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in 2010 witin funding from
University of Ottawa
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CAMILLE LEMONNIER
S
L'AMANT
PASSIONNÉ
PARIS
BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
11. RUB DE GRENELLE, 1 1
1904
L'AMANT PASSIONNÉ
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
PUBLIÉS DANS LA B I B L I 0 T H È Q U E - C H A R P E N T I E R
à 3 fr. oO le volume.
Thérèse Monique 2' mille 1 vol.
L'Hystérique i^ i^^\\\q 1 vol.
Madame Lupar (3« mille i vol.
Happe Chair 3^ i^iiHe 1 vol.
Le Possédé '2« mille 1 vol.
// a été tiré de cet ouvrage :
Oainze f\:cemplaires sur papier de Hollandi
*ari.s. — L. Marbtheox, imprimeur, 1. rue Cassette. — ^073.
CAMILLE LEMONNIER
L'AMANT
PASSIONNÉ
PARIS
BIBLIOTHÈQUE -CHARPENTIER
EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
11, RUE DE GRENELLE, 11
190 t
Tous droits réservés.
fiîBLIOTHfCA
faviensis
L'AMANT PASSIONNÉ
CHAPITRE PREMIER
Dans le réduit qui lui servait pour sa toi-
lette, PaulLarue s'iiabillait. Les deux papil-
lons du gaz brûlaient près de la glace ; leur
flamme tempérait mal le froid qui soufflait
par les fenêtres du cabinet de travail. C'était
une vaste pièce au rez-de-chaussée d'un
ancien hôtel patricien, prolongeant, du côté
du jardin, un apparlement qui se composait
de la salle à manger, des deux chambres à
coucher, de la cuisine et du salon où l'on
dansait autrefois et qui avait été approprié
à sa profession d'avocat.
Le buste avancé par-dessus la plaque de
marbre, Paul, l'onglée aux doigts dans cette
1
2 1 /AMANT PASSION-NE
température d'hiver, s'impatientait à façon-
ner la coque de sa ci'avate de soie à reflets
3'or, un cadeau de Madeleine, parmi tant
d'alitres qui l'accommodaient à son goût
de jolie femme mondaine. Celait pour se
rendre à un de ses rendez-vous qu'il se
hâtait.
— Madeleine! dit-il lentement, touthaul.
La bouche, sensuelle et fine sous la mous-
tache brune en brosse, frémissait au rappel
du nom idolâtré, évocaleur de plus d'une
année de baisers déjà. Puis ses yeux gris,
frangés de cils noirs, un instant, se plis-
saient, embrassant toute l'image enfermée
aux ondes lumineuses du verre, comme si le
regard inquiet et ennuyé y eût cherché d'obs-
curs pronostics. La tête apparut volontaire,
pâle et passionnée, le front labouré de trois
rides épaisses qui, en s'agitant, imprimaient
à toute la face un signe de fatalité. Paul, à
trente ans, avait la mélancolie des visages
encore jeunes et que la vie, l'étude, l'amour
ont reforgés sur leurs mystérieuses enclumes.
11 eut un petit accès de toux ; il toussait depuis
un peu de temps.
— Jusqu'au bout! dit il étrangement en
haussant les épaules.
La pendule sonna quatre coups : c'était
I/AMANÏ PASSIONNÉ 3
pour cinq heures, chez leur vieille auiie,
Angèle Ducotiliou, l'ancien professeur de
piano de Madeleine, qu enlre eux ils appe-
laient la « pelile poste » et qui de l'un à
l'aulre portait leurs billets les jours où ils ne
pouvaient se voir. Rien qu'un quart d'heure
de trajet d'ailleurs: un Iramway le débarquait
au coin de la rue où habitait la bonne demoi-
selle.
C'était toujours, comme aux premiers mo-
ments, la joie pour lui de la revoir, d'avoir
aux hanches son rythme nerveux, de sentir
monter de ses robes le parfum de peau d'Es-
pagne qui avait fini par devenir l'odeur
même de sa chair de brune. Il goûtait près
d'elle la griserie un peu folle d'un tout jeuno
homme à la première maîtresse, la gravité
charmée d'un homme mùr qui a refermé
sur un être d'élection les portes du désir.
Madeleine avait passé dans sa vie de travail-
leur à laJois comme un éveil de printemps
et comme les souffles orageux de Tardent
été. Toute l'ancienne symétrie de ses jour-
nées partagées entre le barreau et son cabi-
net de travail avait été bouleversée dans le
coup de vent de son existence nouvelle, régie
par d'amoureuses exigences.
Ce jour-là, il avait du remettre un^ client
4 LAMAM PASSIONNÉ
pour ne pas manquer le bienheureux rendez-
vous. Au matin, il avait plaidé, dans une
aiïaire importante, avec son ancien patron
M' Henri Cormont, le mari de Madeleine. 11
avait au barreau le renom d'un jeune avocat
studieux et éloquent. Une cause retentissante
où il avait défendu Fauteur d'un virulent pam-
phlet socialiste, au nom des idées nouvelles,
l'avait du coup mis en lumière. « Mon cher
ami, lui avait dit Cormont ce jour-là, vous
avez peut-être agi selon votre conscience,
mais certainement contre votre intérêt. Vous
aurez désormais des causes, vous n'aurez
jamais un cabinet. »
Ce souvenir, qui inopinément arrivait se
marier à la pensée de Madeleine, éveilla en
lui des rappels. 11 eut aux dents un rire sans
bruit, le rire qui, à distance, mord dans de la
chair vive. C'était à la suite de ce procès où
il avait eu les accents d'un vrai orateur,
que Madeleine s'était sentie entraînée. Elle
lavait entendu plaider, très beau dans le
vent de ses larges manches, avec un mépris
fier de l'appareil social qui, du poids écra-
sant de ses gendarmes et de ses pohciers, de
ses juges en robes noires et de ses présidents
de cour en robes rouges, s'ébranlait contre
un seul homme, lequel, armé de son minus-
LAMANT PASSIn.\M> r,
cule outil terrible^ une plume, tenait tèle à la
meute entière.
Jusqu'alors, presque rien entre elle et lui.
malgré la demi-intimité qui les rapprociiait
dans la maison où il avait été stagiaire, où il
continuait à venir en ami : un désir timide et
respectueux de la part de Paul, de la coquet-
terie, de la curiosité, un attrait secret du
côlé de Madeleine... El pais, le lendemain
du jour où l'acquitlement du pamphlétaire
le fiançait à la notoriété, il lui disait ses
quatre années d'attente, d'émois éperdus
et sans espoir. Elle lui avait répondu avec
une jolie franchise charmée :
— Aimez-moi.
Ah oui, il n'aurait peut-être jamais de
cabinet; mais il avait ce que lui, le patron,
n'avait pas, l'amour de Madeleine.
Paul Larue, tout babillé, parfumé de cette
nerveuse odeur d'oeillet impérial qu'elle lui
avait choisie elle-même, passait son par-
dessus, quand la vieille Toine, de l'autre côté
de la porte, tout à coup cria :
— Une lettre.
Une peur lui coupa le souffle. 11 déchira
l'enveloppe ; il avait reconnu la main rapide,
sincère et frivole de Madeleine. C'était l'é-
ternel petit billet banal et gentil :
1
6 L'AMANT PASSIONNÉ
u Mon chéri, ne m'en veux pas..., je ne
pourrai pas venir avanl six heures et pour
un instant seulement... Mais sois heureux :
demain je pourrai te donner deux grandes
heures... J'irai les passer chez toi... A tout à
l'heure, haisers, haiscrs. »
Paul, debout près de la table chargée de
livres et de papiers, regarda longtemps le
feuillet qu'il tenait aux doigts. Une fine
ondée de lumière, de dessous la porcelaine
de Tabat-jour vert d'eau, arrosait l'écriture
aux lettres inégales, presque toutes hautes et
droites au commencement du mot et finis-
sant par des traits frisés et couchés.
— Comme c'est bien toi! fit-il à mi-voix,
de son timbre métallique et émoussé.
Comme c'était elle, en efïet, avec sa droi-
ture, sa sensibilité, sa perpétuelle mobilité
de petit oiseau joli dans une cage dorée!
Jamais elle n'allait au bout de son idée, pas
plus que de ses mots. Lui seul savait tout ce
qu'il y avait de tendresse grave et douce
sous sa petite folie de poupée à la mo:le : il
voyait l'autre côté de cette âme qui avait
toujours l'air de rire. Le rire était même si
particulièrement l'expression du visage de
Madeleine que celui-ci en restait écaillé de
fines craquelures dans la fraîcheur chif-
L'AMANT PASSIONNÉ 7
fonnée et mate de la peau. Au l'ond^ c'était
une tendre et une sentimentale. Ses larmes
étaient sincères avec lui autant que son rire
pour les autres, et même pour son mari,
étail simplement le mensonge d'une vie qui
se défendait.
— Allons...
Il replia la lettre, la mit dans son porte-
carte, encore une petite chose d'elle, un don
d'anniversaire qui lui rappelait le jour de la
fin d'avril où ils s'étaient aimés pour la pre-
mière fois.
Le froid, avec le soir, malgré les rideaux
épais elles boudins des jointures, s'infiltrait
plus vif par les deux portes-fenêtres donnant
sur le jardin ouaté de neige. Paul fut repris
de sa petite toux sèche : il dut ouvrir le
régidateur de la Salamandre émaillée en
blanc, trop petite dans l'ampleur de Tâtre.
Aussitôt le feu, qui économiquement couvait,
gronda; une chaleur dilata la température
morte de la vaste pièce. Et pour utiliser un
répit forcé, il allumait sa lampe de bureau,
prenait sur la table le dossier d'une affaire.
Le timbre de l'appartement encore une fois
vibra et de nouveau il sentait se réticuler ses
nerfs. Ah! il les connaissait bien, ces pince-
ments irrités de sa sensibihté, les jours où il
8 L'AMANT PASSIONNE
devait la voir, où il demeurait tendu de tout
son être vers l'angoisse de l'imprévu qui si
souvent remettait tout en cause.
' Toine lui apportait un billet, comme tout
à riieure : il le lui arrachait des doigts, res-
tait un instant sans l'ouvrir, très pâle, la
main crispée aux battements de son cœur.
Et puis il faisait sauter Tenveloppe.
<( Décidément, non, mon chéri... je ne
pourrai pas te voir... Je t'écris de chez ma
couturière... En aurai pour une heure encore
au moins à essayer... Et puis j'avais oublié
que nous avons quelqu'un à dîner ce soir...
Je charge mon cocher d'aller te porter ce
mot.,. Que d'ennuis... Mais va, demain serai
toute à toi... Un million de baisers. »
Ses bras retombèrent, il eut froid au cœur,
profondément. Une robe avait été plus forte
que son amour.. Ah! comme il la détestait
tout à coup de toute sa passion blessée î
Dans la minute désemparée, un rire amer
aux lèvres pour sa sotte crédulité, il enten-
dit au fond de la chambre grelotter une
petite voix cassée. C'était la vieille ser-
vante, l'amie des temps durs de la famille,
demeurée debout près de la porte, petite
ombre fléchie jusqu'oii n'allait pas la clarté
de la lampe.
LAMANT PASSIO.NM-: '>
— C'est-y qu'y a queuqiie chose qui vous
fait de la peine, m'sieu Paul?
Sa rancune chavira devant la parole si
doucement compatissante de Thumble créa-
ture.
— Ma bonne ïoiue. j'avais compté manger
un morceau en ville, mais c'est changé, je
resterai dîner avec maman.
— Ah ! bien, j'vas vous faire un bon chaus-
son... Ça vous fera le cœur moins gros.
Les images remontèrent : il revit les
fumants chaussons aux pommes du passé,
là-bas au village, sur la table, quand le père
vivait encore et qu'on habitait ensemble la
grande maison en pierres du pays, avec son
verger grimpant dans la monlagne...
La porle sans bruit s'était refermée sur le
rire discret de Toine, ce gloussement de vieille
poule qui lui sortait de la bouche étrécie en
goulot de bouteille.
Il retira sa redingote, endossa son veston
demollelon, mais son cœur ne s'apaisait pas
tout de suite; il le sentait battre sous sa main
avec violence. C'était la petite angoisse de
Madeleine, ces secousses oi^isa poitrine, dans
la joie ou la peine, semblait se briser.
Ses yeux, tout un temps fixés dans le vide,
maintenant glissaient, arrivaient s'arrêter
10 i;amant passionné
sur le petit cartel du calendrier en cuir de
Russie, à côté du classeur. Les aiguilles fau-
chaient le champ des heures : la grande sans
cesse courait après la petite. Elles avaient
déjà dépassé le slade qui pour lui eût été le
prix de toutes ses dernières journées d'at-
tente, dans celte course au bonheur où il
n'était jamais sûr d'arriver jusqu^au but...
Evanouis encore une fois l'espoir, le désir,
le bonheur, petit tas de cendres d'un feu qui
n'avait flambé qu'en rêve I
Comme il prenait sa plume, tout près de
lui, un grave visage le regarda, sembla lui
dire : Courage! Il contempla un peu de
temps la carte-album où, les mains sur les
genoux, dans sa robe de soie des jours céré-
monieux, M™' Larue était assise, les yeux
froids et clairs des grands visages de paysan-
nes sous l'ourlet des bandeaux plats.
Ah! celle-là, l'âme rigide des aïeules de la
race, la chaleur des vieilles humanités des-
cendue aux mains qui avaient caressé sa petite
enfance, la maman simple, taciturne et grave
comme la terre natale !
Sous le cercle clair de la lampe, c'était
l'image mêlée à ses veillées studieuses et qui
présidait à son effort intellectuel, l'image
même de la famille à travers les âges, ascen-
L'AMANT PASSIONNÉ -Il
(lances obscures qui avaient attendu d'ôlre
magnifiées dans Tassomplion des postérités.
Il soupira, saisit un dossier, se mit au tra-
vail. Mais une petite ombre dansante tou-
jours arrivait tournoyer entre les lignes.
— Non, non, je t'en prie, Madeleine,
disait-il, comme si ^raiment elle était là pI
qu'il se défendît contre elle.
CHAPITRE II
— Chéri...
Dans la clarté de la lampe, à petits coups
de talons rapides, elle venait à lui ; sa
marche légère et nerveuse faisait chanter
les soies d'un bruit mousseux d'écumes.
Depuis la pointe des bottines sous la jupe
en cloche, le relief moulé des genoux à
chaque pas, la souplesse mince de la taille
dans le paletot de loutre lâche, jusqu'à l'air
de fine usure du visage au nez rougi dei--
rière la voilette que très vile elle relevait,
Paul, une seconde, la tint tout entière dans
le plissement heureux de ses yeux gris.
Il y avait une semaine qu'il l'attendait, et
enfin elle était là, s'écrasant contre lui dans
2
14 LAMAXT PASSIONNE
le grand baiser fou dont il l'enveloppait.
Elle-même, en entrant, avait donné le
tour de clef, si peu nécessaire que fiil la
précaution. Tout de suite la maison sem-
blait se refermer sur son passage; à peine
elle voyait dans la pénombre lui sourire le
vieux visage ridé de Toine; et elle n'avait
besoin de rien dire, elle savait bien qu'elle
ne verrait personne sur son chemin, dans
le silence soudain des chambres où derrière
elle, à mesure, s'étouffaient les bruits de la
vie. Un même mystère entourait ses départs;
jamais elle ne s'était rencontrée avec M""' La-
rue. Celle-ci parut toujours ignorer qu'il
venait, à de certains jours, une dame qui ne
s'en allait pas tout de suite et qui n'était pas
une cliente ordinaire. M"' Larue avait une mo-
ralité sournoise de femme de la campagne,
déterminée à tout par soumission et par
intérêt. Cela lui avait réussi avec son mari,
le receveur des contributions, dans leur
petit village des bords de la Meuse.
— Si tu savais, mon Pauletl... J'ai pensé
que je ne te re verrais plus jamais.
. Il secouait la tête.
— Non, ne me dis rien... Je ne veux rien
savoir... Mais (a bouche, donne-moi ta
bouche, toujours!
L'AMANT PASSIONM: 15
Aux bouquets fleuris du papier de lenlure^
une ombre noua le dessin de leurs silhouelles
qui, dans la petite démence de cette minute,
ne pouvaient se déprendre. A pas glissants
comme en une atmosphère de songe, il l'en-
traînait ensuite vers le vieux divan près du
feu. C'était un des meubles sacrés de la mai-
son; un jour, il avait fallu y étendre le père
foudroyé par l'apoplexie. On s'était borné,
depuis, à renouveler Tétoffe.
Du tâtonnement de ses doigts, il défit les
fermoirs d'argent du paletot tandis qu'elle-
même, les bras en corbeille, retirait les
épingles de son chapeau. Il l'eut alors contre
lui, dans le chitTonnement de sa robe, avec
la liane souple et agile de son buste long
comme une nymphe de Hodin. Les peignes
d'écaillé, un à un, d'une chute sourde de
pivoine effeuillée, tombèrent sur le tapis;
elle fut enveloppée des chaudes ondes brunes
de ses cheveux.
— Ton cœur, ton pauvre cœur... disait-
elle, la tète appuyée à sa poitrine. Mon Dieu !
qu'il bat avec force I Comme cela me fait mal !
Lui, souriait sous les mains dont elle lui
pressait sa vie bondissante.
— Laisse donc, puisque c'est par là que
je vis...
16 L'AMANT PASSIONNÉ
Doucement, il les détachait pour l'arra-
cher à la sensation anxieuse. Puis, l'asseyant
parmi les coussins, il glissait à ses pieds,
demeurait longtemps la tête enfouie dans
son corsage.
— Je revis, j'oublie tout quand lu es là,
murmurait-il.
Aux sources de la volupté, ni Tun ni
l'autre ne pensèrent plus. Toute la vie de
Tendehors fut suspendue; il n'exista plus
que leur seule vie profonde. Songe émer-
veillé 011 le monde sembla arrêté, ce fut le
miracle de Toubli des êtres et des choses
autour de la nef incertaine de leur bonheur
toujours ballottée aux remous de l'aven-
ture.
L'heure passa. Tout à coup, à travers la
cloison, une pendule sonnait. Un frisson
courut aux épaules de Madeleine; il sembla
que la vibration métallique se fût prolongée
en ses fibres. 11 leva la tête, lui vil les yeux
partis, tendus là-bas vers la vision obsé-
dante, on ne sait quel mirage de foule cé-
rémonieuse et effrénée lui faisant signe de
venir.
Son amour se glaça; il fut debout devant
elle, la regardant durement du gris tVoid de
ses veux.
L'AMANT PASSIONNÉ 17
— C'est fini alors? la communication esl
coupée?
Sa voix était rauque, la voix des impulsifs
violenls dans les moments où, sous les coups
de marteau du cœur, les cordes se fêlent et
sont près de se briser.
Elle tressaillit, lui jela les bras au cou :
— Va, je suis aussi malheureuse que toi...
C'est ma faute, je sais bien. Mais on ne se
refait pas... Et puis un mari, un enfant, je
suis prise par tous les côtés à la fois.
— Tu l'as dit, fit-il en toussant ; moi, je n"ai
que le reste de tous les morceaux de ta vie
que tu donnes aux autres.
Elle eut un grand élan sincère :
— Toi! tu as le meilleur de moi... Tu es
avec ma Paulelle ce qui me ferait revivre
du fond de la mort même.
Alors, à cette évocation de l'enfant frêle, de
la fillette de dix ans qui, par un jeu singu-
lier du hasard, s'appelait du même nom que
lui, le flot orageux du sang s'apaisait chez
PaulLarue.
— Oui, redis-moi cela... C'est si doux
pour moi d'être avec elle une part vivante de
ton âmel T'aimerai-je jamais assez pour mé-
riter un tel don de toi-même ?
Ils échangèrent un baiser où déjà passait
18 L'AMANT PASSIONNÉ
la tristesse des adieux. Lui-même, ensuite,
allait prendre son paletot sur le fauteuil.
— Tu vois bien que je suis raisonnable.
Mais maintenant c élait elie qui ne voulait
plus parlir.
— Pas encore... Encore une minute...
C'est une peine si affreuse de se quitter I
11 la sentit longuement palpiter contre lui.
Elle lui entourait la taille, et l'attirant, se
pressant à son tlanc, elle le menait jusqu'à
sa table de travail.
— La table, la cbère peîite table où tu
écris, où tu veilles, où tu penses à moi... Ton
écriloire, tes plumes... Et là, le portrait de
la mère, de ta maman... Comme c'est bon,
revivre tout cela par le souvenir, quand tu
n'es plus près de moi I Moi aussi, j'ai eu une
maman, une vraie : que dirait-elle de sa fille
si elle revenait au monde ?
— Tiens, dit-il, ce petit guéridon, c'était
dans le petit salon, chez nous, là -bas... Un
cadeau de maman à mon père le jour où il
eut sa pension... Et ceci, la tabatière en
écaille de la grand'maman qui m'apprit à
marcher... J'y mets à présent mes plumes...
Et ceci encore...
Elle n'y prenait plus attention.
De nouveau, le timbre d'or, dans la cham-
L'AMANT PASSIONNÉ 19
bre voisine, grésillonnait comme le grillon
de Télé... Six heures... Tous deux tressail-
lirent. L'ombre reflua sous la lampe, les pla-
fonds s'obscurcirent; et elle lui mellait la
main à l'épaule.
— Celle fois...
Us se détachèrent : le silence retomba pro-
fond; ils étaient redevenus pareils à deux
étrangers qui ne savaient plus que se dire.
Elle fixait son chapeau devant un petit mi-
roir de Venise qu'il avait acheté pour elle :
il lui passa les manches de son paletot.
La porte ensuite mystérieusement s'ouvrit ;
Madeleine sans bruit glissa sur les tapis du
vestibule: toute la maison sembla dormir
pour son départ comme elle avait dormi pour
son arrivée... Près du seuil elle releva à
demi sa voilette.
— Adieu!...
Leurs bouches s'aspirèrent dans un der-
nier baiser; une seconde il la regardait se
jeter à la rue. Les roues d'un fiacre s'éloi-
gnèrent.
Il rentra, regarda quelque temps le divan
et puis, la tête dans les mains, d'une peine
immense, il disait :
— Partie !
Une main gratta h la porte; sa mère
20 L AMANT PASSIONNÉ
s'annonçait ainsi quand elle le croyait au
travail, ne se décidant à tourner le bec-de-
cane que s'il lui répondait d'enlrer. Il alla
ouvrir, et il la voyait là avec son grave et
honnête visage, sans une curiosité dans les
yeux, comme si elle n'avait pas même à
commander à l'expression de ses traits pour
ignorer qu'une femme venait de sortir.
— Mon fî, c'est le monsieur de l'autre
jour... Je l'ai fait attendre.
CHAPITRE m
— L'amour iVest peul-être qu'une ma-
ladie.
Cormont, un bout de la serviette passé
dans son col de chemise, tout en lançant
son paradoxe, laborieusement écrasait dans
le beurre une tranche de brie. Il aimait le
gibier, les fruils, les fromages et les vins,
adonné aux grasses sensualités de la table.
Grand, large d'épaules, le thorax bombé de
l'orateur, avec une courbe de ventre qui
allait à sa stature puissante, il semblait
sonner du cor en parlant.
Ce soir là, particuHèrement, il s'aban-
donnait, riait, risquait des boutades osées,
heureux de la journée qui lui avait valu
22 l/AMAM' PASSIONNE
un succès de plaidoirie dans une affaire
d'héritage, fructueuse pour lui. Madeleine
goûtait peu sa gaieté bruyante. Celle-ci, au
contraire, amusait la gravité du vieux
Sadoine, un visage épiscopal, rose et rasé
de près, des yeux clairs d"enfant sous
un haut front dégarni. Dans son masque
mobile de comédien, aux épais sourcils gri-
sonnants, le dessin d'une bouche aimable,
ingénue, spirituelle correspondait à la
culture fleurie de son esprit, à sa rhéto-
rique onctueuse et abondante, au timbre
charmeur d'une voix adroitement nuancée.
Sadoine triomphait dans les dialectiques
subtiles; il avait plaidé pour des femmes
du monde, dans des divorces célèbres, et
ses plaidoiries étaient toujours des pre-
mières; il y avait, autour des orbes de son
geste, quelque chose du magnétisme des ora-
teurs sacrés parlant dans le battement des
longues manches du froc.
Ce grand orateur, d'ailleurs, était presque
un silencieux dans la vie; il souriait, et ce
sourire parlait pour lui. Son nom, son âge,
sa gloire imposaient. Cormont, dénué de sen-
sibilité mentale, était un des seuls qui ne se
sentît pas troublé près de cette haute
expression d'humanilé.
LAMANT PASSIO.NNK 23
— Un mal de dents qu'on aurait an cœur
alors? s'écria Madeleine en pressant de la
pointe de son soulier les escarpins de Paul.
On avait causé d'amour : chacun avait ex-
primé son sentiment. L'avocat Marcille, en
s'inclinant vers sa femme, avait dit simple-
ment qu'il n'en connaissait qu'un au monde,
c'était celui qui ne se reprenait jamais. Sa-
doine malicieusement insinuait que sa qua-
lité de célibataire le laissait sans compé-
tence dans la question. Paul, seul, ne s'était
pas encore prononcé.
— Et vous, monsieur Larue. que pensez-
vous de tout cela? demanda .\P' Marcille
après qu'on eut ri du mot de Madeleine.
Il parut sortir d'un rêve.
— Oh! moi, madame, mon avis?... Je
considère que l'amour est la seule chose
importante de la vie : toute femm»: qui
l'inspire est l'égale des déesses.
Aussitôt Cormont protestait.
— Larue est un sentimentaliste, et, à ce
titre, un ennemi de la société. Que devien-
drait-elle si la question de sentiment préva-
lait hur les principes?
11 avait fini de trueller son brie et décou-
pait son pain en petits quartiers qu'il endui-
sait à mesure d'une couche de fromage.
24 LAMAM PASSIONNE
Un feu léger passa aux joues de Paul;
Madeleine devina que son cœur avait palpité;
et de sa voix sourde il répliquait :
— Les principes sont les rouages de la
vie extérieure; c'est une mécanique qui n'a
rien de commun avec Tintime personnalité
de l'homme. Celle-ci uniquement est régie
par le sentiment, depuis l'orgueil jusqu'à
Famour : nous ne vivons tous que par là.
— Du tout... du tout... Le monde ne vit
que d'ordre et d'harmonie. Le sentiment est
une poutrt' jetée dans les roues de la ma-
chine et qui la fait éclater ; c'est si vrai que
presque toujours, à son degré le plus aigu,
le sentiment confine à la folie... Othello est
un fou furieux.
Marcille tranquillement disait :
— il n'y a qu'une loi pour les hommes,
c'est de chercher le bonheur comme on peut;
et après tout ou ne le trouve que dans le sen-
timent.
Paul regarda Madeleine. Sa voix tout à
coup se cuivra.
— Le sentiment, reprit-il, est encore le
meilleur héroïsme dans un temps où on tient
si fort à sa peau et oii cependant il y a des
gens qui continuent à mourir d'amour.
Elle comprit, se raidit, ferma les yeux.
L'AMANT PASS10NM-: 25
l'ii silence, dans l'atmosphère chaude des
nourritures et des vins, les enveloppa. La
mort sembla avoir passé. >r' Marcille, sans
cause, regarda Madeleine, landis que Cor-
mont, en gonflant les épaules, s'écriait :
— Des mois !
Sadoine, lui. souriait à Paul. Il n'eut qu'un
mol, dit à mi-voix, avec cette onction qui
charmait les prétoires.
— J'aime qu'un jeune homme parle ainsi.
Les femmes applaudirent. Madeleine, dans
sa fierté d'amour, fut sur le point de se
trahir. Sa narine battait ; elle maîtrisa mal
le sourire triomphant de l'amante. Elle re-
gardait son mari avec un mépris profond.
— Oh! si vous aussi, mon cher maître...,
fit Cormont, qui, les yeux au plafond, en
renversant à demi la tèle, aspirait lentement
la pourpre lavée d'un vieux chambertin.
C'était un de leurs dîners en petit comité,
recherchés des confrères pour la succulence
des plats et la rareté des vins. On avait arrosé
le gibier de léoville, de corton et de nuits.
La femme de chambre accélérait autour des
convives un service discret ; le serveur, un
huissier du palais, n'était requis que les
jours de gala.
C'était Cormont qui, dans la maison,
•26 L'AMANT PASbIU.NNE
dressait les cuisinières ; il arrivait goûter
les sauces ; il ne confiait à personne le soin
d'accommoder certains plais. Sa cave était
pour lui le lieu sacré de l'habitation. Ce
matérialiste trouvait des accents lyriques
pour célébrer les grands vignobles et le mi-
racle des alchimies souterraines, il notait pré-
cieusemenl, dans un carnet à riche reliure,
les provenances, les millésimes et les unités.
Sadoine. dîneur délicat, et qui rapportait
aux choses de la cuisine un peu de son goût
pour les élégances de la diction, ne désap-
prouvait pas ce culte pour les bénédictions
de la terre. Paul Larue, lui, à peine prenait
attention aux vins qu'on lui servait.
Après le dessert, on passa prendre le café
dans la bretèque : elle était spacieuse et pro-
longeait, du côté de la rue, le salon et la salle
à manger. Des tapis persans, des peaux de
jjètes recouvraient le parquet : For roux
d'une toison de lion tranchait sur la fourrure
d'un énorme ours noir. Çà et là des sièges
d'Orient, incrustés de nacres, et des fauteuils.
Dans la polychromie des verrières, les tu-
lipes roses du lustre reflétaient la luminosité
ardente d'une illusion de jardin constellé de
grandes fleurs.
C'était Madeleine elle-même qui. dans
i;amant PASSIONM-: 2:
riiilimilé, servait le café. Debout devani le
guéridon, où la femme de chambre avait posé
le plateau, elle sucrait à mesure les tasses
et les passait.
— Deux morceaux? dit-elle à Paul qui
regardait éclore au bout de ses doigts souples
et longs la grâce de ses petits gestes précis.
— Deux, oui...
Il s'était assis dans un coin, un peu à
l'écart de Sadoine et de Cormont qui cau-
saient en fumant. Marcille avait pris sa
femme par le bras et Tarrètait devant un
ivoire, un merveilleux petit Bouddah, llli-
grané comme une dentelle.
Madeleine, la tasse dans la main, fit trois
pas et vint à lui, mince et fuselée, sans
un mouvement des hanches, dans sa robe
de tulle noir, pailletée de phosphorescences;
son sourire, la joie et la passion de ses
yeux la précédaient. 11 Feut contre ses ge-
noux à travers les tissus légers où sinuait
la forme de son corps.
D'un souffle elle disait :
— Chéri!...
Et tout haut :
— Prenez garde, c'est chaud.
H toucha ses doigts.
— Madeleine....
-28 LAMAM PASSIONNÉ
Et puis elle avail l'air de se rappeler :
— Dites donc, Monsieur Larue... Vous
savez que vous êtes mon prisonnier demain...
Je vous entraîne à travers les magasins. . . C'est
dans trois jours notre aibre de Noël, à
la Sainte enfance.
Il était debout devant elle, sa lasse aux
doigts.
— A vos ordres, Madame.
Mais tout à coup il se souvenait qu'il avait
promis justement ce jour-là à sa mère : il
y avait un mois qu'elle lui parlait d'aller
ensemble aux boutiques acheter des ca-
deaux pour les enfants d'un frère qui était
resté au village et, la femme morte, élevait
péniblement sa famille. C'était une joie
attendue et qui lui remettait eu pensée
le temps oîi, avec le père, elle allait à la
ville voisine faire l'emplette de ses noëls, à
lui Paul.
— Ah I pardon, demain, c'est impos-
sible.
Madeleine se piqua, une impatience lui
moussa aux narines.
— Ohl si Monsieur est empêché...
Tout bas elle lui disait :
— .j'avais arrangé cela pour être à deux.
Tu ne m'aimes plus.
L'AMANT PASSIONNÉ 29
Elle vit palpiter ses paupières : il eut
sa petite loux.
— Je viendrai....
— Bien vrai? fit-elle tout haut en riant...
Ce n'est pas un sacrifice trop pénible?
La destinée encore une fois avait tenu
dans la durée d'une minute : le cœur ma-
ternel roula sur le chemin où passait l'amour
victorieux. D'un glissement rapide, Made-
leine déjà était là-bas, près des Marcille.
— Figurez-vous, ma chère Clotilde, c'e^t
mon tour, cette année. Nous avons cent
francs pour l'arbre. Sans compter les vête-
ments, les chaussures, les petits trousseaux
que ces dames ont faits elle-mêmes; alors,
c'est M. Larue qui veut bien m'aider dans
mes achats... Gentil, n'est-ce pas?
Marcille les laissa causer ensemble et
poussa un fauteuil entre Sadoine et Cor-
mont.
— Votre mari n'est donc pas jaloux? fil à
mi-voix M""" Marcille.
Aussitôt le rire de Madeleine s'ébrouait.
— Mon mari jaloux? Dieu merci, c'est un
sentiment qu'il ignore. . . 11 n'aurait plus d'es-
time pour lui-même s'il l'était... Et puis,
pourquoi voulez-vous qu'il soit jaloux?
Paul était au supplice et à la fois prenait
3.
30 L'AMANT PASSIONNÉ
un intérêt singulier à leurs propos. Il admira
la témérité de Madeleine et se rapprocha.
— Mais, ma chère, parce qu'il y a un
jeune homme qui vous accompagne, répon-
dit M"" Marcille.
— Venez donc ici, Monsieur Larue, voilà
Madame Marcille qui vous fait un compli-
ment.
— Ne Técoutez pas^ Monsieur, s'é-
criait alors la jolie Clotilde, toute rose de
confusion, les yeux ingénus sous Tare des
sourcils. C'est après tout la faute de M. Cor-
mont... Je n'aurais rien dit s'il avait été
jaloux de sa femme.
Sadoine se couchait tôt : il partait presque
toujours après le café quand ilarrivaii dîner.
Il y avait un instant que la vieille pendule
allemande, en piquant des notes d'or de son
carillon la sonnerie de la demie après neuf,
lui avait intimé son heure hahituelle. S'ap-
puyant des mains à ses genoux, il développa
sa haute taille qui, à la barre, ressemblait à
une cariatide du Droit. Cormont et Marcille
aussitôt se levaient comme lui. Aucun des
trois ne parlant plus, le propos de M""' Mar-
cille tomba dans le silence qui suivait une
fin de causerie oii le grand avocat, d'une sim-
plicité qui étonnait et charmait, s'était
L'AMAM PASSIONNE 31
laissé aller à conter quelques souvenirs de
ses débuis.
— C'est bien de l'honneur que vous me
faites, chère Madame, s'écria Henri Cormont
en se rapprochant. Mais je me sens assez
riche de mes autres défauts sans avoir encore
celui-là... Nos ancêtres l'avaient estimé à sa
valeur en le jugeant par surcroît le plus
parfaitement ridicule dont put se charger
rhumanité.
Madeleine le regarda franchement : si
quelqu'un de ceux qui étaient là avait pu
avoir un soupçon, il eut admiré le calme
de son audace.
— Après tout, je ne me plains pas...
M. Cormont a confiance... C'est, je crois, le
plus beau compliment qu'un mari puisse
faire à sa femme.
Cormont s'inclinait :
— Flatté, ma chère...
Alors la voix haute, fluette de M""" Marcille
s'éleva, un petit chant d'alouette perdu dans
la nue.
— Moi, je me vante d'inspirer un senti-
ment différent à mon mari; il est jaloux et
je crois que je suis jalouse autant que lui.
— Comment donc faites-vous pour cela?
s'écria Madeleine en riant.
32 LAMA>'T PASSIONNÉ
— Mais, répondait avec innocence Clo-
tilde, c'est bien simple, nous nous aimons.
Tous, à travers le piquant de Taveu, senli-
rent la vivacité et la candeur des afieclions
exclusives. L'amour plana, l'esprit saint qui
présidait à leur hymen. Marcille, à l'âge où
la maturité se glace, gardait les feux du jeune
été. Clotilde, qui à peine avait la moitié de ses
ans, ne Taimait pas moins passionnément
qu'il ne Taimait lui-même. Elle avait la fraî-
cheur des matins de la vie; ses yeux, dans la
douceur de son visage, étaient deux lumières
humides; Marcille, de son côté, se conservait
pour elle droit et souple comme une lame
d'acier. 11 portait avec douceur et bonté la fi-
gure martiale d'un homme résolu à se défen-
dre jusqu'au bout contre le temps. «Je monte
la garde devant mon Louvre », disait-il. Le
souvenir charmant d'Estelle et de Némorin
les suivait à travers le monde.
Sadoine prit congé sur une parole ai-
mable qu'il disait à M""' Cormont en lui bai-
sant la main. Cormont ensuite raccompagnait
jusqu'au vestiaire, l'aidait à passer sa four-
rure. Paul profita de la diversion pour
s'excuser auprès de Madeleine.
— Un travail à terminer...
Elle rejeta vivement la tête, le regarda
LAMAM PASSIONNE Xi
droil dans les yeux. Ses traits s'étaient sou-
dain tirés.
— Ta froideur me glace le cœur, fit-elie
du seul mouvement de ses lèvres.
Il s'inclina.
— C'est entendu, Madame... A demain...
— Mais, s'écria-t-elle en riant aux éclats,
nous n'avons pas même convenu de l'heure
où vous viendrez me prendre.
Cormont rentrait.
— Eh hien, dit-il, que Larue vienne te
prendre ici vers trois heures, par exemple.
Elle se tournait vers Paul avec un tremble-
ment léger dans la voix, en le supphant des
yeux.
— Cela vous va-t-il?
Marcille s'étant rapproché, ils se regar-
dèrent avec des regards indifférents : (( Je
la déteste! » pensait-il. « Qu'est-il arrivé? ^>
se demandait-elle. Tous deux étaient mor-
tellement tristes sans cause.
— A trois heures, parfaitement, dit-il.
Cormont pressa le bouton électrique, (Il
un pas jusqu'au palier.
— Surtout pas de sentimentalité dans la
vie; rappelez-vous cela, mon cher.
Paul à la fois envia son assurance tran-
quille et le méprisa. Il descendit l'escalier :
3't L'AMANT PASSIONM:
par la porle demeurée ouverle, le rire de
Madeleine ruisselait, le suivait de marche en
marche. En bas la femme de chambre l'aida
à endosser sou pardessus.
Il se retrouva affreusement seul dans le
noir de la rue. La main à son cœur, il cher-
chait à en comprimer les ressauts. 11 se
jura de ne plus jamais dîner chez elle : il se
l'était juré si souvent. D'ardentes et sombres
mélancolies chaque fois étaient la rançon de
ses bonheurs de pauvre maraudes par-dessus
la haie. Il ne s'aperçut pas qu'il avait oublié
de boutonner son paletot : le froid humide
de la nuit lui glaçait la poitrine.
CHAPITRE IV
Pauldormil mal, il avait la sensation d'une
râpe lui raclant la gorge; son cœur, dans ses
bonds, secouait le lit sous lui. H n3 cessait
de penser à Madeleine. Tout son amour lui
était revenu ; il s'accablait pour avoir osé dou-
ter d'elle. « Comme elle vaut mieux que moi!
songeait-il. Jamais elle n'a mis en doute ma
confiance en elle. L'horrible vie qui l'oblige
à toujours mentir, elle l'accepte à cause de
moi presque joyeusement. Moi qui lui en
i;eux de son rire, j'oublie que c'est sa force,
je ne vois pas qu'elle est bien plus touchant •'
en riant que si elle se laissait aller à ses
larmes. » Il ne lui resta que l'ennui de ne
pouvoir tenir la promesse qu'il avait faite
à sa mère.
