Skip to main content

Full text of "L'ami des hommes : ou, Traité de la population"

See other formats


f-  *;■ 


,  1 


f     1 


'f 


V^j' 


•y  .>■ 


s 


s 


> 


*^' 


^S-' 


> 


ia 


4' 


t  •  •'i. 


^«*. 


vi> 


^.:>M^: 


L'AMI 

DES  HOMMES, 

OU 

s 

TRAITE 

DE  LA  POPULATION. 

NOUVELLE  EDITION, 

Augmentée  d*une  quatrième  Partie 
ôc  de  Sonàriiaires. 

PREMIERE    PARTIE. 


wz  SEPT  çmr  cmgy.i^m^_mi/F^ 


r 


M' 


'V 


2'* 

'  ^'^  mm  é%  ^^  ^^ 


AVERTISSEMENT. 


T'ENTREPRENDS  de  traiter 
4/  ici  /e  /?/«5  «ri/tf  &  le  plus  in-^ 
térejjant  de  tous  les  objets 
d* ici-bas  pour  Vhutnanïté^\2i  Po-* 
puîation.  Prefqu' autant  de  gens 
ptnfeht  eh  connoître  les  principes 
moraux  \,  qu'il  y  en  a  qui  en  em-^ 
ploient  les  reports  phyfiques  i  & 
cependant  j' annonce  que  mes  prin-^ 
cipes  -,  que  je -crois  vrais  ^  font 
ainjî  que  rrîes.conféquences  y  dia-^ 
métralement  oppofés  a  prefque 
toutes  les  idée ^  que  j'ai  trouvées, 
^dans  le  monde  fur  ce  Chapitre^ 

Toutes  les  fois  que  dans  lescon* 
verfations  j'ai  hai^ardé  ctavancer 
^luelques-unes  de  mes  idées  à  cet 
igard  j  j*ai  vu  d'abord  qu'elles 
fLoient  regardées  comme  le  plus 

ai; 


■fr^il 


îv    AVERTISSEMENT. 

étrange  paradoxe^  Quand  enfuke 
mes  audiieurs  ou  ma  propre  vi^ 
vacité  m^ont  donné  le  temps  d^éta* 
hlir  mes  principes  ^  6*  d'en  motiver 
les  conféquences  jfai  vu  très-promp-* 
tement  l^effet  de  la  démonjiration, 
dans  ceux  qui  niécoutoient  ;  mais 
ce  n'ejl  point  ainji  que  les  idées 
générales  peuvent  être  déracinées  r 
je  le  fçais  ^  &  en  conféquencc 
n'ayant  jamais  confacré  mon  loifir 
qu'à  l'utilité  j  je  crois  pouvoir 
mettre  au  nombre  des  ouvrages  qui 
fontfortis  de  ma  plume  inconnue  , 
&  qui  m'ont  donné  lefecret  plaijir 
de  les  voir  quelquefois  réujjir  j  un 
Traité  fur  cette  matière  j  oà  mey 
idées  foient  en  quelque  forte  déve- 
loppées, C'ejl  ici  qu'on  pourra  mt 
juger.  Qui  m'aura  lûjufquati  bout 
me  lira  peut-être  enfuite  par  par 
celles  j  qui  ne  me  lira  point  ^  m 
met  au  nombre  de  tant  de  boni} 
Ecrivains  ^  que  je  l'en  remercii  j, 
£  avance,  |  ^ 

La  Population  eft-elle  utile  ((l  i 
mvi"**  II'  fi^bk  au  premier  coA  ^, 

'  k 


AVERTISSEMENT.     V 

â^'otil  que  cette  queftion  foit  Véqui" 
valent  de  celle-ci  :  Le  foleil  éclaire- 
t-il  ou  non  ?  Mais  on  verra  que 
^arriverai  d'inductions  en  induc^ 
tionsjufqu'à  une  Morale  Jî  aujlère^ 
que  je  révolterai  bien  des  gens.  Je 
vais  créer  une  infinité  d'hommes  i 
que-  d'embarras  pour  les  gouver^ 
ner  !  Je  vais  les  rendre  laborieux 
&  riches  -  combien  de  gens  m'ont 
dit  fagement  qu'il  ne  falloit  pas 
que  le  peuple  connût  une  aifance. 
qui  le  rendait  inf oient  l  Je  vais 
diminuer  le  nombre  des  chevaux  & 
des  équipages  _,  &  mettre  leur  aug-- 
mentation  au  niveau  de  l'incendie 
&  du  parricide  ;  je  vais  prouver 
enfin  ^  ouï  ^  démontrer  que  le  luxe 
efi  j  proportion  gardée  j  Vabyme 
d'un  grand  Etat  plutôt  encore  que 
d'un  petit.  En  fiuppo/ant  donc  que- 
mes  principes  fiaient  avoués  ^  qu'ils 
fe  trouvent  exactement  liés  les  uns 
aux  autres  ^  &  que  les  conféquences 
en  fartent  naturellement  y  combien 
de  gens  en  qui  la  corruption  du 
cœur  n'a  pas  offufqué  les  lumières 
d€  re/prit  ^  VQudroient  peut-être^ 

•  *  » 


Y}  AVERTISSEMENT, 
revenir  en  arrière  ^  &  foûtenîr  ^ 
attendu  qu'ils  tiennent  dans  t Etat 
actuel  le  haut  bout  ^  que  t  homme 
eji  plus  heureux  étant  au  large  ^ 
comme  on  ejl  aujourd'hui  j  que  s  il 
Je  trouvoit  ferré  par  ma  nouvelle 
peuplade  !  Mes  très-chers&  très" 
doux  Epicuriens  ^  vous  êtes  plus 
dangereux  en  France  ^  que  par^ 
tout  ailleurs^  ou  la  mollejfe  abru" 
tit  s  ici  elle  rend  l'e/prit  faux  & 
délicat  j  &  c'en  ejl  ajfe'^  pour  être 
prophète  parmi  nous, 

Cefi  à  vous  donc  que  je  parle  $ 

&  je  dis  qu'il  eJi  bon  d'être  plu" 

fleurs  erfemble.    i^.  de  peur  d'être 

mangés  des  loups  :  i°,  afin  que  les 

ions  cuifiniers  foient  moins  rares» 

3°.  Que  de  belles  voix  ^  &  de  jolies 

filles  naîtront  parmi  cette  colonie 

que  j'annonce  !  F^oilà  tout  ce  quiE 

vous  faut  _,  je  vous  le  promets  ^'^ 

foye^  tranquilles  ^  &    nous  laijfe^ 

■Jpéculer  j  nous  qui  ne  valons  pas 

la  peine  de  nous  aimer  nous-mê' 

mes  ^  mais  qui  aimons  nos  frères 

&  leurs  neveux  j  qui  aimons  P homme 


AVERTISSEMENT.    vi| 

comme  le  plus  utile  j  le  plus  ai" 
mable  &  le  plus  reconnoiffant  des 
animaux  ,  &  le  plus  propre  à  tout 
genre  deplaifîrs  j  de  travail^  d'em-- 
belliffement  &  d'utilité, 

La  voix  de  Vhumanîté  qui  re^ 

clame  fes  droits  ,  demandoit  un  plus 

digne  organe  j  je  Vai  fenti  ;  mais 

mes  idées  ne  jont  point  celles  d'un 

autre  :  la  vérité  e]i  infinie.  Je  ne 

penjè  pas  avoir  ouvert  la  carrière^ 

je  me  flatte    encore  moins    de  la 

fermer.  Le  dirai-je  ?    /'incognito 

que  je  garde ,  me  facilite  une  forte 

de  relâchement,  C'eft  avouer  que  la 

charité  efi  moins  active  que  r amour' 

propre.  Oh  l  Mes  Semblables  ^  fort'- 

de:^  fur    cet   article  votre  propre 

cœur  y  avant  de  me  jetter  la  pierre^ 

De  tout  temps  je  me  fuis  pref 
crit  de  ne  rien  donner  au  publit 
qui  pût  n  avoir  trait  qiia  moi  ^ 
^eft-k-dire^  a  la  forte  de  confidé- 
rationj  qu'il  eft  naturel  qu'un  Au- 
teur efpere  retirer  de  fon  travaiL 
En  cela  j'ai  plus  conjulté  la  pniz 

a  iv 


^11)    AVERTISSEMENT. 

dence  &  ma  pareffe  j  que  la  mode'- 
ration.  Habitué  à  écrire  très  incor-i 
reclement  ^    les  foins    nécejjaires 
pour  retravailler  un  fiyle  quelque^ 
fois  original^  mais  toujours  louche 
&  défeSiueux  ,  feroient  une  fatigua 
pour  moi  ^  qui  fus  fur-tout  enne-' 
mi  de  la  peine.  Ce  vice  de  Cefprit  ^ 
qui   porte  fur   toutes  fes   opéra- 
tions j  doit  naturtllcment  fe  fairéi 
fentir  plus  défaramageufcmenten' 
core   que  par- tout  ailleurs  j  dans 
un  ouvrage  de  longue  haleine  j  & 
qui  roule  fur  des  quefions  de  rai- 
fonnement  autant  que  fur  des  points 
défait  Le  Jiyle  de  ce  Traité four^ 
mille  de  ce  genre  de  défecluojités  ^ 
je  lefens  autant  que  mes  Lecteurs  ^ 
mais  mes  affaires  &  mes  amis  ont 
hefoin  de  moi  j&  le  peu  de  temps 
qu'on   me   laijffe  ^   eji  mieux  em^ 
ployé  à  compofer  _,  qu*à  n^appe* 
fantir  far  des   révifons  de  ftyle^ 
Parmi  tous  les  défauts  de  celui-ci 
on  trouve  des  traits   &   des  véri^ 
tés.  Celles-ci  qui  font  le  fonds  ds 
cet  Ouvrage ,/bnt aune  importance 
trop  abfolue pour  l'humanité ^poitr; 


"Avertissement.  î^- 

q^e  mon  amour  propre  Je  foit  cru 
autorïfé  à  les  enfeveîir  dans  VoU' 
ML 

Ce  nefi  pas  que  je  regarde  le 
plan  entier  que  je  femhle  pré/en- 
ter^  comme  un  fyfieme  ahfolument 
pratiquable  dans  toutes  fes  parti  es  ; 
je  fuis  peut-être  le  moins  imagi- 
naire de  tous  les  hommes  dans  le 
fait.  Je  penfe  que  tous  les  principes 
établis  dans  cet  Ouvrage  font  vrais , 
&  je  fer  ois  fort  aife  d^  avoir  à  tes 
défendre;  mais  il  ejl  fur- tout  des 
points  principaux  j  dont  la  nécef" 
pté  ejl  urgente  &  abfolue. 

Je  n  offre  pas  ici  une  *  tecturc 
d amufement.  Indépendamment  du 
férieux  du  fujet  ^  il  demeure  dans 
la  façon  dont  il  ejl  traité  ^  un  air 
de  défordre  que  je  nai  pas  eu  la 
force  de  corriger.  Outre  ce  que  mon 
naturel  y  a  apporté  de  ce  genre 
d'imperfeciion  jy  il  eft  dû  encore  a  ux 
variations  furvenues  dans  la  co  k- 
texture  du  plan.  Je  t  entrepris  d'à 
kord  dç,m  la  form€  d\un  Commm 


x'    AVERTISSEMENT. 

taire  libre  fur  un  Ouvrage  exceU 
lent  que  je  pojfédois  alors  en  ma» 
nufcrit  ^  &  que  je  voulais  donner 
au  Public,  Cet   Ouvrage  parut  ^ 
avant  que  j'eufje  entrepris  la  troi- 
Jîéme  Partie  ;  cela  me  détermina 
à  changer  la  forme    d£   mon  Ou^ 
vrage  ^   &  à   rajjembler  fous  des 
titres  à  moi  des  morceaux  épars 
&  négligés  que  j^avois  laijfé  couler 
de  ma  plume,  La  première  Partie 
fe  fent  fur-tout  beaucoup  de  cette 
réfaciion ,  &  je  crains  que  la  forte 
de  déf ordre  _,  qui  y  règne  j  ne  re^ 
bute  mes  Lecteurs,  C'ejl  pour  eux 
plutôt  que  pour  moi  que  je  les  prie 
di  aller  jufqu' au  bout  ^  &  di  attendre 
du  moins  à  ta  troifcéme  Partie  à 
me  juger  définitivement. 


•«^  JBf  ^ 


TABLE 

DES  CHAPITRES 

Contenus  dans  cette premiêrePanîe^ 

Avec  les  Sommaires  des  matières 
qui  y  font  traitées. 

Chap.  I.  Société j  Riche (Jes  ^  Pag.  ï 
Animaux    fauva^es  ,  Animaux 

domeftiques,  z 

Cupidité  &  Sociabilité,  9 

Seul  moyen  d'enrichir  le  peu- 
ple, 14 
■Ncceffaire,  Abondance  ,   Su- 

perfm ,  if 

Ce  que  c'eft  que  la  Richefle  ,  ai 

Chap.  IL  La  mefure  de  la  Sub- 
Jîjiance  efi  celle  de  la 
Population  y  if 

La  multiplication  d'une  efpèce 
ne  dépend  pas  de  fa  fécon- 
dité, 2g 

Moyens  de  fubfifter,  mefure 
de  la  multiplication ,  3  9 

Maifons  Religieufes  ne  font  prin- 
cipe de  dépopuiaûon  ^         44 


TABLE  DES  CHAPITRES. 

Chaf.  IIL    L"" Agriculture    qui 
peutjèule  multirlier  les 
fuhjifiances  ^  ejî  le  pre- 
mier des  ans,  58 

Plus  voys  faites  rappori^er  à  la 
terre  »  plus  vous  la  peuplez,  ^7 

L'Agriculture  ,  de  tous  les  arrs 
le  plus  focia'ole ,  80 

ChAp.   IV.     Avantages   de    la 

France  relativement   à 

r  Agriculture  ^  8 1 

La  France  plus  avanngée 
qu'aucun  autre  Etat  pour 
l'Agriculture,  8/ 

rifle^Gélée,  9^ 

ChAp.  V.  Inconv miens  qui  font 

languir  V Agriculture  _,  95^ 

Plus  une  fociété  s'étend  ,  plus 
l'Agriculture  cefFe  d'y  être 
énervée,  10 i 

Tribunal  de  h  dévaflation,  loy 

Voyage  chez  les  Hottentots  ,115 

Le  plus  ultra  devife  de  l'hom- 
me, iif 

Raifon  de  préférer  les  biens 
en  fonds  de  terre ,  m 

Raifbns  qui  nous  font  dédai- 
gner les  terres,  128 

Déception  fur  l'ancien  état  de 
U  Monarchie  j      '  13 1 


.TABLE  DES  CHAPITRES. 

//  faut  que  les  peuples  /oient 
pauvres ,  axiome  de  gibet ,  i4f 

Difperdiciôn  des  terres  en 
parcs ,  jardins  ,  &-C.  ijq 

Multiplicité  &  trop  grande 
largeur  des  chemias ,  léi 

Chap.  VI.   De  la  nécejjïté  & 
des  moyens  (T encoura- 
ger l'Agriculture  ^      i^§ 
Aimer  les  Grands  ,  Honorer 
les  médiocres  ,    Appuyer 
t\  les  petits ,  i6^ 

Platitude  infpirée  à  un  très- 
grand    &    très  -  excellent 
^-  Pfince ,  17^ 

Ridicule  jette  fur  les  Gentils- 
hommes campagnards,  cri- 
me d'Etat,  i8« 
Apologie  de  la  gaieté  de  la 

tablié,  188 

Çrand  Seigneur  bienfaifant, 

&  campagnard,  i^é. 

princes  avares ,  Peuples  heu- 
reux, 20* 

^HAV.'Vlh  L'emploi  que  Von 
fait  des  terres  dépend 
des  mœurs  &  ufages  ^iii 

■^  . .        Mieux    vaut    entretenir  des 

hommes  que  des  chevaujt,  214 
Nobkffe,  21 4 


TABLE  DES  CHAAITREJi 

L'échange  des  propriétés  n'eft 
point  commerce ,  217^ 

Utilité  de  l'exclufion  des  fiefs 
pour  la  roture  ,  151 

Méfailiances ,  242- 

Capitation  fur  les  chevaux,     i/o 

Où  la  campagne  eft  riante  , 
Profpérité,  257 

Difcoursd'un  barbare  au  Roi,2^2r 

Moins  de  Nobleffe  à  Paris 
qu'il  n'y  en  avoit  autrefois ,  16S 

Paris  s'eft  étendu  en  pierres  & 
jardins  ,  &  nullement  en 
hommes ,  2^9 

Quels  maux  font  les  plus  à 
craindre  dans  une  grande 
Monarchie ,  277 

Palliatifs ,  pire  des  recettes 
pour  Un  grand  Etat,  285 

Population  de  Paris  vient  à 
rien ,  289 

ïnconyénien.s  de  l'inégalité 
des  fortunes,  29} 

Colonne  des  emprunts  ,  co- 
lonne des  rembourfemens  j 
tout  d'un  coté ,  rien  de  l'au- 
tre ,  ^  i9r 

Liberté  confifte  dans  l'autorité 
des  Loix ,  &  dan>^  la  fagelTe 
du  Gouvernement,  505 

Eftime  deseaiplois  en  épargne 
la  folde ,  318 

Le  genre  de  fervices  décide  du 
genre  de  falaires ,  ^zf 


TABLE  DES  CHAPITRES. 

Les  bienfaits  pécuniaires  des 
Princes  n'ont  jamais  fait 
que  des  ingrats  ,  351 

,Chap.  VIII.  Travail  &  Argent,'^  1 5 

Degré  d'efHme  due  à  chaque 
profefîîon,  541 

Suî profufus  ,  al'ienî  appetenSy 
devenu  la  devile  de  tour  le 
monde,  ^6% 

Le    relâche    des  Fêtes   n'efl: 
nuifible  au  travail  que  par      _ 
la  corruption  ,  57f 

Les  richefTes  fe  trouvent  par- 
tout où  il  y  a  des  hommes ,  38/' 


fin  de  la  Table  de  la  /,  P# 


L'AMI  DES  HOMMES, 

O  U    T  R A IT  E 

DE  LA  POPULATION. 


CHAPITRE     L 

Société  ^  Richejjes^ 

Eci  n'efl  qu'une  intro- 
dudion  ,  où  j'établirai 
j  quelques  principes  fon- 
b  damentaux  très-abrégés , 
attendu  qu*ils  font  prefque  tous  re-» 
b.attus,nnaisindtrpenfables  avant  que 
d'entrer  férieufement  en  matière. 

Si  rhomnne  pouvoir  voler ,  je 
airois  qu'il  eft  la  plénitude  du 
régie  animal.  Le  plus  vivace  des 
animaux  ,  il  eft  encore  le  plus 
courageux ,  le  plus  fort ,  le  plus 

A 


1      Traité  de  la  Population 
^     adroir,  le  plus  .nbflinent  ,  &  celui 
de  tous,  qui  fait  le  plus  aifément 
parure  de  tour. 

On  divife  communément  le  ré- 
gne animal ,  pour  parler  le  langage 
des  Phyiiciens  ,  en  deux    genres 
Animaux    principaux  'j  animaux  fauvoses  &c 

fauvages ,  •  ;  n-  r^         j ■    •  r 

Animaux  ^'"'^/û"-^  domejtiquesS^tiXQ  divilion 
iomeftiijues.  eft  défedueufe ,  en  ce  qu'il  eft  peu 
d*animaux  domeftiques  ,  qui  ne 
puiiîènt  devenir  fauvages  :  mais  en 
les  confidérant  d'un  autre  fens ,  on 
les  peut  divi(er  en  deux  claHes  j 
animaux  foïitaires  _,  animaux  fo^ 
cïahlcs.  L'homme  efl:  affurément 
de  ces  derniers.  Il  n'y  a  pas  de 
vérité  mieux  démontrée  que  celle 
qui  Teft  par  les  faits.  Partout  où 
Fonavû  deux  hommes /eulement, 
•on  les  p.  affurément  trouvés  en- 
semble en  même  gîre  ou  repaire. 

l>'in(lin(fl  de  l*animal  foliraire 
lui  nK)ntre  fbn  avantage  à  erre  feul. 
?L*in{lini5b  de  l'animal  fociable  le 
porte  à  faire  nombre  avec  fes  fem- 
iblables.  Jufques-là  Thomme  neâ 
^qu'animal  ;  mais  tout  animal  eS 

âYii^  ^.^  c*eft,€açela..^jîe  riiîfliajft 


Société  ^  niche [j es,  f 

éo  Thomnie  commence  à  fe  dif- 
tinguer  &"  à  s'érendre  jufques  à 
rincelle(5i:.  L'animal  eft  avide  du 
préfent  Se  du  préfènt  momentané , 
rhorame  eft  avide  du  préfenc  Ôc 
fans  bornes: il  Teft  du  palTéjdans 
lequel  il  fe  cherche  des  titres  de 
polîèlîîon ,  des  ayeux  ,  des  anna- 
les; il  Teft  encore  du  futur,  quïl 
ambitionne  au  -  delà  de  fon  éxiC" 
tence.  H  eft  avide  de  tout ,  ôc 
tandis  que  la  naaire  d^une  part  le 
force  à  Ce  réunir  à  Ton  ferablable, 
Tintelled  lui  fait  d'autre  part  fentir 
quil  s'appuie  fur  fon  rival  ,  fur 
l'ennemi  naturel  de  toutes  Tes  pré- 
tentions. 

Ce  n'eft  pas  ici  le  lieu  de  confî- 
dérer  cet  intelled  comme  un  pré- 
fent de  la  Divinité,  deftiné  primi- 
tivement à  des  fondions  toutes 
nobles  &  dignes  de  fon  origine^ 
OLa  trace  d"  cette  inflitution  pre- 
mière fe  montre  à  la  réflexion  » 
plus  encore  qu'à  la  £o\  L'homme 
le*  plus  barbare  s  démêlé  par  des 
yeiix  perçans ,  lailîe  voir  au  Spec- 
tateur le  germe  de  vettus  qui  ns 

À  ij 


^  Traite  de  la  Fopuhtion, 
tiennent  rien  de  la  nature  animale;. 
La  générefiré ,  la  confiance  ,  le 
refpeâ:  pour. les. vieillards ,  ramour 
filial  ,  &  tant  d'autres  ^nc  des 
plantes  étrangères  fur  yn  fol  pat 
lager  nécefîîré  à  un  entretien  jour- 
nalier,,&  qui  marche  à  chaque 
inftant  vers  la  jdeftrudion  ;  mais 
ç'eft  rhomme  brute  que  nous  coii- 
iîdérpns  uniquemenr  en  cet  h\Ç- 
.  t^nr. 

Il  ne  feroit  pAS, étonnant, que  le 
.meurtre  fe  fût  trouvé  entre  les 
4eux  premiers  hommes  égaux  en 
âge  &  en  dignité,  ç.n  eHet,  les 
plus  anciennes  annules  de  l'huma- 
nité nous  l'annoncent  comme  Ijg 
premier  des  .crimes  cont%e  la  ip- 
ciété. 

Il  réfulta  de  ces  deux  principe^ 
contraires  5  &  tous. les  deux  dans 
cla  nature  ,  defquejs  l'un  rapproche 
l*homme  de  fon  femblàble,  l'autre 
Je  lui  fait  regarder  comme  ennemi, 
,.^ue  les  Igîx  concernant  le  partage 
-4çs  bfens ,  ont  dû  être  les  premié* 
•ies  de  toutes  &  les  plus  indifpe^» 


*t--' 


Société  ^  Èîcheffes,  f 

On  en  trouve  en  effer  la  tracé 
dans  toutes  fociétés  préfentes  6c 
partees ,  même  les  plus  informes. 
Dans  les  fociécés  errantes ,  comme 
les  hardes  de  Tartares,  les  campS 
dTndiens  ,  &:c.  qui  tranfmigreiit 
avec  leurs  familles  &  leurs  bèf^ 
îiaux ,  le  Chef  qui  les  conduit  règle 
les  limites  de  chacun  autour  du 
camp.  LesConquérans  partagèrent 
3e  territoire  de  leur  conquête,  les 
Fondateurs  celui  de  leur  ville.  En 
un  mot  5  le  partage*  des' biens  eft 
îa  première  loi  de  la  fociété,  &  le 
tronc,  pour  ainfi  dire  5  de  toutes 
les  autres  \q\%  :  qu'on  né  m'op- 
pofe  pas  l'exemple  dès  Sauvages 
qui  vivent  en  commun  de  lachafïe 
èc  de  la  pêche.  Ces  peuples  doi- 
vent être  regardés  comme  une  feule 
^<.  même  famille  qui  jouit  d'un  ter- 
ritoire immenfe  ,  &  qui  en  difputè 
lés  limites  par  des  guerres  cruelles 
avec  des  familles  voitines.  On 
pourroit  même  afTurer  que  les  Sau- 
vages les  plus  brutes  ont  des  pro- 
priétés reconnues  entr'eux  ,  des 
atcs ,  dès  flèches ,  des  cabanes ,  &:c:;- 

A  iij 

0 


é  Traite  de  la  Populadon, 
La  petireflè  de  ces  fortes  d^objefs 
proportionnés  au  peu  de  befoîns  de 
ces  peuples ,  les  a  dérobés  aux  yeux 
de  ceux  qui  en  ont  parlé  autre- 
ment. 

La  propriété  une  fois  établie  a 
fes  abus,  comnie  tout  ici  bas ,  & 
Tinégaliié  des  fortunes  en  eft  une 
fuite  indifpenfabie.  La  force.  Tin- 
duftrie,  le  bonheur  ,  Téconomie 
groffiiïent  un  héritage,  &  les  dé- 
fauts contraires  diminuent  l'autre. 
Cefl:  ainfî  que  le  territoire  entier 
de  la  fociété  pafle  dans  les  mains 
d'un  petit  nombte ,  &  que  tout  le 
refte  vit  dans  une  forte  de  dépen- 
dance de  ce  petit  nombre ,  foit  à 
fes  gages,  fbit  comme  entrepre- 
neur du  maniement  des  fonds  6c 
de  leur  produit. 

Telle  eft  la  fociété  nai(Tànte  & 
croifTante.  Voyons-la  maintenant 
s'étendre  &  prendre  la  forme  d*Erar* 
Les  Incas ,  feuls  Souverains  qui  (è 
foient  fait  un  grand  Empire  au  pro- 
fit inconteftable  de  l'humanité  j 
réunirent  plulîeurs  de  ces  familles 
errantes  &  fauvages ,  donc  nous 


Société  j  Richejfes,  f 
parlions  tout-à-rheure  ;  donnèrent 
à  chaque  canton  des  loix  utiles  ; 
leur  enfeigiierent  l'agriculture  ;  les 
rafTemblercnt  en  un  mot ,  ôc  firent 
un  corps  immenfe.  Mais  vaine* 
ment  voudroit-  on  maintenir  un 
corps  fans  alimens.  La  nourriture 
de  l'homme  ne  fe  peut  tirer  que 
de  la  terre  -,  la  terre  ne  produit  que 
peu  ou  rien  ,  qui  nous  foit  propre  > 
îans  le  travail  de  l'homme.  La 
population  &  ragriculture  font 
donc  intimement  ôc  néceflairemenc 
iiées  5  &  form.ent  enfembie  l'objet 
principal  d'utilité  première,  d'où 
liai  (lent  tous  les  autres.  Confidé- 
rons  d'abord  la  population  fous  fon 
premier  poin:  de  vue. 

Les  haniaux  ôc  les  villages  fotit 
l'habitation  des  cultivateurs  des 
ehamps ,  ôc  de  ceux  d'entre  les 
propriétaires  qui  font  obligés  de 
les  faire  valoir  eux-mêmes.  Les 
bourgs  font  dune  part  des  villages, 
dont  le  territoire  eîc  plus  connaJ- 
rableide  l'autre,  ils  font  le  féjour 
des  petits  propriétaires  qui  peuvent 
s^écarter  de  leurs  fonds ,  ôc  qui  en 

À  iv 


s     Traité  de  la  Population» 
ont  allez  pour  que  la  rente  que 
leur  en  fait  l'entrepreneur  ou  fer- 
mier 5  les  fade  fubfifter  dans   le 
voifinage  ;  comme  ils    font  aufîi 
Tentrepôt  du  troc  intérieur  du  can^ 
ton  ,  &  de  réchange   du  fuperflu 
avec  le  néce(Tair.e,  qui  eft  Tame  de 
la  fociété.   Les  villes  font  de  gros 
bourgs ,  féjour  de  Tefpèce  des  pro- 
priétaires qui  font  encore  plus  dans 
Tindépendance  que  les  premiers  9 
qui  fe  raiTemblent  pour  le  plaifir 
ou  pour  les  affaires.  Les  villes  font 
aufîî  le  féjour  des  Tribunaux   de 
Juftice,  &  de  tous  les  entrepre- 
neurs de  détail ,  qui  font  employés 
à  fournir  les  nécefîîtés  Se  commo- 
dités aux  habirans  &  aux  étrangers 
que  de  femblables  motifs  plus  paf- 
fagers    attirent   à  cette  efpèce  de 
rendés-vous.    Les  Capitales  enfin 
font  le  fcjour  du  Prince  ,  des  grands 
propriétaires   qu^atrirent  la  faveur 
ôc  les  emplois  dans  le  gouverne- 
ment. Elles  le  font  des  grands  Tri- 
bunaux ,  des  arts ,  de  la  magnifi- 
cence 5  du  fuperflu. 

Tel  éft  le  tableau  extérieur  de  la 


Société  j,  Riche ffes,  ^ 

population.  Ceft  ainfi  que  tduc 
ici- bas  va  par  hiérarchies  &  par 
échelons ,  comme  les  marches  d'un 
efcalier  ,  qui  toutes  font  également 
néceffaires  à  la  perfe6lion  ,  mais 
dont  les  plus  bafles,  indépendam- 
ment de  l'utilité  commune  ,  font 
deftinées  à  fupporter  tout  le  faix 
&  Tenfemble  ,  &  conféquemment* 
méritent  plus  d'attention  ,  à  pro- 
portion de  ce  qu  elles  fe  rappro« 
chent  de  la  bafe; 

Après  avoir  confidéré  îa  fociété 
dans  le  phyfique  5  examinons -la 
maintenant  dans  le  morai. 

La  réunion  forcée  des  deux  mê- 
mes principes  antipatiques  que  J'ai 
notés  ci-defTus ,  fçavoir  la  fociabi- 
Itté  d'une  parc  ,  &  la  cupidité  de 
Tautre ,  caufe  ici  -  bas  les  mêmes 
contradictions.  Ce  font  deux  troncs 
qui  fe  ramifient  à  Tinfini  ;  l'un  porte 
les  vertus,  &  l'autre  les  vices. 

La  fociabilité  a  inventé  &  placé    cupîdîte  i 
par  ordre  l'attachement  à  fes  pro-  ^odabiiuç^ 
ches,  à  fès  amis  ,  au  public,  à  la 
patrie,  au  gouvernement,  &  toutes 
les  vertus  de  détail  qui  iiluflrenc  1^ 

A  T 


lo     Traite  de  la  Population, 
vie  privée,  &  rendent  rhéroïfme 
aimable. 

La  cupidité  vomit  au  contraire 
l'envie ,  Torgueil ,  la  violence  ,  la 
fraude  5  la  ctuauté,  &  tous  les  vices 
qui  déshonorent  Thumanité ,  &  la 
rendent  plus  profondément  incom- 
préhenfible  encore  en  mal  qu'en 
bien.  On  verra  dans  la  fuite  que 
loin  de  profcrire  entièrement  la 
cupidité ,  projet  idéal  fans  doute  y. 
puiique  rien  de  ce  qui  eft  dans  la 
nature  ne  peut  être  détruit,  je  lui 
trouve  une  direction  utile  à  la  fo- 
ciété.  En  effet,  l'Etre  fuprêmen'a 
rien  mis  en  nous  d'entièrement 
mauvais;  mais  dans  la  fpéculation 
préfente  je  ne  confîdere  la  cupidité 
que  telle  qu'elle  fè  montre  à  nous 
par  fes  efîets  les  plus  ordinaires. 

Ce  point  de  vue  nous  meneroîc 
à  Tidée  du  bon  &  du  mauvais 
principe  j  erreur  pardonnable  à 
l'ancienne  Philofophie ,  qui  n'a  voit 
pas  comme  nous  l'avantage  d'être 
guidée  dans  fes  recherches  à  tra- 
vers le  cahos  de  la  nature  humaine 
par  un  trait  perçant  de  lumière 


Société  j  Rîchejfesi  ï  I  ' 
tévélée.  Nous Tçavons  aujourd'hui 
que  ces  deux  principes  du  bien  &c 
du  mal  fi  diftants  en  apparence  3, 
partent  néanmoins  de  la  même 
îbuche ,  fçavoir  d'un  arrêt  de  dé- 
gradation forcée  5  qui  nous  laiflanc 
toute  retendue  &  tout  le  refTorc 
d'une  ame  préparée  pour  une  deP 
tination  tcut  autrement  noble  8c 
pare,  &  y  ajoutant  encore  l'inqùîé- 
tude  proportionnée  m  déplacemeni: 
acftuel  5  nous  a  livrés  d'autre  part 
à  i'épaiflîiïement ,  aux  befbins ,  aux 
erreurs  de  la  matière  ;  de  forte  que 
i'illufion  eft  toujours  en  préfence 
de  nos  defîrs  à  côté  de  la  vérité. 
De  ces  deux  objets  le  fécond  mena 
au  bien ,  l'autre  au  mal  ;  ainfi  notre 
ardeur  à  courir  dans  des  routes  d 
diverfes  part  du  même  principe 
dirigé  finr  la  vérité ,  ou  ép;aré  par 
Tillufion,  c'eft-à-dire,  de  Fimmen* 
iîté  de  l'ame. 

C'eft  ce  qui  a  fait  penfer  avec 
quelque  raifon  que  le  fcélérat  Se 
le  héros  étoient  en  quelque  forte 
de  la  même  étofïe ,  Se  que  l'excès" 
dans  chacun  de  ces  genres  fi  op- 

A  v) 


Ji     Traité  de  la  PopulatiorT. 
pofés ,  fuppofoic  une  égale  force  àé 
reflorcs,  de  la  direction  defqaels 
un  rien  a  fouvent  décidé. 

Cette  vérité  de  fpéculation  eft  de 
toutes  les  connoilTances  la  plus 
utile  dans  la  pratique.  D'une  part , 
elle  nous  rend  dans  la  fociéxé  com- 
patiflants  pour  les  vicieux;  moins 
aufteres ,  moins  durs  ,  plus  hu- 
mains 5  moins  préfomptueux,  moins 
fufceptibîes  d'orgueil  :  de  l'autre  > 
elle  nous  fait  fentir  dans  les  places 
que  les  foins  &  les  travaux  du 
courant  ne  font  qu'un  bas  détail  ea 
comparaifon  du  premier  des  foins, 
qui  eft  le  maintien  des  mœurs. 

En  efîèt,  dès  que  le  Souverain 
(que  je  ne  cite  ici  que  comme  la 
plénitude  de  la  puifïànce ,  compre- 
nant fous  fon  nom  tout  ce  qui  a 
dé  l'autorité  parmi  les  hcmmes  ) 
dès  que  le  Souverain, dis- je,  fera 
perfuadé  que  la  fociabilité  &  la 
cupidité  exiftent  &  fe  combattent 
comme  deux  élémens  contraires 
dans  tous  les  hommes  ;  qu'il  aura 
compris  encore  que  les  mœurs  ^ 
ufages  &  opinions  décident  en  gé'i 


Société ^  Riche (J es,  vy 

lierai  Tinquiétude  humaine  vers 
Celle  de  ces  deux  afFedions  rivales 
qui  (è  trouvent  en  vogue  dans  la 
focîétéj  que  marchant  par  grada- 
tion ;  il  aura  fenti  que  c'eft  lui  qui 
peut  enchaîner  celui  de  ces  deux 
«lémens  qu'il  voudra  ,  <Sc  donner 
carrière  à  l'autre  ,  certainement  le 
réfukat  de  cette  fpécuîation  au(E 
fimple  que  férieufe  fera  d^  ne  fe 
connoîcre  qu*un  devoir  ,  qui  ed 
de  marcher  en  tout  &  par-tout  6>c 
jufques  dans  Tes  moindres  aâ:ions- 
vers  la  fociabilité ,  &  de  fe  détour- 
ner même  avec  afFeâ:ation ,  s'il  eft 
poiîible  de  la  cupidité.  Celle  -  ci 
i/eft  jamais  riche  de^ce  qu'elle 
poffede,  elle  eft  toujours  pauvre 
de  ce  qu'elle  defire.  Dans  les  vues 
de  la  fociahilité  au  contraire  ^ comb- 
ine il  n'eft  queftion  que  de  fe  réu- 
nir ,  chacun  apporte  tranquillement 
{on  contingent  à  la  malle  ;  riche  de 
ce  qu'il  y  fournit,  il  nefl  pauvre 
que  de  ce  qui  manque  à  fon  con- 
frère ;  &  comme  malgré  route  ha- 
bitude de  confraternité,  nos befoins. 
firués  en  la  perfonne  d'aurrui  {bat 


1 4  Traité  de  la  Population^ 
toujours  très -bornés  ,  il  ne  faut 
pour  nous  (àtisfaire  fur  cet  article 
Seul  moyen  que  la  vie  &  le  vêtement.  Il  n'efê 
p/imie^.  ^u'un  moyen  d'enrichir  un  peuple  9 
c*efl:  de  le  tourner  ve^  la  focia- 
bilité.  Ouvrez  les  annales  de  Thu- 
manité,  vous  y  verrez  que  de  tous 
les  peuples  &  dans  tous  les  temps  , 
aucuns  n ont  vécu  plus  durement, 
n'ont  cependant  été  plus  attachés 
à  leur  façon  d'être ,  &  ne  fe  font 
en  confequence  eflimés  plus  riches, 
que  ceux  qui  ont  vécu  le  plus  en 
commun. 

Ce  n'eft  pas  afTez  fans  doute  de 
pofcr  des  principes ,  il  faut  fur-tout 
les  démontrer.  Celui  qui  attribue 
à  la  cupidité  tous  les  maux  qui 
ravagent  la  fociété  ,  trouve  à  cha- 
que inftftnt  fa  preuve  dans  les  faits. 
En  effet,  fi  l'on  excepte  quelques 
palîîons  brutales  (  &  encore  dans 
celles-ci  certain  point  d'abrutifîè- 
ment  )  on  verra  que  tout  le  refte 
vient  de  la  cupidité  ,  du  défit  de 
s'approprier  les  biens  de  goût  ou 
d'opinion, 

La  fuite  de  cet  Ouvrage  >  doaç; 


Société j  R'icheJJes,        If  / 

Tobjet  neft  point  du  tout  de  Faire 
un  traité  de  morale ,  me  donnera 
occafion  de  prouver  cette  vérité 
dans  toutes  fes  branches.  Mais  j'at- 
taque en  ce  moment  la  cupidité 
dans  Ton  fort,  &  je  vais  démon- 
trer qo*elle  nous  égare  ,  même 
dans  la  recherche  de  ceux  des  avan- 
tages phyfiques  dont  elle  fait  le 
plus  de  cas ,  Je  veux  dire ,  de  la 
richelie.  Il  réfultera  de  cet  exa- 
men une  définition  précife  de  ce 
que  c'eft  que  richefTe  pour  un  Etat^ 
ce  qui  remplira  en  entier  Tobjet  de 
ce  Chapitre. 

Qu*eft  -  ce  que  la  riche(Tè  t  Ce 
devroit  être  la  pofleiîîon  des  biens 
d'ici-bas.  Si  c'eft  cela ,  la  fociabilité 
eft  toujours  riche  ,  &  la  cupidité 
jamais. 

Le  néceflaire ,  l'abondance  &  le    Niceflàîie^ 
fuperflu  font ,  en  fait  de  biens, ce  Abondance, 
que  font ,  en  ftyle  de  grammaire ,  ^  ^^P^^^^ 
le  pofitif  5  le  comparatif,  &  le  fu* 
perlatif.  Le  premier  eft  la  bafè  des 
deux  autres  qui  fans  lui  portent  en 
Tair.   Examinez  les  calculs  de  la  - 
cupidité  ,  ils  prennent  l'échelle  à 


IS  Traité  de  la  PopulcLtloni 
rebours.  Ces  trois  ordres  de  bietiâ 
font  de  telle  nature  qu'on  ne  les 
voit  que  du  bas  en  haut.  C*efl:  dans 
les  entraves  de  la  nécelîîté,  que 
le  nécefïàire  eft  un  objet  d'ambi- 
tion. Le  nécellaire  délire  Fabon- 
dance,  &  l'abondance  le  fuperflu> 
mais  ce  dernier  ,  d'autant  moins 
fatisFait  qu'il  devroit  l'être  davan- 
tage, voit  &  defire  au-delà  de  ce 
qu'il  poiïede  ,  fans  avoir  jamais 
fenti  ni  l'abondance  ni  le  néceilàire.' 
Quel  eft  le  riche ,  interrogé  fur  ce 
qu'il  lui  faut ,  qui  répondra  :  le 
pain  5  le  vin  à  fuffifance  ,  un  habit 
de  laine  Fhiver ,  &  de  toile  l'été. 
S'il  s'en  trouve  un  qui  réponde  de 
la  forte,  examinez  fes  adions,  & 
ne  l'en  croyez  fur  fa  parole ,  que 
quand  vous  aurez  vu  de  près  que. 
rout  ce  qu'il  pofïede  au  -  delà  ,  eft 
aux  fiens  ,  à  (es  amis  i  à  la  Société 
plutôt  qu'à  lui  ;  que  loin  de  fonger 
à-  accroître  fon  bien ,  il  eft  prêt  à 
le  facrifier  au  befoin  d'autrui.  Ce 
riche-là  5  s*il  en  eft  ,  jouit  vérita- 
blement de  ce  qu'il  poftede ,  puif- 
<^u'il  connoît  le  néceiTaire  ^  Taboiiç 


Société ^  Richejjes.  If 
dance  Se  le  fuperflu  ;  mais  rexem- 
pie  ell:  trop  rare  pour  faire  régie. 

Sortons  de  la  thèfe  particulière, 
&  portons  nos  fpécuîations  fur  le 
corps  entier  de  la  Société,  fur  ce 
qu'on  appelle  l'Etat.  Les  trois  or- 
dres de  biens  établis  ci-de{îus  font 
&  feront ,  de  Taveu  de  tout  homme 
fenfé  ,  Tagriculture  jle  commerce, 
les  ihrefors.  L'on  y  trouve  les 
mêmes  qualités  de  proportion  & 
de  progrefîîon  que  j'ai  notées  dans 
leur  emblème,  îe  néceiïaire,  l'abon- 
dance ôc  le  fuperflu. 

Cette  vérité  une  fois  pofée  ; 
écoutons  les  leçons  de  tous  les  prô- 
neurs  de  l'intérêt  ;  examinons  le 
détail  des  foins  des  diffirenrs  gou- 
vernemens.  Vous  y  verrez  préci- 
fément  ce  que  je  difois  tout-à- 
l'heure  5  l'échelle  prife  à  rebours. 
L'argent,  l'argent  ,  diront- ils;  le 
commerce  utile  eft  celui  qui  appore 
de  l'argent  ;  le  commerce  ruineux 
eft  celui  qui  fe  folde  en  argent.  A  les 
entendre ,  l'Etat  le  plus  riche  feroic 
celui  qui  auroit  trouvé  une  mine 
inépuifable  d'or  j  de  s'ils  pouvoieiii 


î8  Trahi  de  la  Population^ 
à  leur  gré  gouverner  les  élément 
pour  s'épargner  le  travail  de  la 
mine ,  ils  obligeroient  Tair  &  le 
feu  de  le  mettre  en  fufion  &  de  le 
vomir  j  comme  le  Vezuve  poufle 
des  matières  enflam^mées,  jufquà 
ce  que  la  lave  eût  couvert  ôc  en- 
durci toute  la  furface  du  territoire 
de  la  patrie.  Se  qu'ils  fufTent  par- 
venus au  fort  du  Roi  Midas. 

Mais,  diront-ils,  votre  compa- 
raifon  pèche  précifément  dans  le 
point  le  plus  effentiel.  Vous  avez 
dit  tout-à- l'heure  que  le  pofïèfleur 
du  fuperflu  ne  regardoic  jamais  en 
arrière ,  &  méconnoiflbit  l'abon- 
dance &  le  nécelTaire  ;  Se  il  faut 
avouer  que  cette  imputation  a  quel- 
que vérité.  Si  votre  figure  étoic 
jude ,  il  faudroit  que  ceux  qui  , 
en  matière  d'intérêt  dT.tat  ,  en 
calculent  la  puilTance  d*après  la 
quotité  de  fon  argent  ,  n*eu(îènt 
aucunes  vues  relatives  au  commet- 
ce  &  à  Tagnculture.  Or  ,  cefh 
précifément  ici  le  contraire.  Nous 
ne  voulons  de  Targent  que  parce 
qu'il  eft  le  fuc  nourricier  du  corn- 


Société  ^  Rtcheffesl  ip 
tnerce  ,  le  repréfentatif  des  facili- 
tés du  troc.  Le  commerce  vivifie 
Tagriculture  ,  en  donnant  un  prix 
ôc  des  débouchés  à  fes  produ6tions. 
Ainfî  la  comparaifon  de  votre 
échelle  renverfée  cloche  à  tous 
égards.  L'argent  eft  la  lève  de  l'in- 
duftrie  ôc  de  Tagriculture  ,  loin 
d*en  être  le  fuperfîu. 

Tout  efl-il  dit ,  Meilleurs  ?  Eft-  - 
ce  bien  là  votre  fyftême  ?  Fixons- 
le  ,  afin  de  ne  point  varier.  Voici 
maintenant  le  mien  à  moi.  L'ar- 
gent n'eft  rien  du  tout  de  fa  natu- 
re. Il  eft  feulement  devenu  ligne 
de  convention  repréfentatif  des 
biens  de  la  vie.  Loin  que  la  mul- 
tiplication du  ligne  donne  des  fa- 
cilités pour  le  troc  &  pour  la  pro- 
dudion  de  la  chofe  fîgniliée ,  il  ne 
fait  qu'embarralïèr  Fun  6c  l'autre  r 
nn  plus  gros  volume  du  figne  en 
repréfente  un  moindre  de  la  chofe 
iîgniiîée  j  c'eft  d'abord  une  incom- 
modité. L'inconvénient  feroit  peu 
confidérable  jufques-là,  mais  voici 
des  maux  réels. 

La  commodité  du  GgnQ  une  fois 


ab  Traité  de  la  Population, 
établi  comme  nature  de  biens  dàrîS 
l'Etat,  fait  tomber  toutes  les  au- 
tres. Les  biens  naturels  de  Tagri- 
culture  &  du  commerce ,  à  fcavoir 
les  denrées  ^  les  marchandiles  ^ 
font  pénibles  à  acquérir ,  fujets  aa 
dépérifïement ,  difficiles  &  embar- 
radfants  à  garder  ,  n'ont  de  prix 
que  pour  celui  qui  en  a  befoi^. 
Votre  Ç\onQ  au  contraire  fe  trouve 
dans  des  mines ,  s'acqùierr  en  vo- 
lant &  en  tendant  la  main  ,  arts  de 
facile  exercice  ;  il  ne  dépérit  même 
point  ,  un  cofFre  fort  Tuffic  pour 
ralTembler  la  plus  grofTe  fortune  : 
le  débit  en  eft  afiuré  à  l'inflant, 
&c  il  prend  au  gré  du  polTefTeur 
toutes  fortes  de  formes.  Il  eft  donc 
dans  la  plus  exacle  raifon  que  le 
iigne  prenne  dans  reilime  humaine 
le  pas  à  tous  égards  fur  la  chofe 
fignifîée  ,  &:  que  la  banque  fafle 
négliger  le  commerce  &  Tagricul- 
îure. 

Ce  n*eft  pa:s  ici  le  lieu  de  dé- 
montrer tous  les  inconvéniens  tant 
moraux  que  phyfiques  de  cette  na- 
ture de  biens  5  combien  elle  écbap- 


.Société^  Rich^JJes,        li 
f)e  au  régime  des  loixi  dans  quelle 
impoffibiilré  elle  met   le  Prince.., 
les  loix  5  la  police  ,  &  enfin  tous 
les  moyens  humains  d'empêcher  le 
monopole  &  la  vénalité  de  la  loi 
même  &  de  la  confcience  ;  quelles 
fecoufles  elle  peut  donnera  TEtat 
en  fau.vant  les  grands  coupables  » 
ou  leur  donnant  du  moins  la  faci- 
lité d'alTocier  leur  fortune  à  leur 
profcription;  combien  elle  efl:  pem 
capable   de  tenir   lieu   des  autres 
biens  dont  elle  ufurpe  la  place  5 
combien  elle  détruit  la  dépendance 
où  le  riche  eft  du  travail  du  pau- 
vre, feul  palliatif  du  mal  véritable 
de  rinégâlicé  des  fortunes  ;  com- 
bien elle  rend  fautif  &  ruineux  le 
tarif  de  la  fubvention   réciproque 
entre  le  gouvernement  &  les  fu^- 
jets  3  tarif  qui  fait  la  principale  artè" 
te  de  la  circulation  dans  un  Etat; 
combien  enfin  jelle  rompt  tous  les 
liens  de  fociabilité   entre  les  ci- 
toyens j  &  établit  la  dureté.  Tin- 
îerêt   &   la  bafTefiTe.     Toutes  ces 
çhofes  viendront  naturelJeiïieniC  M 


%  1     Traité  de  la  Population, 
d'elles-mêmes  dans  la  fuite  de  moit 


ouvrage. 


Il  me  fufEt  maintenant  d'avoir 
fait  douter  un  inftant  du  principe 
de  mes  antagoniftes  ;  je  lui  don- 
nerai encore  une  attaque  feulement 
'  en  établilTant  fur  des  notions  même 
triviales ,  ce  que  c'efi:  que  la  vraie 
nche(ïè. 
Ce  que         La  nourdture ,  les  commodités 

^'^•\  'i&  ^^  ^  ^^^  douceurs  de  la  vie  font  la 
richeffe.  La  terre  la  produit ,  & 
le  travail  de  Thomme  lui  donne  la 
forme.  Le  fonds  Se  la  forme  font 
la  terre  &  Thomme.  Qu*y  a-t'il 
par -delà?  Par -tout  la  forme  efl: 
nécelTaire  au  fonds ,  ici  plus  qu  aii- 
îeurs.  Tant  vaut  l'homme  ^  tant 
vaut  la  terre  ^  dit  un  proverbe 
bien  fenfé.  Si  Thomme  eft  nul, 
îa  terre  Teft  auffi.  Avec  des  hom- 
•mes  on  double  la  terre  qu*on  pof- 
féde,  on  en  défriche,  on  en  ac- 
quiert. Dieu  feul  a  fcû  de  la  terre 
tirer  un  homme  ;  en  tous  rems  & 
en  tous  lieux  on  a  fçû  avec  des 
hommes  avoir  de  la  terre,  ou  du 
;£i3oii2S  le  pioduit  ^  ce  qui  revient  au 


Société  ^  Riche j]es.  ï^ 
même.  Il  s'enfuit  de  -  là  que  le 
premier  des  biens  ,  c'efl:  d'avoir 
des  hommes ,  &  le  fécond ,  de  la 
terre. 

La  multiplication  des  hommes 
s'appelle  Population.  L'augmenta- 
tion du  produit  de  la  terre  s'ap- 
pelle Agriculture,  Ces  deux  prin- 
cipes de  richeilès  font  intimement 
liés  Tun  à  Tautre.  Je  Tai  dit ,  je 
le  prouverai  dans  le  Chapitre  fui- 
vant. 

On  peut  réfumer  de  celui-ci 
que  la  bafe  des  loix  pofitives  eft  le 
partage  des  biens  &  avantages  de 
la  fociété.3  &  le  maintien  des  droits 
de  chaque  individu  à  cet  égard  j& 
que  la  bafe  des  loix  fpéculativesefi: 
la  diredion  de  l'inquiétude  &  de 
l'avidité  humaine  vers  la  fociabi- 
îité  &  la  vérité,  &  le  foin  conti* 
muel  de  les  détourner  de  la  cupi- 
.dité  &  de  l'illufion. 

Princes,  quelques-uns  d'entre 
•vous  ont  aimé  qu'on  leur  dît  qu'ils 
■étoient  les  maîiTes  abfo'us  des  biens 
de  leurs  fujets  ;  fi  jamais  quelqu'au^ 
SXQ  qu'au  Charlatan  déqp,avi,e  Xjé^l^ 


Î4     Traite  de  la  Population, 
kment  ce  fecret-Ià ,  faites  pendre 
le  démonftrateur ,   comme  Ton  fie 
autrefois  celui  qui  avoic  rendu  le 
verre  mallcabie. 

Mais  il  eft  une  autre  forte  de 
bien  qui  vous  appartient ,  &  qui 
vous  alTure  tous  les  autres  5  ce  font 
les  hommes  ;  vous  aurez  tout ,  fi 
vous  fçavez  tirer  parti  de  ce  bien  : 
Tart  de  le  gouverner ,  étendu  dans 
le  dérail ,  eft  très  -  borné  dans  le 
principe.  Animez  la  fociabilité  , 
cpprimez  la  cupidité  ;  Tune  eft  la 
corne  d'abondance,  l'autre  eft  la 
boëte  de  Pandore.  Il  ne  tient  qu'à 
vous  de  verfer  ou  d'ouvrir. 


^^â*   'S* 


CHAPITRE 


Queîle  en  eji  la  mefure,     15 


CHAPITRE    II. 

ha  mefure  de  la  Subjîjlance  eft 
celle  de  la  Population, 

LA  Population  une  fois  recon- 
nue pour  le  premier  des  biens 
de  la  fociéréjil  ell  queftion  de  (cavoir 
d*oû  on  la  tire ,  &  les  moyens  de  fe 
procurer  cette  forte  de  richeiie. 
Dieu  créa  au  même  rems  tous 
^  les  germes  ,  ôc  leur  donna  la  fa- 
culte  de  fe  reproduire  &  de  fè  mul- 
tiplier *,  mais  il  les  rendit  tous  dé- 
pendans  des  moyens  de  fubliftance; 
c  efi:  une  vérité  phyfique  5  Se  dont 
la  démonftration  eft  répandue  fur 
toute  la  furfaçe  de  l'univers.  Tout 
germe  fe  deffiche  &  meurt,  fi  les 
fucs  alimentaires ,  qui  lui  font  pro- 
près  s  n'entourent  Ôc  néçhâuÙent 
les  organes  de  fà  croinTance,  &  us 
fourniilent  à  fa  (ubfîrfanc.e. 

Çefi;  de  ce  principe  fimpîe  & 
vrai  qu'il  faut  partir  pour  calculer 
jufte  fur   la  Population  ,   fur  1^ 
Première  Fartk^         E 


%4   Mefure  de  la  SuhfiflafîCel 
imoyens  de  Tétendre ,  fur  les  vice$ 
iqui  la  reâreignent  &  la  font  laii^ 
guir. 

Il  eft  iinguîier  combien  de  toujt 
ceiBS  on  a  raifonné  peu  confé- 
quemment  fur  cet  article.  Toutes 
les  fois  qu^un  grand  Etat  eft  tombé 
dans  îa  corruption  des  mœurs  >  on 
jS*eft  plaint  de  la  dépopulation.  Les 
fpéculateurs  ont  cherché  le  remède , 
les  Légiilateurs  font  ordonné,  ^ 
îoujours  inutilement.  Pourquoi  ? 
c'eft  qu'on  youloic  traiter  le  mal 
fans  en  connoître  le  principe.  On 
ordonnoit  des  mariages ,  on  récom- 
penfoit  îa  paternité ,  on  flétri(ïbit 
îe  célibat  :  c*eû  fumer  j  c'eft  arro- 
fer  fon  champ  fans  le  femer  9  &  ea 
attendre  U  récolte. 

Demandez  encore  aujourd'hui  % 
lios  fpécuîateurs  ,  pourquoi  la  plu-» 
fart  des  Etats  de  TEurope  fe  dé-? 
peupleiît  viiîblement  ;  les  uns  niô- 
ront  le  fait ,  ce  qui  eÛ  la  méthode 
la  plus  courte  eiî  tout  genre  de 
jàifpute  &  la  moins  digne  de  r.é-^ 
|>liqae  :  le  plus  grand  nombre  con- 

trop  .yifible  pou 


Me  Jure  de  la  'Population,  ly 
erre  contefté  de  bonne-foi ,  en  ac- 
cufera  le  célibat  des  Moines  &  des 
Relîgieufes ,  la  guerre  ,  le  grand 
nombre  de  croupes  réglées ,  la  na- 
vigation ,  les  tranfmigrations  dans 
le  nouveau  monde ,  &  autres  pré- 
tendus vices  de  conftitution ,  dont 
la  plupart  font  au  contraire  de 
nouvelles  racines  de  la  Population  > 
comme  j'efpere  le  démontrer. 

Quelle  eft  donc  (èlon  vous ,  me 
dira-t-on,  la  vraie  caufe  de  la  dé- 
population }  La  voici.  Ceft  la  dé- 
cadence de  l'agriculture  d*une  part, 
de  l'autre  le  luxe  &  le  trop  de 
confommation  d'un  petit  nombre 
d'habitaiîs ,  qui  féche  dans  la  racine 
îe  germe  de  nouveaux  citoyens. 

Je  i^ais  combien  de  préjugés  éta- 
blis cette  opinion  choque  diamé- 
tralement. Que  de  citoyens  enten- 
dus en  efpaliers  8c  qui  dépenfent 
en  ferres  chaudes  5  croient  l'agri- 
culture aulîî  moderne  en  Europe 
•que  la  Philofophie  des  Dames ,  Se 
perfeélionnée  de  nos  jours  plus  que 
jamais  !  Combien  de  calculateurs 
«légans  démontrent  que  la  confom» 


'■%  $  Mefure  de  la  fuhjtjlancé  ; 
tnation  même  de  la  prodigalité  ^ 
ce  qu'on  appelle  luxe  fait  la  pro{-^ 
périté  d'un  grand  Etat  !  Ce  n'eft 
pas  encore  ici  le  lieu  de  Gon^battre 
toutes  ces  iilufions  de  détail  ;  leur 
tour  viendra.  Maintenant  il  eft 
queftion  de  démontrer  mon  prin-- 
cipe,  à  fçavôir,  que  la  mefure  de 
la  Subjiflance  ejl  celle  de  la  Popu^ 
lation,  ' 
La  multî-  Si  ia  multiplication  d'une  efpecâ 
©îication       dépendait  de  fa  fécondité  ,  certain 

d'une  eipèce        ^  .,  •       i  i  i 

ne  dépend  nement  il  y  au  roi  t  dans  le  monde 
pas  de  fa  £é- cent  fois  plus  de  loups  *que  de 
pofldJtf.  jTioutons.  Les  portées  des  louves 
font  trcs-nombreufes ,  &  aufïï  fré- 
quentes que  celles  des  brebis  qui 
n'en  portent  qu'un.  Uhomme  con* 
damne  au  célibat  des  arrnées  de 
moutons  ;  &  je  n'ai  pas  oui  dire 
qu'il  fît  aux  loups  cette  efpece  d'in^ 
juftice.  il  tue  beaucoup  plus  de 
mourons  que  de  loups,  &  cepen^ 
dant  îa  terre  eft  couverte  de^  la 
race  des  premiers  ,  tandis  que  celle 
des  autres  eft  très- rare.  Pourquoi 
ceia  .V  Ceft  que  Theibe  efl  for| 


Me/hre  de  îâ  Toputàtion.  i§ 
Courte  pour  les  loups  ,  &  très-éreiî'* 
due  pour  les  moutons. 

Les  Sauvages  d'Amérique  qui 
ne  vivent  que  de  la  chalTe ,  fone 
réduics  à  la  condition  &  prefqu'à 
la  population  des  loUps.  Un  très-^ 
petit  peuple  de  ces  Sauvages  occupe 
un  territoire  î:jui  bien  culcivéfour- 
iiiroit  à  la  rublifcanGe  d'un  peuple 
jmnienfe^  &  ces  foibles  nations  ie 
font  encore  fouvent  entre  elles  de 
cruelles  guerres  pour  les  limites  , 
mais  leur  Population  qui  n'eft  gênée 
ni  par  le  célibat  ni  par  aucune  régie 
de  continence ,  fe  proportionne  na- 
Êurelleraent  aux  leuls  moyens  de 
fubiîilance  qu'ils  fçavent  fe  procu- 
rer. Un  ancien  Romain  ,  toujours 
prêt  à  retourner  &  labourer  /on 
champ,  vivoit  lui  &  fa  famille  du 
produit  d'un  arpent  de  terre.  Un 
Sauvage  qui  ne  feme  ni  ne  laboure, 
confornme  feul  le  gibier  que  cin- 
quante arpens  de  terre  peuvent 
nourrir  :  conféquemment  Tullus 
Hojîiinis  avec  mille  arpens  de  terre 
pouvoit  avoir  cinq  mille  fujets  y 
tandis   qu'un  Chef  de  Sauvages  > 

Bijj 


3  ®    Mefure  de  la  Suèfîflance  j 
tels  que  je  les  ai  repréfentés ,  borné 
au  même  territoire  auroit  à  peine 
TJngt  hommes. 

Telle  efl:  la  difproportion  im- 
înenfe  que  Tagriculrure  peut  éta- 
blir dans  la  Population.  Cen  font 
ici  les  deux  extrémités.  Un  Etat 
fe  dépeuple  en  proportion  de  ce 
qu'il  s*éloigne  de  Tune  Si  fe  rap- 
proche de  Tautre  :  en  proportion 
de  ce  qu'on  y  cultive  les  terres  , 
&  qu'on  les  emploie  à  produire  ce 
qui  eft  de  la  nourriture  eflentielle 
de  Thomme  ,  refpèce  augmente  en 
nombre.  En  proportion  de  ce  qu  on 
les  laiffe  en  friche ,  ou  qu'on  les 
emploie  en  inutilités  ou  produc- 
tions de  confommatîon  précaire  , 
refpèce  diminue  invinciblement 
malgré  tous  Edits  &  Loix  d'encou- 
ragement ou  de  rigueur  en  faveur 
des  mariages. 

Il  fuit  de  -  là  5  que  les  confom- 
mations  en  fuperfîuités  font  un- 
crime  contre  la  fociété  qui  tient 
au  meurtre  &  à  Thomicide  ;  d  au> 
tant  que  ce  qui  eft  luxe  en  naiA 
fant  >  devient  ufage  &  décence  dans 


Mefuré  de  ta  Pôputatiotil,  j  t 
îa  fuite.  D'où  naît  que  la  princi- 
pale attention  du  Gouvernement 
doit  être  de  porter  par  l'aiguillon 
de  l'honneur  de  par  la  force  de 
l'exemple  ,  l'orgueil  humain  vers 
la  frugalité  &z  une  forte  de  mo- 
deftie  relative  à  chaque  profeffion^ 
Mais  il  n'efl  pas  tems  encore  d'en- 
tamer ces  matières. 

M.  David  Hume  Auteur  An-* 
glois  ,  l'un  des  pins  refpedables 
Ecrivains  politiques  que  nous  con- 
noiffions  tant  par  fon  érudition  éga- 
lement faine  &  profonde  que  par 
la  fagefTe  de  fes  raifonnemens  Ôc 
une  modeftie  bien  rare  en  ce  tems- 
ci  ,  a  fait  un  Traité  complet  fur 
la  queftion  de  la  Population  an- 
cienne comparée  à  celle  de  notre 
tems.  Ce  feroit  dommage  que 
nous  n'eufîîons  pas  ce  morceau 
également  fçavant  8c  raifonné  ;  Se 
je  lui  rends  toute  judice  fur  le 
mérite  d'homme  de  lettres  &  de 
citoyen  qu'on  ne  peut  s*empêcher 
de  reconnoîcre  à  un  point  éminent 
dans  Tauteur  j  mais  en  convenant 
de  plufieurs   des  principes  reafer-* 

B  iv 


|t  Mefure  de  Ici  Suhjiflancé^ 
mh  dans  ce  Traité ,  je  ne  fnis  pas 
de  Ton  avis  fur  les  conféquences  erî 
général.  On  pourroic  le  fuivre  dans 
les  détails ,  &  lui  en  difpu'cr  un 
grand  nombre;  mais  cm  le  feroit 
avec  défa^anta^e  :  de  fait ,  en  ce 
qu'il  eft  bien  difficile  d'en  fçavoir 
plus  que  lui  j  de  droit,  en  ce  que 
ctxtQ  forte  de  controverfè  leroit  an 
moins  fade  ,  &  peut-être  odieufè. 
Mais  d'aprcs  les  principes  établis 
ci  -  delfus  dont  un  homme  d'aufiî 
bon  efprit  que  M.  Hume  ccnvien- 
droic  fans  doute  ,  principes  qui 
abrègent  la  quedion  autant  qu'ils 
la  fixent  ,  e^le  fe  réduit  à  fçavoir 
jfi  la  conforamation  atflueîle  de  cha- 
que individu  ,  &  fur  tout  celle  àes 
riches ,  eft  plus  confidéràble  qu el*Iô 
n'écoit  autrefois. 

Le  f.^fte  des  anciens  Afiatiques, 
&  réteniuë  exceflîve  de  rEnipire 
du  Grand  Roi,  dévoient  fans  con^- 
tredit  avoir  fort  dépeuplé  cette 
partie  du  monde  ;  mais  la  barbarie 
du  gouvernement  Turc  &  Perfan 
Tont  extrêmement  dévaftée  5  &  fur 
les  ruines  de  tant  de  villes  célèbres. 


1 

^Mefure  de  la  Population,  3  5 
ile  l'antiquité  Ton  ne  trouve  plus 
que  de  vaftes  défères  à  peine  pra- 
tiquables  pour  les  caravanes.  On 
en  peut  dire  autant  de  la  partie  de 
l'Afrique  jadis  célèbre  fous  les  Car- 
thaginois, les  Rois  Numides  5  &c. 
&  qui  fous  le  bas  Empire  même 
contenoic  jufqu  à  quatre  cents  villes 
Epifcopales  ayant  chacune  fon  dif* 
triét,  contrées  arides  aujourd'hui 
&  disputées  aux  lions  &  aux  tigres 
par  des  hommes  plus  féroces  qu'eux* 
Les  pays  connus  fous  le  nom  de 
Grèce,  tant  ceux  du  continent  que 
les  ifies  &  terres  adjacentes  ,  ne 
font  aujourd'hui  que  des  roches 
défertes  y  ôc  ces  ides  autrefois  fi 
célèbres  par  des  Temples  fameux  » 
des  Ecoles ,  des  hommes  illuflres,- 
ëc  une  peuplade  immenfe  ,  ne  font 
que  des  écueils.  J'excepte  de  mes 
calculs  toute  cette  partie  de  la  dé- 
vaftarion  générale  ,  comme  relative 
à  des  caules  morales  j  &  nous  ne 
traitons  ici  que  du  phyfique.  Il 
faut  pareillement  en  retrancher 
^Amérique.  Si  d'une  part  Tinva- 
>^on  de  la  partie  méridionale  d^ 

B  V 


J4  Me  fur e  de  la  Suhjïjïance\ 
rAmérique  par  les  Efpagnols  ,  & 
labus qu'ils  firent  de  leur  vicfloire,, 
a  fait  rentrer  dans  la  terre  des  peu- 
plades immenfes  d*hommes,  u  la^ 
moliefle  &  le  eouvernement  ty- 
rannique  dès  nouveaux  colons  a? 
tenu  ces  fertiles  contrées  daais  cet- 
état  de  dëvaftatioii  ,  on  peut  dire 
que  les  difFérentes  colonies  des  au- 
tres nations  de  l'Europe  dans  tout 
le  refte  de  cette  partie  du  monde 
ontcompenfé  cette  perte  pourThu^ 
manité,  fî  c'eft  compenser ,  que  de* 
mettre  un  à  la  place  de  vingt-cinq;. 
Mais  cette  partie  du  monde  n*èxiP 
tant  pas  pour  nous  dans  les  temps^ 
que  nous  prenons  ici  en  compa- 
rai fbn,  il  eft  inutile  d'en  faire  men* 
lion.  Ceft  donc  l'Europe  unique- 
ment qui  peut  à  cti  égard  entretr 
en  queftion.  Nous  pourrions  en- 
core en  excepter  l'Italie)  qui  no- 
toirement nourridbit  vingt  -  fix 
millions  d'ames  dans  Tes  temps  de- 
fplendeur  par  le  moyen  des  bleds 
d'Egypte  qui  ne  nourriflent  plus 
perfonne.  L'Italie  qui  en  nourriflbic 
peut-être  lé  double  defon  propre 


Mefure  de  la  Population,  3^ 
produit  dans  les  premiers  âges  de 
Rome,  à  en  juger  du  moins  par  la 
multiplication  de  diiTérents  peuples 
qu'on  voit  fans  ceCie  en  armes  contre 
les  Romains  dans  ces  temps  belli- 
queux ,  l'Italie  >  dis-je,  contient  à 
peine  aujourd'hui  cinq  millions 
d'habitans.  Mais  fans  entrer  dans 
les  fpéculations  hiftorîques  ,  exa- 
minons feulement  fi  les  hommes 
dans  les  premiers  temps  confom- 
nioîent  autant  de  produit  de  terre  ^ 
qu'ils  en  confomment  aujourd'hui  ; 
&  pour  ne  point  fortir  des  portions 
de  confommation  aufquelles  je  me 
fuis  borné  dans  ce  Chapitre-,  brâ- 
loic-on  autant  de  bois  que  de  nos 
jours?  J'en  doute ^.  puifque  depuis 
moins  de  dix  ans  la  confommation' 
de  Paris  r  feulement  à  cet  égard  ^ 
a  augmenté  de  deux  cents  millff 
voies  ,  ce  qui  conftitue  prefqu'un' 
tiers  de  crue.  Je  ne  crois  pasqu'oii^ 
prérende  que  le  nombre  des  habi- 
rans  ait  augmenté  de  cela.  Chacun^ 
fçait  que  les  recherches  du  luxe  ,- 
de  la  molleflfè  ,  &  la  vanité  mal' 
tntendue  font  la  caufe  de  cet  excès,- 

B  vj 


^é  Mefure  de  la  Suhjïjïance^ 
Telle  maifon  n'avoir ,  il  y  a  dbc 
ans ,  du  feu  que  dans  les  chambres 
&  antichambres  de  chaque  appar- 
tement 5  qui  a  des  poêles  aujour- 
d'hui dans  tous  les  cabinets,  garde- 
robes  (Se  efcaliers.  Les  femmes 
fui  vantes  de  cette  maifon  ont  tou- 
tes en  particulier  leur  chambre  , 
leur  feu  ,  leur  lumière.  En  un  mot, 
tout  a  doublé  de  la  forte.  Il  faut 
cependant  du  terrein  employé  à  ne 
porter  que  d-u  bois  pour  fournir  à 
cette  confommation.  Le  bois  de- 
venant la  marchaiidife  du  meilleur 
débit,  chacun  (e  hâte  d*en  plantePj. 
&  de  dérober  ai n fi  une  portion  de 
{on  héritage  à  la  nourriture  des 
hommes.  Y  avoit  -il  chez  les  an- 
ciens autant  de  voitures  qu'aujour- 
d'hui ?  H  faut  du  bois  au  fil  pour 
leur  entretien.  Les  cuirs,  les graif^- 
fes ,  tout  ce  qu'on  tire  des  beftiaux 
fè  confbmmanc  au  double  &  pre(^ 
que  toujours  en  pure-  perte ,  le  pa« 
'turage  a  p^is  le  delTus  fur  l-e  labou- 
rage, &  depuis  long-temps  le  pro- 
verbe eft  établi'  qui  dit  ;  qui  change 
fort  champ  en  pré  augmenté  fan 


Mefure  de  la  Population,    ^j  ■ 
Bien  de  moitié.    Le  pré  cependaitc 
ne  porte  en  général  qu'une  bonne 
récolte  par  an  ,  &  ce  n'efl:  que  dii 
fécond  bond  qu'il  fert  à  la  nourri- 
ture des  hommes ,  autre  fouftrac- 
tion  faite  à  rhumanité.    Je  fçais 
qu'on  peut  me  dire  que  les  forêts 
ctoient  immenfes  alors,  mais  mal 
gouvernées,   au  moyen    de   quxii 
elles  dévaftoient  plus ,  &  fervoient 
moins  y  que   les  prairies  n  éroiertc 
que  des  marais  qui  ne  fourni(Ioieî:ït 
qu'un  médiocre  entretien  aux  bel^ 
tiaux  5  &c.  S'il  étoit  dans  mon  plaîi 
de  prendre  la  contrepartie  du  fy& 
terne  que  propofe  M»  Hume   fiir 
ce  point  ,  ce  feroit  à  moi  à  ma 
retourner  fur  ces  objeétions ,  bc  à 
démontrer  que    les  prétendus  dér 
fèrts  en-  queftion  n'exifloient  que 
chez  des  peuples  barbares  encore ^, 
&'  tels  à  peu- près  que  T' toient  les 
habitans  de  T Amérique  Septentrion 
cale,  quand  nous  l'avons  décou*^ 
verte  ;  que  par  conféquenc  cqs  conr 
tcées  doivent  encore  être  exceptées, 
coixinie  celles  ci-deflus ,  du  point 
de  comparaifon  donc  il  s'agit..  Jç 


^i. 


^5  s  Mefure  de  la  Suhjîflance  } 
devrois  établir  enfin  que  i*agriGaI- 
ture  étoic  chez  les  nations  policées^ 
portée  pour  le  moins  au  point  où 
elle  reil  de  nos  jours ,  donc ..... 
Mais  mon  bue  principal  ici  n  étant 
que  de  recommander  cet  art  & 
cette  Tcience  mère  de  riiumaniréj, 
il  me  fufïiroît  d'avoir  amené  moiï 
antagonifle  à  raifonner  en  confé- 
quence ,  pour  que  mon  deflein  fûc 
rempli.  Somme  toute,  convenons 
que  les  anciens  connoifloient  auffi- 
bien  l'agriculture  que  nous  ,  ÔC 
rhonoroient  davantage  ,  M.  Hume 
prouveroit  cela  mieux  que  moi* 
Ils  confommoient  moins  en  géné- 
ral &  en  particulier ,  il  le  d^mon- 
treroit  encore  ;  donc  ils  étoient  ea 
plus  grand  nombre. 

Ce  n  eft  pas  encore  ici  le  lieu 
de  contidérer  la  Population  relative 
»u  travail,  nous  y  viendrons  dans 
k  temps  ,  &  dirons  en  quel  kn% 
le  travail  fécond  peut  être  utile  à 
la  Population.  Suivons  encore 
quelques  coniîdérations  qui  réful-- 
tent  de  la  partie  aduelle  de  notrr 
fajer,. 


non* 


^Mejîire  de  la  Population,   jf 
Les  hommes  multiplient  comme    Moyens  ^ 
les  rats  dans  une  grange ,  s*ils  ont  [;;^fa7ir' 
les  moyens  de  Tubiider.    Cefl:  un  muitipUca, 
axiome  que  je  n'ai  pas  inventé ,  & 
qu'il  eft  temps  qu  on  prenne  pour 
bafè  de  tout  calcul  en  ce  genre. 
En  ce  fens ,  le  mot  de  M.  le  Prince , 
après  la  boucherie  de  Senef ,  qui 
parut  barbare  à  Tes  officiers  éton- 
nés 5  &  qui  n'éloit  peut-être  chez- 
lui  qu'un  effet  de  cette  audace  mi- 
litaire qui  naquit  ôc  mourut  avec 
lui ,  une  nuit  de  Paris  remplacera 
cela  5  ce  mot  dis- je,  pouvoit  être 
un  axiome  politique  bien  raifonné- 

A  moins  qu'il  ne  furvienne  quel- 
qu'augmenration  de  fubfiltance 
étrangère  &  nouvelle  dans  l'Etat  » 
il  ne  fçauroit  s'élever  une  feule 
plante  de  plus  dans  ce  jardin  garni 
de  toutes  Tes  parties,  qu'une  autre 
ne  lui  fa(Tè  place.  En  vain  travail- 
le-t-on  à  Paris  toutes  les  nuits,  fi 
les  maladies ,  la  guerre ,  la  mer  &c.. 
ne  font  des  places  vacantes. 

Les  batailles  &  les  maflfacres  ne 
nuifent  point  à  la  Population,  fi 
d*ailleurs  elles  ne  nuifent  à  Tagriç 


'40  Mejure  de  la  S'ahjifldncel 
€ulture  ;  &  Ton  remarque  ^vec 
étonnçnient  qu'après  des  temps  de 
troubles  &  de  calamités,  un  Etat 
eft  tout  auîîî  peuplé  qu'il  l'étok 
auparavant ,  tandis  que  les  édifiées  » 
les  chemins ,  tout  enfin  ce  qui  de*- 
iîgne  la-  profpériré  apparente  ^  (e 
relîènt  vifiblement  de  l'interruptioa 
de  Tordre  &  de  la  police.  Pourquoi 
cela  ?  Cefl:  que  l'homme  n'a  qu'une 
feule  &  véritable  racine  qui  3  com- 
me toute  autre  ,  Te  nourrit  du  fuc 
de  la  terre. 

