f- *;■
, 1
f 1
'f
V^j'
•y .>■
s
s
>
*^'
^S-'
>
ia
4'
t • •'i.
^«*.
vi>
^.:>M^:
L'AMI
DES HOMMES,
OU
s
TRAITE
DE LA POPULATION.
NOUVELLE EDITION,
Augmentée d*une quatrième Partie
ôc de Sonàriiaires.
PREMIERE PARTIE.
wz SEPT çmr cmgy.i^m^_mi/F^
r
M'
'V
2'*
' ^'^ mm é% ^^ ^^
AVERTISSEMENT.
T'ENTREPRENDS de traiter
4/ ici /e /?/«5 «ri/tf & le plus in-^
térejjant de tous les objets
d* ici-bas pour Vhutnanïté^\2i Po-*
puîation. Prefqu' autant de gens
ptnfeht eh connoître les principes
moraux \, qu'il y en a qui en em-^
ploient les reports phyfiques i &
cependant j' annonce que mes prin-^
cipes -, que je -crois vrais ^ font
ainjî que rrîes.conféquences y dia-^
métralement oppofés a prefque
toutes les idée ^ que j'ai trouvées,
^dans le monde fur ce Chapitre^
Toutes les fois que dans lescon*
verfations j'ai hai^ardé ctavancer
^luelques-unes de mes idées à cet
igard j j*ai vu d'abord qu'elles
fLoient regardées comme le plus
ai;
■fr^il
îv AVERTISSEMENT.
étrange paradoxe^ Quand enfuke
mes audiieurs ou ma propre vi^
vacité m^ont donné le temps d^éta*
hlir mes principes ^ 6* d'en motiver
les conféquences jfai vu très-promp-*
tement l^effet de la démonjiration,
dans ceux qui niécoutoient ; mais
ce n'ejl point ainji que les idées
générales peuvent être déracinées r
je le fçais ^ & en conféquencc
n'ayant jamais confacré mon loifir
qu'à l'utilité j je crois pouvoir
mettre au nombre des ouvrages qui
fontfortis de ma plume inconnue ,
& qui m'ont donné lefecret plaijir
de les voir quelquefois réujjir j un
Traité fur cette matière j oà mey
idées foient en quelque forte déve-
loppées, C'ejl ici qu'on pourra mt
juger. Qui m'aura lûjufquati bout
me lira peut-être enfuite par par
celles j qui ne me lira point ^ m
met au nombre de tant de boni}
Ecrivains ^ que je l'en remercii j,
£ avance, | ^
La Population eft-elle utile ((l i
mvi"** II' fi^bk au premier coA ^,
' k
AVERTISSEMENT. V
â^'otil que cette queftion foit Véqui"
valent de celle-ci : Le foleil éclaire-
t-il ou non ? Mais on verra que
^arriverai d'inductions en induc^
tionsjufqu'à une Morale Jî aujlère^
que je révolterai bien des gens. Je
vais créer une infinité d'hommes i
que- d'embarras pour les gouver^
ner ! Je vais les rendre laborieux
& riches - combien de gens m'ont
dit fagement qu'il ne falloit pas
que le peuple connût une aifance.
qui le rendait inf oient l Je vais
diminuer le nombre des chevaux &
des équipages _, & mettre leur aug--
mentation au niveau de l'incendie
& du parricide ; je vais prouver
enfin ^ ouï ^ démontrer que le luxe
efi j proportion gardée j Vabyme
d'un grand Etat plutôt encore que
d'un petit. En fiuppo/ant donc que-
mes principes fiaient avoués ^ qu'ils
fe trouvent exactement liés les uns
aux autres ^ & que les conféquences
en fartent naturellement y combien
de gens en qui la corruption du
cœur n'a pas offufqué les lumières
d€ re/prit ^ VQudroient peut-être^
• * »
Y} AVERTISSEMENT,
revenir en arrière ^ & foûtenîr ^
attendu qu'ils tiennent dans t Etat
actuel le haut bout ^ que t homme
eji plus heureux étant au large ^
comme on ejl aujourd'hui j que s il
Je trouvoit ferré par ma nouvelle
peuplade ! Mes très-chers& très"
doux Epicuriens ^ vous êtes plus
dangereux en France ^ que par^
tout ailleurs^ ou la mollejfe abru"
tit s ici elle rend l'e/prit faux &
délicat j & c'en ejl ajfe'^ pour être
prophète parmi nous,
Cefi à vous donc que je parle $
& je dis qu'il eJi bon d'être plu"
fleurs erfemble. i^. de peur d'être
mangés des loups : i°, afin que les
ions cuifiniers foient moins rares»
3°. Que de belles voix ^ & de jolies
filles naîtront parmi cette colonie
que j'annonce ! F^oilà tout ce quiE
vous faut _, je vous le promets ^'^
foye^ tranquilles ^ & nous laijfe^
■Jpéculer j nous qui ne valons pas
la peine de nous aimer nous-mê'
mes ^ mais qui aimons nos frères
& leurs neveux j qui aimons P homme
AVERTISSEMENT. vi|
comme le plus utile j le plus ai"
mable & le plus reconnoiffant des
animaux , & le plus propre à tout
genre deplaifîrs j de travail^ d'em--
belliffement & d'utilité,
La voix de Vhumanîté qui re^
clame fes droits , demandoit un plus
digne organe j je Vai fenti ; mais
mes idées ne jont point celles d'un
autre : la vérité e]i infinie. Je ne
penjè pas avoir ouvert la carrière^
je me flatte encore moins de la
fermer. Le dirai-je ? /'incognito
que je garde , me facilite une forte
de relâchement, C'eft avouer que la
charité efi moins active que r amour'
propre. Oh l Mes Semblables ^ fort'-
de:^ fur cet article votre propre
cœur y avant de me jetter la pierre^
De tout temps je me fuis pref
crit de ne rien donner au publit
qui pût n avoir trait qiia moi ^
^eft-k-dire^ a la forte de confidé-
rationj qu'il eft naturel qu'un Au-
teur efpere retirer de fon travaiL
En cela j'ai plus conjulté la pniz
a iv
^11) AVERTISSEMENT.
dence & ma pareffe j que la mode'-
ration. Habitué à écrire très incor-i
reclement ^ les foins nécejjaires
pour retravailler un fiyle quelque^
fois original^ mais toujours louche
& défeSiueux , feroient une fatigua
pour moi ^ qui fus fur-tout enne-'
mi de la peine. Ce vice de Cefprit ^
qui porte fur toutes fes opéra-
tions j doit naturtllcment fe fairéi
fentir plus défaramageufcmenten'
core que par- tout ailleurs j dans
un ouvrage de longue haleine j &
qui roule fur des quefions de rai-
fonnement autant que fur des points
défait Le Jiyle de ce Traité four^
mille de ce genre de défecluojités ^
je lefens autant que mes Lecteurs ^
mais mes affaires & mes amis ont
hefoin de moi j& le peu de temps
qu'on me laijffe ^ eji mieux em^
ployé à compofer _, qu*à n^appe*
fantir far des révifons de ftyle^
Parmi tous les défauts de celui-ci
on trouve des traits & des véri^
tés. Celles-ci qui font le fonds ds
cet Ouvrage ,/bnt aune importance
trop abfolue pour l'humanité ^poitr;
"Avertissement. î^-
q^e mon amour propre Je foit cru
autorïfé à les enfeveîir dans VoU'
ML
Ce nefi pas que je regarde le
plan entier que je femhle pré/en-
ter^ comme un fyfieme ahfolument
pratiquable dans toutes fes parti es ;
je fuis peut-être le moins imagi-
naire de tous les hommes dans le
fait. Je penfe que tous les principes
établis dans cet Ouvrage font vrais ,
& je fer ois fort aife d^ avoir à tes
défendre; mais il ejl fur- tout des
points principaux j dont la nécef"
pté ejl urgente & abfolue.
Je n offre pas ici une * tecturc
d amufement. Indépendamment du
férieux du fujet ^ il demeure dans
la façon dont il ejl traité ^ un air
de défordre que je nai pas eu la
force de corriger. Outre ce que mon
naturel y a apporté de ce genre
d'imperfeciion jy il eft dû encore a ux
variations furvenues dans la co k-
texture du plan. Je t entrepris d'à
kord dç,m la form€ d\un Commm
x' AVERTISSEMENT.
taire libre fur un Ouvrage exceU
lent que je pojfédois alors en ma»
nufcrit ^ & que je voulais donner
au Public, Cet Ouvrage parut ^
avant que j'eufje entrepris la troi-
Jîéme Partie ; cela me détermina
à changer la forme d£ mon Ou^
vrage ^ & à rajjembler fous des
titres à moi des morceaux épars
& négligés que j^avois laijfé couler
de ma plume, La première Partie
fe fent fur-tout beaucoup de cette
réfaciion , & je crains que la forte
de déf ordre _, qui y règne j ne re^
bute mes Lecteurs, C'ejl pour eux
plutôt que pour moi que je les prie
di aller jufqu' au bout ^ & di attendre
du moins à ta troifcéme Partie à
me juger définitivement.
•«^ JBf ^
TABLE
DES CHAPITRES
Contenus dans cette premiêrePanîe^
Avec les Sommaires des matières
qui y font traitées.
Chap. I. Société j Riche (Jes ^ Pag. ï
Animaux fauva^es , Animaux
domeftiques, z
Cupidité & Sociabilité, 9
Seul moyen d'enrichir le peu-
ple, 14
■Ncceffaire, Abondance , Su-
perfm , if
Ce que c'eft que la Richefle , ai
Chap. IL La mefure de la Sub-
Jîjiance efi celle de la
Population y if
La multiplication d'une efpèce
ne dépend pas de fa fécon-
dité, 2g
Moyens de fubfifter, mefure
de la multiplication , 3 9
Maifons Religieufes ne font prin-
cipe de dépopuiaûon ^ 44
TABLE DES CHAPITRES.
Chaf. IIL L"" Agriculture qui
peutjèule multirlier les
fuhjifiances ^ ejî le pre-
mier des ans, 58
Plus voys faites rappori^er à la
terre » plus vous la peuplez, ^7
L'Agriculture , de tous les arrs
le plus focia'ole , 80
ChAp. IV. Avantages de la
France relativement à
r Agriculture ^ 8 1
La France plus avanngée
qu'aucun autre Etat pour
l'Agriculture, 8/
rifle^Gélée, 9^
ChAp. V. Inconv miens qui font
languir V Agriculture _, 95^
Plus une fociété s'étend , plus
l'Agriculture cefFe d'y être
énervée, 10 i
Tribunal de h dévaflation, loy
Voyage chez les Hottentots ,115
Le plus ultra devife de l'hom-
me, iif
Raifon de préférer les biens
en fonds de terre , m
Raifbns qui nous font dédai-
gner les terres, 128
Déception fur l'ancien état de
U Monarchie j ' 13 1
.TABLE DES CHAPITRES.
// faut que les peuples /oient
pauvres , axiome de gibet , i4f
Difperdiciôn des terres en
parcs , jardins , &-C. ijq
Multiplicité & trop grande
largeur des chemias , léi
Chap. VI. De la nécejjïté &
des moyens (T encoura-
ger l'Agriculture ^ i^§
Aimer les Grands , Honorer
les médiocres , Appuyer
t\ les petits , i6^
Platitude infpirée à un très-
grand & très - excellent
^- Pfince , 17^
Ridicule jette fur les Gentils-
hommes campagnards, cri-
me d'Etat, i8«
Apologie de la gaieté de la
tablié, 188
Çrand Seigneur bienfaifant,
& campagnard, i^é.
princes avares , Peuples heu-
reux, 20*
^HAV.'Vlh L'emploi que Von
fait des terres dépend
des mœurs & ufages ^iii
■^ . . Mieux vaut entretenir des
hommes que des chevaujt, 214
Nobkffe, 21 4
TABLE DES CHAAITREJi
L'échange des propriétés n'eft
point commerce , 217^
Utilité de l'exclufion des fiefs
pour la roture , 151
Méfailiances , 242-
Capitation fur les chevaux, i/o
Où la campagne eft riante ,
Profpérité, 257
Difcoursd'un barbare au Roi,2^2r
Moins de Nobleffe à Paris
qu'il n'y en avoit autrefois , 16S
Paris s'eft étendu en pierres &
jardins , & nullement en
hommes , 2^9
Quels maux font les plus à
craindre dans une grande
Monarchie , 277
Palliatifs , pire des recettes
pour Un grand Etat, 285
Population de Paris vient à
rien , 289
ïnconyénien.s de l'inégalité
des fortunes, 29}
Colonne des emprunts , co-
lonne des rembourfemens j
tout d'un coté , rien de l'au-
tre , ^ i9r
Liberté confifte dans l'autorité
des Loix , & dan>^ la fagelTe
du Gouvernement, 505
Eftime deseaiplois en épargne
la folde , 318
Le genre de fervices décide du
genre de falaires , ^zf
TABLE DES CHAPITRES.
Les bienfaits pécuniaires des
Princes n'ont jamais fait
que des ingrats , 351
,Chap. VIII. Travail & Argent,'^ 1 5
Degré d'efHme due à chaque
profefîîon, 541
Suî profufus , al'ienî appetenSy
devenu la devile de tour le
monde, ^6%
Le relâche des Fêtes n'efl:
nuifible au travail que par _
la corruption , 57f
Les richefTes fe trouvent par-
tout où il y a des hommes , 38/'
fin de la Table de la /, P#
L'AMI DES HOMMES,
O U T R A IT E
DE LA POPULATION.
CHAPITRE L
Société ^ Richejjes^
Eci n'efl qu'une intro-
dudion , où j'établirai
j quelques principes fon-
b damentaux très-abrégés ,
attendu qu*ils font prefque tous re-»
b.attus,nnaisindtrpenfables avant que
d'entrer férieufement en matière.
Si rhomnne pouvoir voler , je
airois qu'il eft la plénitude du
régie animal. Le plus vivace des
animaux , il eft encore le plus
courageux , le plus fort , le plus
A
1 Traité de la Population
^ adroir, le plus .nbflinent , & celui
de tous, qui fait le plus aifément
parure de tour.
On divife communément le ré-
gne animal , pour parler le langage
des Phyiiciens , en deux genres
Animaux principaux 'j animaux fauvoses &c
fauvages , • ; n- r^ j ■ • r
Animaux ^'"'^/û"-^ domejtiquesS^tiXQ divilion
iomeftiijues. eft défedueufe , en ce qu'il eft peu
d*animaux domeftiques , qui ne
puiiîènt devenir fauvages : mais en
les confidérant d'un autre fens , on
les peut divi(er en deux claHes j
animaux foïitaires _, animaux fo^
cïahlcs. L'homme efl: affurément
de ces derniers. Il n'y a pas de
vérité mieux démontrée que celle
qui Teft par les faits. Partout où
Fonavû deux hommes /eulement,
•on les p. affurément trouvés en-
semble en même gîre ou repaire.
l>'in(lin(fl de l*animal foliraire
lui nK)ntre fbn avantage à erre feul.
?L*in{lini5b de l'animal fociable le
porte à faire nombre avec fes fem-
iblables. Jufques-là Thomme neâ
^qu'animal ; mais tout animal eS
âYii^ ^.^ c*eft,€açela..^jîe riiîfliajft
Société ^ niche [j es, f
éo Thomnie commence à fe dif-
tinguer &" à s'érendre jufques à
rincelle(5i:. L'animal eft avide du
préfent Se du préfènt momentané ,
rhorame eft avide du préfenc Ôc
fans bornes: il Teft du palTéjdans
lequel il fe cherche des titres de
polîèlîîon , des ayeux , des anna-
les; il Teft encore du futur, quïl
ambitionne au - delà de fon éxiC"
tence. H eft avide de tout , ôc
tandis que la naaire d^une part le
force à Ce réunir à Ton ferablable,
Tintelled lui fait d'autre part fentir
quil s'appuie fur fon rival , fur
l'ennemi naturel de toutes Tes pré-
tentions.
Ce n'eft pas ici le lieu de confî-
dérer cet intelled comme un pré-
fent de la Divinité, deftiné primi-
tivement à des fondions toutes
nobles & dignes de fon origine^
OLa trace d" cette inflitution pre-
mière fe montre à la réflexion »
plus encore qu'à la £o\ L'homme
le* plus barbare s démêlé par des
yeiix perçans , lailîe voir au Spec-
tateur le germe de vettus qui ns
À ij
^ Traite de la Fopuhtion,
tiennent rien de la nature animale;.
La générefiré , la confiance , le
refpeâ: pour. les. vieillards , ramour
filial , & tant d'autres ^nc des
plantes étrangères fur yn fol pat
lager nécefîîré à un entretien jour-
nalier,,& qui marche à chaque
inftant vers la jdeftrudion ; mais
ç'eft rhomme brute que nous coii-
iîdérpns uniquemenr en cet h\Ç-
. t^nr.
Il ne feroit pAS, étonnant, que le
.meurtre fe fût trouvé entre les
4eux premiers hommes égaux en
âge & en dignité, ç.n eHet, les
plus anciennes annules de l'huma-
nité nous l'annoncent comme Ijg
premier des .crimes cont%e la ip-
ciété.
Il réfulta de ces deux principe^
contraires 5 & tous. les deux dans
cla nature , defquejs l'un rapproche
l*homme de fon femblàble, l'autre
Je lui fait regarder comme ennemi,
,.^ue les Igîx concernant le partage
-4çs bfens , ont dû être les premié*
•ies de toutes & les plus indifpe^»
*t--'
Société ^ Èîcheffes, f
On en trouve en effer la tracé
dans toutes fociétés préfentes 6c
partees , même les plus informes.
Dans les fociécés errantes , comme
les hardes de Tartares, les campS
dTndiens , &:c. qui tranfmigreiit
avec leurs familles & leurs bèf^
îiaux , le Chef qui les conduit règle
les limites de chacun autour du
camp. LesConquérans partagèrent
3e territoire de leur conquête, les
Fondateurs celui de leur ville. En
un mot 5 le partage* des' biens eft
îa première loi de la fociété, & le
tronc, pour ainfi dire 5 de toutes
les autres \q\% : qu'on né m'op-
pofe pas l'exemple dès Sauvages
qui vivent en commun de lachafïe
èc de la pêche. Ces peuples doi-
vent être regardés comme une feule
^<. même famille qui jouit d'un ter-
ritoire immenfe , & qui en difputè
lés limites par des guerres cruelles
avec des familles voitines. On
pourroit même afTurer que les Sau-
vages les plus brutes ont des pro-
priétés reconnues entr'eux , des
atcs , dès flèches , des cabanes , &:c:;-
A iij
0
é Traite de la Populadon,
La petireflè de ces fortes d^objefs
proportionnés au peu de befoîns de
ces peuples , les a dérobés aux yeux
de ceux qui en ont parlé autre-
ment.
La propriété une fois établie a
fes abus, comnie tout ici bas , &
Tinégaliié des fortunes en eft une
fuite indifpenfabie. La force. Tin-
duftrie, le bonheur , Téconomie
groffiiïent un héritage, & les dé-
fauts contraires diminuent l'autre.
Cefl: ainfî que le territoire entier
de la fociété pafle dans les mains
d'un petit nombte , & que tout le
refte vit dans une forte de dépen-
dance de ce petit nombre , foit à
fes gages, fbit comme entrepre-
neur du maniement des fonds 6c
de leur produit.
Telle eft la fociété nai(Tànte &
croifTante. Voyons-la maintenant
s'étendre & prendre la forme d*Erar*
Les Incas , feuls Souverains qui (è
foient fait un grand Empire au pro-
fit inconteftable de l'humanité j
réunirent plulîeurs de ces familles
errantes & fauvages , donc nous
Société j Richejfes, f
parlions tout-à-rheure ; donnèrent
à chaque canton des loix utiles ;
leur enfeigiierent l'agriculture ; les
rafTemblercnt en un mot , ôc firent
un corps immenfe. Mais vaine*
ment voudroit- on maintenir un
corps fans alimens. La nourriture
de l'homme ne fe peut tirer que
de la terre -, la terre ne produit que
peu ou rien , qui nous foit propre >
îans le travail de l'homme. La
population & ragriculture font
donc intimement ôc néceflairemenc
iiées 5 & form.ent enfembie l'objet
principal d'utilité première, d'où
liai (lent tous les autres. Confidé-
rons d'abord la population fous fon
premier poin: de vue.
Les haniaux ôc les villages fotit
l'habitation des cultivateurs des
ehamps , ôc de ceux d'entre les
propriétaires qui font obligés de
les faire valoir eux-mêmes. Les
bourgs font dune part des villages,
dont le territoire eîc plus connaJ-
rableide l'autre, ils font le féjour
des petits propriétaires qui peuvent
s^écarter de leurs fonds , ôc qui en
À iv
s Traité de la Population»
ont allez pour que la rente que
leur en fait l'entrepreneur ou fer-
mier 5 les fade fubfifter dans le
voifinage ; comme ils font aufîi
Tentrepôt du troc intérieur du can^
ton , & de réchange du fuperflu
avec le néce(Tair.e, qui eft Tame de
la fociété. Les villes font de gros
bourgs , féjour de Tefpèce des pro-
priétaires qui font encore plus dans
Tindépendance que les premiers 9
qui fe raiTemblent pour le plaifir
ou pour les affaires. Les villes font
aufîî le féjour des Tribunaux de
Juftice, & de tous les entrepre-
neurs de détail , qui font employés
à fournir les nécefîîtés Se commo-
dités aux habirans & aux étrangers
que de femblables motifs plus paf-
fagers attirent à cette efpèce de
rendés-vous. Les Capitales enfin
font le fcjour du Prince , des grands
propriétaires qu^atrirent la faveur
ôc les emplois dans le gouverne-
ment. Elles le font des grands Tri-
bunaux , des arts , de la magnifi-
cence 5 du fuperflu.
Tel éft le tableau extérieur de la
Société j, Riche ffes, ^
population. Ceft ainfi que tduc
ici- bas va par hiérarchies & par
échelons , comme les marches d'un
efcalier , qui toutes font également
néceffaires à la perfe6lion , mais
dont les plus bafles, indépendam-
ment de l'utilité commune , font
deftinées à fupporter tout le faix
& Tenfemble , & conféquemment*
méritent plus d'attention , à pro-
portion de ce qu elles fe rappro«
chent de la bafe;
Après avoir confidéré îa fociété
dans le phyfique 5 examinons -la
maintenant dans le morai.
La réunion forcée des deux mê-
mes principes antipatiques que J'ai
notés ci-defTus , fçavoir la fociabi-
Itté d'une parc , & la cupidité de
Tautre , caufe ici - bas les mêmes
contradictions. Ce font deux troncs
qui fe ramifient à Tinfini ; l'un porte
les vertus, & l'autre les vices.
La fociabilité a inventé & placé cupîdîte i
par ordre l'attachement à fes pro- ^odabiiuç^
ches, à fès amis , au public, à la
patrie, au gouvernement, & toutes
les vertus de détail qui iiluflrenc 1^
A T
lo Traite de la Population,
vie privée, & rendent rhéroïfme
aimable.
La cupidité vomit au contraire
l'envie , Torgueil , la violence , la
fraude 5 la ctuauté, & tous les vices
qui déshonorent Thumanité , & la
rendent plus profondément incom-
préhenfible encore en mal qu'en
bien. On verra dans la fuite que
loin de profcrire entièrement la
cupidité , projet idéal fans doute y.
puiique rien de ce qui eft dans la
nature ne peut être détruit, je lui
trouve une direction utile à la fo-
ciété. En effet, l'Etre fuprêmen'a
rien mis en nous d'entièrement
mauvais; mais dans la fpéculation
préfente je ne confîdere la cupidité
que telle qu'elle fè montre à nous
par fes efîets les plus ordinaires.
Ce point de vue nous meneroîc
à Tidée du bon & du mauvais
principe j erreur pardonnable à
l'ancienne Philofophie , qui n'a voit
pas comme nous l'avantage d'être
guidée dans fes recherches à tra-
vers le cahos de la nature humaine
par un trait perçant de lumière
Société j Rîchejfesi ï I '
tévélée. Nous Tçavons aujourd'hui
que ces deux principes du bien &c
du mal fi diftants en apparence 3,
partent néanmoins de la même
îbuche , fçavoir d'un arrêt de dé-
gradation forcée 5 qui nous laiflanc
toute retendue & tout le refTorc
d'une ame préparée pour une deP
tination tcut autrement noble 8c
pare, & y ajoutant encore l'inqùîé-
tude proportionnée m déplacemeni:
acftuel 5 nous a livrés d'autre part
à i'épaiflîiïement , aux befbins , aux
erreurs de la matière ; de forte que
i'illufion eft toujours en préfence
de nos defîrs à côté de la vérité.
De ces deux objets le fécond mena
au bien , l'autre au mal ; ainfi notre
ardeur à courir dans des routes d
diverfes part du même principe
dirigé finr la vérité , ou ép;aré par
Tillufion, c'eft-à-dire, de Fimmen*
iîté de l'ame.
C'eft ce qui a fait penfer avec
quelque raifon que le fcélérat Se
le héros étoient en quelque forte
de la même étofïe , Se que l'excès"
dans chacun de ces genres fi op-
A v)
Ji Traité de la PopulatiorT.
pofés , fuppofoic une égale force àé
reflorcs, de la direction defqaels
un rien a fouvent décidé.
Cette vérité de fpéculation eft de
toutes les connoilTances la plus
utile dans la pratique. D'une part ,
elle nous rend dans la fociéxé com-
patiflants pour les vicieux; moins
aufteres , moins durs , plus hu-
mains 5 moins préfomptueux, moins
fufceptibîes d'orgueil : de l'autre >
elle nous fait fentir dans les places
que les foins & les travaux du
courant ne font qu'un bas détail ea
comparaifon du premier des foins,
qui eft le maintien des mœurs.
En efîèt, dès que le Souverain
(que je ne cite ici que comme la
plénitude de la puifïànce , compre-
nant fous fon nom tout ce qui a
dé l'autorité parmi les hcmmes )
dès que le Souverain, dis- je, fera
perfuadé que la fociabilité & la
cupidité exiftent & fe combattent
comme deux élémens contraires
dans tous les hommes ; qu'il aura
compris encore que les mœurs ^
ufages & opinions décident en gé'i
Société ^ Riche (J es, vy
lierai Tinquiétude humaine vers
Celle de ces deux afFedions rivales
qui (è trouvent en vogue dans la
focîétéj que marchant par grada-
tion ; il aura fenti que c'eft lui qui
peut enchaîner celui de ces deux
«lémens qu'il voudra , <Sc donner
carrière à l'autre , certainement le
réfukat de cette fpécuîation au(E
fimple que férieufe fera d^ ne fe
connoîcre qu*un devoir , qui ed
de marcher en tout & par-tout 6>c
jufques dans Tes moindres aâ:ions-
vers la fociabilité , & de fe détour-
ner même avec afFeâ:ation , s'il eft
poiîible de la cupidité. Celle - ci
i/eft jamais riche de^ce qu'elle
poffede, elle eft toujours pauvre
de ce qu'elle defire. Dans les vues
de la fociahilité au contraire ^ comb-
ine il n'eft queftion que de fe réu-
nir , chacun apporte tranquillement
{on contingent à la malle ; riche de
ce qu'il y fournit, il nefl pauvre
que de ce qui manque à fon con-
frère ; & comme malgré route ha-
bitude de confraternité, nos befoins.
firués en la perfonne d'aurrui {bat
1 4 Traité de la Population^
toujours très -bornés , il ne faut
pour nous (àtisfaire fur cet article
Seul moyen que la vie & le vêtement. Il n'efê
p/imie^. ^u'un moyen d'enrichir un peuple 9
c*efl: de le tourner ve^ la focia-
bilité. Ouvrez les annales de Thu-
manité, vous y verrez que de tous
les peuples & dans tous les temps ,
aucuns n ont vécu plus durement,
n'ont cependant été plus attachés
à leur façon d'être , & ne fe font
en confequence eflimés plus riches,
que ceux qui ont vécu le plus en
commun.
Ce n'eft pas afTez fans doute de
pofcr des principes , il faut fur-tout
les démontrer. Celui qui attribue
à la cupidité tous les maux qui
ravagent la fociété , trouve à cha-
que inftftnt fa preuve dans les faits.
En effet, fi l'on excepte quelques
palîîons brutales ( & encore dans
celles-ci certain point d'abrutifîè-
ment ) on verra que tout le refte
vient de la cupidité , du défit de
s'approprier les biens de goût ou
d'opinion,
La fuite de cet Ouvrage > doaç;
Société j R'icheJJes, If /
Tobjet neft point du tout de Faire
un traité de morale , me donnera
occafion de prouver cette vérité
dans toutes fes branches. Mais j'at-
taque en ce moment la cupidité
dans Ton fort, & je vais démon-
trer qo*elle nous égare , même
dans la recherche de ceux des avan-
tages phyfiques dont elle fait le
plus de cas , Je veux dire , de la
richelie. Il réfultera de cet exa-
men une définition précife de ce
que c'eft que richefTe pour un Etat^
ce qui remplira en entier Tobjet de
ce Chapitre.
Qu*eft - ce que la riche(Tè t Ce
devroit être la pofleiîîon des biens
d'ici-bas. Si c'eft cela , la fociabilité
eft toujours riche , & la cupidité
jamais.
Le néceflaire , l'abondance & le Niceflàîie^
fuperflu font , en fait de biens, ce Abondance,
que font , en ftyle de grammaire , ^ ^^P^^^^
le pofitif 5 le comparatif, & le fu*
perlatif. Le premier eft la bafè des
deux autres qui fans lui portent en
Tair. Examinez les calculs de la -
cupidité , ils prennent l'échelle à
IS Traité de la PopulcLtloni
rebours. Ces trois ordres de bietiâ
font de telle nature qu'on ne les
voit que du bas en haut. C*efl: dans
les entraves de la nécelîîté, que
le nécefïàire eft un objet d'ambi-
tion. Le nécellaire délire Fabon-
dance, & l'abondance le fuperflu>
mais ce dernier , d'autant moins
fatisFait qu'il devroit l'être davan-
tage, voit & defire au-delà de ce
qu'il poiïede , fans avoir jamais
fenti ni l'abondance ni le néceilàire.'
Quel eft le riche , interrogé fur ce
qu'il lui faut , qui répondra : le
pain 5 le vin à fuffifance , un habit
de laine Fhiver , & de toile l'été.
S'il s'en trouve un qui réponde de
la forte, examinez fes adions, &
ne l'en croyez fur fa parole , que
quand vous aurez vu de près que.
rout ce qu'il pofïede au - delà , eft
aux fiens , à (es amis i à la Société
plutôt qu'à lui ; que loin de fonger
à- accroître fon bien , il eft prêt à
le facrifier au befoin d'autrui. Ce
riche-là 5 s*il en eft , jouit vérita-
blement de ce qu'il poftede , puif-
<^u'il connoît le néceiTaire ^ Taboiiç
Société ^ Richejjes. If
dance Se le fuperflu ; mais rexem-
pie ell: trop rare pour faire régie.
Sortons de la thèfe particulière,
& portons nos fpécuîations fur le
corps entier de la Société, fur ce
qu'on appelle l'Etat. Les trois or-
dres de biens établis ci-de{îus font
& feront , de Taveu de tout homme
fenfé , Tagriculture jle commerce,
les ihrefors. L'on y trouve les
mêmes qualités de proportion &
de progrefîîon que j'ai notées dans
leur emblème, îe néceiïaire, l'abon-
dance ôc le fuperflu.
Cette vérité une fois pofée ;
écoutons les leçons de tous les prô-
neurs de l'intérêt ; examinons le
détail des foins des diffirenrs gou-
vernemens. Vous y verrez préci-
fément ce que je difois tout-à-
l'heure 5 l'échelle prife à rebours.
L'argent, l'argent , diront- ils; le
commerce utile eft celui qui appore
de l'argent ; le commerce ruineux
eft celui qui fe folde en argent. A les
entendre , l'Etat le plus riche feroic
celui qui auroit trouvé une mine
inépuifable d'or j de s'ils pouvoieiii
î8 Trahi de la Population^
à leur gré gouverner les élément
pour s'épargner le travail de la
mine , ils obligeroient Tair & le
feu de le mettre en fufion & de le
vomir j comme le Vezuve poufle
des matières enflam^mées, jufquà
ce que la lave eût couvert ôc en-
durci toute la furface du territoire
de la patrie. Se qu'ils fufTent par-
venus au fort du Roi Midas.
Mais, diront-ils, votre compa-
raifon pèche précifément dans le
point le plus effentiel. Vous avez
dit tout-à- l'heure que le pofïèfleur
du fuperflu ne regardoic jamais en
arrière , & méconnoiflbit l'abon-
dance & le nécelTaire ; Se il faut
avouer que cette imputation a quel-
que vérité. Si votre figure étoic
jude , il faudroit que ceux qui ,
en matière d'intérêt dT.tat , en
calculent la puilTance d*après la
quotité de fon argent , n*eu(îènt
aucunes vues relatives au commet-
ce & à Tagnculture. Or , cefh
précifément ici le contraire. Nous
ne voulons de Targent que parce
qu'il eft le fuc nourricier du corn-
Société ^ Rtcheffesl ip
tnerce , le repréfentatif des facili-
tés du troc. Le commerce vivifie
Tagriculture , en donnant un prix
ôc des débouchés à fes produ6tions.
Ainfî la comparaifon de votre
échelle renverfée cloche à tous
égards. L'argent eft la lève de l'in-
duftrie ôc de Tagriculture , loin
d*en être le fuperfîu.
Tout efl-il dit , Meilleurs ? Eft- -
ce bien là votre fyftême ? Fixons-
le , afin de ne point varier. Voici
maintenant le mien à moi. L'ar-
gent n'eft rien du tout de fa natu-
re. Il eft feulement devenu ligne
de convention repréfentatif des
biens de la vie. Loin que la mul-
tiplication du ligne donne des fa-
cilités pour le troc & pour la pro-
dudion de la chofe fîgniliée , il ne
fait qu'embarralïèr Fun 6c l'autre r
nn plus gros volume du figne en
repréfente un moindre de la chofe
iîgniiîée j c'eft d'abord une incom-
modité. L'inconvénient feroit peu
confidérable jufques-là, mais voici
des maux réels.
La commodité du GgnQ une fois
ab Traité de la Population,
établi comme nature de biens dàrîS
l'Etat, fait tomber toutes les au-
tres. Les biens naturels de Tagri-
culture & du commerce , à fcavoir
les denrées ^ les marchandiles ^
font pénibles à acquérir , fujets aa
dépérifïement , difficiles & embar-
radfants à garder , n'ont de prix
que pour celui qui en a befoi^.
Votre Ç\onQ au contraire fe trouve
dans des mines , s'acqùierr en vo-
lant & en tendant la main , arts de
facile exercice ; il ne dépérit même
point , un cofFre fort Tuffic pour
ralTembler la plus grofTe fortune :
le débit en eft afiuré à l'inflant,
&c il prend au gré du polTefTeur
toutes fortes de formes. Il eft donc
dans la plus exacle raifon que le
iigne prenne dans reilime humaine
le pas à tous égards fur la chofe
fignifîée , &: que la banque fafle
négliger le commerce & Tagricul-
îure.
Ce n*eft pa:s ici le lieu de dé-
montrer tous les inconvéniens tant
moraux que phyfiques de cette na-
ture de biens 5 combien elle écbap-
.Société^ Rich^JJes, li
f)e au régime des loixi dans quelle
impoffibiilré elle met le Prince..,
les loix 5 la police , & enfin tous
les moyens humains d'empêcher le
monopole & la vénalité de la loi
même & de la confcience ; quelles
fecoufles elle peut donnera TEtat
en fau.vant les grands coupables »
ou leur donnant du moins la faci-
lité d'alTocier leur fortune à leur
profcription; combien elle efl: pem
capable de tenir lieu des autres
biens dont elle ufurpe la place 5
combien elle détruit la dépendance
où le riche eft du travail du pau-
vre, feul palliatif du mal véritable
de rinégâlicé des fortunes ; com-
bien elle rend fautif & ruineux le
tarif de la fubvention réciproque
entre le gouvernement & les fu^-
jets 3 tarif qui fait la principale artè"
te de la circulation dans un Etat;
combien enfin jelle rompt tous les
liens de fociabilité entre les ci-
toyens j & établit la dureté. Tin-
îerêt & la bafTefiTe. Toutes ces
çhofes viendront naturelJeiïieniC M
% 1 Traité de la Population,
d'elles-mêmes dans la fuite de moit
ouvrage.
Il me fufEt maintenant d'avoir
fait douter un inftant du principe
de mes antagoniftes ; je lui don-
nerai encore une attaque feulement
' en établilTant fur des notions même
triviales , ce que c'efi: que la vraie
nche(ïè.
Ce que La nourdture , les commodités
^'^•\ 'i& ^^ ^ ^^^ douceurs de la vie font la
richeffe. La terre la produit , &
le travail de Thomme lui donne la
forme. Le fonds Se la forme font
la terre & Thomme. Qu*y a-t'il
par -delà? Par -tout la forme efl:
nécelTaire au fonds , ici plus qu aii-
îeurs. Tant vaut l'homme ^ tant
vaut la terre ^ dit un proverbe
bien fenfé. Si Thomme eft nul,
îa terre Teft auffi. Avec des hom-
•mes on double la terre qu*on pof-
féde, on en défriche, on en ac-
quiert. Dieu feul a fcû de la terre
tirer un homme ; en tous rems &
en tous lieux on a fçû avec des
hommes avoir de la terre, ou du
;£i3oii2S le pioduit ^ ce qui revient au
Société ^ Riche j]es. ï^
même. Il s'enfuit de - là que le
premier des biens , c'efl: d'avoir
des hommes , & le fécond , de la
terre.
La multiplication des hommes
s'appelle Population. L'augmenta-
tion du produit de la terre s'ap-
pelle Agriculture, Ces deux prin-
cipes de richeilès font intimement
liés Tun à Tautre. Je Tai dit , je
le prouverai dans le Chapitre fui-
vant.
On peut réfumer de celui-ci
que la bafe des loix pofitives eft le
partage des biens & avantages de
la fociété.3 & le maintien des droits
de chaque individu à cet égard j&
que la bafe des loix fpéculativesefi:
la diredion de l'inquiétude & de
l'avidité humaine vers la fociabi-
îité & la vérité, & le foin conti*
muel de les détourner de la cupi-
.dité & de l'illufion.
Princes, quelques-uns d'entre
•vous ont aimé qu'on leur dît qu'ils
■étoient les maîiTes abfo'us des biens
de leurs fujets ; fi jamais quelqu'au^
SXQ qu'au Charlatan déqp,avi,e Xjé^l^
Î4 Traite de la Population,
kment ce fecret-Ià , faites pendre
le démonftrateur , comme Ton fie
autrefois celui qui avoic rendu le
verre mallcabie.
Mais il eft une autre forte de
bien qui vous appartient , & qui
vous alTure tous les autres 5 ce font
les hommes ; vous aurez tout , fi
vous fçavez tirer parti de ce bien :
Tart de le gouverner , étendu dans
le dérail , eft très - borné dans le
principe. Animez la fociabilité ,
cpprimez la cupidité ; Tune eft la
corne d'abondance, l'autre eft la
boëte de Pandore. Il ne tient qu'à
vous de verfer ou d'ouvrir.
^^â* 'S*
CHAPITRE
Queîle en eji la mefure, 15
CHAPITRE II.
ha mefure de la Subjîjlance eft
celle de la Population,
LA Population une fois recon-
nue pour le premier des biens
de la fociéréjil ell queftion de (cavoir
d*oû on la tire , & les moyens de fe
procurer cette forte de richeiie.
Dieu créa au même rems tous
^ les germes , ôc leur donna la fa-
culte de fe reproduire & de fè mul-
tiplier *, mais il les rendit tous dé-
pendans des moyens de fubliftance;
c efi: une vérité phyfique 5 Se dont
la démonftration eft répandue fur
toute la furfaçe de l'univers. Tout
germe fe deffiche & meurt, fi les
fucs alimentaires , qui lui font pro-
près s n'entourent Ôc néçhâuÙent
les organes de fà croinTance, & us
fourniilent à fa (ubfîrfanc.e.
Çefi; de ce principe fimpîe &
vrai qu'il faut partir pour calculer
jufte fur la Population , fur 1^
Première Fartk^ E
%4 Mefure de la SuhfiflafîCel
imoyens de Tétendre , fur les vice$
iqui la reâreignent & la font laii^
guir.
Il eft iinguîier combien de toujt
ceiBS on a raifonné peu confé-
quemment fur cet article. Toutes
les fois qu^un grand Etat eft tombé
dans îa corruption des mœurs > on
jS*eft plaint de la dépopulation. Les
fpéculateurs ont cherché le remède ,
les Légiilateurs font ordonné, ^
îoujours inutilement. Pourquoi ?
c'eft qu'on youloic traiter le mal
fans en connoître le principe. On
ordonnoit des mariages , on récom-
penfoit îa paternité , on flétri(ïbit
îe célibat : c*eû fumer j c'eft arro-
fer fon champ fans le femer 9 & ea
attendre U récolte.
Demandez encore aujourd'hui %
lios fpécuîateurs , pourquoi la plu-»
fart des Etats de TEurope fe dé-?
peupleiît viiîblement ; les uns niô-
ront le fait , ce qui eÛ la méthode
la plus courte eiî tout genre de
jàifpute & la moins digne de r.é-^
|>liqae : le plus grand nombre con-
trop .yifible pou
Me Jure de la 'Population, ly
erre contefté de bonne-foi , en ac-
cufera le célibat des Moines & des
Relîgieufes , la guerre , le grand
nombre de croupes réglées , la na-
vigation , les tranfmigrations dans
le nouveau monde , & autres pré-
tendus vices de conftitution , dont
la plupart font au contraire de
nouvelles racines de la Population >
comme j'efpere le démontrer.
Quelle eft donc (èlon vous , me
dira-t-on, la vraie caufe de la dé-
population } La voici. Ceft la dé-
cadence de l'agriculture d*une part,
de l'autre le luxe & le trop de
confommation d'un petit nombre
d'habitaiîs , qui féche dans la racine
îe germe de nouveaux citoyens.
Je i^ais combien de préjugés éta-
blis cette opinion choque diamé-
tralement. Que de citoyens enten-
dus en efpaliers 8c qui dépenfent
en ferres chaudes 5 croient l'agri-
culture aulîî moderne en Europe
•que la Philofophie des Dames , Se
perfeélionnée de nos jours plus que
jamais ! Combien de calculateurs
«légans démontrent que la confom»
'■% $ Mefure de la fuhjtjlancé ;
tnation même de la prodigalité ^
ce qu'on appelle luxe fait la pro{-^
périté d'un grand Etat ! Ce n'eft
pas encore ici le lieu de Gon^battre
toutes ces iilufions de détail ; leur
tour viendra. Maintenant il eft
queftion de démontrer mon prin--
cipe, à fçavôir, que la mefure de
la Subjiflance ejl celle de la Popu^
lation, '
La multî- Si ia multiplication d'une efpecâ
©îication dépendait de fa fécondité , certain
d'une eipèce ^ ., • i i i
ne dépend nement il y au roi t dans le monde
pas de fa £é- cent fois plus de loups *que de
pofldJtf. jTioutons. Les portées des louves
font trcs-nombreufes , & aufïï fré-
quentes que celles des brebis qui
n'en portent qu'un. Uhomme con*
damne au célibat des arrnées de
moutons ; & je n'ai pas oui dire
qu'il fît aux loups cette efpece d'in^
juftice. il tue beaucoup plus de
mourons que de loups, & cepen^
dant îa terre eft couverte de^ la
race des premiers , tandis que celle
des autres eft très- rare. Pourquoi
ceia .V Ceft que Theibe efl for|
Me/hre de îâ Toputàtion. i§
Courte pour les loups , & très-éreiî'*
due pour les moutons.
Les Sauvages d'Amérique qui
ne vivent que de la chalTe , fone
réduics à la condition & prefqu'à
la population des loUps. Un très-^
petit peuple de ces Sauvages occupe
un territoire î:jui bien culcivéfour-
iiiroit à la rublifcanGe d'un peuple
jmnienfe^ & ces foibles nations ie
font encore fouvent entre elles de
cruelles guerres pour les limites ,
mais leur Population qui n'eft gênée
ni par le célibat ni par aucune régie
de continence , fe proportionne na-
Êurelleraent aux leuls moyens de
fubiîilance qu'ils fçavent fe procu-
rer. Un ancien Romain , toujours
prêt à retourner & labourer /on
champ, vivoit lui & fa famille du
produit d'un arpent de terre. Un
Sauvage qui ne feme ni ne laboure,
confornme feul le gibier que cin-
quante arpens de terre peuvent
nourrir : conféquemment Tullus
Hojîiinis avec mille arpens de terre
pouvoit avoir cinq mille fujets y
tandis qu'un Chef de Sauvages >
Bijj
3 ® Mefure de la Suèfîflance j
tels que je les ai repréfentés , borné
au même territoire auroit à peine
TJngt hommes.
Telle efl: la difproportion im-
înenfe que Tagriculrure peut éta-
blir dans la Population. Cen font
ici les deux extrémités. Un Etat
fe dépeuple en proportion de ce
qu'il s*éloigne de Tune Si fe rap-
proche de Tautre : en proportion
de ce qu'on y cultive les terres ,
& qu'on les emploie à produire ce
qui eft de la nourriture eflentielle
de Thomme , refpèce augmente en
nombre. En proportion de ce qu on
les laiffe en friche , ou qu'on les
emploie en inutilités ou produc-
tions de confommatîon précaire ,
refpèce diminue invinciblement
malgré tous Edits & Loix d'encou-
ragement ou de rigueur en faveur
des mariages.
Il fuit de - là 5 que les confom-
mations en fuperfîuités font un-
crime contre la fociété qui tient
au meurtre & à Thomicide ; d au>
tant que ce qui eft luxe en naiA
fant > devient ufage & décence dans
Mefuré de ta Pôputatiotil, j t
îa fuite. D'où naît que la princi-
pale attention du Gouvernement
doit être de porter par l'aiguillon
de l'honneur de par la force de
l'exemple , l'orgueil humain vers
la frugalité &z une forte de mo-
deftie relative à chaque profeffion^
Mais il n'efl pas tems encore d'en-
tamer ces matières.
M. David Hume Auteur An-*
glois , l'un des pins refpedables
Ecrivains politiques que nous con-
noiffions tant par fon érudition éga-
lement faine & profonde que par
la fagefTe de fes raifonnemens Ôc
une modeftie bien rare en ce tems-
ci , a fait un Traité complet fur
la queftion de la Population an-
cienne comparée à celle de notre
tems. Ce feroit dommage que
nous n'eufîîons pas ce morceau
également fçavant 8c raifonné ; Se
je lui rends toute judice fur le
mérite d'homme de lettres & de
citoyen qu'on ne peut s*empêcher
de reconnoîcre à un point éminent
dans Tauteur j mais en convenant
de plufieurs des principes reafer-*
B iv
|t Mefure de Ici Suhjiflancé^
mh dans ce Traité , je ne fnis pas
de Ton avis fur les conféquences erî
général. On pourroic le fuivre dans
les détails , & lui en difpu'cr un
grand nombre; mais cm le feroit
avec défa^anta^e : de fait , en ce
qu'il eft bien difficile d'en fçavoir
plus que lui j de droit, en ce que
ctxtQ forte de controverfè leroit an
moins fade , & peut-être odieufè.
Mais d'aprcs les principes établis
ci - delfus dont un homme d'aufiî
bon efprit que M. Hume ccnvien-
droic fans doute , principes qui
abrègent la quedion autant qu'ils
la fixent , e^le fe réduit à fçavoir
jfi la conforamation atflueîle de cha-
que individu , & fur tout celle àes
riches , eft plus confidéràble qu el*Iô
n'écoit autrefois.
Le f.^fte des anciens Afiatiques,
& réteniuë exceflîve de rEnipire
du Grand Roi, dévoient fans con^-
tredit avoir fort dépeuplé cette
partie du monde ; mais la barbarie
du gouvernement Turc & Perfan
Tont extrêmement dévaftée 5 & fur
les ruines de tant de villes célèbres.
1
^Mefure de la Population, 3 5
ile l'antiquité Ton ne trouve plus
que de vaftes défères à peine pra-
tiquables pour les caravanes. On
en peut dire autant de la partie de
l'Afrique jadis célèbre fous les Car-
thaginois, les Rois Numides 5 &c.
& qui fous le bas Empire même
contenoic jufqu à quatre cents villes
Epifcopales ayant chacune fon dif*
triét, contrées arides aujourd'hui
& disputées aux lions & aux tigres
par des hommes plus féroces qu'eux*
Les pays connus fous le nom de
Grèce, tant ceux du continent que
les ifies & terres adjacentes , ne
font aujourd'hui que des roches
défertes y ôc ces ides autrefois fi
célèbres par des Temples fameux »
des Ecoles , des hommes illuflres,-
ëc une peuplade immenfe , ne font
que des écueils. J'excepte de mes
calculs toute cette partie de la dé-
vaftarion générale , comme relative
à des caules morales j & nous ne
traitons ici que du phyfique. Il
faut pareillement en retrancher
^Amérique. Si d'une part Tinva-
>^on de la partie méridionale d^
B V
J4 Me fur e de la Suhjïjïance\
rAmérique par les Efpagnols , &
labus qu'ils firent de leur vicfloire,,
a fait rentrer dans la terre des peu-
plades immenfes d*hommes, u la^
moliefle & le eouvernement ty-
rannique dès nouveaux colons a?
tenu ces fertiles contrées daais cet-
état de dëvaftatioii , on peut dire
que les difFérentes colonies des au-
tres nations de l'Europe dans tout
le refte de cette partie du monde
ontcompenfé cette perte pourThu^
manité, fî c'eft compenser , que de*
mettre un à la place de vingt-cinq;.
Mais cette partie du monde n*èxiP
tant pas pour nous dans les temps^
que nous prenons ici en compa-
rai fbn, il eft inutile d'en faire men*
lion. Ceft donc l'Europe unique-
ment qui peut à cti égard entretr
en queftion. Nous pourrions en-
core en excepter l'Italie) qui no-
toirement nourridbit vingt - fix
millions d'ames dans Tes temps de-
fplendeur par le moyen des bleds
d'Egypte qui ne nourriflent plus
perfonne. L'Italie qui en nourriflbic
peut-être lé double defon propre
Mefure de la Population, 3^
produit dans les premiers âges de
Rome, à en juger du moins par la
multiplication de diiTérents peuples
qu'on voit fans ceCie en armes contre
les Romains dans ces temps belli-
queux , l'Italie > dis-je, contient à
peine aujourd'hui cinq millions
d'habitans. Mais fans entrer dans
les fpéculations hiftorîques , exa-
minons feulement fi les hommes
dans les premiers temps confom-
nioîent autant de produit de terre ^
qu'ils en confomment aujourd'hui ;
& pour ne point fortir des portions
de confommation aufquelles je me
fuis borné dans ce Chapitre-, brâ-
loic-on autant de bois que de nos
jours? J'en doute ^. puifque depuis
moins de dix ans la confommation'
de Paris r feulement à cet égard ^
a augmenté de deux cents millff
voies , ce qui conftitue prefqu'un'
tiers de crue. Je ne crois pasqu'oii^
prérende que le nombre des habi-
rans ait augmenté de cela. Chacun^
fçait que les recherches du luxe ,-
de la molleflfè , & la vanité mal'
tntendue font la caufe de cet excès,-
B vj
^é Mefure de la Suhjïjïance^
Telle maifon n'avoir , il y a dbc
ans , du feu que dans les chambres
& antichambres de chaque appar-
tement 5 qui a des poêles aujour-
d'hui dans tous les cabinets, garde-
robes (Se efcaliers. Les femmes
fui vantes de cette maifon ont tou-
tes en particulier leur chambre ,
leur feu , leur lumière. En un mot,
tout a doublé de la forte. Il faut
cependant du terrein employé à ne
porter que d-u bois pour fournir à
cette confommation. Le bois de-
venant la marchaiidife du meilleur
débit, chacun (e hâte d*en plantePj.
& de dérober ai n fi une portion de
{on héritage à la nourriture des
hommes. Y avoit -il chez les an-
ciens autant de voitures qu'aujour-
d'hui ? H faut du bois au fil pour
leur entretien. Les cuirs, les graif^-
fes , tout ce qu'on tire des beftiaux
fè confbmmanc au double & pre(^
que toujours en pure- perte , le pa«
'turage a p^is le delTus fur l-e labou-
rage, & depuis long-temps le pro-
verbe eft établi' qui dit ; qui change
fort champ en pré augmenté fan
Mefure de la Population, ^j ■
Bien de moitié. Le pré cependaitc
ne porte en général qu'une bonne
récolte par an , & ce n'efl: que dii
fécond bond qu'il fert à la nourri-
ture des hommes , autre fouftrac-
tion faite à rhumanité. Je fçais
qu'on peut me dire que les forêts
ctoient immenfes alors, mais mal
gouvernées, au moyen de quxii
elles dévaftoient plus , & fervoient
moins y que les prairies n éroiertc
que des marais qui ne fourni(Ioieî:ït
qu'un médiocre entretien aux bel^
tiaux 5 &c. S'il étoit dans mon plaîi
de prendre la contrepartie du fy&
terne que propofe M» Hume fiir
ce point , ce feroit à moi à ma
retourner fur ces objeétions , bc à
démontrer que les prétendus dér
fèrts en- queftion n'exifloient que
chez des peuples barbares encore ^,
&' tels à peu- près que T' toient les
habitans de T Amérique Septentrion
cale, quand nous l'avons décou*^
verte ; que par conféquenc cqs conr
tcées doivent encore être exceptées,
coixinie celles ci-deflus , du point
de comparaifon donc il s'agit.. Jç
^i.
^5 s Mefure de la Suhjîflance }
devrois établir enfin que i*agriGaI-
ture étoic chez les nations policées^
portée pour le moins au point où
elle reil de nos jours , donc .....
Mais mon bue principal ici n étant
que de recommander cet art &
cette Tcience mère de riiumaniréj,
il me fufïiroît d'avoir amené moiï
antagonifle à raifonner en confé-
quence , pour que mon deflein fûc
rempli. Somme toute, convenons
que les anciens connoifloient auffi-
bien l'agriculture que nous , ÔC
rhonoroient davantage , M. Hume
prouveroit cela mieux que moi*
Ils confommoient moins en géné-
ral & en particulier , il le d^mon-
treroit encore ; donc ils étoient ea
plus grand nombre.
Ce n eft pas encore ici le lieu
de contidérer la Population relative
»u travail, nous y viendrons dans
k temps , & dirons en quel kn%
le travail fécond peut être utile à
la Population. Suivons encore
quelques coniîdérations qui réful--
tent de la partie aduelle de notrr
fajer,.
non*
^Mejîire de la Population, jf
Les hommes multiplient comme Moyens ^
les rats dans une grange , s*ils ont [;;^fa7ir'
les moyens de Tubiider. Cefl: un muitipUca,
axiome que je n'ai pas inventé , &
qu'il eft temps qu on prenne pour
bafè de tout calcul en ce genre.
En ce fens , le mot de M. le Prince ,
après la boucherie de Senef , qui
parut barbare à Tes officiers éton-
nés 5 & qui n'éloit peut-être chez-
lui qu'un effet de cette audace mi-
litaire qui naquit ôc mourut avec
lui , une nuit de Paris remplacera
cela 5 ce mot dis- je, pouvoit être
un axiome politique bien raifonné-
A moins qu'il ne furvienne quel-
qu'augmenration de fubfiltance
étrangère & nouvelle dans l'Etat »
il ne fçauroit s'élever une feule
plante de plus dans ce jardin garni
de toutes Tes parties, qu'une autre
ne lui fa(Tè place. En vain travail-
le-t-on à Paris toutes les nuits, fi
les maladies , la guerre , la mer &c..
ne font des places vacantes.
Les batailles & les maflfacres ne
nuifent point à la Population, fi
d*ailleurs elles ne nuifent à Tagriç
'40 Mejure de la S'ahjifldncel
€ulture ; & Ton remarque ^vec
étonnçnient qu'après des temps de
troubles & de calamités, un Etat
eft tout auîîî peuplé qu'il l'étok
auparavant , tandis que les édifiées »
les chemins , tout enfin ce qui de*-
iîgne la- profpériré apparente ^ (e
relîènt vifiblement de l'interruptioa
de Tordre & de la police. Pourquoi
cela ? Cefl: que l'homme n'a qu'une
feule & véritable racine qui 3 com-
me toute autre , Te nourrit du fuc
de la terre.
