savoir
Si je dors ou si je veille :
L'œil clos, les jeux du soleil
M'accueillent, multicolores.
Tout comme un de la famille :
En serais-je, par hasard ?
132 —
ODE A LA JOIE
— Dies irœ, dies illa.
— Alléluia!
— Si l'amour est ténèbre et chute,
Qu'il soit rédemption aussi ;
Que l'esprit avec la chair lutte,
La subjugue et prenne à merci ;
Que soient nos noces nos ténèbres
Où de nous tout communiera :
La férié pascale et funèbre
Qui nous sancti -sacrifiera ;
Qu'autel et chambre de torture
Le lit nuptial à la fois,
Et nos chairs selon la nature.
Commune hostie à toi et moi :
Hostie humaine expiatoire
Expirant pour ressusciter,
- 133 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Martyre intime, intime gloire,
Où nous saignerons, rachetés.
Tu diras : — J'ai peur de moi-même
Et de toi : où m'emportes-tu ?
Je tremble et cependant je t'aime.
Ma vertu n'a plus de vertu.
— Epouse, moi aussi je t'aime
Et j'ai peur aussi : vais -je au mal ?
Qui suis-je et suis-je encor moi-même.
Ou l'originel animal ?
Peur de ton égaré silence.
Et de tes yeux ; comme un essaim
D'oiseaux épouvantés s élancent
Ton mâle coeur, ton frêle sein ;
Yeux grands ouverts qui me contemplent,
D'où vos reproches résignés ?
Fenêtres sublimes du temple,
Est-ce par moi que vous saignez ?
Dois-je en cette blancheur empreindre,
En ce corps sacré jusque-là,
Les feux que rien ne peut éteindre,
Du baiser qu'on n'efface pas ?
- 134-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Endormez-vous, Mademoiselle,
Petite sœur, réveille-toi :
Au bols irons-nous, fais-toi belle,
A tout à l'heure, embrasse-moi. '
— Que fait donc mon bien-aimé ? reste !
Notre destin est arrêté :
Qu'il tourne ou splendide ou funeste.
Votre place est à mes côtés ;
Mon époux je remets mon âme
Entre vos mains, et pour mon corps,
11 est votre corps : prends ta femme.
Et disposes -en sans remords.
— S'il est vrai, si je suis ton maître.
Quel sceptre terrible à porter !
Je chancelle de tout mon être
Sous ma responsabilité.
Moi qui sais si peu me conduire
Et va et vient : où ? ne sait pas,
Quel guide, moi, viendra m'instruire :
Quel ange ? ou quel démon, hélas !
Mais toi-même le prophétise.
Un destin marche devant nous :
— 135 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Que son étoile nous conduise
Jusqu'au seuil redoutable et doux ;
Où que mène la voie ouverte,
Entrons-y sans considérer,
Sinon le ciel, d'une aile alerte.
Côte à côte, vers ses clartés ;
Qu'une radieuse démence
Nous élance, sens et désirs.
Ne sachant plus si c'est souffrance
Suprême, ou suprême plaisir ;
Sois-moi proie et reine et maîtresse,
0 vierge, dussions-nous payer
La bravade de nos ivresses
Du prix de notre éternité !
Dans leurs fluidités lointaines.
Tes cheveux, je veux prolonger
Mes ongles comme des antennes
Au long desquels vont s'échanger
A travers nos nerfs qui s'imprègnent,
Les magnétismes du bonheur,
Tandis que mes dix doigts te peignent,
Et tedescendent jusqu'au cœur ;
— 136 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Fouler le jardin de ta nuque
Eperonnée de sourds frissons,
Qu'un délire et l'attentat brusque
Restitueront en pâmoison ;
Lever au pli de ton aisselle,
Mousse au creux du plus doux des nids,
Les frisselis d'ambre où sommeille
Un crépuscule d'or bruni ;
Mais ! ton front, la plus chaste ivoire.
Où rien de vil n'a rien tracé,
Est l'oasis où j'irai boire
Paix et lumière en tes pensers,
Et puis les soutirer encore
Aux deux astres de tes deux yeux
Dont ma bouche heureuse vient clore
Les univers vertigineux ;
Ton oreille est la fleur exquise
Sculptée en un corail vivant,
Ta bouche est une friandise.
Ton épaule un soleil levant ;
Tes pieds roses, leurs ongles roses.
Si frais, si menus et si fins,
— 137 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Font se brandir l'éventail rose
De dix ailes de séraphin ;
Tes jambes, deux hymnes ! stylites,
Fébriles, colonnes de gloire
Pour le sanctuaire où palpite
L'autre cœur, qu'on ne doit pas voir !
Raisins, grenades : ta poitrine
Succulente, et dos où se noie
Comme entre deux moindres collines.
Un sillon tracé pour la joie :
Neiges, mamelles juvéniles,
Élastiques sérénités.
Rayonnement frais et tranquille
D'une double lune lactée ;
Ma vie, oh toute, y soit ravie,
A tous ces fertiles pressoirs
D'où demain descendra la vie,
Si ma vie a dit : Oui ! ce soir ;
Ravie, oui, autant, en ce ventre
Vibrant et blanc, tambour tendu,
Lac où tremble un lotus au centre :
Attente du dieu inconnu !
- 138-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Et c'est là ! là nos destins dorment,
L'éternité ouvre sous nous
L'écluse du vertige énorme :
Je défaille et tombe à genoux...
— J'ai soif, crie-tu ! Ta lèvre gerce.
Victime ! En vain pour l'apaiser
Ma détresse amoureuse y verse
Lait, sang et baume en un baiser :
Ta chair se lève, un dieu l'entraîne.
Ton corps frais bouillonne et se tord,
Et nos membres saisis de haine
S'étreignent pour le duel à mort ;
Crie ta souffrance et notre honte :
Sous l'infernal plaisir charnel.
Dans un hoquet de sang remonte
L'acre Péché originel ;
Terreur du suprême mystère !
Sur le seuil, là ! de l'accomplir.
Une angoisse noire me serre.
Et je sens que je vais mourir :
Que notre féconde misère
Dresse en nous un temple si fort,
- 139-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Que rien plus jamais ne desserre
Ce ciment fort comme la mort !
Qu'une radieuse démence
Nous envole vers 1 inconnu :
P Ïambe, plaisir ! chante, souffrance !
L'heure de revivre est venue,
Et, fleurs saignantes que leurs plaies
Purifient d'un parfum béni,
Mène, amour, nos cœurs sur tes claies.
Emporte-les loin du fini ;
Mourez de terreur et de joie,
L'une en l'autre, chairs trop aimées,
Amour et mort, prenez vos proies,
Ici-bas tout est consommé.
Et l'heure de vivre a sonné !
- 140-
PARTHENIS
— En mon jardin suis entré.
Trois fleurs d'amour y trouvai :
Une en pris, deux en laissai.
— Une guirlande, arc-de -triomphe, ô fiancée.
Fleur à fleur, chant à chant, pour toi seule est tressée.
Religieusement cultivées en mon cœur.
Fleurs ! leur sève est mon sang, ma joie toute, et mes pleurs
Aussi, bien que corolle autre n'ayant voulue.
Hors azur, neige et or pour la princesse élue.
Dignes, seules, du front calmement lumineux
Où n'osent se porter qu'en frémissant mes yeux.
Plusieurs s'y mêlent, et belles, mais que traverse
Le singulier éclat d'une candeur perverse :
Elles-mêmes semblent pâlir et s'étonner
D'exister sur l'autel que j'ose couronner.
Mais, le cruel amour est tel : veut qu'on s'arrache
Cervelle et chair, et tout ce qu'à soi-même on cache.
Et les crache, baiser, à l'autre demi-dieu :
0 toi ! ô moi ! sur l'univers seuls tous les deux,
— 141 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Forgeons, les immolant, de nos hosties infimes
Le dieu nouveau qui soit leur offrande sublime :
Tels des encens impurs déversés au brasier
Se transfigurent flamme, allant s'extasier.
Météore nouveau, dans l'hosanna des sphères :
Et donc ai-je vraiment fait ce que fallait faire.
— 142 —
RONDEL FLEURI
— Rossignol prend sa volée
Au palais d'amour s'en va...
— Tel l'héroïque oiseau vagabond et fidèle
Regagne, aile hâtée, et son ciel et son nid,
Ainsi moi vers toi qui appelle.
Je m'empresse, obscure hirondelle.
D'un vol encor frêle et transi :
Plus ne fut joie en mon cœur,
Morte l'heure où je te vis ;
Il me semble que je vis
Dans un cauchemar moqueur :
Non, plus de joie !
Viens donc, vienne, ô jour vainqueur
Où sur triomphal avis
Pour nous s'ouvriront parvis,
Nef et sanctuaire et chœur :
Qu'à ce seul penser, mon cœur
A plus de joie !