Ce  n'eft  pas  cependant  que  les 
temps  de  guerre ,  &  plus  encore 
ceux  de  trouble  ,  n'interrompent 
&  ne  détruifent  l'agriculture  dans 
certains  cantons  ;mais  elles  la  vivi- 
fient dans  d'autres  ,  en  accélérant 
le  débit  de  (es  produélions.  Oa 
voit  d'ailleurs  que  ce  ne  font  pas 
les  calamités  dont  le  laboureur  voit 
le  principe  en  réalité  &  U  fin  en 
fifpérance ,  qui  rebutent  fa  précieufe 
adivité.  Le  Fermier  en  Flandres 
féme  de  nouveau  derrière  Tarmée^ 
qui  vient  de  fourager  fon  champ, 
Exi:  tioilième  lieu  y,  fi  la  guerre 


Mefure  de  ta  Popidatloîi»  '4Y 
dévafte  quelques  provinces  ,  eîle 
les  fume  en  même  remps  ;  &  d'au- 
tre part  3  fes  nécefîîtés  &  Tes  dé- 
penies  mettent  peu-à-peu  tout  le 
monde  dans  le  cas  de  retranches 
de  fa  dépenfe  partiailiére  ,  &  con- 
féqucmment  de  la  confommation* 
Cette  diminution  de  luxe  profite 
plus  à  la  Population  que  le  gouffire 
dévorant  de  la  guerre  ne  lui  nuit  5 
pourvu  toutefois  que  cela  dure. 
Remarquez  à  ce  (ii'ec  que  jufques 
au  fiècle  de  Louis  XiV.  la  nation 
a  toujours  été  en  guerre  >  foit  étran- 
gère qu  elle  alloit  chercher  ailleurs 
quand  elle  ne  Tavoic  pas  chez  elle , 
foit  interne  par  les  Guerres  des 
gentilshommes,  don-r  les  derniers 
ioupirs  ont  été  les  duels.  Ces  guer- 
res ne  dépeuploient  pa5  ^  parce 
qu'elles  tenoienc  le  r  (le  de  la  na* 
tion  en  ncat^^xiév  <^  comme  nous 
fûmes  5  fomm;:s ,  &  ferons  toujours 
glorieux  ,  nous  en  fiifions  vertu. 
Le  Roi  du  fiécle  paiTea  le  premier 
mis  fur  pied  lej  ^irmées  exorbi- 
tantes ,  en  a  nécefnte  la  mode  ,  & 
conféquemmenc    la    briévese    des 


:4i  Mefure  de  ta  Suhjîflancé^ 
guerres  qui  dès  -  lors  dépeupleilt 
beaucoup,  &  ne  peuplent  pas,  en 
ce  qu'elles  n'afFaiflenc  le  luxe  que 
pour  un  temps  ,  &  le  labourage 
pour  toujours. 

En  général  donc  d>c  dans  le  prînH 
cipe,  ce  ne  font  ni  les  guerres  y 
ni  les  épidémies  qui  dépeuplent  uit 
Etat;  mais  (x  vous  mettez  un  che- 
val de  plus  dans  TEtat,  toutes  au- 
tres chofes  demeurant  égales  ,  vous 
êtes  certain  d'y  tuer  quatre  hom-, 
mes  au  moins.  Mais ,  me  dira-t-on , 
les  beftiaux  fument,  &:  cet  engrais 
vivifie  d'autres  portions  de  terre 
qui  fans  cela  feroient  incultes.  J'en 
conviens.  Aufîî  ai- je  dit  ,  toutes 
autres  chofes  demeurant  égales. 
J'ajoute  que  l'entretien  des  beftiaux 
qu'autrefois  on  appelloit  plantura- 
ge  ,  eft  un  des  principaux  arcs- 
boutans  d'une  floriflTante  agricul- 
ture. Mais  prenez  garde  que  je 
n*attaque  ici  que  la  force  d'animal  > 
donc  le  luxe  peut  faire  abus  ,  & 
qui ,  bien  que  d'une  utilité  fîngu- 
liére ,  eft  le  mains  rapportant  de 
(ous  les  animaux  domeftiques  à  la 


^Mefure  dd  la  Population,  '^f 
campagne.  Le  nombre  en  aug- 
mente chaque  jour  à  la  Ville ,  où 
les  fumiers  font  fi  abondans  qu'ils 
né  valent  prefque  pas  la  peine  d'être 
enlevés  ,  &  où  la  confommation 
que  font  ces  animaux  monte  au 
double  &c  au  triple  de  ce  quelle 
feroit  5  s'ils  étoient  entretenus  fur 
les  lieux  ,  parce  quelle  néceflîte 
l'entretien  de  l'énorme  quantité  de 
chevaux  de  trait  néceflaires  pour 
voiturer  leur  nourriture  à  Paris. 

Revenons  au  grand  Se  unique 
axiome  en  cette  matière  ,  la  mefure 
de  la  Suhjîjlance  efi  celle  de  la 
Population,  En  ce  îens  il  eft  vrai 
de  dire  que  plus  il  y  a  deconfom- 
*  mation  dans  un  Etat ,  plus  cet  Etat 
eft  puiOTant;  mais  il  faut  bien  en* 
tendre  ce  principe.  Si  vous  enten- 
dez par -là  que  la  vraie  puiffance 
d'un  Etat  coniifte  à  avoir  beaucoup 
de  confommateurs ,  je  fuis  de  votre 
avis  ;  mais  par  la  même  raifon  , 
beaucoup  de  confommation  faite 
par  un  petit  nombre  de  confom- 
mateurs eft  une  coirofion  conti* 


^4    Mefure  de  la  Suhfiflanct  ^ 
nueîle   &   toujours    croifTante    isx 
iierf  de  la  Population. 

CeiTons  de  nous  égarer  fur  ce 
principe.  Ce  n'eft  ni  le  célibat  > 
ni  la  guerre ,  ni  la  navigation  qui 
dépeuplent  un  Etat  ;  au  contraire. 
Je  vais  entreprendre  la  démonflra-* 
tion  de  ce  paradoxe  fur  celui  de 
^es  trois  ordres  de  chofes  qu'on 
abandonne  le  plus  aifément  en  ce 
genre  à  une  forte  d'anathême  pu=^ 
blic. 
Maifonsre-  Les  Autcurs  poHîiques  Protef^ 
ligieufes  ne   j^HS  (  il  faut  avoucu  que  ce  font 

font  principe  i  -il  \  •!      ' 

tie  dépoiu-  ^^^  meiHeyrs^  ont  tous  attribue  au 
lauon,  Monachifme  la  dépopulation  de 
rnipagne  ,  de  Tltalie ,  &  des  au- 
tres parties  de  l'Europe  qui  fuivent 
le  Rire  Romain;  &  pour  repérer 
ici  les  paroles  d'un  des  plus  habi- 
Jes  homnaes  &  des  plus  profonds 
Ecrivains  ^  en  ce  genre  :  les  Moi' 
nés ^  die- il  5  ne  font  d'aucune  uti- 
lité ni  ornement  en  paix  ,  ni  en 
guerre  j  en  deçà  du  Paradis  ^  comb- 
ine ton  dit  ... .  L'expérience  fait 

*  Effai    fur   la  nature  du   Commerce    pat- 
M.  CamilIoQ. 


Mefure  de  la  Population,  4  f 
voir  que  les  Etats  qui  ont  embrajfé 
le  Protejlantifme  en  font  devenus 
vifiblement  plus puijjants.  Nos  Po- 
litiques ont  noiî  -  feuiemeDc  pris 
condamnation  fur  cez  article  ,  mais 
ils  onc  encore  quelquefois  enchéri  ; 
il  s'en  faut  bien  que  je  ne  lois  de 
cet  avis. 

J'ai  habité  dans  le  voi/înag^ 
<3*une  Abbaye  à  la  campagne.  L'Ab-f  , 
bé  qui  partageoit  avec  les  Moines, 
en  tiroit  ^000  livres.  Je  veux  bien 
que  la  portion  conventuelle  fuE 
plus  forte  ,  mais  de  peu  de  eiiofes , 
car  Meilleurs  les  Commendaiaires 
ne  font  pas  dupes.  Sur  les  6000 
livres  de  rente  reftantes ,  ils  ÊLtoicnç 
trente -cinq  ;  à  (çavoir  quinze  de 
îa  maifoii ,  &  vingt  jeunes  Novices 
étudiants ,  attendu  qu'il  y  avoit  un 
Cours  dans  cette  maifbn  Ces  tren- 
te-cinq maîtres  avoient  en  corn- 
paraifon  peu  de  domeftiques,  mais 
ils  en  avoient  au  moins  quatre.  Oi 
je  demande  (1  un  gentilhomme 
vivant  dans  fa  terre  de  6000  liv? 
de  rente  en  auroit  eu  dav'antage? 
AinÇ  entre  lui  î  fa  feoîme  &  c^§U 


'j^4  Mefure  de  la  Suhjifiancei 
^ues  eiîfans,  à  peine  auroient-iîs 
i^écu  dix  fur  ce  territoire  ,  &  en 
voilà  quarante  d'arrangés  en  vertu 
diiiie  inftiturion  particulière.  En 
conféquence  donc  du  principe  éta- 
bli, qu'il  ne  fcauroic  s'élever  de 
aouveaux  habitans  dans  un  Etat 
gu'à  proportion  des  moyens  de 
fubfîftance ,  que  plus  cette  fubfîf- 
taiîce  eft  volontairement  refiTerrée 
par  ceux  qui  occupent  le  terrein , 
plus  il  en  refte  pour  fournir  à  une 
nouvelle  peuplade  ,  il  feroit  im- 
poflîble  de  nier  que  toutes  autres 
chofes  mifes  à  part ,  les  érablifïe* 
mens  des  maifons  Reiigieufes  ne 
foicnt  très  -  utiles  à  la  nombreufe 
Population.  Que  ce  foit  de  par 
le  Roi ,  de  par  S.  Benoît  ou  S.  Do- 
minique ,  qu'un  grand  nombre 
d'individus  s'engagent  volontaire- 
ment à  ne  confommer  que  cinq 
fols  par  jour ,  toujours  eft-il  vrai 
que  cts  fortes  d'inftitutions  aident 
fort  à  la  Population  ,  fimplemenc 
en  donnant  de  la  marge  &  laidànc 
è.\x  terrein  à  d^autres  plantons.  Que 
i©ui  Les  Moines  vivenç  ainfi ,  quô 


Mefure  de  U  Population,  47 
toutes  les  Communautés  foîenc 
lîombreufes  en  proportion  de  leuts 
revenus ,  c'eft  ce  que  je  n*ai  garde 
de  foutenir ,  &  ce  q«i  eft  étranger 
à  la  queftion.  Je  m'ingérerai  moins 
encore  à  dire  les  oioyens  de  main- 
tenir dans  leur  vigueur  les  infti- 
tutions  dont  je  parlois  tout  -  à* 
l'heure  5  &  dont  !e  relâchement  eft 
au  moins  une  lèpre  dans  l'Etat.  Je 
dis  feulement  que  félon  le  main»- 
^ien  de  la  maifon  que  j'ai  citée  , 
&  de  plu  (leurs  autres  en  ce  genre 
que  fai  connues ,  loin  de  nuire  à 
la  Population  ,  elles  y  fervent  j, 
toutes  pîaifanteries  ceiïkntes  5  car 
je  ne  les  aime  ni  folles  ni  tri- 
viales. 

A  regard  de  Fobjeârion ,  qu'ua 
Seigneur  eft  utile  dans  TEtat ,  ou 
du  moins  y  fert  d*un  grand  orne- 
ment 3  au  iieu  que  les  Moines  n'y 
font  ni  fua  ni  Fautre  ;  l'Auteur 
que  f  ai  cité ,  quoique  Proteftaot  , 
met  du  moins  à  fbn  axiome  le  cor- 
%Qd࣠ en  deçà  du  Paradis,  îl  fait 
en  cela  la  critique  de  certains  mi- 
ftirables  libelles  gauchemem  plâtfis 


4^  Mefuréde  la  Suhjijlaûce  ^ 
d'un  vernis  de  didèrtation  fur  le 
droit  public,  &  cependant  bien 
accueillis  chez  nous  depuis  quel- 
ques années ,  où  l'on  ofe  avancer 
que  les  Miniftres  de  la  Religion 
ne  font  d'aucune^ utilité  dans  l'Etat. 
L'Auteur  ne  parle  ici  que  des  Moi- 
nes ,  ce  qui  fait  encore  une  diffé- 
rence bien  grande  ;  &  à  vrai  dire  » 
n'étant  que  calculateur  ,  il  lui  eft 
permis  de  mettre  tout  au  même 
poids  &  mefure  ,  ce  qui  eft  au 
contraire  un  délire  pour  un  Politi- 
que. Mais  je  puis  répondre  encore 
à  cette  double  objeétion  fans  rieu 
forcer.  Examinons  d'abord  l'article 
de  l'utilité  5  je  ferai  court  ;  enfuite 
celui  de  l'ornement ,  je  le  ferai  plus 
.encore. 

Les  Moines  de  fait  étudient  , 
prêchent,  inftruifent  ,  travaillent, 
defiTervent  les  Paroi  (Tes  de  campa*- 
gne.  En  outre,  ils  ont  tous  ou  la 
plupart  dans  leur  inftitution  quel- 
qu objet  d'utilité  -,  je  dis  plus,  de 
nécefïi té. S'ils  ne  le  rempliflfent  pas , 
ç  eft  l'afîâire  du  Légiflateur  &  de 
îa  Police?  Eh  quoi  î  je  fuppofe  que 


Mefure  de  la  Population,    451' 
la  Milice  fût  relâchée  &  tombée 
dans  la  niollefïe ,  la  Magiftrature 
diffipée  5  la  Noblede  fans  mœurs  &: 
fans  délicatefTe  ,  faudroic-il   pour 
cela   fupprimer  le  Mil  irai  re  ,    ks 
Magiftrats,  &  les  diftindions  hé- 
réditaires ?  L'invention  de  fuppri- 
mer &  de  détruire  efi:  le  contraire 
abfolu  de  Tart  de  gouverner  5  c*eil 
la  magnanimité   du  fuicide.     Un 
chirurgien  ignorant  fçait  couper  la 
jiambe  5  Efculape  l'eût    traitée   Se 
guérie.    Quatre  traitemens  comme 
celui  du  premier  ,  il  ne  refte  plus 
que  le  tronc.    Je  n'ai  rien  à  dire 
de   plus  fur   Futilité   morale.     Je 
H  aime  pas   à  m'é tendre    fur   des 
points  étrangers  à  mon  fujet.  Paf- 
ibns  à  l'utilité  physique. 
.    Chacun  fçait  que  la  plupart  de 
ces  grands  établifïèmens  Monafti- 
ques  fi  riches  aujourd'hui  nétoienc 
autrefois  que  des  déferts,  &  que 
nous  devons  aux  premiers  Céno- 
bites le  défrichement  de   plus  de 
la  moitié  de  l'intérieur  de  nos  ter- 
res.   Mais  fans  nous  prévaloir  de 
l'authenticité  du   ti4;re ,  article  il 
/.  Partk.  G 


Jo  Mefure  delà  Suhjijîance^ 
fàcré  en  laine  politique  &  fi  hors 
de  mode  aujourd'hui,  confidérons 
les  chofès  dans  i'ëcac  préfenr.  On 
n'ignore  pas ,  &  il  efl  padé  en  pro- 
verbe que  les  Bénédictins  ,  par 
exemple  ,  mettent  cent  fur  leur 
territoire  pour  lui  faire  produire 
un.  Je  connois  dans  leurs  biens 
telle  chauiïee  d'étang  ou  contre  des 
rivières  ,  tel  autre  ouvrage  enfin 
utile  ou  nécefTàire ,  qui  a  certaine- 
ment coûté  trois  fois  le  fonds  de 
TAbbaye  entière  fur  lequel  la  conf- 
trudion  eft  faite.  Ges  travaux  longs 
&  difpendieux  qui  font  une  forte 
d'ambition  &  de  joie  pour  des  corps 
qui  fe  regardent  comme  perpé- 
tuels 5  toujours  mineurs  pour  alié- 
ner 5  toujours  majeurs  pour  confer-* 
ver,  font  au-delTus  des  forces  des 
particuliers.  L'Etat  ne  peut  envi- 
fager  que  les  objets  généraux  ,  & 
quand  fes  fecours  defcendroienc 
quelquefois  jufques  aux  détails  s  il 
faut  encore  une  adminiftration 
puiiîànte  &  toujours  préfente  pour 
ientretien.  Ou  le  Seigneur  polTef- 
feur  du  fonds  cft  riche  &  grand 


Mejîire  de  la  Population,  ^t 
propriétaire,  en  ce  cas  il  ne  con-* 
fomme  pas  fur  les  lieux  qui  font 
négligés,  &  fe  rainent  petit- à- 
petit  ;  ou  s'il  efl:  obligé  d*y  réfider  , 
il  eft  foible  ,  accablé  de  faux  frais , 
de  dettes  antérieures  :  fon  admi- 
niftration  eft  intermittente  ,  &  tout 
languît  fous  fon  fils ,  fi  ce  n*e{l  fous 
lui.  Or  il  n'eft  pas  contefté  que 
ces  travaux  ne  foient  un  bien  par-^ 
ticulier  qui  relîbrtit  au  bien  géné- 
ral ,  &  qui  rétablit.  Il  en  eft  de 
même  des  bâtimens  5  même  (oli- 
dité  5  même  entretien.  Une  des 
^glifes  de  TAbbaye  dont  j'ai  parlé 
d*abord  ,  eft  connue  dans  notre 
^iftoire  par  une  époque  fameufe 
depuis  700  ans.  Elle  eft  abfolu- 
ment  au  même  état  où  elle  étoic 
alors.  Quels  font  les  bâtimens  àe% 
particuliers  qui  ont  une  pierre  de 
ce  temps- là?  ^ 

Quant  à  Tornement ,  avouons 
que  le  Seigneur  de  6000  livres  de 
ente  que  nous  avons  établi  rem- 
plaçant les  40  Moines  cités  dans 
îotre  premier  exemple  ,  ne  feroic 
3âs  d'un  laftre  bien  fameux  dam 

C  ij 


Çi  Me  fur e  de  la  Suhfijlance'^ 
ion  château.  Nous  prenons,  il  ed 
vrai ,  fur  ce  domaine  la  portion  du 
Commendataire  qui  partage  avec 
eux  5  comme  feroic  un  Seigneuc 
avec  Ton  fermier  général.  Or  fi  le 
brillant  Se  le  fade  étoient  de  mon 
fujet ,  je  demanderois  fi  les  Cardi- 
naux de  Rohan  &  de  Polignac  à 
Rome ,  &  tant  d'autres  ailleuirs  , 
n'ont  pas  fait  autant  de  ce  genre 
d'honneur  à  la  nation ,  qu'eufifent 
pu  faire  des  Seigneurs  laïques.  S'il 
«ft  vrai  de  plus ,  comme  le  dit  le 
même  Auteur  ,  que  le  point  qui 
femble  déterminer  la  grandeur 
comparative  des  Etats  ^  eji  le  corps 
de  réferve  qu'ils  ont  _,  quelles  ri- 
cheflès  en  vaifTelle  &  ornemens 
d'Eglife ,  tableaux ,  manufcrits ,  bi- 
bliothèques 5  bâtimens  même ,  ces 
fortes  maifons  religieufès  ne  tien- 
nent-elles pas  en  magazin  ,  doni 
on  ne  trouveroit  pas  trace  danî 
les  pays  Proteftans  ? 

A  l'égard  des  mendians ,  je  fe- 
Tois  parfaitement  de  l'avis  du  même 
Auteur  5  s'ils  étoient  aujourd*hu 
tels  dans  la  force  du  mot.  Ce  n'ei 


Mejure  de  la  'Population,  5  5 
point  à  moi  à  examiner  iî  la  men- 
dicité a  Jamais  été  permife  à  aucune 
Société  Religieufe  autrement  que 
comme  moyen  de  fubfiftance  au 
milieu  des  travaux,  dont  le  fruit 
eft  totalement  deftiné  aux  vues  de 
la  charité  ;  mais  il  eft  de  fait  qu'at- 
tendu que  le  métier  ne  vaut  plus 
ce  qu  il  valoit  autrefois  ,  tous  ou 
peu  s*en  faut ,  prévoyant, &  com- 
me Jofeph  ,  les  années  de  ftérilité , 
ont  fait  provifion  de  revenus  & 
qu'au  moyen  d'un  léger  arrange- 
ment de  police  de  la  part  du  Gou- 
vernement ,  on  ne  verroit  plus  de 
befaces.  Ceft  tant- pis ,  s*écrie-t-on , 
car  ils  fe  feroient  des  revenus  aux 

dépens  des  fujets  de  l'Etat eh  ! 

point  du  tout  pour  une  grande 
partie.  La  moitié  des  maifons  du 
fauxbourg  S.  Germain  &  de  plu- 
fieurs  autres  quartiers  de  la  ville 
de  Paris,  par  exemple  >  appartien- 
nent à  des  Corps  ;  les  ont-ils  ache- 
tées? Non  ,  &  à  cet  égard  on  a 
grande  rai  Ton  de  leur  lier  la  bour- 
fe.  Mais  ils  ont  bâti  des  places 
vagues   qui   leur   furent    données 


54  Mefure  de  la  Suhjiflance  ^ 
dans  le  temps  ,  n'éranc  de  pref- 
qu'aucune  valeur.  Aujourd'hui  cela 
fait  une  magnifique  cité  ,  &  un 
revenu  confîdérable  pour  TEtat 
comme  pour  eux  ,  qu'ils  ont  tiré 
de  la  terre.  Que  les  Carmes  Def^ 
chaux  aient ,  comme  Ton  dit ,  cent 
mille  livres  de  rente  ,  ils  ne  les 
ont  prifes  à  perfonne ,  &  pourvu 
qu'ils  vivent  toujours  félon  leur 
obfervance  ,  il  faudra  bien  aujour- 
d'hui qu'ils  n'ont  plus  de  terrein 
à  bâtir  à  Paris ,  que  leur  excédent 
aille  bâtir  ailleurs  ,  ou  entretenir 
d'autres  Carmes  vivans  tout  aulG 
pauvrement  ,  mais  toujours  indi- 
vidus réels  dans  l'Etat. 

Si  les  Etats  Proteftans  font  plus 
peuplés  &  plus  florifTans  que  ceux 
où  la  difcipline  eccléfiaftique  de 
la  Communion  Romaine  eft  auffi 
exactement  obfervée  &  réglée  qu'el- 
le l'efi:  en  France  ;  (  fait ,  à  tout 
prendre  3  dont  je  voudrois  d'autres 
preuves  que  des  allégations  ,  )  je 
crois  qu'il  feroit  aifé  d'en  donner 
d'autres  raifons  que  la  fuppreflîoa 
des   Moines,     i^,    La   prétendu» 


Mefure  de  la  Fopulation,  5  5 
Réforme  fit  univerlellement  des 
révolutions  dans  tous  les  Etats  ;  & 
il  efl;  ce^^in  qu*il  eft  des  fecoufles 
qui  avivent  les  efprits  politiques , 
éc  régénèrent  les  reîTorts  du  Gou- 
vernement &  de  rinduftrie.  La 
Suéde  changea  entièrement  fou 
gouvernement  en  embraflfant  la 
prétendue  réforme  ;  mais  qui  l'eût 
conddérée  après  les  régnes  durs  & 
abfolus  de  Charles  XI,  &  de  Char- 
les XII.  eût  été  bien  étonne  d*y 
voir  fi  peu  de  Moines ,  &  tant  de 
dépopulation  &  de  mifere.  Ce  n  eft 
pas  le  rétablifTement  des  Moines 
qui  a  fait  tomber  de  moitié  le  com- 
merce &  la  richefîe  de  la  Hollande 
depuis  le  commencement  de  ce 
fiècle;  mais  le  luxe  y  a  enfin  en- 
grainé ,  la  confbmmation  y  a  dou- 
blé, &  le  commerce  diminué.  Ces 
célèbres  Danois  d'autrefois  ,  qui 
ont  fait  trembler  toute  l'Europe  , 
font  morts  :  mais  depuis  deux  cents 
ans  qu'ils  ont  chafTé  les  Moines , 
il  feroit  temps  de  voir  cette  anti- 
que pépinière  fe  repeupler  de  héros. 
Henri  IV,  6c  Louis  XIV.  enfuite^ 

C  ïsf 


yè   Mefure  de  la  Suhjijlance^ 
trouvèrent  le  moyen  de   rétablir 
leur  Royaume  fans  rien  changer  à 
la  Religion  établie.  Je  v^s  que  le 
judicieux  David  Hume  &  plufîeurs 
autres   Anglois   Te   plaignent  que 
leur  patrie  fe  dépeuple  :  ils  en  cher- 
chent des  raifons  de  détail ,  faute 
d'avoir  touché  au  vrai  point  qui  eft 
que  TAnglecerre  eft  devenue  riche  5 
que  la  richeffe  augmente  la  con- 
fbmmation,  &  diminue  en  confé* 
quence  d*autant  la  Population, 

Quand  je  fuis  devenu   Tapolo- 
gîfte  des  inftitutions  monaftiques  , 
article  fur  lequel  je  me  fuis  étendu 
fans  doute  avec  trop  de  détail  en 
fuivant  feulement   Texcellent  Au- 
teur que  j'ai  cité  ci-defifîis,  on  s'at- 
tend bien  que  je  ferai  &  plus  abon- 
-dant  &  plus  fort  en    raifons    fur 
l'article  des  troupes  foudoyées ,  à.QS 
gens   employés  à   la  navigation  > 
&c.  Somme  totale  ,  multipliez  la 
fubfiftance ,  vous  multiplierez  les 
hommes  fans  que  tant  de  gens  s'en 
mêlent,  à  beaucoup  près. 

Mais,  direz- vous,  tous  ceux  de 
l'ordre  des  célibaiaires  qui  ne  font 


Me  fur e  de  la  Population,  jy 
rien  pour  gagner  leur  vie ,  dimi- 
nuent d'autant  le  travail  dans  un 
Etat,  &  comme  le  travail  eft  le 
fèul  moyen  d*étendre  la  fubfiftan-^ 
ce ,  vous  la  retréciflfez  précifement 
par  la  forte  d'emploi  que  vous  to- 
lérez à  ceux  qui  jouifTent  des  fruits 
de  la  terre ,  &  qui  devroient  tra- 
vailler à  les  multiplier.  Ceci  fore 
de  la  queftion.  C'efl:  feulement 
dans  Tordre  des  maîtres  &  pro- 
priétaires que  j*ai  confideré  les 
Communautés  Religieufes.  On 
verra  dans  la  fuite  de  ce  traité  qu'il 
s'en  faut  bien  que  je  ne  prêche 
rjnadian.  Jai  voulu  feulement 
dire  dans  ce  Chapitre  que  la  fub- 
fîftance  eft  la  mefure  de  la  Popu- 
lation ;  qu  en  conféquence  ,  fous 
ordres  de  gens  qui  fe  vouent  à 
vivre  d'un  petit  produit  de  terre, 
favorîfent  la  Population,  loin  de 
lui  nuire  ,  en  ce  qu'ils  fe  relîèrrent 
volontairement  ,  &  font  place  à 
d'a,utres.  S'agit  -  il  enfuite  de  dé- 
cider quelle  eft  de  toutes  les  pro-- 
fefîîons  qui  compafent  la  fociété  , 
celle    (jui   mérite    la    préférence 

C  T 


^  s  Agricukurt 

d'eftime  &  de  protedion  ;  c*eft  ce 
que  nous  verrons  dans  le  Chapitre 
fuivanr.  Finifîbns  celui-ci  par  où 
nous  Tavons  commencé. 

Augmentation  de  fubfiftance  , 
accroiiTement  de  Population  ;  nous 
allons  voir  comment  accroiflement 
de  Population  doit  faire  augmenta- 
tion de  fubfiftance. 


CHAPITRE     III. 

L'Agriculture  qui  peut  feule  mut" 
tiplier  les  fubjîfiances  ejl  le  pre» 
mier  des  Arts. 

Uelques  hommes  affèz  folle- 
^^^^  ment  préfomptueux ,  d^au- 
îres  inquiets  &  impatients  de  toute 
efpece  de  joug  ,  penfànt  échapper 
à  la  vue"  toujours  préfente  de  la 
Divinité  ,  cherchent  à  fe  perdre 
dans  la  foule  des  brutes ,  &  ne  re- 
connoilfent  dans  Thomme  de  fupé- 
riorité  fur  les  animaux  que  celle 
que  nous  donne  une  confîrudioa 


Premier  des  Arts,  59 
mieux  organifée.  De  tous  les  dé- 
lires de  refpric  humain  ,  c*efl:  là  , 
je  crois ,  celui  qui  mérite  le  moins 
d'être  attaqué  ;  puifque  fi  fur  cent 
de  fes  partifans  il  en  efl:  un  de 
bonne-foi,  du  moins  eft-on  certain 
qu'aucun  de  fes  preneurs  n'a  réflé- 
chi fur  les  conféquences  de  l'adop- 
tion de  fon  fyftême.  Bien  eft  -  il 
qu'entre  les  preuves  de  fait  dont 
on  peut  l'accabler ,  aucune  ne  me 
paroît  auffi  forte  que  l'art  de  l'agri- 
culture. 

Après  avoir  dit  que  l'homme 
imbécile  &  né  tel  eft  encore  l'ani- 
mal de  tous  le  mieux  organifé  , 
l'on  pafle  de  ce  point  de  fait  à 
rénumération  de  tout  ce  que  l'hom- 
me a  inventé  &  acquis  par-delà 
au  phyfique,  de  tout  ce  qu'il  con- 
çoit ,  craint ,  efpere  au  moral,  pour 
en  compofer  le  territoire  d'une 
ame  intelleétuelle ,  foumife  d'une 
part  à  procurer  à  la  machine  la. 
pénible  jouiiTance  des  biens  d'ici- 
bas  5  tendante  de  Tautre  v^rs  un 
bonheur  ,  dont  elle  ne  connoit  au» 
îre  chofe  linon  que  la  matière  eH 


lèo  Agriculture  ^ 

infufïîfante  pour  k  lui  procurer  l 
&  dont  elle  n'a  d'autre  fentimenc 
qu'un  attrait  inhérent  à  fa  fubftan- 
Ge ,  qui  dégénère  en  inquiétude  & 
lui  prohibe  le  repos. 

Dans  la  première  de  ces  deux 
portions  d'un  territoire  pour  lequel 
l'homme  feul  eft  privilégié,  l'inr- 
vention  de  l'agriculture  me  paroît 
celle  de  toutes  qui  porte  le  plus  ce 
titre  excluiîf. 

J'ai  dit  que  l'homme  étoit  de 
tous  les  animaux  celui  qui  faifoic 
le  plus  aifément  pâture  de  tour.  Eiij 
efFet  5  il  n'eft  rien  ou  bien  peu  de 
chofe  dont  aucune  forte  d'animal' 
fe  nourrilTè ,  qui  ne  puiiïè  au  be^ 
foin  Itii.  fervir  de  nourriture.  Mais 
l'inftinâ:  des  animaux  les  plus  forts 
&:  les  plus  adroits  s'eft  borné  à. 
chercher  &  reconnoîrre  fa  proie  , 
à  lui  tendre  des  pièges  pour  la  fur- 
prendre  &  l'attirer  quand  la  force^ 
&  la  vélocité  ne  fuffifoient.  pas  y 
Jhomme  feul  a  cherché,  appris  ^ 
mité  le  fecrer  de  la  nature ,.  Se  par 
laa  travail  afîîdu  il  efl:  venu  à  bouc 
^  multiplier  celles  de  fes  prodac* 


Premier  des  Arts.  Ct 
tîoiis  qui  Fui  étoient  néceflTaires  oif 
utiles.  Cefl  à  cette  multiplication 
Cju'il  doit  celle  de  fa  propre  efpece 
qui,  comme  nous  Tavons  dit,  efl 
le  premier  des  biens. 

Si  donc  un  art  efl:  eftimable  eii 
partie  à  proportion  de  la  beauté 
de  l'invention  ,  il  n'en  eft  aucun 
qui  doive  flatter  Tamour  propre  de 
Tbomme  plus  que  l'Agriculture  , 
&  qui  mérite  plus  Ton  eftime.  Mais 
cet  avantage  n'eft  rien  en  compa- 
raifon  de  Ton  utilité  :  nous  l'avons 
déjà  démontré  ,  fuppofé  que  la. 
chofe  eût  befoin  de  démonftra- 
tion. 

Une  façon  sure  pour  le  Gouvér^ 
nement  d'apprécier  les  difïerents 
travaux  des  hommes ,  c'efl:  dé  re- 
garder chaque  clalTe  d'hommes  re- 
lativement à  la  dépendance  où  elle 
èft.  des  autres  elaiTes.  Ce  coup 
d'oeil  fera  fentir  au  Prince  que  les 
derniers  doivent  être  les  premiers 
dans  fa  bienfaifante  attention.  Le 
Chevalier  Temple  compare  nn 
Gouvernement  éclairé  à  ces  pyra- 
mdeaa.  dont  la  bafè  eft  fort  larg^ 


^i  agriculture  J 

ôc  occupe  un  grand  terrein  ,  8c  dit 
que  rautorité ,  venant  à  fe  terminer 
au  pouvoir  d'un  feul  homme  fait 
alors  la  pointe  la  plus  parfaire  de 
la  pyramide ,  &c  forme  ainfî  la  fi- 
gure la  plus  ferme  &  la  plus  afifurée 
quMl  puiiTe  y  avoir.  Si  le  Prince 
au  contraire ,  ou  le  Gouvernement 
protègent  de  laifTent  étendre  les 
rangs  plus  élevés  privativement  aux 
plus  bas ,  infenfiblement  la  pyra- 
mide devient  tour.  Se  puis  cône 
renverfé  qui  ne  fe  foûtient  plus  que 
par  miracle. 

Il  eft  à  confîdérer  encore  que 
chaque  rang  fupportant  plus  de  faiX 
à  mefure  qu  il  eft  plus  près  de  la 
bafe  5  chaque  pierre  de  notre  bâti- 
ment politique  voudroit  quitter 
l'état  le  plus  pénible,  aimant  mieux 
courir  le  rifque  d*être  expofée  aux 
coups  de  la  tempête  &  de  l'orage, 
que  de  fbufFrir  l'affiiiiïèment  con- 
tinuel que  lui  prefente  fà  pofition. 
Ceft  donc  cette  portion  de  TEtat 
qui  doit  être  le  plus  fbûtenue  par 
les  reiTotts  de  la  protedioa  Se  de 


n 


Premier  des  Arts,  é^ 
l'encouragement  :  nous  en  détail- 
lerons dans  le  temps  les  moyens. 

Nous  Tavons  dit  ailleurs  ;  chez 
les  Sauvages  le  plus  vil  chaiîeur 
peut  confommer  le  produit  de 
cinquante  arpens  de  terre.  Voilà 
où  nous  en  fommes,  quand  nous 
négligeons  Tagriculture.  Diftribuez 
enfuite  le  terrein  du  Royaume ,  Se 
voyez  ce  que  nous  devenons,  quand 
nous  abandonnons  une  portion  du 
territoire  de  l'Etat.  Plus  au  con- 
traire nous  tendons  à  exciter  cet 
art  utile  &  à  multiplier  la  produc- 
tion ,  plus  nous  nous  éloignons  de 
cet  état  de  décadence  &  d^affi^iblif- 
fement. 

//  ejl  indifférent  a  la  terre  de 
nourrir  des  chèvres  ou  des  hom- 
mes j  difoit  fouvent  l'Auteur  d  urî 
excellent  Traité  en  ce  genre ,  dont 
f  ai  adopté  tous  les  principes  ;  mais 
elle  veut  être  honorée  &  foignée 
comme  une  bonne  mère.  En  efFet, 
la  terre  n'efi:  marâtre  nulle  part, 
du  moins  dans  nos  climats.  Le 
fable  ici  nous  prefènte  une  furface 
deflechée ,  mais  tranfporté  dans  des 


6  4  Agriculture  i 

terres  humides  il  les  féconde  en 
tempérant  leur  acreté  :  ailleurs  il 
fe  couvrira  de  bois  femés  &  fumés 
avec  foin  ,  &  Therbe  croîtra  fous 
ces  bois  :  plus  près ,  à  force  d'en- 
grais &  de  terreau  il  devient  d'un 
grand  rapport ,  &  par-tout  il  aide 
aux  bâtimens ,  à  la  folidité  des  pa- 
vés ,  &c.  La  terre  n'offre  ici  que 
de  la  moufTe  ,  vous  trouverez  dans 
fon  fein  de  la  marne  ,  qui  répan- 
due fur  fa  furface  la  féconde  ;  des 
carrières ,  des  minéraux  :  plus  loin 
du  grais ,  dont  Tafpeâ:  eft  la  teinte 
de  la  ftérilité,  &  qui  caffe ,  devient 
le  plus  utile  des  matériaux  pour  la 
folidité  Se  la  facilité  des  commu- 
nications. Ces  marais  fteriles  qui 
infectent  l'air ,  peuvent  devenir  des 
rivières ,  fournir  de  la  tourbe ,  ou 
deiféchés  être  changés  en  poflef- 
fions  les  plus  abondantes.  En  un 
mot,  tout  a  fon  utilité 5  je  le  ré- 
pète 5  tout  terrein  peut  produire 
au  moyen  du  travail  yiabor  omjiia 
yincit  improbus.  La  ftérilité  ne  fe 
montre  nulle  part  que  par  la  faute 
des  hommes^ 


Premier  des  Ans,  éf 
Un  arpent  de  terre  en  friche 
n'occupe  perfonne ,  tout  au  plus 
un  berger  y  mcnera-t-il  fon  trou- 
peau deux  fois  dans  l'année  j  &ce 
troupeau  n'en  retirera  prefque  rien. 
Si  cet  arpent  q(ï  en  bois  ,  il  faut 
le  clorre ,  le  garder  ,  ôc  tous  les 
vingt  ans  on  vient  le  couper  ,  y 
faire  les  fagots ,  Técorce  6c  le  char- 
bon; mais  s'il  eft  en  prés  ,  on 
î'étaupe,  on  le  fume,  on  Tarrofe 
&  on  le  fauche ,  ôc  tout  cela  em- 
ploie du  monde ,  quoique  en  petite 
quantité  8c  feulement  en  deux  fai- 
fons  de  l'année.  Un  champ  occupe 
plus  de  monde  ,  on  le  laboure  à 
plufîeurs  reprifès ,  on  le  fume ,  ou 
le  féme  ,  on  le  herfe  ,  on  le  farcie , 
on  le  moi  (Tonne  enfin.  Où  il  y  a 
des  champs ,  il  y  a  des  hommes , 
fulTent-ils  fous  la  terre.  Où  les 
champs  rapportent  le  plus ,  il  y  a 
plus  d'hommes.  Mettez  cet  arpent 
en  jardins  appelles  marais  à  Paris , 
vous  y  verrez  dans  toutes  les  iai- 
fons  de  l'année  continuité  de  tra- 
vail &  de  récolte  tout ,  ed  mis  en 
valeur  5  à  peine  un  fende r  d'un  pied 


é^  [Agriculture  ^ 

de  largeur  permet-il  la  communi- 
cation d'une  portion  à  Tautre  de  ce 
fécond  domaine  :  on  élevé  des  murs 
&  des  ados  pour  les  produdbions  • 
qui  rampent  moins  que  les  autres  'y 
ôc  le  cultivateur  fe  procure  un  ter- 
rein  perpendiculaire  pour  étendre 
fbn  terrein  horizontal,  &  par  con- 
féquent  fon  Royaume.  Il  acquiert 
une  Province  à  dix  pieds  de  terre , 
qu'aucune  puiffance  n'a  droit  de  lui 
difputer. 

Par  une  liai  fon  de  conféquences 
plus  il  y  a  d'hommes ,  plus  auiïï  la 
terre  rapporte.  L'induflrie  tire  du 
roc  le  fuc  nourricier  des  meilleures 
plantes.  Voyez  de  loin  le  terroir 
de  Marfeille,  vous  n'appercevrez 
que  des  montagnes  grifes  d'un  efcar- 
pement  alFreux.  Approchez,  vous 
trouverez  la  fécondité  dans  fon 
Royaume  ,  &  dix  mille  huttes  ou 
maifons  plus  ou  moins  grandes  qui 
ont  chargé  ces  rochers  de  verdure, 
d'herbe  &  de  fruits.  Vous  y  verrez 
creufer  dans  le  roc  vif  des  tran- 
chées de  fix  pieds  de  profondeur  , 
les  remplir  de  couches  de  rerre  Ôc 


Premier  des  Arts.  ëy 

«3e  pots  cafles,  &  planter  enfuite 
dans  ces  fodes  des  vignes ,  qu'on 
ne  renouvelle  que  tous  les  cent 
ans. 

Mais  ceci  nous  méneroic  à  des 
matières  qui  refTortifTent  à  d'autres 
Chapitres.  Revenons  au  principe 
fondamental  qui  ne  peut  être  nié  : 
plus  vous  faites    rapporter  à  la,     plus  vous 

terre  ^  &  plus  vous  la  peupler,  faites  rappor- 

ter  3.  \sl  terre  % 

L'Agriculture  cependant ,  cet  art  pi^s  vous  ia 
par  excellence,  qui  peut  fe  pafler  peuplez. 
de  tous  les  autres  tandis  ou  aucun 
d'eux  ne  fçauroit  exifter  fans  lui , 
l'Agriculture  ,  dis  -  je  ,  eft  encore 
dans  fon  enfance.  Les  premiers 
hommes  de  chaque  focîété  l'onc 
tous  honorée  :  les  féconds  fe  font, 
pour  ain(î  dire,  hâté  de  la  négli- 
ger. La  fable  du  chien  qui  laide 
le  corps  pour  courir  après  l'ombre, 
a  toujours  dépeint  l'humanité  ea 
général  ;  eh  î  quel  art  mérita  ja- 
mais d'être  étudié  &  perfeâ:ionné 
avec  plus  de  foin  ? 

S'il  n'y  a  jamais  que  la  même 
étendue  de  terre  labourée  &  culti- 
vée dans  un  village  3  il  n  y  aura 


68  Agriculture  _, 

jamais  que  le  même  nombre  de 
laboureurs  &  de  cultivateurs  ,  tou- 
tes autres  chofes  étant  égales.  Il 
fèmble  donc  que  la  Population  de 
ce  village ,  &  par  conféquent  celle 
de  l'Etat  entier  pris  village  par  vil- 
lage 5  ait  des  bornes  que  toutes 
Tattention  &  la  protection  poflible 
ne  peuvent  étendre. 

Il  neft  pas  temps    encore  de 
traiter  des  moyens  d'augmenter  la 
Population  >  qui  ne   tiennent  que 
de  Tinduftrie  :  moyens  plus  impor- 
tans  à  pratiquer    pour    les  petits 
lieux  &  éloignés  des  voies  natu- 
relles du  commerce ,   qu'ils  ne  le 
font  pour  les  lieux  où  Tinduftrie 
naît  d'elle-même  ,  &  a  de  toutes 
autres  facilités.    Nous  ne  traitons 
maintenant   que  de   l'Agriculture 
ifolée  &  prife  purement  en  foi. 

En  fuppofant  tout  le  territoire 
de  ce  village  cultivé ,  je  demande 
il  le  plus  ou  moins  d'expérience 
dans  l'agriculture  n'eft  pas  capable 
de  l'étendre.  Il  y  a  un  proverbe 
commun  dans  le  labourage ,  qui  efl 
que  les  bonnes  terres  rapportent  à 


Premier  des  Arts,  é^ 

proportion  de  la  quantité  de  la- 
bours qu'on  leur  donne.  Donne-^" 
lui  deux  raies  _,  difent-ils ,  elle  vous 
rendra  pour  deux  raies  ;  donne:^- 
lui  en  quatre  j  elle  vous  rendra 
pour  quatre. 

Peut  -  être  la    frudifîcation   de 
cette  bonne  terre  s'étendtoit-elle 
plus  loin  encore ,  à  proportion  àa 
travail  ;  mais  en  la  laiiTant  au  point 
ci-delTus  démontré  par  l'expérien- 
ce ,  voilà  toute  la  bonne  portion 
de  votre  territoire  doublée  par  le 
travail  5  &  au- lieu  de  deux  lieues 
de  terrein,  nous  en  avons  quatre 
dans  le  fait ,  forte  de  conquête  donc 
il  ne  fera  parlé  dans  aucun  Congrès. 
Ce  double  rapport  nourrira  le  dou- 
ble  d'hommes  ;  augmentation  de 
Population  ,  &  conféquemmenc  de 
travail. 

Cependant  combien  les  plus  (im- 
pies détails  de  cet  arc  ne  font -ils 
pas  inconnus  aux  gens  même  les 
plus  intéreiïes  à  s'en  inftruire  ? 
Combien  d'hommes  aujourd'hui 
très -éclairés,  combien  peut-être 
d'entre  mes  Ledeurs  penfentjquand 


7  ®  ^Agriculture  ^ 

on  leur  parle  d*une  terre  qui  rend 
vingt  fois  la  femence  ,&  d*une  autre 
qui  iven  rend  que  cinq ,  que  la  pre- 
mière porte  vingt  charges  de  Bled 
a  la  récolte ,  tandis   que    i  autre 
n'en  rapporte  que  cinq  !  Ils  igno- 
rent que,  communément  parlant,- 
toute  la  différence  entre  ces  deux 
terres  confîfte  en  la  quantité  de  iè- 
mence  5  de  forte  que  celui  qui  pof- 
féde  la  première  de  ces  terres  ne 
féme  fur  fon  champ  qu'un  feptier 
de  grain  qui  lui  en  rapporte  vingt , 
ôc  qui  ne  lui  rendroit  rien  s'il  en 
femoit  davantage ,  attendu  que  tout 
monteroit  en  herbe  :  le  pofleileur 
de  l'autre  champ  eft  obligé  de  femer 
quatre  feptiers  pour  en  recueillir 
vingt  ;  en  forte  que  tout  l'avantage 
du  premier  ne  confift^  qu'en  la  fe- 
mence.  J'ai  rapporté  cet  exemple, 
comme  ayant  vu  fouvent  des  gens 
inftruits  fe  tromper  fur  cet  article , 
&  croire  de  bonne-foi  que  les  terres 
Léontines  &  celles  d'Afrique,  que 
les  Anciens  citent  comme  rendant 
cent  &  cent-vingt  fois  lafemence, 
rapportoient  vingt  fois  plus  de  graiiî 


T rentier  des  Arts.  yi 

réel  que  nos  terres  communes  qui 
donnent  environ ,  à  prendre  Tune 
dans  l'autre ,  fix  fois  la  femence. 

D'autre  part,  les  terres  médio- 
cres 5  par  exemple ,  ne  rapportent 
que  du  feigle  ;  ^  les  propriétaires 
riches  fur- tout  ne  fe  déterminent 
à  les  fcmer  de  cette  forte  de  grains, 
que  quand  ils  y  font  forcés  ,  & 
que  leurs  terres  fe  refufent  au  fro- 
ment. La  raîfon  de  cette  répugnan-. 
ce  eft  que  le  feigle  eil:  toujours 
évalué  d'un  quart  au  -  delTous  da 
froment  ;  mais  un  peu  de  lumières, 
d'expérience  &  de  calcul  leur  ap- 
prendroit  que  le  feigle  bien  moins 
fujet  par  lui-même  à  la  nielle  & 
aux  autres  accidens  que  ne  Teft  le 
froment,  rend  par  la  grotîeur  de 
fes  épis  un  tiers  plus  de  grain  que 
le  froment.  Or  ,  trois  mefures  de 
feigle  à  15  livres  valent  mieux  que 
deux  de  froment  à  lo  livres.  Le 
calcul  eft  court  &  clair. 

Je  ne  donne  pas  cette  dernière 
jndudion  comme  une  certitude, 
&  comme  un  principe  propre  à 
lous  les  pays.   Je  m*ens  fers  feule- 


yi  agriculture  y 

ment  comme  d*un  exemple  qui  dé- 
montre 5  ainfî  que  bien  d'autres  ^ 
que  l'Agriculture ,  quoique  de  tous 
les  arts  le  plus  anciennement  &  le 
plus  continuellement  exercé,  efl: 
peut-être  de  tous  celui  qui  eft  le 
plus  ofFufqué  de  préjugés  &  d'igno- 
rance. Pourquoi  cela?  C'eft  que  les 
lumières  naiflent  de  Taifance  ^ 
d'une  honnête  liberté. 

Les  premiers  hommes  ,  donc 
rpîiftoire  tant  facrée  que  profane 
nous  conferve  la  connoiffance  , 
étoient  plus  habiles  que  nous  fur 
cet  article.  Cette  afTertion  eft  prou- 
vée par  ce  qui  nous  refte  des  an- 
nales des  anciens  Egyptiens.  Les 
Patriarches  paîToient  leur  vie  à  la 
tête  de  leurs  troupeaux  qu'ils  fai- 
foient  multipHer  à  l'infini.  Jacob 
fçavoit  varier  par  un  artifice  natu- 
rel la  couleur  &  la  laine  de  {qs 
agneaux.  Bien  peu  de  pâtres  de  nos 
jours  feroient  capables  de  ce  genre 
d'attention. 

L'efprit  de  conquête ,  &  Toppref- 
fion  qui  en  eft  la  fuite,  bannirent 
bientôt  les  vertus  &  les  foins  paci- 

iiqueSi» 


Premier  des  Arts,  y^ 

Eques.  Les  arts  paflerent  de  TAfie 
dans  la  Grèce ,  pays  (ec  de  fa  na- 
ture ôc  de  peu  de  rapport.  Les 
Grecs ,  peuple  ingénieux  &  porté 
à  tout  ce  qui  efl;  du  relTort  de 
l'imagination,  négligèrent  b"entoc 
Te-ilèntiel  pour  s'attacher  aux  fubti- 
lités  de  Tefprit.  Ils  devinrent  Lé- 
giflateurs  ,  Philofophes  ,  Poètes  , 
Orateurs,  Médecins  Sec.  ôc  l'Agri- 
culture qui  leur  étoit  moins  né- 
ceffaire  qu'à  tout  autre  peuple  ,  fuc 
abandonnée  aux  efclaves.  Ces  Athé- 
niens dont  la  politelTe  a  pafTé  en 
proverbe  fous  le  nom  d'Atticifme, 
Ôc  dont  les  progrès  dans  les  beaux 
arts  font  depuis  tant  de  fiécîes  l'ad- 
miration de  la  poftérité,  palloient 
leur  vie  au  théâtre  ,  ou  dans  la 
place  publique  à  guetter  les  fautes 
de  grammaire  de  leurs  Rhéteurs  ; 
&  leurs  Magiftrats  étoient  chargés 
du  foin  de  leur  faire  venir  des  vi- 
jVres  par  la  mer.  Les  Lacedemo- 
.niens,  doi^t  on  vante  la  vertu  fau- 
vage  ôc  cynique  ,  laiflToient  aux 
lllotes  qu'ils' traitoient  en  efclaves 
,ou   plutôt   comme  des    bêtes  de 

D 


74  Agriculture  ^ 

fomme,  le  foin  de  les  nourrir.  Les 
premiers  Romains  forcés  par  la 
nécedité ,  cuitivoienc  avec  foin  leur 
territoire,  &  ne  furent  jamais  plus 
véritablement  grands  que  quand  ils 
fçurent  fe  contenter  de  leurs  pro- 
pres légumes,  &  mêler  les  foins  du 
labourage  à  ceux  de  la  Magiilrature 
&  du  Généralar.  Mais  refprit  de 
conquête  qui  ne  les  abandonna  ja- 
mais, leur  fit  bientôt  négliger  les 
mœurs  auftères  de  leurs  ancêtres. 
Les  campagnes  d'Italie  furent  li- 
vrées à  des  efclaves ,  &  les  Ecrivains 
de  cette  nation  en  ont  fait  pafïèr 
les  plaintes  jufqu'à  nous.  Affligés 
de  tous  les  maux  inféparables  d'une 
profpérité  fuivie  ,  &:  de  la  grandeur 
démefurée  ,  ils  ne  gouvernèrent 
leur  vafte  Empire  que  pour  le  ra- 
vager, èc  l'Agriculture  &  le  com- 
merce furent  également  bannis  du 
monde  connu.  '  ' 

Des  barbai  es ,  ou  pour  ainfî  dire , 
une  nouvelle  créatioh' d'hommes  , 
dévafterent  cet  Empire  affoibli;,^ 
formèrent  de  nouvelles  puidànces. 
Ces  conquérants  lie  firent  attentioa 


IL 


Premier  des  Arts,  7J 
aux  arts,  que  pour  en  éteindre  juf- 
qu'au-  fouvenir  ,  en  éiabliiTanc  le 
gouvernement  militaire  ,  Se  par 
conféquent  Toppreffion.  L'efclavage 
êiC  de  droit  Se  de  fait  fut  le  partage 
en  Europe  de  la  plus  utile  portion 
de  Thumanité. 

Ce  n  efl;  point  ici  le  lieu  de  re- 
marquer-ce  qu'il  efl  forti  de  loix 
utiles  Se  de  principes  fondamen- 
:aux  du  fein  de   cette  barbarie  5 
'car  le  propre  des  chofès  humaines 
îfl:  d'être  un  mélange  continuel  de 
ihien  Se  de  mal.  )  Les  loix  féoda- 
les ,  les  aiTennblées   de   la  nation 
lominante  pour  y  traiter  des  prin- 
«|:ipaux  objets  du  gouvernement,  Se 
lutres  ufages  que  les  nations  les 
)lus  policées   regrettent   encore  y 
alônt  Se  feront  toujours  des  preuves 
nJ|ue  les   plus   faines    lumières  de 
(lii|efprit  humain  Se   de  la  loi  natu- 
elle  percent  à  travers  les  plus  épais 
leAuages  de  l'ignorance  Se  de  la  bar- 
eslarie.  Les  principes  d'honneur  de 
,î|ancienne  Chevalerie    ne    lailTent 
;eslas  même  à  la  Philofophie  moder- 
rio4e  l'avantage  d*en  être  le  mafque» 

Dij 


I 


7*^  .Agriculture^ 

Maïs  on  nie  pas  que  TAgricuI- 
ture.&  le  coQimerce  ne  fuflènt  l'ob- 
jet de  leur  mépris.  Il  s'en  faut  bien 
cependant  que  ce  ne  fût  au  même 
degré.  Ces  braves  nations  ne  con- 
noifloient  guères  de  vertus  dontL 
valeur  ne  fut  le  principe  &  lepoin 
central  ;  la  générofité ,  la  franchifè 
Ja  bonne-foi ,  rhofpiralité ,  la  no 
blefïe  ,  vertus  fi  précieufes  à  ce 
anciens  preux  ,  prenoient  leur  four 
ce  dans   la  force  de  l'ame  &  d 
corps,  &  dans  l'indépendance  d 
Tefprit.  Il  regardoient  le  commerc 
comme  propre  à  abâtardir  Tune  ^ 
l'autre  ,  &  n'attribuoient  pas  le 
mêmes  efîècs  à  l'Agriculture,  dor 
ils  ientoient  d'ailleurs  l'indirpenfa 
ble  nécefîîté.    Aulîî  voit-on  qu'i 
exceptèrent ,  des  points  nombreu 
de  dérogeance  établis  parmi  eux 
l'Agriculture  exercée  fur  ion  pro 
pre  champ  :  mais  enfin  tour  ce  qi 
n'avoit   pas  trait  à  l'exercice   d( 
armes  leur  paroiflToit  un   aâ:e  c 
renonciation  à  la  gloire  &àtoui|^^' 
prééminence  ;  &  cet  injudepréju^l. 
à'eO-  foûcenu  bien  pïus  long-temj|  ^^ 


Premier  des  Ans,  ,  77 
que  n'a  duré  la  trace  de  leurs  ver- 
tus. Depuis  près  de  cent  ans,  le 
Gouvernement  en  France  a  eu 
grande  attention  à  établir  &  en- 
courager le  commerce;  mais  il  n'a 
encore  rien  fait  de  direâ:  pour 
TAgriculture.  Je  fçais  que  l'un  de 
ces  objets  tient  à  l'autre,  nous  le 
dirons  aiïèz  dans  la  fuite  de  ceci  ; 
mais  l'Agriculture  efl  la  racine  ,  & 
cela  fe  fenr. 

Je  n'ai  pas  prétendu  ,  par  rénu- 
mération vague  que  je  viens  de 
faire,  démontrer  que  l'Agriculture 
eft  un  art  nai(Tant;  la  chofe  parle 
afTez  de  foi.  J'ai  voulu  dire  feule- 
ment ,  que  Cl  parmi  nous  l'autorité 
tournoit  fa  proteélion  fur  cette  par- 
tie intéreiïànte  ^  elle  trouveroit  la 
carrière  neuve  encore. 

Indépendamment  des  bonnes 
terres  éc  des  médiocres  qui  pour- 
roient  être  extrêmement  bonifiées 
par  une  culture  plus  a(Iîdue  ik.  plus 
éclairée  ,  il  n'en  eft  aucune  dans 
.ce  qu'on  met  au  rang  dè^  mauvai- 
fès,  qui  ne  pût  être  mife  en  rap- 
port par  l'induftrie  &  la  oatience 

Diij^ 


7  s  Agriculture  ^ 

de  rhomme.  La  nature  nous  dé- 
montre par  Tes  feuls  efîbrts  qu'on 
peut  tirer  parti  de  tour.  Il  efl:  peu 
de  terreins  fabloneux  qui  ne  foient 
couverts  de  brandes ,  &  où  il  ne 
croiffe  des  pins  &  autres  arbres. 
Les  montagnes  les  plus  élevées  , 
du  moins  dans  nos  climats  v  tem- 
pérés, fe  couvrent  d'elles-mêmes 
d*arbres  &  de  verdure,  &  mille 
exemples  nous  montrent  que  les 
roches  les  plus  arides  peuvent  être 
fertilifées  par  le  travail. 

Le  Maltois  attaché  à  un  gou- 
vernement doux  &  uniforme  va 
chercher  en  Sicile  de  la  terre  dont 
il  charge  Tes  bâtimens,pour  en  cou- 
vrir un  rocher  brûlé  du  foleil 
d'Afrique  qu'il  change  en  jardins. 

L'Agriculture  cft  non- feulement 
de  tous  les  arts  le  plus  admirable, 
le  plus  nécefTaire  dans  l'érat  primitif 
de  la  fociéré ,  il  efl:  encore ,  dans 
la  forme  la  plus  compliquée  que 
cette  même  fociété  puiile  recevoir, 
le  plus  profitable  &  le  plus  rap- 
portant :  c'eft  le  genre  de  trav 


Premier  des  Arts,  yc^ 

qui  rend  le   plus  à  rindufirie   hu- 
maine avec  ufure  ce  q.u'il  en  reçoit. 

La  mer  attend  tour  de  la  terre 
&  de  celui  qui  la  fait  valoir;  il  eft 
inutile  de  le  repérer;  mais  je  fou- 
tiens  que  les  ptofits  de  TAgriculture 
font  plus  fûrs  &  plus  confidérables 
que  le  commerce  maritime  >  même 
que  la  recherche  de  l'or. 

Quant  à  ce  dernier  ,  la  fuite  de 
ctt  Ouvrage  démontrera  que  l'or 
n*eft  richeiie,  que  de  proportion; 
que  femblable  au  vif- argent  il 
s'échappe  des  mains  qui  le  polïe- 
dent  5  &  entraîne  avec  lui  tout  ce 
qui  a  pu  Tarrêter  au  pafîage  ;  on 
ne  peut  le  fixer  qu'en  l'enfevelif- 
fant ,  ufage  pour  lequel  ce  n'étoic 
pas  la  peine  de  l'arracher  des  en- 
trailles de  la  terre. 

A  l'égard  du  commerce  marîti- 
me  ,  je  mets  en  fait  qu'en  fuppo- 
faut  qu'un  propriétaire  de  terres 
fe  donnât  la  même  peine  pour  faire 
valoir  fes  fonds  furfon  propre  fol 
ou  fur  celui  d'autrui,par  les  foins 
de  l'Agriculture  ,  que  s'en  donne 
un  négociant  pour  bien  conduire 

D  iv      ' 


V 


to  Agriculture  j 

fon  commerce  ;  que  ce  propriétaire 
prenant  pour  bafe  de  la  conduite 
perfonnelle  la  même  économie  , 
fans  laquelle  il  n'y  a  point  de  com- 
merçant alTuré  ,  eût  d'ailleurs  au- 
tant d'attention  journalière  à  ne 
pas  perdre  un  inftant  ,  à  ne  rien 
laiiïer  arriérer  ,  à  fpéculer  pour 
fournir  de  nouvelles  branches  de 
producflion  relativement  aux  chan- 
gemens  arrivés  dans  la  confom- 
mation  ,  à  être  averti  des  premiers, 
à  tenir  des  comptes  en  régie ,  &c, 
je  mets  en  fait ,  dis-je ,  qu'il  feroit 
profiter  Tes  foins.  Tes  fonds  ôc  fon 
travail  au  double  de  ce  que  peut 
produire  aujourd'hui  le  commerce 
le  plus  lucratif. 

Autre  objet  important ,  fi  Ton 

veut  fè  fouvenir  de   la  diftindion 

que  j'ai  établie  au  commencement 

de  cet  Ouvrage  entre  la  fociabilité 

&  la  cupidité. 

X'Agrîciil-      L'Agriculture  efl:  de  tous  les  arts 

{rrArtsir^^  pWfodable.    Quelle  noblelTe , 

piusfociable.  quelle  géuéreufe  hofpitaliré   dans 

les  moeurs  de   ceux  qui  pa(îerent 

leur  vie  à  la  tête  de  leurs  moiflon- 


Premier  des  Arts^  5l 

neiirs  &  de  leurs  troupeaux  î  Mais , 
fans  aller  fî  loin  ,  entrez  dans  le 
jardin  d'un  pauvre  homme  ,  il  vous 
offre  gratuitement  &  fans  oftenta- 
tion  ce  que  Tartifan  étale  &  farde 
pour  le  vendre.  Qu'un  agriculteur 
faffe  une  découverte,  il  fe  hâte  de 
la  communiquer  à  fes  voifins  ;  tou- 
tes celles  des  autres  arts  font  des 
fecrets  qu'il  a  fallu  voler  ou  ache- 
ter bien  cher. 

Je  ne  parle  ici  morale  qu'au- 
tant qu'elle  eft  relative  à  l'intérêt 
bien  entendu  ;  &  à  dire  vrai  ,  la 
morale  la  plus  exacte  efl:  en  tout 
&  par  -  tout  l'intérêt  le  plus  réeL 
Mais  fans  entrer  dans  cette  difcuf- 
fion ,  n'eft-ce  rien  dans  un  Etat  que 
l'habitude  du  travail  &  de  l'inno- 
cence ?  Fouillons  les  annales  des 
Arts  5  nous  rougirons  des  excès 
dont  l'envie  &  l'intérêt  y  ont  déf' 
honoré  la  nature.  Peut-on  rien  re- 
procher de  Temblable  aux  agricul- 
teurs ? 

Il  eft ,  je  crois  ,  décidé  dans  la 
Spéculation  que  l'état  le  plus  inno- 
4eeiit  êft  le  plus  heureux  ;  mais  dai^ 

D  V 


§1  •  Agriculture^ 

gnez    reifayer   dans    la  pratique  , 
coarrifans  difgraciés  5  &  vous  favo- 
ris de  la  fociécé  ,  à  qui  Tâge  enlevé 
chaque  jour  quelques-uns  des  arcs- 
bourans  de  votre  mérite.   En  vain 
les  uns  afTedtent  &  jouent  les  de- 
hors de  la   confidération  qui  leur 
échappe,  en  vain  les  autres  cher- 
chent à  fe  rajeunir  ,  ne  fe  montrent 
qu'aux  bougies ,  &c.  Tout  les  aver- 
tit durement  qu*ils  ne  font  plus  ce 
qu'ils  ont  été.  Un  arbre,  une  fleur, 
ni  même  leurs  cultivateurs  ne  (ça- 
vent  point  faire  cette  différence  ; 
ils  fe  prêtent  aux   foins  de  Texilé. 
comme  à  ceux  du  favori  ,  &  trai- 
tent le  vieillard  comme  l'homme 
dans  la  fleur  de  l'âge. 

L'Agriculture  eft  donc  le  pre- 
mier des  Arcs ,  comme  le  plus  ho- 
norable à  l'homme,  le  plus  né- 
ceflaire,  le  plus  utile,  le  plus  in- 
nocent *,  mil'e  gens  l'ont  dit  avant 
moi  j  l'exemple  des  peuples  agri-. 
culteurs ,  &  de  la  partie  de  chaque 
peuple  qui  eft  livrée  à  l'agricultu- 
re ,  le  démontre.  Il  étoit  peu  né- 
ceflaire  de  m*étendre  fur  cet  article; 


Premier  des  Arts,  S  j 
51  le  fera  davantage  de  montrer  ce 
qui  en  arrête  chez  nous  le  progrès , 
&  quels  feroient  les  moyens  de 
Tencourager.  Mais  avant  d'en  ve- 
nir là ,  je  crois  qu*ii  eft  utile  de 
mettre  fous  les  yeux  un  précis  des 
avantages  dont  jouit  en  ce  genre 
notre  heureuie  patrie. 


CHAPITRE     IV. 

Avantages  de  la  France  relative-- 
ment  à  l'Agriculture^ 

T  'Auteur  de  la  nature  a ,  comme: 
ML^  je  l'ai  dit ,  donné  à  l'homme: 
la  faculté  de  faire ,  au  befoin  9  ali- 
ment prefque  de  tout.  Il  a  donne 
d'autre  part  à  la  terre  de  nourrir  de 
vivifier  dans  fon  fein  prefque  tou- 
tes fortes  de  germes ,  de  plantes  ^, 
&  de  fruits  ;  _mais  il  faut  encore: 
que  ce  fein  maternel  foit  attendri  y 
réchaufïe ,  humecté  par  le  concours, 
des  autres  élémens. 

Ce   concours   lui  eft  favorable 

D  vj 


?^  Avantages  de  la  France , 
pre  fqiie  par  -  tout ,  mais  plus  ou 
îBoins  ;  rindLiftrie  humaine  en  ac- 
croîr  encore  les  influences ,  &c  aide 
de  la  forte  à  la  nature.  Il  eil:  ce- 
pendant des  lieux  ,  où  elle  (e  refufe 
an  ^s  foins  &:  prefquà  toute  efpcce 
de  produ6lion. 

Le  Samoyene  &:  le  Lapon  cachés 
fous  des  neiges  éternelles  ne  fçaa- 
roient  multiplier  la  moulTè  quiTerc 
de  nourriture  aux  rennes  ,  dont  le 
lait  &  la  chair  font  leur  unique 
fubfiflance.  L'Africain  errant  dans 
des  fables  brûlans  travaiileroit  en 
vain  à  les  rendre  féconds.  Le  cli- 
mat &  le  fol  fe  refufenr  également 
dans  ces  diverfes  contrées  ;  en  quel- 
ques autres ,  le  climat  aideroit ,  & 
le  fol  manque. 

Les  deux  points  que  j'ai  cités 
font  les  deux  extrémités  de  ia  tem- 
pérature. En  partant  de  Tune  &  de 
•l'autre  &  fè  rapprochant  vers  le 
centre,  les  biens  &  les  dons  delà 
nature  fe  préfentent  félon  les  lieux  ; 
de  façon  que  ce  qui  manque  à  un 
canton  de  ce  qu'un  autre  poiTede, 
y  eft  remplacé  par  des  produdions 


pour  t  Agriculture,  Sy 

d*un  autre  genre  prefqu'égalemeiic 
analogues  aux  néceffités  &  commo- 
dités de  la  vie  humaine.  Mais  s'il 
eft  un  pays  qui  puilTe  jouir  égale- 
ment de  routes  ces  produ6bions  , 
celui-là  fans  doute  eft  le  favori  de 
la  nature. 

La  France  réunit  tous  ces  avan-    La  France 
tages  plus  quaucun  autre  Etat  du  ^l";;™;"" 
tnonde.    Les   Romains  qui  porfé-  autre  Etat 
dotent  trois   parties  de  Tunivers ,  P"""^  ^'^S^^' 

.  ,  '      .  .         culture» 

qui  Jes  parcouroient,gouvernoîent 
éc  ravageoient  également  tour-à- 
tour  5  rendoient  ce  témoignage  à  la 
Gaule  3  telle  qu  elle  éroit  alors  re- 
lativement à  fa  Population  ,  à  la 
température  de  Ton  climat  &  à  la 
multitude  de  rivières ,  dont  elle  eft 
arrofée.  Ils  ne  connoiiToient  pas 
les  avantages  de  la  mer  fi  impor- 
tans  aujourd'hui ,  &  que  nous  pof- 
fédons  d'une  façon  prefqu'unique. 
Ce  n  eft  pas  encore  ici  le  lieu  d*eii 
parler. 

En  confidérant  notre  climat,  la 
fécondité  de  la  plupart  de  nos  ter- 
res 5  ces  montagnes  qui  d'une  pare 
nous  fervent  de  frontières ,  &  de 


S^  j4vantages  de  la  France^ 
l'aurre  placées  au  centre  diftribuent 
des  eaux  dans  routes  les  parties  de 
cette  heureufe  contrée  ,  l'induRne 
&  l*aâ:i  vite  naturelle  aux  habitans, 
la  fécondité  de  leurs  femmes,  &  au- 
tres avantages  phyfiques ,  Ton  con- 
çoit aifément  que  la  France  doic 
être  la  patrie  de  la  Population  & 
de  Tabondance. 

Les  eaux  qui  fortent  des  mon^ 
tâgnes ,  qui  arrofent  de  toutes  parts 
les  vaftes  Provinces  de  ce  Royau- 
me ,  forment  les  rivières  &  les 
fleuves  qui  les  portent  à  la  mer.  Il 
n'eft  prefque  aucune  de  ces  eaux, 
qui  par  le  travail  le  plus  fimple  , 
&  le  foin  feulement  de  les  repren- 
dre a(Tez  haut  &:  d*en  détourner 
une  partie  pour  les  répandre  fur 
les  terres ,  ne  fertilifafïent  les  cam- 
pagnes qui  en  paroiflTent  les  plus 
éloignées.  Les  Chinois  ,  peuples 
chez  lefquels  il  eft  de  fait,  malgré 
les  relations  exagérées,  que  pref- 
que tous  les  arts  font  inconnus  , 
ont  néanmoins  fur  l'article  de  l'agri- 
culture des  lumières  pratiques  qui 
nous  feroient  honte  ,  d'autant  plus 


pour  V Agriculture.  Sy 
que  toutes  leurs  machines  font 
fîmples  :  ils  élèvent  les  eaux  par 
des  roues  ,  Ôc  les  tranfporrent  fur 
leurs  campagnes.  Où  voit-on  de 
ces  machines  ~  là  en  France  ?  Et 
dans  quel  pays  du  monde  auroic- 
on  plus  de  facilité  pour  cela? 

Le  célèbre.  conflru6teur  du  canal 
du  Languedoc,  homme  auquel  la 
patrie  devroit  des  flacues ,  n*a  for- 
mé les  baffins  qui  fournifTenr  à  la 
navigation  immenfe  Se  continuelle 
de  Ton  canal  que  de  ruiiïeaux  re- 
cueillis dans  les  montagnes ,  Ôc  qui 
fe  perdoient  dans  les  vallées,  fans 
que  perfonne  en  profitât. 

D*autre  part ,  la  température  du 
climat  permet  que  dans  toutes  les 
Provinces  du  Royaume  on  puilîe 
cultiver  les  productions  utiles  ou 
agréables  des  quatre  parties  du 
monde ,  de  façon  qu'elles  y  vien- 
nent comme  dans  leur  patrie  na- 
turelle. Le  détail  à  cet  égard  ieroic 
fuperflu. 

La  nature  des  terres  enfin  efl 
telle  en  France ,  qu*à  la  réferve  de 
quelques  dunes  au  bord  delà  mer? 


81     Avantages  de  la  France , 
&  de  quelques  roches  efcarpées  en 
petit  nombre  ,  il  n'y  a  peut-être 
pas  un  pouce  de  terrein  qui  ne  pût 
être  mis  en  valeur. 

On  fçait  Toffire  que  firent  les 
Maures  chaiTés  de  rEfpagne  ,  de 
venir  habiter  les  landes  de  Gafco- 
gne,  &  Ton  efl:  aujourd'hui  fur- 
pris  du  refus  qu'on  leur  fit  de  ces 
déferts.  Il  faudroit  fe  tranfporter 
aux  temps  ,  avant  de  blâmer  un 
gouvernement  auiîi  éclairé  que  ce- 
lui d'Henri  IV.  &  de  Ton  ConfeiL 
L'autorité  Royale  n'etoit  pas  alors 
aufîî  reconnue  ,  &  la  police  aufïï 
bien  établie  qu'elle  Teft  aujourd'hui. 
A  regarder  les  chofes  de  ce  fens- 
là,  une  colonie  de  huit  cents  mille 
âmes  étoit  un  peu  forte  pour  un 
Royaume  qui  renfermoit  encore 
le  germe  des  troubles  civils.  Ce- 
pendant Sully,  le  grand  &  digne 
Sully ,  qui  voyoit  tout  &  dans  le 
préfent  &  dans  l'avenir ,  vouloic 
qu'on  les  reçût.  Si  pareille  chofe 
arrivoit  aujourd'hui  ,11  y  a  apparen- 
ce que  les  fous-fermiers  de  la  capi- 
îation  remporter  oient  au  Confeil». 


pour  V Agriculture.  S^ 
Mais  en  fuppofant  que  des  raifons 
contraires  prévaluffent ,  &  que  les 
Anglois  &  leur  naturalifation  leur 
fermaient  leurs  portes ,  je  doute 
que  le  Roi  de  PruŒe  les  laifTâc  re- 
tourner en  Afrique. 

Quoi  qu'il  en  foie ,  ces  terri- 
bles landes,  où  l'on  ne  découvre 
trace  d'hommes  que  par  des  ren- 
tiers pendant  quarante  lieues  de 
pays ,  feroient  aujourd'hui  habitées 
autant  qu'aucune  autre  contrée  du 
Royaume  ;  &  qu'on  ne  m'oppofe 
pas  que  je  mets  ici  en  fait  ce  qui 
eft  en  queftion.  Ces  landes  por- 
tent des  pignadas  ou  bois  de  pins 
•très-  beaux ,  mêlés  de  chênes  blancs  : 
elles  fontprefque  par-tout  couver-' 
tes  de  brandes  fort  élevées.  Toute 
terre  qui  porte,  peut  être  fécondée 
par  la  culture  &  l'engrais ,  &  four- 
nir aux  néceiïités  de  l'homme.  L'air, 
dit  -  on ,  y  eft  fort  mal  fain ,  aînlî 
que  les  eaux  :  mais  il  y  vit  des  ha- 
bitans ,  quoiqu'en  petit  nombre  : 
les  befliaux  y  font  petits  ;  mais  ils 
peuplent  confîdérablement  :  & 
d'ailleurs  cette  température  vicieufe 


^o  Avantages  delà  France j 
ne  pourrojt-elle  pas  être  corrigée 
par  récoulement  donné  atix  eaux 
pluviales  qui  féjournent  roucThiver 
dans  ces  plaines  fabloneufes  î  Enfin 
j*ai  vu  moi-même  dans  un  enclos 
à  portée  d*une  des  hucres  de  ces 
bonnes  gens,  le  bled  de  très-belle 
efpèce  fraîchement  coupé  &"  en- 
core entaiïe  en  gerbes  dans  les  fil- 
Ions  ,  tandis  que  le  petit  mil  ou 
millet  fuccédanr  à  cette  récolte  ctoic 
déjà  haut  de  plus  d'un  pied  &  demi. 
Ce  double  produit  me  parue  un 
phénomène  ;  mais  mon  étonne- 
ment  ne  venoit  que  de  moji  igno- 
rance i  Se  àe  CQ  que  je  ne  fcavcis 
pas  qu'ils  fement  au  pied  du  fro- 
ment cette  efpèce  de  petit  bled  qui 
leur  fait  un  double  produit ,  &  les 
fauve  de  la  difette  ,  en  cas  que  la 
grêle  ou  queiqu*autre  malheur  dé- 
truife  la  première  récolte. 

Conféquemmcnt  ces  terres  font 
propres  à  produire.  îl  n'en  eft  au- 
cune ,  de  laquelle  l'homme  ne  tire 
des  richelTes,  J'ai  déjà  cité  l'exem- 
ple du  terroir  de  Marfeille  ;  je 
pourrois  citer  encore  les  environs 


■.) 


pour  l'Agriculture,  9 1 
de  Paris.  Les  plaines  cîe  Grenelle  ^ 
du  long  boyau  ,  de  S.  Denis  niê- 
me,  6c  les  environs  de  Verf^illes 
ne  porteroient  feulement  pas  des 
brandes ,  fi  elles  eroient  éloignées 
de  l'habiration  des  hommes.  La 
preuve  en  eft  dans  la  nature  de  la 
terre  &  dans  celle  des  gazons 
mouffeux  qui  bordent  Içs  avenues 
des  maifons  &  chemins.  L'extrê- 
me Population  fêuîe  &  Tabondance 
des  engrais  qu'elle  occafîonne  , 
forcent  la  nature  marâtre  à  s'y 
montrer  dans  toute  la  pompe  de  la 
fertilité. 