36 LAMANT PASSIONNÉ
Il se leva, passa dans son cabinet, alluma
la lampe. Une ondée d'or s'épandit sur les
fjossiers, l'écritoire, les presse-papiers, le
calendrier en cuir de Russie avec son cadran
qui marquait six heures. A l'église de la pa-
roisse un angélus tintait, d'autres sonneries
grelottèrent au loin. Paul, un instant, soule-
vait les rideaux et considérait le paysage des
façades et des toits, par delà les hauts murs
du jardin : ils plongeaient dans le crépuscule
matinal. A peine pouvait-il les distinguer à
travers la buée qui étamait les vitres.
Comme cela lui tenait au cœur, ce vieux
coin de ville avec ses pignons usés d'ans et
d'avaries et, par places, relancement d'une
louffe de branches par-dessus les cornières!
Il s'intéressait à son obscur voisinage, soup-
çonnant là aussi des peines, des joies, de
Tamour, enviant parfois à l'habitant des
mansardes sa pauvreté qui le laissait plus
près des mouvements de la nature... Vivre
oublié, avec une Madeleine, en simple
ménage besogneux où Thomme au soir
apporte le gain de la journée î... Dans les
estompes livides de l'aube, les lumières
couraient comme des étincelles parmi les
cendres d'un feu qu'on rallume.
11 s'assit sous l'abat-jour, prit dans un
f/AMANT PASSIONNÉ 3*
tiroir les portraits de Madeleine, portrails
des soirs de gala, les épaules et les bras nus,
porlraits des après-midi de ville en boléro
de fourrure, en paletot léger d'été, toutes les
Madeleine qui multipliaient les formes de
son désir.
— Bonjour, jolie amie, dit-il en leur sou-
riant.
C'était sa première pensée chaque malin,
avant de se mettre au travail. Il l'appelait
(( sa prière matinale » : en baisant son
image, il lui semblait que Madeleine elle-
même lui rendait son baiser.
Il se mit ensuite à compulser des dos-
siers. Petit à petit le jour entrait, pâlissait
rentrebàillement des rideaux. L'odeur du
café moulu se volatilisa sous les portes.
Il entendit glisser dans la chambre voisine
les feutres mous de M""' Larue. Bientôt elle
rappelait pour le déjeuner.
Il la rejoignit dans la pièce qui était voisine
de Toffice et qui servait à leurs repas. Les
dimanches seulement, le couvert était mis
dans la salle à manger. La table alors se pa-
rait d'une nappe damassée; l'argenterie était
retirée de l'armoire.
— Bénédiction, maman! dit-il en avan-
çant le front.
4
38 LAMA.NT PASSIONNÉ
— Bénédiction, mon û !
La cafetière en terre vernissie fumait sur
la table, près du pot au lait. Toine ensuite
apportait les rôties.
— Je vais te faire de la peine, maman, dit
Paul.
Elle le regarda, vit un pli à son front,
soupçonna la vérité :
— Tu me reprends mon jour?
Il hocha la tète, ennuyé, cherchant des
mots.
— Non, ne cherche pas, fît-elle.
— Eh bien oui... Et figure-toi, c'est pres-
que pour un motif pareil... Cette personne
fait partie du comité des dames patron-
nesses de la Sainte enfance... C'est elle
que ces dames ont chargée d'acheter les
mille riens pour un arbre de Noël... Tu peux
t'imaginer ce que cela lui donne d'occu-
pations. Alors, vois-tu, elle m'a demandé
comme ça de l'accompagner dans les maga-
sins.
Il parlait très vite en bouts de phrases ina-
chevées, comme quand, tout enfant, rentrant
de l'école, il lui fallait imaginer des histoires
pour s'excuser de s'être attardé.
— Tu as bien fait d'accepter, dit la mère.
« 11 n'y a pas deux cœurs comme ma-
L'AMAM PASSIONNÉ 39
man », songea Paul en shabillant pour le
Palais.
Tout souci s'eiïaça, il n'eut plus que la fièvre
de revoir Madeleine. H avait gardé les mouve-
ments impétueux et sincères des jeunesses
que l'élude, la volonté de se faire un nom,
la vie en famille ont détournées du plaisir.
« Dans six heures! songeait-il. Pourvu que
d'ici là rien n'arrive! » Une ombre aussitôt
le refroidit : sa sensibilité était mobile, vive,
violente. « Mais rien ne peut arriver puisque
son mari lui-même a réglé le rendez-vous »,
se dit-il à la réflexion. Et encore une fois il
était heureux.
Il sortit, rentra déjeuner à midi, après
avoir acheté de la biscote au sucre pour
M"' Larue qui en raffolait. Pauvre maman!
il lui devait bien cela! 11 montra une gaieté
inaccoutumée, imita la voix nasillée d'un
président de cour, mais tout à coup deux
coups sonnaient à la pendule; il tressaillit.
Plus qu'une heure! Il passa à son cabinet
de toilette, essaya des cravates, bousculant
ses tiroirs, tout secoué de ses petits accès
de toux.
— Maman... Toine... Où sont mes gants?
Non, pas ceux-là... ma dernière paire... Mon
chapeau maintenant.
40 L'AMAXT PASSIONNE
Toutes deux s'empressaient, elles-mêmes
effarées.
INP' Lame voulut absolument qu'il mît
une écharpe, l'écliarpe que, tous les hivers,
pendant six ans, le receveur avait régulière-
ment portée.
— «Mais non, maman, tu n'y penses pas.
— Oh que si, mon fi ! Ton père aussi
avait les bronches un peu faibles.
Il se jeta à la rue, consulta sa montre : il
ne lui restait plus qu'une vingtaine de
minutes.
Aussitôt il hélait un fiacre.
— A l'heure et bon train !
11 crut qu'il n'arriverait jamais. Le cocher
sloppa; il s'aperçut que le fiacre n'avait pas
mis dix minutes à faire le trajet.
— Si Monsieur veut attendre... Madame
b'habille, vint dire la femme de chambre.
11 dut patienter une demi-heure. Sa vie se
glaça : il cessa de feuilleter les revues jetées
sur un guéridon, se donna cinq minutes. Si
au bout de ce temps elle n'était pas descen-
due, il s'en irait.
Les cinq minules s'écoulèrent. « Que je suis
lâche ! » se dit-il en reposant son chapeau sur
la chaise ; et il se donna un nouveau sursis.
11 marchait, se rasseyait, allait écouter dcr-
i;amam passionné 41
rière la porte si un pas ne venait pas par
l'escalier; un dépit l'énervait h l'idée qu'il
était obligé d'attendre là comme un simple
solliciteur.
'< Si elle m'aimait vraiment, pensait-il, me
laisserait-elle me dévorer d'ennui dans une
maison où tout me parle de son mari? »
La porte tourna : Madeleine le faisait prier
par la femme de chambre de monter au
salon.
Son cœur s'allégea : il n'eut plus que des
sensations heureuses et fraîches. Là haut un
pas pressé courait, faisait tinter les cristaux
du lustre. Son être frémit à la deviner devant
sa g^lace, les épaules nues jaillies du corset;
il l'appela de tout son désir. Et puis un si-
lence...
Mais le bec-de-cane soudain jouait. Ce
fut une vision rose et poudrerizée, apparue
dans le flottement d'un peignoir. Il l'eut pal-
pitante, sans souffle, les yeux évanouis, dans
un grand baiser muet. Comme une fleur
à l'espalier, elle demeurait par les poignets
suspendue à son épaule.
— Folle î Comment as-tu osé...?
Jamais il ne l'avait sentie plus passionnée
qu'à travers cette témérité. Madeleine, depuis
le matin, avait tout réglé pour donner à son
4.
42 L'AMANT PASSIONNE
amant la joie et la surprise de celte minute
inouïe. Elle avait envoyé Pauletle jouer avec
les enfanls des Marcille; c'était Cormont lui-
même qui l'y avait menée en allant voir un
de ses parents malades, dont tranquillement
elle avait exagéré Télat. La cuisinière partie
en courses, il n'était plus resté que la femme
de chambre dont justement elle venait de
se débarrasser aussi.
La maison ainsi leur appartint, toute silen-
cieuse, réveillée seulement, à la sonnerie du
timbre, par le pas d'un jeune commis qui
allait ouvrir et recevait les commissions.
Une fois de plu<î, Madeleine révéla sa déci-
sion, sa ruse et sa tendresse. Elle voulut
que la maison détestée se rachetât dans la
pensée de Paul par un souvenir immorlel.
Le règne du mari, en cédant devant le triom-
phe de l'amant dans la demeure bâtie sur le
droit et la légalité, ne fut plus qu'une appa-
rence déjouée parles complicités de l'amour.
Paul s'abandonna à toute sa passion : il
éprouva un extraordinaire bonheur à se ven-
ger de Cormont en le trompant chez lui-
même. 11 goûta l'orgueil d'être aimé jusqu'au
mépris de toute prudence; il eut le vertige
de penser qu'il était pour Madeleine sa dam-
nation vivante. Elle sembla n'avoir songé
i
l/AMANT PASSIONNE 43
qu'à lui laisser la sensation de la plus folle et
de la plus ardente des maîtresses.
Le soir enlra par les verrières : le cocher
sur le Irottoir humide cognail des sabots.
— Si nous pensions à ton arbre de Xoël...
dit Paul.
— Tu as raison, fil-elle en rianl, bien
qu'au fond cela soit tout à fait sans impor-
tance. Mais oui, comprends donc, il fallait ce
prétexte pour rendre possibles ces quelques
heures passées ensemble... celle-ci comprise.
Alors j'ai imaginé cette histoire... Ahl mon
chéri, j'arrive à mentir beaucoup plus natu-
rellement que je ne dis la vérité.
Elle lui vit un pli amer à la bouche : peu!-
étre il avait pensé qu'un jour elle lui menti-
rait ainsi à lui-même.
— Mais puisque cest pour toi... D'ail-
leurs, le mensonge n'aura pas été inutile...
Me voilà bien obligée de me rappeler que j'ai
mes petits pauvres.
CHAPITRE V
Le fiacre cahota par les rues noires du
quartier, des rues rectilignes et froides bor-
dées de petits hôtels d'avocats et d'avoués.
Dans un denii-silence grave, le grand
palais de justice, avec ses prétoires, ses cours
d'audience, ses corps de garde, ses cellules,
déblayés après les aiïaires du jour, déjà éten-
dait la mort.
Paul lui avait noué les bras à la taille; elle
pesait de l'épaule à sa poitrine. Au passage
des réverbères, un jet de gaz éclaboussait,
dans le feutre des capitons, la pâleur de
leurs mains unies. Une détente, après
l'heure ardente, les inclinait à des sensa-
tions pensives. Elle eut la voix traînante du
souvenir.
40 L'AMÂ\T PASSION>E
— C est parées mêmes rues qu'un soir un
fiacre m'a ramenée... Tu ne peux te figurer
ce que j'éprouvais; il me semblait que je
commençais seulement à vivre... Je me
criais : " J'aime... je suis aimée... >>
— Moi, non plus, je ne connaissais pas
Famour. Je suis resté longtemps sanglotant,
à genoux, devant le vieux divan, la tête dans
les coussins.
Les grands magasins, la Irnînée des gaz
aux étalages animèrent la rue. Ils croisèrent
des circulations de passants, des roulements
de baquets et de fiacres. Elle fit arrêter
devant un bazar à jouets : une chaleur de
foule les enveloppa; des électricités chargè-
rent l'air, la joie et les convoitises pour les
images peintes, les simulacres, les illusions
dont se leurre la vieille humanité. Ils s'amu-
sèrent d'analogies : les jouets leur apparu-
rent des idoles rajeunies, le culte des dieux
avilis, en un mystère baroque de loiulains
avatars.
Entre les fines mains gantées de Made-
leine, leur grimace inerte s'animait de vie
nerveuse. Elle avait une gaîté d'enfant à
les manier, courant de rayon en rayon, en-
traînant Paul dans son sillage de soies
froissées. Deux porteurs la suivaient, ployant
i; AMANT PASSIONM: 47
SOUS la charge qui à chaque pas augmenlail.
Il voulut acheter pour Paule une poupée
qui ressemblait à une grande dame.
— Que tu es gentil I fit-elle en lui serranl
le bras.
Elle ignora qu'en la payant trente francs
sur le billet de cent qu'il avait emporté, il
ruinait sa tin de mois
Toute 'sa frivolité amusée, la petite folie de
sa cervelle de joli oiseau l'avait reprise.
Quand elle passa à la caisse, ses louis fondi-
rent : il lui manqua dix francs.
— Yeux-tu, mon chéri?... Jeté remettrai,
bien entendu.
Il l'admirait, épouvanté dans sa pauvreté
laborieuse. Ils firent un dernier lour : la
bousculade leur assurait l'impunité; elle se
pendait à lui de toute la passion de son petit
corps lluet.
Comme ils reprenaient leur tiacre, elle se
sentit gourmande. Non loin du bazar se
trouvait un pâtissier à la mode. Des dames,
à de petites tables rondes, lunchaient. Elle
salua, en passant, une jeune femme qu'ac-
compagnail un homme trop froidement beau
pour n'être pas une âme médiocre. Ce fut
l'avis de Paul et aussitôt Madeleine se met-
tait à rire.
48 LAMAM PASSIONNÉ
— Comme tu as deviné!... C'est Jean
Mauroy. le peintre... Un bellâtre, et le talent
de (oui le monde... Elle? M"' Saunier...
Mais oui, tu sais bien, la femme de Saunier,
le sculpteur... On dit que Mauroy en a assez
d'elle : c'était bien la peine d'avoir été tout
confesser à son mari...
Paul Larue se souvenait : c'était l'histoire
d'un jeune ménage où Fami se faisait aimer
de la femme et où le mari . toujours amou-
reux de celle-ci, finissait par se sacrifier,
en sorle que l'union légale paraissait être
du côté des amants et qu'il était, lui, en
marge de leur liaison, celui qui ne comptait
pas.
Madeleine se fit servir du thé, des gâteaux ;
Paul but un verre de vin doux; elle riait très
haut, en lui disant des choses tendres. Des
têtes se lournèrent vers eux et il jouissait
d'être envié.
— J'ai un désir, dit-elle... Fais-nous
conduire au bois, veux-tu, chéri?
Par prudence, ils changèrent de cocher.
Le fiacra longea de tranquilles avenues bor-
dées de grands hôtels.
— Prends ma bouche, dil-elle en s'écra-
sant la gorge contre son épaule. Quelle folle
petite femme tu as, dis? C'est que...
L'AMANT PASSIONN 49
Une seconde elle se taisait; et puis, avec
un grand soupir :
— C'est que nous allons être bien sé-
parés... Pense donc, la Noël, le nouvel
an.
— Ah!
11 la repoussa, frémissant, crispé d'une de
ces irritations brusques qui sans transition
succédaient à ses joies les plus vives.
— Je t'en prie, dit-elle doucement. Tu
sais bien que je te donne de ma vie tout ce
que je puis te donner...
— Les miettes de ta vie, veux-tu dire, ce
qui te reste de l'autre que tu sèmes à tous les
vents, fit-il, les dents serrées, son pli amer
aux joues.
Il la vit toute pâle dans l'ombre de la
voiture, sous la voilette mi -relevée. Sa
cruauté aussitôt triompha; il lui saisit les
poignets et cria :
— Ne comprends-tu pas que je hais tout
ce qui, constamment, t'enlève à moi? Tu
m'aimes, ah oui ! mais comme tu ferais l'au-
mône à un pauvre.
Cette fois, sous l'injure, elle avait une
révolte :
— Assez... Fais-moi descendre.
La durée d'une seconde, une aversion les
5
oO LAMANT PASSIONNÉ
sépara; leurs regards s'évitèrent, ils crai-
gnirent de ne plus se reconnaître. Madeleine
avait mis la main à la poignée de la por-
tière et donnait avec le genou une secousse :
la portière céda.
— Arrête, fit-il, ou moi-même je me
jette sous les roues.
Elle retira sa main, voulut parler, ne sut
rien dire; il la prit dans ses bras, et lui aussi
ne parlait pas tout de suite.
— Tu n'es vraiment pas raisonnable,
dil-ellela première tranquillement.
— C'est vrai, fit Paul, je n'ai pas ton
courage. Chaque fois que tu l'en vas, tu
emportes avec toi mes libres déchirées.
Encore une fois il était repris de sa petite
toux nerveuse; elle redoublait quand la vie
fagitait.
Madeleine détourna la tète, déjà vaincue
en croyant résister encore.
— Est-ce ma faute, et ne savais-tu pas
quelle femme j'étais quand tu commenças à
m'aimer ?
Le son tremblé de sa voix surexcita sa
sensibilité. Ses pleurs jaillirent: elle laissa
tomber la tête sur l'épaule de son ami.
Celui-ci passionnément lui baisait les che-
veux.
L'AMANT PASSIONNÉ 31
— Madeleine, je ne suis pas heureux...
Pardonne-moi.
— Hé! fil-elle, le suis-je plus que toi et
me crois-tu un cœur de piene?
Leurs bouches humides se cherchèrent,
et nul d'eux ne parlait plus. Il sembla que
TelTusion, en vaporisant le feu intérieur, eùl
rafraîchi leur passion.
— Où sommes-nous? fit-elle soudain,
en remarquant la traînée rougeâlre qui, au
passage des lanlernes de la voiture, courait
sur l'obscurité épaisse des taillis.
L'ombre des avenues les enveloppa; le
bois versa sur eux la solitude, le siJence et
Toubli.
— i\e plus jamais revenir ! s'écria-t-
elle.
11 la sentit sincère : dans son cri passa
l'infini du désir et de l'amour. Lui-même
s'exalta; il ne vil plus que leurs deux vies
fondues en une seule, eiïrayante de bon-
heur.
— 0 divine Madeleine !
Mais, sur le point de s'abandonner, il eut
peur; il se rappelait aussi qu'il avait promis
à sa mère de rentrer dîner. Il arriva ainsi
que dans le moment où il allait être l'homme
le plus aimé de !a terre, il ne songea plus
o2 LAMANT PASSIUN.XE
qu'à refermer devant soi les portes de son
paradis.
Madeleine, du moins, fut brave jusqu'au
bout : elle ne pouvait se décider à le quitter;
elle lui relint la main quand il tira sa
montre.
— Ne sera-t-il pas toujours assez tôt?
s'6cria-t-elle. Et est-ce bien toi qui mainte-
nant voudrais me voir partir?
Elle laissait paraître la tendresse la plus
vraie et la plus ardente. Elle ne cessait de
lui baiser la bouche; elle tenait ses mains
pressées enlre les siennes et les appuyait à
sa poitrine.
— Paulî... mon Paulî...
Elle sembla s'être seule approchée des
limites par delà lesquelles s'étendait le pays
d'où elle ne serait plus jamais revenue,
comme elle Tavait dit. « Sept heures », pen-
sait Paul.
La voiture tourna les dernières courbes
du bois : l'alignement régulier des hôtels
au bord de l'avenue de nouveau défila. Ils
se sentirent repris par la ville, le devoir, les
liabitudes de la vie.
— .\h! mon Dieu I mon Dieu! gémissait-
elle, toujours.
Il lui avait pris la main, avec le petit
LAMANÏ PASSIONNÉ 53
mouchoir de baliste qu'elle appuyait à ses
yeux, humide et parfumé; il la mangeait de
ses baisers brefs et rapides. 11 ne savait
plus que lui dire.
CHAPITRE VI
Toute une semaine déjà depuis lors... Il
avait fallu promener la maman à son tour :
c^était la veille de Noël. Paul l'avait menée
au grand bazar à jouets où ils étaient venus,
Madeleine et lui.
Elle s'était faite belle pour accompagner
a l'avocat » ; elle avait tiré du carton son
dernier cbapeau. Toine, restée sur le pas de
la porte, longuement la regarda se pendre
avec fierté au bras du jeune homme.
En avaient-ils acheté, ce jour-là, des
jouets, pour les enfants de l'oncle pauvre,
là-bas ! Il était bien sorli un louis de la poche
de Paul. ^\'^' Larue s'effrayait de sa prodi-
galité : il en avait dépensé trois fois autant,
la veille.
56 l/AMANT PASSIONNE
En sorlaiit du bazar, il l'avait conduite
dans une pâtisserie modeste où il lui avait
fait manger un quartier de tarie au riz.
(( Pauvre maman I pensait-il, avec elle je fais
des économies ! » 11 l'avait ramenée ensuite
en tram, heureuse et exténuée : elle déclara
h Toine qu'elle ne se souvenait pas de s'être
jamais autant amusée.
Et puis le jour de Tan était venu. Cormont
aimait recevoir, de cinq à sept, ce jour-là,
ses slagiaires. Pendant une heure, l'ancien
compagnonnage se renouait. Paul, seul, ne
s'élait pas départi de son humeur maussade.
En arrivant, il avait dabord demandé Made-
leine. La femme de chambre lui avait ré-
pondu qu'elle était partie dîner chez sa
mère avec Paule. Peut-être elle avait oublié
qu'elle lui avait promis de l'attendre, qu'elle-
même l'avait prié de venir ce jour-là l'em-
brasser entre deux portes. Le matin, il lui
avait envoyé une gerbe de roses et de lilas.
Il fut irrité : il mit dans la main de Cor-
mont une main glacée; il lui en voulut de
sa grosse confiance sereine qui, toujours, la
laissait sortir, bien qu'elle ne le trompât
qu'avec lui. Un peu de calme ne lui revint
qu'à la rue : il s'efh^aya de l'aversion qu'il
se sentait envers cet homme pour lequel il
LAMA.NT PASSIONNÉ 57
eût dù n'éprouver qu'une reconnaissance
respectueuse et allristée. « S'il n'élail pas
le mari de Madeleine, je l'aimerais comme
le plus cher de mes parents », songeait-il.
Il rentra à l'heure du dîner : il savait
que ïoine avait préparé un vrai repas de
tête.
— Figure-toi, quelqu'un est venu, lui dit
avec mystère M"" Larue.
Même la personne avait laissé un oljjet
à son intention. Il passa dans son cabinet,
aperçut sur la table un emballage léger, en
retira un délicieux petit porte-cartes en peau
de lézard. Comme il se repentait d'avoir été
injuste encore cette fois! Il s'accabla, abjura
toute défiance à l'avenir : « Chère Made-
leine, tu m'apportais ce cher souvenir d'amour
quand je t'accusais de m'oublier >^, murmu-
ra-t-il en baisant, d'une petite folie d'enfant,
la jolie peau chinée.
Quelle bonne soirée ils avaient eue cette
fois-là, la maman et lui! On avait évoqué les
souvenirs du village. Paul ayant fait prendre
à Toine un doigt de Champagne, elle ne put
jamais se rappeler les paroles d'une chanson
de là-bas qu'elle aurait voulu cluuiter.
Des jours s'écoulèrent. Il eut la sensation
de porler un trou dans le cœur. Il alla faire
o8 L'AMANT PASSIONNÉ
visite à Cormont avec Tespoir de la ren-
contrer. II fui de toutes les premières aux-
quelles elle aurait pu assister.
Il rôdait sous ses fenêtres à la tombée du
jour. S'il avait pu la voir rien qu'un ins-
tant, derrière un rideau, il eûl été heu-
reux. Il valait bien a la Petite poste ». Mais
justement la bonne Angèle était grippée et
ne quittait pas la chambre. Pas moyen de
faire passer une lettre à Madeleine. 11 ne
lui en voulait pas de ne point lui écrire : il
la plaignait plutôt de devoir garder un
silence dont sans doute elle souffrait autant
que lui-même. Il se mit à lui écrire des
lettres de huit pages; il ne les lui envoyait
pas. mais il pensait qu'elle aurait pu les lire,
et sa peine s'en adoucissait.
Ce fut elle qui, la première, lui écrivit;
un matin il reçut un billet de dix lignes où
elle lui disait sa vie : jamais elle n'avait été
si occupée; toutes ses journées étaient prises
par des visites; le soir c'étaient des dîners
chez elle et dans le monde. Elle s'étonnait en
finissant de trouver encore le temps de penser
à lui.
" Et c'est cet insignifiant billet qu'elle
m'écrit après plus de dix jours ! » s'écria-
t-il. Son dépit éclata. Il oublia les torts qu'il
LAMANT PASSIONNÉ 59
avait eus envors elle, déchira le mol, en jeta
les morceaux au feu.
Le lendemain, elle lui écrivit de nouvau
pour lui demander pardon d'avoir été si
sotie et si brève. « Je n'ai pas dormi celte
nuit à l'idée que mon apparente ludifle-
rence aurait pu te causer de lennui... Non,
je n'étais pas indifférente... Je ne cesse pas
de penser à loi, mon chéri. Je suis toujours
avec toi en pensée... Et puis j'oubliais de le
dire... une scène ridicule avec mon mari au
sujet des dépenses de la maison... J'en étais
restée loule secouée. »
Il embrassait les mots à mesure qu il les
lisait. . ,
— Madeleine, délicieuse Madeleine .
Ainsi, leurs cœurs séparés, comme les
tronçons d'une existence unique, conti-
nuaient à vivre des mêmes mouvements
puisqu'elle avait songé qu'il aurait pu elre
malheureux dans le moment où il lelail
réellement.
Sa vie s'allégea : il eut le sang jeune et
rapide des heures prometteuses de clairs
lendemains. Il ne finissait pas de baiser le
joli papier tleurant son odeur : il croyait y
baiser la bouche même qu'elle y avait ap-
puyée à la place où elle avait écrit : « Je
60 LAMAXT PASSIONNE
mets ici mes lèvres, lu les sentiras dans un
long, tendre, infini baiser. »
Cependant, elle ne disait rien encore du
jour 011 ils se reverraient. Des mondes ne les
auraient pas plus écartes l'un de l'autre. Paul
se rappela tant d'autres fois où, en le quittant,
elle semblait cesser d'exister pour lui, ombre
un instant apparue et sitôt après repartie
pour la région inconnue.
Ah! comme sa vie lui demeurait fermée!
A peine sa conjecture, en sériant la multi-
plicité d'actes d'une existence fragmentée
comme la sienne, pouvait-elle y apparier des
gestes, des rythmes, une apparence de réalité.
C'était là sa peine toujours vive, cette petite
mort de la séparation oii, après lui avoir fait
goûter l'ivresse des possessions absolues,
elle s'éclipsait et redevenait l'autre femme
qui cessait de lui appartenir.
Paul souffrit une agonie : son regret
de l'avoir perdue fut en raison du bonheur
qu'il avait éprouvé un peu de temps aupara-
vant à la tenir toute palpitante au cœur de sa
vie. C'était un état d'esprit aigu jusqu'à la
volupté : il goûta une joie crispée à se mourir
réellement un peu de ce qu'elle lui avait pris
de sa vie. Toute son exaltation maladive
encore une fois se reconnut en ce besoin
L'AMAM PASSIONNE 61
d'êlre heureux par sa soufïrance et de souf-
frir de ce qui aurait élé pour un autre la
source d'un bonheur sans défaillance.
Madeleine, au contraire, gardait dans sa
mobilité une sensibilité égale, à la fois
calme et vive, et qui savait s'accommoder
des mille difficuUés de leur vie. Elle subis-
sait l'événement, regrettait Paul, le désirait
d'un amour régulier et continu. Celui-ci
n'était pas plus fort dans la peine ou la joie
et se mêlait à toute la menue dépense
de son temps. Comme elle était sincère et
tendre, elle s'en voulait de si mal l'aimer, le
plaignait de n'avoir pas élé mieux aimé d'une
autre. Elle aurait souhaité lui donner toute
sa vie et ne parvenait pas même à lui sacri-
fier une des innombrables futilités qui lui
prenaient ses heures. Madeleine était si
occupée qu'elle en oubliait souvent d'être
malheureuse : peut-être elle ne l'était que
dans les moments oij elle pensait combien il
était malheureux lui-même. Ainsi, à la fois,
elle demeurait fidèle à sa passion, à sa na-
ture et aux entraînements de la vie.
CHAPITRE Vil
Elle lui écrivit presque chaque jour. Cor-
mont ne désarmait pas : le ménage restait
tiraillé. Paul à la longue en éprouva une
joie féroce d'égoïsme. Il lui eût été Irop dur
qu'elle goûtât chez elle une iranquillité
qu'ils ne connaissaient point ensemble. 11
jouit donc secrètement de ses ennuis; il les
aurait voulus cent fois plus grands pour
qu'en le regrettant, elle détestât davantage
son mari. La sincérité et la force sauvage de
sa passion ainsi aboutissaient à un sentiment
qui ressemblait à de la haine.
Une après-midi la porte, devant de petits
pas pressés, s'ouvrit; elle lui arrivait, fré-
missante, et d'un long baiser, se jetait dans
ses bras.
64 L'AMANT PASSIONNE
— Je ne pouvais plus alleodre, j'aurais
traversé le feu... Ah! mon chéri, avons-nous
assez souffert!
Le cœur de Paul soudain s'arrêta : sa joie
ressembla à de la douleur; il eut la mort sur
les traits.
— Toi... Enfin !
De la jolie poupée échappée au tourbillon,
sortait alors la transformation d'une femme
tendre, douce, séiieuse que personne ne con-
naissait, hormis lui, et qui venait chercher
dans ses bras l'illusion de ne plus jamais re-
partir. Le babil de perruche, les petits gestes
menus qui battaient le vide, la folie de son
rire comme les grelots d'un soir de fête et de
mensonge semblèrent restés là-bas, de l'autre
côté de sa vie, duperie d'un travesti tombé
avec le masque aux premières clartés de
Faube et qui laisse renaître l'àme secrète et
véridique.
Us connurent les sécurités de la trêve après
de dangereuses caravanes, le long bonheur
triste et émerveillé des êtres pour qui les
heures de l'amour sont des relais entre deux
voyages. Paul lui sut gré de rester muette sur
son ménage, comme si de pénibles évidences
ne devaient point attenter au verlige d'oubli
de tels inslants. Elle parut en venant avoir
LAMAM PASSlUX.NE 65
résigné le souci de ce monde donl les chaînes
prolongeaient ses fibres vives. Elle lui parla
seulement de sa petile Paule qui avait mal
passé les premiers jours de l'an ; elle en
parla avec l'inquiétude bridante d'un cœur
qui s'accusait toujours de n'être point assez
maternel.
— Si tu savais comme j'ai eu peur !
Uue vie d'enfant, c'est si fragile... Et puis, on
ne sait jamais, on est quelquefois punie dans
les petits êtres innocents du mal qu'on fait
soi-même... Ma Paulette a besoin de tant
d'amour. . . Et je m'en veux de ne pas l'aimer
assez... Des fois j'ai l'idée que j'ai com-
mencé à Taimer moins le jour où je t'ai
aimé, toi... Est-ce que vraiment on ne pour-
rait aimer deux êlres à la fois?
Paule ressemblait à sa mère, mais en
blond ; elle avait la minceur fme de ses traits,
avec une langueur de mélancolie chagrine
et maladive. Des énergies nerveuses de Ma-
deleine, elle n'avait hérité qu'une sensibilité
inquiète, où une nature passionnée, tour-
mentée d'affection et de caresses, déjà se fai-
sait sentir.
La frivolité qui, chez M""' Cormont, s'al-
liait à une si vive tendresse, lui avait fait
chérir son enfant comme elle s'aimait elle-
6.
66 L'AMANT PASSIONNÉ
même. C'était, chez Paule toujours aux
mains des couturières et qui, sous ses cha-
peaux à plumes, ses longs manteaux et ses
robes à dentelles, n'avait plus rien de la sim-
plicité de la vraie enfance, une image dimi-
nutive de cette mère asservie aux futilités
de la vie mondaine et qui ne trouvait qu'en
rentrant à Theure du dîner, après une jour-
née d'agitations inutiles, le temps de monter
embrasser son enfant au moment oii la gou-
vernante anglaise commençait à la désha-
biller. Paule, qui eût dû se refaire aux bro-
mes salubres du grand air, s'anémiait ainsi
d'excitations artificielles, dans un milieu fu-
neste pour elle.
PaulLarue tout de suite l'avait aimée d'un
peu de sa passion pour Madeleine ; c'était pen-
dant un séjour qu'il avait fait chez les Cor-
mont, dans un châlel de montagne où ils pas
saient tous les ans leurs vacances; il y avait
cinq mois qu'ils s'appartenaient. Malgré les
ménagements infinis qu'ils avaient été con-
traints d'observer, le souvenir d'un des mo-
ments les plus délicieux de leur existence
s'attachait à ces heures passées l'un près
de l'autre sous le même toit, dans l'en-
chantement des paysages. L'amère certitude
qu'il n'aurait jamais qu'une part de la vie de
L'AMAM PASSIONNE
Madeleine ne le consumait point encore de re-
grels, de rancune et de jalousie. Ils avaient
connu vraiment là un égal et délicieux bon-
heur, dans rillusion de s'appartenir pour
toujours à travers ce qui les séparait. Cor-
mont, pris par son goût de la pêche, les
abandonnait à leurs promenades, à leur du-
perie d'une inlimité conjugale où Paul sem-
blait être le mari véritable de cette jeune
femme un peu plus âgée que lui.
Paule, d'abord un peu froide et maussade,
bientôt s'était attachée d'une tyrannie cares-
sante de fillette aux sens déjà subtils et qui,
sans se connaître, d'instinct veut avoir sa
part de l'amour qu'elle sent obscurément
régner autour d'elle. Le jeune homme avait
été le bon ami qui la promenait, la faisait
jouer, lui contait des histoires merveilleuses
et au bras duquel, pendant de longues ma-
tinées de flâneries au soleil des routes, elle
s'accrochait avec une càlineric précocement
féminine. L'enfant jamais n'avait oublié cet
été de joyeux compagnonnage. Avec le
temps, Madeleine avait même pu croire à un
commencement de passionnette.
Elle raconta, ce jour-là, à son amant qi..
justement la veille, Paule, dans un élan de
sensibilité comme elle en avait souvent.
68 LAMA NT PASSIONNÉ
s'était mise tout à coup à pleurer en deman-
dant pourquoi il ne venait plus.
— Cela lui est parli sans cause... Elle
jouait avec sa poupée, j'étais montée passer
deux heures avec elle dans sa chambre...
11 y avait trois jours qu'elle n'avait pu
descendre... Et puis, voilà, elle s'est regar-
dée dans la glace... Les pleurs sont venus...
elle a parlé de toi.
Paul eut un geste vague.
— Serait-elle la fille si elle n'avait pas
un peu de la beauté de ton cœur? Je ne suis
qu'un prête-nom pour le besoin d'aimer que
tu lui as transmis... D'ailleurs sait-on si l'en-
fant ne perçoit pas certaines affinités ma-
gnétiques là où les autres n'ont rien vu?
Paule peut-être a pressenti, a deviné...
— Ce serait affreux, s'écria Madeleine en
suivant son idée. Un cœur comme le sien
n'est déjà que trop sujet à se créer des tour-
ments... En t'aimant, elle arriverait à me
détester...
Elle fut soudain toule rouge comme s'il
lui venait une pudeur pour cette âme secrète
de l'enfant déshabillée dans l'illusion du plus
intime des sentiments humains.
Il lui toucha le front du bout de son doigt.
— Folle!
L'AMANT PASSIONNÉ 69
— C'est vrai, lit-elle en souriant. El puis,
à quoi bon se tourmenter... Il n'y a ici que
deux cœurs heureux et deux vies réunies...
Tout le reste est oublié... Si Paule doit res-
sembler à sa mère, ce n'est point à moi à la
plaindre, puisque même des peines comme
les nôtres ne sont encore après tout que la
rançon du bonheur.
Tant qu'il fit jour, ils ne pensèrent point à
la brièveté rapide des heures; les vitres s'ob-
scurcirent : il ne resia plus qu'une pâleur
où, un peu de temps, le portrait du receveur
contre le mur demeura visible.
Paul tout à coup tressaillit : il eut le désir
violent d'échapper à cette mort des appa-
rences sensibles qui tombait avec le soir.
— De la lumière, fit-il.
Madeleine aurait préféré doucement s'en-
sevelir dans l'heure amoureuse et taciturne.
Il alluma sa lampe de bureau, les bougies
des appliques aux deux côtés de la cheminée,
la petite suspension de sa chambre à cou-
cher.
— Je t'en prie, dit-il.
Lue clarté s'épandit : son malaise prit
fin. Une heure encore se passait et puis,
dans la chambre voisine, la pendule sonnait
six coups.
:0 L AMANT PASSIONNE
— Oh! déjà!
11 se glaça, la sentit elle-même lasse,
éteinte, comme arrivée aux limites de son
amour. Et une tristesse pesa : un froid monta
du foyer dont il avait oublié de ranimer le
combustible. Il fut repris dun de ses accès
de toux... Elle allait aussitôt vers le feu.
— Non, ce n'est pas cela, dit Paul, impa-
tienté... C'est la vie en moi.
Quelques pulsations de Taiguille encore,
et elle s'en irait tranquille, résignée, comme
toujours.
— Madeleine! Madeleine! fit-il.
Maintenant il sanglotait dans son épaule.
CHAPITRE YIII
On toucha aux derniers mois de la saison.
11 fut plus que jamais à la merci des petits
événements qui morcelaient la vie de Made-
leine. Leurs rencontres s'espacèrent, diffi-
ciles et brèves. Ils se virent dans des squares,
des bureaux de tramways, des églises.
Un fiacre la débarquait, elle arrivait tou-
jours en retard, les nerfs secoués, dans une
fièvre d'affairement. Lui, l'attendait dans la
pluie, lèvent, le froid, dépité de ses factions
prolongées, toussant cette petite infirmité
opiniâtre de ses bronches qui ne guérissaient
pas.
Une gêne alors un petit temps les tenait,
sans parler, l'un près de l'autre, toute inti-
mité rompue.
:l L" AMANT PASSIONNE
— Mon chéri, je n'ai qu'un instant...
Et c'était inévitablement les mêmes rai-
sons, des visites à des amies qu'elle nom-
mait, des relations nouvelles, des dîners, la
couturière. Il l'eût dans ces moments préférée
menteuse, lui dérobant toute celte vanité de
sa vie qui lui faisait sacrifier à d'éternelles
frivolités leurs joies d'amour. Cependant
c'était bien à ce joli être parfumé, pimpant,
fulile et mondain qu'il devait la sensation
précieuse d'un triomphe supérieur à tous les
lailres.
— Bon, je sais... C'est inutile, disait-il
en coupant court à ses explications.
C'était si gentil alors la façon dont elle
lui appuyait la main au bras ou cherchait la
sienne en le regardant à travers les pois de
sa voilette avec la clarté tendre de ses yeux
long-plissés.
— Va, tu n'as que trop raison de m'en
vouloir... Je ne t'aime pas comme je devrais
l'aimer... Pardonne-moi, chéri.
Chacun de ses gestes secouait un eftluve
chaud qui l'énervait de sensualité infinie...
Toute sa chair, sous le nuage des linons,
restait parfumée de peau d'Espagne; et cette
essence subtile et forte finissait par être
comme l'odeur même de sa vie.
I/AMANT PASSIONNÉ 73
Presque aussitôl le sortilège amoureux le
reconquérait : il oubliait l'eanui découragé
de l'avoir attendue. Les reproches qu'il vou-
lait lui faire s'étaient évanouis : il goûtait
le vertige heureux du magnétisme qui la
prolongeait en lui. C'était lui maintenani
qui la défendait contre elle-même.
— Mais non, laisse donc, c'est moi qui
ai tort... Ne fais-tu pas ce que tu peux?