Ce n'eft pas cependant que les
temps de guerre , & plus encore
ceux de trouble , n'interrompent
& ne détruifent l'agriculture dans
certains cantons ;mais elles la vivi-
fient dans d'autres , en accélérant
le débit de (es produélions. Oa
voit d'ailleurs que ce ne font pas
les calamités dont le laboureur voit
le principe en réalité & U fin en
fifpérance , qui rebutent fa précieufe
adivité. Le Fermier en Flandres
féme de nouveau derrière Tarmée^
qui vient de fourager fon champ,
Exi: tioilième lieu y, fi la guerre
Mefure de ta Popidatloîi» '4Y
dévafte quelques provinces , eîle
les fume en même remps ; & d'au-
tre part 3 fes nécefîîtés & Tes dé-
penies mettent peu-à-peu tout le
monde dans le cas de retranches
de fa dépenfe partiailiére , & con-
féqucmment de la confommation*
Cette diminution de luxe profite
plus à la Population que le gouffire
dévorant de la guerre ne lui nuit 5
pourvu toutefois que cela dure.
Remarquez à ce (ii'ec que jufques
au fiècle de Louis XiV. la nation
a toujours été en guerre > foit étran-
gère qu elle alloit chercher ailleurs
quand elle ne Tavoic pas chez elle ,
foit interne par les Guerres des
gentilshommes, don-r les derniers
ioupirs ont été les duels. Ces guer-
res ne dépeuploient pa5 ^ parce
qu'elles tenoienc le r (le de la na*
tion en ncat^^xiév <^ comme nous
fûmes 5 fomm;:s , & ferons toujours
glorieux , nous en fiifions vertu.
Le Roi du fiécle paiTea le premier
mis fur pied lej ^irmées exorbi-
tantes , en a nécefnte la mode , &
conféquemmenc la briévese des
:4i Mefure de ta Suhjîflancé^
guerres qui dès - lors dépeupleilt
beaucoup, & ne peuplent pas, en
ce qu'elles n'afFaiflenc le luxe que
pour un temps , & le labourage
pour toujours.
En général donc d>c dans le prînH
cipe, ce ne font ni les guerres y
ni les épidémies qui dépeuplent uit
Etat; mais (x vous mettez un che-
val de plus dans TEtat, toutes au-
tres chofes demeurant égales , vous
êtes certain d'y tuer quatre hom-,
mes au moins. Mais , me dira-t-on ,
les beftiaux fument, &: cet engrais
vivifie d'autres portions de terre
qui fans cela feroient incultes. J'en
conviens. Aufîî ai- je dit , toutes
autres chofes demeurant égales.
J'ajoute que l'entretien des beftiaux
qu'autrefois on appelloit plantura-
ge , eft un des principaux arcs-
boutans d'une floriflTante agricul-
ture. Mais prenez garde que je
n*attaque ici que la force d'animal >
donc le luxe peut faire abus , &
qui , bien que d'une utilité fîngu-
liére , eft le mains rapportant de
(ous les animaux domeftiques à la
^Mefure dd la Population, '^f
campagne. Le nombre en aug-
mente chaque jour à la Ville , où
les fumiers font fi abondans qu'ils
né valent prefque pas la peine d'être
enlevés , & où la confommation
que font ces animaux monte au
double &c au triple de ce quelle
feroit 5 s'ils étoient entretenus fur
les lieux , parce quelle néceflîte
l'entretien de l'énorme quantité de
chevaux de trait néceflaires pour
voiturer leur nourriture à Paris.
Revenons au grand Se unique
axiome en cette matière , la mefure
de la Suhjîjlance efi celle de la
Population, En ce îens il eft vrai
de dire que plus il y a deconfom-
* mation dans un Etat , plus cet Etat
eft puiOTant; mais il faut bien en*
tendre ce principe. Si vous enten-
dez par -là que la vraie puiffance
d'un Etat coniifte à avoir beaucoup
de confommateurs , je fuis de votre
avis ; mais par la même raifon ,
beaucoup de confommation faite
par un petit nombre de confom-
mateurs eft une coirofion conti*
^4 Mefure de la Suhfiflanct ^
nueîle & toujours croifTante isx
iierf de la Population.
CeiTons de nous égarer fur ce
principe. Ce n'eft ni le célibat >
ni la guerre , ni la navigation qui
dépeuplent un Etat ; au contraire.
Je vais entreprendre la démonflra-*
tion de ce paradoxe fur celui de
^es trois ordres de chofes qu'on
abandonne le plus aifément en ce
genre à une forte d'anathême pu=^
blic.
Maifonsre- Les Autcurs poHîiques Protef^
ligieufes ne j^HS ( il faut avoucu que ce font
font principe i -il \ •! '
tie dépoiu- ^^^ meiHeyrs^ ont tous attribue au
lauon, Monachifme la dépopulation de
rnipagne , de Tltalie , & des au-
tres parties de l'Europe qui fuivent
le Rire Romain; & pour repérer
ici les paroles d'un des plus habi-
Jes homnaes & des plus profonds
Ecrivains ^ en ce genre : les Moi'
nés ^ die- il 5 ne font d'aucune uti-
lité ni ornement en paix , ni en
guerre j en deçà du Paradis ^ comb-
ine ton dit ... . L'expérience fait
* Effai fur la nature du Commerce pat-
M. CamilIoQ.
Mefure de la Population, 4 f
voir que les Etats qui ont embrajfé
le Protejlantifme en font devenus
vifiblement plus puijjants. Nos Po-
litiques ont noiî - feuiemeDc pris
condamnation fur cez article , mais
ils onc encore quelquefois enchéri ;
il s'en faut bien que je ne lois de
cet avis.
J'ai habité dans le voi/înag^
<3*une Abbaye à la campagne. L'Ab-f ,
bé qui partageoit avec les Moines,
en tiroit ^000 livres. Je veux bien
que la portion conventuelle fuE
plus forte , mais de peu de eiiofes ,
car Meilleurs les Commendaiaires
ne font pas dupes. Sur les 6000
livres de rente reftantes , ils ÊLtoicnç
trente -cinq ; à (çavoir quinze de
îa maifoii , & vingt jeunes Novices
étudiants , attendu qu'il y avoit un
Cours dans cette maifbn Ces tren-
te-cinq maîtres avoient en corn-
paraifon peu de domeftiques, mais
ils en avoient au moins quatre. Oi
je demande (1 un gentilhomme
vivant dans fa terre de 6000 liv?
de rente en auroit eu dav'antage?
AinÇ entre lui î fa feoîme & c^§U
'j^4 Mefure de la Suhjifiancei
^ues eiîfans, à peine auroient-iîs
i^écu dix fur ce territoire , & en
voilà quarante d'arrangés en vertu
diiiie inftiturion particulière. En
conféquence donc du principe éta-
bli, qu'il ne fcauroic s'élever de
aouveaux habitans dans un Etat
gu'à proportion des moyens de
fubfîftance , que plus cette fubfîf-
taiîce eft volontairement refiTerrée
par ceux qui occupent le terrein ,
plus il en refte pour fournir à une
nouvelle peuplade , il feroit im-
poflîble de nier que toutes autres
chofes mifes à part , les érablifïe*
mens des maifons Reiigieufes ne
foicnt très - utiles à la nombreufe
Population. Que ce foit de par
le Roi , de par S. Benoît ou S. Do-
minique , qu'un grand nombre
d'individus s'engagent volontaire-
ment à ne confommer que cinq
fols par jour , toujours eft-il vrai
que cts fortes d'inftitutions aident
fort à la Population , fimplemenc
en donnant de la marge & laidànc
è.\x terrein à d^autres plantons. Que
i©ui Les Moines vivenç ainfi , quô
Mefure de U Population, 47
toutes les Communautés foîenc
lîombreufes en proportion de leuts
revenus , c'eft ce que je n*ai garde
de foutenir , & ce q«i eft étranger
à la queftion. Je m'ingérerai moins
encore à dire les oioyens de main-
tenir dans leur vigueur les infti-
tutions dont je parlois tout - à*
l'heure 5 & dont !e relâchement eft
au moins une lèpre dans l'Etat. Je
dis feulement que félon le main»-
^ien de la maifon que j'ai citée ,
& de plu (leurs autres en ce genre
que fai connues , loin de nuire à
la Population , elles y fervent j,
toutes pîaifanteries ceiïkntes 5 car
je ne les aime ni folles ni tri-
viales.
A regard de Fobjeârion , qu'ua
Seigneur eft utile dans TEtat , ou
du moins y fert d*un grand orne-
ment 3 au iieu que les Moines n'y
font ni fua ni Fautre ; l'Auteur
que f ai cité , quoique Proteftaot ,
met du moins à fbn axiome le cor-
%Qd࣠en deçà du Paradis, îl fait
en cela la critique de certains mi-
ftirables libelles gauchemem plâtfis
4^ Mefuréde la Suhjijlaûce ^
d'un vernis de didèrtation fur le
droit public, & cependant bien
accueillis chez nous depuis quel-
ques années , où l'on ofe avancer
que les Miniftres de la Religion
ne font d'aucune^ utilité dans l'Etat.
L'Auteur ne parle ici que des Moi-
nes , ce qui fait encore une diffé-
rence bien grande ; & à vrai dire »
n'étant que calculateur , il lui eft
permis de mettre tout au même
poids & mefure , ce qui eft au
contraire un délire pour un Politi-
que. Mais je puis répondre encore
à cette double objeétion fans rieu
forcer. Examinons d'abord l'article
de l'utilité 5 je ferai court ; enfuite
celui de l'ornement , je le ferai plus
.encore.
Les Moines de fait étudient ,
prêchent, inftruifent , travaillent,
defiTervent les Paroi (Tes de campa*-
gne. En outre, ils ont tous ou la
plupart dans leur inftitution quel-
qu objet d'utilité -, je dis plus, de
nécefïi té. S'ils ne le rempliflfent pas ,
ç eft l'afîâire du Légiflateur & de
îa Police? Eh quoi î je fuppofe que
Mefure de la Population, 451'
la Milice fût relâchée & tombée
dans la niollefïe , la Magiftrature
diffipée 5 la Noblede fans mœurs &:
fans délicatefTe , faudroic-il pour
cela fupprimer le Mil irai re , ks
Magiftrats, & les diftindions hé-
réditaires ? L'invention de fuppri-
mer & de détruire efi: le contraire
abfolu de Tart de gouverner 5 c*eil
la magnanimité du fuicide. Un
chirurgien ignorant fçait couper la
jiambe 5 Efculape l'eût traitée Se
guérie. Quatre traitemens comme
celui du premier , il ne refte plus
que le tronc. Je n'ai rien à dire
de plus fur Futilité morale. Je
H aime pas à m'é tendre fur des
points étrangers à mon fujet. Paf-
ibns à l'utilité physique.
. Chacun fçait que la plupart de
ces grands établifïèmens Monafti-
ques fi riches aujourd'hui nétoienc
autrefois que des déferts, & que
nous devons aux premiers Céno-
bites le défrichement de plus de
la moitié de l'intérieur de nos ter-
res. Mais fans nous prévaloir de
l'authenticité du ti4;re , article il
/. Partk. G
Jo Mefure delà Suhjijîance^
fàcré en laine politique & fi hors
de mode aujourd'hui, confidérons
les chofès dans i'ëcac préfenr. On
n'ignore pas , & il efl padé en pro-
verbe que les Bénédictins , par
exemple , mettent cent fur leur
territoire pour lui faire produire
un. Je connois dans leurs biens
telle chauiïee d'étang ou contre des
rivières , tel autre ouvrage enfin
utile ou nécefTàire , qui a certaine-
ment coûté trois fois le fonds de
TAbbaye entière fur lequel la conf-
trudion eft faite. Ges travaux longs
& difpendieux qui font une forte
d'ambition & de joie pour des corps
qui fe regardent comme perpé-
tuels 5 toujours mineurs pour alié-
ner 5 toujours majeurs pour confer-*
ver, font au-delTus des forces des
particuliers. L'Etat ne peut envi-
fager que les objets généraux , &
quand fes fecours defcendroienc
quelquefois jufques aux détails s il
faut encore une adminiftration
puiiîànte & toujours préfente pour
ientretien. Ou le Seigneur polTef-
feur du fonds cft riche & grand
Mejîire de la Population, ^t
propriétaire, en ce cas il ne con-*
fomme pas fur les lieux qui font
négligés, & fe rainent petit- à-
petit ; ou s'il efl: obligé d*y réfider ,
il eft foible , accablé de faux frais ,
de dettes antérieures : fon admi-
niftration eft intermittente , & tout
languît fous fon fils , fi ce n*e{l fous
lui. Or il n'eft pas contefté que
ces travaux ne foient un bien par-^
ticulier qui relîbrtit au bien géné-
ral , & qui rétablit. Il en eft de
même des bâtimens 5 même (oli-
dité 5 même entretien. Une des
^glifes de TAbbaye dont j'ai parlé
d*abord , eft connue dans notre
^iftoire par une époque fameufe
depuis 700 ans. Elle eft abfolu-
ment au même état où elle étoic
alors. Quels font les bâtimens àe%
particuliers qui ont une pierre de
ce temps- là? ^
Quant à Tornement , avouons
que le Seigneur de 6000 livres de
ente que nous avons établi rem-
plaçant les 40 Moines cités dans
îotre premier exemple , ne feroic
3âs d'un laftre bien fameux dam
C ij
Çi Me fur e de la Suhfijlance'^
ion château. Nous prenons, il ed
vrai , fur ce domaine la portion du
Commendataire qui partage avec
eux 5 comme feroic un Seigneuc
avec Ton fermier général. Or fi le
brillant Se le fade étoient de mon
fujet , je demanderois fi les Cardi-
naux de Rohan & de Polignac à
Rome , & tant d'autres ailleuirs ,
n'ont pas fait autant de ce genre
d'honneur à la nation , qu'eufifent
pu faire des Seigneurs laïques. S'il
«ft vrai de plus , comme le dit le
même Auteur , que le point qui
femble déterminer la grandeur
comparative des Etats ^ eji le corps
de réferve qu'ils ont _, quelles ri-
cheflès en vaifTelle & ornemens
d'Eglife , tableaux , manufcrits , bi-
bliothèques 5 bâtimens même , ces
fortes maifons religieufès ne tien-
nent-elles pas en magazin , doni
on ne trouveroit pas trace danî
les pays Proteftans ?
A l'égard des mendians , je fe-
Tois parfaitement de l'avis du même
Auteur 5 s'ils étoient aujourd*hu
tels dans la force du mot. Ce n'ei
Mejure de la 'Population, 5 5
point à moi à examiner iî la men-
dicité a Jamais été permife à aucune
Société Religieufe autrement que
comme moyen de fubfiftance au
milieu des travaux, dont le fruit
eft totalement deftiné aux vues de
la charité ; mais il eft de fait qu'at-
tendu que le métier ne vaut plus
ce qu il valoit autrefois , tous ou
peu s*en faut , prévoyant, & com-
me Jofeph , les années de ftérilité ,
ont fait provifion de revenus &
qu'au moyen d'un léger arrange-
ment de police de la part du Gou-
vernement , on ne verroit plus de
befaces. Ceft tant- pis , s*écrie-t-on ,
car ils fe feroient des revenus aux
dépens des fujets de l'Etat eh !
point du tout pour une grande
partie. La moitié des maifons du
fauxbourg S. Germain & de plu-
fieurs autres quartiers de la ville
de Paris, par exemple > appartien-
nent à des Corps ; les ont-ils ache-
tées? Non , & à cet égard on a
grande rai Ton de leur lier la bour-
fe. Mais ils ont bâti des places
vagues qui leur furent données
54 Mefure de la Suhjiflance ^
dans le temps , n'éranc de pref-
qu'aucune valeur. Aujourd'hui cela
fait une magnifique cité , & un
revenu confîdérable pour TEtat
comme pour eux , qu'ils ont tiré
de la terre. Que les Carmes Def^
chaux aient , comme Ton dit , cent
mille livres de rente , ils ne les
ont prifes à perfonne , & pourvu
qu'ils vivent toujours félon leur
obfervance , il faudra bien aujour-
d'hui qu'ils n'ont plus de terrein
à bâtir à Paris , que leur excédent
aille bâtir ailleurs , ou entretenir
d'autres Carmes vivans tout aulG
pauvrement , mais toujours indi-
vidus réels dans l'Etat.
Si les Etats Proteftans font plus
peuplés & plus florifTans que ceux
où la difcipline eccléfiaftique de
la Communion Romaine eft auffi
exactement obfervée & réglée qu'el-
le l'efi: en France ; ( fait , à tout
prendre 3 dont je voudrois d'autres
preuves que des allégations , ) je
crois qu'il feroit aifé d'en donner
d'autres raifons que la fuppreflîoa
des Moines, i^, La prétendu»
Mefure de la Fopulation, 5 5
Réforme fit univerlellement des
révolutions dans tous les Etats ; &
il efl; ce^^in qu*il eft des fecoufles
qui avivent les efprits politiques ,
éc régénèrent les reîTorts du Gou-
vernement & de rinduftrie. La
Suéde changea entièrement fou
gouvernement en embraflfant la
prétendue réforme ; mais qui l'eût
conddérée après les régnes durs &
abfolus de Charles XI, & de Char-
les XII. eût été bien étonne d*y
voir fi peu de Moines , & tant de
dépopulation & de mifere. Ce n eft
pas le rétablifTement des Moines
qui a fait tomber de moitié le com-
merce & la richefîe de la Hollande
depuis le commencement de ce
fiècle; mais le luxe y a enfin en-
grainé , la confbmmation y a dou-
blé, & le commerce diminué. Ces
célèbres Danois d'autrefois , qui
ont fait trembler toute l'Europe ,
font morts : mais depuis deux cents
ans qu'ils ont chafTé les Moines ,
il feroit temps de voir cette anti-
que pépinière fe repeupler de héros.
Henri IV, 6c Louis XIV. enfuite^
C ïsf
yè Mefure de la Suhjijlance^
trouvèrent le moyen de rétablir
leur Royaume fans rien changer à
la Religion établie. Je v^s que le
judicieux David Hume & plufîeurs
autres Anglois Te plaignent que
leur patrie fe dépeuple : ils en cher-
chent des raifons de détail , faute
d'avoir touché au vrai point qui eft
que TAnglecerre eft devenue riche 5
que la richeffe augmente la con-
fbmmation, & diminue en confé*
quence d*autant la Population,
Quand je fuis devenu Tapolo-
gîfte des inftitutions monaftiques ,
article fur lequel je me fuis étendu
fans doute avec trop de détail en
fuivant feulement Texcellent Au-
teur que j'ai cité ci-defifîis, on s'at-
tend bien que je ferai & plus abon-
-dant & plus fort en raifons fur
l'article des troupes foudoyées , à.QS
gens employés à la navigation >
&c. Somme totale , multipliez la
fubfiftance , vous multiplierez les
hommes fans que tant de gens s'en
mêlent, à beaucoup près.
Mais, direz- vous, tous ceux de
l'ordre des célibaiaires qui ne font
Me fur e de la Population, jy
rien pour gagner leur vie , dimi-
nuent d'autant le travail dans un
Etat, & comme le travail eft le
fèul moyen d*étendre la fubfiftan-^
ce , vous la retréciflfez précifement
par la forte d'emploi que vous to-
lérez à ceux qui jouifTent des fruits
de la terre , & qui devroient tra-
vailler à les multiplier. Ceci fore
de la queftion. C'efl: feulement
dans Tordre des maîtres & pro-
priétaires que j*ai confideré les
Communautés Religieufes. On
verra dans la fuite de ce traité qu'il
s'en faut bien que je ne prêche
rjnadian. Jai voulu feulement
dire dans ce Chapitre que la fub-
fîftance eft la mefure de la Popu-
lation ; qu en conféquence , fous
ordres de gens qui fe vouent à
vivre d'un petit produit de terre,
favorîfent la Population, loin de
lui nuire , en ce qu'ils fe relîèrrent
volontairement , & font place à
d'a,utres. S'agit - il enfuite de dé-
cider quelle eft de toutes les pro--
fefîîons qui compafent la fociété ,
celle (jui mérite la préférence
C T
^ s Agricukurt
d'eftime & de protedion ; c*eft ce
que nous verrons dans le Chapitre
fuivanr. Finifîbns celui-ci par où
nous Tavons commencé.
Augmentation de fubfiftance ,
accroiiTement de Population ; nous
allons voir comment accroiflement
de Population doit faire augmenta-
tion de fubfiftance.
CHAPITRE III.
L'Agriculture qui peut feule mut"
tiplier les fubjîfiances ejl le pre»
mier des Arts.
Uelques hommes affèz folle-
^^^^ ment préfomptueux , d^au-
îres inquiets & impatients de toute
efpece de joug , penfànt échapper
à la vue" toujours préfente de la
Divinité , cherchent à fe perdre
dans la foule des brutes , & ne re-
connoilfent dans Thomme de fupé-
riorité fur les animaux que celle
que nous donne une confîrudioa
Premier des Arts, 59
mieux organifée. De tous les dé-
lires de refpric humain , c*efl: là ,
je crois , celui qui mérite le moins
d'être attaqué ; puifque fi fur cent
de fes partifans il en efl: un de
bonne-foi, du moins eft-on certain
qu'aucun de fes preneurs n'a réflé-
chi fur les conféquences de l'adop-
tion de fon fyftême. Bien eft - il
qu'entre les preuves de fait dont
on peut l'accabler , aucune ne me
paroît auffi forte que l'art de l'agri-
culture.
Après avoir dit que l'homme
imbécile & né tel eft encore l'ani-
mal de tous le mieux organifé ,
l'on pafle de ce point de fait à
rénumération de tout ce que l'hom-
me a inventé & acquis par-delà
au phyfique, de tout ce qu'il con-
çoit , craint , efpere au moral, pour
en compofer le territoire d'une
ame intelleétuelle , foumife d'une
part à procurer à la machine la.
pénible jouiiTance des biens d'ici-
bas 5 tendante de Tautre v^rs un
bonheur , dont elle ne connoit au»
îre chofe linon que la matière eH
lèo Agriculture ^
infufïîfante pour k lui procurer l
& dont elle n'a d'autre fentimenc
qu'un attrait inhérent à fa fubftan-
Ge , qui dégénère en inquiétude &
lui prohibe le repos.
Dans la première de ces deux
portions d'un territoire pour lequel
l'homme feul eft privilégié, l'inr-
vention de l'agriculture me paroît
celle de toutes qui porte le plus ce
titre excluiîf.
J'ai dit que l'homme étoit de
tous les animaux celui qui faifoic
le plus aifément pâture de tour. Eiij
efFet 5 il n'eft rien ou bien peu de
chofe dont aucune forte d'animal'
fe nourrilTè , qui ne puiiïè au be^
foin Itii. fervir de nourriture. Mais
l'inftinâ: des animaux les plus forts
&: les plus adroits s'eft borné à.
chercher & reconnoîrre fa proie ,
à lui tendre des pièges pour la fur-
prendre & l'attirer quand la force^
& la vélocité ne fuffifoient. pas y
Jhomme feul a cherché, appris ^
mité le fecrer de la nature ,. Se par
laa travail afîîdu il efl: venu à bouc
^ multiplier celles de fes prodac*
Premier des Arts. Ct
tîoiis qui Fui étoient néceflTaires oif
utiles. Cefl à cette multiplication
Cju'il doit celle de fa propre efpece
qui, comme nous Tavons dit, efl
le premier des biens.
Si donc un art efl: eftimable eii
partie à proportion de la beauté
de l'invention , il n'en eft aucun
qui doive flatter Tamour propre de
Tbomme plus que l'Agriculture ,
& qui mérite plus Ton eftime. Mais
cet avantage n'eft rien en compa-
raifon de Ton utilité : nous l'avons
déjà démontré , fuppofé que la.
chofe eût befoin de démonftra-
tion.
Une façon sure pour le Gouvér^
nement d'apprécier les difïerents
travaux des hommes , c'efl: dé re-
garder chaque clalTe d'hommes re-
lativement à la dépendance où elle
èft. des autres elaiTes. Ce coup
d'oeil fera fentir au Prince que les
derniers doivent être les premiers
dans fa bienfaifante attention. Le
Chevalier Temple compare nn
Gouvernement éclairé à ces pyra-
mdeaa. dont la bafè eft fort larg^
^i agriculture J
ôc occupe un grand terrein , 8c dit
que rautorité , venant à fe terminer
au pouvoir d'un feul homme fait
alors la pointe la plus parfaire de
la pyramide , &c forme ainfî la fi-
gure la plus ferme & la plus afifurée
quMl puiiTe y avoir. Si le Prince
au contraire , ou le Gouvernement
protègent de laifTent étendre les
rangs plus élevés privativement aux
plus bas , infenfiblement la pyra-
mide devient tour. Se puis cône
renverfé qui ne fe foûtient plus que
par miracle.
Il eft à confîdérer encore que
chaque rang fupportant plus de faiX
à mefure qu il eft plus près de la
bafe 5 chaque pierre de notre bâti-
ment politique voudroit quitter
l'état le plus pénible, aimant mieux
courir le rifque d*être expofée aux
coups de la tempête & de l'orage,
que de fbufFrir l'affiiiiïèment con-
tinuel que lui prefente fà pofition.
Ceft donc cette portion de TEtat
qui doit être le plus fbûtenue par
les reiTotts de la protedioa Se de
n
Premier des Arts, é^
l'encouragement : nous en détail-
lerons dans le temps les moyens.
Nous Tavons dit ailleurs ; chez
les Sauvages le plus vil chaiîeur
peut confommer le produit de
cinquante arpens de terre. Voilà
où nous en fommes, quand nous
négligeons Tagriculture. Diftribuez
enfuite le terrein du Royaume , Se
voyez ce que nous devenons, quand
nous abandonnons une portion du
territoire de l'Etat. Plus au con-
traire nous tendons à exciter cet
art utile & à multiplier la produc-
tion , plus nous nous éloignons de
cet état de décadence & d^affi^iblif-
fement.
// ejl indifférent a la terre de
nourrir des chèvres ou des hom-
mes j difoit fouvent l'Auteur d urî
excellent Traité en ce genre , dont
f ai adopté tous les principes ; mais
elle veut être honorée & foignée
comme une bonne mère. En efFet,
la terre n'efi: marâtre nulle part,
du moins dans nos climats. Le
fable ici nous prefènte une furface
deflechée , mais tranfporté dans des
6 4 Agriculture i
terres humides il les féconde en
tempérant leur acreté : ailleurs il
fe couvrira de bois femés & fumés
avec foin , & Therbe croîtra fous
ces bois : plus près , à force d'en-
grais & de terreau il devient d'un
grand rapport , & par-tout il aide
aux bâtimens , à la folidité des pa-
vés , &c. La terre n'offre ici que
de la moufTe , vous trouverez dans
fon fein de la marne , qui répan-
due fur fa furface la féconde ; des
carrières , des minéraux : plus loin
du grais , dont Tafpeâ: eft la teinte
de la ftérilité, & qui caffe , devient
le plus utile des matériaux pour la
folidité Se la facilité des commu-
nications. Ces marais fteriles qui
infectent l'air , peuvent devenir des
rivières , fournir de la tourbe , ou
deiféchés être changés en poflef-
fions les plus abondantes. En un
mot, tout a fon utilité 5 je le ré-
pète 5 tout terrein peut produire
au moyen du travail yiabor omjiia
yincit improbus. La ftérilité ne fe
montre nulle part que par la faute
des hommes^
Premier des Ans, éf
Un arpent de terre en friche
n'occupe perfonne , tout au plus
un berger y mcnera-t-il fon trou-
peau deux fois dans l'année j &ce
troupeau n'en retirera prefque rien.
Si cet arpent q(ï en bois , il faut
le clorre , le garder , ôc tous les
vingt ans on vient le couper , y
faire les fagots , Técorce 6c le char-
bon; mais s'il eft en prés , on
î'étaupe, on le fume, on Tarrofe
& on le fauche , ôc tout cela em-
ploie du monde , quoique en petite
quantité 8c feulement en deux fai-
fons de l'année. Un champ occupe
plus de monde , on le laboure à
plufîeurs reprifès , on le fume , ou
le féme , on le herfe , on le farcie ,
on le moi (Tonne enfin. Où il y a
des champs , il y a des hommes ,
fulTent-ils fous la terre. Où les
champs rapportent le plus , il y a
plus d'hommes. Mettez cet arpent
en jardins appelles marais à Paris ,
vous y verrez dans toutes les iai-
fons de l'année continuité de tra-
vail & de récolte tout , ed mis en
valeur 5 à peine un fende r d'un pied
é^ [Agriculture ^
de largeur permet-il la communi-
cation d'une portion à Tautre de ce
fécond domaine : on élevé des murs
& des ados pour les produdbions •
qui rampent moins que les autres 'y
ôc le cultivateur fe procure un ter-
rein perpendiculaire pour étendre
fbn terrein horizontal, & par con-
féquent fon Royaume. Il acquiert
une Province à dix pieds de terre ,
qu'aucune puiffance n'a droit de lui
difputer.
Par une liai fon de conféquences
plus il y a d'hommes , plus auiïï la
terre rapporte. L'induflrie tire du
roc le fuc nourricier des meilleures
plantes. Voyez de loin le terroir
de Marfeille, vous n'appercevrez
que des montagnes grifes d'un efcar-
pement alFreux. Approchez, vous
trouverez la fécondité dans fon
Royaume , & dix mille huttes ou
maifons plus ou moins grandes qui
ont chargé ces rochers de verdure,
d'herbe & de fruits. Vous y verrez
creufer dans le roc vif des tran-
chées de fix pieds de profondeur ,
les remplir de couches de rerre Ôc
Premier des Arts. ëy
«3e pots cafles, & planter enfuite
dans ces fodes des vignes , qu'on
ne renouvelle que tous les cent
ans.
Mais ceci nous méneroic à des
matières qui refTortifTent à d'autres
Chapitres. Revenons au principe
fondamental qui ne peut être nié :
plus vous faites rapporter à la, plus vous
terre ^ & plus vous la peupler, faites rappor-
ter 3. \sl terre %
L'Agriculture cependant , cet art pi^s vous ia
par excellence, qui peut fe pafler peuplez.
de tous les autres tandis ou aucun
d'eux ne fçauroit exifter fans lui ,
l'Agriculture , dis - je , eft encore
dans fon enfance. Les premiers
hommes de chaque focîété l'onc
tous honorée : les féconds fe font,
pour ain(î dire, hâté de la négli-
ger. La fable du chien qui laide
le corps pour courir après l'ombre,
a toujours dépeint l'humanité ea
général ; eh î quel art mérita ja-
mais d'être étudié & perfeâ:ionné
avec plus de foin ?
S'il n'y a jamais que la même
étendue de terre labourée & culti-
vée dans un village 3 il n y aura
68 Agriculture _,
jamais que le même nombre de
laboureurs & de cultivateurs , tou-
tes autres chofes étant égales. Il
fèmble donc que la Population de
ce village , & par conféquent celle
de l'Etat entier pris village par vil-
lage 5 ait des bornes que toutes
Tattention & la protection poflible
ne peuvent étendre.
Il neft pas temps encore de
traiter des moyens d'augmenter la
Population > qui ne tiennent que
de Tinduftrie : moyens plus impor-
tans à pratiquer pour les petits
lieux & éloignés des voies natu-
relles du commerce , qu'ils ne le
font pour les lieux où Tinduftrie
naît d'elle-même , & a de toutes
autres facilités. Nous ne traitons
maintenant que de l'Agriculture
ifolée & prife purement en foi.
En fuppofant tout le territoire
de ce village cultivé , je demande
il le plus ou moins d'expérience
dans l'agriculture n'eft pas capable
de l'étendre. Il y a un proverbe
commun dans le labourage , qui efl
que les bonnes terres rapportent à
Premier des Arts, é^
proportion de la quantité de la-
bours qu'on leur donne. Donne-^"
lui deux raies _, difent-ils , elle vous
rendra pour deux raies ; donne:^-
lui en quatre j elle vous rendra
pour quatre.
Peut - être la frudifîcation de
cette bonne terre s'étendtoit-elle
plus loin encore , à proportion àa
travail ; mais en la laiiTant au point
ci-delTus démontré par l'expérien-
ce , voilà toute la bonne portion
de votre territoire doublée par le
travail 5 & au- lieu de deux lieues
de terrein, nous en avons quatre
dans le fait , forte de conquête donc
il ne fera parlé dans aucun Congrès.
Ce double rapport nourrira le dou-
ble d'hommes ; augmentation de
Population , & conféquemmenc de
travail.
Cependant combien les plus (im-
pies détails de cet arc ne font -ils
pas inconnus aux gens même les
plus intéreiïes à s'en inftruire ?
Combien d'hommes aujourd'hui
très -éclairés, combien peut-être
d'entre mes Ledeurs penfentjquand
7 ® ^Agriculture ^
on leur parle d*une terre qui rend
vingt fois la femence ,& d*une autre
qui iven rend que cinq , que la pre-
mière porte vingt charges de Bled
a la récolte , tandis que i autre
n'en rapporte que cinq ! Ils igno-
rent que, communément parlant,-
toute la différence entre ces deux
terres confîfte en la quantité de iè-
mence 5 de forte que celui qui pof-
féde la première de ces terres ne
féme fur fon champ qu'un feptier
de grain qui lui en rapporte vingt ,
ôc qui ne lui rendroit rien s'il en
femoit davantage , attendu que tout
monteroit en herbe : le pofleileur
de l'autre champ eft obligé de femer
quatre feptiers pour en recueillir
vingt ; en forte que tout l'avantage
du premier ne confift^ qu'en la fe-
mence. J'ai rapporté cet exemple,
comme ayant vu fouvent des gens
inftruits fe tromper fur cet article ,
& croire de bonne-foi que les terres
Léontines & celles d'Afrique, que
les Anciens citent comme rendant
cent & cent-vingt fois lafemence,
rapportoient vingt fois plus de graiiî
T rentier des Arts. yi
réel que nos terres communes qui
donnent environ , à prendre Tune
dans l'autre , fix fois la femence.
D'autre part, les terres médio-
cres 5 par exemple , ne rapportent
que du feigle ; ^ les propriétaires
riches fur- tout ne fe déterminent
à les fcmer de cette forte de grains,
que quand ils y font forcés , &
que leurs terres fe refufent au fro-
ment. La raîfon de cette répugnan-.
ce eft que le feigle eil: toujours
évalué d'un quart au - delTous da
froment ; mais un peu de lumières,
d'expérience & de calcul leur ap-
prendroit que le feigle bien moins
fujet par lui-même à la nielle &
aux autres accidens que ne Teft le
froment, rend par la grotîeur de
fes épis un tiers plus de grain que
le froment. Or , trois mefures de
feigle à 15 livres valent mieux que
deux de froment à lo livres. Le
calcul eft court & clair.
Je ne donne pas cette dernière
jndudion comme une certitude,
& comme un principe propre à
lous les pays. Je m*ens fers feule-
yi agriculture y
ment comme d*un exemple qui dé-
montre 5 ainfî que bien d'autres ^
que l'Agriculture , quoique de tous
les arts le plus anciennement & le
plus continuellement exercé, efl:
peut-être de tous celui qui eft le
plus ofFufqué de préjugés & d'igno-
rance. Pourquoi cela? C'eft que les
lumières naiflent de Taifance ^
d'une honnête liberté.
Les premiers hommes , donc
rpîiftoire tant facrée que profane
nous conferve la connoiffance ,
étoient plus habiles que nous fur
cet article. Cette afTertion eft prou-
vée par ce qui nous refte des an-
nales des anciens Egyptiens. Les
Patriarches paîToient leur vie à la
tête de leurs troupeaux qu'ils fai-
foient multipHer à l'infini. Jacob
fçavoit varier par un artifice natu-
rel la couleur & la laine de {qs
agneaux. Bien peu de pâtres de nos
jours feroient capables de ce genre
d'attention.
L'efprit de conquête , & Toppref-
fion qui en eft la fuite, bannirent
bientôt les vertus & les foins paci-
iiqueSi»
Premier des Arts, y^
Eques. Les arts paflerent de TAfie
dans la Grèce , pays (ec de fa na-
ture ôc de peu de rapport. Les
Grecs , peuple ingénieux & porté
à tout ce qui efl; du relTort de
l'imagination, négligèrent b"entoc
Te-ilèntiel pour s'attacher aux fubti-
lités de Tefprit. Ils devinrent Lé-
giflateurs , Philofophes , Poètes ,
Orateurs, Médecins Sec. ôc l'Agri-
culture qui leur étoit moins né-
ceffaire qu'à tout autre peuple , fuc
abandonnée aux efclaves. Ces Athé-
niens dont la politelTe a pafTé en
proverbe fous le nom d'Atticifme,
Ôc dont les progrès dans les beaux
arts font depuis tant de fiécîes l'ad-
miration de la poftérité, palloient
leur vie au théâtre , ou dans la
place publique à guetter les fautes
de grammaire de leurs Rhéteurs ;
& leurs Magiftrats étoient chargés
du foin de leur faire venir des vi-
jVres par la mer. Les Lacedemo-
.niens, doi^t on vante la vertu fau-
vage ôc cynique , laiflToient aux
lllotes qu'ils' traitoient en efclaves
,ou plutôt comme des bêtes de
D
74 Agriculture ^
fomme, le foin de les nourrir. Les
premiers Romains forcés par la
nécedité , cuitivoienc avec foin leur
territoire, & ne furent jamais plus
véritablement grands que quand ils
fçurent fe contenter de leurs pro-
pres légumes, & mêler les foins du
labourage à ceux de la Magiilrature
& du Généralar. Mais refprit de
conquête qui ne les abandonna ja-
mais, leur fit bientôt négliger les
mœurs auftères de leurs ancêtres.
Les campagnes d'Italie furent li-
vrées à des efclaves , & les Ecrivains
de cette nation en ont fait pafïèr
les plaintes jufqu'à nous. Affligés
de tous les maux inféparables d'une
profpérité fuivie , &: de la grandeur
démefurée , ils ne gouvernèrent
leur vafte Empire que pour le ra-
vager, èc l'Agriculture & le com-
merce furent également bannis du
monde connu. ' '
Des barbai es , ou pour ainfî dire ,
une nouvelle créatioh' d'hommes ,
dévafterent cet Empire affoibli;,^
formèrent de nouvelles puidànces.
Ces conquérants lie firent attentioa
IL
Premier des Arts, 7J
aux arts, que pour en éteindre juf-
qu'au- fouvenir , en éiabliiTanc le
gouvernement militaire , Se par
conféquent Toppreffion. L'efclavage
êiC de droit Se de fait fut le partage
en Europe de la plus utile portion
de Thumanité.
Ce n efl; point ici le lieu de re-
marquer-ce qu'il efl forti de loix
utiles Se de principes fondamen-
:aux du fein de cette barbarie 5
'car le propre des chofès humaines
îfl: d'être un mélange continuel de
ihien Se de mal. ) Les loix féoda-
les , les aiTennblées de la nation
lominante pour y traiter des prin-
«|:ipaux objets du gouvernement, Se
lutres ufages que les nations les
)lus policées regrettent encore y
alônt Se feront toujours des preuves
nJ|ue les plus faines lumières de
(lii|efprit humain Se de la loi natu-
elle percent à travers les plus épais
leAuages de l'ignorance Se de la bar-
eslarie. Les principes d'honneur de
,î|ancienne Chevalerie ne lailTent
;eslas même à la Philofophie moder-
rio4e l'avantage d*en être le mafque»
Dij
I
7*^ .Agriculture^
Maïs on nie pas que TAgricuI-
ture.& le coQimerce ne fuflènt l'ob-
jet de leur mépris. Il s'en faut bien
cependant que ce ne fût au même
degré. Ces braves nations ne con-
noifloient guères de vertus dontL
valeur ne fut le principe & lepoin
central ; la générofité , la franchifè
Ja bonne-foi , rhofpiralité , la no
blefïe , vertus fi précieufes à ce
anciens preux , prenoient leur four
ce dans la force de l'ame & d
corps, & dans l'indépendance d
Tefprit. Il regardoient le commerc
comme propre à abâtardir Tune ^
l'autre , & n'attribuoient pas le
mêmes efîècs à l'Agriculture, dor
ils ientoient d'ailleurs l'indirpenfa
ble nécefîîté. Aulîî voit-on qu'i
exceptèrent , des points nombreu
de dérogeance établis parmi eux
l'Agriculture exercée fur ion pro
pre champ : mais enfin tour ce qi
n'avoit pas trait à l'exercice d(
armes leur paroiflToit un aâ:e c
renonciation à la gloire &àtoui|^^'
prééminence ; & cet injudepréju^l.
à'eO- foûcenu bien pïus long-temj| ^^
Premier des Ans, , 77
que n'a duré la trace de leurs ver-
tus. Depuis près de cent ans, le
Gouvernement en France a eu
grande attention à établir & en-
courager le commerce; mais il n'a
encore rien fait de direâ: pour
TAgriculture. Je fçais que l'un de
ces objets tient à l'autre, nous le
dirons aiïèz dans la fuite de ceci ;
mais l'Agriculture efl la racine , &
cela fe fenr.
Je n'ai pas prétendu , par rénu-
mération vague que je viens de
faire, démontrer que l'Agriculture
eft un art nai(Tant; la chofe parle
afTez de foi. J'ai voulu dire feule-
ment , que Cl parmi nous l'autorité
tournoit fa proteélion fur cette par-
tie intéreiïànte ^ elle trouveroit la
carrière neuve encore.
Indépendamment des bonnes
terres éc des médiocres qui pour-
roient être extrêmement bonifiées
par une culture plus a(Iîdue ik. plus
éclairée , il n'en eft aucune dans
.ce qu'on met au rang dè^ mauvai-
fès, qui ne pût être mife en rap-
port par l'induftrie & la oatience
Diij^
7 s Agriculture ^
de rhomme. La nature nous dé-
montre par Tes feuls efîbrts qu'on
peut tirer parti de tour. Il efl: peu
de terreins fabloneux qui ne foient
couverts de brandes , & où il ne
croiffe des pins & autres arbres.
Les montagnes les plus élevées ,
du moins dans nos climats v tem-
pérés, fe couvrent d'elles-mêmes
d*arbres & de verdure, & mille
exemples nous montrent que les
roches les plus arides peuvent être
fertilifées par le travail.
Le Maltois attaché à un gou-
vernement doux & uniforme va
chercher en Sicile de la terre dont
il charge Tes bâtimens,pour en cou-
vrir un rocher brûlé du foleil
d'Afrique qu'il change en jardins.
L'Agriculture cft non- feulement
de tous les arts le plus admirable,
le plus nécefTaire dans l'érat primitif
de la fociéré , il efl: encore , dans
la forme la plus compliquée que
cette même fociété puiile recevoir,
le plus profitable & le plus rap-
portant : c'eft le genre de trav
Premier des Arts, yc^
qui rend le plus à rindufirie hu-
maine avec ufure ce q.u'il en reçoit.
La mer attend tour de la terre
& de celui qui la fait valoir; il eft
inutile de le repérer; mais je fou-
tiens que les ptofits de TAgriculture
font plus fûrs & plus confidérables
que le commerce maritime > même
que la recherche de l'or.
Quant à ce dernier , la fuite de
ctt Ouvrage démontrera que l'or
n*eft richeiie, que de proportion;
que femblable au vif- argent il
s'échappe des mains qui le polïe-
dent 5 & entraîne avec lui tout ce
qui a pu Tarrêter au pafîage ; on
ne peut le fixer qu'en l'enfevelif-
fant , ufage pour lequel ce n'étoic
pas la peine de l'arracher des en-
trailles de la terre.
A l'égard du commerce marîti-
me , je mets en fait qu'en fuppo-
faut qu'un propriétaire de terres
fe donnât la même peine pour faire
valoir fes fonds furfon propre fol
ou fur celui d'autrui,par les foins
de l'Agriculture , que s'en donne
un négociant pour bien conduire
D iv '
V
to Agriculture j
fon commerce ; que ce propriétaire
prenant pour bafe de la conduite
perfonnelle la même économie ,
fans laquelle il n'y a point de com-
merçant alTuré , eût d'ailleurs au-
tant d'attention journalière à ne
pas perdre un inftant , à ne rien
laiiïer arriérer , à fpéculer pour
fournir de nouvelles branches de
producflion relativement aux chan-
gemens arrivés dans la confom-
mation , à être averti des premiers,
à tenir des comptes en régie , &c,
je mets en fait , dis-je , qu'il feroit
profiter Tes foins. Tes fonds ôc fon
travail au double de ce que peut
produire aujourd'hui le commerce
le plus lucratif.
Autre objet important , fi Ton
veut fè fouvenir de la diftindion
que j'ai établie au commencement
de cet Ouvrage entre la fociabilité
& la cupidité.
X'Agrîciil- L'Agriculture efl: de tous les arts
{rrArtsir^^ pWfodable. Quelle noblelTe ,
piusfociable. quelle géuéreufe hofpitaliré dans
les moeurs de ceux qui pa(îerent
leur vie à la tête de leurs moiflon-
Premier des Arts^ 5l
neiirs & de leurs troupeaux î Mais ,
fans aller fî loin , entrez dans le
jardin d'un pauvre homme , il vous
offre gratuitement & fans oftenta-
tion ce que Tartifan étale & farde
pour le vendre. Qu'un agriculteur
faffe une découverte, il fe hâte de
la communiquer à fes voifins ; tou-
tes celles des autres arts font des
fecrets qu'il a fallu voler ou ache-
ter bien cher.
Je ne parle ici morale qu'au-
tant qu'elle eft relative à l'intérêt
bien entendu ; & à dire vrai , la
morale la plus exacte efl: en tout
& par - tout l'intérêt le plus réeL
Mais fans entrer dans cette difcuf-
fion , n'eft-ce rien dans un Etat que
l'habitude du travail & de l'inno-
cence ? Fouillons les annales des
Arts 5 nous rougirons des excès
dont l'envie & l'intérêt y ont déf'
honoré la nature. Peut-on rien re-
procher de Temblable aux agricul-
teurs ?
Il eft , je crois , décidé dans la
Spéculation que l'état le plus inno-
4eeiit êft le plus heureux ; mais dai^
D V
§1 • Agriculture^
gnez reifayer dans la pratique ,
coarrifans difgraciés 5 & vous favo-
ris de la fociécé , à qui Tâge enlevé
chaque jour quelques-uns des arcs-
bourans de votre mérite. En vain
les uns afTedtent & jouent les de-
hors de la confidération qui leur
échappe, en vain les autres cher-
chent à fe rajeunir , ne fe montrent
qu'aux bougies , &c. Tout les aver-
tit durement qu*ils ne font plus ce
qu'ils ont été. Un arbre, une fleur,
ni même leurs cultivateurs ne (ça-
vent point faire cette différence ;
ils fe prêtent aux foins de Texilé.
comme à ceux du favori , & trai-
tent le vieillard comme l'homme
dans la fleur de l'âge.
L'Agriculture eft donc le pre-
mier des Arcs , comme le plus ho-
norable à l'homme, le plus né-
ceflaire, le plus utile, le plus in-
nocent *, mil'e gens l'ont dit avant
moi j l'exemple des peuples agri-.
culteurs , & de la partie de chaque
peuple qui eft livrée à l'agricultu-
re , le démontre. Il étoit peu né-
ceflaire de m*étendre fur cet article;
Premier des Arts, S j
51 le fera davantage de montrer ce
qui en arrête chez nous le progrès ,
& quels feroient les moyens de
Tencourager. Mais avant d'en ve-
nir là , je crois qu*ii eft utile de
mettre fous les yeux un précis des
avantages dont jouit en ce genre
notre heureuie patrie.
CHAPITRE IV.
Avantages de la France relative--
ment à l'Agriculture^
T 'Auteur de la nature a , comme:
ML^ je l'ai dit , donné à l'homme:
la faculté de faire , au befoin 9 ali-
ment prefque de tout. Il a donne
d'autre part à la terre de nourrir de
vivifier dans fon fein prefque tou-
tes fortes de germes , de plantes ^,
& de fruits ; _mais il faut encore:
que ce fein maternel foit attendri y
réchaufïe , humecté par le concours,
des autres élémens.
Ce concours lui eft favorable
D vj
?^ Avantages de la France ,
pre fqiie par - tout , mais plus ou
îBoins ; rindLiftrie humaine en ac-
croîr encore les influences , &c aide
de la forte à la nature. Il eil: ce-
pendant des lieux , où elle (e refufe
an ^s foins &: prefquà toute efpcce
de produ6lion.
Le Samoyene &: le Lapon cachés
fous des neiges éternelles ne fçaa-
roient multiplier la moulTè quiTerc
de nourriture aux rennes , dont le
lait & la chair font leur unique
fubfiflance. L'Africain errant dans
des fables brûlans travaiileroit en
vain à les rendre féconds. Le cli-
mat & le fol fe refufenr également
dans ces diverfes contrées ; en quel-
ques autres , le climat aideroit , &
le fol manque.
Les deux points que j'ai cités
font les deux extrémités de ia tem-
pérature. En partant de Tune & de
•l'autre & fè rapprochant vers le
centre, les biens & les dons delà
nature fe préfentent félon les lieux ;
de façon que ce qui manque à un
canton de ce qu'un autre poiTede,
y eft remplacé par des produdions
pour t Agriculture, Sy
d*un autre genre prefqu'égalemeiic
analogues aux néceffités & commo-
dités de la vie humaine. Mais s'il
eft un pays qui puilTe jouir égale-
ment de routes ces produ6bions ,
celui-là fans doute eft le favori de
la nature.
La France réunit tous ces avan- La France
tages plus quaucun autre Etat du ^l";;™;""
tnonde. Les Romains qui porfé- autre Etat
dotent trois parties de Tunivers , P"""^ ^'^S^^'
. , ' . . culture»
qui Jes parcouroient,gouvernoîent
éc ravageoient également tour-à-
tour 5 rendoient ce témoignage à la
Gaule 3 telle qu elle éroit alors re-
lativement à fa Population , à la
température de Ton climat & à la
multitude de rivières , dont elle eft
arrofée. Ils ne connoiiToient pas
les avantages de la mer fi impor-
tans aujourd'hui , & que nous pof-
fédons d'une façon prefqu'unique.
Ce n eft pas encore ici le lieu d*eii
parler.
En confidérant notre climat, la
fécondité de la plupart de nos ter-
res 5 ces montagnes qui d'une pare
nous fervent de frontières , & de
S^ j4vantages de la France^
l'aurre placées au centre diftribuent
des eaux dans routes les parties de
cette heureufe contrée , l'induRne
& l*aâ:i vite naturelle aux habitans,
la fécondité de leurs femmes, & au-
tres avantages phyfiques , Ton con-
çoit aifément que la France doic
être la patrie de la Population &
de Tabondance.
Les eaux qui fortent des mon^
tâgnes , qui arrofent de toutes parts
les vaftes Provinces de ce Royau-
me , forment les rivières & les
fleuves qui les portent à la mer. Il
n'eft prefque aucune de ces eaux,
qui par le travail le plus fimple ,
& le foin feulement de les repren-
dre a(Tez haut &: d*en détourner
une partie pour les répandre fur
les terres , ne fertilifafïent les cam-
pagnes qui en paroiflTent les plus
éloignées. Les Chinois , peuples
chez lefquels il eft de fait, malgré
les relations exagérées, que pref-
que tous les arts font inconnus ,
ont néanmoins fur l'article de l'agri-
culture des lumières pratiques qui
nous feroient honte , d'autant plus
pour V Agriculture. Sy
que toutes leurs machines font
fîmples : ils élèvent les eaux par
des roues , Ôc les tranfporrent fur
leurs campagnes. Où voit-on de
ces machines ~ là en France ? Et
dans quel pays du monde auroic-
on plus de facilité pour cela?
Le célèbre. conflru6teur du canal
du Languedoc, homme auquel la
patrie devroit des flacues , n*a for-
mé les baffins qui fournifTenr à la
navigation immenfe Se continuelle
de Ton canal que de ruiiïeaux re-
cueillis dans les montagnes , Ôc qui
fe perdoient dans les vallées, fans
que perfonne en profitât.
D*autre part , la température du
climat permet que dans toutes les
Provinces du Royaume on puilîe
cultiver les productions utiles ou
agréables des quatre parties du
monde , de façon qu'elles y vien-
nent comme dans leur patrie na-
turelle. Le détail à cet égard ieroic
fuperflu.
La nature des terres enfin efl
telle en France , qu*à la réferve de
quelques dunes au bord delà mer?
81 Avantages de la France ,
& de quelques roches efcarpées en
petit nombre , il n'y a peut-être
pas un pouce de terrein qui ne pût
être mis en valeur.
On fçait Toffire que firent les
Maures chaiTés de rEfpagne , de
venir habiter les landes de Gafco-
gne, & Ton efl: aujourd'hui fur-
pris du refus qu'on leur fit de ces
déferts. Il faudroit fe tranfporter
aux temps , avant de blâmer un
gouvernement auiîi éclairé que ce-
lui d'Henri IV. & de Ton ConfeiL
L'autorité Royale n'etoit pas alors
aufîî reconnue , & la police aufïï
bien établie qu'elle Teft aujourd'hui.
A regarder les chofes de ce fens-
là, une colonie de huit cents mille
âmes étoit un peu forte pour un
Royaume qui renfermoit encore
le germe des troubles civils. Ce-
pendant Sully, le grand & digne
Sully , qui voyoit tout & dans le
préfent & dans l'avenir , vouloic
qu'on les reçût. Si pareille chofe
arrivoit aujourd'hui ,11 y a apparen-
ce que les fous-fermiers de la capi-
îation remporter oient au Confeil».
pour V Agriculture. S^
Mais en fuppofant que des raifons
contraires prévaluffent , & que les
Anglois & leur naturalifation leur
fermaient leurs portes , je doute
que le Roi de PruŒe les laifTâc re-
tourner en Afrique.
Quoi qu'il en foie , ces terri-
bles landes, où l'on ne découvre
trace d'hommes que par des ren-
tiers pendant quarante lieues de
pays , feroient aujourd'hui habitées
autant qu'aucune autre contrée du
Royaume ; & qu'on ne m'oppofe
pas que je mets ici en fait ce qui
eft en queftion. Ces landes por-
tent des pignadas ou bois de pins
•très- beaux , mêlés de chênes blancs :
elles fontprefque par-tout couver-'
tes de brandes fort élevées. Toute
terre qui porte, peut être fécondée
par la culture & l'engrais , & four-
nir aux néceiïités de l'homme. L'air,
dit - on , y eft fort mal fain , aînlî
que les eaux : mais il y vit des ha-
bitans , quoiqu'en petit nombre :
les befliaux y font petits ; mais ils
peuplent confîdérablement : &
d'ailleurs cette température vicieufe
^o Avantages delà France j
ne pourrojt-elle pas être corrigée
par récoulement donné atix eaux
pluviales qui féjournent roucThiver
dans ces plaines fabloneufes î Enfin
j*ai vu moi-même dans un enclos
à portée d*une des hucres de ces
bonnes gens, le bled de très-belle
efpèce fraîchement coupé &" en-
core entaiïe en gerbes dans les fil-
Ions , tandis que le petit mil ou
millet fuccédanr à cette récolte ctoic
déjà haut de plus d'un pied & demi.
Ce double produit me parue un
phénomène ; mais mon étonne-
ment ne venoit que de moji igno-
rance i Se àe CQ que je ne fcavcis
pas qu'ils fement au pied du fro-
ment cette efpèce de petit bled qui
leur fait un double produit , & les
fauve de la difette , en cas que la
grêle ou queiqu*autre malheur dé-
truife la première récolte.
Conféquemmcnt ces terres font
propres à produire. îl n'en eft au-
cune , de laquelle l'homme ne tire
des richelTes, J'ai déjà cité l'exem-
ple du terroir de Marfeille ; je
pourrois citer encore les environs
■.)
pour l'Agriculture, 9 1
de Paris. Les plaines cîe Grenelle ^
du long boyau , de S. Denis niê-
me, 6c les environs de Verf^illes
ne porteroient feulement pas des
brandes , fi elles eroient éloignées
de l'habiration des hommes. La
preuve en eft dans la nature de la
terre & dans celle des gazons
mouffeux qui bordent Içs avenues
des maifons & chemins. L'extrê-
me Population fêuîe & Tabondance
des engrais qu'elle occafîonne ,
forcent la nature marâtre à s'y
montrer dans toute la pompe de la
fertilité.