Je  le  répète  donc ,  il  n'y  a  pas  un 
fèul  canton  du  Royaume  ou,  pro- 
portion gardée  &:  relativement  aux 
befoins  du  pays ,  tant  pour  (a  con- 
fommation  intérieure  que  pour  foa 
exportation  extérieure ,  on  ne  pût 
porter  au  même  point  la  produc- 
tion &  les  efforts  de  l'Agriculture. 
Petic-à-petit  nous  en  viendrons  aux 
moyens ,  &  dans  la  totalité  de  ces 
réflexions  on  trouvera ,  à  ce  que 
j'efpere,  que  je  ne  fyftématife  fur 
rien  ,   &  que  je  n'offre  que   des 


^  1     Avantages  de  la  France  j 
objets  d'une  utilité   première  ,  Ôc 
des  moyens  faciles. 

Aux  avantages  du  fol  Se  du  cli- 
mat s'en  rapportent  plufieurs  au- 
tres ,  dont  Texpérience  feule  nous 
montre  la  connexité  avec  ceux  dont 
nous  traitions  tout-à-rheure. 

Nos  montagnes  s  par  exemple, 
heureux  réfervoirs  de  la  nature  , 
outre  les  avantages  éé]a  cites  com- 
me le  nombre  des  fources ,  l'abon- 
dance des  pâturages  ôc  des  beftiaux  > 
en  ont  encore  de  plus  remarqua- 
bles. La  fécondité  de  refpèce  hu- 
maine n'eft  nulle  parc  plus  mar- 
quée que  dans  ces  âpres  retraites. 
Les  hommes  rendus  laborieux  par 
la  difficulté  ,  non-feulement  expo- 
fent  à  nos  yeux  des  prodiges  d'A- 
griculture j  mais  encore  fortans  en 
forme  de  colonie  de  leurs  pays 
quand  les  neiges  mettent  fin  à 
leurs  travaux,  ils  defcendent  de 
toutes  parts  dans  les  plaines  ,  Se 
leur  laborieufe  &  frugale  économie 
met  à  contribution  non- feulement 
les  contrées  voifines ,  mais  les  plus 


pour  VAgricuhure,  95 
éloignées,  &  jufqu'aux  pays  étran- 
gers. 

Les  habitans  des  pays  de  Com- 
minge  &  de  Foix  (è  répandent  pen- 
dant l'hiver  dans  les  plaines  du 
Haut-Languedoc  &  de  la  Gafcogne. 
Les  Auvergnacs  ,  les  Limofins  , 
les  gens  de  la  Marche  inondent  . 
tout  le  Royaume  ,  &  font  Jurqu*en 
Efpagne  tous  les  gros  travaux.  Oa 
voit  par -tout,  fous  le  nom  de 
Savoyards  ,  les  montagnards  du 
Dauphiné  &  de  la  Provence.  Ces 
gens -là  multiplient  à  Tinfini  j  le 
travail  ne  les  lafTe  jamais  :  ils  vi- 
vent de"  fi  peu  ,  qu'ils  amafTent  àts 
fommes  confidérables  des  plus  pe- 
tits grains  multipliés  j  &  i*air  de 
fànté  qu'on  leur  voit  à  tous ,  prouve 
que  le  régime  le  plus  dur ,  quand 
il  eft  volontaire  ,  efl  le  plus  falu- 
taire  à  l'homme. 

D'autre  part ,  quel  genre  d'induf- 
trie  pofîîble  ne  germe  pas  dans 
cette  nation  aâ:ive  !  également  pro- 
pre à  tous  les  arts  libéraux  &  mé- 
chaniques ,  elle  renferme  dans  fcn 
fein  une  multitude  de  nations  diffé- 


^4  Avantages  de  la  France  i 
rentes,  réunies  par  une  longue  tia- 
bitude  de  reconnoître  une  même 
domination  &  de  concourir  aux 
mêmes  objets  relatifs  ,  mais  qui 
cependant  différent  entre  elles  de 
génie  ,  de  tempérament  &  de 
propriétés  :  de  forte  cjue  fraterni- 
iées  d'une  part  entre  elles  par  le 
Gouvernement  &  le  mélange  iné- 
vitable entre  les  différentes  parties 
du  même  Etat  ,  elles  participent 
d*autre  part  à  toutes  les  propriétés 
des  nations  étrangères  par  le  moyen 
des  diverfes  Provinces  qui  font 
limitrophes  de  chacunes, d'elles. 
Ainfî  le  Provençal  a  le  feu  &  la 
vivacité  de  l'Italien,  le  Haut- Lan- 
guedocien participe  en  quelque 
forte  de  la  gravité  Efpagnole  ,  le 
Breton  tient  de  TAnglois ,  le  Fla- 
mand du  Batave  ,  TAlfacien  de  l'Al- 
lemand ,  le  Comtois  du  Suiife ,  &c. 
&  ces  diverfes  natures  viennent  fe 
rafiner  dans  le  creufet  de  la  dou- 
ceur &  de  la  politefïè  Françoife 
qui  fert  de  tempérament  propre 
aux  nations  du  centre  du  Royaume , 
vertus  de  la  médiocrité ,  fi  Ton  veut. 


pour  V Agriculture,  c)  f 
mais  alliage  excellent  pour  amal- 
gamée &  diriger  vers  le  bien  gêné- 
rai  les  propriérés  diverfes  &  quel- 
quefois excefîives  qu'apportent  au 
centre  commun  les  nations  plus 
décidées. 

Pour  revenir  à  Tindullrie  ,  il 
n'eft  pas  temps  de  parler  de  celle 
qui  efl  relative  au  commerce  pro- 
prement dit  ;  mais ,  fans  fortir  du 
genre  de  Tagricuiture ,  je  me  rap- 
pelle d'avoir  vu  un  payfan  renforcé, 
fermier  en  même  temps  de  la  gran- 
de tréforerie  de  Malte  auprès  de 
Corbeil ,  d'une  grofle  terreau  def- 
fus  d'Auxerre,  &  d'une  autre  plus 
forte  encore  en  Picardie.  Il  mé 
détailla  Us  différents  rapports  de 
produiftion  &  de  fecours  que  fe 
prêcoient  mutuellement  ces  trois 
établi ffemens,  en  apparence  fî  éloi- 
gnés &  fi  divers ,  éc  je  fus  étonné 
des  lumières  que  je  trouvai  foUs 
cette  groffiére  écorce.  Il  fe  forme 
dans  Paris  des  compagnies  pour  les 
fermes  de  terres  fituées  jufques 
dans  lesPirennées,  pour  peu  qu'el- 
les fbient  de  quelque  confidération. 


5^     Avantages  de  la  Vrance  ^ 

En  un  mot  généralement  parlant; 

roifiveté  &  la  mifere  ne  font  ja^ 

mais  que  forcées  chez  ce   peuple 

induftrieux. 
L'ifleGellée.      jg  j-jg  f^^jg  ^j^j^^g  q^gj  conte  dcs 

Fées  fai  lu  que  Tifle  Gellée  étoic 
autrefois   très-floriflante  :  on  y  la- 
bouroit  5  on  y  bâtiffoit ,  le  com- 
merce &r  les  arts  y  étoient  en  hon* 
neur ,  &  ce  peuple  -  là  jouoit  un 
rôle  dans  le  monde.  Comme  cha- 
cun faifoit  valoir  fon  talent  ,  un 
homme  habile  prouva   par  beaux 
dits  que  le  génie  &  Tadlivité  étoient 
contribuables ,  comme  tous  autres 
biens  d*ici-bas  :  en  conféquence  on 
taxa  toute  induftrie  ,  &  tant,  fut 
procédé   d'après   cette   ingénieufe 
fpéculation ,  que  ce  beau  pays  de- 
vint l'ifle  Gelée. 

Quant  à  Tinduftrie  dont  je  par- 
le 5  il  eft  convenu  parmi  toutes  les 
nations  policées  qu'un  éit%  princir 
paux  foins  du  Gouvernement  doit 
être  de  la  répandre  dans  la  fociété  ; 
mais  pour  remplir  ce  devoir ,  il  fuf- 
firoit  d'animer  par  des  honneurs  & 
des  récompenfès  le  zélé  de  ceux 

qui 


p^un  r agriculture,  97 

qui  confacrent  leurs  études  Se  leurs 
travaux  à  des  recherches ,  donc  le 
but  efl:  de  retendre  Se  de  l'éclairer  : 
quant  au  foin  de  l'exciter ,  on  peut 
s'en  rapporter  à  raiguillon  du  be- 
foin.  L'induftrie  e&  un  don  dû 
Ciel  aiïez  généralement  départi  à 
tous  les  hommes ,  chacun  dans  fou 
genre  ;  mais  ce  don  ne  fçauroic 
être  développé  que  par  la  nécef- 
foc. 

I  Ne  confondons  point  :  H  y  a 
deux  forces  de  néceiïicés ,  l'une  de 
pénurie  ,  l'autre  d'abondance  :  Tune 
fait  les  mendians  ,  l'autre  a  fait  les 
Ideftrudeurs  de  l'Empire  Romain  : 
Irune  ed  fans  reiTources,  l'autre  les 
la  toutes.  La  dépopulation  fait  la 
'■première ,  l'extrême  Population  faic 
lia  féconde  ;  mais  l'extrême  Popu- 
'lation  ne  peut  venir  que  de  i'ex- 
5|:rême  agriculture.  Songeons  donc 
Janiquement  à  rendre  à  la  campa- 
'tti^ie  fes  habitans  3  à  les  éclairer 
îiEans  leurs  travaux,  à  les  protéger, 
it'les  foulager  dans  les  malheurs,  à 
&|xiettre  enfin  en  vigueur  Se  en  hoa« 
uiilieur  leur  utile  profeiïïon. 
m  J.  Farcie,  E 


^S  Avantages  de  la  France  ^  &c, 

Voudriez-vous  me  nier  le  prin* 
dpe,  &  me  dire  que  rien  ne  fut 
plus  peuplé  que  la  Hollande ,  & 
que  rien  n*euc  jamais  moins  de 
produit?  La  réponfe  efl:  aifée.  Si 
je  prêchois  TAgricuIture,  Se  pro{^ 
crivois  le  Commerce  ,  je  ferois 
naître  des  hommes  fans  bras.Quand 
un  Etat  n'a  point  de  territoire  , 
il  eft  inutile  de  lui  enfeigner  à  le 
cultiver  :  la  Hollande  pri(e  dans 
rérat  où  vous  me  la  citez  ,  n'efi: 
qu'une  ville  entière  ,  telle  que  je 
les  demande  ,  comme  je  le  dirai 
ailleurs  ,  c'eft-à-dire ,  fituées  à  por- 
tée des  exportations  &  importa- 
tions étrangères  ,  &  où  tout  le 
monde  eft  occupé  à  vivre  de  Ton 
travail  &  non  de  fes  rentes  :  mais 
doutez-vous  que  fi  nous  donnions 
aux  Hollandois  la  plus  rude  de  noç 
montagnes  ou  la  plus  aride  de  nos 
jandes ,  elle  ne  fut  bientôt  en  rap- 
port ?  eu  ce  cas ,  vous  ne  connoifTez 
guères  cette  naçion  induHrieufe  &; 
ïntérefTée. 

Ces  confidérations    me    jette^j 
foiçat  l^ors  d^  mpn  fujet  aftuel  t\ 


Ce  qui  n ult  à  V Agriculture.  ^  e» 
elles  vJendronc  en  foule  dans  Je 
temps ,  &  fe  rangeront  par  clalîë 
félon  Tordre  des  maricres ,  auranc 
du  moins  qu*il  m*eft  pofliole  d*eii 
mettre  dans  ce  que  j'écris.  Venons 
maintenant  aux  points  principaux 
de  ce  premier  livre,  &coniîdérons 
quels  font  les  inconvéniens  qui 
font  languir  TAgriculcure  parmi 
nous  ;  enfuire  nous  traiterons  des 
moyens  de  Tencourager. 


^I^Jtxmxt^sxasL^iiswtiiMi.^ii'  it\.,£ii&JSt'AbA:snix^itf. 


i*- 


CHAPITRE     V. 

Inconvéniens  qui  font  languir 
V Agricultur  e, 

T  A  profpérité  ed  aux  Etats  ce 
J-^ quefl  la  maturité  aux  fruits 
de  la  terre;  elle  en  annonce  ,  elle 
en  néceffite  prefque  la  putréfac- 
tion. Nous  avons  dît  que  l'inquié- 
tude eft  inhérente  à  notre  fubftan- 
ce ,  &  fait  partie  de  la  nature  hu- 
maine :  le  propre  de  l'inquiétude 
cft  de  chercher  toujours  le  mieux. 


s 00  Ce  qui  mât 

ëc  la  recherche  du  mieux  nous 
poulïè  au-delà  du  bien.  Plus  on 
court  après  la  premier ,  plus  on 
s'éloigne  du  fécond  *,  la  mêmç 
adtion  des  reflorts  phyfiques  »  qui 
a  changé  la  verdeur  en  maturité, 
pouffe  celle  -  ci  jufqu  à  la  pourri- 
tpre. 

Enconféquence,  le  premier  érac 
d^  rhomme  ,  qui  eft  l'Agriculture , 
étant  pour  lui  le  point  du  bien  >  il 
cft  tout  iîmple  que  Ton  inquiétude 
Ten  arrache.  Plus  il  s'en  éloigne, 
plus  il  croit  approcher  du  niieux  , 
ôc  plus  en  effet  il  dépalîê  le  bien , 
ce  qui  eft  pis  encore  que  de  n'y 
pouvoir  pas  atteindre.  Confidérons 
maintenant ,  à  l'appui  de  ces  géné- 
ralités, en  combien  de  façons  la 
profpérité  de  FÇtat  a  fait  parmi 
i)ous  décheoir  l'Agriculture. 

Plus  une  focié.té  s'étend  ,  plus 
elle  efl:  tranquille  au-dedans ,  plu;s 
elle  eft  vivifiée  par  différentes  for-^ 
tes  d'induftries ,  &  plus  aufïi  le  jeu 
d^  la  fortune  y  a.  de  liberté.  De*- 
lors  les  grandes  fortunes  devien- 


à  r Agriculture,  îoi 

héritages  abforbent  les  petits. Quel-    pIus  une  fb'^ 
le  différence  cependant  de  la  fer-  ^'écé  s'étend, 
lilité  d'un  petit  domaine  qui  four-  cuhure  Hf-' 
nie  à  la  fubfiftance  d'une    famille  que  d'y  êtrâf 
laborieufe  ,  à   celle  de  ces  vaftes  ^""'^'• 
campagnes  livrées  à  des   fermiers 
pafTagers ,  ou  à  des  agens  parefîèux 
ou  intérefles  ,  chargés   de   contri- 
buer au  lu^e  de  leurs  maîtres  plon- 
gés  dans  la  préfomptueufe  igno- 
rance des  villes.  Laudato  ingentia 
rura  j  difoit  Virgile  ,  exiguum  cû- 
lità. 

Le  territoire  d'un  canton  ne 
fçauroit  être  trop  divifé  :  c'efl  cette 
répartition  ,  cette  différence  du 
tien  au  mien  ,  principe  de  tous  les 
maux ,  difoient  autrefois  les  Poètes, 
qui  fait  toute  la  vivifîcatioa  d'un 
Etat. 

Je  me  promenois  un  jour  fur 
une  terraife  ruftique  *,  deux  voya- 
geurs pafibient  au  bas  dans  le  che- 
min :  Je  parie ,  dit  l'un,  regardant 
un  enclos  qui  éroit  au-deifous ,  que 
ce  bien  appartient  au  Seigneur. 
Oui ,  Monfieur,  fe  hâta  de  dire  ua 
payfan  ,  qui  peut  -  être  de  fa  vie 

E  ii} 


'rei  Ce  qiiï  nuit 

B'avok  trouvé  occafion  d'enfèign^r 
que  cela.  (Nous  aimons  tous  à  euh 
do(5lriner,  &  peut-être  en  fuis -je 
moi-  même  en  ce  moment  un  exem- 
ple afïez  ridicule.  )  Je  m'en  étoîs 
bien  douté  reprit  le  voyageur ,  à 
le  voir  couvert  de  ronces  &  d'épi- 
nes. Je  fus  un  peu  honteux  5  car 
f  étois  ce  Seigneur-là  r  mais  je  me 
corrigeai  en  fubdivifant  mon  en- 
clos à  plufieurs  payfans  qui  y  de- 
vinrent laborieux ,  déracinèrent  les 
épines  ,  y  ont  bien  fait  leurs  affai- 
res &  doublé  mon  fonds. 

Les  gros  brochets  dépeuplent 
îes  étangs  ;  les  grands  propriétaires 
étoufîènt  les  petits.  Qu'une  terre 
dans  une  province  éloignée  combe 
par  héritage  dans  une  groilè  raai- 
fon  :  toute  une  famille  de  gens  de 
condition  y  vivoit  honnêtement , 
élevoit  it^  tïi^2iX\s  5  les  poufïbit  au 
ièrvice,  entretenoit  mai  Tons  &  jar- 
dins ,  &  confommoit  le  revenu 
dans  le  pays  ;  au-lieu  de  cela ,  c'eft 
une  goutte  d'eau  dans  la  rivière: 
à  peine  l'Agent  a-t-il  de  quoi  s'en- 
tretenir :  les  chouettes  s'empareuf 


à  V Agriculture.  lù^ 

■du  donjon  ,  les  colimaçons  du 
jardin  ;  on  coupe  les  bois  ,  &  le 
nouveau  Seigneur  n'en  cft  pas  plus 
riche. 

Quand  dans  un  grand  Etat    il 
arrive  que  par  quelque  exception 
fondée  fur  la  ftérilité  naturelle  du 
fol  5  ou  fur  réloignement  du  féjour 
des  grands  propriétaires ,  les  terres 
fe  trouvent  réparties  en  différents 
petits   héritages,   chaque  ménage 
tire  du  fien  des  refîources  qui  le 
font  vivre  de  ce  qui  ne  feroit  pas 
même  fumier  dans  un  grand  :  les 
fruits  réels  payent  \qs  charges  de 
l'Etat  ;   l'induftrie    Se   Téconomie 
font  vivre  le  propriétaire  cultiva- 
teur qui  croit  devoir  fa  fubfiftance 
à  fon  champ  ,  &  qui  l'en  eflime 
davantage.  Mais  au  contraire  ,  plus 
des  petits  héritages  engloutis,  pour 
ainii  dire ,  dans  les  grands  perdent 
de  cette  fertilité  que  leur  donnoie 
la  préfence   &    l'attention  conti- 
nuelle du  maître  ,  plus  la  fubven- 
tion  due  à  TEtat  devient  à  charge 
au   propriétaire   déjà   dévoré    par' 
.tous  ks  fous- ordres. du  luxe  &  d© 

E  iv 


la  pareffe  -,  plus  en  conféquencë^ , 
la  valeur  des  terres  baiiTè  dans  Tef^ 
time  publique  &  particulière.  Or^ 
s'il  eft  vrai  que  plus  nous  prifons 
une  chofe ,    plus  nous  y  donnons 
de  foins  *,  s'il  l'cfl:  encore  ,  que  la 
terre  ne  peut  valoir  que   par  nos 
foins  &  notre  travail  :  qu'on  juge 
quel  vice  c'eft  dans  un  Etat,  que 
la  diminution  de  la  valeur  des  ter- 
res dans  l'efiime  publique.  Qu'on 
réduife  au  produit  de  cette  fpécu- 
lation  (împle ,  &c  dont  la  démonf- 
-tration  eft  fous  les  yeux  de  tous 
le   monde  ,    l'eftime    que  méri- 
tent les  foins  d'un  Gouvernement 
qui  au  -  lieu  de  tendre  par  tous 
moyens  doux  à  la  fubdivifîon  des 
fortunes  &  héritages,  auroriferoic 
&  appuyeroit  au  contraire  les  réu- 
nions de  convenance ,  &  poufleroic 
l'imprudence  jufqu'à  forcer  celles 
qui  font  fous  fa  main.  XJn  Béné- 
ficier, un  Dignitaire  demande  &* 
motive   par   les    raifbns  les    plus 
Ipécieufès  la  réunion  à  fa  place  de 
plufîeurs  autres  Abbayes  ou  Béné- 
fices qui  font  à  fa  bienféauce  j  il 


I 

à  V Agriculture o  ïof 
iaîc  en  cela  fa  charge  ,  peut  -  être 
fait-il  aufll  le  bien  de  fon  Eglifej 
mais  il  ne  fait  aOTurément  pas  celui 
de  TEtat  :  on  démolit  d'antiques 
monumens ,  dont  l'entretien  aurok 
été  à  charge  au  nouveau  proprié"» 
taire  :  on  retire  dans  les  villes  des 
Deflervans  qui  faifoient  vivre  la 
campagne  ,  ou  pour  mieux  dire  y 
x)ï\  les  fait  rentrer  dans  la  terre  5= 
car  leur  dépouille  n'accroît  poins 
le  nombre  ,  mais  feulement  le^ 
commodités  de  ceux  qur  les  en-» 
gloutilTent:  l'Etat  y  perd  des  fujets^ 
h.  campagne  des  habitans  aifés ,  ù 
nécelTaires  à  l'entretien  du  pauvre  =,. 
&  la  terre  l'œil  du  maître. 

Il   n^eft  rien  de  (î  fou    que  la 
rai  fon  humaine  ne  puiffe  regarder 
comme  fageife.  Un  temps  viendra^^ 
peut -êtreoù  l'on  verra  des  bureaux  ^ 
dont  les  fondions  pourroient  être 
exprimées  par  ce  titre  :  Tribunal  de     TiîbunaR 
la  dévajlation.  L'objet  en  ferait  de  ^;|^^^  ^«v^^*- 
détruire  des  maifons   ruinées ,  &       '       ' 
d'en  réunir  les  revenus  à  d'autres 
plus  dignes  d'être  confervées.   S'il 
aous  efl:  permis  de   pouffer  plu# 

E-v 


'*3^  Ce  qtii  mut 

loin îa  prévoyance,  nous  pourrrons 
prefque  prédire  les  moyens  habiles 
&c  fûrs  dont  on  s'y  (êrviroic  pour 
former  le  tableau  des  profcriptions,. 
On  écriroit  d'abord  dans  les  Pro^ 
vincês  que  le  deflein  du  Gouver- 
nement elt  d'aider  les  maifons  obé- 
rées, 8c  par  cette  rufe  aulîî  utile 
que  noble,  on  obciendroit  un  écaî 
des  revenus  &  des  dettes  de  cha- 
que maifon ,  état  fidèle  fans  doute 
comme  le  moyen  qui  l'auroit  pro- 
curé. 5ur  cela  la  fatale  lide  fer  ois 
drelfée  précifément  dans  la  direc* 
tioii  contraire  à  ToLjet  de  tout  bon 
Gouvernement ,  qui  eft  d'appuyés 
îe  foible  contre  le  fort ,  au  -  lieu 
qu  ici  les  maifons  protégées  feroienr 
aidées  de  tout  le  poids  de  Tauto- 
rité  à  envahir  les  biens  des  mai?- 
&ns  voifnes.  Mais  fi  Jamais  nos 
î3eveux  voyenc  établir  le  funefte 
abus  d'une  politique  deftruftive  ,. 
voici  à  peu -près  les  raiforrs  dont 
ils  pourroient  combattre  cet  étran^ 
ge  fyftême.  Vous  fou  tenez  ,  di- 
îoient-ils  à  fes  auteurs ,  que  tant 
es  maifons  religieufes  multiplienc 


à  V Agriculture,  107 

inutilement  le  céi  bat,  qu'elles  (ont 
à  charge  à  l'Etat  à  qui  elles  deman- 
dent fans  cède  des  fecours  ,  que 
ruinées  par  les  révolutions  palTeeSp 
la  mifere  y  introduit  le  relâche- 
ment, &  qu'elles  fcandalifent,  au- 
lieu  d'édifier  ;  que  la  plupart  fou- 
rni fëî  à  des  Supérieurs  incapables 
de  (e  conduire  eux-mêm.es  affec- 
tent une  indépendance  des  Supé- 
rieurs Eccléfîaftiques  ,  qui  efl  de 
mauvais  exemple  ;  qu'elles  vivent 
enfin  miférablem^nt  &  dans  la  pa- 
relTe.  Reprenons  chacune  de  ces 
objeélions.  A  l'égard  du  célibat  , 
vous  ne  fupprimez  encore  que  des" 
maiions  de  fillfs ,  &  je  vois  danS' 
l'Etat  11 X  fois  plus  de  filles  nubiles 
que  d'hommes  qui  veuillent  fe  ma- 
rier. Elles  font  à  charge  à  l'Etat?: 
qu*il  fupprime  entièrement  Tes  fe- 
cours^ les  niaifons  qui  ne  peuvent 
s'en  paflTer  tomberont  d'elles-mê- 
mes 5  ou  chercheront  d'autres  reP 
fources  dans  leur  travail  ,  dans^ 
Fordre  &  Téconomiede  l'intérieufo- 
Dans  toutes  les  autres  claiTes  de 
citoyens  >  le  Gouvernement  s'êriir— 


%■% 


fîCiS  Ce  qui  nuit 

barrafle-t-il  d*éxaminer  iî  plus  & 
gens  embraiïent  une  profeffioii 
qu'elle  n'en  peut  nourrir  ?  La  ré- 
forme fe  fait  d'elle-même  ,  &  le 
Kombre  s'en  proportionne  bientôt 
tour  naturellement  aux  moyens  de 
fubfîftance.  Quant  au  relâchement , 
e'eft  à  la  police  Eccléfjaftique  & 
Civile  à  y  pourvoir:  il  efl  plusaifé 
de  les  foumettre  aux  Supérieurs  \qs 
plus  dignes,  que  de  les  détruire; 
&  pour  ce  qui  efl:  de  la  pare/îè 
monaflique  ,  je  la  crois  au  moins 
âu(îî  établie  dans  les  maifons  ri- 
ches, que  dans  les  pauvres.  Si 
cela  eft  ainfi ,  c'eft  un  vice  qui  tient 
au  relâchement  auquel  nous  avons 
pourvu  ci  deflus.-  Voilà  vos  raifons 
combattues  ,  daignez  maintenant 
écouter  les  nôtres.  Ces  maifons-, 
que  vous  fuppriraez,  fervoient  de 
retraite  pauvre  >  il  efl:  vrai  ,  mais 
à  de  pauvres  filles  élevées  pauvre- 
ment, &  conféquemment  tout  à 
€tx  égard  fe  trouvoit  de  niveau  & 
à  £à  place  ;  au  -  lieu  qu'elles  n'ont 
pas  de  quoi  fe  faire  admettre, dans 
'Eêlles  que:  vous  conièivez.    Elles 


a  V Agriculture,  105 

elevoîent  les  filles  du  bourg  &  du 
voifinage,  dont  elles  Te  chargeoienE 
pour  de  très- petites  pen fions  \  ôc 
c'efl:  quelque  chofe  que  Téduca- 
tioiî ,  même  telle  quelle,  pour  qui 
neft  pas  en  état  d*en  recevoir  chez 
foi, ni  de  s'en  procurer  dans  les  grof- 
fes  maifons.  Ces  maifons  pauvres 
entretenoient  des  bâtimens  qus 
vous  nefçauriezréunir  a  celles  qui 
les  dévorent,  ôc  qui  devenus  inu- 
tiles dans  des  lieux  déjà  mal  habi- 
tés ,  ne  font  qu'accroître  les  ruines. 
D'entre  leurs  revenus  mêmes  les 
plusfolides,  la  plupart  viennent  à 
rien  entre  les  mains  de  pofleffeurs 
plus  éloignés  &  moins  attentifs, 
ce  font  de  petites  rentes  qui  fou- 
vent  ne  valent  pas  les  frais  de 
coUeélc  :  des  enclos  très-rapportans 
en  ce  qu'ils  fournifîoient  à  leiu: 
fubfiftance,  devenus  friches  par  la 
chute  de  la  maifon  <Scc.  les  petites 
libéralités  des  parens.  Se  leur  in- 
duilrie  faifoient  le  refte  :  de  ces 
maifons  ,  les  unes  éîevoient  des 
vers  à  foie,  d'autres  faifoient  das 
©uvrages  à- la  main,  des  liqueurs .3.. 


î  î  ô  Ce  qui  nuit 

des  toiîes,  &c.  Tous  ct%  nnenilS" 
détails  font  des  riens  ;  mais  n'aurez- 
voiis  d*attention  à  ces  riens  que 
pour  les  détruire  t  Oh  !  réforma- 
teurs à  coups  de  coignée ,  vous 
ères  les  plus  mal- habiles  des  jar- 
diniers. 

Cette  digrelîîon  qui  m'a  mené 
loin  5  paroîtra  déplacée  d*abord,  & 
prématurée  enfuite  ;  mais  j'en  crois 
le  fond  de  queîqu  importance ,  & 
peut-être  l'aurois-je  oublié  ailleurs. 
Revenons. 

Les  grandes  fortunes  font  cepen- 
dant, comme  je  Tai  dit, une  fuite 
naturelle  de  la  profpérité  d'ua 
Etat  ;  raccroiflTement  des  befoins 
du  fifc  &  des  facilités  qu  il  a  d'éten- 
dre fes  rameaux  fur  tout  le  terrii- 
toire,  en  eft  pareillement  un  efïèt 
néce (Taire  ,  d'où  s'enfuit  que,  par 
un  enchaînement  (impie,  le  difcré- 
dit  des  terres  naît ,  (î  Ton  n'y  prend 
garde  ,  de  la  profpérité  même  d'un 
Etat. 

Il  eft  des  pays  où  l'induflrie  du 
^^Q.  a  3  pour  ainiâ  dire  ,  fafciné  les 
^eux  du  cultivateur  au  point  quil 


a  V  A  inculture,  i  j  t 

fe  regarde  encore  comme  proprié- 
taire abfblu ,  tandis  qu'il  n'eft  pàs- 
même  fermier  à  titre  honnête.  Ce 
doit  être  le  nec  plus  ulirà  de  Tor- 
ganifationdes  finances  :  une  entre- 
prit,  une  opération  de  plus  peut 
Eout-à  coup  défiller  les  yeux  ,  ou 
du  moins  jetcer  par  Tes  efîets  dan.5 
l'accablement. 

Le  Mogol  efl  propriétaire  des 
terres  dans  Ton  Empire  immenfe 
femé  de  déferts ,  Se  le  peu  de  fu- 
jets  qui  lui  redent ,  eu  égard  à  la 
Population  des  pays  vivifiés ,  vit  au 
jour  le  jour ,  Se  enterre  Tor  qu'il  a 
pii  ramaffer ,  fans  fe  foncier  de  rien 
édifier  ni  planter. 

Du  difcrédit  des  terres  dont  Je 
rrairerai  plus  au  long  ci-de(îous  5. 
naît  naturellement  le  dégoût  de  Ix 
profefîîon  d'Agriculteur.  L*écono=- 
mie  de  campagne ,  forte  de  travail 
également  attrayant  &  adif ,  n'offre 
ni  à  Tambinon  Tefpoir  d'une  fortu- 
ne rapide  dont  on  voit  tant  d'exem- 
ples dans  un  grand  Etat ,  ni  aux 
pafïïons  l'appas  trompeur  des  vo- 
lupté'î,  les  diftiactioDS  promifes  k. 


tii  Ce  qui  nuit 

la  politefle  &  aux  arts.  L*urbanîté 

une  fois  établie   primera  toujours 

parmi  les  hommes  ;  le  citadin  fe 

mer  au   moins   à  fon   aife  avec 

Tagriculteur ,  celui-ci  fera  au  moins 

embarrafle  devant  le  citadin  ;  Thom- 

me  cependant  aime  à  primer.  Ainfî 

donc  ,  la  cupidité,   la  pareflTe   & 

Torgueil  font   d*accord  pour  faire 

méprifer  la  profeffion  d'agriculteur 

dans  un  grand  Etat. 

Une  fois ,   en  voyageant   bieiî 
loin  5  je  me  trouvai  par  hazard  dans 
un  Royaume  où,  fans  le  fçavoir, 
l'on  alloit  à  peu  près  ce  train-lL 
J'y  vis  un  homme  confidérable  qui 
cherchoit  en  même  temps  un  Se-^ 
crétaire    pour  lui  &   un  Econome 
pour  faire  aller  une  terre  voifîne 
de  la  ville  où  il  habitoit ,  &  où  \ï 
vouloit  entretenir  un  gros  ménagé 
d'Agriculture  pour  en  tirer  (es  pro- 
vifions.    Pour   le  premier    de  ces 
deux  emplois  ,  il  fe  prefenta  une 
infinité  de  jeunes  gens  bien  mis  y 
feien  élevés  ,  ayant  fait  leurs  étu- 
des ,  Se  avec  des  connoi  (Tances  fur 
Fhiftoire  6cç,  la  plus  belle  main  du 


a  V Agriculture,  i  r  3 

monde ,  fçachant  faire  des  lettres 
fur  un  mot ,  enfin  tout  ce  qu'il  fal- 
loit,  &  cela  à  choifir  pour  çoo 
livres.  Quant  à  1  économe,  il  ne 
lui  vint  que  des  cralTèux  ,  des 
ignorans,  &  des  fripons:  un  feul 
me  parut  entendu  ,  homme  de  bon 
fens  &  capable  ;  mais  il  deman- 
doit  1500  livres  d'appointemens. 
Peuple  de  Caméléons ,  leur  dis-je, 
vous  prétendez  donc  un  jour  vivre 
de  Tair  ? 

D'autre  part  ,  Tadminiftration 
d'un  grand  Etat  incline  naturelle- 
ment vers  des  vices  de  conftitution 
qui  inquiètent  fans  celfe  le  labou- 
reur 5  &  le  gênent  Jufques  dans  le 
choix  de  Ton  travail  &  le  débit  de 
fe  fruits.  Nous  traiterons  ailleurs 
cette  matière  au  long. 

Je  converfois  un  jour  avec  un  voyage. 
homme  qui  difoit  avoir  été  coUr  ^^^"^  ^" 
damne  en  Afrique  a  chercher  une 
route  pour  traverfer  cet  immenle 
continent.  Il  pafla  quelque  temps 
.|>armi  les  peuples  barbares  de  cette 
contrée ,  &  s'étant  fauve  depuis  il 
•prétendoic  avoir  trouvé  des  traces 


lî4  Ce  qui  nuit 

qu'il  y  avoit  eu  autrefois  quelques 
fortes  de  notions  chez  ces  peuples 
qui  ont  à  peine  aujourd'hui  figure 
d'hommes  :  il  alTuroit  qu'ils  avoient 
jadis  connu  l'Agriculture  &  le  tra- 
vail ,  mais  que  Bientôt  on  la  leur  fie 
oublier  par  deux  arrangemens  po- 
litiques dignes  de  l'entendement 
a<5buei  de  ces  peuples  malheureux. 
L'un  étoit  quaufîitôc  qu'un  pro- 
priétaire faifoit  quelque  nouvel  éta- 
blilTement  fur  fon  fonds ,  qu'il  y^ 
bâtiffoitsplanîoit  &c.les  Receveurs 
de  l'Etat  groflîfîbient  la  cotre  pro- 
portionnelle de  cet  homme ,  cora- 
me  étant  plus  en  état  de  la  fup- 
porter  qu'un  autre.  Le  fécond  arran- 
gement étoit  que  (bus  prétexte  de 
conferver  les  denrées  dans  l'Etat 
en  cas  de  famine ,  il  étoit  ài^^nia 
non-feulement  d'en  faire  fortir  de 
chez  eux ,  mais  même  d'en  faire 
pa(îèr  d'une  Province  à  l'autre  fans 
des  permiffions  néce(ïairement  fu- 
settes à  toutes  fortes  de  monopo- 
les 5  de  façon  que  quand  les  grains 
ctoienr  co^lmuns  ,  les  infedes  fî 
voraces  en  Afrique  les  mangeoies^ 


a  t Agriculture,  1 1  j 

dans  les  greniers  ,  &  quand  il^ 
étoient  rares ,  le  profit  ctoit  pour 
les  monopoleur»; ,  <Si  la  diferte  pour 
tout  le  monde.  Cela  découragea  le 
peuple  qui  redevînt  Hoicentor.  O 
cerveaux  brûles,  m'écriai-je,  que 
nous  fommes  heureux  de  vivre 
dans  des  climats  où  l'on  ait  le  fens 
commun  ,  &  où  Ton  fcache  s'en 
fervir  ! 

Nous  Tavons  dit,  le  plus  ultra  ?  Le  pius^ 
eft  la  devife  de  Thomme  :  Tes  defirs  f't  ^'''''' 
le  déplacent  au  phylique  ,  amli 
jqu'au  moral.  Le  villageois  habire- 
roit  un  bourg,  s'il  pouvoit  perdre 
ion  champ  de  vue  ;  le  bourgeois 
n'afpire  qu'à  s'établir  à  la  ville, 
&  l'homme  de  ville  envie  le  fort 
de  l'habitant  de  la  capitale.  Ce 
defir  univerfèl  tend  cependant  , 
comme  je  l'ai  dit  ailleurs,  à  faire 
perdre  à  l'Etat  la  forme  de  pyra- 
mide pour  prendre  celle  de  cône 
renverfé.  La  profpérité  d'un  Etac 
aide  encore  à  cette  fâcheufe  pro- 
penfion. 

L'étymologie  du  mot  nous  ap- 
prend qu'une    Capitale  efi:    auiE 


11^  Ce  qui   nuit 

ftéceflàire  à  un  Etat ,  que  la  têtiï 
TeH:  au  corps  ;mais  fî  la  têtegroflît 
trop  &  que  tout  le  fang  y  porte , 
le  corps  deviertt  apopledique  & 
tout  périr. 

Chaque  propriéta;ire  de  terres 
doit  une  portion  de  Ton  produit 
àu  Souverain  ou  à  TEtat.  L'induf^ 
trie  de  chaque  homme  lui  doit  en- 
core plus  ou  moins  félon  les  loix 
ou  ufages  fifcaux  d*un  pays ,  par 
les  droits  établis  fur  les  confom- 
mations ,  fur  les  exportations,  fur 
les  matières  premières ,  fur  les  oir- 
vrages ,  &c.  Toutes  ces  fommes 
immenfes  relativement  à  tout  autre 
revenu  dans  l'Etat ,  font  en  partie 
confommées  dans  la  Capitale.  Les 
grands  Officiers  de  la  Couronne 
ou  de  TEtat,  les  Officiers  des  Tri- 
bunaux fupérieurs  &  autres  em- 
ployés dans  le  nombre  infini  de 
Charges  que  demande  Torganifa- 
tion  fupérieure,  y  refîdent  nécet 
fai  rement  ,  &  confequemmenc  y 
confômment  non-fèulement  le  pro- 
duit defliné  à  leurs  appointemens 
&  profits  y  mais  encore  celui  dé 


a  r Agriculture,  117 

leurs  propres  fonds ,  ajoutez  encore 
le  produit  qui  fubvient  aux  frais 
de  réducation  des  enfans  &c.  tout 
cela  fait  un  bloc  prodigieux  ,  & 
qu  il  eft  bien  difficile  de  tenir  dans 
la  proportion  ncceffaire  à  l'harmo- 
nie ,  relativement  à  la  force  confti- 
tutive  des  autres  lieux  qui  de- 
vroient  former  des  échelons  pro- 
portionnés pour  arriver  à  la  Ca- 
pitale. 

Que  fera  -  ce  donc  ,  fi  en  aban- 
donnant les  Provinces  à  une  forte 
de  dépendance  direâie,  &  ne  re- 
gardant leurs  habitans  que  comme 
des  régnicoles  du   fécond   ordre  , 
pour  ainfi  dire ,  Ci  en  n'y  laiflanç 
aucuns  moyens  de  confidération  & 
aucune  carrière  à  Tambition ,  Ton 
attire  encore  tout  ce  qui  a  quel- 
ques talens  à  cette  Capitale  ?  Si  , 
par  une   continuation    d'aveugle- 
ment ,  on    ouvroit  la  porte  aux 
évocations  des  Tribunaux  des  Pro- 
vinces  à  la  Capitale  :    fi  Ton   y 
prodiguoit    les    récompenfes     2i\x% 
îpoindres   fervices  ,  foit  d'utilité  ,, 
Ipit  ci*agf:émçnt;  fi  Ton  perniçttoig 


î  ï  8  Ce  qui  nuit 

enfin  qu2  pau  une  infinité  de  pe- 
tites féduâions  de  détail ,   Tinfé- 
rieur  en  Province  eut  toujours  le' 
droit  de  tenir  tête  à  Ton  Supérieur,* 
pourvu  qu'il  eût  quelque  connoif- 
fance  en  fous -ordre  dans  les  Em- 
ployés au  détail  du  Gouvernement  : 
il  le  moindre  Bourgeois  ou  Officier" 
pouvoit  parler  au  loin  d'écrire  en 
Cour  &c,  dès-lors,  par  un  bout  ou 
par  l'autre ,  tout  tendroit  à  cette- 
Gapitale  qui  étoufTeroit  du  fang 
arrêté  dans  les  autres  parties. 

Si  d*autre  part ,  fous  prétexte  de 
veiller  à  leur  perfe£tion  ,  on  y  atti- 
roit  les  manuFadures ,  au-lieii  de 
lès  répandre  dans  les  lieux  où  la 
vivification  ,  nécelTaire  par  -  tout  ,' 
n*a  aucune  des  refïburces  ci-delTus  : 
fi    Ton  y   établiifoit   les    maifons' 
communes  de  charité  &  de  retraité,' 
au- lieu  de  les  envoyer  aux  lieux* 
où  le  produit  e(l  plus  abondant,  &' 
Ja  confommarion   moins  afï'urée,,' 
raccroifTemenc  de    cette  Capitale 
feroit  fans  bornes,  &  cet  accroifîè-! 
înent  devroit  être  pris  pour  une 
preuve  d'abondance  dans  l'Eiat ,  à 


à  t Agriculture.  115^ 

»eU'prcs  comme  d'énormes  loupes 
le  font  de  la  fanté  du  corps. 

La  profpérité  d'un  Etat  établit 
dans  ion  fein  une  infinité  de  ra- 
meaux d'induftrie  &  de  natures  de 
biens  5  qui  tous  paroiiTent  au  pre- 
mier coup  d'oeil  plus  commodes  & 
plus  dil'ponibles  que  ne  Tefl  la  pof^ 
îefîîon  des  terres  ,  appas  trompeurs 
qui  féduifent  &  détournent  Thu- 
manité  en  général.  L'homme  tou- 
jours prompt  à  fe  redreiïer  ,  ne 
femble  pouvoir  être  courbé  vers  la 
îfrre  que  par  la  nécefîîté. 

Les  propriétaires  des  terres  qui 
fupportent  d'abord  les  plus  grandes 
.&  les  plus  onéreufes  des  charges 
publiq^ies ,  &  qui  font  moins  en 
état  de  s'y  fouftraire  que  perfonne  y 
qui  du  fécond  bond  rerfèntent  le 
.contre  -  coup  néce (Taire  de  toutes 
celles  qui  font  établies  fur  les  con- 
fommations ,  fur  les  débouchés  , 
entrées  &c.  ont  encore  une  infinité 
de  fléaux  &  d'embarras ,  que  n'ont 
point  les  rentiers  &  pofTefTèurs  de 
.foute  autre  forte  de  biens  fidiFs  &  de 
t^iQXVàs  réels.  Les  intempéries  du 


î£0  Ce  qui  nuit 

climat  &  les  incertitudes  des  fai- 
fons  qui  fouvent  au  dernier  jour  h 
détruifent  toutes  leurs  efpérances, 
font  d*abord  un  poids  toujours  plus 
incliné  du  côté  de  la  crainte  que 
de  celui  de  lefpérance.  Cet  article , 
dira-t-on  ,  regarde  plus  les  entre- 
preneurs de  leurs  revenus  nommés 
fermiers  _,  que  les  propriétaires*. 
Mais  outre  que  je  conûdere  ici  le 
propriétaire  dans  Ton  état  primitif, 
il  eft  toujours  vrai  de  dire  que  le 
fermier  proportionne  fa  rente  aux 
rifques  de  fon  entreprifè  ,  &  confé^ 
quemment  que  ces  rifques  font 
toujours  à  la  charge  du  propriérai-^ 
re.  J'en  dis  autant  des  mortalités 
de  beftiaux  ,  fléau  qui  diminue  le 
fonds  de  moitié  &  fouvent  du  tout, 
(i  le  propriétaire  n*a  des  fonds  en 
réferve  pour  remonter  (è^  étables. 
-Ajourez  à  cela  raflujetfKTement,  les 
procès  &  autres  embarras.  Tout 
concourt  dans  TEtat  politique ,  tel 
qu'il  elt  aujourd'hui  conflitué  chez 
les  nations  policées ,  à  rendre  le 
fort  du  propriétaire  des  terres  plus 
mialheureux,  proportion  gardée  , 

que 


V 


a  V Agriculture,  iit 

que  celui  de  tous  les  autres  mem- 
bres de  l'Etat. 

Il  eft  en  conféquence  très-com- 
mun d'entendre  dire  que  tout  hom- 
me ,  quelque  riche  qu'il  foir ,  ne 
{çauroit  jouir  d'une  certaine  aifance, 
fi  tout  fon  bien  eft  en   fonds  de 
terres.    La  chofe    n'eft  que  trop 
raie  ,  attendu  la  folie  &  la  vanité 
les  propriétaires,  qui  dépenfent  tou- 
ours  plus  qu'ils  n'ont.  Il  eft  même 
rès-certain  que  >  tandis  qu'un  ren- 
ier  qui    montera   exadement  fa 
lépenfe  fur  Tes  revenus ,  fe  foû- 
iendra  long  -  temps  fur  le  même 
ied ,  fans  être  obligé  d'altérer  fes 
bnds ,  fon  voifin  dont  le  revenu 
îft  en  fonds  de  terres ,  ne  fera  pas 
ilix  ans  fans  manger  un  tiers  de  (on 
|bnds ,  s'il  a  fait  le  même  calcul  i 
ttendu  que  les  cas  fortuits  ,  les 
[éparations   &c.  enlèvent  fouvent 
n  quart  &  quelquefois  la  moitié 
jçjle  fes  revenus ,  &  que  la  dépenfe 
jlant  toujours,  néceftairement  la 
jgloule  de  neige  grofïïr. 

dIosI  ^^^^  ^^  "'^^  ^^  P^^  moins  un 

e  W^^  ^^^^  ^^^^^  opinion  fe  foit  éta- 

'I  L  Partie,  F 

CliC 


)i 


't 


1 2, 1  Ce  qui  nuit 

blie.  Eile  n'a  au  fond  que  Tappa* 
rence,  qu'on  peur  détruire  par  mille 
raifons  tout  autrement  réelles. 
Raîfons  de       i".  Il  eft  daus  la  nature  de  Thom- 
préférec  les    ^^  de  travailler  folidemcnt  ,  &dô 

biens  ea  ,  ,  ^     /-  ,  i  r 

fonds  de       chercher   a  le  perpétuer  dans  les 
terre,  propres  ouvrages.  Plus  Ton  remon* 

re  aux  premières  inftitutions  de 
rhumanicé,  plus  Ton  en  trouve  des 
preuves ,  &  ce  principe  ne  peut 
erre  difputé.  La  frivolité  de  la  na- 
tion d'une  part  ,  l'abondance  de 
For  ,  grand  corrupteur  de  la  na- 
ture de  l'autre  ,  femblent  nous 
avoir  entièrement  inclinés  vers 
l'intérêt  perfonnel  &  momentanés 
qu'on  appelle  jouifîànce.  On  place 
ion  bien  à  fonds  perdu  ,  on  bâtit, 
on  Te  meuble ,  on  vit  enfin  unique- 
ment pour  foi;  mais  cet  on  que 
j'admets  ici  &  qu'un  petit  nombre 
d'individus  habitans  de  cette  foll( 
Capitale  regarde  comme  général 
efl  cependant  très  -  rétréci.  Lei 
Provinces  entières  ^  &  à  Paris  mê- 
me tout  ce  qu'il  y  a  de  gens  d(| 
travail,  de  bourgeois,  d'homme I|) 
d'une  profeflîon  grave ,  de  NobleIÎ<|& 


\t 


à  V agriculture.  iij 

attachée  à  (on  nom  oc  à  fa  famille , 
tous  les  honnêtes  gens  enfin  ,  loin 
de  fuivfeceîte  méthode  monftrueu- 
fe  d'éteindre  Ton  patrimoine  en 
même  temps  que  le  dernier  flam- 
beau de  Tes  funérailles,  ne  la  to- 
lèrent que  dans  les  gens  qui  n*ayanc 
point  d*enfans  ni  de  fuite  &  dif- 
pofant  d*un  bien  qu'ils  ont  acquis , 
fe  procurent  une  aifance  qu  ils  iup- 
pofent  nécelïaire ,  &  dont  ils  n  ont 
de  compte  à  rendre  à  perfonne. 
Mon  delîein  n  eO:  pas  ici  de  blâ- 
mer j  mais  Je  dis  que  chacun  aime 
à  placer  folidement  fà  fortune  ,  & 
Ton  convient  qu'il  n'y  a  pas  de 
polïefîîon  plus  folide  que  les  terres 
une  fois  bien  liquidées.  Rien  n*em- 
porte  le  fonds  en  totalité,  &  au 
pis  aller,  dans  des  temps  de  cala- 
mité elles  offrent  un  afyle  &  une 
fubfiftance  afTurée  ,  qui  peuvent 
manquer  au  polTelTeur  de  toute  au- 
tre forte  de  biens. 

2®.  Elles  donnent  toujours  une 
forte  de  luftre  &  de  rang ,  indé- 
pendamment de  la  prééminence 
6c  jurifdiélion  des  fiefs  fur  leurs 

Fij 


habitans  :  invention  qui ,  quoique 
Gothique ,  n'en  eft  pas  moins  ad- 
mirable 3  par  mille  raifons  qui  ne 
font  pas  de  mon  fujet  adfcuel.  Le 
propriétaire  des  fonds  a  naturelle- 
ment une  jurifdidion  de  dépen- 
dance fur  les  cultivateurs  ,  une 
confidération  &  un  rapport  naturel 
dans  le  pays,  au  lieu  que  le  pof- 
feiïeur  de  contrats  n'eft  connu  que 
du  Procureur  qui  veille  à  la  con- 
fervation  de  fon  hypothèque  5  Se 
rhomme  dont  le  bien  eft  en  mai- 
fons  5  n'a  de  relation  pour  cela 
qu'avec  fon  Entrepreneur  Maçon , 
ôc  le  Notaire  quipafîe  les  baux. 

3*^.  Le  prix  d&s  terres  &  leur 
valeur  doit  naturellement  recevoir 
une  augmentation  proportionnelle 
à  celle  du  prix  des  denrées.  Tel 
homme  acheta ,  il  y  a  cent  ans , 
une  terre  cent  mille  livres-,  û.  Ces 
enfans  la  poflèdent  aujourd'hui  , 
elle  vaut  prefque  le  double,  toutes 
autres  chofes  étant  égales  ,  &  le 
revenu  en  a  monté  prefque  dans 
la  proportion.  Si  au  contraire  cet 
homme  eût  fait  un  contrat  à  fîx 


a.  V Agriculture,  125 

pour  cent  ,  forte  d'intérêt  alors 
u(îré,  Ton  ^contrat  5  fuppofé  qu*il 
fnbfîfte  encore,  chofe  prefqu'inouie, 
a  d'abord  certainement  diminué  au 
raux  du  Prince  d'un  fîxiéme  de 
revenu  ,  &  par  conféquent  de  fonds. 
Ji  y  a  grande  apparence  qu'il  dimi- 
nuera dans  peu  d'un  cinquième  en- 
core ,  en  fuppofant  qu'il  ait  échapé 
à  la  révolution  du  fyilême  qui  a 
mis  à  trois ,  deux  5  &  quelquefois 
un  pour  cent  ,  tous  les  contrats 
qui  ont  été  confervés  ;  mais  en  ad- 
mettant qu'il  eût  échapé  à  toutes 
ces  révolutions,  chofe  impoiTible, 
fix  mille  livres  de  rente  ,  il  y  a 
cent  ans ,  va! oient  mieux  que  douze 
aujourd'hui ,  tant  à  cau(e  du  hauflfe- 
ment  du  marc  d'argent,  que  rela- 
tivement à  celui  du  prix  de  toutes 
les  denrées  &  marchandifes.  La 
moitié  de  la  fortune  de  cet  homme 
s'eft  donc  fondue  par  le  laps  de 
temps. 

4^.  Chacun  compte  fur  (on  in- 
duftrie.  Il  efi:  certain  que  les  terres 
offrent  un  vafte  champ  d'amélio- 
riation  y  on  jouit  de  ce  qu'on  efpere 

F  ijj 


« 


11^  Ce  qui  nuit 

prefqu'autant  que  de  ce  qu'on  pof^ 
(t<^t  \  &  dans  le  fait ,  l'homme  le 
moins  entendu  n'a  qu'à  fe  prêter 
aux  vues  des  colons  &  habitans  de 
la  campagne ,  mettre  les  profits  de 
{o\\  économie  fur  Ton  fonds,  il  en 
doublera  &  triplera  le  produit  bien 
plus  rapidement ,  que  ne  pourroit 
faire  le  plus  avare  polTefTeur  de 
contrats  en  employant  les  revenus 
à  en  faire  d'autres. 

50.  Il  y  a  toujours  des  profits 
&  des  revenans-bons  dans  les  ter- 
res ,  &  jamais  dans  les  autres  biens  ; 
des  ventes  de  bois ,  des  mutations 
de  fiefs  &c-  font  des  refifources  in- 
connues ailleurs,  &  qui  font  fou- 
vent  de  la  plus  grande  utilité. 

6^.  Enfin  ,  un  contrat  >  ou  tout 
autre  emplacement ,  s'il  efl:  bon  , 
eft  fujet  au  rembourfement ,  dans 
le  temps  où  le  remplacement  efl: 
le  plus  difiicile?  &  à  la  banque- 
route ,  s'il  efl:  mauvais  ,  fans  qu'on 
puiîTe  jamais  exiger  fon  fonds  , 
quand  on  en  auroit  befoin.  On  ne 
fçauroit  lier  les  mains  d'un  hé- 
ritier diflîpateur  fur  des  effets  de 


Ci  t Agriculture.  rij 
cette  efpece  ;  on  ne  peut  les  per- 
pétuer dans  fa  famille.  En  un  mot, 
toutes  les  rai  Tons  folides  font  pour 
la  propriété  des  terres ,  &  l'on  ne 
finiroit  pas  (î  on  vouloir  les  énu- 
mérer  en  détail. 

Cependant  fans  s'arrêter  à  lopi- 
jiion  publique,  article  fur  lequel 
tout  le  monde  eft  fujet  à  Te  mé- 
prendre ,  le  fait  parle  6c  nous  indi- 
que le  vrai  dans  ce  point-ci.  Qtie 
le  Clergé ,  que  les  Pays  d'Etats  , 
que  les  Princes  &  les  Particuliers 
même  cherchent  des  emprunts ,  la 
foule  y  eft  5  &  c'eft  à  qui  prendra 
date  pour  être  reçu  à  apporter  Ton 
argent.  On  fçait  pourtant  que  les 
placemens  les  plus  folides  en  France 
deviennent  chaque  jour  moins  filfs , 
en  proportion  de  ce  que  la  fomme 
des  engagemens  s'accroît.  D'autre 
part  5  les  plus  belles  terres  font 
dans  les  Affiches,  Se  cela  à  choifir 
en  tout  genre  ,  pays  &  coutume. 
Se  Ton  ne  vend  rien  ou  difficile- 
ment. Ce  n'efi:  plus  aujourd'hui  le 
temps  de  dire  que  les  gens  à  argent 
n'ofent  faire  des  placemens  d'éclat  : 

F  iv 


ïiS  Ce  qui  nuit 

ehacun  ofe  ôc  jouit  maintenant  à 
fa.  guife  du  fruit  de  Tes  travaux  & 
de  Ton  bonheur  5  mais  le  fait  eft 
qu'on  ne  veut  point  des  terres^ 
Examinons  en  pafTant  les  caufes 
de  cet  engourdiirenient  Ci  fatal  à 
FErar. 
Kaifons  qui  La  première  fans  contredit  &  la 
Bc..sfonc        1^5  ^^^11^  ^^  lg  pro^J2ieux  poil- 

dédaigner         f^  i      i       /^       •      i  ^i> 

les  terres.  îlement  de  la  Capitale;  tout  lar- 
geur y  vient  par  les  raifons  déduites 
ci-deflus.  L'homme  fuit  le  métal, 
comme  le  poiflbn  fuit  le  courant 
de  l'eau ,  ôc  tout  vient  à  Paris.  Les 
délices  &  les  préjugés  de  la  Capi- 
tale tendent  tous  à  établir  la  mol- 
leiTe  ôc  réloignement  du  travail 
pour  qui  peut  s'en  pa(Ier.  Les  ter- 
res demandent  des  foins  &  quelque 
réfidence  du  moins  pafiTagére;  on 
ne  veut  point  de  cela  :  les  campa- 
gnards font  fi  rebutans  ;  quelle  fo- 
ciété  !  (  car  à  force  de  parler  fociété 
nous  deviendrons  tout-à-fait  info- 
ciables  :  )  les  parcs  de  nos  pères 
font  (î  raboteux  :  point  d'arbres  en 
boule,  ni  treillage  en  bois  dans  les 
dehors  :  moins  encore  d'entre-fols. 


à  r Agriculture.  ï2c^ 

d'appartemens ,  de  bains  ôc  de  lieux 
à  l'Angloife  dans  les  maifons.  Qiie 
faire  fans  tout  cela>  Il  s*agic  donc 
de  ce  qu  une  terre  rend  franc  de 
quitte  à  Paris.    L'ancien  pofTefTeur 
mettoit  tout   à  profit ,  connoifloic 
fon  monde  ,   organifoit  fa    befo- 
gne  ;   le  riche  qui  lui  fuccede  at- 
tend qu'on   le   vienne  chercher  , 
qu'on    ait  payé  fon  portier  Se  Ces 
valets  pour  avoir  audience  de  Mon- 
feigneur  ,   &   obtenir  la  ferme  à 
bas    prix.    Ce  ne    fera  point    un- 
économe  Se  honnête  laboureur  qui 
fe  donnera  ces  mouvemens-là  ;  la 
Ville  l'efRaie  ,   &  Tinfolence  des 
ibus-ordres  le  rebute  :  voilà  donc 
un  intriguant  Se  fouvent  un  (npow 
devenu  fermier ,  Se  chargé  en  outre' 
de  la  confiance  du  Maître;  il  fait 
la  portion  de  rintendanr,  il  envoie- 
des  pâtés  au  maître-d'hôtel ,  Se  des 
fromages  au  fuKTe-,  tout  chante  fes- 
louanges  dans  la  maifon.    De  foii; 
CQié  il  fçait  oiV  reprendt;e  tous  ces- 
frais  ,  il  vexe  les  Habitans,  excite 
des    refus  ôc  des   procédures  qin- 
|roduifent  des  nourvâleurs,,  article 


1:5  0  Ce  qui  nuit 

le  plus  rapportant  de  fbn  compte» 
D'autre  part ,  comme  on  s'en  de  à 
Jui ,  &  cju'on  n'y  vient  jamais ,  il 
arrive  malheurs  fur  malheurs  j  cas 
fortuits  ,  réparations,  &  le  Maître 
ne  trouve  au  bout  dé  Tan  que  du 
papier  en  recette  &  dépenfe.  Voilà 
pour  les  terres  éloignées. 

Celles  qui  font  à  portée  ont 
Thonneur  de  voir  le  Patron  ;  il 
arrive,  l'avenue  eft  trop  étroite  & 
de  côté,  il  faut  en  marquer  une 
autre  ,  deux  contre-allées  ;  trente 
toifes  de  largeur  ôc  autant  que  la 
vue  peut  s'étendre  ;  leterrein  d'une 
bonne  métairie  devient  avenue  » 
&  le  produit  zéro.  Le  parc ,  les 
charmilles ,  le  quinconge ,  le  laby- 
rinthe,  les  arbres" en  boule,  autre 
zéro  :  trois  cents  arpens  en  ce  genre 
ne  font  pas  trop  ',  le  potager  étoit 
trop  étroit,  il  faut  des  ados,  des- 
murs  de  partage  ,  une  pompe  pour 
amener  des  eaux  ,  des  ferres  chau- 
de?, une  orangerie.  Les  terraflTes 
fablées ,  les  élagueurs ,  tondeurs  , 
l'entretien  de  ces  potagers  dont  il 
arrive  quelques  primeurs  à  la  villes, 


a  V  Agriculture,  1 5 1 

le  foin  d'entretenir  &  ratifier  tou- 
tes les  allées  du  parc ,  de  mainte- 
nir les  pompes  ,  &c.  fî  tout  cela 
ne  coûte  que  icogo  livres  ,  ce 
n'eft  pas  trop.  Dans  la  maifon  les 
meubles  ,  les  vernis  &c.  deman- 
dent un  Concierge.  Si  ce  pauvre 
homme ,  fa  famille  &  les  frais 
d'entretien  ne  coûtent  que  cent 
piftoles ,  c'eflbon  marché.  La  terre 
valoir  15000  liv.  de  rente  ,  elle 
revient  à  400000  livres  avec  les 
frais  5  on  y  en  a  dépenfé  Go  pour 
la  rendre  digne  du  Maître  ;  le  ter-- 
rein  mis  en  décoration  a  diminué 
la  ferme  de  4000  liv.  il  en  coûta 
onze  d^entretien,  refte  à  rien  pour 
Monfeîgneur.  Mais  fon  voifin  dans 
la  place  Vendôme ,  &  lui  -  même 
quelquefois  compte  j  cette  terre  , 
dit-il ,  me  tient  lieu  de  15000  liv. 
de  rente  &  ne  m,e  rend  rien ,  d*ou 
lui  &  fes  femblâbles  concluent  ^ 
ce  font  de  mauvais  biens  que  les 
terres. 

Une  autre  raifôn  du  difcréditdcs- 
terres  eft  le  manque  de  confiance 
&  de  bonne-foi  y  on  s'en  plaint ,  j 

F  vj; 


\  ^ 


332  Ce  qui  nuit 

crois,  dans  le  commerce  &  par- 
tout j  mais  cela  n'eft  pas  de  mon 
fujet.  Il  eft  de  fait  que  jamais  ii 
n'y  eut  moins  de  confiance ,  parce 
Cjue  jamais  il  n*y  eut  plus  d*or  & 
plus  d'avidité  pour  For  chez  les 
grands  &  les  petits.  Jamais  auflî 
il  n'y  eut  entre  les  propriétaires 
des  terres  &  les  cultivateurs  moins 
de  ces  rapports  d'intérêts  &  d'hon- 
nêteté 5  qui  forment  l'union  &  éta* 
blillènt  la  confiance. 

On  a  beau  dire  ,  l'homme  eft 
un  infede  de  telle  nature  qu'on  ne 
fçauroit  tant  le  prelTer  qu'il  ne  fè 
retourne  pour  piquer  le  talon  qui 
i'écrafe  j  mais  il  eft  pareillement 
fenfible  aux  bienfaits  ,  èc  il  n'eft 
férocité  &  malice  humaine  que  la 
vertu  &  la  bienfaifance  n'appri- 
voifent. 

Les  gens  de  plume  &  d'écritoire 
qui  ont  5  à  force  de  projets ,  d'or- 
donnances &  de  réglemens ,  changé 
la  conftitution  fubalterne  de  l'Etat,. 
&  qui  eux-mêmes  enveloppés  des 
foibles  débris  de  leur  édifice  ^  onr 


à  t Agriculture,  1^5 

aufîî  promptement  que   la  haute 
Noblefle ,  fait  place  à  tous  les  poti-  ,  Çeccptioi* 

^      r  1'-        .       ^      1     »Lir  l'ancien 

rons  que  la  raveur,  1  intrigue,  la  état  de  la 
rapine   &:    Tiuduftrie    élèvent  de  Monarchie» 
toutes  parts ,  ont  établi  un  préjugé 
contre  Tancienne  conftitution  de  la 
Monarchie  ;  &  cette  opinion  ,  de 
malice    chez    eux  ,  l'eft  devenue 
d'ignorance  dans  tout  le  refte  de 
la  nation ,  &    même  parmi   ceux 
qui  y  ont  le  plus  perdu.  Le  peu- 
ple 5  difent-ils  ,  avoit  autrefois  mille 
tyrans  au-lieu  d'un  Maître.  Si  l'on^ 
entend  par  cet  autrefois  les  temps 
du  Roi   Robert  &  de    quelques- 
uns  de  Tes  fucceiîeurs ,  la  chofe  ne 
peut  être  difputéej  l'anarchie  éroie 
générale  ,  aiiifî  que  la  férocité  :: 
mais  ces  temps  de  convulfion  pour 
le  corps    politique  ne  font   point: 
ceux  que  nos  doéteurs  ont  en  vuè'j 
il  nous  en  refte  trop  peu  de  tra- 
ces ,  &  \es  malheurs  d'un  tel  reii- 
verfement  de  toute  fociétéfonttropv 
reconnus  pour  qu'il  foit  néceiîaire- 
de  les   citer.    Les   fiécles   écoulés: 
depuis  S.  Louis  jufqu'à  nos  guerresr 
de  religion  font  plu^,  débrouillésb j.; 


154  ^^  ^^^  ^^^^^ 

&  s'il  étok  queftioiî  de  difputer  fur 

la  force  intérieure  de  notre  confti- 
tution  d'alors ,  Je  défierois  les  Ju- 
rifconfultes  les  plus  habiles  en  Droit 
public  de  m'y  démontrer  les  maux 
de  la  tyrannie ,  dont  les  efïèts  font 
toujours  parlans.  Qui  de  nous  fe 
chargeroit  aujourd'hui  de  faire  dire 
à  un  Auteur  Anglois  ce  que  dit 
Mathieu  Paris  en  parlant  de  faint 
Louis  :  Le  Seigneur  Roi  des  Fran- 
çois ,  qui  eji  le  Roi  des  Rois  de 
la  terre  ^  tant  en  vertu  defon  onc- 
tion  célefie  que  par  la  fupérioritê 

de  fa  milice Eût- on  refpe(5té  de 

la  forte  le  Souverain  d'un  peuple 
livré  aux  brigandages  de  lanar-: 
chie  ? 

Le  dénombrement  de  la  France 
fait  fous  Charles  IX.  portoit  dix  * 
neuf  millions  d'habirans  y  &  celui 
fait  fous  Louis  XIV.  n'en  donne 
que  dix-fept.  Nous  n'avions  cepen- 
dant ni  le  Rouflîllon ,  ni  le  Bearn 
&  la  partie  de  la  Navarre  qui  nous: 
demeure ,  ni  la  BrefTe  ,  le  Bjgei  y 
ni  la  Franche  Comté  ,  TAKace  de. 

*  \oyti  Bocalin* 


à  r Agriculture,  135 

les  trois  Eyêchés ,  la  Principauté 
de  Sedan  ;  la  Somme  étoit  notre 
frontière  du  côté  de  la  Picardie. 
Le  Royaume  enfin  étoit  d*un  grand 
cinquième  moins  étendu.  L*on  me 
dira  que  le  dénombrement  de 
Charles  IX.  étoit  fautif;  mais  je 
répons  que  nous  ne  nous  y  prenons 
pas  aujourd*hui  de  façon  à  en  faire 
de  plus  exaéts.  Or  5  ou  toutes  les 
régies  font  faulTes ,  ou  jamais  un 
peuple  tyrannifé  ne  fera  nom- 
breux. 

Avant  de  finir  Tarticle  de  Tanar- 
chie  des  (îécles  palTés  ,  je  prierai 
ceux  qui  regardent  mon  opinion 
comme  un  paradoxe ,  de  recher- 
cher dans  les  Auteurs  inftruits  &c 
contemporains  de  ces  temps  pré- 
tendus malheureux,  l'opinion  qu'on: 
avoir  alors  de  la  conftitution  de  la 
Monarchie  Françoife ,  &  de  Tordre 
qui  regnoit  au  dedans.  On  en  trou- 
vera des  traces  dans  plufieurs  ou- 
vrages. Je  me  contenterai  de  pla- 
cer ici  quelques  endroits  que  j*ai 
notés  autrefois  en  lifant  les  réfle- 
xions de  Maciiiavel  fur  la.  première 


if6  Ce  qui  nuit 

Décade  de  Tite-Live.  On  n'acciife 
pas  cet  Auteur  d'être  mal  inftruit, 
ôc  Cl  fon  cœur  eût  été  auflî  droit 
que  fon  efprit  étoic  éclairé ,  fa  ré- 
putation ne  fer  oit  pas  étrangement 
mêlée.  Tel  qu'il  eft,  fon  plan  de 
politique  n'eft  apurement  pas  de 
maintenir  l'anarchie  ;  &  s'il  eft  err 
quelques  endroits  pour  le  gouver- 
nement violent ,  c'eft  au  Prince  Se 
à  la  République  qu'il  le  confeille  , 
ôc  toutes  fes  vues  tendent  à  établir 
non- feulement  la  foumifîîon  ,  mais 
Tobéiflance  paffive  parmi  les  fujets. 
Ecoutons-le  parler  cependant  fur 
îa  France  dans  le  quinzième  fiécle. 
Je  n'ai  pas  tout  noté  dans  le  temps  s 
ôc  je  n'ai  pas  aujourd'hui  celui  de 
relire. 

Chapitre  i6.  Difcours  fur  la- 
première  Décade.  »  C'eft  ainfî  que 
>r  fubfifte  le  Royaume  de  France , 
»  auquel  on  ne  vit  en  repos  ôc  en* 
«  fureté  que  parle  moyen  des  Loix 
ji  qui  y  fonts  lefquelles  les  Rois 
«font  tenus  de  garder,  &  qu'ils. 
Si  gardent  faintement. 

Dans  le  Chap.  15;».  »  De -là  je. 


à  V agriculture,  137 

>j  conclus  qu  un  Prince  commun 
3j  ou  foible  fe  peut  bien  porter 
j>  après  un  excellent-,  mais  deux 
«  ou  trois  femblables  Tun  après 
»  l'autre  fans  difficulté  ruineroient 
3i  tout,  fi  ce  n'étoit  comme  en 
>5  France,  où  Tordre  &  la  police 
5>  ancienne  foûriennent  le  faix  de 
ii  la  Monarchie. 

Dans  le  Chap.  ^^.hCq  Royau- 
33  me- là  (  la  France^  efi:  trop  bien 
'î  réglé  &  gouverné  ;  même  mieux, 
55  à  mon  avis ,  qu'autre  qui  foit 
w  dans  l'univers. 

Dans  le  Chap.  10.  du  troifiéme 
Livre.  «  Les  Royaui-nes  aullî  ont 
35  pareillement  befoin  de  (e  renou- 
»  veiler  &  de  ramener  leurs  Loix 
33  à  leurs  principes,  &  on  voit  le 
33  grand  bien  que  cela  rapporte  au 
33  Royaume  de  France,  qui  eft  le 
33  Royaume  qui  vit  fous  les  Loix 
33  &  les  Ordonnances  plus  que  pas 
33  un  autre,  defquelles  les  Parle- 
«  mens  font  les  gardiens  Ôc  les 
*'  protecteurs  ,  fpécialement  celui 
"  de  Paris  ;  lefquelles  font  renou- 
ii  vellées   par  lui  toutes  les  fois 


j  3  s  Ce  qui  nuit 

»>  qu'il  fait  une  exécution  contre 
M  un  Prince  du  Royaume ,  &  qui 
3*  condamne  le  Roi  en  fes  Arrêts. 
Dans  le  41^  Chapitre.  »  Ce  que 
3>  les  François  imitent  en  paroles 
3>  &en  adtions,  quand  il  eft  quef- 
3>  tion  de  la  Majefté  de  leurs  Rois 
w  &  de  la  puifTance  &  autorité  de 
3>  leur  Royaume  >  &  il  n'y  a  rien 
»  qu'ils  fupportent  avec  moins  de 
w  patience  que  de  leur  faire  voir 
w  que  tel  ou  tel  moyen  ne  tourne 
»  pas  à  l'honneur  du  Roi ,  difanc 
w  que  leur  Roi  n'encourt  aucune 
»  honte  ni   aucun   déshonneur  , 
»  quelque  confeil  qu'il  fuive,  foit 
M  dans  la  bonne  ou  mauvaife  for- 
j>  tune  j  de  perte  ou  gain.  //  n'im-^ 
3*  porte  j  tout  cela  efi  ordonné  par 
w  le  Roi. 

Je  laifTe  à  confidérer  d'après  ces 
citations  fi  notre  Go?ivernemenc 
de  ce  temps- là  étoit  regardé  com- 
me la  réunion  d'une  infinité  de 
petits  tyrans.  Il  efl:  encore  à  remar- 
quer que  le  commerce  auquel  les 
Florentins  étoient  très  -  adonnés  » 
faifant  en  France  tout  celui  de  notre 


k  V Agriculture,  139 

Royaume ,  les  niettoit  à  portée  de 
bien  connoîrre  nos  mœurs  &  ufa- 
ges  ;  que  Machiavel  vivoit  dans  le 
temps  de  nos  premières  expédi- 
tions dans  fa  patrie  ,  qu'elle  étoit 
alors  République  ,  forme  de  gou- 
vernement qui  tourne  tous  les 
efprits  du  côté  de  ces  fortes  de 
recherches ,  &  que  Machiavel  a 
toujours  palTé  pour  un  des  plus 
habiles  hommes  de  fon  temps  en 
ce  genre. 

Quoi  qu'il  en  foit  de  mon  opi- 
nion relativement  à  ce  qu'on  vou- 
droit  appeller  le  bon  ordre  &  po- 
lice ,  &  qui ,  félon  moi ,  reflemble 
aflez  à  celle  qu'on  fait  obferver 
dans  le  Serrail  ,  il  ed:  au  moins 
certain  que  les  Seigneurs  d'autre- 
fois demeurans  dans  leurs  terres , 
ceux  qui  vexoient  leurs  habitans, 
les  vexoient  en  perfonne  &  non 
par  procureur  ,  ce  qui  certainement 
vaut  mieux  ;  qu'ils  confbmmoienc 
fur  les  lieux  le  fruit  de  leurs  pré- 
tendues extorfions,  &  ne  foufFroient 
pas  que  d'autres  qu'eux  les  vexaf- 
îent.  Ceux  au  contraire  d'un  efprie 


î4®  Ce  qui    nuit 

folide  &  d'un  caractère  bienfaifant, 
ayant  moins  d'occafions  de  befoins 
fuperflus  &  plus  d'objers  de  com- 
niifération devant  les  yeux,  foûte- 
noient  ,  protégeoient  ,  encoura- 
p^eoient  les  habitans  de  la  campa- 
gne. Les  pauvres  ,  les  malades 
étoient  fecourus  du  Château  5  les 
orphelins  y  trouvoient  leur  fubfîf- 
tance,  &  devenoient  domeftiques. 
Il  y  avoit ,  en  un  mot ,  un  rapport 
direcfl:  du  Seigneur  à  fbn  ftijet,  & 
par  conféquent  plus  de  liens  & 
moins  de  lézion  de  part  &  d'autre , 
fans  celle  du  tiers. 

Paflant  dans  un  canton  de  tra- 
verfe  en  Querci ,  je  m'arrêtai  dans 
un  a(ïez  gros  lieu  ,  où  couloit  un 
ruififeau  confîdérable  ou  petite  ri- 
vière que  je  remarquai  toute  pleine 
d'écreviiTes.  Je  demandai  à  l'au- 
bergifte  combien  de  gardes  avoit 
le  Seigneur  pour  que  la  pêche  fût 
ainfî  confervée.  Ah  !  Monjîeur  ^ 
me  dit  le  bon  homme  ,  ceci  appar^ 
tient  a  M.  le  Marquis  D.  B.  ce 
font  les  meilleurs  Seigneurs  du 
monde  que  nous  avons  depuis  deux. 


Ci  V Agriculture.  141 

cents  ans  ^  &  qui  viennent  fouvent 
dans  le  pays.  Il  n'y  a  pas  un  de 
nous  qui  y  loin  de  lui  rien  prendre  , 
ne  fut  le  premier  j  en  pareil  cas  y 
a  dénoncer  f on  voijîn.  Un  homme 
de  qualité  d'une  Province  peu  éloi- 
gnée de  celle  là  ,  donna  pendant 
la  difette  de  l'année  1747  le  pain 
&  le  couvert  dans  Tes  granges  à 
mille  pauvres  durant  fix  mois. 
Alle^y  mes  enfans ^  leur  dit- il  à 
la  S.  Jean ,  alle\  tacher  d'en  ga- 
gner :  Je  vais  en  ramajfer  pour 
Vannée  prochaine  ^  fi  la  difette 
dure.  Certainement  cet  homme  » 
quoique  d'un  mérite  &  d'une  pro- 
bité didinguée  ,  eft  un  Seigneur 
Châtelain  dans  la  force  du  mot  : 
quelque  bienfaifant  qu'il  puiiTe 
être  j  il  n'eût  Jamais  poulie  jufques- 
là  les  effets  de  la  commiieration, 
Is'il  eût  habité  à  Paris. 