Il arrivait toujours un moment où, sous la
courbe du parapluie, à l'abri d'un porche,
derrière un arbre, leurs lèvres, sous le re-
troussis de la voilette, pouvaient se joindre.
Avecla petite peur d'être surpris, ils échan-
geaient un grand baiser inquiet qui avait la
douceur d'un péché.
Madeleine, qui avait gardé des habitudes
de piété, ne craignait pas de mêler un peu
de sacrilège à son amour. Dans les églises,
elle-même l'entraînait vers une pénombre
de sacristie et Là, très vile, d'une folie légère
de damnation, dans l'odeur des derniers flo-
connemenls de l'encens, elle lui tendait la
fleur évasée de sa bouche. Paul, au con-
traire, déshabitué de son culte denfance,
secrètement réprouvait cette licence qui
peut-être blessait ses anciennes fibres reli-
gieuses.
74 LAMANT PASSIO.NE
A la sortie, elle ne manquait jamais de
tremper dans le bénitier le bout de ses doigts
dégantés; et puis elle secouait sur lui Tonde
mystique dans un rapide signe de croix oii
el!e l'enveloppait tout entier et qu'elle ache-
vait sur elle-même I
— Que fais-tu? dit-il un jour.
— Je ne sais pas... Maman aussi faisait
cela pour moi.
11 en resta ému.
C'était une chose si pure et si profonde,
ce signe de foi et de protection par lequel
elle s'en remettait de sa garde secrète aux
providences I
L'heure les ramenait à la fâcheuse réalité.
Avec le mensonge d'un salut cérémonieux, il
la quittait comme un étranger; elle ne se
rappelait pas toujours exactement où elle
avait laissé son fiacre.
De ces rencontres fiévreuses, tourmentées
de désirs et de regrets, il restait à Paul une
sensation irritante de demi-possession où il
gardait le frôlement de ses hanches aux
siennes, où elle continuait à lui appartenir
par la persistance du parfum de ses robes,
le frémissement et la chaleur de sa vie entrée
dans sa propre vie. Il baisait à la manche de
son pardessus l'odeur de sa main gantée.
LAMANT PASSIONM-: To
Elle lui avait donné un de ses mouchoirs et
il le portail la nuit sur son cœur ; il s'cn-
dormail en le respirant. Ah! comme elle le
tenait ! Elle était le rouet autour duquel
s'enroulaient ses filandres. A peine elle
Favail quille, il était repris par la torlu-
rante évidence : quelqu'un là-has Tatten-
dail. lui ouvrait les bras... Encore une fois
elle redevenait le bien d'un autre.
Cependant elle lui disait si sincèrement
qu'elle n'avait jamais aimé avant lui. D'une
insistance d'enfant, il lui faisait répéter ses
paroles.
— Je t'en prie, redis cela encore... en-
core... Ah! si c'était vrai!
Tout seul ensuite il se les remémorait une
à une, lentement, dans un grand silence in-
térieur, tâchant de se rappeler exactement
le son de sa voix, l'écoutant sourdre du fond
de la vérité limpide de cette vie qu'elle lui
avait toute donnée! Ah! oui, c'était vrai!
Celle-là jamais n'avait menti !
Ils cessèrent tout d'un coup de se voir, et
puis, une après-midi, il reconnaissait son coup
de timbre. Elle entra, se jeta dans ses bras :
— Ah! chéri, j'en ai assez de toujours
nous voir dans la rue... Cette fois je te
reviens pour de bon.
76 L'AMANT PASSIONNE
Elle lui arriva presque chaque jour avec
la petite folie de se blottir dans son épaule,
toute ivre d'une joie de s'arracher à ses
^ corvées et de lui apporter cette part de
sa vie qu'elle disputait au monde.
Paul recevant dans l'après-midi, parfois
elle tombait au milieu d'une consultation.
Toine, comme une figure du silence, ap-
puyait le doigt à sa bouche. Elle avait fini
par comprendre ce signe, qui voulait dire :
a M'sieu l'avocat a quelqu'un... Mais tout
de même entrez ici. » Mystérieusement, la
vieille femme lui ouvrait la porte du petit
salon.
La tenue symétrique et monotone de cette
pièce bientôt lui donnait froid au cœur.
<( Mon Paul si jeune, si beau, si passionné! »
songeait-elle en rapportant à la médiocrité
bourgeoise de Tameublement la pensée de
son ardente sensibilité.
Là-dessus la petite machine nerveuse en
elle travaillait. Elle faisait le rêve de renou-
veler d'une fête de vie et de jeunesse tout ce
décor démodé. Ici, là, des arabesques
modernes, un caprice aimable de petits
meubles, le jeu long et clair des belles
étoffes. Dans son égoïsme d'amour, elle eût
voulu être mêlée si intimement à tout le
L'AMA.NÏ PASSIONNE 77
détail matériel de la maison que celle-ci
autour de lui en eût gardé comme la vie
animée d'un grand miroir où partout il aurait
retrouvé son image et sa présence. Elle eût
été plus sure encore ainsi d'être le centre
unique de toutes ses pensées. Est-ce qu'elle-
même n'était pas convaincue de ne vivre que
pour cet amant qui lui avait fait connaître
les joies suprêmes de la passion? Madeleine
avait à cet égard la sincérité spéciale de la
femme toujours portée à s'illusionner sur
ses sentiments s'ils doivent profiter à l'idée
du bonheur qu'elle donne ou qu'elle ressent
elle-même.
Paul Larue ne trouvait pas toujours le
moyen de renvoyer le client aussi vite qu'il
l'aurait voulu. Il savait que iMadeleine était
là : elle seule avait ce petit pas rapide dans
le froutement de ses jupes. Il reconnaissait
aussi la toux légère et agacée dont elle atti-
rait son attenlion... Madeleine, qui l'avait
fait attendre si souvent à l'heure de leurs
rendez-vous, s'énervait sitôt qu'elle était
obligée d'attendre à son tour. Elle se levait,
faisait le tour du petit salon, se laissait
retomber dans le fauteuil de velours rouge
dont les ressorls usés, en se détendant
comme des soufflets d'accordéon, émettaient
78 LAMAM FA^:^lU^-\E
un gémissemeul prolongé qu'il percevait.
u Comme c'est bien ellel pensait Paul. Il
faudrait que loul se prélat à ses caprices.
^ Eh bien! tant pis, elle attendra. » Mais, peu
à peu, lui-même commençait à s'agiter, le
sang aux joues. C'était insupportable^, les
petits coups qu'elle finissait par donner dans
le mur. Il brusquait l'entretien et recondui-
sait le client'jusqu'au couloir. La plupart de
ses confrères po&sédaient un jeune commis
qui, au coup de sonnette du patron, se char-
geait de mettre le visiteur sur le chemin
de la sortie. Mais ceux-là étaient mariés ou
bien ignoraient les ménagements qu'impose
une relation entourée de mystère.
Sitôt la porte retombée, Paul allait déga-
ger Madeleine qui, sans une parole, à la
pointe des bottines, d'un glissement etTacé
et furtif, se faufilait dans le cabinet de tra-
vail.
— Mon chéri...
La tète en arrière, c'était comme le don
entier de sa personne qu'elle lui olîiait en
avançant la bouche.
— ChutI plus bas! disait-il en indiquant
du doigt qu'une visite attendait dans la petite
pièce. Mais bientôt il oubliait toute prudence.
Le silence même les trahissait, ce silence des
L'AMAM PASSIONNÉ "9
chambres d'amour d'où, malgré tout,
s'ébruile une rumeur vague de rires el de
baisers. L'heure se passait : quelquefois le
client, dépilé, s'en allait.
Paul, dans Tinlervalle d'un mois, se vit
retirer deux affaires avantageuses. Que lui
imporlait? Il était décidé h tout sacrifier à
son amour.
CHAPITRE IX
Depuis deux semaines quelle lui arrivait
presque chaque jour, comme pour lui faire
oublier toutes ses al tentes antérieures, il
n'était pas simplement heureux : il goûtait
une sorte de frénéFie de bonheur. Elle lui eût
persuadé de quitter une carrière qu'il aimait
et qui était son orgueil, pour en embrasser
une autre qui l'eût rapproché d'elle, il lui eût
cédé avec le seul regret de n'avoir point
devancé son désir. Cependant, sa joie élait
sans éclat au dehors : il la portail sombre-
menten lui, comme un feu muré. .M"^' Larue,
déjà si inquiète de cette toux qui ne gué-
rissait pas, s'alarmait de Tinconnu de sa
destinée qui lui changeait les yeux. La con-
82 L'AMANT PASSIUNNÉ
tinuité de rexcitatioii passionnelle, en dila-
tant ses pupilles, fonçiiil jusqu'au noir de la
fièvre les profondeurs grises de son regard.
11 n'avait rien perdu, du reste, de l'extrême
mobilité de son humeur. Dans les instants
où il sentait le plus \ivement l'extraordi-
naire joie d'être aimé de Madeleine, elle le
voyait soudain pâlir. Quelquefois, en lui
baisant les mains, il éclatait en larmes.
— Qu'as- tu?
Elle lui relevait la lé! e et elle élait effrayée
de l'exaltation de son visage. D'une sorte
de maternité caressante, elle le grondait
alors comme elle eût grondé sa propre
enfant.
— Laisse donc, disait-il étrangement, ne
vois-tu pas que cest encore ma manière à
moi d'avoir du bonheur?
Paul, dans cet état de sensibilité maladive,
apporta un triste courage à renverser les
frêles colonnes qui, au-dessus de tous deux,
maintenaient Téditice léger de leur tranquil-
lité momentanée.
iMadeleine, en se libérant tout un temps
de qui constamment l'enlevait à lui, avait
écouté les intimes charités de son cœur
autant que l'amour même. Elle lui fit ainsi
un sacrifice qui, pour bien des gens trop
I.A.MA.M PASSIOXM^
|»ressés de juger, ressemljla presque à un»'
iiipliire avec le monde ou elle occupait une
place en vue. Elle limita ses visites, déclina
des invitations, cessa de courir les magn-
sins. Encore une fois, elle fut sincère en ce
mouvement sponlané comme elle l'élail dans
toutes les situations de sa vie de cœur avec
Paul. Elle ne regretta pas un instant la
petite griserie qu'elle goûtait à fatiguer ses
nerfs en d'innombrables et vaines occupa-
tions et lui rapporta passionnément le plai-
sir volontaire d'un cbangement qui, pour
elle, était une privaiion.
Paul, qui d'abord n'avait vu là que la
beaulé de son amour, se tourmenta tout à
coup de rechercher les causes secrètes que
pouvait cacher un etitraînement qui. même
dans la folie des commencements, n'avait pas
été aussi vif. 11 en vint à conjecturer juste-
ment la seule raison qu'elle eût voulu ne lui
donner jamais. Miub'leine ne pouvait pas
toujours dissimuler l'inquiétude que lui cau-
sait la persistance de ses accès de toux. Elle
avait exigé qu'il vît -les médecins; mais Paul,
à travers son ascendance, gardait la défiance
instinctive des gens de campagne pour les
guérisseurs. Sa mère, pendant une maladie
grave qu'elle fit après la mort du receveur,
8i LAMANT PASSIONNE
toujours s'était refusée à recevoir les soins
du médecin.
Paul fui convaincu de sa pitié, Tattribua à
ce mal obscur qui la tourmentait plus que
lui-même. Son caractère ombrageux s'irrita :
il redouta une destinée tragique, se vit
atteint aux sources de la vie.
Une scène, qu'il lui lit, ébranla fortement
Madeleine : il eut la cruauté de lui repro-
cher le mensonge de son amour; il la com-
para à un médecin qui. en multipliant ses
visites, flaire le progrès du fléau dans un
organisme humain. Elle poussa un cri, se
boucha les oreilles pour ne plus Tenlendre;
et puis, comme il marchait en continuant de
parler, elle se laissa tomber, s'accrocha h
ses habits, fut une seconde traînée.
— Ai-je mérité de souffrir pour t'avoir
seulement trop aimé? s'écria-l-elle.
— Mais toi-même aurais-tu souffert à ce
point si je n'avais mis le doigt sur le point
sensible?
Ses baisers le calmèrent en le laissant
frémissant : elle trouva la force de se mo-
quer de l'importance qu'il attachait à une
infirmité toute passagère. Elle l'abusa et
s'efforça de s'abuser elle-même.
Paul, de son côté, pour lui donner le
i;amant passionm-: 85
change, lâchait d'étoufîer la loiix que re-
doublait son énervemeut. Elle l'eut dans
ses bras, à bout d'énergie, éj)uisé par celle
longue secousse : il finit par pleurer douce-
ment sur son épaule d'une peine molle d'en-
fant.
C'était un jeudi : >P' Larue était partie
visiter une vieille parente. Toine essayait
une robe chez sa couturière ; elle s'en fai-
sait faire une tous les six ans, à l'approche
de Pâques. La maison ainsi se trouva
libre : personne n'entendit leurs cris et
ne soupçonna la violence de la scène qui
les avait déchirés. Elle ne le quitla qu'à la
nuit tombée, résolue à mentir chez elle si
elle n'arrivait pas à temps pour le dîner.
11 l'accompagna par le couloir : ils s'em-
brassèrent une dernière fois près de la
porte. Dans un grand baiser, elle lui di-
sait :
— Jure-moi que c'est fini, que lu n'auras
plus jamais celle idée.
— Jamais.
Il demeura un peu de temps à écouler
décroître le claquement pressé de ses talons
sous le porche; et puis il passait dans son
cabinet de toilette. Il alluma les deux becs
de gaz, se regarda dans la glace, longuement,
8
8b LAMA.NT PASSIONÉ
sans un pli au visage, comme on se tlaire,
avec la délerminalion froide d'un homme
(jui veut savoir où il en est.
Son teint depuis un mois s'était encore
plombé : deux creux évidaient ses joues; il
portait bien les stigmates de cette passion
qui lui procurait des délices ardentes et gla-
cées, ignorées de la plupart des autres hom-
mes.
— Touché I dit-il enfin à haute-voix, dans
le silence des chambres.
11 n'avait nulle Irislesse ; ce fut plutôt
comme l'orgueil, la fierté sombre de res-
sentir la vie par-delà les limites normales.
FA il se rappelait que des passantes, avec
cette connaissance éveillée des signes de
lamour qui leur fait deviner dans la rue un
homme en étal de grâce, souvent lui glis-
saient des regards d'appel, de désir, d'envie
peut-être aussi pour la femme élue, d'elles
ignorée.
Quand M""' Larue rentra, elle le trouva
à son bureau, travaillant sous la lampe. Elle
alla l'embrasser, et mettant devant lui un
])aquet :
— Devine, mon C\...
Une odeur s'évapora : des souvenirs gour-
mands soudain puérilement s'éveillèrent.
LA.MA.M PA.SSlU-NMÎ ST
— Je parie que ce sont des galettes, ma-
man I
De grosses galettes, en eiïet, qu'elle lui
avait rapporlées de chez un pâlissier de
leur pays. Leur odeur toujours, h la ville,
lui avail évoqué Teftlux d'un champ de sa-
razins en fleur qui là-bas, au village, bordait
la maison d'un voisin et où s'en venaient
pâturer les abeilles. KUes étaient larges,
épaisses et dorées. Le jour de la ducasse,
toutes les ménagères aisées en mettaient
cuire de pareilles au four.
Mon Dieul qu'il était loin de tout cela
depuis longtemps ! Il ressentit une détente
à celte fraîcheur de bonne humanité na-
turelle qui passait sur les braises de son
grand feu de passion, pour en apaiser la
brûlure. Il prit à deux mains le visage de
i\P' Larue qui n'avait pas eu le temps d'ôter
son chapeau et se soulevant jusqu'à ses joues,
il y appuyait des baisers à pleine bouche,
comme au temps où il élait petit.
— Ah! maman! maman!
CHAPITRE X
Madeleine cessa brusquement devenir. 11
l'attendit huit jours*, se jetant sur les cour-
riers, guettant une lettre qui n'arrivait pas.
Encore une fois ses sentiments furent ex-
trêmes : il la crut malade ou dominée par une
matérialité plus forte que ?a volonté, la plai-
gnit, souffrit de la double agonie de leurs
vies de nouveau brisées.
Puis sa violence s'éveilla : il l'accabla, la
détesta avec la même sincérité qu'il l'avait
plainte. « C'est bien fini cette fois, je ne la
verrai plus », se jura-t-il. Il espéra s'analyser
dans celte épreuve qui en suivait tant
d'autres. Il soupesa ses mouvements : il se
crut arrivé, après tant de souffrances, à un
8.
L" AMANT PAS3I0NM-:
calme relatif. Il lui écrivit une longue lettre
uù il se composait un état d'esprit spécieux
et gardait le ton d'un homme désabusé, sans
aigreur. Soudain son cœur se mit à battre
désordonuément. Il perdit la mesure et s'ou-
blia aux pires emportements.
Paul ferma sa lettre et s'habilla ; mais au
moment de sortir, il voulut la relire, rompit
le cachet: il fut elTrayé de l'avoir écrite. « Ce
sera pour demain » . pensa-t-il. Un soleil
d'avril écornait, entre les murs aux briques
éraillées, l'ombre tendrement irisée du vieux
jardin. 11 avait ouvert les fenêtres; la dou-
ceur tiède de lair ventilait le grand cabinet
uù, par prudence, sa mère continuait à faire
allumer de petits feux. Dans l'angle du mur,
lelilas, avec la force de décompression d'une
créature vivante qui aurait rompu ses chaînes,
éployait ses branches gonflées déjeune sève
bourgeonnante.
Il fut ému de pitié sur lui-même à cette
image des puissances toujours rajeunies de
la vie. (( Tout l'hiver l'arbre est resté mort et
il revit I Moi. en une seule, j'ai vécu vingt
années... Suis-je seulement sur que ce cœur
martyrisé ne va pas bientôt éclater? » Il des-
cendit les trois marches, prit dans ses doigts
un des rameaux : la capsule du bourgeon
L'AMANT PASSIONNÉ 91
craqua ; il eut l'odeur des feuilles aux narines.
Au coin de sa rue, un des tramways du bois
faisait arrêt. Il aspira à la solitude, à la paix
des arbres, au silence intérieur. Il prit place
sur une des plate-formes.
Les avenues avaient un air pimpant de
fraîche peinture vernissée. A la pointe des
branches^ les feuilles nouvelles tortillaient
de petits bouquets frisolés. Sous les hêtres
pleuraient les chatons pourprés. Il eut lim-
pression d'une vaste palpitation montant de
la terre, d une vie des lerreaux sous Tafflux
accru des sèves. C'était le recommencement
de la genèse, l'éternelle et délicieuse palin-
génésie qui noue les branches comme les
corps, met en rumeur les nids et fait venir
au bout des lèvres les salives froides du
baiser.
Paul s'enfonça sous les jeunes arceaux. Le
printemps fut en lui, la confiance, le rêve qui
l'avait délaissé. Il éprouva la surprise de
renaître à la vie, parmi l'universelle renais-
sance. Le crépitement sec des bourgeons
avait un bruit de bouches échangean l l'amour.
Son cœur mou se gonfla comme le sol élas-
tique des fulaies, comme l'écorce humide
des essences dans les taillis. Il ressentit l'émoi
d'une sensibilité adolescente, le tressaille-
92 L'AMANT PASSIONNE
ment délicat de s'égaler aux matins de la
germination, après la mort de Fliiver.
Comme il eût voulu être là avec Madeleine,
les mains enlacées! Comme il lui eût juré
que plus jamais il ne douterait de son cœur!
Madeleine! 11 l'appelait à demi-voix dans
le silence frémissant du bois; la musique de
ce nom fondait à sa bouche comme le jus
d'un fruit. 11 Técoutait vivre en lui de la vie
d'un être à une grande profondeur.
Un sentier le ramena vers les avenues : il
se rappela le soir agité où un fiacre les avait
promenés entre les arbres nus, tous deux
crispés, endoloris de la mauvaise querelle. Il
s'assit sur un banc, tira son carnet, lui écrivit
longuement dans la joie de cette minute paci-
fiée. IU'adjura, fitdesserments,promitderat-
tendre sans se plaindre. L'ondée d'or glissa du
banc, traîna plus loin. Dans un déclin d'après-
midi, une fraîcheur violette monta des pe-
louses. 11 sentit froidir les taillis. Aussitôt sa
toux le reprit : il eut une colère contre lui-
même. 11 regagna le tramway, descendit à un
arrêt qui le mettait à un pas de la <( petite
poste ». C'était, dans une rue populeuse, une
vieille maison encombrée de ménages. M'"An-
gèle Ducolillon occupait du côté de la cour un
petit appartement de trois pièces, dont la plus
L'AMAM PASSION-NK 93
exiguë lui servait de cuisine. Le meuble
élait modeste, bizarre et poudreux couime
celui d'une personne qui n'a guère de temps
à consacrer à son intérieur. Aux deux coups
dans la porte, elle vint lui ouvrir. Son petit
chapeau bossue en travers du chignon, dans
une toilette de vieille gouvernante anglaise,
elle tenait sous le bras un rouleau de mu-
sique et s'apprêtait à sorlir.
— Vous!
— Oui, oui, ma petite mademoiselle An-
gèle... J'ai là une lettre qu'il faudrait bien...
N'allez pas me refuser.
11 lui fit sa petite confession : il avait élé
si malheureux. C'est à peine s'il élait remis
de la crise par laquelle il avait passé. Il eut
un rire amer.
— Pensez donc... Ça a été jusqu'à l'idée
de rompre avec elle.
M"' Ducotillon, vivement, arrivait se plan-
ter devant lui, les bras croisés, et disait, avec
un inexprimable mélange de mépris, de pitié
et d'indignation :
— Vous êtes fou... On ne rompt pas avec
une femme comme Madeleine.
Et tout de suite après, ponctuant son débit
de hochements de lête qui faisaient sauter
la petite aigretle noire de son chapeau :
9* LAMAM PASSIU.NM-:
— Ah ça! vous ne connaissez donc pas le
cœur de Madeleine? Y a-t-il une autre femme
au monde pour vous aimer comme elle vous
aime? Je sais bien, vous autres hommes, vous
n'en avez jamais assez. Eh bien, Madeleine
vous donne plus qu'elle ne peut et quelle ne
devrait donner. Elle vous sacrifie son repos,
sa vie, tout... Ah oui, nom d'un petit bon-
homme, tout_, je puis bien le dire... Et puis,
est-ce que vous savez ce qu'est la journée
d'une femme comme celle-là, occupée de mille
choses qui vous feraient perdre la tète? Elle
ne la perd pas. elle, elle trouve encore le
moyen d'être pour vous tout ce qu'une
femme peut être... Allez I si elle ne vous a
pas donné signe de vie, c'est que, pour sûr,
il lui est arrivé quelque chose... Vrai, vous
n'êtes pas raisonnable...
Paul Larue. devant celte passion d'amitié
qui retombait sur lui en ^ronderies de sœur
aînée, eut la gène d'un homme pris en
faute.
— Allez, vous avez bien raison...
11 lui demanda une enveloppe, y glissa ses
feuillets d'écriture.
— Quelle amie vous êtes pour nous!
— Bon! bon! faisait-elle en fourrant la
lettre dans son réticule, pêle-mêle avec son
f. AMANT PASSIONNÉ o;i
mouchoir, ses ganis, ses ciseaux et iiiir
bobine de gros fil gris.
La-dessus elle donnait un tour de clef à
ses armoires, serrail le beurre et le fromage
dans son buffet à provisions, et tout d'un
coup, avec une extrême énergie, se mettait
à frapper sur le canapé et les fauteuils
en appelant amoureusement :
— Cher trésor !
A un coup plus fort qui faisait basculer
le plus caduc des deux fauteuils, une an-
tique minette apparaissait, soufflant dans ses
barbes grises et dardant une queue épilée,
garnie seulement à son extrémité d'un
flocon d'étoupe. La tendre Angèle, alors, se
jetait sur ^ Cher trésor » et la tenant,
charmée et ronronnante, sous les baisers
qu'elle lui plaquait au museau, elle lui
faisait des adieux passionnés, entrecoupés
de recommandations. « Cher trésor sera
bien sage, fera pas ses ongles sur le canapé,
gratlera pas à la porte du buffet... » La
chatte, à pelils coups de' sa langue râpeuse,
lui léchait les joues.
Le lendemain, Paul dans son courrier du
matin, trouvait une lettre de Madeleine :
« Mon chéri, que je m'en veux de l'avoir
encore une fois rendu malheureux... Tu me
96 1. AMANT PASSIONNE
dis que lu m'avais écrit une autre lettre que
tu as déchirée... C'est celle-là pourtant que
j'aurais dii recevoir... J'aurais eu l'amer
^ bonheur de me sentir atteinte jusqu'au
cœur... Je n'étais pas en faute, cependant...
Je jure que je te serais revenue le lendemain
de notre dernière entrevue si celle-ci ne m'a-
vait lilléralement tuée... Ah 1 ce que j'ai souf-
fert, je ne puis te le dire!... J'ai eu la sen-
sation matérielle d'être moi-même frappée
de mort... Je suis resiée trois jours au lit;
mes pauvres nerfs étaient à bout... Le mé-
decin a prescrit un repos absolu... Je ne
suis pas encore remise... Mais qu'est ma
souffrance auprès de la tienne?... J'aurais
accepté de souffrir mille fois davantage si
ta peine à toi en avait dû être allégée. Et je
ne pouvais l'écrire... personne pour jeter ma
lettre à la boîte... Je suis toujours prise par
la peur que quelqu'un... Heureusement que
tu as eu l'idée de m'envoyer Angèle. J'allais
la prier de passer quand elle m'est arrivée...
Ahl mon Paulet, quand pourrons-nous être
tout à fait heureux? Je me tourmente à la
pensée de tout le trouble que je jette dans
ta vie, moi qui voudrais n'être pour toi que
le bonheur. X'eût-il pas mieux valu ne jamais
nous être rencontrés? »
i;amant passionné 97
Il pressa la lellre contre son cœur, la
porta à ses lèvres, y but les baisers qu'elle y
avait mis elle-même : (^ Cœur adorable de qui
je suis indigne! Je l'accusais quand moi seul
étais coupable î »
La « Petite poste » avait raison. Le con-
naissait-il seulement, ce cœur de Madeleine
si attacbé, si franc, si naturel dans tout le
mensonge de sa vie? Pouvait-il même s'en
faire simplement une idée h travers le mys-
tère et l'inconnu qu'à chaque séparation elle
redevenait pour lui? Jamais il n'avait senli la
beauté unie de la sincérité comme avec elle,
et il se comportait comme s'il ignorait qu'elle
étail pour lui la vérité même. Qu'est-ce qu'il
y avait donc, quelles épaisseurs de murs entre
l'âme et l'âme pour que toujours, en dépit
des étreintes où on croit se posséder jus-
qu'aux sources mêmes de l'êlre, elles demeu-
rent incommunicables à de si grandes dis-
tances que les déserts et les océans ne les
sépareraient pas davantage?
La semaine passa sans qu'elle eût récrit.
Ce fut une obsession : il ne cessait plus de
songer à elle. 11 dut renoncer à tout travail.
Il se persuada que jamais encore il n'avait
été aussi malheureux, et il était lui-même
la cause de son malheur.
9
•'S I.AMANT PASSIUN.NE
il craignit que >on indi>po>ilion ne lïU plus
grave qu'elle n'avait dit et alla revoir M' "^Du-
cotillon. La « Petile poste » parut d'abord un
^ peu ennuyée; puis, de sa grosse voix de fille
de militaire, elle lui déclara qu'elle l'avail
vue la veille, qu'elle était à peu près remise,
qu'il n'avait qu'à patienter.
Cette fois, il la surprenait dans l'intimité
dune dînette en déshabillé sous la lampe,
Cher trésor assis sur la table, près du
plat d'œufs brouillés qu'elle chipotait, et
grignotant les deux sous de foie qu'elle lui
avait achetés. Comme elle avait fait ce jour-
là la toilette de ses trois pièces, il sentait
un peu moins le chat sous les fauteuils.
Il tâcha de lui couler une lettre, pour
.Madeleine.
— Ce serait gentil à vous de la porter ce
soir encore.
Ah! non, elle en avait assez. D'ailleurs,
justement, ce soir-là, la dame du second,
restée veuve avec un perroquet qui toujours
lui redisait le nom de son mari, arrivait faire
dos réussites en prenant le thé. Et elle re-
commençait sa gronderie de l'autre fois; il
demandait à Madeleine plus qu'elle ne pou-
vait lui donner: il n'était vraiment pas rai-
sonnable.
LAMANT PASSIO-NM^ 90
— Eh bien, adieu! lil-il. Je sais ce qu'il
me reste à faire.
Quoi? dit-elle en le fixant de ses petils
yeux bourrus.
— .rirai jusque chez elle, je trouverai
bien un moyen de lui faire passer ma lettre.
— Ce soir... non, non, c'est impossible.
Elle se dressa, bousculant Cher trésor et
les assiettes.
— Quand je vous dis que c'est impos-
sible... Boni mon souper qui me remonte...
Vous m'en ferez mourir, de toutes vos his-
toires!
Paul fut remué d'une défiance :
— Ah ça! il y a donc quelque chose!
Alors elle se fâchail pour de bon. Pour
qui la prenait-on?
Il se vit ridicule et gagna la rue. « Que
s'est-il passé? Que se passe-t-il? » se disait-il
constamment. Il éprouva le désir violent de
la voir. Même s'il avait pu apercevoir simple-
ment à ses fenêtres la tranquille lumière de
sa lampe de malade, il eût été content. 11 fut
devant la maison, leva les yeux; l'élage,
dans la vapeur du soir, laissait filtrer aux
fentes des rideaux une fine bruine de lumière.
Des ombres couraient. Et c'était de nouveau
ridée d'une ch^Liii-quela a Petite poste »
Universifjj'
BIBLIOTHECA
100 LAMAXT PASSIONNE
n'avait pas voulu lui dire. 11 craignit d'être
remarqué, remonta la rue.
Un coupé soudain le croisa ; il se re-
tourna. Le cocher arrêtait devant la porte
des Cormont, et, droit sur son siège, atten-
dait. Son cœur lui sauta à la gorge, 11 fit
un efl'ort pour résister à l'appel des deux
lanternes, brûlant d'un feu clair comme de
o:ros veux.
Il demeurait là alors un temps assez long,
allant et venant, son chapeau mou rabattu
sur les yeux. Il pensa à sonner, à demander
M""' Cormont: il fit un pas, sans réfléchir,
impulsivement. Mais il ne trouvait plus les
mots : il ouvrit la bouche, et même la voix
ne sortait pas. idiot î Est-ce qu'après tout il
était nécessaire de trouver une raison à un
fait aussi simple? Il repassa; là-haut, une
petite ombre fine tourbillonnait. Il eût juré
que c'était elle. Un frisson lui claquait les
dents. 11 attendrait sa sortie, comme venu là
par hasard. D'un geste cérémonieux, il fer-
merait lui-même la portière sur le flot de
ses jupes. C'était là une belle ironie.
Sur une large coulée de lumière, la porte
s'ouvrit. Des voix, une silhouette nerveuse et
parée, la forte stature de Cormont escaladant
le marchepied... Et puis, le coupé, au trot
L'AMANT PASSIONNÉ 101
large du cheval, tournait Tangle de la rue.
Il eut riaipressioQ que le mari, à son tour,
lui volait sa femme.
,louél
Il rentra chez lui dans un état aft'reux,
refusa de diner, voulut oublier la vie en
appelant à lui le sommeil. Son cœur battait
à grands coups dans le froid de ses membres.
Il s'était gelé là-bas à la guetter; la fièvre le
secouait dans son lit. Heureusement, il n'en
aurait plus pour longtemps : il pensa lucide-
ment à la grande délivrance. Xon I déci-
dément, non! c'eût été trop bête : il lui ferait
traîner son supplice en longueur. 11 lui crè-
verait le cœur sur le sien.
Sa mère vint jusqu'à la porte demander
pourquoi il criait. 11 ne s'était pas entendu
lui-même. 11 fit de la lumière, vit qu'il
était une heure après minuit. 11 s'obligea
à se coucher sur le cœur, étouffant la vie fu-
rieuse en lui de tout son poids, raide entre
ses draps moites de sueur. Le doute, la
colère, la jalousie le torturaient. Comme
cette vieille Ducotillon s'était moquée de
lui!
Ruse peut-être aussi cette histoire du mé-
decin qui l'avait condamnée au repos, strata-
gème pour se faire libre et ne pas venir. « Ah I
9.
102 LAMANT PASSIO^.XÉ
trompeuse I perfide I il faudra bien tout de
même qu'elle m'écrive ! songeait-il, Avouera-
t-elle ou sera-t-elle fourbe jusqu'au bout?
De son silence ou de ses aveux dépendra
l'évidence de sa duperie. » Dans sa fureur, il
l'eût préférée menteuse. Ce ne fut qu'au
matin qu'il put s'endormir; il ferma les yeux
sur des visions de cauchemar. Il rêva que
le coupé, au coin de la rue, lui passait sur le
corps.
CHAPITRE XI
« Ah! moQ cliori, quelle histoire 1...
Altends-toi à une grosse nouvelle! Mon mari
nous otîraiL à souper au cabaret, aux Mar-
cille et moi... C'avait été remis si souvent
qu'il a bien fallu... Tu vois ça d'ici, réternel
petit salon rouge, bleu, vert; celui-ci était
jaune... Je n'ai cessé de peuser à loi. Dieu!
me disais-je, si c'était lui qui fut là!... Bref,
un gros ennui au fond pour moi, malgré mes
rires de poupée folle... Le croirais-tu, ami
chéri, cela m'a retapée... Me voilà dans le
mouvement encore une fois... Tu sais que je
suis de celles qui se défatiguent en se refati-
guant. Enhn, que veux-tu? je ne ])Ouvais
pas faire autrement... Le plus heureux, c'est
104 . L'AMANT PASSIONNE
que je vais pouvoir le revenir... vile, vite...
Je ne peux plus allendre. , . mais tu seras bien
sage, pas? Plus de scène... »
Paul délira de joie. Tout un jour il porta
la leltre sur son cœur. 11 eut pour Madeleine
les noms les plus doux. Il embrassa
sa mère en pensant à elle. La mort,
rborrible doute furent loin; il se crut
revenu aux premiers matins de son amour.
Ses sensations élaient légères, riantes, dé-
liées. Poupée I ah! oui, comme elle avait
raison! Mais l'eùt-il aimée à ce point si elle
n'avait été la plus désirable des poupées?
Tout s'égalisa : il gagna un procès, senlit la
force et la fortune revenues.
Elle lui écrivit deux jours après; elle lui
donnait rendez-vous chez la « Petite poste » :
c'élait plus central pour elle... Angèle était
avertie... « Bah! après tout, » pensa-t-il.
C'était là qu'ils s'étaient rencontrés les pre-
miers temps.
11 arriva à l'heure, monta l'escalier et elle
l'attendait : ce fut elle qui lui ouvrit. M'^' Du-
cotillon était partie donner ses leçons.
Elle fut dans ses bras : elle tenait sa petite
bouche crispée dans la sienne. Une élernité
charmée passa dans leurs baisers qui ne pou-
vaient se détacher. Ils cherchèrent un coin
i;a>unt passionné lo;-.
de l'appartement où Cher Trésor n'eût point
laissé de ses poils. Cette délicieuse Madeleine,
d'un charme pimpant de figurine émaillée,
dans son petit nuage de parfums, semblait,
en un tel endroit, vraiment fourvoyée. 11
tinit par épousseter avec son mouchoir les
reps éraflés du canapé. Il la prit sur ses
genoux, toute chaude et frémissante : elle
lui disait à travers ses caresses, et ses bai-
sers :
— Mon Dieu ! j'ai tant de choses à le
dire... Ah! mon pauvre chéri, comme je t'ai
senti triste I... Moi non plus je n'étais pas
gaie, va; ces longues absences nous font à
tous deux un mal affreux. Alors, vois-tu, il
m'est venu une idée. Je vais prendre un jour
oii je resterai chez moi. Précisément mon
mari s'étonnait de ne plus jamais te voir
à la maison. Je lui ai dit que c'était de sa
faute, qu'il manquait de cordialité à ton
égard... Il a fmi par me dire de lui-même
que je devais t'inviter, qu'il n'y avait pas de
raison pour que tu ne te considères pas tou-
jours comme de la maison.
Paul eut un geste.
— Laissons...
— Ah, oui, je sais! Mais je t'assure, dans
noire cas, ce serait encore ce qu'il y a de
106 L'AMAM PASSIONNE
mieux. Nos vies en resteraient bien plus
mêlées... Si lu savais comme ma pelite l*au-
lelle demande toujours après toi 1 C'est main-
tenant une joie pour moi... Il me semble
que ton nom, ainsi prononcé par nous deux,
te fait vivre dans l'atmosphère de la maison. . .
Et puis, pense donc, toutes les fois que je
nMrais pas chez toi, c'est toi qui viendrais...
— Ne me demande pas l'impossible.
— Tu le détestes donc bien, lui qui pour
toi fut toujours un ami?
— C'est vrai, dit-il, je ne suis qu'un in-
grat.
— Voyons, fais cela pour moi... pour
nous. Est-ce que le bonheur d'être ensemble
ne vaut pas un petit sacrifice?... Tu vas
être bientôt notre hôte à la campagne : on
compte t'y inviter tout un mois... 11 faudra
bien l'habituer tout de même... Est-ce oui?
Elle lui caressait le visage.
— Quel supphce! dit-il. mais si tu le
veux...
— Ah I mon Dieu î fit-elle tout à coup en
consultant sa montre... Moi qui oubliais...
C'est le jour de M°" Jacquin, de la baronne,
de Clotilde Marcille.
Elle avait passé son carrick et lui offrait
sur ses lèvres le baiser de l'adieu. 11 ouvrit la
I. AMANT PASSIONNK 1"'
porte, écoula si personne encore ne montail
l'escalier.
— Va, dil-il.
— Ahl (jne c'est gentil! Tu ne me grondes
pas aujourd'hui.
Klle lui promit d'aller le voir le lendemain
cliezlui.
— C'esl si bo:i chez toi, je voudrais y
vivre à tes côtés... Tu verrais quel nid je te
ferais.
Elle se rappela soudain le canapé, le
fauteuil aux ressorts gémissants, tout-le mo-
bilier d'unaulre âge qui, si souvent, pendant
ses attenles, l'avait énervé de sa laideur.
— Il y aurait des meubles légers, des
étoffes souples et jolies, des tapis aux teinles
silencieuses... Je t'assure que ça fait partie
du bonheur !
Il crut qu'elle sapitoyail sur leur pau-
vreté.
— Maman vit là son rêve tranquille de
vieille bonne femme qui, derrière chaque
objet, met un souvenir, une piété... Tu 1 ou-
blies, Madeleine.
Elle se pinça la lèvre.
— C'est vrai, il y a ta mère...
Elle lui échappa.
CHAPITRE XII
>P' Cormont décida de demeurer chez
elle le jeudi soir. Pendant un mois, elle Fut
constante dans cette résolution qui compli-
qua sa vie en lui faisant reporter sur les jours
suivants ses obligations différées.
Paul arrivait avant les Marcille : elle le
recevait dans le petit salon de l'étage. Silot
la porte refermée, ils se prenaient la
bouche, sans une parole. Des corbeilles po-
saient sur le guéridon : Madeleine avait
imaginé d'intéresser ces jours-là Clotilde à
un travail de couture pour l'OEuvre de la
sainte Enfance. Marcille toujours accom-
pagnait sa femme. Cormont, qui, après le
dîner, généralement consacrait une heure à
10
110 LAMA M PASSION-XÉ
son courrier du soir, quillait son cabinet
el arrivait à son tour.