Je le répète donc , il n'y a pas un
fèul canton du Royaume ou, pro-
portion gardée &: relativement aux
befoins du pays , tant pour (a con-
fommation intérieure que pour foa
exportation extérieure , on ne pût
porter au même point la produc-
tion & les efforts de l'Agriculture.
Petic-à-petit nous en viendrons aux
moyens , & dans la totalité de ces
réflexions on trouvera , à ce que
j'efpere, que je ne fyftématife fur
rien , & que je n'offre que des
^ 1 Avantages de la France j
objets d'une utilité première , Ôc
des moyens faciles.
Aux avantages du fol Se du cli-
mat s'en rapportent plufieurs au-
tres , dont Texpérience feule nous
montre la connexité avec ceux dont
nous traitions tout-à-rheure.
Nos montagnes s par exemple,
heureux réfervoirs de la nature ,
outre les avantages éé]a cites com-
me le nombre des fources , l'abon-
dance des pâturages ôc des beftiaux >
en ont encore de plus remarqua-
bles. La fécondité de refpèce hu-
maine n'eft nulle parc plus mar-
quée que dans ces âpres retraites.
Les hommes rendus laborieux par
la difficulté , non-feulement expo-
fent à nos yeux des prodiges d'A-
griculture j mais encore fortans en
forme de colonie de leurs pays
quand les neiges mettent fin à
leurs travaux, ils defcendent de
toutes parts dans les plaines , Se
leur laborieufe & frugale économie
met à contribution non- feulement
les contrées voifines , mais les plus
pour VAgricuhure, 95
éloignées, & jufqu'aux pays étran-
gers.
Les habitans des pays de Com-
minge & de Foix (è répandent pen-
dant l'hiver dans les plaines du
Haut-Languedoc & de la Gafcogne.
Les Auvergnacs , les Limofins ,
les gens de la Marche inondent .
tout le Royaume , & font Jurqu*en
Efpagne tous les gros travaux. Oa
voit par -tout, fous le nom de
Savoyards , les montagnards du
Dauphiné & de la Provence. Ces
gens -là multiplient à Tinfini j le
travail ne les lafTe jamais : ils vi-
vent de" fi peu , qu'ils amafTent àts
fommes confidérables des plus pe-
tits grains multipliés j & i*air de
fànté qu'on leur voit à tous , prouve
que le régime le plus dur , quand
il eft volontaire , efl le plus falu-
taire à l'homme.
D'autre part , quel genre d'induf-
trie pofîîble ne germe pas dans
cette nation aâ:ive ! également pro-
pre à tous les arts libéraux & mé-
chaniques , elle renferme dans fcn
fein une multitude de nations diffé-
^4 Avantages de la France i
rentes, réunies par une longue tia-
bitude de reconnoître une même
domination & de concourir aux
mêmes objets relatifs , mais qui
cependant différent entre elles de
génie , de tempérament & de
propriétés : de forte cjue fraterni-
iées d'une part entre elles par le
Gouvernement & le mélange iné-
vitable entre les différentes parties
du même Etat , elles participent
d*autre part à toutes les propriétés
des nations étrangères par le moyen
des diverfes Provinces qui font
limitrophes de chacunes, d'elles.
Ainfî le Provençal a le feu & la
vivacité de l'Italien, le Haut- Lan-
guedocien participe en quelque
forte de la gravité Efpagnole , le
Breton tient de TAnglois , le Fla-
mand du Batave , TAlfacien de l'Al-
lemand , le Comtois du Suiife , &c.
& ces diverfes natures viennent fe
rafiner dans le creufet de la dou-
ceur & de la politefïè Françoife
qui fert de tempérament propre
aux nations du centre du Royaume ,
vertus de la médiocrité , fi Ton veut.
pour V Agriculture, c) f
mais alliage excellent pour amal-
gamée & diriger vers le bien gêné-
rai les propriérés diverfes & quel-
quefois excefîives qu'apportent au
centre commun les nations plus
décidées.
Pour revenir à Tindullrie , il
n'eft pas temps de parler de celle
qui efl relative au commerce pro-
prement dit ; mais , fans fortir du
genre de Tagricuiture , je me rap-
pelle d'avoir vu un payfan renforcé,
fermier en même temps de la gran-
de tréforerie de Malte auprès de
Corbeil , d'une grofle terreau def-
fus d'Auxerre, & d'une autre plus
forte encore en Picardie. Il mé
détailla Us différents rapports de
produiftion & de fecours que fe
prêcoient mutuellement ces trois
établi ffemens, en apparence fî éloi-
gnés & fi divers , éc je fus étonné
des lumières que je trouvai foUs
cette groffiére écorce. Il fe forme
dans Paris des compagnies pour les
fermes de terres fituées jufques
dans lesPirennées, pour peu qu'el-
les fbient de quelque confidération.
5^ Avantages de la Vrance ^
En un mot généralement parlant;
roifiveté & la mifere ne font ja^
mais que forcées chez ce peuple
induftrieux.
L'ifleGellée. jg j-jg f^^jg ^j^j^^g q^gj conte dcs
Fées fai lu que Tifle Gellée étoic
autrefois très-floriflante : on y la-
bouroit 5 on y bâtiffoit , le com-
merce &r les arts y étoient en hon*
neur , & ce peuple - là jouoit un
rôle dans le monde. Comme cha-
cun faifoit valoir fon talent , un
homme habile prouva par beaux
dits que le génie & Tadlivité étoient
contribuables , comme tous autres
biens d*ici-bas : en conféquence on
taxa toute induftrie , & tant, fut
procédé d'après cette ingénieufe
fpéculation , que ce beau pays de-
vint l'ifle Gelée.
Quant à Tinduftrie dont je par-
le 5 il eft convenu parmi toutes les
nations policées qu'un éit% princir
paux foins du Gouvernement doit
être de la répandre dans la fociété ;
mais pour remplir ce devoir , il fuf-
firoit d'animer par des honneurs &
des récompenfès le zélé de ceux
qui
p^un r agriculture, 97
qui confacrent leurs études Se leurs
travaux à des recherches , donc le
but efl: de retendre Se de l'éclairer :
quant au foin de l'exciter , on peut
s'en rapporter à raiguillon du be-
foin. L'induftrie e& un don dû
Ciel aiïez généralement départi à
tous les hommes , chacun dans fou
genre ; mais ce don ne fçauroic
être développé que par la nécef-
foc.
I Ne confondons point : H y a
deux forces de néceiïicés , l'une de
pénurie , l'autre d'abondance : Tune
fait les mendians , l'autre a fait les
Ideftrudeurs de l'Empire Romain :
Irune ed fans reiTources, l'autre les
la toutes. La dépopulation fait la
'■première , l'extrême Population faic
lia féconde ; mais l'extrême Popu-
'lation ne peut venir que de i'ex-
5|:rême agriculture. Songeons donc
Janiquement à rendre à la campa-
'tti^ie fes habitans 3 à les éclairer
îiEans leurs travaux, à les protéger,
it'les foulager dans les malheurs, à
&|xiettre enfin en vigueur Se en hoa«
uiilieur leur utile profeiïïon.
m J. Farcie, E
^S Avantages de la France ^ &c,
Voudriez-vous me nier le prin*
dpe, & me dire que rien ne fut
plus peuplé que la Hollande , &
que rien n*euc jamais moins de
produit? La réponfe efl: aifée. Si
je prêchois TAgricuIture, Se pro{^
crivois le Commerce , je ferois
naître des hommes fans bras.Quand
un Etat n'a point de territoire ,
il eft inutile de lui enfeigner à le
cultiver : la Hollande pri(e dans
rérat où vous me la citez , n'efi:
qu'une ville entière , telle que je
les demande , comme je le dirai
ailleurs , c'eft-à-dire , fituées à por-
tée des exportations & importa-
tions étrangères , & où tout le
monde eft occupé à vivre de Ton
travail & non de fes rentes : mais
doutez-vous que fi nous donnions
aux Hollandois la plus rude de noç
montagnes ou la plus aride de nos
jandes , elle ne fut bientôt en rap-
port ? eu ce cas , vous ne connoifTez
guères cette naçion induHrieufe &;
ïntérefTée.
Ces confidérations me jette^j
foiçat l^ors d^ mpn fujet aftuel t\
Ce qui n ult à V Agriculture. ^ e»
elles vJendronc en foule dans Je
temps , & fe rangeront par clalîë
félon Tordre des maricres , auranc
du moins qu*il m*eft pofliole d*eii
mettre dans ce que j'écris. Venons
maintenant aux points principaux
de ce premier livre, &coniîdérons
quels font les inconvéniens qui
font languir TAgriculcure parmi
nous ; enfuire nous traiterons des
moyens de Tencourager.
^I^Jtxmxt^sxasL^iiswtiiMi.^ii' it\.,£ii&JSt'AbA:snix^itf.
i*-
CHAPITRE V.
Inconvéniens qui font languir
V Agricultur e,
T A profpérité ed aux Etats ce
J-^ quefl la maturité aux fruits
de la terre; elle en annonce , elle
en néceffite prefque la putréfac-
tion. Nous avons dît que l'inquié-
tude eft inhérente à notre fubftan-
ce , & fait partie de la nature hu-
maine : le propre de l'inquiétude
cft de chercher toujours le mieux.
s 00 Ce qui mât
ëc la recherche du mieux nous
poulïè au-delà du bien. Plus on
court après la premier , plus on
s'éloigne du fécond *, la mêmç
adtion des reflorts phyfiques » qui
a changé la verdeur en maturité,
pouffe celle - ci jufqu à la pourri-
tpre.
Enconféquence, le premier érac
d^ rhomme , qui eft l'Agriculture ,
étant pour lui le point du bien > il
cft tout iîmple que Ton inquiétude
Ten arrache. Plus il s'en éloigne,
plus il croit approcher du niieux ,
ôc plus en effet il dépalîê le bien ,
ce qui eft pis encore que de n'y
pouvoir pas atteindre. Confidérons
maintenant , à l'appui de ces géné-
ralités, en combien de façons la
profpérité de FÇtat a fait parmi
i)ous décheoir l'Agriculture.
Plus une focié.té s'étend , plus
elle efl: tranquille au-dedans , plu;s
elle eft vivifiée par différentes for-^
tes d'induftries , & plus aufïi le jeu
d^ la fortune y a. de liberté. De*-
lors les grandes fortunes devien-
à r Agriculture, îoi
héritages abforbent les petits. Quel- pIus une fb'^
le différence cependant de la fer- ^'écé s'étend,
lilité d'un petit domaine qui four- cuhure Hf-'
nie à la fubfiftance d'une famille que d'y êtrâf
laborieufe , à celle de ces vaftes ^""'^'•
campagnes livrées à des fermiers
pafTagers , ou à des agens parefîèux
ou intérefles , chargés de contri-
buer au lu^e de leurs maîtres plon-
gés dans la préfomptueufe igno-
rance des villes. Laudato ingentia
rura j difoit Virgile , exiguum cû-
lità.
Le territoire d'un canton ne
fçauroit être trop divifé : c'efl cette
répartition , cette différence du
tien au mien , principe de tous les
maux , difoient autrefois les Poètes,
qui fait toute la vivifîcatioa d'un
Etat.
Je me promenois un jour fur
une terraife ruftique *, deux voya-
geurs pafibient au bas dans le che-
min : Je parie , dit l'un, regardant
un enclos qui éroit au-deifous , que
ce bien appartient au Seigneur.
Oui , Monfieur, fe hâta de dire ua
payfan , qui peut - être de fa vie
E ii}
'rei Ce qiiï nuit
B'avok trouvé occafion d'enfèign^r
que cela. (Nous aimons tous à euh
do(5lriner, & peut-être en fuis -je
moi- même en ce moment un exem-
ple afïez ridicule. ) Je m'en étoîs
bien douté reprit le voyageur , à
le voir couvert de ronces & d'épi-
nes. Je fus un peu honteux 5 car
f étois ce Seigneur-là r mais je me
corrigeai en fubdivifant mon en-
clos à plufieurs payfans qui y de-
vinrent laborieux , déracinèrent les
épines , y ont bien fait leurs affai-
res & doublé mon fonds.
Les gros brochets dépeuplent
îes étangs ; les grands propriétaires
étoufîènt les petits. Qu'une terre
dans une province éloignée combe
par héritage dans une groilè raai-
fon : toute une famille de gens de
condition y vivoit honnêtement ,
élevoit it^ tïi^2iX\s 5 les poufïbit au
ièrvice, entretenoit mai Tons & jar-
dins , & confommoit le revenu
dans le pays ; au-lieu de cela , c'eft
une goutte d'eau dans la rivière:
à peine l'Agent a-t-il de quoi s'en-
tretenir : les chouettes s'empareuf
à V Agriculture. lù^
■du donjon , les colimaçons du
jardin ; on coupe les bois , & le
nouveau Seigneur n'en cft pas plus
riche.
Quand dans un grand Etat il
arrive que par quelque exception
fondée fur la ftérilité naturelle du
fol 5 ou fur réloignement du féjour
des grands propriétaires , les terres
fe trouvent réparties en différents
petits héritages, chaque ménage
tire du fien des refîources qui le
font vivre de ce qui ne feroit pas
même fumier dans un grand : les
fruits réels payent \qs charges de
l'Etat ; l'induftrie Se Téconomie
font vivre le propriétaire cultiva-
teur qui croit devoir fa fubfiftance
à fon champ , & qui l'en eflime
davantage. Mais au contraire , plus
des petits héritages engloutis, pour
ainii dire , dans les grands perdent
de cette fertilité que leur donnoie
la préfence & l'attention conti-
nuelle du maître , plus la fubven-
tion due à TEtat devient à charge
au propriétaire déjà dévoré par'
.tous ks fous- ordres. du luxe & d©
E iv
la pareffe -, plus en conféquencë^ ,
la valeur des terres baiiTè dans Tef^
time publique & particulière. Or^
s'il eft vrai que plus nous prifons
une chofe , plus nous y donnons
de foins *, s'il l'cfl: encore , que la
terre ne peut valoir que par nos
foins & notre travail : qu'on juge
quel vice c'eft dans un Etat, que
la diminution de la valeur des ter-
res dans l'efiime publique. Qu'on
réduife au produit de cette fpécu-
lation (împle , &c dont la démonf-
-tration eft fous les yeux de tous
le monde , l'eftime que méri-
tent les foins d'un Gouvernement
qui au - lieu de tendre par tous
moyens doux à la fubdivifîon des
fortunes & héritages, auroriferoic
& appuyeroit au contraire les réu-
nions de convenance , & poufleroic
l'imprudence jufqu'à forcer celles
qui font fous fa main. XJn Béné-
ficier, un Dignitaire demande &*
motive par les raifbns les plus
Ipécieufès la réunion à fa place de
plufîeurs autres Abbayes ou Béné-
fices qui font à fa bienféauce j il
I
à V Agriculture o ïof
iaîc en cela fa charge , peut - être
fait-il aufll le bien de fon Eglifej
mais il ne fait aOTurément pas celui
de TEtat : on démolit d'antiques
monumens , dont l'entretien aurok
été à charge au nouveau proprié"»
taire : on retire dans les villes des
Deflervans qui faifoient vivre la
campagne , ou pour mieux dire y
x)ï\ les fait rentrer dans la terre 5=
car leur dépouille n'accroît poins
le nombre , mais feulement le^
commodités de ceux qur les en-»
gloutilTent: l'Etat y perd des fujets^
h. campagne des habitans aifés , ù
nécelTaires à l'entretien du pauvre =,.
& la terre l'œil du maître.
Il n^eft rien de (î fou que la
rai fon humaine ne puiffe regarder
comme fageife. Un temps viendra^^
peut -êtreoù l'on verra des bureaux ^
dont les fondions pourroient être
exprimées par ce titre : Tribunal de TiîbunaR
la dévajlation. L'objet en ferait de ^;|^^^ ^«v^^*-
détruire des maifons ruinées , & ' '
d'en réunir les revenus à d'autres
plus dignes d'être confervées. S'il
aous efl: permis de pouffer plu#
E-v
'*3^ Ce qtii mut
loin îa prévoyance, nous pourrrons
prefque prédire les moyens habiles
&c fûrs dont on s'y (êrviroic pour
former le tableau des profcriptions,.
On écriroit d'abord dans les Pro^
vincês que le deflein du Gouver-
nement elt d'aider les maifons obé-
rées, 8c par cette rufe aulîî utile
que noble, on obciendroit un écaî
des revenus & des dettes de cha-
que maifon , état fidèle fans doute
comme le moyen qui l'auroit pro-
curé. 5ur cela la fatale lide fer ois
drelfée précifément dans la direc*
tioii contraire à ToLjet de tout bon
Gouvernement , qui eft d'appuyés
îe foible contre le fort , au - lieu
qu ici les maifons protégées feroienr
aidées de tout le poids de Tauto-
rité à envahir les biens des mai?-
&ns voifnes. Mais fi Jamais nos
î3eveux voyenc établir le funefte
abus d'une politique deftruftive ,.
voici à peu -près les raiforrs dont
ils pourroient combattre cet étran^
ge fyftême. Vous fou tenez , di-
îoient-ils à fes auteurs , que tant
es maifons religieufes multiplienc
à V Agriculture, 107
inutilement le céi bat, qu'elles (ont
à charge à l'Etat à qui elles deman-
dent fans cède des fecours , que
ruinées par les révolutions palTeeSp
la mifere y introduit le relâche-
ment, & qu'elles fcandalifent, au-
lieu d'édifier ; que la plupart fou-
rni fëî à des Supérieurs incapables
de (e conduire eux-mêm.es affec-
tent une indépendance des Supé-
rieurs Eccléfîaftiques , qui efl de
mauvais exemple ; qu'elles vivent
enfin miférablem^nt & dans la pa-
relTe. Reprenons chacune de ces
objeélions. A l'égard du célibat ,
vous ne fupprimez encore que des"
maiions de fillfs , & je vois danS'
l'Etat 11 X fois plus de filles nubiles
que d'hommes qui veuillent fe ma-
rier. Elles font à charge à l'Etat?:
qu*il fupprime entièrement Tes fe-
cours^ les niaifons qui ne peuvent
s'en paflTer tomberont d'elles-mê-
mes 5 ou chercheront d'autres reP
fources dans leur travail , dans^
Fordre & Téconomiede l'intérieufo-
Dans toutes les autres claiTes de
citoyens > le Gouvernement s'êriir—
%■%
fîCiS Ce qui nuit
barrafle-t-il d*éxaminer iî plus &
gens embraiïent une profeffioii
qu'elle n'en peut nourrir ? La ré-
forme fe fait d'elle-même , & le
Kombre s'en proportionne bientôt
tour naturellement aux moyens de
fubfîftance. Quant au relâchement ,
e'eft à la police Eccléfjaftique &
Civile à y pourvoir: il efl plusaifé
de les foumettre aux Supérieurs \qs
plus dignes, que de les détruire;
& pour ce qui efl: de la pare/îè
monaflique , je la crois au moins
âu(îî établie dans les maifons ri-
ches, que dans les pauvres. Si
cela eft ainfi , c'eft un vice qui tient
au relâchement auquel nous avons
pourvu ci deflus.- Voilà vos raifons
combattues , daignez maintenant
écouter les nôtres. Ces maifons-,
que vous fuppriraez, fervoient de
retraite pauvre > il efl: vrai , mais
à de pauvres filles élevées pauvre-
ment, & conféquemment tout à
€tx égard fe trouvoit de niveau &
à £à place ; au - lieu qu'elles n'ont
pas de quoi fe faire admettre, dans
'Eêlles que: vous conièivez. Elles
a V Agriculture, 105
elevoîent les filles du bourg & du
voifinage, dont elles Te chargeoienE
pour de très- petites pen fions \ ôc
c'efl: quelque chofe que Téduca-
tioiî , même telle quelle, pour qui
neft pas en état d*en recevoir chez
foi, ni de s'en procurer dans les grof-
fes maifons. Ces maifons pauvres
entretenoient des bâtimens qus
vous nefçauriezréunir a celles qui
les dévorent, ôc qui devenus inu-
tiles dans des lieux déjà mal habi-
tés , ne font qu'accroître les ruines.
D'entre leurs revenus mêmes les
plusfolides, la plupart viennent à
rien entre les mains de pofleffeurs
plus éloignés & moins attentifs,
ce font de petites rentes qui fou-
vent ne valent pas les frais de
coUeélc : des enclos très-rapportans
en ce qu'ils fournifîoient à leiu:
fubfiftance, devenus friches par la
chute de la maifon <Scc. les petites
libéralités des parens. Se leur in-
duilrie faifoient le refte : de ces
maifons , les unes éîevoient des
vers à foie, d'autres faifoient das
©uvrages à- la main, des liqueurs .3..
î î ô Ce qui nuit
des toiîes, &c. Tous ct% nnenilS"
détails font des riens ; mais n'aurez-
voiis d*attention à ces riens que
pour les détruire t Oh ! réforma-
teurs à coups de coignée , vous
ères les plus mal- habiles des jar-
diniers.
Cette digrelîîon qui m'a mené
loin 5 paroîtra déplacée d*abord, &
prématurée enfuite ; mais j'en crois
le fond de queîqu importance , &
peut-être l'aurois-je oublié ailleurs.
Revenons.
Les grandes fortunes font cepen-
dant, comme je Tai dit, une fuite
naturelle de la profpérité d'ua
Etat ; raccroiflTement des befoins
du fifc & des facilités qu il a d'éten-
dre fes rameaux fur tout le terrii-
toire, en eft pareillement un efïèt
néce (Taire , d'où s'enfuit que, par
un enchaînement (impie, le difcré-
dit des terres naît , (î Ton n'y prend
garde , de la profpérité même d'un
Etat.
Il eft des pays où l'induflrie du
^^Q. a 3 pour ainiâ dire , fafciné les
^eux du cultivateur au point quil
a V A inculture, i j t
fe regarde encore comme proprié-
taire abfblu , tandis qu'il n'eft pàs-
même fermier à titre honnête. Ce
doit être le nec plus ulirà de Tor-
ganifationdes finances : une entre-
prit, une opération de plus peut
Eout-à coup défiller les yeux , ou
du moins jetcer par Tes efîets dan.5
l'accablement.
Le Mogol efl propriétaire des
terres dans Ton Empire immenfe
femé de déferts , Se le peu de fu-
jets qui lui redent , eu égard à la
Population des pays vivifiés , vit au
jour le jour , Se enterre Tor qu'il a
pii ramaffer , fans fe foncier de rien
édifier ni planter.
Du difcrédit des terres dont Je
rrairerai plus au long ci-de(îous 5.
naît naturellement le dégoût de Ix
profefîîon d'Agriculteur. L*écono=-
mie de campagne , forte de travail
également attrayant & adif , n'offre
ni à Tambinon Tefpoir d'une fortu-
ne rapide dont on voit tant d'exem-
ples dans un grand Etat , ni aux
pafïïons l'appas trompeur des vo-
lupté'î, les diftiactioDS promifes k.
tii Ce qui nuit
la politefle & aux arts. L*urbanîté
une fois établie primera toujours
parmi les hommes ; le citadin fe
mer au moins à fon aife avec
Tagriculteur , celui-ci fera au moins
embarrafle devant le citadin ; Thom-
me cependant aime à primer. Ainfî
donc , la cupidité, la pareflTe &
Torgueil font d*accord pour faire
méprifer la profeffion d'agriculteur
dans un grand Etat.
Une fois , en voyageant bieiî
loin 5 je me trouvai par hazard dans
un Royaume où, fans le fçavoir,
l'on alloit à peu près ce train-lL
J'y vis un homme confidérable qui
cherchoit en même temps un Se-^
crétaire pour lui & un Econome
pour faire aller une terre voifîne
de la ville où il habitoit , & où \ï
vouloit entretenir un gros ménagé
d'Agriculture pour en tirer (es pro-
vifions. Pour le premier de ces
deux emplois , il fe prefenta une
infinité de jeunes gens bien mis y
feien élevés , ayant fait leurs étu-
des , Se avec des connoi (Tances fur
Fhiftoire 6cç, la plus belle main du
a V Agriculture, i r 3
monde , fçachant faire des lettres
fur un mot , enfin tout ce qu'il fal-
loit, & cela à choifir pour çoo
livres. Quant à 1 économe, il ne
lui vint que des cralTèux , des
ignorans, & des fripons: un feul
me parut entendu , homme de bon
fens & capable ; mais il deman-
doit 1500 livres d'appointemens.
Peuple de Caméléons , leur dis-je,
vous prétendez donc un jour vivre
de Tair ?
D'autre part , Tadminiftration
d'un grand Etat incline naturelle-
ment vers des vices de conftitution
qui inquiètent fans celfe le labou-
reur 5 & le gênent Jufques dans le
choix de Ton travail & le débit de
fe fruits. Nous traiterons ailleurs
cette matière au long.
Je converfois un jour avec un voyage.
homme qui difoit avoir été coUr ^^^"^ ^"
damne en Afrique a chercher une
route pour traverfer cet immenle
continent. Il pafla quelque temps
.|>armi les peuples barbares de cette
contrée , & s'étant fauve depuis il
•prétendoic avoir trouvé des traces
lî4 Ce qui nuit
qu'il y avoit eu autrefois quelques
fortes de notions chez ces peuples
qui ont à peine aujourd'hui figure
d'hommes : il alTuroit qu'ils avoient
jadis connu l'Agriculture & le tra-
vail , mais que Bientôt on la leur fie
oublier par deux arrangemens po-
litiques dignes de l'entendement
a<5buei de ces peuples malheureux.
L'un étoit quaufîitôc qu'un pro-
priétaire faifoit quelque nouvel éta-
blilTement fur fon fonds , qu'il y^
bâtiffoitsplanîoit &c.les Receveurs
de l'Etat groflîfîbient la cotre pro-
portionnelle de cet homme , cora-
me étant plus en état de la fup-
porter qu'un autre. Le fécond arran-
gement étoit que (bus prétexte de
conferver les denrées dans l'Etat
en cas de famine , il étoit ài^^nia
non-feulement d'en faire fortir de
chez eux , mais même d'en faire
pa(îèr d'une Province à l'autre fans
des permiffions néce(ïairement fu-
settes à toutes fortes de monopo-
les 5 de façon que quand les grains
ctoienr co^lmuns , les infedes fî
voraces en Afrique les mangeoies^
a t Agriculture, 1 1 j
dans les greniers , & quand il^
étoient rares , le profit ctoit pour
les monopoleur»; , <Si la diferte pour
tout le monde. Cela découragea le
peuple qui redevînt Hoicentor. O
cerveaux brûles, m'écriai-je, que
nous fommes heureux de vivre
dans des climats où l'on ait le fens
commun , & où Ton fcache s'en
fervir !
Nous Tavons dit, le plus ultra ? Le pius^
eft la devife de Thomme : Tes defirs f't ^''''''
le déplacent au phylique , amli
jqu'au moral. Le villageois habire-
roit un bourg, s'il pouvoit perdre
ion champ de vue ; le bourgeois
n'afpire qu'à s'établir à la ville,
& l'homme de ville envie le fort
de l'habitant de la capitale. Ce
defir univerfèl tend cependant ,
comme je l'ai dit ailleurs, à faire
perdre à l'Etat la forme de pyra-
mide pour prendre celle de cône
renverfé. La profpérité d'un Etac
aide encore à cette fâcheufe pro-
penfion.
L'étymologie du mot nous ap-
prend qu'une Capitale efi: auiE
11^ Ce qui nuit
ftéceflàire à un Etat , que la têtiï
TeH: au corps ;mais fî la têtegroflît
trop & que tout le fang y porte ,
le corps deviertt apopledique &
tout périr.
Chaque propriéta;ire de terres
doit une portion de Ton produit
àu Souverain ou à TEtat. L'induf^
trie de chaque homme lui doit en-
core plus ou moins félon les loix
ou ufages fifcaux d*un pays , par
les droits établis fur les confom-
mations , fur les exportations, fur
les matières premières , fur les oir-
vrages , &c. Toutes ces fommes
immenfes relativement à tout autre
revenu dans l'Etat , font en partie
confommées dans la Capitale. Les
grands Officiers de la Couronne
ou de TEtat, les Officiers des Tri-
bunaux fupérieurs & autres em-
ployés dans le nombre infini de
Charges que demande Torganifa-
tion fupérieure, y refîdent nécet
fai rement , & confequemmenc y
confômment non-fèulement le pro-
duit defliné à leurs appointemens
& profits y mais encore celui dé
a r Agriculture, 117
leurs propres fonds , ajoutez encore
le produit qui fubvient aux frais
de réducation des enfans &c. tout
cela fait un bloc prodigieux , &
qu il eft bien difficile de tenir dans
la proportion ncceffaire à l'harmo-
nie , relativement à la force confti-
tutive des autres lieux qui de-
vroient former des échelons pro-
portionnés pour arriver à la Ca-
pitale.
Que fera - ce donc , fi en aban-
donnant les Provinces à une forte
de dépendance direâie, & ne re-
gardant leurs habitans que comme
des régnicoles du fécond ordre ,
pour ainfi dire , Ci en n'y laiflanç
aucuns moyens de confidération &
aucune carrière à Tambition , Ton
attire encore tout ce qui a quel-
ques talens à cette Capitale ? Si ,
par une continuation d'aveugle-
ment , on ouvroit la porte aux
évocations des Tribunaux des Pro-
vinces à la Capitale : fi Ton y
prodiguoit les récompenfes 2i\x%
îpoindres fervices , foit d'utilité ,,
Ipit ci*agf:émçnt; fi Ton perniçttoig
î ï 8 Ce qui nuit
enfin qu2 pau une infinité de pe-
tites féduâions de détail , Tinfé-
rieur en Province eut toujours le'
droit de tenir tête à Ton Supérieur,*
pourvu qu'il eût quelque connoif-
fance en fous -ordre dans les Em-
ployés au détail du Gouvernement :
il le moindre Bourgeois ou Officier"
pouvoit parler au loin d'écrire en
Cour &c, dès-lors, par un bout ou
par l'autre , tout tendroit à cette-
Gapitale qui étoufTeroit du fang
arrêté dans les autres parties.
Si d*autre part , fous prétexte de
veiller à leur perfe£tion , on y atti-
roit les manuFadures , au-lieii de
lès répandre dans les lieux où la
vivification , nécelTaire par - tout ,'
n*a aucune des refïburces ci-delTus :
fi Ton y établiifoit les maifons'
communes de charité & de retraité,'
au- lieu de les envoyer aux lieux*
où le produit e(l plus abondant, &'
Ja confommarion moins afï'urée,,'
raccroifTemenc de cette Capitale
feroit fans bornes, & cet accroifîè-!
înent devroit être pris pour une
preuve d'abondance dans l'Eiat , à
à t Agriculture. 115^
»eU'prcs comme d'énormes loupes
le font de la fanté du corps.
La profpérité d'un Etat établit
dans ion fein une infinité de ra-
meaux d'induftrie & de natures de
biens 5 qui tous paroiiTent au pre-
mier coup d'oeil plus commodes &
plus dil'ponibles que ne Tefl la pof^
îefîîon des terres , appas trompeurs
qui féduifent & détournent Thu-
manité en général. L'homme tou-
jours prompt à fe redreiïer , ne
femble pouvoir être courbé vers la
îfrre que par la nécefîîté.
Les propriétaires des terres qui
fupportent d'abord les plus grandes
.& les plus onéreufes des charges
publiq^ies , & qui font moins en
état de s'y fouftraire que perfonne y
qui du fécond bond rerfèntent le
.contre - coup néce (Taire de toutes
celles qui font établies fur les con-
fommations , fur les débouchés ,
entrées &c. ont encore une infinité
de fléaux & d'embarras , que n'ont
point les rentiers & pofTefTèurs de
.foute autre forte de biens fidiFs & de
t^iQXVàs réels. Les intempéries du
î£0 Ce qui nuit
climat & les incertitudes des fai-
fons qui fouvent au dernier jour h
détruifent toutes leurs efpérances,
font d*abord un poids toujours plus
incliné du côté de la crainte que
de celui de lefpérance. Cet article ,
dira-t-on , regarde plus les entre-
preneurs de leurs revenus nommés
fermiers _, que les propriétaires*.
Mais outre que je conûdere ici le
propriétaire dans Ton état primitif,
il eft toujours vrai de dire que le
fermier proportionne fa rente aux
rifques de fon entreprifè , & confé^
quemment que ces rifques font
toujours à la charge du propriérai-^
re. J'en dis autant des mortalités
de beftiaux , fléau qui diminue le
fonds de moitié & fouvent du tout,
(i le propriétaire n*a des fonds en
réferve pour remonter (è^ étables.
-Ajourez à cela raflujetfKTement, les
procès & autres embarras. Tout
concourt dans TEtat politique , tel
qu'il elt aujourd'hui conflitué chez
les nations policées , à rendre le
fort du propriétaire des terres plus
mialheureux, proportion gardée ,
que
V
a V Agriculture, iit
que celui de tous les autres mem-
bres de l'Etat.
Il eft en conféquence très-com-
mun d'entendre dire que tout hom-
me , quelque riche qu'il foir , ne
{çauroit jouir d'une certaine aifance,
fi tout fon bien eft en fonds de
terres. La chofe n'eft que trop
raie , attendu la folie & la vanité
les propriétaires, qui dépenfent tou-
ours plus qu'ils n'ont. Il eft même
rès-certain que > tandis qu'un ren-
ier qui montera exadement fa
lépenfe fur Tes revenus , fe foû-
iendra long - temps fur le même
ied , fans être obligé d'altérer fes
bnds , fon voifin dont le revenu
îft en fonds de terres , ne fera pas
ilix ans fans manger un tiers de (on
|bnds , s'il a fait le même calcul i
ttendu que les cas fortuits , les
[éparations &c. enlèvent fouvent
n quart & quelquefois la moitié
jçjle fes revenus , & que la dépenfe
jlant toujours, néceftairement la
jgloule de neige grofïïr.
dIosI ^^^^ ^^ "'^^ ^^ P^^ moins un
e W^^ ^^^^ ^^^^^ opinion fe foit éta-
'I L Partie, F
CliC
)i
't
1 2, 1 Ce qui nuit
blie. Eile n'a au fond que Tappa*
rence, qu'on peur détruire par mille
raifons tout autrement réelles.
Raîfons de i". Il eft daus la nature de Thom-
préférec les ^^ de travailler folidemcnt , &dô
biens ea , , ^ /- , i r
fonds de chercher a le perpétuer dans les
terre, propres ouvrages. Plus Ton remon*
re aux premières inftitutions de
rhumanicé, plus Ton en trouve des
preuves , & ce principe ne peut
erre difputé. La frivolité de la na-
tion d'une part , l'abondance de
For , grand corrupteur de la na-
ture de l'autre , femblent nous
avoir entièrement inclinés vers
l'intérêt perfonnel & momentanés
qu'on appelle jouifîànce. On place
ion bien à fonds perdu , on bâtit,
on Te meuble , on vit enfin unique-
ment pour foi; mais cet on que
j'admets ici & qu'un petit nombre
d'individus habitans de cette foll(
Capitale regarde comme général
efl cependant très - rétréci. Lei
Provinces entières ^ & à Paris mê-
me tout ce qu'il y a de gens d(|
travail, de bourgeois, d'homme I|)
d'une profeflîon grave , de NobleIÎ<|&
\t
à V agriculture. iij
attachée à (on nom oc à fa famille ,
tous les honnêtes gens enfin , loin
de fuivfeceîte méthode monftrueu-
fe d'éteindre Ton patrimoine en
même temps que le dernier flam-
beau de Tes funérailles, ne la to-
lèrent que dans les gens qui n*ayanc
point d*enfans ni de fuite & dif-
pofant d*un bien qu'ils ont acquis ,
fe procurent une aifance qu ils iup-
pofent nécelïaire , & dont ils n ont
de compte à rendre à perfonne.
Mon delîein n eO: pas ici de blâ-
mer j mais Je dis que chacun aime
à placer folidement fà fortune , &
Ton convient qu'il n'y a pas de
polïefîîon plus folide que les terres
une fois bien liquidées. Rien n*em-
porte le fonds en totalité, & au
pis aller, dans des temps de cala-
mité elles offrent un afyle & une
fubfiftance afTurée , qui peuvent
manquer au polTelTeur de toute au-
tre forte de biens.
2®. Elles donnent toujours une
forte de luftre & de rang , indé-
pendamment de la prééminence
6c jurifdiélion des fiefs fur leurs
Fij
habitans : invention qui , quoique
Gothique , n'en eft pas moins ad-
mirable 3 par mille raifons qui ne
font pas de mon fujet adfcuel. Le
propriétaire des fonds a naturelle-
ment une jurifdidion de dépen-
dance fur les cultivateurs , une
confidération & un rapport naturel
dans le pays, au lieu que le pof-
feiïeur de contrats n'eft connu que
du Procureur qui veille à la con-
fervation de fon hypothèque 5 Se
rhomme dont le bien eft en mai-
fons 5 n'a de relation pour cela
qu'avec fon Entrepreneur Maçon ,
ôc le Notaire quipafîe les baux.
3*^. Le prix d&s terres & leur
valeur doit naturellement recevoir
une augmentation proportionnelle
à celle du prix des denrées. Tel
homme acheta , il y a cent ans ,
une terre cent mille livres-, û. Ces
enfans la poflèdent aujourd'hui ,
elle vaut prefque le double, toutes
autres chofes étant égales , & le
revenu en a monté prefque dans
la proportion. Si au contraire cet
homme eût fait un contrat à fîx
a. V Agriculture, 125
pour cent , forte d'intérêt alors
u(îré, Ton ^contrat 5 fuppofé qu*il
fnbfîfte encore, chofe prefqu'inouie,
a d'abord certainement diminué au
raux du Prince d'un fîxiéme de
revenu , & par conféquent de fonds.
Ji y a grande apparence qu'il dimi-
nuera dans peu d'un cinquième en-
core , en fuppofant qu'il ait échapé
à la révolution du fyilême qui a
mis à trois , deux 5 & quelquefois
un pour cent , tous les contrats
qui ont été confervés ; mais en ad-
mettant qu'il eût échapé à toutes
ces révolutions, chofe impoiTible,
fix mille livres de rente , il y a
cent ans , va! oient mieux que douze
aujourd'hui , tant à cau(e du hauflfe-
ment du marc d'argent, que rela-
tivement à celui du prix de toutes
les denrées & marchandifes. La
moitié de la fortune de cet homme
s'eft donc fondue par le laps de
temps.
4^. Chacun compte fur (on in-
duftrie. Il efi: certain que les terres
offrent un vafte champ d'amélio-
riation y on jouit de ce qu'on efpere
F ijj
«
11^ Ce qui nuit
prefqu'autant que de ce qu'on pof^
(t<^t \ & dans le fait , l'homme le
moins entendu n'a qu'à fe prêter
aux vues des colons & habitans de
la campagne , mettre les profits de
{o\\ économie fur Ton fonds, il en
doublera & triplera le produit bien
plus rapidement , que ne pourroit
faire le plus avare polTefTeur de
contrats en employant les revenus
à en faire d'autres.
50. Il y a toujours des profits
& des revenans-bons dans les ter-
res , & jamais dans les autres biens ;
des ventes de bois , des mutations
de fiefs &c- font des refifources in-
connues ailleurs, & qui font fou-
vent de la plus grande utilité.
6^. Enfin , un contrat > ou tout
autre emplacement , s'il efl: bon ,
eft fujet au rembourfement , dans
le temps où le remplacement efl:
le plus difiicile? & à la banque-
route , s'il efl: mauvais , fans qu'on
puiîTe jamais exiger fon fonds ,
quand on en auroit befoin. On ne
fçauroit lier les mains d'un hé-
ritier diflîpateur fur des effets de
Ci t Agriculture. rij
cette efpece ; on ne peut les per-
pétuer dans fa famille. En un mot,
toutes les rai Tons folides font pour
la propriété des terres , & l'on ne
finiroit pas (î on vouloir les énu-
mérer en détail.
Cependant fans s'arrêter à lopi-
jiion publique, article fur lequel
tout le monde eft fujet à Te mé-
prendre , le fait parle 6c nous indi-
que le vrai dans ce point-ci. Qtie
le Clergé , que les Pays d'Etats ,
que les Princes & les Particuliers
même cherchent des emprunts , la
foule y eft 5 & c'eft à qui prendra
date pour être reçu à apporter Ton
argent. On fçait pourtant que les
placemens les plus folides en France
deviennent chaque jour moins filfs ,
en proportion de ce que la fomme
des engagemens s'accroît. D'autre
part 5 les plus belles terres font
dans les Affiches, Se cela à choifir
en tout genre , pays & coutume.
Se Ton ne vend rien ou difficile-
ment. Ce n'efi: plus aujourd'hui le
temps de dire que les gens à argent
n'ofent faire des placemens d'éclat :
F iv
ïiS Ce qui nuit
ehacun ofe ôc jouit maintenant à
fa. guife du fruit de Tes travaux &
de Ton bonheur 5 mais le fait eft
qu'on ne veut point des terres^
Examinons en pafTant les caufes
de cet engourdiirenient Ci fatal à
FErar.
Kaifons qui La première fans contredit & la
Bc..sfonc 1^5 ^^^11^ ^^ lg pro^J2ieux poil-
dédaigner f^ i i /^ • i ^i>
les terres. îlement de la Capitale; tout lar-
geur y vient par les raifons déduites
ci-deflus. L'homme fuit le métal,
comme le poiflbn fuit le courant
de l'eau , ôc tout vient à Paris. Les
délices & les préjugés de la Capi-
tale tendent tous à établir la mol-
leiTe ôc réloignement du travail
pour qui peut s'en pa(Ier. Les ter-
res demandent des foins & quelque
réfidence du moins pafiTagére; on
ne veut point de cela : les campa-
gnards font fi rebutans ; quelle fo-
ciété ! ( car à force de parler fociété
nous deviendrons tout-à-fait info-
ciables : ) les parcs de nos pères
font (î raboteux : point d'arbres en
boule, ni treillage en bois dans les
dehors : moins encore d'entre-fols.
à r Agriculture. ï2c^
d'appartemens , de bains ôc de lieux
à l'Angloife dans les maifons. Qiie
faire fans tout cela> Il s*agic donc
de ce qu une terre rend franc de
quitte à Paris. L'ancien pofTefTeur
mettoit tout à profit , connoifloic
fon monde , organifoit fa befo-
gne ; le riche qui lui fuccede at-
tend qu'on le vienne chercher ,
qu'on ait payé fon portier Se Ces
valets pour avoir audience de Mon-
feigneur , & obtenir la ferme à
bas prix. Ce ne fera point un-
économe Se honnête laboureur qui
fe donnera ces mouvemens-là ; la
Ville l'efRaie , & Tinfolence des
ibus-ordres le rebute : voilà donc
un intriguant Se fouvent un (npow
devenu fermier , Se chargé en outre'
de la confiance du Maître; il fait
la portion de rintendanr, il envoie-
des pâtés au maître-d'hôtel , Se des
fromages au fuKTe-, tout chante fes-
louanges dans la maifon. De foii;
CQié il fçait oiV reprendt;e tous ces-
frais , il vexe les Habitans, excite
des refus ôc des procédures qin-
|roduifent des nourvâleurs,, article
1:5 0 Ce qui nuit
le plus rapportant de fbn compte»
D'autre part , comme on s'en de à
Jui , & cju'on n'y vient jamais , il
arrive malheurs fur malheurs j cas
fortuits , réparations, & le Maître
ne trouve au bout dé Tan que du
papier en recette & dépenfe. Voilà
pour les terres éloignées.
Celles qui font à portée ont
Thonneur de voir le Patron ; il
arrive, l'avenue eft trop étroite &
de côté, il faut en marquer une
autre , deux contre-allées ; trente
toifes de largeur ôc autant que la
vue peut s'étendre ; leterrein d'une
bonne métairie devient avenue »
& le produit zéro. Le parc , les
charmilles , le quinconge , le laby-
rinthe, les arbres" en boule, autre
zéro : trois cents arpens en ce genre
ne font pas trop ', le potager étoit
trop étroit, il faut des ados, des-
murs de partage , une pompe pour
amener des eaux , des ferres chau-
de?, une orangerie. Les terraflTes
fablées , les élagueurs , tondeurs ,
l'entretien de ces potagers dont il
arrive quelques primeurs à la villes,
a V Agriculture, 1 5 1
le foin d'entretenir & ratifier tou-
tes les allées du parc , de mainte-
nir les pompes , &c. fî tout cela
ne coûte que icogo livres , ce
n'eft pas trop. Dans la maifon les
meubles , les vernis &c. deman-
dent un Concierge. Si ce pauvre
homme , fa famille & les frais
d'entretien ne coûtent que cent
piftoles , c'eflbon marché. La terre
valoir 15000 liv. de rente , elle
revient à 400000 livres avec les
frais 5 on y en a dépenfé Go pour
la rendre digne du Maître ; le ter--
rein mis en décoration a diminué
la ferme de 4000 liv. il en coûta
onze d^entretien, refte à rien pour
Monfeîgneur. Mais fon voifin dans
la place Vendôme , & lui - même
quelquefois compte j cette terre ,
dit-il , me tient lieu de 15000 liv.
de rente & ne m,e rend rien , d*ou
lui & fes femblâbles concluent ^
ce font de mauvais biens que les
terres.
Une autre raifôn du difcréditdcs-
terres eft le manque de confiance
& de bonne-foi y on s'en plaint , j
F vj;
\ ^
332 Ce qui nuit
crois, dans le commerce & par-
tout j mais cela n'eft pas de mon
fujet. Il eft de fait que jamais ii
n'y eut moins de confiance , parce
Cjue jamais il n*y eut plus d*or &
plus d'avidité pour For chez les
grands & les petits. Jamais auflî
il n'y eut entre les propriétaires
des terres & les cultivateurs moins
de ces rapports d'intérêts & d'hon-
nêteté 5 qui forment l'union & éta*
blillènt la confiance.
On a beau dire , l'homme eft
un infede de telle nature qu'on ne
fçauroit tant le prelTer qu'il ne fè
retourne pour piquer le talon qui
i'écrafe j mais il eft pareillement
fenfible aux bienfaits , èc il n'eft
férocité & malice humaine que la
vertu & la bienfaifance n'appri-
voifent.
Les gens de plume & d'écritoire
qui ont 5 à force de projets , d'or-
donnances & de réglemens , changé
la conftitution fubalterne de l'Etat,.
& qui eux-mêmes enveloppés des
foibles débris de leur édifice ^ onr
à t Agriculture, 1^5
aufîî promptement que la haute
Noblefle , fait place à tous les poti- , Çeccptioi*
^ r 1'- . ^ 1 »Lir l'ancien
rons que la raveur, 1 intrigue, la état de la
rapine &: Tiuduftrie élèvent de Monarchie»
toutes parts , ont établi un préjugé
contre Tancienne conftitution de la
Monarchie ; & cette opinion , de
malice chez eux , l'eft devenue
d'ignorance dans tout le refte de
la nation , & même parmi ceux
qui y ont le plus perdu. Le peu-
ple 5 difent-ils , avoit autrefois mille
tyrans au-lieu d'un Maître. Si l'on^
entend par cet autrefois les temps
du Roi Robert & de quelques-
uns de Tes fucceiîeurs , la chofe ne
peut être difputéej l'anarchie éroie
générale , aiiifî que la férocité ::
mais ces temps de convulfion pour
le corps politique ne font point:
ceux que nos doéteurs ont en vuè'j
il nous en refte trop peu de tra-
ces , & \es malheurs d'un tel reii-
verfement de toute fociétéfonttropv
reconnus pour qu'il foit néceiîaire-
de les citer. Les fiécles écoulés:
depuis S. Louis jufqu'à nos guerresr
de religion font plu^, débrouillésb j.;
154 ^^ ^^^ ^^^^^
& s'il étok queftioiî de difputer fur
la force intérieure de notre confti-
tution d'alors , Je défierois les Ju-
rifconfultes les plus habiles en Droit
public de m'y démontrer les maux
de la tyrannie , dont les efïèts font
toujours parlans. Qui de nous fe
chargeroit aujourd'hui de faire dire
à un Auteur Anglois ce que dit
Mathieu Paris en parlant de faint
Louis : Le Seigneur Roi des Fran-
çois , qui eji le Roi des Rois de
la terre ^ tant en vertu defon onc-
tion célefie que par la fupérioritê
de fa milice Eût- on refpe(5té de
la forte le Souverain d'un peuple
livré aux brigandages de lanar-:
chie ?
Le dénombrement de la France
fait fous Charles IX. portoit dix *
neuf millions d'habirans y & celui
fait fous Louis XIV. n'en donne
que dix-fept. Nous n'avions cepen-
dant ni le Rouflîllon , ni le Bearn
& la partie de la Navarre qui nous:
demeure , ni la BrefTe , le Bjgei y
ni la Franche Comté , TAKace de.
* \oyti Bocalin*
à r Agriculture, 135
les trois Eyêchés , la Principauté
de Sedan ; la Somme étoit notre
frontière du côté de la Picardie.
Le Royaume enfin étoit d*un grand
cinquième moins étendu. L*on me
dira que le dénombrement de
Charles IX. étoit fautif; mais je
répons que nous ne nous y prenons
pas aujourd*hui de façon à en faire
de plus exaéts. Or 5 ou toutes les
régies font faulTes , ou jamais un
peuple tyrannifé ne fera nom-
breux.
Avant de finir Tarticle de Tanar-
chie des (îécles palTés , je prierai
ceux qui regardent mon opinion
comme un paradoxe , de recher-
cher dans les Auteurs inftruits &c
contemporains de ces temps pré-
tendus malheureux, l'opinion qu'on:
avoir alors de la conftitution de la
Monarchie Françoife , & de Tordre
qui regnoit au dedans. On en trou-
vera des traces dans plufieurs ou-
vrages. Je me contenterai de pla-
cer ici quelques endroits que j*ai
notés autrefois en lifant les réfle-
xions de Maciiiavel fur la. première
if6 Ce qui nuit
Décade de Tite-Live. On n'acciife
pas cet Auteur d'être mal inftruit,
ôc Cl fon cœur eût été auflî droit
que fon efprit étoic éclairé , fa ré-
putation ne fer oit pas étrangement
mêlée. Tel qu'il eft, fon plan de
politique n'eft apurement pas de
maintenir l'anarchie ; & s'il eft err
quelques endroits pour le gouver-
nement violent , c'eft au Prince Se
à la République qu'il le confeille ,
ôc toutes fes vues tendent à établir
non- feulement la foumifîîon , mais
Tobéiflance paffive parmi les fujets.
Ecoutons-le parler cependant fur
îa France dans le quinzième fiécle.
Je n'ai pas tout noté dans le temps s
ôc je n'ai pas aujourd'hui celui de
relire.
Chapitre i6. Difcours fur la-
première Décade. » C'eft ainfî que
>r fubfifte le Royaume de France ,
» auquel on ne vit en repos ôc en*
« fureté que parle moyen des Loix
ji qui y fonts lefquelles les Rois
«font tenus de garder, & qu'ils.
Si gardent faintement.
Dans le Chap. 15;». » De -là je.
à V agriculture, 137
>j conclus qu un Prince commun
3j ou foible fe peut bien porter
j> après un excellent-, mais deux
« ou trois femblables Tun après
» l'autre fans difficulté ruineroient
3i tout, fi ce n'étoit comme en
>5 France, où Tordre & la police
5> ancienne foûriennent le faix de
ii la Monarchie.
Dans le Chap. ^^.hCq Royau-
33 me- là ( la France^ efi: trop bien
'î réglé & gouverné ; même mieux,
55 à mon avis , qu'autre qui foit
w dans l'univers.
Dans le Chap. 10. du troifiéme
Livre. « Les Royaui-nes aullî ont
35 pareillement befoin de (e renou-
» veiler & de ramener leurs Loix
33 à leurs principes, & on voit le
33 grand bien que cela rapporte au
33 Royaume de France, qui eft le
33 Royaume qui vit fous les Loix
33 & les Ordonnances plus que pas
33 un autre, defquelles les Parle-
« mens font les gardiens Ôc les
*' protecteurs , fpécialement celui
" de Paris ; lefquelles font renou-
ii vellées par lui toutes les fois
j 3 s Ce qui nuit
»> qu'il fait une exécution contre
M un Prince du Royaume , & qui
3* condamne le Roi en fes Arrêts.
Dans le 41^ Chapitre. » Ce que
3> les François imitent en paroles
3> &en adtions, quand il eft quef-
3> tion de la Majefté de leurs Rois
w & de la puifTance & autorité de
3> leur Royaume > & il n'y a rien
» qu'ils fupportent avec moins de
w patience que de leur faire voir
w que tel ou tel moyen ne tourne
» pas à l'honneur du Roi , difanc
w que leur Roi n'encourt aucune
» honte ni aucun déshonneur ,
» quelque confeil qu'il fuive, foit
M dans la bonne ou mauvaife for-
j> tune j de perte ou gain. // n'im-^
3* porte j tout cela efi ordonné par
w le Roi.
Je laifTe à confidérer d'après ces
citations fi notre Go?ivernemenc
de ce temps- là étoit regardé com-
me la réunion d'une infinité de
petits tyrans. Il efl: encore à remar-
quer que le commerce auquel les
Florentins étoient très - adonnés »
faifant en France tout celui de notre
k V Agriculture, 139
Royaume , les niettoit à portée de
bien connoîrre nos mœurs & ufa-
ges ; que Machiavel vivoit dans le
temps de nos premières expédi-
tions dans fa patrie , qu'elle étoit
alors République , forme de gou-
vernement qui tourne tous les
efprits du côté de ces fortes de
recherches , & que Machiavel a
toujours palTé pour un des plus
habiles hommes de fon temps en
ce genre.
Quoi qu'il en foit de mon opi-
nion relativement à ce qu'on vou-
droit appeller le bon ordre & po-
lice , & qui , félon moi , reflemble
aflez à celle qu'on fait obferver
dans le Serrail , il ed: au moins
certain que les Seigneurs d'autre-
fois demeurans dans leurs terres ,
ceux qui vexoient leurs habitans,
les vexoient en perfonne & non
par procureur , ce qui certainement
vaut mieux ; qu'ils confbmmoienc
fur les lieux le fruit de leurs pré-
tendues extorfions, & ne foufFroient
pas que d'autres qu'eux les vexaf-
îent. Ceux au contraire d'un efprie
î4® Ce qui nuit
folide & d'un caractère bienfaifant,
ayant moins d'occafions de befoins
fuperflus & plus d'objers de com-
niifération devant les yeux, foûte-
noient , protégeoient , encoura-
p^eoient les habitans de la campa-
gne. Les pauvres , les malades
étoient fecourus du Château 5 les
orphelins y trouvoient leur fubfîf-
tance, & devenoient domeftiques.
Il y avoit , en un mot , un rapport
direcfl: du Seigneur à fbn ftijet, &
par conféquent plus de liens &
moins de lézion de part & d'autre ,
fans celle du tiers.
Paflant dans un canton de tra-
verfe en Querci , je m'arrêtai dans
un a(ïez gros lieu , où couloit un
ruififeau confîdérable ou petite ri-
vière que je remarquai toute pleine
d'écreviiTes. Je demandai à l'au-
bergifte combien de gardes avoit
le Seigneur pour que la pêche fût
ainfî confervée. Ah ! Monjîeur ^
me dit le bon homme , ceci appar^
tient a M. le Marquis D. B. ce
font les meilleurs Seigneurs du
monde que nous avons depuis deux.
Ci V Agriculture. 141
cents ans ^ & qui viennent fouvent
dans le pays. Il n'y a pas un de
nous qui y loin de lui rien prendre ,
ne fut le premier j en pareil cas y
a dénoncer f on voijîn. Un homme
de qualité d'une Province peu éloi-
gnée de celle là , donna pendant
la difette de l'année 1747 le pain
& le couvert dans Tes granges à
mille pauvres durant fix mois.
Alle^y mes enfans ^ leur dit- il à
la S. Jean , alle\ tacher d'en ga-
gner : Je vais en ramajfer pour
Vannée prochaine ^ fi la difette
dure. Certainement cet homme »
quoique d'un mérite & d'une pro-
bité didinguée , eft un Seigneur
Châtelain dans la force du mot :
quelque bienfaifant qu'il puiiTe
être j il n'eût Jamais poulie jufques-
là les effets de la commiieration,
Is'il eût habité à Paris.
Ne fût-ce enfin , comme Je l'ai
Idit, qu'en faifant travailler depau-
Ivres gens , les Seigneurs dans leurs
Iterres faifoient des biens infinis.