Ne  fût-ce  enfin ,  comme  Je  l'ai 
Idit,  qu'en  faifant  travailler  depau- 
Ivres  gens ,  les  Seigneurs  dans  leurs 
Iterres  faifoient  des  biens  infinis. 
[On  fçait  à  quel  point  étoit  l'habi- 
laide  3  ôc  pour  ainfî  dire ,  la  manie 


I4i  Ce  qui  nuit 

des  préfèns  continuels  que  les  hà- 
bitans  faifoient  à  leurs  Seigneurs. 
J'ai  vu  de  mon  temps  cette  habi- 
tude cefTer  prefque  par-tout,  &  à 
bon  droit  }  car  tout  bienfait  doit 
être  refpedif  ici- bas  ,  &  fi  la  ba- 
lance peut  l'emporter  ,  le  furpoids 
doit  être  naturellement  du  côté  le 
plus  fort.  Les  Seigneurs  ne  leur 
font  plus  bons  à  rien  ;  il  efl:  tout 
fimple  qu'ils  en  fbient  oubliés 
comme  ils  les  oublient  :  &  qu'on 
ne  diiè  pas  que  c'étoit  un  refte  de 
l'ancienne  fervitude  >  ou  l'on  fe 
tromperoit  fort,  ou  Ton  parleroit 
de  bien  mauvaife  foi.  Dans  les 
lieux  où  cela  fe  pratique  encore, 
ces  bonnes  gens  &  les  plus  pauvres, 
feroient  très-mortifiés  fi  Ton  refu- 
foit  leurs  préfens  5  &  plus  encore, 
{\  par  une  étrenne  proportionnée 
ou  plus  forte  on  prétendoit  les  in- 
demnifer  ;  je  l'ai  V4j  cent  fois. 

Les  veftiges  de  la  tyrannie  de 
nos  pères  prouvent  au  moins  que 
les  payfans  connoilToient  leur  Sei- 
gneur, &  en  étoient  connus.  Or^ 
quoi  qu'on  dife  de  la  malice  des 


■  \ 


à  t Agriculture,         1 4.  f  \ 
hommes,  c'eft  un  axiome  reçu  éc 

^démontré  par  Texpérience  ,  que 
ceux  qui  nous  connoiffent  &  ont 
quelqu  habitude  avec  nous  ,  nous 
traitent  moins  mal  que  ceux  pour 
qui  nous  fommes  entièrement 
étrangers.  Le  fentimenc  &  la  réa- 
lité de  ce  principe  eft  un  des  grands 
motifs  du  dulcis  amor  patrU.  Il 
s'enfuit  de-là  que  perfonne  ne  con- 

•noiflant  plus  le  Seigneur  dans  fes 
terres  ,  tout  le  monde  le  pille,  & 
c'efl  bien  fait. 

Une  autre  raifon  encore  qui 
n*efl:  qu'une  branche  de  celle-ci  , 
c'eft  la  mutation  prefque  conti- 
nuelle des  fiefs ,  Se  leur  tranflation 
fur  la  tête  d'hommes  nouveaux. 

Du  petit  au  grand,  de  même 
qu'un  Etat  n'eft  jamais  fi  ferme 
dans  fa  conftîtution  que  quand  la 
fuccefîîon  y  eft  perpétuée  dans  une 
même  maifon ,  il  en  eft  ainli  de 
fes  membres.  Les  confidérations 
politiques  ne  font  pas  de  mon  fujec 
adtuei  ,  je  rampe  &  laboure  la 
terre  j  mais  je  ne  puis  m'empêcher 
de  dire  ,en  paftant ,  que  le  refped 


^44  ^^  ^^^  ^^*^^ 

de  la  vieille  fouche ,  toutes  autres 

chofes  étant  égales  ,  entretient  la 
fubordination  &  l'ordre  parmi  les 
habitans  de  la  campagne.  J'ai  vu 
quelques  exemples  que  je  pourrois 
citer ,  de  Communautés  qui  fe  font 
rachetées  de  leur  Seigneur  qui 
vouloir  les  vendre  ,  pour  fe  rendre 
à  lui.  J'en  ai  vu  mille  défolées  du 
feul  bruit  de  ce  changement  ,  & 
plus  encore  ,  qui  demeuroient  tran- 
quilles &  ne  difputoient  rien  à 
leur  ancien  Seigneur,  qui  fe  font 
jettées  dans  des  procès  infinis  avec 
le  nouveau.  A  plus  forte  raifon, 
quand  ce  nouveau  Seigneur  eft  le 
petit- fils  de  Jacques  un  Tel ,  fur- 
nommé  Lafontaine:  il  a  beau  dire 
que  M.  fon  père  s'appelloit  Mon- 
feigneur  dans  les  Requêtes  ,  les 
payfans  ont  l'oreille  maligne  «Se  la 
mémoire  bonne  ,  6c  toujours  répè- 
tent que  leur  Seigneur  ne  vaut  pas 
plus  qu'eux  ,  &  que  s'il  eft  plus 
riche  ,  c'eft  qu'il  a  mieux  fçû  faire 
fa  main  3  au  furplus  qu'il  n'a  qu'à 
diner  deux  fois. 

De 


à  VJgrkuîture:  Ï4f 
De  cette  femence  de  mécon- 
tentement &  de  mépris  naît  bien- 
tôt la  fraude  &  la  rapine  quils  fe 
croient  permifes  *,  &  Ton  ne  fçau- 
roit  croire  combien  cela  nuit  à  la 
jouiflance  tranquille  ,  &  confë- 
quemment  au  prix  àf^  terres,  qui 
jettent  nos  Parifiens,  les  feuls  ri- 
ches du  Royaume  aujourd'i^ui  , 
dans  la  néceffité  de  plaider  au  loin  9 
ou  de  devenir  clients  à  Paris  , 
chofe  infupportable  à  un  homme 
d'or  accoutumé  à  la  clientelle  d'au- 
irui. 

Je  n'examinerai   pas   fi  la  fiir-     Rfaut  çat 
Aarge  des  terres ,  &  la  façon  d'y  {f*.  ^"Z'^" 
percevoir  les  impots ,  n  elt  pas  une  yres,    axIo- 
kutre  caufe  de  leur  difcrédit.   J'^i  me  de  sibK. 
béja  dit  que  je  ne  f  olitiquois  pas  ; 
Se  il  y  a  à  tout*  cela  tant  de  pour 
k  de  contre  ,  que  je  ferois  fore 
îmbarrafle.    Je  ne    prétends    pas 
•^pendant   par  ce  pour  &  contre 
aire  entendre  que  je  connive   en 
non    particulier   à    l'axiome    des 
diocs,  ou  des  gens  de  fac  &  de 
orde  qui  prétendent  qu'il  faut  que 
s  payfan  ibit  mifèrable  pour  qu'il 
/.  Partie^  Q 


T4ë  Ce  qui  nuit 

travaille ,  fans  quoi  il  devient  pa^l 
refleux  &  infolent.  Outre  Tindigne 
inhumanité  d'un  tel  f^opos ,  que* 
je  fuis  obligé  d'avouer  à  ma  honte 
avoir  ouï  tenir  plus  fouvent  à  la 
campagne  quà  la  ville  ,  propos 
auquel  il  n'y  a  rien  à  répondre  que 
le  mot  de  ce  Romain  à  fon  fils 
qui  Jui  offrit  de  prendre  une  ville 
en  perdant  trois  cents  hommes  ; 
J^oudrois  -  tu  être  un  de  ces  trou 
cents  ?  outre  l'inhumanité ,  dis-je 
il  eft  de  toute  faufleté.  La  miferi 
n'entraîne  que  le  découragement 
nous  l'avons  dit ,  &  le  décourage- 
ment la  parefle.  A  cela  ils  répon 
dent,  qu'il  faut  un  milieu;  &  oi 
eft-il  ce  milieu,  miferables  aveu 
gles  ?  Sera-ce  vous, qui  vous  char| 
gérez  de  le  trouver  ?  Je  vous  ré- 
pons, moi,  qu'il  y  a  long-templ 
qu'il  eft  pafïe.  Ils  ajoutent  que 
quand  les  payfans  font  bien  ,  ils  n 
veulent  plus  travailler.  Je  me  rappe 
le  qu'ayant  un  jour  difputé  fur  cetti 
révoltante  allégation  fur  laquellK 
je  me  défendois ,  comme  ayarM^jj^ 
parcouru  la  Suifle  &  l'ayant  trouvq 


à  TAgnculmrtl  tà^r^ 

tultivée  autant  &  aufîî-bien  qu*el/e 
le  peut  être,  on  me  cira  le  Comtac 
d*Avignon   qui  n'éroit    qu'à  cinq 
îieues  àçAk,    J'y  entrai  Je  même 
four  ;  je  fus  furpris   d'y   voir  un 
jardin  par-tout;  &  m'étant  infor- 
mé de  la  force  &  vivacité  des  tra- 
vailleurs ,  j'appris  que  dans  les  cail- 
lons de  Provence ,  voifins  de  ce 
?ays-là,  on  payoit  un  manœuvre 
lu  Comtat  3  o  fols  par  jour ,  contre 
tj  un  de  ceux  du  pays.  C'eftainli 
ju'on  foûtient   les    principes    les 
)lus  erronnés  ,  &  qu'on  les  autorife 
)ar  des  exemples  controuvés,  qui 
ont  d'autant  moins  difputés  qu'il 
èroit   plus  aifé    d'en  vérifier    la 
auilèté. 

Mais  en  fuppofànt  que  l'aifance 
împêchât  les  pay fans  de  travailler  ,> 
:e  n'eft  jamais  de  travailler  leuc 
!  )ropre  bien.  Les  bourgeois  de  vilîa^ 
5e  &  de  petite  ville,  gens  qu'on 
ippelle  vivans  de  leur  bien  ,  race 
ïccupée  à  médire  &  à  mal  faire  ^ 
\c  dont  je  confeillerois  de  purger 
a  fociété  jufqu'à  ce  qu'ils  s'appli-^ 
jaaiïènc  tous  à  quelque   honaêc^ 

G  ij 


*4'?  Ce  qui  nuit 

profeflion  ,  s*il  n  étoit  contre  mes 
principes  de  confeiller  la  violence 
en  quoi  que  ce  puifle  être,  voulant 
faire  travailler  leur  bien,  tenir  les 
payfans  dans  la  fujéiion ,  &  ne  leur 
payer   leurs  j<3urnées   que  fur  les 
prix  anciens ,  fans  confidérer  que 
les  objets  de  confommation  ayant 
haufîe ,   il  faut  que  le  fàlaire  du 
mercenaire  haufle ,  ces  gens  -  là  3 
dis  je,  fe  plaignent  que  le  payfan 
aiifé   ne  veut   plus   travailler.     Je 
répons  à  cela ,  1®.  que  le  mal  n  efl" 
pas  grand  :  2°.  que  je  leur  ofRe 
une   prochaine    confblation  :    en 
effet ,  le  payfan  riche  élevé  nom- 
bre d'enfans  ,  au-lieu  que  ceux  dt 
Î)auvre  delTechent  &  rentrent  dan: 
a   terre.    Ces   enfans  partagent 
épuifent  Taifance  du  père,  le  for- 
cent au  travail,  bientôt  Ty  fecon 
dent ,  &  faute  de  fonds ,  devien- 
nent mercenaires.     Le  Suifle   efl 
aifé ,  comme  je  Tai  dit,  cependanj 
il  reFufe  fî  peu  le  travail,  qu'il  f 
dévoue  volontairement  au  plus  du  l 
de  tous,  qui  eft  d'aller  vendre  foi 


I  h  V Agriculture]         14^ 

;  ïang  &  fa  liberté  dans  une  terre 
étrangère^ 

Une  dernière  raifon ,  mais  infi- 
niment moins  problématique  que 
toutes  les  autres ,  du  difcrédit  des 
terres  en  France  ,  c  eft  le  haut  prix 
de  Tintérct  de  l'argent.  La  pa- 
relTe ,  fœur  du  luxe  comme  je  le 
démontrerai ,  quoi  qu'on  en  dife , 
par  pièces  probantes   en  bonne  ôc 

. due  forme,  &  tous  les  deux,  en- 
Fans  de  l'habitation  des  villes  ,  la 
pare(Tej  dis -je,  fait  que  tous  fes 
partifans  préfèrent  un  intérêt  fixe 
qu'ils  envoient  recevoir  par  un  bar- 

'  b'^t  à  l'échéance ,  à  tout  le  foin  & 
maniment  que  demandent  les  teN 
res,  &  renoncent ,  en  faveur  de 
leur  tranquillité ,  aux  avantages  du 

I  temps ,  de  Tindurtrie  &  de  la  foli- 
dité.  Plus  cet  intérêt  eft  haut  , 
moins  ces  avantages  font  fenfibles. 
Si  je  voulois  faire  un  livre  de  ce 
que  j'ignore  ,  je  fçaurois  bien  où 
prendre  cent  raifons  &  autant  de 
calculs  1  pour  prouver  que  cet  in- 
térêt eft  trop  fort  chez  nons  •  ^ 
me  naettant  enfuite  mon  propre 

G 


1t  5®  C"^  Ç^^  n^it 

t.)uvrage  dans  la  tête ,  je  devîêi 
drois  doâ:eur  in  utroquejure  i  ma» 
ici  il  n'eft  encore  queftion  que  ai 
ce  que  je  fçais  ,  &  fans   croin 
m'écarter  ,  j*établirai  le    principe 
que  toute  forme  qui  tend  à  faiu 
vi^re  une  portion  des  citoyens  fa» 
adtion ,  ni  jurifdiflion  ,  eft  nulfible 
&  qu'on  ne  feauroit  trop  s*attache 
-à  déraciner  le  djfcrédit  des  terres 
&  à  le  tranfporter  fur  des  effet 
««aifs. 

La  profpérité  d*un  Etat  nuit  en 
core  à  r  Agriculture  en  établi  (Tan 
un  ordre  de  moeurs  j  un  genre  à 
magnificence  &    de    décoration 
qui  en  dégoûte  èc  la  repoufTe  ai 
loin. 
Dirperdition      Lgg  Chinoîs  3  dit- on  ,  perfuadé 
«n  f Ire?/     ^^^  ^^  l'emploi  des  terres  dépen 
jardius  j  &c,  dent ,  comme  on  n*en  peut  douter 
les  moyens  de  fubfiftance  qu'on  e 
recire,  que  retendue*  des  moyen 
de  fubfiftance  eft  l'exaéle  mefur 
de  la  Population ,  &  que  la  Popu 
larion  eft  Tunique  richefte   réell 
d'un  Etat  ,    regardent  comme  u 
ctime  l'eiXïpîoi  des  îterres  en  mû 


à  t Agriculture,  ijf 

fôiis  Se  jardins  de  plaifance  ,  com- 
me (î  Ton  fraudoit  par-là  les  hom- 
mes de  leur  nourriture. 

Ce  genre  de  crime  eft ,  ]e  croîs  » 
un  peu  trop  étendu  en  France.  Les 
parcs  ,  il  eft  vrai  ,  peuvent  avoir 
leur  utilité  ,  en  ce  qu*ils  renfer- 
ment à^^  prés  &  des  bois  qui  font 
devenus  très-néceffàires}  mais  in- 
dépendamment de  ce  que  cette  né- 
cefîîcé  eft  relative  à  la  trop  grande 
&  inutile  confommation  de  bois 
que  le  luxe  a  introduite,  &  qui, 
au  moyen  des  induélions  démon- 
trées dans  ce  Chapitre ,  eft  un  très- 
grand  mal ,  on  les  perce  d'ailleurs 
tellement  que  les  parcs  &  les  forêts 
ne  font  prefque  que  des  chemins 
bordés  de  lifîéres  de  bois. 

Sans  m'arrêter  fur  de  ferriblables 
détails  qu'il  fuffit  de  défigner ,  je 
noterai  feulement  îes  avenues  , 
forte  de  décoration  qui  enlevé  des 
Provinces  entières  au  Royaume,  Il 
eft  (ingulier  que  le  moindre  par- 
ticulier 5  finge  des  Princes  &  des 
'  Souverains  ,  prétende  avoir  à  fa 
mâi/bn  de  campagne  des  avenues 


ïfi:  €e  qui  nuit 

doubles  ôc  triples  qui  dévaflent  & 
mettent  en  friche  une  partie  de 
ion  domaine  ,  &  quelquefois  le 
tout.  Indépendamment  même  des 
avenues  à  chaque  percée,  il  fauc 
que  la  perfpedive  foit  continuée 
par  des  allées  à  perle  de  vue.  Cel- 
les-ci en  rejoignent  d'autres  dans 
la  campagne ,  Se  le  point  de  jonc- 
tion eft  marqué  par  des  efplanades 
en  rond ,  dont  Tétenduë  fourniroit 
à  la  fubfiftance  d'un  hameau  :  dt-^ 
là  partent  quatre  ou  huit  allées  > 
félon  retendue  du  terrein  ,  avec 
leurs  contre  -  allées  &c.  &  je  vois 
d'un  coup  d'oeil  cent  mille  livres 
de  rente  réduites  à  rien ,  &  perdues 
pour  tout  le  monde*  En  vain  m'op* 
poferoit  -  on  qu'on  laboure  celles. 
de  ces  allées  qui  ne  fervent  pas  de 
chemin.  Peine  perdue  ,  le  graia 
ne  vient  jamais  bien  fous  les  ar- 
bres, l'herbe  y  eft  aigra.  Encore 
û  l'on  faifoit  le  facrifice  de  la  ré- 
colte à  des  arbres  fruitiers  ,  ou 
autres  qui  fervent  diredement  au 
indireâeraent  à  la  nourriture  de 
f  homme  ?  je  dirpis  ^toujours  quf 


a  tJgficuUùréo  i;| 

:'eft  téduire  un  écu  à  dix  fols  z. 
nais  c'eft  le  tilleul ,  c*eft  roimeau 
Ur île ,  qui  couvrent  &  ruinent  nos 
:ampagnes-,  arbres  très-utiles  pouc 
e  charonage  j  dit-on>  &  ceft  ce 
lont  je  me  plains» 

Il  y  a  quatre  fois  pins  de  voi- 
lures en  France  qu'il  n'eii  fauJroit  j 
k  fi  d'une  part  ,   le  nombre  en 
•toit  borné  au  néceiTaire  &  à  l'utile  y 
\c  que  de  l'autre ,  nos  grands  che- 
nins  fuiïènt  bordés  d'ormeaux  dans 
out  le   Royaume,  comme  ils   le 
ont  aux  environs' de  Paris,  le  cha- 
onage  ne  manqueroit  jamais    eiï 
'rance  V  car  d'ailleurs ,  on  a  biea 
les  ormeaux  dans  les  campagnes  5. 
es  payrans  en  font  des  feuillar^s- 
)our  les  beltiaux,  &  cet  arbre  opi- 

Iïiâtre  revient  de  chacune  de  Tes  ra* 
:ines.  Mais  voir  de  toutes  parts  dans- 
ât campagne ,  à  vingt  lieues  à  la 
•pnde  autour  d^  Paris ,  les  or  me  au  52: 
épandre  leur  ombre  fur  toutes  ces 
îampagnes  (\  propres  à  la  fe?rilicé' 
ijar  l'excès  des  engrais  &  fumierrr 
iont  on  eft  embarralTé  à  Paris- 
\  paiidis  qu'ils  foor  fi  rares  ailkurs:. 


9y 

3S> 


«54  Le  qui  nuit 

les  voîr ,  dis- je ,  mulriplier  à  Pinfinî 
dans  tous  les  fèns  que  je  détâillois- 
tout-à-rheuie ,  cela  fait  faigner  1| 
cœur  d'un  citoyen  éclairé. 

Ceft ,  dit-on ,  ce  qui  fait  la  ma- 
gnificence  des  environs  de  Paris, 
Je   pourrois   répondre  que  je   ne 
calcule  pas  là  niagnificence,  maiî 
la  profpérité  &  la  population  î  ce» 
pendant  je  doute  encore  de  cettt 
allégation.  Sans  doute  qu'il  feroiJ 
îidicule  de  demander  à  la  Capitah 
d*iin  Royaume  opulent  les  dehor: 
de  Salente,  ou  de   Lacédémone 
Il  faut  des.  Palais  pour  les  Graild.' 
&c  du  fafte  pour  les  Princes  5.  mai; 
f arrive  à  Fontainebleau  :  je  traVerÊ 
deux  lieues  d'un  pays   aride  &  in 
capable  abrolumtnt  de   rien  pro- 
duire,  je  le  trouve  couvert  d'un*  1 
belle  foret  qui  m'accompagne  auflj 
loin  en  fortant  :  loin  de  trouver  ic| 
^es  traces  de  dévaftation,  je  voisqiK 
le  fé jour  du  Souverain  y  fair  vivri 
les  habitans  d'une  ville  ebn/îdéré] 
î>te,  &  féconde  dix  lieiies  de  pay 
inhabitable  :  je  bénis  la  Provideno 


à  t^ Agriculture,  t^f 
je  vois  de  toutes  parts  des  campa» 
gnes  fertiles ,  accablées  du  poids 
d'habitations  immen(ès  ,  feules  » 
ifolées ,  &  qui  de  leurs  racines  ari- 
des deflechent  une  province  en- 
tière; &  mon  poftillon  qui  m*eti 
nomme  les  Maîtres  >  fur  cent  ne 
me  défigne  pas  trois  noms  de  ma 
connoifïànce.  Ce  coup  d*œ.l  frap- 
pant au  loin ,  devient  trifte  &  froid 
à  mefure  qu'on  approche  ;  les  plus 
agréables  me  repréfentent  les 
champs  Elifëes  où  quelques  ombres 
fe  promènent  en  filence,  &  boi- 
vent des  eaux  du  fieuve  Lethé,  Je 
me  rappelle  alors  le  coup  d'ceil  de 
la  chauffée  de  Loire ,  celui  des 
bords  de  la  Garonne ,  de  Ville- 
neuve d'Avignon ,  la  Vifte  à  Mar- 
feille ,  les  côtes  d*Alface  &  autres 
pays  véritablement  vivaiîs  ,  les 
environs  d*Orlcans,  de  Lyon  s  de^ 
Marfèille,  &c,  Ctt  amas  de  maî- 
fons  particulières  qui  ne  font  preP 
que  féparées  que  par  leur  vigne  &t 
leur  verger  ,  ce  peuple  agiifant 
pendant  le  jour  ,  danfant  au  ciai'^ 
4^  k  kmç  ^  tâjudis  que  le. bruit  d^ 


i5^  Ce  qui  nuit 

la  bêche  de  quelque  vigilant  quf 
revenant  de  journée  tçavaille  fom 
propre  bien  ,  interrompt  la  mefure- 
3e  leurs  mufettes  &  de  leurs  tam^ 
bours.  Je  conclus  alors  que  là  fut 
la  profpérité  ,  ici  le  luxe  ,  fort 
indigne  fils  &  fon  implacable  eii* 
Hemii,  ^ 

}'èn^  appelle  aux  feuls  environs 
de  Pàris.Par-tout  oùrhabitation  des 
riches  a  lai  (Té  quelque  place  à 
Tagriculture  5  elle  y  eft  pouITée  aa 
plus  haut  degré  d'induftrie  &  de 
perfedtion.  Q,u*on  parcoure  ces 
cantons  privilégiés ,  je  ne  dis  pas 
lès.  villages  de  Montreuil  &  de 
Bàgnolét  feulement ,  mais  partout 
arquatre'  lieues  à  la  ronde  ,-&  qu*oti 
me  diie  enfuite  fi  Tœil  n  eft  pas 
plus  fatisfait ,  fi  Tame  n  eft  pas  plus 
émue- à  rafpeéfc  de  ces  coteaux  qu'à 
làî  vue  dii  plus  beau  parc.  A  la 
rangée  de  vigne  fiiccede  celle  d'ar» 
bces  fruitiers  j,  les  grofeillers  occu— 
pentr  rentre- deux V  les  pois  &  les>: 
ardehaux  naiffent  au  pied  des  ar- 
feres~y  ^  les   foftes  d'afperges  en*-f 


à  r Agriculture.  i^f 

'Toirrcîê  lavai  ée  de  Moncmorenci> 
ee  n'efl  que  cela. 

I  Mais  il  n' eft  pas  queftion  ici  da 
'plaîfirfimplement  de  la  population^ 
ïl  eft:  certain  qu'autant  de  terreini 
inculte-,  autant  de  fujets  enlevés, 
fans  relTburce  à  TEtat.  Or ,  Texcès 
dont  nous  venons  de  parler  dévafte 
la  valeur  d'une  Province  entière  da 
Fneilleur  terrein.  Le  remède,  dira- 
E-on?  Le  voici.  Cheriffe:[j  aime^ 
V Agriculture  y  bientôt  les  riches 
t^ous  imiteront  j  finges  d'abord  ,  ils 
s'y  connoîtront  enfuite  j  chacun 
'effera  d'être  rentier  de  fon  do- 
aiaine ,  &  en  deviendra  proprié- 
taire. Pourquoi  les  riches  font-ils 
S  ennuyés  de  leurs  magnifiques 
:hàteaux ,  qu'il  leur  faudroit  pre(- 
igue  autant  de  maifons  que  de  ehe- 
[nifes?  c'eft  que  l'art  y  a  toutfair^ 
îc  la  nature  rien.  Je  ne  les  blâme 
pas  de  s'y  ennuyer ,  eux  qtii  y  font 
i  demeure  ,  puifque  ,.  fi  J'y  vais 
par  curiofitéy  dès  que  j'ai  toprpai- 
souru  il  me  tarde  d'en  fbrtîr.  Quel- 
ques-uns s'y  attachent ,  ce  font 

Km  gai  çicçût  j  mai§  cette  ta^raflej 


î  5  8  Ce  qui  nuit 

cette  pièce  d'eau  entrepriie  &  co»^ 
duite  à  grands  frais  eft  à  peine 
achevée ,  qu  elle  leur  devient  aufîî 
étrangère  que  celle  que  fit  leur 
grand  -  père ,  s'ils  en  ont.  Il  fauc 
entreprendre  quelqu'autre  embel- 
liflement.  D'échelons  en  échelons 
cependant  la  maifon,  le  parc,  tout 
devient  immenfe  &  ruineux  d'en-- 
tretien.  Alors,  tandis  que  l'étran^ 
ger,  tandis  que  le  bourgeois  cu-^ 
rieux  admire  cet  amas  de  beautés 
&  de  dépenfès,  &  croit ,  environ 
pendant  dix-fept  minutes  ,  qu'il 
feroit  au  comble  du  bonheur  de 
polTéder  cela,  le  Maître  accablé 
d'habitude  &  d'ennui  ne  peut  plus 
s'y  fouffirir,  &  cherche  à  décorer 
quelque  guinguéte  dont  il  jouit  en 
imagination  ,  &  qu'il  dédaignera 
«n  réalité. 

Qu'on  ne  dife  pas  que  c*e(l  l'in- 
conftance  humaine  ;  cette  inconf 
tance  eft  un  bien  en  foi ,  comme 
toute  autre  qualité  de  notre  arae. 
Elle  ne  devient  un  mal  qu'à  me-* 
fure  qu'on  s'éloigne  de  k  nature. 
Çai   homme  corieux  ie  plautes 


à  V Agriculture,  If^ 
étrangères  revient  toujours  avec 
un  nouveau  plaifir  à  Ton  jardin  ;. 
mais  cet  attrait  particulier  à  quel- 
ques hommes  eft  prefqu'univerreî 
pour  ce  qui  concerne  l'agriculture 
en  général.  Comme  les  moiiibns 
&  les  fruits  fe  renouvellent  fans 
cefTe  5  le  travail  de  nos  pères  y.  etx 
ce  genre ,'  ne  fait  que  faciliter  le 
nôtre.  Indépendamment  du  goût 
attaché  par  la  nature  aux  occupa- 
tions &  aux  détails  champêtres,  le 
profit  auquel  tout  le  monde  eft 
îenfîble, éveille  encore  Tinduftrie, 
iSc  attire  l'affeétion.  L'avenue  prin- 
cipale exceptée  ,  toutes  les  autres 
tomberont  -,  les  maifons  de  fer* 
îïiiers  8c  de  payfans  couvriront  les 
"campagnes.  L'ombre  jadis  empoi- 
ïonnée  de  ce  château  deviendra 
ialutaire  alors  ;  car  en  général  nousi 
ïommes  tous  charitables  &  com4 
pacifTans.  Les  riches  ne  font  durs 
î]ué  parce  que  Tordre  corrompis 
des  moeiirs  les  tient  éloignés  de 
Tindigence  ;  ils  la  banniront  de 
leurs  encours ,  ne  fût-ce  que  pou^r 
ii*être  pas  affligés,Cliaflfe25L<i€  defliœ: 


^ï^<>  Ce  qui  mut 

Fhumbk  toit  les  maladies  &  fa 
faim  >  ce  fera  le  territoire  &  la  pa^ 
trie  de  la  joie  fimple  Se  bruyante; 
De  propre  en  proche  elle  gagnera 
les  bafïès-cours  du  château ,  &  pé- 
nétrerait jufquau  falon  ,  fans  la 
double  antichambre  gardée  par  la 
parefTe. 

Je  le  répète  ,  chériffei  y  aime"^ 
V Agricultures  vous  bannirez  tous 
Jes  maux  de  l'Etat  ,  fuppofé  qu'il 
y  en  ait,  oppre (leurs  ,  intriguants^ 
fripons  >  faineans ,  politiques  à  re^ 
tours  ,  faifeurs  de  traités  fur  la 
population,  que  fçaîs-je?Gu  fi  ces 
gens-là  font  dans  la  plénitude  d*uii 
Etat  flori(ïànt,  comme  des  pucè$ 
&  des  punaifès  dans  l'ordre  de  la 
création ,  du  moins  y  feront- ils  û 
confondus  &  Ci  ofïufqués  par  un 
peuple  agiflànt,  &  occupé  de  cho-- 
les  tout  autrement  folides  ,  que 
l'oifiveté  devenant  honreufe  j  ils 
perdront  toute  confidération  >  ôç 
en  conféquence  fentiront  amorti;: 
leur  mobile  principal ,  je  veux  dire 
TorgueiL    Mais  il  me  ftmble  que 

f#s  allçss  me  minm'  vrAiiTîçflÇ 


à  V Agriculture.  16 î 

Sîen  loin  ;  revenons.  Sî  j'avois 
promis  d'éviter  les  écarts,  je  man- 
querois  fouvent  de  parole. 

Le  même  inconvénient  de  perte  MultîplîcitS 
inutile  de  terrein  que  nous  venons  ^  "°p  ^""^T 

1  11/       o      r  ge  largeur  dç 

de  remarquer  en  allées  &c.ie  trouve  chcmia»^ 
encore  dans  une  force  d'ouvrage  plus 
utile  en  Ton  objet ,  mais  auffi  abufif 
au  moins  par  la  forme ,  le  projet 
éc  l'exécution  ,  je  veux  dire  ,  les 
€hemins,   A  ce  mot ,  je  vais  m'at- 
ftîrer  anathême  ,   car  c'eft  de  tous 
les  arrangemens    de  police  inté- 
rieure ,  celui  ou  notre  fiècle  a:  fe 
plus  donné  d'attention.    Mon  ia- 
tentîon ,  je  le  répète  5  n'èfl  point 
de  blâmer;  mais  en  tout,  on  peut 
dire  le  mieux» 

Je  fcais  qu'on  a  fait  de  notre 
remps ,  en  ce  genre ,  des  ouvrages 
dmirables,  tels  que  la  montée  de 
uvifî  5  celle  de  Bouron,  celle  de 
Tarare  &  bien  d'autres.  Mon  def^ 
ein  n'eft:  pas  non  plus  d'objeâ:er 
Iju'on  a  négligé  de  donner  à  ces^ 
brtes  d'ouvrages  faits  pour  Téter- 
iké,  la  folidité  qu'y  donnoient  les 

«ooi^insj  que  U  plupart  de  noa 


t^i  Ce  qui  nuit 

chemins  font  détruits  avant  d'étrè* 
achevés;  que  la  corvée  qui  feule 
a  fervi  à  la  conftrucflion  de  prefque 
tous  les  chemins  éloignés  de  la 
Capitale,  n'eft  propre  qua  ruiner 
la  campagne ,  &  à  faire  des  routes 
qu*une  médiocre  colonie  de  taupes 
peut  détruire  en  un  an  de  temps*. 
Tout  cela  n  entre  pas  dans  mon 
objet  aduei ,  ce  n'eft  que  leur  lar- 
geur &  leur  multiplicité  que  j'en- 
vifage. 

Ces  célèbres  voies  Romaines  qui^ 
ont  réfifté ,  par  la  folidité  de  leur 
conftrudtion ,  à  tant  de  ficelés  & 
de  ravages  ;  qui  ont  plus  illuftré 
cet  Empire  prodigieux  que  tous  les 
autres  miracles  de  fa  fortune,  de 
fa  valeur  &  de  fa  politique  s  ces 
voies  militaires  5  dis-je,  dont  les 
principales  alloient  du  centre  du 
monde  à  fa  ci  rcon-Férence^n'a voient, 
les  plus  confidérables  ,  que  foixante 
pieds  de  largeur ,  &  les  autres  que 
vingt ,  &  quelquefois  huit.  On  n*en 
comptoit  en  tout  que  47  dans 
îQute  l'Italie.  Venons  à  nous  maiîi^. 


a  FJgrzcuMr€.  lêt 

tenant,    &   coniîdérons    Tinutile 
Jargeur  de  nos  grands  chemins. 

Je  fens  qu  il  convient  que  qneU 
ques-unes  des  principales  avenues 
de  la  Capitale  uniffent  la  décora- 
tion à  Tutilicé  j  que  le  mênie  avan» 
rage  peut  être  attribué  aux  avenues 
des  grandes  villes  de  Province,  & 
même  à  quelques  routes  princi- 
pales :  mais  aujourd'hui  chaque 
adminiftrateur  particulier  multi- 
plie à  Tinfini  dans  Ton  reflfort  ces 
fortes  de  travaux.  La  moindre 
communication  entre  chaque  petite 
•ville  efl:  tracée  fur  le  plan ,  ou  peu 
«en  faut  5  delà  grande  allée  de 
Vincennes  au  Thrône.  Le  chemin 
cft  marqué  dans  ce  fens- là ,  la  dé- 
vaftation  ordonnée  ôc  exécutée  par 
les  corvoyeurs ,  ôc  comme  les  fonds 
manquent  pour  tant  d'ouvrages  à 
la  fois  5  les  ponts,  les  enfablemens 
dans  les  lieux  marécageux  ,  &  au- 
tres ouvrages  indifpenfables  de- 
meurent à  faire.  Ces  remuemens 
de  terre,  loin  d'attirer  les  voitu- 
res, les  éloignent  ;  &  comme  le 

•chemin  eft  inutile  ?  vu  le  peu  as 


1G4  Ce  qui  nuit 

communication  qu  il  y  a  entre  leâ 
villes  champêtres  dans  ces  cantona 
reculés,  le  petit  nombre  de  pèle- 
rins ,  marchands  de  baie ,  meflà- 
gers  à  pied  &  gens  de  cette  efpece 
qui  font  accoutamés  de  frayer  cette 
route ,  fê  contente  d'un  des  fofles 
latéraux  pour  Ton  paflàge ,  tandis 
que  le  prétendu  chemin  fe  couvre 
de  ronces. 

Ce  que  je  dis  là ,  }e  l'ai  vu  en 
plufîeurs  endroits.  Mais  je  veux 
que  ces  chemins  de  traverfe  foient 
mis  en  tout  état  de  perfection ,  & 
auffi  folides  que  ceux  des  Romains  ; 
toujours  ferois-je  en  droit  de  dire 
qu'il  faut  que  la  route  foit  propor- 
tionnée à  la  fourmiliiére  5  &  quil 
cH:  inutile  de  condamner  à  la  fté- 
rilité  un  terrain  ïmmenfe  dans  fort 
étendue,  dont  la  cinquième  partie 
fufîîroit  à  l'objet  d'utilité  qu'on  eut 
en  vue.  Remarquons  encore  que 
ce  que  je  fuppofe  ici  de  leur  per»- 
f eétion ,  fera  toujours  d'autant  plus 
dans  les  efpaces  imaginaires  5  que 
l'objet  d'entretien  fera  plus  confî- 
4érable  ;  car  enfin  ^  l'Er^t  ne  peui 


à  P Agriculture.  iè$ 
ïuffire  à  tout  ;  &  de  même  que  , 
toute  proportion  de  folidité  étant 
égale ,  un  palais  coûte  plus  d*en- 
tretien  qu  une  maifon  médiocre  5 
ain(î  des  chemins.  Je  fuis  perfuadé 
que  cette  marote  des  grands  che- 
mins d'une  largeur  immenfe  mul* 
tipliés  à  l'infini  coûte  encore  deux 
provinces  à  TEtat. 

Autre  inconvénient  notable  en 
ce  genre  ,  c'eft  la  rage  des  aligne- 
mens.  Il  eft  certain  que  c  eft  un 
ornement  confidérable  ,  &  qui  doit 
èat  recherché  avec  foin  en  fuppo- 
fant  régale  qualité  du  terrein,  J« 
dis  plus,  dans  les  routes  princi^ 
paies  &  aux  lieux  où  cela  abrège 
d*  beaucoup ,  les  édifices  &  autres 
embarras  de  détail  n'y  doivent  pas 
être  ipargnés ,  faiif  le  dédomma- 
gement du  tiers ,  comme  en  ufènt 
les  pays  d'Etats  pour  leurs  che-, 
mins.  Car  malheur  à  ces  Admi- 
^«iftrateurs  cruels  &  dédaigneux 
qui ,  fous  le  prétexte  que  tout  doit 
céder  à  rutilité  publique  ,  écrafenc 
tout  ce  qui  fe  trouve  devant  eux* 
J,a  colère  du  Ciel  ne  fait  magazia 


ïiS^ë  Ce  qui  nuit 

que  des  pleurs  du  pauvre  opprimé ,' 
éc  je  renvoie  toujours  ces  hommes 
de  fang  &  de  limon  à  ces  mots  déjà 
cités  :  V^oudrois  tu  être  un  de  ceux'^ 
ci  f  Mais  cet  inconvénient  efl:  aifé; 
à  faire  entrer  dans  les  frais  d'un, 
objet  principal. 

Cependant  il  eft  un  point  que 
Je  voudrois  qu  on  refpeélât  dans 
les  plus  grandes  routes  ,  c'eft  la 
différence  des  terreins.  Ce  terreiri 
fec  ou  fabloneux ,  prefque  de  nulle 
valeur,  devient  d*un  produit  réel 
quand  vous  y  faîtes  paiîèr  le  che- 
min, puifqu*en  alTurant  une  com- 
munication &  un  débouché  à  vos 
bonnes  terres  ^  il  vous  épargne  la 
dépenfe  qu'euflènt  demandé  celles- 
ci,  pour  en  rendre  le  fol  capable 
de  fer  vie  de  bafe  à  un  cheminai  Au- 
fiea  de  cela  ,  votre  alignement 
traverfe  les  prairies ,  les  bonnes 
terres,  jardins  &  chenneviéres  d*uu 
village.  Vous  perdez  non  -  feule-  , 
ment  la  portion  fi  rapportante  du 
territoire  de  ce  village ,  mais  en^ 
core  tout  le  refte  médiocre  &  mau- 
vais :  k  bon  faifoit  valoir  l'autre  ; 


à  r  Agriculture.  l6y 
le  payfaii  ruiné  n'a  plus  la  force 
de  foûrenir  Ton  ménage,  &  aban- 
donne le  tout.  Or  calculez  toujours 
ces  fortes  de  perces  à  Tinfini,  feule 
niefure  aduelle  de  vos  grands  che-^ 
min. 

Evitons  d'ailleurs  ,  comme  la 
pefte  y  tout  ce  qui  porte  au  décou- 
ragement 5  car  c'en  eft  une  en  effet. 
Les  gens  de  la  campagne  font  tous 
aux  portes  de  Tabbatement  *,  un  rien 
les  accable  ;  &  n  eft-ce  rien  que  de 
fe  voir  enlever  la  meilleure  pièce 
de  fon  bien ,  même  avec  dédom- 
magement ?  En  un  mot  chérijffe^  ^ 
anime:^  F  Agriculture  y  bientôt  elle 
vous  dira  que  le  terrein  lui  eft  pré-! 
ci  eux. 

Mais  ceci  nous  conduit  au  Cha- 
pitre fuivant  qui  doit  traiter  de  la 
nécelïïté  &  des  moyens  d'encou- 
rager TAgriculture.  Il  s*en  faut 
bien  que  je  n'aie  épuifé  celui-ci  , 
ni  même  que  je  l'aie  traité  par 
ordre  dans  toute  fon  étendue.  ]'ai 
défigné  quelques  points  principaux,. 
fen  ai  trop  étendu  d'autres ,  félon 
gua  ma  plume  a  couru.  La  fuit^ 


1  'iô  s  ÈncowcLgemens 

des  différeats  ©bjecs  traites  danSi 
^et  Ouvrage  en  préfentera  plu&urs 
autres  ;  car  tout  fe  tient  dans  la 
tnachine  politique,  ainfi  que  dans^ 
la  malTe  phyfique. 

CHAPITRE    Vr, 

IDe  la  nécejjité  &    des  moyens 
f  encourager  l'agriculture. 

TOut  mon  Ouvrage  n'a  d'objet 
que  de  traiter  de  la  Popula- 
tioiijde  fes  avantages,  &  des  moyens 
de  rétendre  à  Tiiifini.  Or ,  comme 
je  ne  penfe  pas  qu  elle  puifle  avoir 
d*autre  principe  que  T Agriculture, 
je  pourrois  dire  que  mon  Ouyjrage 
entier  traite  des  moyens  d'encou- 
lager  F  Agriculture.  Cependant  , 
comme  ce  n'eft  point  la  fociété  des 
anciens  Egyptiens  que  je  confîdere, 
mais  celle  des  nations  policées  de 
îîotre  ficelé  ,  qui  eft  tellement  com- 
pliquée d'acce(ïbires  que  le  princi- 
pal y  eu  pr^fqu  entièrement  oublié. 


pour  r Agriculture,  léc) 
je  traiterai  pied  à  pied  de  toutes 
les  branches  de  la  ramification  po- 
litique ;  mais  j'y  trouverai  fouvenc 
des  branches  de  ce  Chapitre  -  ci  ^^ 
e  ne  les  rejetterai  point  alors  : 
maintenant  je  vais  préfenter  ea 
gros  les  premières  idées  qui  s*of-: 
ient  à  moi  fur  cet  article. 

3*ai  dit  que  la  profpérité  d*un 
Etat  établliToit  les  grandes  fortunes 
:]ui  bientôt  eu  envahifïbient  tout  le 
;êrritoire.  Quel  remède  à  cela  , 
lira  t'on?  Non  pas  fans  doute  ce-  Aimer  ics 
lui  qu'emplovoit  Tarquin  fur  les  S'^^^^V  ^^' 

i  i       J  i  puvcr  les 

grands  pavots  de  ton  jardin  ;  j*au-  médiocres, 
rois  bien  perdu  mon  temps ,  fi  ja-  Honorer  les 
fnais  je  prêchois  la  tyrannie  :  mais  ^"^"* 
zime^  les  Grands ,  appuyé^  les  mé- 
diocres 5  honore^  les  petits  qui  font 
laborieux  &  qui  ont  de  l'induHrie. 
Prenez  garde,  s'il  vous  plaîc ,  à  Tap- 
pli cation  de  chacun  de  ces  Verbes; 
je  ne  me  trompe  pomt ,  c'eft  pré- 
cifément   ce   que   j'ai  voulu  dire. 
Chacun  d'eux  peut  fans  doute  être 
appliqué  aux  trois  différents  grades 
donc  je  parle  ici  ;  mais  ne  voulant 
ieur  attribuer  à  chacun  qu'un  feul 
J.  Partie.  H 


1 7  o  Encpuragemcns 

de  ces  fenrimens ,  c  eft  avec  réfîé' 
xion  que  je  les  ai  répartis  aiilfi.  < 
En  effet,  aime\  les  Grands; 
Vous  leur  apprendrez  par  Texemple 
fuprême  à  aimer  aufli  leurs  înFé-^ 
rieurs  ;  vous  les  rappellerez  au 
principe  fi  naturel  6c  fi  démontré, 
qu'une  illuftre  famille  efl  plus 
étayée  par  les  fujecs  qui  naiuent 
dans  Ton  fein ,  que  par  les  grands 
biens  qu'une  vanité  dénaturée  de- 
Cre  d'accumuler  {nt  une  feule  ih.t\ 
vous  vous  incétefferez  à  rétabliile- 
ment  de  leurs  enfans  aînés  &  ca- 
dets ;  lés  races  fe  multiplieront  3 
fe  diviferont  ,  ils  demeureroni 
grands  par  le  cœur  y  &  fe  pique- 
ront d'honneur  ,  dès  qu'ils  ne  pour- 
ront plus  fe  piquer  derichefies. 
.  Appuyé^  les  médiocres,  ceiï  h 
pépinière  de-l'Etat;  les  exemple; 
|a  vanité  provinciale  les  gon- 
domeiliques  ,  les  vieux  papiers 
iBent  de  cti  amour  propre:  jtcmé 
xairei,  &.. flexible  dpat  .l'Etat  fçâl 
t\  lier  t  a  nE  de  p  ar  ti  j  ■  1  m  ais  ■  es  ■  foipi  1 
pauvres  '-&  feroient  ridiarles;  dani 
lii)  Etat  corrompu  :  leurs  prétention, 


pour  t Agriculture.  171 
leur  ferment  une  quantité  de  portes 
à  la  fortune  &  à  l'induflrie  j  le 
défefpoir  les  feroit  déroger  ou  vivre 
dans  la  plus  oidve  obicurité  ,  ou 
s'expatrier  enfin.  Ceft  pour  eux 
que  font  faits  les  ernp  ois  de  vos 
armées,  les  libéralités  de  vos  me- 
nus plaidrs ,  le  fuperflu  des  Grands 
de  voire  Etat,  Appuye-^-lts ,  pour 
qu'ils  recourent  la  pénible  vieilleiïe 
de  leur  père  ,  pour  qu'ils  excitent 
la  fécondité  domeflique  ,  pour  qu'ils 
fe  chargent  de  leurs  neveux.  La 
rage  des  pauvres  pour  le  mariage 
eft  le  premier  des  bienfaits  de  la 
Providence  pour  un  Etat.  Il  n'y  a 
rnalbeureufement  point  de  milieu, 
îa  débauche  ou  le  mariage  >  Tune 
efl  ftéri'e  ,  l'autre  eft  fécona.  Crai- 
gnez que  la  dedrudive  philofophie 
des  voluptueux  infenfés  ne  devienne 
une  prudence  de  néceffité  pour  les 
autres j  en  un  mot,  appuyé^  les 
niédiocres. 

Honore^  les  petits.  Les  larmes 
me  viennent  aux  yeux  ,  quand  je 
ibnge  à  cette  int'relTante  porricii 
de  l'humanité,  ou  quand  ,  d:  ma 

H  ij 


172.  Encouragemens 

fenêtre,  comme  d'un  thrône  i   je   ;i 
conhdere  toutes  les  obligations  que    ij 
nous  leur  avons ,  quand  je  les  vois 
fuer  fous  le  faix,  &  quemetâtant 
enfuite  je  me  fouviens  que  je  fuis 
de  la  même  pâte  qu'eux. 

Le  peuple  eft  ingrat ,  dira- 1- on  ; 

il  eft  volage,  il  eft  brutal Eh! 

quelle  eft  la  portion  de  fiiumanité, 
dont  on  ne  puidè  dire  la  même 
chofe  ?  mais  je  foûîiens  moi ,  que 
cela  n'eft  pas  vrai.  J'ai  fait  peu 
de  bien  5  (  je  ne  fuis  pas  en  état 
d'en  faire  beaucoup  ,  &  je  n'ai  pas 
fait  à  beaucoup  près  tout  celui  que 
faurois  pu  ) ,  j'ai  trouvé  des  mar- 
ques de  reconnoiiïance  qui  m'onc 
étonné.  Mille  fois  plus  de  bienfaits 
fe  font  perdus  en  montant  qu'en 
defcendant.  Le  peuple  eft  volage  : 
reproche  de  fadieux  ,  reproche  fait 
à  la  multitude  oilive  &  déplacée , 
Bc  je  n'en  veux  que  de  laborieu/è 
èc  occupée.  Il  eft.  brutal  enfin  5 
mais  peut-être  eft-il  malheureux , 
perfécuté,  méprifé?  en  bute  à  i'op-=. 
prefîîon  en  tout  genre  de  tous  les 
autres  ordres  de  l'Etat.  S'il  en  eft 


pour  V Agriculture,  173 
aînfi ,  ne  reprochons  rien  aux  mi- 
férables  ;  remédions  à  la  caufe  de 
leurs  maux  ;  je  me  trompe  fi  Tai- 
fance  &  Texade  police  ne  les  civi- 
lifent. 

Mais  tout  ceci  ne  vient  pas  en- 
core au  point  que  je  leur  ai  attri- 
bué dans  Tattention  publique  :  oui , 
je  voudrois  que  les  petits  fuifenc 
honorés.  Sacerrima  res  j  homo 
mifer  ;  mais  indépendamment  de 
ce  principe  de  morale  dont  il  n'efl: 
pas  queftîon  ici ,  dès  qu'il  efi:  unefois 
décidé  que  Fart  de  tirer  les  richeiles 
de  la  terre ,  èc  celui  de  les  ouvrer 
&  diftribuer  ,  font  les  deux  pivots 
de  la  fociété  ,  efl-ce  un  paradoxe 
que  de  vouloir  qu'on  honore  ceux 
qui  profeiTent  ces  arts  fi  néce/Tai- 
res  ?  Le  Tel  doit  entrer  dans  tous 
les  mets,  l'honneur  dans  toutes  les 
profefïîons  ;  mais  s'il  en  eft  oii  ce 
véhicule  d'opinion  foit  néceflaire , 
c'eft  fans  contredit  à  celles  qui  font 
pénibles  de  leur  nature ,  ou  péril- 
leufes.  Tant  que  vous  n'honorerez 
pas  les  baffes  claffès  de  l'huma- 
liicé  3  il  eft  impoffible  d'y  maintenir 

H  iii 


Î74  Encouragement 

TabondanGe  néceffaire  à  rémuîa-  i- 
don  &  aux  progrès.  On  fe  plainr  ^j 
que  perfonne  ne  veut  demeurer  i 
dans  Ton  état ,  &  que  de  grade  en 
grade,  cetre  ambition  déplacée  & 
toujours  peu  mefurée  épuifè  les 
balîès  dalles ,  &  (urcharge  les  pre- 
mières qui  doivent ,  par  mille  rai- 
fons  ,  erre  peu  nombreuies  par 
proportion  :  d*oii  vient  cela  ?  c'eft 
que  perfonne  ne  veut  vivre  dans 
Tabicélion  ,  ou  ne  s'y  tient  que  par 
nécefTité,  &  ce  qu'on  fait  par  for- 
ce 5  on  le  fait  toujours  mal  '.}iop,o- 
re:^  donc  les  petits.  On  lent  bien 
que  je  n'ai  pas  voulu  dire  à  Guilîor  : 
Seigneur  j  monter  au  thrône  _,  & 
■commande^  ici.  Mais  le  mépris 
n'eft  fait  que  pour  le  vice  ;  nous 
nous  devons  tous  une  eftime  réci- 
proque ^^  relative  à  rutiiité  ref- 
-pedive  ;  je  dis  plus  :  quoi  encorej 
Je  refpedl:. 

Mais  ce  qu'il  faut  fur- tout  ho-= 
norer  ,  c'eft  l'agriculture  &  ceux 
qui  l'exercent  &  Fencouragenr. 
Dans  tous  les  biens  d'ici  -  bas ,  l^ 
terre  ejl  la  matière  ^  &  le  travail^ 


pour  V Agriculture.  1 7  5* 
c/?  la  forme.  Il  femble  inutile 
d'établir  que  multiplier  la  matièrje  , 
c'efl:  maltiplier  le  îravailr  '  Mais  de 
combien  une  extrême  attention  & 
une  prote6i:ion  attentive  &  mêlée 
de  récompenies  pourroit  accroître 
;Ia  production  de  la  matière  pre- 
.miére,  c'eft  ce  qu'il  eO:  impoffibje 
de  calculer  &  même  d'imaginer 
que  par  des  indu^lions  relatives  , 
du  moins  pour  un  Erat  qui  a  un 
territoire  vafte  &  avantagé  de  la 
nature. 

Ua  Dropriétaire  qui  eft  afîèz  ri- 
che  pour  le  racherer  du  travail 
perfonnel  par  le  travail  d'aVîCrui  j. 
eu:  indigne  de  fa  fortune,  s'il  ne 
s'en  fert  que  pour  vivre  dans  Toi- 
ilveté,  &  feroic  à  charge  a  l'Etat, 
il  dans  mes  idées  ,  le  membre  le 
plus  inutile  de  la  fociété  n'étok 
toujours  un  profit  pour  l'Etar. 

Mais  s'il  employé  Ton  loifîr  à 
acquérir  des  connoi (Tances  relatives 
à  la  bonification  de  /on  patrim.oine 
&  de  Ton  fuperflu,  s'il. s'applique  .à 
les  mettre  en  valeur,  il  remplit  (011 

Hiv 


iy6         Encouragemens 
devoir  &  tient  fa  place  ,  ce  qui  eft 
la  vertu. 
Platitude        J'ai  lu  dans  le  Mémoire  envoyé 
înfpirée  à  un  paj-  ordre  de  M.  le  Duc  de  Bour- 

tres  grand        *■  t  i  t>       •    i  • 

&  très-ejtcei  ^^g^^  ^"^  liitendans ,  1  article  qui 
Iciic  jprincc.  fjjt  au  fujet  de  la  nobleiTe.  iS'i/^ 
cuhivtnt  leurs  terres  par  leurs 
mains  j  ou  s'ils  les  donnent  à  des 
fermiers  j  étant  une  des  plus  effen- 
îielles  marques  de  leur  humeur 
portée  à  la  guerre  j  ou  à  demeu^ 
Ter  dans  leurs  maifons.  Celui  qui 
dreflTa  ce  Mémoire,  crut  fans  doute 
être  un  grand  Grec  d'avoir  trouvé 
cette  marque  diflindlive.  Indépen- 
.  damment  de  la  puérilité  d'entrete- 
nir de  femblables  &  (î  movibles 
détails  un  Prince  deftiné  à  com- 
mander à  vingt  millions  d'hommes, 
&  dont  la  conduite  doit  influer  fur 
le  fort  de  toute  l'Europe  ,  indé- 
pendamment encore  de  ce  qu'une 
femblable  inquifition  a  de  tyranni- 
que  3  je  foûtiens  qu*au-}ieu  de  faire 
regarder  au  Prince  avec  mépris 
celui  qui  fe  tient  chez  foi ,  on  de- 
vroit  le  lui  préfènter  fous  un  poin^ 
de  vue  oppofé. 


pour  VJgrîcuttUré.  ijj 
Un  Philofophe  diroic  que  celui 
jiii  nourrit  les  hoaimes  fait  mieux 
que  celui  qui  les  tue  ;  mais  je  ne 
uis  ici  que  calculateur.  De  deux 
:hores  Tune ,  ou  l'Etat  eft  fervi  par 
les  troupes  foudoyées ,  ou  chaque 
:itoyen  eft  obligé ,  en  cas  d  alar- 
nes,  de  ie  porter  au  fecours. 

Dans  le  premier  de  ces  cas ,  ïe 
nétier  de  la  guerre  coiivient  bien 
nieux  à  celui  qui  n'ayant  pas  de 
bnds  i  efl:  aux  gages  d'aucrui  ^  qu'à 
'.eluiqui ,  pour  courir  en  Flandres 
k  en  Allemagne ,  laiffe  en  friche 
in  Canton  de   l'Auvergne   ou  du 
^anguedoc.  Mais,  dira-t-on  ,  vous 
:s|ie  faites  uonc  plus  fervir  l'Etat  que 
ar  des  mercenaires  î  Point  du  tour, 
e  frère  ,  le  fils  du  cultivateur  font 
i'aufîi  bo»nne  race  que  lui  5  mais 
Is  n'ont  affaire  qu'à  la  guerre  ,  &: 
*eft-là  leur  métier^ 
Dans  le  fécond  cas ,  de  qui  tire- 
z-vous un  meilleur  fèrvice  ,  oiî 
e  celui  qui   noirci  fous  le  foleiî 
ai   dore  fes  guérets  ne   connoîc 
e  plaifirs  que  la  chaiïe ,  &  de  tra« 
aux  que  ^eux  de  la  campagne  r 

H  y 


ïi-i» 


lire 
pris 


17^  Encourage  me?îs 

qui  habitué    à  jouir  perronneîle- 
ment  de  Tes  champs  va  défendre 
Tarbre  qu'il  a  planté,  le  troupeau 
qu'il  a  élevé;  ou  de  celui  qui  ac- 
coutumé à  tirer  en  argent  le  pro- 
duit de  Tes  contrats   d'acquifîcior 
ou  de   Tes    partages  de    famille 
n'eftime  que  ce  qui  rend  de  l'ar- 
gent fonnant  ,  qu'il  confomme  ai 
milieu  des  ptaifirs  oiiîfs  &  mois  d( 
la  Ville  ?  Allez  attaquer  chez  eu 
les  peuples  agriculteurs ,  les  Suifles 
par  exemple ,   &  le  problême  n 
fera  pas  long  à  réfoudre. 

Optïma  fiercoratio  greffhs  de 
mîni ^  difoient  les  anciens,  Se  pei 
fonne  depuis  ne  les  a  démenti 
Qiie  penfer  donc  d'un  gouvern{ 
ment ,  dont  l'effet  feroit  d'attir 
chacun  hors  de  chez  (ôi  ? 

Le  plus  habile  agriculteur  & 
proteâ:eur  le  plus  éclairé  de  l'agi 
culture   font ,  toutes  autres  chof 
étant  égales  ,   les  deux   premie 
hommes  de  la  fociété.  Au-lieu 
cela,  le  titre  de  Gêniilhommef 
camp^ne   eft  prefque  devenu 
:ridicule  parmi  nous  y  comme  î 


Vc 

Cêli 


pour  V Agriculture,  iy^ 
y  en  pouvoir  avoir  de  ville.  Le 
nom  de  provincial  eO:  une  injure, 
&  les  gens  àw  bon  air  font  ofîen- 
fés ,  quand  on  demande  de  quelle 
province  efi:  leur  famille ,  coiiime 
fi  erre  Dauphinois  ou  Poitevin 
n  ctoic  pas  être  François.  Cette  iocre 
&  miférable  fupérioriré  de  l'habi- 
tant de  la  Capitale  fur  celui  des 
Provinces,  eft  rendue  en  monnoia 
dans  la  Province  par  le  Citadin  au 
Villageois  &  au  Campagnard, 

Voyons  donc  ce  que  lafociétCg 
ce  que  les  occupations  des  habi- 
tans  des  villes  ont  de  préférable  à 
celle  de  la  campagne. 

Je  Jes  y  retrouve  tvxxin  les  maî- 
tres de  tant  de  champs  dévaflés 
que  j'ai  rencontrés  fur  ma  route. 
Voyons  quels  plaifirs ,  quelles  dé- 
lices les  obligent  à  fe  priver  àe 
tCelui  de  jouir  de  la  propriécé  des 
biens  que  la  Providence  leur  a  dé- 
.partis  :  travaillent-ils  à  leur  fortu- 
ne ,  &  la  décevante  ambition  les 
a-t-elle  attachés  à  Ton  char  ;  ou  ^ 
curieux  de  cultiver  leurs  talens , 
scherchent-ils  à  perfefttonner  des 

Hvj 


iï8o         Encouragemens' 
coniioîfîànees  3  aufquelles  la  fociéfe 
ajoure    le  poli ,  comme  le  frote- 
nient  le  donne  aux  cailloux  dans 
les  rivières  ?  Rien  de  tout  cela.  J*ai 
iuivi  ces  hommes  choifis  ,    dans 
leurs  plaifirs  &  dans  leurs  plus  ini^ 
portantes  affaires  :  lignes  tangentes 
tirées  d'une  porte  à  l'autre  &  qu'on 
^appelle   bienféances  ,   fpediacles  ,. 
nouvelles  ,  tracafleries  ,   médifan- 
ces  5  duels  de  l'intérêt  qu*on  nomme 
jeux ,  voilà  leurs  travaux  &  leurs 
pîaifiïs.    O  oifiveté  î  faudra -t- il 
donc  brûler  tes  aziles  pour  rendre 
l'humanité  à  fes  goûts  &  à  fes  de- 
voirs naturels  ?  Non  j  mais  hono^ 
rons  ce  qui  eft  honorable  ,  méprî- 
fbns  ce  qui  efl;  méprifàble  3  &  tout 
fera  dit. 
Tiî'Jicuîe         Un    Efpagnoî   blâmoit    Miguel 
jeué  for  les    ^g  Cervantes  d'avoir  nui  à  fa  patrie 
hommes-      cn  ridicuhianî  la  Chevalerie  dans 
campa-         fon  Dom  Quixote.  La  Chevalerie 

ird'£krf'  ^foî'f  fo^^^^e  d'elle-même,  difoir- 
il ,  malgré  tous  \t%  efïbrts  fanrafti- 
ques  du  Duc  de  Lerme  pour  la 
relever  ;  mais  on  a  été  au-delà 
du  but;  en  faifaiittomber  le  délire. 


pour  V Agriculture,  tSî 
<de  la  valeur  &  de  la  générofité  ,. 
on  a  émoiiiïe  ces  vertus  dans  leur 
principe.  On  pourroit  faire  le  même 
reproche  à  Molière  &  à  Tes  imi- 
tateurs :  en  riiiculifant  les  Gentils- 
hommes campagnards,  les  Barons 
de  la  Crade  ,  les  Sottenville  &c. 
ils  ont  cru  n'attaquer  que  la  focte 
vanité  &  la  plate  ignorance  àts 
Seigneurs  châtelains  ;  mais  les  mots 
de  campagnard  Se  de  provincial 
font  devenus  ridicules.  La  crainte 
du  ridicule  feroirpalTer  un  François 
à  travers  le  feu  >  tout  le  monde  a 
voulu  devenir  homme  de  Cour  ou 
de  Ville  ,  &  adieu  les  champs. 

Mon  deiïein  n'eft  pas  d'entrer 
encore  dans  les  détails  des  incon- 
véniens  de  l'urbanité  générale  3c 
quand  fy  ferai ,  il  s'en  faudra  bien 
que  je  ne  les  épuifê.  Il  y  auroit 
des  volumes  à  faire  fur  cet  article. 
Si  les  campagnes  font  nécelTaires  à 
la  ville  ,  les  villes  le  font  aufîi  à  la 
campagne;  &  l'on  verra  dans  la  fuite 
de  mon  plan,  qu'après  avoir  couvert 
la  campagne  d^autant  d'habitans 
c[u-'elle  en  peut  porter  ,  je  voudrois. 


î  s  2.  Encouragement 

de  mon  fuperflu  former  des  villes  i 
dont  rindudrie  attirât  le  fuc  ali- 
mentaire de  l'étranger.  Mais  félon 
mon  plan,  les  villes  feroient  plus 
grofifes    encore  qu'elles  ne   font  , 
quand  elles  n*auroient  d'habitans 
à  demeure  que  les  Officiers  em- 
ployés dans  les  différentes  Cours 
de  Judicature  qui  s'y  trouvent ,  la 
jeunefïe  élevée  dans   les   Maifons 
&  Univerfités  qui  s*y  rencontre- 
roient ,  ainfî  que  les  gens  deftinés 
à  les  enfeigner ,  les  bourgeois  pro- 
priétaires des  fonds  enclavés  dans 
le  territoire  de  cette  ville  ,  les  ou- 
vriers &  artifans  que  fes  habitans 
&  tous   ceux  du   refTort   feroienc 
vivre  ,  &  ceux  encore  qui  employés 
à  des   manufactures    &   ouvrages 
relatifs  aux  productions  du  pays  & 
à  Ton  induftrie  ,  port^roient  la  ma- 
tière première  au  point  de  perfec- 
tion 5    dont  la  valeur  doit  être  le 
prix   de  leur  fubfîflance  ,  &  qui 
fourni  (Tant  leur  contingent  au  com- 
merce étranger  ,   attireroient    en 
échange   le  produit  de  l'étranger 
-pouc  leur  nourriture  ^  feul  genre  de 


pour  V Agriculture,  1^5 
conquête  qui  ne  foit  pas  contre  le 
droit  public. 

A  conficiérer  un  pays  dans  /on 
état  primitif,  comme  ifolé  èc  vivanc 
de  fa  propre  fubftance  ,  on  ne  peuc 
nier  que  tous  les  ordres  &  hommes 
d'un  Etat  fubjijient  aux  dépens  des 
propriétaires  des  terres  s  c'eft  un 
principe  reçu.  Une  fource  qui  fort 
à  la  tête  des  terres  Se  dans  un  ter- 
rein  élevé  5  arrofè  Se  féconde  Tes 
environs  autant  que  la  quantité  de 
fes  eaux  peut  s'étendre  :  celle  au 
contraire  qui  naît  dans  un  bas- 
fond  ,  ne  fait  qu'un  marais  ,  juf- 
qu  à  ce  qu'elle  fe  foit  frayée  une 
route  baHe  pour  s'aller  perdre  dans 
la  première  rivière  ,  fans  aucune 
utilité  pour  les  champs  voifins. 

Je  compare  à  cette  fource  le 
propriétaire  des  terres ,  que  j'ai  dit 
ci-defTus  être  le  pivot  de  toute  l'in- 
duftrie  qui  l'environne  j  s'il  eft  à 
la  tête  de  la  production  ,  dont  na- 
turellement il  doit  être  l'ame  ,  Se 
à  laquelle  perfonne  n'a  plus  d'in- 
térêt que  lui  a  il  anime  Se  vivifié 


î  §4  Encoiiragemens 

tout  le  canton  ,  il  protège  Pagrîcuf- 
îeur  ifolé  ;  ou  ,  (1  la  rufticité  de  Ta 
campagne  le  piive  de  ees  vues  hon- 
nêtes &  éclairées ,  ce  qui  n^eft  plus 
à  craindre  aujourd'hui ,  encore  fe- 
ra c-il,  par  la  néceffité  de  fa  pofi- 
'  tion  ,  une  partie  des  biens  qu'on 
en  doit  attendre.  Si  au  contraire 
il  efl:  au  centre  de  la  confomma- 
îion ,  il  devient  la  fource  baffe  ^ 
marécageufe ,  &  contribue  à  noyer 
un  terrein  déjà  de  luimême  trop 
fpongieux. 

On  dit  communément  qu^un 
Gentilhomme  dans  fa  terre  vit 
mieux  avec  dix  mille  livres  de 
rente ,  qu  il  ne  feroit  à  Paris  avec 
quarante  mille.  Qu'appelle  - 1  -  on 
dans  ce  cas ,  vivre  mieux  ?  Ce  n'eil 
pas  épargner  plus  aifément  de  quoi 
changer  tous  les  (îx  mois  de  taba- 
tières émaillées ,  avoir  des  voitures 
vernies  par  Martin  ,  &:c.  C'efi:  donc 
consommer  davantage ,  &  Ton  dit 
vrai  ;  mais  comme  on  ne  fçauroit 
dîner  deux  fois,  &  qu'à  Paris  ou 
prend  au  moins  autant  d'indigeP- 
dons  qu  ailleurs ,  ce   furplus  de 


pour  V Agriculture,  iSy 
Confommation  n'elt  pas  pour  lui. 
L'on  entend  donc  qu'il  faic  vivre 
plus  de  mondei  &  en  efïèt,  on  entre- 
tiendra plus  aifément  à  la  campa- 
gne quinze  domeftiques  groffiers  , 
vêtus  ^  payés  à  la  façon  du  pays, 
avec  dix  mille  livres  de  rente  , 
qu  on  n*en  entretiendra  dix  à  laVille 
avec  quarante  mille  livres.  C'eft 
donc  foixante  hommes,  indépeii- 
damnfîent  de  la  famille ,  qui  vivront 
fur  les  quarante  mille  liv.de  rente, 
au- lieu  de  dix. 

Il  feroic  inutile  d* objecter  ici 
que  cet  homme  fait  vivre  à  la 
Ville  ,  outre  fes  domefliques ,  tous 
les  ouvriers  qui  fervent  à  fa  dé- 
penfe ,  les  marchands ,  les  fabri- 
quans ,  les  tailleurs  ,  brodeurs  , 
felliers ,  charrons  &  autres  ouvriers 
lîécefTaires,  èc  de  plus  ,  les  trai- 
teurs ,  parfumeurs ,  muficiensj  gens 
de  théâtre,  filles  &c.  qui  tous  ne 
laififent  pas  d*être  du  peuple  -,  & 
que ,  puifque  je  ne  regarde  ici  que 
la  Population ,  il  faut  rendre  toutes 
chofes  égales. 

Je  pourrois   répondre  à  cett^ 


ÎÈ6  Ëncouragemens 

objedion  que  je  ne  traite  poifit 
encore  ici  de  ce  qui  regarde  le 
commerce  j  mais  comme  il  s'en 
faut  bien  que  je  n  obferve  un  ordr^ 
bien  fuivi ,  je  répondrai  que,  quant 
à  ce  qui  concerne  Tarticle  des  ou- 
vriers nécefïaires ,  foixante  perfon- 
nes  5  quoique  vêtues  gioffiéremenc, 
font  certainement  travailler  plus 
d'artîfans  que  dix  à  Paris  dans  Tctat 
de  dornefliques  où  ie  les  ai  pris  j 
&:  pour  ce  qui  eft  de  ceux  de  l'or- 
dre qu'on  peut  appeller  dans  un 
ouvrage  de  calcul  inivedimema ,  Ç\ 
le  propriétaire  de  terres  donne  dans 
ce  genre  de  dépenies ,  il  deviendra 
bientôt,  lui  ou  les  iiens  ,  Mithri' 
date  ou  Burrhus ,  vendra  Tes  ter- 
res 5  &  ma  leçon  fera  faite  pour  m: 
autre. 

Ce  ne  fon!:  point  les  propriétaire! 
des  terres  dans  l'état  naturel ,  qu 
font  vivre  ce  genre  de  Tupplémen 
à  la  focicré ,  à  moins  que  les  gran- 
des Charges  &  les  bienfaits  du  Ro: 
ne  les  mettent  dans  l'ordre  de: 
gens  gagés ,  dont  il  fera  parlé  dj 
•àeiTous.  Sans  eux  ?  une  ville  opa^ 


pour  l* Agriculture.  ,  1^7 
lente  fera  aflfez  pleine  d'étrangers, 
de  gens  enrichis  des  gains  de  la 
finance  ou  du  commerce,  de  jeu- 
nes gens  &  de  dilîîpaceurs  de  toute 
efpece  dont  le  reflux  &  les  folles 
dépenfes  entretiennent  toutes  les 
mouches  de  TEiat. 

Revenons.  Indépendamment  de 
cette  augmentation  de  con'oinma- 
tion  que  prociJre  la  réfidence  du 
Seigneur  dans  Tes  terres ,  il  ed  de 
l'homme  de  s'attacher  à  (on  féîour. 
Nécedai rement  les  bacimens  habi- 
tés font  mieux  entretenus  que  ceux 
qui  ne  le  font  pas:  on  aime  à  tra- 
vailler ,  à  embellir  fa  réfîdence  ,  à 
améliorer  les  terres  qu'on  a  fous 
{qs  yeux.  Le  premier  ouvrage  en  ce 
genre  efi:  un  encouragement  pour  le 
fécond.  J'ai  vi(itéen  ma  vie  peut- 
être  mille  Châteaux  ou  Genrilhom- 
Smiéres ,  à  peine  en  citeroib~je  trois  ^ 
"où  le  Maître  ne  m'ait  fait  remar- 
quer quelqu'embelliiTement  ou  amé- 
-'liorilfement  de  fa  façon. 

On  dit  alfez  communément  que 
les  campagnards  font  yvrognes  , 
-brutaux  ^  chaileurs  j   6c  ne  font 


y 


188  Encouragemens 

que  cela.   C'eft  un  vieux  reprochi 
du    temps   où  Its    gens  de   vill< 
étoient  carillonneurs  s   brelandier 
&  tires-foie.    Je  ne  nierai  cepen 
dant  pas  que    Ton  ne  boive  for 
dans  les  provinces  où  il  y  a  encon 
de  la  nobleffe  à  la  campagne  ,  ô 
qu  on  n'y  cha(Te  beaucoup  ;  mai 
qu'on  n'y  faOTe  que  cela  ,  ceft  a 
que  je  nie. 
Apologie  de      Je  pouiroîs  cncore    établir  ic 
h  ufalc^   ^  ^^^^  paradoxes  à  ce  fujet  ;  l'un  eft 
que  cette  yvrognerie  qui  dégoûtt 
tant  les  buveurs  d'eau ,  n'eft  poini 
un  mal  \  l'autre ,  qu'à  tout  prendre 
(  car  il  faut  toujours  me  permettre 
^  de  regarder  le  peuple  comme  dei 

hommes  )  il  y  a  plus  d'yvrognerie 
à  Paris  que  dans  les  campagnes 
proportion  gardée  3  &  qu'elle  y  efl 
plus  nuifible. 

Quant  au  premier  point  que 
l'on  pourroit  croire  pillé  des  oeu- 
vres pofthumes  du  feu  Duc  de  h 
Fertéj  Je  dirai  moins  bien  qu'il  n'eûl 
fait;  mais  je  dirai  pourtant  qu'on 
buvoit  trop  autrefois ,  &  que  boire 
jufqu'à  s*abrutir  êft  mal  fait  ;  témoin 


3! 


pour  t Agriculture]        1S9 

a  brûlure  de  PeiTepolis ,  la  mé- 

ïrife  d'Holoferne ,  &  autres  gran- 

es  calamités ,  fans  compter  quel- 

lues-unes  qui  font  arrivées  à  gens 

jue  je  connois  bien  ;  en  un  mot , 

non  Curé  le  dit  ,  &  ce  n  eft  pas 

moi  à  le  contredire  ,   quoique 

«  foie  alTez  la  mode  aujourd'hui 

mode  entre   nous  qui   ne   vaut 

len,  &  qui  n'étoit  pas  du  temps 

e   nos  yvrognes  )  mais  boire   un 

eu    fec  ,    &    feulement    jufqu'à 

lanterj  rire  &  s'embrafTer,   épa- 

ouit  la  rate  5  bannit  les  inimJrics, 

:  lie  la  fociété. 

3'âi  connu  un  vieux  Gentilhom- 
le  5  d*un  nom  ,  d'un  âge ,  &  d'une 
robité  refpeâ:ables  :  le  bon  hom- 
le,  contemporain  des  Vaillacs  & 
es  Girardins  ,  ne  défyvroit  pas  5 
%ais  au  milieu  de  tout  cela  ,  il 
:commodoit  toutes  les  affaires  de. 
.'mille,  d'intérêt  &  d'inimitié  en- 
les  Gentilshommes  à  vingt 
ileues  à  la  ronde.  Aumtôt  qu'il 
slîn  élevoit  quelqu'une  ,  il  fe  fai- 
it  apporter  les  titres  &  papiers 
;  parc  6c  d'autre, il  confulcoitfur 


i^o.     -   Encouragemens 
la  forme  les  gens  de  Loi  tant  bon: 
que  mauvais  en  qui  il  avoit  con- 
fiance ,  &  puis  fur   fa  bonne  judi- 
ciaire 5  il  formoit  Ion  arrêt.  Il  ap 
pelloic  enfuice  à  fon  Châtel  les  par- 
ties 5  &  la  révérence  due  au  Patroi 
faifoic    qu'on   n'entamoic    pas    le 
propos  contentieux  (ans  fa  licence 
C'étoit  au  deifert ,  &  le  verre  à  1 
main  qu'il  rappelloit  les  queftion 
à  décider  5  il  énuméroit  ,  confidc 
rant  attentivement  les  intérefTés 
le  premier  qui  étoit  tenté  de  Tir 
terrompre  étoit  arrêté  par  unordr 
abfolu  :  Un  verre  de   vin  à  Mon 
Jieur.  L'ordre  étoit  exécuté;  &  1 
verre  avalé,  le  nouveau  Radamant 
le  regardoit  avec  cet  air  de  père  l 
de  conciliateur  qu'une  longue  liab 
tude  de    conlidération  de   cantc 
donne  natvirellement ,  &quetou 
la  morgue  du    Barreau  joue  gati 
chement.  Monfieur  en  veut-il  ol 
corcj  difoît-il  :  û  le  plaideur  aga( 
vôuloit  finir  fa  période,  on  l'écoi 
îoit  tranquillement  ,  Se  il  fubilîcl 
un  fécond   verre  de  vin   au  boi 
pour  fon  franc-parler.  Il  eft  à  ni 


pour  r  Agriculture,  1 9 1 
iCiarquer  pour  vous  autres  qui  ne 
k  fçavez  pas  ,  &  qui  feriez  tout 
aufîi  bien  de  l'apprendre  que  de 
politiquer  ou  théologifer  tout  le 
long  du  jour,  comme  vous  faites, 
il  eft  à  remarquer  ,  dis-je  ,  qu^eii 
femblable  occafîon  un  verre  devin 
de  pénitence  ,  &  qui  ne  nous  eft 
compté  pour  rien ,  eft  un  grand  dé- 
savantage. Ce  fécond  verre  bû  , 
fAréopagire  reprenoic  Ton  dire  , 
toujours  attentif  à  faire  boire  les 
mutins  ,  jufqu'à  ce  qu'appercevant 
que  le  bruit,  la  joie  &  la  confiance 
gagnoient  du  terrein  ,  &  que  le 
Démon  de  l'intérêt  barbouillé  de 
lie  fe  fauvoic  en  voyant  les  cœurs 
s'attendrir,  le  vieillard  aimable 
prononçoit  ion  arrêt  définitif,  mau^ 
dilToiî  formellement  les  vignes  de 
tout  réfradaire,  &  finifToit  en  leur 
tendant  les  bras  de  l'air  de  ten- 
drtlle  ,  de  confiance  &  de  joie  , 
dont  Sile-iie  difoit  aux  enfans  de 
l'Egiogue  ,  Solvice  me  ^pueri.  Tous 
.acGouroient  alors  ,  tous  s'embraf- 
foient,  6c  lui  proteftoient  une  en^ 
âére  fpumiffioii  à  fes  ordres»  Le 


jç)i         Encouragem&ns  j 

Notaire  étort  prêt  ,  ôc  la  tranfac-'  y 
tioii  drelTée ,  on  fignoit  ;  puis  /e 
remettant  à  table  ,  on  caflToit  des 
verres  en  guife  d'amende  honorable. 
<îe  tous  les  faits  &  geftes  d*Huif- 
iïers  Se'  de  Procureurs. 