— Je ne reconnais plus nia femme, di-
sait-il, jamais elle n'a montré un tel zèle
de charité... Encore s'il s'agissait d'une
œuvre laïque.. Me voilà bien, moi. Cormont,
connu pour mes principes libéraux...
.Madeleine riait en regardant Paul.
— C'esl vrai... Autrefois je donnais tout
à faire au dehors. Maintenant je passerais
des heures à travailler ainsi entre nous... On
gagne son paradis comme on peut.
Paul oubliait ses ennuis à sentir près de la
sienne sa vie nerveuse qui s'agitait dans un
bruit de sojes froissées; il n'avait pas de
peine à trouver sous sa robe un pied vif qui
cherchait le sien. Cormont faisait monter
des grogs et de la bière; les dames prenaient
du thé. Paulette. qui venait d'atteindre ses
onze ans, avait la permission de demeurer
jusqu'à neuf heures. Elle avait gardé de sa
crise récente une mine pâle et tirée.
La convalescence sembla encore l'avoir
grandie en l'amincissant : elle avait de
longues jambes grêles qu'elle s'efforçait de
"replier sous sa chaise. M"' Marcille s'amu-
sait à lui voir fciire des points bien égaux,
attentive et grave. Quelquefois elle se levait
i; AMANT PASSIONNÉ 111
pour aller embrasser M"'' Coriiionl, en un be-
soin soudain de tendresse et d'eiïusion. .Ma-
deleine hii rendait ses caresses en rappelant
de noms tendres où Paul entendait revenir
quelques-uns des noms quelle lui donnait
à lui-même. <c Qu'elle est charmante, son-
geait-il, dans celte confusion où c'est sa fille
quelle aime à travers moi, où c'est moi
qu'elle aime à travers sa fille! ••
11 lui arrivait alors de les regarder toutes
deux, leur trouvant, à travers un même air
joli et tendre, une ressemblance des yeux et
des traits. Mais Madeleine avait les cheveux
d'une brunissure mordorée, Paulette de fines
ondes blondes qui s'accordaient à la langueur
de son visage.
La fillette, sentant qu'elle était observée,
très vite levait la tète avec une petite se-
cousse de tout le corps, comme sous raction
d'un magnétisme. Elle apercevait alors les
yeux de Paul fixés sur les siens et à son tour
le regardait en s'agitaiit -ur sa chaise, sou-
• riante et troublée.
Parfois, dans le même moment, Made-
leine, de son côté, tournait ses regards vers
sa fille. Elle la voyait émue, d'une âme qui
s'ignorait et restait surprise ; un frémisse-
ment léger lui venait pour Téveil de cetie
112 LAMANT PASSIONNÉ
sensibilité qui annonçait la jeune fille pro-
clmine.
A neuf heures la gouvernante anglaise en-
trait et l'emmenait coucher. Elle allait de
^ 1 un à l'autre, tendant le front. Paul seul lui
haisait la main et elle avait fini par l'avancer
d'elle même, comme une petite infante
accoutumée à un cérémonial de cour. Mar-
cil'e, très épris de musique, se mettait au
piuno et jouait, sans effet, avec simplicité,
comme pour lui-même. Clotilde avait une
jolie voix limpide et haute : c'était chez eux
leur joie des soirs, après qu'elle-même avait
mis ses enfants au lit, de se sentir douce-
ment vibrer dans la tendre spiritualité des
âmes à Funisson. Elle ne se faisait pas prier
et chantait Gluck. Haendel et Schumann.
Madeleine goûtait leur génie noble, rêveur
et passionné. Pour finir la soirée, elle allait
chercher elle-même, dans sa bibliothèque,
un des poètes que lui avait fait connaître
Paul. Elle adorait la musicalité de voix fré-
missante et voilée avec laquelle il disait du
Verlaine ou du Baudelaire.
A la demie après dix, M""' Marcille, avec
son joli sourire aimable et candide, donnait
le signal du dépari . Paul, le rêve encore
une fois lue par la réalité, s'en allait crispé
I.AMAM 1>A>SIU-\.M:: 113
et froid, enragé contre Cormont qui, lui, res-
tait en maître. Madeleine, elle, les yeux
clairs, ne cachait pas s;i joie pour les mo-
ments passés l'un près de l'autre, heureuse
d'aimer ainsi et d'être aimée. — « Voilà bien
son égoïsme pensait Paul : elle est heureuse;
file a son amant et sa fille à la fois sous la
main. Elle n'a plus à chercher le bonheur au
dehors ni à se partager. » Madeleine, depuis
un mois, n'était plus venue qu'une fois chez
lui.
Un jeudi delà fin du mois, ce fut Cormont
qui reçut Paul : Madeleine n'était pas encore
rentrée. On se mit autour de la lable, une
heure se passa et elle arrivai!, les nerfs en
l'air. Cormonl, qui la laissait très libre h
condition qu'elle ne manquât à aucun de ses
devoirs de maîtresse de maison, n'était pas
content. Elle imagina divers prétextes et
laissa paraître, toute la soirée, une gaîté
excessive. Paul, dans sa tureur et sa jalousie,
lui crut un amour nouveau : il ne put se mo-
dérer et se répandit en diatribes violentes
contre la perversité des femmes. Clotilde et
les hommes se récrièrent.
— Quel réquisitoire! fit Cormont, amusé
par la dispute; nous plaiderons, nous, les cir-
constances atténuantes.
40.
iii lamam passionne
Madeleine, elle, Técoiilait dislraite, pâle,
les yeux découragé.^.
— Qu'est-il arrivé, ma chère? lui demanda
Clotilde.
— Piien...
Elle se reprit, se remit à rire follement;
mais au moment du départ, elle serrait ner-
veusement la main de Paul et lui disait à
mi-voix :
— Il m'arrive un ennui... J'irai te voir
demain... D'ici-là, plaius-moi.
Dans un autre moment, Paul eut été mal-
heureux de la tristesse de Madeleine : il ne
pensa, cette fois, qu'à la joie de s'être trompé
dans son soupçon ridicule.
Cormont, dans un dernier shake-hand.
lâchait sa basse taille.
— Dites donc, Larue, n'oubliez pas que
vous êtes invité chez nous là- bas... La cam-
pagne vous calmera.
Paul n'éprouvait plus pour lui qu'une
pitié cordiale.
Madeleine arriva le surlendemain seule-
ment. Elle sembla apporter le printemps
vainqueur dans le léger et frais caprice d'une
toilette qui l'enveloppait comme un nuage
irisé. C'était la première fois qu'elle la
mettait : le chapeau, la robe, les ganis et
I/AMAM" I^A^SIU.NM-: li:j
jusqu'aux bottines s'iiarmonisaient à la cou-
leur de ses cheveux et à la nuance de son
charme.
— Me trouves-tu jolie?
H ne reconnaissait plus la femme pâli' <'l
ennuyée de l'autre soir. La vie encore une
fois l'avait renouvelée aux flots mobiles de
la sensation. Elle eut rage des enfantillages
amoureux; elle fui une toute jeune femme
s'offrant dans la grâce imprévue d'une robe
assorlie à l'amour et à Tlieure. Il la sentit
contre lui palpilanle de fièvre, animée de
coquelterie et de triomphe.
Paul était dans un de ses bons jours : il
fut tlalté d'avoir l'amour d'une si délicieuse
maîtresse; il s'aima à travers la grâce en-
jouée qu'elle mettait à lui plaire. Il la til
tourner sur elle-même; elle était heureuse
d'être admirée et tournait d'un long sourire
sémillant.
A la fin, elle vint s'abattre dans sa poi-
trine.
— Ah! mon chéri, ce n'a pas été sans
peine... Figure-toi, la couturière ne voulait
plus me livrer ma robe... Je ne sais pas si
je dois tout te dire... Oui?... Eh bien, je res-
tais lui devoir cinquante louis environ...
Yoilà-t-il pas qu'elle fait présenter sa note
lli. L'AMAM PASSIONXK
tiois fois coup sur coup... Jamais je n'aurais
osr demander à mon mari... Depuis la soUe
scène de l'autre jour, il me surveille : il veut
• les comples... Alors, tu comprends, j'avais
le cœur chaviré positivement.. . Quand tu
m'as vue arriver en retard avant-hier soir,
l'avais six heures de voiture. J'avais fait le
tour de toules mes amies pour me trouver
quelques cenlaines de francs. Aucune ne
pou\ait : presque toutes étaient dans le
même cas... Ce n'est qu'hier que j'ai pu
enfin me procurer l'argent... Et c'est ce qui
t'explique pourquoi tu as aujourd'hui les
él reunes de ma robe.
— Et c'était cela la cause de ce grand
ennui qui (e faisait toute pâle et triste? fit
Paul d'un accent de pilié pincée et ironique.
Elle lui prit la tête à deux mains et l'atti-
rant près de ses yeux :
— Oh! je sais, les hommes ne compren-
nent rien à ce qu'ils appellent noire fulilité...
Mais nos robes, c'est nous-mêmes, c'est le
secret de noire puissance... On pourrait juger
de l'amour d'une femme rien qu'à sa robe...
M'aimerais-tu seulement si, comme une pe-
tite bourgeoise, je t'arrivais en toilettes de
quaire sous?
-~ Oui,
i;amant passionna ii'
Un étrange et malicieux sourire plissa la
bouche de Madeleine.
Non, monsieur... Et c'est pourciuui ([ue
je me fais belle pour vous... C'est à toi que je
pense quand je choisis la nuance d\uie robe.
Il me semble, comme tout à l'heure, que tu as
un regard nouveau quand, à travers la sur-
prise d'une toilelle que tu ne me connais-
sais pas encore, lu me découvr.'S un.' nou-
velle beauté...
Il se mit à rire en haussant les épaules.
— Tout ce que je sais, c'est que tu es
vraiment charmante : il me semble que tu
n'as jamais été plus jolie... Se peut-il que
j'aie mérité d'avoir une femme aussi déli-
cieuse que toi?
Il l'attira sur le divan et haisa follement
le souple et tiède tissu qui moulait les pal-
pitations de sa vie. Sa griserie d'amant
s'électrisait de frôlements, de caresses et
de parfums. Il avait, à manier l'intimité
frémissante des soies, un plaisir de con-
quête et de possession qui délectait ses ori-
o-ines, la sombre filiation des hommes de la
o^lèbe. Ojoie d'être riche pour une telle amie I
Les faunes, les flores, les mystérieux esprits
de la terre collaborent avec le paria, la
plèbe des mines, des caves et des galetas,
118 1. AMANT PASSIONNÉ
à parer la beauté de l'amour.. . 11 compre-
nait que la passion pût mener au vol, au
crime, au meurtre î
11 se leva, alla à son secrétaire, un vieux
meuble où son père avait enfermé, lui aussi,
le trésor parcimonieusement épargné de son
petit avoir. Il l'ouvrit, prit un billet rie cinq
cents francs dans un des tiroirs.
— C'est pour toi que je le gardais...
— Non, non. je ne veux pas, s'écria-t-elle
dans un mouvement de honte et d'amour. Tu
sais bien qu'il ne doit jamais être question
d'ar2:ent entre nous.
— Je t'en prie, puisque cela ne me gêne
pas et que. peut-être, cette somme te per-
mettra de rembourser le... la personne...
Il lui parlait gauchement, avec une timi-
dité humble qui lui mangeait les paroles aux
lèvres, comme s'il avait la conscience de la
médiocrité de son otTrande,
Madeleine fut touchée jusqu'aux larmes.
— Ah I chéri I Qui aurait cru jamais
qu'un jour j'accepterais cela de toi? Mainte-
nant je puis bien te dire... Angèle ne pou-
vait pas... J'avais vainement frappé à toutes
les portes... Alors je me suis adressée à Mo-
rel, tu sais bien... Morel, cet huissier de
cour qui est aussi serveur aux grands dîners...
L'AMANT 1MSS10NM-: 119
Va, je 110 suis pas la seule, et c'est tout profit
pour lui.
Madeleine Cormont, la femme de ravoi:at
eu renom, empruntant le prix de ses robes
à un subalterne, à une sorte de serviteur ju-
diciaire! Paul tressaillit: ses yeux s'assom-
brirent : il vit le geste de cette jolie main
leudue, il vit le sourire qui accompagnait la
demande. Toute sa pudeur fière de pauvre se
leva : c'était une vertu de famille; sa mère,
aux plus mauvais jours, jamais n'avait voulu
s'adresser à un parent riche qui lui serait
venu en aide. Il rougit pour cette défaillance
de sa jolie vie élégante s'avilissant en de
hasardeuses approches. Les ondes du sang
coururent. Il eut un petit accès de toux.
— Écoute, Madeleine, je ne veux plus,
plus jamais, tu m'entends... Xe suis-je pas
là, moi?... Et puis laisse-moi te dire : s'il le
faut, aie donc le courage de n'avoir qu'une
robe à la fois comme tant d'autres qui aiment
et n'en sont pas moins aimées.
Elle se rappela tout à coup le fiacre qui
l'attendait :
— Pense donc, chéri, j'étais venue pour
un instant seulement... Et voilà bientôt deux
heures... Adieu, un long et tendre adieu!
Paul, resté seul, réfiéchil. Son cœur était
120 LAMâM PASSI0>'>"É
plus calme : il la voyait aulrement. N'était-ce
pas pour lui toute celte folie? Ah! comme
elle l'aimaill
La jeunesse remonta, la fièvre de vie ar-
dente qui, autrefois, lui doimait l'illusion
d'une force humaine décuplée. Il ne voulut
plus penser qu'à son bonheur. 11 baisa long-
temps Tempreinte encore liède de son corps
aux coussins du divan.
CHAPITRE XIU
^P' Marcille eut un enfant malade : elle
écrivit à Madeleine ses regrets; les soirées
du jeudi prirent fin. Madeleine, que leur ino-
notomie à la longue énervait, fut heureuse de
se rejeter aux derniers remous de la saison
mondaine. Encore une fois, elle fut entraî-
née, le tourbillon la posséda... Ils se virent
comme ils se quittaient, h petites fois rapides
qui pour elle étaient encore du bonheur.
C'était le matin : elle se faisait conduire
jusqu'à Feutrée du bois, lui-même Ty atten-
dait.
— Ahl mon chéri, ce qu'il ma fallu de
courage... J'étais brisée^ je ne me suis cou-
chée qu'à trois heures...
11
122 I;AMA.\T PASSIO.N-NÉ
Elle avait pris son tub à demi endormie,
s'était remise un instant au lit, le temps de
déjeuner d'un biscuit et d'un bol de lait
chaud. Puis elle avait sonné, sauté dans une
robe. Elle sentait bon Teau, la chair, le frais
matin de la rue.
Il dut lâcher des aiïaires, réclamer des
sursis. Il évitait de lui en parler : elle iie
semblait pas se douter qu'il eût autre chose
à faire qu'à l'aimer. Sa fortune d'avocat,
encore une fois, en souffrit ; il la lui eût
sacrifiée tout entière pour s'assurer durable-
ment des instants comme ceux qu'ils pas-
saient ensemble sous les arbres. Elle trouva
le moyen de venir deux fois la semaine.
Ils recherchèrent les endroits. solitaires :
ils marchaient à petits pas, les mains enla-
cées ou se tenant par la taille, comme de
jeunes amoureux novices et ingénus. Sous
les tissus légers elle eut la grâce fluette d'un
corps de fillette. D'une joie confiante et
hardie, elle aimait oublier toute prudence,
dans le mystère dangereux des clairières et
des avenues. 11 lui renversait la taille, prenait
longuement sa bouche et elle fermait lus
yeux, froidie d'un grand frisson délicieux.
Soudain le froissement des feuillages les
avertissait d'une présence. Des gens riaient;
I/AMANT PASSIONNE 123
(Taulres fois un couple, qui chercbail aussi
l'ombre, s'écarlait discrèlement. Elle s'amu-
siil de ressembler à tant d'autres dans la
grande aveirlure de l'amour. C'était pour
elle comme la joie d'être revenue à la vérit»'
(1(^ la vie. avec un amant presque légitime.
— Ici, je me sens bien plus Madame toi,
disail-elle drôlement.
Mais une Fois, comme ils quittaient un
taillis brusquement coupé d'une éclaircie,
elle étouffa un cri. Un cavalier, trottant en
sens inverse à quelques mètres, les dévisa-
geait à travers le lorgnon.
— Ne te retourne pas, fit-elie très vite.
C'est M. de Roimont, le mari de la baronne,
notre présidente de la Sainte-Enfance...
Elle fut prise d'une lacbeté :
— Je suis perdue... Tout le monde va
savoir... Ab ! mon Dieul une femme comme
moi !
Elle se lamentait comme pour un naufrage
(le t^a vie décon?idérée par une liaison
indigne. Au bout tîe quel([ues instants, ce fut
Ile-même qui se retourna : on n'entendait
plus les foulées du cbeval dans la terre élas-
tique. Alors, un peu pâle encore, elle se pen-
dait h lui et d'un grand élan :
— Après tout, tant pis... Il faudra bien un
124 LAMAXT PASSIONNÉ
jour que le monde le sache, et ce jour-là
nous n'aurons plus qu'à parlir à deux.
— Oh! oui, oui, si lu voulais seulement...
Il la regarda avec des yeux éperdus. Elle,
à son côté, palpita, vaincue par le regard qui
violait sa volonté.
— Nous emmènerions Paulette, fît-elle,
souriante.
Le désir, l'espoir créèrent l'illusion de
cette vie à deux dont ils se parlaient toujours.
Son imagination de femme, par avance,
réglait tout.
— Pense donc... Nous voyagerions un
petit temps d'abord... Je connais si peu du
monde..! Toi aussi, mon pauvre chéri... Nous
commencerions parl'ïtalie, Rome, Florence,
Venise... Hein, Venise? Il paraît qu'on y a
un petit palais pour pas cher... Nous vivrions
là un an, deux ans; puis l'Espagne, les
courses de taureaux, quel rêve!
Il était très pâle, la bouche tiraillée.
— Quel rêve, oui!...
La légèreté, la puérilité de ces discours
l'accablait. 11 sentit le malheur d'aimer une
femme mondaine. Madeleine ne savait pas
compter; pour une toilette, pour un caprice,
elle eût dépensé l'argent de tout un mois de
son petit ménage d'avocat.
LAMANT PASSIO-NM:: lii^j
Elle le vit soudain ombrageux et blessé.
Une honte lui monta aux joues; elle redevint
l'autre femme, l'aimante et la sérieuse, un
instant égarée par un mirage futile.
— Oh! pardon, chéri... j'avais tout à fait
oublié cela...
Il comprit qu'elle faisait allusion à son
existence médiocre et besogneuse. Encore
une fois les lies remontèrent : il ne lui
en voulait pas; mais une haine dominait,
chaude et enragée, contre ce mari qui. lui,
pouvait se payer le mensonge de son bonheur.
L'heure belle et riante sous For léger des
feuilles cessa d'exister.
— Allons-nous-en. dit-il en toussant, j'ai
ce bois en horreur.
. Alors, de toute sa bonne affection, elle
tachait de l'apaiser.
— Pardonne-moi, c'est bête ce que je t'ai
dit... Comme si nous avions besoin pour être
heureux d'autre chose que de notre amour I
Tu verras si je sais me priver... Et puis, ta
vie à toi changera... Une belle cause gagnée
peut te donner la fortune. Tout ça, chéri,
c'est une affaire de temps... Tu es trop im-
patient vraiment.
Il la regarda avec un visage boule-
versé.
il.
126 LAMA.NT PASSIONNE
— Le temps, dis-tu, mais suis-je de ceux
qui ont le temps devant eux?
Toule accoutumée qu'elle fùl à ses décou-
ragements, elle resta saisie, crut trop bien
comprendre le sens poignant de la queslion.
Il sembla v avoir inlerrosé sa destinée.
— Mais lu es jeune, jeune. Pense donc,
j'ai six ans de plus que loi... Je serai déjà
une vieille femme quand à peine l'âge mar-
quera sur toi.
l)'un emportement tendre, avec cette sen-
sibilité adolescente qu'elleaimait tant en lui,
il la pressait contre sa poilrine.
— Tu es pour moi la jeunesse éternelle
de l'amour, Madeleine... Tu ne vieilliras
jamais.
— Enfant!
L'heure de la séparation fut là. On déjeu-
nait chez elle à midi, Cormont exigeait la
ponctualité. Ils avaient repris le chemin par
lequel ils étaient venus. Déjà il-, enlendaient
la corne des Iramwavs.
— Vite un dernier baiser, dit-elle, après
avoir jeté les yeux aux alentours.
Elle ouvrit ses lèvres, il trembla de tout
son corps en y buvant sa vie chaude et
mousseuse.
L'n peu de temps, du regard il la suivit
LA M A. NT PA:>^Mn.\M-: 127
r.lani à |)olils pas ranidés et ii«.'r>eLi\, loute
droite dans révasement de sa robe, avec le
dessin mince d'un boni d'ombre sur le cbe-
niin^à ses pieds. Quand il l'eul perdue de
vue, il s'appuya contre un arbre, horrible-
ment triste, tout son courage parti avec elle.
u El il en sera toujours ainsi, désespéra-t-il.
r,haque fois qu'elle s'en ira, elle emportera
ma vie aux plis de sa robe. »
Paul avait découvert à la lisière du bois
une guinguette qui n'était visilée que le
dimanche. C'est là qu'au prix d'un men-
songe compliqué, l'élégante femme qu'était
.M™' Cormont, assise sur un banc râpeux,
parmi le picoiement des poules et l'évapo-
ration des fumiers, put réaliser un matin
son rêve d'aller manger ensemble une ome-
lette sous la jeune pousse des clématites
guirlandant le lalis d'une tonnelle. 11 lui
avait fallu imaginer une histoire de déjeu-
ner au comité de la Sainte Enfance pour
son mari : celui-ci. qui aimait parler à
lable, ne pouvait se faii'e à l'idée de prendre
ses repas en tête à tête avec son assiette.
Chacun de leurs bonheurs d'ailleurs nais-
sait de ruses et d'impostures sans fin. Ma-
deleine en était arrivée à ne plus se douter
même qu'elle mentait. Elle mentait avec un
128 LAMANT PASSIONNÉ
tel art et une telle constance qu'elle éprou-
vait une gêne réelle à dire la vérité, même
la moins compromettante. Paul seul goû-
tait l'assurance de son indéfectible sincé-
rité.
La cabaretière leur servit du lard, des
œufs, des radis, du fromage pressuré et du
café. Madeleine apporta à ce repas rural
l'entrain et la joie amoureuse d'une grisette
lâchée au grand air des champs.
— Jamais je n'ai mieux déjeuné, s'écriait-
elle... Il me faudrait si peu de chose pour
vivre avec toi... Oh! tu ne me connais pas!
Paul l'admira d'être si simple et si brave
dans la rusticité grossière qui l'entourait.
Elle avait retroussé sa robe comme une
paysanne ; elle tenait son jupon de soie
rose à fleurs de pêchers ramassé entre ses
genoux. Près de ses gants sur la table, son
mouchoir en tortillon vaporisait un parfum
chaud qui, brusquement, s'altérait de Fefflax
aigre des fumiers. Qu'il la trouvait dési-
rable ainsi avec sa jolie vie nerveuse qui
remuait des clartés de bagues à ses mains,
et la minceur souple de son petit corps
gentil sous le froissement des pimpantes
étoffes! Ah oui! elle avait raison, l'eût-il
autant aimée dans de parcimonieux atours?
L'AMANT PASSIONNÉ 120
Elle eut. en son charme arlificiel et vi-
vant, le prix d'une maiière rare, presli-
gieusement sertie. Les tissus, les bijoux,
les odeurs, le mystère paré de sa personne
intime lui donnaient un air terrible et capti-
vant d'idole.
11 la regardait, souriant, allégé à travers
le printemps des feuilles. Lui-même se sen-
tait jeune comme l'heure et la saison : il lui
semblait que des poids d'humanité tom-
baient de ses épaules. Son adoration soudain
monta, une humble, étonnée et candide
action de grâce dans l'apaisement de son
cœur toujours tourmenté.
— Est-ce bien vrai que c'est toi qui es là,
Madeleine, et que tu m'aimes, et qu1l m'est
donné, à moi, la joie inouïe de t' aimer?
— Ta Madeleine, oui, ta Madeleine, plus
heureuse encore, s'il se peut, du bonheur
qu'elle te donne que du bonheur qu'elle re-
çoit de toi...
Elle lui avança les mains par dessus
la table et il les couvrait de ses baisers.
C'étaient des sensations neuves et frémis-
santes comme si tout recommençait, comme
si rien jamais n'avait fini. Il regardait jouer
aux ors limpides de ses prunelles les petites
mailles du soleil et de l'omljre, d'un long
130
LAMAXT PASSIONNE
bonbeiir enivré. Parfois ils demeuraient un
peu de temps sans se parler, la main dans
la main: et un désir les possédait, évanouis-
sait leurs yeux. Il oublia tout, le passé,
l'avenir, la mort,
Madeleine, vers la fin du mois, s'arrangea
pour le voir presque chaque jour pendant
une > Cubaine entière.
Toutes les fêles avaient été données. On
avait fermé aux derniers jours d'avril la
fancy-fair où Madeleine tenait un élalage de
bijoux russes. Elle avait voulu avoir de Paul
Tétrenne de sa première vente. On commen-
çait à parler de voyages et de villégiatures.
M""' Cormont, pour être tout à son cher
amant, avait déclaré qu'elle n'irait pas aux
villes d'eaux et passerait l'été à la campagne.
Elle aspirait aux vacances.
Paul eut là des jours de détente heureuse.
Une àme fraîche lui vint dans la jeunesse du
monde; il vécut lont un temps dans le désir
et la confiance. Il avait presque enlièrement
oublié ses affaires. Dans les vergers, aux
limites du bois, fleurissaient les pommiers
tardifs. C'était pour Madeleine un spectacle
nouveau, elle n'avait jamais ^u beaucoup
le temps de prendre attention à la nature.
Ils regardaient les ciels roses pommelés de
I. AMA.M PA^^lU-N-Nl:.
1..1
pelils nuages, onduler entre les feuillages. A
leurs pieds naissait la grâce ingénue des pâ-
querettes. La mélodie des oiseaux leur ver-
sait une sensation d'éden. Dans l'air léger,
doucement ventilé, Paul ne toussait presque
plus. I£lle l'olrservait avec des yeux ravis. LUe
l'admirait se reprendre à ses sèves vives
comme les grands arbres.
— Jamais tu n as été si bien, mon cbéii...
C'est mon amour qui l'a guéri.
— Oui, oui, je me sens redevenir un
homme; je n'ai plus quelquefois qu'un peu
de gène dans les bronches... Cela s en ira
avec l'élé.
CHAPITRE XIV
Brusquement Madeleine fut obligée de
parlir pour la campagne, bien avant le
temps qu'elle s'était proposé. Paillette de
nouveau était retombée à une langueur de
dépérissement. Le médecin prescrivit le
grand air; il ne laissa à M""' Cormont que
le délai nécessaire pour faire ses malles.
Au bout de deux jours, tout se trouva prêt.
C'était un samedi; Cormont voulut les ins-
taller lui-même et les accompagna. Ils em-
menèrent avec eux la gouvernante et la
femme de chambre, en attendant que la
cuisinière pût les rejoindre. Dans sa pré-
cipitation et ses alarmes, Madeleine ne put
trouver ni le temps ni la liberté d'esprit
12
IJ4 I.AMA.Xr PA^.<IUN.\E
pour écrire à Paul. Elle préféra attendre
uue accaluiie dans ses propres agilations
pour le préparer à une absence qui, celle
fois, alldil durer ["lus longtemps que les
autres. Son chagrin ainsi fut double; elle
eut le cœur déchiré comme mère et comme
amanle.
Des préoccupations matérielles retardè-
rent renvoi de sa lettre. Fn arrivant, elle
avait trouvé la maison encore humide des
pluies de l" hiver. Ou fil de grands feux
continus dans des aires fumeux et qui ne
s'échaulîaient qu'à la longue. Il fallut aussi
mander un tapissier qui remit des papiers
aux chambres. Madeleine et Paule furent
contraintes de loger dans une pièce de
l'élage orientée au levant et qui à peu près
S3ule était demeurée élanche. La gouver-
nanle eut son lil à côlé dans un cabinet.
Pour comble de malheui\ .Madeleine, quand
elle pul enfin songer à écrire, s'aperçut
qu'elle avait oublié d'apporter sa papeterie.
11 s'écoula ainsi plus d'une semaine avant
qu'il lui fut possible d'écouler son cœur.
Elle pleura aux premières lignes qu'elle lui
écrivit. Son papier en fut mouillé, mais sitôt
qu'elle cessa de pleurer, elle ne trouva plus
rien à lui dire. Elle fut étonnée d'avoir
LA MA .NT l'ASSIO.NM-: l.^:.
exprimo froidemenl des inoiivojnonts qu'elle
re>senlînl proroiulémeiil. l'allé recommença
sa ietlre et finilemeiil se décida, malgré
tout, à envoyer la première.
Cormont, au Palais, avait annoncé à Paul
Lame le dépari de sa femme et de sa fil!»'
avant qu'il pCit s'étonner d'un silence qui ne
dépassait pas encore le Iroisième jour. Une
chaleur lui passa au cœur : il ne pensa qu'à
se réjouir d'un événement qui la détachait
de son mari. Corraont vit son visage s'éclair-
cir et n'en soupçonna pas la cause.
Ce ne fut qu'après qu'il songea à plaindre
.Madeleine, reprise h de nouvelles inquié-
ludes pour sa petite Paule. Il ne doutait
point qu'elle lui écrirait et il attendait sa
lellre. Celle-ci tardant toujours, il l'accusa
d'inditîérence. Son malheureux esprit per-
sonnel encore une fois le poussa aux plus
sol les conjectures. Jamais elle ne l'avait
aimé : elle n'avait eu pour lui que la petite
défaillance de tanl d'aulres femmes pour qui
l'amant n'est qu'une variante du mari.
Après la détente bienfaisanle de leur der-
nier mois d'amour, il goiila soudain l'amer
besoin de se faire du mal. Ses fibres amol-
lies de tendresse, de printemps, de sérénité,
se pincèrent et lui causèrent celte jouis-
i:36 L'AMANT PASSIOXXÉ
sauce dans la douleur qui pour les natures
comme la sienne, atteint parfois en s'enve-
nimaiil au paroxysme des tortures heureuses.
Mais Madeleine enfin lui écrivait : toute sa
peine tomba. Comme les larmes, en se
séchant, avaient fait gondoler le papier, il
crut ijaiser à travers ces soufflures, les
ampoules mêmes de sa passion. 11 songea
qu'elle les avait versées surtout pour lui, et
trouva quelque consolation à l'espérer incon-
solable.
Sa vie se régularisa, il fut assidu au Palais,
plaida des causes, en gagna quelques-unes.
Son grand feu de passion couva, bien que
sous les tisons tiédis, un tel amour eût été en-
core pour un autre une brûlure, Madeleine,
du reste, maintenant lui écrivait tous les
jours. C'étaient de petits billets brefs et sou-
bresautés où elle était plus à Taise que dans
ses longues lettres. H l'y suivait à travers
les soucis et l'ennui de ses journées, dans ce
séjour de campagne prématuré où, depuis
qu'ils s'étaient quittés, le beau temps sem-
blait la bouder. Elle avait fait accorder son
piano: elle jouait un peu de Chopin en chan-
tant de vagues romances pour jeunes filles
du monde : M""' Cormont n'avait jamais eu
un goût très pur en musique. Mais au piano,
LAMAM PASSlU.N.M:: 137
sa nervosité tout de suite la reprenait: elle ne
savait vraiment demeurer assise que sur ses
genoux à lui. Elle se levait, descendait à
l'office, donnait un ordre au jardinier. Et
puis Pauletle, d'une sensibilité d'enfant ma-
lade, après l'avoir elle-même suppliée de se
mettre au clavier, finissait par être prise de
crises de larmes où elle se jetait contre sa
mère et lui faisait jurer de ne jamais la
quitter.
« Je suis une prisonnière ici, écrivait-elle
à Paul, éloignée de toi et de tout. Je mour-
rais d'ennui si je n'avais pas ma fille à sau-
ver. Tu sais cependant si je sais me rési-
gner... Mais c'est trop; j'étouffe, je ne fais
rien, je ne vois personne pendant des jours...
Tout ici est encore inhabité. Ah! ma petite
Paulelte, tu ne sauras jamais quel sacrifice t'a
fait ta maman en venant s'enterrer dans cet
horrible trou. »
Dans l'isolement de sa vie, elle s'était re-
trouvé un peu de l'âme de sa petite enfance.
Tous les matins elle partait entendre l'office;
le dimanche, en outre, elle assistait au salut.
Il lui fallait faire une heure de chemin pour
gagner l'église à l'extrémité du village.
C'était comme un espoir et une sécurité
qui lui étaient revenus avec le désir de la
12.
138 LAMANT PASSIONNE
prière : elle était plus tranquille depuis
quelle avail mis son recours en la Vierge.
Elle disait à Paul qu'elle priait pour lui
comme pour Paulelte. Il se rappela leurs
rencontres dans les églises oii, d'un grand
signe de croix derrière lui, secrètement elle
l'oudoyait d'eau bénite.
Lui, de son côlé, écrivait chaque soir.
a Je le fais mon acte de contrition avant de
me coucher, » disait-il. Les feuillets minces se
comblaient de Taveudesesmoindrespensées.
Son amour y prenait une posture ingénue
d'agenouillement. Il s'abandonnait à des ten-
dresses et des folies qui donnaient à iMadeleine
la sonsalion d'une caresse infiniment douce,
humhle et désirante, l'enveloppant toute.
C'était, ces lettres, la joie de sa journée; l'es-
pace, la distance n'existaient plus : elle
l'avait près d'elle, contre son cœur, dans une
longue palpitation de vie amoureuse. Elle
les baisait en répétant cent fois : a Mon
Paul », là où lui-même avait cent fois, en
y appuyant ses lèvres , murmuré : ( Ma-
deleine ». Ils étaient heureux de pouvoir
s'écrire directement comme ils se seraient
pari''. Elle avait désiré seulement qu'il
variai l'écriture de l'adresse pour dépister la
curiosité du jardinier et de la gouvernante.
LA.MAM i'A^^](»^•.^!•: i;]'.'
Il s'y appliquait avec une adresse de faus-
saire.
Une vie nouvelle leur naquit de ces
échanges constauls : leur confiance élait
simple, fraîche, spontanée; celle de Paul
paxiit s'êlre pour jamais stabilisée. 11 n'osa
lui avouer qu'il la devait à l'assurance que
Cormont n'était plus avec elle. Madeleine,
la rapportait au succès de ses intercessions.
« Je prie pour mes deux enfauls. et la
bonne Vierge m'a exaucée déjà en ce qui
te concerne ». L'enfantillage de sa foi, dans
la confusion candide de sa maternité et de
son amour, attendrissait Paul jusqu'aux
larmes intérieures.
Dans sa franchise, elle ne sut pas lui
cacher que Cormont arrivait passer auprès
d'elle les jours de la Penlecôte. Elle le priai!
de ne plus lui écrire avant que son mari
n'eût quitlé la campagne. Elle agissait là
comme une femme qui a sa vie à sauve-
garder et dépend de l'homme auquel elle est
liée.
Aussitôt tout de nouveau fut bouleversé :
Paul, pendant (rois jours, souffrit un vrai
martyre. Il Taccnbla, l'accusa de complai-
sance envers son mari. Jamais il ne l'avait
désirée aussi passionnément. La jalousie
lio i;amam' passionne
l'élira sur un gril ardent. Il pensa à partir,
lui aussi, à s'installer dans une auberge,
sous un toit de paysan, n'importe oii, pourvu
qu'il fut près d'elle et pût la reprendre.
. il ne cessait pas de regarder ses portraits.
Il tâchait de les voir aulrement qu'il ne les
avait vus jusque-là : a Ah! traîtresse, ah!
perfide, pensait-il, c'est bien là la bouche
qui me trompe et répète à un autre les
mots qu'elle m'a dits. » Il scrutait les yeux,
y découvrait de la ruse et de la fausseté.
Avait-il pu bien aimer un visage si plein de
mensonge? Jusqu'à la forme même du nez
décelait une nature astucieuse. Sa folie
s'exaspéra : il se tortura à suivre de trait
en trait les signes qui la lui rendaient haïs-
sable. Avec une atrocité dont l'excès confina
pour lui à la jouissance, il eut l'air de s'en-
foncer de longues aiguilles chauffées à blanc
sous la peau. Il l'eut en horreur, jura de
brûler les images qu'il avait adorées d'une
passion si aveugle. Ah! c'était bien fini cette
fois! Mais soudain son cœur se mettait à
battre avec une force terrible. Les sources
de la vie s'agitaient : tout son être se fondait
de désir et d'adoration. ^ Voilà bien ses yeux
charmants, voilà bien celte bouche exquise
qui a la forme de son cœur... Ah! misérable
t;amant passionne 141
que je suisi Je loulrageais en la méconnais-
sanl. Tout son vhage n'est qu'amour et sin-
cérité... Aucun jamais réalisa-t-il mieux:
l'image de l'amour fidèle? » Il les portait
éperdument à ses lèvres : il y croyait boire
la vie, l'illusion d'une haleine fraîche et par-
fumée. H les pressait contre son cœur el un
autre cœur lui répondait.
11 voulut relire toutes ses lettres : il les
relut d'une foi avide, comme un bréviaire
de paix et de vérité. « Madeleine, pardonne-
moi : j'ai le sang en feu, je suis un possédé
d'amour... » criait-il, en les couvrant de ses
baisers.
Il erra tout un jour sous les arbres du bois ;
il revit la clairière, les taillis, le petit cabaret
des heures ensoleillées. Une brouée semblait
effiler de la charpie sous le ciel étamé, vide
de lumière : cette tristesse du jour malade
s'ajouta encore k son accablement. Il vit sa
vie finie, à jamais perdue : le terrible amour,
comme du frottement d'une meule, avait
usé toutes ses énergies. Il eût fallu le lui arra-
cher avec son cœur même, accroché qu'il
était, par les filaments d'une sorte de mons-
trueux fibrome, à l'emmêlement de ses fibres
profondes. Et cet amour était la chose mau-
dite qui avait contre elle la loi divine et
142 i;amam passionne
humaine : une main rouge sorlie du Code
en marquait, comme d'un signe d'infamie, les
am;mts surpris dans leur péché. Il avait pris
la femme d'un aulre, il avait vole le bon-
heur d'un ami. Et tout à coup l'ami revenait :
il apparaissait en vainqueur, en maître et
rc[ renait ses droits. 11 représenlait celui-là.
la pointe haute du triangle social dont hi
femme et l'enfant étaient les deux autres
angles. Avec lui tout était ramené dans
l'ordre. Derrière les portes refermées,
l'épouse soumise entrait au lit.
11 y avait bien pour elle un moyen, cepen-
dant : l'héroïsme d'un scandale public, le
divorce brisant du coup de marteau de la loi
qui rompt l'écrou rivé par l'autre loi qui
unit .. Mais la tranquille Madeleine n'avait
rien d'une amazone passionnelle... Jusqu'au
boul, elle resterait l'amante sincère qui ne
cesse pas de se souvenir qu'elle est épouse et
mère et emploie toules les forces de la dissi-
mulation à concilier l'honnètelé de l'amour
chez la maîtresse avec les apparences de
l'honnêteté chez la femme légitime... La pe-
tite folie passée, elle redevenait la prudenle
M""' Cormont qui sur ses pistes embrouillait
l'écheveau savant des ruses, des précautions
et des mensoniïes.