[On fçait à quel point étoit l'habi-
laide 3 ôc pour ainfî dire , la manie
I4i Ce qui nuit
des préfèns continuels que les hà-
bitans faifoient à leurs Seigneurs.
J'ai vu de mon temps cette habi-
tude cefTer prefque par-tout, & à
bon droit } car tout bienfait doit
être refpedif ici- bas , & fi la ba-
lance peut l'emporter , le furpoids
doit être naturellement du côté le
plus fort. Les Seigneurs ne leur
font plus bons à rien ; il efl: tout
fimple qu'ils en fbient oubliés
comme ils les oublient : & qu'on
ne diiè pas que c'étoit un refte de
l'ancienne fervitude > ou l'on fe
tromperoit fort, ou Ton parleroit
de bien mauvaife foi. Dans les
lieux où cela fe pratique encore,
ces bonnes gens & les plus pauvres,
feroient très-mortifiés fi Ton refu-
foit leurs préfens 5 & plus encore,
{\ par une étrenne proportionnée
ou plus forte on prétendoit les in-
demnifer ; je l'ai V4j cent fois.
Les veftiges de la tyrannie de
nos pères prouvent au moins que
les payfans connoilToient leur Sei-
gneur, & en étoient connus. Or^
quoi qu'on dife de la malice des
■ \
à t Agriculture, 1 4. f \
hommes, c'eft un axiome reçu éc
^démontré par Texpérience , que
ceux qui nous connoiffent & ont
quelqu habitude avec nous , nous
traitent moins mal que ceux pour
qui nous fommes entièrement
étrangers. Le fentimenc & la réa-
lité de ce principe eft un des grands
motifs du dulcis amor patrU. Il
s'enfuit de-là que perfonne ne con-
•noiflant plus le Seigneur dans fes
terres , tout le monde le pille, &
c'efl bien fait.
Une autre raifon encore qui
n*efl: qu'une branche de celle-ci ,
c'eft la mutation prefque conti-
nuelle des fiefs , Se leur tranflation
fur la tête d'hommes nouveaux.
Du petit au grand, de même
qu'un Etat n'eft jamais fi ferme
dans fa conftîtution que quand la
fuccefîîon y eft perpétuée dans une
même maifon , il en eft ainli de
fes membres. Les confidérations
politiques ne font pas de mon fujec
adtuei , je rampe & laboure la
terre j mais je ne puis m'empêcher
de dire ,en paftant , que le refped
^44 ^^ ^^^ ^^*^^
de la vieille fouche , toutes autres
chofes étant égales , entretient la
fubordination & l'ordre parmi les
habitans de la campagne. J'ai vu
quelques exemples que je pourrois
citer , de Communautés qui fe font
rachetées de leur Seigneur qui
vouloir les vendre , pour fe rendre
à lui. J'en ai vu mille défolées du
feul bruit de ce changement , &
plus encore , qui demeuroient tran-
quilles & ne difputoient rien à
leur ancien Seigneur, qui fe font
jettées dans des procès infinis avec
le nouveau. A plus forte raifon,
quand ce nouveau Seigneur eft le
petit- fils de Jacques un Tel , fur-
nommé Lafontaine: il a beau dire
que M. fon père s'appelloit Mon-
feigneur dans les Requêtes , les
payfans ont l'oreille maligne «Se la
mémoire bonne , 6c toujours répè-
tent que leur Seigneur ne vaut pas
plus qu'eux , & que s'il eft plus
riche , c'eft qu'il a mieux fçû faire
fa main 3 au furplus qu'il n'a qu'à
diner deux fois.
De
à VJgrkuîture: Ï4f
De cette femence de mécon-
tentement & de mépris naît bien-
tôt la fraude & la rapine quils fe
croient permifes *, & Ton ne fçau-
roit croire combien cela nuit à la
jouiflance tranquille , & confë-
quemment au prix àf^ terres, qui
jettent nos Parifiens, les feuls ri-
ches du Royaume aujourd'i^ui ,
dans la néceffité de plaider au loin 9
ou de devenir clients à Paris ,
chofe infupportable à un homme
d'or accoutumé à la clientelle d'au-
irui.
Je n'examinerai pas fi la fiir- Rfaut çat
Aarge des terres , & la façon d'y {f*. ^"Z'^"
percevoir les impots , n elt pas une yres, axIo-
kutre caufe de leur difcrédit. J'^i me de sibK.
béja dit que je ne f olitiquois pas ;
Se il y a à tout* cela tant de pour
k de contre , que je ferois fore
îmbarrafle. Je ne prétends pas
•^pendant par ce pour & contre
aire entendre que je connive en
non particulier à l'axiome des
diocs, ou des gens de fac & de
orde qui prétendent qu'il faut que
s payfan ibit mifèrable pour qu'il
/. Partie^ Q
T4ë Ce qui nuit
travaille , fans quoi il devient pa^l
refleux & infolent. Outre Tindigne
inhumanité d'un tel f^opos , que*
je fuis obligé d'avouer à ma honte
avoir ouï tenir plus fouvent à la
campagne quà la ville , propos
auquel il n'y a rien à répondre que
le mot de ce Romain à fon fils
qui Jui offrit de prendre une ville
en perdant trois cents hommes ;
J^oudrois - tu être un de ces trou
cents ? outre l'inhumanité , dis-je
il eft de toute faufleté. La miferi
n'entraîne que le découragement
nous l'avons dit , & le décourage-
ment la parefle. A cela ils répon
dent, qu'il faut un milieu; & oi
eft-il ce milieu, miferables aveu
gles ? Sera-ce vous, qui vous char|
gérez de le trouver ? Je vous ré-
pons, moi, qu'il y a long-templ
qu'il eft pafïe. Ils ajoutent que
quand les payfans font bien , ils n
veulent plus travailler. Je me rappe
le qu'ayant un jour difputé fur cetti
révoltante allégation fur laquellK
je me défendois , comme ayarM^jj^
parcouru la Suifle & l'ayant trouvq
à TAgnculmrtl tà^r^
tultivée autant & aufîî-bien qu*el/e
le peut être, on me cira le Comtac
d*Avignon qui n'éroit qu'à cinq
îieues àçAk, J'y entrai Je même
four ; je fus furpris d'y voir un
jardin par-tout; & m'étant infor-
mé de la force & vivacité des tra-
vailleurs , j'appris que dans les cail-
lons de Provence , voifins de ce
?ays-là, on payoit un manœuvre
lu Comtat 3 o fols par jour , contre
tj un de ceux du pays. C'eftainli
ju'on foûtient les principes les
)lus erronnés , & qu'on les autorife
)ar des exemples controuvés, qui
ont d'autant moins difputés qu'il
èroit plus aifé d'en vérifier la
auilèté.
Mais en fuppofànt que l'aifance
împêchât les pay fans de travailler ,>
:e n'eft jamais de travailler leuc
! )ropre bien. Les bourgeois de vilîa^
5e & de petite ville, gens qu'on
ippelle vivans de leur bien , race
ïccupée à médire & à mal faire ^
\c dont je confeillerois de purger
a fociété jufqu'à ce qu'ils s'appli-^
jaaiïènc tous à quelque honaêc^
G ij
*4'? Ce qui nuit
profeflion , s*il n étoit contre mes
principes de confeiller la violence
en quoi que ce puifle être, voulant
faire travailler leur bien, tenir les
payfans dans la fujéiion , & ne leur
payer leurs j<3urnées que fur les
prix anciens , fans confidérer que
les objets de confommation ayant
haufîe , il faut que le fàlaire du
mercenaire haufle , ces gens - là 3
dis je, fe plaignent que le payfan
aiifé ne veut plus travailler. Je
répons à cela , 1®. que le mal n efl"
pas grand : 2°. que je leur ofRe
une prochaine confblation : en
effet , le payfan riche élevé nom-
bre d'enfans , au-lieu que ceux dt
Î)auvre delTechent & rentrent dan:
a terre. Ces enfans partagent
épuifent Taifance du père, le for-
cent au travail, bientôt Ty fecon
dent , & faute de fonds , devien-
nent mercenaires. Le Suifle efl
aifé , comme je Tai dit, cependanj
il reFufe fî peu le travail, qu'il f
dévoue volontairement au plus du l
de tous, qui eft d'aller vendre foi
I h V Agriculture] 14^
; ïang & fa liberté dans une terre
étrangère^
Une dernière raifon , mais infi-
niment moins problématique que
toutes les autres , du difcrédit des
terres en France , c eft le haut prix
de Tintérct de l'argent. La pa-
relTe , fœur du luxe comme je le
démontrerai , quoi qu'on en dife ,
par pièces probantes en bonne ôc
. due forme, & tous les deux, en-
Fans de l'habitation des villes , la
pare(Tej dis -je, fait que tous fes
partifans préfèrent un intérêt fixe
qu'ils envoient recevoir par un bar-
' b'^t à l'échéance , à tout le foin &
maniment que demandent les teN
res, & renoncent , en faveur de
leur tranquillité , aux avantages du
I temps , de Tindurtrie & de la foli-
dité. Plus cet intérêt eft haut ,
moins ces avantages font fenfibles.
Si je voulois faire un livre de ce
que j'ignore , je fçaurois bien où
prendre cent raifons & autant de
calculs 1 pour prouver que cet in-
térêt eft trop fort chez nons • ^
me naettant enfuite mon propre
G
1t 5® C"^ Ç^^ n^it
t.)uvrage dans la tête , je devîêi
drois doâ:eur in utroquejure i ma»
ici il n'eft encore queftion que ai
ce que je fçais , & fans croin
m'écarter , j*établirai le principe
que toute forme qui tend à faiu
vi^re une portion des citoyens fa»
adtion , ni jurifdiflion , eft nulfible
& qu'on ne feauroit trop s*attache
-à déraciner le djfcrédit des terres
& à le tranfporter fur des effet
««aifs.
La profpérité d*un Etat nuit en
core à r Agriculture en établi (Tan
un ordre de moeurs j un genre à
magnificence & de décoration
qui en dégoûte èc la repoufTe ai
loin.
Dirperdition Lgg Chinoîs 3 dit- on , perfuadé
«n f Ire?/ ^^^ ^^ l'emploi des terres dépen
jardius j &c, dent , comme on n*en peut douter
les moyens de fubfiftance qu'on e
recire, que retendue* des moyen
de fubfiftance eft l'exaéle mefur
de la Population , & que la Popu
larion eft Tunique richefte réell
d'un Etat , regardent comme u
ctime l'eiXïpîoi des îterres en mû
à t Agriculture, ijf
fôiis Se jardins de plaifance , com-
me (î Ton fraudoit par-là les hom-
mes de leur nourriture.
Ce genre de crime eft , ]e croîs »
un peu trop étendu en France. Les
parcs , il eft vrai , peuvent avoir
leur utilité , en ce qu*ils renfer-
ment à^^ prés & des bois qui font
devenus très-néceffàires} mais in-
dépendamment de ce que cette né-
cefîîcé eft relative à la trop grande
& inutile confommation de bois
que le luxe a introduite, & qui,
au moyen des induélions démon-
trées dans ce Chapitre , eft un très-
grand mal , on les perce d'ailleurs
tellement que les parcs & les forêts
ne font prefque que des chemins
bordés de lifîéres de bois.
Sans m'arrêter fur de ferriblables
détails qu'il fuffit de défigner , je
noterai feulement îes avenues ,
forte de décoration qui enlevé des
Provinces entières au Royaume, Il
eft (ingulier que le moindre par-
ticulier 5 finge des Princes & des
' Souverains , prétende avoir à fa
mâi/bn de campagne des avenues
ïfi: €e qui nuit
doubles ôc triples qui dévaflent &
mettent en friche une partie de
ion domaine , & quelquefois le
tout. Indépendamment même des
avenues à chaque percée, il fauc
que la perfpedive foit continuée
par des allées à perle de vue. Cel-
les-ci en rejoignent d'autres dans
la campagne , Se le point de jonc-
tion eft marqué par des efplanades
en rond , dont Tétenduë fourniroit
à la fubfiftance d'un hameau : dt-^
là partent quatre ou huit allées >
félon retendue du terrein , avec
leurs contre - allées &c. & je vois
d'un coup d'oeil cent mille livres
de rente réduites à rien , & perdues
pour tout le monde* En vain m'op*
poferoit - on qu'on laboure celles.
de ces allées qui ne fervent pas de
chemin. Peine perdue , le graia
ne vient jamais bien fous les ar-
bres, l'herbe y eft aigra. Encore
û l'on faifoit le facrifice de la ré-
colte à des arbres fruitiers , ou
autres qui fervent diredement au
indireâeraent à la nourriture de
f homme ? je dirpis ^toujours quf
a tJgficuUùréo i;|
:'eft téduire un écu à dix fols z.
nais c'eft le tilleul , c*eft roimeau
Ur île , qui couvrent & ruinent nos
:ampagnes-, arbres très-utiles pouc
e charonage j dit-on> & ceft ce
lont je me plains»
Il y a quatre fois pins de voi-
lures en France qu'il n'eii fauJroit j
k fi d'une part , le nombre en
•toit borné au néceiTaire & à l'utile y
\c que de l'autre , nos grands che-
nins fuiïènt bordés d'ormeaux dans
out le Royaume, comme ils le
ont aux environs' de Paris, le cha-
onage ne manqueroit jamais eiï
'rance V car d'ailleurs , on a biea
les ormeaux dans les campagnes 5.
es payrans en font des feuillar^s-
)our les beltiaux, & cet arbre opi-
Iïiâtre revient de chacune de Tes ra*
:ines. Mais voir de toutes parts dans-
ât campagne , à vingt lieues à la
•pnde autour d^ Paris , les or me au 52:
épandre leur ombre fur toutes ces
îampagnes (\ propres à la fe?rilicé'
ijar l'excès des engrais & fumierrr
iont on eft embarralTé à Paris-
\ paiidis qu'ils foor fi rares ailkurs:.
9y
3S>
«54 Le qui nuit
les voîr , dis- je , mulriplier à Pinfinî
dans tous les fèns que je détâillois-
tout-à-rheuie , cela fait faigner 1|
cœur d'un citoyen éclairé.
Ceft , dit-on , ce qui fait la ma-
gnificence des environs de Paris,
Je pourrois répondre que je ne
calcule pas là niagnificence, maiî
la profpérité & la population î ce»
pendant je doute encore de cettt
allégation. Sans doute qu'il feroiJ
îidicule de demander à la Capitah
d*iin Royaume opulent les dehor:
de Salente, ou de Lacédémone
Il faut des. Palais pour les Graild.'
&c du fafte pour les Princes 5. mai;
f arrive à Fontainebleau : je traVerÊ
deux lieues d'un pays aride & in
capable abrolumtnt de rien pro-
duire, je le trouve couvert d'un* 1
belle foret qui m'accompagne auflj
loin en fortant : loin de trouver ic|
^es traces de dévaftation, je voisqiK
le fé jour du Souverain y fair vivri
les habitans d'une ville ebn/îdéré]
î>te, & féconde dix lieiies de pay
inhabitable : je bénis la Provideno
à t^ Agriculture, t^f
je vois de toutes parts des campa»
gnes fertiles , accablées du poids
d'habitations immen(ès , feules »
ifolées , & qui de leurs racines ari-
des deflechent une province en-
tière; & mon poftillon qui m*eti
nomme les Maîtres > fur cent ne
me défigne pas trois noms de ma
connoifïànce. Ce coup d*œ.l frap-
pant au loin , devient trifte & froid
à mefure qu'on approche ; les plus
agréables me repréfentent les
champs Elifëes où quelques ombres
fe promènent en filence, & boi-
vent des eaux du fieuve Lethé, Je
me rappelle alors le coup d'ceil de
la chauffée de Loire , celui des
bords de la Garonne , de Ville-
neuve d'Avignon , la Vifte à Mar-
feille , les côtes d*Alface & autres
pays véritablement vivaiîs , les
environs d*Orlcans, de Lyon s de^
Marfèille, &c, Ctt amas de maî-
fons particulières qui ne font preP
que féparées que par leur vigne &t
leur verger , ce peuple agiifant
pendant le jour , danfant au ciai'^
4^ k kmç ^ tâjudis que le. bruit d^
i5^ Ce qui nuit
la bêche de quelque vigilant quf
revenant de journée tçavaille fom
propre bien , interrompt la mefure-
3e leurs mufettes & de leurs tam^
bours. Je conclus alors que là fut
la profpérité , ici le luxe , fort
indigne fils & fon implacable eii*
Hemii, ^
}'èn^ appelle aux feuls environs
de Pàris.Par-tout oùrhabitation des
riches a lai (Té quelque place à
Tagriculture 5 elle y eft pouITée aa
plus haut degré d'induftrie & de
perfedtion. Q,u*on parcoure ces
cantons privilégiés , je ne dis pas
lès. villages de Montreuil & de
Bàgnolét feulement , mais partout
arquatre' lieues à la ronde ,-& qu*oti
me diie enfuite fi Tœil n eft pas
plus fatisfait , fi Tame n eft pas plus
émue- à rafpeéfc de ces coteaux qu'à
làî vue dii plus beau parc. A la
rangée de vigne fiiccede celle d'ar»
bces fruitiers j, les grofeillers occu—
pentr rentre- deux V les pois & les>:
ardehaux naiffent au pied des ar-
feres~y ^ les foftes d'afperges en*-f
à r Agriculture. i^f
'Toirrcîê lavai ée de Moncmorenci>
ee n'efl que cela.
I Mais il n' eft pas queftion ici da
'plaîfirfimplement de la population^
ïl eft: certain qu'autant de terreini
inculte-, autant de fujets enlevés,
fans relTburce à TEtat. Or , Texcès
dont nous venons de parler dévafte
la valeur d'une Province entière da
Fneilleur terrein. Le remède, dira-
E-on? Le voici. Cheriffe:[j aime^
V Agriculture y bientôt les riches
t^ous imiteront j finges d'abord , ils
s'y connoîtront enfuite j chacun
'effera d'être rentier de fon do-
aiaine , & en deviendra proprié-
taire. Pourquoi les riches font-ils
S ennuyés de leurs magnifiques
:hàteaux , qu'il leur faudroit pre(-
igue autant de maifons que de ehe-
[nifes? c'eft que l'art y a toutfair^
îc la nature rien. Je ne les blâme
pas de s'y ennuyer , eux qtii y font
i demeure , puifque ,. fi J'y vais
par curiofitéy dès que j'ai toprpai-
souru il me tarde d'en fbrtîr. Quel-
ques-uns s'y attachent , ce font
Km gai çicçût j mai§ cette ta^raflej
î 5 8 Ce qui nuit
cette pièce d'eau entrepriie & co»^
duite à grands frais eft à peine
achevée , qu elle leur devient aufîî
étrangère que celle que fit leur
grand - père , s'ils en ont. Il fauc
entreprendre quelqu'autre embel-
liflement. D'échelons en échelons
cependant la maifon, le parc, tout
devient immenfe & ruineux d'en--
tretien. Alors, tandis que l'étran^
ger, tandis que le bourgeois cu-^
rieux admire cet amas de beautés
& de dépenfès, & croit , environ
pendant dix-fept minutes , qu'il
feroit au comble du bonheur de
polTéder cela, le Maître accablé
d'habitude & d'ennui ne peut plus
s'y fouffirir, & cherche à décorer
quelque guinguéte dont il jouit en
imagination , & qu'il dédaignera
«n réalité.
Qu'on ne dife pas que c*e(l l'in-
conftance humaine ; cette inconf
tance eft un bien en foi , comme
toute autre qualité de notre arae.
Elle ne devient un mal qu'à me-*
fure qu'on s'éloigne de k nature.
Çai homme corieux ie plautes
à V Agriculture, If^
étrangères revient toujours avec
un nouveau plaifir à Ton jardin ;.
mais cet attrait particulier à quel-
ques hommes eft prefqu'univerreî
pour ce qui concerne l'agriculture
en général. Comme les moiiibns
& les fruits fe renouvellent fans
cefTe 5 le travail de nos pères y. etx
ce genre ,' ne fait que faciliter le
nôtre. Indépendamment du goût
attaché par la nature aux occupa-
tions & aux détails champêtres, le
profit auquel tout le monde eft
îenfîble, éveille encore Tinduftrie,
iSc attire l'affeétion. L'avenue prin-
cipale exceptée , toutes les autres
tomberont -, les maifons de fer*
îïiiers 8c de payfans couvriront les
"campagnes. L'ombre jadis empoi-
ïonnée de ce château deviendra
ialutaire alors ; car en général nousi
ïommes tous charitables & com4
pacifTans. Les riches ne font durs
î]ué parce que Tordre corrompis
des moeiirs les tient éloignés de
Tindigence ; ils la banniront de
leurs encours , ne fût-ce que pou^r
ii*être pas affligés,Cliaflfe25L<i€ defliœ:
^ï^<> Ce qui mut
Fhumbk toit les maladies & fa
faim > ce fera le territoire & la pa^
trie de la joie fimple Se bruyante;
De propre en proche elle gagnera
les bafïès-cours du château , & pé-
nétrerait jufquau falon , fans la
double antichambre gardée par la
parefTe.
Je le répète , chériffei y aime"^
V Agricultures vous bannirez tous
Jes maux de l'Etat , fuppofé qu'il
y en ait, oppre (leurs , intriguants^
fripons > faineans , politiques à re^
tours , faifeurs de traités fur la
population, que fçaîs-je?Gu fi ces
gens-là font dans la plénitude d*uii
Etat flori(ïànt, comme des pucè$
& des punaifès dans l'ordre de la
création , du moins y feront- ils û
confondus & Ci ofïufqués par un
peuple agiflànt, & occupé de cho--
les tout autrement folides , que
l'oifiveté devenant honreufe j ils
perdront toute confidération > ôç
en conféquence fentiront amorti;:
leur mobile principal , je veux dire
TorgueiL Mais il me ftmble que
f#s allçss me minm' vrAiiTîçflÇ
à V Agriculture. 16 î
Sîen loin ; revenons. Sî j'avois
promis d'éviter les écarts, je man-
querois fouvent de parole.
Le même inconvénient de perte MultîplîcitS
inutile de terrein que nous venons ^ "°p ^""^T
1 11/ o r ge largeur dç
de remarquer en allées &c.ie trouve chcmia»^
encore dans une force d'ouvrage plus
utile en Ton objet , mais auffi abufif
au moins par la forme , le projet
éc l'exécution , je veux dire , les
€hemins, A ce mot , je vais m'at-
ftîrer anathême , car c'eft de tous
les arrangemens de police inté-
rieure , celui ou notre fiècle a: fe
plus donné d'attention. Mon ia-
tentîon , je le répète 5 n'èfl point
de blâmer; mais en tout, on peut
dire le mieux»
Je fcais qu'on a fait de notre
remps , en ce genre , des ouvrages
dmirables, tels que la montée de
uvifî 5 celle de Bouron, celle de
Tarare & bien d'autres. Mon def^
ein n'eft: pas non plus d'objeâ:er
Iju'on a négligé de donner à ces^
brtes d'ouvrages faits pour Téter-
iké, la folidité qu'y donnoient les
«ooi^insj que U plupart de noa
t^i Ce qui nuit
chemins font détruits avant d'étrè*
achevés; que la corvée qui feule
a fervi à la conftrucflion de prefque
tous les chemins éloignés de la
Capitale, n'eft propre qua ruiner
la campagne , & à faire des routes
qu*une médiocre colonie de taupes
peut détruire en un an de temps*.
Tout cela n entre pas dans mon
objet aduei , ce n'eft que leur lar-
geur & leur multiplicité que j'en-
vifage.
Ces célèbres voies Romaines qui^
ont réfifté , par la folidité de leur
conftrudtion , à tant de ficelés &
de ravages ; qui ont plus illuftré
cet Empire prodigieux que tous les
autres miracles de fa fortune, de
fa valeur & de fa politique s ces
voies militaires 5 dis-je, dont les
principales alloient du centre du
monde à fa ci rcon-Férence^n'a voient,
les plus confidérables , que foixante
pieds de largeur , & les autres que
vingt , & quelquefois huit. On n*en
comptoit en tout que 47 dans
îQute l'Italie. Venons à nous maiîi^.
a FJgrzcuMr€. lêt
tenant, & coniîdérons Tinutile
Jargeur de nos grands chemins.
Je fens qu il convient que qneU
ques-unes des principales avenues
de la Capitale uniffent la décora-
tion à Tutilicé j que le mênie avan»
rage peut être attribué aux avenues
des grandes villes de Province, &
même à quelques routes princi-
pales : mais aujourd'hui chaque
adminiftrateur particulier multi-
plie à Tinfini dans Ton reflfort ces
fortes de travaux. La moindre
communication entre chaque petite
•ville efl: tracée fur le plan , ou peu
«en faut 5 delà grande allée de
Vincennes au Thrône. Le chemin
cft marqué dans ce fens- là , la dé-
vaftation ordonnée ôc exécutée par
les corvoyeurs , ôc comme les fonds
manquent pour tant d'ouvrages à
la fois 5 les ponts, les enfablemens
dans les lieux marécageux , & au-
tres ouvrages indifpenfables de-
meurent à faire. Ces remuemens
de terre, loin d'attirer les voitu-
res, les éloignent ; & comme le
•chemin eft inutile ? vu le peu as
1G4 Ce qui nuit
communication qu il y a entre leâ
villes champêtres dans ces cantona
reculés, le petit nombre de pèle-
rins , marchands de baie , meflà-
gers à pied & gens de cette efpece
qui font accoutamés de frayer cette
route , fê contente d'un des fofles
latéraux pour Ton paflàge , tandis
que le prétendu chemin fe couvre
de ronces.
Ce que je dis là , }e l'ai vu en
plufîeurs endroits. Mais je veux
que ces chemins de traverfe foient
mis en tout état de perfection , &
auffi folides que ceux des Romains ;
toujours ferois-je en droit de dire
qu'il faut que la route foit propor-
tionnée à la fourmiliiére 5 & quil
cH: inutile de condamner à la fté-
rilité un terrain ïmmenfe dans fort
étendue, dont la cinquième partie
fufîîroit à l'objet d'utilité qu'on eut
en vue. Remarquons encore que
ce que je fuppofe ici de leur per»-
f eétion , fera toujours d'autant plus
dans les efpaces imaginaires 5 que
l'objet d'entretien fera plus confî-
4érable ; car enfin ^ l'Er^t ne peui
à P Agriculture. iè$
ïuffire à tout ; & de même que ,
toute proportion de folidité étant
égale , un palais coûte plus d*en-
tretien qu une maifon médiocre 5
ain(î des chemins. Je fuis perfuadé
que cette marote des grands che-
mins d'une largeur immenfe mul*
tipliés à l'infini coûte encore deux
provinces à TEtat.
Autre inconvénient notable en
ce genre , c'eft la rage des aligne-
mens. Il eft certain que c eft un
ornement confidérable , & qui doit
èat recherché avec foin en fuppo-
fant régale qualité du terrein, J«
dis plus, dans les routes princi^
paies & aux lieux où cela abrège
d* beaucoup , les édifices & autres
embarras de détail n'y doivent pas
être ipargnés , faiif le dédomma-
gement du tiers , comme en ufènt
les pays d'Etats pour leurs che-,
mins. Car malheur à ces Admi-
^«iftrateurs cruels & dédaigneux
qui , fous le prétexte que tout doit
céder à rutilité publique , écrafenc
tout ce qui fe trouve devant eux*
J,a colère du Ciel ne fait magazia
ïiS^ë Ce qui nuit
que des pleurs du pauvre opprimé ,'
éc je renvoie toujours ces hommes
de fang & de limon à ces mots déjà
cités : V^oudrois tu être un de ceux'^
ci f Mais cet inconvénient efl: aifé;
à faire entrer dans les frais d'un,
objet principal.
Cependant il eft un point que
Je voudrois qu on refpeélât dans
les plus grandes routes , c'eft la
différence des terreins. Ce terreiri
fec ou fabloneux , prefque de nulle
valeur, devient d*un produit réel
quand vous y faîtes paiîèr le che-
min, puifqu*en alTurant une com-
munication & un débouché à vos
bonnes terres ^ il vous épargne la
dépenfe qu'euflènt demandé celles-
ci, pour en rendre le fol capable
de fer vie de bafe à un cheminai Au-
fiea de cela , votre alignement
traverfe les prairies , les bonnes
terres, jardins & chenneviéres d*uu
village. Vous perdez non - feule- ,
ment la portion fi rapportante du
territoire de ce village , mais en^
core tout le refte médiocre & mau-
vais : k bon faifoit valoir l'autre ;
à r Agriculture. l6y
le payfaii ruiné n'a plus la force
de foûrenir Ton ménage, & aban-
donne le tout. Or calculez toujours
ces fortes de perces à Tinfini, feule
niefure aduelle de vos grands che-^
min.
Evitons d'ailleurs , comme la
pefte y tout ce qui porte au décou-
ragement 5 car c'en eft une en effet.
Les gens de la campagne font tous
aux portes de Tabbatement *, un rien
les accable ; & n eft-ce rien que de
fe voir enlever la meilleure pièce
de fon bien , même avec dédom-
magement ? En un mot chérijffe^ ^
anime:^ F Agriculture y bientôt elle
vous dira que le terrein lui eft pré-!
ci eux.
Mais ceci nous conduit au Cha-
pitre fuivant qui doit traiter de la
nécelïïté & des moyens d'encou-
rager TAgriculture. Il s*en faut
bien que je n'aie épuifé celui-ci ,
ni même que je l'aie traité par
ordre dans toute fon étendue. ]'ai
défigné quelques points principaux,.
fen ai trop étendu d'autres , félon
gua ma plume a couru. La fuit^
1 'iô s ÈncowcLgemens
des différeats ©bjecs traites danSi
^et Ouvrage en préfentera plu&urs
autres ; car tout fe tient dans la
tnachine politique, ainfi que dans^
la malTe phyfique.
CHAPITRE Vr,
IDe la nécejjité & des moyens
f encourager l'agriculture.
TOut mon Ouvrage n'a d'objet
que de traiter de la Popula-
tioiijde fes avantages, & des moyens
de rétendre à Tiiifini. Or , comme
je ne penfe pas qu elle puifle avoir
d*autre principe que T Agriculture,
je pourrois dire que mon Ouyjrage
entier traite des moyens d'encou-
lager F Agriculture. Cependant ,
comme ce n'eft point la fociété des
anciens Egyptiens que je confîdere,
mais celle des nations policées de
îîotre ficelé , qui eft tellement com-
pliquée d'acce(ïbires que le princi-
pal y eu pr^fqu entièrement oublié.
pour r Agriculture, léc)
je traiterai pied à pied de toutes
les branches de la ramification po-
litique ; mais j'y trouverai fouvenc
des branches de ce Chapitre - ci ^^
e ne les rejetterai point alors :
maintenant je vais préfenter ea
gros les premières idées qui s*of-:
ient à moi fur cet article.
3*ai dit que la profpérité d*un
Etat établliToit les grandes fortunes
:]ui bientôt eu envahifïbient tout le
;êrritoire. Quel remède à cela ,
lira t'on? Non pas fans doute ce- Aimer ics
lui qu'emplovoit Tarquin fur les S'^^^^V ^^'
i i J i puvcr les
grands pavots de ton jardin ; j*au- médiocres,
rois bien perdu mon temps , fi ja- Honorer les
fnais je prêchois la tyrannie : mais ^"^"*
zime^ les Grands , appuyé^ les mé-
diocres 5 honore^ les petits qui font
laborieux & qui ont de l'induHrie.
Prenez garde, s'il vous plaîc , à Tap-
pli cation de chacun de ces Verbes;
je ne me trompe pomt , c'eft pré-
cifément ce que j'ai voulu dire.
Chacun d'eux peut fans doute être
appliqué aux trois différents grades
donc je parle ici ; mais ne voulant
ieur attribuer à chacun qu'un feul
J. Partie. H
1 7 o Encpuragemcns
de ces fenrimens , c eft avec réfîé'
xion que je les ai répartis aiilfi. <
En effet, aime\ les Grands;
Vous leur apprendrez par Texemple
fuprême à aimer aufli leurs înFé-^
rieurs ; vous les rappellerez au
principe fi naturel 6c fi démontré,
qu'une illuftre famille efl plus
étayée par les fujecs qui naiuent
dans Ton fein , que par les grands
biens qu'une vanité dénaturée de-
Cre d'accumuler {nt une feule ih.t\
vous vous incétefferez à rétabliile-
ment de leurs enfans aînés & ca-
dets ; lés races fe multiplieront 3
fe diviferont , ils demeureroni
grands par le cœur y & fe pique-
ront d'honneur , dès qu'ils ne pour-
ront plus fe piquer derichefies.
. Appuyé^ les médiocres, ceiï h
pépinière de-l'Etat; les exemple;
|a vanité provinciale les gon-
domeiliques , les vieux papiers
iBent de cti amour propre: jtcmé
xairei, &.. flexible dpat .l'Etat fçâl
t\ lier t a nE de p ar ti j ■ 1 m ais ■ es ■ foipi 1
pauvres '-& feroient ridiarles; dani
lii) Etat corrompu : leurs prétention,
pour t Agriculture. 171
leur ferment une quantité de portes
à la fortune & à l'induflrie j le
défefpoir les feroit déroger ou vivre
dans la plus oidve obicurité , ou
s'expatrier enfin. Ceft pour eux
que font faits les ernp ois de vos
armées, les libéralités de vos me-
nus plaidrs , le fuperflu des Grands
de voire Etat, Appuye-^-lts , pour
qu'ils recourent la pénible vieilleiïe
de leur père , pour qu'ils excitent
la fécondité domeflique , pour qu'ils
fe chargent de leurs neveux. La
rage des pauvres pour le mariage
eft le premier des bienfaits de la
Providence pour un Etat. Il n'y a
rnalbeureufement point de milieu,
îa débauche ou le mariage > Tune
efl ftéri'e , l'autre eft fécona. Crai-
gnez que la dedrudive philofophie
des voluptueux infenfés ne devienne
une prudence de néceffité pour les
autres j en un mot, appuyé^ les
niédiocres.
Honore^ les petits. Les larmes
me viennent aux yeux , quand je
ibnge à cette int'relTante porricii
de l'humanité, ou quand , d: ma
H ij
172. Encouragemens
fenêtre, comme d'un thrône i je ;i
conhdere toutes les obligations que ij
nous leur avons , quand je les vois
fuer fous le faix, & quemetâtant
enfuite je me fouviens que je fuis
de la même pâte qu'eux.
Le peuple eft ingrat , dira- 1- on ;
il eft volage, il eft brutal Eh!
quelle eft la portion de fiiumanité,
dont on ne puidè dire la même
chofe ? mais je foûîiens moi , que
cela n'eft pas vrai. J'ai fait peu
de bien 5 ( je ne fuis pas en état
d'en faire beaucoup , & je n'ai pas
fait à beaucoup près tout celui que
faurois pu ) , j'ai trouvé des mar-
ques de reconnoiiïance qui m'onc
étonné. Mille fois plus de bienfaits
fe font perdus en montant qu'en
defcendant. Le peuple eft volage :
reproche de fadieux , reproche fait
à la multitude oilive & déplacée ,
Bc je n'en veux que de laborieu/è
èc occupée. Il eft. brutal enfin 5
mais peut-être eft-il malheureux ,
perfécuté, méprifé? en bute à i'op-=.
prefîîon en tout genre de tous les
autres ordres de l'Etat. S'il en eft
pour V Agriculture, 173
aînfi , ne reprochons rien aux mi-
férables ; remédions à la caufe de
leurs maux ; je me trompe fi Tai-
fance & Texade police ne les civi-
lifent.
Mais tout ceci ne vient pas en-
core au point que je leur ai attri-
bué dans Tattention publique : oui ,
je voudrois que les petits fuifenc
honorés. Sacerrima res j homo
mifer ; mais indépendamment de
ce principe de morale dont il n'efl:
pas queftîon ici , dès qu'il efi: unefois
décidé que Fart de tirer les richeiles
de la terre , èc celui de les ouvrer
& diftribuer , font les deux pivots
de la fociété , efl-ce un paradoxe
que de vouloir qu'on honore ceux
qui profeiTent ces arts fi néce/Tai-
res ? Le Tel doit entrer dans tous
les mets, l'honneur dans toutes les
profefïîons ; mais s'il en eft oii ce
véhicule d'opinion foit néceflaire ,
c'eft fans contredit à celles qui font
pénibles de leur nature , ou péril-
leufes. Tant que vous n'honorerez
pas les baffes claffès de l'huma-
liicé 3 il eft impoffible d'y maintenir
H iii
Î74 Encouragement
TabondanGe néceffaire à rémuîa- i-
don & aux progrès. On fe plainr ^j
que perfonne ne veut demeurer i
dans Ton état , & que de grade en
grade, cetre ambition déplacée &
toujours peu mefurée épuifè les
balîès dalles , & (urcharge les pre-
mières qui doivent , par mille rai-
fons , erre peu nombreuies par
proportion : d*oii vient cela ? c'eft
que perfonne ne veut vivre dans
Tabicélion , ou ne s'y tient que par
nécefTité, & ce qu'on fait par for-
ce 5 on le fait toujours mal '.}iop,o-
re:^ donc les petits. On lent bien
que je n'ai pas voulu dire à Guilîor :
Seigneur j monter au thrône _, &
■commande^ ici. Mais le mépris
n'eft fait que pour le vice ; nous
nous devons tous une eftime réci-
proque ^^ relative à rutiiité ref-
-pedive ; je dis plus : quoi encorej
Je refpedl:.
Mais ce qu'il faut fur- tout ho-=
norer , c'eft l'agriculture & ceux
qui l'exercent & Fencouragenr.
Dans tous les biens d'ici - bas , l^
terre ejl la matière ^ & le travail^
pour V Agriculture. 1 7 5*
c/? la forme. Il femble inutile
d'établir que multiplier la matièrje ,
c'efl: maltiplier le îravailr ' Mais de
combien une extrême attention &
une prote6i:ion attentive & mêlée
de récompenies pourroit accroître
;Ia production de la matière pre-
.miére, c'eft ce qu'il eO: impoffibje
de calculer & même d'imaginer
que par des indu^lions relatives ,
du moins pour un Erat qui a un
territoire vafte & avantagé de la
nature.
Ua Dropriétaire qui eft afîèz ri-
che pour le racherer du travail
perfonnel par le travail d'aVîCrui j.
eu: indigne de fa fortune, s'il ne
s'en fert que pour vivre dans Toi-
ilveté, & feroic à charge a l'Etat,
il dans mes idées , le membre le
plus inutile de la fociété n'étok
toujours un profit pour l'Etar.
Mais s'il employé Ton loifîr à
acquérir des connoi (Tances relatives
à la bonification de /on patrim.oine
& de Ton fuperflu, s'il. s'applique .à
les mettre en valeur, il remplit (011
Hiv
iy6 Encouragemens
devoir & tient fa place , ce qui eft
la vertu.
Platitude J'ai lu dans le Mémoire envoyé
înfpirée à un paj- ordre de M. le Duc de Bour-
tres grand *■ t i t> • i •
& très-ejtcei ^^g^^ ^"^ liitendans , 1 article qui
Iciic jprincc. fjjt au fujet de la nobleiTe. iS'i/^
cuhivtnt leurs terres par leurs
mains j ou s'ils les donnent à des
fermiers j étant une des plus effen-
îielles marques de leur humeur
portée à la guerre j ou à demeu^
Ter dans leurs maifons. Celui qui
dreflTa ce Mémoire, crut fans doute
être un grand Grec d'avoir trouvé
cette marque diflindlive. Indépen-
. damment de la puérilité d'entrete-
nir de femblables & (î movibles
détails un Prince deftiné à com-
mander à vingt millions d'hommes,
& dont la conduite doit influer fur
le fort de toute l'Europe , indé-
pendamment encore de ce qu'une
femblable inquifition a de tyranni-
que 3 je foûtiens qu*au-}ieu de faire
regarder au Prince avec mépris
celui qui fe tient chez foi , on de-
vroit le lui préfènter fous un poin^
de vue oppofé.
pour VJgrîcuttUré. ijj
Un Philofophe diroic que celui
jiii nourrit les hoaimes fait mieux
que celui qui les tue ; mais je ne
uis ici que calculateur. De deux
:hores Tune , ou l'Etat eft fervi par
les troupes foudoyées , ou chaque
:itoyen eft obligé , en cas d alar-
nes, de ie porter au fecours.
Dans le premier de ces cas , ïe
nétier de la guerre coiivient bien
nieux à celui qui n'ayant pas de
bnds i efl: aux gages d'aucrui ^ qu'à
'.eluiqui , pour courir en Flandres
k en Allemagne , laiffe en friche
in Canton de l'Auvergne ou du
^anguedoc. Mais, dira-t-on , vous
:s|ie faites uonc plus fervir l'Etat que
ar des mercenaires î Point du tour,
e frère , le fils du cultivateur font
i'aufîi bo»nne race que lui 5 mais
Is n'ont affaire qu'à la guerre , &:
*eft-là leur métier^
Dans le fécond cas , de qui tire-
z-vous un meilleur fèrvice , oiî
e celui qui noirci fous le foleiî
ai dore fes guérets ne connoîc
e plaifirs que la chaiïe , & de tra«
aux que ^eux de la campagne r
H y
ïi-i»
lire
pris
17^ Encourage me?îs
qui habitué à jouir perronneîle-
ment de Tes champs va défendre
Tarbre qu'il a planté, le troupeau
qu'il a élevé; ou de celui qui ac-
coutumé à tirer en argent le pro-
duit de Tes contrats d'acquifîcior
ou de Tes partages de famille
n'eftime que ce qui rend de l'ar-
gent fonnant , qu'il confomme ai
milieu des ptaifirs oiiîfs & mois d(
la Ville ? Allez attaquer chez eu
les peuples agriculteurs , les Suifles
par exemple , & le problême n
fera pas long à réfoudre.
Optïma fiercoratio greffhs de
mîni ^ difoient les anciens, Se pei
fonne depuis ne les a démenti
Qiie penfer donc d'un gouvern{
ment , dont l'effet feroit d'attir
chacun hors de chez (ôi ?
Le plus habile agriculteur &
proteâ:eur le plus éclairé de l'agi
culture font , toutes autres chof
étant égales , les deux premie
hommes de la fociété. Au-lieu
cela, le titre de Gêniilhommef
camp^ne eft prefque devenu
:ridicule parmi nous y comme î
Vc
Cêli
pour V Agriculture, iy^
y en pouvoir avoir de ville. Le
nom de provincial eO: une injure,
& les gens àw bon air font ofîen-
fés , quand on demande de quelle
province efi: leur famille , coiiime
fi erre Dauphinois ou Poitevin
n ctoic pas être François. Cette iocre
& miférable fupérioriré de l'habi-
tant de la Capitale fur celui des
Provinces, eft rendue en monnoia
dans la Province par le Citadin au
Villageois & au Campagnard,
Voyons donc ce que lafociétCg
ce que les occupations des habi-
tans des villes ont de préférable à
celle de la campagne.
Je Jes y retrouve tvxxin les maî-
tres de tant de champs dévaflés
que j'ai rencontrés fur ma route.
Voyons quels plaifirs , quelles dé-
lices les obligent à fe priver àe
tCelui de jouir de la propriécé des
biens que la Providence leur a dé-
.partis : travaillent-ils à leur fortu-
ne , & la décevante ambition les
a-t-elle attachés à Ton char ; ou ^
curieux de cultiver leurs talens ,
scherchent-ils à perfefttonner des
Hvj
iï8o Encouragemens'
coniioîfîànees 3 aufquelles la fociéfe
ajoure le poli , comme le frote-
nient le donne aux cailloux dans
les rivières ? Rien de tout cela. J*ai
iuivi ces hommes choifis , dans
leurs plaifirs & dans leurs plus ini^
portantes affaires : lignes tangentes
tirées d'une porte à l'autre & qu'on
^appelle bienféances , fpediacles ,.
nouvelles , tracafleries , médifan-
ces 5 duels de l'intérêt qu*on nomme
jeux , voilà leurs travaux & leurs
pîaifiïs. O oifiveté î faudra -t- il
donc brûler tes aziles pour rendre
l'humanité à fes goûts & à fes de-
voirs naturels ? Non j mais hono^
rons ce qui eft honorable , méprî-
fbns ce qui efl; méprifàble 3 & tout
fera dit.
Tiî'Jicuîe Un Efpagnoî blâmoit Miguel
jeué for les ^g Cervantes d'avoir nui à fa patrie
hommes- cn ridicuhianî la Chevalerie dans
campa- fon Dom Quixote. La Chevalerie
ird'£krf' ^foî'f fo^^^^e d'elle-même, difoir-
il , malgré tous \t% efïbrts fanrafti-
ques du Duc de Lerme pour la
relever ; mais on a été au-delà
du but; en faifaiittomber le délire.
pour V Agriculture, tSî
<de la valeur & de la générofité ,.
on a émoiiiïe ces vertus dans leur
principe. On pourroit faire le même
reproche à Molière & à Tes imi-
tateurs : en riiiculifant les Gentils-
hommes campagnards, les Barons
de la Crade , les Sottenville &c.
ils ont cru n'attaquer que la focte
vanité & la plate ignorance àts
Seigneurs châtelains ; mais les mots
de campagnard Se de provincial
font devenus ridicules. La crainte
du ridicule feroirpalTer un François
à travers le feu > tout le monde a
voulu devenir homme de Cour ou
de Ville , & adieu les champs.
Mon deiïein n'eft pas d'entrer
encore dans les détails des incon-
véniens de l'urbanité générale 3c
quand fy ferai , il s'en faudra bien
que je ne les épuifê. Il y auroit
des volumes à faire fur cet article.
Si les campagnes font nécelTaires à
la ville , les villes le font aufîi à la
campagne; & l'on verra dans la fuite
de mon plan, qu'après avoir couvert
la campagne d^autant d'habitans
c[u-'elle en peut porter , je voudrois.
î s 2. Encouragement
de mon fuperflu former des villes i
dont rindudrie attirât le fuc ali-
mentaire de l'étranger. Mais félon
mon plan, les villes feroient plus
grofifes encore qu'elles ne font ,
quand elles n*auroient d'habitans
à demeure que les Officiers em-
ployés dans les différentes Cours
de Judicature qui s'y trouvent , la
jeunefïe élevée dans les Maifons
& Univerfités qui s*y rencontre-
roient , ainfî que les gens deftinés
à les enfeigner , les bourgeois pro-
priétaires des fonds enclavés dans
le territoire de cette ville , les ou-
vriers & artifans que fes habitans
& tous ceux du refTort feroienc
vivre , & ceux encore qui employés
à des manufactures & ouvrages
relatifs aux productions du pays &
à Ton induftrie , port^roient la ma-
tière première au point de perfec-
tion 5 dont la valeur doit être le
prix de leur fubfîflance , & qui
fourni (Tant leur contingent au com-
merce étranger , attireroient en
échange le produit de l'étranger
-pouc leur nourriture ^ feul genre de
pour V Agriculture, 1^5
conquête qui ne foit pas contre le
droit public.
A conficiérer un pays dans /on
état primitif, comme ifolé èc vivanc
de fa propre fubftance , on ne peuc
nier que tous les ordres & hommes
d'un Etat fubjijient aux dépens des
propriétaires des terres s c'eft un
principe reçu. Une fource qui fort
à la tête des terres Se dans un ter-
rein élevé 5 arrofè Se féconde Tes
environs autant que la quantité de
fes eaux peut s'étendre : celle au
contraire qui naît dans un bas-
fond , ne fait qu'un marais , juf-
qu à ce qu'elle fe foit frayée une
route baHe pour s'aller perdre dans
la première rivière , fans aucune
utilité pour les champs voifins.
Je compare à cette fource le
propriétaire des terres , que j'ai dit
ci-defTus être le pivot de toute l'in-
duftrie qui l'environne j s'il eft à
la tête de la production , dont na-
turellement il doit être l'ame , Se
à laquelle perfonne n'a plus d'in-
térêt que lui a il anime Se vivifié
î §4 Encoiiragemens
tout le canton , il protège Pagrîcuf-
îeur ifolé ; ou , (1 la rufticité de Ta
campagne le piive de ees vues hon-
nêtes & éclairées , ce qui n^eft plus
à craindre aujourd'hui , encore fe-
ra c-il, par la néceffité de fa pofi-
' tion , une partie des biens qu'on
en doit attendre. Si au contraire
il efl: au centre de la confomma-
îion , il devient la fource baffe ^
marécageufe , & contribue à noyer
un terrein déjà de luimême trop
fpongieux.
On dit communément qu^un
Gentilhomme dans fa terre vit
mieux avec dix mille livres de
rente , qu il ne feroit à Paris avec
quarante mille. Qu'appelle - 1 - on
dans ce cas , vivre mieux ? Ce n'eil
pas épargner plus aifément de quoi
changer tous les (îx mois de taba-
tières émaillées , avoir des voitures
vernies par Martin , &:c. C'efi: donc
consommer davantage , & Ton dit
vrai ; mais comme on ne fçauroit
dîner deux fois, & qu'à Paris ou
prend au moins autant d'indigeP-
dons qu ailleurs , ce furplus de
pour V Agriculture, iSy
Confommation n'elt pas pour lui.
L'on entend donc qu'il faic vivre
plus de mondei & en efïèt, on entre-
tiendra plus aifément à la campa-
gne quinze domeftiques groffiers ,
vêtus ^ payés à la façon du pays,
avec dix mille livres de rente ,
qu on n*en entretiendra dix à laVille
avec quarante mille livres. C'eft
donc foixante hommes, indépeii-
damnfîent de la famille , qui vivront
fur les quarante mille liv.de rente,
au- lieu de dix.
Il feroic inutile d* objecter ici
que cet homme fait vivre à la
Ville , outre fes domefliques , tous
les ouvriers qui fervent à fa dé-
penfe , les marchands , les fabri-
quans , les tailleurs , brodeurs ,
felliers , charrons & autres ouvriers
lîécefTaires, èc de plus , les trai-
teurs , parfumeurs , muficiensj gens
de théâtre, filles &c. qui tous ne
laififent pas d*être du peuple -, &
que , puifque je ne regarde ici que
la Population , il faut rendre toutes
chofes égales.
Je pourrois répondre à cett^
ÎÈ6 Ëncouragemens
objedion que je ne traite poifit
encore ici de ce qui regarde le
commerce j mais comme il s'en
faut bien que je n obferve un ordr^
bien fuivi , je répondrai que, quant
à ce qui concerne Tarticle des ou-
vriers nécefïaires , foixante perfon-
nes 5 quoique vêtues gioffiéremenc,
font certainement travailler plus
d'artîfans que dix à Paris dans Tctat
de dornefliques où ie les ai pris j
&: pour ce qui eft de ceux de l'or-
dre qu'on peut appeller dans un
ouvrage de calcul inivedimema , Ç\
le propriétaire de terres donne dans
ce genre de dépenies , il deviendra
bientôt, lui ou les iiens , Mithri'
date ou Burrhus , vendra Tes ter-
res 5 & ma leçon fera faite pour m:
autre.
Ce ne fon!: point les propriétaire!
des terres dans l'état naturel , qu
font vivre ce genre de Tupplémen
à la focicré , à moins que les gran-
des Charges & les bienfaits du Ro:
ne les mettent dans l'ordre de:
gens gagés , dont il fera parlé dj
•àeiTous. Sans eux ? une ville opa^
pour l* Agriculture. , 1^7
lente fera aflfez pleine d'étrangers,
de gens enrichis des gains de la
finance ou du commerce, de jeu-
nes gens & de dilîîpaceurs de toute
efpece dont le reflux & les folles
dépenfes entretiennent toutes les
mouches de TEiat.
Revenons. Indépendamment de
cette augmentation de con'oinma-
tion que prociJre la réfidence du
Seigneur dans Tes terres , il ed de
l'homme de s'attacher à (on féîour.
Nécedai rement les bacimens habi-
tés font mieux entretenus que ceux
qui ne le font pas: on aime à tra-
vailler , à embellir fa réfîdence , à
améliorer les terres qu'on a fous
{qs yeux. Le premier ouvrage en ce
genre efi: un encouragement pour le
fécond. J'ai vi(itéen ma vie peut-
être mille Châteaux ou Genrilhom-
Smiéres , à peine en citeroib~je trois ^
"où le Maître ne m'ait fait remar-
quer quelqu'embelliiTement ou amé-
-'liorilfement de fa façon.
On dit alfez communément que
les campagnards font yvrognes ,
-brutaux ^ chaileurs j 6c ne font
y
188 Encouragemens
que cela. C'eft un vieux reprochi
du temps où Its gens de vill<
étoient carillonneurs s brelandier
& tires-foie. Je ne nierai cepen
dant pas que Ton ne boive for
dans les provinces où il y a encon
de la nobleffe à la campagne , ô
qu on n'y cha(Te beaucoup ; mai
qu'on n'y faOTe que cela , ceft a
que je nie.
Apologie de Je pouiroîs cncore établir ic
h ufalc^ ^ ^^^^ paradoxes à ce fujet ; l'un eft
que cette yvrognerie qui dégoûtt
tant les buveurs d'eau , n'eft poini
un mal \ l'autre , qu'à tout prendre
( car il faut toujours me permettre
^ de regarder le peuple comme dei
hommes ) il y a plus d'yvrognerie
à Paris que dans les campagnes
proportion gardée 3 & qu'elle y efl
plus nuifible.
Quant au premier point que
l'on pourroit croire pillé des oeu-
vres pofthumes du feu Duc de h
Fertéj Je dirai moins bien qu'il n'eûl
fait; mais je dirai pourtant qu'on
buvoit trop autrefois , & que boire
jufqu'à s*abrutir êft mal fait ; témoin
3!
pour t Agriculture] 1S9
a brûlure de PeiTepolis , la mé-
ïrife d'Holoferne , & autres gran-
es calamités , fans compter quel-
lues-unes qui font arrivées à gens
jue je connois bien ; en un mot ,
non Curé le dit , & ce n eft pas
moi à le contredire , quoique
« foie alTez la mode aujourd'hui
mode entre nous qui ne vaut
len, & qui n'étoit pas du temps
e nos yvrognes ) mais boire un
eu fec , & feulement jufqu'à
lanterj rire & s'embrafTer, épa-
ouit la rate 5 bannit les inimJrics,
: lie la fociété.
3'âi connu un vieux Gentilhom-
le 5 d*un nom , d'un âge , & d'une
robité refpeâ:ables : le bon hom-
le, contemporain des Vaillacs &
es Girardins , ne défyvroit pas 5
%ais au milieu de tout cela , il
:commodoit toutes les affaires de.
.'mille, d'intérêt & d'inimitié en-
les Gentilshommes à vingt
ileues à la ronde. Aumtôt qu'il
slîn élevoit quelqu'une , il fe fai-
it apporter les titres & papiers
; parc 6c d'autre, il confulcoitfur
i^o. - Encouragemens
la forme les gens de Loi tant bon:
que mauvais en qui il avoit con-
fiance , & puis fur fa bonne judi-
ciaire 5 il formoit Ion arrêt. Il ap
pelloic enfuice à fon Châtel les par-
ties 5 & la révérence due au Patroi
faifoic qu'on n'entamoic pas le
propos contentieux (ans fa licence
C'étoit au deifert , & le verre à 1
main qu'il rappelloit les queftion
à décider 5 il énuméroit , confidc
rant attentivement les intérefTés
le premier qui étoit tenté de Tir
terrompre étoit arrêté par unordr
abfolu : Un verre de vin à Mon
Jieur. L'ordre étoit exécuté; & 1
verre avalé, le nouveau Radamant
le regardoit avec cet air de père l
de conciliateur qu'une longue liab
tude de conlidération de cantc
donne natvirellement , &quetou
la morgue du Barreau joue gati
chement. Monfieur en veut-il ol
corcj difoît-il : û le plaideur aga(
vôuloit finir fa période, on l'écoi
îoit tranquillement , Se il fubilîcl
un fécond verre de vin au boi
pour fon franc-parler. Il eft à ni
pour r Agriculture, 1 9 1
iCiarquer pour vous autres qui ne
k fçavez pas , & qui feriez tout
aufîi bien de l'apprendre que de
politiquer ou théologifer tout le
long du jour, comme vous faites,
il eft à remarquer , dis-je , qu^eii
femblable occafîon un verre devin
de pénitence , & qui ne nous eft
compté pour rien , eft un grand dé-
savantage. Ce fécond verre bû ,
fAréopagire reprenoic Ton dire ,
toujours attentif à faire boire les
mutins , jufqu'à ce qu'appercevant
que le bruit, la joie & la confiance
gagnoient du terrein , & que le
Démon de l'intérêt barbouillé de
lie fe fauvoic en voyant les cœurs
s'attendrir, le vieillard aimable
prononçoit ion arrêt définitif, mau^
dilToiî formellement les vignes de
tout réfradaire, & finifToit en leur
tendant les bras de l'air de ten-
drtlle , de confiance & de joie ,
dont Sile-iie difoit aux enfans de
l'Egiogue , Solvice me ^pueri. Tous
.acGouroient alors , tous s'embraf-
foient, 6c lui proteftoient une en^
âére fpumiffioii à fes ordres» Le
jç)i Encouragem&ns j
Notaire étort prêt , ôc la tranfac-' y
tioii drelTée , on fignoit ; puis /e
remettant à table , on caflToit des
verres en guife d'amende honorable.