On  me  dira  fans  doute  qu*il  efl: 
^nguiier  que  j'attribue  au  vin  le 
don  dVippaifer  les  querelles ,  lui 
qui  les  fait  :  Je  répons  que  je  n'ai 
pas  prétendu  le  louer  précifémenc 
par-ià  ;  mon  hidoire  m'eft  venue 
en  penfée  ,  comme  aiïurément  une 
des  plus  honorables  pour  ce  genre 
de  vie,  je  l'ai  placée  comme  telle. 
Se  non  comme  argument;  mais  je 
dis  encore  que  le  vin  n'eft  querel- 
leur que  chez  les  peuples  qui  lé 
font.  Les  bas-Breîons  &  les  Limou- 
iins  s'eftropient  après  avoir  bu  en- 
fembîe  ;  mais  ils  fçavent  très-bien 
fe  battre  fans  avoir  bu  5  Se  les  Al- 
lemands fortent  yvres  de  Teftami- 
née  auiîî  tranquillemenc  que  les 
Chartreux  du  chœur. 

Cependant  il  s'en  faut  bien  que 
je  veuille  être  prédicateur  d'excès  ; 
mais  je  répète  que  le  genre  de  vie* 

de 


pour  V Agriculture,  îP3 
de  la  NoblefTe  campagnarde  d'au- 
trefois ,  qui  buvoic  trop  long  temps , 
dormok  (iir  de  vieux  fauteuils  ou 
grabats ,  monroit  à  cheval  ,  &  al- 
îoit  à  la  chalfe  de  grand  matin  ,  fe 
rafifembloit  à  la  Saint-Hubert ,  d>c 
ne  (e  quittoît  qu  après  Todave  de 
la  Saint-Martin  ,  que  cette  vie,' 
dis-je  5  faifoit  peu  de  muficiens,' 
moins  de  Géomètres ,  de  Poètes ,  & 
d'adeurs  de  parade  ;  mais  on  n'avoit 
pas  befoin  de  la  Noblefîè  pour  cela. 
Cette  NoblefTe  menant  une  vie  gaie 
&  dure  volontairement  coûtoit  peu 
de  chofe  à  l'Etat,  &  lui  produifoic 
plus  par  fa  réfidence ,  &  fon  fumiec 
fur  les  terres  nourricières ,  que  nous 
ne  lui  valons  aujourd'hui  par  notre 
goût  5  nos  recherches  ,  nos  coli-. 
ques  &:  nos  vapeurs.  Ils  ne  fça- 
voient  rien  en  comparaifon  de 
nous  ;  car  nous  connoiflTons  les  ré- 
gies du  théâtre ,  les  différences  ef- 
fentielles  de  la  mufîque  Italienne  à 
la  Françoîfe  ;  nous  jugeons  les  Géo- 
mètres 9  nous  faifons  des  cours 
d*Anatomie  &  de  Botanique ,  pour 
faire  rire  les  gens  de  Tart  j  nous 
/.  Fartie,  I 


1^4  Encouragemens 
nous  connoillons  en  voitures  ,  en 
vernis  ,  en  tabatières  ,  en  porce- 
laines ;  nous  n  ignorons  ni  le  men- 
fonge  5  ni  l'intrigue ,  ni  Tart  de  faire 
des  affaires ,  ni  celui  de  demander 
Taumône  en  talons  rouges ,  ni  fur- 
tout  ce  que  vaut  le  bien  d*autrui , 
Targent  &  les  argentiers.  Eux  au 
contraire  faifoient  confifter  toute 
leur  fcience  en  fept  ou  huit  arti- 
cles ;  refpedter  la  Religion  ,  ne 
point  mentir  ,  tenir  fa  parole,  ne 
faire  rien  de  bas,  ne  rien  fouffrir, 
mettre  fon  cheval  fur  le  bon  pied, 
connoître  &  difcerner  la  voie ,  ne 
craindre  ni  la  faim  ni  la  foif ,  ni 
le  chaud  ni  le  froid ,  &  fe  Ibuvenir 
que ,  fi  Cefar  n'eût  pas  fçû  bien 
faire  le  coup  de  piflolet,  il  n*eût 
jamais  échapé  de  tant  d'entreprifes 
hazardeufes. 

Cependant  ces  corps-là  ,  tout 
ignorans  qu'ils  étoient ,  ne  laifToient 
pas  de  bien  &  mieux  fervir  l'Etat 
dans  l'occafion  ;  ils  avoient  même 
quelquefois  d'aflez  belles  idées  de 
la  vraie  gloire  ,  préjugés  auxquels 
notre  philofophie    a    fubftitué  la 


pour  V Agriculture,  i^^ 
cience  des  calculs ,  plus  utile  pour 
es  parricLÎliers  5  mais  qui  l'eft,  je 
rois  ,  moins  pour  le  public.  Par 
xemple ,  Henri  IV.  qui  fut  élevé 
c  nourri  jufqu'aux  temps  où  il 
rifbnna  ,  en  vrai  Gentilhomme 
ampagnard ,  fit  à  peu  de  choies 
rès  auiïi-bien  fa  charge  de  Roi^ 
u*un  autre. 

En  voilà  alTez  fur  la  prétendue 
ilToIution  de  nos  pères.  C*eft  un 
:art  que  je  me  fuis  permis ,  ôc 
Dn  un  Livre  que  j*aie  voulu  faire 
ir  cet  article  -,  mais  quant  à  mon 
cond  paradoxe  ,  à  fçavoir,  qu'il 

a  plus  d*yvrognerie  à  Paris  5pro- 
Dttion  gardée,  que  dans  les  Pro- 
jinces  ,  il  n'y  a  ,  pour  s'en  con- 

incre ,  qu'à  voir  les  guinguettes, 
eut  le  peuple  fort  de  Paris  les  jours 
î.  fêtes  5  &  la  bourgeoifie  même 
l.dans  l'habitude  d'y  courir  en 
ille  5  &  d'y  mener  de  bonne- 

?are  fes  enfans.    La  moitié    du 

uple  revient  yvre,  gorgé  devin 
Islaté,  paralytique  pour  trois  jours, 

dans  peu  de  temps  blafé  pour 
te  fa  vie.  Le  vin  du  crû  dont  fa 

lij 


I9<j  Encouragemens 

gorge  le  payfàn ,  ne  fait  point  ce 
terribles  efîèts  :  il  revient  yvre  l 
Dimanche  au  foir  ,    je   le  veux 
(  quoiqu'à  dire  vrai ,  il  ne  fbit  qu 
trop  guéri  aujourd'hui  de  ce  pauvr 
fuperfiu)  mais  il  trouve  fa  femnc 
de  fàng  froid  ;  différence  énorrr 
pour  rKonneteté  publique  &  pai 
la  fociété  où  la  dififolution  du  fe: 
en  ce  genre  eft  le  plus  honteux  ( 
tous  les  maux ,  &  le  lendemain  ( 
bon  matin  il  e(l   à  Fouvrage.  I 
eft-il  de  même  à  Paris  ?  je  m*' 
rapporte  aux  maîtres-ouvriers.  L 
détails  à  cet  égard  fe  retrouvera 
aux  Chapitres  fuivans. 

Un  grand  Seigneur  en  Franc  | 
(on   le   connoîtra   fans  que  je 
^gaipagnard.  nomme  )  bicnfaifant  d'abord  pci 
fa  maifon   comme  de  droit  ,  r| 
encore  pour  la  pauvre  NoblefTg 
fbn  pays;  il  place  les  uns,  il  ifil 
tient  les  autres,  il  leur  trouve 
débouchés.  On   n'accufera  pas 
gens  eonfidérables  aujourd'hui' 
faire  ces  chofes-là  par   intérêt. 
fait  plus  j  il  a  changé  dans  un  f  1 
^Im^  çloignée  1  orangerie  dç| 


Grand  Sel 
gneur   bien 
f  ai  fane  , 


& 


t 


pour  r agriculture,  ipy 
naifon  de  Tes  pères  en  une  manu- 
àdure  de  foie ,  où  cette  denrée  lui 
oûte  le  triple  de  ce  qu'elle  vaut  ^ 
ttendu  rélôîgnement  des  cantons  I 

lù  cette  forte  d'induftrie  eft  en 
'ogue ,  de  cela  ,  pour  faire  vivre  les 
•auvres  gens ,  &  les  accoutumer 
•eu-à-peu  à  ce  genre  de  commer-» 
e.  Il  a  fait  planter  un  nombre  con- 
idérable  de  mûriers ,  tant  fur  lé 
hamp  d'âutrui  que  fur  le  fîen.  Il 
ait  lever  des  plans  &  terriers  gé- 
léraux  de  tout  le  canton  ,  pour  que 
hacun  puiile  à  l'avenir  trouver  dans 
e  répertoire  public  fes  conFronts , 
k  la  contenance  de  fon  domaine  j 
1  fait  enfin  des  biens  infinis,  tan- 
lis  que  fes  propres  affaires  prof- 
)erent  en  un  fiècle ,  où  par  bons 
noyens  tout  le  pofîîble  eft  de  fè 
naintenir.  Si  je  difois  fon  nom , 
gui  ne  fut  jamais  afrurément  en 
rois  lettres  :  ah  !  me  diroit-on  :  c*eft 
m  fort  honnête  homme ,  fort  jufte 
k  qui  a  le  fens  fort  droit  ,  mais 
Tailleurs  un  efprit  uni.  Que  Dieu 
veuille  m*en  accorder  un  fembla- 
>k,  ànioi  &  à  mesenfansjufquà 

Ini 


19S  Encoaragemens 

la  dernière  génération  ;  mais  ce 
n'eft  pas  ce  donc  il  efl  ici  queftion. 
Ce  digne  homme,  au  fondjeftun 
Gentilhomme  campagnard ,  autant 
qu  un  Seigneur  peut  l'être  en  Fran* 
ce.  Il  a  une  grande  Charge  à  la 
cour  5  qu'il  a  faite  \  mais  d'ailleurs 
la  plus  grande  partie  de  fa  vie  s'efl: 
paflee  dans  Tes  terres  ,  il  les  con- 
noît  toutes,  les  vifite Souvent  ,voit 
&  ordonne  tout  par  lui-même  ,  & 
a  fait  en  (a  vie  plus  de  bien  à  fà 
famille  ,  à  fes  voifins  ,  aux  pauvres, 
à  TEtat  enfin  dans  fa  partie  ,  que 
les  plus  beaux  efprits  n*en  ont  ima- 
giné. 

Ici  Tinterêt  particulier  ,  au-lieu 
de  nuire  à  l'intérêt  public  ,  luifêrt. 
Plus  un  homme  fait  valoir  fès  do- 
maines &  en  multiplie  les  produc- 
tions 5  plus  il  fait  vivre  d'hommes , 
plus  il  augmente  la  fubfîftance  de 
l'Etat.  Je  réfume  enfin  ceci  en  di- 
fànt  que  ,  fi  les  extrêmes  étoient 
nécelfaires,  il  vaudroic  infiniment 
ïT-ieu'x  que  la  Noble(ïe  refiemblât 
au  Baron  de  la  CrafTe  qu'aux  Mar- 
quis de  la  Comédie  j  avec  cette 


pour  F  Agriculture,  ig^ 
difFérence  encore  ,  que  les  arts ,  le 
commerce  &  les  connoiiïànces ,  ont 
pour  long-temps  banni  les  ridicules 
de  grofîîéreté,  &  ne  feront  peut- 
être  que  rendre  plus  communs  ceux 
de  la  faufifé  élégance. 

La  nécefîîtéde  renvoyer  la  No- 

blefTèà  la  campagne   par  moyens 

doux  &  pris  dans  les  moeurs ,  n^é- 

chappa  pas  au  reftaurateur  de  la 

France*  Quand  Henri  lY.  fugpai- 

fîbk  poiTêflgaf  de  fbn  Royaume  ^ 

il  déclara  hautement  aux  Nûhtes  j 

âk  Pet€Û%$  ^  quHl  vculak  qu'Us 

$^ accoutuma  ffinî  à  vivre  chacun  de 

fin  bien  ^  %  pour  cet  effet  qu'il 

fer  oh  bien-'aîfe  ^fuïf qu'on  louïffoit 

de  la  faix  ^  qiitls  allaffent  voir 

leurs  maifons^  &  donner  ordre  à 

faire  valoir  leurs  terres,  >>  Aim 

i»  il  les  foulageoit  de  grandes  êc 

p>  ruineufts   dépends  de   la  Cour 

f>  en  les  renvoyant  dans  les  pro- 

*>  vinces ,  &c  leur  apprenoit  que  le 

?>  meilleur  fonds  que  Ton  puilîè 

99  faire  ,  eft  celui  d'un  bon  mena- 

»  ge.  Avec  cela  ,  fçachant  que   la 

U>  NoblelTe  Francoife  fe  pique  d'imi^ 

liv 


'zùô  Èncouragemens 
yi  ter  le  Roi  en  toutes  chofes  ,  il 
n  leur  raontroic  par  Ton  propre 
»>  exemple  à  retrancher  la  fuper- 
>j  fluité  des  habits  ;  car  il  alloit 
a?  ordinairement  vêtu  de  drap  gris  , 
>5  avec  un  pourpoint  de  fatin  ou  de 
w  tafFetas  fans  découpure  ,  pafle- 
^3  ment  ni  broderie.  Il  louoitceux 
»  qui  fe  vêtoient  de  la  forte ,  &  fe 
M  rioit  àts  autres  qui  portoient  » 
n  difoit-il ,  leurs  moulins  &  leurs. 
V  bois  de  hante-futaie  fur  le  dos. 

Le  luxe  de  la  NoblefTe  épuife 
nécelTai rement  fes  biens  fonds  ;  car 
nous  démontrerons  que  le  produit 
de  la  terre  du  plus  grand  rapport 
réduit  en  luxe  revient  à  prefque 
rien.  La  Noble  (îe  entoure  le  Sou- 
verain 5  <S<:  lui  perfuade  que  les  ri- 
chefîes  de  TErat  n*éranr  faites  que 
pour  gliffer  des  mains  du  Prince 
dans  celles  de  fes  fujets  ,  la  plus 
digne  Iibéra-iré  eft  celle  qui  gratifie 
fàNobleiïe.  Le  nombre  des  deman- 
deurs grofîît  chaque  jour.  Celui 
qui  obtient  fîx  mille  livres  de  pen- 
fion  reçoit  la  taille  de  fîx  villages. 
Le  fifc  déjà  diminué  par  le  proÉç 


^( 


j'cur  VJgrkuhnre,  lùi 
des  Receveurs  s^épuife  en  libérali- 
rcs,  &  cette  même  Noblefîè  qui 
chez  elle  feroit  l'av^antage  ,  la  force 
&:  le  luftre  de  l'Etat,  en  eft,  fans 
(e  fçavoir  ,  la  véritable  fangfue. 

Guichardin  au  fujet  des    deux     princes  a- 
Rois  de  Ton  temps  que  l'Hiftoire  ^^f"  >  ^^^"" 

ds  •       /  T        •     -vTT     o    -n  pies  heureux^ 

avance  (  Louis  XII.  &  Fer-  * 

dinand  le  Catholique)  obferve  que 
les  fujets  ne  font  jamais  fi  heureux 
que  fous  des  Princes  de  ce  carac- 
tère. Leur  Cour  ed  à  la  vérité  for£ 
déferte  ,  comme  l'étoit  celle  de 
Louis  XIL  mais  elle  coûte  peu  j 
les  excès  cependant  font  condam- 
nables :  ce  n'eft  pas  à  moi  à  le  dire  ^ 
&  moins  encore  à  parler  de  la  con- 
duite des  Souverains;  mais  il  eft 
permis  de  dire  que  la  NoblelTe  ferc 
mieux  l'Etat  chez  elle  qu'à  la  Cour 
&  à  la  ville  ,  &  qu'on  doit ,  par 
tous  moyens  doux  &  agréables  , 
faire  refluer  dans  les  campagnes  les 
habitans  de  la  Capitale  &  des 
Villes. 

Rappelions  -  nous  fans  cefTe  le 
cbemin  que  voudroit  faire  le  peupl© 
cnder  d'une  nation  que  les  app^  , 


7,01  Èncouragemens 

rences  d*une  profpérité  pafïàgere  ont 
éveillée.  Nous  pa(îbns  des  villages 
aux  bourgs,  des  bourgs  aux  Villes, 
des  Villes  à  la  Capitale  ,  &  c'eft  à 
quoi  rendra  toute  une  nation  ,  fi  le 
Gouvernement  n'eft  attentif  à  lui 
donner  une  propenfion  contraire. 

Cette  opération  n*eft  pas  Ci  mal 
aifée  qu'on  croiroit  bien.  Les  hom- 
mes ont  tous  un  penchant  naturel 
pour  la  liberté ,  &  les  occupations 
de  la  campagne.  Ce  n'eft  qu'en 
forçant  la  nature  qu'on  les  cafemate 
dans  les  Villes.  Qtie  les  villageois 
foient  heureux,  &  afTujettis  feule- 
ment à  des  loix  fimples  foit  de  po- 
lice ,  foit  de  fîfc ,  qui  affurent  le 
fort  du  folitaire  comme  de  l'homme 
protégé,  qui  ne  les  obligent  pas  à 
devenir  cliens  à  l'Election  ou  au 
Baillage  :  qu'on  retire  de  delTus  leur 
territoire  ces  Vampires  errants  , 
nommés  porteurs  de  contrainte  , 
archers  de  corvées  &c.  qu'on  les 
excite  &  encourage  au  travail,  & 
bientôt  ils  ne  feront  plus  vicieux. 

Si  à  cela  l'on   ajoute  quelques- 
cns  de  ces  divertiflemens  d'exercice. 


1! 


pour  r agriculture.  205 
tels  que  les  anciens  Légiflateurs  les 
avoient  fî  bien  inventés,  te's  que 
Charles- Quint  en  avoic  établi  en 
Flandres  pour  civilifer  les  habitans 
&  unir  les  contrées  voifines  ,  & 
tels  qu'on  en  trouve  encore  des 
traces  dans  nos  provinces  méri- 
dionales ,  des  danfes  ,  des  courfes 
&c.  ils  ne  feront  plus  curieux  de 
venir  fe  noircir  des  boues  des 
villes. 

Mais  fi  au- lieu  de  tout  cela ,  il 
fe  trouvoit  que  dans  les  campagnes» 
par  Tabfence  de  leurs  Seigneurs,  ils 
ne  puflent  jamais  efpérer  aucune 
grâce  ni  protedlion  5  que  traînés 
languiflants  aux  corvées  les  plus 
dures  &  les  plus  répétées ,  décimés 
pour  les  milices  ,  voyans  arracher 
leurs  haillons  de  deffus  les  buiflons 
par  les  Colleéleurs  s'ils  tardent  à 
payer  fes  impôts  ;  doublés  à  la 
laille  l'année  d'après  s'ils  payent  j, 
pour  leur  apprendre  à  ne  pas  en- 
durer la  contrainte  ,  utile  récolte 
des  Receveurs  :  fi  toutes  '  les  fois 
qu'ils  ont  manqué  ,  il  étoit  quef- 
îion  de  les  punir  par  la  bourfe  ',  iî 

Iv] 


-.A 


t- 


'%04  Encouragemens 
le  Procureur ,  l'Avocat  ,  le  Jage .; 
TAgent  du  Seigneur  ,  les  gens  du 
fifc,  Ç\  tout  cela,  dis-je,  les  regar- 
dant çn  tout  &  par-tout  comme  vie 
tîfiies  ne  leur  laiiToir  la  peau  fur  les 
os,  que  fuppofé  qu'elle  ne  fût  pas 
bonne  à  faire  un  tambour ,  faudroit- 
îl  en  ce  cas  s^étonner  s'ils  périiïent 
par  milliers  dans  Tenfance ,  &  (i 
dans  Tadolefcence  ils  cherchent  à' 
fe  placer  par- tout  ailleurs  qu'où  ils' 
devroient  erre  ?  Et  quand  la  pro- 
tedlion  de  l'agriculture  demande- 
roir  du  Gouvernement  un  foin  con- 
tinuel &  d'un  détail  embarraflant  3 
quel  autre  objet  dans  la  fociété 
entière  peut  lui  paroître  plus  digne 
de  Ton  attention  ? 

La  produdion  de  la  matière  pre- 
mière efl  d'une  nécciïïté  indifpen- 
fable;  Tart  d'ouvrer  cette  matière' 
n'eft  que  d'une  nèceflîté  d'habitude 
&:  féconde.  L'on  verra  dans  la  fuite' 
de  ceci,  qu'il  s'en  faut  bien  que  je- 
ne  prétende  ramener  la  fociété  aux 
befoins  des  Patriarches;  mais  enfin 
Ton  ne  peur  me  nier  ce  principe-* 
Cela  poie,  pourquoi  jie  pas  donweç 


pour  VAgricuhui'e,       2©"f 
éiû  moins  autant  de  foins  à  proté^' 
ger  Tagri culture  ,   à  inftruire  les- 
agriculteurs,  à  les  fecourir  &  dé-- 
fendre  leurs  immunités ,  qu'on  eiT 
met  à  protéger  les  arts  &  métiers  ? 
Un    homme   confîdérable    me 
voyant    un  jour  fur   un  habit   de 
velours  des  boutons  de  la  même^ 
étofîè  5  me  dit  que  je  fraudois  la 
loi;  &  quelle  loi,  lui  dis-je?  Cel- 
le 5  répondit- il  ,  qui  défend  de 
porter  des  boutons  de   la  même' 
étoffe  que  fon  habit.    Et  au  profic 
de  qui  cette  loi ,  lui  demandai  je  ^ 
au  profit   des  boutonniers,  dit-il. 
Permettez-moi,  repris-je 5  de  vous- 
demander  ,  li   pendant   le   temps 
que  vous  avez  afîifté  au  Confeil  ^ 
parmi  toutes    les   futilités  de   ce* 
;  genre  que  vous  y  avez  vu  pafTer^ 
on  a   propofe  beaucoup  d'ordon- 
nances en  faveur  du  labourage  ^ 
du  nourriiïage  à^s  beftiaux  ,    qui 
fbnc  les  vrais   arcs-boutans  d'un 
Etat. 

En  efïet  ,  les  arts  ,  métiers  5^ 
fous-métiers  font  protégés  ,  ordon- 
nés ,  policés ,  maintenus  :  à  voir  la 


20  6         Encouragemens 
quantité  de  rabillages   continuels 
qu  il  faut  aux  ordonnances  qui  les 
concernent ,  on  diroit  que  le  Gou- 
vernement n  a  autre  chofe  à  faire 
qu'à  pourvoir  à  leurs  privilèges  , 
exclufions  ^  immunités.  C'eft  fort 
bien  fait  *,  ce  fuperflu  fait  fans  doute 
un  fonds  de  richefîes  :  prenons  gar- 
de feulement  qu'il  n*amene  bien- 
tôt l'indigence.     Les  métiers  font 
tous  moins  pénibles  à  exercer  que 
le  véritable  métier  de   l'homme  , 
je  veux  dire,   Tagriculture.     Les 
artifans  fe  multiplient  &  meurent 
de  faim ,  &  la  terre  fe  dépeuple  : 
la  campagne  ,   feule  fource  de  la 
Population ,  devient  déferre  :  l'agri- 
culture languit  ,  &  en  conféquen- 
ce  5  les  arts  &  métiers  languifîènt 
aufîî. 

Répétons  ici  les  propres  termes 
d'un  Auteur  *  dont  j'ai  déjà  em- 
prunté quelques  exprefïïons. 

w  Mais ,  dit-on  ,  l'agriculture  va 
>5  d'elle-même  ;  c'eft  un  art  qui  ie 
M  tranfmet  par   tradition  ,  que  la 

*   Mémoire    fur  l'uciUté  à&%  luts  Provin-^ 
ciaux» 


pour  V Agriculture,  207 
«  nature  enfeigne ,  &  auquel  elle 
w  a  attaché  une  forte  de  douceur , 
»  au-Iieu  qu'il  n'en  eft  pas  de  mê- 
»  me  des  autres  profeffions.  C'efi: 
«  avoir  bien  peu  étudié  cette  partie 
»i  intéreiïante  ,  que  de  raiionner 
«  ainfi.  L'agriculture  ,  telle  que 
«  l'exercent  nos  payfans ,  eft  une 
3>  véritable  galère.  Il  eft  aufïï  dif- 
ii  fîcile  à  un  de  ces  pauvres  gens 
>»  d'être  bon  agriculteur,  qu'à  un 
3>  forçat  d'être  bon  Amiral.  Si 
«  l'agriculture  n'eft  encouragée ,  fî 
M  elle  n'eft  anîmée  avec  un  foin 
53  &  des  attentions  continuelles  > 
33  elle  languira  toujours ,  &  après 
3>  elle  tous  ces  arts  &  métiers  eftî- 
»  mes  (î  néce(Tàires.  De  l'aifance 
a  du  laboureur  au  contraire  vien- 
33  dra  la  nombreufe  Population  ; 
33  le  fuperflu  des  campagnes  fe  ré- 
33  pandra  dans  les  villes  Ôc  dans  les 
33  armées,  au -lieu  que  des  villes 
33  &  des  armées  il  ne  revient  rien  à 
33  la  campagne  j  je  dis  une  attention 
J3  continuelle  ,  parce  qu'aucune 
»  profefîion  n'eft  fujette  à  d'auiïî 
1»  fréquents   &   d'auffi  accablants 


}3 


*dS  Éncoùrdgêmkns 
»  accidens  que  celle-là.  Les  mâ^- 
^>  ladies  épidémiques  d'hommes  &r 
"  de  beftîanx  ,  la  malice  des  gens 
"  de  villes  de  chicane,  la  dureté 
"  des  maîtres,  leur  éloi^nement, 
''  &  la  friponnerie  de  leurs  agens , 
*'  mille  autres  inconvéniens  dignes 
d^être  cirés ,  fi  je  les  détaillois  ^ 
tout,  dis-je,  dérange  &  détour- 
ne les  gens  de  la  campagne.  Un 
"  horloger  lai  (Te  une  l'ouë  impar- 
*'  faite  ,  il  Tacheve  quinze  jours 
'*  après  ;  mais  un  jour  manqué  fait 
î»  fouvenc  tout  perdre  an  lâbou- 
^  reur. 

Quant  aux  moyens  de  protec- 
tion,  ce  n'eft  pas  ici  le  lieu  de  les 
déduire ,  &  au  fond  on  n'a  rien,  à 
apprendre  en  France.  Les  plus 
utiles  ordonnances  qu^i  aient  Jamais 
été  conçues  font  fignées  de  la  main 
de  nos  Rois  ;  mais  maîheureufe- 
mentnos  loix  font  prefque  comme 
nos  modes.  C'eft  l'afTeàion  feule, 
c'eft  le  goût  naturel  &  la  perfua- 
fion  de  la  néctfîîté  de  la  part  du- 
Gouvernement  ,  qui  peuvent  lui 
donner  le  degré  d'attention  nécefc 


pour  V Agriculture,  209 
faire  pour  que  la  vivifîcation  de 
cette  partie  foit  entreprife  &  fou- 
tenue.  Eh!  pourquoi  ce  gouc  ne 
prendroit-il  pas?  Nous  avons  eu 
de  grands  Rois  en  tout  genre  ,  & 
qu'il  feroic  difficile  de  furpafiTer  ; 
lie  ne  fçais  que  le  titre  de  Roi  Paf- 
teur  5  qui  puiflfe  diftinguer  nos 
I  Maîtres  futurs. 

Vainement  cependant  formerok- 
Dn  5  quand  on  le  pourroit  ,  des 
ko'es  d'agriculture  ;  vainement  in- 
iiqueroit-on  des  prix  &  des  ré« 
rompenfes  à  ceux  qui  y  auroient 
!e  mieux  réufîî  ;  des  honneurs  pour 
les  auteurs  de  certaines  découver- 
:es utiles?  des encouragemens  pour 
les  efTais  5  &€.  Ce  n  eft  qu'une  forte 
d'abondance  relative  ,  qui  eft  la 
mère  d'une  induftrie  noble.  L'agri- 
culteur ne  tentera  rien,  s'il  n'a  la 
force  de  perdre  fes  avances ,  &  fi 
l'eftime  attachée  à  fa  profeiïîoB 
n'engage  les  hommes  riches  & 
éclairés  à  lui  faire  part  des  lumiè- 
res acquifes ,  &  à  le  foûtenir  dans 
fes  travaux.  Enfin  cet  arc  par  ex- 
felieaçeacet  sirt  fiiiQblê  &  tutfe 


lïo  Encouragemens, 
a  befoin  ,  comme  tout  autre  & 
plus  qu'aucun  autre  ,  pour  êtte 
pou{ïe  à  un  certain  degré  de  per- 
fedlion  ,  de  deux  pivots  néceflaires 
à  tout  ;  à  fçavoir  étude  &  expé- 
rience 5  ou  théorie  &  pratique  ; 
fans  cela  ,  il  languira  fans  ceflfe. 

La  nécejfïté  j  dit -on,  eft  mère 
de  rindufirle  :  proverbe  en  vogue , 
parce  qu'il  cranqoillife  la  faufîe 
cottfciêflce  d#s  richê§  &  des  pnif^ 
hm  :  temomom  «a  pêu  le  prm-^ 
dpe  î  fstfonne  ne  tiktû  qm  h 
fâteffe  n'engendre  k  néceflîfé  $  en 
conféquencê ,  parère  $c  indu/lrie 
feront  donc  âe  même  lignée*  Ce 
rfeft  /ans  d^Jîte  pas  ceîâ  qpê  le 
proverbe  a  roala  dire*  Void  ce 
que  c*eft.  Méceflîré  de  force  eft 
fnere  d'indtiftfiê ,  |ê  îe  fçtis  «&  fy 
co»r.s*  néaffité  â^  folbiêfe  engen- 
dre ïengoméïiïem&m  êc  h  mon  ^ 
tmp  â'ïïtân  font  proiivé, 

vQuoiiqye  fe  me  (oh  eerfaîne-» 
ment  trop  ccendu  fur  quelqaes-uns 
âm  détails  que  je  viens  de  trairer,, 
je  îî*ai  fait  néanmoins  que  défignel 

-4^ 


pour  V Agriculture.  in 
les- principaux, &:  j'en  ai  tant  omis 
&  de  fi  néceflaires  ,  que  ceci  ne 
paroîcra  qu'une  ébauche  ^  mais  je 
le  répète  ,  prefque  tout  l'Ouvrage 
fervira  de  fupplément  à  ce  qui 
manque  à  ce  Chapitre  ;  &  fur-tout 
le  refte  de  cette  première  partie  & 
toute  la  féconde  ne  font  aune  chofe 
que  le  développement  àe  ceci-  hé 
Titre  feui  du  Chapitre  fuivânc  proo- 
va  que  ce  ntk  qu'une  comm^ 
Xion  de  ce! ai  ci. 


^^ 


Emploi  des  Terres  2 


CHAPITRE    VU. 

J.^ emploi  que  Von  fait  des  terres 
dépend  des  maurs  &  ufages, 

*»  T  E  nombre  des  habitans  dans 
«  JL^  un  Etat  dépend  des  moyens 
>5  de  fubfifter  ,  &  comme  les 
w  moyens  de  fubfiftance  dépendent 
»  de  l'applicatton  &  ufage  qu*on 
»  fait  des  terres  ,  &  que  ces  ufages 
»  dépendent  principalement  des 
«  volontés ,  goûts  &  façon  de  vivre 
w  des  propriétaires  des  terres ,  iî 
w  efi:  clair  que  la  multiplication  ou 
s>  décroiGTement  des  peuples  dé- 
M  pendent  d'eux. 

Ces  paroles  font  tirées  de  l'Oiî- 
vrage  de  M.  Canrillon ,  qui  a  été 
imprimé  rannée  palTée.  Ce  fur  5 
fans  contredit ,  le  plus  habile  hom- 
me fur  cts  matières  qui  ait  paru. 
Ce  morceau ,  qui  a  pafiTé  dans  la 
foule  de  ceux  de  ce  genre  que  la 
mode  projyiî  aujourd'hui^  rfeft  qug 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  ^  i  ^ 
la  centième  partie  des  ouvrages  de 
cet  liomme  illuftre  ,  qui  périrenc 
avec  lui  par  une  cataftrophe  auffi 
finguliére  que  fatale.  Celui  -  ci 
même  eft  tronqué  ,  puifqu'il  y 
manque  le  fupplément  auquel  il 
renvoie  (ouvent,  &  où  il  avoic  éta- 
bli tous  Tes  calculs.  Il  en  avoit  lui- 
même  traduit  la  première  part^'e 
pour  Tufage  d'un  de  Tes  amis  \  8c 
c'efl:  fur  ce  manufcrit  qu*il  a  été 
imprimé  plus  de  vingt  ans  après  la 
mort  de  TAuteur. 

Le  principe  qu'il  établit  ici  n'eft 
qu*une  fuite  d*induâ:ions  démon- 
trées êc  tellement  liées  l'une  à  Tau- 
tre  5  qu'il  eit  impofîîble  de  leur 
échapper.  J'y  renvoie  ceux  qui 
me  nieront  les  principes.  J'aurois 
pu  les  répéter  ou  les  extraire  ;  mais 
d'une  part ,  le  rôle  de  plagiaire  ne 
me  va  pas  ;  de  l'autre,  tout  eft  tel- 
lement lié  dans  cet  ouvrage,  qu*il 
n'y  a  pas  une  penfée  à  déplacer. 
On  ne  peut  douter  d'ailleurs  que 
la  fécherelïe  de  cette  ledlure  n'aiç 
été  la  caufe  de  TindifFérence  avec 
laquelle  011  a  lâiiTé  pafler  dans  h 


114      Emploi  des  Terres  j 
foule  un  ouvrage  tellement  hors  de 
pair.    Je  dois  avoir  plus  de  niéna- 
gemenr ,  en  proportion  de  ce  que 
j'ai  moins  de  mérite.     Mes  écarts 
prefque  toujours  déplacés   prouve- 
ront moins  fans  contredit ,  mais  ils 
lafleront  moins  auflî  ;  ôc  comme  il 
ne  s'agit  point  ici  de  vérités  nou- 
velles &  jufqu  à  ce  jour  inconnues, 
mais  fimplement  de  Tapplication 
de  principes  connus  à  notre  état  pré- 
Xent ,  Se  de  radèmbler  Ibus  certains 
points  de  vue  les  relâchemens  Ôc 
changemens  de  mœurs  qui  pour- 
roienc  devenir  maux  de  l'Etat,  ôc 
démontrer  dans  les  chofes  les  plus 
fimples  en    apparence  ,  les  chaî- 
nons par   lefquels  la  faulîe   prof- 
périté  tient  inféparablement  à  la 
décadence  3  )e  me  pardonne  des 
incurfions  qui  ne  me  mènent  ja- 
mais hors  de  mon  fujet,  parla  rai- 
fon  qu'il  renferme  tout. 
Mieux  vaut      ^^  principe  de  cet  Auteur  une 

entretenir  des  fois  établi  ,  VOyonS  OU  il  UOUS  COn- 

le  Prince  &  les  propriétaires  ai- 
ment les  chevaux ,  ou  pour  mieux 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  1 1  y 
iiire  ,  s'ils  employent  beaucoup  de 
:hevaux  ;  (  car  les  aimer  roule  plus 
lie  la  qualité  que  fur  la  quantité  ) 
1  y  aura  plus  de  prairies  dans  PEtat, 
?i  moins  de  champs  employés  à  la 
îibfiftance  de  Thomme  :  que  s'ils 
ronfomment  plus  de  bois ,  il  faudra 
:>lus  de  terrein  deftiné  à  être  en 
orêts  en  coupe  réglée  :  que  la 
iiodede  boulingrins,  charmilles, 
:»arcs  ,  grandes  avenues ,  chemins 
Tune  largeur  extraordinaire  &c. 
kent  tout  autant  de  terrein  à  la 
îourriture  de  l'homme  ,  qu'il  y 
?n  a  d'employé  à  toutes  ces  inu- 
ilités. 

Si  au  contraire  les  mœurs  du 

Prince  &  des  grands  propriétaires 

les  portent  à  entretenir  beaucoup 

d'hommes,  la  pâture  des  chevaux 

;  décroîtra  en  proportion. 

Autrefois  les  grands  Seigneurs 
entretenoient  un  beaucoup  plus 
grand  nombre  d'hommes.  A  la  vé- 
rité le  bas  domeftique  confommoit 
infiniment  moins  qu'aujourd'hui  , 
qu'on  les  habille  comme  des  Co- 
médiens, qu'on  les  nourrit,  qu'op 


2 i(j      Emploi  des  Terrât , 
les  couche   comme  les   Maîtfes  J 
mais  les  grandes   maifons  étoient 
pleines  de  conimenfaux  d'un  tout 
autre  ordre ,  qui  leur  faifoient  plus 
d'honneur  ôc  plus  d'avantage ,  qui 
leur  coûtoient  moins  que  des  mer- 
cenaires ,  ôc  qui  les  obligeoient  à 
une  décence  extérieure  de  mœurs , 
utile  au  maintien  de  la  café  comme 
à  la  fociécé ,  Se  honorable  en  groi 
à  la  Nation  comme  en  détail  J 
leur  Mai  Ton.    Les  Dames  avoieni 
auprès  d'elles  des  Demoifelles,  lei 
Seigneurs  des  Gentilshommes  fou- 
vent  d'au fîî  bonne  Mai/bn  qu'eux 
&  les  uns  &  les  autres  des  Pages 
des  Ecuyers  ,  Sec.   Céroic  un  de 
bouché    pour   la  pauvre   Nobleflî 
qui  n'en  a  point  aujourd'hui ,  qu 
tombe   dans  les    plus   viles  déro* 
geances  faute  d'empioi  ,  ou  pou 
mieux  dire  ,  qui  n'exifte  prefquj 
plus,  en   coraparaifon  du  nombr 
qu'il  y  en  avoir  autrefois. 
|C<?blefr?.         Il  n'eft  pas  de  mon  fujet  d'exa 
miner  fî  c'eft  un  avantage  dans  ui 
Etat   militaire  en  fa  conftitution 
#âv.oir  une  nonibreufe  Noblefle 

îîîgi 


Suite  des  Mœurs  &  Vf  âges,  lif 
mais  je  dis ,  fans  crainte  d'être  dé- 
menti, que    les  pauvres  laborieux 
font ,  dans  quelqu  état  que  le  Ciel 
les  ait  fait  naître  ,  la  portion  U 
plus  utile  de  la  fociété.    Je  difTer- 
terai  moins  encore  pour  établir  ce 
que    c'efl:  que   la  NobietTe  j  mais 
£bit  que  ce  genre  de  didindion  foie 
wne  illufion  abfolue  ou  non ,  je  crois 
qu  on  peut   la    définir  ;  la  partie 
de  la  nation  à  laquelle  le  préjugé 
de  la  valeur  &  de  la  fidélité  efi  le 
plus  particulièrement  confié.    Ces 
deux  opinions  fervanc  à  la  défenfe 
&   au  maintien  de  la  fociété  ,  il 
efl:  très- important  de  ne   les  pas 
lai  (Ter   éteindre.     Les   fèrvices  de 
Tintérêt  coûtent  trop  cher  à  TEtac , 
eux  de  la  vanité  &  de  Thonneur 
repayent  en  monnoiequi  ne  man- 
que jamais   à   un    Gouvernement 
éclairé ,  &  économe  de  diftinflionSa 
Cependant  ce  genre  d'orviétan  ne 
prend  pas  également   fur  tous  les 
empéramens.  J'ai  dit,  &  je  m*ea 
îbuviens  ,   que  l'honneur  doit  en- 
er   dans    toutes  les    profefïïons  ; 
ais  il  en  eft  plufieujrs  ,  où  l'on 
J,  Partie,  K 


/' 


%iS  Emploi  des  Terres^ 
n'y  fçauroit  penfer  qu'après  le  pto?' 
fie  5  Ôc  où  Ton  dit  de  bonne  foi  , 
comme  Petit  -  Jean  ,  Mais  fans 
Argent  l'honneur  n'ejl  quune  ma-^ 
ladie.  Quelque  ridicule  que  Taf- 
fluence  de  Tor  arrivé  en  Europe 
depuis  deux  cents  ans  ait  jette  iur 
Thonneur  dévalifé ,  &  quoique  ce 
principe  de  corruption  aille  tou- 
jours en  augmentant ,  il  efl;  cepen- 
dant vrai  que  rien  n'efl:  fi  aifé  que 
de  porter  la  pauvre  NobleiTe  à  fe 
piquer  d'honneur  5  &  à  Te  palîei: 
d'argent ,  pourvu  fur  -  tout  qu'oiy 
réloigne  des  profelîîons  où  Ton  en 
gagne  j  car  ce  feroir  être  de  mau- 
yaife  foi  que  de  défavouer ,  que 
rien  n'eft  fi  rare  dans  les  annales 
de  rhumanité  ,  que  les  duels  de 
Thonneor  ^  de  l'intérêt  ,  oà  le 
premier  ait  remportera  vidloire. 
L'or  eft  corrupteur  dans  toutes  les 
profefÎJons  *,  il  corrompit  Judas  \ 
èc  Cl  Ton  écoute  les  Militaires  fu- 
balternes ,  ils  vous  diront  que  leur^ 
Majors  Font  prefque  tous  pris  pouî 
patron.  La  noblefiè  employée  dans 
'à^s  rDiétiers  d'argent  ntti  yaudif 


Suite  des  Mœurs  &  XJfages. ii^ 
îonc  pas  mieux ,  &  vrai-fembla- 
olemenc  en  vaudra  moins  ;  car 
ayant  une  fois  mis  à  quartier  la 
vanité  domeftique ,  elle  ne  déro- 
bera pas  pour  peu.  Le  Garde-fel 
loble  n^a  point  appris  dans  les 
oyers  paternels  ce  vénérable  axio- 
ne  5  cent  francs  au  denier  cinq  ^ 
■ombien  font  -  ils  ?  mais  une  fois 
la'il  efl:  entré  dans  /a  tête  accom- 
)agné  de  tous  Tes  rameaux,  il  re* 
^arde  Tes  vieux  pères  comme  de 
jroiïîers  idiots ,  èc  raéprife  tout  le 

îj  efte  de  leurs  documens,  Si  au  con- 
raire  il  marche  de  plein  pied  à  fa 
laifîànce ,  il  fe  rappelle  fans  cefle 
jue  fon  vieux  oncle  lui  a  répété , 
jue  le  grand-pere  s'étoic  diftingué 
i  tel  affaut,  quun  autre  ayant  été 
îîevé  dans  une  telle  maifon  (àuva 
on  jeune  Maître  dans  une  embuC- 
:ade ,  &  refufa  de  s'attacher  à  tel 
k  tel  qui  lui  offroient  une  fortu- 

lie.  Ces  idées  germent  dans  fou 
lœur,  &   le  Laridon  des   fermes 
ievient  le  Céfar  d*un  Régiment. 
Qepeiidaat    quelque    multiplié 


i2o       Emploi  des  Terres  _, 
que  foie  aujourd'hui  le   Militaîrt 
en  France  ,  il  s'en  fauc  bien  que  h 
pauvre  Noblefle  n'ait  de  ce  côté' 
là  le  même  débouché  qu'elle  avoi 
autrefois.  Nos  anciennes  troupes 
&  fur  -  tout  la  cavalerie  ,  étoien 
alors   prefqo*entiérement    compo 
fées  de  Gentilshommes.  Dans  Tiq 
fanterie  même ,  Montluc  nous  di 
qu'il  n'eut   jamais  de  Compagni 
où  il  n'en  eut  quarante  à  la  têt^ 
Il  la  leur  faifoit  calTèr  à  bon  mai 
ché  ,  en  leur  difanr  qu'il  n'avo: 
jamais  connu    befogne  bien  fait 
que  de  Gentilshommes.  Henri  I\ 
chef  pendant  long  temps  d'un  pan 
profcrit ,  obligé  de  vendre  tout  fç 
bien  pièce  à  pièce  pour  fubfîfter 
te  qui  déjà  Roi  de  France  fe  plai 
gnit  long -temps  d'avoir  tous  fc 
pourpoints  percés  au  coude,  fevaii 
toit  néanmoins  d'avoir  toujours  e 
quatre  mille  Gentilshommes  autou 
de  lui  5  quand  il  avoit  voulu  les 
appeller.     La  Cour  d'Henri    II. 
cependant  n'éroit  pas  déferre  ;  celJ 
des  Guifès  &  de  tant  de  chefs  d 
parti  qpi  çxiftoieiit  alpr§  j  l'étQ 


Suite  des  Moeurs  &  Vfages.  1 1  ï 

ncore  moins ,  proportion  gardée. 

ally  qui  n'écoic  encore  que  Cara- 

in  3  entrerenoic  ,  dit -il,  douze 

entilshommes  à  la  guerre  ,  à  deu3^ 

înts  livres  chacun.    On  nauroic 

as   aujourd'hui    un  cocher   à  ce 

rix.   Ce  neft  pas    de  quoi   il  eft 

:i  queftion.    Les  douze    Gentils- 

oiiimes  de   Sully   faifoienc  partie 

es  quatre  mille  d*Henri  I V.  m^ats 

;  mets  en  fait  que  dans  cent  foi- 

ante    mille   hommes  d'infanterie 

lie  le  Roi  a  fur  pied  ,  on  y  crod- 

eroic  à  peine  ce  nombre  de  Gen-' 

ilshommes:     Pourquoi  cela  ?    La 

•auvreté  efl:  devenue  ridicule ,  ôc 

[ans  celle  de  toutes  les  profeffions 

m  Ton  devroit  le  moins  la  crain- 

Ire ,  puifqu'on  s'y  dévoue  la   tout 

')erdre  au  premier  fignal,  il  faut 

iu  bien.  On  a  chargé  de  faux  frais 

eûtes  les  garnifons ,  la  moitié  des 

ippointemens    va  en  abonnement 

le  Comédies ,  de  fauteuils ,  de  che- 

'i^aux  de  ronde  ,  &c.  Les  Régimens 

[e  piquent  d'enchérir  fur  la  dépenfe 

les  uns  des  autres.  On  appelle  bril- 

lans  ceux  qui  payent  les  plus  chères 

Kii] 


liî       Emploi  des  Terres  _, 
auberges ,  &  qui  font  en  état  d'être 
reçus  dans  les  mai  Tons.    Jl  faut  de 
gro(Tès  penlîons  pour  foûtenir  tout 
€ela  ,  &    les  Chefs  >  fans  fongec 
quil    faudra   un  jour    mener   ces 
gens  à  la  guerre ,  fe  hâtent  de  faire 
retirer  les  vieux  foldats,  &  de  lej 
remplacer  par  des  gens  en  état  de 
fe  fourenir.  La  vénalité  s'eft  intra 
duite  dans  les  emplois  ;  en  fuppo- 
fant  qu'un    pauvre    Gentilhomme 
jfbit  en  état  d'en  acheter  un  à  for 
£Is ,  la  penfion  en  fbufTre  \  il  faui 
donc  des  gens  de  ville.    Je  veu} 
croire  qu'ils  feront  aufïï  bons  de- 
vant l'ennemi  que  des  campagnards 
înais  il  s'en  faut  bien  qu'ils  ne  lei 
•   égalent  pour  la  fatigue  ,  &  par  Tat 
tachement  à  leur  emploi ,  que  ce: 
derniers  regarderoient  comme  leui 
patrimoine.  Quoi  qu'il  en  foit,  h 
^         cherté  du  fervice  ôte  ce  genre  ai 
débouchés  à  la    pauvre  Nobleiîè 
La  maifon  du  Roi  leur  refte  :  de 
mandez  cependant  ce  qu'il  faut  de 
penfion  à  un  Gendarme ,  ou  à  ur. 
Garde  du  Corps;  \qb  plus  modéréî 
vous  diront  ûs  cents  livres  ;.  &  q\3 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  i  z  5 
font  les  pauvres  Gentilshommes  qui 
peuvent  donner  cela  à  leurs  ca- 
dets ? 

Il  s'enfuit  de  cette  énumératioa 
trop  longue ,  mais  que  j'ai  cru  im- 
portante relativement  à  la  préémi- 
nence naturelle  à  Tefpece  de  gens 
donc  je  parles  que  loin  de  tourner 
en  ridicule  les  gens  de  qualité  ri- 
ches 5  qui  par  vanité  voudroienc 
conibmmer  en  ce  genre  de  fafte 
ce  que  les  autres  perdent  en  luxe 
inutile  à  l'Etat  &  ruineux  pour 
eux,  on  devroit  les  y  encourager, 

Les  gens  dont  vous  parlez  ,  me 
dira  -  c  -  on ,  nourrifToient  plus  de 
chevaux  qu*on  n'en  élevé  aujour- 
d'hui j  la  Nobleiïe  étoit  toujours  à 
cheval  ,  les  noms  de  Connétable, 
de  Maréchaux  ,  de  Chevaliers  , 
d'Ecuyers  ,  l'habitude  où  l'on  ell 
encore  de  dire  un  beau  Cavalier  , 
un  aimable  Cavalier,  aller  bride 
en  main  dans  les  afiires ,  broncher 
à  chaque  pas,&  mille  autres  locu- 
tions uficées  ,  font  des  reftes  de 
J'intime  fociéré  de  nos  pères  avec 
leurs  chevaux,  J'en  conviens  j  mai^ 

K  iy 


2  24  Emploi  des  Terres  y 
il  ne  s'enfuit  pas  de  -  là  qu'ils  euA  ' 
fent  plus  de  chevaux  que  nous  : 
outre  que  la  cavalerie  réglée  eft 
devenue  beaucoup  plus  nombreu- 
fe ,  à  commencer  par  le  Prince  le 
dénombrement  de  les  écuries  ex- 
cède de  beaucoup  celles  de  Tes  pré- 
dccefTeurs  j  on  avo:t  quelques  che- 
vaux de  main ,  mais  à  cela  près  » 
on  n'en  nourrilloic  point  d'inutiles. 
Une  grande  Dame  de  ce  pays-ci, 
à  qui  je  vis  des  chevaux  de  remife , 
me  répondit:  cenejipas  quiln'y 
en  ait  jù  dans  nos  écuries  ^  mais 
il  n'y  en  a  point  qui  ait  pu  aller 
aujourd'hui.  Quand  Baiïompiere 
rencontra  cette  lingere  du  pont- 
neuf,  dont  il  fait  une  finguliére 
hiftoire  ,  il  n'avoit  qu'un  cheval 
entre  fes  jambes  :  c'étoit  l'homme 
Je  plus  brillant  de  fon  temps  ;  au- 
jourd'hui le  plus  pauvre  allant  en 
fiacre,  en  occupe  deux.  Il  cft  à 
remarquer  encore  que  les  chevaux 
répandus  alors  dans  les  campagnes 
où  leurs  maîtres  habitoient  ,  en- 
graiiïbient  de  leur  fumier  la  prairie 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages^ii^ 
'pi  les  devoir  nourrir ,  &c  confom- 
î^oieiic  la  denrée  fur  les  lieux  ; 
ous  rafTeiTîblés  aujourd'hui  dans 
-es  villes ,  leur  nourriture  entraîne 
:eile  d  s  chevaux  de  craie  qui  y 
DUC  amené  le  fourage. 

Mais  revenons.  On  ne  doic  point 
:tre  étonné  que  traitant  de  la  Po- 
pulation je  cave  à  fond  ,  quand 
cela  fe  préfente  ,    les    objets   qui 
peuvent  y   fervir    &  y  nuire  ;  & 
puifqueje  fuis  à  laNoblelîe,  il  me 
refte  encore  beaucoup   à   dire  fur 
cela.   Elle  eft  très- nombreufe  en 
Allemagne,  &à  tel  point  que  les 
Seigneurs  &  les  Princes  même  des 
plus  grandes  Maifons  font  au  (èr- 
vice  des  Maifons  régnantes  ,  fou- 
vent  moins  iliuftres  &  moins  an- 
ciennes que  les  leurs.  Le  droit  de 
prim^géniture  &  la  reverfion  d.^s 
fiefs  aflTurée  aux  caders ,  quand  les 
branches  aînées  tombent  en  que- 
nou'lle  5  font  un  appas  quî  oblige 
tous  ces  cadets  à  (e  marier,  &  à 
époufer  des    filles    pauvres  d>c    de 
haute  niiiïance  comme  eux.    Les 
enfans  de  ces  Princes  &c  Seigneurs 


S2:(^  Empfoi  des  TernS' 
n'en  font  pas  moins  des  fujerspaut 
FErac  5  des  reflourGes  pour  leur 
Maifon  j  &  fourni  (Tant  toujours  de 
nouveaux  fuccelTeurs  ,  ils  empê-^ 
chent  Tinconvénient  notable  de  là 
réunion  des  biens  de.  piufîeurs  Mai? 
fons  en  une  feule.. 

Aux  Etats  d'Orléans  ,  fous  Fran* 
çois  II.  &  Charles  ÎX.  il  fut  quef 
tion  de  faire  paflfer  en  Loi  dans  le 
Royaume  Tadmiffion  des  fîîbfli ta- 
rions graduelles  &  perpétuelles 
comme  en  Italie  \  te  par  une  de 
e.t%  contrariétés  qui  conflatent  Xsl 
bizarrerie  de  la  nature  humaine  , 
6c  qui  feule  a  gravé  ce  fait  dans 
3îia  mémoire  5  il  arriva  que  le  tiers- 
Etat  y  ayant  confenti,  ce  fut  la 
Noblefle  qui  s'y  oppofa.  Si  Fon 
propofbit  aujourd'hui  un  pareil  ex- 
pédient comme  capable  de  foute- 
lîir  la  Nobîefle  <&:  ^tn  encourager 
la  multiplicaticrn ,  &  conféquem^ 
anent  comme  avantageufe  à  TEtat, 
©n  feroit  fifflé  de  toutes  parts;  & 
ceux  qui  daigneroient  répondre  au 
raifonneur,  raccableroient  d'allé- 
carions  p,  dont  ies^moindrè^  fexokai 


Suite  des  Mœurs  &  Ûfagcs,:  iij 
;_que  ce  projet  nuit  au  commerce,. 
èc  prive  le  Roi  de  Tes  droits  de 
fuzerain  aux  mutations.  Examinons 
en  détail  ces  deux  obje6lions,coni- 
me  les  principales. 

Le  commerce  eft  l'échange  des     l'échangé? 
îiécefTués  &  commodités  de  la  vie ,  ^espropriécé^ 
&  nuiiemenc  celui  des  propriétés,  commercev 
Quand  à  Paris  les  loix  &  les  mœurs 
affujétilTènt  tout  à  l'encan  ^  on  s'é- 
crie que  c'eft  bien  fait  ,  que  cela 
fait  circuler  les  meubles  &  l'argent, 
que  les  gens  dejufticejes  induf- 
trieux  du  bas  commerce  ,  les  cu-^- 
rieux ,  les  inconftans ,  tout  enfin  y' 
gagne  ;  &  moi  je  dis  que  par  mille' 
raifons  c'eft  un  ufage  pernicieux  ; 
&  je  îè  prouve.  i°.  Que  font  donc" 
tous  ces  gens  amafles  ,  qui  jouent 
au  plus  fin  dans  le  rezde  chaufTce' 
dévailé   de    cet    Hôtel  ,  qui  huit' 
jours  auparavant  brilloit  de  meubles 
miles   éc  fuperflus  ?  Les  Huiiïiers^ 
hurlent  ,  les  Procureurs  écrivent  y 
6c  ce  peuple  avide  de  brocanteurs'* 
fe  tend  des  pièges  adroits  ,  tandis- 
que  les  gens  les  plus  riches  n'ont 
pas  honte  de  s'affocier  aux  ufurierf 


1 1  %      Emploi  des  Terres  ^ 
ée  profeilion  en  ee  genre  de  pafîe?^ 
temps  5  ôc  de  venir  y  braver  les 
quolibets  des  revendenfes^  du  quar- 
tier. De  toute  cette  fouie  de  gens 
amafîcs  de  la  forte  en  mille  endroirs 
de  Paris  ,  il  n'y  en   a  pas  un  qui 
ne  cherche  à  attraper  1  autre ,  de 
îa  bonne-foi  eft  bannie  de  lapen- 
fée  de  fous  les  individus  qui  rem- 
pli (Tent  ces  dignes  afTèmblées.  Voilà 
pour    les   agens.  D'autre  part,  lé 
propriétaire   bannilTànt    toute    dé- 
cence &  toute  antique  fuperftition 
de  refpe<5t,   vend  jufqu'à  la   robe 
que  fa    mère  portovt  quatre  Jours 
auparavant  :  feachant  d'autre  part 
<jue  la  même  chofe  arrivera  après 
lui,  il  incendie  comme  inutiles  ôt 
propres  à  allonger  fon  inventaire;, 
mi  le    papiers  curieux   3c  fou  vent 
uriles^  à  la  poftériré  ,  mille  chofes 
qu'on  lailTeroit  à  (es  enfans  volon- 
tiers ,  mais  qu'on  ne  veut  pas  ex- 
poser  à  la   curiofîté   des   Prépofés 
à  la  Juftice  t  la  mère  ne  fe  foucîe 
point  de  faire  des  meubles  comme 
faifoienr  (es  devancières  laborieu- 
fos  tout  fera  ?enda  3,dk-elle  >  ^ 


Suite  des  Mœurs  &  U/ages,  22^ 
fervira  à  des  étrangers.  La  maifoa 
efl  appauvrie  d'aurant  >  ôc  l'Etat 
aufîî  ,  puilbu'il  n'cd:  autre  chofe 
qu*un  amas  de  maifons  particu-, 
liéres ,  &  que  le  travail  d*une  inS- 
nîrc  de  dignes  matrones  d*amre^ois 
ré  luit  en  parties  de  ca^'ac;noIe  ,  efl 
autant  de  perdu  pour  lui  Mais  9 
dit-  on  5  ce  changement  dd  meubles  y 
ces  achats  &  reventes  conrinuelles 
avivent  îe  commerce  ,  &  'font  tra- 
vailler les  ouvriers;  &  moi  je  dis 
que  non  :  non  ,  mille  fois  ,  non. 
Ces  meubles  vendus  dans  la  rue 
de  BuflTy  vonr  être  tranfportés  dans 
îa  rue  Diuphine  i  on  ne  les  ufe 
point  en  chemi  ^ ,  ils  fervert  à  quel- 
qu'un 5  lis  font  à  la  vérité  pîu'-ôt 
palfés;  mais  c'efl  que  ceîui  qui  les 
fit  le  premier  ,  prévoyant  leur  fore 
les  avoit  fait  à  vie.  La  mal  f  xorr 
n'eft  un  gain  pour  perfonne  ,  6c  je 
foûfiens  qu'on  fait  plus  de  meubles 
dans  les  pays  où  on  les  con^rve  ^ 
que  i^ans  ceux  on  ils  ne  pafTenî: 
jamais  une  gcnération.  Entrez  dans^ 
îa  maifon  de  «es  nouveaux  établis* 
un  appariement  bxille  de  ftaîcheur. 


$i6      Emploi  des  Terres  ^^  ' 
ÛG  dorure  Ôc  de  boiferie  une  foî^ 
faite ,  tout  le  refte  eft  nud.  Voye^- 
des  Palais  dans  le  pays  où  le  mo- 
bilier fait  partie  de  la  bonne  mai- 
fon  :  les  murs  font  couverts  par- 
tout 5  tout  eft  plein  ,  Se  les  garde-- 
meubles  le  font  auflî  :  cependant 
on  y  travaille  toujours  ,  le  temps- 
ufe  &   prend  plus   fur  la  quantité 
que  fur   le  peu  ;    on  remet  à  la 
mode ,  on  remplace  le  vieux  ,  à^ 
peine  eft-on  meublé  d*hiverà  fond^ 
qu'on  veut  Têtre  d'été.  Après  les 
meubles  ordinaires ,  on  amaffe  ceux 
des  occafions ,  des  noces ,  des  cou- 
ches ,  &c.  Les  Châteaux  viennent' 
après  les  maifons  de  Tille  *,  Ton  fe' 
pique  du  fupeïûu,Ôc  une  maifon- 
eft  auin  riche  de  ce  qui  eft  en  re- 
ferve,  que  de  ce  qui  paroît  ;  en  un- 
mot  5  on  y  travaille  Tans  celTe ,  tan- 
dis qu'à  la  referve    des  fous  ,  ce' 
n'eft  qu'une  fois  dans  la  vie  qu'on 
fe  meublie  à  Paris  ,  où  ce  préten- 
du revirement  de  meubles  ne  fait' 
tivre  que  des  fripons  qui  éveil lés- 
comme  ils  le  font ,  euftent  été  ucilesi 
en  <iuelqu*autre  profeiEoiij 


Suite  des  Mœurs  &  XJjages.  ijt 
Cet  exemple  que  je  crois  vrai: 
d^  trcs-boiine-foi  ,  &   que  i*ai  été 
chercher  dans  la  partie  de  Tindui- 
rrie  la  moins    conceftée  ,  pourroir 
faire  douter  fi  "^ow  ne  Te  trompe 
pas  très-fort  en  honorant  du  nom 
de  commerce  tout  ce  qui  eft  mou- 
vement. Ce  n'efl:  qu'un  efprir  faux- 
&  un  cœur  ^ih.  qui  peut  regarder 
eomme  commerce  l'agio ,  le  cour- 
rage,  rinrriguej  le  maquerellage ,. 
&  autres  trames  de  ritltérêt ,  de  la 
'     malice  ^  de  la  mauvaife  foi  ;  au- 
trement le  diable  feroit  le  premier 
à.t%  commercans. 

Je  pourrois  prouver  également     "Ucîii'îé  à&^ 
que   le   revirement  continuel  des  ^'^^^^"(^^^ 

r-  o      A        c  -)    (V  •        des  fiers  pour 

biens  &  des  rortunes  n  eit  point  h  lotursv 
un  avantage  pour  le  commerce  ; 
ma's  ii  n'efl:  queftion  ici  que  des 
fiefs.  Quel  mal  feroit  au  commer-  _ 
ce,  que  les  fiefs  fulTenc  aflTurés  dans^ 
les  races  ?  J*aidéja  dit  que  cela  per- 
pétuoit  les  vieilles  fouches  en  en^ 
gageant  les  cadets  à  fe  marier  3 
-anaintenoit  Tefprit  de  fubordi nation^ 
&  d'union  parmi  les  habitans  àtlz 
eaîîipagne  par  lanuque  refpe^l  pour 


,>' 


'2^1  Emploi  des  Terres  l 
le  fang  da  Seigneur  ,  le  goût  i6 
propriété  dans  les  familles  ,  &  la 
ljplen:leur  dans  celles  que  les  exemr 
pies  domeftiques  engagent  le  plus  à 
tâcher  de  mériter  de  la  patrie.  Qui 
donc  y  perdroit  ?  Les  Notaires  , 
&  les  gens  qui  vivent  de  procès* 

On  dira  peut-être  que  cela  ôte 
rétnulation  dans  la  partie  induf- 
trieufe  des  fujets  -,  que  chaque  bar- 
rière mife  à  l'ambition  en  efl:  une 
au  travail ,  dites  mieux,  à  la  cupi- 
dité: mais  je  le  nie.  Les  Hoilan- 
dois ,  qui  ont  jadis  pouffé  le  com>- 
merce  &  (es  fuccès  plus  loin  qu'aa- 
cune  autre  nation  ,  n'avoient  point 
en  vue  de  devenir  M.  Le  Marquis 
un  Tel,  èc  Von  fçaitque  fans  Mar- 
quifats  ni  Comtés,  de  (impies  par- 
ticuliers de  cette  florifTante  Répu- 
blique offrirent  de  faire  la  guerr 
au  Roi  de  Dannemarc  à  leurs  dé- 
pens. 

On  fe  plaint  à  bon  droit,  &  Voi% 
regarde  comme  un  vice  très  nui- 
fîble  à  la  condtrution  de  la  Mo-i 
narchte  l'ambition  générale  que 
chacun  a  en  Fiance  de  faire  £on 


e 


Suite  des  Mœurs  &  Vfages,  233 
fils  noble ,  &  conféqueniment  inu- 
tile à  tout  bien  en  un  p^ys  •,  où  il 
ne  refte  de  débouché  à  Ki  Noblef^ 
fe ,  que  celui  de«ious-enrendre  les 
neuf  dixièmes  de  les  entans .  pour 
qu'il  refte  au  fîls  unique  de  quoi 
Kvivre  conformément  à  ce  que  la 
vanifé  du  pereappel^e^fon  écat,  \.q. 
MagiHirat  veut  prendre  l'épée,  parce 
qu'il  eft  établi  que  l'état  de  juger 
les  hommes  ne  convient  pas  à  la 
haute  NoblelTej  le  Négociant  veue 
devenir  Magifirat  pour  faire  en- 
fuite  le  même  faut.  Le  Financier, 
à  qui  l'or  fournit  la  plus  brillante 
&  la  plus  unie  àes  perfpedlives  9 
prend  le  plus  court,  &  appclleroit 
volontiers  le  plus  étourdi  de  fes  en- 
fans  M.  le  Miniftre  ou  M.  leCon- 
feiller  d'Etat  ,  comme  on  désigne 
quelquefois  M.  TAbbé  dès  1  âge  de 
cinq  ans.  Le  fils  du  payrande^i.nc 
Procureur ,  «Se  celui  du  laquais  Em- 
ployé. Si  au  lieu  de  cela  le  Ma- 
giftrat  ambitieux  &  fécondé  de  la 
fortune  dans  Con  état  recomman- 
doit  uniquement  à  fa  famille  de 
penfer  à    Tilludrer  ^  en  donnant  à 


2  54        Emploi  des  Terres j 
l'État  des  du  Harlay .  des  deThou; 
des   Lamoignon  ,   àts   Talon  &c, 
le  Négociant ,  des  Crozat  -,  le  Fi- 
nancier 5   des  Jacques  Cœur  ;   le 
Manufaâ:urier ,  des  Van-Robès  :  fi 
le  payfan  ne  fongeoit  qu*à   amé- 
liorer Ton  bien  &  rendre  Tes  enfans 
habiles  &  laborieux  j  tous  deviens 
droient  plus  induftrieux  ,  plus  ac- 
crédités ,  plus  en  état  de  fe  foûte- 
nir,  &  de  profiter  des  fondemens 
jettes  par  leurs  pères.  Chaque  pro- 
fefîîon  élevée  dans  la  modeftie  & 
dans  une  tournure  de  mœurs  uni- 
forme &  propre  à  fon  état  ,  ne» 
donneroit  pas  moins  des  fujets  à  la 
patrie  ;  mais  le  fils  cadet  d'un  Ma- 
giftrat  ne  dédaigneroit  pas  de  pa- 
roître  au  Barreau  ;  celui  du  Né- 
gociant ,   de  devenir   Armateur  ; 
celui  du  Financier  occuperoit  les 
emplois  de  détail  j  le  fils  du  Manu* 
fadurier  chercheroit  à  établir  des 
métiers  où  il  n'y  en  a  point  5  &  le 
fils  du  laboureur  iroit  en  journées. 
Loin  que  les  pépinières  de  lEtat 
fuflfent  afFoiblies  par  la  modération 
jdes  pères  ^  elles  devieudroientplu% 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  135 
abondantes.  La  nature  infpire  d'ai- 
mer Tes  enfans  ,  l'orgueil  ,  de  les 
craindre  ;  &  le  furabondant  de 
chaque  profeffion  fourniroit  aux 
portions  flériles  de  la  fociété  > 
comn:ie  foldats  ,  matelots ,  &c. 

Sans  que  je  rn'épuife  endialec- 
tique  ,  tout  homme  de  bonne-foi 
fentira  la  vérité  de  ce  que  je  dis- 
ici  3  &  les  gens  fenfés  fe  plaignent 
chaque  jour  que  la  folie  d'autrui 
les  mené  beaucoup  plus  vite  qu  ik 
ne  voudroient. 

Ce  n'eft  pas  que  dans  mes  rê- 
veries je  prétendide  faire  revivre  la 
police  intérieure  des  anciens  Egyp- 
tiens, 011  par  une  loi  fixe  perfonne 
îie  pouvoir  exercer  que  Tétat  de 
fon  père.  Indépendamment  des  in- 
convéniens  de  ce  genre  d'efclavage 
prefcrit  à  la  nature  ,  je  fçais  que 
les  loix  ne  font  rien  fans  les 
moeurs.  Si  j'avois  à  dire  mon  avis 
fur  celle-ci,  je  Taurois  confervée 
en  partie  &  abrogée  en  Tautre.  Il 
Vitvx  jamais  été  permis  de  monter  3 
mais  toujours  de  defcendre  ,  cha- 
cua  filon  lia  talenc.  Mais  ks  Etats 


i  3  ^      Emploi  des  Terres  j" 
ne  fe  gouvernent  pas  par  des  fpc- 
cularions;  &  à  cet  égard  je  reviens 
au  principe  que  j'ai  établi  ci-de- 
vant 5  &  qili  ne  fera  pas  contefté , 
je  crois ,  par  les  gens  de  bon  fens, 
Ceft  que  ,  fans  contraindre  per- 
fonne,  il  faut  honorer  chaque  pro- 
fefîîon  relativement  au  degré  d'uti- 
lité première,  &  bientôt  ce  moyen 
doux  éteindra  plus  de  la  moitié  de 
cette  ambition  deftruétive ,  qui  fait 
que  chacun  ne  demeure  dans  fon 
état  que  par  force ,  &c  ne  regarde 
le  travail  que  comme  un  pafTage 
épineux  pour  arriver    à  la  jouiP- 
fan  ce. 

Il  réfulte  de  ces  fpécuîations  ^ 
que  Texclufion  des  fiefs  pour  la  ro- 
ture ,  &  conféquemment  î'exten- 
(îon  àQs  loix  privilégiées  propres  à 
les  conferver  dans  les  familles  5  ne 
feroit  point  un  mal  pour  le  com- 
merce ;  au  contraire  ,  aufïi-tôc 
qu'un  Commerçant  ,  qu'un  Finan- 
cier &c.  a  acheté  des  terres,  il 
prend  goût  à  l'efprit  de  fupériori-- 
té  ,  il  dédaigne  lui-même  fa  pre- 
mière profeffion,  moyen  fur  de  U 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  1 3  j 
/aire  dédaigner  aux  autres  ;  Ton 
argent  &  Ton  induftrie  fbrtenc  da 
commerce ,  &  tout  y  perd.  Il  ne 
s'agit  donc  plus  que  de  répondre  à 
la  léfion  &  diminution  des  droits 
du  Roi. 

Il  eft  certain  que  la  vafTalité  de- 
vant des  droits  à  la  mutation,  tout 
ce  qui  interrompt  ces  mutations  in^ 
tercepte  ces  droits.  Il  en  eft  d'autres 
de  centième  denier  ,  contrôle  ,  in- 
finuation  ôcc.  fur  les  acqiiifitions. 
Je  tout  enfemble  Fait  un  objet  con- 
fidérable.  Je  répons  à  cela  ,  i  ^.Que 
les  principaux  de  ces  droits  ne  font 
pas  fans  doute  fî  rapportans  qu  011 
le  dit  5  puifque  des  Charges  très- 
peu  financées  en  exemptent  ,  ^ 
donnent  encore  la  NoblelTè  par 
jdefTus  le  marché ,  &  qu  en  fuppo^ 
fant  que  ces  Charges  aient  été 
créées  dans  de§  temps  de  nécefîîté  , 
du  moins  auroit-on  fongé  à  les 
rembourfer  depuis  &  à  les  étein- 
dre, fi  les  exemptions  quelles  rnul- 
jtjplienc  à  l'infini ,  attendu  qu'elle? 
p^jGTent  fiîr  la  tête  de  prefque  touj 


a  5  8       Emploi  des  Terres  2 

les  forts  acquéreurs ,  écoient  fi  nuî- 

fibles. 

20.  Que  loin  de  grofîîr  les  fub- 
ûitutions  en  les  étendant  ,  Je  les 
diminue  en  effet  ;  car  le  plan  fujr 
lequel  Je  raifonne  ,  ne  comprend 
q^e  les  fiefs ,  &  ce  qu'on  peut  ap- 
peller  biens  féodaux;  au-lieu  que 
dans  Tétat  aduel  un  homme  fubfti- 
tue  tout  Ton  héritage  g  tant  fiefs  que 
biens  ruraux  ?  maifons  ôc  fouvene 
même  les  meubles;  c'eft-là  ce  qui 
.efl:  fait  pour  être  mis  dans  le  com- 
merce 5  ôc  non  les  fiefs  qui  ,  tels 
que  Je  les  repréfente  dans  mon 
exception  y  ne  font  prefque  autre 
chofe  qu'autorité  ,  droits  &c  pféé-j 
minences. 

5^,  S\  y  Ce  conformant  fur  cet 
article  aux  loîx  de  l'ancienne  féo- 
dalité encore  en  vigueur  en  Alle- 
magne, il  étoit  établi  qu'au  défaut 
de  la  ligne  mafculine  ,  la  réver- 
sion des  fiefs  viendroit  au  Roi ,  & 
que  Sa  Majefté  s'en  réfervant  la 
nomination  voulût  s'aftreindre  à  ne 
tes  point  donner  à  des  Mai [9111, 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  239 
déjà  établies  ,  mais  à  des  cadets  de 
bonnes   Maifons  ,  avec  obligation 
de   prendre  le  nom  &  armes  du 
fief  j  ce   droit  de  nomination  qui 
dans   des   Etats  d'une   aufîi  vafte 
itendue  que  les  fiens  ,  remettroit 
fans  ceffe  de  nouvelles  grâces  de  ce 
genre  dans  Tes  mains  ,  &  lui  atta- 
cheroit  plus  particulièrement  encore 
la  Nobleiïè,  s'il  étoit  pofTible  ,  né- 
iquivaudroit-il   pas   une   partie  du 
revenant- bon  en  argent ,  qu'on  pré- 
tend que  cela  diminueroic ,  èc  que 
je  nie? 

4®.  S*ii  eft  vrai  que  la  Popula- 
tion foit  une  richefte  pour  tout  le 
monde  ,  comme  la  choie  eft  dé- 
inontrée  ,  puifque  où  il  y  a  plus 
4e  gens  obligés  de  vivre  de  travail , 
Jes  lervices  de  néceflité  rerpeétive 
p-our  tous  les  hommes  deviennent  à 
meilleur  marché,  à  plus  forte  rat- 
ion reft-elle  pour  le  Prince  ,  qui 
4e  tous  eft  celui  qui  paie  le  plus 
<le  fervices.  Or  diminuer  le  pris 
jlîdes  fervices,  n*eft-cepas  augmen- 
^  |er  fes  revenus  ?  Cet  arrangemene 
fû  j  félon  moi  ^  iin  moyen  de  ?nu{-» 


240  Emploi  des  Termes, 
ti plier  fa  nobleife  ;  elle  feule  alors 
rempliroic  fes  armées,  fa  garde  >fa 
marine  militaire  ,  &c.  Elle  fe  pique 
d'honneur  naturellement.  Il  ne  faut 
à  cette  monnoie-là  d*autre  garde 
du  threfor  qu'un  gouvernement 
économe  d'honneurs ,  ôc  prodigue 
de  confîdérations  Se  de  louanges  ^  & 
cependant  c'eft:  le  plus  puKTant  des 
mobiles ,  &  le  plus  inépuifable  des 
ihrefbrs. 