I/AMANT PASSiO.N.NE 11.?
Alors quoi? Mentir, ruser, continuera êlre
le voleur qui saute par-dessus les palissades,
le braconnier qui traque le gibier des chasses
ijardées, le convive clandestin caché d ns la
salle du feslin et qui se nourrit de la desserte
délaissée? Jusqu'au bout connaître la Hèvre
de l'attente, le navrement des séparations où
l'esprit et le cœur chavirent à la fois, Tiuuli-
lité d'espérer, après l'aubaine inlermitlente
des rencontres furlives, les joies détinilives
de la possession continue?... Mieux valait se
séparer, dùl-il ensuite, comme on écrase un
feu, piétiner, jusqu'à ce que mort s'ensuivît,
un cœur tout bondissant de vie rouge...
La nécessité de la grande douleur finale
s'offrit comme Tunique délivrance... C/élail
cela, la dignité, la vérité, l'issue à de lamen-
tables défaites de conscience. Quant à elle,
elle retournerait à sa vie, à son devoir : elle
s'étourdirait un ]>eu plus dans le tourblKon,
et puis un jour l'oubli passerait. « >'on,
mille fois non, s'écria-t-il presque aussi! ôt,
jamais je ne consentirai à te perdre, Made-
leine... Plutôt la mort tout de suite ». Et puis
toute cette dialeclique était fausse : l'ardeur
et la beauté de la passion sont en raison
même de l'effrènement avec lequel un cœur
se désintéresse de toute morale, il faut
It4 L'AMANT PASSIONNE
acbeler les bonheurs coupables à force de
souffrances, d'immolations et de sacrifices.
La crise s'émoussa : il rentra à la nuit,
les vêtements trempés et JDOueux, fléchissant
sous le mal de tête. Sa mère, depuis une
heure, l'attendait pour dîner.
La Pentecôte, comme les autres grandes
fêtes de Tan, de tout temps avait été pour les
Larue le prétexte d'un pelit festin de famille
où leur piété de gens de campagne s'accom-
modait d'un goût de bien-être. La maman
.'.vait mis cuire un chevreau immolé à l'occa-
sion de ce jour religieux par l'oncle, un
frère qu'elle avait laissé au village. La bonne
Toine, de son côté, s'était promis de faire des
ratons. Mais elle ne pouvait les jeter à la poêle
qu'au dernier moment : déjà la pâte retom-
bait. Elle eut recours à ses grandes interces-
sions et récita deux chapelets. Une clef enfin
tournait dans la serrure.
— Not" dame, c'est Môssieu l'avocat I
Au seuil de la cuisine, dans une odeur
chaude de four, M"^' Larue, son bonnet à
rubans verts par dessus ses bandeaux, ap-
parut.
— Vite, vite^ mon fi... tout sera brûlé.
Rapidement il se changeait, chaussait ses
pantoufles, et M""' Larue elle-même venait le
I
LAMANT PASSIONNÉ 145
chercher dans sa chambre; il la vit arriver
dans sa robe de soie des jours cérémonieux,
sa chaîne d*or enroulée au cou. Elle lui priL
le bras, ils tia\ersèrenl le couloii* et tout
à coup, par la porle ouverle, dans une clarlé
dilluminaliou, sapergul la table tleurie de
bouquets frangés de dentelle en papier et
servie avec un appareil de gala. Par dessus les
cristaux el les couverts d'argent, la suspen-
sion avec toutes ses bougies allumées sereQé-
tait dans la glace.
Toule celle gaielé de la fleur et du lumi-
naire lui sautant aux yeux, il eut son bon
rire d'aul refois, le rire émerveillé el enfant
qu'il avait gardé longtemps dans son âge de
jeune homme.
— Ohl maman...
Et comme il se retournait ver^ elle, il la
vit desserrer <e^ lèvres minces en lui ouvrant
les bras.
— Mon fi, c'est après demain l'anniver-
saire de ta naissance... J'ai pensé qu'il valait
mieux faire les deux fêtes à la fois.
Il avait oublié cela comme il oubliait tout
le reste, dans sa folie d'amour pour Made-
leine. Son cœur, tout un jour crispé et
raidi, se détendit sous la bonne émotion.
Il appuya le front à l'épaule maternelle :
13
1-if' l.'AMAM PASSIO.VM:
— C'était au matin, n'est-ce pas?... Il v a
de cela trente ans; tu n'oublies rien, toi...
Madeleine, elle, l'autre année, ne s'étail
pas souvenue. Dans un flux soudain de sen-
sations, se précisait l'image du double
amour : l'un vertigineux et obsédé, le lais-
sant toujours retomber de la hauteur d'un
ciel, illimilant autour de lui un désert ravagé
parles vents furieux; l'autre qui était le pre-
mier et peut-être serait le dernier, confiant,
tranquille, égal, aux racines même de sa vie.
Toine apporta le potage: elle servit ensuite
le chevreau. AP" Larue avait remonté deux
bouteilles d'un vieux vin de Tours huileux et
vermeil. Il eut, au sortir de cette épreuve où
il s'était torturé si follement, la joie phvsique
des nourritures. Mais, cessant tout à coup de
manger, il lui prenait la main comme il fai-
sait à Madeleijie :
— Je suis si fatigué... je voudrais rester
comme cela longtemps près de toi à dormir,
ne songeant plus à rien.
Elle sembla ne vouloir point tout com-
prendre.
— Ton père aussi des fois se fatiguait
trop.
— Ah oui, ce brave père toujours à ses
chiffres etqui,quelquefois,lanuitse réveillait
i;ama.\t passioxxe iw
pour aller s'asseoir à son pupitre... Mais,
vois-tu, maman, ce n'est pas la même
chose... A la ville, on s'use d'une aulre ma-
nière... C'est la meule.
— Ah ben... ah ben...
Du boul de ses longs doigts durs, elle lui
fermait doucement les paupières, s'oubliant
à dire comme autrefois :
— Dodo, mon fî...
— Oui, dodo la vie... Dodo mon cœur..,
répondait Paul tout bas en lui caressant la
main. Sa main à lui, qui si souvent avait
brillé en frôlant à la peau de Madeleine l'an-
neau d'or, le signe détesté de la soumission
et de la falalité, eut une sensation tendre et
fraîche à palper les deux bagues que portait
sa mère. A travers la mort, faites du même
métal indestructible, celles-ci continuaient à
marquer la foi librement et inlègrement
consenlie.
Toine, qui avait desservi le chevreau, repa-
rut, un plal fumant dans les doigts. Cha-
cune des rides de sa peau, crevassée comme
une écorce, était un rire dans la gaieté de
son vieux visage.
— On va bien voir ce qu'en pense not'
mùssieu 1
Celle-là non plus n'avait jamais faibli.
148 L'AMANT PASSIONNÉ
Elle avait été droit son chemin dans sa vie
de bon courage, d'actes accomplis et d'affec-
tion presque canine.
Ils mangèrent quelques ratons, émus d'une
joie silencieuse et confiante, n'éprouvant pas
le besoin d'échanger des mots. Et puis Paul
se levait, la prenait dans ses bras, appuyait
son cœur à ce vieux cœur simple et qui
n'avait pas changé.
— Ça me fait du bien comme si j'étais
toujours ton petit enfant, disait-il.
CHAPITRE XV
Un malin il arrivait un billet :
« Je ne peux vivre plus longtemps sans
te voir... Te désire, te veux... Mon chéri,
j'irai t'altendre demain à S... Mon train suivra
de cinq minutes le tien... Nous passerons toute
la journée ensemble... Prends-moi toute
dans un baiser. »
Ce fut une ivresse. Il mangea des lèvres ce
papier léger, translucide à l'égal d'un pétale
de fleur. Il y sentit un long frisson d'amour
et de désir. Cent fois dans le jour il y baisa
Todeur de sa main, il crut y baiser tout l'a-
bandon charmant de son corps.
Madeleine, comme toujours, dans son dé-
sir de le voir, ne s'était pas demandé s'il était
13.
loO LAMANT PASSIONNE
libre. Justement il avait à plaider, ce jour-là.
dans une affaire où ils étaient deux, Cormonl
et lui. Quelle ironie! Il imagina, auprès de
son ancien patron, un empêchement. Bénévo-
lement Cormont se chargea de demander la
remise. 11 prit un secret plaisir à se venger
ainsi de Thomme qui le martyrisait sans
s'en douter.
Il lui fallût, en outre, s'excuser auprès d'un
client avec lequel il avait pris rendez-vous.
Récemment il avait dii passer à un con-
frère plus jeune deux affaires que ses au Ire-
arriérés ne lui avaient point permis de gar-
der. Sa vie, sa simple et ponctuelle vie
antérieure, réglée comme une comptabilité,
n'était plus faite que de coups de collier
fiévreux pour se remettre tant bien que mal
au courant. Quand, dans tout ce désordre, un
instant il reprenait conscience de lui-même,
il s'épouvantait de voir le glissement continu
de sa maturité commençante vers le plus trou-
ble avenir. A son tour, il élait entré aux
orbes de la tourbillonnante ronde où, de ses
pieds légers, dans un vertige mortel, Made-
leine tournait, tournai I, le rire aux dents.
Pour être plus sûr de ne pas la manquer.
Paul débarqua une heure avant elle. Tout le
temps du trajet, il n'avait pensé qu'à la
I/AMANÏ PASSIONNE 151
minule délicieuse. Presque deux mois qu'ils
ne s'étaient vus ! 11 usa sa fièvre à faire les
cent pas sur le terre- plein, derrière la gare.
Il n'osait s'éloigner : à chaque instant il
consultait sa montre et relisait le billol
qu'elle lui avait écrit, encore une fois il allait
jusqu'au bout du terre-plein, puis revenait.
La locomotive siffla, le train patina sur les
rails; et elle sautait du marche-pied, regar-
dait très vite d'abord autour d'elle, tranquille,
prudente, maîtresse d'elle-même. Klle n'eût
pas été plus agitée si elle l'avait quitté seu-
lement la veille.
Il eut dans le crispement de la sienne sa
pf^tite main gantée. Elle lui disait à mi-voix :
— Ah! chéri, que je suis contente î
— Et moi ! fit-il sans chaleur.
Ses jolis yeux heureux souriaient sous son
grand chapeau de paille bise, fleuri de
bleuets. Une blondeur de hâle pastellait l'ha-
bituelle matité de ^^es joues. Mais qu'elle lui
paraissait froide à côté de ce qu'il avait
espéré !
Ils marchèrent un peu de temps côte à
côte sans parler, se laissant dépasser par les
gros pas lourds des paysans chargés d'outils
et de paniers.
Il regardait se mouler sous sa robe de
152 L'AMANT PASSIONNE
foulard bleu sa hanche souple et Pxerveuse.
La route d'abord longeait de petites habi-
tations basses, en moellons du pays, toutes
paisselées de vignes ou recouvertes d'arbres
en espaliers. L'une d'elles, avec une 1 errasse
à l'étage sous le ventilement d'une tente
rayée de bandes roses, avait un aspect d'hô-
tellerie décente.
— C'est là que nous déjeûnerons, fît-elle
aussitôt qu'elle l'eût aperçue. Je t'apporte un
appétit de campagne. Si nous entrions com-
mander notre menu?
L'hôlesse, une petite femme nerveuse, noire
comme un pruneau, leur promit des pigeon-
neaux et de la jeune salade.
— Eh bien, c'est dit, dans une heure, fit
Madeleine... Et sur la terrasse.
Ils reprirent la roule. Elle lui dit que Cor-
mont était venu là en excursion un jour
avec des amis : il avait été satisfait de la
cuisine. Elle parlait très vite. Elle semblait
jeter les mots devant elle pour combler du
silence. « Comme c'est aimable à elle de me
parler de son mari! » pensait Paul. Il ne
répondit rien : du bout de sa canne il frap-
pait les orties au bord de l'empierrement.
Les maisons s'espacèrent : ils se trouvè-
rent dans un vallon bordé de roches vertes :
i; AMANT PASSIaNM-: 153
sur un lit de grosses pierres bondissait un
ruisseau.
— Tu es peu gentil î (it-ello... Je me pro-
mellais une si grande joie de te revoir... Tu
vas me gâler tout mon bonheur... Voyons,
qn'esl-il arrivé?
— Il est arrivé ceci, c'est que tu n'es plus
la même... Tu as des airs indifîérents, déta-
chés... Ton calme me glace... Ahî Madeleine,
quelque chose l'a changée !
Il la sentit à ses côtés soudain frémissante.
— Ah! mon pauvre chéri, si lu pouvais
lire dans mon cœur ! Mais jamais je ne t'ai
plus aimé... Seulement, c'est vrai, après ces
deux mois de vie chez les paysans, l'autre
femme s'est un peu endormie eu moi.
11 lui relevait hrusquement sa voilelle.
— Oh ! s'écriait-il, tu es même engraissée!
Je te félicite.
— Ne crois pas que c'est de bonheur...
Si tu savais quels ennuis m'a donnés ma
Paulelle! Le médecin vient loules les se-
maines... Elle est mieux, mais si impres-
sionnable loujours... H m'a fallu imaginer
toute une histoire pour te venir... Elle ne
voulait pas me laisser partir, se pendait à
moi... Une scène de larmes, de cris... Je
t'as-ure, j'en ai été bouleversée.
lo4 LAMAXT PASSIONNÉ
11 Tallira par la taille, et la serrant contre
lui :
— Pardonne-moi... Je 'm'étais fait des
idées. Il me semblait que ça se serait passé
autrement entre nou^^... Dame! après une
aussi longue séparai ioii ! Tu sais bien, je
suis un chimérique, moi... De nous deux,
c'est moi qui suis le plus femme...
Ils prirent un chemin qui contournait le
jardin d'une ancienne abbaye devenue une
maison d'éducation religieuse. Des fillettes,
parmi les allées bordées de buis taillés, y
jouaient sous la surveillance des sœurs aux
pâles coiiïes glacées de tons lilas. Elle son-
gea à sa petite malade, envia pour elle leur
vie joyeusement animale.
Un petit pont enjambait le roiisseau ; un
pré en pente, sur l'aulre rive, fleurissait
déboutons d'or. Ils suivirent le sentier qui,
un peu plus loin, se perdait aux taillis de la
montagne.
Paul, sous le faix léger du corps qui s'ap-
puyait à lui, eut une défaillance. Elle le
sentit se raidir, entendit son souffle bref. Il
vit qu'elle le regardait.
— Oui, fit-il en souriant, moi aussi j'ai
changé, mais pas à mou avantage... Maigri,
tiré, nest-ce pas ?
LAMAM PASSION-NK 1:.:.
Elle eut le courage de mentir.
— Mais non...
Il restait un petil lemps à regarder la
t«'rre à ses pieds, el puis il disait Iranquil-
iement :
— Le jour où je cesserai d'être malheu-
reux à cause de toi, j'aurai cessé...
11 hésita, achrva :
— De t'aimer.. .
Elle comprit (jii'il avait voulu dire autre
chose: Paul, eu efïel,, avait pensé que ce
jour-là, il aurail cessé de vivre. Dans la joie
de l'heure, dans la grande trépidation de
la vie autour d'eux, le terrible pli décou-
ragé de ses joues jiarla pour lui.
— Moi qui voudrais être pour toi le bon-
heur et la vie! s'écria-t-elle en s'offrant dans
un baiser.
— La vie ! la vie 1 dil-il lenlemenl en
haussant les épaules... Est-ce vivre que de
me consumer loin de toi?... Quelques heures
encore et tu m'auras quitté, comme les
autres fois, comme toujours!
Ils étaient assis sur un pan de roche, et. à
son tour, elle le lenail dans ses bras comme
un enfant.
— Ah! c'est là ton mal, chéri... Tu mets
une volupté cruelle à le faire souffrir...
156 LAMANT PASSIO.N.Xb:
Pourquoi, en plein bonheur, songer à la mi-
nute qui suivra? Tu empoisonnes toutes tes
joies de la pensée qu'elles vont finir... Je
suis aussi malheureuse que toi quand je dois
te quitter : mais après, je revis les heures dé-
licieuses que nous avons passées ensemble.
Cela me rend presque le bonheur perdu.
Il laissa iomber la tête sur son épaule, et
tout son triste amoui* lui montait aux lèvres.
— Je ne t'envie pas ta résignation...
J"aime mieux souffrir puisque ainsi je sais
mieux que je l'aime î
C'était comme le fond de sa vie qu'il lui
disait là, qu'il lui avait dit si souvent!
Elle chercha des paroles adroites et ten-
dres. N'étail-ce pas déjà un grand bonheur,
le plus grand de tous, que de s'être connus
et de s'aimer?
— Ah 1 oui, dil-il, un mortel bonheur !
Une sensibilité dévie fiévreuse altérait son
visage. Elle le vit miné par la souffrance,
elle comprit qu'il lui avait donné vraiment la
fleur de sa vie ardente et jeune. Son être
palpita douloureusement; elle n'eut plus le
courage des mots, les sentit vains près de
cette blessure profonde. Dans sa pitié et son
amour, ses yeux se mouillèrent; elle pleurait
en souriant.
LAMA.NT PASSIONNK 157
— Vol^, pourtant... Rien qu'à évoquer le
bonheur que tu m'as fait connaître, je sens
se gonfler mou cœur.
Elle le couvrit de ses baisers les plus'
tendres.
— Ah! c'est bien loi, cette fois, s'écria
Paul, lu m'es revenue, je t'ai retrouvée.
Ouidie la peine que j'ai pu le faire... J'élais
fou, je n'ai jamais cessé d'être heureux.
L'ombre s'effaça : la lumière, la jeunesse,
l'espoir seul régnèrent dans l'espace frémis-
sant.
D'une ardeur emportée el tendre, il lui
rendit ses caresses, il eut l'exaltation du
premier désir. Le feu noir de ses yeux fondit,
une rosée brillante lui mouillait les pau-
pières. « Moi qui tremblais pour lui I son-
gea-t-elle.' Jamais il ne fut plus jeune el plus
irrésislible. »
La cloche à l'église sonna midi : ils re-
descendirent la pente, enlacés, quelquefois
glissant sur les pierres qui s'éboulaient.
Elle se pendait délicatement, évitant de
|>eser, légère, sautillanle : elle sembla vou-
loir le faire croire li ses forces revenues.
— Vivre ici, dans ce vallon î soupirait-il.
Tous deux se sentaient une âme heureuse
et pastorale. La faim les ramena vers la
14
I.i8 LAMAXT PASSIONNE
pelite hôtellerie. En arrivaût, ils Irouvèreiit
la table sous le tendelet. On leur avait
ajouté des écrevisses : justement Madeleine
en raffolait.
Sans consulter Paul, elle commanda du
Champagne.
— J'ai envie de me griser.
Il était assis devant elle, ses genoux pressés
entre les siens. Leurs yeux, comme des mi-
roirs, se renvoyaient, sous l'éclat raicassé
du jour, leur propre image, toute menue. Us
s'amusèrent quand Thôtesse feignit de les
prendre pour un couple légal.
— Elle n'en croit pas un mot, dit Made-
leine; elle tousse chaque fois qu'elle vient, de
peur de nous surprendre... Mais tout de
même, c'est charmant, tu as l'air d'être
mon petit mari.
Tout en cassant les écrevisses, elle riait,
babillait, excitée par le vin. Elle lui dit sa
vie recluse là-bas. Tous les matins, elle allait
lui dire bonjour dans sa chambre.
— Car c'est vrai, je ne t'ai pas dit... j'ai
voulu arranger moi-même la chambre que je
te destine... Elle te plaira, elle donne sur un
horizon de bois... Tu y trouveras mille petits
riens que j'y ai disposés à ton intention... Il
n'y aura plus que les draps à mettre au lit...
i; AMANT PASSIONNÉ lo9
Pense donc, tout un mois que nous allons
j>ouvoir passer ensemble... Encore celte
écrevisse, dis... Non? Ah 1 chéri, que nous
allons être heureux 1
11 souriait, amusé de son bavardage, écou-
lant bruire son petit caquet d'oiseau. Elle
avait la philosophie égale d'une âme gen-
tille, jouisseuse, vive et tranquille, d'une
âme très bonne el qui demeurait doucement
tendre jusqu'en ses abandons passionnés.
Elle lui parla de Paulette avec radoraliou
qu'elle aurait eue dans Tamour. Elle s'ef-
frayait de sa sensibilité qui lui faisait ressen-
tir presque magnétiquement d'obscures per-
ceptions de la vie en dehors d'elle.
— Non, mais songe donc... Jamais elle
n'a parlé autant de loi que depuis deux
jours... Elle me demandait toujours si tu
n'allais pas venir: elle disait qu'elle avait
quelque chose à le dire qu'elle ne dirait à
personne. Enfin, c'est troublant... Elle a
remarqué que j'emploie des mots que tu
emploies toi-même. Je n'y aurais jamais
pensé, bien qu'au fond, cela me paraisse
assez naturel : à la longue on déteint un peu
l'un sur l'autre. Seulement, c'est terrible
(juand il s'agit d'une enfant comme Paulette.
Elle m'a dil : « Tu parles comme M. Paul.
lôO L'AMANT PASSIONNE
maman. » Je serais désolée s'il me fallait
dorénavant me surveiller devant elle.
Elle s'interrompit pour commander une
seconde bouteille de Champagne; et tout de
suite après^ elle lui parlait de sa couturière,
une nouvelle et qui consentait, celle-là, à lui
faire de longs crédits.
— Je parie que tu n'as pas même re-
gardé ma robe... à ton goût? Ah I mon
chéri, que je t'aime!... Il me semble que
c'est la première fois que nous sommes
ensemble .. Vrai, je ne t'ai jamais autant
aimé.
Mon Dieu I elle lui avait déjà dit cela si sou-
vent et pourtant c'était une chose toujours
nouvelle et qu'il ne se lassait pas d'entendre.
Elle eut un léger égarement aux yeux : elle
lui envoyait d'un claquement de bouche de
petits baisers; il lui mordillait le bout des
doigts ou lui frôlait le poignet sous la man-
che! te. Tous deux parfois longuement se tai-
saient.
Après tout, peut-être elle avait raison :
la vie en commun, Taccoutumance du mé-
nage ne vaut pas les heures oii deux amants
goûtent, en se revoyant, la surprise et la
griserie de se senlir jusqu'au bout un peu
inconnus l'un pour l'aulre.
L'AMAiNT PASSIONiNÉ 161
— A quoi penses-tu? fit-elle, le voyant
songeur.
— Moi? A rien... à des bêtises... J'es-
sayais de me mentir à moi-même. Il faut
bien s'étourdir... Encore une iieureet puis...
comme toujours.
— Pourquoi me Tas-tu dit?
L'après-midi déclinait : ils allèrent revoir
le ruisseau, s'engagèrent dans la montagne.
Elle essayait, en disant mille folies, de lui
faire oublier la fuite du temps; et tout à
coup elle-même, avec des soupirs, demeu-
rait mélancolique. Mais, se reprenant encore
une fois à sa résignation, elle lui disait :
— C'est la vie, mon chéri.
11 toussait derrière sa main, tout pâle,
sans répondre. Elle non plus maintenant ne
savait plus que lui dire.
14
CHA^PITRE XVI
Madeleine ne quitta plus la campagne.
Quelquefois ils se renconiraient à Tune des
gares sur la ligne. Les instants qu'ils pas-
saient ensemble la laissaient heureuse pour
des jours; ils consumaient Paul de regrets.
C'était devenu un mal physique, cette souf-
france du vide qui succédait à la plénitude
de ses joies auprès d'elle. « Je t'aime comme
une bêle », lui écrivait-il.
Il eut la satisfaclion de plaider quelques
affaires qui assurèrent son ménage et lui per-
mirent d'entrevoir de tranquilles vacances.
Il avait promis à sa mère d'aller passer deux
semaines avec elle au village où s'était écou-
lée une partie de leur vie. C'était un vieux
164 L'AMANT PASSIONNE
lève qu'elle caressait depuis qu'ils étaient
venus habiter la ville : elle en parlait avec
Toine, le soir, en raccommodant ses bas.
Klle ne se plaignait pas de la longueur de
Tatlente, acceptant le cours normal des
choses de la même âme patiente et muette
dont elle acceplait la liaison de son fils.
Vn soir, Paul trouva sur la chaise, près de
son lit, sa valise faite. H ne croyait pas pos-
séder d'aussi jolies cravales. Bon Dieu I
c'est qu'elle y avait mis jusqu'à deux che-
mises de soie nouvelles î II fut ému : depuis
des mois peut-être, elle travaillait à lui faire
son trousseau de jeune homme qui va dans
le monde. Jamais elle ne lui parlait de Ma-
deleine.
Madame Larue, toule sa vie, avait eu la
force de vivre, en dedans de soi, des mouve-
ments tendres, violents, calculés et secrets.
Peut-être, dans son amour jaloux pour Paul,
elle détestait M""' Cormont. Mais celle-ci, à la
fois maîtresse de maison et femme mariée,
écartait le danger plus redoutable d'une
femme légitime, installée à demeure. Cette
politique astucieuse et forte, en révélant les
énergies de sa nature de paysanne, l'attesta
capable de concilier avec ses intérêts de
cœur ses scrupules d'honnêteté courante.
L'AMA.NT PASSiON.Nb: 165
Elle estimait, d'ailleurs, qu'une femme
coQime celle-là, « la dame » d'un avocat en
renom, pourrait servir un jour les intérêts
de son fds.
Paul paitil le lendemain. Madeleine lui
avait écrit qu'elle l'attendail; de nouveau du
temps s'élait passé ; il y avait près de trois
semaines qu'ils ne s'étaient vus.
D'abord, il s'étonna de se sentir si calme
après l'avoir si follement désirée; son cœur,
sur le point d'être exaucé, n'avait plus que
des élans glacés ; il se trouva dans l'état
d'esprit d'un homme indifférent à son bon-
heur. Mais sitôt qu'il commença d'appro-
cher, toute la violence de ses sentiments
reparut. Il dut comprimer à deux mains les
battements de son cœur. 11 l'appelait à
l'avance des noms les plus passionnés...
« Chère, tendre, divine Madeleine... » Il
se levait et se rasseyait, ouvrait et refer-
mait coup sur coup la glace de la portière.
Il resta tout un temps le corps penché
dans le vide, à regarder décroître la dis-
tance.
Ce fut Madeleine elle-même qui le reçut.
Elle était seule au salon : elle lui lendit la
main.
— Vous allez bien vous ennuver, dit-elle
166 LAMAM PASSIONNE
tout haut. Mon mari est parti pour deux
jours et vous prie de Texcuser.
Elle ajouta tout bas :
— Ohî mon chéri, quelle joie! C'est moi
qui ai tout arrangé...
Le jardinier apporta la valise et les objets
qu'il avait descendus du train : elle voulut
l'installer elle-même dans sa chambre. Us
montèrent : par la fenêtre ouverte s'aperce-
vait l'horizon de bois dont elle lui avait parlé.
Elle avait fait placer un papier fleuri de bou-
quets roses qui s'harmonisait avec les ri-
deaux, la carpelle et la courte-pointe rose
du lit. Une promesse de bonheur parut avoir
présidé à ces accords délicats et joyeux. Ma-
deleine avait aussi garni d'aimables bibelots
la cheminée ; elle avait rangé sur la toilette
ses plus jolis flacons à parfum. Ils volatili-
saient, à travers l'efflux vert venu des
plaines, cette odeur de peau d'Espagne
qu'elle portait toujours sur elle.
— Êtes-vous content?
Le jardinier redescendu, très vite elle lui
tendait sa bouche. Toute la vie de Paul
passa dans les baisers dont il la couvrit.
— Nous voilà chez nous, fit-elle. Nous
serons seuls deux grands jours. Mon mari
ne rentre qu'après-demain... Figure-toi :
l.AMANT PASSIONNÉ 167
M. Cormont devait faire avec un aaii une tra-
versée de deux jours justement sur un yachi
que possède cet ami... Alors, tu comprends,
j'ai voulu qu'il partit tout de suite... C'est
moi-même qui ai écrit à Mervil, l'ami... Mais
celui-ci, au dernier moment, fut empêché
par quelque chose... Tu ne comprends pas?
Ça ne fait rien... Enfin tout s'est arrangé
comme je le voulais... Et voilà, chéri, main-
tenant je suis toute à toi...
Elle le laissa se changer. Ils se retrouvè-
rent ensuite sous la pergola feuillagée de
rosiers grimpants, qui, du côté des jardins,
prolongeait la salle de billard.
Paul soudain aperçut Paulette : il fut
étonné de sa croissance. Elle se leva, toute
raide et gauche dans ses jupes qui lui ve-
naient aux genoux; elle était presque aussi
grande que M™' Cormont. Aussitôt il lui ten-
dait la main : elle la prenait avec une petite
révérence guindée et tout de suite après cou-
rait cacher sa rougeur dans l'épaule mater-
nelle. Madeleine en souriant regardait son
amant.
Il était environ quatre heures. Elle fit
servir un goûter léger; l'après midi, au de-
hors, se dorait de chaleur vermeille; le vent
léger, en ondulant aux feuillages, courbait
108 1/AMANT PASSIONNÉ
les roses jusqu'aux cheveux pâles de Ten-
fcuit, noués d'un ruban qui avait leur cou-
leur.
Paul, dans l'heure harmonieuse, fut ému
de confiance, d'espoir. Paulette ne cessait
pas de le regarder : il remarqua qu'elle
cherchait à attirer son attention en se tré-
moussant dans son fauteuil d'osier. Quel-
quefois elle prenait sa jupe à deux mains et
la descendait au-dessous de ses genoux pour
en régulariser ensuite les plis avec de petites
lapes.
— Vous avez là une jolie robe, lui dit-il.
Elle pril un pelit air pincé et lui déclara
qu'elle en possédait encore de plus helles.
— Vous savez, fit sa mère, Paulette a ses
idée<.
Paulette alors parut les défier en leur
jelant ce mot qui dans sa pensée eut un sens
précis :
— Je mettrai la plus belle quand mon
père reviendra.
Un pelit froid passa : il sembla que Cor-
mont tout à coup allait paraître.
Paul secrètement donna tort à Madeleine
de trop la gâter : il la jugea prétentieuse et
sotte. Il fui convaincu qu'elle le détestait
bien plus qu'elle n'était attirée vers lui.
L'AMANT PASSION-NÉ 160
.M""" Cormonl le sentit énervé et lui proposa
un tour de promenade : elle se fit apporter
par la femme de chambre son chapeau de
jardin. Paulelte, qui jusqu'alors avait boudé,
eut tout à coup un mouvement charmant.
Elle se jela sur sa mère, la prit dans ses
bras, el elle lui disait à l'oreille :
— Tu sais, maman, je ne suis pas fâchée.
Ils traversèrent les jardins.
— Ah! mon ami, lui dit-elle, vous ne
pourriez croire combien cette enfant m'in-
quiète! Avez-vous remarqué comme elle
nous regardait? Elle semble se douter qu'il y
a entre nous un genre d'intimité qui n'existe
pas entre son père et moi.
Par la route en lacets, ils descendirent à
petits pas. Madeleine, tout de suite fatiguée,
s'appuyait à son bras. Lui se penchait pour
l'admirer avec la surprise toujours nouvelle
et comme la joie de lui découvrir dans l'air
de sa personne une grâce encore inconnue.
Parfois leurs mains se touchaient : il lui pre-
nait alors les doigts et les tenait un long mo-
ment dans les siens. Il aimait regarder la
pointe de ses bottines dépasser le bord de
sa robe.
Le ciel pâlit, un frisson passa et fit tousser
Paul. Une vapeur violette montait des fonds.
15
17(1 LAMAM PASSIO.NXE
Ils durent écourter leur promenade pour ne
point manquer l'heure du dîner.
Elle le quitta un instant^ en arrivant : ce
fut Paillette qui, les voyant rentrer, prit Paul
par le bras et le mena vers la table. Bientôt
Madeleine vint les y rejoindre : ils dînèrent
à trois.
M"^' Cormont était assez mauvaise ména-
gère, mais elle connaissait Tart de composer
un menu. Paul, distrail, à peine apprécia
les mets délicats qu'elle lui fit manger.
Une prit attention qu'à la vie déliée et claire
de ses gestes par-dessus les argenteries de la
table. A cause de Paulette et de la femme de
chambre qui les servait, tous deux s'appli-
quaient à dire des choses insignifiantes nui
déguisaient leurs pensées véritables. Elle
trouvait néanmoins le moyen d'y mêler un
sens qu'il comprenait et qui, à travers une
dissimulation légère, les faisait sourira.
La gouvernante vint prendre Paulette
après le dîner et ils se rendirent dans la
pergola. La nuit était limpide, poudroyéc
d'étoiles : une lampe qui brûlait dans la salle
d<^, billard, voilée d'une gaze, légèrement
éclairait autour d'eux l'ombre vaporeuse où
s'alanguissait le parfum des roses. Le silence
palpitait, la vie fraîche et reposée des
i; AMANT PASSIONNI- !•'
mondes. Ils entendaiml très loin, sur une
route, les grelots d'un attelage. Tous les gril-
lons chantaient.
Paul avait avancé près d'elle un fauteuil.
Les bras repliés sous la tète, elle eut l'atti-
tude du rêve et de Fabandon. Ses pieds,
haussés de petits souliers, dépassaient le
bas de sa robe : il les prit et les tint serrés
dans ses mains. Une immense contiance les
enlourait : aucun des deux ne parlait plus.
Madeleine, qui ne connaissait pas la fatigue
à la ville, ne pouvait résister à l'accable-
ment des soirs dans sa vie de campagne. L.'
grand air lourd et ricbe lui versait une tor-
peur que les nuits de soupers, de bals et de
théâtres lui laissaient ignorer.
Soudain il lui vit les yeux évanouis.
Un souftle doux monta de son sommeil,
une grâce rythmique fit onduler sa gorge.
Elle sembla lui avoir abandonné sa vie.
Son cœur mollit : d'un geste d'adoration
humble, il se baissa, porla à sa bouche les
petits pieds chers qui si souvent avaient trotlé
à leurs rendez-vous. Mais elle s'éveilla : elle
s'en voulut d'avoir cédé à la nature.
— .J'aurais veillé toute la nuit ainsi sur
toi, tes pieds dans mes mains, dil-il.
Les lampes brûlaient dans la maison, l^lle
172 L" AMANT PASSIONNÉ
dut éteindre elle-même la lampe de la salle
de billard : celle de Tescalier demeurait
allumée toute la nuit. Elle raccompagna
jusqu'à sa porte ; ils se souhaitèrent la bonne
nuit.
— Dans une heure, mon chéri...
CHAPITUE XVU
Paul passa deux jours délicieux. >r^ Cor-
mont redevint l'autre femme qui lui donnait
de sa vie tout ce qu elle pouvait et qui, celle
fois, mit son bonheur h la lui donner tout en-
tière. Un toit de chaume dominait un tertre
dont se renflait la partie la plus haute des
jardins. Ils allaient s'y asseoir l'un près
de rautre sur le banc de bois, les yeux
emplis de la lumière des plateaux. L'air était
chaud, mais ventilé par la brise du large. Il
ne toussait plus : un haie léger colora son
visage; elle eut la joie de le sentir revenu ;i
la vie. .
Aux heures brûlantes, ils regagnaient la
fraîcheur des chambres. Le silence, dans la
15,
i"4 LAMAM PASSIO-NM::
maison, palpilait comme un cœur; ils en-
tendaient vivre profondément en eux leur
amour. Ils n'éprouvaient pas le besoin de se
rien dire. Leurs pensées, comme des barques
après un orage, doucement échouaient dans
une quiétude confiante. Elle lui demanda de
lire un des poètes qu'ils aimaient. 11 lut une
page : le livre ensuite lui glissa des mains : il
s'aperçut que ni l'un ni l'autre n'avaient pris
attention à la lecture. Les heures ainsi cou-
laient tendres, jolies, sensuelles et vides.
Elle sembla vouloir le griser de toutes les
ivresses pour lui faire oublier le retour pro-
chain de Cormonl.
Sa présence continue exaltait chez lui raf-
finement de sa sensibilité. Toute la maison
s'électrisa au magnétisme de ses gestes : les
meubles, les tentures, l'air des chambres se
personnalisèrent de sa vie. Ce fut le recom-
mencement des mêmes sensations goûtées
autrefois lors des premières vacances qu'il
étaitvenu passer auprès d'elle. Il Técoula vivre
d'une vibration frémissanle dans le silence,
le parfum des roses, l'ondée fine des clartés
filtrant entre les lamelles des persiennes. Sa
voix, en lui arrivant du fond de la maison,
était un mystère comme s'il l'entendait venir
de l'autre côté de sa vie. 11 ne pensait plus.
I.AMA.XT PASSIONNÉ 175
ne raisonnait plus : il s'abandonna, subit
l'âme intense, silencieuse, égale que lui com-
posait la minute iuouïe. Son cœur, en lui,
était lourd comme un fruit, et à peine il bat-
tait. Paul eut là un vertige, une puissante
ivresse d'inconscience.
L'après-midi du second jour, il s'étail
assis près d'elle. Le vaste salon plongeait
dans la demi-nuit des rideaux retombés.
L'âme des rosiers entrait par les portes,
vivante. Elle fut pour lui comme le par-
fum de cette jolie rose de vie qui, dans le
nuage délicat des mousselines, palpitait au
vent de l'éveulail i)alancé par ses mains.
Elle eut la pâleur et la grâce d'une ombre
dans le rêve de l'heure : il se vit lui-même
près d'elle une ombre.
— Je ne sais plus si je vis réellement, lui
dit-il, ou si je vis parmi des apparences, si je
ne suis pas pour moi-même une apparence.
Et cependant je lai... Je vis à travers la vie
une éternité de vie... Je crois que c'est d'hier
seulement que je le connais et que je ne
t'avais pas encore aimée avant ce jour.
Cependant t'aurais-je aimée cent ans, je ne
t'aimerais pas davantage.
Il s'écoutait parler à travers un balbu-
* liement exlasié. Lu instant ses veux se
176 L'AMANT PASSIONNE
fermèrenf et puis de la main il sembla dis-
perser un nuage.
— Ahl c'est trop beau... Tu m'as fait
oublier le monde, et moi-même j'ai le sen-
timent de vivre en dehors de moi une vie
légère, très haute, une vie où il n'y a plus
rien de celle que je connaissais avant de
l'arriver. Pense donc ! si tout le passé
n'élait qu'une longue et douloureuse épreuve
et si enfin j'allais cesser d'être Famé inquiète
et tourmentée qui nous fit tant souffrir tous
les deux !
Soudain, d'une ardente et tendre violence,
il l'attirait par les poignets.
— Madeleine...
Ils entendirent du bruit. Elle retira préci-
pitamment ses mains. Paulette^, sur le seuil,
l'ourlet de son tablier aux doigts, sournoise,
énigmatique, les regardait.
Madeleine fut saisie.
— Que fais-tu là? Tu vois bien ([ue nous
causons, M. Paul et moi.
— Maman!
Elle l'avait prise dans ses bras et se ser-
rait éperdument à son corsage.
— Voyons, qu'as-tu?
— Non! criait l'enfant têtue.
Madeleine à la fin s'irritait de son silence.
L'AMANT PASSIONNÉ l'^
Dis-moi ce que tu as oii je le fais enfer-
mer dans la chambre.
Alors, à travers un tlot de larmes, sou
cœur lui échappait.
Maman, jure-moi que tu ne me lai^^-
<eras pas mourir toute seule ici.