<îe tous les faits & geftes d*Huif-
iïers Se' de Procureurs.
On me dira fans doute qu*il efl:
^nguiier que j'attribue au vin le
don dVippaifer les querelles , lui
qui les fait : Je répons que je n'ai
pas prétendu le louer précifémenc
par-ià ; mon hidoire m'eft venue
en penfée , comme aiïurément une
des plus honorables pour ce genre
de vie, je l'ai placée comme telle.
Se non comme argument; mais je
dis encore que le vin n'eft querel-
leur que chez les peuples qui lé
font. Les bas-Breîons & les Limou-
iins s'eftropient après avoir bu en-
fembîe ; mais ils fçavent très-bien
fe battre fans avoir bu 5 Se les Al-
lemands fortent yvres de Teftami-
née auiîî tranquillemenc que les
Chartreux du chœur.
Cependant il s'en faut bien que
je veuille être prédicateur d'excès ;
mais je répète que le genre de vie*
de
pour V Agriculture, îP3
de la NoblefTe campagnarde d'au-
trefois , qui buvoic trop long temps ,
dormok (iir de vieux fauteuils ou
grabats , monroit à cheval , & al-
îoit à la chalfe de grand matin , fe
rafifembloit à la Saint-Hubert , d>c
ne (e quittoît qu après Todave de
la Saint-Martin , que cette vie,'
dis-je 5 faifoit peu de muficiens,'
moins de Géomètres , de Poètes , &
d'adeurs de parade ; mais on n'avoit
pas befoin de la Noblefîè pour cela.
Cette NoblefTe menant une vie gaie
& dure volontairement coûtoit peu
de chofe à l'Etat, & lui produifoic
plus par fa réfidence , & fon fumiec
fur les terres nourricières , que nous
ne lui valons aujourd'hui par notre
goût 5 nos recherches , nos coli-.
ques &: nos vapeurs. Ils ne fça-
voient rien en comparaifon de
nous ; car nous connoiflTons les ré-
gies du théâtre , les différences ef-
fentielles de la mufîque Italienne à
la Françoîfe ; nous jugeons les Géo-
mètres 9 nous faifons des cours
d*Anatomie & de Botanique , pour
faire rire les gens de Tart j nous
/. Fartie, I
1^4 Encouragemens
nous connoillons en voitures , en
vernis , en tabatières , en porce-
laines ; nous n ignorons ni le men-
fonge 5 ni l'intrigue , ni Tart de faire
des affaires , ni celui de demander
Taumône en talons rouges , ni fur-
tout ce que vaut le bien d*autrui ,
Targent & les argentiers. Eux au
contraire faifoient confifter toute
leur fcience en fept ou huit arti-
cles ; refpedter la Religion , ne
point mentir , tenir fa parole, ne
faire rien de bas, ne rien fouffrir,
mettre fon cheval fur le bon pied,
connoître & difcerner la voie , ne
craindre ni la faim ni la foif , ni
le chaud ni le froid , & fe Ibuvenir
que , fi Cefar n'eût pas fçû bien
faire le coup de piflolet, il n*eût
jamais échapé de tant d'entreprifes
hazardeufes.
Cependant ces corps-là , tout
ignorans qu'ils étoient , ne laifToient
pas de bien & mieux fervir l'Etat
dans l'occafion ; ils avoient même
quelquefois d'aflez belles idées de
la vraie gloire , préjugés auxquels
notre philofophie a fubftitué la
pour V Agriculture, i^^
cience des calculs , plus utile pour
es parricLÎliers 5 mais qui l'eft, je
rois , moins pour le public. Par
xemple , Henri IV. qui fut élevé
c nourri jufqu'aux temps où il
rifbnna , en vrai Gentilhomme
ampagnard , fit à peu de choies
rès auiïi-bien fa charge de Roi^
u*un autre.
En voilà alTez fur la prétendue
ilToIution de nos pères. C*eft un
:art que je me fuis permis , ôc
Dn un Livre que j*aie voulu faire
ir cet article -, mais quant à mon
cond paradoxe , à fçavoir, qu'il
a plus d*yvrognerie à Paris 5pro-
Dttion gardée, que dans les Pro-
jinces , il n'y a , pour s'en con-
incre , qu'à voir les guinguettes,
eut le peuple fort de Paris les jours
î. fêtes 5 & la bourgeoifie même
l.dans l'habitude d'y courir en
ille 5 & d'y mener de bonne-
?are fes enfans. La moitié du
uple revient yvre, gorgé devin
Islaté, paralytique pour trois jours,
dans peu de temps blafé pour
te fa vie. Le vin du crû dont fa
lij
I9<j Encouragemens
gorge le payfàn , ne fait point ce
terribles efîèts : il revient yvre l
Dimanche au foir , je le veux
( quoiqu'à dire vrai , il ne fbit qu
trop guéri aujourd'hui de ce pauvr
fuperfiu) mais il trouve fa femnc
de fàng froid ; différence énorrr
pour rKonneteté publique & pai
la fociété où la dififolution du fe:
en ce genre eft le plus honteux (
tous les maux , & le lendemain (
bon matin il e(l à Fouvrage. I
eft-il de même à Paris ? je m*'
rapporte aux maîtres-ouvriers. L
détails à cet égard fe retrouvera
aux Chapitres fuivans.
Un grand Seigneur en Franc |
(on le connoîtra fans que je
^gaipagnard. nomme ) bicnfaifant d'abord pci
fa maifon comme de droit , r|
encore pour la pauvre NoblefTg
fbn pays; il place les uns, il ifil
tient les autres, il leur trouve
débouchés. On n'accufera pas
gens eonfidérables aujourd'hui'
faire ces chofes-là par intérêt.
fait plus j il a changé dans un f 1
^Im^ çloignée 1 orangerie dç|
Grand Sel
gneur bien
f ai fane ,
&
t
pour r agriculture, ipy
naifon de Tes pères en une manu-
àdure de foie , où cette denrée lui
oûte le triple de ce qu'elle vaut ^
ttendu rélôîgnement des cantons I
lù cette forte d'induftrie eft en
'ogue , de cela , pour faire vivre les
•auvres gens , & les accoutumer
•eu-à-peu à ce genre de commer-»
e. Il a fait planter un nombre con-
idérable de mûriers , tant fur lé
hamp d'âutrui que fur le fîen. Il
ait lever des plans & terriers gé-
léraux de tout le canton , pour que
hacun puiile à l'avenir trouver dans
e répertoire public fes conFronts ,
k la contenance de fon domaine j
1 fait enfin des biens infinis, tan-
lis que fes propres affaires prof-
)erent en un fiècle , où par bons
noyens tout le pofîîble eft de fè
naintenir. Si je difois fon nom ,
gui ne fut jamais afrurément en
rois lettres : ah ! me diroit-on : c*eft
m fort honnête homme , fort jufte
k qui a le fens fort droit , mais
Tailleurs un efprit uni. Que Dieu
veuille m*en accorder un fembla-
>k, ànioi & à mesenfansjufquà
Ini
19S Encoaragemens
la dernière génération ; mais ce
n'eft pas ce donc il efl ici queftion.
Ce digne homme, au fondjeftun
Gentilhomme campagnard , autant
qu un Seigneur peut l'être en Fran*
ce. Il a une grande Charge à la
cour 5 qu'il a faite \ mais d'ailleurs
la plus grande partie de fa vie s'efl:
paflee dans Tes terres , il les con-
noît toutes, les vifite Souvent ,voit
& ordonne tout par lui-même , &
a fait en (a vie plus de bien à fà
famille , à fes voifins , aux pauvres,
à TEtat enfin dans fa partie , que
les plus beaux efprits n*en ont ima-
giné.
Ici Tinterêt particulier , au-lieu
de nuire à l'intérêt public , luifêrt.
Plus un homme fait valoir fès do-
maines & en multiplie les produc-
tions 5 plus il fait vivre d'hommes ,
plus il augmente la fubfîftance de
l'Etat. Je réfume enfin ceci en di-
fànt que , fi les extrêmes étoient
nécelfaires, il vaudroic infiniment
ïT-ieu'x que la Noble(ïe refiemblât
au Baron de la CrafTe qu'aux Mar-
quis de la Comédie j avec cette
pour F Agriculture, ig^
difFérence encore , que les arts , le
commerce & les connoiiïànces , ont
pour long-temps banni les ridicules
de grofîîéreté, & ne feront peut-
être que rendre plus communs ceux
de la faufifé élégance.
La nécefîîtéde renvoyer la No-
blefTèà la campagne par moyens
doux & pris dans les moeurs , n^é-
chappa pas au reftaurateur de la
France* Quand Henri lY. fugpai-
fîbk poiTêflgaf de fbn Royaume ^
il déclara hautement aux Nûhtes j
âk Pet€Û%$ ^ quHl vculak qu'Us
$^ accoutuma ffinî à vivre chacun de
fin bien ^ % pour cet effet qu'il
fer oh bien-'aîfe ^fuïf qu'on louïffoit
de la faix ^ qiitls allaffent voir
leurs maifons^ & donner ordre à
faire valoir leurs terres, >> Aim
i» il les foulageoit de grandes êc
p> ruineufts dépends de la Cour
f> en les renvoyant dans les pro-
*> vinces , &c leur apprenoit que le
?> meilleur fonds que Ton puilîè
99 faire , eft celui d'un bon mena-
» ge. Avec cela , fçachant que la
U> NoblelTe Francoife fe pique d'imi^
liv
'zùô Èncouragemens
yi ter le Roi en toutes chofes , il
n leur raontroic par Ton propre
»> exemple à retrancher la fuper-
>j fluité des habits ; car il alloit
a? ordinairement vêtu de drap gris ,
>5 avec un pourpoint de fatin ou de
w tafFetas fans découpure , pafle-
^3 ment ni broderie. Il louoitceux
» qui fe vêtoient de la forte , & fe
M rioit àts autres qui portoient »
n difoit-il , leurs moulins & leurs.
V bois de hante-futaie fur le dos.
Le luxe de la NoblefTe épuife
nécelTai rement fes biens fonds ; car
nous démontrerons que le produit
de la terre du plus grand rapport
réduit en luxe revient à prefque
rien. La Noble (îe entoure le Sou-
verain 5 <S<: lui perfuade que les ri-
chefîes de TErat n*éranr faites que
pour gliffer des mains du Prince
dans celles de fes fujets , la plus
digne Iibéra-iré eft celle qui gratifie
fàNobleiïe. Le nombre des deman-
deurs grofîît chaque jour. Celui
qui obtient fîx mille livres de pen-
fion reçoit la taille de fîx villages.
Le fifc déjà diminué par le proÉç
^(
j'cur VJgrkuhnre, lùi
des Receveurs s^épuife en libérali-
rcs, & cette même Noblefîè qui
chez elle feroit l'av^antage , la force
&: le luftre de l'Etat, en eft, fans
(e fçavoir , la véritable fangfue.
Guichardin au fujet des deux princes a-
Rois de Ton temps que l'Hiftoire ^^f" > ^^^""
ds • / T • -vTT o -n pies heureux^
avance ( Louis XII. & Fer- *
dinand le Catholique) obferve que
les fujets ne font jamais fi heureux
que fous des Princes de ce carac-
tère. Leur Cour ed à la vérité for£
déferte , comme l'étoit celle de
Louis XIL mais elle coûte peu j
les excès cependant font condam-
nables : ce n'eft pas à moi à le dire ^
& moins encore à parler de la con-
duite des Souverains; mais il eft
permis de dire que la NoblelTe ferc
mieux l'Etat chez elle qu'à la Cour
& à la ville , & qu'on doit , par
tous moyens doux & agréables ,
faire refluer dans les campagnes les
habitans de la Capitale & des
Villes.
Rappelions - nous fans cefTe le
cbemin que voudroit faire le peupl©
cnder d'une nation que les app^ ,
7,01 Èncouragemens
rences d*une profpérité pafïàgere ont
éveillée. Nous pa(îbns des villages
aux bourgs, des bourgs aux Villes,
des Villes à la Capitale , & c'eft à
quoi rendra toute une nation , fi le
Gouvernement n'eft attentif à lui
donner une propenfion contraire.
Cette opération n*eft pas Ci mal
aifée qu'on croiroit bien. Les hom-
mes ont tous un penchant naturel
pour la liberté , & les occupations
de la campagne. Ce n'eft qu'en
forçant la nature qu'on les cafemate
dans les Villes. Qtie les villageois
foient heureux, & afTujettis feule-
ment à des loix fimples foit de po-
lice , foit de fîfc , qui affurent le
fort du folitaire comme de l'homme
protégé, qui ne les obligent pas à
devenir cliens à l'Election ou au
Baillage : qu'on retire de delTus leur
territoire ces Vampires errants ,
nommés porteurs de contrainte ,
archers de corvées &c. qu'on les
excite & encourage au travail, &
bientôt ils ne feront plus vicieux.
Si à cela l'on ajoute quelques-
cns de ces divertiflemens d'exercice.
1!
pour r agriculture. 205
tels que les anciens Légiflateurs les
avoient fî bien inventés, te's que
Charles- Quint en avoic établi en
Flandres pour civilifer les habitans
& unir les contrées voifines , &
tels qu'on en trouve encore des
traces dans nos provinces méri-
dionales , des danfes , des courfes
&c. ils ne feront plus curieux de
venir fe noircir des boues des
villes.
Mais fi au- lieu de tout cela , il
fe trouvoit que dans les campagnes»
par Tabfence de leurs Seigneurs, ils
ne puflent jamais efpérer aucune
grâce ni protedlion 5 que traînés
languiflants aux corvées les plus
dures & les plus répétées , décimés
pour les milices , voyans arracher
leurs haillons de deffus les buiflons
par les Colleéleurs s'ils tardent à
payer fes impôts ; doublés à la
laille l'année d'après s'ils payent j,
pour leur apprendre à ne pas en-
durer la contrainte , utile récolte
des Receveurs : fi toutes ' les fois
qu'ils ont manqué , il étoit quef-
îion de les punir par la bourfe ', iî
Iv]
-.A
t-
'%04 Encouragemens
le Procureur , l'Avocat , le Jage .;
TAgent du Seigneur , les gens du
fifc, Ç\ tout cela, dis-je, les regar-
dant çn tout & par-tout comme vie
tîfiies ne leur laiiToir la peau fur les
os, que fuppofé qu'elle ne fût pas
bonne à faire un tambour , faudroit-
îl en ce cas s^étonner s'ils périiïent
par milliers dans Tenfance , & (i
dans Tadolefcence ils cherchent à'
fe placer par- tout ailleurs qu'où ils'
devroient erre ? Et quand la pro-
tedlion de l'agriculture demande-
roir du Gouvernement un foin con-
tinuel & d'un détail embarraflant 3
quel autre objet dans la fociété
entière peut lui paroître plus digne
de Ton attention ?
La produdion de la matière pre-
mière efl d'une nécciïïté indifpen-
fable; Tart d'ouvrer cette matière'
n'eft que d'une nèceflîté d'habitude
&: féconde. L'on verra dans la fuite'
de ceci, qu'il s'en faut bien que je-
ne prétende ramener la fociété aux
befoins des Patriarches; mais enfin
Ton ne peur me nier ce principe-*
Cela poie, pourquoi jie pas donweç
pour VAgricuhui'e, 2©"f
éiû moins autant de foins à proté^'
ger Tagri culture , à inftruire les-
agriculteurs, à les fecourir & dé--
fendre leurs immunités , qu'on eiT
met à protéger les arts & métiers ?
Un homme confîdérable me
voyant un jour fur un habit de
velours des boutons de la même^
étofîè 5 me dit que je fraudois la
loi; & quelle loi, lui dis-je? Cel-
le 5 répondit- il , qui défend de
porter des boutons de la même'
étoffe que fon habit. Et au profic
de qui cette loi , lui demandai je ^
au profit des boutonniers, dit-il.
Permettez-moi, repris-je 5 de vous-
demander , li pendant le temps
que vous avez afîifté au Confeil ^
parmi toutes les futilités de ce*
; genre que vous y avez vu pafTer^
on a propofe beaucoup d'ordon-
nances en faveur du labourage ^
du nourriiïage à^s beftiaux , qui
fbnc les vrais arcs-boutans d'un
Etat.
En efïet , les arts , métiers 5^
fous-métiers font protégés , ordon-
nés , policés , maintenus : à voir la
20 6 Encouragemens
quantité de rabillages continuels
qu il faut aux ordonnances qui les
concernent , on diroit que le Gou-
vernement n a autre chofe à faire
qu'à pourvoir à leurs privilèges ,
exclufions ^ immunités. C'eft fort
bien fait *, ce fuperflu fait fans doute
un fonds de richefîes : prenons gar-
de feulement qu'il n*amene bien-
tôt l'indigence. Les métiers font
tous moins pénibles à exercer que
le véritable métier de l'homme ,
je veux dire, Tagriculture. Les
artifans fe multiplient & meurent
de faim , & la terre fe dépeuple :
la campagne , feule fource de la
Population , devient déferre : l'agri-
culture languit , & en conféquen-
ce 5 les arts & métiers languifîènt
aufîî.
Répétons ici les propres termes
d'un Auteur * dont j'ai déjà em-
prunté quelques exprefïïons.
w Mais , dit-on , l'agriculture va
>5 d'elle-même ; c'eft un art qui ie
M tranfmet par tradition , que la
* Mémoire fur l'uciUté à&% luts Provin-^
ciaux»
pour V Agriculture, 207
« nature enfeigne , & auquel elle
w a attaché une forte de douceur ,
» au-Iieu qu'il n'en eft pas de mê-
» me des autres profeffions. C'efi:
« avoir bien peu étudié cette partie
»i intéreiïante , que de raiionner
« ainfi. L'agriculture , telle que
« l'exercent nos payfans , eft une
3> véritable galère. Il eft aufïï dif-
ii fîcile à un de ces pauvres gens
>» d'être bon agriculteur, qu'à un
3> forçat d'être bon Amiral. Si
« l'agriculture n'eft encouragée , fî
M elle n'eft anîmée avec un foin
53 & des attentions continuelles >
33 elle languira toujours , & après
3> elle tous ces arts & métiers eftî-
» mes (î néce(Tàires. De l'aifance
a du laboureur au contraire vien-
33 dra la nombreufe Population ;
33 le fuperflu des campagnes fe ré-
33 pandra dans les villes Ôc dans les
33 armées, au -lieu que des villes
33 & des armées il ne revient rien à
33 la campagne j je dis une attention
J3 continuelle , parce qu'aucune
» profefîion n'eft fujette à d'auiïî
1» fréquents & d'auffi accablants
}3
*dS Éncoùrdgêmkns
» accidens que celle-là. Les mâ^-
^> ladies épidémiques d'hommes &r
" de beftîanx , la malice des gens
" de villes de chicane, la dureté
" des maîtres, leur éloi^nement,
'' & la friponnerie de leurs agens ,
*' mille autres inconvéniens dignes
d^être cirés , fi je les détaillois ^
tout, dis-je, dérange & détour-
ne les gens de la campagne. Un
" horloger lai (Te une l'ouë impar-
*' faite , il Tacheve quinze jours
'* après ; mais un jour manqué fait
î» fouvenc tout perdre an lâbou-
^ reur.
Quant aux moyens de protec-
tion, ce n'eft pas ici le lieu de les
déduire , & au fond on n'a rien, à
apprendre en France. Les plus
utiles ordonnances qu^i aient Jamais
été conçues font fignées de la main
de nos Rois ; mais maîheureufe-
mentnos loix font prefque comme
nos modes. C'eft l'afTeàion feule,
c'eft le goût naturel & la perfua-
fion de la néctfîîté de la part du-
Gouvernement , qui peuvent lui
donner le degré d'attention nécefc
pour V Agriculture, 209
faire pour que la vivifîcation de
cette partie foit entreprife & fou-
tenue. Eh! pourquoi ce gouc ne
prendroit-il pas? Nous avons eu
de grands Rois en tout genre , &
qu'il feroic difficile de furpafiTer ;
lie ne fçais que le titre de Roi Paf-
teur 5 qui puiflfe diftinguer nos
I Maîtres futurs.
Vainement cependant formerok-
Dn 5 quand on le pourroit , des
ko'es d'agriculture ; vainement in-
iiqueroit-on des prix & des ré«
rompenfes à ceux qui y auroient
!e mieux réufîî ; des honneurs pour
les auteurs de certaines découver-
:es utiles? des encouragemens pour
les efTais 5 &€. Ce n eft qu'une forte
d'abondance relative , qui eft la
mère d'une induftrie noble. L'agri-
culteur ne tentera rien, s'il n'a la
force de perdre fes avances , & fi
l'eftime attachée à fa profeiïîoB
n'engage les hommes riches &
éclairés à lui faire part des lumiè-
res acquifes , & à le foûtenir dans
fes travaux. Enfin cet arc par ex-
felieaçeacet sirt fiiiQblê & tutfe
lïo Encouragemens,
a befoin , comme tout autre &
plus qu'aucun autre , pour êtte
pou{ïe à un certain degré de per-
fedlion , de deux pivots néceflaires
à tout ; à fçavoir étude & expé-
rience 5 ou théorie & pratique ;
fans cela , il languira fans ceflfe.
La nécejfïté j dit -on, eft mère
de rindufirle : proverbe en vogue ,
parce qu'il cranqoillife la faufîe
cottfciêflce d#s richê§ & des pnif^
hm : temomom «a pêu le prm-^
dpe î fstfonne ne tiktû qm h
fâteffe n'engendre k néceflîfé $ en
conféquencê , parère $c indu/lrie
feront donc âe même lignée* Ce
rfeft /ans d^Jîte pas ceîâ qpê le
proverbe a roala dire* Void ce
que c*eft. Méceflîré de force eft
fnere d'indtiftfiê , |ê îe fçtis «& fy
co»r.s* néaffité â^ folbiêfe engen-
dre ïengoméïiïem&m êc h mon ^
tmp â'ïïtân font proiivé,
vQuoiiqye fe me (oh eerfaîne-»
ment trop ccendu fur quelqaes-uns
âm détails que je viens de trairer,,
je îî*ai fait néanmoins que défignel
-4^
pour V Agriculture. in
les- principaux, &: j'en ai tant omis
& de fi néceflaires , que ceci ne
paroîcra qu'une ébauche ^ mais je
le répète , prefque tout l'Ouvrage
fervira de fupplément à ce qui
manque à ce Chapitre ; & fur-tout
le refte de cette première partie &
toute la féconde ne font aune chofe
que le développement àe ceci- hé
Titre feui du Chapitre fuivânc proo-
va que ce ntk qu'une comm^
Xion de ce! ai ci.
^^
Emploi des Terres 2
CHAPITRE VU.
J.^ emploi que Von fait des terres
dépend des maurs & ufages,
*» T E nombre des habitans dans
« JL^ un Etat dépend des moyens
>5 de fubfifter , & comme les
w moyens de fubfiftance dépendent
» de l'applicatton & ufage qu*on
» fait des terres , & que ces ufages
» dépendent principalement des
« volontés , goûts & façon de vivre
w des propriétaires des terres , iî
w efi: clair que la multiplication ou
s> décroiGTement des peuples dé-
M pendent d'eux.
Ces paroles font tirées de l'Oiî-
vrage de M. Canrillon , qui a été
imprimé rannée palTée. Ce fur 5
fans contredit , le plus habile hom-
me fur cts matières qui ait paru.
Ce morceau , qui a pafiTé dans la
foule de ceux de ce genre que la
mode projyiî aujourd'hui^ rfeft qug
Suite des Mœurs & Ufages, ^ i ^
la centième partie des ouvrages de
cet liomme illuftre , qui périrenc
avec lui par une cataftrophe auffi
finguliére que fatale. Celui - ci
même eft tronqué , puifqu'il y
manque le fupplément auquel il
renvoie (ouvent, & où il avoic éta-
bli tous Tes calculs. Il en avoit lui-
même traduit la première part^'e
pour Tufage d'un de Tes amis \ 8c
c'efl: fur ce manufcrit qu*il a été
imprimé plus de vingt ans après la
mort de TAuteur.
Le principe qu'il établit ici n'eft
qu*une fuite d*induâ:ions démon-
trées êc tellement liées l'une à Tau-
tre 5 qu'il eit impofîîble de leur
échapper. J'y renvoie ceux qui
me nieront les principes. J'aurois
pu les répéter ou les extraire ; mais
d'une part , le rôle de plagiaire ne
me va pas ; de l'autre, tout eft tel-
lement lié dans cet ouvrage, qu*il
n'y a pas une penfée à déplacer.
On ne peut douter d'ailleurs que
la fécherelïe de cette ledlure n'aiç
été la caufe de TindifFérence avec
laquelle 011 a lâiiTé pafler dans h
114 Emploi des Terres j
foule un ouvrage tellement hors de
pair. Je dois avoir plus de niéna-
gemenr , en proportion de ce que
j'ai moins de mérite. Mes écarts
prefque toujours déplacés prouve-
ront moins fans contredit , mais ils
lafleront moins auflî ; ôc comme il
ne s'agit point ici de vérités nou-
velles & jufqu à ce jour inconnues,
mais fimplement de Tapplication
de principes connus à notre état pré-
Xent , Se de radèmbler Ibus certains
points de vue les relâchemens Ôc
changemens de mœurs qui pour-
roienc devenir maux de l'Etat, ôc
démontrer dans les chofes les plus
fimples en apparence , les chaî-
nons par lefquels la faulîe prof-
périté tient inféparablement à la
décadence 3 )e me pardonne des
incurfions qui ne me mènent ja-
mais hors de mon fujet, parla rai-
fon qu'il renferme tout.
Mieux vaut ^^ principe de cet Auteur une
entretenir des fois établi , VOyonS OU il UOUS COn-
le Prince & les propriétaires ai-
ment les chevaux , ou pour mieux
Suite des Mœurs & Ufages, 1 1 y
iiire , s'ils employent beaucoup de
:hevaux ; ( car les aimer roule plus
lie la qualité que fur la quantité )
1 y aura plus de prairies dans PEtat,
?i moins de champs employés à la
îibfiftance de Thomme : que s'ils
ronfomment plus de bois , il faudra
:>lus de terrein deftiné à être en
orêts en coupe réglée : que la
iiodede boulingrins, charmilles,
:»arcs , grandes avenues , chemins
Tune largeur extraordinaire &c.
kent tout autant de terrein à la
îourriture de l'homme , qu'il y
?n a d'employé à toutes ces inu-
ilités.
Si au contraire les mœurs du
Prince & des grands propriétaires
les portent à entretenir beaucoup
d'hommes, la pâture des chevaux
; décroîtra en proportion.
Autrefois les grands Seigneurs
entretenoient un beaucoup plus
grand nombre d'hommes. A la vé-
rité le bas domeftique confommoit
infiniment moins qu'aujourd'hui ,
qu'on les habille comme des Co-
médiens, qu'on les nourrit, qu'op
2 i(j Emploi des Terrât ,
les couche comme les Maîtfes J
mais les grandes maifons étoient
pleines de conimenfaux d'un tout
autre ordre , qui leur faifoient plus
d'honneur ôc plus d'avantage , qui
leur coûtoient moins que des mer-
cenaires , ôc qui les obligeoient à
une décence extérieure de mœurs ,
utile au maintien de la café comme
à la fociécé , Se honorable en groi
à la Nation comme en détail J
leur Mai Ton. Les Dames avoieni
auprès d'elles des Demoifelles, lei
Seigneurs des Gentilshommes fou-
vent d'au fîî bonne Mai/bn qu'eux
& les uns & les autres des Pages
des Ecuyers , Sec. Céroic un de
bouché pour la pauvre Nobleflî
qui n'en a point aujourd'hui , qu
tombe dans les plus viles déro*
geances faute d'empioi , ou pou
mieux dire , qui n'exifte prefquj
plus, en coraparaifon du nombr
qu'il y en avoir autrefois.
|C<?blefr?. Il n'eft pas de mon fujet d'exa
miner fî c'eft un avantage dans ui
Etat militaire en fa conftitution
#âv.oir une nonibreufe Noblefle
îîîgi
Suite des Mœurs & Vf âges, lif
mais je dis , fans crainte d'être dé-
menti, que les pauvres laborieux
font , dans quelqu état que le Ciel
les ait fait naître , la portion U
plus utile de la fociété. Je difTer-
terai moins encore pour établir ce
que c'efl: que la NobietTe j mais
£bit que ce genre de didindion foie
wne illufion abfolue ou non , je crois
qu on peut la définir ; la partie
de la nation à laquelle le préjugé
de la valeur & de la fidélité efi le
plus particulièrement confié. Ces
deux opinions fervanc à la défenfe
& au maintien de la fociété , il
efl: très- important de ne les pas
lai (Ter éteindre. Les fèrvices de
Tintérêt coûtent trop cher à TEtac ,
eux de la vanité & de Thonneur
repayent en monnoiequi ne man-
que jamais à un Gouvernement
éclairé , & économe de diftinflionSa
Cependant ce genre d'orviétan ne
prend pas également fur tous les
empéramens. J'ai dit, & je m*ea
îbuviens , que l'honneur doit en-
er dans toutes les profefïïons ;
ais il en eft plufieujrs , où l'on
J, Partie, K
/'
%iS Emploi des Terres^
n'y fçauroit penfer qu'après le pto?'
fie 5 Ôc où Ton dit de bonne foi ,
comme Petit - Jean , Mais fans
Argent l'honneur n'ejl quune ma-^
ladie. Quelque ridicule que Taf-
fluence de Tor arrivé en Europe
depuis deux cents ans ait jette iur
Thonneur dévalifé , & quoique ce
principe de corruption aille tou-
jours en augmentant , il efl; cepen-
dant vrai que rien n'efl: fi aifé que
de porter la pauvre NobleiTe à fe
piquer d'honneur 5 & à Te palîei:
d'argent , pourvu fur - tout qu'oiy
réloigne des profelîîons où Ton en
gagne j car ce feroir être de mau-
yaife foi que de défavouer , que
rien n'eft fi rare dans les annales
de rhumanité , que les duels de
Thonneor ^ de l'intérêt , oà le
premier ait remportera vidloire.
L'or eft corrupteur dans toutes les
profefÎJons *, il corrompit Judas \
èc Cl Ton écoute les Militaires fu-
balternes , ils vous diront que leur^
Majors Font prefque tous pris pouî
patron. La noblefiè employée dans
'à^s rDiétiers d'argent ntti yaudif
Suite des Mœurs & XJfages. ii^
îonc pas mieux , & vrai-fembla-
olemenc en vaudra moins ; car
ayant une fois mis à quartier la
vanité domeftique , elle ne déro-
bera pas pour peu. Le Garde-fel
loble n^a point appris dans les
oyers paternels ce vénérable axio-
ne 5 cent francs au denier cinq ^
■ombien font - ils ? mais une fois
la'il efl: entré dans /a tête accom-
)agné de tous Tes rameaux, il re*
^arde Tes vieux pères comme de
jroiïîers idiots , èc raéprife tout le
îj efte de leurs documens, Si au con-
raire il marche de plein pied à fa
laifîànce , il fe rappelle fans cefle
jue fon vieux oncle lui a répété ,
jue le grand-pere s'étoic diftingué
i tel affaut, quun autre ayant été
îîevé dans une telle maifon (àuva
on jeune Maître dans une embuC-
:ade , & refufa de s'attacher à tel
k tel qui lui offroient une fortu-
lie. Ces idées germent dans fou
lœur, & le Laridon des fermes
ievient le Céfar d*un Régiment.
Qepeiidaat quelque multiplié
i2o Emploi des Terres _,
que foie aujourd'hui le Militaîrt
en France , il s'en fauc bien que h
pauvre Noblefle n'ait de ce côté'
là le même débouché qu'elle avoi
autrefois. Nos anciennes troupes
& fur - tout la cavalerie , étoien
alors prefqo*entiérement compo
fées de Gentilshommes. Dans Tiq
fanterie même , Montluc nous di
qu'il n'eut jamais de Compagni
où il n'en eut quarante à la têt^
Il la leur faifoit calTèr à bon mai
ché , en leur difanr qu'il n'avo:
jamais connu befogne bien fait
que de Gentilshommes. Henri I\
chef pendant long temps d'un pan
profcrit , obligé de vendre tout fç
bien pièce à pièce pour fubfîfter
te qui déjà Roi de France fe plai
gnit long -temps d'avoir tous fc
pourpoints percés au coude, fevaii
toit néanmoins d'avoir toujours e
quatre mille Gentilshommes autou
de lui 5 quand il avoit voulu les
appeller. La Cour d'Henri II.
cependant n'éroit pas déferre ; celJ
des Guifès & de tant de chefs d
parti qpi çxiftoieiit alpr§ j l'étQ
Suite des Moeurs & Vfages. 1 1 ï
ncore moins , proportion gardée.
ally qui n'écoic encore que Cara-
in 3 entrerenoic , dit -il, douze
entilshommes à la guerre , à deu3^
înts livres chacun. On nauroic
as aujourd'hui un cocher à ce
rix. Ce neft pas de quoi il eft
:i queftion. Les douze Gentils-
oiiimes de Sully faifoienc partie
es quatre mille d*Henri I V. m^ats
; mets en fait que dans cent foi-
ante mille hommes d'infanterie
lie le Roi a fur pied , on y crod-
eroic à peine ce nombre de Gen-'
ilshommes: Pourquoi cela ? La
•auvreté efl: devenue ridicule , ôc
[ans celle de toutes les profeffions
m Ton devroit le moins la crain-
Ire , puifqu'on s'y dévoue la tout
')erdre au premier fignal, il faut
iu bien. On a chargé de faux frais
eûtes les garnifons , la moitié des
ippointemens va en abonnement
le Comédies , de fauteuils , de che-
'i^aux de ronde , &c. Les Régimens
[e piquent d'enchérir fur la dépenfe
les uns des autres. On appelle bril-
lans ceux qui payent les plus chères
Kii]
liî Emploi des Terres _,
auberges , & qui font en état d'être
reçus dans les mai Tons. Jl faut de
gro(Tès penlîons pour foûtenir tout
€ela , & les Chefs > fans fongec
quil faudra un jour mener ces
gens à la guerre , fe hâtent de faire
retirer les vieux foldats, & de lej
remplacer par des gens en état de
fe fourenir. La vénalité s'eft intra
duite dans les emplois ; en fuppo-
fant qu'un pauvre Gentilhomme
jfbit en état d'en acheter un à for
£Is , la penfion en fbufTre \ il faui
donc des gens de ville. Je veu}
croire qu'ils feront aufïï bons de-
vant l'ennemi que des campagnards
înais il s'en faut bien qu'ils ne lei
• égalent pour la fatigue , & par Tat
tachement à leur emploi , que ce:
derniers regarderoient comme leui
patrimoine. Quoi qu'il en foit, h
^ cherté du fervice ôte ce genre ai
débouchés à la pauvre Nobleiîè
La maifon du Roi leur refte : de
mandez cependant ce qu'il faut de
penfion à un Gendarme , ou à ur.
Garde du Corps; \qb plus modéréî
vous diront ûs cents livres ;. & q\3
Suite des Mœurs & Ufages. i z 5
font les pauvres Gentilshommes qui
peuvent donner cela à leurs ca-
dets ?
Il s'enfuit de cette énumératioa
trop longue , mais que j'ai cru im-
portante relativement à la préémi-
nence naturelle à Tefpece de gens
donc je parles que loin de tourner
en ridicule les gens de qualité ri-
ches 5 qui par vanité voudroienc
conibmmer en ce genre de fafte
ce que les autres perdent en luxe
inutile à l'Etat & ruineux pour
eux, on devroit les y encourager,
Les gens dont vous parlez , me
dira - c - on , nourrifToient plus de
chevaux qu*on n'en élevé aujour-
d'hui j la Nobleiïe étoit toujours à
cheval , les noms de Connétable,
de Maréchaux , de Chevaliers ,
d'Ecuyers , l'habitude où l'on ell
encore de dire un beau Cavalier ,
un aimable Cavalier, aller bride
en main dans les afiires , broncher
à chaque pas,& mille autres locu-
tions uficées , font des reftes de
J'intime fociéré de nos pères avec
leurs chevaux, J'en conviens j mai^
K iy
2 24 Emploi des Terres y
il ne s'enfuit pas de - là qu'ils euA '
fent plus de chevaux que nous :
outre que la cavalerie réglée eft
devenue beaucoup plus nombreu-
fe , à commencer par le Prince le
dénombrement de les écuries ex-
cède de beaucoup celles de Tes pré-
dccefTeurs j on avo:t quelques che-
vaux de main , mais à cela près »
on n'en nourrilloic point d'inutiles.
Une grande Dame de ce pays-ci,
à qui je vis des chevaux de remife ,
me répondit: cenejipas quiln'y
en ait jù dans nos écuries ^ mais
il n'y en a point qui ait pu aller
aujourd'hui. Quand Baiïompiere
rencontra cette lingere du pont-
neuf, dont il fait une finguliére
hiftoire , il n'avoit qu'un cheval
entre fes jambes : c'étoit l'homme
Je plus brillant de fon temps ; au-
jourd'hui le plus pauvre allant en
fiacre, en occupe deux. Il cft à
remarquer encore que les chevaux
répandus alors dans les campagnes
où leurs maîtres habitoient , en-
graiiïbient de leur fumier la prairie
Suite des Mœurs & Ufages^ii^
'pi les devoir nourrir , &c confom-
î^oieiic la denrée fur les lieux ;
ous rafTeiTîblés aujourd'hui dans
-es villes , leur nourriture entraîne
:eile d s chevaux de craie qui y
DUC amené le fourage.
Mais revenons. On ne doic point
:tre étonné que traitant de la Po-
pulation je cave à fond , quand
cela fe préfente , les objets qui
peuvent y fervir & y nuire ; &
puifqueje fuis à laNoblelîe, il me
refte encore beaucoup à dire fur
cela. Elle eft très- nombreufe en
Allemagne, &à tel point que les
Seigneurs & les Princes même des
plus grandes Maifons font au (èr-
vice des Maifons régnantes , fou-
vent moins iliuftres & moins an-
ciennes que les leurs. Le droit de
prim^géniture & la reverfion d.^s
fiefs aflTurée aux caders , quand les
branches aînées tombent en que-
nou'lle 5 font un appas quî oblige
tous ces cadets à (e marier, & à
époufer des filles pauvres d>c de
haute niiiïance comme eux. Les
enfans de ces Princes &c Seigneurs
S2:(^ Empfoi des TernS'
n'en font pas moins des fujerspaut
FErac 5 des reflourGes pour leur
Maifon j & fourni (Tant toujours de
nouveaux fuccelTeurs , ils empê-^
chent Tinconvénient notable de là
réunion des biens de. piufîeurs Mai?
fons en une feule..
Aux Etats d'Orléans , fous Fran*
çois II. & Charles ÎX. il fut quef
tion de faire paflfer en Loi dans le
Royaume Tadmiffion des fîîbfli ta-
rions graduelles & perpétuelles
comme en Italie \ te par une de
e.t% contrariétés qui conflatent Xsl
bizarrerie de la nature humaine ,
6c qui feule a gravé ce fait dans
3îia mémoire 5 il arriva que le tiers-
Etat y ayant confenti, ce fut la
Noblefle qui s'y oppofa. Si Fon
propofbit aujourd'hui un pareil ex-
pédient comme capable de foute-
lîir la Nobîefle <&: ^tn encourager
la multiplicaticrn , & conféquem^
anent comme avantageufe à TEtat,
©n feroit fifflé de toutes parts; &
ceux qui daigneroient répondre au
raifonneur, raccableroient d'allé-
carions p, dont ies^moindrè^ fexokai
Suite des Mœurs & Ûfagcs,: iij
;_que ce projet nuit au commerce,.
èc prive le Roi de Tes droits de
fuzerain aux mutations. Examinons
en détail ces deux obje6lions,coni-
me les principales.
Le commerce eft l'échange des l'échangé?
îiécefTués & commodités de la vie , ^espropriécé^
& nuiiemenc celui des propriétés, commercev
Quand à Paris les loix & les mœurs
affujétilTènt tout à l'encan ^ on s'é-
crie que c'eft bien fait , que cela
fait circuler les meubles & l'argent,
que les gens dejufticejes induf-
trieux du bas commerce , les cu-^-
rieux , les inconftans , tout enfin y'
gagne ; & moi je dis que par mille'
raifons c'eft un ufage pernicieux ;
& je îè prouve. i°. Que font donc"
tous ces gens amafles , qui jouent
au plus fin dans le rezde chaufTce'
dévailé de cet Hôtel , qui huit'
jours auparavant brilloit de meubles
miles éc fuperflus ? Les Huiiïiers^
hurlent , les Procureurs écrivent y
6c ce peuple avide de brocanteurs'*
fe tend des pièges adroits , tandis-
que les gens les plus riches n'ont
pas honte de s'affocier aux ufurierf
1 1 % Emploi des Terres ^
ée profeilion en ee genre de pafîe?^
temps 5 ôc de venir y braver les
quolibets des revendenfes^ du quar-
tier. De toute cette fouie de gens
amafîcs de la forte en mille endroirs
de Paris , il n'y en a pas un qui
ne cherche à attraper 1 autre , de
îa bonne-foi eft bannie de lapen-
fée de fous les individus qui rem-
pli (Tent ces dignes afTèmblées. Voilà
pour les agens. D'autre part, lé
propriétaire bannilTànt toute dé-
cence & toute antique fuperftition
de refpe<5t, vend jufqu'à la robe
que fa mère portovt quatre Jours
auparavant : feachant d'autre part
<jue la même chofe arrivera après
lui, il incendie comme inutiles ôt
propres à allonger fon inventaire;,
mi le papiers curieux 3c fou vent
uriles^ à la poftériré , mille chofes
qu'on lailTeroit à (es enfans volon-
tiers , mais qu'on ne veut pas ex-
poser à la curiofîté des Prépofés
à la Juftice t la mère ne fe foucîe
point de faire des meubles comme
faifoienr (es devancières laborieu-
fos tout fera ?enda 3,dk-elle > ^
Suite des Mœurs & U/ages, 22^
fervira à des étrangers. La maifoa
efl appauvrie d'aurant > ôc l'Etat
aufîî , puilbu'il n'cd: autre chofe
qu*un amas de maifons particu-,
liéres , & que le travail d*une inS-
nîrc de dignes matrones d*amre^ois
ré luit en parties de ca^'ac;noIe , efl
autant de perdu pour lui Mais 9
dit- on 5 ce changement dd meubles y
ces achats & reventes conrinuelles
avivent îe commerce , & 'font tra-
vailler les ouvriers; & moi je dis
que non : non , mille fois , non.
Ces meubles vendus dans la rue
de BuflTy vonr être tranfportés dans
îa rue Diuphine i on ne les ufe
point en chemi ^ , ils fervert à quel-
qu'un 5 lis font à la vérité pîu'-ôt
palfés; mais c'efl que ceîui qui les
fit le premier , prévoyant leur fore
les avoit fait à vie. La mal f xorr
n'eft un gain pour perfonne , 6c je
foûfiens qu'on fait plus de meubles
dans les pays où on les con^rve ^
que i^ans ceux on ils ne pafTenî:
jamais une gcnération. Entrez dans^
îa maifon de «es nouveaux établis*
un appariement bxille de ftaîcheur.
$i6 Emploi des Terres ^^ '
ÛG dorure Ôc de boiferie une foî^
faite , tout le refte eft nud. Voye^-
des Palais dans le pays où le mo-
bilier fait partie de la bonne mai-
fon : les murs font couverts par-
tout 5 tout eft plein , Se les garde--
meubles le font auflî : cependant
on y travaille toujours , le temps-
ufe & prend plus fur la quantité
que fur le peu ; on remet à la
mode , on remplace le vieux , à^
peine eft-on meublé d*hiverà fond^
qu'on veut Têtre d'été. Après les
meubles ordinaires , on amaffe ceux
des occafions , des noces , des cou-
ches , &c. Les Châteaux viennent'
après les maifons de Tille *, Ton fe'
pique du fupeïûu,Ôc une maifon-
eft auin riche de ce qui eft en re-
ferve, que de ce qui paroît ; en un-
mot 5 on y travaille Tans celTe , tan-
dis qu'à la referve des fous , ce'
n'eft qu'une fois dans la vie qu'on
fe meublie à Paris , où ce préten-
du revirement de meubles ne fait'
tivre que des fripons qui éveil lés-
comme ils le font , euftent été ucilesi
en <iuelqu*autre profeiEoiij
Suite des Mœurs & XJjages. ijt
Cet exemple que je crois vrai:
d^ trcs-boiine-foi , & que i*ai été
chercher dans la partie de Tindui-
rrie la moins conceftée , pourroir
faire douter fi "^ow ne Te trompe
pas très-fort en honorant du nom
de commerce tout ce qui eft mou-
vement. Ce n'efl: qu'un efprir faux-
& un cœur ^ih. qui peut regarder
eomme commerce l'agio , le cour-
rage, rinrriguej le maquerellage ,.
& autres trames de ritltérêt , de la
' malice ^ de la mauvaife foi ; au-
trement le diable feroit le premier
à.t% commercans.
Je pourrois prouver également "Ucîii'îé à&^
que le revirement continuel des ^'^^^^"(^^^
r- o A c -) (V • des fiers pour
biens & des rortunes n eit point h lotursv
un avantage pour le commerce ;
ma's ii n'efl: queftion ici que des
fiefs. Quel mal feroit au commer- _
ce, que les fiefs fulTenc aflTurés dans^
les races ? J*aidéja dit que cela per-
pétuoit les vieilles fouches en en^
gageant les cadets à fe marier 3
-anaintenoit Tefprit de fubordi nation^
& d'union parmi les habitans àtlz
eaîîipagne par lanuque refpe^l pour
,>'
'2^1 Emploi des Terres l
le fang da Seigneur , le goût i6
propriété dans les familles , & la
ljplen:leur dans celles que les exemr
pies domeftiques engagent le plus à
tâcher de mériter de la patrie. Qui
donc y perdroit ? Les Notaires ,
& les gens qui vivent de procès*
On dira peut-être que cela ôte
rétnulation dans la partie induf-
trieufe des fujets -, que chaque bar-
rière mife à l'ambition en efl: une
au travail , dites mieux, à la cupi-
dité: mais je le nie. Les Hoilan-
dois , qui ont jadis pouffé le com>-
merce & (es fuccès plus loin qu'aa-
cune autre nation , n'avoient point
en vue de devenir M. Le Marquis
un Tel, èc Von fçaitque fans Mar-
quifats ni Comtés, de (impies par-
ticuliers de cette florifTante Répu-
blique offrirent de faire la guerr
au Roi de Dannemarc à leurs dé-
pens.
On fe plaint à bon droit, & Voi%
regarde comme un vice très nui-
fîble à la condtrution de la Mo-i
narchte l'ambition générale que
chacun a en Fiance de faire £on
e
Suite des Mœurs & Vfages, 233
fils noble , & conféqueniment inu-
tile à tout bien en un p^ys •, où il
ne refte de débouché à Ki Noblef^
fe , que celui de«ious-enrendre les
neuf dixièmes de les entans . pour
qu'il refte au fîls unique de quoi
Kvivre conformément à ce que la
vanifé du pereappel^e^fon écat, \.q.
MagiHirat veut prendre l'épée, parce
qu'il eft établi que l'état de juger
les hommes ne convient pas à la
haute NoblelTej le Négociant veue
devenir Magifirat pour faire en-
fuite le même faut. Le Financier,
à qui l'or fournit la plus brillante
& la plus unie àes perfpedlives 9
prend le plus court, & appclleroit
volontiers le plus étourdi de fes en-
fans M. le Miniftre ou M. leCon-
feiller d'Etat , comme on désigne
quelquefois M. TAbbé dès 1 âge de
cinq ans. Le fils du payrande^i.nc
Procureur , «Se celui du laquais Em-
ployé. Si au lieu de cela le Ma-
giftrat ambitieux & fécondé de la
fortune dans Con état recomman-
doit uniquement à fa famille de
penfer à Tilludrer ^ en donnant à
2 54 Emploi des Terres j
l'État des du Harlay . des deThou;
des Lamoignon , àts Talon &c,
le Négociant , des Crozat -, le Fi-
nancier 5 des Jacques Cœur ; le
Manufaâ:urier , des Van-Robès : fi
le payfan ne fongeoit qu*à amé-
liorer Ton bien & rendre Tes enfans
habiles & laborieux j tous deviens
droient plus induftrieux , plus ac-
crédités , plus en état de fe foûte-
nir, & de profiter des fondemens
jettes par leurs pères. Chaque pro-
fefîîon élevée dans la modeftie &
dans une tournure de mœurs uni-
forme & propre à fon état , ne»
donneroit pas moins des fujets à la
patrie ; mais le fils cadet d'un Ma-
giftrat ne dédaigneroit pas de pa-
roître au Barreau ; celui du Né-
gociant , de devenir Armateur ;
celui du Financier occuperoit les
emplois de détail j le fils du Manu*
fadurier chercheroit à établir des
métiers où il n'y en a point 5 & le
fils du laboureur iroit en journées.
Loin que les pépinières de lEtat
fuflfent afFoiblies par la modération
jdes pères ^ elles devieudroientplu%
Suite des Mœurs & Ufages. 135
abondantes. La nature infpire d'ai-
mer Tes enfans , l'orgueil , de les
craindre ; & le furabondant de
chaque profeffion fourniroit aux
portions flériles de la fociété >
comn:ie foldats , matelots , &c.
Sans que je rn'épuife endialec-
tique , tout homme de bonne-foi
fentira la vérité de ce que je dis-
ici 3 & les gens fenfés fe plaignent
chaque jour que la folie d'autrui
les mené beaucoup plus vite qu ik
ne voudroient.
Ce n'eft pas que dans mes rê-
veries je prétendide faire revivre la
police intérieure des anciens Egyp-
tiens, 011 par une loi fixe perfonne
îie pouvoir exercer que Tétat de
fon père. Indépendamment des in-
convéniens de ce genre d'efclavage
prefcrit à la nature , je fçais que
les loix ne font rien fans les
moeurs. Si j'avois à dire mon avis
fur celle-ci, je Taurois confervée
en partie & abrogée en Tautre. Il
Vitvx jamais été permis de monter 3
mais toujours de defcendre , cha-
cua filon lia talenc. Mais ks Etats
i 3 ^ Emploi des Terres j"
ne fe gouvernent pas par des fpc-
cularions; & à cet égard je reviens
au principe que j'ai établi ci-de-
vant 5 & qili ne fera pas contefté ,
je crois , par les gens de bon fens,
Ceft que , fans contraindre per-
fonne, il faut honorer chaque pro-
fefîîon relativement au degré d'uti-
lité première, & bientôt ce moyen
doux éteindra plus de la moitié de
cette ambition deftruétive , qui fait
que chacun ne demeure dans fon
état que par force , &c ne regarde
le travail que comme un pafTage
épineux pour arriver à la jouiP-
fan ce.
Il réfulte de ces fpécuîations ^
que Texclufion des fiefs pour la ro-
ture , & conféquemment î'exten-
(îon àQs loix privilégiées propres à
les conferver dans les familles 5 ne
feroit point un mal pour le com-
merce ; au contraire , aufïi-tôc
qu'un Commerçant , qu'un Finan-
cier &c. a acheté des terres, il
prend goût à l'efprit de fupériori--
té , il dédaigne lui-même fa pre-
mière profeffion, moyen fur de U
Suite des Mœurs & Ufages, 1 3 j
/aire dédaigner aux autres ; Ton
argent & Ton induftrie fbrtenc da
commerce , & tout y perd. Il ne
s'agit donc plus que de répondre à
la léfion & diminution des droits
du Roi.
Il eft certain que la vafTalité de-
vant des droits à la mutation, tout
ce qui interrompt ces mutations in^
tercepte ces droits. Il en eft d'autres
de centième denier , contrôle , in-
finuation ôcc. fur les acqiiifitions.
Je tout enfemble Fait un objet con-
fidérable. Je répons à cela , i ^.Que
les principaux de ces droits ne font
pas fans doute fî rapportans qu 011
le dit 5 puifque des Charges très-
peu financées en exemptent , ^
donnent encore la NoblelTè par
jdefTus le marché , & qu en fuppo^
fant que ces Charges aient été
créées dans de§ temps de nécefîîté ,
du moins auroit-on fongé à les
rembourfer depuis & à les étein-
dre, fi les exemptions quelles rnul-
jtjplienc à l'infini , attendu qu'elle?
p^jGTent fiîr la tête de prefque touj
a 5 8 Emploi des Terres 2
les forts acquéreurs , écoient fi nuî-
fibles.
20. Que loin de grofîîr les fub-
ûitutions en les étendant , Je les
diminue en effet ; car le plan fujr
lequel Je raifonne , ne comprend
q^e les fiefs , & ce qu'on peut ap-
peller biens féodaux; au-lieu que
dans Tétat aduel un homme fubfti-
tue tout Ton héritage g tant fiefs que
biens ruraux ? maifons ôc fouvene
même les meubles; c'eft-là ce qui
.efl: fait pour être mis dans le com-
merce 5 ôc non les fiefs qui , tels
que Je les repréfente dans mon
exception y ne font prefque autre
chofe qu'autorité , droits &c pféé-j
minences.
5^, S\ y Ce conformant fur cet
article aux loîx de l'ancienne féo-
dalité encore en vigueur en Alle-
magne, il étoit établi qu'au défaut
de la ligne mafculine , la réver-
sion des fiefs viendroit au Roi , &
que Sa Majefté s'en réfervant la
nomination voulût s'aftreindre à ne
tes point donner à des Mai [9111,
Suite des Mœurs & Ufages, 239
déjà établies , mais à des cadets de
bonnes Maifons , avec obligation
de prendre le nom & armes du
fief j ce droit de nomination qui
dans des Etats d'une aufîi vafte
itendue que les fiens , remettroit
fans ceffe de nouvelles grâces de ce
genre dans Tes mains , & lui atta-
cheroit plus particulièrement encore
la Nobleiïè, s'il étoit pofTible , né-
iquivaudroit-il pas une partie du
revenant- bon en argent , qu'on pré-
tend que cela diminueroic , èc que
je nie?
4®. S*ii eft vrai que la Popula-
tion foit une richefte pour tout le
monde , comme la choie eft dé-
inontrée , puifque où il y a plus
4e gens obligés de vivre de travail ,
Jes lervices de néceflité rerpeétive
p-our tous les hommes deviennent à
meilleur marché, à plus forte rat-
ion reft-elle pour le Prince , qui
4e tous eft celui qui paie le plus
<le fervices. Or diminuer le pris
jlîdes fervices, n*eft-cepas augmen-
^ |er fes revenus ? Cet arrangemene
fû j félon moi ^ iin moyen de ?nu{-»
240 Emploi des Termes,
ti plier fa nobleife ; elle feule alors
rempliroic fes armées, fa garde >fa
marine militaire , &c. Elle fe pique
d'honneur naturellement. Il ne faut
à cette monnoie-là d*autre garde
du threfor qu'un gouvernement
économe d'honneurs , ôc prodigue
de confîdérations Se de louanges ^ &
cependant c'eft: le plus puKTant des
mobiles , & le plus inépuifable des
ihrefbrs.