Mais ,  dit-on ,  Tépuifement  con* 
)tinuel  des  vieilles  fouches  fe  répare 
par  de  nouveaux  Nobles  qui  danç 
la  fuite  fe  confondent  avec  les  an- 
ciens. C'eft  précifément  l'inconvé- 
nient dont  nous  nous  plaignions 
tout- à- l'heure.  Mêlez  du  vinaigre 
avec  du  vin  ,  vous  les  gâtez  l'un  ôc 
l'autre.  La  haute  Noblefïè,  qui  n'a 
prefque  plus, il  faut  l'avouer jcon-»" 
îèrvé  de  l'antique  générofité  de  fes 
ancêtres  qu'une  fade  oftentation  de 
/es  vieux  titres ,  ne  confentira  ja- 
mais à  reconnoître  les  intrus  com- 
me étant  de  fon  corps  ;  le  préjugé 
jnême  de  la  nation  l'y  autorife  , 
§ç  à  la  réferve  de  certains  nom&i 

illuftrér 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  24 1 
iiluftrés  par  de  grands  hommes  & 
de  dignes  commencemens ,  tout  le 
refle  eft  rejette  j  &  tel  homme  efc 
lui-même  dans  le  cas  ,  qui  en  éta- 
blira le  principe  devant  ceux  à  qui 
il  croira  en  impofer.  D*ailleurs  , 
ces  portes  d'anoblidement  ont  été 
Ç\  fort  multipliées  que  le  ridicule 
s'en  eft  mêlé,  plaie  incurable  chez 
les  François.  Queft-il  arrivé  de 
cela  ?  que  Tune  &:  Tautre  Noblede 
eft  tombée  dans  le  mépris ,  &  que 
la  confidération  de  Targent  ,  ma- 
ladie plus  redoutable  pour  un  Erac 
que  la  pefte  &  la  famine ,  règne 
aujourd'hui  fans  rivale.  Retenons 
chacun  dans  Ton  état  ;  n'employons 
à  les  multiplier  que  les  moyens  qui 
font  propres  à  chaque  profeffion. 
Dès  qu'on  voudra  fe  rappeîler  en 
pratique  où  gît  le  véritable  hon- 
neur ,  il  s'en  trouvera  aiïez  pour 
tout  le  monde. 

Les  Chapitres  d*hommes  &:  de 
filles  font  encore  une  reffburce  pour 
la  Noblelîe  d'Allemagne  ,  relîource 
très-eftimée  &  peu  coûceufe.  L'or- 
gueil de  la  naiffance ,  6c  la  diflinc- 

/.  Partie,  L 


1^1       Emploi  des  Terres  j 
tion  de  l'ordre  ôc  du  genre  font 
plus  de  la  moitié  des  avantages  des 
perfonnes  admifes  dans  ces  corps 
refpedables ,  ôc  s*il  y  a  quelques 
places  lucratives,  le  grand  nombre 
Teft  très-peu  ;  mais  la  Noblefïè  eC- 
time    ces  débouchés  qui  font   un 
état  pour  Tes  enfans  ,  ôc  dans  la 
crainte  de  s'en  fermer  l'entrée  vient 
y  chercher  des  femmes  à  qui  leur 
naiiTance  fert  de  dot.  La  Noblefle 
en  France  a ,  au-lieu  de  ce  fecours , 
celui  des  méfallianccs.  On  peut  dire 
de  ce  joli  mot  ce   que  M.  Boiïuet 
difoit  de  la  fréquentation  desfpec^ 
tacies  y  II  y  a  de  grands  exemples 
pour ,  &  de  fortes  raifons  contre. 
Examinons  encore  cet  article. 
Méfallianccs.      Ces  alliances  5  dit-on ,  relèvent 
l'ancienne  Noble  (Te ,  dégraiflTent  \ts 
gens  à  argent ,  les  civilifènt  d'une 
part ,  &  de  l'autre  rapprochent  de 
la  fociété  privée  la  morgue  de  la 
Nobleffe ,  remettent  en  circulation 
l'argent  engorgé  dans  \.m  petit  nom- 
bre de  caifles ,  &  diminuent  infen- 
fiblement  l'oppofition  &  la  haine 
iiivétérée  entre  deux  of  dres  d'autant 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  245 
lus  difficiles  à  amener  à  la  con- 
Drde,  que  la  profeffion  bien  ana- 
iee  de  Tuneflde  coût  demander, 
:  celle  de  l'autre  de  tout  prendre, 
oiîà ,  je  crois ,  tout  ce  qu'on  peut 
ire  en  faveur  des  méfaliiances  j  du 
loins  ai-je  prefque  fué  pour  en 
ouver  tant,  6c  cependant  j'ai  en- 
e  de  rire  du  poids  de  ces  pui{^ 
ntes  indu6tions. 

Mon  deflfein  ici,  ni  nulle  part, 
eft  pas  de  fcandalifer  perfonne, 

fi  quelqu'un  fe   trouve  bleile  , 

le  prie  de  croire  cependant  que 
li  crayonné  mes  tableaux  le  plus 
gérement  que  j'ai  pu ,  &  que  par- 
adé que  les  plaies  en  écrit  dé- 
çurent ,  je  tâche  d'écrire  ,  comme 

voudrois  l'avoir  fait  le  jour  qu'il 
le  faudra  rendre  compte  à  Dieu. 

En  conféquence  ,  fans  faire  dif- 
iâ:ion  entre  certaines  méfaliiances 
opinion ,  &  d'autres  qui  font  hon- 
ufes  par  la  fource  des  richelTes 
\t  l'on  partage ,  je  dirai  qu'en  gé- 
^ral  &  par  les  raifons  &  principes 
le  nous  avons  déduits  ci-defTus  , 
1  ne  fcauroic  trop  accoutumer  les 

Lij 


144       Emploi  des  Terres^  \ 

difl-ërentes  clafles  à  s'allier  entr 
elles ,  &  à  conferver  comme  ui 
dépôt  facré  les  moeurs  «Se  ufage 
de  leur  état  5  je  dis  les  bons,  &j 
pourrois  même  à  certains  égard 
dire  qu'il  vaut  mieux  que  les  mau 
vais  fe  concentrent  que  s'ils  fe  ri 
pandent.  Par  exemple ,  fi  le  fils  d*u 
voleur  époufe  la  fille  d'un  fripon 
au  fond  il  n'y  aura  qu'un  ménag 
de  gâté,au-lieu  qu'ils  auroientéi 
très- propres  à  en  gâter  deux. 

Ce  Magiftrat  qui  époufe  une  fil 
de  la  Cour  fe  défaille  ,  (  fi  l'on  r 
veut  appeller  cela  fe  méfallier 
auiîi  défavantageufemenc  que  fc 
voifin  j  qui  devient  gendre  d'un  F; 
nancier.  La  Demoifelle  met  fur  fc 
vernis  d'impertinence  natale  ur 
dofe  du  gourmé  de  la  Préfidencc 
Se  bientôt  elle  dédaigne  la  Maifc 
où  elle  eft entrée,  parce  qu'elle  r 
peut  aller  à  la  Cour  :  elle  tranl 
plante  les  grands  airs  ,  elle  diftir 
gue  les  coufins  titrés  ,  fes  enfai 
maudiffent  la  fimare  qui  ne  va  p; 
avec  des  talons  rouges  5  le  titre  c 
Préfidenc  les  ofFenie  >  quoiqu'i 


Suite  des-  Mœurs  &  Ujages»  245 

e  veuillent  pas  perdre  la  Charge  ; 

s  font  Marquis,  &c  s*ils  n'en  peu- 

enc  avoir  l*accourrement  qu'à  la 

ampagne,  du  moins  en  ont-ils  la 

ituité  &  réquipage.  Tout  cela  con- 

)mnie  ,  l'ancienne  gravité  Ce  perd 

vec  rémde ,  Ôc  la  falle  d'audience 

es  pères  n'efl:  plus  fréquentée  que 

ar  des  créanciers  &  des  muficiens, 

)'autre  part  ,  le  voifin  enfinancé 

reçu  un  petit  bijou   qui  n'a  plus 

ien  de  l'accent  Picard  ou  Gafcon 

e  M.  fon  père ,  le  couvent  ôc  les 

laîtres.  y  ont  mis  bon  ordre  :  elle 

a  pleine  de  talens  ,  accoutumée 

ux  flatteries  des  valets ,  &c  farcie 

!e  ces  hauts  axiomes  de  généroh'té , 

ju'il  ne  faut  porter  fês  robes  qu'une 

àifon  5  quejles  defïeins  nouveaux, 

out  donner   à  fes  femmes  ,  avoir 

in  garçon  perruquier  pour  Tes  gens 

i(în  qu'ils  foienten  état  de  paroître 

ians  l'appartement  ,   un   plumet  y 

ies  rênes  Se  des  harnois  de  cou- 

eur ,  des  chevaux  neufs ,  du  vernis 

ie  Martin  &  ce   qui   s'enfuit.   La 

Délie  mère  qui  avoit  compté   que 

4.00000   liv.  foin  20000  liv.   de 

L  iij 


1^6  Emploi  des  Terres , 
rente ,  qu'une  femme  doit  coûte 
dans  une  maifon  réglée  éooo  li\ 
par  an  3  8c  que  les  14.  autres  fe 
roient  accumulées  pour  Tétabliflè 
ment  des  en  Fans  à  venir  qu'elle  voi 
déjà  par  douzaines  autour  de  fo 
fauteuil  ,  laiiTe  patiemment  paHe 
les  jours  d'engouement  de  noces 
hoche  la  tête  quand  on  parle  d 
fpedtacles  ,  de  bal ,  de  l'Opéra  Sa 
mais  efpere  que  cela  finira  :  tout  f 
fuccede  cependant  ,  elle  prend  ms 
fon  temps  ,  hazarde  fes  axiomes 
Ôc  l'on  bâille  :  tandis  que  l'impru 
dente  maman  va  réfléchir  aprê 
coup  5  ôc  confîdere  charitablemen 
avec  quelques  amies  qu'elle  a  fai 
une  fotife  par  telle  &  telle  raifon 
on  démeuble  dans  le  bas  :  les  lam 
pes  économes  qui  éclairoient  fo: 
antichambre  font  place  à  des  bra 
dorés  5  les  porcelaines ,  les  verni 
J'éblouiffent  de  toutes  parts  ;  la  cui 
fîniére  vigilante  eft  remplacée  pa 
un  chef  qui  Ce  referve  trois  jour 
par  femaine,  &  qui  les  quatre  au 
très  fait  travailler  fon  aide  5  le 
Yalets  fidèles  du  vieux  temps  fuien 


Suite  des  Mœurs  &  U/ages,  147 
en  pleurant  tant  de  dégâts  j  bientôt 
leur  Maîcreffe  les  fuit ,  ôc  va  dans 
un  appartement  étranger  déplorer 
les  vices  du  temps.  Les  premières 
couches  la  rappellent  :  on  lui  an- 
nonce une  fille  ;  nous  aurons  un 
garçon  une  autrefois  ^  dit  la  vieille 
mère.  Oh  \ pour  celui-là  j  je  vous 
demande  excufe  ^  répond  l'accou- 
chée j  le  métier  nen  vaut  rien  j  & 
je  ne  fuis  pas  d'humeur  a  me  fa- 
crïjier  pour  ma  pojiérité.  J'aime 
déjà  cette  petite  a  la  folie  ,  &  je- 
veux  quelle  foit  héritière  ;  Sc  fa- 
quins d'applaudir.  La  même  chofe 
leur  étoit  arrivée  la  veille  chez  li 
Demoifelle  qui  avoit  eu  l'infolente 
cruauté  de  dire  que  ce  n'eftpas  la 
peine  de  faire  des  enfans  ,  quand 
on  n'a  pas  un  nom  à  leur  donner. 
Laquelle  des  deux  vaut  le  mieux 
pour  la  famille  où  elle  efl entrée, 
^  pour  yconferver  l'ordre,  la  dé- 
cence ôc  les  mœurs  ? 

Les  principes  dans  îefquels  j'é- 
cris,  me  font  fupprimer  beaucoup 
d'autres  raifons  &  de  détails.  Je 
conclus    que    mélanger    ain(î    les 

L  iv 


i^B  Emploi  des  Terres  j 
états  5  c'eft  tout  détruire  ,  toue 
avilir ,  ôc  ne  relever  rien  que  Tor 
ôc  largenr.  Or  un  Etat ,  où  la  cu- 
pidité Ôc  les  riche(ïes  ont  la  préé- 
minence non  difputée  ,  efl:  une 
aflemblée  de  voleurs  publics  ou 
déguifés  ,  de  brigands  civilifés , 
dont  les  uns  (ont  en  pleine  chaiîe , 
d'autres  à  l'affût  ,  &  qui  dans  le 
fait  occupés  à  s*entredétruire,  fe- 
ront bientôt  juftice  les  uns  des  au- 
tres 5  fans  que  la  foudre  s'en  mêle. 
Dans  un  Etat  conflitué  comme 
la  France ,  il  faut  que  la  Nobleflfe 
foit  fiére,  brave,  pauvre,  &  s*eQ 
pique  :  que  la  Magiftrature  foit 
grave  ,  jufte,  auftére  ,  économe  , 
&  s'en  pique  :  que  le  Commer- 
çant foit  laborieux  ,  entreprenant , 
franc  ,  indépendant ,  f  mple  ,  ôc  en 
falîe  gloire  :  que  la  Finance  Ce  con- 
fonde ÔC  fe  répande  dans  le  com- 
merce ,  loin  de  Topprimer  ôc  de 
le  méprifer:  que  l'Artifan  foit  in- 
duflrieux  ,  vigilant ,  réglé  dans  fes 
mœurs  ,  borné  dans  fa  confommà- 
tion  :  que  le  Laboureur  enfin  Ôc 
TAgriculteur  (  cet  ordre  d'hommes 


Suite  des  Mœurs  &  Vfages.  245) 
récieux  par  lefqneîs  j'aurois  dû 
jmmencer  )  foie  infatigable ,  lio- 
3ré  ,  chéri ,  protégé ,  foulage  , 
icouragé  de  façon  qu'il  falîe  en- 
le  à  tous  les  autres  états  par  fou 
Dnheur  ,  fa  liberté ,  fa  joie  ,  fa 
anquillité ,  &  par  cette  pureté 
atriarchaîe  de  mœurs  ,  dont  la 
impagne  eO:  la  véritable  &  Tuni- 
ae  patrie. 

Cette  digreffion  fur  la  NoblefTe 
iroîtra  certainement  longue  ,  «Se 
îut-être  partiale.  J'ai  aifez  témai- 
lé  ci  -  devant  quel  cas  je  faifoi^ 
2s  petits  &  combien  je  les  hono^ 
)is  ,  pour  n'être  pas  à  cet  égard 
:cufc  de  prédilection.  Je  nnis 
lême  cet  écart  en  rentrant  dan^ 
univerfalitédes  clafiTesde  citoyens^ 

n'ai  traité  de  cet  état-ci  en  par- 
culier,  que  parce  que  c'eft  afîu-^ 
émeot  de  tous  le  plus  inconnu 
n  un  pays  où  la  pauvreté  devient 
ice  ou  bien  fis  ^  comme  difoit 
uelqu'un  5  ^  parce  qu'il  ell:  le 
lus  utile  après  l'agriculteur ,  dans 
n  Ecat  où  Ton  connoît   le  pri^ 


2  5^       Emploi  des  Terres  ^ 
de  rhonneur  &  de  la  gloire.   R 
venons. 

]'ai  dit  que  la  multiplication  d< 
chevaux  dans  un  Etat  eft  un  ma 
Se  que  nous  étions  atteints   de  < 
mal.  Il  m'efl:  quelquefois  venu  dai 
la  tête  un  projet  qui  pourroit  êtj 
bon,  &  qu'au   pis  aller  je  dont 
au  public  pour  ce  qu'il  me  coût 
capiratîon      On  a  de  tout  temps  regardé 
im  les  che-  capitation  comme  un  impôt  trè 
^^"^  onéreux.    J'ai  ouï  &  lu  force  d 

clamations  où  l'on  difoit  que  c'e 
vendre  l'air  au  citoyen  ;  que  c 
impôt  connu  fous   les   Empereu 
Romains  fut  un  des  (îgnaux  de 
décadence  de  l'Empire  ,   &  l'ur 
des  caufe  de  l'aliénation  des  Pr( 
vinces ,  qui  bientôt  aimèrent  mien 
recevoir  les  barbares ,  &  jouir  d 
leur  prétendue  franchi fe  fous  l'en 
pire  le  plus  dur  &  le  plus  abfoli 
que  de  fe  voir  rongées  &  dévorée 
en  tous  les  (èns  par  les  exadeu 
publics   d'un    Empire    fifcal.     I 
Prince  même,  qui  forcé  par  la  n 
ceflîté  établit  parmi  nous  cette  fori 


Suite  des  Mœurs  &  U/àges,  2  y  i 
de  tribut ,  en  avoit  un  tel  dégoût , 
que  dans  les  temps  les  plus  cala- 
miteux  des  fins  de  Ton  régne  il 
predà  fouvent  Ton  Confeil  des  fi- 
nances de  trouver  les  moyens  de 
lui  faire  tenir  fa  parole  en  le  fup- 
p rimant ,  fans  que  fes  coffres  alors 
fi  cpuifés  en  fonfrri(îènt  trop.  Ces 
fortes  de  difcuiïîons  me  font  défen- 
dues 5  ôc  par  goût ,  &  par  devoir 
de  Sujet  ;  mais  en  fuppofant  que 
ia  chofe  parût  ainfi  au  Prince ,  ôc 
à  ceux  qui  fous  lui  ont  le  droit  de 
l'examiner,  j'ai  un  projet  tout  fim* 
pie  à  propofer  à  cet  égard. 

Je  iranfporterois  la  capitatioii 
de  rhomme  fur  les  chevaux.  Je 
me  vois  fiffler  j  car  me  dira-ton  5 
on  a  trouvé  moyen  de  capiter  l'or- 
gueil ici-bas.  Ce  Gentilhomme  qui 
fait  un  procès- verbal ,  où  il  trans- 
forme des  buifîbns  en  ParoilTe  pour 
faire  ériger  fon  fief  en  Marquifatj, 
follicite  &  paie  la  permiflfîon  d'avoir 
cent  cinquante  liv.  de  capi cation 
■pour  fa  feule  perfonne.  Ce  Mar- 
quis bruyant,  qui  promené  en  gliP 
fant  furie  parquet  de Verfaiiles le$ 

L  vj 


251  Emploi  des  Terres ^ 
talons  rouges  que  fou  petit  -  fîls 
payera  ,  qui  fe  met  en  quatre  pour 
devenir  Duc  ,  demande  deux  mille 
livres  de  capitation.  Or  votre  fom- 
me  deviendra  courte  d*autant ,  car 
on  ne  fcauroic  titrer  un  cheval. 

Je  foûtiens  que  la  femme  pour- 
roit  devenir  égale  à  peu- près.  Peii:- 
fez  -  veus  que  ces  Marquis  &  ces 
Ducs  foient  abfolument  dupes  en 
cela,  &  qu'ils  ne  fçachent  pas  fe 
retourner  de  façon  que  la  Cour 
leur  rende  au  centuple  ce  qu'elle 
leur  prend  ?  je  vous  le  demande. 
Je  voudrois  donc  qu'on  capitâ?t 
les  chevaux;  ceux  de  labourage 
très- bas ,  ceux  de  charrette  forme- 
roient  la  féconde  clafïè,  ceux  de 
bât  &  de  tranfport  la  troifiéme  , 
ceux  de  voitures  publiques ,  mefîà- 
gers  5  de  voyage  aduel  en  un  mot 
la  quatrième  5  ceux  de  monture 
de  parade  &  de  courfe  la  cinquiè- 
me, ceux  de  trait  enfin  pour  le 
carroiïè  feroient  la  plus  haute  clafTè^ 

Mais.  ,  me  direz  -  vous  ,  vous 
mettrez  tant  de  monde  à  pied ,  que 
la  çapication  en  viendra  à.  ricu.  J 


t 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  if?  ^ 
répons  à  cela,  i°.  qu'il  n'en  ferois 
rien.  La  vanité  efl;  plus  forte  que 
Ja  raifon  &  même  que  lavarjce. 
Voyons-nous ,  lorfqu'il  arrive  des 
chertés  excefîives  de  fourrage  , 
chofe  très-commune  à  Paris,  que 
les  réformes  de  chevaux  foient  en 
quelque  proportion  avec  l'augmen- 
tation de  leur  dépenfe  ?  A  l'égard 
de  leur  taxe  ,  chacun  en  garde-' 
roic  du  moins  au  prorata  de  ce 
qu'il  paie  aujourd'hui  de  capita- 
tion. 

2°.  Suppofons  un  moment  que 
cela  diminuât  confidérablement  le 
nombre  des  chevaux  ,  fuppofbns 
encore  que  cette  diminution  fût 
un  mal  ,  tandis  qu'il  eft  déjà  dé- 
montré que  ce  feroit  un  bien  ;  fî 
cela  fait  cet  effet  fur  les  chevaux , 
on  ne  peut  nier  qu'il  ne  le  fafTè  fur 
les  hommes ,  &  tout  eft  dit  dans 
mon  fyftême  en  avouant  cela. 

Je  ne  doute  pas  que  pluiieurs 
d'entre  ceux  qui  me  lifentne  pen- 
fent  intérieurement  qu'il  vaut  mieux 
pour  un  Etat  ,  ou  du  moins  pour 
les  individus  qui  le   compofent  ^ 


2  54  Emploi  des  Terres  ^ 
qa*il  y  ait  moins  d'hommes,  mais 
aifés  éc  confommans  à  leur  fantai- 
fîe  5  qu'un  plus  grand  nombre  né- 
ceiîités  à  la  fobriécé  &  à  la  mo- 
deftie.  Ce  petit  fêntîment  honnête 
eft  bon  au  même  ufage  que  le 
fonnet  du  Mifantrope;  mais  outre 
quil  eft  infâme  &  cruel,  je  prou- 
verai bientôt  qu'il  eft  faux  &  er- 
ronné.  On  m'objedlera  encore  , 
que  depuis  que  la  capitation  eft 
établie  dans  le  Royaume  ,  loin  que 
la  recette  en  ait  baififé,  elle  a  tou- 
jours été  en  augmentant  ?  preuve 
que  la  Population  eft  accrue-  Que 
quiconque  ramené  à  la  preuve  le 
contraire  des  faics,  aille  faire  des. 
terriers  &  recevoir  des  rcconnoi(- 
fances  dans  la  campagne  ;  il  trou- 
vera un  mauvais  village  où  il  y 
avoir  une  petite  ville,  un  hameau 
à  la  place  d'un  village,  une  ma- 
fure  déiignant  un  hameau,  &  cam* 
pos  ublTroja  fuit*  Il  y  a  plus  de 
champs  défrichés  dans  plufieurs 
cantons ,  j'en  conviens ,  m.ais  moins 
de  maifons  ;  d'où  vient  cela?C'eft 
qu'on  grate  les  friches  &  les  cô- 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  lyç 
teaux  pour  en  tirer  la  fubUflance 
de  quelques  années  >  &  les  laifTer 
enfuite  appauvris  &  pelés  pour  ja- 
mais ,  au  -  lieu  qu'ils  étoient  du 
moins  autrefois  couverts  de  bois  ; 
mais  le  fonds  du  territoire  efl 
moins  cultivé ,  moins  fumé  ,  & 
rend  infiniment  moins  générale- 
ment parlant. 

Si  la  recette  de  la  capitation  a 
augmenté ,  c'eft  que  i°.  ces  fortes 
de  régies  ie  perfeàionnent  en  vieiL 
liffant ,  &  que  tel  qui  fçavoit  au- 
trefois s*y  foudraire  j  ne  peut 
échapper  aujourd'hui  5  qu'on  avoit 
d'ailleurs  certains  ménagemens 
alors  pour  accoutumer  les  peuples? 
&  fur -tout  les  Nobles,  à  la  pre- 
mière impofition  perfonnelle  in- 
ventée depuis  rétabliiTement  des 
peuples  du  Nord.  2.°.  Qae  les  taxes 
particulières  ont  crû  arbitraire- 
ment. 

Mais  je  m.ets  en  fait  que  le  nom- 
bre des  capités  a  de  beaucoup  di- 
minué 3  à  prendre  le  tout  enfem- 
ble.  Ce  n'eft  pas  cet  impôt  que 
j'accufe  de  la  diminution.    En  gé» 


1^6  Emploi  des  Terrée 
néral  je  ne  fuis  pas  trop  porté  à 
regarder  les  impôts  comme  des 
principes  de  dépopulation  ,  fi  -  toc 
qu*on  aura  foin  de  faire  retrouver 
au  payfan  le  fruit  de  fon  travail  en 
fus  de  ce  quil  paie  pour  acheter 
tranquillité  ôc  protedion  j  mais  en 
admettant  que  tians  l'exécution  de 
mon  projet  il  diminuât  le  nombre 
des  chevaux  ,  c'eft  un  bien  ,  Ci  le 
nombre  d*hommes  en  augmente  j 
ëc  en  fuppofant  que  les  chofes  de- 
meurent comme  elles  font ,  le  fifc 
y  &^S"^  toujours  rhonnêteté  du 
procédé  avec  fes  femblables. 

il  n'efl  qu'une  feule  Se  unique 
façon  de  juger  de  la  ftable  Se  foli- 
de  profpérité  relative  d'un  Etat  5 
êc  cette  façon- là  quelle  eft-elle  B 
Eft-ce  par  la  redoutable  puifTance 
de  fes  armées  ?  En  ce  cas  les  Tar- 
îares  font  les  plus  heureux  peuples 
de  Tunivers.  Eft-ce  par  Tautoriré 
du  Prince  Se  la  pompe  de  fa  Cour  ? 
j'en  doute ,  car  le  (iécle  de  Néron 
eut  plus  que  tout  autre  ce  genre 
de  profpérité.  Eft-ce  par  le  nombre 
aes  places  fortes  qui  défendent  fe§ 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  257 
frontières?  foibles  appuis  Ci  l'inté- 
rieur eft   vuide ,  force  comparable 

celie    des    pyramides  ,   mailes 
effrayantes   au  dehors    Se    qui   ne 
renferm.ent  que  des  cadavres.  Eft- 
ce    une   marine    puiflante  ?    mais 
Carrhage,  que  Tes   propres   fujers 
mirent  à  deux  doigts  de  fa  perte, 
Carthage  qu*une  feule  bataille  don- 
née fous  fes  murs  abbatit  pour  ja- 
mais ,  eut  ce  genre  d'avantage  plus 
que  toute  autre.  Eft  -  ce  enfin  d'y 
voir  fleurir  les  arts  ?  Sans  doute  , 
mais  il  refte  à  fçavoir  lefquels  ;  Se 
"ans    entrer  à   préfent  dans   cette 
lifcudion  ,  c'eft  l'agriculture  :  c'efi: 
lie  feule  qui  au  coup  d'oeil  donne 
l'air  de  profpérité  à  un  pays  ,  ôc 
qui  dans  le  fait  la  démontre. 

Par-tout  où  le  peuple   eCt  heu-     ©ùlacam» 
reux  &  tranquille  ,  la  campagne  Pf^ë|je  ^^^^^^^ 
fera  riante ,  peuplée  ,  abondante  ,  pecité.* 
couverte  de  beftiaux  6c  de  fourra- 
ges.   Par- tout  où  vous  la  verrez 
ainfi  5   comptez  que    le    goût  de 
propriété ,  celui  du  pays ,  du  canton 
&c.  eft  très-vif  dans  le  particulier  j 
que  chaque  individu  s'intérelTe  fans 


i  5  ^  Emploi  des  Terres  j 
mèipe  le  fçavoir,  au  bien  public 
que  le  Gouvernement  eft  afîèrmi 
que  l'Etat  enfin  eft ,  proportionné 
ment  à  Tes  avantages  naturels ,  e 
pleine  profpérité. 

Les  Anglois  admirent ,  dit-on 
no&  villes  &  nos  chemins ,  &  pieu 
rent  fur  nos  campagnes ,  H  iama 
Anglois  fçut  pleurer  nos  défavar 
tages.  Je  crois  le  premier  poir 
pour  une  douzaine  de  nos  viile 
principales.  A  Tégard  des  chemins 
j'en  ai  dit  autre  part  mon  avi 
Mon  delTein  n'eft  pas  d'examinc 
&  encore  moins  de  dire  fi  1( 
étrangers  fe  gouvernent  mieux  qi: 
nous,  mais  de  préfenter  quelqu( 
objets  où  nous  pourrions  mieu 
faire.  Je  remarque  feulement  e 
paOant  ,  que  Paris  même  ,  cet! 
ville  prodigieufe  où  le  luxe  &  Tii 
duftrie  femblent  rivalifer  &  fe  di 
puter  l'empire ,  quoiqu'en  effet  1 
premier  gagne  du  terrein  chaqi; 
jour  5  Paris  ,  ce  gouftre  de  1 
France  Se  des  François  ,  dont  1 
territoire  réel  s'étend  à  deux  cen 
lieues  à  la  ronde,  6c  qui  fecoiic 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  2,59 
d*une  armée  de  colifichets  jinipofe 
des  tributs  à  tous  les  efprits  frivoles 
du  monde  entier ,  Paris  enfin  5  mal- 
gré toute  fa  magnificence ,  ne  mon- 
tre nulle  part  ces  traces  d'amour 
du  public  dont  les  moindres  villes 
des  anciens  étoient  décorées. 

Ces  portiques  ,  ces  places  ,  ces 
théâtres ,  ces  aqueducs  ,  ces  bains 
publics,  &  autres  monumens  donc 
les  reftes  après  deux  mille  ans  font 
encore  notre  étonnement ,  étoient 
prefqu'uniquement  pour  Tufage  du 
peuple  5  &  fouvent  dans  des  villes 
médiocres.  Chacun  alors  s'appro- 
prioit  les  ouvrages  &  commodités 
publiques  ,  &  les  croyoit  à  foi 
comme  un  honnête  bourgeois  de 
Paris  fe  croit  polTeffeur  des  reve- 
nus de  la  ParoiGTe  3  dont  il  efl  Mar- 
guillier. 

Si  l'on  en  excepte  les  quais  & 
quelques  ponts  de  Paris,  y  voit- 011 
rien  qui  porte  la  même  empreinte. 
Il  y  a  trois  fpectacles  ,  deux  font 
des  jeux  de  paulme  ,  le  troifième 
efl:  un  monument  de  Tamour  pa- 
ternel  du  Cardinal   de  Richelieu 


2éo  Emploi  des  Terres  ^ 
pour  une  pièce  de  théâtre  qu*il 
avoit  adoptée  ,  &  aucun  n*a  ni  la 
grandeur  ,  ni  les  commodités  & 
ifTuës  convenables.  L'Hôtel  de  Ville 
conviendroit  à  peine  à  une  ville 
du  troifième  ordre  y  Nul  emplace- 
ment deftiné  aux  fêtes  publiques  ; 
nulle  fontaine  digne  par  Tes  eaux 
d'un  hameau  décoré  :  les  beautés  en 
un  mot  de  cette  grande  Ville  font 
toutes  difperfées  ,  fans  que  Tune 
donne  du  luftre  à  l'autre,  comme 
on  le  remaroue  à  Rome  ,  &  font 
toutes  dues  au  luxe  &  à  la  vanité 
des  Princes  &  des  particuliers. 
Quelle  différence  cependant  de 
l'honneur  qu'eût  fait  au  Prince  & 
à  la  Nation  la  prodigieufedépenfe 
faite  à  la  machine  de  Marly  ,  Ci 
les  eaux  ,  qu'élevé  cette  machine, 
au- lieu  d'aller  fe  perdre  dans  les 
vaftes  déferts  de  Verfailles ,  étoient 
deftinées  à  defcendre  en  fleuve  dans 
les  rues  de  Paris  ,  &  y  former  des 
fontaines  telles  que  celle  de  ia 
place  Navonne  ! 

5i  Louis  XIV.  ^nt  né  dans  une 
nation  moins  Gothique  que  ne  l'eft 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages. iGi 
encore  la  nôtre  fur  tout  ce  quieft 
amour  du  public  &  intérêt  bien 
entendu ,  certainement  ce  Prince  , 
de  qui  tout  ce  qui  avoit  l'air  grand 
faifiiloit  Timagination  ,  auroit  du 
moins  autant  goûté  ce  fafte  public 
donc  il  nous  a  même  laiflTé  plufieurs 
monumens ,  tels  que  Tes  Arfenaux , 
les  Invalides  »  les  portes  de  Paris  j 
que  cette  magnificence  privée  à 
laquelle  il  a  facrifiérant  detréfors, 
&  qu'on  lui  reproche  à  bien  des 
égards  dès  aujourd'hui. 

On  a  voulu  Taccufer  d'un  fen- 
timent  aveugle  &  barbare  ,  en  fup- 
pofanc  qu'il  regardoit  la  France 
entière  comme  Ton  patrimoine  ac- 
quis &  réuni  par  les  armes  de  Tes 
ancêtres ,  &  que  croyant  à  fa  Cou- 
ronne des  droits  plus  étendus  qu'à 
toute  autre  ,  il  imaginoic  que  tout 
étoit  à  lui.  On  ne  peut  difculper 
ce  Prince  ,  lî  grand  d'ailleurs  , 
d'avoir  eu  des  notions  quelquefois 
trop  fiéres  de  Ton  autorité ,  de  Ton 
titre  3  &  du  droit  public.  Il  feroit 
difficile  de  prouver  aufîî  que  toute 
la  France  n  eft  pas  au  Roi ,  comme 


i6t  Emploi  des  Terres  j 
le  Roi  cfl:  à  la  France  :  il  n'y  a , 
à  cet  égard  ,  qu'à  s'entendre.  Le 
droit  ôc  le  fait  parlent  alTez  fans 
enurnérer  davantage  ;  mais  il  Ton 
entend  par  fon  idée  de  domination , 
qu'il  croyoit  exclure  toute  autre 
propriété,  on  le  fuppofe  fou  ,  6c 
jamais  homme  ne  le  fut  moins. 

Cependant  quand  il  fe  feroir  cru 
propriétaire  de  l'Etat  entier ,  il  n'en 
auroit  été  que  plus  aifé  de  le  por- 
ter à  décorer  fa  ville  de  Paris ,  à 
faire  jaillir  des  eaux  dans  des  pla- 
ces publiques  plutôt  que  dans  des 
bofquets ,  à  faire  des  canaux  d'ar- 
rofage  plutôt  que  des  perfpedives 
pour  fon  Château. 
Difcours  La  vanité  d'ailleurs  l'a  emporté 
d'un  Barbare  ^  fg  pravet  fans  celTè  dans  fes  mo- 
numens ,  oc  a  le  nommer  en  mar- 
bre le  Divin  Louis ,  i'Pîomme  îm- 
mortel ,  ôcc.  Ce  fut  la  faute  des 
hommes  de  fon  temps.  Je  voudrois 
quelquefois  que  le  Roi  pût  enten- 
dre l'idiome  d'un  barbare.  «Sire, 
w  lui  dirois-je.  Votre  Majefté 
3>  n'a-t-elle  jamais  penfé  que  l'air 
5>  impératif  ôc  dédaigneux  qu'on 


Su  ire  des  Mœurs  &  UJages.  16^ 
donne  à  vos  ftacuës ,  eft  ou  puéri- 
le ou  fâcheux.  Céfar ,  Cromwel 
êc  autres  ,  nés  (impies  particu- 
liers >  Ôc  qui  à  force  de  crimes 
Ôc  de  travaux  étoienc  parvenus 
à  commander  à  toute   leur  na- 
tion 5   pouvoient   erre  flattés  de 
graver  en  bronze  cette  domina- 
tion qui  étoit  leur  ouvrage  ;  mais 
vous ,  Sire ,  qui  dès  1  âge  de  (ix 
mois  receviez  les  hommages  des 
Ambaiïadeurs  ,   qui  à   cinq  ans 
donniez  des  loix  par  droit  de  naiir 
fance  Ôc  d*amour  des   peuplés  , 
qui  n'avez  jamais  enfin  connu  un 
égal  5  vous  avez   milie  vertus  , 
mais  n* en  euîîiez  vous  aucune  , 
tout  le  monde  vous  obéiroit  éga- 
lement,  îl   eft   donc  inutile   de 
commander  en  Piedeftaî.  Ordon  • 
nez  qu'on  vous  y  place  tendant 
les  mains  à  une  populace  em- 
predée  ,  la    regardant  avec  des 
yeux  de  père  ,  ôc  lui  diftribuanc 
vos  tréfors;  ôc  qu'on  life  eninf- 
cription  au-dsffous  :  Louis  élevé 
pour  mieux  voir  les  befoins  de 
Jon  peuple.  Qu'un  canal  de  com- 


1^4  Emploi  des  T erres  ^ 
s»  munication  de  la  Saône  à  la 
3>  Loire  aie  pour  toute  infcription 
jî  celle-ci  ;  Zci/i^  £Z  i/o«/tt  que  fei 
«  f /2/i«5  i/^  fd//^  &  telle  ProvinCi 
i>  connuffent  l'abondance  _,  &  il 
«  l'ont  connue^  Qu'un  Edit  mefurc 
53  occafîonne  une  Médaille,  &  qu'or 
M  y  life  :  Louis  trouva  dans  foi 
„  Royaume  la  capitation  fur  le. 
îi  hommes  _,  z/  délivra  fes  frère. 
53  6*  capita  les  chevaux. 

J'imagine  que  le  Prince  regar- 
deroit  comme  un  animal  rare  celu 
qui  lui  tiendroit  ce  langage  ,  6 
avoueroit  que  malgré  fa  (ingulari 
té ,  les  idées  de  cet  homme  lui  ei 
auroient  fait  naître  de  tout  autre 
ment  douces,  que  celles  qu'il avoi 
eues  jufqu'ici. 

C'eft  cependant  à  peu- près  ce  qu 
Je  dis  moins  en  bref  dans  la  tota- 
lité de  ces  réflexions  -,  mais  rêve 
lions. 

Il  eft  donc  de  fait  que  notr 
Capitale  n'a  prefque  rien  de  dign 
de  l'admiration  des  étrangers,  ; 
plus  forte  raifon  en  peut- on  dit 
autant  de  nos  villes  du  fécond  ordre 

l 


Suice  des  Mœurs  &  Ufages. z6$ 
Se  s'il  eft  vrai  que  les  Anglois  les 
admirent  ,  c'eft  en  les  comparant 
aux  leurs ,  qui ,  à  leur  Capitale  près , 
ne  font  prefque  que  des  villages 
riches  &  bien  bâtis. 

Mais  ce?  Villes  enfin  ,  qui  onc 
quelqu  air   de    fplendeur  ,   ôc    qui 
tous  les  jours  s*aggrandi{Iènt  ôc  fe 
décorent,  aux  dépens  de  combien 
de  Villes  champêtres ,  de  bourgs , 
de  villages  &  de  hameaux    reçoi- 
vent-elles cet  accroilTement  fîdif  ? 
Je  dis  hdif  5  parce  qu'à  la  referve 
de  quelques-unes  d*entre  elles  que 
le  commerce  a  enrichies  ,    toute 
cette    augmentation     n'eft    quen 
murs  6c  en  pierres.  Paris ,  qui  de- 
puis la  mort  d'Henri  IV.  s'eft  exac- 
tement accru  des  deux  tiers  ,  n'a 
cependant  dans  le  réel  de  Ton  dé- 
nombrement qu'à  peu-près  le  même 
nombre  d'habitans  qu'il  avoir  fous 
ce  règne  ;  mais  quatre  familles  de 
gens  confidérables  occupoient  alors 
une  mai  Ton ,  qui  ne   fufSroit  pas 
aujourd'hui  à  un  artifànt.  Lemême 
travail  qui  fuiSfoit  à  la  confomma- 
tion  d'une  famille  de  douze  per- 
/.  Farde,  M 


i6^  Emploi  des  Terres  j 
Tonnes  félon  la  façon  de  vivre  d'a- 
lors ,  n'en  entretiendroic  pas  deux 
félon  celle  de  nos  jours  j  ôc  quant 
à  la  Noble(Te,je  foûtiens  qu'il  y  en 
habitoic  plus  qu'aujourd'hui. 
Moins  de  Cet  énorme  paradoxe  étonnera 
Paîsfu'ify  d'abord  tout  ledeur  inftruit.  On 
en  avoia  au.  fcait  que  toùte  la  NoblefTe  de 
irefois.  France  attirée  à  la  Capitale  par 
l'ambition,  le  goût  du  plaifir  ,  de 
Ja  facilité  de  réalifer  fes  revenus 
en  argent  depuis  que  les  métaux 
font  devenus  plus  communs ,  chaf- 
fée  des  Provinces  par  l'exemple 
de  fes  voifins  ,  par  la  chute  de 
toute  confîdération  dans  fon  can- 
ton ,  &  par  le  dégoût  d'obéir  à  cer- 
tains Prépofés  de  l'autorité,  s'eft 
tranfplantée  autant qu  elle  a  pu  dans 
la  Capitale,  ôc  qu'il  n'efi:  demeuré 
dans  î'éloignement  que  ceux  qu'un 
refte  d'habitude  ou  la  pauvreté  y 
a  retenus.  J'en  conviens ,  Se  cepen- 
dant je  perfifte  dans  mon  opinion. 

Pour  juger  en  effet  Ci  j'ai  tort, 
qu'on  ouvre  les  annales  des  temps 
dont  je  parlois  tout  -  à  -  l'heure  : 
quelle  âffluencede  Noblefle  d'une 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  16  j 
^^arc  au  Louvre ,  de  l'autre  à  i'Hotel 
e  Condé  !  Chaque  grand  Seigneur 
1  outre  traînoit  après  lui  un  nom- 
ore  toujours  prêt  de  parens ,  d'amis 
&  de  vaiTaux  5  ôc  la  moindre  que- 
relle entre  gens  conddérables  vous 
repréfenre  les  rues  de  Paris  pleines 
de  gens  qui  alloient  s'ofFiir  chacun 
de  leur  côté.  J'avoue  que  dix  hom- 
mes qui  paflTent  dix  fois  en  un  jour 
dans  une   rue  ,   tiennent   plus  de 
place  que  foixante  qui  n'y  palTenc 
qu'une,  &  qu'en  conféquence   les 
temps    d'aétivité    multiplient    en 
quelque  forte  VeSet  de  la  Popu- 
lation j  mais  fi  nous  n'allons  plus 
à  la  fuite  des  Princes,  nous  allons 
tous  aux  fpedacles.  Qu'on  dénom- 
bre les  trois  fpedacles  le  jour  de 
lannée  eu  ils  font  le  plus  fuivis  , 
qu'on  en  fepare  les  vers-luifans  qui 
furement  ne  paroilfoient  pas  dans 
îes  lortes  de  foules  dont  je  parlois 
tout-à-l'heure ,  que  raffemblant  le 
refte  ,  on  leur  donne  à  chacun  un 
cheval  &  un  autre  pour  un  page 
ou  palefrenier,  fi  le  tout  enfemble 

Mij 


lôS       Emploi  des  Terres^ 
remplie  les   cours  de    THôtel   de 
Condé ,  j*ai  perdu. 

Le  fair  ell ,  que  toute  cette  No- 
bleiie  accoutumée  à  la  dureté  des 
mœurs  antiques ,  aux  armes  &  aux 
champs ,   conlommoit  peu  ,  n'oc- 
cupoit  qu'un   recoin  en   guife  de' 
chambre ,  &  quelques  écuries  aux 
fauxbourgs  ;  au -lieu  qu'aujourd'hui 
il  n'y  a  pas  une   feule   maifon  de 
gens   de  qualité   établis  à  Paris  » 
qui    n'en    ait    englouti    dix  ,    &: 
quelques  -  unes  cent  de  celles  qui 
fèrvoient  autrefois  de  pépinière  à 
l'Etat.  Le  luxe  &  les  néceiïîtés  de 
la  vie  5  de  la  confommation  ,  du 
logement  5  chauffage  &c.  fe  font  fi 
fort  étendus  ,  que  ce  qui  fuffifoit 
à  dix  familles  autrefois  n'en  fçau- 
roit  entretenir  une.  A  cette  dépré- 
dation infenfible  &  de  nécefïïtc ,  il 
s'en  joint  même  une  autre  volontai- 
re ;  la  nature  frémit  des  moyens 
que  le  luxe  fuggere  pour  éviter 
l'embarras  d'une  nombreufefamille. 
Nous   traiterons  de  ces  détails 
ailleurs.  Ceci  fuffic  pour  démontrer 
par  le  fait  &  par  le  principe   h 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  1 6(} 
mérité  de  ce  qui  paroifToit  d'abord 
un  paradoxe. 

Paris  donc  s*efl  étendu  en  pfer-  ,  ^^^'^  *'^^ 

&j.  1  érendu  en 

jardins  ,  glaces,  parquets  ,  pi,,re.,  ôcjar- 

marbres,  mais  nullement  en  hom-  dins  &  duI- 
mes  ;  &  c'edici  feulement  ce  dont  h^^^^^^s,^" 
il  efl:  queftion.  A  ce  fujet  qu'on  fe 
fouvienne  par  parenthc(e ,  que  ce- 
lui qui  fe  vantoit    d'avoir   trouvé 
Rome  toute  de    briaue   &  de  la 
lailTer  toute  de  marbre ,  la  lai/Ta 
par  fuccefîîon  aux  plus  odieux  des 
Maures,  &  aux  plus  vils  des  efcla- 
ves.    Mais  quoi  qu'il  en  foit,  Paris 
a   fort  embelli    fes   environs ,    à 
commencer  par  fes  fauxbourgs  &c 
fes  guinguettes ,  où  la  plupart  des 
propriétaires  de  ces  vaftes  hôtels , 
dont  ils  occupent  cinq  fois  par  an 
les  entre-fols ,  embelliiTent  fous  le 
nom  de  petites  maifonsdes  réduits 
dédiés  à  l'indécence  &  au  désordre. 
Les  maifons  de  campagne  enfuira  9 
Se  les   terres   enfin  ,  jufqu'à  dix  , 
quinze  &  même  vingt  lieues  à  la 
ronde,  fe  reffentent  du  voifinage 
de  Topulence.    Maïs  combien  ce 
petit  nombre  de  maifons ,  en  com- 

M  iij 


2,70  Emploi  des  Terres  , 
paraifon  de  la  totalité  d'un  grand 
Etat  5  a-t-il  fait  tonîber  en  ruine 
de  châteaux  &  de  maifons  autre- 
fois habitées  par  des  Maîtres  5  dont 
îa  confommation  vivifioit  tout  un 
pays  \ 

Sans  parcourir  la  France  j  on  peut 
s'aiTurer  de  ce  fait  par  le  feul  rai- 
fonnement  que  qui  eft  ici,  ne  fçau- 
roit  être  là.  Il  n'y  a  pas  une  feule 
terre  un  peu  confidérable  dans  le 
Royaume  dont  le  propriétaire  ne 
foit  à  Paris ,  &  conféquemment  ne 
néglige  fes  maifons  &  châteaux.  Le 
même  air  de  défertion  &  de  décret 
qui  règne  fuf  les  maifons  princi- 
pales ,  s'étend  fur  les  fermes  >  mou- 
lins. Les  maifons  des  particuliers, 
les  murs ,  églifes.  clochers  dans  les 
villages  font  pareillement  en  ma- 
zures  &  couverts  de  lierre. 

Les  pays  ne  font  pas  cultivés 
en  raifon  de  leur  fertilité  j  mais 
en  raifon  de  leur  liberté ^  dit  un 
homme  de  génie  Se  dont  Térudi- 
tion  immenfe  eft  d  autant  plus  iûre , 
qu'elle  eft  pref^ue  toujours  de  bon- 
ne-foi, &  fans  ceiTe  fpéculative. 


Suite  des  Mœurs  &  UJages.  271 
On  peut  voir  dans  Ton  Livre  de 
rEfpric  des  Loix  ,  comment  il 
prouve  cet  axiome  frappant  de  lui- 
même;  ôc  quoique  ce  génie  trop 
viFpour  être  toujours  méthodique, 
s'écarte  fouvent  du  principe  dans 
les  conféquences  ,  on  ne  fçauroic 
trop  recommander  aux  véritables 
Politiques  la  profonde  méditation 
d'un  Ouvrage,  où  toutes  les  idées 
fur  tous  genres  de  droit  fe  trou- 
vent raiïemblées ,  &  dont  nous  ne 
ferons  jamais  que  les  foibles  com- 
mentateurs. 

Les  petites  Républiques  ,  qui 
divifoient  les  Gaules  à  l'infini  , 
étoient  libres  j  leurs  terres  etoient 
en  conféquence  fort  cultivées ,  d*oii 
s'enfuit  qu'elles  étoient  néceiTaire- 
ment  très- peuplées.  Ce  principe 
n  a  pas  échappé  au  judicieux  David 
Hume.  »  Avant  Taugmenration  , 
>3  dit-ii ,  de  la  puilTance  Romaine  g 
M  ou  plutôt  jufqu'à  fon  entier  éta- 
»j  bliffèment  ,  prefque  toutes  les 
»  nations  dont  parle  l'ancienne 
"  Hiftoire  ,  étoient  partagées  en 
»  petits  territoires  ou  Républiques 

M  iy 


272.  Emploi  des  Terres  ^ 
»  peu  confidérables  ,  où  prévalok 
3î  une  grande  égalité  de  fortunes  y 
9>  ôc  le  centre  du  Gouvernement 
M  étoit  toujours  près  de  Tes  fron- 
>3  tières.  Telle  étoit  la  (ituation 
«  des  chofes ,  non  -  feulement  en 
55  Grèce  &  en  Italie  ,  mais  aufiî 
«  en  Efpagne,  dans  les  Gaules  , 
»  en  Allemagne  ,  ôc  dans  une  gran- 
»>  de  partie  de  TAfie*  mineure.  Il' 
^>  faut  avouer  qu'aucune  inftituticn 
»  ne  pouvoit  être  plus  favorable 
»  à  la  propagation  du  genre  hu- 
33  main. 

Tout  ce  que  cet  Auteur  ajoute 
relativement  à  la  dém.onfl:ration  de 
ce  principe  ,  eft  également  judi- 
cieux ôc  conféquent.  Nous  avons 
prouvé  ci-devant  que  tous  les  cal- 
culs à  ce  contraires  quil  établit 
enfuite,  fondés  fur  la  multiplicité 
&c  la  cruauté  des  guerres  plus  fré- 
quentes parmi  ces  petits  peuples 
qu'entre  de  grands  Etats  ,  font 
étrangers  à  la  queftion  ,  quand 
nous  avons  démontré  que  la  popu- 
lation efl:  toujours  proportionnée 
aux  moyens  de  fubfiftance  relative 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  273 
à  la  façon  de  vivre  &  à  la  con- 
fommarion  établie  félon  les  mœurs. 
Ainfî  donc ,  quand  M.  Hume  efb 
convenu  que  l'ancien  monde  écoic 
divifé  en  petits  Etats  ,  qu'il  a  com- 
pris que  les  terres  y  croient  mieux 
cultivées,  &  que  Tégalité  de  for-' 
tune  y  néceiïïroit  Té^alité  &  la 
médiocrité  dans  la  confommation  , 
il  a  jugé  la  qnedion  qu'il  débat  fi 
fcavamment,  (i  le  monde  ancien 
étoit  plus  peuplé  que  le  nôtre.  Toue 
ce  qu'il  dit  des  vengeances,  maf- 
facres ,  Se  profcriptions  fans  nom- 
bre de  ces  pays  inépui  fables  eii 
hommes  ôr  en  forfaits  y  feic  de 
preuve  à  Taffirmative  plutôt  que 
de  raifons  pour  balancer.  En  efîèt, 
tant  de  fan  g  répandu  &  tant  de 
calamités  fou  vent  générales  ne  pu- 
rent diminuer  le  nombre  des  ha- 
bitans  de  ces  contrées  fédirieufes» 
•Si  quelque  défaflre  fameux  dépeu- 
ploit  un  canton,  aufli  -  tôt  une 
norabreule  colonie  de  voifins  ve- 
noit  en  partager  &  cultiver  îes^ 
terres ,  fans  que  la  difêtte  d'hom-- 
mes  fe  fit  fentir  aux  lieux  d'où  ils; 

M  V 


r>-* 


274       Emploi  des  Terres  ^  ^ 

iortoient.  De  tous  les  peuples  que  i| 
les  Romains  fournirent  ou  par  for-  j 
ce  ou  par  adreife,  ils  n*en   cgor-  \ 
gèrent  aucun ,  (î  ce  n  eft  les  Juifs 
au   fiége  de  Jerufalem  ,  qui  s*en- 
tredéchiroient  tandis  que  l'ennemi 
étoit  à  leurs  portes.   La  Grèce  au 
contraire  parut  plutôt    alFociée  à 
TEmpire,  que  foumife.    L'autorité 
des  Romains  y  Çit  cefler  les  mafla- 
cres ,  les  (éditions  ,  les  exils ,  Sec. 
Afliijettie  d'abord,  elle  tomba;  ef- 
clave  enfuite,  elle  neft  plus. 

L'hiftoire  &  les  annales  des  pe- 
tits peuples  doivent  feulement  nous 
faire  faire  une  réflexion ,  c'eft  qu'au- 
tant les  Monarchies  trop  étendues 
font  deftrudives  pour  l'humanité 
par  la  difproportion  entre  les  né- 
ceflîtés  du  Gouvernement  &  la 
force  de  (es  relforts ,  par  l'engour- 
difïèment,  la  foibleflfe  &  les  abus 
moraux  de  toute  efpece ,  mais  fur- 
tout  par  le  mal  phyfique  qui  pro- 
vient de  l'inégalité  des  fortunes  , 
autant  aufïî  les  petits  Etats  font  en 
proie  à  tous  les  maux  que  le  défaut 
de  police  ,  &  le  jeu  des  pafïîons 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  tyf 
l^umaines  peuvent  occafîonner.  Un 
Erat  arrondi  &  correfpondant  dans 
toutes  Tes  parties ,  également  civi- 
lifé  &  connu  dans  toute  Ton  éten- 
due ,  afTez  fort  pour  être  refpedé 
de  Tes  voifins  ,  avantagé  en  touc 
genre  des  dons  de  la  nature  ,  un 
Erat  dont  le  produit  eft  immenfè 
&  rinduftrie  plus  confidérable  en- 
core i  qui  a  comme  dans  la  main 
tous  les  moyens  d'exportation ,  qui 
par  fa  fîtuarion  fe  trouve  étape  na- 
turelle de  toutes  les  nations  poli- 
cées,  cet  Etat  5  dis-je,  lié  par  des 
loix  civiles  qui  font  d'une  part  le 
fruit  d'une  longue  fuite  de  fiècles 
pafies  fous  l'empire  d'une  race  de 
Princes  prefque  tous  généreux  , 
débonnaires  ,  &  dont  le  plus  mé-* 
chant  ne  fut  qu'un  Roi  capricieuî^ 
ô:intére(ré5&  de  l'autre  TefFeidu 
génie  &  de  la  douceur  de  fes  ha- 
bitans ,  eft  fans  contredit  le  plus 
heureux  de  tous  ceux  que  les  an- 
nales entières  de  l'humanité  puiHene 
nous  faire  connoître.  Cet  Etat  elï- 
la  France  d'aujourd'hui»^ 

Les  maux  qui  affligent  les  pc^ 

Mvl 


27^      Emploi  des  Terres  ^ 
tits  Erats ,  y  ont  été  prévenus  plus 
q'i'aiileurs  ;    Tes  ordonnances    de 
jufliice  &  de  police  font  des  chefs- 
d'œuvre  :  malheureufenrientrien  n'y 
cO:  permanent  ;  mais  fes  plus  pafla- 
geres  Loix  ont  trouvé  dans  la  flexi- 
bilité de  la  nation   une  reffource 
contre  fa  légèreté  ,  elles  ont  chan- 
gé &  adouci  les  mœurs.  Pour  une 
nation   dure  &    opiniâtre ,   il  faut 
des  Loix  qui  lui  reflemblent.  Dieu 
Ta  dit  à  Ton  peuple  ,  &  la  raifon 
nous  Iç  fait  fentir  5  mais  chez  un 
peuple  flexible ,  docile  ,  plein  d'ame 
&:  de  volonté,  à  la  referve  de  cer- 
taines Loix  &  conflitutions  fonda- 
mentales 5   les  autres  doivent  flé- 
chir &  varier  en  proportion  avec 
les  mœurs.  Cela  arrive  même  fans 
effort  &  fansraifonnement  ,  quand 
cette  nation  efl:  affez  heureufepour 
avoir  fes  compatriotes  pour  Maîtres 
&  pour  Minifl;res;  c'eft  où  nous  en^^^ 
fommes. 

Parfaitement  donc  à  Tabri  des 
convulfions  qui  attaquent  les  petits 
pays  ,  nous  avons  tout  à  caindre 
des  abus  qui  affiiiflent  les  grands 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  2.77 
Etars.  Eh  1  pourquoi  un  bon  citoyen , 
un  H  de  le  fujec   du  plus  doux   des 
Princes  (  car  je  défie  perfonne  d'être 
plus  cela  à  découvert  que  je  le  fuis 
en   fecret  ,  moi  ,  qui  me  cache  ) 
pourquoi  ,    dis-)e  ,   déguiferoic-il 
que    nous    pouvons  craindre  l'en- 
gourdi (Temenc   ,   puifqu'il   efl:  une 
fuite  de  la  profpérité  ?  Qiiels  maux 
font  le  plus  à  craindre  dans  une 
grande  Monarchie  J  i  °.  La  difpro- 
portion  entre  les  néceiîîrés  du  gou-  ç^f^^  ^^^"^^ 
vernemenc  &  fes  refîbrts.  2°.  L'iné-  à   craindre 
galité  des  fortunes.    Ces  deux  -  là  ^^"  ,"^^, 

'       -rr  1  /^      n       g" '•'de  Mo- 

reunilientrous  les  autres.  Quelles  narcMe, 
font  les  néceflités  du  Gouverne- 
ment ?  C'eft  fans  doute  Texade  or- 
ganifation  dans  tautes  les  parties^ 
d'un  Etat ,  ^  la  diftribution  éclai- 
rée de  la  Police  ,  Juilice  &  Fi- 
nance. 

Suppofe  que  par  la  méthode  ac- 
tuelle tout  foit  établi  de  façon  que- 
les  provinces  ne  fouffrent  ni  de 
l'éloignement  ni  de  la  proximité  ; 
que  chacune  ait,  pour  l'exportation 
&  Timportation,  les  facilités  rela- 
tives à  fa  poQcion  ,  à  fou  produis 


2.jB  Emploi  des  Terres  ^ 
de  à  Tes  befoins  ;  que  la  judice  y 
foie  en  tons  les  cas  rendue  fur  les 
lieux  5  fans  que  la  jurifdidion  des 
Compagnies  à  ce  deftinées  Coït 
jamais  enfreinte  ;  que  la  police  y 
foie  tellement  obfervée ,  que  la  fa- 
veur y  foit  même  inutile ,  ôc  que 
la  plainte  de  l'opprimé  trouve  un 
vengeur  Se  un  Juge  fur  les  lieux  : 
fi  la  diftribution  Ôc  répartition  des 
charges  &  impôts  eft  foumifeàdes 
régies  fi  invariables  que  chacun 
voye  fon  tarif,  ôc  que  les  mur- 
mures à  cet  égard  ne  puilïènt  être 
motivés  ôc  appuyés  par  la  marche 
inégale  ôc  arbitraire  d*une  percep- 
tion qui  tient  à  un  cahos  d'inter- 
prétations ôc  de  décidons  ;  fi  fiir- 
tout  on  efl  attentif  à  faire  retrou- 
ver par  tout  à  Fhabitanc  des  cam^ 
pagnes  le  fruit  de  fes  travaux  par 
le  prix  de  fes  denrées  ,  pour  le 
mettre  en  état  de  fournir  de  nou- 
veau aux  befoins  de  l'Etat  :  En  ce 
cas ,  tout  eft  au  point  de  perfec- 
tion, ôc  il  n'y  a  plus  qu'à  penfer 
à  ne  pas  dégénérer» 


Suive  des  Mœurs  &  Ufages.  179 
Cette  décadence  eft  choie  pofîî- 
ble.  Ne  nous  laiffons  point  à  cet 
cgard  endormir  par  la  profpérité. 
Nous  pouvons  dégénérer  ,  Se  voici 
comment. 

La  profpérité  jette  dans  Texcès; 
celle  de  la  fortune  dans  Torgueii, 
celle  des  richeiïès  dans  le  luxe , 
celle  de  Pefprit  devient  rafinement  : 
la  profpérité  d'un  Etat  y  établit  les 
arts,  les  connoiiTances,  &  tout  ce 
qui  aiguife  les  reflbrts  de  l'efprit 
qui  ne  fe  mêle  d'abord  que  des 
chofes  de  fon  diftriéè,  &  lai  (Te  au 
tron  efprit ,  qui  eft  route  autre  chofe^ 
les  matières  qui  refiTortiflfent  à  Tu- 
tilité  publique ,  la  Politique  ,  les 
Loix  5  le  Commerce  ,  &c.  Mais 
bientôt  devenu  bizarre  &  dédai- 
gneux à  force  de  fe  méconnoître 
éc  de  chercher  la  nouveauté ,  il  s'in- 
gère à  décider  de  tout,  &  intro- 
duit par  tout  le  rafinement.  Or  en 
fait  de  Gouvernement  le  raHnemenc 
peut  caufer  autant  de  maux  que  le 
délire. 

Si,  par  exemple,  ce  défaut  ga- 
gnoit  un  jour  le  nôtre,  il  encbé- 


2.Î0  Emploi  des  Terres, 
riroit  fur  les  moyens  qui  ont  établi 
Tadmirable  organifation  que  nous 
venons  d'y  reconnoîcre.  Certaines 
évocations ,  par  lefquelles  on  borna 
jadis  le  pouvoir  des  Compagnies , 
deviendroient  (i  communes  ,  que 
toute  affaire  litigieufe  reviendroit 
ou  par  la  forme  ou  par  le  fond  à 
la  Capitale  ,  où  parmi  un  million 
d*ames  8c  dix  millions  d'affaires 
le  bon  droit  a  néceflairemenc  bien 
de  la  peine  à  trouver  feulemenc 
réciquetce  des  rues.  Peu-à-peu  ,  à 
force  d'attirer  les  afîaires  à  foi ,  le 
Gouvernement  ,  au-lieu  de  la  fu- 
prématie  qui  feuîe  lui  convient , 
auroit  rinteiidance  Se  le  diftridt  des 
détails  qui  l'abforberoient  ,  ôc  ré- 
duiroient  fes  Chefs  à  être  de  fîm- 
p'es  Commis  aux  fignatures  ,  tan- 
dis que  les  intriguans  ,  dans  leur 
air  natal  fi-tot  qu  ils  nagent  en  eau 
trouble  ,  aiïîégeans  les  Commis  Se 
leurs  fous-ordres ,  faciliteroîent  le 
cours  des  chofes  vers  l'anarchie  Se 
le  renverfemenr.  D'autre  part ,  les 
prépofés  ambulans  de  la  Cour,  au- 
trefois furveillaas  dans  les  provln- 


s  une  des  Mœurs  &  Ufages.  \Zî 
ces  5  y  deviendroient  les  maures 
abfolus.  Le  Gouvernement  obligé 
de  décider  de  tout  ,  &  en  garde 
contre  les  repréfentations  devenues 
trop  communes  chez  un  peuple  où 
chacun  a  ion;  poids  &  fa  baî'ancej, 
s'habitueroit  à  les  confulter  &  à 
les  croire,  leur  artribueroittout  en 
tout  genre  ,  les  rendroir  arbitres 
fouverains  des  Charges  publiques, 
des  travaux  du  peuple ,  de  leur  li- 
berté, fans  fongerque  ces  hommes 
paiïàgers  ,  furchargés  comme  les 
Minières  &  entourés  de  même ,  ne 
peuvent  tout  voir.  Au  milieu  de 
cette  efpece  de  révolution  fourde , 
les  provinces  fe  verroienc  dépeu- 
plées de  leurs  notables ,  de  tous 
intriguans  ,  gens  d'affaires ,  &  de 
ce  qu*on  appelle  gens  d'efprit ,  de 
tous  ceux  enfin  quiauroient  quel- 
que moyen  foncier  ou  précaire  de 
rubfîrLer  à  la  Capitale  ,  qui  tous 
viendroient  tâcher  d*y  prendre  part 
aux  afFaires  3  aux  intrigues  &  à  la 
faveur. 

De  ce  dérangement  de  circula» 
tion  proviendtoit  iiéceiTairement  un 


2  §  1  Emploi  des  Terrts  j 
érac  de  furfocatioii  &  d'engorge- 
mrnt  dans  'a  têre,  de  langueur  dans 
les  membres,  qui opéreroient  Ten- 
gourdilTenient  5  la  foibîeflTe,  &  les 
abus  moraux  que  nous  avons  cités 
ci-deHTus.  Le  Gouvernement  op- 
pre(ré  ôc  fâcigué  de  la  foule  &  de 
la  multiplicité  d'affaires  prendroii 
pour  effet  de  l'abondance  ce  qui 
eu  feroit  un  de  la  difette  &  du 
déplacement,  à  peu-près  comme 
un  médecin  ignare  croit  que  Ton 
malade  a  trop  de  fang  ,  parce  que 
le  fang  lui  porte  à  la  tête.  La 
Juftice  Se  la  Police  verroient  éclo- 
re  arrêts  fur  arrêcs ,  tous  de  com- 
mande Se  la  plupart  contradictoi- 
res ;  la  Finance  édits  fur  édits  ,  ex- 
plications ,  interprétations  ,  ad- 
jonclions  ;  le  commerce  gêné  par 
des  régîemens  fans  nombre  ,  qui 
tons  Dour  fermer  la  voie  à  un  abus , 
i'oavriroient  a  vingt  autres  ,  ne 
fçauroit  jamais  quel  efl:  le  Code 
du  Jour  ;  les  manufactures  foumi- 
fes  k  des  infpeCteurs  forts  de  théo- 
rie ,  foibîes  de  pratique  ,  verroient 
prohiber  leurs  anciens  ufages ,  fans 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  185 
obtenir  des  fecours  pour  ea  établir 
de  nouveaux  j  tout  tombant  en  lan- 
gueur 5  les  crifes  de  détail  deve- 
nant plus  fréquentes,  les  hommes 
même  de  génie  à  la  tête  des  af- 
faires en  feroient  réduits  aux  re- 
giilres  de  l'imagination  pour  trou- 
ver des  palliatifs. 

Les  palliatifs  font  fans  contre-     PaiiiaM'fs, 
dit  ia  pire  des  recettes  pour  le  ré-  pire  des  ré- 
gime d*un  Etat  j  mais  ceft  la  feule  '^^'g/,^"/ 
qui  refte,  quand  à  Toublides  prin-  Etac 
cipes  fondamentaux  fe  réunit  l'ac- 
cablement du  travail  journalier  qui 
diftrait    des  réflexions  profondes  , 
joint  à  FimpoUibilité  de  reconnoître 
le  caradere  moral  d'une  nation  » 
boulToîe  des  premiers  Légiflateurs , 
mais  perdue  pour  les   Chefs  d'un 
peuple  qui  n'a   plus  de  caractère. 
De-là  vienjroient  les  prohibitions 
de  dérail ,  la  clef  des  greniers  mife 
aux  mains  de  l'autorité,  dans  Tef^ 
poir  de  conferver  une  denrée  pré- 
cieufe,  &  confiée  en  effet  à  celles 
du  monopole, malgré  ceux  mêmes 
qui   en  ont   la   difpofition  primi- 
tive î  les  furcharges  établies  dans  des 


2^4      Emploi  des  Terres , 
lieux  déjà  ruinés  par  le  défaut  de 
vivification  ,  &  qui    ne   font  fur- 
charges,  que  parce  qu'elles  partent 
d'après  un  plan  fait  fur   des  pro- 
portions qui  n*ont  lieu  qu'aux  can- 
tons 5  où   tout  Tor  d'une   part  & 
toute  la  confommation  de  l'autre 
fe  ralTemblant  à  ia  fois,  le  tarif  des 
valeurs  augmente  chaque  jour ,  tan- 
dis qu'il  déchoit  ailleurs.  De-là  vien- 
nent enfin  tous  les  maux  réfultans 
de  l'ignorance  forcée  &  de  ra6t:ion 
néceffaire  ,  qu'il    feroit  inutile  de 
détailler  plus  au  long. 

Ce  cercle  d'inconvéniens  idéaux 
&  fidifs  aujourd'hui  peut  aifémenc 
devenir  réel  pour  nos  neveux  :  mais 
fi  ces  objets  nous  touchent  peu, 
comme  trop  éloignés ,  il  n'en  doit 
pas  erre  de  même  de  ceux  qui  ont 
pour  principe  l'inégalité  des  for- 
tunes 5  car  il  faudroit  être  aveugle 
pour  ne  pas  voir  que  nous  y  tou- 
chons. Les  maux  qui  enrefultent, 
ont  été  mis  en  fait  de  tous  temps 
par  tous  les  hommes  d'Etat  ,  par 
tous  les  citoyens  ,  &  fentis  même 
dans  un  autre  genre  par  les  tyrans. 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  285 
iVîais  il  eft  nécefïàire  de  les  remettre 
en  queftion  à  certains  égards  ,  & 
d'en  efquifler  quelques  détails. 

Je  Tai  dit  ailleurs ,   les  grofïes 
fortunes  font  dans  un  Etat  ce  que 
font  les  gros  brochets  dans  un  étang. 
«  Un  homme  dont  la  fortune  eft 
w  augmentée  ,  dit  le  judicieux  Da- 
>3  vîd  Hume  que  je  ne  puis  m*em- 
»  pêcher   de  tranfcrire  encore  ici, 
»>  ne  pouvant  confommer  plus  qu'un 
"  autre  ,  efl    forcé  de  la  partager 
«  avec  ceux  qui  dépendent  de  lui 
»  pu  qui  le  fervent.  Cependant  la 
»j  poQeflîon  de  ceux-ci  étant  pré- 
>5  Caire  ,  ils  n'ont  pas  le  même  en- 
»  couragement  pour  le  mariage  , 
a  que  fi  chacun  avoit  une  petite 
«  fortune    fûre   &    indépendante. 
«  D'ailleurs  des  Villes  trop  grandes 
«  font  deftru6i:ives  pour  la  fociété , 
33  engendrent  des  vices  àc  des  dé- 
3j  fordres  de  toute  efpece  ,  afïament 
5>  les  provinces  5  &s'afîament  elles- 
»5  mêmes  par  la  cherté  du  prix  ou 
w  elles  font  monter  les  denrées. 

Il  dit  encore  quelques  lignes  au- 
deflTous  :  3?  Ce  font  les  obflacles  qui 


xS6       Emploi  des  Terres  ^ 
»  naiiïènt  de  la  pauvreté  &  de  la 
»  nécefficé  ,    qui   empêchent    les 
3>  hommes  de  doubler  en    nom- 
j»  bre  à  chaque  génération. 

Il  faut  être  arrivé  par  les  calculs 
à  ce  principe ,  pour  fçavoir  s*y  te- 
nir. Avant  de  paOTer  aux  autres  dé- 
tails concernant  les  inconvéniens 
des  fortunes  exorbitantes,  je  veux 
placer  ici  une  réflexion  relative  à 
la  population  des  Villes  ,  pulfque 
ce  qu'en  dît  M.  Hume  m'y  con- 
duit tout  naturellement. 

J'ai  déjà  dit  qu'il  n'étoit  point 
dans  mes  principes  de  profcrireles 
grandes  Villes  ,  au  contraire.  Je 
défirerois  feulement  qu'uniquement 
attentif  a  peupler  les  campagnes , 
on  s'en  repofât  pour  la  population 
des  Villes  fur  le  penchant  naturel 
qu'ont  les  hommes  de  fe  rappro- 
cher des  commodités  de  la  vie  , 
des  piaifîrs ,  &  de  la  fortune  ;  mais 
que  tout  ce  qui  a  trait  à  la  camA 
pagne,  &  fur-tout  les  grands  pro- 
priétaires des  terres ,  fuflent  encou- 
ragés &  excités  par  tous  moyens 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  i8j 

oux  ôc  agréables  à  y  faire  leur 

rincipale  réfidence.  , 

Je  dis  plus  à  l'égard  des  vices 

'•c  défordi  es  de  toute  efpece  qu'en- 

;endrent  les  grandes  Villes ,  ou  du 

iioins  qu'elles  facilitent.  C'efi:  que 

2  douce  que  ceux  qui  leur  en  ac- 

ribuent  l'invention  ,  aient  confî- 

leré.  la  chofe  dans  toutes  Tes  pro- 

jortions.  Or  je  mets  en  principe, 

[ui  5  je  crois ,  ne  me  fera  pas  con- 

efté  ,  que  fi  la  Population  efl:  la 

brce  d*un  Erac ,  la  Police  en  eft 

e  régime.   Plus  un  Etat  eft  peuplé , 

)lus  il  eft  aifé  d'y  établir  une  bonne 

?olice.  Ce  ne  font  pas  les  hommes 

qui  fe  communiquent  les  vices  , 

:e  font  les  hommes  oihfs  qui  les 

nventent  Ôc  les  multiplient.   Mais 

félon  mon   plan  ,  ils  feront  dans 

peu  ferrés  de  fi  près  ,  qu'obligés  de 

s*évertuer  pour  vivre  ,  ils  auront 

moins  le  temps  &  Thabicude  de 

fonger  au  mal  Qui  doute  qu'il  n'y 

ait  plus  de  fureté  dans  Paris  que 

dans  une  forêt  ?  Je  fçais  ,  encore 

un  coup,  qu'il  eft  des  défordres  que 

les  grandes  Villes  occafionnent  en 


2.  s '8  Emploi  des  Terres^ 
les  facilitant  ;  auffi  ii*eft-ce  pas  pro 
prement  pour  elles  que  }e  parle.  J 
foûtiens  cependant  qu'il  fe  comme 
plus  de  crimes  dans  vingt  Ville 
prifes  enfemble  de  dix  mille  ame 
chacune ,  que  dans  Paris  qui  en  con 
rient  quatre  fois  autant. 

Je  le  répète,  de  crainte  de  pa 
roitre  perdre  de  vue  mon  objc 
primitif,  c'eft  la  campagne  que] 
veux  peupler.  L'aridité  du  fol  ,  1 
rigueur  du  climat  (obftacîes  qui 
comme  je  Tai  dit  ,  fe  trouver 
moins  chez  nous  que  par-tout  ail 
leurs  )  cèdent  au  bon  Gouverne 
ment.  Malthe  n'ell:  qu'un  roche 
qui  ne  (cauroit  nourrir  la  vingtiém 
partie  de  fes  habitans.  Attirés  pa 
i'appas  d'un  Gouvernement  dou; 
6c  permanent,  ils  vont ,  pour  cou 
vrir  leur  roc  ,  chercher  de  la  tern 
en  Sicile  ,  la  plus  heureufe  con 
trée  de  l'Europe  par  nature ,  &  ce 
pendant  la  plus  déferre. 

La  Police,  je  l'ai  dit,  eftunde 
principaux  points  de  proteâ:ion 
èc  cet  article  demanderoit  peut 
être  autant  de  vigilance,  que  jamais 

Le 


Suite  des  Mœurs  &  UJâ^es,  2.S9 
.e  fiècle  des   oppreileurs  parricu"- 
ers  eft    palTé  j  mais   celui   de    la 
Fraude ,  du  vol  ôc  du  tour  de  bâton 
30urroic  prendre  la  place. 

Je  ne  crois  donc  pas  que  les 
grandes  Villes  foient  auffi  deftruc- 
ives  pour  rhumanité  que  M.  Hume 
Daroïc  vouloir  Férablir  ,  pourvu 
léanmoins  qu'elles  ne  foient  que 
'égoûc  du  fuperflu  des  campagnes , 
Se  s'il  fe  peut  mêm«  ,  qu'elles  fe 
epeuplenc  aux  dépens  de  l'étran- 
ger. Ce  n^efl:  pas  que  je  ne  penfe, 
:omme  lui ,  que  les  grandes  Villes 
ont  un  gouffre  énorme  pour  la  po- 
Dulation ,  ôc  c'eft-là  le  principe  de 
:e  flux  perpétuel  d'étrangers  vers 
la  Capitale  des  nations  dominan- 
:es ,  dont  ce  fçavanc  Angloisaraf- 
fembîé  les  traces  dans  Ton  Traité 
de  la  Population.  Mais  fans  m'en- 
^ager  dans  une  difTèrtation  Ôc  des 
itations  à  CQt  égard  où  je  ne  pour- 
rois  être  que  Ton  copifle  ,  exami- 
nons feulement  Paris  dans  ce  fens-ià. 

La  légèreté  de  la  Nation   fait     PopuîarloA 
ue  les  poiïefTeurs  précaires,  dont  ^^«'^s'^isvb.i: 
jparle  M.  Hume  dans  rendroic  de  ^"^*^* 

/.  Panle,  l<i 


! 