— 143 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Et lui, c'est le vaisseau qui sans fin appareille
Et jamais ne sut naviguer,
Mais le tien est la nef vermeille
Qui le va gaiement entraîner
Jusqu'à la rive des merveilles.
— 144 —
LA COURONNE DE ROSES
10
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Serons-nous uniment tous deux man et femme ?
Serons-nous deux frères ? ma dame
Me voudra-t-elle son amant ?
Je n'en sais rien et c'est charmant,
Sans s'inquiéter du comment.
De voguer vers ce dénouement
Qu'on se décrit innocemment.
— 148 —
LES MAINS
— Ces chères mains qui seront miennes.
— Je chéris ma main gauche et l'honore : elle veut rester
la superbe oisive, vierge des servitudes de la vie ;
Elle ignore les étreintes et les serments, et toutes nos pan-
tomimes ; nulle besogne ne la martyrisa ;
Elle ne mène point la plume, ne pousse la charrue, elle ne
lève même la magnanime épée :
Elle ne se souille ni d'encre ni de boue m d'or, et n'a pas
besoin de sang pour s'ennoblir.
— L'autre pourtant, l'autre se verra lavée de ses misères
puisque sur elle accepta de se poser, oiseau léger et tiède, le
bras de ma bien-aimée ; qu'une main menue s'y laissait
emprisonner ainsi que dans un nid ;
Que la souplesse d'une chair s'y modela, telles fois qu'à moi
fut donné de retenir en sa fuite une taille ondoyante ;
Mais ! le soir oii je l'attirerai, Elle toute, sur mon siège
amoureux et que, servante heureuse, la diligente mam droite
- 149 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
enfermera tout ce corps contre ma poitrme, immergera au
creux de mon aisselle une petite tête chérie,
Ne sera-ce pas, ô noble main gauche, à toi la gloire de ,
disperser les voiles, ^
Les voiles gardiens de ses mystères généreux ?
- 150
LE GIVRE SERTIRA SES ROSES
DE CRISTAL
— J'ai trois vaisseaux dessus la mer qui brille,
L un tout plein d'or, l'autre de pierreries,
Et le dernier pour embarquer ma mie.
— De mousselines de Bengale
Sera le pagne que tu foules,
De mousselines de Bengale
Sera ton peignoir nuptial ;
Un fermail d'argent glacial
Clorera ta gorge indocile :
Un fruit rose éblouit la dalle
Qui reflète une ombre mobile ;
L'ongle d'un orteil lilial
Agacera la blanche mule :
La fleur rose éblouit la dalle
Qu'impérialement tu foules ;
- 151 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Les feux de la nacre et l'opale,
Les nuages de gaze frêle,
Diapreront les fruits qui brûlent
Parmi l'attente nuptiale,
Brûlent mes yeux et ma cervelle
Au bûcher gaîment mfernal
Des voluptés levées en foule
Par ta haute gorge mobile...
Des mousselines de Bengale ,
Des mousselines de Bengale ...
- 152-
CHATEAUX EN BELLEVILLE
— Si tu veux faisons un rêve.
Montons sur deux parapluies :
Je m'emmène, tu t enlèves,
A nous la gueurle de buis !
— Nous aurons un lit en bois blanc, ma chère.
Des budgets profonds comme des tombeaux,
Et nous conjoindrons sur notre étagère
Un kummel Eclcau quadruple zéro
A quelque vin vieux, de l'année dernière !
Sous l'humble Carcel en fait de flambeau.
Nous te ferons voir trente et six lumières.
Et Denyse, grise, ô gloire ! aura beau
Répandre des yeux de vitrail mystique.
Bien vite écherra la minute unique
Où, dame, à la vierge on fait ses adieux,
Et peu tard, cher ange, entr 'ouvrant les portes
De ton infini, féroce et joyeux.
J'en dévasterai les chastetés mortes.
- 153 -
LENDEMAIN
— Réveille z-vous, belle endormie.
— L'aube nous aura ressuscites, ce sera le réveil volup-
tueusement harassé ; l'eau allègrement fustige nos chairs
ensommeillées ; un peignoir aérien auréole ta jeunesse, et
ta grâce se développe dans la conque d'un fauteuil pro-
fond ;
Ton torse se renverse, et ta tête mignonne : une cascade de
soleil se déroule, ô merveille ! ma mam atteint le peigne du
supplice, et l'immerge lentement ; |
Le double fruit laiteux émerge des tissus, aspiré vers cette
autre caresse, et décharge vers moi ses effluves amoureux ;
Les dents tendres creusent les vagues lourdes, en soutirent
l'électricité ;
Elle vacille, la main qui prolonge le paradisiaque supplice ;
l'autre glisse de ton épaule aux élasticités du col, sous les
velours de la joue ;
Prêts pour la cueille, ta poitrine et ton ventre s'émeuvent,
autres fruits, autres vagues, et tes membres s'étirent ;
Tes deux bras crispés aux deux bras du fauteuil, s'en
- 154-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
arrachent, tentacules blancs, attirent vers ta bouche mou
visage obéissant ;
Et nos lèvres s'aspirent, ton vêtement se dissipe ; et
muettement se soucient toutes nos chairs,
0 mon épouse bien -aimée, ô ma femme, ô la mère des en-
fants que je t'ai gardés !
- 155
CLORINDE
— Trois petits pâtés, ma chemise hrûle.
Trois grands seaux d'eau pour l'éteindre !
— Clorinde, ton armure baille
Et décache un lac blond et rose :
Par surprise, ruse ou bataille
Il faut là que l'oiseau se pose
Dont les deux ailes sont deux roses !
Hélas oserai-je ? Et je n'ose :
L'amant veut, le mari dispose,
0 l'avare, il attend son heure.
Allez, Denyse mon oiselle,
Le respect pour la demoiselle
Que nonobstant il ne vous leurre :
Sur la dame si ne s'oppose.
On s'en vengera tout à l'heure...
La dame s'opposera-t-elle ?
0 lac rose qu'une aile effleure.
Voici l'heure, voici l'heure...
Oh, cette heure, oh quand viendra-t-elle ?
- 156 -
GIROFLEE A CINQ FEUILLES
— Peut-on être auprès du rosier
Sans en pouvoir cueillir la rose !
— Comme ça pousse, les enfants !
En ce temps-là — parlant d'un tout lomtam passé
Denyse était rien plus qu'un profil effacé,
Une petite utilité sans conséquence
Oubliée en son coin : si menue, en son deuil
Muet sous d'éternels péplums sans élégance ;
Mais, farouche, un rayon bleu jailli du grand œil
Vous surveillait avec obsédante insistance.
Comme ça pousse les enfants 1
L'heure tourna : ma Nysette, chemin faisant,
Tant se transfigura et si bien, qu'à présent
C'est Mademoiselle Denyse, aussi menue
Qu'alors, et pourtant grand personnage 1 avatar.
Avatar ! glorieuse et gaie, et devenue
Si coquette, et pour moi ! qu'il me faudra peu tard
Lui inculquer le culte de la beauté nue :
Comme ça pousse, les enfants !
- 157 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Car il vient le grand jour, Denyse mon Nysot,
Où l'on vous plumera comme un petit noiseau 1
Sourd aux appels navrants d'une pudeur qui pâme,
Impitoyable comme un dieu, je vengerai
Les griefs de ce pauvre amour que l'on affame
Depuis quatre ans et plus, quand je vous changerai
Autre avatar ! — en femme, et montrerai, Madame,
Comme ça pousse, les enfants !
— C'est le vent qui vole, frivole.
C'est le vent qui va frivolant.
- 158-
LE CONCILE FEERIQUE
— Cascadrum et Yapiyopu.
— Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot,
Je boirais bien une
Pinte de faro ;
Plutôt m'est amène
Un broc de vm vieux
De Lorraine : amène.
Pour l'amour des dieux !...
(Aïtchoum !)
C'est le nez à Maman Berthe,
Frais fourbi du rémouleur.
Qui veut éborgner la lune
Qui s'en gondole de peur :
— Une tête de mort, une :
Qu'engloutit avec stupeur
Le ciel, noire écumoire, empli de sauce verte
(Aïtchoum !)
Pourquoi laisser, aussi, cette fenêtre ouverte ?
- 159 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Au clair de la lune,
Doux ami Pierrot,
Me poussent des plumes
Du côté du dos ;
J'attendais des ailes.
Des plumes, c'est mieux :
Ouvrez à mes zèles
Pour l'amour de Dieu !
(Ait chou m !)
Décidément il faut fermer cette fenêtre !
Jacquot danse, danse, danse
Sur la cime de ses reins ;
Denyse fait pénitence
Dans son rabi-rabicoin ;
Fagus chante au bec de France :
« Lan-coin-coin-coin. »
Jacquot danse, danse, danse
Le grand pas du mandarin...