— Mais c'est ridicule... Tu es folle!
s'écriait Madeleine en Tattirant vers un fau-
teuil et la prenant sur les genoux. Qu'est-ce
qui peut te mettre dans la tête de pareilles
sottises?
Quelque chose de leur vie orageuse,
par une devination secrète, sembla s'être
répercuté dans cette âme obscure. Paul
frémit à l'idée de la mort qu'elle venait
de jeter entre eux dans la minute où ils
goûtaient la plus haute exaltation de la
vie. 11 la détesta en Fentendant sanglo-
ter. Il ne vit plus là qu'une simulation
pour le supplanter dans le cœur de sa
mère.
Madeleine maintenant la dorlotait d'un
geste berceur, comme à 1 âge de la petite en-
fance.
— Ta maman ne te quittera jamais...
jamais, tu sais bien.
Et elle regardait Paul. Elle le vit dur et
froncé, très pâle. Elle trembla d'avoir à le
i:8 L'AMANT PASSIO.WNÉ
défendre secrètement conlre sa fille, d'avoir
à la défendre conlre lui.
Une angoisse régna, où trois cœurs pleins
de cris et muets, au tournant d'une destinée,
s'affrontèrent. Il la sentit suppliante à tra-
vers son regard. Elle eut la plainte de la
mère et de Fa'mante à la fois.
— Vous V ferez-vous jamais? demandâ-
t-elle.
11 comprit qu'elle parlait d'une vie où ils
auraient été réunis.
11 hésita, baissa la tête, répondit très
bas :
— A tout ce qui est vous, oui.
Le petit nuage ne s'en alla pas tout à fait :
Madeleine continua à souffrir. Une fraîcheur
montait des jardins, dans l'après-midi apai-
sée : elle désira goûter l'oubli sous la dou-
ceur des cieux. Paul la mena vers le toit de
chaume : elle se mit à pleurer silencieuse-
ment dans son mouchoir.
— Aurais-tu pensé que ta frivole Made-
leine fût à ce point sensible? dit-elle entin. En
pleurant, je ne sais si c'est sur l'enfant que
je pleure ou sur moi, et peut-être je pleure
sur nous trois... Va, ne me console pas.
Le soleil s'inclinait quand le jardinier vint
leur annoncer la rentrée de Cormont. Made-
I A MA M PASSIoNNi: 170
leine tressaillit, éperdue, sans voix. Paul
vivement porla la main à son cœur. Cormont,
pourtant, avait décidé de ne revenir (}ue le
lendejnaiu, dans la matinée : elle n'eut j)as
un in<lant l'idée qu'il avait conçu un soup-
çon : elle avait foi dans la confiance qu'il
avait en elle. Elle ne songea qu'à leur
bonheur frappé en pleine sève, comme d'un
coup qui les eût touchés jusqu'au sang.
— Pas de chance, mon pauvre ami...
11 la sentit demi-résignée déjà dans leur
commune infortune. Il ne répondit pas, la
bouche serrée sur une révolte intérieure. Ils
s'acheminèrent vers la maison. La beauté
du crépuscule les offensa comme une injure
à leur peine. Jusqu'à l'odeur des roses,
que de loin leur apportait le vent léger,
fut à Paul une ironie ; elle avait parfumé
la veille leurs baisers sous la pergola.
Ils approchèrent des corbeilles tleuriesqui
bordaienf l'allée près du perron. Tendrement
elle lui dit :
— Je t'en prie, chéri... Xe sois pas
triste... Je t'aimerai d'autant plus que notre
bonheur aura été court.
La poitrine de Paul se souleva d'une peine
infinie, comme écrasée du retour de l'inévi-
table passé. Sa voix se déchira.
180 LAMA.NT PASSIONNÉ
— Poiirrais-je encore vivre d'une aulre
\ie que celle que j'ai goûtée auprès de toi?
Elle se retrouva maîtresse d'elle-même et
décidée, d'une souplesse de petite faune qui
plie et ne se décourage pas.
— Méchant I Me comptes-tu donc pour
ri'Mi? Et me crois-tu incapable de te la
rendre? Va, fie-t'en à ta Madeleine, puis-
qu'aussi bien, en le voulant près d'elle, c'esl
à ton bonheur qu'elle songea plus encore
qu'au sien.
Ils entendirent dans les chambres le rire
ronflant de Cormont, de l'homme qui assu-
mait le bonheur légitime de la maison. Le
rire grêle de Paulette lui répondit. Ils appa-
rurent sur le seuil : elle se pendait à lui.
accrochée comme un petit cep à un tronc
puissant. Elle sembla les défier tous deux
maintenant qu'elle avait son père.
— Bonjour, Larue, cria-t-il, d'un salul de
joyeux accueil.
11 avait passé sa veste de coutil, ses pan-
toulles, la casquette de toile blanche. Il eut
la rondeur d'un mari assuré que tout chez lui
marche à son commandement. Madeleine lui
sut gré de cette certitude et de sa cordialité.
11 s'avança, l'embrassa sur les deux joues,
secoua fortement la main de Paul.
L'AMANT PASSIONNÉ 181
— Étonnés, pas? C'est bien simple... Pas
de vent, une mer plate... Alors j'ai pensé que
tout de même ma femme, telle que je la
connais_, ne devait pas s'entendre beaucoup
à vous distraire... D'abord elle ne sait pas
marcher. Voyons, avez-vous fait seulement
une promenade?
Paul sentit son triomphe, il eut l'hu-
main orgueil du fort à l'égard du vaincu.
]\P' CormonI lui vit les yeux féroces de la
lutte et de la vicloire. Elle fut très rouge
soudain, prise de pudeur sous les regards de
sa fille.
— M™' Cormont a été vaillante, je vous
certifie, dit-il,
— Ah 1 tant mieux... Dans le doute, j'ai
cru bon d'avancer mon retour.
Madeleine les laissa, bras-dessus bras-
dessous, faire le tour des corbeilles. Cor-
mont expliqua des plans, des Iransforma-
lions, les bras moulinants et circonfiexes. Il
aimait les vallonnements : il méditait un
petit pont sur des enrochements. Il s'écarta
un instant pour donner des ordres au jardi-
nier. Paul, alors, encore une fois, sentait la
petite main de Paulette se glisser à son
bras.
— Viens, fit-elle.
16
182
l/AMAM PASSIO.WÉ
Ils visitèrent un ménage de lorlues qui,
dans un petit parc fermé d'une clôture mélal-
lique, paissait.
— Tu vois, dit-elle, il paraît qu'ils sont
déjà très vieux... C'est Monsieur et Ma-
dame Rosalie.
CHAPITRE XVIII
Les bruits de la maison s'éteignirent. Paul
se mit au lit. Tout à coup il crut qu'une
clef avait joué sur le palier : la chambre de
Cormont joignait celle de Madeleine. Il
sauta à terre, colla son oreille à la fente de la
porte; ses mâchoires claquaient. Nette, fou-
droyante, l'idée fut là : Courmunt élait entré
chez sa femme.
Dans le tumulte rauque de sa poitrine,
son cœur battait comme une horloge. Il
rétoutîa sous ses mains : il retenait une
toux à sa bouche avec son poing. Il eût voulu,
au prix de sa vie, faire du silence; mais tou-
jours l'horloge intérieure l'assourdissait de
ses coups martelés.
1«4 L'AMAXT PASSIONNÉ
Il demeura là toule une heure, les pieds
nus, glacés, ses membres tremblant de fiè-
vre. Il avait gardé sa lampe allumée : elle
Téclaira lout à coup dans la glace : il s'y sur-
prit livide et dévasté comme un homme qui
a commis un crime. Il eut horreur de lui-
même : tout son culte d'amour reflua dans
un cri muet : u Madeleine! si cela doit être,
que du moins je ne le sache pas I »
Il se recoucha, s'enfonça la tête sous la
couverture; une grande lassitude le bri-
sait. Il n'éprouvait plus qu'une pitié pro-
fonde pour Madeleine. A la fin le sommeil
le prit, un mauvais sommeil duquel il se
réveilla secoué de détentes brusques, vio-
lentes.
11 la revit au déjeuner du matin. Bien
quelle déjeunât habituellement au lit, elle
avait voulu se lever pour se retrouver un
instant seul avec lui. Elle lui annonça que
Cormont avait été repris d'un accès de scia-
lique dans la nuit. L'affreux doute reperça :
il la regarda, les lèvres frémissantes.
— J'ai cru entendre une porte s'ouvrir sur
le palier... Était-ce loi?
— Je dormais, fit-elle, je n'ai rien en-
tendu.
— Alors...?
L'AMANT PASSIUN.NE 185
Il baissa Iti lêle: elle lut jusqu'au fond de
sa pensée; et de honte, d'espoir éperdu, il
altendail, n'osant plus rien dire.
— Non, chéri, ni ma porte, ni la sienne...
dil-elle simplement.
Il lui baisa avidement les mains.
— Je ne vivais plus, lu me rends la vie.
— Grand entant, quand auras-tu donc
confiance? Bien au monde ne peut empêcher
que tu ne sois mon unique amour. Appelle le
reste du nom que tu voudras , ne l'appelle
jamais d'un nom qui n'est que pour toi.
Elle parlait de cela sans embarras, en
femme résignée à un sacrifice négligeable. Il
eut un élan de passion jalouse.
— Jure-moi...
Elle lui appuya la main sur la bouche.
— Ne me demande que ce que je puis te
dire.
Cormont dut garder un peu de temps la
chambre : le plus léger mouvement lui arra-
chait des cris. 11 avait dans la douleur phy-
sique la lâcheté des hommes gros. Son hu-
meur en restait maussade; il ne voulut avoir
auprès de lui que Madeleine et sa fille. Paul
put se croire détaché de tout scrupule envers
un homme qui le traitait en él ranger.
Ne le sentant plus dangereux, il cessa de
16.
186 LAMAM PASSIONNE
le délester : il reprit confiance et lui fut re-
connaissant de son aveuglement. Il éprouva
à la fois, à le tromper avec sécurité, de la
pitié et un cruel plaisir.
Cormont désira qu'il emmenât Madeleine
avec lui dans ses promenades : il fit venir une
voilure afin qu'à son tour elle le conduisît
visiter une grotte à deux lieues de là.
Ce fut une échappée délicieuse. Dans un
site farouche s'ouvrait la gueule de Fantre.
Un gamin du pays éclairait devant eux le
défilé. Ils furent les omhres pâles d'une des-
cente aux Avernes. Mais, tout à coup, Paul
se mil à tousser; le froid l'avait saisie elle-
même: ils remontèrent s'asseoir au soleil
dans une anfractuosilé de la roche. L'endroit
était solitaire, tamisé de feuillages. Toute
une heure ils y restèrent à s'aimer, dans
l'oubli de la vie, tandis que la voilure relayait
à l'nuheroe.
Cormont put se lever le lendemain.
Presque aussitôt, il redevenait le maître qui
de sa carrure, de sa bonhomie bruyante ol
massive emplissait la maison. Avec sa cas-
quette de toile sur la lêle, il affecta l'air de
commandement d'un capitaine de marine
sur son pont.
La vie en fut changée : Paul cessa d'avoir
I/AMANT PASSIONNE 187
des scrupules ; il n'eut plus que l'acre orgueil
de le braver secrètement. De tout son amour
heureux, il le délia dans le faux bonheur
dont il drapait les façades de sa fortune. Au
fond, ce fui l'envie, l'envie sourdement
revenue et qui, parmi tant d'autres acides
dont l'amour à la longue a va il rongé la
primitive probité de ce cœur d'homme,
sûrement achevait sa défaite morale.
Cormont, quelquefois, restait frappé de
son air de taciturnilé revèche. 11 eût désiré
savoir de Madeleine si elle ne lui connaissait
pas quelque passion malheureuse.
— A son âge, ce n'est pas naturel : il y a
une femme dans sa vie, et qui peut savoir
laquelle? \vec les idées qu'il a sur l'amour,
il ne doit pas êlre heureux.
— Mais il ne me fait pas de confidences,
dit-elle en riant.
11 eut la discrétion de n'en point plai-
santer Paul, mais, à son insu, mit une cer-
taine cruauté à étaler devant lui son affection
pour une femme qui. comme la sienne, ne
lui donnait que du bonheur.
Par ruse ou par gratitude, Madeleine le
comblait d'altentions. C'en fut assez pour
bouleverser son amant. 11 se méprit sur la
nuance de l'affection qu'elle lui témoignait.
ISN LAMAM" PASSlU.NNE
li la crut reprise d'amour pour son mari; il
pnl le parli de quitter la nïtiison, sans rien
dire a personne. Il parlil dans l'après-midi,
maichanl devant lui ; il se représenlait la sur-
prime, la tristesse de Madeleine quand elle re-
(•('\ r.iil le télégramme lui annonçant son dé-
paii. Il jouissait de sa souffrance; il songea,
p.ii une plus grande, à lui faire expier toutes
celles qu'il avait endurées à cause d'elle. Son
état d'esprit était violent et sincère.
Il s'était proposé d'attendre un train à la
gaie qui suivait celle des Cormont; il ne vit
p;is qu'il se donnait ainsi le temps de la
rétlexiou. Aussitôt que la gare se dessina
dans la [lerspeclive, toute sa volonté dé-
faillit, il n'éprouva plus qu'un désir fou de
revoir celle qu'il avait espéré fuir.
Il revint sur ses pas; après une heure,
il commença de distinguer les toits du
cliajot. Son cœur battit violemment quand
il îi perçut Madeleine qui venait à sa ren-
contre. De loin, elle vit son agitation, sa
pâleur :
— Ne me dis rien, je sais tout, s'écria-
t-clle. Malheureux! c'est encore une de tes
affreuses lubies qui est cause de tout ceci...
Je ne pouvais me tromper à la façon dont
tu as fui la maison... Peut-êlre as-tu vrai-
(
i;ama.\t passioN-\é i80
ment pensé ii me qnilter... Ahl mon chôri,
pourquoi brises-Ui mou bonheur, moi qui
te croyais toi-même heureux?
— C'est vrai, dit-il, j'ai voulu partir, et
puis, lu vois, le courag;e m*a manqué. Quel
homme faible je suis devenu entre les mains,
délicieuse et terrible Madeleine î
Sa joue se creusa : la souffrance et l'amour
modelèrent l'amertume de son sourire. Il eut
bien l'expression du renoncement, de la sou-
mission à une force plus impérieuse que la
volonté. Il vit pleurer Madeleine; à peine elle
avait pris le temps de s'habiller; après une
heure d'attente angoissée, craignant tout de
sa violence et de sa mobilité, elle avait gagné
la barrière et était partie devant elle. Ses
fines chaussures à chaque pas se déchiraient
au biseau des éclats de la roclie. Elle n'avait
pas pris le temps de les changer contre des
bottines de marclie; elle en devait garder
les pieds blessés pendant deux jours.
— Ahl s'écria-t-elle, si tu as voulu me
punir de je ne sais quels torts en me faisant
souiïrir, tu y as réussi. . . Toutes sortes d'idées
en un instant m'ont passé par la tête. J'ai
été folle de peur... Après tout, je suis bien
sotte : tu n'aurais pu mieux me prouver que
tu ne m'aimes plus.
i90 L'AMANT PASSIONNÉ
Sou éplorement était fiévreux et char-
mant: elle, toujours si calme, eut la vio-
lence des larmes; il la sentit, dans sa
beauté d'amante malheureuse, outragée et
vaincue. Comme il se détestait! Il comprit
à quelles extrémités ridicules l'avait poussé
l'égarement de la passion et de la jalousie.
Jamais il ne l'avait trouvée plus joHe que
dans cette minute d'abandon oi^i elle sembla
expirer de douleur. Ses yeux à travers les
pleurs brillèrent de tendre et jeune passion ;
elle gémissait; sa gorge de ses bonds sembla
l'appeler. Il essaya de prendre sa main;
elle finit par la lui laisser. Elle lui aurait
laissé prendre toute sa personne qu'il n'eût
pas été plus heureux. Il goûta la sensualité
de ses larmes, il l'eût désirée palpilanle
dans ses bras. Tout son être brûla de désir,
de joie, de regret... Il lui dit en frémissant :
— Madeleine mille fois chère, plains-
moi plutôt de t'aimer si follement!... Je ne
suis plus maître des mouvements de ma vie
sitôt que je crains pour mon amour... Made-
leine, ne sens-tu donc pas que je suis un
malheureux qui porte en soi un bûcher dont
lui-même incessamment, par ses soupçons
et ses fureurs, attise les flammes?... J'ai
voulu partir, je te suis revenu... Sais-je seu-
I/AMAM PASSIONNE 191
lement si, en te revenant, je ne cède point
encore une fois au besoin de me faire souf-
frir bien plus sûrement que si j'avais mis la
distance entre nous?
— Quel égoïsniel N'e\isté-je donc pas,
moi aussi, que lu ne parles jamais que de
les souffrances à toi? El celles-ci, les
comptes-tu pour rien?
— Dieu sail, cependant, si je voudrais
toutes les garder pour moi seul, moi qui
déjà en ai ma pleine charge, fit vivement
Paul.
11 voulut lui baiser la main; il tressaillit
d'y voir l'anneau.
— Je l'en conjure, dil-il. oublie cela
encore une fois. J'oublierai moi-même...
Il n'osa continuer et la vil détourner la
tête. Sa salive s'amertunia; il mit son visage
près du sien :
— Est-ce que je ne sais pas que ton mari
s'est repris d'amour pour loi? Voyons, parle.
Le mal est peut-élre plus grand que je ne
croyais... J'aime mieux tout savoir que
d'avoir quelque chose à redouter.
— Mais c'est alVreux, s'écria Madeleine
révoltée. On ne violente pas une femme dans
le secret de sa vie! Si je ne m'appartiens pas
toujours, ignore du moins mes ennuis et mes
192 LAMAM PASSIO.VXÉ
humiliations sans m'en faire des re pioches
qui me les rendent plus sensibles encore.
— Oh! ohl c'est donc vrai! fit Paul en
proie au plus violent désespoir. Est-il un
supplice comparable à celui-là? Te partagei*
avec ton mari dans la maison oii je suis venu
chercher le bonheur !
Sa marche s'accéléra : il frappait l'air de
sa canne, mais tout h coup, s'apercevant que
Madeleine n'avait pu le suivre, il revint sur
ses pas, et cyniquement il lui disait :
— Votre mari me trompe comme je le
trompe moi-même... lime reprend la femme
que je lui ai prise! Avec un titre comme,
par exemple : « La revanche de l'adultère »,
cela ferait une pièce amusanle.
— Vous oubliez qui je suis! dit Made-
leine.
Elle poussa la barrière : tous deux en
approchant de la maison s'étaient tus.
il l'avait blessée dans sa dignité de
femme : il la sentit irrilée avec raison pour
une offense imméritée : il eût voulu repren-
dre sa phrase, mais le fait, l'évidence d'un
partage en eût-elle moins subsisté, dans son
intimité secrète et répugnante? Là-bas, à la
ville, loin d'eux, il en perdait presque la
conscience.
L'AMANT PASSIONNE 193
Elle le dépassa, pressant sa rentrée,
s'avançant à petils pas rapides, devant lui. Il
eut dans les yeux la grâce libertine de ce
corps qui élail son délice, qui était aussi le
délice d'un autre. 11 fut bouleversé à l'idée
qu'elle pouvait être pour Cormonl la maî-
tresse, incomparable qu'elle était pour lui-
même. Dans son amour et sa fureur, son
désir s'exaspéra.
— Madeleine ! appela-t-il.
Elle ne retourna pas la tête. Il vécut de
l'espoir qu'elle arriverait, ce soir-là, dans sa
chambre, à pieds nus, sans lampe, comme
elle le faisait presque chaque jour. Elle ne
vint pas.
17
i
i
CHAPITRE XTX
Madeleine passa des jours à visiter les
personnes avec lesquelles elles enlrete-
nail des relations do voisinage. Elle fut
très gaie; toute sa frivolité lui était reve-
nue, ses rires, le goùl du plaisir, l'espoir
et la joie des parties qui allaient s'organiser.
\ table, elle ne parla que de sauteries, bals
d'enfants, pique-niques, excursions en
mails, etc. Paul redouta l'avoir à jamais
perdue : il se tendit, s'irrita, souffrit en
silence. 11 eût voulu lui porter des coups
mortels : elle soupirail quelquefois en le
regardant. 11 décida de partir, sérieusemenl
ceUe fois, et les heures passaient sans qu'il
partit. Un jour il la surprit pleurant sous le
196 L" AMANT PASSIOXSE
petit toit de chaume qui avait été le témoin
et le confident de leur tendre amour. Elle ne
l'avait pas entendu approcher; mais sitôt
qu'il l'eût appelée par son nom, elle se leva,
lui cria :
— Non, non, Monsieur, ne croyez pas
que ce soit pour vous que je pleure.
Il tendit les hras, elle se mit à fuir.
Il traîna son ennui par les chemins.
Dans son isolement, il en vint à regretter
Cormont qui passait des journées à la pèche.
Il eût bien pris avec lui Paulette si, pour une
raison qui lui demeurait inconnue, elle ne
s'était mise à lui témoigner tout à coup une
réelle aversion.
Ses yeux brûlaient de fièvre; il avait pris
en horreur la maison et il n'avait pas le cou-
rage de s'en aller.
Un matin la porte de sa chambre s'ouvrit
et Madeleine se jeta dans ses bras.
— Je n'ai pas ton endurcissement. Je ne
puis te garder rigueur plus longtemps... s'é-
cria-t-elle. Que t'avais-je fait pourtant pour
mériter une si cruelle offense?
Il la tint dans ses bras, pleurante, secouée
de sanglots. Lui-même tremblait de tout son
corps.
— Oui, oui, tu l'as dit. C'est là le mal-
LAMAM PBSSIO.NM: i07
heur, c'esl noire destinée : nous nous aimons
et nous ne cessons de nous torturer... En
luttant contre la vie, c'est encore contre
nous-mêmes que nous luttons. Nous flottons,
désempares, au gi-é de l'événement. De loin,
je te regrette à en mourir, et quand je suis
près de toi, je meurs bien plus et voudrais
être à cent lieues. En venant ici, jatlendais
le bonheur et c'est la douleur qui m'est restée.
En pourrait-ilêtre autrement dans une maison
où c'esl ta vie, la vie de la femme que lu es
et que tu dois rester pour tout le monde, ta
vie d'épouse et de mère que je m'exposais à
devoir subir à toutes les heures, à toutes les
minutes de la journée? Ailleurs tu es une
femme qui aime et qui a un amant, tu es la
femme que je puis considérer comme mienne
de tous ses sens et de toute son âme... Chez
toi, il y a un mari qui a le droit d'exiger de
ta soumission ce qu'il lui plaît et quand il lui
plaît; et quant à moi, je ne suis plus que le
passant dans la vie.
— Oui, aux yeux des autres, dit .Madeleine.
Mais l'apparence peut-elle changer quelque
chose à ce qui fait le fond de notre existence?
De te sentir mêlé à la mienne, j'oublie tout
le reste et je suis heureuse. Je te jure bien
que j'ai l'illusion de n'appartenir qu'à toi.
17.
198 LAMAXT PASSIONNÉ
11 pressentit l'autre forme si féminine de
Tamour. née de la faiblesse, de la dissimula-
lion, de l'acceptalion forcée des servitudes, le
don d'être loyale en cessant d'être fidèle et
cetle vertu de détachement mystique qui
permet à la femme d'appartenir à plusieurs
sans cesser d'être à un seul.
Il secoua la tête et lui baisant les mains,
il lui dit avec une adoration humble :
— Je crois à loi comme en la vie... Mais
ne me demande rien de plus. J'ai, pour mon
malheur, un cœur qui n'aspire qu'à se
torturer... Mes sécurités à moi sont encore
des charbons ardents... Le jour où je t'aime-
rai autrement, c'est que je serai bien près de
ne plus l'aimer.
-^ Continue donc à souffrir puisque je
veux toujours être aimée comme tu m'aimes!
s'écria Madeleine àm\ élan passionné en le
couvrant de baisers.
La grande folie passa; il oublia l'usure de
sa vie sous la terrible meule^ il lui fit mille
serments.
— Ai-je bien toutes mes épingles? de-
manda-t-elle soudain en songeant à l'heure
et en se tâtant les cheveux. Je les ai comp-
tées, j'en avais six.
Ils retrouvèrent la sixième sous l'oreiller.
i;amant PASsio.NM:: i9y
Madeleine ensuite ouvrait avec précaution
la porte et, sur la pointe des pieds, quittait
la chambre. Mais au moment d'entrer dans
la sienne, un souflle fort vint de l'escalier:
elle aperçut Cormont qui. en bras de che-
mise, ses pieds déchaussés, montait.
— Toi!
— Mais oui...
il était parti au matin avec son attirail de
pêche: mais la pluie s'était mise à tomber.
Dans la barque où il était assis, à côté de
Téclusier, son ami, qui passait pour pêcher
le plus beau poisson du pays, il s'était senti,
au bout d'une petite heure, trempé jusqu'aux
os. Il avait bravement repris la route de
la maison. En arrivant, il avait mis sécher
à la cuisine ses vêtements et ses chaussures.
Madeleine riait follement, encore éner-
vée. Une seconde plus tôt. et il la voyait
sorlir de la chambre de Paul.
Celui-ci, derrière la porte, écoutait, bou-
leversé, retenant son haleine. « Serais-je un
pollron? » pensait-il, dans l'arrêt de son
sang. Il entendit se refermer les deux portes,
celle de Madeleine et celle de Cormont.
Qu'aurait-il dit à celui-ci s'ils avaient été
surpris? Avouer? Impossible! Il aurait nié
sur sa vie, sur Dieu, sur tout.
200 LAMAXT PASSIONNÉ
Il se retrouva un instant seul avec Ma-
deleine à l'heure du déjeuner.
— J'aurais nié comme toi, dit-elle, et il
m'aurait cru.
Ils se surveillèrent ; elle évita d'aller le voir.
dans sa chambre. Un jour, comme il s'y en-
fermait, il observa qu'un frémissement cou-
rait le long des rideaux. Il chercha aies écar-
ter ; une petite main tremblante les tenait re-
fermés. Il fut bien étonné quand il découvrit
que Paulette s'y tenait cachée, l^lle sortit de
l'ombre, regarda fixement Paul et puis, défai-
sant le lour de clef, elle s'en alla sans avoir
voulu rien dire. Madeleine jamais ne connut
celle aventure qui lui laissa, à lui, une im-
pression étrange de malaise et de doute.
il devait partir le surlendemain; comme
on n'attendait les Marcille qu'une semaine
plus tard, Madeleine lui demanda de de-
meurer jusqu'à leur arrivée. Mais il était à
bout de force, excédé de cette existence en
commun où. malgré lui, il restait constam-
ment, les fibres tendues, aux aguets de la
rumeur des chambres, où il ne cessait de
mentir à un ami confiant et détesté, où la
surveillance de soi-même confinait à la plus
lâche hypocrisie. Il aspira au départ, à la
délivrance.
I.AMANT PASSlONNt: 201
— Je ['en prie, laisse-moi parlir, lui
dit-il. .le ne pourrais plus goiiler auprès de
loi qu'un bonheur harcelé.
— Eh bien, quille-moi, dit-elle, je t'aime
assez pour Taimer de loin.
Elle sembla si vile résignée qu'il regretla
d\avoir songé à s'en aller : encore une fois il
s'aveugla sur la docilité de celte âme qui, on
pliant à révéïiement, gardait une fermelé
qu'à travers les apparences de la volonlé il
n'avait pas lui-même.
Elle lui fit sa valise, elle y glissa des
fleurs, des rubans, des choses d'elle qu'il re-
trouverait là-bas. [l n'avait pas eu le courage
de demeurer dans cet instant auprès d'elle et
était descendu au jardin. Tout départ, dans
Tamour, a l'air un peu de la mort et une
valise qu'on ferme ressemble à une bière où
on a enseveli de la vie.
Cormont désira l'accompagner jusqu'au
train, tandis que le jardinier se chargeait
du bagage. On appela Paulette : elle ne
vint pas : depuis deux jours c'est à peine
s'il avait pu l'apercevoir. Madeleine, elle,
descendit jusqu'à la barrière : elle était
' calme. Il lui serra les mains. Il ne put
maîtriser le tremblement de sa voix. Une
douleur folle maintenant lui élreignait le
•202 LAMAN'T PASSIONNÉ
cœur : Tidée de quitter la maison où ii avait
connu d'anxieusesjoieslui causait le martyre.
Il se retourna, la salua une dernière fois au
bas de la côte. Madeleine n'avait pas quitté
la barrière et agitait son mouchoir.
Le train enfin l'emportait : les derniers
soubresauts de sa peine s'usèrent. Il lui sem-
bla renaître.
CHAPITRE XX
ïoine ouvrit les armoires : une odeur de
réséda monta du linge et des robes, un par-
fum humble et doux qui sembla venir d'un
coffret à reliques. Deux, mois durant. M"' La-
rue s'était préparée à son grand voyage en
travaillant sous les lilas du jardin... De
la campagne, par- dessus les toits, arrivait
la senteur vanillée des foins. Quelquefois
l'aiguille une seconde s'arrêtait entre ses
vieilles mains, l'aiguille qui avait cousu les
langes et reprisé les draps d'ensevelisse-
ment. La bouche pincée, un léger tic au pli
de lajoue, peut-être elle se rappelait l'arôme
blond des anciennes fenaisons, demi-grisée
de cette âme de la terre qui, aux jours
204 LAMANT PASSIONNli
de sa jeunesse, avail fait bal Ire son cœur
plus fort. Et elle complail les semaines,
huit, six, trois, une.
— Toine, plus qu'une...
Elle alla à l'église entendre la messe ma-
tinale : sa prière s'éleva jusqu'aux pieds de la
Vierge mère, pour lui avoir permis de revoir
une dernière fois le village où elle s'était ma-
riée, où elle avait mis son fils au monde.
Puis Toine relira de derrière le lit une malle
en peau de vache, la même qui leur avait ser-
vi, au receveur et à elle, pour leur voyage de
noces.
Le jour du départ. M""' Larue se leva à
l'aube ; les premiers chamaillis des moi-
nailles battaient le feuillage des jardins. A
petits gestes lents, précis, elle s'était mise à
s'habiller, muette, ne laissant rien paraître,
mais elle voyait déjà là-bas les arbres du pays,
ses arbres à elle, le tilleul de la place de l'é-
glise, le noyer qui abritait la maison de
l'oncle, la charmille plantée par son mari au
bout du jardin. Toute raide dans son jupon
blanc empesé, sur lequel tuyautaient les
basques de sa jaquette de nuit, elle avait
attendu l'heure, grave comme en un matin
de communion.
Enfin la voiture arrivait : Toine elle-même
I.AMAXT PASSIONNE 205
chargeait la vieille malle à poils rouges, les
deux cartons à bonnets el à chapeaux, le
pliant, le tartan roulé dans sa courroie.
Quand M"*' Larue eut pris place, elle lui
serra la main, puis soudain éclata en larmes,
son tablier devant les yeux. M""" Larue ser-
rait un peu plus b's commissures de sa
bouche. <( Que dirait cette élégante Madeleine
si elle me voyait partir en cet équipage? »
songeait Paul. Il n'avait pas de honte : il
était redevenu le bon fils aux veines du
quel coulait le vieux sang des simples ter-
riens ses ancêtres.
M""' Larue, toujours digne et silencieuse,
ne laissa paraître aucune émotion pendant le
trajet. Elle était assise devant lui, les mains
sur ses genoux, toute droite, regardant par
les vitres défder les champs, les bois et les
eaux. Paul, les yeux par-dessus un journal
éployé, regardait aussi : c'était par cette
même ligne qu'il était venu chez les Cor-
mont, il y avait un mois. 11 se rappela
son arrivée, Madeleine lui annonçant qu'ils
étaient seuls, leur nuit d'amour... Que de
choses s'étaient passées depuis! il revécut
les horribles nuits, les mortelles jalousies,
les mensonges. Et à présent c'était la trêve. . .
la trêve !
18
206 L'AMANT PASSIO.NM-:
Ils changèrent de Irain : les roches dai--
dèrent; la large coulée du fleuve luisarna,
picotée de fourmillements lumineux. On
approchait.
iM""' Larue à mesure n'était plus aussi
maîtresse d'elle-même. Une main sur les
yeux, dans la poussière de soleil blutée au
vent des rideaux, elle tachait de recon-
naîlre les sites à travers lesquels plongeait
le Irain. Son visage s'était détendu : par-
fois elle désignait à Paul une route, un
pignon de ferme, une tourelle de château,
la pointe effilée d'un clocher. Ou bien elle
remuait seulement les lèvres, comme se
parlant à elle-même. Tout à coup il crut
voir se mouiller ses paupières, rien qu'un
peu d'eau, la rosée vile larie de ce vieux
cœur ferme comme le grès.
— Regarde là, mon (1... La maison de la
grand'maman Bouchai...
Elle y avait vécu toute sa seconde enfance
après la mort du père et de la mère : c'était
là qu'elle avait fait sa première communion.
Dupasse lointain s'éveillala vision de la petite
fille en blanc, dans la pureté des fiançailles
chrétiennes. Elle restait penchée à la por-
tière^ le doigt tendu vers le haut pignon d'ar-
doises.
L'AMANT PA.'<S|(.).NNh: 207
Le Iraiu sloi^pa. Marchais, Tonclo, nu
vieux noueux et long, au visage elTrité, les
attendait. Il serra la main de sa sœur, ôta
sa casquelte pour < l'avocat » et il était très
calme, sans un sourire, comme s'il ne s'était
pas passé dix ans depuis qu'il ne les eût vus.
— Je suis là avec les petit s et les brouettes,
dit-il.
Marchais lui avait retenu deux chambres à
riiôtel de la gare, récemment construit. Le
village jusqu'alors n'avait possédé qu'une au-
berge de rouliers. D'ailleurs tout était bien
cliangé. On avait fait sauter un énorme pan
de roche pour raccourcir la roule qui débou-
chait sur la place, à quelques centaines de
mètres de la gare. La montagne avait été
dél3oisée. Des villas à tourelles et à poi-
vrières s'édifiaient un peu partout.
M""' Larue, qui était venue là avec l'es-
poir de retrouver des morceaux de sa vie,
s'aperçut qu'on n'avait pas attendu sa mort
pour bouleverser jusqu'à l'apparence maté-
rielle des sites auxquels ils demeuraient atta-
chés. La fraîche et simple maison palaissée
de vignes où ils avaient vécu, où était mort
le receveur, avait été rachetée par un avoué
du chef-lieu qui l'avait pourturée d'un balcon
de bois, par imitation des chalels suisses.
208 LAMA.XT PASSIONNE
AP' Larue ne dit rien: elle passa, revint, et
cette fois resta près d'une demi-heure,
assise sur son pliant, à considérer, les yeux
fixes, les lèvres rentrées, celle profanation
d'un lieu qui, dans sa pensée, avait gardé la
beauté d'une merveille du monde. Il n'y
avait que la modesle sépulture de feu
M. Larue qui, là-bas, dans l'enclos herbeux,
à l'ombre de la vieille église, n'avait pas
changé.
Marchais, l'oncle, avait eu une idée de
brave homme : il avait bêché le lerlre,
planté des pensées et des myosotis, repeint
le bois de la croix. Parmi les anonymes
levées de terre, encombrées d'orties, qui
dessinaient ailleurs la forme du cercueil, la
tombe du receveur se rafraîchissait d'un air
de deuil récent, encore inconsolé.
M"'^ Larue eut là une émotion sèche qui
lui fit du bien : il lui sembla que son mari
n'était pas tout à fait mort à travers cette
humble piété du souvenir. Elle le revoyait
toujours à la même heure de sa vie, vers la
quarantaine, un peu gras et bedonnant, sa
calotte grecque à perles par dessus une grosse
mèche qui lui barrait le front, assis en ves-
ton de coutil gris devant son haut pupitre où
alternaient les pesants registres à coins mé-
L'AMANT PASSiONM:: ••iU'J
lalliques. Un mal sourd ensuite l'avait miné,
il avait perdu son embonpoint.
La mère Stordeur, de la grande boutique,
sur la route, se rappelait encore que c'était
elle qui était allée acheter à la ville le canevas
et les perles de la calotte, M"^ Lame étant en
ce moment-là enceinte. Llle en pailait chaque
jour quand celle-ci arrivait prendre avec
elle un pot de café, aux qualre heures de la
a recinée ». L'odeur des purins entrait par
la fenêtre ouverte : M'^^ Larue ouvrait un
peu plus le^ narines comme si, à travers
cette pestilence, toute la bonne odeur des
étahles, des herbages, des petits courtils
fleuris d'asters, de soleils et de passeroses lui
remontait du passé. Elle s'était mise à revoir
quelques anciennes connaissances, des per-
sonnes de son temps, comme elle disait, et
auxquelles elle parlait de son hls et de la
bonne Toine, restée à la ville.
Paul, lui, s'était retrouvé dans l'état d'es-
prit d'un homme qui a échappé à un acci-
dent, à une maladie mortelle et qui, à tra-
vers une douceur d'oubli, se reprend à vivre.
H pensait à Madeleine sans amertume; il
n'éprouvait plus le besoin de lui écrire tous
les jours, comme autrefois, pendant leurs
séparations. Elle s'étonna de recevoir par
18.
2 lu L AMAiM PAS:^lU^\^E
Tenlremise de la « Petite poste » des lettres
dont le tranquille amour le rendait si diffé-
rent de lui-même. « Surtout, mon chéri, ne
te change pas trop, lui répondait-elle... Je
ne veux plus que tu souffres, mais je ne veux
pas non plus que tu sois trop vite consolé. »
11 lui avouait qu'il n'était pas malheureux,
qu'il aurait pu vivre longtemps dans cette
condition de vie où deux êtres sont assurés
de s'aimer à distance. Il comprenait que chez
des prisonniers, des exilés, le tourment du
besoin de la présence réelle à la longue s'é-
galisât dans la joie d'une sorte d'hymen
mystique. C'était une disposition d'esprit
silencieuse, fraîche, nouvelle oh vaguement
il lui sembla revivre son âge tranquille de
jeune homme, avant les heures orageuses de
la passion... Ah ! comme celle-ci l'avait
limé, usé et vieilli I II sortait de là avec un
siècle d'humanité aux épaules. Il fît des pro-
jets, conçut un renouvellement d'existence
travailleuse; Madeleine ne fut plus en lui
qu'une vague de vie harmonieuse confondue
aux rythmes de sa propre vie.
Sa force remonta^ toute retrempée de sève
et do nature. Il partait au matin, le hâton à
la main, se jetait dans la montagne, lisant,
écrivant sur des feuillets de carnet les
i;amam i'a<<i<i.\m: 211
billets qu'il lui envoyait. L'éreintement des
marches terminait ses journées en som-
meils lourds où il sombrait comme en pleine
eau, délicieusement, il eut l'impression
d'être resté S'infinies périodes de temps sans
dormir. Sa terre, la bonne terre natale, lui
redevint maternelle et tutélaire : elle lui
communiqua ses vertus de résistance et de
stabilité. Une émotion salutaire, le sens de la
durée des choses lui vint des lieux revus, des
visages qu'ils lui évoquèrent, des paysages
où, jeune étudiant, il revenaii passer ses
vacances, après y avoir écoulé son enfance.