%^o      Emploi  des  Terres , 
fon  ouvrage  que  j'ai  cranfcrit ,  n'ont 
pas  ici   la  prudence  qu'il   fuppofe 
^vec  raifon  en  général  à  ces  (ortei 
de  gens.  Tout  le  monde  s*y  marie 
domeftiques  ,  gens  à  gages  ,  ou- 
vriers 5  viagers ,  gens  qui  n'ont  que 
des  emplois  ou  des  bienfaits  du  Roi 
jour  fe  met  en   ménage.  C^ue  de- 
vient leur  génération  ?  Je  Tignore 
niais  frappez  à  toutes  les  porte; 
depuis  le  plus  bas  peuple  juiqu  ai 
plus  grand,  vous  entendrez  parle 
toutes  les  langues ,  Efpagnol ,  An 
glois,  HoUandois,  Allemand,  Ira 
lien  &c.  tous  les  idiomes ,  Breton 
Normand  ,  Picard ,  Champenois 
Provençal ,  èc  fur- tout  Gafcon  ;  ô 
je  mets  en  fait  que  fur  trente  per 
fonnes  vous  n  en  trouverez  qu*ui 
qui  foit  né  à  Paris.  Que  font-il 
donc  devenus?  Se  font- ils  répan 
dus  dans  les  Provinces  ?  J'en  doute 
Rarement  de    l'embouchure  d'ui 
£euve  un  filet  d'eau  remonte- t-i 
^ers  fa  fource  ;  mais  pour  m'et 
inftruire  par  le  fait  ,  j'y  vais  :  j'^ 
vois  quelques  étrangers ,  tous  Gaf 
mm  pu  Savoyards  5  mais  de  Paru 


Suit€  des  Mœurs  &  Ufages.  i^  x 
icns,  s'il  en  eft  deux  dans  chaque 
'rovince ,  c'ed  tout  j  quoique  d^ail- 
:urs  ce  nom  feul  y  porte  vertu  , 
c  que  ,  quelque  mal-adroit  que 
uifle  ctre  un  perruquier  ou  un 
aiileur  expatrié  fous  le  titre  de 
'ari(îen  ,  il  ait  toute  la  vogue  du 
ancon.  Mais  en  efîec  il  ne  s*eii 
:ouve  5  du  moins  en  nombre,  ni 
ans  les  armées  ,  ni  à  la  mer ,  ni 
cablis  ailleurs  artifans ,  négocians, 
c  moins  encore  fermiers  ou  la-* 
fourcurs. 

La  molleffe,  la  Tottircj^  len- 
ance  perpétuelle  des  hommes  nés 
u  milieu  de  Tai Tance  de  de  l'oifi- 
eté  des  Villes ,  forment  une  mau- 
aife  école  pour  réuffir  aux  diffé- 
ents  travaux  auxquels  nacre  lub- 
iftanc-e  eft  attachée. 

En  un  mot,  il  eft  de  fait  que 
a  géniration  des  grandes  Villes  eft 
:omme  en  pure  perte  pour  l'hu- 
nanité,  &  que  tout  cela  s'éteint  i 
ans  qu'on  putftë  fçavoir  ce  quil 
ilevient.  Mais  il  ne  s'enfuit  pas  dé- 
jà qu'elles  foient  deftruéllves  pour 
'humanité  en   général.  Qii'cn  fe 

Ni) 


1^2.  Emploi  des  Terres  y 
rappelle  ce  que  j*ai  die  des  caufe: 
physiques  de  la  Population ,  routeî 
relarives  aux  moyens  de  fubfifian 
ce.  Il  ed  certain  que  les  Villes  Ton 
le  féjour  de  Tindurtrie  qui  ,  aprè 
Tagrieulture ,  eft  le  fécond  de  ce 
moyens ,  en  tant  fur- tout  que  cetr 
induftrie  fert  à  attirer  le  fuc  ali 
mentaire  de  Tétranger ,  Se  que  le 
grandes  Villes  font,  autant  qu'iH 
peut  ,  approvifionnées  du  produi 
de  fon  territoire. 

Cet  article  doit  être  traité  a 
long  dans  la  féconde  Partie  ;  mai 
il  faut  fe  rappeller  fréquemmer 
le  principe,  que  dans  quelque  lie 
que  Ton  place  la  pépinière  de  PEtat 
elle  fera  toujours  alTez  abondant 
pour  porter  la  Population  au  pli 
haut  degré  pofîîble  ,  relativemer 
aux  moyens  de  fubfiftance  qui  i 
trouveront  folidement  fondés  dar 
l'Etat ,  Se  au  genre  de  confomm 
tion  qui  fera  établi  par  Tufage.  S* 
étoit  à  notre  choix  de  marque 
cette  pépinière  aux  lieux  de  cor 
venance  ,  fans  contredit  elle  vau 
dcoit  mieux  à  1^  campagne  >  o 


Suite  des  Mœurs  &  Vfages.  293 
iCS  hommes  nailTenc  plus  fains ,  font 
élevés  plus  durement ,  (Se  où  moins 
îtayés  par  le  voifînage  des  préju- 
gés &  des  notions  factices  de  îa 
bciéré ,  ils  font  de  bonne  heure 
îccoûtumés  à  faire  reCTort  fur  eux- 
Tiêmes  ;  ce  qui  leur  rend  l'adiviré 
dIus  naturelle ,  la  tête  plus  force  , 
Se  le  jugement  plus  fain  j  mais  la 
nature  en  a  décidé  de  la  forte  fans 
lous  confulcer  ,  &  la  campagne 
eft  3  &  toujours  /ira  Tunique  fource 
de  la  Population. 

Après  cetre  digreHion  devenue     t„„ 
)Ius  longue  que  je  ne  peniois,ve-  niensdei'mé- 
nons  aux  inconvéniens  de  Tinéga-  i^^'^édesfor- 
Jicé  de  fortune.   Il  faut  de  deux 
chofes  Tune ,  ou  qu'une  grande  for- 
tune foit  en  fonds  de  terre ,  ou  en 
argent  comptant.  J'ai  fait  ailleurs 
le  tableau  de  îa  force  de  dépréda- 
tion qui  provient  de  la  réunion  de 
plufieurs  grands  domaines  dans  la 
même  main  ,  &  j'en  étendrois  le 
payfage  à  l'infini,  ians  crainte  de 
me  répéter  ;  mais  je  crois  en  avoir 
dit  atfez  ,  &  qui  ne  m'aura  pas 
compris  alors,  ne  m'entendroit  pas         -    . 

N  iij 


2  5?  4       Emploi  des  Terres  ^ 
mieux  à  préfenr.  Si  au  contfaîff 
cette  fortune  efl  en  argent  comp- 
tant 3  elle  n  efl  rien ,  &  d'elle  même 
elle  ne  rapporte  rien.  Mais  cette 
façon  d'avoir  un  tréfor  endormi  à 
côté  de   foi  ,  qu'on   dit  être  celle 
de  quelques  Efpagnols ,  n*e{l  point 
du  tout  la  nôtre ,  ^i  Dieu  nous  en 
préfet  ve  5  ce  feroic  alors  que  Ten- 
sourdilTement  feroic  devenu  léthar- 
gie.  Ne  croyons  pas  pourtant  que 
ce  foie  chofe  impoflible  :  Tufage  de 
mettre  fon  bien  à  fonds  perdu  de- 
venu  (i  fort  à  la  mode  en  France 
fift  un  pas,  félon  moi,  fort  con(î- 
dérable  vers  cette  autre  forte  d'in- 
curie qui    nous  paroît  fi    brutale 
aujourd'hui.  A  quoi  tient-il  que  dans 
un  ordre  de  fociété  ,  où  la  vanité 
&  la  parefife  ont  tellement  étoufïe 
]a  nature  5  qu*il  y  eft  d'ufage  qu'on 
fe  départe  de  fon  fonds  en  faveur 
de  la  cupidité  d'autrui  au  moyen 
d'une  rente  plus  ou  moins  forte , 
&  que  l'on  y  recherche  les  moyens 
de  facrifier  cette  douce  illufion  de 
propriété  à  cette  autre   infatiable 
chimère  appeliée  aifance  >  à  quoi 


Suite  des  Mcéurs  &  Ufages.  ic^j 
tient-il  ,  dis-je  ,  que  la  mode  n'y 
vienne  de  fe  coucher  auprès  de  fou 
coftre  fort,  &  de  tirer de-Ià?  feu» 
îenaent  à  une  petite  diminution  de 
confiance.  Les  facilités  de  l'or  .^, 
dont  la  quantité  va  toujours  en  aug- 
mentant en.  Europe  5  augmente- 
ront aufli  les  diffipations  &  le  mau* 
vais  ménage  de  ceux  dont  la  for- 
tune ed  aifez  fondée  pour  être  un 
objet  de  fureté  aux  prêteurs  en  via^ 
ger. 

Qui  pourroir  d'une  part  mettre  CoXonntâ^i 
fous  les  yeux  du  public  la  colon-  empiiiurs,co 
ne  des  emprunts  en  France  ,  &  de  ren-afou.Te^ 
l'autre  celle  des   rembourfemens ,  mens  tour 
verroit  tous  d'un  côté  &  riea  de  '{'""'^^^érieâ 
1  autre.  Cette  allégation  ne  man- 
quera pas  de  contradiéleurs  effrayés  j 
les  avares  m'abjederont   que  tous 
les  jours  on  les  menace   de  rem- 
bourfement    fî-tôt   qu'ils   ont   faiê 
un  placement  fur ,  je  le  fçais  j  mais 
quand  ils  l'ont  reçu  ce  rembourfe- 
ment,  font-ils  long- temps  à  repla» 
cer  leur  argent  ?  Les  pieds  leur  gril- 
lent de  le  fçavoir  mort  ,  &  ils  (û 
hâtent  de   le  prêter  de  nouveau  ? 

Niv 


1^6  Emploi  des  Terres  j 
loic  à  un  intérêt  plus  bas ,  foit  avec 
moins  de  (ûreté.  Somme  totale  , 
on  emprunte  de  par  -  tout  Ôc  fans 
ceilè  y  cependant  à  mefure  que  les 
emprunts  groffilTent,  les  efîèts  qui 
leur  fervent  d'hypothéqué  dimi- 
nuent en  proportion.  Cette  propor- 
tion calculée  fans  un  grand  effort 
d'Algèbre  peut  fixer  à  un  petit 
nombre  d'années,  relativement  du 
moins  à  la  durée  naturelle  du  corps 
politique,  Tépoque  du  revirement 
en  ce  genre  ,  qui  réalife  l'axiome 
de  Pantagruel  dans  fon  Chapitre 
des  prêteurs  Se  des  emprunteurs. 

Alais ,  fans  être  Caftàndre  à  cec 
égard ,  &  fans  préfager  une  révo- 
lution auffi  violente  qu'immanqua- 
ble 5  du  train  dont  nous  allons ,  la 
moindre  petite  fècoulTe  relative  à 
ce  grand  ébranlement  peut  très- 
bien  opérer  la  léthargie  en  quef- 
tion.  Puifque  tout  me  manque  , 
diront  nos  habiles  neveux  qui  au- 
ront fûrement  cent  fois  plus  d'eA 
prit  que  nous ,  mon  cofïre-Forc  ne 
me  manquera  pas ,  je  tirerai  de-là  , 
vivrai  indépendant  (  car  Tindépen- 


Suite  des  Mœurs  Z  Ufages,  197 
dance  fut  toujours  une  des  idoles 
de  la  parefle  ,  &  même  de  la  gueu- 
ferie  fa  foeur  )  &:  aprhs  moi  le 
déluge. 

Ce  doux  &  fociaUe  proverbe 
cft  déjà  le  plus  commun  de  tous 
parmi  nous  ;  &  moi  qui  fuis  ani- 
mal réfléchiirant ,  f  imagine  que  ceE 
axiome  nous  mènera  à  la  confu- 
fîon  des  langues  ,  comme  autrefois 
le  contraire  y  mena   ceux   de  ce 
temps-là.    Pourquoi  non  B  les  ex- 
trêmes fe  touchent.  En  effet ,  (î  la 
campagne  fe  dépeuple  ,  fi  les  arts 
méchaniques  dégénèrent  en  clin- 
quant &  bagatelles  ,  les  arcs  libé- 
raux en  grimaces  ;  fi  les  Loix  s'ou- 
blient ,  il  les  Hiérarchies  fe   per- 
dent, fi  tout  ennn  s'ufe  &  s'afîbiblit , 
après  moi  le  déluge  ;  tout  cela  du- 
rera afièz  pour  moi.  Si  nos  pères 
avoient  penfé  de  la  forte ,  il  nous 
auroient  rendus  plus  dignes  d'être 
Phiîofophes  que  nous  ne  le  fom- 
mes  5  plus    approchans  du  fort  de 
Bias.   Je  ne  dis  pas  que  ceux  qui 
établiflent   ces   beaux    principes  , 
falTent  par  leur  apathie  grand  torr 

N  V 


itjM  Emploi  des  Terras  j 
à  la  fociécé  aduellemenr.  Quand 
au -lieu  de  barbouiller  ces  pages 
critiques,  je  promenerois  en  ce 
înoment  un  cabriolet  fur  le  bou- 
levard ,  TEtat  n'en  iroic  ni  plus  ni 
moins.  On  le  croit.  Se  je  crois  le 
contraire.  Les  opinions  des  gens 
oifîfs  dénotent  le  fond  des  mœurs 
du  citoyen  ,  lî  elles  ne  Pérablifîento 
Petit-à-petit  tout  un  peuple  échap- 
pe de  la  forte  aux  anciens  principes 
de  fon  gouvernement  ;  &  comme 
la  Police  ,  qui  en  fait  une  des 
principales  portions  ,  doit  décliner 
félon  les  mœurs  ,  cette  portiorf 
entraîne  les  autres.  Prenons  y  gar- 
de :  perfonne  ne  gouverne ,  qui  ne 
foie  auffi  gouverné. 

Le  génie  ôc  Tadtivité  de  la  Na- 
tion, me  dira-t-on  j  nous  garan- 
îiront  toujours  de  cet  alT^upiiTè- 
ment  léthargique  ,  donr  vous  par- 
lez. J*en  doute  encore.  Les  Efpa- 
gnols  n'étaient  Ôc  ne  fonr  point  du 
tout  faits  pour  cela.  Ce  pays  (l 
difficile  à  fubjuguer  ,  Ôc  qui ,  pouf 
dire  mieux,  ne  le  fut  jamais  bien^ 
contenoic  cinquaate.deux  niillions 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  t^^ 
d'habitans  du  temps  de  Cefar  i 
Population  imnienfe  &  qui  prouve 
que  lagriculcure  y  écoic  portée  au 
degré  de  perfecflion.  Malgré  Tes 
guerres  ,  les  révolutions ,  èc  les  au- 
tres maux  internes  dont  quelques- 
uns  la  ravagent  encore,  on  ne 
îrouve  dans  Tes  mœurs  aucune  trace 
de  cette  folle  pareffe  qui  Tanéantig 
aujourd'hui,  jufqu^aux  temps  où 
les  fources  de  Toi  fe  répandirem^ 
dans  Ton  lein. 

L'or  eft  toujours  dévaflateur  par 
des  raifons  phyiiquss  que  nous- 
étendrons  ailleurs  ,  mais  il  i'eft 
encore  par  des  raifons  morales  qui 
ont  plus  ou  moins  de  force  feloiî 
le  génie  &  le  naturel  de  chaque 
peuple ,  comme  auiTi  ièlon  le  plus 
ou  le  moins  d'étendue  d'un  Etar> 
L'Efpagnol  naturellement  fou  de 
fens  froid  ,  glorieux  &c  fuperbg 
n'érolt  point  propre  à  faire  de  Voé 
le  feu-l  ufage  qui  le  puiiîe  rendre 
paflTagerement  utile  j, il  le  perdit: , 
&  le  perdÏE  lui-niêaie  en  projets^ 
idéaux  &  vains.  Rentré  nul  dass 
fon  efpece  de  continent  5  le  typ^ 

K  v> 


500  Emploi  des  Terres  ^ 
Romw^nerque  de  fa  fuprématie  ima- 
ginaire lui  demeure  encore  ,  il 
s'endort  à  Tombre  de  Ton  prétendu 
trophée,  &  jouit  d'un  empire  im- 
menfe,  puifqu*il  n'a  de  bornes  que 
celles  de  fon  ignorance. 

Examinons  ftns  prévention  no- 
tre propre  caraâiere  ,  &  voyons  s*il 
n'efî  pas  par  certains  endroits  Ç\iÇ- 
ceptible  de  dégénérer  à  ce  point- 
là.  Du  côté  de  la  valeur ,  de  la 
nobleiïe  &  de  la  générofité,  les 
Efpagnols  ne  nous  cèdent  afluré- 
jnent  en  rien  ;  mais  nous  fommes 
vains  ,  légers,  peu  propres  aux 
opérations  qui  demandent  de  la 
fuite  &  de  la  patience  ,  confians 
dans  le  préfent ,  peu  prévoyans  de 
Tavenir.  Nos  vices  à  la  vérité  plus 
mélangés  &  moins  uniformes  que 
ceux  des  Efpagnols  ,  font  moins 
dangereux  &  même  quelquefois 
utiles  5  mais  il  n'en  eft  pas  moins 
vrai  que  notre  génie  n'admet  guères 
plus  que  le  leur,  les  qualités  pro- 
pres à  tirer  de  l'or  les  avantages 
dont  il  eft  fufceptible ,  &  que  nous 
fommes   peut-être  plus  capables 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  ^or 
d'en  abufer.  Prenons  par  le  détail , 
&  Tnne  après  Tautre ,  ces  deux  pro- 
portions. 

Nous  fommes  à  !a  vérité  adifs 
&  induftrieux,  &  les  Efpagnols  ne 
le  font  point  du  tout  ^  à  moins  que 
ce  ne  Toit  en  grand.  Ils  dédaignent 
le  diftrid  de  la  bagatelle  qui  eft 
un  Pérou  pour  nous  *,  mais  il  faut 
confidérer  à  cet  égard  que  notre 
genre  d'induflrie  n'a  pas  befoin  de 
l'abondance  de  Tor  pour  fe  faire 
valoir,  piiifqu'elle  en  eft  elle-mê- 
me la  fource. 

Quel  ufage  peut-on  faire  de  ces 
métaux  précieux  pour  l'utilité  d'un 
pays  où  ils  regorgent  ?  Je  n*en 
connois  d'autre  que  ces  grands  éta- 
blifTemens  de  commerce  étranger, 
qui  makiplient  à  l'infini  au  dehors 
les  forces  intérieures  &  naturelles 
d'une  nation ,  &  qui  y  font  des 
colo(îes  de  fortune  bien  &  loyale- 
ment acquife  au-dedans.  Or  re- 
marquons qu'en  ce  genre  nous  en- 
treprenons beaucoup  ,  &  faifons 
peu.  Comparons  les  fortunes  de 
nos   plus   gros   né^ocians  ,   leurs 


50i       Emploi  des  Terres  j 
écablifîemens  au-dehors ,  leurs  cor- 
refpondances  ,  leur   crédit  ,  leurs 
entreprjfes  avec  les  chofes  toutes 
fernblables  qu'on  voit  chez  les  au- 
tres nations  commerçantes ,  3c  nous 
ferons  étonnés  de  la  difparité.  Mais 
notre  étonnement  doublera  encore, 
fi  nous  voulons  faire  entrer  dans 
cette   comparai fon  celle  des  pro- 
portions entre  ces  Etats  ôc  le  nôtre. 
Nous  fommes   induftrieux  ;  mais 
nous   ne   fommes  ni  conftans    ni 
tenaces ,  6c  ces  deux  dernières  qua- 
lités font  aufll  nécefTaires  pour  les 
grands  établiUèmens  de  commerce  > 
que  la  première  l'eft  pour  la  vivi- 
Écation  intérieure,  partie  pour  la- 
quelle nous  avons  des  reflaurces- 
fupérieures. 

Je  dis  plus  5  nous  perdrions  peue- 
être  à  gagner  de  ce  côté  -  là.  Les 
Eiccès  d'un  certain  ordre  pour  les- 
quels nous  n'avons  jamais  eu  d'é- 
gaux ,  nous  échapperoienr,  &  nous 
atteindrions  difSciiement  aux  au- 
tres. Je.  m'explique.  Une  natioit 
militaire  j  noble ,  gaie ,  qui  nata- 
îêUeîïiem  ne  fcak  que  .fervis  ôc 


Suite  des  Mœurs  &  Vf  âge  ?.  3  o  j 
Ignore  la  iervitude ,  perdra  Tame 
de  tous  Tes  reflbrts ,  (1  jamais  Tef- 
pric  de  calcul  &  rambicion  du  gain 
y  dominear.  Or  d'anciennes  chi- 
mères, une  vieille  conftitution  qui 
Fa  menée  fi  loin  &  fi  glorieufe- 
menc ,  doit  être  préeieufe  aux  yeux 
d*un  Gouvernement  fage  &  éclairé. 

D'ailleurs   Fefpric  dominant  du  Liberté coni 

al      i-î         /       r\  /îtledans  Tau- 

.        _      la  liberté.    \jï\  ne  tontédcsioi» 

vit  jamais  fleurir  Tun  à  un  certain  &^ansia  fa- 
pouit  lans  1  autre.  Chacun  entend  ^'^^..n^mpnr. 
a  la  guiie  ce  grand  mot  de  liberté, 
furcepcîble  d'autant  de  définitions 
qu'il  y  a  de  têtes.  Ce  n'efi:  pas  que 
je  prétende  dire  que  ce  Toit  un 
être  de  raifbn,  à  Dieu  ne  pkife  5 
mais  s'il  efi:  de  fait  que  la  vraie 
liberté  confifte  dans  l'autorité  des 
Loix  ,  dans  la  fagefîè  du  Gouver- 
nement &c  dans  le  bonheur  des 
peuples ,  il  eft  certain  audi  que  la 
liberté  eft  au  génie  des  peuples  ,. 
ce  queft  îe  régime  aur  tempéra- 
mens; ce  qui  fait  la  fanté  de  Fun  ^ 
feroit  le  poifon  de  Fautre.  Oh  !■ 
penfons-nous  être  fufceptibles  da 


3  ©4  Emploi  des  Terres  j 
genre  de  gouvernement  qui  conf- 
tate  la  liberté  des  puiflances  com- 
merçantes ?  je  n'en  crois  rien.  Je 
dis  plus,  je  prouverois  le  contraire 
par  des  raifons  tirées  deTintrinfé- 
que  de  nos  mœurs ,  de  notre  conf- 
titution ,  Ôc  des  exemples  de  notre 
Hiftoire  ,  s*il  étoit  ici  queftion  de 
cela.  Qui  me  prendroit  en  ceci 
pour  un  vil  flatteur  de  l'autorité  , 
ne  fe  feroit  pas  donné  la  peine  de 
me  lire. 

Il  refulte  de  ce  que  defifus  par 
le  raifonnement  ,  que  nous  per- 
drions peut  -  être  à  être  de  gros 
commerçans ,  &c  par  le  fait  ,  que 
nous  ne  le  fommes  ni  ne  le  pou- 
vons être.  Cette  façon  d'être  eft 
cependant  la  feule  qui  pui{ïè  corn- 
penfer  les  maux  infinis  que  la  trop 
grande  abondance  de  Tor  peut  faire 
dans  un  Etat.  Ce  n'eft  pas  encore 
ici  le  lieu  de  les  analyfer  en  dé- 
tail *,  Je  n'en  dirai  qu'un  mot  rela- 
tivement à  la  féconde  proportion 
que  j'ai  établie  ci-delTus ,  à  fçavoir , 
que  nous  fommes  peut-être  plus 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  ^of 
capables  que  les  Efpagnols  d'abufer 
de  Tabondance  de  l*or. 

L'Efpagnol  enrichi  d'abord  efl 
devenu  parefïeux  par  vanité  s  nous 
le  deviendrons  par  mollefle  &c  par 
découragement  abfolu.  De  ces 
deux  façons  de  cefîer  d'être  ?  la 
première  conferve  toujours  quel- 
ques refïburces  ;  mais  la  mollefïè 
n'en  a  point.  On  tourne  des  têtes 
vaines  d'un  côté  utile ,  ôc  le  mou- 
vement reprend.  On  réveille  les 
héros  enchantés  d'Amadis  ;  mais 
on  tonneroic  vainement  fur  àes 
catacombes  pour  rendre  à  ces  oiîe- 
mens  le  mouvement  Se  la  vie. 

L'opprefîîon  fut  Efpagnole  ,  le 
péculat  efi:  François  j  on  acheté  les 
Charges  enEfpagne,  mais  lafub- 
vention  efl  mife  dans  les  patentes 

pour  fervices  rendus  de  tant 

En  France  tout  fe  donne;  mais  en 
fuppofant  le  temps  de  la  domina- 
tion de  l'or,  le  Chef,  le  Miniftre 
vendu  dans  fon  redoutable  cabi- 
net 5  feroit  tout  étonné  d'avoir  fait 
mille  grâces  Se  de  n'avoir  pas  une 
créature,  pas  un  ami  de  fa  perfonné:. 


^ô6       Emploi  des  Terres  ^ 
mais  Teulement  de  fa  place ,  parce 
qu'il  ne  voudroit  pas  le  perfuader 
qu'il  feroit  mis  à  Fenchere  par  (e^ 
encours ,  3c  qu'on  vendroit  Tes  au- 
diences, fon  repas,  fon  fommeil  > 
fes  diftradions ,  ôcc.    En   %'ain   ii 
feroic  alors  maifon  neuve  &  nou- 
veau  cabinet   à   tous  égards  ,  les. 
mouches  qui  ruccédei\oient  ,   plus 
avides  que  les  premières  ,  l'affié- 
geroient  plus  étroitement  encore. 
Pût- il  réuiîîr  à  faire  venir  de  Congo/ 
des  Commis  5c  fous-Commis  muets 
&  fourds ,  endurcis  enfin  à  toute 
contagion  de  i*or  ;  (  on  en  volt  ,  Se 
qui  ne  viennent  pas  de  fî  loin  ) 
l'intrigue  ôc    la   corruption    alors 
defcendront  d*un  cran  ,  les  valets 
vendront  les  fous- ordres ,  les  fous-^ 
ordres  le  premier  ,  ôc  celui-ci  lé 
Chef  5  tous  fans  le  fçavoir.  S'il  fe 
pouvoir   qu*un    homme   fat   aflez 
rigide,  afïez  fîngulier,  alTez  vigi- 
lant s  affez  heureux  enfin  pour  éta- 
blir au  milieu  d'un  peuple  livré  au 
pouvoir  de  l'or  une  famille  entière 
de  gens  incorruptibles  ,  ce  feroit 
eux  qu'il  faudroit  flétrir  ,  puifque 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  ^  of 
Thomme  vraiment  dangereux  dans 
îa  fociété  eft  celui  qui  y  intercepte 
Fordre  reçu. 

Cen  eft  afîez  pour  un  prélude , 
&  pour  faire  naître  quelques  idées 
fur  une  matière  que  je  traiterai 
plus  à  fond  quand  nous  y  ferons^ 
C*en  eft  aftez  ,  dis-je  ,  pour  faire 
foupçonner  aux  gens  réÔéchi(ïànrs 
que  je  n*ai  pas  avancé  un  paradoxe 
en  difant  que  l'abondance  de  Tor 
peut  faire  à  la  France  d'auiïï  grands 
maux  qu'elle  en  a  faits  à  TEfpa- 
gne  5  &;  des  maux  plus  irréparaoks 
encore. 

Dans  rétat  actuel  parmi  nous  , 
il  n*y  a  point  encore  de  fortune 
endormie ,  comme  celle  dont  nous 
avons  parlé  ci-defTus.  On  pourrois 
néanmoins  en  excepter  les  fommes 
immenfes  employées  en  mobilier 
de  pure  fantaifie,  qui  n'a  de  prix 
léel  en  quelque  forte  que  par  la 
mode  ;  mais  dans  la  queftion  pré- 
Tente  ,  ces  fonds  font  regardés  dans 
ÎEtat  ,  comme  un  corps  de  re- 
ferve  qui  en  augmente  la  richefte 
foncière.    Retranchons  encore  les 


3oS  Emploi  des  Terres  ^ 
viagers  qui  ont  eu  leur  article  l 
quoiqu'en  effet  ils  falTent  aujour- 
d'hui un  corps  éaorme  de  rentiers 
dans  la  Capitale.  Toutes  autres 
efpeces  de  richelTes,  dès  que  nous 
en  avons  ôté  les  biens  en  fonds  de 
serres,  ne  peuvent  être  qu en  con- 
trars  .  maifons ,  &c.  Pour  ce  qui 
eft  foncier ,  charges  &  bienfaits  du 
Roi  pour  la  partie  amovible ,  exa- 
minons Tun  après  Pautre  ces  fortes 
de  biens ,  &  voyons  fi  leur  entaf- 
fement  fur  la  même  tête  n'eft  ,pas 
un  mal  phyfique,  feul  objet  que 
nous  envifageons  ici ,  en  attendant 
qu'il  foit  queflion  du  mal  moral. 

Les  biens  en  contrats  fur  les 
particuliers  ne  font  autre  chofe 
qu'une  hypothèque  fur  les  terres. 
Il  importe  peu  qui  foit  le  poffef- 
feur  d'une  relie  terre,  il  eft  quef- 
tion  de  Içavoir  qui  en  tire  le  reve- 
nu. Or  celui  qui  a  un  contrat  de 
cent  mille  francs  fur  une  terre  de 
cent  mille  écus ,  poflTede  réellement 
en  fonds  le  tiers  de  cette  terre  ; 
mais  comme  l'intérêt  en  France 
eft  fur  un  pied  beaucoup  plus  haut 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  509 
que  les  fonds  ni  Tinduftîie  ne  le 
peuvent  porter  (  abus  qu'on  cor- 
rigera apparemment  ,  quand  on 
croira  qu'il  en  eft  temps  )  il  eft  de 
fait  que  celui  à  qui  une  terre  de 
cent  mille  écus  doit  cinq  mille 
livres  de  rente  clair  Se  net,  fans 
entretien ,  cas  fortuits ,  ni  répara- 
tions ,  poiïède  réellement  les  deux 
tiers  de  cette  terre  ,  &  retombe 
dans  la  clafTe  des  inconvéniens  que 
nous  avons  dit  être  attachés  à  la 
réunion  des  grands  fonds  de  terres 
fur  la  même  tête. 

Mais ,  dira-t-on  ,  le  principal  de 
ces  inconvéniens  ;  tels  que  vous 
les  avez  déduits  ,  eft  que  les  fonds 
ne  voyant  jamais  le  Maître  ,  Se 
livrés  à  des  agens  parelïèux  ,  fri- 
pons &  preflfés  par  les  befoins  con- 
tinuels qui  afîîégent  cent  fois  plus 
les  grandes  maifons  que  les  petites , 
tombent  en  dégradation ,  Se  ne  rap- 
portent pas  la  moitié  de  leur  pro- 
duit pofTibîe  Se  proportionnel.  Au- 
lieu  de  cela  les  fonds  qui  doivent 
rente  à  des  riches  particuliers  , 
aen  appartiennent  pas  moins  au 


3  î  o  Emploi  des  Terres  / 
pofifefleur  réel.  La  rente  qui  le 
refTerre ,  excite  Ton  induftrie ,  & 
le  force  au  travail  ou  il  efl:  porté 
par  le  goût  de  propriété  ,  quoi- 
qu  idéale  dans  le  fait ,  &  dont  fou 
indépendance  réelie  lui  facilite  les 
moyens.  Pure  fpéculation  que  tout 
cela  :  c'eft  ainfi  que  les  chofes  de- 
vroient  être  j  mais  ce  n'eft  pasain(i 
qu'elles  font.  On  fçait  aflez  que 
cet  axiome  a  lieu  dans  toutes  les 
chofes  humaines ,  voici  comment 
elles  vont  dans  celle-ci. 

De  deux  chofes  Tune ,  ou  la 
rente  efl:  accablante  pour  le  fonds , 
ou  elle  efl:  légère.  Dans  le  premier 
cas  5  le  découragement  s'en  mêle 
&  entraîne  bientôt  le  déibrdre ,  la 
terre  eft  faifie.  Qu'on  voye  dans 
les  bureaux  à  ce  prépofés  combien 
il  y  a  de  terres  en  France  à  bail 
judiciaire.  Tout  le  temps  qu'elles 
demeurent  ainfi  5  Ton  y  fait  à  peu- 
près  comme  pourroit  faire  Tenne^ 
mi.  Une  terre  en  décret  efl:  deve- 
nue proverbe  pour  figurer  l'excès 
du  délabrement.  Mettez  enfemble 
toutes  les   terres  qui  font  en  ce 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  311 
cas   dans    le   Royaume  ,  vous  en 
compoferez  de  grandes  provinces , 
qui  font  en  conféqoence  dans  un 
crat    de    dévaftation  abfolue.     La 
vente  forcée  fuccede  enfin  :  Thy- 
pothécaire  fe  fait  adjuger  la  terre 
à  la  moitié  de  fon  prix  aâ:uel  qui 
n'eft  que   le   quart   de  fa    valeur 
réelle,  &  peeit-à-petit ,  de  remier 
qu'il  vouloit  être ,  il  devient  pro- 
priétaire de    nécelîîté.     Jvlais    cet 
homme  qui   par  principes    dédai- 
gnoit  les  terres  comme  incapables 
de  lui  procurer  la  forte  d'aifance 
qu'il  recherche,  qui  par  habitude 
n*eft  plus  propre  qu  à  numéroter  fes 
contrats   dans   d^s   cartons  ,  &   à 
minuter  exaclement  des  quittances, 
regarde  ks   nouvelles  acquittions 
comme  les  débris  forcés  de  la  forte 
de  fortune  qu'il  ambitionnoit  feule, 
&  eft  encore  moins  propre  à  les 
faire  valoir  ,  que  le  dérangé  qui 
ies  a  perdues. 

Dans  le  cas  au  contraire  où  la 
rente  eft  légère ,  le  propriétaire  la 
néglige ,  calcule  fes  revenus ,  monte 
fa  dépenfe  en  conféquence    àc  ne 


311  Emploi  des  Terres  _, 
penfe  aux  charges  que  comme  on 
dit,  un  bon  mariage  payera  tout. 
Les  facilités  que  lui  procure  fà 
qualité  de  propriétaire  ,  fervent  à 
Fentretenir  dans  cette  forte  de  dé- 
lire; les  intérêts  s'accumulent  ,  il 
contrade  de  nouvelles  dettes  ,  les 
mobiliaires  fuccedent ,  puis  les  det- 
tes criardes  i  tout  abîme  enfin  à  la 
fois.  Se  il  revient  au  même  point 
que  le  premier. 

J*étois  un  jour  chez  un  des  fa- 
meux Notaires  de  Paris  ;  nous 
vîmes  palTer  à  grand  bruit  le  car- 
rofTe  d'un  Brillant  que  nous  con- 
noifîîons.  Combien,  me  dit- il, 
croyez  -  vous  que  cet  homme  ait 
de  revenu?  Mais,  dis-je,  il  pafle 
pour  avoir  quatre-vingt  mille  livres 
de  rente.  Il  le  croit  aufîî,  reprit 
ie  Notaire  ,  mais  au  fait  il  en  a 
quatorze.  Ceci ,  direz-vous  ,  con- 
clut contre  les  moeurs  ,  &  non 
contre  les  rentiers.  Oui  en  un  fens  ; 
mais  quand  je  n  induirois  de  -  là 
que  cette  vérité ,  que  le  regorge- 
ment des  métaux  qui  donne  ces 
ruineufes  facilités  aux  propriétaires. 


Suite  des  Mcturs  &  Ufages.^  1 3 
eft  un  mal ,  je  ne  fortirois  pas  de 
lobjec général  de  ce  Chapitre.  Ce- 
pendant pour  me  renfermer  dans 
la  queftion  aduelle  qui  eft  5  que 
\ts  grandes  fortunes  en  contrats 
font  un  inconvénient ,  il  fufSc  que 
ifaie  démontré  d*une  part  quelles 
ne  font  autre  choie  qu'une  grande 
fortune  en  fonds  de  terre,  &  de 
Fautre  qu'elles  menacent  d'une 
prompte  &  ruineufe  révolution 
les  fortunes  fubfidiaires ,  pour  avoir 
prouvé  qu'elles  font  dangereufes 
dans  un  Etat.  Je  répète  que  ie 
n'envifage  point  ici  les  inconvé- 
niens  de  Tabondance  des  métaux 
du  côté  moral ,  qui  font  tels  ce- 
pendant qu'ils  fe  réduifent  promp- 
tement  au  phyfîque.  Ceci  n'a  déjà 
que  trop  d'étendue  j  paflTons  aux 
autres  fortes  de  fortunes  citées  ci- 
deffus. 

Il  efi:  encore  une  autre  efpece 
'  de  bien  foncier  ,  qui  proprement 
:  n  eft  un  objet  que  dans  la  Capitale 
&  quelques  autres  Villes   princi- 
pales en  petit  nombre  :ce  font  les 
revenus  en  maifons.  C'eft  un  article 
/.  Partie,  O 


314  Emploi  des  Terres  j 
confidérable  ici,  ôc  à  dire  vrai  , 
fi  les  inconvéniens  moraux  d*une 
fortune  trop  confidérable  en  ce 
genre  de  bien  font  les  mêmes  que 
ceux  des  autres  efpeces  de  fortu- 
nes ,  il  n*en  eft  pas  de  même  des 
inconvéniens  phyfiques.  Celui  qui 
a  employé  fon  fuperflu  ou  fes  fonds 
en  argent  à  tirer  de  la  terre  des 
matériaux  informes ,  pour  les  faire 
fervir  à  Tornement  de  fa  patrie  , 
&  à  la  commodité  de  fes  conci- 
toyens ,  a  bien  mérité  d*en  retirer 
les  fruits  ,  dont  une  partie  d*ail- 
leurs  eft  due  au  maintien  de  Tin- 
duftrie  &  du  travail  par  les  frais 
de  l'entretien. 

S'il  eft  des  inconvéniens  de  trop 
grande  confommation  à  Texten- 
non  extraordinaire  donnée  aux  lo- 
gemens  aujourd'hui ,  c'eft  un  exa- 
men qui  appartient  au  Chapitre  du 
luxe ,  &  nullement  à  celui  -  ci  ; 
mais  il  eft  bon  de  confidérer  que 
je  n'ai  jamais  prérendu  difcuter  ici 
la  juftice  des  poiïè fiions  de  cha- 
cun. 

Mon  principe  politique  ,   s'il 


Suite  de ^  Mœurs  &  Ufages,  515- 
l'appartient  d'en  avoir  un  ,  (èroic 
de  refpeder  tellement  le  droit 
public  5  que  tout  titre  de  propriété , 
même  la  plus  mal  acquife  quant 
au  paOTé,  en  fût  un  de  poiTefîîon 
afTurée  &  pai(îble;-que  tous  enga- 
gemens  ,  même  les  plus  onéreux- 
&  forcés  5  fuflent  facrés  dans  la 
fociété,  &  ce  neft  que  par  des 
moyens  juftes  &  doux  ,  que  je  vou- 
drois  engager  chaque  particulier  à 
divifer  volontairement  fa  propre 
fortune  pour  fe  procurer  d'autres 
avantages  plus  précieux  &  plus 
eftimés.  Il  ne  s'agit  donc  ici  nul- 
lement du  titre  j  mais  de  Tufufruit 
feulement.  Or  d'une  part  on  ne 
fcauroit  nier  que  les  prix  excefllfs 
des  loyers  &  logemens  qui  n'ont 
point  de  trait  aux  commodités  du 
Commerce,  font  un  ligne  évident 
que  dans  un  Etat  on  fait  trop  de 
cas  de  l'habitation  des  Villes,  & 
trop  peu  de  celle  des  campagnes  ; 
de  l'autre ,  que  c'efl  une  preuve  du 
bailTement  de  prix  des  fonds  de 
terre  dans  Teftime  publique. 
?    Louis  XIV.  fur  les  fins  de  fpu 

Oij 


3T^  Emploi  des  Xerré s  ^j 
régne  ayant  appris  quun  Nonce 
avoit  loué  mille  écus  une  maifon 
à  Paris ,  en  parla  plufîeurs  fois 
avec  étonnemenc  &  réflexion ,  lui , 
qui  parloir  peu.  Les  maifbns  de 
cette  efpece  font  aujourd'hui  à 
quinze  mille  livres.  Je  demande 
fî  5  depuis  ce  temps ,  la  proportion 
du  hauflfement  des  fermes  des  fonds 
de  terre  a  fuivi  ce  taux-là  ?  j 

D^autre  part  ,  fî  un  particulier 
qui  raflfembleroit  fur  fa  tête  une 
grande  quantité  de  ces  fortes  de 
biens ,  s'entendant  avec  cinq  ou  fix 
de  fes  femblables ,  vouloit  tout-à- 
coup  h  au  (Ter  confidcrablement  le 
prix  des  loyers ,  ne  feroic-il  pas  le 
maître  de  porter  un  coup  invifîble 
&  fur  à  la  fociété  ?  Les  Italiens 
beaucoup  plus  habiles  ufuriers  que 
nous ,  quand  ils  s'en  mêlent  ,  n'y 
manqueroient  pas. 

En  un  mot  5  de  quelque  nature 
de  biens  fonciers  que  (bit  compo- 
fée  une  fortune  énorme  5  elle  efl 
nuifible  dans  l'Etat  par  le  phyfî- 
que,  &  plus  encore  par  le  moral 
donc  nous  parlerons  dan§  fon  temps» 


Suite  des  Mœurs  &  U/ages,  ^ij 
Panfons  au  détail  des  différentes 
fortes  de  revenus  qui  ne  font  point 
héréditaires. 

Les  Charges  font  encore  au- 
jourd'hui en  France  une  portion 
de  la  fortune  des  citoyens.  Rêve-* 
nous  à  l'étymologie  de  ce  mot ,  qui 
eft  devenu  fynonime  chez  nous  à 
celui  d'Emplois  &  de  Dignités  :  on 
trouvera  la  trace  de  la  façon  dont 
ces  chofes  font  reg^ardées  dans  les 
fociétés  d'hommes  non  encore  cor- 
rompus. Ce  font  vraiment  des 
Charges ,  à  les  envifager  dans  leur 
véritable  point  de  vue.  Quand  les 
Prélats  fe  regarderont  comme  les 
àdminiftrateurs  des  biens  des  pau- 
vres ,  &  devant  répondre  de  Finf- 
trudion  d'un  peuple  immenfe  > 
quand  les  Magiftrats  craindront 
d'avoir  part  à  toutes  les  injuftices 
qui  fe  font  dans  leur  refibrt;  quand 
les  Généraux  fe  confidéreront  com- 
me répondans  de  tous  ceux  des 
maux  de  la  guerre  qu'ils  auroient 
pu  éviter  ;  les  Miniftres  >  de  Top-* 
preiïîon  des  peuples  &c.  il  n'y  aura 
pas  tant  de  prefle  à  foUicicer  les- 

Oiii 


^  î  s  Emploi  des  Terres  ^ 
Emplois  *,  &  tout  homme  doué  par 
la  Providence  du  néceiîàire  abfolu , 
regardera  comme  une  véritable 
charge  ,  la  deftination  que  le  Prin- 
ce aura  faire  de  lui  pour  ces  diffé- 
rents objets. 

On  comprendra  des- lors  com- 
ment dans  des  temps  de  régéné- 
ration ,  il  s^eft  pu  faire  que ,  fans 
fingularité,  des  hommes  très-fen-* 
fés  aient  fui  les  dignités  avec  plus 
d*opiniâtreté  que  nous  n'en  avons 
à  les  pourfuivre  aujourd'hui.  Il  y 
a  eu  de  ces  fortes  d'exemples  de 
tout  temps  ,  &  même  fous  nos 
yeux.  On  en  trouve ,  qui  plus  efl:  y 
parmi  des  hommes  ambitieux,  & 
déjà  excités  par  l'habitude  de  la 
îftînie  des  Cour  &  des  affaires  ,  &  l'on  vit 
emplois  en  SuUy  refufer  opiniâtrement  de  nou- 
lofdef^  *  veaux  emplois  donc  la  confiance 
de  fon  Maîire  vouloir  l'honorer» 
Ce  digne  Miniftre  difoit  avoir  plus 
de  befogne ,  qu'il  n'en  pou  voie 
faire. 

Ce  feroir  connoirre  mal  la  na- 
ture humaine,  que  de  croire  qu'il 
fût  poffible   de  faire   exercer  les 


Suite  des  Mœurs  &  Vf  âges,  5  r  9 
emplois  néceffaires  au  maintien  de 
la  fociécé  ,  par  des  hommes  que 
le  motif  feul  clu  devoir  engageât  à 
fe  facrifier  ainfî  pour  elle.  Mais 
l'ordre  naturel  des  chofes  a  pourvu 
à  cet  ineonvénient  de  la  foiblede 
humaine  ;  &  dans  le  principe ,  roue 
ce  qui  donne  de  l'autorité  &  des 
détails  5  donne  auffi  de  la  con^dé- 
ration  parmi  Tes  femblables.  Ceft 
dans  le  champ  vafle ,  ou  pour  mieux 
dire  fans  bornes ,  de  la  confidéra- 
tion  qu'il  eft  permis  de  s'étendre 
fans  nuire  à  fon  voifin.  C'efi:  là  le 
tréfor  qui  ne  coûte  rien  à  l'Erat 
qu'une  difpenfation  jufte  &  atten- 
tive ,  &  qui  cependant  bien  mé- 
nagé peut  payer  abondammenc 
tous  les  fervices,  chacun  en  fon 
genre. 

Les  vrais  Légiflateurs  ,  les  ha- 
biles hommes  d'Etat  ont  fènti  les 
conféquences  &  la  force  de  ce 
mobile  ;  ils  en  ont  organifé  les 
reflbrts ,  ^  multiplié  les  reflburces. 
De-là  font  venus  tant  d'ufages  rela- 
tifs aux  vues  de  porter  les  hommes 
vers  l'ambition  de  la  renommée  j 

O  iv 


^20  Emploi  des  Terres  j 
les  éloges  après  la  mort  chez  les 
Egyptiens,  les  couronnes,  les  fta- 
tues  &  les  triomphes  chez  les  Grecs 
&  les  Romains  ;  les  prérogatives 
&  les  marques  de  Chevalerie  chez 
les  nations  modernes ,  &c.  Je  m*é- 
tends  déjà  trop  en  raifonnemens , 
&  je  ne  finirois  point  W  je  me  ré- 
pandois  encore  en  citations  hifto- 
riques  j  mais  il  feroit  aifé  de  dé- 
montrer par  Tes  exemples ,  que  les 
Princes -les  plus  fages  &  dont  le 
gouvernement  a  fait  le  plus  d'hon- 
neur à  l'humanité ,  ont  été  les  plus 
foigneux  à  fonder  &  remettre  en 
vigueur  ces  fortes  d'inftitutions ,  & 
les  plus  retenus  à  en  accorder  les 
avantages  à  la  faveur  &  à  l'impor- 
tunité. 

Mais  il  arrive  aufîî  que  dans  ces 
fortes  de  Gouvernemens ,  à  mefure 
que  ces  diftindions  font  plus  efti* 
mées  à  caufe  de  la  difficulté  qu'on 
a  eue  à  les  obtenir  ,  chofe  aifée  à 
comprendre ,  les  charges  inférieu- 
res rehauflent  auffi  à  proportion 
dans  l'eftime  publique ,  &  que  tous 
les  moyens   qui    conduifent    aux 


Suite  des  Mœurs  &  Vfages,  5 1  ï 
honneurs  ,  font  appréciés  en  confé- 
c]uence.  l/afpirancefi:  foutenu  d'une 
part  par  les  avantages  a'une  por- 
tion aduelle  déjà  enviée ,  &  excité 
de  l'autre  par  l'aiguillon  d'une  efpé- 
rance  haute  &  vive  ,  qui  efl  la 
chofe  du  monde  qui  fe  lafle  le  plus 
difficilement  en  nous, 

Aa-lieu  de  cela,  quand  Tor  de- 
vient commun  dans  une  nation  , 
&  qu'en  conféquence  la  corruption 
s'en  empare  ,  d'ordinaire  toutes  les 
diftinétions  d'honneur  s'y  aviii(îènr, 
d'une  part  par  leur  multiplicité ,  &: 
de  l'autre  par  leur  pauvreté.  Il 
arrive  de -là  qu'il  faut  nécefTaire- 
ment,  ou  les  voir  méprifer^ou  les 
appointer  en  proportion  de  l'eftt- 
me  qu'il  efl  néeeflaire  qu'on  y  atta- 
che. Dans  le  premier  de  ces  deux 
cas  el'es  font  nulles,  &  il  efl inu- 
tile de  traiter  ici  du  rien.  On  ren> 
pliroit  deux  pages  de  cet  Ecrit  des; 
différents  noms  de  Charges  eii^ 
France  qpi  font  de  cette  claffè^ 
Dans  le  fécond  quel  poids  énorme- 
pour  l'Etat  !  quelle  proportion  en- 
tre ce   que  ces  Charges  coûtenc 

Ô  V 


512.       Emploi  des  Terres  3 

à  la  fociété,  &  ce  qu^elIes  leur 

valent  ! 

Xenophon  s'engageant  avec  fix 
mille  Grecs  au  fervice  d'un  Prince 
de  Thrace ,  ftipule  dans  Ton  traité 
que  chaque  foldat  recevra  une 
darique  par  mois,  chaque  Capî- 
taine  deux ,  &  lui  comme  Générai 
quatre.  Les  exemples  de  cette  mo- 
dicité d'appointemens  pour  les 
Charges  les  plus  importantes  four- 
millent dans  les  temps  de  force  & 
de  vertu  des  peuples  anciens ,  donc 
les  annales  nous  font  demeurées. 
Il  en  eft  même  des  traces  encore 
dans  certains  pays  ,  &  TAvoyer 
de  Berne,  premier  Magiftrat  très- 
refpedé  d*une  très-refpedable  Ré- 
publique 5  ne  coûte  guères  plus  de 
quatre  mille  livres  à  TErat.  Mais» 
indépendamment  de  la  furcharge 
qu  établit  nécefTairement  fur  les 
peuples  le  hauflfement  des  appoin- 
temens  &  honoraires ,  il  occafionne 
encore  des  abus  d'une  toute  autre 
importance. 

1°.  Cette  méthode  anéantir  tout 
ce  que  les  Charges  oiït  d'honori- 


Suite  des  Mœurs  &  Ujages,  3  ly 
lique  &  d'eflfentiel ,  pour  n'attacher 
Teftime  uniquement  qu'à  la  finan- 
ce. Qu'on  jette  les  yeux  fur  les 
exemples  de  cela ,  fans  me  donner 
la  peine  de  les  trantcrire  :  pour 
moi  js  me  fouviens  d'avoir  été 
étonné,  tant  j'étois  jeune  ,  de  voir 
parmi  des  gens  du  premier  ordre 
préférer  hautement  dans  une  con- 
verfation  le  gouvernement  du  Châ- 
teau Trompette  qui  n'efl  qu'un 
fort  5  à  celui  de  la  Marche  qui  eil 
une  Province  ,  parce  que  l'un  ren- 
doit  cinq  mille  livres  de  rente  de 
plus  que  Tautre. 

2°.  De  cet  efprit  mercenaire  jqui 
fe  répand  dans  toutes  les  cla(Tès  de 
la  fociété  ,  réfulte  néce(îàiremens 
Textindion  de  tout  principe  noble, 
&  conféquemment  de  toute  adion^ 
généreufe.  On  en  vient  à  méprifer 
toutes  les  prérogatives  non  fufcep- 
tibles  de  tranfmutation  en  or  ,  à= 
négliger  toutes  fondions  qui  ne 
peuvent  avoir  trait  à  cela  ,  foit  pour 
loi  ,  foit  pour  les  fiens  Ôc  ayans 
caufe.  Or  comme  les  opérations- 
rédudiyes  en  or    ne    fonr   autre 

O  v| 


y 


524  Emploi  des  Terres  ^ 
chofe  au  fond  que  rapacité  j  pé- 
culac  &  ufure  ,  fous  quelque  forme 
qu'elles  fe  déguifenc  ,  cette  forte 
de  gangrené  gagne  bientôt  tout  le 
corps  de  TEtat ,  d'une  façon  d'au- 
tant plus  incurable ,  qu'elle  vient 
des  parties  nobles. 

Il  s'enfuit  de  ce  que  deflus ,  Se 
d'une  infinité  d'indu6tions  à  ce 
relatives  que  j'ai  fupprimées  volon- 
tairement 3  que  la  disproportion- 
dans  les  fortunes  ,^qui  peut  provenir 
par  les  Charges ,  eft  encore  plu& 
BOi/îble  que  toate  autre.  Cet  article 
eût  dû  naturellement  comprendre 
les  bienfaits  du  Roi  ;  mais  il  en 
eO:  &  en  grand  nombre  j  qui  n'ont 
trait  à  aucune  Charge  ,  &  en  gé- 
néral ce  mot  de  bienfaits,  fi  ufité 
&  fî  mal  entendu  a  mérite  bien  un 
article  à  part. 

On  accufè  un  grand  Prince 
d'avoir  dit  à  un  pauvre  Officier 
eftropié  qui  lui  demandoit  du  pain 
fous  le  titre  de  Juftice  ,  tout  ejl 
grâce  dans  mon  Royaume,  St%  en^- 
îiemis  lui  en  ont  bien  prêté  d'au- 
tres 3-  &  le  fait  ne  mérite  aucune 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  515 
croyance ,  attendu   que  ce  Prince 
ne  fut  jamais  perfbnnellemenc  dur 
&  moins  encore  infenfé.   Mais  il 
pourroic  Te  faire  dans  un  Etat  ou 
l'abondance   de  l'or  ameneroit  la 
corruption  ,  que  cet  axiome  devint 
très-véritable.  Chaque  fervice  mé-    Le  genre  d« 
rite  Ton  falaire,  c'eft  la  juftice  s^rT^'^'K 
mais  le  genre  de  lervice  décide  du  de  faiakes. 
genre  de  (àlaire.  L'amitié  fe  paie 
par  ramitié  ,  la  confiance  par  la 
confiance ,  riionneur  par  l'honneur, 
l'argent  par  Targent.  Encanfcquen- 
ce  fi  nous  demandons  tou's  de  l'ar- 
gent ,  il  faut  fçavoir  fi   nous   en 
avons  acquis  au  Prince.    A  moins 
de  cela,  tout  ce  qu'ilnousen  don- 
ne par-delà  notre  nécefiaire  abfolu  , 
s'il   nous  manque  ,   eft  puremenc 
grâce.  Il  pourroit  arriver  qu'on  ne 
difputât  pas  fur  le  terme ,  &   qu'à 
quelque  titre  que  ce  fût ,  la  quef^ 
Eion  fût  feulement  d*obtenir  rem  ^^ 
quocunque  modo  rem.  Mais  en  ce 
cas  je  regarderois  cette  extin6lion 
de  toute  délicatelTe  pour  une  gran- 
de marque  àt  corruption.  Eh  quoi  ! 
l'éliîe&  les  principaux  d'une  natioii; 


3 1<3  Emploi  des  Terres  y 
entière  auroient  le  front  de  fubi^ 
tituer  à  leurs  fondions  naturelles 
de  citoyen  ,  celle  de  quêteur  & 
demandeur  confiant  &  perpétuel , 
d'ailiéger  Tantichambre  du  Prince 
<3c  le  cabinet  de  Tes  Miniftres  avec 
lîe  fentiment  intérieur  &  découvert 
de  n  avoir  pas  mérité  ce  qu'ils  de- 
mandent !  Ceft  cependant  le  point 
où  Ton  en  viendroit ,  &  dont  peut- 
être  on  trouveroit  des  exeinples 
fans  remonter  aux  Cours  d'Arta- 
xercès  &c  de  Darius.  Celui  qui 
obtient  une  penfîon  de  fix  mille 
livres ,  penfe  -  t-il  qu'il  enlevé  la 
raille  de  (îx  villages ,  comme  je  Tai 
dit  ,  &  fî  le  Prince  ignore  avec 
quelles  convuKions  de  dérail  il  faut' 
arracher  la  perception  de  cette  tail- 
le, eft-il  permis  à  lui  particulier 
de  Poublier  ? 

Mais ,  dit-on ,  fî  je  ne  Tobtiens, 
un  autre  Tobtiendra  ,  &:  le  peuple^ 
n*en  fera  pas  moins  foulé.  Beau 
raifonnement  !  Cet  homme  va  (e 
perdre  dans  cette  forêt ,  il  y  fera 
certainement  aGTalîîné  &  volé  ;  au- 
tant vaut  que  je  TalTaffine  ôc  vole,. 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  3  ij 
?viâis  les  bienFairs  du  Prince  (onc 
faifs  pour  fa  nob!e(Te  ;  fes  fermiers 
s'enrichidèncà  Texcès  ;  il  penfionne 
les  arts  Se  quelquefois  les  plus  fri- 
voles 5  il  n'en  exclura  donc  que  fa 
NobielTe  qui  a  un  droit  naturel  fur 
fes  dons.....  Eh  !  011  avez-vous  pris 
cela?  Ces  Nobles  font  les  fils  de 
ceux  qui  ont  bien  fervi  fes  prédé— 
cefleursjils  furent  ou  récompenfés 
par  les  honneurs ,  ou  moins  heu- 
reux ,  (car  j'en  connois)  ils  man- 
quèrent la  fortune  ,  mais  non  la 
gloire  nî  l'honneur.  Le  Prince  doic 
à  leurs  defcendans  fouvenir  du 
mérite  des  pères,  occafion  de  faire 
comme  eux,  folde  raifonnable  fé- 
lon les  emplois  ,  protedlion  dans 
leurs  affaires  &  pour  rétabliflement 
de  leurs  familles,  &  fur-tout  dii^ 
tindion  &  faveur  félon  leur  mé- 
rite. Mais  entre-t-il  dans  tout  cela 
cet  or  que  vos  defirs  avares  y  Se 
votre  prodigue  vanité  voudroienc 
enpjoutir  en  quantité  pareille  à 
celle  que  la  terre  en  vomit  ?  Les 
fermiers  s*enrichi{ïent  ;  eh  !  faites- 
vous   leurs  fonds ,  leur  travail  ï 


3^5      Emploi  des  Terres ^ 
Bravez- vous  la  haine  publique ,  les 
bons  mots  du  théâtre  ,   les  quoli- 
bets des  ehantres  du  pont- neuf  ^ 
A  ce  prix  ,  il  vous  eft  permis  de 
vous  enrichir.    Renoncez  au  nom 
de  vos  ayeux  ,  à  leurs  titres  ,   à 
leurs  prérogatives ,  courez  vous  per- 
dre dans  la  foule  des  intriguans  da 
bas  dérail  &  des  donneurs  d'avis  > 
&  devenez  riches  ,  bene  fit  ;  maiy 
{î  d'une  part  vous  vouiez  Targenc^ 
&  de  Tautre  les  honneurs ,  les  dif^ 
tincflions ,  vous  êtes  volontairenienc 
4e  Vampire  univerfel  de  la  fôciété  y. 
vous  perdrez  l'honneur ,  &  largenc 
vous  perdra.    Bientôt  vos  neveux 
avilis  &  méconnoin^ables  ambition- 
neront les  emplois  les  plus  vils  , 
envahiront,  fous  des  titres  vains > 
les  récompenfes  des  valets  de  cham- 
bre ,  &  en  doubleront  <&  tripleront 
le  monopole  fous  le  nom  de  droits  ; 
folliciteront  des  intérêts  dans    les 
fermes  ;  &  d'autre  part  guettant  la 
première  héritière  du  plus  obfcur/ 
malheureux    qui   aura    amafiTé  des 
fommes  immenles  >  ils  faliront  leurs 
titres  dans-  ce  tas  de  fange  ?.  de 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages,  329 
fâng&  d'iniquité,  jufqu'à  ce  qu*un 
nom  jadis  cher  à  la  nation  ,  mais 
alors  flétri  de  mille  manières  , 
difparoiiTe  d'une  focîété  dont  il 
eil  devenu  le  fcandale  &  l'oppro- 
bre. 

Tel  eft  l'avenir  que  fe  prépa- 
rent les  grandes  familles  dans  un 
Etat  où  For  a  pris  le  deiïus,  &  le 
fort  que  leur  procure  la  libéralité 
du  Prince.  La  foif  de  For  eft^relle 
de  rhydropique,  on  Ta  dit  il  ^  a 
long-temps. 

Un  malheureux  axiome ,  par  le- 
quel les  peuples  ont  toujours  été 
plus  à  plaindre  fous  le  régne  des 
Princes  doux  &  bienfaifants  que 
fous  celui  des  Rois  d'un  caradlere 
oppofé  5  c'eft  que  le  Prince  doit 
attirer  à  lui  toutes  les  finances  d'un 
Etat  pout  les  rendre  enfuite  ;  que 
par  ce  moyen  il  vivifie  le  com- 
merce &  la  fociété ,  &  s'attache 
fes  fujets  par  les  liens  de  l'efpoir 
&  ceux  de  la  reconnoi(Tance.  Je  ne 
crois  pas  qu'il  y  ait  un  principe 
plus  déteftable  &  plus  faux  que 
celui-là,  fi  Tonne  le  modifie  j nous 


*j^ 


530       Emploi  des  Terres ^ 

en  parlerons  dans  le  Chapitre  de  îa 

vivification. 

Les  fervices  de  toute  efpece  re- 
latifs au  bien  de  îa  fociété ,  &  con- 
féquemment  à  Tavantage  du  Prince 
dans  un  pays  où  il  eft  Tame  de 
cette  fociété  ,  voilà  ce  qu'il  faut 
que  le  Prince  retire  avec  fois  du 
moindre  de  Tes  fujets ,  chacun  félon 
fon  état  &  iès  forces  ;  la  police , 
fureté  &  proreélion  jufqu  aux  lieux 
le^  plus  reculés  de  Ton  Empire, 
voilà  ce  quil  faut  qu'il  leur  ren- 
de. L*or  n*eft:  repréfentatif  d'au- 
cune de  ces  chofes.  Henri  IV.  n  a- 
voit  pas  un  fol  quand  il  fut  adoré 
de  fon  peuple.  Quand  notre  Maître 
d^aujourd'hui  fut  à  l'extrémité  à 
Mets  5  (  moment  à  jamais  mémo- 
rable &  flatteur  pour  un  Prince 
par  TattendrilTenient ,  &  la  conf- 
ternation  finguliére  qui  fe  répandît 
dans  tout  le  Royaume  )  de  qui  vit- 
on  couler  les  larmes  ?  Quels  furent 
ceux  qui  aiïîégeoient  les  autels  ?  tous 
gens  qui  par  leur  état  n'eurent  ja- 
mais de  part  à  fes  bienfaits   per- 


Suite  des  Mœurs  &  Ufages.  331 
fonnels,  &  qui  ne  pouvoient  en 
erpérer  au  futur. 

Les  Princes  apprendront-ils  un     Les  Hch- 
îour  enfin  dans  THifloire,  qui  le  faits  pécu- 

î  j.     X      ,  ■'1  maires  des 

leur  du  a  chaque  page  ,  que  leurs  Princes  n'ont 
bienfaits  pécuniaires   n'ont  jamais  jamais  fait 
fait  que  des  ingrats?  Qu'on  ne  s'y  g^a^^f*  ^^' 
trompe  pas ,  les  véritables  fangfaes 
du  peuple  font  ceux  qui  perfuadent 
au  Maître  que  Tadminirtrareur  des 
deniers  publics  peut  &  doit  donner 
à  toutes  mains. 

Mais  ce  n*eft  pas  la  peine  d'al- 
longer ce  volumineux  Chapitre 
pour  me  faire  des  ennemis  de  tous 
les  frelons  de  Cour.  Je  leur  répète 
qu  ils  n'aiment  ni  n'honorent  leur 
Prince  comme  je  fais,  &  (î  font- 
ils  mieux  payés  que  moi  pour  cela  ; 
mais  puifque  je  veux  peupler  le 
monde,  on  ne  me  doit  pas  fbup- 
çonner  du  deffein  formé  de  fonner 
le  tocfin  Contre  les  intriguans ,  les 
cupides,  les  prodigues,  les  hom- 
mes durs  &  intéreiïes  ,  ni  même 
les  fripons  :  ce  feroit  prendre  la 
route  toute  oppofée.  Mon  objet 
au  contraire  eft  ,  que  tout  le  monde: 


5  3  i  Emploi  des  Terres  j  . 
vive j  axiome  généralement  reçu, 
mais  que  chacun  vive  de  fon  tra- 
vail Ôc  foit  chargé  de  contribuer 
aux  moyens  d'en  faire  vivre  d'au- 
tres. 

Après  avoir  ain(i  déduit  les  di- 
vers inconvéniens  des  groîTes  for- 
tunes dans  les  points  qui  peuvent 
les   conftîtuer  telles ,  revenons  au 
principe  que   j*ai  prétendu  établir. 
Plus  l'Etat  fera  peuplé ,  mieux  on 
vivra  Se  à  meilleur  marché,  i  °.  Par- 
ce que  les  produétions  de  la  terre 
feront  plus   communes.  2°,  Parce 
que  les  travaux  de  rinduftrie  feront 
moins  chers.  Faites  broder  une  paire 
de  manchettes  en  Gafcogne  ,  elle 
vous  coûtera  quatre  fois  autant  qu'à 
Paris  :  Ton  y  vit  cependant  à  bien 
meilleur  marché  -,  mais  Timmenfe 
population  de  la  Capitale  excite 
rinduftrie  5  la  nécefîîte,  &  la  mec 
au  rabais. 

L'engourdidèment  dans  les  ref- 
forts  politiques  ,  Se  l'inégalité  des 
fortunes  font  contraires  à  la  popu- 
lation. Voilà  ce  que  J'ai  prétendu 
avancer  ^  Se  que  je  crois  avoir  prou- 


Suite  des  Mœurs  &  UJages.  155 
vé.  L'abondance  de  l'or  efl  trcs- 
propre  à  établir  ces  deux  fortes  de 
viciations  dans  un  Etat  :  c'eft  encore 
ce  qui  parle  de  foi-même.  D'où  il 
s'enfuit  que  Tabondance  des  métaux 
n* eft  pas  un  fi  grand  bien  dans  un 
Etat ,  qu'on  fe  l'imagine. 

L'inégalité  des  fortunes  ,  Se  la 
difproportion  entre  les  nécefîîtés 
d'un  Gouvernement  ôc  Ces  reflbrts, 
ainfi  que  tous  les  autres  vices 
d'un  Etat  ,  font  une  fuite  de  la 
profpérité  &  de  la  puiflTance.  L'un 
êc  l'autre  cependant  n'en  dérivent 
indifpenfablement  ,  qu'autant  que 
cette  forte  de  richefTe  fictive  qui 
provient  de  l'abondance  des  mé- 
taux, s'y  établit  Ôc  s'y  multiplie. 
L'or  perdant  par  (on  abondance  fs. 
qualité  première  de  repréfentatif 
uniquement ,  pour  fe  fubftituer  par 
un  défordre  monftrueux  à  toute 
autre  forte  de  biens ,  Se  ne  pouvant 
remplir  les  fonftions  d'aucuns  d'eux 
en  particulier ,  ne  peut  à  plus  forte 
raifon  fufïire  à  les  remplacer  tous. 

Le  refpeét  ,  la  confidération  3 
l'autorité ,  la  prééminence  Ôcc,  fout 


^54  Emploi  des  Terres j 
des  biens  de  tous  temps  très- pré- 
cieux à  Topinioii  humaine  ;  mais 
ces  biens  fe  diftribuent  graduelle- 
ment fur  !a  furface  d'un  Etat  ,  en 
animent  les  reflbrts,  gagnent  à  fe 
répandre ,  ëc  perdent  à  s'amonce- 
ler. L'or  au  contraire  une  fois  mis 
à  la  place  de  toutes  ces  chofes  n'en 
donne  qu'une  faufle  apparence ,  ne 
s'attire  que  des  hommages  forcés , 
ne  met  ordre  à  rien  ,  infinue  même 
le  défordre  par-tout.  Semblable 
d'ailleurs  à  l'argent-vif ,  dont  les 
parcelles  réparées  n'ont  aucun  repos 
qu'elles  ne  foient  rejointes  au  bloc, 
il  racornit  en  fubftance  la  maflè  en- 
tière d'un  Etat,  &  en  obftrue  tous 
les  reflorts.  D'autre  part,  il  opère 
feul  la  difproportion  ruineufe  des 
fortunes ,  &  donne  la  facilité  de 
les  grofîîr  aux  dépens  du  pubh'c, 
Charles  -  Magne  au  milieu  de  fes 
conquêtes  immenfes  fit  bien  des 
grands  Seigneurs  d'autorité  ,  de 
jurifdi6tion  &c.  mais  il  n'en  enri- 
chit aucun  5  &  en  conféquence  ne 
dépeupla  point  (on  Empire.  Un 
coloITe  d'argent  établi  en  Saxe  Teûc- 


Travail  &  Argent.  33^ 
p!us  fûrement  dévaftée  ,  que  ne 
firent  les  exécutions  fanglances  & 
redoublées  quil  fît  chez  ces  peu- 
ples rebelles ,  &  toujours  alTez  forts 
pour  troubler  le  repos  du  Con- 
quérant. 

Cette  idée  fera  développée  par 
le  détail  dans  toute  la  féconde 
Partie  de  cet  Ouvrage.  Terminons 
celle-ci  par  quelques  confidérations 
fur  les  métaux  &  le  travail. 


CHAPITRE     VITI. 

f  Travail  &  Argent, 

LEs  partifans  du  luxe  ,  &  les 
amateurs  du  fuperflu ,  même 
en  convenant  avec  moi  que  la  trop 
grande  inégalité  des  fortunes  eft 
un  mal ,  me  diront  que  la  richeiïè 
d*un  Etat  &  l'abondance  des  mé- 
taux domiant  plus  de  fantailies  aux 
riches ,  en  proportion  du  plus  de 
facilités  de  les  fatisfaire,  fait  fub- 
fifter  aux  dépens  de  l'opulence  une 


1 3  ^  Traité  de  la  Population 
infinité  d'ouvriers  &  d'artifans ,  que 
cet  arrangement  fubdivife  les  grof^ 
fes  fortunes  dans  le  fait,  en  les 
laiflfànt  fubfîfter  dans  le  droit  ,  & 
qu  il  oblige  le  riche  à  entretenir 
un  grand  nombre  de  pauvres  avec 
d'autant  plus  d'avantage  pour  l'Etat , 
qu'au-lieu  que  félon  ma  méthode 
ces  derniers  étoient  aux  gages,  & 
dans  une  dépendance  direéte  du 
premier,  ici  raflujétififèment  dif- 
paroît  ,  d>c  prend  la  forme  d'un 
commerce  relatif ,  &  d'une  com- 
munication de  néceffités  &  de  fer- 
vices. 

Avant  de  répondre  à  cette  ob- 
jeétion  fur  laquelle ,  ainfî  que  dans 
prefque  toutes  les  difputes ,  il  ne 
s'agit  que  de  s'entendre ,  il  efl  né- 
cefTaire  de  traiter  certains  points 
propres  à  fixer  nos  idées  fur  les 
différents  degrés  d'eftime  qu'il  efl; 
de  droit  &  de  juflice  d'attacher  à 
tous  les  travaux  humains. 

On  ne  fçauroit  nier  qu'après  le 
premier  travail  ,  &  l'unique  qui 
lerve  à  la  production  de  la  ma- 
dère première,  ceux  qui  tendent  à 

la 


Travail  &  Argent.  ^57 
îa  mettre  en  œuvre  &  enfuite  à  la 
perfedionner  ,  ne  foient  très  pré- 
cieux dans  un  Etat  pour  les  nécef- 
fités  &  commodités  du  citoyen  » 
&  que  la  profpériié  relative  ne  foie 
toujours  en  proportion  de  ce  que 
les  arts  tant  mécaniques  que  libé- 
raux fleuriiTenc  dans  une  fociété. 
Mais  à  cet  égard  il  efl:  plus  impor- 
tant qu'on  ne  fçauroit  dire,  de  ne 
point  confondre. 

Si  tout  vient  de  la  terre  ,  Thomme 
qui  s'applique  avec  le  plus  de  fuc- 
cès  à  en  tirer  les  productions ,  eft 
le  premier  homme  de  la  fociété. 
Cela  efl:  effrayant  à  dire  5  mais  le 
Roi,  le  Général  d*armée  ,  le  Mi- 
nifl:re  ne  fçauroienc  fub(ifl:er  fans 
l'agriculteur  ,  &  l'agriculteur  fub- 
iifteroit  fans  eux. 

En  ce  cas,  me  dira-t-on  ,  vous 
bouleverfez  tout  ,  ôc  l'homme  qui 
détache  la  pierre  dans  les  carrières 
aura  le  pas  fur  les  Praxiteles  ^  & 
les  Michel  Ange.  Qui  en  doute  ? 
répondrois-je  fans  craindre  d'être 
accufé  de  barbarie.  Ne  nous  fal- 
loit-il  pas  des  pierres  avant  àts 
L  Farde.  P 


3  5  3  Traité  de  la  Population, 
îlatuè's  ?  Mais  je  range  fous  la 
même  cla(îe  ces  deux  eipeces  d'honi- 
mes;  ôc  de  même  qu^à  la  bafede 
îa  ûatuë  que  j'érigerois  ,  li  j'étois 
le  maître  ,  au  Philofophe  de  nos 
jours  qui  confacre  Ton  loifir  &  Ces 
études  à  la  perfedion  de  l'agricul- 
ture 5  je  mettrois  aux  quatre  coins 
la  figure  du  laboureur  ,  du  jardi- 
nier 5  du  pâtre  ôc  du  vigneron  le 
plus  célèbre  de  Ton  temps  ,  ainfî 
Puget  auroit  à  Tes  pieds  le  tailleur 
de  pierre ,  ôc  les  différents  ouvriers 
qui  donnent  aux  métaux  la  forme 
d'outils  du  Sculpteur.  Eh  1  de  quoi 
accompagneriez- vous  un  Poète  cé- 
lèbre ?  D'Etres  fantaftiques  fans 
doute.  Mais  fi  cet  homme  avoir 
employé  fes  talens  à  chanter  les 
Dieux  &  encourager  les  Héros ,  à 
perfedlionner  la  langue  de  fa  na- 
tion, à  la  rendre  célèbre  chez  les 
étrangers  ,  à  leur  donner  le  goût 
de  l'apprendre  ,  &  conféquemment 
la  faci  ité  de  k  plaire  au  milieu 
d'elle  3  &  de  venir  l'enrichir  de  fon 
travail  ou  de  fon  fuperflu  ,  un 
Poète  ,   dis- Je  ^   de  cette   efpecç 


Travail  &  Argent.  ?  5  9 
îrouveroic.aa  moins  autant  cle  con- 
fédération chez  uiî  peuple  fracernifé 
félon  mes  principes,  que  chez  les 
partifans  du  luxe  &  des  plaifirs. 
Les  premiers  hommes  étoienccous 
agriculteurs ,  pafteurs ,  &c.  Ils  n'ont 
guères  divinifé  que  ceux  qui  leur 
avoienc  enfeigné  l'ufàge  des  dons 
de  la  nature  ,  Cerès  ,  Bacchus  , 
Triptoleme  &c.  Voyez  le  cas  que 
ces  hommes  faifoient  des  taîens  : 
le  Divin  Demodocus  ^  dit  Ho- 
mère. 

Il  eft  naturel,  il  eft  utile  même 
que  chacun  eftime  ici-bas  fa  pro- 
feflion  5  plus  même  qu  elle  ne  vaut. 
Au  fond  les  touches  d*un  clavefîîa 
contribuent  toutes  également  à 
Tharmonie  ,  quoique  Tune  n'ait  que 
de  foibles  fons ,  tandis  que  d'autres 
en  ont  de  forts.  Le  Gouvernement 
eft  le  maître  qui  touche  l'inftru- 
roent.  Si  la  main  eft  habile  ,  tout 
concourt  au  jeu  plein  &  merveil- 
leux j  fî  au  contraire  elle  eft  dure 
&  vacillante  ,  rien  ne  va,  le  cla- 
vier foufFre  ,  &  Tinftrument  ell: 
bientôt  difcord. 

Pv. 
n 


14^     Traité  de  la  Population, 

Cependant  de  même  qu*indé« 
pendammenc  de  coures  difpofïtions 
naturelles ,  il  eft  des  principes  d'har- 
monie fans  lefquels  on  n  eft  jamais 
fur  de  ne  rien  faire  contre  les  ré- 
gies de  l'art ,  il  eft  aufîi  des  prin- 
cipes de  gouvernement  fimples  , 
mais  décififs  ,  auxquels  il  faut  ré- 
duire toute  la  marche  politique , 
fans  quoi  Ton  ne  va  qu'au  hazard  , 
&  dans  le  rifque  continuel  de  s'é- 
garer. La  bafe  de  ces  principes  eft 
de  fixer  d'abord  le  degré  d'eftime 
qu'on  doit  à  chaque  profefEon ,  & 
même  à  chacun  des  foins  ôc  des 
arts  qui  les  partagent  ,  &  la  con- 
féquence  en  doit  être  un  fyftême, 
ôc  un  plan  fuivi  de  conduire  ,  qui 
attribue  l'honneur  &  la  confidéra- 
tion  à  celles  de  ces  profefîions  qui 
doivent  être  menées  par  ces  nobles 
relTorts,  Tencouragement  &  lapro- 
teélion  à  celles  qui  ont  des  vues  ôc 
des  fondions  moins  nobles ,  &  qui 
évite  fur-tout  &  par- tout  d'ôter  à 
l'argent  fa  qualité  de  moyen  ^  pour 
lui  attribuer  follement  celle  de  ré- 
compenfe. 