Mais , dit-on , Tépuifement con*
)tinuel des vieilles fouches fe répare
par de nouveaux Nobles qui danç
la fuite fe confondent avec les an-
ciens. C'eft précifément l'inconvé-
nient dont nous nous plaignions
tout- à- l'heure. Mêlez du vinaigre
avec du vin , vous les gâtez l'un ôc
l'autre. La haute Noblefïè, qui n'a
prefque plus, il faut l'avouer jcon-»"
îèrvé de l'antique générofité de fes
ancêtres qu'une fade oftentation de
/es vieux titres , ne confentira ja-
mais à reconnoître les intrus com-
me étant de fon corps ; le préjugé
jnême de la nation l'y autorife ,
§ç à la réferve de certains nom&i
illuftrér
Suite des Mœurs & Ufages. 24 1
iiluftrés par de grands hommes &
de dignes commencemens , tout le
refle eft rejette j & tel homme efc
lui-même dans le cas , qui en éta-
blira le principe devant ceux à qui
il croira en impofer. D*ailleurs ,
ces portes d'anoblidement ont été
Ç\ fort multipliées que le ridicule
s'en eft mêlé, plaie incurable chez
les François. Queft-il arrivé de
cela ? que Tune &: Tautre Noblede
eft tombée dans le mépris , & que
la confidération de Targent , ma-
ladie plus redoutable pour un Erac
que la pefte & la famine , règne
aujourd'hui fans rivale. Retenons
chacun dans Ton état ; n'employons
à les multiplier que les moyens qui
font propres à chaque profeffion.
Dès qu'on voudra fe rappeîler en
pratique où gît le véritable hon-
neur , il s'en trouvera aiïez pour
tout le monde.
Les Chapitres d*hommes &: de
filles font encore une reffburce pour
la Noblelîe d'Allemagne , relîource
très-eftimée & peu coûceufe. L'or-
gueil de la naiffance , 6c la diflinc-
/. Partie, L
1^1 Emploi des Terres j
tion de l'ordre ôc du genre font
plus de la moitié des avantages des
perfonnes admifes dans ces corps
refpedables , ôc s*il y a quelques
places lucratives, le grand nombre
Teft très-peu ; mais la Noblefïè eC-
time ces débouchés qui font un
état pour Tes enfans , ôc dans la
crainte de s'en fermer l'entrée vient
y chercher des femmes à qui leur
naiiTance fert de dot. La Noblefle
en France a , au-lieu de ce fecours ,
celui des méfallianccs. On peut dire
de ce joli mot ce que M. Boiïuet
difoit de la fréquentation desfpec^
tacies y II y a de grands exemples
pour , & de fortes raifons contre.
Examinons encore cet article.
Méfallianccs. Ces alliances 5 dit-on , relèvent
l'ancienne Noble (Te , dégraiflTent \ts
gens à argent , les civilifènt d'une
part , & de l'autre rapprochent de
la fociété privée la morgue de la
Nobleffe , remettent en circulation
l'argent engorgé dans \.m petit nom-
bre de caifles , & diminuent infen-
fiblement l'oppofition & la haine
iiivétérée entre deux of dres d'autant
Suite des Mœurs & Ufages. 245
lus difficiles à amener à la con-
Drde, que la profeffion bien ana-
iee de Tuneflde coût demander,
: celle de l'autre de tout prendre,
oiîà , je crois , tout ce qu'on peut
ire en faveur des méfaliiances j du
loins ai-je prefque fué pour en
ouver tant, 6c cependant j'ai en-
e de rire du poids de ces pui{^
ntes indu6tions.
Mon deflfein ici, ni nulle part,
eft pas de fcandalifer perfonne,
fi quelqu'un fe trouve bleile ,
le prie de croire cependant que
li crayonné mes tableaux le plus
gérement que j'ai pu , & que par-
adé que les plaies en écrit dé-
çurent , je tâche d'écrire , comme
voudrois l'avoir fait le jour qu'il
le faudra rendre compte à Dieu.
En conféquence , fans faire dif-
iâ:ion entre certaines méfaliiances
opinion , & d'autres qui font hon-
ufes par la fource des richelTes
\t l'on partage , je dirai qu'en gé-
^ral & par les raifons & principes
le nous avons déduits ci-defTus ,
1 ne fcauroic trop accoutumer les
Lij
144 Emploi des Terres^ \
difl-ërentes clafles à s'allier entr
elles , & à conferver comme ui
dépôt facré les moeurs «Se ufage
de leur état 5 je dis les bons, &j
pourrois même à certains égard
dire qu'il vaut mieux que les mau
vais fe concentrent que s'ils fe ri
pandent. Par exemple , fi le fils d*u
voleur époufe la fille d'un fripon
au fond il n'y aura qu'un ménag
de gâté,au-lieu qu'ils auroientéi
très- propres à en gâter deux.
Ce Magiftrat qui époufe une fil
de la Cour fe défaille , ( fi l'on r
veut appeller cela fe méfallier
auiîi défavantageufemenc que fc
voifin j qui devient gendre d'un F;
nancier. La Demoifelle met fur fc
vernis d'impertinence natale ur
dofe du gourmé de la Préfidencc
Se bientôt elle dédaigne la Maifc
où elle eft entrée, parce qu'elle r
peut aller à la Cour : elle tranl
plante les grands airs , elle diftir
gue les coufins titrés , fes enfai
maudiffent la fimare qui ne va p;
avec des talons rouges 5 le titre c
Préfidenc les ofFenie > quoiqu'i
Suite des- Mœurs & Ujages» 245
e veuillent pas perdre la Charge ;
s font Marquis, &c s*ils n'en peu-
enc avoir l*accourrement qu'à la
ampagne, du moins en ont-ils la
ituité & réquipage. Tout cela con-
)mnie , l'ancienne gravité Ce perd
vec rémde , Ôc la falle d'audience
es pères n'efl: plus fréquentée que
ar des créanciers & des muficiens,
)'autre part , le voifin enfinancé
reçu un petit bijou qui n'a plus
ien de l'accent Picard ou Gafcon
e M. fon père , le couvent ôc les
laîtres. y ont mis bon ordre : elle
a pleine de talens , accoutumée
ux flatteries des valets , &c farcie
!e ces hauts axiomes de généroh'té ,
ju'il ne faut porter fês robes qu'une
àifon 5 quejles defïeins nouveaux,
out donner à fes femmes , avoir
in garçon perruquier pour Tes gens
i(în qu'ils foienten état de paroître
ians l'appartement , un plumet y
ies rênes Se des harnois de cou-
eur , des chevaux neufs , du vernis
ie Martin & ce qui s'enfuit. La
Délie mère qui avoit compté que
4.00000 liv. foin 20000 liv. de
L iij
1^6 Emploi des Terres ,
rente , qu'une femme doit coûte
dans une maifon réglée éooo li\
par an 3 8c que les 14. autres fe
roient accumulées pour Tétabliflè
ment des en Fans à venir qu'elle voi
déjà par douzaines autour de fo
fauteuil , laiiTe patiemment paHe
les jours d'engouement de noces
hoche la tête quand on parle d
fpedtacles , de bal , de l'Opéra Sa
mais efpere que cela finira : tout f
fuccede cependant , elle prend ms
fon temps , hazarde fes axiomes
Ôc l'on bâille : tandis que l'impru
dente maman va réfléchir aprê
coup 5 ôc confîdere charitablemen
avec quelques amies qu'elle a fai
une fotife par telle & telle raifon
on démeuble dans le bas : les lam
pes économes qui éclairoient fo:
antichambre font place à des bra
dorés 5 les porcelaines , les verni
J'éblouiffent de toutes parts ; la cui
fîniére vigilante eft remplacée pa
un chef qui Ce referve trois jour
par femaine, & qui les quatre au
très fait travailler fon aide 5 le
Yalets fidèles du vieux temps fuien
Suite des Mœurs & U/ages, 147
en pleurant tant de dégâts j bientôt
leur Maîcreffe les fuit , ôc va dans
un appartement étranger déplorer
les vices du temps. Les premières
couches la rappellent : on lui an-
nonce une fille ; nous aurons un
garçon une autrefois ^ dit la vieille
mère. Oh \ pour celui-là j je vous
demande excufe ^ répond l'accou-
chée j le métier nen vaut rien j &
je ne fuis pas d'humeur a me fa-
crïjier pour ma pojiérité. J'aime
déjà cette petite a la folie , & je-
veux quelle foit héritière ; Sc fa-
quins d'applaudir. La même chofe
leur étoit arrivée la veille chez li
Demoifelle qui avoit eu l'infolente
cruauté de dire que ce n'eftpas la
peine de faire des enfans , quand
on n'a pas un nom à leur donner.
Laquelle des deux vaut le mieux
pour la famille où elle efl entrée,
^ pour yconferver l'ordre, la dé-
cence ôc les mœurs ?
Les principes dans îefquels j'é-
cris, me font fupprimer beaucoup
d'autres raifons & de détails. Je
conclus que mélanger ain(î les
L iv
i^B Emploi des Terres j
états 5 c'eft tout détruire , toue
avilir , ôc ne relever rien que Tor
ôc largenr. Or un Etat , où la cu-
pidité Ôc les riche(ïes ont la préé-
minence non difputée , efl: une
aflemblée de voleurs publics ou
déguifés , de brigands civilifés ,
dont les uns (ont en pleine chaiîe ,
d'autres à l'affût , & qui dans le
fait occupés à s*entredétruire, fe-
ront bientôt juftice les uns des au-
tres 5 fans que la foudre s'en mêle.
Dans un Etat conflitué comme
la France , il faut que la Nobleflfe
foit fiére, brave, pauvre, & s*eQ
pique : que la Magiftrature foit
grave , jufte, auftére , économe ,
& s'en pique : que le Commer-
çant foit laborieux , entreprenant ,
franc , indépendant , f mple , ôc en
falîe gloire : que la Finance Ce con-
fonde ÔC fe répande dans le com-
merce , loin de Topprimer ôc de
le méprifer: que l'Artifan foit in-
duflrieux , vigilant , réglé dans fes
mœurs , borné dans fa confommà-
tion : que le Laboureur enfin Ôc
TAgriculteur ( cet ordre d'hommes
Suite des Mœurs & Vfages. 245)
récieux par lefqneîs j'aurois dû
jmmencer ) foie infatigable , lio-
3ré , chéri , protégé , foulage ,
icouragé de façon qu'il falîe en-
le à tous les autres états par fou
Dnheur , fa liberté , fa joie , fa
anquillité , & par cette pureté
atriarchaîe de mœurs , dont la
impagne eO: la véritable & Tuni-
ae patrie.
Cette digreffion fur la NoblefTe
iroîtra certainement longue , «Se
îut-être partiale. J'ai aifez témai-
lé ci - devant quel cas je faifoi^
2s petits & combien je les hono^
)is , pour n'être pas à cet égard
:cufc de prédilection. Je nnis
lême cet écart en rentrant dan^
univerfalitédes clafiTesde citoyens^
n'ai traité de cet état-ci en par-
culier, que parce que c'eft afîu-^
émeot de tous le plus inconnu
n un pays où la pauvreté devient
ice ou bien fis ^ comme difoit
uelqu'un 5 ^ parce qu'il ell: le
lus utile après l'agriculteur , dans
n Ecat où Ton connoît le pri^
2 5^ Emploi des Terres ^
de rhonneur & de la gloire. R
venons.
]'ai dit que la multiplication d<
chevaux dans un Etat eft un ma
Se que nous étions atteints de <
mal. Il m'efl: quelquefois venu dai
la tête un projet qui pourroit êtj
bon, & qu'au pis aller je dont
au public pour ce qu'il me coût
capiratîon On a de tout temps regardé
im les che- capitation comme un impôt trè
^^"^ onéreux. J'ai ouï & lu force d
clamations où l'on difoit que c'e
vendre l'air au citoyen ; que c
impôt connu fous les Empereu
Romains fut un des (îgnaux de
décadence de l'Empire , & l'ur
des caufe de l'aliénation des Pr(
vinces , qui bientôt aimèrent mien
recevoir les barbares , & jouir d
leur prétendue franchi fe fous l'en
pire le plus dur & le plus abfoli
que de fe voir rongées & dévorée
en tous les (èns par les exadeu
publics d'un Empire fifcal. I
Prince même, qui forcé par la n
ceflîté établit parmi nous cette fori
Suite des Mœurs & U/àges, 2 y i
de tribut , en avoit un tel dégoût ,
que dans les temps les plus cala-
miteux des fins de Ton régne il
predà fouvent Ton Confeil des fi-
nances de trouver les moyens de
lui faire tenir fa parole en le fup-
p rimant , fans que fes coffres alors
fi cpuifés en fonfrri(îènt trop. Ces
fortes de difcuiïîons me font défen-
dues 5 ôc par goût , & par devoir
de Sujet ; mais en fuppofant que
ia chofe parût ainfi au Prince , ôc
à ceux qui fous lui ont le droit de
l'examiner, j'ai un projet tout fim*
pie à propofer à cet égard.
Je iranfporterois la capitatioii
de rhomme fur les chevaux. Je
me vois fiffler j car me dira-ton 5
on a trouvé moyen de capiter l'or-
gueil ici-bas. Ce Gentilhomme qui
fait un procès- verbal , où il trans-
forme des buifîbns en ParoilTe pour
faire ériger fon fief en Marquifatj,
follicite & paie la permiflfîon d'avoir
cent cinquante liv. de capi cation
■pour fa feule perfonne. Ce Mar-
quis bruyant, qui promené en gliP
fant furie parquet de Verfaiiles le$
L vj
251 Emploi des Terres ^
talons rouges que fou petit - fîls
payera , qui fe met en quatre pour
devenir Duc , demande deux mille
livres de capitation. Or votre fom-
me deviendra courte d*autant , car
on ne fcauroic titrer un cheval.
Je foûtiens que la femme pour-
roit devenir égale à peu- près. Peii:-
fez - veus que ces Marquis & ces
Ducs foient abfolument dupes en
cela, & qu'ils ne fçachent pas fe
retourner de façon que la Cour
leur rende au centuple ce qu'elle
leur prend ? je vous le demande.
Je voudrois donc qu'on capitâ?t
les chevaux; ceux de labourage
très- bas , ceux de charrette forme-
roient la féconde clafïè, ceux de
bât & de tranfport la troifiéme ,
ceux de voitures publiques , mefîà-
gers 5 de voyage aduel en un mot
la quatrième 5 ceux de monture
de parade & de courfe la cinquiè-
me, ceux de trait enfin pour le
carroiïè feroient la plus haute clafTè^
Mais. , me direz - vous , vous
mettrez tant de monde à pied , que
la çapication en viendra à. ricu. J
t
Suite des Mœurs & Ufages, if? ^
répons à cela, i°. qu'il n'en ferois
rien. La vanité efl; plus forte que
Ja raifon & même que lavarjce.
Voyons-nous , lorfqu'il arrive des
chertés excefîives de fourrage ,
chofe très-commune à Paris, que
les réformes de chevaux foient en
quelque proportion avec l'augmen-
tation de leur dépenfe ? A l'égard
de leur taxe , chacun en garde-'
roic du moins au prorata de ce
qu'il paie aujourd'hui de capita-
tion.
2°. Suppofons un moment que
cela diminuât confidérablement le
nombre des chevaux , fuppofbns
encore que cette diminution fût
un mal , tandis qu'il eft déjà dé-
montré que ce feroit un bien ; fî
cela fait cet effet fur les chevaux ,
on ne peut nier qu'il ne le fafTè fur
les hommes , & tout eft dit dans
mon fyftême en avouant cela.
Je ne doute pas que pluiieurs
d'entre ceux qui me lifentne pen-
fent intérieurement qu'il vaut mieux
pour un Etat , ou du moins pour
les individus qui le compofent ^
2 54 Emploi des Terres ^
qa*il y ait moins d'hommes, mais
aifés éc confommans à leur fantai-
fîe 5 qu'un plus grand nombre né-
ceiîités à la fobriécé & à la mo-
deftie. Ce petit fêntîment honnête
eft bon au même ufage que le
fonnet du Mifantrope; mais outre
quil eft infâme & cruel, je prou-
verai bientôt qu'il eft faux & er-
ronné. On m'objedlera encore ,
que depuis que la capitation eft
établie dans le Royaume , loin que
la recette en ait baififé, elle a tou-
jours été en augmentant ? preuve
que la Population eft accrue- Que
quiconque ramené à la preuve le
contraire des faics, aille faire des.
terriers & recevoir des rcconnoi(-
fances dans la campagne ; il trou-
vera un mauvais village où il y
avoir une petite ville, un hameau
à la place d'un village, une ma-
fure déiignant un hameau, & cam*
pos ublTroja fuit* Il y a plus de
champs défrichés dans plufieurs
cantons , j'en conviens , m.ais moins
de maifons ; d'où vient cela?C'eft
qu'on grate les friches & les cô-
Suite des Mœurs & Ufages. lyç
teaux pour en tirer la fubUflance
de quelques années > & les laifTer
enfuite appauvris & pelés pour ja-
mais , au - lieu qu'ils étoient du
moins autrefois couverts de bois ;
mais le fonds du territoire efl
moins cultivé , moins fumé , &
rend infiniment moins générale-
ment parlant.
Si la recette de la capitation a
augmenté , c'eft que i°. ces fortes
de régies ie perfeàionnent en vieiL
liffant , & que tel qui fçavoit au-
trefois s*y foudraire j ne peut
échapper aujourd'hui 5 qu'on avoit
d'ailleurs certains ménagemens
alors pour accoutumer les peuples?
& fur -tout les Nobles, à la pre-
mière impofition perfonnelle in-
ventée depuis rétabliiTement des
peuples du Nord. 2.°. Qae les taxes
particulières ont crû arbitraire-
ment.
Mais je m.ets en fait que le nom-
bre des capités a de beaucoup di-
minué 3 à prendre le tout enfem-
ble. Ce n'eft pas cet impôt que
j'accufe de la diminution. En gé»
1^6 Emploi des Terrée
néral je ne fuis pas trop porté à
regarder les impôts comme des
principes de dépopulation , fi - toc
qu*on aura foin de faire retrouver
au payfan le fruit de fon travail en
fus de ce quil paie pour acheter
tranquillité ôc protedion j mais en
admettant que tians l'exécution de
mon projet il diminuât le nombre
des chevaux , c'eft un bien , Ci le
nombre d*hommes en augmente j
ëc en fuppofant que les chofes de-
meurent comme elles font , le fifc
y &^S"^ toujours rhonnêteté du
procédé avec fes femblables.
il n'efl qu'une feule Se unique
façon de juger de la ftable Se foli-
de profpérité relative d'un Etat 5
êc cette façon- là quelle eft-elle B
Eft-ce par la redoutable puifTance
de fes armées ? En ce cas les Tar-
îares font les plus heureux peuples
de Tunivers. Eft-ce par Tautoriré
du Prince Se la pompe de fa Cour ?
j'en doute , car le (iécle de Néron
eut plus que tout autre ce genre
de profpérité. Eft-ce par le nombre
aes places fortes qui défendent fe§
Suite des Mœurs & Ufages, 257
frontières? foibles appuis Ci l'inté-
rieur eft vuide , force comparable
celie des pyramides , mailes
effrayantes au dehors Se qui ne
renferm.ent que des cadavres. Eft-
ce une marine puiflante ? mais
Carrhage, que Tes propres fujers
mirent à deux doigts de fa perte,
Carthage qu*une feule bataille don-
née fous fes murs abbatit pour ja-
mais , eut ce genre d'avantage plus
que toute autre. Eft - ce enfin d'y
voir fleurir les arts ? Sans doute ,
mais il refte à fçavoir lefquels ; Se
"ans entrer à préfent dans cette
lifcudion , c'eft l'agriculture : c'efi:
lie feule qui au coup d'oeil donne
l'air de profpérité à un pays , ôc
qui dans le fait la démontre.
Par-tout où le peuple eCt heu- ©ùlacam»
reux & tranquille , la campagne Pf^ë|je ^^^^^^^
fera riante , peuplée , abondante , pecité.*
couverte de beftiaux 6c de fourra-
ges. Par- tout où vous la verrez
ainfi 5 comptez que le goût de
propriété , celui du pays , du canton
&c. eft très-vif dans le particulier j
que chaque individu s'intérelTe fans
i 5 ^ Emploi des Terres j
mèipe le fçavoir, au bien public
que le Gouvernement eft afîèrmi
que l'Etat enfin eft , proportionné
ment à Tes avantages naturels , e
pleine profpérité.
Les Anglois admirent , dit-on
no& villes & nos chemins , & pieu
rent fur nos campagnes , H iama
Anglois fçut pleurer nos défavar
tages. Je crois le premier poir
pour une douzaine de nos viile
principales. A Tégard des chemins
j'en ai dit autre part mon avi
Mon delTein n'eft pas d'examinc
& encore moins de dire fi 1(
étrangers fe gouvernent mieux qi:
nous, mais de préfenter quelqu(
objets où nous pourrions mieu
faire. Je remarque feulement e
paOant , que Paris même , cet!
ville prodigieufe où le luxe & Tii
duftrie femblent rivalifer & fe di
puter l'empire , quoiqu'en effet 1
premier gagne du terrein chaqi;
jour 5 Paris , ce gouftre de 1
France Se des François , dont 1
territoire réel s'étend à deux cen
lieues à la ronde, 6c qui fecoiic
Suite des Mœurs & Ufages, 2,59
d*une armée de colifichets jinipofe
des tributs à tous les efprits frivoles
du monde entier , Paris enfin 5 mal-
gré toute fa magnificence , ne mon-
tre nulle part ces traces d'amour
du public dont les moindres villes
des anciens étoient décorées.
Ces portiques , ces places , ces
théâtres , ces aqueducs , ces bains
publics, & autres monumens donc
les reftes après deux mille ans font
encore notre étonnement , étoient
prefqu'uniquement pour Tufage du
peuple 5 & fouvent dans des villes
médiocres. Chacun alors s'appro-
prioit les ouvrages & commodités
publiques , & les croyoit à foi
comme un honnête bourgeois de
Paris fe croit polTeffeur des reve-
nus de la ParoiGTe 3 dont il efl Mar-
guillier.
Si l'on en excepte les quais &
quelques ponts de Paris, y voit- 011
rien qui porte la même empreinte.
Il y a trois fpectacles , deux font
des jeux de paulme , le troifième
efl: un monument de Tamour pa-
ternel du Cardinal de Richelieu
2éo Emploi des Terres ^
pour une pièce de théâtre qu*il
avoit adoptée , & aucun n*a ni la
grandeur , ni les commodités &
ifTuës convenables. L'Hôtel de Ville
conviendroit à peine à une ville
du troifième ordre y Nul emplace-
ment deftiné aux fêtes publiques ;
nulle fontaine digne par Tes eaux
d'un hameau décoré : les beautés en
un mot de cette grande Ville font
toutes difperfées , fans que Tune
donne du luftre à l'autre, comme
on le remaroue à Rome , & font
toutes dues au luxe & à la vanité
des Princes & des particuliers.
Quelle différence cependant de
l'honneur qu'eût fait au Prince &
à la Nation la prodigieufedépenfe
faite à la machine de Marly , Ci
les eaux , qu'élevé cette machine,
au- lieu d'aller fe perdre dans les
vaftes déferts de Verfailles , étoient
deftinées à defcendre en fleuve dans
les rues de Paris , & y former des
fontaines telles que celle de ia
place Navonne !
5i Louis XIV. ^nt né dans une
nation moins Gothique que ne l'eft
Suite des Mœurs & Ufages. iGi
encore la nôtre fur tout ce quieft
amour du public & intérêt bien
entendu , certainement ce Prince ,
de qui tout ce qui avoit l'air grand
faifiiloit Timagination , auroit du
moins autant goûté ce fafte public
donc il nous a même laiflTé plufieurs
monumens , tels que Tes Arfenaux ,
les Invalides » les portes de Paris j
que cette magnificence privée à
laquelle il a facrifiérant detréfors,
& qu'on lui reproche à bien des
égards dès aujourd'hui.
On a voulu Taccufer d'un fen-
timent aveugle & barbare , en fup-
pofanc qu'il regardoit la France
entière comme Ton patrimoine ac-
quis & réuni par les armes de Tes
ancêtres , & que croyant à fa Cou-
ronne des droits plus étendus qu'à
toute autre , il imaginoic que tout
étoit à lui. On ne peut difculper
ce Prince , lî grand d'ailleurs ,
d'avoir eu des notions quelquefois
trop fiéres de Ton autorité , de Ton
titre 3 & du droit public. Il feroit
difficile de prouver aufîî que toute
la France n eft pas au Roi , comme
i6t Emploi des Terres j
le Roi cfl: à la France : il n'y a ,
à cet égard , qu'à s'entendre. Le
droit ôc le fait parlent alTez fans
enurnérer davantage ; mais il Ton
entend par fon idée de domination ,
qu'il croyoit exclure toute autre
propriété, on le fuppofe fou , 6c
jamais homme ne le fut moins.
Cependant quand il fe feroir cru
propriétaire de l'Etat entier , il n'en
auroit été que plus aifé de le por-
ter à décorer fa ville de Paris , à
faire jaillir des eaux dans des pla-
ces publiques plutôt que dans des
bofquets , à faire des canaux d'ar-
rofage plutôt que des perfpedives
pour fon Château.
Difcours La vanité d'ailleurs l'a emporté
d'un Barbare ^ fg pravet fans celTè dans fes mo-
numens , oc a le nommer en mar-
bre le Divin Louis , i'Pîomme îm-
mortel , ôcc. Ce fut la faute des
hommes de fon temps. Je voudrois
quelquefois que le Roi pût enten-
dre l'idiome d'un barbare. «Sire,
w lui dirois-je. Votre Majefté
3> n'a-t-elle jamais penfé que l'air
5> impératif ôc dédaigneux qu'on
Su ire des Mœurs & UJages. 16^
donne à vos ftacuës , eft ou puéri-
le ou fâcheux. Céfar , Cromwel
êc autres , nés (impies particu-
liers > Ôc qui à force de crimes
Ôc de travaux étoienc parvenus
à commander à toute leur na-
tion 5 pouvoient erre flattés de
graver en bronze cette domina-
tion qui étoit leur ouvrage ; mais
vous , Sire , qui dès 1 âge de (ix
mois receviez les hommages des
Ambaiïadeurs , qui à cinq ans
donniez des loix par droit de naiir
fance Ôc d*amour des peuplés ,
qui n'avez jamais enfin connu un
égal 5 vous avez milie vertus ,
mais n* en euîîiez vous aucune ,
tout le monde vous obéiroit éga-
lement, îl eft donc inutile de
commander en Piedeftaî. Ordon •
nez qu'on vous y place tendant
les mains à une populace em-
predée , la regardant avec des
yeux de père , ôc lui diftribuanc
vos tréfors; ôc qu'on life eninf-
cription au-dsffous : Louis élevé
pour mieux voir les befoins de
Jon peuple. Qu'un canal de com-
1^4 Emploi des T erres ^
s» munication de la Saône à la
3> Loire aie pour toute infcription
jî celle-ci ; Zci/i^ £Z i/o«/tt que fei
« f /2/i«5 i/^ fd//^ & telle ProvinCi
i> connuffent l'abondance _, & il
« l'ont connue^ Qu'un Edit mefurc
53 occafîonne une Médaille, & qu'or
M y life : Louis trouva dans foi
„ Royaume la capitation fur le.
îi hommes _, z/ délivra fes frère.
53 6* capita les chevaux.
J'imagine que le Prince regar-
deroit comme un animal rare celu
qui lui tiendroit ce langage , 6
avoueroit que malgré fa (ingulari
té , les idées de cet homme lui ei
auroient fait naître de tout autre
ment douces, que celles qu'il avoi
eues jufqu'ici.
C'eft cependant à peu- près ce qu
Je dis moins en bref dans la tota-
lité de ces réflexions -, mais rêve
lions.
Il eft donc de fait que notr
Capitale n'a prefque rien de dign
de l'admiration des étrangers, ;
plus forte raifon en peut- on dit
autant de nos villes du fécond ordre
l
Suice des Mœurs & Ufages. z6$
Se s'il eft vrai que les Anglois les
admirent , c'eft en les comparant
aux leurs , qui , à leur Capitale près ,
ne font prefque que des villages
riches & bien bâtis.
Mais ce? Villes enfin , qui onc
quelqu air de fplendeur , ôc qui
tous les jours s*aggrandi{Iènt ôc fe
décorent, aux dépens de combien
de Villes champêtres , de bourgs ,
de villages & de hameaux reçoi-
vent-elles cet accroilTement fîdif ?
Je dis hdif 5 parce qu'à la referve
de quelques-unes d*entre elles que
le commerce a enrichies , toute
cette augmentation n'eft quen
murs 6c en pierres. Paris , qui de-
puis la mort d'Henri IV. s'eft exac-
tement accru des deux tiers , n'a
cependant dans le réel de Ton dé-
nombrement qu'à peu-près le même
nombre d'habitans qu'il avoir fous
ce règne ; mais quatre familles de
gens confidérables occupoient alors
une mai Ton , qui ne fufSroit pas
aujourd'hui à un artifànt. Lemême
travail qui fuiSfoit à la confomma-
tion d'une famille de douze per-
/. Farde, M
i6^ Emploi des Terres j
Tonnes félon la façon de vivre d'a-
lors , n'en entretiendroic pas deux
félon celle de nos jours j ôc quant
à la Noble(Te,je foûtiens qu'il y en
habitoic plus qu'aujourd'hui.
Moins de Cet énorme paradoxe étonnera
Paîsfu'ify d'abord tout ledeur inftruit. On
en avoia au. fcait que toùte la NoblefTe de
irefois. France attirée à la Capitale par
l'ambition, le goût du plaifir , de
Ja facilité de réalifer fes revenus
en argent depuis que les métaux
font devenus plus communs , chaf-
fée des Provinces par l'exemple
de fes voifins , par la chute de
toute confîdération dans fon can-
ton , & par le dégoût d'obéir à cer-
tains Prépofés de l'autorité, s'eft
tranfplantée autant qu elle a pu dans
la Capitale, ôc qu'il n'efi: demeuré
dans î'éloignement que ceux qu'un
refte d'habitude ou la pauvreté y
a retenus. J'en conviens , Se cepen-
dant je perfifte dans mon opinion.
Pour juger en effet Ci j'ai tort,
qu'on ouvre les annales des temps
dont je parlois tout - à - l'heure :
quelle âffluencede Noblefle d'une
Suite des Mœurs & Ufages, 16 j
^^arc au Louvre , de l'autre à i'Hotel
e Condé ! Chaque grand Seigneur
1 outre traînoit après lui un nom-
ore toujours prêt de parens , d'amis
& de vaiTaux 5 ôc la moindre que-
relle entre gens conddérables vous
repréfenre les rues de Paris pleines
de gens qui alloient s'ofFiir chacun
de leur côté. J'avoue que dix hom-
mes qui paflTent dix fois en un jour
dans une rue , tiennent plus de
place que foixante qui n'y palTenc
qu'une, & qu'en conféquence les
temps d'aétivité multiplient en
quelque forte VeSet de la Popu-
lation j mais fi nous n'allons plus
à la fuite des Princes, nous allons
tous aux fpedacles. Qu'on dénom-
bre les trois fpedacles le jour de
lannée eu ils font le plus fuivis ,
qu'on en fepare les vers-luifans qui
furement ne paroilfoient pas dans
îes lortes de foules dont je parlois
tout-à-l'heure , que raffemblant le
refte , on leur donne à chacun un
cheval & un autre pour un page
ou palefrenier, fi le tout enfemble
Mij
lôS Emploi des Terres^
remplie les cours de THôtel de
Condé , j*ai perdu.
Le fair ell , que toute cette No-
bleiie accoutumée à la dureté des
mœurs antiques , aux armes & aux
champs , conlommoit peu , n'oc-
cupoit qu'un recoin en guife de'
chambre , & quelques écuries aux
fauxbourgs ; au -lieu qu'aujourd'hui
il n'y a pas une feule maifon de
gens de qualité établis à Paris »
qui n'en ait englouti dix , &:
quelques - unes cent de celles qui
fèrvoient autrefois de pépinière à
l'Etat. Le luxe & les néceiïîtés de
la vie 5 de la confommation , du
logement 5 chauffage &c. fe font fi
fort étendus , que ce qui fuffifoit
à dix familles autrefois n'en fçau-
roit entretenir une. A cette dépré-
dation infenfible & de nécefïïtc , il
s'en joint même une autre volontai-
re ; la nature frémit des moyens
que le luxe fuggere pour éviter
l'embarras d'une nombreufefamille.
Nous traiterons de ces détails
ailleurs. Ceci fuffic pour démontrer
par le fait & par le principe h
Suite des Mœurs & Ufages. 1 6(}
mérité de ce qui paroifToit d'abord
un paradoxe.
Paris donc s*efl étendu en pfer- , ^^^'^ *'^^
&j. 1 érendu en
jardins , glaces, parquets , pi,,re., ôcjar-
marbres, mais nullement en hom- dins & duI-
mes ; & c'edici feulement ce dont h^^^^^^s,^"
il efl: queftion. A ce fujet qu'on fe
fouvienne par parenthc(e , que ce-
lui qui fe vantoit d'avoir trouvé
Rome toute de briaue & de la
lailTer toute de marbre , la lai/Ta
par fuccefîîon aux plus odieux des
Maures, & aux plus vils des efcla-
ves. Mais quoi qu'il en foit, Paris
a fort embelli fes environs , à
commencer par fes fauxbourgs &c
fes guinguettes , où la plupart des
propriétaires de ces vaftes hôtels ,
dont ils occupent cinq fois par an
les entre-fols , embelliiTent fous le
nom de petites maifonsdes réduits
dédiés à l'indécence & au désordre.
Les maifons de campagne enfuira 9
Se les terres enfin , jufqu'à dix ,
quinze & même vingt lieues à la
ronde, fe reffentent du voifinage
de Topulence. Maïs combien ce
petit nombre de maifons , en com-
M iij
2,70 Emploi des Terres ,
paraifon de la totalité d'un grand
Etat 5 a-t-il fait tonîber en ruine
de châteaux & de maifons autre-
fois habitées par des Maîtres 5 dont
îa confommation vivifioit tout un
pays \
Sans parcourir la France j on peut
s'aiTurer de ce fait par le feul rai-
fonnement que qui eft ici, ne fçau-
roit être là. Il n'y a pas une feule
terre un peu confidérable dans le
Royaume dont le propriétaire ne
foit à Paris , & conféquemment ne
néglige fes maifons & châteaux. Le
même air de défertion & de décret
qui règne fuf les maifons princi-
pales , s'étend fur les fermes > mou-
lins. Les maifons des particuliers,
les murs , églifes. clochers dans les
villages font pareillement en ma-
zures & couverts de lierre.
Les pays ne font pas cultivés
en raifon de leur fertilité j mais
en raifon de leur liberté ^ dit un
homme de génie Se dont Térudi-
tion immenfe eft d autant plus iûre ,
qu'elle eft pref^ue toujours de bon-
ne-foi, & fans ceiTe fpéculative.
Suite des Mœurs & UJages. 271
On peut voir dans Ton Livre de
rEfpric des Loix , comment il
prouve cet axiome frappant de lui-
même; ôc quoique ce génie trop
viFpour être toujours méthodique,
s'écarte fouvent du principe dans
les conféquences , on ne fçauroic
trop recommander aux véritables
Politiques la profonde méditation
d'un Ouvrage, où toutes les idées
fur tous genres de droit fe trou-
vent raiïemblées , & dont nous ne
ferons jamais que les foibles com-
mentateurs.
Les petites Républiques , qui
divifoient les Gaules à l'infini ,
étoient libres j leurs terres etoient
en conféquence fort cultivées , d*oii
s'enfuit qu'elles étoient néceiTaire-
ment très- peuplées. Ce principe
n a pas échappé au judicieux David
Hume. » Avant Taugmenration ,
>3 dit-ii , de la puilTance Romaine g
M ou plutôt jufqu'à fon entier éta-
»j bliffèment , prefque toutes les
» nations dont parle l'ancienne
" Hiftoire , étoient partagées en
» petits territoires ou Républiques
M iy
272. Emploi des Terres ^
» peu confidérables , où prévalok
3î une grande égalité de fortunes y
9> ôc le centre du Gouvernement
M étoit toujours près de Tes fron-
>3 tières. Telle étoit la (ituation
« des chofes , non - feulement en
55 Grèce & en Italie , mais aufiî
« en Efpagne, dans les Gaules ,
» en Allemagne , ôc dans une gran-
»> de partie de TAfie* mineure. Il'
^> faut avouer qu'aucune inftituticn
» ne pouvoit être plus favorable
» à la propagation du genre hu-
33 main.
Tout ce que cet Auteur ajoute
relativement à la dém.onfl:ration de
ce principe , eft également judi-
cieux ôc conféquent. Nous avons
prouvé ci-devant que tous les cal-
culs à ce contraires quil établit
enfuite, fondés fur la multiplicité
&c la cruauté des guerres plus fré-
quentes parmi ces petits peuples
qu'entre de grands Etats , font
étrangers à la queftion , quand
nous avons démontré que la popu-
lation efl: toujours proportionnée
aux moyens de fubfiftance relative
Suite des Mœurs & Ufages, 273
à la façon de vivre & à la con-
fommarion établie félon les mœurs.
Ainfî donc , quand M. Hume efb
convenu que l'ancien monde écoic
divifé en petits Etats , qu'il a com-
pris que les terres y croient mieux
cultivées, & que Tégalité de for-'
tune y néceiïïroit Té^alité & la
médiocrité dans la confommation ,
il a jugé la qnedion qu'il débat fi
fcavamment, (i le monde ancien
étoit plus peuplé que le nôtre. Toue
ce qu'il dit des vengeances, maf-
facres , Se profcriptions fans nom-
bre de ces pays inépui fables eii
hommes ôr en forfaits y feic de
preuve à Taffirmative plutôt que
de raifons pour balancer. En efîèt,
tant de fan g répandu & tant de
calamités fou vent générales ne pu-
rent diminuer le nombre des ha-
bitans de ces contrées fédirieufes»
•Si quelque défaflre fameux dépeu-
ploit un canton, aufli - tôt une
norabreule colonie de voifins ve-
noit en partager & cultiver îes^
terres , fans que la difêtte d'hom--
mes fe fit fentir aux lieux d'où ils;
M V
r>-*
274 Emploi des Terres ^ ^
iortoient. De tous les peuples que i|
les Romains fournirent ou par for- j
ce ou par adreife, ils n*en cgor- \
gèrent aucun , (î ce n eft les Juifs
au fiége de Jerufalem , qui s*en-
tredéchiroient tandis que l'ennemi
étoit à leurs portes. La Grèce au
contraire parut plutôt alFociée à
TEmpire, que foumife. L'autorité
des Romains y Çit cefler les mafla-
cres , les (éditions , les exils , Sec.
Afliijettie d'abord, elle tomba; ef-
clave enfuite, elle neft plus.
L'hiftoire & les annales des pe-
tits peuples doivent feulement nous
faire faire une réflexion , c'eft qu'au-
tant les Monarchies trop étendues
font deftrudives pour l'humanité
par la difproportion entre les né-
ceflîtés du Gouvernement & la
force de (es relforts , par l'engour-
difïèment, la foibleflfe & les abus
moraux de toute efpece , mais fur-
tout par le mal phyfique qui pro-
vient de l'inégalité des fortunes ,
autant aufïî les petits Etats font en
proie à tous les maux que le défaut
de police , & le jeu des pafïîons
Suite des Mœurs & Ufages, tyf
l^umaines peuvent occafîonner. Un
Erat arrondi & correfpondant dans
toutes Tes parties , également civi-
lifé & connu dans toute Ton éten-
due , afTez fort pour être refpedé
de Tes voifins , avantagé en touc
genre des dons de la nature , un
Erat dont le produit eft immenfè
& rinduftrie plus confidérable en-
core i qui a comme dans la main
tous les moyens d'exportation , qui
par fa fîtuarion fe trouve étape na-
turelle de toutes les nations poli-
cées, cet Etat 5 dis-je, lié par des
loix civiles qui font d'une part le
fruit d'une longue fuite de fiècles
pafies fous l'empire d'une race de
Princes prefque tous généreux ,
débonnaires , & dont le plus mé-*
chant ne fut qu'un Roi capricieuî^
ô:intére(ré5& de l'autre TefFeidu
génie & de la douceur de fes ha-
bitans , eft fans contredit le plus
heureux de tous ceux que les an-
nales entières de l'humanité puiHene
nous faire connoître. Cet Etat elï-
la France d'aujourd'hui»^
Les maux qui affligent les pc^
Mvl
27^ Emploi des Terres ^
tits Erats , y ont été prévenus plus
q'i'aiileurs ; Tes ordonnances de
jufliice & de police font des chefs-
d'œuvre : malheureufenrientrien n'y
cO: permanent ; mais fes plus pafla-
geres Loix ont trouvé dans la flexi-
bilité de la nation une reffource
contre fa légèreté , elles ont chan-
gé & adouci les mœurs. Pour une
nation dure & opiniâtre , il faut
des Loix qui lui reflemblent. Dieu
Ta dit à Ton peuple , & la raifon
nous Iç fait fentir 5 mais chez un
peuple flexible , docile , plein d'ame
&: de volonté, à la referve de cer-
taines Loix & conflitutions fonda-
mentales 5 les autres doivent flé-
chir & varier en proportion avec
les mœurs. Cela arrive même fans
effort & fansraifonnement , quand
cette nation efl: affez heureufepour
avoir fes compatriotes pour Maîtres
& pour Minifl;res; c'eft où nous en^^^
fommes.
Parfaitement donc à Tabri des
convulfions qui attaquent les petits
pays , nous avons tout à caindre
des abus qui affiiiflent les grands
Suite des Mœurs & Ufages. 2.77
Etars. Eh 1 pourquoi un bon citoyen ,
un H de le fujec du plus doux des
Princes ( car je défie perfonne d'être
plus cela à découvert que je le fuis
en fecret , moi , qui me cache )
pourquoi , dis-)e , déguiferoic-il
que nous pouvons craindre l'en-
gourdi (Temenc , puifqu'il efl: une
fuite de la profpérité ? Qiiels maux
font le plus à craindre dans une
grande Monarchie J i °. La difpro-
portion entre les néceiîîrés du gou- ç^f^^ ^^^"^^
vernemenc & fes refîbrts. 2°. L'iné- à craindre
galité des fortunes. Ces deux - là ^^" ,"^^,
' -rr 1 /^ n g" '•'de Mo-
reunilientrous les autres. Quelles narcMe,
font les néceflités du Gouverne-
ment ? C'eft fans doute Texade or-
ganifation dans tautes les parties^
d'un Etat , ^ la diftribution éclai-
rée de la Police , Juilice & Fi-
nance.
Suppofe que par la méthode ac-
tuelle tout foit établi de façon que-
les provinces ne fouffrent ni de
l'éloignement ni de la proximité ;
que chacune ait, pour l'exportation
& Timportation, les facilités rela-
tives à fa poQcion , à fou produis
2.jB Emploi des Terres ^
de à Tes befoins ; que la judice y
foie en tons les cas rendue fur les
lieux 5 fans que la jurifdidion des
Compagnies à ce deftinées Coït
jamais enfreinte ; que la police y
foie tellement obfervée , que la fa-
veur y foit même inutile , ôc que
la plainte de l'opprimé trouve un
vengeur Se un Juge fur les lieux :
fi la diftribution Ôc répartition des
charges & impôts eft foumifeàdes
régies fi invariables que chacun
voye fon tarif, ôc que les mur-
mures à cet égard ne puilïènt être
motivés ôc appuyés par la marche
inégale ôc arbitraire d*une percep-
tion qui tient à un cahos d'inter-
prétations ôc de décidons ; fi fiir-
tout on efl attentif à faire retrou-
ver par tout à Fhabitanc des cam^
pagnes le fruit de fes travaux par
le prix de fes denrées , pour le
mettre en état de fournir de nou-
veau aux befoins de l'Etat : En ce
cas , tout eft au point de perfec-
tion, ôc il n'y a plus qu'à penfer
à ne pas dégénérer»
Suive des Mœurs & Ufages. 179
Cette décadence eft choie pofîî-
ble. Ne nous laiffons point à cet
cgard endormir par la profpérité.
Nous pouvons dégénérer , Se voici
comment.
La profpérité jette dans Texcès;
celle de la fortune dans Torgueii,
celle des richeiïès dans le luxe ,
celle de Pefprit devient rafinement :
la profpérité d'un Etat y établit les
arts, les connoiiTances, & tout ce
qui aiguife les reflbrts de l'efprit
qui ne fe mêle d'abord que des
chofes de fon diftriéè, & lai (Te au
tron efprit , qui eft route autre chofe^
les matières qui refiTortiflfent à Tu-
tilité publique , la Politique , les
Loix 5 le Commerce , &c. Mais
bientôt devenu bizarre & dédai-
gneux à force de fe méconnoître
éc de chercher la nouveauté , il s'in-
gère à décider de tout, & intro-
duit par tout le rafinement. Or en
fait de Gouvernement le raHnemenc
peut caufer autant de maux que le
délire.
Si, par exemple, ce défaut ga-
gnoit un jour le nôtre, il encbé-
2.Î0 Emploi des Terres,
riroit fur les moyens qui ont établi
Tadmirable organifation que nous
venons d'y reconnoîcre. Certaines
évocations , par lefquelles on borna
jadis le pouvoir des Compagnies ,
deviendroient (i communes , que
toute affaire litigieufe reviendroit
ou par la forme ou par le fond à
la Capitale , où parmi un million
d*ames 8c dix millions d'affaires
le bon droit a néceflairemenc bien
de la peine à trouver feulemenc
réciquetce des rues. Peu-à-peu , à
force d'attirer les afîaires à foi , le
Gouvernement , au-lieu de la fu-
prématie qui feuîe lui convient ,
auroit rinteiidance Se le diftridt des
détails qui l'abforberoient , ôc ré-
duiroient fes Chefs à être de fîm-
p'es Commis aux fignatures , tan-
dis que les intriguans , dans leur
air natal fi-tot qu ils nagent en eau
trouble , aiïîégeans les Commis Se
leurs fous-ordres , faciliteroîent le
cours des chofes vers l'anarchie Se
le renverfemenr. D'autre part , les
prépofés ambulans de la Cour, au-
trefois furveillaas dans les provln-
s une des Mœurs & Ufages. \Zî
ces 5 y deviendroient les maures
abfolus. Le Gouvernement obligé
de décider de tout , & en garde
contre les repréfentations devenues
trop communes chez un peuple où
chacun a ion; poids & fa baî'ancej,
s'habitueroit à les confulter & à
les croire, leur artribueroittout en
tout genre , les rendroir arbitres
fouverains des Charges publiques,
des travaux du peuple , de leur li-
berté, fans fongerque ces hommes
paiïàgers , furchargés comme les
Minières & entourés de même , ne
peuvent tout voir. Au milieu de
cette efpece de révolution fourde ,
les provinces fe verroienc dépeu-
plées de leurs notables , de tous
intriguans , gens d'affaires , & de
ce qu*on appelle gens d'efprit , de
tous ceux enfin quiauroient quel-
que moyen foncier ou précaire de
rubfîrLer à la Capitale , qui tous
viendroient tâcher d*y prendre part
aux afFaires 3 aux intrigues & à la
faveur.
De ce dérangement de circula»
tion proviendtoit iiéceiTairement un
2 § 1 Emploi des Terrts j
érac de furfocatioii & d'engorge-
mrnt dans 'a têre, de langueur dans
les membres, qui opéreroient Ten-
gourdilTenient 5 la foibîeflTe, & les
abus moraux que nous avons cités
ci-deHTus. Le Gouvernement op-
pre(ré ôc fâcigué de la foule & de
la multiplicité d'affaires prendroii
pour effet de l'abondance ce qui
eu feroit un de la difette & du
déplacement, à peu-près comme
un médecin ignare croit que Ton
malade a trop de fang , parce que
le fang lui porte à la tête. La
Juftice Se la Police verroient éclo-
re arrêts fur arrêcs , tous de com-
mande Se la plupart contradictoi-
res ; la Finance édits fur édits , ex-
plications , interprétations , ad-
jonclions ; le commerce gêné par
des régîemens fans nombre , qui
tons Dour fermer la voie à un abus ,
i'oavriroient a vingt autres , ne
fçauroit jamais quel efl: le Code
du Jour ; les manufactures foumi-
fes k des infpeCteurs forts de théo-
rie , foibîes de pratique , verroient
prohiber leurs anciens ufages , fans
Suite des Mœurs & Ufages, 185
obtenir des fecours pour ea établir
de nouveaux j tout tombant en lan-
gueur 5 les crifes de détail deve-
nant plus fréquentes, les hommes
même de génie à la tête des af-
faires en feroient réduits aux re-
giilres de l'imagination pour trou-
ver des palliatifs.
Les palliatifs font fans contre- PaiiiaM'fs,
dit ia pire des recettes pour le ré- pire des ré-
gime d*un Etat j mais ceft la feule '^^'g/,^"/
qui refte, quand à Toublides prin- Etac
cipes fondamentaux fe réunit l'ac-
cablement du travail journalier qui
diftrait des réflexions profondes ,
joint à FimpoUibilité de reconnoître
le caradere moral d'une nation »
boulToîe des premiers Légiflateurs ,
mais perdue pour les Chefs d'un
peuple qui n'a plus de caractère.
De-là vienjroient les prohibitions
de dérail , la clef des greniers mife
aux mains de l'autorité, dans Tef^
poir de conferver une denrée pré-
cieufe, & confiée en effet à celles
du monopole, malgré ceux mêmes
qui en ont la difpofition primi-
tive î les furcharges établies dans des
2^4 Emploi des Terres ,
lieux déjà ruinés par le défaut de
vivification , & qui ne font fur-
charges, que parce qu'elles partent
d'après un plan fait fur des pro-
portions qui n*ont lieu qu'aux can-
tons 5 où tout Tor d'une part &
toute la confommation de l'autre
fe ralTemblant à ia fois, le tarif des
valeurs augmente chaque jour , tan-
dis qu'il déchoit ailleurs. De-là vien-
nent enfin tous les maux réfultans
de l'ignorance forcée & de ra6t:ion
néceffaire , qu'il feroit inutile de
détailler plus au long.
Ce cercle d'inconvéniens idéaux
& fidifs aujourd'hui peut aifémenc
devenir réel pour nos neveux : mais
fi ces objets nous touchent peu,
comme trop éloignés , il n'en doit
pas erre de même de ceux qui ont
pour principe l'inégalité des for-
tunes 5 car il faudroit être aveugle
pour ne pas voir que nous y tou-
chons. Les maux qui enrefultent,
ont été mis en fait de tous temps
par tous les hommes d'Etat , par
tous les citoyens , & fentis même
dans un autre genre par les tyrans.
Suite des Mœurs & Ufages, 285
iVîais il eft nécefïàire de les remettre
en queftion à certains égards , &
d'en efquifler quelques détails.
Je Tai dit ailleurs , les grofïes
fortunes font dans un Etat ce que
font les gros brochets dans un étang.
« Un homme dont la fortune eft
w augmentée , dit le judicieux Da-
>3 vîd Hume que je ne puis m*em-
» pêcher de tranfcrire encore ici,
»> ne pouvant confommer plus qu'un
" autre , efl forcé de la partager
« avec ceux qui dépendent de lui
» pu qui le fervent. Cependant la
»j poQeflîon de ceux-ci étant pré-
>5 Caire , ils n'ont pas le même en-
» couragement pour le mariage ,
a que fi chacun avoit une petite
« fortune fûre & indépendante.
« D'ailleurs des Villes trop grandes
« font deftru6i:ives pour la fociété ,
33 engendrent des vices àc des dé-
3j fordres de toute efpece , afïament
5> les provinces 5 &s'afîament elles-
»5 mêmes par la cherté du prix ou
w elles font monter les denrées.
Il dit encore quelques lignes au-
deflTous : 3? Ce font les obflacles qui
xS6 Emploi des Terres ^
» naiiïènt de la pauvreté & de la
» nécefficé , qui empêchent les
3> hommes de doubler en nom-
j» bre à chaque génération.
Il faut être arrivé par les calculs
à ce principe , pour fçavoir s*y te-
nir. Avant de paOTer aux autres dé-
tails concernant les inconvéniens
des fortunes exorbitantes, je veux
placer ici une réflexion relative à
la population des Villes , pulfque
ce qu'en dît M. Hume m'y con-
duit tout naturellement.
J'ai déjà dit qu'il n'étoit point
dans mes principes de profcrireles
grandes Villes , au contraire. Je
défirerois feulement qu'uniquement
attentif a peupler les campagnes ,
on s'en repofât pour la population
des Villes fur le penchant naturel
qu'ont les hommes de fe rappro-
cher des commodités de la vie ,
des piaifîrs , & de la fortune ; mais
que tout ce qui a trait à la camA
pagne, & fur-tout les grands pro-
priétaires des terres , fuflent encou-
ragés & excités par tous moyens
Suite des Mœurs & Ufages, i8j
oux ôc agréables à y faire leur
rincipale réfidence. ,
Je dis plus à l'égard des vices
'•c défordi es de toute efpece qu'en-
;endrent les grandes Villes , ou du
iioins qu'elles facilitent. C'efi: que
2 douce que ceux qui leur en ac-
ribuent l'invention , aient confî-
leré. la chofe dans toutes Tes pro-
jortions. Or je mets en principe,
[ui 5 je crois , ne me fera pas con-
efté , que fi la Population efl: la
brce d*un Erac , la Police en eft
e régime. Plus un Etat eft peuplé ,
)lus il eft aifé d'y établir une bonne
?olice. Ce ne font pas les hommes
qui fe communiquent les vices ,
:e font les hommes oihfs qui les
nventent Ôc les multiplient. Mais
félon mon plan , ils feront dans
peu ferrés de fi près , qu'obligés de
s*évertuer pour vivre , ils auront
moins le temps & Thabicude de
fonger au mal Qui doute qu'il n'y
ait plus de fureté dans Paris que
dans une forêt ? Je fçais , encore
un coup, qu'il eft des défordres que
les grandes Villes occafionnent en
2. s '8 Emploi des Terres^
les facilitant ; auffi ii*eft-ce pas pro
prement pour elles que }e parle. J
foûtiens cependant qu'il fe comme
plus de crimes dans vingt Ville
prifes enfemble de dix mille ame
chacune , que dans Paris qui en con
rient quatre fois autant.
Je le répète, de crainte de pa
roitre perdre de vue mon objc
primitif, c'eft la campagne que]
veux peupler. L'aridité du fol , 1
rigueur du climat (obftacîes qui
comme je Tai dit , fe trouver
moins chez nous que par-tout ail
leurs ) cèdent au bon Gouverne
ment. Malthe n'ell: qu'un roche
qui ne (cauroit nourrir la vingtiém
partie de fes habitans. Attirés pa
i'appas d'un Gouvernement dou;
6c permanent, ils vont , pour cou
vrir leur roc , chercher de la tern
en Sicile , la plus heureufe con
trée de l'Europe par nature , & ce
pendant la plus déferre.
La Police, je l'ai dit, eftunde
principaux points de proteâ:ion
èc cet article demanderoit peut
être autant de vigilance, que jamais
Le
Suite des Mœurs & UJâ^es, 2.S9
.e fiècle des oppreileurs parricu"-
ers eft palTé j mais celui de la
Fraude , du vol ôc du tour de bâton
30urroic prendre la place.
Je ne crois donc pas que les
grandes Villes foient auffi deftruc-
ives pour rhumanité que M. Hume
Daroïc vouloir Férablir , pourvu
léanmoins qu'elles ne foient que
'égoûc du fuperflu des campagnes ,
Se s'il fe peut mêm« , qu'elles fe
epeuplenc aux dépens de l'étran-
ger. Ce n^efl: pas que je ne penfe,
:omme lui , que les grandes Villes
ont un gouffre énorme pour la po-
Dulation , ôc c'eft-là le principe de
:e flux perpétuel d'étrangers vers
la Capitale des nations dominan-
:es , dont ce fçavanc Angloisaraf-
fembîé les traces dans Ton Traité
de la Population. Mais fans m'en-
^ager dans une difTèrtation Ôc des
itations à CQt égard où je ne pour-
rois être que Ton copifle , exami-
nons feulement Paris dans ce fens-ià.
La légèreté de la Nation fait PopuîarloA
ue les poiïefTeurs précaires, dont ^^«'^s'^isvb.i:
jparle M. Hume dans rendroic de ^"^*^*
/. Panle, l<i
!