(Aïtchoum !)
Au clair de la lune.
Cher ami Pierrot,
Je pressens des rhumes
Battre mon cerveau :
Fermez la fenêtre.
Sustentez le feu :
— 160 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Qu'on voie un feu naître,
Pour l'amour de Dieu !
Denyse, je nous veux un avenir de roses,
D'ambre et d acajou :
Viens ! je te vêtirai de fleurs, de vers, de proses,
Et autres bijoux ;
Nous achèterons de bien belles choses
En nous promenant le long des bazars :
Les bas-bleus sont bleus, toi, tes joues sont roses.
Des ors nous viendront, par quels donc hasards ?
Nous achèterons des diamants à treize
Et jusque cent sous ;
Au printemps premier nous querrons la fraise
Et quand viendra l'août,
Où n'est l'univers plus rien que fournaise,
Sur la Tour Eiffel nous louerons des chaises ;
En l'hiver boirons le kummel eckau,
La chartreuse verte.
Le vin des amants, probablement l'eau...
(Aï te hou m !)
Cette fenêtre, ô dieux, s'est donc encore ouverte ?
Au clair de la lune.
Pauvre ami Pierrot,
Cette lampe fume :
Viens faire dodo;
- 161 - n
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Pompe, pompe, pompe
Ton génie boueux :
Frère psycho pompe.
Viens coucher, mon vieux !
- 162 -
PRISME
— Or une abeille volait.
Qui de rose en rose allait.
— Un baiser de soleil se pose
Sur un casque qui se dénoue :
Ta jupe en déteint sur ta joue,
Ta jupe rose, ta joue plus rose.
Un rayon amoureux se pose,
Et moi, un rouge au front l'avoue,
Soudain je songe à autre chose :
Ta joue se fait encor plus rose
Et tu te lèves tout d'un coup.
« Le mal d'amour est une rude peme :
« Quand il nous tient il nous en faut mourir ;
« L'herbe des prés qu'elle est si souveraine,
« L'herbe des prés ne saurait en guérir ! »
— 163 -
GRAPPES A MA VIGNE
— Je meurs de soif auprès de la fontaine.
— Mes deux mains lèveront deux coupes
Où deux astres se blottiront ;
Mes baisers, voltigeante troupe,
De l'un à l'autre bondiront :
Ah, que chacun d'eux les aspire.
Les étreigne et soude à mon cœur,
Et hume dans leur lent martyre
Un anéantissant bonheur !
— 164 —
SOIR DE NOCES
— En revenant de noces
J'étais bien fatiguée.
— Ame et chair je t'ai pressentie
A travers tes cuirasses claires ;
Ton bras, miraculeuse chair,
Ma main osa, et l'a pétri ;
Et mes lèvres pétri tes lèvres,
Ma fièvre soutiré tes fièvres.
Mes yeux bu au lac de tes yeux.
Mes cheveux mêlé tes cheveux ;
Mon flanc s'écoutait, oh pardonne !
Entendre ton ventre sacré.
Et lui-même qui s abandonne.
Je pressens qu'il a pardonné.
Je baisais ton front saintement.
Comme une mère son enfant ;
- 165 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
D'autres baisers, hordes de loups,
S'enhardirent jusqu'à ton cou ;
Il est de plus âpres ivresses
Où cœurs, où corps, meurent, renaissent.
Où tant aigu est le plaisir
Qu'on croirait qu'on en va mourir ;
Près d'elles celles-ci ne sont
Que folies d'enfants fanfarons ;
Et nous les épuiserons toutes.
Et par torrents, et goutte à goutte.
Et demeurés chastes toujours
Par la ferveur de notre amour.
Ces prouesses aventureuses
* Ne seront pas tant précieuses
Que ce bref éclair d'un bonheur
Si fort qu'y défaillent nos cœurs.
Quand à travers le tissu clair.
Je t'ai pressentie âme et chair !
— 166 —
LE PRETRE INTERVIENT
— Benedic, Domine, annulum hune...
Ut qucE eum gestaverit, fidelitatem integram suo sponso tenens,
in pace et voluntate Tua permaneat, atque in mutua Charitate
semper vivat.
Uxor tua sicut vitis abundans in laterihus domus tuœ
Fila tui sicut novellœ olivarum in circuite menscs tuœ.
— Par cet anneau, Seigneur, que vous avez béni,
Qu'elle pour lui, que lui pour elle.
Prospère dans l'état de grâce mutuelle
Ce couple sous vos yeux uni !
Que 1 époux soit le chêne et l'épouse la vigne ;
Que leurs enfants multipliés
Leur soient jusqu'au beau soir où vous leur ferez signe
Comme de jeunes oliviers !
— 166 bis —
GLOSE DES INVITÉS
— Buvons un coup, buvons en deux
A la santé des amoureux,
A la santé du roi de France !
— Buvons infiniment de coups
A la santé des deux époux :
Il faut s'épouser quand on s'aime !
Et nous reboirons dans vingt ans
A la santé de leurs enfants
Quand ils se marieront de même !
166 ter —
LA COURONNE D'ÉPIS
HYMEN
— Deux étions et n ayant qu un cœur.
— Tant l'âme d'un de nous est par l'autre comprise,
Mes vœux mavoués tu les as lus, Denyse :
Qui viens d'auréoler la froideur virginale
De la robe engainant ce corps mon désespoir,
Avec l'auguste enroulement du blanc peignoir
Qui m'apparaît ta dalmatique nuptiale !
— Vous voilà donc enfin.
Madame la mariée.
Vous voilà donc enfin
A votre époux liée.
Avec un long fil d'or
Qui ne rompt qu'à la mort.
- 169 -
EXTASE
— C était le jour béni de ion premier baiser.
— Mes lèvres ont cueilli ta lèvre
Ainsi qu'un fruit et qu'une fleur ;
Elle m'imprègne de sa sève.
De son odeur et sa saveur ;
Ah, me grise, ensorcelé, épuise,
La fleur exquise que voilà !
La molle flamme sa corolle
Surprend mon sang comme un alcol ;
Fleur succulente et rouge et rose.
Fleur aux deux pétales de braise.
Fruit qu'on suce, fleur qu'on arrose.
Pulpe de framboise et de fraise.
Lèvre ! pulpe élastique et chaude,
Acide et fraîche et sirupeuse,
- 170 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Poivre et sucre, à plaisir m'inonde
Et me déverse son amour !
Ma lèvre s'écrase, t'écrase,
Et te voilà sous mon baiser,
0 généreuse, qui t'entr ouvres
Et fonds en salive écumeuse.
Bienheureuse martyrisée !
171 —
SOIR SUR LA TERRASSE
— La lune s'attristait. Des se'raphins en pleurs
Rêvaient, l archet aux doigts...
— La lune dispersant ses blancheurs ingénues
Mène par le ciel bleu le blond troupeau des nues ;
Peu loin un violon languissamment gémit,
On ne sait où : c'est comme une fleur défaillante
Qui, anonymement, rend son âme à la nuit
Dans un parfum qui fasse un chant et se lamente,
Et plane obscurément sous l'azur endormi.
0 tendresse partout ! subtile ardeur errante !
Un couple chat miaule, exaspéré d'amour.
Un chien sentimental sans fin hurle à la Lune,
En vain lui vouant son cœur de chien ; et, tambour
Assourdi, tout là-bas bruit l'affreux faubourg ;
Les heures, d'un clocher, s'égrènent une à une.
Moi, je suce ma pipe avec docilité.
Humant l'acre pétun à la svelte clarté
De la lune assoupie ; et contre moi Denyse,
Dans le fauteuil profond silencieuse assise,
— 172 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Nous rêvons qu'eût été bien doux auprès de toi,
Ma mère, d'aspirer la multiforme voix —
— Ainsi submergés dans la caresse indécise
Dont la lunevoluptueuse nous poursuit —
Respirer, si mélancoliquement exquise,
La voix, la vaste voix muette de la nuit.
73
CLAIR DE LUNE QUAND LE CLOCHER
SONNAIT DOUZE
— Et l'ombre de la lampe
Qui le long du mur rampe.
— Nous campons dans une demeure étrange,
Une demeure impossible ! où les nuits
Sont au pouvoir de fantastiques bruits.
Une âme y hante, mnombrable, un mélange,
Un grouillement d'âmes, ces soirs d'été.
Nous ne nous sentons là jamais en solitude :
C'est des heurts dans le mur, des pas, un œil qui luit,
La lampe qui s'effare, et des voix chuchotées ;
Notre hôte familier a nom l'Inquiétude...
Des puces nous remembrent la réalité.
— Une robe de ma mère
Fait la courtine du lit ;
— Elle sera la brassière
De notre premier petit ;
— Elle sera le suaire
Oii nous serons réunis.