Travail  &  Argent,  5  41 
Qu'on  (e  rappelle  ici  la  divifion 
que  ]'ai  faire  entre  la  fociabilité , 
èc  la  cupidité.  Toutes  les  diflinc- 
tions  pécuniaires  portent  vers  cette 
dernière,  tous  les  aiguillons  d'hon- 
neur &  de  confidération  nous  en 
écartent  pour  nous  tourner  vers  la 
fociabilité. 

Pour  fixer  le  degré  d'eflime  du 
à  chaque  proFeffion  ,  il  efl;  nécef- 
faire  d*analyfer  l'objet  de  fes fonc- 
tions ,  &  leur  rapport  avec  cette 
dernière  vertu. 

A  bon  droit  les  Minières  de  h     Degré d'ef. 
Religion    ont-ils   le  premier  rane  ^^/^^  '^"^  ^ 
dans  une  lociete  bien  ordonnée.  La  feirion. 
Religion  eft  fans  contredit  le  pre- 
mier &  le  plus  utile  frein  de  l'ha- 
manité  :  c'efl;  le  premier  refïbrt  de 
la  civilifation  ;  elle  nous  prêche , 
&  nous  rappelle  (ans  cefTe  la  con- 
fraternité ,  adoucit  notre    cœur  , 
élevé  notre  efprit  ,  flatte  &  dirige 
notre   imagination   en  étendant  le 
champ  des  récompenfes  &  des  avan- 
tages dans  un  territoire  fans  bor- 
nes 5  &  nous  intéreiïè  à  la  fortune 
d'autrui  en  ce  genre  ,  tandis  que 

P  iij 


342.     Traité  de  la  Population. 
nous  Tenvions  prefque  par  tout  ail- 
leurs. 

Après  les  Miniftres  de  la  Reli- 
gion viennent  de  droit  les  défen- 
f<purs  de  la  patrie.  Dans  les  fbciérés 
retrécies  aux  lieux  même  où  la  va- 
leur miliraire   étoic  un  .mérite  de 
n^cefîîté  par  le  befoin  de  défendre 
fes  propres  foyers ,  cette  vertu  néan- 
moins fut  toujours  des  plus  efti- 
îîiées  i  parce  qu*aprcs  la   liberté , 
la  fureté  eft  le  premier  des  biens, 
&  que  rindicution  du  guerrier  eli 
de  procurer  Tune  &   Tautre  à  fa 
patrie.  A  plus  forte  raifon  ,  fi-tôc 
que   dans    une  fociété  formée   & 
étendue  Télire  des  hommes  Ce  dé- 
voue volontairement  èc  par  hon- 
neur aux  périls ,  &  renonce  à  toute 
autre  fonétion  dans  TEtat  qu*à  la 
gloire  de   le  défendre,  cette  pro- 
fflTîon  c^oit  elle  être  finguliérement 
eftimée  ,  &  flattée  par  des  avan- 
tages de  confîdérarion  &  de  préé- 
minence qui  excitent  fa  générofîté, 
élèvent  Ton    amour   propre ,  àc  la 
détournent    de  fe  bailler    vers  les 
objers  de  la  cupidité,  que  la  force 


Travail  &  Argent.  545 
de  fa  conftkution  naturelle  la  met- 
troit  à  portée  de  ravir.  Q^ielques 
nations  jaloufes  de  leur  liberté  ,  & 
regardant  le  militaire  comme  le  fa- 
tellite  de  l'oporeflion ,  ont  porté 
toutes  leurs  vues  a  le  mepriler ,  a 
le  tenir  bas  ,  &  à  déprimer  ce  genre 
de  vertu.  Il  leur  eft  arrivé  de-là  ce 
qui  arrivera  toujours,  que  la  guerre 
leur  eft  fatale  ,  &  altère  leur  conP 
ticutîon.  De  deux  cliofes  l'une ,  ou 
elles  Çoni  mal  fer  vies  par  des  mer- 
cenaires foudoyés  &  de  tout  temps 
traités  comme  tels ,  ou  ceux-ci  pren- 
nent le  delîus  &  Te  vengent  par  une 
domination  dure  &  une  révolution 
douloureu(è ,  de  rabjedioa  fi  con- 
traire à  leur  nature  dans  laquelle 
ils  ont  été  tenus.  Eh  î  quelle  eft 
après  tout  cette  liberté,  Fidole  de 
tous  les  peuples  turbulents  depuis 
que  le  monde  eft  monde  t  Si  c'eîl 
la  tranquillité  publique  ,  la  modé- 
ration particulière  5  &  Tempiredes 
Loix,  fai  beau  parcourir  THiftoire 
de  les  aiuiales  de  l'univers  ,  je  ne 
la  trouve  en  temps  ni  lieu  que  chez 

Piv 


3  44     Traité  de  la  Population, 
les  Saiifes  :  mais  je  m'écarte  5  re- 
venons. 

Sans  la  Religion,  les  aflemblées 
d'hommes  n'eufTent  jamais  pris  for- 
me de  fociété  ;  fans  la  valeur  de  Tes 
défenfenrs  ,  la  Ibciéré  eût  été  auiîî- 
toc   difperlée  qu'établie  j   fans    les 
Loix  ,  les  pafïïons  &   le  ferment 
intérieur   l'auroîenc    détruite  aufïi 
promptement  que  les  efîbrts  exté- 
rieurs. Ceux  qui  font  prépofés  au 
maintien  &  à  l'exécution  des  Loix , 
ont  donc  après  les  deux  ordres  ci- 
delfus  une  prééminence  fondée  en 
droit  <3c    en  raifon   indifpenfable. 
Viennent  enfuite  en  foule ,  mais  par 
degrés  ,  tous  ceux  qui  compofenc 
&  maintiennent  la  fociété  ,  qui  la 
vivifient ,  qui  l'honorent  par  leurs 
talens  ,  ou  dont  TinduRrie  multi- 
plie à  Tinfini  les  biens   de  jaéc^ti- 
fîtéj  les  commodités,  Iç^^grémens 
de  la  vie ,  &  (ùr-tout  les  moyens 
féconds  de  fubfiflance  ,  en  ce  que 
cela    feul  multiplie   \e%  fujers    de 
l'Etat  fon  unique  richenTc  réelle. 
On  s'étonne  quelquefois  de  l'iné- 


Travail  &  Argent,  54 j 
branîabîe  conftiturion  &  folidité  de 
la  Monarchie  Françoife  ,  qui  eft 
telle  en  efîèt  qu'ayant  perpétué  fa 
durée  fort  au-delà  de  l'âge  natu- 
rel des  Etats ,  à  en  juger  du  moins 
par  le  fort  de  tous  les  autres,  elle 
a  réiîfté  aux  chocs  les  plus  vio- 
lents ,  aux  maladies  les  plus  aiguës , 
&  cela  au  point  qu'elle  femble 
renaître  des  efforts  mêmes  qu'on 
fait  pour  l'altérer.  N'en  cherchons 
point  d'autre  caufe  que  l'heureux 
rapport  du  naturel  &  du  tempéra- 
mtnt  defcs  habitans  avec  les  prin- 
cipes fondamentaux  de  l'Etat ,  qui  , 
par  un  effet  de  la  folide  politique 
de  nos  pères  ,  fe  trouvoient  diri- 
gés dans  l'ordre  que  Rétablis  ici» 

En  effet  les  trois  Corps  qui  com- 
pofoient  les  véritables  aflemblées 
de  la  Nation  5  ne  font  autre  choie 
que  le  Clergé  ,  le  Militaire  &  I^ 
Magiflrature  ,  trois  corps  différents 
ayant  chacun  à  part  la  voix  àé\ï^ 
bérative,  &  qui  réunis  n'en  for- 
moient  qu'un  ayant  voix  confuî- 
tâtive  auprès  du  Prince  qui  ne  ceP- 
fa  jamais  d'être  l'ame  de  l'Etat  ^ff 

Ff 


34^     Traité  de  la  Population, 
ce  n'eft  dans  les  temps  d'anarchie. 
Qu'y  a-c-il  en  effet  de  plus  fenfé 
èc  de  plus  conforme  aux  notions 
naturelles  fur  Tordre  politique  que 
cette  forme  mélangée  ,  qui    ren- 
ferme tous  \qs  degrés  de  force  & 
de  fagefïè  ,  dont  les  confeils  des 
liommes  peuvent  être  fufceptibles  ? 
Vainement  les  ennemis  du  Cler- 
gé voudroientils  prouver  par  des 
déclamations  &  des  exemples ,  qui! 
efl:  hors  de  régie  &  dangereux  que 
les  Minières  de  la  Religion  aient 
aucune  part  aux  afîàires  du  gouver- 
nement. Ceux  qui  prétendent  les 
réduire  au  fpirituel  aofolu ,  (entent 
auflî-  bien  que  tous  autres  &  mieux  > 
que  c'eft  précifément  les  reléguer 
dans  les  efpaces  imaginaires.  Indé- 
penJamment  de  leurs  droits  à  lad- 
miniftration   temporelle  ,   comme 
pofTédant  fiefs ,  jurifdidion  &"  autres 
biens,  guides  naturels  des  mœurs, 
tout  eft    de  leur  re(Tort  en  fait  de 
confukarion  ,   &    c'étoit  toute   la 
Jurifdiélion  attribuée  à  nos  Etats 
en  préfence  du  Souverain, 

Le  Militaire  ne  paroît  de  fa  na- 


/ 


Travail  &  Argent.         347 
ture  propre  au  coofeil ,   que  pour 
les  affaires  de  Ton  métier  :  l'expé- 
rience  a  cependant  démontré  que 
les  meilleures  têtes  de  cabinet  for- 
tent  fouvent  de  cette  profe(îîon  , 
ibît  que  rhabitude  des  grands  in- 
convéniens   qui   forcent  refprit  à 
imaginer  les  grandes  reffources  lui 
donne  de  Tétenduë  ,  {bit  que  les 
motifs  brillants  ,  les  fatigues  ou- 
trées  foient  propres    à  donner   à 
Tame  le  plein  jeu  de  Tes  organes, 
foit  aufîî  que  la  gravité  militaire  , 
la  plus  naturelle  &  la  plus  impo- 
fante  de  toutes ,  afTervifTe  Ton  propre 
repréfentant  ,    &    renchaîne   des 
liens  de  la  vraie  prudence  qui  n'efî: 
autre  chofe  que  la  force  tempérée. 
Mais  indépendamment  de  cet  avan- 
tage de  fait ,  quand  le  Militaire  ne 
feroit   dans  les  confeils  ,  que  ce 
qu'eft  Paiïàifonnement  dans  les  ra- 
goûts ,  il  n'y  feroit  pas  moins  né^ 
cefiTaire. 

Depuis  qu'on  perd  de  vue  les 
vrais  principes  5  on  diroit  que  le 
tiers  Etat  enétoit  la  partie  abjede, 
&  Je  ne  doute  pas  qu'en  lifant  ceci 

P  v| 


34^  Traité  de  la  Population, 
Meilleurs  les  Magiftrats  n'ayent  re- 
gardé comme  un  bîafphême  le  rang 
que  je  leur  afîîgnois  parmi  cet  Ordre 
lefpedable.  Toute  fociété  où  la  préé- 
minence mené  à  fa  fuite  Fenvie  , 
&  où  la  déférence  marche  à  côté 
du  mépris ,  court  rapidement  vers 
fa  ruine  totale.  Mais  c'eft  moins 
ici  qu'en  aucun  autre  pays;  &:nos 
préjugés  fur  l'ancienne  forme  de 
notre  gouvernement  font  à  mille 
iieuès  de  la  vérité.  La  nation  ,  vous 
dit- on  5  ne  fut  d*abord  compofée 
que  des  conquérans  ,  tout  le  refte 
étoit  ferf;  le  refpeét ,  &  leur  fu~ 
perftitieufe  ignorance  admirent  le 
Clergé  à  leurs  alîemblées,  &  lui 
donnèrent  le  premier  pas  :  le  Cler- 
gé jaloux  de  la  Noblefîè  donna 
l'exemple  des  afTranchilTemens ,  & 
en  fit  peu  après  un  point  de  reli- 
gion y  les  Villes  fe  formèrent ,  ob- 
tinrent des  privilèges  &  parvinrent 
enfin  ,  à  force  d'empiéter  fur  les 
Seigneurs ,  à  faire  admettre  leurs 
députés  dans  les  aiîemblées  géné- 
rales de  la  nation,  mais  toujours 
comme  fournis  &  marqués  encore 


Travail  &  Argent.  54^^ 
du  fceau  primordial  de  la  (èrvitude. 
Sans  nier  les  faits  fur  lefqueis  affez 
d*aurres  onc  difputé  &  difpuceronc 
fans  moi ,  je  les  mets  tous  d'accord 
dans  ce  Traité  ;  c'eft  l'ouvrage  d*un 
homme  qui  le  range  avec  un  mou- 
vement de  refpeâ:  intérieur  devant 
le  porteur  d'eau  dans  la  rue,  parce 
que  ce  pauvre  homme  efl:  chargé, 
qui  ne  fçut  Jamais  fe  déplacer  de- 
vant un  fat  par  un  fentiment  de 
fupériorité  ,  ni  s'enorgueillir  à  côté 
a*un  mendiant  5  donî  l'odeur  infecte, 
&  les  haillons  lui  reprochent  une 
fraternité  méconnue  :  cet  homme 
parle  pour  l'humanité  &  la  vérité  , 
il  lui  fîéroit  également  mal  d'ap- 
puyer &  de  combattre  les  fuppo- 
fition^  &  les  annales  de  la  vanité. 
Je  dis  donc  que  les  détails  de  la 
police  intérieure  du  camp  des  an- 
ciens Francs ,  nous  importent  aulÏÏ 
peu,  relativement  à  mon  fujet  ac- 
tuel, que  ceux  de  l'armée  de  To- 
tiia,  6c  ie  ne  regarde  la  Monar- 
chie comme  établie  &  prenant  for- 
me d'Etat ,  que  du  moment  où  \qs 
alTemblées  de  la  nation  reçurent 


3  5  ©  Traité  de  la  Population, 
leur  plénitude  par  Tadjondion  des 
repréfentans  des  Villes  <Sc  des  Com- 
iTJunes. 

Mais  en  quoi  l'on  fe  tromperoic 
lourdement ,  ce   feroic  d'imaginer 
que  jamais  ces  députés  ayent  paru 
dans  nos  alTemblées  comme  desfu- 
jets   qui  viennent  implorer  la  clé- 
mence &  réclamer  leurs  droits   à 
rhumanité  de  leurs  Maîtres.  Ils  y 
furent  reçus  comme  inférieurs  en 
dignités  &  en  prérogatives ,  comme 
égaux  en  fubftance  ;  &   le  tiers- 
Erat,  qui  dans  fa  dénomination  ne 
fiignifie  que    troifiéme    Etat  ,    ne 
voyoit    d'autre  diftance    entre  la 
NoblefTe  &:  lui  ,  que  celle   qu'on 
admettoit  déjà  entre  le  Clergé  & 
Idi^ohle'^Q^  premiers  entre  pairs, 
La  même  liberté  fe  trouvoit  dans 
les  délibérations,    le   même   con- 
cours dans  les  fufFrages,  avec  une 
prééminence   marquée  à  la  vérité 
de  dignité  &  de  confidération  pour 
les  deux   premiers  Ordres  ,  mais 
peu  ou  point  de  différence  de  pou- 
voir &  d'autorité. 

D'après  cette  allégation  qui  gît 


Travail  &  Argent,       3  y  f 
en  faits ,    il  eft  aifé  de  concevoir 
que  ce  ne  put  être  cette  foule  d'hom- 
mes afïaiiTés  fous  le  poids  de  la 
néce/ïïîé  >  &;  ce  .qu'on  appelle  la  lie 
du  peuple ,  que  nos  fiers  ayeux  con- 
fentirent  à  admettre  au  partage  de 
la  plus  noble  &  de  la  plus  efien- 
tielle  de  leurs  fonctions ,  &  que  nos 
Rois  recurent  dans  leurs  Confeiîs, 
Quelle  que  put  être  la  forme  de  la 
Magiftrature  des  Villes ,  la  nécef^ 
fîté  des  Prépofés  au  maintien  àçs 
Loix  &  Ordonnances  tant  de  Juf^ 
tice  que  de  Police ,  eft  la  première 
qui  fe  fait  fentir  à  toute  fociété.  II 
falloit  des  Magiftrats  aux  Villes  en 
naifîànt,  c'eft-à-dire  en  Portant  de  la 
tyrannie  ,  &  ce  furent  Ces  Magif^ 
trats  5  qui  en  devinrent  les   repré- 
fentans  naturels  dans  les  aflèmblées 
de  la  nation. 

A  mefure  que  Tautorité  du  Prince 
&  Tordre  aàuel  fe  font  établis , 
1  epée  a  perdu  du  tranchant  qui 
pou  voit  couper  le  fourreau  ,  &  la 
Magiftrature  a  étendu  fon  pou- 
voir, &  plus  encore  l'exercice  de 
fes_  droits  naturels.  Mais  feroit-il 


3  y  1  Traité  de  la  Population, 
jufte  d'une  parc  ,  de  la  regarder 
comme  étant  d'un  ordre  alTuiecti 
dans  les  temps  où  ne  formant  nulle 
prétention  pour  fîéger  au-deiTus  du 
tiers- Etat  ,  elle  avoit  néanmoins 
dans  fbn  corps  des  fujets  fortis  des 
meilleures  Maifons  de  laNoblelTe, 
&  de  l'autre,  de  vouloir  l'en  tirer 
aujourd'hui  ,  que  la  vénalité  des 
Charges  en  a  chafTé  prefque  toutes 
les  anciennes  Touches. 

Difons  mieux  ,  il  n'y  a  qu'un 
Maître  dans  l'Etat.  Il  y  a  en  fuite 
trois  Ordres  confuîtants,  le  Cler- 
gé ,  le  Militaire ,  &  la  Magiftra- 
ture  ;  tout  lerefte  obéit  &  travailler 
Ce  dernier  ordre  étoit  nécelTaire 
pour  former  la  plénitude  du  Con- 
feil  :  confervateur  fidèle  des  loix  , 
des  formes ,  des  anciens  ufages ,  il 
borne  l'ambition  du  Clergé  flijette 
à  vouloir  établir  le  plus  dangereux 
des  prefliges  ;  il  émoulîè  le  tran- 
chant da  Militaire,  dont  le  vice 
tourne  vers  l'oppreflion  ;  il  oppofe 
le  Dédale  des  formalités  ,&  l'utile 
tableau  des  conféquences  aux  en- 
treprifès  des  uns ,  à  la  violence  des 


.  Travail  &  Argent,  ^51 
autres  ,  &  reçoit  d'eux  rélévation 
clans  les  vues  ,  &  la  célérité  dans 
les  décidons ,  qui  lui  manquent. 

Quoique   cet    ancien  ordre    de 
Conleils  foît  maintenant  fu( pendu , 
que  le  Militaire  ,   ou  fi   Ton  veut 
la  Nobleffe  qui  n*étoit  autre  chofe 
dans  Ton  inftitution,  n'ait  plus  au- 
cune forte   de  Jurirdiâ:ton  ni  de 
prérogative  réelle  dans  l'Etat,  ce- 
pendant le  goût  de  la  Nation  dé- 
termine   l'opinion    générale  maî- 
trefife  abfolue  des  mœurs  &  ufages , 
vers    cette   gradation    d'eftime   Ci 
conforme    aux    régies    naturelles 
d'une  bonne  conftiturion.  Le  Mili- 
taire a  dans  l'opinion  publique  & 
particulière  le  pas  fiir  les  autres 
Etats  auxquels  eft  demeurée,  avec 
une  jurifdiélion  réelle ,  la  portion 
de  confidération  qui  en  eft  infépa- 
rabîe.    Ainfi  le  naturel  &  l'incli- 
nation des  peuples  étaye  le   bâti- 
ment, &  le  préferve  des  accidens 
dont  le  menace  la  vétuflé  des  fon- 
démens  ;  &  c'eft-là  la  vraie  fon- 
taine de  Jouvence  qui  régénère  le 
corps  politique  ,  èc  le  maintiendra 


3  54     Traké  de  la  Population. 
dans  fa  vigueur  ,   jufqu  à  ce  que 
notre  tempérameni  ait  été  détruit 
par  l'amour   de  Tor  ,  feul  poifoii 
qui  morde  fur-tout. 

Après  ces  Ordres  primitifs  d*urt 
Etat ,  diftinds  &  fépatés  par  le 
genre  de  leurs  fonctions  ,  de  qui 
font  de  l'eiTence  abfolue  &  de  la 
confntution  du  bâtiment  politique , 
il  faut  enfuite  le  décorer  ,  le  rendre 
logeable  ,  commode ,  agréable  ôc 
brillant.  Les  fciences ,  les  beaux 
arts  5  les  arts  libéraux  &  méchani- 
ques  n'ont  ou  ne  doivent  avoir 
d'autre  objet  que  celui-là ,  &  mé- 
ritent eftime  ôc  confidération  en 
proportion  de  ce  qu'il  faut  de  ta-' 
îens  privilégiés  pour  y  réuiïîr ,  de 
ce  que  ceux  qui  les  cultivent  ont 
mis  de  travail  pour  les  faire  va- 
loir ,  mais  fur-tout  de  ce  que  leur 
travail  eft  plus  ou  moins  dirigé 
vers  la  fociabilité  ,  c'eft-à-dire  , 
vers  l'utilité  publique. 

J'ai  déjà  traité  de  l'agriculture'; 
on  lui  feroit  tort  de  la  confondre 
avec  les  autres  arts  de  quelqu'ordre 
qu'ils  puifTent  être.  Celui-ci,  félon 


Travail  &  Argent,  ^^5 
notre  foi ,  eft  d'inftitutioii  divine  j 
il  eft  vifiblement  à  notre  exiftence 
ce  qu'y  eft  la  refpiration.  II  ho- 
nore 3  il  intéreftè  ,  il  amufe  le  Gé- 
néral d'armée,  le  Magiftrac  &  le 
Miniftre  comme  le  dernier  citoyen. 
Il  viviiîejil  anime  en  nous  îe  refneâ: 
pour  le  culte  adreflTé  à  TEtre  donc 
la  main  bienFaifante  multipl  e  les 
fruits  de  Tes  travaux  ,  Tamour  & 
l'admiration  pour  le  guerrier  qui 
fe  dévoue  à  fa  défenfe ,  l'attache- 
ment &  la  reconnoiftance  pour  les 
Interprètes  des  Loix  qui  lui  aftu- 
rent  une  potTeiïîon  tranquille  : 
l'agriculture  en  un  mot  &  l'arc 
univerfel,  l'art  de  l'innocence  & 
de  la  vertu ,  l'art  de  tous  les  hom- 
mes &  de  tous   les  rangs. 

Je  parlerai  ailleurs  du  Com- 
merce &  ferai  voir  que  ce  n'eft 
point  un  étac  à  part ,  qu'il  eft  uni- 
quement le  frère  de  l'agriculture. 
C'eft  l'honorer  beaucoup  ,  mais 
tour  eft  frère  dans  mes  principes  ; 
revenons  en  bref  fur  les  autres 
arts  5  que  j'ai  établis  tout-à-i'heure 
les  décorateurs  d'un  Etat. 


3  5^   Traité  de  la  Population, 

Les  fciences  font  la  pâture  de 
Famé  &  Texercice  de  refpntj  par 
elles  l'homme  gravit  péniblement 
vers  le  faîte  de  gloire  &c  de  lu- 
mières 5  dont  il  fut  autrefois  pré- 
cipité dans  la  perfonne  de  fou 
premier  père.  Il  eft  deux  routes 
qui  paroifiTent  y  tendre  également. 
L'une  eft  celle  de  l'orgueil  qui  nous 
a  perdus  ,  &  qui  égare  tous  les 
jours  ceux  qui  la  fuivent  ;  l'autre 
eft  celle  du  travail  &  de  la  fou- 
milîîon  5  qui  nous  eft  permifè  & 
recommandée.  Les  vrais  Sçavans 
fuivent  cette  route  ,  ce  font  de 
tous  les  hom.mes  privés ,  ceux  qui 
exigent  le  moins  ^i  qui  méritent 
le  plus. 

Les  arts  libéraux  font  aux  beaux 
arts  ce  j^ue  le  corps  eft  à  Tame  , 
divers  en  fondions ,  unis  de  defti- 
/  nation  5  eftimables  6n  proportion 
de  ce  qu'ils  fervent  à  élever  l'ama 
&  le  cœur  des  citoyens ,  méprifa- 
bies  s'ils  aident  à  les  corrompre. 

Les  arts  méchaniques  enfin  ,  à 
les  prendre  en  corps  comme  nous 
les  confidérons  ici ,  font  tellement 


Travail  &  Argent,  357 
liés  à  tout  le  refte,  que  fans  eux  il. 
feroit  impofîible  que  la  fociété  fub- 
fîftâc  5  &  qu'il  eft  vrai  de  dire  qu'elle 
ne  fleurie  au  phyfique  qu'autant 
qu*iîs  le  perfedionnent.  C'eft  la 
chaux  &  le  fable  du  bâcimenc  po- 
litique qui  lie  tout ,  fert  à  tout  , 
d>c  ne  domine  fur  rien.  Il  fuit  de-là 
que  ces  arts  doivent  être  protégés, 
&  que  les  talens  de  ceux  qui  s'y 
diftinguent  méritent  d'être  ho- 
norés. 

Mais  il  faut  en  ceci  fur -tout 
prendre  garde  de  fe  laifler  égarer 
par  le  penchant  naturel  de  Thom- 
me  pour  le  merveilleux  \  le  point 
dégénère  des  arts  en  tout  genre , 
c*efl:  la  recherche  ;  eftimons  les  arts 
méchaniques  en  proportion  de  leur 
utile  folidité  ,  laiUons  voler  de 
leurs  propres  ailes  les  arts  merce- 
naires du  frivole  &  de  la  vanité  > 
ils  n'ont  befoin  du  fecours  de  per- 
fonne ,  la  folie  humaine  les  mettra 
toujours  aflez  en  vogue  ,  &  leur 
folde  leur  tient  lieu  d'honneurs  Se 
de  récompenfes. 


3jl    Traité  de  la  Population. 

Après  ce  tarif  raccourci  des  dif- 
férents emplois  qui  partagent  la 
Êbciété  ,  il  eft  temps  de  répondre 
à"  l'objeélion  qui  commence  ce 
Chapitre ,  &  d'examiner  fi  les  dé-- 
membremens  des  groflès  fortunes 
occafionnées  par  les  fantaifies  des 
riches  &  l'abondance  des  métaux, 
vont  au  profit  de  la fociété, com- 
me le  feroit  la  fubdivifion  des  for- 
tunes que  ces  mêmes  métaux  ont 
feuls  amoncelées. 

Ce  n'eft  pas  ici  le  lieu  d'exami- 
ner 5  (\  les  nations  où  la  richefle 
privée  eft  le  plus  en  vogue  $  font 
celles  où  l'on  conferve  le  plus  de 
refpeâ:  pour  la  Religion ,  de  con- 
fîdération  pour  le  Militaire,  d'atta- 
chement pour  la  Magiftrature  & 
les  Loix  ;  où  les  Sçavans  font  plus 
recherchés  que  les  hommes  à  ta- 
iens  frivoles  ;  où  les  travaux  des 
arts  portent  l'empreinte  du  Noble 
&  du  Grand.  Toutes  cts  chofes 
feront  traitées  ailleurs.  Voyons 
feulement  dans  les  arts  raéchani- 
ques  qui  font  en  général  ceux  qui 


Travail  &  Argent,  35^ 
foGt  vivre  le  peuple ,  li  ce  font  les 
plus  utiles  6c  les  plus  Tolides  qui 
reçoivent  le  tribut  deftiné  à  mi- 
partir  la  fortune  du  colofTe  d'or  en 
cjueftion* 

Il  eft  impofTible ,  on  le  fent  par 
le  raifonnement ,   on  le  voit    par 
l'expérience ,  que  ce  foit  dans  les 
premiers  Ordres  de  l'Etat  que  s'ac- 
cumulent &  fe  confervent  les  gref- 
fes fortunes  dont  nous  venons  de 
parler  j    en   conféquence  le   fafte 
Polonnois,  qui  confifte  à  faire  vi- 
vre un  grand  nombre  d'Officiers  5 
de   domeftiques ,  &:c.  eft  prohibé 
au    propriétaire.    D'ailleurs    vous 
venez  de  condamner  ce  genre  de 
dépenfe  ,  comme  chargeant  le  pau- 
vre  des  liens   d'une    dépendance 
trop  direde  envers  le  riche.  Quant 
à  moi  5  je  ne  fçache  pas  avoir  en- 
core   recommandé    cela  ;  j'ai  dit 
feulement  qu'il   feroit  à  fouhaiter 
que  les  grands  Seigneurs  confom» 
mafTent  à  l'entretien  de  la  pauvre 
NoblefTe  ce  qu'ils  dépenfènt  à  four- 
nir un  odieux  fuperflu  à  des  valets , 


^6o  Traité  de  la  Population, 
ôc  en  d'autres  déprédations  de  dé- 
fordre  &  de  luxe,  Ôc  j*ai  fur- tout 
montré  Tavantage  de  la  fubdivifion 
des  fortunes.  Mais  en  effet  le  genre 
de   fafte  ci-defiTus  eft  interdit  aux 
riches  de  métaux.  Quel  ufage  peu- 
vent ~  ils  donc  faire   des  revenus 
qui  leur  font  attribués  ?  j'en  excepte 
ceux  qui  en  fervent  le  Commerce 
ôc  l'Etat  au  befoin  ,  &    c'eft  de 
leurs  enfans  dont  je  parle  5  ils  ne 
fçauroient  dîner  deux  fois,  comme 
difent  les  bonnes  gens;  les  nécef- 
iîtés  de  l'opulence ,  les  fuperfluités 
même  de  la  décence  ont  des  bor- 
nes très-retrécies  en  proportion  de 
la  fortune.   A  qui  donc  en  attri- 
buer l'excédent  ?  Aux  fantaifies  ? 
Vous  l'avez  dit  ;  fantaifie  9  pagode 
hideufe  de  fa  nature  &  contrefaite , 
mais  qui  fera  monftrueufe  8c  dé- 
teftable  tant  qu'il  y  aura  d'auti'es 
hommes   prefles  de   la  nécefîîté  , 
que  dis-je ,  accablés  fous  le  poids 
de  la  plus  afFreufe  mifere. 

Mais  enfin  feront-elles  vivre  les 
ouvriers  du  genre  le  plus  utile  & 

le 


\ 


> 


Travail  &  Argent,  ^6i 
le  plus  pénible?  Une  voiture  coû- 
tera feize  mille  francs  de  vernis  , 
une  boere  mi  lie  écus  de  façon  & 
Ton  en  cfiangera  loiivent,  je  de- 
mande Cl  c*eO:-là  protéger  les  arts 
méchaniques  dans  la  progredion 
que  nous  avons  établie  ci-dedus. 

J 'entends  d*ici  la  foule  d'objec- 
tions qui  me  feront  faites  fur  la 
néceilîcé  d'encourager  les  arts  du 
fuperflu  5  pour  accoutumer  les 
iîrangers  à  venir  foudoyer  notre 
iuxe,  entrerenir  nos  ouvriers.  Sec, 
Ce  n'eil  pas  encore  ici  le  lieu  d*en^ 
■camer  &  d'approfondir  ces  quef- 
rions.  J'efpere  qu*on  verra  dans  la 
fuite  de  cet  Ouvrage ,  que  je  n'au- 
rai rien  omis  de  mauvaife  foi  ; 
toutes  mes  erreurs  appartiendront 
à  mon  ignorance  ,  &  au  peu  de 
jufteiïè  de  mes  vues.  Revenons  aux 
principes  généraux. 

Le  moyfn  prem'er  &:îndifpen« 
fable  de  fui3(i{l:ance  eft  l'agriculture 
x]ui  nous  donne  la  matière  pre- 
mière. Le  moyen  fécond  eO:  le 
^  travail;  ôc  de  même  que  la  direc- 
tion du  premier  moyen  doit  être 

/.  Farde.  Q 


^6i    Traité  de  la  Population, 
déterminée  vers  la  mulriplicatloîî 
de  la  prodaâ:ion,  celle  du  fécond 
le  doit  être  vers  l'accroiffement  da 
travail. 

Nous  avons  en  ce  genre  éprouvé 
une  forte  de  détriment  j  qui  pour- 
roit  encore  s'accroître  par  le  relâ- 
chement des  mœurs. 

Oïi  fe  plaint  que  le  prix  de 
toutes  fortes  d'ouvrages  augmente 
journellement  à  Paris,  &  de  façon 
qu'il  eft  aujourd'hui  prefqu^impof- 
fible  d'atteindre  à  cette  efpece  de 
nécefTaire  ufuel  &  abufîf  qu'on  ac^ 
croît  cependant  chaque  jour.  Il  eft 
certain  qu'une  des  caufes  de  ctii^ 
augmentation  eft  le  regorgement 
des  métaux  ,  qui  arrivent  fans  celle 
en  Europe  des  mines  du  Pérou  &  du 
Potofe  }  de  forte  que  fi  le  commerce 
dévorant  des  Indes  d'une  part  s 
&  de  l'autre  l'abondance  de  meubles 
Bç  bijoux  de  ces  fortes  de  métaux 
qui  fe  répandent  &  fe  multiplient 
à  Pinfini  dans  la  fociécé ,  n'en  ab- 
forboienî  une  partie  ^  l'or  &  l'ar- 
gent deviendroient  d  conimuns  , 
pull  faudroi^  çhgrcbe^  pnf  gucrf 


Travail  &  Argent.  5(^5 
forte  de  reprérentatif  du  troc  dans 
le  commerce. 

Une  autre  caufe  phyfique  encore 
de  ce  dérangement ,  c'eft  la  dimi- 
nution ou  moindre  quantité  '  des 
matières  premières;  la  terre  d'une 
part  moins  cultivée  en  produit 
moins  5  &  de  Tautre  la  confbmma- 
don  confidérablement  augmentée, 
au  moins  en  proporticn  du  nombre" 
d'individus  ,  en  demande  davan- 
tage ,  ce  qui  nécelTairement  en  faîc 
hauffer  le  prix.  * 

Mais  une  troi(îéme  caufe  cer- 
taine ,  &  qui  eft  la  feule  dont  je 
veux  traiter  ici  5  c'eft  la  diminu- 
tion proportionnelle  du  travail  de 
chaque  individu. 

Il  eft  certain  que  le  goût  des 
fortunes  eft  venu  de  proche  en 
proche  à  tout  le  monde  ,  attendu 
qu*il  n'eft  porteur  d*eau  dans  la 
Ville  ,  ni  maraifcher  fur  les  che- 
mins, qui  n*ait  au  moins  un  cou- 
fin  germain  ayantSuilTeà  fa  porte. 
Rapine,  bonheur,  induftrie  »  trois 
fantômes  réalifés  ,  offrent  à  cha- 
cun ,  feion  fon  caradere ,  des  ch£« 


|(j4    Traité  de  la  Population, 
TODS  ouverts  par  lefquels  plu(ieur$ 
arrivent ,  d'autres  s'abîment  en  che-» 
miii  fans  jamais  fe   croire  noyés , 
&  tous  enfin  s'accoutument  à  vivrç 
4'erpérançe  5  ^<  fortenc  des  voies  de 
modération    &:  d'équité  relatives  à 
leur  profeffion..  La  principale  de  ces 
voies  5  &  celle  de  toutes ,  qu'on  a 
le  plus  perdue  de  vue,  c'eft  l'éco- 
nomie &  la  fobriété.  Le  défaut  d'é"^ 
çonomie  jette  dans  un    accroilTe- 
ment  de  dépenfe   que  le  furtaux 
des.  raarchandifes  &  ouvrages  peut 
feul  acquiter  -,  car    il  n'eft   aucun 
entrepreneur   qui  ne  prélève  tou? 
jours  fon  entretien  &  celui  de  (a 
famille  fur  fon  travail ,   avant  de 
compter  fon  profit.  C'eft  chofe  jufte 
^ans  fon  principe  •>  mais  fi-tot  que 
cet  entretien  devient  arbitraire  & 
proportionné  à  la  fantaifie  &  à  la 
vanité  ,  ç'eft  une  friponnerie  ma- 
nifefle, 

Rernarquez  cepeuQant  que  dans 
les  derniers  rangs ,  comme  dans  les 
premiers,  ce  qui  eût  été  folie  au^ 
trefoîs  devient  ufage  ,  &  prefque 
péçefîlçé  aujourd'hui?  Chez  les  g^nf 


Travail  &  Argent.  ^6§ 
de  qualité  ,  il  faut  voiture  pouÈ* 
Monfieur ,  ôc  carroiTe  pour  Ma- 
dame ,  voiture  de  campagne ,  che- 
vaux de  chaifé  ,  défobligeaatej  &d« 
Ceft  devoir  d'état  que  de  vivre 
ainfi  aux  dépens  de  qui  il  appar- 
tient. Qui  voudroit  rentrer  eii  foi- 
mime  ,  ôc  fe  confidérer  ifolé  dé 
Tappui  des  ufages ,  auroit  bien  dé 
la  peine  à  ie  faire  une  faujfTe  con- 
fcience ,  adéz  endurcie  pour  n'avoir 
aucuns  remords  lur  les  dépréda-, 
tions  5  qu'on  juftifie  comme  dé- 
penfes  néceffatres  pour  vivre  avec 
décence  ,  &  feîon  Ton  état.  Je 
tremble  encore  en  regardant  îe  por- 
trait de  mon  père;  il  reconnoifioic 
la  même  fupériorité  dans  le  fien, 
ôc  celui-ci  dans  mon  bifàyeal.  Je 
nentends  pas  par- là  les  tranfes  du 
refpeâ:  filial ,  mais  uniquement  l'ef- 
fet d*une  fupériorité  de  fentimenC 
Ôc  de  dignité,  dont  les  mœurs  d'au- 
jourd'hui ont  abfolument  dégénéré. 
Je  conclus  en  conféquence ,  que  fî 
mon  trifayeul  reparoifloit  dans  fa 
maifon ,  je  me  trouverois  bien  petit 
devant  lui.  Cependant  il  eft  dci 


3(3^    Traité  de  la  Population, 
devoir  de  mon  état  de  vivre  à  cent 
lieues  de  mon  gazon  ,  èc  dans  une 
Ville    qu'il  regardoit   comme  les 
Antipodes,  d'avoir  nombre  de  la- 
quais faineans  &  mangeurs ,  au- lieu 
de  quelque  p^.lefrenfer  hénlTé  qui 
lui  fuffiioit  3  d'un  Fage  fréquem- 
ment   fins   culotte  ,  quoique    Ton 
coufin  ,   (  car  il  faut   bien  que  , 
comme  Montagne ,  chacun  ait  le 
ïitn)  \  d'une Demoifellelaborieuie , 
&  de  quelques  petits  garçons  ap- 
pelles bamboches   pour  fa  femnie^ 
Soit  ;  chacun  a  Ton  état ,  Se  doit 
fe  conformer  aux  mœurs    de   fon 
temps  5  c'efi:  bien  dit  ;  mais  il  s'en- 
fuit que  ce  Marchand  qui  dort  au- 
jourd'hui   la   grade  matinée  &  fe 
fait  remplacer    dans    fa    boutique 
par  un  garçon  de  furcroit  chère- 
ment loué  i  dont  la  femme  porte 
couleurs,  rubans,  dantelles  &  dia- 
mans  ,  au- lieu  du  noir   tout  uni 
qu'elle  ne  mettoic  encore   qu'aux 
bons  Jours  ;  qui  brûle  de  la  bougie 
(  quoique  feue  Madame    la  Du- 
cheiïe  de  Bourgogne  avouoit  n'en 
avoir  vu  dans  fon  appartement  qu§ 


Travail  &  Argent»  3  ^-^ 
depuis  qu'elle  éroic  en  France)  qui 
prend  le  cafîé  ,  &  fait  journelle- 
ment /à  partie  de  quadrille  :  il  s'en- 
fuit 5  dis-je  5  que  ce  marchand  9 
obligé,  pour  vivre  félon  fon  état, 
de  fournit  toutes  ces  chofes  à  fa 
très-digne  moitié  j  Se  de  fon  côté 
de  figurer  comme  les  autres  (car 
c'efl  le  mot  )  peut  en  confcience 
prélever  cette  dépenfe  fur  fes  four- 
nitures. Il  faut  encore  qu'il  gagne 
de  quoi  faire  à  fes  enfans  élevés 
dans  Ce  train-là  ,  un  établiflèmenc 
à  peu-près  pareil  à  fa  propre  for- 
tune :  on  (ent  a  quel  taux  tout  cela 
porte  le  prix  de  la  main  d*œuvre. 
Même  calcul  pour  l'artifan  ,  même  > 
qui  pis  efl ,  pour  le  fabriquant;  ce 
qui  porte  le  prix  de  nos  ouvrages 
&  marchandiies  à  un  taux  que  les 
étrangers ,  obligés  de  payer  argent 
comptant  ,  trouvent  encore  plus 
rude  que  les  ciroyens  qui  laiffentle 
tout  à  payer  à  leurs  enfans  ,  abus 
qui  peîit-à- petit  oblige  les  Danois 
même  à  fe  faire  des  manufaélureSj 
&  à  fe  palTèr  de  nous. 

Si  le  mépris  6c  Toubli  de  toute 


3^^  Traite  de  la  Popnfatiori. 
économie  ouvrent  la  porte  à  mille 
jnconvénirns  donr  je  ne  fais  qu'é- 
baucher q'-ieîqoe>uns ,  un  des  plus 
confidérables  eft  le  défciut  de  fo- 
briété.  On  n'en  connoîc  plus  dans 
Su:  ;rofn- cette  Ville  bruyanre  ,  où  le  y?/f 
/«i  ,  ahe.:t  p^-^/}^/^j     alienz  appetens  eft   de- 

^pwc^f  j ,  de- -r     J  J       'i  .  r 

%enu  la  de-  vcnu  la  devite  de  tout  le  monde 
vifc  de  tcuc  ^^  piyg  arand  au  plus  petit.  Outre 
que  la  conlommation  intérieure  a 
fextuplé  par-tout ,  la  partie  du  peu- 
ple deftinée  au  travail  dépenfe  tout 
ibn  eain  en  parties  ,  ccurfes  & 
guincrcerres. Chaque  Bourgeois  com- 
merçmt ,  artifan  mtme  un  peu  aifé, 
a  fa  mailon  de  campagne  où  tout 
va  par  écueiles ,  comme  Ton  dit. 
Les  ouvriers  du  premier  ordre  , 
comnie  jouaiiliers  ,  orphevres  & 
autres  font  les  Dimanches  &  fêtes 
des  dépenfes  en  collations  où  les 
vins  mufcats ,  étrangers  ^c.  ne  font 
pas  épargnés.  Les  femmes  &  filles 
de  ce  genre  de  fociété  7  affilient 
&  donnent  le  ton  .  tout  s'y  con- 
fomme  ,  &  fi  quelque  Jeune  ouvrier 
plus  fenfé  veut  éviter  ces  fortes  de 
dépenfes  ,  la  coûcuîne  contraire  â 


Travail  &  Argent.  3  6^ 
tellement  prévalu ,  qu'il  fe  verroit 
ifolé  &  frappé  d'une  force  d'ex* 
communication  parmi  les  gens  de 
fa  profeiiîon.  Le  bas  artifan  court 
à  la  guinguette  ,  forte  de  débauche 
protégée  ,  dit-on  >  en  faveur  des 
-Aides.  Tout  cela  revient  yvre ,  de 
incapable  de  fervir  le  lendemain. 
Les  maures  ar  ri  fans  fcavent  bien  ce 
que  c'eR ,  pour  leurs  garçons  ,  q-'e 
le  famedi  court  jour  ,  &  le  lundi 
lendemain  de  débauche;  le  mardi 
ne  vaut  pas  encore  grand  chofe , 
èc  Çi  dans  la  huitaine  il  fe  trouve 
quelque  ^èiQ ,  ils  ne  voient  pas  leurs 
garçons  de  toute  la  femaine. 

Je  ne  prétends  pas  examiner  (Se 
noter  ici  les  inconvéniens  de  cet 
accroidemicnt  de  confommaticn  inu- 
tile &  nuifible  relativement  aux 
principes  établis  dans  les  Chapitres 
précédens  ,  mais  feulement  dans 
l'objet  de  la  diminution  de  tra- 
vail qui  en  provient.  La  molle(Tè 
dans  les  aifés,  la  pareiTe  pour  les 
pauvres  eft  la  fuite  néce(Taire  de 
i'intempérance  5  cette  fuite  j  nous  y^ 


3/0  Traîcé  de  ta  Population, 
fon'rnes  ,  &  marchons  de  nacre 
niieux  au  progrès. 
f  Les  Ecoles  les  plus"^'  rigides  de 
Paris,  les  Collèges  les  plus  fains 
de  cette  célèbre  &  févére  Univer- 
Cté  donnent  par  jour  trois  heures 
de  moins  de  travail  à  leurs  éco- 
liers ,  qu*ils  ne  faifoient  ,  il  y  a 
quarante  ans ,  &  par  Temaine  un 
jour  de  plus  de  congé.  A  l'Acadé- 
mie ,  on  montoit  autrefois  de  régie 
quatre  chevaux  chaque  matin  ,  & 
quatre  reprifes  fur  chaque  cheval , 
on  n'en  monte  aujourd'hui  que 
trois  5  à  trois  reprifes  chacun  j  il 
n*y  avoit  de  jours  de  congé  ,  que 
le  mercredi  &  le  Dimanche  ,  on 
y  a  ajouté  le  famedi.  Calculez,  & 
vous  verrez  qu'un  an  d'Académie 
alors  en  valoit  deux  d'aujourd'hui» 
Ce  ne  font-là  que  de  menues  bran- 
ches d'un  relâchement  qui  eft  de- 
venu générai ,  &  à  tous  égards  y 
mais  il  n'ell:  quedion  ici  que  àvk 
îravail. 

De   vieux  bourgeois   de   Paris 
m'ont  dit  autrefois  que  fi  de  hm 


Travail  &  Argent  ^-fi 
temps  un  ouvrier  n'eue  pas  travaillé 
deux  heures  à  ia  lumière ,  foie  le 
inatin ,  foie  le  foir  dans  les  plus 
longs  Jours,  il  auroic  été  noté  comme 
un  parefTèux  ,  &  n'eût  pas  trouvé 
à  s'établir.  Ce  fut  le  12.  de  Mai 
1585.  qu'Henri  lîl.  fit  occuper 
divers  poftes  dans  Paris  par  Tes  trou- 
pes. Les  habitans ,  dit  Davila,  aver- 
tis par  le  bruit  des  tambours  com- 
mencèrent à  fermer  leurs  portes  & 
leurs  boutiques  qui  ,  félon  Tufage 
de  cette  ville  de  travailler  avant 
jour  étoient  déjà  ouvertes.  Com- 
mincio  à  Radunarji  s^errando  le 
porte  délie  café  j  e  chiudendo  le 
forte  délie  hotte ghe  _,  che  conforme 
alV  ufo  délia  citta  di  lavorare  in^ 
nan-^i  giorno  ^  gia  ferano  commin- 
date  ad  aprire.  Il  dit  poncivemenc 
en  ce  même  endroit  ,  que  toute 
cette  émeute  s'étoit  faite  avant  le 
jour.  Or  il  eft  jour  à  trois  heuref 
au  mois  de  Mai.  En  1750.  je  tra- 
verfai  à  pareil  jour  tout  Paris  à  fix 
heures  fonnantes  à  la  Sorbonne  , 
je  traverfai ,  dis-je  ,  depuis  les  Char- 
treux jufquau  bouc   du  fauxbourg 

Q.VJ. 


^yi  Trahi  de  la  PopulaîloTîl 
S.  Martin ,  partie  marchande  &  pd^ 
puleufe  de  la  Ville ,  &  je  n*y  vi§ 
d*ouvertes  que  quelques  échopes  dô 
vendeurs  d'eau  de  vie.  Voilà  les 
faits. 

Conndérons  -  nous  maintenant 
relativement  à  nous-mêmes  ,  6<: 
voyons  ce  que  nous  avons  perdu 
de  notre  propre  fonds.  Un  ouvrier 
qui  travaille  fix  heures  de  plus  dans 
une  journée,  &  qui  confomme  îa 
moitié  moins  j  en  vaut  trois  5  Ôc 
s'il  eO:  vrai  c^ut  plus  il  y  a  detra^ 
y  ail  dans  un  Etat  ^  plus  l'Etat  ejî 
cenfé  riche  naturellement  ^  nous 
avons  à  cet  égard  perdu  les  deux 
tiers  de  notre  richeiTe  intérieure, 
îl  eft  poffibîe  qu'il  y  ait  plus  d'ou- 
vrages faits  aujourd'hui  ,  attendu  la 
multiplicité  d*arts  &  de  manufac- 
tures nouvelles  établies  depuis  cent 
ans  5  mais  il  n'en  eft  pas  moins  cer- 
tain que  fi  nos  ouvriers  a(5lueîs 
étoientaufîi  laborieux  qu'autrefois, 
ils  confommeroient  moins  en  fu- 
perfluîtés  &  feroient  plus  d'ouvra- 
giès  3  au  moyen  de  quoi  ces  ouvrages 


y 


Travail  &  Argent.  57J 
feroîent  à  un  prix  plus  bas  &  plus 
commerçabie. 

Les  maux  les  plus  difficiles  à 
reparer  fouc  ceux  qui  proviennent 
de  l'affaiiïement  des  mœurs.  L'hom- 
me réputé  alors  le  plus  parefTeux , 
s'il  reparoiiïoit  aujourd'hui  en  con- 
fervant  les  ufages  de  Ton  temps , 
feroit  le  plus  vigilant  d'entre  nous. 
Dormant  a  la  Françoife  jufqu'à 
huit  heures  y  dit  Sully  en  parlant 
de  la  garnifon  d'Amiens  qui  fe  laifTa 
furprendre  :  dormir  alors  jufqu'à 
huit  heures  du  matin  étoit  une  lâ- 
cheté pour  un  homme  du  monde. 
Se  lever  à  cette  heure-là  efl:  pref- 
que  une  fingularité  de  nos  jours. 
Qui  de  nous  ,  voyant  un  artifan 
miférable  ainfî  que  fa  famille ,  pen- 
fèroit  que  c'efl:  fa  faute  de  ne  pas 
commencer  fon  travail  dès  les 
quatre  heures  du  matin  ?  Les  vices 
éc  les  vertus  font  de  proportion , 
comme  toute  autre  chofe.  LesLoix 
ne  peuvent  rien  fur  la  portion  des 
mœurs  qui  tourne  vers  l'inexiflence. 
-Où  donc  eft  le  remède î  L'exeppls 
&  l'encourageûienrv 


1^4    'If'i^îté  de  la  Popuiadonl 

Peut-être  me  direz-vous  qu*en 
Êîtendant  que  faie  fait  recevoir  ma 
nouvelle  peuplade  ,  je  traite  affez 
mal  celle  qui  m'environne.  Prenez 
y  garde ,  une  telle  imputation  fe- 
roit  odieufe  &  mal  fondée.  Je  peins 
nos  mœurs  ,  moeurs  dont  tout  le 
monde  fait  gloire.  Mon  plan  eft 
toujours  de  ne  rien  forcer ,  de  ne 
rien  détruire  :  je  prêche  au  con- 
traire d'édifier.  Ckérijffe^  j  anime^ 
l'agriculture  jhlçnîGt  le  travail  de- 
viendra en  honneur  ;  rcconomie& 
la  fobriéré  font  Tes  compagnes.  Ces 
vertus  tiennent  Tefprit  tranquille, 
&  le  corps  fain.  L'aétivité  ôc  la 
tempérance  des  mœurs  champêtres 
palTeront  à  la  Ville  avec  les  nom- 
breufes  colonies  que  les  campagnes 
y  enverront ,  à  la  différence  qu'il 
faudroit  peut-être  d*autres  topiques 
qui  ne  font  pas  de  mon  fujet ,  pour 
rétablir  les  mœurs  à  la  Ville,  fé- 
jour  corrupteur  ,  au-îieu  qu'à  la 
campagne  paix  Se  proredion  ,  Se 
tout  eft  dit  ;  c'efl  le  Code  entier  de 
yos  loix  fomptuaires. 

Le   retour  à  l'agriculture  portl 


Travail  &  Argent,  37^ 
dans  Crtte  exclamation ,  au  momenc 
où  nous  Tommes  le  plus  enfoncés 
dans  les  détails  du  travail ,  paroîtra 
étranger  à  la  queftion  ;raais  je  tiens 
que  le  plus  puifïant  remède  des 
mœurs  eft  de  remettre  en  honneur 
cette  proFefîion  maternelle,  nour- 
ricière 5  &  vertueufe ,  &  d'en  don- 
ner le  goût  généralement  à  tous  les 
citoyens.  La  (implicite  naît  de  Tai- 
fance  de  la  campagne,  &  l'écono- 
mie efl  une  fuite  de  la  douce  peine 
qu'on  eut  à  en  recueillir  les  biens  ; 
la  vue  de  l'énorme  quantité  de  bled 
qui  entre  dans  une  belle  tabatière, 
dégoûteroit  le  plus  hardi  difîîpa- 
teur. 

Revenons    au   travail.    La  Ré*     Lereiicfig 
forme  fe  vante  d'en  avoir  accru  la  ^^^"^ 
fomme    dans    les   Etats  qui  l'ont  travail  que 
embrafiTée  ,  par  la  fuppreffion  des  ^^"^  .'^  ^^^"^^^ 
Fêtes.  Je  crois ,  par  its  railons  de 
calcul  déduites  ci-delTus ,  que  c'eft 
autant  de  gagné,  fur- tout  en  cer- 
tains temps  précieux  pour  \qs  tra- 
vaux &  récoltes  de  la  campagne; 
auflî  en  fupprime-t-on  beaucoup 
dans  le  Culte    Catholique.   Mai& 


^f6  Traité  de  la  Population. 
qu*oii  fe  fouvienne  toujours  qu'une' 
Fêre  fupprimée  n'eft  jamais  que 
neuf  heures  ajoutées  dans  Tan  tout 
âu  plus  ,  au- lieu  qu'une  heure  cfe 
fommeil  en  compofe  trois  cents 
foixante-cinq.  Il  ne  faut  pas  croire 
d'ailleurs  que  toutes  les  fêtes  fuf- 
fent  en  pure  perte  ;  l'homme  veut 
du  délaffement ,  &  il  lui  eft  fi  né- 
ceflaire,  que  Dieu  ordonna  dans 
Finftitution  première  un  jour  de 
repos  en  fept.  Ce  jour  redonne  des 
forces  à  l'homme  courbé  fous  le 
poids  du  travail  hebdomadaire. Cet 
intervalle  de  relâche  lui  donne  le 
temps  de  la  réflexion  fi  néceiïàire 
.à  tout  5  &  qu'un  travail  mécha^ 
nique  afFaifTe  à  la  longue  fans  reC- 
fource. 

Outre  le  repos  ,  il  nous  faut  en- 
core de  la  joie  &  des  rapports  d'u* 
nion  &  de  fociété  :  examinez  nos 
Fêtes  dans  leur  inftitution  ,  &  en 
y  joignant  ce  que  l'antique  fim- 
plicité  y  avoit  ajouté  d'ufages  de 
de  pratiques  habituelles  ,vous  ver- 
rez que  tout  y  concourt  à  ces  deux» 
objets  vraiment  politiques»- 


travail  &  Argent.  377 
Les  vues  de  TEglife  fonr  tontes 
fpirituelles  dans  leculce  qu'elle 
nous  prefcrit  j  mais  elle  a  fçu  con- 
defcendre  aux  ménagemens  que 
l'union  de  l'ame  avec  la  machine 
nous  rend  néceiTaires ,  &  a  permis 
que  Tordre  &  les  ufages  civils  y 
introduifenc  une  variété  &  une  ac- 
tion propres  à  nous  intérefTer.  Cette 
déférence  a  même  influé  fur  (ts 
propres  cérém.onies  *,  à  la  referve 
d'une  demi-femaine  dans  Tannée 
toute  confacrée  à  la  prière  &  aa 
recueillement  ,  &  dont  les  prati- 
ques ne  font  pas  même  d'obliga- 
tion pour  les  gens  de  travail ,  tout 
le  refte  a  pour  objet  des  occafions 
de  joie  &  d'allégretTe.  Les  Fêtes 
de  Noël  j  des  Rois ,  de  Pâques ,  de 
la  Pentecôte  5  toutes  les  grandes 
Fêtes  j  en  un  mot  ,  font  de  cette 
efpece. 

Examinons  enfuite  ce  que  la 
coutume  de  nos  pères  avoit  ajouté 
d'ufages  particuliers  à  ces  folem* 
nitcs.  A  Noèl ,  la  famille  ralTem- 
blée,  la  fouche  de  la  veillée  &  le 
bralîer   qui  Tentoiiroit  fervant  à 


3  7^  Traité  de  U  Population: 
cuire  les  marons  pour  le  vin  bîanc, 
enfuice  le  réveiiion ,  &c.  Aux  Rois^r 
la  fève ,  Jes  cris ,  &  le  Roi  boit. 
A  Pâques  ,  Jes  œufs  qu'ancienne- 
ment le  père  de  famille  diftribuoic 
à  toute  /a  mai  Ion  jufqu'au  moin- 
dre domeftiqiiej  faifbient  une  forte 
de  communion  profane  ,  précieux 
ufage  :  je  fuis  tenté  quelquefois  de 
descendre  à  la  table  de  mes  gens, 
de  couper  leur  pain ,  de  boire  en 
même  talïe ,  pour  merappeller  que 
nous  fommes  tous  d'une  feule  fou- 
che,  que  je  dois  les  confidérer,& 
les  contraindre  à  m'aimer.  Cette 
méthode  réuffiroit  mal  aujourd'hui , 
fes  valets  font  aufîî  infènfibles  , 
aufîî  méprifans  que  \qs  maîtres  j 
mais  c'eft  tant  pis.  A  Pâques  donc  y 
les  œufs ,  le  jambon  &c.  à  la  Pen- 
tecôte 5  les  premiers  fruits  j  la 
S.  Hubert ,  la  S.  Martin  ,  toutes 
ces  Fêtes  font  dans  Tannée  ,  fauf 
refpeâ: ,  ce  qu'eft  Tavoine  à  nûdî 
dans  la  journée  du  cheval. 

Ces  fortes  d'aflemblées  d'ailleurs, 
ces  révolutions  à  temps  marqué 
uniflènt  la  fociété,  Ik  y  établiflesit 


Travail  &  Argent,        ^79 
les  rapports  <5^  la  confiance  ;  bien 
difFérentes  en  cela  de  Tincempé- 
rance    journalière   donc   j'ai   parlé 
cl-deOTus,  qui  biencô:  entraîne  la 
fociéré  ,  le  défordre  &  la  parefîe , 
celles-là  réveillent  ,   font  oublier 
les  peines  paQées  &  futures ,  réu- 
nifTent  la  jeunefTe ,   mais  fous  les 
yeux   paternels  ,   font   naître    les 
unions  de  convenance,  les  propo" 
fîtions  de  mariage  ,  rappellent  les 
fouvenirs    d'antique    fraternité    & 
parenté. 

Bien  à  propos  les  hommes  a* 
voient-ils  inventé  les  cérémonies 
bruyantes  &  autres  agencemens 
futiles  &  pafïàgers  d*une  vie  très- 
paOTagere ,  mais  qui  nous  paroîtroit 
peut-être  trop  longue  encore  ,  fi 
nous  la  regardions  fous  fon  vrai 
point  de  vue.  L*  ho  ai  me  ne  naît 
que  pour  travailler,  pondre ,fouf- 
frir  &  mourir.  Nous  avons  orné 
ce  tronc  informe  &  cadavéreux  de 
feuillages  empruntés  ,  mais  fans 
celfe  renouvelles,  &  qui  jouent  à 
des  yeux  enclins  à  fe  tromper  eux- 
mêmes  ,  la  verdure   naturelle   ^ 


j^So  Traité  de  la  Population. 
durable.    Les  baptêmes  ,  la  ro 
virile,  les  noces  ,  jufqLies  aux  fu- 
nérailles  même  ,  touc  a  pris   pat 
les  foins  des  Lé^iflateurs  ,  hommes 
réfléchi (lanrs  j    un  air  de   décora- 
tiorf  5  ôc  cette  perfpec^ive  variée  ô^ 
trompe afe  nous  cache  le  mur.  Tout 
donc  ce  qui  peut  erre  un  remède 
contre  raccablemenc  ,   eft  un  ai- 
guillon au   travail  j  nous   Tavons 
dit   ci  -  deiïiis.    Tout  auffi  ce  qui 
réunit  la  fociécé ,  &:  nous  fait  fentir 
la  néceiïîté  &  Tutilité  des  rapports 
<5ue  nous   avons. les  uns  aux  au- 
tres 5   efl:  un  nouvel    encourage- 
ment. 

Les  cailloux  dans  les  rivières 
deviennent  ronds  &  polis  par  lé 
frottement,  les  hommes  fe  civiîi- 
fenr  par  la  fociété  ;  c'efl:  un  axiome 
que  je  n* ai  pas  inventé.  Les  Fêtes 
votives,  procefîîons  ,  pèlerinages 
du  canton  en  un  lieu  dont  on  fête 
le  Saint  ,  &  qui  fe  tient  prêt  à 
donner  là  revanche  à  fes  voifins  , 
ont  été  encouragés  par  d'habiles 
Princes ,  comme  Charles-Quint  en 
Flandres  ,  en  Artois  &  autres.  Je 


Travail  &  Argent.  3  S  r 
veux  qu'il  ait  pu  y  avoir  de  Tabus 
à  ces  forces  de  chofes  dans  des 
temps  grofîîers  &  où  1*011  prenoit 
tout  à  la  lettre  ;  mais  aujourd'hui 
ne  tombons- nous  pas  dans  ledéfauE 
contraire  ? 

On  eft  tout  étonné ,  quand  il  y 
a  des  illuminations  dans  Paris,  de 
ne   voir  que  des  promeneurs  dans 
les  rues  ,  &  autour  des  fontaines 
de  vin  cinq  ou  lix  malheureux  por- 
teurs d'eau  ivres ,  &  rien  de  plus. 
Quelques    gens   à  refrein  difent  i 
ç'ejl  la  misère  qui  attrifte  le  peuple. 
Pade  pour  la  campagne  ,  mais   à 
Paris  le  peuple  n'eft:  miferable  que 
volontairement  ,  tout  y   trouve  à 
travailler  ,  &  à  gagner  beaucoup  ; 
maïs  c'eft  que  tout  le  monde  eft 
devenu  Monfieur.  Il    me  vient  le 
Dimanche  un  homme  en  habit  de 
dfoguet  de  foie  noire  &  en  per- 
ruque bien  poudrée,  &  tandis  que 
Je  me  confonds  en  complimens ,  il 
s'annonce  pour  le  premier  garçon 
de  mon  maréchal  ou  de  mon  bour- 
relier ;  un  tel  Seigneur  ira-t'il  s'en? 
çanailler  à  daiiÇer  dans  le^  FUes  1 


3  s  1    Traité  de  la  Population , 

Il  eft  certain  que  ce  peuple-là  eft 
bien  plus  commoJe  pour  la  Police. 
Cependant  au  fond  la  guinguette 
va  ion  train  ,  guinguette  il  ruineufe, 
comme  je  l'ai  diCj  pour  l'ouvrier, 
fi  pénible  à  l'artifan  en  chef  qui 
xiQ  peut  jouir  de  fes  garçons ,  fi 
pernicieufe  même  pour  le  lende- 
main ;  car  on  ne  fçauroit  croire 
combien  de  garçons  maçons ,  char- 
pentiers, 6c  couvreurs  périffent  le 
lundi  en  voulant  s'expoïer,  la  tête 
encore  chargée  de  vin.  J'en  ai  une 
fois  rencontré  trois  en  un  même 
jour  de  lundi  fur  la  civière  en 
différents  quartiers  de  Paris  ;  Se 
quand  dans  un  bâtiment  conndé- 
rable  on  ne  perd  que  dix  ou  douze 
hommes  de  la  forte  ,  ce  n  eft  pas 
trop.  Mais  Je  veux  enfin  que  tout 
ce  peuple  foit  réellement  philofo- 
phe ,  tant  pis  fi  d'ailleurs  il  con- 
fomme  davantage  ,  s'il  eft  plus  lan- 
guiiTant ,  s'il  travaille  moins.  Or  ces 
trois  Jl  ne  font  plus  en  queflion. 
En  voilà  afiez,&  plus  qu'il  n'en 
faut  pour  prouver  que  les  Fêtes  ne 
îiuifenc  au  travail  ^  qu'autant  qu0 


Travail  &  Argent,  3S5 

!a  tournure  des  mœurs  de  fîmple 
devient  compofée.  Si  nous  pou- 
vions aller  fans  ceffe  comme  des 
machines ,  il  faudroit  au  pouce  & 
à  la  ligne  calculer  le  temps  ,  de 
n'en  pas  perdre  la  minute  ;  mais  il 
n*en  eft  pas  ainfi,  <S^  quelque  haut 
que  ce  relTort  fût  monté,  peut-être 
y  perdrions-nous  :  car  (î  d'une  parc 
la  nature  demande  du  relâche  ,  de 
Fautre  l'imagination  &  Tes  reffour- 
ees  nous  font  quelquefois  doubler 
le  pas,  de  façon  que  nos  fuccès  ne 
font  en  nulle  proportion  avec  nos 
forces.  Les  chevaux  en  ont  plus 
que  nous.  Montluc ,  célèbre  me- 
neur d'hommes  &  de  chevaux  ,  af- 
fure  qu'il  a  fouvent  vu  le  bout  de 
fa  monture  ,  &  qu'alors  il  n'y  a 
plus  que  foin  &  repos  pour  la 
faire  aller  ;  qu'au  contraire  il  a 
fouvent  vil  des  hommes  las ,  recrus  , 
&  raourans  de  laiîuude  au  bout  de 
vinet-quatre  heures  de  traire,  fans 
fubfillance  ,  fe  réveiller  fur  une 
efpérance  de  gloire  ou  de  butin , 
§c  doubler    la  dofe  de   fatigue  , 


3  §4  Traité  de  la  Population, 
comme  s'ils  eufTenc  été  frais.  En- 
courageons donc  le  travail,  &  nos 
hommes  auront  quatre  bras  ;  c*eft 
le  feul  &  unique  tecrec  ,  car  tout 
eft  jour  de  Fête  pour  un  pare(- 
feux. 

Apres  ces  incur(îons  fur  les  dé- 
tails du  travail ,  reprenons  le  fom- 
maire  de  ceux  de  mes  principes 
que  f  ai  établis  jufqu'ici  fur  la  qua- 
lité didindive  des  métaux.  Si  vous 
leur  permettez  de  s'établir  comme 
riche  (Te  ,  vous  errez  dans  le  prin- 
cipe, vous  périrez  par  les  confé- 
quences  ;  (i  vous  les  regardez  au 
contraire  comme  agent  ,  dont  le 
miniflere  ell  néceflaire5<&:  donc  la 
rnadè  doit  être  en  proportion  de 
la  quantité  de  matières  dont  il  doit 
accélérer  la  produdlion  en  aidant 
à  les  débiter  ,  vous  êtes  dans  le 
vrai.  Le  fang  qui  circule  dans  les 
veines  ell:  le  principe  de  la  nutri- 
tion univerfelle  ;  mais  s'ilfurabonde 
&  forme  dépôt,  il  entraîne  la  cor* 
fuption  &  la  mort. 

PéiQurnez  donc  la  \^uë  des  lieux 


où 


Travail  &  Argent.       3  S5 
où  l'on  reGherche  les  mines  &  la 

Îjoudre  d'or  -,  laifïèz  aux  aveugles 
.  e  foin  de  s'enfevelir  dans  les  en- 
trailles de  la  rerrcj  c'eft  fa  furface 
qu'il  faut  couvrir  &  vivifier. 

Les  richeflfes   fe   trouvent  par*   lesrîc&eiîes 

\    •!  Il  A     1      fe    trouveac 

tout  OU  11  y  a  des  hommes.    A  la  p^r  tout  oîï 
referve  de  quelques  foibles  mines  ïi  y  »  «iss 
d'argent  &  de  plufieurs  mines  de  ^°°^°^"' 
fer,  l'ancienne  Gaule  n'avoit  qu@ 
peu  ou  point  de  métaux.  Enviroiï-; 
née  de  toutes  parts ,  ou  de  Barbares 
comme  elle,  ou  des  Romains  qui* 
toujours   frappés  du  fouvenir  des 
anciennes  invafions  des  Gaulois  ^ 
auroient  voulu  que  les    barrières 
qui  les  féparoient  fuflèni  à  Jamais 
.  impénétrables  y  elle  n  avoir  pareil 
lement  aucurt  commerce ,  û  l'on  tm 
excepte  le  plomb  &  rétaim.  de  Is 
Bétiqae,  que  les nations  commer- 
çantes tiroieot  par  les  ports  de  la 
Méditerranée  >  &  qui  conféquem- 
ment  dévoient  être  entrés  daos  la^ 
Caule,  par  (es  ports  fur  l'Océan* 
\  Cependant  Torique  Ce  far  ea  £t  la 
conquête  ^  il  en  tira  affèz  d'^ot  ^m 
L  Partie 


^$6  Traité  de  la  Population, 
corrompre  fa  patrie  avant  de  l'avoîk: 
foumife ,  &  pour  acheter  tant  de 
partifans  dans  Rome  déjà  enrichie 
3e  tous  les  thréfors  de  TAfrique  , 
de  la  Macédoine  ,  &  fur-tout  de 
Topulente  Afie.  Céfar,  quoique 
rhomme  de  fon  temps  le  moins 
fcrupuleux fur  les  moyens ,  ne  nous 
a  pas  été  tranfmis  comme  con- 
cufîîonnaire  :  il  le  fut  réellement» 
■fi  Ton  confidére  les  chofes  avec 
les  vues  de  jufïice  Se  d'humanité 
qui  nous  font  familières  aujour- 
d'hui ;  mais  par  comparaifbn  avec 
Tufage  reçu  par  fes  contemporains 
&  par  tous  les  Grands  de  cette 
infatiable  République  ,  il  peut  à 
cet  égard  pafler  prefque  pour  mo- 
déré j  les  Gaules  lui  furent  toujours 
fidèlement  attachées  dans  les  c'ifFc- 
r entes  viciflîtudes  de  fa  rapide  for- 
tune, ce  qui  prouve  qu'il  n'ett 
avoir  pas  tyrannifé  les  peuples;  en 
un  mot  5  on  ne  voit  point  de  tra- 
ces de  fes  rapines  dans  leç  Gaules^; 
èc  Caflîus  fon  meurtrier,  quoique 
parvenu  Jufqu^à  nous  avec  la  faveur 


Travail  &  Argent,  3S7 
d'un  libérateur  de  la  patrie ,  pa(Iè 
pour  avoir  cruellement  pillé  TAfie 
pour  parvenir  au  maintien  de  foa 
parti.  On  peut  répondre  que  Céfar 
qui  donnoit  tout  pour  tout  acqué- 
rir ,  &  qui  rçavoit  donner  avec  les 
grâces  fupérieures  de  la  nature 
&  de  refpric  dont  il  étoit  doué  y 
faifoit  de  rien  quelque  chofe  ,  & 
qu'il  fortit  des  Gaules  tellement 
pauvre  qu*il  fut  obligé  pour  (om 
début  de  choquer  tous  les  préjugés 
éQÇ3i  patrie,  en  forçant  &  pillant 
îe  thréfor  public.  Sans  entrer  dan& 
cette  difcufîîon  de  détail  ,  je  me 
contente  de  renvoyer  au  récit  de 
fes  quartiers  d'hiver  à  Riminî,  oit 
Home  entière  venoit  grofîir  fa. 
Cour  5  &■  s'en  retournoir  comblée  ^ 
aux  dérails  des  diiîîpatîons  de  fés 
principaux  fatellites ,  les  Oppius  ^ 
îes  Baibus  ,  les  Antoine ,  les  Do^ 
îabella.  Cefar  conquérant  &  Ceîâr 
politique  font  deux  hommes  ;  îa 
fortune  îe  mena  plus  loin-  qu'il  ne 
penfoit  aller;  comme  conquérant 3, 
le  fer  ^  Tâdivité  furent  fes  (fûtm 


3  S  S  Traité  de  la  Population. 
armes  ;  comme  politique ,  il  fêmbfe 
avoir  trouvé  les  iburces  dé  l'or. 

D'où  venoient  donc  ces  richefles 
dans  des  pays  encore  i  fol  es  ?  Uni- 
quement de  Timmenfe  population 
qu'il  y  trouva  établie.  On  eft  efFrayé 
des  détails  de   cette  efpece  qu'on 
lit  dans  les  Commentaires.  Je  le 
répète  .  par  tout  où  il    y  a   des 
hommes .  il  y  a  des  richefles  j  les 
riche iTes  n'étant  que  les  chofes  né- 
cedàtres  à  la  vie  ,  ou  leur  repré- 
fentatif.  Les  métaux  ne   font  que 
le  figne  des  valeurs  s  où  il  n'y  a 
point  d'hommes  >  il  n'eft  de  valeur 
à  rien  ;  &  fî  les  métaux  fe  trouvent 
dans  des  climats  déferts  ,  ils  cou- 
lent  bien    vjte   fe   répandre    aux 
lieux  où  la  nécelîité  du  troc  leur 
fera  trouver  leur  place. 

Dans  la  Partie  fuivante  ,  nous 
allon?  entrer  dan^  l'examen  des 
différents  ufages  qu'on  peur  & 
qu'on  doit  faire  de  l'or ,  &c  traiter 
des  moyens  d'accélérer  fa  rapidité  3 
de  la  diriger  de  façon  qu'il  circule 
fans  eefle  fans  corroder  ni  faire 


Travail  &  Argents  ^^ 
dépôt.  La  carrière  va  s'ouvrir  ,  ôc 
les  grands  objets  (e  développer  pro- 
grèÛivement  à  notre  vue.  Qu'il  me 
foit  permis  de  finir  cette  Partie-ci 
comme  Je  l'ai  commencée,  en  re- 
commandant la  population  ôc  Ta-; 
griculture. 

Les  finances  font  le  nerf  d'un 
Etat  ,  il  eft  vrai  ;  mais  l'or  n'eft 
qu'un  métal  :  il  ne  devient  richede 
qu'en  paflfant  par  les  mains  des 
hommes.  Donnons  des  hommes  à 
un  Etat  5  s'ils  n'ont  de  l'argent ,  ils 
en  feront  venir.  Des  tonnes  d'or 
ne  bougeront  de  place ,  fi  perfonne 
ne  les  remue.  Un  homme ,  comme 
les  B.  ^"^  Ôc  les  P.  **,^  fournira  à 
fott  Prince  des  facilités  pour  lever 
&  entretenir  des  armées  en  Suéde. 
Ce  met  fuffit  pour  rappeller  la  ré- 
flexion j  qu'il  entre  plus  d'hommes 
que  d'argent  dans  ce  qu'en  appelle 
les  finances. 

Les  Efpagnoîs  ,  on  le  fçait ,  ont 
eu  feuls  pendant  long  temps  les 
fources  de  l'or,  A  quoi  leur  ont- 
filles  fervil  qu'à  fe  perdre  en  prQ«» 


^90  Trahi  de  la  Fopuiathm 
jets  imagirraires  ,  &  à  fe  dépeupler 
de  façon  à  ne  s'en  relever  de  long- 
temps. Si  les  Gafçons  &  les  Limou- 
fins  ne  vom  faire  la  récolte  en  EC- 
pagne,  les  naturels  du  pays  mour- 
ront de  faim  ;  s'ils  y  vont ,  ils  en 
emportent  tout  Tor  ,  Ôc  ainfî  du 
refte.  Quand  le  pays  fourmillera 
d'hommes,  les  fervices  y  feront 
payés  moins ,  puifqu'il  y  aura  plus 
de  gens  ayant  befoin  d'emploi  r 
augmentation  de  finances.  Ces  in- 
duàions  fuffifent  pour  faire  fentir 
que  e'eft  mal  entendre  les  finances  5, 
que  de  croire  les  améliorer  par 
l'augmentation  des  revenus  de  l'E- 
tat, fi  elle  n'eft  une  fuite  de  l'ac- 
croiffèment  de  fa  force;  que  cette 
force  confifte  uniquement  dans  1^ 
population  ;  &  qu'un  Prince  qui? 
s*appauvriroit  pour  aider  cette  po- 
pulation, mettroit  fon  argent  à  uns 
l)ien  gros  intérêt.  Or  j'ai  trouvé 
ce  fecret;  Je  le  donne  gratis  ,  Se 
Fexécution  n'en  coûtera  qu'un  peut 
^attention;  r  aime^j  honore^  Va'- 
gricuàure^  e^eit  le  foyer  ^  ce  {ont 


Travail  &  Argent,  351 
les  entrailles ,  &  la  racine  d'un  Etar^ 
Nouveau  Cadmus  ,  les  hommes^ 
fortiront  pour  vous  du  fein  de  la 
terre  ,  &  ne  fe  battront  pas  ^ 
comme  firent  ceux  de  ce  temps-là*. 

Tin  de  la  première  Partie^ 


ï 


i^« 


<u 


A^ 


wè 


\