%^o Emploi des Terres ,
fon ouvrage que j'ai cranfcrit , n'ont
pas ici la prudence qu'il fuppofe
^vec raifon en général à ces (ortei
de gens. Tout le monde s*y marie
domeftiques , gens à gages , ou-
vriers 5 viagers , gens qui n'ont que
des emplois ou des bienfaits du Roi
jour fe met en ménage. C^ue de-
vient leur génération ? Je Tignore
niais frappez à toutes les porte;
depuis le plus bas peuple juiqu ai
plus grand, vous entendrez parle
toutes les langues , Efpagnol , An
glois, HoUandois, Allemand, Ira
lien &c. tous les idiomes , Breton
Normand , Picard , Champenois
Provençal , èc fur- tout Gafcon ; ô
je mets en fait que fur trente per
fonnes vous n en trouverez qu*ui
qui foit né à Paris. Que font-il
donc devenus? Se font- ils répan
dus dans les Provinces ? J'en doute
Rarement de l'embouchure d'ui
£euve un filet d'eau remonte- t-i
^ers fa fource ; mais pour m'et
inftruire par le fait , j'y vais : j'^
vois quelques étrangers , tous Gaf
mm pu Savoyards 5 mais de Paru
Suit€ des Mœurs & Ufages. i^ x
icns, s'il en eft deux dans chaque
'rovince , c'ed tout j quoique d^ail-
:urs ce nom feul y porte vertu ,
c que , quelque mal-adroit que
uifle ctre un perruquier ou un
aiileur expatrié fous le titre de
'ari(îen , il ait toute la vogue du
ancon. Mais en efîec il ne s*eii
:ouve 5 du moins en nombre, ni
ans les armées , ni à la mer , ni
cablis ailleurs artifans , négocians,
c moins encore fermiers ou la-*
fourcurs.
La molleffe, la Tottircj^ len-
ance perpétuelle des hommes nés
u milieu de Tai Tance de de l'oifi-
eté des Villes , forment une mau-
aife école pour réuffir aux diffé-
ents travaux auxquels nacre lub-
iftanc-e eft attachée.
En un mot, il eft de fait que
a géniration des grandes Villes eft
:omme en pure perte pour l'hu-
nanité, & que tout cela s'éteint i
ans qu'on putftë fçavoir ce quil
ilevient. Mais il ne s'enfuit pas dé-
jà qu'elles foient deftruéllves pour
'humanité en général. Qii'cn fe
Ni)
1^2. Emploi des Terres y
rappelle ce que j*ai die des caufe:
physiques de la Population , routeî
relarives aux moyens de fubfifian
ce. Il ed certain que les Villes Ton
le féjour de Tindurtrie qui , aprè
Tagrieulture , eft le fécond de ce
moyens , en tant fur- tout que cetr
induftrie fert à attirer le fuc ali
mentaire de Tétranger , Se que le
grandes Villes font, autant qu'iH
peut , approvifionnées du produi
de fon territoire.
Cet article doit être traité a
long dans la féconde Partie ; mai
il faut fe rappeller fréquemmer
le principe, que dans quelque lie
que Ton place la pépinière de PEtat
elle fera toujours alTez abondant
pour porter la Population au pli
haut degré pofîîble , relativemer
aux moyens de fubfiftance qui i
trouveront folidement fondés dar
l'Etat , Se au genre de confomm
tion qui fera établi par Tufage. S*
étoit à notre choix de marque
cette pépinière aux lieux de cor
venance , fans contredit elle vau
dcoit mieux à 1^ campagne > o
Suite des Mœurs & Vfages. 293
iCS hommes nailTenc plus fains , font
élevés plus durement , (Se où moins
îtayés par le voifînage des préju-
gés & des notions factices de îa
bciéré , ils font de bonne heure
îccoûtumés à faire reCTort fur eux-
Tiêmes ; ce qui leur rend l'adiviré
dIus naturelle , la tête plus force ,
Se le jugement plus fain j mais la
nature en a décidé de la forte fans
lous confulcer , & la campagne
eft 3 & toujours /ira Tunique fource
de la Population.
Après cetre digreHion devenue t„„
)Ius longue que je ne peniois,ve- niensdei'mé-
nons aux inconvéniens de Tinéga- i^^'^édesfor-
Jicé de fortune. Il faut de deux
chofes Tune , ou qu'une grande for-
tune foit en fonds de terre , ou en
argent comptant. J'ai fait ailleurs
le tableau de îa force de dépréda-
tion qui provient de la réunion de
plufieurs grands domaines dans la
même main , & j'en étendrois le
payfage à l'infini, ians crainte de
me répéter ; mais je crois en avoir
dit atfez , & qui ne m'aura pas
compris alors, ne m'entendroit pas - .
N iij
2 5? 4 Emploi des Terres ^
mieux à préfenr. Si au contfaîff
cette fortune efl en argent comp-
tant 3 elle n efl rien , & d'elle même
elle ne rapporte rien. Mais cette
façon d'avoir un tréfor endormi à
côté de foi , qu'on dit être celle
de quelques Efpagnols , n*e{l point
du tout la nôtre , ^i Dieu nous en
préfet ve 5 ce feroic alors que Ten-
sourdilTement feroic devenu léthar-
gie. Ne croyons pas pourtant que
ce foie chofe impoflible : Tufage de
mettre fon bien à fonds perdu de-
venu (i fort à la mode en France
fift un pas, félon moi, fort con(î-
dérable vers cette autre forte d'in-
curie qui nous paroît fi brutale
aujourd'hui. A quoi tient-il que dans
un ordre de fociété , où la vanité
& la parefife ont tellement étoufïe
]a nature 5 qu*il y eft d'ufage qu'on
fe départe de fon fonds en faveur
de la cupidité d'autrui au moyen
d'une rente plus ou moins forte ,
& que l'on y recherche les moyens
de facrifier cette douce illufion de
propriété à cette autre infatiable
chimère appeliée aifance > à quoi
Suite des Mcéurs & Ufages. ic^j
tient-il , dis-je , que la mode n'y
vienne de fe coucher auprès de fou
coftre fort, & de tirer de-Ià? feu»
îenaent à une petite diminution de
confiance. Les facilités de l'or .^,
dont la quantité va toujours en aug-
mentant en. Europe 5 augmente-
ront aufli les diffipations & le mau*
vais ménage de ceux dont la for-
tune ed aifez fondée pour être un
objet de fureté aux prêteurs en via^
ger.
Qui pourroir d'une part mettre CoXonntâ^i
fous les yeux du public la colon- empiiiurs,co
ne des emprunts en France , & de ren-afou.Te^
l'autre celle des rembourfemens , mens tour
verroit tous d'un côté & riea de '{'""'^^^érieâ
1 autre. Cette allégation ne man-
quera pas de contradiéleurs effrayés j
les avares m'abjederont que tous
les jours on les menace de rem-
bourfement fî-tôt qu'ils ont faiê
un placement fur , je le fçais j mais
quand ils l'ont reçu ce rembourfe-
ment, font-ils long- temps à repla»
cer leur argent ? Les pieds leur gril-
lent de le fçavoir mort , & ils (û
hâtent de le prêter de nouveau ?
Niv
1^6 Emploi des Terres j
loic à un intérêt plus bas , foit avec
moins de (ûreté. Somme totale ,
on emprunte de par - tout Ôc fans
ceilè y cependant à mefure que les
emprunts groffilTent, les efîèts qui
leur fervent d'hypothéqué dimi-
nuent en proportion. Cette propor-
tion calculée fans un grand effort
d'Algèbre peut fixer à un petit
nombre d'années, relativement du
moins à la durée naturelle du corps
politique, Tépoque du revirement
en ce genre , qui réalife l'axiome
de Pantagruel dans fon Chapitre
des prêteurs Se des emprunteurs.
Alais , fans être Caftàndre à cec
égard , & fans préfager une révo-
lution auffi violente qu'immanqua-
ble 5 du train dont nous allons , la
moindre petite fècoulTe relative à
ce grand ébranlement peut très-
bien opérer la léthargie en quef-
tion. Puifque tout me manque ,
diront nos habiles neveux qui au-
ront fûrement cent fois plus d'eA
prit que nous , mon cofïre-Forc ne
me manquera pas , je tirerai de-là ,
vivrai indépendant ( car Tindépen-
Suite des Mœurs Z Ufages, 197
dance fut toujours une des idoles
de la parefle , & même de la gueu-
ferie fa foeur ) &: aprhs moi le
déluge.
Ce doux & fociaUe proverbe
cft déjà le plus commun de tous
parmi nous ; & moi qui fuis ani-
mal réfléchiirant , f imagine que ceE
axiome nous mènera à la confu-
fîon des langues , comme autrefois
le contraire y mena ceux de ce
temps-là. Pourquoi non B les ex-
trêmes fe touchent. En effet , (î la
campagne fe dépeuple , fi les arts
méchaniques dégénèrent en clin-
quant & bagatelles , les arcs libé-
raux en grimaces ; fi les Loix s'ou-
blient , il les Hiérarchies fe per-
dent, fi tout ennn s'ufe & s'afîbiblit ,
après moi le déluge ; tout cela du-
rera afièz pour moi. Si nos pères
avoient penfé de la forte , il nous
auroient rendus plus dignes d'être
Phiîofophes que nous ne le fom-
mes 5 plus approchans du fort de
Bias. Je ne dis pas que ceux qui
établiflent ces beaux principes ,
falTent par leur apathie grand torr
N V
itjM Emploi des Terras j
à la fociécé aduellemenr. Quand
au -lieu de barbouiller ces pages
critiques, je promenerois en ce
înoment un cabriolet fur le bou-
levard , TEtat n'en iroic ni plus ni
moins. On le croit. Se je crois le
contraire. Les opinions des gens
oifîfs dénotent le fond des mœurs
du citoyen , lî elles ne Pérablifîento
Petit-à-petit tout un peuple échap-
pe de la forte aux anciens principes
de fon gouvernement ; & comme
la Police , qui en fait une des
principales portions , doit décliner
félon les mœurs , cette portiorf
entraîne les autres. Prenons y gar-
de : perfonne ne gouverne , qui ne
foie auffi gouverné.
Le génie ôc Tadtivité de la Na-
tion, me dira-t-on j nous garan-
îiront toujours de cet alT^upiiTè-
ment léthargique , donr vous par-
lez. J*en doute encore. Les Efpa-
gnols n'étaient Ôc ne fonr point du
tout faits pour cela. Ce pays (l
difficile à fubjuguer , Ôc qui , pouf
dire mieux, ne le fut jamais bien^
contenoic cinquaate.deux niillions
Suite des Mœurs & Ufages. t^^
d'habitans du temps de Cefar i
Population imnienfe & qui prouve
que lagriculcure y écoic portée au
degré de perfecflion. Malgré Tes
guerres , les révolutions , èc les au-
tres maux internes dont quelques-
uns la ravagent encore, on ne
îrouve dans Tes mœurs aucune trace
de cette folle pareffe qui Tanéantig
aujourd'hui, jufqu^aux temps où
les fources de Toi fe répandirem^
dans Ton lein.
L'or eft toujours dévaflateur par
des raifons phyiiquss que nous-
étendrons ailleurs , mais il i'eft
encore par des raifons morales qui
ont plus ou moins de force feloiî
le génie & le naturel de chaque
peuple , comme auiTi ièlon le plus
ou le moins d'étendue d'un Etar>
L'Efpagnol naturellement fou de
fens froid , glorieux &c fuperbg
n'érolt point propre à faire de Voé
le feu-l ufage qui le puiiîe rendre
paflTagerement utile j, il le perdit: ,
& le perdÏE lui-niêaie en projets^
idéaux & vains. Rentré nul dass
fon efpece de continent 5 le typ^
K v>
500 Emploi des Terres ^
Romw^nerque de fa fuprématie ima-
ginaire lui demeure encore , il
s'endort à Tombre de Ton prétendu
trophée, & jouit d'un empire im-
menfe, puifqu*il n'a de bornes que
celles de fon ignorance.
Examinons ftns prévention no-
tre propre caraâiere , & voyons s*il
n'efî pas par certains endroits Ç\iÇ-
ceptible de dégénérer à ce point-
là. Du côté de la valeur , de la
nobleiïe & de la générofité, les
Efpagnols ne nous cèdent afluré-
jnent en rien ; mais nous fommes
vains , légers, peu propres aux
opérations qui demandent de la
fuite & de la patience , confians
dans le préfent , peu prévoyans de
Tavenir. Nos vices à la vérité plus
mélangés & moins uniformes que
ceux des Efpagnols , font moins
dangereux & même quelquefois
utiles 5 mais il n'en eft pas moins
vrai que notre génie n'admet guères
plus que le leur, les qualités pro-
pres à tirer de l'or les avantages
dont il eft fufceptible , & que nous
fommes peut-être plus capables
Suite des Mœurs & Ufages. ^or
d'en abufer. Prenons par le détail ,
& Tnne après Tautre , ces deux pro-
portions.
Nous fommes à !a vérité adifs
& induftrieux, & les Efpagnols ne
le font point du tout ^ à moins que
ce ne Toit en grand. Ils dédaignent
le diftrid de la bagatelle qui eft
un Pérou pour nous *, mais il faut
confidérer à cet égard que notre
genre d'induflrie n'a pas befoin de
l'abondance de Tor pour fe faire
valoir, piiifqu'elle en eft elle-mê-
me la fource.
Quel ufage peut-on faire de ces
métaux précieux pour l'utilité d'un
pays où ils regorgent ? Je n*en
connois d'autre que ces grands éta-
blifTemens de commerce étranger,
qui makiplient à l'infini au dehors
les forces intérieures & naturelles
d'une nation , & qui y font des
colo(îes de fortune bien & loyale-
ment acquife au-dedans. Or re-
marquons qu'en ce genre nous en-
treprenons beaucoup , & faifons
peu. Comparons les fortunes de
nos plus gros né^ocians , leurs
50i Emploi des Terres j
écablifîemens au-dehors , leurs cor-
refpondances , leur crédit , leurs
entreprjfes avec les chofes toutes
fernblables qu'on voit chez les au-
tres nations commerçantes , 3c nous
ferons étonnés de la difparité. Mais
notre étonnement doublera encore,
fi nous voulons faire entrer dans
cette comparai fon celle des pro-
portions entre ces Etats ôc le nôtre.
Nous fommes induftrieux ; mais
nous ne fommes ni conftans ni
tenaces , 6c ces deux dernières qua-
lités font aufll nécefTaires pour les
grands établiUèmens de commerce >
que la première l'eft pour la vivi-
Écation intérieure, partie pour la-
quelle nous avons des reflaurces-
fupérieures.
Je dis plus 5 nous perdrions peue-
être à gagner de ce côté - là. Les
Eiccès d'un certain ordre pour les-
quels nous n'avons jamais eu d'é-
gaux , nous échapperoienr, & nous
atteindrions difSciiement aux au-
tres. Je. m'explique. Une natioit
militaire j noble , gaie , qui nata-
îêUeîïiem ne fcak que .fervis ôc
Suite des Mœurs & Vf âge ?. 3 o j
Ignore la iervitude , perdra Tame
de tous Tes reflbrts , (1 jamais Tef-
pric de calcul & rambicion du gain
y dominear. Or d'anciennes chi-
mères, une vieille conftitution qui
Fa menée fi loin & fi glorieufe-
menc , doit être préeieufe aux yeux
d*un Gouvernement fage & éclairé.
D'ailleurs Fefpric dominant du Liberté coni
al i-î / r\ /îtledans Tau-
. _ la liberté. \jï\ ne tontédcsioi»
vit jamais fleurir Tun à un certain &^ansia fa-
pouit lans 1 autre. Chacun entend ^'^^..n^mpnr.
a la guiie ce grand mot de liberté,
furcepcîble d'autant de définitions
qu'il y a de têtes. Ce n'efi: pas que
je prétende dire que ce Toit un
être de raifbn, à Dieu ne pkife 5
mais s'il efi: de fait que la vraie
liberté confifte dans l'autorité des
Loix , dans la fagefîè du Gouver-
nement &c dans le bonheur des
peuples , il eft certain audi que la
liberté eft au génie des peuples ,.
ce queft îe régime aur tempéra-
mens; ce qui fait la fanté de Fun ^
feroit le poifon de Fautre. Oh !■
penfons-nous être fufceptibles da
3 ©4 Emploi des Terres j
genre de gouvernement qui conf-
tate la liberté des puiflances com-
merçantes ? je n'en crois rien. Je
dis plus, je prouverois le contraire
par des raifons tirées deTintrinfé-
que de nos mœurs , de notre conf-
titution , Ôc des exemples de notre
Hiftoire , s*il étoit ici queftion de
cela. Qui me prendroit en ceci
pour un vil flatteur de l'autorité ,
ne fe feroit pas donné la peine de
me lire.
Il refulte de ce que defifus par
le raifonnement , que nous per-
drions peut - être à être de gros
commerçans , &c par le fait , que
nous ne le fommes ni ne le pou-
vons être. Cette façon d'être eft
cependant la feule qui pui{ïè corn-
penfer les maux infinis que la trop
grande abondance de Tor peut faire
dans un Etat. Ce n'eft pas encore
ici le lieu de les analyfer en dé-
tail *, Je n'en dirai qu'un mot rela-
tivement à la féconde proportion
que j'ai établie ci-delTus , à fçavoir ,
que nous fommes peut-être plus
Suite des Mœurs & Ufages, ^of
capables que les Efpagnols d'abufer
de Tabondance de l*or.
L'Efpagnol enrichi d'abord efl
devenu parefïeux par vanité s nous
le deviendrons par mollefle &c par
découragement abfolu. De ces
deux façons de cefîer d'être ? la
première conferve toujours quel-
ques refïburces ; mais la mollefïè
n'en a point. On tourne des têtes
vaines d'un côté utile , ôc le mou-
vement reprend. On réveille les
héros enchantés d'Amadis ; mais
on tonneroic vainement fur àes
catacombes pour rendre à ces oiîe-
mens le mouvement Se la vie.
L'opprefîîon fut Efpagnole , le
péculat efi: François j on acheté les
Charges enEfpagne, mais lafub-
vention efl mife dans les patentes
pour fervices rendus de tant
En France tout fe donne; mais en
fuppofant le temps de la domina-
tion de l'or, le Chef, le Miniftre
vendu dans fon redoutable cabi-
net 5 feroit tout étonné d'avoir fait
mille grâces Se de n'avoir pas une
créature, pas un ami de fa perfonné:.
^ô6 Emploi des Terres ^
mais Teulement de fa place , parce
qu'il ne voudroit pas le perfuader
qu'il feroit mis à Fenchere par (e^
encours , 3c qu'on vendroit Tes au-
diences, fon repas, fon fommeil >
fes diftradions , ôcc. En %'ain ii
feroic alors maifon neuve & nou-
veau cabinet à tous égards , les.
mouches qui ruccédei\oient , plus
avides que les premières , l'affié-
geroient plus étroitement encore.
Pût- il réuiîîr à faire venir de Congo/
des Commis 5c fous-Commis muets
& fourds , endurcis enfin à toute
contagion de i*or ; ( on en volt , Se
qui ne viennent pas de fî loin )
l'intrigue ôc la corruption alors
defcendront d*un cran , les valets
vendront les fous- ordres , les fous-^
ordres le premier , ôc celui-ci lé
Chef 5 tous fans le fçavoir. S'il fe
pouvoir qu*un homme fat aflez
rigide, afïez fîngulier, alTez vigi-
lant s affez heureux enfin pour éta-
blir au milieu d'un peuple livré au
pouvoir de l'or une famille entière
de gens incorruptibles , ce feroit
eux qu'il faudroit flétrir , puifque
Suite des Mœurs & Ufages. ^ of
Thomme vraiment dangereux dans
îa fociété eft celui qui y intercepte
Fordre reçu.
Cen eft afîez pour un prélude ,
& pour faire naître quelques idées
fur une matière que je traiterai
plus à fond quand nous y ferons^
C*en eft aftez , dis-je , pour faire
foupçonner aux gens réÔéchi(ïànrs
que je n*ai pas avancé un paradoxe
en difant que l'abondance de Tor
peut faire à la France d'auiïï grands
maux qu'elle en a faits à TEfpa-
gne 5 &; des maux plus irréparaoks
encore.
Dans rétat actuel parmi nous ,
il n*y a point encore de fortune
endormie , comme celle dont nous
avons parlé ci-defTus. On pourrois
néanmoins en excepter les fommes
immenfes employées en mobilier
de pure fantaifie, qui n'a de prix
léel en quelque forte que par la
mode ; mais dans la queftion pré-
Tente , ces fonds font regardés dans
ÎEtat , comme un corps de re-
ferve qui en augmente la richefte
foncière. Retranchons encore les
3oS Emploi des Terres ^
viagers qui ont eu leur article l
quoiqu'en effet ils falTent aujour-
d'hui un corps éaorme de rentiers
dans la Capitale. Toutes autres
efpeces de richelTes, dès que nous
en avons ôté les biens en fonds de
serres, ne peuvent être qu en con-
trars . maifons , &c. Pour ce qui
eft foncier , charges & bienfaits du
Roi pour la partie amovible , exa-
minons Tun après Pautre ces fortes
de biens , & voyons fi leur entaf-
fement fur la même tête n'eft ,pas
un mal phyfique, feul objet que
nous envifageons ici , en attendant
qu'il foit queflion du mal moral.
Les biens en contrats fur les
particuliers ne font autre chofe
qu'une hypothèque fur les terres.
Il importe peu qui foit le poffef-
feur d'une relie terre, il eft quef-
tion de Içavoir qui en tire le reve-
nu. Or celui qui a un contrat de
cent mille francs fur une terre de
cent mille écus , poflTede réellement
en fonds le tiers de cette terre ;
mais comme l'intérêt en France
eft fur un pied beaucoup plus haut
Suite des Mœurs & Ufages, 509
que les fonds ni Tinduftîie ne le
peuvent porter ( abus qu'on cor-
rigera apparemment , quand on
croira qu'il en eft temps ) il eft de
fait que celui à qui une terre de
cent mille écus doit cinq mille
livres de rente clair Se net, fans
entretien , cas fortuits , ni répara-
tions , poiïède réellement les deux
tiers de cette terre , & retombe
dans la clafTe des inconvéniens que
nous avons dit être attachés à la
réunion des grands fonds de terres
fur la même tête.
Mais , dira-t-on , le principal de
ces inconvéniens ; tels que vous
les avez déduits , eft que les fonds
ne voyant jamais le Maître , Se
livrés à des agens parelïèux , fri-
pons & preflfés par les befoins con-
tinuels qui afîîégent cent fois plus
les grandes maifons que les petites ,
tombent en dégradation , Se ne rap-
portent pas la moitié de leur pro-
duit pofTibîe Se proportionnel. Au-
lieu de cela les fonds qui doivent
rente à des riches particuliers ,
aen appartiennent pas moins au
3 î o Emploi des Terres /
pofifefleur réel. La rente qui le
refTerre , excite Ton induftrie , &
le force au travail ou il efl: porté
par le goût de propriété , quoi-
qu idéale dans le fait , & dont fou
indépendance réelie lui facilite les
moyens. Pure fpéculation que tout
cela : c'eft ainfi que les chofes de-
vroient être j mais ce n'eft pasain(i
qu'elles font. On fçait aflez que
cet axiome a lieu dans toutes les
chofes humaines , voici comment
elles vont dans celle-ci.
De deux chofes Tune , ou la
rente efl: accablante pour le fonds ,
ou elle efl: légère. Dans le premier
cas 5 le découragement s'en mêle
& entraîne bientôt le déibrdre , la
terre eft faifie. Qu'on voye dans
les bureaux à ce prépofés combien
il y a de terres en France à bail
judiciaire. Tout le temps qu'elles
demeurent ainfi 5 Ton y fait à peu-
près comme pourroit faire Tenne^
mi. Une terre en décret efl: deve-
nue proverbe pour figurer l'excès
du délabrement. Mettez enfemble
toutes les terres qui font en ce
Suite des Mœurs & Ufages, 311
cas dans le Royaume , vous en
compoferez de grandes provinces ,
qui font en conféqoence dans un
crat de dévaftation abfolue. La
vente forcée fuccede enfin : Thy-
pothécaire fe fait adjuger la terre
à la moitié de fon prix aâ:uel qui
n'eft que le quart de fa valeur
réelle, & peeit-à-petit , de remier
qu'il vouloit être , il devient pro-
priétaire de nécelîîté. Jvlais cet
homme qui par principes dédai-
gnoit les terres comme incapables
de lui procurer la forte d'aifance
qu'il recherche, qui par habitude
n*eft plus propre qu à numéroter fes
contrats dans d^s cartons , & à
minuter exaclement des quittances,
regarde ks nouvelles acquittions
comme les débris forcés de la forte
de fortune qu'il ambitionnoit feule,
& eft encore moins propre à les
faire valoir , que le dérangé qui
ies a perdues.
Dans le cas au contraire où la
rente eft légère , le propriétaire la
néglige , calcule fes revenus , monte
fa dépenfe en conféquence àc ne
311 Emploi des Terres _,
penfe aux charges que comme on
dit, un bon mariage payera tout.
Les facilités que lui procure fà
qualité de propriétaire , fervent à
Fentretenir dans cette forte de dé-
lire; les intérêts s'accumulent , il
contrade de nouvelles dettes , les
mobiliaires fuccedent , puis les det-
tes criardes i tout abîme enfin à la
fois. Se il revient au même point
que le premier.
J*étois un jour chez un des fa-
meux Notaires de Paris ; nous
vîmes palTer à grand bruit le car-
rofTe d'un Brillant que nous con-
noifîîons. Combien, me dit- il,
croyez - vous que cet homme ait
de revenu? Mais, dis-je, il pafle
pour avoir quatre-vingt mille livres
de rente. Il le croit aufîî, reprit
ie Notaire , mais au fait il en a
quatorze. Ceci , direz-vous , con-
clut contre les moeurs , & non
contre les rentiers. Oui en un fens ;
mais quand je n induirois de - là
que cette vérité , que le regorge-
ment des métaux qui donne ces
ruineufes facilités aux propriétaires.
Suite des Mcturs & Ufages.^ 1 3
eft un mal , je ne fortirois pas de
lobjec général de ce Chapitre. Ce-
pendant pour me renfermer dans
la queftion aduelle qui eft 5 que
\ts grandes fortunes en contrats
font un inconvénient , il fufSc que
ifaie démontré d*une part quelles
ne font autre choie qu'une grande
fortune en fonds de terre, & de
Fautre qu'elles menacent d'une
prompte & ruineufe révolution
les fortunes fubfidiaires , pour avoir
prouvé qu'elles font dangereufes
dans un Etat. Je répète que ie
n'envifage point ici les inconvé-
niens de Tabondance des métaux
du côté moral , qui font tels ce-
pendant qu'ils fe réduifent promp-
tement au phyfîque. Ceci n'a déjà
que trop d'étendue j paflTons aux
autres fortes de fortunes citées ci-
deffus.
Il efi: encore une autre efpece
' de bien foncier , qui proprement
: n eft un objet que dans la Capitale
& quelques autres Villes princi-
pales en petit nombre :ce font les
revenus en maifons. C'eft un article
/. Partie, O
314 Emploi des Terres j
confidérable ici, ôc à dire vrai ,
fi les inconvéniens moraux d*une
fortune trop confidérable en ce
genre de bien font les mêmes que
ceux des autres efpeces de fortu-
nes , il n*en eft pas de même des
inconvéniens phyfiques. Celui qui
a employé fon fuperflu ou fes fonds
en argent à tirer de la terre des
matériaux informes , pour les faire
fervir à Tornement de fa patrie ,
& à la commodité de fes conci-
toyens , a bien mérité d*en retirer
les fruits , dont une partie d*ail-
leurs eft due au maintien de Tin-
duftrie & du travail par les frais
de l'entretien.
S'il eft des inconvéniens de trop
grande confommation à Texten-
non extraordinaire donnée aux lo-
gemens aujourd'hui , c'eft un exa-
men qui appartient au Chapitre du
luxe , & nullement à celui - ci ;
mais il eft bon de confidérer que
je n'ai jamais prérendu difcuter ici
la juftice des poiïè fiions de cha-
cun.
Mon principe politique , s'il
Suite de ^ Mœurs & Ufages, 515-
l'appartient d'en avoir un , (èroic
de refpeder tellement le droit
public 5 que tout titre de propriété ,
même la plus mal acquife quant
au paOTé, en fût un de poiTefîîon
afTurée & pai(îble;-que tous enga-
gemens , même les plus onéreux-
& forcés 5 fuflent facrés dans la
fociété, & ce neft que par des
moyens juftes & doux , que je vou-
drois engager chaque particulier à
divifer volontairement fa propre
fortune pour fe procurer d'autres
avantages plus précieux & plus
eftimés. Il ne s'agit donc ici nul-
lement du titre j mais de Tufufruit
feulement. Or d'une part on ne
fcauroit nier que les prix excefllfs
des loyers & logemens qui n'ont
point de trait aux commodités du
Commerce, font un ligne évident
que dans un Etat on fait trop de
cas de l'habitation des Villes, &
trop peu de celle des campagnes ;
de l'autre , que c'efl une preuve du
bailTement de prix des fonds de
terre dans Teftime publique.
? Louis XIV. fur les fins de fpu
Oij
3T^ Emploi des Xerré s ^j
régne ayant appris quun Nonce
avoit loué mille écus une maifon
à Paris , en parla plufîeurs fois
avec étonnemenc & réflexion , lui ,
qui parloir peu. Les maifbns de
cette efpece font aujourd'hui à
quinze mille livres. Je demande
fî 5 depuis ce temps , la proportion
du hauflfement des fermes des fonds
de terre a fuivi ce taux-là ? j
D^autre part , fî un particulier
qui raflfembleroit fur fa tête une
grande quantité de ces fortes de
biens , s'entendant avec cinq ou fix
de fes femblables , vouloit tout-à-
coup h au (Ter confidcrablement le
prix des loyers , ne feroic-il pas le
maître de porter un coup invifîble
& fur à la fociété ? Les Italiens
beaucoup plus habiles ufuriers que
nous , quand ils s'en mêlent , n'y
manqueroient pas.
En un mot 5 de quelque nature
de biens fonciers que (bit compo-
fée une fortune énorme 5 elle efl
nuifible dans l'Etat par le phyfî-
que, & plus encore par le moral
donc nous parlerons dan§ fon temps»
Suite des Mœurs & U/ages, ^ij
Panfons au détail des différentes
fortes de revenus qui ne font point
héréditaires.
Les Charges font encore au-
jourd'hui en France une portion
de la fortune des citoyens. Rêve-*
nous à l'étymologie de ce mot , qui
eft devenu fynonime chez nous à
celui d'Emplois & de Dignités : on
trouvera la trace de la façon dont
ces chofes font reg^ardées dans les
fociétés d'hommes non encore cor-
rompus. Ce font vraiment des
Charges , à les envifager dans leur
véritable point de vue. Quand les
Prélats fe regarderont comme les
àdminiftrateurs des biens des pau-
vres , & devant répondre de Finf-
trudion d'un peuple immenfe >
quand les Magiftrats craindront
d'avoir part à toutes les injuftices
qui fe font dans leur refibrt; quand
les Généraux fe confidéreront com-
me répondans de tous ceux des
maux de la guerre qu'ils auroient
pu éviter ; les Miniftres > de Top-*
preiïîon des peuples &c. il n'y aura
pas tant de prefle à foUicicer les-
Oiii
^ î s Emploi des Terres ^
Emplois *, & tout homme doué par
la Providence du néceiîàire abfolu ,
regardera comme une véritable
charge , la deftination que le Prin-
ce aura faire de lui pour ces diffé-
rents objets.
On comprendra des- lors com-
ment dans des temps de régéné-
ration , il s^eft pu faire que , fans
fingularité, des hommes très-fen-*
fés aient fui les dignités avec plus
d*opiniâtreté que nous n'en avons
à les pourfuivre aujourd'hui. Il y
a eu de ces fortes d'exemples de
tout temps , & même fous nos
yeux. On en trouve , qui plus efl: y
parmi des hommes ambitieux, &
déjà excités par l'habitude de la
îftînie des Cour & des affaires , & l'on vit
emplois en SuUy refufer opiniâtrement de nou-
lofdef^ * veaux emplois donc la confiance
de fon Maîire vouloir l'honorer»
Ce digne Miniftre difoit avoir plus
de befogne , qu'il n'en pou voie
faire.
Ce feroir connoirre mal la na-
ture humaine, que de croire qu'il
fût poffible de faire exercer les
Suite des Mœurs & Vf âges, 5 r 9
emplois néceffaires au maintien de
la fociécé , par des hommes que
le motif feul clu devoir engageât à
fe facrifier ainfî pour elle. Mais
l'ordre naturel des chofes a pourvu
à cet ineonvénient de la foiblede
humaine ; & dans le principe , roue
ce qui donne de l'autorité & des
détails 5 donne auffi de la con^dé-
ration parmi Tes femblables. Ceft
dans le champ vafle , ou pour mieux
dire fans bornes , de la confidéra-
tion qu'il eft permis de s'étendre
fans nuire à fon voifin. C'efi: là le
tréfor qui ne coûte rien à l'Erat
qu'une difpenfation jufte & atten-
tive , & qui cependant bien mé-
nagé peut payer abondammenc
tous les fervices, chacun en fon
genre.
Les vrais Légiflateurs , les ha-
biles hommes d'Etat ont fènti les
conféquences & la force de ce
mobile ; ils en ont organifé les
reflbrts , ^ multiplié les reflburces.
De-là font venus tant d'ufages rela-
tifs aux vues de porter les hommes
vers l'ambition de la renommée j
O iv
^20 Emploi des Terres j
les éloges après la mort chez les
Egyptiens, les couronnes, les fta-
tues & les triomphes chez les Grecs
& les Romains ; les prérogatives
& les marques de Chevalerie chez
les nations modernes , &c. Je m*é-
tends déjà trop en raifonnemens ,
& je ne finirois point W je me ré-
pandois encore en citations hifto-
riques j mais il feroit aifé de dé-
montrer par Tes exemples , que les
Princes -les plus fages & dont le
gouvernement a fait le plus d'hon-
neur à l'humanité , ont été les plus
foigneux à fonder & remettre en
vigueur ces fortes d'inftitutions , &
les plus retenus à en accorder les
avantages à la faveur & à l'impor-
tunité.
Mais il arrive aufîî que dans ces
fortes de Gouvernemens , à mefure
que ces diftindions font plus efti*
mées à caufe de la difficulté qu'on
a eue à les obtenir , chofe aifée à
comprendre , les charges inférieu-
res rehauflent auffi à proportion
dans l'eftime publique , & que tous
les moyens qui conduifent aux
Suite des Mœurs & Vfages, 5 1 ï
honneurs , font appréciés en confé-
c]uence. l/afpirancefi: foutenu d'une
part par les avantages a'une por-
tion aduelle déjà enviée , & excité
de l'autre par l'aiguillon d'une efpé-
rance haute & vive , qui efl la
chofe du monde qui fe lafle le plus
difficilement en nous,
Aa-lieu de cela, quand Tor de-
vient commun dans une nation ,
& qu'en conféquence la corruption
s'en empare , d'ordinaire toutes les
diftinétions d'honneur s'y aviii(îènr,
d'une part par leur multiplicité , &:
de l'autre par leur pauvreté. Il
arrive de -là qu'il faut nécefTaire-
ment, ou les voir méprifer^ou les
appointer en proportion de l'eftt-
me qu'il efl néeeflaire qu'on y atta-
che. Dans le premier de ces deux
cas el'es font nulles, & il efl inu-
tile de traiter ici du rien. On ren>
pliroit deux pages de cet Ecrit des;
différents noms de Charges eii^
France qpi font de cette claffè^
Dans le fécond quel poids énorme-
pour l'Etat ! quelle proportion en-
tre ce que ces Charges coûtenc
Ô V
512. Emploi des Terres 3
à la fociété, & ce qu^elIes leur
valent !
Xenophon s'engageant avec fix
mille Grecs au fervice d'un Prince
de Thrace , ftipule dans Ton traité
que chaque foldat recevra une
darique par mois, chaque Capî-
taine deux , & lui comme Générai
quatre. Les exemples de cette mo-
dicité d'appointemens pour les
Charges les plus importantes four-
millent dans les temps de force &
de vertu des peuples anciens , donc
les annales nous font demeurées.
Il en eft même des traces encore
dans certains pays , & TAvoyer
de Berne, premier Magiftrat très-
refpedé d*une très-refpedable Ré-
publique 5 ne coûte guères plus de
quatre mille livres à TErat. Mais»
indépendamment de la furcharge
qu établit nécefTairement fur les
peuples le hauflfement des appoin-
temens & honoraires , il occafionne
encore des abus d'une toute autre
importance.
1°. Cette méthode anéantir tout
ce que les Charges oiït d'honori-
Suite des Mœurs & Ujages, 3 ly
lique & d'eflfentiel , pour n'attacher
Teftime uniquement qu'à la finan-
ce. Qu'on jette les yeux fur les
exemples de cela , fans me donner
la peine de les trantcrire : pour
moi js me fouviens d'avoir été
étonné, tant j'étois jeune , de voir
parmi des gens du premier ordre
préférer hautement dans une con-
verfation le gouvernement du Châ-
teau Trompette qui n'efl qu'un
fort 5 à celui de la Marche qui eil
une Province , parce que l'un ren-
doit cinq mille livres de rente de
plus que Tautre.
2°. De cet efprit mercenaire jqui
fe répand dans toutes les cla(Tès de
la fociété , réfulte néce(îàiremens
Textindion de tout principe noble,
& conféquemment de toute adion^
généreufe. On en vient à méprifer
toutes les prérogatives non fufcep-
tibles de tranfmutation en or , à=
négliger toutes fondions qui ne
peuvent avoir trait à cela , foit pour
loi , foit pour les fiens Ôc ayans
caufe. Or comme les opérations-
rédudiyes en or ne fonr autre
O v|
y
524 Emploi des Terres ^
chofe au fond que rapacité j pé-
culac & ufure , fous quelque forme
qu'elles fe déguifenc , cette forte
de gangrené gagne bientôt tout le
corps de TEtat , d'une façon d'au-
tant plus incurable , qu'elle vient
des parties nobles.
Il s'enfuit de ce que deflus , Se
d'une infinité d'indu6tions à ce
relatives que j'ai fupprimées volon-
tairement 3 que la disproportion-
dans les fortunes ,^qui peut provenir
par les Charges , eft encore plu&
BOi/îble que toate autre. Cet article
eût dû naturellement comprendre
les bienfaits du Roi ; mais il en
eO: & en grand nombre j qui n'ont
trait à aucune Charge , & en gé-
néral ce mot de bienfaits, fi ufité
& fî mal entendu a mérite bien un
article à part.
On accufè un grand Prince
d'avoir dit à un pauvre Officier
eftropié qui lui demandoit du pain
fous le titre de Juftice , tout ejl
grâce dans mon Royaume, St% en^-
îiemis lui en ont bien prêté d'au-
tres 3- & le fait ne mérite aucune
Suite des Mœurs & Ufages. 515
croyance , attendu que ce Prince
ne fut jamais perfbnnellemenc dur
& moins encore infenfé. Mais il
pourroic Te faire dans un Etat ou
l'abondance de l'or ameneroit la
corruption , que cet axiome devint
très-véritable. Chaque fervice mé- Le genre d«
rite Ton falaire, c'eft la juftice s^rT^'^'K
mais le genre de lervice décide du de faiakes.
genre de (àlaire. L'amitié fe paie
par ramitié , la confiance par la
confiance , riionneur par l'honneur,
l'argent par Targent. Encanfcquen-
ce fi nous demandons tou's de l'ar-
gent , il faut fçavoir fi nous en
avons acquis au Prince. A moins
de cela, tout ce qu'ilnousen don-
ne par-delà notre nécefiaire abfolu ,
s'il nous manque , eft puremenc
grâce. Il pourroit arriver qu'on ne
difputât pas fur le terme , & qu'à
quelque titre que ce fût , la quef^
Eion fût feulement d*obtenir rem ^^
quocunque modo rem. Mais en ce
cas je regarderois cette extin6lion
de toute délicatelTe pour une gran-
de marque àt corruption. Eh quoi !
l'éliîe& les principaux d'une natioii;
3 1<3 Emploi des Terres y
entière auroient le front de fubi^
tituer à leurs fondions naturelles
de citoyen , celle de quêteur &
demandeur confiant & perpétuel ,
d'ailiéger Tantichambre du Prince
<3c le cabinet de Tes Miniftres avec
lîe fentiment intérieur & découvert
de n avoir pas mérité ce qu'ils de-
mandent ! Ceft cependant le point
où Ton en viendroit , & dont peut-
être on trouveroit des exeinples
fans remonter aux Cours d'Arta-
xercès &c de Darius. Celui qui
obtient une penfîon de fix mille
livres , penfe - t-il qu'il enlevé la
raille de (îx villages , comme je Tai
dit , & fî le Prince ignore avec
quelles convuKions de dérail il faut'
arracher la perception de cette tail-
le, eft-il permis à lui particulier
de Poublier ?
Mais , dit-on , fî je ne Tobtiens,
un autre Tobtiendra , &: le peuple^
n*en fera pas moins foulé. Beau
raifonnement ! Cet homme va (e
perdre dans cette forêt , il y fera
certainement aGTalîîné & volé ; au-
tant vaut que je TalTaffine ôc vole,.
Suite des Mœurs & Ufages, 3 ij
?viâis les bienFairs du Prince (onc
faifs pour fa nob!e(Te ; fes fermiers
s'enrichidèncà Texcès ; il penfionne
les arts Se quelquefois les plus fri-
voles 5 il n'en exclura donc que fa
NobielTe qui a un droit naturel fur
fes dons..... Eh ! 011 avez-vous pris
cela? Ces Nobles font les fils de
ceux qui ont bien fervi fes prédé—
cefleursjils furent ou récompenfés
par les honneurs , ou moins heu-
reux , (car j'en connois) ils man-
quèrent la fortune , mais non la
gloire nî l'honneur. Le Prince doic
à leurs defcendans fouvenir du
mérite des pères, occafion de faire
comme eux, folde raifonnable fé-
lon les emplois , protedlion dans
leurs affaires & pour rétabliflement
de leurs familles, & fur-tout dii^
tindion & faveur félon leur mé-
rite. Mais entre-t-il dans tout cela
cet or que vos defirs avares y Se
votre prodigue vanité voudroienc
enpjoutir en quantité pareille à
celle que la terre en vomit ? Les
fermiers s*enrichi{ïent ; eh ! faites-
vous leurs fonds , leur travail ï
3^5 Emploi des Terres ^
Bravez- vous la haine publique , les
bons mots du théâtre , les quoli-
bets des ehantres du pont- neuf ^
A ce prix , il vous eft permis de
vous enrichir. Renoncez au nom
de vos ayeux , à leurs titres , à
leurs prérogatives , courez vous per-
dre dans la foule des intriguans da
bas dérail & des donneurs d'avis >
& devenez riches , bene fit ; maiy
{î d'une part vous vouiez Targenc^
& de Tautre les honneurs , les dif^
tincflions , vous êtes volontairenienc
4e Vampire univerfel de la fôciété y.
vous perdrez l'honneur , & largenc
vous perdra. Bientôt vos neveux
avilis & méconnoin^ables ambition-
neront les emplois les plus vils ,
envahiront, fous des titres vains >
les récompenfes des valets de cham-
bre , & en doubleront <& tripleront
le monopole fous le nom de droits ;
folliciteront des intérêts dans les
fermes ; & d'autre part guettant la
première héritière du plus obfcur/
malheureux qui aura amafiTé des
fommes immenles > ils faliront leurs
titres dans- ce tas de fange ?. de
Suite des Mœurs & Ufages, 329
fâng& d'iniquité, jufqu'à ce qu*un
nom jadis cher à la nation , mais
alors flétri de mille manières ,
difparoiiTe d'une focîété dont il
eil devenu le fcandale & l'oppro-
bre.
Tel eft l'avenir que fe prépa-
rent les grandes familles dans un
Etat où For a pris le deiïus, & le
fort que leur procure la libéralité
du Prince. La foif de For eft^relle
de rhydropique, on Ta dit il ^ a
long-temps.
Un malheureux axiome , par le-
quel les peuples ont toujours été
plus à plaindre fous le régne des
Princes doux & bienfaifants que
fous celui des Rois d'un caradlere
oppofé 5 c'eft que le Prince doit
attirer à lui toutes les finances d'un
Etat pout les rendre enfuite ; que
par ce moyen il vivifie le com-
merce & la fociété , & s'attache
fes fujets par les liens de l'efpoir
& ceux de la reconnoi(Tance. Je ne
crois pas qu'il y ait un principe
plus déteftable & plus faux que
celui-là, fi Tonne le modifie j nous
*j^
530 Emploi des Terres ^
en parlerons dans le Chapitre de îa
vivification.
Les fervices de toute efpece re-
latifs au bien de îa fociété , & con-
féquemment à Tavantage du Prince
dans un pays où il eft Tame de
cette fociété , voilà ce qu'il faut
que le Prince retire avec fois du
moindre de Tes fujets , chacun félon
fon état & iès forces ; la police ,
fureté & proreélion jufqu aux lieux
le^ plus reculés de Ton Empire,
voilà ce quil faut qu'il leur ren-
de. L*or n*eft: repréfentatif d'au-
cune de ces chofes. Henri IV. n a-
voit pas un fol quand il fut adoré
de fon peuple. Quand notre Maître
d^aujourd'hui fut à l'extrémité à
Mets 5 ( moment à jamais mémo-
rable & flatteur pour un Prince
par TattendrilTenient , & la conf-
ternation finguliére qui fe répandît
dans tout le Royaume ) de qui vit-
on couler les larmes ? Quels furent
ceux qui aiïîégeoient les autels ? tous
gens qui par leur état n'eurent ja-
mais de part à fes bienfaits per-
Suite des Mœurs & Ufages. 331
fonnels, & qui ne pouvoient en
erpérer au futur.
Les Princes apprendront-ils un Les Hch-
îour enfin dans THifloire, qui le faits pécu-
î j. X , ■'1 maires des
leur du a chaque page , que leurs Princes n'ont
bienfaits pécuniaires n'ont jamais jamais fait
fait que des ingrats? Qu'on ne s'y g^a^^f* ^^'
trompe pas , les véritables fangfaes
du peuple font ceux qui perfuadent
au Maître que Tadminirtrareur des
deniers publics peut & doit donner
à toutes mains.
Mais ce n*eft pas la peine d'al-
longer ce volumineux Chapitre
pour me faire des ennemis de tous
les frelons de Cour. Je leur répète
qu ils n'aiment ni n'honorent leur
Prince comme je fais, & (î font-
ils mieux payés que moi pour cela ;
mais puifque je veux peupler le
monde, on ne me doit pas fbup-
çonner du deffein formé de fonner
le tocfin Contre les intriguans , les
cupides, les prodigues, les hom-
mes durs & intéreiïes , ni même
les fripons : ce feroit prendre la
route toute oppofée. Mon objet
au contraire eft , que tout le monde:
5 3 i Emploi des Terres j .
vive j axiome généralement reçu,
mais que chacun vive de fon tra-
vail Ôc foit chargé de contribuer
aux moyens d'en faire vivre d'au-
tres.
Après avoir ain(i déduit les di-
vers inconvéniens des groîTes for-
tunes dans les points qui peuvent
les conftîtuer telles , revenons au
principe que j*ai prétendu établir.
Plus l'Etat fera peuplé , mieux on
vivra Se à meilleur marché, i °. Par-
ce que les produétions de la terre
feront plus communes. 2°, Parce
que les travaux de rinduftrie feront
moins chers. Faites broder une paire
de manchettes en Gafcogne , elle
vous coûtera quatre fois autant qu'à
Paris : Ton y vit cependant à bien
meilleur marché -, mais Timmenfe
population de la Capitale excite
rinduftrie 5 la nécefîîte, & la mec
au rabais.
L'engourdidèment dans les ref-
forts politiques , Se l'inégalité des
fortunes font contraires à la popu-
lation. Voilà ce que J'ai prétendu
avancer ^ Se que je crois avoir prou-
Suite des Mœurs & UJages. 155
vé. L'abondance de l'or efl trcs-
propre à établir ces deux fortes de
viciations dans un Etat : c'eft encore
ce qui parle de foi-même. D'où il
s'enfuit que Tabondance des métaux
n* eft pas un fi grand bien dans un
Etat , qu'on fe l'imagine.
L'inégalité des fortunes , Se la
difproportion entre les nécefîîtés
d'un Gouvernement ôc Ces reflbrts,
ainfi que tous les autres vices
d'un Etat , font une fuite de la
profpérité & de la puiflTance. L'un
êc l'autre cependant n'en dérivent
indifpenfablement , qu'autant que
cette forte de richefTe fictive qui
provient de l'abondance des mé-
taux, s'y établit Ôc s'y multiplie.
L'or perdant par (on abondance fs.
qualité première de repréfentatif
uniquement , pour fe fubftituer par
un défordre monftrueux à toute
autre forte de biens , Se ne pouvant
remplir les fonftions d'aucuns d'eux
en particulier , ne peut à plus forte
raifon fufïire à les remplacer tous.
Le refpeét , la confidération 3
l'autorité , la prééminence Ôcc, fout
^54 Emploi des Terres j
des biens de tous temps très- pré-
cieux à Topinioii humaine ; mais
ces biens fe diftribuent graduelle-
ment fur !a furface d'un Etat , en
animent les reflbrts, gagnent à fe
répandre , ëc perdent à s'amonce-
ler. L'or au contraire une fois mis
à la place de toutes ces chofes n'en
donne qu'une faufle apparence , ne
s'attire que des hommages forcés ,
ne met ordre à rien , infinue même
le défordre par-tout. Semblable
d'ailleurs à l'argent-vif , dont les
parcelles réparées n'ont aucun repos
qu'elles ne foient rejointes au bloc,
il racornit en fubftance la maflè en-
tière d'un Etat, & en obftrue tous
les reflorts. D'autre part, il opère
feul la difproportion ruineufe des
fortunes , & donne la facilité de
les grofîîr aux dépens du pubh'c,
Charles - Magne au milieu de fes
conquêtes immenfes fit bien des
grands Seigneurs d'autorité , de
jurifdi6tion &c. mais il n'en enri-
chit aucun 5 & en conféquence ne
dépeupla point (on Empire. Un
coloITe d'argent établi en Saxe Teûc-
Travail & Argent. 33^
p!us fûrement dévaftée , que ne
firent les exécutions fanglances &
redoublées quil fît chez ces peu-
ples rebelles , & toujours alTez forts
pour troubler le repos du Con-
quérant.
Cette idée fera développée par
le détail dans toute la féconde
Partie de cet Ouvrage. Terminons
celle-ci par quelques confidérations
fur les métaux & le travail.
CHAPITRE VITI.
f Travail & Argent,
LEs partifans du luxe , & les
amateurs du fuperflu , même
en convenant avec moi que la trop
grande inégalité des fortunes eft
un mal , me diront que la richeiïè
d*un Etat & l'abondance des mé-
taux domiant plus de fantailies aux
riches , en proportion du plus de
facilités de les fatisfaire, fait fub-
fifter aux dépens de l'opulence une
1 3 ^ Traité de la Population
infinité d'ouvriers & d'artifans , que
cet arrangement fubdivife les grof^
fes fortunes dans le fait, en les
laiflfànt fubfîfter dans le droit , &
qu il oblige le riche à entretenir
un grand nombre de pauvres avec
d'autant plus d'avantage pour l'Etat ,
qu'au-lieu que félon ma méthode
ces derniers étoient aux gages, &
dans une dépendance direéte du
premier, ici raflujétififèment dif-
paroît , d>c prend la forme d'un
commerce relatif , & d'une com-
munication de néceffités & de fer-
vices.
Avant de répondre à cette ob-
jeétion fur laquelle , ainfî que dans
prefque toutes les difputes , il ne
s'agit que de s'entendre , il efl né-
cefTaire de traiter certains points
propres à fixer nos idées fur les
différents degrés d'eftime qu'il efl;
de droit & de juflice d'attacher à
tous les travaux humains.
On ne fçauroit nier qu'après le
premier travail , & l'unique qui
lerve à la production de la ma-
dère première, ceux qui tendent à
la
Travail & Argent. ^57
îa mettre en œuvre & enfuite à la
perfedionner , ne foient très pré-
cieux dans un Etat pour les nécef-
fités & commodités du citoyen »
& que la profpériié relative ne foie
toujours en proportion de ce que
les arts tant mécaniques que libé-
raux fleuriiTenc dans une fociété.
Mais à cet égard il efl: plus impor-
tant qu'on ne fçauroit dire, de ne
point confondre.
Si tout vient de la terre , Thomme
qui s'applique avec le plus de fuc-
cès à en tirer les productions , eft
le premier homme de la fociété.
Cela efl: effrayant à dire 5 mais le
Roi, le Général d*armée , le Mi-
nifl:re ne fçauroienc fub(ifl:er fans
l'agriculteur , & l'agriculteur fub-
iifteroit fans eux.
En ce cas, me dira-t-on , vous
bouleverfez tout , ôc l'homme qui
détache la pierre dans les carrières
aura le pas fur les Praxiteles ^ &
les Michel Ange. Qui en doute ?
répondrois-je fans craindre d'être
accufé de barbarie. Ne nous fal-
loit-il pas des pierres avant àts
L Farde. P
3 5 3 Traité de la Population,
îlatuè's ? Mais je range fous la
même cla(îe ces deux eipeces d'honi-
mes; ôc de même qu^à la bafede
îa ûatuë que j'érigerois , li j'étois
le maître , au Philofophe de nos
jours qui confacre Ton loifir & Ces
études à la perfedion de l'agricul-
ture 5 je mettrois aux quatre coins
la figure du laboureur , du jardi-
nier 5 du pâtre ôc du vigneron le
plus célèbre de Ton temps , ainfî
Puget auroit à Tes pieds le tailleur
de pierre , ôc les différents ouvriers
qui donnent aux métaux la forme
d'outils du Sculpteur. Eh 1 de quoi
accompagneriez- vous un Poète cé-
lèbre ? D'Etres fantaftiques fans
doute. Mais fi cet homme avoir
employé fes talens à chanter les
Dieux & encourager les Héros , à
perfedlionner la langue de fa na-
tion, à la rendre célèbre chez les
étrangers , à leur donner le goût
de l'apprendre , & conféquemment
la faci ité de k plaire au milieu
d'elle 3 & de venir l'enrichir de fon
travail ou de fon fuperflu , un
Poète , dis- Je ^ de cette efpecç
Travail & Argent. ? 5 9
îrouveroic.aa moins autant cle con-
fédération chez uiî peuple fracernifé
félon mes principes, que chez les
partifans du luxe & des plaifirs.
Les premiers hommes étoienccous
agriculteurs , pafteurs , &c. Ils n'ont
guères divinifé que ceux qui leur
avoienc enfeigné l'ufàge des dons
de la nature , Cerès , Bacchus ,
Triptoleme &c. Voyez le cas que
ces hommes faifoient des taîens :
le Divin Demodocus ^ dit Ho-
mère.
Il eft naturel, il eft utile même
que chacun eftime ici-bas fa pro-
feflion 5 plus même qu elle ne vaut.
Au fond les touches d*un clavefîîa
contribuent toutes également à
Tharmonie , quoique Tune n'ait que
de foibles fons , tandis que d'autres
en ont de forts. Le Gouvernement
eft le maître qui touche l'inftru-
roent. Si la main eft habile , tout
concourt au jeu plein & merveil-
leux j fî au contraire elle eft dure
& vacillante , rien ne va, le cla-
vier foufFre , & Tinftrument ell:
bientôt difcord.
Pv.
n
14^ Traité de la Population,
Cependant de même qu*indé«
pendammenc de coures difpofïtions
naturelles , il eft des principes d'har-
monie fans lefquels on n eft jamais
fur de ne rien faire contre les ré-
gies de l'art , il eft aufîi des prin-
cipes de gouvernement fimples ,
mais décififs , auxquels il faut ré-
duire toute la marche politique ,
fans quoi Ton ne va qu'au hazard ,
& dans le rifque continuel de s'é-
garer. La bafe de ces principes eft
de fixer d'abord le degré d'eftime
qu'on doit à chaque profefEon , &
même à chacun des foins ôc des
arts qui les partagent , & la con-
féquence en doit être un fyftême,
ôc un plan fuivi de conduire , qui
attribue l'honneur & la confidéra-
tion à celles de ces profefîions qui
doivent être menées par ces nobles
relTorts, Tencouragement & lapro-
teélion à celles qui ont des vues ôc
des fondions moins nobles , & qui
évite fur-tout & par- tout d'ôter à
l'argent fa qualité de moyen ^ pour
lui attribuer follement celle de ré-
compenfe.