— 174 —
SISTRE
— J ai tendu des chaînes d'or
D étoile à étoile, et je danse.
— Hélios grimpe un rayon d'or
Dérobé dans ta chevelure,
Et tendu comme un pont sonore
Au travers de l'immense azur :
Et, joyeux, glisse tout le long.
Et plonge au fond de ma prunelle,
La chatouille sous la prison
D'une paupière qui sommeille :
Et je m'éveille ! et fais bondir.
D'un baiser pervers, mon exquise
Paresseuse, et lui vais rugir,
Dans l'oreille : Bonjour, Denyse 1
- 175
ËCOLE BUISSONNIERE
■ — C est à ce joli mois de May,
Qui toute chose renouvelle.
— Tu tordras ta crinière à l'entour de ta nuque,
0 ma cavalière à rubans ;
Fièrement t'encasqueras-tu avec ta toque,
Fausse loutre ou faux astrakan.
Et puis Dieu lâchera par les champs et les routes
Ses deux beaux enfants !
Les herbes courent parJ^ plame
Sous l'haleine allègre des vents : f
Voici l'instant, petite reine,
Petite reine, viens-nous en !
\
Et moi j'enlèverai, tel un dieu, par la taille.
Le cher cœur, le corps adoré,
La fleur énamourée qui tressaille et bataille
• Sous des mitrailles de baisers !
— 176 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Viens, nous nous roulerons, fumants, sur l'herbe vierge.
Je te ferai brouter des paquets de bluets ;
Le soir nous nous irons barbouiller à l'auberge
Avec du beurre et du lait frais,
Et puis nous rentrerons, chez nous : chez nous ! ma chère,
Adorablement harassés :
Les herbes courent par la plaine
Sous l'allègre haleine des vents :
Voici l'instant, petite reine.
Petite reine, viens-nous en !
- 177 - 12
VOL PLANÉ
— Qu'une radieuse démence
Nous élance vers l'inconnu !
— 0 spasme, ô frénésie, épreintes de l'amour !
Ton sexe, je voudrais me l'incruster, ce sexe.
Le faire anéantir en ma chair à son tour.
Fleur Carnivore, fruit vivant, fraîcheur et braise.
Multiple fraise offre -le moi, à moi l'ouvrir.
Et que ma chair en soit baisée et le re baise,
Jusqu'à mourir, jusqu'à mourir !
Livre -le moi que je l'écrase et m'y écrase,
Je veux qu'il souffre amsi que moi j'y veux souffrir.
Nous abîmer dans l'agonie et dans l'extase.
Jusqu'à mourir, et sans merci !
— Nous avons déliré ainsi.
Nous avons déliré ainsi
Et plus, et plus encor,
— 178 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Jusqu'à sentir sous nous la mort ;
La transe d'amour veut ceci.
Y faut si âprement jouir
Que semble qu'on en va mourir,
Et distendre la volupté
Tant que joigne la chasteté.
Et moins haut c'est ignominie.
L'hallucinante chasteté.
Lucide comme un vol de cygnes.
De la céleste pureté
Eploiera l'innommable signe :
Pour l'atteindre il fallait passer
Le marais des affres charnelles
Et toutes nausées surmonter
Pour voguer sous ses vastes ailes ;
Tout traverser, quoi, jusqu'au bout.
Se vider du sang et des larmes.
Et des sanies et lacs de boue
Pour s'enivrer du juste charme
Qui rassérène et qui absout.
179 —
ÉPITHALAME
— Pourquoi donner tant d importance
A des choses qui n en ont pas ?
— Que l'amour soit un accident,
Un incident dans notre vie :
Quand du baiser l'absurde envie
Tiendra notre chair en sa dent,
Nous, à notre esprit défendant,
La démusélerons ravie.
Et la pauvre bête assouvie,
Oublierons ce convive ardent,
Mais sans honte : sa bête mange.
Dort, fait l'amour, qu'importe à l'ange ?
Et donc, allégés de la chair.
Flambants de foi et de courage.
Pour ourdir notre rêve cher.
Nous nous remettrons à l'ouvrage.
- 180 —
GAZOUILLIS
— Dieu qu'il fait bon la regarder,
La gracieuse, bonne et belle !
— Éclat de rire
Dans la maison,
Grain de délire
Pour ma raison,
Doux collier d'ambre
Autour mon cou,
Rose en la chambre.
Bonheur partout,
Denyse, Nyse,
Mon rayon d'or,
Epouse exquise.
Discret trésor.
Plus belle encor.
Et riche es-tu
Que par ton corps.
Par ta vertu.
- m -
1
UN CORBEAU
. Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau .
— Quand je rentre, écrasé sous le labeur honni,
SI je ne trouve pas mon oiselle en mon nid,
Aussitôt je rêve malheurs : d'affreux présages
De leurs ailes velues me glacent le visage.
Je vois le mauvais sort dans un coin accroupi,
Qui de son œil vitreux muettement m'épie,
Je vois sur toi sa grifïe s'allonger, heureuse
De nous faire payer nos joies vertigmeuses.
Je VOIS fauché déjà notre avenir béni,
Et m'affaisse en disant : Fini, tout est fini !
Et soudain, maternel et nuptial reproche.
Tinte jusqu'en mon cœur le chant de ton approche
Ce cœur bondit comme d'un sépulcre, en chantant,
Vers tes deux bras ouverts et ton cœur qui se tend.
A
182 -
NUAGE SUR AZUR
— Voyez pleurer la mariée
Il faut aller la consoler
Bien vite avec un bon baiser.
— Je t'ai fait pleurer, ma Denyse :
Oh la triste chose que nous !
Lequel eut tort en son courroux ?
Moi, hélas, si ton cœur s'y brise :
Oh la triste chose que nous !
Cœur que j'afflige
Et sans raison,
Fleur qu'à sa tige.
Par déraison,
Ingrat, je brise ;
Frêle Denyse,
Fleur et roseau.
Mon doux oiseau,
Endolori,
- 183-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
De ce souris
Dont tu pardonnes,
Consens l'aumône
A ton mari !
- I'8'4 —
VERTIGE
— Vole, mon cœur Vole !
— Quand je contemple notre chambre,
Temple et nid, haillon et paillon.
Je me crois voir un papillon,
Papillon frileux de décembre.
Ensorcelé par ton rayon.
Le myope ailé, fou timide,
Vers la dévorante clarté,
Castel de cristal enchanté,
0 lanterne, se rue, avide
D'amour, de flamme et de beauté.
Son aile grésille, il tournoie.
Du brasier roule au noir cristal.
Sa tête fêle, un heurt final
Du prisme aveugle le renvoie
Au destin aveugle et fatal,
— Î85 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Ainsi moi frissonnant poète
Gravite autour de ta clarté :
Sans savoir quel destin nous guette.
Je vais à ma fatalité.
- 186-
LA GLOIRE*
-Seins de la maternelle et nuptiale extase.
Gonflés du riche lait qui monte et qui descend.
— La plénitude de tes seins
Me ravit en béatitude :
Uun et l'autre dans mes deux mains.
Les angéliques assassins !
0 pointes raides, fines, rudes,
0 piments à goût de raisins,
0 plénitude de tes seins !
La plénitude de tes seins
M^est telle quune source vive.
Je meurs d'émoi sur leurs tétins,
0 plénitude de tes seins.
Et m'y vois mourir et revivre.
Raisins, piments, source d'eau vive,
0 plénitude de tes seins !
(*) Les pièces marquées d'une * et imprimées en italiques ont paru
en 1920, aux Éditions Gallus sous le titre : La Prière de 40 heures.
- F87 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Mon sang, mon cœur, bondit soudain
Vers le sang, le lait qui les gonfle.
Et, voici, r arrête soudain
Ton ventre rose qui se gonfle :
0 notre œuvre, ô notre triomphe,
Espoir auguste de demain,
0 plénitude de tes seins
Et de ton ventre qui se gonfle !
— 188
LA COURONNE D'ÉPINES
LES TRANSES *
— Une cloche tinte là-bas, on ne sait où.
— De ces limbes inconnus
Où sourdement tu palpites.
Du ventre là qui s'agite.
Germe d'âme poindras-tu ?
Quel ange innomé t'envoie :
Veut-il l'absolution
De nos égoïstes joies.
Ou leur expiation ?
Dois-tu prendre la lumière
Pour la déprendre aussitôt ;
Ventre tremblant de la mère.
En veux-tu faire un tombeau ?
Ou si l'autre, la jalouse
Qui fermente là-dessous,
— 191 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
S'allait reclore sur vous.
Sur le fruit et sur l épouse ?
On s'évade : un souffle, une heure.
Pour y redescendre en chœur.
Jusqu'à l'aurore immortelle
Dont les cloches nous appellent !
0 flamme d'ici-bas, reflet des clartés saintes.