Sa vie s'emplit de rêve : il revécut les âges,
les joies, les mélancolies de son passé. Quel
homme eût-il élé s'il était demeuré parmi
toute cetle humanité simple? Un petit fonc-
tionnaire, lui aussi peut-être, ou un culliva-
leur vivant de son champ, ou un médiocre
rentier de campagne accagnardé aux côlés
d'une poussinière qui l'eût pourvu d'un re-
jeton à intervalles réguliers. Il se rappela la
petite Elise, une cousine, grosse fille sensible
et tendre qui effeuillait des marguerites, —
religieuse, mariage, célihataire, — en le
couvant de ses yeux fleur de chicorée. On
îivait pris l'habitude dans la famille de les
considérer comme dévolus aux accordailles.
21-1 LAMAM PASSIO.N.NE
Mais, à la ville, le goût pour celle rustaude,
richement dolée d'ailleurs, fille d'un impor-
tant marchand de hois, s'effaçait à travers
l'étude, l'ambilion naissante, une conjecture
de condition plus relevée. Un jour, le mé-
decin du village l'avait épousée. Ahl ce n'est
pas près d'elle qu'il eût connu lu griserie du
joli amour d'une M""' Cormont avec ses élé-
gances capiteuses, son air d'idole parée de
dentelles et de salins î Cette bonne Elise por-
tait des pantalons de flanelle bleue qui lui
descendaient à la cheville.
« Mon Dieu ! que c'est bon ne plus
souffrir! » pensait-il constamment. Se con-
tenter de ce que la vie donne sans se tour-
menter des bonheurs impossibles 1 Et pa-
tiemment attendre la bonne aubaine comme
un fruit mûr que le vent courbe jusqu'à la
bouche, au tournant du chemin.
Elle lui écrivait presque chaque jour, elle
allait mettre elle-même ses lettres à la boîte,
à l'heure du train. C'était là presque de l'hé-
roïsme pour ses petits pieds douillets. 11
connut par ses billets la vie qu'elle menait
dans la maison d'où le bonheur était parti
avec lui, sa tristesse des premiers jours,
les visites à la chambre toute vide de lui, les
baisers qu'elle appuyait sur l'oreiller; elle
I/AMANT PASS10»'E 213
avail été retirer elle-même ses draps et pen-
dant deux jours s'y élait couchée dans son
propre lit. Il se demandait si c'était bien la
sage Madeleine qui était capable d'un si déli-
cieux enfantillage. Alors, il se reprochait de
l'avoir mal jugée. Est-ce qu'il la connaissait
seulement?
Au bout de la seconde semaine, elle écrivit
moins : les MarcUle étaient arrivés avec les
enfants et une bonne. Elle lui parlait beau-
coup de Clotilde. Elle aurait voulu en faire
une confidente, mais redoutait sa candeur
que l'énormité du péché (souligné) aurait pu
effaroucher. Une vraie enfant, celle-là, à peine
une jeune fille dans la limpidité d'une âme si
innocente qu'une fois, à la promenade, elle
lui avait confessé une petite faute dans sa
vie. C'était avant son mariage : un ami de
son frère lui envoyait des vers gentils où il
lui exprimait sa passion. Un soir, dans une
sauterie chez les parents de cet ami, elle
avait laissé tomber son mouchoir comme par
mégarde et il l'avait ramassé. Elle s'était
longlemps reproché de ne pas le lui avoir ré-
clamé.
Et puis aussi maintenant la villégiature
battait son plein; tous les jours des garden-
partvs, le tennis, le croket, le golf, des pique-
2i4 L AMANT PASSIONNE
nique, des courses à voile sur la rivière. Made-
leine, dans tout ce bavardage, reslail tendre,
pleine d'effusions, de caresses el de folies.
Ah! comme à travers son tourbillon elle
savait Taimer! Comme il était sûr d'êlro
aimé! Il se sentit présent à toutes ses pen-
sées. Il fut ému de son désir d'une confi-
dente, comme d'un espoir d'êlre plus à lui
encore à travers un autre cœur. Son secret
lui eut paru à lui-même plus léger à porler
s'il avait eu un frère, un ami intime pour le
partager. Quelquefois il pensait à Cormont,
avec le désir de le revoir. Toute rancune
avait disparu : il lui semblait que le mari de
Madeleine faisait un peu parlie de sa vie.
Après quinze jours, Paul et sa mère ren-
trèrent à la ville.
CHAPITRE XXI
Un matin le courrier lui apporta un billet
sur papier lilas, cacheté de cire tendrement
bleue. Elle lui annonçait qu'elle allait être
obligée de s'absenter deux jours et qu'elle
s'était arrangée pour lui donner toute une
nuit. Ils se rencontreraient dans une gare
sur la ligne oi^i ni l'un ni l'autre n'étaient
connus. En une seconde it se trouva si loin
de son antérieure paix d'esprit que celle-ci
sembla n'avoir jamais existé. Sa joie fut fou-
droyante: toute sa passion afflua; il fut pris
de battements de cœur violents. Les jours
eurent la durée de siècles.
Elle lui écrivit une dernière fois : « Plus
•21- LAMANT PASSIONNE
qu'un jour, mon chéri... et nous serons
réunis... Jamais je ne Tai autant désiré... Je
mels ici mille baisers, tu me les rendras là-
has. »
Il dut Tattendre une demi-heure: ce fut
une souffrance : et puis le train la débarquait.
Mile-même lui signala un hôtel près de la
j^are. recommandable; elle en connaissait
jusqu'au prix. Comme la nuit tombait quand
i!< y enirèrent. personne ne les remarqua,
et d'ailleurs la ville était solitaire. L'hôte
lîîi-même les mena h une chambre d'aspect
rassurant et provincial.
Ils furent seuls et aussitôt elle se pendait
à lui.
— : Est-ce assez fou, dis? mais je te vou-
lais... Ahî chéri, quel bonheur!
(( Serait-elle déjà venue ici. pour être si
bien renseignée? » se demandait Paul avec
une torturante convulsion de cœur. Elle le
vit morose sous ses baisers et comprit.
— Encore quelque arrière-pensée, s'écria-
t-elle et dans un tel instant... Je te plains
plus encore que je ne t'en veux.
Elle lança sa robe au loin et se laissa tom-
ber dans un fauteuil, la tête dans les mains.
Paul se jeta à ses pieds :
— Madeleine, la plus loyale et la plus
L'AMANT PASSIONNÉ 217
tendre des amies... quitte-moi puisqu'aussi
bien je suis indigne de toi...
Ses mains doucement dénouaient des cor-
dons : il parut ignorer qu'il la déshabillail.
— Méchant qui me crois encore capable
d'avoir un secret pour loi... Ne connais-lu
pas toute ma vie?
Il la porta au lit. 11 Taima de sa passion la
plus ardente ; il eut des transports de cris et
de larmes qui la bouleversèrent. Elle res-
sentit pour la première fois l'évidence que
cet amour le mènerait à la mort.
— Que du moins je puisse mourir en t'ai-
manl! s'écriait-il à travers ses fureurs.
ils ne s'endormirent qu'au petit jour dans
un brisement délicieux. Paul, au réveil,
sonna pour qu'on lui montât son bol de lait;
elle voulut qu'il s'assît sur le bord du matelas
et bût une gorgée à sa bouche.
Il avait ouvert la fenêlre : une lumière
verte passait par les lamelles des persiennes
abaissées et jouait aux pâleurs des draps,
courait en frissons mordorés sur la gorge
et les bras de Madeleine. Au dehors, c'était
la chaleur déjà haute d'une matinée d'août.
Ils eurent là l'éveil d'une nuit de noces,
avec la joie gamine de deux époux émer-
veillés déjeune passion.
19
218 L\\MANT PASSIONNE
— Mon petit mari, disait-elle, en se rou-
lant dans son épaule.
11 regardait jouer au fond de ses yeux
clairs les petits sables d'or.
— Tes yeux, tes jolis yeux de pou-
pée...
Les heures passèrent; il fît venir le déjeu-
ner; il parut ne plus se rappeler qu'il devait
la perdre bientôt. Ils entendirent sonner
deux coups à l'horloge de la gare. Tous
deux avaient tressailli et ne se parlèrent plus.
Ils mangeaient sans goût des gâteaux et des
fruits ; elle voulut s'étourdir d'une coupe de
vin fort.
Elle devait reprendre le train de cinq
heures; elle avait été obligée de voyager
irois heures pour lui arriver ; elle allait
refaire le même trajet pour rentrer chez
elle. Ahl ce qu'il avait fallu mentir encore
une fois pour se ménager cette nuit! Elle
s'était fait envoyer chez elle, par la « Petite
poste » un télégramme pressant, signé du
nom d'une amie qui, dans une situation
grave , à la veille de devoir tout vendre
pour sauver un mari compromis, l'appelait,
la suppliait de venir à son secours mora-
lement.
— Tu vois, un faux^ rien que cela!
L'AMANT PASSIONNE 219
Cormontavail trouvé naLurelqil'elle partît.
Avec son esprit léger et saulillant, Made-
leine s'amusait beaucoup des complications
de celte histoire qui allait l'obliger à d'autres
mensonges pour sorlir du cercle où elle
s'était emprisonnée elle-même.
— Et puis ce n'est pas tout encore : il fal-
lait me faire libre et aussi me laisser un
moyen d'être tenue au courant si quelque
chose arrivait à ma Pauletle... Alors j'ai
donné l'adresse d'une amie d'Angèle qui
devait l'avertir et lui permettre ainsi de
m'avertir moi-même en me télégraphiant
ici... Mais oui, ici, car je pensais bien que
nous serions descendus à cet hôtel... Et
maintenant, sache tout : c'est Angèle que
j'avais chargée de s'informer et qui me Ta
renseigné... Tu ne comprends pas encore?
Non? Mais c'est justement pour n'être pas
comprise que j'ai combiné tout ça avec la
(( Petite poste » , grand bêta !
Elle finit sa toilette ; ils attirèrent la
table près du canapé; ils auraient voulu être
très gais, mais, avec la fuite de l'heure, une
tristesse comme une cendre fine tomba.
Madeleine s'arrêtait d'égrapper les raisins
qu'elle tenait entre ses doigts, regardait
devant elle, les yeux perdus.
220 L'AMAM PASSIONNÉ
Paul, lui, dans Thaleine brûlante mon-
tée de la rue, gardait les tempes glacées.
Elle le vil très pâle, les lèvres serrées.
— Mon chéri, du courage! Si tu savais ce
qu'il va m'en falloir à moi-même !
11 secouait le front.
— Yois-tu, c'est à cause de cela... La
nostalgie des bruits d'une gare, comme une
invitation à partir, à s'en aller là d'oii on ne
reviendrail plus jamais... les trains qui rou-
lent vers le bonheur, la vie... La mienne
encore une fois est finie.
— Elle recommencera, chéri.
Elle redevint la maman. Elle lui prit la
tête, l'appuya aux pUs légers et parfumés
de sa blouse de soie. Plus haut que le gron-
dement des machines et les cris des por-
lefaix, battait le sombre cœur violent de
l'ami.
Soudain, il fut relancé d'un accès de toux;
elle siffla, gronda, lui déchira le poumon. Il
se mit à marcher parla chambre, compri-
mant sa poitrine avec les mains... Il eut un
mot comme un râle :
— Tu Tas dit... c'est la vie... qui recom-
mence.
Ah ! l'ironie de cette illusion d'une nuit
de noces ! Le lit d'amour où ils avaient
L'AMANT PASSIONM-: 221
échangé les paroles d'élernité ! Le rêve !
Tout se voila ; Madeleine vil passer une
grande aile noire. Elle se pendit à lui, le
couvrit de baisers, le garda dans ses bras,
d'une passion dorloteuse et câline, comme
elle l'eût fait pour sa Paulelte.
La toux à la fin s'apaisait ; mais Paul, très
pâle, les yeux hagards, demeurait froncé et
tragique.
— Jure-moi que tu vas te soigner pendant
le temps que nous serons séparés... Je te
veux en belle santé pour nous aimer long-
temps... toujours.
Il répondit machinalement :
— Toujours, oui...
Ses épaules avaient fléclii ; elle vit qu'il
cherchait à se regarder dans la glace. Aussi-
tôt elle passait devant la cheminée, et, en les
caressant du bout des doigls, elle lui fermait
les paupières. Il la devina, et. d'un rire
amer, la repoussant :
— Mais non, c'est bien inutile.., je nen
suis pas encore là!
— Foui
Elle riait très haut, courageusement, le
cœur déchiré. Mais bientôt Ténervement du
départ la prit : elle eut les petits gestes
cassés et les yeux fiévreux de ceux qui s'en
19.
222 L'AMANT PASSIONNE
vont. Lui, de son côté, se glaçait à la sentir
préoccupée, déjà reparlie en pensée. Quand
l'heure fut là, ils s'embrassèrent d'un baiser
inquiet et furlif.
Il erra par les rues. Un carillon sonnait
les heures : c'était un vieil air qui ne s'ache-
vait pas, comme les bribes d'une chanson
d'amour du temps des amants d'autrefois.
Celle musique haute, h^'gère, grelotlée, d'une
inexprimable mélancolie, éveilla chez Paul
des analogies avec leur triste amour qui
jamais non plus ne s'achèverait. Leur cœur,
après qu'ils s'élaient quittés, chaque fois se
cassait comme les noies du vieux petit caril-
lon. Il fut pris d'un vrai désespoir : « Made-
leine ! Madeleine ! se disait-il, serais-tu par-
tie, cette fois encore, si lu m'aimais? Et
aime-t-on quand on ne peut se résigner à
tout quitter pour suivre sa destinée ? Un
cœur passionné n'est arrêté par aucune des
certitudes qui le vouent à la réprobation uni-
verselle. Toutes les aiïections humaines fon-
dent aux flammes dévoran les de son creuset. . .
Il n'a d'autre loi que de s'accomplir à travers
l'oubli de tout ce qui n'est pas lui-même, dût
la mort être au bout... »
CHAPITRE XXII
Le vide encore une fois se refit dans la vie
de Paul. Son cœur, tout au fond de lui, ne
fut plus qu'un organe mou et spongieux
qui sélait dilaté dans un spasme. Par ins-
tants, sa vie matériellement s'arrêtait. Ses
racines coupées et ses fibres comme nouées
d'un triple nœud, il ne tenait plus à rien,
dans une cessation de toutes ses énergies.
Isolé au milieu des activités et du mouve-
ment de la vie extérieure, il se sentait mou-
rir dans l'immobilité intérieure d'une chose
la veille encore agissante et tourbillon-
nante, et qui, tout à coup, en plein cours du
sang, en pleines ondes sonores de la pensée,
était comme clouée à terre, a Oui, s'analy-
■224 LAMA.NT PASSIONNÉ
sait-il, c'est bien comme si j'étais-là, après
le sang saigné, toutraide de ma vie écoulée.
Je me fais Teffet d'un gros insecte piqué dans
ses centres nerveux et û\é par une épingle
sur un bouchon. Toute peine est partie, je
n'ai plus que la sensation animale d'être
vidé de moi-même. »
Sitôt qu'il la perdait, il souffrait pour
elle le mal noir des bêtes qu'on voit dans
un coin, le maître parti, s'étirer, soupirer
et mourir. iJans l'arrêt de sa vie, elle seule
continuait à vivre, petite forme en fuite qui
là-bas courait le monde. D'un désir sombre,
il entrevoyait alors la mort comme le feu
qui guide vers le repos des havres les
barques battues par la tourmente.
Il s'était mis entre les mains d'un méde-
cin : celui-ci ne put lui cacher que son état
avait besoin de soins sérieux. Il prescrivit
des calmants, le repos, l'absence de toute
émotion.
— Même l'amour? fit Paul, ironiquement.
— Surtout l'amour.
Par malheur, Madeleine se crut mère. Elle
lui écrivit son effroi : toute sa vie reflua ;
il fut bouleversé bien plus qu'elle. La sur-
prise, la joie, le doule lui firent une âme
d'une violence désespérée. Quelle certitude
L^AMANT PASSlOXNi: 225
là OÙ la conjecture de la femme elle-même
peut èlre mise en défaut?
Elle lui écrit une seconde fois.
(( C'est horrible et c'est délicieux... Je
tremble, je pleure, je suis heureuse... Nos
deux \ies dans une, sortie de nous... JJe
nous, je le jure... Je relèverai, je te le gar-
derai. »
Sa vie courut, lui rebondit du cœur aux
tempes. Tout son corps trembla, il eut le
vertige extasié de la joie originelle, de l'hy-
men fécond. Du fond des entrailles monta le
cri vainqueur :
— Un enfant... Un enfant de nous!
Et puis d'un coup le drame se précisait : le
mari abusé dans sa paternité, la sienne mé-
connue à jamais. 0 horreur plus grande î
la mère mourant de la vie transmise,
il n'eût pu même mourir à son chevet,
puisqu'elle était l'honnête femme légitime
au-dessus du péché, celle dont la mémoire
ne peut être atteinte dans le culte des sur-
vivants...
La loi, le droit se liguèrent encore une
fois contre le vœu fondamental. Il se vit
abandonné des hommes et de lui-même.
Une lumière, comme d'un coup de lance,
sous lui perçait la ténèbre du gouffre. Sécu-
226 L'AMANT PASSIONNÉ
rites de la vie conjugale violéee; ; honnêteté
du foyer livré au caprice libidineux de la
créature ; légitimilé des enfants, base des
sociétés, tout fut conire lui. 11 exécra le ma-
riage : a Pacte maudil qui au nom de l'ordre
immuable nie le droit sacré de l'amour I »
Paul, un peu avant les vacances, avait
accepté de plaider une affaire de divorce.
Celle-ci lui eût permis, en agitant les
grandes manches de la toge qui l'immuni-
sait, d'affirmer avec les moralistes, les
légistes, tous les soutiens de la conscience
usuelle, les vrais principes inamovibles.
C'était l'histoire d'un mari trompé par sa
femme, jeune, jolie, mère d'un enfant; c'était
l'histoire des Cormont, et c'était aussi son
histoire à lui, puisqu'il y avait là un amant
comme lui-même était l'amant de Made-
leine.
Quelle contradiction et quelle duplicité!
En plaidant conlre la femme qu'il' eût dû dé-
fendre, pour le mari qu'il eût dû combattre,
il sembla vouer au crime, à l'irrémission,
l'ombre délaissée de iMadeleine.
Ah! leur pauvre passion avilie, leur grand
amour qui, au prix de la vie, eût été encore
payé trop bas et qui finissait, au bout de
toute cette controverse, par n'être plus de-
i;amam' passionnk ^h
vant la loi que de la criminalilé ! La vie,
l'aûiOLir, rhonnoLir frémirent en Ini. En se
défendant toute compromission, il voulut
garder la tête haule devant la loi crnelle qui
tuait l'amour. 11 lit venir son client, s'excusa,
excipant d'un scrupule de conscience, dans
une affaire où une mère était enjeu.
Le lendemain, Madeleine lui écrivait sa
méprise. L'instinct, l'orgueil mâle, l'intérêt
personnel alors s'entremêlèrent. Il subit la
fatalité de souffrir à la fois et de se réjouir
pour un événement qui eût comblé sa vie
en la livrant à mille inquiétudes.
C'était lui qui, cette année, devait pronon-
cer le discours de rentrée à la conférence du
jeune Barreau. Encore tout remué de la crise
récente et l'esprit ramené vers l'anxieux
problème, il décida de parler de la condition
qui est faite à la femme dans l'état d'adul-
tère.
L'idée sortit brûlante de sa vie, de leur
égarement à tous deux, du désir très pur
d'absoudre devant la conscience universeUf
celle qui. en obéissant au vœu éternel des
êtres, avait péché contre la loi des hommes.
Il espéra que l'éloignement momentané de
Madeleine lui assurerait le calme de la mé-
ditation. Mais, tout à coup elle lui annon-
228 LAMANT PASSIONNE
çait que, sur Tordre des médecins, de nou-
veau inquiétés par la faiblesse de l'enfant,
elle partait passer avec Paulette un mois à
la mer.
(( J'ai mis dans un petit coffret un mou-
choir trempé de mes pleurs : peut-être ils
n'auront point encore séché tout à fait quand
tu le recevras... Ils te diront, mon chéri, mes
ennuis, mes alarmes pour Paule, toute la
peine que je ressens à vivre si loin de toi...
Quand ce supplice finira-t-il, mon Dieul »
La passion de Paul à ces lignes se réveilla :
il prit dans son tiroir l'argent qui lui restait,
imagina auprès de sa mère une raison pres-
sante et partit. Madeleine, en le voyant
arriver à son hôtel, fut effrayée de la joie
farouche qui dilatait ses prunelles et, dans la
pâleur du visage, les faisait brûler d'un feu
noir. Elle dut cacher son émotion devant
Paulette.
— Vous? Quelle rencontre!
Et tout bas :
— Je t'attendais!
Elles avaient deux chambres qui commu-
niquaient : la gouvernante couchait dans un
réduit voisin. Ils ne purent se voir qu'à la
plage, aux heures où Paulette y venait jouer
au tennis avec des jeunes filles d'une famille
L'AMANT PASSIONNÉ 220
amie. Il allait s'asseoir sous la tente qu'elle
avait louée, près de son pliant; quelque-
fois il pouvait lui serrer la main; tout son
corps s'électrisait si leurs pieds se tou-
chaient.
Leur grand amour eut Fair d'un flirt sai-
sonnier entre une jolie femme désœuvrée et
un jeune homme sentimental. Ils semblèrent
revenus au temps des premiers désirs timides,
exprimés d'une voix tremblée; ils goûtèrent
une langueur qui les énervait délicieusement
et leur faisait les yeux pâles.
Ce sentiment délicat eut pour eux la fraî-
cheur d'un renouvellement et le charme
irrité des défenses. Ils se désirèrent d'autant
plus que tout les séparait; leurs corps à
peine se frôlaient et ils se disaient des choses
brûlantes. Au bout du quatrième jour, ils
n'éprouvèrent plus que de la souffrance.
Paul y eût résisté si tout à coup son viatique
n'avait été épuisé : Madeleine, avec sa légè-
reté habituelle, inconsidérément lui avait
fait supporter de petites dépenses réitérées.
II se trouva tout juste en mesure de payer
sa note d'hôtel et son coupon de retour.
M""' Larue, à sa rentrée, lui épargna le cha-
grin de lui avouer qu'elle n'était pas plus
riche que lui ; elle avait eu besoin d'argent
20
230 LAMAM PASSIONNÉ
et était allée au tiroir : elle l'avait trouvé
vide. A deux, avec Toine, il leur avait fallu
réaliser des miracles d'économie et Paul n'en
>ut rien.
CHAPITRE XXIII
Ce fut un évéïvement, le discours de Paul
Larue à la conférence du jeune Barreau. Elle
eut pour titre : « L'amour et raduUère ». La
hardiesse du thème porta jusqu'au cœur des
prétoires l'écho des livres où de modernes
esprits étudiaient les casuistiques amou-
reuses.
M""' Cormont, qui rentrait de la mer,
voulut être parmi les dames présentes : elle
parut ne point se douter que sa relation avec
l^aul avait cessé d'être un mystère. Elle eut
Tair de braver le monde. Elle ne prit atten-
tion qu'au frémissement de Tauditoire à cer-
taines révoltes contre la morale usagère.
Paul avec violence s'éleva contre la duplicité
23-2 L'AMANT PASSIONNE
sociale qui admet en secret ce qu'elle ré-
prouve au jour. Il osa affirmer la sainteté de
l'amour sous toutes ses formes : il déclara
qu'il n'était point de crime dans l'amour.
On eut l'inquiétude d'un évangile et d'un
code qui sapaient les principes de la famille :
avec une dialectique téméraire, Paul Larue
alla au-devant du redoutable grief. Ce n'était
pas la famille qu'il fallait adapter au code,
c'était le code qu'il fallait adapter à un senti-
ment plus large et plus humain de la famille.
Tous les enfants sont égaux devant l'amour,
qui est le signe de la vie : tous ont un droit
égal à la vie sociale. L'amour, loi suprême
des êtres, origine et fin des sociétés, prin-
cipe de la famille, mais la dominant de son
antériorité et lui échappant sitôt que son
propre principe est mis en cause, sa liberté,
sa franchise et ses droits.
Paul, après la plaidoirie qui l'avait, au dé-
but de sa carrière, prédestiné, eut là son
second jour d'éloquence. Il otTensa, convain-
quit, fut admiré. Cormont, en haussant les
épaules, déclara que Larue était simplement
un idéologue ou un fou. Mais celui-ci eut
pour lui tous les jeunes : il eut aussi pour lui
les femmes.
-Madeleine ressentit une joie puissante
L'AMANT PASSIONNÉ 233
d'amour et d'orgueil. Elle guetta la minute
où elle put être seule une seconde avec lui.
— Tu as été sublime, lui dit-elle en lui
pressant la main. Tu as parlé en amant...
J'ai bien senti que tu nous défendais... Alil
que je t'aime!... Attends-moi demain chez
toi... j'ai une grosse nouvelle à t'apprendre...
Elle arriva le lendemain comme elle l'avait
dit. Elle se jeta dans ses bras, et tout de
suite elle lui annonçait qu'elle avait loué un
apparlement dans une maison silencieuse,
au faubourg.
— Quoi? toi-même? fit-il, au comble de
la surprise.
— Oui, et voici même la quittance, dit-
elle en riant. Nous serons maintenant chez
nous.
C'était une idée qu'il avait eue autrefois,
mais à laquelle il n'avait jamais pu la faire
consentir. Madeleine, qui ne voyait pas de
nral à se laisser aimer chez elle, s'offensait
à l'idée de lui appartenir dans un logis loué,
comme une femme galante. Elle révéla ainsi
une mentalité féminine spéciale : en une
dernière pudeur de femme mariée, il lui
parut que l'adultère résidait justement dans
cet aspect d'un faux ménage évoquant la
constance de la récidive.
20.
234 L'AMAM PASSIONNÉ
— Ce que tu as fait de moil fit-elle.
Jamais autrefois je n'aurais voulu. AprésenI,
cela me semble tout naturel.
Il se surprit un mouvement singulier. Il
n'aurait pu dire pourquoi, après avoir tant
désiré un bonheur dont elle ne voulait pas.
il se prit aie regretter, maintenant qu'elle le
lui offrait, Madeleine sembla perdre tout à
coup à ses yeux un peu-de la rareté qui
s'attachait à une possession toujours difficile
et furtive. « L'aimerais-je moins, pensa-t-il,
ou Tamour, comme les fleurs sorties du
grès, serait-il en raison des obstacles qu'il
lui faut vaincre? »
Une voiture, ce même jour-là, les descen-
dit aux portes de la ville. Il se laissa mener
à ce rendez-vous du bonheur. Il manqua
défaillir de joie en arrivant.
Deux chambres prenaient jour sur un vieux
jardin : l'ombre des peupliers se jouait aux
vitres et verdissait les murs. Aucun luxe
d'ailleurs : dans une demi-solitude rurale,
le simple logis d'un étudiant ou la tranquille
retraite d'un vieil homme pensionné. Tout
de suite Madeleine fut chez elle : elle eut la
mobilité desprit de toutes les femmes, du
moment que le sentiment est en jeu. ïl lui
venait maintenant comme le sentiment de
L'AMANT PASSIONNE 235
la légitimité de leur amour à travers Tidée
qu'ils possédaient enfin un domicile régu-
lier, avec un aire, un fauteuil et un lit.
Au bout d'une heure, elle commença à
trouver que le confort laissait à désirer.
Elle lui parla d'un canapé, d'une armoire
à glace, de petits meubles légers qui donne-
raient aux chambres un air d'intimité amou-
reuse. 11 n'osa s'opposer à ses désirs: elle
apportait, du reste, une telle bonne grâce à
se reprocher les dépenses dont elle était pour
lui la cause qu'il en était payé chaque fois
au centuple.
Ce fut un renouveau pour leur amour ;
elle voulut qu'il eût l'illusion de cette vie
à deux qui était toujours à l'horizon de
ses pensées. Des étagères, des bibelots em-
bellirent l'appartement : elle trouva le moyen
d'y faire venir des rideaux et des tapis de chez
elle. Quelquefois ils s'amusaient ensemble
de dînettes, de gâteaux, de fruits et de
vins.
Jamais ils n'avaient été si heureux. Paul
eut des ardeurs de vie farouches. Ses bon-
heurs étaient pleins de détresses, de fureurs
et de larmes. Madeleine s'y voyait emportée
follement et de ses nerfs, de ses sens, de son
âme, comme roulée en un tourbillon forcené
•236 L'AMANT PASSIONNÉ
et doux. Elle en sortait elle-même brisée,
les membres endoloris, avec le goût d'une
ivresse triste et qui avait touché à la mort.
Paul, exténué, les yeux vides, râlait sa
toux, comme à Tagonie.
Elle s'alarma : sa tendre passion l'enve-
loppa, voulut le défendre contre lui-même.
Elle jura qu'elle ne lui appartiendrait plus
tant qu'il ne serait guéri ; dans sa faiblesse,
elle ne se reprenait que pour mieux se
donner ensuite.
Paul sentit décliner ses forces : chaque
soir, un frisson le glaçait. Ses nuits étaient
tourmenlées de cauchemars ; des sueurs
l'épuisaient; il y eut des jours où il ne put
aller au Palais. Son visage martelé aux joues,
évidé aux tempes, sembla avoir été travaillé
comme un métal au feu de la fièvre; il eut
autour de l'éclat sombre des yeux une sertis-
sure de stigmates.
Madeleine espéra se leurrer encore de la
pensée d'un mal temporaire. M""' Larue,
de son côté, croyait à la persistance d'une
de ces toux dliiver qui ne s'en vont qu'avec le
printemps. Paul s'élait acheté un petit miroir
de poche où, sitôt qu'il était seul, il se regar-
dait, inquiet, attentif, tendu comme au guet.
— Jusqu'au bout, murmurait-il, comme il
L'AMANT PASSION m: 237
l'avait dil un aulre soir d'hiver en se regar-
dant dans la glace de son cabinet de toilette.
Il fut à la période où quelque chose au
fond de l'être est secrèlement averti par des
signes que le monde ne peut comprendre.
« Horrible et délicieux amour! pensail-il;
voilà où il m'a mené... J'ai franchi le pre-
mier cercle de la spirale : les autres à
mesure se refermeront sur moi. » 11 goûtait
une jouissance cruelle à exagérer son mal :
il s'irritait si elle paraissait elle-même y atta-
cher trop d'importance.
— Suis-je donc si bas que j'excite ta pitié?
s'écriait-il en lui fouillant les yeux d'un
regard cruel.
CHAPITRE XXIV
On approcha de Thiver. Elle commença de
venir moins souvent. Elle voulut lui arri-
ver un jour dans la toilette qu'elle comptait
porter h l'une des première fêtes de la sai-
son. 11 Feut à lui dans la beauté nue de ses
épaules, sous le nuage frémissant des légères
étoffes. D'une frénésie sauvage, il sembla
la disputer à des rivaux. Il ne put la dis-
puter à Cormont qui s'était mis en tête de
donner de grands dîners : le mari de Made-
leine, en recevant des hommes politiques,
avait espéré pouvoir se faire à l'idée de
jouer, lui aussi, un rôle au parlement. Paul
trembla pour leur bonheur à tous deux, il
sentit revenir les heures longues des sépara-
2i0 LAMAM PASSIONNE
lions et de Tabsence. Il eul au cœur le vent
froid du lourbillon qui allait la lui reprendre.
— Eh bien, va, dil-il, abandonne-moi en-
core une fois, puisque aussi bien cela doit
êlre noire vie jusqu'à la fin... Même, si tu
veux, nous renoncerons à cet appartement...
Cela te rendra plus libre.
Elle plia sous lamerfume du mot.
— N'est-ce pas une chose affreuse? dit-
elle doucement en pleurant. Je t'aime autant
qu'une femme peul aimer et pourtant c'est
vrai, je suis lâche, je n'ai pas le courage de
rompre avec ces sottes habitudes de vie...
Je voudrais te donner mon existence entière
et à peine je puis en détacher quelques
heures pour toi. Ah ! méprise-moi : je
m'accable bien plus moi-même de n'être
qu'une misérable poupée aux mains d'une
force qui me domine.
Il fut ému de sa plainte, la prit dans ses
bras.
— Je L'ai tout sacrifié moi, Madeleine...
ma carrière, mes affections, cette maman que
je surprends quelquefois se détournant pour
me cacher la rougeur de ses yeux... J'aurais
pu être quelqu'un au barreau : j'avais bien
commencé... Mais tu es venue, je t'ai tout
donné... Comme tu le disais un jour, on n'a
L'AMANT PASSIONNE 2*i
pas deux amours : il faut être tout à Tun ou
à l'autre... J'ai obéi à la petite main qui
devant moi faisait le signe de ma destinée...
Me voilà confondu dans la cohue parmi tant
d'autres qui n'avaient ni mes moyens ni ma
chance... C'est fini... Je suis à bout d'éner-
gie, de courage, je n'ai plus de goût à rien
qu'à loi... Je ne suis plus même certain d'ai-
mer maman... D'ailleurs, je ne me plains
pas puisque je t'aime... Ahl écoute encore
ceci, on ne sait jamais quand on partira;
peut-être je n'en ai plus pour longtemps;
tu t'apercevras alors que je t'aurai sacritié,
par-dessus le marché, ma vie...
Elle lui mit la main sur la bouche.
— Je t'en prie, c'est affreux... Pourrais-
je d'ailleurs te survivre?
— Toi, tu as une enfant, tu as Paulette...
Je ne parle pas de ton mari... C'est assez pour
que l'ombre s'allonge sur moi sanst'atteindre.
— Mon enfant, ah oui I mais ai-je été
pour elle la mère que j'aurais dû être, que
j'aurais été sans mon amour pour toi? L'ai-je
aimée de toute mon âme comme une vraie
mère aime son enfant, comme ma mère à
moi m'a aimée, comme t'aime ta mère à toi?
Tu sais bien que tu as toujours été entre nous
quand elle tenait si peu de place entre toi
21
2i2 L'AMANT PASSIONNÉ
et moi . . . Ail ! il y a des moments où je crains
d'être un jour punie en elle pour avoir...
Elle s'interrompit : ce fui lui qui reprit
pour elle.
— Pour avoir manqué à ton devoir, au
pacte conjugal?... Dis-le donc.
— Mon devoir, c'est toi, puisque je t'aime,
fit-elle tranquillement. Je voulais dire : pour
avoir oublié qu'elle était venue dans ma vie
avant loi.
— Si c'est ta pensée, dit-il, en lui tou-
chant la main, ôte cet anneau, dont le sym-
bole n'est que trop clair; tant que tu le por-
teras au doigt, ne seras-tu pas la femme de
qui un mari a le droit de tout exiger?
Il se mit à marcher par les deux chambres,
et il parlait tout haut avec surexcitation.
— Commenl ai-je bien pu accepter une
telle vie?.. Est-ce qu'il y a une différence
entre un escarpe et l'homme qui fait ce que
je ne cesse de faire depuis si longtemps?
Devant la glace, très calme, résolue à ne
pas se fâcher, elle fixait, avec l'épingle lon-
gue, son chapeau dans ses cheveux.
— Mon pauvre ami, tu es dans un de
tes mauvais jours, il vaut mieux que je te
quitte.
— Eh bien î c'est cela, quitte-moi pour
LAMAM PASSIONNÉ 243
toujours dit-il avec violence. J'en ai assez de
toujours jouer, entre ton mari et toi, le triste
personnage d'un amant contraint aux pires
turpitudes.
11 se tordait de fureur et d'amour, les fibres
comme enroulées autour d'un cabestan de
douleur.
— Oui, reprit-il avec le plus atroce déses-
poir, quitte-moi, je t'en supplie, puisque
moi, je n'en ai pas le courage.
Elle n'écouta plus que l'amour et la
pitié :
— Grand chéri, tu n'as pas plus envie
d'être quitté que je n'ai envie de te quitter
moi-même... En aurais-je d'ailleurs la force
plus que toi? Tu sais bien que je t'appartiens
pour la vie.
— Pour la vie, dis-tu...
11 parut échapper à une hallucination : il
passa la main sur son front.
— Oui, n'est-ce pas, pour la vie, chère et
adorée Madeleine! J'étais perdu dans les
ombres, j'ai du dire d'affreuses choses...
Mais tu es là; la lumière se refait en moi...
Tu es toute la lumière qu'il est possible à
mes yeux de percevoir... Madeleine! je t'en
conjure, ne vois plus en moi qu'un malheu-
reux qui ne peut vivre sans toi.
244 L'AMANT PASSIONNE
11 la prit passionnément dans ses bras,
l'enferma dans une étreinte ardente.
— Je suis le pauvre des grandes roules, je
suis Taffamé d'amour, lu sais bien... Mais
pourrais-je jamais supporter encore le retour
de notre vie de l'autre année? Ah! ces
semaines sans te voir... Le tourbillon là-bas
t'emportant pendant qae moi j'agonisais à
l'attendre...
— Je te jure, fit-elle dans un élan.
Il l'arrêta :
— Mais non, ne jure pas, tu ne pourrais
tenir ton serment.
— Ahl comme il me connaît I s'écria-
t-elle, dépitée contre elle-même... Et pour-
tant, en te jurant, je suis sincère. Laisse
seulement passer un mois...
Elle jeta son chapeau et resta près d'une
heure encore avec lui.
CHAPITRE XXV
Paul, dans leur petite solitude d'amour,
quelquefois Tattendait pendant des heures.
Un fiacre enfin la débarquait. Elle le trouvait
malheureux, irrité, les nerfs tendus.
— Je l'en prie, ne me gronde pas... Si lu
savais quelle femme occupée je suis!
— Eh bien! s'écria-t-il, que je crève et
que tu en sois la faute .. .
— Non, non, ce n'est vrai !.. Tu n'as
rien dit.
Et elle lui appuyait aux lèvres lepetitmou-
choir de batiste parfumé qu'elle chiffonnait
toujours entre ses doigts. Son odeur le gri-
sait : c'était comme le goût même de sa vie
qu'elle lui jetait dans le nerveux bouquet
21.
246 L'AMANT PASSIONNÉ
sensuel effeuillé de ses gestes. Encore une
fois il oubliait tout, la prenait sur ses ge-
noux.
— C'est fini, pardonne-moi... Je ne mé-
rite pas que tu m'aimes.
— Méchant, qui à peine m'as regardée!...
Me trouves-tu à ton goûl?... Je suis si heu-
reuse, chéri, quand tu me frôles des yeux.
Des jours ensuite passaient sans qu'elle
revînt. Ses jolis yeux étaient les étoiles qui
ailleurs éclairaient un autre monde. Elle
ne cessait pas d'être la plus amoureuse et la
plus détachée des femmes. Paul, avec la
souffrance de toutes les brisures que sa
disparition mettait dans sa vie, s'enrageait,
courait porter des lettres chez la bonne
Angèle. A ses réponses, il avait des suspens
angoissés où, dans la petite mort de son être,
il n'entendait plus que les bonds fous de son
cœur. « Que ne me trompe-t-elle ! Peut-être
alors aurais-je le courage de rompre des
liens détestés ! » se disait-il. Elle lui écrivait
et il était heureux.
Il se remit au travail; quelquefois le
j)elit jour le surprenait déblayant des
arriérés d'affaires. Ses forces, excédées
d'amour, de peine et d'ennuis incessants,
déclinèrent. Vers le soir réguHèrement il
I/AMANT PASSIONNÉ 247
était repris de son frisson : un sillement
glacé lui courait entre les épaules.
Un jour, chez lui, en déjeunant, Cormont
eut un mot terrible.
— Décidément Larue est marqué... Le
pauvre diable a du plomb dans l'aile!
Elle le défendit d'un cri :
— Vous le tuez !
— Bah! c'est un soin qu'il prt.'ud lui-
même... Mais oui, sa relation avec une
femme mariée... C'est le secret de polichi-
nelle!