Travail & Argent, 5 41
Qu'on (e rappelle ici la divifion
que ]'ai faire entre la fociabilité ,
èc la cupidité. Toutes les diflinc-
tions pécuniaires portent vers cette
dernière, tous les aiguillons d'hon-
neur & de confidération nous en
écartent pour nous tourner vers la
fociabilité.
Pour fixer le degré d'eflime du
à chaque proFeffion , il efl; nécef-
faire d*analyfer l'objet de fes fonc-
tions , & leur rapport avec cette
dernière vertu.
A bon droit les Minières de h Degré d'ef.
Religion ont-ils le premier rane ^^/^^ '^"^ ^
dans une lociete bien ordonnée. La feirion.
Religion eft fans contredit le pre-
mier & le plus utile frein de l'ha-
manité : c'efl; le premier refïbrt de
la civilifation ; elle nous prêche ,
& nous rappelle (ans cefTe la con-
fraternité , adoucit notre cœur ,
élevé notre efprit , flatte & dirige
notre imagination en étendant le
champ des récompenfes & des avan-
tages dans un territoire fans bor-
nes 5 & nous intéreiïè à la fortune
d'autrui en ce genre , tandis que
P iij
342. Traité de la Population.
nous Tenvions prefque par tout ail-
leurs.
Après les Miniftres de la Reli-
gion viennent de droit les défen-
f<purs de la patrie. Dans les fbciérés
retrécies aux lieux même où la va-
leur miliraire étoic un .mérite de
n^cefîîté par le befoin de défendre
fes propres foyers , cette vertu néan-
moins fut toujours des plus efti-
îîiées i parce qu*aprcs la liberté ,
la fureté eft le premier des biens,
& que rindicution du guerrier eli
de procurer Tune & Tautre à fa
patrie. A plus forte raifon , fi-tôc
que dans une fociété formée &
étendue Télire des hommes Ce dé-
voue volontairement èc par hon-
neur aux périls , & renonce à toute
autre fonétion dans TEtat qu*à la
gloire de le défendre, cette pro-
fflTîon c^oit elle être finguliérement
eftimée , & flattée par des avan-
tages de confîdérarion & de préé-
minence qui excitent fa générofîté,
élèvent Ton amour propre , àc la
détournent de fe bailler vers les
objers de la cupidité, que la force
Travail & Argent. 545
de fa conftkution naturelle la met-
troit à portée de ravir. Q^ielques
nations jaloufes de leur liberté , &
regardant le militaire comme le fa-
tellite de l'oporeflion , ont porté
toutes leurs vues a le mepriler , a
le tenir bas , & à déprimer ce genre
de vertu. Il leur eft arrivé de-là ce
qui arrivera toujours, que la guerre
leur eft fatale , & altère leur conP
ticutîon. De deux cliofes l'une , ou
elles Çoni mal fer vies par des mer-
cenaires foudoyés & de tout temps
traités comme tels , ou ceux-ci pren-
nent le delîus & Te vengent par une
domination dure & une révolution
douloureu(è , de rabjedioa fi con-
traire à leur nature dans laquelle
ils ont été tenus. Eh î quelle eft
après tout cette liberté, Fidole de
tous les peuples turbulents depuis
que le monde eft monde t Si c'eîl
la tranquillité publique , la modé-
ration particulière 5 & Tempiredes
Loix, fai beau parcourir THiftoire
de les aiuiales de l'univers , je ne
la trouve en temps ni lieu que chez
Piv
3 44 Traité de la Population,
les Saiifes : mais je m'écarte 5 re-
venons.
Sans la Religion, les aflemblées
d'hommes n'eufTent jamais pris for-
me de fociété ; fans la valeur de Tes
défenfenrs , la Ibciéré eût été auiîî-
toc difperlée qu'établie j fans les
Loix , les pafïïons & le ferment
intérieur l'auroîenc détruite aufïi
promptement que les efîbrts exté-
rieurs. Ceux qui font prépofés au
maintien & à l'exécution des Loix ,
ont donc après les deux ordres ci-
delfus une prééminence fondée en
droit <3c en raifon indifpenfable.
Viennent enfuite en foule , mais par
degrés , tous ceux qui compofenc
& maintiennent la fociété , qui la
vivifient , qui l'honorent par leurs
talens , ou dont TinduRrie multi-
plie à Tinfini les biens de jaéc^ti-
fîtéj les commodités, Iç^^grémens
de la vie , & (ùr-tout les moyens
féconds de fubfiflance , en ce que
cela feul multiplie \e% fujers de
l'Etat fon unique richenTc réelle.
On s'étonne quelquefois de l'iné-
Travail & Argent, 54 j
branîabîe conftiturion & folidité de
la Monarchie Françoife , qui eft
telle en efîèt qu'ayant perpétué fa
durée fort au-delà de l'âge natu-
rel des Etats , à en juger du moins
par le fort de tous les autres, elle
a réiîfté aux chocs les plus vio-
lents , aux maladies les plus aiguës ,
& cela au point qu'elle femble
renaître des efforts mêmes qu'on
fait pour l'altérer. N'en cherchons
point d'autre caufe que l'heureux
rapport du naturel & du tempéra-
mtnt defcs habitans avec les prin-
cipes fondamentaux de l'Etat , qui ,
par un effet de la folide politique
de nos pères , fe trouvoient diri-
gés dans l'ordre que Rétablis ici»
En effet les trois Corps qui com-
pofoient les véritables aflemblées
de la Nation 5 ne font autre choie
que le Clergé , le Militaire & I^
Magiflrature , trois corps différents
ayant chacun à part la voix àé\ï^
bérative, & qui réunis n'en for-
moient qu'un ayant voix confuî-
tâtive auprès du Prince qui ne ceP-
fa jamais d'être l'ame de l'Etat ^ff
Ff
34^ Traité de la Population,
ce n'eft dans les temps d'anarchie.
Qu'y a-c-il en effet de plus fenfé
èc de plus conforme aux notions
naturelles fur Tordre politique que
cette forme mélangée , qui ren-
ferme tous \qs degrés de force &
de fagefïè , dont les confeils des
liommes peuvent être fufceptibles ?
Vainement les ennemis du Cler-
gé voudroientils prouver par des
déclamations & des exemples , qui!
efl: hors de régie & dangereux que
les Minières de la Religion aient
aucune part aux afîàires du gouver-
nement. Ceux qui prétendent les
réduire au fpirituel aofolu , (entent
auflî- bien que tous autres & mieux >
que c'eft précifément les reléguer
dans les efpaces imaginaires. Indé-
penJamment de leurs droits à lad-
miniftration temporelle , comme
pofTédant fiefs , jurifdidion &" autres
biens, guides naturels des mœurs,
tout eft de leur re(Tort en fait de
confukarion , & c'étoit toute la
Jurifdiélion attribuée à nos Etats
en préfence du Souverain,
Le Militaire ne paroît de fa na-
/
Travail & Argent. 347
ture propre au coofeil , que pour
les affaires de Ton métier : l'expé-
rience a cependant démontré que
les meilleures têtes de cabinet for-
tent fouvent de cette profe(îîon ,
ibît que rhabitude des grands in-
convéniens qui forcent refprit à
imaginer les grandes reffources lui
donne de Tétenduë , {bit que les
motifs brillants , les fatigues ou-
trées foient propres à donner à
Tame le plein jeu de Tes organes,
foit aufîî que la gravité militaire ,
la plus naturelle & la plus impo-
fante de toutes , afTervifTe Ton propre
repréfentant , & renchaîne des
liens de la vraie prudence qui n'efî:
autre chofe que la force tempérée.
Mais indépendamment de cet avan-
tage de fait , quand le Militaire ne
feroit dans les confeils , que ce
qu'eft Paiïàifonnement dans les ra-
goûts , il n'y feroit pas moins né^
cefiTaire.
Depuis qu'on perd de vue les
vrais principes 5 on diroit que le
tiers Etat enétoit la partie abjede,
& Je ne doute pas qu'en lifant ceci
P v|
34^ Traité de la Population,
Meilleurs les Magiftrats n'ayent re-
gardé comme un bîafphême le rang
que je leur afîîgnois parmi cet Ordre
lefpedable. Toute fociété où la préé-
minence mené à fa fuite Fenvie ,
& où la déférence marche à côté
du mépris , court rapidement vers
fa ruine totale. Mais c'eft moins
ici qu'en aucun autre pays; &:nos
préjugés fur l'ancienne forme de
notre gouvernement font à mille
iieuès de la vérité. La nation , vous
dit- on 5 ne fut d*abord compofée
que des conquérans , tout le refte
étoit ferf; le refpeét , & leur fu~
perftitieufe ignorance admirent le
Clergé à leurs alîemblées, & lui
donnèrent le premier pas : le Cler-
gé jaloux de la Noblefîè donna
l'exemple des afTranchilTemens , &
en fit peu après un point de reli-
gion y les Villes fe formèrent , ob-
tinrent des privilèges & parvinrent
enfin , à force d'empiéter fur les
Seigneurs , à faire admettre leurs
députés dans les aiîemblées géné-
rales de la nation, mais toujours
comme fournis & marqués encore
Travail & Argent. 54^^
du fceau primordial de la (èrvitude.
Sans nier les faits fur lefqueis affez
d*aurres onc difputé & difpuceronc
fans moi , je les mets tous d'accord
dans ce Traité ; c'eft l'ouvrage d*un
homme qui le range avec un mou-
vement de refpeâ: intérieur devant
le porteur d'eau dans la rue, parce
que ce pauvre homme efl: chargé,
qui ne fçut Jamais fe déplacer de-
vant un fat par un fentiment de
fupériorité , ni s'enorgueillir à côté
a*un mendiant 5 donî l'odeur infecte,
& les haillons lui reprochent une
fraternité méconnue : cet homme
parle pour l'humanité & la vérité ,
il lui fîéroit également mal d'ap-
puyer & de combattre les fuppo-
fition^ & les annales de la vanité.
Je dis donc que les détails de la
police intérieure du camp des an-
ciens Francs , nous importent aulÏÏ
peu, relativement à mon fujet ac-
tuel, que ceux de l'armée de To-
tiia, 6c ie ne regarde la Monar-
chie comme établie & prenant for-
me d'Etat , que du moment où \qs
alTemblées de la nation reçurent
3 5 © Traité de la Population,
leur plénitude par Tadjondion des
repréfentans des Villes <Sc des Com-
iTJunes.
Mais en quoi l'on fe tromperoic
lourdement , ce feroic d'imaginer
que jamais ces députés ayent paru
dans nos alTemblées comme desfu-
jets qui viennent implorer la clé-
mence & réclamer leurs droits à
rhumanité de leurs Maîtres. Ils y
furent reçus comme inférieurs en
dignités & en prérogatives , comme
égaux en fubftance ; & le tiers-
Erat, qui dans fa dénomination ne
fiignifie que troifiéme Etat , ne
voyoit d'autre diftance entre la
NoblefTe &: lui , que celle qu'on
admettoit déjà entre le Clergé &
Idi^ohle'^Q^ premiers entre pairs,
La même liberté fe trouvoit dans
les délibérations, le même con-
cours dans les fufFrages, avec une
prééminence marquée à la vérité
de dignité & de confidération pour
les deux premiers Ordres , mais
peu ou point de différence de pou-
voir & d'autorité.
D'après cette allégation qui gît
Travail & Argent, 3 y f
en faits , il eft aifé de concevoir
que ce ne put être cette foule d'hom-
mes afïaiiTés fous le poids de la
néce/ïïîé > &; ce .qu'on appelle la lie
du peuple , que nos fiers ayeux con-
fentirent à admettre au partage de
la plus noble & de la plus efien-
tielle de leurs fonctions , & que nos
Rois recurent dans leurs Confeiîs,
Quelle que put être la forme de la
Magiftrature des Villes , la nécef^
fîté des Prépofés au maintien àçs
Loix & Ordonnances tant de Juf^
tice que de Police , eft la première
qui fe fait fentir à toute fociété. II
falloit des Magiftrats aux Villes en
naifîànt, c'eft-à-dire en Portant de la
tyrannie , & ce furent Ces Magif^
trats 5 qui en devinrent les repré-
fentans naturels dans les aflèmblées
de la nation.
A mefure que Tautorité du Prince
& Tordre aàuel fe font établis ,
1 epée a perdu du tranchant qui
pou voit couper le fourreau , & la
Magiftrature a étendu fon pou-
voir, & plus encore l'exercice de
fes_ droits naturels. Mais feroit-il
3 y 1 Traité de la Population,
jufte d'une parc , de la regarder
comme étant d'un ordre alTuiecti
dans les temps où ne formant nulle
prétention pour fîéger au-deiTus du
tiers- Etat , elle avoit néanmoins
dans fbn corps des fujets fortis des
meilleures Maifons de laNoblelTe,
& de l'autre, de vouloir l'en tirer
aujourd'hui , que la vénalité des
Charges en a chafTé prefque toutes
les anciennes Touches.
Difons mieux , il n'y a qu'un
Maître dans l'Etat. Il y a en fuite
trois Ordres confuîtants, le Cler-
gé , le Militaire , & la Magiftra-
ture ; tout lerefte obéit & travailler
Ce dernier ordre étoit nécelTaire
pour former la plénitude du Con-
feil : confervateur fidèle des loix ,
des formes , des anciens ufages , il
borne l'ambition du Clergé flijette
à vouloir établir le plus dangereux
des prefliges ; il émoulîè le tran-
chant da Militaire, dont le vice
tourne vers l'oppreflion ; il oppofe
le Dédale des formalités ,& l'utile
tableau des conféquences aux en-
treprifès des uns , à la violence des
. Travail & Argent, ^51
autres , & reçoit d'eux rélévation
clans les vues , & la célérité dans
les décidons , qui lui manquent.
Quoique cet ancien ordre de
Conleils foît maintenant fu( pendu ,
que le Militaire , ou fi Ton veut
la Nobleffe qui n*étoit autre chofe
dans Ton inftitution, n'ait plus au-
cune forte de Jurirdiâ:ton ni de
prérogative réelle dans l'Etat, ce-
pendant le goût de la Nation dé-
termine l'opinion générale maî-
trefife abfolue des mœurs & ufages ,
vers cette gradation d'eftime Ci
conforme aux régies naturelles
d'une bonne conftiturion. Le Mili-
taire a dans l'opinion publique &
particulière le pas fiir les autres
Etats auxquels eft demeurée, avec
une jurifdiélion réelle , la portion
de confidération qui en eft infépa-
rabîe. Ainfi le naturel & l'incli-
nation des peuples étaye le bâti-
ment, & le préferve des accidens
dont le menace la vétuflé des fon-
démens ; & c'eft-là la vraie fon-
taine de Jouvence qui régénère le
corps politique , èc le maintiendra
3 54 Traké de la Population.
dans fa vigueur , jufqu à ce que
notre tempérameni ait été détruit
par l'amour de Tor , feul poifoii
qui morde fur-tout.
Après ces Ordres primitifs d*urt
Etat , diftinds & fépatés par le
genre de leurs fonctions , de qui
font de l'eiTence abfolue & de la
confntution du bâtiment politique ,
il faut enfuite le décorer , le rendre
logeable , commode , agréable ôc
brillant. Les fciences , les beaux
arts 5 les arts libéraux & méchani-
ques n'ont ou ne doivent avoir
d'autre objet que celui-là , & mé-
ritent eftime ôc confidération en
proportion de ce qu'il faut de ta-'
îens privilégiés pour y réuiïîr , de
ce que ceux qui les cultivent ont
mis de travail pour les faire va-
loir , mais fur-tout de ce que leur
travail eft plus ou moins dirigé
vers la fociabilité , c'eft-à-dire ,
vers l'utilité publique.
J'ai déjà traité de l'agriculture';
on lui feroit tort de la confondre
avec les autres arts de quelqu'ordre
qu'ils puifTent être. Celui-ci, félon
Travail & Argent, ^^5
notre foi , eft d'inftitutioii divine j
il eft vifiblement à notre exiftence
ce qu'y eft la refpiration. II ho-
nore 3 il intéreftè , il amufe le Gé-
néral d'armée, le Magiftrac & le
Miniftre comme le dernier citoyen.
Il viviiîejil anime en nous îe refneâ:
pour le culte adreflTé à TEtre donc
la main bienFaifante multipl e les
fruits de Tes travaux , Tamour &
l'admiration pour le guerrier qui
fe dévoue à fa défenfe , l'attache-
ment & la reconnoiftance pour les
Interprètes des Loix qui lui aftu-
rent une potTeiïîon tranquille :
l'agriculture en un mot & l'arc
univerfel, l'art de l'innocence &
de la vertu , l'art de tous les hom-
mes & de tous les rangs.
Je parlerai ailleurs du Com-
merce & ferai voir que ce n'eft
point un étac à part , qu'il eft uni-
quement le frère de l'agriculture.
C'eft l'honorer beaucoup , mais
tour eft frère dans mes principes ;
revenons en bref fur les autres
arts 5 que j'ai établis tout-à-i'heure
les décorateurs d'un Etat.
3 5^ Traité de la Population,
Les fciences font la pâture de
Famé & Texercice de refpntj par
elles l'homme gravit péniblement
vers le faîte de gloire &c de lu-
mières 5 dont il fut autrefois pré-
cipité dans la perfonne de fou
premier père. Il eft deux routes
qui paroifiTent y tendre également.
L'une eft celle de l'orgueil qui nous
a perdus , & qui égare tous les
jours ceux qui la fuivent ; l'autre
eft celle du travail & de la fou-
milîîon 5 qui nous eft permifè &
recommandée. Les vrais Sçavans
fuivent cette route , ce font de
tous les hom.mes privés , ceux qui
exigent le moins ^i qui méritent
le plus.
Les arts libéraux font aux beaux
arts ce j^ue le corps eft à Tame ,
divers en fondions , unis de defti-
/ nation 5 eftimables 6n proportion
de ce qu'ils fervent à élever l'ama
& le cœur des citoyens , méprifa-
bies s'ils aident à les corrompre.
Les arts méchaniques enfin , à
les prendre en corps comme nous
les confidérons ici , font tellement
Travail & Argent, 357
liés à tout le refte, que fans eux il.
feroit impofîible que la fociété fub-
fîftâc 5 & qu'il eft vrai de dire qu'elle
ne fleurie au phyfique qu'autant
qu*iîs le perfedionnent. C'eft la
chaux & le fable du bâcimenc po-
litique qui lie tout , fert à tout ,
d>c ne domine fur rien. Il fuit de-là
que ces arts doivent être protégés,
& que les talens de ceux qui s'y
diftinguent méritent d'être ho-
norés.
Mais il faut en ceci fur -tout
prendre garde de fe laifler égarer
par le penchant naturel de Thom-
me pour le merveilleux \ le point
dégénère des arts en tout genre ,
c*efl: la recherche ; eftimons les arts
méchaniques en proportion de leur
utile folidité , laiUons voler de
leurs propres ailes les arts merce-
naires du frivole & de la vanité >
ils n'ont befoin du fecours de per-
fonne , la folie humaine les mettra
toujours aflez en vogue , & leur
folde leur tient lieu d'honneurs Se
de récompenfes.
3jl Traité de la Population.
Après ce tarif raccourci des dif-
férents emplois qui partagent la
Êbciété , il eft temps de répondre
à" l'objeélion qui commence ce
Chapitre , & d'examiner fi les dé--
membremens des groflès fortunes
occafionnées par les fantaifies des
riches & l'abondance des métaux,
vont au profit de la fociété, com-
me le feroit la fubdivifion des for-
tunes que ces mêmes métaux ont
feuls amoncelées.
Ce n'eft pas ici le lieu d'exami-
ner 5 (\ les nations où la richefle
privée eft le plus en vogue $ font
celles où l'on conferve le plus de
refpeâ: pour la Religion , de con-
fîdération pour le Militaire, d'atta-
chement pour la Magiftrature &
les Loix ; où les Sçavans font plus
recherchés que les hommes à ta-
iens frivoles ; où les travaux des
arts portent l'empreinte du Noble
& du Grand. Toutes cts chofes
feront traitées ailleurs. Voyons
feulement dans les arts raéchani-
ques qui font en général ceux qui
Travail & Argent, 35^
foGt vivre le peuple , li ce font les
plus utiles 6c les plus Tolides qui
reçoivent le tribut deftiné à mi-
partir la fortune du colofTe d'or en
cjueftion*
Il eft impofTible , on le fent par
le raifonnement , on le voit par
l'expérience , que ce foit dans les
premiers Ordres de l'Etat que s'ac-
cumulent & fe confervent les gref-
fes fortunes dont nous venons de
parler j en conféquence le fafte
Polonnois, qui confifte à faire vi-
vre un grand nombre d'Officiers 5
de domeftiques , &:c. eft prohibé
au propriétaire. D'ailleurs vous
venez de condamner ce genre de
dépenfe , comme chargeant le pau-
vre des liens d'une dépendance
trop direde envers le riche. Quant
à moi 5 je ne fçache pas avoir en-
core recommandé cela ; j'ai dit
feulement qu'il feroit à fouhaiter
que les grands Seigneurs confom»
mafTent à l'entretien de la pauvre
NoblefTe ce qu'ils dépenfènt à four-
nir un odieux fuperflu à des valets ,
^6o Traité de la Population,
ôc en d'autres déprédations de dé-
fordre & de luxe, Ôc j*ai fur- tout
montré Tavantage de la fubdivifion
des fortunes. Mais en effet le genre
de fafte ci-defiTus eft interdit aux
riches de métaux. Quel ufage peu-
vent ~ ils donc faire des revenus
qui leur font attribués ? j'en excepte
ceux qui en fervent le Commerce
ôc l'Etat au befoin , & c'eft de
leurs enfans dont je parle 5 ils ne
fçauroient dîner deux fois, comme
difent les bonnes gens; les nécef-
iîtés de l'opulence , les fuperfluités
même de la décence ont des bor-
nes très-retrécies en proportion de
la fortune. A qui donc en attri-
buer l'excédent ? Aux fantaifies ?
Vous l'avez dit ; fantaifie 9 pagode
hideufe de fa nature & contrefaite ,
mais qui fera monftrueufe 8c dé-
teftable tant qu'il y aura d'auti'es
hommes prefles de la nécefîîté ,
que dis-je , accablés fous le poids
de la plus afFreufe mifere.
Mais enfin feront-elles vivre les
ouvriers du genre le plus utile &
le
\
>
Travail & Argent, ^6i
le plus pénible? Une voiture coû-
tera feize mille francs de vernis ,
une boere mi lie écus de façon &
Ton en cfiangera loiivent, je de-
mande Cl c*eO:-là protéger les arts
méchaniques dans la progredion
que nous avons établie ci-dedus.
J 'entends d*ici la foule d'objec-
tions qui me feront faites fur la
néceilîcé d'encourager les arts du
fuperflu 5 pour accoutumer les
iîrangers à venir foudoyer notre
iuxe, entrerenir nos ouvriers. Sec,
Ce n'eil pas encore ici le lieu d*en^
■camer & d'approfondir ces quef-
rions. J'efpere qu*on verra dans la
fuite de cet Ouvrage , que je n'au-
rai rien omis de mauvaife foi ;
toutes mes erreurs appartiendront
à mon ignorance , & au peu de
jufteiïè de mes vues. Revenons aux
principes généraux.
Le moyfn prem'er &:îndifpen«
fable de fui3(i{l:ance eft l'agriculture
x]ui nous donne la matière pre-
mière. Le moyen fécond eO: le
^ travail; ôc de même que la direc-
tion du premier moyen doit être
/. Farde. Q
^6i Traité de la Population,
déterminée vers la mulriplicatloîî
de la prodaâ:ion, celle du fécond
le doit être vers l'accroiffement da
travail.
Nous avons en ce genre éprouvé
une forte de détriment j qui pour-
roit encore s'accroître par le relâ-
chement des mœurs.
Oïi fe plaint que le prix de
toutes fortes d'ouvrages augmente
journellement à Paris, & de façon
qu'il eft aujourd'hui prefqu^impof-
fible d'atteindre à cette efpece de
nécefTaire ufuel & abufîf qu'on ac^
croît cependant chaque jour. Il eft
certain qu'une des caufes de ctii^
augmentation eft le regorgement
des métaux , qui arrivent fans celle
en Europe des mines du Pérou & du
Potofe } de forte que fi le commerce
dévorant des Indes d'une part s
& de l'autre l'abondance de meubles
Bç bijoux de ces fortes de métaux
qui fe répandent & fe multiplient
à Pinfini dans la fociécé , n'en ab-
forboienî une partie ^ l'or & l'ar-
gent deviendroient d conimuns ,
pull faudroi^ çhgrcbe^ pnf gucrf
Travail & Argent. 5(^5
forte de reprérentatif du troc dans
le commerce.
Une autre caufe phyfique encore
de ce dérangement , c'eft la dimi-
nution ou moindre quantité ' des
matières premières; la terre d'une
part moins cultivée en produit
moins 5 & de Tautre la confbmma-
don confidérablement augmentée,
au moins en proporticn du nombre"
d'individus , en demande davan-
tage , ce qui nécelTairement en faîc
hauffer le prix. *
Mais une troi(îéme caufe cer-
taine , & qui eft la feule dont je
veux traiter ici 5 c'eft la diminu-
tion proportionnelle du travail de
chaque individu.
Il eft certain que le goût des
fortunes eft venu de proche en
proche à tout le monde , attendu
qu*il n'eft porteur d*eau dans la
Ville , ni maraifcher fur les che-
mins, qui n*ait au moins un cou-
fin germain ayantSuilTeà fa porte.
Rapine, bonheur, induftrie » trois
fantômes réalifés , offrent à cha-
cun , feion fon caradere , des ch£«
|(j4 Traité de la Population,
TODS ouverts par lefquels plu(ieur$
arrivent , d'autres s'abîment en che-»
miii fans jamais fe croire noyés ,
& tous enfin s'accoutument à vivrç
4'erpérançe 5 ^< fortenc des voies de
modération &: d'équité relatives à
leur profeffion.. La principale de ces
voies 5 & celle de toutes , qu'on a
le plus perdue de vue, c'eft l'éco-
nomie & la fobriété. Le défaut d'é"^
çonomie jette dans un accroilTe-
ment de dépenfe que le furtaux
des. raarchandifes & ouvrages peut
feul acquiter -, car il n'eft aucun
entrepreneur qui ne prélève tou?
jours fon entretien & celui de (a
famille fur fon travail , avant de
compter fon profit. C'eft chofe jufte
^ans fon principe •> mais fi-tot que
cet entretien devient arbitraire &
proportionné à la fantaifie & à la
vanité , ç'eft une friponnerie ma-
nifefle,
Rernarquez cepeuQant que dans
les derniers rangs , comme dans les
premiers, ce qui eût été folie au^
trefoîs devient ufage , & prefque
péçefîlçé aujourd'hui? Chez les g^nf
Travail & Argent. ^6§
de qualité , il faut voiture pouÈ*
Monfieur , ôc carroiTe pour Ma-
dame , voiture de campagne , che-
vaux de chaifé , défobligeaatej &d«
Ceft devoir d'état que de vivre
ainfi aux dépens de qui il appar-
tient. Qui voudroit rentrer eii foi-
mime , ôc fe confidérer ifolé dé
Tappui des ufages , auroit bien dé
la peine à ie faire une faujfTe con-
fcience , adéz endurcie pour n'avoir
aucuns remords lur les dépréda-,
tions 5 qu'on juftifie comme dé-
penfes néceffatres pour vivre avec
décence , & feîon Ton état. Je
tremble encore en regardant îe por-
trait de mon père; il reconnoifioic
la même fupériorité dans le fien,
ôc celui-ci dans mon bifàyeal. Je
nentends pas par- là les tranfes du
refpeâ: filial , mais uniquement l'ef-
fet d*une fupériorité de fentimenC
Ôc de dignité, dont les mœurs d'au-
jourd'hui ont abfolument dégénéré.
Je conclus en conféquence , que fî
mon trifayeul reparoifloit dans fa
maifon , je me trouverois bien petit
devant lui. Cependant il eft dci
3(3^ Traité de la Population,
devoir de mon état de vivre à cent
lieues de mon gazon , èc dans une
Ville qu'il regardoit comme les
Antipodes, d'avoir nombre de la-
quais faineans & mangeurs , au- lieu
de quelque p^.lefrenfer hénlTé qui
lui fuffiioit 3 d'un Fage fréquem-
ment fins culotte , quoique Ton
coufin , ( car il faut bien que ,
comme Montagne , chacun ait le
ïitn) \ d'une Demoifellelaborieuie ,
& de quelques petits garçons ap-
pelles bamboches pour fa femnie^
Soit ; chacun a Ton état , Se doit
fe conformer aux mœurs de fon
temps 5 c'efi: bien dit ; mais il s'en-
fuit que ce Marchand qui dort au-
jourd'hui la grade matinée & fe
fait remplacer dans fa boutique
par un garçon de furcroit chère-
ment loué i dont la femme porte
couleurs, rubans, dantelles & dia-
mans , au- lieu du noir tout uni
qu'elle ne mettoic encore qu'aux
bons Jours ; qui brûle de la bougie
( quoique feue Madame la Du-
cheiïe de Bourgogne avouoit n'en
avoir vu dans fon appartement qu§
Travail & Argent» 3 ^-^
depuis qu'elle éroic en France) qui
prend le cafîé , & fait journelle-
ment /à partie de quadrille : il s'en-
fuit 5 dis-je 5 que ce marchand 9
obligé, pour vivre félon fon état,
de fournit toutes ces chofes à fa
très-digne moitié j Se de fon côté
de figurer comme les autres (car
c'efl le mot ) peut en confcience
prélever cette dépenfe fur fes four-
nitures. Il faut encore qu'il gagne
de quoi faire à fes enfans élevés
dans Ce train-là , un établiflèmenc
à peu-près pareil à fa propre for-
tune : on (ent a quel taux tout cela
porte le prix de la main d*œuvre.
Même calcul pour l'artifan , même >
qui pis efl , pour le fabriquant; ce
qui porte le prix de nos ouvrages
& marchandiies à un taux que les
étrangers , obligés de payer argent
comptant , trouvent encore plus
rude que les ciroyens qui laiffentle
tout à payer à leurs enfans , abus
qui peîit-à- petit oblige les Danois
même à fe faire des manufaélureSj
& à fe palTèr de nous.
Si le mépris 6c Toubli de toute
3^^ Traite de la Popnfatiori.
économie ouvrent la porte à mille
jnconvénirns donr je ne fais qu'é-
baucher q'-ieîqoe>uns , un des plus
confidérables eft le défciut de fo-
briété. On n'en connoîc plus dans
Su: ;rofn- cette Ville bruyanre , où le y?/f
/«i , ahe.:t p^-^/}^/^j alienz appetens eft de-
^pwc^f j , de- -r J J 'i . r
%enu la de- vcnu la devite de tout le monde
vifc de tcuc ^^ piyg arand au plus petit. Outre
que la conlommation intérieure a
fextuplé par-tout , la partie du peu-
ple deftinée au travail dépenfe tout
ibn eain en parties , ccurfes &
guincrcerres. Chaque Bourgeois com-
merçmt , artifan mtme un peu aifé,
a fa mailon de campagne où tout
va par écueiles , comme Ton dit.
Les ouvriers du premier ordre ,
comnie jouaiiliers , orphevres &
autres font les Dimanches & fêtes
des dépenfes en collations où les
vins mufcats , étrangers ^c. ne font
pas épargnés. Les femmes & filles
de ce genre de fociété 7 affilient
& donnent le ton . tout s'y con-
fomme , & fi quelque Jeune ouvrier
plus fenfé veut éviter ces fortes de
dépenfes , la coûcuîne contraire â
Travail & Argent. 3 6^
tellement prévalu , qu'il fe verroit
ifolé & frappé d'une force d'ex*
communication parmi les gens de
fa profeiiîon. Le bas artifan court
à la guinguette , forte de débauche
protégée , dit-on > en faveur des
-Aides. Tout cela revient yvre , de
incapable de fervir le lendemain.
Les maures ar ri fans fcavent bien ce
que c'eR , pour leurs garçons , q-'e
le famedi court jour , & le lundi
lendemain de débauche; le mardi
ne vaut pas encore grand chofe ,
èc Çi dans la huitaine il fe trouve
quelque ^èiQ , ils ne voient pas leurs
garçons de toute la femaine.
Je ne prétends pas examiner (Se
noter ici les inconvéniens de cet
accroidemicnt de confommaticn inu-
tile & nuifible relativement aux
principes établis dans les Chapitres
précédens , mais feulement dans
l'objet de la diminution de tra-
vail qui en provient. La molle(Tè
dans les aifés, la pareiTe pour les
pauvres eft la fuite néce(Taire de
i'intempérance 5 cette fuite j nous y^
3/0 Traîcé de ta Population,
fon'rnes , & marchons de nacre
niieux au progrès.
f Les Ecoles les plus"^' rigides de
Paris, les Collèges les plus fains
de cette célèbre & févére Univer-
Cté donnent par jour trois heures
de moins de travail à leurs éco-
liers , qu*ils ne faifoient , il y a
quarante ans , & par Temaine un
jour de plus de congé. A l'Acadé-
mie , on montoit autrefois de régie
quatre chevaux chaque matin , &
quatre reprifes fur chaque cheval ,
on n'en monte aujourd'hui que
trois 5 à trois reprifes chacun j il
n*y avoit de jours de congé , que
le mercredi & le Dimanche , on
y a ajouté le famedi. Calculez, &
vous verrez qu'un an d'Académie
alors en valoit deux d'aujourd'hui»
Ce ne font-là que de menues bran-
ches d'un relâchement qui eft de-
venu générai , & à tous égards y
mais il n'ell: quedion ici que àvk
îravail.
De vieux bourgeois de Paris
m'ont dit autrefois que fi de hm
Travail & Argent ^-fi
temps un ouvrier n'eue pas travaillé
deux heures à ia lumière , foie le
inatin , foie le foir dans les plus
longs Jours, il auroic été noté comme
un parefTèux , & n'eût pas trouvé
à s'établir. Ce fut le 12. de Mai
1585. qu'Henri lîl. fit occuper
divers poftes dans Paris par Tes trou-
pes. Les habitans , dit Davila, aver-
tis par le bruit des tambours com-
mencèrent à fermer leurs portes &
leurs boutiques qui , félon Tufage
de cette ville de travailler avant
jour étoient déjà ouvertes. Com-
mincio à Radunarji s^errando le
porte délie café j e chiudendo le
forte délie hotte ghe _, che conforme
alV ufo délia citta di lavorare in^
nan-^i giorno ^ gia ferano commin-
date ad aprire. Il dit poncivemenc
en ce même endroit , que toute
cette émeute s'étoit faite avant le
jour. Or il eft jour à trois heuref
au mois de Mai. En 1750. je tra-
verfai à pareil jour tout Paris à fix
heures fonnantes à la Sorbonne ,
je traverfai , dis-je , depuis les Char-
treux jufquau bouc du fauxbourg
Q.VJ.
^yi Trahi de la PopulaîloTîl
S. Martin , partie marchande & pd^
puleufe de la Ville , & je n*y vi§
d*ouvertes que quelques échopes dô
vendeurs d'eau de vie. Voilà les
faits.
Conndérons - nous maintenant
relativement à nous-mêmes , 6<:
voyons ce que nous avons perdu
de notre propre fonds. Un ouvrier
qui travaille fix heures de plus dans
une journée, & qui confomme îa
moitié moins j en vaut trois 5 Ôc
s'il eO: vrai c^ut plus il y a detra^
y ail dans un Etat ^ plus l'Etat ejî
cenfé riche naturellement ^ nous
avons à cet égard perdu les deux
tiers de notre richeiTe intérieure,
îl eft poffibîe qu'il y ait plus d'ou-
vrages faits aujourd'hui , attendu la
multiplicité d*arts & de manufac-
tures nouvelles établies depuis cent
ans 5 mais il n'en eft pas moins cer-
tain que fi nos ouvriers a(5lueîs
étoientaufîi laborieux qu'autrefois,
ils confommeroient moins en fu-
perfluîtés & feroient plus d'ouvra-
giès 3 au moyen de quoi ces ouvrages
y
Travail & Argent. 57J
feroîent à un prix plus bas & plus
commerçabie.
Les maux les plus difficiles à
reparer fouc ceux qui proviennent
de l'affaiiïement des mœurs. L'hom-
me réputé alors le plus parefTeux ,
s'il reparoiiïoit aujourd'hui en con-
fervant les ufages de Ton temps ,
feroit le plus vigilant d'entre nous.
Dormant a la Françoife jufqu'à
huit heures y dit Sully en parlant
de la garnifon d'Amiens qui fe laifTa
furprendre : dormir alors jufqu'à
huit heures du matin étoit une lâ-
cheté pour un homme du monde.
Se lever à cette heure-là efl: pref-
que une fingularité de nos jours.
Qui de nous , voyant un artifan
miférable ainfî que fa famille , pen-
fèroit que c'efl: fa faute de ne pas
commencer fon travail dès les
quatre heures du matin ? Les vices
éc les vertus font de proportion ,
comme toute autre chofe. LesLoix
ne peuvent rien fur la portion des
mœurs qui tourne vers l'inexiflence.
-Où donc eft le remède î L'exeppls
& l'encourageûienrv
1^4 'If'i^îté de la Popuiadonl
Peut-être me direz-vous qu*en
Êîtendant que faie fait recevoir ma
nouvelle peuplade , je traite affez
mal celle qui m'environne. Prenez
y garde , une telle imputation fe-
roit odieufe & mal fondée. Je peins
nos mœurs , moeurs dont tout le
monde fait gloire. Mon plan eft
toujours de ne rien forcer , de ne
rien détruire : je prêche au con-
traire d'édifier. Ckérijffe^ j anime^
l'agriculture jhlçnîGt le travail de-
viendra en honneur ; rcconomie&
la fobriéré font Tes compagnes. Ces
vertus tiennent Tefprit tranquille,
& le corps fain. L'aétivité ôc la
tempérance des mœurs champêtres
palTeront à la Ville avec les nom-
breufes colonies que les campagnes
y enverront , à la différence qu'il
faudroit peut-être d*autres topiques
qui ne font pas de mon fujet , pour
rétablir les mœurs à la Ville, fé-
jour corrupteur , au-îieu qu'à la
campagne paix Se proredion , Se
tout eft dit ; c'efl le Code entier de
yos loix fomptuaires.
Le retour à l'agriculture portl
Travail & Argent, 37^
dans Crtte exclamation , au momenc
où nous Tommes le plus enfoncés
dans les détails du travail , paroîtra
étranger à la queftion ;raais je tiens
que le plus puifïant remède des
mœurs eft de remettre en honneur
cette proFefîion maternelle, nour-
ricière 5 & vertueufe , & d'en don-
ner le goût généralement à tous les
citoyens. La (implicite naît de Tai-
fance de la campagne, & l'écono-
mie efl une fuite de la douce peine
qu'on eut à en recueillir les biens ;
la vue de l'énorme quantité de bled
qui entre dans une belle tabatière,
dégoûteroit le plus hardi difîîpa-
teur.
Revenons au travail. La Ré* Lereiicfig
forme fe vante d'en avoir accru la ^^^"^
fomme dans les Etats qui l'ont travail que
embrafiTée , par la fuppreffion des ^^"^ .'^ ^^^"^^^
Fêtes. Je crois , par its railons de
calcul déduites ci-delTus , que c'eft
autant de gagné, fur- tout en cer-
tains temps précieux pour \qs tra-
vaux & récoltes de la campagne;
auflî en fupprime-t-on beaucoup
dans le Culte Catholique. Mai&
^f6 Traité de la Population.
qu*oii fe fouvienne toujours qu'une'
Fêre fupprimée n'eft jamais que
neuf heures ajoutées dans Tan tout
âu plus , au- lieu qu'une heure cfe
fommeil en compofe trois cents
foixante-cinq. Il ne faut pas croire
d'ailleurs que toutes les fêtes fuf-
fent en pure perte ; l'homme veut
du délaffement , & il lui eft fi né-
ceflaire, que Dieu ordonna dans
Finftitution première un jour de
repos en fept. Ce jour redonne des
forces à l'homme courbé fous le
poids du travail hebdomadaire. Cet
intervalle de relâche lui donne le
temps de la réflexion fi néceiïàire
.à tout 5 & qu'un travail mécha^
nique afFaifTe à la longue fans reC-
fource.
Outre le repos , il nous faut en-
core de la joie & des rapports d'u*
nion & de fociété : examinez nos
Fêtes dans leur inftitution , & en
y joignant ce que l'antique fim-
plicité y avoit ajouté d'ufages de
de pratiques habituelles ,vous ver-
rez que tout y concourt à ces deux»
objets vraiment politiques»-
travail & Argent. 377
Les vues de TEglife fonr tontes
fpirituelles dans leculce qu'elle
nous prefcrit j mais elle a fçu con-
defcendre aux ménagemens que
l'union de l'ame avec la machine
nous rend néceiTaires , & a permis
que Tordre & les ufages civils y
introduifenc une variété & une ac-
tion propres à nous intérefTer. Cette
déférence a même influé fur (ts
propres cérém.onies *, à la referve
d'une demi-femaine dans Tannée
toute confacrée à la prière & aa
recueillement , & dont les prati-
ques ne font pas même d'obliga-
tion pour les gens de travail , tout
le refte a pour objet des occafions
de joie & d'allégretTe. Les Fêtes
de Noël j des Rois , de Pâques , de
la Pentecôte 5 toutes les grandes
Fêtes j en un mot , font de cette
efpece.
Examinons enfuite ce que la
coutume de nos pères avoit ajouté
d'ufages particuliers à ces folem*
nitcs. A Noèl , la famille ralTem-
blée, la fouche de la veillée & le
bralîer qui Tentoiiroit fervant à
3 7^ Traité de U Population:
cuire les marons pour le vin bîanc,
enfuice le réveiiion , &c. Aux Rois^r
la fève , Jes cris , & le Roi boit.
A Pâques , Jes œufs qu'ancienne-
ment le père de famille diftribuoic
à toute /a mai Ion jufqu'au moin-
dre domeftiqiiej faifbient une forte
de communion profane , précieux
ufage : je fuis tenté quelquefois de
descendre à la table de mes gens,
de couper leur pain , de boire en
même talïe , pour merappeller que
nous fommes tous d'une feule fou-
che, que je dois les confidérer,&
les contraindre à m'aimer. Cette
méthode réuffiroit mal aujourd'hui ,
fes valets font aufîî infènfibles ,
aufîî méprifans que \qs maîtres j
mais c'eft tant pis. A Pâques donc y
les œufs , le jambon &c. à la Pen-
tecôte 5 les premiers fruits j la
S. Hubert , la S. Martin , toutes
ces Fêtes font dans Tannée , fauf
refpeâ: , ce qu'eft Tavoine à nûdî
dans la journée du cheval.
Ces fortes d'aflemblées d'ailleurs,
ces révolutions à temps marqué
uniflènt la fociété, Ik y établiflesit
Travail & Argent, ^79
les rapports <5^ la confiance ; bien
difFérentes en cela de Tincempé-
rance journalière donc j'ai parlé
cl-deOTus, qui biencô: entraîne la
fociéré , le défordre & la parefîe ,
celles-là réveillent , font oublier
les peines paQées & futures , réu-
nifTent la jeunefTe , mais fous les
yeux paternels , font naître les
unions de convenance, les propo"
fîtions de mariage , rappellent les
fouvenirs d'antique fraternité &
parenté.
Bien à propos les hommes a*
voient-ils inventé les cérémonies
bruyantes & autres agencemens
futiles & pafïàgers d*une vie très-
paOTagere , mais qui nous paroîtroit
peut-être trop longue encore , fi
nous la regardions fous fon vrai
point de vue. L* ho ai me ne naît
que pour travailler, pondre ,fouf-
frir & mourir. Nous avons orné
ce tronc informe & cadavéreux de
feuillages empruntés , mais fans
celfe renouvelles, & qui jouent à
des yeux enclins à fe tromper eux-
mêmes , la verdure naturelle ^
j^So Traité de la Population.
durable. Les baptêmes , la ro
virile, les noces , jufqLies aux fu-
nérailles même , touc a pris pat
les foins des Lé^iflateurs , hommes
réfléchi (lanrs j un air de décora-
tiorf 5 ôc cette perfpec^ive variée ô^
trompe afe nous cache le mur. Tout
donc ce qui peut erre un remède
contre raccablemenc , eft un ai-
guillon au travail j nous Tavons
dit ci - deiïiis. Tout auffi ce qui
réunit la fociécé , &: nous fait fentir
la néceiïîté & Tutilité des rapports
<5ue nous avons. les uns aux au-
tres 5 efl: un nouvel encourage-
ment.
Les cailloux dans les rivières
deviennent ronds & polis par lé
frottement, les hommes fe civiîi-
fenr par la fociété ; c'efl: un axiome
que je n* ai pas inventé. Les Fêtes
votives, procefîîons , pèlerinages
du canton en un lieu dont on fête
le Saint , & qui fe tient prêt à
donner là revanche à fes voifins ,
ont été encouragés par d'habiles
Princes , comme Charles-Quint en
Flandres , en Artois & autres. Je
Travail & Argent. 3 S r
veux qu'il ait pu y avoir de Tabus
à ces forces de chofes dans des
temps grofîîers & où 1*011 prenoit
tout à la lettre ; mais aujourd'hui
ne tombons- nous pas dans ledéfauE
contraire ?
On eft tout étonné , quand il y
a des illuminations dans Paris, de
ne voir que des promeneurs dans
les rues , & autour des fontaines
de vin cinq ou lix malheureux por-
teurs d'eau ivres , & rien de plus.
Quelques gens à refrein difent i
ç'ejl la misère qui attrifte le peuple.
Pade pour la campagne , mais à
Paris le peuple n'eft: miferable que
volontairement , tout y trouve à
travailler , & à gagner beaucoup ;
maïs c'eft que tout le monde eft
devenu Monfieur. Il me vient le
Dimanche un homme en habit de
dfoguet de foie noire & en per-
ruque bien poudrée, & tandis que
Je me confonds en complimens , il
s'annonce pour le premier garçon
de mon maréchal ou de mon bour-
relier ; un tel Seigneur ira-t'il s'en?
çanailler à daiiÇer dans le^ FUes 1
3 s 1 Traité de la Population ,
Il eft certain que ce peuple-là eft
bien plus commoJe pour la Police.
Cependant au fond la guinguette
va ion train , guinguette il ruineufe,
comme je l'ai diCj pour l'ouvrier,
fi pénible à l'artifan en chef qui
xiQ peut jouir de fes garçons , fi
pernicieufe même pour le lende-
main ; car on ne fçauroit croire
combien de garçons maçons , char-
pentiers, 6c couvreurs périffent le
lundi en voulant s'expoïer, la tête
encore chargée de vin. J'en ai une
fois rencontré trois en un même
jour de lundi fur la civière en
différents quartiers de Paris ; Se
quand dans un bâtiment conndé-
rable on ne perd que dix ou douze
hommes de la forte , ce n eft pas
trop. Mais Je veux enfin que tout
ce peuple foit réellement philofo-
phe , tant pis fi d'ailleurs il con-
fomme davantage , s'il eft plus lan-
guiiTant , s'il travaille moins. Or ces
trois Jl ne font plus en queflion.
En voilà afiez,& plus qu'il n'en
faut pour prouver que les Fêtes ne
îiuifenc au travail ^ qu'autant qu0
Travail & Argent, 3S5
!a tournure des mœurs de fîmple
devient compofée. Si nous pou-
vions aller fans ceffe comme des
machines , il faudroit au pouce &
à la ligne calculer le temps , de
n'en pas perdre la minute ; mais il
n*en eft pas ainfi, <S^ quelque haut
que ce relTort fût monté, peut-être
y perdrions-nous : car (î d'une parc
la nature demande du relâche , de
Fautre l'imagination & Tes reffour-
ees nous font quelquefois doubler
le pas, de façon que nos fuccès ne
font en nulle proportion avec nos
forces. Les chevaux en ont plus
que nous. Montluc , célèbre me-
neur d'hommes & de chevaux , af-
fure qu'il a fouvent vu le bout de
fa monture , & qu'alors il n'y a
plus que foin & repos pour la
faire aller ; qu'au contraire il a
fouvent vil des hommes las , recrus ,
& raourans de laiîuude au bout de
vinet-quatre heures de traire, fans
fubfillance , fe réveiller fur une
efpérance de gloire ou de butin ,
§c doubler la dofe de fatigue ,
3 §4 Traité de la Population,
comme s'ils eufTenc été frais. En-
courageons donc le travail, & nos
hommes auront quatre bras ; c*eft
le feul & unique tecrec , car tout
eft jour de Fête pour un pare(-
feux.
Apres ces incur(îons fur les dé-
tails du travail , reprenons le fom-
maire de ceux de mes principes
que f ai établis jufqu'ici fur la qua-
lité didindive des métaux. Si vous
leur permettez de s'établir comme
riche (Te , vous errez dans le prin-
cipe, vous périrez par les confé-
quences ; (i vous les regardez au
contraire comme agent , dont le
miniflere ell néceflaire5<&: donc la
rnadè doit être en proportion de
la quantité de matières dont il doit
accélérer la produdlion en aidant
à les débiter , vous êtes dans le
vrai. Le fang qui circule dans les
veines ell: le principe de la nutri-
tion univerfelle ; mais s'ilfurabonde
& forme dépôt, il entraîne la cor*
fuption & la mort.
PéiQurnez donc la \^uë des lieux
où
Travail & Argent. 3 S5
où l'on reGherche les mines & la
Îjoudre d'or -, laifïèz aux aveugles
. e foin de s'enfevelir dans les en-
trailles de la rerrcj c'eft fa furface
qu'il faut couvrir & vivifier.
Les richeflfes fe trouvent par* lesrîc&eiîes
\ •! Il A 1 fe trouveac
tout OU 11 y a des hommes. A la p^r tout oîï
referve de quelques foibles mines ïi y » «iss
d'argent & de plufieurs mines de ^°°^°^"'
fer, l'ancienne Gaule n'avoit qu@
peu ou point de métaux. Enviroiï-;
née de toutes parts , ou de Barbares
comme elle, ou des Romains qui*
toujours frappés du fouvenir des
anciennes invafions des Gaulois ^
auroient voulu que les barrières
qui les féparoient fuflèni à Jamais
. impénétrables y elle n avoir pareil
lement aucurt commerce , û l'on tm
excepte le plomb & rétaim. de Is
Bétiqae, que les nations commer-
çantes tiroieot par les ports de la
Méditerranée > & qui conféquem-
ment dévoient être entrés daos la^
Caule, par (es ports fur l'Océan*
\ Cependant Torique Ce far ea £t la
conquête ^ il en tira affèz d'^ot ^m
L Partie
^$6 Traité de la Population,
corrompre fa patrie avant de l'avoîk:
foumife , & pour acheter tant de
partifans dans Rome déjà enrichie
3e tous les thréfors de TAfrique ,
de la Macédoine , & fur-tout de
Topulente Afie. Céfar, quoique
rhomme de fon temps le moins
fcrupuleux fur les moyens , ne nous
a pas été tranfmis comme con-
cufîîonnaire : il le fut réellement»
■fi Ton confidére les chofes avec
les vues de jufïice Se d'humanité
qui nous font familières aujour-
d'hui ; mais par comparaifbn avec
Tufage reçu par fes contemporains
& par tous les Grands de cette
infatiable République , il peut à
cet égard pafler prefque pour mo-
déré j les Gaules lui furent toujours
fidèlement attachées dans les c'ifFc-
r entes viciflîtudes de fa rapide for-
tune, ce qui prouve qu'il n'ett
avoir pas tyrannifé les peuples; en
un mot 5 on ne voit point de tra-
ces de fes rapines dans leç Gaules^;
èc Caflîus fon meurtrier, quoique
parvenu Jufqu^à nous avec la faveur
Travail & Argent, 3S7
d'un libérateur de la patrie , pa(Iè
pour avoir cruellement pillé TAfie
pour parvenir au maintien de foa
parti. On peut répondre que Céfar
qui donnoit tout pour tout acqué-
rir , & qui rçavoit donner avec les
grâces fupérieures de la nature
& de refpric dont il étoit doué y
faifoit de rien quelque chofe , &
qu'il fortit des Gaules tellement
pauvre qu*il fut obligé pour (om
début de choquer tous les préjugés
éQÇ3i patrie, en forçant & pillant
îe thréfor public. Sans entrer dan&
cette difcufîîon de détail , je me
contente de renvoyer au récit de
fes quartiers d'hiver à Riminî, oit
Home entière venoit grofîir fa.
Cour 5 &■ s'en retournoir comblée ^
aux dérails des diiîîpatîons de fés
principaux fatellites , les Oppius ^
îes Baibus , les Antoine , les Do^
îabella. Cefar conquérant & Ceîâr
politique font deux hommes ; îa
fortune îe mena plus loin- qu'il ne
penfoit aller; comme conquérant 3,
le fer ^ Tâdivité furent fes (fûtm
3 S S Traité de la Population.
armes ; comme politique , il fêmbfe
avoir trouvé les iburces dé l'or.
D'où venoient donc ces richefles
dans des pays encore i fol es ? Uni-
quement de Timmenfe population
qu'il y trouva établie. On eft efFrayé
des détails de cette efpece qu'on
lit dans les Commentaires. Je le
répète . par tout où il y a des
hommes . il y a des richefles j les
riche iTes n'étant que les chofes né-
cedàtres à la vie , ou leur repré-
fentatif. Les métaux ne font que
le figne des valeurs s où il n'y a
point d'hommes > il n'eft de valeur
à rien ; & fî les métaux fe trouvent
dans des climats déferts , ils cou-
lent bien vjte fe répandre aux
lieux où la nécelîité du troc leur
fera trouver leur place.
Dans la Partie fuivante , nous
allon? entrer dan^ l'examen des
différents ufages qu'on peur &
qu'on doit faire de l'or , &c traiter
des moyens d'accélérer fa rapidité 3
de la diriger de façon qu'il circule
fans eefle fans corroder ni faire
Travail & Argents ^^
dépôt. La carrière va s'ouvrir , ôc
les grands objets (e développer pro-
grèÛivement à notre vue. Qu'il me
foit permis de finir cette Partie-ci
comme Je l'ai commencée, en re-
commandant la population ôc Ta-;
griculture.
Les finances font le nerf d'un
Etat , il eft vrai ; mais l'or n'eft
qu'un métal : il ne devient richede
qu'en paflfant par les mains des
hommes. Donnons des hommes à
un Etat 5 s'ils n'ont de l'argent , ils
en feront venir. Des tonnes d'or
ne bougeront de place , fi perfonne
ne les remue. Un homme , comme
les B. ^"^ Ôc les P. **,^ fournira à
fott Prince des facilités pour lever
& entretenir des armées en Suéde.
Ce met fuffit pour rappeller la ré-
flexion j qu'il entre plus d'hommes
que d'argent dans ce qu'en appelle
les finances.
Les Efpagnoîs , on le fçait , ont
eu feuls pendant long temps les
fources de l'or, A quoi leur ont-
filles fervil qu'à fe perdre en prQ«»
^90 Trahi de la Fopuiathm
jets imagirraires , & à fe dépeupler
de façon à ne s'en relever de long-
temps. Si les Gafçons & les Limou-
fins ne vom faire la récolte en EC-
pagne, les naturels du pays mour-
ront de faim ; s'ils y vont , ils en
emportent tout Tor , Ôc ainfî du
refte. Quand le pays fourmillera
d'hommes, les fervices y feront
payés moins , puifqu'il y aura plus
de gens ayant befoin d'emploi r
augmentation de finances. Ces in-
duàions fuffifent pour faire fentir
que e'eft mal entendre les finances 5,
que de croire les améliorer par
l'augmentation des revenus de l'E-
tat, fi elle n'eft une fuite de l'ac-
croiffèment de fa force; que cette
force confifte uniquement dans 1^
population ; & qu'un Prince qui?
s*appauvriroit pour aider cette po-
pulation, mettroit fon argent à uns
l)ien gros intérêt. Or j'ai trouvé
ce fecret; Je le donne gratis , Se
Fexécution n'en coûtera qu'un peut
^attention; r aime^j honore^ Va'-
gricuàure^ e^eit le foyer ^ ce {ont
Travail & Argent, 351
les entrailles , & la racine d'un Etar^
Nouveau Cadmus , les hommes^
fortiront pour vous du fein de la
terre , & ne fe battront pas ^
comme firent ceux de ce temps-là*.
Tin de la première Partie^
ï
i^«
<u
A^
wè
\