Lueur frêle et sublime, ô viehumaine, éteinte,
0 vie, en quel instant ! Devoir s'apprivoiser
L'entendement avec la pantomime triste
Qui sombre au trou qu'un rustre aviné va creuser !
Hors ma femme, pour moi rien ici bas n'existe :
Elle est là qui m'appelle et f habite en sa voix.
Contre moi je la sens et je la vois en moi.
Et ce soir ce ne serait plus rien ! Une masse.
Sans nom, hors notions de temps, d'heure, d'espace.
Elle sera cette chose impossible : rien !
Plus de souffle et de corps, plus même de nom : rien
Dont nous puissions nous faire une idée : un néant.
Le vide : rien ! Et quelque chose encor, je sens.
Quelque chose de moins que rien ! en attendant
L'heure terrible, le grand jugement qui vient.
Et par toi, tout cela, par toi, cher innocent !
— 192 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Oh ! si lointaine, si impalpable et fluide
Soit-elle, si quelque âme habite là déjà.
Si tu nés plus le sac de gélatine avide
Et jet d'écume hasardeux qui surnagea.
Que t'atteigne ce cri d'un cœur désemparé !
Reste plutôt le flot anonyme, égaré
Dans l'obscur océan des limbes où tu baignes !
- 193 - 13
LES ANGOISSES
— Causa nostra lœtitiœ,
Ora pTO r.obis.
— Flétries nos Pâques glorieuses,
Défeuillées nos Pâques fleuries ;
Des blêmes Pâques douloureuses
Tournent les mornes théories ;
Tout bonheur a-t-il donc péri
Ou faut-il espérer encore ?
Notre-Dame Vierge Marie,
Je suis triste jusqu'à la mort.
Pourquoi ce cri, pourquoi la mort,
Faible moi, cervelle oublieuse ?
Nous vous verrons fleurir encor.
Trésor des Pâques glorieuses ;
Pâques belles, Pâques heureuses.
Vous renaîtrez, Pâques fleuries :
Pardonnez nos affres honteuses,
Et nos désespoirs et nos cris,
Notre-Dame Vierge Marie !
— 194 -
LES LITANIES
— Fort comme la Mort.
— Aimer, c'est mourir.
Mourir pour renaître en l'être quon aime,
Ne plus vivre en soi, vivre à même lui :
Denyse, Denyse, je t'aime.
Aimer est sentir plus ni joies ni peines.
Ni ses haines, ni ses désirs.
Aimer est ne souffrir, jouir ni sentir
Quà travers l'être qu'on aime :
Denyse, Denyse, je t'aime.
Aimer est, fût-on à mille et mille lieues.
Être retourné par tout ce qui tourne
Au fond des destins de l'être qu'on aime :
Denyse, Denyse, je t'aime.
Aimer est sentir nos joies faire joyeux.
Nos chagrins sentir faire malheureux.
Sans qu'il sache même en quoi, l'être qu on aime :
Denyse, Denyse, je t'aime.
- 195 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Aimer est jouir de souffrir pour lui
Sans qu'il sache rien, sentir dans l'espace
Ce bonheur qui passe :
Denyse, Denyse, je t'aime.
Aimer, c'est aimer, et nulle parole
Ne définira ce que c'est qu'aimer ;
Le sage y est sot, sot et tête folle
S'il n'a pas aimé :
Denyse, Denyse, je t'aime.
Le fol, l'idiot a toute sagesse.
Toute science l'ignorant.
L'infâme toute vertu même
Dans l'instant qu'ils aiment.
Qu'ils aiment vraiment :
Denyse, Denyse, je t'aime.
J'avais cru aimer, j'avais cru savoir
Ce que c'est qu'aimer, et jamais encore !
La première fois j'aime et sais aimer :
Denyse, Denyse, je t'aime.
Ce que c'est qu'aimer je n'en savais rien.
Et pensais aimer ! En cette minute
Mon cœur distendu a compris enfin :
Denyse, Denyse, je t'aime.
— 196 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Ce nest ni désirs, ni plaisirs, ni luttes.
Ni les voluptés, ni les frénésies.
Ni les jalousies, leurs atrocités...
Denyse, Denyse, je t'aime.
Ni la charité aux ailes immenses.
Même pas souffrir pour l'être qu'on aime.
Ni pour lui souffrir, pour lui s'immoler.
Ce nest pas mourir...
Denyse, Denyse, je t'aime.
Aimer, c'est aimer, ne plus reconnaître
Et ce qui est soi et ce qui est lui.
C'est le voir dans soi et dans lui se Voir,
C'est ne voir que lui dans tout l'univers.
Et tout retrouver l'univers en lui :
Denyse, Denyse, je t aime.
On aperçoit alors qu on voit
Avec des yeux sans fin nouveaux.
On aperçoit qu'on se voit
Pour la seule première fois ;
On aperçoit luire la vie
Là où c'était avant la nuit.
On voit le mouvement, la pensée, la lumière
Où l'on flairait la mort ;
- 197 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Esprit et gloire où tout semblait matière ;
On aperçoit enfin, on aperçoit alors
Quon ignorait tout encore :
Denyse, Denyse, je t'aime
Car Vamour est toute clarté
Et lucidité suprême ;
Il est pour l éternité
Porte et clef de l'univers,
Par lui réglé,
A nous ouvert,
Sous ton geste, ô Divinité.
1
1
198 —
LYS ET L'UN DE VOUS TOUS
— Terre, ouvre-toi! terre, fends-toi!
Terre s'ouvrit, terra fendit.
— Être sublime est donc ta fonction.
Ta fin et ta nécessité.
Irrésistible mission
Servie avec naïveté.
Avec insouci : tel un lys
A pour fonction d'être pur.
Pourtant qu'en vue de son supplice
Se tourmente un torride azur.
199
sous L'HORLOGE DU DESTIN *
—La cloche tinte, gronde, appelle, objurgue et somme.
— Le plaisir s'enfuit avec l'heure,
Le bonheur est une fusée !
Le soleil rit, l'air frais chante et palpite,
Ton fantôme habite.
Cadavre, en mon cœur,
Sœur, ma pauvre sœur !
Or et azur est l'étendue immense ;
Je te vois étendue sur l'horreur d une claie.
On fouille dans tes plaies, on fouille dans mon cœur.
Ma sœur, ô ma sœur !
— 200 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Courage, ô sœur, ma sœur navrée.
Draine mes restes de vigueur.
Que ta souffrance abominée
Y soit noyée, et nos douleurs !
Griffes et becs d'un sort féroce
Me clouent sans force au loin de toi :
Je te transfuserais des forces.
Si fêtais contre toi, ô moi !
En vain ! ma volonté se crispe :
Faut-il que lâche il soit, mon cœur.
Faut-il quil soit mol et débile,
0 ma sœur, ô chair de ma sœur !
Je vois ma fuyarde pensée
S'attarder vers ce ciel en fleur.
Et s'y distraire, et t'oublier !
Oh ! fai honte ; oh ! ma sœur, pardonne.
Car tu le sens et tu le vois.
Que je ne suis plus là : pardonne.
Je ne souffre plus avec toi ;
Mon faux courage {abandonne.
C'est à présent ce lâche cœur
Qui pleure un secours de ton cœur !...
Le plaisir s'enfuit avec l'heure.
Le bonheur est une fusée !
- 201 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
II
— Vulnerant omnes.... ^
— Contemple-les, ces aiguilles,
Implacables à tourner,
Contemple-les, ces faucilles.
Aciers de V éternité !
A chaque pas quelles tracent
Sur le disque blanc et froid.
Leur tranchant haineux me glace.
Je les sens entrer dans moi.
Les pas quelles exécutent
Sont ceux que ton destin fait :
Plus que dix, que cinq minutes.
Plus qu'une, et rien : cen est fait !
C'en est fait, l'irréparable
Tombe dans l'éternité :
Puissances inexorables.
Rien ne peut vous arrêter !
Devise d'un cadran solaire.
- 202 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Chaque tic tac me semble
Un battement qui tremble
De ton pauvre cœur :
Oh ! Dieu, quil va vite,
Oh ! chère petite.
Comme tu as peur !
Vois les deux aiguilles,
Vois les deux faucilles :
Comme elles travaillent.
Comme elles entaillent
Ton cœur et mon cœur !
Oh ! je me méprise
Oh ! je me sens lâche,
Denyse, Denyse,
Triste bien-aimée,
Quà cette heure on brise.
On massacre, on hache !
Je veux f envoyer du courage :
Du courage, je nen ai plus.
Je suis un moineau sous l'orage,
Muet, transi, meurtri, perdu ;
L'heure tourne autour de ta vie.
Et c'est pour moi, et c'est par moi !
Mon Dieu ! dix heures et demie.
Son corps a le temps d'être froid !