— Ah!
Elle le regarda avec stupeur : sou visage
n'exprimait qu'une grosse malice égayée.
Elle le détesta et l'aima pour son égoïsme
et sa crédulité. « Il ne sait rien ». pensa-
t-elle, avec une joie délivrée. Elle céda à un
sentiment de rancune, de mépris et de féro-
cité tranquille en lui disant :
— Eh bien, c'est vrai, je la connais, c'est
une honnête femme...
— Son nom ?
— Ah, non, puisqu'il faudrait dire le nom
de son mari...
Elle voulut voir Paul le jour même; elle
lui écrivit qu'elle arriverait « chez eux » dans
l'après-midi.
248 L'AMANT PASSIONNÉ
— Ah! chéri, quelle joie I Tant de jours
encore une fois!... J'avais une heure, je suis
accourue. Serre-moi bien contre toi.
Elle vit les deux plis profonds qui lui creu-
saient les joues et fut bouleversée.
— Ai-je à ce point l'air malade? fit-il,
frémissant sous l'insistance de son regard.
— Mais non... Jamais je ne t'ai trouvé
mieux.
— Est-ce bien vrai? Dis-tu bien ta pensée?
— En peux-tu douter?
^< Se peut-il que j'aie été aveugle au point
de me faire illusion? » songeait-elle, avec
l'accablement des évidences.
— Viens, fit-il.
Elle se sentit prise, se défendit au moment
où il Fenlraînait.
— Je ne veux pas... Je t'en prie, laisse-
moi...
Elle se méprisa, méprisa son charme
d'amour en un tel moment. Elle sentit que
jusque sur les marges de la tombe il Teût dé-
sirée. De nouveau elle jura de se refuser s'il
pouvait être ainsi sauvé.
— Pas maintenant.
Paul la scrutait.
— Tu as un secret que tu ne dis pas.
— Moi? rien.
L'AMANT PASSIONNÉ 249
— Alors c'est que tu me trouves biea
bas?...
— Sois Iranquille, ajouta-t-il en ricanant,
je saurai bien t'averlirà temps.
11 fut à ses pieds, amoureux et suppliant.
Le grand désir passa... a Mais c'est hor-
rible, pensait-elle ensuite, la dernière des
femmes n'eût pas fait cela... » Elle le quitta,
se jeta dans le fiacre qui Taltendait, et là,
subitement, elle était prise d'une crise de
sanglots.
CHAPITRE XXYI
Paul lui écrivit : le médecin lui défendait
de sortir; il la priait de venir chez lui.
Elle remarqua tout de suite l'altération de
ses traits : une semaine avait suffi pour le
vieillir de dix ans. Il était étendu sur le
divan. Elle lui prit la tête et à deux mains
la tint appuyée dans la chaleur de sa vie.
Elle sentit ainsi lui passer au cœur les
secousses de sa toux qui parfois ressemblait
à un aboi : sa souffrance fut infinie. Tout
à coup, il relevait le visage ; elle ne put
maîtriser un mouvement.
— Va, dit-il, je l'ai bien vu... Tu ne me
donneras plus le change, celte fois.
Il pesa sur ses poings, fit un effort pour se
dresser.
2o2 L'AMAXT PASSIONNE
— Ahl dit-il sourdement, tu es belle, tu
es jeune, tu es jolie, toi, pendant que moi,
je m'en vais... Ne me dis rien, c'est inutile...
Je sais où j'en suis... Encore une couple de
mois et maman pourra commander sa robe
noire... Quant à toi...
— Moi, dit-elle en riant, la mort dans
Fàme, je me ferai faire une toilette fleurie
de roses...
— Pourquoi pas si tu as ce jour-là quelque
bal oia montrer la gorge et tes épaules...
— Assez! dit-elle en tombant à ses pieds...
C'est là un jeu atroce.
— Mais non... le jeu de la vie et de la
morl, simplement.
Il fut épouvanté lui-même de la haine
qu'il éprouvait en ce moment pour elle.
D'un visage presque souriant, elle lui dit
le mot très doux qui pardonnait :
— Tu auras beau faire, lu ne me décou-
rageras pas de t'aimer.
Une lumière aussitôt déchirait la nuit
furieuse qui étail en lui; sa sensibilité se
délia.
— Ah! Madeleine, ne plus soutïrir... S'en
aller pendant qu'on est aimé encore...
— Tu m'oublies donc, moi qui ai un en-
fant et ne pourrais te suivre !
L'AMANT PASSIONNÉ 203
Il était retombé sur le divan et lui avait
noué les mains autour de la laille. Il demeu-
rait perdu comme en songe.
— Mourir? Non, dit-il enfin, mais fuir
ensemble, aller là- bas aux îles où il fait
chaud... La chaleur, le soleil! Est-ce que ce
n'est pas la loi du monde sensible, comme
l'amour est pour l'homme le cœur de la
vie?...
Elle le sentit échappé aux omhres; il
avait rebondi par-dessus les clôtures de la
mort jusqu'aux jardins fleuris de l'éternelle
joie promise aux amants longtemps malheu-
reux. La tête roulée dans son épaule, il sui-
vait, en paroles lentes, la vision heureuse.
— Au bord des eaux bleues, sur un rivage
de fleurs et de parfums, connaître enfin l'i-
vresse de vivre, Madeleine... Ne plus jamais
être séparés et vivre, vivre, vivre à deux...
loin du monde, des tracas, de la réalité hor-
rible... Nous aurions là une petite maison
dans les roses, une maison qui regarderait la
mer... la maison du bonheur. Nous emmè-
nerions Paulette, maman aussi, si tu vou-
lais. Elle vendrait ses petites terres... Moi
je travaillerais, j'écrirais. Je ne serais pas
gêné pour nous assurer à tous la vie... Dis,
le veux-tu? Jure-moi.
_:,. LAMAM PASSIONNE
— Oui, je le jure, dit-elle sincèremeni,
eaiporlée d'un élan poignant.
Des jours mauvais suivirent. Il eut des
crises de découragement morne où il demeu-
rait détaché de tout, étendu sur le divan, les
mains en croix à la poitrine. Il ne sortait
de son état d'accablement que pour pleurer
pendant des heures, en gémissant avec de
petits cris d'enfant. M"^' Larue, qui ne le quit-
tait plus, inclinait son grand visage impas-
sible et lui passait un mouchoir sur les yeux.
— Maman... maman...
Il l'attirait, lui roulait son front entre
les épaules, d'une peine tendre et puérile...
Le premier âge de la famille se reformait
dans ce groupe de la mère et du fils unis
j)ar la douleur, comme au temps où entre
It'S mamelles qui l'avait nourri, elle berçait
ses petites fièvres enfantines.
— Ce n'est rien, mon (i, mon cher fi, cela
se passera... Toine et moi, nous prions tous
les jours le bon Dieu pour toi.
Et c'était vrai : tous les matins, la vieille
servante partait entendre la messe basse à
l'église du quartier. De son argent, elle
achetait un petit cierge qu'elle brûlait devant
l'autel de la Vierge. M""" Larue pendant ce
temps lisait les prières chez elle.
L AMANT PASSIONNE :2. :.
— C/esl cela, oui, prie le bon Dieu,
disait-il en souriant.
La bonne émoi ion d'ailleurs s'en allait
vite. Il demandait à sa mère de le laisser: il
voulait êlre seul, en un besoin cruel d'oubli.
Il goûtait une joie précieuse à soufirir
d'un abandon universel qui se refermait sur
lui, comme dans les hautes herbes d'un ci-
metière de village, des pas venus à la suite
d'un convoi funèbre. Alors il se reprenait
d'une irritabilité sèche et ^violente. Une ré-
volte montait, des blasphèmes contre la vie
et la nature. Ah! qu'il haïssait Madeleine
dans ces moments I Et puis il se ti'ainait
jusqu'au tiroir où il cachait ses portraits. Il
les prenait tous, les regardait l'un après
l'autre longtemps, leur souriant comme
autrefois.
— Amie, délicieuse amie.,, toute ma vie.
Lentement, pendant des minutes, il redi-
sait son nom, d'une joie infinie. 11 portait
ensuite les portraits h sa bouche, les cou-
vrait de ses baisers : il croyait les sentir
frémir sous la pression de ses lèvres.
— Madeleine... Madeleine, appelait-il.
Si quelqu'un arrivait, il les cachait sur sa
poitrine, à l'endroit où son cœur avait
toujours si terriblement battu pour elle.
256 L'AMANT PASSIONNÉ
— Personne ne se doule qu'elle esl là
vivante, sur ma peau, soupirait-il avec un
secret plaisir.
Mais bientôt une obsession le lassait,
l'accablait : il se tourmentait d'efforts pour
ne plus penser à elle. Dans le silence de la
chambre, il la suppliait :
— Chère Madeleine, ne vois-tu pas que
lu me tues?
Un jourquelle lui apportait un grand bou-
quet de lilas, il le lui arracha des mains.
— Cruelle, me crois-tu donc insensible à
l'ironie d'une telle offrande? Tu m'apportes
le printemps à moi qui me meurs... Va, je
t'ai en horreur autant que ces fleurs elles-
mêmes.
— Tu oublies donc, s'écria-l-elle, que c'est
aujourd'hui l'anniversaire de notre amour...
Ici-même, sur le divan que tu jonches de
ces lilas lacérés, nous nous aimâmes pour la
première foisî
— Jour funeste... Jour à jamais malheu-
reux!
— Ah! gémit-elle, que t'ai-jefait pour que
lu me tortures ainsi?
Aussitôt il lui demanda pardon, et d'une
tendresse infinie, il lui disait :
— Viens là... prends ma tête contre toi,
LAMANÏ PA^^10^^■fc: 257
laisse-la un peu de temps sur ton sein...
L'orage passera... N'es-lu pas pour moi le
refuge et la paix? Vois, déjà l'orage est
loin... C'est encore une fois le beau ciel qui
est revenu.
Il eut une heure d'effusion exaltée où il se
reprit à l'espoir, à la vie : il redevint le jeune,
ardent et sensible amant des commence-
menls de leur amour.
— Tant que tu es là, je revis, la jeunesse
me revient à flots .. Toi seule, amie, peux
me guérir... .N'es-tu pas pour moi toute la
vie? Ah I que tu es jolie I que celte robe te va
bien!
Il lui prenait longuement les mains, ne la
laissait pas partir.
— Chaque fois que tu t'en vas, c'est
pour toujours... Xe reste pas longtemps
sans revenir, cette fois : il faut bien que
tu t'habitues au jour ou tu ne partiras
plus.
Du seuil, la main au bec-de-cane, elle
s'attardait à le regarder, lui souriait, levait
le doigt.
— Pas d'imprudences I
— Non... Je veux guérir... Je le veux...
pour toi I
Un repos absolu lui fut ordonné. Il passait
•>o8 LAMAM PASSIOMNE
les jours allongé sur le divan, des coussins
tassés sous les épaules.
Par les fenêtres ouvertes et qui ne se
refermaient plus, même la nuit, entraient
les bruits de la ville, la rumeur des petits
ménages, la chanson des mères berçant des
enfants. Il n'entendait rien, les sens morts
à tout ce qui n'étaii pas la guérison. Sa vie
l'intéressa seule dans l'universalité des vies :
elle lui monta aux yeux, ardente, guerrière,
lui ditalant les pupilles, brûlant d'un feu noir
sous le froncement de ses sourcils. On sentit
le grand combat, la lutte des puissances au
bord de l'inconnu. Le médecin, après l'y
avoir encouragé, s'effrava de cette volonté
trop tendue qui lui raidissait l'âme jusqu'à la
casser. Il lui recommanda moins d'àpreté, un
abandon plus docile à la nature. Paul s'impa-
tientait, disait d'un claquement de langue :
— Laissez donc, je veux vouloir...
Et ce mot qu'il ne cessait de se dire à lui-
même, quelquefois, derrière les portes refer-
mées, montait, déchiré par la toux comme
un défi sous le genou d'un ennemi.
— Je veux... Je veux...
Il ne semblait plus penser à Madeleine.
Elle, cependant, venait presque tous les
jours.
1/AMANT PASSiUNNK 25'.i
— Chéri...
Elle s'asseyait près du divan. Elle lui pre-
nait la main qu'il lui abandonnait un peu
de temps; mais bientôt il la lui retirait, et,
les mains en croix sur la poitrine, s'immo-
bilisait dans son altitude rigide. Elle eut l'ob-
session du terrible geste funèbre des morls
entre les cierges de la veillée. Elle s'efforçait
de sourire.
— Autrefois, c'était loi... Ahî comme tu
les lui baisais ses mains, à la petite poupée...
Maintenant c'est mon tour... Je suis une ma-
man qui a deux enfants à dorloter.
De nouveau elle lui prenait les mains, les
baisait comme au temps de l'amour, longue-
ment, pour avoir un prétexte à les garder
entre les siennes.
Paul, les dents serrées, l'éiudiait d'un re-
gard aigu.
— Tu ris... Comme tu dois êlre triste!
dit-il.
Une fois qu'elle arrivait sur la pointe des
pieds, croyant qu^il dormait, il ouvrit les
yeux :
— Que viens-tu faire ici? Yiens-tu voir
011 j'en suis?
Doucement elle lui demanda :
— Veux-tu que je m'en aille?
200 L AMAM PASSIONNE
— Oui, c'est cela, j'aime mieux être seuL
Ah cette fois c'était bien fini! La grande
ombre l'avait touché au cœur: elle le sentit
déjà mort dans cette mort de leur grand
amour 1 Elle sortit, dut s'appuyer au mur,
défaillante, sans force pour arriver jusqu'à
la rue.
Tout à coup, dans le silence de la maison,
une porte s'ouvrait : M""' Larue fut devant
elle; c'était la première fois que le hasard
les faisait se rencontrer. Madeleine eut un
cri. landis que M™' Larue, surprise comme
en faute, toute raide, s'effaçait contre le
mur pour la laisser passer. Il y eut alors de
la part de Madeleine une chose très belle, à
laquelle jamais ni l'une ni l'autre n'auraient
pu penser. Elle fléchit le genou :
— Oh î Madame...
E!le ne trouvait rien autre chose à dire,
et, ayant pris la robe de M""' Larue entre
ses mains, elle la porlait à ses lèvres.
— Mon pauvre fî! gémit celle-ci.
Elle avait tiré son mouchoir, et elle qui,
depuis longtemps n'avait plus pleuré, main-
tenant avait un petit sanglot sec comme un
hoquet.
Elle se moucha, aperçut Madeleine à ses
pieds.
L'AMANT PASSIONNE 261
— Levez-vous, Madame.
Un râle leur arri^a, le déchirement dune
toux par delà la porte. Madeleine Iressaillii,
resta tournée vers la chambre, son cœur
arrêté. M""" Larue leva la main vers le ciel
sans rien dire. Et puis, d'une politesse un
peu cérémonieuse, elle la faisait entrer dans
le petit salon. Toutes deux s'assirent l'une
devant Tautre. Madeleine, toujours, croyait
entendre le grelottement de la toux derrière
la porte.
La mère, toute droite dans son fauteuil,
ienait son front penché vers le tapis. Made-
leine avait une douceur à pleurer sans bruit
près d'elle. Soudain, dans le silence froid
de la pièce, elles s'aperçurent; elles ne
s'étaient pas encore regardées jusque-là.
Madeleine eut un saisissement à voir ce
grand visage dur, si différent de celui qu'elle
lui croyait. M""' Larue, sans un pli aux joues,
étudiait la femme qui lui avait pris son fils.
Elles se jugèrent, et aucune des deux ne
parlait. Madeleine avait mis, ce jour-là, pour
faire des visites, une de ses toilettes les plus
claires. Elles se regarda dans la glace, vit
les plumes roses de son chapeau dans les
demi-teintes de la pièce; et une petite honte
lui venait près de la mère tout en noir.
262 L" AMANT PASSIONNÉ
Cinq heures sonnèrent et lui firent cinq
blessures au cœur, a Mon pauvre cht^ri, il
faut bien que je te quitte )^, se dit-elle comme
s'il eut été là, comme elle le lui avait dit si
souvent autrefois, en entendant sonner la
même heure par-dessus leurs baisers. Et
c'était, comme alors, l'éternelle visite à faire,
le monde, la vie qui se rappelaient à elle. Elle
se tamponna les yeux avec son tortillon de
mouchoir parfumé. Toutes deux presque en
même temps se levèrent. Elles se retrou-
vèrent droites l'une devant l'autre comme
dans le corridor, tout à l'heure, mais l'émo-
tion était passée.
^P" Larue, impassible, sans regard, atten-
dait qu'elle parlât. Madeleine chercha un élan.
Elle ne put rien trouver, l'âme gelée, à bout
de force. Elle tendit sa main restée gantée.
— Oh! Madame! merci... Si vous saviez
comme je suis malheureuse...
— Madame...
Les lèvres longues et minces de M""' Larue
se refermèrent comme sur un secret. La
mère aussi élait malheureuse; mais sa dou-
leur n'éprouvait pas le besoin de parler. Ma-
deleine eut le sentiment que ses gestes à elle
étaient compassés et qu'elle ne ressentait
LAMAM PASSIONNE 263
— Mon Dieu 1 j'éloufie, pensa-t-elle en fai-
sant un pas très vile.
Elle avait hâte d'èlre deliors. Mais encore
une fois le râle moulait du fond de Tappar-
lemoul. Elle se retourna.
— Ohl olil fit-elle secouée dun long-
frisson.
— Oui, dit sèchement M™' Larue, depuis
Tautre jour ça ne finit presque plus.
CHAPITRE XXVII
Un matin, on remettait à l'adresse de
M""' Cormont un petit paquet; elle reconnut
l'écriture de Paul et monta l'ouvrir dans
sa chambre. C'était un mouchoir maculé de
rouge, le même mouchoir qu'elle lui avait
envoyé arrosé de ses larmes. Un billet
l'accompagnait. « Tu m'as donné tes pleurs,
VOICI mon sang. »
Elle devina qu'il l'avait pris à ses lèvres,
tout chaud et empoisonné. Une seconde, elle
regarda avec stupeur le mouchoir, puis
d'un mouvement de révolte et de colère,
elle le jeta à terre devant elle.
— Oh! cria-t-elle affolée, se cachant la
tête dans les bras.
23
2Ô6 LAMAM PASSIONNE
il sembla , en lui envoyant cette chose
de sa vie^ avait voulu lui reprocher sa morl.
Elle vit toute sa haine , elle sut que des
deux elle seule aimait encore. Et c'était
comme tout son sang à elle-même qui lui
sautait à la gorge, dans le saisissement et
Teffroi des taches dont se poissait la ha-
tiste.
Elle ne voulut plus rien regarder; elle
se laissa tomber dans un fauteuil, resta
longtemps hébétée, toute froide, sans pensci\
Et puis, du fond d'elle-même montait une
idée, une idée qui jamais ne lui était venue :
après tout, lui parti, ce serait pour deux
la délivrance. « Mais c'est affreux, son-
gea-t-elle; moi qui donnerais ma vie pour
lui ! »
Elle se leva, se mit à marcher dans la
chambre; et puis elle faisait jouer le robinet;
Feau tournoyait. D'un mouvement incons-
cient, toute frémissante, avec un dégoût
d'elle-même, son peignoir tombé, elle s'épon-
geait nerveusement.
— Ahl mon Dieu! Mon Dieu, disait-elle
toujours, de la voix machinale des grandes
crises.
Elle sonna la femme de chambre, se lit
apporter des costumes :
i;aMANT passionne 267
— Non pas celui-là... iN'imporle lequel,
mais un autre plus foncé... Vile, je suis
pressée.
Elle n'avait plus qu'une pensée, prendre
une voiture, le voir; et elle se laissait coif-
fer, habiller, sa vie déjà parlie là-bas, avant
elle.
— Dépêchez-vous, voyons...
— C'est que Madame ne sort jamais si
malin.
— Maintenant un chapeau... pas de
j)lumes.
— Madame va voir un parent malade ?
Elle tressaillit, se jela de la poudre sur le
nez, les joues, autour des yeux, à coups
pressés de sa houppe. Elle fixait ensuite les
épingles dans son chapeau.
« Pourvu que je trouve tout de suite un
fiacre », pensait-elle.
Il en passa un.
— Madameest là?demandail-elle à Toine
qui lui ouvrait.
— Xot'dame est sortie... Elle es,t allée
taire son marché comme sur l'ordinaire...
J'vas à voir à vous m'ner : s'pourrait qu'i
dorme, not' cher Monsieur.
— C'est cela, oui, bonne Toine... Dites
que c'est moi, que je ne le dérangerai pas
268 L'AMANT PASSIONNE
longtemps, que je tiens absolument à le
voir... J'aLtendrai ici... Allez vite.
Toine glissa dans ses socques; mais déjà
Paul avait entendu la voix de Madeleine et
criait :
— C'est elle, Toine? Oh I oui, qu'elle
vienne I Qu'elle vienne!...
Elle entrait sur la pointe des pieds. Elle
fut une vision de joie et d'été dans l'ampleur
d'un grand bouquet de roses qu'elle tenait
dans son bras. Il entendit le froissement de
ses jupes ; et aussitôt il se levait sur un coude,
se tournait vers elle de tout son buste. Un
immense bonheur amolhssait la fièvre de ses
sclérotiques, dans la maigreur brûlante de
son visage. Il regarda, ébloui, les roses.
— Oh ! la vie, la vie !
Elle, toute pâle, remuée d'angoisse, de
crainte, de joie^ souriait à la fois et pleu-
rait.
— Chéri... chéri !
Elle ne savait plus s'il l'avait haïe; elle
savait seulement qu elle l'aimait toujours du
même amour.
Elle disposa les roses sur une chaise, ôta
son chapeau, déchira avec les dents ses
gants pour être plus vite à lui; et il lui ou-
vrait ses bras. L'effort le fit retomber; elle
I/AMANT PASSIONNÉ 269
>e mit à genoux près du divan; il put ainsi
la reprendre conlre lui.
— Pardon ! ô pardon!... J'étais fou, c'était
la première foi-;... J'ai cru que j'allais mourir
sur l'heure. El alors une rage m'a pris... J'ai
vu rouge... C'est après seulement que j'ai eu
le sentiment d'avoir commis une mauvaise
action..., une làclielé, oui...
Elle lui toucha la bouche :
— Tais-loi, c'est passé... Mais tout de
même, ali 1 mon chéri, jamais tu ne sauras
ce que j'ai soufïerl dans cette minute hor-
rible !
Paul était retombé ; il secoua la tête, lui
caressa les cheveux de ses longues mains
pâles. Et, avec un grand calme, il lui di-
sait :
— C'est que..., je puis bien te le dire
maintenant, il n'y a plus d'espoir... Ma pauvre
Madeleine, je partirai bientôt !
— Tais-loi!... Je ne veux pas!... Tu ne
partiras pas sans moi!
Elle eut une crise de sanglots; et à son
tour elle l'avait pris dans ses bras; elle se
roulait dans sa poitrine, baisait ses habits^
d'une frénésie de douleur, criant toujours :
— Non, non, je ne veux pas !...
Paul, avec l'air détaché des malades sui-
23.
270 L AMANT PASSIONNÉ
vaut leur idée, attendait que ce grand éclat
fût passé et puis disait :
— Yois-tu. il n'y a rien à faire à cela...
Je meurs de ma vie... Je t'ai trop aimée.
Madeleine...
il ne la regardait plus, fixait devant lui des
yeux vitreux. Par moments il se passait la
langue sur ses lèvres sèches, avec, ensuite,
de petits crachotements dégoûtés, comme
s'il y retrouYait Tâcreté iodurée du sang.
Elle s'abandonna, tassée sur ses reins, les
mains molles et traînant à terre, rebon-
dissante à la secousse nerveuse, automa-
tique de ses sanglots épuisés. Un silence
comme une porte retomba. Elle avait mis
son mouchoir entre ses dents ; elle fut
ainsi bien plus terriblement muette. Et lui
semblait Fécouter se taire derrière un bâil-
lon.
— Mais crie donc, fit-il à la fin... On
n'entend plus que le temps... le temps qui
ne cesse pas de marcher... Madeleine, pour-
quoi te tais-tu ?... Ah ! oui, c'est que tu sais
bien, toi aussi^ (juil n'y a plus rien à faire,
que tout est fini... Parle, je t'en supplie,
dis quelque chose... C'est horrible, ce si-
lence...
Là-dessus, il l'attirait, s'accrochait à elle
LAMANT PASSIONNÉ 271
(lu tâtonnement épars de ses doigts à ses
épaules et à sa taillée
— Je ne veux pas, ne me laisse pas par-
tir... Je suis trop jeune, je t'aime trop...
0 Madeleine, retiens-moi, j'ai si peur!
— Mais tu ne partiras pas... Est-ce que je
pourrais vivre sans toi?
Elle se haussa sur ses genoux, lui tendit
sa bouche; mais il retirait la sienne, détour-
nait la tête :
— Ne m'embrasse pas... Tu as une en-
fant!
Elle eut le cri de l'amour.
— Mais, toi, n'es-tu pas mon amant?
La passion se réveilla; il lui prit follement
la tête et la couvrit de baisers. Leurs lèvres
se joignirent : à longs traits il y but la vie;
elle y buvait la mort.
Il sembla vivre toutes les heures passées
dans l'heure merveilleuse.
— Oui, tu es mienne. Hien ne nous désu-
nira... Qu'importe ma vie, puisque j'ai la
vie à toi!... 0 mort! frappe, emporte-moi
tout de suite, sa bouche sur ma bouche.
Une sensibilité redoutable l'exaltait. Dans
Tamour, la fièvre, il eut une minute d'énergie
suprême qui lui rendit la beauté jeune et
emportée des premiers temps de leur amour.
272 L'AMANT PASSIONNE
— Te rappelles-tu Tomelette au lard chez
la paysanne? Quel joli jupon de soie rose,
brochée de fleurs de pêcher, tu avais ce
jour-là! Tu disais : « Jamais je n'ai mieux
déjeuné... 11 me faudrait si peu de chose
pour vivre avec toi. )> Dis, l'as-tu toujours,
ton jupon rose? Promets-moi de le mettre
quand lu reviendras.
Soudain elle vit se décomposer son visage;
une angoisse lui révulsa les yeux; et il
n'avait pas le temps de saisir son mouchoir:
le flot jaillit.
Elle perdit la tête, courut à la porte.
— Toine ! Toine!
Celle-ci arrivait et lavait avec Téponge le jet
rouge sur le divan et les habits. Elle lui
mouilla ensuite d'eau de Cologne les coins de
la bouche, les tempes, le nez, dans un simu-
lacre de toilette funèbre qui tordit le cœur
de Madeleine debout, hébétée, sans forces, les
mains croisées.
La mort avait passé et ne s'en allait pas
tout à fait. Paul était retombé, inerte, les
yeux fermés, un creux profond aux joues où
bridait la peau, sa maigre poitrine soulevée
de râles précipités qui lui sculptaient les
côtes.
Machinalement Madeleine avec son mou-
LAMANT PASSIONNE 273
choir se purifiait les lèvres; et puis, comme
si Paul fût mort réellemenl, elle commença
de dire des prières, d'un claquement de
salive léger à la bouche, dans le grand
silence de la chambre. Elle ne se rendait
plus compte de ses actes.
La porte était resiée entr'ouverte; elle
entendit un pas qui venait. Elle tourna la
tète, eut un saisissement en voyant s'appro-
cher la grande silhouette noire de M™" Larue.
Celle-ci entra, lui fit un salut, vit l'éponge,
la cuvette ensanglantée. Elle devina le drame
et alla vers le divan, droite, sans une parole.
— Maman! dit Paul qui la sentit près de
lui et ouvrit les yeux.
— Oui, mon fi, c'est moi, ta maman.
Il lui lendit la main et elle la gardait hu-
mide, glacée, dans la chaleur des siennes.
Madeleine, restée debout au chevet, eut le
sentiment que c'était elle qui aurait dû être
là, près de lui, le réchauffant de sa vie jus-
qu'au bout.
Déjà, dans l'hallucination des ombres, il
semblait l'avoir oubliée. Il demeura assez
longtemps immobile, étendu de son long,
dans une grande paix. M"' Larue toujours
lui tenait les mains dans les siennes. Le vent,
par la lenêlre ouverte, glissait jusqu'au bon-
274 L' AMANT PASSIONNE
quel glorieux sur la chaise : toute la chambre
fut pleine de leur odeur. Tout à coup, dans
le silence lourd et chaud, un cœur de rose
se défit. Jl Tenlendit rouler et ouvrit les
yeux.
— Otez-les... Je ne veux plus les voir,
cria-t-il.
Les roses qui avaient été sa joie autrefois,
qu'il aimait tant au temps de la robe rose!
AP"" Larue,en emportant le bouquet, passa
devant Madeleine et ne la regarda qu'un
instant, d'un œil presque sans expression,
mais où M""' Cormont vit le triomphe de la
mère. Elle fut un inslant seule près de Paul.
— Au revoir, mon chéri, dit-elle en lui
baisant le front.
Il la regardaiten souriant, mi-endorrai. Et
un mot doucement lui venait aux lèvres :
— Petite poupée...
CHAPITRE XVIII
— Madame, laissez-moi Fembrasser une
dernière fois...
La mère, toujours impassible, les yeux
seulement plus enfoncés aux creux noirs des
orbites, sans un mot s'était écartée du lit.
Madeleine alors à petits pas lents était
venue jusqu'à lui; elle l'avait longtemps re-
gardé, le visage tout près du sien, la bouche
ouverte, aspirant l'illusion de son souffle.
Elle était toute glacée au dedans, avec le
tremblement d'un grand frisson qui ne finis-
sait pas. .
Elle crut qu'elle allait mourir aussi : elle
fit mentalement une prière. ^
— Mon Dieul ayez pitié de moi... j'ai un
276 L'AMANT PASSIONNE
mari et une enfanl... Si j'ai péché, que du
moins ils ignorent combien je fus cou-
pable. Accordez-moi la grâce, Seigneur, de
ne mourir que chez moi.
Ensuite, en fermant les yeux, comme
quand il lui prenait la bouche, elle avançait
les lèvres et se mettait à baiser son front, ses
paupières, ses joues. Elle ne savait pas qu'elle
s'élait couchée sur lui, les seins écrasés con-
tre sa poitrine. Dans le désordre de la mort,
celle-ci était resiée demi-nue sous l'écarte-
ment de la chemise.
— Paul... mon Paul, disait-elle sans fin.
iM*"* Larue apporta les draps. Toine dans
la commode prit une chemise empesée.
Madeleine reconnut une de celles qu'elle lui
avait achetées récemment. Elle aimait lui
voir le luxe d'un linge délicat comme le sien.
Elle eût voulu les aider à l'ensevelir dans
cette chose venue d'elle et qui lui resterait
pour Télernité. Cette idée lout à coup lui
tournant le cœur, elle eut une crise de
sanglots : elle n'avait pas pleuré jusque-là.
Maintenant toutes deux près du corps atten-
daient.
Elle tomba à genoux, les mains jointes
par-dessus les draps et une seconde encore,
elle restait là, priant pour celui qui l'avait si
1. AMANT PASSIONNE 277
follement aimée et qui, à peine refroidi, déjà
n'était plus à elle.
M""" Larue du doigt lui toucha Tépaule. Elle
tressaillit, se releva. Elle avait vaguement
conscience que, lui parti, elle n'était plus
rien dans cette chambre où, sitôt qu'elle lui
arrivait, il Tenveloppait de sa grande caresse
charmée qui lui donnait les affres d'une petite
mort délicieuse.
Elle eût voulu trouver une parole; ses lè-
vres s'ouvrirent; elle dit seulement :
— Madame...
Et puis elle s'inclinait profondément de-
vant AP* Larue et quittait la chambre en
glissant comme une ombre, les mains tâton-
nantes devant elle.
Elle revint le lendemain, à la tombée du
soir, après les dernières visites d'amis. Elle
demeura longtemps devant le lit , agenouillée,
immobile, disant les prières. Elle ne cessait
pas de regarder son visage redevenu beau à
travers le calme énorme de la mort. Cepen-
dant le pH amer des joues n'avait pas disparu
par delà la vie et semblait éterniser sa souf-
france. Comme elle l'avait fait souffrir î
Comme elle s'en voulait d'avoir été frivole
et légère à côté de ce grand amour!
M"' Larue une seconde la laissa. Aussitôt.
278 L'AMAM PASSIONNÉ
avec une volupté funèbre, elle lui baisait la
bouche qui Tavait elle-même tant baisée, les
yeux qui insaliablement s'étaient émer-
veillés d'elle, la poilrine où son cœur avait
dû mourir avant le reste pour avoir battu
d'une force surhumaine. Tout cela, les
grands frissons, les désirs, toutes les foHes
de leurs trois années d'amour, était là, dans
l'allongement rigide de ce corps qui avait été
jeune, ardent et souple comme une vigne,
avec la floraison des baisers et des caresses à
la bouche et aux mains, et qui maintenant,
aux terreaux pourris de la mort, germait
pour la décomposition finale. En s'en allant
elle ne pouvait chasser de ses narines l'odeur
subtile, empoisonnée, respirée avec la sen-
teur des cires.
Quand tout fut fini, elle s'étonna de se
retrouver encore vivante, avec un grand
trou vide au cœur de sa vie. Elle faisait les
gestes qu'elle avait toujours faits. Elle allait
chez la couturière comme par le passé ; elle eut
pour le monde les mêmes jolis yeux de pou-
pée où il avait tant regardé jouer les petits
sables d'or. Et seulement elle ne se sentait
plus vivre. Paulette elle-même lui était
devenue inditTérente. Ce fut celle-ci qui la
première s'aperçut que ses cheveux avaient
LAMAM PASSIO.VNK 270
blanchi aux lempes. Elle ne l'avait pas re-
marqué. Elle sourit, en conçut un bonheur
mélancolique. « Je porterai du moins son
deuil en blanc », pensa-t-elle.
Elle n'avait pas eu à se plaindre de son
mari. Cormont, pour Tancien stagiaire et
l'ami, manifesta des regrets décents. Il avait
été un des trois orateurs à la mortuaire ;
Madeleine n'avait pas même songé à l'en
dissuader. Tout ce jour-là, elle était restée
en proie à un terrible désespoir. Il ne sut pas
qu'elle avait voulu demeurer jusqu'au bout
dans la chambre, près de la bière. Elle l'avait
embrassé une dernière" fuis à travers les ais
de chêne et les boulons de cuivre... Puis les
hommes étaient venus : on avait cloué des
tentures, posé les tréteaux, allumé les lam-
padaires. Toine l'avait fait monter dans un
fiacre : elle avait passé une après-midi d'a-
gonie chez la bonne Angèle.
Quand elle était renirée, Cormont l'avait
embrassée.
— Je sais que lu Taimais bien... Eh
bien, que ce te soit une consolation, tout
s'est bien passé... Beaucoup de monde, tout
le barreau... Moi, j'étais en voix.
11 était content de l'effet de son discours.
Paulette, elle, pendant deux jours, s'était
280 LAMAXT PASSIONNE
tenue repliée dans son mystère de petite
âme obscure. On ne sut jamais ce qu'elle
avait pensé... Elle regardait curieusement
sa mère, el, comme il lui était venu une pe-
tite irritation de la gorge depuis un peu de
temps, quelquefois elle toussait. Mais le
troisième jour elle alla chercher toutes ses
poupées : elle les embrassa longtemps, et
puis, avec un rire sauvage, elle se mit à
leur casser la tète contre le mur : « Je ne
veux plus aimer que maman ». criait-elle à
chaque tête qu'elle cassait. Quand le mas-
sacre fut fini, elle s'assit au milieu des
débris et se mit à pleurer toujours plus fort,
la tète roulée dans leurs petites robes.
Madeleine reprit sa vie sans pouvoir se
reprendre à la vie ; elle alla en visites, chan-
gea de toilettes, fut de toutes les fêles comme
s'il était toujours là, à l'attendre, l'oreille ten-
due au roulement des fiacres dans la rue. On
remarqua seulement qu'elle, qui aimait les
plumes roses à ses chapeaux, en avait changé
la couleur. Elle avait retrouvé dans ses mises-
bas les restes du jupon à fieurs de pêcher dont
il lui avait parlé si amoureusement, un peu
avant la fin. Avant de se coucher, elle les re-
tirait de l'armoire et les étendait sur son lit.
Elle n'eut plus que la nuit pour pleurer ; elle
L'AMANT PASSIONNÉ 281
pleurait souvent jusqu'au jour. Elle avait
toujours son affreuse toux clans les oreilles ;
sans le savoir, quelquefois elle toussait
comme lui. Elle eut voulu dormir toute une
semaine, pour ne plus l'entendre du fond de
sa grande lassitude d'ame et de corps. Elle
pensait : « Etre un peu morte à côté de lui! '
Angèle, toutes les semaines, allait poui-
elle renouveler les gerbes de fleurs sur la
tombe... Leur vieille amitié s'était faite plus
tendre. La petite maîtresse de piano eut des
soins vraiment attendris pour cette douleur
d'une amie.
Madeleine n'avait plus revu M""' Larue :
elle sentit que la mère farouchement avait
replié sur elle-même un des plis du suaire
où de ses vieilles mains courageuses elle
avait pour jamais couché l'enfant de son
adoration et de ses espoirs. Madeleine l'avait
plainte et l'avait jalousée : elle était la fa-
mille qui à ses bras d'amante avait arraché
l'homme qui était sa vie. Elle se rappela
qu'une fois Paul lui avait dit :
— Qui sait? Peut-être il arrivera un mo-
ment où la famille voudra te reprendre à
moi, toute chaude encore de nos baisers, où
elle brisera nos deux cœurs pour les offrir
en holocauste à l'ordre social.
■282 L*AMA>T PASSIONNÉ
C'était sa mère, à lui, qui l'avait repris.
Puis le temps fit son œuvre : la part de
vie qu'elle lui avait donnée commença à se
ressouder à l'autre, à celle qui était sa vie
régulière d'honnête femme. Elle fut plus près
de son mari et de sa fille ; sans rien perdre
de sa douleur, Madeleine se vit moins mal-
heureuse. Elle éprouva vaguement, à ne plus
être ohligée de toujours mentir, une impres-
sion d'allégement. Des choses mortes en elle
se réveillèrent ; son cœur, comme un caïeu
au fond d'un pot, se remit à germer aux pe-
tites joies médiocres, aux vanités, à la vie
qui remontait. Sa dévotion aussi avait aug-
menté; elle priait surtout pour le repos
éternel de Paul; elle commença à le sentir
moins mort en elle ; la funèbre image s'es-
tompa ; elle le revit tel qu'elle l'avait aimé
aux belles heures et tel qu'elle voulait l'aimer
toujours. Elle eût connu ainsi un état d'es-
prii apaisé si la santé de Paulette n'avait
aggravé ses inquiétudes. Vers le milieu de
l'hiver, elle frissonna de l'entendre tousser
comme toussait Paul.
Le médecin avec prudence s'euquit s'il
n'y avait pas eu de malades dans l'ascen-
dance.
Madeleine resta morte une seconde.
I.AMANT 1»A>.>1*»M:: 2s i
— Docteur...
Elle le fit passer dans la chambre voi-
sine.
— Je vous en supplie, dites-moi tout...
C'est vrai, ma fille a eu autrefois une per-
sonne... oui, une gouvernante... quelqu'un
qui a fmi par cela.
— Pardonnez-moi la question : est-ce que
cette personne avait l'habitude d'embrasser
l'enfant?
— Oui, oui, elle l'embrassait..., elle Tem-
brassait même souvent.
Le médecin eut un geste de la main dans
le vide.
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