- 203 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Pourquoi du soleil, pourquoi des lumières
Et des fleurs là-haut ?
A bas ces flambeaux : torches funéraires.
C'est vous quil nous faut !
Nuages de neige.
Là-haut qui voguez.
Triomphal cortège.
Ah ! disparaissez !
Le bonheur est une fusée !
III
... Ultima necat.
— Eh quoi ! cette suée d'horreur.
Ce ruissellement de souleurs.
Ne s'est donc pas encor tari.
Ou ne va-t-il jamais tarir ?
Et les destinées rancunières
Nous repoignardent par derrière :.
Moriere, i7 faut mourir !
-204-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
0 mauvaise fée, envieuse
Fatalité, lâche et hargneuse
Némésis, scélérate, gueuse.
Tous nos bonheurs ressuscites
Elle les reprend, la mégère.
Et joyeusement les lacère.
Et les piétine sur la terre :
Il faut mourir, moriere /
// faut mourir, il faut mourir :
Je t'entends rire et retentir.
Glas féroce à nous avertir
Que nos joies sont rien que désirs :
Assez juste pour altérer
Du vrai bonheur, et quau moment
U étreindre une nuée fuyant,
La Mort nous ricane : — Viens-t en.
Il faut mourir, moriere !
Est-ce la fin de tes souffrances
Cette fois ? Sinistre espérance !
Le glas grince dans le silence :
— Sa fin, oui ! Oracle abhorré.
Miel empoisonné, ironie
Funèbre ! Elle sera finie
Oui, ta torture : avec ta vie ?
Il faut mourir, moriere !
- 205 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Peut-être à cette heure es-tu morte.
Oh ! comble de Fhorreur ! la porte,
La porte qui s'ouvre m'apporte
L'affreuse annonce en Vain niée
Et que j'attends ! L'air sent la mort,
Je sens la mort : tout sent la mort.
Tout me hurle : la mort ! la mort !
Il faut mourir, moriere !
J'ai, sans but, erré par les rues.
Ahuri comme un chien perdu :
— Peut-être à cette heure on la tue —
Poignard tourné et retourné ;
Je me fais l'effet d'un fantôme
Qui s'en revient parmi les hommes.
Et la cloche brame et me somme :
Il faut mourir, moriere /
Peut-être, oui ! juste à cette heure.
Cher cœur, loin de notre demeure.
Loin de tout, loin de moi, tu meurs.
Loin de mon baiser imploré,
Seule, seule ! Il n'y sera pas.
Pour retenir entre ses bras
L'âme sublime qui s'en va :
Il faut mourir, moriere !
- 206 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Oui, souffle sublime, et suprême
Battement d'un cœur, quoi, pas même ?
De quoi sert-il, ô Dieu ! quils s'aiment
Comme on ne s'est jamais aimé ?
La consolation dernière
Ils ne l'auront pas, et la bière
Te livrera veuve à la terre :
// faut mourir, moriere !
0 tes yeux, étoiles jumelles.
Chavirant aux nuits éternelles
Sans le baume de mes primelles !
Tes lèvres ayant expiré
Leur pur souffle sans que ma bouche
L'aspirât, et sur cette couche.
Ce cher corps que d'autres mains touchent...
Il faut mourir, moriere !
Et l'on me parlera de gloire
A conquérir ! d'ime mémoire
A répercuter dans l'histoire.
Devant ces haillons déchirés !
Ma gloire était quoi P ta tendresse.
Etait mon bonheur : alors, qu'est-ce
Tout le reste ? Ah ! Dieu, qu'on nous laisse
En paix mourir : moriere !
- 207 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
— La cloche de la cathédrale
Appelle, auguste et sépulcrale.
Et triomphale et maternelle :
— Je tonne, et cest la voix du Maître qui f appelle.
Je mesure ta vie et ta mort sous mes bonds.
J'avertis les vivants, f endors les moribonds.
Et j'éveille les morts à la vie éternelle.
IV
— Utere prœsenti, memor ultimœ ^.
— Dois-tu mourir, est-ce-une prophétie
Qui me rebat comme à coups de massue ?
Tu dois mourir et cest moi qui te tue.
Et mon amour te supplicie.
Non, tu ne mourras pas, ma mignonne couleuvre,
Ton lézard ne veut pas, veut pas !
Tu reviendras le raviver, pour que notre œuvre
Mûrisse ; tu ne mourras pas !
I . Devise du cadran solaire de Verrières-Ie-Buisson.
— 208 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Nous avons tant et tant d'entreprises si belles
A bien mener, à mener loin !
Mon âme est grande, oui, mais débile et rebelle.
Et mon courage moins que rien !
Et sans ton doux soutien, sans toi pour récompense.
Plus ne m'est rien, plus rien ici ;
Si tu t'en Vas, si tu trahis notre espérance.
Je n'ai plus qu'à partir aussi !
— Les cloches du nord se sont mises à sonner
C'est pour votre femme et votre fils aîné.
— Viens et Vas, et bats, mon cœur.
Tourne, tourne, ma cervelle !
— Dix heures ! douze heures ! quinze heures
Sous ce martellement hideux !
Que les nuages sont joyeux !
Est-il donc possible qu'on meure
- 209 - 14
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Quand chante tant de joie au ciel ?
Heures, minutes et secondes
S'attardent dans la joie ; le monde
Tourne et rit, tout est flamme et miel.
Oh ! lâche, lâche, que je souffre !
Je ne peux plus tenir debout.
Je vacille à Vair comme au bout
Du cierge la flamme quon souffle.
Misère ! mon corps, là, cloué.
Quand l'âme tournoie et t'appelle
Supplice imbécile et cruel,
Va-t-il, enfin, lui, s'envoler !
J'implore qu'au moins en esprit
Vole à toi cette âme : inutile !
L'agrafe est solide, ô futile
Fureur, je suis pris et bien pris !
Lui se cramponne à ses deux ailes ;
Elle, s'agite, essaye un vol.
Et lui, demeuré sur le sol.
Il l'entend là-bas qui appelle !
— 210 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Tourne, tourne, ma cervelle.
Viens et vas, et bats, mon cœur !
Je tonne, et cest la voix du Maître qui t'appelle !
VI
— Ah dites-moi, maman m amie,
Quoi donc j'entends sonner ici ?
— L'horreur secrète de Ténèbres
Aux Vendredis-Saints grelotants
Submerge mon cœur et célèbre
Un sacrifice révoltant
Avec la passion hideuse
Où ta pantèles sous le fer.
Du viol des chairs généreuses
Et qui sont la chair de ma chair ;
0 cloche ! après l'heure des hontes
Et des deuils, du sang et des pleurs.
Se pourra-t'il qu'appelle et monte
Un jour de gloire et de bonheur ?
La cloche tinte : Attends ton heure, attends. ion heure.
- 211- -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
VII
— Ah dites-moi, maman m'amie.
Qui donc j'entends pleurer ici ?
— De profundis, de profundis !
Je me prostré sous ton supplice.
Des profondeurs de notre abîme
Vers toi, ma sœur, et pour nous jai crié ;
Faut-il un sacrifice et toi pour la victime
En holocauste toi, pour que fût expié
Et dédié notre bonheur ?
0 Béatrice ! ô Eurydice !
Que fais-je, Orphée impur, cadavre que tu traînes
Rivé par les saignantes chaînes,
Que tu traîne à tes pieds ailés !
En Vain crisperas-tu tes ailes.
Sans pouvoir, héroïque oiselle.
Hors des enfers nous soulever,
0 Eurydice, ô Eurydice !
Ma vaillante, mon héroïque,
Tu souffres, tu saignes pour moi.
Et tu souris comme autrefois.
Comme toujours, ô femme, ô martyre stoïqiié,
- 212-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
0 Béatrice, ô Béatrice !
De profundis, de profimdis.
Que remonte le clair jadis.
Son innocence et sa délice !
— Aimer, cest mourir.
Mourir pour renaître en l'être qu on aime
Et ne plus vivre en soi et vivre à même lui ,
Vivants ou morts, enfant je t aime.
Femme je t'aime,
A travers lui !
VIII
— // pleut doucement sur la ville.
— Le vieux cheval blanc
Sous le hangar tremble ;
L'air est haletant.
L'orage s'assemble
L'univers attend.
Voici qu'une trombe
De poussière arrive.
Où tout l'azur sombre :
Et soudain remonte.
Et s'évanouit.
— 213 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Une goutte tombe.
Silence sinistre.
Soudain un éclair...
— Que Dieu nous assiste ! —
Un coup de tonnerre
Secoue l'univers.
Mille coups répondent
Et mille éclairs bleus :
Le ciel crève en pluie.
C'est la fin du monde...
IX
— Le tonnerre gronde
Formidablement.
— U orage accablant le ciel
Pèse sur mon être aussi ;
Tout succombe, l'air est cuit.
Mon cœur nage dans le fiel ;
Dans cette loque de cœur
L'angoisse égoutte du plomb ;
Un glas tombe sur mon front.
Mes jambes branlent de peur.
Oh ! mon Dieu !
— 214-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Le soleil est de cuivre rouge.
Les nuages de plomb noirci.
Les arbres sont du vert-de-gris.
Et les vents une poix qui bouge ;
L'air me fuit, je bois de la fièvre.
J'ai sommeil et peur de dormir.
Tout me harasse et tout m'énerve
Et mon cœur voudrait se vomir.
J'avale de la laine
Et ravale un air mou,
Je crache mon haleine
Tant elle est fade au goOt ;
Crève, ciel, en cataractes.
Gouffre là-haut suspendu,
Ensevelis sous tes vagues
Deuils et bonheurs confondus ;
EpoumonneZ'Vous, bourrasques.
Déluges, chantez en chœur.
Déversez vos torrents flasques
Assez pour noyer mon cœur.
Gorgez les gargouilles.
Noyez les ruisseaux,
Pleuvez à pleins seaux.
Flots d'or, flots de rouille ;
Noyez tout mon cœur,
- 215 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Vagues furieuses.
Charriez rancœurs
Et fureurs boueuses !
Balayez nos veines
Du vieux sang putride,
Des fièvres malsaines
Et des joies morbides ;
Vomis, ciel, V éclair.
Et, soleil, tes flammes.
Dispersez les trames
De ma vie d'hier !
Mais sans fin les gargouilles roulent.
Dont les ruisseaux des rues débordent.
Des torrents qui tordent, détordent
Une eau plus visqueuse et trouble ;
Et mon même cœur, tordu.
Dégorge pareille immondice :
D'une onde pure jamais plus
N'y luira la fraîche délice !
— L'air se rafraîchit ;
L'averse redouble.
216 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
X
— // pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville.
— // pleut, mon cœur, il pleut à verse.
Et l'on dirait que cest du sang.
Ton sang qui de ton flanc quon perce
S'échappe comme un océan ;
Le ciel pourri comme mon âme,
Ce ciel est plein comme mon cœur ;
Tu n'es pas là, ma pauvre femme.
Tu n'es pas là, tu n'es pas là !
Ciel malade et bouleversé.
Les Vents sont noirs, sourde la pluie,
Et les nuages pourchassés
Me semblent, vomis par la nuit.
Les fantômes qui s'enfuient
De nos beaux jours trépassés :
Le bonheur est une fusée.
Le plaisir s'enfuit avec l'heure.
Le bonheur est une fusée.
On le cherche, il n'est déjà plus ;
— 217 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
On le cherche, il nest déjà plus.
Et notre ardeur s'y est brisée :
Il nest de grâce inépuisée
Que dans Notre-Seigneur Jésus !
XI
La cloche tinte avec sa lenteur acharnée.
— Forces éternelles.
Portez-moi des ailes,
Que je fuie vers elle.
Vers la hien-aimée !
Faites-moi poussière.
Que m'emporte l'air
Au nid solitaire.
Ame désâmée !
Etre ce nuage
Que résout l'orage.
L'oscillant mirage
De cet arc-en-ciel ;
— 218 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Veau de cette averse
Qu'en feux d'or traverse.
Balance et disperse
Le soleil au ciel !
XII
— Oiseau bleu couleur da temps.
Revole à moi promptement !
— Comme au fond des nues
Vont les golfes bleus.
C'est un oiseau bleu
Qui m'est descendu !
Grimoire menu.
Menu chiffon bleu,
Mon cœur morfondu
Ne t'espérait plus ;
Et je t'ai lu.
Et m' apparut
Soudain tout bleu
L'orageux ciel ;
C'était un peu.
Quittant la nue,
— 219 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
De ce ciel bleu
Dessous ton aile,
Qui rnest venu,
0 billet bleu.
Bel oiseau bleu
Tant attendu !
Toutes cloches sont revenues :
Voici l'heure, et par les nues,
0 mon Dieu, vos angélus l
Les nues se dissolvent.
Un coin du ciel bleu.
Une fumée blonde.
Enfin l arc-en-ciel :
0 merci, mon Dieu !
XIII
— Dansez au son de la musette.
Sautez au son du tambour n /
— Je voudrais me rouler par terre.
Effondrer ces voûtes de Verre,
Tant je suis, tant je suis heureux ',
Bondir à travers la fenêtre :
— 220-
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Je m envolerais bien peut-être
Lui tirer sa barbe au bon Dieu !
Je voudrais tordre des vaisselles.
Faire exploser cinq cents pucelles.
Danser sur les places tout nu ;
Lâcher mots tant espovantables,
Que croyant entendre le diable
Luther tombât mort sur son schpatz !
Je voudrais pleurer, rire aux larmes.
Embrasser tout vif un gendarme.
Trouver des vers ahurissants.
Crever par jeu toutes mes veines.
Faire de mon corps des fontaines
Pour enivrer tous les passants !
Je voudrais te tistre des voiles
Avec le milliard d'étoiles
Qui dansent en rond dans les deux,
Crier plein ta bouche : Je t'aime !
Et là mourir à V instant même.
Tellement je me sens heureux !
221 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
XIV
— Les cloches de la cathédrale
Tintent dans l'air frais du matin.
— // est né le divin enfant.
L'agonisante
A frémi :
Il est né le divin enfant.
Chantons tous son avènement !
Le ventre de la mère a frémi d'allégresse,
A frémi et s'est séparé.
Et l'enfant a jailli comme l'eau des promesses
Chantons, l'enfant sauveur est né.
Nous sommes tous ressuscites !
Et r enfant a jailli d'un seul bond
Avec l'élan d'une prière :
C'est un enfant tout rose et blond
Qui nous ressemble comme un frère.
Et nous irons partout chantant,
— Jouez hautbois, résonnez musettes ! —
- 222 -
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Et nous irons partout chantant :
Il est ne, le divin enfant !
Ce puisse être la chanson douce
Des heures, des saisons, des cœurs.
Où filles, où garçons, tout pousse
Comme les astres et les fleurs !
223 —
LA COURONNE DE LYS
15
BÉNÉDICTION *
— C'est un enfant tout rose et blond
Qui nous ressemble comme un jrère.
— 0 mon fils, de ce nom fose encor te nommer
Puisque je te sens mien pour encor quelques heures :
Les hommes vont descendre en chœur te réclamer.
Et tu seras leur proie jusqu'à ce que tu meures.
Ton nom sera porté sur un livre d'écrou,
Tu seras vacciné comme un bétail qu'on marque.
Et ton signalement t'escortera partout,
Jusqu'à l'embarquement dans l'angélique barque.
Tu mangeras ton pain aux sueurs de ton front.
Pain trempé de ton sang, de ton fiel et tes larmes ;
Ce famélique pain, comme tous en Voudront.
Vous vous l'arracherez sous le poing des gendarmes.
Ta femme et toi, pour dot, quand tu te marieras,
Echangerez le deuil, l'cmgoisse et la misère ;
- 227 - 15^
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Le puits sans fond aux flancs duquel tu tourneras
T'apprendra que lEnfer commence dès sur terre.
Et vous vous aimerez ; des enfants vous viendront.
Et vous les bénirez comme je fais moi-même,
Et sur vous sans vieillir les siècles tourneront.
Ramenant chaque fois le sanglotant baptême.
Mais si Dieu veut nous nous retrouverons enfin.
Déliés du fardeau des terrestres misères.
Dans le ravissement sans mesure et sans fin
Et le vertigineux repos dans la lumière,
Par delà la souffrance et les bonheurs humains.
— 228-
0 BEAUTE, D'OU SORS-TU ?
— Quand se lèvent mes bras s'agite l'univers.
— « Ma femme ! » mot divin : où ne puis-je enfermer
Les soifs de vénérer qui vers toi me transportent !
C'est peu nos pauvres chairs qui nous font nous aimer,
Mais un plus haut objet que ces chairs demain mortes.
« Ma femme ! » pesez-le, ce mot d'éternité,
Comme il est fort ! Ma femme : et ce veut dire l'être
Qui nous est à lui seul toute l'humanité
Parmi tout l'univers, tout ce qu'on peut connaître
De l'insondable et trouble univers d'à côté,
L'antre vertigineux où tourne la nature,
C'est ce qu'un tel mot : femme, à l'homme signifie.
L'énigme écrite en Dieu, hors lui toujours obscure.
Que Dieu dans ce creuset magique nous confie ;
Hélice sans repos tournant, même et nouvelle,
L'énigme assiège avec les eaux, la terre et l'air,
— 229 —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Horloge ce son sang, pri-me de sa prunelle,
Puis sous le choc d'un cœur se fait chair de nos chairs ;
Ainsi voici qu'en nous l'énigme se révèle :
Quelle puissance immense et sourde a réussi
A dissoudre la porte inflexible, et nous tendre
La frissonnante fleur sans en faire une cendre ?
L'universel amour : toi, femme son messie ;
Sous l'effluve échangé comme court une flamme,
L'irréductible et louche adversaire devient
L'intercesseur universel et le lien.
Et l'humain communie avec l'innombrable âme
Du monde en cette hostie humaine, un cœur de femme :
« Ma femme... » « je vous aime... » et par ces mots si doux,
Où tout m'est expliqué, où je m'éclaircis tout.
C'est un acte de foi double qui se proclame.
Et les articuler c'est nous mettre à genoux.
— 230-
FORT COMME LA MORT
— Aimez : cest venir Mai, le mois sacré des roses t
— Il est revenu le jour de ta fête,
0 ma bien-aimée il est revenu :
Vois, le gai soleil se veut de la fête,
Un rayon de mai pleut sur ton sein nu.
Mon cœur apaisé se tait et révère,
Qui devant ce sein, devant tout ce corps,
A déliré tant, jadis et naguère.
Fier de ravager un trop pur trésor.
Et j'ai assagi l'ardeur étonnée
D'un époux vorace, amant dissolu ;
Ta chair nuptiale au cœur m'est entrée.
Un rayon de grâce arme ton sein nu.
J'adore ce sein, j'adore ce corps.
Et qu'à travers lui une âme m'appelle :
— 23] —
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Notre nuptial et double transport,
Un seul timbre d'or, un seul couple d'ailes ;
Ainsi nous haussant vers l'aube nouvelle.
Au jour de ta fête enfin revenu, j|
L'ange a démuni la bête éternelle : "
Un rayon divin revêt ton sein nu.
15 mai 1898.
(Vers déposés dans un cercueil : 3 décembre 1920J
- 232 —
LE LIT
— Une robe de ma mère
Fait la courtine du lit.
— 0 lit doux et sacré, voilé de ses courtines,
0 lit frais, lit fleuri, lit pénétré d'encens,
Lit calme et recueilli sous ses lingeries fines,
Lit nuptial, lit fait pour l'amour innocent ;
Une lampe au chevet palpite, maternelle.
Et fait sans fin pour nous sa muette oraison :
Lampe auprès de ce lit comme au seuil de l'autel.
Car le lit c'est l'autel et toute la maison ;
D'ors orangés où filtre un lent reflet d'or rose
Sont tramés les tissus abritant nos sommeils.
Lit vaste et chaste, lit fait pour qu'on y repose.
Où l'aube fait descendre avec Dieu le soleil ;
Notre Seigneur en croix éternellement veille
Près de la sainte lampe éloignant les démons,
Et les lits des enfants, bruissants nids d'abeilles,
Sont pleins d'anges gardiens quand nous nous endormons.
— 233 —
PRIERE
In mutua Charitate.
— Ma femme, mon suprême des bonheurs sur terre
N est pas même celui qui m'épuise en ton flanc,
Ni même d'écouter ta soif déjà de mère,
Boire la fécondeur de mon embrassement ;
Ni le ravissement de notre jour de noces
Et celui de la nuit céleste qui suivit,
Ni l'angoisse des nuits augustes et atroces
Où ton ventre s'ouvrait pour délivrer la vie ;
Et ni l'écho de tant de douceurs et de drames.
Ni non plus le reflet de ce matin béni
Où j'osai dire : — Voulez-vous être ma femme ?
Et tu me répondis balbutiante : Oui !
Non plus notre foyer aux enfants purs et roses.
Fruits de ta chasteté d'épouse, et c'est pourtant
Par toi que j'ai connu cette ineffable chose :
La pudeur des époux, le rire des enfants ;
— 234 —
1
LA GUIRLANDE A L'ÉPOUSÉE
Mais dans ceci : de te sentir pelotonnée
GDiTime un enfant à naître au creux de mon gn'on.
Songer : C'est la chair de ma chair à moi donnée,
Et sur nous sans vieillir les siècles tourneront ;
D'où cet espoir divin : que dis-]e ? cette attente.
Ayant donc tant souffert et tant de larmes bu,
Mêlant nos cœurs, mêlant nos pauvres chairs dolentes.
S'endormir l'un dans l'autre et ne s'éveiller plus,
Et ne s'éveiller plus, épouse, vierge et mère.
Et martyre surtout, que dans les cieux sans lin,
Sous le vertigineux repos dans la lumière.
Par delà la souffrance et les bonheurs humains !
— 235
FIAT VOLUNTAS TUA
— J'ai mis dans ton cercueil, ma femme.
Tout ce qui reste de mon cœur ;
La terre a le corps, Dieu ait l'âme,
Et toi, de mol ces pauvres fleurs.
— Où sont-ils, vos amours ?
— On les a mis en terre
— Les verrez-vous un jour ?
— Dieu est là et j'espère.
— 236 —
TABLE
Pages.
DÉDICACE 9
5EL0N Verlaine Il
La Couronne de Marguerites.
Dionysia 15
Matutlna 17
Une plume tombe 18
Volvitur Ixion 20
Ame sentinelle 22
Cri de guerre presque d'été 25
Sérénade 26
Aubade 28
Quadrupedantes 30
Pantoum nègre 31
La Bradamante 33
Denyse, je vous aime 35
Grelots 37
Ombre 39
Déchirements 41
Enigme 45
Noirceurs, blancheur 47
Offrande 50
- 237 -
TABLE
Chanson de route
Cantique des Cantiques
Une rose sous l'arc-en-ciel
Orgues dans le vent
Lychnis
La Couronne de Myosotis.
A la missive endeuillée
Carolle fleurie
Nocturne
A fond de cale
Grand'garde
Gaston Phœbus chante
Aurore
Miranda
A la dérive
Bianca vestita
Dict du chevalier qui se souvient
Pantoum
Elévation
Trilles
Odelette d'avril
Pimpon d'or
Au buis bénit
Carillon de Samedi-Saint
En la ville aux portes d'or
Ode à la fiancée 111
Vilrimont 118
Chanson pour ma reine Mab 1 20
Au gui l'an neuf, au gui nouveau 122
La ville auprès du bois dormant 123
— 238 —
TABLE
Masques , ^ 1 25
Gigue pour enterrer la XII^ nuit 128
Là-haut sur la montagne 1 30
Ode à la joie 133
Parthénis 141
Rondel fleuri 1 43
La Couronne de Roses.
Tremblement 1 47
Les Mains 149
Le givre sertu'a ses roses de cristal 151
Châteaux en Belleville 153
Lendemain 154
Clorinde 1 56
Giroflée à cinq feuilles 1 57
Le Concile féerique 1 59
Prisme 1 63
Grappes à ma vigne 1 64
Soir de noces 165
La Couronne d'Épis.
Hymen 1 69
Extase 1 70
Soir sur la terrasse 1 72
Clair de lune quand le clocher sonnait douze 1 74
Sistre 175
Ecole buissonnière 1 76
Vol plané 178
Epithalame 1 80
Gazouillis 181
Un corbeau 182
— 239 —
TABLE
Nuage sur azur 1 85
Vertige 183
La Gloire 187
La Couronne d'Épines.
Les Transes 191
Les Angoisses 1 94
Les Litanies 1 95
Lys et l'un de vous tous 1 99
Sous l'Horloge du Destin 200
La Couronne de Lys.
Bénédiction 227
0 Beauté, d'où sors-tu ? 229
Fort comme la Mort 23 1
LeLit 233
Prière 234
Fiat voluntas Tua 236
240 -
6/BL/07HfCA
ACHEVE D IMPRIMER LE
31 OCTOBRE 1921
PAR FRÉDÉRIC PAILLART
A ABBEVILLE (sOMME).
337^ 6 7:
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottawa
Date due
Lt
/
iiiiiiïiiiMiiiiiiiiii' iii m il iiiiiiiMi
a39003 003962^8&b
BIBLIOTHEQUE DU HERISSON
FAGUS
La Danse Macabre, poème.
La Guirlande à CEpousée, poème.
THÉO VARLET
La Bella Venere, contes.
NONCE CASANOVA
La Libertine, roman.
P.-J. TOULET
Béhanzîgue, contes.
TRISTAN KLINGSOR
Htanoresques, poèmes.
HENRY MUSTIÈRE
La Nouvelle Frandade ou le Pou BolcJievik, satire.
OCTAVE JONCQUEL et THÉO VARLET
Les Titans du Ciel, roman planétaire.
MAGALI-BOISNARD
Mâadith, roman de l'Islam.
JULES ROMAINS
Le Fauconnier, étude de peinture moderne.
Exemplaires sur Alfa français 7 . 50
— Arches 20 —
— Hollande 30 —
— Japon 50 —